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Full text of "Dictionnaire des sciences occultes ... : ou, Repertoire universal des êtres, des personnages, des livres, des faits et des choses qui tiennent aux apparitions ... suivi du Traité historique des dieux et des démons du paganisme / par Binet ; et de La réponse `a l'histoire des oracles de Fontenelle / par Baltus"

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JOHN  M.  KELLY  LIBDADY 


Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


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V  DciSrl-»«, 


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PREMIERE 

ENCYCLOPEDIE 

THÉOLOGIQUE,   "'' 

ou  PREMIÈRE 

SÉRIE  DE  OIGTIONNÂIRES  SUR  TOUTES  LES  PARTIES  DE  L&  SCIENCE  RELIGIEUSE 

OFFMAMT  EN  rSAHÇA»,  BT  PAS  ORDKB  ALPHABÉTIQUE, 

LA  PLUS  CLAIUK,  LA  PLUS  FACILE,  LA  PLUS  COMMODE,  LA  PLUS  VARIÉE 
ET  LA  PLUS  COMPLÈTE  DES  THÉOLOGIES. 

CES  DICTIONNAIRES  SONT,  POUR  LA  PREMIÈRE  SÉRIE,  CEUX  : 

m'kcKITIIHK  SAI.NTK,  —  liE  l'IllI.Ol.OGlE  SACRÉK,  —  BE  LITURGIE,  —  l(E  DROIT  CANON,  — 

IIKS  lIÉKÉSfES,  liKS  SCIIISMIS,  DES  LIVRES  JANSÉNISTES,  DES  PROPOSITIONS  ET  DES  LIVRES  CONDAMNÉS, 

—  DES  CONCILES,  —   DES  CÉliÉHOMES   ET  DES  RITES,  — 

DES  CAS    DE    CONSCIENCE,  —   DES    ORDRES    RELIGIEUX  (lIOMMES    ET    EEMMES),    —    DES    DIVERSES  RELIGIONS,  — 

DE  GltOGRAPIIIE  SACRÉE  ET  ECCLÉSIASTIQUE,  —  DE  THÉOLOGIE  DOGMATIQUE,  CANONIQUE, 

LITURGIQUE    ET    POLÉMIQUE, —  DE  T1IÉOI,0(;IE  MORALE  ET  MÏSTIQUE, 

—  DE  JURISPRUDENCE  CIVILE-ECCLÉSIASTIQUE, 

—   DES    PASSIONS,    DES    VERTUS   ET  DES    VICES,    —    d'iIAGiOGRAPIIIE,  —  DES  PÈLERINAGES  RELIGIEUX,  — 

d'astronomie,  de  PHYSIQUE  ET  DE  MÉTÉOROLOGIE  RELIGIEUSES, — 

D'l<:UI>IOGnAPIIIE  CHRÉTIENNE,  —  DE  CHIMIE  ET  DE   MINÉRALOGIE  RELIGIEUSES, —  DE  DIPLOMATIQUE  CHRÉTIENNE,     - 

DES  SCIENCES  OCCULTES,  —  DE  CÉOLOIME  ET  DE  CHRONOLOGIE  CHRÉTIENNES: 

Publication  tans  luquelle  on  ne  saurait  parler,  lire  et  écrire  uiilement,  n'importe  dam  quelle  situation  delà  vie: 

PUBLIÉE 

PAU  M.  L'ABBÉ   MIGNP, 

ÉDITEUB  DE  LA  BIBLIOTHt'^UE  IJNIVEBSRtL.E  DU  CLERGÉ 

ou 

DES    COURS    COmPI.STa   sur    chaque   branche    de    la    science   ECCLÉSIASTIQUE. 
PPIX  :  6  FB.   LE  VOL.  POUR    LE  SOUSCRIPTEUR  A  LA  COLLECTION  ENTIÈRE,  OU  A   50  VOLUMES  CHOISIS  DANS  LES  TROIS 

Encyclopédies;  7  fr.  et  même  8  fr.  pour  le  souscripteur  a  tel  ou  tel  dictionnaire  particulier. 

52  YOLIMES,  PRIX  :  312  FRANCS. 


TOME  QUARANTE-HUITIÈl 


ATARI 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 

rOME  PREMIER. 
2  VOL.,  PRIX  :  16  FRANCS. 

S'IMPRIME  ET  SE  VEND  CHEZ  J.-P.  MIGNE,  EDITEUR, 

AUX  ATELIERS  CATHOLIQUES,  RUE  D'AMBOISE,  20,  AU  PETIT-MONTROUGE, 
AUTREFOIS   BARRIÈRE  D'ENFER   DE  PARIS,   MAINTENANT   DANS   PARIS. 

1861 


^ 


DICTIONNAIRE 


DKS 

SCIENCES  OCCULTES 

SAVOIR, 

DE    :    AltllOMAXCIE,    AI.CIIIMIE,    ALECTIIVOMANXIE,    ALEL'ROMANCIF., 
ALFRIDARIE,  AL0MA^(■.1E,  ALOPÉCIE,    ALPIIITOMANCIE,    AMMO- 
NA.NCIE,  A.NTlinOPOMANCIE,  APAMOMANClEjARlTIlMANCIE,  ARMOMANClE.AfPlDO- 
MA.NClK,  ASTI1AGAL0MA^CIE,  BASCANIE,  BÉL0MA>C1E,  BIBLIOMANCIE,  ROTA- 
NOMAMCIE,   BOUSANTIIRDPIE,  BRIZOMANCIE,  CABALOMANCIE,  CAPNOMANCIE,  CARTOMANCIE, 
CATOPTROMA.NCIE,  CAl'SIMANClE,  CÉPIIALO.NOMANCIE,  CÉRAll^O^COPlE,  CÉROMANCIE, 
CHlftl.lE,  CHIROMANCIE,   CLÉDONISMaNCIE,  CLÉIDOMANCIE,   CLÉROMAiNCIE,  COSQUINOMANCIE,   CRIS'IA- 
LOMANCIE,   CRlTOMAiNCIE,    CRdMNlOMANCIE  ,    CUBOMANCIE  ,  CÏNANTUROPIE  ,    BACTÏLOUANCIE, 
BAPhPiOMA.NClE,  DKM.  KOCRATIE,   BÉMONOGRAPIIIE,  DÉMONOMANCIE,  ENGASTBIMISME,  FANTASMAGORIE,  FATA- 
LISME, GASTBOMANCIE,  GÉLOSCOPIE,  GÉJIATRIE,  GÉOMANCIE,  GÏROMANCIE,  IIÉPATOSCOPIE,  IIIPPOHANCIK, 
UVURdHANCIË,   ICIITIIÏOMANCIE,  ILLUMIXISME,  LAMPADOMANCIE,   LÉCANOHANCIE,  LIBANOMANCIE,  LITIIIlMANCIE,  LÏCAÎI- 
THHOPIE,  LYSIHACIIIE,  MAGIE,  MAGNÉTISME,  MAHGARITOMANCIE,  HATRIHONANCIE,  HÉCANOMANCIE,  HCGA- 
iaNTimOPOGÉNÉSIE,  MÉTOSCOPIE,  MIMIQUE,  MONARCHIE  INFERNALE,  M\OMAr(CIE,  NAIBANCIE,  NÉCROMANCIE, 
NICROMANCIE,    OCULOMANCIÏ,    OENOMANCIË,     OLOLVGMANCIE,    OMOMANCIE,    OMPIIALOMANCIE, 
ONtWOCRITIQCE,  ONOMANCIE,  ONÏCHOMANCIE,  OOMANCIE,  OPIIIOMANCIE,  OPHTIIALMOSCOPIE,  ORDA- 
LIE, ORNITHOMANCIE,  PALINGÉNÉSIE,  PALMOSCOPIE,  PARTHÉNOMANCIE,  PÉCOMANCIE, 
PE  ICHIMANCIE,  PETTIMANCIE,  PHARMACIE,  PHRÉNOLOGIE,  PHÏLLORHODOMANCIE,  PHVSIO- 
GNOMONIE,   PIERRE    PIIILOSOI'HALE,   PÏROMANCIE,  RABDOMANCIE,    RBAP- 
SODOMANCIE,    SCIAMANCIE ,    SEXOMANCIE,     MDÉROMANCIE ,     SOMNAMBULISME, 
SPODOMANCIE,    STÉGANOGRAPHIE,    bTKRNOMANCIE,    STOÏCHÉO- 
MANCIE,  STOLISOHANCIE,  SCPEBSTITIONJ,  S\COMANCIE,  SYMPATHIE, 
TACITURNOMANCIE,    TAUPOMANCIE,    TÉPHRAMANCIE, 
T^RATOSCOPIE,  THALMCDANCIE,  THÉOMANCIE,  THÉURGIE, 
THURIFIJMIE,  TIROMANCIE,    UROTOPÉGNIE, 
UTÉSÉTLRE,  VAMPIRISME,  VENTRILOQUIE,  VISIO- 
HANCIE,  XVLOMANCIE,  ZAIRAGIE; 

Dlj 

RÉPERTOIRE  UNIVERSEL 

IHB  ËTRKS,  DES  PEnSONNAGES,  TES  LIVRES,  DES  FAITS  ET  DES  CHOSES  QUI  TIE>NEST  AUX  ArPABITIOKS,  AUX  DIVINATIONS,  A  LA  MAGM 
AW  commerce  de  l'eNFEB,  aux  démons,  aux  SORCIERS,  AUX  SCIENCES  OCCULTES,  AUX  GRIMOIRES,  ' 

A  LA  CABALE,  AUX   FSPRITS  Él£mENTAIBES,  AU  GRAND  CEUVRE,  AUX   PRODIGES,   AUX   ERREURS,  AUX  PRéjCGES, 

aux  impostures,  aux  arts  des  bohemiens,  aux  superstitions  diverses,  aux  contes  populaires,  aux  prohostics, 

et  généralement  a  toutes  les  croyances  fausses,  merveilleuses,  surprenantes, 

mvstériec:>es  ou  subnaturelles  ; 

suivi  uu  traité  historioue  des  dieux  et  des  démons  du  paganisme,  par  binet  ;  et  de  la  réponse  a 
l'histoire  des  oracles  de  fOntinelle,  par  baltus  : 

'public  par   îOÎ.   l'abbé  SDÎtgne, 

tolTEUm   DE   I.A  BIBLIOTBÈQVX  aNXVERHEULB  DU  CLEROA. 

TOME    PREMIER. 

2    VOL.   PRIX   :    16    FRANCS. 


S'IMPRIME  ET   SE  VEND  CHEZ  J.-P.   MIGNE,  EDITEUR, 

AUX    ATELIEIIS    CAl'HOLIQUES,    RUE    D'AMBOISE,  20,  AU   PETII -MONTIIOUGE» 
AUTREFOIS  BARRIÈRE  D'ENFER  DE  PAHIS,  MAINTENANT  DANS  PARIS. 

1861 


Paris.  —  Iniprimerio  J.-P.  MIGNE. 


DICTIONNAIRE 


OES 


SCIENCES  OCCULTES 


ET    DES 


IDEES  SUPERSTITIEUSES 


-tsSEOl, 


AAMON.  Voy.  Amox. 

AARON,  magicipii  du  Bas-Empire,  qui 
vivait  du  lemps  de  l'empereur  Manuel  Com- 
nène.  On  conle  qu'il  possédait  les  Clavicules 
de  Salomon ,  qu'au  moyen  de  ce  livre  il  avait 
à  SCS  ordres  des  légions  de  démons,  et  se 
mêlait  de  nécromancie.  On  lui  fit  crever  les 
yeux;  après  quoi  on  lui  coupa  encore  la 
langue.  Mais  n'allez  pas  rruire  que  ce  fût 
une  victime  de  quelque  fanatisme  ;  il  fut 
condamné  comme  bandit  :  car  on  trouva 
chez  lui  un  cadavre  qui  avait  les  pieds  en- 
chaînés, le  cœur  percé  d'un  clou ,  el  d'autres 
abominations  (Nicélas,  Annales,  liv.  k.) 

ABADDON,  ou  le  destructeur,  chef  des 
démons  do  la  septième  hiérarchie.  C'est  le 
nom  de  l'ange  exterminateur  dans  l'Apoca- 
lypse. 

ABADIE  (Jeannette),  jeune  fille  du  village 
de  Siboure,  en  Gascogne.  Dclancre,  dans 
son  Tableau  de  l'inconstance  des  démons,  ra- 
conte que  Jeannette  Abadie,  dormant,  un 
dimanche,  pendant  la  messe,  dans  la  maison 
de  son  père,  un  démon  profila  du  moment  et 
l'emporta  au  sabbat  (quoiqu'on  ne  fît  le  sab- 
bat ni  le  dimanche  ni  aux  heures  des  saints 
offices,  temps  où  les  démons  ont  peu  de  joie). 
Elle  trouva  au  sabbat  grande  compagnie  et 
vit  que  celui  qui  présidait  avait  à  la  lêle  deux 
visages,  comme  Janus.  Du  resie,  elle  ne  fit 
rien  de  criminel  et  fut  remise  à  son  logis  par 
le  même  moyen  de  transport  qui  l'avait  em- 
menée. Elle  se  réveilla  alors  et  ramassa  une 
petite  relique  que  le  diable  avait  eu  la  pré- 
caution d'ôter  de  son  cou  avant  de  l'empor- 
ter. Il  parait  que  le  bon  curé  à  qui  elle  con- 
fessa son  aventure  lui  fit  comprendre  qu'elle 
n'avait  fait  qu'un  mauvais  rêve;  car  elle  ne 

futaucunemenl  recherchée,  quoique  Delancre 
dise  qu'elle  avait  commencé  là  le  métier  de 
sorcière.  Voy.  Crapaud. 

ABALAM,  prince  de  l'enfer,  très-peu  con- 

II)  Hérodote,  Jambliqup.  Clément  d'Alexandrin   elc 
(2;  Le  livre  très-rare  d'Abdeel  est  intitnlé  :  Das  Buch 
aer  verstegetlen  rede  des  proplieten  Danielis,  etc.  —  Le 

DlCTlONN.  DES  SCIENCES  OCCULTES.  I. 


nu.  Il  est  de  la  suite  de  Paymon.   Vov.  ce 
mot.  •' 

ABANO.  Voy.  Pierre  d'Apone. 

ABARIS,  magicien  scythe  et  grand-prêtre 
d  Apollon,  qui  lui  donna  une  flèche  d'or  sur 
laquelle  il  chevauchait  par  les  airs  avec  la 
rapidité  d'un  oiseau  ;  ce  qui  a  fait  que  les 
Grecs  1  ont  appelé  VAérobale.  11  fut,  dit-on 
maiIredePythagore,  qui  lui  vola  sa  flèche, 
dans  laquelle  on  doit  voir  quelque  allégorie 
On  ajoute  qu'Abaris  prédisait  l'avenir,  qu'il 
apaisait  les  orages,  qu'il  chassait  la  peste; 
on  conte  même  qu'il  vivait  sans  boire  ni 
manger.  Avec  les  os  de  Pélops,  il  fabriqua 
une  figure  de  Minerve,  qu'il  vendit  aux 
froyens  comme  un  talisman  descendu  du 
ciel:  c'est  le  Palladium  qui  avait  la  réputa- 
tion de  rendre  imprenable  la  ville  où  il  se 
trouvait  (1). 

ABDEEL    (Abraham),   appelé  communé- 
ment Schœnewald  (Beauchamp),  prédicateur 
a  Custrin,  dans  la  marche  de  Brandebourg 
fit  imprimer  à  Thann,enl572,  le  Livre  delà 
parole  cachetée,  dans  lequel  il  a  fait  des  cal- 
culs pour  trouver  qui  est  l'antechrist  el  à. 
quelle  époque  il  doit  paraître.  Celle  méthode 
consistée  prendre  au  hasard  un  passage  du 
prophète   Daniel   ou  de  l'Apocalypse,  et  à 
donnera  chaque  lettre,  depuis  o jusqu'à  z, 
sa  valeur  numérique.  A  vaut  1,  b  vaut  2,  e 
vaut  3,  et  ainsi  de  suite.  Abdee!  déclare  que 
1  antechrist  est  le  pape  Léon  X.  Il  trouve  de 
la  même  manière  les  noms  des  trois  anges 
par  lesquels  l'antechrist  doit  être  découvert. 
Ces  trois  anges  sont  Hiiss,  Huthen  et  un  cer- 
tain Noé  qui   nous  est  inconnu.  Ces  trois 
insensés  ne  s'en  doutaient  probablement  pas. 
A  la  fin  de  son  livre,  Abdeel  prend  l'engage- 
ment de  découvrir  le  vrai  nom  de  ce  certain 
Noé,  ainsi  que  d'autres  secrets,  par  les  nom- 
bres cabalistiques  du  prophète  Daniel  ;  il  ne 
paraît  pas  qu'il  ait  jamais  rempli  cette  pro- 
messe (2). 

livre  de  la  parole  cachetée  du  proplièle  Daninl  au  xir  clia- 
pitre ,  exposant  clairement  comment  on  peut  reconnaître 
i  antechrist. 


tl 


IICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


« 


ABDEL- AZYS,  aslroloum-  aralic  ilu 
diiièmfi  sièclf,  plus  ronnu  en  Eiiropi'  sous 
le  nom  d'Aichabilius.  Sou  Trniié  d'aslroloiiic 
indicinire  a  été  Irailuil  en  latin  par  Jean  de 
Séviile  (Uifpalensis).  L'édition  la  plus  re- 
cherchée de  ce  livre  :  Alchubitius.  cum  com- 
tnento,  est  celle  de  Venise,  1503,  in  i°  de 
140  pages. 

ABDIAS  DE  BABYLONE.  Ou  attribue  à  un 
éirivain  de  ce  nom  l'histoire  du  combit 
merveilleux  nue  livra  saint  Pierre  à  Simon 
le  magicien.  Le  livre  d'Abdias  a  clé  traduit 
par  Jules  l'Africain,  sous  ce  litre  :  Uisloriu 
cerlaminis  apostolici ,  loCG,  in-8°. 

ABEILAUD.  Il  est  plus  célèbre  aujourd'hui 
par  ses  tragiques  amours  que  par  ses  ou- 
f  rages  Ihéologiques,  qui  lui  atiirèrrnt  juste- 
ment les  censures  de  saint  Bernard  ,  et  qi:i 
étaient  pleins  d'erreurs  très-dang.-rcuses.  Il 
mourut  en  lli2.  Vingt  ans  après,  Héloïse 
ayant  été  ensevelie  dans  la  niôuie  tombe,  ou 
conte  qu'à  st)n  approche  la  cendre  froide 
dAbeilard  se  réchauffa  tout  à  coup,  et  qu'il 
étendit  les  bras  pour  recevoir  celle  qui  av.iit 
été  sa  femme.  Leurs  restes  étaient  au  Para- 
clet ,  dans  une  précieuse  tombe  gothique  que 
ion  a  transportée  à  Paris  en  1799,  et  qui  est 
présentement  au  cimetière  du  Père- La- 
chaise. 

ABEILLES.  Cetail  l'opinion  de  quelques 
démonographes  que  si  une  sorcière,  avant 
d'être  prise, avait  mangé  la  reine  d'un  essaim 
d'abeilles,  ce  cordial  lui  donnait  la  force  de 
supporter  la  torture  sans  confesser  (1)  ;  mais 
celte  découverte  n'a  pas  fait  iorlune. 

Dans  certains  cantons  de  la  Bretagne,  on 
prétend  que  les  abeilles  sont  sensibles  aux 
plaisirs  comme  aux  peines  de  leurs  maîtres, 
et  quelles  ne  réussissent  point  si  on  néglige 
de  leur  faire  part  des  événements  qui  inté- 
ressent la  maison.  Ceux  qui  ont  cette 
croyance  ne  manquent  pas  d'attacher  à  leurs 
ruches  un  morceau  d'étoffe  noire  lorsqu'il  y 
a  une  mort  chez  eux,  et  un  morceau  d'étoffe 
rouge  lorsqu'il  y  a  un  mariage  ou  toute 
autre  fête  (2). 

Les  Circassiens,  dans  leur  religion  mêlée 
de  christianisme  ,  de  mahomélismeet  d'ido- 
lâtrie, honorent  la  Mère  de  Dieu  sous  le  nom 
de  Mérième  ou  de  Melissa.  ils  la  regardent 
comme  la  patronne  des  abeilles,  dont  elle 
sauva  la  race  en  conservant  l'une  d'elles 
dans  sa  manche  ,  un  jour  que  le  tonnerre 
menaçait  d'exierminer  tous  les  insectes.  Les 
revenus  que  les  Circassiens  tirent  de  leurs 
ruches  expliquent  leur  reconnaissance  pour 
le  bienfait  qui  les  leur  a  conservées. 

Solin  a  écrit  que  les  abeilles  ne  peuvent 
pas  vivre  en  Irlande;  que  celles  qu'on  y 
amène  y  meurent  tout  à  coup  ;  et  que  si  l'on 
porte  de  la  terre  de  celte  île  dans  un  autre 
pays,  et  qu'on  la  répande  autour  des  ruches, 
les  abeilles  sont  forcées  d'abandonner  la 
place,  parce  que  celte  terre  leur  est  mor- 
telle. On  lit  la  môme  chose  dans  les  Oiiyincs 
d'Isidore.  «  Faut-il  examiner,  ajoute  le  père 
Lebrun   (3),  d'où    peut   venir   cette  mali- 

(1)  Wierus,  Dh  Praestigii-s  lil).  VI,  cap.  7. 

(30  Caii'bfi',  Vojage  dans  le  l'iriUlèrc,  I.  II,  p.  IG. 


gnilé  de  la  terre  d'Irlande?  Non,  car  il  sullil 
de  dire  que  c'est  une  fable  ,  et  qu'on  trouve 
en  Irlande  beaucoup  d'abeilles.» 

ABEL,  fils  d'Adam.  Des  docteurs  musul- 
mans disent  qu'il  avait  quarante-huit  pieds 
de  haut,  il  se  peut  qu'ils  aient  raisonné  d'a- 
près un  tertre  long  de  cinquante-cin(|  pieds, 
que  l'on  montre  auprès  de  Damas,  et  qu'on 
nomme  la  tombe  d'Abel. 

Les  rabbins  ont  écrit  beaucoup  de  rêveries 
sur  le  compte  d'Abel.  Nos  anciens,  qui 
croyaient  tant  de  choses  ,  lui  attribuent  un 
livre  d'astrologie  judiciaire  qui  lui  aurait 
été  révélé  et  qu'il  aurait  renfermé  dans  une 
pierre.  Après  le  déluge.  Hermès-Trismégiste 
le  trouva  :  il  y  apprit  l'art  de  faire  des  talis- 
mans sous  l'influence  des  consteilations.  Ce 
livre  est  intitulé  :  Liber  de  virtutibus  planeta- 
rum  et  omnibus  rerum  mundmiarum  virtuti- 
bus. Voy.  le  traité  De  Ks.ientiis  essenliarum  , 
qu'on  (iécore  faussement  du  nom  de  saint 
"Thomas  d'Aquin  ,  pars  4,  c:ip.  2.  Voy.  aussi 
Fabricius  ,  Codex  pseud.  Yet.  Testain. 

ABEL  DE  LA  BUE,  dil  le  Cosseur,  save- 
tier et  mauvais  drôle  qui  fut  arrêté,  en  lo82, 
à  Coulommiers  ,  et  brûlé  comme  voleur, 
sorcier ,  magicien  ,  noueur  d'aiguillettes. 
\'oici  sa  légende: 

Le  noueur  d'oigtiilleltes. 

C'était  grand  deuil  à  Coulommiers,  dans  la 
maison  de  Jean  Moureau  ,  le  15  juin  de  l'an 
de  grâce  1582.  Le  petit  homme  s'était  marié 
la  veille,  plein  de  liesse  et  se  promettant 
heureux  ménage  avec  Fare  Fleuriol,  son 
épousée.  Il  élail  vif,  homme  de  tête,  persé- 
vérant dans  ses  affections  comme  dans  ses 
haines  ;  et  il  se  réjouissait  sans  ménagement 
de  son  succès  sur  ses  rivaux.  Fare,  qui 
l'avait  préféré,  semblait  partager  son  bon- 
heur et  ne  se  troublait  pas  plus  que  lui  des 
alarmes  que  les  menaces  d'un  rival  dédaigné 
avaient  fait  naître  chez  leurs  convives.  Fare 
Fleuriot,  habile  ouvrière  en  guipure,  n'avait 
pu  hésiter  dans  son  choix  entre  Jean  Mou- 
reau, armurier  fort  à  son  aise,  et  ce  concur- 
rent redouté,  nommé  Abel  de  la  Rue,  sur- 
nommé le  Casseur,  à  cause  de  sa  mauvaise 
conduite;  homme  réduit  au  métier  de  save- 
tier, et  qu'on  accusait  de  relations  avec  le 
diable  à  cause  de  ses  déportements;  circon- 
stance mystérieuse  qui  effrayait  les  amis  de 
l'armurier. 

— Vous  avez  supplanté  Abel,  lui  disaienl- 
ils;  il  vous  jouera  quelqu'un  de  ses  mauvais 
tours. 

—  Les  gens  de  justice  de  notre  roi,  Henri 
troisième,  nous  sauront  bien  rendre  raison  du 
Casseur  ,  répondit  Jean  Moureau. 

—  Et  qui  sait,  dit  une  vieille  tante,  s'il  ne 
vous  jetterait  pas  un  sort? 

— Patience  :  telle  avait  été  la  réponse  du 
jeune  marié. 

Mais  Fare  était  pourtant  moins  rassurée  : 
la  noce  toutefois  s'était  faite  joyeusement. 

Or,  le  lendemain,  comme  nous  avons  dil, 
c'était  dans  la  maison  grand  deuil  cl  pleine 

(3)  Ilisioire  criiique  des  pratiques  supcrslilieuses, 
liv.  1,  tliap  5. 


13  ABE 

tristesse.  Les  deux  époux,  si  honrnix  la 
veille,  paraissaient  effarés  do  trouble  ;  on 
.Tnnonçail  timidemciU  ce  qui  était  survenu  : 
le  résultat  eu  paraissait  pénible.  Le  mari  et 
la  femme  cnsorci  lés  sentaient  l'un  pour  l'au- 
tre autant  déloignement  qu'ils  s'étaient  lé- 
nioigné  d'aff(Ction  le  jour  précédent.  Celle 
nouvelle  se  répandit  en  peu  d'instants  dans 
la  petite  ville  :  le  second  jour,  l'éloignement 
devint  de  l'antipathie,  qui,  le  jour  d'après, 
eut  tout  l'air  de  l'aversion.  Cependant  les 
jeunes  mariés  ne  parlaient  pas  de  demander 
une  séparation  ;  seulement  ils  annonçaient 
que  quelque  ennemi  endiablé  ou  quelque 
sorcière  maudite  leur  avait  noué  l'aiguillello. 
On  sait  que  ce  maléfice,  qui  a  fait  tant  de 
bruit  aux  seizième  et  dix-seplicme  siècles, 
rendait  les  mariés  repoussants  l'un  pour  l'au- 
tre, et  les  accablant  au  physique  comme  au 
moral,  les  conduisait  à  se  fuir  avec  une  sorte 
d'horreur. 

Il  ne  fut  bruit  dans  tout  Coulommiers  que 
de  l'aiguillelte  nouée  à  Jean  Moureau.  Abel 
de  la  Rue,  le  savetier  dédaigné,  en  avait  ri  si 
méchamment,  qu'il  fut  à  bon  droit  soupçonné 
du  délit  ;  il  était  assez  généralement  détesté. 
La  clameur  publique  prit  une  telle  consis- 
tance, que  les  jeunes  époux  ensorcelés  se 
crurent  autorisés  à  déposer  leur  plainte. 
Mcssire  Nicolas  Qualre-Sols  était  lieutenant 
civil  et  criminel  au  bailliagede Coulommiers. 
Il  fît  comparaîlre  Aliel  devant  lui. 

Le  chenapan,  qui  était  hypocondro  et  mo- 
rose, avoua  qu'il  avait  recherché  Fare  Fleii- 
riot,  mais  il  nia  qu'il  eût  rien  fait  contre  elle 
et  contre  son  mari.  Comme  il  était  malheu- 
reusement chargé  de  la  mauvaise  réputation 
qu'on  faisait  alors  à  ces  vauriens  qui  cher- 
chaient dans  la  sorcellerie  une  prétendue 
puissance  et  de  prétendues  richesses  toujours 
insaisissables,  on  le  mit  au  cachot,  en  l'invi- 
tant à  faire  ses  réflexions  ;  et  le  lendemain, 
sur  son  entêtement  à  ne  rien  avouer,  on  l'ap- 
pliqua à  la  question;  il  déclara  qu'il  allait 
confesser. 

—  Ayez  soin,  dit  Nicolas  Quatre-Sols,  que 
votre  confession  soit  entière  et  digne  de  no- 
tre indulgence.  Pour  ce,  vcus  nous  expose- 
rez dès  le  commeiicement  toutes  vos  affaires 
avec  Satan. 

Il  fil  donner  au  savetier  un  verre  d'eau  re- 
levé d'un  peu  de  vinaigre,  afin  de  ranimer 
ses  esprits;  et  il  s'arrangea  sur  son  siège 
dans  la  position  d'un  homme  qui  écoute  une 
histoire  merveilleuse. 

\bel  de  la  Rue,  voyant  que  son  juge  était 
prêt,  recueillit  ses  esprits  et  se  disposa  à 
parler.  D'abord  il  se  recommanda  à  la  pitié 
et  à  ta  compassion  de  la  justice,  criant  merci 
et  prolestant  de  sa  repentaiice;  puis  il  dit  ce 
qui  suit  : 

,  — Je  devrais  élre  moins  misérabieque  je  ne 
suis  et  faire  autre  chose  que  mon  pauvre  mé- 
tier. Etant  petit  enfant,  je  fus  mis  par  ma 
mère  au  couvent  des  Gordeliers  de  Meaux. 
Là,  le  frère  Caillet  qui  était  maître  des  no- 
vices, m  ayant  corrigé,  je  ino  fâchai  si  iu- 
rieuseracnt  conlre  lui,  (lue  je  ne  rêvais  plus 
autre  cliose,  sinon  la  possibililéde  me  venger. 


i?,K 


II 


Comme  j'élais  en  cette  mauvaise  volonté,  un 
chien  barbet ,  maigre  et  noir,  parut  (oui  à 
coup  devant  moi  :  il  me  sembla  qu'il  me 
parlait,  ce  qui  me  troubla  fort  ;  qu'il  me  pro- 
mettait  de  m'aider  en  toutes  choses  et  de  no 
me  faire  aucun  mal,  si  je  voulais  me  donner 
à  lui... 

—Ce  barbet,  interrompit  le  juge,  était  cer- 
tainement un  détnon. 

— C'est  possible,  messire  :  il  me  sembla  qu'il 
me  conduisait  dans  la  chambre  du  couvent 
qu'on  appelle  la  librairie.  Là  il  disparut,  et 
je  ne  le  revis  jamais. 

—  Et  quelle  vengeance  avez-vous  eue  du 
frère  Caillet? 

—  Aucune,  messire,  ne  l'ayant  pas  pu. 
—Que  files-vou<  alors  dans  la  librairie? 
— Je  pris  un  livre,  car  on  rn'a  enseigné  la 

lecture  ;  mais  voyant  que  c'était  un  missel,  je 
le  refermai  ;  je  sortis  et  je  demeurai  quelques 
semaines  triste  et  pensif.  Un  jour  je  pris  un 
autre  livre,  c'était  un  grimoire.  Je  l'ouvris 
au  hasard,  et  à  peine  avais-je  lu  quelques 
lignes  que  je  ne  comprenais  point,  quand  je 
vis  paraître  devant  moi  un  homme  long  el 
mince,  de  moyenne  stature,  blême  de  visage, 
ayant  un  effroyable  aspect,  le  corps  sale  el 
l'haleine  puanle. 

—  Sentait-il  le  soufre? 

—  Oui,  messire;  il  était  vêtu  d'une  longue 
robe  noire  à  l'italienne,  ouverte  par  devant; 
il  avait  à  l'eslomac  et  aux  deux  genoux 
comme  des  visages  d'hommes,  de  pareille 
couleur  que  les  autres.  Je  regardai  ses  pieds 
qui  étaient  des  pieds  de  vache. 

Tout  l'auditoire  frissonnait. 

—  Cet  homme  blême,  poursuivit  l'accusé, 
me  demanda  ceque  je  lui  voulais  etqui  m'avait 
conseillé  de  l'appeler.  Je  lui  répondis  avec 
frayeur  que  je  ne  l'avais  pas  appelé,  el  que 
j'avais  ouvert  le  grimoire  sans  en  prévoir  les 
conséquences.  Alors  cet  homme  blême,  qui 
était  le  diable,  m'enleva  et  me  transporta 
sur  le  toit  de  la  salle  de  justice  de  Meaux, 
en  me  disant  de  ne  rien  craindre.  Je  lui  de- 
mandai son  nom,  et  il  me  répondit  :  Je  m'ap- 
pelle maître  Rigoux.  Je  lui  témoignai  ensuite 
le  désir  de  m'enfuir  du  couvent;  là-dessus  il 
me  reporta  au  lieu  où  il  m'avait  pris  ;  du 
moins,  je  m'y  retrouvai  comme  sortant  d'une 
sorte  d'étourdissement.  Le  grimoire  était  à 
mes  pieds.  Je  vis  devant  moi  le  Père  Pierre 
B.  rsnn,docteur  en  théologie,  elle  frère Caillei, 
qui  me  reprirent  d'avoir  ludans  le  grimoire  el 
me  menacèrent  du  fouet,  si  je  louchais  en- 
core à  ce  livre.  ToU'*  les  religieux  se  rendi- 
rent à  la  chapelle  et  chantèrent  un  Salve  à 
mon  intention.  Le  lendemain,  comme  je  des- 
cendais pour  aller  à  l'Eglise,  maître  Rigoux 
m'apparut  encore  :  il  me  donna  rendez-vous 
sous  un  arbre  près  do  Vaulxcourtois  ,  entre 
Meaux  clCoulommiers.  Là  je  fus  séduit.  Je  re- 
pris, sans  rien  dire,  les  habits  quej'avais  à  mou 
entrée  dans  le  couvent,  el  j'en  sortis  secrèle- 
ment  par  une  petite  porte  de  l'écurie.  Rigoux 
m'attendait  sous  la  figure  d'un  bourgeois  ;  il 
me  mena  chez  maître  Pierre ,  berger,  de 
Vaulxcourtois,  qui  me  reçut  bien,  et  j'allais 
conduire  les  troupeaux  avec  lui.  Deux  mois 


iil'ics.  re  borpcr,  qui  élail  sorcier,  me  promet 
(le  me  présenliT  à  Vasseinblée,  Jiyant  besoin 
de  s'j  rendre  lui-mémo,  parce  qu'il  n'avait 
plus  lie  poudre  à  maléfices.  L'assemblée  de- 
vait so  leiiir  dans  trois  jours  :  nous  étions  ù 
l'avent  de  Noël  1575.  Maître  Pierre  envoya 
sa  femme  coucher  dehors,  et  il  me  fit  mettre 
an  lit  à  sept  heures  du  soir;  mais  je  ne  ilor- 
mis  puère.  Je  remnrquai  qu'il  plaçait  au  coin 
du  feu  un  trè>i-long  balai  de  genêt  sans  man- 
che; à  onze  heures  du  soir,  il  fil  grand  bruit 
et  me  dit  qu'il  fallait  partir  :  il  prit  de  la 
graisse,  s'en  frolla  les  aisselles  et  me  mit  sur 
le  balai,  en  me  recommandant  de  ne  pas 
quitter  cette  monture.  Maître  Rigous  p  n  ul 
alors  ;  il  enleva  mon  maître  par  la  cheminée  : 
moi  je  le  tenais  au  milieu  du  corps,  (  t  il  me 
sembla  que  nous  nous  envolions.  La  nuit 
était  très-obscure,  mais  une  lanterne  nous 
précédait.  Pendant  ((ue  je  voyageais  en  lair 
de  la  sorte,  je  crus  apercevoir  l'abbaye  de 
Rebais  :  nous  descendîmes  dans  un  lieu  plein 
d'herbe  où  se  trouvaient  beaucoup  de  gens 
réunis. 

—  Qui  faisaienl  le  sabbat,  interrompit  le 
juge. 

—  Oui ,  mcssiro.  J'y  reconnus  plusieurs 
personnes  vivantes  et  quelques  nurts,  no- 
tamment une  sorcière  qui  avait  été  pendue  à 
Lagny.  Le  maître  du  lieu,  qui  était  le  diable, 
ordonna,  par  la  bouche  d'un  vieillard,  que 
l'on  nettoyât  la  place.  Maître  Rigoux  prit  in- 
continent la  forme  d'un  grand  bouc  noir,  se 
mit  à  gronmielcr  et  à  tourner;  et  aussitôt 
l'assemblée  commença  les  danses,  qui  se  fai- 
saient à  revers,  le  visage  dehors  et  le  derrière 
tourné  vers  le  bouc. 

—  C'est  conforme  à  l'usage  du  sabbat, 
comme  il  est  prouvé  par  une  masse  de  dépo- 
sitions. Maisnechanta-l-on  point?  et  quelles 
furent  ces  chansons? 

—  On  ne  chanta  point,  messire.  Après  la 
danse,  qui  avait  duré  deux  heures,  on  pré- 
senta les  hommages  au  bouc  (Ij.  Chaque 
personne  de  l'assemblée  s'en  acquitta.  Je 
m'approchai  du  bouc  à  mon  tour,  il  me  de- 
manda ce  que  je  voulais  de  lui?  Je  lui  répon- 
dis que  je  voulais  savoir  jeter  des  sorts  sur 
mes  ennemis.  Le  diable  m'indiqua  maître 
Pierre,  comme  pouvant  mieux  qu'un  au- 
tre m'cnseigner  cette  science.  Je  l'appris 
donc. 

—  Et  vous  on  avez  fait  usage  contre  plu- 
sieurs, notamment  contre  les  époux  qui  se 
plaignent?  Avez-vous  eu  d'autres  relations 
avec  le  diable? 

—  Non ,  messire,  sinon  en  une  circon- 
slance.  Je  voulais  rentrer  dans  la  voie. 
Un  jour  que  j'allais  en  pèlerinage  à 
Saint-Loup,  près  de  Provins,  je  fis  rencon- 
tre du  diable,  qui  chercha  à  me  noyer  :  je  lui 
échappai  par  la  fuite. 

Tout  le  monde  dans  l'assemblée  ouvrait  de 
grandes  oreilles,  à  l'exception  d'un  jeune 
homme  de  vingt  ans,  le  neveu  du  lieutenant 
civil  et  criminel.  11  faisait  les  fonctions  d'ap- 
prenti greffier. 

(I)  Histoire  lie  kl  magie  en  l'rance,  par  M.  Jules  Gari- 
uel.  Voui  l'arlidc  Uouc*. 


niCTIOXN.\mE  DES  SCIENCES  OCCULTES.  1« 

—  Mon  oncle,  dit  il  en  se  penchant  à  l'o- 
reile  de  maître  Nicolas  Quatre-Sols,  ne  pen- 
sez-vous pas  que  le  patient  n'est  i|u'un  drôle 
qui  a  le  cerveau  malade,  qui  est  sujet  peut- 
élrc  à  de  mauvais  rêves? 

Pendant  que  i'iMicle  réprimandait  le  ne- 
veu à  voix  basse,  Abel  de  la  Rue  levant  la 
tétc  : 

—  De  tout  ce  que  j'ai  fait  de  mal,  dit-il,  je 
suis  repentant  et  marri,  et  je  crie  merci  et 
miséricorde  à  Dieu,  au  roi ,  à  monseigneur 
cl  à  la  justice. 

—  C  est  bien,  dit  Nicolas  Qualre-Sols, 
qu'on  le  ramène  au  cachot. 

Le  soir  de  ce  même  jour,  le  maléfice  de 
Jean  Moureau  se  trouva  rompu.  L'antipa- 
thie qui  avait  surgi  entre  lui  et  sa  jeune 
épouse  s'évanouit.  Le  corps  du  principal  dé- 
lit avait  donc  disparu.  Néanmoins,  peu  de 
jiiurs  après,  le  6  juillet,  sur  les  conclusions 
du  procureur  fiscal,  la  Rue  fut  condamné  à 
être  brûlé  vif.  Il  appela  de  sa  sentence  au 
parlement  de  Paris  ;  et  le  20  juillet  to82,  le 
parlement  de  Paris,  prompt  a  expédier  ce* 
sortes  d'affaires,  rendit  un  arrêt  qui  porte 
qu'Abel  de  la  Rue,  appelant,  ayant  jeté  des 
sorts  sur  plusieurs,  prêle  son  concours  au 
diable,  communiqué  diverses  fois  avec  lui, 
assisté  aux  assemblées  nocturnes  et  illicites, 
pour  réparation  de  ces  crimes  la  cour  <ou- 
damne  l'appelant  à  être  pendu  et  étranglé  à 
une  potence  qui  sera  dressée  sur  le  marché 
de  Coulommiers,  et  le  renvoie  au  bailli 
chargé  de  faire  exécuter  leilit  jugement,  et 
de  brûler  le  corps  après  sa  mort.  —  Cet  ar- 
rêt, qui  adoucissait  un  peu  la  senicuce  du 
premier  juge,  fut  exécuté  selon  sa  teneur, 
au  marché  de  Coulommiers,  par  le  maître 
des  hautes-œuvres  de  la  ville  de  Meaux,  le 
2'{  juillet  1582.  —  «  Au  reste,  dit  uii  auteur 
sensé,  ces  sorciers  qu'on  brûlait  méritaient 
toujours  châtiment  par  quelques  vilains  et 
odieux  crimes.  » — Voyez  les  articles  S  ibbàt. 
Ligatures,  etc. 

ABEN-EZRA.  Voy.  Mâcha  Halli. 

ABEN  -  RAGEL  ,  astrologue  arabe  ,  né  à 
Cordoue  ,  au  commencement  du  cinquième 
siècle.  11  a  laissé  un  livre  d'horoscopes  d'a- 
près l'inspection  des  étoiles,  traduit  en  latin 
sous  le  titre  De  Judiciis  seii  fatis  stellarum, 
Venise,  1485  ;  très-rare.  On  dit  que  ses  pré- 
dictions, quand  il  en  faisait,  se  distinguaient 
par  une  certitude  très-estimable 

ABIGOR,  démon  d'un  ordre  supérieur,  grand- 
duc  dans  la  monarchie  infernale.  Soixante 
légions  marchent  sous  ses  ordres  (2j.  Il  se 
montre  sous  la  figure  d'un  beau  cavalier 
portant  la  lance,  l'étendard  ou  le  sceptre;  il 
répond  habilement  sur  tout  ce  qui  concerne 
les  secrets  de  la  guerre,  sait  l'avenir,  et  en- 
seigne aux  chefs  les  moyens  de  se  faire  aimer 
des  soldats. 

ABIME,  cl  plus  correctement  abysme.  C'est 
le  nom  qui  est  donné,  dans  l'Ecriture  sainte, 
1"  à  l'enfer,  2*  au  chaos  ténébreux  qui  pré- 
céda la  création. 

ABOU-RYHAN,  autrement  appelé  Moham- 
mcd-hen-Alimed  ,  astrologue  arabe,  morl  en 

(2)  Wierus,  iii  Pscudomonarciiia  Dxm.,  elc. 


17 


ABR 


3'JO,  qui  passe  pour  avoir  possédé  à  un  Irès- 
liaut  degré  le  don  de  prédire  les  choses  futu- 
res. On  lui  doil  une  introduction  à  l'astrolo- 
gie judiciaire. 

ABRACADABRA.  Avec  ce  mol  d'enchante- 
ment, qui  esi  très-célèbre,  on  faisait,  surtout 
en  Perse  et  en  Sjirie,  une  figure  magique  à 
laquelle  on  attribuait  le  don  de  charmer  di- 
verses maladies  et  de  guérir  particulièrement 
la  fièvre.  Il  ne  fallait  que  porter  autour  du 
rou  cette  sorte  de  philaclère  écrit  dans  la  dis- 
position que  voici  : 

ABRACADABRA 
ABRACADABR 
ABRACADAB 
ABRACADA 
ABRACAD 
ABRACA 
ABRAC 
ABRA 
ABR 
AB 
A 
ABRACAX  ou  ABRAXAS,  l'un  des  dieux 
(te  quelques  théogonies  asiatiques  ,  du  nom 
duquel  on  a  tiré  le  philactère  abracadabra. 
Abracax    est  représenté  sur  des   amulettes 
avec  un  fouet  à  la  main.  Lesdémonographcs 
ont  fait  de  lui  un  démon,  qui  a  la  tète  d'un 
roi  cl  pourpieds  des  serpents.  Lesbasilidiens, 
hérétiques  du  deuxième  siècle,  voyaient  en 
lui  leur  dieu  suprême.  Comme  ils  trouvaient 
que  les  sept  lettres  grecquesdont  ils  formaient 
son  nom  faisaient  en  grec  le  nombre  365,  qui 
est  celui  des  jours  de  l'année,  ils  plaçaient 
sons  SCS  ordres  plusieurs  génies  qui  prési- 
daient aux  trois  cent  soixante-cinq  cieux,  et 
auxquels  ils  attribuaient  trois  cent  soixante- 
cinq  vérins,  une  pour  chaque  jour.  Les  basili- 
(liens  disaient  encorequeJésus-Christ,  Notre- 
Seigneur,  nélait  qu'un  fantôme  bienveillant 
envoyé  sur  la  terre  par  Abracax.  Us  s'ccir- 
taient  de  la  doctrine  de  leur  chef.  Voy.  Ba- 

SILIDK. 

ABRAHAM.  Tout  le  monde  connaît  l'his- 
toire de  ce  saint  patriarche,  écrite  dans  les 
livres  sacrés;  maison  ignore  peut-être  les 
contes  dont  il  a  été  l'objet. 

Les  Orientaux  voient  dans  Abraham  un 
habile  astrologue  et  un  puissant  magicien. 

Suidas  et  Isidore  lui  attribuent  linvenlion 
de  l'alphabet  et  de  la  langue  des  Hébreux. 

Les  rabbins  font  encore  Abraham  auteur 
d'un  livre  De  l'explication  des  songes,  que 
Joseph,  disent-ils,  avait  étudié  avant  d'être 
vendu  par  ses  frères.  On  met  aussi  sur  son 
compte  un  ouvrage  inUiulé  Jetzirah,  ou  la 
Création  ,  que  plusieurs  disent  écrit  par  le 
rabhin  Akiba.  Voy.  ce  nom.  Les  Arabes  pos- 
sèdent ce  livn-  cabalistique,  qui  traite  de  l'o- 
rigine du  monde:  ils  l'appellent  le  Sepher. 
On  dit  que  Vossius  ,  qui  raisonnait  tout  de 
travers  là-dessus,  s'étonnait  de  ne  pas  le  voir 
dans  les  livres  canoniques.  Postel  l'a  traduit 
en  latin  :  on  l'a  imprimé  à  Paris  en  1532  ;  à 
M.mtoueen  1562,  avec  cinq  commentaires  ; 
a  Amsterdam  en  164-2.  On  y  trouve  de  la  ma- 
irie et  do  l'astrologie.  —  «  C'est  un  ouvrage 
cabalistique  Irèi-aiicien  et  Irès-céicbre,  dit  le 


ADit 


tu 


docteur  Rossi.  Quelques-uns  en  font  auteur 
Akiba;  d'autres  le  croient  composé  par  un 
écrivain  antérieur  au  Thalmud  ,  dans  lequel 
il  en  est  fait  mention.  »  —  Le  litre  de  l'ou- 
vrage porte  le  nom  d'Abraham  ;  mais  ajou- 
tons qu'il  y  a  aussi  des  opinions  qui  le  croient 
écrit  par  Adam  lui-même. 

Légendes  orientales  d'Abraham. 
Les  Orientaux  ne  racontent  donc  pas  l'his- 
toire d'Abraham  au  si  simplement  que  nos 
livres  saints.  Ils  disent  que  Nemrod,  régnant 
à  Babylone,  vit  en  songe  une  étoile  dont  l'é- 
clat effaçait  le  soleil.  Ses  devins  lui  conseil- 
lèrent là-dessus  de  prendre  garde  à  lui,  parce 
qu'un  tel  songe  annonçait  qu'il  devait  naître 
d  ins  son  royaume  un  enfant  de  qui  il  aurait 
tout  à  craindre. 

Nemrod  ordonna  aussitôt  qu'on  épiât  bien 
les  femmes  enceintes  ,  et  qu'on  mît  à  mort 
tous  les  enfants  mâles  qui  viendraient  à  naî- 
tre. Adna  (appelée  Kmlelaïdans  le  Thalmud), 
fenune  d'Azan,  l'un  des  principaux  seigneurs 
du  pays,  était  grosse;  mais  aucun  indice 
n'accusait  sa  grossesse.  Elle  s'en  alla  un 
jour  dans  une  grotte  écartée,  mit  au  monde 
Abraham,  et  s'en  revint  à  sa  maison,  après 
avoir  soigneusement  fermé  l'entrée  de  la 
grotte.  Elle  allait  tous  les  soirs  visiter  son 
enfant  pour  l'allaiter  elle  trouvait  toujours 
occupé  à  téter  ses  deux  pouces,  dont  l'un  lui 
fournissait  du  lait  et  l'autre  du  miel.  Elle  ne 
fut  pas  moins  surprise  de  reconnaître  (ju'il 
croissait  en  un  jour  comme  les  autres  enfants 
en  un  mois.  Dès  qu'il  fut  grand,  elle  le  con- 
duisit à  la  ville,  où  son  père  lui  fit  voir  Nem- 
rod, qu'on  adorait.  Il  le  trouva  trop  laid  pour 
être  un  dieu;  et  miraculeusement  éclairé,  il 
tira  ses  parents  de  l'idolâtrie  (1). 

Gomme  il  faisait  des  choses  prodigieuses, 
on  l'accusa  de  magie.  Nemrod,  excité  par 
se»  devins,  condamna  Abraham  à  être  jeté 
dans  une  fournaise  ardente.  Mais  la  four- 
naise se  changea  en  fontaine,  la  flamme  en 
eau  limpide,  et  Abraham  ne  prit  qu'un  bain. 
Un  courtisan,  frappé  de  cette  merveille,  dit 
à  Nemrod  : 

— Seigneur ,  ce  n'est  pas  là  un  magicien  , 
mais  uu  prophète. 

Nemrod,  irrité,  fit  jeter  le  courtisan  dans 
une  autre  fournaise,  qui  se  changea  pareil- 
lement en  une  source  deau  fraîche  ;  et  le 
voyageur  Thévenot  rapporte  qu'on  montre 
encore  ces  deux  fontaines  auprès  dOrfa. 

Il  y  a  sur  ce  point  une  autre  version. 
Des  écrivains  mahomélans  content  qu'Abra- 
ham, ayant  connu  le  vrai  Dieu,  saisit  le 
moment  où  son  père  était  absent  pour 
mettre  en  pièces  toutes  ses  idoles,  excepté 
celle  de  Baal,  au  cou  de  laquelle  il  pendit  la 
hache  qui  avait  fait  tout  le  dégât.  Son  père 
étant  de  retour,  il  lui  dit  que  ses  idoles  s'é~ 
talent  querellées  à  l'occasion  d'une  offrande 
de  froment,  et  que  Baal,  le  plus  gros,  avait 
exterminé  toutes  les  autres...  C'est  pourccla, 
ajoutent  quelques  doctes,  que  Nemrod  vou- 
lut brûler  Abraham. 
Suidas  et  Isidore  attribuent  à  Abraham, 

(l)  Ciljliolhèqiic  oritiulalc  de  d'IIcrbcloU 


19  IICTIONNAIRE  DES 

cumme  nous  l'avons  dil.  l'invention  de  l'al- 
ph.ibeleldi"  la  langue  dos  Hébreux.  LfisRab- 
hins  nictlcnl  sur  son  conipie  des  livres  caba- 
li^ti  |ucs  <'l  magiques  ,  dos  psaumes  ,  un 
lolaincnt  et  beaucoup  d'autres  pièces  apo- 
cryphes. Les  Guèbres  soutiennent  qu'il  est 
le  même  que  leur  Zoroaslre,  qu'ils  appellent 
Zerdusl,  c'e»t-à  dire  l'ami  du  feu,  nom  qui 
lui  fut  donné,  disenl-ils,  à  cause  de  l'aven- 
ture de  la  fournaise.  Pliilon  fait  d'Abraham 
un  habile  astrologue.  Jusèphe  dit  (1)  qu'il 
légna  à  Damas,  (>ù  il  tirait  des  horoscopes 
et  pratiquait  les  arts  magiques  des  Chal- 
déens.  Tous  ces  doctes ,  venus  longtemps 
après  Moïse,  savent  toujours  des  histoires 
maintes  beaucoup  plus  de  particularités  que 
Mo'i'se  même.  Ils  racontent  gravement  que 
le  patriarche  Abraham  était  profondément 
versé  dans  l'aruspicine  ;  qu'il  enseignait 
une  prière  au  moyen  de  laquelle  on  empê- 
chait les  pics  de  manger  les  semailles;  et 
qu'il  eut  alfairc  avec  le  diable  en  dis  tenta- 
tions dont  il  sortit  toujours  à  son  hon- 
neur. 

Voici  la  plus  curieuse  de  ces  aventures  : 

Le  diable  un  jour,  considérant  le  cadavre 
d'un  homme  que  la  mer  avait  rejeté  sur 
le  rivage,  et  dont  les  bêles  féroces,  les  oi- 
seaux de  proie  et  les  poissons  avaient  dé- 
voré des  lambeaux,  songea  que  c'était  une 
lielie  occasion  pour  tendre  un  piège  à 
Abraliam  sur  la  résurrection  :  il  ne  com- 
prendra jamais,  disait-il,  que  les  membres 
de  ce  cadfavre,  séparés  et  disséminés  dans  le 
ventre  de  tant  d'animaux  différents,  puissent 
se  rejoindre  pour  former  le  même  corps, 
au  jour  de  la  résurrection  générale. 

Dieu,  sachant  le  projet  de  l'ennemi  du 
genre  humain,  le  seconda  aussitôt;  car  il 
dit  à  Abraham  d'aller  se  promener  au  bord 
de  la  mer.  Le  patriarche  obéit.  Le  diable  ne 
manqua  pas  de  se  présenter  à  lui  sous  la 
figure  d'un  homme  inquiet;  et  lui  mon- 
trant le  cadavre,  il  lui  proposa  le  doute  où 
il  était  au  sujet  de  la  résurrection.  Mais 
Abraham,  après  l'avoir  écouté,  lui  répon- 
dit : 

—  Quel  motif  raisonnable  pouvcz-vous 
avoir  de  douter  ainsi?  Celui  qui  a  pu  tirer 
toutes  les  parties  de  ce  corps  du  néant,  n'aura 
pas  plus  de  peine  à  les  retrouver  dans  l'univers 
|)Our  les  rejoindre.  Le  potier  met  eu  pièces 
un  vase  de  terre,  et  le  relait  de  la  même  terre, 
quand  il  lui  plalt. 

Dieu,  satisfait  d'Abraham,  voulut  achever 
de  le  convaincre.  Il  lui  dit,  s'il  faut  mainte- 
nant en  croire  le  Coran  :  —  Prenez  quatre 
oiseaux  ,  mettez-les  en  pièces,  et  portez-en 
les  diverses  parties  sur  quatre  montagnes 
séparées;  appelez-les  ensuite,  ces  oiseaux 
viendront  tous  quatre  à  vous. 

Les  interprètes  musulmans  ajoutent  que 
ces  quatre  oiseaux  étaient  une  colombe,  un 
coq,  un  corbeau  et  un  paon;  que  le  patriar- 
che, après  les  avoir  mis  en  pièces,  en  fit  un 
partage  exact  :  quelques-uns  disent  même 
qu'il  les  pila  dans  un  mortier,  n'en  flt  qu'une 

(1)  AiiUqiiiiésjud.,  liv.  l,  cil.  8. 

(2)  Bibllutliè-jue  oriïulali;  de  d'Ucrbclut. 


SCIEiNCES  OCCULTES. 


20 


masse  et  la  divisa  en  quatre  portions  qu'il 
porta  sur  la  cime  de  quatre  montagnes  dif- 
icrentcs.  Après  cela,  tenant  à  la  main  les 
quatre  têtes  qu'il  avait  réservées,  il  appela 
séparément  les  quatre  oiseaux  par  leurs 
noms;  chacun  d'eux  revint  incontinent  se 
rejoindre  à  sa  tête  et  s'envola  (2). 

Abraham  était  devenu  le  père  des  pauvres 
du  pays  qu'il  habitait.  Une  famine  l'obligea 
de  vider  ses  greniers  pour  les  nourrir.  Lors- 
qu'il eut  épuisé  cette  ressource,  il  envoya 
ses  gens  et  ses  chameaux  en  Egypte,  pour 
acheter  du  grain  à  un  de  ses  amis  qui  était 
puissant  dans  la  contrée  ;  mais  cet  ami  ré- 
pondit :  «  Nous  craignons  aussi  la  famine. 
D'ailleurs,  Abraham  a  des  provisions  suffi- 
santes, et  je  ne  crois  pas  qu'il  soit  juste, 
pour  nourrir  les  pauvres  de  son  pays  ,  de  lui 
envoyer  la  subsistance  des  nôtres.  » 

Ce  refus  causa  beaucoup  de  chagrin 
ans  gens  d'Abraham.  Pour  se  soustraire  à 
l'humiliation  de  reparaître  les  mains  vi- 
des ,  ils  remplirent  leurs  sacs  de  sable 
très -blanc  et  très -fin.  Arrivés  à  la  mai- 
son de  leur  matlre,  l'un  d'eux  lui  dit  à  l'o- 
reille le  mauvais  succès  de  leur  voyage. 
Abraham  cacha  sa  douleur  et  entra  dans  son 
oratoire. Sara  reposait  et  n'avait  rien  appris; 
voyant  à  son  réveil  des  sacs  pleins,  elle  en 
ouvrit  un,  vit  de  la  bonne  farine,  et  sur-le- 
champ  se  mit  à  cuire  du  pain  pour  les  pau- 
vres. 

Abraham,  après  avoir  fait  sa  prière,  sen- 
tant l'odeur  du  pain  nouvellement  cuit ,  de- 
manda à  Sara  quelle  farine  elle  avait  em- 
ployée. —  «  Cel'.e  de  votre  ami  d'Kgypte,  ap- 
portée par  vos  chameaux. 

—  Dites  plutôt  celle  du  véritable  ami,  qui 
est  Dieu  ;  car  c'est  lui  qui  ne  nous  aban- 
donne jamais  au  besoin.  » 

Dans  ce  moment  qu'Abraham  appela  Dieu 
son  ami.  Dieu,  disent  les  musulmans,  le  prit 
aussi  pour  le  sien. 

Il  y  aaussi  des  traditions  orientales  qui  pla- 
cent Abraham  en  qualité  déjuge  à  la  porte 
de  l'enfer  (3),  tandis  que  l'Eglise  chrétienne, 
avec  plus  de  vérité,  met  les  élus  dans  son 
sein. 

ABRAHEL  ,  démon  succube  ,  connu  par 
une  aventure  que  raconte  Nicolas  Remy 
dans  sa  Démonolâtrie ,  et  que  voici  :  —  En 
l'année  1581,  dans  le  village  de  Dalhem  ,  au 
paysdeLimbourg,  un  méchant  pâtre, nommé 
Pierron ,  conçut  un  amour  violent  pour  une 
jeune  fille  de  son  voisinage.  Or,  cet  homme 
mauvais  était  marié;  il  avait  même  de  sa 
femme  un  petit  garçon.  Un  jour  qu'il  était 
occupéde  la  criminelle  pensée  de  son  amour, 
la  jeune  fille  qu'il  convoitait  lui  apparut 
dans  la  campagne  :  c'était  un  démon  sous  sa 
figure.  Pierron  lui  découvrit  sa  passion  ;  la 
piélendue  jeune  fihe  promit  d'y  répondre, 
s'il  se  livrait  à  elle  et  s'il  jurait  de  lui  obéir 
eu  toutes  choses.  Le  pâtre  ne  refusa  rien,  et 
son  abominable  amour  fut  accueilli.  —  Peu 
de  temps  après,  la  jeune  fille  ,  ou  le  démon 
qui  se  faisait  a|ipe!er  Abrahel   par  son  ado- 

(3)  Sciiio  Sgaml>alus,  iii  aitUiv.  vct.  Teslam.,  p.  19*> 
19S. 


SI 


ACC 


ADA 


21 


ratcur ,  lui  demanda,  pour  gage  do  son 
atiachement ,  qu'il  lui  sacrifiât  son  fils.  Le 
pdtre  recul  une  pomme  qu'il  devait  faire 
manger  à  l'enfant;  l'enfant,  ayant  mordu 
dans  la  pomme,  tomba  mort  aussitôt.  Le 
désespoir  de  la  mère  fit  tant  d'effet  sur  Pier- 
ron,  qu'il  courut  à  la  recherche  d'Abrahel 
pour  en  obtenir  reconfort.  Le  démon  promit 
de  rendre  la  vie  à  l'enfant,  si  le  père  voulait 
lui  demander  celte  {^râce  à  genoux,  en  lui 
rendant  le  culte  dadoration  qui  n'est  dû 
qu'à  Dieu.  Le  paire  se  mit  à  genoux,  adora, 
et  aussitôt  l'enfant  rouvrit  les  yeux.  On  le 
friclioniia,  on  le  réchaulTa  ;  il  recommença 
à  marcher  ci  à  parler.  Il  était  le  mémo 
qu'auparavant  ,  mais  plus  maigre  ,  plus 
hâve,  plus  défait,  les  yeux  battus  et  enfoncés, 
les  mouvements  plus  pesants.  Au  bout  d'un 
an ,  le  démon  qui  l'animait  l'abandonna  avec 
un  grand  bruit  ;  l'enfant  tomba  à  la  ren- 
verse... —  Cette  histoire  décousue  et  incom- 
plète se  termine  par  ces  mots  dans  la  narra- 
lion  de  Nicolas  Uemy  :  «  Le  corps  de  l'enfant, 
d'une  puanteur  insupportable,  fut  tiré  avec 
un  croc  hors  de  la  maison  de  san  père  cl  en- 
terré dans  un  champ.  »  Il  n'est  plus  question 
du  démon  succube,  ni  du  pâtre. 

ABSALON.  On  a  écrit  bien  des  choses 
supposées  à  propos  de  sa  chevelure.  Lepel- 
Iclior,  dans  sa  disserlation  sur  la  grandeur 
de  l'arche  de  Noé,  dit  que  toutes  les  fois 
qu'on  coupait  les  cheveux  à  Absalon ,  on  lui 
en  ôlait  Irenle  onces.... 

ABSTINENCK.  On  prétend,  comme  nous 
l'avons  dit,  qu'Abaris  ne  mangeait  pas  et 
que  les  magiciens  habiles  peuvent  s'abstenir 
de  !Tianger  ut  de  boire. 

Sans  parler  des  jeûnes  merveilleux  dont  il 
est  fait  mention  dans  la  vie  de  quelques 
Rainis  ,  M  irie  Pelet  de  Laval  ,  femme  du 
Hainaut,  vécut  Irenle-di'ux  mois  (du  6  no- 
vembre 1751  au  25  juin  1757)  sans  recevoir 
aucune  nourriture,  ni  solide,  ni  liquide. 
Anne  Hirley,  d'Orival,  près  de  Rouen,  se 
soutint  vingl-six  ans  eu  buvanl  seulement 
un  peu  de  lait  qu'elle  vomissait  quelques 
moments  après  l'avoir  avalé.  On  citerait 
d'aulres  exemples. 

Dans  les  idées  des  Orientaux,  les  génies 
ne  se  nourrissent  que  de  fumées  odorantes 
qui  ne  produisent  point  de  déjections. 

ACCIDENTS.  Beaucoup  d'accidents  peu 
ordinaires  ,  mais  naturels  ,  auraient  passé 
autrefois  pour  des  sortilèges.  Voici  ce  qu'on 
lisait  dans  un  journal  de  1841  :  —  «  Made- 
moiselle Adèle  Mercier  (  des  environs  de 
Saint-Gilles),  occupée  il  y  a  peu  de  jours  à 
arracher  dans  un  champ  des  feuilles  de 
mûrier,  fut  piquée  au  bas  du  cou  par  une 
grosse  mouche  qui,  selon  toute  probabilité, 
venailde  sucer  le  cadavre  putréfié  de  quelque 
animal,  et  qui  déposa  dans  l'incision  faite 
par  son  dard  une  ou  quelques  gouttelettes 
de  suc  morbifique  dont  elle  s'était  repue.  La 
douleur,  d'abord  extrêmement  vive,  devint 
insupportable.  11  fallut  que  mademoiselle 
Mercier  fût  conduite  chez  elle  et  qu'elle  se 

(t)  De  SlralagciualiDus  Sataiije  in  rolifçionis  ncgolio, 
pi'i  suiicrstitioauai,  «rroreiii,  Iio-Tosim,  wlium,  ratuimiiani, 


mît  au  lit.  La  pirtie  piquée  s'enfla  prodigieu- 
sement en  peu  de  temps  :  l'enflure  gagna. 
Atteinte  d'une  fièvre  algide  qui  acquit  le 
carac;ère  le  plus  violent,  malgré  tous  les 
soins  qui  lui  furent  prodigués,  el  quoi((uo  sa 
pi(iûre  eût  été  cautérisée  et  alcalisée,  made- 
moiselle Mercier  mourut  le  lendemain  dans 
les  souffrances  les  plus  atroces.  » 

Le  Journal  du  Rhône  racontait  ce  qui  suit, 
le  3  juin  :  —  «  Un  jeune  paysan  des  envi- 
rons de  Boui'goin  ,  qui  voulait  prendre  un 
repas  de  cerises,  commit  l'impruilence,  lundi 
dernier,  de  monter  sur  un  cerisier  que  les 
chenilles  avaient  quille  après  en  avoir  dé- 
voré toutes  les  feuilles.  Il  y  avait  vingt  mi- 
nutes qu'il  satisfaisait  son  caprice  ou  son 
appétit,  lorsque  presque  instantanément  il 
s<î  sentit  atteint  d'une  violente  inflammation 
à  la  gorge.  Le  malheureux  descendit  en 
poussant  péniblement  ce  cri  :  J'étotiffe  ! 
j'étouffe  !  Une  demi  -  heure  après  il  était 
mort.  On  suppose  que  les  chenilles  déposent 
dans  cette  saison  sur  les  cerises  qu'elles  tou- 
chent une  substance  que  l'œil  distingue  à 
peine  ,  mais  qui  n'en  est  pas  moins  un  poi- 
son. C'est  donc  s'exposer  que  de  manger  ces 
fruits  sans  avoir  pris  la  sage  précaution  de 
les  laver.  » 

ACCOUCHEMENTS  PRODIGIEUX.  Voy. 
Imagination,  Couches,  Aétite,  etc. 

ACHAM,  démon  que  l'on  conjure  le  jeudi. 

Voy.  CONJUBATION*. 

ACHARAI-RIOHO,  chef  des  enfers  chez 
les  Yakouls.  Voy.  Mang-taar. 

ACHÉRON  ,  fleuve  de  douleur  dont  les 
eaux  sont  amèrcs  ;  l'un  des  fleuves  de  l'enfer 
des  païens.  Dans  des  relations  du  moyen- 
âge,  l'Acliéron  est  un  monstre.  Voy.  Tondal. 

ACUÈRUSIE.  Marais  d'Egypte  près  d'Hé- 
liopolis.  Les  morts  le  traversaient  dans  une 
barque  ,  lorsqu'ils  avaient  été  jugés  dignes 
dos  honneurs  de  la  sépulture.  Les  ombres 
des  morts  enterrés  dans  le  cimetière  voisin 
erraient ,  disait-on  ,  sur  les  bords  de  ce  ma- 
rais, que  quelques  géographes  appellent  un 
lac. 

ACHMET.  Devin  arabe  du  neuvième  siècle, 
auteur  d'un  livre  De  l'interprétation  des  son- 
ges, suivant  les  doctrines  de  l'Orient.  Le  texte 
original  de  ce  livre  est  perdu;  mais  Rigault 
en  a  fait  imprimer  la  traduction  grecque  et 
latine  à  la  suite  de  VOniro critique  d'Artémi- 
dore;  Paris,  1C03,  in-4°. 

ACONCE  (Jacques),  curé  du  diocèse  do 
Trente,  qui ,  poussé  par  la  débauche  ,  em- 
brassa le  protestantisme  en  1537,  et  passa  en 
Angleterre.  La  reine  Elisabeth  lui  fit  une 
pension.  Aussi  il  ne  inanijua  pas  de  l'appeler 
diva  Elisabetha,  en  lui  dédiant  son  livre  Des 
Stratagèmes  de  Satan  (1).  Mais  nous  ne  men- 
tionnons ce  livre  ici  qu'à  cause  de  son  titre  : 
ce  n'est  pas  un  ouvrage  do  déujonomanie  , 
c'est  une  mauvaise  et  détestable  diatribe 
contre  le  catholicisme. 

ADALBERT,  hérétique  qui  fit  du  bruit 
dans  les  Gaules  au  huitième  siècle,  regardé 
par  les  uns  comme  un  habile  faiseur  de  mi- 

schisma,  etc.,  lil).  VIII.  Râle,  IbGu.  Souvent  réimp;  iiné  al 
traduit  on  l'tusiuurs  lanjjm'S. 


*, 


DICTIONNAIUE  DES  SCIENCES  OCCLLTES. 


•i 


racles,  et  p<ir  les  antres  comme  un  grand 
cabalislc.  Il  distribiiail  les  ro<;nures  de  ses 
ongles  et  de  ses  cheveux,  disant  (|ue  c'étaient 
de  puissants  préservatirs;  il  contait  qu'iiu 
ange,  venu  des  extrémités  du  niunde ,  lui 
avait  apporté  des  reli(|ues  cl  des  amulettes 
d'une  sainteté  prodigieuse.  On  dit  même  qu'il 
se  consacra  des  autels  à  lui-même  et  qu'il  se 
fit  adorer.  Il  prétendait  savoir  l'avenir,  lire 
ilans  la  pensée  et  cunnaitrc  la  confe<sion  des 
pécheurs  rien  qu'en  les  reg.irdant.  il  mon- 
trait impudemment  une  lettre  de  Notre  Sei- 
gneur Jésus-Christ,  disant  qu'elle  lui  avait 
été  apportée  par  saint  Michel  (1)  ;  el  il  ensei- 
gnait a  SCS  disciples  une  prière  qui  commen- 
çait ainsi  : 

—  «  Seigneur,  Dieu  tout-puissant,  père 
de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  Alpha  et 
Oméga,  qui  êtes  sur  le  trône  souverain, 
sur  les  chérubins  el  les  séraphins,  sur  l'ange 
Uriel,  l'ange  Ragucl,  l'ange  Cabuel .  l'ange 
Michel,  sur  l'ange  Inias,  l'ange  Tabuas , 
l'ange  Simicl  el  l'ange  S.ibaolh,  je  vous  prie 
de  m'accorder  ce  que  je  vais  vous  dire.  » 

C'était,  comme  on  voit,  très-ingénieux. 
Dans  un  fragment  conservé  des  mémoires 
qu'il  avait  écrits  sur  sa  vie ,  il  raconte  que  sa 
mère,  étant  enceinte  de  lui,  crut  voir  sortir 
de  son  côté  droit  un  veau  ;  ce  qui  était,  dit-il, 
le  pronostic  des  grâces  dont  il  fut  comblé  en 
naissant  par  le  ministère  d'un  ange.  On 
•irréla  le  cours  des  extravagances  de  cet 
insensé  en  l'enfermant  dans  une  prison,  où  il 
mourul. 

ADAM,  le  premier  homme.  Sa  chute  de- 
vant les  suggestions  de  Salan  est  un  dogme 
de  la  religion  chrétienne. 

Les  Orienlaux  font  d'Adnm  un  géant  dé- 
mesuré, haut  dune  lieue  ;  ils  en  font  aussi  un 
roag*ien,  un  cabaliste;  les  rnbbins  en  font 
de  plus  un  ahhimiste  et  un  écrivain.  On  a 
supposé  un  testament  de  lui  (2)  ;  et  enfin  les 
musulmans  regrettent  toujours  dix  traités 
merveilleux  que  Dieu  lui  av.iil  dictés.  Il  avait 
aussi  inventé  l'alphabet.  Voy.  Abraham. 

'       Légendes  d'Adiun,  chez  les  Orienlaux. 

Selon  les  traditions  des  Arabes,  Dieu,  vou- 
lant créer  l'homme  ,  chargea  l'ange  Gabriel 
de  prendre  une  poignée  de  chacun  des  sepl 
lits  de  la  terre.  La  lerre  effrayée  représenta 
que  Dieu  avait  tort  de  faire  l'homme,  parce 
qu'un  jour  il  se  révoUerait  contre  son  créa- 
teur. Gabriel  fit  part  à  Dieu  de  celle  obser- 
vation ;  niais  l-  Seigneur  n'en  tint  compte ,  et 
il  enjoignit  à  Michel  d'exécuter  sa  volonté. 
La  terre  se  plaignit  derechef  el  dit  que,  si 
on  faisait  l'homme,  elle  serait  maudite  à 
cause  de  lui.  Michel  fui  louché  de  compas- 
sion; Dieu,  voyant  cela,  chargea  de  ses 
ordres  le  terrible  Azraël,  qui ,  sans  écouler 

(  )  )  Baluie.  dans  son  appendice  aux  Capitulaires  des  rois 
francs,  a  |.ul)lié  celle  Itiire,  doiil  voici  le  lilre  :  —  «  Au 
nom  d«  Dieu  :  Ici  coiiiuieiico  la  lettre  de  Nulre-Sciifiieur 
Jesus-Clirisi,  qui  est  loiiibée  ï  Jérusalem,  et  qui  a  &1& 
trouvée  par  l'Arcliaiige  saint  MicUe! ,  lue  el  copiée  par 
la  main  d  un  prêlro  nommé  Jean ,  qui  l'a  envoyée  à  la 
ville  de  Jerémic  ii  uu  aulre  piètre,  noimiié  Talasius;  et 
ialaMus  I  a  envoyée  en  Araljie  à  un  autre  prôlre,  numnié 
LCobïUj  et  Léoliau  l'a  cuuvvée  àU>illc  de  Bt-isaïuic. 


les  plaintes  delà  lerre,  arracha  violemment 
de  son  sein  les  sept  poignées  que  Dieu  de- 
mandait el  les  porta  dans  l'Arabie,  où  devait 
se  consommer  le  grand  œuvre  de  la  création 
de  l'homme.  Dieu  fut  si  satisfait  de  la  prompte 
et  sévère  obéissance  d'Azraël ,  qu'il  lui  donna 
la  charge  de  séparer  les  âmes.  C'est  pour 
cela  qu'il  est  appelé  l'ange  de  la  mort. 

Cependant  Dieu  avait  pétri  celle  lerre,  dont 
il  fit  une  figure  de  sa  propre  main  ;  il  la  laissa 
sécher,  et  les  anges  se  plaisaient  à  consi- 
dérer celte  figure.  Eblis  (ou  Lucifer,  ou  Sa- 
lan) ne  se  contenta  pas  de  la  regarder,  il 
la  frappa  sur  le  ventre,  et  voyant  qu'il  était 
creux ,  il  fit  son  calcul ,  et  se  dit  en  lui-même  : 
«  Celle  créature,  formée  vide,  aura  besoin 
de  se  remplir  souvent,  et  sera  par  consé- 
quent sujette  à  beaucoup  de  tentations.  » 

Alors  il  demanda  aux  autres  anges  ce  qu'ils 
feraient,  si  Dieu  voulait  les  assujettir  en 
quelques  choses  à  ce  souverain  qu'il  allait 
donner  à  la  terre.  Tous  répondirent  qu'ils 
obéiraient.  Eblis  parut  du  même  sentiment  ; 
mais  il  résolut  de  n'en  rien  faire. 

Le  corps  du  premier  homme  étant  donc 
formé.  Dieu  l'anima  d'une  âme  intelligente, 
et  lui  donna  des  habits  merveilleux.  Ensuite 
il  ordonna  aux  anges  de  s'incliner  devant 
lui;  ce  qu'ils  firent,  à  l'exception  d'Eblis, 
que  sa  désobéissance  fil  chasser  du  paradis, 
et  dont  la  place  fut  donnée  à  Ad;im.  M  lis  ou 
lui  avait  défendu  de  manger  du  fruit  d'un 
certain  arbre;  Eblis  s'associa  avec  le  paon  et 
le  serpent ,  el  fit  tant,  par  ses  discours  arti- 
ficieux, qu'Adam  désohéil.  Du  momeul  qu'il 
eut  mangé  du  fruit  défendu  ,  ses  habits  mer- 
veilleux tombèrent  à  ses  pieds,  et  la  vue  de 
sa  nuililé  le  couvrit  de  honte.  1!  ne  larda  pas 
à  recevoir  la  sentence  qui,  le  précipitant  du 
paradis,  le  condamnait  au  travail  cl  à  la 
mort.  Dans  sa  chute  du  ciel,  il  tomba  sur  la 
montagne  de  Sérendib,  en  l'île  de  Ceyian, 
où  se  voit  encore  aujourd  hui  la  moniagno 
appelée  le  Pic-d'Adam.  Eve,  sa  femme  ,  qui 
avait  péché  avec  lui,  tomba  près  de  l'endroit 
où  fut  depuis  bâtie  la  ville  de  la  Mecque.  Eblis 
arriva  comme  elle  en  Arabie;  le  paon  avait 
été  jeté  dans  l'Indoustan,  el  le  serpent  dans 
la  Perse.  L'état  de  misère  et  de  solitude  où  se 
trouva  réduit  le  malheureux  Adam  lui  fil 
sentir  sa  f.iule;  il  implora  la  clémence  de 
son  Créateur,  cl  Dieu  fit  descendre  du  ciel 
un  pavillon,  qui  fut  placé  jiisie  dans  l'en- 
droit où,  depuis ,  Abraham  bàlii  la  Caaba 
(saillie  maison  de  la  Mecque).  Gabriel  lui 
enseigna  les  céicmonies  qu'il  devait  prati- 
quer autour  de  ce  saiictu;iiie  pour  obtenir 
son  pardon,  et  le  conduisit  ensuite  à  la 
montagne  d'Arafat,  où  il  retrouva  Eve  après 
trois  cents  ans  de  séparation.  Ou  montre 
encore  ,  à  une  lieue  de  la  Mecque  ,  une  petite 
colline  sur  le  sommet  de  laquelle  les  Musul- 

où  elle  a  été  reçue  par  le  piètre  Macarius,  qui  l'a  ren- 
voyée à  la  montagne  du  saint  Archange  Michel  ;  et  par  lu 
moyen  d'un  ange ,  la  lettre  est  arrivée  à  la  viil  ;  de  Kome, 
au  sépulcre  de  saint  Pierre,  ou  sont  les  clefs  du  royaume 
des  cieux  ;  et  les  douze  prêtres  (pii  sont  à  Rome  ont  fail 
dos  veilles  de  trois  jours,  avec  des  jeûnes  et  des  prières 
jour  el  nuit,  »  elc. 
(2)  Voyez  Kabricius,  Codex  Pseudep. 


23 


ADA 


ADA 


50 


mans  croient  qu'Eve  élail  assise,  lorsqu'Adam 
la  retrouva  (1). 

D'autres  légendes  de  l'Orient  disent  que 
Dii'U  forma  le  corps  d'Adam  et  le  plaça  d'a- 
bord dans  l'Eden.  Son  âme,  qu'il  avait  créée 
plusieurs  siècles  auparavant  ,  eut  ordre 
d'aller  l'animer.  Elle  représenta  à  Dieu  com- 
bien cette  masse  périssable  était  peu  digne 
de  l'élévation  de  son  être.  Dieu  ,  qui  ne  vou- 
lait pas,  en  cette  occasion,  employer  la  vio- 
lence, ordonna  à  son  fidèle  ministre  Gabriel 
de  prendre  son  flageolet  et  d'en  jouer  un  air 
ou  deux  auprès  du  corps  d'Adam.  Au  son  de 
cet  instrument,  l'âme  parut  oublier  ses  anti- 
pathies; elle  SD  prit  à  tourner  en  cadence 
autour  du  corps ,  et  enfin ,  dans  un  moment 
de  délire,  elle  y  entra  par  les  pieds  qui  se 
mirent  aussilôt  en  mouvement.  Dès  lors  il 
ne  lui  fut  plus  permis  de  quitter  sa  nouvelle 
habitation  sans  un  ordre  exprès  de  l'Eternel. 

Les  Juifs,  peuple  de  Dieu,  conservèrent 
intactes  It'S  saintes  Ecritures  jusqu'à  la 
venue  du  Messie.  Peuple  réprouvé  après  le 
déïcide ,  ils  les  ont  altérées  des  plus  étranges 
absurdités.  Leur  Thalinud  a  défiguré  tout,  et, 
dans  leur  sens  dépravé,  les  plus  grossières 
erreurs  ont  remplacé  chez  eux  la  vérité.  Les 
Ihalraudisles,  entre  autres  singulières  rêve- 
ries ,  rendent  comiJte  de  la  manière  dont  fu- 
rent employées  les  douze  heures  du  jour  où 
Adam  fut  créé.  A  la  première  heure,  di- 
sent-ils. Dieu  assembla  la  poudre  dont  il 
devait  le  composer;  et  il  en  fit  un  embryon. 
A  la  seconde  heure,  Adam  se  tint  sur  ses 
pieds.  A  la  quatrième.  Dieu  l'appela  et  lui 
dit  de  donner  aux  animaux  les  noms  qu'ils 
devaient  porter.  Quand  il  eut  fait  cela  ,  Dieu 
lui  demanda  :  Et  moi,  comment  m'appel- 
leras-tuî  Adam  répondit  :  Jéhovah  [c'est  toi 
qui  es  ).  La  septième  heure  fut  occupée  par  le 
uiariaged'AdamavecEve.queDieu  lui  amena 
après  l'avoir  frisée.  A  la  dixième  heure,  Adam 
désobéit.  Il  fut  jugé  à  la  onzième  et  condamné 
à  sortir  d'Eden.  Enfin,  à  la  douzième,  ii  sen- 
tait déjà  la  peine  et  les  sueurs  du  travail... 

Dieu,  ajoutent  les  rabSiins^  avait  fait  Adam 
si  grand,  que  sa  tête  touchait  le  ciel,  ils  as- 
surent que  l'arbre  de  vie,  planté  dans  le  pa- 
radis terrestre,  était  si  gros,  qu'il  aurait 
fallu  cinq  cents  ans  à  un  bon  piéton  pour  en 
faire  le  tour,  et  que  la  taille  d'Adam  était 
proportionnée  à  la  grosseur  de  cet  arbre.  Les 
anges   étonnés   murmurèrent  et  dirent  au 

(I)  c  G&lda  ouDjedda  (ponde  la  mer  Rouge,  jolie  ville 
de  13,000  bal)ilarils)  ne  reiileriiie  pas  l)eauioiip  de  ciirio- 
si.és;  cependaut  c'est  a  l'entrée  de  la  ville,  du  côié  du 
N.-l£.,  (lue  se  trouve  le  prétendu  lonilioau  de  uolre  coni- 
imiiie  aïeule,  Kve.  J'ai  recueilli  loutis  le-i  vieilles  chroni- 
ques :  Il  eu  résulte  que  les  savants  du  pays  sont  encore 
dans  une  espèce  de  doute;  le  peuple  cl  tous  les  dévols  y 
croieni  fermement. 

a  Eu  entrant  par  la  grande  porte  du  grand  cimetière, 
on  trouve  à  gauctie  un  petit  mur  de  trois  pieds  de  hauleur, 
Ibruianl  Ou  carré  de  dix  à  douze  pieds;  là  repose  la  lèle 
de  notre_ première  mère.  Au  milieu  du  einiclière  se  trouve 
nne  espèce  de  coupole  où  repose  le  milieu  du  corps,  et 
à  l'autre  biml,  près  d'une  porte  de  sortie,  se  trouve  un 
autre  petit  mur,  aussi  de  trois  pi.ds  de  hauleur  (ail  en 
losange;  c'est  là  que  louchenl  les  pieds.  Dans  ee  petit 
espace  se  trouve  paeé  un  grand  morceau  d'étolK;  sur 
laquelle  les  fidèles  dé,  osent  leurs  oU'ianries  ,  <pii  servent 
i  hiûler  des  pailums  sir  son  corps  (et  à  nuunir  le  ^m- 


Seigneur,  qu'il  y  avait  deux  souverains,  l'un 
au  ciel,  l'autre  sur  la  terre.  Alors  Dieu  ap- 
puya sa  main  sur  la  lête  d'Adam  et  le  réduisit 
à  la  hauteur  de  mille  coudées  (cinq  cents 
mètres). 

11  y  a  encore  chez  les  Juifs  beaucoup  de 
traditions  ,  variées  dans  leurs  merveilles. 
Ainsi  quelques  rabbins  disent  que  Dieu  da- 
bord  avait  fait  Adam  double,  et  qu'il  sépara 
les  deux  corps  d'un  coup  de  hache. 

Tous  les  peuples  de  l'Orient  entourent 
l'histoire  d'Adam  de  fables  différentes.  Les 
Persans  content  que  Dieu  le  plaça  dans  le 
quatrième  ciel,  lui  permettant  d'en  manger 
tous  les  fruits  excepté  le  froment,  qui  ne  pou- 
vait se  digérer  par  les  pores.  Adam  et  Eve, 
séduits  par  le  diible,  en  mangèrentpourtanl; 
et  avant  qu'ils  n'infectassent  le  paradis, 
l'ange  Gabriel  vint  les  mettre  dehors. 

Les  habitants  de  Madagascar  exposent  le 
fait  plus  rudement  encore.  Adam  mangea, 
disent-ils,  ce  qui  lui  était  défendu.  On  recon- 
nut son  crime,  aux  suites  nécessaires.  Le 
diable  qui  l'avait  séduit  courut  l'accuser  et 
Dieu  le  chassa.  Sans  doute  il  n'était  pas  ma- 
rié encore,  car  ils  ajoutent  que,  quelque 
temps  après,  il  lui  vint  à  la  jambe  une  tumeur 
d'oîi  il  tira  une  femme  qu'il  épousa  (2). 

Les  Espagnols  de  l'Amérique  méridionale 
croient  que  le  banane ,  certain  fruit  de  ce 
pays,  dont  les  fibres  représentent  une  croix, 
est  le  fruit  défendu,  dans  lequel  Adam  dé- 
couvrit le  mystère  de  la  Rédemption....  Les 
habitants  de  lîle  Saint-Vincent  pensent  que 
le  fruit  fatal  est  le  tabac... 

Après  son  péché,  Adam  fut  chassé  du  pa- 
radis terrestre.  Les  rabbins  cabaiistes  ajou- 
tent qu'il  fut  jeté  dans  les  enfers  d'où  il  ne 
se  tira  qu'au  moyen  du  très-saint  mot  Lave- 
rererareri,  qu'il  savait  prononcer  convena- 
blement (3)....  On  dit  encore  que  pour  faire 
pénitence,  il  se  plongea  jusqu'au  nez  dans 
le  fleuve  Gehon,  macérant  son  corps  à  coups 
de  fouets  ,  avec  si  peu  de  ménagement  qije 
lorsqu'il  sortit  de  là,  sa  peau  était  percée 
comme  un  crible.  Il  vécut  cent  trente  ans 
ainsi  dans  l'expiation.  A  sa  mort,  il  se  vit 
entouré  de  ses  enfants,  qui  étaient  au  nom- 
bre de  quinze  mille,  sans  compter  les  fem- 
mes (4). 

On  dit  encore  qu'Adam,  pendant  quelque 
temps,  adora  la  lune  ;  que  les  anges  l'instrui- 
s^irent;  qu'il  écrivit  un  commentaire  sur  les 

dien);  la  distance  des  pieds  à  la  lête  est  de  400  pieds 
Comuie  nous  avons  diminué  de  taille  depuis  la  création  \ 
léserais  presque  tenté  de  me  croire  un  Lilliputien.  Gedda, 
en  arabe,  veut  dire  grand'inère;  les  savants  prétendent 
que  la  ville  porte  ce  nom,  parce  qu'elle  a  l'honneur  de 
posséder  le  corps  d'Eve.  Les  irariilioiis  orientales  perlent 
qu'après  la  mort  de  sa  femme ,  Adam  se  mil  en  voyago  ;  it 
partit  pour  les  Indes  et  il  mourut  à  l'Ue  de  Ceylaii ,  où  son 
loinbeau  existe  encore  sous  le  Pic-d' Adam.  Les  Musul- 
mans, même  ceux  qui  ne  possèdent  pas  la  foi  nécessaire 
à  un  (i  lèle  ,  ne  forment  pas  le  moindre  doute  sur  ce  der- 
nier fait.  »  (Lettre  de  M.  A.  D.,  consul  de  France  en 
Abyssinie,  12  janvier  I8H.) 

(2)  D'Herbidol,  Bibliothèque  orientde. 

(3)  Basnage,  Hisl.  des  Juifs,  loin.  III. 

(l)  Adam,  anle  m'jrteni  ejus,  coiivocavil  omnes  lihos 
suus  qui  eraiil  in  numéro  .xv  millia  virorum  absque  mulie- 
iilms.  Vka  Aclœ  el  tia;,  cilo  par  U.Peigiiul,  livre  des 
i>iiii,'ularil6s,  p.  37. 


51 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


noms  des  animaux  ;  qu'il  prophélisa  ;  qu'il 
fut  astrologue  ;  qu'il  prédit  le  déluge  par 
rinspoclion  des  aslros;  qu'il  coniiaissail  na- 
lurellciiieiit  toutes  les  sciences;  qu'il  avait 
un  pouvoir  magique  sur  toutes  les  créatures; 
qu'il  eut  une  apocalypse;  qu'il  composa  des 
psaumes  :  ils  ont  élé  imprimés  dans  quehiucs 
thalriiuds.  On  lui  attribue  aussi  un  livre  de 
cabale  intitulé  Sepher-llnziel.  Les  Juifs  di- 
sent que  re  livre  lui  fut  donné  par  l'ange  Ra- 
phaël; le  livre  Ae  Jetzirah  passe  même  pour 
<!tre  de  lui  ;  il  écrivit,  disent  les  adeptes ,  sur 
l'alchimie. 

D'autres  assurent  que  l'ange  Raziel  fut  le 
précepteur  d'Adam,  qu'il  lui  donna  dans  un 
livre  la  connaissance  de  tous  les  secrets  de 
la  nature,  la  puissance  de  converser  avec  le 
soleil  et  la  lune,  de  guérir  les  maladies,  d'ex- 
citer des  tremblements  de  terre,  de  comman- 
der aux  p\iissances  de  l'air, d'interpréter  les 
songes  et  de  prédire  tous  les  événements.  Ce 
livre  passa  dans  la  suite  entre  les  mains  de 
Salomon;  c'est  là  qu'il  apprit  la  manière  de 
composer  le  fameui  talisman  de  son  anneau, 
arec  lequel  il  opéra  dans  tout  l'Orient  des 
choses  étonnantes... 

Parmi  les  troubadours  et  les  poêles  du 
moyen-âge,  plusieurs,  infectés  de  la  grossiè- 
reté des  Vaudois  et  des  Albigeois  qui  rame- 
naient si  vite  l'humanité  à  l'état  sauvage,  si 
l'Eglise  romaine  n'eût  sauvé  alors,  comme 
toujours,  la  civilisation  menacée,  traitaient 
fort  mal  et  fort  lâchement  les  femmes;  et  si 
nou*  citons  à  ce  propos  la  satire  assez  plate 
de  Pierre  de  Suint-Cioud,  dans  son  début  du 
poëme  du  Renard,  c'est  qu'elle  s'étaye  d'une 
légende  d'Al.ira. 

Lorsqu'Adacn,  dit  le  poêle,  fut  chassé  du 
paradis  terrestre.  Dieu,  par  pitié,  lui  donna 
une  baguette  merveilleuse,  qui  était  douée 
dételle  vertu  que  toutes  les  fois  qu'il  aurait 
besoin  d'un  animal  quelconque,  il  lui  suffi- 
rait, pour  le  voir  pariitlreà  l'instant  mène, 
de  frapper  la  mer  avec  sa  baguette.  Adam 
l'ayant  frappée,  vit  sortir  aussiiôt  une  bre- 
bis. Eve  Voulut  à  son  lour  essayer  l'inslru- 
mcnt;  mais  sous  sa  m.iin  un  loup  s'élança, 
qui  saisit  la  brebis  et  l'emporta  dans  les  bois, 
notre  première  mère  pleurait  son  malheur, 
quand  Adam  reprit  la  baguette  et  fit  naître 
un  chien ,  qui  courut  après  le  loup,  lui 
enleva  la  brebis  et  la  rapporta. 

Il  en  fut  de  même  des  autres  animaux, 
tous  ceux  qui  durent  leur  naissance  à  Eve 
furent  sauvages  el  malfaisants  (le  renard  en- 
tre autres);  et  ils  se  retirèrent  dans  le  bois 
avec  le  loup.  Ceux  que  produisit  Adam  res- 
tèrent tous  auprès  de  lui  et  devinrent  domes- 
tiques (I)... 

ADAM  (  l'àbbé  ).  Il  y  eut  un  temps  où  l'on 
voyait  le  diable  en  toutes  choses  et  partout, 
et  peut-élre  n'avait-on  pas  tort.  Mais  il  nous 
semble  qu'on  le  voyait  trop  matériellement. 
Le  bon  et  naïf  Césaire  d'Heisterbach  a  fait 
un  livre  d'histoires  prodigieuses  où  le  diable 
«'St  la  machine  universelle;  il  se  montre  s.ins 
cesse  et  sous  diverses  figures  palpables.  C'é- 

(1)  M.  Odavi'  Di'l|>iiTre,  préliminaires  de  sa  Iraductiou 
(lu  W-iturd  (Je  J.-l''.  Willcuis,  j).  57. 


28 

lait  surtout  à  l'époque  OÙ  l'on  s'occupait  en 
France  de  l'extinction  des  Templiers.  Alors 
un  certain  abbé  Adam,  qui  gouvernait  l'ab- 
baye duVanx-deCernay.au  diocèse  de  Pans, 
avait  l'esprit  tellement  frappé  de  l'idée  (juc 
le  diable  le  guettait,  qu'il  croyait  le  recon- 
naître à  chaque  pas  sous  des  formes  que  sans 
douie  le  diable  n'a  pas  souvent  imaginé  de 
prendre.  — Un  jour  qu'il  revenait  de  visiter 
une  de  ses  petites  métairies,  accompagné 
d'un  serviteur  aussi  crédule  que  lui,  l'abbé 
Adam  racontait  comment  le  diable  l'avait 
iiarcelé  dans  son  voyage.  L'(!sprit  malin  s'était 
montré  sous  la  figure  d'un  arbre  blanc  de 
frimas,  qui  semblait  venir  à  lui. —C'est  sin- 
gulier! dit  un  de  ses  amis;  n'éliez-vous  pas 
la  proie  de  quelque  illusion  causée  par  la 
course  de  votre  cheval?— Non,  c'était  Satan. 
Mon  cheval  s'en  effraya;  l'arbre  pourtant 
passa  au  galop  el  disparut  derrière  nous,  il 
laissait  une  certaine  odeur  qui  pouvait  bien 
être  du  soufre.  —  Odeur  de  brouillard,  mar- 
motta l'autre.  —  Le  diable  reparut  et,  celte 
fois,  c'était  un  chevalier  noir  qui  s'avançait 
vers  nous  pareillement.  — Eloigne-loi,  lui 
criai-je  d'une  voix  étouffée.  Pourquoi  m'at- 
taques-tu? Il  passa  encore,  sans  avoir  l'air 
de  s'occuper  de  nous.  Mais  ilrevint  une  troi- 
sième fois  ayant  la  forme  d'un  homme  grand 
et  pauvre,  avec  un  cou  long  et  maigre.  Je 
fermai  les  yeux  et  ne  le  revis  que  quelques 
instants  plus  tard  sous  le  capuchon  d'un  pe- 
tit moine.  Je  crois  qu'il  avait  sous  son  froc 
une  rondache  dont  il  me  menaçait.  —  Mais, 
interrompit  l'autre,  ces  apparitions  ne  pou- 
vaient-elles pas  être  des  voyageurs  naturels? 
—  Comme  si  on  ne  savait  pas  s'y  rcctmnaî- 
tre!  commesinonsnel'avions  pasvuderechet 
sous  la  figura  d'un  pourceau,  puis  sous  celle 
d'un  âne,  puis  sous  celle  d'un  tonneau  qui 
roulait  dans  la  campagne,  puis  enfin  sous  la 
forme  d'une  roue  de  charrette  qui,  si  je  ne 
me  trompe  pas,  me  renversa,  sans  toutefois 
me  faire  aucun  mal.  — Après  tant  d'assauts, 
la  route  s'était  achevée  sans  autres  malcn- 
conlres  2). 

ADAMANTIUS,  médecin  juif,  qui  se  fit 
chrétien  à  Constanlinopte,  sous  le  règne  de 
Constance,  à  qui  il  dédia  ses  deux  livres  sur 
\aPhysiognomonie  ou  l'art  de  juger  les  hom- 
mes par  leur  figure.  Cet  ouvrage,  plein  do 
contradictions  et  de  léveries,  a  élé  imprimé 
dans  quelques  collections,  notamment  dans 
les  Sciiplores  phi/siognomoniœ  veteres,  grec 
et  latin,  cura  J.-G.-F.  Franzii-.AlXembourg, 
1780,  in-8. 

ADAMIENS  ou  ADAMITES.  Hérétiques  du 
second  siècle,  dans  l'espèce  des  Basilidicns. 
Ils  se  mettaient  nus  et  professaient  la  pro- 
niiscuilé  des  femines.  Clément  d'Alexandrio 
dit  qu'ils  se  vanlaient  d'avoir  des  livres 
secrets  de  Zoroasire,  ce  qui  a  fait  conjectu- 
rer à  plusieurs  qu'ils  étaient  livres  à  la  ma- 
ge. 

ADELGREIF  (Jean-Albert  ),  fils  naturel 
d'un  pasteur  allemand, qui  lui  apprille  laliu, 
le  grec,  l'hébreu  cl  plusieurs  langues  moQcr- 

(2)  Uoljcrl  Gagiiiii,  riiilipi.. 


29 


ADR 


nés.  11  devint  fou  et  crut  avoir  des  visions;  il 
disait  <iue  sept  anges  l'avaient  chargé  de 
représenter  Dieu  sur  la  terre  et  de  châlierles 
souverains  avec  des  verges  de  fer.  Il  se  don- 
nait les  noms  d'empereur  universel,  roi  du 
royaume  des  deux,  envoyé  de  Dieu  le  Père, 
juge  des  vivants  et  des  morts.  l\  causa  beau- 
coup de  troubles  par  ses  extravagances,  qui 
trouvèrent,  comme  toujours,  des  partisans. 
On  lui  attribua  des  prodiges,  et  il  fut  brûlé  à 
Kœnigsberg  comme  magicien,  hérétique  et 
perturbateur,  le  11  octobre  1636.  Il  avait  pré- 
dit avec  assurance  qu'il  ressusciterait  le 
troisième  jour;  ce  qui  ne  s'est  pas  du  tout  vé- 
rifié. 

ADÉLITES,  devins  espagnols  qui  se  van- 
taient de  prédire,  par  le  vol  ou  le  chant  des 
oiseaux,  ce  qui  devait  arriver  en  bien  ou  en 
mal. 

ADELUNG  (JEAN-CnniSTOPHE;,  littérateur 
allemand,  mort  à  Dresde  en  1806.  Il  a  laissé 
un  ouvrage  'in\i[u\é:  Histoire  des  folies  hu- 
maines, ou  Biographie  des  plus  célèbres  né- 
cromanciens, alchimistes,  devins,  etc.,  sepi 
parties;  Leipzig.  1785-1789. 

ADEPTES,  nom  que  prennent  lesalchimis- 
tes  qui  prétendent  avoir  trouvé  la  pierre  phi- 
losophale  et  l'élixir  de  vie.  Ils  disent  qu'il  y 
a  toujours  onze  adeptes  dans  ce  monde;  et, 
comme  l'élixir  les  rend  immortels,  lorsqu'un 
nouvel  alchimiste  a  découvert  le  secret  du 
grand  œuvre,  il  faut  qu'un  des  onze  anciens 
lui  fasse  place  et  se  retire  dans  un  autre  des 
mondes  élémentaires. 

ADÈS,  roi  de  l'enfer.  Ce  mot  est  pris  sou- 
vent chez  quelques  poètes  anciens,  pour 
l'enfer  même. 

ADHAB-ALGAB,  purgatoire  des  musul- 
mans où  les  méchants  sont  tourmentés  par 
les  anges  noirs  Munkir  et  Nékir. 

ADJURATION,  formule  d'exorcisme  par 
laquelle  on  commande,  au  nom  de  Dieu,  à 
1  esprit  malin  de  dire  ou  de  faire  ce  au'on 
exige  de  lui. 

ADONIS,  démon  brûlé.  Selon  les  démo- 
nologues, il  remplit  quelques  fonctions  dans 
les  incendies  (Ij.  Des  savants  croient  que 
c'est  le  même  que  le  démon  Thamuz  des  Hé- 
breux. 

ADUAMELECH,  grand  chancelier  des  en- 
fors,  intendant  de  la  garde-robe  du  souve- 
rain des  démons,  président  du  haut  conseil 
des  diables.  Il  était  adoré  à  Sépharvuïm, 
ville  des  Assyriens,  qui  brûlaient  des  enfants 
sur  ses  autels.  Les  rabbins  disent  qu'il  se 
montre  sous  la  figure  d'un  mulet  elquclquc- 
fois  sous  celle  d'un  paon. 

ADRIEN.  Se  trouvant  en  Mésie,  à  la  tête 
d'une  légion  auxiliaire,  vers  la  fin  du  règne 
de  Domilien,  Adrien  consulta  un  devin  (  car 
il  croyait  aux  devins  et  à  l'astrologie  judi- 
ciaire), lequel  lui  prédit  qu'il  parviendrait 
un  jour  à  l'empire.  Ce  n'était  pas,  dit-on,  la 
première  foisqu'on  lui  faisait  cette  promesse. 
Trajan,  qui  était  son  tuteur,  l'adopta,  et  il 
régna  eu  effet. 

'     (l)  AVierus,  de  l'rsest.  ,lacin.,  lih.  I. 

(2)  Wienis,  de  l'i*>t.  &,vm-,  lib.  Il,  cap.  xii. 
(SjKraiic.  îorre  llUoca  Cordub,  Epil.  dcliot.  sivc  do 


.\G.\  50 

Ou  lui  attribue  en  Ecosse  la  construction 
de  la  muraille  du  Diable. 

Fulgose,  qui  croyait  beaucoup  à  l'astrolo- 
gie, rapporte,  comme  une  preuve  de  la  soli- 
dité de  cette  science,  que  l'empereur  Adrien, 
très-habile  astrologue,  écrivait  tous  les  ans, 
le  premier  jour  du  premier  mois,  ce  qui  lui 
devait  arriver  pendant  l'année,  et  que,  l'an 
qu'il  mourut,  il  n'écrivit  que  jus(iu'au  mois 
de  sa  mort,  donnant  à  connaître  par  son 
silence  qu'il  prévoyait  son  trépas.  Mais 
ce  livre  de  l'empereur  Adrien  ,  ((u'on  ne 
montra  qu'après  sa  mort,  n'élail  qu'un  jour- 
nal. 

AEOROMANCIE,  art  de  prédire  les  choses 
futures  par  l'examen  des  variations  et  des 
phénomènes  de  l'air  (2).  C'est  en  vertu  de 
cette  divination  qu'une  comète  iiunonce  la  % 
mort  d'un  grand  homme.  Cependant  ces  pré- 
sages extraordinaires  peuvent  rentrer  dans 
la  tératoscopie. 

François  de  LaTorre-Blanca  (3)  dit  que 
l'aéromancie  est  l'art  dédire  la  boime aven- 
ture en  faisant  apparaître  des  spectres  dans 
les  airs,  ou  en  représentant,  avec  l'aide  des 
démons,  les  événements  futurs  dans  un  nua- 
ge ,  comme  dans  une  lanterne  magique. 
«  Qiiant  aux  éclairs  et  au  tonnerre,  ajoute- 
t-il,  ceci  regarde  les  augures,  et  les  aspects  du 
ciel  et  des  planètes  appartiennentà  l'astrolo- 
gie.» 

AETIi'E,  espèce  de  pierre  qu'on  nomme 
aussi  pierre  d'aigle,  selon  la  signification  de 
ce  mot  grec,  parce  qu'on  prétend  qu'elle  se 
trouve  dans  les  nids  des  aigles.  On  lui  attri- 
bue la  propriété  de  faciliter  l'accouchement 
lorsqu'elle  est  attachée  au-dessus  du  genou 
d'une  femme,  ou  de  le  retarder,  si  on  la  lui 
met  à  la  poitrine.  —  Dioscoride  (4)  dit  qu'on 
s'en  servait  autrefois  pour  découvrir  les 
voleurs.  Après  qu'on  l'avait  broyée,  on  en 
mélaitla  cendre  dans  du  pain  fait  exprès;  on 
en  faisait  manger  à  tous  ceux  qui  étaient 
soupçonnés.  On  croyait  que  si  peu  d'aétito 
qu'il  y  eût  dans  le  pain,  le  voleur  ne  pou- 
vait avaler  le  morceau.  Les  Grecs  modernes 
emploient  encore  celte  vieille  superstition  , 
qu'ils  rehaussent  de  quelques  paroles  mysté- 
rieuses. 

MVOLl  (César),  auteur  ou  collecteur  d'un 
livre  peu  remarquable,  intitulé:  Opuscules 
surles  attributs  divins  et  sur  le  pouvoir  qui 
a  été  donné  aux  démons  de  connaître  les 
choses  secrètes  et  de  tenter  les  hommes. 
Opuscula  de  divinis  atlribulis  et  de  modo  et 
potestate  quam  dœmones  habent  inteiligendi 
et  passiones  animi  ejccitandi,  in-4;  Venise, 
1389. 

AGABERTE.  «  Aucuns  parlent,  dit  Torqué- 
mada,  d'une  certaine  femme  nommée  Aga- 
berte,  fille  d'un  géant  qui  s'appelait  Va- 
gnosle,  demeurant  aux  pays  septentrionaux, 
laquelle  était  grande  enchanteresse.  Et  la 
force  de  ses  enchuiUemenls  était  si  variée, 
qu'on  ne  la  voyait  presque  jamais  en  sij 
propre  figure  :  quelquefois  c'était  une  petite 

MaL;i.i,  lib.  I,  cap.  xx,  posl  Picloiiiiin  cl  Psellum. 

(i)  Cil  é  par  le  père  Lcbiuii,  Hial.  des  l'ralinucs  superst., 
liv.  1,  cb.  XIV. 


M 


DICTIONNAIRE  DES 


▼  ioille  forl  riilée,  qui  somblait  ne  se  pouvoir 
remuer,  ou  bien  une  p;uivre  femme  malade 
el  sans  forces;  d'autres  fois  elle  était  si  haute 
qu'elle  paraissait  toucher  les  nues  arec  sa 
télé.  Ainsi  elle  prenait  telle  forme  qu'elle 
voulait,  aussi  aisément  que  les  auteurs  écri- 
vent d'Urgande  la  Méconnue.  Et,  d'après  ce 
qu'elle  faisait,  le  monde  avait  opinion  qu'en 
un  instant  elle  pouvait  obscurcir  le  soleil, 
la  lune  et  les  étoiles,  aplanir  les  monts,  ren- 
verser les  montagnes,  arracher  les  arbres, 
dessécher  les  rivières,  el  faire  autres  choses 
pareilles,  si  aisément  qu'elle  semblait  tenir 
tous  les  diables  altachés  et  sujets  à  ses  vo- 
lontés (1).»  --  Celle  femme  ne  serait-elle 
pas  la  mime  qu'AcBAFÉNA?  Voy.  ce  mot. 

AGARÈS,  grand-duc  de  la  contrée  orien- 
*  taie  des  enfers.  Il  se  montre  sous  les  traits 
d'un  soigneur,  à  cheval  sur  un  crocodile, 
l'épervierau  poing.  Il  fait  revcnirà  la  charge 
les  fuyards  du  parti  qu'il  prolége  et  met 
l'ennemi  en  déroute.  Il  d^nne  les  dignités, 
enseigne  toutes  les  langues,  et  fait  danser  les 
esprits  de  la  terre.  Ce  chef  des  démons  est 
de  l'ordre  des  verlus:  il  a  sous  ses  lois  trente 
el  une  légions  (2). 

AG.ATE ,  pierre  précieuse  à  laquelle  les 
anciens  attribuaient  des  qualités  qu'elle  n'a 
pas,  comme  de  fortifier  le  cœur,  de  préserver 
de  la  peste  et  de  guérir  les  morsures  du 
scorpion  el  de  la  vipère. 

AGATHION ,  démon  familier  qui  ne  se 
montre  qu'à  midi.  Il  paratten  forme  d'Iiomme 
ou  de  bêle;  quelquefois  il  se  laisse  enfermer 
dans  un  talisman,  dans  une  bouteille  ou  dans 
un  annenu  magi(]ue  (3). 

AGATHODÉMON,  ou  bon  démon,  adoré 
des  Egyptiens  sous  la  figure  d'un  serpent  à 
tête  humaine.  Les  dragons  ou  serpents  exilés, 
que  les  anciens  révéraient,  s'appelaient  aga- 
thodemonts,  ou  bons  génies. 

AGLA ,  mot  cabalistique  auquel  les  rab- 
bins attribuent  le  pouvoir  de  chasser  l'esprit 
hialin.  Ce  mot  se  compose  des  premières 
lettres  de  ces  quatre  mots  hébreux  :  Athah 
gabor  leolam,  Adonai;  «  Vous  êtes  puissant 
et  éternel,  Seigneur.  »  Ce  chnrme  n'était  pas 
seulement  employé  par  les  Juifs  et  les  caba- 
listes,  quelques  chrétiens  hérétiques  s'en 
sont  armés  souvent  pour  combattre  les  dé- 
mons. L'usage  en  était  fréquent  au  seizième 
siècle  (4),  el  plusieurs  libres  magiques  en 
sont  pleins,  principaieaient  Y E nchiridion , 
attribué  ridiculement  au  pape  Léon  111.  Voy. 
Cabale. 

AGLAOPHOTIS,  sorte  d'herbe  qui  croit 
dans  les  marbres  de  l'Arabie,  et  dont  les 
magiciens  se  servaient  pour  évoquer  les  dé- 
mons (5).  Ils  employaient  ensuite  l'ananci- 
tide  et  la  syrrochile,  autres  ingrédients  qui 
retenaient  les  démons  évoq-.;cs  aussi  long- 
temps qu'on  le  voulait.  Voy.  Baaras. 

AGNAN,  démon  qui  tourmente  les  Améri- 
cains par  des  apparitions  et  des  méchan- 

(l)IIex.iméron  de  Torqnémada ,  traduit  par  Gal)riel 
Cliapruis,  Tourangeau,  sixième  journée. 

(2)  Wicnis,  in  Pscudomonarch.  dsem. 

(3)  Lcloyer,  Disc,  el  liisl.  dos  spectres,  liv.  III,  cli.  v. 
Uj  Lcloycr,  Disc,  el  Uisi.  des  sj^cctres,  liv.  Vlll.  cIj.  vi. 


SCIENCES  OCCULTES.  S2 

celés  :  il  se  montre  surloul  au  Brésil  et  chez 
les  Topinamboux  ,  et  parait  sous  toutes 
sortes  de  formes,  de  façon  que  ceux  qui 
veulent  le  voir  peuvent  le  rencontrer  par- 
tout (6). 

AGOBARD,  archevêque  de  Lyon  au  neu- 
vième siècle.  Il  a  écrit  contre  les  épreuves 
judiciaires  et  contre  plusieurs  superstitions 
de  son  époque. 

AGRAFÉNA-SHIGANSKAIA.  L'une  des 
maladies  les  plus  générales  sur  les  cAtes 
nord-est  de  la  Sibérie,  surtout  parmi  les 
femmes ,  est  une  extrême  délicatesse  des 
nerfs.  Cette  maladie,  appelée  mirak  dans  ce 
pays,  peut  être  causée  par  le  défaut  absolu 
de  toute  nourriture  végétale  ;  mais  la  super- 
stition l'attribue  à  l'inlluence  d'une  magi- 
cienne nommée  Agraféiia-Shiganskaïa,  qui, 
bien  que  morte  depuis  plusieurs  siècles, 
continue  à  répandre  l'effroi  parmi  les  habi- 
tants et  passe  pour  s'emparer  de  la  malade. 
—  M.  de  Wrangel,  qui  rapporte  ce  fait  dans 
le  récit  de  son  expédition  au  nord-est  de  la 
Sibérie,  ajoute  que  parfois  on  trouve  aussi 
des  hommes  qui  souffrent  du  mirak  ;  mais 
ce  sont  des  exceptions. 

AGRIPPA  (Henri-Corneille),  médecin  et 
philosophe,  contemporain  d'Erasme,  l'un  des 
plus  savants  hommes  de  son  temps  ,  dont  on 
l'a  appelé  le  Trismégisie,  mais  doué  d'ex- 
travagance ;  né  à  Cologne  en  H86,  mort  en 
1535,  après  une  carrière  or.igeuse,  chez  le 
receveur  général  de  Grenoble  ,  et  non  à 
Lyon,  ni  dans  un  hôpital,  comme  quelques- 
uns  l'ont  écrit.  11  avait  été  lié  avec  tous  les 
grands  personnages  et  recherché  de  tous  les 
princes  de  son  époque.  Chargé  souvent  de 
négncialions  politiques,  il  fil  de  nombreux 
voyages,  que  Thevel,  dans  ses  Vies  des 
hommes  illustres,  attribue  à  la  manie  «do 
faire  partout  des  tours  de  son  métier  de 
magicien  ;  ce  qui  le  faisait  reconnaître  et 
chasser  inconlinenl.  » 

Les  démonologues,  qui  sont  furieux  contre 
lui,  disent  qu'on  ne  peut  le  représenter  que 
comme  un  hibou,  à  cause  de  sa  laideur  ma- 
gique ;  et  de  crédules  narrateurs  ont  écrit 
gravement  que,  dans  ses  voyages,  il  avait 
coutume  de  payer  ses  hôtes  en  monnaie , 
fort  bonne  en  apparence,  mais  qui  se  chan- 
geait ,  au  bout  de  quelques  jours,  en  petits 
morceaux  de  corne,  de  coquille  ou  de  cuir, 
et  quelquefois  en  feuilles  d'arbres. 

Il  est  vrai  qu'à  vingt  ans  il  travaillait  à  la 
chrysopée  ou  alchimie  ;  mais  il  ne  trouva 
jamais  le  secret  du  grand  œuvre.  Il  est  vi'ai 
aussi  qu'il  était  curieux  de  choses  étranges, 
et  qu'il  aimait  les  paradoxes  :  son  livre  de 
la  Yanilé  des  sciences,  que  l'on  considère 
comme  son  chef-d'œuvre,  en  est  une  preuve. 
Mais  au  chapitre  xiii  de  ce  livre,  il  dé- 
clame contre  la  magie  cl  les  arts  supersti- 
tieux. Si  donc  il  fut  obligé  plus  d'une  fois  de 
prendre    la   fuite    pour  se   soustraire  aux 

(5)  Pline,  Hist.  nat.,  liv.  XXIV,  ch.  xvn. 

(6)  Wierus,  Di!  l'rseslig.,  lib.  I,  cap.  xxii.  T'.-evel, 
OI)S.  sur  l'Amérique,  cl),  xxxv  el  xxxvi.  Boguil.  D'ac 
dus  sorciers,  cli.  vu. 


I 


I 


l 


53  AGK 

mauvais  traitements  de  la  populace,  qni 
l'accusait  de  sorcellerie,  n'est-il  pas  permis 
de  croire  ou  que  son  esprit  caustique,  et 
peut-être  ses  mœurs  mal  réglées,  lui  faisaient 
des  ennemis ,  ou  que  son  caractère  d'agent 
diplomatique  le  mettait  souvent  dans  des 
situations  périlleuses,  ou  que  la  médecine 
empirique,  qu'il  exerçait,  l'exposait  à  des 
catastrophes  ;  à  moins  qu'il  ne  faille  croire, 
en  effet,  que  cet  homme  avait  réellement 
étudié  la  magie  dans  ces  universités  mysté- 
rieuses dont  nous  ne  savons  pas  encore  les 
secrets?  Voy.  Universités.  Quoi  qu'il  en 
soit,  Louise  de  Savoie,  mère  de  François  l*', 
le  prit  pour  son  médecin.  Elle  voulait  qu'il 
fût  aussi  son  astrologue,  ce  qu'il  refusa.  Et 
pourtant  on  soutient  qu'il  prédisait  au  trop 
.'ameux  connétable  de  Bourhon  des  succès 
contre  la  France.  Si  cette  allégation  est  vraie, 
c'était  semer  la  trahison,  et  Agrippa  était  un 
fripon  ou  un  fourbe. 

Mais  on  établit  encore  l'éloignement  d'A- 
grippa  pour  le  charlatanisme  des  sorciers 
en  rappelant  ce  fait,  que,  pendant  le  séjour 
qu'il  fil  à  Metz,  remplissant  les  fonctions  de 
syndic  ou  avocat  général  (car  cet  homme  fit 
tous  les  métiers),  il  s'éleva  très- vivement 
contre  le  réquisitoire  de  Nicolas  Savin,  qui 
voulait  faire  brtiler  comme  sorcière  une 
pavsanne.  La  spirituelle  et  vive  éloquence 
d'Agrippa  fit  absoudre  cette  fille.  A  cela  les 
partisans  de  la  sorcellerie  d'Agrippa  répon- 
dent qu'il  n'est  pas  étonnant  qu'un  pareil 
compère  ait  défendu  ceux  qui  pratiquaient 
la  magie,  puisqu'il  la  pratiquait  lui-même. 
—  Ils  ajoutent  que,  tandis  qu'il  professait  à 
l'université  de  Louvain,  il  infecta  ses  écoliers 
d'idées  magiques.  «  Un  de  ses  élèves,  lisant 
auprès  de  lui  un  certain  livre  de  conjura- 
tions,  fut  étranglé  par  le  diable.  Agrippa, 
craignant  qu'on  ne  le  soupçonnât  d'être 
l'auteur  ou  la  cause  de  cette  mort  arrivée 
dans  sa  chambre,  commanda  à  l'esprit  malin 
d'entrer  dans  le  corps  qu'il  venait  d'étouffer, 
de  ranimer  le  jeune  homme  et  de  lui  faire 
faire  avant  de  le  quitter  sept  ou  huit  tours 
sur  la  place  publique.  Le  diable  obéit;  le 
corps  du  jeune  étranglé  ,  après  avoir  paradé 
pendant  quelques  minutes ,  tomba  sans  vie 
devant  la  multitude  de  ses  camarades,  qui 
crurent  que  ce  n'était  là  qu'une  mort  su- 
bite (1).» 

Ce  ne  fut  pas  pourtant  à  cause  de  sem- 
blables faits  qu'il  partitde  celte  ville  savante. 
Ce  fut  parce  qu'il  s'y  était  fait  des  ennemis, 
à  qui  il  donna  un  prétexte  par  la  publication 
de  son  ouvrage  de  la  Philosophie  occulte.  On 
accusa  ce  livre  d'hérésie  et  de  magie  ;  et,  en 
attendant  qu'il  fût  jugé,  l'auteur  passa  une 
année  dans  les  prisons  de  Bruxelles.  Il  en 
fut  tiré  par  l'archevêque  de  Cologne,  qui 
avait  aciepté  la  dédicace  du  livre,  dont  il 
reconnut  publiquement  que  l'auteur  n'était 
pas  sorcier.  Les  pensées  de  ce  livre  et  celles 
que  le  même  savant  exposa  dans  son  com- 
mentaire In  ariem  brevem  Itaymundi  Lullii , 
ne  sont  (pie  des  rêveries.  Ce  qui  surtout  a 

(1)  Deirio,  Disquisit.  mag.,  lib.  Il,  quœsl.  39. 

(2)  Vqjez  Apoiie. 


AGR 


U 


fait  passer  Agripf  a  pour  un  grand  magicien, 
c'est  un  fatras  plein  de  cérémonies  magiques 
et  superstitieuses  qu'on  publia  sous  son  nom, 
vingt-sept  ans  après  sa  mort,  qu'on  donna 
comme  le  quatrième  livre  de  sa  Philosophie 
occulte,  et  qui  n'est  qu'un  ramassis  de  frag- 
ments décousus  de  Pierre  d'Apone,  de  Picto- 
rius,  et  d'autres  songe -creux  (2). 

Cependant  Dclancre  ne  porte  son  accu- 
sation que  sur  les  trois  premiers  livres. 
«Agrippa,  dit-il  (3),  composa  trois  livres 
assez  grands  sur  la  magie  dé.noniaque  ;  mais 
il  conifessa  qu'il  n'avait  janiais  eu  aucun 
commerce  avec  le  démon,  et  que  la  magie  cl 
la  sorcellerie  (hors  les  maléfices)  consis- 
taient seulement  en  quelques  prestiges,  au 
moyen  desquels  l'esprit  malin  trompe  les 
ignorants.  »  —  Thevel  n'admet  pas  ces  pal- 
liatifs. «On  ne  peut  nier,  dil-il,  qu'Agrippa 
n'ait  été  ensorcelé  de  la  plus  fine  et  exécrable 
magie,  de  laquelle,  au  vu  et  au  su  de  chacun, 
il  a  fait  profession  manifeste.  Il  était  si 
subtil ,  qu'il  grippait  de  ses  mains  crochues 
des  trésors  que  beaucoup  de  vaillants  capi- 
taines ne  pouvaient  gagner  par  le  cliquetis 
de  leurs  armes  et  leurs  combats  furieux.  Il 
composa  le  livre  de  la  Philosophie  occulte, 
censuré  parles  chrétiens,  pour  lequel  il  lut 
chassé  de  Flandre,  où  il  ne  puldorénavant  être 
souft'ert;  de  manière  qu'il  prit  la  route  d'Ita- 
lie, qu'il  empoisonna  tellement  que  plusieurs 
gens  de  bien  lui  donnèrent  encore  la  chasse, 
et  il  n'eut  rien  de  plus  hâtif  que  de  se  retirer 
à  Dôle.  Enfin  il  se  rendit  à  Lyon,  dénué  de 
facultés  ;  il  y  employa  toutes  sortes  de  moyens 
pour  vivoter,  remuant  le  mieux  qu'il  pouvait 
la  queue  du  bâton  ;  mais  il  gagnait  si  peu, 
qu'il  mourut  en  un  chélif  cabaret,  abhorré  de 
tout  le  monde,  et  délesté  comme  un  magicien 
maudit,  parce  que  toujours  il  menait  en  sa 
compagnie  un  diable  sous  la  figure  d  un 
chien  noir.  » 

Paul  Jove  ajoute  qu'aux  approches  de  sa 
mort,  comme  on  le  pressait  de  se  repentir,  il 
ôla  à  ce  chien,  qui  était  son  démon  familier, 
un  collier  garni  de  clous  qui  formaient  des 
inscriptions  nécromantiques,  et  lui  dit  :  Va- 
t'en  ,  malheureuse  bête  ,  c'est  toi  qui  m'as 
perdu;  qu'alors  le  chien  pril  aussitôt  la  fuite 
vers  la  rivière  de  Saône,  s'y  jeta  la  tête  en 
avant  et  ne  reparut  plus. 

Delancre  rapporte  autrement  celte  mort, 
qui  n'eut  pas  lieu  dans  un  cabaret  de  Lyon, 
mais ,  comme  nous  l'avons  dit ,  à  Grenoble. 
«  Ce  misérable  Agrippa,  dit-il,  fut  si  aveuglé 
du  diable,  auquel  il  s'était  soumis,  qu'encore 
qu'il  connût  très-bien  sa  perfidie  et  ses  arti- 
fices, il  ne  les  put  éviter,  étant  si  bien  enve- 
loppé dans  les  rets  d'icelui  diable,  qu'il  lui 
avait  persuadé  que,  s'il  voulait  se  laisser 
tuer,  la  mort  n'aurait  nul  pouvoir  sur  lui,  et 
qu'il  le  ressusciterait  et  le  rendrait  immor- 
tel ;  ce  qui  advint  autrement,  car  Agrippa 
s'élant  fait  couper  la  tête,  prévenu  de  celle 
fausse  espérance,  le  diable  se  moqua  de  lui 
et  ne  voulut  (aussi  ne  le  pouvait-il)  lui  re- 

(3)  Tableau  de  l'inconstance  des  démons,  liv.  V. 


ss 


DICTIONNAIIΠ DES  SCIENCRS  OCCULTES. 


ss 


donner  la  vie  pour  lui  laisser  le  moyen  de 
déplorer  ses  crimes.  » 

Wiériis ,  qui  fui  disciple  d'Agrippa  .  dit 
qu'en  effet  cet  homme  aviiil  beaucoup  d'af- 
fection pour  les  chiens,  qu'on  en  voyait  con- 
stamment deux  dans  son  cluilc,  donl  l'un  se 
nommait  Monsieur  et  l'autre  Mademoiselle  , 
et  qu'on  prélendail  que  ces  deux  chiens  noirs 
étaient  deux  diables  déguisés. —  Tout  cela 
n'empêche  pas  qu'on  ne  soit  persuadé,  dans 
quelques  provinces  arriérées,  qu'Agrippa 
n'est  pas  plus  mort  que  Nicolas  Flamel,  et 
qu'il  se  conserve  dans  un  coin,  ou  par  l'art 
magique,  ou  par  l'élixir  do  longue  vie.  Voy. 

ClRAJfO. 

AGUAPA,  arbre  des  Indes  orientales  dont 
on  prétend  que  l'ombre  est  venimeuse.  Un 
homme  velu,  qui  s'endort  sous  cet  arbre,  se 
relève  tout  enflé;  et  Ion  assure  qu'un  hom- 
me nu  crève  sans  ressource.  Les  habitants 
altribuenl  à  la  méchnnclé  du  diable  ces 
cruels  effets.  Voy.  Bouon-Upas. 

AGUEKUE.  Sous  Henri  IV,  dans  cette  par- 
tie des  Basses-Pyrénées  qu'on  appelait  le 
pays  de  Labour,  on  fit  le  procès  en  sorcelle- 
rie à  un  vieux  coquin  de  soixante-treize  ans, 
qui  se  nommait  Pierre  d'Aguerre,  et  qui  cau- 
sait beaucoup  de  maux  par  empoisonne- 
ments, dits  sortilèges.  On  avait  arrêté,  en 
même  temps  que  lui,  Marie  d'Aguerre  et 
Jeanne  d'.\guerre,  ses  petites-filles  ou  ses 
petites-nièces,  avec  d'autres  jeunes  filles,  et 
les  sorcières  qui  les  avaient  menées  au  sab- 
bat. Jeanne  d'Aguerre  exposa  les  turpitudes 
qui  se  commettaient  dans  les  grossières  or- 
gies où  on  l'avait  conduite;  elle  y  avait  vu 
le  diable  en  forme  de  bouc.  .Marie  d'Aguerre 
déposa  que  le  démon  adoré  au  sabbat  s'ap- 
pelait Léonard,  qu'elle  l'avait  vu  en  sa  forme 
de  bouc  sortir  du  fond  d'une  grande  cruche 
placée  au  milieu  de  l'assemblée  ,  qu'il  lui 
avait  paru  prodigieusement  haut,  et  qu'à  la 
6n  du  sabbai  il  était  rentré  dans  sa  cruche. 
—  Deux  témoins  ayant  affirmé  qu'ils  avaient 
TU  Pierre  d'Aguerre  remplir  au  sabbat  le 
personnage  de  maître  des  cérémonies,  qu'ils 
avaient  vu  le  diable  lui  donner  un  bâton  doré 
avec  lequel  il  rangeait,  comme  un  meslre- 
de-camp ,  les  personnes  et  les  choses ,  tt 
qu'ils  1  avaient  vu  à  la  fin  de  l'assemblée 
rendre  au  diable  son  bâton  de  commande- 
ment (1),  Pierre  d'Aguerre  fut  condamné  à 
mort  comme  sorcier  avéré.  Voy.  Bouc  et 
Sabbat. 

AIGLE.  L'aigle  a  toujours  été  un  oiseau 
de  présage  chez  les  anciens.  Valère-Maxime 
rapporte  que  la  vue  d'un  aigle  sauva  la  vie 
au  roi  Déjotarus ,  qui  ne  fiisait  rien  sans 
consulter  les  oiseaux  :  comme  il  s'y  connais- 
sait, il  comprit  que  l'aigle  qu'il  voyait  le  dé- 
tournait d'aller  loger  dans  la  maison  qu'on 
lui  avait  préparée ,  et  qui  s'écroula  la  nuit 
suivante.  De  profonds  savants  ont  dit  que 
l'aigle  a  des  propriétés  surprenantes  ,  entre 
autres  celle-ci  ,  que  sa  cervelle  desséchée  , 
«lise  en  poudre ,  imprégnée  de  suc  de  ciguc 

(1)  DcljiHTe, Tableau  Je  l'inconstaiicedcs  démons,  etc., 
liv.  Il,  discours  l. 

(2)  Admiraljles  secrets  d'Albert  le  Granit,  liv.  Il,  ch.  m. 


et  mangée  en  ragoût ,  rend  si  furieux  ceux 
qui  se  sont  permis  ce  régal ,  qu'ils  s'arra- 
chent les  cheveux  et  se  déchirent  jusqu'à  ce 
qu'ils  aient  complètement  achevé  leur  diges- 
tion. Le  livre  qui  contient  cette  singulière 
recelte  (2)  donne  pour  raison  de  ses  effets 
que  «la  grande  chaleur  de  la  cervelle  de 
l'aigle  forme  des  illusions  fantastiques  en 
bouchant  les  conduits  des  vapeurs  et  en  rem- 
plissant la  tète  de  fumée.  »  C'est  ingénieux 
et  clair.  Voy.  Pierre  d'Aigle. 

On  donne  en  alchimie  le  nom  d'aigle  à  dif- 
férentes combinaisons  savantes.  L'aigle  cé- 
leste est  une  composition  de  mercure  réduit 
en  essence,  qui  passe  pour  un  remède  uni- 
versel ;  l'aigle  de  Vénus  est  une  composition 
de  vert- de-gris  et  de  sel  ammoniac,  qui  for- 
ment un  safran  ;  Vaigle  noir  est  une  composi- 
tion de  celle  cadmie  vénéneuse  qui  se  nomme 
cobalt,  et  que  quelques  alchimistes  regardent 
comme  la  matière  du  mercure  philosophi- 
que. 

AIGUILLES.  On  pratique  ainsi,  dans  quel- 
ques localités,  une  divination  par  les  aiguil- 
les. —  On  prend  vingt-cinq  aiguilles  neuves  ; 
on  les  met  dans  une  assiette,  sur  laquelle  on 
verse  de  l'eau.  Celles  ()ui  s'affourthcnt  Us 
unes  sur  les  autres  annoncent  autant  d'en- 
nemis. On  conte  qu'il  est  aisé  de  faire  mer- 
veille avec  de  simples  aiguilles  à  coudre,  en 
leur  communiquant  une  vertu  qui  enchante. 
Kornmann  écrit  ceci  (3)  :  «  Quant  à  ce  que 
les  magiciens  cl  les  enchanteurs  font  avec 
l'aiguille  dont  on  a  cousu  le  suaire  d'un  ca- 
davre, aiguille  au  moyen  de  laquelle  ils  peu- 
vent lier  les  nouveaux  mariés  ,  cela  ne  doit 
pas  s'écrire ,  de  crainte  de  faire  naître  la 
pensée  d'un  pareil  expédient...  » 

AIGUILLETTE.  On  appelle  nouement  de 
l'aiguillette  un  charme  qui  frappe  tellement 
l'imagination  de  deux  époux  ,  ignorants  ou 
superstitieux  ,  qu'il  s'élève  entre  eux  une 
sorte  d'antipathie  dont  les  accidents  sont 
très-divers.  Ce  charme  est  jeté  par  des  mal- 
veillants qui  passent  pour  sorciers.  Voy. 
Ligatures. 

AIMANT  (Magnes),  principal  producteur 
de  la  vertu  magnétique  ou  attractive.  —  Il 
y  a  sur  l'aimant  queliiues  erreurs  populaires 
qu'il  est  bon  de  passer  en  revue.  On  rap- 
porte des  choses  admirables,  dit  le  docteur 
Brown  (4),  d'un  certain  aimant  qui  n'attire 
pas  seulement  le  fer,  mais  la  chiiir  aussi. 
C'est  un  aimant  très  faible,  composé  surtout 
de  terre  glaise  semée  d'un  petit  nombre  de 
lignes  magnétiques  et  terrées.  La  lerre  glaise 
qui  en  est  la  base  fait  qu'il  s'altathe  aux 
lèvres,  comme  Ihémalite  ou  la  terre  de 
Lemnos.  Les  médecins  qui  joignent  celle 
pierre  à  l'aélile  lui  donnent  mal  à  propos  la 
vertu  de  prévenir  les  avortements. 

On  a  dit,  de  toute  espèce  daimanl,  que 
l'ail  peut  lui  enlever  sa  propriété  attractive; 
opinion  certainement  fausse  ,  quoi(]u'elle 
nous  ait  été  transmise  par  Solin,  Pline,  Plu- 
tarque,  Mathiole,  etc.  Toutes  les  expériences 

(.■5)  De  Mirab.  mort.,  pars  V,  c;ip.  smi. 

(îj  Lssai  sur  les  erreurs,  etc.,  liv.  li,  ch.  ui. 


57 


AIM 


l'ont  démentie.  Un  fil  d'archal  rougi,  puis 
éteint  dans  le  jus  d'ail,  ne  laisse  pas  de  con- 
server sa  vertu  polaire;  un  morceau  d'ai- 
mant enfoncé  dans  l'ail  aura  la  même  puis- 
sance attractive  qu'auparavant  ;  des  aiguilles 
laissées  dans  l'ail  jusqu'à  s'y  rouiller  n'en 
retiendront  pas  moins  celle  force  d'attrac- 
tion. 

On  doit  porter  le  môme  jugement  de  cette 
autre  assertion,  que  le  diamant  a  la  vertu 
d'empêcher  l'attraction  de  l'aimant.  Placez 
un  diamant  (si  vous  en  avez)  entre  l'aimant 
et  l'aiguille,  vous  les  verrez  se  joindre,  dus- 
sent-ils passer  par-dessus  la  pierre  précieuse. 
Les  auteurs  que  nous  combattons  ont  sûre- 
ment pris  pour  des  diamants  ce  qui  n'en  était 
pas. 

Mettez  sur  la  même  ligne,  continue  Brown, 
cette  autre  merveille  contée  par  certains  rab- 
bins, que  les  cadavres  humains  sont  magné- 
litiues,  et  que,  s'ils  sont  étendus  dans  un 
bateau,  le  bateau  tournera  jusqu'à  ce  que  la 
tête  du  corps  mort  regarde  le  septentrion. — 
François  Rubus,  qui  avait  une  crédulité  très- 
solide,  reçoit  comme  vrais  la  plupart  de  ces 
faits  inexplicables.  Mais  tout  ce  qui  tient  du 
prodige,  il  l'attribue  aux  prestiges  du  dé- 
mon (1),  et  c'est  un  moyen  facile  de  sortir 
d'embarras. 

Disons  un  mot  du  tombeau  do  Mahomet. 
Beaucoup  de  gens  croient  qu'il  est  suspendu, 
à  Mcdine,  entre  deux  pierres  d'aimant  pla- 
cées avec  art,  l'une  au-dessus  et  l'autre  au- 
dessous  ;  mais  ce  tombeau  est  de  pierre 
comme  tous  les  autres,  et  bâii  sur  le  pavé 
du  temple.  — On  lit  quelque  part,  à  la  vérité, 
que  les  mahométans  avaient  conçu  un  pa- 
reil dessein;  ce  qui  a  donné  lieu  à  la  fable 
que  le  temps  et  l'éloignement  des  lieux  ont 
fait  passer  pour  une  vérité,  et  que  l'on  a  es- 
sayé d'accréditer  par  des  exemples.  On  voit 
dans  Pline  que  l'architecte  Dinocharès  com- 
mença de  voûter,  avec  des  pierres  d'aimant, 
le  temple  d'Arsinoé  à  Alexandrie,  afin  de  sus- 
pendre en  l'air  la  statue  de  cette  reine;  il 
mourut  sans  avoir  exécuté  ce  projet,  qui  eût 
échoué. —  Ilufin  conte  que  dans  le  temple 
de  Sérapis  il  y  avait  un  chariot  de  fer  que 
des  pierres  d'aimant  tenaient  suspendu  ;  que, 
ces  pierres  ayant  été  ôlées,  le  chariot  tomba 
e!  se  brisa.  Bède  rapporte  également,  d'après 
des  contes  anciens,  que  le  cheval  de  Belléro- 
phon,  qui  était  do  fer,  fut  suspendu  entre 
deux  pierres  d'aimant. 

C'est  sans  doute  à  la  qualité  minérale  de 
l'aimant  qu'il  faut  attribuer  ce  qu'assurent 
quelques-uns,  que  les  blessures  faites  avec 
des  armes  aimantées  sont  plus  dangereuses 
et  plus  dirn<:i;es  à  guérir,  ce  qui  est  détruit 
par  l'expérience;  les  incisions  faites  par  des 
ciiirurgiens  avec  des  instruments  aimantés 
ne  causent  aucun  mauvais  eflVi.  Rangez  dans 
la  même  classe  l'opinion  qui  fait  de  l'aimant 
un  poison,  parce  que  des  auteurs  le  placent 
dans  le  catalogue  des  poisons.  Garcias  de 
Huerta,  médecin  d'un  vice-roi  espagnol,  rap- 

(1)  Discours  sur  les  pierres  précieuses  dunl  il  est  fait 
menliOQ  daiu  l'Apocalypse. 


AJO  r,8 

porte,  au  contraire,  que  les  rois  de  Ceyiau 
avaient  coutume  de  se  faire  servir  dans  des 
plats  de  pierre  d'aimant,  s'imaginanl  par  là 
conserver  leur  vigueur. 

On  ne  peut  attribuer  qu'à  la  vertu  magné- 
tique ce  que  dit  ^tins,  que,  si  un  goutteux 
tient  quelque  temps  dans  sa  main  une  pierre 
d'aimant,  il  ne  se  sent  plus  de  douleur,  ou 
que  du  moins  il  éprouve  un  soulagement. 
C'est  à  la  même  vfrlu  qu'il  faut  rapporter 
cetju'assure  Marcellus  Empiricus,  que  l'ai- 
mant guérit  les  maux  de  tête.  Ces  effets  mer- 
veilleux ne  sont  qu'une  extension  gratuite 
de  sa  vertu  attractive  ,  dont  tout  le  monde 
convient.  Les  hommes  s'élant  aperçus  de 
celle  force  secrète  qui  attire  les  corps  ma- 
gnétiques, lui  ont  donné  encore  une  attrac- 
tion d'un  ordre  différent,  la  vertu  de  tirer  la 
douleur  de  toufes  les  parties  du  corps  ;  c'est 
ce  qui  a  l'ail  ériger  l'aimant  en  philtre. 

On  dit  aussi  que  l'aimant  resserre  les 
nœuds  de  l'amitié  paternelle  et  de  l'union 
conjugale,  en  même  temps  qu'il  est  très- 
propre  aux  opérations  magiques.  Les  basi- 
Ildiens  en  faisaient  des  talismans  pour  chas- 
ser les  démons.  Les  fables  qui  regardent  les 
vertus  de  cette  pierre  sont  en  grand  nom- 
bre. Dioscoride  assure  qu'elle  est  pour  les 
voleurs  un  utile  auxiliaire;  quand  ils  veu- 
lent piller  un  logis,  dit-il,  ils  allument  du 
feu  aux  quatre  coins  et  y  Jettent  des  mor- 
ceaux d'aimant.  La  fumée  qui  en  résulte  est 
si  incommode,  que  ceux  qui  habitent  la  mai- 
son sont  forcés  de  l'abandonner.  Malgré  l'ab- 
surdité de  cette  fable,  mille  ans  après  Diosco- 
ride,  elle  a  été  adoptée  par  les  écrivains  qui 
ont  compilé  les  prétendus  secrets  merveil- 
leux d'Albert"  le  (îrand. 

Mais  on  ne  trouvera  plus  d'aimant  com- 
parable à  celui  de  Laurent  Guasius.  Cardan 
affirme  que  toutes  les  blessures  faites  avec 
des  armes  frottées  de  cet  aimant,  ne  cau- 
saient aucune  douleur. 

Encore  une  fable  :  je  ne  sais  quel  écri- 
vain assez  grave  a  dit  que  l'aimant ,  fer- 
menté dans  du  sel,  produisait  et  formait 
le  petit  poisson  appelé  réniore,  lequel  pos- 
sède la  vertu  d'attirer  l'or  du  puits  le  plus 
profond.  L'auteur  de  cette  recette  savait 
qu'on  ne  pourrait  jamais  le  réfuter  par  l'ex- 
périence (2)  ;  et  c'est  bien  dans  ces  sortes  de 
choses  qu'il  ne  faut  croire  que  les  faits 
éprouvés. 
AIMAR.  Voy.  Baguette. 

AJOURNEMENT.  On  croyait  assez  généra- 
lement autrefois  que,  si  quelque  0|)primé,  au 
moment  de  mourir,  prenait  Dieu  pour  juge  , 
et  s'il  ajournait  son  oppresseur  au  tribunal 
suprême,  il  se  faisait  toujours  une  manifes- 
tation du  gouvernement  temporel  do  la  Pro- 
vidence. Nous  ne  parlons  de  l'ajournement 
du  grand  mailre  des  Templiers,  qui  cita  le 
pape  et  le  loi  de  France,  que  pour  remar- 
quer que  cet  ajournement  a  été  inventé  après 
coup.  Voy.  Templiers. 

Mais  le  roi  d'Aragon  ,  Ferdinand  IV,  fui 

(2)  Brown,  au  lieu  cilû 


DICTIONNAIIIE  DES  SCIEiNCEà  OCClLThS. 


40 


ajourné  par  deux  gentilsliommcs  injuslc- 
inent  con(i<tinncs,ct  tnourul  au  bout  de  trente 
jours. 

Enéfis  Sylvius  raconte  que  François  I", 
iluc  df  Brciagiic,  ayant  fait  assassiner  son 
fièrc  (en  IV'  0),  ce  prince,  en  mourant, ajonr- 
ua  son  nieurlricr  devant  Dieu,  et  que  le  duc 
expira  au  jour  fixé. 

On  avait  autrefois  grande  confiance  en  ces 
njournenicnts  ,  et  les  dernières  paroles  des 
mourants  étaient  redoutées.  On  cite  même 
une  foule  d'exemples  qui  feraient  croire 
qu'un  condamné  peut  toujours,  à  sa  der- 
nière heure,  en  api>eler  ainsi  d'un  juge  ini- 
que ;  si  ce  n'était  qu'une  idée,  dans  les  temps 
barbares  elle  pouvait  être  salutaire.  Mais 
n'élait-ee  qu'une  idée?  Uelancre  dit  qu'un 
innocent  peut  ajourner  son  juge ,  mais  que 
l'ajourncnient  d'un  coupable  est  sans  effet. 
Comme  les  sorciers  ajournaient  leurs  con- 
damnateurs,  il  raconte,  d'après  Paul  Jove, 
que  Gonzalve  de  Cordoue  ayant  condamné 
à  mort  un  soldat  sorcier,  ce  soldat  s'écria 
qu'il  mourait  injustement,  et  qu'il  ajournait 
(ironzalve  à  comparaître  devant  le  tribunal 
de  Dieu.  —  Va,  va,  lui  dit  Gonzalve,  hâte- 
toi  d'aller  et  fais  instruire  le  procès  ;  mon 
fière  Alphonse,  qui  est  dans  le  ciel,  compa- 
raîtra pour  moi.  —  L'ajournement  ne  lui  fut 
pas  falul. 

Ballade  de  l'ajournement. 

La  Revue  de  Paris  a  publié  en  1831  l'analyse 
d'une  singulière  ballade  espagnole.  Nous 
reproduisons  ici  celle  pièce  pathétique  en 
résumé. 

Solisa,  l'infante,  seule  dans  son  oratoire, 
versait  des  larmes  et  se  disait  avec  déses- 
poir qu'il  n'y  aurait  plus  de  mariage  pour 
elle.  Le  roi  son  père  la  surprit  en  ce  mo- 
ment, et,  cherchant  à  la  consoler,  il  apprit 
d'elle  que  le  comte  Alarcos  l'avait  aimée  ; 
puis  qu'il  l'avait  oubliée  pour  en  épouser 
une  autre  depuis  trois  ans.  Le  roi  fait  venir 
le  comte  et  le  somme  de  tenir  la  parole  qu'il 
a  donnée  jadis  à  sa  fille. 

—  Je  ne  nierai  pas  la  vcrilé,  répond  Alar- 
cos ;  je  craignais  que  Votre  Majesté  ne  vou- 
lût jamais  consentir  à  m'accorder  la  main  de 
ga  fille.  Je  me  suis  uni  à  une  autre  femme. 

—  Vous  *ous  en  débarrasserez,  dit  le  roi. 

—  Epargnez,  sire,  celle  qui  est  innocente  ; 
ne  me  condamnez  pas  à  un  ailreux  assas- 
sinat. 

Le  roi  est  inflexible;  il  faut  que  la  com- 
tesse meure  cette  nuit  même,  ou  que  le  comte 
ail  la  tèle  tranchée  le  lendemain. 

Alarcos  retourne  à  sa  demeure,  triste  pour 
sa  femme  et  pour  ses  trois  enfants.  Il  aper- 
çoit la  comtesse  sur  sa  porte  (Un  jeune  page 
avait  pris  les  devants  pour  la  prévenir  du 
retour  de  son  époux). 

—  Soyez  le  bicn-v<nu,  mon  Seigneur,  dit- 
elle.  Hélas  I  vous  baissez  la  tète?  Dites-moi 
pourquoi  vous  pleurez?  ' 

—  Vous  le  saurez  ;  mais  ce  n'est  pas 
l'heure,  répondit-il  ;  nous  souptrons  el  je 
vous  dirai  tout  plus  tard. 

On  sert  le  souper  ;   la  comtesse  se  place 


auprès  d'Alarcos,  pâle  et  triste  ,  mais  elle  ne 
mange  ni  ne  boit.  Ses  enfants  étaient  silen- 
cieux auprès  de  leur  père.  Tout  à  coup  il 
penche  sa  léle  sur  la  table  el  cache  avec  ses 
mains  son  visage  en  larmes. 

—  J'ai  besoin  de  dormir,  dit-il. 

H  savait  bien  qu'il  n'y  aurait  pas  de  som- 
meil pour  lui  cette  nuit-là. 

Les  deux  époux  entrent  dans  la  chambre 
et  y  demeurent  seuls  avec  leur  plus  jeune 
enliinl  encore  à  la  mamelle.  Le  comte 
ferme  les  portes  aux  verroux  ,  ce  qu'il  n'a- 
vait p.Ts  l'habitude  de  faire. 

—  Femme  malheureuse  I  s'écrie-t-il ,  et 
moi  le  plus  à  plaindre  des  hommes  1 

—  Ne  parlez  pas  ainsi ,  mon  noble  sei- 
gneur; elle  ne  saurait  être  malheureuse  celle 
qui  est  l'épouse  d'Alarcos. 

—  Trop  malheureuse  cependant,  cardans 
le  mol  que  vous  venez  de  prononcer  est 
compris  tout  votre  malheur.  Sachez  qu'avant 
de  vous  connaître  j'avais  juré  à  l'infiinte  que 
je  n'aurais  jamais  d'autre  épouse  qu'elle;  le 
roi,  notre  seigneur,  sait  tout;  aujourd'hui  l'in- 
fante réclame  ma  main  ;  el,  mol  fatal  à  pio- 
noneer,  pour  vous  punir  d'avoir  été  préfé- 
rée à  l'infante,  le  roi  ordonne  que  vous  mou- 
riez celte  nuit. 

—  Ksl-ce  donc  là ,  répondit  la  comtesse 
effrayée,  le  prix  de  ma  tendresse  soumise  ? 
Ahl  ne  me  tuez  pas,  noble  comte,  j'em- 
brasse vos  genoux  ;  renvoyez-moi  dans  la 
maison  de  mon  père,  où  j'étais  si  heureuse  , 
où  je  vivrai  solilairc,  où  j'élèverai  mes  trois 
enfants. 

—  Cela  ne  se  peut...  mon  serment  a  été 
terrible...  Vous  devez  mourir  avant  le  jonr. 

—  Ahl  il  se  voit  bien  que  je  suis  seule  sur 
la  terre  ;  mon  père  est  un  vieillard  infirme... 
ma  mère  est  dans  son  cercueil,  et  le  fier  don 
Garcia  est  mort...  lui,  mon  vaillant  frère, 
que  ce  lâche  roi  fit  périr.  Oui ,  je  suis 
seule  el  sans  appui  en  Espagne...  Ce  n'est 
pas  la  mort  que  je  crains,  mais  il  m'en  coûte 
de  quilier  mes  fils...  Laissez-moi  du  n)oins 
les  presser  encore  sur  mon  cœur,  les  embras- 
ser une  dernière  fois  avant  do  mourir. 

—  Embrassez  celui  qui  est  là  dans  son 
berceau  ;  vous  ne  reverrez  plus  les  autres. 

—  Je  voudrais  au  moins  le  temps  de  dire 
un  Ave. 

—  Dites-le  vite. 
Elle  s'agenouilla. 

—  0  Seigneur  Dieul  dit-elle,  en  ce  moment 
de  terreur,  oubliez  mes  péchés ,  ne  vous 
souvenez  que  de  votre  miséricorde. 

Quand  elle  eut  prié,  elle  se  releva  plus 
calme. 

—  Alarcos,  dit-elle,  soyez  bon  pour  les 
gages  de  notre  amour  et  priez  pour  le  repos 
de  mon  âme...  Et  maintenant  donnez-moi 
noire  enfant  sur  mon  sein,  qu'il  s'y  puisse 
désaltérer  une  dernière  fois,  avant  que  le 
froid  de  la  mort  ait  glacé  le  lait  de  sa  mère. 

—  Pourquoi  réveiller  le  pauvre  enf.iiit? 
Vous  voyez  qu'il  dort.  Préparez-vous  ;  le 
temps  presse  ;  l'auroro  couimence  à  pa- 
raître. 

—  Eh  bien  1  écoute-moi,  comte  Alarcos; 


41 


ALB 


ALn 


42 


je  te  pardonne.  Mais  je  ne  puis  pardonner  à  ce 
roi  si  cruel,  ni  à  sa  fille  si  fière.  Que  Dieu 
les  punisse  du  meurtre  d'une  chrétienne.  Je 
les  nppelle ,  de  ma  voix  mourante,  devant 
le  trône  de  l'Eternel,  d'ici  à  trente  jours. 

Alarcos,  barbare  et  ambitieux,  étrangla 
la  pauvre  comtisse  avec  son  mouchoir.  Il  la 
recouvrit  avec  les  draps  du  lit  ;  puis,  appe- 
i;int  ses  écuycrs,  il  leur  fit  un  faux  récit 
pour  les  tromper,  et  s'en  alla  épouser  l'in- 
fanie. 

Mais  la  vengeance  céleste  s'accomplit  au- 
delà  des  malédictions  de  la  comtesse;  car, 
av.nnl  que  le  mois  fût  expiré,  trois  âmes  cou- 
pables, le  roi,  l'infante  et  le  comte,  parurent 
devant  Dieu... 

AKHMlN,villedelamoyenneThcbaïde,qui 
avait  autrefois  le  renom  d'être  la  demeure  des 
plus  grands  magiciens  (1).  Paul  Lucas  parle, 
dans  son  second  voyage  (2),  du  serpent  mer- 
veilleux d'Akhmin,  que  les  musulmans  ho- 
norent comme  un  ange  ,  et  que  les  chré- 
tiens croient  être  le  démon  Asmodée  Voy 
Haridi. 

AKIBA,  rabbin  du  premier  siècle  de  notre 
ère,  qui,  de  simple  berger,  poussé  par  l'es- 
poir d'obtenir  la  main  d'une  jeune  fille  dont 
il  était  épris,  devint  un  savant  renommé.  Les 
Juifs  disent  qu'il  fut  instruit  par  les  esprits 
élémentaires,  qu'il  savait  conjurer,  et  qu'il 
eut,  dans  ses  jours  d'éclat,  jusqu'à  quatre- 
vingt  mille  disciples...  On  croit  qu'il  est  au- 
teur du  Jelzirah,  ou  livre  de  la  création,  at- 
tribué par  les  uns  à  Abraham,  et  par  d'au- 
tres à  Adam  même.  Voy.  Abraham. 

ALAIN  DE  L'ISLE  (Insulensis),  religieux 
bernardin,  évêque  d'Auxerre  au  douzième 
siècle,  auteur  àe  l'Explication  des  prophéties 
de  Merlin  (Explanalionesin  prophetias  Mer- 
Uni  Angli;  Francfort,  1608,  in-8°).  Il  composa 
ce  commentaire,  en  1170,  à  l'occasion  du 
grand  bruit  que  faisaient  alors  lesdites  pro- 
phélies.  Un  autre  Alain  ou  alanus,  qui  vi- 
vait dans  le  même  siècle,  a  laissé  pour  les 
alchimistes  un  livre  intitulé  :  Dicta  de  lapide 
philosophico  ,  in-8°;  Leyde,  1600. 

ALARY  (François),  songe-creux,  qui  a 
fait  imprimer  à  Rouen,  en  1701,  la  Prophétie 
du  comte  Bombaste,  chevalier  de  la  Rose- 
Croix, neveu  de  Paracelse,  publiée  en  l'année 
1609,  sur  la  naissance  de  Louis  le  Grand. 

ALASTOR,  démon  sévère,  exécuteur  su- 
prême des  sentences  du  monarque  infernal. 
Il  fait  les  fonctions  de  Néinésis.  Zoroastre 
l'appelle  le  bourreau;  Origène  dit  que  c'est 
le  même  qu'Azazel;  d'autres  le  confondent 
avec  l'ange  exterminateur.  Les  anciens  ap- 
pelaient les  génies  malfaisants  Alastores  ;  et 
Plutarque  dit  que  Cicéron,  par  haine  contre 
Auguste,  avait  eu  le  projet  de  se  tuer  auprès 
du  foyer  de  ce  prince  pour  devenir  son  alas- 
tor. 

ALBERT  LE  GRAND  ,  Albert  le  Teuto- 
nique,  Albert  de  Cologne  ,  Albert  de  Ralis- 
bonne  ,  Alberlus  Grolus  ,  car  on  le  désigne 
tous  tous  ces  noms  (le  véritable  était  Albert 

ft)  D'Hcrbflot,  Bibliollièque  orieiilale. 
2)  Liv.  V,  l.  II,  p.  85. 
s)  Veycz.,  dans  les  légemlei  de  la  sainte  Vierge,  la 

DlCTlONN.    DES    SCIENCES    OCCULTES.    L 


(le  Groot),  savant  et  pieux  dominicain,  mis 
à  tort  au  nombre  des  magiciens  par  les  dé- 
monographes,  fut,  dit-on,  le  plus  curieux  de 
tous  les  hommes.  11  naquit  dans  la  Souabe, 
à  Lawigen  sur  le  Danube,  en  1203.  D'un  es- 
prit fort  grossier  dans  son  jeune  âge,  il  de- 
vint, à  la  suite  d'une  vision  qu'il  eut  de  la 
sainte  Vierge,  qu'il  servait  tendrement  et  qui 
lui  ouvrit  les  yeux  de  l'esprit,  l'un  des  plus 
grands  docteurs  de  son  siècle.  Il  fut  le  maître 
de  saint  Thomas  d'Aquin.  Vieux,  il  retomba 
dans  la  médiocrité,  comme  s'il  dûl  être  évi- 
dent que  son  mérite  et  sa  science  étendue 
n'étaient  qu'un  don  miraculeux  et  tempo- 
raire. —  D'anciens  écrivains  ont  dit,  après 
avoir  remarqué  la  dureté  naturelle  de  sa 
conception,  que  d'âne  il  avait  été  transmué 
en  philosophe  ;  puis,  ajoutent-ils,  de  philo- 
sophe il  redevint  âne  (3). 

Albert  le  Grand  fut  évêque  de  Ratishonne 
et  mourut  saintement  à  Cologne ,  âgé  de 
quatre-vingt-sept  ans.  Ses  ouvrages  n'ont  été 
publiés  qu'en  1631  ;  ils  forment  21  volumes 
in-fol.Enles  parcourant,  on  admire  un  savant 
chrétien;  on  ne  trouve  jamais  rien  qui  ait 
pu  le  charger  de  sorcellerie.  Il  dit  formelle- 
ment au  contraire  :  «  Tous  ces  contes  de  dé- 
«  mons  qu'on  voit  rôder  dans  les  airs,  et  de 
«  qui  on  tire  le  secret  des  choses  futures, 
«  sont  des  absurdités  que  la  saine  raison 
«  n'admettra  jamais  (4).  »  —  C'est  qu'on  a 
mis  sous  son  nom  des  livres  de  secrets  mer- 
veilleux, auxquels  il  n'a  jamais  eu  plus  de 
part  qu'à  l'invention  du  gros  canon  et  du 
pistolet  que  lui  attribue  Matthieu   de  Luna. 

Mayer  dit  qu'il  reçut  des  disciples  de  saint 
Dominique  le  secret  de  la  pierre  philoso- 
phale,  et  qu'il  le  communiqua  à  saint  Tho- 
mas d'Aquin;  qu'il  possédait  une  pierre 
marquée  naturellement  d'un  serpent,  et  douée 
de  cette  vertu  admirable,  que  si  on  la  met- 
tait dans  un  lieu  que  les  serpuits  fréquen- 
tassent, elle  les  attirail  tous;  qu'il  employa, 
pendant  trente  ans,  toute  sa  science  de  ma- 
gicien et  d'astrologue  à  faire,  de  métaux  bien 
choisis,  et  sous  l'inspection  des  astres,  un 
automate  doué  de  la  parole,  qui  lui  servait 
d'oracle  et  résolvait  toutes  les  questions 
qu'on  lui  proposait:  c'est  ce  qu'on  appelle 
l'androïde  d'Albert  le  Grand;  que  cet  auto- 
mate fut  anéanti  par  saint  Thomas  d'Aquin. 
qui  le  brisa  à  coups  de  bâton,  dans  l'idée 
que  c'était  un  ouvrage  ou  un  ag^ent  du  diable. 
On  sent  que  tous  ces  petits  faits  sont  des 
contes.  On  a  donné  aussi  à  Virgile,  au  papo 
Sylvestre  II,  à  Roger  Bacon,  de  pareils  an- 
droïdes.  Vaucanson  a  montré  que  c'était  un 
pur  ouvrage  de  mécanique. 

Une  des  plus  célèbres  sorcelleries  d'Albert 
le  Grand  eut  lieu  à  Cologne.  Il  donnait  uu 
banquet,  dans  son  cloître,  à  Guillaume  II, 
comte  de  Hollande  et  roi  des  Romains;  c'é- 
tait dans  le  cœur  de  l'hiver;  la  salle  du  fes- 
tin présenta,  à  la  grande  surprise  de  la  cour, 
la  riante  parure  du  printemps;  mais,  ajoute- 
t-on,  les  fleurs  se  flétrirent  à  la  tin  du  repas. 

vision  fie  l'écolier. 
(4)  De  Soinii.  (■tïig.,Iib.  III,  tricl.  I,  cap.  vui. 


il 


niCTlONNAlRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


4i 


A  une  époque  où  l'on  ne  connaissait  point 
les  serres  chaudes,  l'élégante  prévenance  du 
bon  et  savant  roligiiux  dut  surprendre.  — 
Os  qn'il  appelait  lui-même  ses  opérations 
magiques  n'élaient  ainsi  que  de  la  magie 
Manche. 

Finissons  en  disant  que  son  nom  d'Albert 
le  Grand  n'est  pas  un  nom  acquis  par  la 
fîloire,  mais  la  simple  traduction  de  son  nom 
de  famille,  Albert  de  Groot. 

On  lui  attribue  donc  le  livre  intilulé  :  les 
Admirables  secrets  d'Albert  le  Grand,  conle- 
iiant  plusieurs  traités  sur  les  vertus  des  her- 
bes, des  pierres  précieuses  et  des  animaux, 
rtc,  augmentés  d'un  abrégé  curieux  de  la 
physiognononiie  et  d'un  préservatif  contre  la 
peste,  les  fièvres  malignes,  les  poisons  et 
l'infection  de  l'air,  tirés  et  traduits  des  an- 
riens  manuscrits  de  l'auteur  qui  n'avaient 
pas  encore  paru,  etc.,  in-18,  in-24,  in-12. 
lîxcepté  du  bon  sens,  on  trouve  de  tout  dans 
ce  fatras,  jusqu'à  un  traité  des  fientes  qui , 
«  quoique  viles  et  méprisables,  sont  cepen- 
«  dant  en  estime,  si  on  s'en  sert  aux  usages 
•  prescrits.  »  Le  récoliecteur  de  ces  secrets 
débute  par  une  façon  de  prière  ;  après  quoi 
il  donne  la  pensée  du  prince  des  philosophes, 
lequel  pense  que  l'homme  est  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur  dans  le  monde,  attendu  la  grande 
sympathie  qu'on  découvre  entre  lui  et  les  si- 
gnes du  ciel,  qui  est  au-dessus  de  nous  et, 
par  conséquent,  nous  est  supérieur. 

Le  livre  1"  traite  principalement,  et  de  la 
manière  la  plus  inconvenante,  de  l'influence 
des  planètes  sur  la  naissance  des  enfants,  du 
merveilleux  effet  des  cheveux  de  la  femme, 
des  monstres,  de  la  façon  de  connaître  si  une 
femme  enceinte  porte  un  garçon  ou  une  Olle, 
du  venin  que  les  vieilles  femmes  portent 
dans  les  yeux,  surtout  si  elles  y  ont  de  la 
chassie,  etc.  Toutes  ces  rêveries  grossières 
sont  fastidieuses,  absurdes  et  fort  sales. 

On  voit,  dans  le  livre  II,  les  vertus  de  cer- 
taines pierres,  de  certains  animaux,  et  les 
merveilles  du  monde,  des  planètes  et  des 
aslrps.  —  Le  livre  III  présente  l'excellent 
traité  des  fientes,  de  singulières  idées  sur 
les  urines,  les  punaises,  les  vieux  souliers 
et  la  pourriture;  des  secrets  pour  amollir  le 
fer,  pour  manier  les  métaux,  pour  dorer  l'é- 
tain  et  pour  nettoyer  la  batterie  de  cuisine. 

Enfin,  le  livre  IV  est  un  traité  de  physio- 
gnomonie,  avec  des  remarques  savantes,  des 
observations  sur  les  jours  heureux  et  mal- 
heureux, des  préservatifs  contre  la  fièvre, 
des  purgatifs,  des  receltes  de  cataplasmes  et 
autres  choses  de  même  nature.  Nous  rappor- 
terons en  leur  lieu  ce  qu'il  y  a  de  curieux 
dans  ces  extravagances  ;  et  le  lecteur  trou- 
vera, comme  nous,  étonnant  qu'on  vende 
chaque  année  par  milliers  d'exemplaires  les 
secrets  d'Albert  le  Grand  aux  pauvres  habi- 
tants des  campagnes. 

Le  solide  Trésor  du  Petit  Albert,  ou  secrets 
merveilleux  de  la  magie  naturelle  et  cabalis- 
tique, traduit  exactement  sur  l'original  laliu 
intitulé  :  «  Alberli  Parvi  Lircii  liber  do  mira- 
bilibus  naturœ  arcanis,  »  enrichi  de  figures 
«lyslérieuses,  et  la  manière   de  les  faire  (ce 


sont  des  figures  de  talismans).  Lyon,  chez 
les  héritiers  de  Beringos  fratres,  à  l'enseigne 
d'Agrippa.  In-18,  6516  (année  cabalistique). 
—  Albert  le  Grand  est  également  étranger 
à  cet  autre  recueil  d'absurdités,  plus  dange- 
reux que  le  premier,  quoiqu'on  n'y  trouve 
pas,  comme  les  paysans  se  l'imaginent .  les 
moyens  d'évoquer  le  diable.  On.y  voit  la 
manière  de  nouer  et  de  dénouer  l'aiguillette, 
la  composition  de  divers  philtres,  l'art  do 
savoir  en  songe  qui  on  épousera,  des  secrets 
pour  faire  danser,  pour  multiplier  les  pi- 
geons ,  pour  gagner  au  jeu ,  pour  rétablir  le 
vin  gâté,  pour  faire  des  talismans  cabalisti- 
ques, découvrir  les  trésors,  se  servir  de  la 
main  de  gloire,  composer  l'eau  ardenle  et  lo 
feu  grégeois,  la  jarretière  et  le  bâton  du  voya- 
geur ,  l'anneau  d'invisibilité ,  la  poudre  de 
sympathie,  l'or  artificiel,  et  enfin  des  remè- 
des contre  les  maladies,  et  des  gardes  pour 
les  troupeaux. 

ALBERT  D'ALBY.  Voy.  Cartomancie. 

ALBERT  DE  SAINT-JACQUES,  moine  du 
dix-septième  siècle,  qui  publia  un  livre  inti- 
tulé :  Lumière  aux  vivants  par  l'expérience 
des  morts,  on  d\\ erses  apparitions  des  âmes 
du  purgatoire  de  notre  siècle.  In-8',Lyon, 
1675. 

ALBIGEOIS,  espèce  de  manichéens  très- 
perfides,  dont  l'hérésie  éclata  dans  le  Lan- 
guedoc, et  eut  pour  centre  Albi.  Ils  admet- 
taient deux  principes,  disant  que  Dieu  avait 
produit  de  lui-même  Lucifer,  qui  était  ainsi 
son  fils  aîné  ;  que  Lucifer,  fils  de  Dieu,  s'é- 
tait révolté  contre  lui  ;  qu'il  avait  entraîné 
dans  sa  rébellion  une  partie  des  anges  ;  qu'il 
s'était  vu  alors  chassé  du  ciel  avec  les  com- 
plices de  son  crime;  qu'il  avait ,  dans  son 
exil ,  créé  ce  monde  que  nous  habitons,  où 
il  régnait  et  où  tout  allait  mal.  Ils  ajoutaient 
que  Dieu,  pour  rétablir  l'ordre,  avait  pro- 
duit un  second  fils ,  qui  était  Jésus-Christ. 

Ce  singulier  dogme  se  présentait  avec  des 
variétés,  suivant  les  différentes  sectes.  Pres- 
que toutes  niaient  la  résurrection  de  la  chair, 
l'enfer  et  le  purgatoire,  disant  que  nos  âmes 
n'étaient  que  des  démons  logés  dans  nos  corps 
en  châtiment  de  leurs  crimes.  —  Les  albigeois 
avaient  pris,  dès  la  fin  du  douzième  siècle, 
une  telle  consistance,  cl  de  si  odieux  excès 
marquaient  leur  passage,  que,  les  remon. 
trances  et  les  prédications  étant  vaines,  il 
fallut  faire  contre  eux  une  croisade,  dont 
Simon  de  Montfort  fut  le  héros.  On  a  déna- 
turé et  faussé  parles  plus  insignes  menson- 
ges l'histoire  de  cette  guerre  sainte;  on  a 
oublié  que,  si  les  albigeois  eussent  triomphé, 
l'Europe  retombait  dans  la  barbarie.  11  est 
vrai  que  leurs  défenseurs  sont  les  protestants, 
héritiers  d'un  grand  nombre  de  leurs  erreurs, 
et  les  philosophes,  amateurs  assez  souvent 
de  leurs  désordres. 

ALBIGERIUS.  Les  démonngraphes  disent 
que  les  possédés,  par  le  moyen  du  diable, 
tombent  quelquefois  dans  des  extases  pen- 
dant lesquelles  leur  âme  voyage  loin  du 
corps,  et  fait  à  son  retour  des  révélations  de 
choses  secrètes.  C'est  ainsi ,  comme  dit 
Lcloyer ,  que  les  corybantcs  devinaient  et 


4E  âLB 

prophélisaicnt.  Saint  Augustin  parle  d'un 
Carthaginois,  nommé  Albigérius,  qui  savait 
par  ce  moyen  tout  ce  qui  se  faisait  hors  de 
chez  lui.  Chose  plus  étrange,  ajoule-t-il,  cet 
Albigérius,  à  la  suite  de  ses  extases,  révé- 
lait souvent  ce  qu'un  autre  songeait  dans  le 
plus  secret  de  sa  pensée.  Etait-ce  du  ma- 
gnétisme? 

Saint  Augustin  cite  un  autre  frénétique 
qui,  dans  une  grande  fièvre,  étant  possédé 
du  mauvais  esprit,  sans  extase  ,  mais  bien 
éveillé,  rapportait  fuièlement  tout  ce  qui  se 
faisait  loin  de  lui.  Lorsque  le  prêtre  qui  le 
soignait  était  à  six  lieues  de  la  maison,  le 
diable,  qui  parlait  par  la  bouche  du  malade, 
disait  aux  personnes  présentes  en  quel  lieu 
était  le  prêtre  à  l'heure  qu'il  parlait  et  ce  qu'il 
faisait,  etc.  Ces  choses-là  sont  surprenantes. 
Mais  l'âme  immortelle,  suivant  la  remarque 
d'Aristoie,  peut  quelquefois  voyager  sans  le 
corps  (1). 

ALBINOS.  Nom  que  les  Portugais  ont 
donné  à  des  hommts  d'une  blancheur  ex- 
trême, qui  sont  ordinairement  enfants  Je  nè- 
gres. Les  noirs  les  regardent  comme  des 
monstres,  et  les  savants  ne  savent  à  quoi  at- 
tribuer celte  blancheur.  Les  albinos  sont  pâ- 
les comme  des  spectres  ;  leurs  yeux,  faibles 
el  languissants  pendant  le  jour,  sont  brillants 
à  la  clarté  de  la  lune.  Les  noirs,  qui  don- 
nent aux  démons  la  peau  blanche,  regardent 
les  albinos  comme  des  enfants  du  démon.  Us 
croient  qu'ils  peuvent  les  combattre  aisé- 
ment pendant  le  jour,  mais  que  la  nuit  les 
albinos  sont  les  plus  forts  et  se  vengent.  Dans 
le  royaume  de  Loango,  les  albinos  passent 
pour  de.s  démons  champêtres  el  obtiennent 
quelque  considération  à  ce  titre. 

Vossius  dit  qu'il  y  a  dans  la  Guinée  des 
peuplades  d'albinos.  Mais  comment  ces  peu- 
plades subsisteraient-elles,  s'il  est  vrai  que 
ces  infortunés  ne  se  reproduisent  point?  Il 
paraît  que  les  anciens  connaissaient  les  al- 
binos. «  On  assure,  dit  Pline,  qu'il  existe  en 
Albanie  des  individus  qui  naissent  avec  des 
cheveux  blancs,  des  yeux  de  perdrix  ,  et  ne 
voient  clair  que  pendant  la  nuit.»  Il  ne  dit 
pas  que  ce  soit  une  nation,  mais  quelques 
sujets  affectés  d'une  maladie  particulière. 
«  Plusieurs  animaux  ont  aussi  leurs  albinos, 
ajoute  M.  Salgues  ;  les  naturalistes  ont  ob- 
servé des  corbeaux  blancs ,  des  merles 
blancs  ,  des  taupes  blanches  ;  leurs  yeux 
sont  rouges,  leur  peau  est  plus  pâle  et  leur 
organisation  plus  faible  (2).  x 
ALBOKACK.  Voy.  Borack. 
ALBUAIAZAU,  astrologue  du  ix"  siècle,  né 
dans  le  Kborassan,  connu  par  son  traité  as- 
trologique intitulé  Milliers  d'années,  où  il 
affirme  que  le  monde  n'a  pu  être  créé  que 
quand  les  sept  planètes  se  sont  trouvées  en 
conjonction  dans  le  premier  degré  du  Bélier, 
et  que  la  fin  du  monde  aura  lieu  quand  ces 
sept  planètes  (qui  sont  aujourd'hui  au  nom- 
bre de  douze)  se  rassembleront  dans  le  der- 
nier degré  des  Poissons.  On  a  traduit  en  la- 

Îl)  Leioyer,  Hisl.  el  dise,  des  spectres,  liv.  IV. 
îj  Dus  erreurs  et  des  pri'jiigés,  eto  ,  l.  I,  p.  179. 


ALC 


40 


tin  el  imprimé  d'Albnmazar  le  Tractatns  fin- 
rum  astrologiœ;  in-4°,  Augsbourg,  1V88.  On 
peut  voir  dans  Casiri,  Bibliolh.  arab.  hispan., 
I.  I,  p.  351,  le  catalogue  de  ses  ouvrages. 

ALBUNÉE.  Voy.  Sibylles. 

ALGHABITIUS.  Voy.  Abdel-Azys. 

ALGHliMIE.  L'alchimie  ou  chimie  par  ex- 
cellence, qui  s'appelle  aussi  philosophie  her- 
métique, est  cette  partie  émincnte  de  la  chi- 
mie qui  s'occupe  de  l'art  de  transmuer  les 
métaux.  Son  résultat,  en  expectative,  est  la 
pierre  philosoohalo.  Voy.  Pierre  piiiloso- 

PHALE. 

ALCHINDUS,  que  Wiérus  (3)  met  au 
nombre  des  magiciens,  mais  que  Delrio  (k) 
se  contente  de  ranger  parmi  les  écrivains 
superstitieux  ,  était  un  médecin  arabe  du 
xi"^^  siècle  ,  qui  employait  comme  rentède  les 
paroles  charmées  et  dos  combinaisons  de,  chif- 
fres. Des  démonologues  l'ont  déclaré  suppôt 
du  diable  à  cause  de  son  livre  intitulé  :  Théo- 
rie des  arts  magiques,  qu'ils  n'ont  point  lu  ; 
car  Jean  Pic  de  la  Mirandole  dit  qu'il  ne  con- 
naît que  trois  hommes  qui  se  soient  occupés 
de  la  magie  naturelle  et  permise  :  Alchin- 
dus ,  Roger  Bacon  et  Guillaume  de  Paris. 
Alchindus  était  simplement  un  peu  physi- 
cien dans  des  temps  d'ignorance.  —  A  son 
nom  arabe,  Alcendi,  qu'on  a  latinisé,  quel- 
ques-uns ajoutent  le  prénom  de  Jacob  ;  on 
croit  qu'il  était  mahométan.  —  On  lui  repro- 
che d'avoir  écrit  des  absurdités.  Par  exem- 
ple, il  croyait  expliquer  les  songes  en  disant 
qu'ils  sont  l'ouvrage  des  esprits  élémentaires, 
qui  se  montrent  à  nous  dans  le  sommeil  et 
nous  représentent  diverses  actions  fantasti- 
ques ,  comme  des  acteurs  qui  jouent  la  co- 
médie devant  le  public. 

ALCOUAN.  Voy.  Koran 

ALCYON.  Une  vieille  opinion,  qui  subsiste 
encore  chez  les  habitants  des  côies,  c'est  que 
l'alcyon  ou  martin-pôcheur  est  une  girouette 
naturelle,  et  que  ,  suspendu  par  le  bec,  il 
désigne  le  côté  d'où  vient  le  vent,  en  tournant 
sa  poitrine  vers  ce  point  de  l'horizon.  Ca 
qui  a  mis  cette  croyance  en  crédit  parmi  le 
peuple,  c'est  l'observation  qu'on  a  laite  que 
l'alcyon  semble  étudier  les  vents  el  les  devi- 
ner lorsqu'il  établit  son  nid  sur  les  flots,  vers 
lesolsticed'hiver.  Mais  cette  prudence  est-elle 
dansl'alcyonuneprévoyancequi  lui  soitpar- 
ticulière  ?  N'est-ce  pas  simplement  un  instinct 
de  la  naiure  qui  veille  à  la  conservation  do 
cette  espèce?  «  Biin  des  choses  arrivent,  dit 
Brown,  parce  que  le  premier  moteur  l'a 
ainsi  arrêté,  el  la  nature  tes  exécute  par  des 
voies  qui  nous  sont  inconnues.  » 

C'est  encore  une  ancienne  coutume  de 
conserver  les  alcyons  dans  des  coffres  ,  avec 
l'idée  qu'ils  préservent  des  vers  les  étoffe.'J 
de  laine.  On  n'eut  peut-être  pas  d'autre  but 
en  les  pendant  au  plafond  des  chambres.  «Je 
crois  même  ,  ajoute  Brown  ,  qu'en  les  sus- 
pendant par  le  bec  on  n'a  pas  suivi  la  mé- 
thode des  anciens  qui  les  suspendaient  par 
le  dos  ,  afin  que  le  bec  marquât  les  veate. 

(5)  De  Praesligi'u,  lib.  II,  cap.  m. 
(4)  Disquisit.  M^iaiiLC.  lib.  I,  cap.  m. 


tn 


I  K.TIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


iZ 


Car  c'est  ninsi  que  Kiikor  a  décrit  l'hiron- 
delle de  mer.  »  Disons  aussi  qu'autrefois  , 
en  tonservanl  cet  oiseau,  on  croyait  que  ses 
plumes  se  renouvelaient  comme  s'il  eût  été 
.  "ivant,  et  c'est  ce  qu'Albert  le  Grand  espéra 
I  inutilement  dans  ses  expériences  (1). 

'  Outre  les  dons  de  prédire  le  vent  et  de  chas- 
ser les  vers,  on  attribue  encore  à  l'alcyon  la 
précieuse  qualité  d'enrichir  son  possesseur, 
d'entrenir  l'union  dans  les  familles  et  de 
communiquer  la  beauté  aux  femmes  qui 
portent  ses  plumes.  Les  Tartares  et  les  Os- 
tiaks  ont  une  très-grande  vénération  pour 
cet  oiseau.  Us  recherchent  ses  plumes  avec 
empressement,  les  jettent  dans  un  grand 
«ase  d'eau,  gardent  avec  soin  celles  qui  sur- 
nagent ,  persuadés  qu'il  suffit  de  toucher 
quelqu'un  avec  ses  plumes  pour  s'en  faire  ai- 
mer.Quand  un  Ostiak  est  assez  heureux  pour 
posséder  un  alcyon,  il  en  conserve  le  bec, 
les  p.ittes  et  la  peau  ,  qu'il  met  dans  une 
bourse  ,  et ,  tant  qu'il  porte  ce  trésor,  il  se 
croit  à  l'abri  de  tout  malheur  (2).  C'est  pour 
lui  un  talisman  comme  les  fétiches  des  nè- 
gres. 

ALDON.  Voy.  Granson. 
ALECTORIENNE  (Pierre).  Voy.  Coq. 
ALECTRYOMANCIE  ou  ALECTROMAN- 
CIE.  Divination  par  le  moyen  du  coq,  usitée 
chez  les  anciens.  Voici  quelle  était  leur  mé- 
thode :  —  On  traçait  sur  le  sable  un  cercle 
que  l'on  divisait  en  vingt- quatre  espaces 
égaux.  On  écrivait  dans  chacun  de  ces  es- 
paces une  lettre  de  l'alphabet;  on  mettait 
sur  chaque  lettre  un  grain  d'orge  ou  de  blé; 
on  plaçait  ensuite,  au  milieu  du  cercle,  uu 
coq  dressé  à  ce  manège  ;  on  observait  sur 
quelles  lettres  il  enlevait  le  grain  ;  on  en 
suivait  l'ordre,  et  ces  lettres  rassemblées 
formaient  un  mot  quidonnait  la  solution  dece 
que  l'on  cherchait  à  savoir.  Des  devins , 
parmi  lesquels  on  cite  Jamblique ,  voulant 
connaître  le  successeur  de  l'empereur  Va- 
lens,  employèrent  l'alectryornancie  ;  le  coq 
lira  les  lettres  Théod....  Valens,  instruit  de 
cette  particularité  ,  fit  mourir  plusieurs  des 
curieux  qui  s'en  étaient  occupés,  et  se  déOl 
même  ,  s'il  faut  en  croire  Zonaras ,  de  tous 
les  hommes  considérables  dont  le  nom  com- 
mençait par  les  lettres  fatales.  Mais,  malgré 
ses  efforts ,  son  sceptre  passa  à  Théodose  le 
Grand.  Cette  prédiction  a  été  faite  après 
coup. 

Ammien-Marceilin  raconte  la  chose  au- 
iremeiit.  Il  dit  que  sous  l'empire  de  Valens 
un  comptait,  parmi  ceux  qui  s'occupaient 
de  magie,  beaucoup  de  gens  de  qualité  et 
<]uelques  philosophes.  Curieux  de  savoir 
quel  serait  le  sort  de  l'empereur  régnant, 
ils  s'assemblèrent  pendant  la  nuit  dans  une 
des  maisons  affectées  à  leurs  cérémonies  : 
ils  commencèrent  par  dresser  un  trépied 
•le  racines  et  de  rameaux  de  laurier,  qu'ils 

(1)  Brown,  Erreurs  populaires,  liv.  Ht,  cti.  x. 

(2)  M.  Salgucs,  Des  Erreurs  el  dos  préjugés,  t.  Ht, 
|>.  374 

(5)  Jean  Buri'l,tn,  so|'lilsle  du  quartorrième  siècle,  qui 
wuluuail  i^u'uu  iuc  pusé  juste  au  uiilieu  du  deux  picutius 


consacrèrent  par  dhorrihles  imprécations  • 
sur  ce  trépied  ils  placèrent  un  bassin  fortni 
de  différents  métaux,  et  ils  rangèrent  autour, 
à  distances  égales,  toutes  les  lettres  de  l'al- 
phabet. Alors  le  sorcier  le  plus  savant  de  la 
compagnie  s'avança  ,  enveloppé  d'un  long 
voile,  la  tète  rasée,  tenant  à  la  main  dis 
feuilles  de  verveine  ,  et  faisant  à  grands  cris 
d'effroyables  invocations  qu'il  accompagnait 
deconvulsions.Ensuite,s'arrétanltoutàcoup. 
devant  le  bassin  magique,  il  y  resta  immo- 
bile ,  tenant  un  anneau  suspendu  par  un  fil. 
C'était  de  la  dactylomancie.  A  peine  il  ache- 
vait de  prononcer  les  paroles  du  sortilège, 
qu'on  vit  le  trépied  s'ébranler,  l'anneau  se 
remuer,  et  frapper  tantôt  une  lettre,  tantôt 
une  antre.  A  mesure  que  ces  lettres  étaient 
ainsi  frappées ,  elles  allaient  s'arranger 
d'elles-mêmes,  à  côté  l'une  de  l'autre,  sur 
une  table  où  elles  composèrent  des  vers  hé- 
roïques qui  étonnèrent  toute  l'assemblée. 

Valens,  informé  de  cette  opération  ,  et 
n'aimant  pas  qu'on  interrogeât  les  enfers  sur 
sa  destinée,  punit  les  grands  et  les  philoso- 
phes qui  avaient  assisté  à  cet  acte  de  sorcel- 
lerie :  il  étendit  même  la  proscription  sue 
tous  les  philosophes  et  tous  les  sorciers 
de  Rome.  11  en  périt  une  multitude  ;  et  les 
grands,  dégoûtés  d'un  art  qui  les  exposait  à 
des  supplices,  abandonnèrent  la  magie  à  la 
populace  et  aux  vieilles,  qui  ne  la  firent  plus 
servir  qu'à  de  petites  intrigues  et  à  des  ma- 
léfices subalternes.  Voy.  Coq,  Mariage,  etc. 

M.  de  Junquières,  au  k^  chant  de  Caquet- 
Bonbec,  la  Poule  à  ma  tante ,  donne  des  dé- 
tails exacts  et  curieux  sur  les  opérations  des 
alectryomanciens.  Ou  nous  permettra  do 
Is  citer  : 

Leur  coutume  est,  en  rendant  leur  oracles, 

De  se  servir  de  coqs,  et  c'est,  dit-on, 

De  là  qu'en  grec  est  dérivé  leur  nom. 

D'abord  ces  coqs  doivent  être  coqs  vierges  ; 

Puis  dans  un  coin,  au  milieu  de  trois  cierges. 

Est  élevé,  sur  des  pieds  en  sautoir. 

Comme  un  autel  rond,  plat,  de  marbre  noir. 

Au  bord  duquel,  dans  deux  circonférence», 

Sont  vidés,  à  d'égales  distances. 

Vingt-quatre  creux  ayant  chacun  devant 

De  l'alpliabet  une  lettre  d'argent. 

Quand  au  sorcier  arrive  une  pratique, 

Il  prend  d'abord  sa  baguette  magique. 

Roule  les  yeux,  et  trace  sans  compas 

Un  cercle  en  l'air,  prononce  à  demi  bas 

Qnq  ou  six  mots  inconnus  et  qu'il  forge. 

Dans  chaque  case  il  dépose  un  grain  d  orge. 
Choisit  son  coq  à  jeun,  le  met  debout 
Sur  cet  autel,  bien  au  centre  surto'it. 
Du  centre  aux  grains,  dont  l'odeur  l'éleclrise. 
Le  coq  bientôt  s'avance  (quoi  qu'en  dise 
Jean  Buridan)  (3),  en  croque  deux  ou  trois, 
Ou  plus,  ou  moins.  De  ceux  dont  il  fait  choix 
Le  sorcier  suit  les  lettres  sans  rien  dire, 
El  puis,  feignant  que  quelque  dieu  l'inspireL 
D'après  cela  débite  hardiment 
Une  réponse.  On  paie  honnêloment 
Et  l'on  s'en  va  très-instruit.  Dans  la  suite. 
S'il  s'est  trouvé  menteur,  il  eu  est  quitte 
Pour  dire  aux  gens  qu'ils  ne  l'ont  pas  compris. 
Notre  devin,  grand,  sec,  à  cheveux  gris, 
Avait  l'honneur,  disaii-on,  de  descendre, 
Du  côté  gauche,  il  est  vrai,  du  Cassandre. 

d'avoine  également  pleins  et  agissant  avec  une  même 
force  sur  ses  organes,  se  laisserait  mourir  de  fain,  ne 
pouvant  jamais  se  déterminer  à  l'un  plutôt  ([u'ii  l'autre. 
Or,  dans  l'exemple  présent  tous  les  mvoiis  soiii  éj-aux 

(lYole  du  poêin*.  j 


49  ALE 

(iileinbredain  (1)  élail  son  nom.  Le  sort 
Semblait  toujours  être  avec  lui  d'accoril, 
Il  n»  s'était,  assuie  la  chronique, 
Jamais  trompé,  hors  une  fois  unique, 
Ou'un  jeune  gars,  croyant  beaucoup  valoir, 
Vint  tout  exprès  le  trouver  pour  savoir 
Quel  rang,  un  jour,  il  aurait  dans  le  monde. 
Le  coq,  posé  lors  sur  la  table  ronde, 
Prit  sans  choisir,  quatre  grains  qu'il  croqua, 
Dont  le  devin  les  lettres  reniar(|ua. 
Elles  formaient  le  mot  frip,  mot  barbare 
Et  propre  i  faire  enrager  un  ignare. 
Le  grand  docteur,  maître  Calembredain, 
D'après  ce  mot,  au  jeune  homme  sondiiiii 
Dit  qu'il  serait  fripier  ;  niais  notre  drôle, 
Se  sentant  né  pour  faire  un  autre  rôle, 
lit  d'un  métier  si  vil  ayant  horreur. 
Prit  une  étude  et  se  fit  procureur. 
Donc,  pour  n'avoir  trouvé  frip  analogue 
Ou'au  iwol  fripier,  cet  habile  astrologue 
Pour  cette  l'ois  prit  à  gauche.  En  tout  cas, 
Quel  est  celui  qui  ne  se  trompe  pas? 

ALÈS  (Alexandre),  ami  de  Mélanchlhon, 
né  en  1500  à  Edimbourg.  Il  raconte  que,  dans 
sa  jeunesse,  étanl  moulé  sur  le  sommet  d'une 
très- haute  montagne,  il  Dt  un  faux  pas  et 
roula  dans  Un  précipice.  Comme  il  était  près 
de  s'y  engloutir,  il  se  seutil  transporter  en 
un  autre  lieu,  sans  savoir  par  qui  ni  com- 
ment, ei  se  retrouva  sain  et  sauf,  exempt  de 
contusions  et  de  blessures.  Quelques-uns 
attribuèrent  ce  prodige  aux  amulettes  qu'il 
portait  au  cou,  selou  l'usage  des  enfants  de 
ce  temps-là.  Pour  lui,  il  l'attribue  à  la  foi  et 
aux  prièi'es  de  ses  parents,  qui  n'étaient  pas 
hérétiques. 

ALESSANORO  ALESSANDRI,  en  latin 
Alexander  ab  Alexandro,  —  jurisconsulte  na- 
politain, mort  en  1523.  Il  a  publié  un  recueil 
rare  de  dissertations  sur  les  choses  merveil- 
leuses (2).  Il  y  parle  de  prodiges  arrivés  ré- 
cemment en  Italie,  de  songes  vériQés,  d'ap- 
paritions et  de  fantômes  qu'il  dit  avoir  vus 
lui-même.  Par  la  suite,  il  a  fondu  ces  disser- 
tations dans  son  livre  Genialium  dierutn,  où 
il  raconte  toutes  sortes  de  faits  prodigieux. 
Nous  en  citerons  un  qui  lui  est  personnel. 

Il  fit, un  soir,  la  partie  d'aller  coucher,  avec 
quelques  amis,  dans  une  maison  de  Rome 
que  des  fanlômcs  et  des  démons  hantaient 
depuis  long-temps.  Au  milieu  de  la  nuit, 
comme  ils  étaient  rassemblés  daus  la  même 
chambre,  avec  plusieurs  lumières,  ils  virent 
paraître  un  grand  spectre,  qui  les  épouvanta 
par  sa  voix  terrible  et  par  le  bruit  qu'il  fai- 
sait en  sautant  sur  les  meubles  et  en  cassant 
les  vases  de  nuit.  Un  des  intrépides  de  la 
compagnie  s'avança  plusieurs  fois  avec  de 
la  lumière  au-devant  du  fantôme;  mais,  à 
mesure  qu'il  s'en  approchait,  l'apparition 
s'éloignait;  elle  disparut  entièrement  après 
avoir  tout  dérangé  dans  la  maison 

Peu  de  temps  après,  le  même  spectre  ren- 
tra par  les  fentes  de  la  porte.  Ceux  qui  le 
virent  se  mirent  à  crier.  Alessandro,  qui  ve- 
nait de  se  jeter  sur  un  lit,  ne  l'aperçut  point 
d'abord,  parce  que  le  fantôme  s'était  glissé 
sous  la  couchelte.  Mais  bientôt  il  vit  un 
grand  bras  noir  qui  s'allongea  sur  la  table, 

1)  Calembredain.  C'est  son  nom  oui  a  mis  en  vogue  les 
calembredaines.  (Sole  du  poi.iie.) 

t2j  Alexandfi  jurisperiti    noapulilaui ,   Diisertatioucs 


ALE 


50 


éteignit  les  lumières  et  renversa  les  livres 
avec  tout  ce  qui  s'y  trouvait.  L'obscurité  ren- 
dit l'effroi  plus  violent  encore.  Les  amis  d'A- 
lessandro  hurlèrent.  Pendant  qu'on  appor- 
tait des  flambeaux,  il  remarqua  que  le  fan- 
tôme ouvrit  la  porte  et  s'échappa,  sans  être 
vu  des  domestiques,  n'ayant  fait  du  reste  le 
moindre  mal  à  personne  (.3).  Elait-ce  une 
hallucination  de  jeunes  gens  ivres  ou  une 
espièglerie? 

ALEUROMANCIE,  divination  qui  se  pra- 
ti(iuait  avec  de  la  farine.  On  mettait  des  bil- 
lets roulés  dans  un  tas  de  farine;  on  les  re- 
muait neuf  fois  confusément.  On  partageait 
ensuite  la  masse  aux  différents  curieux,  et 
chacun  se  faisait  un  thème  selon  les  billets 
qui  lui  étaient  échus.  Chez  les  païens,  Apol- 
lon était  appelé  Aleuromantis,  parce  qu'il 
présidait  à  cette  divination.  Il  en  reste  quel- 
ques vestiges  dans  certaines  localités,  où  l'on 
emploie  le  son  au  lieu  de  farine.  C'est  une 
amélioration. 

ALEXANDERab  ALEXANDRO.  Voy.  Ales- 

SANDRO. 

ALEXANDRE  LE  GRAND,  roi  de  Macé- 
doine, etc.  H  a  été  le  sujet  de  légendes  pro- 
digieuses chez  les  Orientaux,  qui  ont  sur  lui 
des  contes  immenses.  Ils  l'appellent  Isken- 
der.  Les  démonographes  disent  qu'Arislole 
lui  enseigna  la  magie;  les  cabalistes  lui  at- 
tribuent un  livre  sur  les  propriétés  des  élé- 
ments; les  rabbins  écrivent  qu'il  eut  un 
songe  qui  l'empêcha  de  maltraiter  les  Juifs, 
lorsqu'il  voulut  entrer  en  conquérant  dans 
Jérusalem. 

La  ligure  d'Alexandre  le  Grand,  gravée 
en  manière  de  talisman  sous  certaines  in- 
fluences, passait  autrefois  pour  un  excellent 
préservatif.  Dans  la  famille  des  Macrins,  qui 
usurpèrent  l'empire  du  temps  de  Valérien, 
les  hommes  portaient  toujours  sur  eux  la 
figure  d'Alexandre;  les  femmes  en  ornaient 
leurs  coiffures,  leurs  bracelets,  leurs  an- 
neaux. Trebellius  PoUio  dit  que  cette  figure 
est  d'un  grand  secours  dans  toutes  les  cir- 
constances de  la  vie,  si  on  la  porte  en  or 
ou  en  argent...  Le  peuple  d'Anlioche  prati- 
quait celte  superstition  ,  que  saint  Jean- 
(ihrysostome  eut  beaucoup  de  peine  à  dé- 
truire. 

Légendes  d'Iskender  Zulcarnain , 
(Alexandre  le  Grand.) 

Les  Orientaux  ont  construit  sur  Alexan- 
dre le  Grand  [Iskender  Zulcarnain,  dans 
leurs  idiomes),  de  longues  et  merveilleuses 
fables  assez  semblables  aux  romans  de  che- 
valerie du  moyen-âge  européen ,  où  des 
exploits  imaginaires  étaient  attribués  à  des 
personnages  véritables,  comme  dans  les  ro- 
mans de  la  Table  ronde  et  des  douze  pairs  de 
Gharlcmagne.  La  fiction  européenne  s'est 
aussi  approprié  le  héros  macédonien,  entre- 
mêlant de  bizarres  inventions  les  récils  au- 
thentiques de  Quinte-Curce  et  d'Arrien.  Nous 

(inatuor  de  rébus  adinirabilibus,  etc.  Rome,  sans  date, 
in-i». 
(3)  Genialium  dicrum,  lib.  V,  cap.  xxui. 


m 

f  laminerons  plus  loin  quelqurs-uncs  de  ces 
compositions  ;  occupons-nous  d'abord  de 
l'histoire  persane  et  arabe  d'Alexandre. 

L'auteur  du  manuscrit  que  nous  dé^iirons 
analyser  (1)  commence  ab  ovo,  comme  dirait 
Horace,  par  la  mortdu  grand-père  d'Alexan- 
dre, Bahman,  roi  de  Perse.  Sa  femme  Bornai, 
qu'il  a  laissée  enceinte,  cache,  dans  des  vues 
ambitieuses,  la  naissance  de  son  (ils  Darab, 
et  l'cspu^e  dans  une  auge  en  bois  sur  les 
eaux  du  Tigre;  il  est  recueilli  par  un  teintu- 
rivr,  qui  l'élève  comme  son  enfant  et  lui 
permet  d'entrer  dans  l'armée  persane,  à  l'oc- 
casion d'une  guerre  avec  les  Grecs.  La  va- 
leur du  jeune  Darab  le  fait  remarquer,  et  il 
est  reconnu  pour  le  fils  de  la  reine  Homai, 
^ui  résigne  la  couronne  en  sa  faveur.  Il 
épouse  la  fille  du  roi  de  la  Grèce,  Filosùf; 
c'est  le  nom  sou»  lequel  Philippe  de  Macé- 
doine est  toujours  désigné  dans  cet  ouvrage. 
Lareine^u(iin/iayanlélé  renvoyée  à  son  père 
par  Darab  son  époux,  c'est  à  la  cour  de  Ma- 
cédoine que  naît  hkender,  le  héros  de  la  lé- 
gende. 

L'histoire  de  Bucépbale  est  racontée  pres- 
que dans  les  termes  des  biographes  grecs  et 
romains,  avec  celle  différence  que  le  cour- 
sierayantsurle  corps  l'empreinle  d'une  tête, 
on  l'avait  appelé  Zulrasayn  (à  deux  têtes), 
comme  qui  dirait  Bicéphale  au  lieu  de  Bucé- 
phale  : 

«  Certains  marchands  de  chevaux  avaient 
fait  présent  au  roi  Filosùf  d'un  cheval  ma- 
gnifique de  taille  et  de  forme,  plein  de  feu  et 
d  ardeur,  mais  si  farouche  qu'on  ne  pouvait 
le  monter  qu'à  l'aide  d'une  bride  de  fer  et  de 
rênes  à  chaînons  d'acier,  qui  lui  tenaient  la 
tête  penchée  sur  le  cou.  On  disait  qu'il  man- 
geait de  la  chair  humaine.  Iskender  l'admira, 
et  le  fit  enfermer  dans  un  édifice  dont  les  fe- 
nêtres étaient  garnies  de  grilles  en  fer,  afin 
qu'il  pût  s'habituer  à  la  vue  de  l'homme  et  fût 
moins  ombrageux.  Sur  le  point  de  partir 
pour  une  expédition,  il  vint  voir  le  cheval  ; 
il  passa  sa  main  à  travers  les  grilles,  et  l'a- 
nimal la  caressa.  Alors  il  le  fit  manger;  et 
comme  il  n'en  reçut  aucun  mal,  il  le  fit  sor- 
tir, et  le  cheval  le  lécha,  agitant  la  queue 
comme  un  jeune  chien.  Iskender  le  capara- 
çonna et  le  monta.  » 

Quand  Filosùf  envoya  demandera  ses  au- 
guresquel  serait  son  héritier,  il  lui  fut  répondu 
que  le  royaume  passerailà  un  enfant  de  samai- 
son,  qui  dompterait  un  cheval  que  personne 
n'aurait  pu  dompter,  et  que  le  nom  de  ce 
cheval  serait  Zulrasayn. 

Le  refus  que  fait  Iskender  de  payer  le  tri- 
but aux  ambassadeurs  persans,  est  suivi 
d'une  invasion  de  la  Perse.  La  veille  d'une 
bataille,  au  milieu  des  préparatifs,  sa  mère 
le  prévint  de  son  arrivée.»  Par  Allah  !  dit-il, 
elle  ne  peut  venir  que  pour  un  sujet  impor- 
tant! »  Il  l'attendit  donc,  et  à  la  nuit  elle  ar- 
riva; elle  entra  dans  l'intérieur  de  la  tente. 
Quand  il  la  vit,  il  s'avança  pour  la  recevoir, 
disant  :  —  O  ma  mère  !  pourquoi  tant  de  fa- 


(1»  Àddiiionat  MSS.  in  Ihe  Britiih  Uuscum. 


DICTIONNAIRE  DKS  SCIENCKS  OCCLILTES  52 

tigue?  Qui  vous  a  engagée  â  ce  voyage  long 
et  dangereux?  Pourquoi  ne  m'avez-vous  pas 
fait  savoir  vos  intentions  par  un  message  ? 
Elle  lui  répondit; — O  mon  fils  1  la  cause  (|ui 
m'amène  vers  vous  ne  m'a  laissé  ni  tranquil- 
lité ni  repos  ;  car  mon  bonheur  en  dépend. 
O  roi  1  qu'avez-vous  fait  de  Dara  (Darius)? 
En  apprenant  que  Dara  était  sauf,  elle  res- 
sentit une  grande  joie,  et  se  prosterna  la  face 
contre  terre  pour  remercier  Dieu.  —  0  mon 
fils!  reprit-elle,  gardez  bien  le  secret  tiue  je 
vais  vous  confier:sachez  donc  que  celui  que 
vous  poursuivez  en  ce  moment  est  votre 
frère,  le  fils  de  votre  père.  Iskender,  éionné, 
la  baisa  au  front,  disant  :  —  Puisque  le  roi 
est  mon  frère,  je  lui  rendrai  ses  provinces  de 
Perse  et  je  retournerai  en  celles  de  Roum. 

Elle  lui  dit  encore  :  Mon  fils,  ne  révélez 
rien  de  ce  secret,  jusqu'à  ceque  leTout  Puis- 
sant vous  ait  fait  rejoindre  le  roi.  Isk-jnuer 
garda  son  secret;  il  dormit  cette  nuit-là,  el 
le  matin  il  se  rcaiit  en  marche  pour  chercher 
sor.  frère. 

L'avis  est  arrivé  trop  tard;  Dara  périt  de 
la  main  des  traîtres,  dont  Alexandre  tire  une 
éclatante  vengeance. 

Après  la  réduction  complète  de  la  Perse,  il 
retourne  en  Macédoine;  enllé  de  ses  succès, 
il  aspire  aux  honneurs  divins  et  veut  être 
adoré.  L'explication  de  ce  désir  impie  soufflé 
par  Iblis  (le  Satan  des  Orientaux),  ne  se 
trouve  dans  aucun  écrivain  classique. 

«  En  contemplant  la  grandeur  de  sa  puis- 
sance, l'éclat  de  ses  conquêtes,  tant  de  peu- 
ples soumis  ou  qui  venaient  se  soumettre, 
Iskender  fut  plongé  dans  les  cinq  enivrements 
de  la  jeunesse,  des  richesses,  de  la  victoire, 
du  nieurtre  de  son  rival  et  de  son  propre 
courage  dans  les  combats.  Iblis  trouva  au- 
près de  lui  un  accès  plus  facile.  Le  maudit 
se  présenta  sous  les  traits  d'un  vieillard, 
vêtu  de  laine  grossière,  et  s'appuyant  sur  un 
bâton.  11  dit  ;  O  roi!  Dieu  le  garde,  je  te 
salue  !  Ton  front  ne  se  courbera  point  de- 
vant les  autels  à  cause  de  ta  magnificence. 
Aie  confiance  en  toi-même  et  en  ton  grand 
pouvoir.  »  Ces  paroles  étonnèrent  Iskender; 
jamais  encore  il  n'avait  entendu  de  salut 
semblable.  Regardant  le  vieillard,  il  vit  que 
son  accoutrement  était  étrange ,  et  quand 
tout  le  monde  fut  sorti,  il  l'emmena  dans  une 
pièce  particulière,  et  lui  dit: — Vieillard,  je 
n'ai  jamais  entendu  salut  plus  extraordinaire 
que  le  tien. 

«  Quel  est  le  sens  de  ces  mots  :  Ton  front  ne 
se  courbera  plus  devant  les  autels  à  cause  de  ta 
magnificence?  Le  maudit  se  mit  à  rire:  Elève 
d'Aristote,  dit-il,  comment  se  fait-il  que  ton 
précepteur  l'ait  caché  ce  que  je  viens  de  dire  ? 
Sache  donc  que  le  sens  de  mes  paroles  est 
ceci  :  que  je  n'ai  pas  vu  de  ton  temps  un 
homme  au-dessus  de  toi,  ou  un  homme  (|ui 
mérite  plus  l'adoration  que  toi  ;  et  que  cel 
les-ci  :  Aie  confiance  en  toi-même  et  en  ton 
grand  pouvoir ,  veulent  dire  que  tu  es  lo 
conseil  de  cel  âge,  le  dieu  de  ce  temps,  le 
seigneur  de  celle  période.  Iblis  ne  cessa  de 
parler  ainsi  jusqu'à  ce  qu'il  eût  subjugué  hi- 
léricuremenl  son  cœur.  » 


C3 


ALE 


ALE 


5* 


Mciis,  selon  d'aulrcs  écrivains  musulmans, 
Alexandre  était  un  vase  d'élection  que  Dieu 
avait  résolu  de  tirer  des  ténèbres  de  l'idolâ- 
trie pour  en  faire  un  apôtre  de  l'islamisme. 
Dans  cette  autre  version  apparaît  un  impor- 
l.int  personnage,  qui,  sous  le  nom  de  Khizzer 
(l'Elie  de  la  Bible),  accompagne  Iskender  dans 
toutes  ses  conquêtes,  et  l'aide  efficacement 
de  ses  conseils  et  de  son  pouvoir  surnatu- 
rel : 

«  Dieu  le  Très-Haut  révéla  à  Khizzer  qu'il 
devait  aller  trouver  Iskender  pour  lui  ensei- 
gner la  vraie  voie,  et  lui  annoncer  qu'il  le 
ferait  le  maître  du  monde,  de  l'orient  à  l'oc- 
cident, tant  de  la  terre  que  des  mers,  depuis 
le  coucher  du  soleil  jusqu'à  son  lever;  qu'il 
soumettrait  des  contrées  que  nul  n'aurait 
parcourues,  et  pénétrerait  dans  des  pays  où 
personne  n'avait  pénétré  avant  lui,  pas  même 
Soliman  ben  Daoud.  Quand  le  Très-Haut  lui 
eut  révélé  tout  cela,  il  partit  des  îles  pour 
Makeduniah;  car  Khizzer  servait  Dieu  dans 
les  îles  de  la  mer,  et  quand  il  vint  à  Make- 
duniah, il  se  présenta  à  la  porte  et  demanda 
où  se  tenait  l'assemblée  du  conseil  présidée 
par  Iskender,  et  on  le  lui  enseigna.  Or,  celte 
assemblée  se  tenait  deux  fois  chaque  se- 
maine; Khizzer  y  assista  la  première  fois, 
et  il  entendit  les  discours  du  peuple  et  ses 
discussions;  le  roi  les  écoutait,  et  quand  ils 
différaient  d'opinion  sur  un  point  difficile,  on 
l'expliquait  à  Iskender  par  une  interprétation 
fidèle.  Khizzer  garda  le  silence  et  ne  proféra  pas 
un  mot  dans  cette  assemblée.  Il  y  revint  une 
seconde  fois  de  la  même  manière,  et  une  troi- 
sième fois.  Quand  il  sortit  la  troisième  fois, 
Iskender  dit: Quel  magnifique  vêtement  por- 
tail ce  jeune  homme  qui  vient  d'assister  pour 
la  troisième  fois  à  mon  assemblée,  et  que  nous 
n'avons  pas  entendu  prononcer  un  seul  motl 
Ceci  dénote  qu'il  est  homme  de  grand  sa- 
voir, ou  qu'il  ne  sait  rien  du  tout.  L'un  de 
ceux  qui  étaient  présents,  dit:  «Je  l'accos- 
terai et  le  questionnerai.  »  L'assemblée  ré- 
pondit :  «  Au  nom  de  Dieu.  » 

t<  Quand  arriva  le  jour  de  l'assemblée, 
Khizzer  vint  pour  la  quatrième  fois  ;  il  s'as- 
sit, et  Iskender  lui  dit  :  —  Quel  est  ton  nom, 
jeune  homme?  Il  répondit: — Elle. — Quel 
est  Ion  prénom?  Il  répondit: —  Abdulabbas. 

—  Et  d'où  viens-tu?  Il  répondit  :  —  De  la 
terre  des  Philistins.  II  lui  demanda  encore: 

—  Qui  l'a  conduit  ici?  et  il  répondit:  — C'est 
loi-même  qui  m'as  conduit  ici.  O  roi  !  je  suis 
venu  à  ton  assemblée;  j'ai  entendu  les  pa- 
roles des  hommes  qui  parlaient  devant  loi  ; 
j'ai  reconnu  qu'elles  étaient  des  paroles  sans 
but.  Sache,  ô  roi  1  que  les  cieux  et  cette 
terre,  et  le  firmament,  qui  marche  la  nuit 
et  le  jour,  ont  un  Créateur  haut  et  puissant, 
vivant  et  éternel;  sache  qu'il  yaun  artisan  de 
ce  mondequiafaitle  ciel,  qui  gouverne  la  ré- 
volution des  astres  et  des  cieux,  le  soleil,  la 
lune  et  les  étoiles,  bienfaisant,  infiniment 
sage,  miséricordieux,  entendant,  voyant, 
existant  de  toute  éternité,  ne  finissant  point 
et  ne  devant  jamais  finir  ni  changer,  trop  ma- 
gnifique pour  être  compris  par  l'intelligence, 
*t  trop  grand  pour  qu'il  lui  soit  trouvé  des 


bornes  ou  aucune  limite  connue;  prévoyant 
tout  ce  qui  peut  être  prévu;  qui  nous  traite 
selon  nos  mérites,  nous  fait  entreprendre  ce 
qui  nous  est  ordonné,  nous  secourt  dans  nos 
difficultés,  nous  répond  quand  nous  le  prions, 
nous  juge  quand  nous  nous  révoltons  contre 
ses  ordres.  » 

Or,  personne  n'avait  osé  dire  un  mot  sem- 
blable dans  l'assemblée  d'Iskender  depuis 
l'arrivée  d'Iblis.  Iskender  cria  à  haute  voix  à 
ses  jeunes  hommes  de  le  prendre,  et  de  l'em- 
prisonner dans  une  chambre  de  son  palais. 
Iblis,  le  maudit,  vint  alors.  «  0  Hakim  1  lui 
dit  Iskender,  il  m'est  venu  un  jeune  homme 
qui  m'a  dit  des  choses  prodigieuses.  J'ai  ap- 
pris cela,  répondit  Iblis,  el  je  venais  te  par- 
ler de  lui  pour  te  tenir  en  garde,  car  c'est  un 
enchanteur  et  un  devin;  et  si  lu  voulais  en 
purifier  la  terre,  il  serait  bien  que  lu  le  fisses 
mourir.  Iskender  lui  dit  :  —  Il  est  en  prison  ; 
et  la  nuit  prochaine  on  lui  tranchera  la 
têle.  » 

Khizzer,  délivré  par  intervention  surnatu- 
relle, est  porté  sur  une  montagne  de  Macé- 
doine: il  est  trouvé  là  par  un  balrik  (géné- 
ral) qu'Alexandre  avait  envoyé  à  sa  recher- 
che. Ce  général  perd  la  plus  grande  partie  de 
sa  troupe,  qui  est  détruite  par  le  souffle  de 
Khizzer.  Sur  une  invitation  plus  amicale, 
Khizzer  retourne  à  la  cour  d'Iskender,  expose 
les  ruses  du  démon,  el  finit  par  convaincre 
le  roi  ,  qui ,  après  avoir  confessé  l'unité 
de  Dieu,  prend  en  même  temps  pour  son 
conseiller  futur  et  son  ami  l'apôtre  de  sa  con- 
version. 

Aussitôt  commence  la  relation  de  la  mar- 
che triomphante  d'Alexandre  à  travers  l'Eu- 
rope, en  passant  par  Rome,  où  il  rencontre 
Bélinas  (Pline),  qui  l'accompagne  dans  son 
expédition. 

Bélinas  fait  un  anneau  royal  qui  a  la  pro- 
priété de  s'élargir  dans  la  proximité  d'un 
poison.  Ce  présent  rend  bientôt  au  roi  un 
éminent  service  ,  car  un  de  ses  courtisans 
essaie  de  le  faire  mourir,  el  le  roi,  prévenu 
par  son  anneau,  échappe  au  danger. 

«Takaphanes  (le  courtisan  empoisonneur), 
est  interrogé  parKhizzer.  Quand  le  crime  est 
prouvé  :  —  0  envoyé  de  Dieu  1  dit  Iskender, 
que  te  semble-l-il  que  nous  devions  faire  en 
un  tel  cas?  C'est  ici  un  crime  qui  ne  mérite 
aucune  pitié,  répond  Khizzer,  et  un  criminel 
qui  n'a  ni  jugement  ni  prudence;  il  est  juste 
qu'il  serve  d'exemple  aux  hommes  et  d'avis 
salutaire  à  tous  ceux  qui  oseraient  tenter 
contre  le  roi  un  crime  semblable.  Qu'une 
grande  fosse  soit  creusée  pour  lui  à  côté 
du  camp;  qu'elle  soit  remplie  de  bois,  et 
qu'on  y  mette  le  feu;  puis,  qu'on  apporte 
les  viandes  empoisonnées,  et  quand  le  cou- 
pable les  aura  mangées,  qu'il  soit  précipité 
dans  les  flammes.  Le  roi  dit  :  —  Voilà  qui  est 
juste.  En  conséquence,  il  donna  l'ordre  de 
ramasser  le  bois.  Quand  il  fut  allumé,  on  ap- 
porta à  Takaphanes  la  viande  qu'il  avait  pré- 
parée pour  le  roi;  on  la  lui  fit  manger,  el 
lorsque  le  poison  commença  à  faire  son  effet, 
Iskender  dit  :  —  Je  resterai,  afin  de  voir  ce 
iiui  me  serait  arrivé.  Eisa  fucc  enfla,  ainsi 


ss 


DICTIONNAinE  DES  SCIENCLS  OCtUl.TES. 


53 


qae  son  corps,  jusqu'à  ce  qu'il  crovâl  ;  un 
liquide  jnune  coula  de  tout  son  corps.  Alors 
îskeniler  s'en  all.i,  ordonnant  qu'il  fût  jeté 
dans  le  feu.  Ce  qui  fut  fait  en  présence  de 
toute  l'année,  et  il  n'en  était  pas  un  qui  ne 
le  maudit.  » 

Nous  trouvons  ensuite  le  héros  en  Espa- 
ene,  où  le  roi  de  ce  piiys,  Naamah,  embrasse 
la  religion  d'Iskender  et  l'aide  dans  ses  con- 
quéles  en  .\frique.  La  construction  d'un  pont 
à  travers  le  détroit  de  Gibraltar,  attribuée 
Ici  au  «  fou  macédonien,  »  est  sérieusement 
rapportée  par  les  écrivains  orientaux,  qui, 
lorsqu'ils  croient,  étendent  leur  croyance  à 
ses  extrêmes  limites.  Quelques  chroni(|ueurs, 
à  la  vérilé,  racontent  ces  exploits  dilTérem- 
inent.  Selon  eux  Alexandre  trouva  l'Atlanti- 
que et  la  Médilerranéeséparés  par  un  isthme, 
et  il  prit  la  peine  de  le  percer  aux  dépens  de 
quelques-unes  des  plus  belles  villes  des  cAtes 
méridionales  de  l'Europe,  que  détruisirent 
soudain  les  flots  en  se  précipitantde  la  grande 
mer. 

«  Arrivé  an  détroit  de  Gibraltar,  Iskender 
demande  à  un  vieillard  quelle  est  la  distance 
de  ce  rivage  au  bord  opposé?  —  Par  le  che- 
min le  plus  court,  ce  serait  la  journée  d'un 
cavalier  ;  mais  par  la  mer,  c'est  selon  le  temps 
et  le  vent  :  —  Quelle  est  sa  profondeur?  De 
cinquante  verges  à  quelques  endroits;  elle 
diminue  vers  les  bords  comme  une  rivière  : 
—  L'eau  est-elle  dormante  ou  courante? 
L'eau  est  immobile,  et  son  mouvement  vient 
du  vent  :  —  Est-elle  salée  ou  douce?  —  G 
roi!  elle  est  salée;  car  si  elle,  ne  l'était  pas, 
elle  se  corromprait  et  détruirait  le  monde. 
Les  paroles  du  vieillard  plurent  à  Iskender  ; 
il  so  tourna  vers  Khizzer  et  lui  dit  :  O  en- 
voyé de  Dieu  1  j'ai  demandé  toutes  ces  choses 
à  ce  vieillard,  parce  que  j'ai  formé  dans  mon 
esprit  le  projet  de  construire  un  pont  sur  ce 
passage,  afln  qu'on  se  souvienne  de  moi 
dans  les  siècles  reculés.  Quelle  est  ton  opi- 
nion? Il  répondit  :  Dieu  n'a  rien  mis  dans 
Ion  cœur  qui  ne  soit  d'un  bon  augure.  Aie 
courage;  lu  es  un  roi  protégé  et  victo- 
rieux. 

«  Le  roi  appela  Bélinas  et  lui  commanda  de 
rassembler  les  géomètres  et  les  philosophes, 
afin  qu'ils  pussent  exécuter  son  plan;  en  mê- 
me temps  il  fit  venir  des  ouvriers  en  pierre, 
en  fer  et  airain.  Il  fit  étendre  des  tapis  sur 
lesquels  on  répandit  de  l'argent;  des  livres 
decomptefurentdistribués,etil  fit  faire  dans 
l'armée  Cette  proclamation  :  —  0  tribus  des 
hommes  I  réunissez-vous;  que  pas  un  seul 
ne  demeure  en  arrière,  mais  que  tous  pren- 
nent part  à  celte  entreprise;  que  celui  qui 
est  pauvre  prenne  mon  argent  pour  éta- 
blir ses  enfants  ;  que  celui  qui  est  riche  agis- 
se pour  obéir  à  la  volonté  de  Dieu.  Tous 
répondant  à  cet  appel ,  ils  commencèrent  à 
laillerdes  pierres,  à  fondre  l'airain  et  ne  ces- 
sèrent de  travailler  pendant  l'espace  de  trois 
mois.  A  la  lin  de  co  temps,  les  géomètres 
passèrent  dans  les  navires  sur  l'autre  bord 
I)our  choisir  la  place  des  fondations  des  ar- 
ches; Khizzer  et  Bélinas  les  précédaient;  et 
Muand  l'ouvrage  était  dificile,   Dieu  le  leur 


rendait  facile.  Ils  comptèrent  les  arches  d(i 
pont  ,  qui  étaient  au  nombre  de  mille 
trois  cents,  et  la  largeur  du  pont  fut  de  soi- 
xante et  dix  verges.  Quand  ils  eurent  posé 
ces  fondations,  ils  commencèrent  à  bâtir,  el 
quand  ils  eurent  achevé  le  pavage,  Iskender 
passaàchevalavec  dix  des  principaux  chefs, 
il  traversa  le  pont  d'un  bout  à  l'autre  en  un 
jour;  il  employa  un  autre  jour  pour  revenir 
au  camp.  Alors  on  l'orna  de  parapets  de 
chaque  côté  dans  toute  sa  lonjjueur;  et  ce 
pont,  appelé  pont  deSanjah,  fut  achevé  en 
huit  mois....» 

Les  aventures  d'Alexandre  en  Afrique  sont 
peu  variées.  Le  principal  incident  est  le  si- 
lence des  idoles. 

«  Khizzer  alla  en  silence  jusqu'à  ce  (jue  le 
peuple  vînt  à  l'idole;  quand  ils  en  approchè- 
rent, le  roi  (des  idolâtres  )  cria  à  haute  voix  : 
—  0  Dieu  1  seigneur  et  maître,  tu  sais  ce  qui 
arrive  et  entends  ce  qui  se  passe  ,  fais  donc 
de  toi-même   quelque  manifestation   de    ta 
colère,  afin  que  cet  homme  reconnaisse  que 
tues  un  monarque    puissant....  Alors  il   se 
retira  et  dit  à  Khizzer  :  —  Approche  mainte- 
nant, et  vois  ce  que  tu  vas  voir.  —  Khizzer 
approcha,  disant  :  —  O  Dieu  !  sois  loué  I  toi 
qui  as  donné  pouvoir  à  Satan  sur  les  fils  des 
hommes  ;  à  toi,  ô  Dieu,  les  actions  de  grâ- 
ces el  les  louanges  1  II  n'y  a  de  pouvoir  et  de 
salut  qu'en  toi.  Dieu  haut  et  puissant,  je  me 
réfugie  en  toi  contrôles  traits  de  Satan.  Il 
cracha  ensuite  au  visage  de  l'idole  ,  et,    lui 
arrachant  ses  ornements  et  sa  lance,  il  l'eu 
frappa  à  la  tête  et  elle  se   brisa  ;  il  frappa 
la  main  droite  et  la  main  se  cassa  ;  il  mil  en 
pièces  son  pied  gauche  et  les  ornements  qui 
le  recouvraient.  Le  roi  idolâtre  était  demeu- 
ré dans  le  silence  et  l'élonneinent,  ne  disant 
pas  un  mol.  Khizzer  se  tourna  vers   lui,   et 
lui  dit  que  s'il  était  fâché,  ce  devaitêlre  con- 
tre lui-même.    —  Tu    viens  de   voir  de  tes 
yeux  ce   que  j'ai  fait  de  ton   idole  et  com- 
ment je  l'ai  irailée;  que  m'est-il  arrivé  et 
qu'as-tu  vu  ?  —  0  loi  I  dont  la  face  est  belle, 
dit  le  roi,  le  démon  s'est  retiré  à  ton  appro- 
che. Khizzer  reprit  :  —  Satan  parlait  par  la 
bouche  des  idoles,  et  c'était  lui  qui  s'adres- 
sait à  vous;  quand  je  suis  venu  vers  vous  , 
il  a  pris  la  fuite  et  s'est  éloigné  de  ce  royau- 
me. Les  yeux  du  roi  se   mouillèrent  de  lar- 
mes, et   il  dit:  —  Maintenant  je  reconnais 
ce  que  tu  as  dit;  j'entends  ta  mission,  et  je 
comprends  ta  parole:  va  dans  la  paix  du  Sei- 
gneur.» 

Cinq  rois  confédérés,  persuadés  par  les 
succès  d'Alexandre  et  par  des  preuves  évi- 
dentes de  sa  mission  divine,  se  soumettent  à 
sa  loi  el  embrassent  sa  religion.  Enfin  il  va 
jusqu'aux  confins  de  l'Occident,  où  il  entend 
le  bruit  que  fait  le  soleil couchanten se  plon- 
geant dans  l'océan  ;  il  trouve  la  fontaine  de 
la  vie  ;  mais  il  ne  lui  est  pas  permis  d'en  boire. 
Son  visir  Khizzer,  plus  favorisé,  obtient  la 
don  d'immortalité;  cette  partie  de  la  légende 
est  fondée,  selon  louie  apparence,  sur  l'en- 
lèvement d'Elisée  au  ciel  : 
«  Quand  Zulcaruainapprochadc  celle  plaine 


67 


ALB 


ALE 


83 


et  voulut  y  entrer,  elle  s'agita  comme  par  un 
tremblement  de  terre  et  le  soi  se  crevassa,  et 
quand  il  s'éloigna,  elle  reprit  sa  tranquilité. 
Mais  quandKhizzer  approcha  ety  entra,  elle 
demeura  itnmobile,  et  il  ne  cessa  pas  de  s'a- 
vancer. Zulcarnain  le  regarda  jusqu'à  ce 
qu'il  disp.irût  à  sa  vue.  Alors  une  voix  ve- 
nue du  ciel  cria  à  Khizzer  :  —  Saisis  ce  qui 
est  devant  toi,  c'est-à-dire  hâle-loi  d'avan- 
cer. 11  avança  donc  rapidement  jusqu'à  ce 
qu'il  arrivât  à  l'endroit  où  devait  être  la  fon- 
taine de  vie  ;  la  voix  lui  commanda  d'y  boire. 
On  dit  qu'il  regarda  l'eau:  elle  tombait  du 
ciel  dans  une  piscine  et  rien  n'en  sortait  ;  il 
y  Gt  ses  ablutions,  et  il  s'écria  :  —  Eau  di- 
vine, où  vas-tu  ?  Une  voix  lui  répondit  du 
ciel  :  —  Sois  silencieux  ;  ta  science  sur  ce 
sujet  est  arrivée  à  ses  limites.  Khizzer  revint 
donc  jusqu'à  la  place  d'où  il  s'était  élevé,  et 
il  vil  Zulcarnain  qui  l'attendait  ;  il  lui  dit  ce 
que  Dieu  lui  avait  permis,  de  boire  à  la  fon- 
taine de  vie  et  de  s'y  purifier,  lui  accordant 
de  vivre  jusqu'au  premier  son  de  la  trom- 
pette. —  Et  maintenant ,  ajouta-t-il,  retour- 
nons, ô  Zulcarnain  1  » 

De  là,  Alexandre,  qui  apprend  la  révolte 
des  Perses,  tourne  vers  l'Est.  Chemin  fai- 
sant, il  prend  l'Egypte  et  construit  la  ville 
d'Alexandrie  : 

«  Et  ils  vinrent  au  royaume  d'Afrikiah  ;  et 
quand  la  reine  de  Sikilyah  ,  qui  se  nommait 
Ghidakah,  apprit  l'approche  d'Iskender,  elle 
vint  à  sa  rencontre  avec  toute  son  armée.  Is- 
kender,  qui  en  fut  prévenu,  ordonna  au  fils 
de  cette  reine,  ainsi  qu'aux  rois  des  nations, 
d'aller  au  devant  d'elle;  lui-même  il  vint  à 
la  porte  de  satentcpour  la  recevoir;et  quand 
ils  furent  assis,  Khizzerà  côté  du  roi,  la  rei- 
ne fit  apporter  ses  présents,  qui  étaient  nom- 
breux. Iskender  lui  donna  un  vêlement 
d'honneur,  ainsi  qu'à  ceux  qui  étaient  avec 
Cile,  et  se  tournant  vers  Salem,  le  fils  de  la 
reine,  il  lui  dit  de  partir  en  compagnie  de  sa 
mère  et  de  la  reconduire  dans  ses  Etats.  Sa- 
lem, lui  baisant  la  main,  répondit  :  —  En- 
tendre, c'est  obéir.  Le  jour  suivant ,  les  rois 
de  l'Occident  partirent  pour  leurs  royaumes, 
hkender  leur  fit  à  tous  des  présents,  et  les 
congédia  avec  honneur. 

«Le lendemain, les  trompeKes  sonnèrent  le 
départ,  et  l'armée,  ayant  Khizzer  à  sa  tête , 
se  mit  en  marche  pour  les  pays  qu'elle  n'a- 
vait pas  encore  visités;  et  elle  marcha  jus- 
qu'à ce  qu'elle  eût  atteint  une  ville  souter- 
raine. Le  roi  Safwan,  qui  gouvernait  cette 
ville  ,  sortit  à  la  têle  de  son  peuple;  il 
commanda  à  ses  nobles  de  préparer  au  - 
tant  de  présents  qu'ils  pourraient ,  et  il 
s'avança  jusqu'à  ce  qu'il  rencontrât  l'avant- 
garde  de  l'armée  d'Iskender  où  était  le  vizir 
Khizzer.  Celui-ci  demanda  au  roi  le  motif  de 
sa  venue.  Le  roi  lui  répondit  :  —  J'étais  im- 
patient de  voir  la  face  du  roi  Iskender.  Khiz- 
zer le  prit  par  la  main  et  le  conduisit,  ainsi 
que  dix  de  ses  compagnons,  à  la  tente  roya- 
le. Puisse  présentant  devant  Iskender,  il  lui 
dit  l'arrivée  du  roi  Safwan,  et  reçut  l'ordre 
de  l'introduire.  Quand  Safwan  fut  entré,  Is- 


kender, lui  rendant  son  salut,  l'invita  à  s'as- 
seoir près  de  lui,  et  ordonna  que  ses  com- 
pagnons fussent  introduits.  Le  roi  Safwan, 
se  tenant  debout,  demanda  la  permission  do 
faire  apporter  les  présents,  ce  qui  lui  fut  ac- 
cordé. La  plupart  de  ces  présiMits  étaient  des 
objets  d  habillement  ;  ils  furent  reçus  gra- 
cieusement par  Iskender,  qui  en  fit  de  sem- 
blables à  son  tour,  et  commanda  au  roi  de 
retourner  à  sa  ville. 

«Lejoursuivant,  Iskender  ordonna  de  plan- 
ter sa  tente  sur  le  bord  de  la  mer,  près  de  la 
cité,  et  quand  il  vit  qu'elle  était  sous  terre  , 
il  s'en  étonna  grandement;  il  assembla  les 
philosophes,  les  géomètres  et  les  hommes  sa- 
ges ;  il  leur  dit  qu'il  désirait  bâtir  une  ville 
sur  le  sol,  et  qu'on  la  nommerait  de  son  pro- 
pre nom.  Alors  Bélinas,  se  levant,  s'écria  : 
— O  roi  1  je  vais  m'empresserde  la  construire, 
et,  s'il  plaît  à  Dieu,  cela  s'accomplira  glo- 
rieusement. I-kender  le  loua  pour  ces  paro- 
les, lui  recommandant  de  faire  toute  dili- 
gence ;  Bélinas  répondit:  —  Entendre,  c'est 
obéir.  Il  s'éloigna  de  la  présence  du  roi,  et 
ordonna  de  couper  des  pierres  et  de  tailler 
des  colonnes.  Les  ouvriers  exécutèrent  promp- 
tement  ces  ordres  ;  ils  en  amenèrent  des  mon- 
tagnes. Ensuite,  comme  il  avait  lu  dans  cer- 
taines chroniques  qu'il  était  impossible  de 
bâtir  en  ce  lieu  une  ville  au-dessus  du  sol 
sans  qu'elle  fût  aussi  tôt  dévastée  par  desmons- 
Ires  marins,  Bélinas  ordonna  à  des  sculp- 
teurs de  sculpter  sur  d'énormes  blocs  de 
pierre  les  images  de  ces  monstres  marins , 
et  il  en  fit  placer  sur  le  rivage,  à  l'endroit  où 
la  mer  borde  la  ville.  Quand  ces  talismans 
furent  faits,  il  alla  vers  les  ouvriers,  et  leur 
commanda  de  construire  les  murs.  Il  fit  aussi 
proclamer  par  la  ville  souterraine  que  cha- 
cun de  ceux  qui  avaient  une  maison  sous 
terre  eût  à  en  construire  une  nouvelle  sur 
le  sol  au-dessus  de  l'ancienne;  à  celui  qui 
était  pauvre,  il  offrait  assez  d'argent  pour 
le  faire.  Les  habitants  de  la  ville  élevèrent 
leurs  voix  pour  célébrer  Iskender,  et  ils  se 
hâtèrent  de  faire  ce  qui  leur  était  commandé. 

«  Khizzer  commanda  d'étendre  des  lapis  et 
de  verser  dessus  des  pièces  de  monnaie;  il 
en  fit  une  distribution  parmi  les  personnages 
élevés  elles  hommes  obscurs,  et  les  travaux 
marchèrent  rapidement.  Le  peuple  connut 
qu'ïskender  était  assisté  du  pouvoir  de  Dieu. 
Et  Dieu  envoya  dans  ses  mains  chaque  chose 
qui  était  utile.  Les  constructions  ne  cessè- 
rent de  s'élever  et  les  ouvriers  de  travailler 
diligemment  jusqu'à  ce  que  tout  fût  terminé. 
Alors,  les  habitants  supplièrent  Iskender  de 
leur  procurer  la  quantité  d'eau  douce  qui 
leur  était  nécessaire.  Pour  cela ,  il  comman- 
da aux  nobles,  au  peuple  et  aux  soldats  de 
creuser  un  canal,  à  partir  du  Bahr-al-Kébir, 
(  qui  est  le  Nil  ).  Tous  se  partagèrent  les 
travaux;  et  il  ne  s'était  point  écoulé  beau- 
coup de  jours  avant  que  l'eauarrivâtdu  Bahr- 
al-Kcbir  à  Iskenderya.  Alors  Iskender  vint  à 
Bélinas,  le  loua  beaucoup  pour  ce  qu'il  avait 
fait,  et  dit  :  — Je  veux  que  lu  me  bâtisses 
sur  le  bord  de  la  mer  un  minaret  ;  que  tu  y 
déploies  toute  tasiigesse;  et  que  lu  en  fasses 


89 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCILTF.S 
mémoire 


00 


ma 


lin   monument  qni  conserve 

jusqu'à  la  Gn  des  temps » 

Viennent  ensuite  les  récils  de  la  vi-iite 
d'Alexandre  à  Jérusalem  et  du  siège  de  Tyr  ; 
puis  des  relations  de  batailles  et  de  victoires 
en  Syrie,  en  Perse  et  dans  l'Inde.  Il  est  parlé 
du  roi  Porus,  mais  son  nom  est  écrit  de  ma- 
nière que,  par  l'addition  d'un  point,  il  se 
trouve  changé  en  celui  de  Fouz.  On  trouve 
aussi  un  passage  curieux  au  sujet  îles  Tar- 
lares,  qui  sont  appelés  les  nations  des  Yad- 
jouj  el  des  Madjouj,  enfermés  par  une  puis- 
sante muraille  pour  les  empêcher  de  faire 
des  incursions  sur  leurs  voisins  du  côté  du 
sud.  On  les  bat,  quoiqu'ils  soient  montés  sur 
des  gazelles.  On  leur  fait  des  prisonniers  , 
auxquels  on  demande  quelle  est  leur  reli- 

fiiin?  L'un  des  prisonniers  répondit  :  — Quant 
notre  religion,  il  en  est  parmi  nous  qui 
adorent  le  soleil  et  d'autres  la  lune,  et  d'au- 
tres qui  adorent  l'un  et  l'autre  ;  et  il  en  est 
qui  ne  savent  pas  ce  que  c'est  qu'une  reli- 
gion. Khizzer  demanda  ensuite:  — Que  man- 
gez-vous îLeprisonnier répondit: —  Les  uns 
parmi  nous  mangent  la  chair  du  daim,  d'au- 
tres la  chair  des  charognes,  d'autres  mangent 
l'une  et  l'autre,  et  d'autres  un  serpent  qui 
leur  descend  du  ciel,  et  dont  ils  conservent 
la  chair  d'une  année  à  une  autre  année,  et 
quelques-uns  de  nous  ont  jusqu'à  mille  en- 
fants avant  de  mourir.  Quand  Iskcnder  en- 
lendit  cela  ,  il  rendit  grâces  au  Dieu  tout- 
puissanletdità  Khizzer  :  — O  mou  Seigneur  1 
faites  une  rude  guerre  à  ces  gens-là. 

  la  fin,  Alexandre  parvient  au  lieu  où  se 
lève  le  soleil  sur  la  montagne  de  Kaf,  qui 
est  la  limite  de  ses  victoires,  et  il  retourne  à 
Babylone.  Là,  sa  mort,  qui  est  très-briève- 
ment racontée,  est  attribuée  à  du  vin  empoi- 
sonnéqui  lui  aurait  été  servi  par  la  trahison 
d'un  noble  macédonien,  que  la  reine-mère 
avait  menacé  de  la  vengeance  de  son  Gis. 

Quelque  pâle  que  soit  ce  résumé,  il  sufGt 
à  montrer  que  l'histoire  orientale  de  ce  hé- 
ros, dont  la  renommée  remplit  le  monde, 
diffère  sur  quantité  de  points,  des  histoires 
de  l'Occident.  Dans  son  ensemble,  elle  a  du 
rapport  avec  nos  romans  du  moyen-âge. 
Ainsi,  des  deux  côtés  ,  on  nie  qu'Alexandre 
soit  Qls  de  Philippe.  La  chronique  europé- 
enne lui  donne  pour  père  un  roi  d'Egypte, 
nommé  Nectanebus  ,  qui  se  changeait  eu 
dragon  par  art  magique.  Au  lieu  de  faire  ar- 
rêter le  héros  à  l'endroit  où  se  lève  le  soleil, 
la  limite  de  ses  conquêtes  devient  une  mon- 
tagne sur  laquelle  est  un  palais  magniGque, 
avec  les  arbres  du  soleil  el  de  la  lune  ;  les 
premiers  portent  des  feuilles  d'or  et  les  se- 
conds des  feuilles  d'argent.  Ces  arbres  par- 
lent à  Alexandre  en  langue  grecque  et  per- 
sane, et  ils  lui  prédisent  sa  mort  prochaine. 
Les  romans  de  l'Europe  contiennent  aussi 
<iuelques  fables  gros:>ières  et  ridicules.   Par 

(1)  Dans  le  voyage  aérien  d'Alexandre,  un  romancier 
^u  moyen-ige  aïlèle  !i  un  trône  sur  lequel  s'assied  le 
Jiéros,  des  griOuns  que  l'on  fait  jeûner  plusieurs  jours. 
Alexandre  lient  en  l'air  des  gigols  au  bont  d'une  lance 
<luM  élè»e  au-dessus  de  leurs  têtes,  el  les  griffons  l'eiii- 
jiortoiit  eu  cherchant  h  atteindre  la  pâliirc  qu'il  leur  offre  ; 
Mtiiiui  il  a  couleiui'lé  assex  touijteinjis  le  ii\obt  terrestre 


exemple,  il  y  est  dit  qu'Alexandre,  enfermé 
dans  une  caisse  de  verre  que  l'eau  ne  pou- 
vait pénétrer,  se  Gt  descendre  au  fond  de  la 
mer,  où,  ajoute  l'auleur,  il  vit  beaucoup  de 
choses  qu'il  ne  voulutjainais  dire,  car  il  com- 
prit qu'on  ne  voudrait  pas  les  croire.  On  le 
f.iit  encore  s'enfermer  lui-même  dans  une 
grande  cage  de  fer  treillagée  (  une  autre  his- 
toire met  une  cage  de  cuir  ),  et ,  se  laissant 
emporter  dans  les  airs  par  deux  griffons  , 
Alexandre  s'élève  assez  haut  pour  que  toute 
la  terre,  sous  la  forme  d'une  pomme  ,  soit 
embrassée  par  un  regard  (1).  Alors  la  natu- 
re, alarmée  de  ce  qu'un  mortel  ose  tenter 
si  hardiment  de  contempler  ses  mystères, 
descend  aux  enfers  et  obtient  de  Béelzébub 
le  poison  qui  termine  les  jours  du  hcros(2)  .. 

ALEXANDRE  DE  PAPHLAGONIE ,  im- 
posteur, né  au  deuxième  siècle,  en  Paphla- 
gonie,  dans  le  bourg  d'Abonotique.  Ses  pa- 
rents, qui  étaient  pauvres,  n'ayant  pu  lui 
donner  aucune  éducation,  il  profita,  pour  se 
pousser  dans  le  monde,  de  quelques  dons 
qu'il  tenait  de  la  nature.  Il  avait  le  teint 
blanc,  l'œil  vif,  la  voix  claire,  la  taille  belle, 
peu  de  barbe  et  peu  de  cheveux,  mais  un 
air  gracieux  et  doux.  Se  sentant  des  dispo- 
sitions pour  le  charlatanisme  médical ,  il 
s'attacha,  presque  enfant,  à  une  sorte  de 
magicien  qui  débitait  des  secrets  et  des  phil- 
tres pour  produire  l'affection  ou  la  haine, 
découvrir  les  trésors,  obtenir  les  succes- 
sions, perdre  ses  ennemis,  et  autres  résul- 
tats de  ce  genre.  Cet  homme  ayant  reconnu 
dans  Alexandre  un  esprit  adroit,  une  mé- 
moire vive  et  beaucoup  d'effronterie,  l'initia 
aux  ruses  de  son  métier.  —  Après  la  mort 
du  vieux  jongleur,  Alexandre  se  lia  avec  un 
certain  Coconas  ,  dont  les  récils  font  un 
chroniqueur  byzantin  el  un  homme  aussi 
malin  qu'audacieux.  Ils  parcoururent  en- 
semble divers  pays,  étudiant  l'art  de  faire 
des  dupes. 

Ils  rencontrèrent  une  vieille  femme  riche, 
que  leurs  prétendus  secrets  charmèrent,  et 
qui  les  Cl  voyager  à  ses  dépens  depuis  la 
Bithynie  jusqu'en  Macédoine.  —  Arrivés  en 
ce  pays,  ils  remarquèrent  qu'on  y  élevait  de 
grands  serpents,  si  familiers,  qu'ils  jouaient 
avec  les  enfants  sans  leur  faire  de  mal  ;  ils 
en  achetèrent  un  des  plus  beaux  pour  les 
scènes  qu'ils  se  proposaient  de  jouer.  Ils 
avaient  conçu  un  projet  hardi.  L'embarras 
était  de  décider  quel  lieu  serait  leur  théâtre. 
Coconas,  qui  s'attribuait  le  personnage  de 
prophète  en  titre,  préférait Clialcédoine,  ville 
de  Paphiagonie,  à  cause  du  concours  de  di- 
verses nations  qui  l'environnaient.  Alexan- 
dre aima  mieux  son  pays,  Abonotique,  parce 
que  les  esprits  y  étaient  plus  grossiers.  — 
Son  avis  ayant  prévalu,  les  deux  fourbes  ca- 
chèrent des  lames  de  cuivre  dans  un  vieux 
temple    d'Apollon    qu'on    démolissait  ;    ils 

d'un  point  très-élevé,  il  abaisse  sa  lance  et  les  coursier» 
ailés  le  ramènent  vers  la  terre.  —  Voici,  dit  un  critUiue, 
un  aérostat  aussi  lugéuieusement  inventé  que  tes  aigloui 
d'Esope. 

(2)  Asialic  journul,  traduit  avec  plus  d'étendue  par  lei 
auteurs  de  la  Revue  britannique. 


61 


ALE 


ALE 


69 


avaient  écrit  dessus  quEsculape  et  son  père 
viendraient  bientôt  s'établir  dans  la  ville. 

Ces  lames  ayant  été  trouvées,  le  bruit  s'cm 
répandit  aussitôt  dans  les  provinces;  les  ha- 
bitants d'Abonotique  se  hâtèrent  de  décerner 
un  temple  à  ces  dieux,  et  ils  en  creusèrent 
les  fondements.  —  Coconas  ,  qui  s'apprélait 
à  faire  merveilles,  mourut  alors,  de  la  mor- 
sure d'une  vipère.  Alexandre  se  hâta  do 
prendre  son  rôle,  et,  se  déclarant  prophète 
avant  de  se  rendre  au  lieu  de  sa  naissance, 
il  se  montra  avec  une  longue  chevelure  bien 
peignée,  une  robe  de  pourpre  rayée  de  blanc; 
il  tenait  dans  sa  main  une  faux,  comme  on 
en  donne  une  à  Persée,  dont  il  prétendait 
descendre  du  côté  de  sa  mère  ;  il  publiait  un 
or.=ic!e  qui  le  disait  fiis  de  Podalyre,  lequel, 
à  la  manière  des  dieux  du  paganisme,  avait 
épousé  sa  mère  en  secret.  Il  faisait  débiter 
en  môme  temps  une  prédiction  d'une  sibylle 
qui  portait  que,  des  bords  du  Pont-Euxin,  il 
viendrait  un  libérateur  de  i'Ausonie. 

Dès  qu'il  se  crut  convenablement  annoncé, 
il  parut  dans  Abonotique  ,  où  il  fut  accueilli 
comme  un  dieu.  Pour  soutenir  sa  dignité,  il 
mâchait  la  racine  d'une  certaine  herbe  qui 
le  faisait  écumer,  ce  que  le  peuple  attribuait 
à  l'enthousiasme  surhumain  dont  il  était 
possédé. 

Il  avait  préparé  en  secret  une  tête  habile- 
ment fabriquée  ,  dont  les  traits  représen- 
taient la  face  d'un  homme,  avec  une  bouche 
qui  s'ouvrait  et  se  fermait  par  un  Gl  caché. 
Avec  cette  tête  et  le  serpent  apprivoisé  qu'il 
avait  acheté  en  Macédoine,  et  qu'il  cachait 
soigneusement,  il  prépara  un  grand  prodige. 
11  se  transporta  de  nuit  à  l'endroit  où  l'on 
creusait  les  fondements  du  temple,  et  déposa, 
dans  une  fonlaine  voisine,  un  œuf  d'oie  où 
il  avait  enfermé  un  petit  serpent  qui  venait 
de  naître.  Le  lendemain  matin,  il  se  rendit 
sur  la  place  publique,  l'air  agité,  tenant  sa 
faux  à  la  main,  et  couvert  seulement  d'une 
écharpe  dorée.  Il  monta  sur  un  autel  élevé, 
et  s'écria  que  ce  lieu  était  honoré  de  la  pré- 
sence d'un  dieu.  A  ces  mots,  le  peuple,  ac- 
couru pour  l'entendre,  commença  à  faire  des 
prières,  tandis  que  l'imposteur  prononçait 
des  mois  en  langue  phénicienne,  ce  qui  ser- 
vait à  redoubler  l'étonnement  général.  —  Il 
courut  ensuite  vers  le  lieu  où  il  avait  caché 
.son  œuf,  et,  entrant  dans  l'eau,  il  commença 
à  chanter  les  louanges  d'Apollon  et  d'Escù- 
lape,  et  à  inviter  ce  dernier  à  se  monlreraux 
mortels;  puis,  enfonçant  une  coupe  dans  la 
fontaine,  il  en  relira  l'œuf  mystérieux.  Le 
prenant  dans  sa  main,  il  s'écria  :  «  Peuples, 
voici  votre  dieu I «Toute  la  foule  attentive 
poussa  des  cris  de  joie,  en  voyant  Alexandre 
casser  l'œuf  et  en  tirer  un  petit  serpent,  qui 
s'entortilla  dans  ses  doigts. 

Chacun  se  répandit  en  bénédictions,  les 
uns  demandant  au  dieu  la  santé,  les  autres 
les  honneurs  ou  des  richesses.  —Enhardi 
par  ce  succès,  Alexandre  fait  annoncer  le 
lendemain  que  le  dieu  qu'ils  avaient  vu  si 
petit  la  veille,  avait  repris  sa  grandeur  na- 
turelle. 

lise  plaça  sur  un  lit,  après  s'être  revêtu 


de  ses  habits  prophétiques  ;  et.  tenant  dans 
son  sein  le  serpent  qu'il  avait  apporté  de 
Macédoine,  il  le  laissa  voir  entortillé  autour 
de  son  cou  et  traînant  une  longue  queue; 
mais  il  en  cachait  la  tête  sous  son  aisselle, 
el  faisait  paraître  à  la  place  la  léte  postiche 
à  figure  humaine  qu'il  avait  préparée.  Le 
lieu  de  la  scène  était  faiblement  éclairé;  on 
entrait  par  une  porte  et  on  sortait  par  une 
autre,  sans  qu'il  fût  possible  de  s'arrêter 
longtemps.  Ce  spectacle  dura  quelques  jours; 
il  se  renouvelait  toutes  les  fois  qu'il  arrivait 
quelques  étrangers.  On  fit  des  images  du 
dieu  en  cuivre  et  en  argent. 

Lo  prophète,  voyant  les  esprits  préparés, 
annonça  que  le  dieu  rendrait  des  oracles,  et 
qu'on  eût  à  lui  écrire  des  billets  cachetés. 
Alors,  s'enfermant  dans  le  sanctuaire  du  tem- 
ple qu'on  venait  de  bâtir,  il  faisait  appeler 
cuLX  qui  avaient  donné  des  billets,  et  les 
leur  rendait  sans  qu'ils  parussent  avoir  été 
ouverts,  mais  accompagnés  de  la  réponse  du 
dieu.  Ces  billets  avaient  été  lus  avec  tant 
d'adresse  qu'il  était  impossible  de  s'aperce- 
voir qu'on  eût  rompu  le  cachet.  Des  espions 
el  des  émissaires  informaient  le  prophète  de 
tout  ce  qu'ils  pouvaient  apprendre,  et  l'ai- 
daient à  rendre  ses  réponses,  qui  d'ailleurs 
étaient  toujours  obscures  ou  ambiguës,  sui- 
vant la  prudente  coutume  des  oracles. 

On  apportait  des  victimes  pour  le  dieu  et 
des  présents  pour  le  prophète. 

Voulant  nourrir  l'admiration  par  une 
nouvelle  supercherie,  Alexandre  annonce  uu 
jour  qu'Esculape  répondrait  en  personne 
aux  questions  qu'on  lui  ferait  :  cela  s'appe- 
lait des  réponses  de  la  propre  bouche  du 
dieu.  On  opérait  cette  fraude  par  le  moyen 
de  ((uelques  artères  de  grues  ,  qui  aboutis- 
saient d'un  côté  à  la  tête  du  dragon  postiche, 
et  de  l'autre  à  la  bouche  d'un  homme  caché 
dans  une  chambre  voisine  ; —  à  moins  pour- 
tant qu'il  n'y  eût  dans  son  fait  quelque  ma- 
gnétisme ;  —  les  réponses  se  rendaient  en 
prose  ou  en  vers,  mais  toujours  dans  un 
style  si  vague ,  qu'elles  prédisaient  égale- 
ment le  revers  ou  le  succès.  Ainsi  l'empe- 
reur Marc-Aurèle,  faisant  la  guerre  aux  Ger- 
mains, lui  demanda  un  oracle.  On  dit  même 
qu'en  174,  il  fit  venir  Alexandre  à  Rome  ,  le 
regardant  comme  le  dispensateur  de  l'im- 
mortalité. L'oracle,  sollicité,  disait  qu'il  fal- 
lait, après  les  cérémonies  prescrites,  jeter 
deux  lions  vivants  d.ms  leDanube,  et  qu'ainsi 
l'on  aurait  l'assurance  d'une  paix  pro- 
chaine, précédée  d'une  victoire  éclatante.  On 
exécuta  la  prescription.  Mais  les  deux  lions 
traversèrent  le  fleuve  à  la  nage,  les  barbares 
les  tuèrent  et  mirent  ensuite  l'armée  de  l'em- 
pereur en  déroute;  à  quoi  le  prophète  ré- 
pliqua qu'il  avait  annoncé  la  victoire,  mais 
qu'il  n'avait  pas  désigné  le  vainqueur. 

Une  autre  fois,  un  illustre  personnage  fit 
demander  au  dieu  quel  précepteur  il  devait 
donnera  son  fils,  il  lui  fut  répondu  :  —  Py- 
Ihagore  et  Homère.  L'enfant  mourut  quelque 
temps  après. —  L'oracle  annonçait  la  chose, 
dit  le  père,  en  donnant  au  pauvre  enfant 
deux  précepteurs  morts  depuis  longtemps. 


6S 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


ri 


S'il  oui  vécu,  on  l'eût  inslniit  avec  les  ou- 
vrages de  Pylhagore  et  d'Hoaière ,  et  l'ora- 
cle aurait  encore  eu  raison. 

Quelquefois  le  prophète  dé'.laignail  d'ou- 
rrir  les  billets  lorsqu'il  se  croyait  instruit  de 
la  demande  par  ses  agents,  il  s'exposait  à  de 
singulières  erreurs.  Un  jour  il  donna  un  re- 
mède pour  le  mal  de  côté,  en  réponse  à  une 
lettre  qui  lui  demandiit  quelle  était  vérita- 
blement la  patrie  d'Homère. 

On  ne  démasqua  point  cet  imposteur,  que 
l'accueil  de  Marc-Aurèle  avait  entouré  de  vé- 
nération. Il  avait  prédit  qu'il  mourrait  à  cent 
cinquante  ans,  d'un  coup  de  foudre,  comme 
Esculape  :  il  mourut  dans  su  soixante- 
dixième  année,  d'uii  ulcère  à  la  jambe,  ce 
qui  n'empêcha  pas  qu'après  sa  mort  il  eut, 
comme  un  demi-dieu,  des  statues  et  des  sa- 
crificcs 

ALEXANDRE  DE  TRALLES,  médecin,  né 
à  Traites,  dans  l'Asie-Mineure,  au  sixième 
siècle.  On  dit  qu'il  était  très-savant,  ses  ou- 
vrages prouvent  au  moins  qu'il  était  très- 
crédule.  Il  conseillait  à  ses  malades  les  amu- 
lettes et  les  paroles  charmées.  Il  assure,  dans 
sa  Médecine  pratique  (1),  que  la  Ggure  d'Her- 
cule étouffant  le  lion  de  la  forôt  de  Némée, 
gravée  sur  une  pierre  et  enchâssée  dans  un 
anneau,  est  un  excellent  remède  contre  la 
colique.  Il  prétend  aussi  qu'on  guérit  parfai- 
tement la  goutte,  la  pierre  et  les  fièvres  par 
des  philaclères  et  des  charmes.  Cela  montre 
au  moins  qu'il  ne  savait  pas  les  guérir  autre- 
ment. 

ALEXANDRE  III,  roi  d'Ecosse,  qui  épousa, 
en  l'28o.  Volette,  fille  du  comte  de  Dreux. 
Le  soir  de  la  solennité  du  mariage,  on  vit 
entrer  à  la  fin  du  bai,  dans  la  salle  où  la 
cour  était  rassemblée,  un  spectre  décharné 
qui  se  mit  à  danser.  Les  gambades  du  spec- 
tre troublèrent  les  assistants;  les  fêtes  furent 
suspendues,  et  des  habiles  déclarèrent  que 
cette  apparition  annonçait  la  mort  prochaine 
du  roi.  En  effet,  la  même  année,  dans  une 
partie  de  chasse,  Alexandre,  montant  un 
cheval  mal  dressé,  fut  juté  hors  de  selle  et 
mourut  de  la  chute  (2). 

ALEXANDRE  VI,  élu  pape  en  1492  ;  pon- 
tife qui  a  été  jugé  souvent  avec  beaucoup 
d'exagération  (3).  Quelques  sols  écrivains  af- 
firment qu'il  avait  à  ses  ordres  un  démon 
familier  (4)  qui  passa  ensuite  aux  ordres  de 
César  Borgia. 

ALFADER,  dieu  très-important  dans  la 
théogonie  Scandinave.  Avant  de  créer  le  ciel 
cl  la  terre,  il  était  prince  des  géants.  Les 
âmes  des  bons  doivent  vivre  avec  lui  dans 
Simle  ou  Wingolfjf;  mais  les  méchants  pas- 
sent à  Hélan,  de  là  à  Niflhcim,  la  région  des 
nuages  inférieursau  neuvième  monde.  L'Edda 
lui  donne  divers  noms  :  Nikar  (le  sourcil- 
leux), Svidrer  (l'exterminateur),  Svider  [l'in- 
cendiaire), Oske  (celui  qui  choisit  les 
morts),  elc  — Le  nom  d'Alfader  a  été  donné 
aussi  à  Odin. 

ALFAKES,  génies  Scandinaves.  Les  bons 

?       (l)Liv.  X,  cb.  I. 

(2)  Hiiclor  (le  Boëce,  iii  Aniiallbus  Scol.  ^ 

(3)  Voi'ui  Koscoé,  dans  »uii  Uisioire  Ju  [loiiliûcat  dô 


sont  appelés  lios  ou  lumineux,  les  méchants 
docka  ou  noirs. 

ALFRIDARIE,  espèce  de  science  qui  tient 
de  l'astrologie  et  qui  attribue  successive- 
ment quelque  influence  sur  la  vie  aux  di- 
verses planètes,  chacune  régnant  à  son  tour 
un  certain  nombre  d'années.  Voyez  Planè- 
tes. 

ALGOL.  Des  astrologues  arabes  ont  donné 
ce  n^m  au  diable. 

ALIS  DE  TÉLIEUX,  nonne  du  monastère 
de  S  liiit-Pierre-de-Lyon,  qui  s'échappa  de 
son  couvent  au  commencement  du  seizième 
siècle,  en  un  temps  où  cette  maison  avait 
besoin  de  réforme,  mena  mauvaise  vie  et 
mourut  misérablement,  toutefois  dans  le  re- 
pentir. Son  âme  revint  après  sa  mort.  Cette 
histoire  a  été  écrite  par  Adrien  de  Montalem- 
bert,  aumônier  de  François  I". 

Légende  d'Alis  de  Télieux. 

C'est  un  extrait  fidèle  d'un  livre  très-rare, 
imprimé  à  Paris,  en  1528,  petit  in-k"  gothi- 
que, et  intitulé  :  —  La  merveilleuse  histoire  de 
Vesprit  qui,  depuis  naguère ,  s'est  apparu  au 
monastère  des  religieuses  de  Saint- Pierre-de- 
Lyon,  laquelle  est  pleine  de  grande  admira- 
lion,  comme  on  pourra  voir  par  la  lecture  de 
ce  présent  livre,  par  Adrien  de  Montalembert, 
aumônier  du  roi  François  l" 

Avant  que  le  monastère  des  nonnes  de 
Saint-Picrre-de-Lyon  sur  le  Rhône  fût  ré- 
formé (  en  1513  ) ,  il  y  avait  en  ce  couvent 
grands  désordres,  chacune  vivant  à  son  plai- 
sir; et  il  ny  avait  abbé,  abbesse  ou  évêque 
qui  pût  régler  le  gouvernement  desdiles  non- 
nes. Elles  menaient  donc  piteuse  religion, 
désolée  et  méchante;  et  quand  arrivèrent  là 
d'autres  bonnes  religieuses  qui  vivaient  sain- 
tement, les  nonnes  déréglées  emportèrent  ce 
qu'elles  purent,  et  s'en  allèrent. 

Entre  les  autres  ,  il  en  était  une  nommée 
Alis  de  Télieux,  sacristine  de  l'abbaye,  qui 
avait  les  clefs  des  reliques  et  des  ornements. 
Celle-là  sortit  du  monastère  à  telle  heure 
malheureuse  que  jamais  depuis  en  vie  n'y 
rentra.  Saisie  d'aucuns  parements  d'autel, 
elle  les  engagea  pour  certaine  somme.  Je  ne 
voudrais  pour  rien  au  monde  raconter  la 
déplorable  vie  que  depuis  elle  mena.  Elle  y 
gagna  de  grandes  maladies  dont  son  pauvre 
corps  fut  mis  en  telle  sujétion,  qu'il  n'était 
nulle  part  sans  ulcères  et  sans  douleurs. 

Notre-Seigneur,  par  sa  bonté,  rappela  pour- 
tant cette  malheureuse  ,  et  lui  représenta  sa 
grande  miséricorde  en  lui  inspirant  la  pen- 
sée de  réclamer  sa  douce  Mère.  11  est  bon 
d'avoir  servi  Noire-Seigneur  quelquefois, 
car  il  en  fait  récompense,  et  à  l'heure  que 
l'on  en  a  le  plus  grand  besoin.  La  pauvre 
sœur  Alis  soupira,  pleura,  et  pria  dévote- 
ment la  sainte  Mère  de  Dieu  qu'elle  fût  son 
avocate  envers  son  cher  Fils.  Elle  rendit  l'es- 
prit alors,  non  pas  en  l'abbaye,  non  pas  en 
la  ville  ;  mais  abandonnée  de  toul  le  monde, 
en  un  petit  village,  où  elle  lut  enterrée  sans 

Léon  X. 

(4)  Ciiriosilés  de  la  lilléralure,  irad.  de  Vanglai»  l'"' 
Bcruu,  t.  I,  !>.  5t. 


55 


ALI 


ALI 


C8 


funérailles,  ni  obsèques,  ni  prières,  comme 
la  plus  méprisée  créature  ;  cl,  pendant  l'es- 
pace de  deux  ans,  elle  a  été  ainsi  enterrée 
sans  que  mémoire  d'elle  eût  régné  en  la  sou- 
venance d'aucun. 

Mais  en  cette  abbaye,  il  y  avait  une  jeune 
religieuse  de  l'âge  d'environ  dix-huit  ans, 
nommée  Anioineltc  Grollée,  gentil-femme,  na- 
tive du  Dauphiné,  sage,  dévoteet  simple. Seu- 
le, elle  gardait  mémoire  d'Alis  et  priait  pour 
elle.  Une  nuit  qu'elle  était  toute  seule  dans 
ea  chambre,  en  son  lit  couchée,  et  qu'elle 
dormait,  il  lui  sembla  que  quelque  chose  lui 
levait  son  couvre-chef,  et  lui  faisait  au  front 
le  signe  de  la  croix;  elle  se  réveille,  non 
point  grandement  effr;iyée,  mais  seulement 
ébahie,  pensant  à  part  soi  qui  pouvait  être 
celle  qui  l'aurait  de  la  croix  signée;  enfin 
elle  n'aperçoit  rien,  et  ne  sait  ce  qu'elle  doit 
faire.  Elle  crut  qu'elle  avait  songé,  et  ne 
parla  à  personne. 

Un  autre  jour  qu'elle  entendait  autour 
d'elle  quelque  chose  faisant  des  sons,  et  sous 
ses  pieds  frappant  de  petits  coups,  comme  si 
on  eût  heurté  d'un  bâton  sous  un  marche-pied; 
quand  elle  eut  plusieurs  fois  ouï  ce  bruit 
étrange,  elle  commença  à  s'étonner,  et  tout 
épouvantée  le  conta  à  la  bonne  abbesse,  la- 
quelle la  sut  réconforter.  Ledit  esprit  (  car 
c'en  était  un  )  faisait  signe  de  grande  réjouis- 
sance, quand  on  chantait  le  service  divin  et 
quand  on  parlait  de  Dieu,  à  l'église  ou  autre 
part.  Mais  jamais  il  n'était  entendu  si  la 
jeune  fille  n'était  présente;  jour  et  nuit  il 
lui  tenait  compagnie,  et  jamais  depuis  ne 
l'abandonna  en  quelque  lieu  qu'elle  fût. 

Je  vous  dirai  grand'merveille  de  cette 
bonne  âme.  Je  lui  demandai,  en  la  conjurant 
au  nom  de  Dieu,  si,  incontinent  qu'elle  fut 
partie  de  son  corps,  elle  suivit  cette  jeune 
religieuse?  L'âme  répondit  que  oui  vérita- 
blement, ni  jamais  ne  l'abandonnerait  que 
pour  la  conduire  au  ciel. 

Après  que  la  bonne  abbesse  eut  aperçu  la 
vérité  et  pris  conseil,  car  le  cas  lui  était  fort 
admirable,  grand  en  fut  le  bruit  par  la  ville 
de  Lyon,  où  accoururent  maints  hommes  et 
maintes  femmes.  Les  pauvres  religieuses  fu- 
rent éperdues  de  prime  face,  ignorant  encore 
ce  que  c'était.  Antoinette  fut  interrogée  pour 
savoir  ce  qu'elle  pensait  de  celte  aventure? 
Klle  répond  qu'elle  ne  savait  ce  que  ce  pour- 
rait élre,  si  ce  n'était  sœur  Alis,  la  sacristine; 
d'autant  que  depuis  son  trépas  souvent  elle 
avait  songé  à  elle  et  l'avait  vue  en  dor- 
mant. L'espril,  conjuré  alors,  répondit  qu'il 
étaiten  effet  l'esprit  de  sœur  Alis,etendonna 
signe  évident.  L'abbesse  envoya  donc  qué- 
rir le  corps  de  la  trépassée,  et  pour  ce  fut 
enquise  l'âme,  premièrement,  si  ellevoudrait 
que  son  corps  lut  enterré  à  l'abbaye  ?  Elle 
donna  signe  qu'elle  le  désirait.  Alors  la  bonne 
dame  abbesse  le  fit  emmener  honnêtement. 
L'âme  faisait  bruit  autour  de  la  jeune  fille,  à 
mesure  que  son  corps  approchait  de  plus  en 
plus;  quand  il  fut  à  la  porte  de  l'église  du 
monastère,  l'esprit  se  démenait  en  frappant 
cl  en  heurtant  plus  fort  sous  les  pieds  d'Au- 
luiaetle. 


Le  samedi,  seizième  jour  de  février  mil 
cinq  cent  vingt-sept,  monseigneur  l'évéque 
coadjuteur  de  Lyon  et  moi  partîmes  le  plus 
secrètement  qu'il  nous  fut  possible  ,  vers 
deux  heures  après  midi  pour  l'abbaye.  Le 
peuple  nous  aperçut  ;  ils  accoururent  hâti- 
vement et  cheminèrent  après  nous  en  dili- 
gence, au  nombre  de  près  de  quatre  mille 
personnes,  tant  hommes  que  femmes.  Silôt 
que  nous  arrivâmes,  la  presseétail  si  grande, 
que  nous  ne  pouvions  entrer  en  l'église  des 
religieuses  ;  lesquelles  étaient  averties  de 
notre  venue  ;  et  incontinent  vint  à  nous  leur 
père  confesseur,  auquel  fut  charge  d'ouvrir 
un  petit  huis  pour  entrer  par  le  chœur.  Lo 
peuple  s'en  aperçut,  et  par  force  voulut  en- 
trer aussi.  Nous  trouvâmes  l'abbesse  accom- 
pagnée de  ses  religieuses,  qui  se  mirent  à 
genoux  en  grande  humilité  et  saluèrent  le 
révérend  évêqne  et  sa  compagnie.  Après  le 
salut  rendu  par  nous,  elles  nous  menèrent 
en  leur  chnpitre.  Incontinent  la  jeune  sœur 
fut  présentée  à  l'évéque,  qui  lui  demanda 
comment  elle  se  portail;  elle  répondit  : 
— Bien,  Dieu  merci  I 

Il  lui  demanda  ensuite  ce  que  c'était  que 
l'esprit  qui  la  suivait?  Aussitôt  ledit  esprit 
heurta  sous  les  genoux  de  la  sœur,  comme 
s'il  eût  voulu  dire  quelque  chose.  Il  fut  te- 
nu maints  propos  concernant  la  délivrance 
de  cette  pauvre  âme.  Plusieurs  disaient 
qu'elle  soutenait  grande  peine.  Nous  avisâ- 
mes que  premièrement  on  prierait  Dieu  pour 
elle,  et  l'évéque  commença  le  De  profundis. 
Pendant  ce  psaume,  la  jeune  religieuse  de- 
meura à  genoux  devant  lui;  l'esprit  heur- 
tait incessamment  comme  s'il  eût  été  sous 
terre. 

Après  que  le  psaume  fut  achevé  et  les  orai- 
sons dites,  il  fut  demandé  à  l'esprit  s'il  était 
mieux?  11  fit  signe  que  oui.  Je  fus  chargé 
alors  de  régler  celte  affaire,  c'est-à-dire  les 
cérémonies,  exorcismes,  conjurations  et  ad- 
juremenls  qu'il  convenait  d'employer  pour 
savoir  la  pure  vérité  de  cet  esprit  et  pour 
connaître  si  c'était  véritablement  l'âme  de  la 
défunte  ou  bien  quelque  esprit  malin,  fei- 
gnant d'être  bon  pour  abuser  les  religieuses. 

Ce  tut  un  vendredi,  fête  de  la  Chaire  de 
saint  Pierre,  le  22  février  1527,  que  nous  ren- 
trâmes au  monastère.  L'évéque,  après  qu'il 
se  fut  confessé,  s'appareilla  de  son  rochet 
épiscopal.  Tous  ceux  de  l'assemblée  s'étaient 
mis  en  état.  Après  l'oraison,  l'évéque  prit 
une  étole,  la  mit  à  son  cou,  et  fit  l'eau  bénite  ; 
et  quand  tous  furent  assis,  il  se  leva,  et  com- 
mença à  jeter  de  l'eau  béni  te  çà  et  là,  invoquant 
tout  haut  l'aide  de  la  majesté  divine  ;  nous  lui 
répondions;  et  après  qu  il  eut  dit  l'oraison  : 
Omnipotens  sempiterne  Veus,  etc.,  et  que  l'on 
eut  dit  amen,  il  se  rassit  conmie  devant.  In- 
continent l'abbesse  et  une  religieuse  des  an- 
ciennes amenèrent  la  jeune  sœur  que  l'esprit 
suivait.  Après  qu'elle  fut  agenouillée,  chacun 
se  prit  à  écouler  attentive^uent  ce  qu'on  al- 
lait dire.  Le  seigneur  évêque  commença  par 
imprimer  sur  le  front  d'Antoinette  le  signe  de 
la  crois,  et,  mettant  les  mains  sur  sa  lète,  la 
ténit,  en  disant  ; 


«7 


DICTIONNAIUE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


68 


«  Bénôdiclion  sur  la  lêlo  de  la  jeune  sœur. 
«  Que  la  bénédiction  de  Dieu  lout-puissant, 
«  Fère,  Fils  et  Saint-Espril,  descende  sur 
«  vous,  ma  fille,  et  y  demeure  toujours;  par 
«  laquelle  soient  repoussées  loin  les  forces  et 
«  machinations  de  l'ennemi.  Que  la  vertu  de 
«  Dieu  le  frappe  par  nos  mains,  jusqu'à  ce 
a  qu'il  s'enfuie,  et  vous  laisse  paix  et  repos, 
«  à  vous,  servante  de  Dieu,  banissant  toutes 
«  frayeurs  1  J'adjure  l'ennemi  par  celui  qui 
«  viendra  jnger  les  vivants  et  les  moris,  et  le 
«  siècle  par  le  feu.  Amen.  » 

Après  que  tous  eurent  répété  amen,  l'évé- 
que  dit  aux  assistants  : 

«  iMes  chers  frères,  il  est  notoire  que  l'ange 
de  ténèbres  se  change  souvent  en  espèce 
d'ange  de  lumière,  el,  par  subtils  moyens, 
déçoit  et  surprend  les  simples.  De  peur  que, 
par  aventure,  il  n'ait  occupé  la  demeure  do 
ces  femmes  religieuses,  nous  voulons  le  jeter 
dehors,  s'il  y  est;  et  pour  cela,  du  glaive  spi- 
rituel il  nous  convient  trancher  sa  cruelle 
léle,  afin  qu'il  ne  nous  empêche  et  ne  nous 
trouble  en  aucune  chose.  » 

L'évéque  se  leva  alors  contre  le  mauvais 
esprit,  lui  faisant  cet  adjurement  : 

—  «  Viens  donc  en  avant,  ténébreux  es- 
«  prit,  si  tu  as  usurpé  entre  ces  simples  fem- 
«  mes  religieuses  aucun  siège.  Entends-moi, 
«  prince  de  menteries,  de  mauvais  jours  en- 
«  vieilli.  Tu  es  destructeur  de  vérité  et  con- 
«  trouveur  d'iniquité;  écoute  donc  quelle 
«  sentence  aujourd'hui  nous  prononcerons 
«  contre  les  fraudes.  Pourquoi  donc,  ô  esprit 
»  diimné,  ne  seras-tu  pas  soumis  à  notre 
«  Créateur?  Par  la  vertu  de  celui  qui  toutes 
«  choses  a  créé,  va-t-en  d'ici,  fugitif,  en  nous 
«  laissant  les  sièges  du  paradis  pour  les  rem- 
«  plir  ;  c'est  d'où  procède  ta  rage  contre  nous. 
«  Par  l'autorité  de  Dieu,  nous  le  cominan- 
«  dons  que  si  tu  n'as  bâti  aucune  trahison  par 
«  tes  cautelles  contre  les  servantes  de  Jésus- 
«  Christ,  lu  t'en  ailles  subitement,  elles  laisses 
«  servir  Dieu  en  paix.  Adjuré  de  par  celui  qui 
«  viendra  juger  les  vivants  el  les  morts,  el  le 
Il  siècle  par  le  feu.  Amen.  » 

Après  qu'il  eut  ainsi  conjuré  le  mauvais 
esprit,  il  prononça  l'excommunication  sui- 
vante : 

—  «  Ohl  maudit  esprit,  reconnais  que  ta 
«  es  celui  qui  jadis  fus, aux  délices  du  paradis 
«  de  Dieu,  parfait  en  tes  œuvres,  depuis  le 
«  temps  que  tu  fus  créé  jusqu'au  temps  qu'il 
«  a  été  trouvé  mauvaiseté  en  toi.  Tu  as  pé- 
«  ché,  el  tu  as  été  jeté  de  la  sainte  montagne 
«  de  Dieu  jusqu'aux  abîmes  ténébreux  et  aux 
«  gouffres  infernaux.  Tu  as  perdu  ta  sagesse 
«  et  recouvré  en  place  les  ruses  dainnables. 
«  Maintenant  donc,  misérable  ciéalure,  qui 
«  que  lu  sois,  ou  de  quelque  infernale  hié- 
«  rarchie  tu  puisses  être,  qui,  pour  alfiiger  le 
«  numainS',  as  pris  puissance  de  la  permis- 
«  sion  divine,  s'il  est  ainsi  que,  par  si  sublili; 
•  fraude,  lu  as  délibéré  de  te  jouer  de  ces  re- 
«  ligieuses,  nous  invoquons  le  Père  toul- 
«  puissant,  nous  supplions  le  Fils  notre  Ré- 
«  ilempteur,  nous  réclamons  le  Sainl-Esprit 
«  consolateur  contre  toi,  afin  que  de  sa  droite 
«  [)uissante  il  commande  que  la  mauvaiseté 


s  de  tes  efforts  soit  annihilée,  afin  que  tu  ne 
«  suives  plus  les  pas  de  notre  sœur  Antoi- 
«  nette,  si,  par  ci-devant,  tu  les  as  suivis;  et 
«  nous,  serviteurs  de  Dieu  lout-puissant, 
«  quoique  pécheurs,  quoique  indignes,  tou- 
«  tefois  en  nous  confiant  en  sa  spéciale  misé- 
«  ricorde,  nous  te  condamnons,  par  la  vertu 
a  de  Notre-Si'igneur  Jésus-Christ,  que  lu 
«  laisses  en  paix  ces  pauvres  religieuses.  Oh  1 
«  antique  serpent,  en  t'anathéinatisant,nous 
«  l'excommunions,  el  en  te  dcleslanl  el  re- 
«  nonçi'inl  à  tes  œuvres,  sous  l'extermination 
«  du  souverain  jugement,  nous  l'exécrons, 
«  l'interdisant  ce  lieu  el  ceux  el  celles  qui  f 
«  demeurent,  te  maudissant  au  nom  de  Notre- 
«  Seigneur  Jésus-Christ,  afin  que,  par  ces  im- 
«  précalions,  perturbé,  confus,  exterminé,  lu 
«  l'enfuies  hâtivement  aux  lieux  étrangers  , 
«  déserts  el  inaccessibles,  et  là  lu  attendras 
«  le  terrible  jour  du  jugement  dernier,  en  te 
«  cachant  et  rongeant  le  frein  de  ton  mor- 
«  tel  orgueil;  et  là  sois  enfermé  et  muselé 
«  avec  ta  fureur  damnable,  adjuré,  excom- 
«  munie,  condamné,  analhèmatisé,  interdit 
«  et  exterminé  par  ce  même  Dieu  Notre-Sei- 
•  gncur  Jésus-Christ,  qui  viendra  juger  les 
«  vivants  et  les  morts,  el  le  siècle  par  le 
«  feu.  i> 

Tous  répondirent  :  Amen. 

Lors,  en  signe  de  malédiction,  furent  étein> 
les  les  chandelles,  la  cloche  en  déleslation 
fui  sonnée,  el  l'évéque  frappa  la  terre  plu- 
sieurs fois  du  talon,  en  exécrant  le  diable, 
l'excommuniant  el  chassant  s'il  était  autour 
de  la  jeune  sœur.  11  prit  de  l'eau  bénite,  la 
répandit  et  la  jeta  en  l'air,  el  sur  nous  et  sur 
la  terre,  criant  à  haute  voix  :  —  Discedite 
omnes  qui  operamini  iniquitatem!  De  plus,  il 
envoya  trois  prêtres,  vêius  daubes  el  ayant 
chacun  l'étole  au  cou,  pour  répandre  l'eau 
bénite  par  tous  les  lieux  de  l'abbaye.  Ils  fu- 
rent longuement  en  ce  labeur,  parce  (|ue  le 
couvent  est  assez  spacieux  ;  et,  comme  ils 
jetaient  leur  eau  bénite,  disant  :  —  Discedite 
omnes  qui  operamini  iniquitatem,  voilà  subi- 
tement aucuns  diables,  esprits  mauvais, 
fuyant  et  chassés  par  eux,  qui  vinrent  pren- 
dre une  jeune  religieuse  encore  novice,  gen- 
til-femme qui,  outre  son  gré,  par  ses  pa- 
rents, là  dedans  avait  été  mise. 

C'élail  horreur  de  la  voir.  Tous  furent 
épouvantés  el  troublés,  et  les  plus  hardis 
eussenl  voulu  être  bien  loin.  Les  pauvres  re- 
ligieuses pâlirent,  ayant  peur  incomparable; 
elles  se  serraient  l'une  contre  l'autre,  comme 
brebis  au  troupeau  desquelles  le  loup  s'est 
subitemenl  jeté.  La  jeune  fille  se  déi'endail 
comme  elle  pouvait.  J'ordonnai  que  l'un  prit 
trois  éloles  dont  elle  fut  liée;  el  lorsque  nos 
prêtres  furent  revenus,  je  leur  donnai  en 
garde  ladite  religieuse  démoniaque.  L'évé- 
que s'appareilla  de  lous  ornements  pour  cé- 
lébrer la  sainte  messe,  cl  quand  ce  vint  à 
l'offrande,  la  sœur  que  l'âme  suivait  se  leva 
el  vint  uffrir  un  pain  blanc  et  un  pot  de  vin, 
laquelle  offrande  fut  incontinent  donnée  aux 
pauvres  pour  l'amour  de  Dieu. 

Comme  nous  étions  tous  assis,  void  qua- 
tre persounes  qui  apportèrent  les  ossemcnls 


69 


MA 


AU 


I 


(ie  sœur  Alis,  étant  dans  un  cercueil  de  bois 
couvert  d'un  drap  mortuaire.  Silôl  que  le 
mauvais  esprit,  qui  était  au  corps  de  la  reli- 
gieuse novice,  aperçut  icsdils  ossements , 
tans  autrement  s'émouvoir,  il  dit  : 

—  Ah!  pauvre  méchante,  es-tu  là? 
Puis  il  se  tint  tout  coi  (1  . 

Cependant  monseigneur  se  préparait  à  con- 
jurer l'esprit  de  ladite  défunte,  dont  les  osse- 
ments étaient  présents;  et  premièrement  en 
bénissant  le  nom  de  Dieu,  dit  tout  haut  en 
latin  :  Sit  nomen  Domini  benediclum.  Puis  : 
Adjutorium  noslrutn  in  noinine  Domini.  Et 
les  assistants  lui  répondaient.  Il  commença 
ensuite  à  conjurer  en  cette  manière  : 

«  —  0  esprit,  quel  que  tu  puisses  être, 
«  d'adverse  partie  ou  de  Dieu,  qui  de  long- 
«  temps  suis  celte  jeune  religieuse,  —  par 
«  celui  qui  fut  mené  devant  Caïphe,  prince 
«  des  prêtres  juifs,  là  fut  accusé  et  interrogé, 
«  mais  rien  ne  voulut  répondre  jusqu'à  ce 
«  qu'il  fût  conjuré  au  nom  de  Dieu  vivant, 
«  auquel  il  répondit  que  véritablement  il 
«était  Fils  de  Dieu  le  tout- puissant  ;  à 
«  l'invocation  duquel  terrible  nom,  au  ciel, 
«  en  terre  et  en  enfer,  soit  révérence  fiile, 
«  par  la  vertu  d'irelui  même  Dieu,  Notre- 
«  Seigneur  Jésus-Christ  (alors  tous  s'age- 
«  nouillèrent)  :  jeté  conjure  et  te  commande 
«  que  tu  me  répondes  apertement,  ainsi  que 
«  tu  pourras  et  que  par  la  volonté  divine  il 
«  te  sera  permis,  de  tout  ce  que  je  te  deman- 
«  derai,  sans  rien  sceller,  tellement  que  je 
«  puisse  entendre  clairement  toutes  tes  ré- 
«  ponses,  et  avec  moi  tous  les  assistants,  afin 
«  que  chacun  de  nous  ait  occasion  de  louer 
«  et  magnifier  les  hauts  secrets  de  Dieu,  no- 
«  tre  Créateur,  qui  règne  à  'amais  et  par 
«  tous  temps  infiniment.  » 

Et  nous  répondîmes  amen. 

Alors  tous  les  assistants,  désirant  entenare 
les  réponses  de  l'esprit,  se  délibérèrent  de 
prêter  grand  silence,  et  vous  n'eussiez  pas 
ouï  créature  en  celte  compagnie  qui  fit  au- 
cun bruit,  mais  tous  ouvraient  les  oreilles  et 
tenaient  leurs  yeux  fixés  sur  la  sœur  Antoi- 
nette. 

Premièrement,  il  lui  fût  demandé  en  cette 
manière  :  —  Dis-moi,  esprit,  si  tu  es  vérita- 
blement l'esprit  de  sœur  Alis,  depuis  long- 
temps morte? 

—  Oui,  répondit  l'esprit. 

—  Dis-moi  si  de  ton  corps  ces  ossements 
ont  été  ici  apportés? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  si  incontinent  que  lu  sortis  de 
ton  corps,  tu  vins  suivre  celte  jeune  sœur? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  s'il  y  a  aucun  ange  avec  toi? 

—  Oui. 

—  Dis-moi,  cet  ange  est-il  des  bienheu- 
reux? 

—  Oui. 

—  Dis-moi,  ce  non  ange  te  conduit-il  par-- 
tout  ou  il  te  convient  d'aller? 

(1)  Adrien  de  Montalembert  dit  ici  qu'il  parlera  dans  un 
autre  ouvrage  de  la  possession  de  celle  jeune  démoniaque 
(mais  cet  auire  ouvrage  n'a  point  paru),  et  il  ne  s'occupe 
pLu)  que  (lu  bceiir  Àlis,  dont  il  traite  lungueiuent  l'histoire. 


70 


—  Oui. 

—  Dis-moi,  n'est-ce  pas  le  bon  ange  qui  en 
la  vie  avait  été  député  à  te  garder  par  la  pro- 
vidence divine? 

—  Oui. 

—  Dis-moi,  comment  a  nom  ce  bon  ange? 
Point  de  réponse. 

—  Dis-moi  si  le  bon  ange  n'est  pas  de  la 
première  hiérarchie? 

Point  de  réponse. 

—  Dis-moi  s'il  est  de  a  seconde  hiérarchie? 
Point  de  réponse. 

—  Dis-moi  s'il  est  de  la  tierce  hiérarchie? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  si  ce  bon  ange  fut  séparé  de  toi 
incontinent  quand  tu  fus  morte? 

—  Non. 

—  Dis-moi  s'il  ne  t'a  point  laissée  quel- 
quefois? 

—  Non. 

—  Dis -moi  si  ton  bon  ange  te  reconforte 
et  te  console  en  tes  afflictions  et  peines? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  si  tu  peux  voir  d'autres  bon» 
anges  que  le  tien  et  si  tu  en  vois? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  si  l'ange  de  Satan  n'est  poinl 
avec  toi? 

Point  de  réponse. 

—  Dis-moi,  ne  vois-tu  point  le  diable? 

—  Oui. 

—  Dis-moi,  adjuré  par  les  hauts  noms  de 
Dieu,  s'il  y  a  véritablement  un  lieu  particu- 
lier qui  soit  appelé  purgatoire,  auquel  puis- 
sent être  toutes  les  âmes  qui  par  la  justice 
divine  là  sont  condamnées? 

-Oui. 

—  Dis-moi,  n'as-tu  point  vu  punir  aucu- 
nes âmes  en  purgatoire? 

—  Non. 

—  Dis-moi,  n'as-tu  point  vu  an  purgatoire 
aucuns  que  tu  aies  vus  en  ce  monde? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  s'il  y  a  douleur  ou  affliction  en 
ce  monde,  qui  puisse  être  comparée  aux  pei- 
nes du  purgatoire? 

Point  de  réponse. 

—  Dis-moi  si  tu  as  eu  repos  le  jour  du 
Vendredi-Saint,  en  révérence  de  la  Passion 
de  Noire-Seigneur? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  si  tu  fus  en  repos  le  jour  de 
Pâques,  pour  l'honneur  de  la  glorieuse  ré- 
surrection? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  si  repos  te  fut  octroyé  le  jour 
de  l'Ascension? 

—  Oui. 

—  Dis-moi,  si  le  jour  de  la  Pentecôte? 
-Oui. 

—  Dis-moi  si  le  jour  de  Noël  tu  as  reposé? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  si,  pour  l'honneur  de  la  sainte 
vierge  Marie  tu  as  eu  repos  en  ses  fêtes? 

—  Oui. 

Si  on  trouve  cet  arUcle  nn  peu  étendu,  c'est  que  cpl 
ouvrage  très- curieux  nous  a  semblé  digne  d'être  enlièré- 
rement  analysé. 


71 


PICTIOISNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTrS. 


72 


—  Dis-moi  si  tu  as  eu  allègcmenl  à  la 
Toussaint? 

—  Oui. 

—  Dis-moi,  connai— tu  le  temps  où  lu  se- 
ras délivrée  de  ta  peine? 

—  Non. 

—  Dis-moi  si  tu  pourrais  être  délivrée  par 
jeûnes? 

~  Oui. 

—  Dis-moi  si  tu  pourrais  être  délivrée  par 
oraisons? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  si  par  aumdnrs  tu  serais  déli- 
vrée? 

—  Oui. 

—  Dis-moi  si  par  pèlerinages  lu  réchap- 
perais? 

—  Oui. 

—  Dis-moi,  le  pape  a-t-il  puissance  de  le 
délivrer  par  son  aulorilé  papale? 

—  Oui. 

A  chaque  réponse  de  oui  ou  de  non,  l'évê- 
que  avait  encre  et  papier  pour  marquer  ce 
que  l'âme  répondait. 

Après  qu'il  eut  ainsi  interrogé  et  examiné 
ladite  âme,  il  lui  dit:  — Ma  chère  sœur,  celte 
pieuse  compagnie  est  assemblée  pour  prier 
Dieu  qu'il  lui  plaise  mettre  fin  aux  peines  et 
douleurs  que  vous  souffrez,  et  qu'il  vous 
veuille  recevoir  parmi  les  anges  et  les  saints 
de  paradis. 

Comme  il  disait  ces  paroles,  elle  heurtait 
très-fort.  L'évêque  ayant  ôlé les  ornements, ex- 
replé  l'aube  et  l'étole,  il  commença  le  psaume 
Miserere  met,  Deus;  et  les  religieuses  et  nous 
répondions.  Quand  ce  psaume  fut  chanté,  la 
sœur  Antoinette  se  tourna  vers  la  Mère  de 
Dieu,  en  chantant  un  verset  avec  une  autre 
religieuse:  0  Maria,  Stella  maiisi  Puis  elle 
récama  dévotement  la  glorieuse  Madeleine, 
et  après  les  réponses  des  religieuses,  le  révé- 
rend évéque,  en  donnant  de  l'eau  bénite  au 
corps,  dit  :  A  porta  inferi ,  et  d'autres  orai- 
sons, lesquelles  achevées,  la  jeune  sœur  s'a- 
genouilla au  chef  du  cercueil.  Tous  les  assi- 
stants pareillement  se  mirent  à  genoux  ;  et 
lors  commença  doucement  la  sœur  :  Creator 
omnium  rerum,  Deus,  ce  qu'elle  acheva  avec 
la  compagnie  ;  et  ensuite  l'évêque  dit: 

—  Mes  bonnes  dames,  mes  sœurs  et  mes 
filles,  notre  pauvre  sœur  Alis  ne  peut  être  en 
repos,  si  préablement  vous  ne  lui  pardonnez 
toutes  de  bon  cœur. 

Incontinent  qu'il  eut  dit,  voilà  Antoniette 
Grollée  qui  se  lève,  parlant  pour  la  défunte, 
et  s'en  va  aux  pieds  de  l'abbesse,  piteusement 
lui  crio  merci,  en  disant: 

—  Ma  révérende  mère,  ayez  merci  de  moi, 
en  l'honneur  de  celui  qui  est  mort  sur  la 
croix  pour  nous  racheter. 

La  bonne  abbesse  lui  répondit  : 
Ma  fille  ,  je  vous  p.irdonne  et  consens  à 
votre  absolution. 

La  jeune  nonne  s'alla  mettre  ainsi  aux 
pieds  de  chaque  religieuse  pour  qu'elles  lui 
voulussent  pardonner  et  consentir  à  son  ab- 
solution. Après  qu'elle  eut  rcqtiis  pardon  à 
toutes  entièrement,  l'évêque  se  leva  de  nou- 
veau, et  dit . 


«  —  Ah  1  sire  Dieu,  bon  Jésus,  qui  êtes 
«  prince  de  tous  les  rois,  qui  nous  avci  tant 
«  aimés  ,  que  vous  nous  avez  lavés  de  nos 
«  péchés  en  votre  précieux  sang,  je  vous 
«  appelle  en  témoin  de  vérité  au  nom  de  votre 
«  pauvre  créature.  Je  vous  invoque  contre 
«  le  faux  ennemi  accusateur  de  notre  sœur, 
«  comment  la  mère  abbesse  présentement  et 
et  toutes  les  religieuses  lui  ont  pardonné  et 
«  consenliàson  absolution.»  Puis  dit:  Amen. 
Dominus  rétribuât  pro  te,  soror  charissima. 
La  jeune  sœur,  qui  était  à  genoux,  se  leva, 
et,  en  joignant  les  mains,  chanta  hautement 
Dec  gralias.  Après  quoi,  elle  dit  le  Confileor, 
et  sitôt  qu'elle  eut  achevé,  l'évêque  reprit  : 
«  —  Que  le  Dieu  tout-puissant  ait  merci  do 
«  vous  ,  très-chère  sœur  ;  qu'il  vous  veuille 
«  pardonner  tous  vos  péehés ,  et  en  vous  dé- 
«  livrant  detoutmal,  qu'il  veuille  vous  mener 
«  à  la  vie  éternelle  !  » 

El  la  sœur  répondit  :  Amen. 
Le  seigneur  évèque  étendit  alors  sa  main 
droite  sur  le  cercueil  en  disant  : 

«  — Que  Noire-Seigneur  Jésus-Christ,  par 
«  sa  sainte  et  très-pieuse  miséricorde,  et  par 
«  le  mérite  de  sa  passion  ,  vous  absolve, 
«  ma  sœur  ;  et  moi,  par  l'autorité  apostoli- 
«  que  qui  m'a  été  confiée,  je  vous  absous  de 
«  tous  vos  crimes  et  péchés,  et  de  tous  autres 
«  excès  quoique  graves  et  énormes,  vous 
«  donnant  plénière  absolution  et  générale, 
«  vous  remettant  les  peines  du  purgatoire, 
«  vous  rendant  à  votre  première  innocence 
«  en  laquelle  vous  avez  été  baptisée,  autant 
«  que  peuvent  s'étendre  les  clefs  de  la  sainte 
«  Eglise,  notre  mère,  au  nom  du  Père,  et  du 
«  Fils,  et  du  Saint-Esprit.  » 

La  jeune  sœur  répondit  à  haute  voix  :  Amen  ; 
et  tous  s'en  allèrent  en  paix. 

Adrien  de  Montalembert  raconte  ensuite 
que  l'âme  délivrée  mena  depuis  grande  joie 
dans  le  monastère  ;  qu'elle  venait  le  recevoir 
avec  joie  lorsqu'il  y  arrivait;  qu'elle  conti- 
nua de  frapper,  non  plus  sous  terre,  mais 
en  l'air.  Elle  révéla,  ajoute-t-il,  qu'elle  n'é- 
tait plus  dans  le  purgatoire  ,  mais  que  cer- 
taines raisons  qu'on  ne  sait  pas  l'empêchaient 
encorepour  quelque  temps  dêtre  reçue  parmi 
les  bienheureux. 

Elle  apparut  encore  à  la  sœur  Antoinette, 
rnais  en  habit  de  religieuse,  et  tenant  un 
cierge  à  la  main  ;  elle  lui  apprit,  dans  sa  der- 
nière visite,  cinq  petites  invocations  que  l'au- 
teur croit  composées  par  saint  Jean  l'Evan- 
géliste,  chacune  commençant  par  une  des 
lettres  du  saint  nom  de  Marie,  les  voici  : 

«  Médiatrice  de  Dieu  et  des  hommes,  fon- 
«  lai  ne  vive  répandant  incessamment  des  ruis- 
«  seaux  de  grâce,  ô  Marie  ! 

«  Auxiliaire  de  tous  et  source  de  la  paix 
«  éternelle,  ô  Marie  I 

«  Réparatrice  des  faibles,  et  médecine  Irès- 
«  efficace  de  l'âme  blessée,  ô  Marie  1 

«  Uluminalrice  des  pécheurs,  flambeau  de 
«  salut  et  de  grâce,  ô  Marie  I 

«  Allégeance  des    malheureux  opprimés, 
«  c'est   vous   qui   finissez  tous  nos  maux,  ê 
«  Marie  I  » 
Qui  dira  chaque  jour  pieusement  ces  cinq 


ft 


aLl 


ornisons,  ajoula  l'espril,  jamais  ne  tombera 
en  damnation  éternelle  (1). 

Peu  de  jours  après,  l'âme  de  sœur  Alis  fit 
ses  adieux  et  ne  fut  plus  ouïe  ni  vue  en  ce 
monde. 

ALKALALAI,  cri  d'allégresse  des  Kamts- 
rhndaics;  ils  le  répèlenl  trois  fois  à  la  fêle 
des  balais,  en  l'honneur  de  leurs  trois  grands 
dieux,  Filiat-Chout-Chi ,  le  père;  Tou'Ha , 
son  fils,  et  Gaëlch,  son  pelit-fils.  La  fête  des 
balais  consiste  ,  chez  ces  peuples  sales,  à 
balayer  avec  du  bouleau  le  foyer  de  leurs 
cabanes. 

ALIETTE.  Voy.  Etteila. 
ALLELUIA  ,  mot  hébreu  qui  signifia 
.ouange  à  Dieu.  Les  bonnes  gens  disent  en- 
core dans  plusieurs  provinces  qu'on  fait  pleu- 
rer la  sainte  Vierge  lorsqu'on  chante  alleiuia 
pendant  le  carême  (2) 

Il  y  avait  à  Chartres  linc  singulière  cou- 
tume. A  l'époque  où  l'on  en  cesse  le  chanl, 
l'AUeluia  était  personnifié  et  représenté  par 
une  toupie  qu'un  enfant  de  chœur  jetait  au 
milieu  de  l'église  et  poussait  dans  la  sa- 
cristie avec  un  fouet.  Gela  s'appelait  VAlkhda 
fouetté 

On  appelle  trèfle  de  l'Alléluia  une  plante 
qui  donne,  vers  le  temps  de  Pâques,  une  pe- 
tite fleur  blanche  étoilée.  Elle  passe  pour  un 
spécifique  contre  les  philtres. 

ALLIX.  Voici  un  de  ci>s  traits  qui  accu- 
sent l'ignorance  et  la  légèreté  des  anciens 
juges  de  parlement. —  Allix,  mathématicien, 
mécanicien  et  musicien ,  vivait  à  Aix  en  Pro- 
vence, vers  le  milieu  du  dix-septième  siècle  ; 
il  fit  un  squelette  qui,  par  un  mécanisme  ca- 
ché, jouait  de  la  guitare.  Bonnet,  dans  son 
Histoire  de  la  Musique,  page  82,  rapporie 
l'histoire  tragique  de  ce  pauvre  savant.  Il 
mettait  au  cou  de  son  squelette  une  guitare 
accordée  à  l'unisson  d'une  autre  qu'il  teii.iit 
lui-même  dans  ses  mains, et  plaçait  les  doigts 
de  l'automate  sur  le  manche;  puis,  par  un 
temps  calme  et  serein,  les  fenêtres  et  la  porle 
étant  ouvertes,  il  s'installait  dans  un  coin  de 
la  chambre  et  jouait  sur  sa  guitare  des  pas- 
sages que  le  squelette  répétait  sur  la  sienne. 
Il  y  a  lieu  de  croire  que  l'instrument  réson- 
nait à  la  manière  des  harpes  éoliennrs,  et 
que  le  mécanisme  qui  faisait  mouvoir  les 
doigts  du  squelette  n'était  pour  rien  dans  la 
production  des  sons. (Nous  citons  M.Fétis  (3) 
sans  l'approuver,  et  nous  le  renvoyons  aux 
automates  musiciens  de  Vaucanson  ,  qui 
n'étaient  pas  des  harpes  éoliennes).  —  Quoi 
qu'il  en  soit,  poursuit  le  biographe,  ce  con- 
cert étrange  causa  de  la  rumeur  parmi  la 
population  superstitieuse  de  la  ville  d'Aix  ; 
Allix  fut  accusé  de  magie,  et  le  Parlement  fit 
instruire  son  procès.  Jugé  par  la  chambre 
de  la  Tournelle,  il  ne  put  faire  comprendre 
que  l'effet  merveilleux  de  son  automate  n'é- 
tait que  la  résolution  d'un  problème  mécani- 
que. L'arrêt  du  Parlement  le   condamna  à 

(1)  Parce  que  celui  qui  dit  pieusement  les  cinq  invoca- 
lioiis,  vit  |)rol)al)lenienl  eu  conséipience. 

(2)  Tliiers,  Traité  des  superstitions. 

(.■5)  Biograpliie  universelle  des  musiciens. 

ii)  l.'Atnanach  de    Matthieu  l.jeiisbergli  commença  U 

DiCTIONN.    DES    SCIENCES    OCCULTES.    I 


ALM  74 

être  pendu  cl  brûlé  en  place  publique,  avec 
le  squelelle  complice  de  ses  sortilèges;  la 
sentence  fut  exécutée  en  1664.  » 

ALMANACH.  Nos  ancêtres  du  Nord  tra- 
çaient le  cours  des  lunes  pour  toute  l'année 
sur  un  petit  morceau  de  bois  carré  qu'ils 
appelaient  al-mon-agt  (observation  de  toutes 
les  lunes)  :  telles  sont ,  selon  quelques  au- 
teurs, l'origine  des  almanachs  et  l'étymologiu 
de  leur  nom. 

D'autres  se  réclament  des  Arabes  ,  cliei 
qui  al-manack  veut  dire  le  mémorial. 

Les  Chinois  passent  pour  les  plus  ancien* 
faiseurs  d'almanachs.  Nous  n'avons  que 
douze  constellations;  ils  en  ont  vingt-huii. 
Toutefois  leurs  almanachs  iressemblent  à 
ceux  de  Matthieu  Laensbergh  par  les  prédic- 
tions et  les  secrets  dont  ils  sont  farcis  (4). 

Bayie  raconte  l'anecdocle  suivante,  pour 
faire  voir  qu'il  se  rencontre  des  hasards  pué- 
rils qui  éblouissent  les  petits  esprits  sur  la 
vanité  de  l'astrologie.  Marcellus,  professeur 
de  rhétorique  au  collège  de  Lisieux.  avait 
coiuposé  en  latin  l'éloge  du  maréchal  de 
Gassion,  mort  d'un  coup  de  mousquet  au 
siège  de  Lens.  11  était  près  de  le  réciter  en 
public,  quand  on  représenta  au  recteur  de 
l'Université  que  le  maréchal  était  mort  dans 
la  religion  prélendue  reformée,  et  (jue  son 
oraison  funèbre  ne  pouvait  être  prononcéa 
dans  une  université  catholique.  Le  recteur 
convoqua  une  assemblée  où  il  fut  résolu,  à 
1.1  pluralité  des  voix,  que  l'observation  était 
juste.  Marcellus  ne  put  donc  prononcer  son 
p-inégyrique;  et  les  partisans  de  l'astrologie 
triomphèrent  en  faisant  remarquer  à  tout  lo 
monde  que,  dans  l'almànach  do  Pierre  Lar- 
rivey  pour  celte  même  année  1648,  entre 
autres  prédictions,  il  se  trouvait  écrit  en 
gros  caractère  :  LATIN  PERDU  I 

ALMANACH  DU  DIABLE,  contenant  de» 
prédictions  très-curieuses  pourles  années  1731 
et  1738,  aux  enfers,  in-24.  Cette  plaisanterie 
contre  les  jansénistes  était  l'ouvrage  d'un 
certain  Quesnel,  joyeux  quincaillier  de  Di- 
jon, affublé  d'un  nom  que  le  fameux  appe- 
lant a  tant  attristé.  Elle  est  devenue  rare, 
attendu  qu'elle  fut  supprimée  pour  quelques 
prédictions  trop  hardies.  Nous  ne  la  citons 
qu'à  cause  de  son  titre.  Les  jansénistes  y  ré- 
pondirent par  un  lourd  et  stupide  pamphlet 
dirige  contre  les  jésuites  et  supprimé  égaie- 
menl.  Il  était  intitulé:  Âlmanach  de  Dieu, 
dédié  à  M.  Carré  de  Montgeron  ,  pour  l'an- 
née 1738,  in-24,  au  ciel... 

ALMOGANENSES,  nom  que  les  Espagnols 
donnent  à  certains  peuples  inconnus  qui, 
par  le  yol  et  le  chant  des  oiseaux,  par  la 
rencontre  des  bêtes  sauvages  et  par  divers 
autres  moyens,  devinaient  tout  ce  qui  de- 
vait arriver.  «  Ils  conservent  avec  soin  , 
dit  Laurent  Valla,  des  livres  qui  traitent  d  • 
celte  espèce  de  science;  ils  y  trouvent  d«g 
règles    pour   toutes    sortes  de    pronostics. 

paraître  en  1G3G.  Mais  avant  lui  on  avait  déjà  des  annuain-s 
de  même  nature.  Fischer  a  découvert  à  Mayence,  en  lédi.. 
un  âlmanach  imprimé  pour  1437  tout  b  fait  tt  la  naissa».  j 
de  l'imiiriraerie, 


n 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENXES  OCCULTES. 


Leurs  devins  sont  divisés  en  doux  classes  : 
l'une  de  chefs  ou  de  maîtres,  cl  l'autre  de 
disciples  ou  d'aspirants.  »  — On  leur  attri- 
bue aussi  l'art  d'indiquer  non-seulement  par 
où  ont  passé  les  clievaus  et  les  autres  bêles 
de  somme  égarées,  mais  encore  le  chemin 
qu'auront  pris  une  ou  plusieurs  personnes; 
ce  qui  est  très-utile  pour  la  poursuite  des 
voleurs.  Les  écrivains  qui  parlent  des  Almo- 
ganenses  ne  disent  ni  dans  quelle  province 
ni  dans  quel  temps  ont  vécu  ces  utiles  de- 
vins. 
ALMUCHEFI.  Voy.  Bacon. 
ALMULUS  (Salomon),  auteur  d'une  expli- 
cation des  songes  en  hébreu;  in-8°.  Amster- 
dam, 16^2. 

ALOCER,  puissant  démon,  grand-ducaux 
enfers  j  il  se  montre  vêtu  en  chevalier, monté 
sur  un  cheval  énorme  ;  sa  figure  rappelle  les 
traits  du  lion;  il   a  le  teint  enflammé,  les 
yeux  ardents;  il  parle  avec  gravité;  il  en- 
seigne les  secrets  de  rasiroflomie  et  des  arts 
libéraux  ;  il  domine  trente-six  légions. 
ALOGRICUS.  Voy.  Alrdy. 
ALOMANCIE,  divination  par  le  sel,  dont 
les  procédés  sont  peu  connus.  C'est  en  rai- 
son de  l'alomancie,  qu'on  suppose  qu'une 
salière  renversée  est  d'un  mauvais  présage 
ALOPECIE,  sorte  de  charme  par  lequel 
on  fascine  ceux  à  qui  l'on  veut  nuire.  Quel- 
ques  auteurs  donnent  le  nom  d'alopécie  à 
l'arl  de  nouer  l'aiguillette.  Voy.  Ligatures. 
ALOUETTK.  Voy.  Casso. 
ALPHITOMANCIE ,  divination  par  le  pain 
d'orge.  Celte  divination  imporlanleest  très- 
ancienne.  Nos   pères,    lorsqu'i's   voulaient 
dan»  plusieurs  accusés  reconnaître  le  cou- 
pable et  obtenir  de  lui  l'aveu  de  son  crime  , 
faisaient  manger  à  chacun  des  prévenus  un 
rude  morceau  de  pain  d'orge.  Celui  qui  l'a- 
valait sans  peine  était  innocent  :  le  crimi- 
nel se  trahissait  par  une  indigestion  (1). 
C'est  même  de  cet  usage,  employé  dans  les 
épreuves  du  jugement  de  Dieu,  qu'est  venue 
l'imprécation  populaire:  —  Je  veux,  si  je 
vous  trompe,  que  ce  morceau  de  pain  m'é- 
Iranglel 

Voici  comment  se  pratique  cette  divina- 
tion, qui,  selon  les  doctes,  n'est  d'un  effet 
«ertain  que  pour  découvrir  ce  qu'un  homme 
a  de  caché  dans  le  cœur.  Ou  prend  de  la 
pure  f;irine  d'orge;  on  la  pétrit  avec  du  lait 
et  du  sel;  on  n'y  met  pas  de  levain;  on  en- 
veloppe ce  pain  compacte  dans  un  papier 
graissé,  on  le  fait  cuire  sous  la  cendre  ;  en- 
suite on  le  frotte  de  feuilles  de  verveine  et 
on  le  fait  manger  à  celui  par  qui  on  se  croit 
trompé,  et  qui  ne  digère  pas  si  la  présomp- 
tion est  fondée. 

Il  y  avait,  près  de  Lavinium,  un  bois  sa- 
cré où  l'on  pratiquait  l'alphitomaneie.  Des 
prêtres  nourrissaient  dans  une  caverne  un 
serpent,  selon  quelques-uns;  un  dragon,  se- 
lon d'autres.  A  certains  jours  on  envoyait 
des  jeunes  filles  lui  porter  à  m.mgei  ;  elles 
avaient  les  yeux  bandés  et  allaient  à  la 
grotte,  tenant  à  la  main  un  gâtenu  fait  par 
elles  avec  du  miel  et  de  la  farine  d'orge.  «  Le 
(1)  Deirio,  disquisil.  msgic,  lib,  IV,  cap  i,  quaest.  7. 


diable,  dit  Deirio,  les  conduisait  leur  droit 
chemin.  Celle  dont  le  serpent  refusait  de 
manger  le  gâteau  n'était  pas  sans  repro- 
che. » 

ALPHONSE  X,  roi  de  Castille  et  de  Léon, 
surnommé  l'astronome  et  le  philosophe  , 
mort  en  1284.  On  lui  doit  les  Tables  Alphon- 
sines.  C'est  lui  qui  disait  que,  si  Dieu  l'avait 
appelé  à  son  conseil  au  moment  de  la  créa- 
tion,  il  eût  pu  lui  donner  de  bons  avis.  C« 
prince  extravagant  croyait  à  l'astrologie. 
Ayant  fait  tirer  l'horoscope  à  ses  enfants  ,  Il 
apprit  que  le  cadet  serait  plus  heureux  ([ue 
l'aîné,  et  le  nomma  son  successeur  au  trône. 
Mais  malgré  la  sagesse  de  cet  homme,  qui  se 
jugeait  capable  de  donner  des  conseils  au 
Créateur,  l'alné  tua  son  frère  cadet,  mit  son 
père  dans  une  étroite  prison  et  s'empara  de 
la  couronne;  toutes  choses  que  sa  science 
ne  lui  avait  pas  révélées. 

ALPIEL,  ange  ou  démon  qUi,  selon  le 
Talmud .  a  l'iiilendance  des  arbres  frui- 
tiers. 

ALRINACH  ,  démoTi  de  rOccident,  que  les 
démonographes  font  présider  aux  tempêtes  , 
aux  tremblements  de  terre,  aux  pluies,  à  la 
grêle,  elc.  C'est  souvent  lui  qui  submerge 
les  navires.  Lorsqu'il  se  rend  visible  ,  il 
parait  sous  les  traits  et  les  habits  d'une 
femme. 

ALRUNES,  démons  succubes  o  sorcières, 
qui  furent  mères  des  Huns.  Elles  prenaient 
toutes  sortes  de  formes,  mais  ne  pouvaient 
changer  de  sexe.  —  Voy.  aussi  Mandra- 
gores. 

ALRUY  (David),  imposteur  juif,  qui,  en 
1199,  se  prétendant  de  la  race  de  David,  se 
vanta  d'être  le  Messie  destiné  à  ramener 
les  Juifs  dans  Jérusatem.Le  roi  de  Perse  le 
fit  mettre  en  prison  ;  mais  on  voit,  dans  Ben- 
jamin de  Tudèle,  qui  le  cite,  qu'il  s'échapjia 
en  se  rendant  invisible.  11  ne  daigna  se  rc- 
monlrer  qu'aux  bords  de  la  mer.  Là,  il  éten- 
dit son  écharpe  sur  l'eau,  planta  ses  pieds 
dessus  et  passa  la  mer  avec  une  légèreté  in- 
croyable, sans  que  ceux  qu'on  envoya  avec 
des  bateaux  à  sa  poursuite  le  pussent  arrê- 
ter.—  Cela  le  mil  en  vogue  comme  grand 
magicien.  Mais  enfin  le  Schcick  Aladin , 
prince  turc,  sujet  du  roi  de  Perse,  fit  tant  à 
force  d'argent,  avec  le  beau-père  de  David 
AIruy  ou  Alroy,  lequel  beau-père  élail  peu 
délicat,  que  le  prétendu  Messie  fut  poignardé 
dans  son  lit.  «  C'est  toujours  la  fin  de  telles 
gens,  dilLeloyer;  et  les  magiciens  juifs  n'en 
ont  pas  meilleur  marché  que  les  autres 
magiciens,  quoi  que  leur  persuadent  leurs 
talmudistes,  qu'ils  sont  obéis  de  l'esprit  ma- 
lin. Car  c'est  encore  une  menlerie  duTalmud 
des  Juifs,  qu'il  n'est  rien  do  difficile  aux  sages, 
maîtres  et  savants  en  leurs  lois,  que  les  es- 
prits d'enfer  et  célestes  leur  cèdent,  et  que 
Dieu  même  (ô  blasphème  Ij  ne  leur  peut  ré- 
sister (2)...» —  Ce  magicien  est  appelé  encore 
dans  de  vieux  récils  \logricus.  Il  est  enterré 
dans  une  île  mystérieuse.  Voy.  Corbeau. 

ALTANGATUFUN,  idole  des  Kalmoutls, 
qui  avait  le  corps  el  la  tête  d'un  serpent , 
(2)  Leioyer,  discours  des  spectres,  liv.  IV,  cb.  i. 


n 


AM.V 


AMA 


•JS 


Qvcc  quali'c  pieJs  de  lézard.  Celui  qui  porte 
avec  vépéralion  son  image  est  invulnérable 
tliins  les  coiiibals.  Pour  en  faire  l'épreuvo, 
un  khan  fit  suspendre  celle  idole  attachée  à 
un  livre,  et  l'exposa  aux  coups  des  plus  ha- 
biles archers  ;  leurs  traits  ne  purent  attein- 
dre le  livre, qu'ils  percèrent  au  contraire  dès 
.■>(ue  l'idole  en  fut  détachée.  C'est  là  une  lé- 
gende de  Cosaques. 

ALVEIIOMANCIE ,  ou  ALEUROMANCIE. 
Voy.  ce  mot. 

AMADEUS,  visionnaire  qui  crut  connaî- 
tre par  révélation  deux  psaumes  d'Adam  : 
le  premier  ,  composé  en  transport  de  joie 
à  la  création  de  la  femme,  le  second  en  triste 
dialogue  avec  Eve,  après  la  chute  (1). 

AMAIMON.  Voy.  Amoym  )N. 

AMALARIC  ,  roi  d'Espagne,  qui  épousa  la 
princesse  Clolilde,  sœur  du  roi  des  Frar.6  s 
Childeberl.  La  pieuse  reine,  n'approuvant 
pas  les  excès  de  son  mari,  tombé  dans  l'aria - 
uisme,  le  barbare,  après  d'autres  mauvais 
traitements,  lui  fit  crever  les  yeux.  Ciotilde 
envoya  à  son  frère  un  mouchoir  teint  de  son 
sang,  et  Childebert  marcha  aussitôt  avec  une 
armée  contre  Amalaric.  La  justice  des  hom- 
mes fut  prévenue  par  la  justice  éternelle. 
Tandis  que  le  bourreau  de  Clolilde  s'avan- 
çait au-devant  des  Francs,  il  tomba  percé 
d'un  trait  lancé  par  une  main  invisible.  Des 
légendaires  ont  écrit  que  cette  mort  était 
l'ouvrage  du  diable;  mais  le  trait  ne  venait 
pas  d'en  bas  (2). 

AMALARIC  (Madeleine)  ,  sorcière  qui  al- 
lait au  sabbat  et  qui,  accusée  de  onze  homi- 
cides, fut  mise  à  mort  à  soixante-quinze  ans 
dans  la  baronnie  de  la  Trimouille,  à  la  fin 
du  seizième  siècle  (3). 

AMAUANTHE,  fleur  que  l'on  admet  parmi 
les  symboles  de  l'immortalité.  Les  magiciens 
attribuent  aux  couronnes  faites  d'amaran- 
Ihe  de  grandes  propriétés,  et  surtout  la  vertu 
de  concilier  les  faveurs  et  la  gloire  à  ceux  qui 
les  portent. 

AMASIS.  Hérodote  raconte  qu'Amasis,  roi 
d'Egypte,  eut  l'aiguillette  nouée,  et  qu'il  fal- 
lut employer  les  plus  solennelles  impréca- 
tions de  la  magie  pour  rompre  le  charme. 
Voy.  Ligatures. 

AMAZONES,  nation  de  femmes  guer- 
/ières,  dont  Strabon  regarde  à  tort  l'cxis- 
lence  comme  une  fable.  François  de  Terre - 
Blanca  dit  (4-)  qu'elles  étaient  sorcières;  ce 
qui  est  plus  hasardé.  Elles  se  brûlaient  la 
mamelle  droite  pour  mieux  tirer  de  l'arc;  et 
le  père  Ménestrier  croit  que  la  Diane  d'E- 
plièse  n'était  ornée  de  tant  de  mamelles  qu'à 
cause  que  les  Amazones  lui  consacraient 
telles  qu'elles  se  retranchaient.  On  dit  que 
celle  république  sans  hommes  habitait  la 
Cappadoce  et  les  bords  du  Thermodon.  Les 
modernes  ont  cru  retrouver  des  peuplades 
d'amazones  en  voyant  des  femmes  armées 
tur  les  bords  du  Maragnon,  qu'un  a  nommé 

(t)  Ces  deux  psaumes  sont  imprimés  dans  le  Codex 
pseudepigrapbus  velerisTeslamenti  de  Fabricius. 

(2)  Laml>ertinl  de  Cruz-Uoucn ,  Tliealrmn  regium  bis- 
(laiiicum,  ad  ann.  510. 

(3)  Uikius.  Disc,  sommaire  des  sortilèges,  véncflces. 


pour  cela  le  fleuve  des  Amazones.  Des  mis- 
sionnaires en  placent  une  nalion  dans  les 
Philippines,  et  Thévenot  une  autre  dans  la 
Mingrélie.  Mais,  dit-on,  une  république  d.j 
femmes  ne  subsisterait  pas  six  mois,  et  cis 
états  merveilleux  no  sontque  fictions  inven- 
tées pour  récréer  l'imagination.  Cependant, 
voici  un  curieux  passage  qui  nous  est  fourni 
par  les  explorations  récentes  de  M.  Texier 
dans  l'Asie  Mineure  : 

«J'ai  lieu  d'être  satisfait  de  mon  voyage, 
écrit  M.  Texier  à  M.  Albert  Leiioir,  car  j'.ii 
découvert  sur  les  frontières  de  la  Galalie 
une  ville  de  la  plus  grande  importance.  Fi- 
gure-toi plus  de  trois  mille  carrés  de  ter- 
rain ,  couverts  de  monuments  cyclopéens 
d'une  belle  conservation,  des  citadelles,  des 
palais,  les  murailles  avec  les  portes  ornées 
de  têtes  de  lions,  et  des  glacis  comme  ceux 
de  nos  places,  inclinés  à  35 degrés,  et  de  dix 
à  douze  mètres  de  penle,  un  temple  immense 
dont  l'appareil  est  admirable.  Il  est  entouré 
de  part  et  d'autre  de  dllules  ou  chambres 
dont  une  seule  pierre  forme  la  paroi ,  et  qui 
cependant  ont  six  à  sept  utètres  de  longueur. 

Avant  d'arriver  à  ces  superbes  ruines, 
M.  Texier  avait  reconnu  dans  la  ville  mo- 
derne de  Galagik,  Galalon-Teikos,  l'ancienne 
cité  des  Gallo-Grecs  ,  Galatœ.  Il  avait  en- 
suite suivi  le  cours  de  l'Halys,  et,  Ueux  jours 
après  l'avoir  quitté,  il  était  arrivé  à  ces  rui- 
nes. «  Si  les  géographes,  écrit-il  à  M.  Dureau 
de  la  Malle,  n'étaient  pas  aussi  unanimes 
pour  placer  Tavia  aux  bords  de  l'Halys,  je 
croirais  que  j'ai  trouvé  Tavia.  Ce  temple  ne 
serait  pas  autre  chose  que  le  temple  de  Jupi- 
ter avec  l'asile.  Mais  la  découverte  de  cette 
ville,  fort  importante  par  elle-même,  est 
effacée  par  celle  d'un  monument  que  j'ai 
trouvé  dans  les  montagnes  voisines  ,  et  qui 
doit  se  placer  au  premier  rang  des  monu- 
ments antiques. 

«  C'est  une  enceinte  de  rochers  naturels  , 
aplanis  par  l'art,  et  sur  les  parois  de  la- 
quelle on  a  sculpté  une  scène  d'une  impor- 
tance majeure  dans  l'histoire  de  ces  peuples. 
Elle  se  compose  de  soixante  figures,  dont 
quelques-unes  sont  colossales.  On  y  recon- 
naît l'entrevue  de  deux  rois  qui  se  font  mu- 
tuellement des  présents.» 

Dans  l'un  de  ces  personnages ,  qui  esC 
barbu  ,  ainsi  que  toute  sa  suite ,  et  dont  l'ap- 
pareil a  quelque  chose  de  rude,  le  voyageur 
avait  d'abord  cru  distinguer  le  roi  de  Paphla- 
gonie  ;  et  dans  l'autre,  qui  est  imberbe 
ainsi  que  les  siens,  il  voyait  le  roi  de  Perse, 
monté  sur  un  lion  et  entouré  de  toute  la 
pompe  asiatique.  Mais  sa  dernière  lettre, 
datée  de  Constantinople,  nous  apprend  qu'il 
à  changé  son  interprétation.  En  communi- 
quant ses  dessins  et  ses  conjectures  aux 
antiquaires  de  Smyrne,  qu'il  a  trouvés  fort 
instruits,  il  s'est  arrêté  à  l'opinion  que  celte 
scène  remarquable   représentait  l'entrevue 

idolâtries,  tiré  des  procès  criminels  jngés  au  siège  riiyal 
de  Montmorillon ,  en  Poitou,  la  présente  année  tOTit, 
p.  29. 
(4)  Kpisl.Delict.  sive  ilemagia,  lib.  I,  cap.  8. 


79 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


so 


annuelle  des  Am;izoiics  avec  le  peuple  voi- 
sin, qui  sprail  les  Louco-Sjricns  ;  cl  la  ville 
voisine,  où  le  témoignage  des  géographes 
l'avait  empôtlié  de  reconnaître  Tavia,  se- 
rait ThémIsrjTO,  capitale  de  re  peuple. 

Celle  explication  nous  paraît  offrir  toute 
espèce  de  probatiililés.  Plusieurs  auteurs 
«nnciens,  que  M.  Texicr  n'a  pu  consulter  à 
Conslaniinoplo,  parlent  en  efîcl  de  celle  en- 
trevue annuelle  des  Amazones  avec  les 
liomnies  d'un  pays  voisin.  Piinc  dit  qu'elle 
durait  cinq  jours.  Au  bout  de  neuf  mois,  on 
faisait  parmi  les  enfants  qui  naissaient  un 
triage,  à  la  suite  duquel  un  gardait  les  (îlles, 
et  l'on  renvoyait  les  garçons  au  peuple  qui 
avait  fourni  les  pères.  Pline  nomme  ceux-ci 
(jynœcocralumeni,  moi  dont  l'énergique  com- 
position indique  la  sujétion  où  ils  étaient 
vis-à-vis  des  Amazones,  leurs  voisines. 

La  pompe  qui  entoure  le  personnage  im- 
berbe, suivi  d'un  magnifique  cortège  égale- 
ment imberbe,  indique  naturellement  les 
Amazones  et  leur  supériorité,  tandis  que  la 
barbe,  la  massue  et  l'appareil  beaucoup  plus 
simple  de  l'autre  corlége  s'applique  très- 
bien  aux  Louco  -  Syriens ,  tributaires  de 
leurs  superbes  voisines.  Ce  monument  si 
antique  serait  dune  un  nouveau  témoignage, 
bien  imposant  de  l'existence  des  Amazones, 
longtemps  traitée  de  fable,  et  dont  de  savan- 
tes rechcrciies  ne  permettent  guère  aujour- 
d'hui de  douter,  malgré  sou  invraisem- 
blance. 

AMBROSIUS  ou  AMBÏIOISE,  roi  d'Angle- 
terre. —  Voy.  Merlin. 

AMDUSCIAS,  grand-duc  aux  enfers.  Il  a  la 
forme  d'une  licorne;  mais  lorsqu'il  est  évo- 
(|ué,  il  se  montre  sous  une  figure  humaine. 
11  donne  des  concerts  si  on  les  lui  com- 
mande; on  entend  alors,  sans  rien  voir,  le 
son  des  trompettes  et  des  autres  instru- 
ments de  musique.  Les  arbres  s'inclinent 
à  sa  voix.  Il  commande  vingt -neuf  lé- 
gions. 

AME.  —  Tous  les  peuples  ont  reconnu 
l'immorlalilé  de  l'âme.  Les  hordes  les  plus 
barbares  ne  l'ont  jamais  élé  assez  pour  se 
rabaisser  jusqu'à  la  brute.  La  brute  n'est 
attachée  qu'à  la  terre  :  1  homme  seul  élève  ses 
regards  vers  un  plus  noble  séjour.  L'insecte 
est  à  sa  place  dans  la  nature;  l'homme  n'est 
pas  à  la  sienne.  Chez  certains  peuples,  on 
altachail  les  criminels  à  des  cadavres  pour 
rendre  leur  morl  plus  affreuse  :  tel  est  ici-bas 
le  sort  de  l'homme.  Cette  âme  qui  n'aspire 
qu'à  s'élever,  qui  est  étrangère  aux  accidents 
(lu  corps,  qui  les  vicissitudes  du  temps  ne 
peuvent  altérer  ,  ne  s'anéantira  pas  avec  la 
matière. 

La  conscience,  le  remords,  ce  désir  de  pé- 
nétrer dans  un  avenir  inconnu,  ce  respect 
que  nous  portons  aux  lombcaux,  cet  cITroi 
de  l'autre  monde  ,  celte  croyance  aux  â(nes, 
qui  ne  se  distingue  que  dans  l'homme  ,  tout 
nous  instruirait  déjà,  quand  mcn)e  la  révé- 
lation ne  Serait  pas  là  pour  repousser  nos 
doutes.  Les  miilérialistes  qui,  voulant  tout 
juger  par  les  yeux  du  corps,  nient  l'existence 
de  l'âme  ,  parce  qu'ils  ne  la  voient  poinl ,  ne 


voient  pas  non  plus  le  sommeil  ;  ils  ne  voient 
pas  le  vent;  ils  ne  comprennent  pas  la  lu- 
mière, ni  cent  mille  autres  faits  que  pourtant 
ils  ne  peuvent  nier. 

On  a  cherché  de  tout  temps  à  définir  ce 
que  c'est  que  l'âme,  ce  rayon,  ce  souffle  de 
la  Divinité.  Selon  les  uns,  c'est  la  conscience, 
c'est  l'esprit;  selon  d'autres,  c'est  cet  espoir 
d'une  autre  vie  qui  palpite  dans  le  cœur  de 
tous  les  hommes.  C'est,  dit  Léon  l'Hébreu,  le 
cerveau  avec  ses  deux  puissances,  le  senti- 
ment et  le  mouvement  volontaire.  C'est  une 
flamme,  a  dit  un  autre.  Bieéarque  affirme 
que  l'âme  est  une  harmonie  et  une  concor- 
dance des  quatre  élémenls. 

Quelques-uns  sont  allés  loin,  et  ont  voulu 
connaître  la  figure  de  l'âme.  Un  savant  a 
môme  prétendu,  d'après  les  dires  d'un  reve- 
nant,  qu'elle  ressemblait  à  un  vase  sphéri- 
(|ue  de  verre  poli,  qui  a  des  yeux  de  tous  les 
côtés. 

L'âme  ,  a-l-on  dit  encore,  est  comme  une 
vapeur  légère  et  transparente,  qui  conserve 
la  figure  humaine.  Un  docteur  talmudique, 
vivant  dans  un  ermitage  avec  son  fi's  et 
quehjues  amis,  vit  un  jour  l'âme  d'un  de  ses 
compagnons  qui  se  détachait  tellement  de 
son  corps,  qu'elle  lui  faisait  déjà  ombre  à  la 
(êle.  Il  comprit  que  son  ami  allait  mourir,  et 
fit  tant  par  ses  prières,  qu'il  obtint  que  cette 
pauvre  âme  rentrât  dans  le  Ci)rps  qu'elle 
abandonnait.  «  Je  crois  de  cette  bourde  ee 
qu'il  faut  en  croire,  dit  Leioyer  (1) ,  comme 
de  toutes  les  autres  bourdes  et  baveries  des 
rabbins.» 

Les  Juifs  se  persua'lcnt,  au  rapport  du 
Hollandais  Hoornbeeek,  que  les  âmes  ont 
toutes  été  créées  ensemble ,  et  par  paires 
d'une  âme  d'homme  cl  d'une  âme  de  feuuuc; 
de  sorte  que  les  mariages  sont  heureux  et 
accompagnés  de  douceur  et  de  paix,  lors- 
qu'on se  marie  avec  l'âme  à  laquelle  on  a 
élé  accouplé  dès  le  commencement;  mais  ils 
sont  malheureux  dans  le  cas  contraire.  On 
a  à  luller  contre  ce  malheur,  ajoutc-t-il,  jus- 
qu'à ce  qu'on  puisse  être  uni,  par  un  secon  l 
mariage ,  à  lâmc  dont  on  a  été  fait  le  pair 
dans  la  création  ;  et  cette  rencontre  est  rare. 

Philon,  juif,  qui  a  écrit  aussi  sur  l'âme, 
pense  que,  comme  il  y  a  de  bons  et  de  mau- 
vais anges,  il  y  a  aussi  de  bonnes  et  de  mau- 
\  aises  âmes,  el  que  les  âmes  qui  descendent 
dans  les  corps  y  apportent  leur  bonnes  ou 
mauvaises  qualités.  Toutes  les  innovations 
des  hérétiques  el  des  philosophes,  et  toutes 
les  doctrines  qui  n'onl  pas  leur  base  dans  les 
enseignements  de  l'Eglise ,  brillent  par  du 
semblables  absurdités. 

Les  musulmans  disent  que  les  âmes  de* 
meurent  jusqu'au  jour  du  jugement,  dans  I<J 
tombeau,  auprès  du  corps  qu'elles  ont  animé. 
Les  pa'ïcns  croyaient  que  les  âuies,  séparées 
de  leurs  corps  grossiers  el  terrestres,  conser- 
vaient après  la  mort  une  forme  plus  subtile  cl 
plus  déliée,  de  la  figure  du  corps  qu'eues 
quittaient,  mais  plus  grande  et  plus  majes- 
tueuse; que  ces  formes  étaient  lumineuses 
et  de  la  nature  des  aslrcs;  que  les  âmes  gai- 

(I)  Leioyer,  Disc,  et  liist,  des  spectres,  liv.  IV,  cli.  1. 


81 


AME 


AME 


Si 


d  licnldcrinclinalion  pour  les  choses  qu'elles 
av.iienl  aimées  pendant  leur  vie,  cl  que  sou- 
vent elles  se  montraient  autour  de  leurs  tom- 
beaux. 

Quand  l'âme  de  Palrocle  se  leva  devant 
Achille, elle  avait  sa  voix,  sa  taille,  ses  yeux, 
ses  habits,  du  moins  en  apparence,  mais 
non  pas  son  corps  palpable. 

Origène  douve  que  ces  idées  ont  une  source 
respectable  ,  et  que  les  âmes  doivent  avoir 
en  effet  une  consistance,  mais  subtile;  il  se 
fonde  sur  ce  qui  est  dit  dans  l'Evangile  du 
Lazare  et  du  mauvais  riche,  qui  ont  tous 
deux  des  formes  puisqu'ils  se  parlent  et  se 
voient,  et  que  le  mauvais  riche  demande  une 
goutte  d'eau  pour  rafraîchir  sa  langue.  Saint 
Irénée  ,  qui  est  de  l'avis  d'Origèiie  ,  conclut 
du  même  exemple  que  les  âmes  se  souvien- 
nent après  la  mort  de  ce  qu'elles  ont  fait  en 
celte  vie. 

Bans  la  harangue  que  fit  Titus  à  ses  sol- 
dats poui  les  eng.iger  à  monter  à  l'assaut  de 
la  tour  Antonia,  au  siège  de  Jérusalem  ,  on 
remarque  une  opinion  qui  est  à  peu  près 
celle  des  Scandinaves.  Vous  savez,  leur  dit- 
il,  que  les  âmes  de  ceux  qui  meurent  à  la 
guerre  s'élèvent  jusqu'aux  astres,  et  sont  re- 
çues dans  les  régions  supérieures,  d'où  elles 
apparaissent  conmic  de  bous  génies;  tandis 
que  ceux  qui  meurent  dans  lour  lit,  quoique 
ayant  vécu  dans  la  justice,  sont  plongés  sous 
terre  dans  l'oubli  et  les  ténèbres  (1). 

Il  y  a,  parmi  les  Siamois,  une  secte  qui 
croit  (jue  les  âmes  vont  et  viennent  où  elles 
veulent  après  la  mort  ;  que  celles  d.s  hommes 
qui  ont  bien  vécu  acquièrent  une  nouvelle 
force,  une  vigueur  extraordinaire,  et  qu'elles 
poursuivent,  attiqueul  et  maltraitent  celles 
des  méchants  partout  où  elles  les  rencon- 
trent. Platon  dit,  dans  le  neuvième  livre  de 
ses  Lois,  que  les  âmes  de  ceux  qui  ont  péri 
de  Diort  violente  poursuivent  avec  fureur, 
dans  l'autre  monde,  les  âmes  de  leurs  meur- 
triers. Cette  croyance  s'est  reproduite  sou- 
vent et  n'est  pas  éteinte  partout. 

Les  anciens  pensaient  que  toutes  les  âmes 
pouvaient  revenir  après  la  mort,  excepté 
les  âmes  des  noyés.  Servius  en  dit  la 
raison  :  c'est  que  l'âme,  dans  leur  opinion, 
n'était  autre  chose  qu'un  feu,  qui  s'éteignait 
dans  l'eau,  comme  si  le  matériel  pouvait  dé- 
truire le  spirituel. 

On  sait  que  la  mort  est  la  séparation  de 
l'âme  d'avec  le  corps.  C'est  une  opinion  de 
l:>us  les  temps  et  de  tous  les  peuples  que  les 
Auies  en  quittant  ce  monde  passent  dans  un 
autre  meilleur  on  plus  mauvais,  selon  leurs 
œuvres.  Les  aucions  donnaient  au  bnle'ier 
Ciiron  la  charge  ûc  conduire  les  âmes  au  sé- 
jour des  ombres.  On  trouve  une  tradilion 
analogue  à  celte  croyance  chez  les  vieux 
Itreluns.  Ces  peuples  plaçaient  le  séjuur  des 
âîucs  dans  une  île  (jui  doit  se  trouver  entre 
l'Angleterre  et  l'Islande.  Les  bateliers  et  pé- 
cheurs, dit  Tzelzès ,  ne  payaient  aucun  tri- 
but, parce  qu'ils  étaient  chargés  de  la  corvée 
de  passer  les  âmes;  et  voici  comment  cela  se 

il)  Jost'iilie,  De  Bollo  jud.,  liv.  VI,  cap.  I,  cilé  dans 
Quliiiii,  iircmièrc  jiarlic  du  U'aiU  de»  Aiipariiions,  cli.  \fi. 


faisait:— Vers  minuit,  ils  entendaient  frapper 
à  leur  porte;  ils  suivaient  sans  voir  personne 
jusqu'au  rivage  ;  là  ils  trouvaient  des  navires 
qui  leur  semblaient  vides,  mais  qui  étaient 
chargés  d'âmes  ;  ils  les  conduisaient  à  l'île 
(les  ombres,  où  ils  ne  voyaient  rien  encore  ; 
mais  ils  entendaient  les  âmes  anciennes  qui 
venaient  recevoir  et  complimenter  les  nou- 
velles débarquées;  elles  se  nommaient  par 
leurs  noms,  reconnaissaientleurs  parents,  etc. 
Les  pêcheurs,  d'abord  étonnés,  s'accoutu- 
maient à  ces  merveilles  et  reprenaient  leur 
chemin.  —  Ces  transports  d'âmes,  qui  pou- 
vaient bien  cacher  une  sorte  de  contrebande, 
n'ont  plus  lieu  depuis  que  le  christianisme 
est  venu  apporter  la  vraie  lumière. 

Ou  a  vu  parfois,  s'il  faut  recevoir  tous  les 
récits  des  chroniqueurs,  des  âmes  errer  par 
troupes.  Dans  le  onzième  siècle,  on  vit  passer 
près  de  la  ville  de  Narni  une  multitude  infinie 
de  gens  vêtus  de  blanc,  qui  s'avançaient  du 
côté  de  l'Orient.  Celle  troupe  défila'depuis  le 
matin  jusqu'à  trois  heures  après  midi.  Mais 
sur  le  soir  elle  diminua  considérablement. 
Tous  les  bourgeois  montèrent  sur  les  mu- 
railles ,  craignant  que  ce  ne  fussent  des 
troupes  ennemies;  ils  les  virent  passer  avec 
une  extrême  surprise. Un  ciladin,  plus  résolu 
que  les  autres,  sortit  de  la  ville  ;  remarquant 
dans  la  foule  mystérieuse  un  homme  de  sa 
connaissance,  il  l'appela  par  son  nom  et  lui 
demanda  ce  que  voulait  dire  cette  multitude 
de  pèlerins.  L'homme  blanc  lui  répondit:  — 
Nous  sommes  des  âmes  qui,  n'ayant  point 
expié  tous  nos  péchés  et  n'étant  pas  encore 
assez  pures,  allons  ainsi  dans  les  lieux  saints, 
en  esprit  de  pénitence  :  nous  venons  de  visi- 
ter le  tombeau  de  sainlMartin,  et  nous  allons 
à  Notre-Dame  de  Farfe  (2). 

Le  bourgeois  de  Narni  fût  tellement  effrayé 
de  cette  vision,  qu'il  en  demeura  malade  pen- 
dant un  an.  Toute  la  ville  de  Narni,  disent 
de  sérieuses  relations,  fut  témoin  de  cette 
procession  merveilleuse ,  qui  se  fit  en  plein 
jour. 

N'oublions  pas,  à  propos  du  sujet  qui  nous 
occupe,  une  croyance  très-répandue  en  Alle- 
magne :  c'est  qu'on  peut  vendre  son  âme  au 
diable.  Dans  tous  les  pactes  faits  avec  l'esprit 
de  ténèbres,  celui  qui  s'engage  vend  son 
âme.  Les  Allemands  ajoutent  même  qu'après 
cet  horrible  marché  le  vendeur  n'a  plus 
d'ombre.  On  conte,  à  ce  propos,  l'histoire 
d'un  étudiant  qui  fit  pacte  avec  le  diable  pour 
devenir  l'époux  d'une  jeune  dame  dont  il  ne 
pouvait  obtenir  la  main.  Il  réussit  avec  l'aide 
du  diable.  Mais  au  moment  de  la  célébration 
du  mariage,  un  rayon  de  soleil  frappa  les 
deux  époux  qu'on  allait  unir;  on  s'aperçut 
avec  effroi  que  le  jeune  homme  n'avait  pas 
d'ombre  :  on  reconnut  qu'il  avait  vendu  son 
âme,  et  tout  fut  rompu. 

Généralement   les  insensés   qui    vendent 

leur  âme  font  leurs  conditions  et  s'arrangent 

pour  vivre  un  certain  nombre  d'anntTes  après 

le  pacte.  Mais  si  on  vend  sans  fixer  de  terme, 

le  diable,  qui  est  pressé  de  jouir,  n'est  pas 

(i)  De  Cura  pro  morluis,  cilé  parCalmet,  preiuièra 
puiiio,  (.1).  1 1. 


13 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


8) 


toujours  délicat;  et  voici  un  trait  qui  mérite 
altenliun  : 

Trois  ivrognes  s'entretenaient,  en  buvant, 
de  rimuiorliililé  de  l'âme  et  des  peines  do 
l'enfer.  L'un  deux  commença  à  s'en  moquer 
et  dit  là-dessu<  des  slupidités  dignes  de  la 
circonstance.  C'était  dans  un  cabaret  de  vil- 
lage. Cependant  survient  un  homme  de  haute 
sinture,  velu  gravement,  qui  s'assied  près 
dos  buveurs,  et  leur  demande  de  quoi  ils 
rient.  Le  plaisant  villageois  le  met  au  fait, 
ajoutant  qu'il  fait  si  peu  de  cas  de  son  âme, 
qu'il  est  prêt  à  la  vendre  au  plus  offrant  et  à 
bon  marché,  et  qu'ils  en  boiront  l'argent. 
—  Et  combien  me  la  vcus-tu  vendre?  dit  le 
nouveau  venu.  Sans  marchander,  ils  con- 
viennent du  prix  ;  l'acheteur  en  compte  l'ar- 
gent, et  ils  le  boivent.  C'était  joie  jusque-là. 
Mais,  la  nuit  venant,  l'acheteur  dit  :  — 11  est 
temps,  je  pense,  que  chacun  se  retire  chez 
soi;  celui  qui  a  acheté  un  cheval  a  le  droit 
de  l'emmener.  Vous  permettrez  donc  que  je 
prenne  ce  qui  est  à  moi.  —  Or,  ce  disant,  il 
empoigne  son  vendeur  tout  tremblant,  et 
l'emmène  où  il  n'avait  pas  cru  aller  si  vite; 
de  telle  sorte  que  jamais  plus  le  pays  n'en 
ouït  nouvelles.  Voy.  Mort. 

AMES  DES  BETES.  Dans  un  petit  ouvrage 
très-spirituel  sur  l'âme  des  bêles ,  le  Père 
Bougeant ,  jésuite  a  développé  cette  sin- 
gulière ideede  quelques  philosophes  anciens, 
que  les  bétes  étaient  animées  par  les  démons 
les  moins  coupables,  qui  faisaient  ainsi  leur 
expiation.  Voy.  albigeois. 

AMETHYSTE,  pierre  précieuse,  d'un  violet 
foncé,  autrefois  la  neuvième  en  ordre  sur  le 
pectoral  du  grand  prêtre  des  Juifs.  Une  vieille 
opinion  populaire  lui  attribue  la  vertu  de 
garantir  de  l'ivresse. 

AMIANTE,  espèce  de  pierre  incombusti- 
ble, que  Pline  et  les  démonographes  disent 
excellentecontre  les  charmes  de  la  magie  (1). 
:AM1LCAR,  général  carthaginois.  Assiégeant 
Syracuse,  il  crut  entendre  pendant  son  som- 
meil, une  voix  qui  l'assurait  qu'il  souperait 
le  lendemain  dans  la  ville.  £n  conséquence, 
il  Gt  donner  l'assaut  de  bon  matin,  espérant 
enlever  Syracuse  et  y  souper,  comme  le  lui 
promettait  son  rêve.  Il  fut  pris  par  les  assié- 
gés et  y  soupa  en  effet,  non  pas  en  vainqueur, 
ainsi  qu'il  s'y  était  attendu,  mais  en  captif: 
te  qui  n'empêcha  pas  le  songe  d'avoir  pré- 
dit iuste  (2). 

Hérodote  conte  encore  qu'Amilcar,  vaincu 
par  Gélou,  disparut  vers  la  fin  de  la  bataille, 
et  qu'on  ne  le  retrouva  plus;  si  bien  que  les 
Carthaginois  le  miienl  au  rang  de  leurs 
dieux  et  lui  offrirent  des  sacrifices. 

AMMON.  Voy.  Jupiter-Ammon. 

A.MN10MANCIE,divinationsurla coiffe  ou 
membrane  qui  enveloppe  quelquefois  la  tête 
des  enfants  naissants,  ainsi  nommée  de  celte 
coiffe  que  les  médecins  appelaient  en  grec 
nmnios.  Les  sages-femmes  prédisaient  le  sort 
fulur  du  nouveau-né  par  l'inspection  de  cette 
coiffe;  elle  annonçait  d'heureuses  destinées 

(!)  Delancre,  de  l'Inconstance,  clc,  liv.  IV,  dise  3 

(1)  Valère-Maxime. 

t^  Wicrus,  in  IVudomouarcbia  cUeiu. 


si  elle  était  rouge,  et  des  malheurs  si  elle 
présentait  une  couleur  plombée.  Voy,  GoifFU. 

AMON,  ou  AAMON,  grand  et  puissant 
marquis  de  l'empire  infernal.  Il  a  la  figure 
d'un  loup,  avecunequeuede  serpent;  il  vomit 
de  la  flamme  ;  lorsqu'il  prend  la  forme  hu- 
maine, il  n'a  de  l'homme  que  le  corps;  sa  lêlo 
ressemble  à  celle  d'un  hihou  etson  bec  laisse 
voir  des  dents  canines  très-effilées.  C'est  le 
plus  solide  des  princes  des  démons  :  Il  sail 
le  passé  et  l'avenir,  et  réconcilie,  quand  il  le 
veut,  les  amis  brouillés.  Il  commande  à  qua- 
rante légions  (3). 

AMOUR.  Parmi  les  croyances  superstitieu- 
ses qui  se  rattachent  innocemment  à  l'a- 
mour, nous  citerons  celle-ci,  qu'un  homme 
est  généralement  aimé  quand  ses  chevenx 
frisent  naturellement.  A  Roscoff  en  Breta- 
gne, les  femmes  après  la  messe  balayent  la 
poussière  de  la  chapelle  de  la  Sainte- 
Union,  la  soufflent  du  côté  par  lequel  leurs 
époux  ou  leurs  fiancés  doivent  revenir , 
et  se  flattent,  au  moyen  de  cet  inoff  nsif 
sortilège,  de  fixer  le  cœur  de  celui  qu'elles 
aiment  (4).  Dans  d'autres  pays,  on  croit  stu- 
pidement se  faire  aimer  en  attachant  à  son 
cou  certains  mots  séparés  par  des  croix 
Voy.  Philtres.  Voy.  aussi  Rhombus. 

Il  y  a  eu  des  amants  entraînés  parleurs  pas- 
sions qui  se  sont  donnés  au  démon  pour  être 
heureux.  On  conte  qu'un  valet  vendit  son 
âme  au  diable,  à  condition  qu'il  deviendrait 
l'époux  de  la  fille  de  son  maître,  ce  (jui  le 
rendit  le  plus  infortuné  îles  hommes. 

On  attribue  aussi  à  l'inspiration  des  démons 
certaines  amours  monstrueuses,  romme  la 
pnssion  de  Pygmalion  pour  sa  statue.  Un  jeu- 
ne homme  devint  pareillement  éperdu  pour 
la  Vénus  de  Praxitèle;  un  Athénien  se  tua  do 
désespoir  aux  pieds  de  la  statue  delaFortune, 
qu'il  trouvaitinsensible.Ces  traits  ne  sontque 
dis  folies  déplorables,  pour  ne  pas  dire  pluj. 

AMOYMON  ou  AMAIMON  ,  l'un  des  qua^ 
tre  rois  de  l'enfer,  dont  il  gouverne  la  partie 
orientale.  On  l'évoque  le  matin,  de  neul 
heures  à  midi,  et  le  soir  de  trois  à  six  heu- 
res. Asmodée  est  son  lieutenant  et  le  pre- 
mier prince  de  ses  états  (3j. 

AMPHIARAUS,  devin  de  l'antiquité,  qui  se 
cacha  pour  ne  pas  aller  à  la  guerre  de  Thè- 
bes,  parce  qu'il  avait  prévu  qu'il  y  mour- 
rait; ce  qui  eut  lieu  lorsqu'on  l'eut  décou- 
vert et  forcé  à  s'y  rendre.  Mais  on  ajoulo 
qu'il  ressuscita.  Oa  lui  éleva  un  temple  dans 
l'Atlique,  près  d'une  fontaine  sacrée  par  la- 
quelle il  s'était  coulé  en  revenant  des  enfers. 

Il  guérissait  les  malades  en  leur  indiquant 
des  remèdes  dans  des  songes,  comme  font 
de  nos  jours  ceux  qui  pratiquent  le  som- 
nambulisme magnétique.  Il  rendait  aussi 
p.'ir  ce  moyen  des  oracles,  moyennant  argent. 
Après  les  sacrifices,  le  consultant  s'endor^ 
mait  sur  une  peau  de  mouton  ;  et  il  lui  ve- 
nait un  rêve  qu'on  savait  toujours  interpré> 
1er  après  l'événement.  On  lui  attribue  des 
proplicties  écrites  en  vers,  qui  ne  sont  pas 

(4)  Voyage  de  M.  Canibry  diins  le  Fliiisière,  t  I. 
(oj  Witius,  io  PsL'uUomunaicliia  Jaiu. 


25 


A\;U 


A  MU 


86 


venues  jusqu'à  nous.  Il  inventa  la  pyroman- 
cie.  Voyez  ce  Mot. 

AMPHION,  Pausanias,  Wierus  et  beau- 
ponp  d'autres  mollenl  Amphion  au  rang  des 
habiles  magiciens,  parce  qu'il  rebâtit  les 
•nurs  de  Thèhcs  au  son  de  sa  lyre. 

AMPHISBÈNE,  serpent  auquel  on  attribue 
lieux  têtes  ans  doux  extrémités,  par  lesquel- 
les il  mord  également.  Le  docteur  Brown  a 
combattu  celle  erreur,  que  Pline  avait  adop- 
tée. «  On  ne  nie  point,  dit  Brown  (1),  qu'il 
n'y  ait  eu  quelques  serpents  à  deux  lôtes  , 
dont  chacune  était  à  l'extrémilé  opposée. 
Nous  trouvons  dansAbidovrand  un  lézard  de 
cette  même  forme,  et  tel  était  peut-être  l'am- 
phisbène  dont  Cissien  du  Puy  montra  la 
figure  au  savant  Fuber.  Gela  arrive  quelque- 
fois aux  animaux  qui  font  plusieurs  petils  à 
la  fois,  cl  surtout  aux  serpents,  dont  les  œufs 
étant  attachés  les  uns  aux  autres  peuvent 
s'unir  sous  diverses  formes  el  s'éclore  de  la 
sorte.  Mais  ce  sont  là  des  productions  mons- 
trueuses, contraires  à  celle  loi  suivant  la- 
quelle toute  créature  engendre  son  sembla- 
ble, et  qui  sont  marquées  comme  irréguliô- 
res  dans  le  cours  général  de  la  nature.  Nous 
douterons  donc  que  l'amphisbène  soit  une 
race  de  serpents  à  deux  têtes,  jusqu'à  ce  que 
le  fait  soil  confirmé.  » 

AMULETTE,  préservatif.  Ou  appelle  ainsi 
certains  remèdes  superstitieux  que  l'on 
porte  sur  soi  ou  que  l'on  s'allache  au  cou 
pour  se  préserver  de  quelque  maladie  ou  de 
quelque  danger.  Les  Grecs  les  nommaient 
phylactères,  les  Orientaux  talismans.  G'é- 
t  lient  des  images  capricieuses  (  un  scarabée 
chez  les  Egyptiens  ),  des  morceaux  de  par- 
chemin, de  cuivre,  d'étain,  d'argent,  ou  en- 
core de  pierres  particulières  où  l'on  avait 
tracé  de  certains  caractères  ou  de  certains 
hiéroglyphes. 

Comme  cettesuperstilion  est  néed'un  atla- 
chemcnt  excessif  à  la  vie  el  d'une  crainte 
puérile  de  tout  ce  qui  peut  nuire,  le  christia- 
nisme n'est  venu  à  bout  de  la  détruire  que 
chez  les  Ddèles  (2).  Dès  les  premiers  siècles 
de  l'Eglise,  les  Pères  et  les  conciles  défen- 
dirent ces  pratiques  du  paganisme.  Ils  repré- 
sentèrent les  amulettes  comme  un  reste  ido- 
lâtre de  la  confiance  qu'on  avait  aux  préten- 
dus génies  gouverneurs  du  monde.  Le  cure 
Tliiers  (3)  a  rapporté  un  grand  nombre  de 
passages  des  Pères  à  ce  sujet,  et  les  canons 
de  plusieurs  conciles. 

Les  lois  humaines  condamnèrent  aussi 
l'usage  des  amulettes.  L'empereur  Constance 
défendit  d'employer  les  amulettes  el  les 
charmes  à  la  guérison  des  maladies.  Cette 
loi, rapportée  par  Ammien  Marcellin,  fut  exé- 
cutée si  sévèrement, que  Valenlinien  fit  punir 
de  mort  une  vieille  femme  qui  ôtait  la  fièvre 
avec  des  paroles  charmées,  et  qu'il  fit  cou- 
per la  tête  à  un  jeune  homme  qui  touchait 
un  certain  morceau  de  marbre  en  pronon- 
çant sept  lettres  de  l'alphabet  pour  guérir  le 
mal  d'estomac  (4). 

(I)  Essii  sur  les  errcors,  liv.  HI,  cli.  13. 
(i)  Itergicr,  Dictionnaire  tliéoloj;iiiiie. 
(g;  ïiaiié  des  supcrslilions,  liv.  V,  tli.  1 


Mais  comme  il  fallait  des  préservatifs  aux 
espriis  fourvoyés,  qui  sont  toujours  le  plus 
grand  nombre,  on  trouva  moyen  d'éluder  la 
loi.  On  fit  des  amulettes  avec  des  morceaux 
de  papier  chargés  de  versets  de  l'Ecriture 
sainte.  Les  lois  se  montrèrent  moins  rigides 
contre  cette  coutume,  et  on  laissa  aux  prê- 
tres le  soin  d'en  modérer  les  abus. 

Les  Grecs  modernes,  lorsqu'ils  sont  mala- 
des, écrivent  le  nom  de  leur  infirmité  sur 
un  papier  triangulaire  qu'ils  attachent  à  la 
porto  de  leur  chambre.  Ils  ont  grande  foi  à 
celte  amulette. 

Quelques  personnes  portent  sur  elles  le 
commencement  de  l'Evangile  de  saint  Jean 
comme  un  préservant  contre  le  tonnerre;  et 
ce  qui  est  assez  particulier,  c'est  que  les 
Turcs  ont  confiance  à  cette  même  amulelte, 
si  l'on  en  croit  Pierre  Leloyer. 

Une  autre  queslion  est  de  savoir  si  c'est 
une  superstition  de  porter  sur  soi  les  reli- 
ques des  saints,  une  croix,  une  image  une 
chose  bénite  par  les  prières  de  l'Eglise  ,  un 
Agnus  Dei,  elc,  et  si  l'on  doit  mettre  ces 
choses  au  rang  des  amulettes,  comme  le 
prétendent  les  protestants.  —  Nous  recon- 
naissons que  si  l'on  attribue  à  ces  choses  la 
vertu  surnaturelle  de  préserver  d'accidents  , 
de  mort  subite,  de  mort  dans  l'état  de 
péché,  etc.,  c'est  une  superstition.  Elle  n'est 
pas  dumême  genre  que  celle  des  amulettes, 
dont  le  prétendu  pouvoir  ne  peut  pas  se  rap- 
porter à  Dieu  ;  mais  c'est  ce  que  les  théolo- 
giens appellent  vaine  observance,  parce  que 
l'on  attribue  à  des  choses  saintes  et  respec- 
tables un  pouvoir  que  Dieu  n'y  a  point  atta- 
ché. Un  chrétien  bien  instruit  ne  les  envisage 
point  ainsi;  il  sail  que  les  saints  ne  peuvent 
nous  secourir  que  par  leurs  prières  el  par 
leur  intercession  auprès  de  Dieu.  C'est  pour 
cela  que  l'Eglise  a  décidé  qu'il  est  utile  et 
louable  do  les  honorer  et  de  les  invoquer.  Or 
c'est  un  signe  d'invocation  et  de  respect  à 
leur  égard  de  porter  sur  soi  leur  image  ou 
leurs  reliques;  de  même  que  c'est  une  mar- 
que d'affection  et  de  respect  pour  une  per- 
sonne que  de  garder  son  portrait  ou  quel- 
que chose  qui  lui  ait  appartenu.  Co  n'est 
donc  ni  une  vaine  observance  ni  une  folle  con- 
fiance d'espérer  qu'en  considération  de  l'af- 
l.'clion  el  du  respect  que  nous  témoignons  à 
un  saint,  il  intercédera  el  priera  pour  nous. 
Il  en  est  de  même  des  croix  et  des  Agnus  Dei. 
Bergier,   Dictionnaire  théologique. 

On  lit  dans  Thyrœus  (5)  qu'on  1568,  dans 
le  duché  d>;  Juliers,  le  prince  d'Orange  con- 
damna un  prisonnier  espagnol  à  mourir;  que 
ses  soldats  l'attachèrent  à  un  arbre  et  s'ef- 
forcèrent de  le  tuer  à  coups  d'arquebuse; 
mais  que  leurs  balles  ne  l'atteignirent  point. 
On  le  déshabilla  pour  s'assurer  s'il  n'avait 
pas  sur  la  peau  une  armure  qui  arrêtai  le 
coup;  on  trouva  une  amulette  portant  la  fi- 
gure d'un  agneau;  on  la  lui  ou»,  el  le  pre- 
mier coup  de  fusil  l'éteudit  raide  mort. 

U)  Voyez  Ammi    -Marcellin,  lib.  XVI,  XIX,  XXIX,  el 
le  P.  Lubruii,  liv.  III,  cb.  2. 
(îij  Uisp  de  Dœmouiac.  pars  UI,  wp.  43. 


8T 


I ICTIONNAIUE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


On  voit,  dans  la  vieille  chronique  de  dom 
IJrsino,  QUC  quand  sa  mère  l'envoya,  tout 
petit  enfant  qu'il  était,  à  Saint-Jacques  de 
Compostelle,  elle  lui  mit  au  cou  une  amu- 
litlc  que  son  époux  avait  arrachée  à  un  che- 
valier maure.  La  vertu  de  celte  amulelle 
était  d'adoucir  la  fureur  des  bêles  cruelles. 
En  traversant  une  forél,  une  ourse  enleva 
le  petit  prince  des  mains  de  sa  nourrice  et 
l'emporta  dans  sa  caverne.  Mais,  loin  de  lui 
faire  aucun  mal,  elle  l'clcva  avec  tendresse; 
il  devint  par  la  suite  très-fameux  sous  le 
nom  de  dom  Ursino,  qu'il  devait  à  l'ourse, 
sa  nourrice  sauvage,  et  il  fut  reconnu  par 
son  père,  à  qui  la  légende  dit  qu'il  succéda 
sur  le  Irdne  de  Navarre. 

Les  nègres  croient  beaucoup  à  la  puis- 
sance dis  amulettes.  Les  Bas-Bretons  leur 
attribuent  le  pouvoir  de  repousser  le  démon. 
Dans  le  Finistère,  quand  on  porte  un  enfant 
au  baptême,  on  lui  met  au  cou  un  morceau 
de  pain  noir,  pour  éloigner  les  sorts  cl  les 
maléfices  que  les  vieilles  sorcières  pourraient 
jeter  sur  lui  (1).  Voy.  Alès. 

AMY,  grand  président  aux  enfers,  et  l'un 
des  princes  de  la  monarchie  infernale.  Il  pa- 
rait là- bas  environné  de  flammes,  mais  il  af- 
fecte surlalerredes  traits  humains. Ilenseignc 
les  secrets  de  l'astrologie  et  des  arts  libé- 
raux ;  il  donne  de  bons  domestiques;  il  dé- 
couvre, à  ses  amis ,  les  trésors  gardés  par 
les  démons;^  il  est  préfet  de  trcnle-six  lé- 
gions. Des  anges  déchus  et  des  puissances 
sont  sous  ses  ordres.  1!  espère  qu'après  deux 
cent  mille  ans  il  retournera  dans  le  ciel  pour 
y  occuper  le  septième  trône;  ce  qui  n'est 
pas  croyab'e,  dit  Wierus  (2), 

AMYRAUT  (Moïse I,  théologien  protestant, 
né  dans  l'Anjou,  en  1596,  mort  en  16Gi.  On 
lui  doit  un  Traité  des  songes,  aujourd'hui 
peu  recherché. 

ANAGRAMME.  Il  y  eut  des  gens,  surtout 
dans  les  quinzème  et  seizième  siècles,  qui 
prétendaient  trouver  des  sens  cachés  dans 
les  mets  qu'ils  décomposaient,  et  une  di- 
vination dans  les  anagrammes.  On  cite 
comme  une  des  plus  heureuses  celle  que  l'on 
fit  sur  le  meurtrier  de  Henri  111,  Frère  dit 
Jacques  Clément,  où  l'on  trouve  :  C'est  l'en- 
fer qui  m'a  créé.  — Deux  religieux  en  dis- 
pute, le  père  Proust  et  le  père  d'Orléans, 
faisaient  des  anagrammes;  le  père  Proust 
trouva  dans  le  nom  de  son  confrère  :  l'Asne 
d'or,  et  le  père  d'Orléans  découvrit  dans  celui 
du  père  Proust:  Pur  sot. 

Un  nommé  André  Pujon,  de  la  haute  Au- 
vergne, passant  par  Lyon  pour  se  rendre  à 
Paris,  rêva  la  nuit  que  l'anagramme  de  son 
nom  était  pendu  à  liiom.  En  effet,  on  ajoute 

(l)  On  lil  dans  les  sages  observalions  de  Thomas  C.im|)- 
bcll  sur  Alger  ;  —  «  11  y  a  dans  l'Algérie  quelques  Maures 
et  quelques  Juils  qui  se  préleiidenUIOLleiirs,  el  des  femmes 
qui  se  disent  accoucbeuses.  Mais  les  médecins  et  les  chi- 
rurgiens du  pays  ne  savent  pas  un  mot  d'anatomie;  ils 
ignorent  jusqu'au  nom  des  drogues  qu'ils  prennent  ÎJ  tort 
et  à  travers.  En  chirurgie,  ils  ne  savent  pas  même  manier 
la  lancette.  Eu  médecine,  ils  viennent  au  secours  d'une 
colique,  de  la  pierre  et  de  la  pleurésie,  par  rapplicatiOf 
d'un  fer  rouge  sur  la  partie  souffrante  :  ce  traitement 
force  souvent  le  patient  à  crier  qu'il  est  guéri ,  alin  qu'on 
çi;sse  le  remède.  Ils  saisncat  avec  un  rasoir,  el  ancleu 


que  le  lendemain  il  s'éleva  une  querelle  entre 
lui  et  un  homme  de  sou  auberge,  qu'il  tua 
son  adversaire,  et  qu'il  fut  pendu  huit  jours 
après  sur  la  place  publique  de  Riom.  — 
C'est  un  vieux  conte  renouvelé.  On  voit 
dans  Delancre  (3)  que  le  pendu  s'appelait 
Jean  de  Pruom,  dont  l'anagramme  est  la 
même. 

J.-B.  Rousseau,  qui  ne  voulait  pas  re- 
connaître son  père,  parce  que  ce  n'é'.ail 
qu'un  humble  cordonnier,  avait  pris  le  nom 
de  Vernictics,  dont  l'anagramme  fui  faite; 
on  y  trouva  :  Tu  te  renies. 

On  fit  de  Pierre  de  Ronsard,  rose  de  Pin- 
dare. 

On  donna  le  nom  de  cabale  à  la  ligue  des 
favoris  de  Charles  11  d'Angleterre,  qui  étaient 
Clifford  ,  Ashley  ,  Buckingham,  Arlinglon, 
Lauderdale,  parce  (;ue  les  initiales  des  noms 
de  ces  cinq  minisires  formaient  le  mot  cabal. 

On  voulut  présenter  comme  une  prophétie 
cette  anagramme  de  Louis  quatorzième,  roi 
de  France  et  de  Navarre:  «  Va,  Dieu  con- 
fondra l'armée  qui  osera  te  résister...  » 

Parfois  les  anagrammes  donnent  pourtant 
un  sens  qui  étonne.  Qu'est-ce  que  la  vérité? 
Quid  est  veritas?  demande  Pilate  à  1  Homme- 
Dieu;  et  il  se  lève  sans  ,it  endre  la  réponse. 
Mais  elle  esl  dans  la  question  dont  l'ana- 
gramme donne  exactement  :  est  vir  qui  adest. 
C'est  celui  qui  est  devant  vous. 

Les  Juifs  cabalisles  ont  fait  des  anagrammes 
la  troisième  partie  de  letir  cabale  :  leur  but 
est  de  trouver,  dans  la  transposition  des  let- 
tres ou  des  mots,  des  sens  cachés  ou  mysté- 
rieux. Voy.  Onomancie. 

ANAMELECH,  démon  obscur,  porteur  de 
mauvaises  nouvelles.  11  était  adoré  à  So- 
pliarvaïm,  ville  des  Assyriens.  Il  s'est  mon- 
Irésouslafignred'une  caille. Son  nomsignifle, 
à  ce  qu'on  dit,  bon  roi;  et  des  doctes  assu- 
rent que  ce  démon  est  la  lune,  et  Adramolcch 
le  soleil. 

ANANCITIDE,  Voy.  Aglaophotis. 

ANANIAou  ANAGNl  (Jean  u"),  juriscon- 
sulte du  quinzième  siècle,  à  qui  on  doit 
quatre  livres  De  la  Nature  des  démons  (4),  et 
un  traité  De  la  Magie  et  des  mali' fiées  (5).  Ces 
ouvrages  sont  peu  connus.  Anania  mourut 
en  Italie  en  1458. 

ANANISAPTA.  Les  cabalisles  disent  que  ce 
mol,  écrit  sur  un  parchemin  vierge,  est  un 
talisman  très-efficace  contre  les  maladies. 
Les  lettres  qui  le  composent  sont,  à  leur 
avis,  les  initiales  des  mots  qui  forment  la 
prière  suivante  :  Antidotum  Nazareni  Au- 
ferat  Necem  Intoxicationis,  Sanctificet  Ali- 
menta Poculaque  Trinitas  Aima. 

ANANSIÉ.  C'est  le  nom  de  l'araigoée  gi- 

les  liémorrhagies  avec  de  la  poix  ! 

«  Le  docteur  Abernelliy,  dans  une  leçon  sur  le  goîire, 
disait  qu'il  ne  savait  comment  guérir  cette  maladie,  el 
que  peut-être  la  meilleure  ordonnance  serait  de  siffler.  Il 
ebt  possible  en  vérité  que  les  amulettes  données  aux 
Algériens  par  leurs  marabouts  soient  les  remèdes  les  plui 
innocents  de  leur  pharmacie.  » 

(2)  In  Pseudomon.  dsemonum.. 

(3)  L'Incrédulité  et  mécréance,  etc.,  traité  S. 

(4)  De  Naturadjemonum,  lib.  IV,  in-12;  Keapoli,  VXii, 

(5)  De  Magia  et  njaieficiis,  iu-l»;  Luiçduni,  1663. 


8*) 


ANA 


AND 


90 


gantcsqiie  et  loute-puissanfo  à  qui  les  nègres 
«le  la  Côtc-dOr  atlribuenl  la  création  de 
l'homme.  Voy.  Araignée. 

ANARAZEL,  l'un  des  démons  chargés  de 
la  garde  dos  trésors  souterrains,  qu'ils  trans- 
portent d'un  lieu  à  un  autre  pour  les  dérober 
aux  recherches  des  hommes.  C'est  Annrazel 
qui,  avec  ses  compagnons  Gazicl  et  Fécor, 
ébranle  les  fondements  des  maisons,  excite 
les  tempêtes,  sonne  les  cloches  à  minuit,  fait 
paraître  les  spectres  et  inspire  les  terreurs 
nocturnes. 

ANATHÈME.Ccmol,  tiré  du  grec,  signifie 
exposé,  signalé,  dévoué.  On  donnait  chez  les 
païens  le  nom  d'anathèmes  aux  filets  qu'un 
pêcheur  déposait  sur  l'autel  des  nymphes  de 
la  mer,  au  miroir  que  Laïs  consacra  à  Vénus, 
aux  offrandes  de  coupes,  de  vêtements,  d'in- 
struments et  de  figures  diverses.  Ou  l'appli- 
qua ensuite  aux  objets  odieux  que  l'on  ex- 
posait dans  un  autre  sens,  comme  la  tête  ou 
les  dépouilles  d'un  coupable;  et  l'on  appela 
anathème  la  victime  vouée  aux  dieux  infer- 
naux. 

Chez  les  Juifs  l'analhème  a  été  générale- 
ment pris  ainsi  en  mauvaise  part.  Chez  les 
chrétiens  c'est  la  malédiction  ou  l'être  mau- 
dit. L'homme  frappé  d'anathèmc  est  retran- 
ché de  la  communion  des  fidèles. 

Il  y  a  beaucoup  d'exemples  qui  prouvent 
les  effets  de  l'anathème;  et  comment  expli- 
quer ce  fait  constant,  que  peu  d'excommu- 
niés ont  prospéré?  —  Voy.  Excommunica- 
tion, Pierres  d'anathème,  etc. 

Les  magiciens  et  les  devins  emploient  une 
sorte  d'anathème  pour  découvrir  les  voleurs 
et  les  maléfices:  voici  cette  superstition. 
Nous  prévenons  ceux  que  les  détails  pour- 
raient scandaliser,  qu'ils  sont  extraits  des 
grimoires.  —  On  prend  de  l'eau  limpide;  on 
rassemble  autant  de  petites  pierres  qu'il  y  a 
de  personnes  soupçonnées;  on  les  fait  bouil- 
lir dans  cette  eau;  on  les  enterre  sous  le  seuil 
rie  la  porte  pur  où  doit  passer  le  voleur  ou 
la  sorcière,  en  y  joignant  une  lame  d'clain 
sur  laquelle  sont  écrits  ces  mots  :  Christus 
vincit,  Christus  régnât,  Christus  imperat.  On 
a  eu  soin  de  donner  à  chaque  pierre  le  nom 
de  l'une  des  personnes  qu'oii  a  lieu  de  soup- 
çonner. —  On  ôte  le  tout  de  dessus  le  seuil 
de  la  porte  au  lever  du  soleil;  si  la  pierre 
qui  représente  le  coupable  estbrûlante,  c'est 
déjà  un  indice.  Mais,  comme  le  diable  est 
sournois,  il  ne  faut  pas  s'en  content'^;  on 
récite  donc  les  sept  psaumes  de  la  pénitence, 
avec  les  litanies  des  saints  :  on  prononce 
ensuite  les  prières  de  l'exorcisme,  contre  le 
voleur  ou  la  sorcière;  on  écrit  son  nom  dans 
un  cercle;  on  plante  sur  ce  nom  un  clou 
d'airain  ,  de  forme  triangulaire,  qu'il  faut 
enfoncer  avec  un  marteau  dont  le  manche 
soit  de  bois  de  cyprès,  et  on  dit  quelques 
paroles    prescrites    rigoureusement   à   cet 

(I)  Jusius  es,  Domine,  et  justa  sunt  jiidicia  tua. 

i'ï)  Comme  la  première,  c'est  une  inconvenance.  On 
ajnu;e  aux  l'aroli  s  saintes  du  sij^ne  de  la  croix  :  —  Drocli, 
Wirroch,  Esenarotli,  Bétuijarocli,  Assmaarotli,  qu'on  cn- 
11  umOI»  de  sig.içs  de  ciyix. 


effet  (1).  Alors  le  volcar  se   trahit  par  un 
grand  cri. 

S'il  s'agit  d'une  sorcière,  et  qu'on  veuille 
seulement  ôicr  le  maléfice  pour  le  rejeter 
sur  celle  qui  l'a  jeté,  on  prend,  le  samedi, 
avant  le  lever  du  soleil,  une  branche  de  cou- 
drier d'une  année,  et  on  dit  l'oraison  sui- 
vante :  «  Je  le  coupe, rameau  de  cetteannée, 
«  au  nom  de  celui  qae  je  veuxblcsser  comme 
«  je  te  blesse.  »  On  met  la  branche  sur  la 
table,  en  répétant  trois  fois  une  certaine 
prière  (2)  qui  se  termine  par  ces  mots  :  Qiio 
le  sorcier  ou  la  sorcière  soitanathèmp,etnous 
saufs  (3)1 

ANATOLIUS, philosophe  platonicien,  maî- 
tre de  Jamblique,  et  auteur  d'un  traité  des 
Sympathies  et  des  antipathies,  dont  Fabricius 
a  conservé  quelques  fragments  dans  sa  Bi- 
bliothèque grecque. 

ANAXILAS,  philosophe  pythagoricien  qui 
vivaitsous  Auguste.  On  l'accusa  de  magie, 
parce  qu'il  faisait  de  mauvaises  expériences 
(!e  physique,  et  Auguste  le  bannit.  Il  fut  l'in- 
venteur du  flambeau  infernal,  qui  consiste 
à  brûler  du  soufre  dans  un  lieu  privé 
de  lumière,  ce  qui  rend  les  assistants  fort 
laiils. 

ANDERSON  (  Alexandre  ).  Voy.  Vampi- 
res, à  la  fin. 

ANDRADË,  médecin  qui  eut  des  révéla- 
lions  en  853.  Elles  sont  peu  curieuses;  cepen- 
dant Duchesne  les  a  recueillies  dans  sa  col- 
lection des  historiens  français  [k). 

ANDRAS,  grand  marquis  aux  enfers.  On 
le  voit  avec  le  corps  d'un  ange,  la  tête  d'un 
chal-huani ,  à  cheval  sur  un  loup  noir,  et 
portant  à  ïa  main  un  sabre  pointu.  11  ap- 
prend à  ceux  qu'il  favorise,  à  tuer  leurs  en- 
nemis, maîtres  et  sirvitcurs;  c'est  lui  qui 
élève  les  discordes  et  les  querelles;  il  com- 
mande trente  légions. 

ANDRÉ  (Tobie),  auteur  d'un  livre  sur  le 
pouvoir  des  mauvais  anges, rare  et  peu  recher- 
ché (5).  Dix-sep;ième  siècle. 

ANDRE^E  (Jean-Valentin),  luthérien,  né 
dans  le  durhede  Wurtemberg  en  1593,  mo:  t 
en  1654.  Sis  connaissances  confuses,  son 
activité  mal  réglée,  les  mystérieuses  allu- 
sions qui  se  remarquent  dans  ses  premiers 
ouvrages,  l'ont  fait  regarder  comme  le  fon- 
dateur du  fameux  ordre  des  Roses-Croix. 
Plusieurs  écrivains  allemands  lui  attribuent 
au  moins  la  réorganisation  de  cet  ordre  se- 
cret, affilié  depuis  àceluidis  Francs-Maçons, 
qui  révèrent  encore  la  mémoire  d'Andreœ. 
—  Ses  ouvrages,  au  nombre  de  cent,  prê- 
chent généralement  la  nécessité  des  sociétés 
secrètes,  surtout  la  République  Chrialianopo' 
litaine,  la  Tour  de  Babel,  le  Chaos  des  juge- 
ments portés  sur  la  Fraternité  de  la  Rose- 
Croix,  Vidée  d'une  Société  Chrétienne,  la 
lié  forme  générale  du  Monde  ,  et  les  Noces 
chimiques  de   Chrétien  Jiosencreulz.  —  On 

(ô)  Wierns,  De  Prœ-stig.  daem.,  lib.  V,  cap.  v. 

(4)  Excer|]ta  liiiri  revelationum  Andradi  medicl,  anno 
833,  tomo  II,  Scriptorum  And.  Ducliesne. 

(o)  Tuliia;  AnJrea;  Exercitaliones  pliilosophic»  de  anfre» 
SuJ'uiu  maloruni  iiotculia  iii  torpora,  in  12;  Au'Slel.,  llîU 


PI 


nA:TlO;SNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


93 


attribue  à  Andreœ  des  voyages  merveilleux, 
une  existence  pleine  de  mystères  et  des  pro- 
diges qu'on  a  copiés  récemment  en  grande 
partie  dans  lu  peinture  qu'on  nous  a  faite 
des  tours  de  passe  passe  di;  Caglioslro. 

ANDRIAGUE,  animal  fabuleux,  espèce  de 
cheval  ou  de  griffon  ailé,  que  les  romans  de 
chevalerie  donnent  quelquefois  aux  magi- 
ciens, qu'ils  prêtent  même  à  leurs  héros  ,  et 
qu'on  relrouYC  aussi  dans  des  contes  de 
fées. 

ANDROALPHUS  ,  puissant  démon  ,  mar- 
quis de  l'empire  infernal  ;il  se  montre  sous 
la  figure  d'un  paon  à  la  voix  grave.  Quand 
il  parait  avec  la  forme  humaine ,  on  peut  le 
contraindre  à  donner  des  leçons  de  géométrie. 
li  est  astronome,  et  il  enseigne  de  plus  à  er- 
goter habilement.  11  donne  aux  hommes  des 
figures  d'oiseaux  ;  ce  qui  permet  à  ceux  qui 
commercent  avec  lui  d'éviter  la  griffe  des  ju- 
ges. Trente  légions  sont  sous  ses  ordres  (1). 

ANDROGINA.  Bodin  et  Delancre  content 
(2)  qu'en  1536,  à  Casai,  en  Piémont,  on  re- 
marqua qu'une  sorcière  ,  nommée  Andro- 
gina,  entrait  dans  les  maisons,  et  que  bien- 
tôt après  on  y  mourait.  Elle  fut  prise  et  li- 
vrée aux  juges  ;  elle  confessa  que  quarante 
sorcières  ,  ses  compagnes  ,  avaient  composé 
avec  elle  le  maléfice.  C'était  un  onguent  dont 
elles  allaient  graisser  les  loquels  des  portes  ; 
ceux  qui  louchaient  ces  loquets  mouraient 
en  peu  de  jours.  —  «  La  mémo  chose  advint 
à  Genève  en  1363  ,  ajoute  Delancre  ,  si  bien 
qu'elles  y  mirent  la  peste  ,  qui  dura  plus  de 
sept  ans.  Cent  soixante-dix  sorcières  furent 
exécutées  à  Rome  pour  cas  semblable  som 
it  consulat  de  Claudius  Marcellus  et  de  Va- 
lerius  Flaccus  :  mais  la  sorcellerie  n'élant 
pas  encore  bien  reconnue,  on  les  prenait 
simplement  alors  pour  des  empoisonneu- 
ses  » 

ANDROIDES,  automates  à  Ggure  humaine. 
^-Voy.  MÉCANIQUE  et  Albert  lb  Grand. 

ANE.  Les  Égyptiens  traçaient  son  image 
sur  les  gâteaux  qu'ils  offraient  à  Typhou  , 
dieu  du  mal.  Les  Romains  regardaient  la  ren- 
<  outre  de  l'âne  comme  un  mauvais  présage. 
Mais  cet  animal  était  honoré  dans  l'Arabie. 

Certains  peuples  trouvaient  quelque  chose 
de  mystérieux  dans  celte  innocente  bête  ,  et 
«n  pratiquait  autrefois  une  divination  dans 
laquelle  on  employait  une  tête  d'âne.  Voy. 
Képhalonomancie. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  parler  de  la  fêle 
lie  l'âne.  Mais  relevons  une  croyance  popu- 
laire qui  fait  de  la  croix  noire  qu'il  porte  sur 
le  dos  une  distinction  accordée  à  l'espèce,  à 
cause  de  l'ânesse  de  Belhphagé.  C'est  un  fait 
singulier.  Mais  Pline,  qui  était  presque  con- 
temporain de  l'ânesse  qui  porta  Noire-Sei- 
gneur ,  et  qui  a  rassemblé  avec  soin  tout  ce 
r\ai  concerne  l'âne,  ne  parle  d'aucune  révolu- 
lion'survenue  dans  la  distribution  de  la  cou- 
leur et  du  poil  de  cet  animal.  On  peut  donc 
croire  que  les  ânes  ont  toujours  porté  celte 
marque. 

(1)  Wienis,  in  Pseudomor  daemon. 
(i)  Déinonoinauie,  liv.  fV,  cli.  iv.  Tableau  de  l'incoii- 
tiliace,  cic.,  iJv.  n,  Uibc,  i. 


Chez  les  Indiens  du  Maduré,  une  des  pre- 
mières castes,  celle  des  cavaravadouks,  pré- 
tend descendre  d'un  âne  ;  ceux  de  celte  caste 
traitent  les  ânes  en  frères,  prennent  leur  dé- 
fense, poursuivent  en  justice  et  font  condam- 
ner à  l'anieiide  quiconque  les  charge  trop  ou 
les  bat  et  les  outrage  sans  raison.  Dans  les 
temps  de  pluie,  ils  donneront  le  couvert  à  un 
âne  et  le  refuseront  à  son  conducteur,  s'il 
n'est  pas  de  certaine  condition  M). 

Voici  une  vieille  fable  sur  l'ane  :  Jupiter 
venait  de  prendre  possession  de  l'empire  ;  les 
hommes,  à  son  avènement,  lui  demandèrent 
un  printemps  éternel,  ce  qu'il  leur  accorda  ; 
il  chargea  l'âne  de  Silène  de  porter  sur  la 
terre  ce  présent.  L'âne  eut  soif,  et  s'appro- 
cha d'une  fontaine  ;  le  serpent  qui  la  gardait, 
pour  lui  permettre  d'y  boire,  lui  demanda  le 
trésor  dont  il  était  porteur,  et  le  pauvre  ani- 
mal troqua  le  don  ducici  contre  un  peu  d'eau. 
C'est  depuis  ce  temps,  dit-on,  que  les  vieux 
serpents  changent  de  peau  et  rajeunissent 
perpétuellement. 

Aiais  il  y  a  des  ânes  plus  adroits  que  ce- 
lui-là :  à  une  demi-lieue  du  Kaire  se  trou- 
vait, dans  une  grande  bourgade,  un  bateleur 
qui  avait  un  âne  si  instruit  que  les  manants 
le  prenaient  pour  un  démon  déguisé.  Son 
maître  le  faisait  danser  ;  ensuite  il  lui  disait 
que  le  soudan  voulait  conslruire  un  bel  édi- 
fice, et  qu'il  avait  résolu  d'employer  tons  les 
ânes  du  Kaire  à  porter  la  chaux  ,  le  mortier 
et  la  pierre.  Aussitôt  l'âne  se  laissait  tomber, 
raidissait  les  jambes  et  fermait  les  yeux 
comme  s'il  eûl  été  mort.  Le  bateleur  se  plai- 
gnait de  la  mort  de  son  âne  ,  et  priait  qu'on 
lui  donnât  un  peu  d'argent  pour  en  acheter 
un  autre. 

Après  avoir  recueilli  quelque  monnaie  : 
Ah  !  disait-il,  il  n'est  pas  mort,  mais  il  a  fait 
semblant  de  l'être,  parce  qu'il  sait  que  je  n'ai 
pas  le  moyen  de  le  nourrir. — Lève-toi, 
ajoutail-il.  —  L'âne  n'en  faisait  rien.  Ce  que 
voyant ,  le  maître  annonçait  que  le  soudan 
avait  fait  crier  à  son  de  trompe  que  le  peuple 
eût  à  se  trouver  le  lendemain  hors  de  la  ville 
du  Kaire,  pour  y  voir  de  grandes  magnificen- 
ces.—  Il  veut,  poursuivait-il,  que  les  plus 
nobles  dames  soient  montées  sur  des  ânes... 

—  L'âne  se  levait  à  ces  mots  ,  dressant  la 
tête  et  les  oreilles  en  signe  de  joie.  —  Il  est 
vrai  ,  reprenait  le  bateleur  ,  que  le  gouver- 
neur de  mon  quartier  m'a  prié  de  lui  prêter 
le  mien  pour  sa  femme  ,  qui  est  une  vieille 
roupilleuse  édenlée. 

L'âne  baissait  aussitôt  les  oreilles  et  com- 
mençait à  clocher ,  comme  s'il  eût  élc  boi- 
teux*(2). 

Ces  ânes  merveilleux  ,  disent  les  démono- 
graphes,  élaient,  sinon  des  démons,  au  moins 
des  hommes  métamorphosés  ;  comme  Apulée, 
(jui  fut ,  ainsi  qu'on  sait ,  transmué  en  âne. 
Vincent  de  Beauvais  (3)  raconte  la  légende  de 
deux  femmes ,  qui  tenaient  une  petite  au- 
berge auprès  de  Rome,  et  qui  allaient  vendre 

(1)  Saint-l'^oÎT,  t.  IF  des  Essais  sur  Paris. 

(2)  Léo  Àfricanus,  pari.  8  délia  Africa,  elle  dans  Lcr 
loyer. 

^3)  lu  Si)ccul.  nalur.,  Ul).  III,  cap.  «ii. 


85 


ANC 


-\NG 


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I 


leurs  hôtes  au  marché  après  les  avoir  chan- 
gés en  cochons  de  lail,  en  poulets  ,  en  mou- 
lons. Une  d'elles,  njoutc-l-il  ,  transforma  un 
comédien  en  âne  ;  et,  comme  il  conservait 
SCS  tîilents  sous  sa  nouvelle  peau,  elle  le  me- 
nait dans  les  foires  des  environs,  où  il  lui  ga- 
gnait beaucoup  d'argent.  Un  voisin  acheta 
très-cher  cet  âne  savant.  En  le  lui  livrant,  la 
sorcière  se  borna  à  lui  recommander  de  ne 
pas  le  laisser  entrer  dans  l'eau,  ce  que  ic 
nouveau  maître  de  l'âne  observa  quelque 
temps.  Mais  un  jour  le  pauvre  animal,  ayant 
trouvé  moyen  de  rompre  son  licou  ,  se  jeta 
dans  un  lac  ,  oiî  il  reprit  sa  forme  naturelle, 
au  grand  étonncminl  de  son  conducteur. 
L'allaire,  dit  le  conte,  fut  portée  au  juge,  qui 
fil  châtier  les  deux  sorcières. 

Les  rabbins  font  très  grand  cas  de  Tânesse 
de  Balaara.  j'est ,  disent-ils ,  un  animal  pri- 
vilégié que  Dieu  forma  à  la  fin  du  sixième 
jour.  Abraham  se  servit  d'elle  pour  porter 
le  bois  destiné  au  sacrifice  d'Isaac  ;  elle 
porta  ensuite  la  femme  et  le  fils  de  Moïse 
dans  le  désert.  Ils  assurent  que  celle  ânesso 
est  soigneusement  nourrie  et  réservée  dans 
un  lieu  secret  jusqu'à  l'avénemenl  du  Mes- 
sie juif,  qui  doit  la  monter  pour  soumellre 
toute  la  terre.  Voy.  Borack. 

ANGAT.  Nom  du  diable  à  Madagascar,  oiî 
il  esl  regardé  comme  un  génie  sanguinaire 
et  cruel.  On  lui  donne  la  figure  du  serpeiU. 
ANGELIERI,  Sicilien  du  dix-septième  siè- 
cle, qui  n'est  connu  que  par  un  fatras  dont 
il  publia  deux  volumes,  et  dont  il  en  promc  t- 
lait  vingt-quatre  ,  sous  le  tilrc  de  Lumière 
Tnayi(/ue,  ou  origine,  ordre  et  gouvernement 
de  toutes  les  choses  célestes,  terrestres  et  in- 
fernales, etc.  (1).  Mongitore  en  parle  dans  le 
lomc  I"  d:t  sa  Bibliothèque  sicilienne. 

ANGÉLIQUE,  plante  qui  passe  pour  un 
prcscrv.iiif  contre  les  fascinations  de  la  ma- 
gie. On  la  mettait  en  manière  d'amulclle  au 
cou  des  petits  enfants  pour  les  garantir  des 
maléfices. 

ANGERBODE  ou  ANGURBODE,  femme  gi- 
gantesque qui  se  njaria  avec  le  diable,  selon 
l'opinion  des  Scandinaves,  et  qui  enfanta 
trois  monstres  :  le  loup  Fenris  ,  le  serpent 
Jormungandur  et  la  démone  Héla,  qui  garde 
le  monde  souterrain. 

ANGES.  Les  Juifs,  à  l'exception  des  sadu- 
céens  ,  admettaient  cl  honoraient  les  anges , 
en  qui  ils  voyaient,  comme  nous ,  des  sub- 
stances spirituelles,  intelligentes,  et  les  pre- 
mières en  dignité  entre  les  créatures. 

Les  rabbins  ,  qui  depuis  la  dispersion  ont 
tout  altéré,  et  qui  pla(  eut  la  création  des  an- 
ges au  second  jour,  ajoutent  (ju'ayant  été  ap- 
pelés au  conseil  de  Dieu,  lorsqu'il  voulut  fur 
mer  l'homme,  leurs  avis  furent  partagés,  et 
que  Dieu  fil  Adam  à  leur  insu,  pour  éviter 
leurs  murmures.  Us  reprochèrent  néanmoins 
à  Dieu  d'avoir  donné  trop  d'empire  à  .\dam. 
Dieu  soutint  l'excellence  de  son  ouvrage  , 
parce  que  l'homme  devait  le  louer  sur  la 

(1^  Lux  magica  acaili'mic.i,  cœleslium,  terresuium  rt 
infernorum  origo,  ordo  cl  subordiiialio  cuiiclorum  quoad 
esse,  fieri  el  operari ,  JXIV  voluminibus  divisa.  Pars  1, 
Teuise,  1C86,  sous  le  i^om  de  Livio  Bctani;  pars  %,  Yc- 


terrc  ,  comme  les  anges  le  louaient  dans  la 
ciel.  11  leur  demanda  ensuite,  s'ils  savaient 
le  nom  de  toutes  les  créatures  ?  Us  répondi- 
rent que  non  ;  el  Adam,  (lui  parut  aussitôt , 
les  récita  tous  sans  hésiter  ,  ce  qui  les  con- 
fondit. 

L'Ecriture  sainte  a  conservé  quelquefois 
aux  démons  le  nom  d'anges ,  mais  auges  de 
ténèbres,  anges  déchus  ou  mauvais  anges. 
Leur  chef  est  appelé  le  grand  dragon  et  l'an- 
cien serpent  ,  à  cause  de  la  forme  qu'il  prit 
pour  tenter  la  femme. 

Zoroastre  enseignait  l'existence  d'un  nom- 
bre infini  d'anges  ou  d'esprits  médiateurs  , 
auxquels  il  attribuait  non-seulement  un 
pouvoir  d'intercession  subordonné  à  la  pro- 
vidence continuelle  de  Dieu  ,  mais  un  pou- 
voir aussi  absolu  que  celui  que  les  païens 
prêtaient  à  leurs  dieux  (2).  C'esl  le  culte 
rendu  à  des  dieux  secondaires  que  saint  Paul 
a  condamné  (3). 

Les  musulmans  croient  que  les  hommes 
ont  chacun  deux  anges  gardiens  ,  dont  l'un 
écrit  le  bien  qu'ils  font,  et  l'autre,  le  mal.  Ces 
anges  sont  si  bons,  ajoutent-iln,  que,  quand 
celui  qui  est  sous  leur  garde  fait  une  mau- 
vaise action  ,  ils  le  laissent  dormir  avant  du 
l'enregisirer,  espérant  qu'il  pourra  se  repen- 
tir à  son  révtil. 

Les  Persans  donnent  à  chaque  homme  cinq 
anges  gardiens  ,  qui  sont  placés  :  le  premier 
à  sa  droite  pour  écrire  ses  bonnes  actions,  le 
second  à  sa  gauche  peur  écrire  les  mauvai- 
ses, le  troisième  devant  lui  pourle  conduire, 
le  quatrième  derrière  pour  le  garantir  des 
démons  ,  et  le  cinquième  devant  son  front 
pour  tenir  son  espril  élevé  vers  le  prophète. 
D'autres  en  ce  pays  portent  le  nombre  des 
anges  gardiens  jus(]u'à  cent  soixante. 

Les  Siamois  divisent  les  anges  en  sept  or- 
dres, et  les  chargent  de  la  garde  des  planètes, 
des  villes,  des  personnes.  Us  disent  que  c'est 
pendant  qu'on  étcrnue  que  les  mauvais  an- 
ges écrivent  les  fautes  des  hommes. 

Les  théologiens  admettent  neuf  chœurs 
d'anges,  en  trois  hiérarchies  :  les  séraphins, 
les  chérubins,  les  trônes;  —  les  domina- 
tions, les  principautés,  les  vertus  des  cieux  j 
—  les  puissances,  les  archanges  et  les  anges. 
Parce  que  des  anges,  en  certaines  occa- 
sions où  Dieu  l'a  voulu,  ont  secouru  les  Juifs 
contre  leurs  ennemis,  les  peuples  modernes 
ont  quel(iuefois  attendu  le  même  prodige.  Lo 
jour  de  la  prise  de  Constantinople  par  Ma- 
homet 11,  les  Grecs  schismatiquos ,  comptant 
sur  la  prophétie  d'un  de  leurs  moines,  se  per- 
suadaient que  les  Turcs  n'entreraient  pas 
dans  la  ville,  mais  qu'ils  seraient  arrêtés  aux 
murailles  par  un  ange  armé  d'un  glaive,  qui 
les  chasserait  et  les  repousserait  jusqu'aux 
frontières  de  la  Perse.  Quand  l'ennemi  parut 
sur  la  brèche  ,  le  peuple  et  l'armée  se  réfu^ 
gièrent  dans  le  temple  de  Sainte-Sophie,  sans 
avoir  perdu  tout  espoir;  mais  l'ange  n'arriva 
pas,  et  la  ville  fut  saccagée. 

nise,  1687.  Ces  deui  vol.  sont  in-4". 
(2)  13prgier,  Dicliomiaire  lliéologique. 
(.lj  Coloss-,  cap.  u,  vers.  ly. 


!)5 


MCTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


W 


cardan  raconle  qu'un  jour  qu'il  était  à 
Milan,  le  bruit  se  répandit  tout  à  coup  qu'il  y 
avait  un  ange  dans  les  airs  au-(!essus  do  la 
ville.  Il  accourut  et  vit,  ainsi  que  deux  mille 
personnes  rassemblées,  un  ange  qui  planait 
dans  les  nuages  ,  armé  d'une  longue  épée  et 
les  ailes  étendues.  Les  habitants  s'écriaient 
que  c'était  l'ange  exterminateur;  et  la  con- 
siernation  devenait  générale ,  lorsqu'un  ju- 
risconsulte fit  remarquer  que  ce  qu'on  voyait 
n'était  que  la  représentation  qui  se  faisait 
dans  les  nuées  ,  d'un  ange  de  marbre  blanc 
placé  au  haut  du  clocher  de  Saint-Gothard. 
Vov.  Armées  prodigieuses. 

ÂNGEWEILLER.  Voy.  Fées. 

ANGUEKKOK,  espèce  de  sorcier  auquel  les 
Groenlandais  ont  recours  dans  tous  leurs 
embarras.  Ainsi,  quand  les  veaux  marins  ne 
se  montrent  pas  en  assez  grand  nombre  ,  on 
va  prier  l'anguekkok  d'aller  trouver  la  femme 
prodigieuse  qui,  selon  la  tradition,  a  traîne 
la  grande  île  de  Disco,  de  la  rivière  de  IJaal, 
où  elle  était  située  autrefois ,  pour  la  placer 
à  plus  de  cent  lieues  de  là,  à  l'endroit  où  elle 
se  trouve  aujourd'hui.  D'après  la  légende, 
cette  femme  habite  au  fond  de  la  mer ,  dans 
une  vaste  maison  gardée  par  les  veaux  ma- 
rins; des  oiseaux  de  mer  nagent  dans  sa 
lampe  d'huile  de  poisson  ,  et  les  habitants  de 
l'abîme  se  réunissent  autour  d'elle,  attirés 
par  son  éclat,  sans  pouvoir  la  quitter,  jusqu'à 
ce  que  l'anguekkoK  la  saisisse  par  les  che- 
veux ,  et ,  lui  enlevant  sa  coiffure  ,  rom;:e  le 
charme  qui  les  retenait  auprès  d'elle. 

Quand  un  Groenlandais  tombe  malade,  c'est 
encore  l'anguekkok  qui  lui  sert  de  médecin  ; 
il  se  charge  également  de  guérir  les  maux  du 
corps  et  ceux  de  l'âme  (1).  Voyez  Torngar- 

SUK. 

ANGUILLE.  —  Les  livres  de  secrets  mer- 
veilleux donnent  à  l'anguille  des  vertus  sur- 
prenantes. Si  on  la  laisse  mourir  hors  de  l'eau, 
qu'on  mette  ensuite  son  corps  entier  dans  du 
fort  vinaigre  mêlé  avec  du  sang  de  vautour, 
et  qu'on  place  le  tout  sous  du  fumier,  cette 
composition  «  fera  ressusciter  tout  ce  qui  lui 
sera  présenté,  et  lui  redonnera  la  vie  comme 
auparavant  (2).  » 

Des  autorités  de  la  même  force  disent  en- 
core que  celui  qui  mange  le  cœur  tout  chaud 
d'une  anguille ,  sera  saisi  d'un  instinct  pro- 
phétique, et  prédira  les  choses  futures. 

Les  Egyptiens  adoraient  l'anguille,  que 
leurs  prêtres  seuls  avaient  droit  de  manger. 

On  a  beaucoup  parlé,  dans  le  dernier  siècle, 
des  anguilles  formées  de  farine  ou  de  jus  de 
inonton  ;  c'était  une  de  ces  plaisanteries  qu'on 
a))pelle  aujourd'hui  un  canard. 

N'oublions  pas  le  petit  trait  d'un  avare, 
rapporté  par  Guillaume  de  Malmesbury, 
doyen  d'Elgin  ,  dans  la  province  de  Murray 
en  Ecosse,  lequel  avare  fut,  par  magie,  changé 
en  anguille  et  mis  en  matelotte  ^3). 

ANIMAUX.  —  Us  j;!)ucnt  un  grand  rôle 
«Il  us  les  anciennes  mythologics.  Les  païens 
en  adoraient  plusieurs ,  ou  par  terreur  ,  ou 

(I)  l^xpéilition  du  capitaine  Graaii  dans  le  Groenland. 
(2|  Admirables  Secrets  (l'Albert  le  Grand,  liv.  Il,  cl).  i:i. 
(5J  Ciié  par  M.  Salgues.  .Des  Erreur]  et  des  l'réjuges, 


par  reconnaissance ,  ou  par  suite  des  doc- 
trines de  la  métempsycose.  Chaque  dieu 
avait  un  animal  qui  lui  était  dévoué.  Les 
anciens  philosophes  avaient  parfois  ,  au  su- 
jet des  animaux,  de  singulières  idées.  Celse, 
qui  a  été  si  bien  batlu  par  Origène  ,  soute- 
nait très  sérieusement  que  les  animaux  ont 
plus  de  raison,  plus  de  sagesse,  plus  de  vertu 
que  l'homme  (peut-être  jugeait-il  d'après  lui- 
même),  et  qu'ils  sont  dans  un  commerce  plus 
iiiiimc  avec  la  Divinité.  Quelques-uns  ont 
cherché  Jans  de  telles  idées,  l'origine  du  cullo 
que  les  Egyptiens  rendaient  à  plusieurs  ani- 
maux. Mais  daulres  mythologues  vous  diront 
que  ces  animaux  étaieni  révérés,  parce  qu'ils 
avaient  prêlé  leur  peau  aux  dieux  égyp- 
tiens en  déroule  et  obligés  à  se  travestir. 
Voy.  Ame  des  bêtes. 

Divers  animaux  sont  très-réputés  dans  la 
sorcellerie  ,  comme  le  coq  ,  le  chat ,  le  cra- 
paud ,  le  bouc ,  le  loup  ,  le  chien  ,  ou  parce 
qu'ils  accompagnent  les  sorcières  au  sabb.it, 
ou  pour  les  présages  qu'ils  donnent,  ou  parce 
que  les  magiciens  et  les  démons  empruntent 
I  urs  formes.  Nous  en  parlerons  à  leurs  ar- 
ticles particuliers. 

Dix  animaux  sont  admis  dans  le  paradis  do 
Mahomet  :  la  baleine  de  Jonas,  la  fourmi  do 
Salomon,  le  bélier  d'ismacl,  le  veau  d'Abra- 
ham ,  l'âne  d'Aasis  ,  reine  de  Saba  ,  la  cha- 
melle du  prophè;e  Saleh  ,  le  bœuf  de  Moïse, 
le  chien  des  sept  dormants ,  le  coucou  de 
Belkis  et  l'âne  de  Mahomet.  Voy.  Borack. 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  d'une  erreur 
populaire  qui,  aujourd'hui,  n'est  plus  très- 
enracinée.  On  croyait  autrefois  que  toutes 
les  espèces  qui  sont  sur  la  terre  se  trouvaient 
aussi  dans  la  mer.  Le  docteur  BroTvn  a  prouvé 
que  cette  opinion  n'était  pas  fondée.  «  11  se- 
rait bien  difficile,  dit-il,  de  trouver  1  huître  sur 
la  terre  ;  et  la  panihère  ,  le  chameau  ,  la 
taupe  ne  se  rencontrent  pas  dans  l'histoire 
naturelle  des  poissons.  D'ailleurs  le  renard, 
le  chien  ,  l'âne,  le  lièvre  de  mer  ne  ressem- 
blent pas  aux  animaux  terrestres  qui  portent 
le  même  nom.  Le  cheval  marin  n'est  pas  plus 
un  cheval  qu'un  aigle  ;  le  bœuf  de  mer  n'est 
qu'une  grosse  raie  ;  le  lion  marin,  une  espèce 
d'écrevisse;  et  le  chien  marin  ne  représenie 
pas  plus  le  chien  de  terre  que  celui-ci  ne  res- 
semble à  l'étoile  Sirius  ,  qu'on  appelle  aussi 
le  chien  (4).  » 

Il  serait  long  et  hors  de  propos  de  rappor- 
ter ici  toutes  les  bizarreries  que  l'esprit  hu- 
main a  enfantées  par  rapport  aux  animaux. 
Voy.  BÊTES,  etc. 

ANJORRAND.  —  Voy.  Denis. 

ANNEAU.  —  Il  y  avait  autrefois  beaucoup 
d'anneaux  enchantés  ou  chargés  d'amulelies. 
Les  magiciens  faisaient  des  anneaux  constel- 
lés avec  lesquels  on  opérait  dos  merveilles. 
Voy.  Eléazar.  —  Cette  croyance  était  si  ré- 
pandue chez  les  païens,  que  leurs  prêlres  ne 
pouvaient  porter  d'anneaux  ,  à  moins  qu'ils 
ne  fussent  si  simples  qu'il  était  évident  qu'ils 
ne  contenaient  pas  d'amulettes  (5). 

t.  I,  p.  323. 
(l)  Brown,  Des  Erreurs  populaires,  'iv.  lU,  cli.  xxir. 
{y,  Aitiu-Cclle,  lib.  ,X,  cap.  xxv. 


97 


ANC 


AÎSG 


rs 


Les  anneaux  magiques  devinrent  aussi  de 
quelque  usage  chez  les  chrétiens,  et  même 
beaucoup  de  superstilions  se  ruUachèrent  au 
simple  anneau  d'alliance.  On  croyait  qu'il  y 
avait  dans  le  quatrième  doigt  ,  qu'on  appela 
spécialement  doigt  annulaire  ou  doigt  destiné 
à  l'anneau,  une  ligne  qui  répondait  directe- 
ment au  cœur;  on  recommanda  donc  de  inet- 
Ire  l'anneau  d'alliance  à  ce  seul  doigt.  Le 
moment  où  le  mari  donne  l'anneau  à  sa  jeune 
épouse  devant  le  prêtre  ,  ce  moment ,  dit  un 
vieux  livre  de  secrets  ,  est  de  la  plus  haute 
importance.  Si  le  mari  arrête  l'anneau  à  l'en- 
trée du  doigt  et  ne  passe  pas  la  seconde  join- 
ture ,  la  fLMTime  sera  maîtresse;  mais  s'il  en- 
fonce l'anneau  jusqu'à  l'origine  du  doigt,  il 
sera  chef  et  souverain.  Cette  idée  est  encore 
en  vigueur,  et  les  jeunes  mariées  ont  géné- 
ralement soin  de  courber  le  doigt  annulaire 
au  moment  où  elles  reçoivent  l'anneau  ,  de 
manière  à  l'arrêter  avant  la  seconde  jointure. 

Les  Anglaises  ,  qui  observent  la  même  su- 
perstition, font  le  plus  grand  cas  de  l'anneau 
d'alliance  ,  à  cause  de  ses  propriétés.  Elles 
croient  qu'en  mettant  un  de  ces  anneaux  dans 
un  bonnet  de  nuit,  et  plaçant  le  tout  sous  leur 
chevet ,  elles  verront  en  songe  le  mari  qui 
leur  est  destiné. 

LesOrienlaux  révèrcnllcsanneauxetles  ba- 
gues, cl  croient  aux  anneaux  enchantés.  Leurs 
coules  sont  pleins  de  prodiges  opérés  par  ces 
anneaux. Ils  citent  surtout, avec  une  admiration 
sans  bornes,  Vanneau  de  Salomon,  par  la  force 
duquel  ce  prince  commandait  à  toute  la  nature. 
Le  grand  nom  de  Dieu  est  gravé  sur  celle 
bague,  qui  est  gardée  par  des  dragons,  dans 
le  tombeau  inconnu  de  Salomon.  Celui  qui 
s'emparerait  de  cet  anneau,  serait  maître  du 
monde  et  aurait  lous  les  génies  à  ses  ordres. 
Voy.  Sakhar.  —  A  défaut  de  ce  talisman  pro- 
digieux, ils  achètent  à  des  magiciens  des  an- 
neaux qui  produisent  aussi  des  merveilles. 

Henri  VIII  bénissait  des  anneaux  d'or,  qui 
avaient,  disait-il,  la  propriété  de  guérir  de  la 
crampe  (1). 

Les  faiseurs  de  secrets  ont  inventé  des  ba- 
gues magiques  ([ui  ont  plusieurs  vertus.  Liurs 
livres  parlent  de  Vanneau  des  voyageurs.  Cet 
anneau,  dont  le  secret  n'est  pas  bien  certain, 
donnait  à  celui  qui  le  portait  le  moyen  d'aller 
sans  fatigue  de  Paris  à  Orléans,  et  de  revenir 
d  Orléans  à  Paris  dans  la  même  journée. 

Mais  on  n'a  pas  perdu  le  secret  de  Vanneau 
d'invisibilité .  Les  cabalistes  ont  laissé  la  ma- 
nière de  faire  cet  anneau,  qui  plaça  Gygès  au 
trône  de  Lydie.  Il  faut  entreprendre  cette  opé- 
ration un  mercredi  de  printemps ,  sous  les 
auspices  de  Mercure ,  lorsque  cette  planète 
se  trouve  en  conjonction  avec  une  des  autres 
planètes  favorables,  comme  la  Lune,  Jupiter, 
Vénus  et  le  Soleil.  Que  l'on  ait  de  bon  mer- 
cure fixé  et  purifié;  on  en  formera  une  bague 
où  puisse  entrer  facilement  le  doigt  du  mi- 
lieu; on  enchâssera  dans  le  chaton  une  petite 
pierre  que  l'on  trouve  dans  le  nid  de  la  huppe, 
et  on  gravera  autour  de  la  bague  ces  paro- 

(1)  Misson,  Voyage  d'Italie,  t.  IH,  p.  IC,  à  la  marge. 

(2)  Sailli  Luc,  ch.  iv,  verseiSO. 


les  :  Je'sus  passant  f  an  milieu  d'eux  f  s'en 
alla  (2)  ;  puis,  ayant  posé  le  tout  sur  une  pla- 
que de  mercure  fixé  ,  on  fera  le  parfum  de 
Mercure;  on  enveloppera  l'anneau  dans  un 
taffetas  de  la  couleur  convenable  à  la  planète, 
on  le  portera  dans  le  nid  de  la  huppe  d'où 
l'on  a  lire  la  pierre,  on  l'y  laissera  neuf  jours  ; 
et  quand  on  le  retirera,  on  fera  encore  le  par- 
fum comme  la  première  fois;  puis  on  le  gar- 
dera dans  une  petite  boîte  faite  avec  du  mer- 
cure fixé,  pour  s'en  servir  à  l'occasion.  Alors 
on  mettra  la  bague  à  son  doigt.  En  tournant 
la  pierre  au  dehors  de  la  main,  elle  a  la  vertu 
de  rendre  invisible  aux  yeux  des  assistanis 
celui  qui  la  porte;  et  quand ^n  veut  être  vu. 
il  suffit  de  rentrer  la  pierre  en  dedans  de  la 
main,  que  l'on  ferme  en  forme  de  poing. 

Porphyre,  Jamblique,  Pierre  d'Apone  et 
Agrippa,  ou  du  moins  les  livres  de  secrets 
qui  leursont  attribués,  soutiennent  qu'un  an- 
neau fait  de  la  manière  suivante  a  la  même 
propriété.  Il  faut  prendre  des  poils  qui  sont 
au-dessus  de  la  tète  de  la  hyène,  et  en  fairo 
de  petites  tresses  avec  lesquelles  on  fabrique 
un  anneau,  qu'on  porte  aussi  dans  le  nid  du 
la  huppe.  On  le  laisse  là  neuf  jour»;  on  le 
passe  ensuite  dans  des  parfums  préparés  soui 
les  auspices  de  Mercure  (planète).  On  s'en 
sert  comme  de  l'autre  anneau,  excepté  qu'oii 
rôle  absolument  du  doigt  quand  on  ne  veut 
plus  être  invisible. 

Si,  d'un  autre  côlé,  on  veut  se  précaution- 
ner contre  l'effet  de  ces  anneaux  cabalisti- 
ques, on  aura  une  bague  faile  de  plomb  raf- 
finé et  purgé;  on  enchâssera  dans  le  chaton 
un  œil  de  jeune  belette  qui  n'aura  porté  des 
petits  qu'une  fois;  sur  le  contour  on  gravera 
les  paroles  suivantes  :  Apparuit  Dominus  Si- 
moni.  Celte  bague  se  fera  un  samedi,  lors- 
qu'on connaîtra  que  Saturne  est  en  opposi- 
tion avec  Mercure.  On  l'enveloppera  dans 
un  morceau  de  linceul  mortuaire  qui  ait  en- 
veloppé un  mort;  on  l'y  laissera  neuf  jours  ; 
puis,  l'ayant  retirée,  on  fera  trois  fois  le 
parfum  de  Saturne,  et  on  s'en  servira. 

Ceux  qui  ont  imaginé  ces  anneaux  ont  rai- 
sonné sur  le  principe  de  l'antipathie  qu'ils 
supposaient  entre  les  matières  qui  les  com- 
posent. Rien  n'est  plus  aniipalhique  à  la 
liyène  que  la  beletle,  et  Saturne  rétrograde 
presque  toujours  à  Mercure;  ou,  lorsqu'ils 
se  rencontrent  dans  le  domicile  de  quelques 
signes  du  zodiaque,  c'est  toujours  un  aspect 
funeste  et  de  mauvais  augure  (3J. 

On  peut  faire  d'autres  anneaux  sous  i'in- 
nuencc  des  planètes,  et  leur  donner  des  ver- 
tus au  moyen  de  pierres  et  d'herbes  mer- 
veilleuses. «  Mais  dans  ces  caraclèrus,  her- 
bes cueillies,  constellations  et  charmes,  le 
diable  se  coule,  »  comme  dit  Leloyer,  quand 
ce  n'est  pas  simplement  le  démon  de  la  gros- 
sière imposture.  «  Ceux  qui  observent  les 
heures  des  astres,  ajoute-t-il,  n'obsencut 
que  les  heures  des  démons  qui  président  aux 
pierres,  aux  herbes  et  aux  astres  mêmes,  » 
—  Et  il  est  de  fait  que  ce  ne  sont  ni  des 

(3J  Pclil  Albert. 


niCTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCl  LTES 


100 


sninis  ni  des  cœurs  lionnélcs  qui  se  môlcnt 
tic  ces  superstitions. 

ANNEBERG,  —  démon  des  mines;  il  lua 
un  jour  de  son  soufllc  doure  ouvriers  (jui 
travaillaient  à  une  mine  d'argent  dont  il 
iivait  la  garde.  C'est  un  démon  méclianl,  ran* 
cunier  et  terrible.  Il  se  montre  surtout  en 
Allemagne;  on  dit  qu'il  a  la  figure  d'un  che- 
val, avec  un  cou  immense  et  des  yeux  ef- 
froyables (1). 

ANNÉE. —  Plusieurs  peuples  ont  célébré, 
par  des  cérémonies  plus  ou  moins  singuliè- 
res, le  retour  du  nouvel  an.  Chez  les  Perses, 
un  jeune  homme  s'approchait  du  prince  et 
lui  faisait  des  offrandes,  en  disant  qu'il  lui 
apportaitla  nouvelle  année  de  la  part  de  Dieu. 
Chez  nous,  on  donne  encore  des  élrennes. 

Les  Gaulois  commençaient  l'année  par  la 
cérémonie  du  gui  de  chêne,  qu'ils  appelaient 
le  gui  de  l'an  neuf  ou  du  nouvel  an.  Les  drui- 
des, accompagnés  du  peuple,  allaient  dans 
une  forêt,  dressaient  autour  du  plus  beau 
chêne  un  autel  triangulaire  de  gazon,  et  gra- 
vaient sur  le  tronc  et  sur  les  deux  plus  gros- 
ses branches  de  l'arbre  révéré  les  noms  des 
dieux  qu'ils  croyaient  les  plus  puissants  : 
J'Iieutatès,  IJésus,  Tarants,  Belenus.  Ensuite 
lun  d'eux,  vêtu  d'une  blanche  tunique,  cou- 
pait le  gui  avec  une  serpe  d'or;  deux  autres 
druide:»  étaient  là  pour  le  recevoir  dans  un 
linge  et  prendre  garde  qu'il  ne  touchât  la 
terre.  Ils  distribuaient  l'eau  où  ils  faisaient 
tremper  ce  nouveau  gui,  et  persuadaient  au 
peuple  qu'elle  gucriss^iil  plusieurs  maladies 
i-t  qu'elle  était  efficace  contre  les  sortilè- 
ges (2). 

On  appelle  anne'e  platonique  un  espace  de 
temps  à  la  Gn  duquel  tout  doit  se  retrouver 
à  la  même  place  (3).  Les  uns  comptent  seize 
mille  ans  pour  cette  révolution ,  d'autres 
trente -six  mille.  Il  y  en  eut  aussi  qui 
croyaient  anciennement  qu'au  bout  de  celle 
période,  le  monde  serait  renouvelé,  et  que  les 
âmes  rentreraient  dans  leurs  corps  pour 
commencer  une  nouvelle  vie  semblable  à  la 
précédente.  On  conte  là-dessus  celle  petite 
auecdote  : 

Deux  Allemands,  arrêtés  dans  une  auberge 
de  Châlons-sur-Marne,  amenèrent  la  con- 
versation sur  cette  grande  année  platonique 
uù  toutes  les  choses  doivent  retournera  leur 
premier  état;  ils  voulurent  persuader  au 
niailre  du  logis  qu'il  n'y  avait  rien  de  si  vrai 
que  celte  révolution;  «  de  sorte,  disaient-ils, 
que,  dans  seize  mille  ans  d'ici,  nous  serons 
à  boire  chez  vous  à  pareille  heure  et  dans 
celte  même  chambre.  » 

Là-dessus,  ayant  très-peu  d'argent,  en 
vrais  Allemands  qu'ils  étaient,  ils  prièrent 
l'hôte  de  leur  faire  crédit  jusque-là. 

Le  cabarelier  champenois  leur  répondit 
qu'il  le  voulait  bien.  —  Mais,  ajouta-l-il, 
parce  qu'il  y  a  seize  mille  ans  jour  pour  jour, 
iicurc  pour  heure,  que  vous  étiez  pareille- 
ment à  boire  ici,  comme  vous  faites,  et  que 

(1)  Wierus,  De  Prx'sl.,  lib.  I,  cap.  un. 

(2)  Saint-Foix,  EssaU,  etc.,  t.  II. 

(3)  Uiicl()ues-uns  diraient  que  les  cor|»  rélesles  scule- 
nicul«e  relrouveraieni  au  wèuic  point  au  buut  de  la  grande 


vous  vous  en  allâtes  sans  payer,  acquittez  le 
passé,  et  je  vous  ferai  crédit  du  présinl... 

Le  préjugé  des  années  climalériques  sub- 
siste encore,  quoiqu'on  en  ait  à  peu  près 
démontré  l'absurdité.  Auguste  écrivait  à  son 
neveu  Caïus,  pour  l'engager  à  célébrer  le 
jour  de  sa  naissance  ,  attendu  qu'il  avait 
passé  la  soixanle-lroisiènic  année,  —  qui  est 
celle  grande  climalérit)uc  si  redoutable  pour 
les  humains.  —  Beaucoup  de  personnes  crai 
gnent  encore  l'année  climalcriquc  ;  cepen- 
dant une  foule  de  relevés  prouvent  qu'il  ne 
meurt  pas  plus  d'hommes  dans  la  soixante- 
troisième  année  que  dans  les  années  qui  la 
précèdent.  Mais  un  préjugé  se  détruit  avec 
peine.  Selon  ces  idées,  que  Pythagore  fit 
naître  par  ses  singulières  rêveries  sur  les 
nombres, notretempéramenléprouve  tous  les 
sept  ans  une  révolution  complète.  Quelques- 
uns  disent  même  qu'il  se  renouvelle  entière- 
ment. D'autres  prétendent  que  ce  renou- 
vellement l'a  lieu  que  tous  les  neuf  ans  : 
aussi  les  années  clim.itériques  se  comptent 
par  sept  et  par  neuf.  Quarante-neuf  et  qua- 
tre-vingt-un sont  desannées  très-importanles, 
disent  les  partisans  de  celte  doctrine  ;  mais 
soixante-trois  est  l'année  la  plus  fatale,  p.in  e 
que  c'est  la  multiplication  de  sept  par  neuf. 
Un  Normand  disait:  Encore  un  des  miens 
pendu  à  quarante-neuf  ans  !  et  qu'on  dise 
qu'il  ne  faut  pas  se  méfier  des  années  clima* 
tériqucs  ! 

«  On  ne  doit  pourtant  pas  porter  trop  loin, 
dit  M.  Salgues,  le  mépris  de  la  période  septé- 
naire, qui  marque  en  effet  les  progrès  du  dé- 
veloppement cl  de  l'accroissement  du  corps 
humain.  Ainsi,  généralement,  «  les  dents  de 
l'enfance  tombent  à  sept  ans,  la  puberté  se 
manifeste  à  quatorze,  le  corps  cesse  de  croî- 
tre à  vingt-un.  »  —  Mais  celte  observation 
n'est  pas  complètement  exacte. 

ANNIUS  JjE  VITEUBE  (Jean  Nansi),  — sa- 
vaut  ecclésiastique,  né  à  Vilerbe  en  1432.  Il 
a  publié  une  collection  de  manuscrits  attri- 
bués à  Bérose,  à  Fabius  Pictor ,  à  Galon,  à 
Archiloque,à  Manéthon,etc.,  et  connus  sous 
le  nomii'AnHquitésd'Annius.  Ce  recueil  a  peu 
de  crédit.  On  prétend  qu'il  contient  beaucoup 
de  fables;  mais  plusieurs  de  ces  fables  sont 
d'antiques  légendes. 

—  On  doit  encore  à  Annius  un  Traité  de 
V empire  des  Turcs,  cl  un  livre  des  Futurs 
triomphes  des  chrétiens  sur  les  Turcs  et  lis 
Sarrasins  ,  etc.  Ces  deux  ouvrages  sont  des 
explications  de  l'Apocalypse.  L'auteur  pense 
que  iMahomel  est  l'anlechrist,  et  que  la  Gn  du 
uionde  aura  lieu  quand  le  peuple  des  saints 
(les  chrétiens)  aura  soumis  entièrement  les 
Juifs  et  les  mahoméians. 

ANOCCUIATUUA,  —  fascination  involon- 
taire qui  s'exerce,  soit  par  les  yeux,  soit  par 
les  paroles  ,  selon  les  croyances  populaires 
des  Corses  ,  mais  dans  un  sens  très-bizarre, 
les  puissances  mystérieuses  qui  président  à 
l'anucchiatura  ayant  la  singulière  habitude 

année.  Ciecron,  dans  un  pas5.ige  de  son  Hnrlensius,  luii- 
servé  par  Servius,  l'ait  celte  grande  année  de  douze  nulle 
neuf  cent  cinquanie-qualre  des  uAires. 


101 


ANT 


ANT 


m 


d'exécuter  le  contraire  de  ce  qu'on  souhaite. 
Aussi,  dans  la  crainte  de  fasciner  les  enfants, 
en  leur  adressant  des  bénédictions  ou  des 
éloges ,  le  peup!e  qui  leur  veut  du  bien  le 
leur  prouTe  par  des  injures  et  des  souhails 
d'autant  plus  favorables  qu'ils  sont  plus  af- 
frcHsemenl  exprimes  (1). 

ANPIEL,  —  l'un  des  anges  que  les  rabbins 
chargent  du  gouvernemenl  des  oiseaux  ;  car 
ils  mcttnnt  chaque  espèce  créée  sous  la  pro- 
tection d'un  ou  de  plusieurs  anges. 

ANSELME  DE  PAUME,  —  astrologue,  né 
à  Parme,  où  il  mourut  en  1440.  Il  avait  écrit 
des  Institutions  astrologiques ,  qui  n'ont  pas 
été  imprimées.  Wierus  (2)  et  quelque  s  dénio- 
nographes  le  mettent  au  nombre  des  sorciers. 
Des  charlatans,  qui  guérissaient  les  plaiesau 
moyen  de  paroles  mystérieuses  que  l'on  pré- 
tend inventées  par  lui,  ont  pris  le  nom  d'an- 
selmistes  ;  et,  pour  mieux  en  imposer,  ils  se 
vantaient  de  tenir  leur  vertu  de  guérir,  non 
d'Anselme  de  Parme,  mais  de  saint  Anselme 
de  Cantorbéry. 

ANSUPEROMIN,  —  sorcier  des  environs 
de  Saint-Jean-de-Luz,  qui,  selon  des  infor- 
mations prises  sous  Henri  IV  par  le  conseiller 
Pierre  Delancre  (3),  fut  vu  plusieurs  fois  au 
sabbat,  à  cheval  sur  un  démon  qui  avait 
forme  de  bouc  ,  et  jouant  de  la  flûte  pour  la 
danse  des  sorcières.  Voy.  fioucs. 

ANT^US.  —  Il  y  a  ,  comme  dit  Boguet, 
des  familles  où  il  se  trouve  toujours  quel- 
qu'un qui  devient  loup-garou.  Evanthes,  et 
après  lui  Pline,  rapportent  que  dans  la  race 
d'un  certain  Anthœus,  Arcadien,  on  choisis- 
sait par  le  sort  un  homme  que  l'on  condui- 
sait près  d'un  étang.  Là,  il  se  dépouillait, 
pondait  ses  habits  àun  chône  ;  et,  après  avoir 
plissé  l'eau  à  la  nage,  s'enfuyait  dans  un  dé- 
sert où,  transformé  en  loup,  il  vivait  et  con- 
versait avec  les  loups  pendant  neuf  ans.  11 
fallait  que  durant  ce  temps  il  ne  vit  point 
d'hommes  ;  autrement  le  cours  des  neuf  ans 
fût  recommencé.  Au  bout  de  ce  terme  il  re- 
tournait vers  le  même  étang,  le  traversait  à  la 
nage  et  rentrait  chez  lui,  où  il  ne  se  trouvait 
pas  plus  âgé  que  le  jour  de  sa  transmutation 
en  loup  :  le  temps  qu'il  avait  passé  sous  cette 
forme  ne  faisant  pas  compte  dans  le  nombre 
des  années  de  sa  vie. 

ANTAMTAPP.  enfer  des  Indiens,  plein  de 
chiens  enragés  eld'insoctes  féroces.  On  y  est 
couché  sur  des  branches  d'épines  et  conti- 
nuellement caressé  par  des  corbeaux  qui  ont 
des  becs  de  for.  Les  Brames  disent  que  les 
supplices  de  cet  enfer  sont  éternels. 

ANTECHRIST.  Par  Antéchrist  on  entend 
ordinairement  un  tyran  impie  et  cruel,  en- 
nemi do  Jésus-Christ.  Il  doit  régner  sur  la 
terre  lorsque  le  monde  approchera  de  sa  fin. 
Les  persécutions  qu'il  exercera  contre  les 
élus  seront  la  dernière  et  la  plus  terrible 
épreuve  qu'ils  auront  à  suWr  ;  et  même 
Nolrc-Seigneur  a  déclaré  que  les  élus  y  suc- 
Ci)  P.  Mérimée,  Colomba. 
(S)  In  lihro  apologelico. 

(3)  Tableau   de   l'inconslaiice  des  démons ,  .iv.  lit , 
dise,  i, 
(1)  Discours  des  spectres,  liv.  IV,  ch.  xv. 


comberaient,  si  le  temps  r.  en  èiail  abréiçé  oh 
leur  faveur  ;car  il  se  donnera  pour  le  Messie 
et  fera  dos  prodiges  capables  d'induire  en  er- 
reur les  él:(s  mêmes. 

Leloyer  (4)  rapporte  celte  opinion  popu- 
laire, que  les  démons  souterrains  ne  gardent 
que  pour  lui  les  trésors  cachés,  au  moyeu 
desquels  il  pourra  séduire  les  peuples  ;  et  sa 
persécution  sera  d'autant  plus  redoutable, 
qu'il  ne  manquera  d'aucun  moyen  de  séduire 
et  agira  beaucoup  plus  par  la  corruption  que 
par  la  violence  brutale.  C'est  à  cause  des 
miracles  qu'il  doit  faire  que  plusieurs  rap- 
pellent le  singe  de  Dieu. 

L'Antéchrist  aura  beaucoup  de  précurseurs; 
il  viendra  peu  de  temps  avant  la  fin  du  monde. 
Saint  Jérôme  dit  que  ce  sera  un  homme  fils 
d'un  démon.  D'autres  ont  pensé  que  ce  serait 
nn  démon  revêtu  d'une  chair  apparente  et 
fantastique.  Mais,  suivant  saint  Irénée,  saint 
Ambroise,saint  Augustin,  et  plusieurs  autres 
Pères,  l'Antéchrist  doit  être  un  homme  de  la 
même  nature  que  tous  les  autres, de  qui  il  ne 
différera  que  par  une  malice  et  une  impiélé 
dignes  de  l'enfer. 

Il  sera  Juif,  et  de  la  tribu  de  Dan,  selon 
Malvenda  (5),  qui  appuie  son  sentiment  sur 
ces  paroles  de  Jacob  mourant  à  ses  fils  : 
Dan  est  un  serpent  dans  le  sentier  (6);  sur 
celles-ci  de  Jérémie  :  Les  armées  de  Dan  dé- 
voreront la  terre;  et  sur  le  chapitre  7  de 
y  Apocalypse,  où  saint  Jean  a  omis  la  tribu  do 
Dan  dans  l'énumération  qu'il  fait  des  autres 
tribus. 

«  L'Antéchrist  sera  toujours  en  guerre  ;  il 
fera  des  miracles  qui  étonneront  la  terre;  il 
persécutera  les  justes  ;  et,  comme  lediablo 
marque  déjà  ses  sujets,  il  marquera  aussi  les 
siens  d'un  signe  au  front  ou  à  la  main  (7).  » 

Eiie  et  Enoch  viendront  enfin,  suivant 
Malvenda,  et  convertiront  les  Juifs.  L'Anté- 
christ leur  fera  donner  la  mort  qu'ils  n'ont 
pas  encore  reçue,  et  qu'ils  ne  doivent  rece- 
voir que  de  lui.  Alors  Jésus-Christ,  Notre- 
Seigneur,  descendra  des  cieux  et  tuera  l'An- 
téchrist avec  l'épée  à  deux  tranchants  qui 
sortira  de  sa  bouche. 

Quelques-uns  prétendent  que  le  règne  ac 
l'Antéchrist  durera  cinquante  ans  ;  d'autres, 
qu'il  ne  durera  que  trois  ans  et  demi;  après 
quoi  les  anges  feront  entendre  les  trompolles 
du  dernier  jugement. 

Le  mot  <le  passe  des  sectateurs  de  l'Anté- 
christ sera,  dit  Boguot  :  Je  renie  le  baptême. 

Ce  qui  est  assez  grotesque,  assurément, 
c'est  que  les  protestants,  ces  précurseurs  de 
l'Antéchrist,  donnent  le  nom  d'Antéchrist  au 
pape,  comme  les  larrons  qui  crient  au  voleur 
pour  détourner  d'eux  les  recherches.  Voy. 
Abdekl. 

Pondant  un  moment,  dans  le  peuple,  on  a 
craint  que  Napoléon  ne  fût  l'Antéchrist.  Nous 
mentionnons  cette  petite  circonstance  comm'* 
un  simple  fait. 

(5)  Dans  un  long  'et  curieux  ouvrage  en  13  livres  sur 
fAntcclirisl.  Uahau-Maur,  au  neuvième  siècle,  a  fait  aussi 
un  livre  sur  la  Vie  et  les  mœurs  de  l'AiitechrisU 

(6)  Genèse,  cli.  ilux. 

Il)  Bouiiel.  Discouis  des  sorciers,  cti.  i. 


|«  DU.TIONNA.RE  DES 

Le  troisième  traité  Je  l'Histoire  des  trois 
possédées  de  Flandre ,  par  Sébastien  Mi- 
chaëlis,  donne  des  éclaircissements  sur  l'An- 
Icclirist,  d'après  les  dires  des  démons  exor- 
cisés. «  Il  sera  méchant  comme  un  enragé. 
Jamais  si  méchante  créature  ne  fut  sur  terre. 
Il  fera  (les  chrétiens  ce  qu'on  fait  en  enfer 
des  âmes;ce  ne  sera  pas  un  m.irlyre  humain, 
mais  un  martyre  inhumain.  Il  aura  une  foule 
de  noms  de  synagogue;  il  se  fera  porter  par 
les  airs  quand  il  voudra  ;  Belzébut  sera 
son  père.  » 

Une  sorcière,  qui  avait  des  visions,  dé- 
clara que  l'Antéchrist  parlerait  en  nais- 
sant toutes  sortes  de  langues, qu'il  aurait  des 
griffes  au  lieu  de  pieds  et  ne  porterait 
pas  de  pantoufles;  que  Belzébut,  son  père, 
se  montrera  à  ses  côtés  sous  la  Ggure 
d'un  oiseau  à  quatre  pattes,  avec  une  queue, 
une  tête  de  bœuf  très-plaie,  des  cornes,  et 
un  poil  noir  assez  rude;  qu'il  marquera  les 
siens  d'un  cachet  qui  représentera  celle  gra- 
cieuse figure  en  petit. 

Nous  pourrions  citer  beaucoup  de  choses 
pareilles  sur  l'Antéchrist;  mais  les  détails 
burlesques  et  les  plaisanteries  ne  vont  qu'à 
moitié  dans  une  pareille  matière;  et  peul- 
étre  faut-il  demander  pardon  au  lecteur  de 
leur  avoir  déjà  donné  trop  de  place. 

On  a  raillé  l'abbé  Fiard,  qui  regardait 
Voltaire  et  les  encyclopédistes  comme  des 
précurseurs  de  l'Antéchrist.  Il  est  possible 
que  les  railleurs  aient  tort. 

ANTESSEH,  démon.  Voy.  Blokcla. 

ANTHROrOMANCIE,  divination  par  l'ins- 
pection desentraillesd'homnusoude  femmes 
cventrés.  Cet  horrible  usage  était  très-an- 
cien. Hérodote  dit  que  Ménélas,  retenu  en 
Egypte  par  les  vents  contraires,  sacriDa  à  sa 
barbare  curiosité  deux  enfanis  du  pays,  et 
chercha  à  savoir  ses  destinées  dans  leurs 
entrailles.  Héliogabale  pratiquait  cette  divi- 
nation. Julien  l'Apostat, dans  ses  opérations 
magiques  et  dans  ses  sacrifices  nocturnes, 
faisait  tuer,  dit-on  un  grand  nombre  d'en- 
fanls  pour  consulter  leurs  entrailles.  Dans 
sa  dernière  expédition,  étant  à  Carra  en  Mé- 
sopotamie, il  s'enferma  dans  le  temple  de  la 
Lune;  et,  après  avoir  fait  ce  qu'il  voulutavrc 
les  complices  de  son  impiété,  il  scella  les 
portes,  et  y  posa  une  garde  qui  ne  devait 
être  le\ée  qu'à  son  retour.  Il  fut  tué  dans  la 
bataille  qu'il  livra  aux  Perses,  et  ceux  qui 
entrèrent  dans  le  temple  de  Carra,  sous  le 
règne  de  Jovien,  son  successeur,  y  trouvè- 
rent une  femme  pendue  par  les  cheveux,  les 
mains  étendues,  le  ventre  ouvert  et  le  foie 
arraché. 

ANTHROPOPHAGES.  Le  livre  attribué  à 
Enoch  dit  que  les  géants  nés  du  commerce 
des  anges  avec  les  filles  des  hommes  furent 
les  premiers  anthropophages.  Marc-Paul 
rapporte  que  de  son  temps,  dans  la  Tartarie, 
les  magiciens  avaient  le  droit  de  manger  la 
chair  des  criminels  ;  et  des  écrivains  ont  re- 
levé ce  fait  notable  qu'il  n'y  a  que  les  chré- 
tiens qui  n'aient  pas  été  anthropophages. 


SCIENCES  OCCULTES. 


10S 


a)  Yojvï  les  BollaBJi'-.tcs,  25  juin, 


etc. 


ANTIDE.  Une  vieille  tradition  populaire 
rapporte  que  saint  Antide,  évéque  de  Besan- 
çon, vit  un  jour  dans  la  campagne  un  démon 
fort  maigre  et  fort  laid,  qui  se  vantait  d'avoir 
porté  le  trouble  dans  l'église  de  Rome.  Le 
saint  appela  le  démon,  le  fit  mettre  à  quatre 
pattes,  lui  sauta  sur  le  dos,  se  fit  par  lui 
transporter  à  Rome,  répara  le  dégât  doiU 
l'ange  déchu  se  montrait  si  fier,  et  s'en  revint 
en  son  diocèse  par  la  môme  voiture  (1). 

ANTIOCHUS,  moine  deSéba,  qui  vivait  au 
commencement  du  septième  siècle.  Dans  ses 
190  homélies,  intitulées  Pandectesdes  divines 
Ecritures,  la  Sï"  de  Insomniis,  roule  sur  les 
visions  et  les  songes  (2). 

ANTIPATHIE.  Les  astrologues  prétendent 
que  ce  sentiment  d'opposition  qu'on  ressent 
pour  une  personne  ou  pour  une  chose  est 
produit  par  les  astres.  Ainsi  deux  personnes 
nées  sous  le  même  aspect  auront  un  désir 
mutuel  de  se  rapprocher,  et  s'aimeront  sans 
savoir  pourquoi  ;  de  même  que  d'autres  se 
haïront  sans  motif,  parce  qu'ils  seront  nés 
sous  des  conjonctions  opposées.  Mais  con>- 
ment  expliqueront-ils  les  antipathies  que  les 
grands  hommes  ont  eues  pour  les  choses  les 
plus  communes?  on  en  cite  un  grand  nombre 
auxquelles  on  ne  peut  rien  comprendre.  — 
Lamolhe-Levayer  ne  pouvait  souffrir  le  son 
d'aucun  instrument,  et  goûtait  le  plus  vif 
plaisir  an  bruit  du  tonnerre.  César  n'enten- 
dait pas  le  chant  du  coq  sans  frissonner.  Le 
chancelier  Bacon  tombait  en  défaillancî 
toutes  les  fois  qu'il  y  avait  une  éclipse  de 
lune.  Marie  de  Àlédicis  ne  pouvait  supporter 
la  vue  d'une  rose,  pas  même  en  peinture,  et 
elle  aimait  toute  autre  sorte  de  fleurs.  Lu 
cardinal  Henri  de  Cardonne  éprouvait  la 
môme  aversion,  et  tonibait  en  syncope  lors- 
qu'il sentait  l'odeur  des  roses.  Le  maréchal 
d'Albret  se  trouvait  mal  dans  un  repas  où 
l'on  servait  un  marcassin  ou  un  cochon  de 
lait.  Henri  111  ne  pouvait  rester  seul  dans 
une  chambre  où  il  y  avait  un  chat.  Le  maré- 
chal de  Schombcrg  avait  la  môme  faiblesse. 
Ladislas,  roi  du  Pologne,  se  troublait  et  pre- 
nait la  fuite  quand  il  voyait  des  pommes. 
Scaliger  frémissait  à  l'aspect  du  cressoa. 
Enisme  ne  pouvait  sentir  le  poisson  sau'^ 
avoir  la  fièvre.  Tycho-Brahé  défaillait  à  la 
rencontre  d'un  lièvre  ou  d'un  renard.  Leduc 
d  Eiiernon  s'évanouissait  à  la  vue  d'un  le- 
vraut. Cardan  ne  pouvait  souffrir  les  œii's; 
le  poêle  Arioste,  les  bains  ;  le  fils  de  Crassus, 
le  pain  ;  César  de  Lescalle,  le  son  de  la 
vielle. 

On  trouve  souvent  la  cause  de  ces  antipa- 
thies dans  les  premières  sensations  de  l'en- 
l'ance.  Une  dame  qui  aimait  beaucoup  les 
tableaux  cl  les  gravures  s'évanouissait  lors- 
qu'elle en  trouvait  dans  un  livre  ;  elle  en  dit 
la  raisiMi  ;  élanl  encore  petite,  son  père  l'a- 
perçut un  jour  (|ui  feuilletait  les  volumes  de 
sa  bibliothèque  pour  y  chercher  des  im.igcs  ; 
il  les  lui  relira  brusquement  des  mains,  et 
lui  dit  d'un  ton  terrible  qu'il  y  avait  dans  ces 
livres  des  diables  qui  l'clrangleraicnt  si  elle 

(2)  Vojei  l.  \tl  de  Ij  BiLiliolbwa  p.Uruin,  cJ.  I.in;lun 


105 


AP.\ 


APO 


IM 


osait  y  toucher...  Ces  menaces  absurdes,  or- 
dinaires à  certains  parents,  occasionnent  tou- 
jours de  funestes  effets  qu'on  ne  peut  plus 
détruire. 

Pline  assure  qu'il  y  a  une  telle  antipa- 
thie entre  le  loup  et  le  cli(!val,  que  si  le 
cheval  passe  où  le  loup  a  passé,  il  sent  aux 
jambes  un  engourdissement  (jui  l'empêche 
de  marcher.  Un  cheval  sent  le  ligrn  en  Amé- 
rique, et  refuse  obstinément  de  traverser  une 
forêt  où  son  odorat  lui  annonce  la  présence 
de  l'ennemi.  Les  chiens  sentent  aussi  très- 
bien  les  loups  avec  qui  ils  ne  sympathisent 
pas;  et  peut-être  serions-nous  sages  de  sui- 
vre jusqu'à  un  certain  point,  avec  les  gens 
'que  nous  voyons  la  première  fois,  l'impres- 
sion sympalhiqueou  antipathique  qu'ils  nous 
font  éprouver;  car  l'instinct  existe  aussi  chez 
les  hommes  mêmes,  qui  le  surmontent  ce- 
pendant par  la  raison. 

ANTIPODES.  L'existence  des  antipodes 
était  regardée  naturellementcommeun  conte, 
dans  le  temps  où  l'on  croyait  que  la  terre 
était  plate.  Mais  il  n'est  pas  vrai,  comme  on 
l'a  perfidement  écrit,  que  le  prêtre  Virgile  fut 
excommunié  par  le  pape  Zacharie  pour  avoir 
soutenu  qu'il  y  avait  des  atitipodes  :  ce  Vir- 
gile au  contraire,  à  cause  de  sa  science,  fut 
comhléd'honneurs  par  le  saint-siége  et  nom- 
mé à  l'évêché  de  Salzbourg.  D'ailleurs  le 
pape  Zacharie  savait  probablement  qu'il  y  a 
des  anlipodi's,  puisqu'avant  lui  Origène,  le 
pape  saint  Clément  et  d'autres  en  avaient 
parlé.  Saint  Basile,  saint  Grégoire  de  Nysse, 
saint  Athanase  et  la  plupart  des  Pères  n'igno- 
raient pas  la  forme  sphérique  de  la  terre. 
Voy.  Philoponus  ,  De  Mundi  créât,  lib.  v, 
c.  j3. 

La  plupart  des  hommes,  à  qui  l'éducation 
n'a  pas  étendu  les  bornes  du  l'esprit,  croient 
encore  que  la  terre  n'est  qu'un  grand  pla- 
teau ;  et  il  serait  difficile  de  leur  persuader 
qu'on  trouve  au-dessous  de  nous  des  hu- 
mains qui  ont  la  tête  en  bas  ,  et  les  pieds 
justement  opposés  aux  nôtres  (1). 

Les  anciens  mythologues  citent, dans  un  au- 
tre sens,  sous  le  nom  d'Antipodes, des  peuples 
fabuleux  de  la  Libye,  à  qui  ont  attribuait 
huit  doigts  aux  pieds,  et  les  pieds  tournés  en 
dehors.  On  ajoute  qu'avec  cela  ils  couraient 
comme  le  vent. 

ANTOINE.  Saint  Antoine  est  célèbre  par 
les  tentations  qu'il  eut  à  subir  de  la  part  du 
diable.  Ceux  qui  ont  mis  leur  esprit  à  la 
torture  pour  donner  à  ces  faits  un  côté  plai- 
sant, n'ont  pas  toujours  eu  autant  d'esprit 
qu'ils  Oiit  voulu  en  montrer.  Us  n'égalent 
certainement  pas  le  lion  légendaire,  qui  conte 
qu'Antoine,  .'lyanl  dompté  Satan,  le  contrai- 
gnit à  demeurer  auprès  de  lui,  sous  sa  forme 
la  plus  conv<'nablc,  qui  était  celle  d'un  co- 
chon. Voy.  Abdents. 

APANTOMANCIE,  divination  tirée  des  ob- 
jets qui  se  présentent  à  l'improvisle. Tels  sont 
les  présages  que  donne  la  rencontre  d'un 
lièvre  ou  d'un  aigle,  etc. 

APARCTIENS,  peuples  fabuleux  que  d'an- 

'1)  M.  Salgues,  des  Erreurs  et  des  préjugés,  l.  Il,  p.  72. 
DiCTIONN.  DES  SCIENCES  OCCOI.TEÏ4  L 


ciens  cnntcurs  ont  placés  d.ins  le  Septen- 
trion.Ils  étaient  transparents  comme  du  cris- 
tal, et  avaient  1rs  pieds  étroits  et  tranchants 
comme  des  patins,  ce  qui  les  aidait  merveil- 
leusement à  glisser  sur  leurs  lacs  gelés. 
Leur  longue  barbe  ne  leur  pendait  pas  au 
menton,  mais  au  bout  du  nez.  lis  n'avaient 
point  de  langue,  mais  d  ux  solides  râteliers 
de  dénis,  qu'ils  frappaient  musicalement 
l'un  contre  l'autre  pour  s'exprimer.  Ils  ne 
sortaient  que  la  nuit,  et  se  reproduisaient 
par  le  moyen  de  la  sueur,  qui  se  congelait 
et  formait  un  petit.  Leur  dieu  était  un  ours 
blanc  (2). 

APOCALYPSE.  Dans  cette  clôture  redou- 
table du  saint  livre,  qui  commence  par  la 
Genèse  ,  l'esprit  de  l'homme  s'est  souvent 
égaré.  La  manie  de  vouloir  tout  expliquer, 
quand  nous  sommes  entourés  de  tant  de 
mystères  que  nous  ne  pouvons  comprendre, 
a  fourvoyé  bien  des  esprits.  Apres  avoir 
trouvé  la  bête  à  sept  têtes  et  l'Antéchrist 
dans  divers  personnages,  jusqu'à  Napoléon, 
qui  prête  du  moins  à  des  aperçus  piquants, 
on  est  aussi  peu  avancé  que  le  premier  jour. 
Newton  a  échoué,  comme  les  autres,  dans 
l'interprétation  de  l'Apocalypse.  Ceux  qui 
lont  lue  comme  un  poëme  hermétique  ont 
leur  excuse  dans  leur  folie.  Pour  nous,  at- 
tendons que  Dieu  lève  les  voiles. 

Il  y  a  eu  plusieurs  Apocalypses  suppo- 
sées, de  saint  Pierre,  de  saint  Paul,  de  saint 
Thomas,desaint  Etienne, dEsdias,  deMoïse, 
dElie  ,  d'Abraham,  de  Marie,  femme  de 
Noé,  d'Adam  môme.  Por(>hyre  a  cité  encore 
une  Apocalypse  d^;  Zoroastre. 

APOLLONIUS  DE  TYANE  ,  philosophe 
pythagoricien  ,  né  à  Tyane  en  Cappaduce, 
un  peu  de  temps  après  Notre-Seigneur  Jé- 
sus-Christ. Philostrato  ,  au  cammencemont 
du  troisième  siècle,  plus  de  cent  ans  après 
la  mort  d'Apollonius  ,  dont  personne  ne 
parlait  absolument  plus,  imagina  le  roman 
de  sa  vie  pour  opposer  quelque  chose  de 
prodigieux  à  lEvangile,  qu'il  croyait  détrui- 
re. 11  dit  qu'il  écrit  sur  des  mémoires  laissés 
par  Damis,  ami  et  secrétaire  d'Apollonius. 
On  peut  juger  du  degré  de  confiance  que 
méritaient  ces  sortes  d'écrivains  par  ce  trait 
de  Damis  ,  qui  assure  avoir  vu,  en  traver- 
sant le  Caucase,  les  chaînes  de  Prométhée 
encore  fixées  au  rocher. 

Philoslrate  admit  tout,  et  embellit  les  ré- 
cits de  Damis. 

La  mère  d'Apollonius  fut  avertie  de  sa 
grossesse  par  un  démon  ;  un  salamandre  fut 
son  père  ,  selon  les  cabalistes.  Les  cygnes 
chantèrent  quand  il  vint  au  monde,  et  la 
fondre  tomba  du  ciel.  Sa  vie  fut  une  suite 
de  miracles.  Il  ressuscitait  les  morts,  déli- 
vrait les  possédés,  rendait  dt-s  oracles, 
voyait  des  fantômes,  apparaissait  à  ses  amis 
éloignés,  voyageait  dins  les  airs,  porté  par 
des  esprits  ,  et  se  montrait  le  même  jour  en 

filusieurs  endroits  du  monde.  Il  comprenait 
e  chant  des  oiseaux. 
Philostrate  conte  qu'étant  venu  an  tom* 

(2)  Suppléffleal  à  Pbisloire  véritable  de  Lucien. 


J07 


DlCTlONNAinE  DES  SClEîSCES  OCCULTES 


108 


beaud'Acliille,  h  qui  il  voulait  parler,  Apol- 
lonius évoqua  ses  mânes;  qu'après  un  Irem- 
Memenl  de  terre  autour  du  l  mbcan,  il  vil 
paraître  d'abord  un  jeune  homme  di;  sept 
pieds  et  demi;  que  le  fantômo ,  qui  était 
d'une  beau'é  singulière  ,  s'éleva  ensuite  à 
dix-huit  pieds.  Apollonius  lui  fil  des  ques- 
tions frivoles.  Comme  le  spectre  répon- 
dait grossièrement,  il  comprit  qu'il  était  pos- 
sédé d'un  démon,  qu'il  chassa  ;  après  quoi  il 
cul  sa  conversation  réglée. 

Un  jour  qu'il  était  à  Rome,  où  il  avait  ren- 
du la  vie  à  une  jeune  ûllc  morte  le  matin  du 
ses  noces,  il  y  eut  une  éclipse  de  lune  ac- 
compagnée de  tonnerre.  Apollonius  regarda 
le  ciel  ,  et  dit  d'un  ton  prophéli(iue  :  — 
Quelque  chose  de  grand  arrivera  et  n'arri- 
vera pas.  — Trois  jours  après,  la  foudre 
tomba  sur  la  lable  tic  Néron,  et  renversa  la 
coupe  qu'il  portait  à  sa  bouehc;  ce  qui  étail 
l'accomplissement  de  la  prophétie. 

Dans  la  suite  l'empereur  Domitien,  l'ayant 
soupçonné  de  sorcellerie,  lui  fit  raser  le  poil 
pour  s'assurer  s'il  ne  portait  pas  les  mar- 
ques du  diable,  comme  dit  Pierre  Delancre  ; 
mais  Apollonius  disparut  alors,  sans  qu'on 
sût  par  où  il  s'était  sauvé.  Ce  n'était  pas  la 
première  fois  qu'il  s'échappait  ainsi.  Sous 
Néron  ,  on  avait  dressé  contre  lui  un  .'Cte 
d'accusation  ;  le  papier  se  trouva  tout  blanc 
au  moment  où  lu  juge  voulul  en  prendre 
lecture. 

De  Rome  il  se  rendit  à  Ephèse.  La  pe<le 
infestait  celte  ville;  les  habilanls  le  prièrent 
de  les  en  délivrer.  Apollonius  leur  comman- 
da de  sacrifier  aux  dieux.  Après  le  sacrifice, 
il  vil  le  diable  en  forme  de  gueuv  toul  dé- 
guenillé; il  commanda  au  peuple  de  l'as- 
sommer à  coups  de  pierre,  ce  qui  fut  fait. 
Lorsqu'on  ôta  les  pierres,  on  ne  trouva  plus 
à  la  place  du  gueux  lapidé  qu'un  chien 
noir,  qui  fui  jeté  à  la  voirie;  et  la  peste 
cessa. 

Au  moment  où  Domitien  périt,  Apollo- 
nius, au  milieu  d'une  discussion  publique, 
s'arrêta,  et,  changeant  do  voix,  s'écria,  ins- 
piré par  le  diable  :  —C'est  bien  fait,  Sté- 
phane, couragel  tue  le  lyranl  —  Ensuite, 
après  un  léger  intervalle,  il  reprit  :  —  Le  ty- 
ran est  mort.  Stéphane  en  ce  moment  assas- 
sinait Dotnilien. 

Ce  fut  alors,  à  ce  qu'on  croit,  que  le  sor- 
cier Tespésion  ,  pour  montrer  qu'il  pouvait 
enchanter  les  arbres,  commanda  à  un  orme 
de  saluer  Apollonius  ,  ce  que  l'orme  fil  ; 
mais  d'une  voix  grêle  et  efféminée  (1).  C'é- 
tait bien  excusable  do  la  part  d'un  orme. 

Apollonius  étail,  dit-on  encore,  habile 
faiseur  de  talismans;  il  en  fit  un  grand  nom- 
bre à  Tyane,  à  Rome,  à  Byzance,  à  An(io- 
che  ,  à  Babylone  et  ailleurs  ;  tantôt  contre 
les  cygognes  cl  les  srorpions,  tantôt  contre 
les  debord .mcnts  et  les  incendies.  Il  fui  re- 
gardé par  les  uns  Comme  un  magicien,  com- 
mo  un  dieu  par  les  autres;  on  l'honora 
même  après  sa  mort.  Mais  sa  vie,  nous  le 
répétons,  n'est  qu'un  roman  calculé.  Apol- 

(U  Jacques  d'Aulun,  rincriidiilité  savaiile  et  la  crédu- 
lité i^noranie. 


lonius  est  annoncé  pir  un  démon.  Les  cy- 
gnes clianlenl  A  sa  naissance. Tous  les  autres 
prod  ges  sont  combinés  ainsi  de  manière  à 
pouvoir  être  comparés  aux  faits  divins  de 
la  plus  auguste  histoire ,  avec  cette  diffé- 
renc",  entre  autres,  que  ceux  d'Apollonius 
ne  méritaient  pas  même  le  peu  de  succès 
qu'ils  ont  eu. 

La  foudre  qui  tombe  du  ciel  est  opposée 
à  l'étoile  qui  parut  en  Bethléhem;  les  lettres 
de  félicitalion  que  plusieurs  rois  écrivirent 
à  la  mère  d'Apollonius  répondiuit  à  l'adora- 
lion  des  mages;  les  discours  (|u'il  pronon- 
çait, fort  jeune,  d  ins  le  temple  d'Esculape,  à 
la  dispute  de  Jésus  enfant  parmi  les  doc- 
teurs ;  le  fantôme  qui  lui  apparut  en  traver- 
sant le  Caucase  ,  ù  la  tentation  du  diable 
dans  le  déserl,  etc.  «  Ces  parallèles  montrent 
la  malice  grossière  el  la  finesse  mal  lissuo 
do  Pliiloslrate  (  pillard  de  Lucien  (2);)  et  le 
cas  qu'on  doit  faire  de  ces  fables  n'est  pas 
de  les  rapporter  à  la  magie  ,  comme  a  fait 
François  Pic,  mais  de  les  nier  totalement  (3) 
comme  des  stupidités  niaises.» 

Hiéroclès,  qui  osa  faire  sous  Dioclélion, 
d  ins  un  écrit  spécial ,  la  comparaison  d'A- 
pollonius el  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ, 
a  été  dignement  réfuté  par  Eusèbe,  qui  veut 
bien  regard  t  Apollonius  comme  un  magi- 
cien. Leloyer  pense  que  C'  l'ut  Simon  qui  lui 
enseigna  la  magie  noire  ;  et  Ammien 
Marcellin  se  contente  d;  le  mettre  dans  le 
nombre  dt's  hommes  qui  ont  été  assistés  de 
quelque  démon  familier,  comme  Socrate  cl 
Numa. 

On  sait  peu  de  chose  sur  la  fin  de  la  vie 
d'Apollonius.  On  assure  qu'à  l'âge  de  cent 
ans  il  fut  emporté  par  le  diable,  qui  était 
son  père,  quoique  Hiéroclès  ait  eu  le  front 
de  soutenir  qu'il  avait  été  enlevé  au  ciel. 
Vopiscus  dit  que  ,  par  la  suite  ,  le  spectre 
d'Apollonius  apparut  à  l'empereur  Aurélien, 
qui  assiégeait  Tyane,  et  lui  recommanda 
d'épargner  sa  ville,  ce  que  fit  Aurélien. 

11  y  a  eu  des  gens  qui  ont  trouvé  Apol- 
lonius vivant  au  douzième  siècle.  Voy.  Ar- 

TEPHIDS. 

APOMAZAR.  Des  significations  et  événe- 
ments des  songes  ,  selon  la  doctrine  des  In- 
diens, Perses  el  Égyptiens,  par  Apomazar. 
Vol.  in-8°;  Paris,  1580.  Fatras  oublié,  mais 
rare. 

APONE.  Voy.  Piehre  b'Apone. 

APPARITION.  On  ne  peut  pas  très  bien 
préciser  ceque  c'est  qu'une  apparition.  Doni 
Calmet  dit  que  ,  si  l'on  voit  quelqu'un  en 
songe  ,  c'est  une  appariiion.  «  Souvent  , 
ajoute- t- il,  il  n'y  a  que  l'imagination  de 
frappée  ;  ce  n'en  est  pas  moins  quelque- 
fois un  fait  surnaturel ,  quand  il  a  des  re- 
lations. » 

Dans  la  rigueur  du  terme,  une  apparition 
est  la  présence  subite  d'une  personne  ou  d'un 
objet  contre  les  loisdela  nature:  par  exem- 
ple, l'apparition  d'un  mort,  d'un  ange,  d'un 
démon,  etc. 

Ceux  qui  nient  absolument  les  apparitions 

(2)  Dgus  Alexandre  de  r.ipldngmiie. 

(3)  Naiidé,  A):ol.  pour  lus  yrauds  personnages,  cl),  f  S. 


109 


APP 


APP 


410 


sont  léméraires.  Spinosa,  malgré  son  alliéis- 
me,  roconnaissail  qu'il  ne  pouvait  nier  les 
apparitions  ni  les  miracles. 

On  ne  raisonne  pas  mieux,  lorsqu'on  dit 
qu'une  chose  qui  est  arrivée  aulrefois  de- 
vrait arriver  encore.  Il  y  a  bien  des  choses 
qui  ont  eu  lieu  jadis  et  qui  ne  se  renou- 
vellent pas,  d;ins  le  système  même  des  ma- 
lérialisics  ,  comme  il  y  a  bien  des  choses 
qui  ont  lieu  aujourd'hui,  et  que  jadis  on 
n'a  pas  soupçonnées. 

Nous  devons  admettre  et  croire  les  appa- 
rilions  rapportées  dans  les  sainles  Ecritu- 
res. Nous  ne  sommes  pas  tenus  à  la  même 
foi  dans  les  simples  histoires;  et  il  y  a  des 
apparitions  qui,  réelles  ou  inlelleciuelles, 
sont  fort  surprenantes.  Ou  lit  dans  la  vie  de 
saint  Macaire,  qu'un  homme  ayant  reçu  un 
dépôt  le  cacha  sans  en  rien  dire  à  sa  femme,  et 
mourut  subitement.  On  fut  très-embarrassé 
quand  le  maître  du  dépôt  vint  le  réclamer. 
Saint  Macaire  pria,  dit  la  légende,  et  le 
défunt  apparut  à  sa  femme,  à  qui  il  dé- 
clara que  l'argent  redemandé  était  enterré 
au  pied  de  son  lit,  ce  qui  fut  trouvé  vrai. 

Ce  sont  les  apparitions  des  morts  chez  les 
anciens  qui  ont  donné  naissance  à  la  nécro- 
mancie. Voy.  NÉCROMANCIE. 

Nous  ne  songerons  à  nous  occuper  ici  que 
des  apparitions  illusoires  ou  douteuses,  et  le 
nombre  en  est  immense.  Nous  suivrons  un 
moment  les  écrivains  qui  ne  doutent  de  rien, 
et  qui,  dans  leurs  excès  mêmes,  sont  encore 
moins  stupides  et  moins  à  quatre  pattes  que 
ceux  qui  doutent  de  tout.  Quelquefois,  di- 
sent-ils, les  apparitions  ne  sont  que  vocales  : 
c'est  une  voix  qui  appelle.  Mais  dans  les 
bonnes  apparitions  l'esprit  se  montre.  — 
Quand  les  esprits  se  font  yoir  à  un  homme 
seul,  ajoutent  les  cabalistes,  ils  ne  présagent 
rien  de  bon  ;  quand  ils  apparaissent  à  deux 
personnes  à  la  fois,  rien  de  mauvais;  ils  ne 
se  montrent  guère  à  trois  personnes  en- 
semble. 

Il  y  a  des  apparitions  imaginaires  causées 
par  les  remords;  des  meurtriers  se  sont  crus 
harcelés  ou  poursuivis  par  leurs  victimes. 
Une  femme,  en  1726,  accusée,  à  Londres, 
d'être  complice  du  meurtre  de  son  mari,  niait 
le  fait;  on  lui  présente  l'habit  du  mort, qu'on 
secoue  devant  elle;  son  imagination  épou- 
vantée lui  fait  voir  son  mari  même;  elle  se  jette 
à  ses  pieds  et  déclare  qu'elle  voit  son  mari. 
Mais  on  trouvera  des  choses  plus  inexplica- 
bles. 

Les  apparitions  du  diable,  qui  a  si  peu  be- 
soin de  se  montrer  pour  nous  séduire,  faibles 
que  nous  sommes,  ont  donné  lieu  à  une  mul- 
tiluile  de  contes  merveilleux.  Des  sorciers, 
brûlés  à  Paris,  ont  dit  en  justice  que,  quand 
le  diable  veut  se  faire  un  corps  aérii'U  pour 
se  montrer  aux  bommee,  «  il  faut  que  le 
vent  soit  favorable ,  et  que  la  lune  soit 
(ileine.  »  Et  lorsqu'il  apparaît,  c'est  tou- 
jours avec  quelque  défaut  nécessaire,  ou 
trop  noir,  ou  trop  pâle,  ou  trop  rouge,  ou 
trop  grand,  ou  trop  petit,  ou  le  pied  four- 

(1)  Gabriel  Nuiidé ,  Àpol.  pour  les  grands  personnsgcii 
cb.  li. 


chu,  ou  les  mains  en  griffes,  ou  la  queue  au 
derrière  et  les  cornes  en  tête,  etc.;  à  moins 
qu'il  ne  prenne  une  forme  bizarre.  Il  parlait 
à  Simon  le  magicien  et  à  d'autres,  sous  la  fi- 
gure (l'un  chien;  à  Pylhagore,  sous  celui 
d'un  fleuve;  à  Apollonius,  sous  celle  d'un 
orme  (1).  etc. 

Excepté  les  démons  de  midi,  les  démons  et 
les  spectres  apparaissent  la  nuit  plutôt  que  le 
jour,  et  la  nuit  du  vendredi  au  samedi  de 
préférence  à  toute  autre,  comme  le  témoigne 
Jean  Bodin. 

Les  apparitions  des  esprits,  dit  Jambliqae, 
sont  analogues  à  leur  essence.  L'aspect  des 
habitants  des  cieux  est  consolant,  celui  des 
archanges  terrible,  celui  des  anges  moins 
sévère  ,  celui  des  démons  épouvantable.  Il 
est  assez  difficile,  ajoute-t-il,  de  se  reconnaî- 
tre dans  les  apparitions  des  spectres;  car  il 
y  en  a  de  mille  sortes.  —  Delancre  donne 
pourtant  les  moyens  de  ne  point  s'y  tromper. 
«  On  peut  distinguer  les  âmes  des  démons, 
dit-il.  Ordinairement  les  âmes  apparaissent 
en  hommes  portant  barbe,  en  vieillards  ,  en 
enfants  ou  en  femmes,  bien  que  ce  soit  en 
habit  et  en  contenance  funeste.  Or  les  dé- 
mons peuvent  se  montrer  ainsi.  Mais,  ou 
c'est  l'âme  d'une  personne  bienheureuse,  ou 
c'est  l'âme  d'un  damné.  Si  c'est  l'âme  d'un 
bienheureux,  et  qu'elle  revienne  souvent,  il 
faut  tenir  pour  certain  que  c'est  un  démon, 
qui,  ayant  manqué  son  coup  de  surprise,  re- 
vient plusieurs  fois  pour  le  tenter  encore. 
Car  nne  âme  ne  revient  plus  quand  elle  est 
satisfaite,  si  ce  n'est  par  aventure  une  seule 
fois  pour  diremerci.» — «Si  c'est  une  âme 
qui  se  dise  l'âme  d'un  damné,  il  faut  croire 
encore  que  c'est  un  démon,  vu  qu'à  grande 
peine  laisse-t-on  jamais  sortir  l'âme  des 
damnés.  »  Voilà  les  moyens  que  Pierre  De- 
lancre donne  comme  aisés  (2). 

Il  dit  un  peu  plus  loin  que  le  spectre  qui 
apparaît  sous  une  peau  de  chien  ou  sous 
toute  autre  forme  laide  est  un  démon;  mais 
le  diable  est  si  malin,  qu'il  vient  aussi  sous 
des  traits  qui  le  font  prendre  pour  un  ange. 
Il  faut  donc  se  défier.  Voy.  pour  les  anecdo- 
tes. Visions,  Spectres,  Fantômes,  Halluci- 
nations, Esprits,  Lutins,  Vampires,  Reve- 
nants, Songes,  Armées  prodigieuses,  etc. 

Voici,  sur  les  apparitions,  un  petit  fait  qui 
a  eu  lieu  à  La  Rochelle,  et  que  les  journaux 
rapportaient. en  avril  18i3.  «  Depuis  quelque 
temps,  la  population  se  préoccupait  des  re- 
venants qui  apparaissaient  tous  les  soirs 
sous  la  forme  de  flammes  phosphorescentes, 
bleuâtres  cl  mystérieuses.  Ces  revenants  onl 
été  pris  au  trébuchet  :  c'étaient  cinq  gros 
réjouis  de  paysans  des  environs  ((ui,  grimpés 
tous  les  soirs  sur  des  arbres  très-élevés,  lan- 
çiient  des  boulettes  phosphoriques  avec  un 
fil  imperceptible.  Pendant  la  nuit,  ils  don- 
naient le  mouvement  et  la  direction  qu'ils 
voulaient  à  leurs  globes  de  feu,  et  quand 
les  curieux  couraient  après  une  flamme,  elle 
devenait  aussitôt  invisible;  mais,  à  l'instant, 
il  en  surgissait  une  autre  sur  un  point  op- 

(2)  L'incoostance  des  démons,  liv.  V  diK.  3. 


■ 


fit 

posé  pour  détourner  l'attenlion.  Ce  jeu  s'ef- 
fectuait ainsi  pendant  quelques  instants  suc- 
cessivement, et  puis  simullanéinenl,  de  ma- 
nière à  produire  plusieurs  flammes  à  la  fois. 
^  Celte  jonglerie  trompa  bien  des  incrédu- 
les effrayés;  mais  enfln  il  se  trouva  un  es- 
prit rassis.  Caché  derrière  une  haie,  il  ob- 
serva attentivement  la  mise  en  scène  et 
devina  le  secret  de  la  comédie.  Suffisamment 
édifié,  il  alla  quérir  la  gendarmerie,  et  les 
linq  mystificateurs  furent  arrêtés  au  moment 
i>ù  ils  donnaient  une  nouvelle  représenta- 
tion. Quel  était  leur  but?  On  l'ignore  ;  le 
plus  curieux  de  l'histoire,  c'est  qu'une  com- 
mission scientifique  avait  déjà  préparé  un 
rapport  sur  l'étonnant  phénomène  météoro- 
logique de  ces  mauvais  plaisants. 

Disserlation  sur  ce  qu'on  doit  penser  de  Vap- 
parition  des  esprits,  à  l'occasion  de  l'aven^ 
lure  arrivée  à  Saint-Muur  en  1706,  par 
M.  Poupart,  chanoine  de  Saint-Maur,  près 
Paris.  Paris,  1707. 

L'auteur  croit,  avec  la  modération  conve- 
nable, aux  apparitions.  Il  raconte  l'aventure 
de  Saint-Maur;  elle  a  fait  tant  de  bruit  à  Pa- 
ris dans  sa  nouveauté,  que  nous  ne  pouvons 
la  passer  sous  silence.  M.  de  S*"*,  jeune 
homme  de  vingt  cinq  ans,  fixé  à  Saint-Maur, 
entendit  plusieurs  fois  la  nuit  heurter  à  sa 
porte,  sans  que  sa  servante,  qui  y  courait 
aussitôt,  trouvât  personne.  On  lira  ensuite 
les  rideaux  de  son  lit;  cl  le  22  mars  1706, 
sur  les  onze  h<  nres  du  soir,  étant  dans  son 
cabinet  avec  trois  domestiques,  tous  quatre 
entendirent  distinctement  feuilleter  des  pa- 
piers sur  la  table.  Ou  soupçonna  d'abord  le 
chat  de  la  maison  ;  mais  on  reconnut  qu'il 
n'était  pas  dans  le  cabinet.  Ce  bruit  recom- 
mença quand  M.  de  S**'  se  fut  relire  dans  sa 
chambre,  il  voulut  rentrer  dans  le  cabinet 
avec  une  lumière,  et  sentit  derrière  la  porte 
une  résistance  qui  finit  par  céder;  cepen- 
dant il  ne  vit  rien ,  seulement  il  entendit  frap- 
per un  grand  coup  dans  un  coin  contre  la 
muraille;  ses  domestiques  accoururent  au 
cri  qu'il  jeta;  mais  ils  ne  firent  aucune  dé- 
couverte. 

Tout  le  monde  s'étant  peu  à  peu  rassuré, 
«n  se  mil  au  lit.  —  A  peine  M.  de  S*"  com- 
mençait-il à  s'endormir,  qu'il  fut  éveillé  su- 
bitement par  une  violente  secousse  ;  il  appela; 
on  rapporta  deux  flambeaux,  et  il  vil  avec 
surprise  son  lit  déplacé  au  moins  de  quatre 
pieds. 

On  le  remit  en  place;  mais  aussitôt  tous 
les  rideaux  s'ouvrirent  d'eux-mêmes,  et  le 
lit  courut  tout  seul  vers  la  cheminée.  En 
vain  les  domestiques  tinrent  les  pieds  du  lit 
pour  le  fixer;  dès  que  M.  de  S""  s'y  cou- 
chait, le  lit  se  promenait  par  la  chambre. 

Celte  aventure  singulière  fui  bientôt  pu- 
blique; plusieurs  personnes  voulurent  en 
être  témoins,  et  les  mômes  merveilles  se  ré- 
pélèrcnt  la  nuit  suivante;  après  quoi  il  y  eut 
deux  nuits  paisibles. 

(I)  S»  défense  se  trouve  dans  ses  œuvres    sous  le  litre 
Je  Oratio  de  nmgia. 
li)  Discours  des  sorciers,  cli.  bô. 


DiCTlONNAlUE  DES  SCtENCfiS  OCCIII.TKS.  112 

L'esprit  se  remit  à  faire  du  bruit  le  2G;  il 
verrouilla  les  portes,  dérangea  les  meubles, 
ouvrit  les  armoires;  et  pendant  que  M. de  S*" 
Ireiiiblail  de  tous  ses  membres,  l'esprit,  sai- 
sissant l'occasion,  lui  parla  enfin  à  l'oreille 
et  lui  commanda  de  faire  certaines  choses 
qu'il  tint  secrètes,  et  qu'il  fil  quand  il  fui 
sorti  de  l'évanouissement  que  ta  peur  lui 
avait  causé.  L'esprit  revint  au  bout  de  quinze 
jours  pour  le  remercier,  frappa  un  grand 
coup  de  poing  dans  une  fcnélre  en  signe 
d'actions  de  grâces  ;  —  et  voilà  l'aveniure  de 
l'esprit  de  Saint-Maur,  que  M.  Poupart  a  le 
bon  esprit  de  regarder  comme  inexplicable, 
à  moins  qu'elle  ne  soit  l'enfantement  d'un 
cerveau  visionnaire.  Voy.  Meter  ,  Cal- 
MET  ,  etc. 

APULEE.  Philosophe  platonicien,  né  en 
Afrique,  connu  par  le  livre  de  l'Ane  d'or. 
Il  vécut  au  deuxième  siècle  sous  les  Anto- 
nins.  On  lui  attribue  plusieurs  prodiges  aux- 
quels, sans  doute,  il  n'a  jamais  songé.  Il  dé- 
pensa loul  son  bien  en  voyages, et  mil  tous 
ses  soins  à  se  faire  initier  dans  les  mystèies 
des  diverses  religions  païennes;  après  quoi 
il  s'aperçut  qu'il  était  ruiné.  Comme  il  élait 
bien  fait,  instruit  et  spirituel,  il  captiva  l'af- 
fection d'une  riche  veuve  de  Carlhage,  nom- 
mée Pudenliila,  qu'il  parvint  à  épouser.  Il 
était  encore  jeu  ne,  et  sa  femme  avait  soixante 
ans.  Cette  disproportion  d'âge  et  la  pauvreté 
connue  d'Apulée  firent  soupçonner  qu'il  avait 
employé,  pour  parvenir  à  ce  riche  mariage, 
la  magie  elles  philtres.  On  disait  même  qu'il 
avail  composé  ces  philtres  avec  des  filets  de 
poissons,  des  huîtres  et  des  pattes  d'écre- 
visses.  Les  parents ,  à  qui  ce  mariage  ne 
convenait  pas,  l'accusèrent  de  sortilège;  il 
parut  devant  ses  juges,  et  quoique  les  préju- 
gés sirr  la  magie  fussent  alors  en  très-grand 
crédit,  Apulée  plaida  si  bien  sa  cause  qu'il  la 
gagna  pleinement  (1). 

Boguet  (2)  et  d'autres  démonographes  di- 
sent qu'Apulée  fut  métamorphosé  en  âne, 
comme  quelques  autres  pèlerins  ,  par  le 
moyen  des  sorcières  de  Larisse,  qu'il  était 
allé  voir  pour  essayer  si  la  chose  était  pos- 
sible et  faisable  (3).  La  femme  qui  lui  dé- 
montra que  la  chose  était  possible  en  le 
changeant  en  âne,  le  vendit,  puis  le  rachiia. 
Par  la  suite,  il  devint  si  grand  magicien  (luil 
se  métamorphosait  lui-même,  au  besoin,  en 
cheval,  en  âne,  en  oiseau.  Il  se  peiçait  le 
corps  d'un  coup  d'épée  sans  se  blesser,  il  se 
rendait  invisible,  étant  très-bien  servi  par 
son  démon  familier.«C'est  même  pour  cou- 
vrir son  asinisme,  dit  encore  Delancre,  qu'il 
a  composé  son  livre  de  l'Ane  d'or.  » 

Taillepied  prétend  que  lout  cela  est  une 
confusion,  et  que  s'il  y  a  un  âne  mêlé  dans 
l'histoire  d'Apulée,  c'est  qu'il  avait  un  esprit 
familier  qui  lui  apparaissait  sous  la  forme 
d'un  âne  (4).  Les  véritables  ânes  sont  peut- 
élre  ici  Delancre  et  Boguet. 

Ceux  qui  veulent  jeter  du  merveilleux  sur 
toutes  les  actions  d'Apulée,  affirment  que, 


(5)  Delancre.  Talileau  de  l'inconstaace  des  démons,  etc. 
liv.  iV,  .h.  i". 
(i)  De  l'ipparilion  des  es;Tits  cti.  15, 


113 


ÂIIA 


AUD 


4lt 


p;tr  un  effel  de  ses  charmes,  sa  icmine  clail 
obligée  de  lui  tenir  la  ciiandelle  pendant 
qu'il  travaillait;  d'autres  disent  que  cet  of- 
fice était  rempli  par  son  démon  familier. 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  y  avait  de  la  complai- 
sance dans  cette  femme  ou  dans  ce  dé- 
mon. 

Outre  son  Discours  sur  la  magie,  Apulée 
nous  a  laissé  encore  un  petit  traité  du  dé- 
mon de  Socrate,  De  deo  Socratis,  réfuté  par 
saint  Augustin  ;  on  en  a  une  traduction  sous 
le  litre  :  De  l'Esprit  familier  de  Sacrale, 
avec  des  remarques,  in-12.  Paris,  1038. 

AQUIRL.  démon  que  l'on  conjure  le  di- 
niaiiclip.  Voj/.  Conjurations. 

AQUIN  (Mardochée  d'),  rabbin  de  Carpen- 
Iras,  mort  en  1650,  qui  se  fit  chrétien,  et 
changea  au  lîaptéine  son  nom  de  Mardochée 
en  celui  de  Philippe.  On  recherche  de  lui 
l'Interprétation  de  l'arbre  de  la  cabale  des 
Héhreux:  Paris,  in-8',  sans  date. 

ARACHDLA,  méchant  esprit  de  l'air  chez 
les  Chinois  voisins  de  la  Sibérie.  Voyez 
Lune. 

AUAEL,  l'un  des  esprits  que  les  rabbins 
du  Taltnud  font,  avec  Anpiel,  princes  et 
gouverneurs  du  peuple  des  oiseaux. 

ARAIGNÉES.  Les  anciens  regardaient 
comme  un  présage  funeste  les  toiles  d'arai- 
gnées qui  s'attachaient  aux  étendards  et  aux 
st.itues  des  dieux. 

Chez  nous,  une  araignée  qui  court  ou  qui 
file  promet  de  l'argent;  les  uns  prétendent 
que  c'est  de  l'argent  le  matin,  et  le  soir  une 
nouvelle;  d'autres,  au  contraire,  vous  cite- 
ront ce  proverbe-axiome  :  Araignée  du  ma- 
tin, petit  chagrin  ;  araignée  de  midi,  petit 
profil;  araignée  du  soir,  petit  espoir.  «  Mais, 
comme  dit  M.  Salgues  (1),  si  les  araignées 
ét.iient  le  signe  de  la  richesse,  personne  ne 
serait  plus  riche  que  les  pauvres.  » 

Quelques  personnes  croient  aussi  qu'une 
araignée  est  toujours  î'avant-coureur  d'une 
nouvelle  heureuse,  si  on  a  le  bonheur  de  l'é- 
craser. M.  de  T"*,  qui  avait  cette  opinion, 
donna,  en  1790,  au  tliéâtre  de  Saint-Péters- 
bourg, une  tragédie  intitulée  Abaco  et  Moïna. 
La  nuit  qui  en  précéda  la  représentation,  au 
moment  de  se  coucher,  il  aperçut  une  arai- 
gnée à  côté  de  son  lit.  La  vue  de  l'insecte  lui 
fit  plaisir;  il  se  hâta  d'assurer  la  bonté  du 
présage  en  l'écrasant  ;  il  avait  saisi  sa 
pantoufle,  mais  l'émotion  qu'il  éprouvait  Ht 
manquer  le  coup  ,  l'araignée  disparut.  Il 
passa  deux  heures  à  la  chercher  en  vain,  fa- 
tigué de  ses  efforts  inutiles,  il  se  jeta  sur  son 
lit  avec  désespoir  :  —  Le  bonheur  était  là, 
s'écria-t-il,  et  je  l'ai  perdu!  Ahl  ma  pauvre 
tragédie!  Le  lendemain  il  fut  tenté  de  retirer 
sa  pièce,  mais  un  de  ses  amis  l'en  empêcha; 
la  pièce  alla  aux  nues,  et  l'auteur  n'en  de- 
meura pas  moins  persuadé  qu'une  araignée 
porte  bonheur  lorsqu'on  l'écrase  {2). 

Dans  le  bon  temps  de  la  loterie,  des  fem- 
mes enfermaient  le  soir  une  araignée  dans 
une  boîte,  avec  les  quatre-vingt-dix  numéros 

(1)  Des  Erreurs  et  des  préjusés,  t.  I,  p  510. 

(2J  Auuulcs  Uiaffluliquus ,  ou  Uiclioniiuire  des  tiié&lrus, 


écrits  sur  de  petits  carrés  de  papier.  L'arai- 
gnée ,  en  manœuvrant  la  nuit ,  retournait 
quelques-uns  de  ces  papiers.  Ceux  qui 
étaient  retournés  de  la  sorte,  étaient  re- 
gardés le  lendemain  matin ,  comme  numé- 
ros gagnants 

Cependant  les  toiles  d'araignées  sont  uti- 
les :  appli(iuées  sur  une  blessure  .  elles  ar- 
rêtent le  sang  et  empêchent  que  la  plaie  ne 
s'enflamme.  Mais  il  ne  faut  peut-être  pas 
croire,  avec  l'auteur  des  Admirables  secriïs 
d'Albert  le  Grand  ,  que  l'araignée  pilée  cl 
mise  en  cataplasme  sur  les  tempes  guérisse  la 
fièvre  tierce  (3). 

Avant  que  Lalande  eût  fait  voir  qu'on 
pouvait  manger  des  araignées,  on  les  re- 
gardait généralement  comme  un  poison.  Un 
religieux  du  Mans  disant  la  messe,  une  arai- 
gnée tomba  dans  le  calice  après  la  consécra- 
tion. Le  moine,  sans  hésiter,  avala  l'insecte. 
On  s'attendait  à  le  voir  enfler;  ce  qui  n'eut 
pas  lieu. 

Il  y  a  de  vilaines  histoires  sur  le  compta 
des  araignées.  N'oublions  pourtant  pas  que, 
dans  son  cachot,  Pélisson  en  avait  appri- 
voisé une  que  Delille  a  célébrée.  Mais  la  ta- 
rentule est  aussi  une  araignée  ! . . . 

Le  maréchalde  Saxe, traversant  un  village, 
coucha,  dans  une  auberge  infestée,  disait-on, 
de  revenantsqui  étouffaient  les  voyageurs.  On 
citait  des  exemples.  Il  ordonna  à  son  domes- 
tique de  veiller  la  moitié  de  la  nuit,  promet- 
tant de  lui  céder  ensuite  son  lit  et  de  faire 
alors  sentinelle  à  sa  place.  A  deux  heures 
du  matin,  rien  n'avait  encore  paru.  Le  do- 
mestique, sentant  ses  yeux  s'appesantir,  va 
éveiller  son  maître,  qui  ne  répond  point; 
il  le  croit  assoupi  et  le  secoue  inutilement. 
Effrayé,  il  prend  la  lumière,  ouvre  les  draps, 
et  voit  le  maréchal  baigné  dans  son  sang. 
Une  araignée  monstrueuse  lui  suçait  le  sein 
gauche.  Il  court  prendre  d<>s  pincettes  pour 
combattre  cet  ennemi  d  un  nouveau  genre, 
saisit  l'araignée  et  la  jette  au  feu.  Ce  ne  fut 
qu'après  un  long  assoupissement  que  le  ma- 
réchal reprit  ses  sens  ;  et  depuis  lors  on  n'en- 
tendit plus  parler  de  revenants  dans  Tau- 
berge.  —  Nous  ne  garantissons  pas  celte 
anecdocte ,  conservée  dans  plusieurs  re- 
cueils. 

Au  reste,  l'araignée  a  de  quoi  se  consoler 
de  notre  horreur  et  de  nos  mépris.  Les  nègres 
de  la  Côte-d'Or  attribuent  la  création  de 
l'homme  à  une  grosse  araignée  qu'ils  nom- 
ment Anansié,  et  ils  révèrent  les  plus  belles 
araignées  comme  des  divinités  puissantes. 

ARBRES.  On  sait  que  dans  l'antiquité  les 
arbres  étaient  consacrés  aux  dieux  :  le  cyprès 
à  Pluton ,  etc.  Plusieurs  arbres  et  plantes 
sont  encore  dévoués  aux  esprits  de  l'enfer  : 
le  poirier  sauvage  ,  l'églantier,  le  figuier,  la 
verveine ,  la  fougère ,  etc. 

Des  arbres  ont  parlé  ;  chez  les  anciens  , 
dans  les  forêts  sacrées,  on  a  entendu  des 
arbres  gémir.  Les  oracles  de  Dodone  étaient 
des  chênes  qui  parlaient. 

p.nr  une  sociale  do  gens  de  lettres,  t.  I,  an  mot  Abaco. 
(3J  Les  Admirables  secrets  d'Albert  le  Grand,  liv.  IIJ. 


f(B 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


416 


On  entendit,  dans  une  forêt  d'Angleterre, 
lin  arbre  qui  poussnil  des  gémissemenls;  on 
le  disait  enchanté.  Le  propriétaire  du  terrain 
lira  beaucoup  d'argent  do  tous  les  curieux 
qui  venaient  voir  une  chose  aussi  merveil- 
leuse. A  la  fin,  quelqu'un  proposa  de  couper 
l'arbre  ;  le  maître  du  terrain  s'y  opposa  , 
non  par  un  inolif  d'inlérét  propre,  disall-il, 
mais  de  [)eur  que  celui  qui  oserait  y  mettre 
lacognée  n'en  mourût  subitement;  on  trouva 
un  homme  qui  n'avait  pas  peur  de  la  mort 
subite  ,  et  qui  abattit  larbre  à  coups  do 
hache  :  alors  on  découvrit  un  tuyau  qui 
formait  une  communication  à  plusieurs  toi- 
ses sous  terre,  et  par  le  moyen  duquel  ou 
produisait  les  gémissements  que  l'on  avait 
remarqués. 

ARC-EN-CIEL.  LechapilrelXde  la  Genèse 
semble  dire,  selon  des  commentateurs,  qu'il 
n'y  eut  point  d'arc- en-ciel  avant  le  déluge  : 
mais  jt!  ne  sais  (1)  où  l'on  a  vu  qu'il  n'y  en 
aura  plus  quarante  ans  avant  la  fin  du 
monde,  «  parce  que  la  sécheresse  qui  pré- 
cédera l'embrascinenl  de  l'univers  consu- 
mera la  matière  de  ce  météore.  »  C'est 
pourtant  une  op'uion  encore  répandue  chez 
ceux  ijui  s'occupent  de  la  fin  du  monde. 

L'arc-en-ciel  a  son  principe  dans  la  na- 
ture ;  et  croire  qu'il  n'y  eut  point  d'arc-en- 
ciel  avant  le  déluge,  parce  que  Dieu  en  fit  le 
«igné  de  son  alliance,  c'est  comme  si  l'on 
di>ait  qu'il  n'y  avait  point  d'eau  avant  l'insti- 
tution du  baptême.  Et  puis,  Dieu  ne  dit  point, 
au  chapitre  IX  de  la  Genèse,  qu'il  place  son 
arc.-en-ciel,mais  son  arc  en  si^ne d'alliance; 
et  comment  attribiicra-t-on  a  l'arc-en-ciel 
re  passage  d'Isaïe  :  J'ai  mis  mon  arc  et  ma 
pêche  dans  les  nues? 

ARDENTS  (mal  des),  appelé  aussi  feu  in- 
fernal. C'était  au  onzième  et  au  douzième 
siècle  une  maladie  non  expliquée ,  qui  se 
manifestait  comme  un  l'eu  intérieur  et  dévo- 
rait ceux  qui  en  ét;iient  frappés.  Les  per- 
sonnes qui  voyaient  là  un  effot  dj  la  colère 
céleste  l'appelaient  feu  sacre';  d'autres  le 
nommaient  feu  infernal;  ceux  qui  l'attri- 
buaient à  rinfluence  des  astres  le  nommaient 
sidération.  La  reliques  de  saint  Antoine, 
que  le  comte  de  Josselin  apporta  de  la  Terre 
Sainte  à  la  Mothe-Saint-Diilier,  ayant  guéri 
plusieurs  infortunés  atteints  de  ce  mal ,  on 
le  nomme  encore  feu  de  saint  Antoine. 

Ou  fêlait  à  Paris  sainte  Geneviève  des  Ar- 
dents, en  souvenir  des  cures  merveilleuses 
opérées  alors  par  la  châsse  de  la  sainte  (2) 
sur  les  infortunés  atteints  de  ce  mal. 

ARDENTS  ,  exhalaisons  enflammées  qui 
paraissent  sur  les  bords  des  lacs  et  des  ma- 
rais, ordinairement  en  autouinc  ,  et  qu'on 
prend  pour  des  esprits  follets  ,  parce  qu'elles 
sont  à  fleur  du  terre  et  qu'on  l(  s  voit  quel- 
quefois changer  de  place.  Souvent  on  en  est 
ébloui  el  on  se  perd.  Ldoyer  dit  que  lors- 
qu'on ne  peut  s'empôchcr  de  suivre  les  ar- 
dents, ce  sont  bien  en  vérité  des  démons  (3). 

il  y  eut,  sous  le  règne  de  Louis  Xlll,  une 

(l)  Brown,  Erreurs  popnlairps,  liv.  VII,  cli.  o. 
(i)  Lf  iml  des  ardeiUs.  i\u\  se  iioiiim.iii  aussi  f,;u  infer- 
nul.  et  feu  SaiiU-A.iiloiiie,  claili  Paris  uue  affreuse  m^taJie 


histoire  de  revenant  qui  fit  assez  de  bruit- a 
Marseille  ;  c'était  une  espèce  de  feu  ardent 
ou  d'homme  de  feu.  Le  comte  et  la  comtesse 
d'Alais  voyaient  toutes  les  nuits  un  spectre 
enflammé  se  promener  dans  leur  chambre  , 
et  aucune  force  humaine  ne  pouvait  le  forcer 
à  se  retirer.  La  jeune  dame  supplia  son  mari 
de  quitter  une  maison  et  une  ville  où  ils  nu 
pouvaient  plus  dormir.  Le  comte,  qui  se 
plaisait  à  Marseille,  voulut  employer  d'abord 
tous  les  moyens  pour  l'expulsion  du  fantôme. 
Gassendi  fut  consulté  ;  il  conclut  que  ce  fan- 
tôme de  feu  qui  se  promenait  toutes  les  nuits 
était  formé  par  des  vapeurs  enflammées  que 
produisait  le  souffle  du  comte  et  de  la  com- 
tesse ;....  d'autres  savants  donnèrent  des  ré- 
ponses aussi  satisfaisantes.  On  découvrit 
enfin  le  secret.  Uue  femme  de  chambre  , 
cachée  sous  le  lit ,  faisait  paraître  un  phos- 
phore à  qui  la  peur  donnait  une  taille  et  des 
formes  effrayantes;  et  la  comtesse  elle-même 
faisait  jouer  cette  farce  pour  obliger  son 
mari  à  partir  de  Marseille  ,  qu'elle  n'aimait 
pas.... 

ARGENS  (  BoYER  d'  ) ,  marquis  ,  né  en 
170i  ,  à  Aix  en  Provence.  Ou  trouve,  parmi 
beaucoup  de  fatras,  des  choses  curieuses 
sur  les  gnomes,  les  sylphes,  les  ondins  el  les 
salamandres,  dans  ses  «  Lettres  Cabalistiques, 
ou  Correspondance  philosophique,  historique 
et  critique  entre  deux  cabalisies,  divers  es- 
prits élémentaires  et  le  seigneur  Astaroth.  » 
La  meilleure  élition  est  de  1769  ,  7  vol.  in- 
12.  Ce  livre,  d'un  très-mauvais  esprit,  est 
infecté  d'un  philosophismc  que  l'auteur  a  des- 
avoué ensuite. 

ARGENT.  L'argent  qui  vient  du  diable 
est  ordinairement  de  mauvais  aloi.  Deirio 
conte  qu'un  homme ,  ayant  reçu  du  démon 
une  bourse  pleine  d'or,  n'y  trouva  le  lende- 
main que  des  charbons  et  du  fumier. 

Un  inconnu,  passant  par  un  village,  ren- 
contra un  jeune  homme  de  quinze  ans,  d'une 
figure  intéressante  el  d'un  extéiieur  fort 
simple.  Il  lui  demanda  s'il  voulait  être  riche  ; 
le  jeune  homme  ayant  répondu  qu'il  le  dési- 
rait, l'inconnu  lui  donna  un  papier  plié,  et 
lui  dit  qu'il  en  pourrait  faire  sortir  autant 
d'or  qu'il  le  souhaiterait,  tant  qu'il  ne  le 
déplierait  pas  ;  el  que  s'il  domptait  sa  curio- 
sité, il  connaîtrait  avant  peu  son  bienfaiteur. 
Le  jeune  homme  rentra  chez  lui,  secoua  son 
trésor  mystérieux,  il  en  tomba  quelques 
pièces  d'or....  Mais,  n'ayant  pu  résister  à  la 
tentation  de  l'ouvrir,  il  y  vit  des  griffes  de 
chat,  des  ongles  d'ours,  des  pattes  de  cra- 
pauds, et  d'autres  figures  si  horribles,  qu'il 
jeta  le  papier  au  feu  ,  où  il  fut  une  dtuni- 
hruresans  pouvoir  se  consumer.  Les  pièces 
d'or  qu'il  en  avait  tirées  disparurent ,  et  il 
reconnut  qu'il  avait  eu  affaire  au  diable. 

Un  avare,  devenu  riche  à  force  d'usures, 
se  sentant  à  l'article  do  la  mort,  pria  sa 
femme  de  lui  apporter  sa  bourse,  afin  qu'il 
pût  la  voir  encore  avant  de  mourir.  Quand 
il  la  tint,  il  la  serra  tendrement,  el  ordonna 

éplJému|ue,  une  sorte  de  lèpre  brûlaute ,  dont  oo  dut  U 
giiciisoii  à  sainte  Geneviève. 
(5J  Discours  des  spectres,  Hv  I,  cb.  7. 


W7 


ARG 


A  m 


1'3 


qu'on  l'entorrâlavoc  lui,  p.irce  qu'il  trouvait 
l'idée  de  s'en  séparer  déchirante.  On  ne  lui 
promit  rien  précisément;  et  il  mourut  en 
contemplant  son  or.  Alors  on  lui  arracha  la 
bourse  des  mains,  ce  qui  ne  se  fit  pas  sans 
peine.  Mais  quelle  fut  la  surprise  de  la  fa- 
mille assemblée  ,  lorsqu'en  ouvrant  le  sac 
on  y  trouva,  non  plus  des  pièces   d'or,  mais 

deux  crapauds  1 Le  diable  était  venu  ,  et 

en  emportant  l'âme  dcl'usurier,  il  avait  em- 
porté son  or,  comme  di'ux  choses  insépa- 
rables et  qui  n'en  faisaient  qu'une  (lU 

Voici  autre  chose:  un  homme  qui  n'avait 
que  vingt  sous  pour  toute  fortune  se  mit  à 
vendre  du  vin  aux  passants.  Pour  gagner 
davantage,  il  mettait  autant  d'eau  que  de  vin 
dans  ce  qu'il  vendait.  Au  bout  d'un  certain 
temps,  il  amassa  ,  par  cette  voie  injuste,  la 
somme  de  cent  livres.  Ayant  serré  cet  argent 
dans  un  sac  de  cuir,  il  alla  avec  un  de  ses 
amis  faire  provision  de  vin  pour  continuer 
son  trafic;  mais,  comme  il  était  près  d'une 
rivière,  il  tira  du  sac  de  cuir  une  pièce  de 
vingt  sous  pour  une  petite  emplette;  il  tenait 
le  sac  dans  la  main  gauche  et  la  pièce  dans 
la  droite;  incontinent  un  oiseau  de  proie 
fondit  sur  lui  et  lui  enleva  son  sac  ,  qu'il 
laissa  tomber  dans  la  rivière.  Le  pauvre 
homme,  dont  toute  la  fortune  se  trouvait 
ainsi  perdue  ,  dit  à  son  compagnon  :  — Dieu 
est  équitable;  je  n'avais  qu'une  pièce  de 
vingt  sous  quand  j'ai  commencé  à  voler;  il 
m'a  laissé  mon  bien,  et  m'a  ôté  ce  que  j'a- 
vais acquis  injustement  (2). 

Un  étranger  bien  vêtu  ,  passant  au  mois 
de  septembre  1606  dans  un  village  de  la 
Franche-Comté,  acheta  une  jument  d'un 
paysan  du  lieu  pour  la  somme  de  dix- huit 
ducatons.  Comme  il  n'en  avait  que  douze 
dans  sa  bourse,  il  laissa  une  chaîne  d'or  en 
gage  du  reste,  qu'il  promit  de  payer  à  son 
retour.  Le  vendeur  serra  le  tout  dans  du 
.papier,  elle  lendemain  trouva  la  chaîne  dis- 
parue ,  et  douze  plaques  de  plomb  au  lieu 
des  ducalons  (3). 

Terminons  <  n  rappelant  un  stupide  usage 
de  quelques  villageois  qui  croient  que, quand 
on  fait  des  beignets  avec  des  œufs,  de  la  fa- 
rine et  de  l'eau,  pendant  la  messe  de  la  Chan- 
deleur, de  manière  qu'on  en  ait  de  faits  après 
la  messe,  ou  a  de  l'argent  pendant  toute 
l'année  (i). 

On  en  a  toute  l'année  aussi,  ([uind  on  en 
porte  sur  soi  le  premier  jour  où  l'on  entend 
le  chant  du  coucou,  —  et  tout  le  mois,  si  on 
on  a  dans  sa  poche  la  première  fois  (ju'oii 
voit  la  lune  nouvelle. 

ARGKNT  POTABLE.  Si  vous  êtes  versé 
dans  les  secrets  de  l'alchimie  et  que  vous 
souhaitiez  possédercette panacée,  prenez  <lu 
soufre  bleu  céieste;  mettez-le  dans  un  vase 
de  verre;  versez  dessus  d'excellent  esprit 
de  vin;  faites  digérer  au  bain  pendant  vingt- 
quatre  heures;  et  quand  l'esprit  de  vin  aura 
attiré   le  soufre  par  distillation,  prenez  une 

(1)  Caosariillisl.demorifîntibns,  cap.  30  Mirac.lib.  II. 

(2)  Sailli  OréKoire  de  Tours,  livre  des  Miracles. 
(5j  I5iigii(M,  Discours  (les  sorcii.TS. 

(4J  ï'Iiii.rs^  Ujili  des  siipersl.,  elc. 


part  de  ce  soufre;  versez  dessus  trois  fois 
son  poids  d'esprit  blanc  mercuriel  extrait 
du  vitriol  minéral;  bouchez  bien  le  vase; 
faites  digérer  au  bain  vaporeux  jusqu'à  ce 
que  le  soufre  soit  réduit  en  liqueur;  alors 
vrrsez  dessus  de  très-bon  esprit  de  vin  à 
poids  égal;  digérez-les  ensemble  pendant 
quinze  jours;  passez  le  tout  par  l'alambic  ; 
relirez  l'esprit  par  le  bain  tiède,  et  il  restera 
une  liqueur  qui  sera  le  vrai  argent  potable, 
ou  soufre  d'argent,  qui  ne  peut  plus  être  re- 
mis en  corps.  Cet  élixir  blanc  est  un  remède 
à  peu  près  universel ,  qui  fait  merveilles  en 
médecine,  fond  l'hydropisie  et  guérit  tous  les 
maux  intérieurs    5). 

ARGOUGES.  Voy.  Fées,  à  la  fin. 

ARIGNOTE.  Lucien  conte  qu'à  Corinthe, 
dans  le  quartier  de  Cranaûs ,  personne  n'o- 
sait habiter  une  maison  qui  était  visitée  d'un 
spectre.  Un  certain  Arignote,  s'étant  muni 
de  livres  magiques  égyptiens,  s'enferma  dans 
celle  maison  pour  y  passer  la  nuit,  el  se  mit 
à  lire  tranquillement  dans  la  cour.  Le  spectre 
parut  bienlât  ;  pour  effrayer  Arignote,  il  prit 
d'abord  la  figure  d'un  chien,  ensuite  celles 
d'un  taureau  et  d'un  lion.  Mais,  sans  se 
troubler,  Arignote  prononça  dans  ses  livres 
des  conjurations  qui  obligèrent  le  fantôme  à 
se  retirer  dans  un  coin  de  la  cour,  oii  il 
disparut.  Le  lendemain  ou  creusa  à  l'endroit 
où  le  spectre  s'était  enfoncé;  on  y  trouva  un 
squelette  auquel  on  donna  la  sépulture,  et 
rien  ne  parut  plus  dans  la  maison.  —  Cette 
anecdote  n'est  autre  chose  que  l'aventure 
d'Athénodore,  que  ^ucien  avait  lue  dans 
Pline,  el  qu'il  accommode  à  sa  manière  pour 
divertir  ses  lecteurs. 

ARIMANE  ,  prince  des  enfers  chez  les 
anciens  Porses,  source  du  mal,  démon  noir, 
engendré  dans  les  ténèbres  (6),  ennemi  d'O- 
romaze,  principe  du  bien.  Mais  celui-ci  est 
éternel,  tandis  qu'Arimane  est  créé  et  doit 
périr  un  jour. 

ARiOCH  ,  démon  de  la  vengeance,  selon 
quelques  démonographes;  différent  d'Alas- 
lor,  et  occupé  seulement  des  vengeances 
particulières  de  ceux  qui  l'emploient. 

ARIOLISTES,  devins  de  l'antiquilé,  dont 
le  métier  se  nommait  ariolntio,  parce  qu'ils 
devinaient  par  les  autels  {ab  aris).  Us  con- 
sultaient les  démons  sur  leurs  autels,  dit 
Daugis(7);  ils  voyaient  ensuite  si  l'autel 
tremblait  ou  s'il  s'y  faisait  quelque  merveille, 
et  prédisaient  ce  que  le  diable  leur  inspirait. 

ARISTEE,  —  charlatan  de  l'île  de  Proco- 
nèse,  qui  vivait  du  temps  de  Crésus.  Il  disait 
que  son  âme  sortait  de  son  corps  (|uand  il 
voulait,  et  qu'elle  y  retournait  ensuite.  Les 
uns  content  qu'elle  s'échappait,  à  la  vue  de 
sa  femme  et  de  ses  enfants  ,  sous  la  figure 
d'un  cerf,  Wierus  dit  sous  la  figure  d'un 
corbeau  (8). —Hérodote  rapporte,  dans  son 
quatrième  livre,  que  cet  Aristée,  entrant  un 
jour  dans  la  boutique  d'un  foulon,  y  tomba 
mort;  que  le  foulon  courut  avertir  ses  pa- 


(5)  Traité  de  chimie  pliilosopli.  et  hermétique 

(6)  Plutarqiie,  sur  Isis  el  Usiris. 

(7)  Traité  sur  la  magie,  elc,  p.  66. 

(8)  De  PrKjiigiis  (Jxiii.,  lib.  1,  cai>.  li. 


p.  16â. 


119 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


420 


renis,  qui  arrivèrent  pour  le  faire  enterrer. 
M.iis  on  ne  trouva  plus  le  corps.  Toute  la 
▼  ille  étail  en  grande  surprise,  (juand  des  gens 
(|ui  revenaient  de  quel()uc  voyage  assurèrent 
qu'ils  aviiienl  rcnronlré  Arislée  sur  le  che- 
min de  Crolone  (1).  11  paraît  que  célail  une 
I  spècf  de  v.itnpire.  Hérodote  ajoulo  qu'il  re- 
parut au  bout  de  S' pi  ans  à  Proconèse,  y 
coin[iosa  un  poëuie  el  uiourut  de  nouveau. 

Lenoyer,  (|ui  regarde  Aristéc  comnie  un 
sorcier  à  exlasos  (-2) ,  elle  une  aulorilé  d'a- 
près laquelle,  à  l'heure  môme  ou  ce  vamiiire 
disparut  pour  la  seconde  fois ,  il  aurait  élé 
transporté  en  Sicile,  et  s'y  serait  fait  maître 
d'école. 

Il  se  montra  encore  trois  cent  quarante 
ans  après,  dans  la  ville  de  Métaponle  ,  et  il 
y  fit  élever  des  monuments  qu'on  voyait  du 
temps  dHérodole.  Tant  de  prodiges  engagè- 
rent les  Siciliens  à  lui  consacrer  un  temple, 
où  ils  l'honoraient  comme  un  demi-dieu. 

ARISTODEME  ,  roi  des  Messéniens.  Voy. 
Ophioneus  et  Ololygmancie. 

ARISTOLOCHIE ,  ou  paille  de  sarrasin, 
ou  plutôt  espèce  de  plante  appelée  pistoloche, 
avec  laquelle  Apulée  prétendait  qu'on  pou- 
vait dénouer  l'aiguillette,  sans  doute  en  l'em- 
ployant à  des  fumigations.  Voy.  Ligatures. 

ARISTOMENE ,  général  messénien  ,  si 
habile  et  si  adroit  que,  toutes  les  fuis  qu'il 
tombait  au  pouvoir  des  Athéniens,  ses  enne- 
mis, il  trouvait  moyen  de  s'échapperdc  leurs 
mains.  Pour  lui  ôler  celte  ressource  ,  ils  le 
firent  mourir;  après  quoi  on  l'ouvrit  et  on 
lui  trouva  le  cœur  tout  velu  el  tout  couvert 
de  poils  (3). 

ARISTOTE  ,  que  l'Arabe  Averroës  ap- 
pelle le  comble  de  la  perfection  humaine.  Sa 
philosophie  a  toujours  été  en  grande  véné- 
ration, el  son  non»  ne  peut  recevoir  trop 
d  éclat.  Mais  il  ne  fallait  pas  se  quereller  pour 
ses  opinions  et  emprisonner  dans  un  temps 
ceux  qui  ne  les  partageaient  pas  ,  pour  em- 
prisonner dans  un  autre  ceux  qui  les  avaient 
adoptées.  Ces  querelles,  au  reste,  n'ont  élé 
élevées  que  par  les  hérétiques. 

Delancre  semble  dire  qu'Aristote  savait  la 
magie  naturelle  (4);  mais  il  ne  parle  guère 
en  homme  superstitieux  dans  aucun  de  ses 
écrits.  Quant  à  la  vieille  opinion,  soutenue 
par  Procape  et  quelques  autres,  qu'Aristote, 
ne  pouvant  comprendre  la  raison  du  flux  et 
du  reflux  de  l'Euripe,  s'y  précipita  en  faisant 
de  désespoir  ce  mauvais  calembourg:  —  Puis- 
que je  ne  puis  te  saisir,  saisis-moi  (5)  ;  — 
cette  opinion  est  aujourd'hui  un  conte  mé- 
prisé. 

Aristote  joue,  dans  un  vieux  fabliau  fran- 
çais, un  rôle  assez  ridicule.  Un  jour,  dit  le 
conteur,  il  reprocha  à  son  élève  le  trop  grand 
amour  qu'il  portail  à  une  jeune  Indienne,  et 
l'oubli  de  tout  devoir  où  le  jetait  cette  pas- 

(1)  Pjularque,  dans  la  Vie  d«  Romulus. 

(2)  Discours  des  spectres,  liv.  IV,  cli.  ti. 

(3)  Valère-Maiiine,  liv.  I,  cU   8,  exl.  u-  \f}. 

(i)  Tableau  du  l'iucoiistaiice  dos  mauvais  ances   pic 
liv.  Vl.ilisc.  2.  ''    •        • 

(fi). Si  quidtni  ego  non  capio  lo,  lu  capies  nie 
(6J  H.  Lcrouï  Ue  iiiicjf,  Léacude  dUii.pocriil^- 


sion.  Le  Macédonien,  écoutant  les  leçons  (i« 
la  sagesse  ,  promit  de  rompre  d'indignes 
liens.  L'Indienne  connut  la  cause  de  ce  chan- 
gement subit  et  prit  la  résolution  de  s'en 
venger.  Elle  alla  trouver  le  philosophe,  et 
comme  il  n'était  protégé  que  par  sa  pauvre 
philosophie,  clic;  l'eut  bienlôl  séduil  par  ses 
agaceries.  Quand  elle  eul  tourné  l'esprit  du 
vieillard,  elle  exigea,  pour  prix  de  ses  sou- 
rires, qu'il  satisfit  à  un  désir  qu'elle  avait 
toujours  eu  ;  c'était  qu'il  consentît  à  la  lais- 
ser se  mtltre  à  cheval  sur  son  dos.  Arislole, 
chauve  cl  ridé,  n'i  ut  pas  la  force  de  refuser 
une  demandeaussi  absurde.  La  fine  Indienni-, 
allant  chercher  aussilôt  une  selle  et  une 
bride,  plaça  la  selle  sur  le  dos  du  philosophe, 
et  la  bride  dans  sa  bouche;  puis  elle  sauta 
sur  lui  comme  sur  un  roussin.  En  ce  mo- 
ment, Alexandre,  qui  étail  prévenu,  parut  à 
une  fenêtre,  et  put  adresser  à  son  maître  les 
mêmes  leçons  que  ce  dernier  lui  donnait  peu 
de  jours  auparavant  (6). 

On  ne  sail  trop  la  source  de  cet  autre  conte. 
On  a  prétendu  qu'Aristote  ayant  épousé  la 
nièce  (  d'autres  disent  la  fille  ou  la  petile- 
fille  )  d'Hermias,  son  ami,  il  en  devint  si 
épris,  qu'il  alla  jusqu'à  lui  offrir  des  sacri- 
fices. En  tout  cas,  l'aventure  du  fabliau  est 
citée  dans  les  Amours  d'Euriale,  d'^Encas 
Sylvius.  Spranger ,  peintre  de  l'empereur 
Rodolphe  II,  en  a  fait,  au  commencement  du 
dix-septième  siècle,  un  tableau  que  Sadeler 
a  gravé.  Le  vieil  amoureux  est  représenté 
marchant  à  quatre  pattes  ,  avec  le  mors  en 
bouche,  et  portant  sur  son  dos  la  dame  qui, 
d'une  main  tient  la  bride,  et  de  l'autre,  un 
fouet  (7). 

Nous  ne  citerons  ici  des  ouvrages  d'Aris- 
toie  que  ceux  qui  ont  rapport  aux  matièri  s 
que  nous  traitons  :  1°  De  la  Divination  par 
les  songes;  2°  Du  Sommeil  et  de  la  veille,  im- 
primés dans  ses  œuvres.  On  peut  consulter 
aussi  les  remarques  de  Michel  d'Ephèsc  sur 
le  livre  de  la  Divination  par  les  songes  (8j,  cl 
la  Paraphrase  de  Thémistius  sur  divers  trai- 
tés d'Aristole,  principalement  sur  ce  même 
ouvrage  (9). 

ARITHMANCIE  ou  ARITHMOMANCIE. 
Divination  par  les  nombres.  Les  Grecs  exa- 
minaient le  nombre  et  la  valeur  des  lettres 
dans  les  noms  de  deux  combattants,  el  en 
auguraient  que  celui  dont  le  nom  renfer- 
mait plus  de  lettres  et  d'une  plus  grande  va- 
leur remporlerail  la  victoire.  C'est  en  vertu 
de  cette  science  que  quelques  devins  avaient 
prévu  qu'Heclor  devait  être  vaincu  par 
Achille. 

Les  Chaldéens,  qui  pratiquaient  aussi  l'a- 
rithmomancie,  partageaient  leur  alphabet  en 
trois  parties,  chacune  composée  de  sept  let- 
tres, qu'ils  attribuaient  aux  sept  planètes, 
pour  en  tirer  des  présages.  Les  platoniciens 
et  les  pythagoriciens  étaient  fort  adonnés  i 

(7)  Fabliaux  de  Legrand  d'.iussv,  t.  I. 

(S)  MiLbaelis  Ë|.liesii  AnnutJtiunes  in  Âristotelem,  de 
soinno,  iJ  est,  de  diviiialioiie  per  soiunum.  Veuise,  iu-8°, 
10^7. 

(9J  Tbemistii  Paraphrasls  in  Aristoleleni  de  niomoria  et 
reniiui.sccntia,  île  in.suiiiniis,  de  dlvinalioiie  per  soinuun!, 
laUii  >  iiileriirele  lleiiuuUo  Uarbaio.  Bàle,  m-S%  13iW. 


121 


ARM 


ARN 


l'Jfi 


cette   divination,  qui    comprend  aussi  une 
partie  de  la  cabale  des  Juifs  (1). 

ARIUS,  fameux  hérétique  qui  niait  la  di- 
vinité de  Jésus-Clirist,  Nolre-Scigneur.  Voici 
comment  on  raconte  sa  mort  :  —  Saint 
Alexandre,  évêciue  de  Byzance,  voyant  que 
les  sectateurs  d'Arius  voulaient  le  porter  en 
triomphe,  le  lendemain  dimanche,  dans  le 
temple  du  Seigneur,  pria  Dieu  avec  zèle 
d'empêcher  ce  scandale,  de  peur  que  si 
Arius  entrait  dans  l'église,  il  ne  semblât  que 
l'héresic  y  fût  entrée  avec  lui.  Et  le  lende- 
main dimanche,  au  moment  où  l'on  s'atten- 
dait à  voir  Arius,  l'hérétique  ivrogne,  sen- 
tant un  certain  besoin  qui  aurait  pu  lui  élre 
fort  incoiiiniode  dans  la  cérémonie  de  son 
triomphe,  fut  obligé  d'aller  aux  lieux  se- 
crets, où  il  creva  par  le  milieu  du  ventre, 
perdit  les  intestins,  et  mourut  d'une  mort 
infâme  et  malheureuse,  frappé,  selon  quel- 
ques-uns, par  le  diable,  qui  dut  en  recevoir 
l'ordre,  car  Arius  était  de  ses  amis. 

ARMANVILLE.  Une  dame  d'Armanville,  à 
Amiens,  fut  battue  dans  son  lit  en  17i6.  Sa 
servante  attesta  que  le  diable  l'avait  maltrai- 
tée. La  cloche  de  la  maison  sonna  seule  ;  on 
entendit  balayer  le  grenier  à  minuit.  Il  sem- 
bla même  que  les  démons  qui  prenaient  cette 
peine,  avaient  un  tambour  et  faisaient  en- 
suite des  évolutions  militaires.  La  dame,  ef- 
frayée, quitta  Amiens  pour  retourner  à  Pa- 
ris ;  c'est  ce  que  voulait  la  femme  de  cham- 
bre, il  n'y  eut  plus  de  maléfice  dès  lors,  et 
l'on  a  eu  toit  de  voir  là  autre  chose  que  de 
la  malice. 

ARMÉES  PRODIGIEUSES.  Au  siège  de 
Jérusalem  par  Titus,  et  dans  plusieurs  au- 
tres circonstances,  on  vit  dans  les  airs  des 
armées  ou  des  troupes  de  fantômes,  phéno- 
mènes non  encore  expli(iués,  et  qui  jamais 
ne  présagèrent  rien  de  bon. 

Plutarque  raconte,  dans  la  vie  de  Thémis- 
tode,  que  pendant  la  bataille  de  Salamine, 
on  vit  en  l'air  des  armées  prodigieuses  et 
des  figures  d'hommes  qui,  de  l'île  d'Egine, 
tendaient  les  mains  au-devant  des  galères 
grecques.  On  publia  que  c'étaient  les  Eaci- 
dcs ,  qu'on  avait  invoqués  avant  la  ba- 
taille. 

Quelquefois  aussi  on  a  rencontré  des  trou- 
pes de  revenants  et  de  démons  allant  par  ba- 
taillons et  par  bandes.  Voy.  Retz,  etc. 

En  1123,  dans  le  comté  de  Worms,  on  vit, 
pendant  plusieurs  jours,  une  multitude  de 
gens  armés,  à  pied  et  à  cheval,  allant  et  ve- 
nant avec  grand  bruit,  et  qui  se  rendaient 
tous  les  soirs  vers  l'heure  de  none,  à  une 
montagne  qui  paraissait  le  lieu  de  leur  réu- 
nion. Plusieurs  personnes  du  voisinage  s'ap- 
prochèrent de  ces  gens  armés,  en  les  conju- 
rant, au  nom  de  Dieu,  de  leur  déclarer  ce 
que  signifiait  cette  troupe  innombrable  et 
quel  était  leur  projet.  Un  des  soldats  ou  f;in- 
tbmes  répondit  :  Nous  ne  sommes  pas  ce  que 

(1)  Delancre,  Incrédulilé  el  mécréanco  du  sortilège 
pleinement  convaincue,  traité  3. 

(^)  Clironique  d'Ursperg. 

(5)  Tableau  de  l'inconstance  des  mauvais  anges,  etc., 
liv.  I. 


VOUS  vous  imaginez,  ni  de  vrais  fantômes, 
ni  de  vrais  soldats.  Nous  sommes  les  âmes 
de  ceux  qui  ont  été  tués  en  cet  endroit  dans 
la  dernière  bataille.  Les  armes  et  les  chevaux 
que  vous  voyez  sont  les  instruments  de  notre 
supplice,  comme  ils  l'ont  été  de  nos  péchés. 
Nous  sommes  tout  en  feu,  quoique  vous  n'a- 
perceviez en  nous  rien  qui  paraisse  en- 
flammé. —  On  dit  qu'on  remarqua  en  leur 
compagnie  le  comte  Enrico  el  plusieurs  au- 
tres seigneurs  tués  depuis  peu  d'années,  qui 
déclarèrent  qu'on  pouvait  les  soulager  par 
des  aumônes  et  des  prières  (2).  Voy.  Appa- 
ritions, Phénomènes,  Visions,  Aurore  bo- 
réale, etc. 

ARMIDE.  L'épisode  d'Armide,  dans  le 
Tasse,  est  fondé  sur  une  tradition  populaire 
qui  est  rapportée  par  Pierre  Delancre  (3). 
Cette  habile  enchanteresse  était  fille  d'Arbi- 
lan,  roi  de  Damas  ;  elle  fut  élevée  par  Hi- 
draote,  son  oncle,  puissant  magicien,  qui  en 
fit  une  grande  sorcière.  La  nature  l'avait  si 
bien  partagée,  qu'elle  surpassait  en  attraits 
les  p'us  belles  femmes  de  l'orient.  Son  oncle 
l'envoya  comme  un  redoutable  ennemi,  vers 
la  puissante  armée  chrétienne  que  le  pape 
Urbain  JI  avait  rassemblée  sous  la  conduite 
de  uudefroi  de  Bouillon;  et  là,  comme  dit 
Delancre  «  elle  charma  en  effet  quelques 
chefs  croisés  ;  »  mais  elle  ne  compromit  pas 
l'espoir  des  chrétiens. 

ARMO.MANCIE,  divination  qui  se  faisait 
par  l'inspection  des  épaules  ('i^).  On  juge  en- 
core aujourd'hui  qu'un  homme,  qui  a  les 
épaules  larges,  est  plus  fort  qu'un  autre  qui 
les  a  étroites. 

ARNAUD  DE  BRESSE,  moine  du  douzième 
siècle,  disciple  d'Abeilard.  Turbulent  et  am- 
bitieux, il  se  fit  chef  de  secte  II  disait  que 
les  bonnes  œuvres  sont  préférables  au  sacri- 
fice de  la  messe  ;  ce  qui -est  absurde  ;  car  le 
sacrifice  de  la  messe  n'empêche  pas  les  bon- 
nes œuvres ,  il  les  ordonne  au  contraire  ;  et 
ra  comparaison  n'avait  pas  le  sens  commun. 
11  avait  jeté  le  froc,  comme  tous  les  réfor- 
mateurs. Ayant  excité  de  grands  troubles,  il; 
fut  pris  et  brûlé  à  Rome  en  1155.  On  l'a  mis 
au  rang  des  sorciers;  il  ne  l'était  guère, 
mais  il  était  dissolu  et  il  fit  beaucoup  de  mal.. 

ARNAULD  (  Angélique  ).  Apparition  ds 
la  mère  Marie-Angétique'*Arnauld ,  abbesse 
de  Port-Royal  de  Paris,  peu  avant  la  mort 
de  la  sœur  Marie-Dorothée  Perdereau,  ab- 
besse intruse  de  ladite  maison;  rapportée 
dans  une  lettre  écrite  en  1683,  par  M.  Du- 
fossé,  à  la  suite  de  ses. mémoires  sur  Port- 
Uoyal.  —  t  Deux  religieuses  de  Port-Royal, 
étantà  veiller  le  Saint  Sacrement  pendant  la 
nuit,  virent  tout  d'un  coup  la  feue  mère  An- 
gélique, leur  ancienne  abbesse,  se  lever  du 
lieu  où  elle  avait  été  inhumée  ,  ayant  eu 
main  sa  crosse  abbatiale,  marcher  tout  la 
long  du  chreur  et  s'aller  asse  lir  à  la  place 
où  se  met  l'abbesse  pendant  les  vêpres. 

(t)  Du  mot  latin  annus,  épaule.  Les  anciens  apijli- 
quaicnl  surtout  celle  divination  aux  animaux.  Ils  ju- 
geaient par  t'armouiancic  si  la  victime  était  Iwnne  [>om, 
les  dieux. 


t2S 


DICTIONNAIKE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


lii 


«  Etant  assise,  elle  appela  une  religieuse 
qui  paraissait  au  même  lieu,  et  lui  orilonna 
d'aller  chercher  la  sœur  Dotolhée,  laquelle, 
ou  du  moins  son  esprit,  vint  se  présenter 
devant  la  mère  Angélique  ,  qui  lui  parla 
pendant  que!<|ue  lemps,  sans  qu'on  pût  en- 
tendre ce  qu'elle  lui  disait;  après  quoi,  tout 
disparut. 

«  On  ne  douta  point  que  la  mère  Angé- 
lique n'eût  ('ité  la  sœur  Dorothée  devant 
Dieu;  et  c'est  la  manière  dont  elle  l'inier- 
préta  eilo-mérne,  lors(iue  les  deux  religieu- 
.ses  qui  avaient  été  ténioiusde  celte  appari- 
tion la  lui  rapporièieiit.  Elle  s'écria:  —  Ah  1 
je  mourrai  bientôt.  El  en  effet,  elle  mourut 
(|uinze  jours  ou  trois  semaines  après.  » 
Voilà  ! 

ARNAULD  DE  VILLENEUVE,  médecin, 
astrologue  et  alchimiste,  qu'il  ne  faut  pas 
confondre,  cotnme  on  l'a  fait  quelquefois, 
avec  Arnaud  de  Bresse.  H  était  né  auprès  de 
Montpellier;  il  mourut  dans  un  naufrage  en 
13U. 

La  chimie  lui  doit  beaucoup  de  découver- 
tes ;  il  ne  cherchait,  à  la  vérité,  que  la  pierre 
philosophale  et  ne  songeait  qu'à  faire  do 
l'or;  mais  il  trouva  les  trois  acides  sulfuri- 
que,  muriatique  et  nilri(iue.  Il  composa  le 
premier  de  l'alcool  et  du  ratafia;  il  lit  con- 
naître l'essence  de  térébenthine,  régularisa 
la  distillation,  etc.  Il  mêlait  à  ses  vastes 
connaissances  en  médecine  des  rêveries  as- 
trologiques, et  il  prédit  la  fin  du  monde  pour 
l'année  1335. 

On  l'accusa  aussi  de  magie.  François  Pe- 
gna  dit  qu'il  devait  au  démon  tout  ce  qu'il 
savait  d'alchimie,  et  Mariana  (1)  lui  repro- 
che d'avoir  essayé  de  former  un  homme  avec 
de  certaines  drogues  déposéi-s  dans  une  ci- 
trouille. Mais  Deirio  justifie  Arnauld  de  Vil- 
leneuve de  ces  accusations;  et  le  pape  Clé- 
ment V  ne  l'eût  pas  pris  pour  son  médecin 
s'il  eût  donné  dans  la  magie.  —  L'inquisi- 
tion de  Tarragone  fit  brûler  ses  livres,  trois 
ans  aprè^  sa  mort,  mais  el'e  les  fit  brûler 
comme  étant  empreints  de  plusieurs  senti- 
uients  hérétiques. 

On  recherche  d'Arnauld  do  Villeneuve  un 
traité  de  l'explication  des  songes  (2)  :  mais 
on  met  sur  son  compte  beaucoup  d'ouvrages 
d'alchimie  ou  de'magie  auxquels  il  n'a  pas 
eu  la  moindre  part.  Tels  sont  :  le  livre  des 
Ligatures  physiques  (3),  qui  est  une  traduc- 
tion d'un  livre  arabe  ;  et  celui  des  Talismans 
des  douze  signes  du  zodiaque  (i).  On  lui  at- 
tribue aussi  faussement  le  livre  stupide  et 
infâme  des  Trots  imposteurs. 

ARNOUX,  auteur  d'un  volume  in-12,  pu- 
blié à  Rouen,  en  1630,  sous  le  titre  des  Mer- 
veilles de  l'autre  monde  ,  ouvrage  écrit  dans 
un  goût  bizarre  et  propre  à  troubler  les 
imaginations  faibles,  par  des  contes  de  vi- 
sions et  d  •  revenants. 

A  RNUI'UIS,  sorcier  égyptien.  Voyant  Marc- 
Aurèle  et  suu  armée  engagés  dans  des  défilés 

(11  Reriim  liispaiiic.  llb.  XIV,  cap.  ix. 

(2)  Annldi  de  Villanova  til)ellus  de  somiiifiruin  inter- 


{TeUitionc  ul  soiuuia  Daiiielis. 
Uès-rai'u. 


iu-i".  Aucieuuc  cdiliou 


dont  les  Quades  fermaient  l'issue,  et  mou- 
rant de  soif  sous  un  ciel  brûlant,  il  fit  tom- 
ber, par  le  moyen  de  son  art,  une  pluie  pro- 
digieuse qui  permit  aux  Romains  de  se  dés- 
altérer, pemlant  que  la  grêle  et  le  tonnerre 
fondaient  sur  les  Quades  et  les  contraignaient 
à  rendre  les  armes.  C'est  ce  que  racontent, 
dans  un  but  intéressé ,  «luelques  auteurs 
pa'ii'us.  D'autres  font  honneur  de  ec  proilige 
aux  impuissantes  prières  do  iMarc-Aurôle. 
Lis  auteurs  chrétiens,  lis  seuls  ('ui  soii'nt 
ici  dans  la  vérité,  l'attribuent  unanimement, 
et  avec  toute  raison,  à  la  prière  des  soldats 
chrétiens  qui  se  trouvaient  dans  l'armée  ro- 
maine. 

ARNDS,  devin  tué  par  Hercule,  parce  qu'il 
faisait  le  métier  d'espion.  Apollon  vengea  la 
mort  d'Arnus,  qu'il  insfiirail,  en  mettint  la 
peste  dans  le  camp  des  Héraclides.  11  fallut, 
pour  faire  cesser  le  fléau ,  établir  des  jeux  eu 
i'iionneur  du  défunt. 

A  ROT.  Voy.  Marot. 

ARPUAXAT,  sorcier  perse,  qui  fut  tué 
d'un  coup  de  foudre  ,  si  l'on  en  croit  Abdias 
de  B.ibylone  (2)  ,  à  l'heure  même  du  martyre 
de  saint  Simon  et  de  saint  Judo.  —  Dans  uni- 
possession  qui  fil  du  bruit  à  Loudun  (6),  on 
cite  un  démon  Arphaxal. 

ART  DE  SAINT  ANSELME.  Moyen  super- 
stitieux de  guérir,  employé  par  des  impos- 
teurs ()ui  prenaient  le  no  u  d'anseluiistes.  ils 
se  contentaient  de  toucher,  avec  certaines 
paroles,  les  linges  qu'on  appliquait  sur  les 
blessures.  Ils  devaient  le  secret  de  leur  art, 
disaient-ils,  à  saint  Anselme  de  Cantorbéry. 
Aussi  l'appelaienl-ils  l'art  de  saint  Anselme, 
voulant  de  la  sorte  se  donner  un  certain  >er- 
nis.  Mais  Deirio  assure  que  leur  véritable 
chef  de  file  est  Anselme  de  Parme. 

ART  DE  SAINT  PAUL.  Moyen  de  prédire 
les  choses  futures  ,  que  des  songes  creux  ont 
prétendu  avoir  été  enseigné  à  saint  Paul  , 
dans  son  voyage  au  troisième  ciel.  Des  char- 
latans ont  eu  le  front  de  s'en  dire  héritiers. 

ART  DES  ESPRITS,  appelé  aussi  art  an- 
gélique.  Il  corisiste  dans  le  talent  d'évoquer 
les  esprits,  et  de  les  obliger  à  découvrir  les 
choses  cachées.  D'autres  disent  que  l'art  an- 
gélique  est  l'art  de  s'arranger  avec  son  ange 
gardien,  de  manière  à  recevoir  de  lui  la  ré- 
vélation de  tout  ce  qu'on  veut  savoir.  Cet  art 
superstitieux  se  pratique  de  dc:ix  manières, 
ou  par  des  extases,  dms  lesquels  on  reçoit 
des  avis,  ou  par  des  entreliens  avec  l'ange 
que  l'on  cvo(|ue,  qui  apparaît,  et  qui,  «n 
celte  circonstance,  n'est  pas,  sans  doute,  un 
ange  de  lumière.   Yoij.  Evocatiox. 

ART  NOTOIRE  ,  espère  d'encyclopcilic 
inspirée.  Le  livre  superstitieux,  qui  coniii'nt 
les  principes  de  l'art  notoire,  promet  la 
connaissance  de  toutes  les  sciences  en  qu'i- 
ti>rze  jours.  L'auteur  du  livre  dit  elTroiilc- 
menl  que  le  Saint-Esprit  le  dicta  à  s.iint 
Jérôme.  Il  assure  en(  ore  que  Salooion  n'a 
obtenu  la  sagesse  el  la  sciL-ncc  universelle 

(.")  De  Ptiysicis  ligaliiris. 

(i)  t)e  Si^illisduuileciiii  hignorum. 

(■>)  C.irlaiiiiTiis  aiioslulici,  lib.  M. 

(G)  Voyei  Uranditr. 


t25 


ART 


ART 


US 


qne  pour  avoir  lu  en  une  seule  nuit  ce  mer- 
veilleux livre.  Il  faudrait  qu'il  eût  déjà  été 
dicté  à  quelque  enfant  d'Israël;  car  ce  serait 
un  prodige  trop  grand,  que  Salomon  eût  lu 
le  manuscrit  de  saint  Jérôme.  Mais  les  fai- 
seurs d'écrits  de  ce  genre  ne  reculent  pas 
pour  si  peu. 

Gilles  Bourdin  a  publié,  an  seizième  siècle, 
un  grimoire  obscur,  sous  le  titre  de  l'Art  no- 
toire. Il  n'est  pas  probable  que  ce  soit  la 
"îonne  copie,  qui  sans  doute  est  perdue. 

Dcirio  dit  que,  de  son  temps,  les  maîtres 
de  cet  art  ordonnaient  à  leurs  élèves  une 
certaine  sorte  de  confession  générale,  des 
jeûnes  ,  des  prières ,  des  retraites  ,  puis  leur 
faisaient  entendre,  à  genoux,  la  lecture  du 
livre  de  VArt  notoire,  et  leur  persuadaient 
qu'ils  étaient  devenus  aussi  savants  que  Sa- 
lomon, les  prophéties  et  les  apôtres.  Il  s'en 
trouvait  qui  le  croyaient. 

Ce  livre  a  été  condamné  par  le  pape  Pie  V. 
Mêlant  les  choses  religieuses  à  ses  illusions, 
l'auteur  recommande  entre  autres  soins  de 
réciter  tous  les  jours,  pendant  srpl  semaines, 
les  sept  psaumes  de  la  pénitence,  et  de  chan- 
ter tons  les  malins,  au  lever  du  soleil,  le 
Veni,  Creator,  en  commençant  un  jour  de 
nouvelle  lune ,  pour  se  préparer  ainsi  à  la 
connaissance  de  VArt  notoire  (1).  Erasme, 
qui  parle  de  ce  livre,  dans  un  de  ses  col- 
loques, dit  qu'il  n'y  a  rien  compris;  qu'il 
n'y  a  trouvé  que  des  figures  de  dragons,  de 
lions,  de  léopards,  des  cercles,  des  triangles, 
des  caractères  hébreux  ,  grecs ,  latins  ,  et 
qu'on  n'a  jamais  connu  personne  qui  eût  rieu 
appris  dans  tout  cela. 

Des  doctes  prétendent  que  le  véi  itabîe  Ars 
noloria  n'a  jamais  été  écrit,  et  que  l'esprit 
te  révèle  à  chaque  aspirant  préparé.  (.Mais 
quel  esprit?  )  Il  leur  en  fait  la  lecture  pen- 
dant leur  sommeil ,  s'ils  ont  sous  l'oreille  la 
nom  cabalistique  de  Salomon  ,  écrit  sur  une 
lame  d'or  ou  sur  un  parchemin  vierge.  Mais 
d'autres  érudits  soutiennent  que  VArs  no- 
toria  existe  écrit,  et  qu'on  le  doit  à  Salomon. 
Le  croira  qui  pourra. 

ART  SACERDOTAL.  C'est,  selon  quelques 
adeptes,  le  nom  que  les  Egyptiens  donnaient 
à  l'alchimie.  Cet  art,  dont  le  secret,  recom- 
mandé sous  peine  de  mort,  était  écrit  en 
langue  hiéroglyphique  ,  n'était  communi- 
qué qu'aux  prêtres ,  à  la  suite  de  longues 
épreuves. 

ARTÉMIDOllE  ,  Ephésien  qui  vécut  du 
temps  d'Anlouin  le  Pieux.  On  lui  attribue  le 
traité  des  songes,  intitulé  Oneirocriticon , 
publié  pour  la  |iremière  fois ,  en  grec,  à  Ve- 
nise, 1518,  in-8°.  Ou  recherche  la  traduc- 

(1)  Franc.  Torreblanca,  cap.  xiv,  episl.  de  mag. 

(2)  Arlemidori  E|iliesii  Oniiirocritica,  seu  de  souiniorum 
iiilerprelaiione,  grœc-lat.  cuni  notis  Nie.  KigalUi,  in-i". 
Paris,  160.'!. 

(3)  Ané!!iidore,  De  l'Explication  des  songes,  avec  le 
livre  d'Augus' in  Nviilms,  des  Divinations,  in-lB.  Rouen, 
liiOO  ;  édition  augmenté»,  IfiOt.— lîpitome  des  cinq  livres 
d'Arléinidore,  tiMitant  des  son;.50s,  iradiiit  du  grec,  par 
Cbarles  Fontaine  ;  avec  \m  recueil  de  Valére-Maxinie  sur 
le  ni^'me  sujet,  traduit  du  latin,  iii-S".  lyon,  tooo. 

(l)  Clavis  ni;iji)ris  sapientiae  ,  imprimé  dans  le  Théâtre 
cliitninue.  Frandorl,  tOU,  in-8°    ou  Strasbourg,  1009, 


lion  latine  de  Rigaut  (2) ,  et  quelques  tra- 
ductions françaises  (3). 

ARTÉPHIUS  ,  philosophe  hermétique  du 
douzième  siècle,  que  les  alchimistes  disent 
avoir  vécu  plus  de  mille  ans ,  par  les  secrets 
de  la  pierre  philosophale.  François  Pic  rap- 
porte le  sentiment  de  quelques  savants  qui 
affirment  qu'Artéphius  est  le  même  qu'Apol- 
lonius de  'Tyanes,  né  au  premier  siècle,  sous 
ce  nom  ,  et  mort  au  douzième  ,  sous  celui 
d'Artéphius. 

On  lui  attribue  plusieurs  livres  extrava- 
gants ou  curieux  :  1°  VArt  d'allonger  sa  vie 
{  De  Yita  propaganda  )  ,  qu'il  dit ,  dans  sa 
préface,  avoir  composé  à  l'âge  de  mille  vingt- 
cinq  ans  ;  2"  la  Clej'de  la  Sagesse  suprême^  (4)  ; 
3"  un  livre  sur  les  caractères  des  planètes, 
sur  la  signification  du  chant  des  oiseaux,  sur 
les  choses  passées  et  futures,  et  sur  la  pierre 
philosophale  (5).  Cardan  ,  qui  parle  de  ces 
ouvrages,  au  seizième  livre  de  la  Variété  des 
choses,  croit  qu'ils  ont  été  composés  par 
quelque  plaisant ,  qui  voulait  se  jouer  de  la 
crédulité  des  partisans  de  l'alchimie. 

ARTIIÉMIA,  fille  de  l'empereur  Dioclélien. 
Elle  fut  possédée  d'un  démon  qui  résista  aux 
exorcistes  païens,  et  ne  céda  qu'à  saint  Gy- 
riaque,  diacre  de  l'Eglise  romaine. 

L'idée  de  rire  et  de  plaisanter  des  posses- 
sions et  des  exorcismes  de  l'Eglise  est  venue 
quelquefois  à  des  esprits  égarés,  qu'il  eût  été 
bon  peut-être  d'exorciser  eux-mêmes. 

AllTHUS  ou  Artus  ,  roi  des  Bretons  ,  cé- 
lèbre dans  les  romans  de  la  Table-Ronde,  et 
dont  la  vie  est  entourée  de  fables.  On  pré- 
tend qu'il  revient  la  nuit ,  dans  les  forêts  de 
la  Bretagne,  chasser  à  grand  bruit,  avec  des 
chiens,  dfs  chevaux  et  des  piqueurs,  qui  ne 
sont  que  des  démons  ou  des  spectres,  au  sen- 
timent de  Pierre  Delancre  (6).  Quand  lo 
grand-veneur  apparut  à  Henri  IV,  dans  la 
forél  de  Fontainebleau  ,  quubiues-uns  dirent 
que  c'était  la  chasse  du  roi  Arthus. 

La  tradition  conserve  ,  aux  environs  de 
Huelgoat,  dans  le  Finistère,  le  souvenir  cu- 
rieux de  l'énorme  château  d'Arlhus.  On 
montre  des  rochers  de  granit  eiitassés , 
comme  étant  les  débris  de  ses  vastes  mu- 
railles. Il  s'y  trouve,  dit-on,  des  trésors 
gardés  par  des  démons  qui  souvent  traver- 
sent les  airs,  sous  la  forme  de  feux  follets  , 
en  poussant  des  hurlements  répétés  par  les 
échos  du  voisinage  (7'.  L'orfraie,  la  buse  et 
le  corbeau  sont  les  hdles  sinistres  qui  fré- 
quentent ces  ruines  merveilleuses,  où  de 
temps  en  temps  apparaît  l'âme  d'Arthus  avec 
sa  cour  enchantée.  Voy.  Merlin. 

Nous    emprunterons  à   Legrand  d'Aussy 

(o)  De  Cliaracteribus  ptanelarnm,  canlu  et  motibus 
avium,  rerum  praîieruarum  et  fulinarum,  laiiideipie  ()lii- 
losophico  Le  Traité  d'Ailcpbjus  sur  la  pierre  pliilusoiiliale 
a  été  traduit  en  français  par  P.  AruauU,  et  imprimé  avec 
ceux  deSynésiiis  et  de  Kliniel.  P.irs,  161'2,  tG"39,  168-2, 
lii-4°.  Ou  attribue  encore  à  Arlé|iliius,  le  Miroir  des 
miroirs,  Spéculum  speculorum,  et  le  Livre  secret.  Liber 
secretus. 

(6)  Tableau  de  l'inconstance  des  mauvais  anges,  liv.  lY, 
dise.  3. 

(7;  Cawtry,  Voyage  dans  le  Finistère,  1. 1,  p.  277. 


■ 


(tome  !••  de  ses  Fabliaux),  quelques  noies 
intéressantes  sur  le  roi  Artus. 

Ce  héros,  fiimeux  dans  nos  vieux  romans, 
qui  le  font  régner  dans  la  Graïuic-Brelagne, 
fil  beaucoup  de  conquêtes,  et  porta  au  plus 
haut  degré  de  gloire  l'urdrc  prétendu  des 
Chevaliers  de  la  Table-Ronde  ,  institués  par 
son  père,  et  nommés  ainsi  d'une  table  mys- 
térieuse que  leur  avait  donnée  l'enchanteur 
Merlin.  Artus  possédait  une  épée  magique 
nommée  Escalibor,  à  laquelle  nulle  arme  ne 
pouvait  résister.  Pour  enseigne  il  avait  un 
dragon  d'acierquivomissait  des  flammes, etc. 
Malgré  tous  ces  avantages  merveilleux,  il 
fut  tué  dans  une  bataille  avec  un  grand 
nombre  de  chevaliers.  On  p'-ut  voir  dans  La 
Colombièie  (1),  le  nom  et  les  armoiries  de 
ces  braves,  la  merveille  du  monde. 

On  a  remarqué  que  le  personnage  d'Artus 
est  le  fruit  il'une  jalousie  nationale.  Ce  héros 
prétendu  de  la  romancerie  anglaise,  imaginé 
pour  suppléer  Charleniagne,  le  héros  de  la 
nôtre ,  n'en  est  qu'une  copie  maladroite. 
Guerres,  conquêtes,  beaux  faits  d'armes,  ca- 
ractères, actions,  tout  est  calqué.  Si  les  ro- 
manciers français  donnent  à  Charles  des 
paladins,  les  romanciers  bretons  en  font  des 
chevaliers  de  la  Table-Ronde.  La  Vurandal, 
cette  épée  fameuse  que  les  premiers  prôlenl 
à  leur  héros,  chez  les  seconds  c'est  VEscali- 
bor.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  personnages  se- 
condaires, qui  ne  soient  une  imitation.  Chez 
nos  poètes,  le  plus  célèbre  d'entre  les  pala- 
dins est  Roland,  le  neveu  de  Charlemagne; 
chez  nos  rivaux,  c'est  Gauvain,  le  neveu 
d'Artus.  Enfin,  ce  qui,  plus  que  tout  le  reste 
encore,  trahit  ceux-ci,  c'est  qu'au  couron- 
nement de  leur  Artus,  ils  font  assister  les 
douze  pairs  de  Charlemagne  (nos  romanciers 
appellent  ainsi  les  douze  chevaliers  les  plus 
braves  du  monarque  français). 

On  peut  au  reste  alléguer  ici,  en  faveur 
de  notre  antériorilé,  un  témoignage  irrécu- 
sable :  celui  d'un  auteur  anglais,  Warton, 
qui  a  écrit  sur  l'origine  des  romans  en  Eu- 
rope. Voici  ce  qu'il  raconte  au  sujet  de  sa 
patrie. 

*  Au  commencement  du  douzième  siècle, 
on  certain  Gualter,  ou  Gautier,  archidiacre 
d'Oxford,  ayant  eu  occasion  de  faire  un 
voyage  dans  notre  Bretagne,  y  eut  connais- 
sance d'une  vieille  chronique,  intitulée  : 
Brul-y-Brenhined  (Histoire  des  rois  bretons). 
Aucun  livre  ne  devait  flatter  davantage  un 
Anglais  :  aussi  Gautier  fit-il  copier  celui-ci, 
et  il  l'emporta  en  Angleterre,  dans  le  dessein 
de  le  publier.  A  la  vérité,  l'ouvrage  était 
écrit  en  bas-breton  ;  mais  Gautier  savait  que, 
parmi  ses  compatriotes,  les  habitants  de  la 
province  de  Galles  enlendaient  cette  langue, 
et  il  s'adressa,  pour  faire  traduire  sa  chro- 
nique, à  un  moine  gallois,  nommé  Geoffroi 
de  Monmoulh.  Geoffroi  la  traduisit  en  effet, 
et,  quoiqu'on  ignore  quand  elle  fut  publiée, 
néanmoins  ce  fut  postérieurement  à  l'année 
1138  ;  mais  le  translateur,  pour  embellir  son 
sujet,  se  permit  d'y  faire  des  additions,  et 
d'y  insérer  certaines  traditions  populaires, 
M  Théâtre  d'Honneur,  l.  II,  p.  136 


niCTlUN.NAlIlE  DES  SCIENCES  OCCULTES.  HH 

tirées,  soit  de  la  province  de  Galles,  sa  pa- 
trie, soit  de  la  Bretagne  oiî  il  les  avait  ap- 
prises. Au  nombre  de  ces  choses  intercalées, 
étaient  les  prétendues  prophélies  de  Mirliu, 
enchanteur  à  qui  Geoffroi  faisait  jouer  un 
grand  rôle;  enfin,  il  s'étendait  beaucoup 
sur  It?  couronnement  d'Artus;  et  il  y  faisait 
assister  les  douze  pairs  de  Charlemagne. 
(History  of  english  puelry.)  » 

Tel  est,  en  abrégé,  le  récit  de  \Varlon. 
D'après  cet  exposé,  il  est  aisé  de  concevoir 
quel  parti  purent  tirer  de  Merlin  cl  d'Artus 
les  romanciers  qu'enfanta  dans  l'Angleterre 
la  chronique  de  Geoffroi.  Quant  à  celte  chro- 
nique, je  crains  que  Warton  ne  se  soit  trom- 
pé, et  que  son  Brul-y-Brenhined  ne  soit 
notre  Roman  du  Brut,  ouvrage  composé  en 
effet  dans  le. douzième  siècle,  mais  composé 
en  Normandie,  et  qui  contient  une  préten- 
due histoire  des  rois  d'Angleterre,  dont  le 
premier,  selon  l'auteur,  fut  un  certain  Bru- 
tus.  Au  reste,  que  le  Brut-y- Brenhined  soit 
dû  à  la  Bretagne  ou  à  la  Normandie,  il  n'en 
esl  pas  moins  une  production  de  nos  pro- 
vinces septentrionales;  et,  à  ce  titre,  elles 
peuvent  revendiquer  tous  ceux  des  romans 
de  chevalerie  anglais  qu'il  a  produits. 

Donnons  aussi,  comme  échantillon,  un  des 
mille  romans  de  chevalerie  à  enchantements, 
qui  ont  célébré  le  roi  Artus.  Nous  choisissons 
le  plus  court  que  l'écrivain,  à  qui  nous 
avons  emprunlé  les  notes  précédentes  ,  à 
mis  au  commencement  de  son  choix  (d'ail- 
leurs Irès-grossier,  très-inconvenant  et  très- 
mauvais)  d'anciens  fabliaux. 

La  mule  sans  frein, 

Artus,  aux  fêles  de  la  Pentecôte,  tenait 
cour  plénière  dans  sa  cité  de  Carduel;  et 
tout  ce  que  ses  états  renfermaient  de  hauts 
barons  et  de  chevaliers,  s'y  était  rendu.  Le 
second  jour,  au  moment  qu'on  se  levait  de 
table,  on  aperçut  au  loin,  dans  la  prairie,  une 
femme  qui  paraissait  venir  vers  le  château,  et 
quiétaitmontéesur  une  mulesanslicolet  sans 
frein.  Cet  objet  piqua  la  curiosité.  Le  roi,  la 
reine,  tout  le  monde  accourut  aux  fenêtres; 
et  chacun,  cherchant  à  deviner,  faisait  sa 
conjecture.  Quand  la  dame  fut  plus  à  por- 
tée, tous  les  chevaliers  volèrent  au-devant 
d'elle  :  on  l'aida  à  descendre.  Son  visage 
était  mouillé  de  pleurs  et  annonçait  un  graud 
chagrin. 

Introduite  devant  le  prince,  elle  le  salua 
respectueusement,  et  s'élant  essuyé  les  yeux, 
lui  demanda  pardon  de  venir  l'importuner 
de  ses  douleurs  ;  mais  on  lui  avait  pris,  di- 
sait-elle, le  frein  de  sa  mule.  Depuis  ce  jour 
elle  pleurait  et  se  voyait  condamnée  aux 
larmes,  jusqu'à  ce  qu'il  lui  lût  rapporté.  Il 
n'y  avait  que  le  plus  brave  des  chevaliers 
qui  pût  le  conquérir  et  le  lui  rendre  ;  et  où 
chercher  ce  héros  ailleurs  qu'à  la  cour  d'un 
si  grand  roi?  Elle  pria  donc  Artus  de  per- 
mettre que  quelques-uns  des  braves  qui 
l'écoulaienl  voulussent  bien  s'intéresser  à 
son  malheur.  Elle  assurait  !e  chevalier  qui 
consentirait  à  devenir  son  champion,  qu'il 
serait  conduit  sûrement  au  lieu  du  cOMibal 
par  sa  mule. 


129 


ART 


ART 


150 


Tous  allaient  s'offrir  et  briguer  l'honneur 
du  choix;  mais  le  sénéchal  messire  Queux 
saisit  le  premier  la  parole,  et  il  fallut  bien 
accepter  son  appui.  Il  jura  donc  de  rapporter 
le  frein,  fût-il  à  l'exlrémitédu  monde  :  il  prit 
(les  armes  et  partit,  se  laissant  conduire  par 
la  mule,  comme  on  le  lui  avait  recommandé. 
A  peine  fut-il  entré  dans  la  forêl,  que  des 
troupeaux  affamés  de  lions,  de  tigres  et  de 
léopards,  accoururent  avec  des  rugissements 
affreux  pour  le  dévorer.  Le  pauvre  Queux  se 
repentit  bien  alors  de  son  indiscrète  fanfa- 
ronnade ;  et,  dans  ce  moment,  il  eût  pour  ja- 
mais renoncé  de  grand  cœur  à  tout  l'hon- 
neur de  son  entreprise.  Mais,  dès  que  ecs 
animaux  terribles  reconnurent  la  mule,  ils 
se  prosternèrent  devant  elle  pour  lui  lécher 
les  pieds,  et  retournèrent  sur  leurs  pas. 

Au  sortir  de  la  forêt  se  présenta  une  vallée 
si  obscure,  si  profonde  ei  si  noire,  que  l'hom- 
me le  plus  brave  n'eût  osé  y  entrer  sans  fré- 
mir. Ce  fut  bien  pis  encore ,  quand  le  séné- 
chal y  eût  pénétré,  et  qu'entouré  deserpents, 
de  scorpions  et  de  dragons  vomissant  des 
flammes,  il  ne  marcha  plus  qu'à  la  lueur  fu- 
nèbre de  ces  feux  menaçants.  Autour  de  lui 
tous  les  vents  déchaînés  mugissaient  à  la  fuis, 
des  torrents  grondaient  comme  le  tonnerre  ; 
des  montagnes  s'écroulaient  avec  un  fracas 
horrible.  Aussi ,  quoique  l'air  y  fût  plus  froid 
et  plus  glaçant  que  celui  de  mille  hivers  en- 
semble, la  sueur  ruisselait  sur  tout  son  corps. 
Il  sortit  pourtant,  à  la  faveur  de  sa  monture. 
Après  avoir  encore  marché  quelque  temps, 
il  arriva  enfin  à  une  rivière  large  et  profonde 
dont  les  eaux  noires  n'offraient  ni  pont  ni 
bateau,  mais  seulement  une  barre  de  fer  en 
forme  di;  planche.  Queux,  ne  voyant  point  là 
de  passage,  renonça  à  l'aventure  et  revint  sur 
ses  pas.  Malheureusement,  il  fallait  repasser 
par  la  vallée  et  la  forêt.  Les  serpents  et  les 
lions  s'élançaient  sur  lui  avec  une  espèce  de 
joie,  et  il  en  eût  été  dévoré  mille  fois  ,  s'ils 
l'eussent  pu  faire  sans  toucher  à  la  mule. 

Du  plus  loin  qu'on  l'aperçut  du  château  , 
on  s'apprêta  à  rire.  Les  chevaliers  s'assem- 
blèrent ,  comme  pour  le  recevoir  avec  hon- 
neur ;  Artus  lui-même  vint  au  devant  de  lui; 
hommes  et  femmes  enfin,  chacun  le  plaisan- 
ta ,  et  le  malheureux  sénéchal ,  ne  sachant 
plus  à  qui  répondre,  et  n'osant  lever  les 
yeux,  disparut  et  alla  se  cacher. 

La  dame  était  plus  affligée  que  lui  encore. 
Déchue  de  son  espoir,  elle  pleurait  amère- 
ment et  s'arrachait  les  cheveux.  Le  brave 
Gauvain  fut  touché  de  ses  douleurs.  Il  s'ap- 
procha, lui  offrit  avec  assurance  son  épée  , 
promit  de  tarir  ses  larmes,  et  partit  à  son 
tour  sur  la  mule. 

Les  mêmi  s  dangers  se  représentèrent  :  il 
n'en  fit  que  rire.  Les  serpents  cl  les  lions  vin- 
rent fondre  sut  lui  :  il  tira  son  épée  et  allait 
les  combattre.  Il  n'en  eut  pas  besoin  ;  les 
moiistres,  s'inclinant  (le  nouveau  à  l'aspect 
de  l'animal  ,  se  retirèrent  tranquillement. 
Enfin  il  arrive  à  la  rivière,  voit  la  barre,  se 
recommande  à  Dieu  et  s'élance  sur  ce  pont 
périlleux.  Il  était  si  étroit,  qu'à  peine  la  mule 
Douvail-cUe  y  poser  les  pieds  à  moitié.  Tout 


autour  du  héros  les  vagues  écumanles  s'éle- 
vaient en  grondant,  et  s'élançaient  sur  lui 
pourle  renverserel  l'engloutirimaisilfutiné- 
branlableet  aborda  heureusement  au  rivage. 

Là  se  présenta  un  château  fortifié  ,  garni 
en  dehors  d'un  rang  de  quatre  cents  pieux  , 
en  forme  de  palissades ,  dont  chacun  portait 
sur  sa  pointe  une  tête  sanglante,  à  lexcepliou 
d'un  seul  qui,  nu  encore,  semblait  attendre 
cet  ornement  terrible,  La  forteresse,  entou- 
rée d(!  fossés  profonds,  remplis  par  un  torrent 
impétueux,  tournait  sur  elle-même  comme 
une  meule  sur  son  pivot,  ou  comme  le  sabot 
qu'un  enfant  fait  pirouetter  sous  sa  courroie. 
Elle  n'avait  d'ailleurs  aucun  pont  et  parais- 
sait interdire  à  Gauvain  tout  (noycn  d'exer- 
cer sa  valeur.  11  résolut  d'attendre  néan- 
moins, espérant  que  la  forteresse  peut-être, 
dans  une  de  ses  révolutions  ,  lui  offrirait 
quelque  sorte  d'entrée,  et  déterminé  en  tout 
cas  à  périr  sur  le  lieu,  s'il  le  fallait,  plutôt 
que  de  retourner  honteusement.  Une  porte 
s'ouvriten  effet:  il  piqna  sa  mule,  lui  fit  sauter 
ce  large  fossé,  et  se  trouva  dans  le  château. 

Tout  semblait  y  annoncer  une  dépopula- 
tion récente  :  des  rues  vides  (1),  personne 
aux  fenêtres,  partout  le  silence  affreux  de  la 
solitude.  Un  nain  paraît  enfin  et  le  regarde 
avec  attention.  Gauvain  lui  demande  quel  est 
son  seigneur  ou  sa  dame  ,  où  l'on  peut  les 
trouver,  et  ce  qu'ils  exigent.  Le  nain  ne  ré- 
pond rien  et  se  retire.  Le  chevalier  poursuit 
sa  route  et  voit  sortir  d'une  caverne  un  géant 
d'une  laideur  affreuse,  les  cheveux  hérissés, 
et  ariné  d'une  hache.  Celui-ci  applaudit  à  son 
courage;  mais  il  le  plaint  d'être  venu  tenter 
une  aventure  dont  l'issue  ne  peut  que  lui 
être  funeste,  et  que  la  palissade  terrible  eût 
dû  l'avertir  d'éviter.  Il  lui  offre  ses  services 
cepi  ndant,  le  fait  manger,  le  traite  bien  ,  le 
mène  à  la  chambre  où  il  doit  coucher  ;  mais, 
avant  de  soriir,  il  ordonne  au  héros  de  lui 
abattre  la  télé,  en  annonçant  qu'il  viendra  le 
lendemain  à  son  tour  lui  en  faire  autant. 
G;iuvain  prend  son  cimeterre,  et  fait  rouler 
la  tête  à  ses  pieds.  Mais  quel  est  son  élonne- 
ment  de  voir  celui  à  qui  elle  appartient  la 
relever,  la  replacer  sur  ses  épaules  et  sortir. 
Il  se  couche  néanmoins  et  dort  tranquille- 
ment, peu  effrayé  du  sort  qui  l'attend  le  len- 
demain. Au  point  du  jour  le  géant  arrive 
avec  sa  hache  pour  effectuer  sa  promesse;  il 
éveille  le  chevalier;  et  selon  leurs  conditions 
de  la  veille,  lui  ordonne  de  présenter  sa  tête, 
Gauvain  tend  le  cou  sans  balancer:  ce  n'é- 
tait qu'une  épreuve  pour  tenter  son  courage  : 
on  le  loue,  on  l'embrasse.  Il  demande  alors 
où  il  pourra  aller  chercher  le  frein  ,  et  cj 
qu'il  lui  faut  faire  pour  l'avoir. 

—  Tu  le  sauras  avant  la  fin  du  jour,  lui 
dit-on;  mais  prépare  toute  ta  valeur  :  jamais 
tu  n'en  eus  plus  besoin. 

A  midi,  il  se  rend  au  lieu  du  combat,  et 
voit  un  lion  énor(ne  qui ,  en  écumant ,  ron- 
geait sa  chaîne  ,  et  de  ses  griffes  creusait  la 
terre  avec  fureur.  A  la  vue  du  héros,  lo 
monstre   rugissant   hérisse   sa  crinière;  sa 

(Ij  Un  château,  au  nioycii-5ge,  éuil  un  bourg.  Ou  lui 
doiiuïil  aubsi  ce  uoin. 


1S1 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


132 


chalnotombecl  il  s'élnncc  sur  Gaïuain,  dont 
il  ilécliiro  le  lia«l)ort.  Après  un  long  combat 
cependant  il  est  tué.  Un  autre  est  détaché 
plus  gr;ind  et  plus  furieux  encore  :  il  périt  de 
même.  Gauvain,  ne  voyant  plus  d'ennemis 
paraître,  demande  le  frein.  Le  géant,  sans  lui 
répondre,  le  reconduit  à  sa  chambre.  11  lui 
fait  servir  à  manger  pour  rétablir  ses  forces, 
et  lui  présente  ensuite  un  autre  ennemi. 

Gétait  un  chevalier  redoutable,  celui  -  là 
môine  qui  dvait  planté  les  pieux  de  l'enceinte, 
et  qui  de  sa  main  y  avait  ntlacbé  les  télos 
dos  (jualre  cents  chevaliers  vaincus.  On  leur 
amène  à  chacun  un  cheval;  on  leur  donne 
une  forte  lance  ;  ils  s'éloignent  pour  prendre 
carrière  et  fondent  I  un  sur  l'autre.  Du  pre- 
mier choc  leurs  lances  volent  en  éclats  ,  et 
les  sangles  de  leurs  chevaux  se  rompent.  Ils 
se  rfc!èveiit  aussitôt  pour  commencer  à  pied 
un  combat  nouveau.  Leurs  armes  releulis- 
sent  sous  leur  épée  redoutable  ,  leur  écu 
étincelle,  et  pendant  deux  heures  entières  la 
victoire  reste  incertaine.  Gauvain  redouble 
de  courage  :  il  assène  sur  la  tête  de  son  ad- 
versaire un  si  terrible  coup,  que,  lui  fendant 
le  heaume  jusqu'au  cercle  ,  il  l'étourdit  et 
l'abat.  C'en  était  (iùt  du  chevalier  :  il  allait 
périr  s'il  ne  se  fût  avoué  vaincu  ,  et  déjà  on 
lui  arrachait  les  lacets  de  son  heaume.  Mais 
il  rendit  son  épée  et  demanda  la  vie.  Dès  ce 
moment,  tout  fut  terminé.  Le  vainqueur  avait 
droit  au  frein;  on  ne  pouvait  le  lui  refuser  : 
il  ne  restait  plus  que  la  ressource  de  l'y  faire 
renoncer  lui-même ,  et  voici  comment  on 
espéra  réussir. 

Le  nain,  venant  le  saluer  avec  respect, 
l'invita,  de  la  part  de  sa  maîtresse,  à  manger 
avec  elle.  Elle  le  reçut  très-paréc,  assise  sur 
un  siège  magnifique  dont  les  pieds  étaient 
d'argent,  et  que  surmontait  un  pavillon  orné 
de  broderie  cl  de  pierres  précieuses.  Pen- 
dant le  repas,  elle  lui  avoua  que  la  dame 
dont  il  servait  la  cause  était  sa  sœur,  et 
qu'elle  lui  avait  enlevé  le  frein. 

—  Mais  si  vous  voulez  renoncer  aux 
droits  de  votre  victoire,  ajuuta-l-elle,  si  vous 
voulez  vous  fixer  auprès  de  moi  et  me  vouer 
ce  bras  invincible  dont  je  viens  d'éprouver 
la  force,  ce  château  et  trente-huit  autres  plus 
beaux  encore  sont  à  vous  avec  toutes  leurs 
richesses;  et  celle  qui  vous  prie  de  les  accep- 
ter, s'honorera  elle-même  de  devenir  l'é- 
pouse du  vainjueur. 

Gauvain  ne  fut  point  ébranlé  par  ces  offres 
séduisantes.  11  persista  toujours  à  exiger  le 
frein  ;  et  quand  il  l'eut  obtenu,  il  repartit  sur 
sa  mule,  au  milieu  des  cris  de  joie  d'une 
foule  de  peuple  qui,  à  son  grand  élonnement, 
accourut  sur  son  passage  :  c'étaient  les  habi- 
tants du  château  qui,  confinés  jusqu'alors 
dans  leurs  maisons  par  la  tyrannie  de  leur 
dame,  ne  pouvaient  en  sortir  sans  être  aus- 
sitôt dévorés  par  ses  lions,  et  qui,  maintenant 
libres,  venaient  baiser  la  main  de  leur  libé- 
rateur. 

De  retour  à  Carduel,  le  chevalier  fut  reçu 
de  la  dame  avec  les  transports  et  la  recon- 
naissance que  devait  inspirer  un  pareil  ser- 

OJ  Wierus,  de  Prasl  Jaein.,  lil).  I,  cap.  vu 


vice.  Mais  elle  fit  tout  préparer  aussitôt  pour 
son  départ.  En  vain  Artus  et  la  reine  la  pres- 
sèrent d'attendre  que  les  fêtes  fussent  termi- 
nées; rien  ne  put  la  retenir  :  elle  prit  congé 
d'eux,  monta  sur  sa  mule  et  repartit... 

Tels  étaient  généralement  les  romans  de 
chevalerie  et  de  féerie  si  chers  à  nos  pères. 
Voy.  FÉES.  Enchantements,  etc. 

AllUNDEL  (Thomas).  Comme  il  s'était  op- 
posé (quatorzième  siècle)  aux  séditions  des 
wickleffites,  Chassaignon,  dans  ses  Grandi  et 
redoutables  jugements  de  Dieu,  imprimés  à 
Morges  en  1581,  chez  Jean  Lépreux,  impri- 
meur des  très-puissants  seigneurs  de  Berne, 
Chassaignon,  réformé  et  défenseur  de  tous 
les  hérétiques,  dit  qu'il  mourut  cruellement, 
la  langue  tellement  eiidée  qu'il  ne  pouvait 
plus  parler,  «  lui  qui  avait  voulu  empêcher 
dans  la  bouche  des  disciples  de  Wickicff,  le 
cours  de  la  sainte  parole....  »  Mais  il  n'ose 
pas  rechercher  si  Thomas  Arundel  fut  , 
comme  Wickleff,  étranglé  par  le  diable. 

ARUSPICES,  devins  du  paganisme,  dont 
l'art  se  nommait  aruspicine.  Ils  examinaient 
les  entrailles  des  victimes  pour  en  tirer  des 
présages;  il  fallait  être  de  bonne  maison 
pour  exercer  cette  espèce  de  sacerdoce.  Ils 
prédisaient  1°  par  la  simple  inspection  des 
victimes  vivantes;  2"  par  l'état  de  leurs  en- 
trailles après  qu'elles  étaient  ouvertes;  3°  par 
la  flamme  qui  s'élevait  de  leurs  chairs  brû- 
lées. —  La  victime  qu'il  fallait  amener  avec 
violence,  ou  qui  s'échappait  de  l'autel,  don- 
nait des  présages  sinistres;  le  cœur  maigre, 
le  foie  double  ou  enveloppé  d'une  double  lu- 
nique,  et  surtout  l'absence  du  cœur  ou  du 
foie,  annonçaient  de  grands  maux.  On  croi- 
rait que  les  aruspices  étaient  habiles  dans 
l'art  d'escamoter,  car  le  cœur  manqua  aux 
deux  bœufs  immolés  le  jour  qu'on  assassina 
César.  —  C'était  encore  mauvais  signe  quand 
la  flamme  ne  s'élevait  pas  avec  force  et  n'é- 
tait pas  transparente  et  pure;  et  si  la  queuo 
de  la  bête  se  courbait  en  brûlant,  elle  mena- 
çait de  grandes  difficultés  dans  les  affaires. 
Voy.  Hépatoscopie. 

AUZELS.  Voy.  Cheval. 

ASAPHINS,  devins  ou  sorciers  chaidéens, 
qui  expliquaient  les  songes  et  liraient  les 
horoscopes. 

ASCAROTH.  C'est  le  nom  que  donnent  les 
dénionographes  à  un  démon  peu  connu,  qui 
protège  les  espions  et  les  délateurs.  Il  dépead 
du  démon  Nergal. 

ASCIK- PACHA,  démon  turc,  qui  favorise 
les  intrigues  secrètes  ,  facilite  les  accouche- 
ments, enseigne  les  moyens  de  rompre  les 
charmes  (1) ,  etc. 

ASCLETARION,  sorcier  qui  prédit  à  l'em- 
pereur Domilien  qu'il  serait  mangédes  chiens; 
sur  quoi  l'empereur  le  fit  tuer,  «  ce  qui  ne 
l'empêcha  pas  d'être  mangé  des  chiens  ,  ca- 
sueliemenl,  après  sa  morl  (2).» 

ASELLE.  — L'aselle  aquatique,  espèce  de 
cloporte ,  était  révérée  des  hlandais,  qui 
croyaient  qu'en  tenant  cet  insecte  dans  la 
bouche,  ou  son  ovaire  desséché  sur  la  langue, 
ils   obtenaient  tout  ce  qu'ils  pouvaient  dé  • 

(i)  Boguet,  Discours  des  sorciers,  cb.  u. 


rs 


ASM 


ASR 


13! 


sirer.  Ils  appelaient  son  ovaire  sec  jnerre  à 
soulunls. 

ASHMOLE  (  Eue),  antiquaire  et  alchimis- 
te anglais,  né  en  1617.  On  lui  doit  quelques 
ouvriifîPS  utiles,  et  le  Musée  asiimoléen  d'Ox- 
ford. Mais  il  publia  à  Londres,  en  1652,  un 
volume  in-4%  intitulé  :  Thealrum  chemicum 
hrilannicum,  contenant  différents  poënies  des 
philosophes  anglaisqui  ont  écrit  sur  les  mys- 
tères hermétiques.  Six  ans  après,  il  fit  im- 
primer If!  Chemin  du  bonheur,  in-4-%  1C58. 
Ce  traité,  qui  n'est  pas  de  lui,  mais  auquel 
il  mit  une  préface,  roule  aussi  sur  la  pierre 
philosophale.  Voy.  Pierre  philosophale. 

ASILK.  Les  lois  qui  accordaient  droit 
d'asile  aux  criminels  dans  les  églises,  excep- 
taient ordinairement  les  sorciers  qui,  d'ail- 
leurs ne  cherchaient  pas  trop  là  leur  recours. 

ASIMA,  démon  qui  rit  quand  on  fait  le 
mal.  Il  a  été  adoré  à  Emath,  dans  la  tribu 
de  Nephtali,  avant  que  les  habitants  de  celte 
ville  fussent  transportés  à  Samarie. 

ASMODÉE,  démon  destructeur,  le  même 
que  Samaël,  suivant  quelques  rabbins.  U  est 
aux  enfers  surintendant  des  maisons  de  jeu, 
selon  l'esprit  de  quelques  démonomanes,  qui 
ont  écrit  comme  s'ils  eussent  fait  en  touristes 
le  voyage  de  l'autre  monde.  Il  sème  la  dissi- 
pation et  l'erreur.  —  Les  rabbins  content 
qu'il  détrôna  un  jour  Salomon;  mais  que  bien- 
tôt Salomon  le  cliargea  de  fers ,  et  le  força 
de  l'aider  à  bâtir  le  temple  de  Jérusalem.  — 
Tobie,  suivant  les  mêmes  rabbins,  l'ayant 
expulsé,  avec  la  fumée  du  fiel  d'un  poisson, 
du  corps  de  la  jeune  Sara  qu'il  possédait, 
l'ange  Raphaël  l'emprisonna  aux  extrémités 
de  l'Egypte.  Paul  Lucas  dit  qu'il  l'a  vu  dans 
un  de  ses  voyages.  On  s'est  amusé  de  lui  à 
ce  sujet  ;  cependant  on  a  pu  lire  dans  le 
Courrier  de  l'Egypte  que  le  peuple  de  ce 
pays  adore  encore  le  serpent  d'Asmodée,  le- 
quel a  un  temple  dans  le  désert  de  Ryanneh. 
On  ajoute  que  ce  serpent  se  coupe  par  mor- 
ceaux, et  qu'un  instant  après  il  n'y  paraît 
pas. 

Gel  Asmouée  est ,  au  jugement  de  quel- 
ques-uns, l'ancien  serpent  qui  séduisit  Eve. 
Les  Juifs,  qui  l'appellent  Asmodai,  faisaient 
de  lui  le  prince  des  démons,  comme  on  le 
voit  dans  la  paraphrase  chaldaïque.  C'est 
aux  enfers,  dans  Wierus,un  roi  fort  et  puis- 
sant, qui  a  trois  létes  :  la  première  ressem- 
ble à  celle  d'un  taureau,  la  seconde  à  celle 
d'un  homme,  la  troisième  à  celle  d'un  bélier. 
Il  a  une  queue  de  serpent,  des  pieds  d'oie, 
une  haleine  enflammée.  Il  se  montre  achevai 
sur  un  dragon,  portant  en  main  un  étendard 
et  une  lance.  Il  est  soumis  cependant ,  par 
la  hiérarchie  infernale,  au  roi  Amoymon. 

Lorsqu'on  l'exorcise,  il  faut  être  ferme  sur 
SCS  pieds,  et  l'appeler  par  son  nom.  Il  donne 
des  anneaux  constellés  ;  il  apprend  aux  hom- 
mes à  se  rendre  invisibles  et  leur  enseigne 
la  gcoa.étrie,  l'arithmétique,  l'astronomie  et 
les  arts  mécaniques.  Il  connaît  aussi  des  Iré- 


(t)  Wierus,  in  Pseiidomonarcliia  dsmon. 

\i)  Saxo  Giaiimial.  Daiiioa;  liisl  lib.  V. 

(3}  Inçréiiulilé  el  Qiétréance  du  soriilégo,  elc. 


sors  qn'on  peut  le  forcer  à  découvrir;  soi- 
xante-douze légions  lui  obéissent  (1).  On  lo 
nomme  encore  Ch;imm;idaï  el  Sydonaï.  — Le 
Siige  a  fait  d'Asmodée  !i'  héros  d'un  de  ses 
roioans  (  le  Diable  boiteux  ). 

ASMOND  et  ASWITH,  compagnons  d'ar- 
mes  danois.  Liés  d'une  étroite  amilié,  ils 
convinrent,  par  un  serment  solennel  ,  de  ne 
s'abandonner  ni  à  la  vie,  ni  à  la  mort.  As- 
■wilh  mourut  le  premier  et,  suivant  leur  ac- 
cord, Asmond,  après  avoir  enseveli  son  ami, 
avec  son  chien  el  son  cheval  dans  une  grande 
caverne,  y  porta  des  provisions  pour  une 
année  et  s'enferma  dans  ce  tombeau.  Mais 
ajoute  gravement  un  historien  (2),  le  diable, 
qui  était  entré  dans  le  corps  du  mort,  tour- 
menta le  fidèle  Asmond,  le  déchirant,  lui  dé- 
figurant le  visage  el  lui  arrachant  même  une 
oreille,  sans  lui  donner  de  raisons  de  sa  fu- 
reur. Asmond,  impatienté,  coupa  la  léte  du 
mort,  croyant  rogner  aussi  le  diable  qui 
s'était  logé  là.  —  Sur  ces  entrefaites,  préci- 
sément, le  roi  de  Suède,  Eric,  passant  devant 
la  caverne  murée  et  entendant  du  vacarme, 
crut  qu'elle  renfermait  un  trésor,  gardé  par 
des  démons.  Il  la  fil  ouvrir,  et  fut  bien  sur- 
pris d'y  trouver  Asmond,  pâle,  ensanglanté, 
auprès  d'un  cadavre  puant  ;  il  lui  fil  conter 
son  histoire,  el,  ravi  de  sa  fidélité  et  de  son 
courage,  il  l'obligea  ,  par  de  bons  procédés, 
à  le  suivre  à  sa  cour. 

ASMOUG,  l'un  des  démons  qui ,  sous  les 
ordres  d'Arimane  ,  sèment  en  Perse  les  dis- 
sensions, les  procès  el  les  querelles. 

ASOORS.  C'est  le  nom  que  les  Indiens  don- 
nent à  certains  mauvais  génies  qui  font  toai- 
ber  les  voyageurs  dans  des  embûches. 

ASPAMIil.  «  Zorobabel  était  épris  d'un  si 
fol  amour  pour  Aspame,  qu'elle  le  souffle- 
tait comme  un  esclave  et  lui  ôlait  le  diadème 
pour  en  orner  sa  tête,  indigne  d'un  tel  orne- 
ment, dit  Delancre  (3)  ;  elle  le  faisait  rire  et 
pleurer,  quand  bon  lui  semblait,  le  tout  par 
philtres  et  fascinations.  »  Les  belles  dames 
font  tous  les  jours  d'aussi  grands  excès  et 
produisent  d'aussi  énormes  stupidités,  sans 
fascination  et  sans  philtre. 

ASPICULETTE  (Marie  d'),  sorcière  d'An- 
daye.dans  le  pays  de  Labour,  sous  le  règne 
de  Henri  IV.  Elle  fut  arrêtée  à  l'âge  de  dix- 
neuf  ans  ,  el  avoua  qu'on  l'avait  menée  au 
sabbat,  que  là  elle  avait  baisé  le  derrière  du 
diablean-dessons  d'une  grande  queue,  el  que 
ce  derrière  était  fait  comme  le  museau  d'un 
bouc.  ['*) 

ASPIDOMANCIE  ,  divination  peu  connue 
qui  se  pratique  aux  Indes,  selon  quelques 
voyageurs.  Delancre  dit  (5)  que  le  devin  oti 
sorcier  trace  un  cercle,  s'y  campe  assis  sur 
un  bouclier,  marmotte  des  conjuralions,  de- 
vient hideux  ,  el  ne  sort  de  son  extase  que 
pour  annoncer  les  choses  qu'on  veut  savoir, 
el  que  le  diable  vient  de  lui  révéler. 

ASRAFIL,  ange  terrible  qui,  selon  les  mu- 
sulmans, doit  sonner  de  la  trompette  cl    ré- 

(4)  Incrédulité  el  mécréance,  etc  ,  IP.  S. 

(5)  Delancre,  Tal)leau  de  l'icoonslance  de»  mauvais 
angis,  elc,  liv.  II,  dise.  1. 


135 


veiller  lous  les  morts  pour  le  jugement  der- 
nier. On  le  confond  souvent  avec  Asraël. 

ASSA-FOKTIDA.  les  Hollandais  appfl- 
Icnl  relto  pl.inle/îeH/e  du  diable  (duivelsdrek). 

ASSASSINS  ,  secte  d'Ismaéliens  qu'on  eni- 
vrait de  hracliick  et  ;1  qui  on  faisait  un  dogme 
de  tuer.  Le  souverain  des  Assassins  s'appe- 
j.iit  le  chfii  k  ou  vieux  de  la  Montagne.  Il  est 
réièhre  dans  l'histoire  des  croisades.  Voy. 

ÏHUGGISME. 

ASSHETON  (Guillaume)  ,  Ihéologien  an- 
glican, mort  en  1711.  Il  publia,  en  1691,  un 
petit  ouvrage  peu  recherché,  intitulé: /a  Pos- 
sibilité  des  apparitions. 

ASTAROTH,  grand-duc  Irès-puissant  aux 
enfers.  Il  a  la  figure  d'un  ange  fort  laid,  et 
se  montre  chevauchant  sur  un  dragon  infer- 
nal ;  il  tient  à  la  main  droite  une  vipère. 
Quelques  magiciens  disent  qu'il  préside  à 
l'Occident,  qu'il  procure  l'amitié  des  grands 
seigneurs,  et  qu'il  faut  l'évoquer  le  mercredi. 
Les  Sidoniens,  les  Philistins  et  quelques  sec- 
tes juives  l'adorèrent.  Il  est,  dit-on,  grand- 
trésorier  aux  enfers,  et  donne  de  bons  avis 
quand  on  émet  des  lois  nouvelles.  Wierus 
uous  apprend  qu'il  sait  le  passé,  le  présent 
et  l'avenir,  qu'il  répond  volontiers  aux  ques- 
tions qu'on  lui  fait  sur  les  choses  les  plus 
secrètes,  et  qu'il  est  facile  de  le  faire  causer 
sur  la  création,  les  fautes  et  la  chute  des  an- 
ges, dont  il  connaît  toute  l'histoire  ;  mais 
dans  ses  conversations  il  soutient  que  pour 
lui  il  a  été  puni  injustement.  11  enseigne  à 
fond  les  arts  libéraux  et  commande  quaran- 
te légions.  Celui  qui  le  fait  venir  doit  pren- 
dre garde  de  s'en  laisser  approcher,  à  cause 
de  son  insupportable  puanteur.  C'est  pour- 
quoi il  est  prudent  de  tenir  sous  ses  narines 
un  anneau  magique  en  argent,  qui  est  un 
préservatif  contre  les  odeurs  fétides  des  dé- 
mons (I).  Astarolh  a  figuré  dans  plusieurs 
possessions. 

ASTARTÉ,  femelle  d'Astarolh,  selon  quel- 
ques démonomancs.  Elle  porte  des  cornes  , 
non  difformes  couune  celles  des  autres  dé- 
mons, mais  façonnées  en  croissant.  Les  Phé- 
niciens adoraient  la  lune  sous  le  nom  d'As- 
tarlé.  A  Sidon,  c'était  la  môme  que  Vénus. 
Sanchoniaton  dit  qu'elle  eut  deux  fils  :  le 
Désir  et  l'Amour.  On  l'a  souvent  représentée 
avec  des  rayons, ou  avec  une  tête  de  génisse. 
Des  érudils  prétendent  qu'Astaroth,  qui  don- 
ne les  richesses,  est  le  soleil,  et  Astarlé  la 
lune;  mais  danslesancicnsmonumensoricn- 
•aux,  Astarté  est  le  même  qu'Astaroth,  et 
Astarolh  le  même  qu'Astarté. 

ASTIAGES  ,  roi  des  Mèdes.  Quand  Cyrus  . 
eut  vaincu  l'Asie,  on  publia  qu'Astiuges  , 
son  grand-père,  avait  songé  en  dormant  que 
dans  le  sein  de  sa  fille  Mandanc  croissait  une 
vigne  qui,  de  ses  feuilles,  couvrait  l'Asie  en- 
tière; présage  de  la  grandeur  de  Cyrus,  fils 
de  Mandane. 

ASriUGALOMANCIE,  divination  parles 
dés.  Prenez  deux  dés,  marqués  comme  d'u- 
sage des  iiuraéros  1,  2,  3,  d.,  5,  6.  On  peut 
jeter  à  volonté  un  dé  seul,  ou  les  deux  dés 
à  la  fois  ;  on  a  ainsi  la  chance  d'amener  les 

(1)  Wiorus,  in  Pseudomonarthia  dsein. 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCIXTES.  156 

chiffres  1   à  12.  V^ous  voulez  deviner  quel- 


que affaire  qui  vous  embarrasse,  ou  pénétrer 
les  secrets  de  l'avenir  ;  posez  la  question 
sur  un  papier  que  vousaurezpasséau-drssu» 
de  la  fumée  du  bois  de  genièvre;  placez  ce 
papier  renversé  sur  la  table,  et  jetez  les  dés. 
—  Vous  écrirez  les  lettres  à  mesure  qu'elles 
se  présentent.  En  se  combinant,  elles  vous 
donneront  la  réponse  :  1  vaut  la  lettre  A  ;  2 
vaut  E;  3  vaut  I,  ou  Y;  4  vaut  0  ;  5  vaut  U; 
6  vaut  B,  P,  ou  V;  7  vaut  G,  K,  ou  Q;  8 
vaut  D,  ou  T  -  9  vaut  F,  S,  X,  ou  Z  ;  10  vaut 
G,  ou  J;  Il  vaut  L,  M,  ou  N;  12  vaut  R.  — 
Si  la  réponse  est  obscure,  il  ne  faut  pas  s'en 
étonner  ;  le  sort  est  capricieux.  Dans  le  cas 
où  vous  n'y  pouvez  rien  comprendre,  recou- 
rez à  d'autres  divinations.  —  La  lettre  H 
n'est  point  marquée,  parce  qu'elle  n'est  pas 
nécessaire.  Les  règles  du  destin  se  dispen- 
sent de  celles  de  l'orthographe.  PH  s'expri- 
me fort  bien  par  la  kllrc  F,  et  CH  par  la 
lettre  X. 

Les  anciens  pratiquaient  l'aslragaloman- 
cie  avec  des  osselets  marqués  des  lettres  de 
l'alphabet,  et  les  lettres  que  le  hasaid  ame- 
nait faisaient  les  réponses.  C'est  par  ce 
moyen  que  se  rendaient  les  oracles  d'Her- 
cule en  Acha'ie.  On  mettait  les  lettres  dans 
une  urne  et  on  les  tirait  comme  on  lire  les 
numéros  des  loteries. 

ASTRES.  La  première  idolâtrie  a  com- 
mencé par  le  culte  des  astres. Tous  les  peuples 
fourvoyés  les  adoraient,  au  temps  de  Moïse. 
Lui  seul  dit  aux  Hébreux  :  «  Lorsque  vous 
élevez  les  yeux  vers  le  ciel,  que  vous  voyez 
le  soleil,  la  lune  et  les  autres  astres,  gardez- 
vous  de  tomber  dans  l'erreur  et  de  les  ado- 
rer, car  c'est  Dieu  qui  les  a  créés  »  (  Deulé- 
ronome,  chap.  4  ). 

Ceux  qui  ne  croient  pas  à  la  révélation 
devraient  nous  apprendre  comment  Moïse  a 
été  plus  éclairé  que  les  sages  de  toutes  les 
nations  dont  il  était  environné  (1) 

Mahomet  dit  dans  le  Koran,  que  les  étoiles 
sont  les  sentinelles  du  ciel,  et  qu'elles  em- 
pêchent les  démons  d'en  approcher  et  dé 
connaître  les  secrets  de  Dieu.  Il  y  a  des  sec- 
tes qui  prétendent  que  chaque  corps  céleste 
est  la  demeure  d'un  ange,  —  Les  Arabes, 
avant  Mahomet,  adoraient  les  astres.  Les 
anciens  en  faisaient  des  êtres  animés;  les 
Egyptiens  croyaient  qu'ils  voguaient  dans 
des  navires  à  travers  les  airs  connue  nos 
aéronautes  ;  ils  disaient  que  le  soleil,  avec 
son  esquif,  traversait  l'Océan  toutes  les  nuits 
pour  retourner  d'occident  en  orient. 

D'autres  physiciens  ont  prétendu  que  les 
étoiles  sont  les  yeux  du  ciel,  et  que  les  lar- 
mes qui  en  tombent  forment  les  pierres  pré- 
cieuses. C'est  pour  cela,  ajoutent-ils  ,  que 
chaque  étoile  (ou  plutôt  chaque  planète)  a  sa 
pierre  favorite. 

ASTROLABE,  instrument  dont  on  se  sert 
pour  observer  les  as  très  et  tirer  les  horoscopes. 
Il  estsouvent  scmblableà  unesphèrearmillai- 
re.  L'astrologue,  instruit  du  jour,  de  l'heure, 
du  moment  où  est  né  celui  qui  le  consulte,  ou 
pour  lequel  on  le  consulte,  met  les  choses  à 

(t)  Bergicr,  DiiU.  (liéolug.,  au  mot  Astres. 


izl 


AST 


A8T 


136 


la  place  qu'elles  occupaient  alors,  cl  dresse 
son  (hème  suivant  lu  position  des  planètes 
et  des  constellations. 

Il  y  a  eu  dos  gens  autrefois  qui  faisaient 
le  métier  de  découvrir  les  voleurs  par  le 
moyen  d'un  astrolabe.  «  Le  ciel,  disaient-ils, 
est  un  livre  dans  lequel  on  voit  le  passé,  le 
présent  et  l'avenir;  pourquoi  ne  pourrait-on 
pas  lire  les  événements  de  ce  monde  dans 
un  instrument  qui  représente  la  situation 
des  corps  célestes  (1)  ?» 

ASTROLOGIE,  art  de  dire  la  bonne  aven- 
ture et  de  prédire  les  événements,  par  l'as- 
pect, les  positions  elles  influences  des  corps 
célestes.  —  On  croit  que  l'astrologie  ,  qu'on 
appelle  aussi  astrologie  judiciaire,  parce 
qu'elle  consiste  en  jugements  sur  les  per- 
sonnes et  sur  les  choses,  a  pris  naissance 
dans  laChaldée,  d'où  elle  pénétra  en  Egypte, 
en  Grèce  et  en  Italie.  Quelques  antiquaires 
attribuentrinvenlionde  celle  science  àCham, 
fils  de  Noé.  Le  cemmissaire  de  Lamarre,  dans 
son  Traité  de  police,  litre  7,  chap.  1",  ne 
repousse  pas  les  opinions  qui  établissent 
qu'elle  lui  a  été  enseignée  par  le  démon. 

Diogène  Laërce  donne  à  entendre  que  les 
Egyptiens  connaissaient  la  rondeur  de  la 
terre  et  la  cause  des  éclipses.  On  ne  peut 
leur  disputer  l'habilelé  en  astronomie;  mais, 
au  lieu  de  se  tenir  aux  règles  droites  de  cette 
science,  ils  en  ajoutèrent  d'autres,  qu'ils  fon- 
dèrent uniquement  sur  leur  imagination;  ce 
furent  là  les  principes  de  l'art  de  deviner  cl 
de  tirer  les  horoscopes.  Ce  sont  eux,  dit 
Hérodote,  qui  enseignèrent  à  quel  dieu  cha- 
que mois,  chaquï  jour  est  consacré,  qui  ob- 
servèrent les  premiers  sous  quel  ascendant 
un  homme  est  né,  pour  prédire  sa  fortune, 
ce  qui  lui  arriverait  dans  sa  vie,  cl  de  quelle 
uiorl  il  mourrait. 

«  J'ai  lu  dans  les  registres  du  ciel  tout  ce 
qui  doit  vous  arriver  à  vous  et  à  votre  fils,  » 
disait  à  ses  crédules  enfants  Bélus,  prince 
de  Babylone.  Pompée  ,  César  ,  Crassus  , 
croyaient  à  l'astrologie.  Pline  en  parle 
comme  d'un  art  respectable.  Cette  science 
gouverne  encore  la  Perse  et  une  grande  par- 
tie de  l'Asie.  «  Rien  ne  se  fait  ici,  dit  Taver- 
nier  dans  sa  relation  d'Ispahan,  que  de  l'avis 
des  astrologues.  Ils  sont  plus  puissants  et 
plus  redoutés  que  le  roi,  qui  en  a  toujours 
quatre  attachés  à  ses  pas,  qu'il  consulte  sans 
cesse  et  qui  l'avertissent  du  temps  où  il  doit 
se  promener,  de  l'heure  où  il  doit  se  renfer- 
mer dans  son  palais,  se  purger,  se  vêtir  de 
ses  habits  royaux,  prendre  ou  quitter  le 
sceptre,  etc.  Ils  sont  si  respectés  dans  cette 
cour,  que  le  roi  Schah-Sophi  étant  accablé 
depuis  plusieurs  années  dUnfirmités  que  l'art 
ne  pouvait  guérir,  les  médecins  jugèrent 
qu'il  n'était  tombé  dans  cet  état  de  dépéris- 
sement que  par  la  faute  des  astrologues,  qui 
avaient  mal  pris  l'heure  à  laquelle  il  devait 
être  élevé  sur  lo  trône.  Les  astrologues  re- 
connurent leur  erreur  :  ils  s'assemblèrent  de 
nouveau  avec  les  médecins,  cherchèrent  dans 
le  ciel  la  véritable  heure  propice,  ne  man- 

(t|  Le  père  Lebrun,  Hist.  des  pratiques  superst..  1. 1, 
p.  220. 

DlCTIO.NK.    DES    SCIENCES    OCCULTES.    I. 


quèrent  pas  de  la  trouver  ;  et  la  cérémonie 
du  couronnement  fut  renouvelée,  à  la  grande 
satisfaction  de  Schah-Sephi  ,  qui  mourut 
quelques  jours  après.  » 

11  en  est  de  même  à  la  Chine,  où  l'empe- 
reur n'ose  rien  entreprendre  sans  avoir  con- 
sulté son  thème  natal. 

La  vénération  des  Japonais  pour  l'astrolo- 
gie est  plus  profonde  encore;  chez  eux  per- 
sonne n'oserait  construire  un  édifice  sans 
avoir  interroge  quelque  astrologue  sur  la 
durée  du  bâtiment.  11  y  en  a  même  qui,  sur 
la  réponse  des  astres,  se  dévouent  et  se 
Inent  pour  le  bonheur  de  ceux  qui  doivent 
habiter  la  nouveliejnaison  (2). 

Presque  tous  les  anciens,  Hippocrate,  Vir- 
gile, Horace,  Tibère,  croyaient  à  l'astrologie. 
Le  moyen-âge  en  fut  infecté.  On  tira  l'horos- 
cope de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV  ;  et  Boi- 
leaudit  qu'un  téméraire  auteur  n'atteint  pasie 
Parnasse,  si  son  astre  en  naissant  ne  l'a  formé 
poëte 

En  astrologie,  on  ne  connaît  dans  le  ciel 
que  sept  planètes,  et  douze  constellations 
dans  le  zodiaque.  Le  nombre  de  celles-ci 
n'a  pas  changé  ;  mais  il  y  a  aujourd'hui 
douze  planètes.  Nous  ne  parlerons  que  des 
sept  vieilles,  employées  par  les  astrolo- 
gues. Nous  n'avons,  disent -ils,  aucun 
membre  que  les  corps  célestes  ne  gouver- 
nent. Les  sept  planètes  sont,  comme  on  sait, 
le  Soleil,  là  Lune,  Vénus,  Jupiter,  Mars  , 
Mercure  et  Saturne.  Le  Soleil  préside  à  la 
tète  ;  la  Lune,  au  bras  droil;  Vénus,  au  bras 
gauche;  Jupiter,  à  l'estomac;  Mars,  aux  par- 
ties sexuelles  ;  Mercure,  au  pied  droit,  et 
Saturne,  au  pied  gauche;  —  ou  bien  Mars 
gouverne  la  tête,  Vénus  le  bras  droit,  Jupi- 
ter le  bras  gauche,  le  Soleil  l'estomac,  la 
Lune  les  parties  sexuelles.  Mercure  le  pied 
droit  et  Saturne  le  pied  gauche. 

Parmi  les  constellations,  le  Bélier  gouver- 
ne la  tête;  le  Taureau,  le  cou;  les  Gémeaux, 
les  bras  et  les  épaules;  l'Ecrevisse,  la  poitrine 
et  le  cœur;  le  Lion,  l'estomac;  la  Vierge,  lo 
ventre;  la  Balance,  les  reins  et  les  fesses;  lo 
Scorpion,  les  parties  sexuelles;  le  Sagittaire, 
les  cuisses;  le  Capricorne,  les  genoux;  le 
Verseau,  les  jambes;  et  les  Poissons,  les 
pieds. 

On  a  mis  aussi  le  monde  ,  c'est-à-dire  les 
empires  et  les  villes,  sous  l'influence  des 
constellations.  Des  astrologues  allemands,  au 
seizième  siècle,  avaient  déclaré  Francfort 
sous  l'influence  du  Bélier,  Wurtzbourg  sous 
celle  du  Taureau,  Nuremberg  sous  lès  Gé- 
meaux, Magdebourg  sous  l'Ecrevisse,  Ulm 
sous  le  Lion  ,  Heidelberg  sous  la  Vierge, 
Vienne  sous  la  Balance ,  Munich  sous  le 
Scorpion,  Stuitgard  sous  le  Sagittaire,  Augs- 
bourg  sous  le  Capricorne,  Ingolstadt  sous 
le  Verseau,  et  Rastibonne  sous  les  Poissons. 

Hermès  a  dit  que  c'est  parce  qu'il  y  a  sept 
trous  à  la  tête,  qu'il  y  a  aussi  dans  le  ciel 
sept  planètes  pour  présider  à  ces  trous  :  Sa- 
turne et  Jupiter  aux  deux  oreilles.  Mars  et 
Vénus  aux  deux  narines,  le  Soleil  et  la  Lune 

(2)  Essai  sur  les  erreurs  et  les  superstilion»  ,  wr 
M.  L.  C,  ch.  5.  '       . 


139 


DICTIONNAIRE  DES  SCir.NCKS  OCCULTKS. 


liO 


aux  deux  yeux,  el  Mercure  à  la  bouche. 
Léon  rUcbreu,  dans  sa  Philosophie  d'amour, 
Iniduile  parle  sieur  Duparc,  champenois, 
admet  relie  opinion,  qu'il  précise  très-bien  : 
«  Le  Soli'il  préside  à  l'œil  droit,  dit-il ,  <  l 
la  Lune  à  lœil  gauche,  piirce  que  tous  les 
deux  sont  les  yeux  du  ciel  ;  Jupiter  gou- 
verne l'oreille  gauche  ;  Saturne,  la  droiti-  ; 
Mars,  le  pertuis  droit  du  nez  ;  Vénus,  le  per- 
tuis  gauche;  cl  Mercure,  la  bouche,  parce 
qu'il  préside  à  la  parole.  » 

Ajoutons  encore  que  Saturne  domine  snr 
la  vie,  les  changements ,  les  édifices  el  les 
sciences  ;  Jupiter,  sur  l'honneur,  les  sou- 
haits, les  richesses  et  la  propreté  des  habiis; 
Mars,  sur  la  guerre,  les  prisons,  les  maria- 
ges, les  haines  ;  le  Soleil,  sur  l'espérance,  le 
bonheur,  le  gain,  les  héritages;  Vénus,  sur 
les  amitiés  el  les  amours  ;  Mercure,  sur  les 
maladies,  les  perles,  les  dettes,  le  commerce 
et  la  crainte;  la  Lune,  sur  les  plaies,  les  son- 
ges elles  larcins.  Aussi,  du  moins,  le  décide 
le  livre  des  admirables  secrets  d'Albert  le 
Grand. 

En  dominant  de  la  sorte  lout  ce  qui  arrive 
à  l'homme,  les  planètes  ramènent  le  même 
cours  de  choses  loules  les  fois  qu'elles  se 
retrouvent  dans  le  ciel  au  lieu  de  l'horos- 
cope. Jupiter  se  retrouve  au  bout  de  douze 
ans  au  môme  lieu,  les  honneurs  seront  les 
mêmes;  Vénus,  au  bout  de  huit  ans,  les 
amours  seront  les  mêmes,  elc,  mais  dans 
un  autre  individu. 

N'oublions  pas  non  plus  que  chaque  pla- 
nète gouverne  un  jour  de  la  semaine;  le  So- 
leil le  dimanche,  la  Lune  le  lundi.  Mars 
le  mardi,  Mercure  le  mercredi ,  Jupiter  le 
jeudi,  Vénus  le  vendredi,  Saturne  le  samedi; 
—  que  le  jaune  est  la  couleur  du  Soleil,  le 
blanc  celle  do  la  Lune,  le  vert  celle  de  Vénus, 
le  rouge  celle  de  Mars,  le  bleu  celle  de  Jupi- 
ter, le  noir  celle  de  Saturne,  le  mélangé 
celle  de  Mercure  ;  —  que  le  Soleil  préside  à 
l'or,  la  Lune  à  l'argent,  Vénus  à  l'étain,  Mars 
au  fer,  Jupiter  à  l'airain,  Saturne  au  plomb, 
Mercure  au  vif-argent,  elc. 

Le  Soleil  est  bienfaisant  et  favorable  ;  Sa- 
turne, triste,  morose  et  froid  ;  Jupiter,  tem- 
péré el  bénin  ;  Mars,  ardenl  ;  Vénus,  bien- 
veillante; Mercure,  inconstant;  la  Lune, 
mélancolique. 

Dans  les  constellations,  le  Bélier,  le  Lion  et 
le  Sagittaire  sont  chauds,  secs  et  ardents;  le 
Taureau,  la  Vierge  el  le  Capricorne,  lourds, 
froids  el  secs  ;  les  Gémeaux,  la  Balance  et 
le  Verseau,  légers,  chauds  el  humid<s;  l'E- 
crevisse,  le  Scorpion  et  les  Poissons,  humi- 
des, mous  et  froids. 

Au  moment  de  la  naissance  d'un  enfant 
dont  on  \eut  tirer  l'horoscope ,  ou  bien  au 
jour  de  l'événement  dont  on  cherche  à  pré- 
sager les  suites,  il  faut  d'abord  voir  sur  l'as- 
trolabe quelles  sont  les  constellations  et  pla- 
nètes qui  dominent  dans  le  ciel ,  et  tirer  les 
conséquencesqu'indiquenl  leurs  vertus,  leurs 
qualités  el  leurs  fonctions.  Si  trois  signes  de 
la  même  nature  se  rencontrent  dans  le  ciel  , 
comme  ,  par  exemple  ,  le  Bélier,  le  Lion  et 
le  Sagittaire,  ces  trois  signes  forment  le  trin 


aspect,  parce  qu'ils  parla  geni  le  <  iel  en  trois, 
et  qu'ils  sonl  séparés  lun  de  l'autre  par 
trois  autres  constellations.  Cet  aspect  est  bon 
el  favorable. 

Quand  ceux  qui  partagent  le  ciel  par 
sixième  se  renconlrenl  à  l'heure  de  l'opéra- 
tion ,  couimc  le  Bélier  avec  les  Gémeaux  ,  le 
Taureau  avec  lEcrevisse  ,  etc. ,  ils  forment 
Vaspect  sextil,  qui  est  médiocre. 

Quand  ceux  qui  partagent  le  ciel  en  qua- 
tre ,  comme  le  JJclicr  avec  lEcrevisse  ,  lo 
Taureau  avec  le  Lion  ,  les  Gémeaux  avec  la 
Vierge  ,  se  rencontrent  dans  le  ciel ,  ils  for- 
ment Vaspect  carré,  qui  est  mauvais. 

Quand  ceux  qui  se  trouvent  «tux  parties 
opposées  du  ciel  ,  comme  le  Bélier  avec  la 
Balance  ,  le  Taureau  avec  le  Scorpion  ,  les 
Gémeaux  avec  le  Sagittaire  ,  etc.,  se  rencon- 
trent à  l'heure  de  leur  naissance,  ils  forment 
Vaspect  contraire,  qui  est  méchant  el  nuisi- 
ble. 

Les  autres  sonl  en  con/onc/i'on,  quand  deux 
planètes  se  trouvent  réunies  dans  le  même 
signe  ou  dans  la  même  maison,  el  en  oppo- 
sition quand  elles  sont  à  deux  points  oppo- 
sés. 

Chaque  signe  du  zodiaque  occupe  une 
place  qu'on  appelle  maison  céleste  ou  maison 
du  soleil; ces  douze  maisons  du  so!ei!  coupent 
ainsi  le  zodiaque  eu  douze  parties.  Chaque 
maison  occupe  trente  degrés,  pui'^que  le  cer- 
cle en  a  trois  cent  soixante.  Les  astrologues 
représentent  les  maisons  par  de  simples  nu- 
méros ,  dans  une  Ggure  ronde  ou  carrée ,  di- 
visée en  douze  cellules. 

La  première  maison  est  celle  du  Bélier, 
qu'on  appelle  l'anj/e  oriental,  en  argot  astro- 
logique. C'est  la  maison  de  la  vie,  parce  que 
ceux  qui  naissent  quand  cette  constellation 
domine,  peuvent  vivre  longtemps. 

La  seconde  maison  est  celle  du  Taureau  , 
qu'on  appelle  la  porte  inférieure.  C'est  la 
maison  des  richesses  el  des  (i)Ojens  de  for- 
tune. 

La  troisième  maison  est  celle  des  Gémeaux 
appelée /o  demeure  des  frères.  C'est  la  maison 
des  héritages  et  dog  bonnes  successions. 

La  quatrième  maison  est  celle  de  l'Ecre- 
visse.  On  l'appelle  le  fond  du  ciel,  l'angle  de 
la  terre,  la  demeure  des  parents.  C'est  la  mai- 
son des  trésors  et  des  biens  de  patrimoine. 

La  cinquième  maison  est  celle  du  Lion  , 
dite /a  demeure  des  enfants  ;  c'esi  la  maison 
des  legs  el  des  donations. 

La  sixième  maison  est  celle  de  la  Vierge  ; 
Gn  l'appelle  l'amour  de  Mars.  C'esl  la  maison 
des  chagrins  ,  des  revers  et  des  maladies. 

La  septième  maison  est  celle  de  la  Balance, 
qu'on  appelle  V angle  occidental.  C'est  la  mai- 
son des  mariages  et  des  noces. 

La  huitième  maison  est  celle  du  Scorpion, 
appelée  la  porte  supérieure.  C'est  la  maison 
de  l'fffroi  ,  des  craintes  et  de  la  mort. 

La  neuvième  maison  est  celle  du  Sagit- 
taire, appelée  l'amour  du  soleil.  C'est  la  mai- 
son de  la  piété ,  de  la  religion  ,  des  voyages 
et  (le  la  philosophie. 

La  dixième  maison  est  celle  du  Capricorne, 


ni 

ilite  le  milieu  du 


AST 

ciel.  C'est  la  maison  des 


AST 


U-2 


charges  ,  dos  dignités  et  des  couronnes. 

La  onzième  maison  est  celle  du  Verseau  , 
/lu'on  appelle  l'amour  de  Jupiter.  C'est  la 
maison  des  amis  ,  des  bienfaits  et  de  la  for- 
lune. 

La  douzième  maison  est  celle  des  poissons, 
appelée  l'amour  de  Saturne.  C'est  la  plus 
mauvaise  de  toutes  et  la  plus  funeste  ;  c'est 
la  maison  des  empoisonnements  ,  des  misè- 
res ,  de  l'envie  ,  de  l'humeur  noire  et  de  la 
mort  violente. 

Le  Bélier  et  le  Scorpion  sont  les  maisons 
chéries  de  Mars;  le  Taureau  et  la  Balance  , 
celles  de  Vénus  ;  les  Gémeaux  et  la  Vierge  , 
celles  de  Mercure  ;  le  Sagittaire  et  les  Pois- 
sons ,  celles  (le  Jupiter;  le  Capricorne  et  le 
Verseau  ,  colles  de  Saturne;  le  Lion  ,  celle 
du  Soleil  ;  l'Ecrevisse,  celle  de  la  Lune. 

Il  faut  examiner  avec  soin  les  rencontres 
des  planètes  avec  les  constellations.  Si  Mars, 
par  exemple  ,  se  rencontre  avec  le  Bélier  à 
l'heure  de  la  naissance,  il  donne  du  courage, 
de  la  fierté  et  une  longue  vie  ;  s'il  se  trouve 
avec  le  Taureau,  richesses  et  courage.  En  un 
mot,  Mars  augmente  l'influence  des  constel- 
lations avec  lesquelles  il  se  rencontre,  et  y 
ajoute  la  valeur  et  la  force.  —  Saturne  ,  qui 
donne  les  peines  ,  les  misères,  les  maladies, 
augmente  les  mauvaises  influences  et  gâte 
les  bonnes.  Vénus ,  au  contraire  ,  augmente 
les  bonnes  influences  et  affaiblit  les  mauvai- 
ses.—  Mercure  augmente  ou  affaiblit  les  in- 
fluences suivant  ses  conjonctions. S'il  se  ren- 
contre avec  les  Poissons ,  qui  sont  mauvais, 
il  devient  moins  bon;  s'il  se  trouve  avec  le 
Capricorne ,  qui  est  favorable,  il  devient 
meilleur.  —  La  Lune  joint  la  mélancolie  aux 
constellations  heureuses;  elle  ajoute  la  tris- 
tesse ou  la  démence  aux  constellations  fu- 
nestes. —  Jupiter,  qui  donne  les  richesses  et 
les  honneurs  ,  augmente  les  bonnes  influen- 
ces et  dissipe  à  peu  près  les  mauvaises.  — 
Le  Soleil  ascendant  donne  les  faveurs  des 
princes  ;  il  a  sur  les  influences  presque  au- 
tant d'effet  que  Jupiter  ;  mais  descendant  il 
présage  des  revers. 

Ajoutons  que  les  Gémeaux ,  la  Balance  et 
la  Vierge  donnent  la  beauté  par  excellence  ; 
le  Scorpion,  le  Capricorne  et  les  Poissons 
donnent  une  beauté  médiocre.  Les  autres 
constellations  donnent  plus  ou  moins  la  lai- 
deur. —  La  Vierge,  la  Balance,  le  Verseau  et 
les  Gémeaux  donnent  une  belle  voix;  l'Ecre- 
*isse,  le  Scorpion  et  les  Poissons  donnent  une 
voix  nulle  ou  désagréable.  Les  autres  cons- 
tellations n'ont  pas  d'influence  sur  la  voix. 

Si  les  planètes  et  les  constellations  se  trou- 
vent à  l'Orient,  à  l'heure  de  l'horoscope,  on 
éprouvera  leur  influence  au  commencement 
de  la  vie  ou  de  l'entreprise;  on  l'éprouvera 
au  milieu  si  elles  sont  au  haut  du  ciel,  et  à  la 
fin  si  elles  sont  à  l'Occident. 

Afin  que  l'horoscope  ne  trompe  point,  il 
faut  avoir  soin  d'en  commencer  les  opéra- 
tions précisément  à  la  minute  ou  l'enfant  est 
né,  ou  à  l'instant  précis  d'une  affaire  dont 
on  veut  savoir  les  suites.  —  Pour  ceux  qui 
Il  cxijjoiit  pas  une  exactitude  si  sévère,  il  y  a 


des  horoscopes  tout  dressés,  d'après  les  cons  - 
tellalions  de  la  naissance.  Voy.  Horoscope. 

Tels  sont,  en  peu  de  mots,  les  principes  de 
cet  art,  autrefois  si  vanté,  si  universellement 
répandu,  et  maintenant  un  peu  tombé  en  dé- 
suétude. Les  astrologues  conviennent  que  le 
globe  roule  si  rapidement,  que  la  disposition 
des  astres  change  en  un  moment.  11  faudra 
donc,  pour  tirer  les  horoscopes,  que  les  sa- 
ges-femmes aient  soin  de  regarder  attentive- 
ment les  horloges,  de  marquer  exactement 
chaque  point  du  jour,  et  de  conserver  à  celui 
(\u\  naît  ses  étoiles  comme  son  patrimoine. 
«  Mais  combien  de  fois,  dit  Bardai,  le  péril 
des  mères  empêche-t-il  ceux  qui  sont  autour 
d'elles  de  songer  à  cela  1  Et  combien  de  fois 
ne  s'y  trouve-t-il  personne  qui  soit  assez  su- 
perstitieux pour  s'en  occuper!  Supposez  ce- 
pendant qu'on  y  ait  pris  garde,  si  l'enfant  est 
longtemps  à  naître,  et  si ,  ayant  montré  la 
tôte,  le  reste  du  corps  ne  parait  pas  de  suite, 
comme  il  arrive,  quelle  disposition  des  astres 
sera  funeste  ou  favorable?  sera-ce  celle  qui 
aura  présidé  à  l'apparition  de  la  léte,  ou  celle 
qui  se  sera  rencontrée  quand  l'enfant  est  en- 
tièrement né?...  » 

Voici  quelques  anecdotes  sur  le  compte  des 
astrologues  : 

Un  valet,  ayant  volé  son  maître,  s'enfuit 
avec  l'objet  dérobé.  On  mit  des  gens  à  sa 
poursuite,  et,  comme  on  ne  le  trouvait  pas,  on 
consulta  un  astrologue.  Celui-ci ,  habile  à 
deviner  les  choses  passées,  répondit  que  le 
valet  s'était  échappé  parce  que  la  lune  s'é- 
tait trouvée,  à  sa  naissance,  en  conjonction 
avec  Mercure,  qui  protège  les  voleurs,  et  que 
de  plus  longues  recherches  seraient  inutiles. 
Comme  il  disait  ces  mots,  on  amena  le  do- 
mestique ,  qu'on  venait  de  prendre  enfin  , 
malgré  la  protection  de  Mercure. 

Les  astrologues  tirent  vanité  de  deux  ou 
trois  de  leurs  prédictions  accomplies,  quoi- 
que souvent  d'une  manière  indirecte,  entro 
mille  qui  n'ont  point  eu  de  succès.  L'horos- 
cope du  poëte  Eschyle  portait  qu'il  serai» 
écrasé  par  la  chute  d'une  maison;  il  s'alla. 
dit-on,  mettre  en  plein  champ,  pour  évileir 
sa  destinée;  mais  un  aigle,  qui  avait  enleva 
une  tortue,  la  lui  laissa  tomber  sur  la  tétc 
et  il  en  fut  tué.  Si  ce  conte  n'a  pas  été  fait 
après  coup,  nous  répondrons  qu'un  aveugle, 
en  jetant  au  hasard  une  multitude  de  flèches, 
peut  atteindre  le  but  une  fois  par  hasard. 
Quand  il  y  avait  en  Europe  des  milliers  d'as- 
trologues qui  faisaient  tous  les  jours  de  nou- 
velles prédictions ,  il  pouvait  s'en  trouver 
quelques-unes  que  l'événement,  par  cas  for- 
tuit,  justifiait;  et  collesci,  quoique  rares  , 
entretenaient  la  crédulité  (jUt;  des  millions 
de  mensonges  auraient  dû  détruire. 

L'empereur  Frédéric -Barberousse  ,  étant 
sur  le  point  de  quitter  Vicence,  qu'il  venait 
de  prendre  d'assaut,  défia  le  plus  fameux 
astrologue  de  deviner  par  quelle  porte  il  sor- 
tirait le  lendemain. Lecharlatan  répondit  au 
défi  par  un  tour  de  son  métier;  il  remit  à 
Frédéric  un  billet  cacheté,  lui  recommandant 
de  ne  l'ouvrir  qu'après  sa  sortie.  L'empereur 
fit  abattre,  pendant  la  nuit,  quelques  toises 


1^ 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


tu 


(Je  mur,  cl  sorlil  par  la  brèche.  Il  ouvrit  en- 
suite le  billet,  et  ne  fut  pas  peu  surpris  «l'y 
lire  CCS  mots  :  —  «  L'empereur  sortira  par 
la  porte  neuve.  »  C'en  fut  assez  pour  que 
laslrologue  et  l'astrologie  lui  parussent  in- 
finiment respectables. 

Un  homme,  que  les  astres  avaient  con- 
damné en  naissant  à  être  tué  par  un  cheval, 
avait  grand  soin  de  s'éloigner  dès  qu'il  aper- 
cevait un  de  ces  animaux.  Or,  un  jour  qu'il 
passait  dans  une  rue,  une  enseigne  lui  tomba 
sur  la  tête,  et  il  mourut  du  coup  :  c'était,  dit 
le  conte ,  l'enseigne  d'un  auberge  où  était 
représenté  un  cheval  noir. 

Mais  il  y  a  d'autres  anecdotes.  Dn  bour- 
geois de  Lyon,  riche  et  crédule,  ayant  fait 
dresser  son  horoscope,  mangea  tout  son  bien 
pendant  le  temps  qu'il  croyait  avoir  à  vivre. 
N'étant  pas  mort  à  l'heure  que  l'astrologue 
lui  avait  assignée,  il  se  vit  obligé  de  demander 
l'aumône,  ce  qu'il  faisait  en  disant  :  —  Ayez 
pitié  d'un  homme  qui  a  vécu  plus  longtemps 
qu'il  ne  croyait. 

Une  dame  pria  un  astrologue  de  deviner 
un  chagrin  qu'elle  avait  dans  l'esprit.  L'as- 
trologue, après  lui  avoir  demandé  l'année, 
le  mois,  le  jour  et  l'heure  de  sa  naissance, 
dressa  la  figure  de  son  horoscope,  et  dit  beau- 
coup de  paroles  qui  signifiaient  peu  de 
chose.  La  dame  lui  donna  une  pièce  de  quinze 
^>ous. 

—  Madame,  dit  alors  l'astrologue,  je  dé- 
couvre encore  dans  votre  horoscope  que 
vous  n'êtes  pas  riche. 

-^  Cela  est  vrai,  répondit-elle. 

—  Madame  ,  poursuivit-il  en  considérant 
de  nouveau  les  flgures  dos  astres,  n'a vez-vous 
rien  perdu? 

—  J'ai  perdu  ,  lui  dit-elle  ,  l'argent  que  je 
viens  de  vous  donner. 

Darah,  l'un  des  quatre  fils  du  grand-mogol 
Schah-Géhan,  ajoutait  beaucoup  de  foi  aux 
prédictions  des  astrologues.  Un  de  ces  doctes 
lui  avait  prédit,  au  péril  de  sa  tête,  (ju'il  por- 
terait la  couronne.  Darah  comptait  la-dessus. 
Comme  on  s'étonnail  que  cet  astrologue  osât 
garantir  sur  sa  vie  un  événement  aussi  in- 
certain :  —  Il  arrivera  de  deux  choses  l'une, 
répondit-il,  ou  Darath  parviendra  au  trône, 
et  ma  fortune  est  faite;  ou  il  sera  vaincu; 
dès  lors  sa  mort  est  certaine,  et  je  ne  redoute 
pas  sa  vengeance. 

Hcggiage,  général  arabe  sa;  s  le  calife  Va- 
lid,  consulta,  dans  sa  dernière  maladie,  un 
astrologue  qui  lui  prédit  une  mort  prochaine. 
—  Je  compte  tellement  sur  votre  habileté, 
lui  répondit  Heggiage,  que  je  veux  vous  avoir 
avec  moi  dans  l'autre  monde,  et  je  vais  vous 
y  envoyer  le  premier,  afin  que  je  puisse  me 
servir  de  vous  dès  mon  arrivée.  El  il  lui  fit 
couper  la  téle,  quoique  le  temps  fixé  par  les 
astres  ne  fût  pas  encore  arrivé. 

L'empereur  Manuel,  qui  avait  aussi  dos 
prétenlions  à  la  science  de  l'astrologie,  mit 
en  mer,  sur  la  foi  des  astres,  une  flotte  qui 
devait  faire  des  merveilles  et  qui  fui  vaincue, 
brûlée  et  coulée  bas. 

Henri  VII ,  roi  d'Angleterre  ,  demandait  à 
un  astrologue  s'il  savait  uû  il  passerait  les 


fêtes  de  Noël.  L'astrologue  répondit  qu'il 
n'en  savait  rien.  — Je  suis  donc  plus  habile 
que  toi,  répondit  le  roi;  car  je  sais  que  lu 
les  passeras  dans  la  Tour  de  Londres.  Il  l'y 
fit  conduire  en  méuie  temps.  Il  est  vrai  quu 
c'était  une  mauvaise  raison. 

Un  astrologue  regardant  au  visage  Jean 
Gaiéas,  duc  de  Milan,  lui  dit  :  —  Seigneur, 
arrangez  vos  affaires ,  car  vous  ne  pouvez 
vivre  longtemps. 

—  Comment  le  sais-lu?  lui  demanda  le 
duc. 

—  Par  la  connaissance  des  astres. 

—  Et  toi,  combien  dois-tu  vivre? 

—  Ma  planèle  me  promet  une  longue  vie. 

—  Oh  bieni  lu  vas  voir  qu'il  ne  faut  pas 
se  fieraux  planètes  ;  et  il  le  fit  pendre  sur-le- 
champ.  Voy.  Louis  XI,  TrasuÙe,  etc. 

ASTRONOMANCIE,  divination  par  les  as- 
tres. C'est  la  même  chose  que  l'astrologie. 

ASTYLE,  devin  fameux  dans  l'histoire  des 
Centaures.  On  trouve  dans  Piutarque  un  au- 
tre devin  nommé  Asiyphile.  Voy.  Gimon. 

ASWITH,  Voy.  Asmond. 

ATHENAGOliE,  philosophe  platonicien, 
qui  embrassa  le  christianisme  au  deuxième 
siècle.  On  peut  lire  son  Traité  de  la  résur- 
rection des  morts,  traduit  du  grec  en  français 
par  Gaussart,  prieur  de  S;iinte-Foy,  Paris, 
1574,  et  par  Dulèrrier,  Bordeaux,  1577,  in-8  . 

ATHENAIS,  sibylle  d'Erythrée.  Elle  pro- 
phétisait du  temps  d'Alexandre.  Voy.  Sibyl- 
les. 

ATHENODORE,  philosophe  stoïcien  du 
siècle  d'Auguste.  On  conte  qu'il  y  avait  à 
Athènes  une  fort  belle  maison  où  personne 
n'osait  demeurer,  à  cause  d'un  spectre  qui 
s'y  montrait  la  nuit.  Aihénodore,  étant  arrivé 
dans  celle  ville,  ne  s'elTraya  point  de  ce 
qu'on  disait  de  la  maison  décriée,  et  l'achela. 
—  La  première  nuit  qu'il  y  passa,  étant  oc- 
cupé à  écrire,  il  entendit  toul  à  coup  un  bruit 
de  chaînes,  et  il  aperçut  un  vieillard  hideux, 
chargé  de  fers,  qui  s'approchait  de  lui  à  pas 
lents.  Il  continua  d'écrire.  Le  spectre  l'appe- 
lant du  di)igt,  lui  fit  signe  de  le  suivre.  Allié- 
nodore  répondit  à  l'esprit,  par  un  autre  signe, 
qu'il  le  priait  d'alkndre  ,  et  continua  sou 
travail;  mais  le  spectre  fit  retentir  ses  chaî- 
nes à  ses  oreilles,  et  l'obséda  tellement,  que 
le  philosophe,  fatigué,  se  détermina  à  voir 
l'aventure.  Il  marcha  avec  le  fantôme,  qui 
disparut  dans  un  coin  de  la  cour.  Aihénodore 
étonné  arracha  une  poignée  de  gazon  pour 
reconnaître  le  lieu,  rentra  dans  sa  chambre, 
et  le  lendemain  il  fil  part  aux  magistrats  de 
ce  qui  lui  était  arrivé.  On  fouillii  dans  l'en- 
droit indiqué;  on  trouva  les  os  d'un  cadarre 
avec  des  chaînes,  on  lui  rendit  les  honneurs 
de  la  sépulture,  et  dès  ce  moment,  ajoute-I- 
on, la  maison  fut  tranquille  (1).  Voy.  Ayola 
et  Abigniitë. 

ATINIUS,  Tile-Live  raconte  que,  le  malin 
d'un  jouroùl'on  représentait  les  grands  jeux, 
un  citoyen  de  Rome  conduisit  un  de  ses  es- 
claves à  travers  le  cirque,  en  le  faisant  battr<.' 
de  verges;  ce  qui  divertit  ce  grand  peuple 
romain.  Les  jeux  commencèrent  à  la  suite 
(t)  PliD.  juD.,  Episl.  lib.  VII,  ep.  27,  ad  Suran. 


TT3  AUB 

(le  celte  parade;  mais  quelques  jours  après 
Jupiter  Capiloliii  apparut  la  nuit,  en  songe,  à 
tin  homme  du  peuple  nommé  Atinius  (1),  et 
lui  ordonna  d'aller  dire  de  sa  part  aux  con- 
suls qu'il  n'avait  i)as  clé  content  de  celui  qui 
menait  la  danse  aux  derniers  joux  ,  et  que 
l'on  recommençât  la  fêle  avec  un  autre  dan- 
seur. —  Le  Romain,  à  son  réveil ,  craignit 
de  se  rendre  ridicule  en  publiant  ce  songe  ; 
et  le  Icndomain  son  fils,  sans  être  malade, 
mourut  subitement.  La  nuit  suivante,  Jupi- 
ter lui  apparut  de  nouveau  et  lui  demanda 
s'il  se  trouvait  bien  d'avoir  méprisé  l'ordre 
des  dieux, ajoutant  que  s'il  n'obéissait,  il  lui 
arriverait  pis.  Alinius,  ne  s'étant  pas  encore 
décidé  à  parler  aux  magistrats ,  fut  frappé 
d'une  paralysie  qui  lui  ôta  l'usage  de  ses 
membres.  Alors  il  se  fit  porter  en  chaise  au 
sénat ,  et  raconta  tout  ce  qui  s'était  passé.  Il 
n'eût  pas  plutôt  fini  son  récit,  qu'il  se  leva, 
rendu  à  la  sanlé.  —  Toutes  ces  circonstances 
parurent  miraculeuses.  —  On  comprit  que  le 
mauvais  danseur  était  l'esclave  battu.  Le 
maître  de  cet  infortuné  fut  recherché  et  puni  ; 
on  ordonna  aussi  de  nouveaux  jeux  qui  fu- 
rent célébrés  avec  plus  de  pompe  que  les  pré- 
cédents. —  An  de  Rome  265. 

ATROPOS,  l'une  des  trois  Parques  ;  c'est 
elle  qui  coup  lit  le  fil.  Hésiode  la  peintcomme 
très-féroce;  on  lui  donne  un  vêtement  noir, 
des  traits  ridés  et  un  maintien  peu  séduisant. 

ATTILA  ,  dit  le  Fléau  de  Dieu  ,  que  saint 
Loup,  évêque  de  Troyes,  empêcha  de  ravager 
la  Champaf^p.  Comme  il  s'avançait  sur  Rome 
pour  la  détruire,  il  eut  une  vision  :  il  vit  en 
songe  un  vieillard  vénérable,  vêtu  d'habits 
sacerdotaux,  qui,  l'épée  nue  au  poing,  le 
menaçait  de  le  tuer  s'il  résistait  aux  prières 
du  saint  pape  Léon.  Le  lendemain,  quand  le 
pape  vint  lui  demander  d'épargner  Rome,  il 
répondit  qu'il  le  ferait,  et  ne  passa  pas  plus 
avant.  Paul  Diacre  dit,  dans  le  livre  xv  de 
son  Histoire  de  Lombardie,  que  ce  vieillard 
merveilleux  n'était  autre ,  selon  l'opinion 
générale,  que  saint  Pierre,  prince  des  apô- 
tres. 

Des  légendaires  ont  écrit  qu'Attila  était  le 
Qls  d'un  démon. 

ATTOUCHEMENT.  Pline  dit  que  Pyrrhus 
guérissait  les  douleurs  de  rate  en  touchant 
les  malades  du  gros  doigt  de  son  pied  droit  ; 
et  l'empereur  Adrien,  en  touchant  les  hydro- 
piques du  bout  de  l'index,  leur  faisait  sortir 
l'eau  du  venlre.  Beaucoup  de  magiciens  et  de 
sorciers  ont  su  produire  également  des  cures 
merveilleuses  par  le  simple  attouchement. 
Voy.  Charmes,  Écrouelles,  etc. 

AUBIGNÉ  (Nathan  d),  en  latin  Albineus, 
fils  du  fameux  huguenot  d'Aubigné.  Il  était 
partisan  de  l'alchimie.  lia  publié,  sous  le 
litre  de  Bibliollièque  chimique  (2),  un  recueil 
de  divers  traités,  recherché  par  ceux  qui 
croient  à  la  pierre  philosophale. 

AUBREY  (Jean),  Alberius ,  savant  anti- 
quaire anglais,  mort  eu  1700.  Il  a  donné,  en 
1696,  un  livre  intitulé  :  Mélanges  sur  les  sujets 

(1)  Pluiarque  le  nomme  lilus  Latinus  dans  la  Vie  de 
Goriolao. 


AL'G 


US 


suivants  :  Fatalité  de  jours,  fatalité  de  Heur, 
présages ,  songes  ,  apparitions  ,  merveilles  et 
prodiges;  réimprimé  en  1721,  avec  des  addi- 
tions. 

AUBRY  (Nicole),  possédée  de  Laon  au 
seizième  siècle.  Boulvèse,  professeur  d'hé- 
breu au  collège  de  Montaigu  ,  homme  qui 
croyait  facilement  et  qui  était  facilement 
dupé ,  a  écrit  l'histoire  de  cette  possession  , 
qui  fit  grand  bruit  en  1506. 

Nicole  Aubry,  de  Vervins,  fille  d'un  bou- 
cher et  mariée  à  un  tailleur,  allait  prier  sur 
le  tombeau  de  son  grand-père ,  mort  sans 
avoir  pu  faire  sa  dernière  confession.  Elle 
crut  le  voir  sortir  du  tombeau,  lui  demandant 
de  faire  dire  des  messes  pour  le  repos  de  son 
âme  ,  qui  était  dans  le  purgatoire.  La  jeune 
femme  en  tomba  malade  de  frayeur. On  s'ima- 
gina alors  que  le  diable  avait  pris  la  forme 
de  Vieilliot,  grand-père  de  Nicole,  et  qu'elle 
était  maléficiée.  Si  cette  femme  jouait  une 
comédie ,  elle  la  joua  bien  ;  car  elle  fit  croire 
à  toute  la  ville  de  Laon  qu'elle  était  possédée 
de  Belzébut,  de  Baltazo  et  de  plusieurs  autres 
démons.  Elle  disait  que  vingt-neuf  diables  , 
ayant  formes  de  chats  et  taille  de  moutons 
gras,  l'assiégeaient  de  temps  en  temps.  Elle 
obtint  qu'on  l'exorcisât  ;  et  on  publia  que  les 
démons  s'étaient  enfuis  ,  Astarolh  sous  la 
figure  d'un  porc  ,  Cerbcrus  sous  celle  d'un 
chien,  Belzébut  sous  celle  d'un  taureau.  Ou 
ne  sait  trop  comment  juger  ces  faits  inconr 
cevables,  si  fréquents  au  seizième  siècle. 

Nicole  Aubry  parvint  à  se  faire  préscnier, 
le  27  août  1566,  au  roi  Charles  IX,  qui  lut 
donna  dix  écus  d'or. 

AUGEROT,  sorcier.  Voy.  Chorropique. 

AUGURES.  Les  augures  étaient  chez  les 
Romains  les  interprètes  des  dieux.  On  les 
consultait  avant  toutes  les  grandes  entrepri- 
ses :  ils  jugeaient  du  succès  par  le  vol ,  le 
chant  et  la  façon  de  manger  des  oiseaux.  On 
ne  pouvait  élire  un  magistrat ,  ni  donner 
une  bataille,  sans  avoir  consulté  l'appétit 
des  poulets  sacrés  ou  les  entrailles  des  vic- 
times. Annibal  pressant  le  roi  Prusias  de 
livrer  bataille  aux  Romains,  celui-ci  s'en 
excusa ,  en  disant  que  les  victimes  s'y  oppo- 
saient. —  C'esl-à-dire,  reprit  Annibal ,  que 
vous  préférez  l'avis  d'un  mouton  à  celui  d'ua 
vieux  général. 

Les  augures  prédisaient  aussi  l'avenir,  par 
le  moyen  du  tonnerre  et  des  éclairs  ,  par  les 
éclipses  et  par  les  présag<s  qu'on  tirait  de 
l'apparition  des  comètes.  Les  savants  n'é- 
taient pas  dupes  de  leurs  cérémonies ,  ei 
Gicéron  disait  qu'il  ne  concevait  pas  que 
deux  augures  pussent  se  regarder  sans  rire . 

Quelques-uns  méprisèrent,  il  est  vrai ,  la 
science  des  augures;  mais  ils  s'en  trouvèrent 
mal,  parce  que  le  peuple  la  respectait.  On 
vint  dire  à  Claudius  Pulcher,  prêt  à  livrer 
bataille  aux  Carthaginois,  que  1rs  poulets 
sacrés  refusaient  de  manger.  —  Qu'on  les 
jette  à  la  mer,  répondit-il ,  s'ils  ne  mangent 
pas,  ils  boiront.  Mais  l'armée  fut  indignée  de 

(2)  Bil)lioltieca  cliimica  coni.racia  ex  delectu  et  einenda- 
lioiie  Nalliaiiis  Albiiiei,  in-8.  Genève,  1031  el  1675. 


!i7 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES 


{(3 


cp  s.icrilége,  cl  Claudius  perdit  la  bataille. 

Les  oiseaux  ne  sont  pas,  chez  nos  bonnes 
gens,  dépourvus  du  don  de  prophélie.  Le  cri 
de  la  chouclle  annonce  la  mort.  Le  chant  du 
rossignol  promet  de  la  joie  ;  le  coucou  donne 
de  l'argent,  quand  on  porte  sur  soi  quelque 
monnaie  le  premier  jour  qu'on  a  le  bonheur 
de  l'entendre,  etc. 

Si  une  corneille  vole  devant  vous,  dit  Car- 
dan, elle  pré -âge  un  malheur  futur;  si  elle 
vole  à  droite  ,  un  malheur  présent  ;  si  elle 
vole  à  gauche,  un  malheur  qu'on  peut  éviter 
par  la  prudence  ;  si  elle  vole  sur  la  tête,  elle 
annonce  la  mort,  pourvu  toutefois  qu'elle 
croasse  :  car,  si  elle  garde  le  silence,  elle  ne 
présage  rien.... 

On  dit  que  la  science  des  augures  passa 
des  Chaldéens  chez  les  Grecs, et  ensuite  chez 
les  Romains.  Elle  est  défendue  aux  Juifs  par 
!e  chapitre  XXIX  du  Lévitique. 

Gaspard  Peucer  dit  que  les  augures  se 
prenaient  de  cinq  choses  :  1°  du  ciel  ;  2°  des 
oiseaux  ;  3°  des  bêtes  à  deux  pieds  ;  4°  des 
bêles  à  quatre  pieds  ;  5°  de  ce  qui  arrive  au 
corps  humain,  soit  dans  la  maison,  soit  hors 
de  la  maison. 

Mais  les  anciens  livres  auguraux,  approu- 
vés par  Maïole  dans  le  deuxième  colloque  du 
supplément  à  ses  Jours  caniculaires,  portent 
les  objels  d'augures  à  douze  chefs  princi- 
piux  ,  selon  le  nombre  des  douze  signes  du 
zodiaque  :  1°  l'entrée  d'un  animal  sauvage  ou 
domestique  dans  une  maison  ;  2°  la  rencontre 
d'un  animal  sur  la  route  ou  dans  la  rue; 
3°  la  chute  du  tonnerre  ;  k°  un  rat  qui  mange 
une  savate  ,  un  renard  qui  étrangle  une 
poule ,  un  loup  qui  emporte  une  brebis,  etc.; 
5°  un  bruit  inconnu  entendu  dans  la  maison, 
et  qu'on  attribuait  à  quelque  lutin  ;  C°  le  cri 
de  la  corneille  ou  du  hibou,  un  oiseau  qui 
tombe  sur  le  chemin ,  etc.  ;  7»  un  chat  ou  tout 
autre  animal  qui  entre  par  un  trou  dans  la 
maison  :  on  le  prenait  pour  un  mauvais  gé- 
nie ;  8°  un  flambeau  qui  s'éteint  tout  seul,  ce 
que  l'on  croyait  une  malice  d'un  démon  ; 
9°  le  feu  qui  pétille.  Les  anciens  pensaient 
que  Vulcain  leur  parlait  alors  dans  le  foyer; 
10"  ils  tiraient  encore  divers  présages  lorsque 
la  flamme  étincelait  d'une  manière  extraor- 
dinaire; 11°  lorsqu'elle  bondissait,  ils  s'ima- 
ginaient que  les  dieux  Lares  s'amusaient  à 
l'agiter;  12°  cnGn,  ils  regardaient  comme  un 
motif  d'augure  une  tristesse  qui  leur  surve- 
nait tout-à-coup. 

Nous  avons  conservé  quelques  traces  de 
CCS  superstitions  ,  qui  ue  sont  pas  sans 
poésie  ?1). 

Les  Grecs  modernes  tirent  des  augures  du 
cri  des  pleureuses  à  gages.  Ils  disent  que  si 
l'on  entend  braire  un  âne  à  jeun,  on  tom- 
bera infailliblement  de  cheval  dans  la  jour- 
née,— pourvu  toutefois  qu'on  aille  à  cheval. 
Voyez  Ornithomancie  ,  Aigle  ,  Corneille  , 
Hibou  ,  Arcspices  ,  etc. 

AUGUSTE.  Leloyer  rapporte  ,  après  quel- 

|1)  Dictionnaire  plillosophiqiie,  au  mot  Augures. 
(2)  Discours  des  sorciors,  ch.  7. 
t3j  In  Auguste,  cap.  90. 


qucs  anciens  ,  que  la  mère  de  l'empereur 
Auguste,  étant  enceinte  de  lui,  eut  un  songe 
où  il  lui  sembla  que  ses  entrailles  étaient 
portées  dans  le  ciel,  ce  qui  présageait  la  fu- 
ture grandeur  de  son  fils.  Ce  nonobstant, 
d'autres  démonographes  disent  qu'Auguste 
était  enfant  du  diable.  —  Les  cabalistes  n'ont 
pas  manqué  de  faire  de  ce  diable  une  Siila- 
mandre. 

Il  y  a  des  merveilles  dans  le  destin  d'Au- 
guste ;  et  Boguet  conte,  avec  d'autres  bons 
hommes  ,  que  cet  empereur,  él;int  sur  le 
point  de  se  faire  proclamer  maître  et  sei- 
gneur de  tout  le  monde,  en  fut  empêché  par 
une  vierge  qu'il  aperçut  en  l'air,  tenant  en  ses 
bras  un  enfiint  (2).... 

Auguste  était  superstitieux  ;  Suétone  rap- 
porte (3)  que ,  comme  on  croyait  de  son 
temps  que  la  peau  d'un  veau  marin  préser- 
vait de  la  foudre,  il  était  toujours  muni  d'une 
peau  de  veau  marin.  Il  eut  encore  la  faiblesse 
de  croire  qu'un  poisson  qui  sortait  hors  de 
la  mer,  sur  le  rivage  d'Actium  ,  lui  présa- 
geait le  gain  d'une  bataille.  Suétone  ajoute 
(ju'ayant  ensuite  rencontré  un  ânier,  il  lui 
demanda  le  nom  de  son  âne  ;  que  l'ànicr  lui 
ayant  répondu  que  son  âne  s'appelait  Nicolas, 
qui  signifie  vainqueur  des  peuples,  il  ne  douta 
plus  de  la  victoire;  et  que,  par  la  suite,  il 
fit  ériger  des  statues  d'airain  à  l'ânier,  à  l'âne 
et  au  poisson  sautant.  Il  dit  même  que  ces 
statues  furent  placées  dans  le  Capitole. 

On  sait  qu'Auguste  fut  proclauié  dieu  de 
son  vivant ,  et  qu'il  eut  des  temples  et  des 
prêtres. 

AUGUSTIN  (saint),  évéque  d'Hippone,  l'un 
des  plus  illustres  Pères  de  l'Eglise.  On  lit 
dans  Jacques  de  Varasc  une  gracieuse  lé- 
gende sur  ce  grand  saint  : 

Un  jour  qu'il  était  plongé  dans  ses  médi- 
tations,  il  vit  passer  devant  lui  un  démon 
qui  portait  un  livre  énorme  sur  ses  épaules. 
Il  l'arrêta  et  lui  demanda  à  voir  ce  que  con- 
tenait ce  livre.  —  C'est  le  registre  de  tous 
les  péchés  des  hommes,  répond  le  démon  ;  je 
les  ramasse  où  je  les  trouve  ,  cl  je  Us  écris  â 
leur  place  pour  savoir  plus  aisément  ce  que 
chacun  me  doit.  —  Montrez-moi  ,  dit  le 
pieux  évéque  d'Hippone ,  quels  péchés  j'ai 
faits  depuis  ma  conversion?....  Le  démon 
ouvrit  le  livre,  et  chercha  l'article  de  saint 
Augustin ,  où  il  ne  trouva  que  celle  petite 
note  :  —  Il  a  oublié  tel  jour  de  dire  les  com- 
piles. Le  prélat  ordonna  au  diable  de  l'at- 
tendre un  moment  ;  il  se  rendit  à  l'église  , 
récita  les  compiles,  et  revint  auprès  du  dé- 
mon ,  à  qui  il  demanda  de  lire  une  seconde 
fois  sa  note.  Elle  se  trouva  effacée.  —  Ah  1 
vous  m'avez  joué,  s'écria  le  diable,....  mais 

on  ne  m'y  reprendra  plus En  disant  ces 

mots,  il  s'en  alla  peu  content  (4). 

Nous  avons  dit  que  saint  Augustin  avait 
réfuté  le  petit  livre  du  Démon  deSocrate,  d'A- 
pulée. On  peut  lire  aussi  de  ce  Père  le  traité 
de  l'Antéchrist  et  divers  chapitres  de  sou  ad- 

(4)  Legpnda  aurea  Jac.  de  Yoragine,  aucia  a  Claudiuo  t 
Rota,  leg.  119. 


«19  AlP 

inirable  ouvrage  de  la  Cité  de  Dieu,  qui  ont 
rapport  au  genre  de  merveilles  dont  nous 
nous  occupons. 

AUMONE.  — Le  peuple  croit  en  Angleterre 
que,  pour  les  voyngeurs  qui  ne  veulent  pas 
s'égarer  dans  leur  route,  c'est  une  grande 
imprudence  de  passer  auprès  d'une  vieille 
femme  sans  lui  donner  l'aumône,  surtout 
quand  elle  regarde  en  face  celui  dont  elle 
sollicite  la  pitié  (1). 

Nous  rapporterons  sur  l'aumône  une  anec- 
dote qui  ne  tient  pourtant  pas  aux  supersti- 
tions. C'est  celle  de  cet  excellent  pèreBri- 
daine,  missionnaire  toujours  pauvre,  parce 
(lu'il  donnait  tout.  Un  jour  il  alla  demander 
0  coucher  au  curé  d'un  village,  qui  n'avait 
qu'un  lit  et  qui  le  lui  fit  partager.  Le  père 
CriJaine  se  leva  au  point  du  jour,  selon  son 
usage,  pour  aller  prier  à  l'église.  En  sortant 
du  presbytère,  il  trouva  un  pauvre  mendiant 
qui  lui  demanda  l'aumône.  —  Hélas  1  mon 
ami,  je  n'ai  plus  rien,  répondit  le  bon  pré- 
Ire,  en  louchant  cependant  son  gousset,  où 
il  fut  Irès-élonné  de  sentir  quelque  chose; 
car  il  n'y  avait  rien  laissé.  11  fouille  vive- 
ment, tire  un  petit  rouleau  de  quatre  écus, 
crie  miracle,  donne  le  rouleau  au  mendiant 
et  court  remercier  Dieu. 

Au  bout  d'un  instant,  le  curé  arrive  :  le 
père  Bridaine,  dans  l'obscurité,  avait  mis  la 
culotte  du  curé  pour  la  sienne.  Les  quatre 
écus  étaient  le  bien,  le  seul  trésor  peut-être 
du  pauvre  bon  curé.  Mais  le  mendiant  avait 
disparu;  il  fallut  bien  qu'il  se  consolât  de  la 
perte  de  sou  argent,  et  le  père  Bridaine  de  la 
perte  de  son  petit  miracle.  —  Une  aventure 
semblable  a  été  attribuée  à  un  curé  de 
Bruxelles  au  dix-septième  siècle. 

AUPETlï  (Pierre),  —  prêtre  sorcier,  du 
village  de  Fossas,  paroisse  de  Paias,  près  la 
ville  de  Chalus,  en  Limousin,  exécuté  à  l'âge 
de  cinquante  ans,  le  25  mai  1398.  —  Il  ne 
voulut  pas  d'abord  répondre  an  juge  civil;  il 
en  fut  référé  au  parlement  de  Bordeaux,  qui 
ordonna  que  le  juge  laïque  connaîtrait  de 
celte  affaire,  sauf  à  s'adjoindre  un  juge  d'é- 
glise. L'évéque  de  Limogîs  envoya  un  mem- 
bre de  l'officialilé  pour  assister,  avec  le  vice- 
sénéihal  et  le  conseiller  dePeyrut,à  l'audi- 
tion du  sorcier.  —  Interrogé  s'il  n'a  pas  été 
au  sabbat  de  Menciras,  s'il  n'y  a  pas  vu 
Antoine  Humons  de  Saint-Laurent,  chargé  de 
fournir  des  chandelles  pour  l'adoration  du 
diable;  si  lui,  Pierre  Aupelit,  n'a  pas  tenu  le 
fusil  pour  les  allumer,  etc.;  il  a  répondu  que 
non,  et  qu'à  l'égard  du  diable,  il  priait  Dieu 
de  le  garder  de  sa  figure  :  ce  qui  signifie,  au 

iugement  de  ])elancre,  qu'il  était  sorcier.  — 
nterrogé  s'il  ne  se  servait  pas  de  graisses, 
et  si,  après  le  sabbat,  il  n'avait  pas  lu  dans 
un  livre  pour  faire  venir  une  troupe  de  co- 
chons qui  criaient  et  lui  répondaient  :  «  Ti- 
»  ran,  îiran,  ramassien,  ramassien,  nous 
»  réclamons  cercles  et  cernes  pour  faire  l'as- 
»  semblée  que  nous  t'avons  promise;  »  il  a 
répondu  qu'il  ne  savait  ce  qu'où  lui  deman- 
dait. —  Interrogé  s'il  ne  sait  pas  embarrer 

(1)  FieUling,  Tom  Joncs,  liv.  XIV,  ch.  2. 


Al'R 


l'iO 


ou  désembarror,  et  se  rendre  invisible  étant 
prisonnier,  il  répond  que  non.  —  Interrogé 
s'il  sait  dire  des  messes  pour  obtenir  la  gué- 
rison  des  malades,  il  répond  qu'il  en  s^l  dire 
en  l'honneur  des  cinq  plaies  de  Notre-Sei- 
gneur  et  de  monsieur  saint  Côme.  —  Pour 
tirer  de  lui  la  vérité,  selon  les  usages  d'alors, 
on  l'appliqua  à  la  question.  11  avoua  qu'il 
était  allé  au  sabbat;  qu'il  lisait  dans  le  gri- 
moire ;  que  le  diable,  en  forme  de  mouton, 
plus  noir  que  blanc,  se  faisait  baiser  le  der- 
rière; que  Gratoulet,  insigne  sorcier,  lui  avait 
appris  le  secret  d'embarrer,  d'étanchor  et 
d'arrêter  le  sang;  que  son  démon  ou  esprit 
familier  s'appelait  Belzébul,  et  qu'il  avait 
reçu  en  cadeau  sou  petit  doigt.  Il  déclara 
qu'il  avait  dit  la  messe  en  l'honneur  de  Bel- 
zébut,  et  qu'il  savait  embarrer  en  invoquant 
le  nom  du  diable  et  en  mettant  un  liard  dans 
une  aiguillette;  il  dit,  de  plus,  que  le  diable 
parlait  en  langage  vulgaire  aux  sorciers,  et 
que,  quand  il  voulait  envoyer  du  mal  à  quel- 
qu'un, il  disait  ces  mots  :  «  Vach,  veçh,  slet, 
sly,  stul  »  Il  persista  jusqu'au  supplice  dans 
ces  ridicules  révélations,  mêlées  d'indécentes 
grossièretés  (2j.  Pour  comprendre  ces  cho- 
ses, voy.  les  articles  Saebat,  Boucs,  etc. 

AURORE  BOREALE,  —  espèce  de  nuée 
rare,  transparente,  luoiiueuse,  qui  parait  la 
nuit  du  côié  du  nord.  On  ne  saurait  croire, 
dit  Siiinl-Foix,  sous  combien  de  formes  l'i- 
gnorance et  la  superstition  des  siècles  pas- 
sés nous  ont  présenté  l'aurore  boréale.  Elle 
produisait  des  visions  différentes  dans  l'es- 
prit des  peuples,  selon  que  ces  aijparitions 
étaient  plus  ou  moins  fréquentes,  c'est-à-dire, 
selon  qu'on  habitait  des  pays  plus  ou  moins 
éloignés  du  pôle.  Elle  fut  d'abord  un  sujet 
d'alarmes  pour  les  peuples  du  nord;  ils  cru- 
rent leurs  campagnes  en  feu  et  l'ennemi  à 
leur  porte.  Mais  ce  phénomène  devenant 
presque  journalier,  ils  s'y  sont  accoutumés. 
Ils  disent  que  ce  sont  des  esprits  qui  se  que- 
rellent et  qui  combattent  dans  les  airs.  Cette 
opinion  est  surtout  très-accréditée  en  Sibérie. 

Les  Groiinlandais,  lorsqu'ils  voient  une  au- 
rore boréale,  s'imaginent  que  ce  sont  les 
âmes  qui  jouent  à  la  boule  dans  le  ciel,  avec 
une  tête  de  baleine.  —  Les  habitants  des  pays 
qui  tiennent  le  milieu  entre  les  terres  arcti- 
ques et  l'extrémité  méridionale  de  l'Europe, 
n'y  voient  que  des  sujets  tristes  ou  uiena- 
çants,  affreux  ou  terribles;  ce  sont  des  ar- 
mées en  feu  qui  se  livrent  de  sanglantes 
batailles,  des  têles  hideuses  séparées  de  leur 
tronc,  des  chars  enflammés,  des  cavaliers  qui 
se  percent  de  leurs  lances.  On  croit  voir  des 
pluies  de  sang  ;  on  entend  le  bruit  de  la  mous- 
qneleric,  le  son  des  trompettes,  présages  fu- 
nestes de  guerre  et  de  calamités  publiques. 

Voilà  ce  que  nos  pères  ont  aussi  vu  et  en- 
tendu dans  les  aurons  boréales.  Faut-il 
s'étonner,  après  cela,  des  frayeurs  alfreuses 
que  leur  causaient  ces  sortes  de  nuées  quand 
elles  paraissaient?— La  6' Aronù/ lie  (/e />0M!sJ/ 
rapporte  qu'eu  1463  on  aperçut  à  Paris  une 


(i)  Delaiicre,  Tableau  do 
anges,  liv.  VI,  dise.  1. 


riiicuiistancc  des  mau\uij 


151 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


isa 


aurore  boréale,  qui  fit  parallrn  toute  la  ville 
en  feu.  Les  soldats  qui  faisaient  le  guet  en 
furent  épouvantés,  et  un  homme  en  devint 
fou.  On  en  porta  la  nouvelle  au  roi,  qui 
monta  à  cheval  et  courut  sur  les  remparts. 
Le  bruit  se  répandit  que  les  ennemis  qui 
étaient  devant  Paris  se  retiraient  et  mettaient 
le  feu  à  la  ville.  Tout  le  monde  se  rassembla 
en  désordre,  et  on  trouva  que  ce  grand  sujet 
de  terreur  n'était  qu'un  phénomène. 

AUSITIF,  —  démon  peu  connu,  qui  est  cité 
dans  la  possession  de  Loudun,  —  en  16i3. 

AUSPICES,  —  augures  qui  devinaient  sur- 
tout par  le  vol  et  le  chant  des  oiseaux.  Yoy. 

AUGDRES,  ArUSPICES,  ctc. 

AUTOMATES.  —  On  croyait  aulrefois  que 
ces  ouvrages  de  l'art  étaient  l'œuvre  du  dé- 
mon. Voy.  Albert  le  Grand,  Bacon,  En- 
chantements, MÉCANIQUE,  etc. 

AUTOPSIE,  —  espèce  d'extase  où  des  fous 
se  croyaient  en  commerce  avec  les  esprits. 

AUTRUCHE.  —  Il  est  bien  vrai  qu'elle 
avale  du  fer,  car  elle  avale  tout  ce  qu'elle 
rencontre;  mais  il  n'est  pas  vrai  qu'elle  le 
digère,  et  l'expérience  a  détruit  cette  opinion 
erronée  (1). 

AUTUN  (Jacques  d').  —  Voy.  Chevanes. 

AVENAR,  —  astrologue  qui  promit  aux 
Juifs,  sur  la  foi  des  planèles,  que  leur  messie 
arriverait  sans  fau(eenl41'i',ou,au  plus  tard, 
en  1464.  «  Il  donnait  pour  ses  garants  Sa- 
turne, Jupiter,  l'Ecrevisse  et  les  Poissons. 
Tous  les  Juifs  tinrent  leurs  fenêtres  ouvertes 
pour  recevoir  l'envoyé  de  Dieu,  qui  n'arriva 
pas,  soit  que  l'Ecrevisse  eût  reculé,  soit  que 
les  Poissons  d'Avenar  ne  fussent  que  des  pois- 
sons d'avril  (2).  » 

AVENIR.  —  C'est  pour  en  pénétrer  les  se- 
crets qu'on  a  inventé  tant  de  moyens  de  dire 
la  bonne  aventure.  Toutes  les  divinations  ont 
principalement  pour  objet  de  connaître  l'a- 
venir. 

AVERNE,  —  marais  consacré  à  Pluton, 
près  de  Bayes.  Il  en  sortait  des  exhalaisons 
si  infectes,  qu'on  croyait  que  c'était  l'entrée 
des  enfers. 

AVERROÈS,  —  médecin  arabe  et  le  plus 
grand  philosophe  de  sa  nation,  né  à  Cordoue 
dans  le  douzième  siècle.  Il  s'acquit  une  si 
belle  réputation  de  justice,  de  vertu  et  de 
sagesse,  que  le  roi  de  Maroc  le  fit  juge  de 
toute  la  Mauritanie.  Il  traduisit  Aristote  en 
arabe,  et  composa  plusieurs  ouvrages  sur  la 
philosophie  et  la  médecine.  Quelques  démo- 
nographes  ont  voulu  le  mettre  au  nombre  des 
magiciens  et  lui  donner  un  démon  familier. 
Malheureusement  Avcrroès  était  un  épicu- 
rien, mahomélan  pour  la  forme,  et  ne  croyait 
pas  à  l'existence  dus  démons  (3).  L'empereur 
de  Maroc,  un  jour,  lui  fit  faire  amende  hono- 
rable à  la  porte  d'une  mosquée,  où  tous  les 
passants  eurent  permission  de  lui  cracher  au 
visage,  pour  avoir  dit  que  la  religion  de  Ma- 
homet était  une  religion  de  pourceaux. 

AVICENNE,   —  célèbre   médecin  arabe, 

(t)  Voyez  Brown,  Des  Erreurs  populaires,  liv.  III, 
ch.  32. 

(2)  M.  Salgues,  Des  Krreurs  et  des  préjugés,  t.  I,  p.  90. 

(3)  Magiam  dsemooiacam  pleno  orc  negarunt  Âverroes 


mort  vers  le  milieu  du  onzième  siècle,  fameux 
par  le  grand  nombre  et  l'étendue  de  ses  ou- 
vrages, et  par  sa  vie  aventureuse.  On  peut 
en  quelque  sorte  le  comparer  à  Agrippa.  Les 
Arabes  croient  qu'il  maîtrisait  les  esprits  et 
qu'il  se  faisait  servir  par  des  génies.  Comme 
il  rechercha  la  pierre  plillosophale,  on  dit 
encore  dans  plusieurs  contrées  de  l'Arabie 
qu'il  n'est  pas  mort;  mais  que,  grâce  à  l'é- 
lixir  de  longue  vie  et  à  l'or  potable,  il  vit 
dans  une  retraite  ignorée  avec  une  grande 
puissance.  —  Il  a  composé  divers  traités 
d'alchimie  recherchés  des  songe-creux.  Son 
traité  de  la  Congélation  de  la  pierre  et  son 
Tractalutus  de  Alchimia  se  trouvent  dans  les 
deux  premiers  volumes  de  l'Ars  aurifera. 
Râle,  1610.  Son  Ars  chimica  a  été  imprimé  à 
Berne,  1572.  On  lui  attribue  encore  deux 
opuscules  hermétiques  insérés  dans  le  Thea- 
trum  chimicum,  et  un  volume  in-8°,  publié  à 
Râle  en  1572,  sous  le  titre  de  la  Porte  des  élé- 
ments. Porta  elementorum.  —  Les  livres  de  se- 
crets merveilleux  s'appuient  souvent  du  nom 
d'Avicenne  pour  les  plus  absurdes  receltes. 

AXINOMANCIE,  divination  par  le  moyen 
d'une  hache  ou  cognée  de  bûcheron.  Fran- 
çois de  Torre-Rlanca,  qui  en  parle  (4),  ne 
nous  dit  pas  comment  les  devins  maniaient 
la  hache.  Nous  ne  ferons  donc  connaître  que 
les  deux  moyens  employés  ouvertement  dans 
l'antiquité  et  pratiqués  encore  dans  certains 
pays  du  Nord. 

1°  Lorsqu'on  veut  découvrir  un  trésor,  il 
faut  se  procurer  une  agate  ronde,  faire  rou- 
gir au  feu  le  fer  de  la  hache,  et  la  poser  de 
manière  que  le  tranchant  soit  bien  perpen- 
diculairement en  l'air.  On  place  la  pierre 
d'agate  sur  le  tranchant.  Si  elle  s'y  tient,  il 
n'y  a  pas  de  trésor;  si  elle  tombe,  elle  roule 
avec  rapidité.  On  la  replace  trois  fois,  et  si 
elle  roule  trois  fois  vers  le  même  lieu,  c'est 
qu'il  y  a  un  trésor  dans  ce  lieu  même;  si  elle 
prend  à  chaque  fois  une  route  différente,  on 
peut  chercher  ailleurs. 

2°  Lorsqu'on  veut  découvrir  des  voleurs, 
on  pose  la  hache  à  terre,  le  fer  en  bas  et  le 
bout  du  manche  perpendiculairement  en 
l'air;  on  danse  en  rond  à  l'entour,  jusqu'à 
ce  que  le  bout  du  manche  s'ébranle  et  que  la 
hache  s'étende  sur  le  sol  :  le  bout  du  manche 
indique  la  direction  qu'il  faut  prendre  pour 
aller  à  la  recherche  des  voleurs.  Quelques- 
uns  disent  que  pour  cela  il  faut  que  le  fer  do 
la  hache  soit  fiché  en  un  pot  rond  :  «  Ce  qui 
est  absurde  tout  à  fait,  comme  dit  Dclan- 
cre  (o)  ;  car  quel  moyen  de  ficher  une  cognée 
dans  un  pot  rond,  non  plus  que  coudre  ou 
rapiécer  ce  pot,  si  la  cognée  l'avait  une  fois 
mis  en  pièces!  » 

AYM.  Voy.  Habortm. 

AYMAR  (Jacques),  paysan  né  à  Saint-Vé- 
ran,  en  Dauphiné,  le  8  septembre  1662,  entre 
minuit  et  une  heure.  De  maçon  qu'il  était,  il 
se  rendit  célèbre  par  l'usage  de  la  baguette 
divinatoire.  Quelques-uns,  qui   donnaient 

et  alii  epicurei,  qui,  una  cum  Saduca;is  dœmones  esse 
negaruot.  (Torrebtauca  ,  Denis  magiques,  liv.  Il,  cb.  v.) 

(i)  Epist.  delicl.  slve  de  magia,  lit).  I,  cap.  24. 

(5)  L'Incréduliti  et  mécréaocc,  etc.,  traité  5. 


IS3 


6AÂ 


DAA 


15i 


dans  l'astrologie,  ont  attribué  son  rare  talent 
à  l'époque  précise  de  sa  naissance;  car  son 
frère,  né  dans  le  môme  mois,  deux  ans  plus 
lard,  ne  pouvait  rien  faire  avec  la  baguette. 
Voy.  Baguette  divinatoire. 

AYMON  (les  quatre  fils).  Siècle  de  Char- 
lemagne.  Ils  avaient  un  cheval  merveilleux. 
Voy.  Bâtard. 

AYOLA  (Vasques  de).  Vers  1570,  un  jeune 
homme  nommé  Vasques  de  Ayola  étant  allé 
à  Bologne,  avec  deux  de  ses  compagnons, 
pour  y  étudier  en  droit,  et  n'ayant  pas  trouvé 
de  logement  dans  la  ville,  ils  habitèrent  une 
grande  et  belle  maison,  abandonnée  parce 
qu'il  y  revenait  un  spectre  qui  épouvantait 
tous  ceux  qui  osaient  y  loger;  mais  ils  se 
moquèrent  de  tous  ces  récits  et  s'y  installè- 
rent. —  Au  bout  d'un  mois,  Ayola  veillant 
un  soir  seul  dans  sa  chambre,  et  ses  compa- 
gnons dormant  tranquillement  dans  leurs 
lits,  il  entendit  de  loin  un  bruit  de  chaînes, 
qui  s'approchait  et  qui  semblait  venir  de 
l'escalier  de  la  maison  ;  il  se  recommanda  à 
Dieu,  prit  un  bouclier,  une  épée,  et,  tenant 
sa  bougie  en  main,  il  attendit  le  spectre,  qui 
bientôt  ouvrit  la  porte  et  parut.  C'était  un 
squelette  qui  n'avait  que  les  os;  il  était,  avec 
cela,  chargé  de  chaînes.  Ayola  lui  demanda 
ce  qu'il  souhaitait?  Le  fantôme,  selon  l'usa- 
ge, lui  fit  signe  de  le  suivre.  En  descendant 
l'escalier,  la  bougie  s'éteignit.  Ayola  eut  le 
courage  d'aller  la  rallumer,  et  marcha  der- 
rière le  spectre,  qui  le  mena  le  long  d'une 
cour  où  il  y  avait  un  puits.  Il  craignit  qu'il 
ne  voulût  l'y  précipiter,  et  s'arrêta.  L'esprit 
lui  fit  signe  de  continuer  à  le  suivre;  ils  en- 
trèrent dans  le  jardin,  où  la  vision  disparut. 
—  Le  jeune  homme  arracha  quelques  poi- 
gnées d'herbe,  pour  reconnaître  l'endroit;  il 
alla  ensuite  raconter  à  ses  compagnons  ce 
qui  lui  était  arrivé,  et  le  lendemain  malin  il 
en  donna  avis  aux  principaux  de  Bologne. 
Ils  vinrent  sur  les  lieux  et  y  firent  fouiller. 
On  trouva  un  corps  décharné,  chargé  de 
chaînes.  On  s'informa  qui  ce  pouvait  être; 
mais  on  ne  put  rien  découvrir  de  certain.  Ou 
fit  faire  au  mort  des  obsèques  convenables; 
on  l'enterra,  et  depuis  ce  temps  la  maison  ne 
fut  plus  inquiétée.  Ce  fait,  rapporté  par  An- 
toine de  Torquemada,  est  encore  une  copie 
des  aventures  d'Alhénodore  et  d'Arignote. 

AYPEROS ,  comte  de  l'empire  infernal. 
C'est  le  même  qu'Ipès.  Voy.  ce  mot. 


AZAEL,  l'un  des  anges  qui  se  révoltèrent 
contre  Dieu.  Les  rabbins  disent  qu'il  est  en- 
chaîné sur  des  pierres  pointues,  dans  un  en- 
droit obscur  du  désert,  en  attendant  le  juge- 
ment dernier. 

AZARIEL,  ange  qui,  selon  les  rabbins  du 
Talmud,  a  la  surintendance  des  eaux  de  la 
terre.  Les  pêcheurs  l'invoquent  pour  pren- 
dre de  gros  poissons. 

AZAZEL,  démon  du  second  ordre,  gardien 
du  bouc.  A  la  fêle  de  l'Expialion,  que  les 
Juifs  célébraient  le  dixième  jour  du  septième 
mois  (1),  on  amenait  au  grand  prêtre  deux 
boucs  qu'il  lirait  au  sort  :  l'un  pour  le  Sei- 
gneur, l'autre  pour  Azazel.  Celui  sur  qui 
tombait  le  sort  du  Seigneur  était  immolé,  et 
son  sang  servait  pour  l'expiation.  Le  grand 
prêtre  mettait  ensuite  ses  deux  mains  sur  la 
tête  de  l'autre,  confessait  ses  péchés  et  ceux 
du  peuple,  en  chargeait  cet  animal,  qui  était 
alors  conduit  dans  le  désert  et  mis  en  liberté  ; 
et  le  peuple,  ayant  laissé  au  bouc  d'Azazel, 
appelé  aussi  le  bouc  émissaire,  le  soin  de  ses 
iniquités,  s'en  retournait  en  silence.  —  Selon 
Milton,  Azazel  est  le  premier  porte-enseigne 
des  armées  infernales.  C'est  aussi  le  nom  du 
démon  dont  se  servait,  pour  ses  prestiges, 
l'hérétique  Marc. 

AZER,  ange  du  feu  élémentaire,  selon  les 
Guèbres.  Azer  est  encore  le  nom  du  père  do 
Zoroastre. 

AZRAEL  ou  AZRAIL,  ange  de  la  mort.  On 
conte  que  cet  ange,  passant  un  jour  sous 
une  forme  visible  auprès  de  Salomon,  re- 
garda fixement  un  homme  assis  à  côté  de 
lui.  Cet  homme  demanda  qui  le  regardait 
ainsi,  et  ayant  appris  de  Salomon  que  c'était 
l'ange  de  la  mort  :  —  Il  semble  m'en  vouloir, 
dit-il;  ordonnez,  je  vous  prie,  au  vent  de 
m'emporter  dans  l'Inde.  —  Ce  qui  fut  fait 
aussitôt.  Alors  l'ange  dit  à  Salomon  :  —  Il 
n'est  pas  étonnant  que  j'aie  considéré  cet 
homme  avec  tant  d'attention  :  j'ai  ordre  d'al- 
ler prendre  son  âme  dans  l'Inde,  et  j'étais 
surpris  de  le  trouver  près  de  toi  en  Pales- 
tine... —  Voy.  Mort,  Ame,  etc.  —  Mahomet 
citait  cette  histoire  pour  prouver  que  nul  ne 
peut  échapper  à  sa  destinée.  —  Azraël  est 
différent  d'Asrafil. 

<l)  Le  septième  mois  chez  les  Juifs  répondait  à  sep- 
tembre. 


B 


BAAL  ,  grand  duc  dont  la  domination  est 
très-étendue  aux  enfers.  Quelques  démono- 
raanes  le  désignent  comme  général  en  chef 
des  armées  infernales.  Il  était  adoré  des 
Qhaldéens,  des  Babyloniens  et  dcsSidoniens; 
il  le  fut  aussi  des  Israélites  lorsqu'ils  tom- 
bèrent dans  l'idolâtrie.  On  lui  offrait  des 
victimes  humaines.  On  voit  dans  Arnobe  que 
ses  adorateurs  ne  lui  donnaient  pointdesexc 


déterminé.  Souvent, on  Asie,  il  a  été  pris  pour 
le  soleil. 

BAALBÉRITH,  démon  du  second  ordre  , 
maître  ou  seigneur  de  Valliance.  11  est  , 
selon  quelques  démonomanes,  secrétaire  gé- 
néral et  conservateurdes  archives  de  l'enfer. 
Les  Phéniciens,  qui  l'adoraient,  le  prenaient 
à  témoin  de  leurs  serments. 

BAALZEPHON  ,  capitaine  des  gardes  ou 


DICÏIONNMUF,  DKS  SCIENCES  OCCULTES. 


i:6 


scnliiicllcs  de  l'enfer.  Les  Egyptiens  l'aiio- 
raient  et  lui  reconnaissaient  le  pouvoir  d'em- 
pêcher leurs  esclaves  de  s'enfuir.  Néanmoins, 
(lisent  les  rabhins,  c'est  pendant  un  sacrifi- 
ce que  Pharaon  faisait  à  cet  idole  que  les 
Hébreux  passèrent  la  mer  Rouge,  et  on  lit 
dans  le  Targum  que  l'ange  exterminateur, 
ayant  brisé  les  statues  de  tous  les  autres  dieux, 
ne  laissa  debout  que  Baaizephon. 

BAAUAS,  plantemerveilleuse,  queles  Ara- 
bes appellent  herbe  d'or,  et  qui  croît  sur  le 
mont  Liban,  lis  disent  qu'elle  paraît  au  mois 
de  mai,  après  la  fonte  des  neiges.  La  nuit, 
elle  jette  de  la  clarté  comme  un  petit  flam- 
beau, mais  elle  est  invisitile  le  jour  ;  et  mê- 
me, ajoutent-ils,  les  feuilles  qu'on  a  enve- 
loppées dans  des  mouchoirs  disparaissent , 
ce  qui  leur  fait  croire  qu'elle  est  ensorcelée, 
d'autant  plus  qu'elle  transmue  les  métaux  en 
or,  qu'elle  rompt  les  charmes  et  les  sortilè- 
ges, etc.  —  Josèphe  ,  qui  admet  beaucoup 
d'autres  contes,  parle  de  celle  plante  dans 
son  histoire  de  la  guerre  des  Juifs  (1).  «  On 
ne  la  saurait  toucher  sans  mourir,  dit-il ,  si 
on  n'a  dans  la  main  de  la  racine  de  la  même 
plante;  mais  on  a  trouvé  un  moyen  de  la 
cueillir  sans  péril  :  on  creuse  la  terre  tout 
alentour,  on  attache  à  la  racine  mise  à  nu 
un  chien  qui,  voulant  suivre  celui  qui  l'a  at- 
taché ,  enlève  la  plante  et  meurt  aussitôt. 
Après  cela,  on  peut  la  manier  sans  danger. 
Les  démons  qui  s'y  logent,  et  qui  sont  les 
âmes  des  méchants,  tuent  ceux  qui  s'en  em- 
parent autrement  que  par  le  moyen  cju'on 
vient  d'indiquer  ;  et,  ce  qui  d'un  autre  côté 
n'est  pas  moins  merveilleux,  ajoute  encore 
Josèphe,  c'est  qu'on  met  en  fuite  les  démons 
des  corps  des  possédés  aussitôt  qu'on  appro- 
che d'eux  la  plante  baaras.  » 

BABAILANAS,  Voy.  Catalonos. 

BAB.\U ,  espèce  d'ogre  ou  de  fantôme  dont 
les  nourrices  menacent  les  petits  enfants 
dans  les  provinces  du  midi  de  la  France  , 
comme  on  les  effraie  à  Paris  de  Croquemi- 
taine,  et  en  Flandre  de  Pier-Jan  Claes,  qui 
est  Polichinelle.  Mais  Babuu  ne  se  contente 
pas  de  fouetter,  il  mange  en  salade  les  enfants 
qui  sont  méchants. 

BABEL.  La  tour  de  Babel  fut  élevée  cent 
quinze  ans  après  le  déluge  universel.  On 
montre  les  ruines  ou  les  traces  de  celte  tour 
auprès  de  Bagdad.  —  On  sait  que  sa  con- 
struction a.'iiena  la  confusion  des  langues.  Le 
poêle  juif  Emmanuel,  à  propos  de  celte  con- 
fusion, explique  dans  un  de  ses  sonnets  com- 
ment le  mot  sac  est  resté  dans  tous  les  idio- 
mes. «  Ceux  qui  travaillaient  à  la  tour  de 
B.ibel  avaient,  dit-il,  comme  nos  manœuvres, 
chacun  un  sac  pour  ses  petites  provisions. 
Quand  le  Seigneur  confondit  leurs  langages, 
la  peur  les  ayant  pris,  chacun  voulut  s'en- 
fuir, et  demanda  son  sac.  Ou  ne  répétait  par- 
tout que  ce  mol  ;  et  c'est  ce  qui  l'a  fuit  pas- 
ser dans  toutes  les  langues  qui  se  formèrent 
alors.  » 

BAGCHDS.  Nous  ne  rapporterons  pas  ici 

(I)  Liv.  VII,  ch.  23.  Elieii ,  de  Animal.,  liv.  XIV, 
ch.  xxvii,  accorde  les  mêmes  vertus  à  la  (ibiiic  aylaoïitio- 
lis.  Vojei  ce  mot. 


les  fables  dont  l'ancienne  mythologie  a  orné 
son  histoire.  Nous  ne  faisons  mention  de  Bac- 
chus  que  parce  queles  démonographes  le 
regardent  comme  l'ancien  chef  du  sabbat, 
fondé  par  Orphée  ;  ils  disent  qu'il  le  prési- 
dait sous  le  nom  de  Sabasius.  «  Bacchus,  dit 
Leloyer,  n'était  qu'un  démon  épouvantable 
et  nuisant,  ayant  cornes  en  tête  et  javelot  en 
main.  C'était  le  maître  guide-danse  (2),  et 
dieu  des  sorciers  et  des  sorcières  ;  c'est  leur 
chevreau,  c'est  leur  bouc  cornu,  c'est  le  prin- 
ce des  bouquins,  satyres  et  silènes.  Il  appa- 
raît toujours  aux  sorciers  et  sorcières,  dans 
leurs  sabbats,  les  cornes  en  tête  ;  et  hors  des 
sabbats ,  bien  qu'il  montre  visage  d'homme, 
les  sorcières  ont  toujours  confessé  iju'il  a  le 
pied  difforme,  tantôt  de  corne  solide  comme 
ceux  du  cheval,  tantôt  fendu  comme  ceux  du 
bœuf  (3).  » 

Les  sorciers  des  temps  modernes  l'appel- 
lent plus  généralement  Léonard,  ou  Satan  , 
ou  le  bouc,  ou  maître  Rigoux. 

Ce  qui  sans  doute  appuie  celte  opinion  , 
que  le  démon  du  sabbat  est  le  même  que 
Bacchus,  c'est  le  souvenir  des  orgies  qui  a- 
vaient  lieu  aux  bacchanales. 

BACIS,  devin  de  Béotie.  Plusieurs  de  ceux 
qui  se  mêlèrent  de  prédire  les  choses  futu- 
res portèrent  le  même  nom  de  Bacis  {'*).  Le- 
loyer dit  que  les  Athéniens  révéraient  les 
vers  prophétiques  de  leurs  bacides,  t  qui  é- 
taienttrois  insignes  sorciers  très-connus  (5).» 

BACON  (rogek)  parut  dans  le  treizième 
siècle.  C'était  un  cordelier  anglais.  11  passa 
pour  magicien  ,  quoiqu'il  ait  écrit  contre 
la  magie,  parce  qu'il  étudiait  la  physique 
et  qu'il  faisait  des  expériences  naturel- 
les. 11  est  vrai  pourtant  qu'il  y  a  dans  ses 
écrits  de  singulières  choses,  et  (ju'il  voulut 
élever  l'astrologie  judiciaire  à  la  dignité  de 
science. Onlui  attribue  l'invention  de  la  pou- 
dre. Il  paraîtrait  même  qu'on  lui  doit  aussi 
les  télescopes  et  les  lunettes  à  longue  vue. 
Il  était  versé  dans  les  boaux-arls,  ei  surpas- 
sait tous  ses  contemporains  par  l'étendue  de 
ses  connaissances  et  par  la  subtilité  de  son 
génie.  Aussi  on  publia  qu'il  devaitsa  supério- 
rité aux   démons,  avec  qui  il  commerçait. 

Cet  homme  savant  croyait  donc  à  l'astrolo- 
gie et  à  la  pierre  philosophale.  Delrio,  qui 
n'en  fail  pas  un  magicien,  lui  reproche  seu- 
lement dessuperstitions.  Par  exemple,  Fran- 
çois Pic  dit  avoir  lu,  dans  son  livre  des  six 
sciences,  qu'un  homme  pourrait  devenir 
prophète  et  prédire  les  choses  futures  par 
le  moyen  d'un  miroir,  que  Bacon  nomme  «/- 
muchefi,  composé  suivant  les  règles  de  per- 
spective, pourvu  qu'il  s'en  serve,  ajoule- 
t-il,  sous  une  bonne  constellation,  et  après 
avoir  tempéré  son  corps  par  l'alchimie. 

Cependant  Wiérus  accuse  Bacon  de  magie 
goétique  ;  et  d'autres  doctes  assurent  que 
l'Antéchrist  se  servira  lie  ses  miroirs  magiiiue» 
pour  faire  des  miracles. 

Bacon  se  fit  ,  dit-on  ,   comme   Albert  le 

(2)  Jllscours  des  spectres,  liv.  Vit,  cli.  iii. 
(5)  Discours  des  spectres,  liv.  VIII,  cli.  v. 
(i)  Cicoro,  De  Divin.,  lib  I,  cap.  xxxiv. 

(3)  Discours  des  spectres,  liv.  VU,  cli.  u. 


iS"? 


BAC 


B.VC 


irîs 


Grand  ,  un  androïde.  C'était,  assurent  les 
conteurs,  une  tête  de  bronze  qui  parlait  dis- 
tinctement ,  et  môme  ([ui  propliétisait.  On 
ajoute  que  ,  l'ayant  consultée  pour  savoir 
s'il  serait  bon  d'entourer  l'Angleterre  d'un 
gros  mur  d'airain,  elle  répondit:  il  est  temps. 

Un  savant  de  nos  jours  (M.  E.  J.  Dciécluze) 
a  publié  sur  Bacon  une  remarquable  notice, 
dont  nous  citerons  quelques  passages  cu- 
rieux. Bacon  s'est  beaucoup  occupé  ,  avant 
Montesquieu,  de  l'influencedos  climats,  mais 
il  en  tire  des  inductions  plus  précises.  Lais- 
sons parler  M.  Delécluze  : 

«  Tout  le  morceau  où  il  est  question  des 
climats,  et  qui  mène  droit  à  faire  une  science 
de  l'astroiogio  judiciaire,  est  on  ne  peut  plus 
ingénieux  et  justifie  jusqu'à  un  certain  point 
le  préjuge  entretenu  si  longtemps  en  Europe, 
eu  faveur  de  ces  idées  étranges.  Ainsi,  par- 
tant des  grandes  divisions  de  la  terre,  qui 
parle  cours  du  soleil  déterminent  les  cli- 
mats dont  personne  ne  conteste  la  réalité  et 
l'influence  f.rise  en  grand,  Bacon  arrive,  de 
proche  en  proche,  à  établir  des  subdivisions 
pour  les  pays,  pour  les  contrées,  les  pro- 
vinces, les  villes  et  même  pour  les  hommes 
pris  un  à  un,  qu'il  place  sous  l'influence 
d'un  cône  plus  ou  moins  étroit ,  dont  le  cer- 
cle supérieur  comprend  ceux  des  astres  qui 
influent  sur  la  naissance  ,  la  nature  et  la 
destinée  des  lieux,  des  objets  et  des  êtres  qui 
se  trouvent  sur   certains  points  du  globe.  » 

Le  savant  moine  est  plus  hardi  encore  sur 
d'autres  croyances,  par  exemple  sur  l'art  de 
prolonger  la  vie.  Sur  la  parole  d'un  homme 
en  qui  il  avait  pleine  confiance,  il  cite  ce  fait 
«  qu'un  savant  célèbre  de  Paris,  après  avoir 
coupé  un  serpent  par  tronçons,  en  ayant  eu 
.•ioin  toutefois  de  conserver  intacte  la  peau 
de  son  ventre,  lâcha  ensuite  l'animal,  qui  se 
mita  ramper  sur  des  herbes  dont  les  vertus 
le  guérirent  aussitôt.  L'expérimentateur , 
ajoute  Bacon,  alla  reconnaîlre  les  lierbes  , 
qui  étaient  d'un  vert  extraordinaire.  D'après 
l'autorité  d'Artephius  ,  il  répète  comment 
un  certain  magicien,  nommé  Tantale,  atta- 
ché à  la  personne  d'un  roi  de  llnde  ,  avait 
trouvé,  par  la  connaissance  qu'il  possédait 
de  la  science  des  astres  ,  le  moyen  de  vivre 
plusieurs  siècles.  Différentes  anectodes  de 
la  même  force,  empruntées  à  Pline  ou  à  quel- 
ques auteurs  modernes,  suivent  celle  de  Tan- 
tale, puis  il  s'étend  longuement  sur  la  thé- 
riaque,  qu'il  regarde  comme  propre  à  pro- 
longer excessivement  la  durée  de  la  vie  ;  il 
vante  la  chair  des  serpens  ailés  comme  un 
spécifique  contre  la  ca'lucilédi;  l'homme,  et 
recommande  surtout  l'hygiène  d'Artephius 
qui,  à  ce  que  l'on  assure,  dit-il,  a  vécu  mille 
vingt-cinq  ans,  ce  qui  doit  faire  préférer  sa 
méthode  à  toute  autre.  Quant  à  Aristote  et  à 
Platon,  ajoute-t-il  encore,  on  ne  doit  pas  s'é- 
tonner de  ce  qu'ils  n'ont  pas  su  prolonger 
leur  vie ,  puisque  ces  philosophes  fameux 
ainsi  quêtant  d'autres  no  connaissaient  pas 
cette  grande  doctrine  médicale,  et  qu'Ari- 
.stole  déclare  même  dans  ses  averlissemenis 
<;u'il  ignore  la  quadrature  du  cercle,  secret 
fort  inférieur  à  celui  d'Artephius.  » 


«  Ce  n'est  pas  ,  du  reste,  le  seul  passage 
où  Bacon  parle  avec  cette  assurance  de  la 
(luadrature  du  cercle  ;  car  à  l'occasion  d'A- 
vicenne  et  d'Averrhoës  ,  il  fait  observer 
que  ce  dernier  «  avoue  qu'il  ignorait  la  qua- 
drature du  cercle  ,  chose,  dit  Bacon,  qui  est 
su.'  complètement  aujourd'hui.»  — ./Vfim  qua- 
dratiiram  circulise  ignorasse  confilelur,  quod 
his  dicbus  sciCur  veraciler. 

«  Pour  donner  une  idée  complète  de  tous 
les  secrets,  vrais  ou  prétendus,  sur  l'appli- 
cation des(|uels  Bacon  voulait  appeler  l'at- 
tention de  ses  contemporains,  je  rapporterai 
quelques  phrases  tirées  d'une  lettre  de  ce 
philosophe  (1),  par  lesquelles  il  indique  dos 
idées  de  machines  extraordinaires,  dont  plu- 
sieurs en  effet  ont  été  mises  en  pratique  de- 
puis lui  et  particulièrement  de  nos  jours. 
Après  s'être  efforcé  de  prouver  que,  par  le 
secours  des  sciences,  on  peut  exécuter  réel- 
lement des  choses  que  la  magie  prétend  pro- 
duire, mais  auxquelles  elle  n'atteint  pas  ef- 
fectivement, il  dit:  —  «  Par  la  science  et  l'art 
»  seulement,  on  peut  faire  des  machines  pour 
»  naviguer  sans  le  secours  de  rameurs,  do 
»  manière  à  ce  que  les  bâtiments  soient  por- 
»  tés  sur  les  fleuves  et  sur  la  mer  avec  une 
»  vélocité  extraordinaire,  et  sous  la  dire- 
»  ction  d'un  seul  homme.  Il  est  également 
»  possible  d'établir  dos  chars  mis  en  mou- 
»  vement  avec  une  promptitude  merveilleu- 
»  se,  sans  le  secours  d'animaux  de  tirage, 
»  semblables  à  ce  que  l'on  croit  qu'étaient 
»  les  chars  de  guerre  armés  de  faux  chez  les 
»  anciens.  Ou  pourrait  faire  aussi  des  mé- 
»  caniques  pour  voler  ;  l'homme  serait  as- 
»  sis  au  milieu  et  développerait  quelqu'in- 
»  vention  au  moyen  de  laquelle  des  ailes  ar- 
»  tificiclles  frapperaient  l'air.  On  p-ut  faire 
»  un  instrument  très-petit,  pour  élever  et 
»  abaisser  des  poids  immenses  (  la  grue,  le 
»  cric  ).  Et  avec  le  secours  d'un  instrument 
»  de  trois  doigts  cubes  et  même  moindre  , 
»  il  serait  facile  à  un  homme  de  s'échapper 
»  en  sélevant  ou  en  descendant  avec  ses 
»  cotnpagnons,  d'un  cachot  ou  d'une  prison. 
»  Ou  pourrait  encore  composer  un  appa- 
)>,reil  avec  lequel  un  seul  homme  entraîne- 
»  rait  violemment  et  malgré  eux  une  foule 
»  immense  d'autres.  Il  est  d'autres  machi- 
»  nos  qui  serviraient  à  se  promener  au  fond 
»  des  fleuves  et  de  la  mer,  sans  aucun  dan- 
»  gcr  pour  la  vie.  Ces  choses  ont  été  faites 
»  anciennement  et  dans  nos  temps.  Ou  peut 
»  encore  en  faire  beaucoup  d'autres,  com- 
»  me  des  ponts  sans  piles  (suspendus)  etc., 
»  etc.  » 

«  L'alchimie,  dit-il  ailleurs,  néglige  les 
moyens  fournis  par  l'expérience  ;  aussi  ar- 
rive-t-il  rarement  qu'elle  donne  de  l'or  à 
vingt-quatre  degrés  (karats).  Encore  y  a- 
t-il  eu  peu  de  personnes  qui  aient  porté  l'al- 
chimie à  ce  point.  Mais  au  moyen  du  secret 
des  secrets  d'.iristote,  la  science  expérimen- 
tale (la  chimie)  a  produit  de  l'or  non-seule- 
ment de  vingt-quatre  degrés,  mais  de  trente, 
de  quarante,  et  d'aussi  fin  que  l'on  veut. 

(1)  Epislola  Frat.  RoRcrii  Baconis  de  secrelis  opi-rflms 
arlis  lit  lutuiie  et  de  iiullilalc  uiaaiae.  Hambourg,  ISJlS. 


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C ICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


IflO 


El  c'est  à  cette  occasion  qu'Aristote  dit  à 
Alexandre:  — Je  veux  le  faire  connaîlre  le 
plus  grand  des  secrets,  car  non-seulement  il 
procurerait  le  bien-être  de  la  république  et 
des  particuliers ,  mais  il  prolongerait  en- 
core la  vie  ;  car  l'opération  qui  purgerait 
les  métaux  les  plus  vils  des  parties  corrom- 
pues qu'ils  contiennent,  do  manière  à  ce 
qu'ils  devinssent  de  l'argent  ou  de  l'or  pur, 
sérail  jugée  susceptible  par  tous  les  savants 
d'enlever  les  parties  corrompues  du  corps 
humain  si  complètement ,  qu'elle  prolonge- 
rait la  vie  humaine  pendant  plusieurs  siè 
clés.  » 

Passons  en  revue  quelques  autres  secrets. 

«  Le  nombre  des  moyens  trouvés  pour  re- 

fiousscr  et  pour  détruire  les  ennemis  de 
'Etat  sans  armes  et  sans  même  les  toucher 
est  grand,  dit  Bacon.  On  pratique  des  opé- 
rations qui  blessent  exclusivement  l'odorat  ; 
non  pas  en  modifiant  la  qualité  de  l'air, 
comme  l'a  fait  Alexandre,  mais  en  l'infec- 
tant. On  possède  aussi  d'autres  moyens  pour 
blesser  et  pervertir  les  autres  sens.  Par  le 
contact  seul  de  certaines  matières  on  com- 
promet, on  peut  même  ôter  la  vie. 

»  La  malche,  espèce  de  bitume  fort  con- 
nue, lancée  bouillante  surdes  hommesarmés, 
les  brûle.  Les  Romains ,  dans  leurs  guer- 
res ,  en  ont  fait  un  fréquent  usage,  comme 
l'atteste  Pline.  L'huile  de  bitume  (oleitm  ci- 
trinum  pelreolum),  que  l'on  tire  de  la  pierre, 
consume  tout  ce  qu'elle  rencontre  lors- 
qu'elle est  préparée  d'après  certaine  recelte, 
et  le  feu  qu'elle  produit  ne  peut  être  éteint, 
même  par  l'eau. 

»  D'autres  opérations  étonnent  et  blessent 
tellement  l'ouïe,  que  si  l'on  en  fait  usage 
avec  adresse  et  pendant  la  nuit,  une  ville  pas 

ftlus  qu'une  armée  n'en  peuvent  supporter 
es  terribles  effets.  Aucun  bruit  de  tonnerre 
ne  peut  être  comparé  à  celui  que  produisent 
ces  préparations. 

»  On  peut  aussi  imprimer  la  terreur  par 
la  vue,  en  produisant  des  éclats  de  lumière 
qui  jettent  le  trouble  dans  toutes  les  âmes. 
Nous  empruntons  cette  expérience  d'un  jeu 
d'enfant  en  usage  dans  presque  tout  le 
monde.  Il  consiste  à  faire  un  instrument 
(cartouche)  de  la  longueur  du  pouce  d'un 
homme,  avec  lequel  on  produit  par  la  vio- 
lence de  ce  que  l'on  nomme  sel  de  pierre  {sal 
pelrœ)  un  bruit  si  horrible ,  bien  que  l'in- 
strument ne  soit  qu'un  petit  morceau  de 
parchemin  ,  que  le  bruit  du  tonnerre  et  l'é- 
clat de  l'aurore  ne  sont  ni  plus  grands,  ni 
plus  brillants  que  ceux  que  cet  instrument 
occasionne  (1). 

»  Il  y  a  aussi  plusieurs  choses  (res)  dont 
le  contact  le  plus  léger  fait  mourir  les  ani- 
maux venimeux  ;  en  ne  formant  même 
qu'un  cercle  avec  ces  choses  ,  les  bêles  ve- 
nimeuses que  l'on  y  renferme  ne  pourront 
en  sortir  et  mourront  sans  en  être  touchées. 
Ces  choses  ,  réduites  en  poudre  ,  deviennent 
un  spécifique  sûr  pour  guérir  tout  homme 

(1)  On  pense  que  Bacon  a  trouvé  la  recelte  de  la  pou- 
dre â  canon  dans  le  iraitii  d'un  cenain  Grec  nommé  Marco, 
Intitulé  le  Livre  det  {eux. 


qui  aurait  élé  blessé  par  un  animal  veni- 
meux ,  fait  que  Bçda  avance  dans  son  hi- 
stoire ecclésiastique  et  que  nous  savons  par 
expérience.  Tout  cela  prouve  qu'il  y  a  une 
foule  de  choses  étrangères  dont  nous  igno- 
rons les  propriétés  ,  faute  d'avoir  recours  à 
l'expérience.  » 

Voici  d'autres  idées  de  Bacon  : 

«  De  tous  les  exemples  que  l'on  pour- 
rait ciler  en  faveur  de  la  supériorité  de  la 
sagesse  sur  la  force  ,  je  choisirai  celui  que 
me  fournil  la  vie  d'Alexandre.  En  quittant  la 
Grèce  pour  aller  conquérir  le  monde,  il  n'a- 
vait que  trente-deux  mille  fantassins  et  qua- 
tre mille  cinq  cents  cavaliers.  Cependant,  dit 
Orosius,  lorsque  l'on  considère  cet  homme 
allant  porter  la  guerre  au  monde  avec  une 
si  petite  armée  ,  on  se  demande  ce  qui  doit 
étonner  le  plus  de  la  hardiesse  de  son  pro- 
jet ou  de  sa  réussite.  Dans  le  premier  enga- 
gement qui  eut  lieu  entre  lui  et  Darius  ,  six 
cent  mille  Perses  tombèrent,  tandis  que  le 
Macédonien  ne  perdit  que  cent  vingt  cava- 
liers el  neuf  fantassins.  A  la  seconde  ba- 
taille, Alexandre  mit  quarante  mille  Perses 
hors  de  combat ,  et  de  son  côté  il  perdit  cent 
trente  piétons  et  cent  cinquante  cavaliers  ; 
mais  le  résultat  fut  qu'il  frappa  facilement 
et  tout  à  coup  le  monde  entier  de  terreur. 
Toutefois  ,  ajoute  Orosius  ,  ce  fut  autant  par 
la  science  que  par  le  courage  que  le  Macé- 
donien devint  victorieux.  Eh  !  comment  au- 
rait-il pu  en  être  autrement  lorsque  nous  li- 
sons dans  la  vie  d'Aristote  que  ce  philoso- 
phe accompagnait  Alexandre  dans  ses  expé- 
ditions guerrières?  Sénèque  tient  le  même 
langage,  et,  selon  ce  dernier,  si  le  Macédo- 
nien remporta  constamment  la  victoire,  c'est 
qu'Aristote  et  Callislhène  étaient  réellement 
les  chefs,  les  conducteurs  de  ces  entreprises 
et  qu'ils  enseignaient  toute  espèce  de  scien- 
ces à  Alexandre. 

»  Mais  Aristote  a  livré  principalement  le 
monde  à  Alexandre  ;  Aristote  qui  connaissait 
toutes  les  voies  de  la  science  dont  il  est  le 
père...  » 

Les  curieux  recherchent,  de  Roger  Bacon, 
le  petit  trailé  intitulé  Spéculum  Alchimiœ , 
traduit  en  français  par  J.  Girard  de  Tour- 
nus,  sous  le  titre  de  Miroir  d'Alchimie,  in-12 
et  in-8°,  Lyon  ,  15o7  ;  Paris,  1612.  Le  même 
a  traduit  l'Admirable  puissance  de  l'art  et  de 
la  nature,  in-8',  Lyon,  1357;  Paris,  1729.  De 
potestate  mirabili  artis  et  nalurœ  (2). 

On  ne  confondra  pas  Roger  Bacon  avec 
François  Bacon  ,  grand  chancelier  d'Angle- 
terre ,  mort  en  1626,  que  Wal pôle  appelle 
«  le  prophète  des  vérités  que  Newton  est 
venu  révéler  aux  hommes.  » 

BACOTI.  Nom  commun  aux  devins  et  aux 
sorciers  de  Tunquin.  On  interroge  surtout  le 
bacoli  pour  savoir  des  nouvelles  des  morts. 
Il  bat  le  tambour,  appelle  le  mort  à  grands 
cris,  se  lait  ensuite  pendant  que  le  défunt 
lui  parle  à  l'oreille  sans  se  laisser  voir,  et 

(2)  Ce  n'est  qu'un  cliapitrc  de  l'ouvrage  inlilulé  :  Epi- 
slola  Fralris  Kogerii  Itaconis  de  secrelis  operihus  arlis  et 
nauine  el  de  nullilalc  inagis.  In-t*.  Paris,  1342:  Uam- 
Iwurg,  1008  Cl  1018,  in-8». 


161 


BAG 


BAG 


46% 


donne  ordinaircmont  de  bonnes  nouvelles, 
parce  qu'on  les  paie  mieux, 

BAD.  Génie  des  vents  et  des  tempêtes  chfz 
les  Persans.  Il  préside  au  vingt-deuxième 
jour  de  la  lune. 

i  BADUCKE.  Plante  dont  on  prétend  que  le 
fruit ,  pris  dans  du  lait,  glace  les  sens.  Les 
magiciens  l'ont  quelquefois  employé  pour 
nouer  l'aiguillette.  Il  sufQt,  dit-on,  d'en  faire 
boire  une  infusion  à  celui  qu'on  veut  lier. 

BAEL.  Démon  cité ,  dans  le  Grand  Gri- 
moire ,  en  tête  des  puissances  infernales. 
C'est  aussi  par  lui  que  Wiérus  commence 
l'inventaire  de  sa  fameuse  Pseudomonarcina 
dœmonum.  Il  appelle  Bael  le  premier  roi  de 
l'enfer  ;  ses  Etats  sont  dans  la  partie  orien- 
tale. Il  se  montre  avec  trois  têtes,  dont 
l'une  a  la  flgure  d'un  crapaud ,  l'autre 
celle  d'un  homme ,  la  troisième  celle  d'un 
chat.  Sa  voix  est  rauque  ;  mais  il  se  b<it 
très-bien.  Il  rend  ceux  qui  l'invoquent  Ans 
et  rusés,  et  leur  apprend  le  moyen  d'être  in- 
visibles au  besoin.  Soixante-six  légions  lui 
obéissent.  —  Est-ce  le  même  que  Baal  ? 

BiETILES.  Pierres  que  les  anciens  consul- 
taient comme  des  oracles  et  qu'ils  croyaient 
animées.  C'étaient  quelquefois  des  espèces 
de  talismans.  Saturne,  pensant  avaler  Jupi- 
ter, dévora  une  de  ces  pierres  emmaillotée.  Il 
y  en  avait  de  petites,  taillées  en  forme  ronde, 
que  l'on  portait  au  cou;  on  les  trouvait  sur 
des  montagnes  où  cites  tombaient  avec  le 
tonnerre. 

Souvent  les  baetiles  étaient  des  statues  ou 
mandragores.  On  en  cite  de  merveilleuses 
qui  rendaient  des  oracles,  et  dont  la  voix 
siffl.iit  comme  celle  des  jeunes  Anglaises.  On 
assure  même  que  quelques  bsetiles  tombèrent 
directement  du  ciel  ;  telle  était  la  pierre 
noire  de  Phrygie  que  Scipion  Nasica  amena 
à  Rome  en  grande  pompe. 

On  révérait  à  Sparte ,  dans  le  temple  de 
Minerve  Chalcidique,  des  bœtiles  de  la  forme 
d'un  casque ,  qui ,  dit-on  ,  s'élevaient  sur 
l'eau  au  son  de  la  trompette,  et  plongeaient 
dès  qu'on  prononçait  le  nom  des  Athéniens. 
Les  prêtres  disaient  ces  pierres  trouvées 
dans  l'Eurotas  (1). 

BAGOÉ.  Devineresse  que  quelques-uns 
croient  être  la  sybille  Erythrée.  C'est,  dit-on, 
la  première  femme  qui  ait  rendu  des  oracles. 
Elle  devinait  en  Toscane,  et  jugeait  surtout 
des  événements  par  le  tonnerre.  Voy.  Bi- 
coïs. 

BAGUE.  Voy.  Anneau. 

BAGUEFTE  DIVINATOIRE.  Rameau  four- 
chu de  coudrier,(]'aulne,de  hêtre  ou  de  pom- 
mier, à  l'aide  duquel  on  découvre  les  métaux, 
les  sources  cachées,  les  trésors,  les  maléfices 
et  les  voleurs. 

Il  y  a  longtemps  qu'une  baguette  est  répu- 
tée nécessaire  à  certains  prodiges.  On  en 
donne  une  aux  fées  et  aux  sorcières  puis- 
santes. Médée,  Circé,  Mercure,  Baccbus,  Zo- 

(1)  Tome  III'  des  Mémoires  de  1  Académie  des  inscrip- 
tions. 

(î)  Disquisil.  magisc,  lib.  HI,  secl.  ult. 

(3)  Dans  ses  Le'.lres  qni  découvrent  rilliislon  des  iiliilo- 
so;ilies  sur  la  baguette  el  qui  délruiseoi  leurs  sysiemes, 


roastrc,  Pythagorc,  les  sorciers  de  Pharaon, 
voulant  singer  la  verge  de  Moïse,  avaient 
une  baguette  ;  Romulus  prophétisait  avec 
un  bâton  augurai.  Les  Alains,  et  d'autres 
peuples  barbares ,  consultaient  leurs  dieux 
en  fichant  une  baguette  en  terre.  Quelques 
devins  de  village  prétendent  encore  deviner 
beaucoup  de  choses  avec  la  baguette.  Mais 
c'est  surtout  à  la  fin  du  dix-septième  siècle 
qu'elle  fit  le  plus  grand  bruit  :  Jacques  Ay- 
mar la  mit  en  vogue  en  1692.  Cependant, 
longtemps  auparavant,  Delrio  (2)  avait  indi- 
qué, parmi  les  pratiques  superstitieuses, 
l'usage  d'une  baguette  de  coudrier  pour  dé- 
couvrir les  voleurs  ;  mais  Jacques  Aymar 
opérait  des  prodiges  si  variés  et  qui  surpri- 
rent tellement,  que  le  Père  Lebrun  (3)  et  le 
savant  Malebrancho  (4)  les  attribuèrent  au 
démon  ,  pendant  que  d'autres  les  baptisaient 
du  nom  de  physique  occulte  ou  d'électrjcité 
souterraine. 

Ce  talent  de  tourner  la  baguette  divina- 
toire n'est  donné  qu'à  quelques  êtres  privi- 
légiés. On  peut  éprouver  si  on  l'a  reçu  de 
la  nature  ;  rien  n'est  plus  facile.  Le  cou- 
drier est  surtout  l'arbre  le  plus  propre.  Il 
ne  s'agit  que  d'en  couper  une  branche  four- 
chue, et  de  tenir  dans  chaque  main  les  deux 
bouts  supérieurs.  En  mettant  le  pied  sur 
l'objet  qu'on  cherche  ou  sur  les  vestiges  qui 
peuvent  indiquer  cet  objet ,  la  baguette 
tourne  d'elle-même  dans  la  main  ,  et  c'est 
un  indice  infaillible. 

Avant  Jacques  Aymar,  on  n'avait  employé 
la  baguette  qu'à  la  recherche  des  métaux 
propres  à  l'alchimie.  A  l'aide  de  la  sienne, 
Aymar  fit  des  merveilles  de  tout  genre. 
Il  découvrait  les  eaux  soiiterraines ,  les 
bornes  déplacées,  les  maléfices  ,  les  voleurs 
et  les  assassins.  Le  bruit  de  ses  talents  s'é- 
tanl  répandu,  il  lut  appelé  à  Lyon  ,  en  1672, 
pour  dévoiler  un  mystère  qui  embarrassait 
la  justice.  Le  5  juillet  de  celle  même  année, 
sur  les  dix  heures  du  soir,  un  marchand  de 
vin  et  sa  femme  avaient  été  égorgés  à  Lyon, 
enterrés  dans  leur  cave,  et  tout  leur  argent 
avait  été  volé.  Cela  s'élait  fait  si  adroitement 
qu'on  ne  soupçonnait  pas  même  les  auteurs 
du  crime.  Un  voisin  fit  venir  Aymar.  Le  lieu- 
tenant criminel  et  le  procureur  du  roi  le  con- 
duisirent dans  la  cave.  Il  parut  très-ému  en 
y  entrant;  son  pouls  s'éleva  comme  dans 
une  grosse  fièvre  ;  sa  baguette  ,  qu'il  tenait 
à  la  main ,  tourna  rapidement  dans  les  deux 
endroits  où  l'on  avait  trouvé  les  cadavres 
du  mari  et  de  la  femme.  Après  quoi ,  guidé 
par  la  baguette  ou  par  un  sentiment  inté- 
rieur,  il  suivit  les  rues  où  les  assassins 
avaient  passé,  entra  dans  la  cour  de  l'arche- 
vêché ,  sortit  de  la  ville  par  le  pont  du 
Rhône,  et  prit  à  main  droite  le  long  de  ce 
fleuve.  —  Il  fut  éclairci  du  nombre  des  as- 
sassins en  arrivant  à  la  maison  d'un  jardi- 
nier, où  il  soutint  opiniâtrement  qu'ils  étaient 

in-12.  Paris,  1693,  et  dans  son  Hisloire  des  pratiques 
superstitieuses.  .... 

(4)  Dans  ses  réponses  au  père  Lel)run.  On  écrivit  une 
multitude  de  brocliures  sur  celle  raalière. 


1(3  DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 

Irois,  qu'ils  avaient  cnlonré  une  tab!e  cl  vide 
une  botileilie  sur  iaquoilc  la  bagueUo  lour- 
nail.  Cos  circonsiancos  furent  confinnéos 
par  l'aveu  de  deux  eiil'aiils  de  neuf  à  dix 
ans,  qui  déclarèrent  qu'en  effet  trois  hom- 
mes de  mauvaise  mine  éiaienl  entrés  à  la 
maison  et  avaient  vidé  la  bouteille  désignée 
par  le  paysan.  On  eoniinua  di^  poursuivre  les 
meurtriers  avec  plus  de  cc)nfianc<'.  La  trace 
de  leuîs  pas,  indiqués  sur  le  sable  par  la 
baguette,  montra  qu'ils  s'étaient  emb;irqués. 
Aymar  les  suivit  par  eau  ,  s'arrétanl  à  tous 
les  endroits  où  les  scélérats  avaient  pris 
terre,  reconnaissant  les  lits  où  ils  avaient 
couché  ,  les  tables  où  ils  s'étaient  assis,  les 
vases  où  ils  avaient  bu. 

Après  avoir  longtemps  étonné  ses  guides, 
il  s'arrêta  enfin  devant  la  prison  de  Beau- 
caire  et  assura  qu'il  y  avait  là  un  des  crimi- 
nels. Parmi  les  prisonniers  qu'on  amena,  un 
bossu  qu'on  venait  d'enfermer  ce  jour  mémo 
pour  un  larcin  commis  à  la  foire  fut  celui  que 
la  baguette  désigna.  On  conduisit  ce  bossu 
dans  tous  les  lieux  qu'Aymar  avait  visités  : 
partout  il  fut  reconnu. 

En  arrivant  à  Bagnols,  il  finit  par  avouer 
que  deux  Provençaux  l'avaient  engagé,  com- 
me leur  valet,  à  tremper  dans  ce  crime;  qu'il 
n'y  avait  pris  aucune  part;  que  ses  deux 
bourgeois  avaient  fait  le  meurlre  et  le  vol,  et 
lui  avaiinl  donné  six  écus  et  demi. 

Ce  qui  sembla  plus  étonnant  encore,  c'est 
que  Jacques  Aymar  ne  pouvait  se  trouver 
auprès  du  bossu  sans  éprouver  de  grands 
maux  de  cœur,  et  qu'il  ne  passait  pas  sur  un 
lieu  où  il  sentait  qu'un  meurtre  avait  été 
commis,  sans  se  sentir  l'envie  de  vomir. 

Comme  les  révélations  du  bossu  confir- 
maient les  découvertes  d'Aymar,  les  uns  ad- 
miraient son  étoile  et  criaient  au  prodige, 
tandis  que  d'autres  publiaient  qu'il  était  sor- 
cier. Cependant  on  ne  put  trouver  les  deux 
assassins,  et  le  bossu  fut  rompu  vif. 

Dès  lors  plusieurs  personnes  furent  douées 
du  talent  de  Jacques  Aymar,  talent  ignoré 
jusqu'à  lui.  Des  femmes  mêmes  firent  tour- 
ner la  baguette.  Elles  avaient  des  convul- 
sions et  des  maujc  de  cœur  en  passant  sur  un 
endroit  où  un  meurtre  avait  été  commis;  ce 
mal  ne  se  dissipait  qu'avec  un  verre  de  vin. 

Aymar  faisait  tant  de  bruit,  qu'on  publia 
bientôt  des  livres  sur  sa  baguette  et  ses  opé- 
rations. M.  de  Vagny,  procureur  du  roi  à 
Grenoble,  fit  imprimer  une  relation  intitulée  : 
Histoire  merveilleuse  d'un  maçon  qui,  conduit 
par  la  baguette  divinatoire,  a  suivi  un  meur- 
trier pendant  quarante-cinq  heures  sur  la 
terre,  et  plus  de  trente  sur  l'eau.  Ce  paysan 
devint  le  sujet  de  tous  les  enircliens.  Des 
philosophes  ne  virent  dans  les  proiiigi'sde  la 
baguette  (lu'un  effet  des  émanations  des  cor- 
puscules,d'autres  les  attribuèrent  à  Satan.  Le 
père  Lebrun  fut  do  ce  nombre,  et  Malebran- 
che  adopta  son  avis. 

Le  fils  du  grand  Condé,  frappé  du  bruit  de 
tant  de  merveilles,  fit  venir  Aymar  à  Paris. 
On  avait  volé  à  mademoiselle  de  Condé  deux 
petits  flambeaux  d'argent.  Aymar  parcourut 
(quelques  rues  de  Paris  en  faisant  tourner  la 


\a 


baguette;  il  s'arrêta  à  la  boutique  d'un  orfèvre, 
qui  nia  le  vol  et  se  trouva  très-offensé  de 
l'accusation.  Mais  le  lendemain  on  remit  à 
l'hôtel  le  prix  des  (lambeaux;  quelques  [ler- 
sonnes  dirent  que  le  paysan  l'avait  envoyé 
pour  se  donner  du  crédit. 

Dans  de  nouvelles  épreuves,  la  baguette 
prit  des  pierres  pour  de  l'argent,  elle  indi- 
qua de  l'argent  où  il  n'y  en  avait  point.  En 
un  mot,  elle  opéra  avec  si  peu  de  succès, 
qu'elle  perdit  son  renom.  Dans  d'autres  ex- 
périences, la  baguette  resta  immobile  quand 
il  lui  fallait  tourner.  Aymar,  un  peu  confon- 
du, avoua  enfin  qu'il  n'était  qu'un  charlatan 
adroit,  que  la  baguette  n'avait  aucun  pou- 
voir, et  qu'il  avait  cherché  à  gagner  de  l'ar- 
gent par  ce  petit  procédé... 

Pendant  ses  premiers  succès,  une  demoi- 
selle de  Grenoble,  à  qui  la  réputation  d'Ay- 
mar avait  persuadé  qu'elle  était  douée  aussi 
du  don  de  tourner  la  baguette,  craignant  que 
ce  don  ne  lui  vînt  de  l'esprit  malin,  alla  con- 
sulter le  père  Lebrun,  qui  lui  conseilla  de 
prier  Dieu  eu  tenant  la  baguette.  La  demoi- 
selle jeûna  et  prit  la  baguette  en  priant.  La 
baguette  ne  tourna  plus;  d'où  l'on  conclut 
que  c'était  le  démon  ou  l'imagination  trou- 
blée qui  l'agitait. 

On  douta  un  peu  de  la  médiation  du  dia- 
ble, dès  que  le  fameux  devin  fut  reconnu 
pour  un  imposteur.  On  lui  joua  surtout  un 
tour  qui  décrédila  considérablement  la  ba- 
guette. Le  procureur  du  roi  au  Châtelel  de 
Paris  fit  conduire  Aymar  dans  une  rue  où 
l'on  avait  assassiné  un  archer  du  guet.  Les 
meurtriers  étaient  arrêtés,  on  connaissait  les 
rues  qu'ils  avaient  suivies,  les  lieux  où  ils 
s'étaient  cachés  :  la  baguette  resta  immobile. 

On  fit  venir  Aymar  dans  la  rue  de  la  Harpe, 
où  l'on  avait  saisi  un  voleur  en  flagrant  dé- 
lit ;  la  perfide  baguette  trahit  encore  toutes 
les  espérances. 

Néanmoins  la  baguette  divinatoire  ne  périt 
point  ;  ceux  qui  prétendirent  la  faire  tourner 
se  multiplièrent  même,  et  ce  talent  vint  jus- 
qu'en Belgique.  Il  y  eut  à  Heigne,  près  do 
Gosselies,  un  jeune  garçon  (jui  découvrit  les 
objets  cachés  ou  perdus  au  moyen  de  la  ba- 
guette de  coudrier.  Cette  baguette,  disait-il, 
ne  pouvait  pas  avoir  plus  de  deux  ans  de 
pousse.  — Un  homme,  voulant  éprouver  l'art 
de  l'enfant  de  Heigne,  cacha  un  écu  au  bord 
d'un  fossé,  le  long  d'un  sentier  qu'on  ne  fré- 
quentait presque  pas.  Il  fit  appeler  le  jeune 
garçon  et  lui  promit  un  escalin,  s'il  pouvait 
retrouver  l'argent  perdu.  Le  garçon  alla 
cueillir  une  branche  de  coudrier,  et  tenant 
dans  ses  deux  mains  les  deux  bouts  de  celle 
baguette,  qui  avait  la  forme  d'un  Y,  après 
avoir  pris  différentes  directions,  il  marcha 
devant  lui  et  s'engagea  dans  le  petit  sentier. 
La  baguette  s'agitait  plus  vivement.  Il  passa 
le  lieu  où  l'écu  était  caché;  la  baguette  cessa 
de  tourner.  L'enfant  revint  donc  sur  ses  pas; 
la  baguette  sembla  reprendre  un  mouvement 
très-vif;  elle  redoubla  vers  l'endroit  qu'on 
cherchait.  Le  devin  se  baissa,  chercha  dans 
l'herbe  cl  trouva  le  petit  écu,  à  l'admiration 
de  tous  les  spcclalcurs. 


icn 


BAG 


BAG 


let 


Sur  l'obsorvalion  que  le  bourgoois  fi(,  pour 
rssayer  la  bagiietio,  qu'il  avait  perdu  encore 
d'autre  argent,  le  jeune  garçon  la  reprit,  mais 
elle  ne  tourna  plus.  —  On  se  crut  ronvaincu 
lie  ta  réalité  du  talent  de  l'enfant.  On  lui  de- 
manda qui  l'avait  instruit.  «  C'est  le  hasard, 
dit-il;  ayant  un  jour  perdu  mon  couteau  en 
gardant  les  troupeaux  de  mon  père,  et  sa- 
chant lout  ce  qu'on  disait  de  la  baguette  de 
coudrier,  j'en  fis  une  qui  tourna,  qui  me  fit 
retrouver  re  <iuc  je  cherchais  et  ensuite  beau- 
coup d'autres  ohjels  perdus.  » 

Celait  très-bien.  Malheureusement  d'au- 
tres épreuves,  examinées  de  plus  près,  ne 
réussirent  pas,  et  on  reconnut  que  la  ba- 
guette divinatoire  était  là  aussi  une  petite 
supercherie.  Mais  on  y  avait  cru  un  siècle  et 
des  savants  avaient  fait  imprimer  cent  volu- 
mes pour  l'expliquer. 

«  Faut-il  rassembler  des  arguments  pour 
prouver  l'impuissance  de  la  baguette  divina- 
toire? ajoute  M.  Salgues  (1).  Que  l'on  dise 
quel  rapport  il  peut  y  avoir  entre  un  voleur, 
une  source  d'eau,  une  pièce  de  métal  et  un 
bâton  de  coudrier.  On  prétend  que  la  ba- 
guette tourne  en  vertu  de  l'attraction.  Mais 
par  quelle  vertu  d'attraction  les  émanations 
qui  s'échappent  d'une  fontaine,  d'une  pièce 
d'argent  ou  du  corps  d'un  meurtrier  tordent- 
elles  une  branche  de  coudrier  qu'un  homme 
robuste  tient  fortement  entre  ses  mains? 
D'ailleurs,  pourquoi  le  même  homme  trou- 
ve-t-il  des  fontaines,  des  métaux,  des  assas- 
sins et  des  voleurs  quand  il  est  dans  son  pays, 
et  ne  trouvc-t-il  plus  rien  quand  il  est  à  Pa- 
ris ?  Tout  cela  n'est  que  charlatanisme.  Et  ce 
qui  détruit  totalement  le  merveilleux  de  la 
baguette,  c'est  que  lout  le  monde,  avec  un 
peu  d'adresse,  peut  la  faire  tourner  à  vo- 
lonté. Il  ne  s'agit  que  de  tenir  les  extrémités 
de  la  fourche  un  peu  écartées,  de  manière  à 
faire  ressort.  C'est  alors  la  force  d'élasticité 
qui  opère  le  prodige.  » 

Cependant  on  croit  encore  à  la  baguette 
divinatoire  dans  le  Dauphiné  et  dans  le  Uai- 
naul;  les  paysans  n'en  négligent  pas  l'usage, 
et  elle  a  trouvé  des  défenseurs  sérieux.  For- 
mey,  dans  V Encyclopédie,  explique  ce  phé- 
nomène parle  magnétisme.  Ritter,  professeur 
de  Munich,  s'autorisait  récemment  des  phé- 
nomènes du  galvanisme  pour  soutenir  les 
merveilles  de  la  baguette  divinatoire;  mais 
il  n'est  pas  mort  sans  abjurer  son  erreur. 

L'abbé  de  La  Garde  écrivit  au  commence- 
ment avec  beaucoup  de  foi  l'histoire  des  pro- 
diges de  Jacques  Aymar;  en  1692  même, 
Pierre  Garnier,  docteur-médecin  de  Mont- 
pellier, voulut  prouver  que  les  opérations  de 
la  baguette  dépendaient  d'une  cause  natu- 
relle (2);  cette  cause  naturelle  n'était,  selon 
lui,  que  les  corpuscules  sortis  du  corps  du 
meurtrier  dans  les  endroits  où  il  avait  lait  le 
meurtre  et  dans  ceux  où  il  avait  passé.  Les 
galeux  vt  les  pestiférés,  ajoute-t-il,  ne  tran- 
spirent pas  comme  les  gens  sains,  puisqu'ils 
sont  contagieux;  de  môme  les  scélérats  la- 
it) Des  Errpiirs  et  dos  préjugés,  elc,  t.  I,  p  IG"). 

(2)  Dans  sa  Disscrlalloti  iilivsiiiue  en  formt>  île  Icllreh 
11.  Je  Sèvrp,  seigneur  de  l'Iiclièrcs,  etc.  Iii-li.  Lyon, 


client  des  émanations  qui  se  reconnaissent, 
et  si  nous  ne  les  sentons  pas  c'est  qu'il  n'(>st 
pas  donné  à  tous  les  chiens  d'avoir  le  ne;! 
lin.  Ce  sont  là,  dil-il,  p.ige  23,  des  axiomes 
incontestables.  «  Or,  res  corpuscules  qui  en- 
trent dans  le  corps  de  l'homnie  muni  de  la 
baguelle  l'agitent  tellement,  qui-  de  ses  mains 
la  matière  subtile  passe  dans  la  baguette  mê- 
me, et,  n'en  pouvant  sortir  assez  prompie- 
ment,  la  fait  tourner  ou  la  brise  :  ce  qui  me. 
paraît  la  chose  du  monde  la  plus  facile  à 
croire...  » 

Le  bon  père  Ménesirier,  dans  ses  Ti:- 
flexions  sur  les  indications  de  la  baguriie, 
Lyon,  1C94',  s'étonne  du  nombre  de  gens  qui 
devinaient  alors  par  ce  moyen  à  la  moile. 
«  A  combien  d'effets,  poursuit-il,  s'étend  au- 
jourd'hui ce  talent  1  11  n'a  point  de  limites. 
On  s'en  sert  pour  juger  de  la  bonté  des  étof- 
fes et  de  la  différence  de  leurs  prix,  pour 
dcmê'er  les  innocents  des  coupables,  pour 
spécifier  le  crime.  Tous  les  jours  celte  vertu 
fait  de  nouvelles  découvertes  inconnues  jus- 
qu'à présent.  » 

11  y  eut  mémo  en  1700,  à  Toulouse,  un 
brave  homme  qui  devinait  avec  la  baguette 
ce  que  faisaient  des  personnes  absentes.  11 
consultait  la  baguette  sur  le  passé,  le  pré- 
sent et  l'avenir;  elle  s'abaissait  pour  ré- 
pondre oui  et  s'élevait  pour  la  négative.  Ofi 
pouvait  faire  sa  demande  de  vive  voix  ou 
mentalement;  «  Ce  qui  serait  bien  prodi- 
gieux, dit  le  père  Lebrun,  si  plusieurs  ré- 
ponses (lisez  la  plupart)  ne  s'étaient  trouvées 
fausses  (3).  » 

Un  fait  qui  n'est  pas  moins  admirable, 
c'est  que  la  baguette  ne  tourne  que  sur  les 
objets  où  l'on  a  intérieurement  l'intention 
de  la  faire  tourner.  Ce  serait  donc  du  ma- 
gnétisme ?  Ainsi  ,  quand  on  cherche  une 
source,  elle  ne  tournera  pas  sur  autre  chose, 
quoiqu'on  passe  sur  des  trésors  enfouis  ou 
sur  des  traces  de  meurtre. 

Pour  découvrir  une  fontaine,  il  faut  mettre 
sur  la  baguette  un  linge  mouillé  :  si  elle 
tourne  alors,  c'est  une  preuve  qu'il  y  a  de 
l'eau  à  l'endroit  qu'elle  indique.  Pour  trou- 
ver les  métaux  souterrains  ,  on  enchâsse 
successivement  à  la  tète  de  la  baguette  di- 
verses pièces  de  métal,  et  c'est  un  principe 
constant  que  la  baguette  indique  la  qualité 
du  métal  caché  sous  terre,  en  touchant  pré- 
cisément ce  même  métal. 

Nous  répétons  qu'on  ne  croit  plus  à  la  ba- 
guette, et  que  cependant  on  s'en  sert  encore 
dans  quelques  provinces.  Il  fallait  autrefois 
qu'elle  fût  de  coudrier  ou  de  quelque  autre 
bois  .spécial  ;  depuis  ,  on  a  employé  (oulo 
sorte  de  bois,  et  même  des  côtes  de  baleine; 
on  n'a  plus  même  exigé  que  la  baguette  fût 
en  fourche.  •''' 

Secret  de  la  baguette  divinatoire  et  moyen 
de  lu  faire  tourner,  tiré  du  Grand  Grimoire, 
pane  87  {k). 

IJès  le  moment  que  le  soleil  paraît  sur  l'ho- 
rizon, vous  prenez  de  la  main  gauche  une 

mi. 

(.■5)  Histoire  des  pr.iliques  superstitieuses,  t.  II,  p.  337. 
(4)  Ce  secret  est  aussi  daus  le  Uragoii  rougo,  p.  85. 


167 


DICTIONNAIRE  DKS  SCIENCES  OCCULTES. 


1G8 


bflgucUe  vierge  de  noisetier  sauvage,  et  la 
coupez  de  la  droilc  en  trois  coups,  en  disant  : 
«  Je  te  rainasse  au  nom  d'Eloïni,  Mulralhon, 
Adonay  et  Sémi|>horas,  afin  que  tu  aies  la 
vertu  de  la  verge  de  Moïse  cl  de  Jacob  pour 
découvrir  tout  ce  que  je  voudrai  savoir.  » 
Et  pour  la  faire  tourner,  il  faut  dire,  la  te- 
nant serrée  dans  ses  mains,  par  les  deux 
bouts  qui  font  la  fourche  :  «  Je  te  com- 
mande, au  nom  d'Eloïm,  Mutrathon,  Adonay 
elSéniiphoras,  de  me  révéler...  »  (on  indique 
ce  qu'on  veut  savoir). 

Mai^  voici  encore  quelque  chose  sur  cette 
matière  qui  n'est  pas  épuisée.  Nous  emprun- 
tons te  qui  suit  au  Quarlerty  Magazine  : 

La  baguette  divinatoire  n'est  plus  em- 
ployée à  la  découverte  des  trésors,  mais  on 
dit  que,  dans  les  mains  de  certaines  per- 
sonnes, elle  peut  indiquer  les  sources  d'eau 
vive.  Il  y  a  cinquante  ans  environ  que  lady 
Newaik  se  trouvait  en  Provence  dans  un 
château  dont  le  propriétaire,  ayant  besoin 
d'une  source  pour  l'usage  de  sa  maison, 
envoya  chercher  un  paysan  qui  promettait 
d'en  faire  jaillir  une  avec  une  branche  de 
coudrier;  lady  Newark  rit  beaucoup  de  l'idée 
de  son  hôte  et  de  l'assurance  du  paysan  ; 
mais,  non  moins  curieuse  qu'incrédule,  elle 
voulut  du  moins  assister  à  l'expérience,  ainsi 
que  d'autres  voyageurs  anglais  tout  aussi 
philosophes  qu'elle.  Le  paysan  ne  se  décon- 
certa pas  des  sourires  moqueurs  de  ces  étran- 
gers; il  se  mit  en  marche  suivi  de  toute  la 
société,  puis  tout  à  coup  s'arrétant,  il  dé- 
clara qu'on  pouvait  creuser  la  terre.  On  le 
fil;  la  source  promise  sortit,  et  elle  coule  en- 
core. Cet  homme  était  un  vrai  paysan,  sans 
éducation  :  il  ne  pouvait  expliquer  quelle 
était  la  vertu  dont  il  était  doué,  ni  celle  du 
talisman  ;  mais  il  assurait  modestement 
n'être  pas  le  seul  à  qui  la  nature  avait  donné 
le  pouvoir  de  s'en  servir.  Les  Anglais  pré^ 
sents  essayèrent  sans  succès.  Quand  vint  le 
tour  de  lady  Newark,  elle  fut  bien  surprise 
de  se  trouver  tout  aussi  sorcière  que  le  pay- 
san provençal.  A  son  retour  en  Angleterre, 
elle  n'osa  faire  usage  de  la  baguelte  divina- 
toire qu'en  secret,  de  peur  d'être  tournée  en 
ridicule.  Mais  en  1803,  lorsque  le  docteur 
Hulton  publia  les  Recherches  d'Ozanam,  où 
ce  prodige  est  traité  d'absurdité  (tom.  IV.  p. 
260),  lady  Ncwark  lui  écrivit  une  lettre  si- 
gnée X.  Y.  Z.,  pour  lui  raconter  les  faits  qui 
étaient  à  sa  connaissance.  Le  docteur  ré- 
pondit, demandant  de  nouveaux  renseigne- 
ments à  son  correspondant  anonyme.  Lady 
Newark  le  satisfit,  et  alors  le  docteur  désira 
être  mis  en  rapport  direct  avec  elle.  Lady 
Newark  alla  le  voir  à  Wooiwich,  el,  sous 
«es  yeux,  elle  découvrit  une  source  d'e;;u 
dans  un  terrain  où  il  faisait  construire  sa 
résidence  d'été.  C'est  ce  même  terrain  que 
le  docteur  Hulton  a  vendu  depuis  au  collège 
de  Woolwik,  avec  un  bénéfice  considérable 
à  cause  de  la  source.  Le  docteur  ne  put  ré- 
sister à  l'évidence  lorsqu'il  vit,  à  l'approche  de 
l'eau,  la  baguette  s'animer  tout  à  coup  pour 
ainsi  dire,  s  agiter,  se  ployer,  et  même  se  bri- 
f er  dans  les  doigts  de  lady  Newaïk.  On  cite 


encore  en  Angleterre  sir  Charles  H.  et  miss 
Fenwik  comme  étant  doués  de  la  môme  f;i- 
culté  que  lady  Newark,  et  à  un  degré  plus 
élevé  encore.  Cette  faculté  inexplicable  est 
tout  à  fait  indépendante  de  la  volition;  elle 
a  une  grande  analogie  avec  celle  qui  dis- 
tingue les  Zuhories  espagnols;  mais  ceux-ci 
ne  se  servent  pas  de  la  baguette  de  cou- 
drier. ( 

Ajoutons  à  tout  ce  qui  précède,  la  sérieuse 
défense  de  Jacques  Aymar,  par  l'auteur  de 
La  Physique  occulte,  ou  traité  de  la  baguette 
divinatoire.  Lahaye  17C2  : 

«  Depuis  que  les  hommes  se  mêlent  de 
philosopher,  on  n'a  point  examiné  une  ma- 
tière plus  curieuse  et  plus  importanle,  que 
celle  qui  est  traitée  ici  ;  et  je  puis  dire  que 
si  l'on  avait  une  fois  expliqué  clairement  la 
cause  du  mouvement  de  la  baguette  divina- 
toire sur  les  sources  d'eau,  sur  les  minières, 
sur  les  trésors  cachés  et  sur  les  Iraccs  des 
criminels  fugitifs,  il  n'y  aurait  plus  rien  de 
*  si  occulte  dans  la  nalure,  qui  ne  fût  bientôt 
développé  et  mis  dans  un  grand  jour. 

»  Car  si  l'on  connaissaitcomment  les  écou- 
lements des  corpuscules  qui  s'exhalent  des 
eaux  souterraines,  des  métaux  et  du  corps 
de  certains  hommes,  s'insinuent  par  la  res- 
piration insensible  dans  les  pores  d'un  autre 
homme,  on  comprendrait  bientôt  pourquoi 
les  maladies  contagieuses  et  populaires  atta- 
quent les  uns  et  épargnent  les  autres  ;  on  dé- 
couvrirait cette  roule  invisible  par  où  coule 
ce  flux  et  reflux  d'humeurs  malignes  qui 
sortent  d'un  corps  par  la  transpiration  et 
que  la  respiration  fait  rentrer  dans  un  autre. 
Et  si  ce  chemin  était  bien  reconnu,  la  méde- 
cine trouverait  ensuite  facilement  le  secret 
de  préserver  ou  de  guérir  les  hommes  de 
tant  de  maladies  dont  la  propagation  se  fait 
par  les  écoulements  des  corpuscules  conta- 
gieux qui  sont  répandus  dans  l'air.  Cela  est, 
ce  me  semble,  de  la  dernière  importance. 

»  Mais  de  quelle  ulililé  ne  serait  point 
l'usage  de  la  baguette  divinatoire  pour  la 
découverte  des  sources  d'eau,  dont  on  ne 
saurait  se  passer  dans  la  vie,  el  pour  la  re- 
cherche des  métaux  les  plus  nobles,  qui  font 
aujourd'hui  tout  le  lien  de  la  société  hu- 
maine. 

»  Certainement  le  grand  éclat  que  l'hi- 
stoire du  paysan  du  Dauphiné  (  Jacques 
Aymar)  a  l'ait  dans  le  monde,  et  l'empresse- 
ment que  chacun  a  marqué  pour  s'en  infor- 
mer, montrent  mieux  que  ce  que  je  pourrais 
dire,  combien  le  public  croit  qu'il  est  impar- 
tant d'expliquer  cette  physique  si  surprcn- 
nante 

»  Je  sais  bien  que  certains  savants  om- 
brageux ne  feront  pas  grand  cas  de  tout  ce 
qu'un  pourrait  dire  de  bon  sur  ce  qui  regarde 
le  mouvement  de  la  baguelte  el  qu'ils  conli- 
nueront  de  la  regarder  comme  la  chose  du 
monde  la  moins  digne  de  leur  attention.  Ils 
en  penseront  ce  qu'il  leur  plaira  ,  mais  je 
puis  leur  citer  d'autres  savants  qui  n'ont  pas 
cru  employer  mal  leur  temps  de  tourner 
leurs  études  de  ce  côté-là.  Nous  voyons  par- 
mi les  mémoires  de  l'académie  royale  des 


ÏC!) 


nAc. 


nsG 


m 


scienros  d'Anglclrrro,  le  dessein  que  celte 
illustre  société  a  pris  de  s'informer  de  tout 
ce  qui  concerne  la  baguette  divinatoire  pour 
la  recherche  des  minières.  En  effet,  parmi 
cent  articles  que  M.  Boylo  a  dressés  sur  le 
chapitre  des  minières,  le  x.vni«  représente  le 
plan  sur  quoi  il  souhaitait  qu'on  se  réglât 
pour  faire  des  recherches  sur  la  baguette. 
Le  voici  :  Utrum  virgula  divinaloria  adhibea- 
tiir  ad  investigntionctn  vcnarum  proposilarum 
fodinarum  :  et  si  sic,  quo  id  fiât,  sitccessu? 
art.  18.  C'est  ainsi  qu'il  est  rapporté  dans 
les  Actes  philosophiques  de  la  société  royale 
dos  sciences  d'Angleterre,  du  mois  de  No- 
vembre t6C6,  pag.  344. 

»  Il  y  a  donc  des  gens  qai  n'ont  pas  si 
fort  méprisé  la  chose.  Plus  sincères  que  ces 
savants  dont  je  viens  de  parler,  ils  confessent 
que  les  phénomènes  de  la  baguette  divina- 
toire sont  merveilleux,  et  qu'ils  méritent 
bien  l'attention  des  hommes  les  plus  sages. 
Mais  parmi  ceux-là,  quelques-uns ,  se  lais- 
sant prévenir  par  des  terreurs  paniques,  s'i-' 
maginent  que  la  baguette  n'a  point  d'autre 
mouvement  que  celui  que  le  démon  lui  im- 
prime. Ils  ne  peuvent  pas  croire  qu'il  so 
puisse  faire  quelque  chose  dans  la  nature 
au  delà  de  leur  connaissance.  Tout  ce  qu'ils 
no  comprennent  pas  ne  peut  être  naturel. 

»  C'est  de  là  que  le  monde  s'est  rem- 
pli de  tant  de  fables  grossières  cl  ridicules 
louchant  les  sorciers.  Ceux  qui  savaient  un 
peu  de  grec  et  d'hébreu  ,  il  y  a  quelques 
centaines  d'années,  passaient  pour  des  ma- 
giciens. Il  est  arrivé  plusieurs  fois  à  des 
ignorants  de  prendre  des  figures  de  mathé- 
matiques pour  des  caractères  magiques.  Jean 
Shiphower,  de  l'ordre  des  ermites  de  saint 
Augustin,  du  couvent  d'Ofenburg,  dans  le 
comté  d'Edimbourg,  parlant  de  l'imprimerie 
vers  l'an  1440,  dit  que,  dans  ces  premiers 
commencements,  les  superstilieuxel  les  igno- 
rants la  faisaient  passer  pour  un  art  où  il  y 
pouvait  avoir  de  la  magie  la  plus  criminelle, 
il  n'y  a  point  de  bateleurs  dont  les  subtilités 
ne  passent  pour  des  sorcelleries  auprès  de 
bi-aucoup  de  monde.  C'est  encore  par  le 
même  esprit  que  nous  voyons  aujourd'hui 
accuser  de  magie  les  opérations  de  la  ba- 
guclle,  parcequela  cause  n'en  est  pas  connue. 

»  Van-Helmonl  a  fort  bien  remarqué  qu'on 
ne  saurait  trop  déplorer  le  mal  que  ces  pré- 
jugés font  dans  les  sciences,  et  surtout  dans 
la  physique.  Y  a-t-il  rien,  dit-il,  de  plus  sur- 
prenant et  de  plus  déplorable,  que  de  voir 
les  arts  vils  et  mécaniques  se  perfectionner 
tous  les  jours,  pendant  que  la  physiiiue  de- 
meure toujours  quasi  dans  le  même  état  ? 
Rien  ne  retarde  tant  le  progrès  de  la  science 
naturelle,  qtse  les  criaillerieset  les  censures 
injustes  des  ignorants,  parce  qu'elles  épou- 
vantent, arrêtent  et  font  môme  recu!er  ceux 
que  quelque  ouverture  d'esprit  et  une  lon- 
gue étude  auraient  mis  en  état  de  contribuer 
à  pcrfeclioniner  la  physique. 

»  Je  déclare  que  je  n'ai  point  été  retenu 
par  cet  épouvantail,  car  enfin  nous  sommes 
dans  un  siècle  éclairé,  de  qui  on  doit  atlen- 
drc  [)!us  de  justice  que  de  ceux  sur  lesquels 

DiCTIONXAÏRK   DES    SCIIÎXCES    OCCUI.TKS. 


l'ignorance  et  la  barbarie  avaient  répandu 
de  si  épaisses  ténèbres.  J'ai  eu  en  vue  surtout 
de  montrer  qu'outre  les  utilités  qu'on  peut 
tirer  de  la  baguette,  ces  nouveaux  phéno- 
mènes peuvent  apporter  beaucoup  de  lu- 
mières à  la  physique  et  à  la  médecine.  Le 
public  jugera  si  mes  efforts  doivent  être 
comptes  pour  quelque  chose. 

»  Cette  matière,  assez  obscure  d'elle-même, 
est  égayée  par  des  expériences  curieuses, 
tout  à  fait  propres  pour  accoutumer  l'esprit 
à  croire  que  la  nature  en)pioie  des  agents 
invisibles  quand  elle  opère  ses  plus  grandes 
merveilles.  C'est  ce  que  j'appellela  Physique 
occulte,  pour  la  disiinguer  de  ce  que  la  na- 
ture fait  à  découvert,  et  par  des  causes  sen- 
sibles. 

»  J'ai  cru  que  pour  expliquer  la  physique 
occulte  de  la  baguette  divinatoire,  je  devais 
préférer  la  [ihilosophle  des  corpuscules  à 
toutes  les  auties,  non -seulement  parce 
qu'elle  csl  la  seule  qui  puisse  servir  utile- 
ment à  développer  les  secrets  de  la  nature, 
mais  parce  qu'elle  est  encore  plus  ancienne 
que  toutes  celles  dont  la  connaissance  est 
venue  jusqu'à  nous.  Car  avant  Leucippc, 
maître  de  Démocrile,  le  premier,  selon  Mi- 
nucius  Félix,  qui  ait  employé  les  atomes 
dans  la  philosophie,  un  certain  Moschus  , 
originaire  de  Phénicie,  expliquait  les  phéno- 
mènes de  la  nature  par  les  corpuscules, 
c'est-à-dire  par  les  particules,  ou  petites 
parties  insensibles  de  la  matière.  Strabon, 
qui  rapporte  cela,  ajoute  que  Moschus  vivait 
avant  la  guerre  de  Troie,  et  par  conséquent 
plusieurs  siècles  avant  qu'aucun  des  philo- 
sophes grecs  parût  dans  le  monde. 

»  Voilà  l'ancienne  origine  de  la  philoso- 
phie des  corpuscules  ;  et.  puisqu'elle  est  phé- 
nicienne, on  a  tout  sujet  de  croire  que  c'a 
été  celle  des  Hébreux,  d'où  elle  a  passé  chez 
les  Grecs. 

»  Personne,  dans  ces  derniers  temps,  n'a 
si  bien  cultivé  la  philosophie  que  M.  Boyle, 
comme  on  le  peut  voir  par  tant  de  beaux  en- 
droits de  ses  observations  que  j'ai  rapportés 
dans  ce  traité.  Et  si  le  P.  Lana,  jésuite,  n'é- 
tait pas  mort  sitôt,  il  l'aurait  encore  portée 
beaucoup  plus  loin,  comme  il  est  aisé  de  le 
juger  par  son  grand  el  excellent  ouVrage,  in- 
titulé :  Magisteriam  artis  et  niiturai,(iii  l'on 
peut  remarquer  que  cet  homme  si  laborieux 
philosophait,  comme  on  dit,  les  expériences 
à  la  main,  sans  quoi,  en  matière  de  physi- 
que, on  ne  sait  pas  où  conduisent  les  raison- 
nements ;  comme  on  ne  sait  pas  si  l'on  ne  s'é- 
gare point  qu.ind  on  marche  sans  guide  dans 
un  pays  inconnu.  Un  physicien,  disait  le  P. 
Kirker,  jésuite,  qui  philosophe  sans  faire  des 
expériences,  est  comme  un  aveugle  qui  au- 
rait la  folie  de  vouloir  disputer  des  couleurs  : 
Jn  physicis  rébus  sine  expérimenta  philoso- 
phari,  idem  est  ne  si  cœcus  de  colore  judicium 
ferre  insipientius  prœsumeret.  Mund.  sabler, 
l.  X,  3,/).  188. 

»  11  semble  qu'il  m'aurait  toujours  manqué 
quelque  chose,  si  je  n'avais  raisonné  quo 
sur  des  relations  dont  tout  le  monde  ne  s'ac- 
commode p  is.  Enfin  cet  homme,  si  fameux 
I.  G 


<71 


DiCTIO.NNAlUK  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


ri 


(Jacques  Aymar)  est  venu  à  Paris  lo  21  de 
janvier  1693,  par  l'ordre  d'un  grand  prince. 
Je  l'ai  vu  deux  heures  par  jour,  presque  un 
mois  <turanl;  cl  on  peut  croire  que,  dans 
lout  ce  lemps-là,  jo  l'ai  tourné  et  retourné 
roinme  je  devais.  I!  est  certain  que  la  ba- 
{•uptte  divinatoire  lui  tourne  entre  les  mains 
sur  les  traces  des  voleurs  et  des  meurtriers 
rii<Titil's.  Il  n'en  sait  pas  la  raison,  et  s'il  en 
cDiinaissait  la  cause  physique,  et  qu'il  eût 
assez  d'étendue  d'esprit  pour  raisonner  là- 
ilessus,  je  puis  assurer  que  quand  il  cntre- 
hrendrail  une  expérience,  il  n'y  manquerait 
j.'itnais.  Mais  un  paysan,  qui  ne  sait  ni  lire 
ni  écrire  saura  bien  moins   ce  que    c'est 
•<|u'fl(mospftè/c,  volume,  écoulements  de  cor- 
piisc.iles  répandus  dans  l'air.  Il  ignore  encore 
j)lus   comment  ces  corpuscules  peuvent  se 
déranger  el  cesser  de   produire  le  mouve- 
4i;i'nl  cl  rinclinaisi>n  de  la  baguette.  Il  n'est 
p.'is  capable  non  plus  de  reconnaître  coinbion 
il  lui  importe,  pour  réussir,  de  savoir  s'il  est 
lui-incmc   dans  un  état  tel  qu'il  faut  pour 
être  sensible  aux  impressions  des  corpuscu- 
les qui  s'exhalent  des  corps  sur  lesquels  la 
baguette  s'incline;  car  il   ne   faut  presque 
rien  pour  déranger  l'ordre  des  causes  nalu- 
Tclles  et  pour  faire  manquer  une  expérience. 
IVI.  Boyle  a  fait  un  traité  entier  sur  cette  nia- 
lière.  On  y  peut  apprendre  comme  une  seule 
■tirtoostance  de  plus  ou  de  moius  empêche 
l'action  ordinaire  de  la  nature. 

»  Ainsi,  quoique  Jacques  Aymar  soit  un 
homme  simple  et  de  bonnes  mœurs,  il  lui 
peut  arriver  d'entreprendre  ce  qu'il  n'exé- 
cutera pas  toujours  bien,  par  la  raison  qu'il 
ne  sait  pas  qu'il  doit  être  dans  une  cer- 
taine disposition  présente  de  sensibilité,  afin 
<]ue  les  corpuscules  répandus  dans  l'air  puis- 
sent lui  causer  quelque  sensation;  et  que 
cette  disposition  si  rare  peut  être  facilement 
renversée  par  un  mouvement  de  crainte 
ou  par  d'autres  émotions  subites  el  véhé- 
4uentes. 

»  Quoiqu'il  ne  puisse  pas  démêler  tout 
cela,  cependant  il  reconnaît  qu'il  se  peut 
bien  tromper,  et  qu'il  ne  sait  pas  précisé- 
ment, toutes  les  fois  que  sa  baguette  tourne, 
si  c'est  sur  de  l'eau,  sur  du  métal,  ou  sur 
uu  cadavre,  parce  qu'elle  se  meut  sur  tout 
ce  qui  transpire  beaucoup.  S'il  assure  que 
c'est  un  meurtrier  qu'il  suit,  c'est  qu'il  re- 
connaît que  la  sensation  qu'il  a  prise  au  lieu 
(le  l'assassinat,  est  la  même  qui  dure  le  long 
du  chemin,  et  dont  il  est  toujours  également 
agité.  Voilà  son  Critérium. 

•  Si  Jacques  Aymar  se  hasarde  donc  à 
des  essais  qui  ne  lui  réussissent  pas,  on  ne 
s'en  étonnera  point,  pour  peu  qu'on  se  soit 
formé  une  juste  idée  de  la  conduite  de  la  na- 
ture, et  qu'on  ait  étudié  la  physique  par  les 
ei.périences.  Car  on  saura  que  le  mécanisme 
de  la  nature  demande  une  proportion  si 
exacte  dans  l'arrangement,  dans  la  force  et 
dans  le  mouvement  des  causes,  que  le  moin- 
dre obstacle  en  renverse  les  effets.  Les  meil- 
leurs chiens  de  chasse  ne  tombent-ils  pas 
quelquefois  en  défaut?  Pourquoi  donc  veut- 
Il)  Voyci  Verge. 


on  qu'Aymar  soit  toujours  cgalemeul  sensi- 
ble aux  impressions  de  l'air?  Mais,  afin  de 
redifier  les  idées  de  ces  gens  qui  voudraient 
qu'il  réussît  toujours,  il  n'y  a  qu'à  les  ren- 
voyer à  Vinclinaison  de  la  verge  do  fer  ai- 
m.mlée.  Ils  verront  que  la  mélhode  dont  on 
se  sert  pour  trouver  cette  inclinaison  de- 
mande une  exactitude  si  scrupuleuse,  que, 
d'ordinaire,  de  vingt  expériences  il  ne  s'en 
rencontrera  [las  quatre  qui  SDienl  enlière- 
iiicnt  semblables.  Ainsi  le  bon  sens  veut  que 
les  essais  qui  ne  réussissent  pas,  i.e  fassfiit 
point  de  préjugé  contre  les  expériences  con- 
stantes. 

»  Je  ne  nie  pourlant  pas  qu'il  n'y  ait  des 
fourbes  qui  en  donnent  à  croire,  et  qui 
poussent  l'usage  de  la  baguette  à  trop  de 
choses,  comme  il  arrive  aux  charlatans  qui 
ayant  erfictivement  un  bon  remède  parlicu- 
lier,  le  rendent  eux-mêmes  méprisable,  en 
voulant  le  faire  passer  pour  universel. 

M  lit  j'ajoute  à  cela  qu'on  découvrira  des 
gens  qui,  ayant  une  sensibilité  plus  vive  et 
plus  délicate,  auraient  encore  plus  abon- 
damment que  lui  la  faculté  de  trouver  les 
sources,  les  minières,  les  trésors  cachés,  les 
voleurs  et  les  meurtriers  fugitifs.  On  nous 
mande  déjà  de  Lyon  qu'il  y  a  un  garçon  de 
dix-huit  ans.  qui,  là-dessus,  surpasse  de 
beaucoup  Jacques  Aymar;  et  chacun  peut 
voir  à  Paris,  chez  M.  Geolîroi,  ancien  écho- 
vin  de  cette  ville,  un  jeune  homme  qui  trouve 
l'or  caché  en  terre  par  une  violente  émolioii 
qu'il  ressent,  du  moment  qu'il  marche  des- 
sus  » 

BAGUETTE  MAGIQUE.  On  voit ,  comme 
nous  l'avons  dit,  que  louies  les  fées  ou  sor- 
cières ont  une  baguede  magique  avec  la- 
quelle elles  opèrent.  Boguet  rapporte  (I)  que 
Françoise  Sicrétain  et  Thévenne  Paget  fai- 
saient mourir  les  bestiaux  en  les  touchant  de 
leur  baguette;  el  Cardan  cite  une  sorcière 
de  Paris,  qui  tua  un  enfant  en  le  frappant 
doucement  sur  le  dos  avec  sa  baguette  ma- 
gique. 

C'est  aussi  avec  leur  baguette  que  les  sor- 
ciers Iracent  les  cercles,  fout  les  conjura- 
lions  et  opèrent  de  toutes  les  manières.  Celle 
baguette  doit  être  de  coudrier,  de  la  pousse 
de  l'année.  Il  faut  la  couper  le  premier  mer- 
credi de  la  lune,  entre  onze  heures  el  mi- 
nuit, en  prononçant  certaines  p.iroles  {-2). 
Le  couteau  doit  élie  neuf  et  retiré  en  haut 
quand  oncoupe.On  bénit  ensuite  la  baguette, 
disent  les  formulaires  supersiilieux  ;  on  écrit 
au  gros  bout  le  mol  Agla  f,  au  milieu  O/if; 
et  Tetragammaton  f  au  petit  bout,  el  l'on 
dit  :  Conjuro  le  cilo  mtlii  oOedire,  elc, 

BAHAMAN,  génie  ijui,  suivant  les  Perses, 
apaise  la  colère,  et,  en  conséquence,  gou- 
verne les  b(cufs,  les  moutons  et  tous  les 
animaux  susceptibles  d'être  apprivoisés. 

BAH1R  ,  litre  du  plus  ancien  livre  des 
rabbins,  où,  suivant  Buxlorf,  sonl  traité» 
lis  profonds  mystères  de  la  haute  cabale  des 
Juifs. 

BAIAN.  Wiérus  et  vingt  autres  démnno- 
gra|)hes  comptent  que  Baïan  ou   Bajan,  fils 

(■2)  Discours  des  sorciers,  ch.  xxx. 


\ 


173  BAL 

de  Siméon,  roi  des  Bulgares,  iiUiil  si  grand 
magicien,  qu'il  se  transformait  on  loup, 
quand  il  voulait,  pour  épouvanter  son  peu- 
ple, cl  qu'il  pouvait  prendre  toute  autre  fi- 
gure de  bétc  Icroce,  et  même  se  rendre  invi- 
sible ;  ce  qui  n'est  pas  possible  sans  l'aide  de 
puissants  démons,  comme  ditNinauld  dans  sa 
J.ycdnthropie. 

lîAIKR  (Jean-Guillaume),  professeur  de 
théologie  à  Allorf,  mort  en  1729.  Il  a  laissé 
une  thèse  intitulée  :  Dissertation  sur  Behe- 
iiiulh  el  Lc'vialhati,  l'élcplumt  et  la  baleine, 
d'après  le  livre  de  Job,  cliap.  40  et  41,  avec  la 
réponse  de  Stieber  (1).  Baïer  ne  voyait  que 
druK  animaux,  monstrueux  daus  Behcmoth 
et  Lévialhan. 

BAILLEMENT.  Les  femmes  espagnoles, 
lorsqu'elles  bâillent,  ne  manquent  pas  de  so 
signer  quatre  fois  la  bouche  avec  le  pouce, 
de  peur  que  le  diable  n'y  entre.  Cette  su- 
perstition remonte  à  des  temps  reculés,  et 
chez  beaucoup  de  peuples,  on  a  regardé  le 
bâillement  comme  une  crise  périlleuse. 

BAILLY  (Pierre),  médecin,  auteur  d'un 
livre  publié  à  Paris  en  1634,  in-8°,  sous  le 
titre  de  Songes  de  Phestion,  paradoxes  phy- 
siologiques, suivis  d'un  dialogue  sur  l'immor- 
laliié  de  l'âme. 

BALAAM  ,  sorte  de  magicien  madianitc  , 
qui  florissait  vers  l'an  du  monde  2515.  Lors- 
que les  Israélites  errants  daus  le  désert  se 
disposaient  à  passer  le  Jourdain  ,  Balac,  roi 
de  Moab,  qui  les  redoutait,  chargea  Balaani 
de  les  maudire.  Mais  le  magicien,  ayant  con- 
sulté le  Seigneur,  qu'il  connaissait,  quoi- 
qu'il servît  d'autres  dieux  ,  et  que  surtout  il 
redoutait,  reçut  une  défense  précise  de  céder 
à  cette  invitation.  Cependant,  les  magnifiques 
présents  du  Uoi  l'ayant  séduit,  il  se  rendit  à 
son  camp.  On  sait  que  l'ange  du  Seigneur 
arrêta  son  ânesse  ,  qui  lui  parla.  Balaam  , 
après  s'être  irrité  contre  la  béte  ,  aperçut 
l'ange  ,  se  prosterna  ,  promit  de  faire  ce  que 
commanderait  le  Dieu  d'Israël ,  et  parut  au 
camp  de  Balac  ,  très-embarrassé.  Lorsqu'il 
fut  devant  l'armée  dos  Israélites  ,  eu  pré- 
sence de  la  «our  de  Balac  fort  surprise,  pen- 
dant qu'on  s'attendait  à  entendre  des  malé- 
dictions ,  il  se  sentit  dominé  par  un  enthou- 
siasme divin  ,  et  prononça  ,  malgré  lui ,  une 
uiagnifique  prophétie  sur  les  destinées  glo- 
rieuses du  peuple  de  Dieu.  Il  annonça  même 
le  Messie.  Bal-jc  ,  furieux,  le  chassa  ;  par  la 
suite  les  Hébreux  ,  ayant  vaincu  les  Ma- 
rîianites,  firent  Balaam  prisonnier  et  le  tuè- 
rent. 

BALAI.  Le  manche  à  balai  est  la  mou- 
lure ordinaire  des  sorcières  lorsqu'elles  se 
rendent  au  sabbat.  Kcini  conte  à  ce  sujet  que 
la  femme  d'un  cordonnier  allemand,  ayant  , 
sans  le  savoir,  fourré  le  bout  de  son  manche 
à  ()alai  dans  un  pot  qui  contenait  l'onguent 
des  sorcières,  se  mit  machinalement  aussitôt 
à  califourchon  sur  ce  manche ,  et  se  sentit 

(1)  Dissertalio  deBeliemolh  et  de  Leviatlian,  eleplias 
Pl  baix'iia.e  Jn'b  xt,  41.  Kespond.  G.  SlejU.  Slitber. 
lu-l°,  Altnrr.  1708. 

(2i  llciiiit'ius,  lil).  II.  DiTiiion.,  cap.  m. 


fîAL 


174 


transportée  à  Bruck  ,  où  se  faisait  le  sab- 
b;it  (2).  Klle  profita  de  l'occasion  ,  se  fit  sor- 
cière ,  et  peu  après  fut  arrêtée  comme  telle. 

il  y  a  sur  le  balai  d'autres  croyances.  Ja- 
mais, dans  le  district  de  Lcsnevcn  ,  en  Bre- 
tagne ,  on  ne  balaie  une  maison  la  nuit  :  ou 
prétend  que  c'est  en  éloigner  It  bonheur  j 
»iuc  les  âmes  s'y  promènent,  et  que  les  mou- 
vements d'un  balai  les  blessent  et  les  écar- 
tent. Ils  nomment  cet  usage  proscrit  balaie- 
ment  des  morts.  Us  disent  que  la  veille  du 
jour  des  Trépassés  (2  novembre)  il  y  a  plus 
d'âmes  dans  chai|ue  maison  que  de  grains  de 
sable  dans  la  mer  et  sur  le  rivage  (3). 

BALAN  ,  roi  grand  et  terrible  dans  les  en- 
fers. Il  a  trois  têtes  :  l'une  faite  comme  celle 
d'un  taureau,  l'autre  comme  celle  d'un 
homme,  la  troisième  comme  celle  d'un  bélier. 
Joignez  à  cela  une  queue  de  serpent  et  des 
yeux  qui  jettent  de  la  flamme.  Il  se  montre 
à  cheval  sur  un  ours  ,  et  porte  un  épervicr 
au  poing.  Sa  voix  est  rau(|ue  et  violente.  Il 
répond  sur  le  passé,  le  présent  et  l'avenir. 
—  Ce  démon  ,  qui  était  autrefois  de  l'ordr»! 
des  dominations ,  et  qui  commande  aujour- 
d'hui quarante  légions  infernales  ,  enseigne 
les  ruses,  la  finesse,  el  le  moyen  commode 
de  voir  sans  être  vu  (4). 

BALANCE ,  septième  signe  du  zodiaque. 
Ceux  qui  naissent  sous  cette  constellation  ai- 
ment généralement  l'équité.  C'est,  dit-on, 
pour  être  né  sous  le  signe  de  la  Balance  qu'où 
donna  à  Louis  XIU  lu  surnom  du  Juste. 

Les  Persans  prétendent  qu'il  y  aura  au 
dernier  jour  une  balance ,  dont  les  bassins 
seront  plus  grands  el  plus  l;irgcs  t]ue  la  su- 
perficie des  cieux,  et  dans  laquelle  Dieu  pè- 
sera les  œuvres  des  hommes.  Un  des  bassins 
de  celte  balance  s'appellera  le  bassin  de  lu- 
mière, l'autre  le  bassin  de  ténèbres.  Le  livre 
des  bonnes  œuvres  sera  jeté  dans  le  bassin 
de  lumière,  plus  brillant  que  les  étoiles  ;  et 
le  livre  des  mauvaises  dans  le  bassin  de  té- 
nèbres, plus  horrible  qu'une  nuit  d'orage.  Le 
fléau  fera  connaître  qui  l'emportera,  et  à  quel 
degré.  C'est  après  cet  examen  que  les  corps 
passeront  le  pont  étendu  sur  le  feu  éternel. 

BALCOIN  (Marie),  sorcière  du  pays  de  La- 
bour, qui  allait  au  sabbat  du  temps  de  Henri 
IV.  On  lui  fit  son  procès,  où  elle  lut  convain- 
cue d'avoir  mangé,  dans  une  assemblée  noc- 
turne, l'oreille  d'un  petit  enfant  (5).  Elle  fut 
sans  doute  brûlée. 

BALEINE.  Mahomet  place  dans  le  ciel  la 
baleine  de  Jonas. 

BALI,  prince  des  démons  et  roi  de  l'enfer, 
selon  les  croyances  indiennes.  Il  se  battit  au- 
trefois avec  Wishnou,  qui  le  prccipila  dans 
l'abîme,  d'où  il  sort  une  lois  par  an  pour  faire 
du  mal  aux  hommes  ;  mais  Wishnou  y  met 
ordre. 

Les  Indiens  donnent  aussi  le  nom  de  Bali 
aux  farfadets  ,  à  qui  ils  oQ'rcnt  du  riz,  que 
ces  lutins  ne  manquent  pas  de  venir  manger 
la  nuit. 

(3)  Voyage  do  Cambry  dans  le  Finistère,  t.  II,  p.  32. 
(4j  Wjerus,  in  l'scuildiiioiianliia  Uaeiii. 
(3)  Di^lancrc.Talileau  de  l'iiicoa'slaïKO  dMdimous,  etC  , 
p.  l'J(J,  liv.  111. 


175  niCTiONNAinE  DES  SCIENCES  OCCl  LTES 

liALLKS.  On  a  cru  autrefois  que  rpitaiiis 
guerriers  avaionl  un  charme  contre  les  bal- 


f-6 


les,  parce  qu'on  tirait  sur  eux  sans  les  atlein 
drc.  Pour  les  tuer,  on  mettait  dans  les  carlou- 
rlios  «les  pièces  d'argent,  car  rien,  dit-on,  ne 
peut  ensorceler  la  monnaie. 

BALTAZO ,  l'un  des  démons  de  la  posses- 
sion de  Lion.  Voy.  Aubrï.  Il  paraît  que  ce 
doiiion,  ou  quelque  chenapan  qui  se  fil  pas- 
ser pour  tel,  alla  souper  avec  le  mari  de  Ni- 
cole Aubry  ,  la  possédée,  sous  prétexte  de 
combiner  sa  délivrance,  qu'il  n'opéra  pas. 
On  remarqua  en  soupant  qu'il  buvait  tres- 
sée ;  ce  qui  prouve,  dit  Leloycr,  que  l'eau  est 
contraire  aux  démons  (1). 

BALTHAZAU.  dernier  roi  de  Babylone , 
petit-fils  de  Naburhodonosor.  Un  soir  qu'il 
prutanait  dans  ses  orgies  les  vases  sacrés  de 
Jcrusalein  ,  il  aperçut  une  main  qui  traçait 
sur  la  muraille  ,  en  lettres  de  feu  ,  ers  trois 
mots  :  Mane,  thecel,  phares.  Ses  devins  et  ses 
astrologues  ne  purent  expliquer  ces  cara- 
ctères ni  en  interpréter  le  sens.  11  promit  de 
grandes  récompenses  à  qui  lui  en  donnerait 
l'interprétation.  Ce  fut  Daniel  qui,  méprisant 
ses  récompenses,  lui  apprit  que  les  trois 
mois  signiGaient  que  ses  années  étaient 
comptées  ,  qu'il  n'avait  plus  que  quelques 
moments  à  vivre,  et  (lue  son  royaume  al- 
l.iil  être  divisé.  Tout  se  vérifia  peu  de  jours 
/  après. 

BALTUS  (Jeax-François),  savant  jésuite, 
mort  en  1743.  Lisez  sa  Réponse  à  l'Histoire 
des  oracles  de  Fontenelle,  in-8°,  Strasbourg , 
17C9,oii  il  établit  que  les  oracles  des  an- 
ciens étaient  l'ouvrage  du  démon  ,  et  qu'ils 
furent  réduits  au  silence  lors  de  la  mission 
di-  Jésus-Christ  sur  la  terre. 

BANIANS,  Indiens  idolâtres,  répandus  sur- 
tout dans  le  Mogol.  Ils  reconnaissent  un  Dieu 
créateur  ;  mais  ils  adorent  le  diable,  qui  est 
chargé  ,  disent-ils  ,  de  gouverner  le  monde, 
lis  le  représenicnt  sous  une  horrible  figure. 
Le  prêtre  de  ce  culte  marque  au  fronl,  d'un 
signe  jaune  ,  ceux  qui  ont  adoré  le  diable  , 
qui  dès  lors  les  reconnaît  et  n'est  plus  si 
porté  à  leur  faire  du  mal  (2). 

BAPTÊME.  On  dit  que  les  sorcières,  dans 
leurs  cérémonies  abominables  ,  baptisent  au 
sabbat  des  crapauds  et  de  petits  enfants.  Les 
crapauds  sont  habillés  de  velours  rouge,  les 
petits  enfants  de  velours  noir.  Pour  celte 
opération  infernale  ,  le  diable  urine  dans  un 
trou  ;  on  prend  de  celte  déjection  avec  un 
goupillon  noir,  on  en  jeite  sur  la  télé  de  l'en- 
fant ou  du  crapaud,  en  faisant  des  signes  de 
croix  à  rebours  avec  la  main  gauche,  et  di- 
sant :  Jn  nomine  patrica.  matrica  ,  araguaco 
pelricu  agora,  agora  Valenlia  ;  ce  qui  veut 
•lire  :  «  Au  nom  de  Palrique  ,  de  Matrique  , 
Pétrique  d'Ara};on  ,  à  celte  heure ,  à  celte 
heure,  Valenlia.  »  Cette  stupide  impiété  s'ap- 
pelle le  baptême  du  diable. 

BAPTÊME  DE  LA  LIGNE.  Lorsqu'on  tra- 
verse la  ligne,  les  matelots  font  subir  aux 

M)  Disc,  elhist.  des  spectres,  liv.  III,  ch.  x. 

12)  Histoire  de  la  religion  des  B.iniaiis ,  tirée  de  leur 
livre  sii.islcr,  ne,  Iraduit  de  raii;;l:iis  de  lleiirv  Lord, 
r»-  is,  16G7. 111-12.  ■' 


personnes  qui  la  passent  pour  !,i  première 
fois  tiiie  cérémonie  qu'ils  appellent  le  bap- 
tême de  la  ligne  ,  et  qui  consiste  en  une  as- 
persion plus  ou  moins  désagréable,  dont  on 
évite  souvent  les  ennuis  p;ir  une  générosité. 
Les  personnages  qui  font  la  plaisanterie  so 
travestissent  ;  le  Père  la  Ligne  arrive  dans 
un  tonneau,  escorté  par  un  diable,  un  cour- 
rier ,  un  perruquier  et  un  meunier.  Le  pas- 
siiger  qui  ne  veut  pas  donner  pour  boire  aux 
matelots  est  arrosé  ou  baigné,  après  avoir  él6 
pondre  et  frisé.  On  ne  sait  trop  l'origine  do 
cet  usage,  ni  pourquoi  le  diable  y  figure. 

BARAT  ,  maladie  de  langueur,  ordinaire- 
ment le  résultat  d'un  sort  jeté  ,  «lui  conduit 
infailiibleinent  à  la  mort  ,  et  qui  ,  selon  les 
opinions  bretonnes,  est  guérie  par  les  eaux 
de  la  fontaine  de  Sainle-Caiidide  ,  près  de 
Scacr,  dans  le  Finistère.  Il  n"esl  |ias  d'cnfiint 
qu'on  ne  trempe  dans  cette  font  line  quel- 
ques jours  ai)rès  sa  naissance  ;  «m  croit  qu'il 
vivra,  s"il  étend  les  pieds,  et  qu'il  mourra 
dans  peu,  s'il  les  retire  (3). 

BARBAS,  démon.  Voy.  MARBAS.  ' 

BARBATOS,  grand  et  puiss.int  démon, 
comie-tluc  aux  enfrrs  ,  type  de  Robin-des- 
Bois  ;  il  se  montre  sous  la  figure  d'un  archer 
ou  d'un  chasseur  ;  on  le  rencontre  dans  les 
foréis.  Quatre  rois  sonnent  «lu  cor  devant 
lui.  Il  apprend  à  deviner  par  le  chant  des 
oiseaux  ,  le  mugissemenl  des  taureaux  ,  les 
aboiements  des  chiens  et  les  cris  des  divers 
animaux,  il  connaît  ks  trésors  enfouis  par 
les  magiciens.  Il  réconcilie  les  amis  brouillés. 
Ce  démon,  qui  était  autrefois  de  l'ordre  des 
vertus  des  cieux  ou  de  celui  des  dominations, 
est  réduit  aujourd'hui  à  commander  trente 
légions  infernales.  Il  connaît  le  passé  et  le 
futur  (V). 

BARBE.  Les  Romains  gardaient  avec  un 
soin  superstitieux  leur  première  barbe.  Né- 
ron faisait  conserver  la  sienne  dans  une 
boîte  d'or  enrichie  de  pierreries  (5). 

BARBE-A-DIEU.  Tliiers  ,  dans  son  Troiié 
des  superstitions  ,  rapporte  la  prière  dite  la 
Barbe-à-Dieu  ;  c'est  une  prière  superstitieuse 
encore  populaire  ,  et  qui  se  trouve  dans  di- 
vers recueils.  La  voici  :  «  Pécheurs  et  péche- 
resses, venez  à  moi  parler.  Le  cœur  me  dut 
bien  trembler  au  ventre ,  comme  fait  la 
feuille  au  tremble  ,  comme  fait  la  Loisonni 
quand  elle  voit  qu'il  faut  venir  sur  une  pe- 
tite branche,  qui  n'est  plus  grosse  ni  plus 
membre  que  trois  cheveux  de  femme  grosse 
ensemble.  Ceux  qui  la 5arfce-d-Z>j«u  sauront, 
par-dessus  la  planche  passeront,  et  ceux  qui 
ne  la  sauront,  au  bout  de  la  planche  s'assise- 
ront,  crieront,  braieront  :  Mon  Dieu-  hélas  ! 
malheureux  état  1  Est  comme  petit  enfant 
celui  qui  la  Barbe-à-Dieu  n'apprend.  » 

BARBELOTH.  Des  gnostiques  appelés 
barbeliols  ou  barboricns  disaient  qu'un  Éon 
immortel  avait  eu  commerce  avec  un  esprit 
vierge  appelé  Barbclolh,  à  qui  il  avait  suc- 
cessivement accordé  la  prescience,  l'incor- 

(3)  r.iinibry,  Voyage  dans  le  Fiiiislèro,  l.  III,  p.  iSl. 

(4)  Viprus,  in  l'seuiiouioiiarcliia  dsem. 

(5)  M.  Kisard,  Suce. 


177 


BAR 


BAR 


17» 


rupUbililé  et  la  vie  éternelle;  que  Barbeloth, 
un  jour,  plus  gai  qu'à  l'ordinaire,  avait  en- 
gendré la  lumière,  qui,  perfectionnée  par 
l'onction  de  l'esprit,  s'appela  Christ;  que 
Christ  désira  rinleliigence  et  l'obtint;  que 
l'intelligence,  la  raison,  rincorruptibilité  et 
Christ  s'unirent;  que  la  raison  et  l'intelli- 
gence engcn'irèriint  Autogène  ;  qu'Autogène 
engendra  Adainas,  l'homme  parfait,  et  sa 
femme  la  connaissance  parfaite;  qu'Adamas 
et  sa  femme  engendrèrent  le  bois;  que  le 
premier  ange  ciigendra  le  Saint-Esprit,  la 
sagesse  ou  Prunic;  que  Prunic  engendra 
Prolarchonte  ou  premier  prince,  qui  fut  in- 
solent et  sol;  que  Protarchonte  et  Arrogance 
engendrèrent  les  vices  et  toutes  leurs  bran- 
ches. Les  barbeliots  débitaient  ces  merveilles 
en  hébreu,  et  leurs  cérémonies  n'étaient  pas 
moins  abominables  que  leur  doctrine  était 
extravagante  (1). 

BAUUIER.  Pline  le  jeune  (2)  avait  un  af- 
franchi, nommé  Marc,  homme  quelque  peu 
lettré,  qui  couchait  dans  un  même  lit  avec 
son  jeune  frère.  Marc,  diins  le  sommeil,  crut 
voir  une  personne  assise  au  chevet  du  lit, 
qui  lui  coupait  les  cheveux  du  haut  de  la 
tète.  A  son  réveil  il  se  trouva  rasé,  et  ses 
cheveux  jetés  au  milieu  de  la  chambre.  —  La 
même  chose  arriva,  dans  le  môme  temps,  à 
un  jeune  garçon  qui  dormait  avec  plusieurs 
autres  dans  une  pension.  Il  vit  entrer  par  la 
fenêtre  deux  hommes  vêtus  de  blanc,  qui 
lui  coupèrent  les  cheveux  comme  il  dormait. 
A  son  réveil,  on  trouva  ses  cheveux  répan- 
dus sur  le  plancher.  —  «  A  quoi  cela  peut-il 
être  attribué,  dit  D.  Calmet  (3),  si  ce  n'est  à 
des   follets?  »  —  ou  aux  compagnons  de  lit? 

Il  y  a  quelques  lutins,  du  genre  de  ceux- 
là,  qui  ont  fait  pareillement  les  fonctions  de 
barbiers.  Les  contes  populaire»  de  l'Allema- 
gne vous  apprendront  que  les  revenants 
peuvent  ainsi  faire  la  barbe  aux  vivants. 

BARlilEKI.  Dialogues  sur  la  mort  et  sur 
les  âmes  séparées  :  Dialoijhi  delta  morte  e 
dell'  anime  separate,  di  Barbieri.  Jn  8°.  Bulo- 
gna,  16C0. 

BAHBU.  On  appelle  démon  barbu  le  démon 
qui  enseigne  le  secret  de  la  pierre  philoso- 
phale;  on  le  connaît  peu.  Sou  nom  semble- 
rait indiquer  que  c'est  le  même  que  Barba- 
los,  qui  n'a  rien  d'un  démon  philosophe.  Ce 
n'est  pas  non  plus  Barbas,  qui  se  mêle  de 
mécanique.  On  dit  que  le  démon  barbu  est 
ainsi  appelé  à  cause  de  sa  barbe  remar- 
quable. 

BAUESTE  (EuGiiS;NE),  auteur  de  la  Fin  des 
l'emps  et  de  quelques  prophéties  du  moins 
très-spirituelles.  Il  est  le  réducteur  de  i'Alma- 
nach  prophétique,  pittoresque  et  utile,  la  plus 
remarquable  assurément  de  ces  légères  pro- 
ductions que  chaque  année  ramène. 

BAUKOKEBAS  ou  BAIlCHOCHliBAS,  im- 
posteur qui  se  fit  passer  pour  le  Messie  juif, 
sous  l'empire  d'Adrien.  Après  avoir  été  vo- 
leur de  grand  chemin,  il  changea  son  nom 
de  Barkoziba,  fils  du  mensonge,  en  celui  de 

(1)  HiTgier,  Dict.  lliéolog.  au  mot  Barbelios. 

1%)  l.ib.  XVI,  epist.  27. 

(i)  Dissurtallofl  sur  lusapiiariUous, 


Barkokebas,  fils  de  l'étoile,  et  prétendit  qu'il 
était  l'étoile  annoncée  par  Balaam.  Il  se  mit 
à  faire  des  prodiges.  Saint  Jérôme  raconta 
qu'il  vomissait  du  feu  par  la  bouche,  au 
moyen  d'un  morceau  d'étoupes  allumées 
qu'il  se  mettait  dans  les  dents,  ce  que  font 
maintenant  les  charlatans  des  foires.  Les 
Juifs  le  reconnurent  pour  leur  Messie.  Il  se 
fit  couronner  roi,  rassembla  une  armée,  et 
soutint  contre  les  Romains  une  guerre  assez 
longue;  mais  enfiii,  en  l'année  136,  l'arméo 
juive  fut  passée  au  (il  de  l'épée  et  Barkoke- 
bas tué.  Les  rabbins  assurent  que,  lorsqu'on 
voulut  enlever  son  corps  pour  le  porter  à 
l'empereur  Adrien,  un  serpent  se  présenta 
autour  du  cou  de  Barkokebas,  et  le  fit  res- 
pecter des  porteurs  et  du  prince  lui-même. 

BAIINAUD  (Nicolas),  médecin  protestant 
du  seizième  siècle,  qui  rech(!rcha  la  pierre 
philosophalc.  Il  a  publié  sur  l'alchimie  di- 
vers petits  traités  recueillis  dans  le  troisième 
volume  du  Tlientrum  chimicum,  compilé  par 
Zetzner;  Strasbourg,  1639. 

BARRABAS.  «  Quand  les  sorcières  sont 
entre  les  mains  de  la  justice,  dit  Pierre  De- 
lancre  [k],  elles  font  semblant  d'avoir  le  dia- 
ble leur  maître  en  horreur,  et  l'appellent  par 
dédain  Barrahas  ou  Barrabam.  » 

BAllTHOLlN  (TuoMAs),  né  à  Copenhague 
en  1619.  On  rec  herche  de  lui  le  livre  De  Un- 
guento  armario.  Ce  traité  de  la  poudre  de 
sympathie  se  ressent  du  temps  et  de  la  cré- 
dulité de  l'auteur;  on  y  trouve  cependant 
des  choses  singulières  et  qui  ne  sont  pas  in- 
dignes de  quel(|ue  attention. 

BARTHOLE,  jurisconsulte,  mort  à  Pérousc 
en  1356.  Il  commença  à  mettre  de  l'ordre 
dans  la  jurisprudence;  mais  on  retrouve  les 
bizarreries  de  son  siècle  dans  quelques-uns 
de  ses  ouvrages.  Ainsi,  pour  faire  connaître 
la  marche  d'une  procétlure,  il  imagina  un 
procès  entre  la  sainte  Vierge  et  le  diable, 
jugé  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  (5). 
Les  parties  plaident  en  personne:  Le  diable 
demande  que  le  genre  humain  rentre  sous 
son  obéissance;  il  fait  observer  qu'il  en  a  été 
le  maître  depuis  Adam;  il  cite  les  lois  qui 
établissent  que  celui  qui  a  été  dépouillé 
d'une  longue  possession  a  le  droit  d'y  ren- 
trer. La  sainte  Vierge  lui  répond  qu'il  est 
un  possesseur  de  mauvaise  foi,  et  que  les 
lois  qu'il  cite  ne  le  concernent  pas.  On  épuiso 
des  deux  côtés  toutes  les  ressources  de  la 
chicane  du  quatorzième  siècle,  et  le  diablu 
est  débouté  de  ses  prétentions. 

BARTON  (Elisabeth),  religieuse  de  Kent, 
qui  prévit  et  révéla,  en  1323,  les  excès  où 
tomberait  bientôt  le  schisme  qu'elle  voyait 
naître  en  Angleterre.  Les  partisans  de 
Henri  VllI  s'écrièrent  (ju'elle  était  possédée 
du  diable.  La  protection  de  Thomas  Morus, 
loin  de  la  sauver,  la  perdit  :  en  1333,  celte 
pieuse  et  sainte  Gllo  fut  mise  à  mort  avec 
beaucoup  d'autres,  sous  prétexte  de  sorcel- 

(4)  Taliloau  de  l'iiiconstaace  des  maavais  anges,  etc., 
liv.  VI,  dise.  3.  l'aris,  1612. 

(5)  Ce  siniîulier  ouvrage,  intitulé:  Processus  Sat:iii m 
cniilra  Virgiiiem  curain  judice  Jesu,  esl  impriiui  djuo  1* 
Processus  jurisjocoserius.  Iu-8°.  Haiiau,  1611. 


niCTlONNAlBE  DES  SCIENCES  OCCULTES 
réformés ,  qui  se  vantaient 


f73 

Irric  ,  par  les 

d'apporter  la  Itiniicre  et  la  liberté 


BAS.  Qui  a  chaussé  un  de  ses  bas  à  l'en- 
vers, recevra  dans  la  journée  un  conseil,  — 
probablement  celui  de  le  retourner. 

BASCANIE,  sorte  de  fascination  employée 
par  les  magiciens  grecs;  elle  troublait  lelle- 
ment  les  yeux,  qu'on  voyait  tous  les  objets  à 
rebours  :  blanches  les  choses  noires,  rondes 
les  choses  pointues,  laides  les  plus  jolies 
figures,  et  jolies  les  plus  laides. 

BASILE.  Michel  Glycas  (1)  raconte  que 
l'empereur  Basile,  ayant  perdu  son  Gis  bicn- 
aimè,  obtint  de  le  revoir  peu  après  sa  mort, 
par  le  moyen  d'un  moine  magicien;  qu'il  le 
vil  en  effet  et  le  tint  embrassé  assez  long- 
temps, jusqu'à  ce  qu'il  disparût  d'entre  ses 
bras.  «  Ce  n'était  donc  qu'un  fantôme  qui 
parût  sous  la  forme  de  son  fils  (2).  » 

BASILE-VALENTIN  ,  alchimiste,  qui  est 
pour  les  Allemands  ce  que  Nicolas  Flamcl 
est  pour  nous.  Sa  vie  est  mêlée  de  fables  qui 
ont  fait  croire  à  quelques-uns  qu'il  n'a  ja- 
mais existé.  On  le  fait  vivre  au  douzième,  au 
treizième,  au  quatorzième  et  au  quinzième 
siècle;  on  ajoute  même,  sans  la  moindre 
preuve,  qu'il  était  béuédictiu  à  Erfurt.  C'est 
lui  qui,  dans  ses  expériences  chimiques,  dé- 
couvrit l'antimoine,  qui  dut  son  nom  à  cette 
circonstance  ,  que  ,  des  pourceaux  s'étant 
prodigieusement  engraisses  pour  avoir  avalé 
ce  résidu  de  métal,  Basile  en  fil  prendre  à 
des  religieux,  qui  en  moururent. 

On  comple  que,  longtemps  après  la  mort 
de  Basile-Valcntin,  une  des  colonnes  de  la 
cathédrale  d'Erfurt  s'ouvrit  comme  par  mi- 
racle, et  qu'on  y  trouva  ses  livres  sur  l'al- 
chimie. Les  ouvrages  de  Basile,  ou  du  moins 
ceux  qui  portent  son  nom,  écrits  en  haut 
allemand,  ont  été  traduits  en  latin,  et  quel- 
ques-uns du  latin  en  français.  Les  adepti'S 
recherchent  de  lui  VAzoth  (3) ,  les  Douze 
Clefs  de  la  philosophie  de  frère  Basile-Valen- 
lin,  traitant  de  la  vraie  médecine  métalli- 
que (k),  à  la  suite  de  la  traduction  de  l'Azoth, 
iu-12,  1660;  in-S",  1669;  \ Apocalypse  chimi- 
que (5)  ;  la  Révélation  des  mystères  des  tein- 
tures essentielles  des  sept  métaux  et  de  leurs 
vertus  médicinales  (6),  in-4°,  Paris,  1646;  du 
Microcosme,  du  grand  mystère  du  monde  et 
de  la  Médecine  de  l'homme  (7);  Traité  chi- 
mico -philosophique  des  choses  naturelles  et 
surnaturelles  des  minéraux  et  des  mé- 
taux (8);  Ilaliographiti, de  la  préparation, de 
l'usage  et  des  vertus  de  tous  les  sels  miné- 
raux, animaux  et  végétaux,  recueillis  par 
Antoine  Solmincius,  dans  les  manuscrits  de 
Basilc-Valentin  (9j,  etc.  La  plupart  de  cis 
ouvrages  ont  fait  faire  des  pas  à  la  chimie 
utile. 

il)  Annal.,  part.  t. 
i)  \).  Cahnei,  Dissprtalion  des  revenants  en  corps, 
cb.  XVI. 

(3)  Aïolh,  sive  aureli»  philosopborutu.  Francfort,  1613. 
In-4»,  traduit  en  français  eu  t660. 

(4)  Praciica,  una  cuui  duodeciin  clavibiis  et  appendice. 
Francfort,  1618.  ln-4». 

iS)  Apocalypsis  chimica.  Erfurt,  162i.  In-8". 
6)  Manifeslalio  arlificioiiim,  etc.  Erfurt,  lG2i.  \a-i°, 
Ll  traduction  dont  ou  indique  le  titre  est  de  J.  Israël. 


180 

BASILIC,  petit  serpent,  lOng  d'un  demi- 
mètre,  qui  n'a  été  connu  que  des  anciens.  Il 
avait  deux  ergots,  une  tôtc  et  une  crôte  do 
coq,  des  ailes,  une  queue  de  serpent  ordi- 
naire, etc.  Quelques-uns  disent  qu'il  naît  de 
l'œuf  d'un  coq  couvé  par  un  serpent  ou  par 
un  crapaud.  Boguet,  au  chapitre  li  de  ses 
Discours  des  sorciers,  le  fait  produire  de  l'ac- 
couplement du  crapaud  et  du  coq,  comme  le 
mulet  naît  d'un  âne  et  d'une  jument. 

C'est  une  opinion  encore  répandue  dans 
les  campagnes  ,  que  les  vieux  coqs  pondent 
un  œuf  duquel  naît  un  serpent.  Ce  petit  œuf, 
imparfait ,  n'est ,  comme  on  sait ,  que  l'effet 
d'une  maladie  chez  les  poules  ;  et  l'absurdité 
de  ce  coule  bleu  n'a  plus  besoin  d'être  démon- 
trée. 

Il  est  possible  que  les  anciens,  dans  leurs 
expériences,  aient  pris  des  œufs  de  serpent 
pour  des  œufs  de  coq.  Voyez  Coq.  —  Quoi 
qu'il  en  soit,  on  croit  que  le  basilic  tue  de  ses 
regards;  et  Malhiole  demande  comment  on  a 
su  que  le  basilic  tuait  par  son  regard  ,  s'il  a 
tué  tous  ceux  qui  l'ont  vu.  On  cile  toutefois 
je  ne  sais  quel  historien  ,  qui  raconte  qu'A- 
lexandre le  Grand,  ayant  mis  le  siôge  devant 
une  ville  d'Asie,  un  basilic  se  déclara  pour 
les  assiégés,  se  campa  d^ms  un  trou  des  rem- 
parts ,  et  lui  tua  jusqu'à  deux  cents  soldats 
par  jour.  Une  batterie  de  canons  bien  servie 
n'eût  pas  fait  mieux. 

«  Il  est  vrai ,  ajoute  M.  Salgues  (10) ,  que  si 
le  basilic  peut  nous  donner  la  mort,  nous 
pouvons  lui  rendre  la  pareille  en  lui  présen- 
tant la  surface  polie  d'un  miroir  :  les  vapeurs 
empoisonnées  qu'il  lance  de  ses  yeux  ,  iront 
frapper  la  glace,  et,  par  réllexion,  lui  renver- 
ront la  mort  qu'il  voudra  donner.  C'est  Ari- 
slote  qui  nous  apprend  celte  particularité.  » 

Des  savants  ont  regardé  en  face  le  serpent 
qu'oa  appelle  aujourd'hui  basilic,  et  qui  n'a 
pas  les  accessoires  dont  les  anciens  l'ont 
embelli;  malgré  tous  les  vieux  contes,  ils 
sont  sortis  bien  portants  de  celte  épreuve. 
Mais,  nous  le  répétons,  le  replile  auquel  les 
modernes  donnent  le  nom  de  basilic,  n'est 
peut-être  pas  le  basilic  des  anciens  ;  car  il  y 
a  des  races  perdues. 

BASILIDE  ,  hérétique  du  deuxième  siè- 
cle, qui  se  fit  un  système  en  mêlant  les  prin- 
cipes de  Pythagoré  et  de  Simon,  les  dogmes 
des  chrétiens  et  les  croyances  des  Juifs.  Il 
prétendit  que  le  monde  avait  é;é  créé  par 
les  anges.  «  Dieu  (Abracax),  disait-il,  pro- 
duisit l'Intelligence  ,  laque  le  produisit  lu 
Verbe,  qui  produisit  la  Prudence;  la  Pru- 
dence eut  deux  filles  :  la  Puissance  et  la  Sa- 
gesse, lesquelles  produisirent  les  vertus,  les 
princes  de  l'air  et  les  anges.  Les  anges  étaient 
de  trois  cent  soixante-cinq  ordres  ;  ils  créèrent 

(7)  De  microscomo,  deque  magno  niundi  niystcrio  et 
medicina  hoiiiinis.  Marpur;;,  1609.  In-S". 

(8)  Tractalus  cliimico-pliilosopliicus  de  rébus  natnrali- 
bus  et  prseterualuralibui  uietallorum  et  iniaeraliniD.  Franc- 
fort, 1676.  In-8°. 

(9)  Haliographia ,  de  Prseparationc ,  usu  ac  vlriulibu» 
omuiuui  saliuui  miueralium,  animaliuiii  ac  vegetabilimn  , 
ex  nianuscriplis  lîasilii  Valcutini  collecta  ab  Antonio  Sal- 
tnincio.  Bologne,  16<4.  tn-8°. 

(10)  DssLrreurs  et  dos  préjugés,  etc.t  t,  p.  113. 


ist 


BAT 


BAU 


im 


trois  cent  soixante-cinq  deux  ;  les  anges  du 
•lornier  ciel  firent  le  monde  sublunairc  ;  ils 
s'en  partagèrent  l'empire.  Celui  auquel  ccliu- 
renl  les  Juifs  étant  puissant,  Qt  pour  eux 
beaucoup  de  prodiges;  mais,  comme  il  vou- 
lait soumettre  les  autres  nations,  il  y  eut  des 
querelles  et  des  guerres  ,  rt  le  mal  fit  de 
grands  progrès.  Dieu  ,  ou  l'Elre  supérieur, 
touohé  dos  misères  d'ici-bas,  envoya  Jésus, 
son  premier  Fils,  ou  la  première  intelligence 
créée,  pour  sauver  le  momie.  Il  prit  la  ligure 
d"un  honune,  fit  les  miracles  qu'on  raconte, 
et ,  pendant  la  passion  ,  il  donna  son  appa- 
rence à  Siméon  le  Cyrénéen,  qui  fut  crucifié 
pour  lui,  pendant  que,  sous  les  traits  de  Si- 
méon, il  se  moquait  des  Juifs;  après  quoi  il 
remonta  aux  cicux  sans  avoir  été  précisé- 
ment connu.  » 

Basilidc,  à  cô'é  de  ce  système  étrange,  en- 
seignait encore  la  niéleiripsycoso,  et  il  don- 
nai! aux  hommes  deux  âmes  ,  pour  accorder 
les  combats  qui  s'élèvent  sans  cesse  entre  la 
raison  et  les  passions. 

11  était  irès-habiie,  ajoule-t-on,  dans  la  ca- 
bale des  Juifs.  C'est  lui  qui  inventa  le  puis- 
sant talisman  Abracadahra ,  dont  nous  avons 
parlé,  et  dont  l'usage  fut  longtemps  extrême- 
ment répandu.  11  fit  un  évangile  apocryphe  et 
des  prophéties  qu'il  publia  sous  les  noms  de 
Barcabas  et  de  Barcoph.  il  plaçait  Dieu  dans 
le  soleil,  et  révérait  prodigieusement  les  trois 
cent  soixante-cinq  révolutions  de  cet  astre 
autour  de  la  terre.  Voy.  Abràcax. 

BASILICS.  Il  y  eut  à  Rome,  du  temps 
de  saint  (Irégoire  ,  un  sénateur  de  bonne  et 
ancienne  famille,  nommé  Baslliu'*,  magicien, 
scélérat  el  sorcier  ,  lequel ,  s'étanl  rendu 
moine  pour  éviter  la  peine  de  mort,  fut  en- 
fin brûlé  avec  son  compagnon  Prétextatus, 
comme  lui  sénateur  romain  et  de  maison 
illustre  :  «  Ce  qui  montre,  dit  Delancre  (1), 
que  la  sorcellerie  n'est  pas  une  tâche  de  sim- 
ple femmelelle,  rustiques  et  idiots.  » 

BASSANTIN  (Jacques)  ,  astrologue  écos- 
sais qui,  en  1562,  prédit  à  sir  Robert  Melvil, 
si  l'on  encroitles  mémoires  de  JacquesMelvil, 
son  frère,  une  partie  des  événements  arrivés 
depuis  à  MarieStuart, alors  réfugiée  enAngle- 
terre.  Il  ne  fallait  pour  cela  que  quelque  con- 
uaissancedu  temps  et  des  hommes.  Les  autres 
prédictions  de  Bassanlin  ne  se  réalisèrent  pas. 
San  grand  traité  A' Astronomie  ,  ou  plutôt 
d'ylsïro/or/te,  a  été  publié  en  français  et  en  la  tin. 
3n  cherche  l'édition  laiine  de  Genève  ,  1599, 
que  les  éditeurs  appellent  ingens  et  doctum 
votumen.  Tous  ses  ouvrages  présentent  un 
mélange  d'heureuses  observations  et  d'idées 
superstitieuses  (2). 

BATELEURS,  faiseurs  de  tours  en  plein 
air  ,  avaleurs  de  couleuvres  ,  d'étoupes  et  de 
baguettes  ,  qui  passaient  autrefois  pour  sor- 
ciers ,  comme  les  escamoteurs  et  môme  les 
comédiens. 

BATHYM.  —  Voy.  Marthvm. 

BATON  DU  DIABLE.    On  conserve,  dit- 

(1)  Delancre,  de  l'Ioconslauce  des  démons,  etc.,  liv.  IV, 
p.  416 

(2i  Aslronomia  Jaeobi  Basjjaniini  Scoli,  etc.  la-fol.  Ge- 
oéve.  19t)'J'  l'aiaplirasu  de  l'a^Urulabe,  avec  lum  exphca- 


on  ,  à  Tolentino  ,  dans  la  marche  d'Ancône, 
un  bâton  dont  on  prétend  que  le  diable  a  fait 
usage. 

BATON  DU  BON  VOYAGEUR.  «  Cueillez, 
le  lendemain  de  la  Toussaint,  une  forte  branche 
de  sureau,  que  vous  aurez  soin  de  ferrer  par 
le  bas;  ôli'z-en  la  moelle;  mettez  à  la  place 
les  yeux  d'un  jeune  loup,  la  langue  et  le  cœui 
d'un  chien,  trois  lézards  verts  et  trois  rœun 
d'hirondelles,  le  tout  réduit  en  poudre  par  la 
chaleur  du  soleil  ,  entre  deux  papiers  sau- 
poudrés de  salpêtre  ;  placez  par-dessus,  dans 
le  cœur  du  bâion  ,  sept  feuilles  de  verveine, 
caeiilies  la  veille  de  la  Saint-Jean-Baptiste, 
avec  une  pierre  de  diverses  couleurs  qui  se 
trouve  dans  le  nid  de  la  huppe;  bouchez  en- 
suite le  bout  du  bâlon  avec  une  pomme  à 
votre  fantaisie,  et  soyez  assuré  que  ce  bâton 
vous  garantira  des  brigands ,  des  chiens  en- 
ragés ,  des  bêtes  féroces ,  des  animaux  veni- 
meux, des  périls,  el  vous  procurera  la  bien- 
veillance de  ceux  chez  qui  vous  loge- 
rez... » 

Le  lecteur  qui  dédaigne  de  tels  secrets  ,  ne 
doit  pas  oublier  qu'ils  ont  eu  grand  crédit, 
el  qu'on  cherche  encore,  dans  beaucoup  de 
villages,  à  se  procurer  le  bâlon  du  bon  voya- 
geur... 

BATRACHYTE,  pierre  qui ,  suivant  que 
l'indique  son  nom  grec  ,  se  trouve  dans  le 
corps  de  la  grenouille,  el  qui  a  ,  disent  les 
bonnes  gens  ,  de  grandes  vertus  contre  les 
poisons  el  contre  les  maléfices. 

BATStJUM-BASSA  ou  BATSCUM-PACHA, 
démon  turc  que  l'on  invoque  en  Orient 
pour  avoir  du  beau  temps  ou  de  la  pluie.  Ou 
se  le  rend  favorable  en  lui  offrant  des  tarti- 
nes de  pain  grillé,  dont  il  est  très-friand. 

BAUME  UNIVERSEL,  élixir  composé  par 
les  alchimistes  :  c'est,  disent-ils,  le  re- 
mède souverain  el  infaillible  de  toutes  les 
maladies,  li  peut  même,  au  besoin,  ressusciter 
des  moris.  Voy.  Alchimie. 

On  conte  ,  dans  la  Franche-Comté  ,  sur  lo 
baume  universel ,  une  facétie  fort  triviale, 
que  pourtant  nous  pouvons  citer,  en  récla- 
mant l'indulgence  du  lecteur. 

Un  alchimiste  de  Besançon  avait  trouvé  la 
pierre  philosophale,  l'élixir  de  longue  vie  et 
le  baume  universel.  Avec  la  première  décou- 
verte, il  était  sûr  d'être  l'homme  le  plus  riche 
de  la  terre;  et  comme  son  élixir  lui  assurait 
une  vie  qui  ne  finirait  pas  de  longtemps  ,  il 
n'atiachail  d'intérêt  à  soiî  baume,  qu'autant 
qu'avec  ce  puissant  remède  il  pourrait  étro 
utile  à  ses  semblables.  Ce  baume  guérissait 
toute  espèce  de  blessure  aussi  vile  que  la 
pensée;  il  ne  laissait  aucune  trace  de  cica- 
trice. Mais  la  foule  douta.  Pour  prouver  l'ef- 
ficacité de  son  remède,  l'alchimisle  se  fit  des 
plaies,  se  coupa  la  main ,  et  même  la  tête,  s; 
l'on  en  croit  la  chronique,  puis  il  rétablit  parfai- 
tement les  choses.  11  n'avait  pas  encore  ga- 
gné avec  tout  cela  la  confiance  générale.  Les 
ignorants  disaient  :  —  C'est  un  magicien  qui 

lion  de  l'usage  de  cet  inst  riimenl.  In-8°.  Paris,  1617.  SiipfT 
nialhemalica  genetliliac;i;  aiilliinetica;  luusica  secuudui* 
i'IaloiieiB  ;  de  iiiaUifii  iii  geuere,  etc. 


«S5 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


tu 


nous  fascine  les  yeux  ;  les  médecins  :  —  C'est 
un  charlatan  et  un  imposleur.  Le  savant, 
piqué  ,  promit  une  grosse  somtne  d'argent  à 
quiconque  voudrait  se  laisser  couper  quelque 
membre,  qu'il  s'engageait  à  remellre  au  péril 
(le  sa  vie.  L'appât  du  gain  lui  amena  Irois 
Savoyards.  A  l'un  il  coupa  la  main  gauche; 
il  arracha  les  yeux  à  son  camarade  ;  il  relira 
les  intestins  du  troisième,  après  quoi  il  posa 
du  baume  sur  les  plaies,  et  les  trois  patients 
ne  sentirent  pas  la  moindre  incommodité. 

Pour  rendre  le  prodige  plus  éclatant,  quel- 
qu'un ayant  demandé  qu'on  laissât  un  inter- 
valle entre  le  dégât  et  le  rétablissement,  l'al- 
chimiste ,  sûr  de  ses  moyens ,  voulut  bien 
attendre  au  lendemain.  11  lit  porter  à  son 
logis  les  pièces  enlevéï'S  ,  et  les  recommanda 
à  sa  servante,  qui  négligea  la  commission. 
Pendant  qu'elle  était  dehors,  ayant  laissé  le 
tout  dans  un  saladier  ,  un  chien  mangea  les 
intestins  et  le  reste.  Dans  la  peur  d'une  ré- 
primande ,  la  servante  soupçonnant  le  chat, 
l'assomma,  prit  ses  yeux,  qu'elle  mit  sur  une 
assiette,  acheta  les  tripes  d'un  cochon  qu'on 
venait  de  tuer  ,  et  courut  au  gibet ,  où  elle 
coupa  la  main  d'un  Clou  qu'on  avait  pendu 
le  matin. 

Le  lendemain,  tout  Besançon  se  rassembla 
à  la  porte  de  l'alchimiste.  Les  trois  compa- 
gnons arrivèrent.  Le  savant  remit  au  pre- 
mier la  main  du  pendu;  par  un  hasard  qui 
n'a  rien  de  surprenant,  la  servante  avait  pris 
au  filou  sa  main  droite,  tandis  qu'il  fallait 
une  main  gauche ,  ce  qui  parut  singulier  ; 
cependant  un  passa  outre,  en  soutenant  au 
Savoyard  que  c'était  bien  sa  main.  Les  yeux 
du  chat  s'ajustèrent  dans  la  tête  du  second  ; 
les  intestins  étrangers  furent  remis  au  troi- 
sième. Toutes  les  plaies  disparurent;  tout  le 
monde  cria  au  prodige.  La  réputation  de  l'al- 
chimiste fut  faite. 

Ou  ajoute  que  les  trois  hommes  rajustés  se 
rencontrèrent  un  an  après.  —  C'est  singulier, 
dit  le  premier,  la  main  qu'on  m'a  raccommodée 
ne  peut  plus  s'empécherde  voler  loutceiju'elle 
rencontre.— Et  moi,  dit  l'autre,  depuis  qu'on 
m'a  remisles  yeux,  je  vois  plus  clair  la  nuit  que 
le  jour.  —  Pour  mon  comple,  dit  le  troisième, 
mon  aventure  m'a  donné  des  goûts  inconce- 
vables :  je  ne  puis  pas  voir  une  auge  à  porcs 
•ans  être  tenté  d'y  aller  prendre  ma  part. 

BAVAN  (Madeleine),  sorcière  du  dix- 
septième  siècle,  qui  raconta  en  justice  les 
orgies  infâmes  du  sabbat,  auxquelles,  comme 
tant  d'autres  âmes  perdues  elle  avait  pris 
part.  Voy.  sabbat,  boucs,  etc. 

BAXTER,  écrivain  anglais  qui  publia,  à  la 
fin  du  dix-septième  siècle,  un  livre  intitulé  : 
Certitude  du  monde  des  esprits. 

BAYARD,  cheval  des  quatre  fils  Aymon. 
Il  avait  la  taille  d'un  cheval  ordinaire  lors- 
qu'il ne  portait  qu'un  des  frères,  et  s'allon- 
geait lorsqu'il  les  fallait  porter  tous  quatre. 
Ou  comple  beaucoup  de  merveilles  sur  celte 
monture  célèbre,  qui  se  distinguait  surtout 
par  une  vitesse  incroyable,  et  qui  a  laissé  la 
trace  d'un  de  ses  pieds  dans  la  forél  de  Soi- 


gne en  Brabant.  On  trouve  aussi  la  marque 
d'un  de  ses  fers  sur  un  rocher  près  de  l)i- 
nant. 

BAYEMON.  Le  grimoire  attribué  stupi- 
dement au  pape  Honorius  donne  ce  nom 
à  un  roi  de  l'occident  infernal.  On  le  conjure 
par  cette  prière  :  «  Oroi  Bayemon,  très-fort, 
qui  règnes  aux  parties  occidentales,  je  t'ap- 
pelle et  invoque  au  nom  de  la  Divinité  ;  je  le 
commande,  en  vertu  du  Très-Haut,  de  m'cn- 
voyer  présentement  devant  ce  cercle  (on 
nomme  l'esprit  dont  on  veut  se  servir  Pas- 
siel,  Rosus,  etc.),  et  les  autres  esprits  qui  le 
sont  sujets,  pour  répondre  à  tout  ce  que  je 
leur  demanderai.  Si  tu  ne  le  fais,  je  te  tour- 
menterai du  glaive  du  feu  divin  ;  j'augmen- 
terai tes  peines  et  te  brûlerai.  Obéis,  roi 
Bayemon  (1).» 

BAYER.  En  1726,  un  curé  du  diocèse  de 
Constance,  nommé  Bayer,  pourvu  de  la  cure 
de  Rutheim ,  fut  inquiété  par  un  spectre 
ou  mauvais  génie  qui  se  montrait  sous  la 
forme  d'un  paysan  mal  velu,  de  mauvaise 
mine  et  très-puant.  11  vint  frapper  à  sa 
porte;  étant  entré  dans  son  poêle,  il  lui  dit 
qu'il  était  envoyé  par  le  prince  de  Constance, 
son  évêque,  pour  certaine  commission  qui 
se  trouva  fausse.  Il  demanda  ensuite  à  man- 
ger. On  lui  servit  de  la  viande,  du  pain  et  du 
vin.  11  prit  la  viande  à  deux  mains  et  la  dé- 
vora avec  les  os,  disant  :  «Voyez  comme  je 
mange  la  chair  et  les  os;  faites-vous  de 
même  (2)?  «Puis  il  prit  le  vase  où  était  le 
vin,  el  l'avala  d'un  trait;  il  en  demanda 
d'autre  qu'il  but  de  même.  Après  cela  il  se 
retira  sans  dire  adieu;  et  la  servante,  qui  le 
conduisait  à  la  porte,  lui  ayant  demandé 
son  nom,  il  répondit  :  «Je  suis  né  à  llutsin- 
gue,  et  mon  nom  est  Georges  Kaulin;»  ce 
qui  était  faux  encore. 

Il  passa  le  reste  du  jour  à  se  faire  voir 
dans  le  village,  et  revint,  le  soir  à  minuit,  à 
la  porte  du  curé,  en  criant  d'une  voix  terri- 
ble :  Mynheer  Bayer,  je  vous  montrerai  qui 
je  suis... 

Pendant  trois  ans,  il  revint  tous  les  jours 
vers  quatre  heures  après  midi,  et  toutes  les 
nuits  avant  le  point  du  jour.  Il  paraissait 
encore  sous  diverses  formes,  tantôt  sous  la 
figure  d'un  chien  barbet,  tantôt  sous  celle 
d'un  lion  ou  d'un  autre  animal  terrible; 
quelquefois  sous  les  traits  d'un  homme,  sous 
ceux  d'une  femme;  certains  jours  il  faisait 
dans  la  maison  un  fracas  semblable  à  celui 
d'un  tonnelier  qui  relie  des  tonneaux;  d'au- 
trefois, on  aurait  dit  qu'il  voulait  renverser 
le  logis  par  le  grand  bruit  qu'il  y  causait. 
Le  curé  fit  venir  comme  témoins  le  marguil- 
1er  el  d'autres  personnes  du  village.  Le  spec- 
tre répandait  partout  une  odeur  insuppor- 
table, mais  ne  s'en  allait  pas.  On  eut  recours 
aux  exorcismes  qui  ne  produisirent  aucun 
effet;  on  résolut  de  se  munir  d'une  branche 
bénite  le  dimanche  des  Rameaux,  el  d'une 
épée  aussi  bénite,  et  du  s'en  servir  contre 
le  spectre.  On  le  til  deux  fois,  et  depuis  ce 
temps  il  ne  revint  plus.  Ces  choses  rappor- 


(1)  Grimoire  du  pape  Honorius. 

m  Dom  Calmci,  Traittt  sur  les  apparilioas,  clc,  t.  II,  Cm.  48. 


tas 


BEA 


BEII 


18} 


tées  par  dota  C.ilrnel,  peuvent  s'expliquer 
par.lfs  frayeurs  qu'un  garnement  aura  cau- 
sées au  curé,  frayeurs  qui  ont  pu  lui  don- 
ner des  visions. 

BAYER  (Jeas),  ministre  protestant,  né  à 
Augsbourg  au  seizième  siècle. On  reclicrche 
de  lui  une  thèse  sur  cette  question  :  «  Si  l'exi- 
slence  des  anges  peut  se  démontrer  par  les 
seules  lumières  naturelles  (1)?» 

BAYLE  (François),  professeur  de  méde- 
cine à  Toulouse,  mort  en  1709.  Nous  ne  ci- 
terons de  ses  ouvrages  que  la  Relation  de 
l'état  de  quelques  personnes  prétendues  possé- 
dées, faite  de  l'autorité  du  parlement  de  Tou- 
louse, in-12;  Toulouse  1682.  Il  veut  prouver 
que  les  démoniaques,  s'ils  ne  sont  pas  des 
charlatans,  sont  très-souvent  des  fous  ou  des 
malades. 

BAZINE,  célèbre  reine  des  Tongres,  qui 
épousa  Childéric  et  qui  fut  mère  de  Clovis. 
Elle  est  représentée  par  les  vieux  historiens 
comme  unehabiie  magicienne. Onsaitqu'ellc 
était  femme  de  Bising,  roi  des  Tongres  ;  que 
Childéric,  chassé  de  ses  Etats  par  une  révo- 
lution et  réfugié  à  la  cour  de  Bising,  plut  à 
sa  femme;  que  lorsqu'il  fut  rétabli  sur  le 
trône,  B;izine  quitta  tout  pour  venir  le  trou- 
ver. Childéric  l'épousa.  Le  soir  de  ses  noces, 
quand  elle  fut  seule  avec  lui,  elle  le  pria  de 
passer  la  première  nuit  dans  une  curieuse 
observation.  Elle  l'envoya  à  la  porte  de  son 
palais  en  lui  enjoignant  de  venir  rapporter 
ce  qu'il  y  aurait  vu.  —  Childéric,  connais- 
sant le  pouvoir  magique  de  B,izine,qui  était 
un  peu  druidesse,  s'empressa  d'obéir.  11  ne 
fut  pas  plutôt  dehors,  qu'il  vit  d'énormes 
animaux  se  promener  dans  la  cour  ;  c'étaient 
des  léopards,  des  licornes,  des  lions.  Etonné 
de  ce  spectacle,  il  vint  en  rendre  compte  à 
son  épouse;  elle  lui  dit,  du  ton  d'oracle 
qu'elle  avait  pris  d'abord,  de  ne  point  s'ef- 
frayer, et  de  retourner  une  seconde  fois  et 
même  une  troisième  fois.  11  vit  à  la  seconde 
fois  des  ours  et  des  loups,  et  à  la  troisième  des 
chiens  et  d'autres  petits  animaux  qui  s'en- 
tre-déchiraient.  —  «Les  prodiges  que  vous 
avez  vus,  lui  dit-elle,  sont  une  image  do 
l'avenir;  ils  représentent  le  caractère  de 
toute  notre  postérité.  Les  lions  et  les  licor- 
nes désignent  le  (ils  qui  naîtra  de  nous  ;  les 
loups  et  les  ours  sont  ses  enfants,  princes 
vigoureux  et  avides  de  proie;  et  les  chiens, 
c'est  lepeuple  indocile  aujougde  ses  muîlres, 
soulevé  contre  ses  rois  ,  livré  aux  passions 
des  puissants  et  souvent  victime  (2j.» —  Au 
reste,  on  ne  pouvait  mieux  caractériser  les 
rois  de  cette  première  race;  et  si  la  vi-^ion 
n'est  qu'un  conte,  il  est  bien  imaginé  (3j. 

BEAL.  —  Voy.  Bérith. 

BEALVOYS  de  CHAUVINCOUKT  ,  gentil- 
homme angevin,  (il  imprimer  en  1509  un 
volume  intitulé  :  Discours  de  la  Lycanthro- 
pie  ou  de  la  Iransmulalioa  des  hommes  en 
loups. 

(1)  An  Aiipetonitn  exislenlla  a  solo  luiniiie  naliirali  pos- 
sU  (Jemonsirari?  ln-i°.Witii  bergje.  lUo8. 

(2)  Selon  il'autres  cliroiiiciues,  eils  ilil  ((lie  les  lions  et 
los  licornes  représenlaienl  Cluvis,  les  loups  el  les  ours 
SCS  eulanls,  cl  les  cliicns  lea  Jerniors  rui»  de  U  race,  nui 


BEBAL,  prince  de  l'enfer,  assez  inconnu. 
Il  est  de  la  suite  de  Paymon.  Voy.  ce  n.ol. 

BEGHARÏ),  démon  désigné  dans  les  Clavi- 
cules de  Sa/omon  comme  ayant  puissance  sur 
les  vents  et  les  tempêtes.  11  fait  grêler,  ton- 
ner et  pleuvoir,  au  moyen  d'un  maléfice  qu'il 
compose  avec  des  crapauds  fricassés  et  au- 
tres drogues. 

BECHET,  démon  que  l'on  conjure  le  ven- 
dredi. Voy.  Conjurations. 

BEDE  (le  vénérable),  né  au  septième 
siècle,  dans  le  diocèse  de  Durham,  en  An- 
gleterre. 11  mourut  à  soixanle-trois  ans.  On 
dit  qu'il  prévit  l'heure  précise  de  sa  mort. 
Un  instant  avant  d'expirer,  il  dictait  quel- 
ques passages  qu'il  voulait  extraire  des  œu- 
vres de  saint  Isidore  ;  le  jeune  moine  qui 
écrivait  le  pria  de  se  reposer  parce  qu'il  par- 
lait avec  peine  :  —  Non,  répondit  Bède,  pre- 
nez une  autre  plume,  et  écrivez  le  plus  vite 
que  vous  pourrez. —  Lorsque  le  jeune  homme 
eut  dit  :  —  C'est  fait.  —  Vous  avez  dit  la  vé- 
rité, répli(iua  Bède;  et  il  expira.  Peu  de 
temps  après  sa  mort,  on  dit  qu'il  se  fit  voir 
à  un  moine  nommé  Gamèle,  à  qui  il  témoi- 
gna le  désir  d'être  enterré  à  Durham  au- 
près de  saint  Cuthbert.  Ou  se  hâta  de  le  sa- 
tisfaire, car  ou  avait  un  grand  respect  pour 
sa  mémoire. 

BEHEMOTH,  démon  lourd  et  stupide, 
malgré  ses  dignités.  Sa  force  est  dans  ses 
reins,  ses  domaines  sont  la  gourmandise  et 
les  plaisirs  du  ventre.  Quehjues  démonoma- 
nes  disent  qu'il  est  aux  enfers  sommelier  et 
grand  échanson.  Bodin  croit  (4)  quc-Béhé- 
moth  n'est  autre  chose  que  le  Pharaon  d'E- 
gypte qui  persécuta  les  Hébreux.  11  est  parlé 
deBéhémoth  dans  Job,  comme  d'unecréatare 
monstrueuse.  Des  commentateurs  préten- 
dent que  c'est  la  baleine,  et  d'autres  que 
c'est  l'éléphant  ;  mais  il  y  eut  d'autres  mon- 
stres dont  les  races  ont  disparu.  On  voit  dans 
le  procès  d'Urbain  Grandier  que  Béhémoth 
est  bien  un  démon.  Delaiicre  dit  qu'on  l'a 
pris  pour  un  animal  monstrueux,  parce  qu'il 
se  donne  la  forme  de  toutes  les  grosses  bê- 
tes. 11  ajoute  queBéhémoih  se  déguise  aussi 
avec  perfection  en  chien,  en  renard  et  en 
loup. 

Si  Wierus,  notre  oracle  en  ce  qui  concerne 
les  démons,  n'admet  pas  Béhémoth  dans  son 
inventaire  de  la  monarchie  infernale,  il  dit, 
livre  I",  des  Prestiges  des  démons  ,  chapitre 
21,  que  Béhémoth  ou  l'éléphant  pourrait  bien 
être  Satan  lui-même,  dont  on  désigne  ainsi 
la  vaste  puissance. 

Enfin,  parce  qu'on  lit  dans  le  chapitre  40 
de  Job  que  Béhémoth  mange  du  foin  comme 
un  bœuf,  les  rabbins  ont  fait  de  lui  le  bœuf 
merveilleux  réservé  pour  le  festin  de  leur 
Messie.  Ce  bœuf  est  si  énorme,  disent-ils, 
qu'il  avale  tous  les  jours  le  foin  de  mille 
montagnes  immenses,  dont  il  s'engraisse  de- 
puis le  commencement  du  monde.  11  ne  quitte 

seraient  un  jour  renversés  du  Irôiie  par  tes  grands  et  la 
peuple,  dont  les  pelils  anim.aix  éwieiit  la  ligure. 

(5)  Ureux  du  liadier,  Tableiles  des  reines  de  l'"rauce. 

(tj  Dciuonoinauiedes  sorciers,  liv.  I,  cb.  i. 


IS7 


DICTIONNAIIIE  DES  SCIENCES  OCCL'LTKS. 


<•?» 


jamais  ses  mille  monlagiies,  ou  l'hprbe  qu'il 
a  inaiigce  le  jour  repousse  la  nuit  pour  lo 
lendemain.  Ils  .ijonlent  (|ue  Dieu  tua  la  fe- 
melle de  ce  bœuf  au  eonimenconiont;  car  on 
ne  pouvait  laisser  multiplier  une  telle  race. 
Les  Juifs  9(!  proniellonl  bien  de  la  joie  au 
festin  oti  il  fera  la  pièce  ilo  résistance.  Ils 
jurent  par  leur  part  du  bœuf  Béhéniolli. 

BEHIiRIT,  démon  sur  lequel  on  a  très- 
peu  de  renseilîlicmenISjà  moins  qu'il  ne  soit 
le  même  que  Bérith.  Voy.  ce  mot.  Il  est  cité 
dans  la  possession  deLoudun.  Il  avait  même 
promis  d'enlever  la  culotte  du  situr  commis- 
saire, et  de  la  tenir  en  l'air  à  la  hauteur  de 
deux  piques ;ceiqui  n'eut  pas  lieu, à  sahon te  (1). 

Remarquons  pourtant  que,  sur  celte  pos- 
session de  Loudun,  le  calviniste  Saint-Albin 
a  imaginé  beaucoup  de  quolibets,  pour  écor- 
nider  d'autant  l'Eglise  romaine,  qu'il  vou- 
lait, comme  tant  d'autres,  démolir  un  peu, 
— mais  qu'on  ne  démolit  pas. 

BEKKER(BALTnsAn), docteur  en  théologie 
réformée,  et  ministre  à  Amsterdam,  i)é  en 
1G34.  «  Ce  Ballhasar  Bckkcr,  grand  ennemi 
de  l'enfer  éternel  ri  du  diable, et  encore  plus 
delà  précision,  dil  Voltaire,  fil  beaucoup  de 
bruit  en  son  temps  par  son  gros  livre  du 
Monde  enchanté.  »  A\ors  la  sorcellerie,  les 
possessions ,  étaient  en  vogue  dans  toute 
l'Europe,  ce  qui  le  détermina  à  combattre  le 
diable.  «  On  eut  beau  lui  dire,  en  prose  et  en 
vers,  qu'il  avait  tort  de  l'attaquer,  attendu 
qu'il  lui  ressemblait  beaucoup,  étant  d'une 
laideur  horrible:  rien  ne  l'arrêta;  il  com- 
mença par  nier  absolument  le  pouvoir  de 
Satan  ,  et  s'cnhardil  jusqu'à  soutenir  qu'il 
n'existe  pas.  «  S'il  y  avait  un  diable,  disait- 
il,  il  se  vengerait  de  la  guerre  queje  lui  fais.» 
Le  laid  bonhomme  se  croyait  important. «Les 
ministres,  ses  confrères,  prirent  le  parti  de 
Satan  et  déposèrent  Bckker.  » 

Il  avait  déjà  fait  l'esprit  fort  dans  de  prc- 
rédenls  ouvrages.  Dans  l'un  de  ses  catéchis- 
mes, le  Mets  de  carême  (2),  il  réduisait  les 
peines  de  l'enfer  au  désespoir  des  damnés, 
cl  il  en  bornait  la  durée.  On  l'accusa  de 
socinianisme  ,  et  son  catéchisme  fut  con- 
damné par  un  synode.  Il  publia,  à  l'oeca- 
sion  de  la  comète  de  1680,  des  recherches 
sur  les  comètes,  imprimées  en  flamand,  in-8, 
Leuwarde,  1683.  —  11  s'efforce  de  prouver 
«jue  ces  météores  ne  sont  pas  des  présages  de 
malheurs,  el  combat  les  idées  superstitieu- 
ses que  le  peuple  attache  à  leur  apparition. 
Va'I  ouvrage  fut  reçu  sans  opposition.  11  n'eu 
fut  pas  de  même  de  son  livre  De  Betooverde 

I     (1)  Saint-Albin,  Histoire  des  dialilesde  Loudun. 

(2)  Il  publia  deux  espèces  de  caiéciiisme  en  langue  hol- 
landaise, Vasle  spiie  (le  Mets  d*  carême),  et  Gesneden 
brood  (le  Pain  coupé). 

(3)  Bekker  élail  si  laid  que  La  Monnoye  Ot  sur  lui  celle 
épigrainme  : 

Oui,  par  toi,  de  Satan  la  puissance  est  bridés; 
Mais  lu  n'as  cependant  pas  encore  assez  fait  : 
Pour  nousôler  du  diable  entièrement  l'idée, 
Bfilter  supprime  ton  portrait, 
(i)  Pendant  que  les  ministres  d'Amsterdaiji  prenaient 
le  parti  du  diable,  un  ami  de   l'auteur  le  dél'eudit  dans 
on  ouvrage  intitulé  :  Le  Diable  Iriowpltant ,  parlant  sur 
le  mont  Parnasse;  mais  le  synode  ,  qui  avait  déposé 
Bekker,  uerévo(iua  passa  scutencc.  Ou  écrivit  conuc  lui 


wereld  (le  monde  ensorcelé),  imprimé  plu- 
sieurs fois,  et  traduit  on  français  sous  ce 
litre  :  «  Le  monde  enchanté,  ou  examen  des 
communs  senlimonts  toucliant  les  esprits, 
leur  nature,  leur  pouvoir,  leur  administra- 
tion et  leurs  opérations,  et  touchant  les 
effets  que  les  hommes  sont  capables  de  pro- 
duire parleur  communication  et  leur  verlu; 
divisé  en  quatre  livres;  »  k  forts  volumes  pe- 
tit in-12,  avec  le  portrait  de  l'auteur  (3), 
Amsterdam,  169i. 

L'auteur,  dans  cet  ouvrage,  qui  lui  fit  per- 
dre sa  place  de  ministre  (4),  cherche  à  prou- 
ver qu'il  n'y  a  jamais  eu  ni  possédés  ni  sor- 
ciers; que  tout  ce  qu'on  dil  des  esprits  malins 
n'est  que  superstitions,  etc.  Un  peu  pins 
tard  pourtant,  dans  une  défense  de  ses  opi- 
nions, il  admit  l'existence  du  diable;  mais  il 
ajouta  qu'il  le  croyait  enchaîné  dans  le» 
enfers  el  hors  délai  do  nuire. 

11  ne  fallait  pas,  pour  des  calvinistes  qui  se 
disent  si  lolérantsel  qui  le  sonlsi  peu,  pour- 
suivre si  sérieusement  un  livre  (jue  sa  pro- 
lixité seule  devait  rendre  illisible.  «  Il  y  a 
grande  apparence,  dil  encore  V^oltaire, qu'on 
ne  le  condamna  que  par  ledépit  d'avoir  perdu 
son  temps  à  le  lire.  »  —  Dans  lo  livre  1".  ou 
premier  volume,  qui  a  quatre  cents  pages, 
l'auteur  examine  les^  sentiments  que  les  pou- 
pies  ont  eus  dans  tous  les  temps  ot  qu'ils  ont 
encore  aujourd'hui  louchant  Dieu  et  les 
esprits;  il  parle  des  divinations,  de  l'art  ma- 
gique, des  manichéens  et  des  illusions  du 
diable;  il  entre  en  malièredèsle  tome  second. 
Ce  tome  ou  livre  second  a  733  pages  énor- 
mes. L'auteur  traite  de  la  puissance  des  es- 
prits, de  leur  influence,  des  effets  qu'ils  sont 
capablesdeproduire.il  prétend  qu'il  n'y  a 
aucune  raison  de  croire  qu'il  y  ait  des  dé- 
mons ou  auges,  ou  vice-dieux  ;  il  s'embarrasse 
cependant  avec  les  anges  d'Abraham  et  de 
Loth;  ildit  que  le  serpent  qui  tenta  nos  pre- 
miers parents  n'était  pas  un  diable,  mais  un 
vrai  serpent;  il  soutient  que  la  tentation  do 
Notrc-Seigiieur  par  le  diable  est  une  allégo- 
rie, ainsi  que  le  combat  du  diable  avec  saint 
Michel  :  que  Job  ni  saint  Paul  n'ont  pas  été 
tourmenlés  corporellement  par  le  diable;  il 
dit  que  les  possédés  sont  des  malades,  que 
les  vrais  diables  sont  les  hommes  méchants  , 
etc. 

Dans  le  troisième  volume,  Bekker  veut 
démontrer,  dans  le  méoïc  style  prolixe,  que 
le  commerce  avec  le  diable  et  les  pacles  des 
sorciers  sont  des  idées  creuses;  il  remarque 
que  les  livres  saints  ne  font  aucune  mention 

uuc  multitude  de  libelles.  Benjamin  Binet  l'a  réfuté  dans 
un  volume  intitulé  :  Traité  historique  des  dieux  du  pa- 
ganisme, avec  desreniarques  criliques  sur  le  système  de 
]lalthasar  Bekker.  Delft,  1696,  in-12.  Ce  volume  se  joint 
ordinairement  aux  quatre  de  Bekker;  il  a  aussi  été  im- 
primé suus  le  titre  d'Idée  générale  de  la  théologia 
païninie,  servant  de  réfutation  au  système  de  Balliiasar 
itf  kker,  etc.  Amsterdam  et  Trévoux ,  1699.  Les  autres 
rél'uialions  du  Monde  enchanté  sont  :  Melchioris  Leydi'k- 
keri  dissertalia  de  vulgalo  nuper  Bekkeri  volumine,  etc. 
lu-S"  Ultr;]jecll,  1695.  Brevis  nieditalio  academica  de  spi- 
riluum  actionibus  in  homiurs  spiri-'.ualibus,  cujus  doclrin»; 
usus  conlra  Hckkemm  et  alios  fanaticos  exhibelur  a  i.  Zi- 
pt'liio.  lu  8".  Fraucorfuili,  1701,  elc. 


189 


15KL 


IJEL 


loa 


d'.icU's  il('  société  avec  le  dialile,  que  les  do- 
vins  de  l'antiquilé  claieiit  des  iinlicciles  sans 
lalenlet  sans  pouvoir.  —  11  se  moi|ue,  dans 
le  qualriènie  volume,  de  ceux  qui  croient  à 
la  magie,  et  des  juges  qui  condamnent  les 
sorciers. 

BEL,  divinité  suprême  des  Chaldéens.Wié- 
rus  dit  que  c'est  un  vieux  démon  dont  la 
voix  sonne  le  creux  (1).  Les  peuples  qui  en 
firent  un  dieu  conlaientqu'au  commencement 
le  monde  n'était  qu'un  chaos  liahilé  par  des 
monstres;  que  Bel  les  tua,  arrangea  l'u- 
nivers, se  fit  couper  la  tête  par  un  de  ses 
serviteurs,  détrempa  la  terre  aven  son  sang 
cl  en  forma  les  animaux  et  les  hommes. 

BELAAM,  démon  donloii  nesait  rien  sinon 
qu'en  1C32  il  entra  dans  le  corps  d'une  des 
possédées  de  Loudun,  avec  Isaacarum  et 
Béliémoth  :  on  le  força  de  déloger  (2). 

BELBACHou  BELBOG.  Voy.  Belzebuth. 

BELEPHANTES,  astrologue  chaldécn  qui 
prédit  à  Alexandre,  selon  Diodore  de  Sicile, 
que  sou  entrée  à  Babylone  lui  serait  funeste: 
ce  qui  advint,  comme  chacun  sait. 

BELETTE.  Les  anciens  croyaient  que  la 
belette  faisait  ses  petits  par  la  gueule,  parce 
qu'elle  les  porte  souvent  entre  ses  lèvres, 
comme  font  les  chattes. 

Plularque  remarque  que  les  Thébains  hono- 
raient la  belette,  tandis  que  les  autres  Grecs 
regardaient  sa  rencontre  comme  un  présage 
funeste. 

On  prétend  que  sa  cendre,  appliquée  en 
cataplasme,  guérit  les  migraines  et  les  ca- 
taractes; et  le  livre  des  Admirables  Secrets 
<rAlbert  le  Grand  assure  que,  si  on  fait  man- 
ger à  un  chien  le  cœur  et  lu  langue  d'une 
belette,  il  perdra  incontinent  la  voix.  Il 
ajoute  imprudemment  un  secret  qu'il  dit 
éprouvé,  et  qu'il  certifie  infailliblo  :  c'est 
qu'un  amateur  n'aqu'àmanger  Icrœur  d'une 
belette  encore  palpitant  pour  prédire  les  cho- 
ses à  venir  (3)... 

BELLVL,  démon  adoré  des  Sidonicns.  L'en- 
fer n'a  pas  reçu  d'esprit  plus  dissolu,  plus 
crapuleux,  plus  épris  du  vice  pour  le  vice 
menu;.  Si  son  âme  est  hideuse  et  vile,  s  m 
extérieur  est  séduisant,  lia  le  maintien  plein 
de  grâce  et  de  dignité.  Il  eut  un  culte  a  So- 
dome  et  dans  d'autres  villes;  mais  jamais  on 
n'osa  trop  lui  ériger  des  autels.  Delancre  dit 
que  son  nom  signifie  rebelleou  désobéissant. 
—  Wiérus,  dans  son  inventaire  de  la  monar- 
chie de  Satan,  lui  consacre  un  grand  article. 
«  On  croit,  dit-il,  que  Bclial,  l'un  des  rois  de 
l'enfer,  a  été  créé  immédiatement  après  Lu- 
cifer, et  qu'il  entraîna  la  plupart  des  anges 
dans  la  révolte  :  aussi  il  fut  renversé  du  ciel 
un  des  premiers.  Lorsqu'on  l'évoque,  on  l'o- 
blige par  des  offrandes  à  répondre  avec  sin- 
cérité aux  questions  qu'on  lui  fait.  Mais  il 
conte  bien  vite  des  mensonges,  si  on  ne  1  ad- 
jure pas,  au  nom  de  Dieu,  de  ne  dire  que  la 
vérité. Il  se  montre quelquefoissous  la  figure 
d'un  ange  plein  de  beauté,  assis  dans  un  char 
de  feu;  il  parle  avec  aménité;   il  procure  les 

(I)  De  Prœstigiis  daem.,  lib.  I,  cap.  y 

(•i)  Hialoire  des  diables  de  Loudun. 

(j)  Les  Admirables  Sccicls  U'Alberl  lo  Grand,  liv.  Il, 


dignités  et  les  faveurs,  fait  vivre  les  amis  en 
bonne  intelligenee,  donne  d'habiles  servi- 
teurs. Il  commande  quatre-vingts  légions  de 
l'ordre  des  Vertus  et  de  l'ordre  des  Anges.  Il 
est  exaet  à  secourir  ceux  qui  se  soumettent 
à  lui;  s'il  y  manquait,  il  est  facile  de  le  châ- 
tier, comme  fil  Salomon,  qui  l'enferma  dans 
une  bouteilleavec  toutesses  légions,  lesquel- 
les font  une  armée  de  cinq  cent  vingt-deux 
mille  deux  cent  quatre-vingts  démons.»  Il 
fallait  que  la  bouteille  fût  de  grande  taille. 

Mais  Salomon  était  si  puissant  que,  dans 
une  autre  oj:casion,  il  emprisonna  pareille- 
ment six  mille  six  cent  soixan'e-six  millions 
de  diables  qui  ne  purent  lui  résister.  —  Des 
doctes  racontent  encore  que  Salomon  mit  la 
bouteille  où  était  Bélial  dans  un  grand  puits, 
qu'il  referma  d'une  pierre,  près  de  Babylone  ; 
que  les  Babyloniens  descendirent  dans  co 
puits  croyant  y  trouver  un  trésor;  qu'ils 
cassèrent  la  bouteille,  que  tous  les  diables 
s'en  échappèrent,  et  que  Bélial  ,  qui  avait 
peur  d'être  repris,  se  campa  dans  une  idole 
qu'il  trouva  vide  ,  et  se  mil  à  rendre  des 
oracles  ;  ce  qui  fit  que  les  Babyloniens  l'ado- 
rèrent ('i-). 

BELICHE.  C'est  le  nom  qu'on  donne  au 
diable  à  Madagascar.  Dans  les  sacrifices, 
on  lui  jette  les  premiers  morceaux  de  la 
victime,  avec  la  persuasion  qu'il  ne  fait 
point  de  mal  tant  qu'il  a  de  quoi  mettre  sous 
la  dent. 

BÉLIER.  Le  diable  s'est  quelquefois  trans- 
mué en  bélier,  et  des  maléficiés  ont  subi 
celle  métamorphose.  C'est  même  sur  une 
vieille  tradition  populaire  de  cette  espèce 
qu'Hamillon  a  bâti  son  conte  du  Bélier. 

Il  paraît  que  le  bélier  a  des  propriétés 
magiques  ;  car,  lorsqu'on  accusa  Léonora 
Galigaï,  femme  du  maréchal  d'Ancre,  d'avoir 
fiit  des  sorcelleries  ,  on  prétendit  que,  pen- 
dant qu'elle  &'occupait  des  maléfices,  elle  ne 
mangeait  que  des  crêtes  de  coq  et  des  ro- 
gnons di-  bélier 

Pour  l'inlluence  du  bélier,  signe  du  zodia- 
que, voyez  Astrologie  et  Horoscopes. 

BELIN  (Albert),  bénédictin  né  à  Besan- 
çon en  1(510.  On  recherche  parmi  ses  ou- 
vrages :  r  le  Traité  des  talismans,  ou 
Figures  astrales ,  dans  lequel  il  est  montré 
que  leurs  effets  ou  vertus  admirables  sont 
naturels,  ensemble  la  manière  de  les  faire 
et  de  s'en  servir  avec  profil,  in-12,  Paris, 
1671.  On  a  joint  à  l'édition  de  1709  un  traité 
du  même  auteur,  de  la  Poudre  de  sympathie 
justifiée  ;  2°  les  Aventures  du  philosophe  in- 
connu en  la  recherche  et  invention  de  la  pierre 
philosophate  ,  divisées  en  (juatre  livres,  au 
dernier  desquels  il  esl  parlé  si  clairemeul  de 
la  manière  de  la  faire  que  jamais  on  n'en  a 
traité  avec  tant  de  candeur.  In-12  ;  Paris, 
IGG'i.  et  1674. 

BELINUNCIA,  herbe  consacrée  à  Belenus, 
dont  les  Gaulois  employaient  le  suc  pour 
empoisonner  leurs  flèches.  Us  lui  altribuiiienl 
lu  yerlu  de  faire  tomber  la  pluie.  Lorsque  le 


cha 


ap.  III. 
(î)  \Yi 


Wicrus,  iu  PseudoSnon.  daernci 


I*! 


DICTIONNAIEK  DES  SCIIiiNCES  OCCULTES. 


<9î 


pays  étnit  affligé  d'une  sécheresse,  on  cueil- 
lait celle  herbe  avec  de  grandes  cérémonies. 
Les  femmes  des  Druides  clioisis-tnient  une 
jeane  vierge  qui  déposait  ses  vêletnenls  et 
marchait  à  la  télé  des  autres  femmes,  cher- 
chant l'herbe  sacrée  ;  quand  elle  l'avait 
trouvée,  elle  la  déracinait  avec  le  petit  doigt 
de  la  main  droite  ;  en  même  temps  ses  com- 
pagnes coupaient  des  branches  d'arbres  et 
les  portaient  à  la  main  en  la  suivant  jusqu'au 
bord  d'une  rivière  voisine  ;  là  ,  on  plongeait 
dans  l'eau  l'herbe  précieuse,  on  y  trempait 
aussi  les  branches  que  l'on  secouait  sur  le 
visage  de  la  jeune  fille.  Après  celte  cérémo- 
nie, chacun  se  relirait  en  sa  maison  ;  seule- 
ment la  jeune  vierge  était  obligée  de  faire  à 
reculons  le  reste  du  chemin. 

BELLOC  (Jeanne),  sorcière  du  pays  de 
Labour,  prise  à  vingt-quatre  ans,  sous  Henri 
IV.  Pierre  Delancre .  qui  l'interrogea,  dit 
qu'elle  commença  d'aller  au  sabbat  dans 
l'hiver  de  1609  ;  qu'elle  fut  présentée  au 
diable,  dont  elle  baisa  le  derrière,  car  il  n'y 
avait  que  les  notables  sorcières  qui  le  bai- 
sassent au  visage.  Elle  conta  que  le  sabbat 
est  une  espèce  de  bal  masqué  où  les  uns  se 
promènent  en  leur  forme  naturelle,  tandis 
que  d'autres  sont  transmués  en  chiens,  en 
chats,  en  ânes,  en  pourceaux  et  autres  bêles. 
Voy   Sabbat. 

BELMONTE,  conseiller  du  parlement  de 
Provence,  qui  eut  au  pied  une  petite  plaie 
où  la  gangrène  se  mit  ;  le  mal  gagna  vite,  et 
il  en  mourut.  Comme  il  avait  poursuivi  les 
sorciers  protestants  et  les  perturbateurs  ré- 
formés, les  écrivains  calvinistes  virent  dans 
sa  mort  prompte  un  châtiment  et  un  pro- 
dige (1).  C'était  au  seizième  siècle. 

BELOMANCIE.  Divination  par  le  moyen 
des  flèches.  On  prenait  plusieurs  flèches,  sur 
lesquelles  on  écrivait  des  réponses  relatives 
à  ce  qu'on  voulait  demander.  On  en  mellait 
de  favorables  et  de  contraires  ;  ensuite  on 
mêlait  les  flèches,  et  on  les  lirait  au  hasard. 
Celle  que  le  sort  amenait  éUn't  regardée 
comme  l'organe  de  la  volonté  des  dieux. — 
Celait  surtout  avant  les  expéditions  mili- 
taires qu'on  faisait  usage  de  la  bélomancie. 
Les  Chaldéens  avaient  grand'foi  à  cette  di- 
vination. 

Les  Arabes  devinent  encore  par  trois 
flèches  qu'ils  enferment  dans  un  sac.  Us 
écrivent  sur  l'une:  Commandez-moi,  Sei- 
gneur; sur  l'autre  :  Seigneur,  empêchez-moi, 
et  n'écrivent  rien  sur  la  troisième.  La  pre- 
mière flèche  qui  sort  du  sac  détermine  la 
résolution  sur  laquelle  on  délibère.  Voy. 
FLÈcnEs. 

BKLPHÉGOR ,  démon  des  découvertes  et 
des  inventions  ingénieuses.  11  prend  souvent 
un  corps  de  jeune  femme.  11  donne  des  ri- 
chesses. Les  Moabiles,  qui  l'appelaient  Baal- 
phégor,  l'adoraient  sur  le  monl  Pliégor.  Des 
rabbins  disent  qu'on  lui  rendait  hommage 
sur  la  chaise  percée  ,  et  qu'on  lui  offrait 

(t)  Cbassanion,  Des  Grands  ei  redoutables  jugements 
de  Dieu.  Morges.  1581,  p.  61. 

(2)  Nnii,!-Sei^'neiir  Jésus  Clirisl  mêrriR  lui  donne  oe 
noiu  fsaint   MaUtiii'U,   uli.   xn,  v.  2t;  saim  Lui-,  cli.  xi. 


l'ignoble  résidu  de  la  digestion.  C'était  digne 
de  lui.  C'est  pour  cela  que  certains  doctes 
ne  voient  dans  Belphégor  que  le  dieu  Pit  ou 
Crepitus  ;  d'autres  savants  soutiennent  qne 
c'est  Priape.  —  Selden,  cité  par  Banier.  pré- 
tend qu'on  lui  offrait  des  victimes  humaines, 
dont  ses  prêlres  mangeaient  la  chair.  Wiérus 
remarque  que  c'est  un  démon  (jui  a  toujours 
la  bouche  ouverte;  observation  qu'il  doit 
sans  doute  au  nom  de  Phégor,  lequel  signifie, 
selon  Leioyer,  crevasse  ou  fendasse,  parce 
qu'on  l'adorait  quelquefois  dans  des  ca- 
vernes, et  qu'on  lui  jetait  des  offrandes  par 
un  soupirail. 

BÉLUS,  premier  roi  des  Assyriens  ;  on  dit 
qu'il  se  fit  adorer  dans  des  temples  de  son 
vivant.  Il  était  grand  astrologue:  «J'ai  lu 
dans  les  registres  du  ciel  tout  ce  qui  doit 
vous  arriver,  disait-il  à  ses  enfants,  et  je 
vous  dévoilerai  les  secrets  de  vos  destinées.» 
11  rendit  des  oracles  après  sa  mort.  Bélus 
pourrait  être  le  même  que  Bel. 

BELZEBUTH  ou  BELZEBUfl  ou  BEELZE- 
BUTH,  prince  des  démons,  selon  les  Ecri- 
tures (2);  le  premier  en  pouvoir  et  en  crime 
après  Satan ,  selon  Milton  ;  chef  suprême  de 
l'empire  infernal,  selon  la  plupart  des  dé- 
monographes.  —  Son  nom  signifie  seigneur 
des  mouches.  Bodin  (3)  prétend  qu'on  n'en 
voyait  point  dans  son  temple.  C'était  la  di- 
vinité la  plus  révérée  des  peuples  de  Cha- 
naan,  qui  le  représentaient  (iuel(iuefoi'î  sous 
la  figure  d'une  mouche,  le  plus  souvent  avec 
les  attributs  dj  la  souveraine  puissance.  11 
rendait  des  oracles,  et  le  roi  Ochozias  le 
consulta  sur  une  maladie  qui  l'inquiétait; 
il  en  fut  repris  par  le  prophète  Elisée,  qui 
lui  demanda  s'il  n'y  avait  point  de  Dieu  en 
Israël,  pour  aller  ainsi  consulter  Belzébulh 
dans  le  pays  des  Philistins.  On  lui  attribuait 
le  pouvoir  do  délivrer  les  hommes  des  mou- 
ches qui  ruinent  les  moissons.  —  Presque 
tous  les  démonomanes  le  regardent  coimno 
le  souverain  du  ténébreux  empire  ;  et  chacun 
le  dépeint  au  gré  de  son  imagination.  Milton 
lui  donne  un  aspect  imposant,  et  une  haute 
sagess'  respire  sur  son  visage.  L'un  le  fait 
haut  comme  une  tour;  l'autre  d'une  taille 
égale  à  la  nôtre  ;  quelques-uns  se  le  figurent 
sous  la  forme  d'un  serpent  ;  il  en  est  qui  lo 
voient  aussi  sons  les  traits  dune  femme. 

Le  monarque  des  enfers,  dit  Palingène 
in  Zodiaco  vitœ,  est  d'une  taille  prodigieuse, 
assis  sur  un  trône  immense  ,  ayant  le  front 
ceint  d'un  bandeau  de  feu,  la  poitrine  gonflée, 
le  visage  bouffi,  les  yeux  élincelants,  les 
sourcils  élevés  et  l'air  menaçant.  11  a  les 
narines  extrêmement  larges,  et  deux  grandes 
cornes  sur  la  tête;  il  est  noir  comme  un 
Maure  :  deux  vastes  ailes  de  chauve-souris 
sont  attachées  à  ses  épaules  ;  il  a  deux  larges 
pattes  (le  canard,  une  queue  de  lion,  et  de 
longs  ()oils  depuis  la  tête  jusqu'aux  pieds. 

Les  uns  disent  de  plus  ([ue  Belzébulh  est 
encore  Priape  ;  d'autres,  comme  Porphyre, 

v.  15).  Los  scribes  reproclialent  au  Sauveur  qu'il  cliassait 
li'S  (Ijulilos  au  uoiii  (le  Bi.'lz;l>iilli,  prince  des  démons. 
(.")  OJiiiouoMiauif  des  surciors,  liv.  IV.  ch.  m. 


m  niN 

Je  confondent  avec  Baiclius.  On  a  cru  le  re- 
trouver dans  le  Beibog,  ou  Bolbach  (dieu  blanc) 
{les  Slavons,  parce  que  son  ima^c  ensan- 
glanlée  était  toujours  couverte  de  mouches, 
comme  celle  de  Bclzébulh  chez  les  Syriens. 
On  dit  aussi  que  c'est  le  même  que  Tlulou. 
Il  est  plus  vraisemblable  de  croire  que  c'est 
B;;al,  que  Wiérus  fait  empereur  des  enfers; 
d'autant  mieux  que  Belzébuih  ne  figure 
pus  sous  son  nom  dans  i'invcn!aire  de  la 
monarchie  infernale. 

On  voit,  dans  les  Clavicules  de  Salomon, 
que  Beizébuth  apparaît  quelquefois  sous  de 
monstrueuses  formes ,  comme  celles  d'un 
veau  énorme  ou  d'un  bouc  suivi  d'une  longue 
queue;  souvent,  néanmoins,  il  se  montre 
sous  la  figure  d'une  mouche  d'une  extrême 
grosseur.  Quand  il  est  en  colère,  ajoutet-on, 
il  vomit  des  flammes  et  hurle  comme  un 
loup.  Quelquefois  enfin  Astarolh  apparaît  à 
ses  côtés,  sous  les  traits  d'un  âne. 

BENEDICT  (Jean),  médecin  allemand  du 
seizième  siècle.  On  lui  doit  un  livre  sur  les 
Visions  el  les  révélations  naturelles  et  surna- 
turelles, qui  n'est  presque  pas  connu  (1). 

BtNOlT  VIII,  ce  lit  quarante-huitième  pape, 
élu  en  1012,  mort  en  102'».  On  lit  dans  Pla- 
tine, cité  par  Leloyer  et  par  Wiérus  (2),  que 
quelque  temps  après  sa  mort,  Benoît  VllI 
apparut,  monté  sur  un  cheval  noir,  à  un 
saint  évêque  dans  un  lieu  solitaire  et  écarté  ; 
que  l'évéque  lui  demanda  comment  il  se  fai- 
sait, qu'étant  mort,  il  se  montrât  ainsi  sur  un 
cheval  noir.  A  quoi  le  pape  répondit  que, 
pendant  sa  vie,  il  avait  été  convoileux  d'a- 
masser des  biens  ;  qu'il  était  en  purgatoire  ; 
mais  qu'il  n'élail  pas  damné,  parce  qu'il  avait 
fait  des  aumônes.  11  révéla  ensuite  le  lieu  où 
il  avait  caché  des  richesses,  et  pria  le  saint 
évêque  de  les  distribuer  aux  pauvres.  — 
Après  cela,  le  fantôme  (selon  le  récit)  se 
montra  pareillement  au  pape  son  succes- 
seur, et  le  supplia  d'envoyer  en  diligence  un 
courrier  à  Oiiilon,  abbé  de  Cluny,  pour  l'a- 
vertir qu'il  priai  Dieu  pour  le  r(  pos  de  son 
âme.  Odilon  le  fil  ;  et  peu  de  jours  après  on 
vit  un  homme  lumineux  entrer  dans  le 
cloître,  avec  d'autres  personnes  habillées  de 
blanc,  et  se  mettre  à  genoux  devant  Odilon. 
Un  religieux  demanda  qui  était  cet  homme 
de  si  haute  apparence,  qui  faisait  tant 
d'honneur  à  l'abbé-  Il  lui  fut  répondu  que 
c  était  Benoît  VIII  qui,  parles  prières  d'Odi- 
lon.  jouissait  de  la  gloire  des  bienheureux. 

BKNOIT  IX  ,  cent  cinquantième  pape,  élu 
en  1033,  dans  un  temps  de  troubles,  où  les 
partis  se  disputaient  Rome.  Il  eut  à  lutter 
contre  des  anti|)apes  qui  l'ont  fort  noirci.  On 
a  dit  qu'il  était  magicien,  et  que,  renversé  du 
saint-siége  par  ses  ennemis ,  il  y  remonta 
deux  fois  par  son  pouvoir  magique.  C'est  un 
peu  niais.  On  a  dt  encore  avec  autant  de  bon 
sens  qu'il  prédisaît  les  choses  futures,  el  qu'il 
était  habile  enchanteur  (3).  —  L'auleur  cal- 
viniste desGranUs  et  redoutables  jugements 

(t)  Joannis  Beriedicli  I.ihellusdfi  visionibus  el  revela- 
tioiiibiis  iialuralibiis  el  iJiviiiis.  lu-S".  Mogiinli;e,  15ii0. 

(2)  Leloyer,  Discours  des  speclres,  liv.  VI,  cli.  xiii. 
Visrus,  De  l^rscit.,  lib.  1,  cap.  xvi. 


BEN 


f9« 


de  DiiVi  ajoute  n.énu'  qui!  fol  éirr.itglé  par 
le  diable  ,  et  qu'après  sa  mort,  son  ime  fut 
condamnée  à  errer  dans  les  foiéls  ,  sous  la 
forme  d'une  bête  sauvage,  avec  un  corps 
d'ours  à  longs  poils  ,  une  queue  de  chat  et 
une  tête  d'âne.  Un  ermite  qui  le  rencontra  lui 
demanda  pourquoi  il  avait  celle  figure.  «  J'é- 
tais un  monstre,  répondit  Benoît,  et  vous 
voyez  mon  âme  telle  qu'elle  a  toujours  été.  » 
Voilà  qui  est  très  gracieux.  Mais  Benoît  IX, 
au  contraire,  mourut  dans  la  retraite  sous  le 
ciliée,  pieusement  et  saintement,  en  105'*.  Il 
est  encore  là  une  des  victimes  de  la  calomnie 
historique. 

BKNSOZIA.  Certains  canonistes  des  dou- 
zième et  treizième  siècles  s'élèvent  fortement 
contre  les  femmes  d'alors  qui  allaient  à  une 
espèce  de  sabbat  sur  lequel  il  ne  nous  est 
parvenu  que  très-peu  de  notions.  On  disait 
que  des  fées  ou  des  démons  transformés  en 
femmes  s'associaient  toutes  les  dames  qui 
voulaient  prendre  part  à  leurs  plaisirs;  et 
que  toutes,  dames  el  fées  ou  démons,  moulées 
sur  des  bêtes  ailée»,  allaient  de  nuii  faire  des 
courses  et  des  fêtesdaiis  les  airs.  Elles  avaient 
pour  chef  la  diablesse  ou  fée  Bensozia,  à 
qui  il  fallait  obéir  aveuglément  avec  une  sou- 
mission sans  réserve.  Celait,  dit-on,  la  Diane 
des  anciens  Gaulois  ;  on  l'appelait  aussi  No- 
cticula,  Hérodias  ou  la  Lune.  On  voit,  dans 
des  manuscrils  de  l'église  de  Cousérans,  quo 
des  dames  au  quatorzième  siècle  avaient  le 
renom  d'aller  à  cheval  aux  courses  noctur- 
nes de  Bensozia.  Toutes,  comme  les  sorcières 
au  sabbat,  faisaient  inscrire  leur  nom  sur  un 
catalogue,  et  après  cela  se  croyaient  fées.  On 
remarquait  encore  au  dernier  siècle,  à  Mont- 
morillon  eu  Poitou,  sur  le  porlicjue  d'un  an- 
cien temple  ,  une  femme;  enlevée  par  deux 
serpents  dans  les  airs.  C'était  sans  doute  le 
modèle  de  la  contenance  des  sorcières  ou 
fées  dans  leurs  courses  de  nuit  (4). 

BENTHAMÉLÉON.  Titus,  ayant  pris  Jéru- 
salem, publia  un  édit  qui  défendait  aux  Juifs 
d'observer  le  sabbat  et  de  se  circoncire  ,  et 
qui  leur  ordonnait  de  manger  toute  espèce  de 
viande.  Les  Juifs  consternés  envoyèrent  à 
Titus  le  rabbin  Siméon,  qui  passait  pour  un 
homme  très-habile.  Siméon  s'étant  mis  en 
chemin  avec  le  rabbin  Eléazar,  ils  rencon- 
trèrent un  diable,  nommé  Benthaméléon,  qui 
demanda  à  les  accompagner,  leur  avouant 
quelle  éîail  sa  nature,  mais  se  disant  enclin 
à  rendre  service  aux  Juifs  et  leur  promettant 
d'entrer  dans  le  corps  de  la  fille  de  Titus,  et 
d'en  sortir  aussitôt  qu'ils  le  lui  commande- 
raient, afin  qu'ils  pussent  g.igner  l'empereur 
par  ce  prodige.  Les  deux  rabbins  acceptèrent 
sa  proposition  avec  empressement  ;  et,  Ben- 
thaméléon ayant  tenu  parole,  ils  obtinrent 
en  effet  la  révocation  de  l'édit. 

BKRANDE,  sorcière  brûlée  à  Maubec,  près 
Beaumont  de  Lomaignie,  en  1577.  En  allant 
au  supplice,  elle  accusa  une  demoiselle  d'a- 
voir été  au  sabbat  ;  la  demoiselle  le  nia  :  Bé- 

{?>)  Naudé,  Apolrij^ie  pour  lous  les  grands  personnages 
souiiçonnésdc  magie,  ch.  xix, 
(i)  Dom  Uurlin,  i(elii;iou  des  Gaulois,  l.  II,  p.  59  et  Gti. 


195 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCILTES. 


1)6 


rande  lui  dit  :  —Oublies-tu  que  la  dernière 
fois  que  nous  fîmes  la  danse,  à  la  croix  du 
pâle,  tu  portais  le  pot  de  poison?...  Et  la  de- 
moiselle fut  réputée  sorcière  ,  parce  qu'elle 
ne  sut  que  répondre  (1) 

BERBIGUlEll.  Alexis-Vincent-Charles  Ber- 
biguior  de  Terre-Neuve  du  Thym,  né  à  Car- 
pentras,  est  un  auteur  qui  vit  peut-être  en- 
core et  qui  a  publié  en  1821  un  ouvrage  dont 
voici  le  titre  :  Les  Farfadets,  ou  Cous  les  dé- 
mons ne  sont  pas  de  l'autre  monde,  3  v.  in-8°, 
ornés  de  huit  lithographies  et  du  portrait  de 
l'auteur,  entouré  d'emblèmes,  surmonté  de 
cette  devise:  Le F/^au des  Far/'adets.— L'auteur 
débute  par  unedédicaceàtous  les  empereurs, 
rois,  princes  souverains  des  quatre  parties 
du  monde.  —  «  Réunissez  vos  efforts  aux 
miens,  leur  dit-il,  pour  détruire  l'influence 
des  démons,  sorciers  et  farfadets  qui  désolent 
les  malheureux  habitants  de  vos  Etals.  » 

11  ajoute  qu'il  est  tourmenté  par  le  diable 
depuis  vingt-trois  ans  :  et  il  dit  que  les  far- 
fadets se  métamorphosent  sous  des  formes 
humaines  pour  vexer  les  hommes.  Dans  le 
chapitre  2  de  son  livre ,  il  nomme  tous  ses 
ennemis  par  leur  nom,  soutenant  que  ce  sont 
des  démons  déguisés,  des  agents  de  Beizé- 
buth  ;  qu'en  les  appelant  infâmes  et  coquins, 
ce  n'est  pas  eux  qu'il  insulte,  mais  les  démons 
qui  se  sont  emparés  de  leurs  corps.  «  Ou  me 
fait  passer  pour  fou,  s'écrie-t-il  ;  mais  si  j'é- 
tais fou,  mes  ennemis  ne  seraient  pas  tour- 
mentés comme  ils  le  sont  tous  les  jours  par 
mes  lardoires,  mes  épingles,  mon  soufre,  mon 
sel,  mon  vinaigre  et  mes  cœurs  de  bœuf.  » 

Les  trois  volumes  sonten  quelque  sorte  les 
Mémoires  de  l'auteur,  que  le  diable  ne  quitte 
pas.  11  établit  le  pouvoir  des  farfadets  ;  il 
conte,  au  chapitre  k,  qu'il  s'est  fait  dire  la 
bonne  aventure  en  l'î96  par  une  sorcière 
d'Avignon,  appelée  la  Mansottc,  qui  se  ser- 
vait pour  cela  du  jeu  de  tarots.  «  Elle  y  ajou- 
ta, dit-il,  une  cérémonie  qui,  sans  doule ,  est 
ce  qui  m'a  rais  entre  les  mains  des  farfadets. 
Elles  étaient  deux  disciples  femelles  de  Sa- 
tan ;  elles  se  procurèrent  un  tamis  propre  à 
passer  de  la  farine,  sur  lequel  on  fixa  une 
paire  de  ciseaux  par  les  pointes.  Un  papier 
blanc  plié  était  posé  dans  le  tamis.  La  Man- 
sottc et  moi  nous  tenions  chacun  un  anneau 
des  ciseaux,  de  manière  que  le  tamis  était  , 
par  ce  moyen,  suspendu  en  l'air.  Aux  divers 
mouvements  du  tamis,  on  me  faisait  des  ques- 
tions qui  devaieut  servir  de  renseignements  à 
ceux  qui  voulaient  me  mettre  eu  leur  posses- 
sion. Les  sorcières  demandèrent  trois  pois  : 
dans  l'un  elles  enfermèicnt  (juclques-uns  dos 
tarots  jetés  sur  la  table,  et  prèférahlcment 
les  caries  à  figures.  Je  les  avais  tirées  du  jeu 
les  yeux  bandés.  Le  second  pot  fut  garni  de 
sel,  de  poivre  et  d'huile  ;  le  troisième  de  lau- 
rier. Les  trois  pots,  couverts,  furent  déposés 
dans  une  alcôve,  et  les  sorcières  se  retirè- 
rent pour  attendre  l'effet...  Je  rentrai  chez 
mot  à  dix  heures  du  soir  ;  je  trouvai  mes  trois 
croisées  ouvertes,  et  j'entendis  au-dessus  de 
ma  tétc  un  bruit   extraordinaire.   J'allume 


mon  flambeau;  je  ne  vois  rien.  Le  bruit  que 
j'entendais  ressemblait  au  mugissement  des. 
bétcs  féroces;  il  dura  toute  la  nuit.  Je  souf- 
fris trois  jours  diverses  tortures,  pendant  les- 
quelles les  deux  sorcières  préparaient  leurs 
maléfices.  Elles  ne  cessèrent ,  tant  que  dura 
leur  manège  ,  de  me  demander  de  l'argent. 
Il  fallait  aussi  que  je  fusse  là  pour  leur  don- 
ner du  sirop  ,  des  rafraîchissements  et  des 
comestibles  ;  car  leurs  entrailles  étaient  dé- 
vorées par  le  feu  de  l'enfer.  Elles  eurent  be- 
soin de  rubans  de  différentes  couleurs,  qu'el- 
les ne  mont  jamais  rendus.  Pendant  huit 
jours  que  dura  leur  magie,  je  fus  d'une  tris- 
tesse accablante.  Le  quatrième  jour,  elles  se 
métamorphosèrent  en  chais  ,  venant  sous 
mon  lit  pour  me  tourmenter.  D'autres  fois 
elles  venaient  en  chiens  :  J'étais  accablé  par 
le  miaulement  des  «ns  et  l'aboiement  des  au- 
tres. Que  ces  huit  jours  furent  longs  1  » 

Berbiguier  s'adressa  à  un  tireur  de  cartes, 
qui  se  chargea  de  combattre  les  deux  sorciè- 
res ;  mais  il  ne  lui  amena  que  de  nouveaux 
tourments. 

Dans  les  chapitres  suivants,  l'aulcur  se  fait 
dire  encore  sa  bonne  aventure  et  se  croit  ob- 
sédé; il  entend  sans  cesse  à  ses  oreilles  des 
cris  de  bêles  affreuses  ;  il  a  des  peurs  et  des 
visions.  Il  vient  à  Paris  pour  un  procès,  fait 
connaissance  d'une  nouvelle  magicienne,  qui 
lui  tire  les  cartes.  «  Je  lui  demandai,  dit-il, 
si  je  serais  toujours  malheureux  ;  elle  me 
répondit  que  non  ;  que,  si  je  voulais,  elle  me 
guérirait  des  maux  présents  et  à  venir,  et 
que  je  pouvais  moi-même  faire  le  remède. — 
Il  faut,  me  dit-elle,  acheter  une  chandelle  de 
suif  chez  la  première  marchande  dont  la  bou- 
tique aura  deux  issues,  et  tâcher,  en  payant, 
de  vous  faire  rendre  deux  deniers.  »  Elle  rao 
recommanda  de  sortir  ensuite  par  la  porte 
opposée  à  celle  par  laquelle  je  serais  entré  , 
et  de  jeter  les  deux  deniers  en  l'air  ;  ce  que 
je  fis.  Je  fus  grandement  surpris  d'entendre 
le  son  de  deux  écus  au  lieu  de  celui  des  deux 
deniers. 

L'usage  qu'elle  me  dit  de  faire  de  la  chan- 
delle fut  d'allumer  d'abord  mon  feu,  de  jeter 
dedans  du  sel,  d'écrire  sur  un  papier  le  nom 
de  la  première  personne  qui  m'a  persécuté, 
de  piquer  ce  papier  dans  tous  les  sens,  d'en 
envelopper  la  chandelle  en  l'y  fixant  avec 
une  épingle,  cl  de  la  laisser  brûler  entière- 
ment ainsi. 

Aussitôt  que  j'eus  tout  exécuté,  ayant  eu 
la  précaution  de  m'armer  d'un  couteau  en  cas 
d'altaque,  j'enlemlis  un  bruit  effroyable  dans 
le  tuyau  de  ma  cheminée  ;  je  m'imaginai  que 
j'étais  au  pouvoir  du  magicien  Moreau,  que 
j'avais  consulté  à  Paris.  Je  passai  la  nuit  à 
alimenter  le  feu,  en  y  jetant  de  grosses  poi- 
gnées de  sel  et  de  soufre,  pour  prolonger  le 
supplice  de  mes  ennemis...  » 

M.  Berbiguier  fit  neuf  jours  de  suite  la 
même  opération,  sans  se  voir  débarrassé  des 
farfidets  et  des  magiciens. 

Ses  trois  volumes  sont  partout  de  cette 
force,  el  nous  ne  dirons  rien  de  trop  en  ran- 


(1)  H.  Jules  GarincI,  Uistoire  (le  la  oiagic  en  Frani^c ,  p.  1:^2. 


<07 


RER 


«,'eant  cet  ouvrnpo  pnin)i  les  plus  rxlrnva- 
saiites  produclions.  L'auleur  se  croyait  en 
forrespoiidance  avec  des  sorciers  et  des  dé- 
mons. II  rapporte  dos  lettres  faites  par  des 
plaisants  assez  malhabiles  ,  et  qu'il  atlribue 
à  Lucifer,  à  Rolhomago  et  à  d'autres  dont 
elles  portent  les  signatures.  En  voici  une  qu'il 
a  transcrite  scrupuleusement. 
A  M.  Berbiguier. 
«  Abomination  de  la  délestation,  trenible- 
nienl  de  terre,  déluge,  tempête,  vent,  co- 
mèle,  planète,  Océan,  flux,  reflux,  génie, 
sylphe,  faune,  satyre,  Sylvain,  driade  et 
liamadriadc  ! 

»  Le  mandataire  du  grand  génie  du  bien  et 
du  mal,  allié  de  Belzébuth  et  de  l'enfer,  com- 
pagnond'armes  d'Aslaroth,  auteur  du  péché 
originel  et  ministre  du  Zodiaque,  a  droit  de 
posséder,  de  tourmenter,  de  piquer,  de  pur- 
ger, de  rôtir,  empoisonner,  poignarder  et  li- 
tifier  le  très-humble  et  très-patient  vassal 
Berbiguier,  pour  avoir  maudit  la  très-hono- 
rable et  indissoluble  société  magique  :  en  foi 
de  quoi  nous  avons  fait  apposer  les  armes  do 
la  société. 

»  Fait  au  soleil,  en  face  de  la  lune,  le  grand 
officier,  ministre  plénipotentiaire,  le  S818' 
jour  et  la  5819*  heure  de  nuil,  grand'croix  et 
tribun  de  la  société  magique.  Le  présent  pou- 
voir aura  son  effet  sur  son  ami  Coco  (C'était 
l'écureuil  de  M.  B  rbiguior). 

»    THÉSAUUOCUUYSONICOCnRYSIDès. 

»  Par  son  ex  ellencc  le  secrétaire, 

»    PiXCHICni-PiNCHI. 

»  30  mars  1818. 

*  P.  Sf  Dans  huit  jours  tu  seras  en  ma 
puissance;  malheur  à  loi,  si  lu  fais  paraître 
ton  ouvrage  1  » 

BEUENGEU,  hcrétifjue  du  onzième  siècle. 
Guillaume  de  Malmesbury  raconte  (1)  qu'.î 
son  lit  de  mort  Bérenger  reçut  la  visite  de 
son  ancien  ami  Fulbert,  lequel  recula  de- 
vant le  lit  (lù  gisait  le  malade,  disant  qu'il 
n'en  pouvait  approcher,  parce  qu'il  voyait 
auprès  de  lui  un  horrible  et  grand  démon 
Irès-puanl.  Les  uns  disent  qu'on  chassa  ce 
démon;  d'autres  assurent  qu'il  tordit  le  cou 
à  l'hérétique  mal  converti  et  l'emporla. 

BERGERS  On  est  encore  persuadé,  dans 
beaucoup  de  villages,  que  les  bergers  com- 
mercent avec  le  diable,  et  qu'ils  font  adroi- 
tement dos  maléfices.  Il  est  dangereux,  as- 
sure-t-on,  de  passer  près  d'eux  sans  les  saluer; 
ils  fourvoient  loin  de  sa  route  le  voyageur 
qui  les  ofl'ense,  font  naître  des  orages  devant 
ses  pas  et  des  précipices  à  ses  pieds.  On  conte 
là-dessus  beaucoup  d'histoires  terribles.  Vov. 
Dakîs.  •' 

Un  voyageur,  passant  à  cheval  à  l'entrée 
d'une  forêt  du  Mans,  renversa  un  vieux  ber- 
ger qui  croisait  sa  route,  et  ne  s'arrêta  pas 
pour  relever  le  bonhomme.  Le  berger,  se 
loui-nant  vers  le  voyageur,  lui  cria  qu'i'l  se 
youviendrait  de  lui.  L'homme  à  cheval  ne  fit 
pas  d'abord  allenlion  à  cette  menace  ;  mais 
tiientôt,  rélléchlssant  que  le  berger  pouvait 
lui  jelcr  un  maléfice,  et  tout  au  moins  l'éga- 
(1)  In  Uistoria  Anglor.  sub  Gulliclmo  I. 


i;r:R 


m 


rrr,  il  eut  rrgrcî  de  n'avoir  pas  été  jilus  hon- 
néle.  —  Comme  il  s'occupait  de  ces  pensées 
il  entendit  marchorderrière  lui  :  il  se  retourne' 
cl  entrevoit  un  spectre  nu,  hideux,  qui  le 
poursuit...  C'est  sûremonl  un  fanlôme  en- 
voyé par  le  berger...  Il  pique  son  cheval  qui 
no  peut  plus  courir.  Pour  comble  de  frayeur 
e  spectre  saute  sur  la  croupe  du  cheval,  en- 
lace de  ses  deux  longs  bras  le  corps  du  cava- 
lier, et  se  met  à  hurler.  Le  voyageur  fait  de 
vains  efforts  pour  se  dégager  du  monstre, 
qui  continue  de  crier  d'une  voix  rauque  Le 
cheval  s'efiraie  et  cherche  à  jeter  à  terré  sa 
double  charge;  enfin  une  ruade  de  l'animal 
renverse  le  spectre ,  sur  lequel  le  cavalier 
ose  à  peine  jeter  les  yeux.  Il  a  une  barbe  sale 
le  teint  pâle,  les  yeux  hagards;  il  fait  d'ef- 
froyables grimaces...  Le  voyageur  fuit  au 
plus  vite  :  arrivé  au  prochain  village,  il  ra- 
conte sa  mésaventure.  On  lui  apprend  que 
le  spectre  qui  lui  a  causé  tant  de  frayeur  est 
un  fou  échappé  qu'on  cherche  depuis  quel- 
ques heures  (2). 

Les  tnaléfiocs  de  bergers  ont  eu  quelque- 
fois des  suites  plus  fâcheuses.  Un  boucher 
avait  acheté  des  moutons  sans  donner  lo  pour- 
boire au  berger  de  la  ferme.  Celui-ci  se  ven- 
gea; en  passant  le  pont  qui  se  trouvait  sur 
leur  roule,  les  moutons  se  ruèrent  dans  l'eau 
la  léte  la  première. 

On  conie  aussi  qu'un  certain  berger  avait 
fait  un  sort  avec  la  corne  des  pieds  de  ses 
bétes,  comme  cela  se  pratique  parmi  eux 
pour  conserver  les  troupeaux  en  santé.  Il 
portait  ce  sort  dans  sa  poche  :  un  berger  du 
voisinage  parvint  à  le  lui  escamoter;  et, 
comme  il  lui  en  voulait  depuis  longtemps,  il 
mille  sort  en  poudre  et  l'enterra  dans  une 
fourmilière  avec  une  taupe,  une  grenouille 
verte  et  une  queue  de  morue,  en  disant  : 
mauclilion,  perdition,  destruction;  et  au  bout 
de  neuf  jours  il  déterra  son  maléfice  et  le 
sema  dans  l'endroit  où  devait  paître  le  trou- 
peau de  son  voisin,  qui  fut  détruit. 

D'autres  bergers,  avec  trois  cailloux  pris 
en  différents  cimetières  et  certaines  parole? 
magiques,  donnent  des  dyssenleries,  en  voient 
la  gale  à  leurs  ennemis,  et  font  mourir  au- 
tant d'animaux  qu'ils  souhaitent.  C'est  tou- 
jours l'opinion  des  gens  du  village.  Quoique 
les  bergers  ne  sachent  pas  lire,  on  craint  si 
fort  leur  savoir  et  leur  puissance,  dans  quel- 
ques hameaux,  qu'on  a  soin  de  recommander 
aux  voyageurs  de  ne  pas  les  insulter,  cl  do 
passer  auprès  d'eux  sans  leur  demander 
quelle  heure  il  est,  quel  temps  il  fera,  ou 
toile  autre  chose  semblable,  si  l'on  ne  veul 
avoir  des  nuées,  être  noyé  par  des  orages, 
courir  de  grands  périls,  et  se  perdre  dans  des 
chemins  les  plus  ouverts. 

11  est  bon  de  remarquer  que,  dans  tous 
leurs  maléfices,  les  bergers  emploient  des 
Pater,  des  .,4t«,  des  ncuvaines  de  chapelet. 
Mais  ils  ont  d'autres  oraisons  et  des  prières 
pour  la  conservation  des  troupeaux.  V'uy. 
ÏROLPEAUx;  et  pour  l'histoire  des  bergers  ua 
Brie,  Voy.  Hococe. 

(2)  Madame  Gabrielle  de  P"',  Hist.  dos  Faciûme»,  eic., 
p.  20o.  • 


irfl 


DIOTIONNAIUE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


■ÎOC 


BERITH.duc  aux  onfors,  prand  el  terrible. 
Il  osl  connu  sous  trois  nom';;  quelques-uns 
le  nomment  Béai,  les  Juifs  Bérilh  et  les  né- 
cromaneiens  Bolfri.  Il  se  montre  sous  les 
traits  d'un  jeune  soldat  habillé  de  rouge  des 
pirds  à  la  léte,  monté  sur  un  cheval  de 
même  couleur,  portant  la  couronne  au  front  ; 
il  répond  sur  le  passé,  le  présent  et  l'avenir. 
On  le  maîtrise  par  la  vertu  des  anneaux  ma- 
giques; mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  est 
souvent  menteur.  11  a  le  (aient  de  changer 
tous  les  métaux  en  or  :  aussi  on  le  nganle 
quelquefois  comme  le  démon  des  alchimistes. 
Il  donne  des  dignités  et  rend  la  voix  des 
chanteurs  claire  et  déliée.  Vingt-six  légions 
sont  à  ses  ordres. 

C'était  l'idole  des  Sichemites,  et  peut-cire 
est-ce  le  même  que  le  Béruth  de  Sanchonia  - 
(on ,  que  des  doctes  croient  être  Pallas  ou 
Diane. 

L"auleur  du  Solide  trésor  du  Petit  Albert, 
conte  de  Bérilh  une  aventure  qui  ferait  croire 
que  ce  démon  n'est  plus  qu'un  follet  ou  lutin, 
si  toutefois  c'est  le  même  Bérilh. 

«  Je  me  suis  trouvé,  dit-il,  dans  un  château 
où  se  manifestait  un  esprit  familier,  qui  de- 
puis six  ans  avait  pris  soin  de  gouverner 
l'horloge  el  d'étriller  les  chevaux.  Je  fus  cu- 
rieux un  malin  d'examiner  ce  manège  :  mon 
étonnement  fut  grand  de  voir  courir  lélrille 
sur  la  croupe  du  cheval ,  sans  qu'elle  parût 
conduite  par  aucune  main  visible.  Le  pale- 
frenier me  dit  que  pour  attirer  ce  farfadet  à 
son  service,  ii  avait  une  petite  poule  noire, 
qu'il  avait  saignée  dans  un  grand  cliemin 
croisé  ;  que  du  sang  do  la  poule,  il  avait  écrit 
sur  un  morceau  de  papier  :  «  Bérith  fera  ma 
besogne  pendant  vingt  ans,  el  je  le  récom- 
penserai; »  qu'ayant  ensuite  enterré  la  poule 
à  un  pied  de  profondeur,  le  même  jour  le  far- 
fadet avait  pris  soin  de  l'horloge  et  des  che- 
vaux, et  que  de  temps  en  temps  lui-même 
faisait  des  trouvailles  qui  lui  valaient  quel- 
que chose....  y> 

L'historien  semble  croire  que  ce  lutin  était 
nnc  mandr;igore.  Les  cabalisles  n'y  voient 
autre  chose  qu'un  sylphe. 

BERKELEY.  Nous  empruntons  cet  article 
à  M.  Michel  Masson  : 

«  George  Berkeley  passe,  à  bon  droit,  pour 
l'un  des  plus  grands  métaphysiciens  du  18* 
siècle.  L'Irlande  s'honore  de  l'avoir  vu  naî- 
tre :  il  a  laissé  de  beaux  ouvrages  ;  les 
sciences  lui  doivent  des  découvertes  utiles. 
Ces  laborieux  travaux  suffiraient  pour  lui 
assurer  une  incontestable  célébrité;  mais, 
aveuglé  par  un  fol  amour  de  la  gloire,  Ber- 
keley ne  se  contenta  pas  de  l'calime  de  ses 
cond'mporains,  il  voulut  attacher  à  son  nom 
l'admiration  de  la  postérité  ;  el,  pour  l'obte- 
nir, il  conçut  l'exlravaganl  projet  de  former 
un  géant.  Ayant  lu  dans  l'Ecriture  sainte 
que  le  fils  d'Enas  Og ,  roi  de  Basan,  avait 
plus  de  quinze  pieds  de  haut,  il  s'imagina 
qu'au  moyen  d'un  régime  alimentaire  conve- 
nable, il  parviendrait  à  f;iiro  croître  artifi- 
ciellement un  individu  ;iu  point  que  celui-ci 
pourrait  le  disputer  en  hauteur  de  taille  avec 
le  géant  de  la  Cible.  Mais  pour  arriver  à  ce 


but,  il  fallait  que  le  ùneteur  irlandais  eût  en 
sa  possession  une  créature  humaine,  dont  il 
ne  dût  plus  rendre  compte  que  devant  Dieu. 

Le  point  embarrassant  était  de  savoir  où 
rencontrer  le  sujet  nécessaire  à  son  auda- 
cieuse expérience.  Berkeley  se  mit  donc  en 
campagne  pour  le  trouver  ;  el,  plus  d'une  fois, 
au  moment  où  il  croyait  le  tenir,  son  espoir 
fut  trompé,  cl  il  se  vit  forcé  d'aller  chercher 
plus  loin  la  victime  qu'il  voulait  offrir  en  sa- 
crifice à  la  science.  » 

Enfin,  après  bien  des  recherches  el  bien 
des  tentatives  infructueuses,  «  il  a  en  sa  pos- 
session une  créature  abandonnée  des  hom- 
mes ,  sur  laquelle  il  croit  pouvoir  ,  sans 
crime,  fonder  son  impérissable  célébrité  I 

Maîire  absolu  de  cet  enfant,  qui  se  nom- 
mait Mac  Gralh,le  docteur  cotnmença  l.i 
série  d'expériences  qui  devait  faire  revivre 
drjns  l'Europe  moderne  les  grandes  races 
d'hommes  de  l'antiquité  biblique.  Berkeley 
avait  observé  que  les  plantes  les  plus  élevées 
sonl  celles  qui  croissent  là  où  ii  y  a  le  plus 
de  chaleur  humide;  que  les  arbrisseaux  de- 
viennent arbres  quand  ils  accomplissent  k 
l'ombre  et  dans  des  terrains  chauds  et  maré- 
cageux les  phénomènes  de  la  végétation  ;  il 
savait  que  la  croissance  est  plus  développée 
chez  les  habitants  des  pays  boisés  que  parmi 
les  hommes  qui  vivent  dans  des  contrées  ex- 
posées au  vent  el  au  soleil.  Fort  de  ces  obser- 
vations, Berkeley  relégua  son  élève  dans  uu 
lieu  où  il  eut  soin  d'entretenir  une  températu- 
re humide  et  chaude,  où  les  rayons  de  l'astre 
du  jour  ne  venaient  frapper  qu'obliquement; 
il  le  soumit  à  l'usage  abondant  de  la  bière, 
du  lait  et  de  l'hydromel.  11  lui  pro  ligua  des 
aliments  chauds  et  délayants;  il  l'obligea  à 
se  nourrir  de  tout  ce  ()ui  pouvait  engraisser, 
détendre  ,  ramollir  les  mailles  de  ses  tissus 
organiques;  il  le  sevra  de  toute  société  cl  il 
éloigna  tout  ce  qui  pouvait  éveiller  l'imagi- 
nation de  Mac  Gralh,ou  donner  quelque  ac- 
tivité à  son  esprit;  enfin  ,  il  le  condamna  à 
la  vie  animale  ;  car,  dans  sa  futile  el  coupa- 
ble vanité,  Berkeley  ne  demandait  à  la  science 
que  le  pouvoir  de  former  un  animal  prodi- 
gieux. 

L'orgueil  du  grand  docteur  dut  être  sa- 
tisfait :  à  l'âge  de  seize  ans,  Mac  Grath  avait 
déjà  sept  pieds  de  hautl  Ce  fait  extraordi- 
naire fui  consigné  dans  toutes  les  gazettes  de 
l'Europe;  les  poètes  du  temps  firent  des  vers 
à  la  louange  de  Berkeley  ;  de  toutes  parts  il 
recul  le  nom  d'immortel  ;  on  osa  ménie  dire 
qu  il  était  le  régénérateur  de  l'espèce  hu- 
maine, tandis  qu'il  n'était  que  le  bourreau 
d'un  enfant  1 

En  instruisant  son  élève,  en  cherchant  à 
former  son  coeur  el  son  esprit,  le  docteur  eût 
doté  la  société  d'un  homme  de  plus;  mais 
il  ne  songeait  qu'à  forcer  le  corps  de  Mac 
Gralh  à  grandir  outre  mesure,  sans  soup- 
çonner, l'impitoyable  savan(,  qu'il  allait  dou- 
der  au  monde  le  spectacle  de  l'infirmité  hu- 
maine la  plus  hideuse  :  l'idiotisme. 

«  A  mesure  que  Mae  Grath  continuait  à 
grandir,  SCS  facultés  morales  l'abandonnaient 
de  plus  en  plus  ;  il  avait  culièrcmcul  perdu 


201 


BER 


la  mémoire.  A  force  de  se  lenir  la  I6(e  cour- 
bée ,  il  avait,  pour  ainsi  dire  ,  oublié  que 
l'homme  est  né  pour  regarder  le  ciel.  Ses  or- 
ganes étaient  si  débiles,  si  disproportionnés, 
qu'il  ne  pouvait  plus  se  tenir  debout;  ses 
yeux  étaient  sans  mouvements  et  ne  voyaient 
plus  ;  sa  vois  grondait  dans  sa  poitrine  , 
mais  SCS  lèvres  n'articulaient  aucun  son.  On 
lui  parlait  et  il  n'entendait  pas  ;  on  lui  soule- 
vait le  bras,  il  le  laissait  machinalement  re- 
tomber; ses  doigts,  singulièrement  allongés, 
ne  se  ployaient  plus;  ses  larges  mains  ne 
savaient  plus  se  tendre  pour  prendre  ce  qu'on 
lui  présentait.  Insensible  à  la  joie  comme  à 
la  souffrance  ,  il  ne  sentait  ni  le  bien  ni  le 
mal  qu'on  pouvait  lui  faire.  Ni  les  caresses, 
ni  la  douleur  ne  le  réveillaient  de  son  stupide 
engourdissement  ;  mais  il  grandissait  tou- 
jours! 

«  Berkeley, que  l'intérêt  de  la  science,  pour 
parler  plus  vrai,  que  celui  de  sa  vanité  avait 
rendu  tout  à  fait  inhumain,  ne  tenait  aucun 
compte  del'affuiblissëmentdesa victime;  tou- 
jours dominé  par  la  même  pensée,  il  ne  son- 
geait qu'au  jour  désiré  ou,  dans  l'Europe 
entière,  retentirait  ce  cri  :  —  Og,  le  roi  de 
Basan,  est  retrouvé;  le  géant  de  Berkeley  a 
quinze  pieds!  Pour  l'honneur  de  l'humanité, 
Dieu  ne  permit  pas  que  l'orgueil  du  savant 
sortît  victorieux  de  cette  latte  insensée. 
L'heure  de  la  délivrance  sonna  pour  Mac 
Grath  ;  l'heure  du  remords  sonna  pour  le 
docteur.  Sa  victime  mourut  d'épuisement, 
comme  on  peut  mourir  après  une  agonie  qui 
a  duré  plus  de  quinze  ans. 

«  Espérons,  pour  le  repos  de  l'âme  de  Ber- 
keley qu'indigné  contre  lui-même,  il  eut 
horreur  du  crime  où  la  science,  détournée 
de  son  véritable  but,  avait  pu  le  conduire, 
ft  qu'en  déplorant  le  sort  du  malheureux 
Mac  Grath,  ce  n'est  pas  le  sujet  d'étude  que 
la  mort  lui  enlevait  trop  tôt  qu'il  regrettait 
en  lui,  mais  bien  la  créature  de  Dieu  dont  il 
avait  creusé  la  tombe,  à  force  d'avoir  voulu 
faire  violence  à  la  nature.  » 

BEHNA  (BeneDetto),  sorcier  qui,  au  rap- 
port de  Bodin  (1)  et  de  quelquesautrcs  démo- 
nographes,  avoua,  à  l'âge  de  quatre-vingts 
ans,  qu'il  avait  eu  des  liaisoi\s  pendant  qua- 
rante années  avec  un  démon  qu'il  nommait 
Hermione  ou  Hermeline,  et  qu'il  menait  par- 
tout avec  lui  sans  que  personne  l'aperçût  : 
il  s'entretenait  fréquemment, dit-on, avec  cet 
esprit  qu'on  ne  voyait  pas  ;  de  manière  qu'on 
le  prenait  pour  un  fou  (et  ce  n'était  pas  au- 
tre chose).  11  confessa  aussi  avoir  humé  le 
sang  de  divers  petits  enfants,  et  fait  plusieurs 
méchancetés  exécrables.  Pour  ces  fails  atro- 
ces il  fut  brûlé. 

BERNACHE  ou  BERNACLE,  voy.  Macreu- 
ses. 

BERNARD.  Cardan  pense  que  la  sorcelle- 
rie ne  fut  souvent  qu'une  espèce  de  maladie 

(1)  D#nionomanie  des  sorciers,  liv.  ii,  p.  27;). 

(2)  Voyez  dans  les  Léijendes  de  la  sainte  Vierge ,  l'en- 
faiil  de  cli'pur  de  Nnlre-Uame  du  Puy. 

(3)  De  Plijloso[/liiii  lirrmelica,  lib.  IV.  Strasbourg,  1jG7, 
1C82  ;  Nuremberg,  1613.  —  Opiis  liistorleo-dogiiiaiicum 
fieri  cliymeias,  cuin  J.-F.  l'ici  libris  Iritius  de  auro.  Ursel- 
lis,  1398.  I11-8". — Traclalusde  secrelissiino  |)liilosoplioruin 

DlCTIONX.    DES    SCIENCES    OCCUtTES.    I. 


BER  ioi 

hypocondriaque ,  causée  par  la  mauvaise 
nourriture  des  pauvres  diables  que  l'on  pour- 
suivaitcommesorciers.Ilraconlequesonpère 
sauva  un  jour  uu  paysan  nommé  Bernard, 
que  l'on  allait  condamner  à  mort  pour  sor- 
cellerie, en  lui  changeant  sa  façon  ordinaire 
de  vivre;  il  lui  donna  le  matin  quatre  œufs 
frais,  et  autant  le  soir  avec  de  la  viande  et 
du  vin;  le  bonhomme  perdit  son  humeur 
noire,  n'eut  plus  de  visions  et  évita  le  bû- 
cher. 

BERN.\RD  (Samuel),  voy.  Poule  noire. 

BERNARD  DE  ÏHURINGE,  ermite  alle- 
mand qui,  vers  le  milieu  du  dixième  siècle, 
annonçait  la  fin  du  monde.  Il  appuyait  son 
sentiment  sur  un  passage  de  l'Apocalypse, 
qui  porte  qu'après  mille  ans  l'ancien  serpent 
sera  délié.  Il  prétendait  que  ce  serpent  était 
l'antrchrist;  que  par  conséquent  l'année  9S0 
étant  révolue,  la  venue  de  l'anlechrist  était 
prochaine.  Il  disait  aussi  que  quand  le  jour 
(le  l'annonciation  Je  la  sninie  Vierge  se  ren- 
contrerait avec  le  vendredi  saint,  ce  serait 
une  preuve  cerlaine  de  la  fin  du  monde; 
celte  prédiction  a  eu  vainement  des  occasions 
de  se  vérifier  (2). 

BERNARD-LE-TRÉVISAN,  alchimiste  dU 
quinzième  siècle,  que  quelques-uns  croient 
avoir  été  sorcier,  né  à  Pudoue,  en  1406.  Il  a 
beaucoup  travaillé  sur  le  grand  œuvre,  et 
ses  ouvrages  inintelligibles  sont  recherchés 
des  alchimistes;  i's  roulent  tous  sur  la  pierre 
philosophale  (3). 

BERNOLD.  Voy.  Berthold. 

BERQUIN  (Louis),  gentilhomme  artésien j 
conseiller  de  François  S",  qui,  entraîné  par 
de  mauvaises  mœurs,  se  mit  à  déclamer  con- 
tre les  moines  et  à  donner  dans  le  luthéra-^ 
nisme.  Ses  livres  furent  brûlés,  et  la  protec- 
tion du  roi  le  sauva  seule  d'une  abjuration 
publique;  mais  on  le  reprit  bientôt.  Il  se  mê- 
lait aux  orgies  des  sorciers  ;  on  le  convainquit 
d'avoir  adoré  le  diable;  on  produisit  conlrè 
lui  de  si  tristes  griefs,  que  le  roi  n'osa  plus 
le  défendre,  et  il  fut  brûlé  en  place  de  Grève 
le  17  avril  1529. 

BERRID.  Voy.  Purgatoire. 

BERSON, docteur  en  théologie  et  prédica- 
teur visionnaire  de  la  cour,  sous  Henri  III. 
Il  s'imaginait  être  Enoch,  et  il  voulait  aller 
porter  l'Evangile  dans  le  Levant,  avec  un 
prêtre  llamand  qui  se  vantait  délre  Elle. 
Taillepied  dit  avoir  entendu  Berson  prêcher 
cette  bizarrerie  devant  le  frère  du  roi.  à 
Château  Thierry  (k). 

BERTHE.  Voy.  RoBERt,  roi. 

BERTHIER  (Guillaume-François),  célèbre 
jésuite,  mort  en  1782.  Voltaire  a  publié  la 
relation  de  la  maladie,  de  la  mort  et  de  l'ap- 
parition du  jésuite  Bcrlhier;  mais  ce  n'est 
qu'une  assez  mauvaise  plaisanterie.  Le  pèro 
Berthier  vivait  encore. 

BERTHOLD.  Après  la  mortaeOharles-le- 

opere  cliimico,  et  respoiisio  ad  Tbomam  de  Çononia.  Bàle, 
1600.  —  Opuscula  cheinica  de  lapide  pliilosoplioruin  ,  en 
français.  Anvers  15G7.  —  Beriiardus  redivivus,  vel  opus  de 
cliiiiiia,  liislorico-doijmalicura,  0  gallico  in  laliuuni  verS'jm; 
Francfort,  \0io 

(U  Psychologie  ou  Traité  de  l'apparition  deJ  espritè» 
ch.  5. 


«03 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


Chauve,  un  bonrgcois  de  Reims,  nommé 
Bcrlholci  ou  BeinolJ,  gravement  malade, 
ayant  reçu  les  sacremenls,  fut  quatre  jours 
sans  prendre  aucune  nourriture  et  se  sen- 
tit alors  si  faible,  qu'à  peine  lui  trouvait- 
on  un  peu  de  palpitation  et  de  respiration. 
Vers  minuit ,  il  appela  sa  femme  et  lui  dit  de 
faire  promptemenl  venir  son  confesseur.  Le 
prêtre  était  encore  dans  la  cour,  que  Borlhold 
dit  :  «  Mettez  ici  un  siège,  car  le  prêtre 
vient.  »  Le  confesseur,  étant  entré,  récita 
quelques  prières,  auxquelles  Berthold  répon- 
dit; puis  il  tomba  dans  une  longue  extase; 
rt,  quand  il  en  sortit,  il  raconta  un  voyage 
que  son  âme  venait  de  faire. 

M  était  allé  en  purgatoire ,  cotiduit  par  un 
esprit  ;  il  y  avait  vu  beaucoup  de  gens,  qu'on 
faisait  geler  et  bouillir  (our  à  tour.  Parmi  les 
prélats  se  trouvaient  Ebbon ,  archevêque  de 
il(i;is;  Léopardelle  ou  Pardule,  évêque  de 
Laon,  et  l'évêquc  Euée,  qui  étaient  vêtus 
il  babils  déchirés  et  roussis  ;  ils  avaient  le 
visnge  ridé,  la  figure  basanée.  Ils  l'appelè- 
rent: 

Recommandez  à  nos  amis,  direnl-ils,  de 
prier  pour  nous. 

Berthold  le  promit.  Revenu  à  lui ,  il  fit 
faire  la  commission  ,  tomba  derechef  en  ex- 
tase, cl,  retournant  en  purgatoire,  il  trouva 
à  la  porte  Ebbon  avec  lis  autres  prélats  qui 
en  sortaient ,  habillés  de  blanc,  et  qui  le  re- 
mercièrent, il  vit  ensuite  l'âme  du  roi  Char- 
li's-le-Chauve  étendue  dans  un  bourbier,  et 
tellement  décharnée,  qu'on  pouvait  compter 
ses  os  et  ses  nerfs. 

Priez  l'archevêque  Hincmar  de  me  soula- 
ger dans  mes  maux  ,  dit  le  roi. 

Volontiers,  répondit  Berthold. 

Il  fit  encore  la  commission,  et  le  roi  Char- 
les fut  soulagé.  De  plus ,  il  fit  écrire  aux 
parents  du  monarque  défunt  l'état  dé- 
plorable où  il  se  trouvait. 

Un  peu  plus  loin,  Berthold  avait  vu  Jessé, 
évêque  d'Orléans,  que  quatre  démons  plon- 
geaient allernativemenl  dans  la  poix  bouil- 
lante et  dans  l'eau  glacée. 

Ami ,  priez  les  miens  de  s'intéresser  à  moi, 
avait-il  dit  à  Berthold. 

Le  bonhomme  se  chargea  encore  de  celle 
prière;  et  il  vit  le  comte  Olhnire  qui  était 
dans  les  tourments.  Il  fit  dire  à  la  femme 
d'Othaire,  à  ses  vassaux  et  à  ses  amis  de 
faire  des  prières  et  des  aumônes  pour  lui. 
Après  tout  cela,  Berthold  se  porta  mieux  et 
vécut  à  nouveau  quatorze  ans ,  comme  le  lui 
avait  promis  celui  qui  l'avait  conduit  devant 
tous  ces  personnages  (l).-.- 

BERTHOMÉ  DU  UGmN,àHChnmpagnal, 
sorcier  jugé  à  Montmorillon,  en  Poitou,  dans 
l'année  1599.  Il  avoua  que  son  père  l'avait 
mené  au  sabbat  dès  sa  jeunesse;  qu'il  avait 
promis  au  diable  son  âme  et  son  corps  ;  qu'à 
la  Saint-Jean  dernière,  il  avait  vu  un  grand 
sabbat  où  le  diable  les  faisait  danser  en  rond; 
qu'il  se  mettait  au  milieu  de  la  danse  ,  eu 

(l)  Hinotnari  archiep.  Epist.,  t.  II,  p.  806.  Leloyer, 
Disc,  et  hisl.  des  speclres,  liv.  VI,  cli.  xm.  Dom  Caliiiel, 
Trailé  sur  les  apparit..  ch.  46.  M.  Garinet,  Histoire  île  la 
Qiagie  eu  France,  p.  S6. 


504 

forme  de  bouc  noir,  donnant  à  chacun  une 
chandplle  allumée,  avec  laquelle  ils  allaient 
lui  baiser  le  derrière;  que  le  diable  lui  oc- 
troyait à  chaque  sabbat  quarante  sous  en 
monnaie,  et  des  poudres  pour  faire  des  ma- 
léfices ;  que  quand  il  le  voulait ,  il  appelait  le 
diable  qui  venait  à  lui  comme  un  tourbillon 
de  vent;  que  la  nuit  dernière  il  était  venu  le 
visiter  en  sa  prison  et  lui  avait  dit  (]u'il  n'a- 
vait pas  moyen  de  le  (irer  d'où  il  était;  que 
le  diable  défendait  à  tous  de  prier  Dieu,  d  al- 
ler à  la  messe,  de  faire  les  Pâques  ;  et  que 
pour  lui,  il  avait  fait  mourir  plusieurs  per- 
sonnes et  plusieurs  bêles,  au  moyen  des  pou- 
dres qu'on  lui  donnait  au  sabbat  i'-2]. 
BERTHOMÉE  DE  LA  BEDOUGUE.  Voy. 

BONNEVAULT. 

BÉRUTH.  Voy.  Bérith. 

BETES.  Il  y  a,  dans  les  choses  prodigieu- 
ses de  ce  monde,  beaucoup  de  bêles  qui  figu- 
rent avec  distinclion.  Les  bêtes  ont  élé  long- 
temps des  instruments  à  présages  :  les  sor- 
ciers et  les  démons  ont  emprunté  leurs  for- 
mes ;  et  souvent  on  a  brûlé  des  chats  et  dos 
chiens  dans  lesquels  on  croyait  reconnaître 
un  démon  caché  ou  une  sorcière. 

Dans  les  campagnes,  on  effraie  encore  les 
enfants  avec  la  menace  de  la  Bêle  à  sept  têtes, 
dont  l'imagination  varie  en  tous  lieux  la 
laideur.  L'opimon  de  cette  bête  monstrueuso 
remonte  à  la  Bêle  de  l'Apocalypse. 

Des  personnes  accoutumées  aux  visions 
extraordinaires  ont  vu  quelquefois  des  spec- 
tres de  bêles.  On  sait  la  petite  anecdote  do 
ce  malade  à  qui  son  médecin  disait  :  — 
Amendez-vous,  car  je  viens  de  voir  le  diable 
à  votre  porte.— Sous  quelle  forme?  demanda 
le  moribond.  —  Sous  cille  d'un  âne.  —  Bon  , 
répliqua  le  malade,  vous  avez  eu  peur  de 
votre  ombre. 

Des  doctes  croient  encore  que  les  animaux, 
à  qui  ils  n'accordent  point  d'âme,  peuvent 
revenir,  et  on  cite  des  spectres  de  ce  genre. 

Meyer,  professeur  a  l'Université  de  Halle, 
dans  son  Essai  siu-  les  apparilions ,  §  17,  dit 
que  les  revenants  et  les  spectres  ne  sont  peut- 
être  que  les  âmes  des  bêles  qui,  ne  pouvant 
aller  ni  dans  le  ciel  ni  dans  les  enfers,  restent 
ici  errantes  et  diversement  conformées.  Pour 
que  cette  opinion  eût  quelque  fondement,  il 
faudrait  croire,  avec  les  péripatéticiens,  que 
les  bêles  ont  une  âme  quelconque,  ce  qui 
n'est  pas  facile. 

Les  pythagoriciens  sont  allés  plus  loin;  ils 
ont  cru  que  par  la  métempsycose  les  âmes 
passaient  successivement  du  corps  d'un 
homme  dans  celui  d'un  animal.  Ils  respec- 
taient les  brutes,  et  disaient  au  loup  : 

Bonjour,  frère. 

Le  père  Bougeant ,  de  la  compagnie  do 
Jésus ,  dans  un  petit  ouvrage  plein  d'esprit, 
\' Ainusp.menl  philosophique  sur  le  langage  des 
bêtes ,  adopta  par  plaisanterie  un  sysièaie 
assez   singulier.   Il  trouve   aux  bêles   trop 

(2)  Discours  sonim.tire  des  sortilèges  et  véiiéDces  liri 
des  proci^s  criminels  jugés  au  siège  royal  de  MouUnoiil' 
Ion,  en  Poitou,  en  l'auiiec  1^99,  p.  29. 


205 


ni.v 


DIE 


206 


d'esprit  et  (le  sentiment  pour  n'avoir  pas  une 
âme;  mais  il  prétend  qu'elles  sont  animées 
par  des  démons  qui  l'ont  pénitence  sous  celte 
enveloppe,  en  attendant  le  jugement  dernier, 
époque  où  ils  seront  plongés  en  enfer.  Ce 
système  est  soutenu  de  la  manière  la  plus 
ingénieuse  :  ce  n'était  qu'un  amusement;  on 
le  prit  trop  au  sérieux.  L'auteur  fut  grave- 
ment réfuté  et  obligé  de  désavouer  publique- 
ment des  opinions  qu'il  n'avait  mises  au  jour 
que  comme  un  délasst'ment. 

Cependant,  le  père  Gaston  Pardies  ,  de  la 
même  société  de  Jésus  avait  écrit,  quel- 
que temps  auparavant,  que  les  bêles  ont  une 
certaine  âme  (1),  et  on  ne  lavait  pas  repris. 
Mais  on  pensa,  qu'auprès  de  certains  esprits, 
l'ingénieux  amusement  du  père  Bougeant 
pouvait  faire  naître  de  fausses  idées. 

BEURRE.  On  croit, dans  plusieurs  villages, 
empêcher  le  beurre  de  se  faire  en  récitant 
à  rebours  le  psaume  Nulite  fieri  (2).  Bodiu 
ajoute  que,  par  un  effet  d'antipathie  natu- 
relle, on  obtient  le  môme  résultat  en  met- 
tant un  peu  do  sucre  dans  la  crème  ;  et  il 
conte  qu'élanlàChelles,  en  Valois,  il  vit  une 
chambrière  qui  vouhiil  faire  fouetter  un  petit 
laquais,  parce  qu'il  l'avait  tellement  maléfi- 
ciée,  en  récitant  à  rebours  le  psaume  cité, 
que  depuis  le  matin  elle  ne  pouvait  faire  sou 
beurre.  Le  laquais  récita  alors  naturellement 
le  psaume,  et  le  beurre  se  fit  (3). 

Dans  le  Finistère,  dit-on  ,  l'on  ensorcelle 
encore  le  beurre.  On  croit  aussi  dans  ce  pays 
que  si  l'on  offre  du  beurre  à  saint  Hervé,  les 
bestiaux  qui  ont  fourni  la  crème  n'ont  rien 
à  craindre  des  loups,  parce  que  ce  saint  étant 
aveugle  se  faisait  guider  par  un  loup  (V). 

BEURRE  DES  SORCIÈRES.  Le  diable  don- 
nait aux  sorcières  de  Suède,  entre  autres 
animaux  destinés  à  les  servir,  des  chats 
qu'elles  appelaient emporleurs,  parce  qu'elles 
les  envoyaient  voler  dans  le  voisinage.  Ces 
emporteurs,  qui  étaient  très-gourmands  , 
profitaient  de  l'occasion  pour  se  régaler 
aussi,  et  quelquefois  ils  s'emplissaient  si 
fort  le  ventre,  qu'ils  étaient  obligés  en  che- 
min de  rendre  gorge.  Leur  vomissement  se 
trouve  habilucUemcnl  dans  les  jardins  pota- 
gers. «  Il  a  une  couleur  aurore  et  s'appelle 
\e  leurre  des  sorcières  {^).  » 

BEVERLAND  (Adrien)  ,  avocat  hollandais, 
de  Middelbourg,  auleur  des  Recherches  phi- 
losophiques sur  le  péché  originel  (6) ,  pleines 
de  grossièretés  infâmes.  Les  protestants  mê- 
mes ,  ses  co-religionnaires,  s'en  indignèrent 
et  mirent  cet  homme  en  prison  à  Leyde;  il 
s'en  échappa  et  mourut  fou,  à  Londres,  en 
1712.  Sa  folie  était  de  se  croire  constamment 
poursuivi  par  deux  cents  hoaunes  qui  avaient 
juré  sa  mort  (7). 

(1)  Dans  son  Disc,  (le  la  connaissance  des  bôles.  Paris, 
t'  é.l.,  1696. 

(2)  Thiers,  Traité  des  superaliUons,  t.  I".  Il  n'y  a  pas 
de  lisanme  Nolite  fieri.  Ce  n'csl  qu'uae  (Ji\i:>ion  du 
psaume  31. 

(3)  Démononianic  dos  sorciers,  liv.  H,  cli.  1". 

il)  Canibry,  Voyage  dajis  le  Fioislèrc,  l.  1",  p.  14  et  13. 
bi\  Bekker,  Le  Momie  eiirhanlé,  liv.  IV,  cli.  21. 
(6)  Hadriaui   Boverlandi   peccaluin   originale   pliilolo- 
gice  eluciibratum ,  a 'l'iieuiidis  alumno,  EleviUicropoli  in 


BEYREVRA ,  démon  indien,  chef  des  âmes 
qui  errent  dans  l'espace,  changées  en  démons 
aériens.  On  dit  qu'il  a  de  grands  ongles  très- 
crochus.  Brahma  ayant  un  jour  insulté  un 
dieu  supérieur, Beyrevra,  chargé  de  le  punir, 
lui  coupa  une  tête  avec  son  ongle.  Brahma  , 
humilié,  demanda  pardon,  et  le  dieu  Es- 
wara  lui  promit ,  pour  le  consoler,  qu'il  ne 
serait  pas  moins  respecté  avec  les  quatre 
têtes  qui  lui  restaient,  qu'il  ne  l'était  aupa- 
ravant avec  cinq. 

RIAULE,  berger  sorcier.  Voy.  Hocque. 

BIBLE  DU  DLVBLE.  C'est  sans  doute  le 
grimoire  ou  quelqu'autre  fatras  de  ce  genre. 
Mais  Delancre  dit  que  le  diable  fait  croire 
aux  sorciers  qu'il  a  sa  Bible,  ses  cahiers  sa- 
crés, sa  théologie  et  ses  professeurs;  et  un 
grand  magicien  avoua,  étant  sur  la  sellette 
au  parlement  de  Paris,  qu'il  y  avait  à  Tolède 
soixante-treize  maîtres  en  la  faculté  de  magie, 
lesquels  prenaient  pour  texte  la  Bible  du 
diable  (8). 

BIBLIOMANCIE  ,  divination  ou  sorte  d'é- 
preuve employée  autrefois  pour  reconnaître 
les  sorciers.  Elle  consistait  à  mettre  dans  un 
des  côlés  d'une  balance  la  personne  soup- 
çonnée de  magie,  et  dans  l'aulre  la  Bible  : 
si  la  personne  pesait  moins,  elle  était  inno- 
cente ;  si  elle  pesait  plus,  elle  était  jugée 
coupable;  ce  qui  ne  manquait  guère  d'arri- 
ver, car  bien  peu  d'in-folio  pèsent  un  sor- 
cier. 

On  consultait  encore  la  destinée  ou  le  sort , 
m  ouvrant  la  Bible  avec  une  épingle  d'or, 
rt  en  tirant  présngc  du  premier  mot  qui  se 
présentait. 

BIETKA.  Il  y  avait  en  1597,  à  Wilna  en 
Pologne  ,  une  fille  nommée  Bietka,  qui  était 
recherchée  par  un  jeune  homme  appelé  Za- 
charie.  Les  parents  de  Zacharie  ne  consen- 
tant point  à  son  mariage,  il  tomba  dans  la 
mélancolie  et  s'étrangla.  Peu  de  temps  après 
sa  mort,  il  apparut  à  Biclki,  lui  dit  qu'il  ve- 
nait s'unir  à  elle  et  lui  tenir  sa  promesse  do 
mariage.  Elle  se  laissa  persuader  ;  le  mort 
l'épousa  donc,  mais  sans  témoins,  (iette  sin- 
gularité ne  demeura  pas  longtemps  secrète, 
on  sut  bientôt  le  mariage  de  Biclka  avec  un 
esprit,  on  accourut  de  toutes  parts  pour 
voir  la  mariée;  et  son  aventure  lui  rapporta 
beaucoup  d'argent,  car  le  revenant  se  mon- 
trait et  rendait  des  oracles;  mais  il  ne  don- 
nait ses  réponses  que  du  consentement  de  sa 
femme,  qu'il  fallait  gagner,  il  faisait  aussi 
beaucoup  de  tours  ;  il  connaissait  tout  1« 
présent,  et  prédisait  un  peu  l'avenir.        't^    : 

Au  bout  de  trois  ans,  un  magicien  italien 
ayant  laissé  échapper  depuis  ce  temps  uu 
esprit  qu'il  avait  longtemps  maîtrisé  ,  vint 
en  Pologne,  sur  le  bruit  des  merveilles  de, 

liorlnHesperidum,  typis  Adami  et  Evai,  tcri*lil.  in-8*,' 
1678.  La  Justa  dctestalio  lihelli  sccleralissimi  Hadriani 
Beverlandi  do  peccaloorigiuali.  In-S".  Gorincliemii,  1680, 
est  une  réfntalion  de  cet  écrit  déleslable,  dOiit  on  a  pti- 
hlié  en  173^,  iii-12  ,  une  iinitaliou  mêlée  de  contes  aussi 
méprisés. 

(7)  fjabriel  Peignot,  Dict.  des  livres  condamnfesaii  .eu, 

(8)  Delancre,Iiu-rcdiilitéclmécréancedusorlilége,elc., 
Irailc  7.  Voyeï  UniversUc. 


i07 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


208 


l'époux  de  Riclka,  dt^clara  que  le  prétendu 
revenant  était  le  démon  qui  lui  appartenait, 
le  renferma  de  nouveau  dans  une  bague,  et 
le  remporta  en  Italie,  en  assurant  qu'il  eût 
causé  de  très-grands  maux  en  Pologne  s'il 
l'y  ciit  laissé  (1).  De  sorte  que  la  pauvre 
Bietka  en  fut  pour  trois  années  de  mariage 
avec  un  démon.  Le  fait  est  raconté  par  un 
écrivain  qui  croit  fermement  à  ce  prodige, 
et  qui  s'étonne  seulement  de  ce  que  ce  dé- 
mon était  assez  matériel  pour  faire  tous  les 
jours  ses  trois  rcp;is.  Des  critiques  n'ont  vu 
là  qu'une  suite  de  supercheries,  à  partir  de 
la  prétendue  strangulation  de  l'homme  qui 
fil  ensuite  le  revenant. 

BIFRONS,  démon  qui  parait  arec  la  figure 
d'un  monstre.  Lorsqu'il  prend  forme  hu- 
maine, il  rend  l'homme  savant  en  astrologie, 
cl  lui  enseigne  à  connaître  les  influences  des 
planètes  ;  il  excelle  dans  la  géométrie  ;  il 
connait  les  vertus  des  herbes ,  des  pierres 
précieuses  et  des  plantes  ;  il  transporte  les 
cadavres  d'un  lieu  à  un  autre.  On  l'a  va 
aussi  allumer  des  flambeaux  sur  les  tom- 
beaux des  morts.  Il  a  vingt-six  légions  à  ses 
ordres. 

BIFROST.  L'Edda  donne  ce  nom  à  un  pont 
tricolore,  qui  va  de  la  terré  aux  cieux  ,  et 
qui  n'est  que  l'arc-en-ciel ,  auquel  les  Scan- 
dinaves attribuaient  la  solidité.  Ils  disaient 
qu'il  est  ardent  comme  un  brasier,  sans  quoi 
les  démons  l'escaladeraient  tous  les  jours. 
Ce  pont  sera  mis  en  pièces  à  la  fin  du  monde, 
après  que  les  mauvais  génies  sortis  de  l'en- 
fer l'auront  traversé  à  cheval.  Voy.  Surtlr. 
BIGOIS  ou  BIGOTIS,  sorcière  toscane  qui, 
dil-on  ,  avait  rédigé  un  savant  livre  sur  la 
■connaissance  des  pronostics  donnés  par  les 
éclairs  et  le  tonnerre.  Ce  savant  livre  est 
perdu,  et  sans  doute  Bigoïs  est  la  môme  que 
Bagoé. 

BILIS.  Les  Madécasses  désignent  sous  ce 
nom  certains  démons,  qu'ils  appellent  aussi 
anges  du  septième  ordre. 

BILLARD  (Pierre).  Né  dans  le  Maine  en 
1653,  mort  en  172G,  auteur  d'un  volume  in- 
12,  intitulé  la  Béte  à  sept  têtes,  qui  a  paru 
en  1693.  Cet  ouvrage  lourd,  dirigé  contre  les 
jésuites,  est  très-absurde  et  très-niais.  Se- 
lon Pierre  Billard  ,  la  bêle  à  sept  tétos  pré- 
dite par  l'Apocalypse  était  la  société  de 
Jésus. 

BILLIS,  sorciers  redoutés  en  Afrique  ,  où 
ils  empêchent  le  riz  de  croître  et  de  mûrir. 
Les  nègres  mélancoliques  deviennent  quel- 
quefois sorciers  ou  billis  ;  le  diable  s'em- 
fiare  d'eux  dans  leurs  accès  de  tristesse,  et 
eur  apprend  alors,  disent-ils,  à  faire  des 
maléfices  et  à  connaître  les  vertus  des  piau- 
les magiques. 

BINET  (Benjamin),  auteur  du  petit  volume 
intitulé  :  Traité  des  dieux  et  des  démons  du 
iiayanisme,  avec  di's  reniarciues  critiques  sur 
le  système  de  Bekker;  Delfl,  1(;96,  in-12. 

BINET  (Claude).  On  recherche  de  Claude 
Binel,  avocat  du  seizième  siècle,  les  Oracles 
des  douze  sibylles,  extraits  d'un  livre  antique, 
avec  les  figures  des  sibylles  portrailes  au  vif, 


par  JeanRabcl,  traduit  du  lalin  de  Jean  Do- 
rat  en  vers  françnis,  Paris,  1380,  in-fulio. 

BIRAGIJES   (Flaminio  ire.),  auteur  d'une 
facétie  inlilulée  :  l'Enfer  delà  mère  Cardine, 
traitant  de  l'horrible  bataille  qui  fut  aux  en- 
fers aux  noces  <ia  portier  Cerberus  et  de  Car- 
dine, in  8°,  Paris,  1585et  1597.  C'est  unesalire 
qui  ne  tient,  que  si  on  le  veut  bien,  à  la  dé- 
monographie. P.  Diilot  l'a  réimprimée  à  cent 
exemplaires  en    1793.    L'auteur   était   ne- 
Teu  du  chancelier  de  France,  René  de  Bi- 
ragiies. 

BIRCK  (Humbert),  notable  bourgeois 
d'Oppenheim  et  maître  de  pension  ,  mort  eu 
novembre  1620.  peu  de  jours  avant  la  Saint- 
Martin.  Le  samedi  qui  suivit  ses  obsèques  , 
on  ouït  certains  bruits  dans  la  maison  où  il 
avait  demeuré  avec  sa  première  femme;  car, 
étant  devenu  veuf,  il  s'était  remarié.  Son 
beau-frère  soupçonnant  que  c'était  lui  qui 
revenait,  lui  dit  : 

—  Si  vous  êtes  Humbert ,  frappez  trois 
coups  contre  le  mur. 

En  effet,  on  entendit  trois  coups  seule- 
ment ;  d'ordinaire  il  en  frappait  plusieurs. 
Il  se  faisait  eulendre  aussi  à  la  fontaine  où 
l'on  allait  puiser  de  l'eau,  et  troublait  le  voi- 
sinage, se  manifestant  par  des  coups  redou- 
blés, un  gémissement,  un  coup  de  silflel  ou 
un  cri  lamentable.  Cela  dura  environ  six 
mois. 

Au  bout  d'un  an,  et  peu  après  son  anni- 
versaire, il  se  fit  entendre  de  nouveau  plus 
fort  qu'auparavant.  On  lui  demanda  ce  qu'il 
souhaitait  ;  il  répondit  d'une  voix  rauque  et 
basse  :  —  Faites  venir,  samedi  prochain,  le 
curé  et  mes  enfants. 

Le  curé  étant  malade  ne  put  venir  que  le 
lundi  suivant,  accompagné  de  bon  nombre 
de  personnes.  On  demanda  au  mort  s'il  dé- 
sirait des  messes?  il  en  désira  trois  ;  s'il  vou- 
lait qu'on  fît  des  aumônes?  il  dit  :  —  Je  sou- 
haite qu'on  donne  aux  pauvres  huit  me- 
sures de  grain  ;  que  ma  veuve  fasse  des  ca- 
deaux à  tous  mes  enfants,  et  qu'on  réforme 
ce  qui  a  été  mal  distribué  dans  ma  succes- 
ision,  —  somme  qui  montait  à  vingt  florins. 
Sur  la  demande  qu'on  lui  fit,  pourquoi  il 
infestait  plulôl  celte  maison  qu'une  autre, 
il  répondit  qu'il  était  forcé  par  des  conjura- 
tions et  des  malédictions.  S'il  avait  reçu  les 
sacrements  de  l'Eglise? — Je  les  ai  reçus,  dit- 
il  ,  du  curé,  votre  prédécesseur.  —  On  lui  fit 
dire  avec  peine  le  Pater  et  r.4t'c,  parce  qu'il 
en  était  empêché,  à  ce  qu'il  assurait,  par  le 
mauvais  esprit,  qui  ne  lui  permettait  pas  de 
dire  au  curé  beaucoup  d'autres  choses. 

Le  curé,  qui  était  un  prémontré  de  l'abbnye 
de  Toussaints ,  se  rendit  à  son  couvent  afin 
de  prendre  l'avis  du  supérieur.  On  lui  donna 
trois  religieux  pour  l'aider  de  leurs  conseils. 
Ils  se  rendirent  à  la  maison,  et  dirent  à  Hum- 
bert de  frapper  la  muraille  ;  il  frappa  assea 
doucement.  —  Allez  chenher  une  pierre  , 
lui  dit-on  alors,  et  frappez  plus  fort.  Ce  qu'il 
fit. 

Quelqu'un  dit  à  l'oreille  de  son  voisin,  lo 
plus  bas  possible  :  Je  souhaite  qu'il  frappe 


'.!)  Adrieo  Regenrobius,  Systems  liislorico-cliroDologicum  ecçlesiarum  sclavonicarum.  L'ireclit,  1652,  p.  93 


^>9  BIS 

sept  fois ,  et  aussitôt  lànic  frappa  sept 
fois. 

On  dit  le  lendemain  los  trois  messes  que 
le  revenanl  avait  dcmaïuiées  ;  on  se  disposa 
aussi  à  faire  un  pèlerinage  qu'il  avait  spé- 
cifié dans  le  dernier  enirelien  qu'on  avait  eu 
avec  lui.  On  promit  de  faire  les  aumônes  au 
premier  jour,  et,  dès  que  ses  dernières  vo- 
lontés  furent  exécutées.  Humhcrt  Birck  ne 

revint    plus  (1) —  Celte  histoire   n'est 

pas  autrement  expliquée. 

BIRON.  Le  maréchal  de  Biron,  que  Hen- 
ri IV  Ht  décapiter  pour  trahison,  en  1602, 
croyait  aux  prédictions.  Pendant  le  cours  de 
son  procès,  il  demanda  de  quel  pays  était  le 
bourreau?  On  lui  répondit  qu'il  était  Pari- 
sien.—Bon,  dit-il.  —Et  il  s'appelle  Bour- 
guignon.—Ah  1  je  suis  perdu,  s'écria  le 
maréchal  ;  on  m'a  prédit  que  si  je  pouvais 
éviter  par  derrière  le  coup  d'un  Bourgui- 
gnon, je  serais  roi. 

M.  Chabot  de  Bouin  a  écrit  très-agréable- 
ment cette  légende  ,  développée  dans  l'AI- 
uianach  prophétique  de  1846. 

BISCAIl  (Jeannette)  ,  sorcière  boiteuse 
du  Labour,  que  le  diable,  en  forme  de  bouc, 
transportait  au  sabbat,  où,  pour  le  remer- 
cier, elle  faisait  des  culbutes  et  des  ca- 
brioles (2). 

BISCAYENS,  vagabonds  de  l'espèce  des 
Bohémiens,  qui  disaient  la  bonne  aventure 
dans  les  villes  et  dans  les  villages. 

BISCLAVARET.  C'est  le  nom  que  donnent 
les  Bretons  au  loup-garou.  On  le  dérive  de 
bleiz-garv  (loup  méchant).  Nous  emprunte- 
rons aux  legrendes  françaises  da  M.  Edouard 
d'Anglemonl,  dont  on  n'a  pas  oublié  le  suc- 
cès, la  légende  du  bisclavaret,  célèbre  dans 
un  pays  où  l'on  croit  que  Dieu  punit  certains 
crimes  par  la  transformation  du  coupable  en 
loup-garou. 

Mes  pas  de  l'Armorique  ont  foulé  les  rivages; 
J'ai  vu  Sf'S.liauls  genêts  et  ses  landes  sauvages; 
J'ai  vu  ses  grands  marais  peuplés  de  mille  oiseaux, 
Oui  se  croisaienl  d^ins  l'air  ou  fuyaient  sous  les  eaui  ; 
J'ai  vu  ses  liabiiants  former  de  lourdes  danses, 
Dont  l'aigre  liiniou  (ô)  mesurait  les  cadences; 
Et  souvent,  sous  l'abri  d'un  gothique  manoir, 
Tandis  que  dans  le  lait  je  Irenipils  un  pain  noir. 
Que  la  crêpe  pour  moi,  sous  la  main  d'une  femme. 
Naissait  eu  frémissant  au  nidien  de  la  flamme, 
Sur  l'tscabeau  de  bois  auprès  de  lâlre  assis. 
J'ai  du  paire  breton  entendu  les  récits; 

Et  l'un  d'eux  est  surtout  resté  dans  ma  mémoire. 

Si  l'étrange  vous  plaîi,  écoulez  cette  histoire  : 
I. 

Non  loin  du  champ  témoin  d'un  combat  immortel  (f), 

S'élevait  autrefuis  un  superbe  castel  ; 

Là,  près  de  son  épouse  aimable,  jeune  et  belle. 

Le  comte  de  Kervan,  brûlant  d'amour  pour  elle, 

Bienfaisant,  adoré  de  ses  vassaux  nombreux , 

Vivait,  et  de  ses  jours  le  cours  semblait  heureux  ; 

Mais  pourtant  (|uel,]uelois  la  charmante  Comtesse 

Surprenait  sur  son  Iront  des  maniues  de  tristesse, 

Surtout  quand,  sorti  seul,  il  rentrait  chaque  soir, 

Kpuisé  de  fatigue  et  pressé  de  s'asseoir. 

Et.  comme  il  rivenait  u'une  course  nocturne, 

Son  épouse  à  l'aspect  de  son  air  taciturne  : 

—  La  souffrance  so  peint  sur  ton  front  obscurci  ! 

Oui  peut  donc,  cher  époux ,  le  chagriner  ainsi  '? 

Et  pourquoi  vers  la  nuit  chercher  la  solitude. 

(1)  Livre  des  prodiges,  édil.  de  1821,  p.  73. 

(2)  Delaucre  ,    Tableau  de  l'inconstance  des  mauvais 
.inges,  etc.,  liv.  Il,  dise.  4. 


BIS 


2t0 


Onand  de  te  consoler  je  ferais  mon  éludeT 

Paile.... — Je  ne  le  puis,  cessons  cet  entretien. 

— rrouve-nioi  ton  amour,  ne  me  déguise  rien  ; 

La  peine  est  pins  légère  alors  qu'on  la  partage  : 

Ah!  ne  me  cache  pas  la  tienne  davantage. 

-^Tu  le  veux,  apprends  donc  un  horrible  secret  : 

Ton  époux  chaque  soir  devient  bisclavaret, 

—  0  cIpI!  qu'as-tu  donc  lait?  — Je  suis  exom|it  di'  rriiue  ; 

Dn  forfait  d'un  aïeul  vois  en  moi  la  victime  : 

Il  égorgi-a  son  frère,  et  le  ciel  en  courroux 

Le  jeia  pour  sa  vie  au  rang  des  loups-garoux  ; 

Et,  qui  plus  est,  depuis,  les  mal  s  de  sa  race 

Sont  une  heure  par  jour  soumis  ii  sa  disgrâce; 

Et  si  par  un  hasard  que  je  ne  prévois  point. 

Vu  ennemi  cruel  dérobait  le  pourpoint 

Que  je  dépouille  et  cache  en  un  secret  asile. 

Avant  que  dans  les  bois  chaque  soir  je  m'exile. 

Il  me  faudrait,  dit-on,  rester  bisclavaret. 

Tant  que  de  cet  habit  le  sort  nie  priverait. 

La  Comtesse,  à  ces  mots,  [lar  un  tendre  langage, 
Aux  yeux  de  son  époux  doux  et  précieux  gage 
D'un  amour  éternel,  d'im  avenir  serein. 
Ecarte  de  son  front  le  voile  du  chagrin. 
11  éprouve  en  son  âme  une  joie  inconnue  ; 
Ainsi  lorsqu'emportant  une  orageuse  nue. 
Le  vent  chasse  la  pluie,  aussilôt  les  forêts 
Se  parent  d'un  éclat  plus  riant  et  plus  frais. 

II. 
Homme,  que  je  te  plains  situ  livres  Ion  âme 
A  l'es^ir  d'être  aimé  sans  cesse  d'une  femme,. 
Surtout  lorsque  son  cœur  une  fois  a  changé  ! 
Sous  les  drapaux  français  depuis  un  an  rangé, 
Arlliur,  jeune  Breton,  d'une  origine  illustre, 
Dans  la  guerre  de  Nanle  a  trouvé  quelque  luslre. 
Il  revient  chevalier  aux  champs  de  ses  alenx  ; 
C'est  la  que  de  longs  pleurs  ont  scellé  ses  adieux  ; 
Qu'une  jeune  beauié,  lorsqu'il  s'éloigna  d'elle. 
Lui  promit  par  serment  de  lui  rester  lidèle. 
Il  accourt,  il  revoit  le  paternel  séjour  ; 
Il  apprend  que  l'objet  d'un  fanatique  amour 
De  ses  engagements  n'avait  point  tenu  compte  I 
Cette  amante  parjure  est  l'épouse  du  Comte  ! 
Saisi  par  les  transports d'nn  désespoir  sans  frein. 
Sous  les  habits  grossiers  d'un  obscur  pèlerin, 
A  voir  celle  qu'il  aime  Arthur  se  détermine , 
Vers  le  château  du  Comte  aussitôt  s'achemine; 
Il  vole;  au  jour  mourant  il  frappe;  on  l'introduit. 
Et  dans  la  grande  salle  un  varlet  le  conduit  : 
Là,  devant  des  drapeaux,  des  portraits  de  famille, 
La  belle  châtelaine,  animant  une  aiguille. 
De  la  laine  avec  art  variant  la  couleur. 
Sur  un  tissu  de  lin  fait  éclore  une  fleur, 
Et  cherchant  à  cacher  le  trouble  qui  l'agite  : 
— Pèlerin,  pour  la  nuit,  vous  deijiandez  un  gite? 

—  Ce  n'est  pas  pour  cela.  Madame,  que  je  vien». 

A'ous  souvient-il  d'Arthur?  —  0  ciel!  — Tu  t'en  souviens 

Tu  le  souviens  aussi  que  tu  me  fis  entendre, 

An  jour  de  mon  départ,  le  serment  le  plus  tendre.... 

Il  était  vain  1...  Au  pied  du  Christ,  à  Ploërmel, 

'Tu  l'avais  pourtaiilfait  au  nom  de  saint  Arniell 

Ai-je  donc  mérité  cette  cruelle  injure? 

Devais-je  donc  m'atteudre  à  le  trouver  parjure. 

Lorsque,  pour  t'obtenir  d'un  pèreamlùiieux, 

Je  cherchais  des  combats  les  honneurs  périlleux? 

Eh  bien!  J'oubliai  tout,  si  le  sort  nous  rassemble! 

Qu'ensemble  nous  vivions ,  que  nous  mourions  enseinbjo  ! 

— Arthur,  pardonne-moi  ;  l'on  a  forcé  mes  vœux  ; 
Celle  qui  t'aime  encor  cède  à  ce  que  lu  veux. 

—  Exilons-nous,  cherchons  quelque  plage  ignorée. 
— Non,  ma  faute  peut  être  auiremcnt  réparée  : 

Le  Comte  maintenant  erre  dans  la  forêt; 
Viens,  viens,  que  mon  mari  reste  bisclavaret. 

Et,  pleine  du  dessein  que  sa  bouche  lui  conte. 
Elle  court  et  saisit  les  vêtements  du  Comte; 
Et  sous  la  forme  humaine  11  ne  reparut  pas. 
Sou  épouse  sema  le  bruit  de  son  lré|)as. 
Montra  de  la  douleur  l'apparence  trompeuse. 
Ordonna  les  apprêts  d'une  messe  pompeuse. 
Et  (il,  sur  le  perron,  exposer  un  cercueil. 
Entouré  de  varlets  vêtus  d'habits  de  deud. 
Et  couvert  d'un  drap  noir  semé  de  blanches  larmes, 
Oii  du  Comte  gisaient  le  mautel  cl  les  armes. 

t3)  Espèce  de  cornemuse. 
(1)  Le  combat  des  Tienlo. 


811 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


SI3 


Le  convoi  funéraire,  aux  Iupuis  dés  dantheaux, 
Parlil  le  lendemain  po'ir  le  champ  des  tombeaux  ; 
A  ce  lugubre  aspect  tous  les  cœurs  se  serrèrent, 
Les  villageois  surtout  s'émurent  et  pleurèrent; 
El  lorsque  le  cercueil  de  la  torde  glissa , 
El  sous  des  ûoln  de  terre  au  tombeau  s'enfonça. 
Sur  le  faite  anguleux  du  mur  du  cimetière. 
Un  énorme  loup  noir  dressant  sa  tôte  allière, 
Aux  prières  des  morts  mêla  des  hurlements. 
Dont  l'église  trembla  jusqu'en  ses  fondements! 

iir. 

Deux  jours  ont  fui  :  non  loin  du  chêne  de  Mi-voie, 
Des  limiers  pleins  de  feu  courent  sur  nui'  voie, 
Et  le  duc  de  Bretagne  et  quelques  chevaliers, 
Les  suiveni  à  travers  les  taillis,  les  l.alliers, 
Courbés  sur  leurs  chevaux  que  la  sueur  sillonne, 
Ouo  de  ses  coniJS  pressés  l'éperon  aiguillonne. 
Mais  quel  est  l'animal  dont  1j  puissante  odeur 
De  la  meute  du  prince  excite  ainsi  l'ardeur  ? 
C'est  encore  un  loup  noir  et  grand  !  Comme  il  va  vite  ! 
]l  rit  en  cent  détours  des  limiers  qu'il  évite; 
Et  bornant  tout  a  coup  son  essor  vagabond , 
Près  du  coursier  ducal  se  jette  d'un  seul  bond, 
Prend  un  air  suppliant,  pousse  des  cris  étranges, 
Mais  qui  rappellent  ceux  d'un  enfant  sous  les  langes  ' 
Contre  lui  Us  épieux  sont  tournés  sur-le-champ, 
Mais  le  Duc,  attendri  par  son  aspect  touchant. 
Le  fait  charger  vivant  des  nœuds  d'une  courroie, 
Et  Nantes  le  revoit  bientôt  avec  sa  proie, 
Uui,  docile  à  son  frein,  douce  comme  nu  agneau, 
Semble  s'accommoder  de  sou  destin  nouveau. 

IV. 
C'est  toujours  vainement  que  l'enfant  de  la  terre 
Enveloppe  un  forfait  du  plus  secret  rujslère  ! 
Celui  dont  eu  tous  lieux  l'œil  veille  incessamment. 
Fait  luire  tôt  ou  lard  le  jour  du  châtiment  ! 

Un  an  s'est  écoule  ;  sur  les  rives  que  l'Erdre 

Baigne,  en  cherchant  la  Loire  où  ses  eaux  vont  se  perdre, 

Dans  le  pré  d'Aniane,  un  cirque  est  préparé  ; 

Sur  les  bancs  de  velours  dont  il  est  entouré, 

La  noblesse  bretonne  en  silence  se  place; 

Tandis  qu'en  bouillonnant  d  s  Bots  de  populace 

Garnissent  les  coteaux,  les  arbres  d'aleutour, 

El  de  la  cathédrale  envahissent  la  tour. 

Au  nord  on  a  dressé  des  arcades  fleuries, 

An  sud  un  riche  dais  décoré  d'armoiries, 

De  rouges  panonceaux,  d'armes,  de  boucliers. 

Sous  lequel,  au  milieu  de  pages,  d'écuyers. 

Le  Duc  siège,  vêtu  d'or,  de  pourpre  ei  de  soie; 

Sur  sa  toque  écarlate,  un  blanc  panache  ondoie; 

On  voit,  auprès  de  lui,  cet  énorme  loup  noir 

yu'il  trouva  près  des  lieux  uii  vainquit  Beaumanoir, 

Qui,  devenu  depuis  animal  domestique, 

Lï  nuit  veille  en  la  cour  de  son  palais  gothique, 

El  le  jour  à  la  chasse,  aux  lêies,  aux  repas, 

Comme  un  Ddèle  chien  accompagne  ses  pas.  ' 

Mais  des  clairons  bruyants  la  fanfare  guerrière 
lletentit  ;  aussitôt  l'on  ouvre  la  barrière  : 
Sous  les  arches  de  Deurs;  couvert  d'or  et  d'acier, 
Arthur  passe  monté  sur  un  brillant  coursier  ; 
Pour  saluer  le  Duc  il  aliaisse  sa  lance, 
Et  le  loup  aussitôt  dans  l'arène  s'élance. 
D'un  coup  rapide  et  stir  éventre  le  cheval  1 
Arthur  surpris  combat  cet  étrange  rival  ; 
Il  se  sert  contre  lui  de  la  lance  et  du  glaive, 
11  le  frappe  ;  le  lonp  tombe,  puis  se  relève. 
Saisit  son  adversaire  à  la  gorge  et  l'abat; 
El  c'est  en  vain  qu'Arthur  contre  lui  se  débat. 
Et  cherche  à  repousser  son  ardente  furie  ; 
C'est  en  vain  que  la  foule  et  s'épouvante  et  crie, 
A  l'aspect  du  danger  que  le  chevalier  court, 
Que  pour  le  secourir  on  se  hâte,  on  accourt  ; 
Les  dents  de  l'animal  déchirent  sa  cuirasse. 
Impriment  dans  ses  flancs  une  profonde  trace  ; 
Et,  srntant  s'approcher  1?  moment  de  la  mort, 
Le  chevalier,  vaincu  par  le  cri  du  rcmord. 
Fait  le  public  aveu  de  la  coupable  trame. 
Tandis  qu'en  l'écoulant  la  Comtesse  rend  l'àmel 

On  retrouva  bientôt  les  vêtements  soustraits, 
El  du  Comte  à  l'instant  le  loup  reiirit  les  traits. 

BITHIES,  sorcières  fameuses  chez  les  Siy- 
Ihcs.  Pline  liil  qu'clli  s  avaient  le  regard  si 
dangereux,  quelles  i)ouvaieiil  tuer  ou  en- 
sorceler ceux  qu'elles  lixuicnl.  Elles  avaient 


h  l'un  dos  yonx  la  prunelle  double,  l'autre 
prunelle  était  marquée  de  la  figure  d'un 
clioval  (I). 

BITRU.  Voy.  Sytby. 

BLANC  D'OEUF  (Divination  par  le].  Voy. 

OOMANCIE. 

BLANCIIÂRD  (Elisabeth),  l'une  des  dé- 
moniaques de  Loudun.  Elle  se  disait  possé- 
dée de  plusieurs  démons  :  Astarolli  ,  Belzé- 
bu(h,  Pérou  et  Marou,  etc.  Voy.  Grandieb. 

BLASPHE.ME.  Souvent  il  est  arrivé  mal- 
fieur  aux  gens  grossiers  qui  blasphémaient. 
On  en  a  vu,  dans  des  accès  de  colère,  mou- 
rir subitement.  Elaicnt-ils  clouffés  par  la  fu- 
reur? ou  frappés  d'un  coup  d'apoplexie?  ou 
cliâliés  par  une  puissance  suprême?  ou  , 
comme  01)  l'a  dit  quelquefois,  étranglés  par 
le  diable?  Torquemada  parle,  dans  la  troi- 
sième journée  de  son  Hexaméron,  d'un  blas- 
phémateur qui  fut  tué  un  jour  par  le  ton- 
nerre ;  et  l'on  reconnut  avec  stupeur  que  Li 
foudre  lui  avait  arraché  la  langue.  Si  c'est 
un  hasard,  il  est  singulier. 

Monslrelet  conte  qu'un  bourgeois  de  Pa- 
ris, plaidant  au  palais  ,  reniait  Dieu,  lors- 
qu'une pierre  tomba  de  la  voûte,  et,  sans 
blesser  personne,  mit  en  fuite  les  juges,  les 
plaideurs  et  l'audience.  C'est  encore  uno 
coïncidence  bizarre.  Au  reste,  le  blasphème 
a  toujours  été  en  horreur. 

BLENDIC.  On  exorcisa  à  Soissons ,  en 
1582  ,  cinq  énergumèncs.  La  relation  de 
leurs  réponses  et  de  leurs  convulsions  a  été 
écrite  par  Charles  Blendic,  Artésien. 

BLETTON,  hydroscope  qui,  vers  la  fin  du 
dernier  siècle,  renouvela  à  Paris  les  prodi- 
diges  de  la  baguette  divinatoire,  apprujuée  à 
la  recherche  des  sources  cl  des  métaux.  Sa 
gloire  s'est  promplement  évanouie. 

BLOEMARDINE.  Pendant  qu'on  bâtissait 
à  Bruxelles  le  gracieux  édifice  gothique  du 
Petit-Sablon,  et  que  les  bourgeois  se  remet- 
taient un  peu  de  la  rudedéfaite  qu'ils  avaieiil 
subie  en  voulant  combattre  leur  duc  Jean  11, 
dans  les  plaines  de  Vilvorde,  l'esprit  d'agita- 
tion continuait  à  fermenter  dans  leBrabant  ;  et 
toutes  sortes  d'idées  nouvelles  se  rcpandaicnl 
comme  des  épidémies  qui  troublaient  les 
létes.  Le  fanatisme,  châlimcnt  de  l'insubor- 
dination déraisonnable,  s'emparait  des  esprits 
et  les  tournait  à  tous  les  vents.  11  élait  fo- 
menté par  des  bandes  d'Albigeois  et  de  Vau- 
dois  qui,  chassés  du  midi  de  la  France,  s'é- 
taient réfugiés  en  grand  nombre  dans  les 
provinces  belges  cl  y  semaient  toutes  sortes 
de  doctrines  saugrenues. 

Des  associations  et  des  sectes  se  multipliè- 
rent pour  réformer  la  religion  et  la  politi- 
que. Les  Lollards  n'étaient  pas  les  moins  cu- 
rieux. Gauthier  LoUard,  leur  chef,  était  un 
Albigeois  progressif,  qui  enseignait  que  les 
démons  avaient  éié  chassés  du  ciel  injuste- 
ment; qu'ils  y  seraient  rétablis  un  jour;  que 
saint  Michel,  pour  lors,  et  tous  les  anges  fi- 
dèles seraient  damnés  à  leur  tour,  et  que 
tous  ceux  de  ses  auditeurs  qui  ne  suivraient 
pas  sa  doctrine  seraient  damnés  pareille- 
ment. Il  suiiprimail  les  bacremcnls,  les  priè- 

(M  Viine,  liv,  ■\11,  th.  2. 


815 


Bl.O 


BLO 


SU 


res,  les  bonnes  œuvres,  condamnait  le  ma- 
riage cl  la  propriété.  Père  des  communistes, 
il  av.'iil  inventé  tout  leur  syslômo;  et  on  n'a 
fuit  récemment  que  le  copier.  Il  s'était  fait 
une  armée  de  disciples  de  tous  coux  qui  n'a- 
vaient rien  et  de  tous  ceux  qui  aimaient  la 
débauche  et  le  désordre. 

A  côté  des  Lollards ,  se  dressaient  les  Beg- 
gards,  divisés  en  plusieurs  sections.  Ceux-là 
venaient  de  l'Allemagne  et  tiraient  leur  nom 
du  mot  allemand  Begghen,  qui  signifie  men- 
dier. D'abord,  sous  un  masque  rigide,  ils 
s'étaient  présentés  en  façon  de  gens  qui  re- 
noncent à  tout  dans  le  monde;  bientôt  ce- 
pendant ils  mendiaient  par  bandes,  du  ton 
de  ces  hommes  qui  vous  attendent  au  coin  d'un 
bois,  et  qui  vous  disent,  un  gourdin  à  la 
main  :  J'ai  besoin  de  dix  francs.  Pendant 
quelque  temps,  ils  se  prétendirent  soumis  à 
la  règle  de  saint  François.  Ils  l'abandonnè- 
rent bientôt,  déclarant  qu'ils  avaient  soif 
d'une  plus  haute  perfeclion,  imaginant  des 
théories  bizarres  et  faisant  mille  folies. 

Ces  Beggards  ne  se  recrutaient  pas  d'hom- 
mes seulement;  des  multitudes  de  femmes  et 
de  jeunes  filles  se  joignaient  à  eux,  parlaient 
en  public^ prophétisaient  et  se  subdivisaient 
tous  les  jours  en  une  foule  de  petites  sectes 
qui  souvent  avaient  peine  à  s'entendre.  Alors 
une  Bruxelloise  perça  tout  à  coup,  avec  un 
certain  lustre,  parmi  les  femmes  libres,  ses 
compatriotes.  Elle  était  fille  d'un  lampiste, 
nommé  Bloemaerd,  et  prétendait  que  son 
origine  lui  donnait  le  droit  de  distribuer  la 
lumière.  On  l'appelîiit  Bloemardine  (1). 

Son  père  l'avait  fait  élever  au  Béguinage, 
fondé  à  Bruxelles  depuis  l'an  1250.  Plusieurs 
foisles  béguines  avaient  mal  auguré  de  la  va- 
nité étourdie  de  leur  élève,  de  son  esprit  vaga- 
bond, de  son  imagination  folle  et  de  son  hu- 
meur indépendante  ;  plusieurs  fois  elles 
avaient  annoncé  que  Bloemardine  ne  ferait 
jamais  une  bonne  et  sage  ménagère  ,  qu'elle 
commettrait  des  extravagances,  et  que  son 
antipathie  pour  toute  espèce  de  frein  la  mè- 
nerait de  travers.  Le  lampiste  et  sa  famille 
avaient  ri  de  ces  prévisions;  ils  admiraient 
l'esprit  singulier  de  Bloemardine,  sans  sa- 
voir qu'un  esprit  mal  réglé  est  un  guide  de 
l'espèce  des  feux-follets,  qui  ne  conduisent 
que  dans  les  précipices. 

Cependant  le  bon  sens  public  aurait  dii 
offrir  un  contrepoids  à  l'engouement  du  père 
Bloemard;  car  sa  fille  entrait  dans  sa  vingt- 
cinquième  année  sans  avoir  trouvé  un  mari. 
Ce  fut  pour  lors  que,  dérivant  tout  à  fait, 
entraînée  par  sa  tête  folle  et  peut-être  par  le 
dépit,  Bloemardine  se  mit  à  la  léte  des  Bag- 
gardcs  et  prêcha  une  vaste  morale  qui  ral- 
lia plusieurs  sectes  autour  d'elle.  Elle  réu- 
nissait des  assemblées  d'hommes  et  de  fem- 
mes, les  présidait  hardiment  et  parlait  avec 
chaleur.  Elle  enseigna  d'abord  que  le  ma- 
riage était  inutile;  puis  elle  le  condamna 
comme  une  intolérable  chaîne  et  comme  un 
obstacle  à  la  perfection.  Les  mauvais  ména- 
ges l'approuvèrent;  les  filles  délaissées  se 

(IJ  rrononcci  Blouiuardiue. 


jetèrent  dans  ses  bras  ;  les  garnements  bat- 
tirent des  mains. 

Elle  disait  que  l'homme  peut  devenir  ici- 
bas  si  parfait,  qu'il  n'a  plus  besoin  de  grâce  ; 
que  devenu  parfait,  il  peut  faire  librement 
tout  ce  qu'il  veut;  que  les  Lois  et  les  pré- 
ceptes ne  sont  établis  que  pour  les  pécheurs  ; 
que  la  pratique  des  vertus  n'est  utile  qu'aux 
âmes  imparfaites;  que  ses  disciples  ne  de- 
vaient se  contraindre  en  rien  au  monde,  atr 
tendu  que  tout  ce  qu'ils  pouvaient  faire 
était  bien. 

Elle  appelait  ceux  qui  la  suivaient  frères 
et  sœurs  du  Libre-Esprit,  flatteuse  désignation 
que  reçurent  avec  empressement  tous  les 
Beggards  et  tous  les  Lollards,  ceux  qui  affec- 
taient les  haillons,  comme  ceux  qui  recher- 
chaient les  jouissances  du  luxe. 

Ces  divagations  ne  se  bornèrent  pas  au- 
Brabant.  Les  frères  et  les  sœurs  du  Libre-Es- 
prit se  répandirent  de  tous  côtés.  En  quel- 
ques lieux,  on  les  nomma  frérots  et  fratri- 
celles  ou  petits  frères,  en  Italie  bizochi,  qui 
veut  dire  besaciers,  en  France,  par  altéra- 
tion de  leur  nom,  bigards  et  picards,  dans  le 
Midi,  turlupins  à  cause  de  leurs  facéties.  On 
se  mit  aussi  à  les  appeler  béguins  et  bégui- 
nes, sans  doute  à  cause  de  Bloemardine, 
leur  grande  prêtresse,  qui  portait  encore 
l'habit  de  béguinage,  quoiqu'elle  n'y  demeu- 
rât plus,  et  que  les  honnêtes  béguines  de 
Bruxelles  répudiassent  ses  erreurs. 

On  ferait  un  livre  curieux  de  tous  les  ex- 
cès déplorables  auxquels  se  livrèrent  ces  fa- 
natiques, qui  croyaient  se  sanctifier  par  les 
débauches  et  les  emportements.  En  1308,  ils 
s'étaient  jetés  sur  les  Juifs,  avaient  pillé 
leurs  maisons,  et  voulaient  si  ardemment  les 
exterminer,  que  le  duc  Jean  II  avait  dû  ac- 
corder aux  enfants  d'Israël  le  château  de 
Genappe  pour  refuge.  Une  multitude  en  fu- 
reur, où  l'on  remarquait  surtout  les  frères 
du  Libre-Esprit  du  métier  des  savetiers  et 
ceux  du  métier  des  tisserands  ,  les  avait 
poursuivis  jusque-là,  les  avait  tenus  assiégés 
et  ne  s'était  dispersée  que  devant  l'armée  na- 
tionale, commandée  par  le  duc  en  personne. 
Il  y  eut  d'autres  faits  audacieux  qu'il  fal- 
lut réprimer  par  la  violence  et  par  les  sup- 
plices. Mais  l'esprit  de  rébellion  changeait 
de  batteries  et  ne  s'éteignait  pas.  Devant  les 
prédications  de  Bloemardine,  les  mœurs  se. 
perdaient,  les  ménages  étaient  troublés,  les 
familles  désunies;  et  le  parti  de  cette  femme 
était  devenu  si  nombreux,  que  l'-iuloritQ 
contre  elle  se  sentait  impuissante. 

Comme  il  y  eut  en  France  récemment  do 
jeunes  existences  empoisonnées  par  le  saint- 
simonisme  et  le  fouriérisme,  alors  assuré- 
ment chez  les  Brabançons  plus  d'un  cœur 
fut  froissé  dans  ces  innovations.  Nous  n'ca 
citerons  qu'un  souvenir.  Une  jeune  fille, 
Elisa  Moerinkx,  allait  épouser  Bernard  Drug- 
man.  Dans  l'aisance  de  sa  famille  et  dans 
l'heureux  caractère  de  celui  qu'elle  aimait, 
elle  ne  voyait  qu'un  riant  avenir,  quand  Ber- 
nard fut  eniraîné  par  ses  amis  à  une  assem- 
blée des  frères  cl  des  sœurs  du  Libre-Esprit; 
protégé  par  son  auiour,  il  se   crut   assez 


915 


di(:tiomnah\e  des  sciences  occultes. 


2(6 


fort  ;  honnélc  cliiélicn  jusqu'alors,  il  se  crut 
assez  affermi  pour  assister  là  en  simple  cu- 
rieux. Il  ignorait  qu'on  ne  brave  pas  impu- 
nément certains  dangers.  Dans  l'atmosphère 
de  la  licence,  il  en  respira  les  premiers  en- 
ivrements ;  et  comnK>  il  était  aussi  faible 
qu'il  se  croyait  solide,  il  y  prit  goût. 

Pour  la  première  fois  il  dissimula  avec  sa 
fiancée;  il  lui  cacha  son  apparition  parmi  les 
Beggards;  il  retourna  aux  assemblées  et  s'y 
laissa  initier. Il  en  eut  regrctune  heurcaprès, 
et  il  pressa  son  mariage. 

Mitis  la  jeune  fille  apprit  que  Bernard 
avait  été  vu  dans  les  réunions  des  fratriccl- 
les.  Ardente,  indignée,  elle  lui  fit  de  vifs 
reproches.  Elle  pleura  avec  colère  de  ce  qui 
lui  paraissait  un  o[iprobre,  et  ce  n'était  pas 
autre  chose.  Pourtant,  voyant  Bernard  tou- 
ché et  confus,  elle  admit  ses  excuses,  dé- 
plora sa  faiblesse  et  finit  par  se  calmer  ,  en 
ne  lui  imposant  d'autre  peine  et  d'autre 
épreuve  qu'un  retard  de  quinze  jours  pour 
les  noces;  peut-être  eût-elle  dû,  au  con- 
traire, en  avancer  le  moment.  Bernard,  vé- 
ritablement revenu  de  son  égarement,  se 
sentit  plus  épris  que  jamais;  il  se  promit 
bien  d'éviter  désormais  ses  pernicieux  amis, 
d'autant  plus  que  l'on  connut,  sur  ces  entre- 
faites, à  Bruxelles,  une  décision  du  saint- 
siége,  qui  condamnait  les  frères  et  les  sœurs 
du  Libre-Esprit. 

Les  vraies  béguines  avalent  été  fort  déso- 
lées d'apprendre  qu'on  les  confondît  avec  les 
femmes  du  parti  des  Beggards.  Elles  s'étaient 
adressées  fidèlement  au  souverain  pontife. 
Déjà  au  concile  de  'V^ienne,  en  1311,  les  dé- 
sordres de  ces  hérétiques  avaient  été  frappés 
d'anathèmeparlcpapeClémentV.  Jean  XXII, 
son  successeur,  venait  de  déclarer  spéciale- 
ment, dans  une  déerélale,  que  celle  censure 
ne  regardait  aucunement  les  béguines  des 
Pays-Bas,  qui  étaient  restées  pures  d'erreurs, 
<'t  qui  ne  liraient  pas  leur  origine  des  Beg- 
gards dissolus  ,  mais  du  vénérable  Latn- 
bergBcygh,  prêtre  de  Liège,  fondateur  des 
béguinages  en  1180. 

L'ignorance  oti  ils  ont  été  de  cette  déeré- 
lale a  fourvoyé  la  plupart  des  historiens,  qui 
Ont  reproché  confusément  aux  pieuses  bé- 
guines des  infamies  qu'elles  ont  toujours 
abhorrées.  La  même  pièce  aggravait  encore 
les  condamnations  portées  contre  les  sectai- 
res de  Bloemardine. 

Bernard  évita  donc  toute  occasion  de  re- 
tourner aux  assemblées;  mais  il  luttait  con- 
tre la  tentation;  une  fois  qu'on  a  mis  le 
pied  dans  le  mal,  il  est  rare  qu'on  n'y  sente 
pas  un  attrait  de  retour ,  qui  est  comme 
une  puissance  magnéliiiue,  contre  laquelle 
ce  qui  est  bon  dans  le  cœur  doit  résister  avec 
force.  Il  voyait  tous  les  jours  Elisa,  puisait 
dans  son  enlrelien  de  la  constance,  et  s'oc- 
cupait de  son  mariage.  Il  se  promellail  tou- 
jours qu'une  fois  uni  à  celle  qu'il  aimait,  il 
ne  songerait  plus  aux  frères  libres  11  eût  pu 
remarquer  cependant  que  plus  d'un  heureux 
piari  était  tombé  dans  le  piège,  et  \l  se  fai- 
sait illusion  en  cherchant  son  appui  ailleurs 
i\wç  dans  une  vertu  solide. 


Dans  la  semaine  qui  précédait  le  inomenf 
fixé  pour  son  mariage,  un  jour  qu'il  venait 
de  quitter  sa  fiancée,  il  rencontra  deux  de 
ses  amis  qui  lui  reprochèrent  gaîmenl  sa 
fuite,  qui  le  raillèrent  un  peu  sur  le  lien 
qu'il  allait  contracter,  cl  qui  lui  lurent  des 
passages  de  deux  écrits  que  venait  de  rédiger 
Bloemardine,  l'un  s«r/'es/)riirfc/(6erf^,raulre| 
sur  l'amour  séraphique.  Ces  lectures  paru- 
rent le  frapper.  Ils  lui  contèrent  alors  qu'ils 
se  rendaient  à  une  séance  curieuse.  Un  jeune 
prêtre,  qui  venait  d'être  ordonné,  et  qui  se 
nommait  Jean  de  Uuysbroeck,  allait  com- 
battre dans  une  discussion  publif^ue  Bloe- 
mardine et  ses  doctrines.  D'autres  curieux 
arrivaient  à  chaque  instant  et  se  joignaient 
aux  trois  amis;  ils  entraînèrent  Bernard, 
qui  composa  avec  lui-môme,  en  se  proposant 
d'applaudir  le  défenseur  des  mœurs  et  de  la 
vérité. 

Le  voilà  donc  de  nouveau  parmi  les  esprits 
libres.  Jean  de  Ruysbroeck  parla  dignement 
et  savamment.  Mais  son  langage  sérieux  et 
grave  fut  éloufté  par  les  répliques  de  Bloe- 
mardine, qui  ne  s'adressait  qu'aux  passions, 
et  qui  n'en  réprimait  aucune.  Le  jeune  prê- 
tre fut  hué  par  l'assemblée  ;  les  plus  éveillés 
de  la  bande  firent  même  contre  lui  des  cli  in- 
sons  burlesques  et  détestables,  que  l'on 
chanta  aussiiôt  dans  les  rues  de  Bruxelles. 
Bernard  ne  prit  pas  sa  défense,  et  il  crut  s'ac- 
quitter avec  lui-même  ,  en  ne  le  sifflant 
pas. 

Tiraillé  entre  le  bien  et  le  mal,  il  sentait 
qu'il  devait  se  retirer,  donnant  raison  dans 
ce  qui  lui  restait  de  droiture  à  Jean  de  Uuys- 
broeck, lorsqu'un  de  ses  amis  lui  dit: — Vous 
allez  voir  quelque  chose  de  nouveau. 

En  attendant  cette  nouveauté  si  vaguement 
annoncée,  on  se  mil  à  danser  ;  Bernard  , 
emporté  dans  ce  tourbillon  désordonné  ,  s'y 
abandonna.  Après  la  danse,  on  but  de  la 
bière  forte,  et  les  têtes  s'échauffaient,  lorsque 
la  nouveauté  parut:  c'était  un  siège  en  ar- 
gent, offert  à  Bloemardine  par  ses  disciples. 
On  l'apportait  sur  un  brancard  qui  s'abaissa 
devant  elle.  On  fil  monter  la  femme  libre 
sur  celle  espèce  de  trône,  on  Téleva,  eu 
quelque  sorte,  sur  le  pavois,  puis  ou  la  pro- 
mena en  triomphe  par  les  rues  de  Bruxelles, 
en  même  temps  qu'on  chansonnaitson  pieuv 
adversaire. 

Les  disciples  marchaient  trois  à  trois,  se 
tenant  par  le  bras,  chantant  et  hurlant,  pré- 
cédés de  drapeaux  et  de  tambours.  Bernard, 
entre  ses  deuxamis  qui  ne  le  quittaient  point, 
étourdi,  à  demi-ivre,  ne  s'aperçut  pas  qu'il 
passait  sous  les  fenêtres  d'Elisa.  —  Elle 
le  reconnut,  recula  et  ferma  la  verrière. 

Après  avoir  traversé  Bruxelles,  la  bande, 
portant  toujours  sa  reine  sur  son  Irôiie  d'ar- 
gent, marcha  jusqu'à  Vilvorde,  où  l'on  entra 
au  clair  de  la  lune.  Il  fallut  y  coucher.  A  son 
réveil,  Bernard  honteux  s'échappa  et  revint 
à  Bruxelles.  Après  avoir  rajusté  sa  toilette  , 
il  courut  chez  sa  future.  Elle  était  absente, 
la  maison  fermée,  et  personne  ne  sut  lui  dire 
où  il  trouverait  Elisa  et  sa  mère. 
Plusieurs  jours  passèrent  ainsi. 


217 


BLO 


BOB 


218 


Pendant  re  temps-là,  le  scandale  des  di- 
sciples de  Blocmardine  allait  en  croissant; 
les  sectaires  faisaient  tous  les  jours  des  pro- 
grès ;  ils  en  venaient  aux  nudités  des  adami- 
ti's  et  rentraient  à  grands  pas  dans  l'état  sau- 
vage. I.a  partie  saine  de  Bruxelles,  qui  fai- 
sait pourtant  la  majorité,  s'alarma  sérieuse- 
ment. 

Les  magistrats,  soutenus  par  les  honnêtes 
bourgeois,  prirent  des  mesures  sévères,  chas- 
sèrent Bloemardine,  et  dispersèrent  les  frères 
elles  sœursdu  Libre-Esprit.  Ceux  deces  inat- 
lieureux  (jui  ne  voulurent  pas  renoncer  à 
leurs  écarts  se  retirèrent  sur  le  Rhin,  où  les 
Bcggards  se  maintinrent  pour  former  d'autres 
hérésies. 

Ce  ne  fut  qu'un  mois  après  sa  promenade 
do  Vilvorde,  que  Bernard  désolé  retrouva 
lilisa.  Elle  s'était  réfugiée  au  béguinage.  Le 
pauvre  jeune  homme  ne  put  reconquérir  le 
cœur  qu'il  avait  perdu.  A  tout  ce  qu'il  put 
dire  pour  obtenir  son  pardon,  la  jeune  (ille 
resta  inflexible  ;  et  lorsqu'illui  rappela  qu'une 
première  fois  elle  lui  avait  fait  grâce,  elle 
se  contenta  de  répondre  :  On  revient  de  la 
colère,  on  ne  revient  pas  du  mépris. 

Bloemardine  en  vieillissant  perdit  son  lu- 
fluence  et  tomba  dans  le  décri.  Après  sa 
mcri,  on  fit  présent  de  son  fauteuil  d'argent 
à  la  duchesse  de  Brabant.  Mais  comme  les 
partisans  de  la  femme  libre  assuraient  que 
ce  siège  avait  des  vertus  merveilleuses  el 
qu'il  faisait  des  miracles,  on  jugea  qu'il  fal- 
lait détruire  cet  aliment  de  superstitions  vai- 
nes ;  on  l'envoya  à  la  fonte,  et  c'est  dommage, 
c'était  un  curieux  monument  de  la  folie  hu- 
maine. 

Longtemps  après  les  événements  que  nous 
venons  de  rapporter,  vers  l'année  1330,  sous 
le  règne  de  Jeanne,  un  homme  courbé  par 
l'âge  et  plus  encore  par  le  chagrin  pleurait 
el  sanglotait  amèrement ,  à  l'enterrement 
d'une  béguine. 

La  défunte  si  regrettée  était  Elisa  Moe- 
rinckx,  morte  fiUe;  Thommo  désolé  était 
Bernard  Drugman,  qui  n'avait  jamais  pu  flé- 
chir sa  rigueur  el  qui  n'avait  pas  voulu  re- 
chercher une  autre  femme.  —  Singulier  mé- 
lange de  faiblesse  el  de  force. 

BLOKULA.  Vers  l'année  1670,  il  y  eut  en 
Suède  ,  au  village  de  Mohra  ,  dans  la  pro- 
vince d'Elfdalen  ,  une  afl'aire  de  sorcellerie 
qui  fil  grand  bruit.  On  y  envoya  des  juges. 
Soixante-dix  sorcières  furent  condamnées  à 
mort  ;  une  foule  d'autres  furent  arrêlées,  et 
quinze  enfants  se  trouvèrent  mêlés  dans  ces 
débats. 

On  disait  que  les  sorcières  se  rendaient  de 
nuit  dans  un  carrefour, qu'elles  y  évoquaient 
le  diable  à  l'entrée  d'une  caverne,  en  disant 
trois  fois  : 

—  Antesser,  viens  !  et  nous  porte  à  Blo- 
kula  I 

C'était  le  lieu  enchanté  et  inconnu  du  vul- 
gaire, où  se  faisait  le  sabbat.  Le  démon  An- 
lesser  Icurapparaissait  sous  diverses  formes, 
mais  le  plus  souvent  en  justaucorps  gris  , 
avec  des  chausses  rouges  ornées  de  rubans, 

lu  Baldiaïar  Bekkcrj  Le  Monde  euqbauic,  liv.  IVj  ch, 


des  bas  bleus,  une  barbe  rousse,  un  cha- 
peau pointu.  Il  les  emportait  à  travers  les 
airs  à  Blokula,  aidé  d'un  nombre  suffisant  de 
démons  ,  pour  la  plupart  travestis  en  chè- 
vres; quelques  sorcières,  plus  hardies,  ac- 
compagnaient le  corlégc  ,  à  cheval  sur  des 
manches  à  balai.  Celles  qui  menaient  des 
enfants  plantaient  une  pique  dans  le  der- 
rière de  leur  chèvre;  tous  les  enfants  s'y  per- 
chaient à  califourchon  ,  à  la  suite  de  la 
sorcière ,  et  faisaient  le  voyage  sans  en- 
combre. 

Quand  ils  sont  arrivés  à  Blokula,  ajoute  la 
relation  ,  on  leur  prépare  une  fêle;  ils  se 
donnent  au  diable,  qu'ils  jurent  de  servir; 
ils  se  font  une  piqûre  au  doigt  et  signent  do 
leur  sang  un  engagement  ou  pacte  ;  on  les 
baptise  ensuite  au  nom  du  diable,  qui  leur 
donne  des  raclures  de  cloches.  Ils  les  jettenl 
dans  l'eau ,  en  disant  ces  paroles  abomi- 
nables : 

—  De  même  que  cette  raclure  ne  retour- 
nera jamais  aux  cloches  dont  elle  est  venue, 
ainsi  que  mon  âme  ne  puisse  jamais  entrer 
dans  le  ciel. 

La  plus  grande  séduction  que  le  diable 
emploie  est  )a  bonne  chère;  et  il  donne  à  ces 
gens  un  superbe  festin,  qui  se  compose  d'un 
potage  aux  choux  el  au  lard,  de  bouillie  d'a- 
voine, de  beurre,  de  lait  et  de  fromage.  Après 
le  repas,  ils  jouent  et  se  battent;  et  si  le  dia- 
ble est  de  bonne  humeur,  il  les  rosse  tous 
avec  une  perche, «ensuite  de  quoi  il  se  met  à 
rire  à  plein  ventre.  »  D'autres  fois  il  leur 
joue  do  la  harpe. 

Les  aveux  que  le  tribunal  obtint  apprirent 
que  les  fruits  qui  naissaient  du  commerce 
des  sorcières  avec  les  démons  étaient  des 
crapauds  ou  des  serpents. 

Des  sorcières  révélèrent  encore  cette  par-i 
ticularité,  qu'elles  avaient  vu  quelquefois  le 
diable  malade,  et  qu'alors  il  se  faisait  appli- 
quer des  ventouses  par  les  sorciers  de  la 
compagnie. 

Le  diable  enfin  leur  donnait  des  animaux 
qui  les  servaient  et  faisaient  leurs  commis- 
sions, à  l'un  un  corbeau,  à  l'autre  un  chat, 
qu'ils  appc\idcnlemporteur,  parce  qu'on  l'en- 
voyait voler  ce  qu'on  désirait ,  et  qu'il  s'en 
acquittait  habilement.  Il  leur  enseignait  à 
traire  le  lait  par  charme,  de  cette  manière  ; 
le  sorcier  plante  un  couteau  dans  une  mu^ 
raille,  attache  à  ce  couteau  un  cordon  qu'il 
lire  comme  le  pis  d'une  vache  ;  et  les  besr 
tiaux  qu'il  désigne  dans  sa  pensée  sont  traits 
aussitôt  jusqu'à  épuisement.  Us  employaien( 
le  môme  moyen  pour  nuire  à  leurs  ennemis, 
qui  souffraient  des  douleurs  incroyables  pen- 
dant tout  le  temps  qu'on  lirait  le  cordon.  Ils 
tuaient  même  ceux  qui  leur  déplaisaient,  cq 
frappant  l'air  avec  un  couteau  de  bois. 

Sur  ces  aveux  on  brûla  quelques  centaines 
de  sorciers,  sans  que  pour  cela  il  y  en  eût 
moins  en  Suède  (1).  —  Voilà  des  faits;  pour 
les  comprendre,  voy.  Boucs  et  Sabbat. 

BOBIN  (Nicolas),  sorcier  jugé  à  Montmo- 
rillon,  en  Poitou,  dans  l'année  1599.  Il  fit  a 
peu  près  la  même  confession  que  Bcrthomô 
23,  J'après  les  iclalioas  oriaiiiules. 


St9 


DICTiONNAUlE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


22a 


du  Lignon.  Il  ctai(  allé,  comme  lui,  au  sab- 
bat el  s'élait  doiii'é  au  diable,  qui  lui  avait 
fait  renier  Dieu  ,  le  baptême  et  ses  parents. 
11  conta  qu'après  l'offramie,  le  diable  se  mon- 
trait quelquefois  en  forme  d'homme  noir, 
ayant  la  voix  cassée  d'un  vieillard;  que, 
quand  il  appelait  le  diable,  il  venait  à  lui  en 
homme  ou  en  bouc  ;  que  lorsqu'il  allait  au 
salibat ,  il  y  était  porté  par  un  vent;  qu'il  y 
rendait  compte  de  l'usage  de  ses  poudres, 
qu'il  avait  toujours  fidèlement  employées  à 
mal  faire  ;  qu'il  portait  la  marque  du  diable 
sur  l'épaule;  que  quand  il  donnait  des  mala- 
dies, il  les  donnait  au  nom  du  diable ,  el  les 
guérissait  au  même  nom;  qu'il  en  avait  fait 
mourir  ainsi,  et  guéri  plusieurs  (1)... 

BOCAL  ,  sorcier  qui  fut  arrêté  à  vingt- 
sept  ans  dans  le  pays  de  Labour,  sous 
Henri  IV,  comme  convaincu  d'avoir  été  vu 
au  sabbat,  vêtu  en  prêtre,  el  servant  de  dia- 
cre ou  desous- diacre  les  nuils  desirois  jours 
qui  précédèrent  sa  première  messe  dans  l'é- 
glise deSibour  (car  ce  malheureux  était  prê- 
tre) ;  et,  comme  on  lui  demandait  pourquoi 
il  disait  plulôt  la  messe  au  sabbat  qu'à  l'é- 
glise, il  répondit  que  c'était  pour  s'essayer 
et  voir  s'il  ferait  bien  les  cérén>onies.  Sur  la 
déposition  de  vingt-quatre  témoins,  qui  di- 
saient l'avoir  vu  au  sabbat  ,  chantant  la 
messe  ,  il  fut  condamné  à  mort  après  avoir 
été  'légradé.  Lorsqu'il  allait  être  exécuté,  il 
était  tellement  tendu  à  rendre  son  âme  au 
diable,  auquel  il  l'avait  promise,  que  jamais 
il  ne  sut  dire  ses  prières  au  confesseur  qui 
l'en  pressait.  Les  témoins  ont  déclaré  que  la 
mère,  les  sœurs  et  toute  la  famille  de  Bocal 
étaient  sorciers  ,  et  que  quand  il  tenait  le 
bassin  des  offrandes,  au  sabbat,  il  avait  don- 
né l'argent  desdites  offrandes  à  sa  mère,  en 
récompense,  sans  doute,  de  ce  qu'elle  l'a- 
vait, dès  sa  naissance,  voué  au  diable, 
comme  font  la  plupart  des  autres  mères  sor- 
cières (2). 

BODEAU  (Jeanne)  ,  sorcière  du  pays  de 
Labour  qui,  au  rapport  de  Pierre  Delancre, 
conta  qu'à  l'abominable  cérémonie,  appelée 
la  messe  dti  sabbat  ,  on  faisait  l'élévation 
avec  une  hostie  noire  ,  de  forme  triangu- 
laire (3'. 

BODILIS.  Cambry,  dans  son  Voyage  au 
Finistère,  parle  de  la  merveilleuse  fontaine 
de  Bodilis,  à  trois  quarts  de  lieue  de  Landi- 
visiau.  Les  habitants  croient  qu'elle  a  la 
propriété  d'indiquer  si  une  jeune  fille  n'a 
pas  fait  de  faute.  Il  faut  dérober  à  celle 
dont  on  veut  apprécier  ainsi  la  sagesse, 
lépine  qui  attache  sa  collerette  en  guise 
d'épingle,  el  la  poser  sur  la  surface  de  l'eau  : 
tout  va  bien  si  elle  surnage  ;  mais  si  elle 
s'enfonce,  c'est  qu'il  y  a  blâme. 

BODIN  (Jea.n),  savant  jurisconsulte  et  dé- 
monographe  angevin  ,  mort  de  la  peste  en 
l.o9G.  L'ouvrage  qui  fil  sa  réputation  fut  sa 
llépuliliquc,  que  La  Harpe  appelle  le  germe 
de  ['Esprit  des  lois.  Sa  Démonomanie  lui 
donne  ici  une  place  ;   mais  il  est  difficile  de 

(I)  Discours  soiiim:iire  itcs  sortilèges  cl  vénéliccs  tirés 
di  s  pri'cès  Cl  itiiiiiits  jiig/'s  au  siège  ro.wil  de  Uuiilmui  illoii, 
cil  i'oilou,  en  raunco  tyjy,  ji.  ôO. 


juger  Bodin.  On  lui  attribue  un  lirre  inti- 
tulé :  Colloquium  heptaplomeron  de  ahditis 
rcrum  sublimium  arcanis,  dialogues  en  six  li- 
vres, où  sept  interlocuteurs  de  diverses  re- 
ligions disputent  sur  leurs  croyances  ,  de 
manière  que  les  chrétiens  cèdent  souvent 
l'avantage  aux  musulmans,  aux  juifs,  aux 
déistes.  Aussi  l'on  a  dit  que  Bodin  était  à  la 
fois  protestant,  déiste,  sorcier,  juif  et  athée. 
Pourtant,  ces  dialogues  sont-ils  vraiment  de 
lui?  On  ne  les  connaît  que  par  des  copies 
manuscrites  ;  car  ils  n'ont  jamais  été  impri- 
més. —  Sa  Démonomanie  des  sorciers  parut 
in-4%  à  Paris,  en  1581;  on  en  a  fail  des  édi- 
tions sous  le  titre  de  Fléau  des  démons  el  des 
sorciers  (Niort,  161G).  Cet  ouvrage  est  divisé 
en  quatre  livres  ;  tout  ce  qu'ils  contiennent 
de  curieux  est  cité  dans  ce  dictionnaire. 

L'auteur  définit  le  sorcier,  celui  qui  se 
pousse  à  quelque  chose  par  des  moyens  dia- 
boliques. Il  démontre  que  les  esprits  peu- 
vent s'associer  et  commercer  avec  les  hom- 
mes. 11  trace  la  différence  d'humeurs  et  do 
formes  qui  distingue  les  bons  esprits  des 
mauvais.  Il  parle  des  divinations  que  les  dé- 
mons opèrent ,  des  prédictions  licites  ou  il- 
licites. 

Dans  le  livre  II  il  recherche  ce  que  c'est 
que  la  magie;  il  fait  voir  qu'on  peut  évoquer 
les  malins  esprits,  faire  pacte  avec  le  diable, 
être  porté  en  corps  au  sabbat,  avoir,  au 
moyen  des  démons  ,  des  révélations  par  ex- 
tases ,  se  changer  en  loup-garou;  il  termine 
par  de  longs  récits  ,  qui  prouvent  que 
les  sorciers  ont  pouvoir  d'envoyer  les  mala- 
dies, stérilités,  grêles  et  leiiipcles,  el  de  tuer 
les  bêles  et  les  hommes. 

Si  le  livre  11  traite  des  maux  que  peuvent 
faire  les  sorciers,  on  voit  dans  le  livre  III 
qu'il  y  a  manière  de  les  prévenir  :  qu'on 
peut  obvier  aux  charmes  et  aux  sorcelleries; 
que  les  magiciens  guérissenl  les  malades 
frappés  par  d'autres  magiciens.  Il  indique 
les  moyens  illicites  d'empêcher  les  maléfices. 
Rien  ne  lui  est  étranger.  Il  assure  que  ,  par 
des  tours  de  leur  mélier,  les  magiciens  peu- 
vent oblenir  les  faveurs  des  grands  el  de 
la  fortune,  les  dignités,  la  beauté  et  les 
honneurs. 

Dans  le  livre  IV  il  s'occupe  de  la  manière 
de  poursuivre  les  sorciers,  de  ce  qui  les  fait 
reconnaître,  des  preuves  qui  établissent  le 
crime  de  sorcellerie,  des  tortures ,  comme 
excellent  moyen  de  faire  avouer.  Un  long 
chapitre  achève  l'œuvre,  sur  les  peines  que 
méritent  les  sorciers.  II  conclut  à  la  mort 
cruelle  ;  et  il  dit  qu'il  y  en  a  tant  ,  que  les 
juges  ne  suffiraient  pas  à  les  juger  ni  les 
bourreaux  à  les  exécuter. «Aussi,  ajoule-t-il, 
n'advient-il  pas  que  de  dix  crimes  il  y  en 
ait  un  puni  par  les  juges,  et  ordinairement 
on  ne  voit  que  des  bélîtres  condamnés.  Ceuii. 
qui  ont  des  amis  ou  de  l'argent  échappenl.» 
L'auteur  consacre  ensuite  une  disserlatioa 
à  réfuter  Jean  Wicrus,  sur  ce  qu'il  avait  dit 
que  les  sorciers  sont  le  plus  souvent  des  ma- 

(i)  Delancre.  Tableau  de  l'inconstance  des  démon»,  elc., 
liv.  VI,  pageiiO. 

{7,)  lUiil.,  liv.  VI,  dise.  3. 


851 


BOF 


noG 


222 


ladcs  on  des  Tous,  cl  qu'il  ne  fallait  pas  les 
brûler. 

—  Je  lui  répondrai,  dit  Bodin,  pour  la  dé- 
fense des  juges,  qu'il  appelle  bourreaux. 

L'auleur  de  la  Démonomanie  avoue  que 
ces  horreurs  lai  font  dresser  le  poil  en  la 
télé  ,  et  il  déclare  qu'il  faul  exterminer  les 
sorciers  et  ceux  qui  en  ont  pitié  ,  et  brûler 
les  livres  de  Wierus  (1). 
BODRY.  Voy.  Revenants. 
BOEGE,  L'un  des  plus  illustres  Romains 
du  sixième  siècle,  auteur  des  Consolations 
de  la  philosophie.  Il  s'amusail,  dans  ses  mo- 
ments de  loisir,  à  faire  des  instruments  de 
mathématiques,  dont  il  envoya  plusieurs 
pièces  au  roi  Clolairc.  Il  avait  construit  des 
cadrans  pour  tous  les  aspects  du  soleil,  et 
des  clepsydres  qui,  quoique  sans  roues,  sans 
poids  et  sans  ressorts ,  marquaient  aussi  le 
cours  du  soleil ,  de  la  lune  et  des  astres  ,  au 
moyen  d'une  certaine  quantiié  d'eau  renfer- 
mée dans  une  boule  d'élain  qui  tournait 
sans  cesse,  eniraînée,  dit-on,  par  sa  propre 
pesanteur.  C'était  donc  le  mouvement  per- 
pétuel. Théodoric  avait  fait  présent  d'une  de 
ces  c'cpsydres  à  Gondebaud,  roi  des  Bour- 
guignons. Ces  peuples  s'imaginèrent  que 
quelque  divinité,  renfermée  dans  cette  ma- 
chine, lui  imprimait  le  mouvement  :  c'est  là 
sans  doute  l'origine  de  l'erreur  où  sont  tom- 
bés ceux  qui  l'ont  accusé  de  magie.  Ils  en 
donnent  pour  preuves  ses  automates  ;  car  on 
assure  qu'il  avait  fait  des  taureaux  qui  mu- 
gissaient, des  oiseaux  qui  criaient  et  des 
serpents  qui  sifflaient.  Mais  Delrio  dit  (2) 
que  ce  n'est  là  que  de  la  magie  naturelle. 

BOEHM  (Jacob),  né  en  1573,  dans  la 
Hiule-Lusace.  De  cordonnier  quil  était  il  se 
fit  alchimiste  ,  homme  à  extases  et  chef 
dune  secte  qui  prit  le  nom  de  boehmistes. 
Il  publia,  en  1612,  un  livre  de  visions  et  de 
rêveries,  intitulé  l'Aurore  naissante,  que  l'on 
poursuivit.  Il  expli:|uait  le  système  du  monde 
par  la  philosophie  hermétique,  el  présentait 
Dieu  comme  un  alchimiste  occupé  à  tout 
pro.luire  par  distillation.  Les  écrits  de  cet  il- 
luminé, qui  forment  plus  de  cinquante  vo- 
lumes inintelligibles,  ne  sont  pas  connus  en 
France  ,  excepté  ce  que  Saint-Martin  en  a 
traduit  :  L'Aurore  naissante,  les  Trois  prin- 
cipes et  la  Triple  vie.  Ce  songe-creux  était 
authropomorphite  (3)  et  manichéen  ;  il  ad- 
mettait pour  deuxième  principe  du  monde  la 
colère  divine  ou  le  mal ,  qu'il  faisait  éma- 
ner du  nez  de  Dieu.  On  recherche,  parmi 
ses  livres  d'alchimie,  son  Miroir  temporel  de 
l'éternité,  ou  de  la  Signature  des  choses,  tra- 
duit en  français,  in-8';  Francfort,  16(39  (4). 
Ses  (loclrinus  phllO'>o|)lii()ues  ont  encore  des 
partisans  en  Allemagne. 

BOEUF.  Le  bœuf  de  Moïse  est  un  dis  dix 
animaux  que  Mahomet  place  dans  son  pa- 
radis. 
On  attache  à  Marseille  quelques  idées  su- 

(I)  Joiimis  Hodiiii  universte  n.itiirsp  thoalriim,  in  qtio 
ri  rimi  OMiniiiin  effijclrices  oiisu;  tl  liui«  co.ileiiiplauLbr. 
J 1-8".  I.ugilsiiii,  Uoiissiii,  lo'J6. 

1:2)  Disiiuisilion.  niigic,  p.  .10. 

(,"!  Les  alllhroflOlllO^|.hil(^s  éliiifiil  J'ji  liOiùLiqMos  ([ni 
duuiijïcul  il  Diuu  la  Ibi'iiiu  humuiiic. 


perstitieuses  au  bœuf  gras  qu'on  promène, 
dans  cette  ville,  au  son  des  flûtes  et  des  tim- 
bales, non  pas  comme  partout  le  jour  du 
carnaval,  mais  la  veille  et  le  jour  de  la  Fête- 
Dieu.  Des  savants  ont  cru  voir  là  une  trace 
du  paganisme;  d'autres  ont  prétendu  que 
c'était  un  usage  qui  remontait  au  bouc  émis- 
saire des  Juifs.  Mais  Ruffi,  dans  son  His- 
toire de  Marseille ,  rapporte  un  acte  du  qua- 
torzième siècle  qui  découvre  l'origine  ré(;ll(î 
de  celte  coutume.  Les  confrères  du  Saint- 
Sacrement  ,  voulant  régaler  les  pauvres  , 
achetèrent  un  bœuf  et  en  avertirent  le  peu- 
ple en  le  promenant  par  la  ville.  Ce  festin  fit 
tant  de  plaisir  qu'il  se  renouvela  tous  les 
ans  ;  depuis  il  s'y  joignit  de  petites  croyan- 
ces. Les  vieilles  femmes  crurent  préserver 
les  enfants  de  maladie  en  leur  faisant  baiser 
ce  bœuf;  tout  le  monde  s'empressa  d'avoir 
de  sa  chair,  et  on  regarde  encore  aujour- 
d'hui comme  très-heureuses  les  maisons  à 
la  porte  desquelles  il  veut  bien,  dans  sa 
marche,  déposer  ses  excréments. 

Parmi  les  bêtes  qui  ont  parlé,  on  peut 
compter  les  bœufs.  Fulgose  rapporte  qu'un 
peu  avant  la  mort  de  César  un  bœuf  dit  à 
son  maître  qui  le  pressait  de  labourer  :  — 
Les  hommes  manqueront  aux  moissons , 
avant  que  la  moisson  manque  aux  hommes. 
On  voit,  dans  Tile-Live  et  dans  Valère- 
Maxime,  que  pendant  la  seconde  guerre  pu- 
nique un  bœuf  cria  en  place  publique  :  — 
Rome,  prends  garde  à  toi  1  —  François  do 
Torre-Blanca  pense  que  ces  deux  bœufs 
étaient  possédés  de  quelque  démon  (o). 

Le  Père  Engplgrave  {Lux  evangelica,  pag, 
286  des  Dominicales)  cite  un  autre  bœuf  qui 
a  parlé.  Voy.  Béhémoth. 

BOGAHA.  Arbre-Dieu  de  l'île  de  Goylan. 
On  conte  que  cet  arbre  traversa  les  airs  afin 
de  se  rendre  d'un  p;iys  très-éloigné  dans 
cette  île  sainte,  et  qu'il  enfonça  ses  racines 
d  lus  le  sol  pour  servir  d'abri  au  dieu  Bud- 
hou;  qu'illecouvritde  son  ombrage  tout  le 
temps  que  ce  dieu  demeura  sur  la  terre. 
Quatre-vingt-dix-neuf  rois  ont  eu  l'honneur 
d'être  ensevelis  auprès  du  grand  arbre-dieu. 
Ses  feuilles  sont  un  excellent  préservatif 
contre  tout  maléfice  et  sortilégo.  Un  nombre 
considérable  de  huttes  l'environnent  pour 
recevoir  les  pèlerins  ;  et  les  habitants  plan- 
tent partout  de  petits  bogahas,  sous  lesquels 
ils  placent  des  images  et  allument  des  lam- 
pes. Cet  arbre,  au  reste,  ne  porte  aucun  fruit 
et  n'a  de  recommandable  que  le  culte  (ju'on 
lui  rend. 

BOGARMILES.  BOGOMILES  et  BONGO- 
MILES.  Sorte  de  manichéens  qui  paru- 
rent à  Gonstanlinoplc  au  douzième  siècle.  Us 
disaient  que  ce  n'est  pas  Dieu,  mais  un  mau- 
vais démon  qui  avait  créé  le  monde.  Ils 
étaient  iconoclastes. 

BOGUET  (Henri),  grand  juge  de  la  terre 
de  Saint -Clauiie  au   comté   de  Bourgogne, 

(i)  On  peut  voir  encore  .laoobi  Bieluni,  alias  dicti  len- 
louici  pliilosoplii ,  clavis  praecipnarnin  rerum  ((u*  in  reli- 
qnis  suis  scriplis  occurrunl  pro  incipii'.utibiis  ad  ullOTiorem 
coiisldoralioneni  rcvebtioni:.  divin»  conscripla,  l(J2l,  uu 
vid.  in-i'. 

(:>)  Kpil.  di-'litlor.  sivu  de  uiiiji-i,  Ub.  II,  cap.  S.\. 


8i5 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


i3ri, 


mort  en  1619  ,  autour  d'un  livre  pitoyable, 
plein  d'une  crédulité  puérile  et  d'un  zôie 
outré  contre  les  sorciers.  Ce  livre,  publié  au 
commencement  du  dix- septième  siècle,  est 
inlilulé  :  Discours  des  Sorciers,  avec  six 
avis  en  fait  de  sorcellerie  et  une  instruction 
pour  un  juge  en  semblable  matière  (1).  — 
C'est  une  compilation  des  procédures  aux- 
quelles ,  comme  juge,  l'auteur  a  générale- 
ment présidé.  On  y  trouve  l'hisloire  de 
Louise  Maillât,  possédée  de  cinq  démons  à 
l'âge  de  tiuit  ans;  de  Françoise  Secretain  , 
sordère,  qui  avait  envoyé  lesdils  démons  ; 
des  sorciers  Gros-Jacques  et  Willermoz,  dit 
le  Baillu  ;  de  Claude  Gaillard  ,  de  Rolande 
Duvernois  et  de  quelques  autres.  L'auteur 
détaille  les  abominations  qui  se  font  au  sab- 
bat ;  il  dit  que  les  sorciers  peuvent  faire 
tomber  la  giéle  ;  qu'ils  ont  une  poudre  avec 
laquelle  ils  empoisonnent  ;  qu'ils  se  grais- 
sent les  jarrets  avec  un  onguent  pour  s'en- 
voler au  sabbat  ;  qu'une  sorcière  tue  qui 
elle  veut  par  son  souffle  seulement  ;  qu'elles 
ont  mille  indices  qui  les  feront  reconnaître  : 
par  exemple  ,  que  la  croix  de  leur  chapelet 
est  cassée  ,  qu'elles  ne  pleurent  pas  en  pré- 
sence du  juge  ,  qu'elles  crachent  à  terre 
quand  on  les  force  à  renoncer  au  diable  , 
qu'elles  ont  des  marques  sous  leur  cheve- 
lure, lesquelles  se  découvrent,  si  on  les  rase; 
que  les  sorciers  et  les  magiciens  ont  tous  le 
talent  de  se  changer  en  loups  ;  que  sur  le 
simple  soupçon  mal  lavé  d'avoir  été  au  sab- 
bat ,  même  sans  autre  maléfice  ,  on  doit  les 
condamner  ;  que  tous  méritent  d'être  brûlés 
sans  sacrement,  et  que  ceux  qui  ne  croient 
pas  à  la  sorcellerie  sont  criminels. 

Il  faut  remarquer  qu'en  ces  choses  ce  n'é- 
tait pas  le  clergé  qui  était  sévère  ,  mais  les 
juges  liiïques  qui  se  montraient  violents  et 
féroces. 

A  la  suite  de  ces  discours  viennent  les  Six 
avis,  dont  voici  le  sommaire  : 

1°  Les  devins  doivent  être  condamnés  au 
feu  ,  comme  les  sorciers  et  les  hérétiques ,  et 
celui  qui  a  été  au  sabbat  est  digne  de  mort. 
11  faut  donc  arrêter  sur  la  plus  légère  accu- 
sation la  personne  soupçonnée  de  sorcelle- 
rie ,  quand  même  l'accusateur  se  rétracte- 
rait ;  et  l'on  peut  admettre  en  témoignage 
contre  les  sorciers  toutes  sortes  de  person- 
nes. On  brûlera  vif,  dit-il,  le  sorcier  opi- 
niâtre, et,  par  grâce  ,  on  se  contentera  d'é- 
trangler celui  qui  confesse. 

2"  D;m»  le  crime  de  sorcellerie,  on  peut 
condamner  sur  de  simples  indices  ,  conjec- 
tures et  présomptions  ;  on  n'a  pas  besoin 
pour  de  tels  crimes  de  preuves  très-exactes. 

3°  Le  crime  de  sorcellerie  est  directement 
contre  Bieu  (ce  qui  est  vrai  dans  ce  crime, 
s'il  existe  réellement,  puisque  c'est  une  né- 
galion  de  Dieu  et  un  reniement)  :  aussi  il 
faut  le  punir  sans  ménagement  ni  considé- 
ration quelconque... 

4°  Les  biens  d'un  sorcier  condamné  doi- 
vent être  confisqués  comme  ceux  des  héré- 
tiques; car  sorcellerie  est  pire  encore  qu'hc- 

(I)  Un  vol.  in-8°.  Paris,  1603;  Lyon,  1002,  !G07, 160M, 
1610;  Itoueii,  1606.  'foules  ces  éJitions  sont  très-rares, 


résie,  en  ce  que  les  sorciers  renient  Dieu. 
Aussi  on  remet  quelquefois  la  peine  à  l'héré- 
tique repenti;  on  ne  doit  jamais  pardonner 
au  sorcier... 

5"  On  juge  qu'il  y  a  sorcellerie,  quand  la 
personne  accusée  faitmétier  de  deviner,  cequi 
est  l'œuvre  du  détnon;  les  blasphèmes  et  im- 
précations sont  encore  des  indices.  On  peul 
poursuivre  enfin  sur  la  clameur  publique. 

G"  Les  fascinations,  au  moyen  desquelles 
les  sorciers  éblouissent  les  yeux,  faisant  pa- 
raître les  choses  ce  qu'elles  ne  sont  pas , 
donnant  des  monnaies  de  corne  ou  du  carton, 
pour  argent  de  bon  aloi ,  sont  ouvrages  da 
diable;  et  les  fascinateurs  ,  escamoteurs  et 
autres  magiciens  doivent  être  punis  de  mort. 

Le  volume  de  Boguel  est  terminé  par  l'in- 
struction pour  un  juge  en  fait  de  sorcellerie. 
Cet  autre  morceau  curieux  est  connu  sous  le 
nom  de  Code  des  sorciers.  Voy.  Code. 

BOHÉMIENS.  Il  n'y  a  personne  qui  n'ait 
entendu  parler  des  Bohémiennes  et  de  ces 
bandes  vagabondes  qui ,  sous  le  nom  de  Bo- 
hémiens, de  Biscaïens  et  d'Egyptiens  ou  Gi- 
tanes ,  se  répandirent  au  quinzième  siècle 
sur  l'Europe,  dans  l'Allemagne  surtout,  la 
Hollande  ,  la  Belgique  ,  la  France  et  l'Espa- 
gne, avec  la  prétention  de  posséder  l'art  do 
dire  la  bonne  aventure  et  d'autres  secrets 
merveilleux.  Los  Flamands  les  nommaient 
heyden,  c'est-à-dire  païens,  parce  qu'ils  les 
regardaient  comme  des  gens  sans  religion. 
On  leur  donna  divers  autres  sobriquets. 

Los  historiens  les  ont  fait  venir  sur  de  si  m  pies 
conjectures, del'Assyrie,  de laCilicie.duCau- 
case,do  la  Nubie, de  l'Abyssinie,  delaChal- 
dée.Bellon,  incertain  de  leurorigine, soutient 
qu'au  moins  ils  n'étaient  pas  Egyptiens;  car 
il  en  rencontra  au  Caire,  où  ils  étaient  re- 
gardés comme  étrangers  aussi  bieu  qu'en 
Europe.  Il  eût  donc  été  plus  naturel  de  croi- 
re les  Bohémiens  eux-mêmes  sur  leur  paro- 
le, et  de  dire  avec  eux  que  c'était  une  race 
de  Juifs,  mêlés  ensuite  de  chrétiens  vaga- 
bonds. Voici  ce  que  nous  pensons  être  la  vé- 
rité sur  ces  mystérieux  nomades. 

Vers  le  milieu  du  quatorzième  siècle,  l'Eu- 
rope et  principalement  les  Pays-Bas,  l'Alle- 
magne et  la  France  ,  étant  ravagés  par  la 
poste,  on  accusa  les  Juifs,  on  ne  sait  pour- 
quoi ,  d'avoir  empoisonné  les  puits  et  les 
fontaines.  Celte  accusation  souleva  la  fureur 
publique  contre  eux.  Beaucoup  de  Juifs  s'en- 
fuirent et  se  jetèrent  dans  les  forêts.  Ils  se 
réunirent  pour  être  plus  en  sûreté  et  se  mé- 
nagèrent des  souterrains  d'une  grande  éten- 
due. On  croit  que  ce  sont  eux  qui  ont  creu- 
sé ces  vastes  cavernes  qui  se  trouvent  encore 
en  Allemagne  et  que  les  indigènes  n'ont  ja- 
mais eu  intérêt  à  fouiller. 

Cinquante  ans  après,  ces  proscrits  ou  leurs 
descendants  ayant  lieu  de  croire  que  ceux 
qui  les  avaient  tant  ha'is  étaient  morts,  quel- 
ques-uns se  hasardèrent  à  sortir  de  leurs 
tanières.  Les  chrétiens  étaient  alors  occupés 
des  guerres  religieuses  suscitées  par  l'hérésie 
de  Jean  Uuss.  C'était  une  diversion  favorable. 

Ii:ircc  que  la  famille  do  Bogiiot  s'cffurça  d'en  supprimer 
les  ex(Mnplaire3. 


22S 


Bon 


Sur  le  rapport  de  leurs  espions,  les  Juifs 
cachés  quillèrent  leurs  cavernes,  sans  au- 
cune ressource,  il  est  vrai,  pour  se  garantir 
de  la  misère  ;  mais  pendant  leur  demi-siècle 
de  solilude,  ils  avaient  étudié  les  divinations 
et  particulièrement  l'art  de  dire  la  bonne  a- 
ventare  par  l'inspection  de  la  main  ;  ce  qui 
ne  demande  ni  instrumenl  ,  ni  appareil,  ni 
dépense  aucune  ;  et  ils  complèrenl  bien  que 
la  chiromancie  leur  procurerait  quelque  ar- 
gent. 

Ils  se  choisirent  d'abord  un  capitaine  , 
nommé  Zundel.  Puis  comme  il  fallait  décla- 
rer ce  qui  les  amenait  en  Allemagne,  qui  ils 
étaient  ,  d'où  ils  venaient ,  et  qu'on  pou- 
vait les  questionner  aussi  sur  leur  religion  ; 
pour  ne  pas  se  découvrir  trop  clairement, 
ni  pourtant  se  renier,  ils  convinrent  de  dire 
que  leurs  pères  habitaient  autrefois  l'Egyp- 
te, ce  qui  est  vrai  des  Juifs  ;  et  que  leurs  an- 
cêtres avaient  été  chassés  de  leur  pajs  pour 
n'avoir  pus  voulu  recevoir  la  Vierge  Alarie 
et  son  fils  Jésus.  — Le  peuple  comprit  ce  re- 
fus, du  temps  où  Joseph  emmena  le  divin  En- 
fant en  Kgypte  pour  le  soustraireaux recher- 
ches d'Hérode;  au  lieu  que  les  vagabonds 
juifs  l'entendaient  de  la  persécution  quils 
avaient  soufferte  cinquante  ans  auparavant. 
De  là  vient  le  nom  d'Egyptiens  qu'on  leur 
donna  et  sous  lequel  l'empereur  Sigismoud 
leur  accorda  un  passe-port. 

Ils  s'étaient  formé  un  argot  ou  un  jargon 
déguisé,  mdié  d'hébreu  et  de  mauvais  alle- 
mand, qu'ils  prononçaient  avec  un  accent  é- 
tranger.  Des  savants  qui  ne  voyaient  pas  plus 
loin,  furent  flattés  de  reconnaître  certains 
termes  de  la  langue  allemande  dans  un  pa- 
tois qu'ils  prenaient  pour  de  l'égyptien.  Ils  dé- 
naturaient aussi  plusieurs  appellations  ;  ils 
appelaient  un  enfant  im  criard  ,  un  manteau 
un  preneur  de  vent,  un  soulier  un  marcheur, 
un  oiseau  un  volant.  Toutefois,  la  multitude 
de  mois  hébreux  qui  est  restée  dans  le  lan- 
gage dos  Bohémiens  suffirait  seule  pour 
trahir  leur  origine  juive. 

Ils  avaient  des  mœurs  particulières  et 
s'étaient  fait  des  lois  qu'ils  respectaient. 
Chaque  bande  se  choisissait  un  roi,  à  qui 
tout  le  monde  était  tenu  d'obéir.  Quand  par- 
mi eux  une  femme  se  mariait,  elle  se  bor- 
nait, pour  toute  cérémonie,  à  briser  un  pot 
de  terre  devant  l'homme  dont  elle  voulait 
devenir  la  compagne  ;  et  elle  le  respectait 
comme  son  mari  autant  d'années  que  le  va- 
se avait  produit  de  morceaux.  Au  bout  de  ce 
temps,  les  époux  étaient  libres  de  se  quitter 
ou  de  rompre  ensemble  un  nouveau  pot  do 
terre.  On  citerait  beaucoup  de  bizarreries  de 
ce  genre. 

Dès  que  les  nouveaux  Egyptiens  virent 
qu'ils  n'étaient  pas  repoussés,  ils  implorèrent 
la  pitié  des  Allemands.  Pour  ne  pas  paraître 
à  charge,  ils  assuraient  que,  par  une  grâce 
particulière  du  ciel,  qui  les  protégeait  eii- 
eore  en  les  punissant  ,  les  maisons  où  ils 
étaient  une  fois  reçus   n'étaient  plus  sujcl- 

(t)  Il  y  avait  des  Boliômiens  dans  les  Ardeiines,  au 
Cûinmenceiiicnl  du  dix-huitième  siècle.  Une  légeuiie  po- 
pulaire coule  qu'uu  îausciueiicl,  allaul  à  la  cliissc  de  les 


«011  22Î 

(eà  à  l'incendie.  Ils  se  mirent  aussi  à  dire» 
la  bonne  aventure,  sur  l'inspeclion  du  visa- 
ge, des  signes  du  corps,  et  principalement 
sur  l'examen  des  lignes  de  la  main  et  des 
doigis.  Ils  annonçaient  de  si  belles  choses,, 
et  leurs  devineresses  déployaient  tant  d'à-' 
dresse,  que  les  femmes  et  les  jeunes  filles 
les  traitèrent  dès  lors  avec  bienveillance. 

Cependant  la  fureur  contre  les  Juifs  s'é- 
tait apaisée  ;  ils  furent  admis  de  nouveau 
dans  les  villages,  puis  dans  les  villes.  Miis 
il  resta  toujours  de  ces  bandes  vagabondes 
qui  continuèrent  la  vie  nomade,  découvrant 
partout  l'avenir,  et  joignant  à  celte  profes- 
sion de  nombreuses  friponneries  plus  ma^ 
térielles.  Bientôt,  quoiiiue  la  nation  juive 
fût  le  noyau  de  ces  bandes,  il  s'y  fil  un  tel 
mélange  de  divers  peuples,  qu'il  n'y  eut  pas 
plus  entre  eux  de  religion  dominanle  qu'il 
n'y  avait  de  patrie.  Ils  pircoururent  les 
Pay-Bas  et  passèrent  en  France,  où  ou  les 
appela  Bohémiens,  parce  qu'ils  venaient  de  la 
Bohême. 

Pasquier,  dans  ses  Recherches,  raconte  à 
peu  près  ainsi  leur  apparition  mystérieuse 
sur  le  sol  français  et  leur  arrivée  aux  por- 
tes de  Paris  eu  1427;  —  Ils  étaient  au  nom- 
bre de  centyingt;  l'un  de  leurs  chefs  por- 
tait le  titre  de  duc,  un  autre  celui  de  comte; 
ils  avaient  dix  cavaliers  pour  escorte.  Ils 
disaient  qu'ils  venaient  de  la  Basse-Egypte, 
chassés  de  leur  pays  parles  Sarrasins,  qu'ils 
étaient  alléj  à  Rome  confesser  leurs  péchés 
au  pape,  qui  leur  avait  enjoint  pour  péni- 
tence d'errer  sept  ans  par  le  monde  ,  saiis 
coucher  sur  aucun  lit.  (  Les  gens  éclairés 
n'ajoutèrent  s.ins  doute  pas  foi  à  ce  conte.  ) 

—  On  les  logea  au  village  de  La  Chapelle, 
près  Paris  ;  et  une  grande  foule  alla  les  voir. 

—  Ils  avaient  les  cheveux  crépus ,  le  teint 
basané,  et  portaient  aux  oreilles  des  an- 
neaux d'argent.  Comme  leurs  femmesdisaient 
la  bonne  aventure  et  se  livraient  à  des  pra- 
tiques superstitieuses  et  mauvaises,  l'évéque 
de  Paris  les  excommunia  ,  défendit  qu'on 
les  allâtconsulteret  obtint  leur  éloignement. 

Le  seizième  siècle  fut  infecté  de  Bohé- 
miens. Les  Etalsd'Orléans,  en  1560,  les  con- 
damnèrent au  bannissement  sous  peine  des 
galères ,  s'ils  osaient  reparaître,  Siiufferls 
dans  quelques  contvées  que  divisait  Ihéré-" 
sie,  chassés  en  d'abiies  lieux  comme  des- 
cendants deCham,  inventeur  de  la  magie, 
ils  ne  paraissaient  nulle  part  que  comme 
une  plaie.  Ou  disait  enFlandre  qu'ils  étaient 
si  experts  en  sorcellerie,  que  dès  qu'cm  leur 
avait  donné  une  pièce  de  n)onnaie,  toutes 
celles  qu'on  avait  eu  poche  s'envolaient  aus- 
sitôt et  allaient  rejoindre  la  première,  opi- 
nion populaire  qui  peut  se  traduire  en  dait- 
Ires  termes  et  qui  veut  dire  que  les  Bohé- 
miens étaient  des  escrocs.  —  Leurs  bandes 
diminuèrentau  dix-septième  siècle  (1). Pour- 
tant on  en  voyait  encore  quelques  rares  dé- 
tachements il  y  a  soixante  ans.  Sous  les  nou- 
velles lois  de  poiice  des  Etats  européens,  les 

vagabonds,  vit  uii  Bohémien  crépu  avec  deux  femmes  ef 
un  eul'anl.  Le  Uoliéniien  l'ajiislaiL  de  son  esi-ingole  ;  lui, 
ajusta  le  Boliéinien  de  sou  niousnuel.  Le  JJubéuiiju  lui 


227  DICTiONNAIRI',  DKS 

sociétés  bohémionnes  sont  dissoules.  Mais  il 
y  a  toujours  çà  et  là  des  individus  qui  di- 
sent la  bonne  aventure,  et  des  imbéciles  qui 
vont  les  consulter.  Voy.  Chiromancie. 

Voici  une  anecdote  de  Bohémienne  qui  a 
fait  quelque  bruit  sous  Louis  XIV^;  Dufres- 
iiy  l'a  mise  au  nombre  de  ses  Nouvelles. 

Plusieurs  grands  hommes, dit-il,  ont  ajouté 
foi  aux  diseurs  de  bonne  aventure.  Tel  capi- 
taine qui  affronte  mille  périls  craindra  les 
présages  quune  Bohémienne  verra  dans  sa 
main  ;  pardonnez  donc  cette  f.iiblesse  à  une 
femme  ;  c'est  une  riche  bourgeoise  ,  que  je 
nommerai  Bclisc.  La  Bohémienne  qui  l'abu- 
sa ,  et  qui  est  présentement  au  Châlelet ,  a 
de  l'esprit  comme  un  démon, le  babil  et  l'ac- 
cent bohémiens  et  le  langage  propre  à  faire 
Cl  cire  l'incroyable.  Sachant  que  Bélise  allait 
souvent  chez  une  amie ,  la  Bohémienne  la 
guette  un  jour,  passe  comme  par  hasard  au- 
près d'elle  ,  la  regarde  ,  s'arrête,  recule  trois 
pas  ,  et  fait  un  cri  d'élonnement  : 

—  Est-ce  que  vous  me  connaissez  ?  lui  dit 
Bélise  en  s'arrétant  aussi. 

—  Si  je  vous  connais  !  répond  la  Bohé- 
mienne dans  son  jargon  ,  oui ,  madame  ,  et 
je  suis  sûre  que  vous  serez  heureuse  de  me 
connaître  aussi. 

—  Je  vois  ,  lui  dit  Bélise  avec  bonté  ,  que 
vous  avez  envie  de  g.igner  la  pièce  en  me  di- 
sant la  bonne  aventure  :  je  n'y  crois  pas; 
mais  ne  laissez  pas  de  me  la  dire. 

Bélise  la  fit  entrer  chez  son  amie  ,  et  lui 
présenta  la  main  :  la  Bohémienne  ,  en  l'ob- 
servant ,  feignait  d'être  de  plus  en  plus  sur- 
prise et  réjouie  d'avoir  rencontré  une  per- 
sonne qu'elle  cherchait  depuis  plusieurs  an- 
nées ;  elle  devina  ,  par  les  règles  de  son  art, 
diverses  particularités  dont  elle  s'était  fait 
instruire  par  une  femme  qui  avait  servi  Bé- 
lise :  mais  ce  qu'elle  voyait  de  plus  certain  , 
c'était ,  disait-elle  ,  une  fortune  prochaine. 

—  Je  vois  bien  des  mains  à  Paris  ,  ajoula- 
l-elle  ,  je  n'en  vois  point  comme  la  \ôlre. 

Peu  à  peu  ,  elle  disposa  Bélise  à  donner 
avec  confiance  dans  le  piège  qu'elle  lui  ten- 
dait. Après  avoir  persuadé  aux  deux  bour- 
geoises qu'elle  avait  des  liaisons  avec  les  es- 
prits et  les  génies ,  elle  leur  conta  l'histoire 
d'une  princesse  qui  était  venue  mourir  à  Pa- 
ris ,  il  y  avait  cent  ans;  elle  leur  dit  que 
cette  princesse  étrangère  avait  enterré  un 
trésor  dans  une  cave,  et  qu'ensuite,  vou- 
lant faire  son  héritièie  une  bourgeoise  de  ce 
lemps-là  ,  qu'elle  avait  prise  en  iiftVclion, 
elle  était  morte  subitement  sans  avoir  pu 
l'instruire  du  lieu  où  était  ce  trésor  caché. 
C'est  ce  que  je  liens  de  la  princesse  même, 
continua  la  Bohémienne. 

—  Vous  devez  savoir,  ajouta-t-elle ,  que 
personnedc  l'autre  monde  ne  peut  parler  aux 
gens  de  celui-ci  que  par  l'entremise  des  es- 
prits ;  or,  le  mien  connaît  la  princesse;  et  je 
suis  chargée  de  lui  trouver  dans  Paris  quel- 

tiié.  Les  deux  femmes,  les  mains  liées,  furrnl  emmenées 
avec  le  ppiit  gaiç  .n.  Comme  les  pieds  de  ce  pclil,  qui  sui- 
vait l'Iiomiiie  à  cIm'VbI,  se  décliiiaieul  sur  les  cailloux,  le 
lausqueiK'l  en  eut  pitié;  il  le  mit  eu  croupe  derrière  lui. 
L'une  des  deux  femmes  lui  passa  adroilemeut  lui  poi- 
gnard, qu'elle  portail  caclié  dans  son  sein,  et  le  petit  gar- 


SCIE.NCES  OCCLLTES.  «3 

que  femme  de  la  famille  de  la  défunte  bour- 
geoise qu'elle  voulait  faire  son  héritière  ; 
vous  êtes  celle  que  je  cherche... 

A  ce  récit  extravagant, Bélise  ne  riait  que 
pour  faire  l'esprit  fort ,  car  le  désir  d'être 
héritière  augmentait  sa  crédulité. 

—  Mais  ,  reprit-elle,  comment  savoir  si  je 
suis  parente  de  la  bourgeoise  qui  vivait  il  y  a 
cent  ans? 

—  Kt  si  j'étais  aussi  parente?  dit  l'amie  de 
Bélise. 

La  Bohémienne  n'y  trouva  point  d'appa- 
rence ;  ravie  pourlant  de  faire  l'épreuve 
double,  elle  demanda  à  rinslanl  deux  verres 
de  cristal,  qu'on  alla  remplir  d'eau  claire; 
elle  les  mit  sur  deux  tables  éloignées  l'une 
de  l'autre  ,  et  dit  aux  bourgeoises  de  fermer 
un  œil ,  et  de  regarder  attentivement  avec 
l'autre. 

—  Celle  qui  est  parente  de  la  bourgeoise  , 
dit-elle  ,  doit  voir  un  échantillon  du  trésor 
dont  elle  héritera  ,  cl  l'autre  rien. 

La  Bohémienne  avait  mis  dans  chaque 
verre  une  pelile  racine  ;  leur  disant  que  c'é- 
tait la  racine  des  enchantements  qui  attirait 
les  génies  ;  l'une  de  ces  racines  était  apprê- 
tée avec  une  composition  chimique  qui ,  dé- 
trempée ,  devait ,  par  une  espèce  de  fenn  mi- 
talion  ,  former  des  bulles  d'air  et  des  petits 
brillants  de  différentes  couleurs ,  avec  des 
paillettes  dorées.  C'en  était  assez  pour  faire 
voir  à  une  femme  prévenue  tout  ce  que  son 
imagination  lui  représentait  déjà.  Bélise  ,  à 
la  première  bulle  d'air,  s'écria  quelle  voyait 
quantité  de  perles. 

—  Vous  en  allez  voir  bien  d'autres  ,  dil  la 
Bohémienne. 

Effeclivcment,  à  mesure  que  la  fermenta- 
tion augmentait ,  Bélise  ,  transportée  ,  ache- 
vait de  perdre  l'esprit.  Elle  sauta  au  cou  de 
celle  qui  la  faisait  si  riche  ;  et  ,  croyant  déjà 
tenir  des  millions  ,  elle  lui  promit  de  l'enri- 
chir ;  la  Bohémienne  lui  jura  que  dans  deux 
jours  elle  posséderait  le  trésor. 

—  Mais,  ajoula-t-elle  ,  il  y  a  de  grandes 
difficultés  à  vaincre:  le  diable,  qui  est  gar- 
dien de  tous  les  trésors  enfouis,  en  doit  jiren- 
dre  possession  au  bout  de  cent  ans  ;  c'est  la 
règle.  Par  bonheur,  il  n'y  a  que  quatre- 
vingt-dix-huit  ans  que  la  princesse  a  enterré 
le  sien.  Je  crains  pourtant  qu'il  ne  nous  dis- 
pute la  date...  Encore  votre  main  ,  ajouta-t- 
elle  ,  je  me  trompe  fort  si  le  même  diable  ne 
vous  a  pas  déjà  Iulinéc. 

—  Justement,  dit  Bélise  ;  car,  cel  clé,  à  la 
campagne  ,  il  revenait  un  esprit  dans  ma 
chambre  :  il  faul  être  sorcière  pour  avoir  de- 
viné cela. 

La  Bohémienne  savait  que  la  femme  de 
chambre  de  Bélise  ,  s'ennuyant,  s'était  avi- 
sée de  faire  peur  à  sa  maîtresse  pour  l'obli- 
ger de  revenir  à  Paris. 

—  Menez-moi  chez  vous ,  dit-elle  en  re- 
gardant le  verre  ;  le  tiésor  se  trouve  dans  la 

çou  l'cnronçaul  par  derrière  dans  le  cou  du  lansquenet, 
au-dessus  de  sa  cuirasse,  le  poussa  jusqu'il  la  garde  ;  le  ca- 
valier louilia  mort.  Les  deux  fennues  et  l'eiifiiil,  modaiit 
sur  son  cheval,  s'enfuireul  dans  la  forêt.  Ccii  était  nrrivé 
près  de  Saint-Huberl. 


iV) 


BOH 


BOIl 


S30 


cave  de  la  maison  que  vous  habitez,  et  je 
vois  qu'il  consiste  eu  deux  caisses  ,  dont 
l'une  est  pleine,  de  vieux  ducats  et  l'autre  de 
pierreries. 

Bélise,  ravie,  emmena  chez  elle  son  amie 
et  la  Bohémienne  ,  qui  l'avertit ,  chemin  fai- 
sant,  que  ,  pour  adoucir  le  malin  esprit, 
elle  allait  faire  des  conjurations  ,  des  fumi- 
gations, et  qu'il  fallait  amorcer  le  diable  par 
une  petite  effusion  d'or. 

—  En  avcz-vous  chez  vous  ,  conlinua-t- 
elle  ? 

—  J'ai  cinq  louis  d'or,  répondit  Bélise. 

—  Fort  bien  ,  répondit  l'autre  ;  je  ne  veux 
toucher  de  vous  ni  or  ni  argent  ,  avant  que 
j'en  aie  rempli  vos  coffres;  vous  mettrez 
vous-même  l'or  dans  le  creuset ,  au  fond  de 
la  cave  ,  et  vous  le  verrez  fondre  à  vos  jeux 
par  un  feu  infernal  qui  sortira  des  entrailles 
de  la  terre ,  en  vertu  de  certaines  paroles 
que  je  prononcerai.  Je  veux  que  vous  soyez 
témoin  de  ces  merveilles. 

On  arriva  chez  Bélise ,  où  le  reste  de  la 
fourberie  était  préparé;  les  caves  en  ques- 
tion n'étaient  séparécsdes  caves  voisines  que 
par  un  vieux  mur  où  la  servante  avait  fait  un 
trou.  La  Bohémienne,  aidée  par  elle ,  com- 
posa un  spectre  semblable  à  celui  qui  s'était 
montré  à  la  campagne  ,  et  disposa  son  appa- 
reil. Bélise  prit  les  cinq  louis  qu'on  devait 
fondre  au  feu  infernal.  En  arrivant  à  la  cave, 
elle  aperçut,  avec  effroi ,  le  spectre  qu'elle 
connaissait,  et  s'évanouit.  On  la  trouva,  à 
son  réveil ,  disposée  à  tout  croire. 

La  Bohémienne  emporta  les  cinq  louis.  Le 
lendemain  elle  revint  et  dit  à  Bélise,  en 
l'embrassant,  que  la  princesse  s'était  rendue 
chez  elle;  qu'elle  approuvait  tout: que  quant 
au  diable  ,  il  avait  voulu  ,  par  un  faux  cal- 
cul ,  escamoter  les  deux  ans  qui  lui  man- 
quaient, mais  qu'on  s'était  accommodé  avec 
lui,  en  promettant  de  lui  donner  mille  écus; 
en  conséquence  ,  qu'elle  les  trouvât  dans  la 
journée. 

—  Vous  les  lui  donnerez  vous-même ,  dit- 
elle;  car  vous  pourriez  croire  que  j'ai  moyen 
de  gagner  sur  cette  somme. 

Bélise  répondit  qu'elle  avait  toute  con- 
fiance en  elle, et  qu'elle  la  priait  de  se  char- 
ger de  lui  remettre  elle-même  l'argent. 

Cependant ,  la  Bohémienne  demanda  en- 
core qu'on  lui  donnât  force  robes,  coiffures  , 
jupes,  draps  et  serviettes,  afin  de  tapisser  la 
cave  où  la  princesse  devait  se  rendre,  comme 
elle  l'avait  promis.  Les  robes  devaient  ser- 
vir à  vêtir  les  génies  qui  l'accompagneraient. 
Bélise  aida  elle-même  à  porter  ses  hardcs 
dans  la  cave. 

La  Bohémienne  lui  recommanda  de  fermer 
la  porte  à  double  tour,  de  peur  que  quel- 
qu'un ne  vînt  troubler  la  séance.  Elle  ne 
pouvait  ainsi  vien  soupÇ(mner,car  elle  igno- 
rait la  communication  des  caves  voisines  , 
par  où  les  génies  plièrent  la  toilette.  Ainsi  , 
les-Bohé(niennes  eurent  toute  la  nuit  pour 
sortir  de  Paris  avec  le  butin  ;  et  l'Iiérilière  , 
en  chemise ,  fut  se  coucher  en  attendant  la 
succession  de  la  princesse.  Elle  reconnut  le 
lendemain  qu'elle  était  dupe.  La  Bohémienne 


fut  poursuivie  sur  sa  plainte  ,  et  condamnée 
pour  fait  d'escroquerie  et  de  sorcellerie. 

Marthe  la  bohémienne. — C'est  une  tradi- 
tion populaire,  traduite  de  l'anglais  de  Théo- 
dore Hook. 

Dans  le  voisinage  de  Bedford-Square,  vi- 
vait le  respectable  Harding  ,  qui  tenait  un 
rang  honorable,  et  remplissait  une  place  dans 
Sommerset-House.  Cet  homme  avait  une 
fille,  appelée  Maria,  qui  était  le  modèle  de  la 
piété  filiale  ,  mais  d'une  complcxion  extrê- 
mement délicate.  A  l'âge  de  dix-neuf  ans  , 
Maria  fixa  les  affections  d'un  jeune  homme 
qui  se  trouvait  allié  à  sa  famille  ,  et  qui  se 
nommait  Frédéric  Longdale  ;  les  parents  des 
deux  familles  convinrent  de  ne  pas  presser 
cette  union,  â  cause  de  la  jeunesse  des  futurs. 

M.  Harding,  se  rendant  un  jour  à  Sommer- 
set-House, selon  sa  coutume,  fut  accosté  par 
une  de  ces  Bohémiennes  qui  mendient  en 
Angleterre.  —  N'oubliez  pas  la  pauvre  Mar- 
the, la  Bohémienne  1  — dit  la  bonne  femme. 
M.  Harding,  qui  n'avait  pas  de  monnaie,  ré- 
pondit qu'il  n'avait  rien  sur  lui,  et  qu'il  était 
pressé.  Mais  sa  réponse  ne  rebuta  pus  cette 
femme  qui  le  suivait  en  réitérant  ses  lamen- 
tations. —  N'oubliez  pas  la  pauvre  Marthe  1 
— Irrité  de  cette  persévérance,  le  père  de  Ma- 
ria, contre  sa  coutume,  se  retourna  et  pro- 
nonça ,  d'un  ton  de  colère ,  une  malédiction 
contre  la  vagabonde. 

—  Ah  !  s'écria  Marthe,  en  s'arrélant  avec 
fierté  ,  vous  me  maudissez  !  Ai-je  vécu  jus- 
qu'aujourd'hui pour  m'entendre  maudire  ? 
Homme  méchant  et  dur,  homme  faible  et 
hautain,  regardez-moi  ! 

Elle  répéta  si  vivement  cette  apostrophe, 
que  M.  Harding  subjugué  ,  la  regarda  avec 
émotion.  11  vit  dans  toute  sa  contenance 
l'expression  de  la  fureur.  Ses  yeux  noirs 
lançaient  sur  lui  des  éclairs  ;  ses  cheveux 
noirs  tombaient  sur  ses  joues  olivâtres  ;  un 
rire  effrayant  et  un  ricanement  de  mépris 
laissaient  apercevoir  des  dents  p!us  blanches 
que  l'ivoire.  Il  considérait  Marthe,  partagé 
entre  l'élonnement  et  le  trouble.  —  Uegar- 
dez-moi  ,  monsieur  ,  dit  encore  la  Bohé- 
mienne ;  vous  et  moi  devons  nous  rencon- 
trer encore  ;  vous  me  verrez  trois  fois  avant 
de  mourir  ;  mes  visites  seront  terribles,  et  la 
troisième  sera  la  dernière 

Ces  paroles  frappèrent  vivement  le  cœur 
de  M.  Harding  ;  voyant  quelques  passants 
s'approcher,  il  fouilla  dans  sa  poche,  en  tira 
de  l'argent  qu'il  voulut  donner  à  Marthe  : 

—  De  l'argent  à  présent ,  répondit  la  sor- 
cière 1  Ne  suis-je  plus  maudite  ?  11  est  trop 
tard.  La  malédiction  est  à  vous  maintenant. 

—  Ces  paroles  prononcées ,  elle  s'enveloppa 
de  son  vieux  manteau  et  disparut. 

M.  Harding  ,  de  retour  chez  lui  ,  raconta 
l'aventure  à  sa  femme,  qui  lui  répondit, 
comme  il  devait  ratt(!ndre,  de  sa  tendresse  et 
de  sa  raison  ;  et  après  une  discussion  sur  la 
faiblesse  d'esprit  qui  fait  ajouter  foi  aux  dis- 
cours de  ces  malheureuses  ,  on  alla  se  cou- 
cher. M.  Harding,  accablé  par  de  tristes  ré- 
flexions, finit  par  s'endormir.  Le  lendemain 
et  les  jours  suivants   il  se  rendit  à  son  ira- 


SSl 


DICTlONNAinE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


232 


Vail  comme  de  coiilumo,  toujours  inquiel  et 
l'esprit  rempli  de  Marthe  ,  mais  honteux  de 
l'empire  qu'il  laissait  prendre  sur  lui  à  ces 
idées  superstitieuses. 

Cependant  Frédéric  s'occupait  conlinuellc- 
mont  de  son  aimable  Maria,  en  qui  les  sym- 
ptômes de  la  consomption  se  développèrent 
avec  tant  de  force ,  que  les  médecins ,  quoi- 
qu'ils n'en  parlassent  que  comme  d'un  mal 
peu  sérieux  ,  montrèrent ,  par  leurs  soins  , 
qu'ils  n'étaient  pas  sans  inquiétudes.  Trois 
mois  s'étaient  écoulés  depuis  la  fatale  ren- 
contre de  Marthe,  le  temps  et  une  distraction 
constante  avaient  délivré  presque  entière- 
ment l'esprit  de  M.  Harding  de  la  terreur  que 
celteBohémiennelui  avait  inspirée,  lorsqu'un 
jour  le  jeune  Frédéric  ,  qui  était  venu  voir 
sa  fiancée,  fut  obligé  de  la  quitter  prompte- 
ment,  son  carritk  l'attendait  pour  le  con- 
duire à  une  vente  de  chevaux,  où  son  père 
lui  avait  donné  commission  d'en  examiner 
qu'il  avait  l'intention  d'acheter.  M.  Harding 
proposa  au  jeune  homme  de  l'accompaguer 
aux  criées  de  HydePark,  puisqu'il  n'était  pas 
occupé  ce  jour-là.  Celte  proposition  fut  ac- 
ceptée ,  et  ils  partirent  ;  mais  M.  Harding  , 
qui  tenait  les  rênes  ,  reconnut  bientôt  que 
son  adresse  ne  pouvait  suppléer  à  ses  forces 
pour  maîtriser  les  coursiers  ardents  de  Fré- 
déric; il  le  pria  donc  de  les  prendre.  Celui-ci, 
par  trop  de  précipitation,  laissa  échapper  les 
guides;  les  chevaux  ne  sentant  plus  de  frein 
se  cabrèrent ,  cl  mirr nt  en  pièces  le  fragile 
équipage  ,  après  avoir  lancé  M.  Harding 
ainsi  que  Frédéric  sur  le  pavé. 

,Pendant  qu'ils  entraînaient  les  débris  de  la 
voiture  sur  la  place  qu'ils  venaient  de  quit- 
ter ,  M.  Harding  aperçut  avec  horreur  Mar- 
the la  Bohémienne 

Cette  horrible  vision,  qui  se  rapportait  à 
la  menace  de  la  sorcière  ,  fit  une  telle  im- 
pression sur  lui  ,  que  son  effroi  ,  joint  aux 
douleurs  qu'il  ressentait  ,  lui  fit  perdre  con- 
naissance. Cependant  les  deux  infortunés 
furent  promplemcnt  secourus.  Le  jeune  Fré- 
déric fut  longtemps  dans  un  état  trèsalar- 
manl  :  quant  à  M.  Harding,  il  recouvrait  de 
jour  en  jour  la  santé  ;  mais  son  jugement 
semblait  l'abandonner,  l'aspect  de  sa  pauvre 
fille  presque  mourante  contribuait  encore  à 
troubler  chaque  instant  de  sa  vie.  Elle  de- 
manda à  voir  Frédéric,  qui  alors  se  trouvait 
mieux  ;  on  lui  donna  la  certitude  qu'elle  le 
verrait  dans  quelques  heures.  Au  moment 
où  l'on  s'entretenait  de  cette  entrevue  pro- 
chaine et  désirée  ,  comme  les  rayons  du  so- 
leil, qui  brillait  alors  de  toute  la  force,  tom- 
Lilent  sur  la  malade  :  —  Mon  ami,  dit  mis- 
Iriss  Harding,  fermez  un  peu  le  volet,  je  vous 
prie.  —  M.  Harding  se  leva  ,  et ,  ouvrant  la 
Croisée  ,  il  poussa  un  cri  d'horreur  en  s'é- 
crianl  :  —  Elle  est  là  1  —Qui  '?  répliqua  mis- 
Iriss  Harding,  surprise  et  effrayée. — Elle, 
elle,  elle  !  <H  le  malheur  111... 

Mislriss  Harding  courut  à  la  fcnCtre  et  vit, 
dans  ia  rue,  Marthe  la  Bohémienne. 

Etant  relournée  vivement  au  lit  de  Maria, 
elle  poussa  un  gémissement  plaintif  :  Maria 
était  morte...  Ses  parents  désolés,  se  retirè- 


rent à  Lausanne  ;  mais  l'absence  ne  calma 
point  leurs  regrets,  et  au  bout  de  deux  ans, 
ils  revinrent  à  Londres  pour  assister  au  ma- 
riage de  leur  fils  ,  à  qui  M.  Harding  avait 
fait  obtenir  sa  place.  On  donna  un  grand 
souper,  où  toute  la  famille  fut  invitée.  Après 
la  collation  ,  comme  on  priait  la  mariée  de 
chanter  ,  on  entendit  un  bruit  effrayant  , 
Semblable  à  celui  d'un  poids  qui  aurait  roulé 
sur  toutes  les  marches  de  l'escalier  :  la  porte 
du  salon  s'entr'ouvrit ,  conime  enfoncée  par 
un  coup  de  vent.  M.  Harding  pâlit,  regarda 
sa  femme,  et  dit,  en  se  tournant  vers  l'as- 
semblée ,  que  ce  bruit  venait  de  la  rue  ,  et 
qu'il  ne  fallait  pas  s'en  troubler  ;  mais  on  vit 
bien  qu'il  frissonnait  ,  et  après  que  tout  le 
monde  se  fut  retiré,  Harding  soupira,  et  s'a- 
dressant  à  sa  femme  ,  il  l'engagea  à  se  pré- 
parer à  une  nouvelle  calamité.  —  J'ignore, 
quel  malheur  nous  menace,  dit-il  ;  mais  il 
est  suspendu  sur  nos  têtes  ;  il  y  tombera 
Cl  tte  nuit  même.  —  .Mon  ami,  dit  mistriss 
Harding,  que  voulez-vous  dire  ?....  —  Ma 
chère,  je  l'ai  vue  pour  la  troisième  fois  1  — 
Qui  ?  —  Marthe  la  IBohémienne....  Lorsque  la 
porte  s'ouvrit  d'une  manière  surnaturelle  ^ 
je  la  vis  1  Ses  yeux  effrayants  étaient  atta- 
chés sur  moi.... 

Il  embrassa  tendrement  sa  femme,  et, 
après  avoir  éprouvé  quelques  instants  lé 
frisson  de  la  fièvre,  M.  Harding  tomba  dans 
Un   sommeil  dont  il  ne  réveilla  jatnais....^ 

Histoire  qui  assurément  est  un  conte. 

BOHINUM ,  idole  des  Arméniens  ,  qui 
était  faite  d'un  métal  noir,  symbole  de  la 
nuit.  Son  nom  vient  du  mot  hébreu  boliu, 
désolation,  à  ce  que  dit  Leloycr.  C'est  le  dé- 
mon du  mal. 

BOHMIUS  (Jean).  Quelques-uns  recher- 
chent sa  Psi/chotoyie  ,  ou  Traité  des  esprits, 
publiée  en  1032,  à  Amsterdam  (1),  livre  qui 
ne  manque  pas  d'hérésies. 

BOHON-HUPAS,  arbre  poison  qui  croît 
dans  l'île  de  Java,  à  trente  lieues  de  Batavia. 
Los  criminels  condamnés  allaient  autrefois 
recueillir  une  gomme  qui  en  découle,  et  qui 
est  un  poison  si  prompt  et  si  violent,  que  les 
oiseaux  qui  traversent  l'air  au-dessus  de  cet 
arbre  ,  tombent  morts  ;  du  moins  ces  choses 
ont  été  contées.  Après  que  leur  sentence  était 
prononcée,  lesdits  criminels  pouvaient  choi- 
sir, ou  de  périr  de  la  main  du  bourreau  ,  ou 
de  tenter  de  rapporter  une  boîte  de  gomme 
de  l'hupas.Foerscch  rapporte  qu'ayant  inter- 
rogé un  prêtre  malais  qui  habitait  ce  lieu  sau- 
vage, cet  homme  lui  dit  qu'il  avait  vu  passeron- 
vironsept  cents  criminels,  sur  lesqucis  il  n'en 
était  revenu  que  vingt-deux  ;  (ju'il  n'y  avait  pas 
plus  de  cent  ans  que  ce  pays  était  habile  par 
un  peuple  qui  se  livrait  aux  iniquités  do 
Sodome  et  de  Gomorrlie;  que  Mahomet  ne 
voulut  pas  souffrir  plus  longtemps  leurs 
mœurs  abominables  ;  qu'il  engagea  Dieu  à 
les  punir;  et  que  Dieu  fit  sortir  de  la  terre  le 
bohon-hupas,  qui  délruisit  les  coupables,  et 
rendit  le  pays  à  jamais  inhabitable.  Les 
Malais  regardent  cet  arbre  comme  l'instru- 

(I)  Joaimis  Bolunii  Psychologia,  cuni  vcra  api.licarione 
Joanuis  Aiigcli.  Iu-24.  Âuisl-el.,   103^. 


233 


l'OL 


BON 


ment  de  la  colère  du  Prophète;  et,  toulefois, 
la  mort  qu'il  procure  passe  chez  eux  pour 
honorable;  voilà  pourquoi  les  criminels  qui 
vont  chercher  le  poison  ,  se  rcvèlenl  en  gé- 
néral (le  leurs  plus  beaux  habits  (1). 

BOIS.  —  Les  anciens  avaient  une  divina- 
tion qui  se  pratiquait  par  le  moyen  de  quel- 
ques morciaux  de  bois.  Voy.  Xylomancik. 
Ils  croyaient  les  forêts  habitées  de  divinités 
bizarres;  et  dans  les  pays  superstitieux,  on 
y  redoute  encore  les  lutins.  Les  Kamslcha- 
dales  disent  que  les  bois  sont  pleins  d'esprits 
malicieux.  Ces  esprits  ont  des  enfants  qui 
pleurent  sans  cesse  pour  attirer  les  voya- 
geurs ,  qu'ils  égarent  ensuite  ,  et  à  qui  ils 
ôlenl  quelquefois  la  raison.  —  Enfln,  c'est, 
généralement  dans  les  bois  que  les  sorciers 
font  le  siibbal. 

BOiS  DE  VIE.  —  C'est  le  nom  que  les  al- 
chimistes donnent  à  la  pierre  parfaite  du 
grand  œuvre,  plus  clairement  appelée  baume 
universel  ou  panacée  ,  qui  guérit  tous  les 
maux,  et  assure  à  ceux  qui  la  possèdent  une 
jeunesse  inaltérable. 

Les  Juifs  nomment  bois  de  vie  les  deux 
bâtons  qui  tiennent  la  bande  roulée  sur  la- 
quelle est  écrit  le  livre  de  leur  loi.  Ils  sont 
persuadés  que  l'attouchement  de  ces  bâtons 
affermit  la  vue  et  rend  la  santé.  Ils  croient 
aussi  qu'il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de 
faciliter  l'accouchement  des  femmes,  que  de 
leur  faire  voir  ces  bois,  qu'il  ne  leur  est  pas 
permis  de  toucher. 

BOISTUAU  ou  BOAISTUAU  (Pierue),  dit 
Launay,  Nantais,  mort  à  Pans  in  15Gb.  Ou 
recherche  de  lui  deux  ouvrages  rares  el 
curieux  :  1°  Histoires  prodigieuses,  extraites 
de  divers  auteurs,  in-»%  1301.  Aux  quarante 
histoires  de  Buistuau,  Tesseranl  en  ajouta 
quinze.  Belleforêt,  Hoyer  et  Marionville  les 
firent  réimprimer  avec  une  nouvelle  conti- 
nuation, en  1573,  six  vol.  in-16;  —  2"  His- 
toires tragiques, e\\.ràH.es  des  œuvres  italien- 
nes de  Bandel,  el  mises  en  langue  française, 
1568  et  années  suivantes,  7  vol.  in-16.  Il  n'y 
a  que  les  six  premières  histoires  du  premier 
volume  qui  aient  été  traduites  par  Boisluau  ; 
les  autres  sont  de  la  triiduclion  de  Bellefo- 
rêt, qui  lui  était  bien  inférieur.  Voy.  Visions, 
SïMPiTHiE,  Apparitions. 

BOJANI  (Michel).  On  peut  lire  de  lui  une 
Histoire  des  songes  (2),  publiée  en  1587. 
Nous  ne  la  connaissons  que  par  le  titre. 

BOLACRÉ  {GiLLEsJ,  bonhomme  qui  habi- 
tait une  maison  d'un  faubourg  de  Tours,  oii 
il  prétcnditqu'il  revenait  des  esprits  qui  l'em- 
péchaient  de  dormir.  C'était  au  seizième  siè- 
cle. Il  avait  loué  cette  maison  ;  et  comme  il 
s'y  faisait  un  bruit  et  tintamarre  d'esprils 
invisibles,  sabbats  el  lutins,  qui  ne  lui  lais- 
saient aucun  repos,  il  voulut  à  toute  force 
faire  résilier  le  bail.  La  cause  fut  portée  de- 
vant le  siège  présidial  à  Tours,  qui  ca-.sa  le 
bail.  Le  propriétaire  en  appela  au  parlement 
do  Paris;  sou  avocat,  maître  René  Chojjin, 

(1)  Extrait  des  Voyages  de  M.  Foersech,  Hol!:ui(i;iis, 
Mélanges  de  la  liUéralurn  étrangère,  t.  I,  p.  G3. 

(-2)  Micbaelis  Uojaiii,  Umoria  de  Somuiis.  Iii-S".  W  il 
leui'berg,  15H7. 

DICT10^N.  DES  SCIENCES  OCCLXTE.'i.  1. 


25* 


soutint  que  les  visions  d'esprits  n'étaient  au- 
tre chose  que  des  contes  de  vieilles,  éponvan- 
tails  depelils  enfants.  Le  parlement  ne  décida 
rien  el  renvoya  la  cause  au  tribunal  de  la 
Tournelle,qui  par  son  arrêt  maintint  la  rési- 
liaiion  du  bail  (3). 

nOLFRI,  Voy.  Bérith. 
BOLINGBROKE,  Voy.  Glocester. 
BOLOMANCIE.  C'est  la  Bélomancie.  Voy. 
ce  mol. 

BOLOTOO.  Ile  imaginaire  où  les  naturels 
des  îles  de  Tonga  placent  leur  paradis.  Ils 
croient  que  les  âmes  de  leurs  chefs  y  devien- 
nent des  divinités  du  second  ordre.  Les  ar- 
bres de  Bolotoo  sonl  chargés,  disent-ils,  des 
meilleurs  fruits  et  toujours  couverts  des  plus 
belles  fleurs,  qui  renaissent  toutes  les  foi» 
qu'on  les  cueille.  Ce  séjour  divin  est  rempli 
d'animaux  immortels  que  l'on  ne  tue  que  pour 
la  nourriture  des  dieux  et  des  élus;  mais 
aussitôt  qu'on  en  tueun,  un  autre  le  remplace. 
BONA  (Jean),  savant  et  pieux  cardinal, 
mort  en  1674.  On  recherche  de  lui  un  Traité 
du  discernement  des  esprits,  in-12,  publié  en 
1673  et  traduit  par  l'abbé  Leroy  de  Haute- 
fontaine,  1676.  Le  chapitre  20  de  cet  ouvrage 
traite  avec  beaucoup  de  lumières  de  ce  qu'il 
y  a  de  plus  difficile  dans  la  matière  des  vi- 
sions et  des  révélations  particulières  (k). 
BONASSES ,  Voy.  Gullets. 
BONATi  (Gui)  ,  astrologue  florentin  du 
treizième  siècle.  Il  vivait,  dit-on, d'une  ma- 
nière originale,  et  possédait  l'art  de  prédire 
l'avenir.  Les  troupes  de  Rome,  sous  le  pon- 
tifical de  Martin  IV ,  assiégeaient  Forli , 
ville  de  la  Romngno,  défendue  par  le  comte 
de  Montferral.  Bonati,  qui  s'y  était  retiré, 
voyant  la  ville  prête  à  faire  une  sortie,  an- 
nonça au  comte  qu'il  serait  blessé  dans  la 
mêlée.  L'événement  justifia  la  prédiction  ; 
et  le  comte  de  Monlferrat,  qui  avait  porté 
avec  lui  ce  qu'il  fallait  pour  panser  sa  bles- 
sure, fit  depuis  le  plus  grand  cas  de  l'astro- 
logie. Bonati,  sur  la  fin  de  sa  vie,  reconnut 
pourtant  la  vanité  de  sa  science,  se  fit  fran- 
ciscain, et  mourut  pénitent  en  1300.  Ses  ou- 
vrages ont  été  recueillis  par  Jacques  Cautc- 
rus,  sous  le  titre  de  Liber  aslronomicus,in-l*'', 
rare.  Augsbourg  IWI. 
BONGOMILES.  —  Voy.  Bogarmiles. 
BONICA,  île  imaginaire  de  l'Amérique,  où 
Déudatus,  médecin  spagirique ,  place  une 
fontaine  dont  les  eaux,  plus  délicieuses  que 
le  meilleur  vin,  ont  la  vertu  de  rajeunir. 

BONIFACE  VIII,  pape,  élu  le  2i  décembre 
129'*.  On  a  conté  que,  n'étant  encore  que 
cardinal,  il  fil  percer  une  muraille  qui  avoi- 
sinait  le  lit  du  pape  Célestin,  et  lui  cria  au 
moyen  d'une  sarbacane,  qu'il  eût  à  déposer 
la  tiare  s'il  voulait  être  sauvé;  que  le  bon 
pape  Célestin  obéit  à  cotte  voix  qu  il  croyait 
venir  du  ciel,  et  céda  la  placi;  à  Buniface.  — 
Mais  ce  récit  n'est  qu'une  imposlurc  entiè- 
rement supposée  par  les  protestants,  qui 
ont  imaginé  celle  calomnie  comme  tant  d'au- 

(3)  Lelojcr.  Disc,  dos  spectres,  liv.  vi,  cli.  15. 
(l)  Jo.miies  ennlinalis  Boiia,  De  discritlune  spiriluiim. 
tii-1:;.  l'jris,  1G7.?. 


8 


235 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCl  LTES. 


23j 


dos.  La  vérité  est  quo  le  pape  Célcslin  dé- 
posa la  liare  pour  sorciipcr  uniquement  de 
son  âme.  Le  cardinal  Cajelan  (depuis  Boni- 
lace  VIII)  n'y  fut  pour  rien. 

BONNE  AVENTURE.  Les  diseurs  de  bonne 
aventure  cl  les  magiciens  étaient  devenus 
si  nombreux  à  Rome  du  lomps  des  premiers 
empereurs,  qu'ils  y  avaient  une  confrérie  ;  el 
le  lemiemain  du  jour  où  fui  tué  (laliRu'a,  des 
magicii  ns  venus  d'Egypte  et  de  Syrie  de- 
vaient donner  sur  le  théâtre  une  représen- 
tation des  enfers  (1).  Pour  l'art  de  dire  la 
bonne  aventure,  voy.  CninoMA.>crE,  Carto- 
mancie, Astrologie,  Métoposcopiiî,  Horos- 
copes, Cranologie,  et  les  cent  autres  ma- 
nières. 

BONNES.  On  appelle  bonnes,  dans  certai- 
nes provinces,  des  fées  bienveillantes,  des 
espèces  de  farfadets  femelles  sans  malice, 
qui  aiment  les  enfanls  el  qui  se  plaisent  à 
les  bercer.  On  a  sur  elles  peu  de  détails  ; 
mais  c'est  d'elles,  dil-on,  que  vient  aux  ber- 
ceuses le  nom  do  bonnes  d'cnfanls.  Habondia 
est  leur  reine. 

BONNET  fJEANNE),  sorcière  de  Boissy  en 

P'orcz,  brûlée  le  13  janvier  1583  pour  s'êire 

vaniée  d'avoir  eu  des  liaisons  avec  le  diable. 

BONNET  BLEU.  Voy.  Dévouement. 

BONNET  POINTU,  ou  esprit  au  bonnet  ; 

vny.  Hecdeckin. 

BONNEVAULT.  Un  sorcier  poitevin  du 
«eizième  siècle,  nommé  Pierre  Bonncvaull, 
fut  arrêté  parce  qu'il  allait  au  sabbat.  Il  con- 
fessa que  la  première  fois  qu'il  y  avait  élé 
mené  par  ses  parents,  il  s'était  donné  au 
diable  ,  lui  permettant  de  prendre  ses  os 
après  sa  mort;  mais  qu'il  n'avait  pas  voulu 
donner  son  âme.  Un  jour,  venant  de  Mont- 
morillon  où  il  avait  acheté  deux  charges 
d'avoine  qu'il  emportait  sur  deux  juments, 
il  entendit  des  gens  d'armes  sur  le  chemin; 
craignant  qu'ils  ne  lui  prissent  son  avoine,  il 
invoqua  le  diable  qui  vint  à  lui  comme  un 
tourbillon  de  vent,  et  le  transporta  avec  ses 
deux  juments  à  son  logis.  Il  avoua  aussi 
qu'il  avait  fait  mourir  diverses  personnes 
avec  ses  poudres;  enfin  il  fut  condamné  à 
mort.  Voy.  Tailletroux. 

Jean  Bonnevault,  son  frère,  fut  aussi  ac- 
cusé de  sorcellerie  ;  et  le  jour  du  procès,  de- 
-vant  l'assemblée,  il  invoqua  le  diable  qui 
l'enleva  de  terre  environ  quatre  ou  cinq 
pieds,  cl  le  laissa  retomber  sur  le  carreau 
comme  un  sac  de  laine  sans  aucun  bruit, 
quoiqu'il  eût  aux  pieds  des  entraves.  Etant 
relevé  pardeuxarchers,  onlui  trouva  la  peau 
decouleur  bleue  tirant  sur  le  noir  ;  il  écumait 
et  souffrait  beaucoup.  Interrogé  là-dessus,  il 
répondit  qu'syant  prié  le  diable  de  le  tir(  r 
de  peine,  il  «'avait  pu  l'enlever  ,  attendu 
que,  comme  il  avait  prêté  sermint  à  la  jus- 
tice, le  diable  n'avait  plus  pouvoir  sur  lui. 
Mathurin  Bonnevault,  parent  des  deux 
précédents,  accusé  eomme  eux  de  sorcelle- 
rie, fut  visiié  par  experts.  On  lui  trouva  sur 
l'épaule  droite  uiic  niarque  de  la  figure 
d'une  petite  rose,  dans  la(|uellc  on  planta 
une  longue  épingle,  sans  qu'il  en  ressentît 
(1)  Grailler  de  Cassngnac,  Lilléraiure  des  esclaves. 


aucune  douleur,  d'où  on  le  jugea  bien  sor- 
cier. Il  confessa  qu'ayant  épousé  en  pre- 
mières noces  Bcrihomée  de  la  Béilouche, 
qui  était  sorcière  comme  ses  père  et  mère, 
il  l'avait  vue  faire  sécher  au  four  des  ser- 
pents et  des  crapauds  pour  des  maléfices  ; 
qu'elle  le  mena  alors  au  sabbat,  et  qu'il  y 
vit  le  diable,  ayant  des  yeux  noirs,  ardents 
comme  une  chandelle.  Il  dit  que  le  sabbat 
se  tenait  quatre  fois  l'an  :  la  veille  de  la 
Saint-Jean-Bapliste,  la  veille  de  Noël,  le 
mardi-gras  el  la  veille  de  Pâques.  On  le  con- 
vainquit d'avoir  fail  mourir  sept  personnes 
par  sortilège;  se  voyant  condamné,  il  avoua 
qu'il  élait  sorcier  depuis  l'âge  de  seize  ans. 
—  Il  y  aurait  de  curieuses  études  à  faire  sur 
tous  ces  procès,  si  nombreux  pendant  les 
troubles  de  la  réforme. 

BONZES.  Les  bonzes  chinois  font  généra- 
lement profession  de  prédire  l'avenir  el 
d'exorciser  les  démons  ;  ils  cherchent  an*si 
la  pierre  philosophale.  Lorsqu'un  bonze 
promet  de  faire  pleuvoir;  si  dans  l'ispice 
de  six  jours  il  n'a  pas  tenu  sa  promesse,  on 
lui  donne  la  bastonnade. 

Il  existe  des  bonzes  au  Congo.  On  croit 
que  leurs  âmes  sont  errantes  autour  d^  s 
lieux  qu'ils  ont  habités.  Quand  on  voit  un 
tourbillon  balayer  la  plaine  cl  faire  lever  la 
poussière  et  le  sable,  les  naturels  s'écrient 
que  c'est  l'esprit  des  bonzes. 

BOPHOMET,  voy.  Tête  de  Bopuomkt. 
BORAK,  jument  de  Mahomet  qu'il  a  mise 
dans  son  paradis.  Elle  avait  une  fiice  hu- 
maine,et  s'allongeait  âchaqtic  pas  aussi  loin 
que  la  meilleure  vue  peut  s'étendre. 

BORAX,  sorte  de  pierre  qui  se  trouve, 
disent  les  doctes,  dans  la  lêle  des  crapauds  ; 
on  lui  attribue  divers  effets  merveilleux , 
comme  celui  d'endormir.  Il  est  rare  qu'on  la 
puisse  recueillir,  el  il  n'est  pas  sûr  qu'elle 
soit  autre  chose  qu'un  os  durci. 
BOHBORITES,  voy.  Génies. 
BORDELON  (  Laurent)  ,  né  à  Bourges  en 
16;j3,  mort  en  1730;  écrivain  médiocre,  qui 
toutefois  savait  beaucoup  de  choses,  et  s'é- 
tait occupé  de  recherches  sur  les  supersti- 
tions, les  sciences  occultes  et  les  erreurs  po- 
pulaires. Il  est  fâcheux  qu'il  ail  écrit  si 
pesamment.  On  achète  encore  ses  entretiens 
sur  V Astrologie  jiidiciiiirc,  qui  sont  curieux. 
Le  plus  connu  de  ses  ouvrages  (el  il  a  été 
réimprimé  plusieurs  fois)  est  intitulé  :  «His- 
toire des  imaginations  extravagantes  de  Mon- 
sieur Ou  fie,  causées  par  la  lecture  des  li\res 
qui  traitent  de  la  magie,  du  grimoire  ,  des 
démoniaques  ,  sorciers  ,  loups-garoux  ,  in- 
cubes ,  succubes  ,  et  du  sabbat ,  des  fées, 
ogres,  esprits,  follets,  génies,  fantômes  et 
autres  revenants  ;  des  songes,  de  la  pierre 
philosophale  ,  de  l'astrologie  judiciaire,  des 
horoscopes,  talismans,  jours  heureux  el 
malheureux,  éclipses,  comètes  et  aimnnachs; 
enfin  de  toutes  les  sortes  d'apparitions,  de 
divinations,  de  sortilèges,  d'enchantements, 
cl  d'autres  superstitieuses  pratiques.  » 

On  voit  par  ce  titre,  que  nous  avons  copié 
tout  entier,  que  l'auteur  avait  pris  un  cadre 
assez  vaste.  Dans  ses  deux  volumes  in-t2. 


237 


BOR 


BOR 


23Ï 


ornés  de  figures,  il  s'est  trouvé  à  l'étroit; 
pt  son  travail  ,  qui  se  modèle  un  peu  sur  le 
Don  Quichotte,  n'est  recherché  que  pour  les 
noies  ,  très-nombreuses  ,  lesquelles  valent 
niieux  que  le  texte. 

Nous  tiierons  pourtant  deux  fragments  de 
ce  livre  singulier. 

Monsieur  Oufîe,  devenu  loup-garou. 

Monsieur  Oudc  avait  une  femme,  deux  fils, 
dont  r.  îné  était  abbé  et  le  cadet  financier  ; 
deux  filles  et  un  frère  marié.  Madame  Ouflc, 
espèce  d'esprit  fort  ,  corttrairement  aux  in- 
clinations ordinaires  des  personnes  de  son 
sexe,  formait  un  contraste  frappant  avec  son 
mari,  qui  adoptait  sans  restriction  les  opi- 
nions dune  foule  de  savants  sur  la  magie  et 
la  sorcellerie,  sur  les  spectres  et  les  fantô- 
mes, les  loups  g.iroux,  les  esprits  follets,  les 
fées,  les  ogics,  l'astrologie  judiciaire,  les  di- 
vinations ,  les  apparitions  ,  etc.  L'abbé  Dou- 
dou  ,  fils  aillé  de  M.  Oufie  ,  faisait  un  mé- 
lange très  -  mal  assorti  de  science  et  de 
trcdulité.  11  croyait  que  tout  ce  qu'il  trou- 
vait d'extraordinaire  dans  les  livres  était 
vrai,  ne  se  pouvant  persuader  que  l'on  fût 
d'assez  mauvaise  foi  pour  faire  imprimer  des 
clios  s  surprenantes  ,  si  elles  n'étaient  pas 
véritables;  tl  le  peu  qu'il  avait  de  doctrine 
ne  lui  servait  qn'.à  trouver  dans  son  esprit 
des  preuves  forcées  de  possibilité  pour  tout 
ce  qu'il  voulait  absolument  croire.  Sansugue, 
le  second  fils,  avait  pris  le  parti  de  la  finance, 
et  ne  cherchait  que  les  moyens  et  les  occa- 
sions de  s'enrichir.  Quand  on  lui  parlait  des 
diables  qui  faisaient  trouver  des  richesses, 
l'eau  lui  en  venait  si  fort  à  la  bouche,  qu'il 
ne  1;'S  aurait  pas  renvoyés  ,  malgré  les  for- 
mes épouvantables  dont  on  se  sert  pour  les 
représenter.  Il  n'était  pas  si  crédu'c  sur  l'ap- 
parition des  âmes  des  défunts,  parct;  que, 
disait-il ,  ces  fantômes  de  morts  ne  parais- 
sent d'ordinaire  que  pour  faire  des  demandes 
aux  vivants  ,  ou  pour  donner  des  frayeurs 
qui  n'aboutissent  qu'à  glacer  le  sang  de  ceux 
qui  les  voient.  Venons  à  ses  deux  filles. 

L'aînée  ,  nommée  Camèle,  croyait  to;il  ce 
que  lui  disait  sou  père  quand  il  lui  parlait, 
et  ensuite  elle  n'en  croyait  rien  quand  el!e 
s'était  entretenue  avec  sa  mère. 

Uuzine,  la  cadelle,  s'accommodait,  comme 
sa  sœur,  au  goût  de  sou  père  et  de  sa  mère; 
mais  ce  que  celle-ci  faisait  par  simplicité, 
celle-là  le  faisait  par  artifice  ;  c'était  une 
fine  mouche,  qui  jouait,  en  quelque  manière, 
loiilc  sa  famille. 

Noncrède,  frère  de  M.  Oufie,  passait  dans 
l'esprit  de  tous  ceux  qui  le  connaissaient, 
pour  un  homme  plein  de  sagesse  et  de  pro- 
bité, mais  qui  adoptait  peut-être  trop  facile- 
ment les  opinions  téméraires  des  prétendus 
philosophes.  11  faisait  à  son  frère  cl  à  l'abbé 
Doudou,  sou  neveu,  une  guerre  continuelle 
sur  leur  confiance  et  leur  penchant  en  ma- 
tière d'apparitions  et  de  sortilèges.  Après 
ayoir  dépeint  Us  caractères  ,  venons  sur-le- 
champ  aux  .ivenlures. 

Il  y  a  longtemps  qu'on  parle  des  loups- 
gnroux  :  les  anciens  et  les  modernes  en  rap- 


portent grand  nombre  d'histoires  qui  pas- 
saient, dans  l'esprit  de  M.  Ouftc.  pour  in-j 
contestables.  11  ne  doutait  point  qu'il  n'y  eût' 
des  familles  entières,  oii  il  y  a  ait  toujours 
quelqu'un  qui  devenait  loup-garou  ;  qu'on 
le  devenait  aussi  quelquefois  en  mangeant 
les  entrailles  dun  enfant  s.icrifié.  1!  croyait 
encore  fermement  qu'on  pouvait  se  changer 
en  chat,  en  cheval,  en  arbre,  en  bauî.  e:i 
vipère,  en  mouche,  en  vache  ;  enfin  indiffé- 
remment en  toutes  sortes  de  formes. 

11  croyait  avec  la  même  certitude  qu'il  n'é- 
tait pas  difficile  de  faire  ce  changement  sur 
d'autres  ;  que  l'on  pouvait  changer ,  par 
exemple,  un  marchand  de  vin  en  grenouille. 
11  ne  trouvait  aucune  difficulté  à  ces  trans- 
mutations ,  parce  qu'il  avait  lu  qu'elles 
avaient  été  exécutées.  Il  croyait  que  des 
roses  pouvaient  rendre  la  première  forme 
à  ceux  qui  avaient  subi  ces  transforma- 
tions. 

Un  des  jours  de  carnaval,  M.  Oufie  donna 
à  souper  à  toute  sa  famille  et  à  quelques- 
uns  de  ses  amis.  On  y  mangea  abondam- 
ment ,  on  y  but  de  même  ;  car  il  ne  laissait 
pas  d'aimer  la  bonne  chère  et  la  joie,  à  con- 
dition pourtant  qu'on  ne  renverserait  point 
de  salière  ,  qu'on  ne  mettrait  point  do  cou- 
teaux en  croix,  qu'on  ne  serait  point  treize 
à  table.  11  mit  ce  soir-là  tout  le  monde  en 
train  :  pour  exciter  à  boire,  il  portait  conti- 
nuellement des  santés  ,  satisfaisait  à  celles 
qu'on  lui  portait  ;  de  sorte  qu'il  prit  plus  de 
vin  que  sa  tête  n'en  pouvait  porter. 

Après  le  repas  tous  se  retirèrent  très-con- 
tents les  uns  des  autres.  M.  Oufie  fil  de  son 
mieux  les  honneurs  du  départ  de  ses  hôtes, 
al  gagna  ensuite  sa  chambre.  Sansugue, 
aussitôt  qu'il  fut  rentré  chez  lui  ,  prit  un  de 
ses  habits  de  masque  ,  dont  il  avait  grand 
nombre,  et  alla  courir  le  bal  avec  d'autres 
jeunes  gens  qui  l'attendaient. 

Mais  à  peine  .M.  Oufie  se  fut-il  retiré,  qu'il 
lui  prit  une  de  ces  inquiétudes  qui  ne  per- 
mettent pas  que  l'on  reste  en  place  ,  sans 
qu'on  puisse  dire  pourquoi  on  se  met  en 
mouvement.  Après  s'être  promené  quelque 
temps  dans  sa  chambre  ,  il  en  sort,  et  cela 
seulement  pour  en  sortir;  il  monte  un  es- 
calier; passant  devant  l'appartement  de  S.in- 
sugue,  qu'il  trouve  ouvert ,  il  y  entre  ,  ou 
pour  savoir  s'il  y  était,  ou  pour  jaser  avec 
lui.  N'y  trouvant  personne,  mais  seulement 
les  habits  de  masque  que  son  fils  avait  ou- 
blié de  serrer,  il  en  remarqua  un  fait  exprès 
pour  se  déguiser  en  ours;  il  le  considéra 
attentivement.  11  était  fait  de  peaux  d'ours 
avec  leur  poil,  cousues  de  manière  qu'elles 
donnaient,  depuis  la  tétc  jusqu'aux  pieds,  l<> 
ressemblance  de  cet  animal  à  celui  qui  eik 
était  couvert.  Après  l'avoir  retourné  ,  il  lui 
vint  dans  l'osprii  de  s'en  servir  pour  l'aire 
une  plaisanterie  à  sa  femme.  Celle  plaisan- 
terie était  de  vélir  cet  habit,  et  ensuite  do 
lui  aller  faire  peur.  On  ne  peut  croire  com- 
bien il  s'applaudissait  à  lui-même  d'avoir 
imaginé  celle  gaillarde  supercherie.  Mais  son 
idéeeut  un  succès  différent  décelai  (ju'il  s'en 
promettait. 


=59 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTKS. 


240 


11  prit  donc  cet  habit ,  l'emporta  dans  sa 
chambre,  s'en  couvrit,  cl  puis  alla  Irès-dou- 
cemcnt  vers  l'appartement  de  sa  femme,  pour 
y  jouer  le  rôle  que  l'occasion  et  son  imagina- 
lion  lui  avaient  fait  inventer.  Comme  il  était 
près  de  commencer  la  scène ,  il  entendit  du 
bruit,  et  reconnut  que  la  femme  de  chambre 
de  madame  Oufle  était  encore  avec  elle.  Ce 
contre-temps  le  chagrina  ;  cependant  il  ne 
quitta  point  son  dessein  ,  il  retourna  sur  ses 
pas  et  rentra  chez  lui .  pour  y  aUendre  que 
cette  fille  fût  partie ,  afin  de  faire  plus  sûre- 
ment son  coup  ;  et  pour  s'anmser  et  se 
désennuyer,  après  s'être  assis  devant  le  feu, 
il  prit  sur  une  table  le  premier  livre  qui  se 
trouva  sous  sa  main  :  c'était  la  Démonoma' 
nie  de  Bodin  :  il  l'ouvre,  et  tombe  par  hasard 
sur  un  endroit  qui  traitait  des  loups-garoux. 
il  passa  environ  une  demi-heure  djns  cette 
lecture  et  dans  celle  de  quelques  autres  su- 
jets analogues.  Enfin,  le  vin,  le  feu  et  la  si- 
tuation tranquille  où  i!  était,  l'assoupirent  et 
le  plongèrent  insen>iblemcnt  dans  un  som- 
meil si  profond  ,  qu'il  ne  songeait  plus  à  ce 
qu'il  avait  fait,  ni  à  ce  qu'il  avait  résolu  de  faire. 

Madame  Oufie,  qui  n'avait  aucun  soupçon 
'de  ce  qu'on  machinait  contre  elle,  ne  man- 
qua pas,  comme  on  juge  bien,  de  se  coucher, 
et  de  dormir  de  son  côlé  aussi  trauquillement 
^uc  son  mari. 

La  femme  de  chambre  ,  dont  on  vient  de 
parler,  avait  son  logement  au-dessus  de 
l'appartement  de  M.  Oufle  ;  comme  elle  s'é- 
tait peut-être  trop  ressentie  de  la  fête  à  la 
seconde  table  ,  ou  qu'elle  ne  se  souciait  pas 
de  respecter  le  sommeil  de  son  maître ,  ou 
par  un  hasard  tout  à  fait  imprévu  ,  un  vase 
qu'elle  tenait  à  la  main  tomba  par  terre  et  fil 
si  grand  bruit,  que  M.  Oufle  en  fut  éveillé  en 
sursaut.  Il  se  lève  tout  troublé  de  dessus  sa 
chaire  ;  et  comme  il  se  trouvait  vis-à-vis  la 
<;heminée,  sur  laquelle  il  y  avait  une  glace,  il 
se  vit  dans  cette  glace  avec  l'habit  d'ours  dont 
il  était  revêtu.  Et  ainsi,  le  vin  et  le  feu  qui 
lui  avaient  échauffé  la  tête,  son  sommeil  in- 
terrompu si  subitement  ,  l'habit  qu'il  se 
voyait  sur  le  corps ,  tout  cela  joint  avec  la 
leciure  qu'il  venait  de  faire  ,  lui  causa  un  tel 
bouleversement  dans  la  cervelle,  qu'il  se  crut 
être  véritablement,  non  pas  un  ours,  mais  un 
loup-garou.  Ce  bou'everscment  était  si  fort, 
qu'il  avait  entièrement  détruit  la  mémoire  de 
l'endroit  OÙ  il  avait  trouvé  l'habit  ;  et  de  l'u- 
sago  qu'il  avait  projeté  d'en  faire  ;  il  ne  lui 
resta  que  l'idée  de  sa  prétendue  transmuta- 
lion  en  loup  ,  avec  le  dessein  d'aller  courir 
les  rues,  d'y  hurler  de  son  mieux  ,  d'y  mor- 
dre, et  de  mettre  en  pratique  tout  ce  qu'il 
avait  ou'i  dire  que  les  loups-garoux  avaient 
coutume  de  faire.  Il  part  donc  sans  différer, 
sort  dans  la  rue,  et  commence  à  hurler  d'une 
manière  (  ffroyable. 

Il  est  bon  de  faire  remarquer  que  c'était  un 
homme  grand  ,  gros  ,  robuste  ,  bien  empoi- 
trailié,  et  dont  la  voix  était  naturellement 
haute  ,  ferme  et  tonnante.  La  poussant  pen- 
dant la  nuit  aussi  loin  qu'elle  pouvait  aller , 
avec  1rs  tons  effroyables  qui  accompagnent 
d'ordinaire  les  hurlements  ,  on  ne  doit  pas 


douter  que  quand  il  hurlait  il  n'erTrayât  Ions 
ceux  qui  l'entendaient.  En  effet ,  il  en  fit  la 
première  expérience  sur  une  sérénade  qui 
bruissait  dans  la  première  rue  qu'il  parcou- 
rut. Quand  les  musiciens  entendirent  un  des 
hurlements  de  M.  Oufle,  la  terreur  que  leur 
inspira  cette  horrible  symphonie,  à  laquelle 
ils  ne  s'attendaient  pas,  glaça  leur  sang  de 
telle  sorte  que,  demeurant  immobiles,  ils 
firent  tous  en  même  temps  une  pause.  Ils 
écoutèrent  pour  connaître  d'où  pouvait 
venir  une  voix  si  extraordinaire  ;  le  loup- 
garou  se  mit  à  hurler  encore  plus  fort,  et 
s'approcha  d'eux,  ils  le  prirent  tous  pour  ce 
qu'il  pensait  être  lui-même,  et  s'enfuirent 
ide  toutes  leurs  forces. 

En  ce  moment  quatre  jeunes  gens,  qui  de- 
puis peu  de  temps  étaient  délivrés  de  la  vie 
gênante  des  collèges,  sortant  du  cabaret,  où 
ils  avaient  vidé  plus  de  bouteilles  que  Irurs 
petites  têtes  n'étaient  capables  d'en  porter  , 
venaient  d'imaginer  un  projet  qui  leur  pa- 
raissait héro'ique.  C'était  de  se  donner  de 
grands  mouvements,  pour  arracher  les  cor- 
des dis  sonnettes  ,  pour  ôter  les  marteaux 
des  portes  ;  ou  ,  «"ils  n'en  pouvaient  venir  à 
bout ,  de  sonner ,  de  heurter  de  toutes  leurs 
forces,  de  déranger  les  bornes,  de  briser  les 
sièges  de  pierre  ,  de  brouiller  des  serrures  , 
et  de  faire  d'autres  actions  aussi  dignes  de 
leur  courage  et  de  leur  valeur.  Quand  ils 
avaient  arraché  le  marteau  d'une  porte  ,  ils 
auraient  hardiment  fait  assaut  de  gloire  avec 
les  généraux  d'armée  les  plus  sages  et  les 
plus  intrépides ,  tant  ils  étaient  pénétrés  de 
leur  mérite. 

Lesoirdoncquenotreloup-garou  faisait  des 
siennes,  ces  guerriers  nocturnes  et  vineux  fai- 
saient aussi  des  leurs,  et  comme  ils  se  rendaient 
compte  les  uns  aux  autres  de  leurs  faits  et 
gestes  ,  et  qu'ils  on  montraient  les  marques 
et  les  preuves,  M.  Oufle,  que  son  chemin  con- 
duisait à  eux,  se  mit  à  hurler.  Nos  héros  de 
bouteille,  devenus  plussagcs,  ou  plus  timides, 
songent  à  reculer  à  mesure  que  la  bête  s'ap- 
pruehait  d'eux  ;  et  comme  elle  continuait  de 
venir  à  grands  pas  de  leur  côté,  et  que  la  peur  la 
leur  fil  paraître  avec  des  dents  d'une  lon- 
gueur effroyable,  ils  prirent  le  parii  de  la 
fuite,  bien  résolus  de  courir  si  fort  qu'elle  ne 
pourrait  pas  les  atleindre. 

Après  avoir  parcouru  quelques  rues,  M. 
Oufle  s'arrêta,  apparemment  pour  se  reposer 
devant  une  maison  ,  où  plusieurs  personnes 
jouaient  gros  jeu.  Je  ne  sais  par  quelle  fan- 
taisie il  s'obslina  à  hurler  plus  fort  et  plussou' 
vent  qu'il  n'avail  encore  fait:  un  coup  n'atten- 
dait presque  pas  l'autre,  tant  ses  hurlements 
étaient  promplemenl  répétés.  Les  joueurs 
l'entendirent  ;  ceux  qui  perdaient  parurent 
n'y  laire  pas  grande  attention  ;  ceux  qui  ga- 
gnaient furent  plus  inquiets  et  plus  troublés. 
Un  de»  joueurs  sort  l'épéo  à  la  main ,  afin  de 
chasser  le  loup-garou  ;  mais  dès  qu'il  le  vil 
dans  la  rue  ,  la  frayeur  le  saisit  ;  il  rentre  , 
ferme  la  porte  avec  tous  les  verroux  qu'il 
peut  trouver,  souhaitant  même  pour  sa  sû- 
reté qu'il  y  en  eût  encore  davantage.  ;  il  se 
liul  quelque  temps  sur  l'escalier  pour  rap- 


VA 


Bon 


peler  ses  esprits,  et  ne  paraître  pas  si  effrayé. 
Heureusement  pour  lui  ,M.  OuHe  prit  parti 
ailleurs.  On  ne  tombera  point  dans  une 
description  exacte  de  toutes  les  frayeurs  qu'il 
(il  cette  nuit-là  en  qualité  de  loup-garou  ;  on 
p.isse  sous  silence  les  petites  aventures  pour 
s'arrêter  seulement  à  une  de  plus  grande 
importance  que  voici. 

Un  homme  de  considération  courant  la 
poste  dans  une  chaise,  étant  escorté  de  deux 
cavaliers  qui  couraient  avec  lui,  trouva  dans 
son  passage  le  loup-garou.  Les  chev.iux  re- 
culent si  promptement,  et  se  cabrent  de  telle 
sorte  ,  qu'ils  renversent  les  cavaliers  par 
terre.  L'homme  de  la  chaise  voyant  la  bête  , 
sort  avec  précipitation  :  le  loup  se  jette  tan- 
tôt sur  l'un ,  tantôt  sur  l'autre ,  puis  sur  les 
chevaux  ,  sans  leur  faire  pourtant  d'autre 
mal  que  de  la  peur.  Après  les  avoir  houspil- 
lés à  son  aise  (car  ils  étaient  si  effrayés  que 
pas  un  n'eut  le  courage  de  se  défendre) ,  il 
se  met  à  hurler,  comme  s'il  eût  voulu  chan- 
ter la  victoire  qu'il  venait  de  remporter.  Les 
chevaux  cependant  prennent  le  mors  aux 
dents  et  s'enfuient  avec  tant  de  légèreté  , 
même  ceux  qui  traînaient  la  chaise,  qu'on 
aurait  cru  qu'ils  sortaient  de  l'écurie,  et  qu'il 
y  avait  plus  d'un  mois  qu'ils  n'avaient  mar- 
ché. Les  hommes  de  leur  côté  ne  furent  pas 
moins  diligents  à  courir,  et  M.  Oufle  à  les 
suivre.  EiiGn  ils  se  jettent  lousdans  une  allée 
qu'ils  trouvèrent  ouverte,  et  ferment  la 
porte  sur  eux.  Le  loup,  qui  n'avait  pu  entrer 
avec  eux  dans  cette  allée,  hurle  plusieurs 
fois  de  toutes  ses  forces  ;  une  infinité  de  télés 
en  bonnet  et  en  cornettes  de  nuit  paraissent 
aux  fenêtres,  avec  des  bras  avancés  dehors, 
tenant  une  chandelle  pour  voir  ce  qui  cau- 
sait un  aussi  grand  fracas  ;  mais  toutes  ces 
têtes  se  retirent  bien  vile;  et  malheureuse- 
ment une  se  trouva  prise  sous  un  châssis  qui 
tomba,  parte  que  celui  qui  l'avait  levé  ne 
s'était  pas  donné  le  temps  de  l'arrêter.  Cette 
pauvre  lête  criait  épouvantablement,  et  au- 
tant que  le  patient  pouvait  pousser  d'air  pour 
respirer  ;  le  loup-garuu  répondait  à  cette 
voix  plaintive  par  des  hurlements;  ce  qui 
faisait  la  plus  horrible  musique  du  monde  ; 
on  n'avait  jamais  entendu  un  pareil  duo.  Per- 
sonne n'osait  plus  ouvrir  sa  (enctre  et  regar- 
der dans  la  rue,  parce  qu'entendant  les  cris 
de  ce  voisin  affligé,  on  croyait  que  c'était  la 
bête  qui  avait  grimpé,  et  qui  le  tenait  à  la 
gorge.  Par  bonheur,  le  valet  de  celle  tôle, 
Uonl  le  cou  était  à  moitié  étranglé,  étant  entré 
dans  la  chambre,  voit  son  maître  dans  telle 
d.>ulourcuse  situation  ,  lève  promptement  le 
châssis  et  le  délivre  du  supplice  que  lui  avait 
causé  sa  curiosité  funeste. 

Que  de  bruits  se  répandirent  pendant  plu- 
sieurs jours  au  sujet  de  ce  loup-garou!  que 
le  contes  on  en  Otl  comme  il  avait  parcouru 
presque  toute  la  ville  ,  il  avait  été  entendu 
par  une  infmilé  de  gens,  dont  la  plupart  fu- 
rent plus  que  jamais  persuadés  qu'il  y  avait 
véritablement  des  loups-garoux.  On  ne  peut 
croire  combien  on  fil  de  fausses  histoires  à 
cette  occasion.  Ceux  qui  n'avaient  pas  osé 
ouvrir  leurs  fenêtres  pour  le  voir  étaient  des 


BOH  Ui 

premiers  à  assurer  qu'ils  l'avaient  vu,  traî-  f 
nant  des  chaînes  d'une  grosseur  el  d'une  lon- 
gueur prodigieuses,  el  si  grand  que  sa  tête- 
atteignait  presque  jusqu'aux  premiers  éta- 
ges ;  car,  comme  dit  le  proverbe,  on  n'a  ja- 
mais vu  de  petit  loupj  on  veut  toujours  per- 
suader que  ceux  que  l'on  trouve  sont  d'une 
grandeur  démesurée,  et  cela  apparemment , 
parte  que  l'on  proportionne  son  étendue  à 
celle  de  la  crainte  que  l'on  a.  D'aulres  assu- 
raient qu'on  lui  avait  cou[)é  une  patte  en  se 
défendant  contre  ses  violences  ;  que,  comme 
c'était  un  sorcier  changé  en  loup,  on  l'avait 
le  lendemain  trouvé  dans  son  lit,  sans  main, 
et  qu'on  lui  allait  faire  son  procès.  M  avait 
dévoré  la  tête  d'une  fille  de  dix-huit  ans, 
prêle  à  se  marier  ;  son  futur,  après  avoir 
donné  plusieurs  coups  d'épée  au  loup  ,  était 
tombé  mort  de  douleur  sur  la  place.  Dans  utt 
autre  quartier,  on  faisait  des  lamentations 
sur  un  ecclésiastique  qui,  étant  en  chemin 
pour  assister  un  mourant,  avait  été  obligé  de 
s'en  retourner  chez  lui ,  parce  que  le  loup 
l'avait  poursuivi  ;  de  sorte  que  le  malade 
était  mort  sans  secours.  Selon  quelques- 
uns,  un  courrier  avait  été  arraché  de  dessus 
son  cheval,  el  sa  valise  avec  toutes  ses  let- 
tres avaient  été  déchirées  par  cette  furieuse 
bêle.  Il  y  en  avait  encore  qui  proteslaient 
pour  l'avoir  ouï  dire  par  des  gens  très-dignes 
de  foi,  que  le  loup-garou  était  entré  dans  un 
bal,  qu'il  y  avait  dansé ,  et  qu'ensuite  il  s'é- 
tait jeté  sur  plusieurs  femmes  dont  il  avait 
déchiré  le  visage.  D'aulres  niaient  qu'on  eût 
blessé  le  loup-garou  ,  prétendant  que  ces 
sortes  de  sorciers  sont  invulnérables.  On 
voulait  encore  qu'il  eût  couru  plusieurs  nuits 
de  suite.  Enfin  chaque  rue  avait  son  histoire. 
La  vérité  est  que  M.  Oufle  fut  ramassé  enfin 
par  une  patrouille  qui  le  ramena  chez  lui. 

Visions  et  terreurs  de  M.  Oufle. 

M.  Oufle,  l'esprit  toujours  rempli  de  dia- 
bles el  de  diableries,  s'était  imaginé  que  les 
diables  le  suivaient  partout  cl  lui  apparais- 
saient sous  je  ne  sais  combien  de  formes  dif- 
férentes. 

En  conséquence,  ayantpris  dessein  de  faire 
faire  des  tablettes  magnifiques,  pour  y  placer 
dignement  les  livres  sur  la  démonomanie  dont 
la  lecture  faisait  sa  principale  elsa  plus  agréa- 
ble occupation,  il  envoya  quérir  un  menui- 
sier des  plus  habiles  de  sa  profession,  pour 
lui  exposer  son  dessein  et  le  lui  faire  exécu- 
ter. Gel  homme  vint  le  trouver  sur-le-champ, 
il  était  suivi  d'un  gros  chien  barbet;  ce  qui 
n'est  pas  extraordinaire;  la  plupart  des  ar- 
tisans se  font  une  coutume  de  nourrir  des 
chiens  pour  leur  amusement. 

Le  menuisier  étant  entré  dans  le  cabinet 
de  M.  OuHe,  celui-ci  jetant  plutôt  la  vue  sur 
le  chien  que  sur  le  maître,  parut  d'abord 
tout  stupéfié  et  comme  immobile.  11  fut  long- 
temps sans  parler,  mais  ayant  toujours  la 
vue  allachée  sur  le  chien.  L'ouvrier  ne  sa- 
vait que  penser  du  silence  profond,  de  l'é- 
loniiement  et  de  l'immobilité  de  celui  qui  l'a- 
vait envoyé  chercher  avec  tant  d'empresse- 
ment, qu'il  semblait  que  difficilemeut  pou 


243 


DlCïlONNAMîE  DES  8CIKNCES  OCCllLTKS. 


U'é 


vail-il  arrirer  nssoz  lot  pour   sa  salisfaclion. 

Il  lui  demanda  enfin  co  qu'il  souhaitait  de 
son  service.  Point  de  réponse;  on  ne  parlait 
que  des  yeux,  encore  n'était-ce  qu'au  chien. 
Le  menuisier  s'impalienlant  enfin  de  voir  une 
taciturnilé  si  obstinée  : 

—  Est-ce  ,  lui  dit-il,  monsieur,  que  vous 
m'avez  fait  venir  seulement  pour  regarder 
mon  chien?  Vous  n'aviez  qu'à  me  le  de  nan- 
der,je  n'aurais  pas  pris  la  peine  de  venir; 
je  vous  l'aurais  envoyé  avec  la  liberté  de  le 
regarder  à  votre  aise,  tant  que  vous  auriez 
voulu,  sans  qu'il  vous  en  eût  coûté  un 
sou. 

M.  Oufle,  qui  n'avait  regardé  avec  tant 
d'attention  ce  chien,  que  parce  qu'il  lui  était 
venu  dans  l'esprit,  par  le  ressouvenir  de  ses 
lectures  (1',  que  ce  pauvre  animal  était  un 
diable,  et  qu'il  se  croyait  en  quelque  manière 
insulté  par  l'artisan,  rompit  enfin  le  silence, 
en  élevant  la  voix  avec  fureur,  pour  lui  dire 
qu'il  était  un  magicien,  qui  lui  amenait  un 
démon  pour  le  tourmenter  et  mettre  le  dés- 
ordre chez  lui. 

Jamais  surprise  ne  fut  pareille  à  celle  du 
menuisier.  Comme  il  ne  connaissait  pas  la 
foiie  de  ce  pauvre  homme,  il  repoussa  ce  re- 
proche par  un  ton  de  voix  qui  n'était  pas 
moins  élevé  que  celui  dont  on  venait  de  se 
servir. 

M.  Oufle  répliqua  avec  le  même  emporte- 
ment, mais  cependant  n'ôtant  point  du  tout 
sa  vue  de  dessus  le  chien,  tant  il  craignait 
qu'il  ne  l'attaquât  et  le  mît  en  pièces. 

Lechiendesou  côté,  qui  semblait  entendre 
finesse,  et  connaître  ce  qu'on  s'imaginait  de 
lui,  se  tenait  à  côté  de  son  maître,  la  tête 
alerte  et  élevée,  regardait  M.  Oufle  avec  au- 
tant d'attention  qu'il  en  était  regardé. On  au- 
rait dit,  à  le  voir,  qu'il  était  émerveillé  de 
l'extravagance  qu'on  faisait  paraître  à  son 
occasion. 

Ces  deux  hommes  cependant  s'animaient  si 
fort  l'un  contre  l'autre,  qu'ils  semblaient  en- 
Irerdansuneprochaine  disposition  de  ne  s'en 
pastynir  à  des  paroles, pourmarquerleurres- 
sentimenl.  En  effet,  M.  Oufle  s'approcha  du 
menuisier,  et  le  poussa  rudement  pour  le 
chasser  de  chez  lui.  Le  barbet  se  mit  à  aboyer 
d'une  grande  force,  témoignant  à  son  maître 
qu'il  était  prêt  à  le  bien  défendre  ;  de  sorte 
que  M.  Oufle  menaçant  avec  fureur  le  me- 
nuisier, le  menuisier  répondant  aux  mena- 
ces sur  le  même  ton,  et  le  chien  aboyant 
sans  relâche,  il  se  faisait  un  vacarme  épou- 
vantable dans  cette  chambre. 

Camèle  qui  entendit  tous  ces  différents 
cris,  vint  à  la  porte  pour  mieux  connaître  C3 
qui  se  passait;  mais  croyant  qu'on  égorgeait 
son  père,  et  n'ayant  pas  assez  de  hardiesse 
pour  entrer,  elle  appelle  au  secours  sa  sœur 
Ruzine  et  le  valet  Mornand  ,  parce  qu'ils 
étaient  plus  à  portée  que  les  autres  pour 
l'entendre.  Ils  montent  avec  précipitation  ;  ils 
la  trouvent  presque  évanouie  de  frayeur;  et 

(1)  Zoroasire  ,  par  forme  d'énigme  ,  disait  que  les 
cliiens  se  monlrcnt  souvent  b  ceux  qui  se  dépouillent  de  la 
7iiorlalilé,  c'est-à-dire,  les  dijliles,  à  ceux  qui  sont  près 
de  mourir,  ou  aux   gens  de  bien,  (jui  abandonnant  le 


comme  ils  entendent  le  même  bruit  qui  l'a- 
vait épouvantée,  ils  ouvrent  la  porte  avec 
une  telle  violence  que  les  trois  couibaltants 
en  furent  eux-mêmes  effrayés. 

M.  Oufle  leur  crie  aussitôt,  en  montrant  le 
chien,  qu'ils  se  donnassent  bien  de  garde  de 
l'approcher,  parce  que  c'était  un  diable. 
L'artisan  se  tourmente  pour  leur  prouver 
que  ce  n'était  point  un  diable, m.iis  un  chien, 
un  chien  véritable,  un  chien  fait  comme  les 
autres,  qu'il  l'a  élevé  fort  petit,  et  qu'il  y  a 
plus  de  trois  ans  qu'il  mange  de  son  pain, 
sans  qu'il  ait  paru  qu'il  y  eût  la  moindre  dia- 
blerie dans  sa  conduite. 

Le  chien  n'aboyait  plus,  il  ne  disait  pas 
un  mot,  comme  s'il  eût  voulu  donner  à  son 
maître  tout  le  temps  qui  lui  était  nécessaire, 
pour  détruire  l'atroce  médisance  qu'on  faisait 
de  lui,  et  pour  bien  entendre  un  éloge  qu'il 
croyait  mériter.  Mais  M.  Oufle  soutenait  tou- 
jours, sans  en  vouloir  démordre,  que  c'était 
un  vrai  diable  qui  avait  pris  la  forme  d'un 
chien. 

Ruzine  fit  signe  au  menuisier  de  se  taire, 
lui  dit  tout  bas  que  son  père  haïssait  tant  les 
chiens,  qu'il  ne  pouvait  pas  plus  les  souffrir 
que  des  démous,  et  enfin  l'engagea  à  se  reti- 
rer sans  bruit. 

Camèle,  qui  crut  que  ce  chien  était  vérita- 
blement un  diable,  parce  que  son  père  l'avait 
dit,  et  que  Mornand  paraissait  le  croire;,  alla 
tout  effarée  trouver  sa  mère,  et  l'assurer  qu'un 
magicien  déguisé  en  menuisier,  avait  amené 
chez  son  père  un  diable  sous  la  forme  d'un 
(bien  d'une  laideur  effroyable,  et  qui  faisait 
des  cris  horribles. 

Madame  Oufle  jugea  bien  que  cette  histoire 
n'était  que  l'effet  d'une  imagination  exaltée. 
Elle  se  la  fit  conter  par  Ruzine  et  Mornand  ; 
et  ils  ne  manquèrent  pas  de  la  confirmer 
dans  le  jugement  qu'elle  avait  fait.  On  laissa 
M.  Oufle  en  repos,  quelque  envie  qu'on  eût 
de  raisonner  avec  lui  pour  le  tirer  de  son  er- 
reur ;  comme  on  avait  souvint  expérimenté 
qu'on  ne  gagnait  rien  sur  son  esprit,  on 
aima  mieux  ne  lui  en  point  parler.  Camèle, 
de  son  côté,  après  que  sa  mère  lui  eut  parlé, 
ne  crut  plus  que  ce  chien  était  un  diable; 
car  la  bonne  fille  croyait  et  décroyait  avec 
une  égale  facilité. 

Le  menuisier  ne  manqua  pas  de  raconter 
celte  bizarre  avenlure;  elle  devint  si  publi- 
que que  presque  tout  le  monde  en  parlait 
dans  la  ville. Pour  peu  qu'on  en  vît  quelqu'un 
qui  eût  une  mauvaise  physionomie, on  s'ima- 
ginait y  trouver  quelques  traits  des  malins 
esprits  (car  le  vulgaire  a  de  la  peine  à  se 
persuader  que  les  diables  n'aient  pas  des 
corps  visibles  et  sensibles  en  différentes  ma- 
nières); et  cela  est  si  vrai,  qu'il  y  eut  bien 
dos  femmes  qui  ne  souffraient  plus  qu'avec 
une  certaine  répugnance  des  chiens  qu'elles 
avaient  tendrement  aimés. 

Si  un  chien  s'avisait  de  hurler  la  nuit,  c'é- 
tait  pour  elles  un    loup-garou,  uu  démou 

monde,  sn  retirent  dans  la  solitude. 

P.ir  le  nom  de  chiens,  les  démons  étaient  queViucfois 
(iésignés  ;  et  même  en  la  magie  de  Zoroasti  e,  ils  scat  ap- 
pcli'S  cliicns  terrestres. 


2*5 


tiOR 


BOR 


24(! 


que  quelque  magicien  envoyait  courir  les 
rues,  pour  maltraiter  les  passants,  ou  tordie 
le  cou  à  ceux  qui  seraient  assez  iiiiprudenls 
pour  regarder  par  la  fenêtre.  Il  y  eut  plu- 
sieurs personnes  qui  n'approchiiient  du 
ichiiMi  du  menuisier  qu'avec  crainle,  et  qui 
pr(  naient  autant  de  précautions  eu  le  voyant 
que  s'ils  avaient  vu  !e  diable. 

M.  Oufle  se  persuada  encore,  parce  qu'il 
l'avait  lu,  que  parmi  les  pourceaux,  il  y  en 
avait  beaucoup  qui  étaient  de  vrais  diables, 
quand  il  en  voyait  un,  il  frémissait  d'hor- 
reur. Pendant  tout  le  temps  que  durèrent 
ces  imaginations,  il  ne  voulut  point  manger 
delà  chair  de  ces  animaux,  quoique  aupa- 
vanl  elle  fût  fort  de  son  goût. 

Leur  épouvantable  figure,  disait-il,  n'est- 
clle  pas  véritablement  diabolique?Leurs  cris 
sonl-ils  moins  effroyables  que  ceux  des  diables 
qui  tourmentent  les  damnés  dans  les  enfers? 
N'avons-nous  pas  vu  souvent  dans  des  spec- 
tacles les  diables  armés  de  vessies  de  cochon 
tendues  et  enflées  dont  ils  se  servaient  pour 
battre  et  pour  faire  peur?  Le  plaisir  que  ces 
animaux  prennent  à  se  plonger  dans  l'or- 
dure,  n'est-ce  pas  parce  que  le  diable 
n'aime  rien  tant  que  la  vileniecl  l'impureté? 

Toute  puanteur  était  pour  lui  une  preuve 
de  la  présence  de  quelque  démon;  et  quand 
il  satisfaisait  à  ses  indispensables  nécessilés 
naturelles,  il  élait  dans  de  continuelles  alar- 
mes, tant  il  craignait  que  quelque  diable, 
habitant  selon  lui  du  lieu  où  il  était,  ne  pro- 
filât de  sa  silualion  pour  le  tourmenter. 
Aussi  n'y  restait-il  que  le  moins  de  temps 
qu'il  pouvait,  et  n'y  allait-il  que  quand  il  ne 
lui  était  plus  possible  de  s'en  défendre. 

En  même  temps,  rien  n'égalait  la  frayeur 
qu'il  avait  des  mouches;  il  prétendait  encore 
que  le  diable  apparaissait  souvent  sous  la 
forme  de  ces  insectes;  il  ne  voulait  souffrir 
aucun  fruit  sur  sa  table,  de  peur  qu'il  ne  les 
atlirâl.  Quelqu'un  lui  en  ayant  fait  considé- 
rer une  dans  un  microscope,  quand  il  vit  ses 
cornes,  sa  trompe,  ses  yeux  de  couleur  de 
pourpre,  ses  jambes  velues,  les  pinces  de  ses 
pieds,  enfin  tout  son  corps  ensemble,  repré- 
sentant une  figure  qui  paraissait  d'autant 
plus  hideuse  qu'il  ne  s'était  jamais  persuadé 
qu'elle  fût  telle  qu'il  la  voyait,  il  la  trouva 
•  rès-propre  pour  devenir  la  demeure  d'un 
diable.  Il  avait  la  même  opinion  des  papil- 
lons; et  malheur  à  ceux  qui  se  trouvaient  à 
sa  portée  :  il  ne  les  épargnait  pas. 

Il  se  défiait  encore  des  enfants  que  por- 
taient les  gueux,  pour  exciter  les  passanis  à 
leur  faire  des  aumônes.  Une  histoire  rappor- 
tée dans  un  de  ses  livres,  où  l'on  veut  per- 
suader que  le  diable  était  un  jour  sous  la 
figure  d'un  de  ces  enfants,  lui  donnait  celte 
défiance.  C'est  pour  la  même  raison  qu'il 
était  fort  circonspect  quand  il  prenait  un 
valet  ou  une  servante  à  son  service;  il  en 
faisait  aupara^'ant  plusieurs  exactes  infor- 
mations, afin  qu'étant  bien  instruit  de  leur 
conduite,  il  ne  se  mît  point  en  danger  do  se 
faire  servir  par  quelque  démon. 

Si  quelqu'un  qui  ne  le  connaissait  point 
l'appelait  par  son  nom,  un  soupçon  de  dia- 


blerie s'emparait  aussitôt  de  son  esprit;  il 
prétendait  encore  être  autorisé  en  cela  par 
des  exemples. 

Il  se  lassa  enfin  de  ces  prétendues  perse, 
cutions.  Ses  livres  vinrent  à  son  secours, 
pour  le  garantir  des  tourments  qu'il  crai- 
gnait du  pouvoir  et  des  artifices  de  ces  mau- 
vais esprits. 

La  première  ressource  dont  il  s'avisa  est 
celle  qu'on  attribue  à  la  racine  baaras,  qu'on 
assure  avoir  la  vertu  de  chasser  les  mauvais 
esprits.  11  ne  la  mit  pourtant  pas  en  usage, 
car  il  lui  fut  impossible  de  la  trouver.  Les 
herboristes,  loin  de  la  lui  fournir,  ne  la  con- 
naissaient point  du  tout  et  n'en  savaient  pas 
même  le  nom.  C'est  peut-être  qu'elle  n'a 
point  eu  d'autre  existence  que  dans  les  livres 
qui  en  ont  parlé;  aussi  bien  qu'une  certaine 
pierre  qui  se  trouve,  dit-on,  dans  le  Nil,  et 
qu'il  souhaitait  extrêmement  avoir  pour  le 
même  sujet.  Quoi  (\u'\\  en  soit,  il  s'en  consola 
d'autant  plus  aisément,  qu'il  avait,  disait-il, 
en  lui-même  des  moyens  qui  ne  lui  pou- 
vaient pas  manquer  pour  arriver  à  ses  fins. 

Le  premier,  c'était  de  se  servir  d'une  épée  : 
ses  lectures  lui  ayant  appris  qu'il  n'y  a  rien 
que  les  diables  craignent  tant  que  des  épéos 
dég;aîuées  et  mises  en  mouvement.  Non  con- 
tent de  celle  qu'il  avait,  parce  que  ce  n'était 
que  ce  qu'on  appelle  un  petit  couteau,  il  en 
acheta  de  longues,  larges,  et  de  la  meilleure 
trempe.  De  temps  en  temps  il  en  faisait  dans 
sa  maison  un  exercice  qui  étonnait  singu- 
lièrement ceux  qui  le  rencontraient  dans  ce 
manège;  et  afin  d'être  plus  sûr  de  remporter 
de  si  belles  victoires,  il  mettait  à  sou  doigt 
un  gros  diamant  avant  que  d'armer  sa  m;:iu 
d'une  épée.  La  raison  de  cette  précaution, 
c'est  qu'un  de  ses  auteurs  l'avait  assuré  que 
les  démons  trouvent  les  diamants  insuppor- 
tables. 11  ajouta  aux  épées  et  au  diamant, 
toujours  par  le  conseil  de  ses  livres,  plu- 
sieurs coqs  qu'il  fit  élever  et  nourrir  dans  sa 
maison,  sans  dire  à  personne  pourquoi  il 
s'était  avisé  de  faire  une  telle  ménagerie. M:iis 
sa  femme,  voyant  chez  elle  tant  de  coqs  inuti- 
les, s'avisa  aussi  de  son  côté,  comme  une 
bonne  ménagère,  de  leur  donner  plusieurs 
poules,  afin  de  se  dédommager  du  bruit  que 
faisaient  les  coqs,  par  l'utilité  qu'elle  pour- 
rait tirer  des  poules.  Ce  mélange,  que 
M.  Oulle  voulut  bien  souffrir  parce  qu'il  ne 
pouvait  l'empêcher  sans  donner  par  sa  ré- 
sistance occasion  à  quelques  troubles  dans 
sa  famille,  l'inquiéta  pourtant. 

Afin  donc  qu'il  n'eût  point  sujet  de  se  re- 
procher d'avoir  rien  négligé  des  instructions 
que  lui  donnait  sa  bibliothèciue,  pour  empê- 
cher les  démons  de  le  tourmenter  et  de  lui 
apparaître,  il  mit  encore  en  usage  tout  ce 
qu'il  put  apprendre.  Il  eut  sur  lui  de  l'herbo 
qu'on  appelle  armoise;  il  se  servit  de  celle 
que  l'on  nomme  verveine;  il  chercha  deux 
cœurs  de  vautour,  qu'il  porta  l'un  lié  avec 
un  poil  de  lion,  l'autre  avec  un  poil  de  loup  ; 
il  fit  faire  une  image  qui  représentait  deux 
têtes,  l'une  d'un  homme  qui  regardait  en 
dedans,  cl  l'autre  d'une  femme  qui  regardait 
en  dehors;  il  se   tint  le  plus  gai  qu'il  put. 


-*''  DICTIONNAIRE  DES 

^"n  que  la  méhiucolie  ne  donnât  aucune  en- 
trée aux  démons,  comme  on  en  menace  ceux 
qui  s'abandonnent  à  la  tristesse;  et  pour 
surcroît,  ou  plutôt,  selon  lui,  pour  consoni- 
iniilion  l'I  perleclion  de  remèdes  à  ses  inquié- 
tudes, le  tonnerre  étant  tombé  dans  la  cour 
de  sa  maison,  il  se  ressouvint  d'une  opinion 
bizarre  de  certains  peuples,  et  crut  avec  eux 
que  le  ciel  avait  banni  pour  toujours  les 
diables  de  cbez  lui.  Il  se  trouva,  par  la  force 
de  son  imagination,  délivré  de  la  crainte  des 
apparitions  des  mauvais  esprits.  Les  cliicns, 
les  pourceaux,  les  mouches,  les  papillons, 
les  lieux  puants,  etc.,  ne  furent  plus  pour  lui 
lies  sujets  de  trouble,  d'agitations  etd'inquié- 
tud  s.  Mais  il  n'en  fut  pas  pour  cela  plus 
tranquille;  car  de  ces  terreurs  il  passa  à 
d'autres  qui  n'étaient  pas  moins  virus. 

Jamais  homme  ne  fut  plus  tourmenté  que 
lui  de  tout  ce  qui  est  du  ressort  des  sortiié- 
pes  et  enchanlemcnts.  Ses  meilleurs  amis 
l'inquiétaient;  les  personnes  qu'il  n'avait 
pas  coutume  de  voir,  et  qui  avaient  un  exté- 
rieur extraordinaire  ou  qui  montraient  quel- 
que difformité  étrange,  le  jetaient  dans  de  si 
grandes  défiances  ,  qu'il  se  tenait  en  garde 
avec  autant  de  circonspiction  que  s'il  avait 
eu  à  soutenir  un  violent  combat  contre  de 
cruels  ennemis.  Si  on  le  heurtait  par  hasard, 
si  on  lui  frappait  sur  l'épaule,  il  rendait  sur- 
le-champ  la  pareille,  sans  ménager  aucune 
bienséance  ;  si  on  le  regardait  Gxement ,  il 
fuyait  avec  autant  de  vitesse  que  si  des  dards 
avaient  dû  partir  des  jeux  qui  étaient  fixés 
sur  lui.  Malheur  à  ceux  qui  lui  faisaient 
quelque  grimace;  ils  risquaient  d'être  aussi 
sévèrement  traités  que  s'ils  avaient  voulu  lui 
arracher  la  vie.  Lui  envoyer  un  présent, 
c'était  lui  donner  un  sujet  d'inquiétude,  tant 
il  craignait  qu'il  ne  fût  accompagné  de  quel- 
que sortilège. 

Ayant  appris  qu'un  sorcier  avait  maléOcié 
lu  pain  qu'un  boulang(:r  mettait  dans  son 
four,  il  se  mit  dans  l'esprit  que  tout  le  pain 
qui  n'était  pas  très-blanc,  pouvait  avoir  été 
sujet  au  même  inconvénient  ;  car,  disaiuil, 
le  noir  est  la  couleur  fivorite  des  sorciers  : 
c'est  avec  des  robes  noires  que  les  magiciens 
paraissent;  les  diables  sont  toujours  repré- 
sentés noirs. 

S'il  entendait  prononcer  par  quelqu'un 
ce  mot  :  frappe  ,  frappe  ,  son  expériencis  lui 
disait  que  dans  ce  moment  quehjue  homme 
mourait  de  mort  violente  ,  ou  qu'il  arrivait 
alors  quelque  aventure  tragique. 

La  flûte  était  dans  son  opinion  un  instru- 
ment véritablement  magique.  Aussitôt  qu'il 
en  entendait  jouer,  on  le  voyait  aussi  ému 
que  si  l'on  avait  voulu  l'arruclier  du  lieu  où 
il  était  pour  le  transporter  à  mille  lieues  de 
là  et  le  faire  entièrement  disparaître. 

Si  un  homme  portait  une  écharpe  ,  il  ju- 
geait d'abord  que  c'était  dans  le  dessein  de 
s'en  servir,  au  lieu  de  navire,  pour  passer 
les  mers. 

11  no  voulut  jamais  permettre  qu'on  fît 
son  portraH,  de  crainte  qu'on  ne  s'en  servît 
pour  tourmenter  et  faire  mourir  l'original. 

Uien  n'égale  la  frayeur  qu'il  eut  un  jour 


SCILNCES  OCCrLTES. 


:>43 


dans  une  rue,  se  trouvant  au  passage  d'un 
lioiHuie  qui  bâilla  de  toute  l'étemluo  de  sa 
bouche,  qui  était  fort  grande.  M.  Oufle  se  re- 
cula plus  de  trois  pas  en  arrière  :  voyant  cet 
étrange  bâilleur,  il  crut  que  c'était  un  sorcier 
qui  l'allail  avaler  tout  vif.  Et,  s'il  arriv(>  que 
les  lecteurs  se  moquent  de  celte  ap[)réhen- 
sion  ;  qu'ils  se  moquent  donc  aussi  des  au- 
teurs qui  la  lui  ont  suggérée. 

On  sait  (et  je  ne  doute  pas  que  le  lecteur 
ne  l'ail  quelquefois  éprouvé  )  qu'il  y  a  des 
gens  qui ,  en  parlant ,  éclaboussent  souvent 
de  leur  salive  ceux  ((ui  les  écoutent,  s'appro- 
cliant  d'eux  le  plus  près  qu'ils  peuvent.  C'est 
une  impolitesse  des  plus  incommodes  et  des 
plus  condamnables;  c'est  de  plus  une  mal- 
propreté. M.  Oulle  évitait  autant  qu'il  pou- 
vait ces  maussades;  mais  c'était  bien  moins 
par  aversion  pour  leur  importunité  que  parce 
qu'il  se  croyait  averti  par  ses  lectures  qu'ils 
pouvaient  être  des  sorciers, et  sorciers  d'au  tant 
plus  dangereux  qu'il  était  à  craindre,  comme 
il  pensait,  qu'ils  ne  fissent  mourir  leurs  au- 
diteurs en  leur  crachant  ainsi  au  visage. 

Un  homme  à  larges  manches  l'étant  venu 
voir  pour  une  affaire  importante  et  sur  la- 
quelle on  avait  fait  depuis  plusieurs  jours  de 
grands  mouvements,  fut  obligé  "de  le  quitter 
sans  avoir  pu  li;  faire  discourir  sur  ce  dont 
il  s'agissait.  M.  Oufle  eut  sans  cesse  les  yeux 
attachés  sur  les  manches  de  cet  homme,  pour 
voir  s'il  n'en  sortirait  point  du  feu,  et  s'il  n'y 
entendrait  point  gronder  le  tonnerre. 

Un  chien  qui  tenait  un  grand  os  dans  sa 
gueule  ,  passait  devant  sa  maison  dans  lo 
temps  qu'il  en  sortait;  il  le  regarde  et  le  suit, 
redoublant  ses  pas  de  toute  sa  force,  et  cou- 
rant même  quelquefois  afin  de  ne  pas  le  per- 
dre de  vue.  Le  chien ,  qui  se  voyait  ainsi 
suivi,  se  retournait  de  temps  en  temps,  gron- 
d  int  comme  il  aurait  fait  si  un  autre  chien 
avait  paru  vouloir  lui  arracher  sa  proie,  ou 
du  moins  en  avoir  sa  part.  M.  Oufle  s'arrêtait 
quand  le  chien  s'arrêtait;  et  celui-ci,  à  cha- 
que pas  qu'il  faisait  ,  regardait  son  specta- 
teur du  coin  de  l'œil,  dans  la  crainte  où  il 
était  d'en  recevoir  quelque  supercherie.  En- 
fin il  entra  chez  son  maître,  et  notre  hoamie, 
après  être  resté  près  d'une  heure  à  la  porte, 
ne  le  voyant  plus  paraître  ,  jugea  qu'il  ap- 
partenait à  quelqu'un  de  celte  maison.  Il  s'in- 
forma du  voisinage  ,  et  sut  que  c'était  lo 
chien  d'un  savant,  logé  dans  une  qualrièmo 
chambre  sur  le  derrière  ,  qui  avait  donné 
plusieurs  ouvrages  au  public,  et  que  presque 
tous  les  jours  cet  animal  allait  parla  ville, 
et  revenait  d'ordinaire  la  gueule  pleine  de 
quelque  os  ou  de  quelques  bribes  dont  il  se 
nourrissait.  M.  Oufle  secoua  la  tête,  ne  dou- 
tant point  que  le  savant  ne  lût  un  m.igicien, 
et  (]u'il  se  servait  des  os  que  son  chien  allait 
clieriher,  pour  lui  servir  de  voiture  quand  il 
aurait  des  voyages  à  faire  sur  mer.  Non- 
seulement  .M.  Oufle  ,  mais  encore  les  démo- 
ni>graphes  assurenlqu'on  ne  manque  <le  rien, 
qu'on  vient  à  bout  de  tout,  pourvu  qu'on  ait 
un  sorcier  à  sa  disposilio!),  pourvu  qu'on  sa- 
che les  pouvoirs  de  la  magie  et  qu'on  c?) 
veuille  faire  usage. 


249  BOR 

Le  livre  de  Lnurciil  Bordciun  est  tcnniné 
pnr  une  descri|itioii  du  sabbat.  Ou  lu  trou- 
Tcra  ici  plus  complèlo.  Voy.  Sabbat. 

BOUDI  ou  AL-BOKDI,  inonl;igiie  qui,  se- 
lon les  Perses,  est  l'œuf  de  la  terre;  il»  disent 
qu'aille  étiiil  d'abord  Irès-pclite,  qu'elle  gros- 
sit au  commencement,  produisit  le  monde  et 
s'accrut  tellement,  qu'elle  supporie  aujour- 
d'hui le  soleil  sur  sa  cime.  Ils  la  pincent  au 
milieu  de  notre  globe.  Us  disent  encore  qu'au 
bas  de  cette  montagne  rounnillcnt  quantité 
de  dives  ou  mauvais  génies;  et  qu'au-des- 
sous est  un  pont  où  les  âiue-i  passent  pour 
aller  dans  l'autre  monde,  après  qu'elles  ont 
rendu  compte  de  ce  qu'elles  ont  fait  dans 
celui-ci. 

BORGIA  (CÉSAii).  On  lui  attribue  l'honneur 
d'avoir  eu  un  démon  familier. 

BOHRI  (Joseph-François),  imposteur  et 
alchimiste  du  dis-septième  siècle,  né  à  Milan 
en  1627.  Il  débuta  par  des  actions  qui  l'obli- 
gèreni  à  chercher  refiif;e  dans  une  église 
jouissant  du  droit  d'asile.  Il  parut  depuis 
changer  de  conduite  ;  puis  il  se  dit  inspiré 
du  ciel,  et  prétendit  que  Dieu  l'avait  choisi 
pour  reformer  les  hommes  et  pour  rétablir 
son  règne  ici-bas.  Il  ne  devait  y  avoir,  disait- 
il,  qu'une  seule  religion  soumise  au  pape,  à 
qui  il  fallait  désarmée-, dont  lui.  Bori'i,  serait 
le  chef,  pour  exterminer  tous  les  non  c.aîjo- 
liques.  Il  montrait  une  épée  iiiiraculenso  que 
saint  Michel  lui  avait  donnée;  il  dirait  avoir 
vu  dans  le  ciel  une  palme  iuaiineuse  <|u'on 
lui  reservait.il  soutenait  que  la  sainte  Vierge 
était  de  nature  divine,  conçue  par  inspira- 
lion,  égale  à  son  Qls  et  présente  comme  lui 
dans  l'eucharistie,  que  le  Saint-Esprit  s'était 
incarné  dans  elle,  que  la  seconde  et  la  troi- 
sième personne  de  la  Trinité  sont  inférieures 
au  Père,  que  la  chute  de  Lucifer  entraîna 
celle  d'un  grand  nombre  d'anges  qui  habi- 
taient les  régions  de  l'air.  Il  disait  que  c'est 
par  le  ministère  de  ces  anges  rebelles  que 
Dieu  a  créé  le  monde  et  animé  les  brutes, 
mais  que  les  hommes  ont  une  âme  divine; 
que  Dieu  nous  a  faits  malgré  lui,  etc.  H  finit 
par  se  dire  lui-même  le  Saint-Esprit  in- 
carné. 

Il  fut  arrêté  après  la  mort  d  Innocent  X, 
et.  le  3  janvier  1661,  condamné  comme  héré- 
tique et  comme  coupable  de  plusieurs  mé- 
faiis.  Mais  il  parvint  à  fuir  dans  le  nord,  et  il 
Ht  dépenser  beaucoup  d'argent  à  la  reine 
Christine,  en  lui  promettant  la  pierre  philo- 
sophale.  Il  ne  lui  découvrit  cependant  pas 
ses  secrets.  Il  voulait  passer  en  Turquie, 
lorsqu'il  fut  arrêté  de  nouveau  dans  un  pe- 
tit village  comme  conspirateur.  Le  nonce  du 
pape  le  réclama,  et  il  fut  conduit  à  Kome,  où 
il  mourut  en  prison  le  10  août  1G93. 

11  est  l'auteur  d'un  livre  intitulé:  La  Clef 
du  cabinet  du  chevalier  Burri,  où  l'on  trouve 
diverses  lettres  scientifi(jues,  chimujues  et  très- 
curieuses,  ainsi  que  des  instructions  potili- 
■'  ques,  autres  choses  dijnes  de  curiosité,  et  beau- 
*  coup  de  beaux  secrets.  Genève,  l(i81,  petit 

(l)  La  Cliiavedel  gabinelto  del  cavagliere  G.  F.  Borri, 
col  lavor  délia  qiiiile  si  veiloiio  varie  lelteie  sdeiiUlice, 
lUwice.  t  cunOiiisi.ue,  cuu  \arie  inslruïioui  iiolilicUe,  ej 


«OU 


sro 


in-12  (1).  Ce  livre  est  un  recueil  de  dix  let- 
tres, dont  les  deux  premières  roulent  sur 
les  esprits  élémentaires.  L'abbé  de  Villars  en 
a  donné  un  abrégé  dans  l'ouvrage  intitulé  : 
Le  Comte  de  Gabalis. 

BOS  (Fkançoise),  Le  30  janvier  1606,  le 
juge  de  Cueille  proeéda  contre  une  femme 
de  mauvaise  vie,  que  la  clameur  publique 
accusait  d'avoir  un  commercis  abominable 
avec  un  démon  intube.  Elle  était  miriée  et 
se  nommait  Françoise  Bos.  De  plus  elle  avait 
séduit  plusieurs  de  ses  voisines  et  les  avait 
engagées  à  se  souiller  avec  ce  prétendu  dé- 
mon, qui  avait  l'audace  de  se  dire  capitaine 
du  Siinl-Esprit;  mais  qui ,  au  témoignage 
desdites  voisines,  était  f.irt  puant.  Celte  dé- 
goûtante affaire  se  termina  par  la  condamna- 
lion  de  Françoise  Bos,  qui  fut  brûlée  le  14 
juillet  1606.  —  On  présume,  par  l'examen 
des  pièces,  que  le  séducteur  était  un  misera- 
ble  vagabond. 

BOSC  (Jean  du),  président  de  li  cour  des 
aides  de  Rouen,  décapité  comme  rebelle 
en  1562.  On  a  de  lui  un  livre  intitulé  :  Traité 
de  ta  vertu  et  des  propriétés  du  nombre  sep- 
ténaire. 

BOTANOMANCIE,  divination  par  le  mnyvn 
des  feuilles  ou  rameaux  de  verveine  et  de 
bruyère,  sur  les(|uelles  les  anciens  gravaient 
les  noms  et  les  deniandes  du  consultant. 

On  devinait  encore  de  cette  manière: 
lorsqu'il  y  avait  eu  un  grand  vent  pendant  la 
nuit,  on  allait  voir  de  bon  matin  la  dispo-ti- 
lion  des  feuilles  tombées,  et  des  charlatans 
prédisaient  ou  déclaraient  là-dessus  ce  que 
le  peuple  voulait  savoir. 

BOTIS,  Voy.  Otis. 

BOTKIS  ou  BOTRIDE,  plante  dont  les 
feuilles  sont  velues  et  découpées  et  les  fleurs 
en  petites  grappes.  Les  gens  à  secrets  lui 
attribuent  des  vertus  surprenantes,  et  par- 
ticulièrement celle  de  faire  sortir  avec  faci- 
lité les  enfants  morts  du  sein  de  leur  mère. 

BOUBENHOREN,  Voy.  Pacte. 

BOUC.  C'est  sous  la  forme  d'un  grand  bouc 
noir  aux  yeux  éiincelants,  que  le  diable  se 
fait  adorer  au  sabbat;  il  prend  fréquemment 
cette  figure  dans  ses  entrevues  avec  les  sor- 
cières, et  le  maître  des  sabbats  n'est  pas 
autrement  désigné,  dans  beaucoup  de  pro- 
cédures, que  sous  le  nom  de  bouc  noir  ou 
grand  bouc.  Le  bouc  et  le  manche  à  balai 
sont  ausisi  la  montureordinaire  des  sorcières, 
qui  parlent  par  la  cheminée  pour  leurs  as- 
semblées nocturnes. 

Le  bouc,  chez  les  Egyptiens,  représentait 
le  dieu  Pan,  et  plusieurs  démonographes 
disent  que  Pan  est  le  démon  du  sabbat.  Chea 
les  Grecs  on  immolait  le  bouc  à  Baeclius;  j 
d'autres  démonomanes  pensent  que  le  dé-  '■ 
mon  du  sabbat  est  Bacchus.  Enfin  le  bouc 
^'inissairc  des  Juifs  (Âzazel)  hantait  les  forêts 
et  les  lieux  déserts  consacrés  aux  démons  : 
voilà  encore,  dans  certaines  opinions,  les 
motifs  qui  ont  placé  le  bouc  au  sabbal.  Voy, 
Sabisat. 

aliro  co'ie  liogne  di  curiosita  e  molli  scgretl  bcllissimi.  C» 
luijiic  (GcièvO,  m\. 


2.M 


DICTIONNAinE  DKS  SCIENCES  OCCILTES. 


252 


L'auteur  des  admirabl  s  secrets  d'All)eit 
le  Grand  dit,  au  chapitre  3  du  livre  II,  que 
hi  on  se  frotte  le  visage  de  sang  de  bouc  qui 
aura  bouilli  avec  du  verre  et  du  vinaigre, 
DU  aura  incontinent  des  visions  horribles  et 
épouvantables.  On  peut  procurer  le  inéiue 
plaisir  à  des  étrangers  qu'on  voudra  trou- 
i)ler.  Los  vill.igeois  disent  que  le  diable  se 
montre  fréquenunent  en  forme  de  bouc,  à 
ceux  qui  le  l'oiil  venir  avec  le  grimoire.  t"e 
fut  sous  la  figure  d'un  grand  bouc  qu'il  em- 
porta Guillaume  le  Roux,  roi  d'Angleterre. 

Voici  une  avenlur(!  de  bouc  qui  peut  tenir 
ici  sa  place.  Un  voyageur,  couché  dans  une 
chambre  d'aubprgf,  avait  pour  voisin.igc, 
sans  le  savoir,  une  compagnie  de  chèvres  et 
de  boucs,  dont  il  n'était  séjiaré  que  par  une 
cloison  de  bois  fort  mince,  ouverte  en  plu- 
sieurs endroits.  Il  s'était  couché  sans  exa- 
miner son  gîte  et  dormait  paisiblement, 
lorsqu'il  reçut  la  visite  d'un  bouc  son  voi- 
sin :  l'animal  avait  profilé  d'une  ouverture 
pour  venir  le  voir.  Le  bruit  de  ses  sabots 
éveilla  l'étranger,  qui  le  prit  d'abord  pour 
un  voleur.  Le  bouc  s'approcha  du  lit  et  mit 
ses  deux  pieds  dessus.  Le  voyageur,  balan- 
çant entre  le  choix  d'une  prompte  retraite 
ou  d'une  attaque  vigoureuse,  prit  le  parti  de 
se  saisir  du  voleur  prétendu.  Ses  pieds,  qui 
d'abord  se  présentent  au  bord  du  lit,  com- 
mencent à  l'intriguer;  son  effroi  augmente, 
lorsqu'il  touche  une  face  pointue,  une  lon- 
gue barbe,  des  cornes...  Persuadé  que  ce  ne 
peut  être  que  le  diable,  il  saute  de  son  lit 
tout  troublé.  Le  jour  vint  seul  le  rassurer, 
en  lui  faisant  connaître  son  prétendu  démon. 
V^oy.  Grimoihk. 

La  chapelle  des  boucs. 

Ce  qui  va  suivre  explique  quehiue  chose 
des  mystères  de  la  sorcellerie  et  surtout  du 
sabbat.  Nous  devons  ce  récit  intéressant  à 
M.  André  Van  Hasselt,  qui  l'a  publié  à 
Bruxelles,  dans  Y  Emancipation. 

Nous  voici  en  l'année  1773.Par  une  chaude 
journée  du  mois  d'août,  nous  suivons  lente- 
ment l'ancienne  route  de  Maëstricht  à  Aix- 
la-Chapelle;  celte  voie  nonchalante  et  pares- 
seuse qui  se  traîne,  par  de  longs  détours,  à 
travers  les  villages  de  M<"ersen  et  de  Hou- 
tliem,  louche  au  bourg  de  Fauquemonl,  puis 
se  dirige  par  Hecck,  Climmen  el  Gunroot 
vers  Heelen,  d'où  elle  s'avance  sur  Aix-la- 
Chapelle,  après  avoir  traversé  Kerkraede  et 
llictcr.ck. 

Nous  venons  de  sortir  de  Fauquemonl; 
voici  à  noire  gauche  le  clocher  pointu  de 
Heeck  avec  sa  croix.  Après  avoir  dépassé 
Climmen,  quittons  la  grande  route  cl  descen- 
dons dans  ce  vallon  où  glisse  la  rivière  de 
Geleen,  charmante  à  suivre.  Si  le  lecteur 
n'est  pas  fatigué,  il  entrera  dans  un  taillis 
et  y  trouvera  les  ruines  d'un  petit  manoir, 
près  de  la  croix  plantée  au  bord  du  sentier 
qui  se  dirige  de  Hoeiisbroek  à  Vaesraedt. 
—  Ces  ruines,  que  l'on  ne  découvre  pas  sans 
peine  sous  les  ronces  et  la  mousse  qui  les 
couvrent,  sont  celles  du  châicau  de  Schcu- 
reuhof,  manoir  habité  en  1773  pur  les  restes 


de  l'ancienne  famille,  réduite  maintenant  à 
deux  têtes,  le  vieux  chevalier  de  Scheu- 
renhof  et  sa  fille. 

Rarement  les  habitants  du  village  voyaient 
le  vieux  chevalier;  il  vivait  dans  la  retraite 
la  plus  profonde.  Sa  fille,  Mathilde,  avait  dix- 
huit  ans,  et  on  la  citait,  dans  rette  contrée, 
connue  par  la  beauté  et  la  fraîi  heur  de  i-es 
jeunes  filles,  comme  la  plus  fraîche  et  la  plus 
belle.  Elle  était  encore  un  ange  de  bonté.  Il 
fallait  voir  avec  quels  soins,  avec  quelle  al- 
fectueuse  piété,  elle  s'appliquait  à  adoucir  les 
derniers  jours  de  son  vieux  père.  —  Et  ce 
nétait  pas  trop  de  tout  cet  amour  pour  don- 
ner la  résignation  au  vieillard  ;  car  les  dou- 
leurs et  les  infirmités  de  la  vieillesse  ne  trou- 
blaient pas  seules  la  vie  du  chevalier  du 
Siheurenbof.Un  autre  motif,  el  un  motif  plus 
grave,  ne  lui  laissait  poiiil  de  repos. 

A  l'époque  où  se  passe  l'événement  que 
nous  al  Ions  raconter,  cette  partie  du  Li  m  bourg 
était  singulièrement  agitée,  non  point  par  une 
guerre,  mais  par  quelque  chose  de  pire,  par 
unebandede  brigandsdont  lesouveniralaissè 
des  traces  dans  loul  le  pays.  Cette  bande  éten- 
dait le  théâtre  de  ses  exploitsdans  toutlevasle 
carré  compris  entre  Aix-la-Chapelle,  Maës- 
tricht, Rurcmonde  et  Wassemb;'rg.  Elle  dé- 
borda même  souvent  jusque  dans  la  Campinc 
liégeoise.  Elle  avait  à  elle  tous  les  villages, 
tous  les  hameaux,  tous  les  bourgs  compris 
dans  les  quatre  angles  de  ce  territoire,  el 
elle  y  régnait  par  la  terreur  et  l'épouvante. 
Ceux  qui  la  composaient,  habitants  de  ces 
bourgs,  de  ces  hameaux,  de  ces  villages,  se 
reconnaissaient  entre  eux  par  un  mot  d'or- 
dre et  par  une  petite  carie  loarquée  d'un  si- 
gne hiéroglyphique. Le  jour,  ils  travaillaient 
aux  champs,  ou  buvaient  dans  les  tavernes 
(car  l'argent  ne  leur  manquait  jamais).  La 
nuit,  ils  se  rassemblaient  au  signal  d'un 
coup  de  sifflet  qui  partait  du  fond  d'un  hal- 
lier  ou  qui  retentissait  dans  les  solitudes 
d'une  bruyère.  Alors  l'effroi  se  répandait  de 
toutes  parts.  Les  fermes  tremblaient.  Les 
églises  étaient  dans  l'inquiétude.  Los  châ- 
teaux frémissaient  d'anxiété.  Partout  ou  se 
disait  avec  terreur  et  tout  bas  : 

—  Malheur  I  voilà  les  Boucs  qui  vont  ve- 
nir. 

El  les  bandits  allaient,  dévalisant  les  fer- 
mes, dépouillant  les  châteaux  ,  pillant  les 
églises,  souvent  à  la  lueur  de  l'incendie,  tou- 
jours les  armes  à  la  main  el  un  masque  au 
visage. 

Le  matin,  tous  avaient  disparu.  Chacun 
avait  repris  son  travail  de  la  journée,  tandis 
que  l'incendie  allumé  par  eux  achevait  de 
s'éteindre  el  que  les  victimes  de  leurs  vols  et 
de  leurs  déprédaiions  se  désolaient  sur  les 
ruines  de  leurs  fortunes. 

Le  grand  nombre  d'expéditions  qui  se  mul- 
lipliaienl  de  tous  côlés  et  souvent  dans  la 
même  nuit,  avaient  fail  naître  parmi  le  peu- 
ple une  singulière  croyance.  On  disait  que 
les  bandits  possédaient  le  pouvoir  de  se  trans- 
porter enuu  instant  d'un  point  de  la  province 
à  l'autre,  et  qu'un  pacte,  conclu  avec  l'enfer, 
meltail  ù  leurs  ordres  le  démon  qui,  sous  la 


I 


-253 


BOU 


BOIJ 


•iH 


forme  d'un  bouc,  les  emporlail  sur  son  dus 
à  travers  les  airs.  De  là  le  nom  de  Boucs  qui 
leur  fui  donné. 

L'origine  de  cellebandedoitélrcatlribuée  à 
quelques  déprédations  isolées  commises  avec 
succès.  Miiis  plus  tard  ,  quand  le  nombre  im- 
mense des  Boucs  se  fulaccru  au  point  d'inspi- 
rer des  craintes  sérieuses  à  la  république  des 
Provinces-Unies, on  soupçonna  des  ramilua- 
lioiis  si  étendues  et  des  plans  si  étranges,  que 
l'historien  doit  douter  de  la  vérité  des  convi- 
ctions acquises  par  plus  d'un  des  juges  qui  siégè- 
rent pour  examiner  les  brigands  dont  la  jus- 
lice  parvenait  à  s'emparer.  On  allait  jusqu'à 
dire  que  Frédéric  le  Grand,  pour  avoir  les 
coudées  franches  en  Allemagne  et  occuper 
les  Provinces-unies,  entretenait  lui-même 
par  des  agents  secrets  ce  terrible  incendie. 
On  ajoutait  même  que  l'initiatio:)  dos  adep- 
tes se  faisait  d'après  un  moyeu  inventé  par 
d'Alemberl. 

Voici  commentées  initiations  avaient  lieu. 
— Dans  (luclque  chapelle  perdue  au  fond  d'un 
bois  ou  d'une  bruyère,  s'allumait  une  petite 
lampe,  au  milieu  d'une  nuit  obscure  et  ora- 
geuse. 

L'adepte  était  conduit  par  ses  deux  par- 
rains dans  ce  bois  ou  dans  celle  bruyère,  et 
la  chapelle  s'ouvrait.  11  en  faisait  trois  fois  le 
tour  à  quatre  pattes;  puis  il  y  entrait  à  recu- 
lons, après  une  copieuse  libation  de  liqueur 
forle.  Deux  brigands  affubSés  de  vêtements 
cabalistiques  recevaient  son  serment  et  con- 
cluaient avec  lui  le  pacte  infernal.  Ou  le 
hissait  alors  sur  un  bouc  de  bois  placé  sur 
un  pivot.  Le  récipiendaire  assis,  on  se  met- 
tait à  tourner  le  bouc.  Il  tournait,  il  tournait 
toujours,  il  ne  cessait  de  tourner. 

Le  malheureux,  déjà  le  cerveau  pris  par 
la  boisson,  devenait  de  plus  en  plus  ivre.  11 
bondissait  sur  sa  monture,  la  sueur  ruisse- 
lait le  long  de  ses  tempes,  il  croyait  traverser 
l'air  à  cheval  sur  un  démon.  Quand  il  avait 
longtemps  tourné  ainsi,  on  le  descendait  ha- 
rassé, n'en  pouvant  plus,  dans  un  vertige 
inexprimable.  11  était  Bouc;  il  était  incen- 
diaire, il  était  voleur,  il  était  bandit,  il  était 
assassin.  Il  appartenait  à  tous  les  crimes.  Il 
était  devenu  un  objet  de  terreur,  un  être 
exécrable.  La  soif  de  l'or  avait  fait  tout 
cela. 

Mais,  si  les  Boucs  répandaient  ainsi  l'épou- 
vante, la  justice  ne  demeurait  pas  inactive. 
Ce  fut  dans  le  pays  de  RolJuc  que  les  pre- 
mières poursuites  eurent  lieu.  Et,  ces  pour- 
suites commencées,  on  alla  bon  train.  La 
seigneurie  de  Fauqucmont,  l'ammanie  de 
Montforl,  tout  le  territoire  de  Juliers,  se 
couvrirent  de  roues,  de  gibets,  de  bûchers; 
ileelen  lit  construire  deux  potences.  La  Sei- 
gneurie de  Schaesberg,  Noensbroek,  Ubach, 
Nuth,  presque  chaque  village  en  firent  ériger 
une  au  moins.  Et  plus  on  rouait,  plus  on 
pendait,  plus  on  écartelail,  plus  on  brûlait, 
|)lus  aussi  les  Boucs  devenaient  redoutables 
par  leur  nombre  et  par  leur  audace.  Ou  eût 
(lit  ({u'une  lu  te  s'était  établie  entre  le  crime 
el  la  lui,  cl  que  l'un  rivalisait  avec  l'autre, 


comme  s'il  se  (ût  ,)gi  de  savoir  à  qui  des  deux 
resterait  la  victoire. 

Cela  dura  vingt  ans  tout  entiers.  Celui  qui 
voudrait,  comaie  nous  avons  eu  le  cour.ige 
de  le  faire,  interroger  les  registres  formida- 
bles des  différentes  justices  qui,  dans  le  Liin- 
bourg,  eurent  à  s'occuper  des  procès  des 
Boucs,  serait  stupéfait  devant  le  chiffre  énor- 
me dos  malheureux,  coupables  ou  non  (car 
la  justice  se  trompait  quelquefois),  qui  péri- 
rent de  par  la  loi  dans  cet  espace  de  temps. 
Dans  un  rôle  du  tribunal  de  Fauquemont 
seul,  nous  avons  compté  cent  quatre  pen- 
dus et  écartelés  en  deux  années,  de  117-2  à 
1774. 

Le  manoir  de  Scheurenhof  était  situé  pré- 
ciséinenl  au  milieu  du  foyer  de  ces  briganda- 
ges.—Le  vieux  chapelain  entra  dans  la  salle. 

—  Nous  apportez-vous  de  mauvaises  nou- 
velles, mon  père?  lui  demanda  vivement  le 
seigneur. 

—  Il  est  difficile  d'en  espérer  de  bonnes, 
répondit  le  prêtre.  La  nuit  passée,  l'incendie 
a  éclaté  sous  les  loits  de  Bingeiraedt. 

Ainsi  l'orage  s'amasse  de  plus  en  plus  ; 
celte  nuit  Bmgelraedt,  il  y  a  trois  jours 
Schinveidt ,  il  y  a  six  jours  Neueuha- 
gen. 

Et  en  disant  ces  mots  ,  le  vieillard  baissa 
tristement  les  yeux  vers  la  terre. 

Le  jour  était  entièrement  tombé  et  l'ob- 
scurité avait  envahi  le  ciel  de  toutes  parts. 
La  jeune  fille ,  au  bord  de  la  fenêtre , 
ouvrit  tout  à  coup  de  grands  yeux  et  jeta  un 
cri  terrible  : 

—  Le  feu  1  le  feu  ! 

Le  vieillard  bondil  sur  son  siège. 

—  Le  feu,  dis-tu?  el  de  quel  côté? 

—  Du  côlé  de  Hegen,  répondit  Mathilde 
avec  un  profond  serrement  de  cœur. 

—  Ce  n'est  rien,  dit  le  vieillard  froide- 
ment. 

Ces  paroles  poignantes  firent  rouler  une 
lai'me  sur  chacune  des  joues  de  la  jeune  fille. 
Elle  suffoquait  à  ce  tableau  sinistre  cl  à  l'i- 
dée que  la  peut-être  une  tête  bien  chère  al- 
lait tomber  sous  les  haches  impitoyables  des 
Boucs. 

Le  petit  château  de  Hegen,  situé  à  l'est  de 
Scheurenhof,  était  habité  par  une  famille 
qu'une  haine  héréditaire  faisait  vivre  dans 
une  inimitié  héréditaire  aussi  avec  la  famille 
de  Scheurenhof.  Le  voisinage,  le  temps,  les 
mille  rapports  que  doit  nécessairement  éla- : 
blir  le  contact  continuel  de  deux  maisons 
situées,  pour  ainsi  dire,  côte  à  côte,  rien  de 
tout  cela  n'avait  pu  dominer  celle  haine.  Au 
contraire,  elle  devenait  plus  ardente  d'année 
en  année.  Mais,  si  citle  division  acharnée 
s'éiait  mise  entre  ces  deux  châteaux,  il  y 
avait  pourtant  un  lien  secret  et  caché  qui  K's 
réunissait.  Mathilde  était  aimée  du  Wailer  de 
Hegen. 

Le  vieux  châtelain  de  Scheurenhof  ne  son- 
geait guère,  il  est  vrai,  à  donner  le  litre  de 
gendre  à  Walter,  comme  le  maître  du  ma- 
noir de  Hegen  repoussait  de  toutes  ses  forces 
l'idée  que  son  fils  pût  donner  un  jour  à  Ma- 
thilde le  lilre  d'cpuuso.  En  dépil  do  la  liaiiiu 


25=! 


DlCTlONNAIItE  DK8  SCIKN<  ES  OCCULTES. 


2K6 


des  deux  pères,  ni  le  fils  ni  la  fille  ne  quit- 
taient cet  espoir.  El  c'était  la  crainte  d'un 
dançer  pour  Walter  qui  avait  fait  couler  les 
larmes  des  yeux  de  rhérilicre  de  Scheuren- 
hof,  au  moment  où  l'inceudie  éclata  devant 
elle  du  rôle  du  manoir. 

—  Vous  avez  do.ic  pris  vos  mesures  ?  de- 
manda le  chapelain  en  se  tournant  vers  le 
sire  de  Srlieurenhof. 

—  Mes  murailles  sont  assez  fortes  encore 
pour  que  nous  puissions  repousser  la  pre- 
mière attaque,  répondit  celui-ci. 

A  peine  le  chevalier  eut-il  achevé  ces 
mots,  qu'un  serviteur  de  la  maison,  Job, 
entra  tout  effaré  dans  la  saile. 

—  Eh  bien!  Job,  que  veut  dire  celte  pâ- 
leur? fit  le  mailrc  du  manoir. 

—  Messire,  dos  hommes  du  village  dési- 
rent vous  parler. 

—  Et  qui  est  à  leur  tôle? 

—  Le  bailli  de  Hoensbrork. 

—  Qu'on  les  laisse  entrer. 

Quand  les  habitants  de  Hoensbroek  se 
trouvèrent  devant  le  châ'elain  de  Scheureu- 
hof,  le  bailli  prit  la  parole  : 

—  Noble  seigneur,  nous  venons  vous  of- 
rir  nos  services  en  ce  moment  de  danger. 
Vous  avez  toujours  été  pour  nous  charitable 
et  bon.  Il  est  juste  que  nous  vous  soyons  re- 
connaissants. 

Le  visage  du  vieillard  s'éclaircil  à  ces  pa- 
roles; il  jeta  un  regard  rapide  sur  les  braves 
accourus  à  son  secours  en  les  nommant  cha- 
cun par  leur  nom  comme  d'anciennes  con- 
naissances. Mais  ses  yeux  s'arrêtèrent  avec 
étonnernent  sur  une  figure  cachée  à  demi 
dans  un  des  coins  les  plus  obscurs  de  la  salle. 
C'était  un  vigoureux  jeune  homme  dont  le 
front  était  bruni  par  le  soleil,  dont  les  bras 
eussent  déraciné  un  arbre  du  sol  et  dont  les 
prunelles  trahissaient  à  la  fois  la  ruse  et  l'au- 
dace. 

—  Eh!  Martin,  exclama  le  sire  di;  Siheu- 
renhof,  comment  se  fait-il  que  je  te  rencon- 
tre ici  parmi  mes  amis? 

—  Châtelain  de  Scheurenhof,  répondit 
l'autre  sans  manifester  la  moindre  surprise, 
je  n'ai  jamais  été  que  l'ennemi  du  gibier  de 
votre  chaise,  parce  que  je  suis  d'avis  que 
Dieu  n'a  pas  donné  de  mailre  à  ce  qui  vit 
dans  l'eau,  dans  l'air  et  dans  les  forêts,  et 
qu'il  a  créé  pour  le  valet  aussi  bien  que 
pour  le  seigneur,  le  lièvre  de  la  forêt,  l'oi- 
seau du  ciel  et  lejjoisson  de  la  rivière.  Vous, 
messire,  ne  pensez  pas  de  même,  et  plus 
d'une  fois  vous  me  l'avez  montré  par  votre 
justice,  sans  cependant  que  vous  ayez  jamais 
à  mon  égard  agi  avec  inhumanité  comme  vos 
luis  vous  permettaient  de  le  faire.  Or,  je  vous 
en  suis  reconnaissant  aussi,  et  mon  bras  est 
à  voas. 

Le  vieillard  contint  l'émotion  qui  agitait 
son  cœur;  et,  se  tournant  vers  les  au- 
tres : 

—  Mes  amis,  je  n'ai  que  deux  souhaits  à 
former  ;  le  premier,  c'est  le  salut  de  ma  fille  ; 
\e  second,  c'est  que  le  ciel  me  melte  un  jour 
à  même  de  récompenser  votre  loyauté.  Vos 
services,  je  ne  puis  les  accepter,  parce  que 


vous  avez  vos  maisons,  vos  femmes,  vos  en- 
fants. Si   l'on  vous  savait  ici,  on  brûlerait 
vos   maisons,    on   dévasterait  vos   champs, 
on  ruinerait  vos  biens  ,  on  vous  réduirait  à: 
la  misère.    Toi,  Martin,  demeure.   Tu    n'as^ 
rien  à  perdre.  Je  te  nomme  ,  dès  ce  moment,  , 
mon  premier  garde-chasse.  Tu  t'acquitteras 
bien  de    cette  charge,  car   nul  mieux   que 
toi  ne  connaît  les  sentiers  de  mes  bois.  Vous, 
mes  amis,  rentrez  dans  vos  demeures. 

En  disant  ces  mots,  il  tendit  la  main  au 
bailli  et  à  tous  ses  compagnons,  qui  ne  se 
retirèrent  qu'à  regret. 

A  peine  furcnl-ils  parvenus  au  bas  du  sen- 
tier qui  conduit  à  H:)ensbrock.  qu'ils  enten- 
dirent un  cavalier  glisser  à  côlé  d'eux,  mais 
ils  ne  parent  le  distinguer  suffisamment  pour 
le  reconnaître  à  cause  de  l'obscurité  de  la 
nuit. 

—  Qui  va  là?  s'écria  le  bailli. 

—  Ami  !  répondit  une  voix  qu'ils  ne  recon- 
nurent pas  davantage. 

Le  cavalier  avait  déjà  gravi  la  hauteur,  el 
le  bruit  de  son  coursier  s'était  éleint  du  côié 
de  Scheurenhof. 

Peu  de  minutes  après,  la  poignée  d'une 
é|iée  frappa  vivement  à  la  porte  du  ma- 
noir. 

—  Qui  frappe  ainsi?  demanda  Martin,  ar- 
mé d'un  fusil  de  chasse  de  son  maître. 

—  Un  ami,  qui  veut  parler  au  sire  de  Solieu- 
renhof,  répondit  la  voix  que  les  hihilanls 
de  Hoensbroek  avaient  déjà  interrogée. 

La  porte  s'ouvrit,  et  le  cavalier  entra. 
Martin,  tenant  le  canon  de  son  fusil  tourné 
vers  l'étranger,  lui  dit  : 

—  Avancez  jusque  sous  cette  lanterne  et 
dites  ce  que  vous  voulez. 

—  Je  te  l'ai  dit,  parler  à  ton  maître. 

—  Qui  êtes-vous? 

—  Ton  maître  le  saura. 

Martin  ab  lissa  son  arme.  Il  avait  reconnu 
la  figure  de  l'étranger. 

—  Ah!  c'est  vous,  messire?  murmura-t-il 
avec  étonnement.  Suivez-moi. 

Ils  se  dirigé)  eut  vers  la  salle  où  se  tenaient 
le  sire  de  Scheurenhof,  sa  fille  et  le  chape- 
lain, regardant  l'incendie  qui  diminuait  et 
la  Hamme  qui  devenait  de  plus  en  plus 
faible. 

—  Attendez  ici  que  je  vous  annonce,  fit 
Martin  à  son  compagnon. 

A  ces  mots,  il  ouvrit  la  porte  de  la  salle 
et  dit  à  haute  voix  : 

—  Messire  Walter  de  Hegen  I 

—  Walter!  exclama  Mathilde  avec  une 
émotion  indicible. 

—  De  Hegen!  s'écria  le  vieux  châtelain 
avec  un  accent  inexprimable. 

Le  jeune  homme  s'avança  d'un  pas  ferme 
vers  le  vieillard. 

—  Messire,  lui  dit-il,  je  ne  suis  plus  main- 
tenant le  fils  de  votre  ennemi.  L'incendie 
m'a  chassé  de  ma  maison  el  m'a  fait  orphe- 
lin sur  la  terre;  mon  père  est  mort;  ma 
mère  est  morte;  toute  ma  famille  est  tombée. 
Je  n'ai  plus  de  toit  et  je  viens  vous  demander 
une  place  sous  le  vôtre. 

—  Jeune  homme ,  l'hospitalité   est   une 


257 


nou 


i;ou 


iSS 


vieille  habilude  de  nin  maison  ;  qu'elle  soit 
la  lienne  ;  je  t'y  offre  un  asile  qui  dem.iin 
n'appartiendra  plus  à  nous-niénics  peut- 
être. 

—  Messirc,  si  mon  cœur  est  fort,  mon 
épce  est  forte  aussi,  répli(iua  le  jeune  homme 
avi'C  fermelé. 

On  «l'ait  inviter  Walter  à  prendre  plare 
à  table  pour  partager  le  repas  du  soir,  quand 
Martin  reparut  et  s'avança  vers  le  châlelain 
on  jetant  sur  Hegen  un  regard  de  défiance. 

— Que  désires-tu,  Martin?  demanda  le  vieil- 
lard. 

—  J'ai  quelque  chose  à  vous  confier,  mes- 
sire. 

—  Parle  à  haute  voix.  Cet  homme  est  mon 
hôte;  il  peut  savoir  tout  ce  qui  nous  in- 
téresse. 

—  Voici  donc,  reprit  Martin.  Mon  ange 
gardien  m'inspira,  sans  doute,  de  m'en  aller 
au  dehors  et  d'écouter  ce  qui  se  passe  autour 
de  la  maison;  car  j'ai  avisé  près  de  notre 
porle  Jean-le-Bancal,  le  ménétrier;  il  ne 
liante  que  les  tavernes,  et  à  chaque  fête  ilc 
village  on  est  sûr  de  trouver  son  violon.  Il 
me  reconnut  ;  comme  nous  nous  sommes 
rencontrés  plus  souvent  dans  les  cabarets 
que  dans  les  églises,  il  me  demanda  si  je  vou- 
lais l'aider  à  espionner  le  château  et  à  pré- 
parer les  mojen>i  de  faire  tomber  Schcuren- 
hof  par  surprise  aux  mains  des  Boucs. 

—  Ils  ne  me  prendront  pas  comme  un  rat 
dans  une  souricière!  s'écria  le  vieillard.  La 
colère  m'a  rendu  les  forces  que  l'tlgc  m'avait 
ôlées.  Us  sentiront  ce  que  pèse  mon  bras,  si 
mon  épée  Csl  bien  pointue  et  si  mes  cara- 
bines visent  juste.  Cet  homme  est-il  parti? 

—  Non,  messire!  J'ai  feint  d'entrer  dans 
SOS  projets  et  je  l'ai  pris  comme  un  renard 
dans  une  trappe. 

—  Qu'on  le  pende  à  l'instant  même  à  la 
tour  la  plus  haute  de  ma  maion  1 

—  Ne  croyez-vous  pas,  messire,  (]u'i!  se- 
rait plus  prudent  de  se  borner  à  le  tenir  en- 
formé  dans  un  de  nos  souterrains,  pour  ne 
pas  donner  l'éveil  à  ses  compagnons?  Nous 
aurons  loujours  le  temps  de  lui  faire  faire 
des  enircchals  entre  ciel  ei  terre... 

—  Tu  as  raison,  fit  le  sire  de  Scheuren- 
hof.  Dans  le  cas  où  nous  somtnes,  prudence 
vaut  mieux  peut-être  que  témérité.  Or,  voiti 
le  moyen  qui  me  semble  préférable.  Martin 
fera  semblant  d'entrer  dans  les  vues  de  l'es- 
pion. Il  sortira  avec  lui  du  château  et  le  con- 
duira secrètement  dans  le  bois  du  Calvaire, 
en  lui  disant  qu'une  troupe  de  gens  d'armes 
doit  venir,  celte  nuit,  à  notre  secours.  Tous 
nos  hommes  armés  et  à  cheval  feront  en  si- 
lence un  détour  à  travers  le  bois  et  rentre- 
ront au  manoir  en  passant  près  de  l'endroit 
où  Martin  se  sera  posté  avec  son  compagnon, 
afin  de  faire  croire  ainsi  aux  bandits  que  ce 
secours  nous  est  réellement  arrive. 

Cette  ruse  s'exécuta  aussitôt  et  elle  réus- 
sit. Avant  que  minuit  eût  sonné,  un  bruit  si- 
nistre circula  parmi  les  brigands. 

—  Il  est  arrive  une  troupe  de  soldats  à 
Schcurenhuf. 

—  Une  troupe  nombreuse  de  cavalicrs.Iré- 


péta  Jean-lc-Bancal,  tous  armés  jusqu'aux 
dents  et  prêts  à  nous  tailler  une  rude  be- 
sogne. 

—  Combien  ea  as-tu  compté?  reprit  le  ca- 
pitaine. 

—  Un  grand  nombre,  fit  le  ménétrier. 
L'obscurité  ne  m'a  pas  iiermis  de  les  distin- 
guer suffisamment.  Mais  j'ai  vu  luire  leurs 
armes  à  la  faible  clarté  do  la  lup.e  et  j'ai  en- 
tendu leurs  (hevaux  hennir  comme  après 
une  longue  course. 

Le  récit  du  Bincal  et  les  assurances  qu'il 
ne  cessait  de  donner  augmentèrent  dans  l'es- 
prit des  bandits  la  conviction  que  Schcurcn- 
hof  venait  de  recevoir  une  garnison  capable 
d'une  longue  défense.  —  Le  capitaine  était 
le  seul  qui  doutât  des  paroles  du  ménétrier. 

—  Jean,  lui  dit-il,  tu  as  vu,  tu  as  entendu, 
seulement  tu  as  oublié  de  compter  combien 
ils  étaient.  Tes  yeux  avinés  auront,  à  coup 
sûr,  doublé,  triple,  décuplé  le  nombre.  lîn 
tout  cas,  nous  allons  aviser  à  un  autre 
moyen.  Quatre  hommes  se  rendront  à  Scheu» 
renhof  pour  demander  la  place.  Cinquante 
hommes,  toi,  Picrrc-le-Diable,  avec  ta  com- 
pagnie, vous  les  accompagnerez  pour  les 
protéger  contre  toute  attaque.  Vous  ferez 
halte  dans  le  bois  du  Calvaire  et  vous  atten- 
drez le  retour  de  mes  députés. 

Le  chef  ayant  fait  choix  de  ses  quatre 
messagers,  qu'il  munit  de  ses  instructions, 
Picrre-le-Diable  rassembla  ses  hommes  et  la 
troupe  se  mit  en  route  vers  le  château.  — 
Parvenus  au  pont-levis  du  manoir,  ils  don- 
nèrent un  coup  de  sifflet  pour  s'annoncer. 
Martin  passa  la  gueule  de  son  fusil  par  une 
des  meurtrières. 

—  Faut-il  faire  feu?  dcmanda-t  il  à  son 
m;i!tre.  —  Et  sans  attendre  la  réponse,  il  lâ- 
cha la  détente.  La  balle  siffla  à  l'oreille  d'un 
des  envoyés  des  Boucs. 

—  Trahison  1  s'écrièrent  les  quatre  voix 
toutes  ensemble. 

—  Arrière,  M.irtin  I  s'écria  le  châtelain  en 
repoussant  le  garde  chasse. 

Puis  s'adressanl  aux  députés  : 

—  Ce  n'est  qu'une  méprise,  compagnons, 
leur  dit  il.  On  va  vous  ouvrir  la  porte,  et  loi 
de  gentilhomme  1  vous  sortirez  sains  et  saufs 
de  ma  maison. 

Aussitôt  le  pont-levis  s'abaissa;  la  porte 
s'ouvrit. — Les  envoyés  des  Boucs  entrè- 
rent. 

—  Que  voulez-vous  ?  demanda  le  châte- 
lain. 

—  Deux  choses,  répondit  l'un  d'eux. 

—  La  première? 

—  C'est  que  vous  nous  rendiez  toutes  les 
armes  qui  se  trouvent  en  vos  mains,  répli- 
qua le  bandit. 

—  La  seconde  ? 

C'est  que  vous  nous  remettiez  tout  l'argent 
qui  est  gardé  en  ce  château. 

—  Allez  dire  à  ceux  qui  vous  envoient 
qu'ils  viennent  prendre  les  armes  et  l'argent, 
s'ils  le  peuvent,  répondit  le  seigneur  de 
Scheurcnhof. 

La  porle  se  rouvrit  et  les  députés  sorti- 
rent. Le  pont-levis  relevé  derrière  eux.  Mar- 


2:,9  DICTIO.NNAIftE,  DES 

tin  se  rcinil  devant  la  meurtrière,  dans  la- 
quelle il  ropliiça  son  fusil  rechargé. 

—  Faut-il  faire  feu.  maîlreî 

—  Ce  ne  sont  pas  des  lièvres,  Mirlin.  Ces 
hommes  sont  sous  ma  sauve-garde  de  gen- 
tillioniine. 

1-e  braconnier  ne  céda  qu'à  regret  à  cet 
ordre  et  relira  son  fusil ,  dont  le  chien  était 
déjà  sur  le  [loint  de  faire  partir  la  balle. 

Maintenant  la  position  du  ciiàlelain  était 
dessinée  tout  entière.  Le  danger  était  pres- 
sant. Aussi  l'on  s'occupa  de  tout  disposer 
pour  une  vigoureuse  défense.  Les  domesli- 
i|urs  furent  armés  de  bons  fusils  et  de  fléaux 
et  placés  près  de  la  porte,  les  murailles  du 
manoir  étant  assurées  par  leur  élévation 
contre  l'attaque  des  bandits.  Tout  cela  fait, 
on  ouvrit  les  caveaux  et  le  souterrain  qui, 
conduisant  du  château  au  bord  du  ruisseau 
de  Grieen,  offrirait  une  retraite  assurée,  si  le 
MiiMioir  était  enlevé. 

Deux  heures  pouvaient  s'être  écoulées, 
quand  les  abords  deSchenrenhof  se  trouvè- 
rent cernes  d'une  multitude  de  bandits.  Ou 
n'entendait  que  des  armes  qui  s'enlrc-cho- 
qiiaient,  que  des  silflets  qui  s'interrogeaient 
cl  se  répondaient  de  toutes  parts,  que  des 
voix  qui  se  parlaient  et  des  ordres  qui  cou- 
raient de  rangea  rang.  Le  gros  de  la  troupe 
avait  atteint  le  pont-levis. 

—  En  avant!  s'écria  aussitôt  le  capitaine. 

—  Et  les  bandits  s'avancèrent. 

Mais,  au  même  instant,  une  détonation 
terrible  partit  de  toutes  les  tncurtrières  du 
château,  qui  était  demeuré  jusqu'alors  dans 
le  plus  profond  silence. 

Bien  visé,  Martin,  dit  le  châtelain,  en 
voyant  chanceler  le  chef  des  ass.iillauts 
qu'une  balle  avait  frappé  à  la  poitrine. 

—  Le  bandit  tourna  sur  lui-même  et  leva 
son  épée  en  l'air  ;  puis  il  tomba  au  milieu 
des  siens  en  murmurant  d'une  voix  rauquc  : 

—  En  avant  1 

Les  brigands  hésitèrent  un  moment  et  n'o- 
sèrent avancer.  —  Une  deuxième  détun.ition 
illumina  les  meurtrièns  ,  et  six  hommes 
mordaient  la  poussière  à  côté  du  cadavre  do 
leur  capitaine.  —  Alors  le  trouble  redoubla. 
Mais  un  cri  de  vengeance  éclata  presque  aus- 
sitôt parmi  la  foule  exaspérée  : 

—  Hourra  1  bourrai 

Et  ils  se  ruèrent  en  avant  avee  une  in- 
croyable fureur.  C'était  une  masse  compacie 
et  serrée  où  portaient  toutes  les  balles  (|ui 
partaient  du  château  comme  une  grêle  de 
plomb.  Une  partie  des  Boucs,  descendus  dans 
le  fossé  ,  s'étaient  hissés  au  pont-levis  au 
moyen  do  Cordes  et  travaillaient  à  scier  les 
clialnes  qui  le  retenaient.  Un  moment  après 
le  pont  s'abaissa  avec  fracas.  La  porto  cra- 
quait sur  ses  gonds,  entamée  par  le  tran- 
chant du  fer.  Chaque  coup  grondait  sous  la 
voûte  d'entrée  et  mêlait  son  bruit  sourd  au 
bruit  des  armes  à  feu  et  aux  blasphèmes  qui 
tonnaient  dans  la  foule  romme  un  orage.  La 
porte  tomba  déracinée  et  la  multitude  se  pré- 
«ipita  en  hurlant  sous  la  voûte  ténébreuse. 
Tout  à  coup  une  explosion  terrible  éclata  et 
ébraula  les  murailles  du  manuir  jus(iuc  dans 


SCIK.NCtS  OCCULTES. 


2(5fJ 


leurs  fondements.  Ce  ne  fut  qu'un  instant, 
ce  ne  fut  qu'une  seconde.  Puis  tout  était  re- 
tombé dans  une  obscurité  épaisse,  et  vous 
n'eussiez  plus  entendu  que  des  cris,  des  gé- 
missements de  blessés  et  de  mourants.  Une 
clameur  générale  couvrit  bientôt  ces  gémis- 
sements et  ces  cris  :  —  Victoire  I  victoire  1 

Et  les  bandits  se  ruèrent  par  la  brèche,  en 
passant  sur  quarante  cadavres  des  leurs,  que 
l'explosion  de  la  mine,  pratiquée  sous  la 
porte,  avait  broyés.  Les  Boucs  s'étaient  jetés 
dans  la  cour  du  châtc  >u.  Mais  plus  uu  coup 
de  fusil  qui  leur  répondit,  plus  un  homme 
qui  fût  là  pour  leur  tenir  tête. 

—  N'avancez  pas  trop  vite  ,  compagnons, 
s'écria  Pierre-le- Diable,  qui  avait  pris  le 
commandenient  de  ia  troupe.  Soyons  sur  nos 
gardes  avant  tout! 

Car  il  craignait  ((u'unc  au're  mine,  prati- 
quée sous  le  sol  où  ils  marchaient,  ne  fit  un 
nouveau  carnage  parmi  les  siens. 

— Ne  redoutez  rien  1  avancez,  si  vous  n'êtes 
des  lâches!  répondit  aussitôt  une  voix  que  vous 
eussiez  reconnue  pour  celle  de  Waller  de 
Hegen. 

—  A  l'attaque!  reprit  Pierre-Ie-Diable. 

Et  les  bandits  se  rangèrent  en  un  vaste 
cercle  autour  du  jeune  homme  qui,  son  épée 
à  la  main  ,  se  tenait  sur  le  seuil  de  l'habita- 
tion dont  il  essayait  de  défendre  l'entrée. 

Alors  recommença  un  combat  terrible. 
Les  mains  vigoureuses  de  Walter  brandis^ 
saient  sa  redoutable  épée,  qui  semblait  se 
multiplier  et  faire  une  roue  de  fer  autour  de 
lui.  Cependant  le  cercle  qui  l'enveloppait  se 
rétrécissait  de  plus  en  plus  et  le  serrait  de 
plus  près.  Un  moment  arriva  où  les  bandits 
triomphèrent  de  cet  homme  seul  et  jetèrent 
un  hurlement  de  joie  :  —  11  est  pris  ! 

On  le  renversa  sur  le  sol.  Dix  haches,  dix 
sabres  étaient  levés  sur  lui,  dix  canons  do 
fusils  étaient  braqués  sur  sa  poitrine. 

—  Arrêtez,  s'écria  le  capitaine  en  écartant 
les  brigands.  Cet  homme  ne  jcut  mourir 
comme  un  brave. 

—  Qu'on  le  pende  aux  bras  du  pont-levis! 
dit  Jean-le-Bancal. 

—  Qu'on  le  jette  dans  le  Geleen  ,  continua 
un  autre. 

—  Je  sais  mieux  que  cela,  reprit  Pierre- 
le-Diable.  Qu'on  aille  chercher  son  cheval, 
et  qu'on  m'apporte  l'un  des  câbles  qui  ont 
servi  à  monter  le  pont. 

Alors  on  jeta  le  prisonnier  en  travers  du 
cheval,  sur  lequel  on  se  mit  en  devoir  de 
l'attacher  avec  force,  après  lui  avoir  noué 
les  bras  et  les  jambes.  Puis  au  moyen  des 
cordes  on  se  mit  à  frapper  le  pauvre  animal; 
et,  quand  on  l'eut  frappé  longtemps  : 

—  Maintenant  qu'on  le  lâche!  s'écria  le 
capitaine. 

Le  cheval  fut  lâché,  et  il  partit  comme  un 
éclair,  à  travers  les  buissons,  à  travers  les 
halliers,  courant  comme  si  un  ouragan  l'em- 
porlail.  Le  cheval  et  le  cavalier  ayant  dis- 
piru,  on  se  mit  à  fouiller  dans  le  château; 
on  brisa  toutes  les  portes,  on  força  tous  les 
meubles,  en  interrogea  tous  les  réduits. 

—  C'est  une  chose  inconcevable,  se  dirent 


56 1 


ROU 


nou 


26'2 


los  bandits,  qua.iiî,  après  avoir  loul  foui'lé, 
ils  n'eurent  rien  trouve,  ni  hommes  ni  ar- 
gent. 

—  Commf^iit  ont-ils  pu  s'enfuir  d'ici  ?  de- 
manda le  clief. 

—  J'ai  vu  à  la  (ourdie  de  l'est  une  échelle 
de  corde  a!t.ii'hce  au  mur  et  qui  descend  jus- 
que dans  le  fossé,  dit  un  homme  de  la  troupe. 

—  Ils  se  sont  donc  sauvés  par  là,  reprit 
Pierre. 

—  Vers  Amsienracdt ,  ajouta  Jean-le- 
15  incal. 

—  Nous  les  rejoindrons,  continua  Pierre- 
le-Diahlc. 

F.ttous  les  bandits  prirent  la  route  d'Ams- 
lenraedt. 

Après  avoir  donné  le  signal  de  l'explosion 
qui  fit  sauter  la  porte  d'entrée,  le  seigneur 
de  Scheurenhof  et  1rs  siens  s'étaient  retirés 
par  le  souterrain  qui  conduisait  au  bord  du 
ruisseau  de  Geleen.  Waiter  avait  refusé  de 
les  suivre,  afin  de  proléger  leur  retraite. 
Une  échelle  de  corde  avait  clé  attachée  à  la 
tourelle  de  l'est  pour  faire  supposer  que  les 
fugitifs  s'étaient  échappés  di'  ce  côté.  Le  sire 
do  Scheurenhof  et  toute  sa  maison  marchaient 
dans  l'obscur  souterrain,  éclairés  par  ta  lu- 
mière d'une  lanterne  sourde  que  Martin  por- 
tait devant  eux.  Ptirvenus  à  l'issue  au  o;ilieu 
d'un  épais  fourré,  Martin  éteignit  sa  lan- 
terne, et  tous  virent  les  pâles  étoiles  au  ciel. 

On  entendait  de  loin  la  rumeur  des  Boucs 
qui  s'éloignait  et  s'éteignait  dans  la  nuit 
vers  le  village  d'Amslenraed,  dans  une  di- 
rection opposée  à  celle  que  suivaient  les  fu- 
gitifs.—  Mais  à  peine  le  châtelain  eut-il 
mis  le  pied  hors  du  souterrain,  qu'il  recula, 
saisi  d'effroi,  et  que  Mathilde  jeta  un  cri.  il 
s'était  fait  un  grand  bruit  dans  les  buissons, 
comme  celui  d'un  cavalier  dont  le  cheval, 
effrayé  par  un  coup  de  tonnerre,  aurait  pris 
le  mors  aux  dents.  Ce  bruit  devenait  de  plus 
en  plus  distinct.  C'éiaient  des  branches  qui 
se  cassaient,  des  feuillages  qui  se  froissaient, 
des  hennissements  étouffés.  Au  môme  in- 
stant quelque  chose  de  lourd  vint  s'abattre 
aux  pieds  de  la  jeune  fiile. 

—  Waiter  de  Hegen  1  dit  Mathilde. 

C'était  lui  en  eflet  ;  les  chairs  à  demi  dé- 
chirées par  les  cordes  qui  le  nouaient  au 
cheval,  mais  sain  et  sauf.  Une  larme  de  joie 
roula  sur  les  joues  de  l'héritière  de  Scheu- 
renhof, et  tous  se  mirent  en  devoir  de  défaire 
les  nœuds  (jui  étreignaient  Waiter. 

—  Comment  cela  s'est-il  fait?  demanda  le 
vieillard  à  peine  revenu  de  son  élonnement. 

—  Je  vous  dirai  cela  plus  tard,  répondit  le 
jeune  homme.  Songeons  d'abord  à  nous  met- 
tre en  sûreté.  Je  connais  près  d'ici  le  meu- 
nier d'Hullebroeck.  Nous  y  trouverons  des 
chevaux.  Nous  nous  dirigerons  vers  Geulh  , 
où  nous  passerons  la  Meuse. 

Kl,  sans  se  dcmner  le  temps  de  reprendre 
haleine,  il  conduisit  la  troupe. 

Ils  avaient  laissé  à  leur  gauche  le  Tillage 
de  Hceck,  et  descendaient  un  étroit  ravin 
vers  h;  clocher  de  Saint-Peter.  Us  n'y  furent 
pas  plutôt  engagés  (jue  Martin,  (|ui  marchait 
à  la  tête  de  la  troupe  en  guise  d'éclaireur, 


s'arréla  brusquement  et  dit  à  voix  basse  : 
—  Arrêtez. 

Tous  firent  halte,  parce  que  tous  savaient 
combien  était  développé  dans  ce  braconnier 
cet  instinct  de  bêle  fauve  qui  ll.iire  le  danger, 
qui  comprend  le  langage  du  venl,  qui  entend 
au  frôlciuenl  des  feuillages  d'un  hallier  si 
c'est  un  ami  ou  un  ennemi  qui  l'a  produit. 

Après  s'être  assuré  de  la  direction  d'où  ve- 
nait la  rumeur  qui  le  frappait,  le  garde- 
chasse  mit  son  fusil  en  bandoulière  et  se 
disposa  à  grimper  le  long  de  la  berge  du  ra- 
vin. Sans  déranger  un  caillou,  sans  froisser 
une  plante,  sans  rompre  la  branche  d'un 
buisson,  il  atteignit  avec  la  légèreté  d'un  chat 
la  crête  de  la  berge  et  regarda  autour  de  lui 
en  écoutant  de  toutes  ses  oreilles,  il  recon- 
nut aussitôt  quel  éîait  ce  bruit;  car  il  avisa 
à  quelque  dislance  la  sinistre  petite  lampe 
qui  ne  s'allumait  qu'au  sein  des  nuits  téné- 
breuses pour  éclairer  l'initiation  des  Boucs. 
Un  cri  de  terreur  se  fût  échappé  de  la  bouche 
des  fugitifs,  s'il  leur  eût  dit:  —  Nous  sommes 
près  de  la  chapelle  des  Boucs. — Mais  il  se 
pencha  au  bord  du  ravin,  et  leur  Dt  signe  de 
marcher  avec  précaution  : 

—  Avancez  à  pas  de  loup,  leur  dit-il  (oui 
bas;  nous  sommes  ici  dans  un  etidrolt  ph  in 
de  péril. 

Toute  la  (roupe  desc -ndit  le  ravin  dans  le 
plus  grand  silence.  Us  laissèrent  à  leur  gau- 
che les  toits  d'Oasle,  et  entrèrent  après  une 
demi-heure  de  marcIie  à  Fauquemont. 

—  Grâce  au  ciel  !  nous  voici  sauvés ,  s'écria 
le  sire  de  Scheurenhof. 

Pendant  ce  temps  ,  Martin  s'était  glissé  à 
travers  les  buissons  et  les  hautes  herbes  jus- 
qu'auprès de  l'entrée  de  la  chapelle.  11  y  vit 
accomplir  les  mystères  d'une  initiation.  De- 
vant l'autel  se  tenait  debout  ce  fameux  juif 
Abraham  Nathan,  qui  joua  un  rôle  si  terri- 
ble dans  l'hisloire  de  la  bande.  U  était  vêtu 
d'une  espèce  de  chasuble  brodée  d'or  et  rece- 
vait le  serment  d'un  pauvre  vacher  que  l'on 
venait  de  descendre  du  bouc  de  bois. 

— Tu  renies  Dieu?  lui  demandait  le  juif. 

—  Oui  ,  repondit  le  paysan  d'une  voit 
avinée. 

—  Et  la  Vierge  et  les  saints? 

—  Oui ,  la  Vierge  et  les  saints. 

— Tu  consens  à  donner  ton  âme  au  démon, 
afin  qu'il  t'accorde  en  échange  les  biens  de 
la  terre  ,  l'or,  les  richesses  et  le  pouvoir  de 
te  transporter  par  ta  volonté  partout  où  tu 
voudras? 

—Oui. 

—  Eh  bien  1  j'accepte  au  nom  de  l'enfer  ton 
âme  à  ce  prix ,  dit  Nathan.  Et  maintenant  tu 
es  des  nôtres.  Voici  la  carte  qui  te  fera  re- 
connaître des  frères. 

Puis ,  après  lui  avoir  remis  une  carie  mar- 
quée d'un  signe  hiéroglyphique,  le  juif  lui 
donna  l'accolade  fraternelle  et  lui  répéta  : 
— A  ce  soir. 

—  Cela  ne  sera  pas,  se  dit  Martin  en  lui- 
même. 

Et,  passant  le  canon  de  son  fusil  entre  les 
branches  d'un  buisson,  derrière  lequel  il  se 
tenait  caché,  il  ajusta  Nathan  qui  se  penchait 


i65 


DICTIONNAIHE  DES  SCIENCES  OCCLUES. 


2G& 


vers  son  compagnon  cl  lui  dunnnit  le  baiser 
(l'inilinlion.  Au  môiiic  inslant  la  détente  par- 
lit;  une  balle  fracassa  la  tèlc  du  nouvel  ini- 
tie ol  entra  dans  les  chairs  du  bras  droit  du 
juif. 

Un  cri  pffroyable  rclcnlil  dans  la  chapelle  : 
— Trahison I  traiiisonl 

Le  nouveau  Bouc  roula  sur  les  marches  de 
l'auiel,  se  tordit  un  instant  et  rendit  le  der- 
nier soupir.  Le  juif  éleva  son  bras  ensan- 
glanté et  dit  aux  deux  compagnons  qui  lui 
restaient  en  montrant  le  mort  :  —  Frères  , 
vengez- moi  cl  vengez  cel  homme. 

Les  deux  parrains  prirent  leurs  carabines 
et  sortirent  de  la  chapelle,  dirigeant  leurs 
armes  vers  l'endroit  ou  ils  avaient  aperçu  le 
feu  du  braconnier.  Leurs  deux  balles  paru- 
rent à  la  fois. 

—  Mil  visél  mes  compères,  s'écria  Martin, 
qiii  av.iil  rechargé  son  fusil  double  et  tenait 
deux  coups  cà  la  portée  de  ses  adversaires. 

Il  lâcli  I  le  premier,  et  l'un  des  hommes 
tomba.  H  lâcha  le  second,  et  l'autre  tomba 
aussi.  Il  ne  restait  plus  que  le  juif.  Mais  Na- 
than s'enfuit  à  travers  les  fourrés  du  bois  et 
disparut  dans  les  dernières  ténèbres  de  la 
nuit. 

Martin  rentra  avec  l'aube  à  Fauqucmont. 
Il  instruisit  le  bailli  de  ce  qui  s'était  passé. 
La  justii  e  se  rendit  avec  une  forte  escorte  à 
la  chapelle  d'iniiialion  et  n'y  trouva  que  les 
cadavres,  qui  furent  enterrés  ignominieuse- 
ment par  le  bourreau  sous  le  gibet  ini'àme. 

Nalnan  fut  pris  quinze  jours  plus  tard,  et 
pendu  le  24  septembre  1772,  à  Hccck,  sur 
la  bruyère  de  Gracd. 

Malgré  la  sévérité  des  juges  ,  malgré  les 
placards  nombreux  publiés  par  les  nobles 
et  puissants  seigneurs  des  Provinces-Unies 
et  les  mesures  prises  par  les  princes  évêiiues 
de  I-iége,  les  Boucs  ne  purent  être  entière- 
ment exlermiiés.  Quelques  écrivains  con- 
ti'mporains  font  remonter  cette  b.mde  à  l'an 
1730.  On  ne  parvint  à  la  dompter  ((u'en  1779. 
Elle  eut  un  grand  nombre  de  chefs,  parmi 
lestiuels  figurent  surtout  le  fameux  chirur- 
gien de  K.,  du  pays  de  Rolduc ,  le  juif  Abra- 
ham Nathan,  Hcrman  L.  et  Anioine  B.,  sur- 
nommé lu  Mox.  Elle  possédait  même  un  cha- 
pelain qui  prêchait  tous  les  crimes  ;  il  por- 
tait le  nom  de  Léopuld  L.  Les  chapelles  où 
les  initiations  avaient  lieu  ordinairement 
étaient  celle  de  Sainte-Rose,  près  de  Siltard , 
celle  de  Saint-Léonard,  près  de  Kolduc,  et 
une  autre  située  aux  environs  d'Urmon,  près 
de  la  Meuse.  Tijus  ces  endroits  sont  encore 
redoutés  aujourd'hui  des  villageois  voisins, 
qui  trouvent  dans  l'histoire  des  Boucs  de  quoi 
défrayer  amplimenl  leurs  longues  soirées 
d'hiver. — Mathilde  de  Seheurenhofet  Waller 
de  Hegcn  se  marièrent  et  obtinrent  une  nom- 
breuse postérité. 

Ceux  d'entre  nos  lecteurs  qui  désirent  de 
plus  amples  détails  sur  l'histoire  delà  bande 
lies  Boucs,  peuvent  consulter  un  pclil  livre 
contemporain  qui  fut  publié  en  1771),  à  M.iës- 
tricht,  sans  lieu  ni  date,  cl  qui  porte  ce  titre 

Arrêts  nol.iblis  de  P.  Dclanorc. 

Ce  bouiiloa  so  met  dans  une  ouirc  de  peau  de  bouc. 


curieuT  :  Oorspong,  Oorzneke  ,  bettys,  etc. 
«  Origine,  cause,  preuve  et  découverte  d'une 
bande  impie  et  conjurée  de  voleurs  de  nuil 
et  de  brigands  dans  les  pays  doulre-Meuse 
et  contrées  adjacentes,  avec  une  indication 
exacte  des  exécutés  et  des  fugitifs,  par  S.-P.- 
J.  SIeinada.  a 

BOUCHER.— Ambroise  Paré  raconte,  dans 
son  livre  des  Monstres,  chapitre  28,  qu'un 
valet  nommé  B.)ucher,  étant  plongé  dans  des 
pensées  impures,  un  démon  ou  spectre  lui 
apparut  sous  la  figure  d'une  lémine.  Il  suivit 
le  lenlaleur;  mais  incnniinent  son  ventre  et 
ses  cuisses  s'enflammèrent,  tout  son  corps 
s'embrasa,  el  il  en  mourut  misérablement. 

BOUCHEY  (MAnccEniTE  Ragum)  ,  femme 
d'un  maçondelaSi)logn<',\ers  la  fin  du  seiziè- 
me siècle;  elle  montrait  une  sorte  de  n)arion- 
nette  animée,  que  les  gens  experts  découvri- 
rent être  uniulin.  En  juin  1()03,  le  juge  ordi- 
nairede  Uomorantin,  homme  avisé,  se  mit  en 
devoirdeprocédcrcontrcla  marionnette.  Elle 
confessa  que  maître  Jehan  ,  cabaretier  de 
Blois,  à  l'enseigne  du  Cygne,  chez  qui  elle 
était  servante,  lui  avait  fait  gouverner  trois 
mois  cette  marionnette  ou  mandragore, qu'elle 
lui  donnait  à  manger  arec  frayeur  d'abord, 
car  elle  était  fort  méchante,  que  quand  son 
maître  allait  aux  champs,  il  lui  disait  :  —  Je 
vous  recommande  ma  béte,  et  que  personne 
ne  s'en  approche  que  vous. 

Elle  conta  qu'une  certaine  fois  Jehan  étant 
allé  en  voyage,  elle  demeura  trois  jours  sans 
donner  à  manger  à  la  bêle,  si  bien  qu'à  son 
retour,  elle  le  frappa  vivement  au  visage.... 
Elle  avait  la  forme  d'une  guenon,  que  l'on 
cachait  bien,  car  elle  était  si  hideuse,  que 
personne  ne  l'osait  regarder.  Sur  ces  dépo- 
sitions, le  juge  fit  mettre  la  femme  Bouchcy 
à  la  question,  el  plus  lard  le  parlement  du 
Paris  la  condamna  comme  sorcière  (1).  Il  est 
assez  probable  que  la  marionnette  était  sim- 
plement une  vraie  guenon. 

BOUILLON  DU  SABBAT.  Pierre  Delancre 
assure,  dans  i'IficréUulité  el  tnécréance  du 
sortilège  pldnemenl  convaincues,  traité  di- 
xième, que  les  sorcières ,  au  sabbat,  font 
bouillir  des  enfants  morts  et  de.  la  chair  de 
pendu,  qu'elles  y  joignent  des  poudres  en- 
sorcelées, du  enilltl  noir,  des  grenouilles: 
qu'elles  tirent  de  tout  cela  un  bouillonqu'elles 
boivent,  en  disant:  «J'ai  bu  dulympanun(2j, 
el  me  voilà  professe  en  sorcellerie.  »  On 
ajoute  qu'après  qu'elles  ont  bu  ce  bouillon, 
les  sorcières  prédisentl'avenir,  volent  dans  les 
airs,  et  possèdent  le  pouvoir  de  faire  des  sor- 
tilèges. 

BOULES  DE  MAROC.  11  existe  à  Maroc 
une  tour  surmontée  de  trois  boules  d'or,  si 
artislement  fixées  au  monument,  que  l'on  a 
vainement  (enté  de  les  en  détacher.  Le  peu- 
ple cioit  qu'un  esprit  garde  ces  boules  et 
frappe  de  mort  ceux  qui  essayent  de  les  en- 
lever (3). 

BOULLÉ  (Thomas),  —  vicaire  de  Picard, 
sorcier  comuie  lui ,   et   impliqué   da.is  l'af- 

qui  sert  qurlqnofois  de  Ivmpanon  ou  de  'ambour. 
(3)  H.  l'jillel,  Hisl.  de  l'oiupirc  de  Maroc,  p.  G9. 


iC5 


lîOU 


BOX 


260 


faire  de  Madeleine  Bavan.  On  le  convainquit 
d'avoir  noué  et  dénoué  l'aiguillette,  de  s'élre 
mis  sur  des  charbons  ardents  sans  se  brûler 
et  d'avoir  fait  plusieurs  abominations.  11 
souffrit  la  question  sans  rien  dire,  parce  qu'il 
avait  le  sort  de  laciturnilé  ,  comme  l'ob- 
serve Boisroger.  Cependant,  quoiqu'il  n'eût 
rien  avoué,  parce  qu'il  avait  la  marque  des 
sorciers  et  qu'il  avait  commis  des  actes  in- 
fâmes en  grand  nombre,  il  fut,  après  amende 
honorable,  brûlé  vif,  à  Rouen  sur  le  Vieux- 
Marché  ,  le  22  août  1647  (1). 

BOULLENG  (Jacques),  astrologue  à  Bou- 
logne-la-Grasse ,  né  au  diocèse  de  Dol  en  Bre- 
tagne. Il  fit  plusieurs  traités  d'astrologie  que 
nous  ne  connaissons  pas;  il  prédit  les  trou- 
bles de  Paris  sous  Charles  VI,  ainsi  que  la 
prise  de  Tours  par  le  Dauphin.  Il  dressa  ausi, 
dit-on,  l'horoscope  de  Pothon  de  Saintrailles, 
en  quoi  on  assure  qu'il  rencontra  jusle  (3). 

BOULVÈSE ,  professeur  d'hébreu  au  col- 
lège rie  Montaigu.  Il  a  écrit  l'histoire  de  la 
possession  de  Laon,  en  1556;  c'est  l'aventure 
de  Nicole  Aubry.  C'était  un  homme  excessi- 
veint'nt  crédule. 

BOUNDSCHESCH,  livre  de  V éternité,  très- 
révéré  des  anciens  Persans.  C'est  là  qu'on 
voit  qu'Orniusd  est  l'auteur  du  bien  et  du 
monde  pur,  Ârimane  l'auteur  du  mal  et  du 
inonde  impur.  Un  jour  qu'Ormusd  l'avait 
vaincu,  Arimane,  pour  se  venger,  tua  un 
bœuf  qu'Ormusd  avait  créé  :  du  sang  de  ce 
bœuf  naquit  le  premier  homme,  sur  lequel 
Ormusd  répandit  la  force  et  la  fraîcheur  d'un 
adolescent  de  quinze  ans ,  en  jetant  sur  lui 
une  goutte  d'eau  de  santé  et  une  goutte  d'eau 
de  vie.  Ce  premier  homme  s'appela  Kaid- 
Mords  ;  il  vécut  mille  ans  et  en  régna  cinq 
cent  soixante.  Il  produisit  un  arbre,  des 
fruits  duquel  naquit  le  genre  humain.  Ari- 
mane, ou  le  diable,  sous  la  figure  d'un  ser- 
pent, séduisit  le  premier  couple  elle  cor- 
rompit; les  premiers  hommes  déchus  se 
couvrirent  alors  de  vêlements  noirs  et  atten- 
dirent tristement  la  résurrection;  car  ils 
avaient  introduit  le  péché  dans  le  monde. 
On  voit  là  une  tradition  altérée  de  la  Ge- 
nèse. 

BOURIGNON  (Antoinette),  visionnaire, 
née  à  Lille  en  1616,  morte  en  1680  dans  la 
Frise.  Elle  était  si  laide,  qu'à  sa  naissance 
on  hésita  si  on  ne  l'étoufferait  pas  comme 
un  monstre.  Elle  se  consola  de  l'aversion 
qu'elle  inspirait  par  la  lecture  mal  digérée 
de  livres  qui  enflammèrent  son  imagination 
vive  et  ardente.  Elle  eut  des  visions  et  dis 
extases.  A  vingt  ans,  comme  elle  était  riche, 
il  se  trouva  un  homme  qui  voulut  bien  l'é- 
pouser; mais,  au  moment  d'aller  à  l'autel, 
elle  s'enfuit  déguisée  en  garçon.  Elle  voyait 
partout  des  démons  et  des  nuigiciens.  Elle 
parcourut  la  Hollande  et  fréquenta  les  héré- 

(t)  H.Jules  Gariaet,  Hisloire  de  la  magie  en  France, 
p.  U6. 

(2)  Extrait  d'iin  manuscrit  de  la  Bibliollièque  du  roi, 
ra|i[iorlé  à  la  fin  des  Keniarquus  de  Joly  sur  Bjyle. 

(3)  Xliiers,  Trailé  des  supersl.,  t.  I,  p.  445. 

(4)  Sniilli,  Notes  aux  Joyeuses  commères  de  Siiaks- 
peare,  acte  m. 

(5)  Dans  un  petit  volume  iulitulé  :  La  Terre  esl  un 

Dictionnaire  pes  sciences  occultes. 


tiques  ,  les  rabbins,  les  sorciers  ;  car  il  y 
avait  alors  à  Amsterdam  des  sorciers  de  pro- 
fession. Ses  nombreux  ouvrages,  qui  furent 
tous  imprimés  sous  ses  yeux,  en  français, 
en  flamand  et  en  allemand,  combattent  tout 
culte  extérieur  et  toute  liturgie,  en  faveur 
d'une  perfection  mystique  inadmissible.  Les 
plus  célèbres  de  ses  écrits  sont  le  trailé  du 
Nouveau  Ciel  et  du  règne  de  l'Antéchrist,  et 
son  livre  de  VAveuglement  des  hommes  et  de 
la  lumière  née  en  ténèbres 

BOURY.  Voy.  Flaque. 

BOURRU.  Les  Parisiens  faisaient  autrefois 
beaucoup  de  contes  sur  un  fantôme  imagi- 
naire qu'ils  appelaient  le  moine  bourru;  il 
parcourait  les  rues  pendant  la  nuit,  tordait 
le  cou  à  ceux  qui  mettaient  la  léle  à  la  fe- 
nêtre, et  se  permettait  un  grand  nombre  de 
tours  de  passe-passe.  Il  paraît  que  c'était  une 
espèce  de  lutin.  Les  bonnes  et  les  nourrices 
épouvantaient  les  enfants  de  la  menace  du 
moine  bourru.  Croque-mitaine  lui  a  suc- 
cédé. 

BOURREAU.  Le  maître  des  hautes-œuvres 
avait  jadis  diverses  prérogatives.  On  lui  at- 
tribuait même,  dans  plusieurs  provinces,  le 
privilège  de  guérir  certaines  maladies,  en 
les  touchant  de  la  main,  lorsqu'il  revenait 
d'une  exécution  de  mort  (3).  On  croit  encore, 
dans  nos  campagnes,  que  le  bourreau  est 
un  peu  sorcier,  et  il  n'est  pas  rare  que  des 
malades  superstitieux  se  fassent  traiter  par 
lui ,  quoiqu'il  n'ait  plus  dégraisse  de  pendu. 

BOUSANTHROPIE,  maladie  d'esprit  qui 
frappait  certains  visionnaires,  et  leur  per- 
suadait qu'ils  étaient  changés  en  bœuf.  Mais 
les  bousanthropes  sont  bien  moins  com- 
muns que  les  loups-garous  ou  lycanthropes, 
dans  les  annales  de  la  superstition.  Voy.  Lt- 
canthropib. 

BOUTON  DE  BACHELIER.  Les  jeunes 
paysans  anglais  prétendaient  autrefois  savoir 
d'avance  quels  seraient  leurs  succès  auprès 
des  jeunes  filles  qu'ils  voulaient  rechercher 
en  mariage,  en  portant  dans  leur  poche  une 
plante  nommée  bouton  de  bachelier,  de  l'es- 
pèce des  lychnis,  et  dont  la  fleur  ressemble  à 
un  bouton  d'habit.  Ils  jugeaient  s'il  fallait 
espérer  ou  désespérer,  selon  que  ces  boutons 
s'épanouissaient  ou  non  (k). 

BO VILLE  ou  BOVELLES,  Bovillus  (Char- 
les de),  Picard,  mort  vers  1553.  Il  veut  éta- 
blir, dans  son  livre  De  sensu,  cette  opinion 
que  le  monde  esl  un  animal,  opinion  d'ail- 
leurs ancienne,  renouvelée  plusieurs  fois 
depuis  et  assez  récemment  par  Félix  Noga- 
ret  (5).  On  cite  encore  de  Bovillus  ses  Let- 
tres (6),  sa  Vie  de  Raymond  Lulle,  son  Traité 
des  douze  nombres  et  ses  Trois  dialogues  sur 
l'immortalité  de  l'âme,  la  résurrection  et  la 
fin  du  monde  (7). 

BOXHORN  (Marc  Zuerihs),  critique  hol- 

anirnul. 

(6)  Epislolse  complurcs  super  mathemalicum  opus  qua- 
dripanitum,  recueillies  avec  l>-s  traités  De  duodecini  [iu- 
nieris,  de  numeris  perlei'lis,  etc.,  a  la  suite  du  Lil)er  du 
intelleclu,  de  sensu,  etc.  In-lol.,  rare.  Paris,  li.  Estienue, 
lolO. 

(7)  Vita  Raymundi  eremilae,  i  la  suite  du  Commenta- 
rius  in  primordiale    evangelium  Jo:in:iis.   Iii-4".   Paris, 

I.  9 


Î67 


niCTIONNAlUE  DES  SCIENCES  OCCl'LTES. 


2C8 


landais,  né  à  Berg-op- Zoom  ,  en  1C12.  On 
recherche  de  lui  un  Traité  des  songes ,  qui 
passe  pour  un  ouvrage  rare  et  curieux  (1). 

BRACCESCO  (Jean),  alchimisle  de  Brescia, 
qui  florissait  au  seizième  siècle.  Il  commenta 
l'ouvrage  arabe  de  Geber,  dans  un  fatras 
aussi  obscur  que  le  livre  commenté.  Le  plus 
curieux  de  ses  traités  est  Le  bois  de  vie,  où 
l'on  apprend  ta  médecine  au  moyen  de  laquelle 
nos  premiers  pères  ont  vécu  neuf  cents  ans  (2). 

BUAGADINI  (Marc-Antoine),  alchimiste 
originaire  de  Venise,  décapité  dans  la  B;i- 
vière,  en  1595,  parce  qu'il  se  vantait  de  faire 
de  l'or,  qu'il  ne  tenait  que  des  libéralités  d'un 
démon,  comme  disent  les  récils  du  temps. 
Son  supplice  eut  lieu  à  Munich  ,  par  l'ordre 
du  duc  Guillaume  II.  On  arrêta  aussi  deux 
chiens  noirs  qui  accompagnaient  partout 
Bragadini,  et  que  l'on  reconnut  être  ses  dé- 
mons familiers.  On  leur  flt  leur  procès  ;  ils 
furent  tués  en  place  publique  à  coups  d'ar- 
quebuse. 

BRAHMANES.  Brames  et  Bramines,  sec- 
tateurs de  Brahma  dans  l'Inde.  Us  croient  que 
l'âme  de  Brahma  passa  successivement  dans 
quatre-vingt  mille  corps  différents,  et  s'arrêta 
un  peu  dans  celui  d'un  éléphant  blanc  avec 
plus  de  complaisance  ;  aussi  révèrcnl-ils 
l'éléphant  blanc. 

Ils  sont  la  première  des  quatre  castes  du 
peuple  qui  adore  Brahma.  Ces  philosophes, 
dont  on  a  conté  tant  de  choses,  vivaient  au- 
trefois en  partie  dans  les  bois,  où  ils  consul- 
taient les  astres  et  faisaient  de  la  sorcellerie, 
et  en  partie  dans  les  villes  pour  enseigner 
la  morale  aux  princes  indiens.  Quand  on 
allait  les  éceuter,  dit  Strabon,  on  devait  le 
faire  dans  le  plus  grand  silence.  Celui  qui 
toussait  ou  crachait  était  exclus. 

Les  brahmanes  croient  à  la  métempsycose, 
ne  mangent  que  des  fruits  ou  du  lait,  et  ne 
peuvent  toucher  un  animal  sans  se  rendre  im- 
mondes.Ils  disent  que  les  bêles  sont  animées 
par  les  âtnes  des  anges  déchus  ,  système  dont 
le  père  Bougeant  a  tiré  un  parti  ingénieux. 

Il  y  avait ,  dans  les  environs  de  Gua  ,  une 
secte  de  brahmanes  qui  croyaient  qu'il  ne 
fallait  pas  attendre  la  mort  pour  aller  dans 
le  ciel.  Lorsqu'ils  se  sentaient  bien  vieux  , 
ils  ordonnaient  à  leurs  disciples  de  les  en- 
fermer dans  un  coffre  et  d'exposer  le  coffre 
sur  un  fleuve  voisin  qui  devait  les  conduire 
en  paradis.  Mais  le  diable  était  là  qui  les 
gueitail;  aussitôt  qu'il  les  voyait  embarqués, 
il  rompait  le  coffre,  empoignait  son  homme; 
et  les  habilants  du  pays,  retrouvant  la  boite 
vide,  s'écriaient  que  le  vieux  brahmane  était 
allé  auprès  de  Brahma. 

Ce  Brahma  ,  chef  des  brahmanes  ou  brah- 
mes,  ou  brahmines,  est,  comme  on  sait,  l'une 
des  trois  personnes  de  la  Irinilé  indienne.  Il 
resta  plusieurs  siècles,  avant  de  naître,  à 

1514.  —  Dialogi  1res  de  aninis  immorlalilale,  de  resur- 
rectlone,  do  nmndi  excidio  et  illius  iiislauratiuiie.  lu  8', 
Lyoïi,  Gryphius,  15?)2. 

(1)  Maici  Zuerii  Boxhornii  Oralio  de  somiiiis.  LuL'duni 
Il  ilav.,  1G3U,  vol.  in-i". 

(2)  Leijno  délia  vila,  ncl  quale  si  dicliiara  la  medicina 
Mrla  quale  i  iiosiri  priml  padri  vivevano  nove  cpiito  amil. 
l;on:e,  1512,  lu  8*.  —  La  esposiïioao  di  Celier  lilosofo, 


réfléchir  dans  un  œuf  dor,  de  la  coquille 
duquel  il  fil  le  ciel  et  la  terre.  Il  avait  cinq 
têtes;  il  en  perdit  une  dans  une  bataille,  el  se 
mit  ensuite  à  produire  quatorze  mondes, 
l'un  de  son  cerveau,  l'autre  de  ses  yeux ,  le 
troisième  de  sa  bouche,  le  quatrième  de  son 
oreille  gauche ,  le  cinquième  de  son  palais,  le 
sixième  de  son  cœur,  le  septième  de  son 
estomac,  le  huitième  de  son  ventre,  le  neu- 
vième de  sa  cuisse  gauche,  le  dixième  de  ses 
genoux,  le  onzième  de  son  lalon,  le  douzième 
de  l'orteil  de  son  pied  droit,  le  treizième  de 
la  plante  de  son  pied  gauche  et  le  dernier  do 
l'air  qui  l'environnait.  Les  habitants  de  cha- 
cun de  ces  mondes  ont  des  qualités  qui  les 
distinguent,  analogues  à  leur  origine;  ceux 
du  monde  sorli  du  cerveau  de  Brahma  sont 
sages  et  savants. 

Les  brahmines  sonl  fatalistes;  ils  disent 
qu'à  la  naissance  de  chaque  être  mortel, 
Brahma  écrit  tout  son  horoscope  qu'aucun 
pouvoir  n'a  plus  moyen  de  changer. 

Des  livres  indiens  reconnaissent  un  dieu 
suprême,  dont  Brahma  et  Wishnou  ne  sont 
que  les  plus  parfaites  créatures. Pondant  qu»; 
ces  deux  divinités  secondaires  épouvantaient 
le  monde  par  leur  combat  terrible.  Dieu  pa- 
rut devant  eux  sous  la  figure  d'une  colonnn 
de  feu  qui  n'avait  point  de  fin.  Sun  aspect  les 
calma  tout  à  coup;et, cessant  toute  querelle, 
ils  convinrent  que  celui  qui  trouverait  le 
pied  ou  le  sommet  de  la  colonne  serait  le  pre- 
mier dieu.  Wishnou  prit  la  forme  d'un  san- 
glier et  se  mit  à  creuser;  mais,  après  mille 
ans  d'efforts,  n'ayant  pas  trouvé  le  pied  delà 
colonne,  il  reconnut  le  Seigneur.  Brahma, 
sous  la  figure  d'un  oiseau,  parcourut  en 
vain  les  airs  pendant  cent  mille  ans.  Il  finit 
aussi  par  se  soumettre. 

On  lui  donne  plusieurs  enfants  qu'il  mit 
au  Jour  tous  d'une  façon  singulière;  par 
exemple,  Pirrougou  sortit  de  son  épaule  et 
Anghira  de  son  nez.  Mais  il  serait  trop  long 
de  répéter  tous  les  contes  absurdes  de  sa 
légende. 

Ajoutons  seulement  que  les  brahmines  , 
toujours  astrologues  et  magiciens,  jouissent 
encore  à  présent  du  privilège  de  ne  pouvoir 
êlre  mis  à  mort  pour  quelque  crime  que  ce 
suit.  Un  indien  qui  aurait  le  malheur  de  tuer 
un  brahmine  ne  peut  expier  ce  crime  que 
par  douze  années  de  pèlerinage,  en  deman- 
dant l'aumône  et  faisant  ses  repas  dans  le 
crâne  de  sa  victime. 

Les  brahmanes  de  Siam  croient  que  la 
terre  périra  par  le  feu,  et  que,  de  sa  cendre, 
il  en  renaîtra  une  autre  qui  jouira  d'un  prin- 
temps perpétuel. 

Le  juge  Boguet,  qui  fut  dans  son  temps  le 
fléau  des  sorciers,  regarde  les  brahmanes 
comme  d'insignes  magiciens,  qui  faisaient  le 
beau  temps  el  la  pluie  en  ouvrant  ou  l'er- 

nella  quale  si  dichiarano  molli  Doliilissimi  secreti  délia 
oalura.  Iii-8°.  Venise,  lo4i.  —  Ces  deux  oiwragcs,  lraduiL< 
en  latin,  se  trouvenl  dans  le  recueil  de  Gratarple.  Yen 
alcliemise  dociriua,  et  dans  le  tome  I"  de  la  BibUotliè(|ui« 
diiminue  du  Manget;  ils  sqni  aussi  publiés  séparémeid 
sous  le  titre  :  De  Alctieiiiia  dialugi  duo.  In-i",  l.ugj  , 
13«. 


2G9 


BRI 


DRO 


Î70 


manl  deux  tonneaux  qu'ils  avaient  en  leur 
puissance,  I.eloyer  assure,  page  337,  que 
les  brahmanes,  ou  brahmines,  vendent  tou- 
jours les  vents  par  le  moyen  du  diable;  et  il 
cite  un  pilote  vénitien  qui  leur  en  acheta  au 

\ seizième  siècle. 

'  BRANDEBOURG.  On  assure  encore,  dans 
les  viliapes  de  la  Poméranie  et  de  la  Marche 
Electorale,  que  toutes  les  fois  qu'il  doit  mou- 
rir quelqu'un  de  la  maison  de  Brandebourg, 
un  espril  apparaît  dans  les  airs,  sous  l'appa- 
rence d'une  grande  statue  de  marbre  blanc. 
Mais  c'est  une  femme  animée.  Elle  parcourt 
les  appartements  du  château  habité  par  la 
personne  qui  doit  mourir,  sans  qu'on  ose 
arrêter  sa  marche.  11  y  a  très-longtemps  que 
cette  apparition  a  lieu;  et  l'on  conte  qu'un 
page  ayant  eu  l'andace  un  jour  de  se  placer 
devant  la  grande  femme  blanche  ,  elle  le  jeta 
à  terre  avec  tant  de  violence,  qu'il  resta  mort 
sur  la  place. 
BRAS-DE-FER  ,    berger   sorcier.    Voyez 

HOCQUE. 

BREBIS.  Voy.  Trodpeadx. 

BRENNUS ,  général  gaulois.  Après  qu'il  se 
fut  emparé  de  Delphes ,  et  qu'il  eut  profané 
le  temple  d'Apollon  ,  il  survint  un  tremble- 
ment de  terre,  accompagné  de  foudres  et 
d'éclairs,  et  d'une  pluie  de  pierres  qui  tom- 
bait du  mont  Parnasse  ;  ce  qui  mit  ses  gens 
en  tel  désarroi,  qu'ils  se  laissèrent  vaincre  ; 
etBrennus,  déjà  blessé,  se  donna  la  mort. 

BRIFFAUT,  démon  peu  connu,  quoique 
chef  do  légion ,  qui  s'était  logé  dans  le  corps 
d'une  possédée  de  Beau  vais,  au  commence- 
ment du  dix-septième  siècle. 

BRIGITTE.  Il  y  a,  dans  les  révélations  de 
sainte  Brigitte ,  de  terribles  peintures  de 
l'enfer.  Les  ennemis  de  la  religion  ont  trouvé 
dans  ces  écrits  un  thème  à  leurs  déclama- 
tions. Mais  ce  ne  sont  pas  là  des  livres  ca- 
noniques; l'Eglise  n'ordonne  pas  de  les  croire, 
et  ils  ne  s'adressent  pas  à  toute  sorte  de  lec- 
teurs. 

BRINVILLIERS  (Marie-Marguerite,  mar- 
QCisK  de),  feiume  qui.  de  1666  à  1672,  em- 
poisonna, ou  du  moins  fut  accusée  d'avoir 
empoisonné,  sans  motifs  de  haine,  quelque- 
fois même  sans  intérêt ,  parents,  amis,  do- 
mestiques; elle  allait  jusque  dans  les  hôpi- 
taux donner  du  poison  aux  malades,  il  faut 
attribuer  tous  ces  crimes  à  une  horrible  dé- 
mence ou  à  cette  dépravation  atroce  dont  on 
ne  voyait  autrefois  d'autre  explication  que  la 
possession  du  diable.  Aussi  a-t-ou  dit  qu'elle 
s'était  vendue  à  Satan. 

Dès  l'âge  de  sept  ans,  la  Brinvillicrs  com- 
mença, dit-on,  sa  carrière  criminelle,  et  il 
a  été  permis  à  des  esprits  crédules  de  redou- 
ter en  elle  un  affreux  démon  incarné.  Elle  fut 
brûlée  en  1676.  Les  empoisonnements  con- 
tinuèrent après  sa  mort.  Voy.  Voisin. 

Dans  i'Almanach  prophétique  de  18i2 , 
M.  Eugène  Barestc  à  tenté  de  justifier  la  mar- 
quise de  Brinvilliers,  et  il  n'est  pas  impossi- 
ble qu'on  ne  l'ait  fort  noircie. 

BRIOCHÉ  (JeanJ,  arracheur  de  dénis,  qui. 


vers  l'an  1G50,  se  rendit  fameux  par  son  ta- 
lent dans  l'art  de  faire  jouer  les  marionnet- 
tes. Après  avoir  amusé  Paris  et  les  provinces, 
il  passa  en  Suisse  et  s'arrêta  à  Soleure,  où  il 
donna  une  représentation  en  présence  d'une 
assemblée  nombreuse,  qui  ne  se  doutait  pas 
de  ce  qu'elle  allait  voir,  car  les  Suisses  «(i 
connaissaient  pas  les  marionnettes.  A  peine 
eurent-ils  aperçu  Pantalon,  le  diable,  le  mé- 
decin, Polichinelle  et  leurs  bizarres  compa- 
gnons, qu'ils  ouvrirent  des  yeux  effrayés.  Do 
mémoire  d'homme,  on  n'avait  point  entendu 
parler  dans  le  pays  d'êtres  aussi  petits,  aussi 
agiles  et  aussi  babillards  que  ceux-là.  Ils  s'i- 
maginèrent que  ces  petits  hommes  qui  par- 
laient ,  dansaient,  se  battaient  et  se  dispu- 
taient si  bien  ne  pouvaient  être  qu'une 
troupe  de  lutins  aux  ordres  de  Brioché. 

Cette  idée  se  confirmant  par  les  confiden- 
ces que  les  spectateurs  se  faisaient  entre  eux . 
quelques-uns  coururent  chez  le  juge,  et  lui 
dénoncèrent  le  magicien. 

Le  juge,  épouvanté,  ordonna  à  ses  ar- 
chers d'arrêter  le  sorcier,  et  l'obligea  à  com- 
paraître devant  lui.  On  garrotta  Brioché,  ou 
l'amena  devant  le  magistrat  qui  voulut  voir 
les  pièces  du  procès;  on  apporta  le  théâtre 
elles  démons  de  bois,  auxquels  on  ne  tou- 
chait qu'en  frémissant;  et  Brioché  fut  con- 
damné à  être  brûlé  avec  son  attirail.  Cette- 
sentence  allait  être  exécutée,  lorsque  survint 
un  nommé  Dumont ,  capitaine  des  gardes 
suisses  au  service  du  roi  de  France  :  curieux 
de  voir  le  magicien  français  ,  il  reconnut  1.; 
malheureux  Brioché  qui  l'avait  tant  fait  rire 
à  Paris.  Il  se  rendit  en  toute  hâte  chez  le 
juge  :  après  avoir  fait  suspendre  d'un  jour 
l'arrêt,  il  lui  expliqua  l'affaire,  lui  fit  com- 
prendre le  mécanisme  des  marionnettes,  et 
obtint  l'ordre  de  mettre  Brioché  en  liberté. 
Ce  dernier  revint  à  Paris,  se  promettant  bien 
de  ne  plus  songer  à  faire  rire  les  Suisses 
dans  leur  pays  (1). 

BRIZOMANTIE,  divination  par  l'inspira- 
tion de  Brizo,  déesse  du  sommeil  ;  c'était  l'art 
de  deviner  les  choses  futures  ou  cachées 
par  les  songes  naturels.  Voyez  Oméirocri- 

TIQUE. 

BROCÉLIANDE,  forêt  enchantée.  Voyez 
Merlin. 

BROHON  (Jean),  médecin  de  Coutances, 
au  seizième  siècle.  Des  amateurs  recherchent 
de  lui  :  1°  Description  d'une  merveilleuse  et 
prodigieuse  comète,  avec  un  traité  présagi- 
que  des  comètes,  in-8',  Paris,  15C8.  —  2*  Al- 
manach,  ou  Journal  astrologique,  avec  les 
jugements  pronostiques  pour  l'an  1572  , 
Rouen,  1571,  in-12. 

BROLIG  (Corneille),  jeune  garçon  du 
pays  de  Labour,  que  Pierre  Delancre  inter- 
rogea comme  sorcier  au  commencement  du 
dix-septième  siècle.  Il  avoua  qu'il  fut  vio- 
lenté pour  baiser  le  derrière  du  diable.  «  Je 
ne  sais  s'il  dit  cela  par  modestie,  ajoute  De- 
lancre; car  c'est  un  fort  civil  enfant.  Mais  il 
ajouta  qu'il  soutint  au  diable  qu'il  aimerait 
mieux  mourirque  lui  baiser lederrière, si  bien 


U)  LeUres  de  Saint- André  sur  la  magie,  Déiiioiiiana.Uicilounaire  d'aneciloies  suisses. 


S71 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


rtî 


qu'il  ne  le  baisa  qu'au  visage  ;  et  il  eut  beau- 
coup de  peine  à  se  tirer  du  sabbat,  dont  il 
n'approuvait  pas  les  abominations  (1).  » 

BROSSIER  (Marthe),  fille  d'un  tisserand 
de  Romorantin  ,  qui  se  dit  possédée  et  con- 
vulsionnairc  en  1569,  à  l'âge  de  vingt-deux 
ans.  Elle  se  fit  exorciser;  les  eiïets  de  la  pos- 
session devinrent  de  plus  en  plus  merveil- 
leux. Elle  parcourait  les  villes;  et  le  diable, 
par  sa  bouche,  parlait  hébreu,  grec,  latin, 
anglais,  etc.  On  disait  aussi  qu'elle  décou- 
vrait les  secrets  ;  on  assure  que  dans  ses  ca- 
brioles, elle  s'élevait  quelquefois  à  quatre 
pieds  de  terre. 

L'official  d'Orléans  qui  se  défiait  d'elle,  lui 
dit  qu'il  allait  l'exorciser,  el  conjugua,  dans 
Despaulère,  les  verbes  nexo  et  texo.  Le  dé- 
mon aussitôt  la  renversa  à  terre,  où  elle  fit 
ses  contorsions.  Charles  Miron,  évêque  d'An- 
gers, devant  qui  elle  fut  conduite,  la  fit  gar- 
der dans  une  maison  de  confiance.  On  mit,  à 
son  insu,  de  l'eau  bénite  dans  sa  boisson,  qui 
n'opéra  pas  plus  d'effet  que  l'eau  ordinaire  ; 
on  lui  en  présenta  dans  un  bénitier,  qu'elle 
crut  bénite,  et  aussitôt  elle  tomba  par  terre, 
se  débattit  et  fit  les  grimaces  accoutumées. 
L'évêque,  un  Virgile  à  la  main,  feignit  de 
Touloir  l'exorciser,  et  prononça  d'un  ton 
grave  :  Arma  virumque  cano.  Les  convulsions 
.de  Marthe  ne  manquèrent  pas  de  redoubler. 
Certain  alors  de  l'imposture,  Charles  Miron 
chassa  la  prétendue  possédée  de  son  diocèse, 
comme  on  l'avait  chassée  d'Orléans. 

A  Paris,  les  médecins  furent  d'abord  par- 
lagés  sur  son  état;  mais  bientôt  ils  pronon- 
cèrent qu'il  y  avait  beaucoup  de  fraude,  peu 
de  maladie,  et  que  le  diable  n'y  était  pour 
rien  :  Nihil  a  dœmone,  inulta  ficla,  a  morbo 
pauca.  Le  parlement  prit  connaissance  de 
l'affaire,  et  condamna  Marthe  à  s'en  relour- 
ner  à  Romorantin,  chez  ses  parents,  avec  dé- 
fense d'en  sortir,  sous  peine  de  punition  cor- 
porelle. 

Cependant,  elle  se  fit  conduire  quelque 
temps  après  devant  lévéque  de  Clermonl 
qu'elle  espérait  tromper  ;  mais  un  arrêt  du 
parlement  la  mit  en  fuite.  Elle  se  réfugia 
à  Rome,  où  elle  fut  enfermée  dans  une  com- 
munauté ;  là  finit  sa  possession.  On  peut  voir 
sur  cette  affaire  les  lettres  du  cardinal  d'Os- 
sat  et  une  brochure  intitulée  :  Discours  véri- 
table sur  le  fait  de  Marthe  Brossier,  par  le 
médecin  Marescot,  qui  assista  aux  exorcis- 
uies  (in-8°,  Paris,  1599). 

BUOUCOLAQUES.  Voy.  Vampires. 

BROUETTE  DE  LA  MORT.  C'est  une  opi- 
nion généralement  reçue  parmi  les  paysans 
de  la  Basse-Bretagne  que,  quand  ([uilqu'un 
est  destiné  à  rendre  bienlôl  le  dernier  sou- 
pir, la  brouette  de  la  Mort  passe  dans  le  voi- 
sinage. Elle  est  couverte  d'un  drap  blanc,  et 
des  spectres  la  conduisent  ;  le  moribond  en- 
tend même  le  bruit  de  sa  roue  (2).  Dans  cer- 
tains cantons,  celle  brouette  est  le  char  de  la 
Mort,  carrick  an  JS'ankou,  et  le  cri  de  la  frc- 
£aic  annonce  son  passage  (3). 

(1)  Tableau  de  l'inconslance  dus  mauvais  anges,  de, 
(>.  7S. 

(2)  Voj.ige  de  SI.  Dnibrj  dans  le  Fiuistère,  t.  I 


BROWN  (Thomas),  médecin  anglais,  mor' 
en  1C82.  Il  combattit  les  erreurs  dans  un  sa- 
vant ouvrage  (!*■)  que  l'abbé  Souchny  a  tra- 
duit en  français  sous  le  titre  d'Essai  sur  les 
erreurs  populaires,  ou  examen  de  plusieurs 
opinions  n  çues  comme  vraies  et  qui  sont 
fausses  ou  douteuses.  2  vol.  in-12.  Paris, 
1733  et  1742  Ce  livre,  utile  quand  il  parut, 
l'est  encore  aujourd'hui,  quoique  beaucoup 
de  ces  erreurs  soient  dissipées.  Les  connais- 
sances du  docteur  Brown  sont  vastes,  ses  ju- 
gements souvent  justes  ;  quelquefois  cepen 
dant  il  remplace  une  erreur  par  une  autre. 

L'Essai  sur  les  erreurs  populaires  est  di- 
visé en  sept  livres.  On  recherche  dans  le 
premier  la  source  des  erreurs  accréditées  ; 
elles  doivent  naissance  è  la  faiblesse  de  l'es- 
prit humain,  à  la  curiosité,  à  l'amour  de 
l'homme  pour  le  merveilleux,  aux  fausses 
idées,  aux  jugements  précipités 

Dans  le  second  livre  on  examine  les  erreurs 
qui  attribuent  certaines  vertus  merveilleuses 
aux  minéraux  el  aux  plantes  :  telles  sont  h  s 
qualités  surnaturelles  qu'on  donne  à  l'ai- 
mant et  le  privilège  de  la  rose  de  Jéricho  qui, 
dans  l'opinion  des  bonnes  gens,  fleurit  tous 
les  ans  la  veille  de  Noël. 

Le  troisième  livre  est  consacré  aux  ani- 
maux et  combat  les  merveilles  qu'on  débite 
sur  leur  compte  et  les  propriétés  que  des 
charlatans  donnent  à  quelques-unes  de  leurs 
parties  ou  de  leurs  sécrétions. 

Le  quatrième  livre  traite  des  erreurs  rela- 
tives à  l'homme.  L'auteur  détruit  la  vertu 
cordiale  accordée  au  doigt  annulaire  ,  le 
conte  populaire  qui  fait  remonter  l'origine  de 
saluer  dans  les  éternuments  à  une  épidé- 
mie dans  laquelle  on  mourait  en  éternuant, 
la  puanteur  spéciale  des  Juifs,  les  pygmées, 
les  années  ciimalériques. 

Le  cinquième  livre  est  consacré  aux  er- 
reurs qui  nous  sont  venues  par  la  faute  des 
peintres;  comme  le  nombril  de  nos  premiers 
parents,  le  sacrifice  d'Abraham  où  son  fils 
Isnac  est  représenté  enfant,  tandis  qu'il  avait 
quarante  ans. 

L'auteur  discute,  dans  le  livre  sixième,  les 
opinions  erronées  ou  hasardées  qui  ont  rap- 
port à  la  cosmographie  et  à  l'histoire.  11 
combat  les  jours  heureux  ou  malheureux, 
les  idées  vulgaires  sur  la  couleur  des  nègres. 
Le  septième  livre  enfin  est  consacré  à  l'exa- 
men de  certaines  traditions  reçues,  sur  la 
mer  Morte,  la  tour  de  Babel,  les*  rois  de  l'E- 
piphanie, etc. 

Le  savant  ne  se  montre  pas  crédule;  ce- 
pendant il  croyait,  comme  tout  chrétien,  aux 
sorciers  et  aux  démons.  Le  docteur  Hutrhin- 
son  cite  de  lui  un  fait  à  ce  sujet  dans  son  Es- 
sai sur  la  sorcellerie.  En  lC6i,  deux  person- 
nes accusées  de  sorcellerie  allaient  êire  ju- 
gées à  Norwich  ;  le  grand  jury  consulta 
Brown,  dont  on  révérait  l'opinion  el  le  sa- 
voir. Brown  signa  une  attestation  dont  ou  a 
conservé  l'original,  dans  lu(iuelle  il  recon- 
naît l'existence  des  sorciers  et  l'influence  du 

(3)  M.  KÉmlry,  Le  Dernier  dos  Beanm.inoir,  cl),  ixvi. 
(i)  Pseuiiodoxia  epidciiiii  a  or  ciuiiiirics  tlic  vulgar  t  r 
jors,  ne.  Iii-lol.  Londres,  ICiG. 


i75 


BUU 


BUC 


47* 


dinble;  il  y  cite  mémo  des  faits  analogues  à 
ceux  qui  faisaient  poursuivre  les  deux  accu- 
sés, et  qu'il  présente  comme  incontestables. 
Ce  fut  celle  opinion  qui  détermina  la  con- 
damnation dos  prévenus. 

BROWNIE,  lutin  écossais.  Le  roi  Jacques 
regardait  Brownie  comme  un  agent  de  Sa- 
tan; Kirck  en  fait  un  bon  génie.  Aux  îles 
d'Aïkney,  on  fait  encore  des  libations  de  lait 
dans  la  cavité  d'une  pierre  appelée  la  pierre 
de  Brownie,  pour  s'assurer  de  sa  protection. 
Le  peuple  de  ces  îles  croit  Brownie  doux  et 
pacifique;  mais  si  on  l'otlense,  il  ne  reparaît 
'  plus. 

BRUHESEN  (Pierre  Van),  docteur  et  as- 
trologue de  la  Campine,  mort  à  Bruges  en 
irill.  11  publia  dans  celte  ville,  en  1350,  son 
Grand  et  perpétuel  almanach,  où  il  indique 
scrupuleusement,  d'après  les  principesdel'as- 
Irologie  judiciaire ,  les  jours  propres  à  purger, 
baigner,  raser,  saigner,  couper  les  cheveux 
et  appliquer  les  ventouses.  Ce  modèle  de 
l'almanach  de  Liège  fil  d'autant  plus  de  ru- 
meur à  Bruges,  que  le  magistral,  qui  don- 
nait dans  l'astrologie,  fit  très-expresses  dé- 
fenses à  quiconque  exerçait  dans  sa  ville  le 
métier  de  harberie,  de  rien  entreprendre  sur 
le  menton  de  ses  concitoyens  pendant  le» 
jours  néfastes. 

François  Rapaërt,  médecin  de  Bruges,  pu- 
blia contre  Bruhesen  le  Grand  et  perpétuel 
almanach,  ou  fléau  des  empiriques  et  des  char- 
latans (1).  Mais  Pierre  Haschaerl,  chirurgien 
partisan  de  l'astrologie,  défendit  Bruhesen 
dans  son  Bouclier  astrologique  contre  le  fléau 
des  astrologues  de  François  Rapaërt  (2),  et 
depuis  on  a  fait  des  almanachs  sur  le  modèle 
de  Bruhesen,  et  ils  n'ont  pas  cessé  d'avoir  un 
débit  immense. 

BRULEFER.  C'est  le  nom  que  donnent  les 
Véritables  clavicules  de  Salomon  à  un  démon 
ou  esprit  qu'on  invoque  quand  on  veut  se 
faire  aimer. 

BRUNEHAU'i",  reine  d'Austrasie,  au  sixiè- 
me siècle,  accusée  d'une  multitude  de  crimes 
et  peut-être  victime  historique  de  beaucoup 
de  calomnies.  Dans  le  siècle  oii  elle  vécut, 
on  ne  doit  pas  s'étonner  de  trouver  au  nom- 
bre de  ses  forfaits  la  sorcellerie  et  les  malé- 
Cies 

BRUNO  ,  philosophe ,  né  à  Noie  dans  le 
royaume  de  Naplis  ,  au  milieu  du  seizième 
siècle.  Il  publia  à  Londres,  en  158'»,  son  li- 
vre de  l'Expulsion  de  labéte  triomphante  (3). 
Ce  livre  fut  supprimé.  C'est  une  critique  stu- 
pide  dans  le  fond,  maligne  dans  les  détails, 
(le  toutes  les  religions,  et  spécialement  de  la 
religion  chrétienne. 

L'auteur  ayant  voulu  revoir  sa  patrie,  fut 
arrêté  à  Venise  en  1598,  transféré  à  Rome, 
condamné  et  brûlé  le  IVfévrier  de  l'an  1600, 
luoins  pour  ses  impiétés  flagrantes,  que  pour 

(I)  Mai;niim  et  perpeluiiin  almanacli ,  seu  empiricoruin 
cl  iiiedicustrorutn  llj;;ellaiii.  Ici-12,  1351. 

[i)  Cijiieus  asliolugicus  contra  flagellum  astrologorum 
Francisa  Kapardi.  In-12,  1531. 

(3)  Spaccio  de  la  beslia  Iriompliaiite,  proposto  da  Giowe, 
cffetuato  dal  consugio,  revclalo  da  Mercurio,  racilalo  lia 
Sofia,  ddilo  da  Saidiiio,  registralo  dal  Nolino,  diviso  in 
Ite  dialogi,  subdivisi  ia  trc  parti.  lu  l'ariai    LoiiJrcs. 


ses  mauvaises  mœurs.  11  avait  consumé  beau- 
coup de  temps  à  l'étude  des  rêveries  herméti- 
ques; il  a  même  laissé  des  écrits  sur  l'alchi- 
mie (4),  et  d'autres  ouvrages, dont  quelques- 
uns  ont  partagé  son  bûcher  (a). On  s'étonnera 
peut-être  de  cette  rigueur  ;  mais  alors  les 
crimes  que  l'on  poursuivait  ainsi  et  qui  trou- 
blaient la  société  inspiraient  plus  d'horreur 
que  n'en  inspire  aujourd'hui  chez  nous  l'as- 
sassinat. 

BRUNON.  «  L'empereur  Henri  III  allait  en 
bateau  sur  le  Danube,  en  son  duché  de  Ba- 
vière,  accompagné  de  Brunon,  évêque  de 
Wurtzbourg,  et  de  quelques  autres  sei- 
gneurs. Comme  il  passait  près  du  château  de 
(jrein,  il  se  trouva  en  danger  imminent  de 
se  noyer  lui  et  1rs  siens  dans  un  lieu  dange- 
reux ;  cependant  il  se  tira  heureusement  de 
ce  péril.  Mais  incontinent  on  aperçut  au 
haut  d'un  rocher  un  homme  noir  qui  appela 
Brunon,  lui  disant  :  —  Evêque  ,  sache  que 
je  suis  un  diab'e,  et  qu'en  quelque  lieu  que 
tu  sois,  tu  (S  à  moi.  Je  ne  puis  aujourd'hui 
te  mal  faire  ;  mais  tu  me  verras  avant  peu. 

Brunon,  qui  était  homme  de  bien,  fit  le 
signe  de  la  croix,  et  après  qu'il  eut  conjuré 
le  diable,  on  ne  sut  ce  qu'il  devint.  Mais 
bientôt  comme  l'empereur  dînait  à  Ebers- 
berg,  avec  sa  compagnie,  les  po'utres  et  pla- 
fond d  une  chambre  basse  où  ils  étaient,  s'é- 
croulèrent; l'empereur  tomba  dans  une  cuve 
où  il  ne  se  fit  point  de  mal,  et  Brunon  eut 
en  sa  chute  tout  le  corps  tellement  brisé  qu'il 
en  mourut.  —  De  ce  Brunon  ou  Bruno  nous 
avons  quehiues  commentaires  sur  les  Psau- 
mes (C).  D  —  11  n'y  a  qu'un  petit  malheur 
dans  ce  conte  rapporté  par  Leloyer,  c'est 
que  tout  en  est  faux. 

BRUTUS.  Plutarque  rapporte  que  peu  de 
temps  avant  la  bataille  de  Philippes,  Brulus 
étant  seul  et  rêveur  dans  sa  tente,  aperçut 
un  fantôme  d'nne  taille  démesurée,  qui  se 
présenta  devant  lui  en  silence,  mais  avec  un 
regard  menaçant.  Brulus  lui  demanda  s'il 
était  dieu  ou  homme,  et  ce  qu'il  voulait.  Le 
spectre  lui  répondit  :  —  Je  suis  ton  mauvais 
génie,  et  je  t'attends  aux  champs  de  Philip- 
pes. —  Eh  bienl  nous  nous  y  verrons  1  ré- 
pliqua Brulus. 

Le  fantôme  disparut;  mais  on  dit  qu'il  se 
montra  derechef  au  meurtrier  de  César ,  la 
nuit  qui  précéda  la  bataille  de  Philippes,  où 
Brulus  se  tua  de  sa  main. 

BUCAILLE  (Marie),  jeune  Normande  de 
Valogne,  qui ,  au  dernier  siècle,  voulut  se 
faire  passer  pour  béate.  Mais  bientôt  ses  vi- 
sions et  ses  extases  devinrent  suspectes  ; 
elle  s'était  dite  quelquefois  assiégée  par  les 
démons  ;  elle  se  faisait  accompagner  d'un 
prétendu  moine,  qui  disparut  dès  qu'on  vou- 
lut examiner  les  faits  ;  elle  se  proclama  pos- 1 
sédée.  Pour  s'assurer  de  la  vérité  des  pro- 

taSi.  In-S". 

(  l)  De  compendiosa  arcliiteclura  et  complemento  arlii 
Liil'ii,  etc.  ln-16.  Paris,  1382,  etc. 

(j)  l'arliculièrement  La  Cena  de  lu  ceneri,  descrilï  in 
ciruiue  dialogi,  etc.  In-8°.  Londres,  1381. 

((i)  Leloyer,  Disc,  et  liist.  des  sueclres,  llv.  111 
ch.  XVI. 


«75 


iliges  qu'elle  opérait,  on  la  fit  enfermer  au 
secret.  On  reconnut  que  les  visions  de  Ma- 
rie Bucaille  n'étaient  que  fourberies;  qu'elle 
n'était  certainement'  pas  en  commerce  avec 
les  anges.  Elle  fut  fouettée  et  marquée,  et 
tout  fut  fini  (1). 

BUCER  (ÀIartin),  grand  partisan  de  Lu- 
(Iter,  mort  a  Cambridge  en  1351.  «  Etant  aux 
nhois  de  la  mort,  assisté  de  ses  amis,  le  dia- 
ble s'y  trouva  aussi,  l'accueillant  avec  une 
figure  si  hideuse,  qu'il  n'y  eut  personne  qui, 
de  frayeur,  n'y  perdît  presque  la  vie.  Icelui 
diabk  l'emporta  rudement,  lui  creva  le  ven- 
tre et  le  tua  en  lui  tordant  le  cou  ,  et  em- 
porta son  âme,  qu'il  poussa  devant  lui,  aux 
enfers  (2).  » 

BUCKINGHAM  (George  Villiebs,  duc  de), 
f.ivori  de  Jacques  1",  mort  à  Portsmouth  en 
1628,  illustre  surtout  par  sa  fin  tragique.  — 
On  sait  qu'il  fut  assassiné  par  Felton,  offi- 
cier à  qui  il  avait  fait  des  injustices.  Quelque 
temps  avant  sa  mort,  Guillaume  Parker,  an- 
cien ami  de  sa  famille,  aperçut  à  ses  côlés 
en  plein  midi  le  fantôme  du  vieux  sir  George 
Viliiers,  père  du  duc,  qui  depuis  longtemps 
ne  vivait  plus.  Parker  prit  d'abord  cette  ap- 
parition pour  une  illusion  de  ses  sens  ;  mais 
bientôt  il  reconnut  la  voix  de  son  vieil  ami, 
qui  le  priaîl'avertir  le  duc  de  Buckingham 
(l'être  sur  ses  gaides ,  et  disparut.  Parker, 
demeuré  seul,  réfléchit  à  celle  commission, 
et,  la  trouvant  difficile,  il  négligea  de  s'en 
acquitter.  Le  fantôme  revint  une  seconde 
fois  et  joignit  les  menaces  aux  prières,  de 
sorte  que  Parker  se  décida  à  lui  obéir;  mais 
il  fut  traité  de  fou,  et  Buckingham  dédaigna 
son  avis. 

Le  spectre  reparut  une  troisième  fois,  se 
plaignit  de  l'endurcissement  de  son  fils,  et 
tirant  un  poignard  de  dessous  sa  robe  :  — 
Allez  encore  ,  dit-il  à  Parker  ;  annoncez  à 
l'ingrat  que  vous  avez  vu  l'instrument  qui 
doit  lui  donner  la  mort. 

Et  de  peur  qu'il  ne  rejetât  ce  nouvel  aver- 
tissement, le  fantôme  révéla  à  son  ami  un  des 
plus  intimes  secrets  du  duc.  —  Parker  re- 
lournaàla  cour.  Buckingham, d'abord  frappé 
ile  le  voir  instruit  de  son  secret,  reprit  bien- 
tôt le  ton  de  la  raillerie ,  et  conseilla  au 
prophète  d'aller  se  guérir  de  sa  démence. 
Néanmoins,  quelques  semaines  après,  le  duc 
de  Buckingham  fut  assassiné.  On  ne  dit  pas 
si  le  couteau  de  Felton  était  ce  même  poi- 
gnard que  Parker  avait  vu  dans  la  main  du 
fantôme. 

On  peut,  du  reste,  expliquer  cette  vision. 
On  savait  que  le  duc  avait  beaucoup  d'enne- 
mis, et  quelques-uns  de  ses  amis  ,  craignant 
pour  ses  jours,  pouvaient  fort  bien  se  faire 
des  hallucinations. 

BUCON  ,  mauvais  diable ,  cité  dans  les 
Clavicules  de  Salomon.  Il  sènae  la  jalousie 
et  la  haine. 

BUDAS,  hérétique  qui  fut  maître  de  Ma- 
lt) Lettres  du  mérlecin  Saint-André  sur  la  magie  et  sur 
les  malétiees,  p.  188  et  431. 

(2)  Delaiicre,  Tableau  de  l'inconstance  des  démons,  etc., 
liv.  I,  dise.  1. 

t3J  Discours  des  spectres,  liv.  VIII,  ch.  v. 


DICTIONNAIttE  DES  SCIKNCES  OCCLLIES.  S76 

nés ,  et  auteur  de   l'hérésie   manichéenne. 


C'était,  dit  Pierre  Delancre  (3),  un  magicien 
élève  (les  Brahmanes,  et  en  plein  commerce 
avec  les  démons.  Un  jour  qu'il  voulait  faire 
je  ne  sais  quel  sacrifice  magique,  le  diable 
l'enleva  de  terre  et  lui  tordit  le  cou  (4)  :  di- 
gne récompense  de  la  peine  qu'il  avait  prise 
de  rétablir  par  le  manichéisme  la  puissance 
de  Si  tan  1 

BUER ,  démon  de  seconde  classe,  prési- 
dent aux  enfers  ;  il  a  la  forme  d'une  éloile  ou 
d'une  roue  à  cinq  branches,  et  s'avance  en 
roulant  sur  lui-même.  Il  enseigne  la  philoso- 
phie, la  logique  et  les  vertus  des  herbes  médi- 
cinales. Il  donne  de  bons  domestiques,  rend 
la  santé  aux  malades,  et  commande  cinquante 
légions. 

BUGNOT  (  Etienne  ) ,  gentilhomme  de  la 
chambre  de  Louis  XIV,  auteur  d'un  livre 
rare  intitulé  :  Histoire  récente  pour  servir 
de  preuve  à  la  vérité  du  purgatoire,  vérifiée 
par  procès-verbaux  dressés  en  1663  et  1634, 
avec  un  Abrégé  de  la  Vie  d'André  Bugnot, 
colonel  d'infanterie,  et  de  son  apparition 
après  sa  mort.  In-12 ,  Orléans  ,  1663.  Cet 
André  Bugnot  était  frère  d'Etienne.  Son 
apparition  et  ses  révélations  n'ont  rien  d'o- 
riginal. 

BUISSON  DEPINES.  Selon  une  coutume 
assez  singulière,  quand  il  y  avait  un  malade 
dans  une  maison,  chez  les  anciens  Grecs,  on 
allachait  à  la  porte  un  buisson  d'épines  pour 
éloigner  les  esprits  malfaisants. 

BULLET  (Jean  Baptiste),  académicien  de 
Besançon,  mort  en  1773.  On  recherche  ses 
Dissertations  sur  la  mythologie  française  et 
sur  plusieurs  points  curieux  de  1  histoire  de 
France.  In-12,  Paris,  1771. 

BUNE,  déirion  puissant,  grand-duc  auxen- 
feis.  Il  a  la  forme  d'un  dragon  avec  trois  tê- 
tes, dont  la  troisième  seulement  est  celle  d'un 
homme.  Il  ne  parle  que  par  signes  ;  il  déplace 
les  cadavres,  hante  les  cimetières  et  rassem- 
ble les  démons  sur  les  sépulcres.  Il  enrichit 
et  rend  éloquents  ceux  qui  le  servent;  on 

ajoute  qu'il  ne  les  trompe  jamais Trente 

légions  lui  obéissent  (5). 

Les  démons  soumis  à  Bune  ,  et  appelés 
Bitnis,  sont  redoutés  des  Tartares,  qui  les 
disent  très-malfaisants.  Il  faut  avoir  la  con- 
science nette  pour  être  à  l'abri  deleur  malice; 
car  leur  puissance  est  grande  et  leur  nombre 
est  immense.  Cependant  les  sorciers  du  p.iys 
Ses  apprivoisent,  et  c'est  par  le  moyen  des 
Bunis  (lu'ils  se  vantent  de  découvrir  l'avenir. 

BUNGEY  (Thomas),  moine  anglais,  ami  de 
Roger  Bacon ,  avec  qui  les  démonographcs 
l'accusent  d'avoir  travaillé  sept  ans  à  la  mer- 
veilleuse tête  d'airain  qui  parla,  comme  on 
sait  (6).  On  ajoute  que  Thomas  était  magi- 
cien, et  on  en  donne  pour  preuve  qu'il  publia 
un  livre  de  la  magie  naturelle,  de  Magia  na- 
turali,  aujourd'hui  peu  connu.  Mais  Deirio 
l'absout  de  l'accusation  de  magie  (7),  et  il 

{i)  Sncrate,  Ilislor.  eccles.,  lih.  I,  cap.  xxi. 
(3)  Wierus,  in  Pseudonionarcliia  daemoa. 
(6)  Voyez  Baco.i. 
(7i  Dis(iuisil.  magie,  lib.  I,  cap.  i!i,  qu.  4. 


Ht 


BUX 


LTR 


178 


avoue  que  son  livre  ne  contient  qu'une  cer- 
taine dose  d'idées  superstitieuses.  Une  autre 
preuvs  qu'il  n'était  pas  magicien  ,  mais 
seulement  un  pou  mathématicien  ,  c'est 
qu'on  l'élut  provincial  des  franciscams  en 
A  11  el  et  erre  (1). 
BUNlS.Voy.BDNE. 

BUPLAGE  ou  BDPTAGE.  «  Après  la  ba- 
taille donnée  entre  le  roi  Antiochus  et  les 
Romains,  un  officier  nommé  Buplage,  mort 
dans  le  combat ,  où  il  avait  rrçu  douze 
b'essures  mortelles,  se  leva  tout  d'un  coup 
au  milieu  de  l'armée  romaine  victorieuse  , 
et  cria  d'une  voix  grêle  à  l'homme  qui  le 
pillait  : 

Cesse,  soldat  romain,  de  dépouiller  ainsi 

Ceux  qui  soûl  descendus  dans  l'enfer  obscurci... 

«  Il  ajouta  en  vers  que  la  cruauté  des  Ro- 
mains serait  bientôt  punie,  et  qu'un  peuple 
sorti  de  l'Asie  viendrait  désoler  l'Europe;  ce 
qui  peut  marquer  l'irruption  des  Francs  ou 
celle  des  Turcs  sur  les  terres  de  l'empire. 
Après  cela,  bien  que  mort,  il  monta  sur  un 
chêne,  et  prédit  qu'il  allait  être  dévoré  par  un 
loup;  ce  qui  rut  lieu  quoiqu'il  fût  sur  un 
chêne  :  quand  le  loup  eut  avalé  le  corps,  la 
(été  parla  encore  aux  Romains  et  leur  défendit 
de  lui  donner  la  sépulture. «Tout  cela  paraît 
très-incroyable  (2).  Ce  ne  furent  pas  les  peu- 
ples d'Asie, mais  ceux  du  nord  qui  renversè- 
rent l'empire  romain. 

BURGOT  (Pierre),  loup-garon  brûlé  à 
Besancon  en  1521  avec  Michel  Verdun. 

BURROUGH  (George)  ,  ministre  de  la  reli- 
gion anglicaneàSalfm,dans  la  Nouvelle-An- 
gleterre ,  pendu  comme  sorcier  en  16'J2.  On 
l'accusait  d'avoir  maléficié  deux  femmes  qui 
venaient  de  mourir.  La  mauvaise  habitude 
qu'il  avait  de  se  vanter  sottement  qu'il  savait 
tout  ce  qu'on  disait  de  lui  en  son  absence  fut 
admise  comme  preuve  qu'il  communiquait 
avec  le  diable  (3). 

BURTON  (Robert)  ,  auteur  d'un  ouvrage 
intitulé:  Ànutomie  de  la  mélancolie,  par  JJé- 
tnocrite  le  jeune,  in-4°,  1624;  mort  en  1639. 
L'astrologie  était  de  son  temps  très-respeclée 
en  Angleterre,  sa  patrie.  Il  y  croyait  et  vou- 
lait qu'on  ne  doutât  pas  de  ses  horoscopes. 
Ayant  prédit  publiquement  le  jour  de  sa 
mort,  quand  l'heure  fut  venue  il  se  tua  pour 
la  gloire  de  l'astrologie  et  pour  ne  pas  avoir 
un  démenti  dans  ses  pronostics.  Cardan  et 
quelques  autres  personnages  habiles  dans  la 
science  des  astres  ont  fait,  à  ce  qu'on  croit, 
la  même  chose  (4-). 

BUSAS,  prince  infernal.  Voy.  Pruflas. 

BUTADIEU  ,  démon  rousseau,  cilé  dans 
des    procédures   du    dix -septième    siècle. 

BUXTORF   (Jean)  ,  Westphalien  ,  savant 

(1)  Naudé,  Apol.  pour  les  grands  personnages,  etc., 
p.  i^^. 

(2)  Tr:iitâ  dogmatique  des  apparitions,  t.  II,  p.  155 
Lelojrp.r,  p.  2o3. 

(51  GoJwin,  Vie  des  Nécromanciens. 

il)  Curiusii&i  de  la  liiléralure,  trad.  de  l'anglais,  par 


dans  la  littérature  hébraïque,  mort  en  1629. 
Les  curieux  lisent  son  Abrégé  du  Talmud,  sa 
Bibliothèque  ralbinique  et  sa  Synagogue  ju- 
daïque (5).  Cet  ouvrage,  qui  traite  des  dog- 
mes et  des  cérémonies  des  Juifs,  est  plein  des 
rêveries  des  rabbins,  à  côté  desquelles  on 
trouve  des  recherches  curieuses. 

BYLETH,  démon  fort  et  terrible,  l'un  des 
rois  de  l'enfer,  selon  la  Pseudomonarchie  de 
Wicrus.  Il  se  montre  assis  sur  un  cheval 
blanc,  précédé  de  trompettes  et  de  musiciens 
de  tout  genre.  L'exorciste  qui  l'évoque  a  be- 
soin de  beaucoup  de  prudence,  car  il  n'obéit 
qu'avec  fureur.  Il  faut,  pour  le  soumettre, 
avoir  à  la  main  un  bâton  de  coudrier;  et, 
se  tournant  vers  le  point  qui  sépare  l'orient 
du  midi ,  tracer  hors  du  cercle  où  l'on  s'est 
placé  un  triangle;  on  lit  ensuite  la  prière  qui 
enchaîne  les  esprits,  et  Bylelh  arrive  dans  le 
triangle  avec  soumission.  S'il  ne  paraît  pas, 
c'est  que  l'exorciste  est  sans  pouvoir,  et  que 
l'enfer  méprise  sa  puissance.  On  dit  aussi 
que  quand  on  donne  à  Byleth  un  verre  de  vin, 
ii  faut  le  poser  dans  le  triangle;  il  obéit  plus 
volontiers,  et  sert  bien  celui  qui  le  régale. 
On  doit  avoir  soin,  lorsqu'il  paraît ,  de  lui 
faire  un  accueil  gracieux,  de  le  complimen- 
ter sur  sa  bonne  mine,  de  montrer  qu'on  fait 
cas  de  lui  et  des  autres  rois  ses  frères  :  il  est 
sensible  à  tout  cela.  On  ne  négligera  pas  non 
plus,  tout  le  temps  qu'on  passera  avec  lui, 
d'avoir  au  doigt  du  milieu  de  la  main  gau- 
che un  anneau  d'argent  qu'on  lui  présentera 
devant  la  face.  Si  ces  conditions  sont  (lilficiles, 
en  récompense  celui  qui  soumet  Byleth  de- 
vient le  plus  puissant  des  hommes.  —  Il  était 
autrefois  de  l'ordre  des  puissances  ;  il  espère 
un  jour  remonter  dans  le  ciel  sur  le  septième 
trône,  ce  qui  n'est  guère  croyable.  11  com- 
mande quatre-vingts  légions. 

BYRON.  Le  Vampire,  nouvelle  traduite  de 
l'anglais  de  lord  Byron,  par  H.  Faber  ;  in-8% 
Paris ,  1819.  Celte  nouvelle,  publiée  sous 
le  nom  de  lord  Byron,  n'est  pas  l'ouvrage 
de  ce  poëte,  qui  l'a  désavouée,  L'auteur  n'a 
pas  suivi  les  idées  populaires  sur  les  vampi- 
res; il  a  beaucoup  trop  relevé  le  sien.  C'est 
un  spectre  qui  voyage  dans  la  Grèce,  qui  fré- 
quente les  sociétés  d'Athènes,  qui  parcourt 
le  monde,  qui  se  marie  pour  sucer  sa  femme. 
Les  vampires  de  Moravie  étaient  extrême- 
ment redoutés;  mais  ils  avaient  moins  de 
puissance.  Celui-ci,  quoiqu'il  ait  l'œil  gris- 
mort,  fait  des  conquêtes.  C'est,  dit-on,  une 
historiette  populaire  de  la  Grèce  moderne 
que  lord  Byron  raconta  dans  un  cercle,  el 
qu'un  jeune  médecin  écrivit  à  tort  ;  car  il  re- 
mit à  la  mode,  un  instant,  des  horreurs  qu'il 
fallait  laisser  dans  l'oubli. 

Berlin,  1. 1,  p.  51. 

(H)  Operis  talmudicl  brevisrecensio  et  Bibliotheca  ral>- 
binica.  In-S"  ,  Bàle ,  1613.  —  Synagoga  judaka.  lii-8»  , 
Bàle,  1603,  eu  allemand  et  en  laliu.  Uanau,  1604.  UMe, 
16il. 


«79 


DlCT10^NAi!lE  DES  SClEiNCES  OCCULTES. 


aao 


c 


CAABA.  Voy.  Kaaba. 

CAACRINOLAAS,  nommé  aussi  Caasst- 
molar  el  Glassialabolas,  grand  président  aux 
enfers.  II  se  présente  sous  la  forme  d'un 
chien,  el  il  en  a  la  démarche,  avec  des  ailes 
de  griffon.  Il  donne  la  connaissance  des  arls 
libéraux,  et,  par  un  bizarre  contraste,  il 
inspire  les  homicides.  On  dit  qu'il  prédit 
bien  l'avenir.  Ce  démon  rend  l'homme  invi- 
sible et  commande  Irenle-six  légions  (1).  Le 
grand  Grimoire  le  nomme  Classyalabolas,  et 
n'en  fait  qu'une  espèce  de  sergent  qui  sort 
quelquefois  de  monture  à  Nébiros  ou  Nabe- 
rus.  Voy.  Cerbère. 

CABADÈS.  Voy.  Zoubdadeter, 

CABALE  ou  CABBALE.  Pic  de  la  Miran- 
dole  dit  que  ce  mot  qui ,  dans  son  origine 
hébraïque,  signifie  tradition,  est  le  nom  d'un 
hérétique  qui  a  écrit  contre  Jésus-Christ,  et 
dont  les  sectateurs  furent  nommés  caba- 
listes  (2) 

L'ancienne  cabale  des  Juifs  est,  selon  quel- 
ques-uns ,  une  sorte  de  maçonnerie  mysté- 
rieuse; selon  d'autres,  ce  n'est  que  l'expli- 
cation mystique  de  la  Bible  ,  l'art  de  trou- 
ver des  sens  cachés  dans  la  décomposition 
des  mots  (3),  et  la  manière  d'opérer  des  pro- 
diges par  la  vertu  de  ces  mots  prononcés 
d'une  certaine  façon.  Voyez  Thémura  et 
Théomanci*,.  Cette  science  merveilleuse  ,  si 
l'on  en  croit  les  rabbins,  affranchit  ceux  qui 
la  possèdent  des  faiblesses  de  l'humanité, 
leur  procure  des  biens  surnaturels,  leur  comT 
niunique  le  don  de  prophétie,  le  pouvoir  de 
faire  des  miracles,  et  lart  de  transmuer  les 
métaux  en  or,  c'est-à-dire  la  pierre  philoso- 
phale.  Elle  leur  apprend  aussi  que  le  monde 
Eublunaire  ne  doit  durer  que  sept  mille  ans, 
et  que  tout  ce  qui  est  supérieur  à  la  lune  en 
doit  durer  quarante-neuf  mille. 

Les  Juifs  conservent  la  cabale  par  tradi- 
tion orale;  ils  croient  que  Dieu  l'a  donnée  à 
Moïse,  au  pied  du  mont  Sinaï  ;  que  le  roi 
Salomon,  auteur  d'une  figure  mystérieuse 
que  l'on  appelle  l'arbre  de  la  cabale  des  Juifs, 
y  a  été  très-expert ,  et  qu'il  faisait  des  ta- 
lismans mieux  que  personne.  Tostat  dit 
même  que  Moïse  ne  faisait  ses  miracles 
avec  sa  verge,  que  parce  que  le  grand  nom 
de  Dieu  y  était  gravé.  Valderame  remarque 
que  les  apôtres  faisaient  pareillement  des 
miracles  avec  le  nom  de  Jésus,  et  les  psrtisans 
de  Ci  système  citent  plusieurs  saints  dont  le 
nom  ressuscita  des  morts. 

La  cabale  grecque,  inventée,  dit-on,  par 
Pythagore  et  par  Platon,  renouvelée  par  les 
Valenliniens,  tira  sa  force  des  lettres  grcc- 

!\)  Wiérus,  in  Pseudomonarcliia  daem. 
2)  «  Ua  critique  ignorant  voulait  faire  des  alTaires  à 
Xome  au  prince  Pic  de  la  Miraudole,  |iarllculièiement 
pour  le  nom  de  cabale  qu'il  trouvait  dans  les  ouvra^'es  du 
ce  prince.  On  demanda  à  ce  critique  ce  qui  l'indignait  si 
fort  dans  ce  mot  de  cabale.  —  Ne  savcz-vous  pas,  répondit 
le  slui  ide  ,  que  ce  Cabale  était  un  scélérat  tout  ii  fuit  dia- 


ques  combinées,  et  fit  des  miracles  avec  i'al- 
phabet. 

La  grande  cabale,  ou  la  cabale  dans  la 
sens  moderne  proprement  dite  ,  est  l'art  do 
commercer  avec  les  esprits  élémentaires  ; 
elle  tire  aussi  bon  parti  de  certains  mots 
mystérieux.  Elle  explique  les  choses  les  plus 
obscures  par  les  nombres  ,  par  le  change- 
ment de  l'ordre  des  lettres  et  par  des  rap- 
ports dont  les  cabalistes  se  sont  formé  des 
règles. 

Or,  voici  quels  sont,  selon  les  cabalistes, 
les  divers  esprits  élémentaires: 

Les  quatre  éléments  sont  habités  chacun 
par  des  créatures  particulières,  beaucoup 
plus  parfaites  que  l'homme,  mais  soumises 
comme  lui  aux  lois  de  la  mort.  L'air,  cet 
espace  immense  qui  est  entre  la  terre  et  les 
cieux  ,  a  des  hôtes  plus  nobles  que  les  oi- 
seaux et  les  moucherons.  Ces  mers  si  vastes 
ont  d'autres  habitants  que  les  dauphins  et 
les  baleines.  La  profondeur  de  la  terre  n'est 
pas  pour  les  taupes  seulement;  et  l'élément 
du  feu  ,  plus  sublime  encore  que  les  trois 
autres,  n'a  pas  été  l'ait  pour  demeurer  inu- 
tile et  vide. 

Les  salamandres  habitent  donc  la  région 
du  feu;  les  sylphes,  le  vague  de  l'air;  les 
gnomes,  l'intérieur  de  la  terre  ;  et  lesondins 
ou  nymphes,  le  fond  des  eaux.  Cfs  êtres  sont 
composés  des  plus  pures  parties  des  éléments 
qu'ils  habitent.  Adam,  plus  parfait  qu'eux 
tous,  était  leur  roi  naturel;  mais  depuis  sa 
faute,  étant  devenu  impur  et  grossier,  il 
n'eut  plus  de  proportion  avec  ces  substances, 
il  perdit  tout  l'empire  qu'il  avait  sur  elles  , 
et  en  ôta  la  connaissance  à  sa  postérité. 

Que  l'on  se  console  pourtant  ;  on  a  trouvé 
4ans  la  nature  les  moyens  de  ressaisir  ce 
pouvoir  perdu.  Pour  recouvrer  la  souverai- 
neté sur  les  salamandres,  et  les  avoir  à  ses 
ordres,  on  attire  le  feu  du  soleil,  par  des  mi- 
roirs concaves,  dans  un  globe  de  verre;  il  s'y 
forme  une  poudre  solaire  qui  se  purifie  elle- 
même  des  autres  éléments,  el  qui ,  avalée, 
est  souverainement  propre  à  exhaler  le  feu 
qui  est  en  nous,  et  à  nous  faire  devenir  pour 
ainsi  dire  ,  de  matière  ignée.  Dès  lors,  les 
habitants  de  la  sphère  du  leu  deviennent  nos 
inférieurs ,  et  ont  pour  nous  toute  l'amitié 
qu'ils  ont  pour  leurs  semblables,  tout  le 
respect  qu'ils  doivent  au  lieutenant  de  leur 
créateur. 

De  même  ,  pour  commander  aux  sylphes, 
aux  gnoms^s,  aux  nymphes,  on  emplit  d'air, 
de  terre  ou  d'eau,  un  globe  de  verre;  on  le 
l-aisse,  bien  fermé,  exposé  au  soleil  pendant 

bolique,  qui  eut  l'impiété  d'écrire  beaucoup  de  choses 
contre  Jésus-Christ  même  ,  qui  forma  une  hérésie  déles- 
t:ible  et  dont  les  sectateurs  s'appellent  encore  cabalistes?» 
(Gabriel  Naudé,  Apologie  pour  les  grands  personnages  ac- 
cusés de  magie.  Adrien  Baillet,  Jugements  des  savant^ 
Chap.  Mil,  §  -1  des  Jugements  sur  les  livres  en  général.), 
(5)  Voye»  Àbtleel. 


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CAB 


CAB 


S^ 


un  mois.  Chacun  de  ces  éléments,  ainsi  pu- 
rifié ,  est  un  aimant  qui  attire  lus  esprits  qui 
lui  sont  propres. 

Si  on  prend  Ions  les  jours  ,  durant  quel- 
ques mois,  de  la  drogue  élémentaire  formée 
ainsi  qu'on  vient  de  le  dire  dans  le  boi'al  ou 
globe  de  verre,  on  voit  bientôt  dans  les  airs 
la  république  volante  des  sylphes,  les  nym- 
phes venir  en  foule  au  riv.igc,  les  gnomes  , 
gardiens  des  trésors  et  des  mines,  étuler  leurs 
richesses.  On  ne  risque  rion  d'entrer  en  com- 
mené  avec  eux,  on  les  trouvera  honnêtes, 
savants,  bienfaisants  et  craignant  Dieu.  Leur 
âme  est  morlelle,  et  ils  n'ont  pas  l'espérance 
de  jouir  un  jour  de  l'Etre  suprême,  qu'ils 
connaissent  et  qu'ils  adorent.  Ils  vivent  fort 
longtemps,  et  ne  meurent  qu'après  plusieurs 
siècles.  Mais  qu'est-ce  que  le  temps  auprès  de 
l'éternité?....  Ils  gémissent  donc  de  leur  con- 
dition. Mais  il  n'est  pas  impossible  de  trou- 
ver du  remède  à  ce  mal  ;  car,  de  même  que 
l'homme  ,  par  l'alliance  qu'il  a  contractée 
avec  Dieu,  a  élé  fait  participant  de  la  divi- 
nité, les  sylphes,  les  gnomes,  les  nymphes  et 
les  salamandres ,  deviennent  participants  de 
l'immortalité ,  en  contractant  alliance  avec 
l'hoiiime.  (Nous  transcrivons  toujours  les 
docteurs  cabalistes.)  Ainsi,  une  nymphe  ou 
une  sylphide  devient  immortelle,  quand  elle 
est  assez  heureuse  pour  se  marier  à  un  sage  ; 
et  un  gnome  ou  un  sylphe  cesse  d'être  mor- 
tel, du  moment  qu'il  épouse  une  fille  des 
hommes.  On  conçoit  par  la  que  ces  êtres  se 
plaisent  avec  nous  quand  nous  les  appelons. 
Les  cabalistes  assurent  que  les  déesses  de 
l'antiquité,  et  ces  nymphes  qui  prenaient 
des  époux  parmi  les  mortels  ,  et  ces  démons 
incubes  et  succubes  des  temps  barbares,  et 
ces  fées  qui,  dans  le  moyen  âge,  se  mon- 
traient au  clair  de  la  lune  ,  ne  sont  que  des 
sylphes ,  ou  des  salamandres  ,  ou  des  on- 
dins. 

Il  y  a  pourtant  des  gnomes  qui  aiment 
mieux  mourir  que  risquer,  en  devenant  im- 
mortels, d'être  aussi  malheureux  que  les  dé- 
mons. C'est  le  diable  (disent  toujours  nos 
auteurs)  qui  leur  inspire  ces  sentiments  ;  il 
ne  néglige  rien  pour  empêcher  ces  pauvres 
créatures  d'immortaliser  leur  âme  par  notre 
alliance. 

Les  cabalistes  sont  obligés  de  renoncer  à 
tout  commerce  avec  l'espèce  humaine,  s'ils 
veulent  ne  pas  offenser  les  sylphes  et  les 
nymphes  dont  ils  recherchent  l'alliance.  Ce- 
pendant, comme  le  nombre  des  sages  caba- 
listes est  fort  petit,  les  nymphes  et  les  syl- 
phides se  montrent  quelquefois  moins  déli- 
cates, et  emploient  toutes  sortes  d'artifices 
pour  les  retenir. 

Un  jeune  seigneur  de  Bavière  était  incon- 
solable de  la  mort  de  sa  femme.  Une  syl- 
phide prit  la  figure  de  la  défunte  ,  et  s'alia 
présenter  au  jeune  homme  désolé,  disant  que 
Dieu  l'avait  ressuscitée  pour  le  consoler  de 
son  extrême  affliction.  Ils  vécurent  ensemble 
plusieurs  années,  mais  le  jeune  seigneur 
n'était  pas  assez  homme  de  bien  pour  rete- 
nir la  sage  sylphide;  elle  disparut  un  jour, 
Vl  ne  lui  laissa  que  ses  jupes  et  le  repen'ir 


de  n'avoir  pas  voulu  suivre  ses  bons  con- 
seils. 

Plusieurs  hérétiques  des  premiers  siècles 
mêlèrent  la  cabale  juive  aux  idées  du  chris- 
tianisme ,  et  ils  admirent  entre  Dieu  et 
l'homme  quatre  sortes  d'êtres  interméiliai- 
res,  dont  on  a  fait  plus  tard  les  salamandres, 
les  sylphes  ,  les  ondins  et  les  gnomes.  Les 
Chaldéens  sont  sans  doute  les  premiers  qui 
aient  rêvé  ces  êtres;  ils  disaient  que  les  es- 
prits étaient  les  âmes  des  morts  ,  qui ,  pour 
se  montrer  aux  gensd'ici-bas,  allaient  pren- 
dre un  corps  solide  dans  la  lune. 

La  cabale  des  Orientaux  est  encore  l'art 
de  commercer  avec  les  génies ,  qu'on  évoque 
par  des  mots  barbares.  Au  reste,  toutes  les 
cabales  sont  différentes  pour  les  détails  ; 
mais  elles  se  ressemblent  beaucoup  dans  le 
fond. 

On  conte  sur  ces  matières  une  multitude 
d'anecdotes.  On  dit  qu'Homère,  Virgile,  Or- 
phée furent  de  savants  cabalistes. 

Parmi  les  mots  les  plus  puissants  en  ca- 
bale, le  fameux  mot  agla  est  surtout  révéré. 
Pour  retrouver  les  choses  perdues,  pour  ap- 
prendre par  révélations  les  nouvelles  des 
pays  lointains  ,  pour  faire  paraître  les  ab- 
sents, qu'on  se  tourne  vers  l'orient,  et  qu'on 
prononce  à  haute  voix  le  grand  nom  Agla. 
Il  opère  toutes  ces  merveilles,  même  lorsqu'il 
est  invoqué  par  h  s  ignorants.  Voyez  AoLi. 

On  peut  puiser  sur  les  rêveries  de  la  ca- 
bale des  instructions  plus  étendues  dans  di- 
vers ouvrages  qui  en  traitent  spécialement, 
mais  qui  sont  peu  recommandables  :  1°  Le 
comte  de  Gabalis,  ou  Entretiens  sur  les  scien- 
ces secrètes ,  par  l'abbé  de  Villars.  La 
meilleure  édition  est  de  1742,  in-12;  2°  Les 
Génies  assistants,  suite  du  Comte  de  Gabalis, 
in-12,  même  année  ;  3°  Le  Gnome  irréconci- 
liable, suite  des  Génies  assistants;  k"  Noti- 
veaux  Entretiens  sur  les  sciences  secrètes, 
suite  nouvelle  du  Comte  de  Gabalis,  même 
année  ;  5°  Lettres  cabalistiques,  par  le  marquis 
d'Argcns,  La  Haye,  1741,  6  volumes  in-12.  Il 
faut  lire  dans  cet  ouvrage,  plein,  beaucoup 
plus  que  les  précédents,  de  passages  con- 
damnés, les  lettres  du  cabaliste  Abukiback. 
Voy.  Gnomes,  Ownircs,  Salamandres,  Syl- 
phes, ZÉDÉCHiAS,  etc. 

CABIRES,  dieux  des  morts,  adorés  très- 
anciennement  en  Egypte.  Bochard  pense  qu'il 
faut  entendre  sous  ce  nom  les  trois  divinités 
infernales  :   Pluton,  Proserpine  et  Mercure- 

D'autres  ont  regardé  les  Cabires  comme 
des  magiciens  qui  se  mêlaient  d'expier  les 
crimes  des  hommes,  et  qui  furent  honorés 
après  leur  mort.  On  les  invoquait  dans  les 
périls  et  dans  les  infortunes.  Il  y  a  de  gran- 
des disputes  sur  leurs  noms,  qu'on  ne  décla- 
rait qu'aux  seuls  initiés  (Ij.  Ce  qui  est  cer- 
tain, c'est  que  les  Cabires  sont  des  démons 
qui  présidaient  autrefois  à  une  sorte  de  sab- 
bat. Ces  orgies,  qu'on  appelait  fêtes  des  Ca- 
bires, ne  se  célébraient  que  la  nuit  :  l'initié, 
après  des  épreuves  effrayantes,  était  ceint 
dune  ceinture  de  pourpre,  couronné  de 
branches  d'olivier  et  placé  sur  un  trône  illu- 

(tj  Dclancline.  L'Eiifer  des  pcuiili  s  :m<;ions  cl),  xix. 


tss 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCl'LTCS. 


284 


miné,  pour  représenter  lo  m.iîlre  du  snbbat, 
penilanlqu'on exécutait  autourdckiides  dau- 
ses  hiérn{;lyphiqucs  plus  ou  inoins  infâmes. 

CACODÉMON,  mauvais  démon.  C'est  le 
nom  que  les  anciens  donnaient  aux  esprits 
malfaisants.  Mais  ils  appelaient  spécialement 
ainsi  un  monstre  effrayant,  un  spectre  hor- 
rible, qui  n'était  pas  assez  reconnaissable 
pour  être  désigné  autrement. 

Chaque  homme  avait  son  bon  et  son  mau- 
vais démon,  eudémon  et  cacodémon. 

Les  astrologues  appelaient  aussi  la  dou- 
zième maison  du  soleil,  qui  est  la  plus  mau- 
vaise de  toutes,  cacodémon,  parce  que  Sa- 
turne y  répand  ses  malignes  influences,  et 
qu'on  n'en  peut  tirer  que  des  pronostics  re- 
doutables. 

CACTONITE,  pierre  merveilleuse,  qui,  se- 
lon quelques-uns,  n'est  autre  chose  que  la 
cornaline.  On  lui  attribue  de  grandes  pro- 
priétés. Les  Anciens  en  élisaient  des  talis- 
mans qui  assuraient  la  victoire. 

CACUS ,  espèce  d'ogre  de  l'antiquité.  Il 
était  fils  de  Yulcain  et  vomissait  du  feu  par 
la  gueule.  Ce  monstre,  de  taille  gigantesque, 
moitié  homme  et  moitié  bouc,  m.mgeail  les 
passants  dans  sa  caverne,  au  pied  du  mont 
Aventin,  et  accrochait  les  têtes  à  sa  porte. 
Il  fut  étranglé  par  Hercule.  —  C;icus  a  été 
peint  quelquefois  avec  une  tête  de  bétc  sur 
un  corps  d'homme. 

CADAVRE.  Selon  la  loi  des  Juifs,  quicon- 
que avait  touché  un  cadavre  était  souillé;  il 
devait  se  purifier  avant  de  se  présenter  au 
tabernacle  du  Seigneur.  Quelques  censeurs 
des  lois  de  Moïse  ont  jugé  que  cette  ordon- 
nance était  superstitieuse.  Il  nous  parait  au 
contraire,  dit  Bergier,  qu'elle  était  très-sage. 
C'était  une  précaution  contre  la  superstition 
des  païens ,  qui  interrogeaient  les  morts 
pour  apprendre  d'eux  l'avenir  ou  les  choses 
cachées  :  abus  sévèrement  interdit  aux  Juifs, 
mais  qui  a  régné  chez  la  plupart  des  na- 
tions. Voy.  Aimant,  Cercueil,  etc. 

CADMEE  ou  CADMIE,  qu'on  appelle  plus 
généralement  calamine,  fossile  bitumineux 
qui  donne  une  teinte  jaune  au  cuii^re  rouge, 
et  que  certains  chimistes  emnloicnl  pour 
faire  de  l'or. 

CADIEIIE.  Voy.  Girard 

CADUCEE.  C'est  avec  cette  baguette,  or- 
née de  deux  serpents  entrelacés,  que  Mer- 
cure conduisait  les  àmns  aux  enfers  et  qu'il 
les  en  lirait  au  besoin. 

GADULUS,  pieux  soldat,  dont  la  légende 
rapporte  qu'il  était  obsédé  par  le  diable  en 
forni"  d'ours  (1).  Il  s'en  délivra  par  la  prière. 

CiECULUS.  petit  démon  né  d'une  étincelle 
qui  vola  de  la  foigc  de  Vulcain  dans  le  sein 
de  Prenesta.  11  fut  élevé  parmi  les  bêtes  sau- 
vages. On  le  reconnut  à  cette  particularité, 
qu'il  vivait  dans  le  feu  comme  dans  son  élé- 
ment ;  ses  yeux,  qui  étaient  fort  petits, 
étaient  seulement  un  peu  endommagés  par 
la  fumée.  Les  cabalistes  font  de  lui  un  sala- 
mandre. 

CAF.  Voy.  Kaf. 

I)  Bollaudi  Acu  ïaiiclorum,  21  jprili^ 


CAGLIOSTRO.  Tout  le  monde  connaissait 
a  Palerme,  en  1700,  un  orfèvre  nommé  Ma- 
rano,  descendant  des  Juifs  ou  des  Maures, 
qui  ont  laissé  tant  de  vestiges  dans  le  midi 
de  l'Europe.  On  citait  son  avarice  et  sa  eré- 
dulité  superstitieuse.  Enrichi  par  l'usure  et 
la  mauvaise  foi,  il  faisait  assez  souvent  des 
brèches  à  sa  fortune  par  des  tentatives  in- 
sensées qui  devaient,  au  moyen  de  l'alchi- 
mie ou  de  la  magie,  lui  donner  des  millions, 
et  avec  ces  millions  le  fameux  clixir  qui  em- 
pêche de  mourir. 

En  1760,  pourtant,  Marano  était  devenu 
moins  facile.  Il  avait  cinquante  ans;  l'expé- 
rience lui  était  venue,  et  il  fallait,  pour  l'at- 
traper dans  quelque  piège  ,  un  peu  plus 
d'h  ibileté.  Toutefois,  depuis  quelque  temps, 
il  prêtait  une  oreille  attentive  aux  relations 
qu'on  lui  faisait  des  merveilles  opérées  par 
un  jeune  Sicilien  plein  de  mystères.  Celui-ci 
ne  commerçait  pas  avec  les  dénions  et  ne  re- 
cheroh;iit  pas  la  pierre  philosophale;  il  s'en- 
tretenait avec  les  anges  :  il  daminait  ainsi 
les  esprits  des  ténèbres,  et  de  grands  secrets 
lui  étaient  révélés.  On  le  nommait  Joseph 
Balsamo.  Tous  les  bourgeois  de  Palerme,  où 
il  était  né,  voyaient  en  lui  le  fils  très-intelli- 
gent de  parents  obscurs;  mais  quelques  jeu- 
nes gens,  qui  paraissaient  mieux  instruits, 
disaient  que  sa  famille  apparente  était  sup- 
posée, et  qu'il  était  fils  d'une  grande  prin- 
cesse d'Asie.  Ce  jeune  homme  extraordinaire 
avait  dix-sept  ans;  il  parlait  peu;  sa  figure 
et  ses  regards  exerçaient  une  sorte  de  fasci- 
nation. On  ne  savait  rien  de  sa  vie  intérieu- 
re; seulement,  plusieurs  l'avaient  entendu 
s'entretenir  en  hébreu  avec  les  anges.  Lui 
seul,  disait-on,  les  voyait;  mais  ceux  qui 
l'épiaient  avaient  pu  tout  entendre,  à  la  vé- 
rité sans  y  comprendre  autre  chose  que  les 
sons  de  plusieurs  voix  qui  leur  avaient  sem- 
blé très-mélodieuses. 

L'orfèvre,  que  sans  donte  on  voulait  sé- 
duire, rêvait  de  Joseph  Balsamo.  C'était  là 
enfin  l'homme  qu'il  lui  fallait  pour  réparer 
d'un  seul  coup  toutes  ses  pertes.  Il  ne  man- 
quait aucune  occasion  de  le  voir,  le  considé- 
rait avec  une  vénération  profonde,  mais 
n'osait  lui  adresser  la  parole. 

Bientôt  il  n'y  tint  plus  :  il  pria  l'un  des 
admirateurs  ou  des  compères  de  Joseph,  qui 
se  vantait  d'être  dans  ses  bonnes  grâces,  de 
le  présenter  au  jeune  ami  des  esprits  céles- 
tes. Celui-ci  lui  amena  Balsamo,  qui,  malgré 
ses  privilèges  surnaturels ,  toujours  logé 
chez  ses  pauvres  parents,  n'jivait  pas  encore 
une  salle  où  il  pût  recevoir.  Il  n'en  était  pas 
moins  fier  et  superbe  :  il  laissa  dignement 
l'orfévrj  se  mettre  à  genoux  devant  lui,  le, 
releva  ensuite  avec  une  bienveillance  très- 
grave,  et  lui  demanda  ce  qu'il  voulait. 

—  La  nature  de  vos  relations  pourrait 
vous  le  dire,  jeune  seigneur,  répondit  Mara- 
no. J'ai  été  trompé  par  divers  imposteurs 
qui  m'ont  enlevé  une  partie  des  biens  gagnés 
par  mon  travail  persévérant.  Il  vou»  sérail 
facile  de  réparer  ces  dégâts 

—  Je  le  p;,is,si  vous  croyez,  dit  Joseph 


S83 


CAG 


CAG 


28fi 


—  Si  je  crois?  répliqua  l'orfèvre  :  je  crois 
cl  j'ai  confiance. 

—  Trouvez-vous  donc  detnain  à  cent  pas 
de  la  porle  de  Palcrme,  sur  le  chemin  des 
deux  chapelles  de  sainte  Rosalie,  à  six  lieu- 
res  du  matin. 

Sans  ajouter  un  mot  de  plus,  Joseph  Bal- 
samo se  relira. 

Le  lendemain,  Marano  fut  scrupuleuse- 
ment exact  :  dix  minutes  avant  l'heure  pre- 
scrite, il  comptait  ses  pas  Irèsatlenlivement, 
l'I  s'arrêtait  au  centième  avec  une  précision 
mathématique.  Comme  six  heures  sonnaient 
aux  horloges  de  la  ville,  le  favori  des  anges 
él.iit  devant  lui;  il  salua  l'orfèvre  en  silence 
ot  le  conduisit  sans  dire  un  mot  à  une  grotte 
qui  se  trouvait  écartée  dans  une  espèce  de 
solitude,  à  la  distance  d'environ  truis-quarls 
«le  lieue. 

—  Ici,  lui  dil-il  en  ouvrant  enfin  la  boti- 
clu",  repose  un  trésor  de  grand  prix,  sous  la 
gnrde  des  esprits  infernaux.  Deux  des  anges 
<jui  viennent  à  ma  voix  savent  les  dompter. 
Miiis  je  ne  puis  enlever  co  trésor  moi-même, 
ni  le  toucner,  ni  m'en  servir,  sans  perdre 
ma  pureté  et  ma  puissance. 

—  Et  moi?  qui  en  cela  n'ai  rien  à  perdre, 
demanda  l'orfèvre. 

—  Le  trésor  peut  être  à  vous,  si  vous  fai- 
tes ce  qui  sera  exigé. 

—  Ohl  je  le  ferai,  ji'une  seigneur;  dites 
seulement. 

—  Ce  n'est  pas  moi  qui  puis  le  dire,  ré- 
pondit Balsamo;  mais  je  prie  Uriel  de  vous 
éclairer. 

Eu  achevant  ces  mots,  le  jeune  homme  se 
mit  à  genoux;  il  fit  prendre  à  Marano  la 
même  posture.  Aussitôt  on  entendit  dans  le 
v.igue  une  voix  harmonieuse  et  claire  qui 
«lisait  :  —  Le  trésor  contient  soixante  onces 
«te  perles,  soix.iiilc  onces  de  rubis,  soixante 
onces  de  diau>auts,daiis  une  boite  d'or  ciselé 
du  poids  de  cent  vingt  onces.  Les  démons 
<|ui  le  gardent  le  remettront  aux  mains  de 
riiummc  que  présente  notre  ami,  s'il  a  cin- 
quante ans... 

—  Je  li!s  ai  depuis  huit  jours,  interrompit 
joyeusement  l'orfèvre. 

—  S'il  a  des  enfants... 

—  J'en  ai  deux,  vivants. 

—  S'il  porle  quelques  poils  gri*... 

—  J'en  possède  abuiidammeul  dans  mes 
cheveux  et  dans  ma  barbe. 

—  S'il  n'a  pas  coupé  ses  ongles  depuis  sept 
jours... 

—  Je  ne  \cfi  ai  pas  coupés  depuis  quinze. 

—  S  il  s'est  lavé  les  mains  et  le  visage... 

—  Je  les  laverai. 

—  El  s'il  dépose  à  l'entrée  de  la  grotte, 
avant  d'y  mettre  le  pied,  soixante  onces  d'or 
pur,  pour  les  gardiens. 

Un  profond  silence  succéda  à  ces  paroles  : 
l'orfèvre  ,  frappé  de  stupeur  ,  fermait  les 
d.'nts  et  les  lèvres.  Balsamo  s'éiait  relevé; 
l'orfèvre  écoutait  encore  à  genoux. 

—  Vous  avez  entendu?  reprit  le  jeune 
homme. 

—  Soixante  onces  d'or!  dit  M.irano  avec 
«Il  immense  soupir. 


L'ami  des  esprits  célestes  ne  releva  pas 
celle  exclamation;  il  reprit  silencieusement 
le  chemin  de  la  ville;  l'orfèvre  le  suivait 
sans  rien  dire,  mais  évidemment  en  proie,  A 
de  grandes  méditations  et  à  de  profonds 
calculs. 

Ils  marchèrent  ainsi  une  demi-heure  comme 
deux  muets.  En  arrivant  à  l'endroit  de  la 
roule  oCi  ils  s'étaient  donné  rendez-vous ,  le 
|eune  homme  s'arrêtanl  dit  à  l'avare  : 

Nous  nous  séparerons  ici;  et  vous  saurez 
que,  sur  votre  tête,  vous  ne  devez  jamais 
dire  un  mot  de  ce  qui  vient  de  se  passer. 

En  même  temps,  il  fit  un  mouvement  pour 
s'éloig-ner. 

—  Ùu  seul  instant,  jeune  seigneur,  s'écria 
Marano  ,  d'un  ton  suppliant;  soixante  onces 
d'ori  est-ce  donc  le  dernier  mol? 

—  Je  le  pense,  répliqua  froidement  Joseph  ; 
et  il  refit  le  mouvement  d'un  homme  qui  s'é- 
loigne. 

—  Un  seul  instant,  reprit  encore  l'orfèvre, 
qui  avait  supputé  toute  la  valeur  du  trésor, 
à  «luelle  heure  demain  matin? 

—  A  six  heures,  au  même  lieu. 

Et  le  merveilleux  jeune  homme  quitta  di- 
gnement Marano ,  qui  se  contenta  d'ajouter 
eu  gémissant  : 

—  Je  serai  prêt. 

Il  fut  aussi  exact  que  le  premier  jour, ayant 
rempli  toutes  les  prescriptions  indiquées, 
lavé,  peigné,  muni  de  ses  soixante  onces 
d'or,  qu'il  serrait  convulsivement  sur  sa 
poitrine.  Joseph  Balsamo  le  joignit ,  comme 
la  veille,  à  l'instant  où  six  heures  sonnaient. 
Us  se  dirigèrent  en  silence  vers  la  grolte.  Les 
anges  furent  interroges  de  nouveau  ;  ils  firent 
exactement  les  mêmes  réponses  que  le  jour 
précèdent. 

L'orfèvre  lira  son  or,  qui  lui.  tenait  au 
cœur  et  aux  mains,  et  dont  il  lui  paraissait 
triste  de  se  dessaisir. 

—  N'enlrez-vous  pas  avec  moi  dans  cette 
grotte  profonde?  demanda-t-il. 

—  Non,  répondit  Balsamo;  je  dois  rester 
ici,  jusqu'au  moment  où  les  esprits  noirs, 
dépossédés  de  leur  trésor,  viendront  se  ruer 
sur  vos  soixante  onces. 

—  N'y  a-t-il  aucun  danger? 

—  Aucun,  si  le  compte  est  fidèle. 
L'orfèvre  déposa  son  précieux  fardeau  à 

l'entrée  de  la  grotle;  il  fil  quelques  pas  , 
puis  il  revint;  le  jeune  homme  était  immo- 
bile en  silence;  il  rentra  ,  revint  encore  ,  fil 
plusieurs  fois  ce  même  manège,  dans  une 
l'Spèce  de  lutte  inlérieure.  Il  ne  recevait 
aucun  encouragement  de  son  guide,  «(ui  pa- 
raissait aussi  froid  que  silencieux,  surtout 
auprès  des  dupes  que  ses  compères  avaient 
sullisamment  travaillés. 

Enfin  le  pauvre  orfèvre  alla  jusqu'au  fond  ; 
et  cette  fois,  lorsqu'il  voulut  reculer  encore, 
il  en  fut  empêché.  Trois  êtres  noirs,  qu'il 
eût  pris  pour  des  charbonniers  ,  s'il  ne  se 
fût  pas  attendu  à  rencontrer  des  dénions,  lui 
barrèrent  le  chemin  avec  des  grondements 
sinistres  et  se  mirent  à  le  faire  pirouetter 
dans  la  grotte.  11  pous.sa  des  cris,  auxquels 
personne  n'accourul  et  que  les  trois  gaillardîJ 


f87 


DICÏIONNAinE  DES  SCIENCES  OCCl'LTES. 


'J8S 


réprinièrcnl  prompleinent  en  lo  rouant  de 
«oups.  Brisé  (l'effroi  el  de  douleur,  Marano 
tomba  ventre  à  terre.  Il  lui  fut  signifié,  en 
lan^ngc  intelligible  el  clair,  de  rester  là  sans 
niouvemonl,  s'il  ne  voulait  pas  être  assommé. 
Après  qnoi  il  se  trouva  abandonné  à  lui- 
uiémc  et  n'entendit  plus  aucun  bruit. 

Pendant  un  quart  d'heure,  il  n'osa  remuer 
ni  les  mains,  ni  la  léle;  il  s  enhardit  enfin  , 
se  souleva  tremblant ,  rampa  ,  se  traSna  et 
gagna  l'issue  de  la  grotte,  étonne  de  ce  qui 
se  passait  en  lui.  Les  soixante  onces  d'or, 
Balsamo,  les  trois  démons  supposés ,  tout 
avait  disparu.  Le  pauvre  homme,  commen- 
çant à  croire  qu'il  était  la  victime  d'une 
nouvelle  friponnerie,  plus  hardie  et  plus 
violente  que  les  anciennes  ,  revint  pénible- 
ment à  Palerme  ,  et  alla  déposer  sa  plainte. 
Mais  on  ne  retrouva  plus  Joseph  Balsamo, 
qui  évidemment  avait  quitté  le  pays. 

Le  19  septembre  1780,  dans  une  guinguelle 
extérieure  de  Strasbourg,  au  milieu  d'un 
groupe  de  modestes  buveurs  (|ui  regardaient 
par  les  fenêtres  la  foule  immense,  agitée  par 
l'attente  de  quelque  événement  extraordi- 
naire ,  on  remarquait  une  vieille  figure 
chauve  et  ridée,  qui  accusait  ses  soixante- 
dix  ans  el  son  origine  méridionale  :  c'était 
l'orfèvre  Marano.  Des  pertes  successives  et 
des  delt.  s  qu'il  n'avait  pas  jugé  convenable 
de  payer  l'avaient  contraint  à  quilter  Pa- 
lerme; et  après  avoir  tenté  la  fortune  à  Lon- 
dres et  à  Paris,  il  était  venu  s'établir  à  Stras- 
bourg où  il  était  toujours  orfèvre.  Il  venait 
\oir,  comme  toule  la  ville,  le  personnage 
prodigieux  que  l'on  attendait.  Cet  homme, 
qui  produisait  plus  de  sensation  qu'un  grand 
monarque,  était  le  comte  de  Cagliostro.  11 
venait,  par  l'Allemagne  ,  de  Varsovie  où  il 
avait  amassé  de  grandes  richesses  en  trans- 
muant en  or  de  vils  métaux.  Car  il  savait  le 
secret  de  la  pierre  philosophale  el  possédait 
tous  les  inappréciables  talents  des  alchimistes. 

—  Nimporie  1  dit  un  chapelier,  je  suis  bien 
aise  d'avoir  vécu  jusqu'ici,  puisque  je  vais 
Yoir  le  fameux  mortel,  si  c'est  un  mortel. 

—  On  assure,  ajouta  un  droguiste,  qu'il 
est  fils  de  la  princesse  de  ïrébisonde,  et 
qu'il  a  tout  à  fait  les  beaux  yeux  noirs  de  sa 
mère. 

—  El  qu'il  desrend  en  droite  ligne  de 
Charles- Martel,  dit  un  écrivain  public. 

—  II  date  de  plus  loin,  interrompit  un  cor- 
dier,  car  il  a  assisté  aux  noces  de  Cana. 

—  C'est  donc  le  juif-errant?  dit  Marano. 
Mieux  que  cela.  Des  gens  à  qui  on  peut 

avoir  foi  prétendent  qu'il  est  né  avant  le 
déluge. 

—  Voilà  qui  est  fort;  si  c'était  le  diable?.... 
Ces  idées,  que  nous  rapportons  fidèlement 

el  qui  s'enrichissaient  des  plus  singuliers 
commentaires  ,  étaient  alors  en  effet  géné- 
ralement répandues  dans  le  peuple  ,  sur 
Ihomnie  mystérieux  qu'on  appelait  le  comte 
de  Caglioslro.  Les  uns  le  regardaient  comme 
un  saint,  un  inspiré,  un  faiseur  de  miracles, 
un  être  tout  à  fait  extraordinaire  el  hors  de 
la  nature;  on  n'expliquait  pas  les  cures  nom- 
breuses qui  lui  étaient  atlribuées.  Les  autres 


ne  voyaient  en  lui  qu'un  adroit  charlatan. 
On  dis.iil  qu'un  hermétique  nommé  Allotas, 
qui  avait  longtemps  voyagé  avec  lui ,  qu'il 
avait  perdu  à  Malte  el  dont  il  parlait  comme 
du  plus  sage  des  hommes,  lui  avait  appris 
les  arts  magiques-  On  parlait  encore  d'un 
joueur  de  gobelets  avec  qui  Cagliosli*o  avait 
été  Irès-lié;  ce  joueur  de  gobelets  étaitassisié 
d'un  esprit  ;  et  ce!  esprit  était  l'âme  d'un  juil 
cabaliste,  qui  avait  tué  son  père  par  nécro- 
mancie avant  la  venue  de  Notre-Seignenr. 
Cagliostro  disait  intrépidement  que  tous  les 
prodiges  qu'il  opérait  se  faisaient  unique- 
ment par  l'effet  d'une  protection  spéciale  du 
ciel;  il  ajoutait  que  l'Etre-Suprême ,  pour 
l'encourager  ,  avait  daigné  lui  accorder  la 
vision  béalifiqiie;  qu'il  venait  convertir  les 

incrédules  et  relever  le  catholicisme Avec 

une  si  haute  mission,  il  disait  la  bonne  aven- 
ture ,  donii.'iit  l'art  de  gagner  à  la  loterie, 
expliquait  les  rêves,  el  faisait  des  séances  de 
fantasm.'igorie  transcendante.  Aussi  le  bon 
abbé  Fiard  est-il  excusable  de  n'avoir  vu 
dans  Caglioslro  qu'un  démon  détaché  du 
sombre  empire;  en  le  jugeant  ainsi ,  l'abbé 
Fiard  se  conformait  à  l'opinion  populaire  de 
la  majorité. 

—  Mais,  reprit  vivement  le  cordier  ,  cet 
homme  ne  peut  pas  élre  le  diable,  puisqu'il 
a  des  entreliens  avec  les  anges 

—  Ah  !  il  a  aussi  des  entretiens  avec  les 
anges  1  s'écria  Marano  ,  frappé  de  cette  cir- 
constance. Pour  lors  je  dois  absolument  le 
voir.  Quel  âge  a-t-il? 

—  Est-ce  qu'un  être  pareil  peut  avoir  un 
âge?  dit  le  droguiste.  On  dit  qu'il  paraît 
porter  trente-six  ans. 

—  Oh  1  oh  1  marmotta  l'orfèvre  ,  si  c'était 
mon  coquin?  mon  coquin  en  a  trente-sept. 

Comme  le  vieux  Sicilien  ruminait  ainsi 
son  triste  passé ,  un  grand  tumulte  de  voix 
vint  fixer  son  attention.  L'être  surhumain 
arrivait.  Il  parut  bientôt,  entouré  d'un  nom- 
breux cortège  de  courriers,  de  laquais  et  de 
valets  de  chambre  en  livrées  magnifiques; 
lui-même  avait  l'air  d'un  prince.  A  côté  de 
lui,  dans  sa  voiture  découverte  ,  se  pavanait 
Lorenza  Féliciani  ,  sa  femme,  qui  le  secon- 
dait dans  tout  ce  qu'on  appelait  modérément 
ses  intrigues.  Son  luxe  expliquait  ce  que  di- 
saient les  gens  sensés,  que  Cagliostro  n'était 
autre  chose  qu'un  membre  voyageur  de  la 
maçonnerie  templière,  constamment  opulent 
par  les  secours  nombreux  qu'il  recevait  des 
dilTérentes  loges  de  l'ordre.  Quelques-uns 
donnaient  au  faste  qu'il  étalait  une  source 
encore  moins  honorable.  Toutefois,  il  exer- 
çait la  maçonnerie  élevée;  et  c'était  lui  qui 
avait  institué  les  mystères  de  ce  qu'on  appelle 
la  maçonnerie  égyptienne.  On  dit  même  qu'il 
avait  toujours  été  un  charlatan  suballerne, 
jusqu'au  moment  où  il  avait  pu  se  faire  ad- 
mettre en  Angleterre  dans  les  hauts  grades 
de  la  franc-maçonnerie.  Il  avait  compris  dès- 
lors  tout  le  parti  qu'il  pouvait  tirer  de  l'as- 
sociation; et  il  avait  imaginé  ce  rite  particu- 
lier, dont  il  prétendait  avoir  reçu  les  élé- 
ments dans  les  pyramides  d'Egypte.  Le  fait 
est  qu'il  avait  emprunté  au  manuscrit  d'un 


989 


CAG 


CVG 


290 


L 


nommé  Georges  Coston  le  plan  de  sa  ma- 
çonnerie égyptienne  ,  moilic  jonglerie  et 
cabale  ,  moitié  science  hermétique  et  four- 
berie, arec  quelque  magnétisme  dont  il  abu- 
sait d'autant  plus  aisément  que  l'on  ne  con- 
naissait pas  encore  cette  puissance. 

Son  institution  avait  pour  but  de  conduire 
les  adeptes  qu'il  recevait  à  la  perfection,  par 
la  régénération  physique  et  la  régéncralion 
morale.  La  première  rendait  les  formes  de  la 
jeunesse  et  empêchait  de  vieillir;  il  la  prati- 
quait au  moyen  de  son  élixir  universel,  re- 
mède qu'il  appliquait  à  tous  les  maux.  La 
seconde  restituait  l'innocence  perdue  et  con- 
duisait l'homme  à  létal  d'ange.  Elle  s'obte- 
nait, non  par  le  repentir  et  l'humilité,  mais 
par  la  foi  aux  promesses  du  grand  Cophle 
(  c'est  le  grade  que  s'était  donné  Caglioslro  ), 
et  en  conséquence  di-  cette  foi  qui  devait  élre 
absolue,  par  des  visions  et  des  extases,  par 
révocation  des  esprits,  par  des  com(nunica- 
tions  avec  les  anges. 

Mais  le  grand  Cophte  n'avait  de  puissance 
que  par  l'intermédiaire  d'un  jeune  garçon 
ou  d'une  jeune  (ille,  qu'il  appelait  ses  pupil- 
les ou  ses  colombes  et  qui  devaient  être  de 
l'innocence  la  plus  pure.  Après  que  ces  en- 
fants avaient  reçu  ce  que  le  grand  Cophte 
appelait  la  consécration,  ils  prononçaient 
devant  une  carafe  pleine  d'eau  les  paroles 
qui  évoquent  les  anges.  Les  anges  venaient 
dans  la  carafe;  quelquefois  on  les  entendait 
donner  leurs  réponses;  le  plus  souvent  il 
fallait  que  les  pupilles  lussent  ces  réponses 
qui  arrivaient  dans  la  carafe  à  fleur  d'eau 
et  qui  n'étaient  visibles  que  pour  eux  (c'était 
du  somnambulisme). 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  merveilleux  dans  tout 
ceci  ,  c'est  que  la  maçonnerie  égyptienne 
éleva  tout-à-coup  Caglioslro  au  niveau  de 
ce  qu'il  y  avait  de  plus  grand  en  Europe.  En 
France  surtout,  à  côléde l'esprit  philosophi- 
que qui  niait  les  saintes  merveilles, ces  mer- 
veilles absurdes  furent  accueillies  avec  une 
admiration  qui  allait  jusqu'au  fanatisme.  Le 
périrait  de  celui  qu'on  osait  appeler  le  divin 
Cagliostro  fut  partout,  jusque  sur  les  éven- 
tails, sur  les  bagues,  sur  les  tabatières.  On 
coula  son  buste  en  bronze,  on  le  sculpta  en 
marbre.  Les  plus  grands  personnages  de 
cette  époque  de  philosophie  se  Grent  admet- 
tre dans  ses  loges  ;  tout  le  monde  voulut 
assisleraux  séances  publiques  de  ses  colom- 
bes. 

Un  grand  cri  retentit  lorsque  le  comte 
de  Cagliostro  passa  devant  la  guinguetie. 
Marano  l'avait  nconnu  et  il  avait  arrêté  les 
chevaux  de  sa  voiture. 

—  C'est  Joseph  Balsamo,  disait-il;  et  l'a- 
postrophant avec  colère,  il  répétait  ces  seuls 
mots  :  Mes  soixante  onces  d'or! 

Cagliostro  regarda  à  peine  l'orfévre,  ne 
montra  aucune  émotion;  mais  au  sein  du 
profond  silence  que  ce  singulier  incident 
avait  jelé  dans  la  foule  épaisse,  on  entendit 
sur-le-champ  une  voix  qui  paraissait  venir 
des  airs  et  qui  disait  : 

—  Ecartez  du  chemin  cet  insensé,  que  les 
esprits  infernaux  possè'Ient. 


Une  partie  du  peuple  tomba  à  genoux; 
une  autre  parties'empaca  du  pauvre  orfèvre, 
et  le  brillant  coriége  poursuivit  sa  niarche 
triomphale.  De  tels  faits  certainement  excu- 
sent l'abbé  Fiard  d'avoir  vu  le  diable  dans  cet 
homme. 

Arrivé  dans  Strabourg  en  fête,  Cagliostro 
s'arrêta  devant  une  grande  salle  oîi  les  cor- 
nacs qui  le  précédaient  partout  avaient  ras- 
semblé un  grand  nombre  de  malades.  Le  fa- 
meux empirique  y  entra  et  les  guérit  tous, 
les  uns  par  le  simple  attouchement,  les  au- 
tres pardes  paroles,  ceux-ci  par  le  moyen 
d'un  pourboire  en  argent,  ceux-là  par  son 
remède  universel.  Il  est  vrai  que  les  arran- 
geurs de  ces  cures  surprenantes  avaient 
choisi  leurs  mal.ides  et  qu'ils  n'avaient  pas 
admis  certains  cas  sérieux  auxquels  ils 
avaient  promis  des  secours  à  domicile. 

«  Quant  au  savoiren  médecine  de  Caglios- 
tro (  dit  l'auteur  anonyme  de  sa  notice, 
danslabibliographieuniverselledeMiehaud), 
il  paraît  constant  que  ce  savoir  était  très- 
borné.  Comme  tous  les  partisans  des  doctri- 
nes hermétiques  et  paracelsiques,  il  faisait 
grand  usage  desarom.ites  et  de  l'or.  Nous 
avons  eul'occasion  de  goûter  sonélixir  vital, 
ainsi  que  celui  du  fameux  comie  de  Siinl- 
Germain;  ils  n'avaient  point  d'autre   base.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  Cagliostro  sortit  de  la 
salle  des  m.ilades,  au  milieu  des  acclama- 
tions et  des  trépignements  de  la  foule;  il  alla 
s'installer  dans  le  m.ignitique  hôtel  qui  était 
préparé  pour  lui,  il  admit  à  sa  table  snmptueust! 
l'élite  de  la  société  de  Strasbourg;  et  le  soir 
il  voulut  bien  donner  une  séance  de  ses  co- 
lombes. 

On  amena  dans  le  salon  de  Caglioslro, 
éclairé  par  des  procédés  oîi  ropli(iue  et  la 
fantasmagorie  jouaient  un  grand  rôle,  plu- 
sieurs petits  garçons  et  plusieurs  petites  filles 
de  sept  à  huit  ans.  Le  grand  Cophte  choisit 
dans  chaque  sexe  la  colombe  qui  lui  parut 
montrer  le  plus  d'intelligence;  il  livra  les 
deux  enfants  à  sa  femme,  qui  les  einms-na 
dans  une  salle  voisine  où  elle  les  parluma, 
les  vêtit  de  robes  blanches,  leur  fit  boire  un 
verre  d'élixir  elles  représenta  ensuite  prépa- 
rés à  l'initiation. 

Cagliostro  ne  s'était  absenté  qu'un  mo- 
ment pour  rentrer  sous  le  costume  de  gr.ind 
Cophle.  C'était  une  robe  de  soie  noire,  sir 
laquelle  se  déroulaientdes légendes  hiérogly- 
phiques brodées  en  rouge;  il  avait  une  coif- 
fure égyptienne  avec  les  bandelettes  plissées 
et  pendantes  après  avoir  encadré  la  tête;  ces 
bandelettes  étaient  de  toile  d'or.  Un  cercle  de 
pierreries  les  retenait  au  fionl.  Un  cordon 
vert  éiiieraude,  parsemé  de  scarabées  et  de 
caractères  de  toutes  couleurs  en  mélaux  ci- 
selés, descendait  en  sautoir  sur  sa  poitrine. 
A  une  ceinture  de  soie  rouge  pendait  une 
large  épée  de  chevalier,  avec  la  poignée  en 
croix.  Il  avait  une  figure  si  formidablement 
imposante  sous  cet  appareil ,  que  toute 
l'assemblée  fit  silence  dans  une  sorte  de  ter- 
reur. 

On  avait  placé  sur  une  pelile  table  ronde 
en  éhènc  la  carafe  decrisl.il.  Suivant  le  rite, 


<9I 


ItICÏIO.NNAIRE  DES  SCIENCES  OCCllLTES. 


29i 


on  mit  derrière  les  deux  enfants,  transfor- 
més en  pupilles  ou  colombes,  un  paravent 
pour  les  abriter. 

Deux  valt'ls  de  chambre,  vêtus  en  esclaves 
égyptiens,  comme  ils  sont  représentés  dans 
les  sculptures  de  Tlièbes,  fonctionnaient  au- 
tour de  la  l.'ible.  Ils  amenèrent  les  deux  eii- 
faiils devant  legraiidCoi)h(c,qui  Icurimposa 
les  mains  sur  la  tète,  sur  les  yeux  et  sur  la 
poitrine,  en  faisant  silencieusement  des  si- 
gnes bizarres,  qui  pouvaient  figurer  aussi  des 
hiéroglyphes,  el  que  l'ordre  appelait  des  my- 
thes ou  symboles. 

Aprèscelte  première  cérémonie  (magnéti- 
que), un  des  valets  présenta  à  Cagiioslro  la 
petite  truelle  d'or,  sur  un  coussin  de  velours 
blanc.  Il  frappa  du  manche  d'ivoire  de  sa 
truelle  sur  la  table  d'ébène  et  demanda: 

—  Que  fait  en  ce  moment  l'homme  qui  ce 
malin  ,  aux  portes  de  la  ville,  a  insulté  le 
grand  Gophte? 

Les  colombes  regardèrent  dans  la  carafe; 
et  apparemnienl  qu'elles  y  virent  quelque 
chose;  car  la  petite  fille  s'écria  : —  Je  l'aper- 
çois qui  dort. 

On  a  prétendu  que  le  dessous  de  la  table 
était  préparé  de  manière  à  faire  passer  sous 
la  carafe  des  figures  et  des  caractères.  Ce 
qui  le  ferait  croire,  c'est  que  dans  les  cas 
qui  sortaient  du  cours  ordinaire  des  répon- 
ses banales,  les  enfants  ne  voyaient  rien. 
Mais  alors  la  voix  des  anges  invisibles  répon- 
dait. 

Sur  l'invilalion  de  Cagiioslro, qui  annonça 
qu'on  pouvait  faire lonte  question,  plusieurs 
dames  s'émurent.  L'une  demanda  ce  que 
faisait  sa  mère,  alors  à  Paris?  La  réponse  fut 
qu'elle  était  au  spectacle  entre  deux  vieil- 
lards. Une  autre  voulut  savoir  quel  était 
l'âge  de  son  mari;  il  n'y  eut  point  de  répon- 
se ;  ce  qui  fitpousserdescris  d'enthousiasme, 
car  cette  dame  n'avait  point  de  mari;  et  l'é- 
chec de  cette  tentativede  piège  Qt  qu'on  n'en 
lendit  pas  d'autres. 

Une  troisième  dame  déposa  un  billet  ferme. 
Le  petit  garçon  lut  aussitôt  dans  la  carafe 
ces  mots  :  —  Vous  ne  l'obtiendrez  pas.  —On 
ouvrit  le  billet,  qui  demandait  si  le  régiment 
que  la  dame  sollicitait  pour  son  fils  lui  serait 
accordé.  Cette  justesse  eleva  encore  l'admi- 
ration. 

Un  juge,  qui  pourtant  doutait,  envoya  se- 
crètement son  fils  à  sa  maison,  pour  savoir 
ce  que  faisait  en  ce  moment  sa  femme;  puis 
quand  il  fut  parti,  il  fit  celte  question  au 
grand  Cophle.  La  carafe  n'apprit  rien,  mais 
une  voix  annonça  que  la  dame  jouait  aux 
cartes  avec  deux  voisines. 

Cellevoix  mystérieuse, qui  n'était  produite 
par  aucun  organe  visible,  jeta  la  terreur 
dans  une  partie  de  l'assemblée;  et  le  fils  du 
magistral  étant  venu  confirmer  l'exactitude 
de  l'oracle,  plusieurs  dames  eflrayées  se  reli- 
rèrcnl. 

On  raconte  que  d'autres  merveilles  signa- 
lèrcul  cette  soirée  ;  mais  les  détails  en  sont 
très-vagues. 

Pendant  le  peu  de  temps,  que  le  comte  de 
Cagiioslro  resta  à  Strasbourg,  il  fut  comblé 


de  tontes  les  marq-uesde  la  vénération.  Lors- 
qu'il fut  parti,  on  remarqua  enfin  que  l'or- 
fèvre Marano  n'avait  pas  reparu  chez  lui;  on 
le  retrouva  dans  un  fossé  où  il  avait  été 
noyé,  le  jour  de  l'arrivée  de  l'illustre  voya- 
geur. On  considéra  sa  triste  fin  comme  un 
chdtimi'nt  mérité. 

Cagiioslro  parcourut  de  nouveau,  dans  un 
grand  éclat,  la  France,  l'Angleterre,  l'Italie, 
la  Suisse,  faisant  partout  des  cures  dites 
merveilleuses,  étalant  sa  fastueuse  bienfai- 
sance avec  une  affectation  habile,  qui  fit 
dire  à  la  marquise  de  Créquy  cju'il  avait  de 
l'esprit  de  plus  d'une  sorte,  opérant  des  pro- 
diges surprenants,  s'il  faut  en  croire  les  re- 
lations. Car  on  a  conté  qu'il  fit  paraître  de- 
vant quelques  grands  seigneurs  de  Paris  et 
de  Versailles  ,  dans  des  glaces,  sous  des 
cloches  de  verre  et  dans  des  bocaux,  des 
spectres  animés  el  se  mouvant,  des  person- 
nes absentes,  et  différents  morts  qu'on  lu! 
désignait. On  a  mémeraiiporlé, comme  chose 
très-véridique,  que  dans  <les  soupers  qui 
firent  alors  grand  bruit  à  Paris,  Cagiioslro, 
nouveau  Fausl,  avait  évoqué  les  plus  illus- 
tres morts,  Socrale,  Platon,  Charlemagne, 
Pierre  Corneille,  el  môme  Volt  tire  et  d'Alem- 
bert.  Mais  depuis  que  la  fantasmagorie  est 
devenue  à  Paris  un  spectacle  public,  on  a 
compris  ces  illusions. 

Il  est  bon  toutefois  de  lire  les  éloges  qu'on 
faisait  alors  du  grand  homme.  Bordes,  dans 
ses  Lettres  sur  la  Suisse,  le  qualifie  d'homme 
admirable.  «  Sa  figure,  dit-il,  annonce  l'es- 
pril,  décèle  le  génie;  ses  yeux  de  feu  lisent 
au  fond  des  âmes.  Il  sait  presque  toutes  les 
langues  de  l'Europe  et  de  l'Asie  :  son  élo- 
quence étonne  et  entraîne,  même  dans  celles 
qu'il  parle  le  moins  bien.  • 

Le  mar(|uis  de  Ségur  et  MM.  deMéroménil 
et  de  Vergennes,  en  1783,  rccoinmandaieiil 
Cagiioslro  dans  les  termes  les  pins  flatteurs. 

Cependant  lorsqu'il  revint  à  Paris  en  1783, 
ses  rapports  avec  les  anges  ne  le  préservè- 
rent pas  d'une  aventure  fort  désagréable.  Il 
se  trouva  très-gravement  compromis  avec  le 
prince  dcRohan.dans  la  malheureuse  affaire 
du  collier.  La  comtesse  de  La  Molthe  l'accu- 
sait d'avoir  reçu  le  collier  des  mains  du 
prince  et  de  l'avoir  dépecé  pour  grossir  le 
trésor  occulte  de  sa  fortune  inouïe.  Le  grand 
Cophle  fut  arrêté  le  22  août  et  mis  à  la  Bastille. 
Il  publia  un  mémoire  où,  pour  justifier  ses 
dépenses,  il  nomme  les  banquiers  qui  dans 
l  lUS  les  pays  de  l'Europe,  lui  fournissent  des 
fonds.  Mais  il  ne  fait  connaître  ni  l'origine, 
ni  la  source  de  ses  richesses. 

Ce  mémoire,  très-adroilemenl  rédigé,  était 
allribué  à  unmagislrat  cé!èbre;el  il  augmen- 
tait le  poids  de  celle  réflexion  que  la  con- 
science et  les  talents  de  certains  avocats  sont 
choses  qui  se  vendent,  puisque,  moyennant 
argent,  ils  défendent  toute  cause  quelcon- 
que, juste  ou  injuste,  loyale  ou  déloyale. 

Comme  on  avait  détaché  dans  le  faclum 
quelques-unes  des  aventures  romanesques 
de  Cagiioslro,  il  fut  accueilli  dans  le  public 
avec  tout  l'empressemenl  qu'inspirait  le  per- 
sonnage. 


995 


CAG 


CAG 


»* 


L'arrêt  da  parlement  de  Paris,  du  31  mai 
1786,  déchargea  Cagliostro  des  accusations 
intentées  contre  lui,  et  il  fut  mis  en  liberté, 
mais  avec  ordre  de  quitter  Paris  dans  les 
vingt-quatre  heures  et  le  royaume  dans  trois 
semaines.  Lorsqu'il  s'embarqua  à  Boulogne, 
il  était  suivi  d'un  cortège  de  quatre  à  cu\t\ 
mille  personnes  qui  lui  demandaient  sa  béné- 
diction... 

Il  passa  en  Angleterre,  oii  il  séjourna  di'nx 
ans,  continuant  délablir  ses  loges  égyptien- 
nes et  propageant  son  rite  particulier,  qu'il 
appelait  aussi  le  rite  de  Mizraïm. 

Elle  matin  du  7  avril  de  l'année  1791.  à 
Rome,  au  milieu  d'une  afduence  avide  de 
curieux,  le  tribunal  du  saint-office  jugeait  iin 
homme  important.  Cet  homme  avait  un  nom 
européen,  diversement  estimé,  ange  pour  les 
uns,  démon  pour  les  autres,  bienfaiteur  de 
l'humanité  et  divin  philosophe  devant  les 
tètes  légères,  charlatan  saugrenu  et  redou- 
table imposteur  devant  les  personnes  gra- 
ves. Cet  homme  était  le  comte  de  Cagliostro. 

De  Londres  il  était  encore  retourné  en 
Suisse;  puis  il  était  venu  en  Savoie,  puis  à 
Gènes,  à  Varsovie,  à  Trente  d'où  il  s'était 
fait  chasser;  puis  à  Rome  où  il  avait  eu  l'au- 
dace d'ouvrir  des  loges  et  de  faire  des  récep- 
tions pour  sa  n>açonncrie  égyptienne.  On 
l'avait  arrêté  avec  sa  femme,  le  27  décembre 
1789,  et  transféré  au  château  Saint-Ange. 
Quoique  accusé  de  franc-maçonnerie, denia- 
gie,  d'apostasie,  d'hérésie  et  même  de  fréné- 
sie, un  avait  mis  plus  de  seize  mois  à  in- 
struire sa  cause,  que  les  renseignements  re- 
cueillis chargeaient  de  toutes  sortes  de  cri- 
mes. 

—  Mais,  disait  le  jeune  Matteo  Ferrante  à 
Paolo  Rambaldi,  son  oncle  dans  la  cour  du 
saint-office,  il  est  étonnant  que  l'inquisilion, 
qui  est  ici  un  tribunal  si  doux,  poursuive 
criminellement  ce  gentilhomme.  Qu'a-t-il 
donc  fait?  Tant  de  rapports  s'accordent  aie 
peindre  comme  un  élre  vénérable,  dont  la 
conduite  est  exemplaire!  On  l'a  vu  guérir  les 
malades,  soulager  les  pauvres,  répandre  les 
consolations  et  prodiguer  les  bienfaits,  dans 
le  seul  but  de  soulager  l'huinanilé. 

—  Ce  que  vous  dites  là  ,  mon  enfant , 
répliqua  Paolo,  n'est  que  de  l'exagéralion, 
à  propos  d'un  Irôs-adroil  charlatanisme.  Cet 
étalage  de  bienfaisance  cachait  tous  les  vices. 
Que  direz-vous,  si  l'on  vous  établit  que  l'ar- 
gent qu'il  distribuait  ainsi  était  de  l'argint 
volé?  11  est  facile  de  la  sorte  d'être  charitable. 
Que  direz-vous,  si  l'on  vous  fait  voir  qu'il 
empoisonnait  par  ses  remèdes  empiriques 
ceux  qu'en  apparence  il  soulageait  un  mo- 
ment? Que  direz-vous,  lorsqu'on  vous  aura 
montré  que  cet  homme  est  le  plus  dangereux 
des  escrocs? 

Vous  vous  étonnez  de  le  voir  accusé  de 
magie  :  mais  c'est  lui-même  qui  s'est  donné 
pour  magicien,  dominateur  des  esprits  in- 
fernaux. 

Il  s'est  dit  en  correspondance  avec  lis 
anges,  faisant  lui-même  les  demandes  et  les 
réponses;  car  il  est  VENTRILOQUE. 

Il  a  feint,  par  fantasmagorie  et  jeux  d'op- 


tique ,  des  apparitions  qui  ont  troublé  do 
paisibles  consciences. 

Il  a  renié  le  catholicisme  et  s'est  levé  contre 
lui  en  établissant  sa  maçonnerie  égyptienne. 
Savez-vous  quels  mystères  impurs  et  scan- 
daleux se  pratiquaient  dans  ses  loges  téné- 
breuses ? 

En  s'excitant  par  des  potions  violentes  ponr 
se  donner  l'air  inspiré,  il  s'est  rendu  fréné- 
tique; et  pour  ce  motif  seul,  il  devait  êtro 
surveillé. 

Vous  l'appelez  le  comte  de  Cagliostro.  Mais 
apprenez  que  ce  nom  même  est  une  de  ses 
innombrables  impostures.  Son  nom,  à  Pa- 
lerme  où  il  est  né,  est  Joseph  Balsamo.  A 
Venise,  il  s'appelait  le  marquis  de  Pellegrinl. 
Il  s'est  nommé  encore  Tischio  ,  Belmonté  , 
Harat,  Melissa,  Fénix;  il  a  été  docleur,  co- 
lonel, gentilhomme,  danseur,  sans  parler  de 
lirofessions  moins  honorables.  Il  a  volé  avec 
une  grande  adresse  des  sommes  énormes;  à 
peine  adolescent ,  il  a  escroqué  d'un  seul 
CDup  soixante  onces  d'or  à  un  orfèvre  de  Pa- 
lerme,  pauvre  idiot  que  les  séides  du  conilc 
de  Cagliostro  ont  noyé  à  Strasbourg.  Il  serait 
triste  et  de  mauvais  exemple  de  publier  toute 
la  vie  de  cet  homme. 

—  Mais,  reprit  encore  Maltéo,  dans  sa  lettre 
au  peuple  français,  datée  de  Londres  le  20 
juin  1786,  Cagliostro  prédit  que  la  Bastille 
serait  démolie  et  deviendrait  un  lieu  de  pro- 
menade. Comment  expliquer  cela? 

—  D'une  manière  bien  naturelle.  Cette  dé- 
molition était  déjà  dans  les  projets  de 
Lous  XIV;  et  en  1786,  la  Bastille  tombait  en 
ruines.  Croyez  bien  que  Joseph  Balsamo, 
avec  tous  ses  noms  et  tous  ses  titres,  n'est 
qu'un  imposteur  dangereux  et  un  fripon. 

L'oncle  et  le  neveu  entrèrent  alors  dans  la 
salle  où  se  plaidait  la  cause  de  Ihomme  fa- 
meux. Les  faits  de  sa  vie,  en  se  déroulant, 
ne  présentaient  que  des  vices  et  des  crimes. 

Les  juges,  après  avoir  tout  pesé,  condam- 
nèrent Cagliostro  à  la  peine  de  mort. 

Mais  à  Rome  on  donne  aux  condamnés  le 
temps  du  repentir.  Le  pape  Pie  VI  commua 
la  peine  de  Cagliostro  en  une  prison  perpé- 
tuelle; on  mit  sa  femme  dans  une  maison  de 
pénitence;  on  l'enferma  lui  dans  le  château 
Saint- Ange. 

On  lui  laissait  une  liberté  de  mouvement 
assez  étendue  ;  mais  on  reconnut  bientôt  qu'il 
ne  fallait  pas  oublier  un  des  motifs  de  son 
mandat  d'arrêt,  la  frénésie;  car  on  le  surprit 
un  jour  occupé  à  étrangler  un  bon  prêtre, 
qu'il  avait  demandé  sous  prétexte  de  se  con- 
fesser, et  sous  les  habits  duquel  il  méditait 
son  évasion.  On  arriva  assez  tôt  pour  empé-^ 
cher  la  consommation  de  ce  nouveau  forfait; 
et,  depuis,  l'ami  des  anges  fut  surveillé  avec 
grand  soin. 

Quand  les  Français  entrèrent  à  Rome 
en  1797,  quelques  officiers  se  rappelèrent 
Cagliostro,  qu'ils  avaient  vu  à  Paris.  Ls  vou- 
lurent le  visiter  dans  sa  prison.  Mais  alors  il 
y  avait  deux  ans  que  l'homme  prodigieux, 
ne  pouvant  plus  nuire  à  personne,  s'était 
étranglé  lui-même. 

Ou  met  sur  le  compte  de  Cagliostro  une 


l-«8 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


296 


détestable  brochure  qui  apprend  aux  vieilles 
remnîcs  l'arl  de  prévoir  les  numéros  gagnants 
jcs  loteries ,  par  l'interprétaiion  de  leurs 
jéves.  Avant  la  suppression  de  la  loterie  en 
France,  on  vendait  tous  les  ans  un  nombre 
inouï  d'exemplaires  de  ce  fatras  dont  voici 
le  liire  :  Le  Vrai  C uglio sir o,  ou  le  Régulateur 
des  aclionnnires  de  la  loterie ,  augmenté  de 
nouvelles  cabales  faites  par  Cagliostro  ;  volume 
in-8%  orné  du  portrait  de  Cagliostro,  au  bas 
duquel  on  lit  ces  treize  syllabes,  que  l'éditeur 
a  probablement  prises  pour  un  vers  majes- 
tueux et  qui  ne  sont  qu'un  noble  vers  défl- 
guré  et  souillé  dans  son  application  : 

Pour  savoir  ce  qu'il  est,  il  faudrait  être  lul-môme. 

Nous  avons  emprunté  à  un  journal  le  pas- 
sage suivant;  c'est  un  des  mille  traits  attri- 
bués à  Cagliostro.  Nous  n'en  citons  pas 
l'écrivain,  qui  n'a  pas  signé 

Cagliostro  et  la  tempête. 

«  Au  milieu  des  premiers  symptômes  de 
la  révolution,  on  parlait  autant,  à  Paris,  de 
Cagliostro,  de  Mesmer,  de  Swedenborg  el  du 
comte  de  Saint-Germain,  que  de  l'assemblée 
des  notables  qui  venait  d'avoir  lieu  ,  et  de 
l'assemblée  des  états-généraux  qu'on  allait 
bientôt  avoir. 

»  Les  philosophes  de  l'école  de  Voltaire 
et  de  Rousseau  étaient  fort  répandus  dans  la 
société;  chaque  grand  seigneur  en  avait  un 
chez  lui,  qu'il  nourrissait  et  hébergeait.  Dans 
toutes  les  familles  les  Cabanis,  les  d'Holbach, 
les  Hi'lvélius,  les  Raynal,  les  Diderot,  étaient 
devenus  intimes.  Les  aventuriers  el  les  im- 
posteurs avaient  beau  jeu.  Aussi  Cagliostro 
faisait- il  fureur;  tout  le  monde  se  le  dispu- 
tait. Le  marquis  de  Choiseul-Beaupré,  menin 
de  M.  le  dauphin  ,  l'ayant  rencontré  chez 
madame  la  duchesse  de  Grammont,  et  l'ayant 
entendu  assurer  qu'il  avait  le  pouvoir  d'évo- 
quer les  morts,  il  avait  pris  le  magicien  à  part, 
et  lui  avait  dit  à  l'oreille  qu'il  désirait  voir 
sa  femme,  qui  venait  de  mourir  à  vingt  ans. 

>  —  Vous  la  verrez  ,  avait  répondu  Ca- 
gliostro; séquestrez-vous  du  monde,  restez 
chez  vous,  jeûnez  et  priez  ,  et,  dans  trois 
nuits,  j'irai  vous  prendre  à  votre  hôtel. 

»  Je  lui  donnai  mon  adresse  ,  dit  M.  de 
Choiseul ,  dont  le  récit  a  été  recueilli  dans 
une  lettre  du  comte  de  Motteville;  —  et  ef- 
fectivement, la  troisième  nuit,  Cagliostro 
vint  vers  les  onze  heures. 

»  Il  dut  me  trouver  pâle  et  faible  ;  car,  sans 
ajouter  beaucoup  de  foi  à  ce  qu'on  m'avait 
raconté  de  lui ,  j'avais  cependant  obéi  à  son 
ordonnance;  depuis  trois  jours,  je  n'étais  pas 
sorti  de  chez  moi,  j'avais  jeûné  el  prié  de  mon 
mieux, Quand  je  le  vis  entrer  dans  mon  salon, 
je  sonnai  pour  faire  avancer  ma  voilure; 
mais  il  me  dit  : 

»  —  M.  le  marquis ,  c'est  inutile  ,  la 
niioniic  est  à  voire  porte,  et  si  vous  le  pcr- 
niellez,  c'est  elle  qui  nous  conduira  où  nous 
devons  aller. 

»  —  Est-ce  loin?  demandai-je. 

»  —  Je  ne  sais,  mes  chevaux  s'arrêteront 
où  ils  (îcivcnf  «'arrêter. 


»  —  C'est  donc  à  eux  qu'il  faut  se  confier?.. 

»  —  Silence,  M.  le  marquis;  ne  distrayons 
pas  noire  pensée  par  des  idées  accessoires; 
n'oublions  pas  que  c'est  au  devant  des  morts 
que  nous  allons... 

»  Je  me  tus;  pendant  quelque  temps,  je 
reconnus  les  rues  par  où  nous  passions  ;  mais 
bientôt  les  lumières  disparurent  peu  à  peu; 
bientôt  les  roues  de  la  voiture  ne  retentirent 
plus  sur  le  pavé;  nos  lanternes  s'éteignirent, 
et  l'obscurité  fut  complète.  Me  penchant  à  la 
portière,  je  cherchais,  à  travers  la  glace,  à 
distinguer  où  nous  étions;  mais  pas  la  plus 
petite  lueur  ne  tombait  des  étoiles;  je  ne 
voyais,  je  ne  reconnaissais  rien.  Cependant, 
j'ai  toujours  cru  que  c'était  à  la  plaine  des 
Sablons  qu'il  m'avait  conduit. 

»  Au  bout  d'une  heure  et  demie  d'une 
course  très-rapide,  la  voiture  s'arrêta. 

—  «  C'est  ici ,  »  me  dit  Cagliostro,  —  et, 
comme  il  prononçait  ce  mot,  la  portière  s'ou- 
vrit d'elle-même,  le  marchepied  se  baissa 
sans  que  personne  y  mil  la  main  ;  je  descen- 
dis le  premier,  non  sans  émotion. 

«  L'espace,  autant  que  je  pouvais  le  dis- 
tinguer, était  vaste,  el,  dans  tout  ce  vide  noir 
que  j'avais  devant  moi,  il  me  sembla  qu'un 
seul  bâtiment  s'élevait...  El  nous  y  touchions. 

«  Pendant  que  nous  étions  en  voiture,  j'a- 
vais entendu  quelques  rafales  de  vent;  quand 
j'eus  mis  pied  à  terre,  je  sentis  qu'il  en  fai- 
sait beaucoup,  et  je  m'enveloppai  dans  mon 
manteau. 

—  «  Vous  aurez  moins  froid  ici ,  »  me  dit 
mon  guide. 

»  Et  comme  il  parlait,  une  porte  s'ouvrit 
sans  bruit. 

»  Alors  je  vis  autre  chose  que  le  noir  de  la 
nuit.  L'intérieur  de  la  maison  ou  de  la  bara- 
que, de  la  grange  ou  de  la  chapelle  où  Ca- 
gliostro me  commandait  d'entrer,  était  fai- 
blement éclairé  par  une  lumière  qui  me  sem- 
blait à  une  grande  distance  du  seuil;  celte 
lumière  bleuâtre  et  vacillante  était  à  une 
certaine  hauteur  du  sol.  Par  instant,  el  com- 
me par  bouffées,  sa  lueur,  se  ravivant,  lais- 
sait voir  un  autel  mortuaire,  entouré  de  plu- 
sieurs cercueils,  el  tout  à  coup  ces  objets  lu- 
gubres disparaissaient  dans  les  ombres. 

»  J'avais  fait  une  vingtaine  de  pas  en  avan- 
çant du  côlé  de  la  lumière,  quand  un  coup 
de  vent  ,  plus  bruyant  que  tous  ceux  qui 
avaient  soufflé  depuis  une  heure,  ébranla  ré- 
difice  où  nous  nous  trouvions. 

—  «  Cette  tourmente  va  passer,  »  dilCaglio- 
slro. 

»  II  se  trompait,  clic  ne  fît  que  redoubler 
de  furie.  Bientôt  le  tonnerre  se  mêla  à  la  tem- 
pête. Jamais  de  ma  vie  je  n'avais  entendu 
d'ouragan  rugir  de  la  sorte.  En  ce  moment , 
j'acquis  la  cerlilude  que  le  bâtiment,  qui  nous 
abritait  encore,  n'était  pas  de  pierres,  mais 
simplement  construit  en  planches  ;  il  cra- 
quait de  toutes  parts,  et  le  vent,  passant 
dans  les  jointures  de  ces  murs  de  sapin,  sou- 
levait les  tentures  noires  qui  drapaient  l'in- 
térieur. 

»  Cagliostro,  voyant  que  la  lampe  allait 
s'éteindre,  venait  d'allumer  une  torche;  à  sa 


ftiv 


CAl 


CAL 


398 


ftaiiimc  agilée  et  rougcâlrc,  je  distingnal  lû's 
télt'S  (le  morl  et  des  ossemenls  croisés,  tran- 
chant  en  blanc  sur  les  draperies  funèbres. 
Tous  ces  emblèmes,  loules  ces  figures  du  sé- 
pulcre ,  soulevées  ,  abaissées  par  le  vent  , 
avaient  quelque  chose  d'effrayant  :  on  eût 
dit  une  autre  danse  macabre. 

—  «  Nous  ferions  mieux  de  remettre  à  un 
autre  jour  la  vision,  »  dis-je  à  l'homme  qui 
m'avait  promis  d'intervertir  pour  moi  l'ordre 
de  la  nature. 

—  «  Non,  dit-il,  je  vais  conjurer  l'orage  ; 
il  cessera  bientôt.  » 

»  Il  n'avait  pas  achevé  ces  paroles,  que 
l'ouragan,  plus  furieux,  plus  rugissant,  plus 
terrible  que  jamais,  enfonça  toute  une  des 
parties  latérales  ;  et  la  légère  charpente  de  la 
couverture,  n'étant  plus  soutenue  que  d'un 
côté,  s'écroula  sur  l'autel  mortuaire  et  sur 
les  cercueils  qui  l'environnaient.  A  cet  in- 
stant, Caglioslro,  effrayé,  s'écria  : 

—  «  Sauvons-nous.  » 

»  Et  je  fis  bien  de  suivre  ce  conseil  ;  car, 
à  peine  étais-je  sorti,  que  tout  le  frêle  édifice 
fut  renversé. 

»  Cagliostro,  honteux  de  n'avoir  pu  faire 
cesser  la  tourmente  ,  s'étant  élancé  avant 
moi ,  hors  du  sanctuaire  de  ses  évocations , 
avait  dit  à  son  cocher  :  —  «  Vous  conduirez 
la  personne  que  vous  avez  amenée  ici  avec 
moi,  où  elle  vous  le  dira;  »  puis  il  avait  dis- 
paru. Je  le  cherchais,  quand  le  cocher  m'ap- 
prit l'ordre  qu'il  venait  de  recevoir.  Alors,  je 
montai  en  voiture,  et  à  deux  heures  du  ma- 
tin, j  étais  de  retour  chez  moi... 

»  Je  dormis  peu  ;  dès  qu'il  fit  jour,  j'ordon- 
nai (le  mettre  mes  chevaux  à  la  voilure  ,  et 
de  prendre  le  chemin  de  la  plaine  des  Sa- 
blons. Quand  j'y  arrivai,  on  commençait  à 
voir  un  peu;  ce  fut  en  vain  que  je  cherchai 
des  débris  de  la  baraque  funèbre  ;  après 
avoir  parcouru  la  plaine  dans  tous  les  sens, 
j'ai  acquis  la  certitude  que  ce  n'était  pas  là 
qu'elle  avait  élé  construite.  J'allai  aux  envi- 
rons de  Grenelle  et,  là  encore,  je  ne  trouvai 
rien. 

»  Je  racontai  tout  cela  à  un  adepte  ardent 
de  Cagliostro;  ce  crédule  disciple  de  l'aven- 
turier me  dit  : 

—  «  C'est  bien  dommage  que  l'ouragan  ait 
snuiné  celte  nuit-là;  sans  la  tourmente,  no- 
tre maître  à  tous  vous  aurait  fait  voir  que  la 
mort  lui  obéit.  » 

»  Quelques  semaines  après  cette  mystifica- 
tion, Cagliostro  élait  chez  la  duchesse  de 
Gramniont,  quand  on  y  annonça  le  marquis 
de  Ciioiseul.  A  ce  nom,  il  disparut  comme  si 
un  autre  ouragan  l'emportait.  » 

CAGOrS,  individus  des  Pyrénées  qui  y  sont 
des  sortes  de  parias.  Les  autres  habitants  les 
évitent  comme  gens  maudits.  Ce  sont,  dit-on, 
des  restes  de  la  race  des  Goihs,  appelés  Cd- 
Gotlis,  en  abréviation  de  canes  Gotiti,  chiens 
de  Goths. 

GAIN.  Les  musulmans  et  les  rabbins  dirent 
qu'Eve  ayant  deux  fils,  Caïn  et  Abel,  et  deux 

(I)  Syncclli  Chronn|;r;iplii:p,  p.  80. 
|2)  Mi'niorie  liisinriclm  ili'll'a|i|iarllione  (ielle  croci  |  ro- 
di^iose  dj  (jrlo  Cala.  lii-i°.  lii  Njpoli,  tOGl. 

•Dictions   des  sciences  occiltk:.  1. 


filles,  Aciima  et  Lébuda,  voulut  unir  Gain 
avec  Lébuda,  et  Aciima  avec  Abcl.  Or,  Ca'in 
élait  épris  d'Aclima.  Adam,  pour  mettre  ses 
fils  d'accord  ,  leur  proposa  un  sacrifice  ;  et , 
comme  on  le  sait ,  l'offrande  de  C'iïn  fut  re- 
jctée.  Il  ne  voulut  pourtant  pas  céder  Aciima; 
il  résolut,  pour  l'avoir  plus  sûrement,  de  tuer 
son  frère  Abel  ;  mais  il  ne  savait  comment  s'y 
prendre.  Le  diable,  qui  l'épiait,  se  chargea 
de  lui  donner  une  leçon.  Il  prit  un  oiseau 
qu'il  posa  sur  une  pierre,  et  avec  une  autre 
pierre  il  lui  écrasa  la  léle.  Caïn,  bien  instruit 
alors,  épia  le  moment  oij  Abel  dormait,  el  lui 
laissa  tomber  une  grosse  pierre  sur  le  front. 
A  la  suite  de  ce  crime,  disent  les  mêmes  doc- 
teurs, il  se  trouva  dans  un  autre  embarras; 
il  ne  savait  que  faire  du  corps.  Il  l'enveloppa 
dans  une  peau  de  bête,  el  l'emporta  sur  ses 
épaules  pendant  quarante  jours.  L'infection 
l'obligea  à  la  fin  de  déposer  son  fardeau,  qu'il 
enterra;  après  quoi,  il  mena  une  vie  errante 
et  vagabonde,  jusqu'à  ce  qu'il  fût  tué  par  un 
de  ses  petits-fils,  qui,  ayant  la  vue  courte,  le 
prit  pour  une  bête  fauve... 

II  y  a  eu  ,  dans  le  deuxième  siècle  ,  une 
secte  d'hommes  effroyables  qui  glorifiaient  le 
crime  et  qu'on  a  appelés  caïnites.  Ces  misé- 
rables avaient  une  grande  vénération  pour 
Gain,  pour  les  horribles  habitants  de  Sodome, 
pour  Judas  et  pour  d'autres  scélérats.  Ils 
avaient  un  évangile  de  Judas,  et  mettaient  la 
perfection  à  coaimetlre  sans  honte  les  actions 
les  plus  infâmes. 

Les  mêmes  hérétiques  avaient  aussi,  on  ne 
sait  comment,  ni  dans  quel  but,  un  livre 
apocryphe  de  l'Ascension  de  sainl  Paul,  con- 
tenant tout  le  voyage  de  saint  Paul  dans  le 
ciel,  avec  le  détail  de  ce  qu'il  y  avait  vu... 

CAINAN.  On  attribue  à  Caïnan,  fils  d'Ar- 
phaxad,  la  conservation  d'un  traité  d'Astro- 
nomie, qu'il  trouva  gravé  sur  deux  colonnes 
par  les  enfants  de  Seth,  ouvrage  antédiluvien 
qu'il  transcrivit.  On  prétend  aussi  que  Gaï- 
nan  découvrit  encore  d'autres  ouvrages  écrits 
par  les  géants,  lesquels  ouvrages  ne  sont  pas 
venus  jusqu'à  nous  (1). 

GAIÙMARATH  ou  KAID-MORDS.  Le  pre- 
mier homme  selon  les  Persans. Voy.  Bouikds- 

CHESCH. 

GALA  (Charles),  Galabrois  qui  écrivait  au 
dix-septième  siècle.  On  recherche  son  Mé- 
moire sur  l'apparition  des  croix  prodigieu- 
ses (2),  imprimé  à  Naples  en  IGGl. 

CALAMITÉS.  On  a  souvent  attribué  aux 
démons  ou  à  la  malice  des  sorciers  les  cala- 
mités publiques.  Pierre  Delancre  dit  que  Icsj 
calamités  des  bonnes  âmes  sont  les  joies  et 
les  festoiemcnts  des  démons  pipeurs  (3).        • 

CALAYA.  Le  troisième  des  cinq  paradis 
indiens.  Là  réside  Isora  ou  Eswara,  toujours 
à  cheval  sur  un  bœuf.  Les  moris  fidèles  le 
servent;  les  uns  le  rafraîchissant  avec  des 
éventails,  d'autres  portant  devant  lui  la  chan- 
delle pour  l'éclairer  la  nuit.  Il  en  est  qui  lui 
présentent  des  crachoirs  d'argent  quand  il 
veut  expectorer. 

Tjl)leau  de  riiiconsiance  des  mauvais  anges,  elc, 


liv. 


l>.  iJ. 


iO 


?09 


DICTIONNAIRL  OES  SCIENCKS  OCCULTES. 


-00 


CALCEUAND  ROCIIEZ.  Pondant  que  Hu- 
gues de  Moncadc  était  vice-roi  de  Sicile  pour 
le  roi  Ferdinand  d'Aragon,  un  gentilhomme 
espagnol,  nommé  Calccrand-Rochcz,  eut  une 
vision.  Sa  maison  était  située  près  du  port  de 
Palerme.  Une  nuit  qu'il  ne  dormait  pas,  il 
crut  entendre  des  hommes  qui  cheminaient 
et  faisaient  grand  bruit  dans  sa  hasse-cour; 
il  se  leva,  ouvrit  la  fenêtre,  et  vit,  à  la  clarté 
du  crépuscule,  des  soldats  et  des  gens  de  pied 
en  bon  ordre,  suivis  de  piqu-eurs;  après  eux, 
venaient  des  gens  de  cheval  divisés  en  esca- 
drons, se  dirigeant  vers  la  maison  du  vice- 
roi.  Le  lendemain,  Cnlccrand  conta  le  tout  à 
RIoncade,  qui  n'en  tint  compte  ;  cependant, 
peu  après  ,  le  roi  Ferdinand  mourut,  et  ceux 
de  Palerme  se  révoltèrent.  Cette  sédition, 
dont  la  vision  susdite  donnait  clair  présage, 
ne  fut  apaisée  que  par  les  soins  de  Charles 
d'Autriche  (Charles-Quint)  (t). 

CALCHAS ,  fameux  devin  de  l'antiquité, 
qui  prédit  aux  Grecs  que  le  siège  de  Troie 
durerait  dix  ans  ,  et  qui  exigea  le  sacrifice 
dlphigénie.  Apollon  lui  avait  donné  la  con- 
naissancedu  passé,  du  présent  cl  de  l'avenir. 
Il  serait  curieux  de  savoir  s'il  aurait  prédit 
aussi  la  prise  de  la  Bastille.  Sa  destinée  était 
de  mourir  lorsqu'il  aurait  trouvé  un  devin 
plus  sorcier  que  lui.  Il  mourut  en  effet  de  dé- 
pit, pour  n'avoir  pas  su  deviner  les  énigmes 
de  Mopsus. 

CALEGUEJERS.I.es  plus  redoutables  d'en- 
tre les  génies  chez  les  indiens.  Us  sont  de 
taille  gigantesque ,  et  habitent  ordinaire- 
ment le  patala  ou  l'enfer. 

CALENDRIER.  L'ancien  calendrier  des 
païens  se  rattachait  au  culte  des  astres;  et 
presque  toujours  il  était  rédigé  par  des  as- 
trologues. 

Ce  serait  peut-être  ici  l'occasion  de  parler 
du  Calendrier  des  bergers  ,  de  VAlmanncli  du 
bon  laboureur, liu  Messager  boiteux  deBdleen 
Suisse,  et  de  cent  autres  recueils  où  l'on  voit 
exactement  marqués  les  jours  où  il  fuit  bon 
rogner  ses  ongles  et  prendre  médecine; mais 
ces  détails  mèneraient  trop  loin.  Voy.  Alma- 

MACH. 

CALI,  reine  des  démons  et  sultane  de  l'en- 
fer indien. On  la  représente  tout  à  fait  noire, 
avec  un  collier  de  crânes  d'or.  On  lui  offrait 
autrefois  des  victimes  humaines. 

CALICE  DU  SABBAT.  On  voit,  dans  Pierre 
Delancre  ,  que  lorsque  les  prêtres  sorciers 
disent  la  messe  au  sabbat,  ils  se  servent  d'une 
hostie  et  d'un  calice  noirs,  et  qu'à  l'élévation 
ils  disent  ces  mots  :  Corbeau  noir  i  corbeau 
noir!  invoquant  le  diable. 

CALIGULA.  On  prétend  qu'il  fut  empoi- 
sonné ou  assassiné  par  sa  femme.  Suétone 
dit  qu'il  apparut  plusieurs  fois  après  sa  mort, 
et  que  sa  maison  fut  infestée  de  monstres  et 
dje  spectres ,  jusqu'à  ce  ((u'on  lui  eût  rendu 
les  honneurs  funèbres  (2). 

CALMET  (DoM  Augustin),  bénédictin  de  la 
congrégation  de  Suiut-Vanues  ,  l'un  des  sa- 

(1)  I.plnyer,  Disc,  cl  hist.  des  spectres,  p.  272. 

(2)  Delaiidine ,  Kiiler  des  peuples  anciens ,  cb.  ii , 
p.  3lt!.  Dulancre,  L'iiicouiianco  desdûmous,  elc.,  liv.  VI, 
p.  iGl. 


vants  les  plus  laborieux  cl  les  plus  utiles  du 
dernier  siècle,  mort  en  1757,  dans  son  ab- 
b.iye  de  Senoncs. Voltaire  même  mit  ces  qua- 
tre vers  au  bas  de  son  portrait  : 

Des  oracles  sacrés  que  Dieu  daigna  nous  rendre 

Son  travail  assidu  perça  l'ohscurilé; 

Il  (il  plus,  il  les  crul  avec  siiupliciié, 

El  l'ut,  par  ses  vertus,  digne  de  les  entendre. 

Nous  le  citons  ici  pour  sa  Dissertation  sur  les 
apparitions  des  anges,  des  démons  et  des  es- 
prits, et  sur  les  revenants  et  vampires  de  Hon- 
grie,de  Bohême, de  Moravie  et  de  Silésie, in-i2, 
Paris,  1746.  La  meilleure  édition  est  de  1751; 
Paris ,  2  vol.  in-12.  Ce  livre  est  fait  avec 
bonne  foi  ;  l'auteur  est  peut-être  trop  crédule, 
il  admet  facilement  les  vampires.  Il  est  vrai 
qu'il  rapporte  ce  qui  est  contraire  à  ses  idées 
avec  autant  de  candeur  que  ce  qui  leur  est 
favorable.  Voy.  Vampires. 

CALUNDRONIUS,  pierre  magique  dont  on 
ne  désigne  ni  la  couleur  ni  la  forme,  mais 
qui  a  la  vertu  d'éloigner  les  esprits  malins, 
de  résister  aux  enchantements  ,  de  donnera 
celui  qui  la  porte  l'avantage  sur  ses  ennemis, 
et  de  chasser  l'humeur  noire. 

CALVIN  (Jean),  l'un  des  chefs  de  la  ré- 
forme prétendue  ,  né  à  Noyon  ,  en  1509.  Ce 
fanatique  ,  qui  se  vantait ,  comme  les  autres 
prolestants ,  d'apporter  aux  hommes  la  li- 
berté d'examen  ,  et  qui  fit  brûler  Michel  Ser- 
vet ,  son  ami,  parce  qu'il  différait  d'opinion 
avec  lui,  n'était  pas  seulement  hérétique,  on 
l'accuse  encore  d'avoir  été  magicien.  «  Il  fai- 
sait des  prodiges  à  l'aide  du  diable  qui,  quel- 
quefois ne  le  servait  pas  bien  :  car  un  jour  il 
voulut  donner  à  croire  qu'il  ressuscitait  un 
homme  qui  n'était  pas  mort  ;  et,  après  qu'il 
eut  fait  ses  conjurations  sur  le  compère,  lors- 
qu'il lui  ordonna  de  se  lever,  celui-ci  n'en  fit 
rien,  et  on  trouva  qu'icelui  compère  était 
mort  tout  de  bon  ,  pour  avoir  voulu  jouer 
cette  mauvaise  comédie  (3).  »  Quelques-uns 
ajoutent  que  Calvin  fut  étranglé  par  le  dia- 
b.e  ;  il  ne  l'aurait  pas  volé. 

En  son  jeune  âge ,  Calvin  avait  joué  la  co- 
médie et  fait  des  tours  d'escamotage. 

CAMBIONS. Enfants  des  démons.  Delancre 
et  Bodin  pensent  que  les  démons  incubes 
peuvent  s'unir  aux  démons  succubes, et  qu'il 
naît  de  leur  commerce  dts  enfants  hideux 
qu'on  nomme  comblons,  lesquels  sont  beau- 
coup plus  pesants  que  les  autres,  ava- 
lent tout  sans  être  plus  gras,  et  tariraient 
trois  nourrices  qu'ils  n'en  profiteraient  pas 
mieux  [h).  Luiher,  qui  élait  très-superstitieux, 
dit  dans  ses  Colloques  que  ces  enfants-là  ne 
vivent  que  sept  ans  ;  il  raconte  qu'il  en  vit 
un  qui  criait  dès  qu'on  le  touchait ,  et  qui 
ne  riait  que  quand  il  arrivait  dans  la  maison 
quelque  chose  de  sinistre. 

Muïole  rapporte  qu'un  mendiant  galicien 
excitait  la  pilié  publique  avec  un  cambion  ; 
qu'un  jour  un  cavalier,  voyant  ce  gueux  très- 
embarrassé  pour  passer  un  fleuve,  prii ,  par 
compassion  ,  le  petit  enfant  sur  son  cheval, 

(5)  Bognet,  Discours  des  sorciers,  ch.  xvm. 
[i)  Delancre,  Talileau  de   riiiioastauce  des  démons, 
(iv.  III,  il  la  lin   Ujtiiir,  Dcuionomauic,  liv.  Il,  cli.  vu. 


SOI 


CAM 


CAN 


mais  qu'il  était  si  lourd  que  le  cheval  pliait 
sous  le  poids.  Peu  de  temps  après  ,  le  men- 
diant,étanl  pris, avoua  que  c'était  un  petit  de 
démon  qu'il  portait  ainsi,  et  que  cet  alîreux 
marmot,  depuis  qu'il  le  traînait  avec  lui, 
avait  toujours  agi  de  telle  sorte  que  personne 
ne  lui  refusait  l'aumône  (1). 

CAMÉLÉON.  Démocrite ,  au  rapport  de 
Pline,  avait  fait  un  livre  spécial  sur  les  su- 
perstitions auxquelles  le  caméléon  a  donne 
lieu.  Un  plaideur  était  sûr  de  gagner  son  pro- 
cès, s'il  portait  avec  lui  la  langue  d'un  ca- 
méléon arrachée  à  l'animal  pendant  qu'il 
vivait. 

On  faisait  tonner  et  pleuvoir  en  brûlant 
la  léle  et  le  gosier  d'un  caméléon  sur  un  feu 
de  bois  de  chêne,  ou  bien  en  rôtissant  son 
foie  sur  une  tuile  rouge.  Boguel  n'a  pas  man- 
qué de  remarquer  celte  merveille  ,  dans  le 
chapitre  23  de  ses  Discours  des  sorciers. 

L'œil  droit  d'un  caméléon  vivant,  arraché 
et  mis  dans  du  lait  de  chèvre,  formait  un  ca- 
taplasme qui  faisait  tomber  les  taies  des  yeux. 
Sa  queue  arrêtait  le  cours  des  rivières.  On  se 
guérissait  de  toute  frayeur  en  portant  sur 
soi  sa  mâchoire,  etc. 

Des  curieux  assurent  encore  que  cette  es- 
pèce de  lézard  ne  se  nourrit  que  de  vent. 
Àlais  il  est  constant  qu'il  mange  des  insoctcs; 
et  comment  aurait-il  un  estomac  et  tous  les 
organes  de  la  digestion  ,  s'il  n'avait  pas  be- 
soin de  digérer?  Comment  encore,  s'il  ne 
mange  pas  ,  produit-il  des  excréments,  dont 
les  anciens  faisaient  un  remède  magique  pour 
nuire  à  leurs  ennemis? 

La  couleur  du  caméléon  paraît  varier  con- 
tinuellement,  selon  la  rélluxiim  des  rayons 
du  soleil  et  la  position  où  l'animal  se  trouve 
par  rapport  à  ceux  qui  le  regardent  :  c'est 
ce  qui  l'a  fait  comparer  à  l'homme  de  cour. 
—  Delancre  dit ,  d'un  autre  côté ,  que  le  ca  - 
méléon  est  l'emblème  des  sorciers,  et  qu'on 
en  trouve  toujours  dans  les  lieux  oiî  s'est 
tenu  le  sabbat. 

CAMÉRARIUS  (Joachim),  savant  allemand 
du  seizième  siècle.  On  recherche  son  traité 
De  la  nature  et  des  affections  des  démons  (2) 
et  son  Commentaire  sur  les  divinations  (3). 

Nous  indiquerons  aussi  de  Barihélemi  Ca- 
merario,  Bénéventin,  mort  en  l'ÔQï,  un  livre 
sur  le  feu  du  purgatoire  (4)  ;  les  Centuries  de 
Jean-Rodolphe  Camérarius,  médecin  alle- 
mand du  dix-septième  siècle,  «ur /m /joroscopes 
et  l'astrologie  (o),  et  le  fatras  du  même  auteur 
sur  les  secrets  merveilleux  de  la  nature  (6). 

Ënnn,Elie  Camérarius,  autre  rêveur  de 
Tubingue  ,  a  écrit  en  faveur  de  la  magie  et 
des  apparitions,  des  livres  que  nous  ne  con- 
naissons pas. 

CAMPANliLLA  (Thomas),  homme  d'esprit, 

(1)  Boguct,  Discours  des  sorciers,  rli.  xiv. 

(2)  De  naliira  et  aflecUoiiibus  daemouiim  libri  duo.  Liu- 
siœ,  1576  In-8°. 

(3)  Commentarius  de  gcneribus  divinalionum,  ac  griBCis 
lalinisqiie  cariim  vocabiilis.  I.ipsiae,  1576.  Iii-8°. 

(4)  De  purgalorio  igné.  Itornse,  13"i7. 

(3)  Horarum  ii^italium  cenUiriae  II  pro  cerlitudine  as- 
Irologiae.  In-4°.  Francfoit,  1607  el  1610. 

(6)  Sylloge  memorahilinin  mediciiia;  et  mirabilinm  iia- 
lurae  arcanorum  ceutiiiiae  Xll.  In-Il  ,Sira.s!;ourg,   IGit. 


502 


mais  de  peu  de  jugement,  né  dans  un  bourg 
de  la  Calabre  en  15C8.  Tout  jeune,  il  rencon- 
tra, dit-on  ,  un  rabbin  qui  l'initia  dans  les 
secrets  de  l'alchimie,  et  qui  lui  apprit  tou- 
tes les  sciences  en  quinze  jours  ,  au  moven 
de  l'Art  Notoire. 

Avec  ces  connaissances,  Campanella,  en- 
tré dans  l'ordre  des  dominicains,  se  mit  à 
combattre  la  doctrine  d'Arislote  ,  alors  en 
grande  faveur.  Ceux  qu'il  attaqua  l'accusè- 
rent de  magie  ;  et  il  fut  obligé  de  s'enfuir  de 
Naples.  On  s'empara  de  ses  cahiers  ;  l'inqui- 
sition y  trouvant  des  choses  répréhensibles. 
condamna  l'auteur  à  la  retraite  dans  un  cou- 
vent: notez  que  c'était  l'inquisition  d'Etal  et 
que  la  vraie  cause  qui  lui  fît  imposer  le  si- 
lence dans  une  sorte  de  séquestration  ,  fut 
une  juste  critique  qu'il  avait  faite,  dans  son 
Traité  de  la  monarchie  espagnole,  des  torts 
graves  de  cette  nation,  dominée  alors  par 
un  immense  orgueil.  Il  sortit  de  sa  retraite 
par  ordre  du  pape,  en  1620,  et  vint  à  Paris, 
où  il  mourut  chez  les  jacobinsde  la  rue  saint 
Honoré,  le  21  mai  1639. 

On  a  dit  qu'il  avait  prédit  l'époque  de  sa 
mort. 

Nous  ne  citerons  de  ses  ouvrages  que  ses 
quatre  livres  Du  sens  des  choses  et  de  la  ma- 
gie (7),  et  ses  six  livres  ^'astrologie  (8);  l'au- 
teur, qui  faisait  cas  de  cette  science,  s'effor- 
ce d'accorder  les  idées  astrologiques  avec  la 
doctrine  de  saint  Thomas. 

CAMPETTI,  hydroscope,  qui  renouvela,  à 
la  fin  du  dernier  siècle,  les  merveilles  de  la 
baguette  divinatoire.  11  était  né  dans  le  Ty- 
rol.  Mais  il  a  fait  moins  de  bruit  que  Jacques 
Aymar.  Au  lieu  de  baguette  pour  découvrir 
les  sources,  les  trésors  cachés  et  les  traces  de 
vol  ou  de  meurtre,  il  se  servait  d'un  petit 
pendule  formé  d'un  morceau  de  pyrite,  ou 
de  quelque  autre  susbstance  métallique  sus- 
pendue à  un  fil  qu'il  tenait  à  la  main.  Ses 
épreuves  n'ont  pas  eu  de  suites. 

CAMUZ  (Philippe),  romancier  espagnol 
du  seizième  siècle.  On  lui  attribue  la  Vie  de 
Rubert-le-Diable  (9), qui  fait  maintenant  par- 
tie de  la  Bibliothèque  Bleue. 

CANATE  ,  montagne  d'Espagne ,  fameu.'^e 
dans  les  anciennes  chroniques  ;  il  y  avait  au 
pied  une  caverne  où  les  mauvais  génies  fai- 
saient leur  résidence,  et  les  chevaliers  qui 
s'en  approchaient  étaient  sûrs  d'être  enchan> 
tés  s'il  ne  leur  arrivait  pas  pis. 

CANCER  OU  L'ECREVISSE,  l'un  des  si- 
gncs  du  zodiaque.  Voy.  Horoscope. 

CANG-HY,  dieu  des  cieux  inférieurs,  cluz 
les  Chinois.  Il  a  pouvoir  de  vie  et  de  mort. 
Trois  esprits  subalternes  sont  ses  minislre.s: 
Tankwam,qui  pré.side  à  l'air,  dispense  la 
pluie  ;   Tsuikwam,   qui  gouverne  la  miT  el 

L'édition  ln-8°  de  Tubingue,  1685,  est  augmentée  et  con- 
tient XX  centuries. 

(7)  De  sensu  rerum  et  magia  libri  IV,  etc.  Id-4".  Franc- 
fort, 1620. 

(8)  Aslrologlcorum  libri  VI.  In-i".  Lyon,  1629. L'édition 
du  Francfort,  1630,  est  plus  recliorcliée,  parce  qu'elle 
conUeul  nn  sopllèiiclivrciutiliilé:  De  falo  siilerali  vitando. 

(0)  La  Vida  de  Uuberto  el  Diablo,  etc.  In-folio.  Sivillc, 
iC23. 


5<'5 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


r.oi 


les  eaux,  envoie  les  veiils  cl  les  orages  ; 
Tcikwam,  qui  préside  à  la  terre  ,  surveille 
l'agriculUire  et  se  mêle  des  batailles. 

CANICULE,  constellation  qui  doit  son  nom 
à  l'étoile  Syrius  ou  le  chien,  et  qui  doiriine 
dans  le  temps  des  grandes  chaleurs.  Les  Ro- 
mains ,  persuadés  de  la  malignité  de  ses  in- 
fluences, lui  sacrifiaient  tous  les  ans  un  chien 
roux.  Une  vieille  opinion  populaire  exclut 
les  remèdes  pondant  cette  saison,  et  remet  à 
la  nature  la  guérison  de  toutes  les  maladies. 
C'est  aussi  une  croyance  encore  répandue, 
mais  dénuée  de  fondement,  qu'il  est  dange- 
reux de  se  baigner  dans  la  canicule. 

CANIDIA,  magicienne  dont  parle  Horace; 
elle  enchantait  et  envoûtait  avec  des  figures 
de  cire,  et  ,  par  ses  conjurations  magiiiucs 
forçait  la  lune  à  descendre  du  ciel. 

GANTERMK  ,  nom  que  donnaient  les  an- 
ciens à  certains  enchantements  et  malé- 
fices 

GANTWEL  (Anuré-Samuel-Michel),  mort 
iiililiothécairc  des  Invalides  le  9  juillet  1802. 
Il  est  auteur  d'un  sot  rom.in  intitulé  :  le  Clid- 
leau  d'Albert  ou  le  Squelclle  ambulant,  1709, 
2  vol.  in-18. 

CAOUS.  Les  Orientaux  donnent  ce  nom  à 
des  génies  malfaisants  qui  habitent  les  ca- 
vernes du  Caucase. 

CAPNOMANCIE,  divination  par  la  fumée. 
Li  s  anciens  en  faisaient  souvent  usage  :  on 
brûlait  de  la  verveine  et  d'autres  plantes  sa- 
crées :  on  observait  la  fumée  de  ce  feu,  les 
figures  et  la  direction  qu'elle  prenait,  pour 
en  tirer  des  présages. 

On  distinguait  deux  sortes  de  capnoman- 
cie  :  l'une  qui  se  pratiquait  en  jetant  sur  des 
charbons  ardents  des  grains  de  jasmin  ou  de 
pavot,  et  en  observant  la  fumée  qui  en  sor- 
tait ;  l'autre,  qui  était  la  plus  usitée,  se  pra- 
tiquait par  la  méthode  que  nous  avons  in- 
diquée. Elle  consistait  aussi  à  examiner  la 
fumée  des  sacrifices.  Quand  cette  fumée  était 
légère  et  pou  épaisse,  c'était  bon  augure.  Oii 
respirait  même  cette  fumée;  et  l'on  pensait 
qu'elle  donnait  des  inspirations. 

CAPPAUTAS,  grosse  pierre  brute  qui, 
dans  les  croyances  populaires,  guérissait 
de  la  frénésie  ceux  qui  allaient  s'y  asseoir  ; 
elle  se  trouvait  à  trois  stades  do  Gythcum  eu 
Lncnnie. 

■  GAPPEUON.  doyen  de  Sainl-Mjixant.  11 
publia,  dans  le  Mercure  de  1726,  une  lettre 
sur  les  fausses  apparitions,  que  Lenglet-Du- 
fresnoy  a  réimprimée  dans  son  recueil.  Il 
montre  peu  de  crédulité  et  combat  les  faus- 
ses apparitions  avec  des  raisons  assez  bon- 
nes. Il  conte  qu'un  jour  il  fut  consulic  sur 
une  femme  qui  disait  voir  chaque  jour,  à 
midi,  un  esprit  en  figure  d'Iijomme,  velu  de 
gris,  avec  des  boulons  jaunes,  lequel  la  mal- 
tiailail  fort,  lui  donnant  même  de  grands 
soufflets  ;  ce  qui  paraissait  d'autant  plus  cer- 
tain qu'une  voisine  prolestait  qu'ayant  mis 
sa  main  contre  la  joue  de  cette  femme  dans 
le  temps  qu'elle  se  (lisait  maltrailéc,  elle 
avait  scnîi  quchjuc  chose  d'invi->ible  qui  la 

(1*  M.  Salguc»,  Des  erreurs  ut  des  préjugés,  elc,  l.  I, 
p.  iiOU. 


repoussait.  Ayant  rcconiiu  que  celle  fcninn" 
était  fort  sanguine,  Capperon  conclut  qu'il 
fallait  lui  faire  une  saignée,  avec  la  précau- 
tion de  lui  en  cacher  le  motif;  ce  qui  ayant 
éié  exécuté.  L'apparition  s'évanouit. 

Tous  les  traits  qu'il  rapporte,  et  tous  ses 
raisonnements,  prouvent  que  les  vapeurs  ou 
l'imagination  troublée  sont  la  cause  de  la 
plupart  des  visions.  Il  admet  les  visions  rap- 
portées dans  les  livres  saints;  mais  il  re- 
pousse les  autres  assez  généralement.  Il 
parle  encore  d'une  autre  femme  à  qui  un  es- 
prit venait  tirer  toutes  les  nuits  la  couver- 
ture. Il  lui  donna  de  l'eau,  en  lui  disant  d'en 
asperger  son  lit ,  et  ajoutant  que  cette  eau, 
pirticulièrement  bénite  contre  les  revenants, 
la  délivrerait  de  sa  vision.  Ce  n'était  que  do 
l'eau  ordinaire;  mais  l'imagination  de  la 
vieille  femme  se  rassura  parce  petit  strata- 
gème, qu'elle  ne  soupr.onnait  pas,  et  elle  ne 
vil  plus  rien. 

CAPRICORNE.  L'un  des  signes  du  zodia- 
que. Voy.  Horoscopes. 

CAPUCIN.  Ce  sont  les  protoslants  qui  ont 
mis  à  la  mode  ce  stupide  axiome  supersti- 
tieux, que  la  rencontre  d'un  capucin  était  un 
mauvais  présage.  Un  jour  que  l'abbé  de  Voi- 
senon  était  allé  à  la  chasse  sur  un  terrain 
très  giboyeux,  il  aperçut  un  capucin.  Dès  ce 
moment  il  ne  tira  plus  un  coup  juste,  et 
comme  on  se  moquait  de  lui  :  —  Vraiment, 
messieurs,  dit-il,  vous  en  parlez  fort  à  votre 
aise;  vous  n'avez  pas  rencontré  un  capu- 
cin (1). 

CAQUEUX  ou  CACOUX.  Les  cordicrs , 
nommés  caqueux  ou  cacoux,  en  Rretagne, 
sont  relégués  dans  certains  cantons  du  pays 
comme  des  espèces  de  parias  ;  ou  les  cvile; 
ils  inspirent  môme  de  l'horreur,  parce  (jui's 
font  des  cordes  ,  autrefois  instruments  de 
mort  et  d'esclavage.  Us  ne  s'alliaient  jadis 
«lu'entre  eux  ,  et  l'entrée  des  églises-leur 
était  interdite.  Ce  préjugé  commence  à  .'■e 
dissiper;  cependant  ils  passent  encoie  pour 
sorciers.  Ils  profilent  de  ce  renom  ;  ils  ven- 
dent des  talismans  qui  rendent  invulnéra- 
ble, des  sachets  à  l'aide  desquels  on  est  in- 
vincible à  la  Julie;  ils  prédisent  l'avenir; 
on  croit  aussi  qu'ils  jettent  de  mauvais 
vents. 

On  les  disait,  au  quinzième  sièc'.e,  juifs 
d'origine,  et  séparés  par  la  lèpre  du  reste  des 
hommes.  Le  duc  de  Bretagne,  François  II, 
leur  avait  enjoint  de  porter  une  marque  de 
drap  rouge  sur  un  endroit  apparent  de  leur 
robe.  On  assure  que  le  vendredi  saint  tous 
les  caqueux  versent  du  sang  par  le  nombril. 
Néanmoins  on  ne  fuit  plus  devant  les  cor- 
diers  ;  mais  on  ne  s'allie  pas  encore  aisé- 
ment avec  leurs  familles  (2).  N'est-ce  pas  ici 
la  même  origine  que  celle  des  cagolhs?  Voy. 
ce  mot. 

CARABIA  ou  DECARABIA.  Démon  peu 
connu,  quoiqu'il  jouisse  d'un  grand  pouvoir 
au  soiniirc  empire.  Il  est  roi  d'une  partie  de 
l'enfer,  et  comte  d'une  autre  province  con- 
sidérable. Il  se  présente  sous  l.i  figure  d'une 

(2)  Oiinliiv,  Voy.iye  iJaiis  lo  FiiiislèrL-,  l.  !11,  p  liij; 
l   I.  (W. 


SOS 


cm 


CAR 


506 


éloilc  à  cinq  rayons.  Il  conn.iîl  les  vcrlus  des 
planlcs  et  des  pierres  précieuses;  il  domine 
sur  les  oiseaux,  qu'il  rend  familiers.  Trente 
légions  sont  à  ses  ordres  (1). 

CARACALLA.  L'empereur  Caracalla  ve- 
nait d'être  lue  par  un  soldat.  Au  moment  où 
l'on  n'en  savait  encore  rien  à  Rome,  on  vil 
un  diable  en  forme  humaine  qui  menait  un 
âne,  tantôt  au  Capilole,  tantôt  au  palais  de 
l'Empereur,  en  disant  tout  haut  qu'il  cher- 
chait un  maître.  On  lui  demanda  s'il  cher- 
chait Caracalla  ;  il  répondit  que  celui-là  était 
mort,  sur  quoi  il  fut  pris  pour  être  envoyé  à 
l'Empereur,  et  il  dit  ces  mots  :  «Je  m'en  vais 
donc,  pu  squ'il  le  faut,  non  à  l'empereur  que 
vous  pensez,  mais  à  un  autre  ;  »  et  là-dessus 
on  le  conduisit  de  Rome  à  Capoue,  où  il  dis- 
parut, sans  qu'on  ait  jamais  su  ce  qu'il  de- 
vint (2). 

CARACTÈRES.  La  plupart  des  talismans 
doivent  leurs  vertus  à  des  caractères  sacrés 
que  les  anciens  regardaient  comme  de  sûrs 
préservatifs.  Le  fameux  anneau  de  Salomon, 
qui  soumit  les  génies  à  la  volonté  de  ce  roi 
magicien,  devait  toute  sa  force  à  des  carac- 
tères cabalistiques.  Origène  condamnait  chez 
quelques-uns  des  premiers  chrétiens  l'usage 
de  certaines  plaques  de  cuivre  ou  d'élain 
chargées  de  caractères,  qu'il  appelle  des  res- 
tes de  l'idolâtrie.  VEnchiridion  du  pape 
Léon  III,  le  Dragon  Rouge,  les  Clavicules  de 
Salomon,  indiquent  dans  tous  leurs  secrets 
magiques  des  caractères  incompréhensibles, 
tracés  dans  des  triangles  ou  dans  des  cer- 
cles, commodes  moyens  puissants  et  certains 
pour  l'évocation  des  esprits. 

Souvent  aussi  des  sorciers  se  sont  servis 
de  papiers  sur  lesquels  ils  avaient  écrit  avec 
du  sang  des  caractères  indéchiffrables  ;  et 
ces  pièces,  produites  dans  les  procédures, 
ont  été  admises  en  preuve  de  maléfices  jetés. 
Nous  avons  dit  quel  était  le  pouvoirdes  mots 
agla,  abracadabra,  etc.  Voy.  Talismans. 

CARDAN  (JÉRÔME  ).  Médecin,  aslrolo!,'ue 
rt  visionnaire,  né  à  Pavie  en  1301,  mort  à 
Rome  en  1S7().  Il  nous  a  laissé  une  histo  re 
de  sa  vie,  où  il  avoue  sans  pudeur  tout  ce 
qui  peut  tourner  à  sa  honte.  11  se  créa  beau- 
coup d'ennemis  par  ses  mœurs;  du  reste,  ce 
fut  un  des  hommes  habiles  de  son  temps.  Il 
fil  faire  des  pas  aux  matliématiques,  et  il  pa- 
raît qu'il  était  savant  médecin;  mais  il  avait 
une  imagination  presque  toujours  délirante, 
cl  on  l'a  souvent  excusé  en  disant  qu'il  était 
fou. 

Il  rapporte,  dans  le  livre  De  vita  propria, 
que,  quand  la  nature  ne  lui  faisait  pas  sen- 
tir quelque  douleur,  il  s'en  procurait  lui- 
même  en  se  mordant  les  lèvres,  ou  en  se  ti- 
raillant les  doigts  jusqu'à  ce  qu'il  en  pleu- 
rât, parce  que  s'il  lui  arrivait  d'être  sans 
douleur,  il  ressentait  des  saillies  et  dos  im- 
pétuosités si  violentes,  qu'elles  lui  étaient 
plus  insupportables  que  la  douleur  même. 
D'ailleurs,  il  aimait  lo  mil  physique  à  cause 
du  pliàsir  qu'il  éprouvait  ensuite  quand  ce 
mal  cessait. 

(1)  Wicrus,  iu  rsuudomonarcliia  dsem. 


Il  dit,  dans  le  livre  8  de  la  Variété  des 
choses ,  qu'il  tombait  en  extase  quand  il  vou- 
lait, et  qu'alors  son  âme  voyageait  hors  do 
son  corps, qui  demeurait  impassible  etcomnie 
inanimé.  —  Il  prétendait  avoir  deux  âmes, 
l'une  qui  le  portait  au  bien  et  à  la  science, 
l'autre  qui  l'entraînait  au  mal  et  à  labrulis • 
sèment. 

il  assure  que,  dans  sa  jeunesse,  il  voyait 
clair  au  milieu  des  ténèbres;  que  l'âge  affai- 
blit en  lui  cette  faculté  :  que  cependant  quoi- 
que vieux,  il  voyait  encore  en  s'éveillant  au 
milieu  de  la  nuit,  mais  moins  parfaitement 
que  dans  son  âge  tendre.  11  avait  cela  de 
coirimun,  disait-il,  avec  l'empereur  Tibère  ; 
il  aurait  pu  dire  aussi  avec  les  hiboux. 

Il  donnait  dans  l'alchimie,  et  on  reconnaît 
dans  ses  ouvrages,  qu'il  croyait  à  la  cabale 
et  qu'il  faiuail  grand  cas  des  secrets  cabalis- 
tiques. Il  dit  quelque  part  que,  la  nuit  du  lî 
au  14  août  1491,  sept  démons  ou  esprits  élé- 
mentaires de  haute  stature  apparurent  à  Fa- 
zio  Cardan,  son  père  (  presque  aussi  fou  que 
lui  ),  ayant  l'air  de  gens  de  quarante  ans, 
vêtus  de  soie,  avec  des  capes  à  la  grecque, 
des  chaussures  rouges  et  des  pourpoints  cra- 
moisis; qu'ils  se  dirent  hommes  aériens,  as- 
surant qu'ils  naissaient  et  mouraient;  qu'il* 
vivaient  trois  cents  ans;  qu'ils  approchaient 
beaucoup  plus  de  la  nature  divine  que  les 
habilanls  de  la  terre  ;  mais  qu'il  y  avait  néan- 
moins entre  eux  et  Dieu  une  distance  infinie. 
Ces  hommes  aériens  étaient  sans  doute  des 
sylphes. 

Il  se  vantait  d'avoir,  comme  Socratc,  un 
démon  familier,  qu'il  plaçait  entre  les  sub- 
stances humaines  et  la  nature  divine,  et  qui 
se  communiquait  à  lui  par  les  songes.  Ce  dé- 
mon était  encore  un  esprit  élémentaire  ;  car,, 
dans  le  dialogue  intitulé  Telim,  et  dans  li^ 
traité  De  libris  propriis  ,  W  AU  que  son  dé- 
mon familier  tient  de  la  nature  de  Mercure 
et  de  celle  de  Saturne.  On  sent  bien  qu'il  s'a- 
git ici  des  planètes.  11  avoue  ensuite  qu'il 
doit  tous  ses  talents,  sa  vaste  érudition  et 
ses  plus  heureuses  idées  à  son  démon.  Tous 
ses  panégyristes,  en  faisant  son  éloge,  ont 
fait  la  part  de  sou  démon  familier,  ce  qu'il  est 
bon  de  n  m  n  quer  pour  l'honneur  des  esprits. 
Cardan  assurait  aussi  que  son  père  avait  été 
servi  trente  ans  par  un  esprit  familier. 

Comme  ses  connaissances  en  astrologie 
étaient  grandes  ,  il  prédit  à  Edouard  VI,  roi 
d'Angleterre,  plus  de  cinquante  ans  de  rè- 
gne, d'après  les  règles  de  l'art.  Mais  par  mal- 
heur Edouard  VI  mourut  à  seize  ans. 

Ces  mêmes  règles  lui  avaient  fait  voir  clai- 
rement qu'il  ne  vivrait  que  quarante-cinq 
ans.  Il  régla  sa  fortune  en  conséquence;  ce 
qui  l'incommoda  fort  le  reste  de  sa  vie.  Quand 
il  dut  avouer  s'être  trompé  dans  ses  calculs, 
il  reQt  son  thème,  et  trouva  qu'au  moins  il 
ne  passerait  pas  la  soixante-quinzième  an- 
née. La  nature  s'obstina  encore  à  démentir 
l'astrologie.  Alors,  pour  soutenir  sa  réputa- 
tion, et  ne  pas  supporter  davantage  la  honte 
d'un  démenti  (car  il  pensait  que  l'art  est  in- 
faillible cl  que  lui  seul  avait  pu  se  troni.pcr), 

(-2)  Leloyer,  Hist.  et  dise,  des  spectres,  llv.  111,  th.  xvi. 


607 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


503 


on  assure  que  Cardan  se  laissa  mourir  Je 
taitn. 

a  De  tous  les  événements  annoncés  par  les 
astrologues,  jo  n'en  trouve  qu'un  seul  qui 
soit  réellement  arrivé  tel  qu'il  avait  été 
prévu,  dit  un  écrivain  du  d>'rnier  siècle  (1), 
c'est  la  mort  de  Cardan,  qu'il  avait  lui-même 
prédite  et  Dxée  à  un  jour  marqué.  Ce  grand 
jour  arriva  :  Cardan  se  portait  bien;  mais  il 
fallait  mourir  ou  avouer  l'insuffisance  et  la 
vanité  de  son  art;  il  ne  balança  pas  ;  et,  se 
sacriGant  à  la  gloire  des  astres,  il  se  tua  lui- 
même  ;  il  n'avait  pas  expliqué  s'il  périrait 
par  une  maladie  ou  par  un  suicide.  » 

Il  faut  rappeler,  parmi  les  extravagances 
astrologiques  de  Cardan ,  qu'il  avait  dressé 
l'horoscope  de  Notre-Seigncur  Jésus-Christ, 
qu'il  publia  en  Italie  et  en  France.  Il  trou- 
vait, dans  la  conjonction  de  Mars  avec  la 
Lune  au  signe  de  la  Balance,  le  genre  de 
mort  de  l'Homme-Dicu;  et  il  voyait  le  ma- 
liométisme  dans  la  rencontre  de  Saturne 
avec  le  Sagittaire,  à  l'époque  de  la  naissance 
du  Sauveur. 

En  somme,  Jérôme  Cardan  fut  un  homme 
saperstilieux,  qui  avait  plus  d'imagination 
que  de  jugement.  Ce  qui  est  bizarre,  c'est 
que,  croyant  à  tout,  il  croyait  mal  aux  seu- 
les merveilles  vraies,  celles  que  l'Eglise  ad- 
met. On  le  poursuivit  à  la  fois  comme  magi- 
cien et  comme  impie... 

Delancre  dit  qu'il  avait  été  bien  instruit  en 
la  magie  par  son  père,  lequel  avait  eu  trente 
ans  un  démon  enfermé  dans  une  cassette,  et 
discourait  avec  ce  démon  sur  toutes  ses  af- 
faires (2). 

On  trouve  donc  des  choses  bizarres  dans 
presque  tous  ses  ouvrages,  qui  ont  été  re- 
cueillis en  dix  volumes  in-folio,  principale- 
ment dans  le  livre  de  la  Variété  des  choses, 
de  la  Subtilité  des  démons,  etc.,  et  dans  son 
Traité  des  Songes  (3).  Foyez  Métoposcopie. 

CARENUS  (Alexandre),  auteur  d'un  Trai/^ 
de»  songes  (4-)  publié  à  Padoue  en  1575. 

CARLOSTAD  (André  Bodenstein  de),  — 
archidiacre  de  Svitlemberg,  d'abord  parti- 
san, ensuite  ennemi  de  Luther,  mais  toujours 
dissident  comme  lui.  Il  nia  la  présence  réelle 
de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ  dans  l'eucha- 
ristie, après  avoir  gagé  avec  Luther,  le  verre 
à  la  main,  qu'il  soutiendrait  cette  erreur.  H 
abolit  la  confession  auriculaire,  le  précepte 
du  jeûne  et  l'abstinence  des  viandes.  Il  fut 
le  premier  prêtre  qui  se  maria  publique- 
ment en  Allemagne;  il  permit  aux  moines  de 
sortir  de  leurs  monastères  et  do  renoncer  à 
leurs  vœux;  il  Gl  de  mauvais  ouvrages,  au- 
jourd'hui méprisés  de  toutes  les  sectes,  et 
voici  ce  qui  lui  arriva,  selon  le  récit  de  Mos- 
Irovius  : 

Le  jour  que  Carloslad  prononça  son  der- 
nier prêche,  un  grand  homme  noir,  à  la  Ggure 
triste  et  décomposée,  monta  derrière  lui  l'es- 

(1)  Essai  sur  los  superslilions,  par  M.  L.  G.  In-11 

(i\  L'incrédulité  el  micréance,  elc,  Irailé  1",  p.  13, 
cic. 

(3)  Ilieronymus  Carilanus  ,   De  Somniis.  Bâie,  1583. 

^4)  Alex.  Carcnus,  DcSouiniis,  in  i".  Palavii,  1575. 


calier  de  la  chaire  et  lui  annonça  qu'il  irait 
le  voir  dans  trois  jours.  D'autres  disent  que 
l'homme  noir  se  tint  devant  lui  le  regardant 
d'un  œil  Oxe,  à  quelques  pas  de  la  chaire  el 
parmi  les  auditeurs.  Ouoi  qu'il  en  soit,  Car- 
loslad se  troubla;  il  dépêcha  son  prêclie,  et, 
au  sortir  de  la  chaire,  il  demanda  si  l'on  con- 
naissait l'homme  noir  qui  en  ce  moment  sor- 
tait du  temple.  Mais  personne  que  lui  ne 
l'avait  vu.  —  Cependant  le  même  fantôme 
noir  était  allé  à  la  maison  de  Carlostad  el 
avait  dit  au  plus  jeune  de  ses  Gis  : 

—  Souviens-loi  d'avertir  ton  père  que  je 
reviendrai  dans  trois  jours,  et  qu'il  se  tienne 
prêt... 

Quand  l'archidiadre  rentra  chez  lui,  son 
(Ils  lui  raconta  celle  aulre  circonstance.  Car- 
lostad épouvanté  se  mit  au  lit,  et  trois  jours 
après,  le  25  décembre  1541,  qui  était  la  fête 
de  Noël,  le  diable,  dit-on,  lui  tordit  le  cou. 
L'événement  eut  lieu  dans  la  ville  de  Bàlc  (5j. 

CAIIMENTES,  déesses  tulélaires  des  en- 
fants chez  les  anciens.  Elles  ont  été  rempla- 
placées  par  nos  fées  ;  elles  présiiiaicnt  à  la 
naissance,  chantaient  l'horoscope  du  nou- 
veau-né, lui  faisaient  un  don,  comme  les  fées 
en  Bretagne,  el  recevaient  de  petits  présents 
de  la  part  des  mères.  Elles  ne  se  montraient 
pas  ;  cependant  on  leur  servait  à  dîner  dans 
une  chambre  isolée  pendant  les  couches. 

On  donnait  aussi,  chez  les  Romains,  le  nom 
de  carmentes  (ou  charmeuses)  aux  devineres- 
ses célèbres;  et  l'une  des  plus  fameuses  pro- 
phétesses  de  l'Arcadie  s'est  nommée  Carmen- 
tie.  On  l'a  mise  dans  le  ci-devanl  Olympe. 

CARNAVAL.  Voy.  Mascarades. 

CARNOET.  Voy.  Trou  du  château. 

CARNUS,  devin  d'Acarnanie,  qui,  ayant 
prédit  de  grands  malheurs  sous  le  lègnede 
Codrus,  fut  tué  à  coups  de  flèches  comme 
magicien.  Apollon  envoya  la  peste  pour  ven- 
ger sa  mort. 

CARON.  —  La  fable  du  batelier  des  enfers 
vint,  dil-on,  de  Memphis,  en  Grèce.  Fils  de 
l'Erèbe  et  de  la  Nuit,  il  traversait  le  Cocyto 
el  l'Achéron  dans  une  barque  étroite.  Vieux 
et  avare,  il  n'y  recevait  que  les  ombres  de 
ceux  qui  avaient  reçu  la  sépulture  el  qui  lui 
payaient  le  passage.  Nul  mortel  pendant  sa 
vie  ne  pouvait  y  entrer,  à  moins  qu'un  ra- 
meau d'or  consacré  à  Proserpine  ne  lui  servît 
de  sauf-conduit;  et  le  pieux  Enée  eut  besoin 
que  la  sibylle  lui  en  fil  présent  lorsqu'il  vou- 
lut pénétrer  dans  le  royaume  de  Plulon.  Long- 
temps avant  le  passage  de  ce  prince,  le  no- 
cher infernal  avait  été  exilé  pendant  un  an 
dans  un  lieu  obscur  du  Tartare,  pour  avoir 
reçu  dans  son  baleau  Hercule,  qui  ne  s'était 
pas  muni  du  rameau. 

Mahomet,  dans  le  Koran,  chap.  28,  a  con- 
fondu Caron  avec  Coré,  que  la  terre  englou- 
tit lorsqu'il  outrageait  Moïse.  L'Arabe  Mu- 
tardi,  dans  son  ouvrage  sur  l'Egyple,  fait  de 

(5)  Celte  anecdote  se  trouve  encore  dans  les  écrits  ilc 
Lullier,  et  dans  un  livre  du  dernier  siècle,  inliliilé  :  l-;i 
Baliylone  démasquée,  ou  Entretiens  de  deux  dames  hol- 
laudaises  sur  la  religion  callioliiiue  romaine,  etc.,  p.  226; 
éditioa  de  Pépie,  rue  St-Jacqucs,  à  Paris,  1727. 


50'» 


CAR 


CAR 


5»0 


Caron  un  oncle  du  Icgislaleur  des  Hébreux, 
et,  comme  il  soutint  toujours  son  parii  avec 
zèle,  ce  dernier,  dit-il,  lui  apprit  ralchimie 
et  le  secret  du  grand  œuvre,  avec  lequel  il 
amassa  des  sommes  immenses. 

Hérodote  nous  a  indiqué  l'opinion  la  plus 
sûre  :  Caron  fut  d'abord  un  simple  prêtre  de 
Vulcain,  mais  qui  sut  usurper  en  Egypte  le 
souverain  pouvoir.  Parvenu  au  faîte  de  la 
grandeur,  il  voulut  rendre  son  nom  immor- 
tel par  un  ouvrage  qui  pût  attester,  dans  tous 
les  siècles,  l'étendue  de  sa  magniGcence.  Le 
tribut  qu'il  imposa  sur  les  inhumations  lui 
fournit  des  trésors  qui  facilitèrent  sou  des- 
sein. C'est  à  lui  que  l'on  doit  ce  labyrinthe 
égyptien,  qui  fut  d'abord  le  palais  qu'il  se 
plut  à  habiter,  et  qui  passa  ensuite,  dans  l'o- 
pinion vulgaire,  pour  faire  partie  des  en- 
fers (1). 

Histoire  populaire  de  Caron,  tirée  du  second 
voyage  de  Paul  Lucas. 

«  Le  lac  de  Kern,  autrefois  Achérusia,  en 
Egypte,  était,  dit-on,  dans  les  temps  reculés, 
beaucoup  plus  grand  qu'il  n'est  aujourd'hui. 
Alors  les  Pharaons  avaient  près  de  là  une 
grande  ville  où  ils  faisaient  lenr  résidence. 
Une  femme  de  cette  ville,  se  promenant  un 
jour  sur  les  bords  du  lac,  y  vit  une  vache  qui 
venait  de  mettre  bas  son  veau.  Cette  femme 
n'avait  point  d'enfants  :  la  réflexion  qu'elle 
fit  sur  la  stérilité  dont  elle  était  affligée,  pen- 
dant que  tant  de  brutes  faisaient  tous  les 
jours  des  petits,  l'entraîna  dans  une  espèce 
de  fureur;  elle  éclata  en  injures  contre  la 
vache,  qui  ne  s'en  inquiéta  point,  et  contre 
les  dieux,  à  qui  elle  reprochait  de  ne  savoir 
pas  discerner  la  juste  valeur  des  choses.  Aus- 
sitôt elle  entendit  une  voix  forte  comme  un 
tonnerre,  qui  semblait  partir  des  nuages; 
cette  voix  lui  annonçait  qu'elle  aurait  un 
fils,  qu'il  s'appellerait  Caron,  et  qu'il  devien- 
drait même  Pharaon  d'Egypte. 

»  A  ce  prodige,  l'imprudente  femme  ren- 
tra en  elle-mêuie,  moitié  désespérée  d'avoir 
outragé  les  dieux,  moitié  consolée  par  l'es- 
poir de  voir  un  jour  ses  vœux  exaucés.  Au 
bout  de  neuf  mois,  elle  mit  au  monde  un  (ils 
qu'elle  nomma  Caron.  11  croissait  à  vue  d'œii, 
mais  la  malice  de  son  esprit  surpassait  inQ- 
niment  la  force  de  son  corps. 

»  Dès  qu'il  fut  grand,  ses  mauvaises  incli- 
nations le  portèrent  aux  crimes  les  plus  af- 
freux. Voyant  qu'on  ne  fait  rien  dans  ce 
monde  sans  argent,  il  s'avisa  de  camper  sur 
les  bords  du  lac,  à  l'endroit  où  l'on  passait 
les  morts  pour  les  ensevelir  dans  les  grottes 
destinées  aux  momies.  Là,  pour  chaque  mort 
qui  traversait,  il  exigeait,  bon  gré  malgré, 
une  somme  assez  considérable  ;  et,  afin  qu'on 
ne  lui  fît  point  de  résistance,  il  publiait  qu'il 
était  chargé  par  le  roi  de  lever  cet  impôt.  A 
mesure  qu'il  gagna  de  l'argent,  il  prit  avec 
lui  d'autres  biigands  pour  le  soutenir  dans 
la  collecte  de  la  taxe  qu'il  avait  imaginée  (2). 
11  tu  ce  uiélier  plusieurs  années,  sans  qu'un 

M)  Dtilandine,  Enfers  des  peuples  anciens,  cli.  ix. 
(î)  C'élail  une  laxe  sur  les  eiiterrcmeuls,  cninine  il  y 
en  ï  à  Taris  ilc  si  cuoriucs.  —  Dans  notre  dernière  rcvo- 


l'en  empêchât.  Mais  enfin,  le  fils  du  roi  étant 
mort,  soit  que  Caron  le  prît  simplement  pour 
le  fils  de  quelque  seigneur,  soit  que  les  ri- 
chesses qu'il  avait  acquises  enflassent  son 
auilace,  il  arrêta  le  prince  comme  les  autres, 
prétendit  avoir  son  droit;  et,  se  moquant  de 
toutes  les  raisons  qu'on  lui  put  alléguer,  il 
jura  que  le  fils  du  roi  ne  passerait  pas  le  lac 
s'il  ne  payait  pas. 

»  Les  officiers  qui  accompagnaient  le  corps 
mort,  persuadés  que  le  fils  du  roi  devait  être 
exempt  de  toutes  sortes  d'impôts,  et  d'ailleurs 
irrités  par  l'impudence  d'un  homme  qu'ils 
traitaient  de  valet  subalterne,  coururent  por- 
ter leurs  plaintes  au  Pharaon.  Ils  lui  repré- 
sentèrent que,  depuis  qu'il  faisait  lever  un 
tribut  sur  les  morts,  quoiqu'il  semblât  que 
leurs  corps,  n'étant  plus  de  ce  monde,  ne 
devaient  pas  causer  la  misère  de  ceux  qui  y 
restaient,  cependant  aucun  Egyptien  n'avait 
refusé  de  payer;  et  qu'en  cela,  comme  en 
toute  autre  chose,  ils  s'étaient  toujours  fait 
un  plaisir  de  contribuer  à  la  gloire  et  aux 
richesses  de  leur  roi;  mais  que,  dans  l'occa- 
sion présente,  ils  seraient  coupables  de  se 
taire,  et  qu'il  n'était  pas  supportable  qu'un 
officier  qui  portail  l'insolence  jusqu'à  refuser 
le  passage  au  fils  du  souverain,  et  à  maltrai- 
ter les  premiers  officiers  de  la  couronne,  de- 
meurât impuni. 

»  Le  Pharaon,  qui  n'avait  rien  compris 
dans  le  discours  de  ses  officiers,  parce  qu'il 
n'avait  jamais  entendu  parler  de  Caron,  fut 
fort  surpris  lorsqu'on  lui  expliqua  quel  était 
cet  homme  et  de  quelle  nature  était  l'impôt 
exigé.  Il  s'écria  qu'il  n'avait  jamais  donné 
de  pareils  ordres,  et  il  envoya  aussitôt  un 
détachement  de  ses  gardes  pour  arrêter  l'iu- 
solenl  qui  osait  usurper  les  droits  de  son  roi. 

»  Caron,  qui  ne  se  piquait  pas  de  timidité, 
se  présenta  effrontément.  Le  Pharaon  lui 
demanda  qui  lui  avait  donné  la  permission 
de  piller  ainsi  le  public.  H  répondit  d'un  ton 
ferme  que  ce  qui  était  permis  aux  grands 
seigneurs  ne  pouvait  être  un  crime  pour  lui. 

»  Le  roi  allait  ordonner  qu'on  l'enipalûl; 
mais  Caron,  sans  se  troubler,  lui  dit  : 

—  «  Ecoutez-moi,  sire,  il  ne  faut  pas  Irai^ 
ter  si  lestement  les  choses.  Ce  n'est  pas  pour 
moi  que  j'ai  tiré  ce  tribut  de  vos  sujets,  c'est 
pour  vous,  dont  on  ne  prend  pas  assez  les 
intérêts.  Qu'ai-je  besoin  de  ces  richesses,  moi 
qui  sais  me  rendre  heureux  à  si  peu  de  frais? 
et  peut-on  dire  que  c'est  pour  en  jouir  dans 
les  délices,  lorsqu'on  me  voit  tous  les  jours 
exposé  aux  insultes  de  ceux  qui  mènent  les 
convois  funèbres?  Vous  allez,  sire,  approu- 
ver ma  conduite  :  je  me  suis  persuade  que, 
puisque  vos  intendants  vous  volaient,  il  fal- 
lait du  moins  que  quelque  sujet  fidèle  remU 
dans  vos  coffres  ce  qu'ils  en  étaient.  J'ai 
voulu  être  ce  fidèle  sujet;  je  vous  ai  acquis 
déjà  de  grandes  richesses,  et  j'espère  vous 
en  donner  encore  de  plus  grandes;  » 

»  Le  roi  envoya  aussitôt  au  lieu  où  Carou 
déposait  le  produit  de  l'impôt  qu'il  levait  sur 

liilion,  on  proposa  d'établir  un  im(.ftt  sur  les  corcncils. 
L'julcur  de  celte  motion  peusail  (pi'au  moins  let  imiiOl  uc 
l'erjii  pas  crier  ceux  (jui  usoraieul  de  l'objet  taxé. 


su 


DlCTIONNAlRli  DES 


les  morts;  on  y  trouva  de  grosses  sommes, 
qu'il  fil  mettre  dans  ses  colTres,  et  au  lieu  de 
faire  mourir  cet  homme,  il  en  fit  son  pre- 
mier ministre,  lui  donna  un  palais  somp- 
tueux, et  le  confirma  dans  son  emploi,  dont 
il  fil  la  première  dignité  de  l'Etat.  Ce  fui  alors 
que  l'impôt  s'exigea  par  ordre  du  roi.  Caron 
gagna  des  sommes  énormes,  cl  devint  en- 
suite si  puissant ,  qu'il  fil  assassiner  le  roi  et 
se  mil  la  couronne  sur  la  lêle.  Ainsi  la  pro- 
phétie qui  avait  consolé  sa  mère  fut  accom- 
plie. » 

Cette  histoire  n'est  qu'une  tradition  popu- 
laire rapporlée  à  Paul  Lucas  par  des  Egyp- 
tiens, sur  les  bords  du  lac  do  Kern  ;  mais  ces 
sortes  de  traditions  servent  quelquefois  à  dé- 
brouiller les  faits  obscurs  de  la  vieille  his- 
toire; cl  l'on  pourrait  douter  si  c'est  de  ce 
que  nous  venons  d'extraire  que  les  poêles 
ont  tiré  la  fable  de  Caron,  le  batelier  des  en- 
fers, ou  si  c'est  des  poêles  que  les  Egyptiens 
lieuncnl  leur  conte  populaire. 

CARPENTIEIl  (RicnAun) ,  bénédictin  an- 
glais du  dix-septième  siècle.  On  recherche  de 
lui  :  1°  la  Ruine  de  l'Antéchrist,  in-S",  1C48  ; 
2'  Preuves  que  l'astrologie  est  innocente,  utile 
et  précise,  in-i",  Londres,  1653.  Il  a  publié 
une  autre  singularité  intitulée  ,  la  Loi  par- 
faite de  Dieu,  sermon  qui  n'est  pas  sermon, 
qui  a  été  prêché  et  n'a  pus  été  prêché,  1632. 

CARPOCRATIENS,  hérésiarques  du  ii*  siè- 
cle ,  qui  reconnaissaient  pour  chefCarpo- 
crate  ,  professeur  de  magie,  selon  l'expres- 
sion de  saint  Irénée.  ils  contaient  que  les 
anges  venaient  de  Dieu  par  une  suite  de 
générations  infinies,  que  lesdits  anges  s'é- 
taient avisés  un  jour  de  créer  le  monde  et 
les  âmes,  lesquelles  n'étaient  unies  à  des 
corps  que  parce  qu'elles  avaient  oublié  Dieu. 
Carpocrate  prétendait  que  tout  ce  que  nous 
apprenons  n'est  que  réminiscence.  Il  regar- 
dait les  anges  comme  nous  les  démons  ;  il  les 
disait  ennemis  de  l'homme,  et  croyait  leur 
plaire  en  se  iivrant  à  toutes  ses  passions  et 
aux  plaisirs  les  plus  honteux.  Sjs  disciples 
cultivaient  la  magie,  faisaient  des  enchante- 
ments cl  avaient  des  secrets  merveilleux.  Ils 
marquaient  leurs  sectateurs  à  l'oreille  et 
commettaient  beaucoup  d'abominations.  Celle 
secte  ne  subsista  pas  longtemps. 

CARRA  (Jean-Louis),  aventurier  du  der- 
nier siècle,  qui  se  fit  girondin  ,  et  fui  guillo- 
tiné en  1793.  11  a  laissé,  entre  autres  ou- 
vrages ,  un  Examen  physique  du  magnétisme 
animal,  in -8",  1783. 

CARREFOURS,  lieux  où  quatre  chemins 
aboutissent.  C'est  aux  carrefours  que  les  sor- 
ciers se  réunissent  ordinairement  pour  faire 
lo  sabbat.  On  montre  encore,  dans  plusieurs 
provinces  ,  quelques-uns  de  ces  carrefours 
redoutés  ,  au  milieu  desquels  étaient  placés 
des  polcaux  que  les  sorciers  ou  les  démons 
entouraient  de  lanternes  pendant  la  fêle  noc- 
turne. On  fait  remarquer  aussi  sur  le  sol  un 
large  rond  oîi  les  dénions  dansaient;  et  l'on 
préiend  que  l'herbe  ne  peut  y  cruîlrc. 

C'est  aussi  dans  un  carrefour  (]u'ou  tue  la 
poule  noire  pour  évoquer  le  diable. 


SCllLNCliS  OCCULTES.  S12 

CARTAGRA,  région  du  purgatoire.  Voy. 
Gamygyn. 

CARTES,  voy.  Cartomancie. 

CARTICEYA,  divinité  indienne  qui  com- 
mande les  armées  des  génies  et  des  anges  ; 
il  a  six  faces,  une  multitude  d'yeux  et  un 
grand  nombre  de  bras  armés  de  massues,  do 
sabres  et  de  flèches.  Il  se  prélasse  à  cheval 
sur  un  paon. 

CARTOMANCIE,  divination  par  les  car- 
tes, plus  connue  sous  le  nom  d'art  de  tirer 
les  cartes. 

On  dit  que  les  caries  ont  été  inventées 
pour  amuser  la  folie  de  Charles  VI;  mais 
Allielle  ,  qui  écrivit  sous  le  nom  d'EUeilla  , 
nous  assure  que  la  cartomancie,  qui  est  l'art 
de  tirer  les  cartes,  est  bien  plus  ancienne.  Il 
fiil  remonter  celte  divination  au  jeu  des  bâ- 
tons d'Alpha  (nom  d'un  Grec  fameux  exilé 
en  Espagne,  dit-il).  Il  ajoute  qu'on  a  depuis 
perfectionné  celte  science  merveilleuse.  On 
s'est  servi  de  tablettes  peintes;  et  quand  Jac- 
quemin  Gringoneur  offrit  les  caries  au  roi 
Charles  le  Bien-Aimé,  il  n'avait  eu  que  la 
peine  de  transporter  sur  des  cartons  ce  qui 
était  connu  des  plus  habiles  devins  sur  des 
planchettes.  Il  est  fâcheux  que  celte  asser- 
tion ne  soit  appuyée  d'aucune  preuve. 

Cependant  les  cartes  à  jouer  sont  plus  an- 
ciennes que  Charles  VI.  Boissonade  a  re- 
marqué que  le  petit  Jehan  de  Saintré  ne  fut 
honoré  de  la  faveur  de  Charles  V  que  parce 
qu'il  ne  jouait  ni  aux  cartes  ni  aux  dés.  Il 
fallait  bien  aussi  qu'elles  fussent  connues  en 
Espagne  lorsque  Alphonse  XI  les  prohiba 
en  1332,  dans  les  statuts  de  l'ordre  de  la 
Bande. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  cartes,  d'abord  tolé- 
rées ,  furent  ensuite  condamnées;  et  c'est 
une  opinion  encore  subsistante  dans  l'esprit 
de  quelques  personnes  crédules  que  qui  lient 
les  cartes  tient  le  diable.  C'est  souvent  vrai , 
au  figuré.  «  Ceux  qui  font  des  tours  de  cartes 
sont  sorciers  le  plus  souvent,  »  dit  Boguet. 
Il  cite  un  comte  italien  qui  vous  mellail  en 
main  un  dix  de  pique,  et  vous  trouviez  que 
c'était  un  roi  de  cœur  (1).  Que  penserait-il 
des  prestidigitateurs  actuels? 

Il  n'est  pas  besoin  de  dire  qu'on  a  trouvé 
tout  dans  les  cartes,  histoire,  sabéisme,  sor- 
cellerie. 11  y  a  même  eu  des  doctes  qui  ont 
vu  toute  l'alchimie  dans  les  figures  ;  el  cer- 
tains cabalisles  ont  prétendu  y  reconnaître 
les  esprits  des  quatre  éléments.  Les  carreaux 
sont  les  salamandres  ,  les  cœurs  sont  les 
sylphes,  les  trèfles  les  ondins,  et  les  piques 
les  gnomes. 

Arrivons  à  l'art  de  tirer  les  caries. 

On  se  sert  presque  toujours  ,  pour  la  car- 
tomancie, d'un  jeu  de  piciuet  de  trente-deux 
cartes.  Les  cœurs  et  les  trèfles  sont  générale- 
ment bons  el  heureux  ;  les  carreaux  el  les 
piques  ,  généralement  mauvais  et  malheu- 
reux. Les  figures  en  cœur  et  en  carreau  an- 
noncent des  personnes  blondes  ou  châtain- 
blondes  ;  les  ligures  en  pique  ou  en  trcflu 
annoncent  des  personnes   brunes   ou   châ- 

(U  Discours  Jcs  sorcier;,  ch.  un. 


513 


CAR 


tain-brunes.  Voici   ce  que  signiQe   chaque 
carte  : 

Les  huit  cœurs.  —  Le  roi  de  cœur  est  un 
homme  honorable  (;ui  cherche  à  vous  faire 
(lu  bien;  s'il  est  renversé,  il  sera  arrêté  dans 
SCS  loyale.'!  intentions.  La  dame  de  cœur  est 
une  femmt  honnête  et  généreuse  de  qui  vous 
pouvez  allendre  des  services;  si  elle  est  ren- 
versée, c'est  le  présage  d'un  relard  dans  vos 
espérances.  Le  valet  de  cœur  est  un  brave 
jeune  homme,  souvent  un  militaire,  qui  doit 
entrer  dans  voire  famille  et  cherche  à  vous 
être  utile  ;  il  en  sera  empêché  s'il  est  ren- 
versé. I^'as  de  cœur  annonce  une  nouvelle 
agréable;  il  représente  un  festin  ou  un  re|)as 
d'amis  quand  il  se  trouve  entouré  de  figures. 
Le  dix  de  cœur  est  une  surprise  qui  fera 
grande  joie;  le  neuf  promet  une  réconcilia- 
lion,  il  resserre  les  liens  entre  les  personnes 
qu'on  veut  brouiller.  Le  huit  promet  de  la 
satisfaction  de  la  part  des  enfants.  Le  sept 
annonce  un  bon  mariage. 

Les  huit  carreaux.  — Le  roi  de  carreau  est 
un  homme  assez  important  qui  pense  à  vous 
nuire,  et  qui  vous  nuira  s'il  est  renversé.  La 
(lame  est  une  méchante  femme  qui  dit  du  mal 
de  vous  et  qui  vous  fera  du  mal  si  elle  est 
renversée. 

Le  valet  de  carreau  est  un  militaire  ou  un 
messager  qui  vous  apporte  des  nouvelles 
désagréables;  et  s'il  est  renversé,  des  nou- 
velles fâcheuses.  L'as  de  carreau  annonce 
une  lettre  ;  le  dix  de  carreau,  un  voyage  né- 
cessaire et  imprévu  ;  le  neuf,  un  retard  d'ar- 
gi'ut  ;  le  huit,  des  démarches  qui  surpren- 
dront de  la  part  d'un  jeune  homme  ;  le  sept, 
un  gain  de  loterie  ;  s'il  se  trouve  avec  l'as  de 
carreau,  assez  bonnes  nouvelles. 

Les  huit  piques.  —  Le  roi  représente  un 
commissaire,  un  juge,  un  homme  de  robe 
éivcc  qui  on  aura  des  disgrâces;  s'il  est  ren- 
versé ,  perte  d'un  procès.  La  dame  est  une 
veuve  qui  cherche  à  vous  tromper  :  si  elle 
est  renversée  ,  elle  vous  trompera.  Le  valet 
est  un  jeune  homme  qui  vous  causera  des 
désagréments;  s'il  est  renversé,  présage  de 
trahison.  L'as,  grande  tristesse;  le  dix,  em- 
prisonnement ;  le  neuf,  retard  dans  les  af- 
faires  ;  le  huit,  mauvaise  nouvelle  ;  s'il  est 
suivi  du  sept  de  carreau,  pleurs  et  discordes. 
Le  sept ,  querelles  et  tourments  ,  à  moins 
qu'il  ne  soit  accompagné  de  cœurs. 

Les  huit  trèfles.  —  Le  roi  est  un  homme 
juste,  qui  vous  rendra  service;  s'il  est  ren- 
versé, ses  inlentions  honnêtes  éprouveront 
du  retard.  La  dame  est  une  femme  qui  vous 
aime;  une  femme  jalouse  ,  si  elle  esl  ren- 
versée. Le  valet  promet  un  mariage,  qui  ne 
se  fera  pas  sans  embarras  préliminaires,  s'il 
est  renversé.  L'as,  gain,  profit,  argent  à  re- 
cevoir ;  le  dix ,  succès  ;  s'il  est  suivi  du  neuf 
de  carreau,  retard  d'argent;  perte  s'il  se 
trouve  à  côté  du  neuf  de  pique.  Le  neuf, 
réussite  ;  le  huit,  espérances  fondées  ;  le  sept, 
faiblesse;  et  s'il  est  suivi  d'un  neuf,  hé- 
ritage. 

Quatre  rois  de  suite,  honneurs;  trois  rois 
de  suite,  succès  dans  le  commerce;  deux 
rois  de  suite  ,  bons  conseils. 


C.\R  511 

Quatre  dames  de  suit(!,  grands  caquets; 
trois  dames  de  suite,  tromperies;  deux  da- 
mes de  suite,  amitié. 

Quatre  valets  de  suite  ,  maladie  conta- 
gieuse; trois  valets  de  suite,  paresse  ;  deux 
valets  de  suite,  dispute. 

Quatre  as  de  suite  ,  une  mort  ;  trois  as  de 
suite,  libertinage;  deux  as  de  suite,  inimitié. 

Quatre  dix  de  suite,  événements  désa- 
gréables ;  trois  dix  de  suite  ,  changement 
d'état;  deux  dix  de  suite ,  perte. 

Quatre  neuf  de  suite,  bonnes  actions;  trois 
neuf  de  suite  ,  imprudence  ;  deux  neuf  de 
suite,  argent. 

Quatre  huit  de  suite,  revers  ;  trois  huit  de 
suite,  mariage;  deux  huit  de  suite,  désagré- 
ments. 

Quatre  sept  de  suite,  intrigues;  trois  sept 
de  suite,  divertissements  ;  deux  sept  de  suite, 
petites  nouvelles. 

Il  y  a  plusieurs  manières  de  tirer  les  car- 
tes. La  plus  sûre  méthode  est  de  les  tirer  par 
sept,  comme  il  suit  : 

Après  avoir  mêlé  le  jeu,  on  le  fait  couper 
de  la  main  gauche  par  la  personne  pour  qui 
on  opère;  on  compte  les  cartes  de  sept  en 
sept,  mettant  de  côté  la  septième  de  chaque 
paquet.  On  répèle  l'opération  jusqu'à  ce 
qu'on  ait  produit  doUze  cartes.  Vous  élendoz 
ces  douze  cartes  sur  la  table  les  unes  à  côté 
des  autres,  selon  l'ordre  dans  lequel  elles  sont 
venues  ;  ensuite  vous  cherchez  ce  qu'elles  si- 
gnifient, d'après  la  valeur  et  la  position  de 
chaque  carte,  ainsi  qu'on  l'a  expliqué. 

Mais  avant  de  tirer  les  caries,  il  ne  faut  pas 
oublier  de  voir  si  la  personne  pour  laquelle 
on  les  tire  est  sortie  du  jeu.  On  prend  ordi- 
nairement le  roi  de  cœur  pour  un  homme 
blond  marié;  le  roi  de  trèfle  pour  un  homme 
brun  marié  ;  la  dame  de  cœur  pour  une  dame 
ou  une  demoiselle  blonde;  la  dame  de  trèfle 
pour  une  dame  ou  une  demoiselle  brune  ;  le 
valet  de  cœur  pour  un  jeune  homme  blond  ; 
le  valet  de  trèfle  pour  un  jeune  homme  brun. 
—  Si  la  carte  qui  représente  la  personne  pour 
qui  on  opère  ne  se  trouve  pas  dans  les  douze 
cartes  que  le  hasard  vient  d'amener,  on  la 
cherche  dans  le  reste  du  jeu ,  et  on  la  place 
simplement  à  la  fin  des  douze  cartes  sorties. 
Si,  au  contraire,  elle  s'y  trouve,  on  fait  tirer 
à  la  personne  pour  qui  on  travaille  (ou  l'on 
tire  soi-même  si  c'est  pour  soi  que  l'on  con- 
sulte) une  treizième  carte  à  jeu  couvert.  On 
la  place  pareillement  à  la  fin  des  douze  cartes 
étalées  ,  parce  qu'il  est  reconnu  qu'il  faut 
treize  cartes. 

Alors,  on  explique  sommairement  l'en- 
semble du  jeu.  Ensuite,  en  partant  de  la 
carte  qui  représente  la  personne  pour  qui 
on  interroge  le  sort,  on  compte  sept  et  on 
s'arrête  ;  on  interprète  la  valeur  inlrinsèquo 
et  relative  de  la  carte  sur  laquelle  on  fait 
station  ;  on  compte  sept  de  nouveau,  et  de 
nouveau  on  explique,  parcourant  ainsi  tout 
le  ji'u  à  plusieurs  reprises  jusqu'à  ce  qu'on 
revienne  précisément  à  la  carte  de  laquelle 
on  est  parti.  On  doit  déjà  avoir  vu  bien  des 
choses.  11  reste  cependant  une  opération  im- 
porlanle. 


s:5 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCKS  OCCULTES. 


316 


On  relève  les  treize  cartes,  on  les  môle  , 
on  fait  à  nouveau  couper  delà  main  gauche. 
Après  quoi  on  dispose  les  cartes  à  couvert 
sur  six  paquets,  1°  pour  la  personne  ;  2°  pour 
la  maison  ou  son  intérieur  ;3° pour  ce  qu'elle 
attend  ;  4"  pour  ce  qu'elle  n'attend  pas  -jS"  pour 
sa  surprise;  G°pour  sa  consolation  ou  sa 
pensée.  —  Les  six  premières  cartes  ainsi 
rangées  sur  la  table,  il  en  reste  sept  dans  la 
main.  On  fuit  un  second  tour,  mais  on  no 
met  une  carte  que  sur  chacun  des  cinq  pre- 
miers paquets.  Au  troisième  tour,  on  pose 
les  deux  dernières  cartes  sur  les  numéros  1 
et  2.  On  découvre  ensuite  successivement 
chaque  paquet, et  on  l'explique  en  commen- 
çant par  le  premier,  qui  a  trois  cartes  ainsi 
que  le  deuxième,  et  finissant  par  le  dernier 
qui  n'en  a  qu'une. 

Voilà  tout  entier  l'art  de  tirer  les  cartes  ; 
les  méthodes  varient,  ainsi  que  la  valeur 
des  caries,  auxquelles  on  donne  dans  les  li- 
vres spéciaux  des  sens  très-divers  et  très-ar- 
bitraires ;  mais  les  résultats  ne  varient  pas. 

Nous  terminerons  en  indiquant  la  manière 
de  faire  ce  qu'on  appelle  la  réussite. —  Pre- 
nez également  un  jeu  de  piquet  de  trente- 
deux  cartes.  Faites  huit  paquets  à  couvert 
de  quatre  cartes  chacun,  et  les  rangez  sur  la 
table;  retournez  la  première  carte  de  cha- 
que paquet;  prenez  les  cartes  de  la  mémo 
valeur  deux  par  deux  ,  comme  deux  dix  , 
deux  rois, deux  as,  etc.,  en  retournant  tou- 
jours à  découvert  sur  chaque  paquet  la  carte 
qui  suit  celle  que  vous  enlevez.  Pour  que  la 
réussile  soit  assurée,  il  faut  que  vous  retiriez 
de  la  sorte  toutes  les  cartes  du  jeu,  deux  par 
deux,  jusqu'aux  dernières. — Ou  fait  ces 
réussites  pour  savoir  si  un  projet  ou  une  af- 
faire aura  du  succès,  ou  si  une  chose  dont 
on  doute  a  eu  lieu. 

Alliette,  sous  le  nom  d'Etleilla  ,  a  publié 
un  long  traité  sur  cette  matière.  Citons  en- 
core V  Oracle  par  fait,  o\x  nouvelle  manière  de 
tirer  les  cartes,  au  moyen  de  laquelle  cha- 
cun peut  faire  son  horoscope,  ln-12,  Paris  , 
1802. Ce  petit  livre,  de  92  pages,  est  dédié  au 
beau  sexe  par  Albert  d'Alby.  L'éditeur  est 
M.  de  Valembert,  qui  f.iit  observer  que  10- 
racle  parfait  devait  paraître  en  1788;  que  la 
censure  l'arrêta,  et  qu'on  n'a  pu  qu'en  1S02 
en  gratifier  le  public.  La  méthode  de  ce  livre 
est  embrouillée  ;  l'auteur  veut  qu'on  emploie 
vingt  cartes  disposées  en  cinq  tas,  de  cette 
manière:  un  au  milieu,  un  au-dessus,  un 
au-dessous,  et  un  de  chaque  côté;  ce  qui 
l'ait  une  croix.  Les  cartes  d'en  haut  signitieiit 
ce  qui  doit  arriver  bientôt,  les  cartes  de 
droite  ce  qui  arrivera  dans  un  temps  plus 
éloigné;  les  cartes  d'en  bas  sont  pour  le  pas- 
sé; les  caries  de  gauclie  pour  les  obstacles  ; 
les  cartes  du  milieu  pour  le  présent.  On  ex- 
plique ensuite  d'après  les  principes. 

(1)  Cet  ouvrage  est  connu  aussi  sous  le  litre  de  Traité 
des  esprits  ,  des  sorciers  et  des  opérations  surnaturelles, 
vn  anglais.  Londres,  167:2.  In-8°. 

(2)  Angclograpbia ,  2  vol.  iu-8°.  Francfon ,  lo97  et 
1603. 

(ô)   Nucicus   niTsieriorum  natura:  cuuclcatus  ,  iCOj. 

Il -a». 


Mais  c'en  est  assez  sur  la  cartomancie. 
Nous  n'avr)ns  voulu  rien  laisser  ignorer  du 
fondement  de  celle  science  aux  dames  qui 
consultent  leurs  cartes etquidoulcntde Dieu. 
Cependant  nous  les  prierons  d'observer  que 
ce  grand  mojen  de  lever  le  rideau  qui  nous 
cathe  l'avenir  s'est  trouvé  quelquefois  en 
défaut.  Une  des  plus  fameuses  tireuses  de 
cartes  fil  le  jeu  pour  un  jeune  homme  sans 
barbe  qui  s'était  déguisé  en  fille.  Elle  lui  pro- 
mit un  époux  riche  et  bien  fait,  trois  gar- 
çons, une  fille,  des  couches  laborieuses  mais 
sans  danger.  — Une  dame  qui  commençait  à 
hésiter  dans  sa  confiance  aux  cartes  se  lit  un 
jour  une  réussite  pour  savoir  si  elle  avait 
déjeuné.  Elle  était  encore  à  table  devant  les 
plats  vides;  elle  avait  l'estomac  bien  garni  ; 
toutefois  les  cartes  lui  apprirent  qu'elle  était 
à  jeun,  car  la  réussile  ne  put  avoir  lieu. 

CASAUBON  (MÉDÉR.ic),fils  d'Isaac  Casau- 
bon,  né  à  Genève  en  lo9i).  On  a  de  lui  un 
Traité  de  l'Enthousiasme  ,  publié  en  1655  ; 
in-8\  Cet  ouvrage  est  dirigé  contre  ceux  qui 
attribuent  l'enthousiasme  à  une  inspiration 
du  ciel  ou  à  une  inspiration  du  démon.  On 
lui  doit  aussi  un  Traité  de  la  crédulité  et  de 
l'incrédulitédana  les  choses  spirituelles,  in-8% 
Londres,  1670.  11  y  établit  la  réalité  des  es- 
prits,des  merveilles  surnaturelles  et  des  sor- 
ciers (1).  Nous  citerons  aussi  sa  Véritable  et 
fidèle  relation  de  ce  qui  s'est  passé  entre  Jean 
Dée  et  certains  esprits,  1639,  in-fol. 

CASl. — C'est  le  nomd'uoe  pagode  fameuse 
sur  les  bords  du  G.inge.  Les  Indiens  recher- 
chent le  privilège  d'y  mourir;  carEswara  no 
manque  pas  de  venirsouffler  dansleuroreillo 
droite  an  dernier  instant  pour  les  purifier  : 
aussi  ont-ils  grand  soin  du  mourir  couchés 
sur  le  côté  gauche. 

CASMANN  (Othos),  savant  Allemand 
du  seizième  siècle,  auteur  d'un  livre  sur  les 
anges,  intitulé  :  Angélographie  (2).  Il  a  laissé 
un  autre  ouvrage,  que  quelques  personnes 
recherchent,  sur  les  mystères  de  la  nature  (3). 

CASSANDRE.  —  Fille  de   Priara,   à    qui 
Apollon  accorda  le  don  de  prophétie  pour  la 
séduire  ;  mais  quand  elle  eut  le  don ,  elle  ne  . 
voulut  pas  répondre  à  la  tendresse  du  dieu  ,| 
et  le  dieu  discrédita  ses  pronostics.  Aussi  ,| 
quoique   grande    magicienne   et    sorcière , 
comme  dit  Delancre(4),  elle  ne  put  pas  em- 
pêcher la  ruine  de  Troie,  ni  se  garantir  elle- 
même  des  violences  d'Ajax. 

CASSIUS  DE  PARME.  —  Antoine  venait  de 
perdre  la  bataille  d'Aclium;  Cassius  de  Par- 
me ,  qui  avait  suivi  son  parti ,  se  retira  dans 
Athènes:  là,  au  milieu  de  la  nuit,  pendant 
que  son  esprit  s'abandonnait  aux  inquiétu- 
des, il  vit  paraître  devant  lui  un  homme  noir 
qui  lui  parla  avec  agitation.  Cassius  lui  de- 
manda qui  il  était.  —  Je  suis  ton  démon  (5), 
—  répondit  le  fantôme.  Ce  mauvais  démon 

(4)  Tableau  de  l'iDConstance  des  mauvais  anges,  etc., 
liv  I,  dise.  3. 

(3)  foriginal  portii  cacodaimon,  mauvais  démon.  Chei 
les  Grecs  Uaiinoii,  simiilement,  signlliail  un  qéiiie,  mie 
homie  inieliitjeiice ,  comme  le  démon  de  Socrate  cl  linéi- 
ques autres. 


r.i7 


CAS 


CAS 


51» 


étail  la  peur.  A  celte  parole,  G.issius  s'ef- 
fraya et  appela  ses  esclaves;  mais  le  démon 
disparut  sans  se  laisser  voir  à  d'autres  yeux. 
Persuadé  qu'il  révail,  Cassius  se  recouclia 
et  chercha  à  se  rendormir  ;  aussitôt  qu'il  fut 
seul,  le  démon  reparut  avec  les  mômes  cir- 
constances. Le  Romain  n'eut  pas  plus  de  for- 
ce que  d'abord  ;  il  se  ût  apporter  des  lumiè- 
res,passa  le  reste  de  la  nuit  au  milieu  de  ses 
esclaves,  et  n'osa  plus  rester  seul.  Il  fut  tué 
peu  de  jours  après  par  l'ordre  du  vainqueur 
d'Actium  (1). 

GASSO  ou  ALOUETTE.  —  On  assure  que 
celui  qui  portera  sur  soi  les  pieds  de  cet  oi- 
seau ne  sera  jamais  persécuté  ;  au  contrai- 
re, il  aura  toujours  l'avantage  sur  ses  enne- 
mis. Si  on  enveloppe  l'œil  droit  de  l'alouette 
dans  un  morceau  de  la  peau  d'un  loup  , 
l'homme  qui  le  portera  sera  doux,  agréable 
et  plaisant  ;  et  si  on  le  met  dans  du  vin ,  on 
se  fera  chérir  de  la  personne  qui  le  boira  (2). 

CASSOTIDE.— Fontaine  de  Delphes, dont 
la  vertu  prophétique  inspirait  des  femmes 
qui  y  rendaient  des  oracles. 

CASTAIGNE  (Gabriel  de), —  aumônier  de 
Louis  XIII,  cordelier  et  alchimiste.  On  lui 
doit  l'or  potable  qui  guérit  de  tous  maux  , 
in-8%  rare,  Paris,  1611;  le  Paradis  terrestre, 
où  l'on  trouve  la  guérison  de  toute  maladie, 
in-S",  Paris ,  1615;  «  le  Grand  miracle  de  na- 
«  ture  métallique,  que,  en  imitant  icelle  sans 
«  sophistiqueries ,  tous  les  métaux  impar- 
«  fails  se  rendront  en  or  fin,  et  les  maladies 
«  incurables  se  guériront ,  »  in-S",  Paris . 
1615. 

GASTALIE.  —  Fontaine  d'Antioche ,  au 
faubourg  de  Daphné  ;  ses  eaux  étaient  pro- 
phétiques ,  et  il  y  avait  auprès  un  oracle  cé- 
lèbre qui  prédit  l'empire  à  Adrien.  Quand  cet 
oracle  fut  accompli,  Adrien  fit  boucher  la 
fontaine  avec  de  grosses  pierres,  de  peur 
qu'un  autre  n'y  allât  chercher  la  même  fa- 
veur qu'il  avait  obtenue. 

CASTALIN  (Diego).  —  «  Discours  prodi- 
gieux et  épouvantable  deiTO\sEiiiagno\s  et  ano 
Espagnole,  magiciens  et  sorciers,  qui  se  fai- 
saient porter  par  les  diables  de  ville  en  ville, 
avec  leurs  déclarations  d'avoir  fait  mourir 
plusieurs  personnes  et  bétail  par  leurs  sor- 
tilèges, et  aussi  d'avoir  fait  plusieurs  dégâts 
aux  biens  de  la  terre.  Ensemble,  l'arrêt  pro- 
noncé contre  eux  par  la  cour  de  parlement 
de  Bordeaux,  in-8°  (rare).  Paris,  1626.» 

«  Trois  Espagnols  ,  accompagnés  d'une 
femme  espagnole  aussi  sorcière  et  magicien- 
ne ,  se  sont  promenés  par  l'Italie ,  Piémont , 
Provence,  Franche-Gomlé,  Flandre,  et  ont, 
par  plusieurs  fois  ,  traversé  la  France,  et, 
lout  aussitôt  qu'ils  avaient  reçu  quelque  dé- 
plaisir de  quelques-uns,  en  quelques  vil- 
les,ils  ne  manquaiint.par  le  moyen  de  leurs 
pernicieux  charmes,  de  faire  sécher  les  blés 
et  les  vignes;  et  pour  le  regard  du  bétail,  il 
languissait  quelques  trois  semaines,  puis 
demeurait  mort,  tellement  qu'une  partie  du 
Piémont  a  senti  ce  que  c'était  que  leurs  mau- 
dites façons  de  faire. 

(1)  Valère-Maxime,  cl  d'autres  ancions. 
(2,  Aduiiiablfs  secrcU  d'Albert  le  Grand. 


»  Quand  ils  avaient  fait  jouer  leurs  char- 
mes en  quelques  lieux  par  leurs  arts  perni- 
cieux .  ils  se  faisaient  porter  par  les  diables 
dans  les  nuées ,  de  ville  en  ville  ,  et  quelque- 
fois faisaient  cent  lieues  le  jour  Mais  comme 
la  justice  divine  ne  veut  pas  longuement 
souffrir  les  malfaiteurs.  Dieu  permit  qu'un 
curé,  nommé  messire  Benoît  la  Fave,  pas- 
sant près  de  Dôle,  rencontrât  ces  Espagnols 
avec  leur  servante,  lesquels  se  mirent  en 
compagnie  avec  lui,  et  lui  demandèrent  où 
il  allait.  Après  leur  avoir  déclaré  et  conté 
une  partie  de  son  ennui  pour  la  longueur  du 
chemin,  un  de  ces  Espagnols,  nommé  Diego 
Gastalin  ,  lui  dil  :  —  Ne  vous  déconfortez 
nullement,  il  est  près  de  midi  ;  mais  je  veux 
que  nous  allions  aujourd'hui  coucher  à  Bor- 
deaux. 

»  Le  curé  ne  répliqua  rien,  croyant  qu'il 
le  disait  par  risée,  vu  qu'il  y  avait  près  de 
cent  lieues.  Néanmoins,  après  s'être  assis 
tous  ensemble,  ils  se  mirent  à  sommeiller. 
Au  réveil  du  curé,  il  se  trouve  aux  portes  de 
Bordeaux  avec  ces  Espagnols.  Un  conseiller 
de  Bordeaux  fut  averti  de  celte  merveille;  il 
voulut  savoir  comment  cela  s'était  passé  :  il 
dénonce  les  trois  Espagnols  et  la  femme.  On 
fouille  leurs  bagages,  où  se  trouvent  plu- 
sieurs livres ,  caractères ,  billets ,  cires ,  cou- 
teaux, parchemins  et  autres  denrées  servant 
à  la  magie.  Ils  sont  examinés; ils  confessent 
le  tout,  disant,  entre  autres  choses  ,  avoir 
fait,  par  leurs  œuvres  ,  périr  les  fruits  de  la 
terre  aux  endroits  qu'il  leur  plaisait  ,  a- 
voir  fait  mourir  plusieurs  personnes  et  bes- 
tiaux ,  et  qu'ils  étaient  résolus  de  Diire  plu- 
sieurs maux  du  côté  de  Bordeaux.  La  cour 
leur  fit  leur  procès  extraordinaire,  qui  leur 
fut  prononcé  le  1"  mars  1610,  et  condamna 
Diego  Gastalin ,  Francisco  Ferdillo.Vincen- 
tio  Torrados  et  Galalina  Fioscla  à  être  pris 
et  menés  par  l'exécuteur  de  la  haute  justice 
en  la  place  du  marché  au  porcs,  et  être  con- 
duits sur  un  bûcher,  pour  là,  être  brûlés  tout 
vifs,  et  leurs  corps  être  mis  en  cendres,' 
avec  leurs  livres,  caractères,  couteaux, 
parchemins,  billets  et  autres  choses  propres 
servant  à  la  magie. 

»  L'Espagnole  qui  les  servait,  nommée 
Galalina  Fiosela,  confessa  une  infinité  de 
méchancetés  par  elle  exercées,  entre  autres 
que  par  ses  sortilèges,  elle  avait  infecté  , 
avec  certains  poisons,  plusieurs  fontaines  , 
puits  et  ruisseaux,  et  aussi  qu'elle  avait  fait 
mourir  plusieurs  bétails,  et  fait,  par  ses 
charmes ,  tomber  pierres  et  grêles  sur  les 
biens  et  fruits  de  la  lerrc. 

»  Voilà  qui  doit  servir  d'exemple  à  plu- 
sieurs personnes  qui  s'étudient  à  la  magie  ; 
d'autres,  sitôt  qu'ils  ont  perdu  quelque  cho- 
se, s'en  vont  au  devin  et  sorcier,  et  ne  con- 
sidèrent pas  qu'allant  vers  eux, ils  vont  vers 
le  diable,  prince  des  ténèbres.  » 

GASTELLINI  (Luc),  frère  prêcheur  du  dix- 
seplièine  siècle.  On  rencontre  des  prodiges 
infernaux  dans  son  Traité  des  miracles  (3). 

GASTOll.  G'est  une  opinion  très-ancienne 

(3)  Tractatus  de  Miraculis.  Uome,  IG20. 


sn 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCLS  OCCUi-TES. 


3-20 


ri  très  commune  que  le  castor  se  mutile 
pour  se  dérober  à  la  poursuite  des  chas- 
seurs. On  la  trouve  dans  les  hiéroglyphes 
des  Egyptiens,  dans  les  fables  d'Esope,  dans 
Pline,  dans  Aristote,  dans  Elicn  ;  mais  cette 
opinion  n'en  est  pas  moins  une  erreur  au- 
jourd'hui recOMUue  (1^. 

CASTOR  et  POLLUX ,  fils  de  Jupiter  et  de 
Léda.On  en  fit  des  dieux  marins;  et,  dans 
l'antiquité,  les  matelots  appelaient  feux  de 
Castor  et  Pollux  ce  que  nos  marins  appel- 
lent feux  Saint-Elme. 

Les   histoires  grecques  et  romaines  sont 
remplies  d'apparitions  de  Castor  et  PoUux. 
Pendant  que  Paul-Emile  faisait  la  guerre  en 
Macédoine,    Publius   Valinius,  revenant  à 
Kome.vit  subitement  devant  lui  deux  jeunes 
{,'ens   beaux  et  bien   faits ,   montés  sur  des 
chevaux  blancs,  qui  lui  annoncèrent  que  le 
roi  Persée  avait  été  fait  prisonnier  la  veille. 
Vatinius  se   hâta  de   porter  au  sénat  cette 
nouvelle;  mais  les  sénateurs,  croyant  déro- 
ger à  la  majesté  de  leur  caractère  en  s'arrô- 
tant  à  des  puérilités,  firent  mettre  cet  homme 
on  prison.  Cependant,   après  qu'on  eut  re- 
connu par  les  lettres  du  consul  que  le  roi 
de  Macédoine  avait  été  effectivement  pris  ce 
jour-là,  on  tira  Vatinius  de  sa  prison;  on  le 
gratifia  de  plusieurs  arpents  de  terre,  et  le 
sénat  reconnut  que  Castor  et  Pollux  étaient 
les  protecteurs  de  la  république.  Pausanias 
explique  cette  apparition  :  «  C'étaient,  dit-il, 
des  jeunes  gens  revêtus  du  costume  desTyn- 
darides,  et  apostés  pour  frapper  les  esprits 
-  crédules.  »  —  On  sait  que  Castor  et  Pollux 
sont  devenus  la  constellation  des  Gémeaux. 
CASTRO  (Alphonse  de)  ,  célèbre  prédica- 
teur né  au  Pérou,  et  l'un  des  plus  savants 
théologiens  du  seizième  siècle,  auteur  dun 
livre  contre  les  magiciens  (2). 

GATABOLlQUliS.  «  Ceux  qui  ont  lu  les 
anciens  savent  que  les  démons  cataboliques 
8ont  de»  démons  qui  emportent  les  hommes, 
les  tuent,  brisent  et  fracassent,  ayant  cette 
puissance  sur  eux.  De  ces  démons  cataboli- 
ques,  Fuigence  raconte  qu'un  certain  Gun-- 
pcstcr  avait  écrit  un  livre  particulier  qui 
nous  servirait  bien  si  nous  l'avions,  pour 
apprendre  au  juste  comment  ces  diables 
trait  lient  leurs  suppôts,  les  magiciens  et  les 
gorciers  (3).  » 

CAÏALDE,  évêque  de  Tarente  ausixièno 
siècle.  Mille  ans  après  sa  mort ,  on  raconte 
qu'il  se  montra  une  nuit,  en  vision,  à  un 
jeune  Tarcntin  du  seizième  sièele,  ot  le 
chargea  de  creuser  en  un  lieu  qu'il  lui  dési- 
gna, où  il  avait  caché  et  enterré  un  livre 
écrit  de  sa  main  pendant  qu'il  était  au 
monde,  lui  disant  qu'incontinent  qu'il  aurait 
recouvré  ce  livre,  il  ne  manquât  point  de  le 
faire  tenir  à  Ferdinand,  roi  d  Aragon  et  do 
Napics,  qui  régnait  alors.  Le  jeune  homme 
n'ajouta  point  foi  d'abord  à  cette  vision, 
quoique  CalalJe  lui  apparût  presque  tous 

(1)  Biown,  Des  Erreurs  populaires,  liv.III,ch.  iv. 

(2)  l>e  Sorlilegis  ac  lualelicU,  eoruuiiiuo  puiiilionc. 
Lyi'ii,  I5G8. 

(7>\  I. ("loyer,  Hist.  cl  dise,  des  spectres,  liv.  VU,  eu.  iv. 
(Aj  liis.oirgs  piodigiCuseb  de  Uuisluaiix,  loin.  I. 


les  jours  pour  l'exhorter  à  faire  ce  qu'il  lui 
avait  ordonné.  Enfin ,  un  matin  avant  le 
jour,  comme  il  était  en  prière,  il  aperçut  C.i- 
talde  vêtu  de  l'habit  épiscopal,  lequel  lui  dit 
avec  une  contenance  sévère  :  —  Tu  n'as  pas 
tenu  compte  de  chercher  le  livre  que  je  t'a- 
vais enseigné  et  de  l'envoyer  au  roi  Ferdi- 
nand ;  sois  assuré,  celte  fois  pour  toutes, qa-. 
si  tu  n'exécutes  ce  que  je  t'ai  commandé,  il 
t'en  adviendra  mal. 

Le  jouvenceau  ,  intimidé  de  ces  menaces, 
publia  sa  vision  ;  le  peuple  ému  s'assembla 
pour  l'accompagner  au  lieu  marqué.  On  y  ar- 
riva, on  creusa  la  terre;  on  trouva  un  petit 
coffre  de  plomb,  si  bien  clos  et  cimenté  que 
l'air  n'y  pouvait  pénétrer,  et  au  fond  du  cof- 
fre se  vit  le  livre  où  toutes  les  misères  qui 
devaient  arriver  au  royaume  de  Naples,  au 
roi  Ferdinand  et  à  ses  enfants,  étaient  décri- 
tes en  formes  de  prophétie, lesquelles  ont  eu 
lieu;  car  Ferdinand  fut  tué  au  premier  con- 
flit; son  fils  Alphonse,  à  peine  maître  du 
trône,  fut  mis  en  déroute  par  ses  ennemis, 
et  mourut  en  exil.  Ferdinand,  le  puîné,  périt 
misérablement  à  la  Heur  de  son  âge,  acca- 
blé de  guerres,  et  Frédéric,  petit-fils  du  dé- 
funt Ferdinand,  vit  brûler,  saccager  cl  rui- 
ner son  pays  (i). 

GATALONOS  ou  BABAILANAS.  prêtresses 
des  Indiens  des  îles  Philippines.  Elles  lisent 
dans  l'avenir  et  prédisent  ce  qui  doit  arri- 
Ter.  Quand  elles  ont  annoncé  le  bien  ou  le 
mal  à  ceux  qui  les  consultent,  elles  font  le 
sacrifice  d'un  cochon  qu'elles  tuent  d'un  coup 
do  lance  et  qu'elles  offrent  en  dansant  aux 
mauvais  génies  et  aux  âmes  des  ancêtres, 
lesquelles,  dans  l'opinion  des  Indiens,  fixent 
leurs  demeures  sous  de  grands  arbres. 

CA-TANANCÉE,  plante  que  les  femmes  de 
Thessalie  employaient  dans  leurs  philtres. 
On  en  trouve  la  description  dans  Diosco- 
ridc 

GATARAMONACHIA,  anathème  que  ful- 
minent les  papas  grecs.  Dans  quelques  îles 
de  la  Morée,  on  dit  que  cet  anathème  donne 
une  fièvre  lente  dont  on  meurt  en  six  se- 
maines. 

CATEL.\N  (  Laurent  )  ,  pharmacien  de 
Montpellier  au  dix-septième  siècle.  Il  a  lais^ié 
une  Histoire  delà  nature,  chasse,  vertus, 
propriétés  et  usarjes  de  la  Licorne  ,  Montpel- 
lier, in-8%  1(524.,  et  un  Rare  et  curieux  Dis- 
cours de  la  plante  appelée  Mandragore,  Paris, 
in-12,  1639. 

CATHAllIN  (Ambroise),  dominicain  dj 
Florence,  mort  à  Home  en  1553, auteur  d'une 
réfutation  des  prophéties  de  Savonarole  (5), 
et  d'un  Traité  de  la  mort  et  de  la  résurrec- 
tion. 
CATHERINE.  Voy.  Revenants. 
CATdERlNK  (  sainte  ).  Voy.  Incombus- 
tibles. 

CATHERINE  DE  MÉDICIS,  célèbre  reine 
de  France,  singulièrement  maltraitée  dans 

(5)  Discorso  comra  la  dotlrina  «  le  profelie  di  Girolaino 
Savouaroia,  da  Amlirosio  Ca  ariiio  poliio.  ln-8".  Venise, 
1518.  Tliouias  Neri  coinbailil  cel  ouvrage!  dans  un  livre  iih 
lilulé  ;  AïKjloyia  di  'l'oiuiiso  Neri ,  iu  difesa  délia  doUniia 
di  Uii'oluiiio  ^javouarolu.  l.i-8\  t'Ioieuco ,  Itidi. 


5-21 


CAT 


CAU 


3ÎS 


riiistiiirc, où  l'esprit  tic  la  réforme  n'a  p.ns 
iiionagé  les  princes  calholiqucs  ;  née  à  Flo- 
rence en  1319,  morte  en  1589.  Elle  croyait 
iion-sruloment  à  l'astrologie  judiciaire,  mais 
encore  à  la  magie.  Elle  portait,  dit-on  ,  sur 
i'csiomnc  une  peau  de  vélin,  d'aulres  disent 
d'un  enfant  égorgé,  semée  de  figures,  de  let- 
tres cl  de  caraclcrcs  de  diffcrenles  couleurs. 
Klle  était  persuadée  que  celte  peau  avait  la 
vcriu  de  la  garantir  de  toute  entreprise  con- 
tre sa  personne. 

Klle  fil  faire  la  colonne  de  l'hôtel  de  Sois- 
sons  (1) ,  dans  le  fût  de  laquelle  il  y  avait  un 
escalier  à  vis  pour  monter  à  la  sphère  ar- 
millairc  qui  est  au  haut.  Elle  allait  y  con- 
sulter les  astres  avec  ses  astrologues,  dont 
elle  s'entoura  jusqu'à  sa  mort. 

Celle  princesse  que  l'on  a  fort  noircie,  eut 
beaucoup  d'ennemis,  surtout  les  proteslanis, 
qui  n'ont  reculé  devant  aucune  calomnie.  Ils 
la  représentent  comme  ayant  élé  Irès-verséc 
dans  l'art  d'évoquer  les  esprits;  ils  ajoutent 
()ue  sur  la  peau  d'enfant  qu'elle  portail  au 
cou,  étaient  représentées  plusieurs  divinités 
païennes.  Etant  tombée  gravement  malade, 
elle  remit,  disent-ils,  à  M.  de  Mesmes  ,  une 
boite  hermétiquement  fermée,  en  lui  faisant 
promettre  de  ne  jamais  l'ouvrir  et  de  la  lui 
rendre  si  elle  revenait  à  la  vie.  Longtemps 
après,  les  enfants  du  dépositaire  ayant  ou- 
vert la  boîte,  dans  l'espoir  dy  trouver  des 
pierreries  ou  un  trésor,  n'y  découvrirent 
qu'une  médaille  de  forme  antique,  large  et 
ovale,  où  Catherine  de  Médicis  était  repré- 
sentée à  genoux,  adorant  les  Furies  et  leur 
j)iésenlant  une  offrande.  Ce  conte  absurde 
•loniic  la  mesure  de  vingt  autres.  Catherine 
de  Mcilicis  survécut  à  M.  de  Mesmes ,  et  elle 
n'aurait  pas  manqué  de  retirer  la  cassette. 

Elle  avait  allaclié  à  sa  personne  plusieurs 
asirologues,  parmi  lesquels  il  ne  faut  pas 
oublier  l'illustre  Luc  Gauric.  Ils  lui  prédirent 
que  Saint-Germain  la  verrait  mourir.  Dès 
lors  elle  ne  voulut  plus  demeurer  à  Saint- 
Germain-en-Laye  cl  n'alla  plus  à  l'église  de 
Saint-Gcrmain-d'Auxerre,  Mais  Nicolas  de 
Saint-Germain,  évêqucde  Nazarclh,  l'ayant 
assistée  à  l'heure  de  sa  mori,  on  regarda  la 
prédiction  comme  accomplie. 

CAÏHO  (Angelo),  sav.int  habile  dans 
l'astrologie  ,  qui  prédit  à  Charles-le-Témé- 
raire  sa  mort  funeste.  Le  duc  de  Bourgogne 
n'en  tint  compte,  et  perdit  tout,  comme  on 
sait.  M.ilheureusement  rien  ne  prouve  que 
la  prédiction  ait  été  faite  en  temps  utile. 

Louis  XI  estimait   tant   Angelo  Calho,  à 
cause  de  sa  science,  qu'il  lui  donna  l'arche- 
vêché de  Vienne  en  Daupbiné. 
CATILLUS.  Voy.  Gilbert. 
CATOBLEBAS,  serpent  qui  donne  la  mort 
à   ceux  qu'il    regarde,   si  on   en    veut  bien 
croire  Pline.  Mais  la  nature  lui  a  fait   la   tête 
fort  basse,  de  manière  qu'il  lui  est  difficile  de 
tjxer  quelqu'un.  On  iijoule  que  cet  animal 
h.'ibite  près  de  la   fontaine  Nigris,  en  Ethio- 
pie ,  que  l'on  prétend  être  la  source  du  Nil. 
CATON  LE  CENSEUR.  Dans   son    livre, 

(l)  Ci>îlc  colonne  existe  encore  à  Taris;  elle  est  adossée 
à  1j  Iliille  au  blé. 


De  Re  Rustica,  il  enseigne,  parmi  divers  re- 
mèdes, la  manière  de  remettre  les  membres 
démis,  et  donne  même  les  paroles  enchan- 
tées dont  il  faul  se  servir. 

CATOI'TROMANCIE  ,  divination  par  !<, 
moyen  d'un  miroir.  On  trouve  encore,  dans 
beaucoup  de  villagrs,  des  devins  qui  em- 
ploient celle  divinalion,  autrefois  fort  répan- 
due. Quand  on  a  fait  une  perte,  essuyé  un 
vol,  ou  reçu  quelques  coups  clandestins  dont 
on  veut  connaître  l'auteur,  on  va  trouver  le 
sorcier  ou  devin,  qui  introduit  le  consultant 
dans  une  chambre  à  demi  éclairée.  On  n'y 
peut  entrer  qu'avec  un  bandeau  sur  les 
yeux.  Le  devin  fait  les  évocations,  et  le  dia- 
ble montre  dans  un  miroir  le  passé,  le  pré- 
sent et  le  futur.  Malgré  le  bandeau,  les  cré- 
dules villageois,  dans  de  telles  occasions,  ont 
la  tôle  tellement  montée  qu'ils  ne  manquent 
pas  de  voir  quelque  chose. 

On  se  servait  autrefois,  pour  cette  di- 
vination, d'un  miroir  que  l'on  présentait, 
non  devant,  mais  derrière  la  tête  d'un  en- 
fant à  qui  l'on  avait  bandé  les  yeux... 

Pausanias  parle  d'un  autre  effet  de  la  ca- 
toplromancie.  «  Il  y  avait  à  Patras,  dil-il, 
devant  le  temple  de  Cérès,  une  fontaine  sé- 
parée du  Icmple  par  une  muraille;  là,  on 
consultait  un  oracle,  non  po»r  tous  les  év^ 
ncments,  mais  seulement  pour  les  maladies. 
Le  malade  descendait  dans  la  fontaine  un 
miroir  suspendu  à  un  fil,  en  sorte  qu'il  ne 
touchât  la  surface  de  l'eau  que  par  sa  base. 
Après  avoir  prié  la  déesse  et  brûlé  des 
parfums,  il  se  regardait  dans  ce  miroir,  et, 
selon  qu'il  se  trouvait  le  visage  hâve  et  dé- 
figuré ou  gras  et  vermeil,  il  en  concluait 
trèscerlaincment  que  la  maladie  était  mor- 
telle ou  qu'il  en  réchapperait.  » 

CATTANI  (François),  cvêque  de  Fiésoles, 
mort  en  1595,  auteur  dun  livre  sur  les  su- 
perstitions de  la  magie  (2). 

CAUCHP-MAR.  Ou  appelle  ainsi  un  em- 
barras dans  la  poitrine,  une  oppression  et 
une  difficulté  de  respirer  qui  surviennent 
pendant  le  sommeil,  causent  des  rêves  fati-- 
gants,  et  ne  cessent  que  quand  on  se  ré- 
veille. 

On  ne  savait  pas  trop,  au  quinzième  siècle, 
ce  que  c'était  que  le  cauchemar,  qu'on  ap- 
pelait aussi  alors  c/iattc/te-pou/e^On  en  fit  un 
monstre  ;  c'était  un  moyen  prompt  de  résou- 
dre la  diîficulté.  Les  uns  imaginaient  dans 
cet  accident  une  sorcière  ou  un  spectre  qui 
pressait  le  ventre  des  gens  endormis  ,  leur 
dérobait  la  parole  et  la  respiration,  et  les 
empêchait  de  crier  et  de  s'évcilier  pour  de- 
mandi-r  du  secours  ;  les  autres,  un  démon  qui 
étouffait  les  gens.  Les  méilccins  n'y  voyaient 
guère  plus  clair.  On  ne  savait  d'autre  rcniètle 
pour  se  garantir  du  cauchemar,  que  de  sus- 
pendre une  pierre  creuse  dans  Iceuriede  sa 
maison;  et  Dehio,  embarrassé,  crut  décider 
la  question  en  disant  que  Cauchemar  éla\l  un 
suppôt  de  Belzébulh;  il  l'appelle  ailleurs  in- 
ctibits  morbiis. 

Dans  les  guerres  de  la  république  fran- 

|-2)  Sopra  ta  siiuerslilionc  dell'  arle  magica.  Floiencc. 
mi. 


%. 


3-23 


niCTlONNAlRE  DES  SCIENCES  OCCILTES. 


3«l 


çaise  en  Iialio,  ou  caseriia  dans  une  église 
abandonnée  un  régimcnl  français.  Les 
paysans  avaient  averli  les  soldais  que  la  nuit 
on  se  senlail  presque  suffoqué  dans  ce  lieu- 
là,  el  que  l'on  voyait  passer  un  gros  chien 
sur  sa  poitrine;  les  soldats  en  riaient.  Ils  se 
couchèrent  après  mille  plaisanteries.  Minuit 
arrive,  tous  se  sentent  oppressés,  ne  respi- 
rent plus  et  votent  chacun  sur  son  estomac 
un  chien  noir,  qui  disparut  enfin,  et  leur 
laissa  reprendre  leurs  sens.  Ils  rapportèrent 
le  fait  à  leurs  officiers,  qui  vinrent  y  con- 
cher  eux-mêmes  la  nuit  suivante,  el  furent 
tourmentés  du  même  fantôme.  —  Comment 
expliquer  ce  fait? 

«  Mangez  peu  ,  tenez  le  ventre  libre  ,  ne 
couchez  point  sur  le  dos  ,  et  votre  cauche- 
mar vous  quittera  sans  grimoire  ,  »  dit  M. 
Salgues  (1).  Il  est  certain  que  dansles  pays  où 
l'on  ne  soupe  plus,  on  amoinsdccauchemars. 

Bodin  conte  (2j  qu'au  pays  de  Valois  ,  en 
Picardie  ,  il  y  avait  de  son  temps  une  sorte 
de  sorciers  el  de  sorcières  qu'on  appelait 
cauchemares  ,  qu'on  ne  pouvait  chasser  qu'à 
force  de  prières. 

GAUCHON  (Piebre),  évêque  de  Beauvais 
au  quinzième  siècle.  11  poursuivit  Jeanne 
d'Arccommesorcière,  et  la  fil  brûler  à  llouen. 
11  mourut  subitement  en  lil*3.  Le  pape  Ca- 
lixte  IV  excommunia  après  sa  mort  ce  prélat 
déshonoré,  dont  le  corps  fut  déterré  et  jeté  à 
la  voirie. 

CAUSATHAN,  démon  ou  mauvais  gé- 
nie que  Porphyre  se  vantait  d'avoir  cliassé 
d'un  bain  public. 

CAUSIMOMANCIE ,  divination  par  le 
feu,  employée  chez  les  anciens  mages.  C'é- 
tait un  heureux  présage  quand  les  objets 
combustibles  jetés  dans  le  feu  venaient  à  n'y 
pas  briîler. 

CAYET  (  Pierrk-Victok-Palma  )  ,  savant 
écrivain  tourangeau  du  seizième  siècle.  Ou- 
tre la  Chronologie  novennaire  el  la  Chronolo- 
gie seplennaire ,  il  a  laissé  VHistoire  prodi- 
gieuse et  lamentable  du  docteur  Faust  ,  grand 
magicien,  traduite  de  l'allemand  en  français, 
Paris,  1603,  in-12  ;  et  l'Histoire  véritable 
comment  l'âme  de  l'empereur  Trajan  a  été  dé- 
livrée des  tourments  de  l'enfer  par  les  prières 
de  saint  Grégoire  le  Grand ,  traduite  du  lalin 
d'Alphonse  Chacon.  in-8°,  rare  ;  Paris,  1007. 
Voy.  Faust  et  Trajan. 

Cayet  rechercha  toute  sa  vie  la  pierre  phi- 
losophale,  qu'il  n'eut  pas  le  talent  de  trou- 
ver ;  on  débita  aussi  qu'il  était  magicien  , 
mais  on  peut  voir  qu'il  ne  pensait  guère  à 
se  mêler  de  magie  ,  dans  l'épîlre  dédicaloire 
qu'il  a  mise  en  tête  de  l'histoire  de  Faust. 
Les  huguenots  ,  dont  il  avait  abandonné  le 
parti,  l'accusèrent  d'avoir  fait  pacte  avec  le 
diable,  pour  qu'il  lui  apprît  les  langues  ; 
c'était  alors  une  grande  injure  ;  Cayet  s'en 
vengea  vivement  dans  un  livre  où  il  défendit 

(1)  M.  Salgues,  Des  Erreurs  el  des  préjugés,  t,  I, 
p.  332. 

(2)  Démonomanie  des  sorciers,  liv.  II,  ch.  vu. 

(3)  La  fournaise  arrionlc  el  le  four  liu  réverbère  pour 
évaporer  les  prélendues  eaux  de  Siloé,  el  pour  corrobo- 
rer le  purijaioire  couire  les  bcrcsies.  calomuics,  fau:>- 


contre  eux  la  doctrine  du  purgatoire  (3), 
CAYM ,  démon  de  classe  supérieure', 
grand  président  aux  enfers;  il  se  montre 
habiluellement  sous  la  figure  d'un  merle. 
Lorsqu'il  paraît  en  forme  humaine,  il  répond 
du  milieu  d'un  brasier  ardent  ;  il  porte  à  la 
main  un  sabre  effilé.  C'est,  dit-on  ,  le  plus 
habile  sophiste  de  l'enfer  ;  el  il  peut,  par 
l'astuce  de  ses  arguments  ,  désespérer  le  lo- 
gicien le  plus  aguerri.  C'est  avec  lui  que 
Luther  eut  cotte  fameuse  dispute  dont  il  nous 
a  conservé  les  circonstances.  Caym  donne 
l'intelligence  du  chant  des  oiseaux  ,  du  mu- 
gissement des  bœufs ,  de  l'aboiement  des 
chiens  el  du  bruit  des  ondes.  Il  connaît  l'a- 
venir. Ce  démon,  qui  fut  autrefois  de  l'ordre 
des  anges,  commande  à  présent  trente  légions 
aux  enfers  (4). 

CAYOL,  propriétaire  à  Marseille,  morl 
au  commencement  de  ce  siècle.  Un  de  ses 
fermiers  lui  apporta  un  jour  douze  cents 
francs  ;  il  les  reçut  et  promit  la  quittance 
pour  le  lendemain,  parce  qu'il  était  alors  oc- 
cupé. Le  paysan  ne  revint  qu'au  bout  de 
quelques  jours.  M.  Cayol  ven.iit  subitement 
de  mourir  d'apoplexie.  Son  fils  avait  pris 
possession  de  ses  biens  ;  il  refuse  de  croire 
au  fait  que  le  paysan  raconte,  et  réclame  les 
douze  ccnis  francs  en  justice.  Le  paysan  fut 
condamné  à  payer  une  seconde  fois.  Mais  la 
nuit  qui  suivit  cette  sentence,  M.  C;iyol  ap- 
parut à  son  fils  bien  éveillé  ,  et  lui  reprocha 
sa  conduite  :  —  J'ai  été  payé  ,  ajouta-l-il  ; 
regarde  derrière  le  miroir  qui  est  sur  la  che- 
minée de  ma  chambre  ,  tu  y  trouveras  mon 
reçu. 

Le  jeune  homme  se  lève  tremblant,  met  la 
main  sur  la  quittance  de  son  père  et  se  hâte 
de  payer  les  frais  qu'il  avait  faits  au  pauvre 
fermier,  en  reconnaissant  ses  torts  (5). 

CAZOTTE  Jacques)  ,  né  à  Dijon  en  1720, 
guillotiné  en  1793,  auteur  du  poëme  d'Oli- 
vier, où  beaucoup  d'épisodes  roulent  sur  les 
merveilles  magiques.  Le  succès  qu'obtint 
cette  production  singulière  le  décida  à  faire 
paraître  le  Diable  amoureux.  Comme  il  y  a 
dans  cet  ouvrage  des  conjurations  et  autres 
propos  de  grimoire,  un  étranger  alla  un 
jour  le  prier  de  lui  apprendre  à  conjurer  lo 
diable,  science  que  Cazotle  ne  possédait  pas. 

Ce  qui  lui  obtient  encore  place  dans  ce  re- 
cueil ,  c'est  sa  prophétie  rapportée  par  La 
Harpe,  où  l'on  a  cru  longtemps  qu'il  avait 
pronostiqué  la  révolution  dans  la  plupart  de 
ses  détails.  Mais  on  n'avait  imprimé,  dit-on, 
qu'un  fragment  de  celte  pièce.  On  a  pensé 
plus  lard  la  découvrir  plus  entière,  el  quel- 
ques-uns disent  à  présent  que  celle  prophé- 
tie a  été  supposée.  Cependant,  on  a  publié  en 
l'an  VI,  à  Paris,  une  correspondance  mystique 
de  Cazolte,  saisie  par  le  tribunal  révolution- 
naire, et  où  brille  un  certain  esprit  prophé- 
tique inexplicable. 

setés  et  cavillations  inepics  du  prétendu  tnlnislre  Hi)- 
moulin.  Paris,  1603.  I11-8".  Dumoulin  venail  de  publier 
les  Eaux  de  Silué,  pour  éteindre  li^  feu  du  purgaloiri^ 
coi. Ire  les  misons  d'uu  cofilclier  ponuijais.  In-8',  lb03. 

(tj  Wierus,  in  I'seuili)nioiiarchia  (ia?iu. 

(o)  Iiirenialiaiia,  p.  2i6. 


5'^5 


en 


CEN 


CÉBUS  ou  CEPHUS ,  monslro  adoré  dos 
Égyptiens.  C'était  une  espèce  de  satyre,  ou 
singe  qui  avait,  selon  Pline,  les  pieds  et  les 
mains  semblables  à  ceux  de  l'homme.  Dio- 
(lore  lui  donne  une  lêle  de  lion  ,  le  corps 
d'une  panthère,  et  la  taille  d'une  chèvre.  On 
tijoule  que  Pompée  en  fit  venir  un  à  Rome, 
el  qu'on  n'en  a  jamais  vu  que  cette  fois-là. 
CECCOD'ASCbH  (FniNçois  Stabim,  dit], 
professeur  d'astrologie ,  né  dans  la  mar- 
che d'Ancônc  au  treizième  siècle.  Il  se  mê- 
lait aussi  de  magie  cl  d'hérésie.  On  dit,  ce 
qui  n'est  pas  certain,  qu'il  fut  brûlé  en  1327, 
avec  son  livre  d'astrologie,  qui  est,  à  ce  qu'on 
croit ,  le  commentaire  sur  la  sphère  de  Sa- 
crobosco  (1). 

11  disait  qu'il  se  formait  dans  les  cicuxdes 
esprits  malins  qu'on  obligeait,  par  le  moyen 
des  constellations  ,  à  faire  des  choses  mer- 
veilleuses. 11  assurait  que  l'influence  dos  as- 
tres était  absolue,  et  reconnaissait  le  fata- 
lisme. Selon  sa  doctrine,  Notre-Seigneur  Jé- 
sus-Christ n'avait  été  pauvre  et  n'avait  souf- 
fert une  mort  ignominieuse  que  parce  qu'il 
était  né  sous  une  constellation  qui  causait 
iiécessairemcnl  cet  effet...  ;  au  contraire, 
l'antcchrist  sera  riche  etpuissant,  parce  qu'il 
naîtra  sous  une  constellation  favorable. 

«  Une  preuve  que  Cecco  était  fou  ,  disent 
Naudé  el  Dcirio  ,  c'est,  1°  qu'il  interprète  le 
livre  de  Sacrobosco  dans  le  sens  des  astrolo- 
gues, nécromanciens  cl  cliiroscopistes  ;  2° 
qu'il  cite  grand  nombre  d'auteurs  falsifiés  , 
comme  lès  ombres  des  idées  de  Saloinon  , 
le  Livre  desesprits  dHipparc  bus,  les  Aspects 
des  étoiles,  d'Hippocrate  ,  etc.  » 

On  demandait  un  jour  à  Cecco  ce  que  c'é- 
lairque  la  lune  ;  il  répondit  :  «  Cesl  une 
terre  comme  la  nôtre  ,  ut  terra  terra  est.  » 

On  a  beaucoup  disputé  sur  cet  astrologue, 
connu  aussi  sous  le  nom  de  Cectts  Ascutan, 
et  plus  généralement  sous  celui  de  Chicus 
jEsculanus.  Delrio  ne  voit  en  lui  qu'un 
homme  superstitieux,  qui  avait  la  tête  mal 
timbrée.  Naudé,  ainsi  que  nous  l'avons  noté, 
le  regarde  comme  un  fou  savant.  Quelques 
auteurs,  qui  le  mettent  au  nombre  des  né- 
cromanciens, lui  prêtent  un  esprit  familier, 
nommé  Floron,  de  l'ordre  des  chérubins,  le- 
quel Floron  l'aidait  dans  ses  travaux  et  lui 
donnait  de  bons  conseils,  ce  qui  ne  l'cmpé- 
cha  pas  de  faire  des  livres  ridicules. 

CÉCILE.  —  Vers  le  milieu  du  seizième 
siècle,  une  femme,  nommée  Cécile  ,  se  mon- 
trait en  spectacle  à  Lisbonne  ;  elle  posséiiait 
l'aride  si  bien  varier  sa  voix,  qu'elle  la  fai- 
sait partir  tanlôl  de  son  coude,  tantôt  de  son 
pied,  tantôt  de  son  ventre.  lîlle  liait  conver- 
sation avec  un  être  invisible  ,  qu'elle  nom- 
mail  Pierre-Jean  ,  et  qui  répondait  à  toutes 
ses  questions.  Cette  femme  ventriloque  fut 
réputée  sorcière  et  bannie  dans  l'île  Saint- 
Thomas  (2). 

CEINTUIUÏSMAGIQUKS.— Plusieurs  livres 
de  secrets  vous  apprendront  qu'on  guérit  tou- 
tes sortes  de  maladies  intérieures  en  faisant 

(1)  Cummeiiiarii  ia  s|iliseram  Joannls  de  Sacrohoscn. 
lu- loi.  Kàlc,  USo. 
(2,  M.  Sal{;ucs,  Ues  Erreurs,  elc,  1.  I/,  p.  2^7, 


526 


porter  an  malade  une  ceinture  de  fougère 
cueillie  la  veille  de  la  Saint-Jean,  à  midi  ,  et 
tressée  de  manière  à  former  le  caractère  ma- 
gique HVTY.  Le  synode  tenu  à  Bordeaux,  en 
16;)0  ,  a  condamné  ce  remèd*  ,  et  la  raison  , 
d'accord  avec  l'Eglise  ,  le  condamne  tous  les 
jours. 

CELSE  ,  philosophe  éclectique  du  deu- 
xième siècle,  ennemi  des  chréliens.  En 
avouant  les  miracles  de  Jésus  Christ ,  il  di- 
sait qu'ils  avaient  été  opérés  par  la  magje, 
et  que  les  chrétiens  étaient  des  magiciens.  Il 
a  été  réfuté  par  Origène. 

CELSIUS  (André),  Suédois  mort  en  17W; 
auteur  d'une  Lettre  sur  les  comètes,  publiée 
à  Upsal  l'année  de  sa  mort. 

CENCHROBOLES,  nation  imaginaire  dont 
parle  Lucien.  Il  dit  que  les  Cenchroboles 
allaient  au  combat  montés  sur  de  grands  oi- 
seaux ,  couverts  d'herbes  vivaces  au  lieu  de 
plumes. 

CENDRES.  —On  soutenait ,  dans  le  dix- 
septième  siècle,  entre  autres  erreurs,  qu'il  y 
avait  des  semences  de  reproduction  dans  les 
cadavres ,  dans  les  cendres  des  animaux  et 
même  des  plantes  brûlées  ;  qu'une  grenouille, 
par  exemple,  en  se  pourrissant ,  engendrait 
des  grenouilles,  et  que  les  cendres  de  roses 
avaient  produit  d'autres   roses.  Voy.  Palin- 

GÉNÉSIE. 

Le  Grand  Albert  dit  que  les  cendres  de 
bois  astringent  resserrent,  el  qu'on  se  relâ- 
che avec  des  cendres  de  bois  contraire.»  Et, 
ajoulc-t-il,  Dioscoride  assure  que  la  lessivede 
cendres  de  sarments,  bue  avec  du  sel,  est  un 
remède  souverain  contre  la  suffocation  de 
poitrine.  Quant  à  moi,  ajoute-l-il,  j'ai  guéri 
plusieurs  personnes  de  la  peste  ,  en  leur  fai- 
sant boire  une  quantité  d'eau  où  j'avais  lait 
amortir  de  la  cendre  chaude  ,  cl  leur  ordon- 
nant de  suer  après  l'avoir  bue  (3).  » 

CENETHUS,  second  roi  d'Ecosse.  Désirant 
venger  la  mort  de  son  père,  tué  par  les  Pie- 
tés, il  exhortait  les  seigneurs  du  pays  à  re- 
prendre les  armes  ;  mais,  parce  qu'ils  avaient 
été  malheureux  aux  précédentes  batailles, 
les  seigneurs  hésitaient.  Cénéthus,  sous  pré- 
texte de  les  entretenir  des  affaires  du  pays , 
manda  les  plus  braves  chefs  à  un  conseil.  Il 
les  fit  loger  dans  son  château,  où  il  avait  ca- 
ché dans  un  lieu  secret  quelques  soldais  ac- 
coulrés  de  vêtements  horribles,  faits  de  gran- 
des peaux  de  loups  marins,  qui  sont  Irès- 
fréquenls  dans  le  pays  à  cause  de  la  mer.  Us 
avaient  à  la  main  gauche  des  bâtons  de  ce 
vieux  bois  qui  luit  la  nuit,  et  dans  la  droite 
des  cornes  de  bœufs  percées  par  le  bout.  Us 
se  tinrent  reclus  jusqu'à  ce  que  les  seigneurs 
fussent  ensevelis  dans  leur  premier  sommeil  : 
alors  ils  commencèrent  à  se  montrer  avec 
leurs  bois  qui  éclairaient ,  el  firent  résonner 
leurs  cornes  de  bœufs,  disant  qu'ils  étaient 
envoyés  pour  leur  annoncer  la  guerre  contre 
les  Pietés  :  —  Leur  victoire  ,  ajoutaient-ils, 
était  écrite  dans  le  ciel.  Ces  fantômes  jouè- 
rent bien  leur  rôle  ,  et  s'évadèrent  sans  être 

(3)  Les  admirables  secrets  d' Albert  le  Grand,  liv.  III, 

cil.  I. 


I 


DICTIONNAIUF.  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


.-Î3 


3Î7 

découverts.  Les  chefs  émus  vinronl  trouver 
le  ro^.  amiuel  ils  con.m.m  quèronl  leur  v,- 
sion-  et  ils  assaillirent  si  v.vemcn  les  P.c- 
U-squ-ils  ne  les  délirent  pas  seulement  en 
bataille,    mais    qu'ils  en  exterminèrent  la 

"cEPHALONOMANClE.  Voy.  KÉPiiAi.oNO- 

CERÀM,  l'une  des  îles  Moluques.  On  y  re- 
marque sur  la  côte  méridionale,  une  mon- 
tagne  où  résident ,  dit-on  .  les  mauvais  gé- 
nies Les  navigateurs  de  lîle  d  Amboine.  qui 
sont  tous  irès-superslilicus.  ne  p;;ssenl  jîuere 
en  vue  de  celle  montagne  sans  faire  une  ol- 
frande  à  ces  mauvais  génies  ,  qu  «'s  C'"P«- 
chent  ainsi  de  leur  susciter  des  empdles.  Le 
iour,  ils  déposent  des  Heurs  el  une  petite 
ijiècè  de  monnaie  dans  une  coque  de  coco; 
Il  nuit  ils  Y  metlenl  de  Ihuile  avec  des  pe- 
lues  mèchel  allumées ,  el  ils  laissent  ttotter 
celte  coque  au  gré  des  vagues. 

CERAUNOSCOPIE.  Divination  qui  se  pra- 
tiquait, chez  les  anciens,  par  l'observation 
de  la  foudre  et  des  éclairs,  et  par  1  examen 
des  phénomènes  de  l'air. 

CEUBEUE.  Cerberus  ou  Nabcrus  est  chez 
nous  un  démon.  Wierus  le  met  au  no.nbre 
des  marquis  de  l'empire  '"fernal.  Il  est  fort 
et  puissant;  il  se  montre  sous  la  forme  d  un 
corbeau;  sa  voix  est  rauque  :  néanmoins  il 
donne  l'éloquence  et  l'amabililé  ;  i  enseigne 
les  beaux-arts.  Dix-neuf  légions  lui  obeis- 

"on  voit  que  ce  n'est  plus  là  le  Cerbère  des 
anciens,  ce  redoutable  chien  a  trois  tètes . 
portier  incorruptible  des  enfers,  appelé  aussi 
fa  bête  aux  cent  têtes ,  centiceps  bellua  ,  a 
cause  de  la  multitude  de  serpents  dont  ses 
trois  chevelures  étaient  ornées.  Hésiode  lui 
donne  cinquante  tôles  de  chien;  mais  on 
s'accorde  généralement  à  ne  lui  en  recon- 
naître que  trois.  Ses  dents  étaient  noires  et 
tranchantes  ,  et    sa   morsure   causait   une 

^'oTcroU^que  la  fable  de  Cerbère  remonte 
aux  Egyptiens,  qui  faisaient  garder  les  tom- 
beaux par  des  dogues. 

C'ea  principalement  ici  du  dcmon  Cerbe- 
rus qu'il  a  fallu  nous  occuper.  En  lo8l),  il  tit 
pacte  d'alliance  avec  une  Picarde  nommée 
Marie  Martin.  Voy.  Martin. 

CEUCLES  MAGIQUES.  On  ne  peut  guère 
évoquer  les  démons  avec  sûreté  sans  s  êire 
placé  dans  un  cercle  qui  garantisse  de  leur 
atteinte,  parce  que  leur  premier  mouvement 
serait  d'empoigner,  si  l'on  n'y  «"f'')'  «'■''f» 
Voici  ce  qu'on  lit  à  propos  dans  le  fatras  in- 
titulé :  Grimoire  du  pape  Honorius  : 

Les  cercles  se  doivent  faire  avec  du  char- 
bon, de  l'eau  bénite  aspergée,  ou  du  bois  (  e 
la  croix  bénite...  Quand  ils  seront  faits  de  la 
sorte,  et  quelques  paroles  de  l'Evangile  écri- 
tes autour  du  cercle,  sur  le  sol,  on  jettera  de 
l'eau  bénite  en  di-^ant  une  prière  supersti- 
tieuse dont  nous  devons  citer  .lUclqutfs  mois  : 
—  «  Alpha  ,  Oméga  ,  tly,  Elohé,  Zebahol, 
•  Elion ,  Saday.  Voilà  le  lion  qui  est  vam- 

li\  Boisluaui,  Histoires  [irodiaieuscs,  1. 1. 


racine  de  Dn- 
ses   sept    si- 


queur  de  la  tribu  de  Juila, 
«  vid.  J'ouvrirai  le  livre  et 
«  gnes...  y 

Il  est  fâcheux  que  l'auteur  de  ces  belles 
oraisons  ne  soit  pas  connu,  ou  pourrait  lui 
faire  des  compliments. 

On  récite  après  la  prière  quelque  formu'c 
de  conjuration,  et  les  esprits  paraissent.  Voy. 
Conjuration. 

Le  Grand  Grimoire  ajoute  qu  en  entrant 
dans  ce  cercle  il  faut  n'avoir  sur  soi  aucun 
métal  impur  ,  mais  seulement  de  lor  ou  de 
l'argent,  pour  jeter  la  pièce  à  l'esprit.  On 
plie  celte  pièce  dans  un  papier  blanc,  sur  le- 
quel on  n'a  rien  écrit;  on  l'envoie  à  l'esprit 
pour  lempécher  de  nuire;  et,  pendant  qu  il 
se  baisse  pour  la  ramasser  devant  le  cercle, 
on  prononce  la  conjuration  qui  le  soumet. 

Le  Dragon  rouge,  recommanda  les  mêmes 
précautions. 

Il  nous  reste  à  parler  des  cercles  que  les 
sorciers  font  au  sabbat  pour  leurs  danses. 
On  en   montre  encore  dans  les  campagnes  ; 
on  les  appelle  cercle  du  sabbat  ou  cercle  des 
fées,  parce  qu'on  croyait  que  les  féi^^s  tra- 
çaient de  ces  cercles  magiques  dans  leur» 
danses  au  clair  de  la  lune.  Ils  ont  quelque- 
fois douze  ou  quinze  toises  de  diamètre,  et 
contiennent  un  gazon  pelé  à  la  ronde  de  la 
largeur  d'un   pied,  avec  un  gazon  vert  au 
milieu.  Quelquefois  aussi  tout  le  milieu  est 
aride   et  desséché,  et   la    bordure   tapissée 
d'un  gazon  vert.  Jessorp  et  Walker,  dans  les 
Transactions  philosophiques  ,  attribuent  ce 
phénomène    au    tonnerre  :  ils    en    donnent 
pour  raison  que  c'est  le  plus  souvent  après 
des  orages  qu'on  aperçoit  ces  cercles. 

D'autres  savants  ont  prétendu  que  les'Cer- 
cles  magiques  étaient  l'ouvrage  des  fourmis, 
parce  qu'on  trouve  souvent  ces  insectes  qui 
y  travaillent  en  foule. 

On  regarde  encore  aujourd'hui ,  dans  les 
campagnes  peu  éclairées  ,  les  places  arides 
comme  le  rond  du  sabba!..  Dans  la  Lorraine, 
les  traces  que  forment  sur  le  gazon  les  tour- 
billons des  vents  cl  les  sillons  de  la  foudre 
passent  toujours  pour  les  vestiges  de  la  danse 
des  fées,  el  les  paysans  ne  s'en  approchent 
qu'avec  terreur  (21. 

CERCUEIL.  L'épreuve  ou  jugement  de 
Dieu  par  le  cercueil  a  élé  longtemps  en 
usage.  Lorsqu'un  assassin,  malgré  les  in- 
formations,  restait  inconnu,  on  dépouillait 
entièrement  le  corps  de  la  victime  ;  on  menait 
ce  corps  sur  un  cercueil  ,  et  tous  ceux  qui 
étaient  soupçonnes  davoir  eu  part  au  meur- 
tre étaient  obligés  de  le  toucher.  Si  l  on  re- 
marquait un  mouvement,  un  changement 
dans  les  yeux,  dans  la  bouche  ou  dans  toute 
autre  partie  du  mort,  si  la  plaie  saignait,  — 
celui  qui  touchait  le  cadavre  dans  ce  mouve- 
ment extraordinaire  élait  regardé  et  pour- 
suivi comme  coupable.  Richard  Cœur-de- 
Lion  s'éiait  révolté  contre  Henri  II  son  père, 
à  qui  il  succéda.  On  rapporte  qu'après  la 
mort  de  Henri  II .  Richard  sétant  rendu  a 
Fontevraull,  où  le  l'eu  roi  avait  ordonné  sa 

(2)  M;i.lame  Disc  Yciarl,  NoUsau  livre  I"  ■le  la  Vierij 
i'Xniuiac. 


329 


CER 


sépulture,  à  l'approclio  du  fils  rebelle,  le 
corps  du  malheureux  père  jeta  du  sang  par 
la  bouche  cl  par  le  nez,  et  que  ce  sang  jaillit 
sur  le  nouveau  souverain.  On  cite  plusieurs 
exemples  semblables,  dont  la  terrible  morale 
n'était  pas  trop  forte  dans  les  temps  bar- 
bares. 

Voici   un   petit   fait   qui  s'est  passé   en 
Ecosse  : 

Un  fermier,  nommé  John  Makintos,  avait 
eu    quelques   conteslalions    avec    sa    sœur 
Fanny  Mac-Allan.   Peu  de  jours  après  il 
mourut  subitement.  Les  magistrats  se  ren- 
dirent chez  lui,  et  remarquèrent  qu'il  avait 
sur  le  visage  une  large  blessure,  de  laquelle 
aucune  goutte  de  sang  ne  s'échappait.  Les 
voisins  de  John  accoururent  en  foule  pour 
déplorer  sa  perte;  mais,  quoique  la  maison 
de  sa  sœur  fût  proche  de  la  sienne,  elle  n'y 
entra  pas,  et  parut  peu  affectée  de  cet  événe- 
ment. Cela  suffit  pour  exciter  parmi  les  mi- 
nistres et  1rs  baillis  ,  le  soupçon  qu'elle  n'y 
était   peut-être    pas   étrangère.   En    consé- 
quence, ils  lui  ordonnèrent  de  se  rendre  près 
du  défunt  et  de  placer  la  main  sur  son  cada- 
vre. Elle  y  consentit;  mais  avant  de  le  faire, 
elle  s'écria  d'une  voix  solennelle  :  Je  sou- 
haite humblement  que  le  Dieu  puissant  qui 
a  ordonné  au  soleil  d'éclairer  l'univers,  fasse 
jaillir  de  cette  plaie  un  rayon  de  lumière  dont 
le  reflet  désignera  le  coupable.  Dès  que  ces 
paroles   furent  achevées  ,  elle  s'approcha  , 
posa  légèrement  un  de  ses  doigts  sur  la  bles- 
sure, cl  le  sang  coula  immédiatement.   Les 
magistrats  crurent  y  voir  une  révélation  du 
ciel ,  et  la  malheureuse  Fanny  fut  exécutée 
le  jour  même. 

On  voit  dans  la  vie  de  Charles-le-Bon,  par 
Gualbert  {Collect.  des  Bollandistes,  2  mars), 
que  les  meurtriers  en  Flandre,  au  douzième 
siècle,  après  avoir  tué  leur  victime,  man- 
geaient et  buvaient  sur  le  cadavre,  dans  la 
persuasion  qu'ils  paralysaient  par  celle  céré- 
monie toute  poursuite  contre  eux  à  l'occa- 
sion du  meurtre.  Les  assassins  de  Charles- 
le-Bon  avaient  pris  cette  précaution;  ce  qui 
ne  les  empêcha  pas  d'être  tous  mis  au  sup- 
plice. 

CERDON,  hérétique  du  deuxième  siècle, 
chef  des  cerdoniens.  Il  enseignait  que  le 
monde  avait  été  créé  par  le  démon ,  et  ad- 
•metijiit  deux  principes  égaux  en  puissance. 
CÉKÈS.  «  Qu'étaient-ce  que  les  mystères 
de  Cérès  à  Eleusis ,  sinon  les  symboles  de  la 
sorcellerie,  de  la  magie  et  du  sabbal?  A  ces 
orgies,  on  dansait  au  son  du  clairon,  comme 
au  sabbat  des  sorcières,  et  il  s'y  passait  des 
choses  abominables,  qu'il  était  défendu  aux 
profès  de  révéler  (1).  » 

On  voit,  dans  Pausanias,  que  les  Arcadiens 
représentaient  Cérès  avec  un  corps  de  femme 
et  une  tête  de  cheval. 

On  a  donné  le  nom  de  Cérès  à  une  planète 
découverte  par  Piazzi  en  1801.  Celte  planète 
n'a  encore  aucune  influence  sur  les  horosco- 
pes. Voy.  Astrologie. 
CERF.  L'opinion  qui  donne  une  Irès-lon- 


cin 


'■'9 


{\\  T.eloyor,  Disc,  cl  bist.  des  spectres,  p.  689,  768. 
{3J  Browii,  Essais  sur  les  erreurs,  elc,  t.  1",  liv.  III, 

DlCTIONN.    DES    SCIENCES    OCCULTES.    1, 


guc  vie  à  cerfains  animaux,  et  principale- 
ment aux  cerfs,  est  fort  ancienne.  Hésiode 
dit  que  la  vie  de  Ihomme  finit  à  quatre-vingt- 
seize  ans  :  que  celle  de  la  corneille  est  neuf 
fois  plus  longue,  et  que  la  vie  du  cerf  est 
quatre  fois  plus  longue  que  celle  de  la  cor- 
neille. Suivant  ce  calcul,  la  vie  du  cerf  est  de 
trois   mille   quatre   cent  cinquante-six   ans. 
Pline  rapporte  que  cent  ans  après  la  mort 
d'Alexandre  on  prit  dans  les  forets  plusieurs 
cerfs  auxquels  ce  prince  avait  attaché  lui- 
même  des  colliers.  On  trouva,  en  1037,  dans 
la  forêt  de  Senlis,  un  cerf  avec  un  collier 
portant  ces   mots  :  Cœsar  hoc   me  donavil, 
«  C'est  César  qui  me  l'a  donné;  »  mais  quei 
César?  Ces  circonstances  ont  fortifié  toute- 
fois le  conte  d'Hésiode.  Les  cerfs  ne  vivent 
pourtant  que  trente-cinq  à  quarante  ans.  Ce 
que  l'on  a  débité  de  leur  longue  vie,  ajoute 
Buffon,  n'est  appuyé  sur  aucun  fondement; 
ce  n'est  qu'un  préjugé  populaire,  dont  Aris- 
tote  lui-même  a  relevé  l'absurdité.  Le  col- 
lier du  cerf  de  la  forêt  de  Senlis  ne  peut  pré- 
senter une   énigme  qu'aux   personnes  qui 
ignorent  que  tous  les  empereurs  d'Allemagne 
ont  été  désignés  par  le  nom  de  César. 

Une  autre  tradition  touchant  le  cerf,  c'est 
que  la  partie  destinée  à  la  génération  lui 
tombe  chaque  année.  Après  avoir  ainsi  ob- 
servé ce  qui  a  lieu  par  rapport  à  son  bois, 
on  s'est  persuadé  que  la'même  chose  arrivait 
à  la  partie  en  question.  L'expérience  et  la 
raison  détruisent  également  une  opinion  si 
absurde  (1). 

CERINTHE  ,  hérétique  du  temps  des  apô- 
tres. Il  disait  que  Dieu  avait  créé  des  génies 
chargés  de  gouverner  le  monde;  qu'un  do 
ces  génies  avait  fait  tons  les  miracles  de 
l'histoire  des  Juifs;  que  les  enfants  de  ces 
esprits  étaient  devenus  des  démons,  et  que 
le  Fils  de  Dieu  n'était  descendu  sur  la  terre, 
que  pour  ruiner  le  pouvoir  des  mauvais  an- 
ges. Il  avait  écrit  des  révélations  qu'il  pré- 
tendait lui  avoir  été  faites  par  un  an^e  de 
bien,  avec  qui  il  se  vantait  de  couvers<°r  fa- 
milièrement. «  Mais  cet  ange,  comme  dit  Le- 
loyer,  était  un  vrai  démon,  et  pas  autre 
chose.  » 

CERNE,  mot  vieilli.  C'était  autrefois  le 
nom  qu'on  donnait  au  cercle  que  les  magi- 
ciens traçaient  avec  leur  baguette  pour  évo- 
quer les  démons. 

CEROMANCIE  ou  CIROMANCIE.  Divina- 
tion par  le  moyen  de  la  cire,  qu'on  faisait 
fondre  et  qu'on  versait  goutte  à  goutte  dans 
un  vase  d'eau,  pour  en  lirer,  selon  les  figures 
que  formaient  ces  gouttes,  des  présages  heu- 
reux ou  malheureux.  Les  Turcs  cherchaient 
surtout  à  découvrir  ainsi  les  crimes  et  les 
larcins.  Us  faisaient  fondre  un  morceau  de 
cire  à  petit  feu,  en  marmottant  quelques  pa- 
roles; puis  ils  ôtaient  celle  cire  fondue  de 
dessus  le  brasier  et  y  trouvaient  des  figures 
qui  indiquaient  le  voleur,  sa  maison  et  sa 
retraite. 

Dans  l'Alsace,  au  seizième  siècle,  et  peut- 
être  encore  aujourd'hui,  lorsque  quelqu'un 

'^^\^«  n  T^"'^!'.?*'  '^''^  Erreurs  el  des  i-réjujjés,  l.  II. 
p.  Ho.  Buffoii,  Hisl.  liai.,  clc. 

il 


DlCTlONNAinK  DES  SCILNCES  OCCL'LTES. 


«1 

est  malade  et  que  les  bonnes  femmes  veulent 
découvrir  qui  lui  a  envoyé  sa  maladie,  elles 
prennent  autant  de  cierges  d'un  poids  égal 
nu'elles  soupçonnent  d'êtres  ou  de  person- 
nes ;  elles  les  allument,  et  celui  dont  le  cierge 
est  le  premier  consumé  passe  dans  leur  es- 
prit pour  l'auleur  (1). 

CERVELLE.  On  fait  merveille  avec  la  cer- 
velle de  certaines  bêles.  L'auteur  des  Admi- 
rables secrets  d- Albert  le  Grand  diî.au  liv  III, 
uuc  la  cervelle  de  lièvre  fait  sortir  les  dents 
aux  enfants,  lorsqu'on  leur  en  frotte  les  gen- 
cives. Il  ajoute  que  les  personnes  qui  ont 
neur  des  revenants  se  guérissent  de  leurs 
terreurs  paniques,  si  elles  mangent  souven 
de  la  cervelle  de  lièvre.  La  cervelle  de  chat 
ou  de  challc,  si  on  s'en  frotte  les  dehors  du 
Bosier,  guérit  en  moins  de  deux  jours  les  in- 
flammalions  qui  s'y  font  sentir,  mais  après 
une  crise  de  fièvre  violente.  , 

Les  premiers  hommes  ne  mangeaient  a 
rervelle  d'aucun  animal,  par  respect  pour  a 
tête,  qu'ils  regardaient  comme  le  siège  de  la 
vie  et  du  sentiment.        „„  ,„  , 

CESURE  ou  CESARIUS  (Pierre),  moine 
de  Citeaux,  mort  en  12W.  On  lui  doit  un  re- 
cueil  de  miracles  où   les   démons  figurent 
très-souvent  (2).  Ce  recueil,  on  ne  sait  trop 
pourquoi,  a  été  mis  à  l'index  en  Espagne.  11 
e<t  cité  plusieurs  fois  dans  ce  dictionnaire. 
CESAIRE  (St).  Voy.  Mirabilis  lip.er. 
CESALPIN  (AsDRfe),  médecin  du  seizième 
siècle,  né  à  Are^zo  en  Toscane,  auteur  de 
Recherches  sur  les  Démons,  ou  1  on  explique 
le  passage  d'Hippocrate,  relatif  aux  causes 
surnaturelles  de  certaines  maladies  (3).  Ce 
traité,  composé  à  la  prière  de  1  archevêque 
de  Pise,  parut  au  moment  ou  les  religieuses 
d'un  couvent  de  cette  ville  étaient  obsédées 
du  démon.  L'archevêque  demandait  a  tous 
les  savants  si  les  contorsions  de  ces  pauvres 
filles  avaient  une  cause  naturelle  ou  surna- 
turelle. Césalpin,  particulièrement  consulte, 
répondit  par  le  livre  que  nous  citons.  Il  corn- 
Picnce  par  exposer  une  immense  multitude 
de  faits  attribués  aux  démons  et  a  la  magie, 
ensuite  il  discute  ces  faits  ;  il  avoue  qu  il  y 
a  des  démons ,  mais  qu'ils  ne  peuvent  guère 
.ommuniquer  matériellement  avec l  homme; 
il  termine  en  se  soumettant  à  la  croyance  de 
VEslise.  11  déclare  que  la  possession  des  reli- 
gieuses de  Pise  est  surnaturelle;  que  les  se- 
cours de  la  médecine  y  sont  insufùsanls  ,  et 
qu'il  est  bon  de  recourir  au  pouvoir  des  exor- 
cistes. 

CESAR  (Caios  Jxjlics).  On  a  raconté  do 
et  homme  fameux  quelques  merveilles  sur- 

^Tétone  rapporte  que  César  étant  avec 
son  armée  sur  les  bords  du  Rubicon  que  ses 
soldats  hésitaient  à  traverser ,  il  apparut 
un  inconnu  de  taille  extraordinjiire  ,  qui 
s'avança  en  sitnant  vers  le  général.  Les 
soldats  accourent  pour  le  voir;  aussitôt  le 

(1)  Delancre  ,  IncrédulUé  et  mécréance  du  sortilège 
pletiemenl  convaincu^,  traiié  S-Hî'.'™'.''^- '^- „„„,,,„• 
Hi  lllusTiiim  miraculorura  et  liisloriariim  memoraln- 

dmlsl^clo'.'lui»    luw"  fia.,  1603.  NurVmberg,  1481. 


5i5 


fantôme  saisit  la  trompette  de  l'un  d'eux, 
sonne  la  charge,  passe  le  fleuve;  el  César 
s'écrie,  sans  délibérer  davantage  :  —  Allons 
où  les  présages  des  dieux  et  Tinjusticede  nos 
ennemis  nous  appellent.  —  L'armée  le  sui- 
vit avec  ardeur. 

Lorsqu'il  débarqua  en  Afrique  pour  faire 
la  guerre  à  Juba,  il  tomba  à  terre.  Les  Ro- 
mains se  troublèrent  de  ce  présage;  mais 
César  rassura  les  esprits  en  embrassîint  le 
sol  et  en  s'écrianl,  comme  si  sa  chute  eût  été 
volontaire  :  —  Afrique,  lu  es  à  moi,  car  je 
te  liens  dans  mes  bras. 

On  a  vanté  l'étonnante  force  de  ses  re- 
gards; on  a  dit  que,  des  côtes  des  Gaules,  il 
voyait  ce  qui  se  passait  dans  l'Ile  des  Prê- 
tons. Roger  Baron  ,  qui  ne  doute  pas  de  ce 
fait,  dit  que  Jules  César  n'examinait  ainsi 
tout  ce  qui  se  faisait  dans  les  camps  et  dans 
les  villes  d'Angleterre  qu'au  moyen  de 
grands  miroirs  destinés  à  cet  usage. 

On  assure  que  plusieurs  astrologues  pré- 
dirent à  César  sa  mort  funeste  ;  que  sa 
femme  Calpurnie  lui  conseilla  de  se  défier 
des  ides  de  mars;  que  le  devin  Artémidore 
lâcha  également  de  l'effrayer  par  de  sinistres 
présages  lorsqu'il  se  rendait  au  sénat,  où  il 
devait  être  assassiné;  toutes  choses  contées 
après  l'événement. 

On  ajoute  qu'une  comète  parut  à  l'instant 
de  sa  mort.  On  dit  encore  qu'un  spectre 
poursuivit  Brulus,son  meurtrier,  à  la  ba- 
taille de  Philippes  ;  que,  dans  la  même  jour- 
née. Cassius  crut  voir  au  fort  de  la  mêlée 
César  accourir  à  lui  à  toute  bride,  avec  un 
regard  foudroyant,  et  qu'effrayé  de  cette  vi- 
sion terrible,  il  se  perça  de  son  épée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Jules  César  fut  mis  au 
rang  des  dieux  par  ordre  d'Auguste,  qui 
prétendit  que  'V^énus  avait  em.porté  son  am« 
au  ciel.  On  le  représentait  dans  ses  temples 
avec  une  étoile  sur  la  têle,  à  cause  de  la  co- 
mète qui  parut  au  moment  de  sa  mort. 

CESAR  ,  charlatan  qui  vivait  à  Pans 
sous  Henri  IV,  et  qui  était  astrologue,  nécro- 
mancien ,  chiromancien,  physicien,  devin, 
faiseur  de  tours  magiques.  Il  disait  la  bonne 
aventure  par  l'Inspection  des  lignes  de  la 
main.  Il  guérissait  en  prononçant  des  paro  es 
et  par  des  attouchements.  11  arrachait  les 
dents  sans  douleur,  vendait  assez  cher  de  pe- 
tits joncs  d'or  émaillés  de  noir,  comme  talis- 
mans qui  avaient  des  propriétés  naerveilleu- 
scs  contre  toutes  les  maladies.  Il  escamotait 
admirablement  et  faisait  voir  le  diable  avec 

ses  cornes.  ,      .        .i        ut 

Quant  à  cette  dernière  opération,  il  semble 
qu'il  voulait  punir  les  curieux  d'y  avoir  cru  ; 
car  ils  en  revenaient  toujours  si  bien  rossés 
par  les  sujets  de  Belzébulh,  que  le  magicien 
lui  même  était  obligé  de  leur  avouer  qui! 
était  fort  imprudent  de  chercher  a  les  con  - 

1131  '  rc 

Le  bruit  courut  à  Paris,  en  1611,  que  l  en- 
chanteur César  el  un  autre  sorcier  de  ses 

Iii-fol   Cologne,  1599.111-8°.  Douai,  1601. 
'  (3)  D^lnum  iuvesligaiio  t'oripalelica ,  in  qua  exrl.u»- 
lur  locus  HiiiiK)craiis  si  quid  diùuum  m  morbis  lial)ealur. 
ln-4°.  Florence,  1380. 


535 


CHA 


amis  avaient  élé  étranglés  par  le  diable.  On 
publia  même,  dans  un  petit  imprimé,  les  dé- 
tails de  celle  aventure  infernale.  Ce  qu'il  y  a 
de  certain,  c'est  que  César  cessa  tout  à  coup 
de  se  montrer.  Il  n'était  cependant  point 
mort  ;  il  n'avait  même  pas  quitté  Paris.  Mais 
il  était  devenu  invisible  ,  comme  quelques 
autres  que  l'Étal  se  charge  de  loger  (1). 

CëSARA.  Les  Irlandais  croient  remon- 
ter à  Césara  ,  pelile-fîlle  de  Noé  ,  disent-ils, 
qui  se  réfugiadans  leur  île,  où  pargrâcc  spé- 
ciale, elle  fut  à  l'abri  des  eaux  du  déluge. 

CltSONlE ,  femme  de  Caligula.  Suétone 
conte  que,  pour  s'assurer  le  cœur  de  son  au- 
guste époux  ,  elle  lui  fil  boire  un  phillrc  qui 
acheva  de  lui  faire  perdre  l'esprit.  On  pré- 
tend qu'il  y  avait  dans  ce  philtre  de  l'hippo- 
mane  ,  qui  est  un  morceau  de  chair  qu'on 
trouve  quelquefois,  dit-on,  au  front  du  pou- 
lain nouve.'iu-né.   Voy.  Hippomane. 

CEURAWATS  ,  sectaires  indiens,  qui  ont 
si  grande  peur  de  détruire  des  animaux, 
qu'ils  se  couvrent  la  bouche  d'un  linge  pour 
ne  pas  avaler  d'insccles.  Ils  admettent  un  bon 
et  un  mauvais  principe  ,  et  croient  à  des 
transmigrations  perpétuelles  dans  différents 
corps  d'hommes  ou  de  bêles. 

CEYLAN.  —  Les  habitants  croient  que 
celte  île  fut  le  lieu  qu'Adam  et  Eve  habitè- 
rent, après  avoir  élé  chassés  du  jardin  de 
délices. 

CHACON  (Alphonse)  ,  en  latin  Ciaconius, 
dominicain  espagnol  du  seizième  siècle , 
auteur  du  traité  traduit  par  Cayet  :  Comment 
l'âme  de  Trajan  fut  délivrée  de  l'enfer  (2). 

CHAGRAN  ,  tonnerre  de  Wishnou.  Les 
Indiens  le  représentent  sous  la  figure  d'un 
cercle  qui  vomit  du  feu  de  tous  côtés,  comme 
nos  soleils  d'arlifice. 

CHAINE  DU  DIABLE.  —  C'est  une  tradi- 
tion parmi  les  vieilles  femmesdela  Suisse  que 
saint  Bernard  tient  le  diable  enchaîné  dans 
quelqu'une  des  montagnes  qui  environnent 
l'abbaye  de  Clairvaux.  Sur  cette  tradition  est 
fondée  la  coutume  des  maréchaux  du  pays 
de  frapper  tous  les  lundis,  avant  de  se  met- 
tre en  besogne  ,  trois  coups  de  marteau  sur 
l'enclume  pour  resserrer  la  chaîne  du  diable, 
afin  qu'il  ne  puisse  s'éi  happer. 

CHAIS  (  Pierre  ),  ministre  protestant,  né 
à  Genève  en  1701.  Dans  son  livre  intitulé  le 
Sens  Huerai  de  l'Ecriture  sainte,  etc.,  traduit 
de  l'anglais,  de  Slackhouse,  3  volumes  in-8', 
1738,  il  a  mis  une  curieuse  dissertation,  dont 
il  est  l'auteur,  sur  les  démoniaques. 

CHALCEDOINE.  —  On  conte  qu'après  que 
les  Perses  eurent  ruiné  Chalcédoine ,  sur  le 
Bosphore,  Constantin  le  Grand  voulut  la  re- 
bâtir, parce  qu'il  en  aimait  le  séjour.  Mais 
des  aigles  vinrent,  qui,  avec  leurs  serres, 
enlevèrent  les  pierres  des  mains  des  ouvriers. 
Ce  prodige  se  répéta  tant  de  fois,  qu'il  fallut 
renoncer  à  reconstruire  la  ville,  si  bien  que 
l'empereur  alla  bâtir  Constanlinople.... 

CHALDEENS.  —  On  prétend  qu'ils  trou- 
vèrent l'astrologie  ou  du  moins  qu'ils  laper- 

(1)  Charlaians  célèbres,  t.  I,  p.  202. 

(2)  Tracliilus  de  liberaiione  anima  Trajani  iniperïloris 
a  l'œiiisinferni,  etc.  Rome,  lo70.  Rcggio,  1583 


CHA  33< 

fectionnèrent.  ils  étaient  aussi  habiles  ma- 
giciens. 

CHAM  ,  troisième  fils  de  Noé,  inventeur 
ou  conservateur  de  la  magie  noire.  Il  per- 
fectionna les  divinations  et  les  sciences  su- 
perstitieuses. Gecco  d'AscoIi  dit,  dans  le 
chapitre  k  de  son  Commentaire  sur  la  Sphère 
de  Sacrobosco ,  avoir  vu  un  livre  do  magie 
composé  par  Cham,  et  contenant  les  élémentt 
et  la  pratique  de  la  nécromancie.  11  enseigna 
celte  science  redoutable  à  son  fils  Misr.iïm, 
qui,  pour  les  merveilles  qu'il  faisait,  fut  ap- 
pelé Zoroastre,  et  composa  ,  sur  cet  art  dia- 
bolique, cent  mille  vers,  selon  Suidas,  eltrois 
cent  mille,  selon  d'uulres. — 

Les  monstruosités  de  Cham  lui  attirèrent, 
dit-on,  un  châtiment  terrible  ;  il  fut  emporté 
par  le  diable  à  la  vue  de  ses  disciples.  — 

Bérose  prétend  que  Cham  est  le  même  que 
Zoroastre.  Annius  de  Vilerbe,  dans  ses  notes 
au  texte  supposé  de  cet  écrivain  ,  pense  que 
Cham  pourrait  bien  être  le  type  du  Pan  dis 
anciens  pa'iens  (3).  Kircher  dit  que  c'esl  leur 
Saturne  et  leur  Osiris.  D'autres  prétendent 
que  c'est  lui  qui  fut  adoré  sous  le  nom  de 
Jupiter-Ammon.  Ils  le  confondent  avec  Cha- 
mos. 

On  dit  encore  que  Cham  a  inventé  l'alchi- 
mie ,  et  qu'il  avait  laissé  une  prophétie  dont 
l'hérétique  Isidore  se  servait  pour  faire  des 
prosélytes.  Nous  ne  la  connaissons  pas  autre- 
ment que  par  un  passage  de  Sand  ,  qui  dit 
que  Cham,  dans  cette  prophétie  ,  annonçait 
l'immortalité  de  l'âme  (4). 

CHAMANS ,  prêtres  sorciers  des  Ya- 
coiits.  Voy.  Mang-Taar. 

CHAMBRliS  INFESTEES.  —  Voy.  Cuat, 
Desiioulières  ,  Dbspilliers  ,  Atuénagure, 
Ayola,  Château,  etc. 

CHAMEAU.  —  Les  musulmans  ont  pour 
cet  animal  une  espèce  de  vénération  ;  ils 
croient  que  c'esl  un  péché  de  le  trop  charger 
ou  de  le  faire  travailler  plus  qu'un  cheval. 
La  raison  de  ce  respect  qu'ils  ont  pour  le 
chameau,  c'est  qu'il  est  surtout  commun 
dans  les  lieux  sacrés  de  l'Arabie,  et  que  c'est 
lui  qui  porte  leKoran,  quand  on  va  en  pèle- 
rinage à  La  Mecque. 

Les  conducteurs  de  ces  animaux,  après  les 
avoir  fait  boire  dans  un  bassin,  prennent 
l'écume  qui  découle  de  leur  bouche  et  s'en 
frottent  dévotement  la  barbe,  on  disant:  a  G 
père  pèlerin I  ô  père  pèlerin!  »  Ils  croient 
que  cette  cérémonie  les  préserve  de  niéchef 
dans  leur  voyage.  — 

On  voit  dans  les  Admirables  Secrets  d'Al~ 
hert  le  Grand,  livre  II,  chap.  3,  qu-î  «si  le 
sang  du  chameau  est  mis  dans  la  peau  d'un 
taureau, pendanlqueles  étoiles  brillent,  la  fu- 
mée qui  en  sortira  fera  qu'on  croira  voir  un 
géantdont  la  tête  semblera  toucherleciel,Her  - 
mes  assure  l'avoir  éprouvé  lui-même.  Si  quel  - 
qu'un  mange  dece  sang,  il  deviendra  bieniôl 
fou;  et  si  l'on   allume  une  lampe  qui  aura 

(3)  Comment,  ad  Berosi  lib.  III.  WlerJS ,  da  Praesliglis, 
dit  que  Pan  est  le  prince  des  démons  incubes. 

(4)  Ctiristop.  Sandii  lib.. de  Origine  anim»,  p.  99. 


M5 


nCTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


S.'fl 


été  frottée  de  ce  même  sang,  on  s'imaginera 
que  tous  ceux  qui  seront  présents  auront 
des  têtes  de  chameau,  pourvu  cependant  qu'il 
n'y  ait  point  d'autre  lampe  qui  éclaire  la 
clianibre.  »  Voy.  Jean-Baptiste. 

CHA.MMADAl,  le  même  t\{\'As>no(Iée. 

CIIAMOS,  démon  de  la  flatterie,  membre 
du  conseil  infernal.  Les  Ammonites  et  les 
Moabiles  adoraient  le  .'oleil,  sous  le  nom  de 
Chamos  ,  Kamosch  ou  Kemosch  ;  et  Milton 
l'appelle  l'oftsccne  terreur  des  enfants  deMuab. 
D'autres  le  confondent  avec  Jupiter-Ammon. 
Vossius  a  cru  que  c'était  le  Comus  des  Gn  es 
et  des  Romains,  qui  était  le  dieu  des  jeux, 
des  danses  et  des  bals. 

Ceux  qui  dérivent  ce  mot  de  l'hébreu  Ka- 
mos  prétendent  qu'il  signifie  le  dieu  caché, 
c'est-à-dire  Pluton,  dont  la  demeure  est  aux 
enfers. 

CHAMOUILLARD,  noueur  d'aiguillette 
qui  fut  cond.imné,  par  arrêt  du  parlement  de 
Paris,  en  1597,  à  être  pendu  et  brûlé,  pour 
avoir  maléficié  une  demoiselle  de  la  Barrière. 
Voy.  Ligatures. 

CHAMP  DU  RIRE.  —  Annibal ,  lorsqu'il 
faisait  le  siège  de  Rome,  se  relira,  dil-on,  de 
devant  cette  ville  ,  épouvanté  de  vaincs  ter- 
reurs et  de  fantômes  qui  troublèrent  ses  es- 
prits. Les  Romains,  lui  voyant  lever  le  siège, 
poussèrent  de  tels  cris  de  joie  et  firent  de  si 
grands  éclats  de  rire ,  que  le  lieu  d'où  il  dé- 
camp.i  s'appela  le  Champ  du  Rire. 

CHAMPIER  (Symphorien),  Lyonnais  du 
quinzième  siècle,  qui  a  publié  en  1303  la  Nef 
des  Daines  vertueuses,  en  quaire  livres  mêlés 
de  prose  et  de  vers,  dont  le  troisième  contient 
les  prophéties  des  sibylles.  On  l'a  soupçonné 
à  tort  d'être  l'auteur  du  traité  des  Trois  Im- 
posteurs; mais  il  a  laissé  un  petit  livre  inti- 
tulé: De  TripHci  disciplina,  in-8%  Lyon,  1308. 
On  lui  doit  aussi  des  Dialogues  sur  la  néces- 
sité de  poursuivre  les  magiciens  (1). 

CHAMPIGNON.— LesHollandaisappellent 
le  champignon  pain  du  diable  l  duivels- 
brood). 

CHANDELLE.  —Cardan  prétend  que,  pour 
savoir  si  un  trésor  est  enfoui  dans  un  souter- 
rain où  l'on  creuse  pour  cela  ,  il  faut  avoir 
une  grosse  chandelle,  faite  de  suif  humain, 
enclavée  dans  un  morceau  de  coudrier,  en 
forme  de  croissant,  de  manière  à  Oçurer  avec 
les  deux  branches  une  fourche  a  trois  ra- 
meaux. Si  la  chandelle,  étant  allumée  dans  le 
lieu  soulcrrain,  y  fait  beaucoup  de  bruit  en 
pétillant  avec  éclat,  c'est  une  marque  qu'il  y 
a  un  trésor.  Plus  on  approchera  du  trésor, 
plus  la  chandelle  pétillera  ;  enfin  elle  s'étein- 
dra quand  elle  en  sera  tout  à  fait  voisine. 

Ainsi  il  faut  avoir  d'autres  chandelles  dans 
des  lanternes  ,  afin  de  ne  pas  demeurer  sans 
lumière.  Quand  on  a  des  raisons  solides  pour 
croire  que  ce  sont  les  esprits  des  hommes 
défunts  qui  gardent  les  trésors,  il  est  bon  de 
tenir  des  cierges  bénits  au  lieu  de  chandelles 
communes;  et  on  les  conjure  de  la  part  de 

(I)  Dlalojfus  in  magirarum  arlium  deslructioDem.  In-4*. 
Ljoii,  Bjls.iriii,  San»  date  (vers  1507). 
(î}  Le  Sollile  iréior  Uu  Telil  Albert. 


Dieu  de  déclarer  si  l'on  peut  faire  quelque 
chose  pour  les  mettre  en  lieu  de  repos  ;  il  ne 
faudra  jamais  manquer  d'exécuter  ce  qu'ils 
auront  demandé  (2)...  — 

Les  chandelles  servent  à  plus  d'un  usage. 
On  voit  dans  tous  les  démonogrnphes  que 
les  sorcières  ,  au  sabbat,  vont  baiser  le  der- 
rière du  diable  avec  une  chandelle  noire  à  la 
main.  Boguet  dit  qu'elles  allument  ces  chan- 
delles à  un  flambeau  qui  est  sur  la  léte  de 
bouc  du  diable;  entre  ses  deux  cornes,  et 
q  u'clles  s'éteignent  ets'évanouissent  dès  qu'on 
les  lui  a  offertes  (3).  — 

N'oublions  pas  que  trois  chandelles  ou 
trois  bougies  sur  une  table  sont  de  mauvais 
augure;  et  que  quand  de  petits  charbons  se 
détachent  de  lu  lumière  d'une  chandelle,  ils 
annoncent,  selon  quel(]ues-uns ,  une  vi- 
site (4);  mais,  selon  le  sentiment  plus  géné- 
ral, une  nouvelle,  agréable  s'ils  augmentent 
la  lumière,  fâcheuse  s'ils  t'affaiblissent. 

CHANT  DU  COQ.  Il  dissipe  le  sabbat.  Voy. 
Coq. 

CHAOMANCIE,  art  de  prédire  les  choses 
futures  par  le  moyen  des  observations  qu'on 
fait  sur  l'air.  Cette  divination  est  euiployéo 
par  quelques  alchimistes  qui  ne  nous  en  ont 
pas  donné  le  secret. 

CHAPEAU  VENTEUX,  voy.  Eric. 

CHAPELET.  On  a  remarqué  pertinemment 
que  tous  les  chapelets  de  sorcières  avaient 
une  croix  cassée  ou  endommagée  :  c'était 
môme  un  indice  de  sorcellerie  qu'une  croix 
de  chapelet  qui  n'était  pas  entière. 

CHAPELLE  DU  DAMNÉ.  Raymond  Dio- 
cres,  chanoine  de  Notre-Dame  de  Paris,  mou- 
rut en  répulalion  de  sainteté  vers  Tan  1084. 
Son  corps  ayant  été  porté  dans  le  chœur  de 
la  cathédrale,  il  leva  la  tête  hors  du  cercueil 
à  ces  graves  paroles  de  l'office  des  morts  : 
—  Réponds-moi;  quelles  sont  tes  iniquités? 
Responde  mihi  quantas  habes  iniquitates  ?  etc., 
et  qu'il  dit  :  Juste  judicio  Dei  accusatus  sum. 
(J'aiétécilédevant  lejusle  jugement  de  Dieu.) 

Les  assistants  effrayés  suspendirent  le  ser'> 
vice  et  le  remirent  au  lendemain.  En  atten- 
dant, le  corps  du  chanoine  resta  déposé  dans 
une  chapelle  de  Notre-Dame,  la  même  qu'où 
appelle  depuis  la  Chapelle  du  Damné. 

Le  lenclemain,  on  recommença  l'office; 
lorsqu'on  fut  au  même  verset,  le  mort  parla 
de  nouveau,  et  dit  :  —  Justo  Dei  judicio  ju- 
dicalus  sum.  (J'ai  été  jugé  au  juste  jugement 
de  Dieu.) 

On  remit  encore  l'office  au  jour  suivant; 
et  au  même  verset,  le  mort  s'écria  :  —  Justo 
Dei  judicio  condemnalus  sum.  (J'ai  été  con- 
damné au  juste  jugement  de  Dieu.) 

Là-dessus,  dit  la  chronique,  on  jeta  le 
corps  à  la  voirie;  et  ce  miracle  effrayant  fut 
cause,  selon  quelques-uns,  de  la  retraite  de 
saint  Bruno,  qui  s'y  trouvait  présent. 

Quoique  celle  anecdote  soit  contestée,  elle 
est  consacrée  par  des  monumiïnts.  La  pein- 
ture s'en  est  emparée,  et  Le  Sueur  en  a  tiré 
parti  dans  sa  belle  galerie  de  saint  Bruno. 

CHAPUIS  (Gabriel),  né  à  Amboise  en  15i6. 

(3)  Discours  des  Sorciers,  lU.  xxii, 

(4)  arown,  liv.  V,  cli.  xxm. 


337 


CHA 


CHA 


S58 


Nous  citerons  de  ses  ouvrages  celui  qui  porte 
ce  litre  :  les  Mondes  célestes,  terrestres  et  in- 
fernaux, etc.,  tiré  des  Mondes  de  Doni.  in-S", 
Lyon,  1583.  C'est  un  ouvrage  satirique. 
CHAR  DE  LA  MORT,  voy.  Brouette. 
CHARADRIUS,  oiseau  immonde  que  nous 
ne  connaissons  pas;  les  rabbins  disent  qu'il 
est  merveilleux,  et  que  son  regard  guérit  la 
jaunisse.  Il  faut,  pour  cela,  que  le  malade  et 
l'oiseau  se  regardent  fixement  ;  car  si  l'oiseau 
détournait  la  vue,  le  malade  mourrait  aus- 
sitôt. 

CHARBON  D'IMPURETÉ,  l'un  des  démons 
de  la  possession  de  Loudun.  Voy.  Gbandier. 
CHARLATANS.  On  attribuait  souvent  au- 
trefois aux  sorciers  ou  au  diable  ce  qui  n'é- 
tait que  l'ouvrage  des  cliarlalans.  Si  nous 
pensions  comme  au  seizième  siècle,  tous  nos 
escamoteurs  seraient  sorciers. 

Tout  ce  que  nous  voyons  n'est  rien  pour- 
tant en  fait  de  tours  de  passe-passe  ;  et  les 
hautes  sciences  dégénèrent.  M.  Comte,  à 
Paris,  escamote  à  peine  des  oiseaux.  On  vit 
sous  l'Empire  un  habile  opérateur,  qui  se 
faisait  appeler  le  grand  enchanteur  Caliin- 
Caha,  annoncer  dans  un  programme  imprimé 
qu'il  escamoterait  sa  femme  et  la  changerait 
en  dindon;  il  est  vrai  qu'il  n'y  put  réussir, 
et  que  les  spectateurs  dirent  unanimement 
que  lui-même  était  le  dindon.  Ne  l'étaient- 
ils  pas  un  peu  plus,  eux  qui  avaient  donné 
leur  argent?  Wierus,  dans  son  deuxième  li- 
vre des  Prestiges,  nous  raconte  que  de  son 
temps,  au  seizième  siècle,  un  savant  magi- 
cien s'escamota  lui-môme,  avec  des  circoa- 
slances  merveilleuses.  Voici  le  fait. 

Ce  magicien,  ou  si  vous  l'aimez  mieux, 
cet  escamoteur  adroit  gagnait  sa  vie  à  Mag- 
debourg,  en  faisant  des  tours  de  son  métier, 
dos  fascinations  et  des  prestiges,  sur  une  es- 
trade élevée  au  milieu  de  la  place  publique. 
Or,  un  jour  qu'il  montrait  pour  quelque 
monnaie  un  petit  cheval,  à  qui  il  faisait  exé- 
cuter, p.ir  la  force  de  sa  magie,  des  choses 
vraiment  miraculeuses,  comme  de  deviner  la 
pensée,  de  désigner  dans  la  foule  le  mari  le 
plus  doux,  la  femme  la  moins  parleuse,  la 
personne  la  plus  belle,  la  plus  riche,  la  plus 
meuleuse,  la  plus  spirituelle  de  la  société; 
après  avoir  fini  son  jeu,  le  prestidigitateur 
s'écria  qu'il  gagnait  trop  peu  d'argent  avec 
les  hommes  d'ici-bas,  et  qu'il  allait  monter 
à  la  lune.  Ceci  se  faisait,  comme  d'ordinaire, 
par  une  belle  soirée,  à  la  clarté  de  quelques 
chandelles. 

Le  magicien  ayant  donc  jeté  son  fouet  en 
l'air,  le  fouet  coimnença  de  s'élever.  Le  petit 
cheval  ayant  saisi  avec  ses  dents  l'extrémité 
du  fouet  s'enleva  pareillement.  L'»Michanteur 
ne  voulant  pas  abandonner  son  bidet,  le  prit 
par  la  queue  et  fut  emporté  de  même.  La 
femme  do  C(  t  habile  homme  empoigna  à  son 
tour  les  jambes  île  son  mari,  qu'elle  suivit; 
la  servant!'  s'accroch.i  aux  pieds  de  sa  mal- 
tresse; le  valel,  qui  faisait  les  parades,  se 
pendit  aux  jupons  de  la  servante;  el  bientôt 
Je  fouet,  lo  petit  cheval,  le  sorcier,  sa  fomino, 
la  cuisinière,  le  paillasse,  tous  les  éléments 
de  la  troupe  arrangés  coiuinc  une  bande  de 


grues  s'élevèrent  si  haut  qu'on  ne  les  vit 
plus. 

Pendant  que  tous  les  assistants  demeu- 
raient ébahis  d'un  tel  prodige,  il  vint  un 
homme  qui  leur  demanda  la  cause  de  leur 
stupeur.  Et  quand  il  la  sut  :  — Soyez  en  paix, 
leur  dit-il,  votre  sorcier  n'est  pas  perdu;  jh 
viens  de  le  voir  à  l'autre  bout  de  la  ville, 
qui  descendait  à  son  auberge  avec  tout  sou 
monde. 

Un  philosophe,  qui  cite  ce  fait  comme  un 
tour  de  magie,  el  qui  n'admet  pas  qu'on 
puisse  en  douter,  termine  parcolteréQexion: 
—  Il  faut  convenir  que  le  diable  fait  pour  se» 
amis  des  facéties  bien  extraordinaires. 

Voici  ce  qu'on  lit  dans  le  Voyage  deSchou- 
ten  aux  Indes  orientales  : 

«  11  y  avait  au  Bengale  un  charlatan  qui, 
en  faisant  plusieurs  tours  de  souplesse,  prit 
une  canne  longue  de  vingt  pieds,  au  bout  do 
laquelle   était  une  petite  planche  large  do 
trois  ou  quatre  pouces;  il  mit  cette  canne  à 
sa  ceinture,  après  quoi  une  fille  de  vingt- 
deux  ans  lui  vint  sauter  légèrement  par  der- 
rière sur  les  épaules,  et,  grimpant  au  haut 
de  la  canne,  sassit  dessus,  les  jambes  croi- 
sées et  les  bras  étendus.  Après  cela,  l'homme, 
ayant  les  deux  bras  balancés,  commença  à 
marchera  grands  pas,  portant  toujours  cette 
fille  sur  le  bout  de  la  canne,  tendant  le  ven- 
tre pour  s'appuyer,  et  regardant  sans  cesse 
en  haut  pour  tenir  la  machine  en  é(iuilibre. 
La  fille  descendit  adroitement,  remonta  de- 
rechef et  se  pencha  le  ventre  sur  le  bâton, 
en  frappant  des  mains  et  des  pieds  les  uns 
contre  les  autres.  Le  charlatan  ayant  mis 
alors  le  bâlon  sur  sa  télé,  sans  le  tenir  ni  dt^s 
mains  ni  des  bras,  cette  même  fille  et  une 
autre  petite  Moresque  de  quinze  ans  moulè- 
rent dessus  l'une  après  l'autre;  l'homme  les 
porta  ainsi  autour  de  la  place,  en  courant  et 
se  pencbant,  sans  qu'il  leur  arrivât  le  moin- 
dre mal.  Ces  deux  mêmes  filles  marchèrent 
sur  la  corde  la  tête  en  bas,  et  firent  une  mul- 
titude d'autres  tours  de  force  très-merveil- 
leux. Mais,  quoique  plusieurs  d'entre  nous 
crussent  que  tous   ces  tours   de  souplesse 
fussent  faits  par  art  diabolique,  il  me  semble 
qu'ils  pouvaient  se  faire  naturellement;  car 
ces  filles,  qui  étaient  très- adroites,  subtiles, 
et  dont  les  membres  étaient  grandement  agi- 
les, faisaient  tout  cela  à  force  de  s'y  être  ac- 
coutumées el  exercées.  » 

Il  y  a  eu  des  charlatans  de  toutes  les  espè- 
ces :  en  1728,  du  temps  de  Law,  le  plus  fa- 
meux des  charlatans,  un  autre,  nommé  Vil- 
lars,  confia  à  quelques  amis  que  son  oncle, 
qui  avait  vécu  près  de  cent  ans,  et  qui  n'était 
mort  que  par  accident,  lui  avait  laissé  le  siî- 
crel  d'une  eau  qui  pouvait  aisément  prolon- 
ger la  vie  jusqu'à  cent  cinquante  années, 
pourvu  qu'on  fût  sobre.  Lorsqu'il  voyait 
passer  un  enterrement,  il  levait  les  épaules 
do  pitié.  «  Si  le  défunt,  disail-il,  avait  bu 
de  mon  eau,  il  ne  sérail  pas  où  il  est.  »  Ses 
amis,  auxquels  il  en  donna  généreusement, 
el  qui  observèrent  un  p:  u  le  régime  prescri!. 
s'en  trouvèrent  bien  et  le  prônèrent;  alors  il 
vendit  la  bouteille  six  francs;  le  débit  en  fut 


539  DICTIONNAIIIE  DES  SCltNCES  OCCULTES 

prodigieux.  C'élail  de  l'eau  de  Seine  <ivec  un 
peu  do  iiilre.  Ceux  qui  en  prirent  et  qui  s'as- 
Ireigiiireiil  au  régime,  surtout  s'ils  étaient 
nés  avec  un  bon  leiupérainent,  recouvrèrent 
en  peu  de  jours  une  santé  parfaite.  Il  disait 
aux  autres  :  —  C'est  votre  faute  si  vous  n'ê- 
tes pas  entièrement  guéris.  —  On  sut  enfin 
que  l'eau  de  Villars  n'était  que  de  l'eau  de 
rivière;  on  n'en  voulut  plus  et  on  alla  à 
d'autres  charlatans.  Mais  celui-là  avait  fait 
sa  forlune.  Voy.  Ane,  Chèvbe,  Alexandre 

DE  PaPRL4Gi)NIE,  CIC. 

CHAULES-MARTEL.  Saint  Euchcr,  évêque 
d'Orléans,  eut  une  vision,  dans  laquelle  il  se 
crul  transporté  par  un  ange  dans  le  purga- 
toire. Là,  il  lui  sembla  qu'il  voyait  Charles- 
Martel,  qui  expiait  les  pillages  qu'il  avait 


3M 


faits  et  ceux  qu  il  avait  soufferts. 

A  cette  vision,  on  ajoute  ce  conte  que  le 
tombeau  de  Charles-5lartel  fut  ouvert,  et 
qu'on  y  trouva  un  serpent,  lequel  n'était 
qu'un  démon.  Et  là-dessus  les  philosophes, 
s'en  prenant  au  clergé,  l'ont  accusé  de  frau- 
des. Mais  le  tombeau  de  Charles-Martel  n'a 
été  ouvert  à  Saint-Denis  que  par  les  profa- 
nateurs de  1793. 

CHAHLEMAGNE.  On  lit  dans  la  légende 
de  Berthe  au  grand  pied,  que  Pépin  le  Bref 
voulant  épouser  Bi'rthe,  fille  du  comte  de 
Laon,  qu'il  ne  connaissait  pas,  ceux  qui  la 
lui  amenaient  lui  substituèrent  une  autre 
femme  que  Pépin  épousa.  Ils  avaient  chargé 
des  assassins  de  tuer  la  princesse  dans  la  fo- 
rêt des  Ardenncs.  Ayant  ému  leur  pitié,  elle 
en  obtint  la  vie,  à  condition  de  se  laisser 
passer  pour  morte.  Elle  se  réfugia  chez  un 
meunier,  où  elle  vécut  plusieurs  années. 

Un  jour  Pépin,  égaré  à  la  chasse,  vint 
chez  ce  meunier  ;  son  astrologue  lui  annonça 
qu'il  se  trouvait  là  une  fille  destinée  à  quel- 
que chose  de  grand.  Berthe  fut  reconnue,  ré- 
tablie dans  ses  droits;  elle  devint  mère  de 
Charlemagne.  —  La  légende  ajoute  que  la 
première  épouse  de  Pépin  avait  donné  le  jour 
à  un  fils,  lequel,  par  la  suile,  élu  pape  sous 
le  nom  de  Léon  III,  couronna  Charlemagne 
empereur  d  Occident  (1). 

Il  serait  long  de  rapporter  ici  tous  les  pro- 
diges que  l'on  raconte  de  Charlemagne.  Son 
règne  est  l'époque  chérie  de  nos  romans  che- 
valeresques. On  voit  toujours  auprès  de  lui 
•les  enciianleurs,  des  géants,  des  fées.  0 a  a 
niéuie  dit  qu'il  ne  porta  la  guerre  en  Espagne 
que  parce  que  saint  Jacques  lui  apparut 
pour  l'avertir  qu'il  retirât  son  corps  des 
mains  des  Sarrasins. 

Ses  guerres  de  Saxe  ne  sont  pas  moins  fé- 
condes en  merveilles,  et  les  circonstances  de 
sa  vie  privée  sont  rapportées  également  d'une 
manière  extraordinaire  parles  chroniqueurs. 

On  dit  qu'en  sa  vieillesse  il  devint  si  éper- 
dûment  épris  d'une  Allemande,  ((u'il  en  né- 
gligea non-seulement  les  affaires  de  son 
royaume,  mais  même  le  soin  de  sa  propre 
personne.  Cette  femme  étant  morte,  sa  pas- 
sion ne  s'éteignit  pas,  de  sorte  qu'il  continua 
d'aimer  son  cadavre,  dont  il  ne  voulait  pas 

(1)  Voyfz,  dans  IfS  li^^endes  des  commandoinenis  de 
Dieu ,  la  légende  de  la  terne  Berlhe  m(  yrand  pieU.  \o)i:i 


se  séparer.  L'archevêque  Turpiii,  ayant  ap- 
pris la  durée  de  cette  effroyable  passion, 
alla  un  jour,  pendant  l'absence  du  prince, 
dans  la  chambre  où  était  le  cadavre,  afin  de 
voir  s'il  n'y  trouverait  pas  quelque  sort  ou 
maléfice  qui  fût  la  cause  de  ce  dérèglement. 
Il  visita  exactement  le  corps  mort,  et  trouva 
en  effet,  sous  la  langue,  un  anneau,  qu'il 
emporta.  Le  même  jour  Charlemagne,  étant 
rentré  dans  son  palais,  fut  fort  étonné  d'y 
trouver  une  carcasse  si  puante;  et,  se  réveil- 
lant comme  d'un  profond  sommeil,  il  la  fit 
ensevelir  promptement. 

Mais  la  passion  qu'il  avait  eue  pour  le  ca- 
davre, il  l'eut  alors  pour  l'archevêque  Tur- 
pin,  qui  portait  l'anneau  :  il  le  suivait  par- 
tout, et  ne  pouvait  le  quitter.  Le  prélat,  ef- 
frayé de  cette  nouvelle  folie,  et  craignant 
que  l'anneau  ne  tombal  en  des  mains  qui  en 
pussent  abuser,  le  jeta  dans  un  lac  afin  que 
personne  n'en  pût  faire  usage  à  l'avenir.  Dès 
lors  Charlemagne  devint  amoureux  du  lac, 
ne  voulut  plus  s'en  éloigner,  y  bâtit  auprès 
un  palais  et  un  monastère,  et  y  fonda  la  ville 
d'Aix-la-Chapelle,  où  il  voulut  être  enseveli. 
On  sent  que  tout  ce  récit  n'est  qu'un  conte, 
mais  il  est  foil  répandu.  Voy.  Vétin,  etc. 

CHARLES  LE  CHAUVE,  deuxième  du  nom 
de  Charles  parmi  les  rois  des  Francs.  Il  eut 
la  vision  suivante,  dont  on  prétend  qu'il  a 
écrit  lui-même  le  détail.  —  La  nuit  d'un  di- 
manche, au  retour  des  matines,  comme  il 
allait  se  reposer,  une  voix  terrible  vint  frap- 
per ses  oreilles.  —  Charles,  lui  dit  celte  voix, 
ton  esprit  va  sortir  de  ton  corps;  tu  viendras 
et  verras  les  jugements  de  Dieu,  qui  le  ser- 
viront ou  de  préservatif  ou  de  présage.  Ton 
esprit,  néanmoins,  te  sera  rendu  quelque 
temps  apiès. 

A  l'instant  il  fut  ravi  ;  celui  qui  l'enleva 
était  d'une  blancheur  éclatante.  11  lui  mit 
dans  la  main  un  peloton  de  fil  qui  jetait  une 
lumière  extraordinaire  :  —  Prends  ce  fil,  lui 
dit-il,  et  l'attache  fortement  au  pouce  de  la 
main  droite,  par  ce  moyen  je  te  conduirai 
dans  les  labyrinthes  infernaux,  séjour  de 
peines  et  de  souffrances. 

Aussitôt,  le  guide  marcha  devant  lui  avec 
vitesse,  en  dévidant  le  peloton  de  fil  lumi- 
neux. 11  le  conduisit  dans  des  vallées  pro- 
fondes, remplies  de  feux  et  pleines  de  puits 
enllammés  ,  où  l'on  voyait  bouillir  de  la  poix, 
du  soufre,  du  plomb,  du  bitume. 

«  Je  remarquai,  dit  le  monarque,  des  pré- 
lats et  des  chefs  qui  avaient  servi  mon  père 
et  mes  aïeux.  Quoique  tremblant,  je  ne  lais- 
sai pas  de  les  interroger,  pour  apprendre 
d'eux  quelle  était  la  cause  de  leurs  tourments. 
Ils  me  répondirent  :  —  Nous  avons  été  les 
officiers  de  votre  père  et  de  vos  aïeux  ;  et, 
au  lieu  de  les  porter  eux  et  leurs  peuples  a 
la  paix  et  à  l'union,  nous  avons  semé  parmi 
eux  la  discorde  et  le  tiouble  :  c'est  pourquoi 
nous  sommes  dans  ces  souterrains.  C'est  ici 
que  viendront  ceux  qui  vous  environnent  it 
qui  nous  imitent  dans  le  mal.  » 

Pendant  que,  tout  tremblant,  le  roi  coa- 

aussl,  dans  les  légendes  de  l'Hisloire  de  France ,  ta  iKjis- 
taitce  (le  Cliurlcmagne. 


Si( 


CHA 


CIIA 


34-: 


sidérait  ces  choses,  il  vit  fondre  sur  lui  d'af- 
freux démons,  lesquels,  avec  des  crochets  de 
fer  enflammé,  voulaient  se  saisir  de  son  pe- 
loton de  fil  et  le  lui  enlever  des  mains  ;  mais 
l'exlrêtne  lumière  qu'il  jetait  les  empêchait 
de  le  happer-  Ces  mêmes  démons  cherchèrent 
à  saisir  le  roi  et  à  le  précipiter  dans  les  puits 
de  soufre  ;  son  conducteur  le  débarrassa  des 
embûches  qu'on  lui  tendait,  et  le  mena  sur 
de  hautes  montagnes  d'où  sortaient  des  tor- 
rents de  feus  qui  faisaient  fondre  et  bouillir 
toutes  sortes  de  métaux. 

«  Là,  dit  le  roi,  je  trouvai  les  âmes  de  plu- 
sieurs seigneurs  qui  avaient  servi  mon  père 
et  mes   frères   :    les    uns  y  étaient  plongés 

i'usqu'au  menton,  et  d'autres  à  mi- corps. 
!s  s'écrièrent,  en  s'adressant  à  moi  :  — 
Hélas  !  Charles,  vous  voyez  comme  nous 
sommes  punis  pour  avoir  malicieusement 
semé  le  trouble  et  la  division  entre  votre 
père,  vos  frères  et  vous... 

«  Je  ne  pouvais,  dit  le  monarque  (  qui  a 
tout  l'air  de  faiie  là  une  brochure  poli- 
tique ,  dans  l'esprit  de  son  époque),  je  ne 
pouvais  m'empêcherde  gémir  de  leurs  peines. 

«  Je  vis  venir  à  moi  des  dragons  dont  la 
gueule  enflammée  cherchait  à  m'engloutir; 
mon  guide  me  fortifia  par  le  fil  du  peloton 
lumineux  dont  il  m'entoura,  et  cette  clarté 
offusqua  si  bien  les  dangereux  animaux  qu'ils 
ne  purent  m'atteindre. 

«  Nous  descendîmes  dans  une  vallée  dont 
un  côié  était  obscur  et  ténébreux,  quoique 
rempli  de  fournaises  ardentes.  Je  trouvai  le 
côté  opposé  très-éclairé  et  fort  agréable.  Je 
m'attachai  particulièrement  à  examiner  le 
côté  obscur  :  j'y  vis  des  rois  de  ma  race  tour- 
mentés par  d'étranges  supplices.  Le  cœur 
serré  d'ennui  et  de  tristesse,  je  croyais  à  tout 
moment  me  voir  précipité  moi-même  dans 
ces  gouffres  par  de  noirs  géants.  La  frayeur 
ne  m'abandonna  pas. 

«  De  l'autre  côté  du  vallon  je  remarquai 
deux  fontaines,  dont  l'une  était  d'une  eau 
très-chaude,  et  l'autre  plus  douce  et  plus 
tempérée.  Je  vis  deux  tonneaux  remplis  l'un 
et  l'autre  de  ces  eaux  ;  dans  l'un  je  reconnus 
mon  père,  Louis-le-Débonnaire,  qui  y  était 
plongé  jusqu'aux  cuisses.  11  me  rassura  et 
me  dit  :  —  Mon  Dis  Charles ,  ne  craignez 
rien,  je  sais  que  votre  esprit  retournera  dans 
votre  corps  ;  Dieu  a  permis  que  vous  vins- 
siez ici  pour  voir  les  peines  que  mes  péchés 
ont  méritées.  Si,  par  des  prières  et  des  au- 
mônes, vous  me  secourez,  vous,  mes  fidèles 
évéques  et  tout  l'ordre  ecclésiastique,  je  ne 
tarderai  guère  à  être  délivré  de  ce  tonneau. 
Regardez  à  votre  gauche,  ajouta  mon  père. 

«  A  l'instant  je  tournai  la  tête  ;  je  vis  deux 
grands  tonneaux  d'eau  bouillante.— Voilà  ce 
qui  vous  est  destiné,  conlinua-t-il,  si  vous  ne 
vous  corrigez  et  ne  faites  pénitence.  —  Mon 
guide  me  dit  alors  :  —  Suivez-moi  dans  la 
partie  qui  est  à  droite  de  ce  vallon,  où  se 
trouve  toute  la  gloire  du  paradis. 

«  Je  ne  marchai  pas  longtemps  sans  voir 
au  milieu  des  plus  illustres  rois  mon  oncle 


Lolhaire,  assi?  sur  une  topaze  d'une  gran- 
deur extraordinaire  et  couronné  d'un  riche 
diadème  ;  son  fils,  Louis,  était  dans  un  éclat 
aussi  brillant.  A  peine  m'eul-il  aperçu  que, 
d'une  voix  fort  douce,  il  m'appela  et  me  parla 
en  ces  termes  :  —  Charles,  qui  êtes  mon  troi- 
sième successeur  dans  l'empire  romain  ,  ap- 
prochez. Je  sais  que  vous  êtes  venu  voir  les 
lieux  de  supplices  et  de  peines  où  votre  père 
et  mon  frère  gémissent  encore  pour  quelque 
temps.  Mais,  parla  miséricorde  de  Dieu,  ils 
seront  bientôt  délivrés  de  leurs  souffrances, 
comme  nous-mêmes  en  avons  été  retirés,  à 
la  prière  de  saint  Pierre,  de  saint  Denis  et  de 
saint  Rémi,  que  Dieu  a  établis  les  patrons 
des  rois  cl  du  peuple  français.  Sachez  aussi 
que  vous  ne  tarderez  pas  à  être  détrôné  ; 
après  quoi  vous  vivrez  peu. 

«  Et  Louis,  se  tournant  vers  moi  :  —  L'em- 
pire romain,  dit-il,  que  vous  avez  possédé, 
doit  passer  incessamment  entre  les  mains  de 
Louis,  fils  de  ma  fille.  —  A  l'instant  j'aper- 
çus ce  jeune  enfant.  — Remettez-lui  l'aulo- 
rité  souveraine,  continua  Louis,  et  donnez- 
lui-en  les  marques  en  lui  confiant  ce  peloton 
que  vous  tenez. 

«  Sur-le-champ  je  le  détachai  de  mes 
doigts  pour  le  lui  remettre.  Parla  lise  trouva 
revêtu  de  l'empire,  et  tout  le  peloton  passa 
dans  sa  main.  A  peine  en  fut-il  mailre,  qu'il 
devint  brillant  de  lumière  ;  mon  esprit  rentra 
en  même  temps  dans  mon  corps.  —  Ainsi, 
tout  le  monde  doit  savoir  que,  quoi  qu'on 
fasse,  il  possédera  l'empire  romain  que  Dieu 
lui  a  destiné  ;  et  quand  je  serai  passé  à  une 
autre  vie,  c'est  ce  qu'exécutera  le  Seigneur, 
dont  la  puissance  s'étend  dans  tous  les  siècles 
sur  les  vivants  et  les  morts  (1).  » 

Nous  le  répétons  :  brochure  politique. 

CHARLES  VI,  —  roi  de  France.  Ce  prince, 
chez  qui  on  avait  déjà  remarqué  une  raison 
affaiblie,  allant  faire  la  guerre  en  Bretagne, 
lut  saisi  en  chemin  d'une  frayeur  qui  acheva 
de  lui  déranger  entièrement  le  cerveau.  Il  vit 
sortir  d'un  buisson,  dans  la  forêt  du  Mans, 
un  inconnu  d'une  figure  hideuse,  vêtu  d'une 
robe  blanche,  ayant  la  tête  et  les  piei's  nus, 
qui  saisit  la  bride  de  son  cheval,  et  lui  cria 
d'une  voix  rauque  :  —  Roi,  ne  chevauche 
pas  plus  avant  ;  retourne,  tu  es  trahi  I  —  Le 
raonaniue,  hors  de  lui-même,  lira  son  épée 
et  ôla  la  vie  aux  quatre  premières  personnes 
qu'il  rencontra,  en  criant  :  —  En  avant  sur 
les  traîtres  1 

Son  épée  s'étant  rompue  et  ses  forces  épui- 
sées, on  le  plaça  sur  un  chariot  et  on  le  ra^ 
mena  au  Mans. 

Le  fantôme  de  la  forêt  est  encore  aujour- 
d'hui un  problème  difficile  à  résoudre.  Etait- 
ce  un  insensé  qui  se  trouvait  là  par  hasard  ■; 
Etait-ce  un  émissaire  du  duc  de  Bretagne 
contre  lequel  Charles  marchait?  Tous  les 
raisonnements  du  temps  aboutissaient  au 
merveilleux  ou  au  sortilège.  Quoi  qu'il  en 
soit,  le  roi  devint  tout  à  fait  fou.  Un  médecin 
de  Laon,  Guillaume  de  Harsely,  fut  app;'lé 
au  château  de  Creil,  et,   après  six  mois   de 


(IJ  Viiio  Caroli  Caivi  de   tocls  pœiiarum  el  felitilale       juslorum.  Mun'jscrii>l3  liibl.  reg.,  c'  iUl,  p.  188, 


5i5 


DlCTIUNNAiriE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


IM 


joins  et  de  ménagemiuls,  la  santé  du  Roi  se 
trouva  rétablie.  —  Mais,  en  1393,  son  élal 
ilevint  désespéré,  à  la  suite  d'une  autre  itn- 
nruilence.  La  Reine,  à  l'occasion  du  mariage 
J'une  de  ses  fcmincs,  donnait  un  bal  masqué. 
Le  Roi  y  vint  déguisé  en  sauvage,  conù;:isaiit 
;ivec  lui  de  jeunes  soigneurs  dans  le  même 
lostume,  attachés  par  une  clinîne  de  fer. 
Leur  vêtement  était  fait  d'une  toile  enduite 
•le  poix-résine,  sur  laquelle  on  avait  appliqué 
des  éloupes.  Le  duc  d'Orléans ,  voulant  con- 
natlre  les  masques,  approcha  un  flambeau  : 
la  flamme  se  communiqua  avec  rapidité,  les 
cinq  seigneurs  furent  brûlés  ;  mais  un  cri 
"étant  fait  entendre,  —  Sauvez  le  Roi .  — 
Ch;irles  dut  la  vie  à  la  présence  d'esprit  de 
duchesse  de  Berri,  qui  le  couvrit  de  son 
manteau  et  arrêta  la  flamme. 

L'étatduRoi  empira  decelte  frayeurets'ag- 
srrava  de  jour  en  jour  ;  le  duc  d'Orléans  fut 
soupçonné  de  l'avoir  ensorcelé.  Jordan  de 
Wejer,  de  Divin.,  cap.  43,  écrit  que  ce  duc, 
voulant  exterminer  la  race  royale,  conQ.i  ses 
armes  et  son  anneau  à  un  apostat,  pour  les 
consacrer  au  diable  et  les  enchanter  par  des 
prestiges  ;  qu'une  matrone  évoqua  le  démon 
dans  la  tour  de  Montjoie  ,  près  de  Lagny  ; 
qu'ensuite  le  duc  se  servit  des  armes  ensor- 
celées pour  ôter  la  raison  au  roi  Charles, 
non  frère,  si  subtilement,  qu'on  ne  s'en  aper- 
çut pas  d'abord. 

Le  premier  enchantement,  selon  colle  ver- 
sion, se  fît  près  de  Beauvais  ;  il  fut  si  violent 
que  les  ongles  et  les  cheveux  en  tombèrent 
au  Roi.  Le  second,  qui  eut  lieu  dans  le  Maine, 
fut  plus  fort  encore  ;  personne  ne  pouvait 
assurer  si  leRoi  vivait  ou  non.  Aussitôt  qu'il 
revint  à  lui  :  —  Je  vous  supplie,  dit-il,  en- 
levez-moi cette  épée,  qui  me  perce  le  corps 
par  le  pouvoir  de  mon  frère  d'Orléans.  — 
C'est  toujours  Mejer  qui  parle.  Le  médecin 
qui  avait  guéri  le  Roi  n'existait  plus  ;  on  Gt 
venir  du  fond  de  la  Guienne  un  charlatan 
qui  se  disait  sorcier,  et  qui  s'était  vanté  de 
guérir  le  Roi  d'une  seule  parole;  il  apportait 
avec  lui  un  grimoire  qu'il  appellait  Simago- 
rad,  par  le  moyen  duquel  il  était  maître  de  la 
nature.  Les  courtisans  lui  demandèrent  de 
qui  il  tenait  ce  livre  ;  il  répondit  effronté- 
ment que  «  Dieu,  pour  consoler  Adam  de  la 
mort  d'Abel,  le  lui  avait  donné,  et  que  ce  li- 
vre, par  succession,  et  lit  venu  jusqu'à  lui.  » 
Il  traita  le  Roi  pendant  six  mois  et  ne  fit 
qu'irriter  la  maladie.  —  Dans  ses  intervalles 
lucides,  le  malheureux  prince  commandait 
qu'on  enlevât  tous  les  instruments  dont  il 
pourrait  frapper.  —  J'aime  mieux  mourir, 
disait-il,  que  de  faire  du  mal.  —  Il  se  cro- 
yait de  bonne  foi  en-forcelé.  Deux  moines 
empiriques,  à  qui  on  eut  l'imprudence  de 
l'abandonner,  lui  donnèrent  des  breuvages 
désagréables ,  lui  firent  des  scarifications 
magiques  ;  puis  ils  lurent  pendus,  comme 
ils  s'y  éiaient  obligés  en  cas  que  l-i  santé  du 
Hoi  ne  fût  point  rétablie  au  bout  de  six  mois 
de  traitement.  Au  reste,  la  mode  du  ce  temps- 
Ci)  M.  GariiiPl,  Hisloirc  do  la  magie  eu  Frame,  p.  87. 
C2j  Curiosités  ae  1)  liUcialuri;,  Uwduil  de  raiiglab  par 


là  était  d'avoir  près  de  soi  des  sorciers  ou 
des  charlatans,  comme  depuis  les  grands 
curent  des  fous,  des  nains  et  des  guenons  (1). 

CH.VRLES  IX,  — roi  de  France.  Croirait-on 
qu'un  des  médecins  astrologues  de  Charles 
IX.  lui  ayant  assuré  qu'il  vivrait  autant  de 
jours  qu'il  pourrait  tourner  de  fois  sur  son 
talon  dans  l'espace  d'une  heure,  il  se  livrait 
tous  les  matins  à  cet  exercice  solennel  pen- 
dant cet  intervalle  de  temps,  et  que  les  prin- 
cipaux officiers  de  l'Etat ,  les  généraux,  le 
chancelier,  les  vieux  juges  pirouettaient  tout 
sur  un  seul  pied  pour  imiter  le  prince  et  lui 
faire  leur  cour  (2]  1 

On  assure  qu'après  le  massacre  politique 
de  la  Saint-Barlhélemi,  et  par  suite  aussi  de 
l'effroi  que  lui  causaient  les  conspirateurs, 
Charles  IX  vit  des  corbeaux  sanglants,  eut 
des  visions  effroyables,  et  reçut  par  d'affreux 
tourments  le  présage  de  sa  mort  prématurée. 
On  ajoute  qu'il  mourut  au  moyen  d'images 
de  cire  faites  à  sa  ressemblance,  et  maudi- 
tes par  art  magique,  que  ses  ennemis,  les 
sorciers  protestants,  faisaient  fondre  tous  les 
jours  par  les  cérémonies  de  l'envoûtement, 
et  qui  éleignaient  la  vie  du  roi  à  mc!<ure 
qu'elles  se  consumaient  (3). 

En  ces  temps-là,  quand  quelqu'un  mou- 
rait de  consomption  ou  de  chagrin,  on  pu- 
bliait que  les  sorciers  l'avaient  envoûté.  Les 
médecins  rendaient  les  sorciers  responsa- 
bles des  malades  qu'ils  ne  guérissaient  pas  ; 
—  à  moins  qu'il  n'y  ait,  dans  ce  crédit  uni- 
versel des  sorciers,  un  mystère  qui  n'est  pas 
encore  expliqué. 

CHARLES  II,  duc  de  Lorraine.  Voy.  Sab- 
bat. 

CHARLES-LE-TÉMÉRAIRE,  duc  de  Bour- 
gogne. Il  disparut  après  la  bataille  de  Nancy; 
et,  parmi  les  chroniciueurs,  il  en  est  qui  di- 
sent qu'il  l'ut  emporté  par  le  diable  ,  comme 
Rodrigue;  d'autres  croient  qu'il  se  réfugia 
en  une  solitude  et  su  fit  ermite.  Celte  tradi- 
tion a  fait  le  sujet  du  roman  de  M.  d'Arliu- 
court,  intitulé  te  Solitaire. 

CHARLES  II,  roi  d'Angleterre.  Quoique 
fort  instruit,  Charles  II  eîait,  comme  son 
père,  plein  de  confiance  dans  l'astrologie 
judiciaire.  Il  recherchait  aussi  la  pierre  phi- 
losophale.  Voy.  Alchimie. 

CHARMES,  enchantement,  sortilège,  cer- 
tain arrangement  de  paroles,  en  vers  ou  en 
prose,  dont  on  se  sert  pour  produire  dés  ef- 
fets merveilleux. 

Quelquefois  les  cnarmeurs  ont  été  des  em- 
poisonneurs. 

a  Dans  tous  les  temps,  dit  un  écrivain  an- 
glais, le  crime  d'empoisonnement  a  été  un 
iléau  pour  la  société;  au^si  les  législateurs 
ont-ils  cherché  à  le  frapper  des  plus  rudes 
châtiments.  Dès  les  pretniers  siècles  de  Rome, 
on  trouve  déjà  en  vigueur  des  lois  fortement 
répressives  de  ce  crime;  mais  deux  cents 
ans  avant  l'ère  chrétienne,  les  mœurs  étaient 
lellenienl  relâchées  ,  et  l'empoisonnemenl 
si  généralement  répandu  à  Rome,  qu'au  rap- 

Dcrlin,  l.  I,  p.  2i!t. 
(5)  Utliio,  Disquisit.  mag.,  lib.  111,  cap.  I,  quœst.  î. 


3  45 


CHA 


CIIA 


-M 


porl  de  Tite-Livc,  cenl  cinquante  dames  ro- 
maines furent  poursuivies  et  condamnées 
pour  avoir  employé  le  poison. 

Néanmoins  ,  l'art  de  l'empoisonnement 
avait  fait  tant  de  progrès  en  Italie,  qu'il  s'é- 
tablit à  Rome  une  société  de  jeunes  femmes 
mariées,  dans  le  but  de  l'exploiter.  Elles 
avaient  pour  présidente  Hiéronime  Sparra, 
diseuse  de  bonne  aventure;  elles  aidaient  de 
leurs  mystères  les  héritiers  impatients, et  les 
femmes  mariées  qui  voulaient  se  débarras- 
ser de  leurs  maris. 

Elles  furent  cependant  toutes  arrêtées,  et 
toutes  elles  confessèrent  leur  crime,  à  l'ex- 
ception de  Sparra  qui  fut  pendue  avec  trois 
autres,  tandis  que,  pour  le  reste,  le  fouet  ou 
le  bannissement  parut  un  châtiment  suffi- 
sant 

Eu  France,  la  Brinvilliers.  la  Voisin  et  la 
Vigoreux,  ne  turent  pas  moins  célèbres  par 
leurs  crimes  et  par  le  supplice  qui  y  mit  un 
terme  ;  et  si  les  annales  de  la  justice  anglaise 
n'offrent  pas  des  noms  aussi  infâmes,  on 
trouve  cependant  partout  la  preuve  que  le 
crime  de  l'empoisonnement  n'y  était  pas 
moins  fréquent  qu'en  France  et  en  Ita- 
lie. 

La  manière  dont  le  père  d'HamIet  fut  em- 
poisonné, bien  que  rapportée  par  un  reve- 
nant, jette  quelque  lumière  sur  un  des  mo- 
des d'empoisonnement  qui  étaient  alors  usi- 
tés, et  la  scène  des  sorcières,  dans  la  tragé- 
die de  Macbeth,  caractérise  aussi  parfaite- 
ment cette  époque  superstitieuse  et  barbare. 
Il  ne  sera  peut-être  pas  sans  intérêt  de  la 
reproduire  ici. 

PREMIÈRE   SORCIÈRE. 

Tournons  en  rond  anlour  du  cliaudron  qui  bouillounc, 
Jelons  y  le  poison  d'immondes  inteslins... 

Crapaud,  qui,  dormant  sous  la  pierre, 
As  durant  trente  jours  éctiaulfé  tes  venins, 

Bous  le  premier  dans  la  chaudière. 

CUCECR. 

Redoublons  de  travail  et  de  soin, 

Lp  myslère  nous  environne, 
Nous  n'avons  que  l'enfer  pour  lénioin  ; 

Feu  brûle  !  et  chaudière,  bouilltnin;  ! 

SECOHDE  £ORC!ÈRE. 

OËil  des  lézards  dans  l'eau  pourri, 
Filet  d'un  seriienl  aiiuatique, 
Poil  infect  de  chauve-souris, 
Bouillez  dans  le  chaudron  magique  ! 
Aile  lugubre  des  hiboux. 
Aiguillon  fourchu  de  vipère. 
Pour  que  l'enchanternenl  s'opère 
Djus  la  niarmile  niClcz-vousl 
Ain>i  qu'une  infernale  soupe 
Ijouillez  dans  cette  immense  coupe 
lit  Ibrmez  un  charme  falal 
De  tous  les  éléments  du  mal  ! 

CUOCDR. 

Le  mystère  nous  environne, 
Nous  u  avons  que  l'enfer  pour  lémuin; 
Redoublons  de  travail  et  de  soin  ; 

Feu,  brûle!  el  chaudière,  liouillo  .ne  ' 

TRO  SIÈUE   SOROIÈHE. 

Dent  de  loup  et  langue  de  chien 
Mon)ie  impure  desurcirre,  ' 

Foie  ou  de  juif  ou  de  p,.îen, 
Gueule  de  requin  sanguniaire. 
Fiel  de  bouc,  branche  de  cviirès, 
Coupée  aux  éclipses  de  lune  ; 

(1  )  Traduction  de  niad.  Louise  Collet. 

lîj  Bodin,  Déiuouomajiie,  eic.  liv.  H,  ih.ip.  u. 


Ci)?uè  arr.iihéc  k  la  brune. 
Peau  de  grenouille  de  marais 
Ecaille  d'im  dragon  biz.irre, 
Nez  de  Turc,  lèvre  de  Tartare, 
Doigt  d'un  enfant  mort  en  naissant. 
Qu'on  étouffa  tout  vagissant  I 
Remplissez  la  chaudière  ardente 
Fraise  de  tigre,  pattes,  yeux. 
Et  faites,  ingrédients  hideux, 
La  bouillie  épaisse  et  gluante  (1). 

Mais  il  y  a  des  charmes  moins  affienK. 
Une  femme,  de  je  ne  sais  quelle  contrée, 
ayant  grand  mal  aux  yeux,  s'en  alla  à  une 
école  publique  et  demanda  à  un  écolier  quel- 
ques mots  magiques  qui  pussent  charmer 
son  mal  el  le  guérir,  lui  promettant  récom- 
pense. 

L'écolier  lui  donna  un  billet  enveloppé 
dans  un  chiffon  et  lui  défendit  de  l'ouvrir. 
Elle  le  porta  et  guérit.  Une  des  voisines 
ayant  eu  la  même  maladie  porta  le  billet  et 
guérit  pareillement.  Ce  double  incident  ex- 
cita leur  curiosité,  elles  développent  le  chif- 
fon et  lisent  :  «  Que  le  diable  t'écarquille  les 
deux  yeux  et  te  les  bouche  avec  de  la 
boue...  » 

Delrio  cite  an  sorcier  qui,  en  allumant 
une  certaine  lampe  charmée,  excitait  toutes 
les  personnes  qui  étaient  dans  la  chambre, 
quelque  graves  el  réservées  qu'elles  fus- 
sent, à  danser  devant  lui.  «  Ces  sortes  de 
charmes,  dit-il,  s'opèrent  ordinairement  par 
des  paroles  qui  font  agir  le  diable.» 

Toute  l'antiquité  a  remarqué  que  les  sor- 
ciers charmaient  les  serpents,  qui  quelque- 
fois tuent  le  charmeur.  Un  sorcier  de  Salz- 
bourg,  devant  tout  le  peuple,  fil  assembler 
en  une  fosse  tous  les  serpents  d'une  lieue  à 
la  ronde,  el  là,  les  fit  tous  mourir,  hormis  le 
dernier  qui  était  grand,  lequeî  sautant  fu- 
rieusement contre  le  sorcier,  le  tua. 

«  En  quoi  il  appert  que  ce  n'est  pas  le  mot 
hipokindo,  comme  dit  Paracelse,  ni  autres 
mots  semblables,  ni  certaines  paroles  du 
psaume  91,  qui  font  seules  ces  prodiges  ;  car 
comment  les  serpents  eussent-ils  ouï  la 
voix  d'un  homme  d'une  lieue  à  la  ronde,  si 
le  diable  ne  s'en  fût  mêlé  (2)?» 

Nicétas  indique  à  ce  propos  un  charme 
qui  s'opère  sans  le  secours  des  paroles  :  «  On 
tue  uu  serpent,  une  vipère  et  tout  animal 
portant  aiguillon,  dit-il,  en  crachant  dessus 
avant  déjeuner....  »  Figuier  prétend  qu'il  a 
ttié  diverses  fois  des  serpents  de  cette  ma- 
nière, mouillant  de  sa  salive  un  bâton  ou 
une  pierre,  et  en  donnant  un  coup  sur  la  tête 

du  serpent 

On  cite  un  grand  nombre  d'autres  charmes 
dont  les  effets  sont  moins  vrais  qu'étonnants. 
Dans  quelques  villages  du  Finistère,  on  em- 
ploie celui-ci  :  on  place  secrètement  sur  l'au- 
tel quatre  pièces  de  six  liards,  qu'on  pulvé- 
rise après  la  messe;  el  cette  poussière,  ava- 
lée dans  un  verre  de  vin,  de  cidre  ou  d'eau- 
de-vie,  rend  invulnérable  à  la  course  et  à  la 
lutte  (3).  Ces  charmes  se  font  au  reste  à  l'insu 
du  cure  ;  car  l'Eglise  a  toujours  sévèrement 
interdit  ces  superstitions. 

Le  grand  Grimoire  donne  un   moyen  de 
charmer  les  armes  à  leu  et  d'en  rendre  l'el- 
(ô)  Canibry,  Voyage  dans  le  Fiuisière,  t.  111,  p.  105. 


S»7 


Dir.TIONNAlKE  DES  SCIENCES  OCCl  LTES. 


■48 


fi'l  infaillible;  il  fiiul  dire  en  Ips  chargeant  : 
«  Dieu  y  ail  part,  el  li-  diable  la  sorlf  ;  »  et, 
lorsqu'on  met  en  joup.il  faut  dire  imi croisant 
la  jambe  gauche  sur  ta  droite:  Non  tradas... 
Mathon.  Amen,  etc. 

La  plupart  des  charmes  se  font  aussi  par 
drs  paroles  dites  ou  tracées  dans  ce  sons; 
charme  vient  du  mol  latin  carmen,  qui  signi- 
fia non-seulement  des  Vit»  cl  de  la  poésie, 
mais  une  formule  de  paroles  délerniiuécs 
dont  on  ne  doit  point  s'écarter.  On  nommait 
carmina  les  lois,  les  formules  des  juriscon- 
sultes, les  déclarations  de  guerre,  les  clau- 
«es  d'un  traité,  les  évocations  des  dieux  (I). 
Ïile-Live  appelle  lex  horrendi  carminis  la 
loi  qui  condamnait  à  mort  Horace  meurtrier 
de  sa  sœur. 

Quand  les  Turcs  ont  perdu  un  esclave  qui 
s'est  enfui,  ils  écrivent  une  conjuration  sur 
un  papier  qu'ils  attachent  à  la  porte  de  la 
hutte  ou  de  la  cellule  de  cet  esclave,  et  il  est 
forcé  de  revenir  au  plus  vite  devant  une 
main  invisible  qui  le  poursuit  à  grands  coups 
de  bâton  (2. 

Pline  dit  que,  de  son  temps,  par  le  moyen 
de  certains  charmes,  on  éteignait  les  incen- 
dies, on  arrêtait  le  sang  des  plaies,  on  re- 
mettait les  membres  disloqués,  on  guérissait 
la  goutte,  on  empêchait  un  char  de  ver- 
ser, etc. —  Tous  les  anciens  croyaient  ferme- 
ment aux  charmes,  dont  la  formule  consis- 
tait ordinairement  en  certains  vers  grecs  ou 
latins. 

Bodin  rapporte,  au  chap.  5  du  liv.  3  de  la 
Démonomanie,  qu'en  Allemagne  les  sorcières 
tarissent  par  charmes  le  lait  des  vaches,  cl 
qu'on  s'en  venge  par  un  contre-charme  qui 
est  tel  : 

On  met  bouillir  dans  un  pot  du  lait  de  la 
vache  tarie,  en  récitant  certaines  paroles 
(Bodin  ne  les  indique  pas]  et  frappant  sur  le 
[  et  avec  un  bâton.  En  même  temps  le  diable 
irappe  la  sorcière  d'autant  de  coups,  jus- 
qu'à ce  qu'elle  ait  ôté  le  charme. 

On  dit  encore  que  si,  le  lendc-main  du  jour 
où  l'on  est  mis  en  prison,  on  avale  à  jinn 
une  croûte  de  pain  sur  laquelle  on  aura 
écrit  :  Senozam,  Gozoza,  Gober,  Dom,  el 
qu'on  dorme  ensuite  sur  le  côté  droit ,  ou 
sortira  avant  trois  jours. 

On  arrête  les  voitures  en  mettant  au  milieu 
du  chemin  un  bâton  sur  lequel  soient  écrits 
ces  mots  :  Jérusalem,  omnipotens,  etc.,  con- 
vertis-toi, arrête-toi  là.  11  faut  ensuite  tra- 
verser le  chemin  par  où  U'on  voit  arriver  les 
chevaux. 

On  donne  à  un  pistolet  la  portée  de  cen' 
pas,  en  enveloppant  la  balle  dans  un  papiei- 
où  l'on  a  inscrit  le  nom  des  trois  rois.  On 
aura  soin,  en  ajustant, de  retirer  son  haleine, 
el  de  dire  :  «  Je  te  conjure  d'aller  droit  où  je 
veux  tirer.  » 

Un  soldat  peut  se  garantir  derattcinle  d.s 
Prmes  à  fi'U  avec  un  morceau  de  peau  de 
loup  ou  de  bouc,  sur  lequel  on  écrira,  quand 

(!)  ll'rtrier,  Dictionnaire  lli6ol(ifrii|ue,  au  mol  CImnne. 
P)  Lelojer,  Hist.  et    dise,   des  sncclros ,   liv.    lY, 
cb.  ixi. 
(5;  lliitrs,  Trailé  des  stiperiiilion». 


le  soleil  entre  dans  le  signe  da  bélier  :  «  Ar- 
quebuse, pistolet ,  canon  ou  autre  armi>  à 
feu,  je  te  commande  que  tu  ne  puisses  tirer 
de  par  l'homme,  etc.  » 

On  guérit  un  cheval  encloué  en  mettant 
trois  fois  les  pouces  en  croix  sur  son  pied, 
en  prononçant  le  nom  du  dernier  assassin 
mis  à  morl,  en  récitant  trois  fois  certaines 
prières  (3j... 

Il  y  a  une  infinité  d'autres  charmes. 

On  distingue  le  charme  de  l'enchantement, 
en  ce  que  celui-ci  se  faisait  par  des  chants. 
Souvent  on  les  a  confondus.  Toy.  Coktre- 

ChaRMES,  ENCnAlSTEMENTS,  MiLÉFICES,  TA- 
LISMANS, Pariiles,  Philactères,  Ligatures, 
Chasse,  Philtres,  elc. 

CHAHTII'R  (Alain),  poëte  du  commence- 
snent  du  quinzième  siècle.  Ou  lui  attribue 
on  traité  sur  la  Nature  du  feu  de  l'Enfer,  que 
que  nous  ne  sommes  pas  curieux  de  connaî- 
tre. 

CHARTUMINS,  sorciers  chaldéens ,  qui 
étaient  en  grand  crédit  du  temps  du  prophète 
Daniel. 

CHASDINS,  astrologues  de  la  Chaldée.  Ils 
tiraient  l'horoscope,  expliquaient  les  songes 
et  les  oracles,  et  prédisaient  l'avenir  par  di- 
vers moyens. 

CHASSANION  (Jean  de),  écrivain  protes- 
tant du  seizième  siècle.  On  lui  doit  le  livre 
«  Des  grands  et  redoutables  jugements  et  pu- 
nitions de  Dieu  advenus  au  monde,  princi- 
palement sur  les  grands,  à  cause  de  leurs 
méfaits.  »  In-8*,  Morges,  1581.  Dans  cet  ou- 
vrage liés -partial,  il  se  fait  de  grands  mira- 
cles en  faveur  des  protestants;  ce  qui  est 
prodigieux.  Chassanion  a  écrit  aussi  un  vo- 
lume sur  les  géants  {'*). 

CHASSE.  —  Secrets  merveilleux  pour  la 
chasse. 

Mêlez  le  sucre  de  jusquiame  avec  le  sang 
et  la  peau  d'un  jeune  lièvre;  celte  comiio- 
silion  attirera  lous  les  lièvres  des  envi- 
rons. 

Pendez  le  gui  de  chêne  avec  une  aili!  d'hi- 
rondelle à  un  arbre  ;  lous  les  oiseaux  s'y 
rassembleront  de  deux  lieues  et  demie. 

On  dit  aussi  qu'un  crâne  d'homme,  caché 
dans  un  colombier  y  attire  tous  les  pigeons 
d'alentour. 

Faites  tremper  une  graine,  celle  que  vous 
voudrez,  dans  la  lie  de  vin,  puis  jelez-la  aux 
oiseaux  ;  ceux  qui  en  lâteronl  s'enivreront, 
et  se  laisseront  prendre  ù  la  main. 

Et  le  Petit  Albert  ajoute  : 

B  Ayez  un  hibou  que  vous  attacherez  à  un 
arbre:  allumez  toi-t  près  un  gros  nambcau, 
faites  du  bruit  avec  un  tambour;  tous  les  oi- 
seaux viendront  en  foule  pour  faire  la  guerre 
au  hibou  et  on  en  tuera  autant  qu'on  voudra 
avec  du  menu  plomb.  » 

Pour  la  chasse  de  Saint-Hubert,  voyez  Ve- 
neur. Voyez  aussi  Artuus,  AI.  de  Laïo- 
RÉT,  etc. 

Les  chasseurs  des  monts  Ourals  sont  su- 
Ci)  De  Gigantiliiis  eoruinque  rcliqniis  at(|us  ils  i]nse 
anlo    aniios  alimiol  noslra  itlale  in  G;illia  roi/crli  -^iiut. 
lii-S«.  B41i',  Votti. 


5)» 


CIIA 


CIIÂ 


550 


perslitieuT,  comme  tous  les  chasseurs.  Ainsi 
un  chasseur  de  ces  sauvages  contrées  ne 
cherchera  tout  le  jour  les  écureuils  qu'au 
haut  des  sapins  roufres,  si  le  premier  qu'il  a 
tué  le  malin  s'ost  trouvé  sur  un  arbre  de  cette 
espèce;  et  il  est  fcrniement  convaincu  qu'il 
en  chercherait  en  vain  ailleurs.  Il  ne  porle 
ses  regards,  pendant  toute  la  journéis  que 
sur  les  arbres  de  la  nature  de  celui  qui  lui  a 
offert  son  premier  gibier. 

En  1832,  on  vit  à  Francfort,  aux  premiers 
jours  du  printemps,  un  ch;.sseur  surnaturel 
qui  est  supposé  habiter  les  ruines  du  vieux 
château  gothique  de  Rodenslein.  Il  traversa 
les  airs  dans  la  nuit,  avec  grand  fracas  de 
meules,  de  cors  de  chasse,  do  roulements  de 
voitures  ,  ce  qui  infailliblement  annonce 
la  guerre  selon  le  préjugé  du  peuple. 

CHASSEN  (Nicolas),  petit  sorcier  de  Fra- 
neker,  au  dix-septième  siècle;  il  se  distingua 
dès  l'âge  de  seize  ans.  Ce  jeune  homme  , 
Hollandais  et  calviniste,  étant  à  l'école,  fai- 
sait des  grimaces  étranges,  roulait  les  yeux 
cl  se  contournait  tout  le  corps;  il  montrait  à 
ses  camarades  des  cerises  mûres  au  milieu 
de  l'hiver;  puis,  quand  il  les  leur  avait  offer- 
tes ,  il  les  retirait  vivement  et  les  man- 
geait. 

Dans  le  prêche,  où  les  écoliers  avaient  une 
place  à  part,  il  faisait  sortir  de  l'argent  du 
banc  où  il  était  assis.  Il  assurait  qu'il  opérait 
tous  ces  tours  par  le  moyen  d'un  esprit  ma- 
lin qu'il  appelait  Sérug.  —  Ballhazar  Bekker 
dit,  dans  le  Monde  enchanté  (Ij,  qu'élant  allé 
à  cette  école,  il  vil,  sur  le  plancher,  un  cer- 
cle fait  de  craie,  dans  lequel  on  avait  tracé 
des  signes  dont  l'un  ressemblait  à  la  tête 
d'un  coq;  quelques  chiffres  étaient  au  milieu. 
Il  remarqua  aussi  une  ligne  courbe  comme 
la  poignée  d'un  moulin  à  bras;  tout  cela 
était  à  demi  effacé. 

Les  écoliers  avaient  vu  Chassen  faire  ces 
caractères  magiques.  Lorsqu'on  lui  demanda 
ce  qu'ils  signiliaient,  il  se  lut  d'abord;  il  dit 
ensuite  qu'il  les  avait  faits  pour  jouer.  On 
voulut  savoir  comment  il  avait  des  cerises  et 
de  l'argent;  il  répondit  que  l'esprit  les  lui 
donnait. 

—  Qui  est  cet  esprit? 

—  BeelzébiUh,  répondit-il. 

Il  ajouta  que  le  diable  lui  apparaissait  sous 
forme  humaine  quand  il  avait  envie  de  lui 
f.iire  du  hii'U,  d'autres  Tiis  s  lUs  forme  de 
bouc  OU  de  veau;  qu'il  avait  toujours  un 
pii'd  conlrefail;  etc. 

Mais,  dit  Bekker,  ou  finit  par  reconnaître 
que  tout  cela  n'était  qu'un  jeu  que  Chassen 
avait  essayé  pour  se  rendre  considérable 
parmi  les  enfints  de  son  âge;  on  s'étonne 
seulement  qu'il  ait  pu  le  soutenir  devant 
tant  i\e  personnes  d'esprit  pendant  plus  d'une 
année. 

CHASSI ,  démon  auquel  les  habitants  des 

(t)  Tome  IV,  p.  loi. 

(2j  Discours  soiimiairc  des  sortlléj^es  et  vôiiéfices,  tirûs 
des  procès  criminels  jugés  au  siège  royal  de  iMoiiliiiorilIciii, 
eu  Poitou,  en  l'année  1399,  p.  19. 

(,'))  Sainle-Foix, Essais  sur  Paris,  t.  Il,  p.  ôOO. 

(il  'Quelquefois  ils  bissent  ii  leur  cUat  pat  tcslaïueut 


lies  Mariannes  attribuent  le  pouvoir  de  tour- 
menter ceux  qui  tombent  dans  ses  mains. 
L'enfer  est  pour  eux  la  maison  de  Chassi. 

CHASTENET  (Léonarde),  vieille  femme 
de  quatre-vingts  ans,  mendiante  en  Poitou  , 
vers  1391 ,  et  sorcière.  Confrontée  avec  Ma- 
thurin  Bonni'vault,  qui  soutenait  l'avoir  vue 
au  sabbat,  elle  confessa  qu'elle  y  était  allée 
avec  son  mari;  que  le  diable,  qui  s'y  mon- 
trait en  forme  de  bouc  ,  était  une  bote  fort 
puante.  Elle  nia  qu'elle  eût  fait  aucun  malé- 
fice. Cependant  elle  fut  convaincue,  par  dix- 
neuf  témoins  ,  d'avoir  fait  mourir  cinq  la- 
boureurs et  plusieurs  bestiaux.  Qu.ind  elle 
se  vil  condamnée,  pour  ces  crimes  reconnus, 
elle  confessa  qu'elle  avait  fait  pacte  avec  le 
diable,  lui  avait  donné  de  ses  cheveux,  et 
promis  de  faire  tout  le  mal  qu'elle  pourrait; 
elle  ajouta  que  la  nuit,  dans  sa  prison,  le 
diable  était  venu  à  elle,  en  forme  de  chit, 
«  auquel ,  ayant  dit  qu'elle  voudrait  être 
morte,  icelui  diable  lui  avait  présenté  deux 
morceaux  de  cire,  lui  disant  qu'elle  en  man- 
geât, et  qu'elle  mourrait;  ce  qu'elle  n'avait 
voulu  faire.  Elle  avait  ces  morceaux  de  cire; 
on  les  visita  ,  et  on  ne  put  juger  de  quelle 
matière  ils  étaient  composés.  Cette  sorcière 
fut  donc  condamnée,  et  ces  morceaux  de  cire 
brûlés  avec  elle  (2).  » 

CHASTETÉ.  Les  livres  de  secrets  mer- 
veilleux,  qui  ne  respectent  rien  ,  indiquent 
des  potions  qui,  selon  eux  ,  ont  pour  effet 
de  révéler  la  chasteté,  mais  qui,  selon  l'ex- 
périence, ne  révèlent  rien  du  tout. 

CHAT.  Le  chat  tient  sa  place  dans  l'his- 
toire de  la  superstition.  Un  soldat  romain 
ayant  tué,  par  mégarde,  un  chat  en  Egypte, 
toute  la  ville  se  souleva  ;  ce  fut  en  vain  que 
le  roi  intercéda  pour  lui ,  il  ne  put  le  sau- 
ver de  la  fureur  du  peuple.  Observons  que 
les  rois  d'Egypte  avaient  rassemblé,  dan» 
Alexandrie,  une  bibliothèque  immense,  et 
qu'elle  était  publique  :  les  Egyptiens  culti- 
vaient les  sciences  ,  et  n'en  adoraient  pas 
moins  les  chats  (3j. 

Mahomet  avait  beaucoup  d'égards  pour 
son  chat.  L'animal  s'était  un  jour  couché  sur 
la  manche  pendante  de  la  veste  du  prophète, 
et  semblait  y  méditer  si  profondément,  que 
Mahomet,  pressé  de  se  rendre  à  la  prière, 
et  n'osant  le  tirer  de  son  cxlase ,  coupa  , 
dil-on,  la  manche  de  sa  veste.  A  son  retour, 
il  trouva  son  chat  qui  revenait  de  son  assou- 
pissement, et  qui,  s'apercevant  de  rallention 
de  son  maître,  se  leva  pour  lui  l'aire  la  révé- 
rence, et  plia  le  dos  en  arc.  Mahomet  com- 
prit ce  que  cela  signifiait  ;  il  assura  au  chat, 
qui  faisait  le  gros  dos,  une  place  dans  son 
paradis.  Ensuite,  passant  trois  fois  la  main 
sur  l'animal,  il  lui  imprima,  par  cet  attou- 
chement ,  la  vertu  de  ne  jamais  tomber  que 
sur  ses  pattes.  Ce  conte  n'est  pas  ridicule 
chez  les  Turcs  (4J. 

une  rente  viagère.  Il  existe  au  Caire  ,  lonl  près  de  Bd-el 
Naz:i  (porte  de  la  Vicioire)  an  liôpllat  de  ces  animaux  ;  oji 
)■  recueille  les  clials  malades  et  sans  asile;  les  Icriftlres 
sont  souvent  cncond)i  ées  U'Iioninn's  et  de  feuinies  iiui  leur 
dontiLiil  à  manger  à  travers  les  barreaux. 


851 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCL'LTES. 


asi 


Voici  une  anccdole  où  le  chat  joue  un 
mauvais  rôle  ;  il  est  vrai  que  c'est  un  chat 
sauvage. 

Un  aide-de-camp  du  maréchal  de  Luxem- 
bourg vint  log<'rdans  une  auberge,  dont  la 
réputation  n'était  pas  rassurante.  Le  diable, 
disail-on.  arrivait  toutes  les  nuits  dans  une 
certaine  chambre,  tordait  le  cou  à  ceux  qui 
osaient  y  coucher,  et  les  laissait  étrangiéj 
dans  leur  li!. 

Un  grand  nombre  de  voyageurs  remplis- 
sant lauberge  quand  l'aide-de-camp  y  en- 
tra, on  lui  dit  qu'il  n'y  avait  malheureusement 
de  vide  que  la  chambre  fréquentée  par  le 
diable,  où  personne  ne  voulait  prendre  gîle. 

—  Oh  !  bien ,  moi,  répondit-il,  je  ne  serai 
pas  fâché  de  lier  connaissance  avec  lui  ; 
qu'on  fasse  mon  lit  dans  la  chambre  en  ques- 
tion, je  me  charge  du  reste. 

Vers  minuit,  l'orficier  vit  descendre  le  dia- 
ble par  la  cheminée  ,  sous  la  Ggure  d'une 
bêle  furieuse,  contre  laquelle  il  fallut  se  dé- 
fendre. 11  y  eut  un  combat  acharné,  à  coups 
de  sabre  de  la  part  du  militaire,  à  coups  de 
griffes  et  de  dents  de  la  part  de  la  bêle  ;  cette 
lutte  dura  une  heure.  Mais  h-  diable  Cuit  par 
rester  sur  la  place  ;  l'aide-de-camp  appela 
du  monde  :  on  reconnut  un  énorme  chat 
sauvage  ,  qui ,  selon  le  rapport  do  l'hôte, 
avait  déjà  étranglé  quinze  personnes  (1). 

11  y  avait  jadis  à  Paris,  un  usage  peu  gra- 
cieux et  dont  on  n'a  jamais  bien  expliqué 
l'origine.  On  brûlait  une  ou  deux  douzaines 
de  chats  dans  le  feu  de  la  Saint-Jean.  Ce  feu 
de  joie  s'allumait  autour  d'un  mât  élevé  sur 
la  place  de  Grève.  Les  clials,  retenus  dans 
des  paniers,  étaient  lâches  lorsque  le  feu 
flamboyait  tout  autour  d'eux.  Ils  n'avaient 
de  retraite  que  le  mât.  au  haut  duquel  ils 
grimpaient  en  Irisle  désespoir,  pour  être 
élouffés  par  la  fumée,  ou  retomber  dans  les 
flammes.  M.  Frédéric  Soulié  mentionne  celle 
coutume  dans  un  de  ses  récits  : 

«  Cependant,  le  roi  Charles  IX  était  ar- 
rivé. On  lui  avait  remis  une  torche  de  cire 
blanche  de  doux  livres,  garnie  de  d(  ux  poi- 
gnées de  velours  rouge.  Sa  Majesté  s'était 
approchée  de  l'arbre  de  la  Saint-Jean,  en 
avait  allumé  les  premiers  fagots,  puis  était 
remontée  à  l'Hôlel-de-Ville.  Peu  à  peu  le 
feu  gagna  les  bourrées  -  cotlerels  et  les 
tonneaux  vides  accumulés  à  une  grande 
hauteur  autour  de  l'arbre;  et  alors,  tandis 
que  Michel  Noiret,  trompette-juré  du  roi, 
et  six  compagnons  trompettes  sonnaient  des 
fanfares ,  on  vit  un  spectacle  réjouissant. 
Les  chats,  amarrés  et  retenus  jusque-là  au 
pied  de  l'arbre,  se  prirent  à  s'élancer  de  tou- 
tes façons;  les  uns  grimpant  jusqu'au  plus 
haut  de  l'arbre  pour  retomber  dans  la  four- 
naise allumée  au  pied;  d'aulres  s'y  précipi- 
tant de  rage  et  s'y  débattant  avec  des  hurle- 
ments quidominaicnl  le  bruil  des  Irompetles. 
Tout  à  coup,  du  milieu  des  flammes,  on  vit 
s'élancer  un  maîlro  chat  qui  gravit  jusqu'à 
la  plus  One  pointe  du  mât,  et  qui,  de  celte  hau- 

(1)  Gabrielle  (11-,  P"",  Uist.  des  faiilômes  et  dos  dé- 
nions, etc.,  p.  iOj. 

(2)  Chap.  IV,  hv  11  |).  2o7, 


teur,  tournait  autour  de  lui  des  yeax  aussi 
flamboyants  que  1«  feu  lui-même,  et  en 
même  temps  on  entendit  par-dessus  les  rires 
de  la  multitude  la  voix  d'une  vieille  femme 
qui  criait  de  tontes  ses  forces  : 

«  Le  voilà  Martial,  mon  chat  Martial, 
Martial!  Martial  1  » 

«  La  vieille  avaitreconnuson chat. L'animal 
reconnut  aussi  la  voix  de  sa  maîtresse;  car. 
au  moment  où  il  était  près  de  disparaître 
dans  les  tourbillons  de  flammes,  il  se  lança 
d'un  bond  prodigieux  et  tomba  au  delà  du 
cercle  de  feu  qui  entourait  l'arbre.  Les  ser- 
gents qui  veillaient  autour  pour  l'attiser  , 
voulurent  frapper  le  chat;  mais  il  s'enfuit 
du  côté  de  sa  maîtresse  au  milieu  des  rires 
de  la  cour  et  du  peuple,  ravis  de  voir  cet 
animal  sauvé  par  son  intrépidité.  » 

On  lit  dans  la  Démonomanie  de  Bodin  (2) , 
que  des  sorciers  de  Vernon  ,  auxquels  on  fit 
le  procès  en  1566,  fréquentaient  et  s'assem- 
blaient ordinairement  dans  un  vieux  châ- 
teau sous  la  forme  d'un  nombre  infini  de 
chais.  Quatre  hommes,  qui  avaient  résolu 
d'y  coucher,  se  trouvèrent  assaillis  par  celte 
multitude  de  chats  ;  l'un  de  ces  hommes  y  fut 
tué,  les  autres  blessés;  néanmoins  ils  bles- 
sèrent aussi  plusieurs  chattes,  qui  se  trou- 
vèrent après  en  forme  de  femmes,  mais  bien 
réellement  mutilées... 

Ou  sait  que  les  chais  assistent  au  sabbat, 
qu'ils  y  dansent  avec  les  sorcières,  et  que 
lesdites  sorcières,  aussi  bien  que  le  diable 
leur  maîlre,  prennent  volontiers  la  figure  de 
cela  ni  mal.  On  lit  dans  Boguet  qu'un  laboureur 
près  de  Strasbourg  fut  assailli  par  Irois  gros 
cha's,  et  qu'en  se  défendant  il  les  blessa  sé- 
rieusement. Une  heure  après,  le  juge  fit  de- 
mander le  laboureur  et  le  mit  en  prison 
pour  avoir  maltraité  trois  dames  de  la  ville. 
Le  laboureur  étonné  assura  qu'il  n'avait 
mallraiié  que  des  chats,  et  en  donna  les  preu- 
ves les  plus  évidentes  :  il  avait  gardé  de  la 
peau.  On  le  relâcha,  parce  qu'on  vit  que  le 
diable  était  coupable  en  CL-lle  affaire. 

On  ne  finirait  pas  si  on  rappelait  tout  ce 
que  les  démonomanes  ont  rêvé  sur  les  chats. 
Boguet  dit  encore  que  la  chatte,  étant  frottée 
d'uue  herbe  appelée  népeta,  conçoit  sur-le- 
champ,  cette  herbe  suppléant  au  défaut  du 
mâle  (3).  Les  sorciers  se  servent  aussi  de  la 
cervelle  des  chais  pour  donner  la  mort;  car 
c'est  un  poison,  selon  Bodin  et  quelques-au- 
tres (4). 

Les  matelots  américains  croient  que  si 
d'un  navire  on  jette  un  chat  vivant  dans  la 
mer,  on  ne  manque  jamais  d'exciter  une  fu- 
rieuse tempêle.  Voy.  Blokula  ,  Beurre  des 

SORCIÈRES,  MÉTAMORPHOSES,  CiC. 

CHATEAU  DU  DIABLE.  Plusieurs  vieux 
manoirs  portent  ce  nom  dans  des  traditions 
et  des  contes  populaires. 

Le  château  de  Ronquerolles. 

Dans  les  Mémoires  du  Diable,  livre  dont 
nous  ne  pouvons,  malgré  le  talent  de  l'auteur, 
recommander  la  lecture,  M.  Frédéric  Soulié 

(n)  Disœurs  dessofciRrs,  ch.  xtv,  p.  81. 
(l)  Uodin,  Déiuoiiomaiiie  lies  sorciers,  liv.  III,  cli.  ii, 
II.  3iti. 


S53 


CHA 


CIIA 


S!H 


déhute  par  une  scène  eldcs  détails  qui  récla- 
inenl  leur  place  dans  ce  livre.  Nous  croyons 
devoir  les  transcrite  en  partie. 

«  Le  1"  janvier  18...,  le  baron  François- 
Armand  de  Luizzi  était  assis  au  coin  de  son 
leu,  dans  son  château  de  Ronquerolles.  Quoi- 
que je  n'aie  pas  vu  ce  château  depuis  plus  de 
vingt  ans,  je  me  le  rappelle  parfaitement. 
Contre  lordinaire  des  châteaux  féodaux,  il 
était  situé  au  fond  d'une  vallée  ;  il  consistait 
alors  en  quatre  tours  liées  ensemble  par 
quatre  corps  de  bâtiment,  les  tours  et  les 
bâtiments  surmontés  de  toits  aigus  en  ar- 
doise, chose  rare  dans  les  Pyrénées. 

«Ainsi,  quand  on  apercevait  ce  château 
du  haut  des  collines  qui  l'entouraient,  il  pa- 
rais'^ait  plutôt  une  habitation  du  seizième  ou 
du  dix-septième  siècle  qu'une  forteresse  de 
l'an  1327,  époque  à  laquelle  il  avait  été  bâti. 

«  Aujourd'hui  que  nous  savons  que  de  tous 
les  matériaux  durables  le  fer  est  celui  qui 
dure  le  moins,  je  me  garderai  bien  de  dire 
que  Ronquerolles  semblait  être  bâti  de  fer, 
tant  l'action  des  siècles  l'avait  respecté; 
mais  ce  que  je  dois  afGrmer,  c'est  que  létal 
dcconser>ation  de  ce  vaste  bâtiment  était 
véritablement  très-remarquable.  On  eût  dit 
que  c'était  quelque  caprice  d'un  riche  ama- 
teur du  gothique  qui  avait  élevé  la  veille  ces 
murs,  intacts,  dont  pas  une  pierre  n'était 
dégradée,  (|ui  avait  dessiné  ces  arabesques 
fl.  uries  dont  pas  une  ligne  n'était  rompue  , 
dont  aucun  détail  n'était  mutilé.  Cependant, 
de  mémoire  d'homme  on  n'avait  vu  personne 
travailler  à  l'entretien  ou  à  la  réparation  de 
ce  château. 

«  Il  avait  pourtant  subi  plusieurs  change- 
ments depuis  le  jour  de  sa  construction,  et 
le  plus  singulier  est  celui  qu'on  remarquait 
lorsqu'on  approchait  de  Ronquerolles  du  cô:é 
du  midi.  Aucune  des  six  fenêtres  qui  occu- 
paient la  façade  de  ce  côté  n'était  semblable 
aux  autres.  La  première  à  gauche  était  une 
fenêtre  en  ogive,  portant  une  croix  de  pierre 
à  arêtes  tranchées  qui  la  partageaient  en 
quatre  comparliments  garnis  de  vitraux  à 
demeure.  Celle  qui  suivait  était  pareille  à  la 
première,  à  l'exception  des  vitraux,  qu'on 
avait  remplacés  par  un  vitrage  blanc  à  lo- 
sanges de  plomb  porté  dans  des  cadres  de  fer 
mobiles.  La  troisième  avait  perdu  son  ogive 
et  sa  croix  de  pierre.  L'ogive  semblait  avoir 
été  fermée  par  des  briques,  et  une  épaisse 
menuiserie,  où  se  mouvaient  ce  que  nous 
avons  appelé  depuis  des  croisées  à  guillotine, 
tenait  la  place  du  vitrage  à  cadres  de  fer. 
La  quatrième,  ornée  de  deux  croisées,  l'une 
intérieure,  l'autre  extérieure,  toutes  deux  à 
espagnoleltos  et  à  petites  vitres,  était  en  ou- 
tre défendue  par  un  contrevent  peint  en 
rouge.  La  cinquième  n'avait  qu'une  croisée 
à  grands  carreaux,  plus  ua^  persienne  peinte 
en  vert.  Enfin,  la  sixième  était  ornée  d'une 
vaste  glace  sans  tain,  derrière  laquelle  on 
voyait  un  store  peint  des  plus  vives  cou- 
leurs. Cette  dernière  fenêtre  était  en  outre 
fermée  par  des  contrevents  rembourrés. 

«  Le  mur  uni  continuait  après  ces  fenêtres, 
d'Jut  lu  dernière  avait  paru  aux  regards  des 


habitants  de  Ronquerolles  le  lendemain  de  la 
mort  du  baron  Hugues-François  de  Luizzi , 
père  du  baron  Armand-François  de  Luizzi , 
et  le  malin  du  1"  janvier  is!..,  sans  qu'on 
pûtdirequi  l'avait  percée  et  arrangée  coinuie 
elle  l'était. 

«  Ce  qu'il  y  a  de  plus  singulier,  c'estque  la 
tradition  racontait  que  toutes  les  autres  croi- 
sées s'étaient  ouvertes  de  la  même  façon  et 
dans  une  circonstance  pareille,  c'est-à-dire 
sans  qu'on  eût  vu  exécuter  les  moindres  tra- 
vaux, et  toujours  le  lendemain  delà  mort  de 
chaque  propriétaire  successif  du  château.  Un 
fait  certain,  c'est  que  chacune  de  ces  croi- 
sées était  celle  d'une  chambre  à  coucher  qui 
avait  été  fermée  pour  ne  plus  se  rouvrir,  du 
moment  que  celui  qui  eût  dû  l'occuper  toute 
sa  vie  avait  cessé  d'exister. 

«  Probablement  si  Ronquerolles  avait  été 
constamment  habité  par  ses  propriétaires, 
tout  cet  étrange  mystère  eût  grandement 
agité  la  population  ;  mais  depuis  plus  do 
doux  siècles,  chaque  nouvel  héritier  des 
Luizzi  n'avait  paru  que  durant  vingt-quatre 
heures  dans  ce  château,  et  l'avait  quitté 
pour  n'y  plus  revenir.  Il  en  avait  élé  ainsi 
pour  le  baron  Hugues-François  de  Luizzi  ; 
et  son  fils  François -Armand  de  Luizzi  , 
arrivé  le  1"  18...,  avait  annoncé  son  départ 
pour  le  lendemain. 

«  Le  concierge  n'avait  appris  l'arrivée  do 
son  maître  qu'en  le  voyant  entrer  dans  le 
château;  l'élonnemenl  de  ce  brave  homme 
s'était  changé  en  terreur,  lorsque,  voulant 
faire  préparer  un  appartement  au  nouveau 
venu,  il  vit  celui-ci  se  diriger  vers  le  corri- 
dor où  étaient  situées  les  chambres  mysté- 
rieuses dont  nous  avons  parlé,  et  ouvrir  avec 
une  clef  qu'il  tira  de  sa  poche  une  porte  que 
le  concierge  ne  connaissait  pas  encore,  et 
qui  s'était  percée  sur  le  corridor  intérieur 
comme  la  croisée  s'était  ouverte  sur  la  fa- 
çade. La  même  variété  se  remarquait  pour 
les  portes  comme  pour  les  croisées.  Chacune 
était  d'un  style  différent,  et  la  dernière  était 
en  bois  de  palissandre  incrusté  de  cuivre.  Le 
mur  continuait  après  les  portes  dans  le  cor- 
ridor, comme  il  continuait  à  l'extérieur  après 
les  croisées  sur  la  façade.  Entre  ces  deux 
murs  nus  et  impénétrables,  il  se  trouvait 
probablement  d'autres  chambres.  Mais  des- 
tinées sans  doute  aux  héritiers  futurs  des 
Luizzi,  elles  demeuraient,  comme  l'avenir 
auquel  elles  appartenaient,  inaccessibles  cl 
fermées.  Celles  que  nous  pourrions  appeler 
les  chambres  du  passé  étaient  de  même  clo- 
ses et  inconnues,  mais  elles  avaient  cepen- 
dant gardé  les  ouvertures  par  lesquelles  on 
y  pouvait  pénétrer;  la  nouvelle  chambre,  la 
chambre  du  présent  si  vous  voulez,  était 
seule  ouverte;  et  durant  toute  la  jouruée 
du  1"  janvier;  tous  ceux  qui  le  voulurent  y 
pénétrèrent  librement. 

«  Ce  corridor,  qui  en  vérité  nous  parait 
un  peu  sentir  l'allégorie,  ne  parut  sentir  à 
Armand  de  Luizzi  que  l'humidité  et  le  froid  ; 
et  il  ordonna  qu'on  allumât  un  grand  feu 
dans  la  cheminée  en  marbre  blanc  de  sa 
nouvelle  chambre.  Il  y  resta  toute  la  journéo 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


r,5(! 


pour  régler  les  co.np'cs  de  la  propriélé  de 
Roiiqucrollps  ;  pu  ce  qui  concernail  le  châ- 
teau, ils  ne  fun-iil  pas  longs.  Ronquorolles 
ne  rapportait  rien  el  ne  coûlail  rien.  Mais  Ar- 
mand de  Luizzi  possédait  aux  environs  quel- 
ques fermes  dont  les  baux  étaient  expirés  et 
qu'il  voulait  renouveler... 

«  La  journée  enlicre  se  passa  à  discuter 
et  à  arrêter  les  bases  des  nouveaux  contrats, 
et  ce  ne  fut  que  le  soir  venu  qu'Armand  de 
Luzzisetrouvaseul.il  était  assis  au  coin  do  son 
feu;  une  table  sur  laquelle  brûlait  une  seule 
bougie  était  près  de  lui.  Pendant  qu'il  restait 
plongé  dans  ses  rcdcxions,  la  pendule  sonna 
successivement  minuit,  minuit  et  demi,  une 
heure.  Luizzi  se  leva  et  se  mil  à  se  promener 
avecagitation.  Armand  était  un  homme  d'une 
taille  élevée;  l'allure  naturelle  de  son  corps 
dénotait  la  force, et  l'expression  habituelle  de 
•es  traits  annonç.iil  la  résolution.  Cepen- 
dant il  tremblait,  et  son  agitation  augmentait 
à  mesure  que  l'aiguille  approchait  de  deux 
heures.  Quelquefois  il  s'arrêtait  pour  écou- 
ter si  un  bruit  extérieur  ne  se  faisait  pas  en- 
tendre; mais  rien  no  troublait  le  silence  so- 
lennel dont  il  était  entouré.  Enfin  ,  Armand 
entendit  ce  petit  choc  produit  par  l'éctiappe- 
ment  de  la  pendule  et  qui  préiède  l'heure 
qui  va  sonner.  Une  pâleur  subite  et  profonde 
se  répandit  sur  son  visage:  il  demeura  un 
moment  immobile  et  ferma  les  yeux  comme 
un  homme  qui  va  se  trouver  mal.  A  ce  mo- 
ment le  premier  coup  de  deux  heures  ré- 
sonna dans  le  silence.  Ce  bruit  sembla  réveil- 
ler Armand  de  son  affaiblissemint;  et  avant 
que  le  second  coup  ne  fût  sonné,  il  avait 
saisi  une  petite  clochette  d'argent  posée  sur 
sa  table  et  lavait  violemment  agitée  en  di- 
sant ce  seul  mot: 

«  —  Vi(  ns. 

«  Tout  le  monde  peut  avoir  une  clochette 
d'argent;  tout  le  monde  peut  l'agiter  à  deux 
heures précisesdu  matin  elen  disantcemol: — 
Viens  1  — Mais  très-probablemenl  il  n'arrivera 
personne,  ce  qui  arriva  à  Armand  de  Luizzi. La 
clochette  qu'il  avait  secouée  ne  rendit  qu'un 
son  faible  et  ne  frappa  qu'un  coup  unique  qui 
vibra  trisleuicnlet  sans  éclat.  Lorscju'il  pro- 
nonça le  mot —  vieiisl  —  Armand  y  mil  tout 
l'effôrl  d'un  homme  qui  crie  pourétre  entendu 
deloin.et  cependant  sa  voix  poussée  avec  vi- 
gueur de  sa  poitrine,  ne  put  arriver  à  ce  ton 
résolu  et  impératif  qu'il  avait  voulu  lui  donner; 
il  sembla  que  ce  fût  une  timide  supplication 
qui  s'échappait  de  sa  bouche;  et  lui-même 
s'étonnait  de  cet  étrange  résultat,  lorsqu'il 
aperçut  à  la  place  qu'il  venait  de  quitter  un 
éire,  qui  pouvait  élre  un  homir)e,  car  il  en 
avait  l'air  assuré;  qui  pouvait  être  une 
femme,  car  il  en  avait  le  visage  et  les  mem- 
bres délicats;  et  qui  était  assurément  le 
diable,  car  il  n'était  entré  par  nulle  part  et 
avait  simplement  paru. 

«  Son  costume  consistait  en  une  robe  de 
chambre  à  manches  plates,  qui  ne  disait  rien 
du  sexe  de  l'individu  qui  la  portait. 

«  Armand  de  Luizzi  observa  en  silence  ce 
singulier  personnage,  tandis  qu'il  se  casait 
coiiMiiodémeut  dans  le  fauteuil  à  la  Voltaire 


qui  était  près  du  feu.  Le  diable,  car  c'iHait 
lui-même,  se  pencha  négligemment  en  ar- 
rière et  dirigea  vers  le  feu  l'index  et  le  pouce 
de  sa  main  blanche  et  effilée;  ces  deux  doigts 
s'allongèrent  indéfiniment  comme  une  paire 
de  pincettes  et  prirent  un  charbon  dans  le 
feu.  Le  diable,  car  c'était  le  diable  en  per- 
sonne, y  alluma  un  cigare  qu'il  prit  sur  la 
table.  A  peine  en  eut-il  aspiré  une  bouffée, 
qu'il  rejeta  le  cigare  avec  dégoût,  et  dit  à 
Armand  de  Luizzi  :  —  Est-ce  que  vous  n'a- 
vez pas  de  tabac  de  contrebande? 
«  Armand  ne  répondit  pas. 

—  «  En  ce  cas,  acceptez  du  mien,  reprit  le 
diable. 

«  Et  il  tira  delà  poche  de  sa  robe  de  cham- 
bre un  pelil  porte-cigares  d'un  goût  exquis. 
Il  prit  deux  cigarettes ,  en  alluma  une  au 
charbon  qu'il  tenait  toujours  et  le  présenta 
à  Luizzi.  Celui-ci  le  repoussa  du  geste,  et  le 
diable  lui  dit  d'un  ton  fort  naturel  :  Ah  1  vous 
faites  le  dédaigneux,  mon  cher,  tant  pis. 

«  Puis  il  se  mit  à  fumer,  sans  cracher,  le 
corps  penché  en  arrière  et  en  sifflotant  de 
temps  en  temps  un  air  de  contredanse,  qu'il 
accompagnait  d'un  petit  mouvement  de  tête 
tout  à  fait  impertinent.... 

«  Armand  demeurait  toujours  immobile 
devant  ce  diable  étrange.  Enfin  il  rompit  le 
silence;  et  s'armant  de  ceUe  voix  vibrante  et 
saccadée  qui  constitue  la  mélopée  du  drame 
moderne,  il  dit  : 

—  «  Fils  de  l'enfer,  je  t'ai  appelé.... 

—  «  D'abord,  mon  cher,  dit  le  diable  en 
l'interrompant,  je  ne  sais  pas  pourquoi  vous 
me  tutoyez.  C'est  de  fort  mauvais  goût.  C'est 
une  habitude  qu'ont  prise  entre  eux  ceux 
que  vous  appelez  les  artistes.  Faux  semblant 
d'amitié,  qui  ne  les  empêche  pas  de  s'envier, 
deseha'ir  et  de  se  mépriser.  C'est  uneformede 
langage  que  vos  romanciers  et  vos  drama- 
turges ont  affectée  à  l'expression  des  passions 
poussées  à  leur  plus  haut  degré,  et  dont  les 
gens  bien  nés  ne  se  servent  jamais.  Vous  qui 
n'êtes  ni  homme  de  lettres  ni  artiste,  je  vous 
serai  fort  obligé  de  me  parler  comme  au  pre- 
mier venu;  ce  qui  sera  beaucoup  plus  con- 
venable. Je  vous  ferai  observer  aussi  qu'en 
m'appelant  fils  de  l'enfer,  vous  dites  une  de 
ces  bêtises  qui  ont  cours  dans  toutes  les  lan- 
gues connues.  Je  ne  suis  pas  plus  le  fiis  de 
l'enfer  que  vous  n'êtes  le  fils  de  voire  cham- 
bre parce  que  vous  l'habitez. 

«  Tu  es  pourtant  celui  que  j'ai  appelé,  ré- 
pondit Armand  en  affectant  une  grande  puis- 
sance dramatique. 

«  Le  diable  regarda  Armand  de  travers  et 
répondit  avec  une  supériorité  mar()uée  : 

—  «  Vous  êtes  un  faquin.  Est-ce  que  vous 
croyez  parler  à  votre  groom  ? 

—  «  Je  parle  à  celui  qui  est  mon  esclave, 
s'écria  Luizzi  en  posant  la  main  sur  la  clo- 
chette qui  était  devant  lui. 

«  —  Comme  il  vous  plaira,  monsieur  le 
baron,  reprit  le  diable.  Mais,  par  ma  foi,  vous 
éles  bien  un  véritable  jeune  homme  de  notre 
époque,  ridicule  et  butor.  Puisque  vous  élos 
si  sûr  de  vous  faire  obéir,  vous  pourriez  bi:n 
me  parler  avec  politesse,  cela  vous  coûterail 


Zl't 


CHA 


pi'u.  D'ailleurs,  ces  manières  là  sont  bonnes 
pour  les  manants  parvenus  qui,  parce  qu'ils 
se  vautrent  dans  le  fond  de  leur  calèche,  s'i- 
maginent qu'ils  ont  l'air  d'y  être  habitués. 
Vous  éies  de  vieille  ramillc;  vous  portez  un 
assez  beau  nom,  vous  avez  très-bon  air,  et  vous 
pourriez  vous  passer  de  ridicules  pour  vous 
fuire  remarquer. 

—  «  Le  diable  fait  de  la  morale  1  c'est 
étrange... 

«  Ce  dialogue  avait  eu  lieu  entre  ce  per- 
sonnage surnaturel  et  Armand  de  Luizzi , 
sans  que  l'un  ou  l'autre  eût  changé  de  place. 

«  Jusqu'à  ce  moment  Luizzi  avait  parlé 
plutôt  pour  ne  point  paraître  interdit  que 
pour  dire  ce  qu'il  voulait.  11  s'était  remis  peu 
à  peu  de  son  trouble  et  de  l'étonnement  que 
lui  avaient  c;iusé  la  figure  et  les  manières  de 
son  interlocuteur;  et  il  résolut  d'aborder  un 
autre  sujet  de  conversation,  sans  doute  plus 
important  pour  lui. 

«  Il  prit  donc  un  second  fauteuil,  s'assit  de 
l'autre  côté  de  la  cheminée,  et  examina  le 
diable  de  plus  près.  Il  acheva  son  inspectiim 
en  silence,  et,  persuadé  qu'une  lutte  d'esprit 
ne  lui  réussirait  pas  avec  cet  être  inexplica- 
ble, il  prit  sa  clochette  d'argent  et  la  fit  son- 
ner  encore  une  fois.  —  A  ce  corumamlcment, 
car  c'en  était  un,  le  diable  se  leva  et  se  tint 
debout  devant  Armand  de  Luizzi  dans  l'atti- 
tude d'un  domestique  qui  attend  les  ordres 
de  son  maître.  Ce  mouvement ,  qui  n'avait 
duré  qu'un  dixième  de  seconde ,  avait  ap- 
porté un  changement  complet  dans  la  phy- 
sionomie et  le  costume  du  diable.  L'être  fan- 
tastique de  tout  à  l'heure  avait  disparu,  et 
Armand  vit  à  sa  place  un  rustre  en  livrée 
avec  des  mains  de  bœuf  dans  des  gants  de 
colon  blanc,  une  trogne  avinée  sur  un  gilet 
rouge,  des  pieds  p'als  dans  sis  gros  souliers, 
et  point  de  moilets  dans  ses  guêtres. 

«  —  Voilà,  ra'sieur,  dit  le  nouveau  paru. 

«  —  Qui  es-lu?  s'ccria  Armand,  blessé  de 
cet  air  de  bassesse  insolente  et  brûle,  carac- 
tère universel  du  domestique  français. 

—  «  Je  ne  suis  pas  le  valet  du  diable,  je 
I  'en  fais  pas  plus  qu'on  ne  m'en  dit  ;  mais  je 
..  is  ce  qu'on  me  dit. 

«  —  Et  que  viens-tu  faire  ici? 

«  —  J'ailcnds  les  ordres  de  m'sieur. 

«  —  Ne  sais-tu  pas  pourquoi  je  l'ai  appelé? 

«  —  Non,  m'sieur. 

«  —  Tu  mens? 

«  —  Oui,  m'sieur. 

«  —  Comment  te  nommes-tuT 

«  —  Comme  voudra  m'sieur. 

«  —  N'as-tu  pas  un  nom  de  baptême? 

•  Le  diable  ne  bougea  pas;  mais  tout  le 
château  se  mit  à  rire  depuis  la  girouette  jus- 
qu'à la  cave.  Armand  eut  peur,  et  pour  ne 
pas  le  laisser  voir,  il  se  mit  en  colère.  C'est 
un  moyen  aussi  connu  que  celui  de  chanter. 

«  —  Enfin,  réponds,  n'as-tu  pas  un  nom? 

«  —  J'en  ai  tant  qu'il  vous  plaira.  J'ai  servi 
sous  toute  espèce  de  nom... 

«  —  Tu  es  donc  mon  domestique? 

«  —  11  a  bien  fallu.  J'ai  essayé  de  venir 
vers  vous  à  un  autre  titre;  vous  m'avez  parlé 
comme  à  un  latiuais.  Ne  pouvant  vous  forcer 


CIIA  5W 

à  être  poli,  je  me  suis  soumis  à  dire  insolente, 
et  me  voilà  comme  sans  doute  vous  me  dési- 
rez. M'sieur  n'a-l-il  rien  à  m'ordonner? 

«  —  Oui,  vraiment.  Mais  j'ai  aussi  un  con- 
seil à  te  demander. 

«  —  M'sieur  permettra  que  je  lui  dise  que 
consulter  son  domestique  c'est  faire  de  la 
comédie  du  XVll'  siècle. 
«  —  Où  as-tu  appris  ça? 
«  —  Dans  les  feuilletons  des  grands  jour- 
naux. 

«  —  Tu  les  as  donc  lus?  Eh  bien  !  qu'en 
penses-tu? 

«  —  Pourquoi  voulez-vous  que  je  pense 
quelque  chose  de  gens  qui  ne  pensent  pas? 
«  Luizzi  s'arrêta  encore,  s'apertevant  qu'il 
n'arrivait  pas  plus  à  son  but  avec  ce  nou- 
veau personnage  qu'avec  le  précédent.  11 
saisit  sa  sonnette;  mais  avant  de  l'agiter,  il 
dit  au  diable  ; 

«  —  Quoique  tu  sois  le  même  esprit  sous 
une  forme  différente,  il  me  déplaît  de  traiter 
avec  toi  du  sujet  dont  nous  devons  parler, 
tant  que  lu  garderas  cet  aspect.  En  peux-tu 
changer? 

«  —  Je  suis  aux  ordres  de  m'sieur. 
«  —  Peux-tu  reprendre  la  forme  que  tu 
avais  tout  à  l'heure? 

«  —  A  une  condition  :  c'est  que  vous  me 
donnerez  une  des  pièces  de  monnaie  qui  sont 
dans  cette  bourse. 

«  Armand  regarda  sur  la  table  et  vit  une 
bourse  qu'il  n'avait  pas  encore  aperçue.  Il 
l'ouvrit,  et  en  lira  une  pièce.   Elle  était  d'un 
métal  inestimable,  et  portait  pour  toute  ins- 
cription :  UN  MOIS  DE  LA  VIE  DU  BARON  FRAN- 
ÇOIS-ARMAND DE  LUIZZI.  Armand  comprit  sur- 
le-champ  le  mystère  de  cette  espèce  de  paie- 
ment, «t  remit  la   pièce  dans  la  bourse,  qui 
lui  parut  très-lourde,  ce  qui  le  fil  sourire. 
«  —  Je  ne  paie  pas  un  ci  priée  si  cher. 
«  —  Vous  êtes  devenu  avare? 
«  —  Comment  cela? 

«  —  C'est  que  vous  avez  jeté  beaucoup  de 
cette  monnaie  pour  obtenir  moins  que  voui 
ne  demandez. 
«  —  Je  ne  me  le  rappelle  pas. 
«  —  S'il  m'était  permis  de  vous  faire  votre 
compte,  vous  verriez  qu'il  n'y  a  pas  un  mois 
de  votre  vie  que  vous  ayez  donné  pour  quel- 
que chose  de  raisonnable. 

«  —  Gela  se  peut  ;  mais  du  moins  j'ai  vécu. 
«  —  C'est  selon  le  sens  que  vous  attachez 
au  mot  vivre. 

«  —  Il  y  en  a  donc  plusieurs  ? 
«  —  Deux  très-différents.  Vivre,  pour  beau- 
coup de  gens,  c'est  donner  sa  vie  à  toute» 
les  exigences  qui  les  entourent.  Celui  qui  vit 
ainsi  se  nomme,  tant  qu'il  est  jeune,  un  bon 
fin/an<;  quand  il  devient  mûr,  on  l'appelle 
un  brave  homme,  et  on  le  quai  fie  de  bon 
homme  quand  il  est  vieux.  Ces  trois  noms  ont 
un  synonyme  connnun  :  c'est  le  mol  dupe. 

«  —  Et  tu  penses  que  c'est  en  dupe  que 
j'ai  vécu? 

«  —  Je  crois  que  m'sieur  le  pense  comme 
moi,  car  il  n'est  venu  dans  ce  château  que 
pour  changer  de  façon  de  vivre,  cl  prendre 
ianlrc. 


?5t.- 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCLLTES. 


SGO 


«  —  Et  celle-là,  peux-tn  me  la  définir  T 

■  —  Comme  c'est  le  sujet  du  marché  que 
nous  allons  faire  ensomble... 

«  —  Eiiseniblel...  Non,  reprit  Armand  en 
interrompant  le  diable,  je  ne  veux  pas  traiter 
avec  toi  ;  cela  me  répugnerait  trop.  Ton  as- 
pect me  déplaît  souverainement. 

«  —  Cétail  pourtant  une  chance  en  votre 
faveur  :  on  accorde  peu  à  ceux  qui  déplai- 
sent beaucoup.  Un  roi  qui  traite  avec  un 
ambassadeur  qui  lui  plalt  lui  fait  toujours 
quel(]ue  concession  dangereuse...  Pour  ne 
pas  être  trompé,  il  ne  faut  faire  d'affaire 
qu'avec  les  gens  déplaisants.  En  ce  cas,  le 
dégoût  sert  de  raison. 

«  —  ^t  il  m'en  servira  pour  le  chasser  , 
dit  Armand  en  faisant  sonner  la  cloche  ma- 
gique qui  lui  soumettait  le  diable. 

«  Comme  avait  disparu  l'être  androgyne 
qui  s'était  montré  d'abord,  de  même  disparut, 
non  pas  le  diable,  mais  cette  seconde  appa- 
rence du  diable  en  livrée  ;  et  Armand  vit  à  sa 
place  un  assez  beau  jeune  homme.  Celui-ci 
était  de  celte  espèce  d'hommes  qui  changent 
de  nom  à  tous  les  quarts  de  siècle,  et  que, 
dans  le  nôtre,  on  appelle  fashionables.  Tendu 
comme  un  arc  entre  ses  bretelles  et  les  sous- 
pieds  de  son  pantalon  blanc,  il  avait  posé 
ses  pieds  en  boites  vernies  et  éperonnécs  sur 
le  chambranle  de  la  cheminée  ,  et  se  tenait 
assis  sur  le  dos  dans  le  fauteuil  d'Arm md. 
Du  reste,  ganté  avec  exactitude ,  la  man- 
chette retroussée  sur  le  revers  de  son  frac 
à  boutons  brillants,  le  lorgnon  dans  l'œil  et 
la  canne  à  pomme  d'or  à  la  main,  il  avait 
tout  à  fait  l'air  d'un  camarade  en  visite  chez 
le  baron  Armand  de  Luizzi. 

«  Celte  illusion  alla  si  loin,  qu'Armand  le 
regarda  comme  quelqu'un  de  connaissance. 

«  Il  me  semble  vous  avoir  rencontré  quel- 
que part? 

«  —  Jamais  1  Je  n'y  vais  pas. 

a  —  Je  »ous  ai  vu  au  bois  à  cheval. 

*  —  Jamais  1  Je  fais  courir. 

«  —  Alors  c'était  en  calèche? 

«  —  Jamaisl  Je  conduis. 

«  —  Ahl  pardieul  j'en  suis  sûr,  j'ai  joué 
avec  vous  chei  M""'... 

«  —  Jamaisl  je  parie. 

«  —  Vous  valsiez  toujours  avec  elle. 

a  —  Jamaisl  je  galope. 

a  —  Vous  ne  lui  faites  pas  la  cour? 

«  —  Jamaisl  J'y  vais  ;  je  ne  la  fais  pas. 

«  Luizzi  se  seniit  pris  de  l'envie  de  donner 
à  ce  monsieur  des  coups  de  cravache  poor 
lui  ôler  un  peu  de  sottise.  Cependant  la  ré- 
Hcxion -venant  à  son  aide,  il  commença  à 
comprendre  que  s'il  se  laissait  aller  à  discu- 
ter avec  le  diable,  en  vertu  de  toutes  les  for- 
mes qu'il  plairait  à  celui-ci  de  se  donner,  il 
n'arriverait  jamais  au  but  de  cet  entrelien. 
Armand  prit  donc  la  résolution  d'en  finiravec 
celui-ci  aussi  bien  qu'avec  un  autre,  et  il  s'é- 
cria en  faisant  encore  tinter  sa  cluchette  : 

—  «  Satan  ,  écoute-moi  et  obéis. 

«  Ce  mot  était  à  peine  prononcé ,  que  l'être 
surnaturel  qu'Armand  avait  appelé  se  montra 
dans  sa  sinistre  splendeur.  C'était  bien  l'ange 
iléthu  que  la  poésie  a  rêvé.  Type  de  beauté 


flétri  par  la  douleur,  altéré  par  la  haine,  dé- 
gradé par  la  débauche,  il  gardait  encore , 
tant  que  son  visage  reslait  immobile,  nne 
trace  endormie  de  son  origine  céleste;  mais 
dès  qu'il  pariait,  l'action  de  ses  traits  déno- 
tait une  existence  où  avaient  passé  toutes 
les  mauvaises  passions.  Cependant,  de  toutes 
les  expressions  repoussantes  qui  se  mon- 
traient sur  son  visage,  celle  dundégoiît  pro- 
fond dominait  les  autres. 

Au  lieu  d'attendre  qu'Armand  l'interro- 
geât, il  lui    adressa  la  parole  le  premier. 

«  —  Me  voici  pour  accomplir  le  marché 
que  j'ai  fait  avec  ta  famille  et  par  lequel  je 
dois  donnera  chacun  des  barons  de  Luizzi, 
deRonqueroUes,  ce  qu'il  me  demandera;  tu 
connais  les  conditions  de  ce  marché,  je  sup- 
pose ? 

«  —  Oui,  répondit  Armand  ;  en  échange  de 
ce  don,  chacun  de  nous  t'appartient,  à  moins 
qu'il  ne  puisse  prouver  qu'il  a  été  heureux 
durant  dix  années  de  sa  vie. 

<t  —  Et  chacun  de  tes  ancêtres  ,  reprit 
Satan  ,  m'a  demandé  ce  qu'il  croyait  le 
bonheur,  afin  de  m'échappera  l'heure  de  sa 
mort. 

«  —  Et  tous  se  sont  trompés,  n'est-ce  pas  î 

«  —  Tous.  Ils  m'ont  demandé  de  l'argent, 
de  la  gloire,  de  la  science,  du  pouvoir,  elle 
pouvoir,  la  science,  la  gloire,  l'argent,  les 
ont  tous  rendus  malheureux. 

«  —  C'est  donc  un  marché  tout  àton  avan- 
tage, et  que  je  devrais  refuser  de  conclure? 

«  —  Tu  le  peux. 

«  —  N'ya-t-il  donc  aucune  chose  à  deman- 
der, qui  puisse  rendre  heureux? 

«  —  Il  y  en  aune. 

«  —  Ce  n'est  pas  à  loi  de  mêla  révéler,  je 
la  sais;  mais  ne  peux-tu  pas  aie  dire  si  je  la 
connais? 

«  — Tu  la  connais;  elle  s'est  mêlée  à  tou- 
tes les  actions  de  la  vie,  quelquefois  en  toi, 
le  plus  souvent  chez  les  autres,  et  je  puis 
l'affirmer  qu'il  n'y  a  pas  besoin  de  mon  aida 
(lour  quela  plupart  des  hommes  la  possèdent. 

«  —  Esl-ceuiie  qualité  morale?  est-ce  une 
chose  matérielle? 

«  —  Tu  m'en  demandes  trop.  As-tu  fait 
Ion  choix?  Parle  vite  ;  j'ai  hâte  d'eu  finir. 

«  —  Tu  n'étais  pas  si  pressé  tout  à  l'heure. 

« — C'est  ijue  tout  à  l'heure  j'étais  sous 
nne  de  ces  mille  formes  qui  me  déguisent  à 
moi-même,  et  me  rendent  le  présent  suppor- 
table. Quand  j'emprisonne  mon  être  sous  les 
traits  d'une  créature  humaine,  vicieuse  oli 
;néprisable,  je  me  trouve  à  la  hauteur  du 
siècle  que  je  mène,  et  je  ne  souffre  pas  du 
misérable  rôle  auquel  je  suis  réduit.  La  va- 
nité se  satisfait  de  grands  mots,  mais  l'or- 
gueil veut  de  grandes  choses,  et  tu  sais  qu'il 
fut  la  cause  de  ma  chule;  mais  jamais  il  ne 
fut  soumis  à  une  si  rude  épreuve.  Après 
avoir  lutté  avec  Dieu,  après  avoir  mené  tant 
dévastes  esprits,  susciléde  si  fortes  passions, 
fait  éclater  de  si  grandes  catastrophes,  je 
suis  honteux  d'en  être  réduit  aux  basses 
inirigucset auxso:tespiétcn(ious  de  l'époque 
actuelle,  et  je  .me  ciiclie  à  moi-même  ce  ([ue 
j'ai  été,  pour  oublier,  autant  que  je  puis,  ce 


3J1 


nu 


niA 


Sfî 


mis  (Icvt'iin.  Ci'Ue  forme  q;!0  !ii   m'ns 
(le  prendre m'i'sl  parcoiiséqucnt  oriieuse 
ot  insuppor(,il)le.  HilU'-toi   donc,   cl  dis-moi 
ce  que  lu  veux. 

«  —  Je  ne  le  s;iis  pas  encore,  el  j'.ai  complé 
sur  loi  pour  m'aider  dans  mon  ctioix., 
«  —  Je  l'ai  dil  que  c'était  impossible. 
«  —  Tu  peux  cependanl  faire  pour  moi  ce 
que  lu  as  fait  pour  mes  ancêtres;  tu  peux  fiie 
nionlrertinu  les  passions  des  antres  ho:ii- 
nics,  leurs  espérances,  leurs  joies,  leurs  dou- 
leurs, le  secret  de  leur  existence  ,  afln  que 
je  puisse  tirer  de  cet  enseignement  une  lu- 
mièie  qui  me  gruide. 

< — Je  puis  faire  tout  cela;  mais  lu  dois 
savoir  que  les  ancêtres  se  sont  engagés  à 
ni'apparipnir  avant  que  j'aie  commencé  mon 
récit.  Vois  ci't  acte;  j'ai  laissé  en  l)lanc  le 
nom  de  la  cliose  que  lu  me  demanderas: 
signe-le;  et  puis  après  m'avoir  entendu,  tu 
écriras  loi-même  ce  que  tu  désires  être,  ou 
ce  (|ue  lu  désires  avoir. 

"  —  Armand  signa  et  reprit  : 
«  —  Maintenant  je  l'écoute.  Parle. 
«  — Pas  ainsi.  La  solenuilé  que   m'i>npo- 
serait  à  moi-même  celle  l'orme  primitive    fa- 
liguerail  la  fri\ole   attention.  Ecoute  :    mé!é 
à  la  vie  liumaini>,  j'y  prends  plus  de  part  que 
les  hommes  ne  pensent.  Je  te  coulerai    mon 
liistoire,  ou  plutôt  je  le  conterai  la  leur. 
«  —  Je  serai  curieux  de  la  connaître. 
«  —  Garde  ce  sentimenl;  car  du    moment 
que  lu  m'auras  demandé  une  confidence,   il 
faudra  l'entendre  ju^(^u'au  bout.    Opendant 
lu  pourras  refuser  de  leiilendre  en  me  don- 
nant une  des  pièces  du   monnaie  de  celte 
bourse. 

«  —  J'accepte,  si  toutefois  ce  n'est  pas  une 
condiiioii  pour  moi  de  demeurer  dans  une  ré- 
sidence lixe. 

«  —  Va  où  tu  voudras;  je  serai  toujours 
au  rendez-vous  partout  où  tu  m'appelleras. 
Mais  songe  que  ce  n'est  qu'ici  que  tu  peux 
me  revoir  sous  ma  véritable  forme. Tu  m'ap- 
pelleras avec  cette  sonnette  à  toute  heure, 
en  tout  lieu,  sur  (|uel<iue  place  que  ce  soii... 
Trois  heures  sonnèrent,  el  le  diable  dispa- 
rut. 

Armand  deLuizzi  se  retrouva  seul.  La  bourse 
(;ui  contenait  ses  jours  était  sur  sa  lible. 
Il  eut  envie  de  l'ouvrir  pour  les  compter, 
mais  il  ne  put  y  parvenir,  et  il  se  couciri 
après  l'avoirsoigneusement  placée  sous  son 
clievet... 

Nous  le  répétons,  il  est  fScheux  que  les 
histoires  racontées  par  le  dlal)le  soient  géné- 
ralemenl  de  nature  à  ne  pouvoir  cire  lues 
d'un  lecleur  chrétien;  cir,  dans  ce  c.idre, 
l'auteur,  dont  on  ne  saurait  nier  le  grand 
mérite,  eût  pu  faire  un  très-bon  livre. 

Nous  d  )nnerons,  dans  un  autre  genre,  un 
conte  fantastique  où  se  retrouvent  plusieurs 
éléments  de  la  poésie  salanique  ou  infernale. 
Le  château  du  Diable. 
S'il  fini  en  croire  des  récils  populaires, 
on  montrait  encore  en  lli'iO,  dans  le  granl- 
duclié  de  Luxembourg,  tout  auprès  d'Aioii, 
les  ruines  d'un  ancien  château  féodal,  d.puis 
long-temps  inhabile,  el  qu'on  appelait  le  ciià  • 

riCTIO>\.    UIC'    SCIENCES    OCCILTS-.S.    1. 


leau  du  diable.  Dos  monstres,  des  damné-, 
des  démons  à  longucqueueformaient,disaii- 
on,  en  bas-reliefs  et  en  peintures,  les  déco- 
rations intérieures  de  ce  manoir.  Depuis  hi(>ii 
des  années,  nul  ne  l'avait  visiié.  On  ajoutait 
que  le  13  de  chaque  mois,  l'enfer  venait  v 
faire  ses  orgies;  on  citait  vingt  personnes 
qui  autrefois  s'élanl  réfugiées  là  parmcgard<' 
n'en  étaient  jamais  sorties.  L'opinion  com- 
mune assurait  qu'elle  avaient  eu  lecou  lordu. 
On  racontait  des  choses  effrayantes.       î 

Cependant  un  jeune  si-igneur,  méprisant 
les  leçons  de  l'expérience,  rc^olut  d'aller 
au  château  du  diable  el  d'y  passer  la  nuit.  Il 
décida  deux  de  ses  domestiques,  qu'il  savait 
intrépides,  à  l'accompagner;  il  se  fit  suivre 
encore  prudemment  ri  un  so  cier  ou  char- 
mcui-, qui  passait  pour  un  homme  très-habile 
dans  l(  s  circonstances  di?  maléfice.  S'il  faut 
en  croire  les  récits,  le  13  octobre  de  l'aiiiiée 
1022.  il  se  rendit  bien  armé,  avec  ses  trois 
compagnons,  dans  l'enceinte  redoutée  du 
château  du  diable.  Le  silence  de  la  mort  ré- 
gnait <lans  les  cours  et  dans  les  galeries. 
ALiis  à  II  porte  de  la  première  salie,  une 
vieilli'  se  présenta,  branlant  la  tête  et  leur 
défendant  d'une  voit  c  isvéed'allerpiusavant. 
Le  charmeur  fil  une  conjuration  qui  ne  nous 
a  pas  été  conservée;  la  vieille  s'éloigna  en 
groiidint;  néanmoins  elle  escamota  les  deux 
valets,  qu'elle  emmena  à  la  cave,  où  elle  les 
retint  et  que  le  sorcier  jura  de  faire  rendre. 
Un  ours  qui  gard  iit  la  seconde  porte  s'enfuit 
devant  une  allumelle  que  lui  présenta  le  sa- 
vant. L'ours  ne  l'ut  pas  plulôi  dehors  que  le 
jeune  seigneur  vit  tomber,  du  milieu  du  pla- 
fond, des  gouUes  de  sang  qui  se  succédaient 
trois  par  irois,  de  seconde  en  sccomle,  avec 
des  géaiisscmints.  La  terreur  qui  le  saisi! 
devint  au  comiile,  lorsqu'il  aperçut  dans  un 
coin  du  salon,  couché  sur  un  lit,  un  squeietie 
chargé  de  cliaîiies,  dont  le  cœur,  par  un  pro- 
d  ge  inouï',  battait  au  milieu  des  ossements 
desséchés.  S>'S  yeux,  qui  seuls  vivaient  en- 
core, roui  lient  avec  une  lueur  horrible  dans 
leurs  orbites  décharnés.  Le  sorcier, craignant 
une  faiblesse  de  la  p'irt  du  jeune  homme,  fit 
un  charme  à  la  hâle;  le  sa'on  changea  d  as- 
pect :  le  repaire  d  viiilun  magnifique  a|ipir- 
temenl;  un  souper  dé  i'  al  parut  loul  servi 
sur  une  table  somptueuse;  le  jeuni>  seigneur 
el  son  mentor  se  mirent  à  table. 

Comme  ils  louchaient  au  dessert,  un  grand 
mouvement  cxiéri-ur  auieni  subit  'meut  la 
nuil,  mais  u:ic  nuit  orné  '  de  tonnerres  et 
d'écUiirs.avecun  bruit  t  -1,  q"ue  jamais  le  fr.;- 
cas  d'une  ai  ti;lerie  comiilète  n'égala  le  va- 
carme qui  s  ■  lit  alors  dans  le  château  du 
diable.  La  table  disparu';  la  salle  semii!a 
eiiflaminée;  le  plaTind  s'cntr'ouvril;  il  en 
tomba  une  légion  de  figuri's  bizarres  qui  for- 
mèrent di^s  dans 's  griiesiiues.  Des  démons 
ailés,  des  déuious  ardents,  des  dé  nous  cor- 
nus, dessorciers  à  cheval  sur  des  boucs,  dos 
sorcières  à  calil'ourchou  sur  des  inanciies  à 
balai,  arrivaient  par  le  mémo  chemin  el  d  m- 
sai.'iil  de  toutes  1;miis  forci'S.  au>sii(k  <[;i'ils 
avaient  mis  pied  à  terre. 

Le  charmeur,  ai  moyen  d'une  fis  inalion, 

12 


5(i: 


DICTIONNAIRE  DKS  SCIENCES  OCCl'LTES 


r>c,( 


sV'lait  remlu  invisible,  ainsi  que  son  jeune 
compagnon. Unevieillesorcièrc  parut,  costu- 
mée comme  on  les  voitdctns  les  esquisses  de 
Téniers;eUeportail  un  enfantqu'elle  fit  rôtir 
pour  le  banqutt.  Alors  il  tomba  d'en  haut 
une  vaste  cruche  noire,  devant  laquelle  cha- 
cun se  prosterna;  le  diable  on  sortit,  et  les 
danses  recommencèrent. 

Au  moment  où  les  réjouissances  se  sus- 
pendirent pour  radoration  de  Satan,  le  jeune 
seigneur  remarqua  que  le  diable,  qui  était 
en  formede  bouc, avait  au  derrièreun  visage 
humain,  que  les  sorcières  allaient  baiser.  Il 
fut  frappé  d'horreur,  et  ne  se  put  retenir  de 
faire  un  signe  de  crois.  Tout  s'envola. 

—  Vous  m'avez  fait  bien  mal ,  dit  le  sor- 
cier de  Naiiiur.  Mais  allons  nous  coucher.... 

En  disant  cela,  il  se  jeta  sur  le  lit  du  spec- 
tre et  y  attira  le  jeune  homme. 

Le  squelette  se  le»  a  debout  sur-le-champ, 
éclairant  la  salle  di  feu  de  ses  jeu\.— Mal- 
heur, dit-il  d'une  voix  sourde,  à  qui  trouble 
le  repos  dos  morts! 

Et  comme  ilallongcait  lesos  de  ses  mains, 
le  sorcier  l'arrêta: 

—  Je  t'ordonne,  dit-il,  de  nous  dire  qui 
tu  es,  ce  que  tu  veux,  d'où  tu  viens? 

—  Pourquoi  me  forcez-vous,  dit  le  sque- 
lette, à  rompre  un  silence  que  je  garde  de- 
puis cent  ans  ?  Je  me  nomme  Lrnderborn. 
Celui  qui  possédait  ce  château  me  prit  à  son 
service  dans  ses  jeunes  années  11  n'était  pas 
marié.  Un  soir  qu'il  se  baignait  au  elair  de 
la  lune,  il  aperçut  à  quelques  pas  au-dessous 
de  lui  une  jeune  danie  qui  se  notait.  Voler  à 
sn\  secours,  la  saisir,  la  sauver,  tout  cela 
ni!  fut  qu'un  inouveincnl.  La  jeune  dame  lui 
plut,  il  l'épousa.  Elle  lui  donna  un  fils;  mais 
à  peine  fut-il  au  monde,  qu'elle  disparut 
aveclni.  Les  sages  du  temps,  consultés  là- 
dessus,  répondirent  <|ue  mon  maître  ,  eu 
croyant  épouserune  femme,  avait  épousé  un 
ilémon  succube.  Celle  nouvelle  le  frappa  si 
Yiven)cnt ,  que,  renonçant  au  monde  ,  il 
passait  sa  vie  à  la  chasse. 

Un  jour  que  j'étais  avec  lui  dans  la  forêt 
voisine,  il  m'aperçut  derrière  un  arbre 
touffu,  ise  prit  pour  un  loup  et  me  tua.  Je 
ne  sais  pas  où  j'allai;  mais  je  me  tmu- 
Tai  après  ma  mort  face  à  face  avec  nia  maî- 
tresse. 

—  Lenderborn,  me  dit-elle,  mon  mari 
tn'est  infidèle,  je  le  sais. Retourne  atichàleaii, 
je  t'en  donne  le  pouvoir,  mais  à  condition 
qu'il  mourra  de  ta  main.      ^ 

J'obéis;  et  depuis  vous  voyez  l'existence 
que  je  mène  sur  la  terre.  J'ai  étranglé  tous 
ceux  qui  soKl  venus  ici.  Pour  ma  délivrance, 
il  faut  qu'va'.3  main  innocente  sacrifie  une 
poule  noiro  'minuit  sur  le  seuil  du  château. 

—  Si  lu  vcax,  dit  le  sorcier,  nous  rendre 
les  deux  valets  que  la  vieille  ncius  a  ôlés, 
demain  à  minuit,  je  te  rends  libre. 

Ce  que  le  charmeur  demandait  fut  fait  à 
l'instant.  Les  quatre  compagnons  sortirent 
du  château.  Le  lendemain,  à  minuit,  une 
jeune  fille,  conduite  par  le  magicien,  immo- 
lait une  poule  noire.  Après  la  formule  caba- 
listique (pi'il  prononça,  il  se  (il  grand  bruit, 


le  château   du  diable   s'écroula;   et  c'est  â 
peine  aujourd'huisi  l'on  reconnaît  la  place... 

CHAT-HUANT,  Voy.  Hibou,  Chouette, 
Chassf,  Chevesche,  etc. 

Chauche-poulet.  Voy.  Cauchemab. 

ClUUDlEKi:.  C'est  ordinairement  dans 
une  chaudière  de  fer  que,  de  temps  immé- 
morial, les  sorcières  composent  leurs  malé- 
fices, qu'elles  font  bouillir  surun  feu  de  ver- 
veine et  d'autres  plantes  magi(|ues. 

CHAUDRON  (Madeleine  Micuelle),  Ge- 
nevoise, accusée  d'être  sorcière  en  1652.  O^i 
dit  qu'ayant  rencontré  le  diable  en  sortant 
de  la  ville  réformée,  il  reçut  son  hommage, 
elimprima  sur  sa  lèvre  supérieure  son  seing 
ou  marque.  Ce  petit  seing  rend  la  peau  in- 
sensible, comme  l'affirment  les  démonogra- 
phes.  —  Le  diable  ordonna  àMichelle  Chau- 
dron d'ensorceler  deux  filles;  elle  obéit;  les 
parents  l'accusèrent  de  diablerie,  les  filles 
interrogées  attestèrent  qu'elles  étaient  pos- 
sédées. On  appela  ceux  qui  passaient  pour 
médecins;  ils  eherrhèrent  surMichelle  Chau- 
dron le  sceau  du  diable,  que  le  procès-ver- 
bal appt-'We  \es  marques  salimiques;  ils  y  en- 
foncèrent une  aiguille.  Michclle  fil  connaître 
par  ses  cris  que  les  marques  satani(|uts  ne 
rendent  point  insensible.  —  Les  juges,  ne 
voyant  pas  de  preuve  complète,  lui  firent 
donner  la  question.  Celte  malheureuse,  cé- 
dant à  la  violence  des  tourments,  confessa 
tout  ce  qu'on  voulut.  Elle  fut  brûlée,  après 
avoir  été  pendue  et  étranglée. 

CHAUDRON-DU-DlABLli,  gouffre  qui  se 
trouve  au  sommet  du  pic  de  Ténériffe.  Les 
Espagnols  ont  donné  le  noai  de  Chaudrou- 
du-Diable  à  ce  gouffre  à  cause  du  l»ruit  que 
l'on  entend  lorsqu'on  y  jette  une  pierre;  elle 
y  rclentit  comme  un  vaisseau  creux  de  cui- 
vre contre  lequel  on  frapperait  avec  un  mar- 
teau d'une  prodigieuse  grosseur.  Les  natu- 
rels de  l'île  sont  persuadés  que  c'est  l'enfer, 
et  que  les  âmes  des  méchants  y  font  leur  sé- 
jour (1). 

CHAUVE -SOURIS.  Les  Caraïbes  regar- 
dent les  chauves-souris  comme  de  bons  an- 
ges qui  veillent  à  la  sûreté  des  maisons 
durant  la  nuil;  les  tuer,  chez  eux,  est  un 
sacrilège  :  chez  nous,  c'est  un  des  animaux 
qui  figurent  au  sabbat. 

CHAVIGNY  (Jean-Aimé  de),  astrologue, 
disciple  de  Nostradamus,  mourut  en  160i 
Il  a  composé:  la  Première  face  du  Jnnus 
français,  contenant  les  troubles  de  France  de- 
puis 1534  jusqn'en  1589;  Fin  de  la  viaisun 
vulésienne,  exttrdle  et  coUigée  des  centuries  et 
commentaires  de  Micliel  Nostra<l(innts  (  eu 
laiiii  et  en  français),  Lyon,  1594,  in-8°;  et 
nouvelle  édition,  augmentée,  sous  le  litre  de 
Commentaires  sur  les  centuries  et  prunostica- 
lions  de  Nostradamus,  Paris,  in-S",  rare;  les 
Pléiades,  divisées  en  sept  livres,  prises  des  an- 
ciennes prophéties,  et  conférées  avec  les  ara  - 
des  de  Nostradamus,  Lyon,  1003;  la  plus 
ample  édition  est  de  1000.  C'est  un  recueil 
de  prédictions,  dans  lesquelles  l'auteur  pro« 

(I)  La  Ilarpc,  Alirégé  de  l'Ilisloirc  générale  de»  voja- 
grs.l.l. 


«65 


ai  F. 


CIIE 


^^60 


met  à  Henri  IV  l'empire  de  l'unirers.  Voy. 

NOSTRADAMUS. 

CHAX  ou  SCOX,  démon.  Voy.  Scox. 

CHEKE,  professeur  de  grec  à  Cambridge, 
morl  en  1S57.  Il  a  écrit  un  livre  (1)  qu'il 
adressa  au  roi  Henri  VIII,  et  qu'il  plaçaà  la 
tète  de  sa  traduction  latine  du  Trailéde  Plu- 
tarquerfc  la  Superstition.  11  avait  des  con- 
naissances en  astrologie,  et  croyait  ferme- 
ment à  l'inlluenee  des  astres  ,  quoiqu'ils  lui 
proiiiisseiil  du  bonheur  tout  juste  dans  les 
ui'C^isions  où  il  éliilt  lo  plus  malheureux. 

CHEMKN.S,  génies  ou  esprits  que  les  Ca- 
raïbes supposent  chargés  de  veiller  sur  les 
hommes.  Ils  leur  offrent  les  premiers  fruits, 
et  pb'iceul  ces  offrandes  dans  un  coin  de  leur 
Imite,  sur  une  table  faite  de  n.itles,  où  ils 
prclcndcnt  que  les  génies  se  rassemblent 
pour  boire  et  manger;  ils  en  donnenl  pour 
preuve  le  mouvement  des  vases  et  le  bruit 
qu'ils  se  persuadent  que  font  ces  divinités  en 
soupant. 

CHEMISE  DE  NÉCESSITÉ.  Les  sorcières 
allem;in<les  porlaiml  autrefois  une  chemise 
fiiile  d'une  façon  dclestable,  et  chargée  de 
croix  mêlées  à  des  caractères  diaboliques, 
par  la  vertu  de  laquelle  elles  se  croyaient  ga- 
ranties de  tous  maux  (2j.  On  l'appelait  la 
chemise  de  nécessité. 

Les  habitants  du  Finistère  conservent  en- 
core quelques  idées  superstitieuses  sur  les 
chemises  des  jeunes  enfants.  Ils  croient  que 
si  elles  enfoncent  dans  l'eiiu  de  certaines 
fontaines,  l'enfant  meurt  dans  l'année  ;  il  vit 
longtemps,  au  contraire,  si  ce  vêtement. sur- 
nage. 

CHEUIOURT,  ange  terrible,  chargé  de  pu- 
nir le  crime  et  de  poursuivre  les  criminels, 
se'oii  la  doctrine  des  guèbres. 

CHE5NAYE  DES  BOIS  (François-Alexan- 
»re-Al'bert  delà),  capucin,  mort  en  1784. 
On  a  de  lui,  V Astrologue  dans  le  puits,  1740, 
in-12;  et  Lettres  critiques,  avec  des  songes 
moraux,  sur  les  songes  [ihilosophiques  de 
l'auteur  des  Lettres  juives  (le  marquis  d'Ar- 


gens),  in-12,  1745. 
CHETEB  on  Cl 


iCHEUER,  Voy.  Debkr. 

CHEVAL.  Cet  animal  était,  chi  z  les  an- 
ciens, un  instrument  à  présages  pour  la 
guerre.  Les  Snèves,  qui  habitait  nt  la  (jer- 
manie,  nourrissaient  à  frais  communs,  dans 
des  bois  sacrés, des  chevaux  dont  ils  tiraient 
des  augures.  Le  grand-prélrc  et  le  chef  de 
la  nation  étaient  les  seuls  qui  pouvaient  les 
toucher  :  ils  les  attachaient  aux  chariots 
sacrés,  et  observaient  avec  attention  leurs 
hennissements  et  leurs  frémissements.  Il  n'y 
avait  pas  de  présages  auxquels  les  préIres  et 
les  principaux  de  la  nation  ajouianscnt  |)lus 
de  foi. 

On  voit  encore  que  chez  certains  peuples 
on  se  rendait  les  divinités  favorables  en  pré- 
cipitant des  chevaux  dans  les  fleuves.  Quel- 
quefois on  se  contentait  de  les  laisser  vivre 
en  liberté  dans  lesprairies  voisines,  après  les 
avoir  dévoués.  JulesCésar,  avantde  passer  le 


(I)  De  Su|>erslilioiie,  ail  rcj,'ein  )Ieiiricuiii. 

(i)  Itoiiiii,  Uéiiioiiomaiiie,  liv.  I,  cli..! 

(il  Wieriis,  in  l'scudoiLonjreli.  ilaui.,  ;i(i  (iiifrn. 


Rubicon,vouaàcefleuveun  grand  nombre  de 
chevaux,  qu'il  abandonna  dans  les  pâturages 
des  environs. 

Une  tradition  superstitieuse  portait  qu'une 
espèce  de  chevaux,  qu'on  nommait  arzels,  ci 
qui  ont  une  marque  blanche  au  pied  de  der- 
rière du  côté  droit,  était  malheureuse  et  fu- 
neste dans  les  combats. 

Anciennement  on  croyait  aussi  que  les 
chevaux  n'avaient  pas  de  fiel;  mais  c'est  une 
erreur  aujourd'hui  presque  généralement 
rc'  onnue.  Voy.  Drapk;,  Bavard,  Troupeau. 
etc. 

CHEVALIER  IMPÉRIAL,  Voy.  Espagmet. 

CHEVALIER  DE  L'ENFER.  Ce  sont  des 
démons  plus  puissants  que  ceux  qui  n'ont 
aucun  litre,  mais  moins  puissants  que  les 
comtes,  les  marquis  et  les  ducs.  On  peut  les 
évoquer  depuis  le  lever  de  l'aurore  jusqu'aw 
lever  du  soleil,  et  depuis  le  coucher  du  soleil 
jusqu'à  la  nuit  (3). 

CHEVALlIill  (Guillaume),  genliliiomme 
béarnais,  auteur  d'un  recueil  de  quatrains 
moraux,  intitule  ;  tt Décès  ou  Fin  du  monde, 
divisé  m  trois  visions,  in-8°,  15*^4. 

CHEVANES  (  Jac<}Ues  )  ,  capucin,  plus 
connu  sous  le  nom  de  Jacques  d'Autitti,  du 
lieu  de  sa  naissance,  mort  à  Dijon  en  1078. 
On  a  de  lui  VIncrédulilé  savante  et  la  crédu- 
lité ignorante,  au  sujet  des  magiciens  et  des 
sorciers.  Lyon,  1671,  in-4*.  Ce  recueil,  plein 
d'extravagances  curieuses,  dont  nous  rap- 
portons en  leur  lieu  b  s  p.issages  remarqua- 
bles, estune  réponse  à  l'apologie  de  Naudé 
pour  tous  les  grands  personnages  soupçon- 
nés de  magie.  Heureusement  pour  l'aul'eur, 
dit  l'abbé  Papillon,  l'irascible  Naudé  était 
mort  depuis  long-iemps  quand  ce  livre  pa- 
rut. 

CHEVESCHE ,  espèce  de  chouette,  que 
Torquemada  définit  un  oiseau  nocturne  fort 
bruyant,  lequel  tâche  d'entrer  où  sont  le« 
enfants;  et,  quand  il  y  est,  il  leur  suce  le 
sang  du  corps  et  le  boit. 

Les  démonographes  ont  donné  le  nom  de 
chevesche  aux  sorcières,  parce  que,  sembla- 
bles à  cet  oiseau,  elles  sucent  le  sang  de  ceux 
qu'elles  peuvent  saisir,  et  principalement 
des  petits  enfants  (4).  C'est  sans  doute  là  l'i- 
dée mère  des  vampires.  Les  sorcières  qui 
sut  ent  le  sang  ont  aussi  quelque  analogie 
avec  les  gholes  des  Arabes.   Voy.  Lamies. 

CHEVEUX.  «  Prenez  des  cheveux  d'une 
femme  dans  ses  jours  de  maladie;  nittiez-les 
sous  une  terre  engraissée  de  fumier,  au  com- 
mencement du  printemps,  et,  l()rs(|u'ils  se- 
ront échauffés  par  la  chaleur  du  soleil  ,  il 
s'en  formera  des  serpents  (5)...   » 

Quelques  conteurs  assurent  que  Its  mau- 
vais anges  étaient  amoureux  des  cheveux  des 
femmes,  et  que  les  démons  incubes  s'alta- 
(  hent  de  préférence  aux  femmts  qui  ont  de 
beaux  cheveux. 

Les  sorcières  donnent  i!c  leurs  cheveux  au 
diable,  comme  arrhes  ilu  contrat  qu'elles  font 
avec  lui;  le  démon  les  coupe  très-menu,  puis 

(  l)  Tnrqiioniada,  II(!x:iti,ûron,  iroisièmc  journée, 
(fi)  Secrets  d'Allicrl  le  Grand,  p.  i7. 


SOT 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCl  LT£S. 


.-f8 


les  mêle  avec  cerlainos  poudres  :  il  les  remet 
Hiix  sorciers,  (iiii  s'en  servent  pour  faire 
tomber  la  grêle;  d'où  vient  qu'on  trouve  or- 
dinairement dans  la  grélc  de  petits  poils, 
qui  n'ont  pns  une  nuire  origine....  On  fait 
encore,  avec  ci'S  mômes  clicvcux,  divers 
maléfices  (1). 

On  croit  en  Bretagne  qu'en  soufflant  des 
cheveux  en  l'iiir  on  les  nictamorpliose  en 
animaux;  les  petits  garçons  de  Plougasi'.ou, 
qui  font  des  échanges  entre  eux,  coniirm  nt 
la  cession  en  souffliinl  au  vent  un  cheveu, 
parce  que  ce  cheveu  était  autrefois  remblèuie 
de  la  [)ropri6té.  Des  cheveux,  d^ins  les  temps 
modernes,  ont  mémo  été  trouvés  sous  des 
sceaux  :  ils  tenaient  lieu  de  signatures  (2). 

Enfin  il  y  a  des  personnes  superstitieuses 
qui  croient  qu'il  f.iul  observer  les  temps 
pour  se  couper  les  cheveux  et  se  rogner  les 
ongles.  — Autrefois  on  vénérait  le  toupet, 
par  lequel  les  Romains  juraient,  et  qu'on  of- 
frait aux  dieux.  11  parait  qu'ils  étaient  sen- 
sibles à  CCS  présents,  puisque,  quand  Béré- 
nice eut  offert  sa  chevelure,  ils  en  firent  une 
constellation. 

Chez  les  Francs,  c'était  une  politesse  de 
donner  un  de  ses  cheveux  ,  et  les  familles 
royales  avaient  seules  le  privilège  de  les  lais- 
ser pousser  dans  tout  leur  développement. 

En  Hollande ,  beaucoup  de  gens  croient 
qu'en  vendant  leurs  cheveux  à  un  perru- 
quier, ils  auront  par  sympaihie  les  maux  de 
lélc  de  ceux  qui  les  porteront.  Une  dame 
âgée,  il  y  a  peu  de  temps,  se  faisait  couper  à 
La  Haye  de  beaux  cheveux  blancs  d'argent, 
très-abondants  et  très-longs.  Le  tondeur  lui 
en  offrit  20  florins  (i2  l'r.  ).  Elle  aima  mieux 
les  brûler.  —  J'aurais,  dit-elle,  toutes  les 
douleurs  que  mes  cheveux  couvriraient. 

CHEVILLKMENT,  sorte  de  maléfice  em- 
ployé par  les  sorciers  et  surtout  par  les  ber- 
gers. Il  empêche  d'uriner.  Le  nom  de  ce  ma- 
léfice lui  vient  de  ce  que  pour  le  faire  on  se 
sert  d'une  cheville  de  bois  ou  de  fer  qu'on 
plante  dans  la  muraille,  en  faisant  maintes 
tonjuratien-s. 

«  J'ai  connu  une  pereonne,  dit  Wecker, 
qui  mourut  du  chevillemenl  :  il  est  vrai 
qu'elle  avait  la  pierre.  »  El  le  diable,  qui 
parfois  aime  à  se  divertir,  chevilla  un  jour 
la  seringue  dun  apothicaire  en  fourrant  sa 
queue  dans  le  piston.  Voy.  Noals. 

Pour  empocher  l'effet  de  ce  charme,  il  faut 
cracher  sur  son  soulier  du  pied  droit  avant 
que  de  s'en  chausser.  Ce  qui  approche  do  ce 
qu'on  lit  dans  Tibulle,  que  les  anciens  cra- 
chaient dans  leur  sein  par  trois  fois  pour  se 
désensorceler  ou  empêcher  le  sortilège.  On 
voit  dans  un  livre,  intitulé  l'Urotopégnie  ou 
ehevillcmcnt,  que  les  tonneaux,  les  fers,  les 
fours,  les  lessives,  les  moulins  à  vent  et 
ceux  qui  sont  sur  les  ruisseaux  et  rivières, 
peuvent  être  pareillement  liés  et  maléficiés. 

Voy.   l.lGATUriES. 

CHÈVllES.  Ces  animaux  étaient  fort  révé- 
rés à  Mendès  en  Egypte.  Il  était  défendu  d'en 

|1)  Bomicl,  Discours  des  sorciers,  cli,  23,  p.  l.SG. 
(i)  M.  C;miU}-,  Noy^igedaus  le  Fiiiblùro,  t.  1'».  ii.  174 
ei  193.  '  ' 


tuer,  parce  qu'on  croyait  que  Pan,  la  granule 
divinilé  de  cette  ville,  s'était  ca(  lie  sous  la 
figure  d'une  chèvre;  aussi  le  représeiilait-ou 
avec  une  face  de  chèvre,  et  un  lui  iuuiiolait 
des  brebis. 

Souvent  des  démons  ou  des  sorciers  ont 
pris  la  forme  de  chèvre.  Claude  Chappuis  de 
Saint-Amour,  qui  suivit  l'ambassadeur  de 
Henri  III  près  la  sublime  Porte,  conte  qu'il 
vil  sur  une  place  publique  de  Constanti- 
nopledes  bateleurs  qui  faisaieel  faire  à  des 
chèvres  plusieurs  tours  d'agilité  et  de  passe- 
passe  tout  à  fait  admirables;  après  (juoi, 
leur  mettant  une  ccuelle  à  la  bouche,  ils  leur 
commandaient  d'aller  demander,  pour  leur 
entretien,  tantôt  au  plus  beau  ou  au  plus 
laid,  tantôt  au  plus  riche  ou  au  plus  vieux 
de  la  compagnie  :  ce  qu'elles  fais  lient  dcxln- 
ment,  entre  quatre  à  cinq  mille  personnes, 
et  avec  une  façon  telle, qu'il  semblait  qu'elles 
Youlusseiit  parler.  Or,  qui  ne  voit  clairement 
que  ces  chèvres  étaient  hommes  ou  femmes 

ainsi  transmués,  ou  démons  déguisés  (3)? 

Voy.  BoL'c. 

CHIBADOS,  secte  de  sorciers  qui  font  mer- 
veille au  royaume  d'Angola. 

CHICOTA,  oiseau  des  lies  Tonga,  quia 
l'habitude  de  descendre  du  haut  des  airs  en 
poussant  de  grands  cris.  Les  naturels  sont 
persuadés  qu'il  a  le  don  de  prédire  l'avenir. 
Quand  il  s'abaisse  près  d'un  passant  ,  ou 
croit  que  c'est  pour  lui  annoncer  quelque 
malheur. 

CHICUS  ^SCULANUS,  voy.  Cecco  d'As- 

COLI. 

CHIEN.  Les  chiens  étaient  ordinairement 
les  compagnons  fidèles  des  magiciens.  C'é- 
tait le  diable  qui  les  suivait  sous  cette  forme, 
pour  donner  moins  à  soupçonner,  Mais  on  le 
reconnaissait  malgré  ses  déguisements.  Léon 
de  Chypre  écril  que  le  diable  sorlit  un  jour 
d'un  possédé,  sous  la  figure  d'un  chien  no'r. 
—  C'est  surtout  la  couleur  noire  qui  dénote 
le  diable  sous  une  peau  de  cliien. 

De  bonnes  gens  se  noient  assez  fréquem- 
ment à  Quimper.  Les  vieilles  et  les  enfants 
assurent  que  c'est  le  diable,  en  forme  de  gros 
chien  noir,  qui  précipite  les  passants  dans 
la  rivière  (4). 

Il  y  a  beaucoupdesuperstilionsqui  tiennent 
au  chien  dans  le  Finisère,  où  les  idées  drui- 
diques ne  sont  pas  toutes  éteintes.  On  croit 
encore,  dans  lecinton  sauvage  de  Saint-Ilo- 
nal ,  que  l'âme  des  scélérats  passe  dans  le 
corps  d'un  chien  noir. 

Les  anciens  m  :ges  croyaient  aussi  que  les 
démons  se  montraient  en  forme  de  chiens  ; 
et  Plutarque,  dans  la  vie  de  Cimon,  raconte 
qu'un  mauvais  génie,  travesti  en  chien  noir, 
vint  annoncer  à  Cimon  qu'il  mourrait  bien- 
tôt. 

Un  charlatan,  du  temps  de  Jusiinien,  avait 
un  chien  si  habile,  que,  quand  toutes  les 
personnes  d'une  assemblée  avaient  mis  à 
terre  leurs  anneaux,  il  les  rendait  sans  su 
tromper,  l'un  après  l'autre,  à  ([ui  ils  appar- 

(5)  Dc'IJiicre,  Inc rédulil(5  et  méirtance  du  sortilégi! ptei- 
neiiiciii  toiivaiiicnes,  Uaité  0,  p.  318. 

(4)  Caniliry,  Voyii^-e  dans  le  Fiiiislère,  l.  III,  p.  22. 


îr.':9 


cm 


cm 


37« 


tenaient.  Ce  chien  di<liiigu,iil  aussi  dans  la 
fouie,  lorsque  son  m.iîlie  le  lui  ordonnait, 
les  riches  et  les  pauvres,  les  gens  honnêtes 
et  les  fripons  :  «  Ce  (jui  fait  voir,  dit  Lcloyer, 
qu'il  y  avait  là  (ie  la  magie,  et  que  ce  chien 
était  un  démon  (1).  » 

Dclancre  conte  qu'en  1S30  le  démon,  par 
le  moyen  d'un  miroir,  déc()uvrit,  à  un  pas- 
teur de  Niircniberg,  des  trésors  cachés  dans 
une  caverne  près  d'",  la  ville,  et  enfermés 
dansdes  vases  de  cristal.  Le  pasteur  prit  avec 
lui  un  doses  amis  pour  lui  servir  de  compa- 
gnon ;  ils  se  mirent  à  fouiller  et  découvrirent 
une  es|)CC('  de  coffre,  auprès  duquel  élait 
couché  un  énorme  chien  noir.  Le  pasteur 
s'avança  avec  empressement  pour  se  saisir 
du  trésor;  mais  à  peine  fut-il  entré  dans  la 
caverne  (lu'elie  s'enfonça  sous  ses  pieds  et 
l'engloulil  (2). 

Noiez  que  c'est  un  conle  et  que  personne 
n'a  vu  ce  grand  chien.  Mais  on  peui  juger 
par  ces  traits  quelle  idée  avaient  des  chiens 
les  peuples  mal  civilisés. 

Chez  les  anciens,  on  appelait  les  furies  les 
chiennes  de  l'enfer;  on  sacrifiait  des  chiens 
noirs  aux  divinités  infernales.  Chez  nos 
pères  on  pendait  entre  deux  chiens  les  plus 
grands  criminels. 

Quelques  peuples  pensaient  pourtant  au- 
trement; on  a  même  honoré  le  chien  d'une 
manière  distinguée.  Elien  parle  d'un  pays 
d'Iilhiopie  dont  les  habitants  avaient  pour 
roi  un  chien;  ils  prenaient  ses  caresses  et 
ses  aboiements  pour  des  marques  de  sa  bien- 
veillaace  ou  de  sa  colère. 

Les  guèbres  ont  une  grande  vénération 
pour  les  chiens.  On  lit  dans  Tavernicr  que  , 
lorsqu'un  guèbre  est  à  l'agonie,  les  parents 
prennent  un  chien  dont  ils  appliquent  la 
gueule  sur  la  bouche  du  mourant,  afin  qu'il 
reçoive  son  âme  avec  son  dernier  soupir. 

Le  chien  leur  sert  encore  à  faire  connaître 
si  le  défunt  est  parmi  les  élus.  Avant  d'ense- 
velir le  corps,  on  le  pose  à  terre  :  on  amène 
un  chien  qui  n'ait  pas  connu  le  mort,  et ,  au 
moyen  d'un  morceau  de  pain,  on  l'attire  le 
plus  près  du  corps  qu'il  est  possible.  Plus 
le  chien  en  approche,  plus  le  défunt  est  heu- 
reux. S'il  vient  jusqu'à  monter  sur  lui  et  à 
lui  arracher  de  la  bouche  un  morceau  do 
pain  qu'on  y  a  mis,  c'est  une  marque  assu- 
rée que  le  défunt  est  dans  le  paradis  des 
guèbres.  Mais  l'éloignement  du  chien  est  un 
préjugé  qui  fait  désespérer  du  bonheur  du 
mort. 

Il  y  a  aussi  des  gens  qui  tiennent  à  hon- 
neur de  descendre  d'un  chien.  Les  royaumes 
de  Pégu  et  de  Siam  reconnaissent  un  chien 
pour  chef  de  leur  race.  A  Pégu  et  à  Siam  on 
a  donc  grand  respect  pour  les  chieqs,  si 
maltraités  ailleurs  (H). 

La  population  du  Liban ,  qui  s'élève  à 
quaire  cent  mille  âmes  est  composée  de 
trois  races,  les  Ansariés  ,  les  Druscs  el  Us 
Maronites.  Les  Ansariés  sont  idolâtres.  Les 

(l)Leloyer,  Hist.  ot  dise,  des  spectres,  liv.  1'»,  ch.  8. 

(2)  Madame  Gabijclle  de  P  ...  Histoire  des  faiilômes, 
p.  27. 

(3)  llexaiiiéroii  dcTorcineiiiadj,  traJuil  p.ir  G.  Chai^puis, 


uns  parmi  eux  professent  le  culte  du  soleil  j 
les  autres  celui  du  chien  (4). 

On  a  toutefois  honoré  quelques  individus 
de  celte  race  :  tel  est  le  dogue  espagnol  Bé- 
recillo,  qui  dévorait  les  Indiens  à  Saint-Do- 
mingue, et  qui  avait,  par  jour,  la  paye  do 
trois  soldats... 

Il  y  aurait  encore  bien  des  choses  à  dira 
sur  les  chiens.  En  Bretagne  surtout,  les  hur- 
lements d'un  chien  égaré  annoncent  la  mort. 
Il  faut  que  le  chien  de  la  mort  soit  noir;  el 
s'il  aboie  tristement  à  tuinuit,  c'est  une  mort 
inévitable  qu'il  annonce  à  quelqu'un  de  la 
famille  pour  la  personne  qui  l'entend. 

■Wiérus  dit  qu'on  chasse  à  jamais  les  dé- 
mons, en  frollant  les  murs  de  la  chambre 
qu'ils  infestent  avec  le  fiel  ou  le  sang  d'un 
chien  noir  (5). 'Voy.  Agrippa,  Bragaoi.mi  , 
Dormants,  etc. 

La  petite  chienne  blanche,  conte  populaire. 

On  remarquait ,  dit-on  ,  au  dix-septième 
siècle ,  dans  la  forêt  de  Bondi  ,  deux  vieux 
chênes  que  l'on  disait  enchantés.  Dans  la 
creux  de  l'un  de  ces  chênes  on  voyait  tou- 
jours une  petite  chienne  d'une  éblouissante 
blancheur.  Elle  paraissait  endormie  ,  et  no 
s'éveillait  que  lorsqu'un  passant  s'approchait; 
mais  elle  élait  si  agile,  que  personne  ne  pou- 
vait la  saisir.  Si  on  voulait  la  surprendre  , 
elle  s'éloignait  de  quelques  pas,  et,  dès  qu'on 
s'éloignait,  revenait  à  sa  place  avec  opiniâ- 
treté. Les  pierres  et  les  balles  la  frappaient 
sans  la  blesser;  enfin,  on  croyait  dans  le  pays 
que  c'était  un  démon ,  ou  l'un  des  chiens  du 
grand  veneur  ,  ou  du  roi  Arlhus ,  ou  encore 
la  chienne  favorite  de  saint  Hubert,  ou  enfin 
le  chien  de  Monlargis,  qui,  présent  à  l'assas- 
sinat de  son  maître  dans  la  forci  de  Bondi , 
révéla  le  meurtrier  et  vengea  l'homicide  au 
quatorzième  siècle.  On  disait  aussi  que  des 
sorciers  faisaient  assurément  le  sabbat  sous 
les  deux  chênes. 

Un  jeune  garçon  de  dix  à  douze  ans  ,  dont 
les  parents  habitaient  la  lisière  de  la  forêt  , 
faisait  ordinairement  de  petits  fagots  à  quel- 
que distance  de  là.  Un  soir  qu'il  ne  revint 
pas,  son  père,  ayant  pris  sa  lanterne  el  sou 
fusil,  s'en  alla  avec  son  fils  aine  battre  le  bois. 
La  nuit  élait  sombre.  Malgré  la  lanterne,  le» 
deux  bûciierons  se  heurtaient  à  chaque  ins- 
tant conire  les  arbres,  s'embarrassaient  dans 
les  ronces  ,  revenaient  sur  leurs  pas  et  s'é- 
garaient sans  cesse. —  Voilà  qui  est  sin-< 
gulier,  dit  enfin  le  père;  il  ne  faut  qu'une 
heure  pour  traverser  le  bois ,  et  nous  mar- 
chons depuis  deux  sans  avoir  trouvé  les  chê- 
nes; il  faut  que  nous  les  ayons  passés. 

En  ce  moment,  un  tourbillon  ébranlait  la 
forêt.  Ils  levèrent  les  yeux,  et  virent,  à  vingt 
pas  ,  les  deux  chênes.  Us  marchèrent  dan« 
cette  direction;  mais  à  mesure  qu'ils  avan- 
cent, il  semble  que  les  chênes  s'éloignent  : 
la  forêt  parait  ne  plus  finir;  on  entend  du 
toutes  parts  des  sifQements,  comme  si  le  bois 
était  rempli  de  serpents  ;  ils  sentent  rouler  à 

première  journée. 
U)  Voyages  du  duc  de  Bagcse. 
("jj  Un  l'iacit.  dxm.,  lilj.  v.  cap.  M. 


57 1 


DîCTION.N.MIlE  DKS  SCIKNCES  OCCULTES. 


S71 


leurs  pieds  des  corps  inconnus  ;  des  grilTes 
enlouront  leurs  jambes  et  les  elTIciircnl;  une 
odeur  intcrlt-  les  environne  ;  ils  oroienl 
sentir  des  éircs  inipiilpables  errer  autour 
d'eus.... 

Le  hûclieron.  exténué  de  fatigue,  conseille 
à  son  nis  de  s'asseoir  un  instant  ;  mais  son 
nis  n'y  est  pla^».  Il  voit  à  quelques  pas, dans 
les  buissons,  la  lumière  vacillante  de  la  lan- 
lernc;  il  remarque  le  bas  des  jambes  de  son 
(ils,  qui  l'appelle;  il  ne  reconnaît  pas  la  voix. 
U  se  lève;  alors  la  lanterne  disparaît;  il  ne 
!<ait  plus  où  il  se  trouve  ;  une  sueur  Troide 
ilécoule  de  tous  ses  membres;  un  air  glacé 
l'rappe  son  visage  ,  comme  si  deux  grandes 
ailes  s'agitaient  au-dessus  de  lui.  Il  s'appuie 
contre  un  arbre  ,  laisse  tomber  son  fusil,  re- 
commande son  âme  à  Dieu  ,  et  tire  de  son 
sein  un  crucifix  ;  il  se  jette  à  genoux  et  perd 
connaissance. 

Le  soleil  était  levé  lorsqu'il  se  réveilla;  il 
vil  son  fusil  brisé  et  macéré  ,  comme  si  ou 
l'eût  mâché  avec  les  dents;  les  arbres  étaient 
teints  de  sang;  les  feuilles  noircies;  l'herbe 
desséchée;  le  sol  couvert  de  lambeaux;  le 
bûcheron  reconnut  les  débris  des  vêlements 
de  ses  deux  fils  ,  qui  ne  reparurent  pas.  Il 
rentra  chez  lui  épouvanté. On  visita  ces  lieux 
redoutables.  On  y  vérifia  toutes  les  traces  du 
sabbat;  on  y  revit  la  chienne  blanche  insai- 
sissable. Oii  purifia  la  pla<:e;  on  abattit  les 
deux  chênes  ,  à  la  place  desquels  on  planta 
deux  croix,  qui  se  voyaient  encore  il  y  a  peu 
lie  temps  ;  et,  depuis,  celle  partie  de  la  forêt 
cessa  d'éire  infestée  par  les  démons  (1  . 

CHIFFLIÎT  (Jean),  chanoine  dcTournay, 
uéàBesançon  vers  1611.  Il  a  publié:  Joaniiis 
Macarii  Abraxas  ,  sei»  Apislopistus,  quœ  est 
nntiquaria  de  gcmmis  basilidianis  disi/uisilio, 
commenlaiiis  itiust. ,  Anvers  ,  1657  ,  in-4°. 
Cette  dissertation  traite  des  pierres  gravées 
portant  le  nom  cabalistique  Abraxas,  par  le- 
i|uel  Basilide,  hérétique  du  deuxième  siècle, 
ilésignail  le  Dieu  créateur  et  conservateur, 
lille  est  rurieuse,et  le  commentaire  que  Chlf- 
llet  y  a  joint  est  estimé. 

CHIJA  ou  CHAJA  (Abraham  Ben),  rabbin 
espagnol  du  onzième  siècle,  il  a  écrit,  en  hé- 
breu ,  le  Volume  du  Révélateur  ,  où  il  traite 
de  l'époque  où  viendra  le  Messie,  et  de  celle 
où  se  fera  la  résurrection  générale.  Pc  de  la 
Mirandole  cite  cet  ouvrage  dans  sou  traité 
contre  les  astrologues. 

CHILDÉRIG  i".  Voy.  Basile  et  Cristal- 

LOMANCIE. 

CHILDÉRIG  III,  fils  de  Chilpéric  II,  etder- 
nier  des  rois  de  la  première  race.  Il  publia, 
en  742 ,  un  édit  contre  les  sorciers,  où  il  or- 
ilonneque  chaque  évêque,aidé  du  magistral 
défenseur  des  églises,  mette  tons  ses  soins  à 
empêcher  le  peuple  de  son  diocèse  de  tomber 
dans  les  superstitions  païennes.  Il  défend  les 
sacrifices  aux  mânes,  les  sortilèges,  les  phil- 
tres, les  augures,  les  enchantements,  les  di- 
vinations, etc. 

CHILPÉRIC  I",  roi  de  France,  fils  de  Clo- 
laire  I".  Saint  Grégoire  de  Tours  rapporte  , 

(t)  Infernaliana,  p.  153. 

(9)  Greg.  Turou.,  Ilist.  Franc,  lib.  \11I,  cap.  3.— Leu- 


sur  le  témoignage  de  Gonirand  ,  frère  de 
Chilpéric, cette  vision  merveilleuse.  Gontrand 
vit  l'âme  de  son  frère  Chilpéric  liée  et  char- 
gée de  chaînes,  (lui  lui  fut  présentée  par  trois 
évêques.L'unétaitTétricus,  l'autre  Agricola, 
le  troisième  Nicétius  de  Lyon.  Agricola  et 
Nicélius,  plus  humains  que  l'autre,  disaient: 
— Nous  vous  prions  de  le  détacher,  et,  après 
l'avoir  puni ,  de  permettre  qu'il  s'en  aille. — 
L'évéque  Tétricus  répondit  avec  amertume 
de  cœur: — Il  ne  sera  pas  ainsi  ;  mais  il  sera 
châtié  à  cause  de  ses  crimes. — Enfin  ,  dit 
Gontrand  ,  le  résultat  fut  de  précipiter  celle 
pauvre  âme  dans  une  chaudière  bouillante 
que  j'aperçus  de  loin.  Je  ne  pus  retenir  mes 
larmes  ,  lorsque  je  vis  le  misérable  état  de 
Chilpéric  ,  jeté  dans  la  chaudière  ,  où  tout  à 
coup  il  narut  fondu  et  dissous  (2). 

CHIMÈRE,  monstre  imaginaire,  né  en  Ly- 
cie.que  les  poêles  disent  avoir  été  vaincu  par 
Bellérophon;  il  avail  la  tête  et  l'estomac  d'un 
lion,  le  ventre  d'une  chèvre  el  la  (|ueue  d'un 
dragon.  Sa  gueule  béante  vomissait  des  H  mi- 
mes. Les  démonographes  disent  que  c  élait 
un  démon. 

CHIMIE.  On  la  confondait  autrefois  avec 
l'alchimie.  La  chimie,  selon  les  Persans,  est 
une  science  superstitieuse  qui  tire  ce  qu'il  y 
a  de  plus  subtil  dans  les  corps  terreàîres  pour 
s'en  servir  aux  usages  magiques.  Ils  font  Ca- 
ron  (le  Coré  du  Pentaleuque)  inventeur  de 
cette  noire  science  qu'il  apprit,  disent-ils,  de 
Mo'ise. 

Louis  de  Fonteneltcs,  dans  l'épilre  dédica- 
toire  de  son  Hippocrnte  dépaysé  ,  dit  que 
«  d'aucuns  prétendent  que  la  chimie,  qui  est 
«  un  art  diabolique  ,  a  été  inventé  par 
«  Cham.  » 

CHION  ,  philosophe  d'Héraclée  ,  disciple 
de  Platon.  Il  fut  averti  en  songe  de  tuer 
Cléarque  ,  tyran  d'Héraclée  ,  qui  était  son 
ami.  Il  lui  sembla  voir  une  femme  qui  lui 
mit  devant  les  yeux  la  bonne  renommée  qu'il 
acquerrait  par  le  meurtre  du  tyran  ;  et  , 
poussé  par  cetlevision,  il  letua.  Mais  ce  qui 
prouve  que  c'élailune  vision  diabolique,  c'est 
queCléarque,  tyran  lolérable,  ayant  été  tué, 
fut  remplacé  par  Satyre  ,  son  frère  ,  bien 
plus  cruel  que  lui  ,  et  que  ri "n  ne  pouvait 
adoucir. 

CHIORGAUR.  Voy.  Gauric. 
CHIRIDIRELLÈS  ,  démon  qui  secourt  les 
voyageurs  dans  leurs  besoins,  el  qui  leur  en- 
seigne leur  chemin  lorsqu'ils  sont  égarés. 
Ou  dit  qu'il  se  montre  à  ceux  qui  linvo- 
qiicnl ,  sous  la  forme  d'un  passant  à  cheval. 
CHlRO.MANCIE.artde  dire  la  bonne  aven- 
ture par  l'inspection  des  lignes  de  la  main. 
Celte  science,  que  les  Bohémiens  ont  rendue 
célèbre,  est,  dit-on,  très-aneienne.  Nous  eu 
exposons  les  principes  à  l'article  Main. 

CHODAR  ,  démon  que  les  nécromanciens 
nomment  aussi  Bélial  ;  il  a  l'Orient  pour 
district,  et  commande  aux  démons  des  pres- 
tiges. 

CHOQUET  (Louis) ,  auteur  d'un  mystère 
tièi-rarc, intitulé  :  L'Apocalypse  de  saint  Jean 

tjIcl-Dufiesnoy,  Recueil  de  (lisberlauons  sur  les  sppari- 
liuus,  |i.  72  do  lu  prébce. 


J75 


Cl  10 


CIC 


r4 


Zébédée  ,  où  sont  comprises  les  visions  el 
révélations  qu'icelui  saint  Jean  eut  en  l'île 
de  P.'ilmos;  in-fol.,  Paris,  lo4>l. 

CHORROPIQUE  (Mabie)  ,  sorcière  borde- 
laise du  temps  de  Henri  iV  ,  qui  confessa 
s'èlre  donnée  au  di.ible  par  le  moyen  d'un 
nommé  Augcrot  d'Armore,  qui  la  niona  dans 
une  lande  uù  elle  trouva  un  grand  seigneur 
velu  de  noir,  dont  la  Ogure  était  voilée.  11 
était  entouréd'une  infiniié  clegcns  richement 
habillés.  Marie  Chorropique  ayant  prononcé 
le  nom  de  Jésus  ,  tout  disparut  incontinent. 
Son  guide  ne  vint  la  reprendre  que  trois 
heures  après  ,  la  tança  d'avoir  prononcé  le 
nom  do  Notrc-Seigneur  ,  el  la  conduisit  au 
sabbat,  près  d'un  moulin  ,  où  elle  retrouva 
le  mén)e  seigneur  noir  ,  avec  un  nommé 
Menjoin,  qui  portait  un  pot  de  terre  où  il  y 
avait  de  grosses  araignées  enflées  d'une 
drogue  blanche,  et  deux  crapauds  qu'on  tua 
à  coups  de  gaule  ,  et  qu'on  cliargea  Marie 
d'écorchor. 

Ensuite  ,  Augerot  pila  ces  araignées  dans 
un  mortier  avec  les  crapauds.  Ils  jetèrent 
celte  composition  sur  quelques  pâiur.igcs 
pour  faire  mourir  les  bestiaux.  Après  quoi , 
ils  s'en  allèrent  au  bourg  d'Irauris  ,  où  ils 
prirent  sans  bruit  un  enfant  au  berceau. 
Augerot  et  Menjoin  l'étranglèrent  elle  mi- 
rent entre  son  père  et  sa  mère  qui  dormnient. 
afin  que  le  père  crût  quç  sa  femme  l'avait 
étouffé,  et  que  la  mère  à  son  tour  accu-ât 
son  niari.  lis  en  empoisonnèrent  d'.iulri'S. 
A  toutes  ces  exécutions,  Marie  Chorropique 
attendait  les  deux  bandits  à  la  porte  des  mai- 
sons. Que  penser  de  ces  récils? 

Elle  dit  encore  que,  dans  un  autre  sabbat, 
plk"  vil  deux  sorcières  qui  apporlèrenl  le 
coeur  d'un  enfant  dont  la  mère  s'était  fail 
avorter,  el  qu'elles  le  gardèrent  pour  en  faire 
un  sacrifice  au  diable.  Cette  horrible  sor- 
cière fut  brûlée  le  2  octobre  1576  (1). 

CHOUETTIi;,  espèce  de  hibou  de  la  gros- 
seur d'un  pigeon,  qui  ne  paraît  qu'au  point 
du  jour  ou  à  l'approche  de  la  nuit.  Chez  les 
Athéniens  et  les  Siciliens ,  cet  oiseau  était 
d'un  bon  augure;  partout  ailleurs,  la  ren- 
contre d'une  chouette  était  d'un  mauvais 
prcsag''.  Gi'lte  superstition  vit  encore  dans 
plusieurs  p  lys.  Voy.  Chevesche ,  Chat-haant. 

CHOUN.divinité  adorée  chez  les  Péruviens, 
qui  racontaient  ainsi  son  histoire  : 

Il  vint  des  parties  septentrionales  du  monde 
un  homme  qui  avait  un  corps  sans  os  el 
sans  muscles,  et  qui  s'appelait  Clioun;  il 
abaissait  les  montagnes, comblait  les  vallées, 
et  se  frayait  un  chemin  dans  les  lieux  iii.ic- 
cessiblcs.  Ce  Choun  créa  les  premiers  habi- 
tants du  Pérou;  il  leur  apprit  à  se  nourrir 
des  herbes  et  des  fruits  s;iuvages.  Mais  un 
jour,  offensé  par  quelques  Péruviens,  il  con- 
vertit en  Siibles  arides  une  partie  de  la  terre, 
auparavant  Irès-ferlile  partout;  il  arrêta  la 
pluie,  dessécha  les  plantes;  el  ensuite,  ému 
de  compassion  ,  il  ouvrit  les  fontaines  et  fit 
couler  les  rivières,  pour  réparer  le  mal  qu'il 

(1)  Delaiicpe.  Tablfnu  de  l'iucoiislaiicc  des  démous,  etc., 
l<.  107. 
(;;)  Tliiers  Trailâ  des  superslilions,  l.  t. 


avait  causé...  C'est  un  système  qui  n'est  pas 
plus  bétequecelui  des  philosophes  modernes. 

CHOUX. Une  croyance  qui  n'est  pas  ex.trô- 
memenl  rare,  c'est  qu'on  ne  doit  pas  manger 
de  choux  le  jour  de  saint  Etienne,  parce  qu'il 
s'étail  caché  dans  un  carré  de  choux  pour 
éviter  le  martyre  (2)....  Conte  très-slupide  et 
superstition  irès-absurde. 

CHRISOLYTES  ,  hérétiques  du  sixième 
siècle,  qui  disaient  que  Nolre-Seigncur  avait 
laissé  son  corps  el  son  âme  aux  enfers  ,  el 
qu.'il  n'était  remonté  aux  cieux  qu'avec  sa 
divinité.... 

CHRISTOPHE.  Autrefois,  d'après  une  opi- 
nion exprimée  parce  vers: 

ClirislO|ihoriim  videas,  poslea  tulus  pas, 

on  croyait  que  celui  qui  avait  vu  quelque 
image  de  saint  Christophe  le  matin  était  en 
sûreté  toute  la  journée. 

CHRISTOVAL  DE  LA  GARRAUE.  Voy. 
Marissane. 

CHRYSOLITHE  ,  pierre  précieue  qu'Al- 
bert le  Grand  regarde  comme  un  préservatif 
contre  la  folie.  Elle  a  encore,  dil-il,  la  vertu 
de  meltrele  repentir  dansle  cœurde  l'homme 
qui  a  fait  des  fautes.... 

CHRYSOMALLON  ,  nom  du  fameux  bélier 
qui  portait  la  toison  d'or.  On  dit  qu'il  volait 
dans  les  airs  ,  qu'il  nageait  en  perfection  , 
qu'il  courait  avec  la  légèreté  d'un  cerf,  et 
<iue  Neptune  ,  dont  il  était  fils  ,  l'avait 
couvert  de  soie  d'or  au  lieu  de  laine.  11 
avait  aussi  l'usage  de  la  parole ,  el  don- 
nait de  bons  avis.  H  esl  le  premier  signe  du 
zodiaque. 

CHRYSOPÉE, œuvre  d'or.  C'est  le  nom  grec 
que  les  alchimistes  donns'ul  à  la  pierre  plii- 
losophale  ,  ou  à  l'art  de  transmuer  tous  les 
métaux  en  or  pur. 

CHRYSOPOLE,  démon.  Voy.  Olive. 

GHRYSOPRASE,  pierre  précieuse  à  laquelle 
la  superstition  attachait  la  propriété  de  for- 
tifier la  vue,  de  réjouir  l'esprit  el  de  rendre 
Ihommc  libéral  et  joyeux. 

CICÉRON  (  Marcos  Tullius  ).  Leloyer  dit 
qu'un  spectre  apparut  à  la  nourrice  de  Cicé- 
ron  :  c'était  un  démon  de  ceux  qu'on  appelle 
génies  fumiliers.  Il  lui  prédit  qu'elle  allaitait 
un  enfant  qui ,  un  jour  à  venir  ,  ferait  grand 
bien  à  l'État.  «  Mais  d'où  tenait-il  tout  cela, 
me  dira-t-on  ?  Je  répondrai  :  C'est  la  cou- 
tume du  diable  de  bégayer  dans  les  choses 
futures.  »  Cicéron  devint  en  effet  ce  qu'on 
sait  (3j. 

C'est  lui  qui  disait  qu'il  ne  concevait 
pas  que  deux  augures  pussent  se  regarder 
sans  rire. 

Il  a  combattu  les  idées  superstitieuses  dans 
plusieurs  de  ses  ouvrages  ,  surtout  dans  les- 
trois  livres  de  la  Nature  des  dieux  ,  dans  les 
Tuseulanes  ,  et  dans   les  deux  liv  -«s  de  la 
Divination. 

Régnier  Desmarais ,  en  tête  de  sa  trailnc- 
lion  de  l'ouvrage  de  Cicéron,  de  Divinulione, 

(5)  Lcloyor,  Hist.  cl  dise,  des  spectres,  liv.  Il,  cli.  5; 
liv.  III,  du  17. 


S75 


DICTIUNNAHΠ DES  SCIENCliS  OCCULTES. 


576 


a  donné  de  ce  liailé  un  sommaire  que  nous 
transcrivons  ici: 

«  Chez  les  Romains  ,  dit-il  ,  la  divination 
(c'est-à-dire  le  ptesscnlimenl  cl  la  préiliclion 
de  l'avenir  )  était  inincipalement  Coniiée  sur 
\»  fonction  de  ceux  qu'on  appelait  Arujipiccs, 
qui  consistait  dans  l'inspection  des  entrailles 
des  victimes  et  dans  l'interprétation  des  pro- 
diges et  des  foudres,  et  sur  la  fonction  des 
Auijuies,  qui  prônaient  les  auspices  par  l'ob- 
servation du  vol  des  oiseaux  ,  par  celle  de 
leur  chant,  et  de  Irur  manière  de  manger.  A 
CCS  deux  sortes  de  divinations  ,  qui  tenaient 
en  même  temps  à  la  religion  et  au  gouver- 
nement de  la  république  ,  il  faut  ajouter  les 
livres  de  la  sibylle  Erithrée,  auxquels  le 
sénat  avait  quelquefois  recours  ;  les  réponses 
des  oracles;  les  prédictions  des  personnes 
qu'on  croyait  éprises  de  fureur  divine;  les 
visions  dans  les  songes;  les  présages  tirés  de 
certaines  choses  dites  au  hasard;  ceux  des 
astrologues  ;  et  les  sorts ,  qu'on  appelait  les 
sorts  de  Préneste. 

»  C'est  de  toutes  ces  différentes  divinations 
qu'il  s'agit  dans  les  deux  livres  de  Cicéron. 
IJans  le  premier,  il  introduit  son  frère  ,  qui  , 
étant  stoïcien  ,  les  soutient  toutes  avec  cha- 
leur et  s'appuie  pour  cet  effet  sur  l'autorité 
des  anciens  philosophes,  sur  divers  exemples 
de  l'antiquité,  sur  la  pratique  universelle  de 
toutes  les  nations  ;  sur  les  arguments  par 
lesquels  les  stoïciens,  grands  partisans  de  la 
divination  ,  prétendaient  la  prouver.  Dans  le 
second  livre,  Cicéron  réfute  toui  ce  que  son 
fière  avait  avancé  dans  le  premier:  d'abord 
il  commence  par  démontrer  la  vanité  ,  l'inu- 
lilité  et  même  l'Impossibilité  de  toute  divi- 
nation en  général  ;  ensuite  examinant  chaque 
sorte  de  divination  en  particulier,  il  découvre 
l'origine  ,  la  nature  et  les  abus  de  chacune. 
Voilà  en  gros  quel  est  le  sujet  des  deux  livres 
de  la  Divination.  »  Voy.  Divination. 

Valère-Maxime  conte  que  Cicéron  ,  ayant 
été  proscrit  par  les  triumvirs ,  se  retira  dans 
sa  maison  de  Formies  ,  où  les  satellites  des 
tyrans  ne  tardèrent  pas  à  le  poursuivre. Dans 
ces  moments  de  trouble,  il  vit  un  corbeau 
arracher  l'aiguille  d'un  cadran  :  c'était  lui 
annoncer  qui;  sa  carrière  é'.ait  finie.  Le  cor- 
beau s'approcha  ensuite  de  lui,  conmie  pour 
lui  faire  sentir  qu'il  allait  bientôt  être  sa 
proie  ,  et  le  prit  par  le  bas  de  sa  robe  ,  qu'il 
ne  cessa  de  tirer  que  quand  un  esclave  vint 
dire  à  l'orateur  romain  que  des  soldats  arri- 
vaient pour  lui  donner  la  mort. Les  corbeaux 
d'aujourd'hui  sont  plus  sauvages. 

CIEL.  Un  tel  article  ne  peut  entrer  dans  ce 
dictionnaire  qu'à  propos  de  quelques  foies 
«•ro>  in('es.  Les  musulmans  admettent  m  uf 
eicux;  il  y  eut,  parmi  les  chrétiens,  des 
hérétiques  qui  en  annonçaient  trois  cent 
soixante-cinq,  avec  des  anges  spétialement 
maîtres  de  chaque  ciel.  Voy.  Basilide. 

IJodin  assure  qu'il  y  a  dix  cieux,  qui  sont 
marqués  nar  los  dix  courtine»  du  tabernacle 

(1)  Préfacé  lie  la  Déiiioiinmanio  des  sorciers, 
(i)  Voyaye  tlii  Caiiibry  iluiis  le  KinisICre,  l.  III,  p.  lof). 
(.',.1  Di'Saiurnalium  origiue  cl  ccl  biaiiili  liiu  umiU  Ue- 
aiauui,  17a3.  * 


et  par  ces  mots  :  «  Les  ciiMix  sont  les  œu- 
vres de  les  doigts,  »  qui  sont  au  nombre  de 
dix(l). 

Les  rabbins  prétendent  que  le  ciel  tourne 
sans  cesse,  et  qu'il  y  a  au  bout  du  monde  un 
lieu  où  le  ciel  touche  la  terre.  On  lit  dans  le 
Talmud  que  le  rabbin  Bar-Chana ,  s'étant 
arrêté  en  cet  endroit  pour  se  reposer,  mit 
son  chapeau  sur  une  des  fenêtres  du  ciel,  et 
que,  l'ayant  voulu  reprendre  un  moment 
après ,  il  ne  le  retrouva  plus ,  les  cieux 
l'ayant  emporté  dans  leur  course  :  de  sorte 
qu'il  fallut  qu'il  attendît  la  révolution  des 
mondes  pour  le  r.itlraper. 

CIEKGKS.On  allume  deux  cierges  à  Scaer, 
en  Bretagne,  au  moment  du  mariage;  on  en 
place  un  devant  le  mari,  l'anlre  devant  la 
femme  :  la  lumière  la  moins  brillante  indi- 
que celui  des  deux  qui  doit  mourir  le  pre- 
mier. L'eau  et  le  feu,  comme  chez  les  an- 
ciens, jouent  un  grand  rôle  chez  les  Bretons. 
Du  côté  de  Guingamp,  et  ailleurs,  quand  on 
ne  peut  découvrir  le  corps  d'un  noyé,  on 
met  un  cierge  allumé  sur  un  pain  qu'on 
abandonne  au  cours  de  l'eau  :  on  trouve, 
dit-on,  le  cadavre  dans  l'endroit  où  le  pain 
s'arrête  (2). 

GIGOGNE.  On  croit  que  les  cigognes  pré- 
servent des  incendies  les  maisons  où  elles  se 
retirent.  Cette  erreur  n'est  plus  très-ré(ian- 
due.  On  a  dit  aussi  que  les  cigognes  ne  s'é- 
tablissaient que  dans  les  Etats  libres;  mais 
les  Egyptiens,  qui  eurent  toujours  des  rois, 
leur  rendaient  un  culte;  et  c'était  un  crime 
capital  en  Thessalie,  qui  était  monarchi(iui>, 
de  tuer  une  cigogne,  parce  que  le  p  lys  est 
plein  de  serpents,  et  que  les  cigognes  les  dé- 
truisent. Elles  sont  enfin  très-communes  en 
Turquie,  en  Egypte  et  en  Perse,  où  l'on  ne 
songe  guère  aux  idées  républicaines. 

CILANO  (  Georges-Chrétien -Maternus 
de).  Hongrois  du  dix-huitième  sièc'e,  qui  a 
écrit  un  livre  del'Origine  el  de  la  Célébration 
des  saturnales  chez  les  Romains  (3),  et  (sous 
le  nom  d'Antoine  Signatelli)  des  Recherches 
sur  les  géants  (4). 

C1MERIÈ3,  grand  et  puissant  démon,  mar- 
quis de  l'empire  infernal.  Il  commande  aux 
parties  africaines.  Il  enseigne  la  grammaire, 
la  logique  et  la  rhétorique;  il  découvre  les 
trésors  et  révèle  les  choses  cachées;  il  rend 
l'homme  léger  à  la  course,  el  donne  aux 
bourgeois  la  tournure  fringante  des  militai- 
res. Le  marquis  Cimeriès,  capitaine  de  vingt 
légions,  est  toujours  à  cheval  sur  un  grand 
palefroi  noir  (5). 

CIMETIÈKE.  Il  n'était  pas  permi  j  en  Espa- 
gne, au  quatrième  siècle,  d'allumer  des  cier- 
ges en  plein  jour  duis  les  cimetières,  de  ;jewr 
d'inquiéter  les  esprits.  On  croyait  que  les 
âmes  des  lré[)asses  fréquentaient  les  cime- 
tières où  leurs  corps  étaienl  enterrés  (6);  et 
le  clergé  eut  quelque  peine  à  détruire  cotle 
opinion. 

On  croit  encore  aujourd'hui,  dans  les  cam- 

(l)  De  CiyauUbus  nova  disquisilio  liistoii-ica  cl  cillica, 
17o6. 
("i)  Wierus,  iii  RseiiJomoriarcliia  dsin. 
[ti;  Duiu  Caliiicl,Iiailésur  Icsapi-aiitious,  cit.,  tli.  u 


577 


tlP 


CiV 


578 


pagne<,  que  les  âmes  du  purgatoire  rc>u>n- 
lU'iit  dans  les  cimetières;  on  dit  même  (jue 
hs  démons  aiment  à  s'y  montrer,  et  que  c'est 
pour  les  écarter  qu'on  y  plante  des  croix. 
On  conte  des  anecdotes  effrayantes.  Peu  de 
villageois  traverseraient  le  cimetière  à  mi- 
nuit :  ils  ont  toujours  l'histoire  de  l'un  d'en- 
tre eux  qui  a  été  rossé  par  une  âme  (ou  plu- 
tôt par  un  mauvais  plaisant)  qui  lui  a  re- 
proché de  troubler  sa  pénitence.  Voy.  Appa- 
ritions. 

Henri  Estienne  et  les  ennemis  du  catholi- 
cisme ont  forgé  aussi  des  aventures  facclieu- 
ses,  où  ils  attribuent  de  petites  fraudes  aux 
gens  d'église  pour  maintenir  cette  croy.ince; 
mais  ces  historiettes  sont  des  invtnliuus  ca- 
lomnieuses. 

On  a  vu  quelquefois,  dans  les  grandes 
chaleurs,  des  exhalaisons  enflaminccs  sortir 
des  cimetièies;  on  sait  aujourd'hui  qu'elles 
ont  une  ciuso  naturelle. 

CIMMÉUIENS,  peuples  qui  habitaient  au- 
tour des  Palus-Méotides,  et  dont  les  Cimbres 
étdientJes  descendants.  Beaucoup  de  savants 
ont  placé  dans  ce  pays  l'antre  par  le(|uel  on 
allait  aux  enfers.  Leloyer  dit  que  les  Cimmé- 
riens  étaient  de  grands  sorciers,  et  qu'Ulysse 
ne  les  alla  trouver  que  pour  interroger,  par 
leu''  moyen,  les  esprits  de  l'enfer. 

CIMON,  général  athénien,  (ils  de  Miltiade. 
Ayant  vu  en  songe  une  chienne  irritée  qui 
aboyait  contre  lui  et  qui  lui  disait  d'une  voix 
humaine  :  —  «  Viens;  lu  me  feras  plaisir,  à 
moi  et  à  mes  petits,  »  —  il  alla  consulter  un 
devin  nommé  Aslyphile,  qui  interpréta  sa 
vision  de  cette  manière  ;  —  «  Le  chien  est 
ennemi  de  celui  contre  lequel  il  aboie;  or, 
on  ne  pourrait  faire  à  son  ennemi  u  i  plus 
grand  plaisir  que  de  mourir;  et  ce  mélange 
de  la  voix  humaine  avec  l'aboi  dénote  un 
Mède  qui  vous  tuera.  » 

Les  Grecs  étaient  en  guerre  avec  les  Per- 
ses et  les  Mèdcs  :  il  y  avait  donc  chance. 
Malheureusement  pour  le  devin,  le  songe  ne 
s'accomplit  pas,  et  Cimon  ne  mourut  que  de 
maladie. 

CINCINNATULUS  ou  CINCINNATUS  {le 
petit  frisé),  esprit  (|ui,  au  rapport  de  Uhodi- 
ginus,  parlait  par  la  bouche  d'une  femme 
nommée  Jocaba,  —  laquelle  était  ventri- 
loque. 

CINQ.  Les  Grecs  modernes  se  demandent 
excuse  en  prononçant  le  nombre  cinq,  qui 
est  du  plus  mauvais  augure,  parce  qu'il  ex- 
prime un  nombre  indéfini,  réprouvé  par  les 
cabalisles. 

ClOiNES.  Voy.  Kiones. 

ClPl'US  VENKLIUS,  chef  d'une  partie  de 
rilalie,  qui,  pour  avoir  assisté  à  un  combat 
de  taureaux  et  avoir  eu  toute  la  nuit  l'ima- 
ginalion  occupée  de  cornes,  se  trouv.i  un 
front  cornu  le  lendeuuiin.  jj'autrcs  disent 
(lue  ce  prince,  entrant  victorieux  à  Rome, 
s'aperçut  en  se  penchant  au-dessus  des  eaux 
du  Tibre,  car  il  n'av;iit  pas  de  miroir,  qu'il 
lui  était  poussé  des  cornes.  11  consulta  les 
devins  pour  savoir  ce  que  lui  prés;igeiiit  une 
circonstance  si  extraordinaire.  Ou  pouvait 
expliquer  ce  prodige  de  pluscurs  f^içons;  on 


lui  dit  seulement  que  c'était  une  marquo 
qu'il  régnerait  dans  Home;  mais  il  n'y  vou- 
lut plus  entrer.  Celle  modération  est  plus 
merveillj'U^e  que  les  cornes 

CIRCE,  fameuse  magicienne  qui  changea 
les  comp.igiKin.s  d'Ulysse  en  jiourceaux.  Elle 
savait  composer  des  potions  magiques  et  des 
enchantements  par  lesquels,  au  moyen  du 
diable,  elle  troublait  l'air,  excitait  les  grêles 
et  les  tempêtes,  et  donnait  aux  hommes  des 
malailies  de  corps  et  d'esprit.  S.sinl  Jean 
Chrysoslome  regarde  la  rriélamorphose  des 
compagnons  d'Ulysse  comme  une  vive  allé- 
gorie. 

ClItCONCELLIONS,  fanatiques  du  qua- 
trième siècle,  de  la  secte  des  donalisles.  ils 
parurent  en  Afriijue.  Armés  d'abord  de  bâ- 
t'ons  qu'ils  appelaient  bâtons  d'Israël ,  ils 
commeltaienl  tous  les  brigandages  sous  pré- 
texte de  lélablir  l'égalité.  Us  prirent  bientôt 
des  armes  plus  offensives  pour  tuer  les  ca- 
tholiques. On  les  appelait  aussi  scotopètos. 
Ils  faisaient  grand  cas  du  diable  et  l'hono- 
raient en  se  coupant  la  gorge,  en  se  noyant, 
en  se  jetant,  eux  et  leurs  femmes,  dans  les 
précipices.  A  la  suite  de  Frédéric  Barh;'- 
rousse,  au  treizième  siècle,  on  vit  reparaître 
des  circoncellions  qui  damnaient  les  catho- 
liques. Ces  violents  secluires,  à  l'une  et  l'au- 
tre époque,  ne  durèrenl  pas  longtemps. 

CIRE.  C'est  avec  de  la  cire  que  les  sorciè- 
res composaient  les  petites  figures  magiques 
qu'elles  faisaient  fondre  lorsqu'elles  vou- 
laient envoûter  cl  faire  périr  ceux  qu'elles 
avaient  pour  ennemis.  On  décapita  à  Paris, 
eu  lo7i ,  un  gentilhomme  chez  qui  l'on 
trouva  une  petite  image  de  cire  ayant  la 
place  du  cœur  percée  d'un  poignard.  Voy. 
En\outement. 

CiRUliLO  (Pierue),  savant  nragonais  du 
quinzième  siècle,  à  qui  l'on  doit  un  livre 
(i'aslrologie  (1),  où  il  défend  les  astrologues 
el  leur  science  contre  les  raisonnumcnts  do 
Pic  de  la  Mirandoie. 

CITATION,  formule  cmployci?  pour  appe- 
ler les  esprits  el  les  forcer  à  paraître.  V.  y. 
Evocation. 

CiTU,  fête  au  Pérou,  dans  laquelle  tous 
les  habitants  se  frottaient  d'une  pâle  où  ils 
avaient  mêlé  un  peu  de  sang  tiré  de  l'entre- 
deux  des  sourcils  de  leurs  enfants.  Us  pen- 
saient par  là  se  préserver  pour  tout  le  mois 
de  tout  malaise.  Les  prêtre»  idolâtres  fai- 
saient ensuilc  dos  conjurations  afin  d'éloi- 
gner les  maladies,  et  les  Péruviens  croyaient 
que  toutes  les  lièvres  étaient  chassées  dès 
lors  à  cinq  ou  six  lieues  de  leurs  habita-  > 
lions. 

CIVILE  (François  de),  gentilhomme  nor- 
mand, né  en  lo3  i,  dont  la  vie  fut  remplie  de 
catastrophes,  pour  la  plupart  imaginées  par 
les  écrivains  prulestants,  qui  ont  si  souvent 
fabriqué  des  romans  cl  des  historiettes,  dans 
le  but  de  faire  lire  leurs  écrits.  Comme  ou 
classe  cette  vie  prodigieuse  dans  les  impos- 
tures historiques,  nous  en  donnerons  un  po- 
lit précis. 

(l)  Apoteliisiiiiila  iisirologi.iî  Imiuaiiae  ,  lioo  esl  de  muta- 
UoiiibiS  icanioiuui.  Atcal.1,  lo21. 


579 

La  mère  de  François  de  Civile  ^lanl  niorle 
rnccinte,  pendant  l'absence  de  son  mnri, 
avail  élé  enterrée  sans  qu'on  songeât  à  tirer 
l'enfant  par  l'opéralion  césarienne.  Un  peu 
après  l'enterrement,  le  mari  arrive;  il  ap- 
prend avec  surprise  la  mort  de  sa  femmo, 
fl  le  peu  d'attention  qu'on  a  eu  pour  le  fruit 
qu'elle  portait;  il  la  fait  exhumer;  on  lui 
ouvre  les  entrailles,  doù  l'on  tira  François 
de  Civile  encore  vivant. 

Cet  homme,  entré  ainsi  dans  la  vie,  se 
trouvant  en  1302,  capitaine  de  cent  hommes 
de  pied,  dans  la  ville  de  Rouen,  que  Char- 
les IX  assiége.iil,  reçut  dans  la  joue  une 
halle  qui  lui  traversa  le  cou  ;  et  il  tomba  du 
haut  du  rempart  dans  le  fossé.  Des  pion- 
niers, le  croyant  morl.  le  mirent  dans  une 
fosse,  avec  un  autre  corps  qu'ils  jetèrent  sur 
lui,  et  ils  les  couvrirent  d'un  peu  de  terre.  11 
resta  ainsi  lnutc  la  journée.  Son  valet  vint 
le  soir  chercher  son  corps  pour  lui  donner 
une  sépulture  plus  honorable.  Il  le  déterra 
et  ne  le  reconnut  pas,  tant  il  était  défiguré. 
Cependant,  un  diamant  qu'il  avait  au  doigt 
ayant  frappé  les  yeux  de  ce  domestique,  il 
sut  par  là  qu'il  avait  retrouvé  son  maître,  et 
enleva  le  corps. 

Après  l'avoir  lavé,  il  l'embrassa  en  pleu- 
rant; il  crut  sentir  encore  quelque  chaleur; 
il  porta  bien  vite  le  corps  aux  chirurgiens  de 
l'armée  qui,  le  regardant  comme  mort,  ne 
voulurent  pas  en  prendre  soin.  Civile  fut  ainsi 
cinq  jours  et  cinq  nuits  abandonné,  sans  par- 
ler ni  donner  aucun  signe  de  mouvement, 
mais  toujours  ardent  de  fièvre.  Un  médecin 
consentit  alors  enfin,  à  lui  faire  prendre  un 
peu  de  bouillon;  le  lendemain,  le  malade 
enlr'ouvril  les  yeux.  Mais  sur  ces  entrefai- 
tes, la  ville  ayant  été  prise  d'assaut,  le  bruit 
qui  se  fit  lui  ôta  de  nouveau  toute  connais- 
sance. Dans  le  pillage,  on  le  jeta  par  la  fenê- 
tre; il  tomba  sur  un  fumier,  où  il  resta  trois 
jours  en  chemise,  sans  être  secouru  de  per- 
sonne. 

Enfin  un  de  ses  parents  vint  le  voir,  et  fut 
très-élonné  de  le  trouver  encore  vivant.  Ci- 
vile demanda  à  boire  par  signes;  on  lui 
donna  de  la  bière,  qu'il  avala  trôs-avide- 
meni;  on  l'emporta  dans  un  château  où  il 
fut  soigné,  et  au  bout  de  six  semaines,  il  se 
trouva  bien  portant. 

Il  fut  proscrit  comme  protestant ,  snus 
Henri  III,  et  se  réfugia  en  Angleterre,  où  la 
reine  Elisabeth  lui  fit  conter  son  histoire;  ne 
sachant  pas  peut-être  qu'il  y  a  des  Gascons 
ailleurs  qu'aux  bords  de  la  Garonne,  elle 
donna  son  portrait  au  conteur.  Le  règne  de 
Henri  le  Grand  lui  permit  de  rentrer  en 
France.  DAubigné  dit  qu'il  l'a  vu  souvent 
«  aux  assemblées  nationales,  député  de  Nor- 
mandie, à  lâgc  do  soixante-six  ans,  et  qu'il 
signait  toujours  ;  François  de  Civile,  trois 
fois  mort,  trois  fois  enterré,  et  trois  fois,  par 
la  grâce  de  Dieu,  ressuscité.  »  Il  était  octogé- 
naire, lorsqu'il  mourut  d'une  fluxion  du 
poitrine. 

Nous  avons  tiré  la  plupart  de  ces  détails 
de  l'histoire  du  capitaine  François  de  Civile, 
extraite  de  ses  mémoires  ruanuscrits,  cl  pu- 


riC.TIONNAlUE  DES  SCIENIES  OCCULTES.  3S0 

bliée  par  Misson,  qui  aurait  dû  yvoir  le  pen- 
dant des  aventures  de  M.  de  Crac. 

CLAIRON  (Claire-Josèphe-Leyris  de  La- 
TUDE.  connue  sous  le  nom  d'Hippolyte),  tra- 
gédienne française,  morte  en  180'{.  Dans  ses 
Mémoires,  publiés  en  1790,  elle  raionle  l'his- 
toire d'un  revenant  qu'elle  croit  èlic  l'âme 
de  M.  de  S....,  fils  d'un  négociant  de  Breta- 
gne, dont  elle  avait  rejeté  les  vœux,  à  c  ause 
de  son  humeur  haineuse  et  mélancolinue, 
quoiqu'elle  lui  eût  accordii  si>ii  amilié.  Celle 
passion  malheureuse  avail  conduit  le  jeune 
insensé  au  tombeau.  Il  avait  souhaité  de  la 
voir  dans  ses  derniers  moments  ;  mais  on 
avait  dissuadé  mademoiselle  Clairon  de  faire 
cette  démarche  ;  et  il  s'était  écrié  avec  dés- 
espoir :  —  Elle  n'y  gagnera  rien  ,  je  la  pour- 
suivrai autant  après  ma  mort  que  je  l'ai 
poursuivie  pendant  ma  vie  l... 

Depuis  lors,  mademoiselle  Clairon  enten- 
dit, vers  les  onze  heures  du  soir,  pentlant 
plusieurs  mois,  un  cri  aigu;  ses  gens,  ses 
amis,  ses  voisins,  la  police  mèine,  enlendi- 

la   même  heure. 


rent   ce   bruit,   toujours  a 
toujours  partant  sous  ses  fenêlies,  (!t  ne  pa- 
raissant sortir  que  du  vague  de  l'air. 

Ces  cris  cessèrent  quebjue  temps.  Mais  ils 
furent  remplacés,  toujours  à  onze  heures  du 
soir,  par  un  coup  de  fusil  tiré  dans  ses  fenê- 
tres, sans  qu'il  en  résultât  aucun  dommage. 
La  rue  fut  remplie  d'espions,  et  ce  bruit 
fut  entendu,  frappant  toujours  à  1 1  même 
heure,  dans  le  même  carreau  de  vitre,  sans 
que  jamais  personne  ail  pu  voir  de  quel  en- 
droit il  parlait.  A  ces  explosions  succéda  un 
claquement  de  mains,  puis  des  sons  mélo- 
dieux. Enfin,  tout  cessa  après  un  peu  plus 
de  deux  ans  et  demi  (1). 

Voilà  ce  que  «lisent  les  mémoires  publiés 
par  mademoiselle  Raucourl.  Ce  qui  n'empê- 
che pas  que  celait  n'est  qu'une  mystification, 
qui  eût  fait  un  peu  plus  de  bruit  à  Paris  si 
c'eût  été  autre  chose. 

CLARUS.  Saint  Augustin  rapporte  qu'un 
jeune  homme  de  condition,  nommé  Glarus, 
s'élant  donné  à  Dieu  dans  un  monastère 
d'Hippone,  se  persuada  qu'il  avail  commerce 
avec  les  anges.  11  en  parla  dans  le  couvent. 
Comme  les  frères  refusaient  de  le  croire,  il 
prédit  que  la  nuit  suivante  Dieu  lui  enver- 
rait une  robe  blanche  avec  laquelle  il  paraî- 
trait au  milieu  d'eux.  En  effet,  vers  minuit, 
le  monastère  fut  ébranlé,  la  cellule  du  jeune 
homme  parut  brillante  de  lumière;  one/- 
tendit  le  bruit  de  plusieurs  personnes  qui 
allaient,  venaient  et  parlaient  entre  elles, 
sans  qu'on  pût  les  voir.  Clarus  sortit  de  sa 
cellule  et  montra  aux  frères  la  tunique  dont 
il  était  vêtu  :  c'était  une  étoffe  d'une  blan- 
cheur admirable  et  d'une  finesse  si  extraor- 
dinaire, qu'on  n'avait  jamais  rien  vu  ùcsem- 
blable.  Ou  passa  le  reste  de  la  nuit  à  chan- 
ter des  psaumes  en  actions  de  grâces;  en- 
suite on  voulut  conduire  le  jeune  homme  à 
saint  Augustin;  mais  il  s'y  opposa,  disant 
que  les  anges  le  l«i  avaient  défendu.  Cepen- 
dant on  ne  l'écouta  point;  et,  comme  on  l'y 
(1)  Mémoires  d'Hippolyte  riairon  ,  élil  ili'  Biilssuii. 
p.  Ili7. 


581 


CLE 


CLE 


58t 


conduisait  malgré  sa  résistance,  la  tunique 
disparut  aux  yeux  des  assistants;  ce  qui  fit 
juger  que  le  tout  n'était  qu'une  illusion  de 
l'esprit  d('  ténèbres 

CLASSYALABOLaS,  Voy.  Caacrinolaas. 

CLAUDE,  prieur  de  Laval,  fil  imprimer  à 
\i  fin  du  seizième  siècle  un  livre  intitulé  : 
Dialogues  de  la  Lycanthropie. 

CLÀUDER  (Gabriel),  savant  saxon,  mort 
en  1691,  membre  de  l'académie  des  Curieux 
de  la  Nature.  Il  a  laissé,  dans  les  Mémoires 
de  cette  société,  divers  opuscules  singuliers, 
tels  sont  :«loRemède diabolique  du  délire,  » 
"il  a  les  Vingt  cinq  ans  de  séjour  d'un  démon 
sur  la  terre  (1).  » 

Son  neveu,  Frédéric-Guillaume  Clauder,  a 
donné,  dans  les  Éphémérides  de  la  même 
académie,  un  traité  sur  les  nains  (2). 

CLAUNECK ,  démon  qui  a  puissance  sur 
les  biejjs,  sur  les  richesses  ;  il  fait  trouver 
des  trésors  à  celui  qu'il  sert  en  vertu  d'un 
pacte.  Il  est  aimé  de  Lucifer,  qui  le  laisse 
maître  de  prodiguer  l'argent.  Il  rend  com- 
plaisance pour  complaisance  à  qui  l'ap- 
pelle (3). 

CLAUZETTE.  Sur  la  fin  de  1681,  une  fille 
insensée,  Marie  Clauzelte,  se  mit  à  courir  les 
champs  aux  environs  de  Toulouse,  en  se  ré- 
clamant du  nom  de  Hubert,  qu'elle  disait 
être  le  maître  de  tous  les  diables.  On  la  crut 
possédée,  et  tout  le  monde  voulut  la  voir. 
Quatre  jeunes  filles,  qui  assistèrent  aux  pre- 
miers exorcismes,  se  crurent  possédées  pa- 
reillement. Le  vicaire-général  de  Toulouse, 
voulant  éprouver  si  la  possession  était  vraie, 
fit  employer  d'abord  des  exorcismes  feints  ; 
et  l'eau  commune,  la  lecture  d'un  livre  pro- 
fane, le  ministère  d'un  laïque  habillé  en  prê- 
tre, agitèrent  aussi  violemment  les  préten- 
dues possédées,  qui  n'étaient  pas  prévenues, 
que  si  un  prêtre  eût  lu  le  rituel  avec  des  as- 
persions d'eau  bénite.  Les  médecins  décla- 
rèrent que  le  diable  n'était  pour  rien  dans 
celle  affaire.  Les  possédées  vomissaient  des 
épingles  crochues  ;  mais  un  remarqua  qu'elles 
les  cachaient  dans  leur  bouche  pour  les  re- 
jeter devant  les  spectateurs.  Le  parlement 
de  Toulouse  proclama  la  fraude  et  dissipa 
celte  ridicule  affaire. 

CLAVICULES  DE  SALOMON  ,  Voy.  Sa- 

LOMON. 

CLAY  (Jean),  littérateur  allemand,  mort 
en  1392.  (Jn  retherche  son  Alkiimislicd,  petit 
poëme  en  vers  allemands  contre  la  folie  des 
alchimistes  et  faiseurs  d'or. 

CLÉDONISMANCIE ,  divination  Urée  de 
certaines  paroles  qui,  entendues  ou  pronon- 
cées en  diverses  rencontres,  étaient  regar- 
dées comme  bons  ou  mauvais  présages.  Celte 
divination  était  surtout  en  usage  à  Smyrne  ; 
il  y  avait  un  temple  où  c'était  ainsi  qu'on 
rendait  les  oracles.  Un  nom  seul  offrait  quel- 
quefois l'augure  d'un  bon  succès.  Léoty- 
chide,  pressé  par  un  Samien  d'entreprendre 
la  guerre  contre  les  Perses,  demanda  à  ce 

(1)  Do  Diabotico  dclirii  remedio.  —  De  Diabolo  per 
viiçinli  quiiique  aii^-s  fréquentante  cum  inulicre,  aulld 
Tcneficii  opéra. 

(3)  De  uaiiorum  gcucralioue. 


Samien  son  nom;  et,  apprenant  qu'il  s'ap- 
pelait Hégésisirate,  mot  qui  signifie  conduc- 
teur d'armée,  il  répondit  -.j'accepte  l'augure 
d'Hégésistrale. 

Ce  qu'il  y  avait  de  commode  en  tout  ceci, 
c'est  qu'on  était  libre  d'accepter  ou  de  refu- 
ser le  mol  à  présage.  S'il  était  saisi  par  ce- 
lui qui  l'entenilail  et  qu'il  frappât  son  ima- 
gination, il  avait  toute  son  influence  ;  mais  si 
l'auditeur  le  laissait  tomber,  on  n'y  faisait 
pas  une  prompte  attention,  l'augure  était 
sans  force. 

CLEF  D'OR.  On  a  publié,  sous  le  litre  de 
la  Clef  d'or,  plusieurs  petits  volumes  slupi- 
des  qui  enseignent  les  moyens  infaillibles  de 
l'aire  fortune  avec  la  loterie,  et  qui,  quand  la 
liiterie  existait,  ne  faisaient  que  des  dupes. 
[m  Clef  d'or  on  le  Véritable  trésor  de  la  for- 
tune, qui  se  réimprimait  ilc  temps  en  temps 
à  Lille,  cliezCastiaux,  n'est  pas  autre  chose 
que  la  découverte  des  nombres  sympathi- 
ques, (|ue  l'auteur  se  vante  d'avoir  trouvés, 
ce  (lui  lui  a  valu  trois  cent  mille  francs  en 
deux  ans  el  demi.  Il  est  mal  de  mentir  aussi 
impunément  pour  engager  les  pauvres  gens 
à  se  ruiner  dans  les  loteries.  Or,  les  cinq 
nombres  sympMthiques  ne  manquent  pas  de 
sortir,  dit-il  effrontément,  dans  les  cinq  tira- 
ges qui  suivent  la  sortie  du  numéro  indica- 
teur. Il  faut  donc  les  suivre  pendant  cimj  ti- 
rages seulement  pour  faire  fortune.  Par 
exemple,  les  nombres  sympathiques  de  k 
sont  30,  40,  50,  70,  76.  Ces  cinq  numéros 
sortiront  dans  les  cinq  tirages  qui  suivront 
la  sortie  de  k,  non  pas  tous  à  la  fois  peut- 
être,  mais  au  moins  deux  ou  trois  ensemble. 

Du  reste  les  nombres  sympathiques  sont 
imaginaires,  et  chacun  les  dispose  à  son  gré. 

CLEIDOMANCIE  ou  CLEIDONOMANCIE, 
divination  parle  moyen  d'une  clef.  Ou  voit 
dans  Deirio  el  Delancre  qu'on  employait  cette 
divination  pour  découvrir  l'auteur  d'un  vol 
ou  d'un  meurtre.  On  lorlillait  autour  d'une 
clef  un  billet  contenant  le  nom  de  celui  qu'oit 
soupçonnait;  puisonatlachaitcetteclef  à  une 
Bible,  qu'une  fille  vierge  soutenait  de  ses 
mains.  Le  devin  marmottait  ensuite  tout  bas 
le  nom  des  personnes  soupçonnées;  et  on 
voyait  le  papier  tourner  et  se  mouvoir  sen- 
siblement. 

On  devine  encore  d'une  autre  manière  par 
la  cleidumiiiicie.  On  attache  élroilemenl  une 
clef  sur  1,1  première  page  d'un  livre  ;  on  ferme 
le  livre  avec  une  corde,  de  façon  que  l'an- 
neau de  la  clef  soit  dehors;  la  personne  qui 
a  quelque  secret  à  découvrir  par  ce  moyen, 
pose  ledoigt  dans  l'anneau  de  la  clef,  en  pro- 
nonçant tout  bas  le  nom  qu'elle  soupçonne. 
S'il  est  innocent,  la  clef  reste  immobile  ;  s'il 
est  coupable,  elle  tourne  avec  une  telle  vio- 
lence, qu'elle  rompt  la  corde  cjui  attache  le 
livre  (4-). 

Les  Cosaques  et  les  Russes  emploient  sou- 
vent celle  divination;  mais  ils  meltent  la  clef 
en  travers  cl  non  à  plal,  de  manière  que  la 

(3)  Obedi:is  illi,  cl  obediol.  Clavicules  de  Salomon, 
p.  II. 

(  t)  Delancre  ,  Incrédulilé  el  mécréante  du  sorliléya 
l'Iciiiemeut  convaincue,  Uaiié  'ô. 


sss 


DlCriONNAmE  Di: s  SCIENCKS  OCCULTAS. 


S84 


compression  lui  fail  Hiiic  le  qtiarl  de  loiir. 
Us  croient  savoir  par  là  si  la  maison  ou  ils 
Boiil  est  riche,  si  leur  famille  se  porte  bien 
en  leur  absence,  si  leur  p<^re  vil  encore,  etc. 
Ils  font  usage  surtout  de  celte  divination 
pour  découvrir  les  trésors.  On  les  a  vus  plu- 
sieurs fois  en  France  recourir  à  cet  oracle  de 
la  clef  sur  lEvangile  de  saint  Jean  ,  durant 
l'invasion  de  18I4. 

CLÉONICE.  Fausanias,  p;éiiéral  lacédcmo- 
nien,  ayant  tué  à  B.\  sauce  une  vertueuse 
jeune  fille,  nommée  Cléoiiice.  qui  lui  avait 
résisté,  vécut  dans  un  eftroi  continuel  et 
ne  cessa  de  voir,  jusqu'à  sa  mort,  le  specire 
de  celte  jeune  fille  à  ses  côiés.  —  Si  l'on  con- 
naissait ce  qui  a  précédé  Us  visions,  on  en 
trouverait  souvent  la  source  dans  les  re- 
mords. 

CLÉOPATRE.  C'est,  dil-on  ,  une  erreur 
que  l'opinion  où  nous  sommes,  que  Ciéopâtrc 
se  fit  mourir  avec  deux  aspics.  Pliitarque  dit, 
dans  la  vie  deMarc-Anloine,  que  personne 
n'a  jamais  su  comment  elle  élait  morte.  Quel- 
ques-uns assurent  qu'elle  prit  un  poison 
qu'elle  avait  coutume  de  porter  dans  ses 
cheveux.  On  ne  trouva  point  d'aspic  dans  le 
lieu  où  elle  élait  morte;  on  dit  seulement 
qu'on  lui  remarqua  au  bras  droit  deux  pi- 
qûres imperceptibles;  c'est  là-dessus  qu'Au- 
guste hasarda  l'idée  qui  est  devenue  popu- 
laire sur  le  genre  de  sa  mort.  Il  est  probable 
quelle  se  piqua  avec  une  aiguille  empoi- 
sonnée (1). 

CLÉROMANCIE,  art  de  dire  la  bonne  aven- 
ture par  le  sort  jeté,  c'est-à-dire  avec  des 
dés ,  des  osselets  ,  des  fèves  noires  ou  blan- 
ches. On  les  agitait  dans  un  vase,  et  après 
avoir  prié  les  dieux  on  les  renversait  sur  une 
table  et  l'on  prédisait  l'avenir  d'après  la  dis- 
position des  objets.  11  y  avait  à  Dura,  en 
Achaïe  ,  un  orale  d'H<'rejle  qui  se  Tcndiit 
sur  un  tablier  avec  des  dés.  Le  pèlerin,  après 
avoir  prié,  jetait,  quatre  dés,  dont  le  prêtre 
d'Hercule  considérait  les  points,  et  il  en  lirait 
la  conjecture  de  ce  qui  devait  arriver.  Il  fal- 
lait que  ces  dés  fussent  fails  d'os  de  bêles 
sacrifiées  (2). 

Le  plus  suuvent  on  écrivait  sur  les  osse- 
lets ou  sur  de  petites  tablettes  qu'on  mêlait 
dans  une  urne  ;  ensuite  on  faisait  lirer  un 
lot  par  le  premier  jeune  garçon  qui  se  ren- 
contrait; et  si  l'inscription  qui  sortait  avait 
du  rapport  avec  ce  qu'on  voulait  savoir, 
c'était  une  prophétie  certaine. 

Celte  divination  élait  commune  en  Egypte 
et  chez  les  Romains;  et  l'on  trouvait  fré- 
quemment des  cléromanciens  dans  les  rues 
et  sur  les  places  publiques,  comme  on  trouve 
dans  nos  fèies  des  cartomanciens.  Voy.  As- 
tkàgalomancie. 

CLÈVES.  On  dit  que  le  diable  est  chef  de 
celle  noble  maison  et  père  des  comtes  de 
Cicves.  Les  cabalistes  prétendent  que  ce  fut 
un  sylphe  qui  vint  à  Clèves  par  les  airs  ,  sur 
un  navire  merveilleux  traîné  par  des  cygnes, 
et  qui  repartit  un  jour,  eu  plein  midi,  à  la 

(tl  Voyez  Brnwn,  Des  Erreurs  populaires,  liv.V,  cti.  12. 
(2)  Dolaiicic;,  l'Iiicrédulilé  cliiiéoréaiice,  elc  ;  ir.iUé  5. 
(3J  L'al)LȎ  tic  \  illars,  dans  le  CoiiiU-  Je  Galiulls. 


vue  de  tout  le  monde,  sur  son  navire  aérien. 
«  Qu'a-l-il  fait  aux  iloeleurs  qui  les  ol)lij;e 
à  l'ériger  en  démon'?  »  dit  l'abbé  de  Vil- 
lars  (3j.  C'est  en  mémoire  de  celle  origine 
merveilleuse,  diversement  ex])liiiiice.  qu'on 
avait  fondé  an   pays  de  Clèves,   Tordre  des 


chevaliers  du  Ogne  (V 

Cl.lM ATERIOÙE,  Voy.  A:^ske. 
CLlSTilKRET.  démon  (lui  fail  paraîire  la 
nuit  au  milieu  du  jour,  el  le  jour  au  milieu 
de  la  nuil,  quand  c'est  son  caprice,  si  vous 
en  croyez  U'S  Clavicules  de  Salomon. 

CLOCHES.  Les  anciens  connaissaient  lei 
cloches,  dont  on  attribue  l'invention  aux 
Egyptiens.  Elles  étaient  en  usage  à  Alhôncs 
et  chez  les  Romains. 

Les  musulmans  n'ont  point  de  cloch-s  dans 
leurs  min.irets;  ils  croient  que  le  sondes 
cloches  effraierait  les  âmes  des  bienheureux 
dans  le  paradis. 

Les  cloches  ne  furent  généralement  em- 
ployées, dans  les  églises  chrétiennes,  que 
vers  le  septième  siècle.  On  voit ,  dans  Alctiin, 
que  la  cérémonie  du  liaplèiue  qui  les  con- 
sacre avait  lieu  déjà  du  temps  de  Cbarle- 
magnc. 

C'esi,  dit-on,  parce  qu'elles  sont  baptisées, 
que  les  cloches  sont  odieuses  à  Salan.  Oa 
assure  que  quand  le  diable  porte  ses  suppôts 
au  sabbat,  il  est  forcé  de  les  laisser  tomber, 
s'il  entend  le  sondes  cloches.  Torqueinada 
raconte  .  dans  son //^j;am^;on, qu'une  femme 
revenant  du  sabbat,  portée  dans  les  airs  par 
l'esprit  malin  ,  cnleiulit  la  cloche  qui  sonnait 
VAiigelus.  Aussitôt  le  diable  l'ayant  lâchée, 
elle  tomba  dans  une  haie  d'épines,  au  bord 
d'une  rivière.  Elle  aperçut  un  jeune  homme 
à  qui  elle  domanda  secours,  et  qui ,  à  force 
de  prières,  se  décida  à  la  reconduire  en  sa 
maison.  11  la  pressa  tellement  de  lui  .avouer 
les  circonstances  de  son  aventure,  qu'elle  la 
lui  apprit  ;  elle  lui  fit  ensuite  de  petits  pré- 
sents, pour  l'engager  à  ne  rien  dire  :  mais  la 
chose  no  mamiua  pourtant  pas  de  se  ré- 
pandre. 

On  croit,  dans  quelques  contrées,  que  c'est 
le  diable  qui  excite  les  tempêtes  ,  et  que,  par 
ainsi,  les  cloches  conjurent  les  orages.  Les 
paysans  sonnent  donc  les  cloches  dès  qu'ils 
entendent  le  tonnerre,  ce  qui  maintenanl  est 
reconnu  pour  une  imprudence.  Citons  à  ce 
sujet  un  fait  consigné  dans  les  Mémoires  de 
l'Académie  des  sciences  :  «  En  1718,  le  15  août, 
un  vaste  orage  s'étendit  surit  Basse-Rre- 
lagne;  le  tonnerre  tomba  sur  vingt-qu.atre 
églises  situées  entre   Landernau  el  Saint- 
Pol-de-Léon  ;  c'était  précisément  celles  où 
l'on  sonnait  pour  écarter  la  foudre  ;  celles  où 
l'on  ne  sonna  pas  furent  épargnées.  »  M.  S  li- 
gues pense  cependant  que  le  son  des  cIcm  lies 
n'attire  pas  le  tonnerre  ,  parce  que  leur  mou- 
vement a  peu  d'intensité;  mais  le  bruit  seul 
agile  l'air  avec  violence,  et  le  son  du  tam- 
bour sur  un  lieu  élevé    ferait  peut-être   lo 
môme  effet  d'attirer  la  foudre.  '*.- 

On  a  cru  encore,  dans  certains  pays,  qu'on 

(t)  Voyez,  dans  les  Légendes  descomimndemetils  de  D.eu 
le  elievaUcr  du  Cygne. 


■RS 


CIX) 


con 


.■>8C 


Si'  iiu'llailà  r<ibri  deloutn  allcinlcdcs  orn^ps 
en  porlaiil  sur  soi  un  niorcoMu  d,»  la  corde 
ati/itliéo  à  la  cîocîic  au  iiKimeiU  de  soi)  l)a|>- 
lêii.c. 

Il  nous  rcslc  àdin-  un  mot  de  la  Cloche  du 
Diable.  Dusaulx,  visitant  les  Pyrénées  à  pied, 
son  guide,  qui  élail  un  IVaiic  montagnard, 
le  conduisit  dans  un  niaiécage  coinnie  poiir 
lui  montrer  (|ueli]tie  clr>se  de  curieux.  Il 
prétendit  qu'une  cloche  avait  jadis  é!6  en- 
foncée dans  cet  endroit;  que  «-eut  ans  après, 
le  diable  à  qui  apparlenai;'nt  alors  tous  les 
métaux  souterrains,  s'était  emparé  de  celte 
cloche,  et  qu'un  pâtre  depuis  peu  de  temps 
l'avait  entendu  s.onner  pendant  la  nuit  de 
Noël  dans  l'intérfeur  de  la  montagne. 

—  Fort  bien,  dit  Uusaulx  ;  ce  qu'on  a  pris 
pour  le  son  d'une  cloche  ne  viendrait-il  pas 
plutôt  des  eaux  souterraines  qui  s'engouf- 
frent dans  quelque  cavité? 

—  Oh  1  que  non,  répliqua  le  guide. 

Il  y  a  des  cloches  célèbres.  On  respecte 
beaucoup  dans  les  Pyrénées,  la  cloche  de  la 
vallée;  on  lui  donne  toutes  sortes  d'origines 
merveilleuses  :  la  plus  commune,  c'est  qu'el'c 
a  été  fondue  par  les  auges.  On  l'entend, 
ou  peut-être  on  croit  l'entendre  quelquefois  : 
mais  on  ne  sait  pas  où  elle  est  siisfcndue. 
C'est  cette  cloche  qui  doit,  à  ce  que  disent  les 
montagnards,  réveiller  leurs  patriarches  en- 
dormis dans  les  creux  des  rochers,  et  appe- 
ler les  hommes  au  dernier  jugement. 

Lorsque  Ferdinand  le  Catholique  fut  atta- 
qué de  la  maladie  dont  il  mourut,  la  fameuse 
cloche  de  la  Villela  (qui  a  dix  brasses  de  lour) 
sonna,  dit-on,  d'ellc-niénie;  ce  qui  arrive 
quand  l'Espagne  est  menacée  de  quelqutî 
malheur.  On  publia  aussi  tôt  (|u'el!e  annonçait 
la  mort  du  roi,  qui  mourut  effectivement  peu 
après. 

GLOFYE  ,  oiseau  d'Africinc,  noir  et  gros 
comme  uu  étourneau.  C'est  pour  les  nègves 
un  oiseau  de  présage.  11  prédit  les  bons  évé- 
nements, lorsqu'on  chantant  il  s'élève  dans 
les  airs;  il  en  pronosliciue  de  mauvais  s'il 
s'abaisse.  Pour  annoncer  à  quelqu'un  une 
mort  funeste,  ils  lui  disent  que  le  Clofyc  a 
chanté  sur  lui. 

CLOTHO.  L'une  des  troisParquesella  plus 
jeune.  C'est  elle  qui  file  les  destinées  ;on  lui 
donne  une  quenouille  d'une  hauteur  prodi- 
gieuse.La  pluparides  mjthologuesla  placent 
avec  ses  sœurs  à  la  porte  du  repaire  de  Plu- 
Ion.  Lucien  la  met  dans  la  bar()ue  à  Caron  ; 
mais  Plularcjuc  dit  (lu'ello  est  dans  la  lune, 
dont  elle  dirige  les  luouveuicnls. 

CLOU.  11  y  a,  sur  les  clous,  quelques  pe- 
tites superstitions  dont  on  fera  son  profit. 
Les  Grecs  modernes  sont  persuadés  qu'en 
fichant  le  clou  d'un  cercueil  à  la  j)orte  d'une 
maison  infestée,  on  en  écarte  à  jamais  les 
revenants  et  les  i'antônies. 

Bogui't  parle  d'une  sorcière  qui  ,  pour  un 
cheval  blessé,  disait  certains  mots  en  lorme 
d'oraison,  et  plantait  en  terre  uu  clou  qu'elle 
lie  retirait  jamais. 

(I)  lîogucl,  Discours  des  sorcifrs,  cli.  W. 
(2\  Sur  le  roi  Clovis  1",  \ovez  ses  Icjjeiiilrs,  dans  les 
Uijeinits  de  CULioiix  de  t'rwicc. 


Les  Roniaius  ,  pour  chasser  la  peste , 
fichaient  un  clou  d  nis  une  pierre  qui  était 
au  côlé  droit  du  temple  de  Jupiter;  ils  en 
faisaient  autant  contre  les  charmes  et  sorti- 
lèges, et  pour  apaiser  les  discordes  qui  sur- 
venaient entre  les  citoyens. 

II  y  en  a  pareillement  qui ,  se  voulant 
prévaloir  contre  leurs  ennemis,  plantent  uu 
clou  dans  un  arbre.  Or,  quelle  force  peut 
avoir  ce  clou  ainsi  planté  (1)? 

CLOVIS,  fils  de  Chilpéricl'"-.  Il  ne  restait 
à  Chilpérie  que  ce  fils  de  sa  première  femme; 
le  jeune  homme  fut  assez  indiscret  pour 
s'expliquer  sans  ménagement  sur  Frédé- 
gonde,  qu'il  regardait  comme  son  ennemie. 
Elle  résolut  de  se  débarrasser  de  lui.  Clovis 
aimait  une  jeune  fille  de  bass(!  extraction; 
un  émissaire  de  Frédégonde  vint  dire  au  roi 
que  c'était  la  fille  d'une  magicienne;  que 
Clovis  av.ill  employé  les  artifices  de  cetîc 
femme  pour  se  défaire  de  ses  deux  frères 
(empoisonnés,  à  ce  qu'on  croit),  et  qu'il  tra- 
mait la  mort  de  la  reine.  La  vieille  femme  , 
mise  à  la  question  ,  lut  forcée  d'avouer 
qu'elle  élail  sorcière.  Clovis,  convaincu,  su 
vil  dépouillé  de  ses  riches  vêtements  et  con- 
duit dans  une  prison  ,  où  des  assassins  le 
poignardèrent  ,  si  les  historiens  disent  vrai; 
et  on  fit  accroire  au  monarque  qu'il  s'était 
tué  lui-même.  La rnagicienne,  dont  la  fille  ve- 
nait aussid'êtremise  àmorl,fulépouvanlcedo 
ses  aveux,  qu'elle  rétracta  ;  mais  on  se  hàla 
do  lui  imposer  sili-nce  en  la  conduisant  au 
bûcher.  C'est  du  moins  ainsi  que  racontent 
les  choses,  des  chroniqueurs  peu  favorables, 
il  est  vrai,  à  Frédégonde  (2). 

COBALKS,  génies  malins  et  trompeurs  de 
la  suite  de  Bacchus,  dont  ils  étaient  à  la  fois 
les  gardes  et  les  bouffons. 

Selon  Leloyer,  les  cobales,  connus  des 
Grecs,  étaient  des  démons  doux  et  paisibles, 
nomiTiés  par  (|uel(iues-uns  bonhomels  ou 
petits  bonshommes  des  montagnes  ,  parce 
qu'ils  se  montrent  en  vieux  nains  de  bas>« 
stature  ;  ils  sont  velus  court ,  demi-nus,  l.'i 
manche  retroussée  sur  l'épaule  ,  et  portent 
un  tablier  de  cuir  sur  les  reins. 

«  Cette  sorte  de  démons  est  prcsealement 
assez  plaisante,  cartauiôtvous  les  verrez  rire, 
tantôt  se  gaudir,  tantôt  sauter  de  joie,  et 
faire  mille  tours  de  siuge  ;  ils  contreferont 
et  imiteront  les  singes  ,  et  feront  tant  et 
plus  les  embesognés,  combien  qu'ils  ne  fas- 
sent rien  du  tout.  A  cette  heure,  vous  les 
verrez  bêcher  dans  les  veines  d'or  ou  d'ar- 
gent, amasser  ce  ([u'ils  auront  bêché,  et  le 
mettre  en  des  corbeilles  et  autre^  vaisseaux 
pour  cet  effet  préparcs,  tourner  la  corde  et 
la  poulie  afin  d'avertir  ceux  d'en  haut  de 
tirer  le  mêlai,  cl  fort  rarement  voil-on  qu'ils 
offensent  les  ouvriers,  s'ils  ne  sont  grande- 
ment provoques  de  brocards  ,  injures  et  ri- 
sées dont  ils  sont  impatients.  Alors  ils  jetle- 
roul  premièrement  de  la  terre  et  des  petils 
cailloux  aux  yeux  des  pionniers,  et  quelque- 
fois les  blesseront  (3).  » 

(ôj  l.elojer,  Hisl.  et  Disc,  des  spectres,  fie,  p.  315; 
posl  Wioruni,  Uo  pra-sl.,  lib.  I,  cup.  xxii. 


fSJ  OICTIONNAIRF,  OKS  S( 

Los  Allemands  appollont  ces  mômes  dé- 
mons familiers  Kobold.  Voy.  ce  mot. 

COBOU;  (îénies  ou  démons  révérés  par 
los  anciens  Sarmales.  Ils  croyaient  que  ces 
esprits  habitaient  les  parties  les  plus  se- 
crètes des  maisons  ,  et  mémo  les  l'entes  du 
bois.  On  leur  offrait  les  mets  les  plus  déli- 
cats. Lorsqu'ils  avaient  l'inlenlioii  de  se  fixer 
dans  une  habitation,  ils  en  prévenaient  ainsi 
le  père  de  famille  :  la  nuit  ils  assemblaient 
des  las  de  copeaux  et  répandaient  de  la  Qente 
de  divers  anitnaux  dans  les  vases  de  lait  ; 
gracieuses  manières  de  s'annoncer.  Si  le  len- 
demain le  maître  de  la  maison  laissait  ces 
copeaux  en  un  tas  ,  et  faisait  boire  à  sa  fa- 
mille le  lait  ainsi  souillé,  alors  les  coboiis  se 
rendaient  visibles  cl  habitaient  désormais 
avec  lui  ;  mais  s'il  dispersait  les  copeaux  et 
jetait  le  lait,  ils  allaient  chercher  un  autre 
glle. 

Les  coboiis,  sont  encore,  ainsi  queles  gobe- 
lins  et  les  cobales  ,  le  kobold  des  Allc- 
manils. 

COCGONAS.  Voy.  Alexanore  de  Paphla- 

GOME. 

COCHON.  Est-il  vrai ,  comme  le  croit  le 
peuple,  que  de  tous  les  animaux  le  cochon 
soit  celui  dont  l'organisation  ail  le  plus  de 
ressemblance  avec  celle  de  l'homme  ?  Sur  ce 
point,  dit  M.  Salgues  ,  on  ne  saurait  mieux 
faire  que  de  s'en  rapporter  à  Cuvier.  Or, 
voi.i  ce  que  lui  ont  révélé  ses  recherches. 
L'estocnac  de  l'homme  et  celui  du  eochon 
n'ont  aucune  ressemblanie  :  dans  l'homme, 
ce  viscère  a  la  forme  d'une  cornemuse  ;  dans 
le  cochon,  il  est  globuleux  ;  dans  l'homme, 
le  foie  est  divisé  en  trois  lobes  ;  dans  le  co- 
chon ,  il  est  divisé  en  quatre  :  dans  1  homme, 
la  rate  est  courte  et  ramassée  ;  dans  le  co- 
chon, elle  est  longue  et  plate  ;  dans  l'homme, 
le  canal  intestinal  égale  sept  à  huit  fois  la 
longueur  du  corps  ;  dans  le  cochon,  il  égale 
()uinze  à  dix-huit  fois  la  même  longueur. 
Son  cœur  présente  des  différences  notables 
avec  celui  de  l'homme  ;  et  j'ajouterai,  pour 
la  satisfaction  des  savants  et  des  beaux-es- 
prits ,  que  le  volume  de  son  cerveau  est 
aussi  beauc<»up  moins  considérable  ,  ce  qui 
prouve  que  ses  facultés  intellectuelles  sont 
inférieures  à  celles  de  nos  académiciens. 

Il  y  aurait  bien  des  choses  à  dire  sur  le 
cochon.  Le  diable  s'est  quelquefois  montré 
.sous  sa  figure.  On  coule,  à  Naples,  qu'autre- 
fois Il  apparaissait  souvent  avec  cette  forme 
dans  le  lieu  même  où  l'église  de  Sainte- Ma- 
rie-Majeure a  depuis  été  bâtie,  ce  qui  ré- 
jouissait peu  les  Napolitains.  Dès  que  l'église 
fut  commencée,  la  singulière  apparition  ne 
se  montra  plus.  C'est  en  mémoire  de  cet 
événement  que  l'é^êque  Pomponius  fit  faire 
le  pourceau  de  brome  qui  est  encore  sur  le 
portail  de  cette  église. 

Camérarius  raconte  que,  dans  une  ville 
d'Allemagne,  un  Juif  miiladu  étant  venu  chez 
une  vieille,  et  lui  ayant  demandé  du  lait  de 
femme,   qu'il  croyait  propre  à  le  guérir,  la 

(1)  CaniPrariiis,  De  nal.  el  affecl.  d;einon.,  in  proœiriio. 

(2)  M.  Salgues,  l)<s  lirrciirs  el  des  préjugés. 

(3)  Déliionomaiiie,  liv.  Il,  di.  vu. 


■.lENCrS  OCCULTES.  58S 

sorcière  s'avisa  de  traire  une  truie  et  en 
porta  le  lait  au  Juif,  qui  le  but.  Ce  lait  com- 
mençant à  opérer,  le  Juif  s'aperçut  qu'il 
grognait  et  devina  la  ruse  de  la  sorcière, 
qui  voulait  sans  doute  lui  faire  subir  la  mé- 
tamorphose des  compagnons  d'Ulysse.  Il  jeta 
le  reste  du  lait  sans  le  boire,  et  incontinent 
tous  les  cochons  du  voisinage  moururent  (1). 
...  Voy.  Baume  universel. 

COCLÈS  (Barthélémy),  chiromancien  du 
seizième  siècle.  Il  avait  aussi  des  connais- 
sances en  astrologie  el  en  physiognomonie.  Il 
prédit  à  Luc  Gauric,  célèbre  astrologue  du 
même  temps,  qu'il  subirait  injustement  une 
peine  douloureuse  et  infamante  ;  et  Luc 
tîauric  fut  en  effet  condamné  au  supplice  de 
l'estrapade,  par  Jean  Benlivoglio,  tyran  de 
Bologne,  dont  il  avait  pronostiqué  l'expul- 
sion prochaine. 

Codés  prophétisa  qu'il  serait  lui-même 
assassiné,  et  périrait  d'un  coup  sur  la  tête. 
Son  horoscope  s'accomplit  ponctuellement , 
car  Hermès  de  Benlivoglio ,  fils  du  tyran, 
ayant  appris  qu'il  se  mêlait  aussi  de  prédire 
sa  chute  ,  le  fit  assassiner  par  un  brigand 
nommé  Caponi,  le  24  septembre  1304.  (ij. 
On  assure  même  que  ,  connaissant  le  sort 
qui  le  menaçait,  il  portait  depuis  quelque 
temps  une  calotte  de  fer,  et  qu'il  ne  sortait 
qu'armé  d'une  épée  à  deux  mains.  On  dit 
encore  que  celui  qui  devait  l'assassiner  étant 
venu  le  consulter  peu  auparavant ,  il  lui 
prédit  qu'avant  vingt-quatre  heures  il  se 
rendrait  coupable  d'un  meurtre.  Il  est  plus 
que  probable  que  ces  prophéties  n'ont  été 
faites  qu'après  coup. 

Codés  a  écrit  sur  la  physiognomonie  et  la 
chiromancie  ,  mais  son  livre  a  subi  des  mo- 
difications. L'édiiion  originale  est  :  Pliy- 
siognoinoniœ  ac  chiromanciœ  Anaslasis  ,  sive 
compendiumex pluribus  e(  pêne  infiaitis  auc- 
toribus,  cum  approbalione  Akxandri  Achil- 
Uni;  Bologne,  1504,  in-fol.  La  préface  est 
d'Achillini. 

COCOTO,  démon  succube,  adoré  aux  In- 
des oi'ciilentaies,  et  mentionné  par  Bodin  (3J. 

COCYTE,  l'un  des  fleuves  de  l'enfer  des 
anciens.  Il  entourait  le  Tarlare,  et  n  était 
formé  que  des  larmes  des  méchants. 

CODE  DES  SORCIEUS.  Voy.  Sorciers. 

CODUONCHI  (Baptiste),  médecin  d'imola, 
au  seizième  siècle.  11  a  laissé  un  traite  des 
années  climatériques,  de  la  manière  d'en  évi- 
ter le  danger  ,  et  des  moyens  d'allonger  sa 
vie  (4). 

CORLICOLES.  secte  juive  qui  adoiait  les 
astres  et  les  anges  gardiens  des  aslres. 

COKUR.  Des  raisonneurs  modernes  ont 
critiqué  ce  qui  est  dit  dans  VEcclésiaste, 
que  le  cœur  du  sage  est  au  rôle  droit,  et  ce- 
lui de  l'insensé  au  côié  gauche.  Mais  il  faut 
entendre  celle  maxime  comme  le  mot  de  Jo- 
nas,  à  propos  de  ceux  des  Ninivites  qui  ne 
savaient  pas  faire  la  différence  de  leur  main 
droite  et  de  leur  main  gauche  ,  c'ist-à-dire 
du  bien  et  du  mal.  Que  le  cœur  de  l'homme 

(i)  De  annis  climatericis,  nec  iioii  de  ralione  viuindi 
eoruiii  pcricula,  ileiiii)uu  de  iiiuuist  vilain  produceiidi  coiu- 
iiienlariu».  In-8°.  Bologne.  1620. 


58!)  COL 

soil  situé  au  côlé  gauche  delà  poilriiio,  c'est 
un  sontiment  qui,  à  la  rigueur,  peut  être 
réfuté  par  l'inspection  scmUî,  dit  le  docluur 
lîrowM  ;  car  ii  est  évident  i]ue  la  b.isc  cl  le 
Cfiilre  du  cœur  sont  cxacleuiciit  pl.icés  au 
milieu. 

La  pointe  à  la  vérité  incline  du  côlé  gaii- 
f  lie  ;  mais  on  dit  de  l'aiguille  d'un  c;idran 
qu'elle  est  siluée  au  contre,  (iuoi(|ue  la 
pointe  s'étende  vers  la  circonférence  du 
cadran. 

Nous  rappellerons  que  quelques  hommes 
ont  eu  le  cœur  velu.  Voy.  Aristomène. 

COIFFE.  On  s'est  formé  dilTérentes  idées 
sur  la  menibr.ine  appelée  tioiffe,  qui  couvre 
quel<iuefi)is  la  tète  des  cnlants  lorsqu'ils 
sortent  du  sein  de  leur  mère.  Les  personnes 
superstitieuses  la  conservent  avec  soin, com- 
me un  moyen  de  bonheur,  et  on  dit  d'un 
homme  heureux  qu'il  est  né  coiffé.  On  a 
même  avancé  que  celte  coiffe  étend  ses  effets 
favorables  jusque  sur  ceux  qui  la  portent 
avec  eux.  Spartien  parle  de  celle  super- 
stition dans  la  vie  d'Antonin.  Il  dit  que  les 
sages-femmes  vendaient  ordinairement  ces 
coiffes  naturelles  à  des  jurisconsultes  cré- 
dules, qui  en  attendaient  d'heureux  résul- 
tats pour  leurs  afl'aires.  Ils  étaient  persuadés 
que  ce  talisman  leur  ferait  gagner  toutes  les 
causes  (1).  On  se  les  disputait  cher  nous  au 
seizième  siècle. 

Dans  quelques  provinces,  on  croyait  que 
la  coiffe  révélait  une  vocation  à  la  vie  mo- 
nastique (2).  Les  sages-femmes  prédisaient 
aussi,  chez  nos  pères,  le  sort  de  l'enfant  qui 
apportait  la  coiffe  sur  la  léle.  Voy.  Amnio- 

MINCIE. 

Avant  (lue  l'empereur  Macrin  montât  sur 
le  liôiic.  Sa  femme  lui  donna  un  fils  qui  na- 
quit coiffé.  On  prédit  qu'il  s'élèverait  au  rang 
suprême,  et  on  le  surnomma  Diademalm. 
Mais  quand  Macrin  lut  lue,  il  arriva  de  Dia- 
demalus  qu'il  fut  pro.-cril  et  tué  comme  son 
père. 

COIRIERES  (Claude),  sorcière  du  sei- 
zième siècle.  Pendant  qu'elle  était  détenue  en 
prison,  elle  donna  une  certaine  graisse  à 
un  nommé  François  Gaillard  ,  pareillement 
prisonnier,  lequel  s'en  étant  frollé  les  mains, 
fut  enlevé  de  sa  prison  par  l'assistance  du 
diable,  qui  toutefois  le  laissa  reprendre  (3). 

COLARBASSE  ,  hérélique  valenlinien  , 
qui  prêchait  la  cabale  et  l'astrologie  comme 
sciences  religi(  uses.  Il  était  disciple  de  Va- 
lentin.  Il  disait  que  la  génération  et  la  vie 
des  hommes  dépendaient  des  sept  planètes, 
et  que  toute  la  pcrfecllon  et  la  plénitude  de 
la  vérité  était  dans  l'alphabet  grec,  puis- 
que Jésus -Christ  élail  nommé  Alpha  et 
Oméga  (k). 

COLAS  (Antioe),  sorcière  du  seizième 
siècle,  qui,  faisant  commerce  avec  le  diable, 

(t)  Browi),  (1rs  Erreurs  popul,  I.  Il,  p.  8S. 
{i)  Sal^iii's,  t>cs  ErroiirsPl  des  préjiir;(''s. 

iô)  BogucI,  liiscoiirsiii^s  sorciers,  cli.  5i,  p.  3i7. 
+)  Bcrgier,  Dirl.  itu'olog. 
ï)  ItuKU'jl  Discours  «les  sorciers-,  eh.  15,  p.  32j. 


COL 


590 


qu'elle  nommait  Lizabet,  fut  appréhendée  el 
mise  en  prison,  sur  l'avis  de  Nicolas  Millière, 
chirurgien.  Elle  confessa  qu'étant  détenue  à 
BetoncourI,  le  diable  s'était  apparu  à  elle  en 
forme  d'homme  noir  et  l'isvait  sollicilée  à  s  ■ 
jeier  par  une  fenêtre,  ou  bien  à  se  pendre  ; 
une  autre  voix  l'en  avait  dissuadée.  Con- 
vaincue d'être  sorcière,  mais  aussi  d'avoir 
commis  beaucoup  de  turpitudes  celte  femme 
fut  brù  ée  à  Dôle  en  1593  5j  ;  et  c'est  ainsi 
que  se  terminent  ordiniiiremcnt  les  histoi- 
res racontées  par  Boguet. 

COLËY  (Henry),  astrologue  anglais, 
mort  en  1690.  On  a  de  lui,  la  Clef  des  élé- 
ments de  l'astroloçjie,  Londres,  1675,  in-S" 
C'est  un  traité  complet  de  celle  science  fan- 
tastique. On  y  trouve  l'art  de  dresser  toutes 
sortes  de  tliômcs  d'horoscopes ,  avec  des 
exemples  de  n.ilivilés  calculées. 

COLLANGES  (  Gabriel  de  ) ,  mathéma- 
ticien  né  en  Auvergne  en  1524.  Il  n'employa 
ses  connaissances  qu'à  ia  recherche  des  se- 
crets de  la  cabale  et  des  nombres.  Il  e^t  tra- 
ducteur (le  la  Polygraphic  et  universelle  Ecri- 
ture cabalistique  de  Trithèine,  Paris,  1561, 
in-4°.  On  cite  plusieurs  ouvrages  de  lui,  dont 
aucun  n'a  é  é  imprimé,  non  plus  que  sa  ver- 
sion de  la  Philosophie  occulte  d' Agrippa.  Il  a 
laissé  manuscrit  un  Traité  de  l'heur  et  mal- 
heur du  mariage. 

COLLEHITES ,  pierre  que  l'on  assure 
être  propre  à  chasser  les  démons  et  à  pré- 
venir les  charmes  (6),  mais  on  aurait  dii  la 
désigner. 

COLMAN  (  Jea>  )  ,  astrologue  ,  né  à 
Orléans  ;  le  roi  Ciiarles  VII  en  faisait  grand 
cas.  Louis  XI,  dit-on,  lui  donna  des  pen- 
sions, parce  qu'il  lui  apprit  à  supputer  des 
almanachs.  On  dit  que  Colloman  étudiait  si 
assidûment  le  cours  de  la  lune,  qu'à  force 
d'application  il  en  devint  lépreux  (7)... 

COLLYRE.— On  voit,  dans  la  Lycanlhro- 
pie  de  Nynauld,  qu'un  sorcier  composait  un 
certain  collyre,  avec  le  fiel  d'un  homme,  les 
yeux  d'un  chat  noir  el  quelques  autres  cho 
ses  que  l'écrivain  ne  nomme  pas  ;  «  lequel 
collyre  appliqué  aux  yeux  faisait  voir  el 
apparaître  en  l'air  ou  ailleurs  les  ombres  des 
démons.  » 

COLOKYNTHO-PIRATES .  pirates  nains 
fabuleux,  qui,  dans  l'histoire  véritable  de 
Lucien,  naviguaient  sur  de  grandes  citrouil- 
h  s  ou  coloquintes,  longues  de  six  coudées 
l  Irois  mètres  ).  Lorsqu'(  lies  étaient  sèches, 
ils  les  creusaient  ;  les  grains  leur  servaient 
de  pierres  dans  les  combats,  et  les  feuilles 
de  voiles,  qu'ils  atlauhaienl  à  un  mât  de 
roseau. 

COLOMBES.— Il  y  avait  dans  le  temple  de 
Jupiler,  à  Dodone,  deux  colombes  que  l'on 
gardait  soigneusement  ;  elles  répondaient 
(lune  voix  humaine  lorsqu'elles  étaient  con- 
sultées. Mais  ou  lit  dans  Pausanias  que  c'é- 

(6)  Delancre.Tableaudt'  l'Liconslaiice  îles  (Jémous.olo. 
liv  IV,  p.  297. 

(7)  Ancien  manuscrit  «le  ta  Bil)Iiot!iè(p]C  royale.  Vo}'" 
/oly,  Remarques  sur  Bayte,  à  la  lin. 


-91 


OiCTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCl'LTES. 


392 


l.iipiit  (1rs  f(  mines  prêtresses  qu'on  appelait 
folDuihcs  doiloiileniics. 

Les  Perses,  persuadés  qtie  le  soleil  avait  en 
horreur  les  coloinbes  blanches,  les  regar- 
daient comme  des  oiseaux  de  mauvais  au- 
gure, et  n'en  souffraient  point  dans  leur 
piys. 

COLMA  ,  cliâteau  fort  sur  le  Danube  , 
nui,  selon  la  tradilinn,  est  sorli  de  lerre  tout 
coiistruil,  pnr  une  puissance  niagiqui-.coinme 
f'-ulrefoisdans  la  Mjlbolo};ie  grectpic,  Pégase 
soiis  le  pied  di'  Minerve.  Des  savants  disent 
qu'en  réalité  il  a  été  bâii  en  une  nuit  par  la 
puissante  armée  sarmale  du  roi    Dencaos. 

COLONNE  nu  DIABLE.  —  On  conserve  à 
Prague  trois  pierres  d'une  colonne  que  le 
diable  appoita  de  Uoine  pour  écraser  un  pré- 
Ire  avic  lequel  il  avait  fait  pacte,  et  le  tuer 
penilant  qu'il  disait  la  messe.  Mais  saint 
Pierre,  s'il  faut  en  croire  la  léiiende  popu- 
laire, étant  survenu,  jeta  trois  fois  de  suite 
le  diable  et  sa  colonne  dans  la  mer,  et  cetSe 
diversion  donna  ati  prêtre  le  temps  de  se  re- 
pentir. Le  diable  en  fut  si  désolé,  qu'il  rom- 
pit la  colonne  et  se  sauva  (1). 

COMBADAXUS,  divinité  dormante  des 
Japonais.  C'était  nn  bonze  dont  ils  racontent 
Tanecdote  suivante.  A  huit  ans,  il  fil  cons- 
truire un  temple  magnifique;  et,  prétendant 
être  las  de  la  vie,  il  annonça  qu'il  voulait  se 
retirer  dans  uu''  caverne  et  y  dormir  dix 
mille  ans  :  en  conséquence,  il  y  entra;  l'is- 
sue fut  scellée  surle-cbamp  :  les  Japonais 
le  croient  encore  vivant. 

COMEDIENS.  «  11  serait  bon,  comme  dit 
fioguet,  de  chasser  nos  comédiens  et  nos  jon- 
gleurs, attendu  qu'ils  sont  pour  la  plupart 
sorciers  et  magiciens,  n'ayant  d'autre  but 
que  de  vider  nos  bourses  et  de  nous  débau- 
cher. »  Boguet  n'est  pas  tout  à  fait  dans  son 
tort. 

COMENIUS  (  Jean-Amos  ),  philologue  du 
dix-septième  siècle.  Il  a  laissé  la  Lumière 
dans  les  ténèbres.  Hollande,  16^7,  in-4%  idem 
augmentée  de  nouveaux  rayons.  1665,  2  vol. 
in-4',  fig.  C'est  une  traduction  latine  des  pré- 
tendues prophé'ies  et  visions  de  Kotter,  de 
Dabricius  et  de  Christine  Ponialowska,  habi- 
les gens  que  nous  ne  connaissons  point. 

COMÈTES.  —  On  a  toujours  vu  dans  les 
comètes  les  signes  avant-courenrs  des  plus 
tristes  calamités.  Une  comète  parut  quand 
Xerxès  vint  en  Europe  avec  dix-huit  cent 
mille  honnnes  (  nous  ne  les  avons  pas  comp- 
tés )  ;  el'e  prédisait  la  défaite  de  Salamine. 

Il  en  parut  une  avant  la  guerre  du  Pélo,)o- 
nèse  ;  nue,  avant  la  défaite  des  Athéniens  en 
Sicib'  ;  une,  avant  la  victoire  que  les  Tlié- 
Itaius  remportèrent  sur  les  Laréilémoniens  ; 
une,  quand  Phili|ipe  vain()uit  les  Athéniens; 
une,  avant  la  prise  de  Cirihage  parScipion; 
une,  avant  la  guerre  tivile  de  César  et  de 
Pompée;  une,  à  la  mort  de  César;  une,  â  la 
prise  de  Jérusalem  par  Tilus  ;  une,  avant  'a 
dispersion  de  l'empire  romain  par  les  Gotlis; 
une,  avant  l'invasion  de  Maiininet,  etc.;  une 
enfin,  avant  la  chute  de  Napoléon. 

(I)  Voynge  du  docteur  Patin. 


Tous  les  peuples  regardent  également  les 
comètes  comme  un  mauvais  présage;  cepiMi- 
daiit,  si  le  présage  est  funeste  pour  les  uns  , 
il  est  heureux  pour  les  autres  ,  puisqu'en 
accablant  ceux-ci  d'une  grande  défai'o  il 
donne  à  c<'ux-là  une  grande  victoire. 

Cardan  expliijue  ainsi  les  causes  de  i  in- 
Huence  des  comètes  sur  l'économie  du  globe. 
«  Elles  rendent  l'air  plus  subtil  et  moins 
dense,  dil-il,  en  l'échaulTant  plus  qu'à  l'or- 
dinaire :  les  personni'S  qui  vivent  au  sein  de 
la  mollesse,  qui  ne  donnent  aucun  exercice  à 
leur  corps,  qui  se  nourrissent  trop  délicate- 
ment, qui  sont  d'une  santé  faible,  d'un  âge 
avancé  et  d  un  sommeil  pt  u  tranquille,  souf- 
frent dans  un  air  moins  animé,  et  meurent 
souvent  par  excès  de  faiblesse.  Cela  arrive 
plutôt  aux  princes  qu'à  d'autres,  à  cause  du 
genre  de  vie  qu'ils  mènent;  el  il  suffit  que  la 
superstition  ou  l'ignorance  aient  attaché  aux 
coinè'es  un  pouvoir  funeste ,  pour  qu'on 
remarque,  quand  elles  paraissent,  des  acci- 
dents qui  eussent  été  fort  naturels  en  tout 
autre  temps.  —  On  ne  devrait  [)as  non  plus 
s'étonner  de  voir  à  leur  suite  la  sécheresse  et 
la  peste,  puisqu'elles  dessèchent  l'air,  et  ne 
lui  laissent  pas  la  force  d'empêcher  les  exha- 
laisons pestiférées.  Enfin  les  comètes  produi- 
sent les  séililions  et  les  guerres  en  échauffant 
le  cœur  de  l'homme  et  en  changeant  les  hu- 
meurs en  bile  noire.  » 

On  a  dit  de  Cardan  qu'il  avait  deux  âmes , 
l'une  qui  disait  des  choses  raisonnables, 
l'autre  qui  ne  savait  que  déraisonner.  Après 
avoir  parlé  comme  on  vient  de  voir,  l'astro- 
logue retombe  dans  ses  visions.  Quand  une 
comète  paraît  auprès  de  Saturne,  dit-il,  elle 
piésage  la  peste,  la  mort  des  souverains 
pontifes  et  les  révolutions  dans  les  gouver- 
nements ;  auprès  de  Mars,  les  guerres  ;  au- 
près du  soleil,  de  grandes  calamités  surtout 
le  globe  ;  auprès  de  la  lune,  des  inonda- 
tions et  quelquefois  des  sécheresses  ;  auprès 
de  Vénus,  la  mort  des  princes  et  des  nobles; 
auprès  de  Mercure,  divers  malheurs  en  fort 
grand  nombre. 

Wiston  a  fait  de  grands  calculs  algébri- 
ques pour  démontrer  que  les  eaux  extraor- 
dinaires du  déluge  furent  amenées  par  une 
comète,  et  que  quand  Dieu  décidera  la  fin 
du  monde  ,  ce  sera  une  comète  qui  le  brû- 
lera.... 

COMIERS  (Claude)  ,  docteur  en  théolo- 
gie, mort  en  1C93.  Il  est  auteur  d'un  Traité 
des  prophéties,  vaticinations,  prédictions  el 
prognosticutions.  11  a  écrit  aussi  sur  la  ba- 
guette divinatoire  et  sur  les  sibylles. 

COMPITALES  ,  fêtes  des  dieux  Lares  ou 
lutins  du  foyer,  chez  ie-;anciens  Romains.  Ou 
leur  sacrifiait  dans  l'origine  des  enfants,  aux- 
quels Briitus  substitua  des  têtes  de  pavois. 

COMTES  DE  L'ENFER  ,  démons  d'un 
ordre  supérieur  dans  la  hiérarchie  infernale, 
et  qui  commandeul  de  nombreuses  légions. 
On  les  évoque  à  toute  heure  du  jour,  pourvu 
que  ce  soit  dans  un  lieu  sauv.ige,  (jnc  les 
hommes  n'aient  pas  coutume  de  fréquea- 
ter  (2). 
(1)  Wienis,  iii  Pscu'ioiho!iJrclii;i  ilairn 


-95  CON 

CONCLAMATION,  cérémonie  romnino,  ilu 
temps  (lu  paganisme.  Klle  consislail  à  appe- 
ler à  grands  cris  l'individu  rjui  venait  de 
mourir,  aGn  d'arrèlir  1  aine  ftigilivc  ei  de 
,ui  indiquer  son  ciicmin,  ou  de  la  réveiller 
si  elle  était  encore  trop  allachéc  au  cor[)S. 

CONDÉ.  On  lit  dans  une  lettre  de  ma- 
dame de  Sévigné  au  président  de  Monceau 
que,  trois  semaines  avant  la  mort  du  grand 
Condé,  pendant  qu'on  l'allendait  à  Fonlai- 
neblcau,  M.  de  Vernillon,  l'un  de  ses  gen- 
tilshommes, revenant  de  la  chasse^  sur  les 
trois  heures,  et  aporoehant  du  château  de 
Cliantiliy  (séjour  ordiu:»ire  du  prince),  \'n,  à 
une  fenêtre  de  son  cabinet,  un  faiilôme  re- 
vé'iu  d'une  armure,  qui  semblait  garder  un 
homme  enseveli  ;  il  descendit  de  (heval,  et 
s'approcha,  le  voyant  toujours;  son  valet  vit 
la  môme  chose  et  l'en  avertit.  Ils  demandè- 
rent la  clef  du  cabinet  au  concierge;  mais 
ils  en  tiouvèrent  les  fenêtres  fermées,  et  un 
silence  qui  n'avait  pas  été  troublé  depuis  six 
mois.  On  conta  cela  au  prince,  qui  en  fut  un 
peu  frappé,  qui  s'en  moqua  cependant  ou 
parut  s'en  moquer;  mais  tout  le  monde  sut 
cette  histoire  et  trembla  pour  ce  prince,  qui 
mourut  trois  semaines  aprô'^ 

CONDOR.MANTS,  si  ctiires  qui  parurent 
en  Allemagne  au  treizième  et  au  seizième 
siècle,  et  qui  durent  leur  nom  à  l'usage  qu'ils 
avaient  de  coucher  tous  ensemble,  sous  pré- 
texte de  charité.  On  dit  que  les  premiers 
adoraient  une  image  de  Lucifer  et  qu'ils  en 
tiraient  des  oracles. 

CONFERENTES,  dieux  des  anciens,  dont 
parle  Arnobe,  et  qui  étaient,  dit  Lelojer, 
des  démons  incubes. 

CONFUCIUS.  On  sait  que  ce  philnsonhe 
est  révéré  comme  un  dieu  à  la  Chine.  Ou  lui 
offre  surtout  en  sacrifice  de  la  soie,  dont  les 
restes  sont  distribués  aux  jeunes  filles,  dans 
la  persuasion  où  l'on  est  que,  tant  qu'elles 
conservent  ces  précieuses  amulettes,  elles 
sont  à  l'abri  de  Ions  (lang(!rs. 

CONJUKATlilUUS,  magiciens  qui  s'attri- 
buent le  pouvoir  de  conjurer  les  démons  et 
les  tempêtes. 

CONJURATION,  exorcisme,  paroles  et  cé- 
rémonies par  lesquelles  on  chasse  les  dé- 
mons. Dans  l'Eglise  romaine,  pour  faire  sor- 
tir le  démon  du  corps  des  possédés,  on  em- 
ploie certaines  formules  ou  exorcismes,  des 
aspersions  d'eau  bénite,  des  prières  et  des 
cérémonies  instituées  à  ce  dessein  (i). — Les 
personnes  superstitieuses  et  criminelles  qui 
s'occupent  de  magie  abusent  du  mot,  et 
nom.ment  conjuration  leurs  sortilèges  im- 
pies. Dans  ce  sens,  la  conjuration  est  un 
composé  de  paroles  souvent  sacrilèges  et  de 
cérémonies  détestables  ou  absurdcis.  ailoptées 
[)ar  les  sorciers  pour  évoquer  les  démons. 

Ou  commence  par  se  placer  dans  le  cercle 
magique  (Voy.  ceecle);  puis  on  récilc  les 
foruiulcs.  Voici  (juclquc  idée  de  res  procé- 
dés. Nous  les  empruntons  aux  Grimoires. 

Conjuration  universelle  pour  les  esprits. 

«  Moi  (on  se  nomme),  je  te  conjure,  esprit 
(on  nomme  l'esprit  qu'on  veut  évo(iuer),  au 
(I)  Bcriçier,  Diclii(iin;iire  lli.'olog. 

Diction?),  drs  sciejjcks  occcltes.  I. 


TON 


591 


nom  du  grand  Dieu  vivani,  de  m'apparaîtro 
en  telle  forme  (on  l'indique)  ;  sinon,  saint 
Michel  archange,  invisible,  te  lounroiera 
dans  le  plus  profond  des  enfers;  viens  donc, 
(on  nomme  l'esiirit',  viens,  viens,  viens,  pour 
faire  ma  volonté.  » 

Conjuralioîi  d'un  livre  magique, 
a  Je  vous  conjure  et  ordonne,  esprits,  tous 
et  autant  que  vous  éles,  de  recevoir  ce  livre 
en  bonne  part,  afin  que  toutes  fois  que  nous 
lirons  ledit  livre,  ou  qu'on  le  lira  étant  ap- 
prouvé et  reconnu  être  en  forme  et  en  va- 
leur, vous  ayez  à  paraître  en  belle  forme 
humaine,  lorsqu'on  vous  appellera, selon  que 
le  lecteur  le  jugera,  dans  toutes  circon- 
stances. Je  vous  conjure  de  venir  aussitôt  la 
conjuration  faite,  afin  d'exécuter,  sans  re- 
tardement, tout  ce  qui  est  écrit  et  menlionné 
en  son  lieu  dans  ce  dit  livre  :  vous  ohéirez. 
vous  servirez,  enseignerez,  donnerez,  feri  z 
tout  ce  qui  est  en  votre  puissance,  en  utilité 
de  ceux  qui  vous  ordonneront,  le  tout  sans 
illusion.  —  El  si  par  hasard  quelqu'un  des 
esprits  appelés  parmi  vous  ne  pouvait  venir 
ou  paraître  lorsqu'il  serait  requis,  il  sera 
tenu  d'en  envoyer  d'autres,  revêtus  de  son 
pouvoir,  qui  jureront  solennellement  d'exé- 
cuter tout  ce  que  le  lecteur  pourra  deman- 
der; en  vous  conjurant  tous,  par  les  Irès- 
saints  noms  du  tout- puissant  Dieu  vi- 
vant, etc 

Conjuration  des  démons. 
«  Alerte,  venez  tous,  esprits.  Par  la  vertu 
et  le  pouvoir  de  votre  roi,  et  par  les  sept  cou- 
ronnes et  chaînes  do  vos  rois,  tous  esprits 
des  enfers  sont  obligés  d'apparaître  à  moi 
deva  it  ce  cercle,  quand  je  les  appellerai. 
Venez  tous  à  mes  ordres,  pour  faire  tout  ce 
((ui  est  à  voire  pouvoir,  étant  recommandés  ; 
venez  donc  de  l'orient,  rnidi,  occident  et  sep- 
tentrion ;  je  vous  conjure  et  ordonne,  par  la 
vertu  et  |)uissance  de  celui  qui  est  Dieu,  etc. 

Conjurations  pour  chaque  jour  de  la  semaine. 

Pour  le  lundi,  à  Lucifer.  Celte  expérieneo 
se  fait  souvent  depuis  onze  heures  jusqu'à 
douze,  et  depuis  trois  heures  jusqu'à  quatre. 
11  faudra  du  charbon,  de  la  craie  bénite, 
pour  faire  le  cercle,  autour dti(|uel  on  écrira: 
«  Je  le  défends,  Lucifer,  par  le  nom  (pie  tu 
crains,  d'entrer  dans  ce  cercle.  »  Ensuite  on 
récite  la  formule  suivante  :  —  «Je  te  con- 
jure, Lucifer,  par  les  noms  ineffables  On. 
Alpha,  Ya,lley,  Soi,  Messias,  Ingndum,  etc. . 
que  tu  aies  à  faire,  sans  me  nuire  (on  dési- 
gne sa  demande). 

Pour  le  mardi,  à  Nambroth.  Celte  expé- 
rience se  fait  la  nuit,  depuis  neuf  heures 
jusqu'à  dix;  on  doit  donner  à  Nambroth  la 
première  pierre  que  l'on  trouve,  pour  étri' 
reçu  de  lui  en  dignité  et  honneur.  On  procé- 
dera de  la  façon  du  lundi  ;  on  fera  un  cercle 
autour  dii(]uel  on  écrira  :  «Ohéis-moi,  Nam- 
broth, obéis-moi,  par  le  nom  que  tu  crains.  » 
On  récite,  à  la  suite,  celte  formule  :  —  ><  Je 
te  conjure,  Nambroih,  et  te  commande!  par 
tous  les  noms  par  lesquels  lu  peux  être  con» 
Irainl  et  lié,  de  faire  telle  chose.  » 

13 


39t. 

Pour  II"  iiii'ic  r«'tii,  à  Aslaroili.  CcUo  expé- 
rience se  l'ail  lu  nuit,  deiiuis  dix  heures  jus- 
qu'à onze;  on  le  conjure  pour  avoir  les 
bonnes  grâces  du  roi  el  des  autres.  On  écrira 
dans  le  cercle  :  «  Viens,  Aslarolh  ;  viens,  As- 
tarolh;  viens,  Astarolh  ;  »  ensuite  on  réci- 
tera cette  formule  :  —  «  Je  te  conjure,  Asta- 
roth,  méchanl  esprit,  par  les  paroles  et 
vertus  de  Dieu,  elc.  » 

Pour  le  ji'udi,  à  Acham.  Celte  expérience 
se  fait  la  nuit,  de  trois  heures  à  (jualre  ;  il 
paraît  en  forme  de  roi.  11  faut  lui  donner  un 
morceau  de  pain  lorsqu'on  vcul  qu'il  parte. 
On  écrira  autour  du  cercle  :  «  Par  le  Dieu 
saint—,  Nasim,  7,  7,  H.  M.  A.;  »  ensuite  ou 
récitera  la  Ibrmule  <iui  suil  :  —  «  Je  le  con- 
jure, Acham;  je  le  commande  par  tous  les 
royaumes  de  Dieu,  agis,  je  t'adjure,  etc.  » 

Pour  le  vendredi,  à  Béchet.  Celte  expé- 
rience se  fait  la  nuit,  de  onze  heures  à  douz<'; 
il  lui  faut  donner  une  noix.  On  écrira  dans 
le  cercle  :  «  Viens,  Béchet;  viens,  Béchet; 
viens,  Béchet  ;  »  et  ensuite  on  dira  cette  con- 
juration : — «  Je  te  conjure,  Béchet,  et  te  con- 
trains de  venir  à  moi  ;  je  te  conjure  de  re- 
chef, de  faire  au  plus  tôt  ce  que  je  veux,  qui 
est,  etc.  » 

Pour  le  samedi,  à  Nabam.  Cittc  expérience 
se  fait  de  nuit,  de  onze  heures  à  douze,  et 
silôl  qu'il  parait  il  lui  faut  donner  du  pain 
brûlé,  et  lui  demander  ce  qui  lui  fait  plai- 
sir :  on  écrira  dans  son  cercle  :  «  N'entre 
pas,  Nabam;  n'entre  pas,  Nabam;  n'enln^ 
pas,  Nabam  ;  »  et  puis  ou  récitera  la  conju- 
raiion  suivante  • — »  Je  te  conjure  Nabam,  au 
nom  de  Satan,  au  nom  de  Béelzcbulh,  au 
nom  d'Astarolh  cl  au  nom  de  tous  les  es- 
prits, elc.  » 

Pour  le  dimanche,  à  Aquiel.  Celle  expé- 
rience se  fait  la  nuit,  de  minuit  à  une  heure; 
il  demandera  un  poil  de  votre  tête  ;  il  lui 
faut  donner  un  poil  de  renard  ;  il  le  prendra. 
On  écrira  dans  le  cercle  :  «  Viens,  Aquiel; 
viens,  Aquiel  ;  viens,  Aquiel.  »  En.suite  on 
récitera  la  conjuration  suivante  :  —  «  Je  te 
conjure,  Aquiel,  par  tous  les  noms  écrits 
dans  ce  livre,  que  sans  délai  tu  sois  ici  tout 
prêt  à  m'obéir,  etc.  » 

Conjuration  très- forte,  pour  tous  les  jours 
et  à  toute  heure  du  jour  et  de  la  nuit,  pour 
les  trésors  cachés  tant  par  les  hommes  que 
par  les  esprits. 

«  Je  vous  commande,  démons  qui  résidez 
en  ces  lieux,  ou  en  quelque  partie  du  monde 
que  vous  soyez,  et  quelque  puissance  qui 
vous  ait  été  donnée  de  Dieu  el  des  saints 
anges  sur  ce  lieu  uiénie,  je  vous  envoie  au 
plus  profond  des  abiines  infernaux.  Ainsi, 
allez  tous,  maudits  esprits  et  damnés,  au 
leu  éternel  qui  vous  est  préjiaré  et  à  tous  vos 
compagnons.  Si  vous  mêles  rebelles  el  déso- 
liéissan's,  je  vous  contrains  et  commande 
par  toutes  les  puissances  de  vos  supérieurs 
•tenions,  de  venir,  obéir  et  répondre  positi- 
vement à  ce  que  je  vous  ordonnerai  au  nom 
de  J.-C,  elc.  »  Voy.  Pierre  d'Atone,  etc. 

Nous  n'avuns  f.iil  t]uindi(iuer  ces  slupidi- 
lés  inconcevables.  Les  coiumentaires  so'.il 
'uutilcs.  Vov.  K\ocAiioNs. 


LICTIONNAIRK  DES  SCIENCES  CCCL'LTES.  S96 

CONJUUKUHS   DE  TEMPÊTF.S.  Les  ma- 


rins superstitieux  donnent  ce  nom  à  cer- 
tains ôlres,  marins  comme  eux,  mais  en 
commerce  avec  le  diable,  de  qui  ils  obtien- 
nent le  pouvoir  de  commander  aux  vents. 
Ce  pouvoir  réside  dans  un  anneau  de  fer 
qu'ils  portent  au  petit  doigt  de  la  main 
droite,  et  les  soumet  à  certaines  conditions, 
comme  de  faire  des  voyages  qui  ne  dépassent 
pas  lin  mois  lunaire,  de  n'être  jamais  à  terre 
plus  de  trois  jours.  Si  ces  conditions  n'ont 
pas  été  observées,  on  n'apaise  l'esprit  maître 
de  l'anneau  qu'en  luttant  avec  lui,  cetjui  est 
périlleux ,  ou  en  jetant  un  homme  à  la  mer. 

CONSTANTIN.  Tout  le  monde  sait  que, 
frappe  de  l'apparition  d'une  croix  miracu- 
leuse, et  de  l'avis  qui  lui  était  donné  qu'il 
vaincrait  par  ce  signe,  Constantin  le  Grand 
se  convertit  et  mil  la  croix  sur  ses  étendards. 

Jusqu'au  seizième  siècle,  aucun  écrivain 
n'avait  attaqué  la  vision  de  Constantin  ;  tous 
les  monuments  contemporains  attestent  ce 
miracle.  Mais  les  protestants,  voyant  qu'il 
pouvait  servir  à  autoriser  le  culte  de  la 
croix,  ont  entrepris  d'en  faire  une  ruse  mi- 
litaire  Les  philosophes  du  dernier  siècle 

n'onlpas  manqué  de  copier  leurs  déraison- 
nements.— J.-B.  Duvoisin,  évêque  de  Nantes, 
el  l'abbé  de  TEslocq,  docteurs  en  Sorbonne, 
ont  publié  des  dissertations  sur  la  vision  do 
Consiantin. 

Dissertation  historique  sur  la  vision  de  Con" 
slanlin.  [Par  le  Père  Du  Moulinet,  biblio~ 
ihécaire  de  sainte  Geneviève  (1). 

La  recherche  des  médailles  cl  leur  expli- 
cation ne  sont  pas  une  curiosité  vaine  et 
inutile.  On  y  trouve  de  grands  secours  pour 
les  lettres,  pour  les  coutumes  el  les  usages 
des  anciens,  et  particulièrement  pour  l'His- 
toire. Les  lumières  que  le  cardinal  Baroiiius 
el  les  autres  historiens  en  ont  reçues  en  plu- 
sieurs occasions,  ne  donnent  pas  lieu  d'en 
douter.  Nous  en  avons  une  nouvelle  preuve 
dans  la  confirmation  que  le  Père  du  Mouli- 
net tire  de  ces  sortes  de  monuments  pour 
l'apparition  que  l'empereur  Consiantin  eut 
de  la  Croix  de  Noire-Seigneur  avant  de  don- 
ner le  combat  contre  Maxence. 

«  L'Histoire  nous  fournit  trois  témoigna- 
ges si  authentiques  de  celle  vision,  qu'il  y  a 
sujet  de  s'étonner  qu'un  auteur  qui  a  écrit 
depuis  quatre  ans  (2)  sur  les  médailles,  ail 
eu  la  témérité  d'avancer  que  ce  n'était  qu'une 
illusion. 

«  Eusèbe  nous  assure  qu'il  en  avait  appris 
l'histoire  de  la  bouche  môme  de  Constantin. 
S.  Aricmius  qui  avait  porté  les  armes  sous 
cet  empereur  en  sa  jeunesse,  se  souvenait 
encore  très-bien  sur  le  déclin  do  son  âge,  du 
cette  apparition,  dont  il  avait  été  ipectaluiii' 
avec  toute  l'armée.  Lactance,  précepteur  du 
fils  de  Constantin,  en  fait  mention  dans  son 
traité  de  la  Mort  des  Persécuteurs.  Ces  trois 


(l|  Journal  des  Savants,  année  tC8t,  n»  11. 

(2)  Cl'  ne  peut  être  (iiie  Jacipies  Olselins  qui  piililia  en 
11177,  à  Aiiis:er(J:iiii  soii  Tliesduiut  seli'Ctoruin  Nmmsnuh- 
Uiin  âitt.quurum,  iii-i". 


807 


CON 


CO.N 


à»!i 


témoins  (1)  qui  dcposrnt  de  ce  (i<i'i!s  onl  vu, 
f  t  de  ce  qu'ils  onl  ouï  dans  le  Irnips  m<^me, 
ne  sonl-ils  pns  plus  croyables  que  les  centu- 
rialours  de  M/igdebourg,  qtii  conlestciit  ce 
miracle  si  authentique,  pour  déroger  à  l'hon- 
neur que  l'on  doit  à  la  croix  de  Jé«us-Christ 
et  à  la  véiiéralion  <|ue  les  infidèles  mdme  lui 
ont  toujours  rendue? 

«  Les  chrétiens  reconnaissant  que  c'est  de 
la  croix  qu'ils  ont  tiré  la  vie,  l'ont  toujours 
regardée  comme  la  source  de  leur  bonheur; 
ils  lui  ont  rendu  leur  culte  et  leurs  adora- 
tions, et  ont  élevé  partout  ce  trophée  de  leur 
salut  dès  le  conime.ncement  même  de  l'E- 
glise. On  a  trouvé  en  effet  depuis  un  siècle 
en  la  ville  de  Meliapour  aux  Indes,  les  ves- 
tiges d'une  église,  dressée  à  ce  qu'on  tient 
par  l'apôtre  saint  Thomas,  où  il  y  avait  des 
croix.  Tertullien  remarque  que  les  chrétiens 
avaient  mis  en  plusieurs  endroits  la  figure 
de  ce  signe  salutaire;  et  Constantin  le  plaça 
sur  la  porte  de  son  palais,  tout  enrichi  d'or 
et  de  pierreries;  mais  il  lui  rendit  encore 
des  honneurs  plus  particuliers;  il  le  fit  pas- 
ser, comme  dit  saint  Augustin,  a  loco  sup-^ 
pliciorum  ad  frontem  imperatorum,  depuis 
qu'il  eut  vu  ce  signe  miraculeux  qui  lui  pro- 
mettait la  victoire  contre  Maxence. 

«  Voici  comme  le  tout  se  passa  au  rapport 
d'Eusèbe  qui  l'avait  appris,  comme  nous  l'a- 
vons dit,  de  la  bouche  même  de  cet  empe- 
reur. Il  leur  avait  donc  dit,  comme  le  rap- 
porte cet  historien,  que  la  veille  du  jour  qu'il 
devait  donner  le  combat,  savoir  le  26  octo- 
bre de  l'an  312,  il  vit  clairement  au  ciel,  un 
peu  après  midi,  le  signe  de  la  croix  tout  bril- 
lant de  lumière,  avec  cette  inscription:  Tu 
seras  victorieux  par  la  vertu  de  ce  signe  (2)  ; 
ce  qui  le  surprit  fort,  aussi  bien  que  toute 
son  armée,  qui  vit  comme  lui  ce  phénomène 
miraculeux.  La  nuit  suivante  Jésus-Christ 
s'apparut  à  lui  durant  son  sommeil,  avec  ce 
signe  céleste  ;  il  lui  enjoignit  de  le  faire  gra- 
ver sur  les  boucliers  de  ses  soldats  ,  et  Con- 
stantin le  porta  depuis  sur  son  casque,  comme 
on  le  voit  dans  plusieurs  médailles  de  cet 
empereur. 

«  Le  même  Eusèbe  fait  aussi  la  peinture 
du  labarum  ou  étendard  que  Constantin  fit 
faire  en  cette  manière.  C'était  un  grand  bâ- 
ton en  forme  de  pique,  qui  en  avait  un  autre 
plus  petit  en  travers,  lequel  composait  une 
croix,  et  d'oii  pendait  une  bannière  carrée 
d'une  élofTe  de  pourpre  fort  précieuse,  enri- 
chie de  broderie  d'or,  éclatante  de  pierre- 
ries; au-dessus  de  cette  bannière,  il  y  avait 
une  couronne  d'or,  qui  portait  le  mono- 
gramme de  Jésus-Ciirist. 

«  Constantin  se  servit  de  cette  mystérieuse 
enseigne  qu'on  appelait  /a&«rum,  non  seule- 
ment dans  la  guerre  qu'il  cul  contre  Maxen- 
ce, mais  encore  contre  ses  autres  ennemis, 
et  il  en  ressentit  toujours  des  effets  merveil- 
leux. Il  destina  cinquante  des  plus  braves 
officiers  de  son  armée  pour  la  porter  tour  à 
tour,  et  pour  la  garder  :  ceux  qui  lu  portaient 

(1)  Ou  pont  ajouter  à  ces  Irnis  témoins  Socrale,  Soto- 
Dipiies,  Pliilostorgp  ,  tous  trois  lilstorieus  de  l'Eglise, 
îaiiitOiégoIrcdt'Saziaiizcqui  en  a  [lareilleiiient  parlé,  etc. 


étaient  aussi  gardés  e'.  préservés  par  sa  vertu 
divine.  Car  Eusèbe  dit  qu'il  a  ou'i  raconter  à 
cet  e.-npereur,  qu'un  jour  celui  qui  la  portait 
sur  son  épaule  à  la  tête  de  l'armée,  enten- 
dant les  cris  des  ennemis  qui  venaient  avec 
fureur,  en  fut  si  étonné  qu'irdoniia  le  laba- 
rum à  un  de  ses  camarades  pour  prendre  la 
fuite,  mais  qu'il  n'alla  pas  loin  ayant  été 
percé  d'une  flèche.  Au  contraire,  celui  qui 
avait  pris  cet  étendard,  et  qui  le  portait  élevé 
devant  lui  ne  reçut  aucun  mal,  quoi(iue  les 
ennemis  tirassent  sur  lui  de  tous  côtés,  et 
que  le  bâton  qu'il  tenait  fui  tout  coiiverl  de 
flèches,  qui  y  élaienl  demeurées  atlacliées. 
On  voit  même  une  médaille  de  Constantin,  qui 
a  pour  revers  le  labarum  orné  du  monograiri- 
me  du  Christ,  gardé  par  deux  soldats,  avec 
ces  mois   pour  légende  :  Gloria  exercilus. 

Les  enfants  de  Constanliu  ayant  re<-oiiiui 
les  effets  el  la  vertu  de  ce  signe  u.iracnleiix, 
s'en  servirent  à  l'exemple  de  leur  père  dans 
les  occasions.  Témoin  la  médaille  de  Con- 
stantin le  Jeune,  qui  a  pour  revers  le  labarum 
qu'il  lient  en  main  avec  ces  mots:  Hocsigno 
Victor  eris. 

«  Telle  est  la  vérité  de  la  vision  que  Con- 
stantin eut  de  la  sainte  croix;  et  comme  elle 
est  appuyécî  sur  des  témoignages  si  authen- 
tiques el  des  preuves  aussi  solides  et  aussi 
anciennes  que  le  fait  même,  il  y  a  sujet  de 
s'étonner  qu'on  veuille  aujourd'hui  révo- 
quer en  doute  cet  insigne  miracle,  qui  a  été 
vu  en  plein  jour  par  tant  de  personnes,  el 
par  une  armée  des  plus  nombreuses. 

«  Ce  qui  est  constant  dans  toute  celte  hi- 
stoire est  l'apparition  en  elle-même.  Quel- 
ques circonstances  (|ui  varient  dans  les  au- 
teurs, montrent  qu'ils  ne  se  sont  pas  copiés 
servilement,  et  prouvent  du  moins  que  le 
fond  en  était  certain,  ce  qui  suffit  pour  la 
vérité  de  l'apparition.  » 

Combien  de  remarciues  ne  pourrait-on 
pas  ajouter  à  celte  dissertation  du  P.  du 
Moulinet?  ajoute  Lenglel  Dufresnoy,  dans 
son  Traitédes  Visions.  On  peut  voir  ce  qu'ont 
dit  de  celle-ci  le  savant  Père  Pagi  sur  Baro- 
nius,  et  Tillemonl  dans  son  Histoire  si  exacte 
des  Empereurs.  Ces  témoignages,  rendus  à  la 
vérité  par  de  tels  écrivains,  doivent  l'empor- 
ter sur  les  doutes  des  critiques,  à  qui  rien 
ne  plaît,  que  ce  qui  part  de  leur  incrédule 
imagination.  Volontiers  pour  se  distinguer 
du  commun,  ils  adoptent  des  fables  qui  peu- 
vent préjudicier  à  quelque  doctrine  généra- 
lement avouée;  mais  ils  se  gardent  bien  de 
croire  des  points  d'histoire,  appuyés  sur  les 
preuves  communément  reçues  dans  la  dis- 
cussion des  faits  historiques. 

CONSTANTIN  COPRONYME  ,  empereur 
iconoclasie  de  Constanlinople.  Il  était,  dit- 
on,  magicien.  Il  conjurait  habilement  les 
démons,  dit  Leloyer;  il  évoquait  les  morts, 
et  faisait  des  sacrifices  détestables  el  invoca- 
tions du  diable.  Il  mourut  d'un  l'eu  qui  le 
saisit  par  tout  le  corps,  et  dont  la  violence 
élail  telle,  qu'il  ne  faisait  que  crier  (3). 

(5)  Hoc  signe  vinces. 

(3)  l.eloyer,  Hisl.  des  spcclres  et  des  apparitions  dos 
eipnls,  liv.  IV.  cil.  vi,  p.  ZOÎ. 


'99 


DlCTIONNAtUE  DES  SCIENCES  OCCtLTES 


^00 


CONSTELLATIONS.  11  y  en  a  douze,  qui 
yonl  les  douze  siiïiies  du  zodiaque,  et  que 
les  îisirologucs  appellent  les  douze  maisons 
du  soleil,  savoir;  le  bélier,  le  laureau,  les 
pcnieaux,  lécrevisse,  le  lion,  la  vierge,  la 
balance,  le  scorpion,  le  sagillaire,  le  capri- 
corne, le  verseau  et  les  poissons.  On  les  dé- 
signe Irès-bien  dans  ces  deux  vers  lechni- 
ques,  que  loul  le  monde  connaît  : 

Snnl  arios,  taurus,  gemini,  cancpr,  Ico,  virgo, 
Libiaque,  scorijius.arciU'npiis.capcr,  ampliora,  pisces. 

On  dit  la  bonne  aventure  par  le  moyen  de 
ces  constellations.  Voy.  Houoscopes  et  As- 
trologie. 

CONTUE-CHARMES.  charmes  qu'on  em- 
ploie pour  détruire  l'effet  d'autres  cbarmes. 
Quand  les  charmeurs  opèrent  sur  des  ani- 
maux ensorcelés,  ils  l'ont  des  jets  de  sel  pré- 
parés dans  une  écuclle  avec  du  sang  tiré 
d'un  des  animaux  maléGciés.  Ensuite  ils  ré- 
citent pendant  neuf  jours  certaines  formules. 
Voy.  Gratianne,  Amulettes,  Sort,  Malé- 
fices, Ligatures,  etc. 

CONVULSIONS.  Au  neuvième  siècle,  des 
personnes  suspectes  déposèrent  dans  une 
église  de  Dijon  des  reliques  qu'elles  avaient, 
disaient-elles,  apportées  de  Rome,  et  qui 
étaient  d'un  saint  dont  elles  avaient  oublié 
le  nom.  L'évêque  Théobald  refusa  de  rece- 
voir ces  reliques  sur  une  allégation  aussi 
vague.  Néanmoins,  elles  faisaient  dus  prodi- 
ges. Ces  prodiges  étaient  des  convulsions 
dans  ceux  qui  venaient  les  révérer.  L'oppo- 
sition de  l'évêque  Ot  bientôt  de  ces  convoi- 
tions une  épidémie;  les  femmes  surtout  s'em- 
pressaient de  leur  donner  de  la  vogue.  Théo- 
bald consulta  Amolon,  archevêque  de  Lyon, 
dont  il  était  suffragant.  «  Proscrivez,  lui  ré- 
pondit l'évêque,  ces  fictions  infernales,  C(  s 
hideuses  merveilles,  qui  ne  peuvent  être  que 
des  prestiges  ou  des  impostures.  Vit-on  ja- 
mais, aux  tombeaux  des  martyrs,  ces  funes- 
tes prodiges  qui  ,  loin  de  guérir  les  malades, 
font  souffrir  les  corps  et  troublent  les  es- 
prits?... » 

Cetle  espèce  de  manie  fanatique  se  re- 
nouvela quelquefois;  elle  fil  grand  bruit  au 
commencement  du  dix-huitième  siècle;  et 
on  prit  encore  pour  des  miracles  les  convul- 
sions, les  contorsions  et  les  grimaces  d'une 
foule  d'insensés.  Les  gens  mélancoliques  et 
atrabilaires  ont  beaucoup  de  dispositions  à 
tes  jongleries.  Si  dans  le  temps  surtout  où 
leur  esprit  est  dérangé,  ils  s'appliquent  A 
lever  fortement,  ils  finissent  toujours  par 
tomber  en  extase,  et  se  persuadent  qu'ils 
peuvent  ainsi  prophétiser.  Cetle  maladie  se 
communique  aux  ';sprils  faibles,  et  le  corps 
s'en  ressent.  De  là  vient,  ajoute  Rrueys  (Ij, 
que,  dans  le  fort  de  leurs  accès,  les  convul- 
sionnaires  se  jettent  par  terre,  où  ils  demeu- 
rent quelquefois  assoupis.  D'autres  fois,  ils 
sagitenl  extraordinairenient;  et  c'est  en  ces 
différents  états  qu'on  les  entend  parler  d'une 

(I,  Préfacpde  PHisloire  du  FanatisniP. 

(i)  Carré  de  Monlgeron  a  recueilli  ces  merveilles  en 
iriiis  f-ros  Yoliinios  iii-4°,  avec  ligurc"!.  Voici  un  de  ces 
minicles  raj'porlû  dans  unp  cIi;jii50ii  île  inaJ.ime  la  Uu- 


voix  étouffée,  et  débiter  toiiles  les  extrava- 
gnncesdoiit  leur  folle  iiiinginalioiiest  remplie- 
Tout  le  monde  a  entendu  parler  des  con- 
vulsions et  des  merveilles  absurdes  qui 
euri'nl  lieu,  dans  ia  capitale  de  la  Fr.inec, 
sur  le  tombeau  du  diacre  l'âris.  homme  in- 
connu pendant  sa  vie,  et  trop  célèbre  après 
sa  mort  (2).  La  frénésie  fanatique  alla  si 
loin,  que  le  gouvernement  fut  obligé,  en 
1732,  de  fermer  le  cimetière  Sainl-iMcdard, 
où  Paris  était  enterré."  Sur  quoi  un  plaisant 
fit  ces  deux  vers  : 

De  par  le  roi,  défense  à  tJieu, 
D'opérer  miracle  en  ce  lieu. 

Dès  lors  les  convulsionnaires  tinrent  leurs 
séances  dans  des  lieux  particuliers,  et  se 
donnèrent  en  spectacle  cerlains  jours  du 
mois.  On  accourait  pour  les  voir,  et  leur  ré- 
putation surpassa  bientôt  celle  des  bohé- 
miens ;  puis  elle  tomba,  tuée  par  l'excès  et 
le  ridicule. 

COi'EKNIC,  astronome  célèbre,  mort  en 
15't3.  On  dit  communément  que  son  système 
fut  condamné  par  la  cour  de  Rome  :  ce  qui 
est  faux  et  controuvé.  11  vivait  à  Rome  d'un 
bon  canonical,  et  y  professait  librement  Ga- 
stronomie. Mais  voyez  à  ce  sujet  larlicle  Ga- 
lilée. 

COQ.  Le  coq  a,  dit-on,  le  pouvoir  de  met- 
tre en  fuite  les  puissances  infernales;  et 
comme  on  a  remarqué  que  le  démon,  qu'on 
appelle  le  lion  d'eafer,  disparaît  dès  qu'il 
voit  ou  entend  le  coq,  on  a  répandu  aussi 
cette  opinion  que  le  chant  ou  la  vue  du  coq 
épouvante  et  fait  fuir  le  lion.  C'est  du  moins 
le  sentiment  de  Pierre  Delancre. 

«  Mais  il  faut  répondre  à  ces  savants,  dit 
M.  Salgues  (3),  que  nous  avons  des  lions 
dans  nos  ménageries;  qu'on  leur  a  présenté 
des  coqs;  que  ces  coqs  ont  chanté  ,  et  qu'au 
lieu  d'en  avoir  peur,  les  lions  n'ont  témoigné 
que  le  désir  de  croquer  l'oiseau  chanteur; 
que  toutes  les  fois  qu'on  a  mis  un  coq  dans 
la  cage  d'un  lion,  loin  que  le  coq  ait  tué  le 
lion,  c'est  au  contraire  le  lion  qui  a  mangé 
le  coq.  » 

On  sait  que  tout  disparaît  au  sabbat  aus- 
sitôt que  le  coq  chante.  On  cite  plusieurs 
exemples  d'assemblées  de  démons  et  de  sor- 
cières que  le  premier  chant  du  coq  a  mises 
en  déroule;  on  dit  irêoie  que  ce  son,  qui  est 
pour  nous,  par  une  sorte  de  miracle  perpé- 
tuel, une  horloge  vivante,  force  les  démons, 
dans  les  airs,  à  laisser  tomber  ce  qu'ils  por- 
tent :  c'est  à  peu  près  la  vertu  qu'on  attribue 
au  son  des  cloches.  Pour  empêcher  le  coq  de 
chanter  pendant  leurs  assemblées  nocturnes, 
les  sorciers,  instruits  par  le  diable,  ont  soin 
de  lui  frotter  la  tête  et  le  front  d'huile  d'o- 
live, ou  de  lui  mettre  au  cou  un  collier  de 
sarment. 

Beaucoup  d'idées  superslitieuses  se  ratta- 
chent à  cet  oiseau  ,  symbole  du  courage  el 

chesse  du  Maine  : 

Un  dikroUeur  à  la  royale. 
Bu  l:ilon  gmiclie  esiropié, 
Oliliiit,  pour  grâce  spéciale. 
D'être  lioitpux  île  l'aulro  pié. 
{'>)  Vus  Erreurs  cl  d'-s  préj'igc^,  eic,  pr<f^ce. 


40  f 


COR 


COR 


4»J 


de  la  vigilance,  vieil  emblème  des  Françiiis. 
On  dil  qu'un  jour  Vitellius  rendant  la  jus- 
lice  à  Vienne  en  Dauphiné  ,  un  coq  vint  se 
percher  sur  son  épaule;  ses  devins  décidè- 
rent aussitôt  que  l'empereur  tomberait  sûre- 
ment sous  un  Gaulois  ;  et ,  en  effet,  il  fut 
vaincu  par  un  Gaulois  de  Toulouse. 

On  devinait  les  choses  futures  parle  moyen 
du  coq  (Voy.  Alectryomancie). 

On  dit  aussi  qu'il  se  forme  dans  l'estomac 
des  coqs  une  pierre  qu'on  nomme  pierre  alec- 
loriennc,  du  nom  grec  de  l'animal.  Les  an- 
ciens accordaient  à  cette  pierre  la  propriété 
de  donner  le  courage  et  la  force  :  c'est  à  sa 
vertu  qu'ils  allribuaicnt  la  force  prodigieuse 
de  Milon  de  Crotone.  On  lui  supposait  enco- 
re le  don  d'enricliir,  et  quelques-uns  la  re- 
gardaient comme  un  philtre  qui  modérait  la 
soif. 

On  pensait  encore  autrefois  qu'il  y  avait 
dans  le  coq  des  vertus  propres  à  la  sorcelle- 
rie. On  disait  qu'avant  d'exécuter  ses  malé- 
fices, Léonora  Galigaï  ne  mangeait  que  des 
crêtes  de  coq  et  des  rognons  de  bélier  qu'elle 
avait  fait  charmer.  Ou  voit,  dans  les  accusa- 
tions portées  contre  elle,  qu'elle  sacriQail  des 
coqs  aux  démons  (1). 

Certains  Juifs,  la  veille  du  chipur  ou  jour 
du  pardon,  chargent  de  leurs  péchés  un  coq 
blanc  qu'ils  étranglent  ensuite  ,  qu'ils  font 
rôtir,  que  personne  ne  veut  manger,  et  dont 
ils  exposent  les  entrailles  sur  le  toit  de  leur 
maison. 

On  sacrifiait,  dans  certaines  localités  su- 
perstitieuses ,  un  coq  à  saint  Christophe  , 
pour  en  obtenir  des  guérisons. 

On  croyait  enfin  que  les  coqs  pondaient 
des  œufs,  et  que,  ces  œufs  étant  maudits  ,  11 
en  sortait  un  serpent  ou  un  bas'.lic.  «  Cette 
superstition  fut  très-répandut;  on  Suisse;  et, 
dans  une  petite  clironi(iue  de  BâiL'  ,  Gross 
raconte  sérieusement  qu'au  mois  d'août  li7'i. 
un  coq  de  celte  ville  ,  ayant  été  accusé  et 
convaincu  de  ce  crime,  fut  condamné  à  mort. 
Le  bourgeois  le  biûla  publicjuemcut  avec  sou 
œuf,  dans  un  endroit  nommé  Kablenberg,  à 
la  vue  d'une  grande  multitude  de  person- 
nes (2).  »  Voy.  Basilic,  Mariage,  etc. 

CORAIL.  Quelques  auteurs  ont  écrit  que 
le  corail  a  la  vertu  d'arrêter  le  sang  et  d'é- 
carter les  mauvais  génies.  Marsile  Ficin  pré- 
tend que  le  corail  éloigne  les  terreurs  pani- 
ques et  préserve  de  la  foudre  et  de  la  gréie. 
Liceti  en  donne  celte  raison,  que  le  corail 
exhale  une  vapeur  chaude  qui,  s  élevant  en 
l'air,  dissipe  tout  ce  qui  peut  causer  la  grêle 
ou  le  tonnerre. 

Brown,  dans  ses  Essais  sur  les  erreurs  po- 
pulaires, Ml  qu'il  est  lanlé  de  croire  que  l'u- 
sage de  mettre  des  colliers  de  corail  aa  cou 
des  enfants  ,  dans  l'espérance  de  leur  faire 
sortir  les  dcnls,  a  une  origine  superstitieuse, 
et  que  l'on  se  servait  autrefois  du  corail 
comme  d'une  amulette  ou  préservatif  contre 
les  sortilèges. 

CORBEAU, oiseau  de  mauvais  augure,  qui, 

(I)  M.  GariiK'l,  llisloirp  de  la  m;igie  en  France,  p.  100. 
{i)  OicUoiiuaiie  d'jiiCL'Oulns  suisses,  p.  Ui. 


dans  les  idées  superstitieuses  ,  annonce  des 
malheurs  et  quelquefois  la  mort.  Il  a  pour- 
tant des  qualités  merveilleuses.  Le  livre  des 
Admirables  secrets  d'Albert  le  Grand  dit  que 
si  l'on  fait  cuire  ses  œufs,  et  qu'ensuite  orj 
les  remette  dans  le  nid  où  on  les  aura  pris, 
aussitôt  le  corbeau  s'en  ira  dans  une  île  où 
Alogricus,  autrement  appelé  AIruy,  a  été  en- 
seveli ,  et  il  en  apportera  une  pierre  avec 
laquelle,  touchant  ses  œufs,  il  les  fera  reve- 
nir diins  leur  premier  étal  ;  «  ce  qui  est  tout 
à  fait  surprenant.  »  Cette  pierre  se  nomme 
pierre  indienne,  parce  qu'elle  se  trouve  or- 
dinairement aux  Indes. 

On  a  deviné,  par  le  chant  du  corbeau,  si 
son  croassement  peut  s'appeler  chant.  M.  Bo- 
ry  de  Saint-Vincent  trouve  (jue  c'est  un  lan- 
gage. On  l'interprète  en  Islande  pour  la  con- 
naissance des  affaires  d'Etat.  Le  peuple  le  re- 
garde comme  instruit  de  tout  ce  qui  se  passe 
au  loin,  et  annonçant  aussi  très-bien  l'avenir. 
Il  prévoit  surtout  les  morts  qui  doivent  frap- 
per une  famille,  et  vient  se  percher  sur  le 
toit  de  la  maison,  d'où  il  part  pour  faire  le 
tour  du  cimetière,  avec  un  cri  continu  et  des 
inflexions  de  voix.  Les  Islandais  disent  qu'un 
de  leurs  savants,  (|ui  avait  le  don  d'entendre 
l'idiome  du  corbeau  ,  était ,  parce  moyen, 
instruit  des  choses  les  plus  cachées. 

Hésiode  avance  que  la  corneille  vit  huit 
cent  soixante-quatre  ans,  tandis  que  l'hom- 
me ne  doit  vivre  que  quatre-vingt-seize  ans, 
et  il  assure  que  le  corbeau  vit  trois  fois  plus 
que  la  corneille  :  ce  qui  fait  deux  mille  cinq 
cent  (juatre-vingl-douze  ans. 

On  croit,  dans  la  Bretagne,  ([uedelix  cor- 
beaux président  à  chaque  maison,  et  qu'ils 
annoncent  la  vie  et  la  mort.  Les  habitants  du 
Finistère  assurent  encore  que  l'on  voit,  sur 
un  rocher  éloigné  du  rivage,  les  âmes  de  leur 
roi  Gralon  et  de  sa  fille  Dahut,  qui  leur  ap- 
paraissent sous  la  forme  de  deux  corbeaux  ; 
elles  disparaissent  à  l'œil  de  ceux  (jui  s'en 
approchenl  (3).  Voy.  Odin,  Cicéron  ,  Augu- 
res, etc. 

Légende  du  jugement  des  corbeaux. 

Au  haut  du  chemin  de  Saint-Jacques,  qu'on 
nomme  aujourd'hui  à  Bruxelles  la  rue  de  la 
Madeleine  ,  il  y  avait  jadis  un  cabaret  de 
grande  renommée.  On  l'appelait  le  caban  t 
de  la  Haute-Pinte.  On  croit  qu'il  llorissait 
déjà  au  dixième  siècle.  Quand  l'empereur 
Othon  II  habitait  cette  ville  alors  peu  éten- 
due, on  voyait  dans  son  voisinage  une  mai- 
son de  plaisance  où  l'on  se  rendait  par  un 
chemin  qui  est  à  présent  la  rue  de  l'Empe- 
reur; et  déjà  l'on  ajoute  que  l'estaminet  de 
la  Uaule-Pinte  était  prospère. 

Vers  l'an  9o0  ,  il  n'y  avait  pas  encore  d& 
puissance  organisée  dans  ce  pays;  proba- 
blement, ce  fut  Hi'uri  1"  qui  commença  la 
série  des  ducs  de  Bi  abant,  (luoique  des  ama« 
leurs  fassent  remonter  ce  litre  jusqu'à  Pépin 
de  Landen,  cl  d'autres  môme  jusqu'à  Salvius- 
Brabo,  qui,  investi  par  César  du  pouvoir  su» 

(5)  Omibry,  voyage  dans  le  FinislèrB,  t.  II,  p.  2Si-. 


iO->  DiCI  lONNAUlE  UES  SCIENCES  OCCULTES. 

nrêiiie  sur  ces  contrées,  donna  son  nom  à 
a  principale  [)rovince  de  la  Belgique.  C'était 


404 


Conrad  le  Roux,  qui,  duc  de  la  France  lllié- 
naneeu  9a0,  devait  passer  pour  suzerain  de 
Itruxclles.  C«'tle  ville,  née  dans  l'île  de  Sainl- 
(:éry,  s'avançait  à  peine  juscîu'à  la  Graude- 
IMatc  actut'llê,  qui  était  un  élan;;  ses  envi- 
rons app.irlenaient  à  sept  puissants  sei- 
gneurs. Possesseurs  du  sol  et  souverains  des 
iiabilants  ,  ils  n'y  purent  cepend.inl  aussi 
«•oinplétcment  qu'en  Allemagne  établir  la 
hiérarchie  féodale. 

Le  premier  de  ces  seigneurs  était  Huygs  , 
seigneur  de  la  Kantcrsteen,  dont  le  nom  n'a 
pas  encore  péri  dans  Bruxelles;  son  château 
s'élevait  au  coin  de  la  rue  des  Sols,  vis-à-vis 
le  cabaret;  l'avenue  large  et  spacieuse  qui 
conduisait  à  ce  manoir  en  a  gardé  le  nom. 
Après  lui  venait  ser  Leeuws,  ou  sire  Lion, 
seigneur  de  Maxitnilianstecn,  de  qui  vient  le 
nom  de  la  rue  Maximilienne,  et  non  de  l'em- 
pereur allemand,  comme  quelques-uns  l'ont 
cru.  On  a  dit  aussi  que  ser  Leruws  ayant  un 
lion  pour  insigne,  avait  donné  à  son  pays  le 
Lion  Belgique;  c'est  une  autre  erreur.  Vous 
pouv<z  lire  dans  la  chronologie  de  Thomas 
Biaise,  que  le  pi  ux  Hililegard  ,  (]ui  vivait  à 
la  cour  de  Sunnon,  l'un  des  rois  francs,  pré- 
décesseurs doMérovée,  prédit  que  les  aigles 
romaines  seraient  un  jour  terrassées  par  le 
Lion  Franco -Belge;  et  en  effet,  depuis  l'éta- 
blissement des  Francs  dans  la  Campine  en 
t:80,  on  vous  soutiendra  que  les  fiaules  du 
Nord  ont  toujours  eu  le  lion  à  leur  bannière. 
Les  cinq  autres  seigneurs,  beaucoup  moins 
importants,  étaient  Steenwegs,  seigneur  de 
Valkenbourg  ;  Caudenberg,  seigneur  de 
Zouthujs,  ou,  selon  d'autres,  Zouthuys,  sei- 
gneur de  Caudcnberg  ;  Uoelofs  ou  Uodolphe, 
seigneur  de  Hoysteen;  Sweerts ,  seigneur  de 
l'aëhuys  ;  et  Hotlenbeek  ,  seigneur  de  Plat- 
t  sticn.  Son  château  était  à  la  rue  de  la 
Pierre  Plate  (plallesteen)  qui  a  conservé  son 
nom.  Plusieurs  autres  ruesportent  encore  en 
ilamand  les  noms  de  ces  seigneurs. 

Or  ,  en  celte  même  année  950 ,  les  hommes 
moins  inventifsquenoas  ne  le  sommes  deve- 
nus, trouvèrent  pourtant  (car  ils  trouvaient 
quelquefois)  le  secret  de  fabriquer  celte  bièic 
exquise  que,  depuis  le  seizième  siècle,  on  ap- 
pelle faro,  et  qui  est  demeurée  sans  contre- 
dit l'une  des  premières  bièriîs  du  monde.  On 
a  dit  à  tort  qu'elle  n'avait  été  inventée  qu'au 
treizième  siècle,  puisqu'on  en  buvait  à  la 
cour  de  Jean  1".  On  a  avancé  qu'elle  se 
nommait  faro,  d'un  vieux  mot  français  qui 
s'écrit  faraud  aujourd'hui  ,  et  qui  veut  dire 
élégant  et  riche,  parce  que  cette  bière,  per- 
fectionnée au  treizième  siècle,  n'était  desti- 
née qu'aux  gens  aisés  ;  mais  elle  fiit  nommée 
faro  par  les  espagnols  venus  à  la  suite  de 
tlharles-Quint,  parce  qu'au  premier  aspect 
i!s  1.1  prirent  pour  du  vin  de  Faro  en  Portu- 
gal, dont  el'c  a  la  couleur  dorée. 

(j'est  aussi  des  Esp.ignols  quVst  venu  le 
mol  estaminet,  cstaminetlo  dans  leur  langue, 
roulant  dire  réunion  ou  petite  assemblée. 

Dans  tous  les  cas ,  César  et  Tacite  nous 
apprennent  que  de  leur  temps,  on  faisait  de 


bonne  bière  en  tout  ce  pays;  que  déjà  on  en 
employait  l'écume  à  la  levure  du  pain.  Alors 
pareillement,  il  y  avait  de  grands  vignobles 
à  Etterbeek  et  à  Saint-Josse-len-Noode. 

Mais  revenons  à  notre  simple  histoire 
Nous  remettrons  donc  en  avant  ce  fait,  qu'er. 
950,  deux  Bruxellois  de  la  banlieue  ou  de 
Vexlra  muros,  habitant  l'un  la  seigneurie  de 
Kantersteen,  l'autre  les  domaines  de  sir 
Steenwegs  ,  prétendirent  tous  deux  avoir 
trouvé  le  secret  du  faro.  LeseigneurHugues, 
qui  était  grand  buveur,  et  pour  qui,  dans  la 
suite  ,  on  fit  le  lembeek  ,  avait  promis  une 
récompense  encourageante  à  celui  de  ses 
voisins  qui  perfectionnerait  la  bière  Cette 
prime  était  l'exemption  à  perpétuité  de  tout 
impôt.  Maître  Géry  Knaps ,  maître  de  l'esta- 
minet de  la  Haute-Pinte,  fut,  à  ce  qu'on  croit, 
le  véritable  inventeur.  Mais  Jean  Munters , 
qui  tenait  cabaret  dans  la  rue  de  IaKanter-. 
steen,  se  présenta  comme  l'ayant  imaginée 
aussi.  Il  avait  pour  enseigne  ;  La  bouteille 
de  Brabant.  Sir  Hugues  qui  se  faisait  vieux, 
fit  comparaître  les  parties  en  sa  présence  et 
dégusta  longuement  et  gravement  leurs  li- 
quides. La  comparaison  qu'il  en  voulut  ana- 
lyser dura  trois  jours  ;  plusieurs  brocs  y 
passèrent.  Les  deux  cabaretiers  ayant  eu 
également  bon  succès,  sir  Hugues  ne  sut  rien 
décider  et  confessa  en  conscience  qu'ils 
avaient  tous  deux  parfaitement  travaillé. 

Ne  voulant  pourtant  récompenser  qu'un 
seul  industriel ,  il  déclara  qu'il  fallait  ,  pour 
connaître  qui  avait  inventé  le  premier, 
s'en  rapporter  à  une  épreuve,  par  le  juge- 
ment de  Dieu.  On  sait  que  ce  jugement  se 
rendait  par  le  sort  ou  par  le  combat.  Les  ca- 
baretiers sont  peu  guerroyeurs  :  la  pinte  et 
la  bouteille  ne  se  soucièrent  pas  de  se  heur- 
ter. On  chercha  l'autre  moyen. 

11  y  avait  encore  dans  le  pays  une  vieille 
coutume  qui  venait  des  Druides,  et  qu'on 
employait  (luelquefois.  Dans  les  querelles 
embrouillées,  où  les  plaideurs  ne  voulaient 
se  battre  ni  à  l'épée  ni  au  bâton,  deux  cor- 
beaux devenaient  arbitre  du  procès.  Les 
parties  mettaient  sur  une  planche  deux  gâ- 
teaux de  farine,  détrempée  avec  de  l'huile, 
dos  œufs  et  un  peu  de  vieux  vin  ;  ils  por- 
taient ces  deux  gâteaux  au  bord  du  lac, 
d'ixelles,  après  quoi  on  lâchait  deux  cor- 
beaux qui  mangeaient  un  des  gâteaux  en 
entier  etéparpillaicnt  l'autre.  La  partie  dont 
le  gâteau  n'élaitqu'éparpillégagnaitsa  cau-e. 

Il  est  facile  de  l'aire  de  l'esprit.  Saint-Fuix 
a  dit  que  cette  ordalie  était  un  emblème  par 
lequel  les  Druides  ont  prophétisé  la  façon 
dont  on  rendrait  un  jour  la  justice  chez  nous. 
«  Les  corbeaux  sont  voraces  ,  ajoute-l-il  ; 
leur  plumage  est  noir,  et  la  partie  qui  gagne 
est  presque  toujours  aussi  ruinée  que  celle 
qui  perd.  » 

Quoiqu'il  en  soit ,  Jean  Munters  qui  était 
fin  ,  ayant  mis  du  vin  d'Kiterbeck  dans  son 
gâteau,  les  deux  corbeaux  mangèrent  celui 
de  Géry  Knaps  et  ne  firent  qu'éparpiller  le 
gâicau  de  la  grosse  Bouteille.  Munters  eut 
donc  l'excniflion  dont  il  nejouit(iuc  jusqu'à 
l'avciiemcnt  de  Jean  1",  duc  de  B:abanl ,  d^ 


»os 


con 


cori 


rfl 


la  maison  de  Louv<Tiii,  qui  aiiimil  la  pieler- 
inaii.  Mais  Icslamiiul  do  la  Bi)uteille  de 
iBrabant,  dans  la  Kantersieen  ,  a  loujours 
!ou  depuis  le  corbeau  pour  emblème.  11  n'en 
(reste  plus  que  l'enseigne;  le  cabaret  s'est 
)  iransporlé  ailleurs. 

'  COKBIÎAU  NOIR.  Voy.  Cauce  du  sabbat. 
COUDE  DE  PENDU.  Les  gens  crédules  pré- 
lenda'enl  autrefois  qu'avec  de  la  corde  de 
pendu  on  échappait  à  tous  les  dangers  et 
((u'on  était  heureux  au  jeu.  Ou  n'avait  qu'à 
se  serrer  les  tempes  avec  une  corde  de  pendu 
pour  se  guérir  de  la  migraine.  On  portail  un 
morceau  de  cette  corde  dans  sa  poche  pour 
SI-  garantir  du  mal  de  dents.  EnQn,  on  se  sert 
de  cette  expression  proverbiale,  avoir  de  la 
corde  de  pendu,  pour  indi(iuer  un  bonheur 
constant,  et  les  Anglais  du  menu  peuple  cou- 
rent encore  après  la  corde  de  pendu  (1). 

COUDELIERS  DOllLÉANS.On  a  fait  grand 
bruil  de  l'affaire  descordeliers  d'Orléans,  qui 
eut  lieu  sousFrançois  1". Les  proleslauls  s'en 
emparèrent;  et  d'un  tort  qui  est  assez  mal 
établi,  on  fit  un  crime,  aux  moines.  C'était 
peut-être  faire  leur  éloge  que  de  s'étonner 
qu'ils  ne  fussent  pas  tous  des  anges.  Voici 
l'histoire. 

Le  seigneur  de  Saint-Mesniin,  prévôt  d'Or- 
léans, qui  donnait  dans  les  erreurs  de  Luther, 
devint  veuf.  Sa  femme  élaitcomme  lui  luthé- 
rienne en  sccrcl.  Il  la  flt  enterrer  sans  (lam- 
beaux et  sans  cérémonies.  Elle  n'avait  pas 
reçu  les  derniers  sacrements.  Le  gardien  et 
le  custode  des  cordeliers  d'Orléans,  indignés 
de  ce  scandale,  firent  cacher,  dit-on,  un  de 
leurs  novices  dans  les  voûtes  de  l'église,  avec 
des  instructions.  Aux  matines,  ce  novice  fit 
du  bruit  sur  les  voûtes.  L'exorciste,  qui  pou- 
vait bien  n'être  pas  dans  le  secret,  prit  lo  ri- 
tuel, et  croyant  que  c'était  un  esprit,  lui  de- 
manda qui  il  était? 
Point  de  réponse. 

—  S'il  était  niuef? 

Il  frappa  trois  coups. 

On  n'alla  pas  plus  loin  ce  jour-là.  Le  len- 
demain et  le  surlendemain  ;  le  même  incideul 
èe  répéta. 

Fantôme  ou  esprit,  dit  alors  l'exorcisîe, 
cs-tu  l'âiiie  d'un  tel? 

Point  de  réponse. 

—  D'un  tel. 
Point  de  réponse. 

On  nomma  successivement  plusieurs  per- 
sonnes enterrées  dans  l'église.  Au  noin  do 
Louise  de  Mareau  ,  femme  de  François  de 
Saint-Mesmin,  prévôt  d'Orléans,  l'esprit 
frappa  trois  coups. 

Es-lu  dans  les  flammes  ? 

Trois  coups. 

—  Es-lu  damnée  pour  avoir  partagé  les 
erreurs  de  Luther? 

Trois  grands  coups. 

Les  assistants  étaient  dans  l'effroi.  On  se 
disposait  à  signifier  au  seigneur  de  Saint- 
Mesmin  denlever  de  l'église  sa  luthérienne  ; 
mais  il  ne  se  déconcerta  pas.  Il  courut  à 
Paris  et  obtint  des  commissaires  du  conseil 

M)  Salguns,  Des  Erreurs  cl  des  préjugés,  i.  I,  p.  [53. 


d'Etat  un  arrêt  qui  condamnait  huit  corde- 
liers d'Orléans  à  faire  amende  honorable, 
pour  avoir  supposé  de  fausses  apparitions 

(i;m). 

Une  preuve  que  celte  faute  était  indivi- 
duelle, c'est  qu'elle  fut  cnndimnce  par  l'au- 
torité ecclésiastique,  tt(iue  les  huit  condam- 
nés, dont  deux  seulement  étaient  coupables, 
le  gardien  et  le  custode,  furent  bannis  sans 
que  p  Tsonne  n'appelât  ni  ne  réclamât. 

CORÉ,  compagnon  de  Dathan  cl  d'Abiron. 
Les  mahoinéîans,  qui  le  confondent  avec  le 
batelier  Caron,  le  font  cousin-germain  do 
.Md'isf,  qui,  le  voyant  pauvre  ,  lui  enseigna 
l'alchimie,  par  le  moyeu  de  laciuelle  il  acquit 
de  si  grandes  richesses  qu'il  lui  fallait  qua- 
rante chameaux  pour  porter  son  or  et  sou  ar- 
gent. Il  y  en  a  qui  prétendent  même  que 
plusieurs  chameaux  étaient  chargés  seule- 
ment des  clefs  de  ses  coffres-forts. 

Mo'i'se  ayant  ordonné  aux  Israélites  de  payer 
la  dîme  de  tous  leurs  biens  (nous  suivons 
toujours  les  auteurs  musulmans),  Coré  refusa 
d'obéir,  se  souleva  môme  contre  son  bienfai- 
teur jusqu'à  répandre  sur  lui  des  calomnies 
qui  allaient  lui  faire  perdre  son  autorité 
parmi  le  peuple,  si  Mo'ise  ne  s'en  fût  plaint  à 
Dieu,  qui  lui  permit  de  punir  l'ingrat  ;  alors 
.Mo'ise  lui  donna  sa  malédiction,  et  ordonna 
à  la  terre  de  l'engloutir,  ce  qui  s'exécuta. 

CORNEILLE.  Le  chant  de  la  rorneill;  était 
regardé  des  anciens  comme  un  très-inauvais 
présage  puurceluiqui  commençait  une  entre- 
|)rise  :  ils  l'invoquaient  cependant  avant  le 
mariage,  parce  qu'ils  croy.iient  que  les  cor- 
neilles, après  la  mort  de  l'un  ou  de  l'autre 
(•ouple,  observaient  une  sorte  de  veuvage. 
Voy.  Corbeau,  Auguhes,  etc. 

Les  sorcières  ont  eu  quelquefois  des  cor- 
neilles à  leur  service,  comme  on  le  voit  par 
la  légende  qui  suit,  et  qui,  conservée  par 
Vincent  de  Guillerin  {Specl.  Iiist. ,  lib.  20),  a 
inspiré  plus  d'une  ballade  sauvage,  en  .Angle- 
terre et  en  Ecosse. 

La  Corneille  de  Barkleij. 

Une  vieille  Anglaise,  de  la  pciile  ville  do 
Barkiey,  exerçait  en  secret,  au  onzième  siècle, 
la  magie  et  la  sorcellerie  avec  grande  habi- 
leté. Un  jour  ,  pendant  qu'elle  dînait,  une 
corneille  ([u'elle  avait  auprès  d'elle  et  dont 
personnene  soupç:)nnail  l'emploi,  lui  croassa 
je  ne  sais  quoi  de  plus  clair  qu'à  l'ordinaire. 
Elle  pâlit,  poussa  de  profonds  soupirs  et  s'é- 
cria :  — J'apprendrai  aujourd'hui  de  grands 
malheurs. 

A  peine  achevait-elle  ces  mots,  qu'on  vint 
lui  iinnonccr  que  son  fils  aîné  et  toute  la  fa- 
mille de  ce  (ils  étaient  morts  de  mort  subite. 
Pénétrée  de  douleur,  elle  as.scmbia  ses  autres 
enfants  ,  parmi  lesquels  était  un  l-on  moine 
el  une  sainte  religieuse  ;  elle  leur  dit  en  gé- 
missant: 

Jusqu'à  ce  jour,  je  me  suis  livrée,  mes  en- 
fants, aux  arts  magiques.Vous  frémissez;  mais 
le  passé  n'est  plus  en  mon  pouvoir.  Je  n'ai 
d'espoir  que  dans  vos  prières.  Je  sais  que  les 
démons  --ont  à  la  veille  de  me  posséder  pour 
me  punir  de  mes  crimes.  Je  vous  prie^comma 


407 


DICIION.NAIUE  Di:S  SCIENCLS  OCCILTES. 


403 


voire  mère,  do  soulager  les  toiirnicnls  quo 
j'endure  déjà.  Sans  vous,  ma  perle  me  paraît 
assurée,  car  je  vais  mourir  dans  un  inslanl. 
Renfermez  mon  corps,  enveloppé  d'une  peau 
de  cerf,  dans  une  bière  de  pierre  recouverte 
de  plomb  qui;  vous  lierez  par  (rois  tours  de 
chaîne.  Si,  pendant  trois  nuits,  je  reste  Iran- 
<|uille,  vous  m'ensevelirez  la  quatrième,  quoi- 
que je  craigne  que  la  terre  ne  veuille  point  re- 
cevoir mon  corps.  Pendant  cinquante  nuits, 
chanlci  des  psaumes  pour  moi,  et  que  pen- 
dant cinquante  jours  on  dise  des  messes. 

Ses  enfants  troublés  exécutèrent  ses  ordres; 
in. lis  ce  fut  sans  succès.  La  corneille,  qui  sans 
douten'élaitqu'undémon,  avait  disparu.  Les 
deux  premières  nuits  ,  tandis  que  les  clercs 
chantaient  des  psaumes ,  les  démons  enlevè- 
rent, comme  si  elles  eussent  été  de  paille,  les 
portes  du  caveau  et  emportèrent  les  deux 
premières  chaînes  qui  enveloppaient  la  caisse: 
la  nuit  suivante,  vers  le  chant  du  coq,  tout 
le  monastère  sembla  ébranlé  par  les  démons 
qui  entouraient  l'éilifice.  L'un  d'entre  eux, le 
plus  terrible,  parut  avec  une  taille  cobissale, 
et  réclama  la  bière.  Il  appela  la  morte  par 
son  nom;  il  lui  ordonna  de  sortir.  Je  ne  le 
puis,  répondit  le  cadavre,  je  suis  liée. 

—  Tu  vas  être  déliée  ,  répondit  Satan;  et 
aussitôt  il  brisa  comme  une  ficelle  la  troi- 
sième chaîne  de  fer  qui  restait  autour  de  la 
bière;  il  découvrit  d'un  coup  de  pied  le  cou- 
vercle, et  prenant  la  morte  par  la  main,  il 
l'entraîna  en  présence  de  tous  les  assistants. 
Un  cheval  noir  se  trouvait  là,  hennissant  fiè- 
rement, couvert  dune  selle  garnie  partout 
de  crochets  de  fer;  on  y  plaça  la  malheureuse 
et  tout  disparut;  on  entendit  seulement  dans 
le  lointain  les  derniers  cris  de  la  sorcière. 

CORNÉLIUS,  prêtre  païen  de  Padoue, 
dont  parle  Aulu-Gelle.  Il  avait  des  extases,  et 
son  âme  voyageait  hors  de  son  corps  ;  le  jour 
de  la  bataille  de  Pharsale,  il  dit  en  présence 
de  plusieurs  assistants,  qu'il  voyait  une  forte 
bataille ,  désignant  les  vainqueurs  et  les 
fuyards  ;  et,  à  la  fin,  il  s'écria  tout  à  coup  que 
César  avait  vaincu  (1). 

CORNES.  Tous  les  habitants  du  ténébreux 
empire  portent  des  cornes;  c'est  une  parlie 
essentielle  de  l'uniforme  infernal. 

On  a  vu  des  entants  avec  des  cornes,  et 
Harlholin  cite  un  religieux  du  monastère  de 
Saiiii-Jusiin,  qui  en  avait  deux  à  la  léle.  Le 
maréchal  de  Lavardiu  amena  au  roi  un  hom- 
me sauvage  qui  portail  des  cornes.  On  mon- 
trait à  Paris,  en  1C99  ,  un  Français,  nommé 
Trouillon,(lont  le  Iront  élailarmé'd'unecorue 
de  bélier  (2).  Voyez  Cippcs. 

Dans  le  royaume  de  Naples  cl  dans  d'au- 
trescoiilrées,  les  tomes  passent  pour  un  pré- 
servatif contre  It  s  sortilèges.  On  a  dans  les 
maisons  des  cornes  ornées  ;  et  dans  la  rue  ou 
dans  les  conversations,  lorsqu'on  sou|içoiine 
un  sorcier, on  lui  lait  discrèiemcnl  des  cornes 
avec  les  doigts  pour  paralyser  scn  intentions 
magiques.  Ou  pend  au  coii  des  enfants,  com- 
me oinemeul,  une  paire  de  petites  cornes. 


(1)  Lcloyer,  Histoire  des  spectres,  ou  Xumr.  Ji's 
II».  IV,  tli.  jiv,  p.  ijG. 


(■s|  nis. 


CORNET  D'OLDENHOURG,  Voy.  Olden- 

BOt'llG. 

CORRESPONDANCE    avec  l'enfer.    Voy. 

BiCIlBIGUIRR. 

CORSNED,  sorte  d'épreuve  chez  les  Anglo- 
Saxons,  qui  consistait  à  faire  manger  à  l'ac- 
iMisé  à  jeun  une  once  de  pain  ou  de  fromage 
consacré,  avec  beaucoup  de  cérémonies.  Si 
l'accusé  était  coupable,  cette  nourriture  de- 
vait l'étouffer  en  s'arrêtant  dans  le  gosier; 
mais  si  elle  passait  aisément,  l'accusé  était 
déclaré  innocent. 

CORYBANTIASME,  espèce  de  frénésie. 
Ceux  qui  en  étaient  attaqués  s'imaginaient 
voir  des  fanlômes  devant  leurs  yeux,  et  en- 
tendaient continuellement  des  siïflements.  Ils 
ouvraient  les  yeux  lorsqu'ils  dormaient.  Ce 
délire  sanguin  a  souvent  été  jugé  possession 
du  diable  par  lis  démouomanes. 

COSINGAS,  prince  des  Cerrhéniens  ,  peu- 
ples de  Thrace,  et  prêtre  de  Junon.  Il  s'avisa 
d'un  singulier  expédient  pour  réduire  ses  su- 
jets rebelles.  Il  ordonna  d'attacher  plusieurs 
longues  échelles  les  unes  aux  autres,  et  fil 
courir  le  bruil  ((u'il  allait  monter  au  ciel,  vers 
Junon,  pour  lui  demander  raison  de  la  déso- 
béissance de  son  peuple.  Alors  les  Thraces, 
supersiitieux  el  grossiers,  se  soumirent  à  Co- 
singas,  et  s'engagèrent  par  serment  à  lui  rester 
fidèles. 

COSQUINOMANGIE,sorlededivinatiouqui 
se  pratique  au  moyen  d'un  crible,  d'un  sas, 
ou  d'un  tamis.  On  mettait  un  crible  surd(s 
tenailles,  qu'on  prenait  avec  deux  doigts;  en- 
suite on  nommait  les  personnes  soupçonnées 
de  larcin  ou  de  quelque  crime  secret,  et  on 
jugeait  coupable  celle  au  nonade  qui  le  crible 
lournait  ou  tremblait,  comme  si  celui  qui  te- 
nait les  tenailles,  ne  pouvait  pas  remuer  le 
crible  à  sa  volonté  1 

Au  lieu  du  crible,  on  met  aussi  (car  ces 
divinations  se  pratiquent  encore)  un  tamis 
sur  un  pivot,  pour  connaître  l'auteur  d'un 
vol  ;  ou  iioiiimc  de  même  l 'S  personnes  soup- 
çonnées, et  le  lamis  fourneau  nom  du  voleur. 
C'est  ce  qu'en  appiille,  dans  les  campagnes, 
tourner  le  5os.  Cette  superstition  est  surtout 
Irès-répandue  dans  la  Bretagne  (3j.  Voy. 
Cbible. 

COTE.  Dieu  prit  une  côle  d'Adam,  pour  en 
faire  noire  mère  Eve.  Mais  il  ne  faut  p<is 
croire  pour  cela,  comme  f.iit  le  vulgaire,  que 
dans  les  desci  ndants  d'.Vdain  l(;s  hoiiiuies  ont 
une  côle  de  moins  que  les  femmes. 

COU.  Ou  regardait  chez  les  anciens  com- 
me   uu    augure  favorable    une    palpitation 
dans  la  parlie  gauche  du  cou,  el  comme  lu 
ncsle    celle  qui    avait  lieu    dans   la    partie 
droite. 

COUCHES.  On  prétendait,  en  certains  pays, 
faire  accoucher  aisémeiil  les  femmes  en  liant 
leur  ceinture  à  la  cloche  de  l'église,  et  en  soii- 
iiaiil  trois  coups. Ailleurs,  la  femme  en  cou- 
ches meltail  la   culotte   de  son  mari.    Voy. 

AÉTITE. 

COUCOU.    On   croit    eu   Bretagne,   qu'en 

(2)  M  SMigiH'.s,  Di^sICrreiir.seldi'siiréjiigés.  I.  Ht,  p.  ii>i 
tôj  .M.  CaiiiUry,  Vny,i;ji'  daus  le  Fiuialèio,  t.  tll,  ['■  ii ■ 


iO'» 


cou 


cou 


4ta 


complanl  le  clianl  du  coucou,  on  y  trouve 
l'aDiionce  de  l'année  précise  où  l'on  doil  se 
marier  (l).  Silchantclroisfois.onse  mariera 
dans  trois  ans,  etc. 

On  croit  aussi,  dans  la  plupart  des  provin- 
ces, que  si  on  a  de  l'argent  avec  soi  la  pre- 
mière l'ois  qu'on  entend  le  chant  du  coucou, 
01)  en  aura  toute  l'année. —  Le  coucou  de 
Belkis,  dontnous  ne  savonsguère  quelenom, 
est  un  des  dix  animaux  que  Mahomet  place 
dans  son  paradis. 

COUCOULAMPONS.  anges  du  deuxième 
ordre,  qui,  quoique  matériels,  selon  les  ha- 
bitants de  Madagascar,  sont  invisibles  et  ne 
se  découvreiilqu'àceuxqu'ils  honorent  d'une 
protection  spéciale.  11  y  en  a  dis  deux  sexes; 
ils  conlraclent  le  mariage  cnlre  eux,  et  sont 
sujets  à  la  mort;  mais  leur  vie  est  bien  plus 
longue  que  celle  des  hommes,  cl  leur  santé 
n'est  jamais  troublée  par  les  maladies.  Leur 
corps  est  à  l'épreuve  du  poison  et  de  tous  les 
accidents. 

COUDRIER.  Les  branches  de  cet  arbre  ont 
ser>  i  à  quel(jues  divinations.  Voy.  Baguette 

D|l  INâTOIHE. 

COULEUUS.  Pline  le  naturaliste  nous  ap- 
prend que  les  anciens  liraient  des  augures  et 
desprésag 'S  de  la  couleur  des  rayons  du  so- 
leil, de  la  lune,  des  planètes,  del'.ilr,  etc.  Le 
noir  est  le  signe  du  deuil,  dit  Rabelais,  parce 
que  c'est  la  couleur  des  ténèbres,  qui  sont 
tristes,  et  l'opposé  du  blanc,  qui  est  la  cou- 
leur de  la  lucnière  cl  de  la  joie. 

COUPE  (divination  par  la),  très-usitée 
en  Egypte  dès  le  temps  de  Joseph,  employée 
encore!  aujourd'hui.  Voy.  Hydromancie. 

COUPS.  En  1582,  dit  Pierre  Delancre  (2), 
il  arriva  qu'à  Conslanlinople,  à  Rome  et  à 
Paris,  certains  démons  et  mauvais  esprits 
frappaient  des  coups  aux  portes  des  maisons  ; 
cl  c'était  un  indice  de  la  morl  d'autanl  de 
personnes  qu'il  y  avait  de  coups. 

COUR  INFERNALE.  Wierus  et  d'autres 
démonomanes,  versés  dans  l'iiilime  connais- 
sance des  enfers,  ont  découvert  qu'il  y  avait 
là  des  princes,  des  nobles,  des  olliciers,  etc. 
Ils  ont  même  compté  le  nombre  des  démons, 
et  distingué  leurs  emplois  ,  leurs  dignités  el 
leur  puissance. 

Suivant  ce  qu'ils  ont  écrit,  S  ilau  n'est  plus 
trop  le  souverain  de  l'enfer;  He  zébulh  règne 
•i  sa  place.  Voici  l'état  aciuel  du  gouver- 
nement infernal. 

Princes  et  granch  dignitaires.  Belzébuth  , 
chef  suprême  de  l'empire  infernal,  fondateur 
de  l'ordre  de  la  Mouche. 

Satan,  chef  du  parti  de  l'opposition. 

Eurynome,  prince  de  la  mort,  grand'croix 
de  l'ordre  delà  Mouche. 

Moloch ,  prince  du  pays  des  larmes  , 
grand'croix  de  l'ordre. 

Pluton  ,  prince  du  feu. 

Léonard  ,  grand-maître  des  Sabbats,  che- 
valier de  la  Mouche. 

Baalberilh  ,  maître  des  alliances. 

Proserpine  ,  archidiablesse  ,  souveraine 
princesse  des  esprits  malins. 

(I)  M  Caiiiliry,  Voyage  clans  lo  Ftnisièrp,  t.  I,  p.  173. 
{,2}  Iiicrédulué  Kl  iiiéciéancc  du  surli  é;{i',  elc,  iraita  7, 


Ministères.  Adrameleck,  grand  chancelier, 
grand'croix  de  l'ordre  de  la  Mouche. 

Astaroth  .  grand  trésorier. 

Nergal,  chef  de  la  police  secrète. 

Baal,  général  en  chef  des  armées  infer- 
nales ,  grand'croix  de  l'ordre  de  la  Mouclio. 

Léviathan  ,  grand  amiral ,  chevalier  de  la 
Mouche. 

Ambassadeurs.  Belphégor,  ambassadeur  en 
France. 

Mammon ,  ambassadeur  en  Angleterre. 

Bélial,  ambassadeur  en  Turquie. 

Rimmon,  ambassadeur  en  Russie. 

Tliamuz ,  ambassadeur  en  Espagne, 

Hutgin,  ambassadeur  en  Italie. 

Martinet ,  ambassadeur  en  Suisse. 

Justice.  Lucifer,  grand-justicier. 

Alastor,  exécuteur  des  hautes-œuvres. 

Maison  des  princes.  Verdelet,  maître  des 
cérémonies. 

Succor-Benoth  ,  chef  des  eunuques. 

Chamos,  grand-chambellan,  chevalier  de 
la  Mouche. 

Melchom  ,  trésorier-payeur. 

Nisroch  ,  chef  de  la  cuisine. 

Béhemoth,  grand  échanson. 

Dagon  ,  grand  panetier. 

Mullin,  premier  valet.de  chambre. 

Menus-plaisirs.  Kobal ,  directeur  des  spec- 
tacles. 

Asmolée,  surintendant  des  maisons  de  jeu. 

Nybbas,  grand-paradisle. 

Antéchrist ,  escamoteur  el  nécromancien. 
Boguel  l'appelle  le  singe  de  Dieu. 

On  voit  que  les  démonomanes  se  montrent 
assez  gracieux  envers  les  habitanis  du  noir 
séjour.  Dieu  veuille  qu'après  tant  de  rêveries 
ils  n'aient  pas  mérité  d'aller  en  leur  société  ! 

M.  Berbiguier  a  écrit  en  1821,  après  avoir 
Iranscrit  cette  liste  des  princes  de  la  cour 
infernale  : 

«  Celle  cour  a  aussi  ses  représentants  sur 
la  terre  :  Moreau  ,  magicien  et  sorcier  à 
Paris ,  représentant  de  Belzébuth.  —  Piuil 
père,  médecin  à  la  Salpêtrière,  rep'-ésenlaiit 
de  Satan.  —  B  innet ,  employé  à  Versailles  , 
reprc>eiitant  d'Eurynome.  —  Bouge,  associé 
de  Nicolas,  représentant  de  Plutoii.  — Ni- 
colas, médecin  à  Avignon  ,  représcntaiit  de 
Moloch.  —  Baptiste  Prieur,  de  Moulins  ,  re- 
présentant de  Pan.  —  Prieur  aîné,  son  frère, 
marchand  droguiste  ,  représentant  de  Liliih. 
—  Etienne  Prieur,  de  Moulins,  représentant 
de  Léonard.  —  Papon-Lominy  ,  cousin  des 
Prieur,  représentant  de  Baalberilh.  —  Jean- 
neton  Lavalette,  laMansolte  el  la  Vandeval, 
représentant  de  i'archidiablesse  Proserpine, 
qui  a  voulu  mettre  trois  diablesses  à  mes 
trousses  ,  elc.  (3)  »  Voy.  Berbiguier. 

COURILS  ,  petits  démons  malins,  corrom-f 
pus  et  danseurs,  dont  M.  Cambry  a  trouvé  ta 
croyance  établie  sur  les  côtes  du  Finistère. 
On  les  rencontre  au  clair  de  la  lune,  sautant 
autour  des  pierres  consacrées  ou  des  monu- 
ments druidiques.  S'ils  vous  saisissent  par  la 
main  ,  il  faut  suivre  leurs  niouvenients  ;  ils 
vous  laissent  exténués  sur  la  place  «luaud  ils 

p.  57. 
("))  Les  FarMels,  elc  ,  t.  I,  \k  i  et  3. 


ill 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCKS  OCCULTES. 


in 


1,1  quittent.  Aussi  les  Bretons,  dans  la  nuil, 
évitent  avec  soin  les  lieux  habités  par  celte 
espèce  de  démons. 

On  ajoute  que  les  Courils  perdirent  une 
gr.indc  partie  de  leur  puissance  à  l'arrivée 
des  apôires  du  catholicisme  dans  le  pays. 
Vov.  SViLis. 

COURONNE  NUPTIALE.  Chez  les  habi- 
tants de  l'Eiitlebuch,  en  Suisse,  le  jour  des 
noces,  après  le  festin  et  les  danses,  une 
femme  velue  de  jaune  demande  à  la  jeune 
épousée  sa  couronne  virginale,  qu'elle  briile 
en  cérémonie.  Le  pétillement  du  feu  est , 
dit-on  ,  de  mauvais  augure  pour  les  nou- 
veaux mariés  (1). 

i  COURROIE  DE  SOULIER.  C'était  un  mau- 
vais présage  ciiez  les  Romains  ,  de  rompre 
la  courroie  de  son  soulier  en  sortant  de  chez 
soi.  Celui  qui  avait  ce  malheur  croyait  ne 
pouvoir  terminer  une  affaire  commencée, 
et  ajournait  celles  qu'il  s'était  proposé  d'en- 
treprendre. 

COURÏINIÈRE.  Un  gentilhomme  breton, 
nommé  M.  de  La  Courtinière,  ayant  reçu  un 
jour  dans  son  château  plusieurs  seigneurs 
ses  voisins,  les  traita  bien  pendant  quelques 
jours.  Aorès  leur  départ ,  il  se  plaignit  à  sa 
femme  de  ce  qu'elle  ne  leur  avait  pas  fait 
assez  bon  visage;  et,  quoiqu'il  fît  sans  doute 
ces  remontrances  avec  des  paroles  honnêtes, 
cette  femme ,  d'une  humeur  hautaine  ,  ne 
répondit  mol,  mais  résolut  intérieurement 
de  se  venger. 

M.  de  La  Courtinière  s'étant  couché  et 
dormant  profondément,  la  dame,  après  avoir 
corrompu  deux  de  ses  domestiques  ,  leur  fit 
égorger  son  mari,  dont  ils  portèrent  le  corps 
dans  un  cellier.  Ils  y  firent  une  fosse,  l'en- 
terrèrent; et  ils  placèrent  sur  la  fosse  un 
tonneau  plein  de  chair  de  porc  salée. 

La  dame  ,  le  lendemain,  annonça  que  son 
mari  était  allé  faire  un  voyage.  Peu  après  , 
elle  dit  qu'il  avait  été  tué  dans  un  bols,  en 
porta  le  deuil,  montra  du  chagrin  et  fit  faire 
des  services  dans  les  paroisses  voisines. 

Mais  ce  crime  ne  resta  pourtant  pas  im- 
puni :  le  frère  du  défunt,  qui  venait  consoler 
sa  belle-sœur  et  veiller  à  ses  affaires  ,  se 
protneiianl  un  jour  dans  le  jardin  du  châ- 
teau ,  et  contemplant  un  parterre  de  fleurs 
en  songeant  à  son  frère,  fut  pris  d'un  saigne- 
ment de  nez  qui  l'étonna  ,  n'ayant  jamais 
éprouvé  cet  accidenl.  Au  même  instant  il  lui 
sembla  voir  l'ombre  de  M.  de  La  Courtinière, 
qui  lui  faisait  signe  de  le  suivre.  Il  suivit  le 
spectre  jusqu'au  cellier,  où  il  le  vit  dispa- 
raître. 

Ce  prodige  lui  ayant  donné  des  soupçons  , 
il  en  parla  à  la  veuve,  qui  se  montra  épou- 
vantée. Les  soupçons  du  frère  se  fortifiant 
de  ce  Iroiihle,  il  fit  creuser  dans  le  lieu  où  il 
iivail  vu  (ilsparaîlrc  le  fanlôme.  On  décuu- 
>rit  le  cadavre  ,  qui  fut  levé  et  reconnu  par 
le  juge  de  Quii,i,jer-Corentin.  Les  coupaliles, 
arréiés,  furent  cniidamiiés,  la  veuve  (  Marie 
de  Sornin  ) ,  à  avoir  la  tcli-  tranchée  et  tous 
les  membres  de  son  corps  dispersés  ,  pour 

(1)  Dlctioiiiiairo  d'aiieeildles  suisses,  an  mol  fions. 
Clf)  Ariéiduparlonieiililc  UicUijrie,  t.  Il  des  UissciU- 


êlre  ensuite  brûlés  et  les  cendres  jetée»  au 
vent;  les  deux  domestiques,  à  avoir  la  main 
droite  coupée  ,  et ,  après  ,  être  pendus  et 
étranglés  ,  leurs  corps  aussi  brûlés  (2).  — 
Cet  événement  eut  lieu  vers  la  fin  du  sei- 
zième siècle. 

COURTISANES.  Les  chrétiens  sont  bien 
étonnés  de  voir  des  courtisanes  servir  de 
prétresses  dans  les  Indes.  Ces  filles  .  juste- 
ment déshonorées  chez  nous  ,  sont  privilé- 
giées là  depuis  l'aventure  de  l'une  d'elles.  De- 
vendiren,  dieu  du  pays,  alla  trouver  un  jour 
celte  courtisane,  sous  la  figure  dun  homme, 
et  lui  promit  une  haute  récompense  si  elle 
était  fidèle;  pour  l'éprouver  le  dieu  fit  le 
mort.  La  courtisane  ,  le  croyant  véritable- 
ment mort,  se  résolut  à  mourir  aussi  dans 
les  flammes  qui  allaient  consumer  le  cada- 
vre, malgré  les  représentations  qu'on  lui 
faisait  de  ce  qu'elle  n'était  pas  mariée.  Elle 
allait  se  mettre  sur  le  bûcher  déjà  ennamiiié, 
lorsque  Devendiren  se  réveilla,  avoua  si 
supercherie,  prll  la  courtisane  pour  sa  femme 
et  l'emmena  dans  son  paradis 

CRACA,  magicienne  qui ,  au  rapport  de 
Saxon-le-Grammairien  ,  changeait  les  vian- 
des en  pierres  ou  autres  objets ,  aussitôt 
qu'elle  les  voyait  posées  sur  une  table. 

CRACHAT.  Lorsque  les  sorciers  renon- 
cent au  diable,  ils  crachent  trois  fois  à 
terre.  Ils  assurent  que  le  diable  n'a  [ilus 
alors  aucun  pouvoir  sur  eux.  Ils  crach;!nl 
encore  lorsqu'ils  guérissent  des  écrouelles 
et  font  de  leur  salive  un  remède. 

Les  anciens  avai<nt  l'habitude  de  cracher 
trois  fois  dans  leur  sein  pour  se  préserver 
de  tous  charmes  et  fascinations. 

Cracher  sur  soi  :  mauvais  présage.  Voy. 
Chevillement. 

CRACHAT  DE  LA  LUNE.  Les  alchimistes 
appellent  ainsi  la  matière  de  la  pierre  plillu- 
sophale  avant  sa  préparation.  C'est  une 
espèce  d'^au  congelée,  sans  odeur  et  sans 
saveur,  de  couleur  verte  ,  qui  sort  de  terre 
pendant  la  nuil  ou  après  un  orage.  Sa  sub- 
stance aiiueuse  est  lrès-vol;itlle  cl  s'évapore 
à  la  moindre  chaleur,  à  travers  une  peau 
extrêmement  mince  qui  la  contient.  Elle  no 
se  dissoul,  ni  dans  le  vinaigre,  ni  dans  l'eau, 
ni  dans  l'esprit  de  vin  ;  mais  si  on  la  ren- 
ferme dans  un  vase  bien  scellé,  elle  s'y  dis- 
sout d'elle-même  en  une  eau  puante.  Les 
philosophes  hermétiques  la  recueillent  avant 
le  lever  du  soleil,  avec  du  verre  ou  du  bois, 
et  en  tirent  une  espèce  de  poudre  blanche 
semblable  à  l'amidon,  qui  produit  ensuite  ou 
ne  produit  pas  la  pierre  pliilosophale. 

CRAMPE.  Les  morses  ont  sur  les  babines, 
comme  au-dessous,  plusieurs  soies  creuses. 
Il  n'y  a  point  de  matelot  qui  ne  se  fasse  une 
bague  de  ces  soles  ,  dans  l'opinion  qu'elles 
garantissent  de  la  crampe (3). 

CRANOLOGIE.  Voy.  Phrénologie. 

CRAPAUD.  Les  crapauds  tiennent  une 
pl;ice  dans  la  sorcellerie.  Les  sorcières  les 
almeiil  et   les  clioicnt.    Elles    ont   toujours 

tiiMisdp  l.cngliU-Diifresiioy;  «I  Leioyer,  liv.  III,  cli.  iv. 
(j)  U.  Leliruii,  »hrc£t:  il.'S  Voyages  au  t'éle-Nord,  eb.l. 


4)5 


eu  A 


CRI 


4U 


soin  (l'en  avoir  quelques-uns,  qu'elles  hiibi- 
luenl  à  les  servir,  el  qu'elles  accoutrent  de 
livrées  di;  velours  vcri. 

Pierre  Delancre  dit  que  les  grandes  sor- 
cières sont  ordinairement  assistées  de  quel- 
que démon,  qui  est  toujours  sur  leur  épaule 
gauche,  en  l'orme  de  crapaud,  ayant  deux 
p(litcs  cornes  en  tête;  il  ne  peut  être  vu 
que  de  ceux  qui  sont  ou  qui  ont  été  sorciers. 

Le  diable  baptise  ces  crapauds  au  sabbat. 
Jeannette  Abadie  ,  et  d'autres  lemnx'S  ,  ont 
révèle  qu'elles  avaient  vu  de  ces  crapauds 
habillés  de  velours  rouge  ,  et  <]ue!(iues-uns 
d- velours  noir;  ils  portaient  une  sonnette 
au  cou  et  une  autre  aux  jambes  de  derrière. 

Au  mois  de  septembre  IGIO,  un  homme  se 
promenant  dans  la  campagne,  près  de  Bazas, 
\il  un  chien  qui  se  tourmentait  devant  un 
liou;  ayinl  fait  creuser,  il  trouva  deux 
grands  pots  renversés  l'un  sur  l'autre  ,  liés 
ensemble  <à  leur  ouverture  el  enveloppés  de 
loilo  ;  le  chien  ne  se  calmant  pas  ,  on  ouvrit 
les  pots,  ijui  se  trouvèrent  pleins  de  son  ,  au 
d  dans  duquel  reposait  un  gros  crapaud  velu 
lie  lalTelas  vert  (1).  C'était  à  coup  sûr  une  sor- 
cière gui  l'avait  mis  là  pour  quelque  malénce. 

Nous  rions  de  ces  choses  à  présent;  mais 
c'étaient  choses  sérieuses  au  seizième  siècle, 
et  choses  dont  l'esprit  ne  nous  est  pas  bien 
expliqué. 

l^e  peuple  est  persuadé,  dit  M.  Salgues  (2), 
que  le  crapaud  a  la  faculté  de  faire  évanouir 
ceux  qu'il  regarde  fixement  ,  et  cette  asser- 
tion est  accréditée  par  un  certain  abbé  Rous- 
seau, qui  a  publié,  dans  le  cours  du  dernier 
siècle,  quelques  observations  d'histoire  na- 
turelle; il  prétend  que  la  vue  seule  du  cra- 
paud provoiiue  des  spasmes,  des  convul- 
sions, la  mort  même.  Il  rapporte  qu'un  gros 
crapaud,  qu'il  tenait  renfermé  sous  un  bocal; 
l'ayant  regardé  fixement,  il  se  sentit  aussitôt 
saisi  de  palpitations,  d  angoiises,  de  mouve- 
ments contulsifs  ,  et  qu'il  serait  mort  infail- 
liblement si  l'on  n'éiaitvenuàson  secours 

Klien,  Dioscoride,  Nicandre,  jEiius,  Gesner, 
ont  encore  éciit  que  l'haleine  du  crapaud 
était  (norlelle,  et  qu'elle  infectait  les  lieux 
où  il  respire.  On  a  cité  l'exemple  de  deux 
amants  qui,  ayant  pris  de  la  sauge  sur  la- 
quelle un  crapaud  s'était  promené,  mouru- 
rent aussitôt.  Mais  ce  sont  là  des  contes  , 
démentis,  comme  tant  d'autres,  par  les  ex- 
j)fcrienccs. 

Sur  les  bords  de  l'Orénoque  ,  s ms  doute 
pour  consoler  le  crapaud  de  nos  mépris  , 
i!e>  indiens  lui  rendaient  les  honneurs  d'un 
culte  ;  ils  gardaient  soigneusement  les  cra- 
pauds sous  des  vases,  pour  en  obtenir  de  la 
pluie  ou  du  beau  temps,  selon  leurs  besoins  ; 
et  ils  étaient  tellement  persuadés  qu'il  dé- 
pendait de  ces  animaux  de  l'accorder,  qu'on 
les  fouettait  chaque  fois  que  la  prière  n'était 
pas  exaucée  (3). 

GRAPAUDINE,  pierre  qui  se  trouve  dans 
la  tête  des  crapauds  ;  les  sorcières  la  recher- 

(t)  DiOanore/rableaude  l'inconstance  des  démons,  ele. 
liv.  II.  (lise.  4,  p.  153. 

(i)  [)e<  l>ri"irs  eldcs  pr(;iii);é«,  etc.,  l.  I.  p.  42,". 

(oj  l'i)i;s,  Vo>;iyo  à  la  iiariie  oiluiilali'  do  la  icrrc  ferme 


chenl  pour  leurs  maléfices.  Plusieurs  écri- 
vains assurent  que  c'est  un  objet  très-rare, 
et  si  rare,  que  quelques-uns  nient  l'existence 
de  cette  pierre.  Cependant  Thomas  Bro\rn 
ne  croit  pas  le  fait  impossible,  puisque,  dit-il, 
tous  11  s  jours  on  trouve  des  substances  pier- 
reuses dans  la  léte  des  morues  ,  des  carpes, 
des  gros  limaçons  sans  coquilles.  Il  en  est 
qui  pensent  que  ces  crapaudines  sont  des 
(oncrélions  minérales  que  les  crapauds  re- 
jettent après  les  avoir  avalées,  pour  nuire  à 
l'homme  (i).  Mais  ce  ne  sont  là  encore  que 
des  contes  ridicules. 

CRA  POULET,  Voy.  Zozo. 

CRATÉIS,  déesse  des  sorciers  el  des  en- 
chanteurs, mère  de  la  fameuse  Scylla. 

CRESCENCE,  cardinal,  légat  du  Saint- 
Siège  au  concile  de  Trente,  qui  mourut  pai- 
siblement en  1532.  Jean  de  Chassanion,  hu- 
guenot, n'aimant  pas  ce  prince  de  l'Eglise  , 
parce  qu'il  s'était  élevé  contre  les  protes- 
tants, a  écrit  que  le  diable,  en  forme  de  chien 
noir,  était  venu  le  voir  à  son  dernier  moment 
et  l'avait  étranglé  (3),  ce  qui  n'est  pas  vrai. 
Mais  Voy.  Carlostad  et  Luther. 

CRESPET  (Pïerue),  religieux  célesiin  , 
mort  en  15%,  auteur  d'un  traité  contre  la 
magie  ,  intitulé  :  Deux  livres  de  la  haine  de 
Satan  et  des  malins  esprits  contre  l'homme,  etc. 
Paris,  1590,  in-8°.  Cet  ouvrage  est  rare  et 
curieux. 

CRIBLE.  Parler  au  crible  est  un  ancien 
proverbe  qui  signifi.iit  faire  danser  un  lamis 
par  le  moyen  de  paroles  mystérieuses.  Théo- 
crite  nommait  les  gens  qui  avaient  ce  pou- 
voir crible-sorciers  ou  sorciers  du  crible. 

Je  me  suis  trouvé, dit  Bodin  (6),  il  ya  vingt 
ans,  dans  une  maison  à  Paris  ,  oii  un  jeune 
houune  fil  mouvoir  un  lamis  sans  y  toucher, 
par  la  vertu  de  certaines  paroles  françaises, 
et  cela  devant  une  société;  et  la  preuve*  dit-il, 
que  c'était  par  le  pouvoir  de  l'esprit  malin, 
cesl  qu'en  l'absence  de  ce  jeune  homme  on 
essaya  vainement  d'opérer  en  prononçant  les 
mêmes  paroles.  Voy.  GosQui50M.4NcrE. 

GRlERlIiNS,  faniôines  des  naufragés,  que 
les  habitants  de  l'île  de  Sein,  en  Bretagne, 
croient  entendre  demander  la  sépulture,  à 
travers  ce  bruit  sourd  qui  précède  les  orages. 
Les  anciens  Bretons  disaient  :  «  Fermons  les 
portes,  on  entend  les  criériens;  le  tourbillon 
les  suit.  » 

CRISTALLCMANCIE,  divination  par  le 
moyen  du  cristal.  On  lirait  des  présages  des 
miroirs  et  des  vases  de  cristal,  dans  lesquels 
le  démon  faisait,  dit-on  ,  sa  demeure.  Le  roi 
Childeric  cherchait  l'avenir  dans  les  prismes 
d'un  petit  globe  de  cristal.  Voy.  ChieiIï. 

Les  devins  actuels  prédisent  eticore  parle 
miroir.  L'anecdote  suivante  fera  connaître 
leur  méthode.  —  Un  pauvre  laboureu-r  des 
environs  de  Sézannc,  à  qui  on  avait  volé  sit 
cents  francs,  alla  consulter  le  devin  ;  c'était 
en  1807.  Le  devin  lui  fit  donner  douze  francs, 

de,  l'Amérique  méridionale,  t.  I. 
(tj  lliomas  Brown,  Essai  sur  les  erreurs  populaires, 

t.  I,  liv.  m,  cil.  xiii,  p.  01:2. 
(3)  Des  (jrands  el  redoutables  jiigempnts  de  Dieu,  p.  6(> 
(tj)  Démonunuiiie  des  sorciers,  liv.  11,  p.  \"y\j. 


115  DlCTIO^^AmE  des 

lui  mil  trois  mniiclioirs  plies  sur  les  yeux  , 
un  blanc,  un  noir  il  un  bleu,  lui  dit  de  re- 
garder .ilors  dans  un  grand  miroir  où  il  fai- 
ti.iil  venir  le  diable  el  tous  ceux  qu'il  voulait 
évoi|uer.  —  Que  vojez-vous?  lui  demaudu- 
l-il.  —  Ri.'n  ,  répondit  le  paysan. 

Là-dessus  le  sorcier  parla  fort  et  long- 
temps ;  il  recommanda  au  bonhomme  de 
songer  à  celui  qu'il  soupçonnait  capable  de 
l'avoir  volé  ,  de  se  représenter  les  choses  et 
les  personnes.  Le  paysan  se  monta  la  tète, 
et,  à  travers  les  trois  mouchoirs  qui  lui  ser- 
raient les  yeux  ,  il  crut  voir  passer  dans  le 
miroir  un  homme  qui  avait  un  sarrau  bleu, 
un  chapeau  à  grands  bords  et  des  sabots.  Un 
moment  après  il  crut  le  reconnaître,  et  il 
s'écria  qu'il  voyait  son  voleur, 

—  Eh  bien!  dit  le  devin,  vous  prendrez  un 
cœur  de  bœuf,  cl  soixante  clous  à  laites,  que 
vous  planlo.ez  en  croix  dans  ledit  cœur  ;  vous 
h?  ferez  bouillir  dans  un  pot  neuf,  avec  uu 
crapaud  et  une  feuille  d'oseille  :  trois  jours 
après,  le  voleur,  sil  n'est  pas  mort,  viendra 
vous  apporter  voire  argent,  ou  bien  il  sera 
ensorcelé. 

Le  paysan  fit  tout  ce  qui  lui  était  recom- 
mandé. Mais  son  argent  ne  revint  pas  ;  d'où 
il  conclut  que  sou  voleur  pouvait  bien  être 
ensorcelé.... 

CRITOMANCIE ,  divination  qui  se  prati- 
quait par  le  moyen  des  viandes  et  lies  gâ- 
teaux. On  considérait  la  pâte  des  gâteaux 
qu'on  offrait  en  sacrifice  ,  et  la  larine  d'orge 
qu'on  répandait  sur  les  victinies  ,  pour  eu 
tirer  des  présages. 

CROCODILES.  Les  Egyptiens  modernes 
assurent  que  jadis  les  crocodiles  étaient  des 
animaux  doux  ;  el  ils  racontent  de  la  ma- 
nière suivante  l'origine  de  leur  férocité.  Hu- 
nieth,  gouverneur  d'Egypte  sous  Gisar  Al- 
Wutacil,  calife  de  B.gdad,  ayant  fait  mellre 
eu  pièces  la  statue  de  plomb  d'un  grand 
crocodile  (figure  lalismanique)  que  l'on  avait 
trouvée  en  creusant  les  fondements  d'un 
ancien  temple  de  païens,  à  l'heure  même  du 
celle  exécution  les  crocodiles  sortirent  du 
Nil,  el  ne  cessèrent,  depuis  ce  temps,  de  nuire 
par  leur  voracité  (1).  Voy.  Talismans. 

Pline  et  Plularque  témoignent  que  les 
Egyptiens  connaissent,  par  l'endroit  où  les 
crocodiles  pondent  leurs  œufs  ,  jusqu'où  ira 
le  débordeu)eiit  du  Nil.  Mais  il  serait  difficile, 
dit  Thomas  Brown,  de  comprendre  comment 
ces  animaux  ont  pu  deviner  un  elTet  qui , 
dans  ses  circonstances ,  dépend  de  causes 
extrêmemenl  éloignées  ,  c'est-à-dire  de  la 
mesure  des  pluies   i*ans  l'Elhiopie. 

Les  habitants  de  Thèbes  el  du  lac  Mœris 
rendaient  un  culte  particulier  aux  croco- 
diles. Ils  leur  mettaient  aux  oreilles  des 
pierres  précieuses  et  des  ornements  d'or,  et 
les  nourrissaient  de  viandes  consaciées. 
Après  h'ur  morl ,  ils  les  embaumaient  et  les 
dé|)osaient  en  des  urnes  que  l'on  portait  dans 
Je  laltyrintlK;  qui  servait  de  sépulture  aux 
rois.  Les  Ombiies   poussaient  méuie  la  su- 

'.I)  l.eiover,  Ilist.  et  ilibc.  des  siiec.lres,  cLc,  liv.  IV, 
th.  XX!,  [).'il7. 
(i)  f'ruiiçnis  de  Tunc-Iil.una,  I^iit.  dolicl.,  elc,  [i.  lio 


SCIENCES  OCCULTES. 


410 


perstitîon  jusqu'à  se  réjouir  de  voir  leurs 
enfants  enlevés  par  les  crocodiles.  Mais  ces 
animaux  étaient  en  horreur  dans  le  reste  de 
l'Egypte.  I 

Ceux  qui  les  adoraient  disaient  que,  pen- 
dant les  sept  jours  consacrés  aux  fêtes  de  la 
naissance  d'Apis,  ils  oubliaient  leur  férocité 
naturelle,  et  ne  faisaient  aucun  mal;  mai:> 
que  le  huitième  jour,  après  midi ,  ils  rede- 
venaient furieux. 

CROIX.  Ce  saint  nom  qui  est  la  terreur 
i!c  l'enfer,  ne  devrait  pas  non  plus  figurer  ici. 
ALiis  la  superstition  ()ui  abuse  de  tout,  ne  l'a 
pas  respecté.  11  y  a  des  croix  dans  toutes  les 
formules  des  grimoires  ;  et  aucun  sorcier  ne 
s'(-st  jamais  vanté  de  commander  au  moindre 
dc>uon  sans  ce  signe. 

Les  croix  que  les  sorcières  portent  au  cou 
et  à  leurs  chapelets  ,  el  celles  qui  se  trou- 
vent aux  lieux  où  se  fait  le  sabbat,  ne  sont 
jamais  entières,  comme  on  le  voit  par  celles 
que  l'on  trouve  dans  les  cimetières  iiift^slés 
de  sorciers  ,  el  dans  les  lieux  où  les  sabbats 
se  tiennent.  La  raison  en  est ,  disent  les  dé- 
monomanes  ,  que  le  diable  ne  peut  appro- 
cher d'une  croix  intacte. 

CROIX  (Epreuves  de  la),  Voy.  Epreuves. 

CROIX  (Madeleine  de  La),  religieuse  de 
Curdoiie,  qui  mena  mauvaise  vie  au  seizième 
siècle,  se  disant  sorcière  el  se  vantant  d'avoir 
pour  l'atuilicr  un  déjuon.  François  de  Torre- 
Rlanca  raconte  qu'elle  avait  à  volonté  des 
roses  en  hiver,  du  la  neige  dans  le  mois 
d'août,  et  qu'elle  passait  à  travers  les  murs, 
qui  s'ouvraient  devant  elle.  Elle  fut  arrêtée 
par  l'inquisition  ;  mais  ayant  tout  confessé, 
elle  fut  admise  à  pénitence  (2)  ;  car  les  inqui- 
siteurs d'oui  jamais  eu  la  férocilé  que  leur 
prêtent  certains  livres. 

CROMERUACH ,  idole  principale  des  Ir- 
landais, avant  l'arrivée  de  suint  Patrice  eu 
leur  pays.  L'a{)proche  du  saint  la  fit  tomber, 
(lisent  les  légendes  ,  tandis  que  les  divinités 
inférieures  s'enfoncèrent  dans  la  terre  jus- 
)|u'au  menton.  Suivant  certains  récils  ,  en 
mémoire  de  ce  prodige,  ou  voit  encore  leurs 
lêles  à  fleur  de  terre  dans  une  plaine,  qui  no 
se  trouve  plus. 

CROMNIOM.VNCIE,  divination  par  les  oi- 
gnons. Ceux  qui  la  pratiquaient  uiettaicnt, 
la  veille  de  Noël,  des  oignons  sur  un  autel. 
Us  écrivaient  sur  les  oignons  le  nom  des  per- 
sonnes dont  on  voulait  avoir  nouvelle.  L'oi- 
gnon qui  germait  le  |)lus  vite  annonçait  que 
la  personne  dont  il  portail  le  nom  jouissait 
d'une  bonne  santé. 

Cette  divination  est  encore  en  usage  dans 
plusieurs  cantons  de  l'Allemagne,  parmi  les 
jeunes  filles,  qui  cherchent  à  savoir  ainsi  qui 
elles  auront  pour  époux  (3). 

CROQUE -MITAINE,  espèce  d'ogre  dont  on 
épouvante  à  Paris  les  petits  enfants  indociles. 
Aujourd'hui  que  ses  dents  sont  tombées,  il 
se  contente  de  le-,  mettre  au  cachot  el  de  leur 
donner  le  fouet,  malgré  les  lumières  du  siècle. 
Voy.  Babau. 

et  li6. 

(5)  Uolaucre,  Iiicrédiilité  et  mécrijaiicc,  etc.,  traite  v* 
11.  ibl. 


tI7  ClIR 

CRUSEMBOURG    (  Guy  de  ) ,    alchimiste. 

Voy.  PlEHRE   PHILOSOPHALE. 

CUBOMANGIE  ,  divinalion  par  le  moyen 
des  dés.  Auguste  et  Tibère  avaient  grande 
confiance  en  celle  manière  de  consulter  le 
sorl.  Les  Grecs  s'en  servaient  aussi.  C'est  à 
peu  près  la  même  chose  que  l'astragalo- 
mancie.  Voy.  ce  mot. 

CUIVRE.  Thcocrile  assure  que  le  cuivre 
pur  a  naturellemi'nt  la  vertu  de  chasser  les 
spectres  et  fantômes  ;  c'est  pourquoi  les  La- 
codémoniens  frappaient  sur  un  chaudron 
toutes  les  fois  qu'un  de  leurs  rois  venait  à 
mourir. 

CULTE.  Les  démons  recevaient  un  culte 
par  tout  l'univers  ,  avant  le  christianisme. 
Jupiter  et  les  autres  dieux  n'étaient  vérila- 
hlement  que  des  démons  ;  mais  lediablea  reçu 
un  culte  plus  spécial  de  gens  qui  savaient 
bien  qu'ils  s'adressaient  à  lui  et  non  à  un 
(lieu.  Ainsi,  les  sorciers  au  sabbat  adorent  le 
diable  par  son  nom.  Le  culte  qu'ils  lui  ren- 
dent consiste  principalement  à  lui  baiser  le 
derrière,  à  genoux,  ayec  une  chandelle  noire 
à  la  main. 

Certains  peuples  de  l'Afrique  ne  rendent 
aucun  culte  à  Dieu  ,  qu'ils  croient  bon  ,  et 
font  des  sacrifices  au  diable  pour  la  raison 
contraire. 

CUNÉGONDE  ,  femmo  de  Henri  H  ,  empe- 
reur d'Allemagne.  Elle  fut  accusée  d'adultère 
par  des  calomniateurs,  et  se  purgea  de  l'ac- 
cusation en  marchant  pieds  nus,  sans  acci- 
dent ,  sur  des  socs  de  charrue  rougis  au  feu. 
Voy.  Epreuves. 

CUPAL  Voy.  CuPâi. 

CuRDEs. — Voy.  Kurdes. 

CUREAU  DE  LA  CHAMBRE  ,  habile  mé- 
decin, mort  en  1GG9.  On  a  de  lui  un  discours 
sur  les  principes  de  la  chiromancie  et  de  la 
méloposcopie.  Paris,  li'33,  in-8".0n  l'a  aussi 
imprimé  sous  le  litre  de  l'Art  de  connaître 
les  hommes. 

CURMA.  Du  temps  de  saint  Augustin  ,  un 
paysan  des  environs  d'Hippone  ,  nommé 
Gurma  ,  mourut  un  malin  et  demeura  deux 
du  trois  jours  sans  sentiment.  Comme  on  al- 
lait l'enterrer,  il  rouvrit  les  yeux  et  demanda 
ce  qui  se  passait  chez  un  autre  paysan  du 
voisinage  qui  ,  comme  lui  ,  se  nommait 
Curma  :  on  lui  répondit  que  ce  dernier  venait 
de  mourir  à  l'instant  où  lui-môme  était  res- 
suscité.— Cela  ne  me  surprend  pas,  dit-il  ;  on 
s'était  trompé  sur  les  noms;  on  vient  de  me 
dire  que  ce  n'était  pas  Gurma  le  jardinier  , 
mais  Curma  le  maréchal,  qui  devait  mourir. 
— 11  raconta  en  même  temps  qu'il  avait 
entrevu  les  enfers  ;  et  il  mena  depuis  meil- 
leure vie. 

CURSON.  Voy.  Pursax. 

CURTIUS  ,  fils  d'un  gladiateur  romain.  On 
dit  qu'un  spectre  lui  annonça  ainsi  sa  mort  : 
Il  avait  accompagné  en  Afrique  un  lieutenant 
du  gouverneur  de  ce  pays  conquis.  H  vit  un 
jour,  dans  une  galerie,  le  spectre  d'une 
fe:nnie  de  haute  stature  ,  qui  lui  dit  qu'elle 
était  l'Afrique,  et  qu'elle  venait  lui  annoncer 
le  bonheur.  Elle  L'assura  <\a"\\  aurait  de 
f-rands  honneurs  à  Rome:  qu'il  reviindrait 


CYR 


418 


encore  sur  le  sol  africain  ,  non  plus  comme 
valet  ,  mais  avec  la  qualité  de  commandant 
en  chef,  et  qu'il  y  mourrait.  Cette  prédiction 
s'accomplit  entièrement;  Curtius  fut  ques- 
teur, puis  préleur;  il  eut  les  privilèges  du 
conulat  ,  et  fut  envoyé  comme  gouverneur 
en  Afrique  :  mais  en  débarquant  il  se  sentit 
frappé  d'une  maladie  dont  il  mourut  (l).ll  est 
très-probable  que  ce  conte  a  été  fait  après 
coup.  Pour  un  autre  Curtius,  Voy.  Dévoue- 
ment. 

CYLINDRES,  sortes  d'amulettes  (  irculaires 
que  les  Perses  et  les  Egyptiens  portaient  au 
cou,  et  qui  étaient  ornées  de  figures  et  d'hié- 
roglyphes. 

CYMBALE  ,  c'est  le  nom  que  les  sorciers 
donnent  au  chaudron  dans  lequel  ils  man- 
gent leur  soupe  au  lard  parmi  les  fêtes  du 
sabbat. 

CYNANTHROPIE,  espèce  de  frénésie  dont 
ceux  qui  en  sont  attaqués  se  persuadent 
qu'ils  sont  changés  en  chiens.  C'est  ,  comme 
la  bousanlhropie ,  une  nuance  de  l'état  de 
loup-garou.  Voy.  Lycanthropie. 

CYNOBALANES  ,  nation  imaginaire  ,  que 
Lucien  représente  avec  des  museaux  de 
chien  ,  et  montés  sur  des  glands  ailés. 

CYNOCÉPHALE  .  singe  que  les  Egyptiens 
nourrissaient  dans  leurs  temples  pour  con- 
naître le  temps  de  la  conjonction  du  soleil  et 
de  la  lune.  On  était  persuadé  que,  dans  cette 
circonstance,  l'animal ,  devenu  aveugle,  re- 
fusait toute  nourriture.  Son  image  ,  placée 
sur  les  clepsy<lres  ,  était  purement  hiérogly- 
phique. On  prétendait  qu'à  chaque  heure  du 
jour  le  cynocéphale  criait  très-exactement. 

CYPRIEN.  Avant  de  se  convertir  au  chri- 
stianisme, saint  Cyprien  s'occupait  de  magie. 
On  voit,  dans  la  Légende  dorée,  qu'il  évo- 
quait les  démons,  et  que  ce  furent  les  épreu- 
ves qu'il  fit  de  leur  impuissance  contre  le 
simple  signe  de  la  croix  qui  l'amenèrent  à  la 
foi. 

CYRANO  DE  BERGERAC,  écrivain  remar- 
quable du  dix-septième  siècle.  On  trouve  , 
dans  sesOEuvres,  deux  lettres  sur  les  sorciers. 
Nous  n'avons  pas  besoin  d'indiquer  ses  his- 
toires des  empires  du  soleil  et  delà  lune.  11  a 
fait  aussi  un  voyage  aux  enfers  ;  c'est  une 
petite  plaisanterie  : 

«  Je  me  suis  trouvé  cette  nuit  aux  enfers, 
dit-il  ;  mais  ces  enfers-là  m'ont  paru  bien  dif- 
férents des  nôtres.  J'y  vis  les  gens  fort  socia- 
bles ;  c'est  pourquoi  je  me  mêlai  à  leur  com- 
pagnie. Ou  était  occupé  alors  à  changer  de 
maison  tous  les  morts  qui  s'étaient  plaints 
d'être  mal  assuciés;  l'un  d'eux  ,  remarquant 
que  j'étais  étranger  ,  me  prit  par  la  main  et 
me  conduisit  à  la  salle  des  jugements.  Nous 
nous  plaçâmes  tout  proche  de  la  chaire  du 
juge  ,  poiir  bien  entendre  les  querelles  de 
toutes  les  parties. 

«  D'abord  j'aperçus  Pythagore  qui  ,  Irès- 
ennuyé  d'une  compagnie  de  comédiejis  ,  re- 
présentait que  leurs  caquets  continuels  le 
détournaient  de  ses  hautes  spéculations.  Le 
juge  lui  dit  que,  l'estimanl  homme  de  grande 

(1)  Leloyer,  Histoire  dos  sproircs  ou  apparitions  Ji'S 
«Sjiils.  Ilv.  111,  di.  XVI,  p.  '2(j&. 


ito 


DlCTlONNAlltE  DES  SCIENCES  OCCULTK.S. 


■ITC 


mémoire  ,  puisque  après  quinzo  cents  ans  il 
s'était  souvenu  d'avoir  été  au  siéjîe  dcTroie, 
lin  l'avait  îïppareillé  avec  des  personnages 
qui  n'en  sont  pas  dépourvus.  On  entendit 
lontifois  ses  raisons  ,  et  on  le  fil  inarciicr 
«nilieurs. 

«  Arislote,  Pline,  jElian,  et  beaucoup  d'au- 
tres naliiraiisles. furent  mis  avec  les  Maures, 
parce  qu'ils  ont  connu  les  bêtes  ;  le  médi'cin 
IJioscoride  ,  avec  les  Lorrains  ,  parce  qu'il 
connaissait  parfaitement  les  simples.  Esope 
et  Apulée  ne  firent  qu'un  ménage  ,  à  cause 
de  la  conformité  de  leurs  prodiges  ;  car  E-ope 
d'un  âne  a  fait  un  liumnie  en  le  faisant  par- 
ler, et  Apulée  d'un  homme  a  fait  un  âne  en 
le  faisant  braire. 

*  Caliguia  voulut  élre  mis  dans  un  appar- 
tement plus  magiiiliiiue  (]ue  celui  de  Darius, 
conune  ayant  couru  des  aventures  plus  glo- 
rieuses ;  car  ,  dit-il  ,  moi  ,  Caligtila  .  j'ai  l'ait 
mon  cheval  consul,  et  Darius  a  clé  fait  empe- 
reur par  le  sien.  Dédale  eut  pour  confrères 
les  sergents  ,  les  huissiers  ,  les  procureurs  , 
personnes  qui  comme  lui  volaient  pour  se 
sauver.  Thésée  suivit  quelques  tisserands  , 
se  promettant  de  leur  apprendre  à  conduire 
le  fil.  Néron  choisit  Erostrate,  ce  fameux 
insensé  qui  brûla  le  temple  de  Diane, aimant 
comme  lui  à  se  chaufTer  de  gros  bois.  Achille 
prit  la  main  d'Eurydice  :— Àlarchons,  lui  dit- 
il,  marchons  ;ausst  bien  ne  saurait-on  mieux, 
nous  assortir,  puisque  nous  avons  tous  deux 
l'âme  au  talon. 

«  il  ne  fut  jamais  possible  de  séparer  les 
Furies  des  épiciers  ,  tant  elles  avaient  peur 
de  manquerde  flambeaux.  Les  tireurs  d'armes 
furent  logés  avec  les  cordonniers  „  d'autant 
que  la  perfection  du  métier  consiste  à  bien 
faire  une  butte;  les  bourreaux  ,  avec  les  mé- 
decins ,  parce  qu'ils  sont  payés  pour  tuer; 
Echo  ,  avec  nos  auteurs  modernes  ,  qui  ne 
disent,  comme  elle,  que  ce  que  Us  aulrcs 
ont  dit  ;  Orphée,  avec  les  chanteurs  du  Pont- 
Neuf,  parce  qu'ils  avaient  su  attirer  les  bêtes. 

«  On  en  mit  quelques-uns  à  part ,  entre 
lesquels  fut  Alidas,  le  seul  homme  qui  se  soit 
plaint  d'avoir  été  trop  riche;  Phocion  ,  qui 
donna  de  l'argent  pour  mourir  ;  et  Pygma- 
lion  ,  pareillement  ,  n'eut  point  de  co^ipa- 
gnnii  ,  à  cause  qu'il  n'y  a  jamais  eu  que  lui 
qui  ait  épousé  une  femme  muette....  » 

Dans  les  lettres  de  Bergerac  sur  les  Sor- 
ciers, on  trouve  ce  curieux  morceau  : 

Un  grand  sorcier. 

«  Il  m'est  arrivé  une  aventure  si  étrange  , 
que  je  veux  vous  la  raconter.  Vous  saurez 
qu'hier,  faligué  de  l'attention  que  j'avais 
mise  à  lire  un  livre  de  prodiges,  je  sortis  à  la 
promenade  ,  pour  dissiper  les  ridicules  ima- 
ginations dont  j'avais  l'esprit  rempli.  Je 
m'enfonçai  dans  un  petit  bois  obscur  ,  où  je 
marchai  environ  un  quart  d'heure.  J'aperçus 
alors  un  manche  à  balai  ,  qui  vint  se  mettre 
entre  mes  jambes,  et  sur  lequel  je  me  trouvai 
à  califourchon.  Aussitôt  je  me  sentis  volant 
par  le  vague  des  airs. 

«  Je  ne  sais  quelle  roule  je  fis  sur  celle 
monture:  mais  ic  me  trouvai  arrêté  sur  ims 


pieds,  au  milieu  d'un  désert  ou  je  ne  rencon- 
trai aucun  sentier.  Cependant  je  résolus  de 
pénélrer  et  do  reconnaître  les  lieux.  Mais 
j'avais  beau  pousser  contre  l'air,  mes  efforts 
ne  nie  faisaient  trouver  partout  que  l'iuipos- 
sibililé  de  passer  outre. 

«  A  la  fin  ,  fort  harassé,  je  tombai  sur  mes 
genoux  ;  et  ce  qui  m'élonna  ,  ce  fut  d'avoir 
passé  en  un  moment  de  midi  à  minuit.  Je 
voyais  les  étoiles  luire  au  ciel  avec  un  feu 
bleuettant  ;  la  lune  était  en  son  plein  ,  mais 
beaucoup  plus  pâle  qu'à  l'onlinaire  ;  clic 
s'éclipsa  trois  fois  ,  et  trois  fois  dépassa  son 
cercle.  Les  vents  étaient  paralysés  ,  les  fon- 
taines étaient  muettes;  tous  les  aninianx 
n'avaient  de  mouvement  que  ce  qu'il  leur  en 
faut  pour  trembler;  l'horreur  d'un  silence 
effroyable  régnait  partout  ,  et  partout  la  na- 
ture semblait  attendre  quelqu.-  grande  aven- 
ture. 

«  Je  mêlais  ma  frayeur  à  celle  dont  la  face 
de  l'horizon  paraissait  agitée,  lorsqu'au  clair 
de  la  lune  ,  je  vis  sortir  d'une  caverne  un 
grand  et  vénérable  vieillard  ,  vêtu  de  blanc  , 
le  visage  basané,  les  sourcils  touffus  et  rele- 
vés, l'œil  effrayant,  la  barbe  renversée  par- 
dessus les  épaules.  Il  avait  sur  la  tête  un 
chapeau  de  verveine  ,  et  sur  le  dos  une  cein- 
ture de  fougère  de  mai  Iressée.  A  l'endroit  du 
cœur  était  attachée  sur  sa  robe  une  chauve- 
souris  à  domi-morle  ,  et  autour  du  cou  un 
carcan  chargé  de  sept  différentes  pierres 
précieuses  ,  dont  chacune  portait  le  cara- 
ctère de  la  planète  qui  la  dominait. 

«  Ainsi  mystérieusement  habillé  ,  portant 
à  la  main  gauche  un  vase  triangulaire  plein 
de  rosée,  et  à  la  droite  une  baguette  de  sureau 
en  sève  ,  dont  l'un  des  bouts  était  ferré  d'un 
mélange  de  tous  les  métaux,  il  baisa  le  pied 
de  sa  grotte,  se  déchaussa,  prononça  en  grom- 
melant quelques  paroles  obscures  ,  et  s'ap- 
procha à  reculons  d'un  gros  chêne,  à  quatre 
pas  duquel  il  creusa  trois  cercles  l'un  dans 
l'autre.  La  nature  ,  obéissant  aux  ordres  du 
nécromancien,  prenait  elle-même  en  frémis- 
sant les  figures  qu'il  voulait  y  tracer.  Il  y 
grava  les  noms  des  esprits  qui  présidaient  au 
siècle  ,  à  l'année ,  à  la  saison  ,  au  mois  ,  au 
jour  et  à  l'heure.  Ceci  fait ,  il  posa  son  vase 
au  milieu  des  cercles  ,  le  découvrit ,  mit  un 
bout  de  sa  baguette  entre  ses  dents  ,  se 
coucha  la  face  tournée  vers  l'orient  ,  et 
s'endormit. 

«  Vers  le  milieu  de  son  sommeil ,  je  vis 
tomber  dans  le  vase  cinq  grains  de  fougère. 
11  les  prit  quand  il  fut  éveillé  ,  en  mit  deux 
dans  ses  oreilles  ,  un  dans  sa  bouche  ;  il  re- 
plongea l'autre  dans  l'eau ,  et  jeta  le  cin- 
quième hors  des  cercles.  A  peine  fut-il  parti 
de  sa  main  ,  que  je  le  vis  environné  de  plus 
d'un  million  d'animaux  de  mauvais  augure. 
Il  toucha  de  sa  baguette  un  chat-huant  ,  un 
renard  et  une  taupe  ,  qui  entrèrent  dans  les 
cercles  en  jetant  un  cri  formidable.  11  leur 
fendit  l'estomac  avec  un  couteau  d'airain  , 
leur  ôta  le  cœur  ,  qu'il  enveloppa  dans  trois 
feuilles  de  laurier  et  qu'il  avala  ;  il  fit  ensuite 
de  longues  fumigations.  11  trempa  un  gant  de 
parchemin   vierge  dans  un   bassin   plein  de 


494 


DAB 


DAB 


4?î 


ri)s<''e  et  df  sann;  ,  mit  ce  panl  à  sa  main 
(Ifoile  ,  et  après  quatre  ou  cinq  htirlcmonls 
horribles,  il  ferma  les  yeux  et  commença  les 
évoealions. 

«  11  ne  remuait  presque  pas  les  lèvres  ; 
jVnteiuiis  néanmoins  dans  sa  gorge  un  bruit 
semblable  à  celui  «le  plusieurs  voix  entremê- 
lées. Il  fut  enlevé  de  terre  à  la  hauteur  d'un 
demi-pied,  et  de  fois  à  autre  il  atlachait 
allenlivement  la  vue  sur  l'ong'.c  de  l'index 
de  sa  main  gauche;  il  avait  le  visage  en- 
flammé et  se  tourmentait  fort. 

«  Après  plusieurs  contorsions  effroyables, 
il  tomba  en  gémissant  sur  ses  genoux;  mais 
aussitôt  qu'il  eut  articulé  trois  paroles  d'une 
certaine  oraison  ,  devenu  plus  fort  qu'un 
homme,  il  soutint  sans  vaciller  les  violentes 
secousses  d'un  vent  épouvantable  qui  souf- 
flait contre  lui.  Ce  vent  semblait  lâcher  de  le 
faire  sortir  des  trois  cercles.  Les  trois  ronds 
tournèrent  ensuite  autour  de  lui.  Ce  prodige 
fut  suivi  d'une  grêle  rouge  comme  du  sang, 
et  cette  grêle  fit  place  à  un  torrent  de  feu  , 
accompagné  de  coups  de  tonnerre. — Une  lu- 
mière éclatante  dissipa  enfin  ces  tristes  mé- 
téores. Tout  au  milieu  parut  un  jeune  hom- 
me ,  la  jambe  droite  sur  un  aigle,  la  gauche 
sur  un  lynx  ,  qui  donna  au  magicien  trois 
fioles  de  je  ne  sais  quelle  liqueur.  Le  magi- 
cien lui  présenta  trois  cheveux,  l'un  pris  au 
devant  de  sa  tête,  les  deux  autres  aux  tem- 
pes; il  fut  frappé  sur  l'épauled'un  petit  bâton 
que  tenait  le  fantôme;  et  puis  tout  disparut. 

a  Alors  le  jour  revint.  J'allais  me  remettre 
en  chemin  pour  regagner  mon  village;  mais 
le  sorcier,  m'ayant  envisagé,  s'approcha  du 
lieu  où  j'étais.  Quoiqu'il  parût  clieminer  à 
pas  lents,  il  fut  plus  tôt  à  moi  que  je  ne  l'a- 
perçus bouger.  11  étendit  sur  ma  main  une 
main  si  froide  ,  que  la  mienne  en  demeura 
longtemps  engourdie.  Il  n'ouvrit  ni  les  yeux, 
ni  la  bouche;  et  dans  ''.e  profond  silence  il 
me  conduisit  à  travers  des  masures,  sous  les 
ruines  d'un  vieux  château  inhabité  ,  ou  les 
siècles  travaillaient  depuis  mille  ans  à  mettre 
les  chambres  dans  les  caves.  Aussitôt  que 
nous  fûmes  entrés: 

—  «  Vante-loi  ,  me  dit-il  en  se  tournant 
vers  moi  ,  d'avoir  contemplé  face  à  face  le 
sorcier  Agrippa,  dont  l'âme  est  par  métemp- 
sycose celle  qui  animait  autrefois  le  savant 
Zoroaslre  ,  prince  des  Bactriens. —  Depuis 
près  d'un  siècle  que  je  disparus  d'entre  les 
hommes  ,  je  me  conserve  ici ,  par  le  moyen 
ie  l'or  potable  ,  dans  une  sanlé  qu'aucune 
maladie  n'a  interrompue.  De  vingt  ans  en 
vingt  ans  ,  je  prends  une  prise  de  cette  mé- 
decine universelle  ,  qui  me  rajeunit  et  qui 
reittitue  ù  mon  corps  ce  qu'il  a  perdu  de  ses 


forces.  Si  tu  as  considéré  trois  fioles  que  m'a 
présentées  le  roi  des  Salamandres  ,  la  pre- 
mière en  est  [)leine  ,  la  seconde  contient  de 
la  poudre  de  projection  ,  et  la  troisième  de 
l'huile  de  talc. — Au  reste  ,  tu  m'es  obligé  , 
puisque,  entre  tous  les  mortels,  je  l'ai  choisi 
pour  assister  à  des  mystères  que  je  ne  célè- 
bre qu'une  fois  en  vingt  ans.  —  C'est  par 
mes  charmes  que  sont  envoyées  ,  quand  il 
me  i)laît ,  les  stérilités  et  les  abondances,  .le 
suscite  les  guerres  en  les  allumant  entre  les 
génies  qui  gouvernent  les  rois.  J'enseigne 
aux  bergers  la  patenôtre  du  loup.  J'apprends 
aux  devins  la  façon  de  tourner  le  sas.  Je  fais 
courir  les  feux  follets.  J'excite  les  fées  A 
danser  au  clair  de  la  lune.  Je  pousse  les 
joueurs  à  chercher  le  trèfle  à  quatre  feuilles 
sous  les  gibets.  J'envoie  à  minuit  les  esj)rits 
hors  du  cimetière,  demander  à  leurs  héri- 
tiers l'accomplissement  des  vœux  qu'ils  o:it 
faits  à  la  mort.  Je  fais  brûler  aux  voleurs 
des  chandelles  de  graisse  de  pendu,  pour  en- 
dormir leurs  hôtes  pendant  qu'ils  exécutent 
leur  vol.Je  donne  la  pistole  volante,  qui  vient 
ressauter  dans  la  pochette  quand  on  l'a  em- 
ployée. Je  fais  présent  aux  laquais  de  ces 
bagues  qui  font  aller  et  revenir  d'Orléans  à 
Paris  en  un  jour.  Je  fais  tout  renverser  dans 
une  maison  par  les  esprits  follets  ,  qui  cul- 
butent les  bouteilles  ,  les  verres  ,  les  pl;its , 
quoique  rien  ne  se  casse  et  qu'on  ne  voie 
personne.  Je  montre  aux  vieilles  à  guérir  la 
fièvre  avec  des  paroles.  Je  réveille  les  villa- 
geois la  veille  de  la  Saint-Jean,  pour  cueillir 
son  herbe  à  jeun  et  sans  parier.  J'enseigne 
aux  sorciers  à  devenir  loups-garous.  Je  tords 
le  cou  à  ceux  qui ,  lisant  dans  un  grimoire, 
sans  le  savoir,  me  font  venir  et  ne  me  don- 
nent rien.  Je  m'en  retourne  paisiblement 
d'avec  ceux  qui  me  donnent  une  savate,  un 
cheveu  ou  une  paille.  J'enseigne  aux  nécro- 
manciens à  se  défaire  de  leurs  ennemis  ,  en 
moulant  une  image  de  cire,  et  la  piquant  ou 
la  jetant  au  feu,  pour  faire  sentir  à  l'original 
ce  qu'ils  font  souffrir  à  la  copie.  Je  montre 
aux  bergers  à  nouer  l'aiguillette.  Je  fais  sen- 
tir les  coups  aux  sorciers,  pourvu  qu'on  les 
balte  avec  un  bâton  de  sureau.  Enfin  ,  je 
suis  le  diable  Vauvert,  le  Juif  errant,  et  le 
grand  veneur  de  la  forêt  de  Fontaine- 
bleau.... » 

«  Après  ces  paroles,  le  magicien  disparut, 
les  couleurs  des  objets  s'éloignèrent...  ;  je 
me  trouvai  sur  mon  lit,  encore  tremblant  de 
peur.  Je  m'aperçus  que  toute  celte  longue 
vision  n'élail  qu'un  rêve:  que  je  m'étais  en- 
dormi en  lisant  mon  livre  de  noirs  prodiges, 
et  qu'un  songe  m'avait  fait  voir  tout  ce  qu'on 
vient  de  lire.  » 


D 


DABMDA.  Les  naturels  de  Panama  ont 
une  idole  de  ce  nom,  qui  était  née  de  race 
mortelle,  et  qu'on  déifia  après  sa  mort.  Quand 


il  tonne  on  qu'il  fait  des  éc'airs,c'estDabaïda 
qui  e!!t  fâchée  ;  alors  on  brûle  des  esclaves 
en  son  honneur. 


423 


niCTION.NAIRK  DKS  SClENCKS  OCCULTES 


m 


DACTYLOMANCIE,  divination  qui  se  pra- 
tiquait au  moyen  do  bagues  ou  anneaux  fon- 
dus sous  l'aspect  de  certaines  constellations, 
et  auxquels  étaient  attachés  des  charmes  et 
des  caractères  magiques  (V'oy.  Alectrtoman- 
cie).  C'est,  dit-on,  avec  un  de  ces  anneaux 
que  Gygès  se  rcndiiit. invisible,  en  tournant 
le  rhalun  dans  sa  main. 

Clément  d'Alexandrie  parle  de  deux  an- 
neaux que  possédaient  les  tyrans  de  la  Plio- 
ciile,  et  qui  les  avertissaient  par  un  son  du 
temps  propre  à  certaines  affaires;  ce  qui  ne 
les  empêcha  pas  de  tomber  dans  les  grilTesdu 
démon,  lequel  leur  tendait  un  piège  par  ses 
artifices  (Ij.  Voy.  Anneaux. 

DADJAL,nomde  l'Anlechrist  chez  lesChal- 
déens;  il  signifie  dans  leur  langue  le  men- 
teur et  l'imposteur  par  exiellence. 

UAtiOBEKT  1".  roi  de  France,  mort  en 
638,  à  l'âge  de  trente-sept  ans.  Une  vieille  lé- 
gende élablit  qu'après  (ju'il  fut  mort  un  bon 
ermite  ,  nommé  Jean,  qui  s'élait  retiré  dans 
une  petite  lie  voisine  des  côtes  de  la  Sicile, 
vit  en  songe,  sur  la  mer,  l'âme  du  roi  Dago- 
bert  enchaînée  dans  une  barque,  et  des  diables 
qui  la  maltraitaient  en  la  conduisant  vers  la 
Sicile,  où  ils  devaient  la  précipiter  dans  les 
gouffres  de  l'Etna.  On  croyait  autrefois  que 
le  cralère  de  ce  volcan  était  une  des  entrées 
de  l'enfer;  et  il  n'est  pas  encore  vérifié  que 
ce  soit  une  erreur.  L'âme  appelait  à  son  se- 
cours saint  Denis,  saint  Maurice  et  saint  Mar- 
tin ,  que  le  roi,  en  son  vivant,  avait  fort  ho- 
norés. Les  trois  saints  descendirent,  revêtus 
d'habits  lumineux,  assis  sur  un  nuage  bril- 
lant. Ils  se  jetèrent  sur  les  malins  esprits  , 
leur  enlevèrent  la  pauvre  âme  ,  et  l'empor- 
tèrent au  ciel  (2). 

Uti  monument  curieux,  le  tombeau  de  Da- 
gobert,  sculpté  vers  le  temps  de  saint  Louis, 
retrace  ces  circonstances  merveilleuses.  La 
principale  façade  est  divisée  en  trois  bandes. 
Dans  la  première  on  voit  quatre  diai)les 
(deux  ont  des  oreilles  d'âne)  qui  emmènent 
l'âme  du  roi  dans  une  barque;  la  seconde 
représente  saint  Denis,  saint  Maurice  et  saint 
Martin,  accompagnés  de  deux  anges,  avec 
le  bénitier  et  le  goupillon;  ils  chassent  les 
démons.  Sur  la  troisième  bande,  on  voit 
l'âu/e  qui  s'enlève  ;  et  une  main  généreuse 
sort  d'un  nuage  pour  l'accueillir. 

Les  farceurs  ont  glosé  sur  celle  poésie  du 
moyen  âge  ,  sur  cette  légende,  et  sur  le  mo- 
nument, qui  est  toujours  dans  l'église  de 
Saint-Denis.  Mais  quel  mal  y  a-t-il  donc 
dans  ces  récits,  que  l'Eglise  n'a  jamais  im- 
posés, et  qui  sont  toutefois  des  fleurs?  Ce 
qu'il  y  a  de  mal,  c'est  que  ces  fleurs  tom- 
bent quelquefois  devant  des  pourceaux. 

DAGON,  démon  de  second  ordre,  boulan- 
ger et  grand  panetier  de  la  cour  infernaîe. 
Les  Philistins  l'adoraient  sous  la  forme  d'un 
monstre  réunissant  le  buste  de  l'homme  à  la 
queue  de  poisson.  Ils  lui  attribuaient  l'in- 
vention de  l'agriculture,  qu'on  a  attribuée  à 
tant  d'autres. 

On  voit,  dans  le  premier  livre  des  Rois  , 

M)  Oi'l.iiicrp,  Iiinfiliiliiu  pl,Mrcié;inrcs  tlu  sorljlége 
[ Itfineiia'iit  couvaiiici;oj,  lijilé  5,  p.  2til. 


que  les  Philistins  s'clanl  rendus  maîtres  de 
l'arche  du  Seigneur,  et  l'ayant  placée  dans 
leur  temple  d'Azot,  à  côté  de  l'idole  de  Da- 
gon,  on  trouva  le  lendemain  cette  idole  mu- 
tilée, et  sa  tète  avec  ses  deux  mains  sur  le 
seuil  de  la  porte.  «  C'est  pour  cela,  dit  l'au- 
teur sacré,  que  les  sacrificateurs  de  Dagon 
et  tous  ceux  qui  entrent  dans  son  temple  ne 
marchent  point  sur  le  seuil  de  la  porte.  » 
DAHUT,  Vqj.  Is. 

DAMNETUS,  ou  DAMACHUS,  loup-girou 
de  ranti(]uité.  Ou  conte  (ju'ayaut  mangé  le 
ventre  d'un  petit  enfant  sacrifié  à  Jupiter  Ly- 
cien  en  Arcadie,  il  lut  cliaiigé  en  loup.  Ma's 
il  reprit  sa  première  forme  au  bout  de  dix 
ans.  Il  rcipporta  même  depuis  le  prix  de  la 
lutte  aux  jeux  olympiques  (3). 

DANIEL,  l'un  des  quatre  grands  prophè- 
tes. On  lui  attribue  un  traité  apocryphe  de 
l'Art  des  suntjcs.  Les  Orientaux  le  regardent 
aussi  coiiiiiic  l'inventeur  de  la  géomancie. 

DAMS,  sorcier  du  dernier  siècle.  Le  ven- 
dredi, 1"  mai  1T05,  à  cinq  heures  du  soir, 
Denis  Milanges  de  la  itichardière ,  fils  d'un 
avocat  au  parlement  de  Paris,  fut  attaqué, 
à  dix-huit  ans,  de  léthargies  et  de  démejici» 
si  singulières,  que  les  médecins  ne  surent 
qu'en  dire.  On  lui  donna  de  l'émélique  , 
et  ses  paren  s  l'emmenèrent  à  leur  maison 
de  Noisy-le-Grand,  où  son  mal  devint  plus 
fort;  si  bien  qu'on  déclara  qu'il  était  ensor- 
celé. 

On  lui  demanda  s'il  n'avait  pas  en  de  dé- 
mêlés avec  quelque  berger;  il  coula  (|ue  lo 
18  avril  précèdent,  comme  il  traversait  à 
cheval  le  village  de  Noisy,  son  chi'val  s'était 
arrêté  court  dans  la  rue  de  Feret,  vis-à-vis 
la  l'hapelle,  sans  qu'il  pût  le  faire  avancer  ; 
qu'il  avait  vu  sur  ces  entrefaites  un  berger 
qu'il  ne  connaissait  pas,  lequel  lui  avait 
dit: — Monsieur,  retournez  chez  vous,  car 
votre  cheval  n'avancera  point. 

Cet  homme  ,  ([ui  lui  avait  paru  âgé  d'une 
cinquantaine  d'années,  était  de  haute  taille, 
de  mauvaise  physionomie,  ayant  la  barbe  et 
les  cheveux  noirs,  la  houletle  à  la  main  ,  et 
deux  chiens  noirs  à  courtes  oreilles  auprès 
de  lui. 

Le  jeune  Milanges  se  moqua  du  propos  du 
b;  rger.  Cependant  il  ne  put  faire  avancer 
son  cheval  et  il  fut  obligé  de  le  ramener 
par  la  bride  à  la  maison,  où  il  tomba  ma- 
lade. Etait-ce  l'effet  de  l'impatience  et  de  la 
colère?  ou  le  sorcier  lui  avait-il  jeté  un  sort? 
M.  de  la  Richardière  le  père  fit  mille  choses 
en  vain  pour  la  guérison  de  son  fils.  Comme 
un  jour  ce  jeune  homme  rentrait  seul  dans 
sa  chambre,  il  y  trouva  son  vieux  berger, 
assis  dans  un  fauteuil,  avec  sa  houlette  et 
ses  deux  chiens  noirs.  Cette  vision  l'épou- 
vanta ;  il  appela  du  monde;  mais  personne 
que  lui  ne  voyait  le  sorcier.  Il  soutint  tou- 
tefois qu'il  le  voyait  très-bien;  il  ajouta  mê- 
me que  ce  berger  s'appelait  Danis,  quoiqu'il 
ignorât  qui  pouvait  lui  avoir  révélé  son  nom. 
Il  continua  de  le  voir  tout  seul.  Sur  les  six 

(2)  Ticsla  D:ignl).'rli  ri'gis.  Pic. 

(ô|  L)el:in(TP,  tulik^aii  du  l'incuDsiance  des  démons,  etc., 
liï.  l\ ,  dis'.  5,  11.  i(j'. 


125 


DW 


DAN 


ii'i 


heures  du  soir  ,  il  lomba  à  terre  en  disant 
que  le  berger  était  sur  lui  et  lécrasait;  el,  en 
présence  de  tous  les  assistants  ,  qui  ne 
voyaient  rien,  il  tira  de  sa  poihe  un  couteau 
pointu,  dont  il  donna  cinq  ou  six  coups  dans 
le  visage  du  malheureux  par  qui  il  se  croyait 
assailli  (1). 

Enfin,  au  bout  de  huit  semaines  de  souf- 
frances, il  alla  àSaint-Maur,  avec  confiance 
qu'il  guérirait  ce  jour-là.  Il  se  trouva  mal 
trois  fois;  mais,  après  la  messe,  il  lui  sembla 
qu'il  voyait  saint  Maur  debout,  en  habit  de 
bénédictin,  et  le  berger  à  sa  gauche,  le  vi- 
sage ensanglanté  de  cinq  coups  de  couleau  , 
sa  houletti^  à  la  main  et  ses  deux  chiens  à 
ses  côtés.  Il  s'écria  qu'il  était  guéri,  et  il  le 
fut  en  effet  dès  ce  moment. 

Quelques  jours  après,  chassant  dans  les 
environs  de  Noisy,  il  vit  effectivement  son 
berger  dans  une  vigne.  Cet  aspect  lui  fit  hor- 
reur; il  donna  au  sorcier  un  coup  de  crosse 
de  fusil  sur  la  lêle  :  —  Ahl  monsieur,  vous 
me  tuezl  s'écria  le  berger  en  fuyant;  mais  le 
lendemain  il  vint  trouver  M.  de  l'a  Uichar- 
dière,  se  jeta  à  ses  genoux,  lui  avoua  qu'il 
s'appelait  Danis,  qu'il  était  sorcier  depuis 
vingt  ans,  qu'il  lui  avait  en  effet  donnéle  sort 
dont  ilavailéléaffligé.quece  sort  devait  durer 
un  an;  qu'il  n'en  avait  été  guéri  au  bout  de 
huit  semaines  qu'à  la  faveur  des  neuvaines 
qu'on  avait  faites;  que  le  maléfice  était  re- 
tombé sur  lui  Danis,  et  qu'il  se  recomman- 
dait à  sa  miséricorde.  Puis,  comme  les  ar- 
chers le  poursuivaient ,  le  berger  tua  ses 
chiens,  jeta  sa  houlette,  changea  d'habits,  se 
réfugia  à  Turcy,  fit  pénitence  et  mourut  au 
bout  de  quelques  jours... 

Le  père  Lebrun  ,  qui  rapporte  (2)  longue- 
ment celte  aventure,  pense  qu'il  peut  bien  y 
avoir  là  sortilège.  Il  se  peut  aussi ,  plus 
vraisemblablement,  qu'il  n'y  eût  qu'hallu- 
cination. 

DANSE  DES  ESPRITS.— Olaiis  Magnus,  au 
troisième  livre  de  son  Histoire  des  peuples 
septentrionaux,  écrit  qu'un  voyait  encore  de 
son  temps  ,  en  beaucoup  de  ces  pays-là ,  des 
esprits  el  fantômes  dansant  et  sautant, 
principalement  de  nuit, au  son  de  toutes  sor- 
tes d'instruments  de  musique.  Cette  danse 
est  appelée  ,  par  les  gens  du  pays  :  choreu 
«/«arum (danse des  elfes).  Saxon-le-Grammai- 
rien  fait  mention  de  ces  danses  fantastiques 
dans  son  Histoire  de  Danemarck.  Pompo- 
nius  Mêla,  dans  sa  description  de  l'Ethiopie, 
dit  qu'on  a  vu  quelquefois  ,  au  delà  du  mont 
Atlas  ,  des  flambeaux  ,  el  entendu  des  flûtes 
et  clotheltes  ,  el ,  que  le  jour  venu  ,  on  n'y 
trouvait  plus  rien  (3).  On  ajoutait  que  les 
fanlômes  faisaient  danser  ceux  qu'ils  ren- 
conlraienl  sur  leur  chemin,  lesquels  ne  man- 
quaient pas  de  se  tenir  pour  avertis  qu'ils 
inuurraieni  bientôt.  Ou  ne  rencontre  plus 
guère  de  ces  choses-là.  Voy.  Follets  ,  Cou- 
RiLs,  WiLis.elc. 

DANSE  DES  FÉES.—  Ou  prétendait,  chez 
nos  pères  ,  que  les  fées  liabilaient  les  forets 
désertes  ,  et  qu'elles  venaient  danser  sur  le 

(1)  Voycï  HnllHcinalioiis. 

(2)  Hisioiif   (les   iiialiques   supprslilieuses,    tom.    I  , 

DlCTlONK.  DBS  SCIENCES  OCCULTKS.  1. 


gazon  au  clair  de  la  lune.  Voy.  Fées. 

DANSE  DES  GEANTS.  —  Merlin ,  voulant 
faire  une  galanterie  de  courtisan  ,  fit  venir, 
dit-on,  d'Irlande  en  Angleterre,  des  rochers 
qui  prirent  des  figures  de  géants ,  et  s'en  al- 
lèrent, en  dansant,  former  un  trophée  pour 
le  roi  Ambrosius.  C'est  ce  qu'on  appelle  la 
danse  des  géants.  Des  écrivains  soutenaient, 
il  n'y  a  pas  longtemps,  que  ces  rochers  dan- 
saient encore  à  l'avéncment  des  rois  d'An- 
gleterre. 

DANSE  DES  MORTS. -L'origine  des  dan- 
ses des  morts  ,  dont  on  fit  le  sujet  de  tant  de 
peintures  ,  date  du  moyen  âge  ;  elles  ont  été 
longtemps  en  vogue.  D'abord  on  voyait  fré- 
quemment ,  pendant  le  temps  du  carnaval , 
des  masques  qui  représentaient  la  mort  ;  ils 
avaient  le  privilège  de  danser  avec  tous  ceux 
qu'ils  rencontraient  en  les  prenant  par  la 
main  ,  et  l'effroi  des  personnes  qu'ils  for- 
çaient de  danser  avec  eux  amusait  le  public. 
Bientôt  ces  masques  eurent  l'idée  d'aller 
dans  les  cimetières  exécuter  leur  danse  en 
l'honneur  des  trépassés.  Ces  danses  devin- 
rent ainsi  un  effrayant  exercice  de  dévotion; 
elles  étaient  accompagnées  de  sentences  lu- 
gubres, et  l'on  ne  sait  pourquoi  alors  elles 
prirent  le  nom  de  danses  macabres.  On  fil  des 
images  de  ces  danses  qui  furent  révérées  par 
le  peuple. 

Les  danses  macabres  se  multiplièrent  à 
l'infini ,  au  quinzième  et  au  seizième  siècle: 
les  artistes  les  plus  habiles  furent  employés 
à  les  peindre  dans  les  vestibules  des  cou- 
vents et  sur  les  murs  des  cimetières. 

La  danse  des  morts  de  Bâle  fut  d'abord 
exécutée  dans  cette  ville  en  1435  par  l'ordre 
du  concile  qui  y  était  rassemblé.  Ce  qui  l'a 
rendue  célèbre  ,  c'esl  qu'elle  fut  ensuite  re- 
faite par  Holbein. 

«  L'idée  de  cette  danse  est  juste  et  vraie  , 
disait,  il  y  a  quelque  temps  ,  M.  Saint- 
Marc-Girardin.  Ce  monde-ci  est  un  grand 
bal  où  la  mort  donne  le  branle.  Ou  danse 
plus  ou  moins  de  contredanses  ,  avec  plus 
ou  moins  de  joie  ;  mais  celte  danse  enfin  , 
c'est  toujours  la  mort  qui  la  mène  :  et  ces 
danseurs  de  tous  rangs  et  de  tous  étals  , 
que  sont-ils  7  Des  mourants  à  plus  ou  moins 
long  terme. 

«Je  connais  deux  danses  des  morts,  pour- 
suit le  même  écrivain  :  l'une  à  Dresde  ,  dans 
le  cimetière  au  delà  de  l'Elbe;  l'autre  en 
Auvergne  ,  dans  l'admirable  église  de  la 
Chaise-Dieu.  Cette  dernière  est  une  fresque 
que  l'humidité  ronge  chaque  jour.  Dans  ces 
deux  danses  des  morts  ,  la  mort  est  eu  tête 
d'un  chœur  d'hommes  d'âges  et  d'états  di- 
vers :  il  y  a  le  roi  et  le  mendiant,  le  vieillard 
et  le  jeune  homme,  el  la  mort  les  entrainn 
tous  après  elle.  Ces  deux  danses  des  morts 
expriment  l'idée  populaire  de  la  manière  la 
plus  simple.  Le  génie  d'Holbein  a  fécondé 
cette  idée  dans  sa  fameuse  Danse  des  Morts 
(lu  cloitre  des  Dominicains  :  à  Bâle,  c'était 
un(!  fresque,  el  elle  a  péri  comme  périssent 
peu  à  peu  les  fresques.  Il  eu  rcsle  au  Musée 


p.  281. 
(3)  Tjillepled,  Psychologie,  p.  175. 


14 


427 


DICTIONNAIHE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


428 


<](>  Râle  quelques  débris  et  des  miniatures 
coloriées.  La  dnnse  d'Holbein  n'est  pas  , 
comme  celles  de  Dresde  et  de  la  Chaise- 
Dieu  ,  une  chaîne  continue  de  danseurs  me- 
nés par  la  Mort  ;  chaque  danseur  a  sa  mort 
costumée  d'une  façon  difTérente  ,  selon  l'état 
du  mourant.  De  celte  manière,  la  danse 
d'Holbein  est  une  suite  d'épisodes  réunis 
dans  le  même  cadre.  Il  y  a  quarante  et  une 
scènes  dans  le  drame  d'Holbein  ,  et ,  dans 
les  quarante  et  une  scènes  ,  une  variété  in- 
finie. Dans  aucun  de  ces  tableaux  vous  ne 
trouverez  la  même  pose,  la  même  attitude,  la 
même  expression  :  Holbein  a  compris  que 
les  hommes  ne  se  ressemblent  pas  plus  dans 
leur  mort  que  dans  leur  vie,  et  que,  comme 
nous  vivons  tous  à  notre  manière ,  nous 
avons  tous  aussi  noire  manière  de  mourir. 

«  Holbein  costume  le  laiil  et  vilain  sque- 
lette sous  lequel  nous  nous  figurons  la  mort, 
et  il  le  costume  de  la  façon  du  monde  la 
plus  bouffonne  ,  exprimant ,  par  les  attri- 
buts qu'il  lui  donne  ,  le  caraclère  et  les  ha- 
bitudes du  personnage  qu'il  veut  représen- 
ter. Chacun  de  ces  tableaux  est  un  chef- 
d'œuvre  d'invention.  —  Il  est  incroyable 
avec  quel  art  il  donne  l'expression  de  la 
vie  et  du  sentiment  à  ces  squelettes  hideux, 
à  ces  figures  décharnées.  Toutes  ses  morts 
vivent,  pensent ,  respirent;   toutes   ont   le 

5 este  ,  la  physionomie,  j'allais  presque  dire 
es  regards  et  les  couleurs  de  la  vie. 

«  Holbein  avait  ajouté  à  l'idée  populaire 
de  la  Danse  des  Morts  :  le  peintre  inconnu 
du  pont  de  Lucerne  a  ajouté  aussi  à  la  Danse 
d'Holbein.  Ce  ne  sont  pas  des  peintures  de 
prix  que  les  peintures  du  pont  de  Lucerne; 
mais  elles  ont  un  mérite  d'invention  fort 
remarquable.  Le  peintre  a  représenté,  dans 
les  triangles  que  forment  les  poutres  qui 
soutiennent  Iç  toit  du  pont,  les  scènes  ordi- 
naires de  la  vie,  et  comment  la  mort  les  in- 
terrompt brusquement. 

«  Dans  Holbein,  la  mort  prend  le  costume 
et  les  attributs  de  tous  les  états,  montrant 
par  là  que  nous  sommes  tous  soumis  à  sa 
nécessité.  Au  pont  de  Lucerne,  la  mort  vit 
avec  nous.  Faisons-nous  une  partie  de  cam- 
pagne, elle  s'iiabille  en  cocher,  fait  claquer 
son  fouet;  les  enfants  rient  et  pétillent  :  la 
mère  seule  se  plaint  que  la  voiture  va  trop 
vite.  Que  voulez-vous?  C'est  la  mort  qui 
t-onduil;  elle  a  hâ(e  d'arriver.  Allez-vous  au 
bal,  voici  la  mort  qui  entre  en  coiffeur,  le 
peigne  à  la  main.  Hâtez-vous,  dit  la  jeune 
tille,  hâtez-vous  1  je  ne  veux  point  arriver 
trop  tard.  —  Je  ferai  vite!  —  Elle  fait  vite; 
car  à  peine  a-t-elle  louché  du  bout  de  son 
doigt  décharné  le  front  de  la  danseuse,  que 
ce  front  de  dix-sept  ans  se  dessèche  aussi 
bien  que  les  fleurs  qui  devaient  le  parer. 

a  Le  pont  de  Lucerne  nous  montre  la  mort 
à  nos  côtés  et  partout  :  à  table,  où  elle  a  la 
ïervielle  autour  du  cou,  le  verre  à  la  main, 
et  porte  des  santés;  dans  l'atelier  du  peintre, 
où,  en  garçon  barbouilleur,  elle  tient  la  pa- 

(t)  DeljucrcTalilpau  de  l'iiiconslance  des  démons.elc, 
liv.  Ill.diii.  i,  |).  201. 
l?i  Boiliu.  DciuuiiotQunle,  lir.  1,  cb.  it. 


letlc  et  broie  les  couleurs;  dans  le  jardin, 
où,  vêtue  en  jardinier,  l'arrosoir  à  la  main, 
elle  mène  le  maître  voir  si  ses  tulipes  sont 
écloses  ;  dans  la  boutique,  où,  en  garçon 
marchand,  assise  sur  des  ballots  d'étoffe,  elle 
a  l'air  engageant  et  appelle  les  pratiques; 
dans  le  corps-de  garde,  où,  le  tambour  en 
main,  elle  bat  le  rappel;  dans  le  carrefour, 
où,  en  faiseur  de  tours,  elle  rassemble  les 
badauds;  au  barreau,  où,  vêtue  en  avocat, 
elle  prend  des  conclusions  :  le  seul  avocat 
(dit  la  légende  en  mauvais  vers  allemands 
placés  au  bas  de  chaque  tableau)  qui  aille 
vite  et  qui  gagne  toutes  ses  causes;  dans 
l'antichambre  du  ministre, où, en  solliciteur, 
l'air  humble  et  le  dos  courbé,  elle  présente 
une  pétition  qui  sera  écoutée;  dans  le  com- 
bat, enfin,  où  elle  court  en  lête  des  batail- 
lons ;  et,  pour  se  faire  suivre,  elle  s'est  noué 
le  drapeau  autour  du  cou...  » 

DANSE  DU  SABBAT.  Pierre  Delancre  as- 
sure que  les  danses  du  sabbat  rendent  les 
hommes  furieux  et  font  avorter  les  femmes. 
Le  diable,  dit-on,  apprenait  différentes  sor- 
tes de  danses  aux  sorciers  de  Genève.  Ces 
danses  étaient  fort  rudes,  puisqu'il  se  servait 
de  verges  et  de  bâtons,  comme  ceux  qui  font 
danser  les  animaux.  Il  y  avait  dans  ce  pays 
une  jeune  femme  à  qui  le  diable  avait  donné 
une  baguette  de  fer  qui  avait  la  vertu  de 
faire  danser  les  personnes  qu'elle  touchait. 
Elle  se  moquait  des  juges  durant  son  procès, 
et  leur  protestait  qu'ils  ne  pourraient  la 
faire  mourir;  mais  elle  déchanta  (1). 

Les  démons  (2)  dansent  avec  les  sorcières, 
en  forme  de  bouc  ou  de  tout  autre  animal. 

On  danse  généralement  en  rond  au  sab- 
bat, dos  à  dos,  rarement  seul  ou  à  deux.  Il  y 
a  trois  branles  :  le  premier  se  nomme  le 
branle  à  la  bohémienne;  le  second  s'exécute 
comme  celui  de  nos  artisans  dans  les  cam- 
pagnes, c'est-à-dire  en  sautant  toujours,  le 
dos  tourné;  dans  le  troisième  branle,  on  se 
place  tous  en  long,  se  tenant  par  les  mains 
et  avec  certaine  cadence,  à  peu  près  comme 
dans  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  le  galop. 
On  exécute  ces  d.inses  au  son  d'un  petit 
tambourin,  d'une  flûte,  d'un  violon  ou  d'un 
autre  instrument  que  l'on  frappe  avec  un  bâ- 
ton. C'est  la  seule  musique  du  sabbat.  Cepen- 
dant des  sorciers  ont  assuré  qu'il  n'y  avait 
pas  de  concerts  au  monde  mieux  exécutés... 

DANSE  DU  SOLEIL.  C'est  une  croyance 
encore  répandue  dans  beaucoup  de  villages 
que  le  soleil  danse  le  jour  de  Pâques.  Mais 
Celte  gracieuse  tradition  populaire  n'est  que 
de  la  poésie,  comme  les  trois  soleils  qui  se 
lèvent  sur  l'horizon  le  matin  de  la  Trinité. 

DANSES  ÉPIDÉMIQUES.  Au  quatorzième 
siècle,  il  y  eut  une  secte  de  danseurs  qui 
parcoururent  le  Luxembourg,  le  pays  de 
Liège,  leHainaut  et  les  provinces  Rhénanes, 
dansant  avec  fureur  et  se  prétendant  favori- 
sés pendant  leurs  danses  devisions  merveil- 
leuses. On  croit  qu'ils  étaient  possédés,  puis- 
qu'on ne  les  guérit  que  par  les  exorcismes  (3). 

(3)  Voyei  le  Uétiélrier  li'F.chtermcIt,  dans  Us  Légendes 
des  cniniiiaiideaienls  de  Dieu. 


tî9  n.w 

DAPHNÉPHAGES,  devins  qui,  avant  de 
répondre  aux  questions  qu'on  leur  faisait, 
mangeaient  des  feuilles  de  laurier,  parce 
que  cet  arbre  étant  consacré  à  Apollon,  ils  se 
croynient  de  la  sorte  inspirés  de  ce  dieu. 

DÂPHNOMANCIE,  divination  par  le  lau- 
rier. On  en  jetait  une  branche  dans  le  feu  : 
si  elle  pétillait  en  brûlant,  c'était  un  heureux 
présage;  mais  si  elle  brûlait  sans  faire  de 
bruit,  le  pronostic  était  fâcheux. 

DARDS  MAGIQUES.  Les  Lapons,  qui  pas- 
saient autrefois  pour  de  grands  sorciers  et 
qui  le  sont  à  présent  bien  peu,  lançaient, 
dit-on,  des  dards  de  plomb,  longs  d'un  doigl, 
contre  leurs  ennemis  absents,  et  croyaient 
leur  envoyer,  avec  ces  dards  enchantés,  des 
maladies  et  des  douleurs  violentes.  Voy. 
Ttre.  ^ 

DAROUDJI.  C'est  le  nom  que  les  Persans 
donnent  à  la  troisième  classe  de  leurs  mau- 
vais génies. 

DAUGIS,  auteur  peu  connu  d'un  livre  con- 
tre les  sorciers,  intitulé  -.Traité  sur  la  magie, 
le  sortilège,  les  possessions,  obsessions  et  ma- 
léfices, où  l'on  en  démontre  la  vérité  et  la 
réalité  ;  avec  une  méthode  sûre  et  facile 
pour  les  discerner,  et  les  règlements  contre 
les  devins,  sorciers,  magiciens,  etc.  Paris, 
in-12,  1732. 

DAUPHIN.  On  ne  sait  pas  trop  sur  quoi 
est  fondée  celte  vieille  croyance  populaire, 
que  le  dauphin  est  l'ami  de  l'homme.  Les 
anciens  le  connaissaient  si  imparfaitement, 
qu'on  l'a  presque  toujours  représenté  avec 
le  dos  courbé  en  arc,  tandis  qu'il  a  le  dos 
plat  comme  les  autres  poissons;  à  moins  que 
nous  nedonnionslt'nomdedauphinà  un  pois- 
son qui  ne  serait  pas  celui  des  anciens.  11  y 
a  des  races  perdues. 

On  trouve  dans  Élien  et  dans  d'autres  na- 
turalistes, des  enfants  qui  se  promènent  en 
mer,  à  cheval  sur  des  dauphins  apprivoisés; 
ce  sont  de  ces  merveilles  qui  ne  sont  plus 
faites  pour  nous. 

On  sait  que  le  dauphin  est  le  symbole  de 
la  rapidité  :  et  c'est  dans  un  sens  emblémati- 
que, pour  rappeler  qu'il  faut  se  hâter  avec 
prudence,  qu'on  a  peint  le  dauphin  entortillé 
à  une  ancre;  car  il  est  faux  que  par  affi'Clion 
pour  l'homme  il  la  conduise  au  fond  de  la 
mer,  comme  le  contaient  nos  pères  (i). 

DAVID.  Selon  les  Orientaux,  ce  prophète- 
roi  se  faisait  obéir  des  poissons,  des  oiseaux 
et  des  pierres;  ils  ajoutent  que  le  fer  qu'il 
tenait  dans  ses  mains  s'amollissait,  et  que  les 
larmes  qu'il  versa  pendant  les  quarante 
jours  qu'il  pleura  son  péché  faisaient  naître 
les  plantes.  Adam,  disent  les  musulmans, 
avait  donné  soixante  ans  de  la  durée  de  sa 
vie  pour  prolonger  ceile  de  David,  dont  il 
prévoyait  le  règne  glorieux. 

DAVID-GEORGE,  vitrier  de  Gand,  qui,  en 
1525,  se  mil  à  courir  les  Pays-Bas,  en  disant 
qu'il  était  le  Messie  envoyé  sur  la  lerre  pour 
remplir  le  ciel,  qui  avait  beaucoup  trop  de 
vide.  On  le  signala  comme  un  fou  dange- 

(IjBrowii,  des  Erreurs  popul.,  liv.  V,  ch.  ii. 


DEC 


4:^0 


reux;  mais  il  changeait  de  nom  pour  se  met- 
tre à  couvert  des  poursuites.  On  croyait  qu'il 
avait  intelligence  avec  les  oiseaux;  car  il 
parlait  avec  eux  en  différentes  langues,  et 
ces  oiseaux,  disait-on,  lui  portaient  parfois 
de  la  proie  pour  ses  aliments.  A  Bâle,  il  so 
fit  appeler  Jean  Bruch,  se  disant  neveu  de 
Dieu,  qu'il  appelait  son  oncle,  ajoutant  tou- 
tefois qu'il  était  né  en  Hollande.  Il  voulut 
aussi  se  faire  passer  pour  le  prophète  Daniel, 
que  Dieu  envoyait  en  ce  monde  afin  de  réta- 
blir le  royaume  d'Israël  et  le  tabernacle  de 
Jacob. 

11  ensorcelait  les  esprits,  dit  Delancre,  tan- 
dis que  les  autres  sorciers  ensorcelaient  les 
corps.  Au  bout  de  treize  ans  qu'il  séjourna  à 
Bâle,  il  mourut,  ayant  abusé  tellement  le 
peuple,  qu'on  lui  fil  de  magnifiques  obsèques 
et  qu'il  fut  enterré  en  l'église  de  Saint-Léo- 
nard. Ses  disciples  furent  étonnés  de  sa 
mort;  car  ils  le  croyaient  immortel  :  il  avait 
prédit  qu'il  ressusciterait  trois  jours  après 
son  trépas.  Comme  on  vil  que  cette  pro- 
phétie, au  bout  de  trois  ans,  ne  s'accom- 
plissait point,  on  le  reconnut  pour  impos- 
teur. On  le  tira  de  son  cercueil  et  on  le  porta 
sur  un  échafaud,  où  il  fut  brûlé  avec  les  li- 
vres qu'il  avait  composés, le  26  août  1559  (2). 
DAVID-JONES.  Les  matelots  anglais  ap- 
pellent de  ce  nom  le  mauvais  génie  qui  pré- 
side à  tous  les  esprits  malfaisants  de  la  mer. 
Il  est  dans  tous  les  ouragans;  on  l'a  vu  quel- 
quefois d'une  taille  gigantesque,  montrant 
trois  rangs  de  dents  aiguës  dans  sa  bouche 
énorme,  ouvrant  de  grands  yeux  effrayants 
et  de  larges  narines,  d'où  sortaient  des  Ham- 
mes  bleues. 

DEBER.  Des  théologiens  hébreux  disent 
que  Deber  signifie  le  démon  qui  offense  la 
nuit;  et  Cheteb  ou  Chereb,  celui  qui  offense 
en  plein  midi. 
DRCARABIA.  Voy.  Carabu. 
DÉCIUS  (Publics).  Pendant  la  guerre  des 
Romains  contre  les  Latins,  les  consuls  Pu- 
blius  Décius  et  Manlius  Torquatus,  campés 
près  du  Vésuve,  eurent  tous  deux  le  même 
songe  dans  la  même  nuit  :  ils  virent  en  dor- 
mant un  homme  d'une  figure  haute,  qui  leur 
dit  que  l'une  des  deux  armées  devait  descen- 
dre chez  les  ombres,  et  que  celle-là  serait 
victorieuse  dont  le  général  se  dévouerait 
aux  puissances  de  la  mort. 

Le  lendemain,  les  consuls,  s'étant  raconté 
leur  songe,  firent  un  sacrifice  pour  s'assurer 
encore  de  la  volonté  des  dieux;  et  les  en- 
trailles des  victimes  confirmèrent  ce  qu'ils 
avaient  vu.  Ils  convinrent  donc  entre  eux 
que  le  premier  qui  verrait  plier  ses  batail- 
lons s'immolerait  au  salut  de  la  patrie. 

Quand  le  combat  fui  engagé  ,  Dècius,  qui 
vit  fléchir  l'aile  qu'il  commandait,  se  dévoua, 
et  avec  lui  toute  l'armée  ennemie,  aux  dieux 
infernaux,  et  se  précipita  dans  les  rangs  des 
Latins,  où  il  reçut  la  mort  en  assurant  à 
Rome  une  victoire  éclatante  (3). 
Si  ce  double  songe  des  consuls  et  les  pré- 

(2)  Deluncrc,Tableau  de  rinconsUnce  des  damons, eic., 
liv.  V,  p.  557. 
(3J  Tile-Uve  el  Valère-Maiime. 


f.l 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


at 


sages  dos  yictimes  publiés  dans  les  dcus 
années  n'étaient  qu'un  coup  de  politique,  le 
dévouement  de  Décius  était  un  arte  de  pa- 
liiotisniebirn  grand, mémechcz les  Romains. 

DECREMPS, escamoteur  du  dernier  siècle, 
qui  publia  un  Traité  de  la  magie  blanche. 

DEDSCHAIL,  le  diable  cbcz  plusieurs  tri- 
bus arabes. 

DEIPHOBE,  sibjlle  de  Cumes.  Voy.  Sibyl- 
les. 

DEJECTIONS. —  Le  médecin  deHaën,  dans 
le  dernier  chapitre  de  son  Traité  de  la  magie, 
dit  que  si  l'on  voit  sortir  de  quelques  parties 
que  ce  soit  du  corps  humain  ,  sans  lésion 
considérable  ,  des  choses  qui  naturellement 
ne  puissent  y  entrer,  comme  des  couteaux, 
des  morceaux  de  verre,  du  fer,  de  la  poix, 
des  touffes  de  crin,  des  os,  des  insectes,  de 
grosses  épingles  tordues,  des  charbons,  etc., 
on  doit  attribuer  tout  cela  au  démon  et  à  la 
magie.  Voy.  Excréments. 

DELANCRE  (Pierre)  .  démonographe  re- 
nommé, né  à  Bordeaux  dans  le  seizième  siè- 
cle. Il  fut  chargé  d'instruire  le  procès  de 
quantité  de  vauriens  accusés  de  sortilèges. 
Son  esprit  crédule  en  demeura  convaincu  de 
toutes  les  extravagances  du  sabbat  et  des 
sorciers.  Il  mourut  à  Paris,  vers  1630.  On  a 
de  lui  deux  ouvrages  recherchés  sur  ces 
matières  : 

1°  r Incrédulité  et  mécréance  du  sortilège 
pleinement  convaincues,  où  il  est  amplement 
et  curieusement  traité  de  la  vérité  ou  illusion 
du  sortilège,  de  la  fascination,  de  l'attouche- 
ment, du  scopéiisme,  de  la  divination,  de  la 
ligature  ou  liaison  magique,  des  apparitions 
et  d'une  infmité  d'autres  rares  et  nouveaux 
sujets,  par  P.  Delancre,  conseiller  du  roi  en 
son  conseil  d'Etat.  Paris,  Nicolas  Buon,  1612, 
in-4°  de  près  de  900  pages,  assez  rare,  dédié 
au  roi  Louis  XIII  ;  divisé  en  dix  traités. 

Dans  le  premier  traité, l'auteur  prouve  que 
tout  ce  qu'on  dit  des  sorciers  est  véritable. 
Le  second ,  intitulé  De  la  fascination ,  dé- 
montre que  les  sorcières  ne  fascinent,  en 
ensorcelant ,  qu'au  moyen  du  diable.  Par  le 
troisième  traité ,  consacré  à  Y  attouchement, 
on  voit  ce  que  peuvent  faire  les  sorciers  par 
le  toucher,  bien  plus  puissant  que  le  regard. 
Le  traité  quatrième,  ou  il  s'agitdu  scopéiisme, 
nous  apprend  que,  par  cette  science  secrète, 
un  maléficie  les  gens  en  jetant  simplement 
■les  pierres  charmées  dans  leur  jardin.  Le 
magnétisme  explique  aujourd'hui  la  plupart 
de  ces  prodiges.  Le  traité  suivant  détaille 
toutes  les  divinations.  Au  sixième  traité,  on 
s'instruit  de  tout  ce  qui  tient  aux  ligatures. 
Le  septième  roule  sur  les  apparitions.  L'au- 
leur,  qui  ne  doute  jamais  de  rien,  en  rap- 
porte beaucoup.  Il  tombe  ,  dans  le  huitième 
traité,  sur  les  juifs,  les  apostats  et  les  athées. 
Dans  le  neuvième,  il  s'élève  contre  les  héré- 
tiques ,  dont  l'apparition  dans  tous  les  temps 
n  produit  en  effet  des  fanatismes  plus  ou 
inoins  absurdes  ou  abominables.  11  se  récrie, 
dans  le  dernier  traité,  contre  l'incrédulité  et 

(I)  Il  y  a  une  [iréface  de  Jean  (l'Espagnot. 
(3)  Aiidnn  iiiaiiuiicriule  la  Itilillullièqiic  du  roi,rappor- 
ié  i  lii  ttii  deii  Heniarques  de  Joly  sur  B^yle. 


mécréance  des  juges  en  fait  de  sorcellerie. 
Le  tout  est  suivi  d'un  recueil  à'Arréts  no- 
tables contre  les  sorciers. 

2°  Tableau  de  l'inconstance  des  mauvais 
anges  et  démons,  où  il  est  amplement  traité 
de  la  sorcellerie  et  des  sorciers;  livre  très- 
curieux  et  très-utile,  avec  un  discours  con- 
tenant la  procédure  faite  par  les  inquisiteurs 
d'Espagne  et  de  Navarre  à  cinquante-trois 
magiciens,  apostats  ,  juifs  et  sorciers,  en  la 
ville  de  Logrogne  en  Caslillc,  le  9  novembre 
1610;  en  laquelle  on  voit  combien  l'exercice 
de  la  justice  en  France  est  plus  juridique- 
ment traité  et  avec  de  plus  belles  formes 
qu'en  tous  autres  empires,  royaumes,  répu- 
bliques et  Etats,  par  P.  Delancre,  conseiller 
du  roi  au  Parlement  de  Bordeaux;  Paris, 
Nicolas  Buon,  1612,  in-i"  d'environ  800 
pages  (1),  très-recherché,  surtout  lorsqu'il 
est  accompagné  de  l'estampe  qui  représente 
les  cérémonies  du  sabbat. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  six  livres;  le 
premier  contient  trois  discours  sur  l'incon- 
stance des  démons, le  grand  nombre  des  sor- 
ciers et  le  penchant  des  femmes  du  pays  de 
Labour  pour  la  sorcellerie.  Le  second  livre 
traite  du  sabbat,  en  cinq  discours.  Le  troi- 
sième roule  sur  la  même  matière  et  sur  les 
pactes  des  sorciers  avec  le  diable,  pareille- 
ment en  cinq  discours.  Le  quatrième  livre, 
qui  contient  quatre  discours,  est  consacré 
aux  loups-garous;  le  livre  cinquième,  en 
trois  discours,  aux  superstitions  et  appari- 
tions ;  et  le  sixième,  aux  prêtres  sorciers,  eu 
cinq  discours. 

Tout  ce  que  ces  ouvrages  présentent  de 
curieux  tient  sa  place  dans  ce  Dictionnaire. 

DELANGLE  (Locis),  médecin  espagnol 
et  grand  astrologue.  On  raconte  qu'il  prédit 
au  roi  de  France  Charles  VII  la  journée  de 
Foimigny,  en  1450;  il  prédit  aussi  ,  selon 
quelques  auteurs,  l'emprisonnement  du  petit 
prince  de  Piémont,  ainsi  que  la  peste  de  Lyon 
l'année  suivante.  On  l'accusa  de  superstition, 
quoiqu'il  ne  se  dit  qu'astrologue.  Le  roi  le 
retint  à  quatre  cents  livres  de  pension,  et 
l'envoya  pratiquer  sa  science  à  Lyon.  Il  fit 
plusieurs  livres ,  et  traduisit,  d'espagnol  en 
latin,  les  Nativités,  de  Jean  de  Séville.  On 
ajoute  qu'il  prévit  le  jour  de  sa  mort.  11  fit 
faire  ,  dit-on  ,  quinze  jours  d'avance  ,  son 
service,  que  l'on  continua  jusqu'à  l'heure 
marquée,  où  en  effet  il  mourut  (2). 

DELRIO  (Martin-Antoine),  né  à  Anvers 
en  1351,  savant  jésuite,  auteur  d'un  livre 
intitulé  :  Recherches  magiques  (3) ,  en  six  li- 
vres, où  il  est  traité  soigneusement  des  arts 
curieux  et  des  vaines  superstitions;  in-i", 
Louvain,  1599,  souvent  réimprimé.  Ce  livre 
célèbre,  qui  eut  dans  son  temps  beaucoup 
de  vogue,  a  été  abrégé  et  traduit  en  français 
par  André  Duchesne,  Paris,  in-i"  et  in-8°, 
2  vol.,  1611,  très-recherché.  L'auteur  se 
montre  généralement  un  peu  crédule,  mais 
plus  éclairé  que  la  plupart  des  écrivains  de 
son  siècle.  Son  ouvrage  est  divisé  en  six  li- 

(3)  Disqiilsliionuin  maglcariim  lihri  scx,  eir.,  auctor« 
Martine  Uilrl'i,  etc. 


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iV. 


vres;  le  premier  Iraite  de  la  magie  en  géné- 
ral, naturelle  et  artîGcielle,  et  des  prestiges  ; 
le  second,  de  la  magie  infernale;  le  troisième, 
des  maléfices;  le  quatrième,  des  divinations 
ol  prédictions;  le  cinquième,  des  devoirs  du 
juge  et  de  la  manière  de  procéder  en  fait  de 
sorcellerie;  le  sixième,  des  devoirs  du  con- 
fesseur et  des  remèdes  permis  ou  prohibés 
contre  la  sorcellerie.  En  général,  ces  disqui- 
sitions  magiques  sont  un  recueil  de  faits 
bizarres,  niêiés  de  raisonnements  et  de  cita- 
tions savantes. 

DELUGE.   Voy.  Is. 

DEMOCRITE  ,  philo.sophe  célèbre  ,  qui 
florissait  en  Grèce  environ  trois  cents  ans 
après  la  fondation  de  Rome.  Les  écrivains  du 

Quinzième  et  du  seizième  siècle  l'ont  accusé 
e  magie;  quelques-uns  lui  ont  même  attri- 
bué un  traité  d'alchimie.  Psellus  prétend 
qu'il  ne  s'était  crevé  les  yeux  qu'après  avoir 
soufflé  tout  son  bien  à  la  recherche  de  la 
pierre  philosophale. 

La  cécité  de  Démocrite  a  embarrassé  bien 
des  personnes.  TertuUien  dit  qu'il  se  priva 
de  la  vue  parce  qu'elle  était  pour  lui  une 
occasion  de  mauvaises  convoitises.  Piutarque 
pense  que  c'était  pour  philosopher  plus  à 
son  aise,  et  c'est  le  sentiment  le  plus  répandu, 
quoiqu'il  soit  aussi  dénué  de  fondement  que 
les  autres. 

Démocrite  ne  fut  point  aveugle,  si  l'on  en 
croit  Hippocrate,  qui  raconte  qu'appelé  par 
les  Abdérilains  pour  guérir  la  folie  prétendue 
de  ce  philosophe,  il  le  trouva  occupé  à  la 
lecture  de  certains  livres  et  à  la  dissection 
de  quelques  animaux;  ce  qu'il  n'eût  point 
fait  s'il  eût  été  aveugle. 

De  jeunes  Âbdéritains  ,  sachant  que  Dé- 
mocrite s'était  enfermé  dans  un  sépulcre 
écarlé  de  la  ville  pour  philosopher,  s'habil- 
lèrent un  jour  en  diables  arec  de  longues 
robes  noires,  et  portant  des  masques  hideux  ; 
puis  l'allèrent  trouver,  et  se  mirent  à  danser 
aulour  de  lui  ;  Démocrite  n'en  parut  point 
effrayé,  il  ne  leva  pas  même  les  yeux  de 
dessus  son  livre  et  continua  d'écrire  (1). 

Il  riait  de  tout,  nous  dit-on ,  mais  son  rire 
était  moral,  et  il  voyait  autrement  que  les 
hommes  dont  il  se  moquait.  Croyons  donc  , 
avec  Scaliger,  qu'il  était  aveugle  morale- 
ment, quod  aliorummore  oculis  non  uteretur. 

On  a  dit  qu'il  entendait  le  chant  des  oi- 
seaux, et  qu'il  s'était  procuré  cette  faculté 
merveilleuse  en  mangeant  un  serpent  en- 
gendré du  sang  mélangé  de  certains  oisillons  ; 
mais  que  n'a-t-on  pas  dit  !  On  a  dit  aussi  qu'il 
commerçait  avec  le  diable,  parce  qu'il  vivait 
solitaire. 

DEMON  BARRU.  Voy.  Barbu. 

DEMONIAQUES.  Voy.  Possédés. 

DEMONOCRATIE,  gouvernement  des  dé- 
mons ,  influence  immédiate  des  esprits  mal- 
faisants ,  religion  de  quelques  peuplades 
américaines,  africaines,  asiatiques,  sibérien- 
nes, kamtschadales  ,  etc.,  qui  révèrent  le 
diable  avant  tout ,  comme  par  exemple  les 
Kurdes. 

(I)  Lployer,  Ilisloire  des  »;>ectres  ou  apparition  des  cs- 
pnls.  liï.  r,  ch.  IX,  p.  80. 


DEMONOGRAPHIE ,  histoire  et  descrip- 
tion de  ce  qui  regarde  les  démons. On  appelle 
démonographes  les  auteurs  qui  écrivent  sur 
ce  sujet,  comme  ûelancre,  Leloyer,  Wié- 
rus  etc. 

DEMONOLATRIE,  culte  des  démons.  On  a 
publié  à  Lyon,  vers  1819,  un  volume  in-12, 
intitulé  :  Superstitions  et  Démonoldtrie  de» 
philosophes.  Ce  livre  a  le  tort  d'être  trivial 
quelquefois,  mais  il  contient  de  bonnes  choses 
et  de  tristes  vérités. 

DEMONOLOGIE,  discours  et  traité  sur 
les  démons  ,  pour  la  démonologie  du  roi  Jac- 
ques. Voy.  ce  nom.  Voy.  aussi  Wiltkh 
Scott. 

DEMONOMANCIE  ,  divination  par  le 
moyen  des  démons.  Celte  divination  a  lieu 
par  les  oracles  qu'ils  rendent  ou  par  les  ré- 
ponses qu'ils  font  à  ceux  qui  les  évoquent. 
DEMONOMANIE  ,  manie  de  ceux  qui 
croient  à  tout  ce  qu'on  raconte  sur  les  dé- 
mons et  les  sorciers,  comme  Bodin,  Leloyer, 
Delancre,  etc.  L'ouvrage  de  Bodin  porte  le 
titre  de  Démonomanie  des  sorciers  ;  mais  là 
ce  mot  signifie  diablerie.  Voy.  Bodin. 

DÉMONS.  Ce  que  nous  savons  d'exact  sur 
les  démons  se  borne  à  ceque  nous  en  enseigne 
l'Église  :  que  ce  sont  des  anges  tombés,  qui, 
privés  de  la  vue  de  Dieu  depuis  leur  révolte, 
ne  respirent  plus  que  le  mal  et  ne  cherchent 
qu'à  nuire.  Ils  ont  commencé  leur  règne 
sinistre  parla  séduction  de  nos  premiers  pè- 
res ;  ils  continuent  de  lutter  contre  les  anges 
fidèles  qui  nous  protègent,  et  ils  triomphent 
de  nous  quand  nous  ne  leur  résistons  pas 
avec  courage,  oubliant  de  nous  appuyer  sur 
la  grâce  de  Dieu. 

Nous  ne  pouvons  faire  ici  un  traité  dog- 
matique sur  les  démons.  Nous  devons  nous 
borner  à  rapporter  les  opinions  bizarres  et 
singulières  auxquelles  ces  êtres  maudits  ont 
donné  de  l'intérêt. 

Les  anciens  admettaient  trois  sortes  de  dé- 
mons, les  bons,  les  mauvais  et  les  neutres. 
Mais  ils  appelaient  démon  tout  esprit.  NoUs 
entendons  par  démon  un  ange  de  ténèbres, 
un  esprit  mauvais. 

Presque  toutes  les  traditions  font  remon- 
ter l'existence  des  démons  plus  loin  que  la 
création  du  monde  matériel.  La  chute  des 
anges  a  eu  lieu  en  effet,  selon  la  croyance 
commune,  avant  que  Dieu  ne  fit  le  monde 
visible.  Parmi  les  rf'veurs  juifs,  Aben-Esra 
prétend  qu'on  doit  fixer  cette  chute  au  second 
jour  de  la  création.  Menasse  Ben-Israël,  qui 
suit  la  même  opinion,  ajoute  qu'après  avoir 
créé  l'enfer  et  les  démons.  Dieu  les  plaça 
dans  les  nuages  et  leur  donna  le  soin  de 
tourmenter  les  méchants  (2).  L'homme  n'é- 
tait pas  créé  le  second  jour  ;  il  n'y  avait  donc 
pas  encore  de  méchants  à  punir.  Les  démons 
d'ailleurs  ne  sont  pas  sortis  noirs  de  la  main 
du  Créateur  ;  ils  ne  sont  que  des  anges  do 
lumière  devenus  anges  de  ténèbres  par  leur 
crime. 

Origène  et  quelques  philosophes  soutien- 
nent que  les  bons  et  les  mauvais  esprits  sont 
(2)  D«  Husurrectloae  niortvioruin,  lib.  III,  cap.  vi. 


t3S 


DICTIONNAIRE  DKS  SCIENCES  OCCULTES. 


456 


beaucoup  plus  vieux  que  noire  monde  ;  qu'il 
n'est  pas  probable  que  Dieu  se  soit  avisé  tout 
d'un  coup,  il  y  a  seulement  sis  ou  sept  mille 
ans  (1),  de  tout  créer  pour  la  première  fois  ; 
que  les  anges  et  les  démons  étaient  restés 
immoricis  après  la  ruine  des  mondes  qui 
ont  précédé  le  nôtre,  etc. 

Manès,  ceux  qu'il  a  copiés  et  ceux  qui  ont 
adopté  son  système,  Tont  le  diable  éternel  et 
le  regardent  comme  le  principe  du  mal,  ain- 
si que  Dieu  est  le  principe  du  bien.  Il  a  été 
suftisamment  réfuté.  Nous  devons  donc  nous 
«•n  tenir,  sur  les  démons,  au  sentiment  de 
l'Eglise  universelle. 

Dieu  avait  créé  les  chœurs  des  anges.  Tou- 
te cette  milice  céleste  était  pure  et  non  portée 
au  mal.  Quelques-uns  se  laissèrent  aller  à 
l'orgueil  ;  ils  osèrent  se  croire  aussi  grands 
que  leur  Créateur,  et  entraînèrent  dans  leur 
crime  une  partie  de  l'armée  des  anges.  Satan, 
le  premier  des  Séraphins  et  le  plus  grand  de 
tous  les  êtres  créés  (2),  s'était  mis  à  la  tète 
des  rebelles.  Il  jouissait  dans  le  ciel  d'une 
gloire  inaltérable  et  ne  reconnaissait  d'autre 
maître  que  l'Éternel.  Une  folle  ambition  cau- 
sa sa  perte;  il  voulut  régner  sur  la  moitié  du 
ciel,  et  siéger  sur  un  trône  aussi  élevé  que 
celui  du  Créateur.  L'archange  Michel  et  les 
anges  restésdans  le  devoir  lui  livrèrent  com- 
bat. Satan  fut  vaincu  et  précipité  dans  l'a - 
btme  avec  tous  ceux  de  son  parti  (3). 

Dieu  exila  donc  les  anges  déchus  loin  du 
ciel,  dans  un  lieu  que  nous  nommons  l'enfer 
ou  raMme. 

Quelques  opinions  placent  l'enfer  au  cen- 
tre enflammé  de  notre  globe.  Plusieurs  rab- 
bins disent  que  les  démons  habitent  l'air, 
qu'ils  remplissent.  Saint  Prosper  les  place 
dans  les  brouillards.  Swinden  a  voulu  dé- 
Diontrerqu'ils  logeaient  dans  le  soleil;  d'au- 
tres les  ont  relégués  dans  la  lune.  Bornons- 
nous  à  savoir  qu'ils  sont  dans  les  lieux  infé- 
rieurs, bien  loin  du  soleil  et  de  nous,  comme 
dit  Milton,  et  que  Dieu  leur  permet  toutefois 
de  tenter  les  hommes  qui  sont  sur  la  terre,  et 
de  les  éprouver. 

Tout  chrétien  connaît  la  dure  et  incontes- 
table histoire  du  péché  originel,  réparé,  dans 
ses  effets  éternels,  par  la  divine  rédemption. 
On  sait  aussi  que,  depuis  la  venue  du  Messie, 
le  pouvoir  des  démons,  resserré  dans  de  plus 
étroites  limites,  se  borne  à  un  rôle  vil  et  té- 
nébreux, qui  a  produit  quelques  tristes  récils 
mêlés  souvent  de  mensonge. 

On  n'a  aucune  donnée  du  nombre  des  dé- 
mons. Wiérus  toutefois,  comme  s'il  les  avait 
comptés,  dit  qu'ils  se  divisent  en  six  mille  six 
cent  soixante-six  légions,  composés  chacune 
de  six  mille  six  cent  soixante-six  anges  lé- 
nébreux;  il  en  élève  ainsi  le  nombre  à  qua- 
rante-cinq millions,  ou  à  peu  près,  et  leur 
donne  soixante-douze  princes,  ducs,  marquis, 
prélats  ou  comtes. — Mai»  il  y  en  a  bien  da- 
vantage, et  ils  ont  leur  large  part  dans  le 
mal  qui  se  fait  ici-bas,  puisque  les  mauvaises 

(t)  La  version  drs  Septanle  donne  au  monde  quinze  ou 
di\-liuil  cenis  ans  de  plus  que  nous.  Les  Grecs uio<1eriies 
oui  suivi  ce  calcul,  ei  le  1'.  Pezron  l'a  uu  peu  réveillé 
ii;in!>  VAnliqutlé  Riltablie. 


inspirations  viennent  d'eux  seuls.   Honte  et 
malheur  à  qui  les  écoule! 

Selon  Michel  Psellus,  les  démons  se  divi- 
sent en  six  grandes  sections.  Les  premiers 
sont  les  démons  du  feu,  qui  en  habitent  les 
régionséloignées  ;  lessccondssont  lesdémons 
de  l'air,  qui  volent  autour  de  nous,  et  ont  le 
pouvoir  d'exciter  les  orages;  les  troisièmes 
sont  les  démons  delà  terre,  qui  se  mêlent 
avec  les  hommes  et  s'occupent  de  les  tenter; 
les  quiitrièmes  sont  les  démons  des  eaux, 
qui  habitent  la  mer  et  les  rivières,  pour  y 
élever  des  tempêtes  et  causer  des  naufrages; 
les  cinquièmes  sont  les  démons  souterrains, 
qui  préparent  les  tremblements  de  terre, 
soufflent  les  volcans,  font  écrouler  les  puits 
et  tourmentent  les  mineurs  ;  les  sixièmes 
sont  les  démons  ténébreux,  ainsi  nommés 
parce  qu'ils  vivent  loin  du  soleil  et  ne  se 
montrent  pas  sur  la  terre. 

On  ne  sait  trop  où  Michel  Psellus  a  trouvé 
ces  belles  choses;  mais  c'est  dans  ce  systè- 
me queles  cabalistes  ont  imaginé  les  sala- 
mandres, qu'ils  placent  dans  les  régions  du 
feu  ;  les  sylphes  qui  remplissent  l'air:  les  on- 
dins,  ou  nymphes,  qui  vivent  dans  l'eau,  et 
les  gnomes,  qui  sont  logés  dans  l'intérieur 
de  la  terre. 

Des  doctes  ont  prétendu  que  les  démons 
multiplient  entre  eux  comme  les  hommes; 
ainsi,  leur  nombre  doit  s'accroître,  surtout 
si  l'on  considère  la  durée  de  leur  vie,  que 
quelques  savants  ont  bien  voulu  supputer  ; 
car  il  en  est  qui  ne  les  font  pas  immortels. 
Hésiode  leur  donne  une  vie  de  six  cent  qua- 
tre-vingt mille  quatre  cents  ans.  Plularque, 
qui  ne  conçoit  pas  bien  qu'on  ait  pu  faire 
l'expérience  d'une  .«i  longue  vie,  la  réduit  à 
neuf  mille  sept  cent  vingt  ans... 

Il  y  aurait  encore  bien  des  choses  à  dire 
sur  les  démons  et  sur  les  diverses  opinions 
qu'on  s'est  faites  d'eux.  On  trouvera  géné- 
ralement ces  choses,  à  leurs  articles,  dans 
ce  Dictionnaire. 

Les  Moluquois  s'imaginent  que  les  démons 
s'introduisent  dans  leurs  maisons  par  l'ou- 
verture du  toit,  et  apportent  un  air  infect 
qui  donne  la  petite-vérole.  Pour  prévenir  ce 
malheur,  ils  placent  àl'endroitoù  passent  ces 
démons  certaines  petites  statues  de  bois  pour 
les  épouvanter,  comme  nous  hissons  des 
hommes  de  paille  sur  nos  cerisiers  pour 
écarter  les  oiseaux.  Lorsque  ces  insulaires 
sortent  le  soir  ou  la  nuit ,  temps  allrislé 
par  les  excursions  des  esprits  malfaisants  , 
ils  portent  toujours  sur  eux  comme  sauve- 
garde un  oignon  ou  une  gousse  d'ail  , 
un  couteau,  quelques  morceaux  de  bois;  et 
quand  les  mères  mettent  leurs  enfants  au 
lit,  elles  ne  manquent  pas  de  mettre  l'un  ou 
l'autre  de  ces  préservatifs  sous  leur  tête. 

Les  Chingulais,  pour  empêcher  que  leurs 
fruits  ne  soient  volés,  annoncent  qu'ils  les 
ont  donnés  aux  démons,  dès  lurs,  personne 
n'use  plus  y  toucher. 

(i)  Quique  creaturse  praefulsil  ia  ordine  primus...  Al<i 
Avili  pueui.,  lib.  H. 
(3)  Apocalypse,  ili.  v,  vers.  7  el  9. 


437 


DEM 


OEM 


43S 


Les  Siamois  ne  connaissent  point  d'autres 
démons  que  les  âmes  des  méchants  qui,  sor- 
tant des  enfers  oîi  elles  étaient  détenues,  er- 
rent un  certain  temps  dans  ce  monde  et  font 
aux  hommes  tout  le  mal  qu'elles  peuvent. 
De  ce  nombre  sont  encore  les  criminels 
exécutés,  les  enfants  mort-nés,  les  femmes 
mortes  en  couches  et  ceux  qui  ont  été  tués 
en  duel.  Voy.  Diablb. 

Le  démon  de  l'incendie. 

«  Un  jour,  dit  Flodoard  (historien,  né  à 
Epernay  en  89i,  et  qui  a  écrit  l'histoire  de 
l'église  de  Reims),  un  jour,  saint  Rémi,  ar- 
chevêque de  Reims,  était  absorbé  en  prières 
dans  une  église  de  sa  ville  chérie.  11  remer- 
ciait Dieu  d'avoir  pu  soustraire  aux  ruses 
du  démon  les  plus  belles  âmes  de  son  dio- 
cèse, lorsqu'on  vint  lui  annoncer  que  toute 
la  ville  était  en  feu.  Alors  la  brebis  devint 
lion,  la  colère  monta  au  visage  du  saint,  qui 
frappa  du  pied  les  dalles  de  l'église  avec  une 
énergie  terrible  et  s'écria  :  Satan,  je  te  re- 
connais ;  je  n'en  ai  donc  pas  encore  Gni  avec 
ta  méchanceté  ! 

«  On  montre  encore  aujourd'hui,  encas- 
trée dans  les  pierres  du  portail  occidental 
de  Saint-Remi  de  Reims,  la  pierre  où  sont 
très-yisiblement  empreintes  les  traces  du 
pied  irrité  de  saint  Rémi. 

(  Le  saint  s'arma  de  sa  crosse  et  de  sa 
chape,  comme  un  guerrier  de  son  épée  et 
de  sa  cuirasse,  et  vola  à  la  rencontre  do 
l'ennemi.  A  peine  eut-il  fait  quelques  pas 
qu'il  aperçut  des  gerbes  de  flammes  qui  dé- 
voraient, avec  une  furie  que  rien  n'arrêlait, 
les  maisons  de  bois  dont  la  ville  était  bâtie  et 
les  toits  de  chaume  dont  ces  maisons  étaient 
couvertes.  A  la  vue  du  saint,  l'incendie  sem- 
bla pâlir  et  diminuer.  Rémi,  qui  connaissait 
l'ennemi  auquel  il  avait  à  faire,  Qt  un  signe 
de  croix,  et  l'incendie  recula. 

«  A  mesure  que  le  saint  avançait  en  fai- 
sant des  signes  de  croix,  l'incendie  lâchait 
prise  et  fuyait,  comme  fasciné  devant  la 
puissance  de  l'évêque;  on  aurait  dit  un  être 
intelligent  et  qui  comprenait  sa  faiblesse. 
Quelquefois  il  se  roidissait;  il  reprenait  cou- 
rage; il  cherchait  à  cerner  le  saint  dans  une 
enveloppe  de  fou,  à  l'aveugler,  à  le  réduire 
en  cendres.  Mais  toujours  un  redoutable 
signe  de  croix  parait  les  attaques  et  arrêtait 
les  ruses. 

«  Forcé  de  reculer  ainsi,  de  lâcher  succes- 
sivement toutes  les  maisons  qu'il  avait  en- 
tamées, l'incendie  vint  s'abattre  aux  pieds 
de  l'évêque,  comme  un  animal  dompté;  il 
se  laissa  prendre  et  conduire,  à  la  volonté  du 
saint,  hors  de  la  ville,  dans  les  fossés  qui 
fortifient  encore  Reims.  Là,  Rémi  ouvrit  une 
porte,  qui  donnait  dans  un  souterrain;  il  y 
lirécipita  les  flammes,  comme  on  jette  dans 
un  gouffre  un  malfaiteur,  et  fil  murer  la 
porte. 

«  Sous  peine  d'anathème,  sous  peine  de  la 
ruine  du  corps  et  de  la  mort  de  l'âme,  il  dé- 
fendit d'ouvrir  à  jamais  cette  porte.  Un  im- 

(1)  M.  Didi'on,  Uisloire  du  diable. 

(2)  Uicliouuairc  U'aiiccdotes  suisses,  p.  82. 


prudent,  un  curieux,  un  sceptique  peut-être, 
voulut  braver  la  défense  et  entr'ouvrir  la 
gouffre.  Mais  il  en  sortit  des  tourbillons  do 
flamme  qui  le  dévorèrent  et  rentrèrent  en- 
suite d'elles-mêmes  dans  le  trou  où  la  volonté 
toujours  vivante  du  saint  les  tenait  enchaî- 
nées... » 

«  Voilà  bien  le  démon  de  l'incendie  ;  voilà 
bien,  comme  le  fait  remarquer  M.  Guizot, 
dans  la  préface  de  Flodoard  qu'il  a  traduit, 
une  bataille  épique,  aussi  belle  que  la  ba- 
taille d'Achille  contre  le  Xante  :  Le  fleuve 
est  un  demi-dieu,  l'incendie  est  un  démon. 
C'est  aussi  beau  que  dans  Homère  (1).  » 

C'est  que  les  légendaires,  en  dépit  du  mé- 
pris que  les  écrivains  froids  des  derniers 
siècles  s'efforçaient  de  leur  témoigner , 
étaient  des  poètes  et  des  croyants  ;  ils  repré- 
sentaient souvent  par  l'allégorie  les  der- 
nières luttes  du  paganisme  grossier  contre 
le  christianisme  naissant;  ils  révéraient  l'es- 
pèce humaine  ;  ils  se  refusaient  à  croire  que 
des  âmes  sorties  de  la  main  de  Dieu  pussent 
concevoir  de  mauvaises  actions  ;  ils  attri- 
buaient à  Satan  tout  le  mal  et  tous  les 
crimes. 

DEMONS  BLANCS.  Voy.  Femmes  blan- 
ches. 

DEMONS  FAMILIERS,  démons  qui  s'ap- 
privoisent et  se  plaisent  à  vivre  avec  les 
hommes  qu'ils  aiment  assez  à  obliger. 
Voy.  BÉRiTH. 

Un  historien  suisse  rapporle  qu'un  baron 
de  Regensberg  s'était  retiré  dans  une  tour  de 
son  château  de  Bâle  pour  s'y  adonner  avec 
plus  de  soin  à  l'étude  de  l'Ecriture  sainte  et 
aux  belles-lettres.  Le  peuple  était  d'autant 
plus  surpris  du  choix  de  cette  retraite,  que 
la  tour  était  habitée  par  un  démon.  Jusqu'a- 
lors le  démon  n'en  avait  permis  l'entrée  à 
personne;  mais  le  baron  était  au-destus 
d'une  telle  crainte.  Au  milieu  de  ses  travaux, 
le  démon  lui  apparaissait,  dit-on,  en  habit 
séculier,  s'asseyait  à  ses  côtés,  lui  faisait  des 
questions  sur  ses  recherches,  et  s'entrete- 
nait avec  lui  de  divers  objets,  sans  jamais 
lui  faire  aucun  mal.  L'historien  crédule 
ajoute  que,  si  le  baron  eût  voulu  exploiter 
méthodiquement  ce  démon,  il  en  eût  tiré 
beaucoup  d'éclaircissements  utiles  (2).  Voy. 
Esprits,  Lutins,  Farfadets,  Kobold,  etc. 

DEMONS  DE  MIDL  On  parlait  beaucoup 
chez  les  anciens  de  certains  démons  qui  se 
montraient  particulièrement  vers  midi  à  ceux 
avec  lesquels  ils  avaient  contracté  familia- 
rité. Voy.  Agateion.  Ces  démons  visitent 
ceux  à  qui  ils  s'attachent,  en  forme  d'hom- 
mes ou  de  bêtes,  ou  en  se  laissant  enclore 
en  un  caractère,  chiffre,  fiole,  ou  bien  en  un 
anneau  vide  et  creux  au  dedans.  «  Ils  sont 
connus,  ajoute  Leloyer,  des  magiciens  qui 
s'en  servent,  et,  à  mon  grand  regret,  je  suis 
contraint  de  dire  que  l'usage  n'en  est  que 
trop  commun  (3)  .  »  Voy.  Emposb. 

DENIS  ANJORAND,  docteur  de  Paris,  mé- 
decin et  astrologue  au  quatorzième  siècle.  Ce 
fut  lui  qui  prédit  la  venue  du  prince  de  Gal- 

(3)  liisluire  des  spcclres,  liv.  lU,  cli.  iv,  p.  198. 


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DICTIONNAIRE  DKS  SCIENCES  OCCliLTES. 


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li's,  et  qui  conngara  d'avance  par  astrolo- 
gie la  prise  du  roi  Jean  à  Poitiers.  Mais  on 
n'en  tint  pas  compte.  Néanmoins,  ;iprès  que 
la  chose  fut  advenue,  il  fut  grandement  es- 
timé à  la  cour  fl). 

DENIS-LE-CHARTREDX,  écrivain  pieux 
du  quinzième  sit^cle,  né  dans  le  pays  de  Liège. 
Nous  ne  cilerons  que  son  ouvrage  Des  Qua- 
tre dernières  fins  de  l'homme,  où  il  traite  du 
purgatoire  el  de  l'enfer.  Vny.  Enfer. 

DENIS  DE  VINCENNES,  médecin  de  la 
Faculté  de  Montpellier  et  grand  astrologue. 
Appelé  au  service  du  duc  Louis  d'Anjou,  il 
fut  fort  expert  en  ses  jugements  particuliers, 
entre  lesquels  il  en  fit  un  audit  duc,  qui  était 
gouverneurdu  petit  roi  Charles  VI,  au  moyen 
duquel  il  trouva  le  trésor  du  roi  Charles  V,  qui 
était  seulement  à  la  connaissanced'un  nommé 
Errart  de  Serreuze,  homme  vertueux,  discret 
et  sage.  11  y  avait  dans  ce  trésor,  que  Denis 
de  Vincennes  découvrit  par  son  art,  dix-huit 
millions  d'or.  Aucuns  (attendu  que  ce  roi 
avait  toujours  eu  la  guerre)  disent  que  Jean 
deMeung,  auteur  du  roman  de  la  Rose,  lui 
avait  amassé  ce  trésor  par  la  vertu  de  la 
pierre  philosophale  (2). 

DENTS.  Il  y  a  aussi  quelques  histoires 
merveilleuses  sur  les  dents;  el  d'abord  on 
a  vu  des  enfants  naître  avec  des  dents; 
Louis  XIV  en  avait  deux  lorsqu'il  vint  au 
monde.  Pyrrhus,  roi  des  Epirotes,  avait  au 
lieu  de  dents  un  os  continu  en  haut  de  la 
mâchoireet  un  pareil  en  bas. Il  yavait  même 
en  Perse  une  race  d'hommes  qui  apportaient 
ces  os-là  en  naissant  (3). 

La  république  des  Gorgones  devait  être 
bien  laide,  comme  dit  M.  Salgues,  s'il  est 
vrai  que  ces  femmes  n'avaient  pour  elles 
toutes  qu'un  œil  et  qu'une  dent,  qu'elles  se 
prêtaient  l'une  à  l'autre. 

En  1591,  le  bruit  courut  en  Silésie  que,  les 
dents  étant  tombées  à  un  enfant  de  sept  ans, 
il  lui  en  était  venu  une  d'or.  On  prétendait 
qu'elle  était  en  partie  naturelle  et  en  partie 
merveilleuse,  et  qu'elle  avait  été  envoyée  du 
ciel  à  cet  enfant  pour  consoler  les  chrétiens 
affligés  par  les  Turcs,  quoiqu'il  n'y  eût  pas 
grand  rapport  entre  cette  dent  et  les  Turcs, 
el  qu'on  ne  voie  pas  quelle  consolation  les 
chrétiens  en  pouvaient  tirer.  Cette  nouvelle 
occupa  plusieurs  savants;  elle  éleva  plus 
d'une  dispute  entre  les  grands  hommes  du 
temps,  jusqu'à  ce  qu'un  orfèvre  ayant  exa- 
miné la  dent,  il  se  trouva  que  c'était  une 
dent  ordinaire  à  laquelle  on  avait  appliqué 
une  feuille  d'or  avec  beaucoup  d'adresse  : 
mais  on  commença  par  disputer  et  faire  des 
livres,  puis  on  consulta  l'orfèvre. 

Nous  ajouterons  que  dans  le  village  de 
Senlices  il  y  a  une  fontaine  publique  dont  on 
dit  que  l'eau  fait  tomber  les  dents,  sans  flu- 
xion et  sans  douleur.  D'abord  elles  branlent 
dans  la  bouche  comme  le  battant  d'une  clo- 
che,   ensuite   elles  tombent  naturellement. 

(1)  Ancien  manuscrit  de  la  BiblioUièque  du  roi,  cité  par 
Jol.f,  Remarques  sur  Bajle. 

(2)  Torqueniada,  Hpxaniéron,  p.  29. 

(3)  Sainl-Foix,  Essais,  1. 1. 

(i)  Manuscrit  de  la.Blbli()thèque,  cité  par  Joly  dans  ses 
Remarques  sur  Bayle. 


Plus  de  la  moitié  des  habitants  de  ce  village 
manquent  de  dents  C»). 

On  voit  dans  les  Admirables  secrets  d'Aï- 
bert-le-Grand  qu'on  calme  le  mal  de  dents  en 
demandant  l'aumône  en  l'honneur  de  saint 
Laurent.  C'est  une  superstition. 

Les  racines  d'asperges  sont, dit-on,  un  très- 
bon  spécifique  :  séchées  et  appliquées  sur  les 
dents  malades,  elles  les  arrachent  sans  dou- 
leur. Nous  ne  l'avons  pas  éprouvé. 

DÉRODON  (David),  dialecticien  du  dix- 
septième  siècle.  On  conte  qu'un  professeur, 
pressé  par  un  argumenlateur  inconnu,  lui 
dit  sur  le  point  de  se  rendre  :  «  Tu  es  le  dia- 
ble, ou  lu  es  Dérodon.  »  Ce  savant  a  laissé 
un  Discours  contre  l'astrologie  judiciaire, 
in-8°,  1663. 

DERSAIL,  sorcier  du  pays  de  Labour,  qui 
portait  le  bassin  au  sabbat,  vers  l'an  1610. 
Plusieurs  sorcières  ont  avoué  l'y  avoir  vu 
recevant  les  offrandes,  à  la  messe  du  sab- 
bat; elles  ont  assuré  de  plus  qu'il  employait 
cet  argent  pour  les  affaires  des  sorciers  et 
pour  les  siennes  (5). 

DESBORi)ES,  valet  de  chambre  du  duc  de 
Lorraine  Charles  IV.  Ce  valet  fut  accusé,  en 
1628,  d'avoir  avancé  la  mort  de  la  princesse 
Christine,  mère  du  duc,  et  causé  diverses 
maladies  que  les  médecins  attribuaient  à  des 
maléfices.  Charles  IV  avait  conçu  de  violents 
soupçons  contre  Desbordes,  depuis  une  partie 
de  chasse  où  il  avait  servi  un  grand  dliier  au 
duc,  sans  autres  préparatifs  qu'une  petite 
boite  à  trois  étages,  dans  laquelle  se  trouvait 
un  repas  exquis.  Celait  peut-être  un  auto- 
clave. Dans  une  autre  occasion  ,  il  s'était 
permis  de  ranimer  trois  pendus  (car  il  fai- 
sait toujours  tout  par  trois)  qui,  depuis  trois 
jours,  étaient  attachés  à  trois  gibets;  et  il 
leur  avait  ordonné  de  rendre  hommage  au 
duc,  après  quoi  il  les  avait  renvoyés  à  leurs 
potences.  On  vérifia  encore  qu'il  avait  or- 
donné aux  personnages  d'une  tapisserie  de 
s'en  détacher  et  de  venir  danser  dans  le  salon... 
Charles  IV,  effrayé  de  ces  prodiges,  voulut 
qu'on  informât  contre  Desbordes.  On  lui  fit 
son  procès  el  il  fut  condamné  au  feu  (6)  ; 
mais  soyez  assuré  qu'il  y  avait  à  la  charge 
de  cet  homme,  autre  chose  que  des  tours  do 
gibecière  et  des  tours  de  passe-passe. 

DESCARTES  (René),  l'un  des  hommes  les 
plus  célèbres  du  dix-septième  siècle.  Il  fut 
persécuté  en  Hollande  lorsqu'il  publia  pour 
la  première  fois  ses  opinions. Voët  {Voetiusj, 
qui  jouissait  de  beaucoup  de  crédit  à  Utrecht, 
l'accusa  d'athéisme;  il  conçut  même  le  des- 
sein de  provoquer  sa  condamnation,  sans  lui 
permettre  de  se  défendre,  el,  avec  la  man- 
suétude protestante,  de  le  faire  brûler  à 
Utrecht  sur  un  bûcher  très-élevé,  dont  la 
flamme  serait  aperçue  do  toutes  les  Provin- 
ces-Unies (7)....,  pays  assez  plat  pour  une 
telle  tentative. 

DÉSERTS.  C'est  surtout  dans  les  lienxdé- 

(b)  Delancre, Tableau  de  l'inconstance  des  démons,etc., 
etc.,  p.  90. 

(6)  M.  Saignes,  des  Erreurs  et  des  préjugés,  et  M.  Ju- 
les Garinet,  Histoire  de  la  magie  en  France,  p.  204. 

(7)  Curiosiiés  de  littérature,  trsd.  de  l'anglais,  parBer 
lin,  t.  I,  p.  53. 


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serts  et  abandonnés  que  les  sorciers  font 
leur  sabbat  et  les  démons  leurs  orjçies.  C'est 
dans  de  tels  lieux  que  le  diable  se  montre  à 
ceux  qu'il  veut  acheter  ou  servir.  C'est  là 
aussi  qu'on  a  peur  et  qu'on  voit  des  fantô- 
mes. Voy.  Carrefours. 

DESFONTAINES.  En  169o  ,  un  certain 
M.  Bézuel  (qui  depuis  fut  curé  de  Valogne), 
étant  alors  écolier  de  quinze  ans,  fit  la  con- 
naissance des  enfantsd'un  procureur  nommé 
d'Abaquène,  écoliers  comme  lui.  L'atné  était 
de  son  âge;  le  cadet,  un  peu  plus  jeune  s'ap- 
pelait Desfontaines;  c'était  celui  des  deux 
frères  que  Bézuel  aimait  davantage.  Se  pro- 
menant tous  deux  en  1696,  ils  s'entretenaient 
d'une  lecture  qu'ils  avaient  faite  de  l'hiisloire 
de  deux  amis,  lesquels  s'étaient  promis  que 
celui  qui  mourrait  le  premier  viendrait  dire 
des  nouvelles  de  son  état  au  survivant.  Le 
mort  revint,  disait-on,  et  conta  à  son  ami 
des  choses  surprenantes. 

Le  jeune  Desfontaines  proposa  à  Bézuel  de 
se  faire  mutuellement  une  pareille  promesse. 
Bézuel  ne  le  voulut  pas  d'abord;  mais  quel- 
ques mois  après  il  y  consentit,  au  moment 
où  son  ami  allait  partir  pour  Gaen.  Desfon- 
laincs  tira  de  sa  poche  deux  petits  papiers 
qu'il  tenait  tout  prêts ,  l'un  signé  de  son 
sang,  où  il  promettait,  en  cas  de  mort,  de 
venir  voir  Bézuel  ;  l'autre  où  la  même  pro- 
messe était  écrite,  fut  signée  par  Bézuel.  Des- 
fontaines partit  ensuite  avec  son  frère,  elles 
deux  amis  entretinrent  correspondance. 

Il  y  avait  six  semaines  que  Bézuel  n'avait 
reçu  de  lettres,  lorsque,  le  31  juillet  1697,  se 
trouvant  dans  une  prairie,  à  deux  heures 
après  midi,  il  se  sentit  tout  d'un  coup  étourdi 
et  pris  d'une  faiblesse,  laquelle  néanmoins 
se  dissipa;  le  lendemain,  à  pareille  heure,  il 
éprouva  le  même  symptôme;  le  surlende- 
main, il  vit  pendant  son  affaiblissement  son 
ami  Desfontaines  qui  lui  faisait  signe  de  ve- 
nir à  lui Comme  il  était  assis,  il  se  recula 

sur  son  siège.  Les  assistants  remarquèrent 
te  mouvement. 

Desfontaines  n'avançant  pas  ,  Bézuel  se 
leva  enfin  pour  aller  à  sa  rencontre  ;  le  spec- 
tre s'approcha  alors,  le  prit  par  le  bras  gau- 
che et  le  conduisit  à  trente  pas  de  là  dans  un 
lieu  écarté. 

Je  vous  ai  promis,  lui  dit-il,  que  si  je  mou- 
rais avant  vous,  je  viendrais  vous  le  dire  : 
je  me  suis  noyé  avant-hier  dans  la  rivière, 
à  Caen,  vers  cette  heure-ci.  J'étais  à  la  pro- 
menade; il  faisait  si  chaud,  qu'il  nous  prit 
envie  de  nous  baigner.  Il  me  vint  une  fai- 
blesse dans  l'eau,  et  je  coulai.  L'ablié  de 
Ménil-Jean  ,  mon  camarade,  plongea  ;  je  sai- 
sis son  pied,  mais  soit  qu'il  crût  que  ce  fût 
un  saumon,  soit  qu'il  voulût  promptement 
remonter  sur  l'eau,  il  secoua  si  rudement  le 
jarret,  qu'il  me  donna  un  grand  coup  dans  la 
poitrine,  et  me  jeta  au  fond  delà  rivière  qui 
est  là  très-profonde. 

Desfontaincs  raconta  ensuite  à  son  ami 
beaucoup  d'autres  choses. 

Bézuel  voulut  l'embrasser,  mais  alors  il 
ne  trouva  qu'une  ombre.  Cependant,   son 


bras  était  si  fortement  tenu  qu'il  en  conserva 
une  douleur. 

Il  voyait  continuellement  le  fantôme,  un 
peu  plus  grand  que  de  son  vivant,  à  demi 
nu,  ))ortantenlortillé  dans  ses  cheveux  blonds 
un  écriteau  où  il  ne  pouvait  lire  que  le  mot 
in Il  avait  le  même  son  de  voix  ;  il  ne  pa- 
raissait ni  gai  ni  triste,  mais  dans  une  tran- 
quillité parfaite.  Il  pria  son  ami  survivant, 
quand  son  frère  serait  revenu,  de  le  charger 
de  dire  certaines  choses  à  son  père  et  à  sa 
mère  ;  il  lui  demanda  de  réciter  pour  lui  les 
sept  psaumes  qu'il  avait  eus  en  pénitence  le 
dimanche  précédent,  et  qu'il  n'avait  pas  en- 
core récités;  ensuite  il  s'éloigna  en  disant  : 
Jusqu'au  revoir,  qui  était  le  terme  ordinaire 
dont  il  se  servait  quand  il  quittait  ses  ca- 
marades. 

Celte  apparition  se  renouvela  plusieurs 
fois.  Quelques-uns  l'expliqueront  par  les 
pressentiments,  la  sympathie,  etc.  L'abbé 
Bézuel  en  raconta  les  détails  dans  un  diner, 
en  17;  8,  devant  l'abbé  de  Saint-Pierre,  qui 
en  fait  une  longue  mention  dans  le  tome  IV 
de  ses  OEuvres  politiques. 

DESFORGES  (Pierre  Jean  BaptisteChou- 
dard),  né  à  Paris  en  llkG,  auteur  plus  que 
frivole.  Dans  les  Mille  et  un  souvenirs  ou 
Veillées  conjugales,  livre  immoral  qu'on  lui 
attribue,  il  raconte  plusieurs  histoires  de 
spectres  qui  ont  été  reproduites  par  divers 
recueils. 

DESHOULIÈRES.  Madame  Deshoulières 
étant  allée  passer  quelques  mois  dans  une 
terre,  à  quatre  lieues  de  Paris,  on  lui  permit 
de  choisir  la  plus  belle  chambre  du  château; 
mais  on  lui  en  interdisait  une  qu'un  revenant 
visitait  toutes  les  nuits.  Depuis  longtemps 
madame  Deshoulières  désirait  voir  des  reve- 
nants; et,  malgré  les  représentations  qu'on 
lui  fit,  elle  se  logea  précisément  dans  la 
chambre  infestée.  La  nuit  venue,  elle  se  mit 
au  lit,  prit  un  livre  selon  sa  coutume;  et,  sa 
lecture  finie,  elle  éteignit  sa  lumière  et  s'en- 
dormit. Elle  fut  bientôt  éveillée  par  un  bruit 
qui  se  fit  à  la  porte,  laquelle  se  fermait  mal  ; 
on  l'ouvrit,  quelqu'un  entra,  qui  marchait 
assez  fort.  Elle  parla  d'un  ton  très-décidé, 
car  elle  n'avait  pas  peur.  On  ne  lui  répondit 
point.  L'esprit  fit  tomber  un  vieux  paravent 
et  tira  les  rideaux  avec  bruit.  Elle  harangua 
encore  l'âme,  qui  s'avançant  toujours  lente- 
ment et  sans  mot  dire,  passa  dans  la 'ruelle 
du  lit,  renversa  le  guéridon  et  s'appuya  sur 
la  couverture. 

Ce  fut  là  que  madame  Deshoulières  fit  pa- 
raître toute  sa  fermeté.  —  Ah  I  dit-elle,  je 
saurai  qui  vous  êtes  1....  Alors,  étendant  ses 
deux  mains  vers  l'endroit  où  elle  entendait 
le  spectre,  elle  saisit  deux  oreilles  velues  , 
qu'elle  eut  la  constance  de  tenir  jusqu'au 
matin. 

Aussitôt  qu'il  fut  jour,  les  gens  du  château 
vinrent  voir  si  elle  n'était  pas  morte.  Il  se 
trouva  que  le  prétendu  revenant  était  un  gros 
chien,  qui  trouvait  plus  commode  de  cou- 
cher dans  cette  chambre  déserte  que  dans  la 
basse-cour. 
DESPILLIEUS.    Le  comte  Despilliers    le 


HZ 


DlCTIONNAinF,  DKS  SCIENCES  OCCULTES. 


l'.i 


père,  qui  mourut  avec  le  grade  de  maréchal- 
de-cain|)  de  l'empereur  Ch.irles  VI,  n'étiiit 
encore  que  ca()ilaliie  de  cuirassiers,  lors- 
«que,  se  Irouvaiil  en  quartier  d'hiver  en 
Flandre,  un  de  ses  cavaliers  vint  un  jour  le 
prier  du  le  changer  de  logcinenl,  disaul  que 
toutes  les  nuits  il  revenait  dans  sa  chambre 
un  esprit  qui  ne  le  laissait  pas  dormir. 

Despilliers  se  moqua  de  sa  simplicité,  et  le 
renvoya.  Mais  le  militaire  revint  au  bout  de 
quelques  jours,  et  répéta  la  même  prière;  il 
fut  encore  nioi]ué.  EuTin  il  revint  une  troi- 
sième fois,  et  assura  à  >oii  capitaine  qu'il  se- 
rait obligé  de  déserter  si  on  ne  le  changeait 
pas  de  logis.  D>'spilliers,  qui  connaissait  cet 
nomme  pour  bon  soldat,  lui  dit  en  jurant: 
— Je  veux  aller  cette  nuit  coucher  avec  toi, 
et  voir  ce  qui  en  est. 

Sur  les  dix  heures  du  soir,  le  capitaine 
se  rend  au  logis  de  son  cavalier;  ayant  mis 
SCS  pistolets  a^més  sur  la  table;  il  se  couche 
tout  véta.  son  épée  à  côlc  de  lui. 

Vers  minuit  il  entend  quelqu'un  qui  entre 
dans  la  chambre,  qui,  en  un  instant,  met  le 
lit  sens  dessus  dessous,  et  enferme  le  capi- 
taine et  le  soldat  sous  le  matelas  et  la  pail- 
lasse. 

Après  s'être  dégagé  de  son  mieux,  le  comte 
Despiiliers,  qui  était  cepend;int  très-hrave, 
s'en  retourna  tout  confus  et  fit  déloger  le  ca- 
valier. 

Il  raconta  depuis  son  aventure,  pensant 
bien  qu'il  avait  eu  affaire  avec  quelque  dé- 
mon. Néanmoins  il  se  trouva,  dit-on,  que  le 
lutin  n'était  qu'un  grand  singe. 

DESRUES,  empoisonneur,  rompu  et  brûlé 
à  Paris,  en  1777,  à  l'âge  de  trente-deux  ans. 
11  avait  été  exécuté  depuis  quinze  jours, 
lorsque  tout  à  coup  le  bruit  se  répandit  qu'il 
revenait  toutes  les  nuits  sur  la  place  de 
Grève. 

On  voyait  un  homme  en  robe  de  chambre, 
tenant  un  crucifix  à  la  main,  se  promenant 
lentement  autour  de  l'espace  (ju'avaient  oc- 
cupé son  écbafaud  et  son  bûcher,  et  s'écriant 
d'une  voix  lugubre  :  — Je  viens  chercher  ma 
chair  et  mes  os. 

Quel({uos  nuits  se  passèrent  ainsi,  sans 
que  personne  osât  s'approcher  d'assez  près 
pour  savoir  quel  pouvait  être  l'auteur  de 
«;etle  farce  un  peu  sombre. 

Plusieurs  soldats  de  patrouille  et  de  garde 
-en  avaient  été  épouvantés.  Mais  enfin  la  ter- 
reur cessa;  un  intrépide  eut  le  courage  de 
s'avancer  sur  la  place;  il  empoigna  le  spec- 
tre et  le  conduisit  au  corps-de-garde,  où 
l'on  reconnut  que  ce  revenant  était  le  frère 
de  Desrues,  riche  aubergiste  de  Senlis,  qui 
était  devenu  fou  de  désespoir. 

DESTINÉE.  Voy.  Fatalisme. 

DESVItiNES,  parisienne  qui  avait,  au  com- 
mencement du  dix-septième  siècle,  des  atta- 
-«lues  de  nerfs  dont  elle  voulut  tirer  parti 
pour  se  faire  une  ressource.  Les  uns  la  di- 
-saient  sorcière  ou  possédée,  les  autres  la 
croyaient  prophélesse.  Le  père  Lebrun,  qui 
|)arle  d'elle  dans  son  Histoire  des  Supersti~ 
4ion$,  reconnut  comme  les  médecins  qu'il  y 
avait  dans  son  fait  une  grande  fourberie.  Le 


bruit  qu'elle  avait  fait  tomba   subitement. 

DEUIL.  Les  premiers  poètes  disnient  que 
les  âmes  après  la  mort  allaient  dans  le  som- 
bre empire  :  c'est  peut-être  conformément  à 
ces  idées,  dit  Saint-Foix,  qu'ils  crurent  que 
le  noir  était  la  couleur  du  deuil. 

Les  Chinois  et  les  Siamois  choisissent  le 
blanc,  croyant  aue  les  morts  deviennent  des 
génies  bienfaisants. 

En  Turquie,  on  porte  le  deuil  en  bleu  ou 
en  violet  ;  en  gris,  chez  les  Ethiopiens;  on 
le  portait  en  gris  de  souris  au  Pérou,  quand 
les  Espagnols  y  entrèrent. 

Le  blanc,  chez  les  Japonais,  est  la  marque 
du  deuil,  et  le  noir  est  celle  de  la  joie.  En 
Castille,  les  vêtements  de  deuil  étaient  au- 
trefois de  serge  blanche. 

Les  Perses  s'habillaient  de  brun,  et  se  ra- 
saient avec  toute  leur  famille  et  tous  leurs 
animaux.  Dans  la  Lycie,  les  hommes  por- 
taient des  habits  de  femme  pendant  tout  le 
temps  du  deuil. 

Chez  nous,  Anne  de  Bretagne,  femme  de 
Louis  Xll,  changea  en  noir  le  deuil,  qui  jus- 
que-là avait  été  porté  en  blanc  à  la  cour. 

A  Argos,  on  s'habillait  de  blanc  et  on  fai- 
sait de  grands  festins.  A  Délos,  on  se  cou- 
pait les  cheveux,  qu'on  mettait  sur  la  sépul- 
ture du  mort.  Les  Egyptiens  se  meurtris- 
saient la  poitrine  et  se  couvraient  le  visage 
de  bouc.  Us  portaient  des  vêtements  jaunes 
ou  feuille-morte. 

Chez  les  Romains,  les  femmes  étaient  obli- 
gées de  pleurer  la  mort  de  leurs  maris,  et 
les  enfants  celle  de  leur  père  ,  pendant  une 
année  entière.  Les  maris  ne  pouvaient  pleu- 
rer leurs  femmes;  et  les  pères  n'avaient 
droit  de  pleurer  leurs  enfants  que  s'ils 
avaient  au  moins  trois  ans. 

Le  grand  deuil  des  Juifs  dure  un  an;  il  a 
lieu  à  la  mort  des  parents. 

Les  enf.ints  ne  s'habillent  pas  de  noir; 
mais  ils  sont  obligés  de  porter  toute  l'année 
les  h  tbits  qu'ils  avaient  à  la  mort  de  leur 
père,  sans  qu'il  leur  soit  permis  d'en  chan- 
ger, quelque  déchirés  qu'ils  soient.  Ils  jeû- 
nent tous  les  ans  à  pareil  jour.  Le  deuil 
moyen  dure  un  mois  ;  il  a  lieu  à  la  mort  des 
enfants,  des  oncles  et  des  tantes. 

Ils  n'osent,  pendant  ce  temps,  ni  se  laver, 
ni  se  parfumer,  ni  se  raser  la  barbe,  ni  même 
se  couper  les  ongles;  ils  ne  mangent  point 
en  famille. 

Le  petit  deuil  dure  une  semaine  :  il  a  lieu 
à  la  mort  du  mari  ou  de  la  femme. 

En  rentrant  des  funérailles,  l'époux  en 
deuil  se  lave  les  mains,  déchausse  ses  sou- 
liers, et  s'assied  à  terre,  se  tenant  toujours 
en  cette  posture,  et  ne  faisant  que  gémir  et 
pleurer,  sans  travailler  à  quoi  que  ce  soit 
jusqu'au  septième  jour.  Ces  usages  n'ont  lieu 
que  cht  z  les  juifs  pur  sang. 

Les  Chinois  en  deuil  s'habillent  de  grosse 
toile  blanche,  et  pleurent  pendant  trois  mois. 
Le  magistral  n'exerce  pas  ses  fonctions;  lu 
plaideur  suspend  ses  procès.  Les  jeunes 
gens  vivent  dans  la  retraite,  et  ne  peuvent 
se  marier  qu'après  trois  années. 

Le  deuil  des  Caraïbes  consiste  à  se  coupée 


us 


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les  cheveux  cl  à  jeûner  rigoureusement  jus- 
qu'à ce  que  le  corps  du  dcfunl  qu'ils  pleurent 
soit  pourri;  après  quoi  ils  font  la  débauclif, 
pour  chasser  toute  tristesse  de  leur  esprit. 

Chez  certains  peuples  de  l'Amérique,  le 
leuil  était  conforme  à  l'âge  du  mort. 

On  était  inconsolable  à  la  mort  des  en- 
fants, et  on  ne  pleurait  presque  pas  les  vieil- 
lards. Le  deuil  des  enfants,  outre  sa  durée, 
était  commun,  et  ils  étaient  regrettés  de  tout 
le  canton  où  ils  étaient  nés. 

Le  jour  de  leur  mort,  on  n'osait  point  ap- 
procher des  parents,  qui  faisaient  un  bruit 
effroyable  dans  leur  niaison,  se  livraient  à 
des  accès  de  fureur,  hurlaient  comme  des 
désespérés,  s'arrachaient  les  cheveux,  se 
mordaient,  s'égratignaient  toul  le  corps.  Le 
lendemain,  ils  se  renversaient  sur  un  lit 
qu'ils  trempaient  de  leurs  larmes. 

Le  troisième  jour,  ils  commençaient  les 
gémisscmenis  qui  duraient  toute  l'année  , 
pendant  laquelle  le  père  et  la  mère  ne  se  la- 
vaient jamais.  Le  reste  de  la  ville,  pour  com- 
patir à  leur  affliction,  pleurait  trois  fois  le 
jour,  jusqu'à  ce  qu'on  eût  porté  le  corps  à 
la  sépulture  (1).  Voy.  Funérailles. 

DEUMUS  ou  DEUMO ,  divinité  des  habi- 
tants de  Calicnt,  au  Malabar.  Cette  divinité, 
qui  n'est  qu'un  diable  adoré  sous  le  nom  de 
Deumus,  a  une  couronne,  quatre  cornes  à  la 
tête  et  quatre  dents  crochues  à  la  bouche, 
qui  est  fort  grande  ;  elle  a  le  nez  pointu  et 
crochu,  les  pieds  en  pattes  de  coq,  et  lient 
entre  ses  griffes  une  âme  qu'elle  semble 
prête  à  dévorer  (2). 

DEVAUX,  sorcier  du  seizième  siècle,  à 
qui  l'un  trouva  une  marque  sur  le  dos,  de  la 
forme  d'un  chien  noir.  Lorsqu'on  lui  enfon- 
çait une  épingle  dedans,  il  n'en  éprouvait 
aucune  douleur;  mais  lorsqu'on  se  disposait 
à  y  planter  l'aiguille,  il  se  plaignait  beau- 
coup, quoiqu'il  ne  vil  pas  celui  qui  portait 
les  doigts  au-dessus  de  la  marque  (3). 

DEVINS,  gens  qui  devinent  et  prédisent 
les  choses  futures. Dans  un  siècleaussi  éclairé 
que  le  nôtre  prétend  l'être,  il  est  encore  des 
personnes  qui  croient  aux  devins;  souvent 
même  ces  personnes  si  crédules  ont  reçu  une 
éducation  qui  devrait  les  élever  au-dessus 
des  préjugés  vulgaires. 

Deux  dames  d'un  rang  distingué  entendi- 
rent parler  d'une  devineresse  pour  qui  l'ave- 
nir n'était  point  caché;  elles  résolurent  de  la 
consulter,  el  se  rendirent  chez  elle  en  allant 
au  spectacle,  c'est-à-dire  dans  toute  leur  pa- 
rure. Les  bijoux  qu'elles  étalaient  frappè- 
rent la  sorcière  :  —  Mesdames,  leur  dit-elle, 
si  vous  voulez  lire  dans  l'avenir,  il  faut  vous 
armer  décourage.  Apprenez  que  nous  avons 
tous,  dans  ce  monde,  un  esprit  qui  nous  ac- 
compagne sans  cesse,  mais  qui  ne  se  ccmiuu- 
nique  qu'autant  qu'il  y  est  forcé  par  une 
puissance  supérieure.  H  ne  tient  qu'à  moi 
de   vous  procurer  un  entretien  particulier 

M)  Muret,  des  Cérémonies  funèbres,  elc. 

(2)  Leloycr,  Histoire  di  s  spectres  ou  apparitions  des  es- 
prils,  liv.  m,  (Il  IV,  |i.  2o7. 

(3)  Delancre.'i'abk'aii  u.'  l'iiiconslance  des  démons, df.. 

liv.  III,  p.  ma. 


avec  le  vôtre;  mais  il  ne  cédera  point  à  mes 
conjurations,  si  vous  ne  consentez  à  certai- 
nes conditions  absolument  nécessaires. 

Les  dames  demandèrent  arec  empresse- 
mint  quelles  étaient  ces  conditions  :  —  Les 
voici,  poursuivit  la  vieille;  il  s'agit  de  dé- 
pouiller les  vêtements  qui  vous  couvrent,  el 
de  déposer  un  instant  ces  ouvrages  de  luxe, 
qui  prouvent  combien  le  genre  humain  s'est 
perverti.  Adam  était  nu  quand  il  conversait 
avec  les  esprits. 

Les  deux  dames  hésitent  ;  elles  sont  d'abord 
tentées  de  se  retirer;  mais  elles  s'encoura- 
gent, el  la  curiosité  l'emporte.  Les  robes  et 
les  bijoux  sont  déposés  dans  une  chambre, 
et  chacune  des  curieuses  passe  dans  un  cabi- 
net séparé.  Elles  y  restèrent  deux  heures 
dans  une  impatience  difficile  à  exprimer. 
Enfin,  ne  voyant  point  paraître  l'espril,  elles 
commencent  à  croire  qu'elles  ont  été  trom- 
pées. La  frayeur  les  saisit,  elles  poussent 
des  cris  ;  leur»  gens,  les  voisins  accourent, 
el  on  les  lire  de  leur  prison.  La  prétendue 
sorcière,  après  les  avoir  eufermées,  avait  dé- 
ménagé avec  leurs  hardes  el  les  siennes  (l*). 

Un  plat  d'argent  ayant  été  dérobé  dans  la 
maison  d'un  grand  seigneur,  celui  qui  avait 
la  charge  de  la  vaisselle  s'en  alla  avec  un  de 
ses  compagnons  trouver  une  vieille  qui  ga- 
gnait sa  vie  à  deviner.  Croyant  déjà  avoir 
découvert  le  voleur  et  recouvré  le  plat,  ils 
arrivèrent  de  bon  malin  à  la  maison  de  la 
devineresse,  qui,  remarquant  en  ouvrant  sa 
porte  qu'on  l'avait  salie  de  boue  el  d'ordure, 
s'écria  toul  en  colère  :  — Si  je  connaissais  le 
gredin  qui  a  mis  ceci  à  ma  porte  pendant  la 
nuit,  je  lui  rejeterais  tout  au  nez. 

Celui  quila  venait  consulter  regardant  son 
compagnon  :  —  Pourquoi,  lui  dit-il,  allons-, 
nous  perdre  de  l'argent  ?  cette  vieille  nous 
pourra-l-elle  dire  qui  nous  a  volés,  quand 
ellenesait  pas  les  choses  qui  la  louchent  (5j?» 

Un  passage  des  Confessions  de  saint  Au- 
gustin {Liv.  IV,  cliup.  2)  nous  donne  une 
idée  de  ce  que  faisaient  les  devins  de  son 
temps. 

((  J'ai  un  souvenir  bien  distinct,  dit-il, 
quoiqu'il  y  ait  longtemps  que  la  chusi;  suit 
arrivée  ,  qu'ayant  eu  dessein  de  disputer  un 
prix  de  poésie,  qui  se  donnait  publiquement 
a  celui  qui  avait  le  mieux  réussi,  un  certain 
homme  qui  faisait  le  métier  de  devin  voulut 
traiter  avec  moi  pour  me  faire  remporter  le 
prix.  Saisi  d'horreur  pour  les  sacrifices  abo- 
minables que  les  gens  de  cette  profession 
offraient  aux  démons,  je  le  renvoyai  au  plus 
loin,  et  lui  fis  dire  que,  quand  la  couronne 
dont  il  s'agissait  ne  se  devrait  jamais  flétrir, 
quand  même  ce  serait  une  couronne  d'or,  je 
ne  consentirais  jamais  que  pour  me  la  pro- 
curer il  en  coûtât  la  vie  à  une  mouche.  » 

Aujourd'hui,  chez  nous,  dans  beaucoup  du 
départements  encore,  les  jeunes  villageois 
que  le  recrutement  militaire  menace  dans  la 

(4)  Madame  Gabrielle  de  P'",  Démoniana,  p.  24.  C'eal 
peul-êlre  l'hisloire  coulée  p:ir  Dufi  esiiy  cl  qu'on  peut 
voir  au  mot  Bohémien. 

(.'))  Bardai,  oaus  l'.4rg  nis. 


iir 


DICTIONNAIUE  Di:S  SCIENCES  OCCULTES. 


41» 


plus  sainle  des  libertés,  voni  trouvor  les  de- 
vins pour  obtenir  un  heureux  numéro  au 
timide. 

Voyez  Cat"Ptr"m\sîcie,  Cristimomancie, 
Cartomancie  ,  Main  ,  Divination  ,  PnÉnic- 
TiONs,  etc. 

DEVOUEMKNT  .  mouvement  de  ceux  qui 
se  dévouent,  ou  sort  de  ceux  qu'on  dévoue. 
Les  histoires  grecque  et  romaine  fournissent 
beaucoup  de  traits  de  dévouement.  Nous  ne 
rappellerons  pas  ici  le  dévouement  de  Décius 
(Voyez  ce  nom),  ni  celui  de  Codrus,  ni  tant 
d'autres.  Il  y  avait  aussi  des  villes  où  l'on 
donnait  des  malédictions  à  un  homme  pour 
lui  faire  porter  tous  les  maux  publics  que  le 
peuple  avait  mérités. 

Valère-Maxime  rapporte  l'exemple  d'un 
chevalier  romain,  nommé  Curtius,  qui  vou- 
lut attirer  sur  lui-même  tous  les  malheurs 
dont  Home  était  menacée.  La  terre  s'était 
épouvanlablement  enir'ouverte  au  milieu  du 
marché  ;  on  crut  qu'elle  ne  reprendrait  son 
premier  état  que  lorsqu'on  verrait  quelque 
action  de  dévouement  extraordinaire.  Le 
jeune  chevalier  monte  à  cheval ,  fait  le  tour 
de  la  ville  à  toute  bride  ,  et  se  jette  dans  le 
précipice  que  l'ouverture  de  la  terre  avait 
produit,  et  qu'on  vil  se  refermer  ensuite 
presque  en  un  moment. 

On  lit  dans  Servius,  sur  Virgile,  qu'à  Mar- 
seille ,  avant  le  christianisme,  dès  qu'on 
apercevait  quelque  commencement  de  peste, 
on  nourrissait  un  pauvre  homme  des  meil- 
leurs aliments  ;  on  le  faisait  promener  par 
toute  la  ville  en  le  chargeant  hautement  de 
malédictions,  et  on  le  chassait  ensuite  afin 
que  la  peste  et  tous  les  maux  sortissent  avec 
lui  (1). 

Les  Juifs  dévouaient  un  bouc  pour  la  ré- 
mission de  leurs  péi'hés.  Voy.  âzazel. 

Voici  des  traits  plus  modefn(;s  :  Un  inqui- 
siteur, en  Lorraine  ,  ayant  visité  un  village 
devenu  presque  désert  par  une  mortalité, 
apprit  qu'on  attribuait  ce  fléau  à  une  femme 
ensevelie,  qui  avalait  peu  à  peu  le  drap 
mortuaire  dont  elle  était  enveloppée.  On  lui 
dit  encore  que  le  fléau  de  la  mortalité  cesse- 
rait lorsque  la  morte,  qui  avait  dévoué  le 
village,  aurait  avalé  tout  son  drap.  L'inqui- 
siteur, ayant  assemblé  le  conseil,  fit  creuser 
la  tombe.  On  trouva  que  le  suaire  était  déjà 
avalé  et  digéré.  A  ce  spectacle,  un  archer 
tira  son  sabre,  coupa  la  tête  au  cadavre,  la 
jeta  hors  delà  tombe,  et  la  peste  cessa.  Après 
une  enquête  exacte  ,  on  découvrit  que  celle 
femme  avait  été  adonnée  à  la  magie  et  aux 
sortilèges  {2).  Au  reste ,  cette  anecdote  con- 
vient au  vampirisme. 

On  lit  ce  qui  suit  dans  les  Grands  et  redou- 
tables jugements  de  Dieu,  de  Chassanion  :  «  Un 
soldat  qui  passait  par  l'Allemagne  ,  se  sen- 
tant malade,  demeura  dans  une  hôtellerie, 
et  donna  son  argent  à  garder  à  son  hôtesse  ; 
quelques  jours  après  qu'il  fut  guéri,  il  le  re- 
demanda à  celle  femme,  laquelle  avait  déjà 
délibéré  avec  son  mari  de  le  retenir  :  elle  le 
lui  nia   donc  et  l'accusa  comme  s'il  lui  eût 

(1)  Lcl)rufi,  Hisloiio  lies  supcrslilions,  l.  I,  cliap,  iv. 
p.  413. 


fait  injure.  Le  soldat,  de  son  côlé,  taxa  l'hô- 
tesse d'infidélité  ;  ce  que  l'hôte  ayant  en- 
tendu, il  jela  le  pauvre  homme  hors  de  sa 
maison  ,  lequel  tira  son  épée  et  en  donna  de 
la  pointe  contre  la  porte.  L'hôte  commença 
à  crier  au  larron,  disant  qu'il  voulait  forcer 
sa  maison,  ce  qui  fut  cause  que  le  soldat  fut 
mis  en  prison  et  son  procès  fait  par  le  magis- 
trat, qui  le  voulut  condamner  à  mort. 

Le  jour  étant  venu  que  la  sentence  devait 
être  prononcée  et  exécutée,  le  diable  entra 
en  la  prison,  et  annonça  au  prisonnier  qu'il 
était  condamné  à  mourir  ;  toutefois,  que  s'il 
se  voulait  donner  à  lui,  il  lui  promettait  qu'il 
n'aurait  aucun  mal.  Le  prisonnier  répondit 
qu'il  aimerait   mieux  mourir  innocent  que 
d'être  délivré  par  ce  moyen.  Le  diable  dere- 
chef lui  ayant  représenté  le  danger  où  il  était, 
et  voyant  qu'il  perdait  sa  peine  ,  lui  promit 
de  l'aider  gratis,  disant  qu'il  ferait  tant  qu'il 
le  vengerait  de  ses  ennemis.  Il  lui  conseilla, 
lorsqu'il  serait  appelé  au  jugement,  de  re- 
montrer son  innocence,  en  déclarant  le  tort 
qui  lui  était  fait  ;  et  que,  pour  cette  cause,  il 
priait  le  juge  de  lui  bailler  pour  avocat  celui 
qu'il  verrait  là  présent  avec  un  bonnet  bleu  : 
c'est  à  savoir,  lui ,  démon,  qui  l'assislerait. 
Le  prisonnier  accepta  celle  offre.  Etant  donc 
au  jugement,  après  qu'il  eut  entendu  l'accu- 
sation qui  lui  était  faite,  il  ne  faillit  point  à 
demander  l'avocat  qui  s'était  présenté  à  lui  : 
ce  qui  lui  fut  accordé.  Alors  ce  fin  docteur 
ès-lois  commença  à  plaider  et  à  défendre  sub- 
tilement sa  partie,  disant  qu'elle  était  faus- 
sement accusée,  et  par  conséquent  mal  jugée; 
que  l'hôte  lui  retenait  son  argent  et  l'avait 
forcé  ;  et  il  conta  comme  le  tout  s'était  passé. 
Qui  plus  est,  il  déclara  le  lieu  où  l'argent 
avait  été  mis.  L'hôte,  étonné,  ne  s'en  défen- 
d;iil  pas  moins  fort  et  ferme,  el  niait  impu- 
demment en  st  donnant  au  diable;  c'éiail  là  ce 
qu'attendait  le  gentil  docteur  au  bonnet  bleu, 
qui,  ne  demandant  pas  plus,  laissa  la  cause, 
empoigna  l'hôle,  l'emporta  hors  du  parquet, 
et  i'éleva  si  haut  en  l'air,  que  jamais  depuis 
on  n'a  pu  savoir  ce  qu'il  est  devenu. 

Ainsi  le  soldat  fut  délivré  de  peine,  et  mis 
hors  de  procès  par  un  moyen  étrange,  au 
grand  étonnement  de  tous  les  assistants. 

On  cite  beaucoup  d'histoires  de  ce  genre  , 
entre  autres  ,  l'aventure  d'une  riche  demoi- 
selle d'Anvers,  coquette  et  orgueilleuse,  qui 
vivait  au  temps  où  le  duc  d'Alençon  domi- 
nait pour  quelques  jours  en  Brabant.  Irritée 
de  certains  contretemps,  survenus  à  sa  loi- 
lelte,  dont  elle  s'occupait  fort,  elle  se  mit  en 
fureur  et  se  donna  au  diable  dans  son  em- 
portement. Elle  tomba  étranglée. 

Nous  allons  donner  une   légende  qui  ex- 
plique ce  fait  dans  un  autre  sens. 

La  jolie  fille  d^ Anvers. 
I. 
L'union  d'Utrecht  avait  déclaré  Philippe 
II  déchu  de  toute  souveraineté  dans  les  Pays- 
Bas.  Mais  la  nationalité  belge  sommeillait  en' 
core  ;  car  d'imprudents  traités  avaientappelé 
au  pouvoir  le  duc  d'Alençon ,  quatrième  fils 

(2)  Sprongcr,  Malicus  inaluOc.,pirl.  I,  quaesl.  15.  Voyij 
aussi  EmoiUement. 


U9 


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4SA 


deCalherinedc  Mcdicis,  frère  du  roi  de  Fran- 
co Henri  III,  de  triste  mémoire.  François  de 
Valois  ,  duc  d'Alençon  ,  débnrqua  donc  le  10 
février  1582,  à  Flessingue.  Il  venait  de  Lon- 
dres, où  son  mariage  avec  Elisabeth  parais- 
sait d'autant  plus  assuré  qu'on  avait  dressé 
les  articles  du  contrat ,  cl  que  la  reine  d'An- 
gleterre lui  avait  mis  au  doigt  son  anneau  , 
en  présence  de  toute  sa  cour.  Quoique  Elisa- 
beth eiit  alors  quarante-huit  ans  ,  et  le  duc 
d'Alençon  vingt-cinq,  cette  alliance  était  si 
brillante  pour  leur  nouveau  souverain,  que 
lesBrabançons  et  lesFIamands  n'en  voyaient 
pas  le  côté  ridicule. 

François  de  Valois  était  assez  laid.  Il  avait 
le  nez  gros  et  enflé,  un  peu  aquilin,  rappro- 
ché de  la  bouche,  le  menton  court  et  pointu, 
les  joues  faneés  et  boufûes ,  les  yeux  rouges 
et  presque  toujours  à  moitié  fermés,  les  che- 
veux, châtains  ard(;nts,  les  moustaches  fau- 
ves et  clair-semées.  Une  pareille  têle,  enca- 
drée dans  une  fraise  énorme  à  gros  tuyaux  , 
avait-elle  pu  plaire  à  la  reine  d'Angleierre  , 
qui,  de  son  côié,  était  rousse  et  laide  aussi, 
mais  se  jugeait  une  beauté?  11  s'habillaitavcc 
élégance.  Son  caractère  humoriste  et  in- 
quiet aurait  pu  se  révéler  dans  son  teint 
bilieux,  s'il  n'avait  pas  mis  du  rouge  et  des 
mouches. 

Ce  prince  sans  éloffe  fil  son  entrée  à  An- 
vers le  19  février,  accompagné  de  plusieurs 
gentilshommes  anglais  et  d'une  suite  nom- 
breuse de  jeunes  seigneurs  français,  qui  gou- 
vernaient son  esprit  et  qui  n'avaient  de  re- 
marquable que  leur  étourdorie.  Il  alla  se  lo- 
ger à  l'abbaye  de  Saint-Michel,  oii  il  fut  re- 
connu et  proclamé  duc  de  Brabant  et  mar- 
grave du  saint  Empire.  Des  fêtes  publiques 
animèrent  Anvers  pendant  plusieurs  jours 
à  l'occasion  de  cet  événement.  Cependant 
beaucoup  de  bourgeois  ,  tout  en  préférant  la 
France  a  l'Espagne,  avaient  espéré  mieux. 
Ils  regardaient  le  duc  d'Alençon  comme  une 
espèce  d'aventurier  qui  venait  exploiter  le 
pays.  On  parlait  avec  surprise  du  prince 
d'Orange  ,  qui  lui  avait  remis  le  chapeau  et 
le  manteau  ducal,  et  qui  le  premier  l'avait 
salué  duc  de  Biabant.  On  avait  remarqué 
encore  que  le  nouveau  souverain  avait 
paru  peu  gracieux  en  jurant  de  maintenir 
les  privilèges  acquis. 

Parmi  les  officiers  français  qui  accompa- 
gnaient le  duc  d'Alençon  ,  on  avait  observé 
surtout  le  sieur  de  Rochepot ,  courtisan  de 
haute  taille,  fat  de  quarante  ans,  dont  la 
figure  effrontée  contrastait  singulièrement 
avec  les  bonnes  faces  anversoises,  et  qui  s'é- 
tait raillé  des  prérogatives  du  peuple,  de  fa- 
çon à  inspirer  d'avance  de  l'ombrage. 

Le  1"  mars  ,  on  annonça  d'une  manière 
presque  officielle  le  mariage  du  nouveau  duc 
avec  la  reine  d'Angleterre.  Toutes  les  clo- 
ches sonnèrent  à  cette  occa-ion.  Mais  peu  de 
jours  après,  l'amiral  Howard  et  le  lord  Ley- 
cesler  déclarèrent  au  duc  de  Brabant  que 
leur  souveraine  voulait  rester  libre;  qu'elle 
n'avait  fait  mine  de  consentir  à  l'épouser  que 
pour  lui  procurer  une  souveraineté  indépen- 
«lante;  qu'il  y  était  parvenu  ,  et  qu'il  devait 


lui  en  savoir  gré.  Après  quoi ,  ils  rolournè- 
rent  à  Londres. 

Celle  nouvelle  désenchanta  quelques-uns 
des  partisans  du  duc  d'Alençon.  Il  avait  beau 
s'appeler  ,  par  la  grâce  de  Dieu,  duc  de  Lo- 
thier  ,  de  Brabant  ,  de  Limbourg  et  de  Guel- 
dre  ,  comte  de  Flandre  ,  marquis  du  Saint- 
Empire,seigneur  de  Malines.etc...  On  savait 
qu'il  lui  fallait  conquérir  la  plupart  des  pays 
dont  il  prenait  les  titres;  et  il  avait  pour  ad- 
versaire Alexandre,  prince  de  Parme,  fil» 
de  la  gouvernante  Marguerite,  que  les  Belges 
avaient  aimée.  Le  prince  de  Parme  ,  alors  fort 
jeune  ,  avait  fait  en  15C0  un  séjour  de  quel- 
ques mois  à  Anvers  ,  oii  il  s'était  montré  si 
aimable  ,  qu'on  ne  l'avait  point  oublié.  Il  y 
avait  donc  deux  factions. 

L'un  des  plus  chauds  partisans  du  duc  d'A- 
lençon, était  un  très-riche  négociant  d'An  vers, 
qui  se  nommait  André  Vynck  et  qui  habitait 
une  sorte  de  palais  sur  la  place  de  Meir. 
Malgré  les  sommes  considérables  que  lui 
avait  prêtées  la  reine  Elisabeih,  le  nouveau 
duc  se  trouvant  sans  argent,  en  attendant  les 
subsides  que  lui  fournirent  les  Etats  ,  André 
Vynck  lui  avança  deux  cent  mille  florins  , 
dont  il  se  trouva  sans  doute  dédommagé  par 
les  fêtes  brillantes  qu'il  donna,  et  que  le  duc 
d'Alençon  voulut  bien  honorer  de  sa  pré- 
sence. 

André  Vynck  avait ,  pour  unique  héritière 
de  son  immense  fortune,  une  fille  d'une 
beauté  si  éblouissante  ,  qu'on  ne  l'appelait 
pas  autrement  que  la  jolie  fille  d'Anvers. 
Elle  se  nommait  Sabine,  ayant  eu  la  comtesse 
d'Egmond  pour  marraine  ,  en  1564.  On  ne 
saurait  faire  le  portrait  de  celte  jeune  fille  ; 
mais  ce  que  les  récits  en  disent  la  porte  aux 
nues.  Elle  avait  été  élevée  avec  un  cousin  , 
Paul  Leenaer,  né  à  Anvers  en  1561,  qui  n'a- 
vait jamais  connu  son  père  et  qui  était  or- 
phelin depuis  trois  ans.  Ce  jeune  homme ,  à 
qui  sa  mère  jusqu'à  sa  mort  n'avait  cessé  de 
recommander  l'affection  et  l'attachement  au 
prince  de  Parme  ,  ne  partageait  pas  les  opi- 
nions d'André  Vynck;  et  depuis  l'avénemcnt 
du  duc  d'Alençon  ,  le  vieux  négociant ,  ex- 
clusif comme  on  l'est  si  impitoyablement  en 
politique  ,  ne  recevait  plus  Paul  dans  sa 
maison. 

H  avait  près  de  lui  un  autre  adversaire  , 
qu'il  ne  pouvait  pas  traiter  si  cruellement , 
mais  qu'il  s'eiïorçaitde  soumettre  ;  c'était  Sa- 
bine. Èlleavait  adopté  les  sentimentsde  Paul, 
llyavait  mémcuncopinionrépanduelout  bas 
dans  le  public,  que  la  jolie  fille  d'Anvers  n'au- 
rait jamais  d'au  treépoux  que  son  jeune  cousin; 
quoique  le  fier  André  Vynck  ,  plein  de  la 
morgue  hautaine  que  donne  l'aristocratie 
d'argent ,  fût  loin  de  soupçonner  que  sa  fille 
pût  s'allier  à  un  homme  sans  fortune  ;  d'au- 
tant plus  que  Sabine  se  montrait  à  tous  les 
yeux  superbe  ,  altière  ,  excessivement  co- 
quette et  fière,  qualités  que  son  père  admi- 
rait avec  orgueil. 

Or,  le  18  mars  de  ladite  année  1582, pen- 
dant que  la  cour  fêtait  le  jour  natal  du  duc 
d'Alençon,  le  prince  d'Orange  sortant  de  ta- 
ble à  son  hôtel,  un  jeune  Espagnol ,  nommé 


4M 


DICTIONNAIRE  DES  SCIhNCES  OCCl'LTES. 


451 


^' 


litrreguy  ,  lui  tira  un  coup  de  pistolet  dnns 
la  lêle.  La  ballo  entra  sous  l'oreille  gauche, 
traversa  le  palais  sous  les  dents  supérieures 
et  sortit  par  la  joue  droite.  L'assassin  fui  tué 
sur  la  place  par  les  gens  du  prince  ,  qui  se 
guérit  assez  vile  et  continua  d'être  l'un  des 
plus  assidus  courtisans  du  duc  d'Alençon. 
Mais  au  premier  bruit  de  ce  crime,  la  partie 
du  peuple  qui  aimaille  prince  d'Orange,  at- 
tribuanl  l'attentai  aux  Français  ,  courut  en 
armes  investir  l'abbaye  de  Si-Michel,  avec  l'in- 
tention d'y  mellreleleu  etdemassacrerlenou- 
veau  duc  et  sa  suite.  Fort  heureusement, Ândié 
Vynck,  se  trouvant  chez  le  prince  d'Orange, 
fouilla  l'assassin  ,  trouva  sur  lui  des  lettres 
qui  prouvaient  qu'il  était  Espagnol  ,  et  qu'il 
n'availtenléle  forfait  que  parce  que  Philippe 
11  avait  promis  qualre-vingl  mille  ducats 
pour  ce  meurtre.  11  courut  éclairer  la  foule, 
dont  la  colère  changea  d'objet ,  et  qui  se  re- 
tira vomissant  des  imprécations  contre  l'Es- 
).Mgne.  II  parait ,  au  reste,  que  François  de 
/alois  avait  eu  peur;  car  le  lendemain,  il 
alla  avec  sa  cour  chez  André  Vynck  pour  le 
remercier. 

Le  sieur  de  Rochepot,  que  les  pompeux 
éloges  qu'on  faisait  de  la  beauté  de  Sabine 
avaient  déjà  rendu  pensif,  sollicita  l'honneur 
de  la  saluer;  il  en  fut  si  ébloui  qu'abaissant 
sa  fierté  devant  le  riche  négociant ,  il  profita 
de  l'occasion  pour  la  demander  en  mariage. 
Le  sieur  de  Hochepot  était  un  gentilhomme 
distingué  pur  sa  position  et  sa  naissance;  le 
duc,  qui  l'aimait,  pour  favoriser  cette  union, 
promit  de  lui  donner  le  gouvernement  d'An- 
vers; et,  bien  différent  delà  plupart  des 
pères ,  dans  ce  pays  où  toute  espèce  de  ty- 
rannie est  un  phénomène,  André  Vynck, 
sans  consulter  Sabine,  répondit  qu'une  telle 
alli.ince  l'honorait  et  qu'il  y  donnait  les 
mains.  La  jolie  fille,  consternée,  se  retira 
pour  pleurer  dans  sa  chambre.  Le  duc  d'A- 
lençon, avant  de  quitter  André  Vynck,  l'in- 
vita avec  Sabine  à  un  grand  bal  qu'il  voulait 
donner,  pour  annoncer  ce  mariage. 

Une  heure  après  ,  une  lettre  mouillée  de 
larmes  fut  apportée  mystérieusement  par  la 
nourrice  de  la  jolie  fille  d'Anvers  à  Paul  Lee- 
naer  qui  habitait  une  petite  maison  du  Mar- 
ché-aux-Gants. 

IL 

Nous  éprouvons  ici  quelque  embarras.  Les 
documents  qui  nous  ont  guidés  jusqu'à  pré- 
sent deviennent  incomplets  ,.pour  la  conti- 
nuation de  l'histoire  impartiale  de  la  jolie 
fille  d'Anvers. 

Nous  avons  dit  qu'il  y  avait  dans  cette 
ville  deux  factions.  Les  partisans  du  prince 
de  Parme  étaient  ennemis  acharnés  d'André 
Vynck,  qui  s'était  attaché  au  duc  d'Alençon  ; 
et  nous  tenons  d'eux  les  seuls  matériaux  de 
celte  seconde  partie.  On  doit  donc  s'attendre 
à  y  rencontrer  de  l'animosilé.  Ces  matériaux 
sont  des  fragments  manuscrits,  appuyés  d'un 
petit  volume  imprimé  à  Paris  ,  avec  permis- 
sion, chez  Benoît Chaudet,  et  intitulé  :  «Dis- 
cours oiiraculoux  ,  inouï  et  épouvantable  , 
advenu  à  Anvers,  d'une  jeune  fille  fiamande. 


qui  par  la  vanité  et  trop  grande  curiosité  do 
ses  habits  et  collets  à  fraise,  goudronnés  à 
la  nouvelle  mode,  fut  étranglée  du  diable  en 
1582,  traduit  de  la  langue  lîamande  en  fran- 
çais ,  avec  une  remontrance  aux  dames  el 
filles.  »  Nous  n'avons  pu  nous  procurer  cet 
ouvrage  en  flamand. 

Il  parait  donc  que  Sabine  Vynck  alla  au 
bal  offert  par  le  duc  d'Alençon.  Elle  y  frappa 
toute  la  cour.  Elle  s'aperçut  aussi  de  l'empire 
qu'elle  exerçait;  ne  p')uvant  espérer  d'atten- 
drir »on  père,  elle  obtint  de  Hochepot  lui- 
même  un  peu  de  temps  pour  se  préparer  au 
mariage. 

Plusieurs  fêtes  se  donnèrent  en  son  hon- 
neur. Le  vingt-septième  jourde  mai  de  l'année 
1582 ,  le  contrat  de  Sabine  el  de  Rochepot 
devait  enfin  se  signer.  «  Cette  jeune  el  belle 
au  possible  el  tant  aimable  fille  (dit  la  rela- 
tion imprimée,  qui  du  reste  la  traite  fort  m.il), 
fière  et  orgueilleuse  de  son  opulence,  com- 
plaisait par  sa  rare  beauté  el  ses  habits 
somptueux  à  une  infinité  de  seigneurs,  qui 
tous  lui  faisaient  la  cour.  Pour  le  festin  qui 
lui  fut  donné  ce  jour-là,  voulant  paraître  en 
bonnes  grâces  par-dessus  toutes  les  dames 
cl  filles,  elle  résolut  de  se  parer  de  ses  plus 
riches  vêlements ,  de  friser  sa  chevelure  et 
de  l'orner  d'épingles  d'argent  ,  comme  fai- 
saient les  Italiennes  ;  et  attendu  que  les  Fla- 
mandes surtout  aiment  le  beau  linge,  elle  fit 
faire  qualreou  cinq  collets  ou  fraises  en  toile 
fine  ,  dont  l'aune  coûtait  neuf  écus.  Elle 
manda  une  empeseuse,  la  priant  de  lui  en 
préparer  deux  magnifiquement ,  et  lui  pro- 
mettant pour  la  peine  vingt-quatre  sous  de 
Brabant. 

«  L'empeseuse,  au  mieux  qu'il  lui  fut  pos- 
sible, arrangea  lesdits  collets.  Mais  ils  ne  se 
trouvèrent  pas  au  gré  de  ladite  fille  coquette, 
quiàrinstanlenvoyaquériruneautrefemme, 
à  qui  elle  promit  un  écu,  si  elle  accommodait 
bien  ses  fraises.  Celle-ci  ne  réussit  pas  mieux  ; 
el  la  jeune  fille,  dépitée,  jeta  tout  par  terre, 
jurant  el  disant  qu'elle  aimerait  mieux  se 
donner  au  diable  que  d'aller  à  la  cour,  parée 
de  si  mauvaise  sorte. 

«  La  pauvre  et  forcenée  fille  n'eut  pas  plu- 
tôt achevé  ce  propos,  que  le  diable,  qui  était 
aux  aguels  ,  ayant  pris  la  figure  d'un  secret 
amoureux  qu'elle  avait ,  se  présenta  devant 
elle,  portant  à  son  cou  une  fraise  dressée  en 
perfection.  Ah!  mon  ami,  lui  dit-elle,  que 
vous  avez  une  belle  fraise  1  voulez-vous  me 
la  donner,  à  moi  qui  suis  toute  à  vous? 
L'esprit  malin  l'ôle  aussitôt  de  son  cou  ,  la 
met  joyeusement  à  celui  de  la  jolie  fille,  puis 
l'embrassant,  lui  lord  misérablement  le  cou, 
et  la  laisse  morte  et  désanimée  sur  le  plan- 
cher de  sa  chambre.  » 

Quand  son  père  vint  la  chercher  pour  la 
conduire  à  la  cour,  il  la  trouva  gisante,  roido 
morte ,  el  si  défigurée,  si  tordue,  si  affreuse, 
qu'il  ne  l'eût  jamais  reconnue,  si  sa  nourrice, 
avec  un  monde  de  sanglots,  ne  lui  eût  conté 
l'horrible  aventure,  dont  le  récit  lui  fil  dresser 
les  cheveux  sur  la  tête.  Après  qu'il  se  fut  la- 
mente avec  angoisse,  André  Vynck  fit  ense- 
velir sa  fille;  ou  la  mil  dans  un  cercueil,  cl 


*;;5 


DEV 


DEV 


IKi 


on  dit  auxToisins  que  lapnuvre  Sabine  était 
morte  subitement  d'une  apoplexie. 

Le  seigneur  de  Rorhepot  se  consola  de 
cette  perte  ;  ce  qui  a  fait  croire  qu'il  aimait 
encore  mieux,  dans  la  jolie  fille  d'Anvers,  ses 
grandes  richesses  que  sa  rare  heaulé. 

On  ne  voyait  presque  plus  Paul  Lenaer. 
Deux  mois  après  cet  événement ,  il  entra  un 
jour  dans  l'église  de  Saint-J.icques,  où  cer- 
tain ministre  huguenot  faisait  le  prêche;  car 
en  ces  temps  mauvais  ,  les  catholiques  n'a- 
vaient pas  le  dessus  à  Anvers.  Ledit  ministre, 
qui  est,  à  ce  qu'on  croit,  l'auteur  de  la  rela- 
tion imprimée,  se  dressant  contre  l'orgueil  et 
les  parures  miMidaines  ,  racontait  la  cruelle 
mort  de  Sabine  ,  ajoutant  sur  sa  sépulture 
d'horribles  détails.  Il  Giiit  par  celte  pieuse 
exhortation  :  «  Par  cet  exemple  véritable  el 
tout  nouvellement  advenu,  vous  devez,  mes- 
dames, prendre  garde  à  vous  ,  el  croire  que 
le  ciel  vous  avertit  de  corriger  vos  vices  el 
modérer  vos  habits  effrénés  el  voluptueux  , 
si  vous  voulez  finir  par  une  mort  honorable.» 

A  ce  discours,  Paul  Leenaer  se  mit  à  rire 
tout  bas ,  d'une  façon  si  singulière,  que  le 
bedeau  voulut  l'arrêter  à  cause  du  scandale. 
Mais  un  gantier  qui  le  reconnut  se  prit  à 
dire  :  Laissez-le  sortir  en  paix.  C'était  le  fu- 
tur époux  de  Sabine  ;  el  la  perte  de  la  jolie 
ûlle  l'a  rendu  insensé. 
IIL 

Le  16  janvier  1583  ,  le  duc  d'Alençon,  mé- 
content du  peu  d'autorité  qu'il  avait  en  Bel- 
gique, résolut  de  s'emparer  militairement  des 
villes  pour  les  gouverner  ensuite,  comme  on 
faisait  alors  en  France,  sous  le  régime  du 
bon  plaisir.  Quoique  fatigué  par  les  fêles,  il 
s'était  personnellement  chargé  d'An  vers.  Mais 
ce  projet  n'alla  pas  comme  il  l'avait  espéré. 
Ses  troupes  ,  repoussées  avec  perle ,  furent 
obligées  d'évacuer  Anvers;  le  sieur  de  Ro- 
chepot.qui  avait  pris  beaucoup  de  peine  pour 
tendre  un  piège  aux  bourgeois,  fut  tué;  le 
duc  d'Alençon  s'enfuit  ,  l'esprit  affaibli ,  le 
corps  malade,  el  s'en  alla  mourir  à  Château- 
Thierry.  Le  prince  d'Orange,  d'un  autre  côté, 
avait  été  tué  par  Balthazar  Gérard.  La  posi- 
tion s'était  donc  bien  simplifiée. 

André  Vynck  qui ,  malgré  sa  dureté  de 
cœur,  ne  s'était  pas  consolé  encore  de  la 
mort  de  sa  fille,  était  furieux  contre  le  duc 
d'Alençon.  Le  petit  souverain  était  parti  sans 
lui  rendre  ses  deux  cent  mille  florins.  Le 
vieux  négociant  sentait  ses  opinions,  singu- 
lièrement miiigées ,  se  rapprocher  tous  les 
jours  du  prince  de  Parme,  qui,  dans  l'été  de 
1584,  reconnu  de  la  plupart  des  provinces  bel- 
ges, vint  commencer  ce  fameux  siège  d'An- 
vers, l'un  des  plus  mémorables  de  l'histoire. 

Alexandre,  prince  de  Parme,  était  fils  d'Oc- 
tave Farnèse  el  de  Marguerite  d'Autriche  , 
fille  de  Charles-Quint.  Cette  circonstance, 
jointe  à  beaucoup  de  qualités  éminontes,  lui 
.ivait  ramené  de  nombreux  amis.  Cependant 
il  avait  aussi  des  opposants  ;  il  lui  fallut  pour 
entrer  dans  Anvers  poursuivre  un  siège  qui 
dura  plus  d'un  an. 

Marnix  de  Sainte-Aldegonde  ,  celui  qui  , 
comme  on  disait,  avait  ouvert  la  scène  aux 


troubles  des  Pays-Bas,  commandait  à  Anvers. 
Les  assiégés  et  les  assiégeants  se  surveil- 
laient s;ins  relâche  :  dans  les  guerres  d'alor» 
les  surprises  offraient  de  vastes  ressources. 
Le  prince  de  Parme  avait  surtout  établi  dans 
son  camp  une  austère  discipline. 

Or,  une  nuit  qu'un  des  officiers  de  ce 
prince  faisait  la  ronde,  il  trouva  dans  les 
postes  avancés  une  sentinelle  endormie.  On 
sait  que  ce  délit,  dans  les  codes  militaires, 
est  un  crime  qui  mérite  la  mort;  car  il  peut 
perdre  une  armée.  Le  lendemain  m.itin,  un 
conseil  de  guerre  condamna  l'infortuné  à 
mourir.  C'était  Paul  Leenaer,  qui,  toujours 
partisan  du  prince  de  Parme,  s'était  rangé 
sous  ses  drapeaux.  Mais  se  considérant 
comme  volontaire,  souvent  il  s'absentait  du 
camp  durant  le  jour;  on  ignorait  absolument 
le  but  de  ses  courses  :  il  était  présent  lors- 
qu'il fallait  se  battre  ;  il  faisait  la  nuit  son 
service.  Cette  fois,  fatigué  sans  doute,  il 
avait,  sans  le  savoir,  succombé  au  sommeil. 
Pouvait-il  vaincre  la  nature?  et  les  lois  qui 
tuent  pour  cela  ont-elles  été  faites  par  des 
hommes? 

Quoi  qu'il  en  soit  ,  l'exemple  cl  la  disci- 
pline demandaient  son  sang.  On  le  vil  pleu- 
rer, presque  demander  grâce,  hésiter  sur  un 
aveu  qu'il  ne  fit  pas.  On  s'en  étonna,  car  il 
était  brave.  Il  supplia  qu'on  lui  permit  d'é- 
crire une  lettre  d'adieu,  qu'il  remit  à  l'un  de 
ses  camarades  ;  après  quoi  il  marcha  à  la 
mort ,  conduit  par  six  vieux  arquebusiers, 
que  commandait  un  archer  du  prévôt  mili- 
taire. Son  régiment,  suivant  l'ordre,  l'accom- 
pagna sans  armes  au  terrain  choisi  pour 
l'exécution, et  forma  un  carrésur  trois  faces. 
Les  tambours  battirent  un  ban  ;  un  officier 
rappela  aux  soldats,  d'une  voix  haute  et 
grave,  qu'il  était  défendu,  sous  peine  de 
mort ,  de  crier  Grâce  I  Paul  se  mit  à  genoux 
devant  un  prêtre,  pendant  qu'un  soldat  disait 
à  ses  voisins  :  Allongez-vous  un  peu  par  là, 
vous  autres,  et  ne  laissez  pas  voira  ce  pauvre 
garçon  ces  figures  d'infirmiers  qui  viennent 
déjà  chercher  son  corps  pour  l'enterrer. 

Quand  le  prêtre  eut  entendu  la  confession 
du  jeune  condamné,  sa  figure  se  décomposa. 
On  battit  un  second  ban;  le  greffier  lut 
à  Paul  sa  sentence;  il  en  passa  la  moitié 
pour  abréger  son  agonie.  Le  prêtre  n'eiilen- 
(lait  rien;  il  paraissait  hors  des  choses  de  ce 
monde  Leenaer  demanda  ,  d'un  ton  altéré, 
à  commander  lui-même  le  feu.  On  lui  ac- 
corda cette  faveur  :  il  ne  savait  pas  que  cet 
affreux  exercice  se  commandait  en  signes  , 
et  que  par  humanité  on  exécutait  toujours 
un  temps  d'avance.  Il  dit  adieu  à  ses  amis 
el  fit  face  aux  mousquets. 

Mais  au  moment  où  les  soldats  appuyaient 
leur  arme  sur  l'épaule  ,  lorsqu'il  n'y  avait 
plus  pour  Paul  Leenaer  qu'une  seconde  de 
distance  entre  la  vie  et  la  mort  ,  le  prêtre 
sortant  tout  à  coup  d'une  sorte  de  rêve  hor- 
rible ,  se  jeta  avec  un  grand  cri  au-devant 
du  corps  de  Paul.  Il  avait  aperçu,  accourant 
échevelée,  la  jeune  femme  dont  il  venait  de 
lui  parler  dans  sa  confession.  Elle  parutans- 
silôt  ,  criant  Grâce  1  Toutes  les  armes  loin- 


iHS 


DICHONN.MRE  DES  SCIENCES  OCCULTES 


4S6 


hèrcnl  à  Icrre.  C'était  Sabine,  la  jolie  fille 
d'Anvers  ,  qui  s'était  échappée  par  strata- 
gème à  la  recherche  du  sieur  de  Rochepol, 
et  que  Paul  avait  épousée  en  secret. 

Le  vieux  André  Vjnik  pleura  de  joie  en 
retrouvant  sa  fille  ,  dont  il  approuva  le 
mariage;  et  à  la  capitulation  d'Anvers,  qui 
eut  lieu  le  17  août  1585,  il  fêta  son  gendre 
par  des  fêles  plus  joyeuses  que  celles  du 
duc  d'Aiençon  ;  car  personne  n'y  souffrait. 

DL\BLË.  C'est  le  nom  général  que  nous 
donnons  à  toute  espèce  de  démous.  Il  vient 
d'un  mot  grec  qui  désigne  Satan  ,  précipiié 
du  ciel.  Mais  on  dit  le  diable  lorsqu  on  parle 
d'un  esprit  malin,  sans  le  distinguer  particu- 
lièrement. On  dit  le  diable  pour  nommer  spé- 
cialement l'ennemi  des  hommes. 

On  a  fait  mille  contes  sur  le  diable.  Nous 
en  citerons  un. 

Un  chartreux  ,  étant  en  prières  dans  sa 
chambre,  sent  tout  à  coup  une  faim  non  ac- 
coutumée, et  aussitôt  il  voit  entrer  une  fem- 
me, laquelle  n'était  qu'un  diable.  Elle  s'ap- 
proche de  la  cheminée  ,  allume  le  feu  ,  et , 
trouvant  des  pois  qu'on  avait  donnés  au  re- 
ligieux pour  son  dîner,  les  fricasse  ,  les  met 
dans  l'écuelle  et  disparaît.  Le  chartreux  con- 
tinue ses  prières  ,  puis  il  demande  au  supé- 
rieur s'il  peut  manger  les  pois  que  le  diable 
il  préparés.  Celui-ci  répond  qu'il  ne  faut  jeter 
aucune  chose  Cl éée  de  Dieu,  pourvu  qu'on  la 
reçoive  avec  action  de  grâces.  Le  religieux 
mangea  les  pois  ,  et  assura  qu'il  n'avait  ja- 
mais rien  mangé  qui  lût  mieux  préparé  (1). 

Nous  pourrions  former  des  volumes  sur 
les  traditions  populaires  dont  le  diable  est 
l'objet.  Nous  choisissons  trois  légendes,  dans 
le  recueil  piquant  que  M.  le  comte  Amédée 
de  Beauforla  consacré  au  midi  de  la  France. 
Le  Saut  de  l'Ermite. 

A  quelques  lieues  de  Louvois  ,  près  d'un 
poétique  hameau  nommé  Ville-en-Selve ,  il 
existait  encore,  il  y  a  plusieurs  années,  une 
sombre  excavation  ,  qui  avait  été  autrefois 
une  carrière,  et  qui  portait  le  nom  singulier 
de  Saut  de  l'Ermite.  Les  habitants  des  envi- 
rons racofilent  des  choses  étranges  et  mer- 
veilleuses au  sujet  de  ce  précipice.  Il  est  vrai 
que  sa  position  a  dû  singulièrement  prêter 
aux  récits  fantastiques  des  couleurs  du  lé- 
gendes. Le  Saut  de  l'Ermite  est  situé  au  mi- 
lieu d  une  forêt  séculaire,  loin  de  toute  habi- 
tation ;  d'épaisses  broussailles  en  défendent 
l'entrée,  et  des  cavités  profondes  semées  tout 
alentour  rendent  son  accès  dangereux  à  ceux 
que  les  bruits  populaires  n'en  éloignent  pas. 
Pendant  les  troubles  delà  terreur, une  bande 
de  brigands  avait  choisi  cet  abîme  pour  re- 
paire, ce  qui  n'a  pas  médiocrement  contribué 
à  augmenter  sa  mauvaise  réputation.  Aussi, 
quand  les  rudes  labeurs  de  la  journée  sont 
terminés  ,  le  gouffre  fatal  fournit  toujours  à 
la  veillée  quelques-uns  de  ces  mystérieux  ré- 
cits qui  resserrent  autour  de  l'âtre  à  demi 
éteint  le  cercle  effrayé  des  jeunes  filles  de 
Ville-en-Selve.  Tantôt  ce  sont  les  terribles 
aventures  d'une  jeune  princesse  enlevée  à 
ton  père  en  passant  dans  la  forêt,  et  dont  on 
<1)  Le  carUiniil  Jacques  de  Vilry. 


n'a  jamais  pu  retrouver  les  traces;  tantôt  les 
crimes  épouvantables  de  monstres  à  formes 
humaines,  qui  ont  porté  le  ravage  et  la  mort 
jusi|uedans  le  village  même.  Quelquefois  le 
narrateur  rustique  raéle  des  images  riantes 
à  ces  sombres  tableaux;  c'est  ainsi  qu'il  se 
plall  à  conter  comment  une  femme  d'une 
majestueuse  beauté  s'est  élevée  un  jour  du 
fond  du  Saut  de  l'Ermite,  et  a  calmé  la  tem- 
pête qui  avait  déjà  détruit  la  moitié  deVilIe- 
ei»-Selve.  Mais  parmi  ces  récils,  l'origine  du 
Saut  de  l' Ermite  e&t  celui  qu'il  reproduit  avec 
le  plus  d'amour.  Le  voici  dans  toute  sa  sim- 
plicité. 

Vers  la  fin  du  neuvième  siècle,  vivait  dans 
les  bois  de  Germanie  un  vénérable  ermite  , 
qui  avait  nom  Fulgunde.  Ce  saint  homme 
passait  sa  vie  à  prier  Dieu  et  à  parcourir  les 
hameaux  voisins.  A  dix  lieues  à  la  ronde  il 
était  connu  et  chéri  de  tous.  Aux  riches  ,  il 
recommandait  les  pauvres  ;  aux  malades,  il 
apportait  quelques  secours  ;  à  tous  ,  il  don- 
nait des  consolations.  Le  bon  ermite  ne  de- 
mandait rien  pour  lui-même  ,  et  cependant 
une  idée  fixe  le  préoccupait  ;  il  avait  nu  dé- 
sir, un  désir  aussi  saint  qu'il  était  ardent: 
il  voulait  élever  une  chapelle  en  l'honneur 
de  la  sainte  Vierge,  c'était  le  seul  vœu  de  sa 
vie;  il  se  mêlait  à  tous  ses  rêves,  à  tous  ses 
travaux,  à  toutes  ses  prières. 

Un  soir  que  Fulgunde  s'était  endormi  , 
bercé parcetledouce  pensée, unjeune  homme 
luiapparut;  il  était  vêlud'une  robe  blanche, et 
avaitcevisageëclatantet  radieux  qui  n'appar- 
tientqu'aux  anges. — Bon  ermite,  lui  dit-il, le 
FilsdeDieua  entendu  vos  prières;  ce  que  vous 
désirez  s'accomplira  comme  vous  le  voulez. 
Prenez  cette  image  de  sa  sainte  Mère;  par 
elle  vous  opérerez  des  prodiges.  Souvenez- 
vous  seulement  des  paroles  du  Fils  de  Dieu: 
Veillez  et  priez. 

Fulgunde  ,  éveillé  par  cette  vision,  trouva 
seulement  auprès  de  son  chevet  une  petite 
image  de  la  Vierge.  Il  la  prit,  la  plaça  dans  le 
lieu  le  plus  apparent  de  son  oratoire;  puis 
il  se  jeta  à  genoux.  Avec  quelle  effusion 
il  remercia  la  Vierge  sainte!  comme  il  était 
heureux  et  reconnaissant  !  Tout  à  coup  une 
idée  soudaine  traversa  son  esprit:  Je  punirai 
Satan,  pensa-t-il,  c'est  lui  gui  édifiera  la 
chapelle  de  la  Vierge. 

Aussitôt  Fulgunde  prit  l'image  mystérieu- 
se, et  ordonna  à  Satan  de  paraître. 

Au  même,  instant  la  terre  s'ouvrit ,  et  le 
diable  parut.  Quoiqu'il  n'eût  pas  l'air  tout  à 
fait  humble  et  soumis,  il  ressemblait  plutôt  à 
un  serviteur  indiscipliné  qu'à  un  ange  déchu. 
Pourtant ,  à  le  considérer  attentivement,  on 
pouvait  apercevoir  en  lui  quelque  chose 
d'étrange  et  en  même  temps  de  terrible.  Or 
çà  ,  maître  Satan  ,  lui  dit  l'ermite  ,  ia  bonne 
Vierge  m'a  permis  de  lui  édifier  une  chapelle, 
j'ai  pensé  à  toi  pour  la  lui  bâtir. 

On  peut  imaginer  quelle  horrible  grimace 
fit  le  monstre  à  cet  ordre  Lui ,  Satan  ,  bâtir 
une  chapelle  à  la  Mère  de  son  juge  ,  sortir 
de  son  repos  pour  voir  abaisser  son  orgueil 
à  uneœuvre  d'esclave;  c'était  trop.  Il  essaya 
d(3  fuir,  l'image  de  la  Vierge  le  retint  comme 


457 


MA 


m\ 


458 


nne  chaîne  brûlante.  Depuis  longlcmps,rer- 
niite  avait  choisi  le  lieu  où  il  désirait  que  sa 
cliapellefûl  élevée;  c'était  une  riante  colline, 
couronnée  au  sommet  d'un  bouquet  d'arbres 
touffus,  et  qui  dominait  les  villages  voisins. 
Arrivé  là  avec  Satan,  Fulgunde  lui  ordonna 
de  creuser  les  fondements.  Quand  ce  travail 
fulterminé,rermite  se  rendit  dans  un  vallon, 
dont  le  sol  pierreux  lui  paraissait  propre  à 
fournir  les  matériaux  dont  il  avait  besoin.  Il 
avait  pris  avec  lui  l'image  sainte;  il  n'ont 
qu'à  la  tourner  vers  la  lerre  ,  et  aussitôt  le 
vallon  s'cntr'ouvrit ,  et  les  pierres  en  sorti- 
rent avec  un  grand  fracas.  On  raconte  que 
le  démon  ne  mil  que  trois  jours  à  les  trans- 
porter sur  la  colline  et  à  les  tailler.  Il  est 
vraique  l'ermite  ne  lui  laissaitpas  un  instant 
d;;  relâche;  chaque  fois  que  Satan  voulait  se 
reposer,  Fulgunde  tournait  vers  lui  l'image 
miraculeuse,  et  le  démon  se  remettait  aussi- 
tôt au  travail  en  faisant  d'horribles  contor- 
sions. C'était  merveille  de  voir  avec  quelle 
habileléil  maniait  la  pierrecl  lui  donnait  une 
forme  élégante  et  pleine  de  vie;  sous  ses 
griffes  elle  se  découpait  en  rosaces  brodées 
comme  une  fine  dentelle  ,  elle  s'élançait  en 
clochetons  aériens  ,  en  longues  colonnettes 
semblables  à  des  tuyaux  dorgucs  ,  elle  se 
sculptait  en  bas-reliefs,  en  figurines  de  toute 
espèce.  Jamais  ouvrier  n'avait  mis  la  main  à  un 
chef-d'œuvre  aussi  accompli.  A  chaque  nou- 
velle pierre  qui  enrichissait  sa  chère  cha- 
pelle, Fulgunde  souriait  de  bonheur  et  de 
joie,  il  en  aurait  presque  moins  ha'ï  Satan  , 
si  cela  eût  été  possible. 

Cependant  la  nuit  du  quatrième  jour  ap- 
prochait, et  l'ermite  n'avait  pas  pris  un  ins- 
tant de  repus.  Malgré  lui,  le  sommeil  fermait 
ses  paupières:  il  avait  beau  redoubler  d'ef- 
forts ,  il  ne  pouvait  plus  surveiller  le  diable 
avec  autant  d'attention.  Disons-le, à  la  honte 
de  la  faiblesse  humaine  .  Fulgunde  s'en- 
dormit. 

A  cette  vue,  un  sourire  épouvantable  con- 
tracta le  visage  de  Satan.  Le  sommeil  du 
maître  lui  rendait  sa  liberté;  il  ne  pouvait  en 
profiler  que  pour  la  vengeance.  Ce  n'était 
))lus  cet  esclave  soumis  qui  obéissait  au 
moindre  signe, c'était  l'ange  du  mal  déchaîné, 
joignant  à  son  indomptable  orgueil  la  rage 
d'avoir  été  asservi.  Il  se  trouvait  alors  sur  le 
faite  du  clocher,  dont  il  achevait  d'effiler 
l'aiguille  percée  à  jour;  il  glissa  doucement 
le  long  de  la  pente  extérieure,  comme  un  en- 
fant qui  se  laisse  aller  sur  le  penchant  d'une 
verte  colline;  en  passant,  il  jetait  un  regard 
moqueur  et  une  insulte  à  chaque  statuette 
de  saint  qu'il  avait  sculptée;  on  dit  même 
<iu'il  porta  l'audace  jusqu'à  promener  sa 
queue  sur  le  visage  de  ces  saintes  images. 

Arrivé  au  bas  du  clocher,  il  poussa  un  rire 
épouvantable,  ei  renversa  d'un  coup  de  pied 
la  merveilleuse  chapelle. 

Le  fracas  de  la  chute  éveilla  le  pauvre  er- 
mite. Pour  juger  de  sa  désolation  ,  figurez- 
vous  la  douleur  d'un  homme  qui  voit  échouer 
au  port  le  vaisseau  qu'il  avait  chargé  de  ses 
biens.  Fulgunde  était  consterné.  Au  même 
instant  le  messager  de   la    Vierge   parut;  il  • 

Dictions,  des  sciences  occultes.  I, 


avait  l'air  triste  et  affligé.— Pauvre  ermite, 
lui  dit-il  ,  vous  avez  été  vaincu  par  Satan  ; 
vous  êtes  son  esclave.  Vous  n'avez  pas  su 
veiller  et  prier  jusqu'à  la  fin. 

La  figure  horrible  du  diable  remplaça  pres- 
que aussitôt  celle  de  l'ange  auprès  de  Ful- 
gunde.— Marche,  marche,  lui  disait-il,  lu  as 
creusé  un  précipice  ,  tu  y  tomberas. 

Et  ce  disant ,  il  le  poussa  dans  un  vallon 
qui  avait  servi  de  carrière  ,  et  l'y  précipita. 
Le  pauvre  ermite  ne  mourut  pas  de  sa  chute: 
le  bon  ange  le  soutint  sur  ses  ailes  ;  il  inter- 
céda même  si  ardemment  pour  lui  auprès  de 
la  Vierge  ,  qu'au  bout  de  deux  ans  d'expia- 
tion, Fulgunde  fut  rendu  à  son  cher  ermita- 
ge. La  miséricorde  de  la  sainte  Vierge  ne  se 
borna  pas  au  pardon  ;  elle  fil  redevenir  Satan 
esclave,  et  cette  fois  l'ermite  sut  se  montrer 
si  vigilant  qu'avant  la  nuit  la  chapelle  était 
construite  cl  le  diable  replongé  dans  l'enfer. 

Le  Pas  de  Souci. 

En  remontant  les  rives  pittoresques  du  Tarn, 
on  arrive  à  un  bassin  d'un  aspect  si  sauvage, 
qu'on  le  dirait  bouleversé  par  une  main  sur- 
naturelle etmalfaisante.  Figurez- vous  une  es- 
pèce de  cirque  fermé  presqu'cutièremenl  par 
des  rochers  inaccessibles.  Aucune  trace  de 
culture,  aucune  végétation  n'adoucissent  aux 
yeux  leur  âpre  nudité;  le  lierre  et  le  buisson 
ne  croissent  pas  même  dans  leurs  fissures. 
Seulement,  quelques  lichens  verdâlres,  des 
arbustes  rares  et  rabougris,  rampent  au  pied 
de  ces  masses  désolées;  et  pourtant  il  y  a 
quelque  chose  de  riche  et  d'énergique  dans 
ces  pics  aigus  et  dépouillés,  dans  ces  roches 
tantôt  à  pans  larges  et  lourds,  tantôt  décou- 
pées en  dentelures  délicates,  comme  par  la 
fantaisie  d'un  artiste.  Le  soleil  fait  éclater 
les  chaudes  teintes  dont  elles  sont  colorées. 
Ici ,  des  aiguilles  d'un  ton  ardent  et  rou- 
geâtre  s'enlèvent  en  lumière  sur  le  fond 
sombre  et  béant  de  cavités  profondes;  là, 
une  immense  pierre,  coupée  comme  une  mu- 
raille, offre  les  teintes  grises  d'une  ruine  ; 
plus  loin,  et  par  de  larges  ouvertures,  d'au- 
tres rochers,  disposés  en  perspective,  pas- 
sent d'un  bleu  foncé  au  bleu  le  plus  transpa- 
rent. Tous  ces  jeux  de  l'ombre  et  de  la  lu- 
mière à  travers  ces  formes  bizarres  animent 
celte  nature  si  âpre,  et  peuvent  fournir  à  l.t 
palette  du  peintre  les  plus  piquantes  opposi- 
tions. 

L'enceinte  que  forment  ces  masses  abruptes 
est  parfaitement  en  harmonie  avec  leur  as- 
pect sauvage;  tout  y  indique  un  effrayant 
cataclysme  :  les  rochers  y  sont  entassés  dans 
le  plus  étrange  désordre,  et  c'est  à  peine  si 
le  voyageur  peut  se  frayer  un  passage  à  Ira- 
vers  leurs  débris. 

Jadis  deux  immenses  pyramides  se  dres- 
saient dans  ce  lieu  aune  hauteur  prodigieuse: 
l'une  se  nomme  le  roc  d'Aiguille,  et  son  nom 
indique  sa  forme  ;  celui-là  seul  est  resté  de- 
bout. L'autre  s'appelle  le  roc  de  Lourdes  ;  de 
celui-ci  il  ne  reste  plus  que  la  base,  il  s'est 
écroulé  dans  la  vallée.  C'est  à  travers  les  dé- 
bris de  ce  géant  terrassé  que  le  Tarn  a  dû 
se  frayer  un  passage  ;  arrêté  à  chaiiue  pas 

15 


«se 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


400 


p.ir  mille  obstacles,  tantôt  serré  entre  deux 
couches,  il  s'élance  avec  fracas  de  leur  ex- 
trémité, tantôt  faible  et  inaperçu,  il  sest 
creusé  sans  bruit  un  étroit  canal.  Ce  n'est 
j>lus  une  seule  rivière,  mais  une  multitude  de 
sources ,  dont  le  murmure  trouble  seul  le 
silence  de  la  vallée. 

Le  bassin  désolé  que  nous  venons  de  dé- 
crire a  reçu  des  babilanls  des  montagnes 
voisines  le  nom  de  Pas  de  Souci.  L'imagina- 
tion naïve  et  pittoresque  du  moyen  âge  n'a 
pas  manqué  de  s'exercer  sur  un  lieu  qui 
prétait  si  bien  à  la  légende  ;  aussi,  quelle 
(lue  8t>il  la  cause  que  la  science  pourrait  at- 
tribuer au  cataclysme  dont  celle  vallée  a  clé 
le  ihéâlre,  voici  celle  que  lui  a  assignée  la 
pieuse  crédulité  des  anciens  temps. 

A  peu  de  distance  du  Pas  de  Souci,  il  existe 
un  village  dont  la  siluation  pittoresque  est 
parfaitement  en  harmonie  avec  le  sileqni 
l'environne  ;  seulement,  le  paysage  est  plus 
varié  que  dans  le  bassin  de  Souci,  et  abonde 
en  oppositions  charmantes.  Ici ,  la  môme 
nature  sauvage  et  grandiose;  là,  sur  les 
bords  de  la  Junte,  une  verdure  émailléc  de 
fleurs,  des  eaux  limpides  et  murmurantes  , 
puis,  derrière,  un  rideau  de  peupliers.  Au- 
dessus  de  rochers  moussus,  s'élève  le  village 
de  Sainte-Enimie  et  le  clocher  pointu  de  sa 
petite  église.  La  civilisation  n'y  a  point  en- 
core passé;  plaise  à  Dieu  qu'elle  en  oublie  les 
rustiques  habitants  1 

C'est  dans  ce  village  que  vivait,  au  hui- 
tième sièele,  un  saint  homme,  nommé  Guil- 
laume. Un  jour  ,  on  l'avait  vu  arriver  ,  seul 
et  grave,  un  bâton  blanc  à  la  main,  velu  d'un 
simple  habit  de  bure.  D'où  venait-il?  On  \'i- 
giiorail.  Avait-il  un  autre  nom?  Personne 
ne  put  jamais  le  savoir.  Mais,  certainement, 
il  avait  été  habitué  à  porter  d'autres  habits 
(|ue  ceux  qui  le  couvraient  ;  dans  son  air 
noble  et  fier ,  el  qu'il  cherchait  à  rendre 
humble  et  modeste,  on  lisait  l'habitude  du 
con>mandement.  Il  choisit  sa  demeure  dans 
l'excavation  profonde  d'un  rocher,  et  sa  vie 
fut  bientôt  admirée  comme  le  modèle  d'une 
grande  perfection.  Le  village  de  Sainle-Eni- 
inie  ne  tarda  pas  à  rescutir  dhi  ureux  elTets 
du  voisinage  du  saint  homme  ;  il  se  connais- 
sait mcrveilleusenicnl  en  simples,  et  sa 
haute  sagesse  le  faisait  consulter  dans  les 
affaires  les  plus  difficiles.  Il  fut  bientôt  vé- 
néré comme  l'ange  du  village;  chaque  jour 
quelque  nouveau  bienfait,  quelque  prodige 
inouï,  que  l'un  racontait  à  la  veillée,  ve- 
Baienl  augmenter  sa  réputation. 

Le  village  de  Sainte-Enimie  était  alors  le 
centre  qu'avaient  choisi  les  populations  voi- 
sines pour  les  ventes  et  les  marches.  Ces 
réunions  ressemblaient  assez  à  nos  foires. 
Ces  jours-là,  le  seul  endroit  guéable  de  la 
Junte  qui  conduisait  à  Sainte-Enimie  se  trou- 
vait encombre,  et  alors  des  rixes  sanglantes, 
des  blasphèmes  el  des  jurements  éclataient 
à  chaque  instant.  Un  de  ces  jours  que  le  bon 
Guillaume  passait  toul  auprès  de  ce  lieu  ai- 
mé de  Satan,  il  fut  grandement  surpris  den- 
t«Mnlre  comment  le  nom  de  Dieu  était  pcu^ 
respecté.  Deux  paysans,  monte»  chacun  sur' 


une  mule,  s'interpellaient  violemment,  et  des 
menaces  ils  allaient  bientôt  en  venir  aux 
coups.  Le  saint  homme  fut  obligé  d'interve- 
nir, et  comme  il  ne  put  apaiser  leur  colère, 
il  se  mit  à  genoux,  priant  Dieu  de  les  éclai- 
rer. 

—  Mort  Dicul  dit  l'un  des  paysans  ,  mes- 
sire  ermite,  mieux  vaudrait  prier  le  ciel  do 
nous  bâtir  ici  un  pont. 

—  Mon  fils,  dit  le  saint.  Dieu  est  tout-pqis- 
sanl  ;  mais  il  ne  faut  pas  le  tenter. 

Puis  à  force  d'instances,  il  apaisa  la  que- 
relle. Mais  depuis  lors,  il  passait  les  jours 
de  marché  à  pleurer  et  à  jeûner,  s'offrant 
en  expiation  pour  tous  les  péchés  qui  so 
cominettaient  à  ce  fatal  passage  de  la  Junte. 

Dieu  tenait  son  serviteur  en  trop  grande 
estime  pour  ne  pas  prendre  en  cousidcratinn 
ses  prières  et  ses  vœux  ardents.  Un  soir  , 
Guillaume  était  en  prières;  un  ange  lui  ap- 
parut. Il  portait  une  blanche  tunique;  son 
front  était  ceint  de  la  célisle  auréole,  son 
visage  respirait  la  doureur  et  la  bonté.  — 
Dieu  a  ouï  ta  prière,  dit-il  au  saint  ;  il  en  a 
été  touché.  Mais  ,  Guillaume,  qu'est-ce  quo 
la  foi  qui  n'agit  point?  A  l'œuvre  donc;  Dieu 
t'aidera. 

11  n'en  fallut  pas  davantage  pour  enflam- 
mer le  zèle  du  saint.  Il  se  rend  aussitôt  à 
l'église,  el  après  une  homélie  sublime  dune 
éloquente  simplicité,  il  entraîne  les  hal)itants 
de  Sainte-Enimie  sur  les  bords  de  la  Junte 
pour  y  consiruire  un  pont.  Le  secours  de  Dieu- 
fui  visible.  En  peu  de  jours,  le  pont  s'éleva 
comme  par  enchantement.  Les  habitants  bé- 
nissaienl  Guillaume,  qui  s'humiliait  en  ren- 
voyant toutes  les  louanges  à  Dieu. 

Mais  ce  succès  merveilleux  ne  faisait  pas 
le  compte  de  mons  Satan  ;  il  se  voyait  enlever 
ainsi  désormais  toutes  les  âmes  qui  se  dam- 
naient au  passage  de  la  Junte.  Il  eut  l'audace 
de  s'adresser  à  Dieu  pour  se  plaindre  de  ce- 
lui qu'il  regardait  comme  son  ennemi,  Guil- 
laume; il  lui  renouvela  le  même  discours 
qu'il  lui  avait  tenu  autrefois  au  sujet  du  saint 
homme  Job  (1).  —  Ce  n'est  pas  gratuitement 
que  Guillaume  craint  votre  droite,  lui  dit-il; 
n'avez-vous  pas  béni  l'œuvre  de  ses  mains? 

Le  Seigneur  lui  répondit  :  —  Va,  détruis 
le  pont  de  Guillaume;  je  t'en  abandonne 
jusqu'à  la  dernière  pierre. 

Satan  ne  perdil  pas  de  temps,  il  se  rendit 
sur  les  bords  de  la  Junte,  et  d'un  souffle  il 
ronversa  le  pont.  La  ruine  en  fut  si  romplèto 
qu'il  était  impossible  que  les  matériaux  qui 
avaient  servi  à  l'édifier  fussent  employés  une 
seconde  fois. 

Guillaume  ne  fut  pas  découragé  un  instant  ; 
il  adressa  une  fervente  prière  au  ciel,el  les 
ouvriers  se  remirent  à  l'œuvre.  Mais  au  mo- 
ment où  le  pont  allait  être  fini,  le  saint  se 
douta  bien  que  Satan  allait  renouveler  ses 
infernales  manœuvres  ;  il  passa  donc  la  nuit 
en  prières  elen  oraisons  dans  son  ermitage. 
Vains  efforts  1  le  malin  le  pont  était  renver- 
sé. 

Cette  fois  la  terreur  était  à  son  comblu 

(  I  )  On  retrouve  coiistammenl  le  souvenir  de  l'Ëcriture 
mêlé  .m«  uadiiions  [.oi'ulaires. 


(Cl 


DIA 


DIA 


iOi 


dans  la  contrée,  el  Guillaume  ne  put  réunir 
les  ouvriors  pour  rocommenccr  encori;  les 
conslruclious.  —  A  (ju^>i  bon  ,  disairnt-ils  , 
fatiguer  nos  bras?  Satan  est  plus  fort  que 
nous. 

L'ermite  usa  d'un  dernier  moyen;  il  se 
rendit  à  l'église  cl  prôi  ha  une  belle  homélie 
sur  11  s  rujes  de  l'esprit  malin,  sur  la  con- 
fiance en  Dieu  el  sur  la  nécessité  de  la  per- 
sévérance; les  habitants  se  laisseront  lou- 
cher; un  troisième  [)ont  vint  bientôt  rempla- 
cer les  deux  premiers. 

Celle  fois  le  saint  voulut  défendre  son 
ORUvre.  Dès  qu'il  fut  nuil,  il  se  rendit  sur  les 
bords  de  la  Junte,  se  cacha  derrière  un  ro- 
cher, d'où  il  pouvait  voir  ce  qui  allait  se 
passer,  et  aliendil  en  redoublant  d'oraisons. 

Il  élail  à  peine  minuit,  lorsqu'il  vit  se 
dresser  une  grande  figure  à  quelques  pas  du 
pont.  Ce  personnage,  à  mine  suspecte,  regar- 
da de  tous  les  côlés,  poussa  un  sauvage  éclat 
de  rire  el  s'avança  vers  le  pont.  11  était  im- 
possible de  ne  pas  reconnaître  Satan  à  cet  air 
insolent  de  réprouvé.  D'ailleurs  ,  malgré 
l'obscurité  profonde,  Guillaume  aperçut  le 
pied  fourchu  de  l'esprit  de  ténèbres.  Il  n'hé- 
sita pas  un  instant  et  marcha  droit  à  lui.  Sa- 
tan, étourdi  des  nombreux  signes  de  croix 
dont  il  était  assailli,  ne  vit  de  salut  que  dans 
la  fuile;  mais  celte  victoire  ne  parut  point 
assez  décisive  au  saint  :  il  voulut  lerrasser 
Satan  el  le  forcer  de  renoncer  à  son  infernal 
projet.  Il  se  mit  donc  à  le  poursuivre  sans  se 
laisser  intimider  ni  par  les  obstacles,  ni  par 
l'obscurilé  profonde  de  la  nuil.  Il  élait  guidé 
dans  sa  course  par  une  foi  ardente  cl  par  un 
certain  rayonnement  qui  s'échappait  du  front 
de  l'ange  maudit.  Celle  course  dura  long- 
temps. Pcul-étic  l'espace  d'une  nuil  humaine 
ne  lui  suffit-il  pas.  Quoi  qu'il  en  soit,  ils  ar- 
rivèrent, l'homme  de  Dieu  et  Satan,  dans  les 
lieux  où  le  Tarn  s'étendait  en  large  el  pro- 
fond bassin  au  pied  des  rocs  de  Lourdes  et 
ù'Aiguille.  Parvenu  au  bord  de  l'eau,  Satan 
se  retourne  ;  se  voyant  serré  de  près  par  son 
adversaire,  il  n'hésite  pas  et  s'élance  dans  le 
Tarn,  ni  plus  ni  moins  que  si  l'eau  eût  été 
son  élément  naturel.  A  peine  y  est-il  plongé 
qu'elle  s'élève  en  gros  bouillons  et  sort  de 
son  lit.  Mais  déjà  Satan  a  alleint  l'autre 
bord;  déjà  il  a  posé  une  main  sur  la  base  du 
roc  de  Lourdes.  C'en  est  fait,  il  va  échapper. 
Guillaume  ne  perd  pas  courage,  il  se  jette  à 
genoux  et  implore  le  ciel.  Au  même  instant 
un  craquement  affreux  se  fait  entendre.  Le 
roc  de  Lourdes,  ébranlé  jusque  dans  ses  fon- 
dements, se  balance  un  instant  sur  sa  base, 
et,  s'écroulant  avec  fracas,  couvre  de  ses 
débris  le  lit  du  Tarn  et  la  vallée  tout  entière. 
Salan   était  pris. 

Cependanl  le  roc  d'Aiguille,  qui  était  resté 
debout,  craignit  un  instant  qu»;  son  frère  ne 
lût  point  assez  fort  pour  contenir  l'esprit  in- 
fernal. —  Frère,  s'écria-t-il,  est-il  besoin  que 
je  descende? 

— Ehinon,  répondit  l'autre,  je  le  tiens  bien. 

Celle  vicloire  préserva  non-seulement  le 
pont  de  Guillaume,  mais  encore  le  village  de 
Saiulc-EDiuaie  des  maléfices  de  Satan.  Seule- 


ment, comme  celui-ci  se  plaignit  à  Dieu,  lo 
bassin  où  coulait  le  Tarn  lui  fut  laissé  ru 
propriété.  On  l'entend  souvent  la  nuit  pous- 
ser des  gémissements  lamentables  sous  les 
rochers  qui  le  tiennent  captif. 

Guillauute  mourut  longtemps  après  eu 
odeur  de  sainteté,  laissant  la  contrée  parfai- 
tement rassurée.  S'il  lui  était  donné  de  repa- 
raître dans  ce  monde,  peut-être  trouverait-il 
que  Lourdes  a  lâché  sa  proie. 

Saint  Guillem  du  Désert, 

A  quelques  lieues  de  Monlpellier,  entre 
Aniano  et  Lodève,  on  trouve  une  vallée 
riante  qui  forme  une  sorte  d'oasis  au  milieu 
d'un  pays  âpre  et  sauvage.  De  hautes  monta- 
gnes couvertes  de  planles  aromatiques  l'en- 
tourent de  toutes  pnrls,  et  la  dérobent  aux 
yeux  du  voyageur.  La  vigne  et  l'olivier  crois- 
sei»l  dans  la  jilaine,  et  rendent  le  paysage 
aussi  riche  que  varié.  A  la  seule  extrémité 
accessible,  couk'  l'Hérault,  qui,  resserré  en- 
tre deux  rochers,  s'élance  avec  fracas  d'une 
assez  grande  hauteur.  Ses  eaux,  dans  leur 
course  rapide,  font  jaillir  une  écume  bleuâ- 
tre qui  reçoit  du  soleil  l'éclat  d'une  poussière 
transparente  et  dorée;  plus  bas,  devenues 
calmes  et  limpides,  elles  réfléchissent  l'azur 
des  cieux  el  les  leintes  plus  sombres  des  ro- 
chers. Un  pont  jeté  d'un  bord  à  l'autre  sur 
deux  énormes  masses  calcaires  taillées  à  pic 
joint  le  désert  à  la  fertile  plaine  d'Aniane  ; 
on  l'appelle  le  pont  de  Saint-Jean  de  Fos,  Lo 
lieu  que  nous  décrivons  se  nommait  autre- 
fois Gcllone;  il  porte  aujourd'hui  le  nom  de 
Saint  Guillem  du  Désert. 

A  l'entrée  de  cette  vallée,  et  comme  pour 
faire  contraste  avec  la  culture  qui  atteste 
partout  la  main  de  Ihomme,  s'élève  une  an- 
tique abbaye  à  moitié  ruinée  ,  el  au-dessus 
de  cette  abbaye,  un  château  féodal  dont  il 
reste  encore  moins  de  vestiges.  Le  monastère 
a  eu  pour  fondateur  le  duc  Guillaume.  On 
ignore  par  qui  fut  bâti  le  château  ;  il  nous 
parait  à  peu  près  contemporain  de  l'abbaye. 

Voici  deux  légendes  que  la  tradition  a  con- 
servées jusqu'à  nous  sur  les  lieux  que  nous 
venons  de  décrire. 

Guillaume,  duc  de  Toulouse,  et  parent  de 
Charlemagne ,  célébré  par  les  poêles  du 
moyen  âge  sous  le  nom  du  Marquis-au-Court 
Nez,  pacifia  l'Aquitaine,  et  la  défendit  contre 
les  Sarrazins  d'Espagne.  Après  d'aussi  glo- 
rieux travaux,  il  aurait  pu  goûter  en  paix 
les  charmes  du  repos;  mais  son  esprit  était 
trop  actif  pour  se  complaire  en  une  molle  oi- 
siveté; il  voulut,  à  la  gloire  d'un  conquérant, 
joindre  celle  d'un  pieux  fondateur  d'abbaye. 
La  solitude  de  Gellone  lui  ayant  para  favo- 
rable à  son  projet,  il  résolut  de  s'y  fixer. 

Au  neuvième  siècle,  Gellone  était  un  dé- 
sert aride,  couvert  de  buis,  de  chênes  et  de 
sapins  ;  les  ronces  y  étendaient  partout  uno 
luxuriante  végétation,  et  il  n'avait  pour  lia- 
bilanl  qu'un  géant  à  forme  humaine,  dont 
les  meurtres  el  les  déprédations  répandaient 
au  loin  la  terreur.  Un  poëme  du  moyen  âge 
le  dépeint  ainsi  :  «  A  travers  le  pays,  se  dé- 
mène un  géaul  horrible  à  voir,  égalcmeul 


l'es  DICTlONNAinE  DES  SCIENCES  OCCULTES 

rruel  pour  les  femmes  et  les  enfîinls  :  quand  sit  son  monasièrc 
il  les  surprend,  il  les  étrangle  ;  quand  la  laim 
le  presse,  il  les  manjïe...  Il  rôde  à  travers  ro- 
chers et  monlapnes,  et  toute  la  conlrée  est 
tremblante  d'effroi.  Le  païen  a  quatorze 
pieds  de  stature  ;  sa  lélc  est  monstrueuse; 
ses  yeux  sont  grands  et  ouverts.  Jl  a  déjà  tué 
dans  le  jour  quatre  hommes  qui  n'ont  pas  eu 
le  temps  de  se  confesser,  et  un  abbé  avec  sept 
de  ses  moines.  11  est  armé  d'une  massue  si 
bien  ferrée,  qu'un  homme,  quelle  que  fût  sa 

force,  ne  la  soulèverait  point  sans  se  rompre 

les  nerfs.  » 

Le  duc  Guillaume,  qui,  pour  être  moine, 

n'avait  point  oublié  qu'il  clail   gouverneur 

d'Aquitaine,  fil  sommer  le  monstre  par  deux 

hérauts  d'armes  de  venir  lui  faire  hommage 

de  son  château.  Le  géant  répondit  par  des 

bravades.  Le  duc  emporté  par  son  courage 

lui  offrit  alors  le  combat  ;  mais  le  félon  lui  fil 

répondre  qu'il  l'attendail  dans  son  castel,  et 

qu'il  ne  ferait  pas  un  pas  vers  lui.  Le  duc  vil 

le  piège,  et   ne  s'y  laissa  pas  prendre  :  ne 

pouvant  employer  la  force,  il  eut  recours  à 

la  ruse. 
Un  jour  qu'il   rôdait  autour  du  Verdus 

(c'était  le  nom  du  château  du  géant),  il  vil 

venir  à  lui  une  jeune  fille  qui  portait  un  vase 

sous  le  bras,  et  allait  puiser  de  l'eau  dans  la 

rivière A  qui  apparlenez-vous?  lui  dit  le 

Duc. 

—  Beau  sire  chevalier,  répliqua  la  jeune 
fille,  je  suis  au  service  de  monseigneur  le 
géant. 

Une  pensée  soudiiine  traversa  l'esprit  de 
Guillaume.  —Maudit  soit  le  géant,  s'écria- 
t-il,carsa  soif  le  perdrai... 

Et  s'adressant  à  la  servante  :  —  Vous  allez 
changer  d'habits  avecmoi,ct,cefaisanl,  vous 
me  rendrez  un  servicedont  vous  serez  large- 
ment récompensée. 

—  Mais,  beau  sire,  mon  maître  me  tuera. 

—  Il  sera  mort  avant  de  pouvoir  le  tenter. 

La  jeune  fille  n'osa  pas  résister;  elle  se  re- 
lira derrière  un  quartier  de  roche.  Guillaume 
lui  passa  une  à  une  les  pièces  de  son  armure, 
cl  en  reçut  en  échange  ses  grossiers  vêle- 
ments dont  il  s'affubla.  Cela  fait,  il  attendit 
que  la  nuit  fût  venue  ;  puis  il  prit  le  vase  sous 
son  bras,  el  à  la  faveur  de  son  déguisement, 
il  s'introduisit  dans  le  château. 

Mais  à  ce  moment,  son  projet  faillit  échouer 
par  une  circonstancequ'il  n'avait  pu  prévoir. 
Une  maudite  pie  le  reconnut,  et  aussitôt  elle 
se  mit  à  crier  :  —  Gare,  Guilleml  Gare 
Guilleml... 

Le  géant,  qui  ne  se  doutait  pas  que  le  dan- 
ger fût  si  proche,  courut  à  une  des  fenêtres 
pour  observer  les  dehors  du  château.  Au 
môme  instant,  Guillaume  saisit  le  monstre 
par  les  pieds,  elle  précipita  sur  les  rochers, 
où  il  se  brisa.  —  Quant  à  la  pie,  le  saint  vou- 
lut aussi  la  punir.  Il  prononça  contre  elle  un 
anathème  qu'il  étendit  à  toutes  les  [tics  de 
la  contrée.  Les  vieillards  du  pays  assurent 
que  depuis  lors  elles  ne  peuvent  jamais  y  vi- 
vre [dus  de  trois  jours. 

Délivré  de  son  ennemi,  Guillaume  construi- 


rai 
et  le  cbâieau  du  Verdus 
en  devint  une  des  dépendances. 

Cependant  l'esprit  du  mal  n'avait  pas  en- 
tièrement disparu  avec  le  géant.  Guillaume, 
qui  allait  souvent  visiter  son  ami  saint  Benoit 
au  couvent  d'Aniane,  voulut  construire  un 
pont  sur  l'Hérault  au  lieu  ordinaire  de  sa  tra- 
versée ;  mais  là  encore  il  trouva  le  génie 
malfaisant,  qui  tenta  de  s'y  opposer.  Le  di;i- 
blc  veillait  dans  les  ténèbres,  et  renversait  la 
nuit  ce  que  l'homme  de  Dieu  avait  édifié  à 
grand'peine  pendant  le  jour.  Celui-ci  ne  se 
décourageait  pas  :  il  espérait  à  force  de  con- 
stance faire  lâcher  prise  à  Satan.  H  n'en  fut 
rien  :  la  nuit  venue,  des  sifflements  se  fai- 
saient entendre,  et  toutàcoupun  grand  bruit 
annonçait  que  l'œuvre  de  la  journée  avait 
disparu  dans  le  gouffre.  Guillaume  se  lassa 
de  celte  lutte  sans  fin  :  il  appela  le  diable  en 
conférence,  el  fit  un  pacte  avec  lui.  Il  en  ob- 
tint qu'il  pourrait  construire  son  pont,  à  con- 
dition que  le  premier  passager  lui  appartien- 
drait. Le  saint,  plus  rusé  que  Satan,  fit  con- 
nailre  le  marché  à  tous  ses  amis  pour  les  en 
préserver;  puis  il  lâcha  un  chat  qui  le  pre- 
mier traversa  le  pont,  et  dont  Satan  fut  bien 
forcé  de  se  conlenter.  —  Depuis  ce  temps,  dans 
ce  pays,  les  chats  appartiennent  au  diable  , 
el  le  poul  à  saint  Guilleni.  —  Voyez  Ponts. 

Voici,  dans  un  genre  analogue  une  légende 
que  M.  Henry  Berlhoud  a  donnée  dans  le  pre- 
mier volume  du  Musée  des  familles. 

La  Chaire  Grise. 


Le  château  d'Esnes,  dit  M.  Henri  Berlhoud, 
est  une  de  ces  vieilles  habilalions  féodales 
que  l'on  rencontre  si  fréquemment  dans  la 
Flandre.  Au  rebours  de  la  plupart  des  aulres 
forteresses,  on  a  bâti  celle-là  au  fond  d'une 
vallée  que  des  hauteurs  dominent  de  loules 
parts;  et  ses  murailles  de  pierres  blanches 
énormes,  loin  d'être  noircies  par  le  temps,  se 
détachent  éblouissantes  sur  la  verdure  som- 
bre d'un  bois  immense. 

On  ne  connaît  pas  l'époque  précise  où  fut 
construit  le  château  d'Esnes,  el  son  archi- 
tecture, pleine  de  bizarrerie  et  d'un  caractère 
particulier,  ne  donne  aucune  lumière  à  cet 
égard. 

A  l'extrémité  septentrionale  du  châleaa.cl 
par  une  exception  dont  il  est  difficile  de  se 
rendre  compte,  s'élève  une  petite  tourelle 
construite  en  grès;  ses  formes  élégantes  et 
légères  présentent  avec  le  reste  du  manoir 
un  contraste  singulier.  Ses  ogives,  à  triples 
colonnclles,  sont  unies  entre  elles  par  une 
têled'uneexpression  bouffonne,  et,  sur  les  pa- 
rois, des  figurines  d'un  travail  exquis  joi- 
gnent leurs  mains  dans  l'attitude  de  la  prière. 
L'œil,  blessé  par  la  blancheur  uniforme  do 
tous  les  objets  qui  l'entourent,  se  repose  avec 
charme  sur  celle  délicieuse  petite  construc- 
tion qui  rappelle  par  sa  forme  ce  que  l'on 
nomme,  en  architeclure  militaire,  un  nid 
d'hirondelle,  mais  qui  ne  peut  servir  en  au- 
cune façon  à  la  défense  du  manoir.  Les  ha- 
bitants du  pays  désignent  cet  objet  sous  le 
nom  de  caiere  grise  (chaire  grise)  ;  sans  doute 


«IS 


DIÂ 


DIV 


46(t 


à  cuise  (le  la  couleur  des  grès  avec  les;juels 
on  l'a  construite. 

Les  Flamands  aiment  trop  le  merveilleux 
pour  ne  point  expliqner  par  l'intervention 
(lu  diable  l'origine  de  la  Chaire  grise  ;  et  voici 
la  tradition  répandue  à  cet  égard.  —  Lorsque 
saint  Vaast,  l'apôtre  de  la  Flandre,  vint  prê- 
cher le  chrislianisme  dans  ce  p^iys  alors  bar- 
bare, ses  niiracb's,  plus  encore  que  ses  pré- 
dications, convertissaient  les  sauvages  Ner- 
viens.  Satan  poussa  des  cris  de  douleur  en 
vovanl  ceux  qu1l  regardait  n;iguère  comme 
une  proie  certaine  courir  au-d(!vanl  du  saint 
évéque,  et  recevoir  de  lui  le  b.iptéme  el  la 
foi.  Il  résolut,  pour  maintenir  sa  puissance 
chancelante,  d'opposer  miracle  à  miracle; 
pour  cela,  il  fit  tomber  le  feu  d  i  ciel  sur  le 
château  d'Esnes,  dont  il  ne  resta  bientôt  plus 
pierre  sur  pierre. 

Le  baron  d'Esnes,  propriétaire  de  ce  ma- 
noir, était  un  nouveau  converti;  il  courut  se 
jeler  aux  pieds  de  saint  Vaast,  en  le  suppliant 
de  reconstruire  son  château  par  un  miracle. 
Le  saint  répondit  au  nouveau  chrétien  par 
une  remontrance  paternelle,  et  lui  prêcha  la 
résignation  aux  d(^crels  de  la  volonté  divine. 
Comme  le  baron  d'Esnes  s'en  revenait  triste 
el  désappointe,  le  diable  lui  apparut.  Il  s'of- 
frit de  reconstruire  en  une  nuit  le  château 
brûlé,  si  le  baron  voulait  abjurer  sa  religion 
nouvelle.  Le  baro:i  accepta  le  parti,  et,  le 
lendemain,  à  la  grande  surprise  de  tout  le 
pays,  le  château  d'Esnes,  reconstruit  d'une 
façon  nouvelle,  apparut  au  lieu  des  ruines 
fumantes  el  des  (iébris  qui  la  veille  couvraient 
la  lerre.  —  Une  merveille  si  graade  ébranla 
beaucoup  les  témoins  du  refus  qu'avait  fait 
saint  Vaast  d'en  opérer  une  semblable.  L'a- 
pôtre, pour  détruire  cette  mauvaise  impres- 
sion, se  rendit  au  château  d'Esnes; et,  comme 
on  lui  en  refusa  l'entrée,  il  s'adossa  contre 
les  fortifications,  pour  parler  à  la  foule  ac- 
courue de  toutes  parts.  Tandis  que  le  saint 
faisait  une  exhortation  à  ces  chrétiens  chan- 
celants, un  rayon  brûlant  de  soleil  vint  tom- 
ber sur  sa  tête  chauve  :  soudain,  des  anges 
descendirent  et  construisirent  autour  de  lui 
la  Chaire  grise.  A  ce  miracle,  dont  plus  de 
quatre  mille  personnes  furent  témoins,  dit  la 
tradition,  les  blasphèmes  se  changèrent  en 
prières  ;  et  tous  ceux  qui  n'avait  point  encore 
reçu  le  baptême  le  reçurent  aussitôtdes  mains 
de  saint  Vaast.  Le  baron  d'Esnes  ne  put  ré- 
sister lui-même  à  une  telle  preuve  de  la  puis- 
sance de  Dieu  ;  el  le  diable,  confus  el  chassé, 
s'en  retourna  aux  enfers. 

La  vieille  femme  de  Mans, 

I.o  dinble  en  aura  sur  Irs  iloigls... 

MïSTÈUE  DE  Li  PATIENCE  DE  JoB. 

Qu'il  nous  soit  permis  de  rapporter  du  bon 
saint  Ghislain,  vénéré  en  Hainaut,  une  lé- 
gende qui  frise  le  petit  conte.  Un  fabliau 
a  demi  perdu,  a  rendu  célèbre  ce  trait,  à  la 
fois  merveilleux  et  naïf.  On  le  voyait  encore, 
il  n'y  a  pas  beaucoup  d'années,  représenté 
d'une  manière  piquante,  dans  un  tableau  du 
quinzième  siècle,  que  possédait  l'ahbnye  de 
tsaiiil-Clhislaiu.  Pauvre  abbaye!  clic  a,  fait 


place  sans  doute  à  quelque  usine .  comme 
les  joyeuses  légendes  se  sont  effacées  pour 
un  temps  devant  les  Irlsles  systèmes  des 
philosophes. 

Or,  voici  l'aventure  ! 

Une  vieille  femme  de  Mons,  qui  avait  mené 
une  vie  dissipée,  mais  (|ui  tous  les  jours  s'é- 
tait recommandée  à  saint  Ghislain,  se  trou- 
vjiit  sur  son  lit  de  mort. 

Au  moment  où  elle  allait  rendre  l'âme,  le 
diable  arriva  à  son  chevet  cl  se  posta  à  sa 
gauche.  Prcsqu'aussilôt  saint  Ghislain  parut 
de  l'autre  côté.  Le  diable  le  regarda  de  tra- 
vers :  le  saint  ne  baissa  pas  les  yeux  :  il  était 
accoutumé  à  affronter  l'ennemi.  Après  avoir 
liiussé  un  peu  avec  un  certain  embarras,  le 
diable  dit  : 

—  J'imagine  que  vous  ne  venez  pas  en- 
core m'enlever  celle-là? 

—  Au  contraire,  répondit  Ghislain. 

—  C'est  ce  que  nous  verrons.  Vous  n'avez 
pas  de  droits. 

—  Pas  de  droits!  s'écria  le  saint;  celle 
femme  a  été  à  moi  toute  sa  vie. 

—  A  vous!  hurla  le  diable  avec  un  éclat 
de  rire  ;  vous  n'êtes  pas  difficile.  Je  vous  ci- 
terai cent  chrétiens  qu'elle  a  scandalisés.  Je 
ne  compterais  pas  tous  les  péchés  qu'elle  a 
faits.  Il  y  a  longtemps  que  nous  la  choyons 
comme  notre  gibier. 

—  11  est  possible  qu'elle  ait  péché  souvent, 
dit  le  saint ,  mais  elle  s'est  longuement  re- 
pentie ;  elle  s'est  confessée;  elle  meurl  pé- 
nitente. Je  ne  suis  pas  venu  pour  l'aban- 
donner et  je  l'emmène. 

Le  saint  parlait  d'un  ton  si  assuré,  que  le 
diable  commença  â  concevoir  des  alarmes. 
Cependant  il  reprit  du  cœur  el  il  se  mit  à  dé- 
tailler avec  tant  de  soin  toutes  les  fautes  de 
la  pauvre  pécheresse,  que  le  saint  craignit 
à  son  tour. 

Pendant  qu'ils  disputaient,  la  pauvre 
femme  mourut. 

—  Voilà  qui  est  au  mieux,  dit  le  diable 
en  se  frottant  les  ergots  ;  elle  vient  de  passer  ; 
et  elle  a  oublié  de  se  purger  d'un  péché  mor- 
tel. A  moi  donc  1 

Et  il  allongea  la  griffe. 

—  Un  instant,  dit  doucement  Ghislain. 
Quel  péché  mortel  s'il  vous  plaît? 

Et  il  étendit  la  main  pour  proléger  l'âme. 

—  Mais  a-l-elle  dit  qu'il  y  a  trente  ans, 
un  certain  dimanche,  le  premier  du  carême, 
elle  mantiua  la  messe  pour  aller  à  une  fête  '? 

—  Vous  avez  bonne  mémoire,  répondit  le 
saint  avec  un  sourire  triste.  Mais  vous  êtes 
mal  informé.  La  pauvre  femme  s'est  con- 
fessée de  cette  faute  grave  et  l'a  réparée. 

La  dispute  recommença  vive  et  animée.  Le 
diable  enfin  proposa  un  moyen  d'en  finir. 

—  Voici  trois  dés,  dit-il,  nous  réclamons 
tous  deux  l'âme  de  cette  femme  ;  jouons  à 
qui  l'aura. 

—  Je  le  veux  bien  ;  à  vous  les  honneurs. 
Le  diable  parut  flatté  de  celle  politesse.  Il 

salua  le  saint,  remua  les  dés  et  les  jeta. 

—  Trois  six!  s'écria-t-il.  Elle  est  à  moi. 

—  Un  instant,  dit  Ghislain. 

Mais  le  diable  derechef  se  frollail  les  griffes.. 


467 


DlCTIONiNAinE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


«es 


—  Vous  ne  ferez  du  moins  pas  mieux,  di- 
sait-il. 

—  Qui  sait  ? 

Le  bon  saint  agita  les  dés,  Ips  lança  :  il  se 
fit  quelque  chose  comme  un  petit  prodige  : 
trois  sept  sortirent  du  cornet,  et  Ghislaiu 
emporta  l'âme  de  la  défunte. 

Comment  le  diable  fut  attrapé. 

11  nous  faut  reculer  à  une  époque  assri 
ancienne  ;  c'était  au  moins  ver»  le  n^gne  de 
Henri  IH.  Si  tous  êtes  allé  jamais  sur  la 
route  de  Sainl-Gloud  ,  qui  n'était  pas  alors 
la  somptueuse  résidence  roy;ile  que  nous 
admirons  aujourd  hui,  vous  aurez  remarqué 
à  mi-chemin  un  groupe  de  maisons  qu'on 
appelle,  je  ne  sais  pourquoi ,  le  Point  du 
jour  ,  sans  doute  de  quelque  enseigne  de 
cabaret;  plusloin,  à  droite,  est  Boulogne-sur- 
Seine. 

Or,  au  temps  d'autrefois  il  y  avait  au  Poiiit 
du  jour  un  vieil  homme  de  noble  race,  mais 
un  de  ces  gentilshommes  avancés  qui  ne 
dédaignaient  pas  de  faire  cux-mômes  valoir 
leurs  terres.  Les  terres  de  culture  étaient  plus 
rares  alors  que  maintenant;  le  pays  était 
presque  couvert  de  bois. 

Le  vieil  homme  se  nommait  Egidius 
Cressère,  bon  viveur,  allant  aux  fêles  , 
buvant  au  cabaret,  familier  avec  les  simples 
gens,  traitant  bien  ses  serviteurs,  mais 
exigeant  un  grand  travail  ,  car  il  travaillait 
beaucoup  lui-même  ,  et  disait  que  la  terre 
gardait  rancune  quand  on  la  négligeait.  Il 
avait  en  sa  maison  une  jeune  et  robuste  ser- 
vante ,  qu'on  appelait  Gritte,  abréviation 
de  Marguerite  ;  elle  avait  vingt  ans.  Elevée 
dans  le  manoir  ,  elle  plaisait  à  tous  ;  on  la 
vantait  commo  une  fille  laborieuse  ,  qui 
jamais  n'avait  reculé  devant  le  travail. 

Mais  vint  le  jour  de  la  fête  de  Sainl-Cloud, 
déjà  courue  alors.  C  était  un  beau  jour,  lon- 
guement attendu.  Les  ménétriers  du  village 
avaient  graissé  la  roue  de  leurs  vielles  ;  ils 
s'étaient  renforcés  de  jout'urs  de  rebec  et  de 
tambourin  ,  venus  de  Paris  ;  ils  avaient 
deux  flûtes,  une  cornemuse  et  un  corde 
chasse  ;  on  annonçait  gramles  joies  ;  et  la 
bonne  Gritte  se  promettait  de  l'agrément 
depuis  quatre  heures  jusqu'à  huit,  car  pour 
un  tel  jour  on  retardait  jusque-là  le  couvre- 
feu,  que  nous  appelons  aujourd'hui  la  clo- 
che de  retraite. 

Malheureusement ,  au  retour  de  la  messe , 
Egidius  qui  n'oubliait  rien  ,  se  rappela  que 
la  veille  il  avait  mené  ,  avec  ses  garçons, 
plusieurs  charrettes  de  fumier  ,  sur  le  che- 
min des  Bons-Hommes ,  dans  un  champ  qu'il 
voulait  labourer  le  lendemain  pour  y  semer 
du  seigle.  Il  fallait  disperser  avec  soin  tous 
les  tas  d'engrais  qui  ,  répandus  ainsi  et  cou- 
vrant toute  la  surface  du  champ  ,  devaient 
l'échauffer  et  le  rendre  fertile.  Gelait  la 
besogne  de  Marguerite  ;  la  pauvre  fille  son- 
geait aux  moyens  qui  pourraient  encore 
rehausser  sa  toilette  pour  la  fctc,  quand  son 
maître  l'appela. 

— Allons  ,  Gritte  ,  dil-il  ,  tu  prendras  ta 
fourche  et  tu  iras  répandre  le   fumier  dans 


le  champ  de  Saint-Gilles.  Quand  ce  sera  fait, 
tu  reviendras  à  la  fête. 

Marguerite  ne  répliqua  rien.  Mais  poar  la 
première  fois  l'idée  du  travail  l'ainigea.  Elle 
ôla  tristement  sa  cornette  à  pointe  de  fine 
toile,  son  jupon  de  drap  rouge,  mit  une  roite 
de  grosse  loile  et  des  sabois,  pauvre  fille  1 
elle  prit  sa  fourche  et  partit.  En  arrivant  au 
champ,  adieu  la  fêle  1  Elle  calcula  rapidement 
l'ouvrage  qu'elle  avait  à  faire,  et  reconnut 
qu'il  nepouvaitétre  achevé  qu'à  lanuit  noire. 
Son  cœur  se  serra.  Elle  n'en  commença  pas 
moins  en  soupirant  sa  triste  et  pénible  be- 
sogne. 

il  y  avait  une  heure  qu'elle  se  hâtait,  sans 
poivoirse consoler;  elle  apercevait  aveccha- 
grin,  sur  la  route,  les  boimes  gens  de  Paris 
qui  se  rendaient  joyeusemeutà  la  fête, et  gé- 
missait (le  penser  qu'elle  n'y  paraîtrait  pa^, 
lorsqu'elle  vit  venir  à  elle  un  petit  homme 
qui  semblait  vouloir  lui  parler.  Il  était  fait 
un  peu  do  travers  et  marchait  en  se  balan- 
çant. Ses  pieds  étaient  enfermés  dans  des 
bottes  noires.  11  avait  un  haut  de  chausses 
écarlate,  un  pourpoint  gris  taillé  a  la  bour- 
geoise avec  les  basques  continues,  un  cha- 
peron à  deux  cornes  de  môme  couleur.  Si 
ce  chaperon  eût  été  jaune  ,  il  eût  ressemblé 
de  loin  à  celui  des  fous  de  la  Bazoche.  A 
mesure  que  le  petit  homme  s'approchait, 
Marguerite  le  considérait  avec  plus  d'étoo- 
nement.  C'était  une  figure  qu'elle  n'avait 
jamais  vue,  une  tête  énorme,  un  visage  pâle 
comme  les  murailles,  sur  lequel  dominait 
un  long  nez  qui  tournait  évidemment  sa 
pointe  à  gauche.  Les  mains  de  l'homme  ùtaieiit 
cachées  dans  de  grands  gantelets  noirs.  Il 
s'arrêta  devant  la  jeune  fille,  et  faisant  un  sou- 
rire qui   avait  quelque  chose   de  singulier. 

—Eh  1  mais,  ma  fille,  dit-il,  vous  voiià 
bien  occupée,  pour  un  dimanche? 

—  C'est  vrai,  messire:  mais  ily  adispense 
de  vêpres,  aux  travaux  des  champs. 

— 11  y  a  sans  doute  aussi  disjM-nse  de  la 
fête  qui  va  être  si  animée  et  si  gaie  ? 

— Oh  I  pardon,  messire.  Mais  je  ne  suis 
pas  ma  maîtresse.  Il  faut  que  je  fasse  tout 
le  champ. 

— Vous  n'aurez  pas  fini  au  coucher  du 
soleil.  Si  vous  vouliez  faire  un  marché  ave<; 
moi,  j'ai  là  dans  le  bois  des  camarades  ;  nous 
vous  aiderions  tous;  et  dans  un  instant  vous 
pourriez  retourner  au  Point  du  jour. 

— Eh  1  quel  marché,  messire,  voulez-vous 
qu'une  pauvre  fille  fasse  avec  vous? 

11  y  avait  de  l'inquiétude  dans  la  parole  de 
Marguerite,  et  un  sourire  sardonique  sur 
les  lèvres  pâles  du  petit  honnie. 

— Le  marché  ne  vous  gênera  guère,  re- 
prit-il ;  je  demande  seulement  que  vous  me 
donniez  demain  malin  la  première  botte  que 
vous  lierez  à  votre  réveil. 

—Oh  1  si  ce  n'est  que  cela,  je  vous  le  pro- 
mets de  bon  cœur. 

Elle  n'eut  pas  plutôt  dit  ce  mot  que  le  petit 
homme  siffla;  aussitôt  une  troupe  de  nains 
bizarres  sortit  du  bois  voisin. Il  s'en  trouvait 
un  pour  chaque  tas  de  fumier.  Ils  se  mi- 
rent rapideuiint  à  l'ouvrage  ;   et  de  leurs 


ACO 


DIA 


niA 


470 


pieds  et  de  leurs  mains  ils  opérèrent  si  vi- 
vement, qu'en  peu  de  minutes  tout  le  fumier 
fut  répandu,  avec  symétrie.  Après  (|uoi  ils  se 
retirèrent;  autant  en  fit  le  petit  honrime,  qui 
dilà  Marguerite,  en  la  quittant  brusquement  : 

—Vous  voyez  qu'uu  peu  d'aide  fait  grand 
bien  1 

La  jeune  servante  resta  un  moment  con- 
sternée de  ce  qui  venait  de  se  pnsser  sous  ses 
yeux?  Etait-ce  un  homme,  était-ce  un  esprit 
qui  l'avait  obligée  si  merveilieusemenl?  Elle 
se  ressouvint  de  tous  les  contes  dont  on  l'eii- 
Ireionail  aux  lonj^ues  veillées  du  manoir, 
lorsqu'on  file  le  chanvre  et  la  laine  dans  les 
soirées  d'Iiiver.  Souvent  on  lui  avait  dit  qu'il 
y  avait  des  lutins,  des  farfadets,  et  d'autres 
bons  démons  qui  se  plaisaient  à  rendre  d  u- 
tiles  services  aux  gens  en  peine.  Elle  avait 
refusé  de  le  croire  ;  elle  ne  pouvait  plus  en 
douter,  àmoins  que,  cependant, lepetit  hom- 
me et  ses  camarades  ne  fussent  une  com- 
pagnie de  farceurs,  comme  il  y  en  avait  quel- 
quefois dans  le  Paris  d'alors,  (i«i  jouaient  des 
moralités  (comédies  du  temps),  qui  disaiciît 
la  bonne  aventure,  escamotaient  et  chan- 
taient, faisaient  souvent  de  bons  tours  et  par- 
fois se  plaisaient  à  étonner  gracieusement 
par  quelque  subite  obligeance. 

— Quoiqu'il  en  soit,  dit-elle,  ce  bonhomme 
s'est  contenté  de  peu;  et  je  puis  tranquille- 
ment me  réjouir  ma  pleine  soirée. 

Elle  s'en  retourna  ,  sans  pouvoir  bannir 
pourtant  les  Ilots  de  piînsées  qui  venaient  l'as- 
saillir ; — Pour(]uoi  le  petithomme  lui  avait- 
il  demandé  la  première  botte  qu'elle  lierait 
le  lendemain?  et  qu'en  voulait-il  faire?  Puis 
elle  se  répondait  à  elle-même  :  — C'est  sûre- 
ment une  plaisanterie. 

En  rentrant  au  manoir,  elle  n'y  trouva  plus 
personne.  Tout  le  monde  était  parti  pour  la 
fête,  à  l'exception  d'un  vieux  serviteur,  qui 
ne  pouvait  plus  marcher,  et  qui  gardait  le  lo- 
gis avec  deux  chiens  solides.  Elle  se  hâia  de 
remettre  sa  coiffe  et  sa  jupe  des  dimanches, 
ses  bas  jaunes  et  ses  souliers.  Elle  arriva  au 
moment  où  les  réjouissances  commençaient. 

Depuis  deux  bonnes  heures,  Marguerite 
n'était  plus  qu'au  plaisir;  il  semblait  niéiue 
qu'elle  eùl  complètement  oublié  son  aven- 
ture du  champ,  quand  son  maître  crut  la  re- 
connaître. Il  se  frolia  les  yeux,  s'approcha, 
et  vil  qu'il  ne  s'était  pas  trompé.  Un  air  sé- 
vère contracta  sur  le  champ  tous  les  traits 
de  sa  figure.  11  appela  la  jeune  Qile,  qui  vint 
aussitôt. 

— Eh  bien!  Gritle,  dit-il  d'une  voix  aus- 
tère, et  l'ouvrage  ? 

— Il  est  fait,  messire  Egidius. 

— Fait!  tu  aurais  fait  en  unehenre  ce  qu'un 
homme  ferait  à  peine  en  une  demi-journée! 

— S'il  faut  vous  dire  tout,  messire,  j'ai  eu 
un  peu  d'assistance.... 

Et  la  servante  conta  ce  qui  lui  était  arrivé. 

Le  gentilhomme  surpris  ne  répliqua  pas 
un  mot;  mais  croyant  que  Gritte  le  trom- 
pait et  qu'elle  avait  laissé  sa  besogne  à  moi- 
tié laite,  il  courut  à  son  champ,  fit  une  ex- 
clamation de  grand  étonnemcnt  et  s'en  re- 
vint émerveillé. 


—Ma  fille,  dit- il  à  Marguerite  en  l'appe- 
lant de  nouveau,  le  diable  est  fin  :  c'est  àlui 
que  nous  avons  à  faire. 

La  servante  pâlit. 

— Allons  trouver  le  curé  de  Boulogne,  re- 
prit Egidius  ;  lui  seul  peut  nous  tirer  de  là. 

Le  vieil  homme  et  la  jeune  fille  se  rendi- 
rent, sans  perdre  un  instant,  au  presbytère  ; 
Marguerite  expliqua  la  chose  au  bon  curé. 

— Vous  avez  été  bien  avisés  de  me  venir 
trouver,  dit-il;  car  vous  étiez  en  péril.  Mais 
rassurez-vous. QuoiqueSatan  soit  bien  rusé, 
il  trouve  encore  assez  souvent  plus  rusé  que 
lui.  Il  vous  a  fait  promettre  la  première 
botte  que  vous  lieriez  demain  matin  à  votre 
lever;  ayez  soin,  aussitôt  que  vous  serez 
éveillée,  de  vous  rendre  à  la  grange,  d'y  lier 
une  botte  de  paille  et  de  la  jeter  à  l'homme 
qui  viendra.  Mais  évilcz  sur  toutes  choses  de 
serrer  le  cordon  de  volrejupe,  ou  votre  bon- 
net ou  vos  jarretières  ;  car  alors  vous  seriez 

vous-même  la  butte   qui   lui  appartient 

Allez, mon  enlant,  vous  eu  serez  quitte  pour 
un  moment  de  frayeur. 

Marguerite  et  son  maître  remercièrent  le 
curé  et  s'en  retournèrentau  manoir.  La  jeune 
fille  ne  songeait  plus  à  la  fêle  ;  elle  passa 
la  soirée  en  prières  et  la  nuit  sans  ilormir. 
Dès  que  le  jour  parut,  elle  se  leva,  sans  lier 
son  jupon,  ni  rien  qui  touchât  à  son  corps, 
et  se  rendit  à  la  grange,  oii  elle  vit  entrer 
en  silence,  un  instant  après  elle,  celui  qui 
la  veille  lui  avait  rendu  un  si  dangereux  sei- 
viec. 

Il  n'avait  changé  ni  de  forme,  ni  decos- 
tume.Mais  son  teint  paraissait  plus  pâle  en- 
core ;  ses  yeux  étincelaienl  ;  ses  lèvres  trem- 
blaient d'inquiétude.  Dans  un  mouvement 
qu'il  fit,  son  chaperon  s'abattit  par  derrière; 
la  servante  alors  remarqua  deux  petites  cor- 
nes parmi sescheveux  crépus.  EUefrissonna, 
lia  en  tremblant  une  botte  de  paille,  et  la 
jeta  au  monstre,  qui  la  saisit  en  grinçant  des 
donts.  Il  hurla,  bondit  sur  lui-même,  sortit 
par  un  trou  qu'il  fit  au  toit  de  la  grange  ; 
et  Marguerite  alla  s'habiller. 

On  dit  que  le  champ  où  les  démons  avaient 
travaillé produisitabondamment  ;  car  le  tra- 
vail est  toujours  lécoud,de  quelque  main 
qu'il  vienne. 

On  ajoute  que  le  trou  de  la  grange,  qui  à 
présent  n'existe  plus,  ne  put  jamais  se  ré- 
parer. 

On  dit  encore  que  le  diab'e,  embarrassé  de 
sa  botte  de  paille,  vint  pour  la  vendre  à 
Paris.  Il  espérait  qu'ayant  passé  parses  grif- 
fes, sa  bolic  de  paille  ferait  mourir  les  va- 
r.hes  qui  la  mangeraient  et  pousserait  les 
fermiers  à  quelque  blasphème.  Mais  il  avait 
si  mauvaise  mine  que  jusciu'au  soir,  il  ne 
trouva  personne  qui  voulût  l'acheter.  Il  la 
broya  de  colère  et  en  jeta  les  débris  dans 
les  égoûts  de  la  capitale  qui  depuis  lori 
puent  toujours.  Voy.  Grange  du  diablb. 

Voici  d'autres  hiiUoires  qui  font  voir  ((u'on 
a  pris  souvent  pour  le  diable  des  gens  qui 
n'étaient  pas  de  l'autre  monde. 

Un  marchand  breton  s'embarqua  pour  io 
comuierce  des  Indes,  et  laissa  à  sa  l'emœc  le 


471 


DICTIONNAmE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


♦72 


soin  de  sa  mnison.  Cette  remme  étnit  sage; 
le  mari  ne  craignit  pas  de  proloiigor  le  cours 
de  son  voyage  et  d'être  absent  plusieurs  an- 
nées. Or,  un  jour  de  carnaval,  ladame  voulant 
s'égayer  un  peu  donna  à  ses  parents  et  à  ses 
amis  un  petit  bal  qui  devait  être  suivi  d'une 
collation.  Lorsqu'on  se  mil  au  jeu,  un  mas- 
que babillé  en  procureur,  ayantdcs  sacs  de 
procès  à  la  main,  entra  et  proposa  à  la  dame 
déjouer  quelques  pistoles  avec  elle  ;  elle  ac- 
cepta le  défi  et  gagna  :  le  masque  présenta 
encore  plusieurs  pièces  d'or,  qu'il  perdit 
sans  dire  mot.  Quelques  personnes  ayant 
voulu  jouer  contre  lui  perdirent;  il  ne  se 
laissait  g.'igner  que  lorsque  la  dame  jouait. 

On  fit  d'injurieux  soupçons  sur  la  cause 
qui  l'engageait  à  perdre.  —  Je  suis  le  dieu  des 
richesses,  dit  alors  le  masque,  en  sortant  de 
ses  poches  plusieurs  bourses  pleines  de  louis. 
Je  joue  tout  cela ,  madame  ,  contre  tout  ce 
que  vous  avez  gagné. 

La  dame  trembla  à  cette  proposition  et  re- 
fusa le  défi  en  femme  prudente.  Le  masque 
lui  oiïril  cet  or  sans  le  jouer;  mais  elle  ne 
voulut  pas  l'accepter.  Cette  aventure  com- 
mençait à  devenir  extraordinaire.  Une  dame 
âgée,  qui  se  trouvait  présente,  vint  à  s'ima- 
giner que  ce  masque  pouvait  bien  être  le 
diable.  Celte  idée  se  communiqua  dans  l'as- 
semblée, et  comme  on  disait  à  demi-voix  ce 
qu'on  pensait,  le  masque  qui  l'entendit  se 
mil  à  parler  plusieurs  langues,  pour  les  con- 
firmer dans  celle  opinion;  puis  il  s'écria 
tout  à  coup  qu'il  était  venu  de  l'autre  monde 
pour  venir  prendre  une  dame  qui  s'était 
donnée  à  lui,  et  qu'il  ne  quitterait  point  la 
place  qu'il  ne  se  lût  emparé  d'elle,  quelque 
obstacle  qu'on  voulût  y  apporter... 

Tous  les  yeux  se  fixèrent  sur  la  maîtresse 
du  logis.  Les  gens  crédules  étaient  saisis  de 
frayeur,  les  autres  à  demi  épouy.intés;  la 
dame  de  la  maison  se  mit  à  rire.  Enfin  le 
faux  diable  leva  son  mas(|ue,  et  se  fit  recon- 
naître pour  le  mari.  Sa  femme  jeta  un  cri  de 
joie  en  le  reconnaissant.  J'apporte  avec  moi 
l'opulence,  dit-il.  Puis  se  tournant  vers  les 
joueurs  :  Vous  êtes  des  dupes,  ajoula-l-il; 
apprenez  à  jouer. 

Il  leur  rendit  leur  argent,  et  la  fête  devint 
plus  vive  et  plus  complète. 

Un  vieux  négociant  des  Etals-Unis,  retiré 
du  commerce,  vivait  paisiblement  de  quel- 
ques rentes  acquises  par  le  travail  II  sortit 
un  soir  pour  toucher  douze  cents  dollars  qui 
lui  étaient  dus.  Son  débiteur  ,  n'ayant  pas 
davantage  pour  le  moment,  ne  lui  paya  que 
la  moitié  delà  somme.  En  rentrant  chez  lui, 
il  se  mit  à  compter  ce  qu'il  venait  de  rece- 
voir. Mais  pcndantqu'il  s'occupait  de  ce  soin, 
il  entend  quelque  bruit,  lève  les  yeux,  et 
voit  descendre  de  sa  chominéedans  sa  cham- 
bre le  diable  en  personne.  11  était  en  cos- 
tume .•  tout  son  corps  couvert  de  poils  rudes 
et  noirs,  avait  six  pieds  de  haut.  De  grandes 
cornes  surmontaient  son  front,  accompagnées 
d'oreilles  pendantes;  il  avait  des  pieds  four- 
chus,des  griffes  au  lieu  de  mains,  une  queue, 
un  museau  comme  on  n'en  voit  point,  cl  des 
yeux  cuuimc  on  n'en  voit  guère. 


A  la  vue  de  ce  personnage,  le  vieux  mar- 
chand eut  le  frisson.  Le  diable  s'approcha 
et  lui  dit  :  Il  faut  que  tu  me  donnes  sur 
l'heure  douze  cents  dollars,  si  tu  ne  veux 
pas  que  je  l'emporte  en  enter. 

Holas  i  répondit  le  négociant,  je  n'ai  pas 
ce  ((uc  vous  demandez... 

Tu  mens,  interrompit  brusquement  le  dia- 
ble; je  sais  que  lu  viens  de  les  recevoir  à 
l'instant. 

Dites  que  je  devais  les  recevoir;  mais  on 
ne  m'en  a  pu  donner  que  six  cents.  Si  vous 
voulez  me  laisser  jusqu'à  di-main,  je  promets 
de  vous  compter  la  somme... 

Eh  bien!  ajouta  le  diable,  après  un  mo- 
mi'Ulde  réflexion,  j'y  consens;  mais  que  de- 
main, à  dix  heures  du  soir,  je  trouve  ici  les 
douze  ci'Uts  dollars,  ou  je  l'entraine  sans 
miséricorde.  Surtout  que  pi-rsonnc,  si  tu  liens 
à  la  vie,  ne  soit  instruit  de  notre  entrevue. 

Après  avoir  dit  ces  mois,  le  diable  sortit 
par  la  porte. 

Le  lendemain  malin,  le  négociant,  qui  était 
de  bonne  pâle,  comme  on  voit,  alla  trouver 
un  vieil  ami,  et  le  pria  de  lui  prêter  six  cents 
dollars.  Son  ami  lui  demanda  s'il  en  était 
bien  pressé"?  Oh  1  oui,  très-pressé;  il  me  les 
faut  avant  la  nuit.  Il  y  va  de  ma  parole  et 
peut-être  d'auire  chose. 

Mais  n'a  vez-vous  pas  reçu  hier  une  somnne? 

J'en  ai  disposé. 

Cependant  je  ne  vous  connais  aucune  af- 
faire qui    nécessite  absolument  de  l'argent. 

Je  vous  dis  qu'il  y  va  de  ma  vie... 

Le  vieil  ami,  étonné,  demande  l'éclaircis- 
sement d'un  pareil  mystère.  On  lui  répond 
que  le  secret  ne  peut  se  trahir.  —  Considé- 
rez, dit-il  au  négociant  effaré,  que  personne 
ne  nous  écoute;  dites-moi  votre  alTaire  :  jo 
vous  prêterai  les  six  cents  dollars. 

Sachez  donc  que  le  diable  est  venu  me 
voir;  qu'il  faut  que  je  lui  donne  douze  cents 
dollars  ce  soir,  et  que  je  n'en  ai  que  six 
cents. 

L'ami  ne  répliqua  plus;  il  savait  l'imagi- 
naiion  de  ce  pauvre  ami  lac  ile  à  effrayer.  11 
tira  de  son  coffre  la  soinn)e(]u'oa  lui  deman- 
dait, et  la  prêta  de  bonne  grâce  ;  mais  à  huit 
heures  du  soir,  il  se  rendit  chez  le  vieux 
marchand. 

Je  viens  vous  faire  société,  lui  dit-il,  et 
attendre  avec  vous  le  diable,  que  je  ne  serai 
pas  fâché  de  voir. 

Le  négociant  répondit  que  c'était  impossi- 
ble, ou  qu'ils  s'exposeraient  à  être  emportés 
tous  les  deux.  Après  des  débals,  il  permit 
que  son  ami  attendit  l'cvénemenl  dans  un 
cabinet  voisin. 

A  dix  heures  précises,  nn  bruit  se  fait  en- 
tendre dans  la  cheminée  :  le  diat)le  parait, 
dans  son  costume  de  la  veille.  Le  vieillard  se 
mil  en  tremblant,  à  compter  les  ccus.  En 
même  temps,  l'homme  du  cabinet  entra.  Es- 
tu  bien  le  diable?  dil-il  à  celui  qui  dc.nan- 
dail  de  l'argent... 

Puis,  voyant  (ju'il  ne  sepressail  pas  de  ré- 
pondre, et  que  son  ami  frissonnait,  grelollait 
cttrcmblollail,  il  tira  de  sa  poche  deuv  longs 


475 


DIA 


DIA 


f,T\ 


pistolets,  et,  les  présenlanl  à  la  gorge  du  dia- 
ble, il  ajouta  : 

—  Je  veux  savoir  si  lu  es  à  l'cprcuve  du 
feu... 

Le  diable  recula  ,  et  chercha  à  gagner  la 
porte. 

—  Fais-toi  connaître  bien  vite,  ou  tu  es 
mort... 

Le  démon  se  hâta  de  se  démasquer  et  de 
iTKîttre  bas  son  costume  infernal.  On  trouva, 
sous  ce  déguisement,  un  voisin  du  bon  mar- 
chand, qui  faisait  quelquefois  des  dupes  ot 
qu'on  n'avait  pas  encore  soupçonné.  11  fut 
jugé  comme  escroc,  et  le  négociant  apprit 
par  là  que  le  diable  n'est  pas  le  seul  qui  soit 
disposé  à  nous  nuire. 

Nous  nous  représentons  souvent  le  diable 
comme  un  monstre  noir  :  les  nègres  lui  attri- 
buent la  couleur  blanche.  Au  Japon,  les  par- 
tisans de  la  secte  de  Sintos  sont  persuades 
que  le  diable  n'est  que  le  renard.  En  Afrique 
le  diable  est  généralement  rospcdé.  Les  nè- 
gres de  la  Côte-d'Or  n'oublient  jamais,  avant 
de  prendre  leurs  repas,  de  jeter  à  terre  un 
morceau  de  pain  qui  est  destiné  pour  le  mau- 
vais génie.  Dans  le  canton  d'Auté,  ils  se  le 
représentent  comme  un  géant  d'une  prodi- 
gieuse grosseur,  dont  la  moitié  du  corps  est 
pourrie,  et  qui  cause  infailliblement  la  mort 
par  son  attouchement;  ils  n'oublient  rien  de 
ce  qui  peut  détourner  la  colère  de  ce  mons- 
tre. Us  exposent  de  tous  côtés  des  mets  pour 
lui. 

Presque  tous  les  habitants  pratiquent  une 
cérémonie  bizarre  et  extravagante,  par  la- 
quelle ils  prétendent  chasser  le  diable  de 
leurs  villages  :  huit  jours  avant  cette  céré- 
monie, on  s'y  prépare  par  des  danses  et  des 
festins;  il  esl  permis  d'insulter  impunément 
les  personnes  même  les  plus  distinguées.  Le 
jour  de  la  cérémonie  arrivé,  !c  peup'e  com- 
mence dès  le  matin,  à  pousser  des  cris  hor- 
ribles; les  habitants  courent  de  tous  côtés 
comme  des  furieux,  jetant  devant  eux  des 
pierres  et  tout  ce  qu'ils  trouvent  sous  leurs 
mains  ;  les  femmes  furètent  dans  tous  les 
coins  de  la  maison,  et  récurent  toute  ht  vais- 
selle, de  peur  que  le  diable  ne  se  soit  fourré 
dans  une  marmite  ou  dans  quehiue  autre 
ustensile.  La  cérémonie  se  termine  quand  on 
a  bien  cherché  et  qu'on  s'est  bien  fatigué; 
alors  on  est  persuadé  que  le  diable  est  loin. 

Les  habitants  des  îles  Philippines  se  van- 
tent d'avoir  des  entreliens  avec  le  diable.  Us 
racontent  que  quelques-uns  d'entre  eux, 
ay  a  nt  hasardé  de  parler  seuls  a  vrclui,  a  valent 
été  tués  par  ce  génie  malfaisant  :  aussi  se 
rassemblent-ils  en  grand  nombre  lorsqu'ils 
veulent  conféreravec  le  diable. 

Les  insulaires  des  Maldives  mettent  tout 
en  usage  lorsqu'ils  sont  malades  pour  se 
rendre  le  diable  favorable.  Us  lui  sacrifient 
des  coqs  et  des  poules. 

Le  diable  nous  est  singulièrement  dépeint 
par  le  pape  saint  Grégoire,  dans  sa  Vie  de 
saint  Benoît.  Un  jour  que  le  saint  allait  dire 
ses  prières  à  l'oratoire  de  Saint-Jean,  sur  le 
mont  Cassin,  il  rencontra  le  diable  sous  la 
forme  d'un  vélcrindire,  avec  une  fio'c  d'une 


main  et  un  licou  do  l'autre.  Le  texte  disait  : 
inmiilotnedici specie  ;  pav  l'introduction  d'une 
virgule  qui  décompose  le  mot  :  in  rnulo,  me- 
dicispecie,  un  copiste!  fit  du  diable  ainsi  dé- 
guisé un  docteur  monté  sur  sa  mule,  comme 
cheminaient  les  docteurs  en  médecine  avant 
l'invention  des  carrosses:  et  un  tableau  di* 
cet  épisode  ayant  été  exécuté  d'après  ce  texte 
corrompu,  Satan  a  été  souvent  représenté 
avec  la  robe  doctorale  et  les  instruments  de 
la  profession  en  croupe  sur  sa  monture. 

Une  autre  fois,  on  dénonça  à  saint  Benoît 
la  conduite  légère  d'un  jeune  frère,  apparte- 
nant à  l'un  des  douze  monastères  affiliés  à  la 
règle  du  réformateur.  Ce  moine  ne  voulait  ou 
ne  pouvait  prieravec  assiiluité;  à  peine  s'é- 
tait-il mis  à  genoux,  qu'il  se  levait  et  allait 
se  promener.  Saint  Benoît  ordonna  qu'on  le 
lui  amenât  au  mont  Cassin;  et  là,  lorsque  le 
moine,  selon  son  habitude,  interrompit  ses 
devoirs  et  sortit  de  la  chapelle,  le  saint  vit  un 
petit  diable  noir  qui  le  tirait  de  toutes  ses 
forces  par  le  pan  de  sa  robe. 

Parmi  les  innombrables  éfiisodes  de  l'his- 
toire du  diable  dans  les  Vies  des  Saints,  quel- 
ques-uns sont  plus  comiques,  quelques  au- 
tres plus  pittoresques.  Saint  Antoine  vit  Sa- 
tan dresser  sa  tête  de  géant  au-dessus  des 
nuages,  et  étendre  ses  larges  mains  pour  in- 
tercepter les  âmes  des  morts  qui  prenaient 
leur  vol  VOIS  le  ciel.  Parfois  le  diable  est  un 
véritable  singe,  et  sa  malice  ne  s'exerce  qu'en 
espiègleries.  C'est  ainsi  que,  pendant  des  an- 
nées, il  se  tint  aux  aguets  pour  troubler  la 
piété  de  sainte  Gudule.  Toutes  ses  ruses 
avaient  été  vaines,  lorsqo'enfin  il  se  résolut 
à  un  dernier  effort.  C'était  la  coutume  de 
cette  noble  et  chaste  vierge  de  se  leyer  au 
chant  du  coq  et  d'aller  prier  à  l'église,  pré- 
cédée de  sa  servante  portant  une  lanterne. 
Que  fit  le  père  de  toute  malice?  il  éteignit  la 
lanterne  en  soufi1:int  dessus.  La  sainte  eut 
recours  à  Dieu,  et,  à  sa  prière,  la  mèche  se 
ralluma,  miracle  de  la  foi  qui  suffit  pour  ren- 
voyer le  malin  honteux  et  confus. 

U  n'est  pas  sans  exemple  que  le  diable  se 
laisse  tromper  par  les  plus  simples  artifices, 
et  une  équivoque  suffit  souvent  pour  le  ren- 
dre dupe  dans  ses  marchés  avec  les  sorciers  : 
comme  lorsque  Nostradamus  obtint  son  se- 
cours à  condition  qu'il  lui  appartiendrait  tout 
entier  après  sa  mort,  soit  qu'il  lût  enterré 
dans  une  église,  soit  qu'il  fût  enterré  dehors. 
Mais  Nostradamus  ayant  ordonné  par  testa- 
ment que  son  cercueil  fût  déposé  dans  la  mu- 
raille de  la  sacristie,  son  corps  y  repose  en- 
core, et  il  n'est  ni  dans  l'église,  ni  dehors. 

Le  vieil  Heywood  a  rédigé  en  vers  une  no- 
menclaturecurieuse  de  tous  les  petits  démons 
de  la  superstition  populaire  :  il  y  comprend 
les  farfadets,  les  follets,  les  alfs  ou  elfs,  les 
Robin  Goodfellows,  et  ces  lutins  que  Shak- 
speare  a  donnés  pour  sujets  à  Oberon  et  à 
Titania.  On  a  prouvé  que  le  roi  ou  la  reine 
de  féerie  n'est  autre  que  Satan  lui-même, 
n'importe  son  déguisement.  C'était  donc  un 
démon  que  ce  Puck  qui  eut  longtemps  son 
domicile  chez   les  dominicains  de  Scliwcriu 


dans  le  Meckicmbourg. 


Malgré  les  tours 


475 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


i76 


qu'il  jouait  aux  étranf^ers  qui  venaient  visi- 
lor  le  monastère.  Pue  k,  soumis  aux  moines, 
élait  pour  eux  un  bon  serviteur.  Sous  la 
forme  d'un  singe,  il  tournait  la  broche,  tirait 
le  vin,  balayait  la  cuisine.  Cependant,  mal- 
gré tous  ces  service»,  le  religieux  à  qui  nous 
(levons  la  Yeridica  relatio  de  dœmonio  Puck 
ne  reconnaît  en  lui  qu'un  esprit  malin.  Le 
l'iick  de  Si-liwerin  recevait  [lour  ses  gages 
deux  pois  d'ét;iin  et  une  veste  bariolée  de 
grelots  en  guise  de  boutons. 

Le  moine  Rush  de  la  légende  fruéiloise,  et 
Bronzel  ,  de  l'abbnye  de  Montmiijor,  près 
d'Arles,  sont  encore  Puck  sous  d'aulres  no«n«. 
On  le  reirouvc  en  Angleterre  sous  la  forme 
de  Robin  GoodfcUow  ou  de  Robin  Hood  (Ro- 
bin des  bois),  le  fameux  banilil  de  la  forél  de 
Sherwood  ayant  reçu  ce  surnom  à  cause  de 
sa  ressemblance  avec  ce  diable  populaire. 
Enfin  Robin  Hood  est  aussi  le  Red  Cap  d'E- 
cosse, et  le  diable  saxon  Hudcken,  ainsi  ap- 
pelé de  l'boodiwen  ,  ou  petit  chaperon  rouge 
qu'il  porte  en  Suède  lorsqu'il  y  apparaît  sous 
la  foruM;  du  Nisse  ou  Kissegodrcng.  —  Puck, 
en  Suède,  se  nomme  Nissegodrcng  (ou  Nisse 
le  bon  enfantl,  et  vit  en  bonne  intelligence 
avec  Tomtegoobe,  ou  le  Vieux  du  Grenier, 
qui  est  un  diable  de  la  même  classe.  On 
trouve  Nissegodreng  et  Tonit(>gobbe  dans 
presque  toutes  les  fermes,  complaisants  et 
dociles  si  ou  les  traite  avec  douceur,  mais 
irascibles  et  capricieux  :  malheur  à  qui  les 
offense  1 

Dans  le  royaume  voisin,  en  Danemark,  les 
Pucks  ont  un  rare  talent  conmie  musiciens. 
Il  existe  une  certaine  danse  appelée  la  gigue 
du  roi  des  Elfs,  bien  connue  des  mcnéiricrs 
de  campagne,  et  qu'aucun  deux  n'oserait 
exécuter.  L'air  seul  produit  le  môme  effet 
que  le  cor  d'Oberon  :  à  peine  la  première 
note  se  fait-elle  entendre,  vieux  et  jeunes 
sont  forcés  de  sauter  en  mesure;  les  tables, 
les  chaises  et  les  tabourets  de  la  maison  com- 
mencent à  se  briser,  et  le  musicien  impru- 
dent ne  peut  rompre  le  charme  qu'en  jouant 
la  même  danse  à  rebours  sans  déplacer  une 
seule  note,  ou  bien  en  laissant  approcher  un 
des  danseurs  involontaires  assez  adroit  pour 
passer  derrière  lui  et  couper  toutes  les  cor- 
des du  violon  par-dessus  son  épaule. 

Les  noms  des  esprits  de  cette  classe  sont 
très-significatifs  :  de  Gob  le  vieillard,  devenu 
un  nom  du  diable,  les  Normands  semblent 
avoir  fait  Gobelin(\).  Voyez  ce  mol.  Voyez 
aussi  Faust,  Drame,  Pactes,  etc. 

On  a  publié  à  Amsterdam  une  Histoire  du 
diable,  2  vol.  in-12,  qui  est  une  espèce  de 
mauvais  roman,  où  les  aventures  du  diable 
sont  plus  que  médiocrement  accommodées  à 
la  fantaisie  de  l'auteur.  M.  Frédéric  Soulié 
a  prodigué,  dans  les  Mémoires  du  Diable, 
beaucoup  de  talent  à  l'aire  un  livre,  qui  au- 
rait pu  être  fort  singulier  et  fort  piquant,  si 
l'auteur  avait  respecté  les  mœurs.  Voy.  Dé- 
mons. 

DIABLE  DE  MER.  —  «  Grand  bruit  parmi 

(1)  Essai  sur  les  U'odllious  populaires,  publié  dans  le 
Qitmleiiy  rcvicw. 

(2)  L'jubé  lie  riiuis}-,  RehliOQ  de  l'ambassade  (.'c  Siam. 


matelots;  on  a  crié  tout  d'un  roiip  :  Voilà  h 
diable,  il  faut  l'avoir.  Aussitôt  tout  s'est  ré- 
veillé, tout  a  pris  les  armes.  On  ne  voyait 
que  piques,  harpons  et  mousquets;  j'ai  couru 
moi-même  pour  voir  le  diable,  et  j'ai  vu  un 
grand  poisson  qui  ressemble  à  une  raie  , 
hors  (ju'il  a  deux  cornes  comme  un  taureau, 
lia  fait  quelques  caracoles,  toujours  accom- 
pagné d'un  poisson  blanc  qui,  de  temps  en 
temps,  va  à  la  petite  guerre,  et  vient  se  re- 
mettre sous  le  diable.  Entre  ses  deux  cornes, 
il  porte  un  petit  poisson  grts,<|u'on  appelle 
le  pilote  du  diable,  parce  qu'il  le  conduit,  et 
le  pique  quand  il  voit  du  poisson  ;  et  alors  le 
diable  part  comme  un  trait.  Je  vous  conte 
tout  ce  que  je  viens  de  voir  (ii).  » 

DIAMANT.  —  La  superstition  lui  attribuait 
des  vertus  merveilleuses  contre  le  poison,  la 
peste,  les  terreurs  pani.^ues,  les  insomnies, 
les  prestiges  et  les  enchantements.  11  calmait 
la  colère  et  cnlreteiiiiit  l'union  entre  les 
époux,  ce  qui  lui  avait  fait  donner  le  nom  de 
pierre  de  réconciliation.  11  avait  en  outre 
cette  propriété  talismanique  de  rendre  in- 
vincible celui  qui  le  portail,  pourvu  que  sous 
la  planète  de  Mars,  la  figure  de  <!e  dieu,  ou 
celle  d'Hercule  surmontant  l'hydre  ,  y  fût 
gravée.  On  a  clé  jusqu'à  prétemlre  que  les 
diamantsen  engendraient  d'aulres  ;el  Ruérus 
parle  sérieusement  d'une  princesse  de  Lu- 
xembourg qui  en  avait  d'héréditaires,  qui  en 
produisaient  d'aulres  en  certains  temps  (3). 
—  Enfin  les  savants  du  seizième  siècle  cro- 
yaient qu'on  pouvait  amollir  le  diamant  avec 
du  sang  de  bouc  (4). 

DIAMBILICHE,  nom  du  diable  dans  l'île 
de  Madagascar.  Il  y  est  plus  révéré  que  les 
dieux  mêmes  :  les  [>rctres  lui  offrent  les  pré- 
mices de  tous  les  sacrifices. 

DIDIER,  imposteur  bordelais  du  sixième 
siècîe,  qui  parut  vers  ce  temps-là  dans  la 
ville  de  Tours.  Il  se  vantail  de  communiquer 
avec  saint  Pierre  et  saint  Paul  ;  il  assurait 
même  qu'il  était  plus  puissant  que  saint 
Martin,  et  se  disait  égal  aux  apôlns.  Ayant 
su  gagner  le  peuple,  on  lui  amenait  de  t.ius 
côtés  des  malades  à  guérir;  et  voici,  par 
exemple,  comment  il  traitait  les  paralytiques. 

Il  ordonnait  qu'on  étendît  le  inaladu  à 
terre,  puis  il  lui  faisait  tirer  les  membres  si 
fort  que  quelquefois  il  en  mourait  ;  s'il  gué- 
rissait, c'était  un  miracle. 

Didier  n'était  pourtant  qu'un  magicien  et 
un  sorcier,  comme  dit  Pierre  Delancre;  car 
si  quelqu'un  disait  du  mal  de  lui  en  secret,  il 
le  lui  reprochait  lorsqu'il  le  voyait;  ce  qu'il 
ne  pouvait  savoir  que  par  le  moyen  du  dé- 
mon qui  lui  allait  révéler  tout  ce  qui  se  pas- 
sait. Pour  mieux  tromper  le  public,  il  avait 
un  capuchon  et  une  robe  de  poil  de  chèvre. 
Hélait  sobre  devant  le  monde;  mais  lors- 
qu'il se  retrouvait  en  son  particulier,  il  man- 
geait tellement  qu'un  homme  n'aurait  pu 
supporter  la  viande  qu'il  avalait.  Enfin  ses 
fourberies  ayant  clé  découvertes,  il  fut  ar- 

(5)  IncréJulilé  el  mccréance  du  sorlilégo,  etc.,  traité .", 
p.  .^7. 
(tj  Erasme,  Discours  sur  rcii.'aiit  Jcsus. 


477 


DIO 


nio 


i-n 


rété  et  cha'sé  de  lîi  Tille  de  Tours  ;  et  on 
n'enlemlil  plus  parler  de  lui. 

DIDRON  ,  savant  archéologue  qui  a  pu- 
blié récemment  une  curieuse  JJisloire  du 
diable. 

Dl  DYME.  —  Voyez  Possédées  de  flanuhk. 

DIÉMaTS.  —  Petites  images  chargées  do 
caractères  que  les  guerriers  de  l'île  de  Java 
portent  comme  des  talisman*,  et  ave  les- 
quelles ils  se  croient  invuliiérahles  :  persua- 
sion qni  ajoute  à  leur  intrépidilé. 

DIGBY,  fou  et  imposteur,  connu  sous  le 
nom  du  Docteur  Sympathique.  11  avait  le  se- 
cret d'une  poudre  sympathique  avec  l.iquelle 
il  guérissait  les  malades  sans  les  voir,  et  don- 
nait la  fièvre  aux  arbres.  C^tle  poudre  com- 
posée de  rognures  d'ongles,  d'urine  ou  de  che- 
veux du  malade, et  placéedansun  arbre, com- 
muniquait, (ii<ail-il,  la  maladie  à  rarbre(l). 

DINDAKTE  (Marie>,  jeune  sorcière  de 
dix-sept  ans,  qui  confessa  avoir  été  souvent 
au  sabbat.  Quand  elle  se  trouvait  seule  et 
que  les  voisines  étaient  déjà  parties  ou  ab- 
sentes, le  diable  lui  donnait  un  onguent  dont 
elle  se  frottait,  et  sur-le-champ  elle  se  trans- 
portiiit  par  les  airs.  Elle  voyageait  ainsi  la 
nuit  du27  septembre  1609  ;  on  l'aperçut  et  on 
la  prit  le  lendemain.  Elle  confessa  aussi 
avoir  mené  des  enfants  au  sabbat,  lesquels 
se  trouvèrent  mar()ués  de  la  marque  du  dia- 
b!e  (2).  Voy.  Sabbat. 

DINDONS.  —  On  a  dit  long-temps  que  les 
dindons  nous  ont  été  apportés  des  Indes  par 
les  pères  jésuites  ;  c'est  pourtant  une  erreur. 
Les  poules  d'Inde  furent  apportées  en  Grèce 
l'an  du  monde  355'J,  comme  le  prouvent  les 
marbres  d'Arundel,  et  elles  se  naturalisèrent 
en  Béotie.  Aristote  a  même  décrit  V Histoire 
physique  et  morale  des  dindons;  les  Grecs  les 
appelaient  mélé.igriJes,  parce  qu'ils  avaient 
été  introduits  dans  leur  pays  par  le  roi  Mé- 
léagre.  Ils  étaient  fréquents  chez  les  Romains  ; 
mais  leur  race,  par  la  suite,  devint  plus  rare 
en  Europe,  et  on  les  monlr;iit  comme  des 
héles  curieuses  au  commencement  du  sei- 
zième siècle.  Les  premiers  qu'on  vit  en  France 
y  furent  apportés  par  JacqucsCa;ur,en  li59. 
Améric  Vespucene  les  fit  connaître  que  cin- 
quante-quatre ans  après.  Ou  en  attribua  en- 
suite l'importation  aux  jésuites,  parce  qu'ils 
en  envoyèrent  beaucoup  en  Europe  (3). 

DINSCOPS  ,  sorcière  et  sibylle  du  pays  de 
Clèves,  dont  parle  Bodin  en  son  quatrième 
livre.  Elle  ensorce'ait  et  maléficiait  tous  ceux 
vers  qui  elle  étendait  la  main.  On  la  brûla; 
et  quand  sa  main  sorcière  et  endiablée  fut 
bien  cuite,  tous  ceux  qu'elle  avait  frappés  de 
quelque  mal  revinrent  en  santé. 

DIOGLÉTIEN.  N'étant  encore  que  dans  les 
grades  inférieurs  de  l'armée  ,  il  réglait  un 
jours  ses  comptes  avec  une  cabaretière  de 
Tongres ,  dans  la  Gaule  Belgique.  Comme 
cette  femme,  qui  était  druidesse  ,  lui  repro- 
chait d'être  avare:  «  Je  serai  plus  généreux, 
lui  dit-il  en  riant ,  quand  je  serai  empereur. 
— Tu  le  seras ,  répliqua  la  druidesse  ,  quand 

(1)  Cliarlalaas  réièbres,  fie  M.  Gouriet,  t.  l,  p  2G3. 
m  DclaïK're,  Tableau  de  l'iiiconsWiice  U;s  diSmons,  etc  , 
liv.  IV.p.  117. 


tu  auras  tué  un  sanglier.  «Dioclélien, étonné, 
sentit  l'anibition  s'éveiller  dans  son  âme  ,  el 
chercha  sérieusement  à  presser  l'accomplis- 
sement de  cette  prédiction  ,  qui  nous  a  été 
conservée  par  Vopiscus.  Il  se  livra  partiru- 
lièrement  à  la  chasse  du  sanglier.  CepenJant 
il  vit  plusieurs  princes  arriver  au  trône  sans 
qu'on  songeât  à  l'y  élever;  el  il  disait  sans 
cesse:  «  Je  tue  bien  les  sangliers;  mais  les 
auttes  en  ont  le  profit.  »  Il  avait  é'é  consul, 
el  il  occupait  des  fonctions  importantes. 
Quand  Numérien  eut  été  tué  par  son  beau- 
père,  Arrius  Aper,  toutes  les  espérances  de 
Diodétien  se  rév<'ilièrent  :  l'armée  le  porta 
au  trône.  Le  premier  usage  qu'il  fit  de  son 
pouvoir  fut  de  tuer  lui-même,  de  sonéiiée.le 
perfide  Aper  ,  dont  le  nom  est  celui  du  san- 
glier, en  s'écriant  qu'il  venait  enfin  de  tuer 
le  sanglier  fatal. — On  sait  que  Dioclétien  fut 
ensuite  un  des  plus  grands  persécuteurs  de 
l'Eglise. 

DIOGRES.  Voy.  Chapelle  du  damné. 

DIODORE  DE  CATANE  ,  sorcier  et  magi- 
cien ,  dont  le  peuple  de  Catane  garda  long- 
temps le  souvenir.  C'était  le  plus  grand  ma- 
gicien de  son  temps  ;  il  fascinait  tellement  le» 
personnes  qu'elles  se  persuadaient  être  chan- 
gées en  bêtes:  il  faisait  voir  en  un  instant  , 
aux  curieux,  ce  qui  se  passait  dans  les  pays 
les  plus  éloignés.  Comme  on  l'eût  arrêté  en 
qualité  de  magicien,  il  voulut  se  faire  passer 
pour  faiseur  de  miracles.  Il  se  fit  donc  trans- 
porter ,  par  1('  diable,  de  Catane  à  Conslanli- 
nople ,  el  de  Constantinople  à  Catane  en  un 
seul  jour,  ce  qui  lui  acquit  tout  d'un  coup, 
parmi  le  peuple,  une  grande  réputation;  mais 
ayant  été  pris  ,  malgré  son  habileté  et  sa 
puissance,  on  le  jeta  en  un  four  ardent  où  il 
fut  brûlé  (4;. 

DION  DE  SYRACUSE.  Etant  une  nuit  cou- 
ché sur  son  lit ,  éveillé  et  pensif,  il  entendit 
un  grand  bruit  et  se  leva  pour  voir  ce  qui 
pouvait  le  produire.  Il  aperçut  au  bout  d'une 
galerie  une  femme  de  haute  taille  ,  hideuse 
comme  les  Furies  ,  qui  balayait  sa  maison. 
11  fit  appeler  aussitôt  ses  amis  et  les  pria  de 
passer  la  nuit  aufirès  de  lui.  Mais  le  spectre 
ne  reparut  plus.  QucKjues  jours  après  le  fils 
de  Dion  se  précipita  d'une  fenêtre  et  se  tua. 
Sa  famille  fut  détruite  en  peu  de  temps ,  et , 
«  par  manière  dédire, ajoute  Leloyer, balayée 
et  exterminée  de  Syracuse,  comme  la  Furie  , 
qui  n'était  qu'un  diable,  avait  semblé  l'en 
avertir  par  le  balai.  » 

DIONYSIO  DAL  BORGO,  astrologue  ilalie» 
qui  professait  la  théologie  à  l'université  de 
Paris  au  treizième  siècle. Villanicon te  (iivreX) 
qu'il  prédit  juste  la  mort  de  Castruccio, tyran 
de  Pistoie. 

DlOPirE,  bateleur,  né  à  Locrcs,  qni,  après 
avoir  parcouru  la  Grèce  ,  se  présenta  sur  le 
théâtre  de  Thèbes  pour  y  faire  des  tours.  Il 
avait  sur  le  corps  deux  peaux  de  bouc,  l'une 
remplie  de  vin, et  l'autrede  lait,  par  le  moyen 
desquelles  il  fuisaitsortirde  ces  deux  liqueurs 

(3)  M.  Salguos,  des  Erreurs  el  des  préjugés,  l.  III,  p.  ?«7. 
(i)  Leloyer,  Histoire  des  spectres  et  apiiarillons des 
cspril);,  liv.  111,  ch.  vui,  p.  516. 


♦7i» 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


im 


si  bien  (ju'on  l'a  mis  au  rang 


par  sa  bourho, 
ile<  sorciers  (1 

DISCOURS.  Discours  des  esprits  follets,  yt»- 
blié  dans  le  Mercure  (jalunt  de  16H0.  —  Dis- 
cours épouvantable  d'une  étrauje  apparition 
de  démons  en  la  maison  d'i(n  gentilhomme  ,  en 
Silésie,  ii(-8",  Lyon,  par  Jean  (îaze.iu,  1600, 
brochure  (le  7  pages. — Discours  sur  la  vanité 
des  songes,  et  sur  l'opinion  de  ceux  qui  croient 
que  ce  sont  des  pressentiment  s. Voy.Si'TfGV.s, etc. 

DISPUTES.  L'abominable  Henri  VllI  avait 
une  telle  passion  pour  l'arguinfiilalion,  qu'il 
ne  dédaigna  pas  d'argninenleravec  un  pauvre 
argumeiilaU'ur  nommé  Lambert.  Une  assem- 
blée extraordinaire  avait  clé  convoquée  à 
Wesminsler  pour  juger  des  coups.  Le  roi , 
voyant  qu'il  avait  affaire  à  forlo  partie, et  ne 
voulant  pas  avoir  le  dernier  ,  donna  <à  Lam- 
bert le  choix  d'être  de  son  avis  ou  d'être 
pendu.  C'est  ainsi  qu'un  dey  d'Alger,  faisant 
un  cent  de  piquet  avec  son  vizir  ,  lui  disait  : 
«  Joue  cœur,  ou  je  l'étrangle.  »  Lambert  ne 
joua  pas  cœur;  il  fut  étranglé. 

DIVES.  Les  Persans  nomment  ainsi  les 
mauvais  génies;  ils  en  admettent  de  mâles  et 
de  femelles  ,  et  disent  qu'avant  la  création 
d'Adam,  Dieu  créa  les  Dites  ou  génies  mâles, 
et  leur  confia  le  gouvernement  du  monde 
pendant  sept  mille  ans;  après  quoi,  les  Péris 
ou  génies  femelles  leur  sucédèrent  ,  et  pri- 
rent possession  de  l'univers  pourdeux  autres 
mille  ans  ,  sous  l'empire  de  Gian-ben-Gian  , 
leur  souverain;  mais  ces  créatures  étant 
tombées  en  disgrâce  pour  leur  désobéissance, 
Dieu  envoya  contre  eux  Éblis  ,  qui  ,  étant 
d'une  plus  noble  nature  ,  et  formé  de  l'élé- 
ment du  feu,  avait  é'é  élevé  parmi  les  anges. 
Éblis,  chargé  des  ordres  divins,  descendit  du 
ciel  ,  et  fit  la  guerre  contre  les  Dives  et  les 
Péris  ,  qui  se  réunirent  pour  se  défendre  ; 
Éblis  les  défit  et  prit  possession  de  ce  globe  , 
lequel  n'était  encore  habité  que  par  des  gé- 
nies. Éblis  ne  fut  pas  plus  sage  que  ses  pré- 
décesseurs ;  Dieu  ,  pour  abattre  son  orgueil  , 
fit  l'homme  ,  et  ordonna  à  tous  les  anges  de 
lui  rendre  hommage.  Sur  le  refus  d'Êblis , 
Dieu  le  dépouilla  de  sa  souveraineté  et  le 
maudit.  Ce  ne  sont  là,  comme  on  voit ,  que 
des  altérations  de  l'Ecriture  sainte. 

DIVINATION.  Nous  trouvons  dans  Cicéron 
{de  Uivinatione,  lib.  I]  ce  que  nous  devons 
penser  de  la  divination  chez  les  anciens. Nous 
reproduisons  ce  court  exposé, en  nousservanl 
de  la  traduciion  de  Uegnier-Dcsmarais. 

«  C'est  une  opinion  aussi  ancienne  que  les 
siècles  les  plus  reculés,  et  qui  n'est  pas 
moins  reçue  du  peuple  romain  que  des  autres 
nations  ,  qu'il  y  a  une  divination  parmi  les 
hommes,  c'est-à-dire  un  pressentiment  et  une 
connaissance  des  choses  futures.  Et  si  cela 
est,  il  faut  avouer  que  la  nature  humaine 
jouit  par  là  d'un  grand  et  noble  avantage  qui 
l'approche  fort  de  la  nature  divine.  C'est 
pourquoi,  lorsijue  du  mol  de  divinité  nous 
avons  formé  celui  de  divination,  nous  avons 
en  cela  bien  mieux  rencontré  que  les  Grecs, 
qui  n'ont  exprimé  la  même  prérogative  que 
))ar  un  mot  qui,  selon  Platon,  dérive  de  celui 

(I)  Leloyer,  Hist.  Ues  spectres,  etc.,  liv.  l,  [>.  C3. 


de  fureur.  Ce  qui  est  indubitable  ,  c'est  qu'il 
n'y  a  aucune  nation  dans  le  monde  ,  ni  si 
polie  et  si  savante  ,  ni  si  barbare  et'  si  peu 
cultivée,  qui  ne  croie  qu'il  y  a  des  signes  de 
l'avenir,  et  des  gens  qui  le  connaisscn'  et  qui 
le  prédisent. 

«  Pour  remonter  jusqu'à  la  source  de  cette 
opinion,  comme  les  Assyriens  qui  habitent  de 
vastes  plaines,  d'où  ils  découvrent  le  ciel  de 
toutes  parts  ,  ont  les  premiers  observé  le 
cours  des  astres, ils  ont  été  aussi  les  premiers 
<|ni  ont  appris  à  la  postérité  les  effets  qu'ils 
ont  cru  leur  devoir  attribuer.  Et  les  (ihal- 
déens  ,  ainsi  nommés  ,  non  à  cause  de  leur 
profi'ssion  ,  mais  à  cause  de  la  Chaldéc,  pro- 
vince de  l'Assyrie,  passent  pour  avoir  élé  lis 
premiers  de  tous  les  Assyriens  qui  ,  en  ob- 
servant continuellement  le  cours  des  astres  , 
aient  fait  de  leurs  observations  une  science 
par  laquelle  ils  prétendent  pouvoir  prédire  à 
chacun  ce  qui  lui  doit  arriver,  et  quelle  des- 
tinée lui  est  préparée  dès  sa  naissance. 

«  On  tient  que  les  Egyptiens  ont  eu  la  mé' 
me  science,  et  qu'ils  l'onl  acquise  par  uni; 
longuesuile  de  siècles  presque  innombrables. 
Les  provinces  de  Cilicie,  de  Pisidic  et  do 
Pam|)hylie,  oiî  j'ai  commandé  comme  pro- 
consul, prétendent  que  par  le  vol  et  par  le 
chant  des  oiseaux,  ou  a  des  signes  indubita- 
bles de  l'avenir. 

«  D'ailleursquelle  colonie  la  Grèce  a-t-elle 
jamais  envoyée  en  Eolie,  en  lonie,  en  Asie, 
en  Sicile,  ou  en  Italie,  sans  s'être  adressée 
auparavant  ou  à  l'oracle  d'Apollon  Pjthien, 
ou  à  celui  de  Dodone,  ou  à  celui  de  Jupiter- 
Ammon?  et  quelle  guerre  a-l-clle  jamr.is 
entreprise,  sans  avoir  consulté  les  dieux  ? 
On  ne  s'en  est  pas  même  tenu  à  un  seul 
genre  de  divination  :  et  jiour  ne  rien  dire  des^ 
autres  peuples,  combien  le  nôtre  n'eu  a-l-ii 
point  mis  en  usage  ? 

«  Premièrement,  c'est  une  tradition  con- 
stante parmi  nous,  que  Romulus,  le  père  et 
le  fondateur  de  Rome,  non-seulement  ne  la 
fonda  qu'après  avoir  pris  les  auspices  ; 
mais  qu'il  était  un  Irès-cxeellcnt  augure  lui- 
même.  Les  autres  rois  après  lui  se  servirent 
d'augures;  et  quand  les  rois  eurent  été  chas- 
sés, on  ne  fit  rien  à  Rome,  dans  la  suite,  par 
autorité  publique,  ni  en  paix  ni  en  guerre, 
sans  l'inlerveiition  des  auspices.  Et  comme 
on  crul  que  l'arl  des  aruspiccs  pourrait 
être  d'une  grande  utilité,  tant  pour  faire 
réussir  les  choses  sur  lesquelles  on  aurait  à 
consulter  les  dieux,  que  pour  interpréter  les 
prodiges,  et  pour  en  délourner  l'effet,  tout  ce 
(|ue  lesElruriens  enseignaient  là-dessus,  fut 
aussi  mis  en  pratique,  afin  qu'il  n'y  eût  au- 
cune sorte  de  divination  qui  parût  avoir  été 
négligée. 

«  De  plus,  parce  que  l'esprit  peut  de  lui- 
même,  par  un  mouvement  libre,  et  sans  luo 
la  raison  ni  la  science  y  aient  part,  être  agi- 
té de  deux  manières,  ou  en  songe,  ou  par 
une  espèce  de  fureur  divine  ;  la  pensée  qu'on 
eut  que  les  vers  de  la  Sibylle  étaient  remplis 
de  celle  sorte  de  divination,  porta  le  sénat  à 
choisir  dans  toute  la  ville  dix  personnes, 
pour  eu  être  les  interprètes;  et  souvent  il  a 


I8t 


DIV 


DOJ 


4S'i 


eu  égard  à  d'aulres  prédictions  faites  par  des 
devins  en  fureur,  lelles  que  furent  celles  de 
Cornélius  Cullcolus,  qu'on  crut  devoir  écou- 
ter dans  le  temps  de  la  guerre  Octavienne. 
ii  n'a  pas  même  négligéles  songes,  lorsqu'ils 
lui  ont  paru  avoir  quelque  relation  au  bien 
de  la  république;  et  de  notre  temps,  sur  le 
rapport  d'un  songe  qu'avait  fait  une  certaine 
Cécilie,  fille  d'un  homme  des  îles  Baléares  (1), 
les  consuls  Lucius  Julius,  et  Publius  llu- 
lilius  furent  charriés  de  refaire  le  teinpie 
de  J'inoii  consei'vatrice.  Mais  selon  mon 
sentiment  les  anciens  dans  tout  ce  qu'ils  ont 
fait  en  cela,  se  sont  plutôt  fondés  sur  l'évé- 
nement des  choses  que  sur  aucune  raison 
véritable. 

«  Quant  aux  philosophes,  on  a  recueilli 
d'eus  divers  arguments  par  lesquels  ils  ont  es- 
sayé de  prou  ver  qu'il  y  avait  effectivement  une 
divination.  Mais  Xcnophane  deColophon,  un 
des  plus  anciens  d'entre  eux  niaitabsolument 
q  u'il  pu  I  y  en  a  voir  aucune,  quoiqu'il  nelaissâl 
pas  d'admettre  des  dieux.  Tous  les  autres, 
hormis  Epicure,  qui  n'a  fait  que  bégayer  en 
parlant  de  la  nature  des  dieux,  ont  iidniis 
une  divination;  les  uns  d'une  façon,  les  au- 
tres d'uneautre.  Car  Socrate  et  ses  sectateurs, 
Zenon,  el  tous  ceux  de  son  école,  avec  l'an- 
cienne académie,  et  les  peripatéliciens,  ont 
été  là-dessus  de  l'opinion  des  anciens  philo- 
sophes, à  laquelle  Pylhagore,  qui  prétendait 
même  passer  pour  augure ,  avait  donné 
avant  cela  une  grande  autorilé.  Démocrilc 
s'est  aussi  déclaré  en  plusieurs  endroits  pour 
le  pressentiment  des  choses  futures  :  mais 
Dicéarque  péripatéticien,  n'a  reconnu  que 
deux  sortes  de  divination;  l'une  parles  son- 
ges, l'autre  par  la  fureur  de  l'esprit  :  après 
lui  Cralippe,  avec  qui  j'ai  eu  une  liaison 
Irès-familièrc,  et  que  je  liens  égal  aux  pé- 
ripaléticiens  les  plus  fameux,  a  rejeté  aussi 
tonte  autre  divination  que  les  deux  que 
Dicéîirque  admettait. 

«  Comme  toutefois  les  sto'jeicns  I(  s  reçoi- 
vent presque  toutes,  parce  que  Zenon  a 
jeté  dans  ses  écrits  je  ne  sais  quelles  semen- 
ces de  celte  doctrine,  que  Cléanthe  dans  la 
suite  a  plus  étendue  ,  Cralippe,  homme  d'un 
esprit  ardent  el  vif,  est  venu  depuis  qui  a 
traité  en  deux  livres  loute  cette  matière,  ou- 
tre un  livre  qu'il  a  composé  des  oracles  el 
on  autre  des  songes.  Diogène  le  Babylonien, 
son  disciple,  a  fait  aussi  un  livre  de  la  divi- 
nation :  Aniipater  ensuite  en  a  fait  deux;  et 
notre  ami  Possidonius  en  a  fait  cin(i. 

«  M. lis  Pana3lius  maître  de  Possidonius.  et 
disciple  d'Antipater,  a  élé  là-d  ssus  d'un 
sentiment  bien  différent  du  leur,  el  de  celui 
lie  tous  les  stoïciens;  quoique  pourtant  il 
n'ait  pas  osé  nier  positivement  qu'il  y  eût 
une  divination,  el  qu'il  so  soit  contenté  de 
dire  qu'il  en  doutait.  Or  ce  qu'un  stoïcien 
comme  lui. s'est  permis  en  cela,  au  grand 
regret  des  stoïciens,  les  stoïciens  ne  le  pcr- 
metli ont-ils  pas  à  un  académicien;  surtout 
puis()u'iis  sont  IfS  seuls  à  qui  il  paraisse  ijue 
la  même  chose  que  Pariîelius  met  en  dnuie, 
ioit  plus  claire  que  le  jour?  Quoi  qu'il  en 

(1)  Aujourd'liiU  .Mojnriiuo  cl  Miiiur<iiie, 


soit,  c'est  toujours  un  grand  avantage  pour 
l'académie,  d'avoir  pour  elle  le  jugement  et 
le  témoignage  d'un  si  excellent   philosophe. 

«  Cependant  puisque  nous  cherchons  quel- 
le opinion  nous  devons  avoir  de  la  divina- 
tion ;  que  c'est  un  sujet  sur  lequel  Garnéade 
a  écrit  avec  beaucoup  de  force  el  de  péné- 
tration contre  les  stoïciens;  et  qu'il  ne  faut 
acquiescer  imprudemment,  ni  à  quelque 
chose  de  faux,  ni  à  ce  qu'on  ne  connaît  pas 
assez;  je  crois  que  nous  ne  pouvons  mieux 
faire  (jue  d'examiner,  avec  soin,  les  raisons 
qu'on  allègue  de  part  et  d'autre,  pour  ou 
contre  la  divination  ;  car  si  l'iraprudence  et 
l'erreur  sont  honteuses  en  toutes  sortes  de 
jugements;  elles  le  sont  encore  principa- 
lement, quand  il  s'agit  déjuger  jusqu'à  quel 
point  on  doit  déférer  aux  auspices,  et  à  tout 
ce(iui  regarde  la  religion,  de  peur  de  tomber 
ou  dans  l'impiété,  en  n'en  faisant  pas  assez 
d'état,  ou  dans  la  superstition,  en  se  laissant 
alliT  à  une  mauvaise  crédulité.  » 

DIVINATIONS.  —  il  y  en  a  de  plus  de  cent 
sortes.  Voy.  Alectryomancie  ,  Alphitoman- 

CIE,  ASTRAGALOMANCIE,  ASTUOLOGIE  ,  BoTA- 
NOMANCIE,    CaUTDMANCIE,    CaTOPTROMANCIE  , 

Chiromancie  ,  Cristallomancir,  Cranologik, 
Daphnomancie,  Gastromancie,  Hïdhoman- 
ciiî,  Lampauomancie,  Métop.iscopie,  Mimi- 
que ,  Nécromancie,  Onomancie,  Ornitho- 
mancie, Physiognomonie,  Pyromancie,  IIab- 
DDMANciE,  TnÉoMANCiE,  dc,  etc.,  elc. 

DOGDO,  ou  DODO,  el  encore  DODU.— 
Voy.  Zoroastbb. 

DOIGT.  —  Dans  le  royaume  de  Macassar  , 
si  un  malade  est  à  l'agonie,  le  prêtre  idolâ- 
tre lui  prend  la  main  el  lui  frotte  doucement 
le  doigt  du  milieu,  i/fin  de  favoriser  par  cette 
friction  un  chemin  à  l'âme,  qui  sort  toujours, 
selon  eux,  par  le  bout  du  doigt. 

Les  Turcs  mangent  habituellement  le  riz 
avec  les  doigts;  ils  n'emploient  pour  cela  que 
le  pouce,  l'index  et  le  médius  ;  ils  sunl  per- 
suadés que  le  diable  mange  avec  les  deux 
autres  doigts. 

Dans  certaines  contrées  de  la  Grèce  mo- 
derne, on  se  croit  ensorcelé,  quand  on  voit 
quelqu'un  étendre  la  main  en  présentant  les 
cinq  doigts. 

DOIGT  ANNULAIRE.  —  C'est  une  opinion 
reçue  que  le  quatrième  doigt  de  la  main 
gauche  a  une  vertu  cordiale  ,  que  celte 
vertu  vienl  d'un  vaisseau,  d'une  artère  ou 
d'une  veine  qui  lui  est  communiquée  par  le 
cœur,  et,  par  cette  raison,  qu'il  mérite  prc- 
férablement  aux  autres  doigts  de  porter  l'an- 
neau, Levinus  Lemnius  assure  que  ce  vais- 
seau singulier  est  une  artère,  el  non  pas  une 
veine,  ainsi  que  le  prétemlenl  les  anciens.  Il 
ajoute  (pie  les  anneaux  (jui  sont  portés  à  ce 
doigt  influent  sur  le  cœur.  Dans  les  éva- 
nouissements il  avait  coulume  de  frotter  ce 
doigt,  pour  tout  médicament.  Il  dit  encore 
que  la  goutte  l'attaque  rarement,  mais  tou- 
jours plus  lard  que  les  autres  doigts,  et  que 
la  fin  est  bien  proche  quand  il  vient  à  se 
nouer. 

DOJARTZABAL,  jeune  sorcière  de  quinze 
à  seize  ans  qui  confessa  ,  vers  ICOi) ,  avoir 


483 


DlCTIONNAinE  DES  SCIENCES  OCCtîLTES. 


484 


Clé  menée  au  sal)bat  par  une  antre  sorciôrc, 
laquelle  était  détenue  en  prison  (1)  ;  ce  que 
celle-ci  niait,  disant  qu'claiit  altachce  à  de 
grosses  chaînes  de  fer  et  surveillée  ,  elle  ne 
(xiuvail  être  sortie  de  son  cachot  ;  et  que,  si 
rlle  en  était  sortie,  elle  n'y  serait  pas  rentrée. 
La  jeune  personne  expliqua  toutefois  que, 
comme  elle  était  couciiée  près  de  sa  mère, 
celle  sorcière  l'était  venue  chercher  sous  la 
forme  d'un  chat....,  pour  la  transporter  au 
sablial,  et  que,  malgré  leurs  fors,  les  sorciè- 
res peuvent  aller  à  ces  assemblées,  bien  que 
le  diable  n'ait  pas  moyon  de  les  délivrer  dos 
mains  de  Ja  justice.  Elle  assura  encore  que 
le  diable  ,  qui  la  faisait  enlever  ainsi  d'au- 
près de  sa  u)ère,  mettait  en  sa  place  une 
figure  qui  lui  ressemblait.  Celle  prétendue 
sorcière,  qui  n'exerçaitprobablement  qu'une 
petite  vengeance,  si  elle  n'élait  pas  en  proie 
à  quelque  Illusion,  ne  fut  pas  châtiée. 

liOAIFRONT  (Guérinde),  fils  de  Guil- 
laume de  Bellême,  seigneur  di;  Domfiout  ; 
ayant  tratlrcusemenl  fail  couper  la  léte  à 
son  ennemi  endormi  chez  lui,  il  fut,  dit-on, 
étouffé  par  le  diable  (2). 

DO.\llNGII?fA-MALETANA,  sorcière  qui, 
dans  une  joute  qu'elle  Dt  avec  une  autre 
sorcière,  sauta  sans  se  blesser  ,  du  haut  de 
la  montagne  de  la  Rhunc,  qui  borne  les  trois 
royaumes  de  France  ,  d'Espagne  et  de  Na- 
varre, et  gagna  le  prix  (3). 

DOMITIEN.  —  Un  jour  qu'il  donnai!  ua 
festin  aux  sénateurs  de  Rome,  à  l'occasion 
de  son  triomphe  sur  les  Daces,  Douiilien, 
qui  avait  de  singuliers  caprices,  les  fil  entrer 
dans  une  salle  qu'il  avait  fail  tendre  en  noir, 
et  qui  élaitéclairéc  par  des  lampes  sépulcrales. 
Chaque  convive  se  trouva  placé  vis-à-vis  d'un 
cercueil ,  sur  lequel  il  vil  son  nom  écrit.... 
Une  troupe  d'enfants  barbouiliés  de  noir  re- 
présentaient une  danse  des  ombres  inferna- 
les. La  danse  finie,  ils  se  dispersèrent,  cha- 
cun auprès  du  convive  qu'il  devait  servir. 
Les  mets  furent  1rs  mêmes  que  ceux  que 
l'on  offrait  aux  morts  dans  les  cérémonies 
funèbres.  Un  morne  silence  régnait  dans 
celle  assemblée.  Domitien  pariait  seul  ;  il  ne 
racontait  que  des  histoires  Siinglantes  et 
n'entretenait  les  sénateurs  que  de  mort.  Les 
convives  sortirent  enfin  de  la  salle  du  festin, 
et  furent  accompagnés  ,  chacun  à  leur  mai- 
son par  des  honnnes  vêtus  de  noir,  armés  et 
silencieux.  —  A  peine  respiraient-ils ,  que 
l'empereur  les  fit  redemander  ;  mais  c'était 
pour  leur  donner  la  vaisselle  qu'on  avait 
servie  devant  eux  ,  et  à  chacun  celui  de  ces 
petits  esclaves  qui  les  avaient  servis.  C'était 
Lieu  là  un  plaisir  de  tyran. 

DOPPET  (  François-Amédée  ),  —  membre 
du  conseil  des  Cinq-Cents,  auteur  d'un  Trailé 
théorique  et  pratique  du  magnétisme  animal  ; 
Turin  ,  1784,  un  voL  in-S"  ;  d'une  Oraison 
funèbre  de  Mesmer ,  avec  son  testament  ;  Ge- 
nève, 178o,  in-8°  ;  d'une  Médecine  occulte  ou 
Traité  de  la  magie  naturelle  et  médicinale , 
1786,  in-V°. 

(1)  Delancre,TableauderincoosUnce  des  démons,  etc., 
liv.  Il,  p.  101. 
Cij  Mémuirts  de  Tliébsiul  de  Cbampassais  sur  la  ville  de 


DOREE  f  CATHERiTtE  ) ,  sorcière  du  dix- 
septième  siècle,  qui  fut  brûlée  vive  pour 
avoir  tué  son  entant  par  ordre  du  diable; 
elle  jet/lit  des  poudres  et  guérissait  les  en- 
sorcelés en  leur  mettant  un  pigeon  sur  l'es- 
lomac. 

B.irbe  Dorée,  autre  sorcière,  était  parente 
de  Catherine. 

DORMANTS.  —  L'histoire  des  sept  Dor- 
mants est  encore  plus  faniense  chez  les  Ara- 
bes que  chez  les  chrétiens.  Mahomet  l'a  in- 
sérée dans  son  Koran,  et  les  Turcs  l'ont  em- 
bellie. 

Sous  l'empire  de  Décius,  l'an  de  notre  ère 
250  ,  il  y  eut  une  grande  persécution  contre 
les  chrétiens.  Sept  jeunes  gens,  attachés  au 
service  de  remi)ereur  ,  ne  voulant  pas  désa- 
vouer leur  croyance  et  craignant  les  suppli- 
ces ,  se  réfugièrent  dans  une  caverne  située 
à  quelque  dislance  d'Ephèse.  Par  une  grâce 
p;irliculière ,  ils  y  dormirent  d'un  sommeil 
profond  pendant  deux  cents  ans.  Les  Maho- 
métans  assurent  que,  durant  ce  sommeil,  ils 
eurent  des  révélations  surprenantes,  et  qu'ils 
apprirent  en  songe  tout  ce  que  pourraient 
savoir  des  hommes  qui  auraient  employé  un 
pareil  esp-ice  de  temps  à  étudier  assidûment. 

Leur  chien,  ou  du  moins  celui  d'un  d'en- 
tre eux,  les  avait  suivis  dans  leur  retraite  ; 
il  mit  à  profit,  aussi  bien  qu'eux,  le  temps 
de  son  sommeil.  Il  devint  le  chien  le  plus 
instruit  du  monde. 

Sous  le  règne  de  Théodose  le  Jeune,  l'an 
de  Noire-Seigneur  450,  les  sept  Dormants  se 
réveillèrent  et  entrèrent  dans  la  ville  d'E- 
phèse, croyant  n'avoir  fait  qu'un  bon  somme  ; 
mais  ils  trouvèrent  tout  bien  changé.  H  y 
avait  longtemps  que  les  persécutions  contre 
le  christianisme  étaient  finies  ;  des  empe- 
reurs chrétiens  occupaient  les  deux  (rôncs 
impériaux  d'Orlenl  et  d'Occident.  Les  ques- 
tions des  frères  et  l'étonnement  qu'ils  témoi- 
gnèrent aux  réponses  qu'on  leur  fil  surpri- 
rent tout  le  monde.  Ils  cnnlèrent  naïve«iient 
leur  histoire.  Le  peo|ile,  frappé  d'admiration, 
les  conduisit  à  l'évoque,  celui-ci  au  pa- 
triarche et  le  patriarche  à  l'empereur.  Ses 
sept  Dormants  révélèrent  les  choses  du 
monde  tes  plus  singulières,  et  en  prédirent 
qui  ne  l'étaient  pas  moins.  Ils  annoncèrent 
cnire  autres,  l'avènement  de  Mahomet,  l'c- 
.  tablissement  et  les  succès  de  sa  religion, 
comme  devant  avoir  lieu  deux  cents  ans 
après  leur  réveil. 

Quand  ils  eurent  satisfait  la  curiosité  de 
l'empereur,  ils  se  retirèrent  de  nouveau 
dans  leur  caverne  et  y  moururent  tout  de 
bon  :  on  montre  encore  celle  grotte  auprès 
d'Ephèse. 

Quant  à  leur  chien  Kratim  ou  Kalmir,  il 
acheva  sa  carrière  et  vécut  autant  qu'un 
chien  peut  vivre  ,  en  ne  comptant  pour  rien 
les  deux  cents  ans  qu'il  avait  dormi  en  corn- 
pagnie  de  ses  maîtres.  C'était  un  animal  dont 
les  connaissances  surpassaient  celles  de  tous 
les  philosophes  ,  les  savants  et  les  beaux- 

Doml'roiit. 

(3)  Deiancre,  Tableau  de  l'iiiconslance  des  démons,  cit., 
liv.  III,  p.  :210. 


483 


DRA 


DRA 


iK6 


I 


esprits  de  son  siècle  ;  aussi  s'empressait-on 
(le  le  fêler  et  de  le  régaler  ;  et  les  niusul- 
iiiiins  le  placent  dans  le  paradis  de  Mahomet, 
I  ntre  l'âne  de  Balaam  et  celui  qui  portait 
Notre-Seigneur  le  jour  des  Hameaux. 

Cette  liisloriette  a  tout  l'air  d'une  contre- 
partie de  la  fable  d'Epimcnides  de  Crète,  qui, 
s  étant  endormi  sur  le  midi  dans  une  caverue 
en  cherchant  une  de  ses  brebis  égarée,  ne  se 
réveilla  que  quatre-vingt-sept  ans  après  ,  et 
se  remit  à  chercher  ses  brebis  comme  s'il 
n'eût  dormi  qu'on  peu  de  temps. 

Uelrio  parle  d'un  paysan  qui  dormit  un 
automne  et  un  hiver  sans  se  réveiller  (1). 

DODRDANS.  —  Voy.  Revenants. 

DOURLET  (Simone).  —  Voy.  Possédées  de 
Flandre. 

DOUZE,  —  c'est  un  nombre  heureux.  Les 
apôtres  étaient  douze,  dit  Césaire  d'Hester- 
bach  ,  parce  que  le  nombre  douze  est  com- 
posé de  quatre  fois  trois,  ou  de  trois  fois 
quatre.  Ils  ont  été  élus  douze,  ajoulc-l-il, 
pour  annoncer  aux  quatre  coins  du  monde 
la  foi  de  la  sainte  Trinité.  Les  douze  apôlres, 
dit-il  encore  ,  sont  les  douze  signes  du  Zo- 
diaque, les  douze  mois  de  l'année,  les  douze 
heures  du  jour,  les  douze  étoiles  de  la  cou- 
ronne de  l'épouse.  L<'S  douze  apôtres  sont  en- 
core les  douze  Ois  de  Jacob,  les  douze  fon- 
taines du  désert ,  les  douze  pierres  du  Jour- 
dain, les  douze  bœufs  de  la  mer  d'airain,  les 
douze  fondements  de  la  Jérusalem  céleste. 

DUAC.  —  Voy.  Oghe*!. 

DRACOMTES  ou  DUACONTIA.  —  Pierre 
fabuleuse  que  Pline  et  qitelqui'S  naturalistes 
anciens  ont  placée  dans  la  léte  du  dragon  ; 
pour  se  la  procurer,  il  fallait  l'endormir 
avant  de  lui  couper  la  tête. 

DRAGON.  —  Les  dragons  ont  fait  beau- 
coup de  bruil  ;  et  ,  parce  que  nous  n'en  voyons 
plus,  les  sceptiques  les  ont  niés:mais  Cuvier 
et  les  géologues  modernes  ont  reconnu  que 
les  dragons  avaient  existé.  C'est  seulement 
une  race  perdue.  C'étaient  des  sortes  de  ser- 
pents ailés.  Pbilostrate  dit  que,  pour  deve- 
nir sorciers  et  devins  ,  les  Arabes  man- 
geaient le  cœur  ou  le  foie  d'un  dragon  vo- 
lant. 

On  montre  ,  auprès  de  Beyrouth  ,  le  lieu 
où  saint  Georges  tua  un  monstrueux  dragon; 
il  y  avait  sur  ces  lieux  ,  consacrés  par  le 
courage  de  saint  Georges  ,  une  église  qui  ne 
subsiste  plus  (2). 

Il  est  fait  mention  de  plusieurs  dragons 
dans  les  légcndts  ;  il  est  possible  que  quel- 
ques-unes soieni  des  allégories  ,  et  que ,  par 
le  dragon  ,  il  faille  entendre  le  démon  ,  que 
les  saints  ont  vaincu.  Le  diable  ,  en  effet , 
porte  souvent  le  nom  d'ancien  dragon,  et 
quelquefois  il  a  pris  la  forme  de  cet  animal 
merveilleux  :  c'est  ainsi  qu'il  se  montra  à 
sainte  Marguerite. 

On  dit  que  le  dragon  ,  dont  parle  Possido- 
nius,  couvrait  un  arpent  de  terre  ,  et  qu'il 
avnlait ,  comme  une  pilule,  un  cavalier  tout 
armé;  mais  ce  n'était   encore  qu'un  petit 

^1)  Daus  les  Di>qtiisition3  magiques. 
^ti  Voyage  de  Moncoiiis,  de  Tliévenol  pl  du  P.  Goujon. 
3)  Voyage  dans  le  Fiuislère,  l.  III,  p.  112 


il! 


dragon  en  comparaison  de  celui  qu'on  dé- 
couvrit dans  rinde,  et  qui,  suivant  Ma\in>e 
de  Tyr,  occupait  cinq  arpents  de  terrain. 

Les  Chinois  rendent  une  espèce  de  culte 
aux  dragons.  On  en  voit  sur  leur*  vêle- 
ments ,  dans  leurs  livres  ,  dans  leurs  ta- 
bleaux. Ils  le  regardent  comme  le  principe 
de  leur  bonheur  ;  ils  s'imaginent  qu'il  dis- 
pose des  saisons  et  fait  à  son  gré  tomber  la 
pluie  et  gronder  le  tonnerre.  Ils  sont  persua- 
dés que  tous  les  biens  de  la  terre  ont  été  con- 
fiés à  sa  garde  ,  et  qu'il  fait  son  séjour  oïdi- 
naire  sur  les  montagnes  élevées. 

Le  dr<igon  était  aussi  très-importanl  chez 
nos  aïeux  ;  et  tous  nos  coules  de  dragons 
doivent  remonter  à  une  haute  antiquité. 
Voici  la  chronique  du  dragon  de  Niort  (3). 

Un  soldat  avait  été  condamné  à  mort  pour 
crime  de  désertion  ;  il  apprit  qu'à  Niort,  sa 
patrie,  un  énorme  dragon  faisait  depuis  trois 
mois  des  ravages,  et  qu'on  promctiail  bonne 
récompense  à  celui  qui  pourrait  en  délivrer 
la  contrée.  Il  se  présente;  on  l'admet  à  com- 
baltrc  le  monstre  ,  et  on  lui  promet  sa  grâce 
s'il  parvient  à  le  détruire.  Couvert  d'un  mas- 
que de  verre  et  armé  de  toutes  pièces,  l'in- 
trépide soldat  va  à  l'antre  obscur  où  se  tient 
le  monstre  ailé  ,  qu'il  trouve  endormi.  Ré- 
veillé par  une  première  blessure  ,  il  se  lève  , 
prend  son  essor  et  vole  contre  l'agresseur. 
Tous  les  spectateurs  se  retirent ,  lui  seul 
reste  et  l'attend  de  pied  ferme.  Le  dragon 
tombe  sur  lui  et  le  terrasse  de  son  poids  ; 
mais  au  moment  qu'il  ouvre  la  gueule  pour 
le  dévorer,  le  soldat  saisit  l'instant  de  lui  en- 
foncer son  poignard  dans  la  gorge.  Le  mons- 
tre tombe  à  ses  pieds.  Le  brave  soldat  allait 
recueillir  les  fruits  de  sa  victoire  ,  lorsque, 
poussé  par  une  fatale  curiosité  ,  il  ôta  son 
mastjiie  pour  considérer  à  son  aise  le  redou- 
table ennemi  dont  il  venait  de  triompher. 
Déjà  il  en  avait  fait  le  four,  quand  le  mons- 
tre ,  blessé  mortellement,  et  nageant  dans 
son  snng,  recueille  des  forces  qui  paraissaient 
épuisées ,  s'élance  subitement  au  cou  de  son 
vainqueur,  et  lui  communique  un  venin  si 
malfaisantqu'il  périt  au  milieu  de  son  triom- 
phe. —  On  voyait  encore ,  il  y  a  peu  de 
temps ,  dans  le  cimetière  de  l'hôpital  do 
Niort ,  un  ancien  tombeau  d'un  homme  tué 
par  le  venin  du  serpent.  Est-ce  aussi  une  al- 
légorie ? 

A  Mons,  on  vous  contera  l'histoire  du  dra- 
gon qui  dévastait  lu  Hainant  [k) ,  lorsqu'il 
fut  tué  par  le  vaillant  Gilles  de  Chin  .  en 
11.32.  Et  que  dircz-vous  du  dragon  de  Rho- 
des ,  qui  n'est  certainement  pas  un  conte? 
—  Voy.  Trou  du  château  de  Carnoet. 

DRAGON  ROUGE.  —  Le  Dragon  rouge,  ou 
l'art  de  commander  les  esprits  célestes,  aé- 
riens,  terrestres,  infernaux,  avec  le  vrai 
secret  de  faire  parler  les  morts ,  de  gagner 
toutes  les  fois  qu'on  met  aux  loteries,  de  dé- 
rouvrir les  trésors  cachés,  etc.  ,  etc. ,  in- 18, 
1521. 

On  a  réimprime  très-fréquemment  cefalra» 

ji)  Voyez  celle  légende  dans  les  douze  cotivivet  du  clia- 
vuiiie  de  Tuws. 


187 

absurde.  Nous  en  donnons  ici  quelques  ex- 
traits ,  pris  dans  l'éililion  qui  çorle  le  nom 
di'  Gauile  ,  imprimeur-libraire  a  Nisme  (sic) 
1823.  Ou  la  vend  à  Paris  sur  les  étalages  pu- 
blics ,  au  grand  scandale  de  ceux  qui  pen- 
saient que  nous  étions  dans  le  progrès 

On  lit  textuellement  en  tétc  de  ce  livre ,  ce 
prélude  ;  c'esl  le  nom  que  le  compilateur 
donne  à  sa  préface  : 

«  L'homme  qui  gémit  sous  le  poids  acca- 
blant des  préjugés  de  la  présomption  ,  aura 
peine  à  se  persuader  qu'il  m'ait  été  possible 
de  renfermer  dans  un  si  petit  Ili'cueil  l'es- 
sonee  do  plus  de  vingt  vo'umes  ,  qui  ,  par 
leurs  dits  ,  redits  et  ambiguïtés ,  rend;ii<nt 
l'accès  des  opérations  pliilosophiques  pres- 
que impraticable.  Mais  que  l'incrédule  et  le 
prévenu  se  donnent  la  peine  de  suivre  pas  à 
pas  la  roule  que  je  leur  trace  ,  et  ils  verront 
la  vérité  bannir  de  leur  esprit  la  crainte  que 
peut  avoir  occasionnée  un  tas  d'essais  sans 
fruits  ,  ét.int  faits  hors  de  saison  ,  ou  sur 
indices  imparfaits. 

«  C'esl  encore  en  vain  qu'on  croit  qu'il 
n'est  pas  possible  de  faire  de  semblables  opé- 
rations sans  engjiger  sa  conscience  ;  il  ne 
faut,  pour  être  convaincu  du  contraire,  que 
jeter  un  clin  d'oeil  sur  la  vie  de  saint  Cy- 
prien. 

«  J'ose  me  flatter  que  les  savants  attaches 
aux  mystères  de  la  science  divine  ,  surnom- 
mée occulte  ,  regarderont  ce  livre  comme  le 
plus  précieux  trésor  de  l'univers... 

«Ce  livre  est  si  rare,  si  recherché  dans  nos 
contrées,  que  pour  sa  rareté  on  le  peut  ap- 
peler, d'après  les  rabbins  :  le  véritable 
Gband  Œuvre  ,  et  c'est  eux  qui  nous  ont 
laissé  ce  précieux  original  que  tant  de  char- 
latans ont  voulu  contrefaire  inutilement  , 
pour  attraper  de  l'argent  des  simples.  On  a 
copié  celui  ci  d'après  les  véritables  écrits  de 
Salomon,  que  l'on  a  trouvés,  par  un  pur  ef- 
fet du  hasard  ,  ce  grand  roi  ayant  passé  tous 
les  jours  de  sa  viç  dans  les  recherches  les 
plus  pénibles  et  dans  les  secrets  les  plus  ob- 
scurs el  les  plus  inespérés  :  mais  enfin  il  a 
réussi  dans  toutes  ses  entreprises  ,  et  il  est 
venu  à  bout  de  pénétrer  jusqu'à  la  demeure 
la  plus  reculée  des  esprits ,  qu'il  a  tous  fixés 
et  forcés  de  lui  obéir,  par  la  puissance  de  son 
Talisman  ou  Clavicule.  Quel  autre  homme 
que  ce  puissant  génie  aurait  eu  la  hardiesse 
de  mettre  au  jour  les  foudroyantes  paroles 
dont  Dieu  se  servit  pour  consterner  et  faire 
obéir  les  esprits  rebelles  ,  à  sa  première  vo- 
lonté; ayant  pénétré  jusqu'aux  voûtes  céles- 
tes pour  approfondir  les  secrets  el  les  puis- 
santes paroles  d'un  Dieu  terrible  el  respec- 
table ,  il  a  ,  ce  grand  roi  ,  pris  l'essence  de 
ces  secrets  ,  et  nous  a  découvert  les  influen- 
ces des  astres,  la  constellation  des  planètes 
el  la  manière  de  faire  paraître  toutes  sortes 
d'esprits, en  récitant  les  grandes  appellations 
que  vous  trouverez  ci-après,  de  mèirie  que  la 
vérilable  composition  delà  Verge  foudroyante, 
elles  effets  qui  font  trembler  les  espriis.» 

(l)  On  nous  pardonnera  de  donnrrces  absurdités  cou- 
paUcs  el  plus  léputiilucs  qu'on  no  croit. 


niCTlO.NNAlRE  DHS  SCIENCES  OCCL'LTES.  4S?l 

Opérations  pour  forcer  les  esprits  à  paraître. 

«Armez- vous  d'intrépidité  ,  de  prudence  , 
de  sagesse  el  de  vertu  pour  pouvoir  enlre- 
preiulre  ce  grand  el  immense  ouvrage,  dans 
lequel  j'ai  passé  soixante-sept  ans  ,  travail- 
lant jour  el  nuit  ;  il  faut  donc  faire  exacte- 
ment ce  qui  est  indiqué  ci-après. 

«  Vous  passert  z  un  quart  de  lune  entier 
sans  fréquenter  aucune  compagnie. 

Vous  commencerez  votre  ()uart  de  lune  , 
en  promettant  au  grand  Adonay,  qui  est  le 
chef  de  tous  les  esprits,  de  ne  faire  que  deux 
repas  par  jour,  ou  toutes  les  vingt-quatre 
heures  iludil  quart  de  lune  ,  lesqui-ls  vous 
prendriz  à  midi  el  à  minuit ,  ou  ,  si  vous  ai- 
mez mieux,  à  sept  heures  du  malin  et  à  sept 
heures  du  soir,  en  faisant  la  prière  (super- 
stilieuse),  ci-après  ,  avant  que  de  prendre 
vos  repas  ,  pendant  tout  ledit  quartier  (1    : 

«  Je  l'iiii(ilorc  ,  grand  el  puissant  Adonay, 
maître  de  tons  les  esprits  ,  je  t'implore  ,  ô 
Elciïin.  Je  l'implore  ,  ô  Jehovam.  0  grand 
Adonay  1  je  te  donne  mon  âme,  mon  cœur, 
mes  entrailles  ,  mes  mains  ,  mes  pieds  ,  mes 
soupirs  el  mon  être  :  ô  grand  Adonay,  dai- 
gne m'clre  favorable.  Ainsi  soil-il.  Amen. 

«  Prenez  ensuite  votre  repas  ,  et  ne  vous 
déshabillez  ni  ne  dormez  que  le  moins  qu'il 
vous  sera  possible,  pendant  tout  ledit  quar- 
tier de  lune  ,  pensant  conlinuellemcnl  à  vo- 
tre ouvrage  ;  le  lendemain  de  la  première 
nuit  dudil  quart  de  lune  ,  vous  irez  chez  un 
droguiste  pour  acheter  une  pierre  sanguine 
dite  ématille  (2) ,  que  vous  porterez  conti- 
nuellement avec  vous  ,  crainte  d'accident , 
attendu  que  dès  lors  l'esprit  que  vous  avez 
en  vue  de  forcer  el  de  contraindre  ,  fait  tout 
ce  qu'il  peut  pour  vous  dégoûter  par  la 
crainte  ,  pour  faire  échouer  votre  entre- 
prise, croyant  par  celle  voie  se  dégager  des 
iilels  que  vous  commencez  à  lui  tendre  ;  il 
ne  faut  être  qu'un  ou  trois  ,  y  compris  le 
Kurcist,  qui  esl  celui  qui  doit  parler  à  l'es- 
prit,  tenant  en  main  la  verge  foudroyante  ; 
vous  aurez  soin  de  choisir  pour  l'endroit  du 
l'action  un  lieu  solitaire  el  écarté,  alin  que 
le  Karcist  ne  soit  pas  interrompu  ;  après 
quoi  vous  ai  hélerez  un  jeune  chevreau 
vierge  ;  vous  le  décorerez  ,  le  troisième  jour 
delà  lune,  d'une  guirlande  de  verveine,  que 
vous  attacherez  à  son  cou  ,  avec  un  ruban 
vert  ;  vous  le  transporierez  à  l'endroit  mar- 
qué pour  l'apparition  ;  cl  là,  le  bras  droit  nu 
jusqu'à  l'épaule,  armé  dune  l.ime  de  pur 
acier,  le  feu  étant  allun:é  avec  du  bo  s  bJanr, 
vous  direz  les  paroles  suivantes  avec  fer- 
meté : 

«  Je  l'offre  celle  victime ,  6  grand  Eloïm  , 
Ariel  et  Jehovam,  et  cela  à  l'honneur, gloire  el 
puissance  de  ton  être  supérieur  à  tous  les  es- 
prits ;  daigne  le  prendre  pour  agréable. 
Amen. 

«  Ensuite  vous  égorgerez  le  chevreau  et 
lui  ôterez  la  peau  ,  et  mettrez  le  reste  sur 
le  feu  ,  pour  y  élre  réduit  en  cendres  que 
vous  ramasserez,  et  les  jetterez  du  côl6  du 


(2)  Ou  éiiiatite. 


4^0 


DRA 


DU  A 


490 


soleil  lovant,  en  disant  les  paroles  suivantes  : 
C'est  pour  l'honneur,  gloire  et  puissance  de 
Ion  nom  ,  ô  grand  Kloïni ,  Aritl  et  Jcho- 
vain  1  que  je  répands  le  sang  do.  celle  vic- 
time ;  daigne  recevoir  ces  cendres  pour 
agréables. 

«  Pendant  que  la  victime  brûle,  vous  pou- 
vez vous  réjouir,  ayant  soin  de  conserver  la 
peau  de  chevreau  vierge ,  pour  former  le 
rond  ou  cercle  cabalistique ,  dans  lequel  vous 
vous  mettrez  le  jour  de  la  grande  entre- 
prise. 

«  La  veille  de  la  grande  entreprise,  vous 
irez  chercher  une  baguette  ou  verge  de  noi- 
setier sauvage,  qui  n'ait  jamais  porié,  l;idite 
baguette  devant  faire  fourche  en  haut;  sa 
longueur  doit  élre  de  dix-neuf  pouces  it 
demi  ;  après  que  vous  l'aurez  trouvée,  vous 
ne  la  loucherez  que  des  yeux,  attendant  jus- 
qu'au lendemain,  jour  de  l'ac'.ion,  que  vous 
irez  la  couper  positivement  au  lever  du  so- 
leil :  vous  la  dépouillerez  de  ses  feuilles  et 
petites  branche-^,  si  elle  en  a,  avec  la  mémo 
lame  d'acier  qui  a  ser»i  à  égorger  la  victime, 
qui  sera  encore  teinte  de  son  sang,  attendu 
que  vous  devi'z  faire  attention  de  ne  point 
essuyer  ladite  lame.  Vous  direz  : 

«  Je  te  recomm;indi',  ô  grand  Eloïm,  Ariel 
et  Jehovam,  de  m'êlre  f^ivorable  et  de  donner 
à  celte  baguelle  que  je  coupe,  la  force  et  la 
vertu  de  (elle  du  grand  Josué  ;  jo  te  recom- 
mande aiis>i  de  renfermer  dans  celle  baguette 
touie  la  for(e  de  Samson  et  les  foudres  du 
grand  Zarialnatmik,  qui  vengera  les  injures 
des  hommes.  Amen. 

«  Après  avoir  prononcé  ces  terribles  pa- 
roles, ayant  toujours  la  vue  du  côté  du  soleil 
levant ,  vous  achèverez  de  couper  votre  ba- 
guette, et  remporterez  chez  un  serrurier 
{)Our  faire  ferrer  les  deux  branches  fourchues 
avec  la  lame  d'acier  qui  a  servi  à  égorger  la 
victime  ;  vous  prendrez  ensuite  une  (lierre 
d'aimant  que  vous  ferez  chauffer  pour  ai- 
manter les  deux  pointes  de  voire  baguette; 
puis,  vous  vous  réjouirez,  étant  sûr  que  vous 
possédez  le  plus  grand  trésor  de  lumière  ;  le 
soir,  vous  prendrez  voire  baguette,  votre 
peau  de  chevreau,  votre  pierre  ématille.deux 
couronnes  de  verveine,  deux  chandeliers  et 
deux  cierges  de  cire  vierge,  faits  par  une 
fille  vierge.  Vous  prendrez  aussi  un  batte-feu 
neuf,  deux  pierres  neuves  avec  de  l'amadou 
pour  allumer  voire  feu  ,  une  demi-boulcille 
<l'esprit  de  vin,  du  camphre,  quatre  clous 
(jui  aient  servi  à  la  bière  d'un  enf.int  mort  ; 
vous  vous  transjiorlerez  à  l'endroit  où  doit 
se  faire  le  grand  œuvre,  et  ferez  ce  qui  suit  : 

«  Vous  commencerez  par  former  un  cercle 
avec  la  peau  du  chevreau,  que  vous  cloue- 
rez avec  les  (juatre  clous;  vous  prendrez 
votre  pierre  ématille  et  tracerez  un  triangle 
au  deilansdu  cercle,  en  commençant  du  côté 
(lu  levant  ;  vous  tracerez  aussi  avec  la  pierre 
éinalille  le  grand  A,  le  petit  e,  le  petit  a,  de 
même  que  le  saint  nom  de  Jésus  au  milieu  de 
deux  croix  (f  JHSf  ),  afin  que  les  esprits 
ne  vous  puissent  rien  par  derrière  ;  après 
quoi  le  Karcist  fera  rentrer  ses  confrères 
dans  le  triangle  à  leur  place,  y  entrera  lui- 

DlUTIONXAlKE    DES    SCIENCES    OCCULTES. 


même  sans  s'épouvanter,  quelque  bruit  qu'il 
entende  ,  plaçant  les  deux  chandeliers  et  les 
deux  couronnes  de  verveine  à  la  droite  et  à 
la  gauche  du  triangle  intérieur  :  cela  fait, 
vous  allumerez  vos  deux  cierges  et  aurez  ua 
vase  neuf  devant  vous  ,  c'est-à-dire  devant 
le  Karcist,  rempli  de  charbon  de  bois  de 
saule,  que  l'on  aura  fait  brûler  le  même  jour; 
le  Karcist  l'allumera  ,  y  jetant  une  partie  de 
l'esprit  de  vin  et  une  partie  du  can)phre  que 
vous  avez,  réservant  le  reste  pour  entretenir 
un  feu  continuel  pendant  la  durée  de  la 
chose  ;  tout  ce  (|ui  est  marqué  ci  dessus  étant 
fait,  vous  prononcerez  les  paroles  suivantes: 

«  Je  le  présente,  ô  grand  Ariel,  ces  char- 
bons comme  sortant  du  plus  léger  bois.  Je 
l'olTre  au  giand  et  puissant  Eloïm,  Ariel  et 
Jehovam ,  de  toute  mon  âme  et  de  tout  mon 
cœur;  daigne  le  prendre  pour  agréable. 
Amen. 

a  Vous  ferez  aussi  attention  de  n'avoir  sur 
vous  aucun  métal  impur,  sinon  de  l'or  ou  de 
l'argent,  pour  offrir  la  pièce  à  l'esprit,  la 
ployanl  dans  un  papier  que  vous  lui  jette- 
rez,  afin  qu'il  ne  vous  fasse  aucun  mal, 
quand  il  se  présentera  devant  le  cercle.  Pen- 
dant qu'il  ramassera  la  pièce,  vous  commen- 
cerez la  prière  suivante,  en  vous  armant  de 
courage,  de  force  et  de  prudence;  faites  at- 
tention qu'il  n'y  ait  que  le  Karcist  qui  parle, 
les  autres  doivent  garder  le  silence  ,  quand 
même  l'esprit  les  interrogerait  et  les  mena- 
cerait. 

«  0  grand  Dieu  vivant  I  en  une  seule  et 
mémo  personne,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint- 
Esprit,  je  vous  adore  avec  le  plus  profond 
respect,  et  me  soumets  sous  votre  sainle  et 
digne  garde  avec  la  plus  vive  confiance  :  je 
crois,  avec  la  plus  sincère  foi,  que  vous  éies 
mon  créateur,  mon  bienfaiteur,  mon  soutien 
et  mon  maître,  et  je  vous  déclare  n'avoir 
d'autres  volonlés  que  celle  de  vous  apparte- 
nir pendant  toute  l'éternité.  Ainsi  soit-il. 

«  O  grand  Dieu  vivant  !  qui  avez  créé 
l'homme,  qui  avez  formé  toute  chose  pour 
ses  besoins,  et  qui  avez  dit  :  Tout  sera  sou- 
mis à  l'homme  ,  soyez-moi  favorable  ,  et  ne 
permettez  p  is  que  des  esprits  rebelles  pos- 
sèdent des  trésors  qui  ont  été  formés  pour 
nos  besoins  temporels.  Donnez-moi  la  puis- 
sance d'en  disposer  par  les  puissantes  et  ter- 
ribles paroles  de  la  clavicule.  Adon.iy,  Eloïm, 
Ariel,  Jehovam,  Tagla,  Mathon  ,  soyez-moi 
favorables.  Amen. 

«  Vous  aurez  soin  d'entretenir  votre  feu 
avec  l'esprit  de  vin  et  lo  cam,/hre  ;  et  vous 
reprendrez  : 

«  Empereur  Lucifer,  prince  et  maître  des 
esprits  rebelles,  je  te  prie  de  quitter  ta  de- 
meurodaiis  quelque  pariiedu  monde  qu'eUe 
puisse  être,  pour  venir  ci  e  parler  ;  je  te  com- 
mande et  conjure  de  la  part  du  grand  Dieu 
vivant,  de  venir  sans  faire  aucune  mainaise 
odeur,  pour  me  répondre  à  haute  et  inlelli- 
gible  voix,  article  par  article,  sur  ce  que  je  le 
demanderai,  sans  quoi  tu  y  seras  conlraint 
par  la  puissance  du  grand  Adonay,  Eioïiii, 
Ariel,  Jehovam,  Tagla,  Mathuu  et  de  tous  ks 
1  16 


491 


DICTIONNAIHK  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


in 


autres  esprits  supérieurs  qui  fy   conlraiu- 
dronl  malgré  toi. 

«   Venite.  Venite 

«  Submiritillor  LUCIFUGE,  ou  lu  vns  élro 
tourmenté  étcrnellenipnl  par  la  ^raiido  force 
de  celle  bnguelle  foudroyanle.  In  subito. 

«  Je  te  commande  et  conjure,  eniperenr 
Lucifer,  de  la  part  du  grand  Dieu  vivant,  et 
par  la  puissance  d'Kmmanue!,  son  (ils  uni- 
que, ton  inaîlre  et  le  mien,  je  t'ordonne  de 
quitter  ta  demeure  dans  quelque  partie  du 
monde  qu'elle  soit,  jurant  que  je  ne  te  donne 
qu'un  quart  d'heure  de  repos,  si  lu  ne  viens 
me  parler  au  plus  tôt  à  hiutc  et  intelligible 
Toix;  ou  si  tu  ne  peux  venir  toi-même,  m'en- 
voyer  ton  messager  Aslarol  en  signe  hu- 
main, sans  bruit  et  mauvaise  odeur,  sans 
quoi  je  te  vais  frapper,  loi  et  toute  ta  race, 
do  la  redoutable  baguette  foudroyante  jus- 
qu'au fond  des  abîmes,  et  ce,  par  la  puis- 
sance de  ces  grandes  paroles  d  •  la  clavicule  : 
Par  Adonaïf,  Eluim,  Ariel,  Jehovam,  Tagla, 
Mnlhon,  Almousin,  Arios,  Pythoiui,  Magots, 
Silpliœ,  Cabost,  Sulamandrœ,  Giiomus,  Ter- 
ra, Cœlis,  Godens,  Aqun.  In  subito. 

«  Avant  que  de  lire  la  troisième  appella- 
tion, si  l'esprit  ne  comparaît  pas,  vous  frap- 
perez tous  les  esprits  en  niellant  les  deux 
botils  fourchus  de  voire  baguelle  dans  le  feu, 
et  dans  ce  moment  ne  vous  épouvanlez  pas 
des  hurlements  effroyables  que  vous  enlen- 
drez,  car  tous  les  esprits  paratironl;  alors, 
pendant  le  bruit  que  vous  entendrez,  vous 
direz  la  troisième  appellation. 

«  Je  t'ordonne, cher  Lucifer  (1),  delà  part 
du  grand  Dieu  vivant,  de  son  cher  fils  et  du 
Saint-Esprit,  et  par  la  puissance  du  grand 
Adonay,  Eloïm,  Aricl  et  Jehovam,  de  com- 
paratlrc  dans  la  minute,  ou  de  m'envoyer 
ton  messager  Aslarot,  l'obligeant  de  quitter 
ta  demeure,  dans  quelque  parlie  du  monde 
qu'elle  soit,  te  déclarant  que  si  tu  ne  parais 
pas  dans  ce  moment ,  je  vais  le  frapper  de- 
rechef, toi  et  toute  ta  rare,  avec  la  baguelle 
foudroyante  du  grand  Adonay,  Eloïm,  Ariel 
et  Jclioram. 

«  Si  l'esprit  ne  paraît  pas  jusqu'ici,  mettez 
encore  les  deux  bouts  de  voire  baguelle  au 
feu,  cl  lisez  les  puissantes  paroles  ci-après 
de  la  grande  clavicule  de  Salomon. 

«  Je  te  conjure,  ô  esprit  1  de  paraître  dans 
la  minute,  par  la  force  du  grand  Adonay, 
par  Eloïm,  par  Ariel,  par  Jehovam,  par  Agla, 
Tagla,  Maillon,  Oarios,  Almouzin,  Arios, 
Mcmbrol.  Varios,  Pitliona,  Migots,  Silpha;, 
Cabost,  Salamandrœ,  ïabots,  Guomus,  Tcr- 
las,  Cœlis,  Godens,  Gingua,  Janua,  Elitua- 
uius,  Zarialnatinik. 

«  Après  avoir  répété  deux  fois  ces  grandes 
ri  puissantes  paroles,  vous  éles  sûr  que  l'es- 
prit p.iraîtra,  disant  : 

«  Me  voici,  que  me  demandes-tu?  pour- 
quoi Iroubles-tu  mon  repos?  Ne  me  frai)pe 
plus  de  Colle  terrible  baguelle. 

«  Vous  répliquerez  : 

«  Si  tu  eusses  piru  quand  je  t'ai  appelé,  je 
ne  l'aurais  point  frajipé;  <l  si  lu  ne  m'ac- 

(1)  Nous  iransaivous  loujourg  GJiileinenl. 


cordes  ce  (]ueje  vais  te  demander,  jo  le  tour- 
menterai éternellement. 
«  L'esprit  dira  : 

«  Ne  me  tourmente  plus;  dis-moi  au  plus 
tâtce  que  lu  me  demandes. 

«  Je  te  demande,  reprendrez-vous,  que  lu 
me  viennes  parler  deux  fois  tous  les  jours  de 
la  semaine,  pendant  la  nuit,  à  moi  ou  à 
ceux  qui  auront  mon  présent  livre,  <iue  tu 
approuveras  et  signeras,  le  laissant  la  vo- 
lonté de  choisir  les  heures  qui  le  convien- 
dront, si  lu  n  approuves  pas  celles  ({ui  sont 
marquées  par  moi. 

«  De  plus,  je  le  commande  de  me  livrer  le 
trésor  le  plus  près  d'ici ,  te  promeltani  pour 
récompense  la  première  pièce  d'or  ou  d'ar- 
gent que  je  toucherai  lous  les  premiers  jours 
de  chaque  mois  :  voilà  ce  que  je  te  demande. 

«  L'esprit  répondra  : 

«  Je  ne  puis  l'accorder  ce  que  tu  me  de- 
mandes sous  ces  conditions  ni  sous  aucune 
autre,  si  lu  ne  te  donnes  à  moi  dans  cin- 
<{uaiile  ans,  pour  faire  de  ton  corps  et  de  ton 
âme  ce  qu'il  me  plaira. 

«  Vous  remettrez  ici  le  bout  de  la  baguelle 
foudroyante  au  feu  ,  et  relirez  la  grande 
appellation  de  la  clavicule,  jusqu'à  ce  que 
l'esprit  se  soumellc  à  vos  désirs,  ce  qu'il  fera 
en  disant  :  —  Ne  me  frappe  pas  davantage, 
je  le  promets  de  faire  toul  ce  que  lu  voudras, 
deux  heures  de  nuit  de  chaque  jour  de  la  se- 
maine. 

«  Je  m'engage  aussi  à  te  livrer  le  trésor 
que  tu  me  deuiandrs,  pourvu  que  tu  gardis 
le  secret,  que  lu  sois  charitable  envers  les 
pauvres,  et  que  tu  me  donnes  une  pièce  d'or 
ou  d'argent  tous  les  premiers  jours  de  cha- 
quemois:si  luy  manques, tu  seras  à  moi  pour 
toujours.  »  Voy.  Pactes. 

DRAMES.  — Le  théâtre  n'a  pas  négligé  les 
merveilleuses  ressources  <]ue  lui  offraient  les 
démons,  les  follets,  les  revenants,  la  magie 
et  les  sciences  occultes.  De  nos  jours  ou  a  fait 
les  5e/)/  châteaux  du  Diable,  les  J'iUules  du 
Viable,  la  Pari  du  Diable;  on  a  même  mis  en 
vaudeville  les  mémoires  du  Diable,  de  M.  Sou- 
lié.  L'Esprit  Follet  de  Collé;  le  spectre  de 
Sémiramis,  celui  d'Hamlcl,  les  sorcières  de 
Macbelh;  la  Sylphide,  le  inagicien  du  Pied' 
de-Mouton,  et  une  foule  d'autres  données 
sont  prises,  comme  Robin  des  bois,  le  Chas- 
seur rouge,  Trïlbij ,  le  Vampire,  les  Wit- 
lis,  clc  etc.,  du  vaste  répertoire  de  prodi- 
ges qui  alimenlonl  ce  dictionnaire. 

L'un  des  drames  les  plus  célèbres  en  ce 
genre  est  connu  eu  Esp.igiie  sous  le  litre  du 
Diable  prédicateur.  On  ignore  le  poêle  qui  a 
jirodiiil  ce  singulier  ouvrage,  mais  il  l'a 
puisé,  comme  tjOîilie  a  puisé  Fuusl,  dans  les 
lég<ndi'S  populaires.  N'oy.  Faust.  Nous  de- 
vons donner  une  rapide  analyse  du  Diable 
prédicateur,  dans  un  livre  où  le  diable,  li 
magie  cl  les  sciences  occnlies  dévelop|)Ciil 
toutes  leurs  phases.  Nous  empruiitei>ons  no- 
tre résumé  aux  curieuses  éludesqueM.  Louis 
de  Vicilcastcl  a  publiées  sur  le  Ihcàlre  es- 
pagnol. 


-103  DHA 

Le  Diable  prédicateur. 

L'aclion  ilu  dr.nme  intitule  le  Diable  prédi- 
cateur, se  passe  à  Lucqucs. 

«  Le  prinrede  l'iibîme,  Lucifer,  monté  sur 
un  <lragon  cTlic,  fait  en  ce  moment  un  voyage 
autour  du    monde   pour   s'assurer   par   lui- 
même  de  l'étendue  de  sa   puissance.  Il  ap- 
pelle Asniodée,  à  qui   il  a  laissé  en  son  ab- 
sence le  gouvernemeni  de  l'empire  infernal; 
il  lui  raconte  ce  qu  il  a  vu  et  les  projets  nou- 
veaux que  lui  ont  suggérés  ses  observations. 
Parmi  les   ordres    religieux   qui,  par   leurs 
prières,  désarment  la  colère  du  Ciel,  il  en  est 
un  qui  a  surtout  frappé  l'attention  de  Luci- 
fer, et  dont  il  ne  parle  qu'avec  un   doulou- 
reux emportement,  parce  qu'il  y  voit  le  prin- 
ci[)al  obstacle  au  succès  de  ses  efforts  :  c'est 
loidre  des  Franciscains.  Le  poëte  place  ici 
dans  la  bouche  du  démon  un  résumé  des  lé- 
gendes et  des  traditions  qui  ont  popularisé 
dans  la  Péninsule  la  mémoire  de  saint  Fran- 
çois, et  fait  un  magnifique  éloge  du  zèle  et 
de  la  piélé  des  religieux  franciscains.  11  voit 
en  eux  ses  pins  redoutables  ennemis.  Son  or- 
gueil  s'en   irrite  autant  que  son  ambition  : 
—  il  ne  faut  pas  le  dissimuler,  Asmodée,  dit- 
il  à  son  confident;  si  je  ne  me  hâte  d'y  pour- 
voir, il  n'y  aura  bientôt  plus  un  seul  lieu  où 
ces  mendiants  déguenillés  n'aient  arboré  la 
b.mnicre  de  celui  (]ui,  par  son  héroïque  hu- 
iiiililc,  a  niérilé  d'être  appelé  le  grand  lieute- 
nant du  Christ,  et  d'occuper  la  place  que  m'a 
fnit  perdre  jadis  ma  téméraire   présoniplion. 
Voici  l'entreprise  où  je  t'appelle;  certes,  elle 
n'est  pas  aisée.  La  règle  que  suivent  ces 
hommes,  c'est,  tu  ne  l'ignores  pas,  la  vie 
apostolique.  Celte  règle  n'a  pas  été  établie 
par  une  simple  inspiration  d'en  haut;  c'est 
Dieu  lui-même  qui,  de  sa  propre  bouche,  l'a 
dictée  à  François,  et  lorS(]ue  François,  ému 
de  pitié  pour  ses  successeurs,  lui  demanda 
où  des  êtres  soumis  aux  faiblesses  humaines 
puiseraient  la  force  nécessaire  pour  observer 
les  vingt-cinq  préceptes  dont  elle  se  com- 
pose, préceptes   si    rigoureux   (|u'aucun   ne 
peut   être  enfreint  sans    péché   mortel  :  Ne 
l'en  inquiète  pas, lui  répondit  le  Seigneur;  je 
me  (Jiarge  de   susciter  ceux  qui    les  garde- 
ront. —  Mais  il  n'a  pas  dit  que  tous  sans  ex- 
ception y  seraient  fidèles;  s'il  l'eût  dit,  tous 
nos  efforts   seraient  vains.  Pars  donc  pour 
l'Espagne,  dirige-toi  sur  Tolède,  qui  en  est  au- 
jourd'hui la  principale  cité;  jettes-y  les  ger- 
mes de   l'impiété   parmi  les   hommes  d'une 
condition  moyenne  et  dans  le  corps  des  mar- 
chands, auxquels  ces  moines  doivent  prin- 
cipalement les  aumônes  qui  les  font  vivre  ; 
empêche  que  la  dévotion  ne  prenne  racine 
dans  leurs  cœurs,  car  les  Espagnols  tiennent 
fortement  aux  impressions  qu'ils  ont  une  fois 
reçues.  Quant  aux  riches,  ne  l'in(]uièle  pas 
d'eux,  leurs  désirs  immodérés  agiront  plus 
clficacement  sur  leur  âme  que  toutes  tes  in- 
sinuations. Eussent-ils  sous  les  yeux  des  mil- 
liers de  pauvres,  ils  n'y  feront  aucune  atten- 
tion. Comme  ils  n'ont  jamais  vu  de  près  le 
besoin,  ils  ne  le  comprennent  pas  :  je  parle 
du  plus  grand  nombre;  on   trouve  partout 


on  A 


494 


des  exceptions.  Pour  moi,  je  reste  dans  cette 
ville  de  Lucques,  où  je  travaille,  par  mes  ar- 
tifices, à  eiupêclier  ces  moines  de  conserver 
uiicouTcnl  qu'ilsyonl  fondé.  Je m'elTorce d'en- 
gager les  habitauis  à  changer  en  mauvais  trai- 
tements et  en  injures  les  aumônes  qu'ils  leur 
accordaient.  Pars  donc  pour  l'Espagne.  Ces 
malheureux  ont  beau  implorer  la  protection 
divine  :  je  ferai  si  bien  que  ce  nouveau  vais- 
se.iu  de  l'Eglise  échouera  contre  les  écueil» 
impies  et  les  cœurs  rebelles.  Se  voyant  refu- 
ser le  strict  nécessaire,  ils  auront  peine  à  se 
dcfendrcdesentraînements  de  la  faiblesse  hu- 
maine. Leur  confiance  sera  pour  le  moins 
ébranlée,  et  le  navire  qui  les  |)orle,  s'il  ne  so 
perd  pas  tout  à  fait,  sera  au  moins  maltrailé 
par  la  tempête;  il  s'égarera  dans  les  bas- 
fo  ids,  s'il  ne  se  brise  complètement.  » 

«  Asmodée,  obéissant  aux  ordres  de  son 
souverain,  s'éloigne  à  l'instant.  Depuis  ce 
moment,  il  n'est  plus  question  de  lui  ni   do 
sa  mission.  Toute  l'action  du  drame  se  con- 
centre dans  l'attaque  que  Lucifer  lui-même 
dirige  contre   les   religieux  de  Lucques.  Le 
plan  qu'il  vient  d'annoncer  s'exécute  de  point 
en  point.  Les  bourgeois,  cédant  aux  sugges- 
tions secrètes  du  démon,  deviennent  sourds 
aux  prières  des  malheureux   religieux  ;  les 
aumônes  cessent  complètement.  Un  certain 
Ludovic,  le  plus  riche,  mais  aussi  le  plus  im- 
pie des  habitants  de  Lucques,  se  distinguo 
surtout  par  la  brutalité  de  ses  refus.  Vaine- 
ment le   père   g.irdien   s'efforce  de  ranimer 
p.ir  ses  exhortations  la  ferveur  des  fidèles. 
Son  insistance  ne  fait   qu'irriter  des   esprits 
prévenus.  Poursuivi,  menacé,  il  se  voit  forcé 
de  rentrer  dans  son  couvent,  dont  les  portes, 
se  refermant  à  l'instant  sur  lui,  peuvent  à 
peine  le  soustraire,  lui  et  ses  moines,  aux 
outrages   de  la    foule.   Le  gouverneur   lui- 
même,  s'associant  à  la  haine  populaire,  es- 
saye d'abord  d'engager  les  religieux  à  quitter 
une  ville  où  on  ne  veut  plus  les  supporter, 
et  bientôt  il  prétend  les  y  obliger.  Privés  de 
toutes  ressources,  épuisés  par  la  faim  qui  les 
presse,  le  courage  des  religieux  faiblit.  Déjà 
on  parle  de  vendre  les  vases  sacrés,  d'aller 
chercher  ailleurs  une  terre  plus  hospitalière.' 
Le  père  gardien,  dont  la  pieuse  et  noble  fer- 
meté a  jusqu'à  ce  moment  résisté  aux  ins- 
tances de  ses  frères,  commence  à  chanceler. 
Lucifer    triomphe.   Il  se   croit   au    moment 
d'atteindre  le  but  qu'il  s'était  proposé,  mais 
sa  joie  est  de  courle  durée.  Tout  à  coup  une 
clarté  éclatante  vient  l'éblouir.  L'IùifantJé- 
sus   lui  apparaît,   le   visage    couvert  d'un 
voile.  Auprès  de  lui  est  saint  Michel,  qui 
ajioslroplie  ainsi  l'ange  déchu. 

Saint  Michel.  —  Serpent  infernal,  j'humi- 
lierai ton  orgueil. 
Llcifeu.  —  Michel  1 

Sai.nt  Michel.  — Comment,  connaissant  la 
promesse  que  le  Créaieura  faite  à  François, 
as-tu  pu  croire  que  tes  fourberies  enlève- 
raient à  ces  religieux  leurs  u.oyens  d'exis- 
lenre? 

Lucifer.  — Nul  ne  sait  mieux  que  moi  que 
l'immense  parole  de  Dieu  ne  peut  man(|uer 
d'élre  accomplie,  mais  la  confiance   qu'un 


1 


m 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


490 


place  en  elle  peut  faillir,  et  déjà  il  est  Lion 
sûr  que,  si  ce  srnlimeul  n'esl  pas  tout  à  fait 
détruit  dioz  ces  moines,  il  est  au  moins  fort 
ébranlé.  Il  n'est  pas  indispensable,  pour  que 
je  triomphe,  qti'ils  soient  privés  de  ce  qui 
leur  est  nécessaire  ;  il  suffit  que  j'aie  décidé 
le  peuple  ci  le  leur  refuser. 

Saint  MicuEL.  —  Eh  bien  1  lu  déferas  toi- 
inême  Ion  ouvrage.  P.ur  punir  ta  faute  ,  tu 
l'S  chargé  d'amener  Ludovic  à  se  repentir,  à 
se  soumettre  à  la  loi  sainte. 

Lucifer.  —  Moi  1  lutter  contre  moi-inéme, 
malheureux  que  je  suis  1 

Saint  Michel.  —  Ce  n'esl  pas  tout  ;  il  faut 
encore  que  tu  construises  un  auire  couvent 
où  en  dépit  de  toi,  François  comptera  d'au- 
tres disciples. 

LuciFEB.  —  Comment  ? 

Saint  Michel.  — Ne  réplique  pas.  Il  faut 
que  tu  fasses  ce  que  ferait  François.  Entre 
dans  son  couvent.  Reproche  à  ses  moines 
d'avoir  pu  penser  un  instant  à  l'abandonner. 
C'est  à  toi  qu'il  appartient  désormais  d'assu- 
rer leur  subsist'uice,  et  en  outre  de  leur 
fournir  des  moyens  de  secourir  un  certain 
nombre  de  pauvres,  comme  le  prescrit  la 
règle  que  Dieu  leur  a  dictée.  Va  donc,  et  jus- 
()u'à  ce  que  lu  reçoives  de  nouveaux  ordres, 
exécute  scrupuleusement  ceux  que  je  viens 
de  le  donner.  Tu  apprendras  ainsi  à  ne  plus 
l'attaquer  à  François  dans  ses  moines. 

«  Lucifer  reste  accablé.  Son  désespoir 
s'exhale  en  plaintes  douloureuses  contre  la 
partialiié  du  Très-Haut,  qui,  non  content 
d'avoir  donné  aux  hommes  tant  de  moyens 
de  résister  à  ses  attaques,  le  force  ainsi  à  se 
combattre  lui-même.  Ccpendani  il  faut  obéir. 
Revélu  d'un  froc  de  franciscain,  il  se  pré- 
sente à  l'improvisle  au  milieu  des  religieux, 
qui  déjà  se  préparent  à  quitter  leur  retraite 
cl  à  s'éloigner.  » 

Lucifer.  —  Deo  gratias  ,  mes  frères. 
(A  part.)  Quel  supplice  1 

Le  père  gardien.  —  Dieu  me  soit  en  aide  1 
Quiétes-vous,  mon  père?  Gomment étes-vous 
entré  ici  ? 

Frère  Nicolas.  —  Il  n'a  pu  entrer  par  la 
porte,  je  l'avais  fermée. 

Lucifer.  —  Aucune  porte  n'est  fermée 
pour  la  puissance  divine.  C'est  elle  qui,  sans 
que  je  pusse  m'y  refuser,  m'a  amené  ici  d'un 
pays  tellement  éloigné,  que  lu  soleil  lui- 
même  ignore  son  existence  ou  dédaigne  de 
le  visiler. 

Le  père  gardien.  —  Votre  nom  ? 

Lucifer.  —  Je  m'appelle  frère  Obéissant 
forcé.  On  me  nommail  jadis  Chérubin. 

Le  frère  Antolin  [le  gracioso).  —  C'est 
sans  doute  un  Basque. 

Le  père  gardien.  —  Mon  père,  dites-nous 
ce  qui  vous  amène.  Vos  paroles,  le  prodige 
de  votre  entrée  dans  ce  couvent,  malgré  la 
clôture  des  portes  ,  nous  remplissent  do 
trouble  et  d'inquiélule.  Je  crains  quelque 
piège  de  notre  grand  ennemi. 

Lucifer. —  Ne  craignez  rien.  C'est  par 
l'ordre  de  Dieu  que  je  viens,  c'est  lui  qui 
m'a  chargé  de  vous  reprocher  voire  peu  de 
fui.  Les  soldats  enrôlés  sous  lu  banuicre  du 


grand  lieulenant  du  Christ  doivent-ils  abaii 
donner  ainsi  lâchement  la  place  qu'il  leur  a 
confiée?  11  n'y  a  pas  encore  deux  jours  que 
l'ennemi  vous  tient  assiégés,  et  déjà  votre 
force,  votre  espérance,  se  sont  évanouies  l 
Ceux  qui  devaient  résister  comme  des  rocs 
aux  adaques  de  l'iinpiéié,  en  qui  la  moindre 
hésitation  serait  déjà  cnupahle,  reculentainsi 
à  la  simple  menace  du  danger  1  Sachant  que 
Dieu  a  promis  à  notre  père  que  le  néces- 
saire ne  manquerait  jamais  à  ses  enfants  , 
ils  ont  pu  se  rendre  coupables  au  point  de 
douter  de  l'accomplissemcnl  d'une  promesse 
divine  I  [Apart.)  Esl-il  bien  possible  que  ce 
soit  moi  qui  parle  ainsi  !  Je  me  sens  tout 
brûlant  de  colère.  (Haut.)  Croyez  qu'alors 
même  quedans  l'univers  entier  les  êtres  rai- 
sonnables fermeraient  sans  exception  leur 
cœur  à  la  pitié,  les  anges  vous  apporteraient 
lau  unt  requi  vousa  éiépromise;le  démon 
lui-même  s'en  chargerait  au  besoin. 

Le  frère  Antolin.  —  Il  parle  avec  tant 
de  chaleur,  que  la  flamme  sort  par  ses  yeux. 
Le  père  gardien.  —  Mon  père  ,  je  vois 
bien  que  vous  êtes  un  envoyé  de  Dieu;  je  le 
reconnais  à  l'empire  que  vos  paroles  exer- 
cent sur  nous.  Je  sens  que  maintenant  j'ex- 
pirerais de  faim  mille  fois  plutôt  que  d'aban- 
donner la  maison  de  mon  père  saint  Fran- 
çois. 

Le  frère  Pierre.  — Il  n'est  pas  un  de  ses 
vrais  enfants  qui  ne  soit  prêt  à  donner  sa 
vie  pour  Dieu. 

Le  frère  Nicolas.  —  Et  ils  se  repentent 
tous,  mon  père,  d'avoir  pu  un  seul  instant 
pensera  tourner  le  dos  au  danger. 

Lucifer,  à  part.  —  Ainsi  donc,  la  peur  na- 
turelle à  laquelle  ils  ont  un  moment  cédé 
devient  peureux  une  occasion  de  s'acijuérir 
de  nouveaux  titres  à  la  faveur  du  ciel  l  Ceux 
que  Dieu  protège  rentrent  bien  vite  dans  la 
bonne  voie...  [Haut.)  M 'S  frères,  apaisez  par 
des  sacrifices  le  juste  méeonlentemenl  du 
Créateur  ,  qui  vous  porte  tant  de  tendresse. 
Pour  moi,  je  nie  charge  de  pourvoir  à  votre 
subsistance  ;  je  serai  voire  aumônier. 

Le  frère  Antolin.  —  Vous  espérez  trou- 
ver des  aumônes  dans  celte  ville?  Vous  me 
faites  rire. 

Lucifer.  —  Vous  serez  bientôt  détrompé. 
Père  gardien,  ne  craignez  rien  ;  faites  ouvrir 
ces  portes. 

Le  père  gardien.  —  C'est  un  ange,  il  faut 
lui  obéir...  Miiis  le  ciel  m'éclaire.  Dieu  me 
soit  en  aide...  Cachons  ce  prodige  à  mes  re- 
ligieux. 

Lucifer.  —  Allez  tous  au  chœur,  et  cessez 
de  craindre.  Tant  que  je  vous  assisterai  ,  le 
bercail  de  Franc  )is  sera  à  l'abri  des  atta- 
ques des  loups. 

Le  père  gardien.  —  Oui,  puisque  Dieu  a 
ch.ingé  le  poison  eu  contre-poison. 

«  Lucifer  se  met  à  l'œuvre,  et  loul  a  bien- 
tôt changé  de  face.  Les  aumônes  arrivent  de 
toules  parts  au  couvent,  les  moyens  ordinai- 
res ne  suffisent  plus  pour  les  y  transporter. 
Du  surplus  des  produits  de  la  charité  publi- 
que, un  autre  monastère  s'éève  avec  rapi- 
dité. Le  prétendu  moine  se  multiplie.  On  le 


t97 


DR\ 


Bïlk 


41)3 


voit  partout  à  la  fois  ,  pnrfonrant  la  ville 
pour  stimuler  la  générosité  des  fiilèles,  diri- 
geaiilla  construction  du  nouvel  édifice,  pres- 
sant les  ouvriers,  faisant  preuve  en  tous 
lieux  d'une  activité  ,  d'une  adresse  ,  d'une 
force  miraculeuse.  Les  religieux,  frappés  de 
ces  qualités  extraordinaires  auxquelles  se 
mêle  dans  l'inconnu  quelque  chose  d'étrange 
et  de  mystérieux  ,  se  de.nanderit  qui  il 
peut  être.  L'un  croit  voir  en  lui  un  être 
étranger  à  l'humanité;  l'autre,  à  son  (on 
(J'aulorilé  et  à  unecertaineâpreté  deiangage, 
le  prend  pour  le  prophète  Elle.  Le  père  gar- 
dien, qu  une  révélation  divine  a  instruit  de 
la  véi  ilé  ,  conseille  à  ses  fières  de  ne  pas 
chercher  à  pénétrer  les  secrets  du  ciel,  et  de 
se  contenler  d'obéir  aux  ordres  de  celui  en 
qui  ils  ne  peuvent  méconnaitie  ua  envoyé 
de  Dieu. 

«  Le  rôle  du  père  gardien  est  d'unegrande 
heaulé.  Lasimplicilé,  l'abnégation  du  moins 
se  réunissent  en  lui  à  la  fermeté  calme  et 
prudcnie  sans  laquelle  il  n'est  pas  possible 
de  diriger  utilement  d'autres  hommes.  11  y 
a  eiilre  lui  et  Lucifer  une  scène  remar- 
quable. » 

Le  pèke  gardien.  —  Père  Obéissant  ,   le  ' 
convint    que   vous  construisez  est-il   bien 
avancé  ? 

LuciFRR. —  Il  est  achevé. 

Le  PKnEGABuiEN.  —  Entièrement  ? 

LcciFER.  —  Il  ne  reste  plus  qu'à  le  blan- 
chir. 

Le  père  gardien.  —  La  rapidité  de  celte 
construction  me  surprend,  je  l'avoue. 

Lucifer.  —Il  y  a  pourtant  cinq  mois  qu'on 
en  a  posé  la  première  pierre  ,  et  ces  cinq 
mois  m'onl  paru  cent  années.  Je  n'y  ai  con- 
tiiluié  que  par  roa  présence  assidue  aux 
Irav.iux,  en  cherehiinl  l'argent  nécessaire  et 
en  traçant  le  plan  de  l'édifice  ;  mais,  si  le 
Créateur  me  l'eût  permis,  j'eusse  l'ail  en  cinq 
jours  et  en  moins  peut-être  plus  que  cent 
hommes  n'ont  fait  en  cinq  mois. 

Le  père  gardien,  à  part.  — Il  vaut  mieux 
ne  pas  paraître  comprendre.  [Haut.)  Je  vous 
crois  ;  mais  Dieu  ne  fait  pas  de  miracles 
sans  nécessité. 

Lucifer.  —  Ce  miracle,  je  l'aurais  fait  à 
moi  seul  ;  je  suis  assez  puissant  pour  cela  , 
si  Dieu  ne  m'en  eût  eaipcché. 

Le  père  gardien.  — Je  sais  qui  vous  êies. 
Vous  n'avez  pas  besoin  de  me  le  faire  enten- 
dre. 

Lucifer.  —  Je  ne  l'ignore  pas. 

Le  père  gardien.  —  El  je  sais  aussi  que 
voire  puissance  n'égale  pas  celle  de  mon  |  ère 
s.iini  François. 

Lucifer.* —  Père  gardien,  la  faveur  dont 
votre  père  jouit  auprès  du  roi  du  ciel  fait 
iDiite  sa  force,  cl,  sous  ce  rapport,  elle  est 
grande  ,  je  l'avoue  ;  mais  ce  n'est  pas  une 
l'ui>sance  vériiable  que  celle  qui  a  besoin  de 
recourir  à  la  prière. 

Le  père  gardien.  —  Quelle  est  donc  la 
puissanee  qui  ne  procède  pas  de  Dieu  ? 

Lucifer.  —  N'argumentons  pas  ,  soyez 
iitiinble  ;  auprès  de  moi,  le  piuj  savant  eu 
sait  bien  peu. 


Le  père  gardien.  —  Je  n'en  ai  jamais 
douté  ;  mais  il  n'est  pas  moins  vrai  qu'avec 
toute  sa  puissance ,  avec  toute  sa  science, 
celui  qui  me  parle  n'a  pu  atteindre  l'objet  de 
ses  vreux  les  plus  ardents. 

Lucifer.  —  Non  ?  Eh  bien  !  mon  père, 
pourquoi  pensez-vousdonc(iueDieumepunil? 

Le  père  gardien.  —  Pour  votre  inten- 
tion. 

Lucifer.  —  Père  gardien  ,  vous  êtes  un 
bon  religieux  ,  mais  votre  intelligence  est 
faible.  Lorsque  je  suis  venu  vous  trouver, 
vous  et  vos  moines,  n'étiez- vous  pas  résolus 
à  abandonner  lâehement  le  couvent  ?  En  ce 
qui  vous  concerne,  j'avais  donc  atteint  mou 
but ,  pui.-que  le  Créateur  ne  s'est  interposé 
que  lorsqu'il  vous  a  vus  vaincus.  Rendez- 
lui  donc  grâce  de  sa  miraculeuse  interven- 
tion ;  mais  croyez  que  si  vous  aviez  eu  plus 
de  courage  ,  mon  châtiment  serait  moindre. 

Le  père  gardien.  —  cresl  en  toute  justice 
que  vous  m'avez  humilié. 

Lucifer.  — Je  suis  condamné  à  faire  ce 
que  lerail  François,  s'il  vivait  encore.  Jugex 
s'il  était  possible  de  m'iniposer  une  uiorlifi- 
calion  plus  douloureuse  ,  sans  compter  l'i- 
gnominie d'être  contraint  à  me  couvrir  de  sa 
bure. 

Le  père  gardien.  —  Jamais  vous  n'avea 
été  plus  honoré  depuis  que  vous  êtes  tombé 
du  ciel. 

Lucifer.  — L'orgueil  vous  aveugle  et  vous 
fait  perdre  la  mémoire.  Oubliez-vous  donc 
votre  origine  ?  ignorez-vous  que  vous  êtes 
sorti  de  la  boue  et  de  la  poussière? 

Le  père  gardien.  —  Je  ne  l'oublie  pas: 
je  sais  que  Dieu  a  formé  le  premier  homme 
de  ses  propres  mains,  avec  un  peu  de  terre  ; 
mais  la  création  de  l'ange  lui  a  coûté  moins 
encore,  puisque  d'une  seule  parole  ... 

Lucifer. —  Laissons  cela;  de  telles  ma- 
tières ne  peuvent  être  traitées  entre  aous  : 
vous  les  ignorez,  et  il  ne  m'est  pas  permis 
de  vous  répondre.  Quand  voulez-vous  quo 
nous  commencions  la  fondation  nouvelle  ? 

Le  père  gardien.  — Sur-le-champ,  si  vous 
le  trouvez  bon. 

Lucifer.  —  C'est  ce  que  je  désire.  Quels 
sont  ceux  des  frères  ((ui  y  travailleront  ? 

Le  PÈRE  gardien. — Je  ne  puis  les  dési- 
gner; c'est  à  vous  qu'il  app.irlienl  de  les 
choisir  et  d'eu  fixer  le  nombre.  Mon  devoir 
est  seulement  d'exécuter  tout  ce  que  vous 
aurez  ordonné. 

Lucifer..  —  Quelle  liypocrile  humilité  1 
Mais  le  lemps  viendra  hieiiiôt  où  on  le  verra 
passer  d'un  extiême  à  l'autre. 

Le  père  gardien.  —  Dieu  permettra  que 
vus  artifices  nous  fournissent  de  nouvelles 
occasions  de  mériter  sa  grâce. 

Lucifer.  —  Si  Dieu  y  intervient,  cela  sera 
facile  sans  doute.  Autrement  je  sais  par  ex- 
périence comment  vous  coinballez. 

Le  père  gardien. — J'avoue  que  je  nesuis 
que  poussière. 

Lucifer.  —  Allez,  allez  faire  paître  vos 
brebis.  Je  les  vois  qui  atlendenl  leur  pas- 
leur.  Prenez  garde  qu'il  ne  s'en  égare  quel- 
qu'une ;,  elle  pourrait  :e  perdre. 


499  DICTIONNAIRE  DES 

Le  père  gardien.  —Ce soin  ser;iilsiiprr(ln 
lie  ma  part.  C'est  ci  vous  de  les  garder  s'il 
survient  (iiiclqiie  danger,  puisque  Dii'u  ne 
vous  a  envoyé  parmi  nous  que  pour  6lre  le 
chien  de  garde  de  son  Iroupi'au.  (Il  sort.) 

LuciFEii.  —  Il  le  tant  bien,  hélas  1  puis- 
qu'il ne  ni'esl  permis  de  iiiortire  aucune  de 
ces  hrebis.  ,M;iis  un  jour  viendra  où,  le  ber- 
ger el  11. oi ,  i.ous  nous  verrons  dune  autre 
iaçon. 

«  Il  y  a,  ce  me  semble,  quelque  chose  d'6- 
niinouiinenl  dramaliquc  dans  cet  étrange 
dialogue,  vu  le  ciel  et  l'enfer,  forcés,  pour 
ainsi  dire,  d'exister  un  momentàcôlé  l'un  de 
l'autre,  (le  su-ipei.dre  leurs  hostilités ,  de 
concourir  au  même  but ,  se  dédommagent 
d'une  aussi  pénible  contrainte  par  un  assaut 
d'ironie  aiiiere  .si  profondément  empreint  de 
leur  insuriiionlable  antipathie.  C'est  une 
très-belle  iiiée,  imp;trfaitemont  esquissée,  il 
est  vrai,  par  l'auteur  espagnol,  que  de  mon- 
trer la  simplicité  d'une  âme  ferme  ,  pure  et 
religieuse,  liiliant  contre  toutes  les  ressour- 
ces du  génie  infernal,  et  le  déconcertant 
niénie  <iuel(|ui'fois  par  la  seule  force  de  la 
vertu  cl  de  la  vérité.  Ce  qui,  dans  le  texte  , 
ajoute  encore  à  l'effet  de  celte  scène  ,  mais 
ce  que  nous  n'avons  pu  transporter  dans  la 
traduction,  c'est  que  les  deux  interlocuteur* 
ne  se  parlent  qu'à  la  troisième  personne. 
<]elte  forme  autorisée  par  legénicdela  langue 
espagnole,  donne  à  leur  entretien  une  teinte 
vague  et  mystérieuse  parfaiteineul  appro- 
priée au  sujet. 

•  Cependant  Lucifer,  en  raffermissant  le 
courage  des  religieux,  en  leur  élevant  un 
nouveau  couvent,  en  réchauffant  la  ferveur 
du  peuple  di;  Lucqiies,  n'a  accompli  qu'une 
partie  de  sa  lâche.  Nous  avons  vu  (jue  saint 
Michel  lui  a  aussi  prescrit  de  travailler  à 
convertir  le  mauvais  riche  Ludovic.  Mais  ici 
tous  ses  efforts  échouent  contre  l'avarice  de 
cet  homme  pervers,  contre  son  impiélé,  et 
surtout  contre  la  haine  particulière  qu'il 
porte  à  l'ordre  de  saint  François.  L'élo- 
quence du  démon  réussit  bien  à  le  troubler, 
à  l'erfraycr,  à  le  remplir  d'une  sorle  de  res- 
pect dont  il  ne  sait  comment  se  rendre 
compte;  mais  rien  ne  peut  le  déterminer  à  se 
ilépartir  de  la  moindre  parcelle  de  son  im- 
tiiensc  fortune. 

«  Ludovic  vit'nt  de  se  marier.  Sa  jeune 
femme  Octavie,  douce,  charmante,  pieuse, 
forme  avec  lui  le  coiitiaste  le  plus  parfait. 
Avant  d'épouser  Ludovic,  elle  avait  donné 
son  cœur  à  un  homme  plus  digne  d'elle- 
Forcée  de  renoncer  à  lui,  elle  se  consacre 
désormais  tout  entière  à  l'indigne  époux  que 
ses  parents  l'ont  forcée  d'accepter;  elle  ne 
se  permet  ni  un  regret,  ni  un  souvenir. 
Néanmoins,  la  jalousie  de  Ludovic  ne  larde 
pas  à  s'éveiller,  et  dans  son  emportement  il 
se  résout  à  donner  la  mort  a  la  m;ilheureuse 
Uclavie.  Avertie,  par  plusieurs  indices,  du 
ïNurt  qu'il  lui  prépare,  elle  se  refuse  à  fuir  : 
elle  croirai!  se  rendre  coupable.  Le  scélérat 
l'attire  dans  un  lieu  écarté  où  il  espère  pou- 
voir cacher  son  crime;  il  la  frappe  d'un 
tuu]j  de  poignard,  elle  tombe  en  iuvo<iuanl 


SCIENCES  OCCULTES.  500 

le  nom  de  la  Vierge.  Lucifer,  qui  avait  ordre 
diî  la  sauver,  mais  qui  n'a  pu  y  parvenir,  est 
auprès  d'elle  ;  il  reconnaît  bienlôt  iiu'un 
prodige  va  s'opérer.  —  Klle  est  morte,  et  ce- 
pendanl,  dit-il,  son  âme  n'est  ni  montée  au 
ciel,  ni  descendue  dans  l'enfer,  et  elle  n'est 
pas  non  |)lus  entrée  dans  le  purgatoire.  — 
Toiil  à  coup,  au  son  d'une  musique  céiesie, 
la  Vierge  apparaît  au  milieu  d'un  cliœdr 
d'angi's;  elle  s'a|)proclie  d'Oclavie  et  la  lou- 
che de  ses  mains.  Le  seul  Lucifer  a  aperçu  la 
reini'  des  rieux  ,  invisible  pour  les  yrux 
morlels.  A  l'aspect  de  fa  plus  puissante  en- 
nemie, de  celle  qui  a  brisé  son  empire,  de 
douloureux  souvenirs  s'agitent  en  lui  ;  il 
sent  plus  vivement  les  angoisses  du  dési'S- 
poir  éternel,  et  pourtant,  subjugue  par  une 
puissance  surnaturelle,  il  se  prosterne,  il 
gémit  de  ne  pouvoir  s'associer  au  culte  que 
l'univers  rend  à  la  mère  de  Dieu;  il  célèbre 
comme  involontairement  ses  |)erfectioiis  in- 
finies, sa  puissanci!  illimitée,  les  récompenses 
qu'elle  accorde  à  ceux  qui  lui  ont  voué  une 
dévotion  particulière.  Ses  transports,  le  trem- 
blement (jui  l'agite,  le  feu  qui  sort  de  ses 
yeux,  les  paroles  entrecoupées  qui  s'échap- 
pent de  sa  bouche,  étonnent  d  épouvantent 
un  moine  présent  à  cette  scène,  mais  pour 
(lui  l'apparition  céleste  est  restée  non  ave- 
nue. Le  miracle  est  enfin  accompli;  la  Vierge 
s'éloigne,  et  Octavi(ï  ressuscite. 

«  Irrité,  mais  nun  persuadé  par  ce  mira- 
cle, Ludovic  persiste  dans  son  impiété.  Vai- 
nement Lucifer  tente  un  dernier  effort  pour 
le  convertir  ;  vainemi  ni  il  lui  annonce  la 
mort  (|ui  le  menace,  la  damnation  qui  doit  la 
suivreel  qu'une  aumône  faite  à  saint  François 
peut  détourner.  Ludovic ,  averti  qu'il  n'a 
plus  qu'un  moment  pour  se  repentir,  brave 
encore  la  puissance  divine.  Au  signal  enfin 
donné  par  saint  Michel,  Lucifer  s'empare  de 
sa  proie,  et  Ludovic  disparaît  au  milieu  des 
flammes.  Le  démon  croit  avoir  accompli 
toute  sa  mission  ;  déjà  il  vient  rejeter  le  froc 
qui  pèse  tant  à  son  orgueil;  mais. saint  Mi- 
chel lui  déclare  qu'il  lui  reste  encore  à  faire 
restituer  aux  pauvres  tout  ce  ([ue  leur  a  dé- 
robé 11!  scélérat  qui  vienl  de  périr.  Pour  exé- 
cuter ce  nouvel  ordre,  Lucifer  appelle  Asta- 
rolh,  un  de  ses  lieutenants.  Ce  dernier  prend 
la  figure  de  Ludovic,  fait  convoquer  tous 
ceux  qui  ont  à  se  plaindre  de  ses  spoliations, 
et  leur  partage  ses  richesses.  Lorsque  cette 
œuvre  de  réparation  est  terminée,  Lucifer, 
dépouillant  enfin  le  costume  rnonacal,  ra- 
conte en  peu  de  mots  au  peuple,  accouru  de 
toutes  parts  sur  le  bruit  de  la  prétendue 
conversion  de  Ludovic,  les  étranges  événe- 
ments qui  viennent  de  se  passer.  —  Demain, 
dit-il,  le  père  gardien,  qui  a  tout  vu,  à  qui 
Uieu  a  tout  révélé,  vous  donnera,  d  ais  un 
sermon,  des  explications  plus  complètes,  lit 
maintenant,  François,  la  trêve  est  expirée 
entre  tes  enfants  el  moi.  Je  redeviens  ion 
plus  grand  ennemi.  Veille  sur  eux  :  puis- 
qu'il ne  m'est  pas  permis  de  les  priver  de 
leur  subsistance ,  c'est  en  atta(|uant  leur 
vertu  (jue  je  satisferai  ma  haine. 

«  Ainsi  se  termine  le  Diable  prédicateur.  » 


501  DUT] 

DHAPE.  On  donne  à  Aigiirs-M-r'cs  le  nom 
do  Lou  Drapé  à  un  diev.il  falmlrux,  qiti  osl 
la  li'iTcnr  des  cnfanis,  qui  ics  rclionl  un  [>eu 
sons  l'aile  rie  leurs  parents,  e(  réprime  la  né- 
çligenre  des  mères.  On  assoie  que  (juand 
Lou  Drapé  vient  à  passer,  il  ramasse  snr  son 
dos,  l'un  après  l'aulre,  (oiis  les  cnf;;iils  éga- 
rés; el  que  sa  croupe,  d'abord  de  laille  ordi- 
naire, s'allonge  au  besoin  jus(iuà  contenir 
cinquante  et  cent  enfanis,  qu'il  emporte  on 
lie  sait  où. 

DIUFF,  nom  donné  à  la  pierre  de  Butdrr, 
à  laquelle  on  attribuait  la  propriélc  d'attirer 
le  venin;  elle  était,  dil-on  ,  composée  de 
mousse  formée  sur  des  têtes  de  mort,  de  sel 
niaiin,  de  vitriol  euivreux  empâté  avec  de  la 
colle  (le  poisson.  On  a  poussé  le  merveilleux 
jusqu'à  prétendre  (ju'il  suffisait  de  toucher 
cette  pi(  rrc  du  bout  de  la  langue  pour  être 
guéri  des  maladies  les  plus  redoutables.  Vau- 
Helmont  en  fait  de  grands  éloges. 

DHOLLUS.  Les  drolles  sont  des  démons  ou 
lutins  (jui,  dans  certains  pays  du  nord,  pren- 
nent soin  de  panser  les  chevaux,  font  tout  ce 
quon  leur  commandi>  cl  avertissent  des  dan- 
gers. Voy.  Farfadets,  Bérith,  Kobold,  etc. 

DUUl DES,  prêtres  des  Gaulois.  Ils  ensei- 
gnaient la  sagesse  et  la  morale  aux  princi- 
paux personnages  de  la  nation.  Ils  disaient 
que  les  âmes  circulaient  éternellement  de  ce 
monde-ci  dans  l'autre;  c'est-à-dire  que  ce 
qu'on  appelle  la  mort  est  Tentrée  dans  l'au- 
lre monde,  et  ce  qu'cm  appelle  la  vie  eu  est 
la  sortie  pour  re\enir  dans  ce  monde-ci  (1). 

Les  druides  d'Autun  aitribuaieni  une 
grande  vertu  à  l'œuf  de  serpent  ;  ils  avaient 
pour  armoiries  dans  leurs  bannières,  d"azur 
<à  la  couchée  de  serpents  d'argent,  surmontée 
d'un  gui  de  chêne  garni  de  ses  glands  de  si- 
nople.  Le  chef  des  druides  avail  une  clef 
pour  sytnbole  (2). 

Dans  la  petite  î'e  de  Sena  ,  aujourd'hui 
Sein,  vis-à-vis  la  eôe  de  Quimper,  il  y  avait 
un  collège  de  druidesses,  que  les  Gaulois  ap- 
pellent Senes  (prophétesses).  Elles  étaient  au 
nombre  de  neuf,  gardaient  une  perpétuelle 
virginité,  rendaient  des  oracle^  cl  avaient  le 
pouvoir  de  retenir  les  vents  el  d'exciter  les 
tempêtes;  elles  pouvaient  aussi  prendre  la 
forme  de  toute  espèce  d'animaux,  guérir  les 
maladies  les  plus  invétérées  et  prédire  l'a- 
venir. 

Il  y  avait  d'autres  druidesses  qui  se  ma- 
riaient; mais  elles  ne  sortaient  qu'une  fois 
dans  l'année,  cl  ne  [lassaient  qu'un  seul  jour 
avec  leurs  maris  (3).  Voyez  aussi  Dioclétien, 
Veli.éoa,  ('te. 

DRUSUS.  Chargé  par  l'empereur  Auguste 
du  commamlement  de  l'armée  romaine  qui 
faisait  la  guerre  en  Allemagne,  Diusiis  se 
préparait  à  passer  l'Elbe,  après  avuir  déjà 
remporté  plusieurs  victoires  ,  lorsqu'une 
femme  majestueuse  lui  apparut  et  lui  dit  : 
—  Où  cours-tu  si  vile,  Drusus?  Ne  seras-tu 
jamais  las  de  vaincre?  Apprends  que  tes 
jours  louchent  à  leur  terme... 


(1)  Diodnrofie  Sicile. 

(2)  Sailli  Koiï,  lissais,  rtc  ,  I.  II 

(3)  Sai:il  l'oix,  Lssuis  sur  l'jiis,  l    III,  p. 


J8*. 


DUE  .102 

Drusus  troublé  tourna  bride,  fil  sonner  la 
retraite  el  mournl  au  bord  du  Hhin. 

On  vit  en  même  temps  deux  chevaliers  in- 
connus qui  faisaient  caracoler  leurs  chcvanx 
autour  des  tranchées  du  camp  romain,  et  on 
Ciilendit  aux  environs  des  plaintes  e|  dos  gé- 
missemeiits  de  femmes  (•'();  —  ce  qui  n'est 
pas  merveille  dans  une  déroute. 

DKYDEN  (Jean),  célèbre  poêle  anglais, 
mort  en  1707.  On  rapporle  qu'il  tirait  aux 
dés,  le  jour  de  la  naissanc  ■  de  ses  enfants, 
pour  deviner  s'il  aurait  un  garçon  ou  une 
fille;  el  sa  prédiction  relative  au  sexe  de  son 
fils  Charles  se  réalisa  (5),  ce  qui  n'est  pas 
fort  étonnant.  Voy.  Asthagalomancie. 

DUALISME.  Il  y  a  des  tremblements  de 
terre,  des  tempêtes,  des  ouragans,  des  débor- 
dements de  rivières,  des  maladies  pestilen- 
tielles, des  bêtes  venimeuses,  des  animaux 
féroces ,  des  honnnes  naliirellemenl  mé- 
chants, perfides  et  cruels.  Or,  un  être  bien- 
fai>ant,  disaient  les  dualistes,  ne  peut  être 
l'auteur  du  mal.  Donc  il  y  a  deux  êtres,  deux 
principes,  l'un  bon,  l'autre  mauvais,  égale- 
ment puissants,  roéternels,  cl  qui  ne  cessent 
point  de  se  combattre. 

Dieu  a  donné  à  l'hommcle  libre  arbitre  : 
c'est  à  lui  de  choisir  enire  le  bien  et  le  mal; 
il  n'en  aurait  pas  le  moyen,  si  le  bien  seul 
existait.  L'homme  sans  passions  el  obligé 
de  faire  le  bien  sans  pouvoir  fiire  le  mal,  se- 
rait vertueux  sans  mérite.  Dans  un  monde 
sans  dangers  et  sans  besDins,  l'honime  vi- 
vrait sans  plaisirs.  La  vertu  ne  brille  que 
par  le  contraste  d,i  vice;  les  hommes,  mor- 
tels depuis  leur  chute,  sont  dans  ce  monde 
comme  dans  un  lieu  d'épreuves  :  on  ne  ré- 
compense point  une  machine  qui  ne  va  bien 
que  parce  qu'elle  est  montée  de  manière  à 
ne  pouvoir  aller  autrement. 

Si  l'on  rélléchit  bien  snr  le  dualisme,  dit 
Sainl-Foix,  je  crois  ([u'on  le  trouvera  encore 
plus  absurde  que  lidolâtrie. 

Los  Lapons  disent  que  Dieu,  avant  de  pro- 
duire la  terre,  se  consulta  avec  l'esprit  ma- 
lin, afin  de  déterminer  comment  il  arrange- 
rait chaciue  chose.  Dieu  se  proposa  donc  du 
remplir  les  arbres  do  moelle,  les  lacs  de  lait, 
et  de  charger  les  pl.intcs  el  les  arbri  s  de  Ions 
les' plus  beaux  fruit*.  Par  malheur,  un  plan 
si  convenable  à  l'homme  dé|.lut  à  l'esprit 
malin,  (lui  fit  toutes  sortes  rie  niches;  et  il 
en  résulia  que  Dieu  n'établit  pas  les  choses 
aussi  bien  ([u'il  l'aurait  voulu... 

Un  certain  Ptolomée  soutenait  que  le 
granil  Être  avait  deux  femmes;  que,  par  ja- 
lousie, ell(>s  se  contrariaient  sans  cesse,  et 
que  le  mal,  tant  dans  le  moral  que  dans  le 
pbysi(|uo,  venait  uniciuemeut  de  leur  mésin- 
telligence, l'une  se  plaisant  à  gâter,  A  chan- 
ger on  à  détruire  tout  ce  que  faisait  l'autre... 
Voy.  TRAniTioNs. 

DUENDIi.  «  Le  Duenrle,  lulin  espagnol, 
correspond  au  Goholifi  normand  et  au  Tom- 
tegobbe  suédois.  Duendo,  selon  Cobaruvias, 
est  une  contraction  de  diteno  de  casa,  maître 

(i)  Dii>ii  Cas«iiis. 

(5j  Bciliii,  OiiiusUûs  de  la  litléraUiro,  t.  I,  p.  2ti. 


503 

il(>  la  maison.  Ci"  rfiaMc  csiia^'nol  fui  île  tout 
ti-nips  filé  pour  la  furililé  d;  ses  inélaiiior- 
piiiiscs.  » 

DUFÎIUIAKS.  «  Los  diables  nains  ou  ()u<t- 
gars  (le  la  Scamliiiavio  sont  de  la  ni^'ine  fa- 
mille q.uc  les  elfs  de  la  nuit.  Les  Norwégiens 
nllribucnl  la  foriiic  régulière  et  le  poli  <l('s 
pierres  cristallisées  aux  travaux  des  petits 
tiabitanls  de  la  iiionlagnc,  dont  l'écho  n'est 
autre  chose  que  leur  voix.  Cette  prrsonuifi- 
cation  poétique  adonné  naissance  à  uu  mè- 
tre parlirulier  en  Islande,  appelé  le  gal.lra- 
tng,  ou  le  lai  diabolique,  dans  lequel  le  der- 
nier vers  de  la  première  slance  termine 
toutes  les  autres.  Et  lorsciue,  dans  une  saga 
d'Islande,  le  poëlc  introduit  un  esprit  ou  un 
fantôme  qui  chante,  c'est  loujours  avec  le 
(jaidralay.  Dans  une  autre  variélé  du  gaUlra- 
Uig,  c'est  le  premier  vers  qui  est  répété  de 
stance  en  slance.  On  retrouve  ce  système 
métrique  dans  quelques-unes  des  incanta- 
lious  superstiiicuse-i  des  Anglo-Saxons.  Ce 
rhylhme  a  un  son  monotone,  mais  solennel, 
qui,  sans  le  sci'ours  de  la  Iraililion  mytholo- 
gique, l'a  fait  employer  par  Its  poêles,  de- 
puis Virgili'  jusqu'à  Pope.  Le  Dante  se  sert 
du  galdraliKj  pour  l'inscription  placée  sur 
les  portes  di'  l'en  for. 

«  On  a  dit  que  1rs  véritables  protolypes 
(les  duergnrs  sont  les  liabitanis  de  la  vieille 
Finlande.  N.ms  commençons  à  douter  de 
cette  origine.  Il  est  certain  que  les  Finlan- 
dais se  vantèrent  longtemps  de  leur  com- 
merce intime  avec  le  diable  jusqu'à  ce  que 
ce  commerce  fût  Irailé  de  contrehande.  On 
n'a  pas  cessé  de  les  redouter  comme  sor- 
ciers ;  mais,  malgré  leur  talent  eu  magie  et 
eu  métallurgie,  on  doit  les  distinguer, des 
liahiles  ouvriers  qui  fabriquèrent  le  marteau 
(le  Thor,  les  tresses  d'or  de  Siva  et  !a  bague 
d'Odin,  toutes  choses  fameuses  dans  la  bi- 
zarre cosmogonie  des  Asi.  Si  nous  voulions 
interpréter  ces  mystères  selon  la  sagesse 
liicroglyphique  des  rose-croix,  uous  dirions 
que  les  duergars  étaient  des  personnifica- 
tions de  l'cléiiient  mét.illique  ou  des  gaz  qui 
en  sont  les  véhicules  dans  les  entrailles  de 
la  terre,  fécondant  les  veines  de  la  mine  et 
se  mêlant  à  la  circulation  de  la  vie  élcciri- 
que  et  magnétique  du  macrocosme.  Du  reste, 
ce  sont  des  êtres  trop  allégoriques  pour 
qu'on  les  confonde  avec  les  magie  iens  finlan- 
dais dispersés  sur  la  surface  dos  régions 
septentrionales.  Leur  cachel  d'antiquité  pri- 
mitive parait  d'autant  plus  marqué,  selon 
nous,  qu'on  les  retrouve  dans  les  vieilles  ira- 
ditions  des  Teutons,  consacrées  par  les  Ni- 
bdungs  et  le  Livre  des  JJérus.  Or,  les  Nibe- 
lungs  et  le  Livre  des  Héros  nous  vionnenl  de 
pays  où  Jamais  le  Finlandais  errant  ne  dressa 
t>a  (ente. 

«  Les  pays  de  mines  ont  défendu  Irès-long- 
lemps  leur  mythologie  populaire  contre  les 
lumières  de  la  saine  philosophie  et  de  la  re- 
ligion. On  peut  citer,  par  exemple,  le  cumté 
de  Cornouaillis;  et  le  Harzwald  di'  Hanovre, 
reste  de  l'ancienne  forêt  d'Hercynie,  est  en- 
core une  terre  enchantée.  Les  gobelins  des 
mines  ont  loujours  eu  uue  très-niauvaisu  ré- 


DICTIONNAIRK  DES  SCIENl.ES  OCCULTES. 


60  J 


pulation.  Le  démonologue  cité  par  Reginald 
Scott  nous  apprend  «  qu'ils  sont  très-jaloux 
de  leurs  trésors  cachés;  qu'ils  en  veulent 
beauioup  à  ceux  qui  les  découvrent  ,  et 
chen  lient  à  lu  r  ou  là  blesser  ceux  qui  vien- 
nent les  leur  enlever,  hantant  d'ailleurs  avec 
persévérance  les  caves  où  l'argent  est  dé- 
posé. »  Un  nommé  Peters,  du  comté  de  De- 
vonshire,  ayant  trouvé  le  secret  de  deviner 
les  lieux  où  les  gnbclins  couvaient  des  tré- 
sois,  fut  brûlé  rt  réduit  en  cendres  par  les 
dém  ins  irrités...  Quant  aux  mineurs,  ils  ne 
peuvent  trop  se  défier  de  ces  esprits  malveil- 
lants qui  leur  tendent  toutes  sortes  de  pièges 
pour  les  détruire  :  tantôt  ils  inondent  leurs 
travaux,  tantôt  ils  les  étouffent  par  des  va- 
peurs pestilentielles,  parfois  ils  leur  appa- 
raissent sous  des  formes  effrayantes.  Tel 
était  Vnnnnberge,  animal  terrible,  qui  fut  si 
funeste  aux  ouvriers  employés  dans  la  p'us 
riche  mine  d'argent  de  l'Allemagne,  ajipelée 
Corona  Rusacea. 

«  L'annaberge  se  montrait  sous  la  forme 
d'un  bouc  avec  des  cornes  d'or,  et  se  préci- 
pitait sur  les  mineurs  avec  iinpéluosilé,  ou 
sous  la  forme  d'un  cheval,  qui  jetait  la  11  iin- 
me  et  la  peste  par  ses  naseaux.  »  Ce  terrible 
annabergc  pouvait  bien  n'être  qu'un  esprit 
très-connu  aujourd'hui  des  chimistes  sous 
le  nom  de  gpz  hydrogène  ou  feu  grisou.  La 
lampe  de  sûreté  d'Humphrey-Davy  auiait 
été  un  talisman  précieux  aux  mineurs  de  la 
Couronne  de  roses;  et  James  Walt,  en  leur 
prêtant  une  de  ses  machines  à  vapeur,  les 
aurait  certainement  bien  défendus  contre  les 
inondaiions  suscitées  par  les  kob>dds  (1).  » 

DUFAY  (CuARLEs-Ji  RiiME  DE  Cisteunay)  , 
chimiste,  quoique  homme  de  guerre.  Il  s'oc- 
cupait du  grand  œuvre;  et  il  ilepensa  beau- 
coup d'argent  à  la  recherche  de  la  pierre 
philosophale.  Il  mourut  en  1723. 

DUFFUS,  roi  d'Ecosse.  Pendant  une  mala- 
die de  ce  prince,  on  arrêta  plusieurs  sorciers 
de  son  royaume,  qui  rôtissaient,  auprès  d'un 
petit  feu,  une  image  faite  à  la  resseinblanee 
du  iloi, sortilège  qui,  selon  leurs  confessions, 
causait  le  mal  du  monarque.  En  elïel,  après 
leur  arrestation,  la  santé  de  Uulïus  se  ré- 
tablit (2). 

DULOT,  magicien.  Yoy.  Marigny. 

DUMONS  (Antoine),  sorcier  du  dix-sep- 
lièii.e  siècle,  accusé  de  fournir  dos  chandel- 
les .111  s  ibbal  pour  l'adoration  du  diable. 

DUPLEIX  (Scipion),  conseiller  d  Etat  et 
historiographe  de  France,  mort  en  IGUl. 
Parmi  ses  ouvrages  très-remarquables ,  on 
peut  voir  la  Cause  de  la  veille  et  du  sommeil, 
des  soTKjes  de  la  vie  et  de  la  mort.  Paris,  1615, 
in-12;  Lyon,  1020,  in-8°. 

DURANDAL,  épée  merveilleuse  de  Char- 
lemagno.  Celait,  selon  les  romans  de  che- 
valerie, un  ouvrage  dos  fées. 

DURER  (Aldert)  ,  peintre  illustre,  né  à 
Nuremberg  en  1171,  mort  en  1328,  avec  la 
gloire  assez  rare  d'avoir  laissé  beaucoup  du 


(1)  Qiiarlcrly  revieuw.  Essai  sur  les  tradili  iis  ii(]|.u- 
lairf's. 

(2)  i.ctoyir.  Histoire  et  dise,  des  S|icclrcs,  etc.,  Ijv.  IV, 
cb   sv,  p.  5l)9. 


605 


EAT 


EAT 


eoG 


chefs  (l'œuvre  où  son  pinceau,  son  crayon  el 
ion  burin  n'onl  jamais  offensé  en  rien  la  re- 
ligion, ni  les  mœurs.  On  raconte  de  lui  une 
vision  que  nous  rapporlcrons  ici  : 

«  Albert,  le  pieux  artiste,  rêvait  quelque 
nouveau  chef-d'œuvre;  il  voulait  se  surpas- 
ser lui-même,  niais  le  génie  de  riiomme  a 
ses  limiles  que  jamais  il  ne  peut  franchir 
sans  se  perdre  dans  les  abîuK  s  du  tiionde  in- 
teilecluel.  Pendaiil  une  belle  nuit  dclé,  Al- 
bert avait  commenté  et  recomnieiicé  l'es- 
quisse des  quiire  évangé!i>tes.  Il  voulait 
retracer  les  traits  des  hommes  inspirés  qui 
furent  trouvés  dgnes  de  devenir  les  histo- 
riens de  l'Honinie-Dieu. 

«  Mais  rien  de  ce  que  sa  njain  produisait 
ne  rendait  à  son  gré  les  traits  qui  se  pei- 
gnaient dans  son  âme.  Comme  nous  parlons 
dans  la  musi(]uc  une  langue  inconnue,  dont 
nous  ne  comiirenons  pas  le  sens,  et  dont 
nous  ressentons  néanmoins  fortement  les 
elî;'ts,  de  môme  nous  possédons  en  nous  un 
savoir  que  nous  ne  saurions  rendre  par  des 
mois  ;  nous  portons  dans  notre  âme  des 
images  que  nos  mains  souvent  ne  peuvent 
tra'iluire  malérieHtment.  Las,  épuisé  par  ce 
combat  entre  ses  forces  intellectuelles  et  ses 
forces  matérielles,  Albert  jette  son  pinceau, 
ouvre  la  fenêtre  et  cherche  à  reiroinprr  son 
âme  dans  la  contemplation  de  la  nature. 
C'était  à  Nurenberg. 

«  La  nuit  était  superbe,  la  lune  éclairait 
de  sa  mafjique  lumière  les  églis(S  de  Sainl- 
Sébald  el  de  Saint  Laurent,  ainsi  que  d'au- 
tres grandes  œuvres  d'architecture  qui  se 
présentaient  aux  yeux  de  l'artislc.  Des  mil- 
liers d'étoiles  brillaient  à  la  voûte  céleste 
an-dessus  de  celle  ville  silencieuse  el  de  ses 
rues  désertes.  Dieu,  s'écria  Albi  rt,  a  permis 
à  des  hommi'S  de  transformer  ici  des  débris 
de  rochers  en  bâtiments  magnifiques,  pleins 
d'harmonie  dans  leur  ensemble  et  dans  toutes 
leurs  parties,  élevant  majeslueusemenl  leurs 
lonrs  vers  le  ciel,  cl  il  ne  me  permellrail  pas 
à  moi  de  rendre  sur  la  toile  et  en  son  hon- 
neur les  portraits  de  ses  sainls  envoyés,  por- 
traits que  cependant  je  porte  en  mon  âme  1 
Albert  se  sent  profondément  ému,  rappro- 
ché de  la  Divinité;  ses  mains  se  rejoignent 
pour  prier,  son  âme  adore. 

«  El  en  ce  moment  l'église  de  S.iinl-Sébaid 


se  colore  de  feu  et  de  (lamme  ;  des  nuages 
bleus  forment  le  fond  sur  lequel  se  dessinent 
les  figures  imposantes  des  quatre  évangélis- 
tes.  Oh!  voilà,  voilà,  dit-il,  les  traits  que  j'ai 
en  vain  cherché  à  retracer,  qui  échappaient 
à  mon  nrtdébillll  (;roil  entendre  les  sons 
rav  ssants  de  l'harmunie  des  sphères  ;  il  se 
voit  entouré  d'anges  el  de  célestes  esprits. 
Un  d'eux  lui  présente  sa  toile  abandonnée, 
l'aiiire  ses  pinceaux.  Albert  les  saisit,  tra- 
vaille avec  une  ardeur  surhumaine,  bientôt 
l'esquisse  est  terminée.  Il  ne  sera  pas  diffi- 
c  le  au  grand  artiste  d'achever  dignement 
son  œuvre. 

«  Enfin  la  vision  disparaît;  il  se  retrouvait 
dans  sa  chambre  solitaire,  rafraîchie  par  1  air 
vif  el  pur  de  l'aurore.  Il  fixe  ses  regards  sur 
son  travail;  il  prévoit  que  sei  quatre  évan- 
gélisles  seront  ce  qu'il  a  voulu  qu'ils  fus- 
sent ,  un  chef-d'œuvre.  Un  pressentiment 
lui  dit  qu'il  a  travaillé  pour  la  poslérité,  pour 
les  siècles  futurs.  Il  termine  par  des  actions 
de  grâces  la  séance  qu'il  avait  commencée 
par  une  prière  d'invocation  1 

«  Durer  croyait  et  voyait.  Voilà  pourquoi 
il  sol  créer  drs  chefs-d'œuvre  d'un(!  si  pure 
spiritualité.  B'aucoup  de  ceux  qui  voulurent 
marcher  sur  ses  trae.es  échouèrent  s.iuvenl, 
ncn  parce  que  le  lalenl  leur  manquait,  mais 
parce  qu'ils  n'avaient  point  sa  foi  na'i've  et 
inébranlable.  Le  ciel  et  ses  merveilles  res- 
tèrent cachés  pour  eux,  derrière  les  sombres 
nuages  du  monde  matériel  (1).  » 

DSIGOFK,  partie  de  l'enfer  japonais,  où  les 
méchants  sont  lourmentés.  suivant  le  nom- 
bre ou  la  qualité  de  leurs  crimes.  Leurs  sup- 
plices ne  durent  qu'un  certain  temps,  au 
bout  duquel  leurs  âmes  sont  renvoyées  dans 
le  monde  ,  pour  animer  les  corps  des  ani- 
maux impurs  dont  les  vices  s'accordent  avec 
ceux  dont  ces  âmes  s'étaient  souillées.  De  là 
elles  passent  successivement  dans  les  corps 
des  animaux  plus  nobles,  jusqu'à.ce  qu'elles 
rentrent  dans  les  corps  humains  ,  où  elles 
peuvent  mériter  ou  démériter  sur  nouveaux 
frais. 

DYSEIIS,  déesses  des  anciens  Celtes,  que 
l'on  supposait  employées  à  conduire  les 
âmes  des  héros  au  palais  d'Odin  ,  où  ces 
âmes  buvaient  de  la  bière  dans  des  coupes 
faites  des  crânes  de  leurs  ennemis. 


E 


EATUAS,  dieux  subalternes  des  Olaïliens, 
enfants  deleur  divinltésiiprême,  Taroalaihé- 
loomoo,  et  du  rocher  Lepapa-  Les  ICaluas, 
dit-on,  engendrèrent  le  premier  homme. 

Ces  dieux  sont  des  deux  sexes:  les  hom- 
mes adorent  les  dieux  mâles,  et  les  femmes 
les  dieux  femelles.  Ils  ont  des  temples  où  les 
personnes  d'un  sexe  différent  ne  sont  pas 
admises,  quoiqu'ils  en  aient  aussi  d'autres 
où  les  hommes  et  les  femmes  peuvent  en- 
trer. 

Le  nom  d'Eatua  est  aussi  donné  à  des  oi- 


seaux, tels  que  le  héron  et  le  inartin-pô- 
chcur.  L(!s  Otaïtiens  cl  les  insulaires,  leurs 
voisins,  honorent  ces  oiseaux  d'une  atlenlion 
pirliculière;  ils  ne  les  tuent  point  et  ne  leur 
font  aucun  m;il;  mais  ils  ne  leur  rendent 
pourtant  aucune  espèce  de  culte,  et  parais- 
sent n'avoir  à  leur  égard  que  des  idées  su- 
perstitieuses, relatives  à  la  bonne  ou  mau- 
vaise fortune,  telles  que  le  peuple  parmi 
nous  en  a  sur  le  rouge-gorge  et  sur  l'hiron- 
delle. 
(I)  Nouvelle  revue  de  Bruxcllei,  Février  I8ii. 


507 


Les  Olalflions  rroioul 
Iiii-mémc  rsl  soumis  imi  ccriains  cas  aux  !;é- 
iiios  inférieurs  à  qui  il  a  donné   l'exisleuce, 
<iuiis  le  dévorent  souvent,  mais  qu'il  a  tou- 
jours le  pouvoir  de  se  rcrréer. 

KAU.  Presque  tous  les  anciens  peuples 
ont  fait  une  divinité  de  cet  élément,  qui,  sui- 
vai't  certains  philos  'piies,  était  ic  principe 
de  toute  chose.  Les  Guébres  ie  respectent  ; 
un  (le  leurs  livres  sacrés  leur  défend  d'em- 
p'oyer  l'eau  la  nuit  et  de  jamais  emplir  tout 
à  fait  un  vase  d'eau  pour  la  faire  bouillir, 
de  peur  d'en  renverser  quelques  gouttes. 

Les  cabalistes  peuplent  l'eau  d'Oudins. 
Voy.  ce  mot. 

EAU  AMÈRE  (Epreuve  de  l').  Elle  avait 
lieu  ainsi  chez  les  anciens  Juifs  :  lorsqu'un 
homme  soupçonnait  sa  femme  en  mal,  il  de- 
mandait qu'elle  se  purgeai  selon  la  loi.  Le 
juge  envoyait  les  parties  à  Jérusalem,  au 
grand  consistoire,  composé  de  soixante  vieil- 
lards. La  femme  était  exhortée  à  bien  regar- 
der sa  conscience,  avant  de  se  soutnetlre  au 
hasard  de  boire  les  eaux  amères.  Si  elle  per- 
sislail  à  dire  qu'elle  était  nette  de  péché,  on 
la  menait  à  la  porte  du  Saint  des  S.ints,  el 
on  la  promenait  afin  de  la  faliguer  et  de  lui 
laisser  le  loisir  de  songer  en  elle-même.  On 
lui  donnait  alors  un  vêlement  noir.  Un  prêtre 
était  chargé  d'écrire  son  nom  et  toutes  les 
paroles  qu'elle  avait  dites  ;puis,  se  faisantap- 
liorleruu  pot  de  terre,  il  versait  dedans, avec 
une  coquille,  la  valeur  d'un  grand  verre 
d'eau  ;  il  prenait  de  la  poudre  du  tabernacle, 
avec  du  jus  d'herbes  amères,  raclait  le  nom 
écrit  sur  le  parchemin,  et  le  donnait  à  boire 
à  la  femme,  qui,  si  elle  était  coupable,  aus- 
sitôt blêmissait;  les  yeux  lui  tournaient,  et 
elle  ne  tardait  pas  à  mourir  (1);  mais  il  ne 
lui  arrivait  rien  si  elle  était  innocente. 

EAU  BENITE.  C'est  une  coutume  très-an- 
cienne dans  l'Eglise,  et  de  tradition  apostoli- 
que (2),  de  bénir,  par  des  prières,  des  exor- 
cismes  et  des  cérémonies,  de  l'eau  dont  on 
fait  des  aspersions  sur  les  fiilèles  et  sur  les 
choses  qui  sont  à  leur  us.igc.  P.ir  cette  bé- 
nédiction, l'Eglise  demande  à  Dieu  de  puri- 
fier du  péché  ceux  qui  s'en  serviront,  d'é- 
carter d'eux  les  embûches  de  l'ennemi  du 
salut  el  les  fléaux  de  ce  monde  {-i).  Dans  les 
constitutions  apostoliques,  l'eau  bénite  est 
appelée  un  moyen  d'expier  le  péché  et  de 
Illettré  en  fuite  le  démon. 

On  se  sert  aussi  au  sabbat  d'une  eau  bé- 
nite particulière.  Le  sorcier  qui  fait  les  fonc- 
tions sacrilèges  (qu'on  appelle  la  messe  du 
sabbat)  est  chargé  d'en  asperger  les  assis- 
tanis  (4.J. 

EAU  BOUILLANTE  (Epreuve  de  l').  On 
l'employait  autrefois  pour  découvrir  la  vé- 
rité dans  les  tortures  qu'on  appelait  témé- 
rairement jugements  de  Dieu.  L'accusé  plon- 
geait   la   main    dans    un    vase    plein    d'eau 

bouillante,  pour  y  prendre  un  anneau  sus- 

(1)  Leloyer,  Hist.  des  spectres  el  des  appariiioiis  des 
e.'ii"'il8,  liv.  IV,  cil.  XXI,  p.  i-08. 

(2)  l^e  H.  Lebrun,  E\|ili(alioii  des  cércm,,  l.  I,  p  7l). 
(5)  BiTgitT,  Dict  tliéi)liig. 

(«i  Uuguut,  Discours  des  sorciers,  cti.  xxii,  p.  lit.  el 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES.  SUS 

que  le  grand  Eatua      pendu  plus  ou  moins  profondément.  Ensuite 


on  enveloppait  la  main  du  patient  avec  \u\ 
linge  sur  lequel  le  juge  et  la  partie  adverse 
apposaient  leurs  sceaux.  Au  bout  de  trois 
jours  on  les  levait;  s'il  ne  paraissait  point 
de  marques  de  brûlure,  l'accusé  était  ren- 
voyé absous. 

EAU  D'ANGE.  Pour  faire  de  bonne  eau 
d'ange,  ayez  un  grand  alambic,  dans  lequel 
vous  mettez  les  drogues  suivantes  :  benjoin., 
quatre  onces;  slyrax,  deux  onces;  saailal 
citrin,  une  once;  rlous  de  girofle,  deux 
drachmes;  deux  ou  trois  morceaux  d'iris  de 
Florence  ;  la  moitié  d'une  écorce  de  cilron  ; 
deux  noix  muscades;  cannelle,  demi-once; 
deux  pintes  de  bonne  eau  de  roche;  chopine 
d'eau  de  fleurs  d'orange;  chopine  d'eau  de 
mélilol  ;  vous  mettez  le  tout  dans  un  alambic 
bien  scellé,  et  vous  distillez  au  bain-marie; 
celte  dislillation  sera  une  eau  d'ange  ex- 
quise (5),  ainsi  nommée  parce  que  la  ncelte 
en  fut  enseignée  par  un  ange...  Elle  guérit 
beaucoup  de  maladies,  disent  ses  piôneurs. 

EAU  FROIDE  (Epreuve  de  l').  Elle  élail 
fort  en  usage  au  neuvième  siècle,  et  s'éieii- 
dait  non-seulement  aux  sorciers  et  aux  hé- 
rétiques, mais  encore  à  tout  accusé  dont  le 
crime  n'était  pas  évident.  Le  coupable,  ou 
prétendu  tel,  était  jeté,  la  main  droite  liée  au 
pied  g.iuche,  dans  un  bassin  ou  dans  une 
grande  cuve  pleine  d'eau,  sur  laquelle  ou 
priait  pour  qu'elle  ne  pût  supporter  un  cri- 
minel :  de  façon  que  celui  qui  enfonçait 
élail  déclaré  innocent. 

EAU  LUSTRALE.  Eau  commune  dans  la- 
quelle, chez  les  peuples  païens,  on  éteigniit 
un  tison  ardent  tiré  du  f.iyer  des  sacrifices. 
Quand  il  y  avaitun  mort  dans  une  maison,  on 
meltaitàla  porte  un  grand  vase  rempli  d'eau 
lustrale,  apportée  de  qucbjue  autre  maison 
où  il  n'y  avait  point  de  mort.  Tous  ceux  qui 
venaient  à  la  maison  en  deuil  s'aspergeaient 
de  celle  eau  en  sortant.  —  Les  druides  em- 
p'oyaient  l'eau  lustrale  à  chasser  les  malé- 
fices. 

EBERARD,  archevêque  de  Trêves,  mort 
en  10o7.  Ayant  menacé  les  Juifs  de  les  chas- 
ser du  sa  ville,  si  dans  un  certain  temps  qu'il 
leur  accorda  pour  se  faire  instruire,  ils 
n'embrassaient  pas  le  christ innismc,  ces  mi- 
sérables, qui  se  disaient  réduits  .iu  désespoir, 
subornèrent  un  sorcier  ([ui,  i»our  de  l'argent, 
leur  baptisa  du  nom  de  l'évêquc  une  iuiaj;e 
de  cire,  à  laquelle  ils  atlachèrenl  des  mè- 
ches et  des  bougies;  ils  les  allumèrent  le  sa- 
medi saint,  comme  le  prélat  allait  doiiner  le 
baptême.  Pendant  qu'il  était  occupé  à  celte 
sainte  fonction,  la  statue  étant  à  moitié  con- 
sumée, Ebérard  se  sen'.il  extrêmement  mal; 
on  le  conduisit  dans  la  sacristie,  où  (dit  lu 
chronique)  il  expira  bientôt  après  (G). 

EBLIS,  nom  que  les  mahomélans  donnent 
au  diable.  Us  disent  qu'au  moment  de  la  nais- 
sance de  leur  prophète,  le  trône  d'Eb.is   fut 

Di-bncre,  Tableau  de  l'incoiisiance  des  dimoiis,  etc. 
liv.  VI,  dise.  5,  p.  i.')?. 

(!i)  «l'rrcis  du  Petit  Albert,  p.  162. 

(CJ  Uisluiru  des  ai-chc\ô.iucs  de.  Trêves,  cli.  tïu. 


609 


ECU 


précipité  au  fond  de  l'enfer,  cl  (juc  les  idoles 
des  ^cnlils  fiirenl  renversées. 

EIJUOIN.  On  lit  ceci  dins  Jacques  de  Vora- 
[;ine  (legenda  1  li)  :  —  Une  pelite  troupe  de 
pieux  cénobites  regagnait  de  nuit  le  nionas- 
lère.  Ils  arrivèrent  au  bord  d'un  grand  fleuve, 
et  s'arrélèrenl  sur  le  gazon  pour  se  reposer 
un  instant.  Bientôt  ils  entendirent  plusieurs 
rameurs  qui  dcsrendaient  le  II  "uve  avec  une 
grande  inipétnosilé.  L'un  (ie<  moines  leur  de- 
manda qui  ils  étaient  :  «  Nous  sommes  des 
démons,  répomlirenl  les  raoïeurs.  et  nous 
emportons  aux  enfers  l'âme  d'Iîhr'iïn,  maire 
du  palais,  qui  lyrannis.i  la  Fran.-e  et  qui 
abandonna  U;  monasière  do  Sànt-Gall  pour 
rentrer  dans  le  momie.  » 

EliRON,  démon  honoré  à  Totirnny,  du 
temps  de  C'ovis.  11  csl  cité  parmi  les  démons 
dans  le  roman  de  Godefruid  de  lioxùllon, 
vieux  pocme  dont  l'auleur  était  du  Hainant. 

ECHO.  Presque  tous  les  physiciens  ont  at- 
tribué la  form.ition  de  l'écho  à  une  répercus- 
sion de  son,  s>'ml)lable  à  crlle  qu'éprouve  la 
lumière  quand  elle  tomiie  sur  un  corps  poli. 
L'écho  est  donc  pro  luit  par  le  moyen  d'un 
ou  de  plusieurs  obsîacles  qui  interceptent  le 
son  et  le  font  rebrousser  en  arrière. 

11  y  a  des  échos  simples  et  drs  échos  com- 
posés. Dans  les  premiers,  on  entend  une 
simple  répétition  du  son  ,  dans  les  autres,  on 
l'entend  une,  deux,  trois,  (juatre  fois  et  da- 
vantage. 11  en  est  ()ui  répètent  plusieurs  mots 
de  suite  les  uns  a|)iès  les  autres;  ce  phéno- 
mène a  lieu  toutes  les  fois  qu'on  se  trouve  à 
une  distance  de  l'écho,  telle  qu'on  ait  le 
temps  de  prononcer  plusieurs  mots  avant 
que  la  répétition  du  premier  soit  parvenue  à 
l'oreille.  Dans  la  grande  avenue  du  château 
de  Villebertain,  à  deux  lieues  de  Troyes,  on 
entend  un  écho  qui  répète  deui  fois  un  vers 
de  douze  syllabes. 

Quelques  échos  ont  acquis  une  sorte  de 
célébrilé.  On  cite  celui  de  la  vigne  Simonetta, 
«lui  répétait  quarante  fois  le  même  un)!.  A 
SVoodstock,  en  Angleterre,  il  y  en  avait  un 
qui  répétait  le  même  son  jusqu'à  cin()uante 
fois.  A  (luelques  lieues  de  Glascow,  en  Ecosse, 
il  se  trouve  un  écho  encore  plus  singulier. 
Un  homme  joue  un  air  de  trompette  de  huit  à 
dix  notes;  l'echo  les  répète  fidèleaient,  mais 
une  tierce  plus  bas,  cl  cela  jusqu'à  trois  fois, 
interrompues  i)ar  un  petit  silenc;'. 

Il  y  eut  des  gens  assez  simples  pour  cher- 
cher des  oracles  dans  les  échos.  Les  écrivains 
d('S  derni'rs  siècles  nous  ont  conserve  ((ucl- 
ques  dialogui  s  de  mauvais  goût  sur  ce  sujet. 

Un  am.inl  :  Dis-moi,  cruel  amour,  mou 
bonhi'ur  est-il  évanoui? 

L'écho:  Oui. 

L'amant:  Tu  ne  parles  pas  ainsi,  quand  tu 
séduis  nos  cœurs,  et  que  les  promesses  les 
entraînent  dans  de  funestes  engagements. 

L'écho  :  Je  mens. 

Lamanl:  f.ir  pitié,  ne  ris  pas  de  ma  peine. 
Réponds -moi,  me  resle-l-il  quel(|ue  espoir 
ou  non? 

L'echo  :  Non. 

L'amant:  Eh  bien!  c'en  csl  fait,  tu  veux 
iiiu  mort,  j'y  cours. 


i:CL  510 

L'écho  :  Cours. 

L'amant:  La  contrite,  instruite  de  les  ri- 
gui'urs,iie  s<'ra  plus  assez  insensée  pour  dire 
de  toi  un  mol  d'éiog  S. 

L'écho  :  Déloge. 

Les  anci(  ns  Ecossais  croyaient  que  l'érho 
était  un  esprit  (jui  se  plaisait  à  répéter  les 
sons.  Voy.  Lavisaki. 

ECLAIUS.  Ou  rendait  nutri'fois  une  espère 
de  culte  aux  éclair-,  en  faisant  du  bruit  avec 
la  bouche;  et  les  llomains  honoraient,  sons 
It;  noin  d."  Papysma,  une  divinité  champétie, 
pour  qu'elle  en  préservât  les  biens  de  la 
terre.  Les  Grecs  de  l'O.ienl  les  redoutent 
beaucoup. 

ECLIPSES.  C'était  une  opinion  générale, 
chez  les  païens,  (jue  les  éclipses  de  lune  pro- 
cédaient de  la  vertu  magique  de  certaines 
paroles,  par  lesquelles  on  arrachait  la  lune 
du  ciel,  et  on  l'attirait  vers  la  terre  pour  la 
contraindre  de  jeter  l'écume  sur  les  hi-rbe.», 
qui  devenaient,  par  là,  plus  propres  aux  sor- 
tilèges des  enchanteurs.  Pour  délivrer  la 
lune  de  son  tourment  et  pour  éluder  la  force 
du  charme,  on  empêchait  qu'elle  n'en  enten- 
dît les  paroles  en  faisant  un  bruit  horrible. 

Une  éclipse  annonçait  ordinairement  de 
grands  malheurs,  et  on  voit  souvent,  dans 
l'antiquité,  des  armées  refuser  de  se  battre  à 
cause  d'une  éclipse. 

Au  Pérou,  quand  le  soleil  s'éclipsait,  ceux 
du  pays  disaient  iju'il  était  fâché  contre  eux, 
et  se  croyaient  menacés  d'un  grand  malheur. 
Ils  avaient  encore  plus  de  crainte  dans 
l'éclipsé  de  lune.  Ils  la  croyaient  malade 
lorsqu'elle  paraissait  noire;  ils  comptaient 
qu'elle  mourrait  infailliblement  si  elle  ache- 
vait de  s'obscurcir;  qu'alors  elle  tomberait 
du  ciel,  qu'ils  périrai(M>t  tous,  et  que  la  Gn 
du  monde  arriverait.  Ils  en  avaient  une  telle 
frayeur,  qu'aussitôt  qu'elle  commiMiçait  à 
s'éclipser,  ils  faisaient  un  bruit  tei-rible  avec 
des  trompettes,  des  cornets  et  des  tambours; 
ils  fou  et  talent  des  chiens  pour  les  faire  aboyer, 
dans  l'espoir  que  la  lune,  qui  avait  de  l'af- 
fection  pour  ces  animaux,  aurait  pitié  do 
leurs  cris  (  l  s'éveillerait  de  l'assoupisscmenl 
que  sa  maladie  lui  causait.  En  mcm:?  temps, 
les  hommes,  les  femmes  et  les  enfants  la 
suppliaient,  les  larmiss  aux  yeux  cl  avec  de 
grands  cris,  <le  ne  point  se  laisser  mourir,  de 
peur  que  sa  mort  ne  fût  cause  de  leur  perle 
universelle.  Tout  ce  bruit  ne  cessait  que 
quand  la  lune,  reparaissant,  ramenait  le 
calme  dans  les  esprits  épouvantés. 

Les  Talapoins  prétendent  que  quand  la 
lune  s'éclipse,  c'est  un  dragon  qui  la  dévore; 
et  que  quanil  elle  reparaît,  c'est  le  dragon 
qui  rend  son  dîner. 

Dans  les  vieilles  myihologiesgermaniques» 
deux  loups  poursuivaient  sans  cesse  le  soleil 
et  la  lune  ;  les  éclipses  étaient  des  luttes  con- 
tre ces  monstres. 

Les  lùiropéens, crédules  aussi,  regardaient 
autrefois  les  écli|)ses  comme  drs  signes  fâ- 
cheux ;  une  éclipse  d;'  soliiil,  qui  eut  lieu  lo 
13  août  IGGi,  fut  annoncée  comme  l'avant, 
coureur  d'un  déluge  semblable  à  celui  qui 
était  arrivé  du  temps  de  Noé,  ou  plutôt  d'un 


g,)  DirTlONNAinE  DES  SCIF.NTF.S  OCCULTES 

(lélnsc  d.>  foi),  qui  divail  amener  la  On  du 
lÉidude.  C<'ltc  prédiction  épouv.nita  li'lleineiit 
1(S  ni.issi's,  qu'un  curé  de  cimip.ijîne  (c'est 
un  petit  conte  que  nous  rapportons),  ne 
pouvant  >unire  à  confesser  tous  ses  parois- 
siens, qui  craignaient  de  mourir  dans  celte 
circonstance,  et  sachant  ijue  tout  ce  qu'il 
pourrait  leur  dire  de  raisonnable  à  cet  égard 
ne  prévaudrait  pas  contre  les  prédictions 
filciieuses,  fut  contraint  de  leur  annoncer  au 
prôue  qu'ils  ne  se  pressassent  pus  tant,  et 
que  l'éelipse  avait  été  remise  à  quinzaine(l). 

Dans  les  Indes,  on  est  persu;idé,  quand  le 
soleil  ou  la  lune  s'éclipse,  qu'un  certain 
démon  aux  griffes  noires  les  élenii  sur  l'as- 
tre dont  il  veut  se  saisir;  pendant  ce  temps, 
on  voit  les  rivières  couvertes  de  lêtes  d'In- 
diens qui  croient  soulager  l'astre  menacé  en 
se  tenant  dans  l'eau  jusqu'au  cou. 

Les  Lapons  sont  convaincus  aussi  que  les 
éclipses  de  lune  sont  l'ouvrage  des  démons. 

Les  Chinois  prétendaient,  avant  l'arrivée 
des  missionnaires  jésuites,  qui  les  éclairè- 
rent, <|uc  les  éclipses  étaient  occasionnées 
par  un  mauvais  génie,  lequel  cachait  le  soleil 
de  sa  main  droite  et  la  lune  de  sa  main  gau- 
che. 

Cependant  celle  opinion  n'était  pas  géné- 
rale, puisque  quelques-uns  d'entre  eux  di- 
saient qu'ilyavaitaumilieudusoleil  un  grand 
(rou,  et  que,  quand  la  lune  se  rencontrait  vis- 
à-vis,  elle  devait  naturellement  être  privée  de 
lumière. 

Dieu  ,  disent  les  Persans,  lient  le  soleil 
enfermé  d.ins  un  tuyau  qui  s'ouvre  et  se  ferma 
au  bout  par  un  volet.  Ce  bel  œil  du  monde 
éc'aire  l'univers  et  l'échauffé  par  ce  trou;  et 
quand  Dieu  veut  punir  les  hommes  parla  pri- 
vation de  la  lumière,  il  envoie  l'ange  Gabriel 
fermer  le  volet,  ce  qui  produit  les  éclipses. 
Mais  Dieu  est  si  bon,  qu'il  n'est  jamais  fâché 
longtemps.  Les  Mandingues,  nègres  maho- 
niétansde  l'intérieur  de  l'Afrique,  altribuenl 
les  éclipses  de  lune  à  un  chai  gig;inles(iue 
qui  met  sa  patte  entre  la  lune  et  la  terre;  et, 
pendant  tout  le  temps  que  dure  l'éclipsé,  ils 
ne  cessent  lie  chanter  et  de  danser  eu  l'hon- 
neur de  Mahomet  . 

LesMexicains,  effrayés,  jeûnaient  pendant 
les  éclipses.  Les  femmes  se  mallrailaient,  et 
les  filles  se  tiraient  du  sang  des  bras.  Ils  s'i- 
maginaient que  la  lune  avait  été  blessée  par 
le  s<deil  pour  quelque   querelle  de    ménage. 

ECHEGORES,  pères  des  géants,  suivant  un 
livre  apocryphe  d'Enoch.  Les  anges  qu'il 
nomme  ainsi  s'assemblèrent  sur  le  mont  Hé- 
mon  du  temps  du  palriarche  Jared,  et  s'en- 
gagèrent par  des  anallièmes  à  ne  se  point 
sépirer  qu'ils  n'eussent  enlevé  les  filles  des 
lioinmes. 

EC]UT\]l{E.  Art  (le  juger  les  hommes  par 
leur  écriture,  d'après  Lavater.  —  Tous  bs 
mouvements  d.-  notre  corps  reçoivent  leurs 
inoilificalioDS  du  tempérament  et  du  carac- 
tère. Le  mouvement  du  sage  n'csl  pas  celui 
de  l'idiot,  leporl  et  ladémarche  dilTèrenlsen- 
siblement  du  ci)léri(]ue  au  flegmatique,  du 
sanguin  au  mélancolique. 

(1)  l.rjjall..  Calciul.  véiibbl",  {).  46. 


51? 

De  Ions  les  mouvements  du  corps ,  il  n'en 
est  point  d'aussi  variés  que  ceux  de  la  main 
'et  des  doigts,  et  de  tous  les  mouvements  de  la 
main  et  des  doigts,  les  plus  diversifiés  sont 
ceux  que  nous  faisons  en  écrivant.  Le  moindre 
mot  jeté  sur  le  papier,  combien  de  points  , 
combien  de  courbes  ne  renferme-t-il  pas!... 

Il  estévidentencore,  poursuit  Lavaler,  (|ue 
chaque  tableau,  que  chaque  figure  détachée 
et,  aux  yeux  de  l'observateur  et  du  connais- 
seur, ciiaque  trait,  conservent  el  rappellent 
l'idée  du  peintre.  — Que  cent  peintres,  que 
tous  les  écoliers  d'un  mômemaiire  dessinent 
la  même  figure,  que  toutes  ces  copies  res- 
semblent à  l'original  de  la  manière  la  plus 
frappante,  elles  n'en  auront  pas  moins,  cha- 
cune, un  caractère  particulier,  une  teinte  et 
une  touche  qui  les  feront  distinguer. 

Si  l'oneslobligéd'admeltre  une  expression 
caractéristique  pourles ouvrages  de  peinture, 
pourquoi  voudr.iit-on  (|u'ellc  disparût  enliè- 
reinenl  d.ins  les  dessins  el  dans  les  figures 
que  nous  traçons  sur  le  pipier?  Chacun  de 
nous  a  son  écriture  propre,  individuelle  et 
Inimitable,  ou  qui  du  moins  ne  saurait  être 
contrefaite  que  très-difficilement  et  très-im- 
parfaitement. Les  exceptions  sont  en  trop 
petit  nombre  pour  détruire  la  règle. 

Celte  diversité  incontestable  des  écritures 
ne  serait-elle  point  fondée  sur  la  différence 
réelle  du  caractère  moral? 

On  objectera  que  le  même  homme,  qui 
pourtant,  n'a  qu'un  seul  el  même  caractère, 
peut  diversifier  son  écriture.  Mais  cet  honmie, 
malgré  son  égalité  de  caractère,  agit  ou  du 
moins  parait  agir  souvent  de  mille  manières 
différentes.  De  même  qu'un  esprit  doux  se 
livre  quelquefois  à  des  emportements,  de 
même  aussi  la  plus  belle  main  se  permet,  dans 
l'occasion,  une  écriture  négligée;  mais  alors 
encore  celle-ci  aura  un  caraclère  tout  à  fait 
différent  dugriffonnaged'un  homme  qui  écrit 
toujours  mal.  On  reconnaîtra  la  belle  main 
du  premier  jusque  dans  sa  plus  mauvaise 
écriture,  tandisque  l'écriture  la  plus  soignée 
du  second  se  ressentira  toujours  de  son  bar- 
bouillage. 

Celte  diversilé  de  l'écriture  d'une  seule  el 
même  personne  ne  faitque  confirmer  la  liièse; 
il  résulte  de  là  que  la  disposition  d'espril  oîi 
nous  nous  trouvons  influe  sur  notre  écriture. 
Avec  la  même  encre,  avec  la  môme  plume  , 
et  sur  le  même  papier,  l'homme  façonnera 
tout  autrement  son  écriture  quand  il  traite 
une  aff.iire  désagréable,  ou  quand  il  s'enlre- 
ticiit  curdialemeut  avec  son  ami. 

Chaque  nation,  chaque  pays,  chaque  ville 
a  son  écriture  particulièro,  tout  comme  ils 
ont  une  physionomie  el  une  forme  qui  leur 
s  int  propres  (2).  Tous  ceux  qui  ont  un  com- 
nierc(;  de  lettres  un  peu  étendu  pourront 
vérifier  la  justesse  de  cette  remarque.  L'ob- 
servateur intelligent  ira  plus  loin,  et  il  jugera 
déjà  du  caractère  de  son  correspondant  sur 
la  seule  adresse  (j'entends  l'écriture  de  l'a- 

(2)  Quand  Lavater  écrivait,  on  n'avait  pas  encore  inlro- 
dnil  l'écriture  mécanique,  dite  écriture  anglaise  ou  aiuéri- 
caiiiu. 


E\7. 


ECR 


EDR 


r,\i 


rfre.Mff,  cnr  le  slyle  fournit  dos  indices  plux 
positifs  encore),  à  peu  près  comme  le  titre  d'un 
livre  nous  f;iit  connatlre  souvent  la  tournure 
d'esprit  de  l'auteur. 

Une  belle  éeriliire  suppose  nécessairement 
nue  certaine  justesse  d'esprit,  et  en  particu- 
lier l'amour  de  l'ordre.  Pour  écrire  avec  une 
belle  main,  il  faut  avoir  du  moins  une  veine 
d'énergie,  d'indusirie.de  précision  et  de  goût, 
ch  ique  effet  supposant  une  cause  qui  lui  est 
analogue.  Mais  ces  gens,  dont  l'écriture  est 
si  belku't  si  élégante, la  peindraient  peut-éire 
encore  mieux  si  leur  esprit  était  plus  cultivé 
et  plus  orné. 

Ou  distingue,  dans  l'écriture,  la  substance 
et  le  corps  des  lettres,  leur  forme  et  leur  ar- 
rondissement, leur  hauteur  et  leur  longueur, 
leur  position,  leur  liaison,  l'intervalle  qui 
les  sépare,  l'intervalle  qui  est  entre  les  li- 
gnes, la  netteté  de  l'écriture,  sa  légèreté  ou 
sa  pesanteur.  Si  tout  cela  se  trouve  dans  une 
parfaite  harmonie,  il  n'est  nullement  diflicile 
de  découvrir  quelque  chose  d'assez  précis 
dans  le  caractère  fondamental  de  l'écrivain. 

Une  écriture  de  travers  annonce  un  ca- 
ractère faux,  dissimulé,  inégal.  Il  y  a  la  plu- 
part du  temps  une  analogie  admirable  entre 
le  langage,  la  dém;irche  et  l'écriture. 

Des  lettres  inégales,  m;il  jointes,  mal  sépa- 
rées, mal  alignées,  el  jetées  en  quelque  soVte 
séparément  sur  le  papier,  annoncent  un  na- 
turel flegmatique,  lent,  peu  ami  de  l'ordre  et 
de  la  propreté. 

Une  écriture  plus  liée,  plus  suivie,  plus 
énergique  et  plus  ferme  annonce  plus  dévie, 
plus  de  chaleur,  plus  de  goût.  11  y  a  des  écri- 
tures qui  dénotent  la  lenteur  d  un  homme 
lourd  et  d'un  esprit  pesant. 

Une  écriture  bien  formée,  bien  arrondie, 
priimct  de  l'ordre,  de  la  précision  et  du  goût. 
Une  écriture  extraordinairemenl  soignée  an- 
nonce plus  de  précision  et  plus  de  fermeté, 
mais  peui-étre  moins  d'esprit. 

Une  écriture  lâche  dans  quelques-unes  de 
ses  parties,  serrée  dans  quelque-,  autres,  puis 
longue,  puis  étroite,  puis  soignée,  puis  né- 
gligée, laisse  entrevoir  un  caractère  léger, 
incertain  et  flottant. 

Une  écriture  lancée,  des  lettres  jetées,  pour 
ainsi  dire,  d'un  seul  trait,  et  qui  annoncent 
la  vivacité  de  l'écrivain,  désignent  uu  esprit 
ardent,  du  feu  et  des  caprices. 
!  Une  écriture  un  peu  penchée  sur  la  droite, 
et  bien  coulante,  annonce  de  l'activité  et  de 
la  pénétration.— Une  écriture  bien  liée,  cou- 
lante et  presque  perpendiculaire,  promet  de 
la  finesse  et  du  goût.  Une  écriture  originale 
et  hasardée  d'une  certaine  façon,  sans  mé- 
thode, mais  belle  et  agréable,  porte  l'em- 
preinte du  génie,  etc. 

Il  est  inutile  d'observer  combien,  avec 
quelques  remarques  judicieuses,  ce  sysième 
est  plein  de  témérités  et  d'exagérations.  Voy. 

PhY.-'IOGNOMONIE. 

ECUOUELLES.  —  Delancre  dit  que  ceux 
qui  naissent  Icgilimenieiit  septièmes  mâles, 
sans  mélanges  de  filles,  ont  le  don  inné  de 
t;uérir  les  écroucKes  en  les  louchant. 


Les  anciens  rois  d'Angleterre,  suivant  cer- 
tains auteurs,  avaient  ce  pouvoir  fl),  mais 
d'une  autre  source.  Quand  Jacques  II  fut  re- 
conduit de  Rochesterà  White-Hall,  on  pro- 
posa de  lui  laisser  faire  quelque  acte  de 
royauté,  comme  de  toucher  les  écrouelles.  11 
ne  se  présenta  personne. 

On  attribua  aussi  aux  rois  de  France  le 
don  d'enlever  les  écrouelles  par  l'iiMpositic  n 
des  mains,  accompagnée  du  signe  de  la  croix. 
Louis  XIII,  en  1C;J9,  toucha,  à  Fontaine- 
bleau, douze  cenis  scrofuleux,  el  les  mé- 
moires du  temps  attestent  que  plusieurs  fu- 
rent guéris.  On  fait  remonter  celle  préroga- 
tive jusqu'à  Glovis.  Voy.  Lancinet,  Cha- 
cuiT,  etc. 

ECUREUILS.  —  Les  Siriancs,  peuplades  de 
la  Russie  d'Europe,  ont  pour  la  chasse  de 
l'écureuil  une  superstitieuse  idée  qu'on  ne 
peut  déraciner.  Ils  ne  cherchent,  dans  toute 
la  journée,  les  écureuils  qu'au  haut  des  sapins 
rouges,  si  le  premier  lue  le  malin  s'est  trouvé 
sur  un  arbre  de  cette  espèce;  et  ils  sont  fer- 
mement convaincus  qu'ils  en  <  hercheraienl 
en  vain  ailleurs.  Si  c'est  au  contraire  sur  un 
sapin  sylvestris  qu'ils  ont  aperçu  leur  pre- 
mier écureuil,  ils  ne  porteront  leurs  regards 
que  sur  celle  s  rie  d'arbres  pendant  tout  le 
jour  de  chasse. 

EDELINE(GuiLL4,uME),docteuren  théologie 
du  quinzièmesiècle, prieur  deSaiut-Germain- 
en-Laye.  Il  fut  exposé  el  admonesté  publi- 
quement à  Evreux,  pour  s'être  donné  au 
diable  afin  de  satisfaire  ses  passions  mon- 
daines. Il  avoua  (|u'il  s'était  transporté  au 
sabbat  sur  un  balai  (2);  que,  de  sa  bonne  vo- 
lonté, il  avait  faii  hommage  à  l'ennemi,  qui 
était  sous  la  forme  d'un  nioulon  ;  qu'il  lui 
avait  alors  baisé  brutalement  sous  la  queue 
son  derrière,  en  signede  révérence  et  d'hom- 
mage (3).  Le  jour  du  jugement  élant  arrivé, 
il  l'ut  conduit  en  place  publique,  ayant  une 
mitre  de  papier  sur  la  léle  ;  l'inquisiteur 
l'engagea  à  se  repentir,  et  lui  la  sentence 
qui  le  condamnail  à  la  prison,  au  pain  el  à 
l'eau.  «  Lors  ledit  maître  Guillaume  coin- 
mença  à  gémir  cl  à  condouloir  de  son  mé- 
fait, ciianl  merci  à  Dieu,  à  l'cvéque  el  à  jus- 
tice (k).  » 

EDRIS,  nom  que  les  musulmans  donneijt  à 
Enoch  ou  Héiioch,  sur  lequel  ils  ont  forgé 
diverses  traditions.  Dans  les  guerres  conti- 
nuelles que  se  faisaient  les  enfants  de  Seth 
et  de  Ca'i'n,  Hénoch,  disent-ils,  fut  le  premier 
qui  introduisit  la  coutume  de  faire  des  es- 
claves ;  il  avait  reçu  du  ciel,  avec  le  don  de 
science  et  de  sagesse,  trente  volumes  rem- 
plis des  connaissances  les  plus  abstraites; 
lui-même  en  composa  beaucoup  d'autres, 
aussi  peu  coimus  que  les  premiers.  Dieu  , 
l'envoya  aux  Caïnites  pour  lesramener  dans 
la  bonne  voie.  Mais  ceux-ci  ayanl  refusé  de 

(1)  Polyiioro  Virgile. 

(-2)  tvloclus  sco[);mi  sumere,  el  inler  femora  equitis 
iiisuir  (lonere,  quo  volebal  brevi  tnornculo,  etc.  Ougui»» 

(V,)'Monslrrlel,  AlniiiCharlier,  à  Vannée  li?53. 
(4)  Moiislrolfl  ,   cilé   lar    M.  Gaiiiul,  Histoire  de  \» 
niatiie  en  FiauCi-,  [i.  11)7. 


RIS 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


51G 


l'ôcoiilpr,   il    leur  fit  la  guerre,  el  réduisit 
leurs  femmes  ri  leurs  ciif  mis  en  esclavage. 

LesOiicnlaiis  lui  allrihueiil  l'invention  de 
la  coulure  et  de  1  ecrilurc,  <le  l'astronomie, 
de  rarilhiT)éliquo,  et  encore  plus  particuliè- 
reuient  de  la  génmancie.  On  dit  de  plus  qu'il 
lut  la  cause  iiinocenlc  do  l'idolâtrie.  Un  de 
ses  amis,  affligé  de  son  enlèvement,  forma  de 
lui,  par  l'instigalion  du  démon,  une  repré- 
senlallon  si  vivement  exprimée,  qu'il  s'entre- 
tenait des  jours  entii-rs  avec  elle,  et  lui  ren- 
dait des  honunages  particuliers  ,  qui  peu  à 
peu  dégénérèrent  en  superstition.  Voy.  HÉ- 

NOCH. 

liFFUONTÉS  ,  hérétiques  qui  parurent 
dans  la  première  moitié  «lu  seizième  siècle. 
Ils  niaient  le  S.iintEspril,  pratiquaieni  di- 
verses superstitions,  rejetaient  le  baptême 
el  le  remplaçaient  par  une  cérémoiwe  qui 
consistait  à  se  racler  le  front  avec  un  clou 
jus(|u'à  eiïiision  de  sang,  puis  à  le  panser 
avec  de  l'huile.  C'est  cette  marque  qui  leur 
restait  au  front  qui  leur  a  fait  donner  leur 
nom  d'effrontés. 

ÉGÉKIE,  nymphe  qui  seconda  Numa  Pom- 
pilius  dans  son  projet  de  civiliser  les  Ro- 
mains. Les  dérnonomancs  en  ont  lait  un  dé- 
n)on  succube,  et  les  cabalisles  un  esprit  élé- 
mentaire, une  ondinc  selon  les  uns,  une  sala- 
mandre selon  les  autres,  qui  la  disent  Gllc  de 
Ve-t:i.  Voy.  ZonoASTRE  el  Numa. 

ÉGIPANS,  démons  que  les  païens  disaient 
habiter  les  bois  et  les  montagnes,  et  i)u'ils 
représentaient  co:nmc  de  petits  hommes  ve- 
lus, avec  des  cornes  el  des  pieds  de  chèvre. 
Les  anciens  parlent  de  certains  monstres  de 
Libye,  auxquels  un  donnai!  le  même  nom  ; 
ils  avaient  un  museau  de  chèvre  avec  une 
queue  de  poisson  :  c'est  ainsi  qu'on  repré- 
sente le  capricorne.  Ou  trouve  celte  même 
figure  dans  plusieurs  monuments  égyptiens 
et  romains. 

ÉGITHE,  sorte  d'cpervicr  boiteux  ,  dont 
«ne  idée  bizarre  avait  répandu  l'opinion  chez 
les  anciens,  que  sa  rencontre  était  du  plus 
heureux  présage  pour  les  nouveaux  mariés. 

ÉLAIS,  une  des  (illesd'Annius,  laquelle, en 
qualité  de  sorcière,  changeait  en  huile  tout 
ce  «lu'elle  louchait. 

ÉLASTICITÉ.  Il  y  a  des  pierres  élastiques 
et  des  grès  flexibles.  Une  poutre  en  marbre, 
qui  fait  l'étonnement  des  curieux  à  la  cathé- 
drale de  Lincoln,  est  élasti(|ue  (1).  De  telles 
raretés  ont  passé  autrefois  pour  œuvres  de 
féerie. 

ÉLÉAZAU,  magicien,  juif  de  nation,  qui 
cittachait  au  nez  des  possédés  un  anneau  où 
était  enchâssée  une  racine  dont  Salomon  se 
servait,  el  que  l'on  présume  être  la  squille(2). 
A  peine  le  démon  l'avait-il  flairée,  qu'il  je- 
tait le  possédé  par  terre  et  l'abandonnait.  Le 
magicien  récitait  ensuite  des  paroles  que  Sa- 
lomon avait  laissées  par  écrit;  et,  au  nom  de 
ce  prince,  il  défendait  au  dcmoT\  île  revenir 
dans  le  même  corps  ;  après  ()uoi  il  remplis- 
sait une  cruche  d'eau,  el  commandait  audit 

(1)  Montlily  MaRaziiip,  oct.  1823,  p.  221. 

(ï)  Uodin,  DciiioiioiiP.nni(!,  etc.,  liv.  1,  cli.  m,  p.  88. 

(.ï)  llicjiiias  Itruwii,  lissais  sur  les  erreurs  jio('uUiros, 


démon  de  la  renverser.  L'esprit  malin  ohéis- 
sail;ce  signe  était  la  preuve  qu'il  avait  (juitié 
son  gtic. 

ÉLÉAZAR  DE  GAUNIZA,  auteur  hébreu, 
(]ui  a  laissé  divers  ouvrages  dont  plusieurs 
ont  élé  impiimés,  el  d'autres  sont  restés  nia- 
iiuscriis.  On  dislingue  de  lui  un  Traite  de 
l'âme,  cilé  par  Pic  de  La  Mirando'e  dans  son 
livre  conirc  les  Astrologues,  et  un  Commen- 
taire cnlinlislique  sur  le  Pentateiiqne. 

ÉLÉMENTS.  Les  éléments  sont  peuplés  do 
substances  spirituelles,  selon  les  cabalisles. 
Le  feu  est  la  demeure  des  salamandres  ;  l'air, 
colle  des  sylphes;  es  eaux,  celle  des  ondiiis 
on  nymplies,  el  la  terre  celle  des  gnomes. 
—  Selon  les  démonomanes,  les  éléments  sont 
abondamment  peuplés  de  démons  et  d'es- 
prits. Et  il  est  certain  du  moins  (|ue  les  puis- 
sances (te  l'air  ne  le  laissent  pas  vide. 

ÉLÉPHANT.  On  a  dit  des  choses  merveil- 
leuses de  l'éléphant.  On  lit  encore  dans  de 
vieux  livres  qu'il  n'a  pas  de  jointures,  et 
que,  parcelle  raison,  il  est  obligé  de  dormir 
debout, appuyé  contre  un  arbre  ou  contre  un 
mur;  que  s'il  tombe,  il  ne  peut  se  relever. 
Cette  erreur  a  été  accréditée  par  Diodore  de 
Sitile,  par  Strabon  et  par  d'autres  écrivains. 

Pline  conte  aussi  que  l'éléphant  prend  la 
fuite  lorsqu'il  entend  un  cochon  :  et,  enellVl, 
on  a  vu  en  17C9,  qu'un  cochon  ayint  été  in- 
Iroduit  dans  la  ménagerie  de  'Versailles,  son 
grognement  causa  une  agitation  si  vio'enle 
à  un  éléphant  qui  s'y  trouvait,  qu'il  eût 
rompu  ses  barreaux  ,  si  l'on  n'eût  retiré 
aussitôt  l'animal  immonde. 

iElien  assure  qu'on  a  vu  un  éléphant  qui 
avait  écrit  des  sentences  entières  avec  sa 
trompe,  et  même  qui  avaii  parlé.  Christophe 
Acosia  assure  la  même  chose  (;j). 

Dion  Cassius  prê'e  à  cet  animal  des  senli- 
menls  religieux.  Le  matin,  dit-il,  il  salue  le 
soleil  de  sa  trompe;  le  soir  il  s'agenouille; 
et,  quand  la  nouvelle  lune  paraît  sur  l'hori- 
zon, il  rassemble  des  fleurs  pour  lui  en  com- 
poser un  bouquet. 

On  sait  que  les  éléph;ints  ont  beaucoup  de 
goût  pour  la  musique;  Arrien  rapporte  qu'il 
y  en  a  eu  un  «lui  faisait  danser  ses  camara- 
des au  son  des  cymbales.  On  vil  à  Rome  des 
éléiïhints  danser  la  pyrrhiijuc,  el  exécuter 
di'ssauts  péi  illeiix  sur  la  corde. ..Enfin,  avant 
les  fêles  données  par  Germanicus  ,  douze 
éléphants  en  costume  dramatique  exéculè- 
renl  un  ballet  en  action.  On  leur  servit  eii- 
suile  une  collation  ;  ils  prirent  place  avec 
décence  sur  des  lits  qui  leur  avaient  été  pré- 
parés. Les  éléphants  mâles  étaient  revêtus 
de  la  loge;  les  femelles,  de  la  tunique.  Ils  se 
comportèrent  avec  toute  l'urbanilé  de  convi- 
ves bien  élevés,  choisirent  les  mels  avec  dis- 
cernement, et  ne  se  firent  pas  moins  remar- 
quer par  leur  sobnélô  que  par  leur  poli- 
tesse (i). 

Au  Biiigale  l'éléphant  blanc  a  les  honneurs 
de  la  divinité;  il  ne  mange  jamais  que  dans 
de  la  vaisselle  de  vermeil.  Lorsqu'on  le  con- 

Hv.  III,  ch.  I,  p.  211. 

(i)  iM.  Saljjuos,  ats  Erreurs,  etc.,  l.  111,  p.  196. 


517 


ElE 


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ns 


(luit  à  la  promcn.ide,  dix  personnes  de  dis- 
tinction portent  un  dais  sur  sa  Icte.  Sa  mar- 
che est  une  espèce  de  triomphe,  et  tous  les 
instruments  du  pays  l'aicotrpagnent. 

Les  mêmes  cérémonies  s'observent  lors- 
qu'on le  mène  boire.  Au  sortir  de  la  rivière, 
un  seigneur  de  la  cour  lui  lave  les  pieds  dans 
un  bassin  d'argent. 

Voici,  sur  l'élcpiiant  blanc,  des  détails 
plus  étendus  :  —  Un  Européen,  établi  à  Cal- 
cutta depuis  deux  ans,  écrivait  dernièrement 
au  Sémaphore  de  iMarseille  une  lettre  dont  le 
passage  suivant  rappelle  une  des  |)lus  étran- 
ges superstitions  des  peuples  de  l'Inde  : 

«  Je  veux  vous  envoyer  le  récit  que  vient 
de  me  faire  M.  Smilhson,  voyageur  anglais, 
arrivé  tout  récemment  de  Juthia,  capitale  du 
royaume  deSiam.  M.  Stnithson  m'a  beaucoup 
amusé  aux  dépens  de  ces  Siamois  qui  conti- 
nuent toujours  à  adorer  leurs  é'épfianls 
blancs.  Depuis  plusieurs  mois,  la  tristesse 
était  à  la  cour  et  parmi  tous  les  habitants  de 
Julhia  :  un  seul  éléphant  blanc  avait  survéc  u 
à  une  espèce  de  contagion  qui  s'était  gliss-éc 
dans  les  écuries  sacrées.  Le  roi  fil  publier  à 
sonde  trompe  qu'il  donnerait  dix  esclaves, 
autant  d'arpents  de  terre  qu'un  éléphant 
pourrait  en  parcourir  dans  un  jour,  et  une 
de  ses  filles  en  mariage  à  l'heureux  Siamois 
(|ui  trouverait  un  autre  éléphant  blanc.  — 
Jl.  Smilhson  avait  pris  à  son  service,  pour 
lui  faire  quel()i!cs  commissions  dans  la  ville, 
un  pauvre  hère  borgne,  bossu,  tout  exténué 
de  misère,  qui  s'appelle  Tuiigug-Poura.  Ce 
Tungug-Poura  avait  touché  le  cœur  compa- 
tissant du  voyageur  anglais, ((ui  l'avait  lait 
laver,  habiller,  et  le  nourrissait  dans  sa  cui- 
sine. Tungug,  malgré  sa  chétive  et  titupidc 
apparence,  nourrissait  une  vaste  ambition 
dans  sa  chemise  de  toile,  son  unique  vête- 
ment ;  il  entendit  la  proclamation  de  rem|)e- 
reur  de  Siam,  et  vint,  d'un  air  r(  cueilli  se 
présenter  à  M.  Smithson,  qui  rit  beaucoup 
en  l'entendant  lui  déclarer  (ju'il  allait  cher- 
cher un  éléphant  blanc,  et  qu'il  était  décidé 
à  mourir,  s'il  ne  trouvait  pas  l'animal  sacic. 

«Tungug-Poura  ne  faisait  pas  sur  M.  Smilh- 
son l'effet  d'un  chasseur  bien  habile  :  les  élé- 
phants blancs  se  trouvent  en  très-petit  nom- 
bre dans  des  retraites  d'eaux  et  de  bois  d'un 
accès  difficile.  Mais  rien  ne  put  changer  la 
résolution  de  Tungug,  qui,  serrant  avec  re- 
connaissance une  petite  somme  d'argent  dont 
son  maître  le  gratifia,  partit  avec  un  arc,  des 
flèches  et  une  mauvaise  paire  de  pistolets. — 
M.  Smilhson,  que  je  vais  laisser  parler,  me 
disait  donc  l'autre  soir  : 

«  Cinq  mois  après,  je  me  réveillai  au  bruit 
de  tous  les  tambours  de  l'armée  du  Roi;  un 
tintamarre  affreux  remplissait  la  ville.  Je 
m'iiabille  et  descends  dans  la  rue,  oii  des 
hommes,  des  femmes,  des  enfants  couraient 
en  poussant  des  cris  de  joie.  Je  m'informai  de 
la  cause  de  tous  ces  bruits  ;  on  me  répondit 
que  l'éléphant  blanc    arrivait. 

«  Curieux  d'assister  à  la  réception  de  ce 
grand  et  haut  personnage,  je  me  rendis  à  la 
porte  de  la  ville,  que  précède  une  pUn  e  im- 
mense entourée  d'arbres  et  de   canaux  ;  la 


foule  la  remplissait.  Sous  un  vaste  dais,  des 
officiers  richement  vêtus  allendinent  le  mo- 
narque, qui  a  bientôt  paru  avec  tous  ses 
ministres  et  ses  esclaves  :  on  agitait  devant 
lui  un  vaste  éventail  de  plume.  —  L'éléphant 
sacré,  arrivé  la  veille,  avait  passé  la  nuit 
sous  une  tente  magnifii|uc  dont  j'apercevais 
les  banderolles.  Peu  après,  les  gongs,  les 
tambours,  lescymbales  retentirent  avec  leurs 
sons  aigres  et  [jerçants.  J'étais  assez  commo- 
dément placé.  Un  cortège  de  talapoins  com- 
mença à  défiler;  ces  prêtres  avaient  l'air 
grave  et  s'avançaient  lentement.  Une  triple 
rangée  de  soldats  entourait  le  nobli;  animal, 
qui  avait  un  air  maladif  <  t  marchait  difficile- 
ment. —  On  cria  à  mes  côlés  :  —  Voilà  celui 
qui  l'a  pris. 

■j-  Je  regardai  et  vis  un  petit  homme  borgne 
et  bossu,  qui  tenait  un  des  nombreux  rubans 
dorés  passés  au  cou  de  l'éléphant  ;  cet  homme 
était  mon  domesti(iue,  Tungug-Poura. 

«  Le  voilà  donc  gendre  du  roi. 

«  11  vint  me  voir  un  jour  en  palanquin  et 
me  parut  fort  content  de  sa  nouvelle  position. 
—  L'éléphant  blanc,  (jui  a  fait  sa  fortune,  se 
présenta  à  lui  à  cin(|uanic  journées  de  mar- 
che de  Juthia,  dansuu  maraisoùil  était  cou- 
ché, abattu  par  une  fièvre  à  laquelle  les  ani- 
maux de  cette  espèce  sont  sujets;  car  leur 
couleur  blanche  est,  cofnme  on  sait,  le  résul- 
tat d'une  maladie.  Tungug-Poura  s'approch  i 
de  l'éléphant,  le  nettoya,  versa  de  l'eau  sur 
les  plaies  et  les  boutons  du  dos,  et  prodigua 
lelleaient  ses  soins  et  ses  caresses  à  l'intelli- 
gente bête,  que  celle-ci  lécha  Tungug  de  sa 
trompe,  et  se  mit  à  le  suivre  avec  la  docilité 
d'un  petit  chien.  Tungug  est  ainsi  parvenu, 
favorisé  d'abord  par  un  hasard  presque  ines- 
péré, à  s'emparer  d'un  éléphant  blanc.  Le 
pauvre  bossu  a  maintenant  des  esclaves,  et 
possède;  la  princesse  dont  le  nom  signifie  en 
langue  siamoise  les  yeux  de  la  nuit.  » 

ELFES,  génies  Scandinaves.  On  croit,  aux 
bords  de  la  Baltique,  qu'il  y  a  un  roi  des  El- 
fes, qui  règne  à  la  fois  sur  l'île  de  Stern,  sur 
celle  de  Mœ  et  sur  celle  de  Rugen.  Il  a  un 
char  attelé  de  (juatre  étalons  noirs.  U  s'en  Vc'i 
d'une  île  à  l'autre  en  traversant  les  airs; 
alors  on  dislingue  très-bien  le  hennissement 
de  ses  chevaux  ,  et  la  mer  est  toute  noire. 

Ce  roi  a  une  grandearmée  à  ses  ordres;  ses 
soldats  nesont  autre  choseque  les  grands  chê- 
nes qui  parsèment  l'île.  Le  jour,  ils  sont  con- 
damnés à  vivre  sous  une  écorce  d'arbre;  mais 
la  nuit,  ils  reprennent  leur  casque  cl  leur 
épée,  et  se  promènent  fièrement  au  clair  de  la 
lune.  Dans  les  temps  de  guerre,  le  roi  les  as- 
semble autour  de  lui.  On  les  voit  errer  au- 
dessus  de  la  côte,  et  alors  malheur  à  celui 
qui  tenterait  d'envahir  le  pays  (1)!  Voy.  Er- 

CELDOUNE. 

La  tradition  des  bons  et  des  mauvais  anges 
est  sensible  dans  les  fictions  de  l'Edda.  Snorro 
Stcrlason  nous  apprend  que  les  elfs  de  la  lu- 
mière, dont  Ben  Johnson  a  fait  les  esprits 
blancs  de  ses  Mastiues,  séjournent  dans  \lf- 
Heim  (demeure  des  Elfs  ],  le  palais  du  ciel, 
tandis  que  les  swarl  elfs ,  elfs  do  la  nuit,  ha- 

(I)  M.  Marinier,  Traditions  de  ta  Balli(;ue. 


CI9 


DICTJONNAIRR  DES  SCIKNCES  OCCULTES. 


520 


bitent  les  r nlrjiillrs  de  la  terre.  Les  premiers 
ne  seront  pas  siiji  is  à  la  moit;  car  les  (lam- 
ines (le  Siirtiir  ne  les  consumeront  pas,  et 
leur  (leniicre  ilemcure  sera  Vid-BIiin,  le  plus 
haut  ciel  lies  bienheureux;  mais  les  sienrl 
elfs  sont  mortels  cl  sujets  h  loules  les  mala- 
dies, quels  que  soient  d'ailleurs  leurs  attri- 
buts. 

Les  Islandais  modernes  consiilèrent  aussi 
le  peuple  elfio;iime  formant  une  monarcliie; 
ou  du  moins  ils  le  font  gouverner  par  un  vjcr- 
roi  absolu  qui,  tous  les  ans,  se  rend  en  Nor- 
wége  avec  une  dcputalion  de  pueks  (lulin-), 
pour  y  renouveler  son  serment  d'hommage- 
lige  au  souverain  seigneur,  (jui  réside  dans 
la  mère-palric.  Il  est  évident  (jue  les  Islan- 
dais croient  que  les  clfs  sont,  comme  eux, 
une  colonie  transplantée  dans  l'ile  (1).  Voy. 
Danses  des  esprits. 

ELIE.  —  Les  Orientaux  en  font  un  puis- 
sant magicien.  Voyez  Alexandre  le  Grand. 

ELIGOR,  le  môme  qu'Abigor.  Voy.  Abi- 

GOR. 

ELINAS,  roi  d'Albanie.  Voy.  Mélusine. 

ELIXIR  DE  VIK.  L'élixir  de  vie  n'est  au- 
tre chose,  selon  le  Trévisan,que  la  réduction 
de  la  pierre  philosophale  en  eau  mcrcuridle; 
on  l'appelle  aussi  or  polable.  Il  guérit  toutes 
sortes  de  maladies  et  prolonge  la  vie  bien  au 
delà  des  bornes  ordinaires,  h'élixir  parfait 
au  rouije  change  le  cuivre,  le  plomb,  le  fer 
et  tous  les  métaux  en  or  plus  pur  que  celui 
des  mines,  h'élixir  parfait  au  blanc,  (^l'on  ap- 
p(  lie  encore /j«t/e(ie  <a/c, change  tous  les  mé- 
taux en  argent  très- fin. 

Voici  la  recette  d'un  autre  élixir  de  vie. 
Pour  faire  cet  élixir,  prenez  huit  livres  de 
suc  mercuriel  :  deux  livres  de  suc  de  bourra- 
che, tiges  et  feuilles,  douze  livres  de  miel  de 
Narbonne  ou  autre,  le  meilleur  du  pays; 
mettez  le  tout  à  bouillir  ensemble  un  bouillon 
pour  l'écumer;  passez-le  par  la  chausse  à 
iiypocras,  et  clarifiez-la.  Mêliez  à  part  infu- 
ser, pendant  vingt-quatre  heures,  quatre  on- 
ces de  racine  de  gentiane  coupée  par  tranches 
dans  trois  chopines  de  vin  blanc,  sur  des  c  n- 
dres  chaudes,  agitant  de  temps  en  temps  ; 
vous  passerez  ce  vin  dans  un  linge  sans  l'ex- 
primer; niellez  cette  colature  dans  lesdits 
sucs  avec  le  miel,  faisant  bouillir  doucement 
le  loul  et  cuire  en  consistance  de  sirop  ;  vous 
le  ferez  rafraîchir  dans  une  terrine  vernissée, 
ensuite  le  déposerez  dans  des  bouteilles  que 
vous  conserverez  en  un  lieu  tempéré,  pour 
vous  en  servir,  en  en  prenaiit  tous  les  malins 
une  cuillerée.  Ce  sirop  prolonge  la  vie,  réta- 
blit la  santé  contre  toutes  sortes  de  mala- 
dies, même  la  goutte,  dissipe  la  chaleur  des 
entrailles;  et  quand  il  ne  resterait  dans  le 
corps  qu'un  petit  morceau  de  poumon  et  que 
le  reste  serait  gâté,  il  mainlicndrail  le  bon  et 
réiablirait  le  mauvais;  il  guérit  les  douleurs 
d'estomac,  la  sciatique,  les  vertiges,  1 1  mi- 
graine, el  généralement  les  douleurs  inter- 
nes. 

Ce  secret  a  été  donné  par  un  pauvre  paysan 
de  Galabre  à  celui  qui  fut  nommé  par  (>har- 

(I)  Tradflions  populaires,  dans  le  Qmiteiti)  eviciiw. 


les-Quint  pour  général  de  celte  armée  navale 
qu'il  envoya  en  Barbarie.  Le  Ijonhocnme  était 
âgé  de  cent  trente-deux  ans,  à  ce  qu'il  as- 
sura à  ce  général,  lequel  était  allé  loger  chi  z 
lui,  et,  le  voyant  it'un  si  grand  âge,  séiaii  in- 
formé de  sa  manière  de  vivre  et  de  celle  de 
plusieurs  de  ses  voisins,  qui  élaient  presque 
tous  âgés  connue  lui  (2). 

0.1  conte  qu'un  charlatan  apporta  un  jour 
à  rcmpcrenr  de  la  Chine  Li-con-pan,  un 
élixir  merveilleux,  el  l'exhorta  à  le  boire,  en 
lui  promettant  (jue  ce  breuvage  le  rendrait 
imiiiortci.  Un  ministre,  qui  était  présent, 
ayant  tenlé  inutilement  de  désabuser  le  sou- 
verain, prit  la  coupe  et  but  la  liqueur.  Li- 
con-pan,  irrilé  de  celle  hardiesse,  condamna 
à  mort  le  mandarin,  qui  lui  dit  d'un  air  Iran- 
quille  :  —Si  ce  breuvagedonnerimmortalilé, 
vous  ferez  de  vains  efforts  pour  me  faire  mou- 
rir; et  s'il  ne  la  donne  pas,  auricz-vous  l'in- 
justice de  me  faire  mourir  pour  un  si  frivole 
larcin? 

Ce  discours  calma  l'empereur,  qui  loua  la 
sagesse  et  la  prudence  de  son  minisire  (3). 
ELOGE  DE  L'LNFER,  ouvrage  critique, 
historique  et  moral;  nouvelle  édition,  La 
Haye,  173!),  2  vol.  in- 12,  Gg.  —  C'est  un  li- 
vre satirique  très-pesamment  écrit,  dans  un 
esprit  trè>-médiocre. 

ELOSSITE,  pierre  ((ui  a  la  vertu  de  guérir 
les  maux  de  léle.  On  ne  sait  pas  trop  où  cLe 
se  trouve. 

ELXAI  ou  ELCESAI,  chef  des  elcésaïles, 
hérétique  du  deuxième  siècle,  qui  faisait  du 
Sainl-Espril  une  femme,  et  ()ui  proposait  une 
liturgie  dont  les  prières  élaienl  des  jure- 
menis  ab-urdcs. 

E.MAGUINQUILLIERS,  race  de  géants,  ser- 
viteurs  d  lainen,  dieu  de  la  mort  chez  les  In- 
diens. Ils  sont  charges  de  tourmenter  les  mé- 
chants dans  les  enlers. 
EMBAHKER,  Voy.  Ligatures. 
E.MBUNGALA,  prêtre  idolâtre  du  Congo.  11 
passe  chez  les  noirs  de  ces  contrées  pour  un 
si  grand  sorcier,  qu'il  peut  d'un  coup  de  sif- 
flet faire  venir  devant  lui  qui  bon  lui  semble, 
s'en  servir  comme  d'un  esclave,  el  le  vendre 
même  s'il  le  juge  à  propos. 

EMI'-RaUDE.  La  superstition  a  longtemps 
atlribué  à  cette  pierre  des  vertus  miraculeu- 
ses, telles  entre  autres  que  celé  d'empêcher 
les  symplôincs  du  mal  caduc,  el  de  se  briser 
lors(iue  la  crise  eA  trop  vioiente  pour  qu'elle 
puisse  la  vaincre. 

La  poudre  de  franche  émeraude  arrêtait, 
disait-on,  la  dyssenlerie  et  guérissait  la  mor- 
sure des  animaux  venimeux. 

Les  peuples  de  la  vallée  de  Manta,  au  Pé- 
rou, adoraient  une  émeraude  grosse  lomme 
un  œuf  d'autruche,  el  lui  offraient  d'autres 
émeraudes. 

EMMA,  fille  de  Richard  il,  duc  de  Norman- 
die. Celle  princesse  épousa  Elheired,  roi 
d'Angleterre,  et  en  eut  deux  fils,  dont  l'un 
régna  après  la  mort  de  son  père;  c'est  saint 
Edouard.  Ce  prince  écoutait  avec  déférence 
les  pieux  avis  de  sa  mère  ;  mais  un  ambitieux, 

(î)  Admirables  spcrels  du  Pelil  Albcrl,p.  163. 
(5)  lîibliollièqiie  de  sociéié,  l.  111. 


S'il 


£MP 


ENC 


5ii 


que  l'hisloire  peint  sous  d'assez  laides  cou- 
leurs, Godwin,  comte  de  Kent,  qui  était  son 
ministre,  et  qui  voyait  avec  peine  son  auto- 
rité partagée  avec  Emma,  chercha  à  perdre 
cette  princesse  ;  il  l'accusa  de  diffcrenls  cri- 
mes, et  il  eut  l'adresse  de  faire  appuyer  son 
accusation  par  plusieurs  seigneurs,  mécon- 
tents comme  lui  du  pouvoir  d'Emma.  Le  roi 
dépouilla  sa  mère  de  toutes  ses  richesses. 

La  princesse  eut  recours  à  AIwin,  évéqiie 
de  Winihester,  son  parent.  Le  comte  de 
Kent,  voulant  écarter  un  protecteur  aussi 
puissant,  et  nereculant  pas  devant  les  moyens 
les  plus  infâmes,  accusa  la  princesse  d'un 
commerce  coupable  avec  ce  prélat  :  celle 
odieuse  accusation,  appuyée  impudemiDcnt 
par  les  ennemis  de  la  princesse  et  du  saint 
évéque,  fit  impression  sur  l'esprit  d'Edouard; 
il  eut  la  faiblesse  de  mettre  sa  mère  en  juge- 
ment; elle  fut  condamnée  à  se  purger  par 
l'épreuve  du  feu. 

La  coutume  de  ce  temps-là  en  Angleterre, 
voulait  que  l'accusé  passât  nu-pieds  sur  neuf 
coutres  de  charrue  rougis  au  feu;  cl  la  con- 
damnation portail  qu'Emma  ferait  sur  ces 
coutres  neuf  pas  pourelle-méme  et  cinq  pour 
l'évéque  de  Winchester.  Elle  employa  en 
prières  la  nuit  qui  précéda  celle  périlleuse 
épreuve;  puis  raffermie,  elle  marcha  sur  les 
neuf  coulrcs,  au  milieu  de  deux  évoques,  ha- 
billée comme  une  simple  bourgeoise  et  les 
jambes  nues  jusqu'aux  genoux.  Le  feu  ne  lui 
fit  aucun  mal;  de  sorte  que  son  innocence 
fut  reconnue. 

EMODÈS,  l'un  des  démons  qui  possédaient 
Madeleine  de  La  Palud. 

EMOLE,  génie  que  les  basilidiens  invo- 
quaient dans  leurs  cérémonies  magiques. 

EMPUSE  ,  démon  de  midi.  Aristophane, 
dans  sa  comédie  des  Grenouilles,  le  représente 
comuïe  un  speclre  horrible,  qui  prend  diver- 
ses formes,  de  chien,  de  femn»;',  de  bœuf,  de 
vipère,  qui  a  le  regard  atroce,  un  pied  d'âne 
et  un  pied  d'airain,  une  flamme  autour  de  la 
têle,  et  qui  ne  cherche  qu'à  faire  du  mal. 

Les  paysans  grecs  et  russes  ont  conservé 
des  idées  populaires  attachées  à  ce  monstre; 
ils  tremblenlau  temps  des  foins  et  des  mois- 
sons à  la  seule  pensée  de  l'Empuso,  qui,  dil- 
on,  rompt  bras  et  jambes  aux  faucheurs  et 
aux  moissonneurs,  s'ils  no  se  jeltcnt  la  face 
en  terre  lorsqu'ils  l'aperçoivent.  On  ditmême 
en  Russie  que  l'Empuse  et  les  démons  de 
midi,  ({ui  sont  soumis  à  cet  horrible  fantôme, 
parcourent  quelquefois  les  rues  à  midi,  en 
habits  de  veuve,  et  rompent  les  bras  à  ceux 
qui  osent  les  regarder  en  face. 

Le  moyen  de  conjurer  l'Empuse  el  de  s'en 
fiiire  obéir  chez  les  anciens,  c'était  de  lui 
dire  des  injures.  Chacun  a  ses  goûts. 

Vascode  Gama,  cil5  par  Leloyer  (1),  rap- 
porte qu'il  y  a  dans  la  ville  de  Calicot  un 
lemple  consacre  à  des  démons  qui  sont  des 
espèces  d'Empuses.  Personne  n'ose  entrer 
dans  ces  temples,  surtout  le  mercredi,  qu'a- 
près que  le  midi  est  passé;  car  si  on  y  en- 

(1)  Histoire  des  spectrrs,  etc.,  liv.  III,  ch.  xiv. 

(î)  M.  Saignes,  des  Erreurs  el  des  préjugés,  1. 1,  p.  313. 

DiCTlOXN.   DES  SCIE.NCES  OCCULTES,  l.     < 


trait  à  celte  heure-là,  on  mourrait  à  l'instant 
même. 

ENARQUE.  Il  revint  de  l'autre  monde  (on 
d'une  syncope  )  après  avoir  passé  plusieurs 
jours  en  enfer,  el  raconta  à  Plularque  lui- 
même  tout  ce  qui  concernait  Pluton,  Minos, 
Eaque,  les  Parques,  etc.  (2). 

ENCENS.»  En  la  région  Sachalile,  qui 
n'est  autre  que  le  royaume  de  Tarlas,  l'en- 
cens qui  s'y  recueillait  se  mettait  à  grands 
monceaux  en  certaine  place,  non  loin  du 
port,  où  les  marchands  abordaient.  Cet  en- 
cens n'était  gardé  de  personne,  parce  que 
le  lieu  était  assez  gardé  des  démt)ns  ;  et  ceux 
qui  abordaient  près  de  la  place  n'eussent  osé, 
en  cachette  ni  ouvertement,  prendre  un  seul 
grain  d'encens  el  le  melire  en  leur  navire 
sans  la  licence  et  permission  expresse  du 
prince  ;  autrement  leurs  navires  élaienl  rete- 
nus par  la  puissance  secrète  des  démons, 
gardiensde  l'encens,  et  ne  pouvaient  se  mou- 
voir ni  partir  du  port  (3).  » 

ENCHANTEMENTS.  On  entend  par  en- 
chantement l'art  d'opérer  des  prodiges  par 
des  paroles  chantées  ;  mais  on  a  beaucoup 
étendu  le  sens  de  ce  mol. 

On  voyait,  au  rapport  de  Léon  l'Africain, 
tout  au  haut  des  principales  tours  de  la  cita- 
delle de  Maroc,  trois  pommes  d'or  d'un  prix 
inestimable,  si  bien  gardées  par  enchante- 
ment, que  les  rois  de  Fez  n'y  ont  jamais  pu 
loucher,  quelques  efforts  qu'ils  aient  faits. 
Ces  pommes  d'or  ne  sont  plus. 

Marc  Paul  conte  que  des  Tarlares  ayant 
pris  huit  insulaires  de  Zipangu,  avec  qui  ils 
étaient  en  guerre,  se  disposaient  à  les  déca- 
piter; mais  ils  n'en  purent  venir  à  bout, 
parce  que  ces  insulaires  portaient  au  bras 
droit,  entre  cuir  et  chair,  une  petite  pierre 
enchantée  qui  les  rendait  insensibles  au 
tranchant  du  cimeterre  :  de  sorte  qu'il  fallut 
les  assommer  pour  les  faire  mourir.  Voy. 
Paroles  magiques.  Charmes,  Fascination, 
Tour  enchantée,  etc. 

On  entend  souvent  par  enthanlcmenl 
quelque  chose  de  merveilleux.  Les  arts  ont 
aussi  produit  des  enchantements,  mais  natu- 
rels, et  regardés  comme  œuvre  de  magie 
par  C(  ux-là  seuls  ([ui  allribuenl  à  la  magie 
tout  ce  qui  est  extraordinaire.  —  M.  Van 
Estin,  dit  Decromps,  dans  sa  Magie  blanche 
dévoilée,  nous  fit  voir  son  cabinet  de  machi- 
nes. Nous  entrâmes  dans  une  salle  biesi 
éclairée  par  de  grandes  fenêtres  pratiquées 
dans  le  dôme. 

—  Vous  voyez,  nous  dit-il,  tout  ce  que  j'ai 
pu  rassembler  de  piquant  el  de  curieux  en 
mécaniques. 

Cependant  nous  n'apercevions  de  tous  cô- 
tés que  des  tapisseries,  sur  lesquelles  étaient 
représentées  des  machines  utiles,  telles  que 
des  horloges,  des  pompes,  des  pressoirs,  des 
moulins  à  vent,  dos  vis  d'Archimède,  etc. 

—  Toutes  ci's  pièces  ont  apparummcnt 
beaucoup  de  valeur,  dit  en  riant  M.  Hill; 
elles  peuvent  récréer  un  instant  la  vue;  mais 

(3)  Leloyer,  Disc,  et  liist.  des  speclros,  p.  iI3. 

■"'  '  ■    -  -       n 


s« 


DICTIONNAIRE  DF.S  SCIKNCES  OCCULTES. 


58i 


il    par.-itl  qu'i'l'cs  ne  produiront  jamais  de 
grands  effels  par  leurs  mouvonioiils. 

M.  Van  Estin  répondit  par  un  coup  de  sif- 
(lel.  Aussilôl  les  quatre  tapisseries  se  lèvent 
et  disparaissent  ;  la  salle  s'agrandit,  et  nos 
yeux  éblouis  voient  ce  que  riiidustric  hu- 
maine a  inventé  de  plus  étonnant.  D'un  côlé. 
dos  serpents  qui  raiiipi'nt,  des  fleurs  qui  s'é- 
panouissent, des  oiseaux  qui  chantent;  de 
l'autre,  des  rygncs  qui  nagent,  des  canards 
qui  mangent  et  qui  digôrcnl  ,  des  orgues 
jouant  d"elles-mème-i,  et  dos  automates  qui 
touchent  du  clavecin. 

M.  Van  Estin  donna  un  second  coup  da 
sifflet,  et  tous  les  ini>uveinoiits  furent  sus- 
pendus. 

Un  instant  après,  nous  vîmes  un  canard 
nageant  et  barbottant  dans  un  vase,  au  mi- 
lieu duquel  était  un  arbre.  Plusieurs  ser- 
pents rampaient  autour  du  tronc  et  allaient 
successivement  se  cacher  dans  les  feuillages. 
Dans  une  cage  voisine  étaient  deux  serins 
qui  chantaient  en  s'accompagnaut,  un  hom- 
me qui  jouait  de  la  flûte,  un  autre  (|ui  dan- 
sait, un  petit  chasseur  et  un  sauleur  chinois, 
tous  artiflciels  et  obéissant  au  commande- 
ment. Voy.  Mécanique,  Brioché,  etc. 

Nos  pères,  qui  croyaient  si  vivement  aux 
fées,  mêlaient  à  toute  histoire  dos  enchante- 
ments. Les  traditions  populaires  en  regor- 
geaient; tous  les  romans  de  chevalerie,  tou- 
tes les  chroni(]ues  du  moyen  âge  en  étaient 
riches.  Nous  n'aurions  que  l'embarras  du 
choix  pour  en  allonger  démesurément  cet 
article.  Nous  nous  bornons  à  reproduire  ici 
une  légende  encore  vive  dans  les  souvenirs 
d'un  peuple  voisin,  et  qui  a  l'avantage,  pour 
le  plus  grand  nombre  de  nos  lecteurs, de  leur 
être  peu  connue. 

Légende  de  ta  Dame  enchantée. 

"Nous  devons  celle  tradition  populaire  à  la 
plume  gracieuse  de  M.  A.  Van  Hassell. 

«  Quand,  au  sortir  de  Namur,  on  suit  le 
cours  de  la  Meuse,  qu'on  laisse  à  sa  droite  le 
village  de  Live,  et  à  sa  gauche  celui  de  Biez , 
qu'on  dépasse  les  trois  îles  qui  verdoient  au 
milieu  du  fleuve,  un  peu  au-dessus  de  Bru- 
maigne,  et  que  le  long  du  Moinil  on  se  dirige 
tout  droit  vers  le  clocher  de  Vaux,  on  trouve 
entre  Thon  et  Maizcvet  un  rocher  escarpé, 
sur  lequel  rampent  quelques  ruines  infor- 
mes, oiî  croissent  en  été  de  jolies  touffes  de 
clocliettes  hieues,  et  ou  glissent  au  soleil  de 
petits  lézards  tachetés  (|ui  s'enfuient  au  bruit 
de  vos  pas.  Ce  rocher,  d'un  aciès  difficile, 
regarde  le  village  de  Namèche,  bâti  sur  une 
pointe  de  terre  autour  de  laquelle  la  Meuse 
tourne  en  cet  endroit.  Ces  ruines  sont  les 
restes  d'un  château  fort  dont  l'origine  re- 
monte bien  loin  dans  le  moyen  âge,  et  <I()mI 
on  attribue  la  fondaiion  à  Clodiou  le  Che- 
velu; son  nom  est  le  château  de  Sinson. 
l'hilippe  le  Noble,  comte  de  Namur,  (it  répa- 
rer en  1208  les  murailles  de  cette  forteresse, 
dont  Waleram  de  Limbourg  se  rendit  m;iiirc 
en  1216,  et  qui  fut  démolie  sous  le  règne  de 
Cliarles  11,  roi  d'Espagne,  après  avoir  sur- 
vécu à  la  fureur  de  toutes  ces  forinidjbles 


guerres  dont  le  comlc  do  Namur  fut  le  théâ- 
tre durant  le  moyen  âge.  C'était  un  (ief  qui 
relevait  de  l'église  de  Liège,  à  laquelle  Phi- 
lippe le  Noble  l'avait  donné. 

«  En  1237,  la  garde  en  fut  confiée,  par 
l'empereur  Baudouin,  comlc  de  Namur,  à  des 
châtelains  héréditaires,  dignité  dont  furent 
d'abord  revêtus  les  seigneurs  de  la  maison 
de  Gomigny,  et  ()ui,  dans  la  suite,  passa  do 
celte  maison  dans  celles  d'Evre  et  d'Oullre- 
mont.  Ce  monument  est  remarquable  par  les 
ruines  imposantes  qu'il  étale  sur  le  coin  du 
rocher  où  il  est  situé,  et  peut-être  plus  en- 
core par  les  singulières  légendes  qu'on  en 
raconte  dans  le  pays.  Les  habitants  de  Mai- 
zeret  et  de  Thon  rivalisent  de  Icgend  's  étran- 
ges sur  celte  vieille  forteresse.  Voici  une  de 
ces  traditions. 

«  C'est  l'histoire  de  la  Dame  enchuntée. 

«  Vis-à-vis  de  Sanson,  sur  la  rive  gauche 
de  la  Meuse  et  sur  la  hauteur  au  pied  de  la- 
quelle est  situé  le  village  de  Namèche,  croît 
un  arbre  connu  sous  le  nom  d'arbre  de 
Sainte- Anne.  Il  est  très- vieux;  mais  il  n'est 
que  le  descendant  d'une  longue  génération, 
qui  reinonle  peut-être  aussi  haut  que  le 
château  de  Clodion  le  Chevelu.  Cet  arbre  est 
le  rendez-vous  des  fées,  au  milieu  de  la  nuit 
de  la  Saint-Jean ,  du  Vendredi-Saint  et  de 
saint  Sylvestre.  Les  fées  n'ont  pas  le  pouvoir 
d'y  toucher,  parce  que  sainte  Anne  l'a  pris 
sous  sa  protection  spéciale;  mais  elles  dan- 
sent à  l'entour,  en  chantant  leurs  refrains 
incompréhensibles  et  en  chevauchant  sur 
leurs  manches  à  balais  à  demi  roussis  au  feu. 
Cependant  celte  puissante  proledion  ne  put 
empêcher,  sous  le  règne  du  comte  de  Namur 
Henri  l'Aveugle,  que  dans  cet  arbre  ne  fût 
exilée  l'âme  d'une  dame,  appelée  par  les 
manants  cl  par  les  nobles  la  Dame  bleue,  et 
qu'un  sorcier,  par  d'étranges  maléfices,  avait 


changée  en 


rossignol. 


Cet  oiseau  ,  perché 


l'hiver  et  l'été  sur  les  branches  de  l'arbre  de 
Sainte-Anne,  chantait  toujours  les  chants  les 
plus  tristes;  sa  voix  sonore  retentissait  sou- 
vent jusqu'à  la  rive  droite  du  fleuve,  el  les 
bateliers  qui  montaient  ou  qui  descendaient 
la  Meuse  ne  manquaient  jamais  de  fiire  un 
signe  de  croix  quand  ils  l'enlendaienl,  en  se 
disant  tout  bas  : 

n  —  C'est  la  Dame  bleue  qui  chante. 

«  Comment  ce  nom  de  dame  bleue  avait  été 
donné  à  ce  rossignol  magique?  d'où  celte 
femme  enchantée  était  venue  ?  personne 
n'eût  pu  le  dire.  Seulement  on  savait  qu'une 
demoiselle  vêtue  d'une  robe  bleue  était  arri- 
vée au  château  noir  de  Sanson,  conduite  par 
!e  jeune  châtelain  qui  l'avait  amenée  d'outre- 
mer. Là,  il  s'était  épris  pour  elle,  et  avait 
résolu  de  vivre  caché  dans  la  calme  solitude 
des  remparts  de  son  manoir.  Il  avait  laisse 
là  le  tombeau  du  Sauveur  el  la  défense  de  la 
Ville  Siiiile,  et  ses  compagnons  d'armes,  cl 
toutes  ces  idées  de  gloire  religieuse  qui  cn- 
fl.imniaient  les  chivaliers  à  cette  époque 
d'Iiéro'isme  el  de  croyance.  Il  s'en  revint  au 
rivage  natal  avec  celle  femme,  qui  n'avait 
promis  d'être  à  lui  que  lorsqu'ils  seraient 


SJ3 


KNC 


ENC 


5:g 


rnlîcs  dans  le  château  paternel.  Us  y  arrivè- 
rent par  une  belle  journée  de  mai. 

«  Les  remparts  de  Sanson  étaient  bariolés 
de  pennons  élincclants;  la  porte  était  ou' 
verte  toute  large;  la  herse, avec  ses  dents  de 
fer.  était  levée,  et  le  ponl-levis  était  baissé 
pour  livrer  passage  à  une  magiiififiue  caval- 
cade qui  allait  entrer  dans  la  demeure  du 
jeune  chevalier.  11  marchait  en  léle  du  cor- 
tège, souriant  à  la  belle  étrangère,  assise 
sur  un  palefroi  blanc  couvert  d'une  housse 
bleue;  elle  portait  une  robe  de  velours  de 
même  couleur.  Après  eux  venait  une  longue 
suite  de  cavaliers  et  de  dames,  dont  aucune 
n't^ait  aussi  ttelle  que  l'étrangère  qui  allait 
devenir  l'épouse  du  châtelain  do  Sanson. 
Lors(|u'ils  furent  tous  parvenus  dans  la 
grande  salie,  le  chevalier  prit  par  la  main  la 
belle  étrangère  et  lui  dit  : 

«  —  Montons  dans  la  grande  tour. 

«  Et  ils  montèrent  dans  la  grande  tour, 
d'où  la  vue  s'étendait  sur  tout  le  château, 
sur  les  remparts  crénelés,  sur  le  cours  de  la 
Meuse,  colorée,  en  ce  moment,  de  bleu  com- 
me le  ciel,  comme  la  robe  de  l'étrangère. 

«  — Maintenant,  dit  le  châtelain  à  la  dame, 
tout  cela  est  à  vous;  maintenant  aussi,  je 
vous  rappelle  une  parole  sacrée,  une  parole 
donnée  en  présence  du  tombeau  du  Christ. 
Le  chapelain  est  là-bas,  prêt  à  bénir  notre 
amour  au  nom  du  ciel  et  à  écrire  nos  noms 
sur  le  livre  saint,  d'où  Dieu  seul  peut  les 
effacer. 

«  Et  l'étrangère  le  regarda,  mais  avec  une 
tristesse  innnie. 

«  Il  vit  une  larme  poindre  dans  ses  yeux  et 
rouler  sur  ses  joues,  qui  devinrent  pâles. 

«  Sans  plus  ajouter  une  parole,  il  prit  l'é- 
trangère par  la  main  et  l'entraîna  vers  la 
chapelle,  où  l'autel  était  paré  et  prêt  à  rece- 
voir leurs  serments.  Les  cierges  étaient  al- 
lumés; le  prêtre,  vêtu  d'un  surplis  de  den- 
telle, était  sur  les  marches  de  lautel.  A  ses 
pieds  s'agenouillèrent  la  dame  et  le  cheva- 
lier. Il  les  bénit  au  nom  de  Dieu  et  imposa 
sur  eux  ses  mains  tremblantes.  Mais  au  mo- 
ment où  le  châtelain  voulut  passer  l'anneau 
d'or  au  doigt  de  sa  bien-aimée,  il  sentit  tout 
à  coup  celte  main  se  rappetisser,  et  il  vit 
{chose  plus  merveilleuse  encore!)  la  robe 
bleue  de  la  dame  devenir  grise,  son  corps 
devenir  toujours  plus  petit,  toujours  plus  pe- 
tit, ses  doigts  s'aiguiser  en  forme  de  pattes 
d'oiseau,  et  deux  ailes  grises  pousser  à  ses 
épaules.  Ce  fut  l'affaire  d'une  minute.  En  un 
clin-d'œil,  la  dame  était  changée  en  oiseau, 
changée  en  rossignol.  Elle  ouvrit  ses  ailes 
et  se  mit  <à  voler  d'abord  autour  des  cierges, 
jiuis  contre  les  vitraux  de  la  chapelle,  qu'elle 
<'Ssaya  vainement  de  traverser,  jusqu'à  ce 
qu'elle  eût  trouvé  une  issue  par  une  vitre 
(|u'un  orage  avait  brisée.  Alors  elle  s'assit 
sur  la  pointe  d'un  toit  et  se  mit  à  chanter  un 
chant  si  triste,  qu'on  n'en  avait  jamais  en- 
tendu do  pareil.  Le  chevalier  eut  beau  se 
désespérer  et  rappeler  la  dame,  le  chant 
continuait  toujours  et  devenait  toujours  plus 
triste  et  plus  triste.  Enfin  le  rossignol  prit  sa 
Volée  et  disparut. 


«  Longtemps  le  rhâlc'ain  fut  inconsolable. 
En  vain  les  chevaliers  lui  parlaient  de  guerre 
et  de  batailles  :  rien  ne  put  le  distraire  du 
souvenir  de  la  Dame  bleue,  jusqu'à  ce  qu'on 
lui  eût  dit  que  la  voix  du  rossignol  enchanté 
se  faisait  entendre  dans  l'arbre  de  Sainte- 
Anne.  Depuis  ce  jour,  il  sortait  tous  les  ma- 
lins et  no  rentrait  que  le  soir,  quand  la  lune 
était  depuis  longtemps  lovée.  11  passait  des 
heures  entières  à  l'ombre  de  l'arbre  d.^ 
Sainte-Anne,  à  écouter  le  chant  de  l'oiseau. 
Souvent,  la  nuit,  il  quittait  brusquement  son 
lit  pour  aller  l'écouter  encore. 

«  Un  soir,  une  vieille  bohémienne  s'appro- 
cha de  lui,  tandis  qu'il  était  encore  là  couché 
sur  la  mousse  et  les  yeux  fixés  sur  l'arbre. 

«  —  Seigneur,  lui  dit-elle,  Dieu  gard  ! 
vous  plaît-il  savoir  l'avenir,  seigneur? 

«  —  L'avenir,  vieille  sorcière?  N'est-ce  pas 
pour  moi  une  vie  désolée,  puisque  j'ai  perdu 
ce  que  j'aime? 

«  —  Ne  désespérez  pas,  beau  seigneur; 
l'avenir  est  une  vie  d'or  pour  vous. 

«  —  Arrière,  fille  de  Satan  1  sinon  je  te  fais 
brûler  vive  dr.ns  une  chaudière,  comme  on 
fait  des  faux  monnayeurs. 

«  — Vous  n'aurez  garde,  beau  seigneur; 
car  je  vous  rendrai  la  femme  que  vous  avez 
perdue  par  les  maléfices  d'un  magicien.  Re- 
venez ici  après-demain  à  minuit,  au  nn'licu 
de  la  nuit  de  la  Saint-Jean,  et  vous  reverrez 
la  Dame  bleue. 

«  —  Femme,  si  cela  est  possible,  je  te  fais 
riche. 

«  — Eh  bien!  seigneur,  après-demain  à 
minuit... 

«  El  à  peine  cul-e'le  dit  ces  mots  qu'elle 
disparut. 

«  Le  chevalier  ne  dormit  pas  la  nuit  sui- 
vante. 

«  La  deuxième  nuit,  à  onze  heures  et  de- 
mie, il  descendit  le  sentier  escarpé  du  rocher 
de  Sanson.  Au  pied  du  sentier,  il  trouva  ta 
bohémienne. 

«  —  Je  vous  attends,  seigneur. 

«  —  Allons,  répondit  le  chevalier. 

o  Et  ils  passèrent  la  Meuse  au  clair  de  la 
lune. 

«  Quand  ils  furent  parvenus  au  village  de 
Namèche  : 

«  —  Par  ici,  c'est  le  chemin  le  plus  court, 
dit  la  vieille. 

«  Ils  prirent  par  le  cimetière. 

«  Mais  à  peine  se  trouvèrent-ils  au  cime- 
tière, que  des  voix  étranges  se  firent  enten- 
dre; des  hommes  armés  sortirent  de  derrière 
les  croix  et  de  l'enfoncement  du  portail  de 
l'église,  et  s'élancèrent  vers  le  châtelain. 

«  —  Ce  sont  des  voleurs,  pcnsa-t-il. 

«  II  lira  sa  grand-  épée  do  guerre,  dont  h; 
tranchant  avait  l'ail  lomb(  r  plus  d'une  têtf> 
de  mécréant. 

«  Mais  les  assaillants  étaient  si  nombreux, 
qu'il  y  avait  une  forêt  de  dagues  autour  de 
lui.  Cependant  il  combattait  vaillamment  : 
plus  d'un  mordit  la  poussière  sous  les  coups 
terribles  de  l'épée  qu'il  brandissait  comm<» 
uue  fau!x.  Il  allait  succomber  pourtant.  Une 


m 


DlC  IlOiN.NAlKJ!,  btS  SCIKNCES  OCCL'LTKS. 


S-28 


idée  singulière  lui   passa  par  la  télo;  il  s'c- 
cria  : 

«  —  A  moi  les  niorls  I 
«  Tous  les  lorabcauK  s'ouvrirent,  et  de 
fli.-que  loinl)cau  sorlit   un   mort  enveloppé 
dans  tin   linceul   et  les    yeux   flirnboyants, 
pour  pré'.er  secours  au  noble  guerrier. 

a  Les  brigands ,  cpouv.uUés  à  celte  cf- 
frnyaiile  ai)parition,  s'enfuirent  aussi  vite 
ijue  la  terreur  pouvait  le  leur  pcrnu-ltre. 

f  Le  chevalier  avait  reçu  plus  d'une  bles- 
sure. 

«  —  Vous  s.iignrz,  dit  la  vieille. 

«  —  Ce  n'est  rien,  dit  le  châtelain. 

«  —  Tenez,  messire,  mettez  cette  herbe  sur 
vos  blessures. 

«  Elle  cueillit,  dans  un  coin  du  cimetière, 
une  herbe  qu'elle  posa  sur  les  blessures  :  le 
sang  s'élancha  et  lès  blessures  se  fermèrent 
aussitôt. 

«  —  Chevalier,  vous  êtes  brave  ;  et  ce 
combat  ne  fut  qu'une  épreuve  que  ma  puis- 
sance vous  a  suscitée. 

«  Alors  ils  gravirent  ensemble  la  hauteur, 
et  ils  parvinrent  à  l'arbre  de  Sainte-Anne.  11 
était  minuit. 

a  Le  rossignol  chantait;  mais  son  chant 
n'avait  plus  cet  accent  de  tristesse  que  le 
châtelain  de  Sanson  y  avait  remarqué  jus- 
([u'à  cette  heure. 

«  11  y  avait  conmie  un  accent  d'espérance. 

«  La  vieille  commença  à  tracer  un  cercle 
autour  de  l'arbre,  sur  la  mousse  humide  de 
rosée. 

«  —  Venez  ici,  messire,  dit-elle. 

«  Tous  deux  se  placèrent  dans  le  cercle. 

«  Et  la  vieille,  avec  sa  voix  creuse,  parla 
ainsi  : 

«  —  Veus-tu  descendre  de  cet  arbre,  ô 
rossignol  magique?  Je  te  mcllrai  des  plumes 
d'or  à  tes  ailes  et  te  passerai  un  collier  de 
perles  à  ton  col. 

«  Le  rossignol  répondit  : 

«  —  Que  m'importent  des  plurnes  d'or  à 
mes  ailes?  Que  m'importe  un  collier  de  per- 
les à  mon  col?  Je  suis  dans  le  monde  un  oi- 
seau sauvage;  personne  ne  doit  savoir  qui  je 
suis. 

«  La  vieille  reprit  : 

«  —  Si  tu  es  un  oiseau  sauvage  dins  le 
monde,  et  que  personne  ne  doive  savoir  qui 
lu  es,  laisse  au  moins  cet  homme  te  prendre 
en  pitié;  car  tu  dois  souffrir  de  soif  et  de 
•faim. 

«  De  nouveau  le  rossignol  répondit  : 

«  — Je  ne  souffic  ni  de  soif,  ni  de  faim, 
mais  d'une  douleur  secrète  (jui  ronge  mon 
vœur;  car  là-bas,  sur  le  rocher  escarpé,  là- 
bas,  dans  le  vieux  casiel,  habite  un  chevalier 
que  je  ne  puis  oublier  :  voilà  pourquoi  je 
souffre  et  pourquoi  mon  chant  est  si  triste 
Je  l'ai  aimé  sur  la  terre  étrangère  ;  j'ai  quitté 
pour  le  suivre  la  demeure  de  nia  mère  ché- 
tic.  Un  magicien  jaloux  m'a  changée  en  ros- 
signol et  m'a  exilée  sur  cet  arbre.  Je  serai 
ainsi,  à  moins  que  mon  ami  ne  vienne  me 
délivrer  et  ne  verse  trois  fois  de  l'eau  bénite 
sur  mes  ailes,  en  médisant  :  «Je  t'aime.»  De- 
puis que  je  gémis  sous  l'infernale  puissance 


du  sorcier,  j'ai  vu  tous  les  jours  mon  ami  et 
lui  ai  chanté  chaque  fois  les  douleurs  dont 
mon  âme  est  remplie.  Il  a  souffert  do  me 
voir  souffrir  ainsi.  Mais  maintenant  l'heure 
de  ma  délivrance  est  venue,  si  celui  que 
j'aime  veut  verser  trois  fois  de  l'eau  bénite 
sur  mes  ailes,  en  ae  disant  chaque  fois  : 
«  Je  t'aime.  » 

«  Quand  l'oiseau  eut  ainsi  parlé,  la  vieille 
fil  signe  au  chevalier,  qui  tendit  son  doigt  à 
l'oiseau.  Et  l'oiseau  ouvrit  ses  ailes;  d'un 
vol  léger  il  descendit  de  la  branche  où  il 
était  et  vint  se  percher  sur  le  gant  du  châte- 
lain. 

«  Il  s'en  alla  avec  l'oiseau  et  regagna  son 
château  au  clair  de  la  lune.  Quand  il  y  fut 
arrivé,  la  vieille  bohémienne  n'était  plus  là. 

«  Il  entra  dans  la  chapelle  et  versa  sur  les 
ailes  du  rossignol  de  l'eau  bénite, en  disant  : 

«  —  Je  t'aime. 

«  L'oiseau  frissonna  et  hérissa  ses  plumes 
grises. 

«  l'our  la  deuxième  fois,  le  chevalier  le 
mouille  d'eau  bénite ,  en  disant  :  —  Je 
t'aime. 

«  L'oiseau  jeta  un  cri ,  comme  si  une 
barre  de  fer  rouge  l'eût  touché  1 

«  Quand  l'eau  bénite  le  toucha  pour  la 
troisième  fois  ,  il  commença  à  reprendie 
forme  humaine;  et  le  châtelain  dit  : 

«  —  Je  t'aime. 

«  En  ce  moment  la  dame  reparut  devant 
lui  avec  sa  robe  de  velours  bleu,  b;lle  de 
toute  sa  beauté  et  ses  longs  cheveux  flot- 
tants. Une  larme  roula  dans  ses  yeux  : 

«  —  Maintenant,  je  suis  à  vous  pour  tou- 
jours, dit-elle,  et  aucune  puissance  humaine 
ne  nous  séparera.  Maintenant  je  suis  à  vous 
pour  toujours,  et  que  le  prêtre  reçoive,  au 
nom  de  Dieu,  mes  serments  et  les  vôtres. 

«  Ils  furent  bénis  au  nom  du  ciel;  el  leurs 
noms  furent  écrits  sur  le  livre  saint,  d'où 
Dieu  seul  peut  les  effacer. 

«  De  ces  époux  si  heureux  di'scendit  une 
lignée  de  vaillants  chevaliers  qui  firent  bril- 
ler leur  courage  dans  plus  d'une  bataille  et 
leur  nom  dans  plus  d'une  guerre.  » 

ENCHIRIIMON.  Voy.  Léon  III. 

ÉNEUGU.MÈNE.  On  appelle  éncrguroènes 
ceux  qui  sont  possédés  du  démon. 

ENFANTS.  Croirait-on  que  des  savants  en 
démence  et  des  médecins  sans  clientèle  ont 
recherché  les  moyens  de  s'assurer  du  sexe 
d'un  enfant  qui  n'était  pas  né,  et  qu'on  a 
fait,  autour  de  ce  thème  absurde,  des  livres 
niais  qui  trouvent  de  niais  lecteurs?  Voy. 

ENFANTS  DU  DIABLE.  Voy.  Cambions. 

ENFERS,  lieux  inférieurs  où  les  méchants 
subissent  après  leur  mort  le  châtiment  dû  à 
leurs  crimes.  Nier  qu'il  y  ait  des  peines  et  di  s 
récompenses  après  le  trépas,  c'est  nier  l'exi- 
stence de  Dieu,  puisqu'il  ne  peut  être  que 
nécessairement  juste.  Mais  les  tableaux  quii 
certains  poc;es  et  d'autres  écrivains  nous  ont 
fails  des  enfers,  ont  été  souvent  les  fruits  de 
l'imagination.  On  doit  croire  ce  que  l'Église 
enseigne,  sans  s'égarer  dans  des  détails  que 
Dieu  n'a  pas  jugé  à  propos  de  révéler. 


:m 


INF 


E^F 


530 


Les  nnricns,  la  plupart  des  modernrs,  et 
surloul  1rs  cabalisles,  placent  les  enfers  au 
centre  de  la  terre.  Le  docteur  Swinden,  dans 
ses  Rpcherclies  sur  le  feu  de  l'enfer,  prétend 
qi:e  l'enfer  est  dans  le  soleil,  parce  que  le  so- 
leil est  le  feu  perpétuel.  Quelques-uns  ont 
ajouté  que  les  damnes  entretiennent  ce  feu 
dans  une  activité  continuelle,  et  que  les  ta- 
ches qui  paraissent  dans  le  disque  du  soleil, 
après  les  grandes  catastrophes,  ne  sont  pro- 
duites que  par  l'encombrement... 

Dans  Milton  (c'esl  du  moins  de  la  poésie), 
l'abîme  où  fut  précipité  Satan  est  éloigné  du 
ciel  trois  Ibis  autant  que  le  centre  du  monde 
l'est  de  l'extrémité  du  pôle  ;  c'est-à-dire, 
selon  les  calculs  des  astronomes,  à  990,000, 00() 
de  lieues  (1).  —  L'enfer  de  Milton  est  un 
globe  énorme,  entouré  d'une  triple  voûte  de 
Icux  dévorants;  il  est  placé  dans  le  sein  de 
l'antique  chaos  et  de  la  nuit  informe.  On  y 
voit  cinq  fleuves  :  le  Slyx,  soune  exécrable 
consacrée  à  la  Haine;  l'Achéron,  fleuve  noir 
et  profond  qu'habite  la  Douleur;  le  Cocyte, 
ainsi  nommé  des  sanglots  perçants  qui  re- 
tentissent sur  ses  funèbres  rivages;  le  fou- 
gueux Plilégéton,  dont  les  (lois  précipités  en 
torrents  de  feu  portent  la  rage  dans  les 
cœurs  ;  et  le  tranquille  Lélhé,  qui  roule  dans 
un  lit  tortueux  ses  eaux  silencieuses. 

Au  delà  de  ce  fleuve  s'étend  une  zone  dé- 
serte ,  obscure  et  glacée ,  perpétuellement 
battue  des  tempêtes  et  d'un  déluge  de  grêle 
énorme,  qui,  loin  de  se  fondre  en  tombant, 
s'élève  en  monceaux,  semblable  aux  ruines 
d'une  antique  pyramide.  Tout  autour  sont 
des  gouffres  horribles,  des  abîmes  de  neige 
et  de  glace.  Le  froid  y  produit  les  effets  du 
feu,  et  l'air  gelé  brûle  et  déchire.  C'est  là 
qu'à  certains  temps  fixés,  tous  les  réprou- 
vés sont  traînés  par  les  Furies  aux  ailes 
de  Harpies.  Us  ressentent  tour  à  tour  les 
tourments  des  deux  extrémités  dans  la  tem- 
pérature, tourments  que  leur  succession  ra- 
pide rend  encore  plus  affreux.  Arrachés  de 
leur  lit  de  feu  dévorant,  ils  sont  plongés  dans 
des  monceaux  de  glaces  ;  immobiles,  presque 
éteints,  ils  languissent,  ils  frissonnent  et  sont 
de  nouveau  rejelés  au  milieu  du  brasier  in- 
fernal. Us  vont  et  reviennent  ainsi  de  l'un  à 
l'autre  supplice;  cl  pour  le  combler,  ils  fran- 
chissent à  chaque  fois  le  Léthé.  Us  s'effor- 
cent, en  le  traversant,  d'atteindre  l'onde  en- 
chanteresse ;  ils  n'en  désireraient  qu'une 
seule  goutte  :  elle  suffirait  pour  leur  faire 
perdre,  dans  un  doux  oubli,  le  sentiment  de 
tous  leurs  maux.  Hélas!  Méduse,  aux  re- 
gards terribles,  à  la  têle  hérissée  de  ser- 
pents, s'oppose  à  leurs  efforts;  et  semblable 
à  celle  que  poursuivait  si  vainement  Tantale, 
l'eau  fugitive  se  dérobe  aux  lèvres  qui  l'as- 
pirent... 

A  la  porte  de  l'enfer,  sont  deux  figures  ef- 
froyables :  l'une,  qui  représente  une  femme 
jusqu'à  la  ceinture ,  finit  en  une  énorme 
queue  de  serpent  recourbée,  à  longs  replis 
écailleux,  et  armée  à  l'estrémiléd'un  aiguil- 
lon   mortel.  Autour  de  ses   reins   est   une 

(1)  Le  poêle  dil  qiio  In  rtiiiln  de  Satan  dura  noiif  jours  : 
d'oti  il  siiivrall  que  SaUn  aurait  fail  1,-200  lieUcs  par 


meute  de  chiens  féroces,  qui,  sans  cesse  ou- 
vrant leur  large  gueule  de  Cerbère,  frappent 
perpétuellement  les  airs  des  plus  odieux  hur- 
lements. Ce  monstre  est  le  Péché,  fille  sans 
mère,  sortie  du  cerveau  de  Satan  ;  il  tient  les 
clefs  de  l'enfer.  L'autre  figure  (si  l'on  peut 
appeler  ainsi  un  spectre  informe,  un  fanlôino 
dépourvu  de  substance  et  de  membres  dis- 
tincts), noire  comme  la  nuit,  féroce  comme 
les  Furies,  terrible  comme  l'enfer,  agile  un 
dard  redoutable;  et  ce  qui  semble  être  sa 
tête  porte  l'apparence  d'une  couronne  royale. 
Ce  monstre  est  la  Mort,  fille  de  Satan  et  du 
Péché. 

Nous  suivons  toujours  Milton,  ce  grand 
poëte.  Après  que  le  premier  homme  fut  de- 
venu coupable,  la  Mort  et  le  Péché  conslrui- 
sirent  un  solide  et  large  chemin  sur  l'abîme. 
Le  gouffre  enflammé  reçut  patiemment  un 
pont,  dont  l'élonnante  longueur  s'étendit  du 
bord  des  enfers  au  point  le  plus  reculé  de  ce 
monde  fragile.  C'est  à  l'aide  de  cette  facile 
communication  que  les  esprits  pervers  pas- 
sent et  repassent  sur  la  terre  pour  corrom- 
pre ou  punir  les  hommes. 

Mais  si  le  séjour  des  réprouvés  est  un  sé- 
jour hideux,  ses  hôtes  ne  le  sont  pas  moins. 
Citons  à  présent  le  Tasse.  Quand  d'un  son 
rauque  et  lugubre  l'infernale  trompette  ap- 
pelle les  habitants  des  ombres  éternelles,  le 
Tarlare  s'ébranle  dans  ses  gouffres  noirs  et 
profonds  ;  l'air  ténébreux  répond  par  de 
longs  gémissements.  Soudain  les  puissances 
de  l'abîme  accourent  à  pas  précipités  :  (luels 
spectres  étranges,  horribles,  épouvantables! 
La  terreur  et  la  mort  habitent  dans  leurs 
yeux  ;  quelques-uns,  avec  une  figure  hu- 
maine, ont  des  pieds  de  bêtes  farouches; 
leurs  cheveux  sont  entrelacés  de  serpents  ; 
leur  croupe  immense  et  fourchue  se  recourbe 
en  replis  torlueux.  —  On  voit  d'inmiondes 
Harpies,  des  Centaures,  des  Sphinx,  des  Gor- 
gones, des  Scylles  qui  aboient  et  dévorent; 
des  Hydres,  dfes  Pythons,  des  Chimères  qui 
vomissent  des  torrents  de  flamme  et  de  fu- 
mée ;  des  Polyphèmes,  des  Géryons,  mille 
monstres  plus  bizarres  que  jamais  n'en  rêva 
l'imagination,  mêlés  et  confondus  ensemble. 
Ils  se  placent  les  uns  à  la  gauche,  les  autres 
à  la  droite  de  leur  sombre  monarque.  Assis 
au  milieu  d'eux,  il  tient  d'une  main  un  scep- 
tre rude  et  pesant;  son  front  superbe,  armé 
de  cornes,  surpasse  en  hauteur  le  roc  le  plus 
élevé,  recueil  le  plus  sourcilleux  :  Calpé, 
l'immense  Atlas  lui-môme,  ne  seraient  au- 
près de  lui  que  de  simples  collines  (2).  — 
Une  horrible  majesté,  empreinte  sur  son  fa- 
rouche aspect,  accroît  la  terreur  et  redouble 
son  orgueil  ;  son  regard,  tel  qu'une  funesto 
comète,  brille  du  feu  des  poisons  dont  ses 
yeux  sont  abreuvés;  une  barbe  longue, 
épaisse,  hideuse,  enveloppe  son  menton  et 
descend  sur  sa  poitrine  velue;  sa  bouche, 
dégouttante  d'un  sang  impur,  s'ouvre  comnio 
un  vaste  abîme  :  de  cette  bouche  empestéo 
s'exhalent  un  souffle  empoisonné  et  des 
tourbillons  de  flamme    et  de   fumée.  Ainsi 

seconde. 
{i)  Milion  duiiue  à  Satan  quarante  mille  pieds  de  liaut. 


531 


l'Etna,  tic  ses  flancs  embrasés,  vomit  avec  un 
bruit  aiïreux  de  noirs  lorrenls  de  soufre  et  de 
bitume.  Au  son  de  sa  voix  terrible,  l'ablrnc 
Ircmble,  Cerbère  se  tait  épouvanté,  l'Hydre 
est  niucltc,  le  Cocyle  s'arrête  immobile  (i). 

Voici  quelques  voyages  aux  enfers,  em- 
pruntés aux  clironiquenrs  du  moyen  âge,  et 
qui  sont  moins  agréables  que  les  tableaux 
des  poètes,  mais  qui  ont  pourtant  aussi  leur 
charme  de  naïveté. 

Le  landgiavc  de  Thuringe  venait  de  mou- 
rir. Il  laissait  après  lui  deux  fils  à  peu  près 
du  même  âge,  Louis  et  Hermann.  Louis,  qui 
était  l'aîné  et  le  plus  religieux  (puisqu'il  est 
mort  dans  la  première  croisade),  publia  cet 
édit  après  les  funérailles  de  son  père  : 

«  Si  quelqu'un  peut  m'apporter  des  nou- 
velles certaines  de  l'état  où.  se  trouve  main- 
tenant l'âme  de  mon  père,  je  lui  donnerai 
une  bonne  ferme...  » 

Un  pauvre  soldat,  ayant  entendu  parler  de 
cette  promesse,  alla  trouver  son  frère,  qui 
passait  pour  un  clerc  distingué,  et  qui  avait 
exercé  pendant  quelque  temps  la  nécroman- 
cie; il  chercha  à  le  séduire  par  l'espoir  de  la 
ferme  qu'ils  partageraient  amicalement. 

—  J'ai  quelquefois  évoqué  le  diable  ,  ré- 
pondit le  clerc,  et  j'en  ai  tiré  ce  que  j'ai  vou- 
lu ;  mais  le  métier  de  nécromancien  est  trop 
dangereux,  et  il  y  a  longtemps  que  j'y  ai  re- 
noncé. 

Cependant  l'idée  de  devenir  riche  sur- 
monta les  scrupules  du  clerc  :  il  appela  le 
diable,  qui  parut  aussitôt,  et  demanda  ce 
qu'on  lui  voulait. 

—  Je  suis  honteux  de  t'avoir  abandonné 
depuis  tant  de  temps ,  répondit  Gnement  le 
nécromancien  ;  mais  je  reviens  à  toi.  Indi- 
que-moi ,  je  te  prie  ,  où  est  l'âme  du  land- 
grave ,  mon  ancien  maître  ? 

—  Si  tu  veux  venir  avec  moi,  dit  le  diable, 
je  te  la  montrerai. 

—  J'irais  bien ,  répondit  le  clerc  ;  mais  je 
crains  trop  de  n'en  pas  revenir. 

—  Je  te  jure  par  le  Très-Haut ,  et  par  ses 
décrets  formidables  ,  dit  le  démon,  que  si  tu 
le  Des  à  moi ,  je  te  conduirai  sans  méchef 
auprès  du  landgrave  ,  et  que  je  te  ramène- 
rai ici  (2). 

Le  nécromancien,  rassuré  par  un  serment 
aussi  solennel ,  monta  sur  les  épaules  du  dé- 
mon ,  qui  prit  son  vol  et  le  conduisit  à  l'en- 
trée de  l'enfer.  Le  clerc  eut  le  courage  de 
considérer  à  la  porte  ce  qui  s'y  passait, mais 
il  n'eut  pas  la  force  d'y  entrer.  H  n'aperçut 
qu'un  pays  horrible  ,  et  des  damnés  tour- 
mentés de  mille  manières.  Il  remarqua  sur- 
tout un  grand  diable  ,  d'un  aspect  effroya- 
ble ,  assis  sur  l'ouverture  d'un  puits,  qui 
était  fermé  d'un  large  couvercle,  et  ce  spec- 
tacle le  fit  trembler.  Cependant  le  grand  dia- 
ble cria  au  démon  qui  portait  le  clerc  : 

—  Que  portcs-lu  là  sur  les  épaules?  viens 
ici  que  je  le  décharge. 

(IJ   Et  PhtegclODlcac  requierunl  murmura  ripse. 

CtAUDlEN. 

(î)  Jaro  libi  pcr  Altisslmum,  et  |icr  Iremeiidum  cjus 
jiidicium  quia,  si  liiJei  ineje  le  coiimiiseris,  etc. 
(3)  Buccinavil  lam  valiUe. 


DICTIONNAIRE  DES  SCIE.NCES  OCClLTr.S 

Non  ,  répondit  îe  démon 


532 


celui  que  je 
porte  est  un  de  mes  amis  ;  je  lui  ai  juré  que 
je  ne  lui  causerais  aucun  mal  ;  et  je  lui  ai 
promis  que  vous  auriez  la  bonté  de  lui  faire 
voir  l'âme  du  landgrave,  son  ancien  maître, 
afin  qu'à  son  retour  dans  le  monde  il  publie 
partout  votre  puissance.  Le  grand  diable  ou- 
vrit alors  son  puits,  et  sonna  du  cornet  (3) 
avec  tant  de  vigueur  et  de  force,  que  la 
foudre  et  les  tremblements  de  terre  ne  se- 
raient qu'une  musique  fort  douce  en  com- 
paraison. En  même  temps  le  puits  vomit  des 
torrents  de  soufre  enflammé  ,  et ,  au  bout 
d'une  heure  ,  l'âme  du  landgrave  ,  qui  re- 
montait du  goullreau  milieu  des  tourbillons 
étincelants ,  montra  sa  léte  au-dessus  du 
Irou  ,  et  dit  au  clerc  : 

—  Tu  vois  devant  toi  ce  malheureux 
prince  qui  fut  ton  maître  ,  et  qui  voudrait 
maintenant  n'avoir  jamais  régné... 

Le  clerc  répondit:  —Votre  fils  est  curieux 
de  savoir  ce  que  vous  faites  ici,  et  s'il  peut 
vous  aider  en  quelque  chose. 

—  Tu  sais  où  j'en  suis  ,  reprit  l'âme  du 
landgrave,  je  n'ai  guère  d'espérance  ;  cepen- 
dant ,  si  mes  fils  veulent  restituer  certaines 
possessions  que  je  le  vais  nommer  ,  et  qui 
m'appartenaient  injustement ,  ils  me  soula- 
geront. 

Le  clerc  répondit:  —  Seigneur,  vos  fils  ne 
me  croiront  pas. 

—  Je  vais  te  dire  un  secret,  répliqua  le 
landgrave  ,  qui  n'est  connu  que  de  moi  el  do 
mes  fils. 

En  même  temps  il  nomma  les  possessions 
qu'il  fallait  restituer,  et  il  donna  le  secret 
qui  devait  prouver  la  véracité  du  clerc. 

Après  cela  ,  l'âme  du  landgrave  rentra 
tristement  dans  le  gouffre  ;  le  puits  se  refer- 
ma, el  le  nécromancien  revint  dans  la  'l'hu- 
riiige  ,  monté  sur  son  démon.  Mais ,  à  son 
retour  de  l'enfer,  il  était  si  défait  el  si  pâle  , 
qu'on  avait  peine  à  le  reconnaître.  Il  raconta 
aux  princes  ce  qu'il  avait  vu  et  entendu  ;  el 
cependant  ils  ne  voulurent  point  consentira 
restituer  les  possessions  que  leur  père  les 
priait  de  rendre.  Seulement  le  landgrave 
Louis  dit  au  clerc:  —  Je  reconnais  que  lii  as 
vu  mon  père,  el  que  tu  ne  me  trompes  point; 
aussi  le  vais-jc  donner  la  récompense  que 
j'ai  promise. 

—  Gardez  votre  ferme  ,  répondit  le  clerc  ; 
pour  moi  je  ne  dois  plus  songer  qu'à  mon 
salut. 

Et  il  se  fil  moine  de  Citeaux  (4) 

On  voit  que  le  légendaire  ne  désigne  pas 
bien  si  les  lieux  que  son  héros  a  cru  visiter 
sont  le  purgatoire  ou  l'enfer.  Citons  encore 
un  bon  religieux  anglais  dont  le  voyagea  été 
écrit  par  Pierre-le-Vénérable  ,  abbé  de  Clu- 
ny,  el  par  Denys-le-Chartreux  (5).  Ce  voya- 
geur parle  à  la  première  personne  : 

a  J'avais   saint  Nicolas  pour  conducteur, 

(4)  Césarius,  moine d'Heisterliacli,  de  l'ordre deCileaux, 
Miracles  illustres,  liv.  I,  cli.  xxxiv. 

(5)  Pétri  Venerabilis,  demiracul.,  el  Dionysii  Carlliu- 
siani ,  De  quatuor  novissiiiils,  art.  47. —  Disons  pourUnI 
que  ce  passage  du  bieolieureux  DeBis-leCliartruux  puratt 


5-5 


LNF 


E.NP 


Soi 


I 


dit-il; il  me  fil  parcourir  un  chemiii  plal  jus- 
qu'à un  espace  imiiiense  ,  horrible  ,  peuplé 
(le  défunts  qu'on  lourmcnlait  de  mille  ma- 
nières affreuses.  On  me  dit  que  ces  gens-là 
n'étnionl  pas  damnés,  que  leur  supplice  fi- 
nirait avec  le  temps,  et  que  je  voyais  le  pur- 
gatoire. Je  ne  m'attendais  pas  à  le  trouver 
si  rude  ;  tous  ces  malheureux  pleuraient  à 
chaudes  larmes  et  poussaient  de  grands  gé- 
missements. Depuis  que  j'ai  vu  toutes  ces 
choses,  je  sais  bien  que  si  j'avais  quelque 
parent  dans  le  purgatoire ,  je  souffrirais 
mille  morts  pour  l'en  tirer. 

Un  peu  plus  loin  ,  j'aperçus  une  vallée  où 
roulait  un  épouvantable  fleuve  de  feu  ,  qui 
s'élevait  en  tourbillons  à  une  hauteur  énor- 
me. Au  bord  de  ce  fleuve  il  faisait  un  froid 
si  glacial  qu'il  est  impossible  de  s'en  faire 
une  idée.  Saint  Nicolas  m'j  conduisit,  et  me 
fit  remarquer  les  patients  qui  s'y  trouvaient, 
en  me  disant  que  c'était  encore  le  purga- 
toire. 

En  pénétrant  plus  avant,  nous  arrivâmes 
en  enfer.  C'était  un  champ  aride  couvert  d'é- 
paisses ténèbres  ,  coupé  de  ruisseaux  de 
soufre  bouillant;  on  ne  pouvait  y  faire  un 
pas  sans  marcher  sur  des  insectes  hideux, 
difformes,  extrêmement  gros  et  jetant  du 
feu  parles  narines.  Us  étaient  là  pour  le  sup- 
plice des  pécheurs,  qu'ils  tourmentaient  de 
concert  avec  les  démons.  Ceux-ci,  avec  des 
crochets,  happaient  les  âmes  punies  et  les  je- 
taient dans  des  chaudières,  oii  ces  âmes  se 
fondaient  parmi  des  matières  liquides  ;  après 
cela  on  leur  rendait  leur  forme  pour  de  nou- 
velles tortures.  —  Ces  tortures  se  faisaient 
en  bon  ordre  cl  chacun  était  tourmenté  se- 
lon ses  crimes.  » 

Il  voit  ensuite  des  prélats,  des  chevaliers, 
des  dames,  des  religieux,  des  princes.  Mais 
toutes  ces  relations  se  ressemblent  un  peu. 
Voy.  VÉTiN,  Bertuold,  Charles-le  Chauve, 
Kngelbrecht,  etc. 

Il  serait  très-long  de  rapporter  les  senti- 
ments des  différents  peuples  sur  l'enfer. — 
Les  Bruscs  disent  que  tout  ce  qu'on  man- 
gera dans  les  enfers  aura  un  goût  de  fiel  et 
d'amertume,  et  que  les  damnés  porteront 
sur  la  tête,  en  signe  d'une  éternelle  répro- 
bation, un  bonnet  de  poil  de  cochon  d'un 
pied  et  demi  de  long. 

Les  Grecs  représentaient  l'enfer  comme  un 
lieu  vaste  et  obscur,  partagé  en  plusieurs 
régions,  l'une  affreuse,oii  l'on  voyait  des  lacs 
dont  l'eau  infecte  et  bourbeuse  exhalait  des 
vapeursmorlelles,  un  fleuve  de  feu,  des  tours 
de  fer  et  d'airain,  des  fournaises  ardentes, 
des  monstres  et  des  furies  acharnés  à  tour- 
menter lesscélérats;  l'autre  riante,  paisible, 
destinée  aux  sages  et  aux  héros.  Le  lieu  le 
plus  voisin  de  la  terre  était  l'Erèbe;  on  y 
rencontrait  le  palais  de  la  Nuit,  celui  du 
Sommeil  et  des  Songes.  C'était  le  séjour  de 
Cerbère,  des  Furies  et  de  la  mort  ;  c'est  là 
qu'erraient  pendant  cent  ans  les  ombres  in- 
fortunées dont  le  corps  n'avait  pas  reçu  les 

interpolé,  cl  que  lo»  crjtiqnet  peuient  qull  n'est  pas 
de  lui. 


honneurs  de  la  sépulture;  cl  lorsqu'Ulysse 
évoqua  les  morts,  ceux  qui  apparurent  no 
sortirent  que  de  l'Erèbe.  L'autre  enfer  était 
l'enfer  des  méchants  :  là  chaque  crime  était 
puni;  les  remords  dévoraient  leurs  victimes; 
et  là  se  faisaient  entendre  les  cris  aigus  de  la 
douleur.  Le  Tartare  proprement  dit  venait 
après  l'enfer: c'était  la  prison  des  dieux. En- 
vironné d'un  triple  mur  d'airain,  il  soutenait 
les  vastes  fondements  de  la  terre  et  des 
mers.  Les  Champs-Elysées,  séjour  heureux 
des  ombres  vertueuses,  formaient  la  qua- 
trième division  des  enfers  ;  il  fallait  traverser 
l'Erèbe  pour  y  parvenir. 

Chez  les  Juifs  modernes,  les  justes  seront 
heureux,  les  méchants  seront  tourmentés 
en  enfer,  et  ceux  qui  sont  dans  un  état  mi- 
toyen, tant  Juifs  que  gentils,  descendront 
dans  un  abîme  avec  leurs  corps,  et  ils  pleu- 
reront pendant  douze  mois,  en  montant  et  en 
descendant  d'unlieumoins  pénible  à  un  lieu 
plus  rigoureux.  Après  ce  terme,  leurs  cor|)s 
seront  consumés,  leurs  âmes  brûlées,  et  le 
vent  les  dispersera  sous  les  pieds  des  justes. 
Les  rabbins  ajoutent  que,  le  premier  jour  de 
l'an,  Dieu  fait  un  examen  du  nombre  et  de 
l'état  des  âmes  qui  sont  en  enfer. 

L'enfer  des  Romains  était  divisé  en  sept 
provinces  différentes  :  la  première  renfermait 
les  enfants  morts-nés,  comme  ne  devant 
être  ni  récompensés  ni  punis;  la  seconde 
était  destinée  aux  innocents  condamnés  à 
mort;  la  troisième  logeait  les  suicides;  dans 
la  quatrième  erraient  les  parjures;  la  cin- 
quième province  était  habitée  par  les  héros 
dont  la  gloire  avait  été  souillée  par  la 
cruauté  ;  la  sixième  était  le  Tartare  ou  lieu 
des  tourments,  et  la  septième  les  Champs- 
Elysées,  comme  chez  les  Grecs. 

L'enfer  des  Musulmans  a  sept  portes,  et 
chacune  a  son  supplice  particulier.  Cet  en- 
fer est  rempli  de  torrents  de  feu  et  de  soufre, 
où  les  damnés  chargés  de  chaînesdesoixanle- 
dix  coudées  sont  plongés  et  replongés  con- 
tinuellement par  de  mauvais  anges.  A  cha- 
cune des  sept  portes,  il  y  a  une  garde  de 
dix-neuf  démons,  toujours  prêts  à  exercer 
leur  barbarie  envers  les  damnés  et  surtout 
envers  les  infidèles,  qui  seront  à  jamais  dans 
ces  prisons  souterraines,  où  les  serpents,  les 
grenouilles  et  lescorneilles  aggravent  encore 
les  tourments  de  ces  malheureux. Les  Maho- 
métans  n'y  demeureront  au  plus  que  sept 
mille  ans  ;  au  bout  de  ce  temps,  le  prophète 
obtiendra  leur  délivrance.  On  ne  donne  aux 
damnés  de  cel  enfer  que  des  fruits  amers, 
ressemblant  à  des  tê'.cs  de  diables  ;  leur 
boisson  se  puise  dans  des  sources  d'eaux 
soufrées  et  brûlantes,  qui  leur  procureront 
des  tranchées  douloureuses. 

Quelques  Japonais  prétendent  que  la  peine 
des  méchants  est  de  passer  dans  le  corps  d'un 
renard,  qui  est  leur  enfer. 

Les  Guèbrcs  disent  que  les  méchants  sont 
les  victimes  d'un  feu  dévorant  qui  les  brûle 
sans  les  consumer. Un  des  tourments  de  leur 
enfer  est  l'odeur  infecte  qu'exhalent  les 
âmes  scélérates;  les  unes  habitent  d'affreux 
cachots  où  elles  sont  étouffées  par  uue  l'u« 


f,5"i 


DICTIONNAIUE  DES 


mée  épaisse  et  dévorées  pnr  les  morsures 
d'un  nombre  prodigieux  d'insectes  et  de  rep- 
tiles venimeux;  les  autres  sont  plongées 
jusqu'au  cou  dans  les  flots  noirs  et  glacés 
d'un  fictive;  celles-ci  sont  environnées  de 
diables  furieux  qui  les  déchirent  à  coups  de 
dents;  celles-là  sont  suspendues  par  les 
pieds, et  dans  cet  étal  on  les  perce  dans  tous 
les  endroits  du  corps  avec  un  poignard. 

On  croit,  dans  l'île  Formose,  que  les  hom- 
mes ,  après  leur  mort,  passent  sur  un  pont 
étroit  de  bambous,  sous  lequel  il  y  a  une 
fosse  profonde  pkine  d'ordures.  Le  pont  s'é- 
croule sous  les  pas  de  ceux  qui  ont  mal 
vécu,  cl  ils  sont  précipités  dans  celte  horrible 
fosse. 

Les  Musulmans  ont  aussi,  au-dessus  de 
leur  enfer,  un  pont  qui  est  fait  en  lame  de 
rasoir.  Toutes  les  âmes  doivent  passer  sur  ce 
tranchant;  et  il  n'y  a  que  les  âmes  justes  qui 
le  traversent  sans  tomber  dans  le  gouffre. 

Les  Gafres  admettent  treize  enfers  et  vingl- 
sept  paradis,  où  chacun  trouve  la  place  qu'il 
a  mérité  d'occuper ,  suivant  ses  bonnes  ou 
mauvaises  actions.  Les  sauvages  du  Missis- 
sipi  croient  que  les  coupables  iront  dans  un 
pays  malheureux,  où  il  n'y  a  point  de  chasse. 
Les  Virginiens  placent  l'enfer  à  l'Occident, 
et  précisément  à  l'un  des  bouts  du  monde. 
—  Les  Floridiens  sont  persuadés  que  les 
âmes  criminelles  sont  transportées  au  milieu 
des  montagnes  du  nord;  qu'elles  restent  ex- 
posées à  la  voracité  des  ours  et  à  la  rigueur 
des  neiges  et  des  frimas. 

Les  Kalmouks  ont  un  enfer  pour  les  bêtes 
de  somme;  et  celles  qui  ne  s'acquittent  pas 
bien  de  leurs  devoirs  ici-bas  sont^  condam- 
nées, selon  eux,  à  porter  sans  relâche  dans 
l'autre  monde  les  fardeaux  les  plus  pesants. 
L'enfer  du  Dante  est  célèbre.  La  forme  de 
cet  enfer  ressemble  à  un  entonnoir  ou  à  un 
cône  renversé.  L'espace  qui  se  trouve  depuis 
la  porte  de  l'enfer  jusqu'au  fleuve  Achéron 
se  divise  en  deux  parties  :  dans  la  première 
sont  les  âmes  de  ceux  qui  vécurent  sans 
honneur;  ils  sont  tourmentés  par  des  frelons 
qui  leur  piquent  le  visage  :  ces  damnés  cou- 
rent après  une  bannière  qui  tourne  sans 
cesse  autour  d'un  cercle.  Dans  la  seconde  se 
trouvent  les  enfants  morts  sans  baptême;  ces 
ombres  poussent  des  gémissements  conti- 
nuels. Il  y  a  des  cercles  concentriques  autour 
de  l'enfer.  Le  second  cercle  renferme  les 
luxurieux;  ils  sont  sans  cesse  agités,  trans- 
portés ça  et  là  sur  des  tourbillons  de  vent. 
Le  troisième  est  rempli  par  les  gourmands 
étendus  dans  la  fange  et  continuellement  ex- 
posés à  un  déluge  épouvantable  de  pluie,  de 
neige  et  de  grêle.  Le  quatrième  contient  les 
prodigues  et  les  avares;  ils  sont  condamnés 
à  rouler  éternellement  les  unscon^  les  au- 
tres des  poids  énormes. Les  autres  cercles  sont 
partagés  aussi  bien. 

Les  trouvères  du  moyen  âge  se  sont  exer- 
cés fréquemment  sur  l'enfer.  Les  fabliaux 
«(ui  s'en  occupent  sont  nombreux.  Mais  sou- 
vent le  poêle  ne  fait  qu'une  critique  de  ce 
monde   sous   le   inasq^ie   de   l'autre.   Voy. 


SCIKNCES  OCCULTES.  530 

Cyrano.   Souvent  aussi  il  sent  l'hérésie  à 
pleine  gorge. 

Dans  le  Songe  d'Enfer  de  Houdan,  le  poëte 
arrive  à  la  ville  de  Convoitise,  il  y  voit  En- 
vie, Avarice,  Rapine.  Plus  loin  il  s'arrôlc  à 
la  demeure  de  Filouterie,  qui  lui  demande 
des  nouvelles  de  reriains  Parisiens  nommés 
là  par  leur  nom.  Il  passe  à  Ville-Taverne, 
où  il  trouve  Ivresse  avec  son  fils,  né  en  An- 
gleterre. On  voit  (|ne  ce  sont  des  allégories. 
Mais  il  parvient  à  la  porle  dos  enfers,  gardée 
par  Meurtre,  Désespoir  et  Morl-Subite.  Le 
roi  d'Enfer  tient  table  ouverte;  et  on  lui  sert 
de  la  chair  d'usurier. 

Rulebeuf  fit  la  contre-partie  en  quelque 
sorte  de  ce  fabliau,  sous  le  litre  du  Chemin 
de  paradis.  Par  une  route  étroite  et  raboteuse, 
il  arrive  à  la  ville  de  Pénitence,  où  il  trouve 
Piété,  qui  veut  bien  le  guider  pour  le  garan- 
tir des  différents  ennemis  qu'il  doit  rencon- 
trer en  voyage.  Le  premier  est  Orgueil,  dont 
le  palais,  magnifique  par  devant,  tombe  eu 
ruines  par  derrière.  11  dédaigne  tout  le  monde, 
quoique  souvent  son  insolence  lui  ait  attiré 
de  cruelles  humiliations.  Ses  courtisans  sont 
vêtus  de  soie  écarlale  et  portent  en  tout 
temps  sur  la  tête  un  riche  chapeau.  Il  les 
fixe  auprès  de  lui  en  leur  promettant  des  di- 
gnités et  des  honneurs. 

Plus  loin  est  Colère,  le  visage  rouge,  les 
yeux  enflammés,  grinçant  des  dents,  et  dans 
sa  rage  se  déchirant  et  se  frappant  elle- 
même. 

Au  détour  d'un  vallon  il  voit  Avarice.  Elle 
a  de  vastes  prisons  dans  lesquelles  elle  tient 
renfermés  ses  sujets,  maigres  et  pâles,  assis 
sur  des  monceaux  d'or  qu'attire  un  aimant 
particulier,  dont  sa  maison  est  couverte.  Chez 
elle  tout  est  fermé  à  double  serrure,  et  l'on 
n'y  entre  que  par  une  seule  porte,  dont  elle 
tient  toujours  la  clef. 

Tout  au  fond  de  la  vallée  s'est  retirée  En- 
vie qui,  selon  Ovide,  dit  l'auteur,  lient  eu 
main  des  serpents  dont  elle  suce  le  venin. 
Toujours  cachée  dans  l'ombre,  elle  n'en 
sort  que  pour  venir  secrètement  épier  ses 
voisins.  Si  alors  elle  entend  des  gémissements 
et  voit  couler  des  larmes,  elle  est  dans  la 
joie;  mais  s'ils  rient  ou  s'ils  chantent,  elle 
pleure  et  se  retire. 

Près  d'elle  est  le  séjour  de  Paresse.  Du 
lit  où  elle  est  couchée,  elle  entend  le  bruit 
des  cloches  qui  l'appellent  à  l'église;  elle 
maudit  le  sonneur  et  voudrait  ne  jamais  se 
lever  que  pour  se  mettre  à  table. 

Gourmandise ,  quoique  malade  encore 
d'une  indigestion  qu'elle  a  eue  la  veille,  ne 
songecependant  qu'à  retourner  à  la  taverne. 
Plus  loin  enfin  est  un  manoir  où  l'on  n'en- 
tre qu'avec  honte ,  où  l'on  reste  caché  dans 
les  ténèbres,  cl  d'où  l'on  ne  sort  que  mécon- 
tent. Le  portier  rebute  ceux  qui  s'y  présen- 
tent les  mains  vides;  il  ouvre  à  ceux-là 
seuls  qui  apportent.  La  maîtresse  les  ac- 
cueille, mais  c'est  pour  les  voler.  Us  y  sont 
venus  à  cheval,  ils  s'en  retournent  à  pied. 
Aussi  très-rarement  y  reviennenl-ils  deux 
fois  :  ou,  si  leur  faiblesse  les  y  entraîne,  ils 
savent  que  c'est  se  préparer  un  repenlir. 


5-7 


ENF 


ENF 


5:8 


I 


Ru(ebeuf  .iprès  avoir  traversé  hourcuse- 
iiienl  le  quartier  des  vices,  arrive  enfin  dans 
celui  des  verlus.  Il  voit  Libéralité  qui  est 
mourante  ;  Franchise  dont  la  maison  est 
presque  déserte,  etc.  Enfin  il  parvient  chez 
Confession,  où  il  voulait  aller;  et  c'est  là  ce 
qu'il  appelle  la  voie  de  paradis  (1). 

Un  autre  fabliau  plus  célèbre  est  celui  du 
Jongleur  qui  alla  en  enfer,  ou  de  saint  Pierre 
et  du  Jongleur.  —  On  en  pardonnera  le 
ton. 

A  Sens  jadis  vivait  un  ménétrier  qui ,  pour 
un  trésor,  n'eût  pas  voulu  avoir  querelle 
avec  un  enfant,  mais  homme  sans  conduite 
et  dérangé  s'il  en  fut  jamais.  Il  passait  sa 
vie  au  jeu  ou  à  la  taverne.  Gagnait-il  quel- 
que argent?  vile  il  le  portait  là.  N'avait  il 
rien?  il  y  laissait  son  violon  en  gage.  Aussi, 
toujours  sans  It-  sou,  il  vous  eût  fuitcompas- 
sion.  Malgré  cela,  gai,  content,  la  tête  en 
tout  temps  couronnée  d'un  chapel  de  bran- 
ches verles,  il  chantait  sans  cesse  et  n'eût 
demandé  à  Dieu  (|u'unc  seule  chose,  de  met- 
tre toute  la  semaine  en  dimanches. 

Il  mourut  enfin.  Un  jeune  diable,  novice 
encore,  qui  depuis  un  mois  cherchait  et  cou- 
rail  partout  pour  escamoter  quelque  â(ne, 
sans  avoir  jusque-là,  malgré  toutes  ses  pei- 
nes, pu  réussir,  s'étant  trouvé  là  par  hasard 
quand  noire  violoniieur  trépjissa,  il  le  prit 
sur  son  dos  et  tout  joyeux  l'emporta  en 
enfer. 

C'était  l'heure  précisément  où  les  démons 
revenaient  de  leur  chasse.  Lucifer  s'était  as- 
sis sur  son  trône  pour  les  voir  arriver;  et  à 
mesure  qu'ils  entraient,  chacun  d'eux  venait 
jeter  à  ses  pieds  ce  que  dans  le  jour  il  avait 
pu  prendre;  celui-ci  un  huissier,  celui-là  un 
voleur,  les  uns  des  champions  morts  en 
champ  clos,  les  autres  des  marchands,  tous 
gens  surpris  au  moment  qu'ils  s'y  attendaient 
le  moins.  Le  noir  monarque  arrêtait  un  in- 
stant ses  captifs  pour  les  examiner,  et  d'un 
signal  aussitôt  il  les  faisait  jeter  dans  sa 
I  haudière.  Quand  l'heure  fut  passée,  il  or- 
donna de  fermer  les  portes  et  demanda  si 
tout  le  monde  était  rentré  :  —  Oui,  répondit 
quelqu'un,  excepté  un  idiot,  qui  est  sorti 
depuis  un  mois,  et  qu'il  ne  faut  pas  encore 
attendre  aujourd'hui  probablement,  parce 
([u'il  aura  honte  de  rentrer  à  vide. 

Le  railleur  achevait  à  peine  de  parler, 
quand  arriva  le  jeune  diable,  chargé  de  son 
ménétrier  déguenillé  qu'il  présenta  humble- 
ment à  son  souverain.  —  Approche,  dit  Lu- 
ciferau  chanteur;  qui  es-tu?  voleur?  espion? 
soldat? —  Non  ,  Sire,  j'étais  ménétrier,  et 
vous  voyez  en  moi  (iuel(|u'un  qui  possède 
toute  la  sciencu  (lu'un  ho;ninu  sur  la  terre 
peut  avoir.  Malgré  cela  j'ai  eu  là-haut  bien 
de  la  misère;  mais  enfin,  puisque  vous  vou- 
lez vous  charger  de  mon  logement,  je  chan- 
terai, si  cela  vous  amuse.  —  Oui,  des  chan- 
sons! C'est  bien  là  la  musique  qu'il  me  faut 
ici  1  Ecoute;  lu  vois  celte  chaudière,  et  te 
voici  tout  nu  :  je  te  charge  de  la  faire  chauf- 
fer; et  surtout  qu'il  y  ait  toujours  bon  feu. 

(t)  Legrand  d'Aiissy.  Nous  lui  empruntons  le  fabliau 
suivant 


—  Volontiers,  Sire  ;  au  moins  je  serai  sûr 
dorénavant  de  n'avoir  pas  froid.  —  Notre 
homme  aussitôt  se  rendit  à  son  poste,  et,  pen- 
dant quelque  temps,  il  s'acquitta  exactement 
de  sa  commission. 

Mais  un  jour  que  Lucifer  avait  convoqué 
tous  ses  suppôts  pour  aller  faire  avec  eun  sur 
la  terre  une  battue  générale,  avant  de  sortir 
il  appela  le  chauffeur.  —  Je  vais  partir,  lui 
dit-il,  et  je  laisse  ici  sous  ta  garde  tous  mes 
prisonniers  ;  mais  songe  que  tu  m'en  répon- 
dras sur  les  yeux  de  ta  tête,  et  que  si,  à  mon 
retour,  il  en  manquait  un  seul... —  Sire,  par- 
tez en  paix,  je  réponds  d'eux  ;  vous  trouve- 
rez les  choses  en  ordre  quand  vous  revien- 
drez, et  vous  apprendrez  à  connaître  ma  fi- 
délité. —  Encore  une  fois  prends  bien  garde, 
il  y  va  de  tout  pour  toi ,  et  je  te  fais  manger 
tout  vif.  —  Ces  précautions  prises,  l'armée 
infernale  partit. 

C'était  là  le  moment  qu'attendait  le  bon 
saint  Pierre.  Du  haut  du  ciel  il  avait  entendu 
ce  discours,  et  se  tenait  aux  aguets  pour  en 
profiter.  Dès  que  les  démons  furent  dehors, 
il  se  déguisa,  prit  une  longue  barbe  noire, 
descendit  en  cirfer,  et  s'accostant  du  méné- 
trier :  —  Ami,  dit-il,  veux-tu  faire  une  partie 
nous  deux?  Voilà  des  dés,  et  de  bon  argent 
à  gagner.  —  En  même  temps  il  lui  montra 
une  longue  bourse  toute  remplie  d'esterlins. 

—  Sire,  répondit  l'autre,  c'est  bien  inutile- 
ment que  vous  venez  ici  me  tenter;  il  ne  me 
reste  rien  au  monde  que  celte  chemise  dé- 
chirée que  vous  me  voyez.  —  Eh  bien  1  si  tu 
n'as  point  d'argent,  mets  en  place  quelques 
âmes,  je  veux  bien  me  contenter  de  cette 
monnaie,  et  lu  ne  dois  point  craindre  ici  d'en 
manquer  de  sitôt.  —  Tudieu  I  je  n'ai  garde  ; 
je  sais  trop  ce  que  mon  maître  m'a  promis 
en  partant.  Trouvez-moi  quelque  autre  ex- 
pédient, car  pour  celui-ci  je  suis  votre  ser- 
viteur. —  Comment  veux-tu  qu'il  le  sache? 
Sur  une  telle  multitude,  que  sera-ce,  dis-moi, 
que  cinq  ou  six  âmes  de  plus  ou  de  moins  ? 
Regarde,  voilà  de  belles  pièces  toutes  neuves. 
11  ne  tient  qu'à  loi  d'en  faire  passer  quelques 
unes  dans  la  poche.  Profile  de  l'occasion, 
tandis  que  me  voilà,  car  une  fois  sorti ,  je  no 
reviens  plus....  allons  je  mels  vingt  sous  au 
jeu,  amène  ([uelque  âme. 

Le  malheureux  dévorait  des  yeux  les  dés. 
Il  les  prenait  en  main,  les  quittait,  puis  les 
reprenait  de  nouveau.  11  n'y  put  tenir,  et 
conjcnlit  à  jouer  quelques  coups  ;  mais  une 
âme  seulement  à  la  fois,  de  peur  de  s'expo- 
ser à  trop  perdre.  —  Tope  pour  une,  répond 
l'apôtre,  mets  au  jeu.  —  L'un  va  donc  cher- 
cher quelques  patients,  l'autre  étale  ses  cs- 
lerlins;  ils  s'asseoient  au  bord  du  fourneau 
et  commencent.  Mais  le  saint  jouait  à  coup 
sûr;  aussi  gagna-t-il  constamment.  Le  chan- 
teur, pour  rattraper  ce  qu'il  perdait,  eul  beau 
doubler,  tripler  les  mises,  il  jjerdit  toujours. 

Ne  concevant  rien  à  un  malheur  si  con- 
stant, il  se  fâcha,  et  déclara  qu'il  ne  paierait 
point.  Puis  il  proposa  de  recommencer  la 
partie,  si  l'on  voulait  tenir  la  première  pour 
nulle,  offiaut  alors  de  donner  à  choisir  dans 
la  chaudière  tout  ce  qu'on  voudrait.  A  celle 


i 


m 


DICTIONNAIUE  DES  SCIENCES  OCCULTES 


5i0 


partie,  il  ne  fut  pas  plus  heureux  qu'à  la 
première.  11  se  piqua,  joua  cent  âmes,  mille 
âmes  à  la  fois,  changea  de  dés,  changea  de 
place,  <l  n'en  perdit  pas  moins  à  tous  les 
coups.  Enfin,  didc^ei-poir  il  se  leva  et  quitta 
le  jfu,  maudissant  sa  mauvaise  fortune  qui 
le  suivait  jusqu'en  enfer.  Pii  rre  alors  s'ap- 
proiha  delà  chaudière  pour  y  (hoisir  et  en 
tirer  cciix  qu'il  avait  gagnés.  Chacun  d'eux 
implorait  sa  pitié  afin  délie  l'un  des  heu- 
reux. C'éiaienl  dis  cris  à  ne  pas  s'entendre. 
Le  iiiénélner  furieux  y  accourut,  et  résolut 
de  s'acquitter  ou  de  tout  perdre.  En  homme 
qui  ne  veut  plus  rien  ménager  il  proposa  de 
jouer  ce  qui  lui  restait.  L'apôtre  ne  deman- 
dait pas  mieux.  Ce  va-toul  si  important  se 
décida  iur  le  lieu  même  ;  et  je  n'ai  pas  besoin 
de  vous  dire  quelles  lurent  pendant  ce  temps 
les  transes  des  patients  qui  en  étaient  les  té- 
moins. Leur  sort  heureusement  se  trouvait 
enire  bonnes  mains.  Saint  Pierre  gagna  en- 
core, et  partit  avec  eux  tous  pour  le  para- 
dis. 

Quelques  heures  après  rentra  Lucifer. 
Mais  quelle  fui  sa  douleur  quand  il  vit  ses 
brasiers  éteints,  sa  chaudière  vide  ,  et  pas 
une  seule  âme  de  tous  ces  milliards  qu  il 
avait  laissés  !  Il  appela  le  chauffeur  :  —  Scé- 
lérat, qu'as-lu  fait  de  mes  priMinniers?  — 
Ah  !  sire,  je  me  jette  à  vos  genoux,  ayez  pi- 
tié de  moi,  je  vais  tout  vous  dire.  —  El  i.  con- 
ta son  aventure,  avouant  qu'il  néiait  pas 
p!us  heureux  en  enfer  qu'il  ne  l'avait  élé 
sur  la  terre.  Qiel  est  le  butor  qui  nous  a 
amené  le joueur?  dit  le  prince  irrité;  qu'on 
lui  donne  les  étrivières.  Aussitôt  on  saisit  le 
petit  diablotin  qui  avait  fait  un  si  mauvais 
présent,  et  on  l'étrilla  si  verlcmcnlqu'il  pro- 
mit bien  de  ne  jamais  se  charger  de  méné- 
trier. —  Chassez  d'ici  ce  marchand  de  mu- 
sique, ajouta  le  ruonarciue  ;  on  peut  les  rece- 
voir dans  leparadis,uù  l'un  aime  la  joie;  moi 
je  neveux  plus  jamais  entendre  parler  d'eux. 

Le  chanteur  n'en  demanda  pas  davantage. 
Il  se  sauva  piomplemeul,  et  vint  en  paradis 
où  saint  Pierre  le  reculai  le  Ol  entrer  avec 
les  autres. 

ENGASrUlMlSME ,  art  des  Ycntriloques. 
On  l'attribuait   auirefois  à  la  magie. 

ENGASTIUMYTHES  ou  ENGASTRIMAN- 
DRES,  devins  qui  faisaient  entendre  leurs 
réponses  dans  leur  ventre.  Voy.  Ventrilo- 
fiUES,  CÉCILE,  etc. 

ENGELBUECHT  (Jeanj,  visionnaire  alle- 
mand, mort  en  16it2.  Il  était  protestant  et 
dun  naturel  ^i  mélancolique,  qu'il  tenta  sou- 
vent de  s'ôter  la  vie.  Un  soir,  vers  minuit, 
Il  lui  Sembla  que  son  corps  était  transporté 
au  milieu  des  airs  avec  la  rapidité  d'une  flè- 
che. Après  un  voyage  très-court,  il  arriva  à 
la  porte  de  l'enfer,  uù  régnait  une  obscurité 
profonde,  et  d'où  s'exhalait  une  puanteur  à 
laquelle  il  n'y  a  rien  à  cuniparer  sur  la  terre. 
11  entendit  les  cris  et  les  gémissements  des 
damnés.  Une  légion  de  diables  voulut  l'en- 
tratner  dans  l'abime  ;  il  se  débarrassa  de  leurs 
griffes,  pria,  et  tout  cet  horrible  spectacle 
s'évanouit.  Le  Saint-Esprit  lui  apparut, dit-il, 
sous  la  forme  d'un  buwuie  blanc  et  le  con- 


duisit en  paradis.  Quand  Engelbrccht  eut 
goûlé  les  délices  du  séjour  divin,  un  ange  lui 
ordonna  de  retourner  sur  la  terre  pour  an- 
noncer ce  qu'il  avait  vu  ,  entendu  et  senti, 
avec  la  charge  d'exhorter  les  hommes  à  la 
pénitence.  Engelbreeht,  rc  venu  à  la  vie,  ra- 
conta sa  vi>ion.  Dans  un  de  ses  ouvrages, 
(car  il  a  fait  des  ouvrages,  quoiqu'il  ne  sûi 
pas  lire),  il  dit  que  tous  les  assistants,  pen- 
dant son  récit,  sentirent  la  puanteurhorribic 
de  l'enfer,  et  que  lui-même,  en  sortant  de 
son  lit,  en  étailencore  infecté;niaispersonne, 
excepté  lui,  ne  put  jouir  des  parfums  suaves 
de  la  demeure  des  bienheureux.  11  annonça 
dès  lors  qu'il  avait  élé  mort  et  qu'il  était  res- 
suscité, et  il  fonda  sur  ce  prodige  la  dignité 
de  sa  mission. 

Il  eut  encore  d'autres  visions;  il  entendit 
pendant  quarante  nuits  une  musique  céhsie 
si  harmonieuse,  qu'il  ne  put  s'empêcher  d'y 
joindre  sa  voix.  Les  ministres  protestants 
crurent  reconnafire  en  lui  quelque  chose  de 
surnaturel.  Mais  dès  qu'il  leur  eut  reproché 
leur  avarice,  ils  déclarèrent  que  tout  n'était 
que  l'œuvre  du  démon  Parcourant  la  Basse- 
Saxe,  il  prêchait,  disait-il,  comme  il  en  avait 
reçu  l'ordre  d'en  haut.  Un  jour  qu'il  racon- 
tait ses  extases,  il  dit  qu'il  avait  vu  les  âmes 
des  bienheureux  voltiger  autour  de  lui,  sous 
la  forme  d'étincelles,  et  que,  voulant  su  mê- 
ler à  leur  danse,  il  avait  pris  le  soleil  dune 
main  et  la  lune  de  l'autre. 

Ces  absurdités  no  rempêchèreiil  pas  de 
faire  des  prosélytes  parmi  les  réformes.  Il  a 
laissé  divers  volumes  :  1°  VérJubie  Vue  et 
hislutre  du  ciel,  Amsterdam,  1G90,  in-4°  : 
c'est  le  récit  de  son  excursion  en  enfer  et  ea 
p.iradis  ;  2°  Mandat  et  ordre  diviti  et  céleste 
délivrés  par  la  chancellerie  céleste,  Brème  , 
1G25,  in-4°;  cet  écrit  manque  dans  le  recueil 
intitulé:  OEuvr es.  Visions  et  Révélations  de 
Jean  Engelbreeht,  Amsterdam,  1080,  in-iit". 

ENIGME.  On  lit  dans  de  vieilles  histoires 
de  Naples  que,  sous  le  règne  de  Robert  Guls- 
card,  on  trouva  une  statue  qui  avait  eu  la 
tête  dorée,  et  sur  laquelle  était  écrit  :  Aux 
calendes  de  mai,  quand  le  soleil  se  lèvera,  j'au- 
rai la  (été  toute  d'or.  Robert  chercha  long- 
temps à  deviner  le  sens  de  cette  énigme; 
mais  ni  lui  ni  les  savants  do  son  royaume  n  : 
purent  la  résoudre.  Un  prisonnier  de  guerrj 
sarrazin  promit  de  l'interpréter,  si  on  lui  ac 
cordait  la  liberté  sans  rançon.  Il  avertit  dum; 
le  prince  d'observer  aux  premiers  jours  de 
mai  l'ombre  de  la  tête  de  la  statue,  au  lever 
du  soleil,  et  de  faire  bêcher  la  terre  à  len- 
droil  où  tomberait  cette  ombre.  Robert  sui- 
vit ce  conseil  et  trouva  de  grands  trésors,  qui 
lui  servirent  tians  ses  guerres  d'Italie.  H  ré-j 
compensa  le  Sarrazin,  non-seulement  en  lui 
accordant  la  liberté, 
liant  (le  bonnes  sommes 

DERIK. 

il  y  a  beaucoup  d'énigmes  dans  les  divi- 
nations. On  peut  voir  le  traité  des  énigmes 
du  père  Meneslrier,  de  la  compagnie  de  Jé- 
sus, intitulé  .  ta  Philosophie  des  images  éni- 
gmatiques,  où  il  est  traité  des  énigmes, 
hiéroglyphiques,  oracles,  prophéties,  sorts  , 


Ein,  non-seulement  en  lui 
!,  mais  encore  en  lui  dou-[ 
mmes  d'argent.  Voy.  Ro- 1 


tw 


ENS 


ENT 


5« 


divinations,  loteiii'S,  talismans,  son<;os,  cen- 
turies de  Noslradanius,  et  de  la  baguette. 
Lyon,  169!i..  in-12. 

ENLEVEMENT.  Nous  ne  parions  ici  que 
de  ceux  qui  ont  élé  enlevés  par  le  diable. 

Une  Allemande  avait  conlraclé  l'habitude 
de  jurer  et  de  dire  des  mots  de  corps-de- 
garde.  Elle  fut  bientôt  prise  pour  modèle  par 
quelques  femmes  de  son  pays,  cl  il  fallut  un 
exemple  qui  arrêiàt  le  désordre.  Un  jour 
qu'elle  prononçail  avec  énergie  ces  paroles, 
qui  sont  tristes  surtout  dans  la  bouche  d'une 
femme  :  Que  le  diable  tn'emporle!...  le  diable 
arriva  tout  équipé  et  l'emporta  (1). 

On  lit  en  beaucoup  de  livres  qu'un  certain 
comte  de  Mâcon,  homme  violent  et  impie, 
exerçait  une  espèce  de  tyrannie  contre  les 
ecclésiastiques  et  contre  ce  qui  leur  appar- 
tenait, sans  se  mettre  en  peine  de  cacher  ni 
de  colorer  ses  violences.  Un  jour  qu'il  était 
assis  dans  son  palais,  bien  accompagné,  on 
y  vit  entrer  un  inconnu  à  cheval,  qui  s'a- 
vança jusqu'auprès  du  comte,  et  lui  dit;  — 
Suivcz-inoi,  j'ai  à  vous  parler. 

Le  comte  suit  l'étranger,  entrainé  par  un 
pouvoir  surnaturel.  Lorsqu'il  arrive  à  la 
porte,  il  trouve  un  cheval  préparé,  le  monte, 
et  il  est  transporté  dans  les  airs,  criant  d'une 
voix  terrible,  à  ceux  qui  étaient  présents  : 
—  A  moi  I  au  secours  1...  On  le  perdit  de  vue, 
et  on  ne  put  douter  que  le  diable  ne  l'eût 
emporté. 

Dans  la  même  ville,  il  y  eut  un  bailli  qui 
fut  aussi  enlevé  par  le  diable  à  l'heure  de 
son  diner,  et  porté  trois  fois  autour  de  Md- 
con,  à  la  vue  de  tous  les  habitants,  qui  assu- 
rent ne  l'avoir  pas  vu  revenir  (2).  Voy. 
Agrippa,  Simon,  Gabrielle  d'Estrèes,  Lu- 
ther. DÉVOUEMENT,    clc. 

ENOi:H.  Voy.  HÉNOCii. 

ENSORCELLEMENT.  Bien  des  gens  se 
sont  crus  ensorcelés,  qui  n'étaient  que  le 
jouet  de  quelque  hallucination.  On  lisait  ce 
fait  dans  le  Journal  des  Débats  du  5  mars 
1841.  —  «  11  y  a  trois  jours,  M.  Jacques  Co- 
quelin,  demeurant  rue  du  Marché  Saint-Jean, 
n-  21,  à  Paris,  logé  au  troisième  étage,  ren- 
trait chez  lui  vers  onze  heures  du  soir,  la 
lôte  échauffée  par  le  vin.  Arrivé  sur  le  palier 
du  deuxième  étage,  il  se  croit  dans  son  do- 
micile; il  se  déshabille  tranquillement,  jette 
une  à  une  ses  bardes  par  une  large  fenêtre 
donnant  sur  la  cour  et  que  dans  son  ivresse 
il  prend  pour  son  alcôve  ;  puis  il  se  fait  un 
bonnet  de  nuitavecsa  cravate,  et  n'ayant  plus 
que  sa  chemise  sur  le  corps,  il  se  lance  lui- 
même  par  la  fenêtre,  croyant  sejeter  sur  son 
lit..  Ce  ne  futquelelendemain.verssixhcures 
du  matin,  que  les  autres  habitants  de  la 
maison  s'aperçurent  de  ce  malheureux  évé- 
nement. Le  corps  de  l'infortuné  Coquelin 
était  étendu  sans  mouvement  sur  les  dnlles 
de  la  cour.  Pourtant  cet  homme,  âgé  seule- 
ment de  vingt-sept  ans,  et  doué  d'une  grande 
force  physique,  n'était  pas  mort,  quoique 
son  corps   fût    horriblement  mutilé.  Trans- 

(1)  Wierus  do  Prxsl.  disiii.,  lib.  II;  liodin,  Dé;noiio- 
maiiie,  liv.  Itl,  cil.  1. 
(2}  Jcaa  (Je  Ùiassanion,  Ijuguenol,  Des  grands  cl  redou- 


porté  chez  lui,  il  vécut  deux  jours  encore; 
mais  son  état  était  désespéré  et  il  expira  après 
soixante  heures  des  plus  cruelles  souffran- 
ces. »  —  Dans  d'autres  Icmps  ou  dansd'.iu- 
tres  pays,  o\  eût  vu  là  un  cnsorceUcmcnt. 
Voy.  toutefois  Sortilèges,  Paroles,  Ber- 
gers, etc.,  etc. 

ENTERRÉS-VIVANTS.  —  Indépendam- 
ment de  ce  qu'elles  ont  d'effroyable  pour 
ceux  qui  en  sont  victimes,  les  morts  appa- 
rentes ont  donné  lieu  à  plus  d'une  terreur. 
Les  soupirs  entendus  dans  un  cimetière  ont 
passé  pour  la  voix  d'un  revenant,  quand  ce 
n'ciait  que  le  sanglot  d'angoisse  d'un  infor- 
tuné enterré  vivant.  —  Ces  choses  tiennent 
trop  à  la  mort,  pour  (|ne  nous  ne  nous  y  ar- 
rêîions  pas  un  peu.  Mais,  au  lieu  de  donner 
des  histoires  de  morts-viv  mts,  nous  croyons 
plus  utile  de  rapporter  ici  la  curieuse  thèse 
du  docteur  Vinslow  sur  cette  matière.  Le 
lecteur  sera  bien  aise  de  trouver  en  son  en- 
tier cette  petite  pièce  rare  et  intéressante. 
L'auteur  l'a  intitulée  :  Terrible  supplice  et 
cruel  désespoir  des  personnes  enterrées  vi- 
vantes. —  Rien  de  si  certain  que  la  morl, 
puisqu'elle  est  inévitable;  rien  de  si  incer- 
tain, puisque  des  personnes  réputées  mor- 
tes et  qu'on  avait  ensevelies,  sont  sorties  de 
leur  cercueil,  et  même  de  leur  tombeau. 
Combien  de  gens  y  sont  morts,  pour  avoir 
élé  enterrés  avec  trop  de  précipitation  1  sort 
bien  plus  affreux,  sans  doute,  que  celui  di-s 
misérables  livrés  aux  derniers  supplices.  Il 
y  a  des  exemples  de  personnes  qui  ont  donné 
des  marques  certaines  de  vie,  à  l'instant  où 
l'anatomiste  imprudent,  portant  sur  elles  un 
fer  meurtrier,  se  couvrait  de  honte,  et  exci- 
tait l'indignaiion  de  toute  une  famille  (3). 
Direz  -  vous  que  tout  cela  est  fabuleux? 
Croyez-vous  qu'il  soit  faux  que  Scot  se  soit 
rongé  les  bras  dans  son  tombeau,  et  que 
l'empereur  Zenon  en  ait  fait  autant,  après 
plusieurs  gémissements  que  ses  gardes  ont 
entendus.  Je  le  veux  bien;  mais  rejetterez - 
vous  le  témoignage  irréprochable  de  gens, 
dont  la  probité  reconnue  égale  les  lumières  et  le 
discernemenl?Ecoutez  l'illustre  Lancisi,  pre- 
mier médecin  du  pape  Clément  XI.  «  Ce  n'est 
pas,  dit-il,  pardesimplesoui-dire,  que  j'ai  su 
que  plusieurs  personnes  que  l'on  allait  enter- 
rer, ont  donné  des  signes  qu'elles  étaient  vi- 
vantes; j'ai  vu,  il  y  a  environ  vingt  ans,  un 
gentilhomme  qui  vit  encore,  à  qui  le  senti- 
ment et  le  mouvement  sont  revenus  dans 
l'église,  pendant  le  service  qu'on  chantait  à 
côté  de  son  corps;  ce  qui  fut  moins  un  su- 
jet d'admiration  que  de  frayeur  pour  les  as- 
sistants. » 

Le  P.Zacchias,  très-habile  médecin  deRome, 
rapporte  qu'un  jeune  homme  pestiféré  tomba 
en  syncope,  et  fut  porté  dans  cet  étal  parmi 
les  morts;  ceux  qui  se  disposaient  à  l'enter- 
rer, ayant  découvert  en  lui  quelques  signes 
de  vie,  le  reportèrent  à  l'hôpital.  Deux  jours 
après,  étant  de  nouveau  tombé  en  syncope, 
on  le  crut  bien  morl  cette  seconda  fois.  On  le 

tables  jugements  de  Dieu  advenus  an  monde,  p.  116. 

(3)  L'abbé  Prévost ,  que  l'on  croyait  mort,  liil  tué  ainsi 
par  celui  qui  voulait  l'ouvrir. 


K13 


DICTIONNAIRE  DliS  SCIENCES  OCCULTKS. 


r** 


mit  avec  les  c.iilavros  pour  dire  enlerré.  11 
donna  encore  des  marques  de  vie.  Les  se- 
cours qu'on  lui  ailminislra  curent  tout  le 
succès  imagin.iblo.  Ce  jeune  hoinmc  est  en- 
core vivant.  Il  y  en  a  bien  d"autres  qui, 
pend.'int  cette  malaiiie  contagieuse,  ont  é'.é 
mis  dans  le  tombeau  sous  de  fausses  appa- 
rences :   nous  en  sommes  certains.  » 

Philippe  Peu,  (rès-liabile  accoucheur,  fait 
avec  une  franchise  qu'on  ne  peut  assez 
louer,  l'aveu  d'une  faute  quil  a  commise. 
Appelé  pour  faire  roi)ération  césarienne  à 
une  femme  que  l'on  croyait  morte  dans  l'in- 
stant, il  tâta  la  région  du  cœur  et  n'y  aper- 
çut aucun  mouvement;  le  miroir  approché 
de  la  bouche  ne  fut  point  terni.  Sur  ces  in- 
dices, lui-même  la  crut  morte.  A  peine  eut- 
il  commencé  l'opération,  qu'il  s'aperçut  d'un 
tremblement  dans  tout  le  corps  di;  ce!te 
femme.  Elle  grinça  des  dénis  et  remua  les 
lèvres.  Cet  accident  causa  une  telle  frayeur 
à  ce  chirurgien,  qu'il  se  promit  bien  de  ne 
plus  entreprendre  une  telle  opéralion  dans  la 
suile,  sans  avoir  des  preuves  bien  cerlaines 
de  la  mort. 

On  assure  que  pareil  malheur  est  arrivé,  il 
n'y  a  pas  longtemps,  à  un  homme  de  la  pre- 
mière distinction,  que  l'on  voulait  ouvrir 
avant  l'expiration  des  vingt-quatre  heures, 
depuis  qu'il  était  réputé  mort.  On  sait  qu'un 
événement  aussi  funeste  réduisit  aux  der- 
nières extrémités  le  fameux  Vesale,  le  plus 
grand  anatomisic  de  son  siècle. 

Ces  exemples  ne  sufQscnt-ils  pas?  Faut-il 
des  témoins  connus,  et  à  qui  l'on  puisse 
s'informer  de  la  vérité  des  faits?  Le  révérend 
père  Lccler,  ci  -devant  procureur  de  la  mai- 
son des  pensionnaires  au  collège  de  Louis- 
le-Grand,  dont  la  probité  est  notoire,  vous 
dira  que  la  sœur  de  la  première  femme  de 
son  père,  ayant  été  enterrée  dans  le  cime- 
tière public  d'Orléans,  avec  une  bague  au 
doigt,  un  domestique,  attiré  par  l'appât  du 
gain,  décou\ rit  le  cercueil  la  nuit  suivante, 
et  que  ne  pouvant  parvenir  à  ôter  la  bague, 
il  se  disposait  à  couper  le  doigt.  La  douleur 
fit  jeter  un  grand  cri  à  celle  femme;  ce  qui 
effraya  et  mit  en  fuite  le  voleur.  Elle  se  dé- 
barrassa des  linges  qui  l'enveloppaient,  et 
revint  à  sa  maison.  Elle  n'est  morte  (|uc  dix 
ans  après,  ayant  survécu  à  son  mari,  dont 
elle  eut  un  enfant  depuis  cet  accident. 

M.  Mareschal,  prêtre  très-digne  de  foi, 
chapelain  de  Notre-Dame  à  Paris,  et  prieur 
de  Saint-Jean  de  la  Motte,  au  Mans,  dit  que, 
vers  l'année  1714,  passant  dans  la  rue  Jean- 
Robert,  il  vit  sur  le  pas  d'une  porte  une 
femme  enveloppée  d'une  grosse  :ouverture 
de  laine,  assise  dans  un  fauteuil,  à  côté  d'un 
cercueil,  dans  lequel  elle  avait  élé  apportée 
jusque-là,  et  d'où  l'on  venait  de  la  tirer  à 
l'instant.  II  cerlifie  aussi  avoir  vu,  en  1722 
ou  1723,  des  gens  qui  criaient  aux  porteurs 
de  morts,  qui  s'avançaient  vers  la  rue  de 
Champ -Fleury,  que  celui  qu'ils  venaient 
chercher,  était  sorti  do  la  bière,  et  qu'il  n'é- 
tait pas  mort. 

M.  Bernard,  chirurgien  de  Paris,  assure 
qu'étant  Jeune,  il  a  vu  dans  la  paroisse  de 


Réol,  en  présence  de  son  père  et  de  [ilusicurs 
personnes,  tirer  du  tombeau  un  religieux  de 
l'ordre  de  Saint-François,  qui  était  enterré 
defiuis  trois  ou  quatre  jours.  Il  était  encore 
vivant;  mais  il  mourut  un  instant  après  son 
exhum  ilion,  faite  sur  l'avis  d'un  de  ses  amis, 
qui  manda  qu'il  était  sujet  à  des  attaques  do 
catalepsie.  La  justice  dressa  un  procès-verbal 
de  ce  fait. 

Madame  Landry,  veuve  du  graveur  de  ce 
nom,  rapporte  que  son  père  a  été  tenu  pour 
mort  pendant  plusieurs  heures  sur  une 
paillasse,  et  qu'il  est  revenu  par  le  moyen 
de  l'eau  salée  qu'on  lui  fit  coukr  dans  la 
bouche,  par  le  conseil  d'une  de  ses  amies, 
qui  soutint  avec  obstination  qu'il  n'était  pas 
mort. 

Tous  ces  faits  suffisent  pour  convaincre  de 
ce  que  dit  Lancisi.  «  Qui  ne  sait  qu'en  temps 
de  peste  tout  se  fait  en  désordre,  et  que  l'on 
ne  donne  pas  l'attention  nécessaire  pour  dis- 
tinguer ceux  qui  sont  réellement  niorls,  de 
ceux  qui  ne  le  sont  qu'en  apparence  ?  jt 
N'est-il  pas  permis  de  penser  que  cela  se 
passe  de  même  parmi  nous,  dans  les  temps 
où  règne  quelque  maladie  épidémiquo  ?  Pou- 
vons-nous en  douter  lorsque  nous  voyons 
dans  les  hôpitaux,  dans  les  faubourgs  et  ail- 
leurs, les  enterrements  si  fréquents,  et  qui 
semblent  dcmaiider  vengeance  de  la  mort 
violente  qu'ils  causent?  Combien  de  gens  à 
moitié  morts,  et  même  vivants,  sont,  surtout 
après  les  batailles,  les  victimes  de  l'usage 
terrible  où  l'on  est  de  précipiter  les  enterre- 
ments ! 

Celse  nouâ  apprend  que  Démocrite,  qui 
était,  à  juste  titre,  un  homme  de  grande  ré- 
putation, avait  penié  que  les  signes  de  la 
mort  n'étaient  pas  suffisamment  certains. 
L'apoplexie,  la  syncope,  la  vraie  suffoca- 
tion, telle  que  celle  des  gens  (lu'on  a  étran- 
glés ou  étouffés,  des  noyés,  de  ceux  qui  ont 
été  enfermés  dans  des  lieux  trop  étroits,  ou 
exposés  à  des  vapeurs  nuisibles  ;  la  fausse 
suffocation  des  femmes  hystériques,  des  hy- 
pocondriaques, de  ceux  qui  sont  saisis  de 
violentes  passions  de  l'âme  ;  tous  ces  cas, 
et  plusieurs  autres  de  la  même  nature,  peu- 
vent induire  en  erreur  sur  les  signes  de  la 
mort;  et  ce  n'est  pas  tant  par  l'imperfcctijun 
de  la  médecine,  que  par  l'ignorance  ou  la 
négligence  de  ceux  (|ui  l'exercent,  ou  par  le 
peu  d'allentio!),  quehiuefuis  même  par  la 
méchanceté  de  ceux  (jui  ont  soin  des  malades. 
La  couleur  vermeille  du  visage,  la  chaleur  du 
corps,  la  llexibiliié  des  mecnbres,  ne  sout 
que  des  marques  incertaines  (|ue  l'on  soit  en 
vie.  De  même  la  pâleur  du  visage,  1(>  froid 
du  corps,  la  raideurdes  extrémités,  l'aboli- 
tion des  mouveuienis  et  des  sens  externes, 
sont  des  signes  qui  ne  prouvent  pas  certai- 
nement que  l'on  soit  mort.  Le  pouls  et  la 
respiration  sont  des  signes  indubitables  de 
la  vie,  car  elle  ne  peut  subsister  sans  ces 
fonctions;  mais  ne  croyez  pas  qu'elle  soiti 
entièrement  éteinte ,  lorsque  vous  ne  les 
apercevrez  point.  Examinez  les  choses  avec 
soin;  en  faisant  fléchir  le  poignet,  on  Irouve 
souvent  le  pouls,  que  l'on  n'avait  point  senti 


I 


•HS  E.NT 

quand  le  poignol  ctail  droit  ou  renversé.  Par 
ce  mouvement  on  relâche  l'artère,  cl  le 
sang  qui  n'est  poussé  que  faiblement  peut  y 
parvenir.  Quelquefois  aussi  on  sent  l'arlère, 
entre  le  pouls  cl  le  premier  os  du  métacarpe, 
idrsqu'on  ne  la  trouve  point  au  poignet.  Il 
f.iut  la  tâter  légèrement;  par  une  compres- 
sion trop  forte,  vous  en  empêcheriez  la 
pulsation.  Le  battement  des  petites  artères 
de  rexlréinilé  de  vos  doigts,  peut  aussi  vous 
faire  croire  que  le  pouls  bat,  quoique  la 
personne  soit  réellement  morte  :  soyez  éga- 
lement en  garde  contre  ces  illusions. 

Tout  n'est  pas  désespéré,  lorsiju'on  ne 
sent  point  le  pouls  où  on  le  trouve  ordinai- 
cmcnt.  On  peut  tâter  l'artère  temporale  et 
les  carotides.  Celles-ci  sont  considérables  et 
reçoivent  le  sang  du  cœur  en  ligne  droite. 
Leur  situation  profonde  exige  que  ,  pour  les 
découvrir,  on  appuie  les  doigts  avec  assez  de 
force,  à  côlé  du  bord  postérieur  du  muscle 
sternomastoïdien.  On  peut  encore  tâter  le 
pouls  avec  succès  aus  artères  crurales,  vers 
la  région  des  aines.  11  faut  aussi  faire  des 
reclierches  à  la  région  du  cœur;  mais  pour 
les  faire  utilement,  il  faut  que  le  corps  soit 
sur  le  côlé.  Quand  le  corps  est  sur  le  dos,  le 
cœur  s'approche  de  l'épine,  et  s'éloigne  des 
rôles  au  point  qu'il  ne  frappe  que  très-fai- 
blement, ou  même  point  du  tout,  contre 
elles  ;  c'est  ce  que  chacun  peut  éprouver  sur 
Ini-uiême.  Le  cœur  bat  ordinairement  du 
côlé  gauche;  mais  ses  battements  sont  à 
droite,  dans  ceux  dont  les  viscères  sont 
transposés,  singularité  qui  a  peut-être  été 
plus  d'une  fois  une  source  d'erreur  dans  le 
traitement  des  maladies  du  foie,  de  la  rate, 
de  l'intestin  colon  et  du  cœcum.  Il  faut  donc 
avoir  égard  à  la  possibilité  de  celte  transpo- 
sition dans  l'examen  que  nous  indiquons. 

Cependant  le  mouvement  du  cœur  et  des 
arièrcs  peut  échapper  à  toutes  ces  recher- 
ches ;  si  Ion  n'avait  recours  à  d'autres  si- 
gnes, on  jugerait  mort(  s  des  personnes  qui 
sont  vivantes.  L'examen  de  la  resjjiralion  ne 
fournit  pas,  dans  ci'S  circonstances ,  des 
preuves  plus  certaines  d'une  mort  douteuse. 
Ses  mouvements  peuvent  être  absolument 
imperceptibles.  Lorsque  les  vibrations  du 
cœur  et  de  l'aorte  sont  languissantes,  la 
vertu  élastique  des  bronches  et  des  vésicules 
du  poumon,  aidée  par  de  légers  fiémisse- 
nients  du  cœur  et  de  l'artère  pulmonaire, 
surfit  alors  [lour  la  respiration,  (|ui  continue 
de  se  faire,  (luoique  insensiblement.  Les  re- 
cherches qu'on  a  faites  inutilement  sur  les 
organes  de  la  circulation  du  sang,  ne  dis- 
pensent pas  de  celles  (ju'on  doit  faire  sur  les 
organes  de  la  respiration,  du  sentiment  et 
(lu  mouvement.  En  les  négligeant,  on  se 
rendrait  coupable  de  la  mort  de  ctmx  que 
l'on  aurait  privés  de  secours,  d'après  un  ju- 
gement porté  sur  des  apparences  trompeu- 
ses. 

DiTércnts  auteurs  ont  proposé  différentes 
épreuves  ,  pour  distinguer  ceux  qui  sont  vé- 
rilableuienl  morts  ,  de  ceux  dont  la  mort 
est  douteuse.  Les  uns  ,  pour  découvrir  s'il  y 
a  encore  (luelques  mouvements  de  respira- 


INT 


.St'i 


tion  ,  présentent  dune  main  sûre  la  llainmo 
d'une  bougie  à  la  bouche  et  aux  narines.  Si 
la  flamme  vacille  ,  sans  qu'on  puisse  attri- 
buer ce  tremblement  à  quelque  autre  cause, 
ils  jugent  que  la  vie  n'est  point  entièrement 
éteinte.  Us  pensent  le  contraire,  si  la  flamme 
n'est  agitée  en  aucun  sens.  D'autres  font  la 
même  expérience  avec  un  fil  très-délié  de 
laine  cardée,  ou  de  colon.  Il  n'y  a  personne 
qui  ne  puisse  se  convaincre  de  l'insuffisance 
de  cette  épreuve,  en  modérant  sa  respiration. 
Ces  signes  ne  sont  donc  rien  moins  que  cer- 
tains. Nous  en  disons  autant  de  l'épreuve 
avec  le  miroir  ;  puisqu'il  s'exhale  de  la  bou- 
che eldcs  narines  d'un  cadavre  encore  chaud, 
des  vapeurs  capables  de  ternir  la  glace. 

Selon  quelques-uns,  on  peut  juger  qu'une 
personne  n'est  pas  morte  j  si  l'on  aperçoit 
du  mouvement  dans  l'eau ,  dont  on  aura 
rempli  un  verre  posé  Sur  l'avance  xiphoïde, 
le  sujet  étant  couché  sur  le  dos.  Il  serait ,  je 
pense,  plus  convenable  qu'on  fît  celte  expé- 
rience ,  en  niellant  le  sujet  sur  le  côlé,  de 
façon  que  lexlrémité  du  cartilage  de  l'avant 
dernière  côte  fut  la  partie  la  plus  élevée  ,  et 
sur  laquelle  on  placerait  le  verre  plein  d'eau: 
il  y  serait  mieux  que  sur  le  cartilage  xi- 
phoïde pour  apercevoir  le  plus  léger  mouve- 
ment qui  se  ferait  dans  la  poitrine.  Mais  de 
plus,  ne  sait-on  pas  que,  pour  entretenir  la 
respiration  dans  le  cas  dont  il  s'agit,  il  suffit 
que  le  diaphragme  ait  du  mouvement ,  et 
que  ce  mouvement  peut  être  assez  doux  pour 
n'en  causer  aucun  aux  côtes  ;  ainsi  le  repos 
de  la  liqueur  n'est  pas  une  preuve  que  les 
fonctions  vitales  soient  abolies  ;  et  mérne  l'a- 
gitation de  celte  liqueur  ne  prouve  pas 
qu'elles  subsistent ,  car  la  fermentation  des 
humeurs  pourrait  exciter  ce  mouvement 
dans  un  mort. 

Quels  reproches  n'aurait-on  pas  à  se  faire, 
si  l'on  abandonnait  un  sujet  sur  lequel  ces 
moyens  auraient  été  éprouvés  sans  succès  I 
On  doit  en  tenter  d'autres,  qui  sont  efficaces 
pour  rappclerd'nne  mort  apparente  à  la  vie. 
Il  faut  irriter  l'intérieur  du  nez  avec  des 
sternutatoires,  des  sels  et  des  liqueurs  péné- 
trantes ,  de  la  moutarde,  du  jus  d'oignon, 
d'ail ,  de  raifort  sauvage  ,  avec  les  barbes 
d'une  plume  ou  le  bout  d'un  pinceau.  Il  faut 
frotter  fréquemment  et  assez  fortenienl  les 
gencives  avec  les  mômes  drogues;  piquer  les 
organes  du  tact  avec  des  orties  ;  irriter  les 
intestins  avec  des  lavements ,  de  la  fumée 
qu'on  y  introduira  ;  agiter  les  membres  par 
de  fortes  extensions  et  flexions  ,  faire  beau- 
coup de  bruit  ,  et  crier  aux  oreilles.  Il  ne 
faut  pas  s'imaginer  que  la  pirsonne  n'entend 
point ,  parce  qu'elle  aura  paru  ne  pas  en- 
tendre :  car  de  môme  que  le  cœur  est  appelé 
le  premier  vivant ,  on  peut  dire  que  des  or- 
ganes sensitifs,  celui  de  l'ouïe,  est  le  dernier 
qui  perde  son  action.  On  a  là-dessus  le  té- 
moignage de  ceux  qui,  privés  de  l'usage  de 
tous  les  autres  sens ,  ont  entendu  très-di- 
stinctement ,  et  rapporté  ensuite  tout  ce  qui 
avait  été  dit  pendant  leur  léthargie.  Un  théo- 
logienavaittoujours  enseignéqu'on  ne  devait 
point  donner  l'absolution  à  un  agonisant  qui 


Bt7 


PlCTIONNAmE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


618 


ne  témoignait,  p.T  aucun  signe  extérieur, 
qu'il  eût  la  faculié  d'onleudre  ;  il  changea  de 
sentiment ,  p.irce  que,  privé  lui-même  de 
tout  inouvcmenl  dans  une  faiblesse  consi- 
dérable ,  il  avait  entendu  tout  ce  qui  avait 
été  dit  à  côté  do  lui. 

De  toutes  les  parties  de  la  médecine,  la 
chirurgie,  comme  Celse  l'a  remarqué  il  y  a 
longtemps  ,  est  cille  dont  les  cfTets  sont  les 
plus  certains  ;  c'est  donc  à  elle  qu'il  faudra 
enQn  avoir  recours  pour  tâcher  de  trouver 
des  signes  de  la  vie  ou  de  la  mort.  Les  épreu- 
ves chirurgicales  les  plus  convenables  dans 
ce  cas.  sont  des  piqûres,  des  incisions,  ou 
des  brûlures.  Par  ces  moyens  on  a  quilque- 
fois  réussi  à  rappeler  à  la  vie  des  personnes 
sur  lesquelles  les  autres  épreuves  avaient  été 
entièrement  inutiles.  Lirritation  cl  la  divul- 
sion  que  les  épreuves  chirurgicales  causent 
aux  haupes  nerveuses,  dont  l'organe  du  tact 
est  formé,  produisent  une  sensation  doulou- 
reuse des  plus  vives  ;  la  communication  au 
siège  de  l'âme  s'en  fait  avec  une  vitesse  éton- 
nante ,  et  d'une  manière  qu'on  n'a  pu  ex- 
pli(|uer  jusqu'ici.  C'est  par  celle  raison  que 
les  piqûres  dans  les  mains  ou  à  la  plante  des 
pieds,  les  scarifications  sur  les  épaules  et 
les  bras  ,  etc.  ,  ont  servi  quelquefois  à  dé- 
couvrir que  les  apparences  delà  mortétaient 
trompeuses.  C'est  aussi  ,  par  cette  raison  , 
qu'une  femme  a  été  tirée  d'une  attaque  d'a- 
poplexie ,  en  lui  faisant  entrer  profondé- 
ment une  longue  aiguille  sous  l'ongle  d'un 
des  doigts  du  pied  ;  moyen  ,  dont  le  siiccèi 
ne  justifie  pas  la  témérité.  Les  incisions 
peuvent  produire  le  même  effet  :  enfin  ,  la 
cautérisation  est  regardée  comme  un  moyen 
Irès-i'ffîeace. 

Lancisi ,  dont  le  témoignage  est  si  respec- 
table, rapporte  que  des  gens  du  peuple,  que 
les  remèdes  les  plus  violents  n'avaient  pu 
réveiller  d'un  assoupissement  apoplectique, 
ont  été  sur  le  champ  rappelés  à  la  vie  par 
des  fers  rouges  qu'on  appiocha  de  la  plante 
de  leurs  pieds.  Quelques  autres  conseillent 
de  mettre  des  fers  rouges  sur  le  sommet  de 
la  tète.  On  peut  exciter  avec  succès ,  sur  les 
mains  ,  les  bras  ou  autres  parties  du  corps  , 
une  sensation  douloureuse  avec  l'eau  bouil- 
lante ,  la  cire  ordinaire  ou  la  cire  d'Espa- 
gne brûlante  ,  ou  avec  une  mèche  allumée. 
Les  frictions  violentes  opèrent  à  peu  près  de 
la  même  manière.  On  lit  ,  dans  les  ouvrages 
de  l'Académie  des  Curieux  de  la  Nature: 
«  Qu'un  médecin  s'étanl  aperçu  qu'un  hotn- 
«  me  ,  qu'on  croyait  mort ,  avait  encore  les 
«  membres  flexibles  ,  quoiqu'on  ne  sentît 
«  point  de  pouls  ,  que  l'immobilité  du  coton 
«  déposât  contre  l'existence  de  la  respira- 
«  tion  ,  et  que  les  lavements  les  plus  acres 
fussent  sans  effet,  il  fit  frotter  fortement  la 
plante  des  pieds  de  cet  homme  avec  une 
étoffe  de  crin,  pénétrée  d'une  saumure 
très-forte,  et  ,  par  ce  moyen,  il  Iq  rappela 
à  la  vie.  » 

Quelque  utiles  que  ces  épreuves  parais- 
sent, elles  peuvent  néanmoins  être  fautives. 
Entre  plusieurs  exemp'es  qui  le  prouvent,  il 
suffit  de  citer  une  observation  cotnmuniquéo 


à  l'Académie  royale  dos  sciences.  Un  soldat 
ne  sentait  point  la  chaleur  d'un  fer  rouge  , 
quoi(|u'il  eût  conservé  la  puissance  motrice 
des  parties ,  qui  étaient  d'evenurs  insensi- 
bles. 

Que  résultcra-l-il ,  me  direz  vous,  de  tout 
ce  que  vous  proposez?  à  quoi  bon  pi(|uer. 
inciser  et  brûler  ainsi  les  corps?  A  quoi  bon? 
le  voici  :  l'exemple  des  autres  m'épouvante, 
moi  surtout  qui,  au  jugement  même  de  mé- 
decins ,  ai  été  réiiulé  mort  et  enseveli  deux 
fois  ,  l'une  dans  n)on  enfance  ,  et  l'autre 
étant  adolescent.  «  Au  surplus  le  comtnun 
des  hommes,  comme  l'a  remarqué  Zarchias, 
ne  doit  pas  se  moquer  do  î'habileté  des  méde- 
cins qui  feraient  des  expériences  sur  ceux  qu(; 
l'on  croirait  morts,  ou  qui  le  seraient  véri- 
tablement, pour  tâcher  de  découvrir  si  la 
vie  subsiste  encore,  ou  si  elle  est  entière- 
ment éteinte.»  Nous  pouvons  citer  ici  ce  que 
Lancisi  rapporte  d'après  Quinlilien.  «  D'où 
croyez-vous  que  soit  venue  la  coutume  de 
différer  les  enterrements?  Pourquoi  trou- 
blons-nous les  pompes  funèbres,  par  nos 
pleurs,  nos  gémissements  et  nos  cris,  si  ce 
n'est  parce  qu'on  a  vu  souvent  des  gens 
qu'on  croyait  morts  revenir  à  la  vie  contre 
toute  espérance?»C'est  pourquoi,  continue; 
ce  savant  homme  ,  on  ne  peut  trop  louer  la 
sagesse  de  la  loi,  qui  défend  d'ensevelir  pré- 
cipitamment les  inorîs,  et  surtout  ceux  dont 
la  mort  a  été  subite.  Il  prie  ensuite  les  mé- 
decins, de  même  que  les  personnes  pieuses, 
dont  l'état  est  d'exhorter  les  mourants,  de 
faire  usage  des  moyens  proposés.  Il  exhorte 
surtout  les  méilecins  à  chercher  de  nouveaux 
moyens,  par  lesquels  on  puisse  soustraire 
des  victimes  à  la  mort,  ou  du  moins  gagner 
asnez  de  temps  pour  que  ceux  que  l'on 
pourra  réchapper  puissent  au  moins  se  re- 
connaître et  faire  les  actes  de  religion  né- 
cessairi'S.  Kiol.m,  un  des  flambeaux  de  l'E- 
cole de  Médecine  de  Paris,  a  donné  des  mar- 
ques à  peu  près  pareilles  de  sa  charité,  en 
parlant  des  corps  des  jiisliciés,  qu'on  des- 
tine aux  dissections  analoiiiiques: «Il  ne  faut 
y  procéder,  dit-il,  tant  ijue  le  corps  est  chau'l, 
et  s'il  n'y  a  pas  longtemps  qui>  l'exécution 
soit  faite;  la  religion  et  Ihumanilé  exigent 
que  l'on  donne  à  ces  malheureux  tons  les 
secours  convenabU's  pour  les  rappeler  à  la 
vie  ,  afin  qu'ils  puissent  faire  pénitence  de 
leurs  crimes.  »  Mais  comme  il  n'y  a  (surtout 
dans  les  cas  dont  nous  parlons),  aucun  signe 
certain  de  la  mort,  que  les  taches  livides  du 
sujet,  et  l'odeur  cadavéreuse  qui  s'en  exhale, 
odeur  bien  différente  de  toutes  celles  qui 
émanent  des  excréments  ou  de  certains  ul - 
cères,  etc.,  le  plus  sûr  sera  de  garder  dans 
le  lit,  pendant  deux  ou  trois  jours,  celui  que 
l'on  croira  mort,  avec  ses  draps,  ses  cou- 
vertures ,  et  ses  oreillers  ,  romine  s'il  était 
vivant.  On  le  laissera  ainsi  jusqu'à  ce  qu'il 
soit  froid  et  devenu  raidc.  Le  sentiment  du 
célèbre  Terilli,  mélicin  de  Venise,  mérite- 
rait d'être  gravé  en  lettres  d'or  :  a  (iomme  il 
est  très-certain  ,  par  tout  ce  qui  a  été  dit , 
que  les  fonctions  vitales  peuvent  être  dimi-- 
uuées  au  point  que  le  corps  paraisse  tout  à 


S19  ENT 

fait  scmbl;ib!o  à  celui  d'un  mort ,  il  est  à 
propos  de  dilTérer  les  enterrements  assez  de 
temps,  pour  que  la  vie  puisse  se  manifester; 
la  charité  et  la  religion  ne  perniellcnt  pas 
qu'on  s'expose,  faute  de  celte  précaution  ,  à 
enterrer  des  personnes  qui  ne  sont  point 
réelleiiienl  mortes.  Selon  tous  les  auteurs  , 
il  faut  attendre  trois  jours  naturels,  ou  soi- 
xante et  douze  heures  (i).  Si  pendant  ce 
temps  on  n'aperçoit  aucun  signe  de  vie,  et 
qu'au  contraire  les  corps  exhalent  une  odeur 
fétide,  c'est  une  preuve  infaillible  de  la  mort, 
et  l'on  peut  les  enterrer  sans  scrupule.  » 
Zacchias  est  aussi  de  cet  avis  :  «  Un  com- 
mencement de  putréfaction  est  le  seul  signe 
certain  de  la  mort.  »  Il  ne  faut  donc  pas  être 
surpris  si  quelques  personnes, dans  la  crainte 
d'être  enterrées  vivantes,  ont  ordonné  par 
leur  testament  qu'on  ne  les  enterrât  qu'au 
bout  de  quarante-huit  heures,  et  après  qu'on 
aurait  fait  sur  elles  les  épreuves  chirurgi- 
cales qui  peuvent  servir  à  constater  leur 
mort,  'iout  le  monde  sait  que  madame  de 
Gorbeville  a  prescrit  ces  précautions  dans 
son  testament  ;  ce  qui  fut  exécuté  ;  et  je  dé- 
sire bien  fort  qu'on  ail  les  mêmes  atten- 
tions pour  moi  lorsque  je  serai  dans  le  même 
cas. 

Donc  les  épreuves  chirurgicales  ne  don- 
nent pas  des  signes  plus  certains  d'une  mort 
douteuse  que  les  autres  épreuves. 

Epreuves  contre  unemorl  apparente  ,  pour 
prévenir  les  enterrements  précipités. 

I.  Ne  point  retirer  de  son  lit  le  malade  que 
l'on  présume  être  mort ,  et  l'y  laisser  avec 
les  mêmes  draps  ,  couvertures  et  oreillers 
qu'il  avait  dans  le  cours  de  sa  maladie. 

II.  Souffler  avec  un  tujau  ou  chalumeau 
de  l'air  dans  les  poumons  ;  pincer  le  nez  et 
les  lèvres  contre  le  tuyau,  afin  que  cet  air 
ne  revienne  point  par  les  lèvres  et  par  les 
narines. 

III.  L'application  d'un  vésicaloire  ou 
d'une  pierre  à  cautère  :  si  ce  remède  ex- 
cite des  vessies,  c'est  un  signe  certainde  vie; 
car  il    n'agit   point  sur  des  parties  mortes. 

IV.  La  flexibilité  des  membres  est  un  des 
principaux  signes  qu'une  personne  n'est  pas 
morte,  quoiqu'elle  ne  donne  aucun  signe  de 
vie,  à  moins  que  la  raideur  des  membres  ne 
soit  causée  par  une  affection  convulsive  ;  ce 
([(l'on  connaîtra  facilement ,  parce  que  le 
membre  convulsif  retourne  avec  violence 
vers  le  lieu  où  il  était;  on  observe  tout  le 
contraire  dans  les  cadavres  ;  dès  qu'on  a 
forcé  l'articulation,  le  membre  est  indifférent 
à  telle  ou  telle  situation,  et  il  suit  les  règles 
des  corps  inanimés. 

V.  Tant  que  le  globe  do  l'œil  conserve  sa 
fermeté  naturelle,  on  ne  peut  pas  prononcer 
que  la  personne  est  morte,  quelles  «jue  soient 
les  autres  marques  qui  déterminent  à  le 
penser. 

VI.  La  cornée  transparente  des  morls  est 
ordinairemenl  couverte  d'une  toile  glai- 
reuse très-fine,  qui  se    fend  en   plusieurs 

(t)  C'est  ce  qui  se  fait  on  Allemagne,  cm  Uullanilc  A 
Paris,  on  alleiid  a  j'ciuc  viiiijl-quaire  licures.... 


ENT 


5à0 


morceaux  quand  on  y  louche,  et  que  l'on 
emporte  facilement  en  essuyant  la  cornée  ; 
ce  qui  donne  lieu  do  dire  en  différents  pays 
que  les  yeux  sont  crevés,  ou  que  le  larmier 
est  rompu. 

VII.  Un  seul  cadavre  mort  d'une  maladie 
maligne,  peut  causer  dans  les  églises  une 
infection  très-dangereuse  à  plusieurs,  à  qui 
la  mén<!  maladie  se  peut  communiquer  fa- 
cilement, si  l'on  n'a  soin  de  bien  sceller 
la  tombe ,  sous  laquelle  on  les  aura  in- 
humés. 

Nous  compléterons  ce  qu'on  vient  de  lire 
par  un  Mémoire  présenté,  en  1839,  au  Con- 
seil central  de  Salubrité  publique,  à  Bru- 
xelles ,  par  MM.  de  Losen,  Bigol  et  Vander- 
slraelen  ? 

S'il  est  une  question  qui  se  rattache  inti- 
mement à  l'hygiène  publique  ,  et  qui  inté- 
resse la  société  tout  entière,  c'est  sans  con- 
tredit celle  des  dangers  des  inhumations  pré- 
cipitées, lîn  effet,  arracher  un  grand  nombre 
de  victimes  à  la  mort,  n'est-ce  point,  d'une 
part ,  contribuer  à  la  conservation  de  l'es- 
pèce humaine,  en  la  préservant  du  plus  ter- 
rible des  malbt-urs,  celui  d'être  enterré  vi- 
vant, et  de  l'autre,  rassurer  l'humanilé  contre 
les  erreurs  déplorables  que  peut  entraîner  une 
mort  apparente,  garantir  l'honneur  et  le  re- 
pos des  familles,  et  fournir  à  la  justice  les 
moyens  de  connaîîre  des  crimes  qui  reste- 
raient impunis  ou  ignorés. 

Les  apparences  de  la  mort  ont  été  quel- 
quefois si  grandes ,  que  la  vérité  n'a  pu 
éclairer  les  yeux  de  médecins  instruits  ; 
tnais  plus  souvent  l'ignorance,  la  précipi- 
tation et  la  cupidité  placèrent  dans  le  tom- 
beau des  malades  qui  n'avaient  point  perdu 
tous  leurs  droits  à  la  vie.  Winslow ,  Bru- 
hier,  Louis,  etc.,  ont  démontré  l'incerliiude 
des  sign(S  de  la  mort ,  et  on  ne  saurait  trop 
accorder  d'éloges  au  zèle  qui  inspira  leurs 
éloquentes  réclamations.  Aujourd'hui  il  n'est 
plus  de  médecin  qui  ne  soil  convaincu  que 
les  signes  qui  semblent  être  le  cachet  de  la 
mort,  n'en  sont  point  une  preuve  évidente  , 
et  que  leur  ensemble  même  no  peutijue  la 
faire  présumer  sans  l'établir  d'une  manière 
absolue  ;  enfin  que  la  putréfaction  en  est  la 
seule  preuve  indubitable  ,  parce  que  les  nou- 
velles réactions  chimiques  qui  s'opèrent 
alors  dans  le  corps,  démontrent  qu'il  a  cessé 
d'être  sous  l'influence  du  principe  de  la  vie. 
Rien  n'est  donc  plus  difficile  que  de  s'assu- 
rer de  la  mort  réelle.  Et  puisque  des  exem- 
ples ont  prouvé  et  prouvent  encore  tous  les 
jours  que  la  précipitation  des  inhumations 
a  causé  de  grandes  catastrophes,  l'humanité 
n'ordonne-l-elle  pas  de  prendre,  pour  l'évi- 
ter, toutes  les  précautions  suggérées  par  la 
prudence  humaine  ? 

La  plupart  des  peuples  ont  tellement  senti 
l'importance  de  s'assurer  de  la  niorl  réelle 
d'un  individu,  qu'ils  ont  pris  des  mesures 
pour  éviter  les  inhumations  précipitées.  Le 
législateur  des  Hébreux  ,  Moïse,  à  qui  Ion 
doit  plusieurs  admirables  préceptes  d'hy- 
giène ,  prescrivait  de  garder  les  morts  pen- 
dant trois  jours.  Hérodote  affirme  qu'il  était 


%n\ 


DICTIONNAlUE  bES  SCIENCES  OCCULTES 


552 


défendu  aux  Egjplicns  d'enlerrer  leurs  morls 
avaut  le  quatrième  jour  du  décès.  Les  an- 
ciens Perses  n'inhumaient  aucun  cadavre 
sans  que  son  odeur  putride  n'eût  attiré  les 
oiseaux  de  proie.  Lycurgue  avait  fixé  à  onze 
jours  la  durée  des  lamentations  funéraires  , 
et  le  corps  du  décédé  ne  pouvait  élre  inhumé 
avant  celte  cpocjue.  A  Athènes  les  corps  , 
après  avoir  été  lavés  et  parfumés,  étaient  ex- 
posés, la  tète  découverte,  dans  le  vesti- 
bule des  maisons  ,  et  ne  recevaient  les 
honneurs  funèbres  qu'après  le  troisième 
jour.  Dans  plusieurs  autres  villes  de  la  Grèce, 
on  attendait  le  sixième  et  même  le  septième. 
Les  llomuins  conservaient  leurs  morts  pen- 
dant sept  Jours,  confiés  à  la  garde  de  per- 
sonnes chargées  de  les  ap|ieler  plusieurs  fois 
et  à  grands  cris  par  leurs  noms  :  cet  usage 
se  nommait  la  conclamtUion.  Avant  de  dépo- 
ser le  corps  sur  h'  bûcher,  on  l'appelait  une 
dernière  fois,  on  lui  coupait  un  doigt,  et  s'il 
ne  donnait  aucun  signe  d'existence,  il  était 
jugé  privé  de  la  vie  pour  jiimais. 

Avant  Léopold  1",  on  avait  l'habitude,  en 
Toscane,  d'inhumer  1rs  morts  dans  les  vingt- 
quatre  heures.  Ce  sage  souverain  prorogea 
le  délai  à  quaranlc-huit,  et  il  prescrivit  que, 
dans  le  cas  où  des  circonstances  particuliè- 
res se  présenleraieiil,  on  ne  pourrait  enter- 
rer les  corps  avant  qu'ils  ne  manifestassent 
des  signes  indubitables  de  mort  réelle.  11  fit 
à  cet  effet  établir  des  gardiens  pour  veiller 
les  décédés  cl  pour  faire  appeler  au  besoin 
les  hommes  de  l'art  charges  de  donner  les 
secours  nécessaires.  Afin  que  toutes  ces 
mesures  fussent  religieusement  observées, 
ce  prince  préposa  à  Florence  et  dans  toutes 
les  communes  du  grand  duché  un  magistral 
à  la  surveillance  exclusive  des  sépultures. 
Il  ordonna  en  outre  que,  sans  une  permission 
écrite  de  ce  magistrat,  on  ne  pourrait  pro- 
céder à  aucune  inhumation,  et  il  commina 
des  peines  très-sévères  pour  les  cas  de  con- 
travention. 

Les  Anglais  n'enterrent  les  personnes  qua- 
lifiées qu'au  bout  de  trois  jours,  et  les  autres 
dans  le  délai  de  vingt-quatre  à  trente-six 
heures  :  mais  dans  l'un  et  l'autre  cas ,  ce 
n'est  qu'après  que  les  experts  ont  certifié 
que  la  mort  n'a  été  produite  ni  par  le  fer  ni 
par  le  poison. 

En  Portugal ,  la  loi  exige  vingt-quatre 
heures  entre  le  décès  et  la  sépulture,  qui 
néanmoins  a  lieu  par  fois  cinq  ou  sis.  heures 
après  la  mort. 

L'Espagne  est  le  pays  où  l'on  garde  le 
moins  les  morls  :  pour  peu  que  vous  dormiez 
trop  longtemps,  dit  M.  Langle,  on  vous  uiet 
en  terre. 

En  Allemagne,  avanl  l'impératrice  Maric- 
ThérCse,  le  temps  entre  la  mort  et  l'inhuma- 
tion était  arbitraire  ;  elle  remédia  à  cet  état 
de  choses  en  ordonnant  que  dans  ses  états 
on  n'cnierrerait  désormais  que  quaranle- 
liuil  heures  après  le  décès.  Aujourd  hui  les 
Allemands  soumettent  leurs  morls  à  une 
mile  d'épreuves  qui  rendent  toute  surprise 
impossible,  et  ne  les  ensevelissent  qu'après 
plusieurs  jours. 


En  France,  l'article  77  du  code  civil  exige 
qu'aucune  inhumation  ne  soit  faite  sans  une 
autorisation  de  l'officier  de  l'état  civil ,  qui 
ne  pourra  la  délivrer  qu'après  s'être  trans- 
porté auprès  de  la  personne  décédée ,  pour 
s'assurer  du  décès, et  que  vingt-quaCre heures 
après  le  décès. 

Les  mesures  administratives  concernant 
les  inhumations  sont  les  mêmes  pour  la  Bel- 
gique. 11  est  aisé  de  démontrer  leur  insuffi- 
sance. Nous  avons  vu  que  les  peuples  anciens 
conservaient  les  cadavres  pendant  plusieurs 
jours,  et  cependant,  malgré  tous  les  soins 
qu'ils  prenaient  pour  s'assurer  que  la  perte 
de  la  vie  était  réelle,  Pline  parle  de  plusieurs 
morts  en  apparence  ressuscites  sur  le  bû- 
cher. A  plus  forte  raison  le  terme  de 
vingt-quatre,  ou  même  do  quarante-huit 
heures,  est-il  insuftisant,  surtout  dans  les 
morts  subites.  H  est  encore  souvent  abrégé 
par  la  précipitation  des  ensevclisseuients  el 
de  la  mise  dans  la  bière  (à  couvercle  cloué), 
par  les  auîopsies  cl  les  embaumements  éga- 
lement précipités,  enfin  par  les  fausses  dé- 
clarations de  décès. 

En  effet,  à  peine  quelqu'un  ost-il  en  élat 
de  mort,  que  parents,  amis  ,  tout  le  monde, 
l'abandonne;  une  main  mercenaire  s'em- 
presse de  l'ensevelir;  il  devient  pour  tout  ce 
qui  l'entoure  un  objet  d'horreur  dont  on  a 
hâte  de  se  débarrasser;  aussi,  ne  manquc- 
t-on  presque  jamais  ,  dans  les  déclarations 
de  décès,  d'anticiper  de  cinq,  six,  et  iiiémc  de 
dix  heures,  l'heure  de  la  mort,  afin  de  pou- 
voir inhumer  plus  vite,  sans  s'inquiéter  si 
l'on  va  confier  à  la  terre  un  corps  en  état 
de  morl  apparente,  ou  un  cadavre  ;  de  telles 
déclarations  sont  réprcliciisibles  ,  souvent 
même  elles  sont  criminelles. 

Encore  si  le  médecin  voyait  son  malade 
lorsqu'il  a  cessé  d'exister  1  Mais  non  ;  l'hoin- 
me  de  l'art  qui  craint  pour  la  vie  de  son 
client ,  a  soin  de  prendre  des  informations 
chez  les  voisins,  el,  selon  leur  réponse,  il 
entre  ou  s'éloigne.  S'il  n'a  pas  prévu  l'événe- 
ment, pour  l'ordinaire  on  le  fait  avertir  que 
ses  visites  ne  sont  plus  nécessaires,  que  le 
malade  a  succonibé.  Eh  1  qui  a  prononcé 
qu'il  est  morl?  Des  parents  désespérés  par 
une  fausse  apparence,  ou  des  héritiers  qui 
cachent  leur  satisfaction  sous  les  dehors 
d'une  feinte  douleur ,  ou  enfin  dos  gardes- 
malades,  souvent  fort  ignorantes. 

En  Belgique,  M.  le  ministre  de  l'intérieur, 
frappé  delà  gravité  des  inhninations  préci- 
pitées, a  adressé,  en  juillet  1838,  à  tous  les 
gouverneurs  du  pays  ,  une  circulaire  pour 
s'assurer  si ,  dans  les  différenles  provincs, 
l'officier  de  l'état  civil  se  transportait  auprès 
de  la  personne  déeédée;  cette  circulaire  por- 
tait aussi  que  .  diins  le  cas  où  l'article  77  ne 
serait  pas  exécuté,  MM.  les  gouverneurs 
étaient  priés  de  rechercher  quelles  seraient 
les  mesures  qu'il  serait  préférable  d'adopter 
pour  remédiera  cet  abus,  et  de  les  lui  signa- 
ler. Or  voici  (  si  nos  renseignements  sont 
exacts,  et  nous  avons  tout  lieu  de  le  croire), 
Ips  résultats  qu'a  obtenus  M.  le  ministre  : 

A  Anvers  l'olficierdo  l'étal  civil  n'exécute 


f5S 


ENT 


ENT 


Ki 


pas  l'article  77  ;  le  collège  communal  oonsi- 
ilère celte  disposition  comme  insuffisante;  il 
exige  que  la  mort  soit  attestée  par  un  mé- 
decin. 

A  Malines,  un  agent  de  police  se  trans- 
porte auprès  du  décédé,  pour  vérifler  la 
mort 

A  Turnhout,  la  loi  ne  s'exécute  pas,  ainsi 
que  dans  toutes  les  autres  communes  de  la 
province. 

A  Bruielles,  à  Louvain  ,  à  Nivelles  ,  un 
commissaire  de  l'état  civil  est  délégué  pour 
constater  les  décès.  Dans  quelques  communes 
le  secrétaire  de  la  régence,  ou  le  garde-cham- 
pêlre  est  chargé  de  la  même  fonction  ;  dans 
tout  le  reste  de  la  province  la  loi  n'est  pas 
exéculée. 

l'ourla  Flandre  Orientale,  M.  le  gouver- 
neur a  fait  une  singulière  réponse.  Depuis 
l'existence  des  dispositions  de  l'article  77, 
dit-il ,  aucune  réclamation  ,  aucune  plainte 
lie  s'est  élevée  dans  celte  province,  signalant 
quelque  abus  ou  quelque  infraction  à  leur 
jioiicluelle  exécution.  Est-ce  parce  que  les 
morts  ne  réclament  ni  ne  se  plaignent?  Nous 
serions  tentés  de  le  croire. 

M.  le  gouverneur  du  Hainaut  y  met  beau- 
coup plus  de  franchise  ;  il  avoue  que  dans 
aucune  ville  ni  commune  de  sa  province  la 
loi  n'est  exécutée  (1). 

Depuis  quelque  temps,  à  Liège  et  à  Vcr- 
viers,  des  médecins  vérificateurs  des  décès 
ont  été  institués  par  le  conseil  communal  ; 
dans  tout  le  reste  de  la  province  la  loi  ne 
reçoit  aucune  exécution. 

Dans  les  villes  de  la  Flandre  Occidentale, 
c'est  un  agent  de  police  qui  s'assure  des  dé- 
cès. M.  le  gouverneur  garde  le  silence  sur 
toutes  les  autres  communes. 

Dans  le  Luxembourg,  la  loi  n'est  exécutée 
nulle  part. 

Il  en  est  de  même  dans  la  province  de  Na- 
mur. 

Dans  le  Limbourg  ,  l'article  77  n'est  ob- 
servé que  dans  très-peu  de  communes. 

Ainsi  donc,  presque  partout  la  loi  est  ou 
inexéculéc  ou  violée;  car  une  délégation, 
soit  à  un  agent  de  police,  soit  à  un  garde- 
champêtre,  ou  même  à  un  médecin,  est  une 
violation  de  l'article  77  ,  puis<]u'il  y  est  dit 
textuellement  que  l'officier  de  l'état  civil  de- 
vra s'assurer  en  personne  des  décès.  Ou  la 
loi  est  bonne  ou  elle  est  mauvaise  ;  dans  ce 
dernier  cas,  il  faut  la  modifier. 

Nous  venons  de  voir  que  l'article  77  n'é- 
tait exécuté  nulle  part;  mais  fût-il  observé 
partout,  il  serait  encore  illusoire.  Voyons 
en  effet  de  quelle  utililc  peut  être  l'officier 
de  l'état  civil,  ou  son  délégué,  pour  consta- 
ter les  décès.  D'abord  le  plus  souvent  il  se 
dispense  de  celle  pénible  corvée  ;  en  second 
lieu,  si  quelquefois  il  prend  cette  peine,  ce 
n'est  qu'avec  un  sentiment  de  dégoût  ou 
même  d'horreur  pour  un  cadavre.  Aussi  que 
fail-il?  Muni  d'un  flacon  de  vinaigre  ou  d'un 

(l|  Dffpuis  deux  mois  seulenipnl  la  ville  de  Tournay,  k 
l'instar  de  Paria  et  de  la  plupart  des  grandes  villes  de 
Fr^ince  oji  l'irisiiOis^iiee  de  la  constalatiuu  des  décès  par 
rollicicr  de  l'étal  civil  a  élé  bien  sentie,  a  institué  des 

DlCTIONlf.   DES  SCIENCBS  OCCULTES.  1. 


morceau  de  camphre,  il  entre  avec  les  plus 
grandes  précautions  dans  la  chambre  du  dé- 
funt, et  à  peine  l'a-t-il  entrevu,  qu'il  le  dé- 
clare bien  et  dûment  mort.  Supposons  main- 
tenant qu'il  parvienne  à  vaincre  cette  répu- 
gnance ordinaire  qu'a  l'homme  pour  ud 
cadavre ,  pense-t-on  qu'il  aille  examiner 
scrupuleusement  toutes  les  parties? et  quand 
bien  même  il  se  dévouerait  a  ce  point,  croit- 
on  que  son  regard  scrutateur  puisse  saisir 
les  causes  d'une  mort  violente,  ouïes  signes 
caractéristiques  de  la  mort  réelle,  signes 
qui  échappent  quelquefois  à  l'investigation 
des  médecins? 'fout  homme  de  bonne  foi  ré- 
pondra sans  hésiter  :  non.  Nous  ne  crai- 
gnons donc  pas  de  dire  que  ces  visites  uni- 
quement faites  par  des  honmies  étrangers  à 
l'art  médical ,  sont  illusoires.  Nous  irons 
plus  loin,  nous  dirons  même  que  cette  dis- 
position est  funeste  à  la  société,  carelle  con- 
sacre en  principe  que  toute  mort  apparente 
est  une  mort  réelle.  De  là  aucune  tentative, 
aucune  expérience  pour  rappeler  à  la  vie 
tant  de  malheureux  qui  ne  sont  réellement 
pas  morts.  En  effet,  l'expérience  ne  démon- 
tre-t-elle  pas  que  beaucoup  d'élats  nerveux 
ou  apoplectiques  se  trouvent  dissipés  par 
des  secours  convenablement  administrés,  et 
qui,  abandonnés  à  eux-mêmes,  auraient 
amené  la  mort  réelle  ? 

Bruhier,  dans  son  Traité  sur  l'incertitude 
des  signes  de  la  mort,  publié  en  1740,  a  ras- 
semblé 181  cas  de  méprises,  parmi  lesquels 
figurent  52  individus  enterrés  vivants,  k  ou- 
verts avant  leur  mort,  53  personnes  reve- 
nues spontanément  à  la  vie  après  avoir  élé 
enfermées  dans  un  cercueil,  et  72  autres  ré- 
putées mortes  sans  l'être. 

Tout  en  admettant  qu'un  grand  nombre  de 
ces  faits  ne  présentent  pas  toute  la  garantie 
désirable  ,  il  n'eu  reste  pas  moins  démontre 
que  des  erreurs  nombreuses  ont  élé  commi- 
ses. D'ailleurs,  Bruhier  n'est  pas  le  seul  au- 
teur qui  ail  rapporté  des  fails  de  ce  genre  : 
Zacchias  ,  Lancisi,  Philippe  Peu,  Guillaume 
Fabri ,  Pechlin  ,  Kirchmann,  Kornmann  , 
Winslow,Falcouel,  Rigodeaux,elc.,  ont  cité 
des  exemples  analogues.  On  sait  que  sous 
Charles  IX,  François  Civile  ,  gentilhomme 
normand  ,  se  qualifiait  dans  ses  actes  de 
trois  fois  mort,  trois  fois  enterré,  et  trois 
lois  ressuscité  par  la  grâce  de  Dieu. 

Nous  pourrions  citer  ici  uu  grand  nombre 
decas  de  résurrections  en  quelquesorte  mira- 
culeuses ;  nous  nous  contenterons  do  rappor- 
ter l'un  des  plus  récents  etdes  plus  digutis  do 
remarque,  que  nous  empruntons  au  Journal 
(les  sciences  physiques,  chimiques,  aria 
agricoles  et  industriels  de  France  (cahier  de 
mai  1838). 

Philippe  Marbois ,  cultivateur  à  Cvsoin, 
village  à  quel(|ues  lieues  de  Lille ,  âgé  de 
58  ans,  d'un  caradère  bon,  d'une  patience 
rare,  à  la  suite  d'une  vive  altercation  avec 
sa  femme  et  ses  enfants,  fut   atteint  tout  à 

iitédecins  inspecteurs  pour  s'assurer  de  la  mort  réelle. 
Mais  outre  !a  visite  de  ces  médecins ,  il  faudrait  I'atte:>l3- 
tioii  signée  du  méduciii  qui  a  soigné  le  malade. 


18 


KtA 


riCTION.NAinE  DES  SCIF.NCES  OCCULTES. 


rss 


coup  (l'une  attaque  de  catalepsie.  On  le  mit 
mort.  En  conséquence  trois  jours  après  (le 
16  janvier  183S),  jour  où  le  froid  fut  exces- 
sif, Philippe  Marbois  fut  inhumé  à  Irès-neu 
de  profondeur,  à  cause  de  la  difficulté  qu'on 
éprouvait  pourcrcuser  la  terre. Le  2'!  janvier, 
le  temps  étant  au  dégel ,  l'exhuniatioii  fut  en- 
treprise pour  procéder  à  une  nouvelle  inhuma- 
lioiidu  cadavre. Quel  fut  l'étonneinent  du  fos- 
soyeur d'entendre  un  soupir  étouP^  partir  du 
cercueil  I  on  ouvre  la  bière,  on  eu  sort  Mar- 
bois, on  le  transporte  dans  une  maison  voi- 
sine où,  à  l'aide  des  secours  qui  lui  sont 
prodigués  par  un  homme  de  l'art,  Il  ne  lar- 
de pas  à  être  rappelé  à  la  vie. 

Nous  lisons  dans  les  Notices  de  Froriep 
(année  1829, n°  522)  que,  d'après  une  nou- 
velle mesure  adoptée  à  New-loi k,  on  ne 
peut  procéder  à  aucune  inhumation  avant 
d'avoir  exposé  le  cercueil  pendant  huit 
jours,  avec  une  ouverture  pratiquée  dans 
la  région  de  la  tête,  et  des  cordons  qui  des 
pieds  et  des  mains  vont  aboutir  à  une  son- 
netle.  Sur  1200 indiDidu.?  exposés  de  la  sorte, 
il  y  en  eut  6  en  état  de  mort  apparente. 
Ainsi  ce  n'est  pas  sur  des  millions  ou  des 
milliers  de  morts,  mais  t)ien  sur  2'!Q  seule- 
ment quun  individu  aurait  été  enterré  vi- 
vant. En  vérité  cette  proportion  d'un  demi 
pour  cent  a  de  quoi  effrayer,  si  elle  est  la 
même  partout.  Si  nous  en  voulions  faire  par 
hasard  l'application  à  Druxclles,  nous  trou- 
verions que  depuis  182i  jusqu'en  1837  il  est 
mort  51,^05  personnes;  or.ilyenaurait  donc 
eu  259  d'enterrées  vivantes,  et  qu.ind  bien 
même  nous  réduirions  ce  nombre  de  moilié, 
le  résultat  n'en  serait  pas  moins  effrayant  et 
digne  d'appeler  toute  notre  sollicitude. 

Le  danger  d'ensevelir  un  vivant  n'est  pas 
la  seule  considération  qui  doit  faire  pro- 
f-crire  les  inhumations  précipitées,  et  engager 
à  vérifier  scrupuleusement  le  genre  de  mort. 
^l  en  est  d'autres  dont  l'importance  en  ma- 
nière criminelle  et  dans  l'ordre  moral  est  fort 
grande,  puisqu'elles  facilitent  au  crime  les 
moyens  de  se  soustraire  aux  regards  des 
hommes,  et  de  braver  ainsi  les  lois. 

En  lisant  les  journaux  français,  et  surtout 
la  Gazette  des  Tribunaux,  on  est  vraiment 
■«iffrayé  d'y  rencontrer  si  souvent  des  crimes 
qui  ,  d'abord  ensevelis  sous  terre,  n'ont  dû 
leur  découverte,  et  par  suite  leur  punition  , 
qu'à  des  soupçons  qui  ont  forcé  l'aulorilé 
judiciaire  à  exhumer  les  cadavres  des  vic- 
times. Il  est  à  regretter  que  l'admini'^tration 
de  la  justice,  dans  les  comptes-rendus  qu'elle 
publie,  ne  donne  pas  la  statistique  d(!s  ex- 
humations judiciaires.  Peut-être  qu'effrayé 
par  cet  épouvantable  résultat,  le  gouverne- 
ment aurait  déjà  depuis  longtemps  pris  les 
mesures  les  plus  mmutieuses  pour  la  coii- 
stalalion  drs  décès.  Pour  vous  convaincre 
de  ce  que  nous  avançons,  nous  avons  pris  au 
hasard  qiielquiis  numéros  do  la  Gazelle  des 
TribnnaiiT  deiS.'îS,  et  voici  ce  que  nous  y 
avons  trouvé: 

Dans  le  numéro  du  11  janvier,  un  nommé 
Delunel,  meunier  dans  le  département  de  la 
.Ucurlhc,  après  avoir  été  exhumé  ,  a  été  re- 


connu assassiné.  Si  femme,  son  fils,  sa  fillo 
et  un  domestique  ont  été  condamnés  coitiine 
les  auteurs  du  crime. 

Dans  le  numéro  du  19  avril,  Julien  Rous- 
seau ,  fermier  dans  le  dép  irtement  de  la 
Loire-Inférieure,  a  été  reconnu  pour  avoir 
empoisonné  sa  (lualrième  femme,  et  l'inslru- 
clion  a  en  partie  démontré  qu'il  s'était  dé- 
barrassé violemment  des  trois  autres. 

Dans  le  numéro  du  2'i-  juin,  la  femme  He- 
drix,(lu  départeiiicntde  l'Aube, aété  condam- 
née pour  avoir  empoisonné  son  mari  ;  le  poi- 
son a  r*^  signalé  dans  l'estomac  de  la  vic- 
time exhumée. 

Dans  le  numéro  du  13  septembre,  Philippe 
Gros,  tonnelier  à  Béziers,  a  empoisonné  suc- 
cessivement ses  deux  femmes  et  son  enfant. 
Après  avoir  exhumé  les  cadavres  des  trois 
victimes,  on  a  reconnu  chez  toutes  de  l'ar- 
senic •  le  criminel  s'est  lue  en  prison. 

Dans  le  numéro  du  19  septembre,  Michel 
Mentes  a  été  condamné  pour  avoir  assassiné 
sa  femme  ,  ce  dont  on  s'est  convaincu  après 
avoir  exhumé  le  cadavre. 

Dans  le  numéro  du  22  du  même  mois, Marie 
Lamoure,  veuve  Malaurent,  du  déparlement 
de  la  Corrèze  ,  a  éié  condamnée  pour  avoir 
empoisonné  son  enfant  de  k  ans.  De  l'arsenic 
a  été  trouvé  dans  l'estomac  du  cadavre  ex- 
humé. 

Dans  le  numéro  du  4  octobre,  madame  N., 
de  Paris,  a  empoisonné  successivement  son 
mari  et  deux  enfants. 

Dans  le  numéro  du  7 du  même  mois, M. Sa- 
vin,  médecin  à  Pouilly,  a  été  arrêté  comme 
ayant  empoisonné  sa  femme  avec  de  l'opium. 
Depuis,  Sivin  s'est  suicidé  en  prison. 

Dans  le  numéro  du  31  du  même  mois.  Le- 
eocq  ,  du  département  de  l'Orne,  a  été  con- 
damné pour  avoir  assassiné  sa  tante.  Le 
cadavre  exhumé  n'a  laissé  aucun  doute  à  cet 
égard. 

Dans  le  numéro  do  7  décembre  ,  Mariette 
Tollon,  veuve  Froquais  ,  du  département  dis 
l'Isère  ,  est  accusée  d'avoir  empoisonné  son 
premier  mari  et  la  première  femme  de  son 
second.  Après  avoir  exhumé  les  victimes,  on 
a  trouvé  de  l'arsenic  dans  l'estomac  de  l'une 
des  deux. 

Dans  le  numéro  du  8  du  même  mois ,  un 
enfant  de  cinq  ans  ,  de  l'arrondissement  de 
Fougères,  a  succombé  sous  les  mauvais  trai- 
tements de  son  tuteur  :  l'exhumation  du  ca- 
davre en  lambeaux  ne  laisse  aucun  doute  à 
cet  égard. 

Dans  le  numéro  du  23  du  n;ême  mois, 
M.  Camus,  riche  propriétaire  du  département 
de  Loir-et-Cher,  est  mort  à  Orléans,  et  quel- 
ques soupçonsonidonné  lieu  à  l'exhumation; 
les  viscères,  soigneusement  recueillis ,  ont 
été  envoyés  à  Paris  ,  pour  être  soumis  à  des 
analyses  chimi(iues. 

Il  y  a  quelques  jours  ,  la  gazelt»  contenait 
encore  le  récit  d'un  triple  empnisonnemeiit 
commis  snccessiveni''iit  sur  ses  trois  femmes 
par  un  habitant  de  Beaupréau,  département 
de  Maine-et-Loire.  Après  avoir  été  exhumés, 
l'examen  des  cadavres  de  deux  des  viclimes 
a  prouve  l'emploi  manifeste  de  r.irsciiic 


557 


ENT 


TNT 


65S 


lînfln,  aujoiirdMnii  19  février  1839,  nous 
lisons  djins  lu  g;iEclle  du  17  de  rc  mois,  qu'à 
Sainl-Genis,  arrondissement  de  Libourne, 
Vexhumalion  du  cadavre  de  la  femme  Bouri- 
caut  vient  d'avoir  lieu, et  que  de  graves  pré- 
somptions accusent  son  mari  d'ôlre  l'auleur 
du  crime  qui  a  causé  la  mort  de  celle  femme. 

Nous  avons  trouvé  dans  un  autre  journal 
que  Joseph  Clémot ,  habitant  de  la  commune 
de  Neuvy  (Maine  et  Loire),  a  empoisonné 
successivement  avec  de  l'arsenic  trois  femmes 
et  un  enfani;  la  première,  Anne  Bounlicr, 
on  1828,  la  seconde,  Geneviève  Brillonet,  en 
1837,  et  Marie  Bondu,  le  23  septembre  1838. 

Le  môme  journal  rapporte  qu'à  Xain- 
trailles  ,  arrondissement  de  Nancy  ,  Jeanne 
Gaseaux,  femme  Sourisseau,  a  empoisonné, 
le  2  octobre  1838,  son  mari  avec  de  i'arsenic 
qui  a  élé  retrouvé  dans  l'estomac  du  cadavre 
exhumé.  Les  débals  de  la  cour  d'assises  ont 
en  partie  démontré  qu'elle  avait  empoisonné 
de  la  même  manière  son  second  et  son  pre- 
mier mari. 

Si  nous  avions  eu  à  notre  disposition  la 
collection  complète  de  la  Gazette  des  Tribu- 
naux de  1838,  et  le  temps  de  la  compulser, 
npus  ne  doutons  pas  ({ue  nous  n'eussions  pu 
signaler  au  moins  cinquante  à  soixante  cri- 
mes de  la  nature  de  ceux  que  nous  venons 
de  vous  relater;  or,  en  admettant  que  la  ga- 
zette ne  consigne  que  le  quart  des  exhuma- 
tions qui  ont  lieu  dans  toute  la  France,  ce 
qui  n'est  certes  pas  exagéré,  il  en  résulterait 
donc  à  peu  près  par  an  200  exhumations  par 
suite  de  suspicion  de  crime  souvent  justifié, 
n'est-ce  pas  là  un  chiffre  effrayant?  Et  si 
maintenant  nous  réfléchissons  à  la  quantité 
de  crimes  qui  restent  enfouis  et  impuni?  et 
on  n'en  saurait  doluor,  puisque,  comme  nous 
l'avons  vu,  un  grand  nombre  de  coupables, 
avant  d'être  découverts  ,  en  étaient  à  leur 
deuxième,troisième  et  quatrième  crime;  n'en 
devons-nous  pas  conclure  avec  douleur  que 
les  plus  grands  coupables  ne  sont  pas  tou- 
jours au  bagne  ,  qu'il  n'y  a  que  les  plus  ef- 
frontés et  les  plus  maladroits,  mais  que  les 
plus  profonds  scélérats  vivent  la  plupart  du 
temps  à  nos  côlés  et  quelquefois  sous  notre 
propre  toit. 

£n  lisant  les  débats  criminels,  nous  avons 
vu  d'autres  genres  de  crime,  qui  doivent 
échapper  souvent  à  la  justice  en  raison  de  la 
manière  vicieuse  avec  laquelle  on  constate 
les  décès  ;  nous  voulons  parler  de  ces  séques- 
trations pires  qu'un  assassinat,  telles  que  les 
époux  Wieland  et  plusieurs  autres  parents 
dénaturés  nous  ont  fourni  des  exemples  dans 
ces  derniers  temps.  Qui  aurait  révélé  le  genre 
de  mort  de  ces  malheureux,  s'ils  étaient 
morts  quelques  jours  avant  la  découverte  du 
crime  de  séquestration?  Qui  peut  nous  dé- 
voiler les  manœuvres  coupables  employées 
pour  produire  l'avortement  et  qui  amènent 
en  mémo  temps  la  mort  de  la  mère?  Qui  peut 
nous  signaler  la  mort  de  tant  de  jeunes  en- 
fants assassinés  par  leurs  parents  même  lé- 
gitimes ou  qu'on  laisse  périr  volontairement 
par  un  assassinat  plus  lent,  mais  nou  moins 
révoltant.  Qui  pourra  nous  taire  connaître 


tous  ces  meurtres  détournés  que  commellent 
des  héritiers  avides  ou  des  enfants  dénaturés, 
en  ne  donnant  pas  à  des  vieillards  faibles  ou 
infirmes  les  aliments  nécessaires  à  leur  con- 
servation ,  ou  en  les  privant  des  secours  de 
la  médecine  et  des  remèdes  (|ui  pourraient 
leur  conserver  la  vie? 

Ne  croyez  pas  que  nous  cherchions  ici  à 
rendre  plus  hideux  ,  pour  effrayer  vos  ima- 
ginations,  un  tableau  déjà  si  horrible  par 
lui-même,  non;  nous  ne  vous  avons  entre- 
tenus que  de  choses  qui  se  passent  tous  les 
jours  au  milieu  de  nous.  En  faisant  ressortir 
des  faits  qui  passent  inaperçus  ,  nous  n'a- 
vons eu  en  vue  (lu'une  seule  chose,  de  vous 
signaler  les  vices  de  la  législation  actuelle 
concernant  les  inhumations,  et  de  vous  prier 
de  vous  joindre  à  nous  pour  engager  lo  gou- 
vernement et  les  différentes  autorités  com- 
munales à  adopler  des  mesuies  qui  puissent 
remédier  à  tous  ces  vices  et  combler  les  la- 
cunes de  la  législation. 

Les  moyens  qui  nous  paraissent  les  plus 
propres  à  remplir  ce  but,  consistent,  selon 
nous,  l-dans  des  améliorations  à  apporter  à 
la  législation  sur  la  manière  de  vériûer  et  de 
constater  les  décès,  et  2°  dans  l'établissement 
de  dépôts  ou  maisons  mortuaires  à  l'instar 
de  celles  qui  existent  dans  plusieurs  villes 
d'Allemagne. 

Los  maisons  dont  il  s'agit,  placées  dans 
les  cimetières  ,  sont  destinées  à  recevoir  les 
morts  qui,  après  y  avoir  élé  convenablement 
déposés,  y  sont  observés  jusqu'à  l'apparition 
des  signes  non  équivoques  de  la  putréfaction. 

11  J  a  déjà  longtemps  qu'en  Allemagne,  le 
célèbre  Hufeland  avait  parlé  avec  chaleur 
contre  l'insouciance,  la  superstition  et  la  lé- 
gèreté avec  laquelle  on  traiie  les  morts,  et 
c'est  à  son  mérite  et  à  ses  sollicitations  qu'en 
1791 ,  on  dut,  à  Weimar,  l'établissement  de 
la  première  maison  mortuaire.  Le  grand-duc 
Charles-Auguste  et  sa  famille  s'élant  inté- 
ressés à  cette  institution  ,  une  souscription 
fut  ouverte,  et  les  amis  de  l'humanité  virent 
avec  plaisir  toutes  les  classes  de  la  société 
saisir  cette  idée  avec  empressement;  aussi, 
en  peu  de  temps ,  tous  les  moyens  furent 
réunis  pour  établir  une  maison  qui  répondit 
tout  à  fait  au  but  qu'un  s'était  proposé.  A 
l'occasion  du  nouveau  cimetière  de  'NVeimar, 
on  a  construit  en  1824  une  nouvelle  maison 
mortuaire  qui  est  encore  plus  parfaite  que 
l'ancienne,  sur  la  porte  de  laquelle  est  placée 
l'inscription    suivante  ;  Vitœ  dubiœ  asylum. 

C'est  également  à  Hufeland  qu'on  doit  la 
fondation  d'une  maison  mortuaire  à  Berlin. 
Elle  a  élé  construite  en  1797  par  la  société 
des  Amis,  et  se  distinguo  par  sa  construc- 
tion ;  elle  contient  deux  salles,  une  pour  les 
hommes  et  l'autre  pour  les  femmes. 

A  l'exemple  de  'Weimar  et  do  Berlin,  et  à 
l'instigalion  du  professeur  Ackermann,  on  a 
fondé  à  Mayence,  en  1803,  une  maison  mor- 
tuaire à  laquelle  on  a  donné  depuis  quelques 
années  plus  d'extension. 

La  maison  mortuaire  de  Munich  est  con- 
struite sur  un  plan  plus  étendu  et  se  distingue 
tant  en  raison  de  la  magnificence  de  l'archi- 


va 


niCTIONNAlRi:  DES  SCIENCES  OCCLLTES. 


B!0 


lecture  qu'à  cniise  ae  l'arriiiipemont  conve- 
iiablp  (le  l'intcriciir.  Elle  a  été  bâiie  on  1818 
sur  le  nouveau  cimetière;  elle  contient  deux 
Mlles  spacieuses,  l'une  est  destinée  aux  ri- 
ches, l'autre  aux  pauvres.  Du  centre  de  la 
maison  s"étend  à  chaque  côté  une  colonnade 
(te  9i  colonnes  d'ordre  corinihien  ;  au  mur 
extérieur,  on  a  ménagé  des  niches  pour  y 
mettre  les  bustes  des  hoiumos  qui  se  sont 
distingués  par  leurs  vertus  et  leurs  connais- 
sances. 

On  procéda  à  Bamberg  à  la  construction 
d'une  maison  mortuaire,  en  1821;  à  Wurz- 
bourg  et  à  Augsbourg  se  trouvent  égalomeiit 
de  pareils  élablisscments.  Le  plus  nouveau 
a  été  élevé  dans  le  cimetière  à  Francfort- 
sur-le-Mein;  il  peut  servir  de  modèle  à  tous 
les  autres. Naguère  les  journaux  ont  annoncé 
que  ,  convaincu  de  l'importance  el  de  la  né- 
cessité de  ces  salutaires  institutions,  le  roi 
de  Prusse  allait  eu  créer  plusieurs  dans  ses 
Etals. 

Avant  de  terminer  cet  aperçu  historique, 
nous  ne  devons  pas  passer  sous  silence  une 
institution  de  ce  genre  créée  en  Belgique,  en 
1825.  C'est  le  caveau  ou  dépôt  mortuaire  que 
la  ville  de  Verviers  doit  a  la  générosité  de 
madame  Simonis  de  Sanzeilles. 

Voici  quelques  autres  faits. 

En  1827,  dans  la  séance  du  10  avril  de 
l'Académie  royale  de  médecine  de  Paris  , 
M.  Chantourellelut  une  note  sur  les  dangers 
des  inhumations  précipitées.  Celte  lecture 
amena  unediscussion  dans  laquelle  M.  Dis- 
genettes  dit  tenir  de  M.  Thouret,  qui  avait 
présidé  à  la  destruction  du  cimetière  et  du 
charnier  des  Innocents,  que  beaucoup  de 
squelettes  avaient  été  trouvés  dans  dis 
positions  annonçant  que  les  individus  s'é- 
laicnt  mus  après  leur  inhumation.  M.  Thou- 
ret en  avait  été  si  frappé,  qu'il  en  fit  la 
matière  d'une  disjiosition  testamentaire  re- 
lative à  son  enterrement. 

Meruac  rapporte  que  la  femme  de  M.  Du- 
hamel, avocat  célèbre  au  parlement  de  Paris, 
regardée  comme  morte  pendant  vingt-quatre 
heures,  fut  placée  sur  une  table  pour  être 
ensevelie.  Son  mari  s'y  oppose  fortement  , 
ne  la  croyant  pas  morte.  Pour  s'en  convain- 
cre, sachant  qu'elle  aimait  beaucoup  le  son 
de  la  vielle  et  les  chansons  que  chantent  les 
vielleurs,  il  en  fait  monter  un.  Au  son  de 
l'instrument  el  de  la  voix,  la  défunte  reprend 
)e  mouvement  et  la  parole.  Elle  a  survécu 
quarante  ans  à  sa  mort  apparente. 

M.  Rousseau,  de  Rouen,  avait  épousé  une 
femme  de  quatorze  ans,  qu'il  laissa  en  par- 
faite santé  pour  faire  un  petit  voyage  à  quatre 
lieues  de  la  ville.  Le  troisième  juur  de  son 
voyage,  on  vient  lui  annoncer  que  s'il  ne 
part  promptement  il  trouvera  sa  femme  en- 
terrée. En  arrivant  chez  lui  ,  il  la  voit 
exposée  sur  la  porte,  elle  clergé  prêt  à  l'em- 
porter. Tout  entier  à  son  désespoir  il  fait 
porter  la  bière  dans  sa  chambre,  la  fait  dé- 
clouer, place  la  défunte  dans  son  lit,  lui  fait 
faire  viiigi-cinq  scariGcalions  par  un  chirur- 
gien, à  la  vingt-sixième  plusdouloureuscsans 
Joute  que  les  auUcs,  la  défunte  s'écria  :  — 


Ah  !  que  vous  me  faites  mal  I  on  sVmpressfi 
de  lui  donner  tous  les  secours  île  l'arl.  Celte 
femme  a  eu  depuis  vingt-six  enfants. 

ENTHOUSIASTES.  On  a  donné  ce  nom  à 
certains  sectaires  qui,  étant  agités  du  démon, 
se  crov.'iient  inspirés. 

ENVOUTliMKNT.  Les  sorciers  font,  dit-on, 
la  figure  en  cire  de  leurs  ennemis,  la  pi- 
quenl,  la  tourmentent,  la  fondent  devant  le 
feu,  afin  que  les  originaux  vivants  el  ani- 
més ressentent  les  mêmes  douleurs.  C'est  ce 
que  l'on  appelle  envoûter,  du  nom  de  la 
figure,  vols  ou  vousl  ;  voyez  ce  mot.  Voy. 
aussi    Dl'ffus,  Charles  IX,  Glocesteh,  etc. 

EON  DE  LETOILE.  Dans  le  douzième 
siècle,  un  certain  Eon  de  l'Etoile,  gentil- 
homme breton,  abusf.nl  de  la  manière  dont 
on  prononçait  ces  paroles  :  Per  eum  tjui  ven- 
turus  est  (  on  prononçait  per  Eon  )  ,  préten- 
dit qu'il  était  le  Fils  de  Dieu  qui  doit  venir 
juger  les  vivants  el  les  morts,  se  donna  pour 
tel,  eut  des  adhérents  qu'on  appela  Eoniens, 
et  qui  se  mirent,  comme  Ions  les  novateurs, 
à  piller  les  églises  el  les  monastères. 

ÉONS.  Selon  les  gnosliques,  les  Kons  sont 
les  êtres  vivants  et  intelligents  que  noijs  ap- 
pelons des  esprits.  Les  Grecs  les  nominaieut 
démons  ;  ce  mol  a  le  même  sens.  Ces  Bons 
prétendus  étaient  ou  des  allribuls  de  Dieu 
personnifiés,  ou  des  mots  hébreux  liiés  de 
l'Ecriture,  ou  des  mots  barbares  forgés  à 
discrétion.  Ainsi  de  Pléroma  la  divinité,  sor- 
taient Sophia\a  sagesse,  Nous  l'intelligence, 
Sigélc  silence,  Logos  le  verbe,  Achamoih  la 
prudence,  etc.  L'un  de  ces  Eoiis  avait  formé 
le  monde,  l'autre  avait  gouverné  les  Juifs  et 
fabriqué  leur  loi,  un  troisième  était  venu 
parmi  les  hommes,  sous  le  nom  de  Fils 
de  Dieu  ou  de  Jésus-Christ.  Il  n'en  coûtait 
lien  pour  les  multiplier;  les  uns  étaient 
mâles  el  les  autres  femelles,  el  de  leur  ma- 
riage il  était  sorti  une  nombreuse  famille. 
Les  Eons  étaient  issus  de  Dieu  par  émana- 
tion el  par  nécessité  de  nature.  Les  inven- 
teurs de  ces  rêveries  disaient  encore  que 
l'homme  a  deux  âmes,  l'une  sensilive  qu'il  a 
reçue  des  Kous,  et  l'autre  inlelligonleel  rai- 
sonnable que  Dieu  lui  a  donnée  pour  répa- 
rer les  bévues  des  Eons  maladroits  (II. 

EI'AULK  Dli  MOUTON.  Giraud,  cité  par 
M.  Gaulri  I,  dans  son  Mémoire  su«"  la  part 
que  les  Flamands  prirent  à  l.i  conquête  de 
l'Angleterre  par  les  Normands,  dit  que  les 
Flamands  qui  vinrent  en  Angleterre  connais- 
saient l'avenir  et  le  passé  par  l'inspection  de 
l'épaule  droite  d'un  mouton,  dépouillée  de 
la  viande, non  rôtie, mais  cuite  à  l'eau:  «  Par 
un  art  admirable  et  vraiment  prophétique, 
ajoute  le  même  écrivain  ,  ils  savent  les  cho- 
ses qui,  dans  le  moment  même,  se  passent 
loin  d'eux  ;  ils  annoncent  avec  la  plus  grande 
certitude,  d'après  certains  signes,  la  guerre 
et  la  paix,  les  massacres  et  les  incendies,  la 
maladie  el  la  mort  du  roi.  C'est  à  tel  point 
qu'ils  prévirent,  un  au  auparavant,  le  bou- 
leversement de  l'Etal  apiès  la  mort  de 
Henri  L',  vendirent  tous  leurs  biens  el 
échappèrent  à  leur  ruine  eu  quittant  le 
(1)  Bergicr   Dicl.  lliêolog.,  su  mot  Giiostiqucs. 


SOI 


EIR 


EUC 


tAn 


royaume  avec  leurs  richesses.  »  —  Pourtant 
on  voit  dans  les  historiens  du  temps  que  ce 
fait  avancé  par  Giraud  n'est  pas  exact,  et 
qu'il  arriva  au  contraire  à  ces  Flamands 
beaucoup  de  choses  qu'ils  n'avaient  pas 
prévues. 

EPH1.\LTES  ou  HYPHIALTES,ÉPHÉLÈS, 
nom  que  donnaient  les  Eoliens  à  une  sorte 
de  démons  incubes  (1). 

EPICUKE.  «  Qui  pourrait  ne  pas  déplorer 
le  sort  d  Epirure,  qui  a  le  malheur  de  passer 
pour  avoir  attaché  le  souverain  bien  aux 
plaisirs  des  sens,  et  dont  à  cette  occasion  on 
a  flétri  la  mémoire?  Si  l'on  fait  réflexion 
qu'il  a  vécu  soixante-dix  ans,  qu'il  a  com- 
posé plus  d'ouvrages  qu'auc;in  des  autres 
philosophes,  qu'il  se  contentait  de  pain  et 
d'eau,  et  que  quand  il  voulait  dîner  avec 
Jupiter,  il  n'y  faisait  ajouter  qu'un  peu  de 
froma<:e,  on  reviendra  bientôt  de  cette  fausse 
prévention.  Que  l'on  consulte  Diogène  l.aër- 
ce,  on  trouvera  dans  ses  écrits  la  vie  d'Epi- 
cure,  ses  lettres,  son  testament,  et  l'on  se 
convaincra  que  les  faits  que  l'on  avance 
contre  lui  sont  calomnieux.  Ce  qui  a  donné 
lieu  à  celte  erreur,  c'est  que  l'on  a  mal  pris 
sa  doctrine  ;  en  effet,  il  ne  faisait  pas  consis- 
ter la  félicité  dans  les  i)Iaisirs  du  corps,  mais 
dans  ceux  de  l'âme,  et  dans  la  tranquillité 
que  selon  lui  on  ne  peut  obtenir  que  de  la 
sagesse  et  de  la  vertu  (2).  » 

Voilà  ce  que  disent  quelques  critiques, 
comlialliis  par  d'autres. 

EPiLEPSlE.  Les  rois  d'Angleterre  ne  gué- 
rissaient pas  seulement  les  écrouelles;  ils 
bénissaient  encore  des  anneaux  qui  préser- 
vaient de  la  crampe  et  du  mal  caduc.  Cette 
cérémonie  se  faisait  le  vendredi  saint.  Le 
roi,  pour  communiquer  aux  anneaux  leur 
vertu  salutaire,  les  frottait  entre  ses  mains. 
Ces  anneaux  qui  étaient  d'or  ou  d'argent  , 
étaient  envoyés  dans  toute  l'Europe,  comme 
des  préservatifs  infaiîlibles;  il  en  est  fait  men- 
tion dans  différents  monuments  anciens  [3). 

11  y  a  d'autres  moyens  na'i'fs  de  traiter  l'e- 
pilepsie,  qui  n'obligent  pas  à  passer  la  mer. 
On  croyait  en  guérir  chez  nos  a'ieux,  en 
attachant  au  bras  du  malade  un  clou  tiré 
d'un  crucifix.  La  même  cure  s'opérait  en  lui 
mettant  sur  la  poitrine  ou  dans  la  poche  les 
noms  des  trois  rois  mages,  Gaspard,  Bal- 
thuzar,  Melcliior.  Cette  recette  est  indiquée 
dans  des  livres  anciens  ; 

G.ispar  ferl  myrriiam,  llius  Melcliior,  Ilalibasar  auruoi. 
Haec  tria  qui  secum  porlabil  iiomiiia  leguui, 
Solvilur  a  morbo,  Chrisli  ijielate,  cadiico. 

EPREUVES.  L'épreuve  gothique  qui  ser- 
vait à  reconnaîlre  les  sorciers  a  beaucoup 
de  rapport  avec  la  manière  judicieuse  que 
le  peuple  emploie  pour  s'assurer  si  un  chien 
est  enragé  ou  ne  l'est  pas.  La  foule  se  ras- 
semble et  tourmente,  autant  que  possible  , 
le  chien  qu'on  accuse  de  rage.  Si  l'animal 
dévoué  se  défend  cl  mord,  il  est  condamné, 

(t)  Leioyer,  Hist.  des  spectres  ou  ap.  des  esprils,  liv.  Il, 
th.  V,  p.  197. 
(î)  Urown,Essaissurles  erreurs,  etc., liv.  VII,  th.  xxvii. 


d'une  voix  unanime,  d'après  ce  principe  , 
qu'un  chien  enr.-igé  mord  tout  ce  qu'il  ren- 
contre. S'il  lelche,  au  contraire,  de  s'écliap- 
pcr  et  de  fuir  à  toutes  jambes,  l'espérance 
de  salut  esl  pcidue  sans  ressource  :  on  sait 
de  reste  qu'un  cliii'n  enragé  court  avec  force 
et  tout  droit  devant  lui  sans  se  délourner. 

La  sorcière  soupçonnée  élait  plongée  dans 
l'eau,  les  mains  et  les  pieds  fortement  liés 
ensemble.  Surnageail-ellc,  on  l'enlevait  aus- 
sitôt pour  la  pi'écipiler  dans  un  bûcher  , 
comme  convaincue  d'être  criminelle,  puis- 
que l'eau  des  épreuves  la  rejetait  de  son  sein. 
En'bnçait-elle,  son  innocence  était  dès  lors 
irréprochable;  mais  cette  justification  lui 
coûtait  la  vie  (4). 

Il  y  avait  bien  d'autres  épreuves.  Celle  de 
la  croix  consistait  généralement,  pour  les 
deux  adversaires,  à  demeurer  les  bras  éten- 
dus devant  une  croix,  celui  qui  y  tenait  le 
plus  longtemps  gagnait  sa  cause. 

Mais  le  plus  souvent  les  épreuves  judi- 
ciairrs  se  faisaient  autrefois  par  l'eau  on  le 
feu.  Voy.  Eac  bouillante,  CERCUEfL,  Fer 
cuAiD,  Ordalie,  etc. 

EUCELDOUNE.  Les  avcnlures  merveil- 
leuses de  Thomas  d'Erceldoune  sont  l'une 
des  plus  vieilles  légendes  de  fées  que  l'on 
connaisse.  Thomas  d'Erceldoune  ,  dans  le 
Landerdale,  surnommé  le  Rimeur  .  parce 
qu'il  avait  composé  un  roman  poétique  sur 
"Tristrem  et  Yseult,  roman  curieux  cornmo 
l'échantillon  de  vers  anglais  le  plus  ancien 
qu'on  sache  exister,  florissait  sous  le  règne 
d'Alexandre  111  d'Ecosse.  Ainsi  que  d'autres 
hommes  de  talent  à  cette  épo(jue,  Thomas  fut 
soupçonné  de  magie.  On  disait  aussi  qu'il 
avait  le  don  de  prophétiser;  ou  va  voir  pour- 
quoi. 

Un  jour  qu'il  était  couché  sur  la  colline 
appelée  Huniley,  dans  les  montagnes  d'Eil- 
don,  qui  dominent  le  monastère  de  Meirose, 
il  vit  une  femme  merveillensemenl  belle  ;  son 
équipement  élait  celui  d'une  amazone  ou 
d'une  divinité  des  bois  ;  son  coursier  é'ait  de 
la  plus  grande  beauté  ,  à  sa  crinière  étaient 
suspendues  trente-neuf  sonnettes  d'argent 
que  le  vent  faisait  retentir;  la  se  le  élait  d'os 
royal,  c'est-à-dire  d'ivoire,  ornée  d'orl'évre- 
rie  ;  tout  correspondait  à  la  magnificence  de 
cetéquipement.  La  chasseresse  avait  un  arc 
eu  main  et  des  flèches  à  sa  ceinture.  Elle  con- 
duisait trois  lévriers  en  laisse,  et  trois  bas- 
sets la  suivaient  de  près.  Elle  rejeta  l'hom- 
mage féodal  que  Thomas  voulut  lui  n mire, 
en  disant  qu'elle  n'y  avait  aucun  droit.  Tho- 
mas, épcrdument  épris,  lui  proposa  alors  de 
l'épouser.  La  dame  lui  répondit  qu'il  no 
pouvait  être  son  époux  sans  devenir  son  es- 
clave; et  comme  il  acceplail,  l'exlérieurde  la 
belle  inconnue  se  changea  aussitôt  en  celui 
de  la  plus  hideuse  sorcière  :  tout  un  côté  de 
son  visage  était  flétri  et  comme  attaqué  de 
paralysie; son  leint,  naguère  si  brillant,  étail 
maintenant  de  la  couleur  brune  du  plomb. 

(ï)  Lebrun,  Hist.  des  pratiques  supersUlieuses,  t.  II, 
p.  UIS. 
\i;  UulUsmilh,  Essai  sur  les  mœurs. 


■J(>3 

Tout  alTrcusc  qu'elle  ét.iil,  la  passion  de 
Thomas  l'avait  mis  sous  sa  puissance,  et 
quand  elie  lui  ordonna  de  prcmlre  congé  du 
soleil  et  di's  feuilles  qui  pouss  nt  sur  les  ar- 
bres, il  se  sentit  contraint  de  lui  obéir.  Ils 
pénétrèrent  dans  une  caverne  où  il  voyagea 
trois  jours  au  milieu  de  l'obscurité,  tantôt 
entendant  le  mugissement  d'une  mer  loin- 
taine, tantôt  marchant  à  travers  des  ruis- 
seaux de  sang  qui  coupaient  la  route  souter- 
raine. Enfin  il  revit  la  lumière  du  jour,  et 
arriva  dans  un  beau  verger.  Epuisé,  faute 
de  nourriture,  il  avance  la  main  vers  les 
fruits  magnifiques  qui  pendent  lic  toute  part 
autour  de  lui;  mais  sa  conductrice  lui  dé- 
fend d'y  loucher,  lui  apprenant  que  ce  sont 
les  pommes  fatales  qui  untuccasionné  la  chute 
de  l'homme.  11  s'aperçoit  aussi  que  sa  con- 
ductrice n'était  pas  plutôt  entrée  dans  ce 
mystérieux  jardin,  n'en  avait  pas  plutôt  res- 
piré l'.iir  magique,  ([u'elle  avait  repris  sa 
beauté,  son  riche  équipage  et  toute  sa  splen- 
deur; qu'elle  était  aussi  belle,  et  même  plus 
belle,  que  lorsqu'il  lavait  rue  pour  la  pre- 
mière fois  sur  la  montagne.  Elle  se  met  alors 
à  lui  expliquer  la  nature  du  pays. 

«  Ce  chemin  à  droite,  dit-elle,  mène  les 
esprits  dos  justes  au  paradis;  cet  autre  à 
gauche,  si  bien  battu,  conduit  les  âmes  pé- 
cheresses au  lieu  de  leur  éternel  châtiment; 
la  troisième  route,  par  le  noir  souterrain, 
aboutit  à  un  séjour  de  souffrances  plus  dou- 
ces, d'où  les  prières  peuvent  retirer  les  pé- 
cheurs. Mais  voyez-vous  encore  une  qua- 
trième voie  qui  serpente  dans  la  plaine 
autour  de  ce  château  ?  C'est  la  route  d'Ellland, 
(le  pays  des  Elis)  dont  je  suis  la  reine;  c'est 
aussi  celle  que  nous  alli>ns  sui(rc  mainte- 
nant. Quand  nous  entrerons  dans  ce  (  hâteau, 
observez  le  plus  strict  silence,  ne  répondez 
à  aucune  des  questions  qui  vous  seront 
adressées;  j'expliquerai  votre  mutisme  en 
disant  que  je  vous  ai  retiré  le  don  de  la  pa- 
role eu  vous  arrachant  au  monde  de^  hu- 
mains. » 

Après  ces  instructions,  ils  se  dirigèrent 
vers  le  château.  En  entrant  dans  la  cuisine, 
ils  se  trouvèrent  au  milieu  d'une  scène  qui 
n'eût  pas  été  mal  placée  dans  la  demeure 
d'un  grand  seigneur  ou  d'un  prince.  Trente 
cerfs  étaient  étendus  sur  la  lourde  table,  et 
de  nombreux  cuisiniers  travaillaient  à  les 
découper  et  à  les  apprêler.  Ils  passèrent  en- 
suite dans  le  salon  royal  ;  des  chevaliers  et 
des  dames,  dansant  par  trois,  oecupaienl  le 
milieu.  Thomas,  oubliant  ses  fatigues,  prit 
part  aux  amusements.  Après  un  espace  de 
temps  qui  lui  sembla  fort  court,  la  reine  le 
tenant  à  l'écart  lui  ordonna  de  se  préparer  à 
retourner  dans  son  pays. 

—  Maintenant  ,  ajoula-l-ellc  ,  combien 
croyez-roHs  être  resté  de  temps  ici? 

—  Assurciiienl,  b;lie  dame,  répyndit  Tho- 
mas, pas  plus  de  sept  jours. 

—  V'ous  êtes  dans  l'erreur,  répondit-elle; 
vous  y  êtes  demeuré  sept  ans,  et  il  est  bien 
temps  que  vous  en  sortiez.  Sacliez,  Thomas, 
que  le  diable  de  renier  viendra  demain  de- 
luaudsr  suu    tribut ,   cl  un    iiumine   comme 


DICTIONNMflK  DES  SCIKNCES  OCCULTES. 


5b'< 


VOUS  attirera  S(  s  regards;  c'est  pourquoi  le- 
vons-nous et  partons. 

Cette  terrible  nouvelle  réconcilia  Thoma» 
avec  l'idée  de  son  déjjart  hors  delà  leire  de» 
fées;  la  reine  ne  fut  pas  longue  à  le  replacer 
sur  la  colline  il'Huntley,  où  chantaient  les 
oiseaux.  Elle  lui  fit  ses  adieux;  et,  pour  lui 
assurer  une  réputation,  le  gratifia  de  la  lan- 
gue qui  ne  peut  mentir. 

Thomas,  dès  lors,  tontes  les  fois  que  la 
conversation  roulait  sur  l'avenir,  acquit  une 
réputation  de  prophète,  car  il  ne  pouvait 
rien  dire  ((ui  ne  dût  infailliblement  arriver; 
et  s'il  eût  été  législateur  au  lieu  d'être  poëte, 
nous  avions  ici  l'histoire  de  Numa  et  d'Egérie., 

Thomas  demeura  plusieurs  années  dans  sa 
tour  près  d'Erccldoune,  et  il  jouissait  tran- 
quillement de  la  réputation  que  lui  avaient 
faite  ses  préiliclions,  dont  plusieurs  sont  en- 
core aujourd'hui  retenues  par  les  gens  dp  la 
campagne.  Un  jour  qu'il  traitait  tiaus  sa  mai- 
son le  comte  de  March,  un  cti  d'étonnement 
s'éleva  dans  le  village,  à  l'apparition  d'un 
cerf  et  d'une  biche  qui  sortirent  de  hi  forêt, 
et,  contrairement  à  leur  nature  timide,  conti- 
nuèrent tranquillement  leur  chemin  eu  su 
dirigeant  vers  la  demeure  de  Thomas,  f^e 
prophèie quitta  aussitôt  la  table;  voyant  dans 
ce  prodige  un  avertissement  de  son  destin, 
il  reconduisit  le  cerf  et  la  biche  d.ins  la  forêi, 
et  depuis,  quoiqu'il  ail  été  revu  accidentel - 
li'meul  par  des  individus  auxquels  il  roulait 
bien  se  montrer,  il  a  rompu  toute  liiiisou 
avec  l'espèce  humaine... 

On  a  suppo-é  île  temps  en  temps  (]ue  Tho- 
mas d'Ercelilouue,  durant  sa  retraite,  s'oc- 
cupait à  lever  des  troupes  pour  descendre 
dans  les  plaines,  à  quelque  instant  critii|uc 
pour  le  sort  de  sou  pays.  On  a  souvent  ré- 
pété l'histoire  d'un  audacieux  jockey,  lequel 
vendit  un  cheval  cà  un  vieillard  très-vénéra- 
ble d'extérieur,  qui  lui  indiqua  dans  les  mon- 
tagnes d'Eildon  Luckcu-Hare,  comme  l'en- 
droit où,  à  minuit  sonnant,  il  recevrait  son 
prix.  Le  marchand  y  alla,  son  argent  lui  fut 
payé  en  pièces  antiques,  et  l'acheteur  l'invita 
à  visiter  sa  résidence.  Il  suivit  avec  étoune- 
ment  plusieurs  longues  rangées  de  stalles, 
dans  cliacune  des(iuelles  un  cheval  se  tenait 
immobile,  tandis  qu'un  soldat  armé  de  toutes 
pièces  était  couché,  aussi  sans  mouvciiUMit, 
aux  pieds  de  chaque  noble  animal.  «  Tous 
ces  hommes,  dit  le  sorcier  à  voix  basse,  s'é- 
veilleront à  la  bataille  de  SherilVmoor.  » 

A  l'extrémité  étaient  suspendus  une  épée 
et  un  cor  (jne  le  prophète  montra  au  jockey 
comme  renfermant  les  moyens  de  rompre  le 
charme.  Le  jockey  prit  le  cor  et  essaya  d'en 
donner.  Les  chevaux  tressaillirent  aussitôt 
dans  leurs  slall<'s;  les  soldais  se  levèrent  et 
firent  retentir  leurs  armes,  et  le  mortel  épou- 
vanté laissa  échapper  le  cor  de  ses  mains. 
Une  voix  forte  prononça  ces  mots  ;  «  .Malheur 
au  lâche  (|ui  ne  saisit  pas  le  glaive  avant 
d'enller  le  cor.  »  Un  tourbillon  de  vent  chassa 
le  marchand  de  chevaux  de  la  caverne,  dont 
il  ni'  put  jamais  reirouver  l'entrée  (1) 

EllKBE,   lleuve   d(!S    enfers  :   ou  le  prcud 

llj  Wa'.mr  SloU,  Vé-iioiwicgic. 


565 


Eim 


ESC 


sob 


Hussi  pour  une  partie  de  l'enfer  ii  pour  l'en- 
fer même.  11  y  avait  chez  les  païens  un  sa- 
cerdoce particulier  pour  les  âmes  qui  étaient 
d;ins  l'Erèhe. 

EUGENNA  ,  devin  d'Elrurie  dans  l'anli- 
quilc. 

ERIC  AU  CHAPEAU  VENTEDX.  On  iitdans 
Hector  de  Boëce  que  le  roi  de  Suède,  Eric 
ou  Henri ,  surnommé  le  Chapeau  venteux, 
faisait  changer  les  vents,  en  tournant  son 
bonnet  ou  chapeau  sur  sa  téti',  pour  mon- 
trer au  démon,  avec  qui  il  avait  fait  pacte, 
de  quel  côté  il  les  voulait;  et  le  démon  élail 
si  exact  à  donner  le  vent  que  demandait  le 
signal  du  bonnet,  qu'on  aurait  pu,  en  toute 
sûreté,  prendre  le  couvre-chef  royal  pour  une 
girouelle. 

ERICHTHO,  sorcière,  qui,  dans  la  guerre 
entre  César  et  Pompée,  évoqua  un  mort,  le- 
quel prédit  toutes  les  circonstances  de  la  ba- 
taille de  Pharsale  (1). 

EKOCONOPES,  peuples  imaginaires  que 
Lucien  représente  comme  d'habiles  archers, 
moulés  sur  des  moucherons-monstres. 

EIIOCOIIDACÈS,  autre  peuple  imaginaire 
que  le  même  auteur  représente  combattant 
avec  des  raves  en  guise  de  flèches. 

EROMANTIE,  une  des  six  espèces  de  divi- 
nations pratiquées  chei  les  Perses  par  le 
moyen  de  l'air,  lis  s'enveloppaient  la  tête 
d'une  serviette,  exposaient  à  l'air  un  vase 
rempli  d'eau,  et  proféraient  à  voix  basse  l'ob- 
jet de  liurs  vœux.  Si  l'eau  venait  à  bouillon- 
ner, c'était  un  pronostic  heureux. 

EROTYLOS,  pierre  fabuleuse  dont  Démo- 
crile  et  Pline  après  lui  vantent  la  propriété 
pour  la  divination. 

ERREURS  POPULAIRES.  LorsqueleDante 
publia  son  Enfer,  la  simplicité  do  son  siècle 
le  reçut  comme  une  véritable  narration  de 
sa  descente  dans  les  sombres  manoirs.  A 
l'époque  où  l'Utopie  de  Thomas  Morus  parut 
pour  la  première  fois,  elle  occasionna  une 
plaisante  méprise.  Ce  roman  poétique  donne 
le  modèle  d'une  république  imaginaire,  dans 
une  lie  qui  est  supposée  avoir  été  nouvelle- 
ment découverte  en  Amérique.  Comme  c'élait 
le  sièi;le,  dit  Oranger,  BudcEus  et  d'autres 
écrivains  prirent  le  conte  pour  une  histoire 
véritable,  et  regardèrent  comme  une  chose 
importante  qu'on  envoyât  des  missionnaires 
dans  cette  île. 

Ce  ne  fut  que  longtemps  après  la  publica- 
tion des  Voyages  de  Culliver,  par  Swift, 
qu'un  grand  nombre  de  ses  lecteurs  demeura 
convaincu  <iu'ils  étaient  fabuleux  (2). 

Les  erreurs  populaires  sont  en  si  grand 
nonibre,  qu'elles  ne  tiendraient  pas  toutes 
dans  ce  livre.  Nous  ne  parlerons  pas  des  er- 
reurs physicjues  ou  des  erieurs  d'ignorance  : 
nous  ne  nous  élèverons  ici  que  contre  les 
erreurs  enfantées  par  les  savants.  Ainsi  Car- 
dan eut  des  partisans  lorsqu'il  débita  que, 
dans  le  Nouveau-Monde,  les  gouttes  d'eau  se 
changen*.  en  petites  grenouilles  vertes.  Cé- 
drénusaécrit  très-merveileuscmentquo  tous 
les  rois  francs  de  la  pren)ière  race  naissaient 
avec  l'épine  du  dos  couverte  et  hérissée  d'un 

(1)  Wierus,  Je  Prxslig.  dann.,  lil).  II,  cap.  ix. 


poil  de  sanglier.  Le  peuple  croit  fermement, 
dans  certaines  pro\inces,  que  la  louve  en- 
f.inte,  avec  ses  louveteaux,  un  petit  chien 
qu'elle  dévore  aussitôt  qu'il  voit  le  jour. — 
Voyez  la  plupart  des  articles  de  ce  Diction- 
naire. 

ERUS  ou  Er,  fils  de  Zoroastre.  Platon  as- 
.sure  qu'il  sortit  (le  son  tombeau  douze  jours 
après  avoir  été  brûlé  sur  un  bûcher,  et  (ju'il 
coiita  beaucoii[)  do  choses  sur  le  sort  des 
bons  et  des  méchants  dans  l'autre  monde. 

ESCALIBOR,  épée  merveilleuse  du  roi  Ar- 
thiis.  Voy.  Arthus. 

ESCAMOTAGE.  On  l'a  pris  quelquefois 
pour  la  sorcellerie;  le  diable,  dit  Leloyer^ 
s'en  est  souvent  mêlé.  Deirio  (liv.  2,  quesl. 
2)  rapporte  qu'on  (lunil  du  dernier  supplice, 
à  Trêves,  une  sorcière  très-connue  qui  fai- 
sait venir  le  lait  de  toutes  les  vaches  du  voi- 
sinage en  un  vase  placé  dans  le  mur.  Spren- 
gcr  assure  pareillement  que  certaines  sor- 
cières se  postent  la  nuit  dans  un  coin  de  leur 
maison,  tenant  un  vase  devant  elles  ;  ((u'elles 
plantent  un  couteau  ou  tout  autre  instru- 
ment dans  le  mur  ;  qu'elles  tendent  la  main 
pour  traire,  en  invoquant  le  diable,  qui  tra- 
vaille avec  elles  à  traire  telle  ou  telle  vache 
qui  paraît  la  plus  grasse  et  la  mieux  fournie 
do  lait  ;  que  le  démon  s'empresse  de  pres.ser 
les  mamelles  de  la  vache,  et  de  porter  le  lait 
dans  l'endroit  où  se  trouve  la  sorcière  qui 
l'escamote  ainsi.  Voy.  Fascination,  Charmes, 
Agrippa,  Faust,  etc. 

Dans  les  villages,  les  escamoteurs  ont  en- 
core le  nom  de  sorciers.  Voici  toutefois  d'un 
escamoteur  un  joli  petit  trait  qu'on  a  rapporté 
dans  \a  Chronique  de  Courlray,iia  25  avril 
18'i3. 

«  Dans  unedcsbaraquessurlaGrand'Place. 
hier,  pendant  (lu'un  escamoteur  exécutait 
ses  tours,  il  vit  un  des  assistants  dérober 
fort  adroitement  le  mouchoir  de  son  voisin 
et  s'en  écarter  aussitôt  eu  allant  se  placer 
d'un  autre  côté.  11  trouva  là  une  occasion 
superbe  de  se  donner  du  relief.  Monsieur, 
dit  l'escamoteur  titulaire  à  la  victime  du 
larcin,  prêtez-moi,  s'il  vous  plaît,  votre  fou- 
lard, je  vais  faire  un  tour  des  plus  surpre- 
nants. Celui-ci  s'empressa  de  mettre  la  main 
dans  la  poche,  et  tout  ébahi  s'écria  qu'il 
était  volé,  en  dirigeant  ses  regards  accusa- 
teurs sur  ceux  qui  l'entouraient.  —  Volet 
s'écria  l'opérateur  tout  étonné;  eh  bienl  tant 
mieux,  mon  tour  en  sera  plus  beau.  —  De 
quelle  couleur  est  votre  foulard?  Rouge  et 
jaune.— Bon,  soyez  trancjuille,  s'il  est  encore 
dans  la  salle,  il  vous  reviendra. — Et  faisant 
tourner  sa  baguette  sur  le  bout  de  ses  doigts, 
il  en  arrêta  le  mouvement  dans  la  direction 
de  l'escamoteur  de  contrebande ,  et  lui  dit: 
—  Le  foulard  est  dans  ta  poche,  rends-le. 
Cette  apostrophe  consterna  le  voleur  qui  ce- 
pendant se  remit  aussitôt,  affecta  une  grande 
surprise,  et  passa  le  mouchoir  à  son  pro- 
priétaire, aux  acclamations  des  spectateurs 
saisis  d'admiration.  La  police  fut  avertie,  lo 
filou  mis  en  prison,  et  l'art  du  devin,  prôné 
par  toutes  les  bouches,  ne  cessa  d'attirer  un« 

(2J  Berlin,  Curiosilos  Je  la  Ullératurcï,  l.  1,  p.  301. 


8fî7 


IMCTJONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


KCS 


foale  eonsiilérable  à  sa  baraque  pendant 
toute  la  journée.» 

ESCHYLK, — tragique  prcc,  à  qui  on  avait 
prédit  qu'il  mourrail  de  la  chute  d'une  mai- 
son; ce  qui  fil  qu'il  s'alla  loger  en  pleine 
campagne;  mais  le  conte  ajoute  qu'un  aigle, 
qui  portail  une  tortue  dans  ses  serres,  la 
laissa  tomber  sur  la  lôte  chauve  du  poëte, 
pensant  que  ce  fût  an  rocher;  et  la  prédiction 
s'accomplit. 

ESDRAS.  —  Pour  les  écrits  apocryphes 
qu'on  lui  attribue  ,  voy.  Pic  de  la  Mira?»- 

DOLE. 

ESPAGNET  (.lEA:tD'),— philosophe  hermé- 
tique, qui  a  fait  deux  traités  intitulés:  l'un 
Enchiridion  de  la  physique  rétablie;  l'autre. 
Secret  de  la  philosophie  hermétiqxte  (1  )  ;  encore 
lui  conleste-l-on  ce  dernier  que  l'on  attribue 
à  un  inconnu  qui  se  faisait  appeler  le  Che- 
valier Impérial  (2). 

Le  Secret  de  ta  philosophie  renfi-rme  la 
pratique  du  grand  œuvre,  et  VEnchiridion 
la  théorie  physique  sur  laquelle  repose  la 
transmutabilité  des  métaux. 

D'Espagnrt  est  encore  auteur  de  la  préface 
qui  précède  le  Traité  de  l'inconstance  des  dé- 
mons de  Pierre  Delancre.  On  lit  dans  cette 
préface  que  les  sorcières  ont  coutume  de  vo- 
ler les  petits  enfants  pour  les  consacrer  au 
démon. 

ESPAGNOL  (Jeau  l'),  —docteur  en  théo- 
logie, grand-prieur  de  Saint-Rerai  de  Reims, 
auteur  d'un  livre  intitulé  :  Histoire  notable 
delà  conversion  des  Anglais,  etc.,in-8°.  Douai, 
161i.  La  vingtième  annotation,  qui  commen- 
re  à  la  page  50G  et  va  jusqu'à  la  300",  est  un 
traité  sur  les  apparitions  des  esprits,  où, 
avec  des  choses  passables  et  médiocres,  on 
trouve  de  bonnes  observations  (3). 

ESPRITS.  —  Les  anciens  ont  cru  que  les 
esprits,  qu'ils  appelaient  démons  ou  génies, 
étaient  des  demi-dieux.  Chaque  nation,  dit 
.\pulée ,  même  chaque  famille  et  chaque 
lioniiiie,  a  son  esprit  qui  le  guide  et  qui  veille 
sur  sa  conduite.  Tous  les  peuples  avaient 
du  respect  pour  eux,  et  les  Ruuiuins  les  ré- 
véraient. Ils  n'assiégeaient  les  villes  et  n'en- 
treprenaientleurs  guerres  qu'après  que  leurs 
prêtres  avaient  invoqué  le  génie  du  p.iys. 
Caligula  même  fit  punir  publi(|uement  quel- 
ques-uns de  ceux  qui  les  avaient  maudits/»). 

Des  philosophes  se  sont  imaginé  que  ces 
esprits  n'étaient  que  les  âmes  des  morts  qui, 
étant  une  fois  séparées  de  leurs  corps,  er- 
raient incessamment  sur  la  terre.  Ce  senti- 
ment leur  paraissait  d'autant  plus  vraisem- 
blable,qu'ils  se  vantaient  de  voir  des  spectres 
auprès  des  tombeaux,  dans  les  cimetières, 
dans  les  lieux  où  l'on  avait  tué  quelques 
personnes. 

«Les  esprits, dit'VN'^ocker,  sont  les  seigneurs 
Ue  l'air;  ils  peuvent  exciter  les  tmipètes, 

(I)  Eiichiriiiion  pbjsica  resliluta;.  Arcauum  pljilosophiae 
henneiicst. 

T2)  Ce  clievallcr,  Irès-révéré  des  alchimistes,  est  mcn- 
lionne  souvent  dans  la  Tiompelte  française  ,  petit  volume 
l'onlcnaul  une  Prophétie  de  Bomùarl  sur  la  naissance  de 
Liniii  XI  y.  On  a,  du  Cliovaljer  Iiripérial,  le  Miroir  des 
Alfliiinistes  ,  avec  iiislruclimis  aux  danios  poiii'  dorénavant 
ttte  oellos  sans  ilus  astr  de  leurs  dmds  vcuimeux,  IÇCi. 


rompre  les  nues  et  les  transporter  où  ils 
veulent,  avec  de  grands  tourbillons;  enlever 
l'eau  de  la  mer,  en  former  la  grêle  et  tout  ce 
que  bon  leur  semble.» 

Il  y  a,  dans  l'intérieur  de  l'Amérique  sep- 
tentrionale ,  des  peuplades  sauY.'it;es  qui 
croient  que  lorsqu'un  homme  est  enterré  , 
sans  qu'on  place  auprès  de  lui  tout  co qui  lui 
a  appartenu  ,  son  esprit  revient  sous  forme 
biiinaine,  et  se  niontro  sur  les  arbres  les 
plus  près  de  sa  maison,  armé  d'un  fusil;  ou 
ajoute  qu'il  ne  peut  jouir  du  repos  qu'après 
que  les  objets  qu'il  réclame  ont  été  déposés 
dans  sa  tombe. 

Les  Siamois  admettent  une  multitude  d'es- 
prits répandus  dans  l'air,  dont  la  puissaneo 
est  fort  grande,  et  qui  sont  très-malfaisants. 
Ils  tracent  certaines  paroles  magiques  sur 
des  feuilles  de  papier,  pour  se  prémunir  con- 
tre leur  malice.  Lorsqu'ils  préparent  une 
médecine,  ils  garnissent  le  bord  du  vase  d'un 
grand  nombre  de  ces  papiers,  de  peur  que 
les  esprits  n'emportent  la  vertu  des  remèdes. 

Les  autres  cabalistes  ont  prétendu  que 
les  esprits  étaient  des  créatures  mati^rielles, 
composées  de  la  substance  la  plus  pure  des 
éléments;  que  plus  celle  matière  étiiil  sub- 
tile, plus  ils  avaient  de  pouvoir  et  d'action. 
Ces  auteurs  en  distinguent  de  deux  sortes, 
de  supérieurs  et  d'inférieurs:  les  supérieurs 
sont  ou  célestes  ou  aériens;  les  inférieurs 
sont  ou  aquatiques  ou  terrestres. 

Ceux  qui  ont  cru  que  ces  esprits  étaient 
des  créatures  matérielles,  les  ont  assujettis  à 
la  mort  comme  les  hommes.  Cardan  dit  que 
les  esprits  qui  apparurent  à  S(m  père  lui  fi- 
rent connaître  qu'ils  naissaient  et  qu'ils 
mouraient  comme  nous  ;  mais  que  leur 
vie  était  plus  longue  et  plus  heureuse  q'ie 
la  nôtre. 

Voici  de  petits  traits  d'esprits. 

Guillaume  de  Paris  écrit  que  l'an  1447,  il 
y  avait  un  esprit  à  Poitiers,  dans  la  paroisse 
de  Saint-Paul,  lequel  rompait  vitres  et  ver- 
rières, et  frappait  à  coups  de  pierres  sans 
blesser  personne  (5). 

Césaire  raconte  que  la  Glle  d'un  prévAt 
de  Cologne  était  si  tourmentée  d'un  esprit 
malin,  qu'elle  en  devint  frénétique.  Le  père 
fut  averti  de  faire  aller  sa  fille  au  delà  du 
Rhin  cl  de  la  changer  de  lieu  ;  ce  qu'il  fit. 
L'esprit  fut  obligé  d'abandonner  la  fille,  mais 
il  battit  tant  le  père  qu'il  en  mourut  trois 
jours  après  (6). 

Nous  rapporterons  d'autres  histoires  d'es- 
prits. «  Au  commencement  du  règne  de 
Charles  IV,  dit  le  Bel,  lespril  d'un  bourgeois, 
mort  depuis  quelques  années,  parut  sur  la 
place  publique  d'Arles  en  Provence;  il  rap- 
portait des  choses  merveilleuses  de  l'autre 
monde.  Le  prieur  des  Jacobins  d'Arles,  hom- 
me de  bien,  pensa  «juc  Ci't  esprit  pouvait  bien 

Ii)-I6. 

{'i)  Lenglel-Pufrpsnoy,  Catalogue  des  auteurs  qui  ont 
Écrit  sur  les  apparitions. 

(4)  Discours  sur  les  esprits  follets,  Mercure  Galant, 
16«0. 

ta,  Kiidin,  DémoDom.inie  des  sorciers,  liv.  III,  p.  S''^ 

ifi)  Id  ,  ibi4 


589 


i:sp 


ESP 


570 


élre  un  démnn  déguisé.  Il  se  rendit  sur  l.i 
place;  soudain  rtsprit  découvrit  qui  il  él;iil, 
^cl  pria  qu'on  le  tirât  du  purgatoire.  Ayant 
ainsi  parlé,  il  disparut;  c(,  coiniiie  on  pria 
pour  son  àine,  il  ne  fut  oncques  vu  depuis{l).» 

Eu  1750,  un  oKicier  du  prince  de  Conti, 
étant  couché  dans  le  cliâleau  do  l'Ile-Adain, 
sentit  tout  à  coup  enlever  sa  couverlure.  Il 
la  relire;  on  renouvelle  le  manège,  tant  qu'à 
la  fin  l'olûcier  ennuyé  jure  d'exlermiuer  le 
mauvais  plaisant,  met  l'épée  à  la  main,  cher- 
che dans  tous  les  coins  et  ne  trouve  rien. 
Etonné,  mais  hrave,  il  veut,  avant  de  conter 
son  aventure,  éprouver  encore  le  lendemain 
si  l'imporlun  reviendra.  Il  s'cnfermeavecSDin, 
se  couche, écoule  longtemps  et  finit  par  s'en- 
dormir. Alors  on  lui  joue  le  même  tour  que 
la  veille.  Il  s'élance  du  lit,  renouvelle  ses 
menaces,  cl  perd  son  temps  en  recherches. 
La  crainte  s'empare  de  lui;  il  appelle  un  frot- 
leur,  qu'il  prie  de  coucher  dans  sa  chambre, 
sans  lui  dire  pour  quel  motif.  Mais  l'esprit 
qui  avait  fait  son  tour,  ne  parall  plus. 

La  nuit  suivante,  il  se  fait  aiconip?gner 
du  frolleur,  à  qui  il  raconte  ce  qui  lui  est 
arrivé, et  ils  se  couchent  tous  deux.  Le  f.in- 
tôme  vient  bientôt,  éteint  la  chandelle  qu'ils 
avaient  laissée  allumée,  les  découvre  el  s'en- 
fuit. Comme  ils  avaient  entrevu  cependant 
un  monstre  diiïorme,  hideux  et  gambadanl, 
le  frotteur  s'écria  que  c'était  le  diable,  cl 
courut  chercher  de  l'eau  bénite.  Mais  au  mo- 
ment qu'il  levait  le  goupillon  pour  asperger 
la  chambre,  l'esprit  le  lui  enlève  et  dispa- 
raît.... 

Les  deux  champions  poussent  des  cris;  on 
accourt;  on  passe  la  nuit  en  alarmes,  et  le 
matin  on  aperçoit  sur  le  toit  de  la  maison  un 
gros  singe  qui,  armé  du  goupillon,  le  plon- 
geait dans  l'eau  de  la  gouttière  el  en  arro- 
sait les  passants. 

En  1210,  un  bourgeois  d'Epinal,  nommé 
Hugues,  fut  visité  par  un  esprit  qui  faisait 
des  choses  merveilleuses,  el  qui  parlait  sans 
se  montrer.  On  lui  demanda  son  nom  et  de 
quel  lieu  il  venait  ?  Il  répondit  qu'il  était  l'es- 
pril  il'un  jeune  homme  de  Clérenline,  village 
à  sept  lirues  d  Epinal,  et  que  sa  femme  vi- 
vait encore. 

Un  jour,  Hugues  ayant  ordonné  à  son  va- 
lel  de  seller  son  cheval  et  de  lui  donner  à 
manger,  le  valet  différa  de  faire  ce  qu'on 
lui  commandait;  l'esprit  fit  son  ouvrage,  au 
grand  étonncmcnl  de  tout  le  monde. 

Un  autre  jour,  Hagucs,  voulant  se  faire 
saigner,  dit  à  sa  fille  de  préparer  des  bande- 
lettes. L'esprit  alla  prendre  une  chemise  neu- 
ve dans  une  autre  chambre,  la  déchira  par 
bandes,  et  vint  la  présenter  au  maître,  en 
lui  disant  de  choisir  les  meilleures. 

Un  autre  jour,  la  servante  du  logis  ayant 
étendu  du  linge  dans  le  jardin  pour  le  lairc 
sécher,  l'esprit  le  porta  au  grenier  elle  plia 
plus  proprement  que  n'aurait  pu  faire  la  plus 
iiahilo  blanchisseuse. 

Cequi  est  remarquable,  c'est  que,  pendant 
six  mois  qu'il  fréquenta  celle  maison,  il   n'y 

(1)  Leloyor,  Uist.  dos  spectres  cl  apparitions  des  es- 
Urr'.s. 


fit  aucun  mal  à  personne,  el  ne  rendit  qua 
(le  bons  offices,  contre  l'ordinaire  de  ceux 
de  son  espèce.  Voy.  Hecdeki:^. 

Sur  la  fin  de  l'année  17iG  ,  on  entendit 
comme  des  soupirs  qui  partaient  d'un  coin 
(le  l'imprimerie  du  sieur  Lahard,  l'un  des 
conseillers  de  la  viile  de  Constance.  Les 
garçons  de  l'imprimerie  n'en  firent  que 
rire  d'abord.  Mais  dans  les  premiers  jours 
de  janvier ,  on  disiingua  plus  de  bruit 
qu'auparavant.  On  frappait  rudement  con- 
tre la  muraille,  vers  le  même  coin  oîi  l'on 
avait  d'abord  entendu  des  soupirs  ;  on 
eu  vint  jusqu'à  donner  des  soufllels  aux 
imprimeurs  et  à  jeter  leurs  chipe.iux  par 
terre.  L'esprit  eoiilinua  son  manège  pen- 
dant plusieurs  jours,  donnant  des  souffiels 
aux  uns,  jetant  des  pierres  aux  autres  ;  eu 
sorie  que  les  compositeurs  furent  obligés 
d'abandonner  ce  coin  de  l'imprimerie.  Il  se 
se  fil  alors  beaucoup  d'autres  tours,  dans 
lesquels  les  expériences  de  la  physicjue  amu- 
sante enlrèrenlprobablemenl  pour  beaucoup; 
el  enfin  cette  farce  cessa  sans  explication. 
Voy,  Revenants,  Apparitions,  DnoLLEs,elc. 

Voici  l'histoire  d'un  esprit  (jui  fui  ciiè  en 
justice. — En  1761,  un  feroiicr  de  Southams, 
dins  le  comté  de  Warwick  (Angleterre),  fut 
assassiné  en  revcnanlchez  lui:  le  lendemain, 
un  voisin  vint  trouver  la  femme  de  ce  fer- 
mier et  lui  demanda  si  son  mari  était  rentré; 
el!e  répondit  que  non,  et  qu'elle  eu  était 
dans  de  grandes  inquiétudes. 

—  Vos  inquiétudes,  répliqua  cet  homme, 
ne  peuvent  égaler  les  miennes  ;  car,  comme 
j'étais  couché  cette  nuit ,  sans  élre  encore 
endormi,  votre  mari  m'est  apparu,  couvert 
de  blessures,  el  m'a  dit  qu'il  avait  clé  assas- 
siné par  son  ami  John  Dick,  el  que  son  ca- 
davre avait  été  jeté  dans  une  marnière. 

La  fermière,  alarmée,  fil  des  perquisitions. 
On  découvrit  dans  la  marnière  le  corps  blessé 
aux  endroits  que  le  voisin  avait  désignés. 
C 'lui  i)ue  le  revenant  avait  accusé  fui  saisi 
el  mis  entre  les  mains  des  juges,  comme  vio- 
lemment soupçonné  du  meurtre.  Sou  procès 
fut  instruit  à  Warwick;  les  jurés  l'auraient 
condamné  aussi  témérairement  que  le  juge 
de  paix  l'avait  arrêté ,  si  lord  Raymond  ,  lu 
principal  juge,  n'avait  suspendu  l'arrél. 

—  Messieurs,  dit-il  aux  jurés,  je  crois  que 
vous  donnez  plus  de  poids  au  témoignage 
d'un  revenant  (ju'il  n'en  mérite.  Quelque  cas 
qu'on  ftis>e  île  ces  sortes  d'histoires,  nous 
n'avons  aucun  droit  de  suivre  nos  inclina- 
li  ms  particulières  surce  point.  Nous  formons 
un  tribunal  de  justice,  et  nous  devons  nous 
régler  sur  la  loi  ;  or  je  ne  connais  aucune  loi 
existante  qui  admette  le  témoignage  d'un  re- 
venant; et  quand  il  y  en  aurait  une  qui  l'ad- 
mettrait, le  revenant  ne  parall  pas  pour  faire 
sa  déposition.  Huissiers,  ajouta-l-il,  appelez 
le  revenant. 

Ce  que  l'huissier  fit  par  trois  fois,  sans  que 
le  revenant  parût. 

—  Messieurs,  continua  lord  Raymond, 
le  prisonnier  qui  est  à  la  barre  est ,  suivant 
le  téiuoignage  de  gens  irréprocliabies,  d'une 
réputation  sans  tuchc;  et  il  n'a  puiul  paru, 


57t 


niCTIONAIIih  i»i:S  ^CIKNCI.S  OCCULTES 


5-2 


dans  le  cours  des  inform;ilions,  qu'il  y  ail  eu 
aucune  espèce  de  querolle  eulre  lui  el  le 
mort.  Je  le  crois  absoiunx  ni  innoccnl ,  et, 
comme  il  n'y  a  nulle  preuve  coulre  lui.  ni 
directe  ni  indirecle,  il  doit  être  renvoyé.  Mai» 
par  plusieurs  circonstances  qui  n»'onl  frappé 
dans  le  procès  ,  je  soupçonne  forlenienl  la 
personne  qui  a  vu  le  revenant  d'élre  le  meur- 
trier ;  au(|(iel  cas  il  n'est  pas  dil'ficile  de  con- 
cevoir qu'il  ait  pu  désij^ner  la  place,  les  bles- 
sures, la  maruière  et  le  reste  ,  sans  aucun 
secours  surnaturel;  en  conséquence  de  ces 
soupçons,  je  me  crois  en  droit  de  le  faire  ar- 
rêter, jusqu'à  ce  que  l'on  fasse  de  plus  amples 
informations. 

Gel  homme  fui  effectivement  arrêté;  on  Gt 
des  perquisitions  dans  sa  maison  ;  on  trouva 
les  |)reuves  de  son  crime,  ((u'il  avoua  lui- 
même  à  la  fin,  et  il  fut  exécuté  aux  assises 
suivantes.  V.  Génies.  Kleudde,  Démdn*,  etc. 
ESPRITS  ÉLÉMEMAIKES.  Les  cabaiistes 
peuplent  les  éléments,  cumuie  ou  l'a  dit  (1) , 
d'esprits  divers.  Les  Salamandres  habitent  le 
feu;  les  Sylphes,  l'air;  les  Gnomes,  la  terre; 
l'eau  est  le  séjour  des  Ondins  ou  Nymphes. 
Voy.  ces  mots. 

ESPRITS  FAMILIERS.  Scaligcr  ,  Cecco 
d'Ascoli ,  Cardan  el  plusieurs  autres  vision- 
naires ont  eu  ,  comme  Socrate  ,  des  espriU 
familiers.  Budin  dit  avoir  connu  un  hummu 
qui  était  toujours  accompagné  d'un  esprit 
familier,  lequel  lui  donnait  un  petit  coup  sur 
loreille  gauche  quand  il  faisait  l)ien,  et  le  ti- 
rait par  l'oreille  droite  quand  il  faisait  mal. 
Cet  homme  était  averti  de  la  même  laçon  si 
ce  qu'il  voulait  manger  était  bon  ou  mau- 
vais, s'il  se  trouvait  avec  un  honnête  homme 
ou  ;ivec  un  coquin,  etc.  C'était  très-avanta- 
geux. 
ESPRITS  FOLLETS.  Voy.  Feux  follets. 
ESSÉNIENS,  secle  célèbre  parmi  les  Juifs. 
Les  Ësséniens  avaient  des  superstitions  par- 
ticulières. Leurs  devins  prétendaient  connaî- 
tre l'avenir  par  l'élude  des  livres  saints,  faite 
avec  certaines  préparations.  Ils  y  trouvaient 
même  la  médecine  el  toutes  les  sciences,  par 
des  combinaisons  cabalistiques. 
ESTERELLIi.  Voy.  Fées. 
El'ANG  DE  LA  VIE.  Au  sortir  du  pont  OU 
se  fait  la  séparation  des  élus  el  des  réprouvés, 
les  docteurs  persans  font  descendre  les  bien- 
heureux dans  cet  étang,  dont  les  eaux  sont 
blanches  et  douces  conmie  le  miel.  Pour  la 
conunodilé  des  âmes,  il  y  a  tout  le  long  de 
l'étang  des  cruches  en  forme  d'éloiles,  tou- 
jours pleines  de  celle  eau  :  les  fidèles  en  boi- 
ront avant  d'entrer  dans  le  paradis,  parce 
<jue  c'est  l'eau  de  la  vie  éternelle  ,  el  que  si 
I  un  et)  boit  seulement  une  goutte,  un  n'a  plus 
rien  à  désirer. 

ÉTERNITÉ.  Boèce  définit  l'éternilé:  l'en- 
tière, parfaite  et  complète  possession  d'une 
manière  d'exister,  sans  commencement,  sans 
fin,  sans  aucune  succession.  Le  latin  est  plus 
rapide  :  Jnlerminahilis  viicc  lola  simui  et  per- 
fecta  possessio. 

L'éternité  n'a  point  de  parties  qui  se  suc- 
cèdent; elle  ne  va  point  par  lu  présent  du 
(tj  Voyeï  l'arlklo  Cabule. 


passé  au  futur,  coiimie  fait  le  temps.  Elle  est 
un  présent  continuel.  Voilà  pourquoi,  com- 
iire  le  remarquent  les  théologiens.  Dieu  dit 
en  parlant  de  lui-mé  ne  :  tïgo  sum  qui  suin. 

L'élernilé  n'appartient  qu'à  Dieu  ;  elle  ne 
peut  être  communiquée  à  aucune  créature  ; 
pu  sque  ce  qui  est  créé  a  un  commence- 
ment. 

.Mais  pourtant  on  dit  l'éternité,  pour  dési- 
gner la  vie  future  des  intelligences  créées  , 
vie  qui  n'aura  point  de  fin.  Dans  ce  sens  ,  il 
y  aura  dans  le  ciel  l'éternité  debonheur  pour 
les  justes,  el  dans  l'enfer  l'éternité  de  peines 
pour  les  réprouvés.  C'est  un  dogme  que  le» 
cerveaux  impies  ont  combattu  ,  mais  qu'ils 
n'ont  pu  ébranler;  el  saint  Thomas  d'Aquiu 
en  a  démontré  la  nécessité  équitable. 

Légende  de  rEternité. 

Nous  transcrivons  ici  celle  belle  et  singu- 
lière légi  nde,  qui  a  élé  publiée  en  Franco 
depuis  peu. 

Avant  que  Luther  fût  venu  prêcher  sa  dés- 
astreuse réforme,  on  voyait  des  monastères 
au  pench  ml  de  toutes  les  collines  de  l'Alle- 
magne. C'étaient  de  grands  édifices  à  l'as- 
pect paisible,  avec  un  clocher  frêle  qui  s'é- 
levait du  milieu  des  bois  et  autour  duquel 
volligeaie.nt  des  palombes.  Là  vivaient  des 
hommes  qui  n'occupaient  leur  esprit  (lue 
des  cliD^e*  du  ciel. 

A  Oimulz,  il  en  était  un  ,  que  l'on  citait 
dans  la  contrée  pour  sa  piété  cl  son  instruc- 
tion. Celait  un  homme  simple,  comme  tous 
ceux  qui  savent  beaucoup,  car  la  science  est 
semblable  à  la  mer;  plus  on  s'y  avance,  plus 
l'horizon  devient  large,  el  plus  on  se  seul 
petit.  Frère  Alfus,  après  avoir  ridé  son  front 
el  blanchi  ses  cheveux  dans  la  recherche  de 
démonstrations  inutiles,  avait  appelé  à  sou 
secours  la  foi  des  petits  enfants:  puis,  con- 
fiant sa  vie  à  la  prière,  comme  à  une  ancre 
de  miséricorde,  il  l'avait  laissée  se  balancer 
doucement  au  roulis  des  pures  amours  et  def 
célestes  espérances. 

Cependant  de  mauvaises  rafales  agitaient 
encore  par  instants  le  saint  navire.  Par  in- 
slanls  les  tentations  de  l'intelligence  reve- 
naient, el  la  raison  interrogeait  la  foi  avec 
orgueil.  Alors  frère  Alfus  devenait  triste  ;  de 
grands  nuages  voilaient  pour  lui  le  soleil  in- 
téi  leur  ;  son  cœur  avait  froid.  Errant  dans  les 
campagnes,  il  s'asseyait  sur  la  mousse  des 
rochers,  s'arrêtait  sous  l'écume  des  torrents , 
marchait  parmi  les  murmures  de  la  forêt  ; 
mais  il  interrogeait  vainement  la  nature.  A 
toutes  ses  demandes,  les  montagnes,  les  11  )ls 
et  les  fleuves  ne  répondaient  qu  un  seul  mot  • 
Dieu  I 

Frère  Alfus  était  sorli  victorieux  de  beau- 
coup de  ces  crises  ;  chaque  fois  il  s'élail  af- 
fermi dans  ses  croyances  ;  car  la  lenlalion  est 
la  gymnasli(iue  de  la  conscience,  (juand  elle 
ne  la  bri^c  point,  elle  la  fortifie.  Mais  depuis 
quelque  temps,  une  inquiétude  plus  poi- 
gnante s'était  emparée  du  frère.  Il  avait  re- 
mar<|ué  souvent  que  tout  ce  qui  est  beau 
peid  son  charme  par  le  long  usage,  que  l'œil 
se  faiiguc  du  plus  merveilleux  p.iysage,  l'o- 


573 


EIE 


KTR 


r.ii 


ri'ill''  de  lii  plus  douce  voix,  el  il  s'était  de- 
inaiiilé  cominoiU  nous  pourrions  trouver  , 
inènic  dans  les  deux  ,  un  aliment  de  joie 
élernelle!  Quedevii  ndraillamoliililé  de  noire 
ilnie,  au  milieu  de  nia;,'nific('n('es  sans  terme? 
L'éternité  !..  quel  mot  pour  une  créature, 
qui  ne  connaît  d'autre  loi  que  celle  de  la  di- 
versité cl  du  chauffcmenl!  O  mon  Dieu  1  plus 
de  passé  ni  d'avenir,  plus  de  souvenirs  ni 
d'espérances  1  L'éleriiilé  1  l'élcrnilc  1...  O  mot 
qui  fais  pleurer  sur  la  terie  ,  ([ue  pcux-lu 
donc  signifier  dans  le  ciel? 

Ainsi  pensait  frère  AUus,  et  ses  incertitu- 
des étaient  grandes.  Un  matin,  il  sortit  du 
monastère  avant  le  lever  des  frères  ei  des- 
cendit dans  la  vallée.  La  campagne  .  encore 
toute  moite  de  rosée,  s'épanouissait  aux  pre- 
miers rayons  de  l'aube.  Aifus  suivait  lenle- 
meut  les  sentiers  oml)re;ix  de  la  collitie  ;  les 
oiseaux,  qui  venaient  de  s'éveiller,  couraient 
dans  les  aubépines,  secouant  sur  sa  tête 
chauve  une  pluie  de  rosée  ;  et  queli]ues  pa- 
pillons encore  à  deuii  endormis  voltigeaient 
nonclialanmienl  au  soleil  pour  sécher  leurs 
ailes.  Alfus  s'arrêta  à  regarder  la  campagne 
qui  s'étendait  sous  ses  yeux  ;  il  se  rappela 
combien  elle  lui  avait  semblé  belle  la  pre- 
mière fois  qu'il  l'avait  vue,  et  avec  quelle 
ivresse  il  avait  pensé  à  y  linirses  jours.  C'est 
que  pour  lui,  pauvre  enfant  des  villes  ,  aCf 
coutume  aux  ruelles  sombres  <  t  aux  tristes 
murailles  des  citadelles,  ces  lleurs,  ces  ar- 
bres, cet  air,  étaient  nouveautés  enivrantes 
Aussi  la  douce  année  qu'avait  été  l'année  do 
son  noviciat!  Que  de  longues  courses  dans 
les  vallées  1  (Jue  de  découvertes  charmantesl 
Oiseaux  chantant  parmi  les  glaïeuls,  clai- 
rières habitées  par  le  rossignol  ,  églantines 
roses,  fraisiers  des  bois,  ohl  (|uel  bonheur  de 
vous  trouver  une  première  fois  1  ((uelle  joie 
de  marcher  par  des  sentiers  inconnus  (juc 
voilent  les  ramées,  de  rencontrer  à  chaque 
pas  une  source  où  l'on  n'a  point  encore  bu, 
une  mousse  que  l'on  n'a  point  encore  foulée. 

Mais,  hélas!  ces  plaisirs  eux-mêmes  du- 
rent peu;  bientôt  vous  avez  parcouru  toutes 
les  routes  de  la  forêt,  vous  avez  enieiidu  tous 
ses  oiseaux,  vous  avez  cueilli  de  toutes  ses 
fleurs,  el  alors,  adieu  aux  beautés  de  la  cam- 
pagne, à  ses  harmonies  :  riiabitude  qui  des- 
cend comme  un  voile  cuire  vous  el  la  créa- 
tion vous  rend  aveugle  et  souid. 

Hélas!  frère  Alfus  eu  él.iit  là;  semblable  à 
tes  hommes  qui,  après  avoir  abusé  des  li- 
queurs les  plus  enivrantes,  n'en  sentent  plus 
la  puissance,  il  regardait  avec  indifférence  le 
spectacle  naguère  si  ravissant  à  ses  yeux. 
Quelles  beautés  célestes  pourraient  donc  oc- 
cuper éternellement  celte  âme,  que  les  œu- 
vres de  Dieu  sur  la  terre  n'avaient  pu  char- 
mer (|u'un  instant? 

Tout  en  se  proposant  à  lui-même  celte 
question,  Aifus  s'était  enfoncé  dans  la  vallée. 
La  léte  penchée  sur  sa  poitrine  et  les  bras 
pendants  ,  il  allait  toujours  sans  rien  voir, 
franchissant  les  ruisseaux,  les  bois,  les  col- 
lines. iJé  à  le  clocher  du  monastère  avait  di<- 
j)aru  ;  Olmutz  s'était  enfoncé  dans  les  brumes 
avec  ses  cgi  ses  et  ses  fortifications;  les  mun- 


lagnes  elles-môincs  ne  se  montraient  plus  » 
riiorizan  que  comme  des  nuages;  tout  à  coup 
le  moine  s'arrêta;  il  était  à  l'entrée  d'une 
grande  forêt  qui  se  déroulait  <à  perte  de  vue, 
comme  un  océan  de  verdure;  mille  rumeurs 
charmantes  bourdonnaient  à  l'eutour,  et  une 
brise  odorante  soupirait  dans  les  feuilles. 
Après  avoir  plongé  son  reg  ird  élonné  dans 
la  molle  obscurité  des  bois,  Alfus  y  entra  en 
hésitant,  et  comme  s'il  eût  craint  de  faire 
quelque  chose  de  défendu.  Mais  à  mesure 
qu'il  marchait,  la  forêt  devenait  plus  grande; 
il  trouvait  des  arbres  chargés  de  fleurs,  qui 
exhalaient  un  parfum  inconnu.  Ce  parfum 
n'avait  rien  d'enivrant  comme  ceux  de  la  ter- 
re ;  on  eût  dit  une  sorle  d'émanation  morale 
qui  embaumait  l'âme  :  c'était  quelque  chose 
de  fortifiant  et  de  délicieux  à  la  fois,  comme 
la  vue  dune  bonne  action,  ou  comme  l'ap- 
proche d'un  homme  dévoué  que  l'on  aime. 

Bientôt  Alfus  entenilit  une  harmonie  qui 
remplissait  la  forêt  ;  il  avança  encore  ,  cl  il 
aperçut  (le  loin  une  clairière  tout  éblouis- 
sante d'une  lumière  merveilleuse.  Ce  qui  le 
frajjpa  surtout  d'étonnement, c'est  (jue  le  par- 
fum, la  mélodie  et  la  lumière  ne  semblaient 
former  qu'une  même  chose  :  lout  se  com- 
muniquait à  lui  par  une  seule  perception  , 
commes'ileût  cessé  d'avoirdes  sensdisliucls, 
et  comme  s'il  ne  lui  lut  resté  qu'une  âme. 

Cependant  il  était  arrivé  prôsde  la  clairière 
et  s'était  as-is  pour  mieux  jouir  de  ces  u)er- 
veilles,  quand  tout  à  coup  une  voix  se  fait 
entendre;  mais  une  voix  telle  que,  ni  le  bruit 
des  rames  sur  le  lac,  ni  la  brise  riant  dans 
les  saules,  ni  le  souffle  d'un  enfant  qui  dort, 
n'auraient  pu  donner  une  idée  de  sa  douceur. 
Ce  que  l'eau,  la  terre  et  le  ciel  ont  de  mur- 
mures eiicliantcurs,  ceque  les  langues  elles 
musi(|ues  humaines  ont  de  séductions  sem- 
blait s'être  fondu  dans  cette  voix.  Ce  n'était 
point  un  chant,  et  cependant  on  eût  dit  d  s 
lluls  de  mélodie;  ce  n'était  point  un  langage, 
el  cependant  la  voix  parlait  1  Science  ,  poé- 
sie, sagesse,  tout  était  en  elle.  Pareille  à  un 
souffle  céleste,  elle  enlevait  l'âme  el  la  faisait 
onduler  dans  je  ne  sais  quelle  région  ignorée. 
En  l'écoutant,  on  savait  tout,  on  sentait  tout; 
el  comme  le  monde  de  la  pensée  qu'elle  em- 
brassait en  entier  est  infini  dans  ses  secrets, 
la  voix  toujours  unique  était  pourtant  tou- 
jours variée;  l'on  eûl  pu  l'entendre  pendant 
des  siècles  sans  la  trouver  moins  nouvelle. 
Plus  Alfus  l'écoutait,  plus  il  sentait  grandir 
sa  joie  intérieure.  Il  semblait  qu'il  y  décou- 
vrait à  chaque  instant  quelques  mystères 
inelTables  ;  c'était  comme  un  horizon  des  Al- 
pes à  l'heure  où  les  brouillards  se  lèvent  et 
•dévoilent  tour  à  tour  les  lacs,  les  vais  cl  les 
glaciers. 

Mais  enfin  la  lumière  (jui  illuminait  la  foret 
s'obscurcit ,  un  long  murmure  retentit  sous 
les  arbres  el  la  voix  se  tut.  Alfus  demeura 
quelque  temps  immobile,  comme  s'il  fût  sorti 
d'un  sommeil  enchanté.  11  regarda  d'abord 
autour  de  lui  avec  stupeur,  puis  voulul  se  le- 
ver pour  reprendre  sa  route;  mais  ses  pieds 
élaienlengourdis,  scsmembres  avaient  perdu 
leur  agilité.  Il  parcourut  avec  peine  !e  seii- 


f75 


nifTIONNAIIΠ DKS 
cl  so  trouva 


SCIENCGS  OCCULTES. 


57(> 


lier  par  lequel  il  était  venu 
biotilôl  hors  (in  bois. 

Alors  il  chiTclia  le  chemin  du  monastère  ; 
Ayant  cru  le  rcconnnîlrc,  il  hâta  le  pas,  car 
1,'î  nuit  allnit  venir  ;  mais  sa  surprise  aug- 
mrnlail  à  mesure  qu'il  avançait  davantage  : 
on  eût  (lit  (|ue  tout  avait  clé  changé  dans  la 
camp.'ignc  depuis  sa  sortie  du  couvent.  Là 
où  il  avait  vu  les  arbres  naissants,  s'élevaient 
inainlenant  des  chênes  séculaires.  Il  chercha 
sur  la  rivière  un  petit  pont  de  bois  tapissé  de 
ronces,  qu'il  avait  coutume  de  traverser  :  il 
nexislait  plus,  et  à  sa  place  s'élançait  une 
solide  arche  de  pierre.  En  passant  piès  d'un 
élang,  des  femmes,  qui  faisaient  sécher  leurs 
toiles  sur  les  sureaux  fleuris,  s'inlerroinpi- 
retit  pour  le  voir  et  se  dirent  entre  elles  :  — 
A'^oici  un  vieillard  qui  porte  la  robe  des  moi- 
nes d'Olmulz  ;  nous  connaissons  tous  les  frè- 
re», et  cependant  nous  n'avons  jamais  vu 
celui-là. 

—  Ces  femmes  sont  folles,  se  dit  Alfus,  et 
il  passa  outre. 

Cependant  il  commenç.iit  à  s'inquiéter, 
lorsque  le  clocher  du  couvenlse  montra  ilans 
les  feuilles.  Il  pressa  le  pas  ,  gravit  le  pet  t 
sentier,  tourna  la  prairie  et  s'élança  vers  le 
seuil.  Mais,  ô  surprisel  la  porte  n'était  plus 
à  sa  place  accoutumée  1  Alfus  leva  les  yeux 
et  demeura  immobile  de  stupeur.  Le  monas- 
tère d'Olmulz  avait  changé  d'aspect;  l'en- 
ceinte était  plus  grande  ,  les  édifices  plus 
nombreux;  un  platane  qu'il  avait  planté  lui- 
itiéme  près  de  la  chapelle  quelques  jours  au- 
paravant, couvrait  maintenant  l'usile  saint 
de  son  large  feuillage. 

Le  moine  ,  hors  de  lui ,  se  dirigea  vers  la 
nouvelle  entrée  et  sonna  doucemenl.  Ce 
n'était  plus  la  même  cloche  argentine  dont  il 
connaissait  le  sou.  Un  jeune  frère  gardien 
»int  ouvrir. 

—  Que  s'est-il  donc  passé?  demanda  Alfus. 
Antoine  n'esl-il  plus  le  portier  du  couvent? 

—  Je  ne  connais  point  Antoine  ,  répondit 
le  frère. 

Alfus  porta  les  mains  à  son  front  avec 
épouvante.  —  Suis-je  devenu  fou  ?  dit-il  ; 
n'est-ce  point  ici  le  monastère  d'Olmulz, 
d'où  je  suis  parti  ce  matin? 

Le  jeune  moine  le  regarda.  —  Voilà  cinq 
années  que  je  suis  portier,  répondit-il,  et  je 
ne  vous  connais  pas. 

Alfus  promena  autour  de  lui  des  yeux 
égarés  ;  plusieurs  moines  parcouraient  les 
clolires  ;  il  les  appela,  mais  nul  ne  répondit 
aux  noms  qu'il  prononçait  ;  il  courut  à  eux 
pour  regarder  leurs  visages,  il  n'eu  con- 
naissait aucun. 

—  Y  a-l-il  ici  quelque  grand  miracle  de 
l>ieu  ?  s'éoria-t-il  ;  au  nom  du  ciel ,  mes 
frères,  regardez-moi.  Aucun  do  vous  ne  m'a- 
l-il  déjà  vu  ?  N'y  a-t-il  personne  qui  con- 
naisse le  frèro  Alfus  ? 

Tous  le  regardèrent  avec  étonnement 

—  Alfus  1  dit  enfin  le  plus  vieux,  oui ,  il  y 
eut  autrefois  à  Olmulz  un  moine  de  ce  nom, 
je  l'ai  entendu  dire  à  mes  anciens.  C'était  un 
homme  savant  et  rêveur  qui  aimait  la  so- 
litude- Un  jour  il  descendit  dans  la  vallée  ; 


on  le  vit  se  perdre  au  loin  derrière  les  bois, 
puis  on  l'attendil  vainement,  on  ne  sut  ja- 
mais ce  que  frère  Alfus  était  devenu.  De- 
puis ce  temps  ,  il  s'est  écoulé  un  siècle 
entier. 

A  ces  mots,  Alfus  jeta  nn  ijrand  cri  ,  car  il 
avait  tout  compris.  Il  se  laissa  tomber  à  ge- 
noux sur  la  terre,  et  joignant  les  mains  avec 
ferveur  :  —  0  mon  Dieu  ,  dit-il ,  vous  avez 
voulu  me  prouver  combien  j'élais  insensé 
en  comparant  les  joies  de  la  terre  à  celles  du 
ciel.  Un  siècle  s'(^st  écoulé  pour  moi  comme 
un  seul  jour  à  entendre  votre  voix  ;  je  com- 
prends maintenant  le  paradis  et  ses  joies 
éternelles  ;  soyez  béni ,  6  mon  Dieu  1  et  par- 
donnez à  voire  indigne  serviteur. 

Après  avoir  parlé  ainsi,  frère  Alfus  étendit 
les  bras,  embrassa  la  terre  et  mourut. 

L'histoire  du  moine  Alfus  fait  partie  d'un 
des  ouvrages  de  Schubert,  l'un  des  écrivains 
les  plus  populaires  de  l'Allemagne.  Elle  est 
dans  le  livre  De  l'ancien  et  du  nouveau  ;  son 
titre  est  l'Oiseau  du  Paradis.  Nous  avons 
donné  ici  la  belle  traduction  de  M.  Emile 
So  ives're. 

ETERNUMENT.  —  On  vous  salue  quand 
vous  éternuez,  pour  vous  marquer,  dit  Aris- 
tote,  qu'on  honore  votre  cerveau,  le  siège  du 
bon  sens  et  de  l'esprit.  Celte  politesse  s'étend 
jusque  chez  les  peuples  que  nous  traitons 
de  barbares.  Quand  l'empereur  du  Monomo- 
tapa  étcrnuait ,  ses  sujets  en  étaient  avertis 
par  un  signal  convenu,  et  il  se  faisait  des 
acclamations  générales  dans  tous  ses  états. 

Le  père  Famien  Strada  prétend  que,  pour 
trouver  l'origine  de  ces  salutations,  il  faut 
remonter  jusqu'à  Prométhée  ;  que  cet  illustre 
contrefacteur  de  Jupiter,  ayant  dérobé  un 
rayon  solaire  dans  une  petite  boîte  pour  ani- 
mer sa  statue,  le  lui  insinua  dans  les  narines 
comme  une  prise  de  tabac,  ce  qui  la  fit  éler- 
nuer  aussi;àt. 

Les  rabbins  soutiennent  que  c'est  à  Adam 
qu'il  faut  faire  honneur  du  premier  élcrnu  - 
ment.  Dans  l'origine  dcj  ti-mps,  c'était,  dit- 
on ,  un  mauvais  pronostic  et  le  présage  de 
la  mort.  Cet  état  continua  jusqu'à  Jacob  , 
qui,  ne  voulant  pas  mourir  pour  cause  aussi 
légère,  pria  Dieu  de  clianger  cel  onlre  do 
choses  ;  et  c'est  de  là  qu'est  venu,  selon  ces 
docteurs  ,  l'usage  de  faire  des  souhaits  heu- 
reux quand  on  élernue. 

On  a  trouvé  une  raison  plus  probable  de 
cette  politesse  ;  c'est  (|ue  ,  sous  le  pontificat 
de  saint  Grégoire  le  Grand,  il  y  eut  en  Italie 
une  sorte  do  peste  qui  se  nianii^estait  par  des 
éternuments;  tous  les  pestiférés  éternuaient; 
on  se  recommanda  à  Dieu,  cl  c'est  de  là 
qu'est  venue  ropini:)n  popu'jiire  que  la  cou- 
tume de  se  saluer  tire  son  origine  d'une  ma- 
ladie épidéraique  qui  emportait  ceux  dont  la 
membrane  pituitaire  était  slimulée  trop  vi- 
vement. 

En  général,  l'éternument  chez  les  anciens 
était  pris  tantôt  en  bonne,  tantôt  en  mau- 
vaise part ,  suivant  les  teuips  ,  les  lieux  et 
les  circonstances.  Un  bon  éternument  était 
c<-lui  qui  arrivait  depuis  inrdi  jus(|u'à  n)inuit, 
cl  quand  la  lune  clait-dans  les  signes   du 


m 


ETR 


EVO 


578 


taureau  ,  du  lion  ,  de  la  balance,  du  capri- 
corne et  des  poissons  ;  mais  s'il  venait  de 
minuit  à  midi,  si  la  lune  était  dnns  le  signe 
de  la  vierge,  du  verseau,  de  l'écrevisse  ,  du 
scorpion,  si  vous  sortiez  du  lit  ou  de  la  table, 
c'était  alors  le  cas  de  se  recommander  à 
Dieu  (1). 

L'élernument ,  quand  on  l'entendait  à  sa 
droite  ,  était  regardé  chez  les  Grecs  ot  les 
Uoaiaiiis,  comme  un  heureux  présage.  Les 
Grecs,  en  parlant  d'une  belle  personne  ,  di- 
saient que  les  amours  avaient  élernué  à  sa 
iiaissmce. 

Lors(iue  le  roi  de  Sennaar  élernuait  ,  ses 
coiiriisans  lui  lournaieiit  le  dos,  en  se  don- 
nant de  la  main  une  claque  sur  lu  fesse 
droite. 

ETHNOPHRONES,  hérétiques  du  septième 
siècle,  qui  joignaient  au  christianisme  les 
superstitions  païennes,  l'astrologie,  les  au- 
gures, les  expiations  ,  les  jours  heureux  et 
malheureux,  les  divinations  diverses. 

KTIENNE.  Un  homme,  qui  s'appelait  Etien- 
ne ,  avait  la  mauvaise  habitude  de  parler  à 
ses  gens  comme  s'il  eût  parlé  au  diable  ; 
ayant  toujours  le  diable  à  la  bouche.  Un 
jour,  qu'il  revenait  de  voyage,  il  appela  son 
valet  en  ces  termes  :  —  Viens  çà,  bon  diable, 
lire-moi  mes  chausses. 

A  peine  eut-il  prononcé  ces  paroles  , 
qu'une  griffe  invisiiile  délia  ses  caleçons, 
fil  tomber  ses  jarretières  et  descendit  ses 
chausses  jusqu'aux  talons.  Etienne,  effrayé, 
s'écria:  —  Retire-toi,  Salan,  ce  n'est  pas 
toi,  mais  bien  mon  domestique  que  j'appeilr. 
Lediahle  se  relira  sans  se  montrer,  et  maî- 
tre Etienne  n'invoqua  plus  ce  nom  (2). 

Pour  un  autre  Etienne,  voy.  Guioo. 

ETNA.  Le  christianisme  chassa  de  l'Etna 
et  des  îles  de  Lipari  Vulcain  ,  les  Cyclopes 
et  les  Géants.  Mais  les  démons  se  mirent  à 
leur  place  ;  et  quand  on  institua  la  fêle  des 
morts ,  afin  d'enlever  au  purgatoire  et  de 
rendre  au  paradis  une  foule  d'âmes  souf- 
frantes ,  on  entendit ,  comme  le  raconte  nn 
saint  ermite,  des  bruits  affreux  dans  l'Etna 
et  (les  dctimatitins  étourdissantes  dans  les 
îles  voisines.  C'était  Salan  et  toute  sa  cour  , 
Silan  et  tout  son  peuple  de  démons  qui 
hurlaient  de  désespoir  et  redemandaient 
à  grands  cris  les  âmes  que  la  nouvelle  fui 
venait  de  leur  ravir  (3j. 

ETOILES.  Mahomi'l  dit  que  les  étoiles  sta- 
bles et  les  étoiles  qui  filent  sont  les  senti- 
nelles du  ciel  ;  elles  empêchent  les  diables 
d'en  approcher  et  de  connaître  les  socreU  de 
Dieu. 

Les  llomains  voyaient  des  divinités  dans 
les  étoiles. 

Les  Etéens  observaient,  un  certain  jour  de 
l'année,  le  lever  de  l'étoile  Sirius  :  si  elle 
paraissait  obscure,  ils  croyaient  qu'elle  an- 
nonçait la  peste. 

ETKAPHILL,  l'un  des  anges  des  musul- 
mans. Il  se  tient   toujours  debout  :  c'est   lui 

II)  M.  Saleues,  Des  erreurs  et  dt-s  prùjusés,  l.  I. 
p.  391. 
(ï)  Gregnrii  M.igni  dialoj.,  lil).  III,  cap.  x\. 


qui  einbouchera  la  trompette  pour  annoncer 
le  jour  du  jugement. 

ETRENNES.  Dans  les  temps  reculés,  chez 
nos  pères  ,  loin  de  se  rien  donner  mutuelle- 
ment dans  les  familles  le  premier  jour  de 
l'an,  on  n'osait  même  rien  prêter  à  son  voi- 
sin. Mais  chacun  mettait  à  sa  porte  des  tables 
chargées  de  viandes  pour  les  passants.  On  y 
plaçait  aussi  des  présents  superstitieux  pour 
les  esprits.  Peut-être  était-ce  un  reste  de  ce 
culte  que  les  Romains  rendaient,  le  premier 
jour  de  l'année,  aux  divinités  qui  préï^idaient 
aux  petits  cadeaux  d'amis.  Quoi  qu'il  en  soit, 
l'Eglise  fut  obligée,  sous  Cbarlemagne,  d'in- 
lerdlie  les  présents  superstitieux  que  nos 
ai.cètres  déposaient  sur  leurs  tables.  Les  ca- 
nons donnent  à  ces  présents  le  nom  d'é~ 
trennes  (lu  diable. 

ETTEILLA,  On  a  publié  sous  ce  nom  dé- 
guisé, qui  est  l'anagramme  (l'Alliette  ,  plu- 
sieurs traités  de  carlomancie. 

EUBIUS,  auteur  d'un  livre  intitulé  :  Appn- 
rilions  d'Apollonius ,  ou  Démonstralion  des 
apparitions  d'aujourd'hui.  In-4.°,  Amsterdam, 
1735.  (En  latin.) 

EUCHARISTIE.  «L'épreuve  par  l'Eucha- 
ristie se  faisait  en  recevant  la  communion. 
Ainsi  Loihaire  ,  roi  de  Lorraine  ,  jura  , 
en  recevant  la  communion  de  la  main  du 
pape  Adrien  II,  qu'il  avait  renvoyé  Valdrade, 
sa  concubine;  ce  qui  était  faux.  Gomme  Lo- 
ihaire mourut  un  mois  après,  en  868,  sa 
mort  fut  attribuée  à  ce  parjure  sacrilège. 
Celle  épreuve  fut  supprimée  par  le  pape 
Alexandre  II  (4).  » 

EUMÈCES,  caillou  fabuleux,  ainsi  nom- 
mé de  sa  forme  oblongue,  et  que  l'on  disait  se 
trouver  dans  la  Biiclriaiie;  on  lui  attribuait 
la  vertu  d'apprendre  à  une  personne  endor- 
mie ce  qui  s'était  passé  pendanlson sommeil, 
si  elleavait  dormi  avec  cettepierre  posée  sur 
sa  tète. 

EURYNOME,  démon  supérieur,  prince  de 
la  mort,  selon  quelques  démonomanes.  Il  a 
de  grandes  el  longues  dents,  un  corps  ef- 
froyable, tout  reni|ili  de  plaies,  et  pour  vêle- 
ment une  pe.iu  de  renard.  Les  païens  le 
connaissaient.  Pausaniasdil  qu'il  se  repaît  de 
charognes  el  de  corps  morls.  Il  avait,  d  lus 
le  temple  de  Delphes,  une  statue  qui  le  re- 
présentait avec  un  teint  noir,  montrant  ses 
grandes  dents  comme  un  loup  affamé  cl 
assis  sur  une  peau  de  vautour. 

EVANGILE  DE  SAINT  JEAN.  On  croit 
dans  les  campagnes  que  celui  qui  porte  sur 
soi  l'évangile  de  saint  Jean,  Inprincipio  eral 
verbuin,  écrit  sur  du  parchemin  vierge,  ot 
renfermé  dans  un  tuyau  Je  pi  unie  d'oie,  le  pre- 
mier dimanche  de  l'année,  une  heure  avant 
le  lever  du  soleil ,  sera  invulnérable  et  se 
garantira  de  quantité  de  maux    (5).  Voj. 

(iLÉiDOMANCIE. 

EVE.  Les  Musulmans  cl  les  Talmudistes  lui 
donnent,  comme  à  notre  premier  père,  une 
taille  d'une  lieue.  Voy.  Adam,  Sàhael.  etc. 

ÉVOCATIONS.  Celui  qui  veut  évoquer  le 

(ô)  M.  Didron,  Histoire  du  dialile. 
\i)  Borgier.  Dieiioiiiiairft  tliéoIogii|ue. 
(a)  'lliiers,  Traité  des  suiierslilioiis,  l.  I. 


879 

dinblo  lui  dnil  le  sacrifice  (riiii  chien,  d'un 
cli.il  oud'iinc  [)oiili',à(ondilio[i  que  ces  trois 
aniniiiiix  soioiil  sa  |)r(>])riclé.  Il  jure  ensuite 
fi.léliléil  ohcissancc  éli'rnelles,  et  reçoit  une 
in<-iri|iic,  au  movcn  dti  laquelle  il  jouit  d'une 
|iui>saiu'e  absolue  sur  trois  esprits  infer- 
naux, l'un  (11'  la  (erre,  l'autre  de  la  mer,  le 
Iroisièinc  de  l'air  (I). 

On  se  flailedc  faire  venir  le  diable  en  lisant 
certaines  for.'nules  du  grimoire.  Voy .  Con- 
jurations. 

Deux  chevaliers  de  Malle  avaient  un  es- 
clave qui  s(^  vanlait  de  posséder  le  serrci  d'é- 
voquer les  dénions  et  de  les  obliger  à  décou- 
\rir  les  choses  cachées.  On  le  conduisit  dans 
un  vieux  château,  où  l'on  soupçonnait  des 
trésors  enfouis.  L'esclave  descendit  dans  un 
souterrain,  3t  ses  évocations:  un  rocher 
.s'ouvrit,  el  il  en  sortit  un  coffre.  Il  tenta  plu- 
sieurs fois  de  s'en  emparer  ;  mais  il  n'en  put 
venir  .1  bout,  parce  que  le  cofl're  rentrait  dans 
le  rocher  dès  qu'il  s'en  approchait.  Il  vint 
dire  aux  chevaliers  ce  qui  lui  arrivait,  et  de- 
manda un  peu  de  vin  pour  reprendre  des 
foi  ces.  On  lui  en  ilonna.  Quelque  lemiis  après, 
coninie  ilne  revenait  point ,  on  alla  voir  ce 
qu'il  faisait;  on  le  trouva  étendu  mort, 
ayant  sur  toute  sa  chair  des  coups  de  canif 
représentant  une  croix.  Les  chevaliers  por- 
tèrent son  corps  au  bord  de  la  mer,  cl  l'y 
précipi'.èront  avec   une  pierre  au  lou  ('2). 

Pour  l'évocation  des  â;iies,  voy.  Nécroman- 
cie. 

EXARL,  le  dixième  des  premiers  anjres.  II 
apprit  aux  hommes,  selon  le  livre  d'Enoch, 
l'art  de  fabriquer  les  armes  et  les  machines 
«le  guerre,  les  ouvrages  d'or  et  d'argent  (|ui 
])laisent  aux  femmes,  et  l'usage  des  pierres 
précieuses,  ainsi  que  le  fard. 

EXCOMMUNICATION.  Il  y  a  eu  quelque- 
fois des  abus,  de  la  part  des  hommes,  dans 
l'usage  des  excommunications;  et  on  est 
parti  de  là  pour  crier  contre  ces  excommuni- 
cations, qui  ont  rendu  cependant  desi  grands 
Services  à  la  société  dans  des  siècles  barbares. 
Mais  on  ne  trouverait  pas  facilement,  dans 
toute  l'histoire,  un  excommunié  frappe  ré- 
gulièrement parle  Sainl-Siége,  qui  ait  pro- 
spéré jusqu'au  bout.  Napoléon  mémo  peut 
fournir  un  exemple  récent  (3j. 

On  lit  dans  les  Menées  des  Grecs,  au  15  oc- 
tobre, qu'un  religieux  du  désert  de  Scété, 
ayant  été  excommunié  par  son  supérieur 
pour  quelque  tiésobéissance,  sortit  du  dé- 
sert et  vi:il  à  Alexandrie,  où  il  fut  arrêté  par 
le  sniivprnenr  (Jp  la  ville,  dépouillé  du 
saint  babil,  puis  vivemonl  sollicité  de  sacri- 
fier aux  faux  dieux.  Le  solitaire  résista  gé- 
néreusement; il  fut  tourmenté  en  diverses 
manières, jusqu'à  ce  qu'enfin  on  lui  tranchât 
la  télc;  on  jeta  son  corps  hors  de  la  ville. 
Les  chrétiens  l'enlevèrent  la  nuit,  et  l'ayant 
enveloppe  de  linceuls,  renlerrèrentdaiis  l'é- 
glise comme  martyr.  Mais  pendant  le  saint 

(!)  Dansiif  Forllauis. 

i]  D.  Ijlmel  01  Giiydt-Dolainarre, 

(5J  Vove7.,  (J:ins  les  lé^i'iiili^s  ries  commaiidemfints  de 
Diiu,  la  lé^eiiili'  du  chanoine  de  Liège,  el  dans  in  Chroni- 
eue  dt  Gudefiuid  de  Bouiltoti  le  cliap.  livni  uii  se  iruuvu 


nl(;TION^AlI!^:  di;s  fcii  n  f.s  ocr.uLTKS. 


S80 


sacrifice  de  la  messe.  le  diacre  ayant  crié  (oui 
haut  à  l'ordinaire  :  Que  les  caléthuinéiies 
et  ceux  qui  ne  communient  [las  se  retireni, 
on  vit  lout  à  coup  le  tombeau  s'ouvrir  de 
lui  même,  el  le  corps  du  martyr  se  retirer 
dans  le  vestibule  de  l'ésïlise.  Après  la  messe 
il  rentra  de  lui-même  dans  son  sépulcre.  Un 
pieux  vieillard  ayant  prié  pendant  trois 
jours,  apprit  par  révélation  que  ce  religieux 
avait  encouru  l'excommunicaliDii  pour  avoir 
désobéi  à  son  supérieur,  el  qu'il  demeurerait 
lié  jus(ju'à  ce  que  ce  même  supérieur  lui  eût 
donné  l'absolution.  On  alla  donc  au  désert; 
on  en  amena  le  supérieur,  qui  fit  ouvrir  le 
cercueil  da  martyr  et  lui  donna  l'absolution, 
après  quoi  il  demeura  en  paix  dans  son  tom- 
beau (i). 

C'est  là  un  fait  merveilleux,  que  nous  no 
prétendons  pas  donner  comme  incnteslable. 

Dans  le  second  concile  di;  Limoges,  tenu 
en  1031,  l'évêque  de  Caliors  raconta  une 
aventure  qui  lui  était  particulière,  et  qu'il 
présenia  comme  toute  récente  : 

«  Un  chevalier  de  notre  diocèse,  dit  ce 
prélat,  ayant  été  tué  dans  l'excommunica- 
tion, je  ne  voulus  pas  céder  aux  prières  de 
ses  amis,  qui  me  suppliaient  vivement  de  lui 
donner  l'absolution  :  je  voulais  en  faire  un 
exemple,  afin  ciue  les  autres  fussent  touchés 
de  crainte;  il  fut  enterré  par  quelques  gen- 
tilshommes, sans  cérémonies  ecclésiastiques 
et  sans  l'assistance  des  prêtres,  dans  une 
église  dédiée  à  saint  Pierre. 

n  Le  lendemain  malin,  on  trouva  son  corps 
hors  de  terre  el  jeté  nu  loin  de  son  tombeau, 
qui  était  demeuré  entier,  et  sans  aucune 
marque  qui  prouvât  qu'on  y  eût  touché.  Les 
gentilshommes  qui  l'avaient  enlerré  n'y  trou- 
vèrent que  les  linges  où  il  avait  été  enve- 
loppé; ils  l'enterrèrent  une  seconde  fois,  et 
couvrirent  la  fosse  d'une  énorme  quantité  de 
terre  et  de  pierres. 

«  Le  lendemain,  ils  trouvèrent  de  nouveau 
le  corps  hors  du  tombeau,  sans  qu'il  parût 
qu'on  y  eût  travaillé  La  même  chose  arriva 
jusqu'à  cinq  fois.  Enfin  ils  enterrèrent  l'ex- 
communié comme  ils  purent,  loin  du  cime- 
tière, dans  une  terre  profane;  ce  qui  rem- 
plit les  seigneurs  voisins  d'une  si  grande 
terreur,  qu'ils  vinrent  tous  demander  la 
paix  (S).  » 

Jean  Bromton  raconte  dans  sa  chronique 
que  saint  Augustin,  apôtre  de  l'Angleterre, 
ayant  dit  devant  tout  le  peuple,  avant  de 
commencer  la  messe:  «  Que  nul  excommu- 
nié n'assiste  au  saint  sacrifice!  »  un  vil  sor- 
tir aussitôt  de  l'église  un  mort  qui  était  en- 
terré depuis  longues  années.  Après  la  messe, 
saint  Augustin,  précédé  de  la  croix,  alla  de- 
mander  à  ce  mort  pourquoi  il  était  sorti. 
Le  défunt  répondit  qu'il  était  mort  dans 
l'excommunication.  Le  saint  pria  cet  excom- 
munié de  lui  dire  où  était  enterré  le  prêtre 
qui  avait  porté  contre  lui  la  sentence.  On  s'y 

la  fin  de  l'abominable  empereur  Henri  IV.  Lispi  dans  l< 
proleslanl  Voigt  l'iilsluire  du  sainl  pape  liiéj(uire  V[|. 

(ij  1).  (lalmel,  Dissertaliun  sur  lesrevviiaiiis,  p.  ôiU 

(o)  0)iicil.,  t.  IX,  p  'Mi. 


5?» 


EXO 


EXT 


5H2 


trnnsporln.  Aiigtislin  conjura  le  prôtrn  de  se 
leviT  :  il  le  fit;  à  la  dcinaiide  du  saint  évêqup, 
il  donna  l'absolution  à  l'exeommuiiié,  et  les 
deux  morts  retournèrent  dans  leurs  tom- 
beaux. 

Les  critiques  vont  ici  se  récrier  et  nous 
adresser  quelque  froide  plaisanterie  ;  nous 
les  avertissons  que  nous  ne  rapportons  cette 
légende  que  comme  une  tradition  popiilaire; 
qu'il  peut  nous  convenir  d'y  ajouter  loi,  mais 
<iue  pourtant  nous  ne  la  garantissons  pas. 

Ia'S  Grecs  schismatiques  croient  que  les 
corps  excommuniés  ne  pourrissent  pas  en 
t(  rre,  mais  qu'ils  s'y  conservent  noirs  et 
puants. 

Bii  Angleterre,  le  tribunal  drs  doctors 
cominons  excommunie  encore;  et,  (>n  1837,  il 
a  frappé  de  cette  peine  un  marchand  de  pain 
d  epices,  nommé  Studberry,  pour  avoir  dit 
une  parole  injurieuse  à  un  autre  paroissien, 
dans  une  sacristie  anglicane.  Voy.  Inteudit. 

EXCREMENTS.  Ou  sait  que  le  dalaï  lama, 
chef  de  la  religion  des  'farlares  indépen- 
dants, est  regardé  comme  un  dieu.  Si'S  ex- 
créments sont  conservés  comme  des  choses 
sacrées.  Après  qu'on  les  a  fait  sécher  et  ré- 
duits en  pouilre,  on  les  renferme  dans  des 
boîtos  d'or  enrichies  de  pierreries,  ei  on  les 
envoie  aux  plus  grands  princes.  Son  urine 
est  un  élixir  propre  à  guérir  toute  espèce  de 
maladie. 

Dans  le  royaume  de  Boutan,  on  fait  sécher 
également  les  plus  grossières  déjections  du 
roi,  et  après  les  avoir  renfermées  dans  de 
petites  boîtes,  on  les  vend  dans  les  marchés 
pour  saupoudrer  les  viandes.  Voy.  Déjec- 
tions, Fientes,  Tanchelm,  etc. 

EXOIIGISME,  conjuration,  prière  à  Dieu 
et  commandement  l'ait  au  démon  de  sortir  du 
corps  des  personnes  possédées.  Souvent  il 
est  seulement  destiné  à  les  préserver  du  dan- 
ger. 

On  regarde  quelquefois  exorcisme  et  con- 
iuralion  comme  synonymes;  cependant  la 
conjuration  n'est  que  la  formule  par  Liquelle 
on  commande  au  démon  des'éloiguer;  l'exor- 
cisme est  la  cérémonie  entière  (1). 

Les  gens  qui  s'occupent  de  magie  ont  aussi 
leurs  exorcismes  pour  évoquer  el  renvoyer. 
Voy.  Conjurations. 

Voici  une  légende  bizarre  sur  un  exor- 
cisme :  on  lit  dans  Césaire  d'Hesterbach  (2), 
que  Guillaume,  abbé  de  Sainte-Agathe,  au 
diocèse  de  Liège,  étant  allé  à  Cologne  avec 
deux  de  ses  moines,  fut  obligé  de  tenir  tête 
à  une  possédée.  Il  lit  à  l'esprit  malin  des 
questions  auxquelles  celui-ci  répondit  comme 
il  lui  plut.  Le  diable  faisant  autant  de  men- 
songes que  de  réponses,  l'ablié  s'en  aperçut 
et  le  conjura  de  dire  la  vérité;  il  obéit.  H 
apprit  au  bon  abbé  comment  so  portaient 
plusieurs  défunts  dont  il  voulait  savoir  des 
nouvelles. Undes  frères  qui  l'accompagnaient 
voulut  lier  conversation  avec  le  diable.  — 
Tais-toi,  lui  dit  l'esprit  malin,  tu  as  volé  hier 
douze  sous  à  ton  abbé;  ces  douze  sous  sont 
maintenant  dans  ta  ceinture — L'abbé  ayant 

(I)  Borgior,  Diclioim.  ila  (iiêologio. 

(i)  O'sjiii    Ucislerljacli    Mùacul.,    liv.   V,  cli   x\ix  et 


enlenilu  ces  choses,  voulut  bien  en  donner 
l'absolution  à  sou  moine;  après  quoi  il  or- 
donna au  diable  de  quiiter  la  possé<lée. 

—  Où  voulez-vQus  que  j'aille?  demanda  le 
déino!!. 

— Je  vais  ouvrir  ma  bouche,  répondit  l'abbé, 
tu  entreras  dedans,  si  tu  peux. 

—  Il  y  fait  trop  ch.iud,  répliqua  le  diable  ; 
vous  avez  communié. 

—  Eli  bien!  mets-toi  ici;  et  l'abbé  qui  était 
gai  tendait  son  pouce. 

—  Merci,  vos  doigts  sont  sanctifiés. 

—  Eu  ce  cas,  va  où  tu  voudras,  mais  pars. 

—  Pas  si  vite,  répli(]ua  le  diable;  j'ai  per- 
mission de  rester  ici  deux  ans  encore 

L'abbé  dit  alors  au  diable  :  —  Montre-loi 
à  nos  veux  dans  ta  forme  naturelle. 

—  Vous  le  voulez? 

—  Oui. 

—  Voyez. 

En  môme  temps  la  possédée  commença  de 
grandir  el  de  grossir  d'une  manière  effroya- 
ble. En  ''eux  minutis,  elle  était  déjà  haute 
comnie  une  tour  de  trois  cents  pieds;  ses 
yeux  devinrent  ardents  coinnie  des  four- 
naises et  ses  traits  épouvantables.  Les  deux 
moines  tombèreiil  évanouis;  l'abbé,  qui  seul 
avait  conservé  du  courage,  adjura  le  diable 
de  rendre  à  la  possédée  la  laMIe  et  la  forme 
qu'elle  avait  d'abord. — Il  obéit  encore  et  dit 
à  Guillaume  :  — Vous  faites  bien  d'être  pur  ; 
car  nul  homme  ne  peut,  sans  mourir,  me 
voir  Ici  que  je  suis,  s'il  est  souillé. 

EXIMATION. —  Les  anciens  Arabes  cou- 
paient l'oreille  à  quelque  animal  et  le  lâ- 
iliaient  au  travers  des  champs  en  expiation 
de  leurs  péchés.  —  Un  Juif,  dit  Saint-Foix, 
s'arme  d'un  couteau,  prend  un  coq,  le  tourne 
trois  fois  autour  de  sa  tête,  et  lui  coupe  la 
gorge  en  lui  disant  :  — Je  te  charge  de  mes 
pé(hés;  ils  sont  à  présent  à  toi  :  tu  vas  à  la 
mort,  et  uioi  je  suis  rentré  dans  le  chemin  do 
la  vie  éternelle.... 

EXTASES. —  L'extase  (considérée  comme 
crise  matérielle)  est  un  ravissement  d'eSjiril, 
une  suspension  des  .••ens  causée  par  une  forte 
contemplation  de  quelque  objet  extraordi- 
naire et  surnaturel.  Les  mélancoliques  peu- 
vent avoir  des  extases.  Saint  Augustin  l'ait 
mention  d'un  prêtre  qui  paraissait  mort  à 
volonté,  et  qui  resta  uiort,  très-involontaire- 
ment sans  doute, dans  une  de  ses  expériences. 
S'il  Gt  le  mort,  il  le  fit  bien.  Ce  prêtre  se  nom- 
mait Prétextai  ;  il  ne  sentait  rien  de  ce  qu'on 
lui  faisait  souffrir  pendant  sou  extase. 

Les  démonomanes  appellent  l'extase  un 
transport  en  esprit  seulement,  parce  qu'ils  re- 
connaissent le  transport  en  chair  et  en  os, 
par  l'aide  et  assistance  du  diable.  Une  sor- 
cière se  frotta  de  graise,  puis  tomba  pâmée 
sans  aucun  sentiment:  et  trois  heures  après 
elle  retourna  en  son  corps,  disant  nouvelles 
de  plusieurs  pays  qu'elle  ne  connaissait 
point,  les^quelles  nouvelles  furent  par  la  suite 
avérées  (3). 

Cardan  dit  avoirconnuun  homme  d'église, 
qui  tombait  sans  vie  et  sans    haliine  loules 

Sbollcn,  De  D.:il)oI.,  liv.  VII. 
(3J  LS^xliii,  (jjiis  jj  Dciiioiiomaiiie 


S8S 


nrTfOMV.MrtK  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


5,<!4 


lesfoisqu'il  Icvoulnit.Ccl  état  durait  ordinai- 
rement quelques  iicurcs  ;  on  le  UxirmeiiUiit, 
011  le  fr^ippail,  on  lui  brûlait  les  chairs,  sans 
qu'il  éprouvât  aucune  douleur.  Mais  il  en- 
tendait confuscmi'nt.et  comme  à  une  distance 
très-éloipnée,  le  hruil  qu'on  faisait  aatour  de 
lui.  Cardan  assure  encore  qu'il  tombait  lui- 
iiiénic  en  exiase  à  sa  volonté;  qu'il  enten- 
dait alors  les  voix  sans  y  rien  comprendre, 
et  qu'il  ne  sentait  aucunement  ]<-s  douleurs. 
Le  père  de  Prestantias,  après  avoir  nian(;é 
un  fromage  maléficic.   crut  au'étanl  devenu 


ciieval  il  avait  porté  de  trûspcsantos  charges, 
quoique  son  corps  n'eût  pas  quitté  le  lit;  et 
l'on  regarda  comme  une  extase,  produite  par 
sortilège,  ce  qui  n'était  qu'un  cauihemar 
causé  p.ir  une  indigestion. 

l.e  magnétisme  produit  des  extases. 

UZ^f'HlEL.  —  Les  musulmans  disent  qufl 
les  ussi-ments  desséchés  que  ranima  le  pro- 
phète Ezéchicl  étaient  les  restes  de  la  ville  de 
Davardan.que  la  peste  avait  détruite  et  qu'il 
releva  par  une  simple  prière. 


F 


F.VAL,  nom  qnc  les  habitants  de  Saint- 
Jean-d'Acre  donnent  à  un  recueil  d'observa- 
tions astrologi(|ues,  qu'ils  consultent  dans 
beaucoup  d'occasions. 

FABEU  (Albert-Othon),  médecin  de  Ham- 
bourg au  dix-septième  siècle  ;  il  a  écrit  quel- 
ques rêveries  sur  l'or  potable. 

FASKltr  (Abraham);  de  simple  soldat,  il 
devint  maréchal  de  France,  et  s'illustra  sous 
Louis  XIV.  C'était  alors  si  extraordinaire, 
qu'on  l'accusa  de  devoir  ses  succès  à  un 
commerce  avec  le  diable. 

FABUE  (PiKHRE  Jean),  médecin  de  Mont- 
pellier, qui  fil  faire  des  pas  à  la  chimie  au 
commencement  du  dix-septième  siècle.  Il  y 
mêlait  un  peu  d'alchimie,  il  a  écrit  sur  cette 
inalicre  et  sur  la  médecine  spagyrique.  S  m 
plus  curieux  ouvrage  est  VAlchimute  chré- 
tien (AlchiiiiUta  chiisiianus),iH  8°  ;  Toulouse, 
16.2. 

Il  a  publié  i\uss\  y  If ercules  piochj/micus , 
Toulouse  1C3'*,  in  8°,  livre  où  il  soutient  que 
les  travaux  d'Hercule  ne  sont  que  des  eni- 
lilèmcs  qui  couvrent  les  secrets  de  la  philo- 
sophie Hermétique. 

FABUICIUS  (Jean-Ai.bert1,  bibliographe 
allemand ,  né  à  Lcipsick  en  1668.  Il  y  a  des 
choses  curi(  uses  sur  les  superstitions  et  les 
contes  populaires  de  l'Orient  dans  son  recueil 
des  livres  apocryphes  que  l'Eglise  a  repous- 
sés de  VAncien  et  du  Nouveau  Testament  (1). 

FAIKFAX  (Edouard),  poëte  anglais  du 
seizième  siècle,  au  eur  d'un  livre  intitulé /a 
JJémonologie ,  où  il  parle  de  la  sorcellerie 
avec  assez  de  crédulité. 

FAIUFOI.KS,  espèce  de  farfadets  qui  se 
inonlrenl  en  Ecosse,  et  qui  sont  à  peu  près 
nos  fées. 

FAKONË,  lac  du  Japon,  où  les  habitants 
placent  une  espèce  de  limbes  habités  par 
tous  les  enfants  morts  avant  l'âge  de  sept 
ans'.  Ils  sont  persuadés  que  les  âmes  de  ces 
enfants  souffrent  quelques  supplices  dans  ce 
lieu-là,  et  qu'elles  y  sont  tourmentées  jus- 
qu'à ce  qu'elles  soient  rachetées  par  les 
passants.  Les  bonzes  vendent  des  papiers 
sur  lesquels  sont  écrits  les  noms  de  Dieu. 
Comme  ils  assurent  que  les  enfants  épruu- 

(t)  CixJcx  pseuc!e|ii^r3|ilius  vpicris  Testameiili,  cotlcc- 
luii,  rastii,'iitu« ,  tusliiiioiiiis(|ue  ceiisuris  el  animadversiu- 
•itHui  iiluïiruttui.  lu-B».  UaiiiLiourt;  el  Luip!>i(Ji,  1713.— 


vent  de  l'allégemi-nt  lorsqu'on  jette  ces  pa- 
piers sur  l'eau,  on  en  voit  les  bord»  du  lac 
couverts.  —  H  est  aisé  de  reconnaitie  dans 
ces  usages  des  traditions  altérées  de  l'Eglise. 
FALCONET  (Noël)  ,  médecin  ,  mort  en 
iT.:k.  Nous  ne  citerons  de  ses  ouvrages  que 
ses  Lettres  et  remarques  sur  l'or  prétendu 
potable:  elles  sont  assez  curieuses. 

FANATISME.  L'Eglise  l'a  toujours  con- 
damné, comn>e  elle  condamne  tous  es  excès. 
Les  actes  de  fanatisme  des  conquérants  du 
Nouveau  Monde  étaient  commis  par  des  scé- 
lérats, contre  lesquels  le  clergé  s'élevait  de 
toutes  ses  forces.  On  peut  le  voir  dans  la  vie 
et  dans  les  écrits  de  Barthélemi  de  Las  Casas. 
Les  écrivains  philosophes  ont  souvent  ap- 
pelé fanatisme  ce  qui  ne  l'était  pas.  Ils  se 
sont  trompés  ou  ils  ont  trompé  lorsque,  par 
exemple,  ils  ont  aitribué  le  massacre  politi- 
que de  la  S  lint-Barthélemi  à  la  religion,  (|ui 
y  fut  étrangère;  lorsqu'ils  ont  défendu  les 
fanatiques  des  Covennes,  etc. 

11  y  a  eu  très-souvent  du  fanatisme  outré 
dans  les  hérésies  et  même  dans  la  sorcel- 
lerie. 

Sous  le  règne  de  Louis  XII,  un  écolier  de 
l'université  de  Paris,  persuadé  que  la  reli- 
gion d'Homère  était  la  bonne,  arracha  la 
sainte  hostie  des  mains  d'un  prêtre  qui  la 
consacrait,  et  la  foula  aux  pieds.  Voilà  du 
fanatisme. 

Les  Juifs  en  ont  fourni  de  nombreux  exem- 
ples, et  un  très-grand  fanatisme  distingue 
beaucoup  de  philosophes  modernes. 

«Il  y  a  un  fanatisme  politique,  un  fanatisme 
littéraire,  un  fanatisme  guerrier,  un  fana- 
tisme philosophique  (2).  » 

On  a  nommé  d'abord  fanatiques  les  pré- 
tendus devins  qui  rendaient  leurs  oracles 
dans  les  temples,  fana.  Aujourd'hui  on  en- 
tend par  fanatisme  tout  zèle  aveugle. 

FANNIUS  (Caius),  historien  qui  mourut  de 
peur  en  composant  un  ouvrage  contre  Né- 
ron. H  en  avait  terminé  trois  livres,  et  il 
commençait  le  quatrième,  lorsque  Néron, 
dont  il  avait  l'imagination  remplie,  lui  ap- 
parut en  songe,  et,  après  avoir  parcouru  les 
trois  premiers  livres  de  son  ouvrage,  se  re- 

Cmlex  apociyplius  uovi  Teslaïuculi,  etc.  Hambourg,  1719. 
Iii  8°. 
{i)  Berfiier,  Dici.  ibéol. 


R8S 


FAN 


FAQ 


r,% 


(ira  sans  toiichor  au  quatrième  qui  élail  en 
train.  Ce  rêve  frappa  Fannius;  il  crut  y  voir 
que  son  ouvrage  ne  serait  pas  achevé,  vl  il 
mourut  en  effet  peu  après. 

FANTASMAGOUIANA,  litre  d'un  rcrucii 
d('  contes  populaires  où  les  apparitions  et  les 
spectres  jouent  les  preniiers  rôles.  Ces  con- 
tes prolixes  sont,  pour  la  plupart,  traduits  de 
l'allemand,  2  vol.  in-12;  Paris,  1812. 

FANTASMAGORIE  .spectacle  d'optique, 
du  genre  des  lanternes  magiques  perfeclion- 
néis,  et  qui,  aux  yeux  des  ignorants,  peut 
paraître  de  la  sorcellerie. 

FANTOMES,  oSjTits  ou  revenants  de  mau- 
vais augure,  qui  effrayaient  fort  nos  pères  , 
quoiqu'ils  sussent  bien  qu'on  n'a  aucune- 
ment peur  des  fantômes  si  l'on  tient  dans  sa 
main  de  l'ortie  avec  du  millefeuille  (1). 

Les  Juifs  prétendent  que  le  fantôme  qui 
apparaît  ne  peut  reconnaître  la  personne 
qu'il  doit  effrayer  si  elle  a  un  voile  sur  le 
visage;  mais  quand  celte  personne  est  cou- 
pable, ils  prétendent,  au  rapport  deBuxtorf, 
(lue  le  masque  tombe,  afinquel'ombre  puisse 
la  voir  et  la  poursuivre. 

On  a  vu  souvent  des  fantômes  venir  an- 
noncer la  mort;  un  spectre  se  présenta  pour 
cela  aux  noces  du  roi  d'Ecosse  Alexandre  111, 
qui  mourut  peu  après. 

Camerarius  rapporte  que,  de  son  temps, 
on  voyait  quelquefois  dans  les  églises  des 
fantômes  sans  tête,  vêtus  en  moines  et  en 
religieuses,  assis  dans  les  stalles  des  vrais 
moines  el  des  sœurs  qui  devaient  bientôt 
mourir. 

Un  chevalier  espagnol  avait  osé  concevoir 
une  passion  criminelle  pour  une  religieuse. 
Une  nuit,  qu'il  traversait  l'église  du  couvent 
dont  il  s'était  procuré  la  clef,  il  vit  des  cierges 
allumés  et  des  prêtres,  qui  lui  étaient  incon- 
nus, occupés  à  célébrer  l'office  des  morts  au- 
tour d'un  tombeau.  Il  s'approcha  de  l'un  deux 
et  demanda  pour  qui  on  faisait  le  service. 
«Pour  vous,  »  lui  dit  le  prêtre. Tous  les  autres 
lui  firent  la  même  réponse;  il  sortit  effrayé, 
monta  à  cheval,  s'en  retourna  à  sa  maison, 
et  deux  chiens  l'étranglèrent  à  sa  porte  (2). 

Une  dame  voyageant  seule  dansune  chaise 
de  poste  fut  surprise  par  la  nuit  près  d'un 
village  où  l'essieu  de  sa  voiture  s'était  brisé. 
On  était  en  automne,  l'air  était  froid  et  plu- 
vieux; il  n'y  avait  point  d'auberge  dans  le 
village;  on  lui  indiqua  le  château.  Comme 
elle  en  connaissait  le  maître,  elle  n'hésita 
pas  à  s'y  rendre.  Le  concierge  alla  la  rece- 
voir, et  lui  dit  qu'il  y  avait  au  château  dans 
ce  moment  beaucoup  de  monde  qui  était  ve- 
nu célébrer  une  noce,  et  qu'il  allait  informer 
le  seigneur  de  son  arrivée.  La  fatigue,  le 
desordre  de  sa  toilette  et  le  désir  de  conti- 
nuer son  voyage  engagèrent  la  voyageuse  à 
prier  le  concierge  de  ne  point  déranger  son 
maître.  Elle  lui  demanda  seulement  une 
chambre.  Toutes  étaient  occupées,  à  l'excep- 
tion d'une  seule,  dans  un  coin  écarlédu 
château,  qu'il   n'osait  lui  proposer  à  cause 

(1)  Les  Admirables  secrets  d'Albert  le  Grand. 

(2)  Toiquenia<la,  Ilexaméroii. 
(.")j  Specinjiij,  p.  79. 

DiCriONN.  DES  SCIE.iJCES  OCCULTES,  l. 


de  son  délabrement  ;  mais  elle  lui  dit  quelle 
s'en  contenterait,  pourvu  qu'on  lui  fit  un 
bon  lit  et  un  bon  feu. 

Après  qu'on  eut  fait  rc  qu'elle  désirait,  elle 
soupa  légèrement,  et  s'étanl  bien  réchauffée, 
elle  se  mitau  lit. Elle  conmiençait.i  s'rndorniir. 
lorsqu'un  bruit  de  chaînes  et  des  sons  lugu- 
bres la  réveillèrent  en  sursaut.  Le  bruit  ap- 
proche, la  porte  s'ouvre,  elle  voit,  à  la  clarté 
do  son  feu,  entrer  un  fantôme  couvert  de 
lambeaux  blanchâtres;  sa  figure  pâle  et  mai- 
gic,  sa  barbe  longue  et  touffue,  les  chaînes 
qu'il  portait  autour  du  corps,  tout  annonçait 
un  habitant  d'un  autre  monde.  Le  fantôme 
s'approche  du  feu,  se  couche  auprès  tout  de  son 
long,  se  tourne  de  tous  côtés  en  gémissanl, 
puis,  à  un  léger  mouvement  qu'il  entend 
près  du  lit,  il  se  relève  promptement  et  s'en 
approche.  Quelle  amazone  eût  bravé  un  tel 
adversaire?  Quoique  notre  voyageuse  n(! 
manquât  pas  de  courage,  elle  n'osa  l'attendre, 
se  glissadans  la  ruelle  do  lit,  et,  avec  une  agi- 
lité dont  la  frayeur  rend  capables  les  moins 
légères,  elle  se  sauve  en  chemise  à  toutes 
jambes,  enfile  de  longs  et  obscurs  corridors, 
toujours  poursuivie  par  le  terrible  fantôme, 
dont  elle  entend iefrollementdeschaîncscon- 
tre  la  muraille.  Elle  aperçoit  enfin  une  faible 
clarté, et, reconnaissantia  portedu  concierge, 
elle  y  frappe  et  tombe  évanouie  sur  le  seuil. 
il  vient  ouvrir,  la  fait  transporter  sur  son  lit 
et  lui  prodigue  tous  les  secours  qui  sont  en 
son  pouvoir.  Elle  raconta  ce  qui  lui  était  ar- 
rivé. 

—  Hélas  1  s'écria  le  concierge,  notre  fou 
aura  brisé  sa  chaîne  et  se  sera  échappé! 

Ce  foU  était  un  parent  du  maître  du  châ- 
teau, qu'on  gardait  depuis  pl-isieurs  années. 
Il  avait  effectivement  profilé  de  l'absence  de 
ses  gardiens,  qui  étaient  à  la  noce,  pour  dé- 
tacher ses  chaînes,  et  le  hasard  avait  con- 
duit ses  pas  à  la  chîimbre  de  la  voyageusi', 
qui  en  fut  quitte  pour  une  grande  peur  (3). 
Voy.  AppiRiTioNS,  Visioxs,  Hallucinations, 
Esprits,  Revenants,  Spectres,  Deshouliè- 
nEs,  etc.,  etc. 

FANTOME  VOLANT.  On  croit,  dans  la 
Basse-Breiagnc,  entendre  dans  les  airs,  lors- 
qu'il fait  un  orage,  un  fan'ôiue  vol.int  «ju'on 
accuse  de  déraciner  les  arbres  et  de  renver- 
ser les  chaumières.  Voy.  Voltigeur  hollan- 
dais. 

FAPISIA  ,  herbe  fameuse  chez  les  Portu- 
gais, qui  l'employaient  comme  un  excellent 
spécifique  pour  chasser  I  s  démons  (i). 

FAQUIR  oc  FAKIR.  Il  y  a  dans  l'Inde  des 
fakirs  qui  sont  d'habiles  et  puissants  jon- 
gleurs. On  lit  ce  qui  suit  dans  l'ouvrage  de 
M.  Osborne ,  intitulé  :  la  Cour  el  le  Camp 
de  Rundjet-Sing  : 

«  A  la  cour  de  ce  prince  indien,  la  mission 
anglaise  eut  l'occasion  de  voir  un  personna- 
ge appelé  le  Fakir,  homme  enterré  et  ressus- 
cité, dont  les  prouesses  avaient  fait  du  bruit 
dans  les  provinces  de  Punjab. 

«  Ce  Fakir  est  en  grande  vénération  parmi 

(i)  DeUincre,  Tableau  de  riiicoiistaiicedesdéinoiis,  elt., 
liv.  IV,  p.  297. 


lU 


5i7 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


S:S3 


les  Siiiks,  à  cause  de  la  lacullé  qu'il  a  de 
s'enlirrer  toutvivanl  pciulanlun  temps  don- 
né. Nous  avions  ouï  raconter  de  lui  tant 
d'histoires,  que  notre  curiosité  était  excitée. 
Voilà  plusieurs  années  qu'il  fait  le  métier 
de  se  laisser  enferrer.  Le  capitaine  Wade 
nie  dit  avoir  été  témoin  d'une  de  ses  résur- 
rections, après  un  enterrement  de  quelques 
mois.  La  cérémonie  préliminaire  avait  eu 
lieu  on  présence  de  Rtindjel-Sing,  du  géné- 
ral Ventura  et  des  principaux  sirdars. 

«  Les  préparatifs  avaient  duré  plusieurs 
jours,  on  avait  arrangé  un  caveau  tout  ex- 
près. Le  Fakir  termina  ses  dispositions  B:ia- 
les  en  présence  du  souverain;  il  se  boucha 
avec  de  la  cire  les  oreilles,  le  nez  et  tous  les 
autres  orifices  par  lesquels  l'air  aurait  pu 
entrer  dans  son  corps.  Il  n'excepta  que  la 
bouche.  Cela  fait,  il  fut  déshabillé  cl  mis  dans 
un  sàcdi!  toile,  après  qu'il  se  fut  retourné  la 
langue  pour  fermer  le  passage  de  la  gorge, 
et  qu'il  se  fut  posé  dans  une  espèce  de  lé- 
thargie; le  sac  fut  fermé  et  cacheté  du  sceau 
de  lluniljet-Sing  et  déposé  dans  une  boîte  de 
.sapin,  qui,  fermée  et  scellée  également,  fut 
ilescrndue  dans  le  caveau.  Par-dessus  on  ré- 
pandit et  on  foula  de  la  terre,  on  sema  de 
l'orge  et  on  plaça  des  sentinelles. 

«  II  parait  que  le  maha-rnjah,  très-sre- 
plique  sur  cette  mort,  envoya  deux  fois  des 
gens  pour  fouiller  la  terre,  ouvrir  le  caveau  et 
visiter  le  cercueil.  On  trouva  cha(|ue  lois  le 
Fiikir  dans  la  même  position  et  avec  tous  les 
signes  d'une  suspension  de  vie. 

«  Au  bout  de  dix  mois,  terme  fixé,  le  capi- 
taine Wade  accompagna  le  maha-rajah  pour 
assister  à  l'exhumation  :  il  examina  attenti- 
vement par  lui-même  l'intérieur  de  la  tombe  ; 
il  vit  ouvrir  les  serrures,  briser  les  sceaux  et 
porter  l.i  botte  ou  cercueil  au  grand  air. 
Quand  on  en  lira  le  Fakir,  les  doigts  posés 
sur  son  artère  et  sur  son  cœur  ne  purent 
percevoir  aucune  pulsatjon.  La  première 
(  hose  qui  fut  faite  pour  le  rappeler  à  la  vie, 
el  la  chose  ne  se  fil  pas  sans  peine,  fut  de 
ramener  la  langue  à  sa  place  naturelle.  Le 
capitaine  Wade  remarqua  que  l'occiput  était 
brûlant,  mais  le  reste  du  corps  très-frais  et 
tiès-sain.  On  l'arrosa  d'eau  chaude,  —  el  au 
bout  de  deux  heures  le  ressuscité  était  aussi 
bien  que  dix  mois  auparavant. 

«  Il  prétend  faire  dans  son  caveau  les  rêves 
les  plus  délicieux  :  aussi  redoulc-l-il  d'être 
réveillé  de  sa  léthargie.  Ses  ongles  et  ses  che- 
veux cessent  de  croître  :  sa  seule  crainte  est 
d'être  entamé  par  des  vers  ou  des  insectes; 
c'est  pour  s'en  préserver  qu'il  fait  suspendre 
au  centre  du  caveau  la  boîte  où  il  repose. 

«  Ce  Fakir  eut  lu  maladroite  funlaisie  de 
fiiire  l'épreuve  de  sa  mort  el  de  sa  résurre- 
ction d<vanl  la  mission  anglaise,  lorsqu'elle 
arriva  à  Lahore.  Mais  les  Anglais,  avec  une 
cruelle  ménaiicc,  proposèrent  de  lui  imposer 
quelques  précautions  de  plus  :  ils  montrèrent 
«les  cadenas  à  eux  appartenant,  el  parlèrent 
de  mettre  au  tombeau  des  factionnaires  euro- 
péens. Le  Fakir  fil  d'abord  de  la  diplomatie; 
il  ic  U'oubla,  cl  finalement  refusa  de  se  sou- 


mettre aux  conditions  britanniques.  Runjet- 
Sing  se  fâch  i. 

«  —  Je  vois  bien  ,  dit  le  Fakir  au  capitaine 
Osbnrne,  que  ^ous  voulez  me  perdre,  el  qur- 
je  ne  sortirai  pas  vivant  de  mou  tombeau. 

«  Le  capitaine,  ne  désirant  pas  du  tout 
avoir  à  se  reprorher  la  mort  du  pauvre  char- 
latan, renonça  à  l'épreuve.  »  V.  Jamambuxks. 

FARFADKÏS,  esprits  ou  Intins  ou  démous 
familiers,  que  les  personnes  simples  croient 
voir  ou  entendre  la  nuit.  Quelques-uns  se 
montrent  sous  des  figures  d'animaux,  le  plus 
grand  noinhre  restent  invisibles.  Ils  rendent 
généralement  de  bons  offices. 

Des  voyageurs  crédules  ont  prétendu  que 
les  Indes  élaient  pleines  de  ces  esprits  bons 
ou  mauvais,  et  qu'ils  avaient  un  commerce 
habituel  avec  les  hommes  du  pays. 

Voici  l'histoire  d'un  farfadet  : 

En  l'année  1221,  vers  le  temps  des  ven- 
danges, le  frère  cuisinier  d'un  monastère  de 
Cîteaux  chargea  deux  serviteurs  de  garder 
les  vignes  pendant  la  nuit.  Un  soir,  l'un  de 
ces  deux  hommes,  ayant  grande  envie  de  dor- 
mir, appela  le  diable  à  haute  voix  et  promit 
de  le  bien  payer  s'il  voulait  garder  la  vigne  à 
sa  place.  Il  achevait  à  peine  ces  mois,  qu'un 
farfadet  parut. 

—  Me  voici  prêt,  dit-il  à  celui  qui  l'avait 
demandé.  Que  me  donneras-tu  si  je  remplis 
ta  charge? 

—  Je  te  donnerai  un  panier  de  raisin,  ré- 
pondit le  serviteur,  à  condition  que  lu  veille- 
ras jusqu'au  malin. 

Le  farfadet  accepta  l'offre;  et  le  domesti- 
que rentra  à  la  maison  pour  s'y  reposer.  Le 
frère  cuisinier,  qui  était  encore  debout,  lui 
demanda  pourquoi  il  avait  quitté  la  vigne? 

—  Mon  compagnon  la  garde,  répondil-il  , 
et  il  la  gardera  bien. 

—  Va,  va,  reprit  le  cuisinier,  qui  n'en  sa- 
vait pas  davantage,  ton  compagnon  peut 
avoir  besoin  de  loi. 

Le  valet  n'osa  répliquer  et  sortit;  mais  il 
se  garda  bien  de  paraître  dans  la  vigne.  Il 
appela  l'autre  valet,  lui  conta  le  procédé  dont 
il  s'était  avise;  et  tous  deux,  se  reposant  sur 
la  bonne  garde  du  lutin,  entrèrent  dans  une 
petite  grotte  qui  était  auprès  de  là,  et  s'y  en- 
dormirent. Les  choses  se  passèrent  aussi  bien 
qu'on  pouvait  l'espérer;  le  farfadet  fut  fidèle 
à  son  poste  jusqu'au  malin,  cl  on  lui  donna 
le  panier  de  raisin  promis.  —  Ainsi  finit  le 
conie  (1).  Voy.  BerbIguier,  Bérith,  Esprits, 
Feux  follets,  Hecdekin,  Orthon,  etc. 

FAKMEll  (  Hugues  )  ,  théologien  angli- 
can, mort  en  1787.  On  a  de  lui  un  Essai  sur 
les  démoniaques  du  Nouveau  Testament,  1775, 
oii  il  cherche  à  prouver,  assez  gauchement, 
que  les  maladies  attribuées  à  des  possessions 
du  déiiion  sont  l'effet  de  causes  naturelles,  et 
non  l'elTet  de  l'action  de  quelque  malin  es- 
prit. 

FASCINATION,  espèce  de  charme  qui  fail 
qu'on  ne  voit  pas  les  choses  telles  qu'elles 
sont.  Un  Bohémien  sorcier,  cité  par  B^iguel, 
changeait  des  bottes  de  foin  en  pourceaux, 
cl  les  vendait  comme  tels,  en  avertissant  lou- 

(l)  Cîesarius  Ueisterbadiceiisis  ill.  miracul.,  lib.  V. 


5S9 


KAT 


lefois  l'aolicli^ur  de  ne  laver  ce  bétail  dans 
aucune  eau.  Un  acquéreur  de  la  denrée  du 
Bohémien,  n'ayant  pas  suivi  ce  conseil,  vit, 
au  lieu  de  pourceaux,  des  bottes  de  foin  na- 
ger sur  l'eau  où  il  voulait  décrasser  ses 
Détes. 

Delrio  conte  qu'un  certain  magicien,  au 
moyen  d'un  certain  arc  et  d'une  certaine 
corde  tendue  à  cet  arc,  lirait  une  certaine 
flèche,  fuite  d'un  certain  bois,  et  faisait  tout 
d'un  coup  paraître  devant  lui  un  fleuve  aussi 
large  que  le  jet  de  cette  flèche. 

lit  d'autres  rapportent  qu'un  sorcier  juif, 
par  fascination,  dévorait  des  hommes  et  des 
charrete'es  de  foin,  coupait  des  têtes,  et  dé- 
membrait des  personnes  vivantes,  puis  re- 
mctlait  tout  en  fort  bon  état. 

Dans  la  guerre  du  duc  Vladislas  contre 
Grémozislas,  duc  de  Bohême,  une  vieille  sor- 
cière dit  à  son  beau-fils,  qui  suivait  le  parti 
de  Vladislaî,  que  son  maître  mourrait  dans 
la  bataille  avec  la  plus  grande  partie  de  sou 
armée,  et  que,  pour  lui,  il  pouvait  se  sauver 
du  carnage  en  faisant  ce  qu'elle  lui  conseil- 
lerait; c'est-à-dire,  qu'il  luât  le  premier  qu'il 
rencontrerait  dans  la  mêlée;  qu'il  lui  coupât 
les  deux  oreilles,  et  les  mit  dans  sa  poche; 
puis  qu'il  fît,  avec  la  pointe  de  son  épée,  une 
croix  sur  la  terre  enire  les  pieds  de  devanl 
de  Sun  cheval,  et  qu'après  avoir  baisé  celle 
croix  il  se  hâtât  de  fuir. 

Le  jeune  homme,  ayant  accompli  toutes  ces 
choses  singulières,  revint  sain  et  sauf  de  la 
bataille  oij  périrent  Vladislas  et  le  plus  grand 
nombre  de  ses  troupes.  Mais  en  rentrant  dans 
la  maison  de  sa  marâ're,  ce  jeune  guerrier 
trouva  sa  femme,  qu'il  chérissait  unique- 
ment, percée  d'un  coup  d'épée,  expirante  et 
sans  oreilles... 

Les  femmes  maures  s'imaginent  qu'il  y  a 
des  sorciers  qui  fascinent  par  leur  seul  re- 
gard, et  tuent  les  enfants.  Celte  idée  leur  est 
commune  avec  les  anciens  Romains,  qui  ho- 
noraient le  dieu  Fascinus,  à  qui  l'on  attri- 
buait le  pouvoir  de  garantir  les  enfants  des 
fascinations  et  maléfices.  Voy.  OEil,  Char- 
mes, Enchantements,  Faust,  Prestiges,  etc. 
FATALISME,  doctrine  de  ceux  qui  recon- 
naissent une  destinée  inévitable. 

Si  quelqu'un  rencontre  un  voleur,  les  fata- 
listes disent  que  c'était  sa  destinée  d'être  tué 
par  un  voleur.  Ainsi  celle  fatalité  a  assujetti 
le  voyageur  au  fer  du  voleur,  et  a  donné  long- 
temps auparavant  au  voleur  l'intention  et  la 
force,  afin  qu'il  eût,  au  temps  marqué,  la  vo- 
lonté et  le  pouvoir  de  tuer  celui-ci. 

Et  si  quelqu'un  est  écrasé  par  la  chute  d'un 
bâliment,  le  mur  est  tombé  parce  que  cet 
homme  élait  destiné  à  être  enseveli  sous  les 

ruini'S  de  sa  maison Dites  plulôl  qu'il  a 

éié  accablé  sous  les  ruines,  parce  que  le  mur 
est  tombé  (1). 

Où  serait  la  liberté  des  hommes,  s'il  leur 
était  impossible  d'éviter  une  fatalité  aveugle, 
une  destinée  inévitable? 

Est-il  rien  de  plus  libre  que  de  se  marier, 
de  suivre  tel  ou  tel  genre  de  vie?  Est-il  rien 

M)  Bardai,  dans  l'Argcnis. 

U)  iJolaucri',  Tableau  de  l'iucoustaacc  dcscljiuuos,  etc.,  p. 


lAl  6J0 

de  plus  fortuit  que  de  périr  par  le  fer,  de  se 
noyer,  d'être  malade?;..  L'homme  vertueux, 
qui  parvient  par  de  grands  efforts  à  vaincre 
ses  passions,  n'a  donc  plus  besoin  de  s'étu- 
dier à  bien  faire,  puisqu'il  ne  peut  être  vi- 
cieux?... C'est  un  peu  la  doctrine  de  Calvin. 

FAUNES,  dieux  rustiques  inconnus  aux 
Grecs.  On  les  distingue  des  satyres  et  syl- 
vains,  quoiqu'ils  aienl  aussi  des  cornes  de 
chèvre  ou  de  bouc,  et  la  (igure  d'un  bouc  de- 
puis la  ceinture  jusqu'en  bas.  Miis  ils  ont 
les  traits  moins  hideux,  une  figure  plus  gaie 
que  celle  des  s.ilyres,  et  moins  de  brutalité. 
D'anciens  Pères  les  regardent  comme  des  dé- 
mons incubes  (2);  et  voici  l'histoire  qu'en 
donnent  les  docteurs  juifs  : 

«  Dieu  avait  déjà  créé  les  âmes  des  faunes 
et  des  satyres,  lorsqu'il  fut  interrompu  par 
le  jour  du  sabbat,  en  sorle  qu'il  ne  put  les 
unir  à  des  corps,  et  qu'ils  n  stèreut  ainsi  de 
purs  esprits  et  des  créatures  imparfaites. 
Aussi,  ajoutent-ils,  ces  esprits  craignent  le 
jour  du  sabbat,  et  se  cachent  dans  les  ténè- 
bres jusqu'à  ce  qu'il  soit  passé;  ils  prennent 
quelquefois  des  corps  pour  épouvanter  les 
hommes.  Mais  ils  sont  sujets  à  la  mort.  Ce- 
pendant ils  peuvent  approcher  si  près  des  in- 
telligences célestes,  qu'ils  leurdérobent  quel- 
quefois la  connaissance  de  certains  événe- 
ments futurs,  ce  qui  leur  a  fiit  produire  des 
prophéties,  au  grand  étonnemeut  des  ama- 
teurs. » 

FAUST  (Jean),  fameux  magicien  allemand, 
né  à  Weimar  au  commencement  du  seizième 
siècle.  Un  génie  plein  d'audace,  une  curio- 
sité indomptable,  un  immense  désir  de  sa- 
voir, telles  étaient  ses  qualités  prononcées. 
Il  apprit  la  médecine,  la  jurisprudence,  la 
théologie;  il  approfondit  la  science  des  astro- 
logues; quand  il  eut  épuisé  les  connaissances 
naturelles,  il  se  jeta  dans  la  magie  :  du  moins 
toutes  ses  histoires  le  disent.  —  On  le  con- 
fond souvent  avec  Faust,  l'associé  de  Guttem- 
berg  dans  l'invention  de  l'imprimerie;  on 
sait  que  quand  les  premiers  livres  imprimés 
parurent,  on  cria  à  la  magie!  on  soutint 
qu'ils  étaient  l'ouvrage  du  diable  ;  et  sans  la 
protection  de  Louis  XI  et  de  la  Sorbonnc, 
l'imprimerie,  en  naissant,  était  étouffée  à 
Paris. 

Quot  qu'il  en  soit,  voici  les  principaux 
traits  de  la  légende  de  Faust. 

Curieux  de  se  lier  avec  les  êtres  d'un 
monde  supérieur,  il  découvrit  la  terrible  for- 
mule qui  évoque  les  démons.  H  s'abstint  d'a- 
bord d'en  faire  usage;  mais  un  jour,  se  pro- 
menant dans  la  campagne  avec  son  ami 
Wagner,  il  aperçut  un  barbet  noir  qui  for- 
mait des  cercles  rapides  en  courant  autour 
de  lui.  Une  trace  ardente  brillait  à  la  suite 
du  chien.  Faust  étonné  s'arrête;  les  cercles 
que  formait  l'animal  étrange  devenaient  tou- 
jours plus  petits;  il  s'approche  bientôt  de 
Faust  et  le  flatte...  Le  savant  s'en  retourne 
pensif,  et  le  barbet  le  suit. 

Faust  ne  se  retrouva  seul  que  pour  su  li- 


631 

vrcr  à  de  noires  idées 

veau  compagnon  ,  les  inlerrompait  par  des 
hurlements.  Fausl  le  regarde, s'étonne  de  le 
voir  grandir,  s'aperçoil  qu'il  a  reçu  un  dé- 
mon, saisit  son  livre  magique,  se  place  dans 
un  certle,  prononce  la  formule,  et  ordonne 
à  l'esprit  de  se  faire  connaître. 

Le  chien  s'agite,  une  fumée  l'environne, 
cl,  à  sa  place ,  il  voit  un  démon  sous  le  cos- 
tume d'un  jeune  seigneur,  vêtu  avec  élé- 
gance. C'était  le  démon  Méphistophelès,  le 
second  des  archanges  déchus,  et,  après  Sa- 
tan, le  plus  redoutable  chef  des  légions  in- 
fernales... 

Les  divers  légendaires  rapportent  cet  évé- 
nement avec  des  variantes.  Widman  dit  qu'é- 
tant décidé  à  évoquer  un  démon,  Faust  alla 
dans  l'épaisse  forêt  de  Mangeall ,  près  de 
Witlemberg  ;  là,  il  fil  à  terre  un  cercle  ma- 
gique, il  se  plaça  au  milieu  ,  et  prononça  la 
Formule  de  conjuration  avec  tant  de  rapidité, 
qu'il  se  fil  autour  de  lui  un  bruit  eflroyable. 
Toute  la  nature  parut  s'ébranler.  Les  arbres 
pliaient  jusqu'à  terre ,  de  grands  coups  de 
tonnerre  interrompaient  les  soivs  lointains 
d'une  musique  solennelle,  à  laquelle  se  mê- 
laient des  cris,  des  gémissements,  des  clique- 
tis dépécs  :  de  violents  éclairs  déchiraient  le 
voile  noir  qui  cachait  le  ciel.  Une  masse  en- 
flammée parut,  se  dessina  peu  à  peu,  cl 
forma  un  spectre  qui ,  s'approchant  du  cercle 
sans  parler,  se  promena  alentour,  d'une 
marche  inégale,  pendant  un  quart  d'heure. 
L'esprit  revêtit  enûn  la  figure  et  le  costume 
d'un  moine  gris,  et  entra  en  conversation 
avec  Faust. 

Le  docteur  signa  de  son  sang ,  sur  un  par- 
chemin vierge,  avec  une  plume  de  fer  que 
lui  présenta  le  démon,  un  pacte  par  lequel 
Méphistophelès  s'obligeait  à  le  servir  vingt- 
quatre  ans,  après  lesquels  Fausl  appartien- 
drait à  l'enfer. 

Widman,  dans  son  Histoire  de  Faust,  rap- 
porte les  conditions  de  ce  pacte,  dont  on  as- 
sure qu'on  trouva  le  double  parmi  les  papiers 
du  docteur.  Il  était  écrit  sur  parchemin,  eu 
caractères  d'un  rouge  foncé,  ei  portait  : 

1°  Que  l'esprit  viendrait  toujours  au  com- 
niandemcnl  de  Fau»t,lui  apparaîtrait  sous 
une  figure  sensible,  et  prendrait  celle  qu'il 
lui  serait  ordonné  de  revêtir  ; 

2°  Que  l'esprit  ferait  tout  ce  que  Fausl  lui 
commanderait  ; 

3°  Qu'il  serait  exact  et  soumis  comme  un 
serviteur  ; 

k'  Qu'il  arriverait  à  quelque  heure  qu'on 
l'appelât  ; 

5°  Qu'à  la  maison,  il  ne  serait  vu  ni  re- 
connu que  de  lui. 

De  son  côté,  Faust  s'abandonnait  au  dia- 
ble, sans  réserve  d'aucun  droit  à  la  ré- 
dcmplion,  ni  de  recours  futur  à  la  iiii>cri- 
corde  divine.. 

Le  démon  lui  donna ,  pour  arrhes  de  ce 
Iraiié,  un  coffre  plein  d'or.  Dès  lors,  Faust 
fut  maître  du  monde,  qu'il  parcourut  avec 
éclat.  Il  allait  partout,  lorsqu'il  ne  voyageait 
pas  à  travers  les  airs ,  dans  de  riches  c  jui- 
jiages  ,  accompagné  de  son  démon.  11  vit  uu 


DlCTlOiNNAmE  DES  SCIENCES  OCCULTES.  5n 

Le  chien ,  son  nou-     jour,  au  village  de  Roscnihal ,  une  jeune  fille 


ingénue  ,  que  Widman  représente  comme 
surpassant  en  grâces  toutes  les  beautés  de  lu 
terre,  et  qu'il  appelle  Marguerite.  11  en  de- 
vint épris  ;  mais  elle  était  vertueuse.  Méphis- 
tophelès, pour  le  détourner  de  cette  passion 
qu'il  redoutait,  le  mena  à  la  cour.  Chnrles- 
Quint ,  sachant  ses  talents  magiques ,  le  pria 
de  lui  faire  voir  Alexandre  le  Grand.  Faust 
obligea  aussitôt  le  fameux  roi  de  Macédoine 
à  paraître.  Il  vint  sous  la  figure  d'un  peiil 
homme  trapu,  haut  en  couleur,  avec  une 
espèce  de  barbe  rousse,  le  regard  perçant  et 
la  contenance  fière.  Il  fit  à  l'empereur  une 
révérence,  et  lui  adressa  même  quehiues 
mots,  dans  une  langue  que  Gharlcs-Quiiit 
n'entendait  point.  D'ailleurs  il  lui  était  dé- 
fendu de  parler.  Tout  ce  qu'il  put  faire  fut  de 
le  bien  considérer,  ainsi  que  César  et  quel- 
ques autres  que  Faust  ranima  un  instant 
pour  lui. 

L'enchanteur  opéra  mille  merveilles  sem- 
blables. A  en  croire  ses  historiens,  il  usait 
sans  discrétion  de  son  pouvoir  surnalunl. 
Un  jour,  se  renconlrant  à  table  dans  un  ca- 
baret, avec  douze  ou  quinze  buveurs  qui 
avaient  entendu  parler  de  ses  prestiges,  ils 
le  supplièrent  de  leur  en  faire  voir  quelque 
chose.  Faust  perça  la  table  avec  un  foret,  et 
en  fit  sortir  les  vins  les  plus  délicats.  Un  des 
convives  n'ayant  pas  mis  la  coupe  assez  vi- 
vement sous  le  jet,  la  liqueur  prit  feu  en 
tombant  à  terre,  et  ce  prodige  effraya  quel- 
ques-uns des  assistants.  Le  docteur  sut  dis- 
siper leur  trouble.  Ces  gens,  qui  avaient  la 
têle  échauffée ,  lui  demandèrent  alors  una- 
nimement qu'il  leur  fît  voir  une  vigne  char- 
gée de  raisins  mûrs. 

Ils  pensaient  que,  comme  on  était  en  dé- 
cembre, il  ne  pourrait  produire  un  tel  pro- 
dige. Faust  leur  annonça  qu'à  l'instant,  sans 
sortir  de  table,  ils  allaient  voir  une  vigne 
telle  qu'ils  la  souhaitaient  ;  mais  à  condition 
que  tous  ils  resteraient  à  leurs  places ,  et 
attendraient ,  pour  couper  les  grappes  de 
raisin ,  qu'il  le  leur  commandât,  les  assurant' 
que  quiconque  désobéirait,  courait  risque 
de  la  vie.  Tous  ayant  prorais  d'obéir,  le  m;.- 
gicien  fascina  si  bien  les  yeux  de  ces  gens, 
qui  étaient  ivres,  qu'il  leur  sembla  voir  une 
très-belle  vigne,  chargée  d'autant  de  longues 
grappes  de  raisin  qu'ils  étaient  de  convives. 
Celle  vue  les  ravit;  ils  prirent  leurs  couteaux, 
et  se  mirent  en  devoir  de  couper  les  grappes, 
au  premier  signal  de  Faust.  Il  se  donna  le 
plaisir  de  les  tenir  quelque  temps  dans  celle 
posture ,  puis ,  tout  à  coup ,  il  fit  disparaître 
la  vigne  et  les  raisins  ;  et  chacun  de  ces  bu- 
veurs, pensant  avoir  en  main  sa  grappe  pour 
la  couper,  se  trouva  tenant  d'une  main  le 
nez  de  son  voisin  ,  et  de  l'autre  le  couteau 
levé  ,  di!  sorte  que  ,  s'ils  eussent  coupé  les 
grappes,  sans  attendre  l'ordre  de  Faust,  ils 
se  seraient  coupé  le  nez  les  uns  aux  autres. 

On  a  dit  que  Faust  avait,  comme  Agrippa, 
l'adresse  do  payer  ses  créanciers  en  monnaie 
de  corne  ou  de  bois ,  qui  paraissait  bonne 
au  moment  où  elle  soit;iit  de  sa  bourse,  et 
reprenait,  au   bout  de  quelques  jours,  sa 


S93  F.Vl) 

véritable  forme.  Mais  le  diable  lui  donnait 
assez  d'argent  pour  qu'il  n'eût  pas  besoin 
d'user  de  ces  fraudes. 

Wecker  dit  qu'il  n'aimait  pas  le  bruit,  et 
«jue  souvent  il  faisait  taire,  par  la  force  de 
sa  magie,  les  gens  qui  le  fatiguaient,  «  té- 
moin ce  certain  jour  qu'il  lia  la  bouche  à  une 
demi-douzaine  de  paysans  ivres  ,  pour  les 
empocher  de  babiller  et  de  piailler  comme  ils 
faisaient.  » 

Il  n'avait  pas  renoncé  à  son  projet  chéri 
d'épouser  Marguerite  ;  mais  le  démon^  l'en 
détournait  d'autant  plus,  comme  dit  Wid- 
nian,  qu'appartenant  à  l'enfer  par  son  pacte, 
il  n'avait  plus  le  droit  de  disposer  de  lui  ni 
de  former  un  nouveau  lien.  Méphistophelès 
l'éloignait  donc  sans  cesse. 

Faust  allait  au  sabbat;  il  poursuivait  le 
cours  de  sa  destinée  infernale.  Lorsque  le 
temps  du  pacte  fut  accompli ,  il  frissonna  ,  à 
la  pensée  du  sort  qui  lui  était  maintenant 
réservé.  11  voulut  s'enfuir  dans  une  église  ou 
dans  tout  autre  lieu  saint,  pour  implorer  la 
miséricorde  divine.  Méphistophelès  l'en  em- 
pêcha; il  le  conduisit  tremblant  sur  la  plus 
haute  montagne  de  la  Saxe.  Faust  voulut  se 
recommander  à  Dieu.  —  Désespère  et  meurs, 
lui  dit  le  démon,  tu  es  maintenant  à  nous. 

A  ces  mots,  l'esprit  des  ténèbres  apparut 
aux  yeux  de  Faust  sous  la  forme  d'un  géant 
haut  comme  le  firmament;  ses  yeux  enflam- 
més lançaient  la  foudre ,  sa  bouche  vomissait 
du  feu,  ses  pieds  d'airain  ébranlaient  la  terre. 
11  saisit  sa  victime  avec  un  éclat  de  rire  qui 
retentit  comme  le  tonnerre  ,  déchira  son 
corps  en  lambeaux,  et  précipita  son  âme  dans 
les  enfers. 

Apprenez  par  là,  frères,  que  tout  n'est  pas 
gaiii  en  mauvaise  compagnie. 

Nous  avons  dit  que  la  découverte  de  l'im- 
piimerie  fit  poursuivre  Faust  comme  sor- 
cier :  on  assurait  que  l'encre  rouge  de  ses 
Bibles  était  du  sang;  il  est  vrai  qu'elle  a  un 
éclat  particulier,  et  qu'on  a  pu  croire  au 
moins,  dans  un  siècle  d'ignorance,  que  le  se- 
cret en  avait  été  donné  par  le  diable. 

On  dit  encore  qu'il  débitait  en  Allemagne 
des  almanachs  qui ,  dictés  par  Méphistophe- 
lès, prédisaient  toujours  juste,  et  avaient, 
par  conséquent,  plus  de  succès  encore  que 
Matthieu  Laensberg,  qui  se  trompe  quelque- 
fois. Mais  on  ne  retrouve  aucun  de  ces  al- 
manachs. 

La  vie  de  Faust  et  de  Christophe  Wagner, 
son  valet,  sorcier  comme  lui,  a  été  écrite  par 
Wiilman,  Francfort,  1387,  in  8',  traduite  en 
plusieurs  langues,  et  en  français  par  Victor 
Palma  Cayet,  Paris,  1603,  in-12.  Adelung 
lui  a  consacré  un  grand  article  dans  son 
Histoire  des  folies  humaines.  Tous  les  démo- 
nographes  ont  parlé  de  lui  :  Goethe  a  mis  ses 
aventures  en  un  drame  bizarre  ou  chronique 
dialoguée.  MM.  Desaur  et  de  Saint-Geniôs 
ont  publié,  en  1825,  les  Aventures  de  Faust 
et  sa  descente  auj;  enfers  ,  roman  en  trois 
volumes  in-12,  où  l'on  ne  trouve  pas  tout 
le  merveilleux  des  légendes  allemandes. 
M.  Marinier  a  donné  aussi  une  curieuse  lé- 
{4cnde  de  Fau>t. 


FAU 


r;ni 


On  trouve,  dans  les  légendes  populaires  , 
plusieurs  personnages  qui  font  pendant  avec 
Faust,  en  ce  point  du  moins  qu'ils  se  lient 
avec  le  diable  au  moyen  d'un  pacte.  L'une 
des  plus  originales,  parmi  ces  traditions,  est 
celle  du  maréchal  de  Tamine  ,  le  Faust  du 
pays  wallon.  Nous  la  rapporterons  ici. 

La  léjende  du  Maréchal  de  Tamine. 

Dans  ce  beau  village  de  Tamine  ,  que 
baigne  la  Sambre,  à  quatre  lieues  de  Namur, 
vivait,  il  y  a  un  peu  plus  de  trois  siècles, — 
peut-être  au  temps  de  la  jeunesse  de  Charles- 
Quint, — un  maréchal-ferrant  renommé  pour 
sa  bonne  humeur.  Son  atelier  fiorissait;  il 
dormait  sans  soucis  et  menait  joyeuse  vie, 
lorsqu'un  jour,  en  revenant  d'une  fête  voi- 
sine, il  trouva  sa  maison  brûlée. 
Aiiieu  dès  lors  l'aisance  et  la  galle. 
Mais  commentcelle  maison  avait-elle  été  la 
proie  des  flammes?  Les  uns  dirent  que  c'é- 
tait un  pur  accident;  ceux-ci  un  effet  de 
quelque  négligence;  ceux-là  un  coup  de 
malveillance  sans  doute;  les  autres,  plus 
pénétrants  ,  soutinrent  que  le  diable  seul 
avait  fait  le  mal.  C'était  ajoutaient-ils,  une 
épreuve  olîerle  à  la  patience  du  maréchal  de 
Tamine,  qui  avait  ainsi  l'occasion  de  se  mon- 
trer le  Job  delà  contrée. 

Le  Wallon,  qui  n'avait  pas  la  vertu  du 
sageChaldéen,  aima  mieux,  dans  sa  gros- 
sièreté matérielle,  être  le  Faust  du  pays, 
moins  savant  et  moins  grave  que  l'Allemand, 
mais  plus  malin  pourtant  et  plus  habile. 

—  Si  le  diable  veut  de  moi,  dit-il,  nous 
allons  voir. 

Selon  l'usage  populaire,  qui  déjà  était  bien 
connu  de  tout  mauvais  drôle,  ayant  quelque 
teinte  des  sciences  de  sorcellerie,  le  maré- 
chal de  Tamine  s'en  alla  seul,  le  soir  , 
hors  de  son  village,  s'arrêta  dans  un  car- 
refour où  venaient  aboutir  quatre  che- 
mins; et  là,  ayant  tracé  un  cercle  avec  un 
bâton  de  coudrier,  il  se  planta  au  milieu, 
puis  au  son  des  heures  sinistres  de  minuit, 
il  immola  une  poule  noire,  avec  les  cérémo- 
nies voulues.  G  était  le  moyen  d'obliger  la 
diable  à  paraître. 

Le  diable  accourut.  Il  trouva  un  homme 
qui  avait  la  bourse  vide,  les  dents  longues, 
l'esprit  inquiet,  et  qui  se  montrait  disposé 
à  traiter,  dit  la  légende,  ruais  qui  ne  voulait 
pas  faire  un  marché  de  dupe. 

Après  des  pourparlers  qui  durent  être  cu- 
rieux, le  Wallon  vendit  son  âme,  moyen- 
nant trois  stipulations  spéciales  : 

1°  Qu'il  pourrait,  pendant  le  bail  qu'il  fai- 
sait avec  le  diable,  retenir  à  son  gré,  sur  un 
grand  poirier  qui  s'élevait  devant  sa  maison, 
tout  imprudent  qui  se  serailavisé  d'y  monter. 

2°  Que  sa  bourse  de  cuir,  une  fois  fermée, 
ne  s'ouvrirait  plus  sans  sa  permission. 

3°  Que  son  tablier  de  cuir  aurait  désormais 
celte  vertu  que  jamais  aucune  puissance  na 
pourrait  l'en  détacher,  s'il  parvenait  à  s'y 
asseoir. 

Le  diable  accorda  tout;  il  rebâtit  la  maison 
et  consentit,  selon  tes  clauses  du  marché,  à 


Vj5 


0ICTIONNA115E  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


ne  réclamer  l'âme  du  Wallon  qu'au  bout  de 
dix  ans. 

Le  maréchal  de  Tamine  se  reprit  donc  à 
mener  plus  joyeuse  vie  encore  (jiie  p.ir  le 
passé,  jonlssant  du  présent  et  s'occupant 
très-peu  de  l'avenir.  Les  dix  ans  s'écoulèrent 
ainsi. 

Le  diable  vint  alors  sommer  son  homme 
d'exécuter  le  contrat. 

—  Je  suis  prêt  dit  l'autre;  et  quoique  la 
journée  ne  soit  pas  finie,  je  ne  vous  deman- 
derai qu'une  légère  faveur,  celle  de  manger 
encore  une  fois  du  fruit  de  mon  poirier. 

Le  diable  se  montra  charmé  des  disposi- 
tions du  maréchal  ;  il  se  prêta  de  bonne  grâ- 
ce à  sa  fantaisie  et  grimpa  sur  l'arbre;  ce 
qui  n'était  pas  difficile. 

Mais  il  fallait  en  descendre.  Nul  ne  le  pouTait 
sans  la  permission  du  maître  :  c'était,  comme 
on  l'a  vu,  un  des  avantages  du  contrat.  Le 
diable,  cloué  sur  le  poirier,  n'obtint  sa  liberté 
que  moyennant  un  sursis  de  dix  ans. 

Le  temps  passa,  dans  cette  nouvelle  pério- 
de, aussi  rapide  que  la  première  fois,  en- 
traîné par  les  plaisirs  et  l'insouciance. 

Lediabie  revint.sur  lesoir  du  dernier  jour. 

—  Je  suis  prêt,  dit  encore  le  Wallon. 

— Marchons  donc,  répliqua  le  diable,  d'un 
ton  sérieux,  il  s'était  bien  promis,  cette  fois, 
de  ne  plus  être  victime  de  sa  complaisance. 

Mais  il  ne  savait  pas  à  qui  il  avait  affaire. 
Le  maréchal  de  Tamine  avait  calculé  une 
ressource  nouvelle;  il  prit  l'ange  déchu  par 
son  faible,  l'amour-propre. 

—On  raconte,  dit-il  d'un  air  bonhomme, 
que  vous  êtes  très-puissant;  et  vous  m'en 
avez  donné  quelques  marques;  c'est  ce  qui 
me  rend  joyeux  de  partir  avec  vous.  Mais  on 
me  disait  tout  à  l'heure  une  merveille  que 
je  n'ai  pas  j.'U  croire.  Est-il  donc  vrai  que  vous 
ayez  le  pouvoir  de  prendre  la  taille  qui  vous 
plaît?  que  vous  puissiez  à  l'instant  paraître 
un  géant  énorme,  et  aussitôt  après  devenir 
le  nain  le  plus  exigu'? 

— C'est  très-vrai,  dit  le  diable  avec  impor- 
tance; et  tu  vas  le  voir. 

Pour  prouver  ce  qu'il  avançait,  il  se  gran- 
dit tellement  en  quelques  secondes,  qu'il  pa- 
raissait avoir  trois  cents  pieds. 

—  C'est  prodigieux  I  dit  le  Wallon,  c'est 
.«iuperbe;  et  je  le  répèle,  je  suis  ravi.  Vous 
êtes  plus  grand  que  notre  clocher.  Ah  1  c'est 
beau  de  s'élever  si  haut.  Mais  il  doit  élre 
bien  plus  difficile  de  se  faire  petit,  iuipercep- 
tiblo,  grand  comme  le  pouce,  petit  à  se  loger 
là-dedans. 

En  disant  ces  mots,  il  tenait  sa  bourse 
cntr'ouverte. 

Il  n'avait  pas  achevé,  que  le  diable,  étourdi 
par  la  vanité,  se  ramassait  dans  la  forme  la 
plus  mignonne  et  se  plongeait  tout  entier 
dansla  bourse.  Le  maréchal  de  Tamine  en 
serra  les  cordons.  Tenant  de  nouveau  son 
créancier,  il  rentra  dans  sa  forge,  mit  sa 
bourse  sur  l'enclume  et  travailla  à  l'aplatir 
à  grands  coups  de  marteau. 

Le  diable  hurlait.  Pour  sa  délivrance,  il 
accorda  un  nouveau  sursis  de  div  ans,  et 
s'en  alla  de  m.iuvaise  hutiieur. 


Au  bout  de  cet  autre  terme,  le  maréchal 
de  Tamine,  sentant  qu'il  vieillissait,  n'at- 
tendit pas  que  lediabie  à  (|ui  il  s'était  vendu 
vînt  le  chercher.  Il  alla  lui-même  frapper  à 
la  porte  de  l'enfer.  Son  diable  s'y  trouvait  de 
garde;  mais  dès  qu'il  le  vit,  craignant  de 
nouvelles  malices,  il  lui  ferma  la  porte  au  nez. 

Repoussé  delasorle,  le  Wallon,  quidécidé- 
ment  s'ennuyait  ici-bas,  s'en  alla  cherchtir 
ailleurs.  Nous  suivons  toujours  la  légende 
populaire.  En  rôdant,  il  parvint  à  l'entrée  du 
paradis.  Saint-Pierre  le  reconnut  pour  un 
iiomme  en  commerce  avec  le  diable  et  lui 
refusa  le  passage. 

Le  maréchal  de  Tamine  ne  se  rebutait  pas 
d'un  premier  refus.  Il  demanda,  de  l'air  le 
plus  humble,  qu'on  lui  permit  seulement  de 
rejjarder  un  peu,  par  la  porte  cntr'ouverte 
le  bonheur  des  élus.  Siint-Pierre,  qui  est 
bon,  se  laissa  gagner,  mais  le  rusé  Wallon, 
jetant  dans  le  paradis  son  tablier  de  cuir,  se 
coucha  dessus,  et  ronnepull'en  arracher  (1). 

Sur  quoi,  les  uns  vous  affirmeront  que, 
malgré  les  murmures,  il  obtint,  en  récom- 
pensede  son  stratagème, une  petite  place  par- 
mi les  bienheureux. Maisles  traditions  mieux 
informées  portent  que  le  tablier  fut  jeté  de- 
hors avec  ce  qu'il  portait,  rien  d'impur  ne 
pouvant  entrer  dans  le  ciel. 

L'idée  de  l'arbre  a  été  employée  dans  un 
sens  plus  neuf.  Elle  fait  le  fond  de  la  char- 
mante légende  que  voici,  et  qui  a  été  donnée 
par  M.  Léopold  de  Monvert,  dans  le  journal 
l'Univers. 

Le  bonhomme  Misère. 

Quelques  années  après  la  venue  du  Mes- 
sie, on  voyait  sur  le  haut  de  la  montagne 
Saint-Jean  d'Alfrelz  un  village  isolé,  assez 
peuplé,  pauvre,  quoique  l'on  y  compiât 
quelques  richards  fort  avares,  un  cure  fort 
débonnaire  et  un  cabaretier  dont  les  profils 
étaient  considérables  et  le  vin  mauvais  :  le 
vin  1  chose  rare  en  ce  temps-là,  les  vignes 
du  bas  Languedoc  n'élanl  p.is  encore  plan- 
tées. On  trouvait  aussi  à  S  tint-Jean  de  fraî- 
ches, de  jolies  paysannes  fort  coquettes  , 
trois  ou  quatre  dévoles,  de  méchantes  lan- 
gues, des  coquins  qui  passaient  pour  hon- 
nêtes gens...  A  une  certaine  distance  s'éle- 
vait, abritée  du  nord,  une  étroite  cabane  bâ- 
tie en  pierre  sèche,  couverte  en  chaume,  en- 
tourée de  quelques  toises  de  jardin  où  se 
faisait  remarquer  un  fort  beau  poirier. 

Là  vivait,  dans  le  plus  grand  désiniéressc- 
ment  des  biens  de  ce  monde,  c'est-à-dire 
dans  une  heureuse  tranquillité,  le  bonhomme 
Misère.  Poser  quelques  pierres  sur  la  mu- 
raille qui  défendait  son  petit  terrain  de  la 
visite  des  loups,  rafistoler  la  porle,  la  lucarne 
ou  l'intérieur  de  sa  demeure,  donner  parfois 
un  coup  de  bêche  au  jardin,  et  de  temps  à 
autre  prendre  son  bâton  pour  aller  faire  sa 
tournée  des  châteaux,  suivi  de  Farou,  chien 
maigre,  peu  doux,  mais  très-intelligent,  tel- 
les eiaienl  les  vicissitudes  de  son  existence. 
Quand  Misère  avait  rempli  ses  besaces  et 
(l)  C'est  k  peu  près  ce  que  les  raliliins  racoiiteat  île 
Josué  Ueu-Lévi.  Yojeï  Jo=ué. 


597 


FAU 


FAO 


S98 


son  nnnoiro  île  léprutncs  secs,  de  pain  bien 
cuit  et  de  laine  à  filer;  quand  il  avait  ra- 
inasse aulour  de  la  cabane  quantité  de 
branches  mortes  ;  quand  il  avait  bouché 
avec  soin  dans  son  réduit  1rs  trous  et  les 
fentes,  il  attendait  avec  patience  les  rigueurs 
de  la  rode  saison.  L'hiver  venn,  son  occupa- 
tion était  de  fller  sa  laine,  assez  bon  métier 
en  ces  temps  heureux  où  l'on  ne  voyait  pas 
de  filiilurc  dans  les  vallons  du  pays.  Sachant 
ainsi  s'industrier.  Misère  ne  mourait  pas  de 
faim  :  pour  le  froid,  il  était  habitué,  depuis 
longues  années,  à  l'endurer;  d'ailleurs  on 
lui  avait  donné  une  vieille  paillasse  et  une 
couverture  bonne  encore,  quoique  un  peu 
trouée. 

Certaine  année,  l'hiver,  fort  rigoureux,  se 
prolongea  plus  longtemps  que  de  coutume; 
Misère  se  trouvait  à  la  fin  de  ses  provisions  : 
cela  le  tracassait  peu;  tant  qu'il  lui  restait 
quelque  chose,  il  n'en  mangeait  pas  moins 
sa  croûte  et  sa  bouillie  tranquillement  et 
d'aussi  bon  appétit  que  le  roi.  Cependant  le 
mauvais  temps  continua,  et  Misère,  un  beau 
soir,  n'avait  plus  que  deux  morceaux  de 
pain  :  illes  divisa,  pour  les  multiplier,  en 
quatre  parties,  en  prit  un  et  dit  en  souriant  : 
Uans  trois  jours  nous  verrons.  Possédant 
encore  du  bois,  il  fil  bon  feu  et  se  mit  à  filer, 
tout  en  chantant,  d'une  voix  tremblante,  les 
louanges  du  Seigneur. 

Tout  à  coup  Ion  frappe  à  la  porle.  N'é- 
tant pas  habitué  à  recevoir  des  visites,  Mi- 
sère ne  se  souciait  pas  d'ouvrir  à  pareille 
heure;  mais  pensant  au  froid  que  devait 
éprouver  l'étranger,  il  se  leva,  et  voyant  le 
rliien  faire  des  bonds  de  joie  à  la  porte, 
flairer,  gratter  dessous,  donner  mille  signes 
du  plus  grand  empressement  ,  il  n'hésita 
plus,  certain  que  ce  ne  pouvait  être  un  en- 
nemi, puisque  Farou  avait  si  grande  envie 
de  le  recevoir.  Dès  qu'il  eut  ouvert,  un 
homme  entra  précipitamment,  tout  dégue- 
nillé, bleu  de  froid,  l'air  mourant  de  faim,  et 
lui  demandant  d'une  voix  douce  : 

—  N'es-lu  pas  Misère  ? 

—  C'est  moi-même,  répondit  le  vieillard. 

—  On  m'a  dit  que  lu  me  donnerais  l'hos- 
pitalité, et  je  viens  avec  confiance. 

—  Vous  avez  bien  fait,  car  il  ne  sera  pas 
dit  que  Misère  ail  laissé  périr  par  sa  faute 
une  créature  du  bon  Dieu. 

—  Qu'il  le  bénisse  donc,  répondit  l'in- 
connu, puisque  tu  l'aimes  dans  ses  enfants. 

A  ces  paroles,  Misère  se  sentit  tressaillir; 
quelque  chose  comme  un  charme  puissant 
pénétra  tout  son  corps;  il  lui  st'mblait  re- 
naître à  la  vigueur,  à  la  jeunesse. 

—  Avant  de  venir  à  ta  cabane,  continua 
l'étranger,  je  suis  allé  d'abord  chez  le  caba- 
retier;  il  ma  répondu  qu'il  ne  logeait  pas  de 
voleurs  ,  et  de  décamper  sur-le-cliamp.  J'ai 
fr/ippé  à  toutes  les  maisons;  on  y  dormait, 
on  ne  roulait  pas  se  déranger,  ou  bien  on 
ne  se  souciait  pas  de  recevoir  un  inconnu  : 
l'un  m'a  dit  d'aller  au  diable,  l'autre  d'aller 
chez  le  voisin:  le  voisin  a  protesté  n'avoir 
pas  la  [ilus  petite  place;  le  pain,  le  vin  lui 
(y,i tiquaient,    il  croyait    même  l'eau  gelée  ; 


mais  il  m'a  indiqué  la  cabane  :  lu  m'as  ou- 
vert, et  je  t'en  remercie,  car  j'ai  froid  et  tu 
as  du  feu. 

Farou  léchait  en  gémissant  les  pieds  écor- 
chés  de  l'étranger.  Misère,  étonné,  s'écria  : 

—  Je  crois  que  vous  avez  charmé  mon 
chien  ,  si  méchant  pour  lout  le  monde  ;  mais 
n'importe,  vous  devez  avoir  faim,  et  voici  ce 
que  j'ai  à  vous  donner. 

Le  vieillard  lira  de  larmoire  les  trois  mor- 
ceaux de  pain,  qu'il  offrit  à  son  malheureux 
convive;  et  quand  celui-ci  les  eut  dévorés  , 
Misère,  étendant  sa  paillasse,  l'y  fil  coucher, 
enveloppé  de  la  vieille  couverture. 

Le  chien  s'allongea  aux  pieds  du  nouvel 
hôte,  et  le  maître  de  la  cabane  s'endormit 
sur  l'escabeau,  près  des  cendres  chaudes. 

Un  moment  avant  l'aurore,  les  deux  vieil- 
lards s'éveillèrent,  ella  premièrechoseque  fit 
Misère  fut  d'aller  examinerle  ciel  pour  savoir 
s'il  lui  serait  possible  de  se  mettre  en  quête. 

A  peine  sur  lesenil,  la  douce  tiédeur  d'une 
matinée  de  printemps  vint  le  charmer;  sa 
surprise  était  grande,  ne  comprenant  rien  à 
un  si  subit  et  si  extraordinaire  changement. 

—  Nous  aurons  nn  beau  jour,  lui  dit  en 
sortant  l'étranger  ;  je  pense  que  tu  sauras  le 
Hiettre  à  profil;  pour  moi,  je  dois  te  quitter; 
adieu  1  Mais,  reprit-il  sur  un  ton  plus  grave, 
lu  m'as  cédé  la  couche,  lu  m'as  donné  ton 
dernier  morceau  de  pain  sans  même  savoir 
si  tu  pourrais  te  procurer  quelque  chose  au- 
jourd'hui, que  te  faut- il  pour  cela? demande 
ce  que  tu  voudras,  je  puis  tout  t'accorder; 
tu  as  agi  selon  mes  commandements,  et  lu 
recevras  la  récompense  :  —  Je  suis  —  Jé- 
sus-Christ I 

A  ce  nom.  Misère  se  signa,  et  tombant  à 
genoux,  dit  au  Sauveur  : 

—  Je  ne  m'élonne  plus,  bon  Dieu  1  des  ca- 
resse» de  Farou...  ;  quant  à  ce  que  je  vou- 
drais... Seigneur,  je  n'ai  besoin  de  rien;  je 
me  trouve  heureux  comme  je  suis. 

—  Es-tu  bien  sûr  de  ne  rien  désirer? 
songes-y.  Misère. 

—  Au  fait.  Seigneur  Jésus,  j'ai  là  un  poi- 
rier qui  porle  beaucoup  de  poires  et  fort 
bonnes,  mais  les  enfants'  du  village  me  les 
viennent  voler;  je  voudrais  que  quiconque 
montera  dorénavant  sur  cet  arbre  ne  puisse 
plus  en  descendre  sans  ma  permission.  Le 
Sauveur  sourit,  jeta  sur  Misère  un  regard 
paternel,  lui  donna  le  pouvoir  qu'il  deman- 
dait, sa  bénédiction,  et  disparut. 

Misère  fil  alors  sa  prière  avec  beaucoup 
de  dévotion,  prit  joyeusement  ses  besaces, 
cl,  suivi  de  Farou,  s'en  fut  quêter  dans  les 
cliâlellenics  d'alentour. 

Tout  le  monde  se  trouvait  de  bonne  hu- 
meur ce  jour-là,  et  le  mendiant  rencontra 
sur  sa  roule  la  plupart  des  seigneurs  (jui 
chevauchaient.  Dans  la  vallée,  et  lout  cou- 
vert de  ses  armes,  l'un  accompagné  de  vas- 
saux, criait  d'une  voix  rude  :  —  Misère  I 
passe  au  caslel,  dis  que  tu  m'as  rencontré  el 
qu'on  le  donne  1  N'oublie  pas  un  Paiera  mou 
intention. 

Plus  loin,  sur  l'élroile  plaine  dominant  la 
hauteur,  une  jeune  cl  jolie  châtelaine  arrir 


5!)9 


DlCnONNAinE  DES  SCIENCES  OCCl  LTES. 


coo 


vait  au  galop,  suivie  île  ses  pages  et  de  son 
énoux;  elle  arrêle  le  fringant  coursier,  et, 
d  une  vois  caressante  :  —  Misère,  mon  pau- 
▼  re  vieux,  il  y  a  longtemps  que  je  ne  t'ai  vu  1 
tu  te  portes  toujours  bien?  Demande  à  Ma- 
rianne, la  gouvernante,  ce  que  tu  voudras; 
prie  pour  moi  surtout!  Et,  vive  et  joyeuse, 
sans  crainte,  elle  lançait  son  cheval  dans 
le  chemin  étroit  au  bord  des  précipices... 

Misère  était  rempli  de  bonheur,  des  larmes 
de  reconnaissance  et  d'amour  se  mêlaient  à 
ses  rires  :  remerciant  avec  effusion  Jésus~ 
Christ  de  son  beau  jour,  il  rentra  à  la  ca- 
bane, courbé  sous  le  poids  dos  aumônes 
dont  il  ne  portail  encore  qu'une  moitié. 

De  longues  années  s'écoulèrent  sans  que 
le  pauvre  vieillard  reçût  d'autres  visites  : 
mais  chaque  jour  quelque  petit  polisson  res- 
tait immobile  sur  l'arbre  enchanté. 

Un  soir  d'été,  pendant  qu'avec  délices  il 
prenait  les  derniers  rayons  du  soleil,  car  Mi- 
sère aima  toujours  beaucoup  le  soleil,  du 
milieu  de  la  campagne  silencieuse  une  voix 
lugubre  retentit  tout  à  coup. 

—  Misère  !  Misère  I 

Il  en  trembla  de  tous  ses  vieux  membres 
sur  le  petit  banc  de  pierre  dont  était  orné  le 
devant  de  sa  porte.  Mais  quel  n'est  pas  son 
effroi,  quand,  tournant  la  léle,  il  aperçoit  à 
ses  côtés  la  Mort,  la  Mort  elle-même  I  Peu  à 
peu  cependant  l'épouvante  décroît,  Misère 
revient  à  lui,  son  œil  reprend  bientôt  une 
certaine  vivacité,  son  air  do  quiétude  repa- 
raît, et  il  répond  avec  calme  à  la  Mort  : 

—  Que  me  vouhz-vous? 

—  G<!  que  je  veux?  ne  me  reconnais-tu 
pas?  je  suis  la  Mort  I  Je  viens  te  prendre  I 

—  Comment,  déjà? 

—  Tu  dois  m'en  savoir  gré  ;  traînant  de- 
puis tant  d'années  une  si  misérable  existen- 
ce, fatigant  les  hommes  de  les  haillons  rt- 
poussanls.de  tes  sollicitations  importunes, 
la  vie  doit  te  peser;  viens  donc  1  Viens,  lu 
ne  fus  ni  menteur,  ni  ivrogne,  ni  libertin,  ni 
avare;  lu  aimas  Dieu  et  Ion  prochain;  que 
craindre  de  l'autre  monde?  Tu  es  vieux  et 
cassé,  que  regretter  de  celui-ci?  Laisse-moi 
t'oniporter,  ma  main  le  sera  douce:  ami,  la 
mort,  c'est  le  repos. 

—  Je  n'ai  garde  de  vous  contredire;  mais, 
entre  nous,  les  hommes  se  mettent  peu  en 
peine  de  moi;  vous  êtes  mille  fois  trop  bonne 
de  vous  en  inquiéter  :  certes,  je  suis  sensi- 
ble à  votre  amitié  I  cependant,  s'il  vous  était 
égal  de  me  laisser  encore  quelque  temps  ici- 
bas,  je  vous  le  dis  avec  franchise,  vous  me 
paraîtriez  beaucoup  plus  aimable  :  le  far- 
deau de  la  vie  est  lourd,  je  n'en  disconviens 
pas;  mais,  par  suite  de  la  longue  habitude, 
j'aime  à  le  porter. 

—  Se  peut-il  que  les  hommes  soient  si  bi- 
zarres, et  que  précisément  ceux  qui  de- 
vraient, à  bon  droit,  me  craindre,  m'invo- 
quent avec  ferveur,  tandis  que  d'autres,  à 
qui  je  ne  saurais  apporter  que  des  consola- 
tions, me  repoussent?  J'aurai  pourtant  pi- 
tié de  Misère  plus  que  Misère  lui-même  : 
préparo-toi  donc  à  me  suivre,  et  prolitc  des 


quelques  instants  qu'il  m'csl  ordonné,  d'en 
haut,  de  l'accorder. 

—  Puisque  vous  ne  voulez  rien  écouter,  il 
faut  bien  en  prendre  son  parti,  et,  au  fait, 
peut-être  dites-vous  la  vérité,  répliqua  Mi- 
sère avec  une  feinte  résignation;  rendez- 
moi  donc,  s'il  vous  plaît,  le  service  de  m'al- 
ler  quérir  trois  poires  sur  le  poirier  qui  est 
là,  afln  que,  pendant  les  moments  accordés, 
je  les  mange  en  les  offrant  au  Père,  au  Fils 
et  au  Saint-Esprit,  comme  un  témoignage 
de  ma  gratitude  pour  tout  ce  qui  m'a  él6 
donné  de  joie  et  de  contentement  sur  la 
terre. 

Par  respect  pour  la  très-sainte  Trinité,  la 
Mort  voulut  bien  se  prêter  au  désir  de  celui 
qui  allait  devenir  sa  proie;  elle  monta  sur 
le  poirier  et  cueillit  les  trois  poires  ;  mais, 
au  moment  de  descendre,  hernicq,  elle  se 
trouva  prise  comme  un  oiseau  à  la  glu. 

H  faisait  beau  la  Toir  ainsi  enchaînée,  la 
main  droite  étendue  portant  les  trois  fruits, 
le  bras  gauche  replié  autour  du  poirier  ma- 
gique, les  deux  jambes  pendantes  comme 
deux  longs  fuseaux,  son  hideux  visage  se 
décomposant,  et  le  rusé  Misère  lui  faisant 
des  langues  et  des  pans  de  nez  à  n'en  pas  fi- 
nir; il  riait,  riait,  riait  tant  qu'il  pouvait, 
certain  qu'il  n'en  mourrait  pas. 

La  Mort  employa  tour  à  tour  les  menaces 
et  les  snpplications,  rien  ne  fit;  elle  eut  re- 
cours à  la  philosophie;  maisàses  arguments. 
Misère  répondait:  Ah  bail  Ah  bail  tu  me 
plais  infiniment  sur  ce  fruitier,  je  l'y  trouve 
bien  genlillc,  et  t'y  yeux  laisser  passer  au 
moins  un  n>ois.  D'après  ce  que  j'ai  entendu 
dire,  tu  as  tué  beaucoup  trop  de  monde  de- 
puis quelque  temps;  tu  dois  êlre  fatiguée, 
ma  chère  -.  repose-toi  donc  ;  l'immobilité  , 
c'est  le  repos. 

—  Tu  ne  te  rendras  point  coupablû  de  rctlo 
cruauté  1  s'écria  la  Mort.  Tu  crois  peul-êtro 
que  tout  le  monde  me  déteste?  Oh  1  détrompe- 
toi  ;  que  ne  peux-tu  entendre,  comme  je  les 
entends,  les  pensées,  les  désirs,  les  cris,  les 
prières,  les  invocations  qui,  de  toutes  parts, 
me  conjurent  et  m'appellent?  De  co  côté,  des 
âmes  choisies  qui  convoitent  les  trésors  cé- 
lestes ;  ailleurs,  ceux  que  brûle  la  soif  de  la 
vengeance,  ceux  que  tourmente  une  ambition 
jalouse,  que  dévore  un  amour  impur;  par- 
tout des  cœurs  ardents  qui  m'aiment,  me 
prient,  me  désirent ,  toute  laide  et  horrible 
que  je  suis,  comme  la  jeune  amante  la  plus 
aimable,  la  plus  belle  des  fiancées.  Ils  sont 
là,  suppliant  avec  larmes,  avec  fureur;  il 
suffirait  d'un  geste  pour  m'entourer  dans 
l'ombre  de  leur  cortège  passionné! — Dé- 
livre-moi, j'ai  à  remplir  dans  ce  monde  uno 
haute  fonction  1  Si  je  le  quittais,  le  mensonge, 
le  vice  s'en  empareraient;  la  terre  devien- 
drait l'enfer,  et  il  n'y  aurait  pas  de  ciel  poul- 
ies hommes!  Laisse,  laisse  donc  sf  liberté 
à  la  Mort.  Ne  faut-il  pas  que  je  conduise  les 
bienheureux  élus  au  pied  du  troue  de  l'E- 
ternel? Ne  faut-il  pas  purger  la  terre  des  mé- 
chants et  livrcrau  démon  ceux  qui  l'ont  servi? 

—  Puisque  tu  es  si  désirée,  si  néccssaiie, 
je  veux  bien  consentir  A  te   laisser  aller,. 


ÏOI  FEE 

mais  à  une  condition  :  (u  no  viemlrag  me 
prendre  que  sur  madennanile  ou  sur  un  ordre 
du  S;uiveur. 

—  Tu  as  tort  de  m'imposer  une  semblable 
condition;  mieux  te  vaudrait  partir  mainte- 
nant; au  ciel  tu  seras  heureux.  —  Possible  I 
possible!  jo  serai  toujours  à  temps  de  l'appe- 
ler. Pour  le  moment,  je  trouve  qu'il  fait  bon 
sur  la  terre.  Jure  donc,  si  tu  veux  quitter  ce 
bel  arbre,  jure  sur  le  saint  Evangile  de  n'ap- 
procher de  ma  personne  que  lorsque  je  t'au- 
rai appelée  très-distinctement  et  par  trois 
fois  de  suite,  ou  que  lors(|ue  Notre-Seignour 
Jésus-Christ  lui-même  t'en  aura  signilié  le 
comniandemeat  exprès. 

Impatiente,  la  Mort  jura  ce  serment  ;  Mi- 
sère, alors,  lui  donna  la  permission  de  des- 
cendre du  poirier  enchanté;  d'un  bond  elle 
disparut  par-dessus  les  montagnes. 

Le  Sauveur  n'a  jusqu'à  présent  donné  à  la 
Mort  aucun  ordre  nouveau,  et  il  n'est  pas 
encore  arrivé  au  vieux  mendiant  de  l'appeler 
trois  fois  de  suite;  voilà  pourquoi  Misère  esl 
toujours  sur  la  terre. 

FECHNER  (Jean),  auteur  d'un  traité  latin 
sur  la  pneumatique,  ou  doctrine  des  esprits 
selon  les  plus  célèbres  philosophes  de  son 
temps.  Breslan,  in-12,  1G98. 

FÉCONDITÉ.  De  graves  écrivain»  afGr- 
menl  que  le  vent  produit  des  poulains  et  des 
perdrix.  Varron  dit  qu'en  certaines  saisons 
le  vent  rend  fécondes  les  juments  et  les  poules 
de  Lusitanie.  A'^irgilc,  Pline,  Golumelle,  ont 
adopté  ce  conte,  et  le  mettent  au  nombre  des 
faits  constamment  vrais,  quoiqu'on  n'en 
puisse  dire  la  raison. 

On  a  soutenu  autrefois  beaucoup  d'imper- 
tinences de  ce  genre,  qui  aujourd'hui  sont 
reconnues  des  erreurs.  On  a  publié  un  arrêt 
donné  en  1537  par  le  parlement  de  Grenoble, 
qui  aurait  reconnu  la  fécondité  d'une  femme 
produite  par  la  seule  puissance  de  l'imagi- 
nation. Cet  arrêt  supposé  n'est  qu'une  assez 
mauvaisi-  plaisanterie. 

FÉCOR.  Voy.  Anarazel. 

FÉES.  Si  les  hisloires  des  génies  sont  an- 
ciennes dans  rOrient,  la  Bretagne  a  peut-être 
Je  droit  de  réclamer  les  fées  et  les  ogres.  Nos 
fées  ou  fades  {fatidicœ)  sont  assurément  les 
druidcsses  de  nos  pères.  Chez  les  Bretons,  de 
temps  immémorial,  et  dans  tout  le  reste  des 
Gaules  ,  pendant  la  première  race  des  rois 
francs,  on  croyait  généralement  que  les  drui- 
dcsses pénétraient  les  secrets  de  la  nature, 
et  disparaissaient  du  monde  visible.  Elles 
ressemblaient  en  puissance  aux  magiciennes 
des  Orientaux.  On  en  a  fait  des  fées.  On  di- 
sait qu'elles  habitaient  au  fond  des  puits,  au 
bord  des  torrents,  dans  des  cavernes  som- 
bres. 

Elles  avaient  le  pouvoir  de  donner  aux 
hommes  des  formes  d'animaux,  et  faisaient 
quelquefois  dans  les  forêls  les  mêmes  fonc- 
tions que  les  nymphes  du  paganisme. 

Elles  avaient  une  reine  qui  les  convoquait 
tous  les  ans  en  assemblée  générale,  pour  pu- 
nir celles  qui  avaient  abusé  de  leur  puis- 
sance et  récompenser  celles  qui  avaient  fait 
du  bien. 


FEE 


Sl)2 


Dans  certaines  contrées  de  l'Ecosse,  on  dit 
que  les  fées  sont  chargées  de  conduire  au 
ciel  les  âmes  des  enfants  nouveau-nés ,  et 
qu'elles  aident  ceux  qui  les  invoquent  à 
rompre  les  maléfices  de  Satan. 

On  voit  dans  tous  les  contes  et  dans  les 
vieux  romans  de  chevalerie,  où  les  fées  jouent 
un  si  grand  rôle,  que,  quoique  immortelles, 
elles  étaient  assujetties  à  une  loi  qui  les  for- 
çait à  prendre  tous  les  ans,  pendant  quelques 
jours,  la  forme  d'un  animal,  et  les  exposait, 
sous  cette  métamorphose,  à  tous  les  hasards, 
même  à  la  mort,  qu'elles  ne  pouvaient  re- 
cevoir que  violente. 

On  les  distinguait  en  bonnes  et  méchantes 
fées;  on  était  persuadé  que  leur  amitié  ou 
leur  haine  décidait  du  bonheur  ou  du  malheur 
des  familles. 

A  la  naissance  de  leurs  enfants  ,  les  Bre- 
tons avaient  grand  soin  de  dresser,  dans  une 
chambre  écartée ,  une  table  abondamment 
servie,  avec  trois  couverts,  afin  d'engager 
les  mères,  ou  fées,  à  leur  être  favorables,  à 
les  honorer  de  leur  visite,  et  à  douer  le  nou- 
veau-né de  quelques  qualités  heureuses.  Ils 
avaient  pour  ces  êtres  mystérieux  le  mémo 
respect  que  les  premiers  Romains  pour  les 
cnrmenles,  déesses  tutélaires  des  enfants,  qui 
présidaient  à  leur  naissance,  chantaient  leur 
horoscope  et  recevaient  des  parents  un  culte. 

On  trouve  des  fées  chez  tous  les  anciens 
peuples  du  Nord,  et  c'était  une  opinion  par- 
tout adoptée  que  la  grêle  et  les  tempêtes  ne 
gâtaient  pas  les  fruits  dans  les  lieux  qu'elles 
habitaient.  Elles  venaient  le  soir,  au  clair  do 
la  lune,  danser  dans  les  prairies  écartées. 
Elles  se  transportaient  aussi  vite  que  la  pen- 
sée partout  oiî  elles  souhaitaient,  à  cheval 
sur  un  griffon,  ou  sur  un  chat  d'Espagne,  ou 
sur  un  nuage. 

On  assurait  même  que,  par  un  autre  ca- 
price de  leur  destin,  les  fées  étaient  aveugles 
chez  elles,  et  avaient  cent  yeux  dehors. 

Frey  remarque  qu'il  y  avait  entre  les  fées, 
comme  parmi  les  hommes, inégalité  de  moyens 
et  de  puissance.  Dans  les  romans  de  cheva- 
lerie et  dans  les  contes,  on  voit  souvent  une 
bonne  fée  vaincue  par  une  méchante,  qui  a 
plus  de  pouvoir. 

Les  cabalistcs  ont  aussi  adopté  l'existence 
des  fées,  mais  ils  prétendent  qu'elles  sont  des 
sylphides,  ou  esprits  de  l'air.  On  vit ,  sous 
Charlemagne  et  sous  Louis-le-Débonnaire, 
une  multitude  de  ces  esprits,  que  les  légen- 
daires appelèrent  des  démons,  les  cabalistes 
des  sylphes,  et  nos  chroniqueurs  des  fées. 
Corneille  de  Kempen  assure  que,  du  temps 
de  Lothaire,  il  y  avait  en  Frise  quantité  de 
fées  qui  séjournaient  dans  les  grottes,  au- 
tour des  montagnes,  et  qui  ne  sortaient  qu'au 
clair  de  la  lune.  Olaiis  Magnus  dit  qu'on  en 
voyait  beaucoup  en  Suède  de  son  temps. 
«  Elles  ont  pour  demeure,  ajoute-t-il,  des 
antres  obscurs,  dans  le  plus  profond  des  fo- 
rêts; elles  se  montrent  quelquefois,  parlent 
à  ceux  qui  les  consultent,  et  s'évanouissent 
subitement.  » 


Icn 


On  voit,  dans  Froissard.  ^u'il  y  avait  éga-  ^ 
ment  une  multi'.udc  de  fées  dans   l'île  do' 


ens 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


60k 


Céphalonic;  qn*ellos  prolégenieni  le  pays 
contre loulm6chef,<'t  qu'elles s'enlrotcnaifiit 
ftiniilièrcmi'iil  avec  les  femmes  d(;  l'ile. 

Les  femmes  blanches  de  rAllemnpnc  sonl 
encore  des  fées  ;  mais  celles-là  étajenl  pres- 
que toujours  (l,in{;ereuses. 

Leloyer  conte  que  les  Rrossais  avaient  des 
fées,  ou  fiiirs  ,  ou  fiirfolks,  qui  venaient  la 
nuit  dans  les  prairies.  Ces  fées  paraissent 
élre  les  striges,  ou  magiciennes,  dont  parle 
Ausone.  Hector  de  Boëee,  dans  ses  Annales 
d'Ecosse,  dit  que  trois  de  ces  fées  propliéti- 
sèrent  à  Ban((uo.  chef  des  Sluarls,  li  gran- 
deur future  de  sa  maison.  Sliakspeare,  dans 
son  Macbeth,  en  a  fait  trois  sorcières. 

Il  reste  beaucoup  de  monuments  de  la 
croyance  aux  foes  :  telles  sont  les  grolles  du 
Ciiahlais,  qu'on  appelle  les  grottes  des  fées. 
On  n'y  aborde  qu'avec  peine.  Chacune  des 
trois  grolles  a,  dans  le  fond,  un  bassin  dont 
l'eau  passe  pour  avoir  des  vertus  miracu- 
leuses. L'eau  qui  disiil'e  dans  la  grotte  supé- 
rieure, à  tr.ivcrs  le  rocher,  a  formé,  dans  la 
voûte,  la  figure  d'une  poule  qui  couve  ses 
poussins.  A  côté  du  bassin,  on  voit  un  rouet, 
ou  tour  à  filer,  avec  la  quenouille.  «  Les 
femmes  des  environs,  dit  un  écrivain  du  der- 
nier siècle,  prétendent  avoir  vu  autrefois, 
dans  l'enfoncement,  une  fi-mme  pétrifiée  au- 
dessus  du  rouet.  Aussi  on  n'osait  guère  ap- 
procher de  ces  grolles;  mais  depuis  que  Li 
figure  de  la  femme  a  disparu,  on  est  devenu 
moins  timide,  k 

Auprès  de  Ganges,  en  Languedoc,  on  mon- 
tre une  autre  grolle  des  fées,  ou  grotte  des 
demoiselle*  ,  dont  on  l'ait  des  conies  merveil- 
leux. On  voit  à  Merlingcn  ,  en  Suisse,  tine 
citerne  noire  qu'on  appelle  le  puits  de  la  fée. 
Non  loin  de  Bord-Sainl-Georges,  à  deux  îieues 
•le  Chambon,  on  respecte  encore  les  débris 
d'un  vieux  puits  qu'on  appelle  aussi  le  puits 
des  fées,  ou  fades,  el  sept  bassins  qu'on  a 
nommes  les  creux  des  fides.  (>n  voit  près  de 
là,  sur  la  roche  de  Beaune,  deux  empreintes 
de  pied  humain  :  l'une  est  celle  du  pied  de 
saint  Martial,  l'autre  appartient,  suivant  la 
tradition,  à  la  reine  des  fées,  qui,  dans  un 
moment  de  fureur,  frappa  si  forlement  le  ro- 
cher de  son  pied  droit,  qu'elle  en  laissa  la 
marque.  On  ajoute  que,  mécontente  des  ha- 
bitants du  canton,  elle  larit  les  sources  mi- 
nérales qui  remplissaient  les  creux  des  fées, 
el  les  Ht  couler  à  Evaux.  où  elles  sonl  encore. 

On  voyait,  près  de  Domremy,  l'arbre  des 
Fées:  Jeanne  d'Arc  fut  même  accusée  d'a- 
voir eu  des  relations  avec  les  fées  qui  ve- 
naient danser  sous  cet  arbre. 

On  remarque  dans  la  petite  île  de  Concou- 
rie,  à  une  lieue  de  Saintes  ,  une  haute  butle 
de  terre,  qu'on  appelle  le  Mont  des  Fées. 
La  Bretagne  est  pleine  de  vestiges  sembla- 
bles ;  plusieurs  fontaines  y  sont  encore  con- 
sacrées à  des  fées  ,  lesquelles  métamorpho- 
sent en  or,  en  diamant,  la  main  des  indis- 
crets qui  souillent  l'eau  de  leurs  sources. 

Tallemant  des  Réaux  rapporte  celte  mer- 
veilleuse histoire  de  fée  ,  qui  se  raltaehe  à 
l'origine  des  maisons  de  Croy,  de  Salni  et  de 
Bassonipierrc  ; 


Le  comte  d'Angeweiller ,  marié  avec  la 
coiiiless"  (le  Kiiispcin  ,  allait  habituellement 
à  la  chasse.  Quand  il  revenait  lard  ou  qu'il 
voulait  partir  de  grand  malin  sans  réveiller 
sa  femme,  il  couchait  dans  une  petite  cham- 
bre ,  au-dessus  de  la  porte  d'entrée  de  son 
château.  On  avait  niis  là  pour  lui  une  cou- 
chette de  bois  ,  bien  travaillée  selon  le 
temps. 

Or  un  lundi,  en  montant  à  sa  chambre, 
sur  le  portail,  il  y  trouva  une  fée  endormie. 
Il  ne  la  troubla  point;  et  durant  quinze  ans 
elle  revint  là  tous  les  lundis,  jus(]u'à  un  cer- 
tain jour  que  la  comtesse,  étant  entrée  dans 
celle  chambre  ,  y  vit  le  couvre-chef  de  la 
fée  el  le  dérangea.  La  fée  se  voyant  décou- 
verte, dit  au  comte  qu'elle  ne  reviendrait 
p'us,  cl  lui  donna  un  gobelet ,  une  cuiller  cl 
une  bague,  lui  recommandant  de  partager 
ces  trois  dons  à  trois  filles  qu'il  avait. 

—  Ces  gages,  dit-elle,  porteront  le  bon- 
lieur  dans  les  maisons  où  ils  entreront  tant 
qu'on  les  y  gardera  ;  et  tout  malheur  arri- 
vera à  qui  dérobera  un  de  ces  objets  pré- 
cieux. 

Après  ces  mots,  la  fée  s'en  alla,  el  le  comte 
d'Augeweiller  ne  la  revit  jamais  plus.  11  ma- 
ria ses  trois  filles  avec  trois  seigneurs  des 
maisons  de  Croy  ,  de  Salm  et  de  Bassom- 
pierre.  et  leur  donna  à  chacune  «ne  terre 
et  un  gage  de  la  fée.  Croy  eut  le  gobelet  et  la 
lerre  d'Angeweiller  ;  Salm  eut  la  bague  el  la 
terre  de  Fcnestrange  ,  et  Bassompierre  eut 
la  cuiller  avec  la  lerre  d'Answeilier.  Trois 
abbayes  étaient  dépositaires  de  ces  gages 
quand  les  enfants  étaient  mineurs  ;  Nivelles 
pour  Croy,  Ucmenecour  pour  Salm,  Epinal 
pour  Bassompierre;  et  en  effet  ces  trois  mai- 
sons prospérèrent  longtemps. 

Quant  à  l'autre  prédiction  de  la  fée,  rela- 
tivement au  vol  de  ces  objets,  on  en  recon- 
nut la  vérité  dans  la  maison  de  M.  de  Pange, 
seigneur  lorrain,  qui  déroba  au  prince  do 
Salm  la  bague  qu'il  avait  au  doigt,  un  jour 
qu'il  le  trouva  assoupi  pour  avoir  trop  bu. 
Ce  M.  de  Pange  avait  quarante  mille  écus 
de  revenu  ;  il  avait  de  belles  terres  ,  il  était 
surintendant  des  finances  du  duc  de  Lor-. 
raine.  Cependant  à  son  retour  d'Espagne, 
où  il  ne  réussit  à  rien,  quoiqu'il  y  eût  fait 
pendant  longtemps  bien  de  la  dépense  (il 
était  ambassadeur  chargé  d'obtenir  une  fille 
du  roi  Philippe  II  pour  son  maître),  il  trouva 
tout  son  bien  dissipe;  il  mourut  de  regret ,, 
el  ses  trois  filles  qu'il  avait  mariées  furent 
abandonnées  de  leurs  maris. 

On  ne  saurait  dire  de  quelle  matière  sont 
ces  dons  de  la  fée.  Ils  sont  grossiers.  On  ra- 
conte que  Diane  de  Dampmarlin,  marquise 
d'Havre,  de  la  maison  de  Croy,  ayant  laissé 
tomber  le  gobelet  en  le  montrant,  il  se  cassa 
en  plusieurs  pièces.  lîHe  les  ramassa,  les 
remit  dans  l'étui  en  disant  : 

Si  je  ne  puis  l'avoir  entier,  je  l'aurai  au 
moins  par  morceaux  ;  el  le  lendemain,  en 
ouvrant  l'étui,  elle  trouva  le  gobelet  aussi 
entier  que  devant...  —  Voilà,  ajoute  Talle- 
mant, une  belle  petite  fable. 

On  lit,  dans   la   légende  de  saint  Armcn- 


605 


FEE 


FEK 


606 


laire,  écrite  en  l'an  1300,  quolquns  détails 
sur  la  fée  Esterelle,  qui  vivait  auprès  (Vune 
fontiiine  oii  les  Provençaux  lui  apportaient 
(les  offrandes.  Elle  donnait  des  breuvages 
enchantés  aux  femmes.  Le  moiiaslère  de 
Notre-Dame  de  l'Esterel  était  bâti  sur  le  lieu 
qu'avait  habité  cette  fée. 

Méliisine  était  encore  une  fée  ;  il  y  avait 
dans  son  destin  cette  particularité,  qu'elle 
était  obligée  tous  les  samedis  de  prendre  la 
forme  d'un  serpent  dans  la  partie  inférieure 
dp  son  corps. 

l.a  fée  qui  épousa  le  seigneur  d'Argouges, 
an  commencement  du  quinzième  siècle,  \'a- 
vait,  dit-on,  averti  de  ne  jamais  parler  de  la 
niorl  devant  elle  ;  mais  un  jour  qu'elle  s'é- 
tait fait  longtemps  attendre  ,  son  mari,  im- 
patienté ,  lui  dit  qu'elle  serait  bonne  à  aller 
ciicrchcr  la  mort.  .\ussilôt  la  fée  disparut  en 
l.iissant  les  traces  de  ses  mains  sur  Ic's  murs, 
cnnlre  lesquels  elle  frappa  plusieurs  fois  de 
•iépit.  C'est  depuis  ce  temps  que  la  noble  mai- 
son d'Argouges  porte  dans  ses  armes  trois 
mains  posées  en  p.il  ,  et  une  fée  pour  ci- 
mier. 

L'époux  de  Mélusine  la  vil  également  dis- 
paraîlrc  pour  n'avoir  pu  vaincre  la  curiosité 
de  la  regarder  à  travers  la  porte  dans  sa  mé- 
t<:niorpliose  du  samedi. 

La  reine  des  fées  est  Titania  ,  épouse  du 
roi  Obéron  ,  qui  a  inspiré  à  Wieland  un 
poëme  célèbre  en  Allemagne.  Voyez  Eucel- 

DdUNE. 

Les  trois  commères  de  Beauraing ,   tradition 
du  temps  des  fées. 

Tout  passe  ;  et  comme  dit  Biaise  Pascal, 
c'est  une  mort  continuelle  que  ce  change- 
ment de  tous  les  instants,  qui  fait  que  les 
jours  se  suivent  sans  jamais  se  ressembler. 
Les  rois  abso'.us  sont  déjà  loin  ;  les  hochets 
de  nos  pères  sont  remplacés  par  d'autres 
jouets;  les  sorciers  font  place  aux  charla- 
tans; les  magiciens  sont  remplacés  par  les 
magnétiseurs  ;  les  fées  mêmes,  dont  le  pou- 
voir en  général  fut  si  gracieux,  ne  se  mon- 
trent plus  depuis  plusieurs  siècles.  Il  paraît 
que,  dès  le  douzième,  elles  étaient  déjà  en 
commencement  de  décadence. 

Pendant  que  le  pays  de  Namur  obéissait  à 
Henri  l'aveugle  et  à  sa  noble  épouse,  Lau- 
retle  d'Alsace  ,  on  vit  s'éteindre  en  cette  pro- 
vince la  race  des  fies,  dont  la  dernière,  très- 
avancée  en  âge,  laissait  un  flis,  seul  reste 
de  celle  mystérieuse  famille  ,  mais  âgé 
de  quatre-vingts  ans,  tout  cassé  et  presque 
sans  puissance  ;  car  les  fées,  lorsqu'elles  se 
mariaient,  léguaient  leurs  baguettes  à  leurs 
filles  ,  et  n'accordaient  aux  garçons  que  peu 
lie  chose. 

Le  fils  de  la  fée  du  pays  de  Namur  était 
'Jonc  un  vieux  bonhomme  qui  s'appelait  Bi- 
ron.  C'est  un  nom  comme  un  autre.  Il  n'a- 
vait p'is  d'argent  et  vivait  de  charités  qu'il 
nccrochait  à  droite  et  à  gauche,  et  qui! 
payait  comme  il  pouvait,  en  faisant  des  sou- 
haits ,  lesquels  ne  s'accomplissaient  jamais 
qu'à  regard  des  veuves  de  bonne  vie;  mais 
liii-uiôme  ignorait    celle   particuiarilé ,   de 


sorte  qu'il  souhaitait  à  tout  le  monde  ,  et  ses 
vœux  prospéraient  si  rarement ,  que  pres- 
que toujours  on  se  moquait  de  lui. 

Or,  un  jour  qu'il  passait  à  Beauraing  ,  il 
s'arrôla  devant  deux  jolies  maisonnettes  bâ- 
ties sur  une  hauteur,  au  sud  de  cette  petite 
ville.  Les  deux  maisonnettes  étaient  habitées 
pur  trois  bonnes  commères  ,  toutes  trois 
veuves,  et  dont  les  deux  moins  charitables 
demeuraient  ensemble.  La  nuit  venue  ,  il 
heurta  à  la  porte  où  logeaient  ces  deux 
femmes,  qui  étaient  la  commère  Yolande  et 
la  commère  Babet.  Ce  fut  la  commère  Babet 
qui  vint  ;  le  vieux  Biron  la  pria  de  lui  don- 
ner à  coucher  pour  la  nuit.  Elle,  qui  était 
avare,  s'excusa  sur  sa  commère,  disant 
qu'elle  était  chiche  et  grondeuse,  et  lui  con- 
seillant d'aller  demander  l'IiKspilalilé  à  la 
voisine  Symphcriane.  Le  bonhomme  y  alla, 
fut  reçu  honnêtement  et  bien  traité  par  Sym- 
pboriane,  qui  pourtant  n'était  pas  riche  non 
plus. 

Après  avoir  passé  la  nuit  dans  un  bon  lit: 
—  Ma  bonne  dame  ,  dit-il  le  lendemain  ma- 
tin ,  je  vous  remercie  du  bien  que  vous  m'a- 
vez fait  ;  excusez-moi  si  vous  n'en  avez  pas 
meilleur  paiement. 

—  Je  vous  ai  reçu  ,  dit-elle,  pour  l'amour 
de  Dieu  ,  et  quand  vous  n'aurez  pas  d'autre 
asile,  vous  serez  encore  le  bien  venu. 

—  Aussi  ,  reprit  le  vieillard,  je  vous  fais 
de  bon  cœur  un  souhait,  que  la  première 
chose  que  vous  ferez  aujourd'hui  soit  si 
bonne  ,  que  vous  ne  puissiez  de  tout  le  jour 
faire  autre  chose. 

Ayant  parlé  de  la  sorte,  il  partit;  et  la 
commère  Symphoriane,  ne  donnant  guère 
d'attention  au  souhait  de  son  hôte  ,  prit  un 
peu  de  linge  qu'elle  avait  blanchi  la  veille 
et  se  mit  à  le  plier  ;  mais  tant  plia,  tant  f)lia, 
que  plus  elle  pliait,  plus  il  y  avait  à  plier  ; 
et  plia  tellement  jusqu'au  soir,  qu'il  y  avait 
autour  d'elle  d(!  grands  monceaux  de  linge  , 
lesquels  emplissaient  sa  maison. 

Sa  servante  alla  conter  ce  prodige  aux 
voisines.  Les  deux  commères  chiches  accou- 
rurent et  furent  bien  affligées  de  voir  la 
grande  fortune  qui  leur  avait  échappé  et  qui 
était  survenue  à  Symphoriane.  La  commère 
Yolande  en  fit  reproche  assez  aigrement  à  la 
commère  Babet,  comme  elles  s'en  letour- 
naient  en  leur  maison. 

—  J'ai  cru  bien  faire  ,  dit  l'autre  ;  mais 
voici  Biron  qui  revient  de  ce  côté.  Vous  pou- 
vez tout  réparer,  ma  commère  ;  allez  au-de- 
vant de  lui. 

La  commère  Yolande  ne  se  le  fit  pas  dire 
deux  fuis.  Elle  courut  à  la  rencontre  do 
Biron.  —  Ah  1  mon  père,  lui  dit-elle,  que  je 
suis  aise  de  vous  rencontrer.  Ma  commère 
ISihet  ne  me  connaît  guèie.  Quand  elle 
m'eut  dit  hier  qu'elle  ne  vous  avait  pas  hé- 
bergé, je  pensai  en  mourir  de  peine.  Je  vous 
prie  de  ne  point  prendre  en  mauvaise  part 
ce  qu'elle  a  fait,  et  de  nous  accorder  Ja 
faveur  de  venir  ce  soir  loger  chez  nous. 

Le  bonhomme  s'y  rendit  avec  joie  ,  fui 
comblé  de  soins  et  d'égards,  et  mis  dans  un 


€07 


elles  dirent  à  leur 


bon  lit,  après  un  souper  aussi  recherché  que 
purent  le  faire  los  (l^ux  veuves. 

Le  lendemain  matin  ,  il  fil  la  même  petite 
excuse  qu'il  avait  exposée  à  Symphoriane  , 
disant  qu'il  était  marri  de  ne  pouvoir  payer 
l'hospitalité  des  deux  commères. 

—  Eh  !  mon  bon  ami ,  dit  Babct,  nous  ne 
l'avons  pas  fait  par  intérêt. 

—  Nous  l'avons  tait  pour  l'amour  de  Dieu, 
ajouta  Yolande. 

—  Grand  merci  donc  1  répliqua  le  vieil- 
lard ;  et  je  souhaite  bien  sincèrement  que  la 
première  besogne  que  vous  ferez  ce  m.itin, 
se  continue  tant ,  que  vous  ne  fassiez  autre 
chose  de  tout  le  jour. 

Les  deux  commères  entendirent  ce  vœu 
avec  joie,  et  désirèrent  que  le  souhaiteur  fût 
déjà  loin,  pour  se  mettre  à  l'ouvrage. 

Aussitôt  qu'il  fut  parti    """"  ■'!'"■•' 
servante  : 

—  Allons,  Bribrine,  va  prendre  notre  linge 
el  l'apporle,  que  nous  le  puissions  plier.  En 
pliant  à  deux  jusqu'au  soir,  nous  en  aurons 
le  double  de  la  voisine  Symphoriane. 

Pendant  que  Bribrine  allait  au  grenier  cher- 
cher le  peu  de  linge  des  commères,  Yolande 
dit  :  —  Afin  que  nous  puissions,  sans  en  être 
aucunement  détournées,  plier  tout  le  jour, 
je  vais  tirer  de  la  bière  et  faire  des  tartines. 

—  Et  moi,  dit  Babet,  je  me  sens  comme  un 
petit  besoin...  Je  ne  veux  pas  être  dérangée. 

Les  deux  commères  sortirent  donc,  très- 
affairées. 

Bribrine  cependant  avait  apporté  le  linge 
dans  son  tablier;  mais  elle  attendit  vaine- 
ment la  commère  Babet  et  la  commère  Yo- 
lande, ses  deux  maîiresses,  qui  étalent,  com- 
me il  fut  prouvé  là,  deux  veuves  de  bonne 
vie,  malgré  leur  avarice;  car  le  souhait  que 
le  bonhomme  avait  souhailc  s'accomplit  sur 
elles.  Mais  la  joyeuse  Yolande  ayant  com- 
mencé par  boire  un  coup  de  sa  bière  pour  se 
conforter,  ne  fit  que  boire  jusqu'à  la  nuit,  et 
vida  le  tonneau  qui  était  plein;  tandis  que  la 
prévoyante  Babet  s'étant  accroupie  en  son 
jardin  pour  une  de  ces  détestables  petites  né- 
cessités qui  sont  pourtant  infirmité  commune 
et  obligation  universelle  de  nature,  elle  ne 
se  put  relever  qu'au  coucher  du  soleil,  res- 
tituant en  quelque  sorte,  par  un  très-singu- 
lier phénomène,  tout  ce  que  buvait  sa  com- 
mère Yolande  et  au  delà. 

Cette  merveilleuse  aventure,  dont  nous  ne 
vous  présentons  les  dernieis  détails  qu'avec 
un  humble  embarras,  produisit  un  petit  ruis- 
seau qui  a  conservé  sa  source  à  Beauraing, 
et  qui  coule  toujours  dans  le  pays,  s'appclant 
le  Biron,  à  cause  du  bonhomme-fée  à  qui  on 
le  doit. 

Bel  exemple  et  clair  miroir,  qui  vous 
prouve  que  l'hospitalité,  si  bien  récompensée 
quand  elle  est  cordiale,  amène  pourtant  en- 

(1)  C'csl  de  la  cjl)alc  comme;  en  fail  l'almanacli  proplié- 
tinue  si  célèbre  de  M,  liug.  Barosie;  4,235  se  composeiil 
de  i  ciiiiTrcs  qu'un  addilioiiiie  :      4 

% 

S 

5 

14  uu  Jeux  fois  7. 


niCTIONNAlUE  DES  SCIENCES  OCCl'LTES.  MS 

core  des  profits  lors  même  qu'elle  est  faite 
par  intérêt  ou  à  conire-cœur. 

FELGENHAVEll  (Pacl)  ,  visionnaire  alle- 
mand du  seizième  siècle.  11  se  vantait  d'avoir 
reçu  de  Dieu  la  connaissance  du  présent,  du 
passé  et  de  l'avenir;  il  prêchait  un  esprit 
astral,  soumis  aux  régénérés  (ses  disciples), 
lequel  esprit  astral ,  soumis  aux  régénérés  , 
est  celui  qui  a  donné,  disait-il,  aux  prophè- 
tes et  aux  apôtres  le  pouvoir  d'opérer  des 
prodiges  et  de  chasser  les  dénions.  Ayant  été 
mis  en  prison  à  cause  de  quelque  scandale 
qu'il  avait  causé  ,  il  composa  un  livre  où  il 
prouvait  la  divinité  de  sa  mission  par  ses 
souffrances.  11  y  raconte  une  révélation  dont 
le  Seigneur,  à  ce  qu'il  disait,  l'avait  favorisé. 
Ses  principaux  ouvrages  sont  : 

1*  Chronologie  ou  efficacité  des  années  du 
monde,  sans  désignation  du  lieu  d'impres- 
sion, 1620,  in-4".  Il  prétend  y  démontrer  que 
le  monde  est  de  2  !5  ans  plus  vieux  qu'on  ne 
le  croit  ;  que  Jésus-Christ  est  né  l'an  4235  de 
la  création;  et  il  trouve  de  grands  mystères 
dans  ce  nombre,  parce  que  le  double  septé- 
naire y  est  contenu  (1).  Or,  le  monde  ne 
pouvant  pas  subsister  plus  de  six  mille  ans, 
il  n'avait  plus,  en  1020,  à  compter  (jue  sur 
une  durée  de  iko  ans.  Le  jugement  dernier 
était  très-proche,  et  Dieu  lui  en  avait  révélé 
l'époque,  qui  était  1765. 

2°  Miroir  des  temps,  dans  lequel,  indépen- 
damment des  admonitions  adressées  à  tout  le 
monde,  on  expose  aux  yeux  ce  qui  a  été  el  ce 
qui  est  parmi  totts  les  Etats  ,  écrit  par  la 
grâce  de  Dieu  et  par  l'inspiration  du  Saint- 
Esprit...  1620,  in-4'. 

3°  Postillon  ou  Nouveau  calendrier  etpro- 
gnosticon  astrologico-propheticum ,  présenté 
à  tout  l'univers  el  à  toutes  les  créatures,  1G56, 
in-12  (en  allemand).  Felgenhaver,  en  résu- 
mé, nous  paraît  avoir  été  un  rival  de  Mat- 
thieu Laensberg. 

FEMMES.  Il  y  eut  une  doctrine  adoptée 
par  quelques  hérétiques  ,  que  les  femmes 
étaient  des  brutes,  mw/ieres  non  esse  homines. 
Un  concile  de  Mâcon  foudroya  cette  extrava- 
gance. 

Nous  ne  rapporterons  pas  ici  toutes  les 
mille  el  une  erreurs  qu'on  a  débitées  contre 
les  femmes.  Ddancre  el  Bodin  assurent  qu'el- 
les sont  bien  plus  aptes  que  les  hommes  à  la 
sorcellerie  ,  el  que  c'est  une  terrible  chose 
qu'une  femme  qui  s'entend  avec  le  diable. 

D'anciens  philosophes  disent  aussi  que  la 
présence  dos  femmes  en  certains  jours  fait 
tourner  le  lait,  ternit  les  miroirs  ,  dessèche 


les  campagnes  ,  engendre  des  serpents  ,  el 
rend  les  chiens  enragés.  Les  philosophes  sont 
bien  niais. 

FEMMES  BLANCHES.  Quelques-uns  don- 
nent le  nom  de  femmes  blanches  aux  sylphi- 
des, aux  nymphes  cl  à  des  fées  qui  se  mon- 
traient en  Allemagne.  D'autres  entendent  par 

Mais  4,130  dounenl  le  même  résultai,  aussi  liien  qu'une 
fouli'd'auiri'S  coiMhiuaisoiisdeijiiairc  cliillres,  par  cxcmpli!, 
3,245,  2,153,  clc,  a  moins  qu'on  ne  veuille  premlro  le 
premier  el  le  iroisième  cliiflVe  qui  font  7,  comme  le  seeiind 
avec  le  qualrif'me;  ce  qui  ne  fait  que  diminuer  le  niuiibre 
des  cuiulimat'iuns. 


€00 


FEM 


FER 


CIO 


là  cpriains  fantômes  qui  causent  plus  de  peur 
que  de  mal. 

Il  y  a  une  sorte  de  spectres  peu  dangereux, 
dit  Delrio,  qui  apparaissent  en  femmes  tou- 
tes blanches,  dans  les  bois  et  les  prairies  ; 
quelquefois  môme  on  les  voit  dans  les  écu- 
ries, tenant  des  chandelles  de  cire  allumées, 
dont  elles  laissent  tomber  des  gouttes  sur  le 
toupet  et  le  crin  des  chevaux,  qu'elles  pei- 
gnent et  qu'elles  tressent  ensuite  fort  propre- 
ment ;  ci'S  femmes  blanches,  ajouie  le  même 
auteur,  sont  aussi  nommées  sibylles  et  fées. 

En  Bretagne,  dos  femmes  blanches,  qu'on 
appelle  lavandières  ou  chanteuses  de  nuit,  la- 
vent leur  linge  en  chantant ,  au  clair  de  la 
lune,  dans  les  fontaines  écartées  ;  elles  ré- 
clament l'aide  des  passants  pour  tordre  leur 
linge, et  cassent  le  bras  à  qui  les  aide  de  mau- 
vaise grâce. 

Erasme  parle  d'une  femme  blanche  célèbre 
en  Allemagne,  et  dont  voici  le  conte  :  —  «  La 
chose  qui  est  presque  la  plus  remarquable 
dans  notre  Allemagne  ,  dit-il  ,  est  la  femme 
blanche,  qui  se  fait  voir  quand  la  mort  est 
prête  à  frapper  à  la  porte  de  quelque  prince, 
et  nun-seulernent  en  Allemagne,  mais  aussi 
en  Bohême.  En  effet,  ce  spectre  s'est  montré 
à  la  mort  de  la  plupart  des  grands  de  Neu- 
haus  et  de  Rosemberg,  et  il  se  montre  encore 
aujourd'hui.  Guillaume  Slavata  ,  chancelier 
de  ce  royaume  ,  déclare  que  cette  femme  ne 
peut  être  retirée  du  purgatoire  tant  que 
le  château  de  Neuhaus  sera  debout.  Elle  y 
apparaît,  non-seulement  quand  quelqu'un 
doit  mourir,  mais  aussi  quand  il  se  doit  faire 
un  mariage,  ou  qu'il  doit  naître  un  enfant; 
avec  cette  différence  que  quand  elle  apparaît 
avec  des  vêtements  noirs,  c'estsigne  de  mort; 
el,  au  contraire,  un  témoignage  de  joie  quand 
on  la  voit  tout  en  blanc.  Gerlanius  témoigne 
aussi  avoir  ouï  dire  au  baron  d'Ungenaden, 
ambassadeur  de  l'empereur  à  la  Porte  ,  que 
cette  femme  blanche  apparaît  toujours  en 
habit  noir,  lorsqu'elle  prédit  en  Bohême  la 
mort  de  quelqu'un  de  la  famille  de  Rosem- 
berg. Le  seigneur  Guillaume  de  Rosemberg 
s'élaiil  allié  aux  quatre  maisons  souveraines 
de  Brunswick,  de  Brandebourg  ,  de  Bade  et 
de  Pernslein,  l'une  après  l'autre,  et  ayant  fait 
pour  cela  de  grands  frais,  surtout  aux  noces 
do  la  princesse  de  Brandebourg,  la  femme 
blanche  s'est  rendue  familière  à  ces  quatre 
maisons  el  à  quelques  autres  qui  lui  sont 
alliées. 

«A  l'égard  de  ses  manières  d'agir,  elle  passe 
quelquefois  très-vite  de  chambre  en  cham- 
bre, ayant  à  sa  ceinture  un  grand  trousseau 
de  ciels,  dont  elle  ouvre  et  ferme  les  portes 
aussi  bien  de  jour  que  de  nuit.  S'il  arrive 
qu  equelqu'un  la  salue,  pourvu  qu'on  la  laisse 
faire,  elle  prend  un  ton  de  voix  de  femme 
veuve,  une  gravité  de  personne  noble  ,  et , 
après  avoir  fait  une  honnête  révérence  de  la 
léle,  elle  s'en  va.  Elle  n'adresse  jamais  de 
mauvaises  paroles  à  personne  ;  au  contraire, 
elle  regarde  tout  le  monde  avec  inodestie  el 
avrc  pudeur.  11  est  vrai  que  souvent  elle  s'est 
fâi.bce,  et  que  môme  elle  a  jeté  des  pierres  à 
ceux  à  qui  elle  a  entendu  tenir  des  <liscours 


inconvenants ,  tant  contre  Dieu  que  contre 
son  service  ;  elle  se  montre  bonne  envers  les 
pauvres,  ot  se  tourmente  fort  quand  on  ne  les 
aide  pas  à  sa  fantaisie.  Elle  en  donna  des 
marques  lorsqu'après  que  les  Suédois  euren 
pris  le  château,  ils  oublièrent  de  donner  aux 
pauvres  le  repas  de  bouillie  qu'elle  a  institué 
de  son  vivant.  Elle  fil  un  si  grand  charivari, 
que  les  soldats  qui  y  faisaient  la  garde  no 
savaient  oii  se  cacher.  Les  généraux  mêmes 
ne  furent  pas  exempts  de  ses  importunités  , 
jusqu'à  ce  qu'enfin  un  d'eux  rappelât  aux 
autres  qu'il  fallait  faire  de  la  bouillie  et  la 
distribuer  aux  pauvres  ;  ce  qui  ayant  été  ac- 
compli ,  tout  fut  tranquille.  »  Voy.  Fées. 

FER  CHAUJJ  (Epreuve  du).  Celui  qui  vou- 
lait se  justifier  d'une  accusation,  ou  prouver 
la  vérité  d'un  fait  contesté,  et  que  l'on  con- 
damnait pour  cela  à  l'épreuve  du  fer  chaud, 
était  obligé  de  porter,  à  neuf  ou  douze  pas, 
une  barre  de  fer  rouge  pesant  environ  trois 
livres.  Cette  épreuve  se  faisait  aussi  en  met- 
tant la  main  dans  un  gantelet  de  fer  sortant 
de  la  fournaise,  ou  en  marchant  sur  du  fer 
rougi.  Voy.  Emma.  ^ 

Un  mari  de  Didymotèque,  soupçonnant  la 
fidélité  de  sa  femme,  lui  proposa  d'avouer 
son  crime  ou  de  prouver  son  innocence  par 
l'attouchement  d'un  fer  chaud.  Si  elleavouait, 
elle  était  morte  ;  si  elle  tentait  l'épreuve,  elle 
craignait  dêlre  brûlée.  Elle  eut  recours  â 
l'évêque  de  Didymotèque,  prélat  recomman- 
dable  ;  elle  lui  avoua  sa  faute  en  pleurant  et 
promit  de  la  réparer.  L'évêque  ,  assuré  de 
son  repentir,  el  sachant  que  le  repentir  vrai 
restitue  l'innocence  ,  lui  dit  qu'elle  pouvait 
sans  crainte  se  soumettre  à  l'épreuve.  Elle 
prit  un  fer  rougi  au  feu  ,  fil  trois  fois  le  tour 
d'une  chaise,  l'ayant  toujours  à  la  main  ;  et 
le  mari  fut  pleinement  rassuré.  Ce  trait  eut 
lieu  sous  Jean  Cantacuzène. 

Sur  la  côte  du  Malabar,  l'épreuve  du  fer 
chaud  était  aussi  en  usage.  On  couvrait  la 
main  du  criminel  d'une  «feuille  de  bananier, 
el  l'on  y  appliquait  un  fer  rouge  ;  après  quoi 
le  surintendant  des  blanchisseurs  du  roi  en- 
veloppait la  main  del'accuséavecuneserviette 
trempée  dans  de  l'eau  de  riz  ;  il  la  liait  avec 
des  cordons  ;  puis  le  roi  appliquait  lui-même 
son  cachet  sur  le  nœud.  Trois  jours  après  on 
déliait  la  main,  et  on  déclarait  le  prévenu  in- 
nocent, s'il  ne  restait  aucune  marqué  de  bi  û- 
lui  e  ;  mais  s'il  en  était  autrement ,  il  était 
envoyé  au  supplice. 

Au  reste,  l'épreuve  du  fer  chaud  est  fort 
ancienne  ;  car  il  en  est  question  dans  l'Elec- 
tre de  Sophocle. 

FERDINAND  IV  (dit  TAjourné)  ,  roi  de 
Castille  et  de  Léon,  né  en  1285.  Ayant  con- 
damné à  mort  doux  frères  que  l'on  accusait 
d'avoir  assassiné  un  seigneur  casiillan  au 
sortir  du  palais,  il  voulut  que  la  sentence  fût 
exécutée,  quoique  les  accusés  protestassent 
de  leur  innocence,  et  quoiqu'il  n'y  eût  au- 
cune preuve  solide  contre  eux.  Alors,  disent 
les  historiens  de  ce  temps  ,  les  deux  frères 
ajournèrent  Ferdinand  à  comparaître  dans 
trente  jours  au  tribunal  du  juge  des  rois  :  el, 
précisément  trente  jours  après,  le  roi  s'élaut 


611 


DICTIONNAIRE  DES  SCIKNCES  OCCULTES. 


eu 


relire,  après  'c  tllncr,  pour  dormir,  fui  trouvé 
niorl  (lins  snii  lii.  Voy.  Ajul-unement. 

FERNAND  (Antoise)  ,  jéMiile  e-p;igno!, 
auleurd'u»  coinmeulaire  assez  curieux  sur 
les  visions  el  rcvélaiions  de  VAncien  Testa- 
ment, publié  en  '617  (1). 

FERRAGUS  ,  gcani  dont  parle  la  chroni- 
que de  l'arclievêqueTurpin.  H  avait  douze 
pieds  de  haut,  et  la  peau  si  dure,  qu'aucune 
lance  ou  épée  ne  la  pouvait  percer.  Il  fut 
vaim  u  par  l'un  des  preux  de  Charleinagne. 
FEKRIER  (Augek),  médecin  et  astrologue, 
auteur  d'un  livre  peu  connu,  intitulé  :  Juye- 
menls  d'astronomie  sur  les  nativités,  ou  ho- 
roscopes, in-16,  qu'il  dédia  à  la  reine  Cathe- 
rine de  Mi'dicis.  —  Auger  Ferrier  a  laissé 
encore  un  petit  traité  latin,  De  somniis  ,  im- 
primé à  Lyon  en  15W,  avec  le  traité  d'Hip- 
pocraïc  ^ur  les  insomnies. 

FÉTICHES,  divinités  des  nègres  de  Guinée. 
Ces  divinités  varient  :  ce  sont  des  animaux 
desséchés,  des  branches  d'arbres,  des  arbres 
mêmes,  des  montagnes,  ou  toute  autre  chose. 
lis  en  ont  de  petits  qu'ils  portent  au  cou  ou 
au  bras,  tels  que  des  coquillages.  Ils  hono- 
rent un  arbre  qu'ils  appellent  Varbre  des  fé- 
tiches ;  ils  placent  au  pied  une  table  couverte 
(le  vins  de  palmier,  de  riz  et  de  millet.— Cet 
arbre  est  un  oracle  que  l'on  consulte  dans 
les  occasions  importantes  ;  il  ne  manque  ja- 
mais (le  faire  connaître  sa  réponse  par  l'or- 
gane (l'un  chien  noir,  qui  est  le  diable,  selon 
nos  démonographes.  —  Un  énorme  rocher 
nommé  Tabra,  qui  s'avance  dans  la  mer  en 
forme  de  presqu'île,  est  le  grand  fétiche  du 
cap  Corse.  On  lui  rend  des  honneurs  parti- 
culiers, comme  au  plus  puissant  des  féti- 
ches.— Au  Congo,  personne  ne  boit  sans  faire 
une  oblation  à  son  principal  fétiche,  qui  est 
souvent  une  défense  d'éléphant. 

FEU.  Plusieurs  nations  ont  adoré  cet  élé- 
ment. En  Perse,  on  faisait  des  enclos  fermés 
de  murailles  et  sans  toit,  où  l'on  entretenait 
du  feu.  Les  grands  ^  jetaient  des  essences  et 
des  parfums. 

Quand  un  roi  de  Perse  était  à  l'agonie ,  on 
éteignait  le  feu  dans  les  villes  principales  du 
royaume,  pour  ne  le  rallumer  qu'au  couron- 
nement de  son  successeur. 

Certains  Tarlares  n'abordent  jamais  les 
étrangers  qu'ils  n'aient  passé  entre  deux 
feux  pour  se  purifier  ;  ils  ont  bien  soin  de 
boire  la  face  tournée  vers  le  midi,  en  l'hon- 
neur du  feu. 

Les  Jagous,  peuple  de  Sibérie,  croient  qu'il 
existe  dans  le  feu  un  être  qui  dispense  le  bien 
et  le  mal  ;  ils  lui  offrent  des  sacriflces  perpé- 
tuels. 

Ou  sait  que,  selon  les  cabalisles,  le  feu  est 
l'élément  (les  Salamandres.  Voy.  ce  mot. 

Parmi  les  épreuves  superstitieuses  qu'on 
appelait  jugements  de  Dieu,  l'épreuve  du  feu 
ne  doit  pas  être  oubliée.  Lorsqu'il  fallut  dé- 
cider en  Espagne  si  l'on  y  conserverait  la  li- 
turgie mozarabique,  ou  si  l'on  suivrait  le  rit 
romain,  on  résolut  d'abord  de  terminer  le 

(î)  Anlonii  Fernandii ,  elc.  Commentarii  in  visiona 
vcleris  TesUmeiili.  Lu^d.,  1617. 
(i\  Beruier,  Dict.  llieolog. 


difTcrenil  dans  un  combat  où  les  deux  litur- 
gies seraient  représentées  par  deux  cham- 
pions ;  mais  ensuite  on  jugea  qu'il  était  plus 
convenable  de  jeter  au  feu  les  deux  liturgies 
et  de  retenir  celle  que  le  feu  ne  consumerait 
pas  ;  ce  prodige  fut  opéré,  dit- on,  en  f.iveur 
de  la  liturgie  mozarabique  (2).   Voy.  Ver 

CHAUD. 

FEU  DE  LA  SAINT-JEAN.  — En  16.3i,  à 
Quimper,  en  Bretagne,  les  habitants  aiet- 
taienl  encore  des  sièges  auprès  des  feux  de 
joie  de  la  Saint-Jean,  pour  que  leurs  parents 
morts  pussent  en  jouir  à  leur  aise. 

On  réserve,  en  Bretagne,  un  tison  du  feu 
de  la  Saint-Jean  pour  se  préserver  du  ton- 
nerre. Les  jeunes  filles,  pour  être  sûres  de  se 
marier  dans  l'année,  sont  obligées  de  danser 
autour  de  neuf  feux  de  joie  dans  cette 
même  nuit  :  ce  qui  n'est  pas  difficile,  car  ces 
feux  sont  tellement  multipliés  dans  la  cam- 
pagne, qu'elle  par.ril  illuminée. 

On  conserve  ailleurs  la  même  opinion 
qu'il  faut  garder  des  tisons  du  feude  la  Saint- 
Jean  comme  d'excellents  préservatifs  qui,  de 
plus,  portent  bonheur. 

.\  Paris,  autrefois  ,  on  jetait  deux  douzai- 
nes de  petits  chats  (emblèmes  du  diable  sans 
doute)  dans  le  feu  de  la  Saint-Jean  (3), 
parce  qu'on  était  persuade  que  les  sorciers 
faisaient  leur  grand  sabbat  Celte  nuil-là. 

On  disait  aussi  que  la  nuit  de  la  Saint- 
Jean  était  la  plus  propre  aux  maléfices,  et 
qu'il  fallait  recueillir  alors  le  trèfle  à  quatre 
feuilles,  et  toutes  lus  autres  herbes  dont  on 
avait  besoin  pour  les  sortilèges. 

FEU  GREGEOIS.— ZJa  terrible  feu  grégeois 
el  de  la  manière  de  le  composer.  «  Ce  feu  est  si 
violent,  qu'il  brûle  tout  ce  qu'il  louche,  sans 
pouvoir  être  éteint,  si  ce  n'est  avec  de  l'u- 
rine, de  fort  vinaigre  ou  du  sable.  On  le 
compose  avec  du  soufre  vif,  du  tartre  ,  de  la 
sarcocole,  de  la  picole,  du  sel  commun  re- 
cuit, du  pentréole  el  de  l'huile  commune  ; 
on  fait  bien  bouillir  le  tout,  jus(|u'à  ce  qu'un 
morceau  de  toile  qu'on  aura  jeté  dedans  soit 
consumé  ;  on  le  remue  avec  une  spatule  de 
fer.  11  ne  faut  pas  s'exposer  à  faire  cette 
composition  d<ins  une  chambre,  mais  dans 
une  cour  ;  parce  que  si  le  feu  prenait,  on  se- 
rait très-embarrassé  de  l'éteindre  (4).  » 

Ce  n'est  sans  doute  pas  là  le  feu  grégeois 
d'Archimèdc. 

FEU  SAINT-ELME  .  ou  FEU  SAINT  GER- 
MAIN ,  ou  FEU  SAINT-ANSELME.  —  Le 
prince  de  Radzivill,  dans  son  Voyage  de  Jé- 
rusalem, parle  d'un  feu  qui  parut  plusieurs 
fois  au  haut  du  grand  mât  du  vaisseau  sur 
lequel  il  était  monté  ;  il  le  nonnn;iil  fu 
Saint-Germain,  d'autres, /"eu  Sai/U-JF/me,  el 
feu  Saint-Anselme.  Les  païens  attribuaient  ce 
prodige  à  Castor  et  Pollux,  parce  que  quel- 
quefois il  paraît  double.  Les  physiciens  di- 
sent que  ce  n'est  qu'une  exhalaison  enflam- 
mée. Mais  les  anciens  croyaient  y  voir  quel- 
que chose  de  surnaturel  et  de  divin  (5). 
FEUX  FOLLETS.— On  appelle  feux  folleîs, 

(3)  Voyei  farliclc  Cliat. 

(4)  Auinirablia  secrets  du  Pelil  Alberi,  p.  88. 

(5)  Dum  Caluiet,  UisscrUt.  :>ur  les  aiipïrilioos,  p.  83. 


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')I3 


t'i-;v 


FID 


614 


ou  esprits  follets,  ces  oxIiaIai>oiis  cnllammécs 
que  la  terre,  écii.iuffee  par  les  arduurs  de 
l'été,  laisse  échapper  de  son  sein,  priiicipaie- 
meiil  dans  les  longues  nuils  de  l'Avenl  ;  et, 
cuinme  ces  flanimes  roulent  iialurellcinerit 
vers  les  lieux,  bas  et  les  marécages ,  les 
paysans,  qui  les  prennent  pour  de  malins 
esprits,  s'imaginent  qu'ils  conduisent  au  pré- 
cipice le  voyageur  égaré  que  leur  éclat 
éblouit,  et  qui  prend  pour  guide  leur  trom- 
peuse lumière. 

Oiaiis  Magnus  dit  que  les  voyageurs  et  les 
bergers  de  son  temps  rencontraient  des  es- 
prits follets  qui  brûlaient  tellement  Ttiidroit 
où  ils  passaient,  qu'on  n'y  voyait  plus  croî- 
tre ni  herbes  ni  verdure  (1). 

Un  jeune  homme,  revenant  de  Milan  pen- 
dant une  nuit  fort  noire,  l'ut  surpris  en  che- 
min par  un  orage  ;  bientôt  il  crut  apercevoir 
dans  le  lointain  une  lumière  et  eniendre  plu- 
sieurs VOIX  à  sa  gauche  ;  peu  après  il  distin- 
gua un  char  enllammé  qui  accourait  à  lui , 
conduit  par  des  bouviers  dont  les  cris  répé- 
tés laissaient  entendre  ces  mots  :  Prends 
garde  à  loi  !  Le  jeune  homme  épouvanté 
pressa  son  cheval  ;  mais  plus  il  courait,  plus 
le  char  le  serrait  de  près.  Enfin,  après  une 
lieuie  de  course,  il  arriva,  en  se  recomman- 
dant à  Dieu  de  toutes  ses  forces,  à  la  porte 
d'une  église  où  tout  s'engloutit.  Cette  vision, 
ajoute  Cardan,  était  le  présage  d'une  grande 
peste  (jui  ne  tarda  pas  à  se  faire  kcnlir,  ac- 
compagnée de  plusieurs  autres  fléaux. 

Cardan  était  enfant  lorsqu'on  lui  raconta 
cette  histoire,  de  sorte  qu'il  peut  aisément 
l'avoir  dénaturée.  Le  jeune  homme  qui  eut 
la  vi>ion  n'avait  que  vingt  ans  ;  il  était  seul, 
il  avait  éprouvé  une  grande  frayeur.  Quant 
à  la  peste  qui  suivit,  elle  était  occasionnée, 
aussi  bien  que  l'exhalaison  ,  par  une  année 
de  chaleurs  extraordinaires. 

FEVES. — Pylhagore  défendait  à  ses  élèves 
de  manger  des  fèves,  légunie  pour  lequel  il 
avait  une  vénération  particulière,  parcequ'el- 
les  servaient  à  ses  opérations  magiques  et 
qu'il  savait  bien  qu'elles  étaient  animées. 
On  dit  qu'il  les  faisait  bouillir  ;  qu'il  les 
exposait  ensuite  quelques  nuits  à  la  lune, 
jusqu'à  ce  qu'elles  vinssent  à  se  convertir  en 
sang,  dont  il  se  servait  pour  écrire  sur  un 
miroir  convexe  ce  que  bon  lui  semblait. 
Alors,  opposant  ces  lettres  à  la  face  de  la 
lune  quand  elle  était  pleine  ,  il  faisait  voir  à 
ses  amis  éloignés,  dans  le  disque  de  cet  astre, 
tout  ce  qu'il  avait  écrit  sur  son  miroir 

Pythagore  avait  puisé  ses  idées  sur  les  fè- 
ves chez  les  Egyptiens,  qui  ne  touchaient  pas 
a  ce  légume,  s'ifuaginant  qu'elles  servaient  de 
refuge  à  certaines  âmes,  comme  les  oignons 
de  ce  peuple  servaient  de  logement  à  cer- 
tains dieux.  On  conte  qu'il  aima  mieux  se 
laisser  tuer  par  ceux  qui  le  poursuivaient 
que  de  se  sauver  à  travers  un  champ  de  fè- 
ves. C'est  du  moins  une  légende  borgne 
très-répandue. 

Quoi  qu'il  en  soit  ,  on  offrait  chez  les  an- 
cieusdes  fèvesnoiresauxdivinités  infernales. 

Il)  Dom  Calmet,  Dissertation  sur  les  apparitions,  il  109. 


I!  y  avait  en  Egypte,  aux  bords  du  Nil, 
de  petites  pierres  faites  comme  des  fèves, 
lesquelles  mettaient  en  fuite  les  dénions. 
N'etaient-ce  pas  des  fèves  pétriOées  ?  Festus 
prétend  que  la  fleur  de  la  fève  a  quelque, 
chose  de  lugubre  ,  et  que  le  fruit  ressemble 
exactement  aux  portes  de  l'enfer.... 

Dans  l'Incrédulité  et  mécréance  du  sorti- 
lège pleinement  convaincue,  page  2G3,  Delan- 
cre  dilqu'en  promenant  une  fève  noire,  avec 
les  mains  nettes,  par  une  maison  infestée,  et 
la  jetant  ensuite  derrière  le  dos  en  faisant 
du  bruit  avec  un  pot  de  cuivre,  et  priant  neuf 
fois  les  fantômes  de  fuir,  on  les  force  de  vi- 
der le  terrain. 

Les  jeunes  filles  de  Venise  pratiquaient, 
avec  des  fèves  noires,  une  divinatiim  qui 
n'est  pas  encore  passée  de  mode.  Quand  on 
veut  savoir  de  plusieurs  cœurs  quel  sera  le 
plus  fidèle,  on  prend  des  lèves  noires,  on 
leur  donne  à  chacune  le  nom  d'un  des  jeunes 
gens  par  qui  on  est  recherchée,  on  les  jette 
ensuite  sur  le  carreau  :  la  fève  qui  se  fixe 
en  tombant  ,  annonce  l'amant  certain  ;  cel- 
les qui  s'écartent  avec  bruit  sont  des  amants 
volages. 

FIARD,  auteur  des  Lettres  philosophiques 
sur  la  magie  ,  in-S"  ;  de  la  France  trompée 
par  les  magiciens  et  démonoldtres  du  dix-hui- 
tième siècle,  in-S"  ;  de  la  Superstition  et  dé~ 
monolâlrie  des  philosophes,  in-12,  ouvrages 
publics  il  y  a  quaranli;  ans. 

Rien  de  plus  crédule,  disent  les  critiques, 
que  ce  bon  abbé  ,  qui  voit  dans  Cagliosiro  , 
Mesmer,  Sainl-Germ.iin,  ces  charlatans  ,  do 
vrais  sorciers.  Il  met  dans  la  même  liste 
Rob-rtson,  Olivier  et  tous  les  escamoteurs. 
Jl  prétend  aussi  que  Voltaire  était  un  démon  ; 
et  qui  sait  ? 

FICINO  (Mausile),  philosophe  florentin, 
né  en  1433.  Un  jour  qu'il  disputait  avec  Mi- 
chel Mercati,  son  disciple,  sur  l'immortalité 
de  l'âme,  comme  ils  ne  s'entendaient  pas,  ils 
convinrent  que  le  premier  qui  partirait  du 
monde  en  viendrait  donner  des  nouvelles  à 
l'autre.  Peu  après  ils  se  séparèrent. 

Un  soir  que  Michel  Mercati,  bien  éveillé  , 
s'occupait  de  ses  études,  il  entendit  le  bruit 
d'un  cheval  qui  venait  en  grande  hâte  à  sa 
porte,  et  en  même  temps  la  voix  deMarsile 
Ficino  qui  lui  criait  :  Michel,  rien  n'est  plus 
vrai  que  ce  qu'on  dit  de  l'autre  yie. 

Michel  Mercati  ouvrit  la  fenêtre,  et  vit  son 
maître  Ficino  ,  monté  sur  un  cheval  blanc, 
qui  s'éloignait  au  galop. 

Jl  lui  cria  de  s'arrêter  ;  mais  Marsile  Fi- 
cino continua  sa  course  jusqu'à  ce  qu'on  no 
le  vît  plus. 

Le  jeune  homme,  stupéfait,  envoya  aussitôt 
chez  Ficino,  et  apprit  qu'il  venait  d'expirer. 

Marsile  Ficino  a  publié  sur  l'astrologie  , 
sur  l'alchimie,  sur  les  apparitions  et  sur  les 
songes,  divers  ouvrages  devenus  rares. 

FIDELITE.  — On  lit  dans  les  Admirables 
secrets  d'Albert  le  Grand,  qu'en  mettant  un 
diamant  sur  la  tête  d'une  femme  qui  dort,  ou 
connaît  si  elle  est  fidèle  ou  infidèle  ;  parce 
que,  si  elle  est  infidèle,  elle  s'éveille  en  sur- 
saut et  de  mauvaise  humeur  ;  si,  au  cou- 


DlCT10NN\mE,  DES  SCIKNCES  OCCULTES 


CIO 


(;i5 

traire   cllecsindèlc,cllcaanrévril  Rracienx. 

î  c  Pelit  Albert  dit   qu'on   peut  être  bien 

sûr  de  la  fidélité  d'une  femme,  quand  on  lui 

I  a  fàil  manger  la  moelle  de  l'épine  du  dos  d  un 

'"  FŒN  (  Thomas  ) ,  anversois  ,  auteur  d'un 
livre   curieux  sur  les   eiïcls  prodigieux  do 

Lon- 


r  imaginai  ion,  Veviribus  imagimtionis 
dres,  16a7. 

FIENTES.— Des  vertus  et  propriétés  de  plit- 
sienrs  sortes  de  fientes.  «  Comme  l'bomme  es 
la  plus  noble  créature,  ses  excréments  ont 
aussi  une  propriété  particulière  pour  guérir 
Dlusieurs  maladies.  Diosconde  et  Galien  en 
font  cas  cl  assurent  qu'ils  enlèvent  les  maux 
de  gosier  ou  esquinancies.  rv    ^  „ 

«Voici  la  manière  de  les  préparer.  On  don- 
rera  à  manger  à  un  jeune  homme  de  bon 
tempérament  des  lupins  pendant  trois  jours 
et  du  pain  bien  cuit,  où  il  y  aura  du  levain 
et  du  sel  ;  on  lui  fera  boire  du  vin  clairet,  et 
on  gardera  les  excréments  qu'il  rendra  après 
trois  jours  de  ce  régime.  On  les  mêlera  avec 
autant  de  miel,  et  on  les  fera  boire  et  aya- 
lercommederopiat.oubien.silemaladenest 

pas  ragoûté  d'un  tel  condiment,  on  '«s  appli- 
fluera  comme  un  cataplasme  :  le  remède  es 
infaillible.  »  Nous  ne  dirons  pas    s  il    est 

^^Dela%nte  de  chien.  «  Si  on  enferme  un 
chien  cl  qu'on  ne  lui  donne  pendant  trois 
iours  que  des  os  à  ronger,  on  ramassera  sa 
fiente,  qui,  séchée  et  réduite  en  poudre,  est 
un  admirable  remède  contre  la  dyssenlerie. 
«  On  prendra  des  cailloux  de  rivière  qu  on 
fera  chauffer;  ensuite  on  les  jellera  dans  un 
vaisseau  plein  d'urine,  dans  lequel  on  met- 
tra un  peu  de  celte  fiente  de  chien  réduite  en 
noudre  :  on  en  donnera  à  boire  au  malade 
deux   fois  la  journée,  pendant  trois  jours, 
sans  qu'il  sache  ce  qu'on  lui  donne...  Celte 
fiente  est  aussi  un  des  meilleurs  dessiccatifs 
pour   les  vieux  ulcères   malins  et  invété- 
rés  »  -, 

De  la  fiente  de  loup.  «  Comme  on  sait  que 
cet  animal  dévore  souvent  les  os  avec  la 
chair  de  sa  proie,  on  prendra  les  os  que  1  on 
trouvera  parmi  sa  fiente,  parce  que,  pilés 
bien  menus,  bus  dans  du  vin,  c  est  un  spé- 
cifique contre  la  colique.  » 

De  la  fiente  de  ba-ufet  de  vache.  «  La  fiente 
de  bœuf  et  de  vache,  récente  et  nouvelle, 
enveloppée  dans  des  feuilles  de  vigne  ou  do 
chou,  et  chauffée  dans  les  cendres, guérit  les 
infiammations  causées  par  les  plaies.  La 
même  fiente  apaise  la  sciatique.Si  on  la  môle 
avec  du  vinaigre ,  elle  a  la  propriété  de 
faire  suppurer  les  glandes  scrofuleuses  et 
écrouellcs.  Galien  dit  qu'un  médecin  de  My- 
sie  guérissait  toutes  sortes  dhydropisies  en 
meliant  sur  l'enHure  de  la  fiente  chaude  de 
vache.  Celte  fiente  aussi  appliquée  sur  la  pi- 
qûre des  mouches  à  miel,  frelons  et  autres, 
en  enlève  aussitôt  la  douleur.  » 

Fiente  de  porc.  «  Cette  fiente  guérit  les  cra- 
chements de  sang.  On  la  fricasse  avec  au- 
tant de  crachats  de  sang  du  malade,  y  ajou- 
(I)  Le  Solide  trésor  Uu  Pclil  Albert,  p.  24. 


tant  du  beurre  frais,  cl  on  la  lui  donne  à 
avaler.  »  ,      .  >  i 

Fiente  de  chèvre.  «  La  fienle  de  chèvre  a  la 
vcrlu  de  faire  suppurer  toutes  sortes  de  tu- 
meurs.Galien  guérissait  fort  souvent  ces  tu- 
meurs et  les  duretés  des  genoux,  mêlant  celte 
fienle  avccde  la  farine  d'orge  et  de  l'oxycrat, 
et  l'appliquant  en  forme  de  cataplasme  sur  la 
dureté;  elle  est  admirable  pour  les  oreillons, 
mêlée  avec  du  beurre  frais  et  de  la  lie  d'huile 
de  noix.  Ce  secret  semblera  ridicule  ;  mais 
il  est  véritable,  car  on  a  guéri  plus  de  vingt 
personnes  de  la  jaunisse,  leur  faisant  boire 
tous  les  matins,  pendant  huit  jours,  à  jeun, 
cinq  petites  crottes  de  chèvre  dans  du   vin 

blanc...  »  ... 

ùe  la  fiente  de  brebis.  «  Il  ne  faut  jamais 
prendre  celte  fiente  par  la  bouche  comme 
celle  des  autres  animaux,  mais  l'appliquer 
extérieurement  sur  le  mal  :  ellealfs  uiêines 
propriétésquc  la  fienle  de  chèvre.  Elle  guérit 
toutes  sortes  de  verrues  ,  de  furoncles  durs 
cl  de  clous,  si  on  la  détrempe  avec  du  vinai- 
gre, et  qu'on  l'applique  sur  la  douleur.» 

De  la  fiente  des  pigeons  ramiers  et  des  pi  - 
néons  domestiques.  «  Pour  les  douleurs  de 
i'os  ischion,  la  fienle  des  pigeons  ramiers 
ou  domestiques  est  admirable,  étant  inê'.éo 
avec  de  la  graine  de  cresson  d'eau  :  et 
lorsqu'on  veut  faire  mûrir  une  tumeur  ou 
une  fluxion,  on  peut  user  d'un  cataplasme 
dans  lequel  entre  une  once  de  cette  fiente, 
deux  drachmes  de  graine  de  moutarde  et  de 
cresson,  une  once  d'huile  distillée  de  vieilles 
tuiles.  Il  est  sûr  que  plusieurs  personnes  ont 
été  guéries  par  cette  fiente,  mêlée  avec  de 
l'huile  de  noyaux  de  pêches.  » 

Galien  dit  que  la  fiente  d'oie  est  inutile,  a 
cause  de  son  âcreté;  mais  on  est  certain 
qu'elle  guérit  aussi  de  la  jaunisse,  lorsqu'on 
la  détrempe  dans  du  vin  blanc  et  qu'on  en 
boit  pendant  neuf  jours.  » 

«  Dioscoride  dit  que  la  fiente  de  poule  ne 
peut  être  efficace  que  pour  guérir  do  la  brû- 
lure, lorsqu'elle  est  mêlée  avec  de  l'huile 
rosat,  mais  Galien  et  Egiiielle  assurent  que, 
jointe  avccde  l'oxymel, cette  fienle  apaise  la 
suffocation  et  soulage  ceux  qui  ontmaiigc  dos 
champignons,  car  elle  fait  vomir  tout  ce  qui 
embarrasse  le  cœur.  Un  médecin  du  Içmps 
de  Galien  guérissait  la  colique  avec  celle 
fienle,  détrempée  d'hypocras,  fait  de  miel  et 

de  vin.  »  .        •  , 

«  La  fienle  de  souris,  mêlée  avec  du  miel, 
fait  revenir  le  poil ,  lorsqu'il  est  tombe, 
pourvu  qu'on  en  frotte  l'endroit  avec  celle 
mixtion...  »  ... 

«  Pour  conserver  la  beauté,  voici  un  se- 
cret très-important  au  beau  sexe  :  c'est  une 
manière  de  faire  le  fard.  On  prendra  do  la 
fiente  de  petits  lézards,  du  tartre  de  vin 
blanc,  de  la  raclure  de  corne  de  cerf,  du  co- 
rail blanc  et  de  la  farine  de  riz,  autant  de 
l'un  que  de  l'autre;  on  broiera  le  tout  dans 
un  mortier,  bien  menu,  on  le  fera  tremper 
ensuite  dans  de  l'eau  dislillce  d'une  sembla- 
ble quantité  d'amandes, de  limaces  de  vigne 
ou  de  jardin,  et  de  (leurs  de  bouillon  blanc, 
après  cela  on  y  mêlera  autant  de  miel  blai'c, 


PI  7  Fir. 

cl  l'on  broiera  cnrore  le  loul  iMisemble.  Celle 
C')mposilion  doit  êlre  conservée  dans  un  vase 
d'argent  ou  de  verre,  cl  l'on  s'en  servira 
l)0iir  se  frotter  le  visage  et  les  mains  (1)...  » 
Voilà,  convenez -en,  une  singulière  phar- 
macopée. 

FIÈVRE.  Quelques  personnes  croient  en- 
core se  guérir  de  la  fièvre  en  buvant  de  l'eau 
hénile  la  veille  de  Pâques  ou  la  veille  de  la 
Pcnlecôle.  En  Flandre,  on  croyait  autrefois 
que  ceux  qui  sont  nés  un  vendredi  ont  reçu 
de  Dieu  le  pouvoir  de  guérir  la  fièvre  (2). 

FIGURES  DU  DIABLE.  Le  diable  change 
souvent  de  formes,  selon  le  témoignage  de 
quantité  de  sorcières.  Marie  d'Aguère  con- 
fessa qu'il  sortait  en  forme  de  bouc  d'une 
cruche  placée  au  milieu  du  sabbat.  Fran- 
çoise Secrétain  déclara  qu'il  avait  la  forme 
d'un  grand  cadavre.  D'autres  sorcières  ont 
dit  qu'il  se  faisait  voir  sous  les  (rails  d'un 
tronc  d'arbre,  sans  bras  et  sans  pieds,  assis 
dans  une  chaire,  ayant  cependant  quelque 
forme  de  visage  humain.  Mais  plus  généra- 
lement c'est  un  bouc  ayant  deux  cornes  par 
devant  et  deux  pur  derrière.  Lorsqu'il  n'a 
(]ue  trois  cornes,  on  voit  une  espèce  de  lu- 
mière dans  celle  du  milieu ,  laquelle  sert  à 
allumer  les  bougies  du  sabbat.  Il  a  aussi  une 
manière  de  bonnit  ou  chapeau  au-dessus  des 
cornes. 

On  a  prétendu  que  le  diable  se  présente 
souvent  sous  l'accoutrement  d'un  homme 
qui  ne  veut  pas  se  laisser  voir  clairement,  et 
qui  a  le  visage  rouge  comme  du  feu  (3).  D'au- 
tres disent  qu'il  a  deux  visages  à  la  léte, 
comme  Janus. 

Delancre  rapporte  que  dans  les  procédures 
de  la  Tournelle,  on  l'a  représenté  en  grand 
lévrier  noir,  et  parfois  comme  un  bœuf  d'ai- 
rain couché  à  terre.  11  prend  encore  la  forme 
d'un  dragon. 

Quelquefois  c'est  nn  gueux  qui  porte  les 
livrées  de  la  misère,  dit  Leioyer.  D'autres  fois 
il  abuse  de  la  figure  des  prophètes;  et,  du 
temps  de  Théodose  ,  il  prit  celle  de  Moïse 
pour  noyer  les  Juifs  de  Candie,  qui  comp- 
taient, selon  ses  promesses,  traverser  la  mer 
à  pied  sec  (k). 

Le  commentateur  de  Thomas  Valsingham 
rapporte  que  le  diable  sortit  du  corps  d'un 
diacre  schismatique  sous  la  figure  d'un  âne, 
et  qu'un  ivrogne  du  comlé  de  Warwick  fut 
longtemps  poursuivi  par  un  esprit  malin  dé- 
guisé en  grenouille.  Leioyer  cite  quelque 
part  un  démon  qui  se  montra  à  Laun  sous 
la  figure  d'une  mouche  ordinaire. 

Ces  figures  diverses  que  prennent  les  dé- 
mons, pour  se  faire  voir  aux  hommes,  sont 
multipliées  à  l'infini.  Quand  ils  apparaissent 
avec  un  corps  d'homme,  on  les  reconnaît  à 
leurs  pieds  de  bouc  ou  de  canard,  à  leurs 
griffes  et  à  leurs  cornes,  qu'ils  peuvent  bien 
cacher  en  partie ,  mais  qu'ils  ne  déposent 
jamais  entièrement. 

(I)  Secrets  d'Albert  le  Grand,  p.  167. 

(2)Uelancre,  Iiicrédulilé  et  mécréance  du  sortilège 
[ileiiiemenl  convaincue,  p.  1o7. 

(3)  Delancre,  Tableau  iJe  l'inconstance  des  démons,  etc.. 
lit.  11,  p.  70. 


FIN 


6iS 


Cœsarius  d'Heislerbach  ajoute  à  ce  signa- 
lement qu'en  prenant  la  forme  humaine,  le 
diable  n'a  ni  dos  ni  <lerrière,  de  sorle  qu'il 
se  garde  de  montrer  ses  talons  (  MiracuL, 
lib.  3). 

Les  Européens  représentent  ordinal- 
rernent  le  diable  avec  un  teint  noir  et 
brûlé;  les  nègres  au  contraire  soutiennent 
que  le  diable  a  la  peau  blanche.  Un  officier 
français  se  trouvant  au  dix-septième  siècle 
dans  le  royaume  d'Ardra,  en  Afrique,  alla 
f.iire  une  visite  au  chef  des  prêtres  du  pays. 
Il  aperçut  dans  la  chimbre  du  pontife  une 
grande  poupée  blanche,et  demanda  ce  qu'elle 
représentait.  Ou  lui  répondit  que  c'était  le 
diable. 

—  Vous  vous  trompez  ,  dit  bonnement  le 
Français,  le  diable  est  noir. 

—  C'est  vous  qui  êtes  dans  l'erreur, répli- 
qua le  vieux  prêtre;  vous  ne  pouvez  pas  sa- 
voir aussi  bien  que  moi  quelle  est  la  couleur 
du  diable  -.je  le  vois  tous  tes  jours, qI  le  vous 
assure  qu'il  est  blanc  comme  vous  (5).  Voy. 
Sabbat,  Démons,  etc. 

FIL  DE  LA  VIERGE.  Les  bonnes  gens 
croient  que  ces  flocons  blancs  cotonneux, 
qui  nagent  dans  l'atmosphère  et  descendent 
du  ciel,  sont  des  présents  que  la  Sainte 
Vierge  nous  fail.et  que  c'est  de  sa  quenouille 
céleste  qu'elle  les  détache.  Ils  annoncent  le 
beau  temps. 

Le  physicien  Lamarck  prétend  que  ce  ne 
sont  pas  des  toiles  d'araignées  ni  d'autres 
insectes  fileurs,  mais  des  filaments  alnio- 
sphériquos  qui  se  remarquent  dans  les  jours 
qui  n'ont  pas  offert  de  brouillard.  Selon  le 
résultat  des  observations  de  ce  savant ,  les 
fils  de  la  Vierge  ne  sont  qu'un  résidu  des 
brouillards  dissipés,  et  en  quelque  sorle  ré- 
duits et  condensés  par  l'action  des  rayons 
solaires,  «  de  sorte  qu'il  ne  nous  faudrait 
qu'une  certaine  suite  de  beaux  soleils  et  de 
brouillards  secs  pour  approvisionner  nos 
manufactures  et  nous  fournir  un  coton  tout 
filé,  beaucoup  plus  beau  que  celui  que  nous 
tirons  du  Levant  (6).  » 

FIN  DU  MONDE.  Hérodote  a  prédit  que 
le  monde  durerait  10,800  ans;  Dion,  qu'il 
durerait  13,98'i-  ans;  Orphée  120,000;  Cas- 
sander,  1,800,000.  Il  serait  peut-être  mieux 
de  croire  à  ces  gens-là  ,  dont  les  prédictions 
ne  sont  pas  encore  démenties,  qu'à  une  foule 
dj  prophètes  ,  maintenant  réputés  sols  dans 
les  annales  astrologiques.  Tel  fut  Aristar- 
que,  qui  prédisait  la  débâcle  générale  du 
genre  humain  en  l'an  du  monde  3184.;  Daré- 
lès  en  l'an  5552;  Arnauld  de  Villeneuve,  en 
l'an  de  Noire-Seigneur  1395;  Jean  Uillen, 
allemand,  en  1651.  L'Anglais  Wislon  ,  ex- 
plicaleur  de  l'Apocalypse,  qu'il  voulait  éclair- 
cir  par  la  géométrie  et  l'algèbre,  avait  con- 
clu après  bien  des  supputations,  que  le  juge- 
ment dernier  aurait  lieu  en  1715,  ou  au  plus 
tard  en  1716.  On  nous  a  donné  depuis  bien 

(l)  Socraie,  Hist.  eccl.,  Ilv.  VII,  cli.  xwni. 
(3)  Anecdotes  africaines  de  la  côte  des  Esclaves,  p.  57. 
(6)  M.  Sdlgue».  Des  Erreurs  et  des  préjugés,  l.  111, 
p.  184. 


DlCTIOISNAIRE    DES    SCIENCES    OCCULTES.    L 


20 


819 


DICTIONNAIRE  DES  SCIKNCKS  OCCI.'LTES. 


C20 


li  aulres  fr.iycurs.  L«>  18  juillet  1816  dcv/iil 
<*lre  le  dernier  jour.  M.  de  Krudcmr  l'avait 
remis  à  1819,  M.  de  Libenslcin  à  182;{,M.dc 
Sallmard-MoMlforl  à  18'3G,  et  d'autres  pro- 
nhèles,  sans  i)lus  de  succès,  au  6  janvier 
I8'i0. 

Attendons  :  mais  si  nous  sommes  sages, 
lenoiis-nous  prêts. 

Non  loin  d'Avignonel,  village  qui  est  au- 
près de  VilU'franchc  en  Langue<loc,  est  un 
petit  mortlicule  situé  au  milieu  d'une  des 
plus  fcrliles  plaines  de  l'Europe  ;  au  haut  de 
ce  nionlicule  sont  placées  les  pierres  de  Nau- 
rodse;  c'est-à-dire  deux  énormes  blocs  de 
granit  qui  doivent  avoir  été  transportés  là 
du  temps  des  druides.  Or,  il  faut  que  vous 
sachiez  (tous  les  gens  du  p.iys  vous  ]<•  diroiil) 
que  quand  ces  deux  pierres  viendront  à  se 
baiser,  ce  sera  le  signal  de  la  fin  du  monde. 

Les  vieilles  gens  disent  que,  depuis  un  siè- 
cle, elles  se  sont  tellement  rapprochées 
qu'un  gros  homme  a  tout  au  plus  le  passage 
libre,  tandis  qu'il  y  a  cent  ans  un  homme  à 
cheval  y  passait  sans  difficullé...  Voyez  Ber- 
nard DB  Thuringe,  Felgenuaver  ,  ECLIP- 
SlilS    o'c* 

FJNNES.  On  lit  dans  Albert  Kraniz  (1) , 
(|ue  les  Finnes  ou  Finlandais  sont  sorciers  , 
qu'ils  ont  le  pouvoir  de  connaître  l'avenir  et 
les  choses  cachées  ;  qu'ils  toiiibent  en  extase, 
que  dans  cet  état  ils  font  de  longs  voyages 
sans  que  leur  corps  se  déplace,  et  qu'à  leur 
réveil  ils  racontent  ce  qu'ils  ont  vu,  appor- 
tant, en  témoignage  de  la  vérité,  une  bague, 
un  bijou,  que  leur  âme  a  pris  en  voyageant 
dans  les  pays  éloignés. 

Delancre  dit  que  ces  sorciers  du  Nord  ven- 
dent les  vents,  dans  des  outres,  aux  navi- 
gateurs, les(|ucls  se  dirigent  alors  comme  ils 
veulent.  Mais  un  jour,  un  maladroit,  qui  ne 
savait  ce  que  conlenaient  ces  outre  s  les  ayant 
crevées,  il  en  sortit  une  si  furieuse  tempête 
que  le  vaisseau  y  périt. 

OI<iiLs  Magnus  rapporte  que  certains  de 
ces  magiciens  vendaient  aux  navigateurs  trois 
nœuds  magiques,  serrés  avec  une  courroie. 
En  dénouant  le  premier  de  ces  nœuds,  on 
avait  des  vents  doux  et  favorables;  le  second 
en  élevait  de  plus  véhéments;  le  troisième 
excitait  les  plus  furieux  ouragans. 

FINSKGALDEN,  espèce  de  magie  en  usage 
chez  les  Islandais;  elle  a  été  apportée  en  Is- 
lande par  un  magicien  du  pays,  qui  avait  fait 
à  ce  dessein  un  voyage  en  Laponie.  Elle 
consiste  à  mailrisor  un  esprit,  ({ui  suit  le 
sorcier  sous  la  forme  d'un  ver  ou  d'une 
uiouchi',  et  lui  fait  faire  des  merveilles. 

FIORAVANTI  (Léonard),  médecin,  chi- 
rurgien et  alchimiste  du  seizième  siècle.  On 
renuirque  parmi  ses  ouvrages,  qui  sont  nom- 
breux, le  Ùésumé  des  secrets  qui  rerjaident  la 
médecive,  ta  chirurgie  et  l'alchimie  (2).  Ve- 
nise, 1571,  in-8,  1666;  Turin,  loSO. 

FIORINA.  Voy.  Flori.ne. 

FLAGA,  fée  malfaisante  des  Scandinaves. 
Ouelques-uns  disent  que  ce  n'était  qu'une 
magicienne,  fjui  avait  un  aigle  pour  monture. 

(IJ  I-eloycr,  llist.  des  spectres  el  a])[iariUoas  des  es- 
piiu,  iiv.  IV,  i>.  4i>U. 


FLAMBEAUX.  Trois  n.tmlieaux  allumés 
dans  la  même  chambre  sont  un  présage  de 
mort.  Ayez  donc  soin  d'en  avoir  deux  ou 
quatre. 

FLAMEL  (Nicolas),  célèbre  alchimiste  do 
quatorzième  siècle.  On  ne  connaît  ni  la  date 
ni  le  lieu  de  sa  naissance;  car  il  n'est  pas 
certain  qu'il  soit  né  à  Paris  ou  à  Poiiloise.  Il 
lut  écrivain  public  au  charnier  des  Inno- 
cents, libraire  juré,  poëte,  peintre,  mathé- 
maticien, architecte;  enfin,  de  pauvre  qu'il 
ctaii,  il  devint  riche;  el  on  attribua  ses  suc- 
cès au  bonheur  qu'il  eut  de  trouver  la  pierre 
philosophale. 

Une  nuit,  dit-on,  pendant  son  sonimci!,  un 
ange  lui  apparut,  tenant  un  livre  assez  re- 
marquable ,  couvert  de  cuivre  bien  ou- 
vragé, les  feuilles  d'écorce  déliée,  gravées 
d'une  très-grande  industrie,  cl  écrites  avec 
une  pointe  de  fer.  Une  inscription  en  grosses 
lettres  dorées  contenait  une  dédicace  faite  à 
la  ijenl  des  Juifs,  par  Abraham  le  Juif,  prince, 
prêtre,  astrologue  et  philosophe. 

—  Flamcl,  dit  l'ange,  vois  ce  livre  auquel 
tu  ne  comprends  rien  :  pour  bien  d'autres 
que  loi,  il  resterait  inintelligible;  mais  tu  y 
verras  un  jour  ce  que  tout  autre  n'y  pourrait 
voir. 

A  ces  mots,  Flamel  tend  les  mains  pour 
saisir  ce  présent  précieux;  mais  l'ange  et  le 
livre  disparaissent,  et  il  voit  des  Qols  d'or 
rouler  sur  leur  trace. 

Nicolas  se  réveilla;  et  le  songe  tarda  si 
longtemps  à  s'accomplir,  que  son  imagina- 
tion s'était  beaucoup  refroidie,  lorsqu'un 
jour,  dans  un  livre  qu'il  venait  d'acheter  m 
bouquinant ,  il  reconnut  l'inscription  du 
même  livre  qu'il  avait  vu  en  songe,  la  même 
couverture,  la  même  dédicace,  et  le  mémo 
nom  d'auteur. 

Ce  livre  avait  pour  objet  la  transmutation 
métallique,  el  les  feuillets  étaient  au  nombre 
de  21,  qui  font  la  mystérieuse  combinaison 
cabalistique  de  trois  fois  sept.  Nicolas  se  mit 
à  étudier  ;  et  ne  pouvant  comprendre  les  figu- 
res, il  fil  un  vœu,  disent  les  conteurs  her- 
niéliques,  pour  posséder  l'interprétation  d'i- 
celles,  qu'il  n'oblinl  pourtant  que  d'un 
rabbin.  Le  pèlerinage  à  Sainl-Jacques,  qui 
était  son  voeu,  eut  lieu  aussitôt;  Flamel  en 
revint  tout  à  fait  illuminé. 

Voici,  selon  les  mêmes  conteurs,  la  prière 
qu'il  avait  faite  pour  obtenir  l'intelligence  : 
—  «  Dieu  tout-puissant,  éternel,  père  de  la 
lumière,  de  qui  viennent  tous  les  biens  et 
tous  les  dons  parfaits,  j'implore  votre  misé- 
ricorde infinie;  Liissez-moi  connaître  votre 
éternelle  sagesse;  c'est  elle  qui  environne 
votre  trône,  qui  a  créé  et  fait,  qui  conduit 
et  conserve  tout.  Daignez  me  l'envoyer  du 
ciel,  votre  sanctuaire,  et  du  trône  de  votre 
gloire,  afin  qu'elle  soit  el  qu'elle  travaille  en 
moi;  car  c'est  elle  qui  est  la  maîtresse  de 
tous  les  arts  célestes  et  occultes,  (jui  possède 
la  science  et  l'intelligence  de  toutes  chose». 
Faites  qu'elle  m'accompagne  dans  toutes 
mes  œuvres;  (jue  par  son  esprit  j'aie  la  véri« 

(-2;  roiupendio  Jci  secreli,  elc. 


fi?l 


FLA 


FLA 


r.22 


table  iiilelligonre  ;  que  jt>  procèJc  infailli- 
hlemenl  dans  l'art  noble  auquel  je  me  suis 
consacré,  dans  la  recherche  de  la  miracu- 
leuse pierre  des  sajres  que  vous  avez  cachée 
au  monde,  mais  que  vous  avez  coutume  au 
moins  de  découvrir  à  vos  élus;  que  ce  grand 
œuvre  que  j'ai  à  faire  ici-bas,  je  le  com- 
mence, je  le  poursuive  cl  ji^  raclièvc  hrureu- 
semenl;  que,  contenl,  j'en  joui  se  à  tou- 
jours. Je  vous  le  demanile  par  Jésus-Christ, 
la  pierre  céleste,  angulaire,  miraculeuse  et 
fondée  de  toute  éleriiilé,  qui  commande  et 
règne  avec  vous  (1),  »  etc. 

Cette  prière  eut  tout  son  effet,  puisque  Fla- 
mel  convertit  d'abord  du  mercure  en  argent, 
et  bientôt  du  cuivre  eu  or.  Il  ne  se  vil  pas 
plus  tôt  en  possession  de  la  pierre  philoso- 
pliale,  qu'il  voulut  que  dos  monuments  pu- 
blics allcstassent  sa  piété  et  sa  prospérité.  Il 
n'oublia  pas  aussi  de  faire  mettre  partout  ses 
statues  et  son  image,  sculptées,  accompa- 
gnées d'un  éiusson  où  une  main  tenait  une 
écritoire  en  forme  d'armnirie.  Il  fil  graver  de 
plus  le  portrait  de  sa  femme,  Pernelle,  qui 
l'accompagna  dans  ses  travaux  alcl)imii|ucs. 

Flame!  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint- 
Jacqucs-la-Bouchcrie,  à  Paris.  Après  sa  mort, 
plusieurs  personnes  se  sont  imaginé  que 
toutes  ces  peintures  et  sculptures  allégori- 
ques élaient  autant  de  symboles  cabalisîi- 
ques  qui  renfermaient  un  sens  qu'on  pouvait 
mettre  à  profil.  Sa  maison  ,  vieille  rue  de 
Marivaux,  n°  IC,  passa  dans  leur  imagination, 
pour  un  lieu  oii  l'on  devait  trouver  des  tré- 
sors enfouis  :  un  ami  du  défunt  s'engagea, 
dans  cet  espoir,  à  la  restaurer  gratis  ;  il  brisa 
tout  et  ne  trouva  rien. 

D'autres  ont  prétendu  que  Flamel  n'était 
pas  mort,  et  qu'il  avait  encore  mille  ans  à 
vivre  :  il  pourrait  n)éme  vivre  plus,  en  vertu 
du  baume  universel  qu'il  avait  découvert. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  voyageur  Paul  Lucas 
affirme  ,  dans  une  de  ses  relations,  avoir 
parlé  à  un  derviche  ou  moine  turc,  qui  avait 
rencontré  Nicolas  Flamel  et  sa  femme  s'em- 
barquant  pour  les  Indes. 

On  ne  s'est  pas  contenté  de  faire  de  Flamel 
un  adepte,  on  en  a  fait  aussi  un  auteur.  En 
1561,  cent  quarante-trois  ans  après  sa  mort, 
Jacques  Gohorry  publia,  in-18,  sous  le  ti- 
tre de  Transformation  métallique,  trois  traités 
en  rhythme  français  :  la  Fontaine  des  amou- 
reux des  sciences  ;  les  Remontrances  de  nature 
à  l'alchimiste  errant ,  avec  la  réponse ,  par 
Jean  de  Meung,  et  le  Sommaire  philosophique 
attribué  à  Nicolas  Flamel. 

On  met  aussi  sur  son  compte  le  Dénr  dé- 
siré, ou  Trésor  de  philosophie,  autrement  le 
Livre  des  six  paroles ,  qui  se  trouve  avec  le 
Traité  du  soufre,  du  cosmopolite,  et  l'œuvre 
royale  de  Charles  VI,  Paris,  1618, 1629.  in  S'. 

On  le  fait  encore  auteur  du  grand  Eclair- 
cissement de  la  pierre  philosopliale  pour  la 
transmutation  de  tous  métaux,  in-8°,  Paris, 
1628.  L'éditeur  promettait  la  Joie  parfaite  de 
moi,  Nicolas  Flamel,  et  de  Pernelle,  ma  femme, 

(1)  llydroticus  soptiiciis  seu  aquarium  sapient.  BIbl. 
cliim.  (le  Maiiget.  l.  II,  p.  b37. 

(2)  Mon  en  1670. 


lequel  n'a  point  paru.  On  a  donné  enfin  la 
musique  chimique,  opuscule  très-rare,  cl 
d'autres  fatras  (lu'on  ne  recherche  plus. 

Au  résumé,  Flamel  était  un  homme  labo- 
rieux, qui  sut  acquérir  de  la  fortune  en  tra- 
vaillant avec  les  juifs,  et  romme  il  en  fit  mys- 
tère, on  l'attribua  à  des  moyens  merveilleux. 

L'abbé  de  Villars  métamorphose  Flamel, 
dans  le  Comte  de  Gabnlis  ,  en  un  chirurgien 
qui  commerçait  avec  les  esprits  élémentaires. 

On  a  déhilé  sur  lui  mille  contes  singuliers  ; 
et  de  nos  jours  un  chercheur  de  dupes,  ou 
peut-être  un  plaisant,  répandit  en  mai  1818, 
dans  les  cafés  de  Paris,  une  espèce  d'avertis- 
sement où  il  déclarait  qu'il  était  le  fameux 
Nicolas  Flamel,  qui  rechercliait  la  i)ierrep!ii- 
losophale  au  coin  de  la  rue  Marivaux,  à  Pa- 
ris, il  y  a  plus  de  quatre  cents  ans;  qu'il  avait 
voyagé  dans  tous  les  pays  du  monde,  et  qu'il 
prolongeait  sa  carrière  depuis  quatre  siècles 
par  le  moyen  de  Vélixir  de  vie,  qu'il  avait  le 
bonheur  de  posséder.  Quatre  siècles  de  re- 
cherches l'avaient  rendu,  disait-il,  très-sa- 
vant, et  le  plus  savant  des  alchimistes.  Il 
faisait  de  l'or  à  volonté.  Les  curieux  pou- 
vaient se  présenter  chez  lui,  rue  de  Giéry, 
n°  22,  et  y  prendre  une  inscrijjlion  qui  coû- 
tait trois  cent  mille  francs,  moyennant  quoi 
ils  seraient  initiés  aux  secrets  du  maître,  et 
se  feraient  sans  peine  un  million  huit  cent 
mille  francs  de  rente. 

Nous  sommes  heureux  de  pouvoir  citer  ici 
sur  Nicolas  Flamel  les  curieuses  recherchi  s 
de  M.  Auguste  Vallcl,  de  l'école  des  Charles. 
Elles  résument  une  foule  de  livres  cl  d'essai» 
publiés  sur  ce  sujet. 

«  Parmi  les  arcades  qui  composaient  jadis 
les  Charniers  des  Innocents,  on  vn  remarquait 
deux,  (|ui  se  recommandaient  plus  particu- 
lièrement à  ia  curiosité.  Sur  la  première  se 
voyait  une  peinture  représentant  un  homme 
dans  l'attitude  d'un  spectateur,  portai>t  un 
phylactère  dont  la  légende  témoignait  de 
son  admiration.  La  seconde  offrait  un  tym- 
pan ogive  décoré  de  sculptures  et  servait  dj 
monument  turaulaire. 

«  Sauvai  (2)  nous  apprend  que  ,  de  son 
temps,  les  alchimistes  visitaient  ces  deux 
arcades,  et  se  mettaient  l'esprit  à  la  torture 
pour  découvrir  le  sens  mystérieux  des  figures 
qu'on  y  avait  peintes  et  sculptées. 

C'est  qu'elles  avaient  été  construites  par 
Nicolas  Flamel. 

«  Ce  Flamel,  dit  Sauvai,  est  en  telle  véné- 
«  ration  parmi  eux  qu'ils  ne  l'estiment  pas 
«  moins  que  Guillaume  de  Paris  (3) ,  et  veu- 
«  lent  qu'en  1382  (4),  il  souffla  de  sorte  que 
«  son  creuset  valut  bien  le  sien.  Aussi ,  ne 
«  sont-ils  pas  paresseux  de  visiter  souvent 
«  tous  les  lieux  qu'il  a  bâtis.  Us  se  distillent 
«  l'esprit  pour  quintcssencier  des  vers  gotlii- 
«  queseldes  figures,  les  unes  en  ronde  bosse, 
«  les  autres  égratignées  ,  comme  on  dit,  sur 
«  les  pierres  ,  tant  de  la  maison  du  coin  de  la 
«  rue  Marivaux,  que  des  deux  hôpitaux  qu'il 

(5)  Célèbre  évoque  de  Paris,  qui  passait  pouralchimiste, 
et  dout  ta  statue  est,  dit-on,  ci'lle  qui  se  vdil  au  irume.iu 
du  portail  droit  de  Notre-Dauie  de  l'aris. 

(i)  Le  texte  porte  1332,  mais  éviJeioiniinl  par  i;rr(  ur. 


DICTIONNAIRE  DKS  SCIKNCF.S  OCfUI.TES. 


623 

«  a  fait  faire  à  la  rue  Ao  Monltnorfiicy.  De  là, 
«  ils  vont  à  Saintc-Geneviève-des-Ardents, 
-  à  l'hôpital  Sainl-Gervais ,  à  Sainl-Côme,  a 
..  Saint-Martin,  à  Saint-Jacques-de-la-Boii- 
..  chérie,  où  l'on  voit  des  portes  qu'il  a  fait 
1  construire,  et  où  presque  à  loulcs,  cl  en- 
«  core  ailleurs  sereniarquenldcs  croix  qu  ils 
«  tiennent  pour  mystérieuses. 

«  Quatre  gros  chenets  de  fer  dressés  prés 
.  le  portail  Sainl-Gcrvais  et  à  la  rue  de  la 
u  Ferronnerie,  sont  encore  de  lui,  à  ce  qu'ils 
..  prétendent  sans  savoir  pourquoi ,  ni  ce 
«  qu'ils  signifient  ;  ils  en  disent  autant  des 
.  demi-reliefs,  des  figures  de  ronde-bosse  et 
<.  de  quelques  peintures  des  charniers  des 
'I  Saints-Innocents,  et  que  môme  il  les  a  ex- 
.  pliqués  dans  le  livre  des  figures  hiéroghj- 
«  figues...  Cependant  il  est  certain  que  ce 
«  livre  est  la  traduction  d'une  pièce  latine 
a  qu'on  n'a  jamais  vue.  » 

«  Lo  livre  dont  parle  Sauvai  est  un  ou- 
vrage assez  rare  aujourd'hui  et  recherché 
des  bibliophiles.  Il  s'agit  d'un  petit  in-4."  de 
98  pages ,  dont  la  première  est  enlièremenl 
occupée  par  le  titre  suivant  : 

c  Trois  traités  de  la  philosophie  naturelle, 
non  encore  imprimés.— Savoir,— le  secret  li- 
vre du  très-ancien  philosophe  Artephius, 
traitant  de  l'art  occulte  et  transmutation  mé- 
tallique, lat.-français.  Plus.- Les  figures  hié- 
roglyphicques  de  Nicolas  Flamel,  ainsi  qu  il 
les  a  mises  en  la  quatrième  arche  qu'il  a  bâ- 
tie au  cimetière  des  Innocents  à  Paris,  en- 
trant par  la  grande  porte  de  la  rue  Sainl-De- 
nis,  et  prenant  la  main  droite  ;  avec  l'expli- 
cation d'icelles,  par  iceluy  Flamel.  Ensemble 
-Le  vrai  livre  du  docte  Synesius,  abbé  grec, 
lire  de  la  bibliothèque  de  l'Empereur  ,  sur 
le  même  sujet,  le  tout  traduit  par  P.  Arnauld, 
sieur  de  la  Chevallerie  poitevin.— A  Paris, 
(hez  la  veuve  Guillemot  et  S.  Thiboust, 
au  palais,  en  la  galerie  des  prisonniers. 
MDCXII  (1). 

«  La  première  partie  de  ce  livre  contient  un 
traité  d'alchimie,  texte  latin  et  français  en 
regard ,  qui  renferme  une  recette  pour  le 
grand  œuvre.  La  seconde  est  précédée  d'une 
planche  composée  de  plusieurs  pièces  gra- 
vées sur  bois  et  formant  une  arcade  ogive, 
représentant  celle  que  Nicolas  Flamel  fil  éle- 
ver aux  charniers  des  Innocents.— Le  sujet 
principal  montre  lePère  éternel,  tenant  d'une 
main  le  globe  surmonté  d'une  croix  et  levant 
l'autre  pour  bénir.  A  sa  droite  Nicolas  Fla- 
mel, les  mains  jointes,  est  aux  pieds  de  saint 
Paul  qui  intercède  pour  lui.  Pernelle  ,  sa 
femme,  à  gauche  et  dans  la  même  altitude, 
parait  également  protégée  par  son  patron, 
saint  Pierre.  Au-dessous  sont  représentés  di- 
vers sujets,  parmi  lesquels  on  remarque  un 
Jugementdernier,el,dansla  partie  inférieure 
i)u  tympan,  le  Massacre  des  Innocents.  Dans 
les  angles  de  l'ogive  sont  des  anges;  chacune 
de  ces  figures  est,  en  général,  accompagnée 
de  banderoLcs  sur  lesquelles  se  lisent  des 
inscriptions. 

«  L'auteur  entre  en  matière; Nicolas  Fla- 
mel est  censé  raconter  lui-même  son  histoire 
(,1)  Sauvai  écrivait  en  lOji. 


liai 


et  commenter  les  figures.  Il  expose  que.toul 
en  exerçant  sa  fonction  d'écrivain,  à  Paris, 
en  face  la  chapelle  de  Saint-Jacques-la-llou- 
cherie  ,  il  n'a  pas  laissé  d'onlendre  au  long 
les  livres  des  philosophes,  et  d'apprendre  eu 
iceux  leurs  tant  occultes  secrels:  «  Donc  moi, 
Nicolas  Flamel,  dit-il,  ainsi  qu'après  le  décès 
de  mes  parents  ,  je  gagnais  ma  vie  en  notre 
Art  de  l'Ecriture,  faisant  des  inventaires, 
dressant  des  comptes,  et  arrélani  les  dépenses 
des  tuteurs  et  mineurs,  il  me  tomba  entre  les 
mains,  pour  la  somme  de  deux  florins  ,  un 
livre  doré  fort  vieux  ,  el  beaucoup  large;  il 
n'était  point  en  papier  ou  parchemin  comme 
sont  les  autres,  mais  était  fait  de  déliées  écoi- 
ces,  comme  il  me  semble,  de  tendres  arbris- 
seaux (2),  sa  couverlure  était  de  cuivre  bien 
délié  ,  toute  gravée  de  lettres  ou  figures 
étranges.  Quant  à  moi,  je  crois  qu'elles  |)ou- 
vaient  bien  être  des  caractères  Grecs  ou  d'au- 
tre semblable  langue  ancienne.  Je  ne  les  sa  vais 
pas  lire,  et  je  sais  qu'elles  n'étaient  lettres 
latines  ou  gauloises  ;  car  nous  y  entendons  un 
peu...  Au  premier  des  feuillets, il  y  avait  écrit 
en  lettres  grosses  capitales  dorées.  Abhaham 

LE  JUIF,  PRINCE,  PRÊTRE,  LÉVITE,  ASTROLOGUii. 
et  PHILOSOPHE,  A  LAGENT  DES  JUIFS,  PAR  LIRE 

DE  Dieu  dispersée  aux  gaules,  salut,  etc.  » 
«  Ce  livre  élail  rempli  de  figures  peintes 
en  diverses  couleurs  et  dont  Flamel  ne  pou- 
vait découvrir  le  sens  mystérieux.  Au  der- 
nier revers  du  cinquième  feuillet,  il  y  avait, 
poursuit-il,  un  roi  avec  un  grand  coutelas, 
qui  faisait  tuer  en  sa  présence  par  des  sol- 
dats grande  mullilude  de  petits  enfants, 
les  mères  desquels  pleuraient  aux  pieds  des 
impitoyables  gendarmes.  Le  sang  des  petits 
entants  élail  puis  après  recueilli  par  d'autres 
soldats  ,  el  mis  dans  un  grand  vaisseau, 
dans  lequel  le  soleil  el  la  lune  du  ciel  se  ve- 
naient baigner.  Et  parce  que  cette  histoire 
rt'présentaii  la  plupart  de  celle  des  Inno- 
c  nts ,  occis  par  Hérode,  et  qu'en  ce  livre  -ci 
j'ai  appris  la  plus  part  de  l'Art,  ça  a  été  une 
des  causes  que  j'ai  mis  en  leur  cimetière  ces 
symboles  hiéroglyfiques  do  celle  secrète 
science.  » 

«  Enchanté  de  posséder  ce  livre  ,  Flamel 
l'éiudiail  avec  ardeur.  Mais  tout  en  compre- 
nant qu'il  donnait  la  marche  pour  procéder 
au  Grand  OEuvre,  il  ne  pouvait  lever  le  voile 
énigmaliquedonl  l'auteur, suivantl'usage  des 
philosophes  hermétiques,  avait  gazé  ses  su- 
blimes prescriptions.  En  vain  communiqua- 
t-il  le  sujet  de  ses  peines  à  sa  femme  Pelre- 
ndle,  «  qu'il  aimait  autant  que  lui-même  el 
laquelle  il  avait  épousée  depuis  peu.  »  Per- 
nelle ,  ainsi  que  son  mari ,  prenait  plaisir  à 
contempler  les  ornements  dont  le  livre  élail 
exicrieurement  et  intérieurement  embelli  ; 
«  mais,  dil-il,  elle  y  entendait  aussi  peu  que 
moi.  »  Enfin  il  fit  peindre  dans  son  logis  quel- 
ques-unes de  ces  figures,  el  les  montra  à 
plusieurs  grands  clercs  ,  leur  disant  que  ce 
livie  contenait  une  recette  pour  trouver  le 
Magistère.  «  Mais  ,  dit-il  encore  ,  la  plupart 
d'iceux  se  moquèrent  de  moi  et  de  la  béuile 

(2)  C'est  ainsi  qu'au  moyen  Sge  on  diicrivail  les  ina:iu- 
sfTils  sur  pa^yruï. 


«55 


FLA 


pierre,  »  excepté  toulofois  un  nommé  maîlrc 
Anseaulme,  licencié  en  médecine,  qui  li.i 
interpréta  de  la  manière  la  plus  salisfaisanlc 
les  premières  figures  peintes  au  commence- 
ment de  cet  ouvrage. 

«  Celte  première  conquête  ne  Gt  que  l'en- 
lljimmeret  fut  cause  «  que.  durant  le  Ion- 
espace  de  vingt  et  un  ans,  il  fit  mille  brouille- 
ries.»  Ne  possédant  qu'à  moitié  le  critérium  do 
ces  préceptes  catinlisliques,  il  était  toujours  à 
recommencer.   Enfin  ,   «  ayant  perdu  espé- 
»  ranci-  de  jamais  comprendre  ces  figures  ,  il 
»  !il  vœu  a  Dieu  et  à  monsieur  saint  Jacques 
»  de  Uallice  pour  demander  l'interprétalion 
»  d  leelles  a  quelque  sacerdoi  juif.en  quelque 
»  synagogue  d'Espagne.  »  Prrnanl  le  bour- 
don, muni  d'un  extrait  de  son  livre  ,  Nicolas 
tiamelsemiten  route  pour  le  pèlerinage  de 
bainl-Jacques  de  Compostelle.   Il  accomplit 
son  vœu  avec  grande  dévotion, et  passant  par 
Léon  ,  pour  revenir  en  France ,  il  fit  la  con- 
naissance d'un  «  médecin  ,  juif  de  nation  et 
lors  chrétien  ,  demeurant  audit  Léon,  lequel 
etai   fort  savant  en  sciences  sublimes,appelé 
maître  Ganches.  »  ^ 

«  Le  docteur  fut  ravi  d'entendre  parlerde  ce 

livre  merveilleux  qu'ilcroyaità  jamais  perdu. 
Aussitôt  que  Flamel  lui  eut  communiqué  son 
extrait,  le  docteur  lui  donna  l'explication  des 
premières  figures.  Il  fut  décidé  qu'ils  revien- 
draient en  compagnie,  et  ils  s'embarquèrent 
pour  la  Franco.  Le  juif  déjà  avait  expliqué 
la  plupart  de  mes  figures  ,  où  jusque  même 
aux  points  il  trouvait  de  grands  mystères  ; 
quand  arrivant  àOrléans.cedocte  juif  tomba 
malade  et  mourut  le  septième  jour.  Du  mieux 
que  le  pus  dit  Flamel,  je  le  fis  enterrer  en 
^église  de  Samte-Croix  à  Orléans.où  il  repose 

«  Nicolas  Flamel  revint  àParis  ri  reprit  ses 
opérations   chimiques;   il   ne   tarda  pas  ,  à 
aide  des  instructions  contenues  dans  son 
livre,  a  composer  la  sublime  pierre.  «  J'ac- 
coniplis  aisément  le  Magistère  ,  dit-il;  aussi 
sachant  la  préparation  des  prem  ers  agents, 
H  suivant  a  la  lettre  mon  livre,  je  n'eusse  pu 
laillir  encore  que  je  l'eusse  voulu.  Donc  la 
première  fois  que  je  fis  la  projection,  ce  fut 
sur  du  mercure,  dont  j'en  convertis  une  de- 
mi-livre ou  environ,  en  pur  argent,  meilleur 
que  celui  de  la  minière,  comme  j'ai  essayé  et 
tait  essayer  par  plusieurs  fois.  Ce  fut  le  17 
<le  janvier ,  un  lundi  environ  à  midi ,  en  ma 
maison,  présente  Perrenclle  seule,  l'an  mil 
trois  cent  quatre-vingt-deux.  Et  puis  après , 
suivant  toujours  de  mot  à  mot  mon  livre,  je 
a  "s  avec  la   pierre  rouge,  sur  semblable 
qualité  de  mercure,  en  présence  encore   de 
Perrenelle  seule,  en  la  môme  maison,  le  23 
d  avril  suivant,  sur  les  cinq  heures  du  soir- 
je  transmuai  véritablement  en  quasi  autant 
de  pur  or,  meilleur  très-certainement  que 
1  or  commun,  plus  doux  et  plus  ployable   » 
«  Pour  remercier  Dieu   de  la  grâce  qu'il 
ui  avait  faite  en  lui  accordant  le  don  de  la 
transmutation  ,  Flamel  de  concert  avec  sa 


tinn  l.  M,r„  h'  P'"  "'"''"'■''  '^'^  (lireque  celle  interpréu- 
twn  et  chacun  des  mois  qui  la  composeul ,  quelque  al.sur- 
liasqu  Ils  paraissent,  ne  soul  |.as,  imrinJéqucment,  dé- 


FLA  («25 

femme,  se  livra  aux  œuvres  de  charité   II 
combla  de  bienfaits  les  pauvres  ,  répara  les 
églises  et  les  cimetières,  fonda  des  hôpitaux 
etc.  «  Bâtissant  donc,  continue  le  récit,  ces 
églises   cimetières,  et  hôpitaux,  je  me  réso- 
lus de  faire  peindre  en  la  quatrième  arche 
flu  cimetière  des  Innocents  ,  les  plus  vraies 
et  essentielles  marques  de  l'Art,  sous  néan- 
moins dos  voiles  et  couvertures  hiéro-^Ufi- 
qiies.a  l'imitation  du  livre  doré  du  juif  Ibra- 
lam,  pouvant  représonterdeux  choses,  selon 
la  capacité  et  savoir  des  contemplants,  pre- 
mièrement les   mystères  de  noire  résurrec- 
tiDU  future  et  indubitable,  au  jour  du  juge- 
ment et  avènement  du   bon  Jésus  (auquel 
plaise  nous  faire  miséricorde),   histoire  qui 
convient  bien  à  un  cimetière ,  et  puis  après 
encore  ,  pouvant  signifier  â  ceux   qui  sont 
entendus  en  la  philosophie  naturelle,  foutes 
les  principales  et  nécessaires  opérations  du 
Alagislere.  Ces    figures    hiérogiyfiques  ser- 
viront comme  de  deux  chemins  pour  mener 
a  la  vie  céleste;  le  premier  sens  plus  ouvert 
enseignant  les  saints  mystères  de  notre  sa- 
lut, l'autre  enseignant  à  tout  homme,  pour 
peu  entendu  qu'il  soit  en   la  pierre  ,  la  voie 
linéaire  de  l'œuvre,  laquelle  étant  parfaite 
par  quelqu'un  ,   le   change  de  mauvais  en 
t)(m,  lui  ôte  la  racine  de  tout  péché  (qui  est 
1  avance)  le  faisant  libéral,  doux  ,   pieux 
religieux,  et  craignant  Dieu,  quelque  mau- 
vais qu'il  fût  auparavant.  Car  dorénavant  il 
demeure  toujours  ravi  de  la  grande  grâce  et 
miséricorde  qu'il  a  obtenue  de  Dieu.  » 

«  Après  ce  long  préliminaire ,  l'auteur 
prend  une  à  une  les  diverses  figures  qui 
composent  le  dessin  général  mis  en  tête  de 
son  traité;  puis  les  analysant  successive- 
ment et  en  détail,  il  en  montre  le  double  sens 
commun  ou  théologigue,  et  hiéroglyfique  ou 

«  Nous  ne  suivrons  pas  cette  énumération 
dans  laquelle  il  renchérit  sur  maître  Canches 
lui-même    qui,  jusque  même     aux    points 
trouvait  de  grands  mystères.  Dans  cette  dis- 
sertation alambiquée,   il  n'est  pas  jusqu'à 
1  ecritoire   de  Flamel  qui  ne  puisse,  comme 
dit  bauval,  se  quintessencier  en  interpréta- 
tions. Ainsi,  cette  ecritoire  doit  être   prise 
pour  «  un  matras  de  verre  plein  des  coufec- 
lons  de  l'art,  comme  de   l'écume  de  la  mer 
Kouge  et  de  la  graisse  du  vent  mercurial  que 
tu  VOIS,  du  le  traité,  peint  en  forme   d'écri- 
loire.  »  El  l'armoire  (dans  laquelle  est  con- 
tenue cette  ecritoire;  qui  se  trouve  répétée 
trots  fois  en  signe  de  la  IripHcité  de  l'œuvre 
accompli  par  Flamel ,  doit  elle-même  être 
considérée  comme    le   Vaisseau    philosophi- 
que, le  Triple  vaisseau,  l'Athanor  crible,    le 
^umer,   le  Bain  Marie,  la  Fournaise,   la 
Sphère,  le  Lyon  verd,  la  Prison,  le  Sépulcre, 
la  PIttole,  etc.,  etc.,  où  doit  s'enfanter  lo 
grand  œuvre  (1)  1 

«  Vient  ensuite  le  troisième  livre  qui  con- 
tient un  troisième  et  dernier  traité  do  la 
pierre  philosophale. 


d  éludes  liérméuques.  »  rfeie  de  M.  Aug.  Vallet. 


(^^,  DICTIONNAIRE  DES 

«  Nous  n-aurions  pas  arrêté  si  longlenips 
le  lecteur  sur  ce  livre,  s'il  ne  conlena.l  l  ex- 
pnsilion  à  peu  près  complète  de  la  légende  de 
Nicolas  Flnmel.  et  s'il  n'avait  donné  heu , 
touchant  celle  lég.tid  • .  à  des  controverses 
,,u'on  nous  saura  poul-ôlre  gré  d  avoir  ré- 
sumées ici. 

«  L'hisloire  fabuleuse  que  nous  tentons 
d'éclaircir,  nous  a  été  transmise  par  deux 
voies  :  la  tradition  orale  cl  la  tradition  écrite. 
Examinons  d'abord  la  première. 

«  Le  livre  qu'on  vient  d'analyser,  et  que 
nous  reprendrons  comme   monument  de    a 
tradition  écrite,  en  roniienl  a  peu  près  la 
substance.  On   rapportait  donc  qu  au  temps 
du  roi  Charles  VI,  un  certain  NicolasBlamel, 
obscur  écrivain,  devint  possesseur  d  un  livre 
inYSléricux  dans  lequel   il  découvrit  les-  se- 
crets du  grand  œuvre,  et  qu'ayantie  pouvoir 
,1e  faire  de  l'or,  il  se  trouva  bientôt  le  maître 
,ruue   fortune  de  1,500,000  écus,  avec  les- 
quels il  construisit  qu.ilorze  hôpilaux,  ton- 
da  les  deux  charniers  des  lunocenis,  les  por- 
tails de  Saint-Jacques-la-Boucherie,  de  sainte 
Geneviève-des-Ardents,cic.,   etc.;    sans 
compter  les  réparations    innombrables  des 
iieux  saints,  hôpilaux,  églises,  qu  if  a<da  de 
ses  richesses,  ni  les  aumônes  considérables 
qu'il  ré|)and  lit  pirmi  les  pauvres.  On  disait 
également  qu'il  avait  déposé  la  science  inef- 
fiTble  dont  il  était  un  adepte  si  fortune,  dans 
plusieurs  ouvrages  entre  lesquels  on  citait  le 
Sommaire  philosophique,  le  Désir  désiré  ou 
te  Livre  des  six  Paroles,  le  Livre  des  Lavures 
et  la  Vraie  Pratique  de  la  Science  d  Alqumie 
oa  les  Lavtires   de  Flarnel.   Enfin,  on  allait 
jusqu'à  dire  que  non  content  d'avoir  fait  ser- 
vir le  magistère  à  s'enrichir,  il  l'avait  encore 
employé  comme  breuvage  sous  1  espèce  d  *- 
lixir  de  longue  vie,  et   qu'un  beau  jour  il 
avait  disparu  pour  aller  rejoindre  Pernelle, 
censée   morte  et  enterrée  au    cimetière   des 
Innocents,  mais  qui,  réellement,  n  avait  laii 
que  partir  pour  des  contrées  lointaines  ou 
tous  deux  étaient  allés  couler  les  jours  sans 
cesse  renaissants  de  leur  vie  immortelle. 
-      «  Mais  la  tradition  orale  ne  contribua  pas 
seule  à  perpétuer  le  souvenir  de  noire  Rose- 
Croix.  Son  histoire  fut  encore  enregistrée 
dans  un  grand  nombre  de  livres.  Le  premier 
ouvrage   imprimé    que  nous   trouvions  sur 
cette  matière  est  de  la  seconde  moitié  du  sei- 
zième siècle.  En  1572.  Jacques  Gohorry,  dit 
le  Solitaire,  publia  un  petit  traité,  en   vers, 
intitulé:  Le  Livre  de  la   Fontaine  périlleuse 
(1).   Dans  les   notes  de  cil  opuscule,  il  men- 
lionne  la  peinture  cl  les  sculptures  de  Nicolas 
Flarnel,  eu   leur  allribuaut  un  sens  hiéro- 
glyphique. ., 
«  Eu  lc61,  il  avait  déjà  paru  un  recueil 


SClKNCfcS  OCCULTE'^. 


6ï8 


(1)  Livre  de  lu  Foiunine  Vérillense  :  ^uircmenl  iiitilnlâ 
le  Songe  du  Verger,  avec  coii.iueulaire  de  I.  <j.  1  ■  t.->.''C- 
,|Ucs-Ooli<>iTï,  l'aiiiieu).A  l'aiis,  \M  Jean  Biiello.libfuire, 

'""(ii)  Le  DémoiUiion  J«  Uocb  le  naillif ,  lidelphe,  méJe- 

iu-i'.--\\.ia  M«.  passage  :...  »  Lequel  (Mco  as  Flamol) 
.le  pauvre  ewrivaUi  qu'il  esloii  et  ayaiil  iiouvo  ei.  un  vieil 
livre  «ne  reiejjle  inelallique  qu  il  usprouva,  fui  l  un  Uis. 
l^lus  ridies  <ie  Sun  It-mi  s,  elc,  etc.  » 
(3J  BétmhèQM  des  i'IùlOivplia  clumiqucs,  par  IjUU. 


anonyme,   sous  le  titre  de  Transformation 
métallique,  altribué  au  môme  Gohorry.  (.e 
recueil  conti.-nt   trois  petits  traités,  savoir  : 
Jn  Fontaine  des  amoureux  de  sctence,  par 
Jean  de  la  Fontaine,  de  Yalennennes  ;  —  les 
Remontrnncesde  Nutureà  r Alchimiste  errant 
avec  la  Réponse  de   l'Alchimiste,  par  Jean  de 
iijeunn-—  et  le  Sommaire  philosophique    de 
Nicolas  Flarnel.  En   tête   de  cet  ouvrage  se 
lit   une   préface  relative  A  ces  trois  traites. 
Dans  la  partie  de  cette  préface  qui  concerne 
Nicolas  Flamel ,  l'auteur  fait  •'»'"»•«"  ^f.», 
talents   alchimiques,   et   parle    des    figures 
symboliques  que  l'on  voyait  sur  les  arches 
du  cimetière  qu'il  avait  fondées. 

«  Roch  le  Baillif,  auteur  breton,  qui  vivait 
à  la  fin  du  seizième  siècle,  dans  un  Iraite  sur 
diverses  matières,   et  entre  autres   sur   les 
sciences  alchimique  et  médicale,  qui,  de  son 
temps,  se  trouvaient  confondues   parle  éga- 
lement do  Nicolas  Flamel,  dont  il  rappelle  la 
science  féconde,  les  richesses  el  les  construc- 
tions remarquables  (2).  I7U^„l 
«  Les  ouvrages  attribués  a  Nicolas  Flamel 
sont  encore  mentionnés  dans  le  tome  II  de  la 
Bibliothèque  des  Philosophes  de  S'ilomon  et 
Mangin  (3),  dans  Mangel  (l),  dans  le  Muséum 
hermeticum  de  IBi-î,  dans  'erecuei  des  écri- 
vains alchimistes  de  l'abbe  Lcngletdu  Fres- 
noy  ;  en  un  mot,  dans  presque  tous  les  cata- 
logues de  livres  hermétiqms. 

a  En  1612,  Pierre  Arnauld,  seigneur  de  la 
Chevalerie,  publia  le  Livre  des  figures  hiéro- 
qlqphiques,  dont  nous  avons  donne  l  analyse, 
ouvrage  évidemment  compose  par  le  genlil- 
homme  poitevin,  mais  contenant  loutefois 
un  exposé  de  la  tradition  donl  Flamel  était 

"  «  LeVnédecin  Borel,  dans  un  article  plein 
d'inexactitude,  et    surtout   empreint    dune 
crédulité  puérile,  qui  le  recule   d  un   siècle, 
Borel,  dis-je,  au  mot  ^nsemmt  de  son  dic- 
tionnaire (b),    répèle  sans    intelligence  tout 
ce  qu'on  avait  débité  jusqu'à  lui  sur  la  science 
de  Fiamel.  sur  ses  richesses,  son  livre,  ses 
talents,  ses  construclions,  ses  ouvrages,  etc. 
«  Quant  au  départ  de  Flamel  et  a  son  im- 
morUlité.  rien   de  plus  précieux  ni  de  plus 
étendu  n'a  été  dit  sur  celle  matière,  que  ce 
qui  en  est  rapporté  par  Paul  Lucas,  dans  sa 
relation  dédiée  au  roi  Louis   MV  de   so 
voyage  en  Asie  Mineure  («)•  Ou  pourra  se 
fonrJr  une  idée  par   le   court  ^''^//^'l  1"« 
nous   allons  en  faire.   Le  voyageur  raconle 
qu'à  Bournous-Bachi   le   dervis  Jes   U^becs 
vinl  lui  r.ndre  visite,  etques'entretenanl  tous 

deux  de  diverses  malières,  ils  vinrenta  parler 
delà  philosophie  et  de  l'alchim.e.  Le  dervis 
?ui  dit  entre  autres  choses  de  la  même  force 
que  les    vrais    philosophes  possédaient   le 

Salomon;  augmen.éo  par  J,  «-..^-Hi  ^''•'='"  "'""'"  "' 

ad  Miemium  permemiuin  ilieum  iis.  -  Oeno^,e,  Z  vol. 

"'"(IJ'rrdsor  des  Hecl.erches  el  ^j^^'f^  ^';^^"" 


lu  Mucédoine  el  /■ifrii/iic.  -  l'aris ,  l/U-  ^  >ol.  '"  "• 
p.  9SU  IU,V  !• 


CÎ9 


FLA 


F\A 


f.ôO 


moyen  de  prolonger  jusqu'à  mille  ans  lo 
terme  de  leur  cxisicnce,  cl  de  la  préserver 
rie  toutes  les  maladies...  «  Enfin,  poursuit 
Lucas,  je  lui  parlai  de  l'illustre  Flamel,  et  je 
lui  dis  que,  malgré  la  pierre  philosophale,  il 
était  mort  dans  toutes  les  formes.  A  ce  nom 
il  se  mit  à  rire  de  ma  simplicité.  Gomme  j'a- 
vais presque  commencé  à  le  croire  sur  le 
reste,  j'étais  extréinemeut  étonné  de  le  voir 
douter  de  ce  que  j'avançais.  S'élant  aperçu 
de  ma  surprise,  il  me  demanda  sur  le  même 
ton  si  j'  étais  assez  bon  pour  croire  que  Fla- 
mel fût  mort.  «  Non,  non,  me  dit-il,  vous 
»  vous  trompez ,  Flamel  est  vivant;  ni  lui, 
»  ni  sa  femme  ne  savent  encore  ce  que  c'est 
»  que  la  mort.  Il  n'y  a  pas  trois  ans  que  je 
»  lésai  laissés  l'un  et  l'autre  aux  Indes,  et 
»  c'est  un  de  mes  plus  fidèles  amis.  »  Il  al- 
lait même  me  marquer  le  temps  qu'ils  avaient 
fait  connaissance;  mais  il  se  retint  et  me  dit 
qu'il  voulait  m'apprendre  son  histoire  que 
sans  doute  on  ne  savait  pas  en  mon  pays.  » 

«Alors  Lucas  débite  un  roman  à  peu  près 
calqué,  pour  la  marche  générale,  sur  le  récit 
de  Pierre  Arnauld,  mais  évidemment  modifié 
et  augmenté  de  ce  qu'il  avait  lu  ou  entendu 
dire  d'après  La  Croix  du  Maine  (1).  Dans 
cette  histoire  figurent  également,  et  l'acqui- 
sition du  livre  hermétique,  qui,  selon  le  nar- 
rateur provenait  d'un  juif  Irès-savant,  assas- 
siné par  un  autre  juif,  et  dont  Flamel  aurait 
hérité,  et  le  voyage  en  Espagne  qu'il  raconte 
avec  de  nouvelles  variantes.  Il  termine  en 
disant  que,  pour  se  soustraire  à  l'envie  et 
aux  persécutions,  Pernelle  ,  d'intelligence 
avec  son  mari,  fit  enterrer  à  sa  place  un 
morceau  de  bois  habillé,  et  se  rendit  en 
Suisse  pour  y  attendre  son  mari,  qui,  après 
avoir  fait  son  testament  ht  également  ense- 
velir à  sa  place  une  bûche  et  vint  rejoindre 
sa  femme.  «Depuis  ce  temps-là,  coulinue  le 
dervis ,  ils  ont  mené  l'un  et  l'autre  une  vie 
philosophique,  et  ils  .sont  tantôt  dans  un  pays 
et  tantôt  dans  un  autre.... — Voilà  la  véri- 
table histoire  de  Flamel ,  et  non  pas  ce  que 
vous  en  croyez,  ni  ce  qu'on  en  pense  folle- 
ment à  Paris,  où  peu  de  gens  ont  connais- 
sance de  la  vraie  sagesse.  » 

«  Ce  récit,  ajoute  Paul  Lucas,  me  parut  et 
il  est  en  effet  fort  singulier.  J'en  fus  d'autant 
plus  surpris,  qu'il  m'élait  fait  par  un  Turc 
que  je  croyais  n'avoir  jamais  mis  lo  pied  en 
France.  Au  reste  je  ne  lo  rapporte  qu'en  his- 
torien, et  je  passe  même  plusieurs  choses 
encore  moins  croyables,  qu'il  me  raconta 
cependant  d'un  ton  affirmalif.  Je  me  conten- 
terai de  remarquer  que  l'on  a  ordinairement 
une  idée  trop  liasse  de  la  s(;ience  des  Turcs, 
et  (|ue  celui  dont  je  parle  est  un  homme  d'uu 
génie  supérieur.» 

«Enfin  vers  lo  déclin  du  siècle  dernier,  un 

(I)  Voypz  la  Notice  Inographique  consacrée  à  rianu'l 
dans  la  IliblioUièque  da  la  Croix  du  Maiiie  et  Uiivcpdier. 

(i)  Essai  sur  une  histoire  de  Saim-Jacques-la-Bouche- 
rie;  par  L...  V...  Pajis,  17.t8,  in  12.  —Histoire  crilique 
l'e  {ficûtas  Flamel  el  de  Pernel ,  sa  Itinine  :  uar  le  même. 
l'aris,  in-12,  1782. 

(3)  Voici  le  passagt'  de  Paobé  Vilain,  auquel  nous  faisons 
a'.lu^iiMi.  I  Les  .luils,  dil-il,  cliassés  de  l'ari»,  y  avaient 
liisai  le  HiajjiiiHiiuc  livre  iloiU  on  a  lu  la  tlcs'jrii'Uon. 


homme  qui  joignait  à  une  érudition  brillante, 
un  esprit  presque  toujours  droit  et  judicieux, 
l'abbé  Vilain,  entreprit  d'examiner  l'histoire 
de  Nicolas  Flamel,  et  de  dissiper  l'auréole 
nuageuse  dont  l'amour  du  merveilleux  avait 
entouré  sa  mémoire.  Il  publia  sur  cette  ma- 
tière deux  volumes{2),  dans  lesquels  il  prend 
l'une  après  l'autre,  toutes  les  assertions  hy- 
perboliques émises  sur  le  compte  de  Flamel, 
et  il  les  réfute  avec  les  trésors  d'une  vaste 
érudition,  avec  les  traits  acérés  d'une  logiiiuo 
qui  sont  parfois  dignes  d'une  cause  plus 
importante.  Il  résulte  de  l'examen  critique 
auquel  l'abbé  Vilain  soumet  la  légende  de 
Nicolas  Flamel,  que  ce  dernier  était  simple- 
ment un  bon  bourgeois,  qui ,  grâces  à  son 
économie  et  à  son  activité  dans  son  métier 
d'écrivain,  auquel  il  se  livra  lui  el  sa  femme 
avec  assiduité, avaitacquis  une  forluneaisée, 
mais  qui  n'avait  rien  d'exorbitant  ni  dans 
son  chiffre  ni  dans  son  origine;  il  résulte 
également  que  ces  deux  époux,  s'abandon- 
nant  à  un  goût  de  bâtisse  analogue  à  celui 
qui  anime  encore  aux  jours  de  notre  dix- 
neuvième  siècle  les  bourgeois  de  Paris,  firent 
exécuter  plusieurs  constructions  partui  les- 
quelles on  remarque  le  portail  de  quelques 
églises,  deux  charniers  au  cimetière  des  In- 
nocents et  une  maison  hospitalière  rue  de 
Montmorency.  Quand  à  ses  prétendus  traités 
sur  l'alchimie,  l'inexorable  abbé  les  biffe  im- 
pitoyablement jusqu'au  dernier,  et  prononce 
cette  sentence  (l'anéantissement  avec  une  sé- 
vérité qui,  toutefois  ,  ne  proie  point  à  ré- 
plique. 

«Cependant  l'abbé  Vilain,  quel  que  soit  le 
mérite  incontestable  de  son  œuvre,  ne  laisse 
point,  son  livre  une  fois  clos,  l'esprit  de  son 
lecteur  dans  une  satisfaction  pleine  et  com- 
plète ;  préoccupé  de  montrer  ce  qu'il  y  avait 
de  faux  et  d'exagéré  dans  la  chronique  her- 
métique de  Nicolas  Flamel ,  il  a  négligé  de 
faire  voir  ce  qu'il  y  avait  d'originairement 
vrai  dans  cette  môme  chronique,  et  comment 
ce  noyau  de  vérité  s'était,  chemin  faisant, 
grossi  et  enveloppé  d'un  entourage  d'erreurs, 
comme  une  pierre  qui  roule  dans  un  sentier 
de  neige.  Ainsi,  par  exemple  ,  sans  prendre 
de  conclusions  formelles  sur  le  fait  et  sans 
même  l'élucider  bien  clairement,  il  admet  la 
possession  du  fameux  livre  d'Abraham  le 
juif,  par  Nicolas  Flamel.  Or  ce  fait  prouve- 
rait, s'il  était  irrévocablement  constaté,  non 
pas  que  Flamel  trouva  une  recette  pour  faire 
de  l'or,  mais  qu'il  cherchait  cette  recelte  cl 
que  ,  partant ,  il  s'adonnail  effectivement  à 
l'alchimie  (3) ,  point  qu'il  était  fort  curieux 
d'éclaircir. 

«Il  existe  à  la  bibliothèque  du  Roi  un  petit 
livre  manuscrit  ('•'),  grossièrement  relié,  ap- 
partenant selon  toute  apparence  à  la  fin  du 

Mais,  dit  mademoiselle  de  Liissan,  dans  son  histoire  de 
Cliarles  Vt  (u  VI,  p.  .560).  C'est  une  preuve  certaine  qu'il 
ue  contenait  âne  de  vaines  idées:  car  qu'eussent-ils  pu 
emporter  de  plus  précieux  ?t  —  Rien  dn  si  seiisô  que  ce 
mot,  ajoute  l'ablié  Vilain.  El  jamais  les  Juifs,  dépouillés  de 
leurs  liions  et  chassés,  n'auraient  néglij;é  la  ressource  la 
plus  prochaine  el  la  plus  abondante  clans  leur  misère.  — 
llisl.  crili(|ue,  etc.,  in-12.  1782;  p.  22. 
(IJ  l'ouiis  de  Saiiil-Gtrmain-des-l'riis  n»  19C0. 


651 


DICTIO.NNAIKE  DES  SCIENCES  OCCLLTES. 


65t 


«iiialorzièinc  siècle  et  traitant  des  opérations 
alchimiques.  Ce  pelil  livre  que  nous  avons 
.ill.ntivemenl  parcouru,  commence  par  ces 

mots:  , 

«  Cy  commence  la  vraie  pratique  de  la  noble 

science  d'alkimie. 

«  Le  désir  désiré  et  le  prix  que  nul  ne  peut 
prUer,  de  tous  les  philosophes  composé,  et  des 
livres  des  anciens  pris  et  tiré,  etc. 

«  11  enseigne  la  manière  de  parvenir  au 
grand  œuvre,  à  l'aide  d'opéra'ions  succes- 
sives nommées  dans  ce  traité  Lavures  et  qui 
sont  au  nombre  tle  six. 

«  Au  dernier  feuillet  du  manuscrit  se  lit 
celte  indication  écrite  de  la  môme  main  que 
le  reste  du  texte: 

«  Le  présent  livre  est  et  appartient  a  Nico- 
las Flamel,  de  la  paroisse  Saint- Jacques-de- 
la-Boucherie,  lequel  il  a  écrit  et  relié  de  propre 
main. 

«  Concluons  :1°  Si  Flamel  avait   transcrit 
et  relié  pour  son  propre  usage  un  livre  d'al- 
chimie, c'ét;iitdouc  qu'il  s'occupait  effective- 
ment de  cette  science;  2' Si  l'on  rapproche 
des  premières  lignes  formant  le  titre  de  ce 
petit  livre,  les  désignalions  des  ouvrages  qui 
sont  attribués  à  Nicoliis  Flamel  comme  étant 
de  sa  composition,  et  que  l'exagération  tra- 
ditionnelle n'avait  cessé  de  multiplier,  l'on 
reconnaîtra  comme  nous, que  tous  ces  noms, 
savoir  :  le  Sommaire  philosophique ,  le  Désir 
désiré  ou  le  Livre  des  six  paroles,  la  Vraie 
pratique  de  la  science  d'alquimie  ou  les  La- 
rures  de  Flamel,  se  trouvent  tous  plus  ou 
moins  textuellement  compris   dans  le  tiire 
réel  que  nous  venons  de  rapporter.  N'est-il 
donc  pa»  évident  que  toute  cette  bibliogra- 
phie apocryphe  a  pour  origine  ce  seul  et 
même  petit  livre,  qui  fut  sinon  composé,  du 
moins  ^crtt  et  possédé  par  Nicolas  Flamel? 
«  Maintenant  ,  résumons  en  parallèle  ,  la 
chronique  pure  et  la  chronique  amplifiée  du 
héros  qui   nous  occupe.  —  Flamel  était  un 
écrivain  qui  gagna  sa  fortune  dans  l'exercice 
de  son  métier  et  qui ,  probablement,  en  dé- 
pensa quelque  partie  à  transcrire,  à  étudier, 
et  à  mettre  en  œuvre  des  livres  d'alchimie; 

—  Et  ses  contemporains  ,  amis  du  merveil- 
leux, se  plurent  à  imputera  l'alchimie,  en 
les  exagérant,  les  richesses  qu'il  tenait  de 
son  travail.  — Le  hasard  ,  ou  une  circons- 
tance quelconque  fil  vraisemblablenient  tom- 
ber entre  ses  mains  un  livre  d'alchimie 
réputé  précieux;  —  Et  la  rumeur  tradition- 
nelle répéta  que  dans  ce  livre  il  avait  puisé 
le  secret  du  grand  œuvre,  source  hypothé- 
tique et  censée  de  sa  fortune  réelle.  —  Il  fit 
bâtir  quelques  édifices  dont  lui-même  indi- 
qua la  décoration  et  dirigea  la  construction; 

—  Et  le  bruit  se  répandit  qu'il  avait  sous  des 
signes  mystérieux  ,  et  par  de  somptueux 
monuments  ,  retracé  les  emblèmes  de  l'art 
qui  l'avait  enrichi,  etc.,  etc. 

«  De  ce  petit  travail  il  résulte  encore  une 
vérité.  C'est  qu'en  général,  là  où  vous  voyez 
une  légende,  quelque  erronée  ,  quelque  am- 
plifiée qu'elle  soit,  vous  pouvez  être  sûr,  eu 
îillant  au  fond  des  choses  ,  que  vous  y  trou- 
verez une  histoire.  » 


FLAQUE  (Louis-Elgèink),  —  sorcier  jugé 
à  Amiens  en  1825.  On  l'accusa  d'escroque- 
ries à  l'aide  d'opérations  magiques  el  caba- 
listiques,  de  complicité  avecBoury,  teintu- 
rier, logé  rue  des  Hautes-Cornes  ,  au  dit 
Amiens,  et  encore  avec  François  Russe,  la- 
boureur de  Conli.  —  Au  mois  de  mars  1825, 
la  cour  royale  d'Amiens  confirma  un  juge- 
ment par  lequel  il  appert  que  les  trois  indi- 
vidus susnommés  ont,  par  des  manœuvres 
frauduleuses  ,  persuadé  à  des  particuliers 
l'existence  d'un  pouvoir  mystérieux  surna- 
turel ;  sur  quoi,  et  pour  en  user,  l'un  de  ces 
crédules  particuliers  remit  à  Boury  la  somme 
de  cent  quatre-vingt-douze  francs  ;  Boury 
présenta  le  consultant  à  un  individu  déguisé 
en  démon,  dans  le  bois  de  Naours.  Le  démou 
promit  au  particulier  huit  cent  mille  francs, 
qui  n'arrivèrent  jamais.  Boury,  Flaque  et 
Uusse  n'en  gardèrent  pas  moins  les  cent 
quatre-vingt-douze  francs;  mais  le  bailleur 
les  poursuivit.  Boury  fut  condamné  à  quinze 
mois  de  prison,  Flaque  et  Russe  à  une  an- 
née, à  l'amende  de  cinquante  francs,  et  au 
remboursement  des  frais,  etc. 

Voici  ce  qu'on  apprit  dans  les  débats. 
Boury  exerçait  l'étal  de  chirurgien  dans  la 
commune  de  Mirvaux;  n'étant  pas  toujours 
heureux  dans  ses  cures,  il  persuadait  a  ses 
malades  que  l'on  avait  jeté  un  sort  sur 
eux  ;  il  leur  conseillait  de  chercher  un  devin 
plus  savant  que  lui;  cependant  il  se  faisait 
p.iyer  et  se  relirait.  Ces  escroqueries  n'é- 
taient que  le  prélude  de  facéties  plus  gra- 
ves. 

En  1820,  le  charron  Louis  Pâque  .ayant 
besoin  d'argent,  se  rendit  à  Amiens,  là  il  en 
emprunta  à  un  menuisier.  Boury,  qui  sut  la 
chose,  dit  qu'il  procurerait  de  l'argent  à 
meilleur  compte,  moyennant  quelques  avan- 
ces. Le  charron  alla  le  trouver;  Boury  lui 
déclara  que  le  meilleur  moyen  d'avoir  des 
fonds  était  de  se  vendre  au  diable  ;  et 
voyant  que  Pâque  ne  reculait  pas  à  une  telle 
proposition,  il  lui  demanda  deux  cents  francs 
pour  assembler  le  conseil  infernal;  Louis 
Pâ(|uc  les  donna. 

Boury  s'arrangea  de  façon  à  loucher  ainsi 
pour  frais  préliminaires,  sept  à  huit  mille 
francs. 

Enfin  il  fut  convenu  qu'en  donnant  encore 
quatre  louis ,  Pâque  obtiendrait  cent  mille 
francs;  malheureusement  il  s'était  fort  dé- 
pouillé ;  il  n'en  put  d mner  que  deux.  Il  par- 
tit néanmoins  avec  Boury,  Flaque,  le  chef 
sorcier,  el  un  sieur  de  Noyencourt,  pour  le 
bois  de  Saint-Gervais.  Boury  lira  d'une  de 
ses  poches  un  papier  écrit  qu'il  fit  tenir  aux 
assistants,  chacun  par  un  coin.  Il  était  rai- 
nuit.  Flaque  fil  aussitôt  trois  conjurations, 
le  diable  ne  parut  pas. 

Noyencourt  el  Boury  dirent  alors  que  le 
diable  était  occupé  ce  jour-là  ;  on  prit  un  au- 
tre rendez-vous  au  bois  de  Naours. 

Pâque  à  cet  autre  rendez-vous   mena   sa 

fille  avec  lui  ;  pauvre  fille!  Mais  Boury   lui 

avait  dit  qu'il  fallait   que  sou  premier-né 

assistât  à  l'opération. 

Flaque  cl  Boury  api>clèrenl  le  diable  en 


655  n,\ 

lalin.  Li;  diable  enfin  p.irut.  Il  nvail  une  n-- 
(lingote  rougeâtre  bleuâtre,  un  chapeau  g.i- 
lonné.  Il  portait  un  siibre.  Sa  taille  était 
d'environ  cinq  pieds  six  pouces.  Le  nom  de 
ce  démon  était  Robert;  et  celui  du  valet  qui 
l'accompagnait,  Saday. 

Boury  dit  au  diable  :  —  Voici  un  homme 
que  je  te  présente;  il  désire  avoir  quatre 
cent  mille  francs  pour  quatre  louis,  peux- 
tu  les  lui  donner? 

Le  diable  répondit  :  —  Il  les  aura. 

Pâque  lui  présenta  l'argent;  et  le  diable 
lui  fit  faire  le  tour  du  bois  en  quarante-cinq 
minutes,  avec  Boury  et  Flaque,  avant  ds! 
bailler  le»  40î),  000  francs.  L'un  des  sorciers 
perdit  même  un  de  ses  souliers  dans  la 
course.  Pâque,  à  un  détour,  aperçut  une 
table  et  des  chandelles  dessus;  il  poussa  un 
cri  : 

Tais-toi,  lui  dit  Flaque,  ton  cri  a  tout 
perdu;  l'affaire  est  manquée. 

Le  stupide  charron  s'enfuit  à  travers  le 
bois;  puis  reprenant  courage  il  revint  de- 
vant le  diable,  qui  lui  dit  :  —  Scélérat,  tu  as 
traversé  le  bois  au  li(;u  d'en  faire  le  tour. 
Uetire-toi  sans  te  retourner,  ou  je  te  tords  le 
cou.... 

Mais  ce  n'était  pas  fini.  Une  autre  opéra- 
(iou  eut  encore  lieu  dans  le  même  bois; 
quand  Pâque  celte  fois  demanda  l'argent,  le 
diable  lui  dit  :  —  Adresse-loi  au  bureau. 

C'était  un  buisson.... 

Comme  il  n'y  avait  rien  dans  ce  buisson, 
le  démon  promit  que  la  somme  se  trouverait 
le  lendemain  d;ins  la  cave  même  du  charron  ; 
Pàque  s'y  rendit  le  lendemain ,  avec  sa 
femme  et  celle  du  bonhomme  qui  avait 
donné  les  cent  quatre-vingt-douze  francs 
pour  la  première  affaire.  Mais  néant  encore  ; 
et  pour  surcroît,  Boury,  qu'ils  prenaient 
à  partie,  les  menaça  de  se  plaindre  au 
procureur  du  roi....  Pâque  reconnut  qu'il 
était  trompé,  et  se  retira  avec  son  argent 
perdu.... 

Nous  sommes  cependant  dans  le  dix  neu- 
vième siècle,  et  nous  avons  les  lumières  du 
dix  huitièmel... 

FLAUUOS,  grand-général  aux  enfers.  Il 
se  fait  voir  sons  la  figure  d'un  terrible 
léopard.  Lorsqu'il  prend  la  forme  humaine, 
il  porte  un  visage  affreux,  avec  des  yeux 
enflammés.  Il  cuiinail  le  passé,  le  présent  et 
l'avenir,  soulève  tous  les  démons  ou  espriis 
contre  ses  ennemis  les  exorcistes,  et  com- 
mande vingt  légions  (I). 

FLAVIA-VKNIÎIUA-BESSA,  femme  qui  fit 
bâtir  une  chapelle  en  l'honneur  des  anciens 
monaniues  de  l'enfer,  Plulon  et  Proserpine, 
par  suite  d'un  avertissement  (ju'elle  avait 
eu  en  songe  (2). 

FLAVIN  ,  auteur  d'un  ouvrage  intitulé 
l'Etat  des  âmes  trépassées ,  in-8° ,  Paris  , 
1579. 

FLAXBINDKR.  Le  professeur  Hanov,  bi- 
bliolliécuire  à  Danizitk,  après  avoir  com- 
battu les  appurilions  el  les  erreurs  des  diffe- 

(1)  Wiurus,  de  Pra-siig.  ilsin.,  p.  929. 
|2)  Lelovei',  lliit.  «les  si>cclros  ou  apiiarltioiis,  I.  IV, 
p.  459. 


Fl.O 


654 


rents   peuples  touchant  les   revenants  et  les 
spectres,  raconte  toutefois  le  fait  suivant  : 

«  Flaxbinder,  plus  connu  sous  le  nom  do 
Johannes  de  Curiis,  passa  les  années  de  sa 
jeunesse  dans  l'inteuipérance  et  la  débauche. 
Un  soir,  tandis  qu'il  se  plongeait  dans  l'i- 
vresse des  plus  sales  plaisirs,  sa  mère  vit  un 
spectre  qui  ressemblait  si  fort,  par  la  figure 
el  la  contenance,  à  son  fils,  qu'elle  le  prit 
pour  lui-môine.  Ce  spectre  était  assis  près 
d'un  bureau  couvert  de  livres,  et  paraissait 
profondément  occupé  à  méditer  et  à  lire  tour 
à  tour.  Persuadée  qu'elle  voyait  son  fils,  et 
agréablement  surprise,  elle  se  livrait  à  la 
joie  que  lui  donnait  ce  changement  inat- 
tendu ,  lorsqu'elle  entendit  dans  la  rue  la 
voix  de  ce  même  Flaxbinticr,  qui  lui  semblait 
élre  dans  la  chambre.  Elle  fut  horriblement 
effrayée.  On  le  serait  à  moins.  Cependant, 
ayant  observé  que  celui  qui  jouait  le  rôle  de 
son  fils  ne  parlait  pas,  qu'il  avait  l'air  som- 
bre, hagard  et  taciturne,  elle  conclut  que  ce 
devait  être  un  spectre  ;  et,  celte  conséquence 
redoublant  sa  terreur,  elle  se  hâta  de  faire 
ouvrir  la  perle  au  véritable  Flaxbinder.  Il 
entre,  il  approche;  le  spectre  ne  se  dérange 
pas.  Flaxbinder  périfié  a  ce  spectacle,  forme, 
en  tremblant,  la  résolution  de  s'éloigner  du 
vice,  de  renoncer  à  ses  désordres,  d'étudier 
enfin  el  d'imiler  le  fantôrn.».  A  peine  a-t-il 
conçu  ce  louable  dessein  que  le  spectre  sou- 
rit d'une  manière  un  peu  farourhe,  comme 
font  les  savants,  ferme  les  livres  et  s'en- 
vole...» 

FLÈCHES.  Voici  une  divination  qui  se 
pratique  chez  les  Turcs  par  le  moyen  des  flè- 
ches. S'ils  doivent  aller  à  la  guerre,  entre- 
prendre un  voyage,  ou  acheter  queli]ue  mar- 
chandise, ils  prennent  quatre  flèches  qu'ils 
dressent  en  pointe  l'une  contre  l'autre,  et 
qu'ils  font  tenir  par  deux  personnes,  c'est- 
à-dire  par  quatre  mains;  puis  ils  mettent  sur 
un  coussin  une  épée  nue  devant  eux,  et  lisent 
un  certain  chapitre  du  Koran.  Alors  les  flèclu  s 
se  battent  durant  quelque  temps,  et  enfin  les 
unes  montent  sur  les  autres.  Si,  par  exemple, 
les  victorieuses  ont  été  nommées  chrétiennes 
(car  dans  les  divinations  relatives  à  la  guerre 
ils  appellent  deux  de  ces  flèches  les  Turcs,  et 
donnent  aux  deux  autres  le  nom  de  leur  en- 
nemi), c'est  signe  que  les  chrétiens  vain- 
cront; si  autrement,  c'est  une  marque  du 
contraire  (3)...  Voy.  Bélom*scie. 

FLINS.  Les  anciens  Vandales  adoraient 
sous  ce  nom  une  grosse  pierre,  qui  représen- 
tait la  Mort  couverte  d'un  long  drap,  lenanl 
un  bâton  à  la  main ,  et  une  peau  de  lion  sur 
les  épaules.  Ces  peuples  croyaient  que  cette 
divinité,  lorsi]u'elle  était  de  bonne  humeur, 
pouvait  les  ressusciter  après  leur  trépas. 

FLORENT  DE  VILLIERS.  Voy.  Villiers. 

FLORINE,  Fiorina  et  Florinde,  noms  d'un 
démon  familier  qui,  au  rapport  de  Pic  de  La 
Mirandole,  fréquenta  longtemps  un  sorcier 
nommé  Piiiet. 

FLORON ,  démon  familier  de  Cecco  d'As- 

(3)  Lebrun  ,  Hist.  des  (irali(iucii  supcrslilieu«es,  l.  Il, 

p   AOj. 


055 


niCTIONNMRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


C3« 


coll.  11  esl  de  l'ordre  dis  chérubins  damnés. 

FLOTILDE.  Ce  personnnge  csl  inconnu  ; 
mais  ses  VUiovs  onl  éié  conservées.  On  les 
trouve  dans  le  Recueil  de  Duchcsne  (1). 

FLOTS.  Cambry  parle  d'un  genre  de  divi- 
nation assez  curieux,  qui  se  pratique  dans 
les  environs  de  Plougasnou  :  des  devins  in- 
terprètent les  mouvements  de  la  mer,  les 
Ilots  mourants  sur  la  plage, et  prédisent  l'a- 
venir d'après  cette  inspection  (2). 

FO  ou  FOÉ,  l'un  des  principaux  dieux  des 
Chinois.  11  naquit  dans  les  Indes,  environ 
mille  ans  avant  notre  ère.  Sa  mère,  étant  en- 
ceinte de  lui,  songea  qu'elle  avalait  un  élé- 
phant blanc,  conte  qui  peut-être  a  donné  lieu 
aux  honneurs  que  les  rois  indiens  rendent 
aux  éléphants  de  cette  couleur.  Il  finit  ses 
jours  à  soixante-dix-neuf  ans.  Les  bonzes 
assurent  qu'il  est  né  huit  mille  fois,  et  qu'il 
a  passé  successivement  dans  le  corps  d'un 
grand  nombre  d'animaux,  avant  de  s'élever 
à  la  divinité.  Aussi  est-il  représenté  dans  les 
pagodes  sous  la  forme  d'un  dragon,  d'un  élé- 
phant, d'un  singe,  etc.  Ses  sectateurs  l'ado- 
rent comme  le  législateur  du  genre  humain. 

FOCALOR,  général  aux  enfers.  11  se  mon- 
tre sous  les  traits  d'un  homme  ayant  des  ailes 
de  griffon.  Sous  cette  forme  il  tue  les  bour- 
geois et  les  jette  dans  les  flots.  Il  commande 
à  la  mer,  aux  vents,  et  renverse  les  vais- 
seaux de  guerre.  11  espère  rentrer  au  ciel 
dans  mille  ans;  mais  il  se  trompe.  Il  com- 
mande à  trente  légions,  cl  obéit  en  rechi- 
gnant à  l'exorciste  (3). 

FOI.  Un  ministre  suisse  de  la  scclc  des 
dissidents  méthodistes,  persuadé  que  tout  est 
possible  à  la  foi  et  à  l'esprit  de  Dieu  ,  deux 
grâces  qu'il  se  flattait  vanileusemrnt  de  pos- 
séder, se  vanla  en  1832  qu'il  marchrrait  sur 
le  lac  de  Constance.  Le  résultat  de  cette 
épreuve  insensée  a  élé  ce  qu'on  pouvait  pré- 
voir, sans  que  cette  étrange  confiance  ait  pu 
s'ébranler  dans  le  cœur  de  celui  qui  s'y  li- 
vrait. Il  en  tira  la  conséquence  que  sa  foi 
était  trop  faible,  que  son  cœur  n'avait  pas 
assez  ressenti  l'efficacité  de  l'esprit  de  Dieu  ; 
et  il  se  remit  à  l'année  suivante  pour 
recommencer  sa  tentative.  Cette  seconde 
épreuve  faite  en  1833  s'est  terminée  comme 
la  première.  Le  ministre  a  pris  un  bain  (4). 

FOLLET,  Voy.  Feox  Follets,  Lutins, 
Farfadets,  o(c. 

FONG  CHWI,  Opération  mystérieuse  qui 
se  pratique  dans  la  Chine,  dans  la  disposi- 
tion des  édifices,  et  surtout  des  tombeaux. 
Si  quelqu'un  bâtit  par  hasard  dans  une  posi- 
tion contraire  à  ses  voisins,  et  qu'un  coin 
de  sa  maison  soit  opposé  au  côté  de  celle 
d'an  autre,  c'est  assez  pour  faire  croire  que 
tout  est  perdu.  Il  en  résulte  des  haines  qui 
durent  aussi  longtemps  ([ue  l'édifice.  Le  re- 
mède consiste  à  placer  dans  une  chambre 
un  dragon  ou  quelque  autre  monstre  de 
terre  cuite,  qui  jette  un  regard  terrible  sur 
le  coin  de  U  fatale  maison ,  et  qui  repousse 

(1)  Flolildae  visioiies,  iu  toin.  II  Scrijit.  Hist.  franc, 
And.  Duiiiesiie,  183(5. 

{t)  Voyage  dans  le  t'inislcre,  t.  I,  p    l'jy. 
,    (3)  Wierus,  t)c  i)ra;sligiis  lixnii.,  [i.  'J26. 


ainsi  toutes  les  influences  qu'on  en  peut  ap- 
préhender. Les  voisins  qui  prennent  cette 
précaution  contre  le  danger,  ne  manquent 
pas  chaque  jour  de  visiter  plusieurs  fois  le 
magot  chargé  de  veiller  à  leur  défense.  Ils 
brûlent  de  l'encens  devant  lui,  ou  plutôt  de- 
vant l'esprit  qui  le  gouverne,  et  qu'ils  croient 
sans  cesse  occupé  de  ce  soin. 

FONG  ONHANG,  oiseau  fabuleux  auquel 
les  Chinois  attribuent  à  peu  près  les  mêmes 
propriétés  qu'au  phénix.  Les  femmes  se  pa- 
rent d'une  figure  de  cet  oiseau,  qu'elles  por- 
tent en  or,  en  argent  ou  en  cuivre,  suivant 
leurs  richesses  et  leurs  qualités. 

FONTAINES.  On  prétend  encore  dans  la 
Bretagne  que  les  fontaines  bouillonnent 
quand  Je  prêtre  chante  la  préface  le  jour  do 
la  Sainte-Trinité  (■^).  Voy.  Htdromancie. 

Il  y  avait  au  cliâteau  de  Goucy,  en  Picar- 
die, une  fontaine  appelée  Fontaine  de  lamorl, 
parce  qu'elle  se  tarissait  lorsqu'un  seigneur 
de  la  maison  de  Coucy  devait  mourir. 

FONTENETTES  (Charles),  auteur  d'une 
Dissertation  sur  une  fille  de  Grenoble,  qui  de- 
puis quatre  ans  ne  boit  ni  ne  mange,  1737, 
in-i",  prodige  qu'on  attribuait  au  diable,  et 
dont  Fontenettes  explique  les  causes  moins 
ténébreuses. 

FORAY  ou  MORAX.  Voy.  Morax. 

FOIICAS,  FORRAS  ou  FURGAS,  chevalier, 
grand  président  des  enfers;  il  apparaît  sous 
la  forme  d'un  homme  vigoureux,  avec  une 
longue  barbe  et  des  cheveux  blancs;  il  est 
moulé  sur  un  grand  cheval  et  lient  un  dard 
aigu.  Il  connaît  les  vertus  des  herbes  et  des 
pierres  précieuses;  il  enseigne  la  logique, 
l'esthétique,  la  chiromancie,  la  pyromancie 
et  la  rhétorique.  11  rend  l'homme  invisible, 
ingénieux  et  beau  parleur.  11  fait  retrouver 
les  choses  perdues;  il  découvre  les  trésors, 
et  il  a  sous  ses  ordres  vingt-neuf  légions  de 
démons  (6). 

FORCE.  Milon  de  Grotone  n'eut  pas  seul 
une  force  prodigieuse.  Louis  de  Boufflers, 
surnommé  ie  Fort,  au  quatorzième  siècle, 
possédait  une  force  et  une  agilité  extraordi- 
naires, s'il  fauteTi  croire  les  récils  du  temps. 
Q.iand  il  avait  croisé  ses  deux  pieds,  il  était 
impossible  de  le  faire  avancer  ou  reculer 
d'un  pas.  Il  brisait  sans  peine  un  fer  à  che- 
val; et  lorsqu'il  saisissait  un  taureau  par  la 
queue,  il  l'entraînait  où  il  voulait.  11  enlevait 
un  cheval  et  l'emportait  sur  ses  épaules.  On 
l'a  vu  souvent,  armé  de  toutes  pièces,  sauter 
à  cheval  sans  s'appuyer  et  sans  mettre  le 
pied  dans  l'étrier.  Sa  vitesse  à  la  course  n'é- 
tait pas  moins  remarquable,  puisqu'il  dé- 
p.issait  le  cheval  d'Espagne  le  plus  léger, 
dans  un  espace  de  deux  cents  pas. 

Un  certain  Barsabas,  (jui  servait  au  com- 
mencement du  dix-huitième  siècle  dans  les 
armées  françaises,  emporta  un  jour,  devant 
Louis  XIV,  un  cheval  chargé  de  son  cavalier.  Il 
alla  trouver  une  autre  fois  un  maréchal  fer- 
rant; il  lui  donna  un  fer  de  cheval  à  forger.  Ce- 

(t)  Le  libre  Examen,  journal  nroloslant.  .lanvier  ISÔi. 
(o)  Oinibry,  Voyayedans  le  t'inislèro,  t.  Il,  p.  I"i. 
(0)  Wierus,  d  ■  l'raciUg.,  p.  921. 


(;37 


Fon 


lOU 


c;8 


hii-ii  s'claiit  un  pou  éloigné,  Barsahas  prit 
iVncluine  et  la  cacha  sous  son  manteau.  Le 
maréchal  se  retourne  bientôt  pour  battre  le 
fer;  il  est  tout  étonné  de  ne  plus  trouver  son 
enclume,  et  bien  plus  surpris  encore  de  voir 
cet  officier  la  rcmcllre  s.ins  difficullé  à  sa 
place.  Un  G  iscon,  que  Barsabas  avait  offensé 
dans  une  coiripagnie,  lui  proposa  un  duel: 
—  Très-voloniiers  ,  répondit  Barsabas;  lou- 
chez là.  —  H  prit  la  main  du  Gascon  ,  et  la 
lui  serra  si  fort  que  lous  les  doigts  en  furent 
écrasés.  11  le  mit  ainsi  hors  délai  de  se  bat- 
tre. 

Le  maréchal  de  Saxe  était  de  môme  cali- 
bre.— Dans  les  anciens  jours  ,  on  regardait 
comme  favorisés  par  le  diable  les  gens  doués 
d'une  force  extraordinaire. 

FOUETS  Les  foréls  sombres  sont  des 
lieux  où,  comme  dit  Ltloyer  (1  ) ,  les  diables 
se  mêlent  avec  les  sorciers.  Ces  diables  y 
font  leurs  orgies  commodément  sous  la  feuil- 
lée,  et  il  n'y  a  pas  de  lieux  où  ils  se  rendent 
plus  volontiers  visibles. 

FORGE.  —  La  forge  de  Yivegnis ,  légende 
liégeoise  (2). 

Quand,  après  avoir  laissé  derrière  soi  les 
deux  tours  lourdes  et  écrasées  de  Saint-Bar- 
thélémy, on  prend  par  la  rue  au  Potay  et 
qu'on  sort  de  la  ville  de  Liège  parla  porte 
de  Vivegnis,  on  trouve  à  peu  près  au  milieu 
du  faubourg  adroite,  une  petite  porte  basse 
peinte  en  vert  et  surmontée  d'une  enseigne 
de  fleuriste.  Cette  porte  s'ouvre  dans  un  jar- 
din assez  spacieux  où  croissent,  en  toute 
saison,  soit  en  pleine  lerre,  soit  dans  une 
vaste  serre  impénétrable  au  froid,  les  (leurs 
les  plus  riches  et  les  plus  variées.  A  côté  de 
cette  serre  s'élève  une  modeste  habitation 
occupée  de  père  en  (ils  par  une  dynastie  de 
fleuristes  renommés  dans  tout  ce  faubourg 
où  cependant  les  fleuristes  abondent;  une 
profonde  solitude  règne  dans  ce  jardin  ;  les 
abeilles  et  les  i)apillons  des  environs  y  font, 
durant  la  saison  tout  entière,  une  ample 
moisson  de  miel  et  de  parfums.  Rien  n'y 
trouble  leurs  folâtres  ébats,  ni  le  roulement 
des  lourds  chariots  qui  ébranlent  presque 
sans  relâche  le  pavé  de  la  rue,  ni  le  relen- 
tisseincnt  continuel  des  marteaux  qui  frap- 
pent sur  l'enclume  d'une  forge,  située  en  face 
de  la  porte.  Là  un  silence  presque  claustral, 
tandis  qu'un  bruit  perpétuel  gronde  au  de- 
hors. 

Dans  cette  solitude,  dans  ce  silence,  vivait, 
il  y  a  quarante  ans,  le  ménage  le  plus  heu- 
reux de  la  terre;  plus  d'une  fois  vous  avez 
rêvé  le  bonheur  qui  régnait  dans  cet  enclos. 
Vous  eussiez  envié  le  couple  (ortuné  qui  vi- 
vait là  loin  du  monde,  s'épanouissant  parmi 
les  fleurs,  lui  né  dans  cette  maison,  elle 
rieuse  enfant  née  dans  le  joyeux  village  de 
Jupille.  L'hiver,  ils  restaient  là  cachés  à  tous 
les  yeux  comme  les  roses  de  leur  serre;  cha- 
que jour  seulement,  vers  le  soir,  la  porte 
s  ouvrait  à  demi  pour  livrer  passage  à  de 
frais  boucjuets  qui  s'en  allaient  dans  le  mon- 
de, messagers  embaumés  qui  disaient  de  si 

(1)  Lcloycr,  llist.  des  spedresoii  apparilions,  rhap.  i, 
p  5il. 


douces  choses  dans  leur  langage  de  parfums. 
Mais  quand  le  souriant  avril  arrivait,  quand 
les  premières  hirondelles,  attirées  par  un 
tiède  rayon  du  soleil,  venaient  à  légers  coups 
de  becs  frapper  sur  les  vitres  de  la  serre, 
comme  pour  inviter  les  fleurs  à  en  sortir,  ils 
en  sortaient  avec  toute  leur  famille  de  roses, 
de  nias  et  toutes  ces  milles  richesses  variées 
du  printemps,  ils  revenaient  vivre  au  grand 
soleil. 

Ainsi  deux  années  s'étaient  écoulées.  Rien 
encore  n'avait  troublé  cette  vie  charmante. 
Pas  un  nuage  n'était  venu  obscurcir  l'azur 
de  leur  beau  ciel.  Un  matin  de  printemps, 
Maurice  le  j  rdinier  dit  à  sa  femme  : 

—  Ma  bonne  Thérèse,  il  faut  que  je  m'ab- 
sente un  jour  tout  entier.  Il  faut  que  je  passe 
un  jour  à  Argenteau,  là-bas  où  les  fleurs  du 
comte  m'appellent.  Demain,  avant  midi,  je 
serai  de  retour.  Aie  soin,  jusque-là,  de  notre 
serre,  car  les  nuits  sont  froides  encore.  Que 
le  l'eu  ne  scleigne  pas.  Adiçii,  à  demain  ! 

— Ademain!  répondit  la  jeune  femme,  triste 
comme  si  Maurice  allait  s'absenter  pour  un 
long  voyage.  Elle  sentit  son  cœur  se  serrer 
quand  elle  eut  entendu  la  porte  du  jardin  se 
refermer;  elle  pressa  sur  sa  poitrine  son  (ils 
en  lui  disant,  a  l'enfant  qui  ne  comprenait 
pas  encore  : 

—  Nous  prierons  pour  ton  père. 

Le  jour  se  passa:  puis,  le  soir  venu,  elle 
mit  son  fils  dans  son  berceau  et  l'endormit 
doucement  en  lui  chantant  sa  plus  bello 
chanson  de  nourrice.  Mais  cette  chanson  fut 
d'une  singulière  tristesse  ce  soir-là.  L'enfant 
dormait  profondément,  et  la  mère,  assise  à 
côié  de  lui,  le  regardait,  respirant  à  peine, 
et  s'enivrait  de  celle  délicieuse  contempla- 
tion. Thérèse  s'était  oubliée  ainsi  à  côté  <lo 
l'enfant;  minuit  était  prêt  à  sonner  quand 
elle  se  leva  tout  à  coup  pour  s'assurer  que 
le  feu  n'était  pas  éteint  dans  la  serre.  Elle  vit 
que  la  bouilli!  était  morte,  que  la  cendre  était 
froide,  que  les  loyaux  étaient  glacés  comme 
le  foyer  lui-même.  Les  fleurs  avaient  froid. 
Elles  grelottaient  et  se  cachaient;  Thérèse 
en  eut  pitié. 

Mais  elle  ent  beau  remuer  l'âtre  de  la  cui- 
sine, pas  une  braise  à  rallumer  le  foyer  de 
la  serre. 

—  Les  pauvres  fleurs  1  se  disait-elle,  lors- 
qu'elle avisa  tout  à  coup,  par  la  fenêtre,  une 
vive  clarié  dans  la  forge  d'en  face. 

Minuit  sonnait  en  ce  moment,  et  tout  y  pa- 
raissait déjà  en  pleine  besogne;  le  vaste 
soufflet  animait  la  flamme  du  fourneau.  Les 
compagnons,  groupés  autour  de  l'enclume, 
frap|)aient  à  grands  coups  de  marteau  sur  le 
fer  rouge  dont  les  étincelles  jaillissaient  au- 
tour d'eux  comme  des  gouttes  de  lumière. 

Ele  s'en  alla  donc  à  la  forge. 

—  Maître  Thomas,  me  permettriez-vous, 
dit-elle,  de  prendre  quelques  charbons  à  vo- 
tre fourneau  pour  rallumer  le  feu  de  notre 
serre  qui  vient  de  s'éteindre? 

Une  figure  qui  n'était  pas  celle  de  maître 
Thomasïe  forgeron,  luifil  unsigneafûrmatif. 
("J  Emprunlée  à  M.  A.  Vaii-Hasscll. 


6S9 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


ew 


Thérèse  prit  donc  trois  ou  quatre  char- 
bons ardents,  et  courut  à  la  serre.  Mais  elle 
y  l'ut  à  peine  arriïée,  que  les  charbons 
étaient  déjà  éteints.  Elle  eut  beau  souffl  -r, 
elle  ne  put  parvenirà  les  rallumer.  Ils  claiLui 
froids. 

Elle  retourna  une  seconde  fois  à  la  forge. 

—  M.iltre,  vos  charbons  se  sont  éleinls 
avant  que  je  ne  fusse  entrée  dans  la  serre; 
nie  permellez-vous  d'en  prendre  d'autres  ? 

La  même  figure  lui  répondit  par  ie  même 
signe  de  léle. 

Elle  prit  de  nouveau  quelques  charbons. 
Mais  ils  étaient  éteints  et  froids  comme  les 
autres,  avant  qu'elle  n'eût  franchi  le  seuil  du 
jardin. 

Pour  la  troisième  fois  elle  voulut  retour- 
ner à  la  forge,  lorsqu'au  moment  de  mettre 
le  pied  dans  l'ouvroir,  elle  fut  prise  soudain 
d'une  grande  épouvante.  Elle  s'aperçut  d'une 
chose  qu'elle  n'avait  pas  remarquée  d'abord, 
c'est  que  les  marteaux  qui  forgeaient  à 
grands  coups  le  fer  rougi  ne  produisaient  pas 
le  moindre  bruit  sur  l'enclume  et  retom- 
baient sur  le  métal  pétillant  comme  des  mar- 
teaux de  ouate  sur  une  barre  de  coton. 

Les  forgerons  s'arrêtèrent  aussi  et  se  tour- 
nèrent vers  la  jeune  femme  avec  des  regards 
aus^i  flamboyants  que  la  braise  de  leur  four- 
neau. L'un  d'eux  lui  cria  d'une  voix  creuse 
comme  si  elle  sortait  d'un  souterrain  : 

—  Que  je  ne  le  revoie  plus  ici,  car  ce  se- 
rait pour  ton  malheur. 

Thérèse  fut  tellement  effrayée,  qu'un  cri 
qu'elle  voulut  jeter  s'éteignit  sur  ses  lèvres. 
Au  même  instant  elle  reconnut  que  les  for- 
gerons n'étaient  pas  des  vivants,  mais  des 
morts  qui  faisaient  là  leur  Iravailnocturnecl 
mystérieux.  Elle  vit  qu'ils  tenaient  les  mar- 
teaux dans  leurs  mains  osseuses  et  déchar- 
nées, elle  vit  les  linceuls  qui  enveloppaient 
ces  corps  de  squelettes  flotter  d'une  façon 
étrange,  et  ces  figures  funèbres  éclairées 
comme  des  formes  infernales  et  les  orbites 
creux  de  leurs  téies  où  il  n'y  avait  pas  d'yeux, 
— elle  s'enfuit  comme  un  éclair,  et  tomba  à 
côté  du  berceau  de  son  enfant. 

Combien  de  temps  elle  resta  ainsi,  elle  l'i- 
gnora toujours.  Elle  revint  à  elle,  dans  les 
bras  de  M;iurice,  qui,  rentré  le  matin,  ne 
put  comprendre  comment  sa  femme  était  là 
couchée  sur  les  dalles.  11  l'avait  crue  morte 
au  premier  instant.  Lentement  elle  reprit 
connaissance;  et  ses  yeux,  lorsqu'elle  les 
rouvrit,  se  dirigèrent  d'abord  du  côté  de  la 
forge,  qui  était  fermée,  où  rien  n'annonçait 
qu'on  eût  déjà  travaillé.  Cependant  sur  le 
plancher,  autour  d'elle,  gisaient  des  scories 
et  des  charbons  éteints. 

Alors  Théfèse  lui  raconta  l'histoire  de 
cette  nuit. 

—  Ce  sont  de  folles  imaginations,  un  rêve 
sans  doute,  répondit  Maurice.  Toute  la  jour- 
née pourtant  ils  y  pensèrent.  Mais  le  lende- 
main tout  était  oublié. 

Deux  années  s'étaient  écouléesdepuiscetle 
inexplicable  vision,  et  le  forgeron  voyait,  de 
jour  en  jour,  la  misère  gagner  plus  de  ter- 
rain dans  sa  demeure.  Sun  fourneau  ne  s'al- 


lumait plus  tous  les  matins,  faute  de  travail; 
le  vent  et  la  pluie  y  exerçaient  à  loisir  leurs 
ravages.  Comme  la  misère  menaçait  le  maî- 
tre, la  ruine  menaçait  la  forge. 

Un  soir,  maître  Thomas  était  tristement 
assis  à  sa  porte,  rêvant  à  son  malheur  et 
cherrhant  un  moyen  d'en  sortir. 

—  Si  vous  me  vendiez  votre  forge,  maître 
Thomas?  lui  dit  Maurice  qui  depuis  long- 
temps convoitait  la  propriété  de  cette  m;Éi- 
son  noire  et  détraquée,  et  du  triste  verger 
qui  s'étendait  derrière. 

—  La  charité,  s'il  vous  plaft,  monsieur, 
interrompit  en  ce  moment  un  vieux  mendiant 
qui  s'arrêta  devant  les  interloeuleurs. 

11  avait  entendu  Maurice  proposer  au  for- 
geron l'achat  de  la  forge. 

—  J'y  penserai,  voisin,  répondit  ma!tr(r 
Thomas  au  fleuriste  avec  un  accent  plein  de 
tristesse.  Demain  je  vous  dirai  ma  réponse. 
Une  nuit  ce  n'est  pas  trop  pour  se  décider  à 
sortir  d'une  maison  où  l'on  est  né,  où  l'on  a 
grandi,  où  l'on  a  été  heureux  et  à  laquelle  la 
misère  vous  attache  par  un  lien  plus  puis- 
sant encore. 

—  La  charité,  s'il  vous  plaît,  monsieur, 
interrompit  de  nouveau  le  mendiant. 

—  Donc,  à  demain,  voisin,  répliqua  Mau- 
rice. 

Le  forgeron  rentra  dans  sa  maison,  ver- 
rouilla la  porte,  et  s'en  alla  trouver  le  repos 
qu'il  ne  goûtait  plus  aussi  bien  depuis  que  lu 
travail  était  devenu  plus  rare. 

Maurice  traversa  lentement  la  rue,  suivi 
par  le  mendiant,  qui  le  prit  par  le  bras  : 

—  V^ous  voulez  acheter  cette  forge?  dit-il 
à  Maurice,  eh  bien  !  ce  n'est  pas  trop  de  tout 
ce  que  vous  avez  au  monde  pour  payer  cette 
bicoque,  ce  palais  d'or.  Vendez  tout  ce  que 
vous  avez,  et  achetez  la  forge;  pour  ce  con- 
seil, je  ne  vous  demande  que  la  vingtième 
partie  du  trésor  que  vous  y  trouverez,  et  je 
serai  plus  riche  encore  qu'un  empereur. 

—  Un  trésor  dans  la  forge  ?  Tu  rêves,  je 
pense,  lui  répondit  le  flauriste. 

—  Ce  n'est  pas  un  rêve,  reprit  l'autre.  Un 
trésor  à  payer  un  empire,  et  vingt  diamants 
comme  celui  du  Grand-Mogol.  Vous  n'êtes 
pas  lettré.  M  lis  je  sais  moi  que  les  livres 
parlent  de  l'ecrin  de  Charlemagne  enfoui  en- 
tre Liège  et  Herstall,  dans  un  palais  de  Pé- 
pin, son  aïeul.  Ce  palais,  tombé  en  ruines, 
on  bâtit  une  église  à  la  même  place,  une 
église  dont  je  ne  me  rappelle  pas  bien  le  nom. 

—  Sans  doute  l'église  de  Sainte-Foi. 

—  Cela  se  peut.  Si  vous  avez  vu  cette 
église,  vous  avez  dû  remarquer,  sur  une 
dalle  incrustée  dans  le  mur,  au  fond  du 
chœur,  trois  têtes  taillées  dans  la  pierre,  et 
sous  ces  têtes,  un  fer  à  cheval,  des  ciseaux 
de  tailleur  et  un  cornet  de  berger. 

—  C'est  vrai,  j'ai  vu  tout  cela,  mais  per- 
sonne n'a  pu  m'expliquer  le  sens  caché  de  ce 
singulier  emblème. 

—  Je  vous  l'expliquerai,  moi.  Ces  trois 
(êtes  signifient  un  maréchal-ferrant,  un 
tailleur  et  un  berger.  Ils  se  réunirent,  voilà 
bien  longtemps  déjà,  pour  déterrer  le  trésor. 
Par  une  nuit  obscure,  ils  s'en  allèrent  creu- 


«H 


FOP 


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»er  au  milieu  du  ciinedôrc  el  Irouvèrent  l'é- 
crin  impérial,  dont  ils  firent  trois  parts.  Le 
berger  employa  la  sienne  à  s'acheter  de  ri- 
rhes  métairies, des  foréis,  des  campagnes,  des 
châteaux.  Le  tailleur  dissipa  sa  richesse  en 
folies  orj;ies.  Le  marécli.il-rerrant  enterra  la 
sienne  dans  sa  forge,  sous  reiiciume,  vécut 
comme  devant  sous  les  semblants  de  la  pau- 
vreté, et  mourut  sans  avoir  touché  à  un 
diamant,  sans  avoir  vendu  un  joyau,  sans 
avoir  échangé  une  pièce  d'or.  On  dit  que 
toutes  les  nuits  il  revient  veiller  à  la  garde 
de  sa  richesse.  Mais  n'importe,  le  trésor  est 
à  vous,  si  vous  achetez  la  forge. 

Les  paroles  du  mendiant  émurent  le  fleu- 
riste. Toute  la  nuit,  il  vit  devant  ses  yeux  la 
d.illc  où  étaient  sculptées  ces  trois  têtes,  et 
l'écrin  presque  fabuleux.  Et  à  propos  du 
mystérieux  gardien  du  trésor  déposé  dans  la 
forge,  il  se  rappela  l'étrange  apparition  qui 
s'était  révélée  à  Thérèse  lorsque,  pour  ral- 
lumer le  foyer  éteint  de  la  serre,  la  jeune 
femme  avait  élé  demander  quelques  charbons 
ardents  à  maître  Thomas.  11  trouva  je  ne  sais 
quelle  liaison  intime  entre  l'histoire  de  l'é- 
crin impérial  et  la  vision  nocturne  de  Thé- 
rèse. 

Le  lendemain  il  s'en  fut  trouver  le  forgeron. 

—  Eh  bien,  maître  Thomas,  votre  résolu- 
tion est-elle  prise? 

—  C'est  une  chose  bien  triste  de  quitter  la 
maison  où  l'on  est  né. 

—  Quatre  mille  francs  pour  votre  forge. 

—  La  maison  où  l'on  a  grandi. 

—  Six  mille  francs  pour  votre  forge. 

—  Voisin  ,  quilteriez-vous  la  maison  ou 
vous  avez  été  heureux? 

—  Huit  mille  francs  pour  votre  forge. 

—  Huit  mille  francs,  Maurice?  Est-ce  pour 
rire  que  vous  dites  cela? 

—  Non,  maître  Thomas.  Ce  prix  je  vous 
l'offre  sérieusement. 

—  Tope  donc,  la  forge  est  à  vous. 
L'argent  fut  compté  et  la  maison  vidée  le 

même  jour.  Maurice  attendit  avec  impatience 
le  retour  de  la  nuit  pour  se  mettre  en  qu6;e 
du  trésor. 

Onze  heures  du  soir  étaient  sonnées  ;  Mau- 
rice alluma  une  petite  lanterne  et  descendit 
dans  le  jardin.  Thérèse  vit  briller  la  lumière 
derrière  les  vitres  de  la  serre,  la  regarda 
deux  minutes,  puis  se  mit  au  lit  et  ne  tarda 
pas  à  s'endormir  profondément.  Maurice 
croyant,  après  une  demi-heure  écoulée,  sa 
femme  plongée  dans  le  sommeil,  cacha  la  lu- 
mière de  sa  lanterne,  ouvrit  la  porte  du  jar- 
din, traversa  la  rue  à  pas  fiirtifs,  et  s'enfer- 
ma dans  la  forge,  armé  d'une  bêche  et  d'un 
levier.  Il  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre;  mais 
l'enclume  tenait  si  bien,  qu'on  l'eût  dite  pro- 
fondément enracinée  dans  la  terre.  Malgré 
les  efforts  inouis  du  fleuriste,  elle  ne  bou- 
geait pas.  La  sueur  lui  coulait  à  grosses 
gouttes  du  front  et  des  tempes.  Toutes  ses 
peines  n'aboutissaient  à  rien. 

Alors  il  se  dit  :  —  Si  je  creusais  autour  de 
l'enclume? 

lît  il  se  mil  à  creuser  avec  sa  bêche. 

Minuit  sonnait  en  ce  moment. 


Aussitôt  la  forge  s'illumina  d'une  grande 
clarté;  le  fourneau  s'alluma,  et  quatre  sque- 
lettes se  rangèrent  autour  de  l'enclume,  avec 
de  lourds  marteaux  à  la  main.  Le  chef  de 
ces  forgerons  demanda  à  ses  compagnons  : 

—  Que  ferons-nous  de  cet  homme  qui  a 
voulu  déterrer  le  trésor? 

—  Nous  le  jetterons  dans  le  fourneau,  dit 
le  premier. 

—  Nous  lui  brûlerons,  avec  un  fer  chaud, 
un  signe  sur  le  front,  dit  le  deuxième. 

—  Nous  lui  mettrons  la  main  dans  un  éfau 
ardent,  dit  le  troisième. 

—  Non,  reprit  le  maître,  nous  lui  marlel- 
lerons  la  tête. 

Six  mains  formidables  s'emparèrent  de 
Maurice  et  placèrent  sa  tête  sur  l'enclume. 
Un  cri  déchirant  s'échappa  de  sa  bouche  ; 
m.iis  ce  cri  fut  étouffé  presque  aussitôt  par 
un  terrible  coup  de  marteau. 

Le  lendemain  on  trouva  là  forge  déserte, 
quelques  charbons  mal  éteints  dans  le  four- 
neau, el  le  corps  de  Maurice  d<mt  la  tête 
écrasée  reposait  sur  l'enclume,  autour  de  la- 
quelle la  terre  était  fraîchement  remuée.  On 
assura  que  le  malheureux  avait  élé  victime 
d'un  guet-apens  des  chauffeurs  qui  ré- 
gnaient à  cette  époque  aux  environs  de 
Liège. 

FORNEUS,  marquis  infernal,  semblable  à 
un  monstre  marin.  Il  inlruit  l'homme  dans 
les  plus  hautes  affaires,  fait  du  bien  à  ses 
airiis  et  du  mal  à  ses  ennemis  ;  il  a  sous  son 
pouvoir  vingt-neuf  légions  de  trônes  et  d'an- 
ges (1). 

FORRAS.  Vov.  Forças. 

FORTES  EPAULES.  Le  peuple  de  Dijon 
croit  à  l'existence  d'une  espèce  de  lutin  de 
ce  nom,  qui  porte  des  fardeaux  et  ()ui  rap- 
pelle le  Forle-échine  de  madame  d'Aulnoy, 
dans  le  conle  du  Chevalier  Fortuné. 

FOSITE.  Saint  Wiliibrord,  au  septième 
siècle,  apôtre  des  Frisons,  jeté  par  une 
tempête  dans  une  petite  île  des  côtes  de  la 
Frise,  l'île  d'Aniejand,  appelée  alors  Fosite- 
land(2),  vit  avec  douleur  que  ces  pauvres 
peuples  adoraient  là  le  démon  Fosiie,  qui 
donnait  son  nom  au  p;iys.  Il  y  recevait  un 
culte  étendu.  On  regardait  comme  impie  et 
sacrilège  quiconque  aurait  osé  tuer  les  ani- 
maux qui  y  vivaient,  manger  quelque  chose 
de  ce  qu'elle  produisait,  el  parler  en  puisant 
de  l'eau  à  une  fontaine  qui  y  était.  Le  saint 
voulut  détromper  ces  peuples  aveuglés  d'une 
superstition  si  grossière.  Il  fit  tuer  quelques 
animaux  que  lui  et  ses  compagnons  mangè- 
rent; et  il  baptisa  trois  enfants  dans  la  fon- 
taine, en  prononçant  à  haute  »oix  les  paro- 
les prescrites  par  l'Eglise.  Les  insulaires 
s'attendaient  à  voiries  saints  punis  de  mort; 
mais  ils  durent  reconnaître  que  leur  dieu 
Fosite  ne  pouvait  rien  contre  eux.  Le  roi 
Frison  Radbod,  furieux  de  l'audace  des  mis- 
sionnaires, ordonna  de  tirer  au  sort  trois 
jours  de  suite  et  trois  fois  chaque  jour,  dé- 
clarant qu'il  ferait  périr  celui  sur  qui  le  sorl 
tomberait.  Il  tomba  sur  un  compagnon  du 

(t)  Wierus, de  PresUgiis. 

(-2)  LaiiU,  d:ins  l'idioiut;  uôerlandals,  vr ul  dire  pni/». 


(43 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


ol 


saint  qui  fut  saciiflé  à  la  siipersiilion 
mourut  martyr  do  la  vérité.  Mais  il  ne  tomba 
jamais  sur  saint  Wiliibrord. 

FOSSILES.  —  Ce  qu'on  a  découvert  des 
fossiles,  dans  ce  premier  feuillet  de  la  gcolo- 
irie.que  nous  n'avons  encore  tourné  qu'à 
demi  ,  est  venu  démolir  toutes  les  tours  de 
Babel  quo  dressaient  les  philosophes  du 
dernier  siècle.  El  Cuvicr,  qui  n'est  pas  allé 
loin, a  déjà  fait  voir,  aux  pauvres  télés  étroi- 
tes, qui  n'ont  pas  place  pour  loger  un  pou 
de  foi,  que  Moïse  ne  pouviiit  pas  élre  atta- 
qué. _  Attendons.  El ,  en  attendant,  citons 
une  découverte  récente  : 

La  Gazette  de  Cassel  publiait  (mai  1841) 
une  letirede Bombay, dans  l'Elat  de  Missouri 
(Amérique  du  Nord),  en  date  du  16  février 
même  année,  qui  rendait  compte  d'une  dé- 
couverte très-intéressante  faite  tout  fraîche- 
ment par  M.  Eugène  Koch, naturaliste  Wur- 
temburgeois,  domicilié  à  Saint-Louis,  capi- 
tale du  même  Etat. 

«M.  Koch  ,  dit  celte  lettre,  se  trouvant 
dernièrement  dans  la  petite  ville  d'Occola  , 
située  près  du  fleuve  d'Osagc,  apprit  qu'une 
Iraililion  fort  ancienne  et  répandue  parmi 
toutes  les  tribus  indigènes  de  cette  contrée, 
porte  qu'il  y  avait  existé  une  race  d'animaux 
gigantesques  et  terribles, qui  faisait  les  plus 
grands  ravages  ;  que  ces  animaux  avaient 
fini  par  se  faire  entre  eux  une  guerre  achar- 
née, où  ils  avaient  tous  péri;  et  qu'ensuite 
ils  avaient  été  enterrés  par  le  Grand-Esprit , 
dans  le  voisinage  du  ruisseau  appelé  actuel- 
lement Aschty.  M.  Kock  fit  exécuter  des  fouil- 
les à  cet  endroit  ;  et,  à  la  profondeur  d'envi- 
ron vingt  pieds,  il  trouva  en  effet  deux 
squelettes, dont  un  est  entièrement  complet, 
cl  l'autre  l'est  à  peu  de  chose  près,  d'un  ani- 
mal dune  laille  gigantesque  et  tout  à  fait 
inconnu  jusqu'à  présent.  Ces  squelettes  ont 
seize  à  dix-sept  pieds  de  hauteur  sur  trente- 
quatre  pieds  de  longueur,  et  huit  pieds  de 
largeur.  Les  tibias  ont  quatre  pie<ls  de  hau- 
teur. La  mâchoire  supérieure  a  quinze  pou- 
ces de  saillie  sur  la  mâchoire  inférieure  ; 
elle  est  armée  de  deux  défenses  recourbées. 
Lalôte,y  comprises  les  deux  dents,  pèse  onze 
cents  livres.  M.  Koch  a  donné  aux  animaux 
auxquels  ces  ossements  ont  appartenu  le 
nom  de  Missourium,  et  il  a  envoyé  ceux-ci  à 
Saint-Louis,  où  il  possède  un  riche  musée 
d'histoire  naturelle.  Il  se  propose  d'en  pu- 
blier une  description  détaillée.  • 

On  voudrait,  il  est  vrai,  des  fossiles  de 
géants,  mais  les  enfants  insensés  n'ont  pas 
tout  ce  qu'ils  souhaitent. 

FOUDRE.  —  Lcmpereur  Auguste  gardait 
soigneusement  une  peau  de  veau  marin  pour 
se  mettre  à  l'abri  de  la  foudre. — l'ibère  por- 
tait dans  la  même  vue  une  couronne  de  lau- 
rier. —  Quand  la  foudre  était  partie  de  l'o- 
rient, et  que  n'ayant  fait  qu'effleurer  quel- 
qu'un, elle  retournait  du  même  côté,  c'était 
le  signe  d'un  bonheur  parfait. —  Les  Grecs 
modernes  chassent  les  chiens  et  les  chats 
quand  il  tonne,  parce  que  leur  présence  est 
censée  attirer  la  foudre  sur  les  maisons. 


FOUGÈRE.  — Personne  n'ignore  les  mau- 
vaises et  diaboliques  façons  dont  on   se   sert 
pour  cueillir  la  fougère.  Le  23  juin,  veille  de 
la  S.iint-Jean  Baptiste,  après   un  jeûne   de. 
quarante  jours ,  plusieurs  sorciers  ,  conduits 
par  Satan,  recueillent  pendant  celle  nuit  la 
graine  de  celte    herbe,  qui  n'a   ni   tige,  ni 
fleur,  ni  semence,  et  qui  renaît  de  la  même 
racine;  qui  plus  est ,  le  malin  se  joue  de  ces 
misérables sorciersen  lenrapparaissant  cette 
nuil-là,  au  milieu  des  tempêtes,  sous  quel- 
que forme  ntonstrueuse  ,  pour  les  épouvan- 
ter davantage.  Us  croient  s'en  défendre  par 
leurs  exorcismes  ,  les  cercles  el  caractères 
qu'ils  font  sur  la  terre  autour  d'eux  ,  ensuite 
ils  mettent  une  nappe  neuve  de  fin  lin  ou  de 
chanvre   sous  la  fougère,  qu'ils  croienl  voir 
fleurir  en  une  heure,    pour  en   recevoir    la 
graine.  Ils  la  plient  dans  un  taffetas  ou  dans 
du  parchemin  vierge,  et  la  gardent  soigneu- 
sement pour  deviner  les  songes  el  faire   pa- 
raître les  esprits.  Le  démon,  par  ses  malia>s 
et  mcnteries,lcur  persuade  que  cette  semen- 
ce n'est  pas  seulement  propre  à  deviner,  et 
que  si  on  met  de  l'or  ou  de  l'argent    dans  la 
bourse  où  l'on  doit  garder  la  semence   fou- 
gère, le  nombre  en  sera  doublé  le  jour  sui- 
vant.  Si  lévénement  n'a  pas  lieu  ,  les  magi- 
ciens vous  accuseront  de  mauvaise  foi, ou  ils 
diront  que  vous  avez  commis  quelque  crime, 
tant  nous  nous  laissons  aller  à  ces  abomi- 
nables impostures  de  Satan  (1). 

FOULQUES.  Au  temps  de  la  guerre  des 
Albigeois  ,  vivait  un  méchant  comte  Foul- 
ques,  lequel  avait  la  coutume  déteslable  de 
jurer  cl  maugréer.  Un  jour  qu'étant  à  che 
val,  il  blasphémait  furieusement,  il  fut  jeté 
à  bas  de  sa  monture,  el  ne  se  releva  point. 
On  pense  qu'il  avait  été  assommé  par  le  dia- 
ble, son  grand  ami. 
FOURBERIES.  Voy.  Sobciers,  Sabbat,  etc. 

—  Voy.  aussi  Cagliostro  el  les  autres  im- 
posteurs. 

FOURMIS.  Les  ïhessaliens  honoraient  ces 
animaux  ,  dont  ils  croyaient  tirer  leur  ori- 
gine. Les  Grecs  étaient  si  sotlemenl  vains, 
(lu'ils  aimaient  mieux  descendre  des  fourmis 
de  la  forêt  d'Egine,  que  de  reconnaître  qu'ils 
étaient  des  colonies  de  peuples  étrangers. 

—  La  fourmi  était  un  attribut  de  Cérès  ;  elle 
fournissait  matière  aux  observations  des  au- 
gures. 

FOUS.  On  sait  le  respect  superstitieux  que 
les  Musulmans  ont  pour  les  fous.  Nous 
citerons  un  passage  du  Voyage  curieux  de 
M.  Drummonil-Hay  ,  dans  la  Barbarie  occi- 
dentale (Western  Birbary,  London,  18ii  ). 

Maigre  l'ignorante  brutalité  d  s  popula- 
tions assez  peu  civilisées  de  Tanger,  un  Eu- 
ropéen ne  court  pas  autant  de  dangers  qu'il 
serait  permis  de  le  croire,  lorsqu'il  se  ha- 
sarde dans  ces  régions  inhospit;ilières  ;  mais 
il  faut  qu'il  soit  muni  de  lellres  des  autorités 
du  lieu  ,  il  faut  qu'il  soit  accompagné  d'un 
soldat  qui  répond  de  lui  sur  sa  tête.  La  police 
s'administre  rigoureusement  et  promptement 
dans   le   Maroc  :  dans  chaque  ville,  dans 

(t)  Dclancip  .  Talileau  itc  riiiconsUiKi;  des  déni.,  i-lc, 
p.  15t, 


6JS 


FOU 


Fon 


chaque  bourg,  un  foiiclioiinaire  public  con- 
daniue ,  sans  plaidoiries,  sans  phrases  et 
sans  appel ,  un  délinquant  à  la  bastonnade  ; 
l'on  n'attend  point,  pour  exécuter  la  sen- 
tence, qu'elle  ait  été  rendue,  et  cette  méthode 
rapide,  énergique,  impose  un  frein  salutaire 
aux  penchants  désordonnés  de  la  plèlie. 

11  est  toutefois  un  péril  contre  Iciiuel  la 
protection  des  gens  en  place  devient  insuffi- 
sante. Les  fous  sont  nombreux  dans  le  Ma- 
roc ;  ils  sont  l'objet  d'une  vénération  univer- 
selle, ils  sont  parfois  redoutables  et  féroces; 
c"estaux  étrangers  surtout  qu'ils  en  veulent. 
Les  Mores  prétendent  que  Dieu  a  retenu  au 
ciel  la  raison  des  aliénés  ,  tandis  (lue  leur 
corps  est  sur  la  terre.  Dès  qu'un  imbécile 
parle  ,  on  recueille  avec  soin  les  absurdités 
qu'il  débite,  comme  étant  paroles  dictées  par 
une  inspiration  surnaturelle. Un  de  ces  saints 
personnages  tomba  à  coups  de  iiâlon  sur  le 
consul  de  France,  il  y  a  une  vingtaine  d'an- 
nées, et  il  s'en  fallut  de  fort  peu  que  b'  consul 
ne  fût  complètement  assommé.  11  porta 
plainte  à  l'Empereur,  il  demanda  que  le  cou- 
pable lui  fût  livré  :  pareil  outrage  au  droit 
des  gens  ne  di'vait  pas  rester  impuni.  La  ré- 
ponse du  monarque  fut  adroite  :  promesse  de 
châtier  exemplairement  l'agresseur,  si  l'of- 
fensé l'exigeait;  sermon  sur  le  pardon  des 
injures  et  sur  l'obligation  imposée  à  tout 
chrétien  de  pratiquer  la  miséricorde  et  de 
rendre  le  bien  pour  le  mal  ;  développement 
de  la  maxime  du  coran  :  «  H  est  trois  sortes 
de  personnes  dont  les  actions  ne  peuvent 
s'imputer  à  crime,  l'iusinsé,  l'homme  qui 
dort  et  le  petit  enfant.  » 

Le  consul  ne  put  s'empêcher  de  paraître 
louché  d'une  exhorialiou  aussi  adroitement 
calculée  ;  il  lui  fallait  taire  grâce,  et  l'aliéné 
put  impunément  rôder  en  liberté,  au  grand 
désespoir  des  Juifs,  qu'il  se  plaisait  surtout 
à  abreuver  de  mauvais  traitements,  et  qui 
se  seraient  exposés  aux  plus  cruels  sup- 
plices, s'ils  s'étaient  permis  le  plus  léger 
simulacre  de  résistance  ou  l'ombre  d'une 
plainte.  On  ne  saurait  imaginera  quel  point 
les  enfants  d'Israël  sont  vexés,  humiliés, 
tyrannisés  dans  les  états  du  .Maroc.  Regardés 
comme  les  esclaves  des  esclaves,  ils  ne  peu- 
vent sortir  sans  s'exposer  à  des  volées  d'in- 
jures, très-fréquemment  accompagnées  des 
indices  les  plus  frappants  de  l'animadversion 
populaire.  Les  petits  enfants  et  les  vieilles 
femmes  se  plaisent  surtout  à  les  tourmenter: 
outrages  et  coups,  l'Hébreu  doit  tout  endu- 
rer avec  un  air  de  résignation  parfaite... 

M.  Drumtnond  se  trouva  un  jour,  grâce 
au  zèle  haineux  d'un  de  ces  fous  dont  nous 
venons  de  parler  dans  une  situation  éminem- 
ment critique.  Laissons-le  parler. 

«  Ma  sœur  et  moi,  no  us  étions  sortis  île  la  vil- 
le; nous  nous  promenions  fort  paisiblement 
sur  la  plage;  soudain, à  soixante  pas  de  moi, 
j'aperçois  un  long  fusil  appuyésur  un  petit  mur 
et  se  dirigeant  sur  moi  ;  dans  le  fond,  près  de  ce 
fusil  unetéte  que  je  reconnus  pour  celle  do  Suj- 
dy-Fayeb,  pour  celle  d'un  fou  ([uo  j'entendais 
à  chaque  heure,  <iue  j'évitais  dix  foisparjour, 
car  il  courait  sans  cesse  les  rues,  poussant 


/•|6 


des  cris  terribles,  l'iisant  tourner  un  long 
bâton  et  entouré  de  femmes  qui  biisaient 
avec  respect  sa  main  ou  sa  robe.  Nous  étions 
près  d'un  rocher,  nous  nous  réfugions  en 
toute  hâte  dans  une  cavité  qu'il  nrms  offre 
et  qui  était  tournée  vers  la  mer.  Nous  res- 
tons quelque  temps  muets  et  immobiles  dans 
l'espoir  que  la  patience  de  ce  maudit  insensé 
se  sera  lassée.  Je  le  crois  parti,  j'avance  la 
tête  et  je  vois  juste  vis-à-vis  de  mon  œil  le 
fusil  qui  avait  suivi  notre  direction  et  qui 
nous  attendait  au  passage.  Une  heure  après, 
je  regarde  encore;  Sœdy-Fayeb  était  aussi 
patient  queson  fusil;  ni  l'un  ni  l'auire  n'avait 
bougé. 

«  Pour  comble  de  désagrément,  la  marée 
montait;  les  Ilots  lançaient  leur  écume  dans 
l'asile  sans  issue  où  nous  étions  emprison- 
nés; si  nous  attendions  encore,  nous  étions 
certains  d'avoir  bientôt  vingt-cinq  pieds  d'eau 
par-dessus  la  tête;  il  n'y  avait  pas  à  hésiter; 
il  fallait  braver  la  fusillade  ;  j'enjoins  à  ma 
sœur  de  me  laisser  partir  le  premier:  je  m'é- 
lance, le  coup  part,  la  balle  siffle  derrière 
ma  tête;  ma  sœur  s'élance  aussitôt  après 
moi;  nous  courons  à  toutes  jambes,  tandis 
que  le  fusil  se  recharge  avec  colère  et  trouve 
le  temps  de  jeter  à  notre  poursuite  un  plomb 
qui  ne  manque  encore  son  but  que  de  fort 
peu  de  chose.  Nous  louchons  enfin  à  la  porte 
de  la  ville;  nous  nous  y  précipitons,  pâles, 
hors  d'haleine.  Ma  sœur  fut  mal  ide  du  sai- 
sissement qu'elle  avait  éprouvé.  La  chose 
s'était  passé  sous  les  yeux  de  bon  nombre 
d'habitants  qui,  du  haut  des  murs,  avaient 
assisté  avec  quelque  intérêt  à  ce  spectacle  ; 
ils  se  seraient  bien  gardes  de  troubler,  le 
moins  du  monde,  le  respectable  aliéné  dans 
ses  meurtrières  méditations,  et  si  nous  avions 
reçu  un  coup  funeste,  c'aurait  été  pour  nous 
beaucoup  d'honneur  et  matière  à  félicita- 
tions. » 

Légende  de  la  franc-maçonnerie. 

l.  —  Jacquemiu   initié  aiix  premières  notions  de  la 
maçonnerie. 

Au  mois  de  mars  de  l'année  1814,  pendant 
que  les  alliés  repoussaient  Napoléon  de  pro- 
vince en  province,  il  y  avait  à  Paris  ,  dajis 
un  modeste  hôiel  garni  du  quai  des  Orfèvres, 
un  jeune  homme  qui  était  né  dans  un  village 
du  Tournaisis  ,  et  se  nommait  Jacquemin 
Claes. 

Il  faisait  sa  rhétorique  à  Tournai  ,  lors 
de  l'invasion  de  son  pays.  Plus  intrépide  dans 
les  luttes  où  il  s'agissait  de  vaincre  par  la 
version  ou  par  le  thème,  que  (Uins  les  com- 
bats d'alors  où  l'on  hasardait  autre  chose 
que  de  l'encre,  il  avait  (ilé  prudemment  de- 
vant les  approches  des  gens  de  guerre.  Avec 
une  petite  somme  d'argent  que  lui  avait 
donnée  sa  famille,  forlilié  des  bons  et  sages 
avis  dii  ses  maîtres  ,  il  était  parti ,  se  pro- 
posant d'attendre  doucement  la  paix  ,  et  do 
profiter  en  même  temps  de  son  séjour  dans 
la  capitale,  pour  s'instruire  en  toutes  sortes 
de  bonnes  choses.  Il  emportait  quelques  let- 
tres de  recommandation  qui  lui  furent  inu- 
tiics  ;  car,  soit  qu'ils  fussent  réellement  ab- 


017 


scnts,  soil  qu'ils  se  sonciasseni  peu  de  s'em- 
barrasser de  lui ,  il  ne  put  jamais  trouver 
chez  eux  les  personnages  à  qui  il  était 
adressé.  Il  vivait  donc  solitaire,  dans  sa  pe- 
tite chambre  meublée  ,  allant  travailler  au\ 
Idblioihctiups,  fréquentant  les  cours  du  col- 
lège de  France,  se  prcservanl  assez  heureu- 
scinenl  de  la  contagion  morale  qui  dominait 
à  Paris,  et  se  coiilenlant ,  pour  distraction  , 
du  mouvement  de  la  grande  ville  et  de  la  va- 
riété des  habitués  qui  venaient  dlncr  dans  la 
salle  commune  de  son  hôlel. 

Jacquemin  C.laes  avait  déjà  dix -huit  ans. 
On  s'elTrajait ,  en  ce  temps-là,  de  la  marche 
des  années.  C'est  que  aussi  le  pauvre  garçon 
était  dévolu  à  la  conscription  prochaine,  et 
il  faisait,  comme  tous  les  jeunes  gens,  comme 
toutes  les  mères,  comme  toutes  les  familles 
alors,  des  vœux  ardents,  mais  bien  secrets, 
pour  la  chute  de  cet  horrible  régime  impé- 
rial, dont  nous  ne  Toyons  plus  aujourd'hui 
que  le  prisme. 

L'empire  tomba  le  31  mars ,  et  le  lende- 
main ,  la  restauration  ,  poisson  d'avril  peu 
agréable  à  quelques  gens  en  place  ,  fut  ac- 
cueillie partout,  il  faut  l'avouer,  avec  assez 
de  joie.  Jacquemin  Claes  respira  plus  libre- 
ment. Il  rontinua  de  vivre  sans  fracas,  dans 
son  petit  hôtel  qui  était  en  même  temps  res- 
taurant et  cabaret.  Il  y  venait  des  gens  de 
toutes  sortes.  Il  vit  là  l'ouvrier  de  Parts,  l'é- 
migré ,  le  grognard,  le  soldat  congédié,  le 
bourgeois  du  la  garde  nationale,  l'étudiant, 
tous  pélc-méle  avec  les  Russes,  les  Prus- 
siens, les  Anglais  et  les  uniformes  blancs  de 
l'Autriche. 

il  y  vil  aussi  beaucoup  d'agents  de  police, 
que  le  voisinngede  la  rue  de  Jérusalem  ame- 
nait là  pour  dîner,  lîn  recu<'illant  quelques 
bribes  des  entretiens  de  ces  hommes  chargés 
de  la  sûreté  publique,  il  se  forma  beaucoup 
dans  l'appréciation  des  dangers  que  l'on  doit 
éviter  à  Paris.  Il  était  curieux  et  faisait  des 
questions,  sans  que  sa  curiosité  fût  impor- 
tune ni  déplacée;  car  sa  naïveté  et  sa  jeu- 
nesse intéressaient  à  lui;  et  il  tombait  pres- 
que toujours  sur  cette  classe  de  Parisiens 
parleurs,  qui  aiment,  comme  ils  disent,  à 
dégrossir  un  provincial.  Mais  sous  le  rapport 
des  principes,  Jacquemin  se  déforma  un  peu; 
il  ne  remarquiiil  pas  assez  qu'il  était  géné- 
ralement en  mauvaise  société.  Les  propos 
inconsidérés,  les  plaisanteries  inconvenan- 
tes, les  chansons  hasardées,  ne  le  choquaient 
pas  auta-iit  qu'il  aurait  dû  l'être  ;  il  se  refroi- 
dissait dans  l'accomplissement  du  ses  devoirs 
de  chrétien  ,  (k)nt  il  avait  toujours  chéri  au- 
paravant l'observation  indispensable.  Pour- 
tant il  ne  se  perdait  pas  encore,  parce  qu'en 
lui  le  fonds  était  bon. 

Il  venait  surtout  dans  le  petit  hôtel  beau- 
coup de  gens  qui  se  saluaient  d'un  air  go- 
guenard, avec  des  signes  géométriques  et  des 
gestes  singuliers.  Après  ()u'il  eut  plusieurs 
Ibis  observé  celte  bizarrerie  ,  il  demanda  à 
madame  Gersant,  son  hôtesse,  ce  que  pou- 
vaient être  ces  messieurs  qui  se  disaient  bun- 
jour,en  s'envoyanl  des  triangles. 

—  Ohl  répondit-elle  simplement,  ce  sont 


MCIlOiNNAlUE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 

des  imbéciles 


G48 
comme  dit  la 


dos  maçons 
chanson. 

Jacquemin,  comprenant  le  mot  au  positif, 
s'étonna  de  voir  des  gens  de  bâtiment  se  par- 
ler en  signes  ,  et  venir  au  cabaret  ,  en  si 
bonne  tenue. 

—  Ce  sont  à  coup  sûr  les  chefs  entrepre- 
neurs, dit-il  en  lui-même;  ou  bien  c'est  qoe 
les  maçons  parisiens  s'habillent  en  quittant 
leur  ouvrage;  car  tous  ceux  que  j'ai  vus  .lu 
Liiuvrc  sont  velus  de  toile  et  souillés  de  plâ- 
tre ;  ils  sont  mém(!  fort  sales. 

Dans  son  pays  ,  on  ne  supprimait  pas  en- 
core aux  maçons  leur  épilhète  ;  on  disait  les 
francs-maçons  ;  et  les  bonnes  gens  voyaient, 
d.ins  les  hommes  affiliés  à  cet  ordre  mysté- 
rieux, d 'S  êtres  sinistres  en  plein  commerce 
avec  le  diable.  Ses  professeurs  lui  avaient 
bien  dit  que  les  francs-maçons  n'étaient  ni 
si  malins,  ni  si  habiles  qu'on  le  croyait  'lans 
les  villages,  et  que  leurs  prestiges  n'ét.iienl 
que  des  farces  plus  ou  moins  ridicules.  Tou- 
tefois ils  avaient  laissé,  attachée  à  ce  nom  , 
une  prévention  nuageuse  qui  jusque-là  lui 
avait  fait  redouter  le  contact  des  francs- 
maçons. 

Dans  une  petite  explication  qu'il  sollicita 
le  lendemain,  il  apprit  que  les  maçons,  dont 
son  hôtel  paraissait  être  une  des  étapes  , 
étaient  non  pas  des  ouvriers  de  bâtiment , 
mais  de  vrais  francs- maçons.  11  ressentit  à 
celte  nouvelle  un  certain  frisson  qui  le  trou- 
bla ,  moins  cependant  qu'il  n'eût  fait  avant 
son  séjour  à  Paris.  Il  se  hasarda  à  demander 
si  les  francs-maçons  n'étaient  donc  pas  de 
mauvais  drôles? 

—  Des  imbéciles  ,  répondit  encore  l'hô- 
Icsse. 

—  De  mauvais  drôles  !  reprit  l'hôte  en 
ériatant  du  rire  ;  mais  j'en  suis,  mon  jeune 
monsieur;  mais  mou  voisin  ,  le  marchand  de 
tabac,  le  libraire  à  gauche,  le  sellier  de  la 
rue  Sainte-Anne  ,  les  deux  orfèvres  que  vous 
voyi  z  devant  leur  porte  ,  tout  le  monde  eu 
est.  Si  les  femmes  sont  un  peu  contre  nous  , 
c'est  à  cause  du  serment  qui  nous  oblige  à 
garder  des  secrets  qu'elles  voudraient  sa- 
voir. 

Alors  la  maçonnerie  était  fort  répandue 
à  Paris  surtout  ,  mais  dans  les  grades  insi- 
gnifiants. Napoléon  ,  arrivant  au  pouvoir  à 
la  suite  d'une  révolution  qui  avait  fait  ger- 
mer aussi  toutes  les  idées  factieuses  ,  avait 
bien  prévu  qu'il  pourrait  avoir  contre  lui 
les  sociétés  secrètes  ,  s'il  ne  s'en  emparait 
pas  ;  et  il  s'était  empressé  de  réorganiser  la 
franc-maçonnerie,  sous  la  haute  direction  de 
l'Orienlde  Paris.  Il  y  avait  établi  pour  grand- 
mattre  un  de  ses  frères ,  puis  à  son  défaut  le 
prince  Cambacérès  ,  ex-deuxième  consul  , 
archi-chancelier  de  l'Empire.  Tous  ses  of- 
ficiers ,  tous  ses  agents  ,  tous  ses  fonction- 
naires devaient  se  faire  affilier  aux  loges , 
qui  devenaient  ainsi  un  auxiliaire  de  sa  po- 
lice. Mais  des  trente-deux  degrés  qui  com- 
posent la  hiérarchie  obscure  des  francs- 
maçons,  il  était  difficile  aux  bourgeois  de 
s'élever  plus  haut  que  le  troisième,  qui  con- 
fère la  matlrisc.  Ceux  des  habitants  de  Paris 


6«(> 


FRA 


FRA 


6S0 


chez  qui  la  religion  n'était  plus  qu'un  sou- 
\enir,  n'étaient  pas  satisfaits  de  porter  l'ho- 
norable uniforme  de  la  garde  nationale,  s'ils 
ne  pouvaient  encore  de  temps  en  temps  se 
décorer  du  tablier  brodé  et  passer  en  sautoir 
le  cordon  bleu  du  maître,  qui  leur  donnait 
l'agrément  de  jouer  au  dignitaire.  Ils  y  te- 
naient ;  ils  tenaient  également  aux  dîners  et 
aux  petites  féies  de  l'ordre  ;  et  pour  donner 
quelque  satisfaction  aux  femmes  de  Paris , 
qui  sont  très-opposées  aux  plaisirs  dont  elles 
sont  exclues  ,  ils  avaient  multiplié  les  loges 
d'adoption,  oiî  les  femmes  étaient  admises  à 
des  conditions  spéciales.  Mais  on  avait  soin 
de  ne  s'occuper  en  loges  ni  de  la  politique, 
ni  des  affaires  de  l'Etat,  ni  des  événements 
publics,  ni  de  l'empereur,  ni  des  ministres, 
ni  des  gens  en  place  ,  ni  de  rien  qui  fût  sé- 
rieux. A  cela  près  ,  on  pouvait  faire  des  pa- 
rades en  secret,  pourvu  que  la  police  sût 
fidèlement  de  qui  la  loge  était  composée  ,  et 
de  quoi  elle  s'amusait. 

M.  Gersant  vanta  à  Jacquemin  ,  pour  l'al- 
lécher, les  vertus  des  francs-maçons,  leur 
fraternité,  leur  égalité,  leur  union,  leur  Odc- 
lilé  à  toute  espèce  d'engagement. 

—  Tous  les  ans  ,  continua- t-il ,  noire  loge 
est  admise  au  Grand-Orient  de  Paris  ;  et  Tan 
passé,  par  exemple,  moi  qui  vous  parle,  j'ai 
reçu  l'accolade  fraternelle  du  grand-maître, 
qui  est  son  altesse  sérénissime  monseigneur 
le  prince  Cambacérès  ,  archi-chancelier  de 
l'Empire.  C'est  qu'en  loge  nous  ne  sommes 
plus  que  des  frères,  ni  plus  ni  moins. 

—  Oh  1  mais  ,  c'est  très-avantageux  ,  ré- 
pondit Jacquemin  ,  séduit  i  et  si  vous  aviez 
besoin  de  recourir  à  son  altesse  sérénissime 
monseigneur  le  prince  Cambacérès 

—  C'est  clair.  Cependant  il  n'en  faut  pas 
abuser.  Ainsi, moi, après  qu'il  m'euienibrassé 
en  m'appelant  son  frère ,  je  me  liasardai  à 
lui  demander  par  écrit,  dans  les  formes  ma- 
çonniques ,  une  petite  faveur  qui  dépendait 
de  lui  ;  il  ne  me  répondit  point.  Et  comme 
je  m'en  étonnais  ,  M.  Lassource  ,  un  de  mes 
amis  que  vous  voyez  souvent  à  cette  table 
du  fond,  me  fit  observer  que  j'avais  été 
trop  hardi,  que  si  je  m'étais  présenté  chez 
son  altesse,  elle  m'eût  certainement  fait  jeter 
à  la  porte  ,  malgré  l'accolade  ,  attendu  qu'on 
n'est  frère  qu'en  loge.  Ce  sont  des  choses 
qu'il  est  bcn  de  savoir. 

Peu  de  jours  après  cet  entretien ,  Jacque- 
min Claes,  remontant  à  sa  chambre  ,  fut  ar- 
rêté dans  l'escalier  par  de  grands  éclats  de 
joie  ,  qui  partaient  d'une  salle  du  premier 
étage,  il  entendait  l'hôte  parler  de  truelles  , 
de  poudre,  de  barils,  d'étoiles  allumées;  une 
autre  voix  proposait  une  santé  au  grand  ar- 
chitecte de  l'univers  ;  puis  on  discutait  sur 
une  planche  mal  faite,  et  on  interpellait  les 
frères  surveillants.  Tout  ce  qui  se  disait  s'ex- 
primait dans  un  argot  où  Jacquemin  ne  com- 
prit autre  chose,  sinon  que  c'était  un  dîner 
Je  francs-maçons. 

Les  allégresses  bruyantes  ont  pour  la  jeu- 
nesse quelque  chose  d'engageant  ;  le  pauvre 
garçon  eût  voulu  être  de  ce  tumulte,  qui  lui 
paraissait  de  la  galté.  Il  s'assit  tout  médila- 

DicTiosN.  DES  Sciences  Occultes.  I. 


bis. 


bis 


tif  dans  sa  petite  chambre ,  envahi  par  un 
certain  désir  de  se  faire  recevoir  maçon, 
combattant  ses  précédentes  antipathies  /lar 
la  persuasion  où  il  entrait  que  les  francs- 
maçons  n'étaient  que  de  bons  réjouis  inof- 
fensifs et  calomniés. 

Dans  sa  perplexité,  il  redescendit  ;  et  trou- 
vant seule  la  bonne  hôtesse,  il  entama  une 
conversation  qu'il  ramena  asser  adroitement 
et  assez  vite  sur  la  maçonnerie.  Il  lui  de- 
manda bientôt  pourquoi  l'autre  jour  elle 
avait  traité  les  francs-maçons  d'imbéciles  , 
comme  dit  la  chanson. 

—  Oh  1  c'est  que  vous  ne  connaissez  pas  , 
répondit-elle ,  la  grande  chanson  des  ma- 
çons. Eh  bien  I  je  vais  vous  la  dire.  Ce  qu'elle 
fit  aussitôt,  selon  l'usage  des  Parisiennes,  qui 
ne  se  font  pas  prier  pour  chanter  : 

CBASSON  lUÇONIlIQUE. 

iiR  :  litoiis,  cliantons,  aimons,  buvons,  de  S^qur, 

A  ma  truelle  de  fer-blanc, 
Saclii'Z  ma  dignité  suprême. 
Je  suis  oblus;  el  cependant 
J'ai  le  triangle  pour  emblème. 
Lorsque  j'étais  petit  garçou. 
On  me  trailail  comme  un  vrai  Gille. 
A  présent  q\ie  je  suis  maçon, 
Ai-je  eucor  l'air  d'un  imijécile't 
J'aime  à  produire  de  l'effet  ; 
J'aime  à  me  décorer, — pour  cause  : 
J'ai  le  grnou  gros  et  mal  lail, 
Le  tablier  couvre  la  chose. 
Mon  dos  à  droite  est  un  peu  rond  ; 
Le  cordon  là  se  montre  utile. 
A  présent  que  je  suis  maçon, 
Ai-je  encor  l'air  d'un  imbécile  ? 
Quand  j'ai  mon  équerre  en  sautoir, 
El  que  ma  ceinture  me  sangle, 
Chacun  prend  plaisir  b  me  voir 
Avec  ma  règle  et  mon  triangle. 
Vous  qui  m'appeliez  cornichon, 
Dans  mes  simples  habits  de  ville, 
A  présent  que  je  suis  maçon,  . . 

Ai-je  encor  l'air  d'un  imbécile  ? 

Fringant  conune  un  chapeau  chinois, 
Lors(|ueje  me  pavane  en  loge, 
Je  suis  lier  jusqu'au  bout  des  doigts, 
Etant  très-sensil)le  à  l'éloge. 
Qu'on  me  traite  de  polisson  ; 
Ma  ré|)OKse  devient  facile  : 
A  préseut  que  je  suis  maçon, 
Ai-je  eucor  l'air  d'un  imbécile  ? 

Ma  femme  dit  <)ue  le  compas, 
Le  poinl'parlait  el  la  truelle 
Sont  {je  le  répète  tout  tas) 
D'une  stupidité  cruelle. 
Le  tablier  n'est  qu'un  torchon, 
Si  je  veux  en  croire  sa  bile. 
Cependant  je  suis  frauc-maçon  :        . . 
Ai-je  donc  l'air  d'un  imbécile? 
A  table,  au  sein  de  mes  amis. 
On  m'a  souvent  blâmé  de  prendre 
Des  tons  c)ui  ne  sont  pas  peimis. 
J'étais  un  porc,  à  les  entendre. 
Je  suis  pcut-èlre  un  peu  glouton  ; 
Mais  quoiqu'à  l'ivresse  facile, 
A  préseut  que  je  suis  maçon ,         . . 
Ai-je  eucor  l'air  d'un  imbécile  ? 

A  ceux  qui  marchent  de  travers 
Jo  puis  ma  donner  en  exemple; 
Sur  mon  tablier  aux  bords  verts 
J'ai  les  deux  colonnes  du  temple. 
Je  vais,  ferme  sur  mon  arçon , 
Appuyé  de  leur  double  pile. 
A  présent  que  je  suis  maçon ,  u  ■ 

Ai-je  encor  l'air  d'uu  imbécile? 

On  me  croyait  un  sot.  Parbleu , 
Ce  u'est  plus  qu'une  calomnie  , 

21 


bis: 


C51 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


Puisqit'au  l)Oiil  «le  mou  cordon  bleu 

Brille  l'éioilc  du  génie. 

C'est  pour  les  sots  une  leçon. 

J'aurai  du  moins  ouvert  la  lile. 

A  présent  que  je  suis  maçon ,  [jj^ 

Al-je  eucor  l'air  d'un  imbécile? 

Ainsi  parlait  un  homme ,  vain 

De  son  équerre  et  de  sa  règle. 

—  Frère,  lui  dit  un  écrivain 

Qui  passait  |)0ur  un  vieil  espiègle. 

Ton  tablier  et  ton  cordon 

Ne  t'ont  pas  rendu  plus  liabile; 

Et  ceux  qui  t'ont  fait  franc-maçon,      v[^ 

T'ont  fait  doublemcul  imbécile. 

Celle  chanson  n'élait  pas  faite  pour  fixer 
/es  esprits  flotlanls  du  Tournaisien.  Mais 
lout  en  la  chantant,  il  paraît  que  l'hôtesse 
avait  fait  ses  réflexions  ;  car  elle  s'empressa 
d'njouter  que  l'auleur  était  un  homme  qu'on 
n'avait  pas  voulu  recevoir  à  la  loge. 

Quoique  je  me  permette  d'en  rire  ,  dit- 
elle  encore  ,  c'est  bon  à  connaître  pour  un 
jeune  homme  ;  c'est  curieux,  à  ce  qu'on  dil  ; 
et  dans  les  choses  de  la  vie  cela  peut  se  trou- 
ver très-utile. 

La  bonne  dame  s'était  rappelée  que  cha- 
que admission  amenait  un  repas,  et  que  les 
festins  de  la  loge  de  son  mari  se  faisaient 

f>Kp7  clic* 

Jacquemin  s'alla  coucher,  bercé  par  les 
chants  des  frères,  qui  poussèrent  leur  orgie 
jusqu'au  delà  de  minuit. 

Le  lendemain  malin,  noire  jeune  homme 
s'ouvrit  à  son  hôte  sur  les  pensées  qui  l'agi- 
taient. M.  Gersant  l'accueillit  avec  em|)resse- 
menl,  comme  un  digne  cabaretier  qu'il  élail. 
On  arrivait  au  milieu  de  juin  ;  l'époque  des 
fêles  maçonniques  approchait. 

—  Mon  jeune  monsieur,  dit-il,  vous  pou- 
vez certainement  connaître  la  lumière,  si 
vous  remplissez  quaire  points,  dont  le  pre- 
mier est  l'âge. 

Et  quel    âge  faul-il  avoir  î  demanda 

Jacquemin. 

—  Vingt  et  un  ans. 

—  Alors  je  dois  attendre  ;  je  n'en  ai  pas 
encore  dix-neuf. 

—  Nous  passerons  là-dessus  ,  répliqua 
Ihôle;  je  vous  présenterai  comme  louve- 
teau. 

—  Qu'esl-ce  que  c'est  qu'un  louveteau? 

—  Ahl  ahl  c'est  comme  qui  dirait  un  pelit 
loup,  un  fils  de  maçon.  (Le  cabaretier  estro- 
piait le  mot  vrai  Louflon ,  qu'on  applique 
aux  fils  de  maçons,  el  qui  veut  dire  en  eflel, 
dans  une  vieille  langue  du  nord  ,  quelque 
chose  comme  enfant  de  la  balle.  )  Un  louve- 
teau, poursuivit-il,  a  le  privilège,  entre  au- 
tres passe-droits  ,  d'être  reçu  à  dix-huit  ans, 
et  môme  à  quatorze  dans  certaines  loges. 
Votre  père,  mon  jeune  monsieur,  est-il  ma- 
çon? 

—  Ah  1  grand  Dicul  il  s'en  garderait  bien. 
C'est  un  honnête  fermier  d'auprès  de  Tour- 
nay.  Les  francs-maçons  pour  lui  ne  sont  que 
des  excommuniés  el  des  sorciers. 

—  Ahl  ahl  ah!  s'écria  l'hôte;  nous  sommes 
de  trop  bonsdiablcs nous-mêmes,  pour  avoir 
rien  à  l'aire  avec  le  mauvais.  Les  francs- 
maçons,  mon  jeune  monsieur  ,  sont  des  frè- 
x&s.   Si    vous    ùles   franc-maçon ,  el   qu'en 


voyage  vous  vous  trouviez sansargent,  vous 
allez  en  loge,  vous  vous  faites  tuiler  (recon- 
nailre  ,  au  moyen  de  signes) ,  vous  dites  le 
mot  de  passe;  el  vous  avez  là  des  frères  qui 
vous  garnissent  le  gousset.  Si  vous  avez  une 
querelle,  entre  maçons  le  duel  est  interdit; 
aussitôt  que  vous  signalez  le  fait ,  votre 
adversaire  est  obligé  de  mettre  bas  les  ar- 
mes. 

— Mais,  s'il  en  est  ainsi,  c'est  superbe,  dit 
Jacquemin  ;  et  volontiers  je  me  ferais  ma- 
çon si  c'était  possible. 

—  Ainsi  nous  dirons  que  vous  êtes  louve- 
teau, mon  jeune  monsieur;  cl  personne  n'en 
doutera. 

La  seconde  condition  exigée  dans  les  as- 
pirants est  de  la  conduite,  de  la  fidélilé  aux 
engagements.  Cela  ne  nous  embarrassera 
pas  ;  je  serai  voire  parrain,  et  je  répondrai 
de  vous. 

En  troisième  lieu  ,  il  faut  du  courage  ;  les 
épreuves  d'admission  ne  sont  pas  des  jeux. 
Mais  pourtant  si  on  vous  reçoit  comme  lou- 
veteau ,  vous  ne  subirez  que  les  épreuves 
morales  :  c'est  plus  facile. 

Enfin,  la  dernière  condition,  qui  certaine- 
ment n'est  pas  la  moins  importante,  c'est  le 
chapitre  de  l'argenl.  On  ne  peut  pas  être  reçu 
par  d'honnêtes  gens  que  l'on  dérange  de  leurs 
affaires,  sans  les  régaler  un  peu.  11  faut  d'ail- 
leurs que  vous  soyez  initié  aux  usages  des 
festins  maçonniques  ;  et  il  est  juste  que  vous 
en  payiez  les  frais. 

Jacquemin  Claes ,  à  celle  parlie  du  dis- 
cours, élail  devenu  plus  sérieux.  Il  avait  de 
l'ordre.  Il  sentit  que  le  festin,  avec  des  gail- 
lards comme  son  hôte,  ferait  une  brèche  à  sa 
petite  réserve. 

—  Je  suis  mal  en  fends  pour  le  moment, 
dit-il;  je  dois  attendreque  mes  parents  m'aient 
fait  un  envoi,  et  remettre  ma  réception  à  un 
autre  temps. 

Mais  le  marchand  de  vin  était  un  ardent 
faiseur  de  prosélytes.  II  ne  se  déconcerta  que 
modérément.  Après  s'être  échauffé  sur  la 
pensée  d'amener  un  nouveau  fière  à  la  loge 
des  Amis  réunis  ,  qui  élail  assez  mal  com- 
posée, et  sur  l'espoir  de  présenter  dans  Jac- 
quemin, qui  avait  fait  ses  éludes,  un  orateur, 
spécialité  dont  on  manquait  alors,  il  lui  sem- 
bla dur  de  ne  pas  avoir  les  petits  agréments 
qu'il  s'était  promis. 

—  Ecoutez,  dit-il,  en  se  frappant  le  front 
oià  il  venait  d'apercevoir  une  idée,  je  connais 
un  juif,  qui  demande  aussi  à  voir  la  lumière. 
S'il  peut  payer  un  dîner  convenable,  je  vous 
ferai  recevoir  le  même  jour  ;  et  comme  lou- 
veteau, vous  serez  exempt  de  frais. 

Au  moment  où  M.  Gersant  achevait  ces 
mots  ,  le  juif  lui-même  entra. 

—  C'est  vous,  Gédéon,  dil  l'hôle  ;  connais- 
sez-vous l'acacia  ? 

—  Lequel?  demanda  le  juif. 

—  Ahl  l'innoccntl  ahl  le  profane,  s'écria 
le  marchand  de  vin  ,  en  riant  aux  éclats.  Al- 
lonsl  nous  vous  donnerons  un  âge,  selon  vos 
dispositions  :  trois  ans,  cinq  ani,  sept  ans.... 

—  Ohl  celle  bêlisel 

-  Mon  fils  ,  car  vous  n'êtes  pas  encore 


653 


FRA 


FRV 


634 


frèro,(li(  Irès-gravementl'hôlc,  ce  n'es!  point 
une  bêtise  ;  on  a  sept  ans  et  plus  ;  et  si  vous 
ricanez,  nous  ne  vous  donnerons  que  trois 
ans  et  quelque  chose  I 

Alors  encore  l'entretien  fut  rompu  par 
l'arrivée  d'un  maçon  qui  entra  tout  boule- 
versé. C'était  le  voisin  Cavard  ,  sellier  en 
chambre,  qui  avait  un  duel.  L'hôlc,  compre- 
nant qu'on  venait  l'appeler  pour  être  témoin, 
emmena  vivement  son  voisin  à  l'écart,  afin 
que  les  néophytes  qu'il  travaillait  ne  com- 
prissent pas  que,  malgré  leurs  serments,  les 
frères  se  hallaient  en  duel.  Le  sellier  en 
chambre  avait  cherché  querelle  à  Delon  ,  le 
bouL-her.  Il  accusait  Delon  d'avoir  fait  la 
cour  à  sa  femme,  nonobstant  la  fidélité  pro- 
mise en  loge  à  toute  espèce  d'engagement  ; 
et  de  scandaleuses  récriminations  avaient 
lieu  de  part  et  d'autre,  en  dépit  des  mœurs 
maçonniques. 

On  se  battit  le  lendemain  matin;  car  celui 
qui  eût  refusé  le  duel  eût  été  accusé  de  se 
retrancher  par  lâcheté  derrière  son  titre  de 
maçon. 

Mais  à  la  première  égratignure  qui  déchira 
le  pantalon  de  nankin  du  boucher,  M.  Ger- 
sant,  qui  avait  intérêt  à  fournir  un  déjeuner 
d'amis,  fit  un  signe  qui  arrêta  le  combat;  et 
les  duellistes,  ramenés  par  leurs  témoins,  se 
réconcilièrent  à  table. 

II. — Oq  fait  il  Jacquemin  un  cours  d'histoire  de  la 
franc-inaçoiinerie. 

Deux  jours  après  le  duel  du  frère  Delon  et 
du  frère  Cavard,  le  frère  Gersant  vint  s'as- 
seoir auprès  de  Jacquemin,  qui  achevait  de 
diner.  Tous  les  habitués  étaient  partis  ;  il  ne 
restait  que  M.  Lassource,  dans  son  coin. 

—  Mon  jeune  monsieur,  ditl'hôle,  avant 
d'entrer  dans  l'ordre,  il  est  bon  d'en  savoir 
l'historique;  et  voici  notre  ami,  qui  est  sa- 
vant et  qui  veut  bien  vous  en  faire  le  récit. 

M.  Lassource  était  un  gros  homme  à  la 
figure  ouverte,  qui  aimait  à  se  communi- 
quer, mais  qui  ne  se  remuait  pourtant  qu'a- 
près avoir  été  annoncé  d'une  manière  con- 
venable. Il  avait  salué  à  l'épithète  de  savant  ; 
il  se  leva  dès  que  le  frère  Gersant  eut  fini  de 
parler,  et  vint  s'asseoir  de  l'autre  côléde  Jac- 
quemin, attiré  sans  doute  p;ir  les  manières 
de  l'hôte,  qui  tenait  d'une  main  trois  petits 
verres,  et  de  l'autre  un  Hacon  d'une  certaine 
liqueur  qu'il  appelait  du  cent-sept-ans.  Il  fai- 
sait cette  liqueur  avec  les  restes  de  toutes  les 
bouteilles  di-  cognac,  d'aniselte  ,  de  cassis, 
de  curaçao  et  de  kirsch  que  l'on  vidait  chez 
lui  ;  et  personne  ne  disputait  au  cent-sept- 
ans  un  nom  que   personne  ne  comprenait. 

Il  versa  trois  petits  verres.  Jacquemin 
ayant  salué  M.  Lassource  ,  celui-ci  toussa 
élégamment  et  dit  : 

—  Mon  jeune  ami ,  comme  l'a  exprimé  le 
chef,  il  est  utile  cl  péremploire  de  connaître 
la  chose.  Il  y  a  des  gens  qui  deviennent 
francs-maçons  et  ne  se  doutent  de  rien.  Ce 
n'est  pas  cela.  V^ous  me  paraissez  être  doué 
d'une  éducation  de  collège.  Vous  avez  fait 
certainement  vos  humanités.  Jo  veux  donc 
vous  développer  agréablement  tout  ce  qui 
nous  concerne  ;  et  je  procède  dans  le  bon 


genre.  Prenez  ce  poëme ,  mon  jeune  ami , 
vous  le  lirez  ;  vous  verrez  jusqu'où  nous  re- 
montons. Demain  j'aurai  l'honneur  de  vous 
exposer  le  reste  ;  car  vous  n'avez  ici  que  les 
premières  origines. 

Il  donna  à  Jacquemin  un  vieux  petit  vo- 
lume in-12  ;  et  il  ajouta  :  —  Du  reste,  c'est 
de  la  naïve  poésie.  Vous  en  serez  charmé. 

Là-dessus,  il  se  jeta  dans  la  litlcralure  . 
cita  trois  strophes  de  l'ode  à  la  Fortune, 
beugla  une  tirade  de  Mérope  ,  hurla  quatre 
passages  d'Héraclius ,  s'appuya  de  Mar- 
moiitel ,  de  Laharpe  ,  d'Armand  Gouffé  ,  de 
J.-J.  Rousseau  ,  de  Désaugiers  ,  de  Planard 
et  de  Lacépède,  et  se  retira  après  avoir  parlé 
une  heure  tout  seul,  émerveillant  M.  Ger- 
sant, étourdissant  Jacquemin. 

—  Un  homme  très-prodigieux  ,  dit  l'hôto 
après  qu'il  fut  parti. 

—  Que  fait-il?  demanda  Jacquemin. 

—  Il  est  à  la  préfecture. 

—  De  police? 

—  De  police  ,  répondit  le  franc-maçon  , 
avec  une  affirmation  hésitative.  Mais,  soyez 
tranquille,  continua-t-il  en  se  raffermissant, 
il  est  employé  dans  les  bureaux. 

—  El  il  est  de  votre  loge  ? 

—  Certainement  ;  c'est  un  homme  trcs- 
fnstruit ,  qui  parle  comme  vous  voyez  ,  sans 
compter  qu'il  fait  des  chansons  fort  spiri- 
tuelles- 

Jacquemin ,  avant  de  se  coucher,  lut  le 
poëme,  qui  lui  sembla  long ,  et  dont  nous 
sommes  obligés  de  donner  ici  une  rapide 
analyse.  Ce  poëme  était  intitulé  :  Noblesse 
des  francs-maçons f  ou  Institution  de  leur  so- 
ciété avant  le  déluge  universel  et  son  rétablis- 
sement après  le  déluge;  sans  nom  d'auteur. 
C'est  un  volume  in-12  que  l'on  rencontre 
encore  ;  il  a  des  sommaires  aussi  utiles 
qu'ingénieux  sur  les  marges  ;  et  il  a  été  im- 
primé à  Francfort-sur-le-Meini  chez  Jean- 
Auguste  Raspe,  en  1756. 

Ce  poëme  commence  tout  à  fait  comme  ua 
vrai  poëme  : 

Des  discrets  francs-maçons  je  chante  la  noblesse 

L'action  s'ouvre  en  Arménie.  Avant  île 
mourir,  Noé,  qui  voit  ses  nombreux  enfants 
prêts  à  se  disperser,  veut  leur  donner  un 
lien,  en  rétablissant  l'ordre  des  francs-ma- 
çons (1). 

Un  jour  le  patriarche  à  la  fois  les  rasseml>Ie. 
Après  le  sacrilice  ils  mangent  tous  ensemble. 

Avant  que  de  mourir ,  quelle  joie  ! 

Au  milieu  du  festin  il  leur  tient  ce  discours: 
Pourriez-vous,  cbers  entants,  mettre  en  oubli  les  jours 
Où  d'un  Dieu  protecteur  la  bonté  souveraine 
Daigna  vous  arracher  aux  dents  de  la  baleine. 
Vous  sauva  du  déluge  et  de  l'abime  d'e:ui 
Par  qui  le  monde  impur  prit  un  être  nouveau  ? 

Il  ajoute  à  ces  vers  mélodieux  qu'il  faut  se 
séparer;  h  quoi  Sera  répond  qu'on  va  s'y  pré- 
parer ;  et  alors 

A  l'opulent,  mais  triste  et  tranquille  festin 
La  nuit  bien  avancée  et  Noé  mettcot  Hn 

(1)  On  remarquera  l'usage  que  les  francs-maçons  font 
de  l'histoire  sainte  pour  e.vpliquer  leur  oritçine.II  est  cu- 
rieux de  voir  que  les  savants  de  l'ordre  ne  dédaigueiil  pas, 
pour  satisfaire  des  prétentions  orgueilleuses,  de  recourir 
à  ces  mêmes  livres  sacrés  que  leurs  frères  les  i>hilusupli  i» 


CS5 


DICTIONNAIRr.  DES  SCI^NCLS  OCCULTES. 


C5f. 


M.iis  toul  le  monde  est  convoque  pour  un 
sacrifice  qui  doit  avoir  lieu  le  Icndcuiain  au 
point  du  jour.  Noé  tombe  en  extase  ,  au  mo- 
ment de  rétablir  la  franc-maçonnerie  ;  l'ave- 
nir des  frères  lui  apparaît  ;  il  fait  chois  de 
ceux  qu'il  veut  initier,  il  leur  annonce  qu'il 
va  perpétuer  un  ordre  dont  il  est  le  seul  reste. 
Cet  ordre  ,  leur  dil-il  ,  fut  fondé  par  Tubal- 
cain,  le  même  qui  avait  entrepris ,  dans  ses 
soucis  nouveaux, 

De  perfectionner  tous  les  arts  libérais  : 
S'adonnant  h  la  forge,  aux  plus  durs  exercices, 
Sur  une  ardenlo  enclume  il  Irouvail  des  délices. 

Tubalcain  s'était  vu  secondé  par  trois  hom- 
mes anté-diluviens  :  Jabel  ,  qui  méditait, 
dessinait ,  dressait  des  tentes  et  faisait  le 
commerce  de  fourrure;  Jubal ,  père  de  la 
musique: 

Des  instrumenis  îi  venl ,  dans  son  nouveau  travail , 
L'ingéuleux  Jubal  iuviMile  le  détail. 

Il  imai^ina  même  l'orgue,  du  premier  coup. 
Le  troisième  personnage  est  un  anonyme  qui 
dota  l'humanité  de  la  poterie  ,  ou  ,  si  vous 
l'aimez  mieux  ,  de  l'art  de  faire  des  pots  : 

El  de  cet  art  nouveau  les  fruits  universels 
Descendent  jns(iu'à  nous  et  sur  tous  les  mortels. 

Après  que  Noé  a  raconté  que  Tubalcain  et 
ses  trois  amis  établirent,  pour  se  reconnaître, 
les  signes  et  les  mots  de  passe,  il  ajoule  que 
l'ordre  des  maçons  s'esl  perpétué  un  certain 
temps,  mais,  que  tombé  en  oubli,  il  n'avait 
plus  que  lui  pour  adepic  au  déluge  ;  qu'il  l'a 
sauvé  dans  l'arche,  et  qu'il  le  reconstitue.  H 
en  explique  les  règlements  : 

De  nus  lois  la  plus  sainte  et  la  plus  nécessaire 
Sera  de  les  celer  k  l'aveugle  vulgaire, 

dit-il  ;  et  il  ne  donne  pas  d'autres  prescrip- 
tions. C'est  peu  de  chose.  Tous  les  assistants 
brûlent  de  connaître  les  grandeurs  qu'il  leur 
promet  : 

Sur  le  fameux  détail  des  mystères  sacrés 
Tous  veulent  sur-le-cliamp  être  plus  éclairés. 
Le  grand-inatlre  attendri  récite  un  lurmulaire 
Terrible  et  de  tout  temps  ignoré  du  vulgaire. 
La  vertueuse  troupe,  en  élevant  les  mains, 
Le  répète  ;  et  dès  lors  au  reste  des  bumaius 
Elle  est  supérieure  ;  elle  en  est  séparée; 
Elle  n'est  désormais  qu'une  troupe  sacrée. 
Elle  entre  au  temple,  où  luit  la  S'iblime  clarté. 
Dos  profanes  sentiers  ce  temple  est  écarté. 
Uue  d'objets  variés  la  main  qui  le  leur  ouvre 
Aux  frères  éblouis  subitement  découvre! 

Le  poëte  ne  décrit  rien  de  ces  objets  variés, 
qui  auraient  eu  de  l'intérêt  pour  l'histoire  de 
l'art  ancien  ;  et  comme  il  est  embarrassé  du 
costume  ,  il  fait  descendre  des  cieux  l'ange 
des  maçons  ,  apportant  un  coffre  où  Noé 
trouve  des  tabliers,  des  grands-cordons,  des 
étoiles  ,  des  compas  ,  des  truelles  ,  des 
équerres. 

Sur  un  bureau  prochain  il  fait  en  peu  de  temps 
Des  merveilleux  bijoux  trois  monceaux  éclaianls. 
l'uis  il  lient  un  discours  à  ceux  qui  sont  au  temple  ; 
Il  met  son  Liblicr;  chacun  suit  son  exemple; 
El  des  ricbes  colliers  qui  sont  sur  le  bureau. 
Pour  eu  vêtir  Noé,  l'ange  |  rend  le  plus  beau. 

Le  poëte  tient  à  son  bureau,  mais  il  ne  dit 
pas  si  c'était  un  bureau  d'acajou  à  cylindre 

ont  aiuqués  avec  Uni  d'acharnement.  Du  reste,  ce  poème 
r<-|«sc  sur  des  fictions  ridicules,  bien  qu'il  ait  été  composé 
osiiï  le  but  de  gluriOer  la  maçonnerie  symbolique 


ou  un  bureau  de  palissandre  à  incrustations. 
11  se  sauve  du  bureau  par  une  aposlroj  he  au 
cordon  : 

Noble  cordon!  henrcur  qui  s'en  voit  revêUil 
C'rsl  un  signe  certain  d'une  haute  vertu  ! 
(lordon,  (jui  produira  mille  fois  plus  de  gloire 
Oue  toul  autre  cordon  renommé  dans  l'Cisloire! 

Et  pour  lors  Noé  installe  Sem  en  qualité  ile 
grand-maître  des  francs-maçons  en  Asie;  il 
nommi"  Gham  grand-uiatlre  pour  l'Afrique  ; 
il  proclame  Japhel  grand-maître  en  Europe, 
le  tout  rehaussé  de  longs  discours  en  vers  , 
aussi  pompeux  que  ceux  qu'on  a  lus.  Seule- 
ment ,  avant  de  parler  à  Japliet ,  il  y  met  un 
peu  plus  de  façons. 

Ici  le  patriarche ,  ayant  repris  haleine , 
D'un  prophéliipie  écarl,  qu'd  répiime  avec  peine, 
S'abandonne  au  transport.  11  bégaie;  il  se  lait; 
L'allenlion  redouble  aux  mouvements  qu'd  fait. 

Aussi  il  prédit  à  frère  Japhet  toutes  sortes 
de  succès  maçonniques;  et  il  donne  aux  ini- 
tiés l'accolade  obligée. 

En  quittant  ce  séjour,  ajoule  le  grand-miillre. 
Mille  iroup -aux  chcrisà  votre  ondire  vont  paiiro. 
N'oublii'Zdoncj:imais  celle  infaillible  loi, 
Qu'un  roi  bon  franc-maçon  n'en  est  que  meilleur  roi. 

Voilà  qui  est  d'un  à-propns  très-ingénieux 
et  parfait  pour  les  rois.  Enfin  Noé  recom- 
mande aux  frères  le  langage  des  signes,  qui 
leur  sera  nécessaire  ,  dit-il  ,  à  la  confusion 
des  langues  (  il  prévoit  la  tour  de  Babel  )  ;  il 
annonce  Lycurgue,  qui  sera  un  franc-maçon 
distingué,  et  fera  de  sa  république  une  vaste 
loge  ;  il  prophétise  le  grand  éclat  de  l'ordre 
sous  le  règne  de  Salomon  ;  il  salue  de  loin  le 
frère  Charlemagne;  les  maçons  anglais  du 
dix-huitième  siècle;  François  1'',  empereur 
d'Allemagne  et  protecteur  de  la  maçonnerie; 
Frédéric  II  ,  grand-maîlre  de  Prusse  et  de 
Brandebourg,  et  tous  les  maçons  futurs,  sué- 
dois, danois,  polonais,  russes  ,  français,  bel- 
ges, hollandais,  etc.  11  nomme  Frère  Jébus  , 
son  pclit-fi's,  archiviste  et  secrétaire  général 
de  l'ordre;  après  quoi  le  poëme  finit,  comme 
toul  ce  qui  se  fait  dans  la  maçonnerie  sym- 
bolique ,  par  un  nouveau  repas  ,  qui  dure 
toute  la  nuit. 

En  rendant  ce  volume  le  lendemain  à  M. 
Lassource,Jacquemin  témoigna  qu'il  en  avait 
tiré  peu  de  lumières  précises. 

— Je  le  sais,  dit  le  frère  :  j'avoue  même  que 
dans  quelques  détails  c'est  un  peu  hasardé. 
!\Iais  le  fond  est  historique ,  et  la  forme  est 
littéraire.  J'ai  voulu  vous  le  faire  lire  ,  mon 
jeune  ami,  pour  vous  prouver,  comme  j'avais 
l'honneur  de  vous  le  dire  hier,  que  nous  da- 
tons d  assez  loin. 

— Je  crois  bien;  avant  le  déluge! 

—A  présent ,  je  pourrai  vous  conter  le 
reste. 

Vous  saurez  donc  que  ceux  mêmes  qui  nous 
contestent  l'honorable  antiquité  dont  nous 
parlons,  reconnaissent  au  moins,  pour  fon- 
dateur do  la  maçonnerie  symbolique,  Hiraiii 
ou  Adon-Uiram  ,  que  l'historien  Josèplie 
appelle  Adoram  ,  architecte  du  temps  de  S,i- 
lomon.  On  a  raconté  son  histoire  avec  quel- 
(jnes  variantes.  Des  savants  ont  écrit  qu'il 
s'agissait  là  de  Hiran  ,  roi  de  Tyr  ,  (pii  fit 
Mliancc  avec  Salomon  ,  et  lui  fut  d'un  grand 


657 


FRA 


FUA 


fôS 


secours  pour  la  construction  du  (emple  de 
Jérusalem.  Mais  nous  avons  nos  archives;  le 
vénérable  Hirani  était  un  artiste  éminemment 
distingué,  fi!s  d'un  Tyrien  et  d'une  fenmie  de 
la  trit)u  de  Nephlhali.  II  est  nommé  dans  le 
quatrième  livre  des  Rois. 

Salomon  le  fit  donc  venir  pour  diriger  les 
travaux  du  temple.  Il  voulut  montrer  incon- 
tinent son  habileté;  il  construisit  devant  le 
portique  deux  merveilleases  colonnes  de 
«uivre,  qui  avaient  chacune  vingt-sept  pieds 
de  haut  et  six  pieds  de  diamètre;  il  donna 
à  l'une  le  nom  de  Jakin  ,  à  l'autre  le  nom  de 
Jiooz.  On  payait  les  apprentis  autour  de  la 
première,  et  les  compagnons  autour  de  la 
seconde. 

Or,  Âdon-Hiram  avait  sous  ses  ordres  un 
nombre  immense  d'ouvriers  ;  soixante-dix 
mille  apprentis  ,  quatre-vingt  mille  compa- 
gnons ,  et  trois  mille  trois  cents  maîtres. 

Ayant  la  direction  de  tout  le  personnel  et 
ne  pouvant  connaître  chaque  individu  par 
son  nom  ,  HIram  ,  pour  ne  pas  être  exposé  à 
payer  l'apprenti  comme  le  compagnon  et  le 
compagnon  comme  le  maître  ,  convint  avec 
les  maîtres,  de  mots  secrets, de  signes  et  d'at- 
touchements qui  devaient  servir  à  les  dis- 
tinguer de  leurs  subalternes.  Il  donna  pa- 
reillement aux  compagnons  des  signes  de 
reconnaissance  qui  n'étaient  pas  sus  des 
apprentis  ,  et  aux  apprentis  des  mots  et  des 
signes  qui  les  discernaient  (ks  profanes, 
étrangers  au  bâtiment. 

Tout  cela  se  fit  d  ;ns  un  ordre  si  admirable, 
mon  jeune  ami ,  que  Salomon  en  fut  charmé 
et  qu'il  voulut  être  affilié  lui-même  à  la  con- 
frérie des  travailleurs.  Dans  son  poëme  inti- 
tulé :  Essai  sur  la  franc-maçonnerie,  en  trois 
chants  ,  dédié  à  son  altesse  sérénissime  mon- 
seigneur le  prince  Gambacérès,  archi-chan- 
celier  du  ci-devant  empire,  le  frère  Pillon  du 
Chemin  a  tiré  bon  parti  de  celte  glorieuse 
circonstance.  Le  frère  Pillon  du  Chemin  est 
membre  de  la  loge  du  Centre  des  Amis.  11 
s'écrie  : 

Vous  peindrai-je,  au  milieu  de  ce  peuple  de  frères, 
Le  vénérable  Hiramdonnaulà  Salomon 
L'auguste  caractère  et  l'habit  d  i  maçon? 
Et  ce  lilsde  David,  In  plus  grand  d>  s  monarques, 
Fier  d'en  porter  sur  lui  les  lionorables  marques. 
Et  de  sa  vanité  déchirant  le  bandeau , 
Eclairant  ses  sujets  placés  sous  le  niveau? 

C'est  très-maçonnique  et  fort  délicat.  Le 
poëme  a  été  imprimé  à  Paris  en  1807.  Mais 
le  frère  Pillon  du  Chemin  ne  nous  donne  au- 
cunement,  ni  dans  son  texte  ,  ni  dans  ses 
notes  ,  les  détails  dramatiques  de  l'histoire 
dHiram  ,  que  je  dois  vous  achever. 

Trois  compagnons  ,    peu  satisfails  de  leur 

f)aie  ,  formèrent  le  dessein  d'exiger  d'Hiram 
e  mol  de  passe  des  maîtres.  Ils  cherchèrent 
l'occasion  de  le  renconircr  seul  ,  résolus  à 
obtenir  ce  qu'ils  voudraient ,  de  gré  ou  de 
force. 

Vous  me  direz  :  C'étaient  de  mauvais  frères. 
Il  y  en  a. 

Un  soir,  ils  attendirent  Hiram  dans  le  tem- 
ple, et  se  cachèrent,  l'un  à  la  porte  du  nord, 
l'autre  à  la  porte  du  midi  ,  et  le  troisième  à 
la  porte  de  l'orienl.    lliram  étant  entré  seul 


par  la  porte  de  l'occident,  après  qu'il  eut  fait 
sa  ronde,  voulut  sortir  par  la  porte  du  midi. 
Le  compagnon  qui  l'altendaitlui  demanda  le 
mol  de  mallre  ,  en  levant  sur  lui  le  marteau 
qu'il  tenait  à  la  main.  Hiram  lui  dit  que  le 
mot  de  maître  ne  s'obtenait  pas  de  celle  ma- 
nière. Aussitôt  le  compagnon  lui  porta  sur  la 
tête  un  coup  de  marteau. 

Ce  coup  n'ayant  pas  été  assez  violent  pour 
le  renverser  ,  le  grand-maltre  s'enfuit  vers 
la  porte  du  nord, où  il  trouva  le  second  com- 
pagnon, qui  lui  en  fit  autant.  Quoique  fort 
blessé,  il  tenta  de  sortir  alors  par  la  porte  de 
l'orient;  le  troisième  compagnon,  après  lui 
avoir  fait  la  même  demande  que  les  deux 
premiers,  acheva  de  l'assommer. 

Les  trois  meurtriers  ,  s'étant  rapprochés  . 
cachèrent  le  corps  sanglant,  et  quand  la  nuit 
fut  devenue  sombre,  ils  le  transportèrent  sur 
une  montagne  voisine  où  ils  l'enterrèrent. 
Afin  de  reconnaître  l'endroit,  ils  plantèrent 
une  branche  d'acacia  sur  la  fosse.  D'où  est 
venue  la  question  maçonnique:  Connaissez- 
vous  l'acacia? 

—  A  quoi  le  petit  juif  n'a  pas  su  répondre. 

—  Ni  vous  non  plus,  sans  doute  ;  car  il  n'y 
a  qu'une  seule  formule  de  réponse,  qui  n'est 
donnée  qu'aux  maîtres,  et  qui  est  :  L'acacia 
m'est  conmi. 

Mais  je  vous  livre  le  secret  des  loges.  Il 
est  vrai  que  vous  allez  être  des  nôtres.  Re- 
prenons. 

Salomon  ayant  été  sept  jours  sans  voir 
Âdon-Hiram  ,  ordonna  à  neuf  maîtres  de  lo 
chercher. 

Les  neuf  maîtres  obéirent.  A  la  suite  de 
longues  et  vaines  perquisitions,  trois  d'entre 
eux  ,  qui  se  trouvaient  un  peu  fatigués  , 
s'élant  assis  près  de  l'endroit  où  le  grand 
artiste  avait  été  enterré,  l'un  des  trois  arra- 
cha machinalement  la  brantlie  d'acacia.  Il 
reconnut  que  la  terre  en  ce  lieu-là  avait  été 
remuée  depuis  peu  ;  il  fouilla  avec  sa  truelle 
et  découvrit  le  corps  d  Hiram.  Il  appela  aus- 
sitôt les  autres  maîtres,  qui  examinèrent  les 
plaies  et  soupçonnèrent  les  compagnons 
d'avoir  conuuis  le  crime.  Dans  la  pensée  que 
peut-être  ils  avaient  tiré  du  défunt  le  mol  de 
maître  ,  qui  était  Jehovah ,  ils  le  changèrent 
sur-le-champ  en  un  autre  ,  lequel  signifiait 
le  corps  corrompu,  et  ils  allèrent  rendre 
compte  à  Salomon  de  l'avenlure. 

Ce  prince  ,  touché  douloureusement  ,  fit 
transporter  le  corps  dans  le  tempife  ,  où  les 
honneurs  funèbres  lui  furent  rendus  avec  la 
plus  grande  pompe.  Tous  les  maîtres  à  cette 
triste  cérémonie  ,  portaient  des  tabliers  et 
des  gants  de  peau  blanche  ,  pour  exprimer 
qu'aucun  d'eux  n'avait  souillé  ses  mains  dans 
le  sang  du  chef.  Et  quand  vous  serez  admis  , 
comme  je  l'espère,  mon  jeune  ami,  à  l'hono- 
rable dignité  de  maître  ,  vous  verrez  que  le 
souvenir  de  la  mort  d'Hiram  est  toujours 
présent  à  l'ordre.  Les  maîtres  en  loge  ne 
marchent  qu'en  zigzag  pour  signifier  leurs 
recherches;  ils  font  le  geste  de  l'horreur  à 
cause  du  meurtre;  ils  ont  la  tête  couverte 
pour  marquer  le  deuil. 

Ici,  M.  Lassourcc  s'arrêta,  probablement 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCLLTES. 


660 


ne  sachant  guère  autre  chose,  et  bornant  son 
cours  d'histoire  à  la  légende  d'Hiram,  laquel- 
le n'est  bonne  qu'à  expliquer  aux  apprentis, 
aus  compagnons  et  aux  maîtres,  l'origine 
merveilleuse  de  ces  trois  premiers  grades  de 
la  maçonnerie. 

Les  adeptes,  qui  prétendent  que  la  maçon- 
nerie s'est  conservée  sans  interruption  jusqu'à 
nous,  y  rattachent  tous  les  mystères  et  tou- 
tes les  initiations  de  l'antiquité  païenne,  ainsi 
que  toutes  les  associations  secrètes  du  moyen 
âge  et  des  temps  modernes  :  les  templiers  ; 
les  philosophes  herméiiques  ;  les  universités 
secrètes  où  se  formaient  les  Agrippa,  les 
Nostrudiimus  et  tous  ceux  que  l'opinion  pu- 
blique appelait  devins  ou  magiciens  :  les 
réunions  infâmes  de  ceux  qui  dans  le  Midi  se 
faisaient  passer  pour  loups-garous;  les  <ifG- 
liations  qui  jouaient  le  sabbat  dans  les  cam- 
pagnes; ce  qui  explique  la  raison  que  le 
peuple  avait  de  traiter  les  francs-maçons  de 
sorciers,  commeil  faitencore.Maisle  nom  de 
maçonnerie  symbolique  et  de  francs-maçons 
resta  concentré  en  Angleterre  jusqu'en  1721; 
ce  fut  alors  qu'il  se  répandit  au  dehors,  et 
voici  comment  les  maçons  anglais  expliquent 
l'origine  de  l'ordre  (1)  : 

Lorsque  Carausius,  ce  vaillant  enfant  de 
la  Gaule  Belgique,  qui  battit  tant  de  fois  les 
Romains  sur  terre  et  sur  mer,  au  troisième 
siècle,  eut  conquis  la  Grande-Bretagne  et 
s'y  fut  fait  proclamer  empereur,  voulant, 
comme  quelques-uns  des  autres  successeurs 
d'Auguste,  doter  ses  nouveaux  états  de  beaux 
édifices,  il  se  déclara  le  prolecteur  des  arts 
utiles,  à  la  têtedesquels  il  mit  lart  de  cons- 
truire. Il  donna  à  sou  ami  Albanus  la  direc- 
tion particulière  des  ouvriers  maçons,  leur 
accorda  des  franchises  spéciales,  des  signes 
de  reconnaissance,  et  Itur  permit  de  s'as- 
sembler en  son  nom.  Ces  hommes  recevaient 
deux  schellings  par  semaine,  et  chaque  jour 
trois  sous  pour  leur  dîner.  Oa  les  appelait 
les  frères-maçons. 

Ces  prétendus  règlements  furent  établis  en 
l'année  287. 

Dans  les  troubles  qui  suivirent  la  mort  de 
Carausius,  arrivée  en  293,  la  société  ma- 
çonniques'obscurcitunpeu.  Athelstan,  pelit- 
lils  d'Alfred  le  Grand,  la  rétablit  en  924,  mit 
son  frère  Edwin  à  la  tête  des  maçons,  leur 
accorda  des  franchises,  une  juridiction  et  le 
droit  d'avoir  des  assemblées.  La  première 
grande  loge  s'ouvrit  à  Yorck  en  926. 

Robert,  roi  d'Ecosse  en  1314.,  Edouard  III, 
roi  d'Angleterre  eu  1327,  donnèrent  de  meil- 
leures formes  aux  règlements  des  francs- 
maçons.  Le  roi  Henri  VI  se  Gt  admettre  dans 
la  maçonnerie.  Mais  alors  il  y  avait  partout 
des  francs-maçons,  comme  il  y  .ivaitJes  francs- 
archers,  des  Irancs-laupins,  des  francs-bour- 
geois. On  encourageait  par  des  fr;incliises 
et  des  privilèges  les  arts  utiles;  et  c'est  à  ct  s 
mesures  que  nous  devons  les  cathédrales  et 
les  nombreux  édifices  religieux  des  treizième, 
quatorzième  etquinzième  siècles.  Ces  francs- 
maçons,  positif»  et  non  symboliques,  étaient 

(t)  Tbe  constitutions ofllie  ancicnl  aiid  honouralilo  IVa- 
teniil}  of  free  and  acceflcd  ujasous  Ediiiyu  du  1707. 


des  hommes  religieux  ,  qui  commençaient 
leurs  travaux  et  les  terminaient  chaque  jour 
par  la  prière  en  commun,  qui  campaient  au- 
tour de  l'église  qu'ils  construisaient  et  pas- 
saient joyeusement  leurs  soirées  à  chanter  de 
pieux  cantiques. 

Plusieurs  princes,  sur  le  continent  aussi, 
se  firent  un  honneur  de  protéger  les  maçons 
et  de  s'affiliera  leurs  confréries.  Jacques  I", 
couronné  en  1424,  fut  grand-maîlre  des  lo- 
ges ou  assemblées  des  constructeurs  de  l'E- 
cosse. Les  maçons  de  Saint-Pierre  de  Rome, 
sous  Léon  X,  avaient  des  franchises  pareil- 
lement et  des  privilèges  qui  leur  donnaient 
aussi  le  nom  de  francs-maçons.  Inigo-Jones, 
élève  de  Palladio,  regardé  par  les  Anglais 
comme  leur  Vilruve,  fut  grand-maître  des 
francs  -  maçons  d'Angleterre.  Christophe 
Wren,  grand  surveillant,  à  la  mort  d  Inigo- 
Joues,  est  celui  qui  fit  rétablir  toutes  les 
églises  de  Londres,  après  le  terrible  incendie 
de  ICtjG,  et  spécialement  la  grande  église  de 
Sriint-Paul,  qui ,  après  Saint-Pierro  de  Ro- 
me, passe  pour  la  plus  vaste  église  du  monde. 
Il  avait  tenu  en  1663  une  loge  ou  assemblée 
générale,  ct  fut  grand-maîlre  en  1685. 

Après  lui  l'association  s'écarta  de  son  point 
de  vue,  qui  était  l'art.  Lord  Montagne,  ayant 
été  élu  grand-maîlre  en  1721,  résolut,  avec 
quelques  amis,  de  construire,  non  plus  des 
édifices  matériels,  mais  des  systèmes  philo- 
sophiques. IlQt  imprimer  en  1723,  dans  l'es- 
prit de  son  projet,  les  constitutions  de  l'ordre, 
et  s'occupa  d'élcndre  l'affiliation  au  dehors 
comme  un  vaste  réseau. 

En  1725,  lord  Derwent-Walers  établit  une 
loge  à  Paris,  d'autres  se  formèrent  rapide- 
ment ailleurs.  Des  bruits  étranges  accueilli- 
rent ces  réunions  mystérieuses,  que  l'on  vit 
se  propager  riipidcraent  et  ténébreusement 
en  Allemagne,  en  Italie,  en  Hollande,  en  Po- 
logne, en  Russie,  en  Turquie  même.  Il  devint 
bientôt  évident  que  leur  but  principal  était 
d'arrêter  le  catholicisme,  et  que  leur  esprit 
n'étailautre  choseque  le  protestantisme  par- 
venu à  l'état  d'indifférence  et  ligué  avec 
le  déisme.  Le  pape  Clément  XII,  en  1735, 
condamna  la  maçonnerie  symbolique,  ce  qui 
décida  les  francs-maçons  allemands  à  pren- 
dre le  nom  de  Mopses.  Ce  mot  signifie  dogue; 
et  sous  cet  emblème  ils  se  piquaient  de  vi- 
gilance et  de  fidélilé.  D'autres  donnèrent  à 
leur  association  le  nom  imposant  d'Ordre 
de  la  liberté,  dont  ils  prétendirent  que  Moïse 
était  le  fondateur;  ils  portaient  à  la  bouton- 
nière une  petite  plaque  de  métal  figurant  les 
tables  de  la  loi.  Mais  ce  n'était  pas  le  nom  seu- 
lement, c'était  la  chose  que  le  saint-siége 
interdisait. 

En  1737,  leChâtelet  de  Paris  jugea  com- 
me le  souverain  pontife  et  lança  des  ordon- 
nances qui  défendaient  la  maçonnerie  sym- 
bolique. 

Louis  XV  se  montra  irrité  contre  ceux 
des  seigneurs  de  sa  cour  qui  entrèrent  dans 
un  ordre  mystérieux  dont  on  ne  pouvait 
appuyer  les  intentions  d'aucun  bon  motif. 
Le  duc  d'Antin  n'en  accepta  pas  moins  le  ti- 
tre de  grand-maîlre  en  France;  il  fut  reiu- 


«K.» 


FRA 


FflA 


sm 


I 


placé  en  1743  par  le  prince  de  Clermont,  et 
ensuite  par  d'auires  personnes  dont  nous 
parlerons  tout  à  l'heure. 

En  1793,  la  franc-maçonnerie  fut  suppri- 
mée en  France,  avec  le  carnaval  ;  elle  ne  re- 
vint qu'à  sa  suite  ,  six  ou  sept  ans  plus 
tard. 

Jacquemin  Claes  ignorait  toutes  ces  cho- 
ses et  beaucoupd'auti-esencore.  On  lui  disait 
qu'une  loge  est  le  temple  de  l'amitié,  à 
la  porte  duquel  veille  le  silence.  Il  se  dis- 
posait à  y  entrer,  comme  nous  verrons 
bientôt. 

in.  — Digression  historique. 

L'histoire  de  la  franc-maçonnerie  symbo- 
lique, quoiqu'elle  ne  date  que  de  cent  vingt 
ans,  est  à  peu  près  impossible  à  faire.  On 
en  aperçoit  quelques  sommets  obscurs  , 
comme  ces  chaînes  de  montagnes  que  la  mer 
n'interrompt  pas  ,  mais  qu'elle  recouvre. 
Nous  empruntons  celle  comparaison  au  pe- 
tit essai  de  M.  Edmond  Leclerc  sur  la  franc- 
maçonnerie.  Ajoutons  avec  lui  qu'il  faut,  en 
al  tendant  mieux,  se  borner  à  signaler  quelques 
faits, queles  vénérables  ontlaissésurprendre. 
L'auleur allemand  d'Herman  d'ffnno,  malgré 
ses  recherches,  n'a  recueilli  pareillement  sur 
les  Francs-juges  que  des  documents  conti- 
nuellement brisés  ;  et  il  n'a  pu  nous  montrer 
que  la  superficie  de  cet  autre  ordre  mysté- 
rieux, qui  du  moins  ne  s'est  pas  élevé  contre 
l'Eglise. 

Nous  chercherons  seulement  à  présenter 
ici  quelques  notes  sur  les  personnages  é;ni- 
nents  queles  francs-maçons,  au  dernier  siè- 
cle, ont  reconnus  pourleurs  chefs.  Des  prin- 
ces y  furent  admis.  C'était  une  habileté  pro- 
pre à  donnerde  la  splendeur  à  la  secte.  Mais 
en  général,  grands-maîtres  pour  l'honneur 
(si  l'honneur  a  jamais  pu  être  là),  ils  étaient 
menés  par  des  mains  invisibles. 

L'empereur  François  l"dutà  soninitialion 
de  grandes  fautes  et  de  grands  revers;  Fré- 
déric II  s'en  moqua,  comme  il  se  moquait 
de  tout;  les  autres  potentats  n'y  trouvèrent 
rien  de  ce  qu'on  leur  avait  promis. 

Lord  Montagne,  le  fondateur  de  la  maçon- 
nerie symbolique,  était  un  fou,  qui  pour 
surcroit  n'avait  que  folies  autour  de  lui.  Sa 
femme  était  cette  illustre  aventurière  qui 
visita  le  harem  du  sultan  Achmel,  publia  des 
lettres  prétentieuses,  et  nous  rapporta  par 
hasard  l'inoculation.  Dominée  par  l'orgueil , 
étrangère  à  toute  sensibilité,  on  ne  la  vit  jamais 
contciile  d'elle-même,  ni  de  sa  position.  M. 
Fiévée  a  retracé  d'elle  ce  portrait  exact: 

«  A  seize  ans,  dit-il,  elle  regrette  do  n'être 
pas  homme  ;  à  trente,  elle  demande  déjà  dix 
années  de  moins;  mère  de  famille,  elle  fait 

(t)  Un  autre  descendant  de  lady  Montagne,  que  le 
prnice  l'uckler-Muskau  confond  avec  le  ramoneur,  a  fait 
d'antres  extravagances  et  de  longs  voyages  aussi,  ii  la  suite 
desquels,  «  étaul  arrivé  à  Shaflhouse  en  1790,  ce  lord  eut 
la  malheureuse  idée  de  vouloir  descendre  la  chute  du  Uhin 
dans  un  bateau.  Ou  fit  tout  au  monde  pour  le  retenir;  mais 
il  n'écoula  rien.  Il  se  rendit  au  bord  du  fleuve;  et  après 
avoir  envoyé  en  avant ,  comme  essai  ,  un  bateau  vide  qui 
arriva  au  bas  de  la  chute  sans  maleuconlre,  il  s'embarqua 
dans  un  second  avec  son  ami,  M.  Barnett,  qui  ne  s'en  sou- 
ciait guère. 

Ils  ïoguèrenl  d'abord  lentement,  puis  avuc  une  raiiidilé 


l'éloge  du  célibat.  La  loiledc  dos  Françaises 
lui  parait  ridicule;  et  tant  qu'elle  a  l'espoir 
de  plaire,  elle  tire  ses  modes  de  France.  A 
soixante-huit  ans,  il  y  avait  déjà  onze  ans 
qu'elle  n'avait  osé  se  regarder  dans  un  mi- 
roir; et  lorsqu'on  venait  lui  rendre  visite, 
elle  recevait  en  domino  et  en  masque.» 

Cette  femme  donna  à  lord  Montagne  un 
Gis,  fameux  aussi  par  la  bizarrerie  de  ses  aven- 
tures. Perdu  à  cinq  ans,  on  le  retrouva  par- 
mi les  ramoneurs;  et  ce  fut  afin  de  perpétuer 
la  joie  causée  par  son  retour,  que  ses  parents 
fondèrent  une  rente  pour  queles  ramoneurs 
de  Londres  eussent  tous  les  ans  un  bon  dî- 
ner dans  les  jardins  de  l'hôtel  Montague.  Ce 
diner  se  fait  encore  le  1"  mai;  chaque  con- 
vive reçoit,  outre  le  petit  repas,  un  scheliing 
et  la  singulière  permission  d'emporter  sou 
couvert,  qui  n'est  pas  d'argent.  Rentré  chez, 
ses  parents,  le  jeune  Edouard  Wortiey  Mon- 
tague fut  mis  à  l'école  de  Westminster.  Au 
bout  de  quelques  années,  il  s'échappa  encore. 
On  le  retrouva  vendant  du  poisson  sur  le 
port  de  Blacitwall.  Il  se  laissa  reconduire  à 
regret  dans  sa  famille,  s'enfuit  de  nouveau 
(il  avait  alors  dix  ans),  s'engagea  comme 
mousse,  sesauva  du  navireà  Oporto,  se  mit 
au  service  d'un  vigneron.  Reconduit  dere- 
chef, il  commit  d'autres  extravagances  qui 
ne  peuvent  tenir  place  dans  ces  notes,  fil 
tous  les  métiers,  professalouteslcsreligions, 
parcourut  tous  les  pays  du  monde, et  mou- 
rut sous  le  turban  à  Venise,  étranglé  par 
un  os  de  perdrix  (1). 

Le  père  de  ce  fou,  l'époux  de  lady  Mon- 
tague, seul  chez  lui,  car  en  même  temps  que 
sou  fils  disparaissait,  sa  femme  faisait  de 
petites  absences  de  vingt-deux  ans,  imagina 
pour  se  désennuyer  les  formules  de  l'ordre 
maçonnique  ,  qu'il  institua  en  1721,  et  que 
ses  dîners  consolidèrent. 

Tel  est  le  chef  des  francs-maçons  mysté- 
rieux. Il  avait  succédé  au  poste  de  Christophe 
Wren  ,  grand -mallre  des  francs -maçons 
réels,  de  la  manière  usitée  en  Angleterre  oii 
l'aristocratie  envahit  tout,  où  l'on  voit  lord 
Wellington  occuper  le  poste  honorable  de 
quoique  vieux  savant ,  sous  le  titre  de  chan- 
celier de  l'université  de  Cambridge. 

A  l'ombre  de  sa  dignité,  lord  Montague  , 
pou  disposé  à  construire  des  édifices,  bâiis- 
sait,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  des  systèmes.  Son 
plan  de  philosophie  n'était  pas  très-spiritua- 
liste  ;  il  ne  se  proposait  que  la  glorification 
du  matérialisme,  en  plaçant  toutes  les  reli- 
gions à  la  même  table  sous  le  niveau.  Sa  fra- 
ternité se  jurait  le  verre  à  la  main. 

H  n'avait  d'abord  institué  que  (rois  degrés, 
qui  sont  toujours  la  base  de  l'ordre  :  les  as- 

loujours  croissante  vers  la  chute,  en  présence  de  plusieurs 
centaines  de  spectateurs.  Ce  que  tout  le  monde  avait  prévu 
arriva.  Le  bateau,  ayant  heurté  contre  des  pointes  de  ro- 
cher ,  chavira;  les  deux  hommes  ne  reparurent  qu'une 
seule  fois  sur  la  surface  de  l'eau.  Le  bruit  as.sourdissant 
des  flots  étouCfa  leurs  cris ,  qu'on  n'entendait  qu'iiidiilinn  - 
tement par  intervalles.  Ils  disparurent  bientOt  tout  àfait, 
et  l'on  ne  put  retrouver  leurs  corps. 

Par  une  coïncidence  extraordinaire,  le  jour  même  de 
leur  mort,  le  cliitteau  héréditaire  de  la  famille  Montague, 
dans  le  comté  Oc  Susscx,  fui  toialemeut  consumé  par  tes 
flammes.  » 


6C3 


WCTlONNAmE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


OiU 


piranls  ou  apprends,  sur  lesquels  on  prenait 
des  informations  ;  les  novices  ou  compa- 
gnons ,  que  l'on  soumettait  à  des  épreuves; 
les  convives  ou  maîtres,  qui  étaient  initiés 
aux  plans  et  aux  secrets.  Tout  cela  se  per- 
fectionna ensuite. 

Si  lord  Monlague  était  une  tête  timbrée  , 
un  fou  moitié  turc  ,  moitié  bœuf,  et  le  reste 
.•inglais,  comme  on  a  dit ,  —  lord  Derwent- 
Walers,  qui  vient  après  lui,  n'était  du  moins 
qu'un  homme  faible  ;  et  les  malheurs  de 
«es  jeunes  années  excusent  cette  faiblesse. 
Son  père,-  dévoué  à  la  cause  du  préten- 
dant, fut  fait  prisonnier  à  Preslon  ,  con- 
damné à  mort  par  George  I",  exécuté  le 
6  mars  1716,  sur  l'esplanade  de  la  Tour  de 
Londres.  *  Le  comte  de  Derwenl-Waters , 
dit  Sinollet,  était  un  homme  doué  des  plus 
belles  qualités.  Sa  funeste  destinée  tira  des 
larmes,  de  tous  les  spectateurs,  et  fut  très- 
préjudiciable  au  pays  où  il  vivait;  il  était 
catholique  ,  et  il  faisait  subsister  par  ses 
bienfaits  une  foule  de  malheureux.  »  En  al- 
lant à  la  mort,  il  fit  monter  son  fils  sur  l'écha- 
faud;  il  lui  dit: — Sois  couvert  de  monsang  et 
apprends  à  mourir  pour  ton  roi.  —  Le  shérif 
lui  ayant  demandé  s'il  voulait  faire  un  dis- 
cours, il  répondit  qu'il  n'était  pas  venu  là 
pour  haranguer,  mais  pour  mourir,  et  qu'il 
se  bornait  à  protester  hautement  de  son  at- 
tachement à  la  religion  catholique  et  à  la 
cause  de  Jacques  111.  Après  quoi  il  tendit  la 
léle  au  bourreau. 

L'enfant,  qui  n'avait  que  quinze  ans,  fut 
emporté  évanoui  de  l'échafaud.  Il  conserva 
de  cette  scène  un  abattement  et  une  timi- 
dité qui  le  fit  tomber  dans  plus  d'un  piège. 

Six  ans  après,  ses  amis,  sachant  qu'il  ne 
songeait  dans  son  cœur  qu'à  la  cause  pour  la- 
quelle son  père  lui  avait  recommandé  de 
mourir,  lui  persuadèrent  qu'il  trouverait 
dans  l'ordre  mystérieux  fondé  par  lord  Mon- 
tague,  les  moyens  de  relever  les  espérances 
des  Sluarts.  On  le  présenta  à  lord  Montagne. 
Du  certain  intérêt  s'attachait  à  ce  jeune 
homme.  C'était  un  prosélyte  important,  dans 
une  opinion  qu'il  était  bon  de  mettre  aussi 
sous  le  niveau.  On  le  rcçnt  sans  effaroucher 
sa  conscience  ;  d'ailleurs,  rien  alors  n'inter- 
disait encore  la  franc-maçonnerie  aux  ca- 
tholiques. Le  saint-siége  ,  qui  ne  fait  rien 
légèrement,  ne  connaissait  pas  encore  le  but 
des  maçons.  Dès  qu'il  se  vit  initié,  Derwcnt- 
Waters  passa  en  France,  où  il  savait  que 
les  Stuarts  avaient  des  amis.  La  bizarre  in- 
stitution de  lord  Montagne  commençait  à 
faire  grand  bruit  à  Paris.  Le  jeune  Anglais 
n'enl  pas  de  peine  à  former  une  loge  qui, 
dans  le  principe,  se  réunit  rue  dos  Boucheries- 
Saint-lloûoré ,  et  comme  de  juste  chtz  un 
traiteur. 

On  ne  parla  bientôt  plus  que  de  cette  as- 
semblée secrète  ,  où  l'on  n'admettait  que 
quelques  élus,  où  l'on  employait  un  langage 
obscur,  où  l'on  se  faisait  reconnaître  par  des 
signes  singuliers,  où  l'on  pratiquait,  disait- 
on,  de  terribles  cérémonies.  Car  l'ordre  ,  à 
sa  naissance,  exigeait  un  grand  déploiement 
de  courage  physique,  dans  des  épreuves  ma- 


térielles que  lord  Montagne  et  ses  amis 
avaient  inventées,  et  dont  la  mèche  n'est  pas 
découverte  encore. 

Dans  l'opulence  du  choix,  on  ne  reçut  d'a- 
bord à  Paris  que  les  grands  seigneurs. 

A  la  vue  de  cet  ordre,  dont  tous  les  mem- 
bres étaient  liés  par  des  serments  terribles, 
dont  les  secrets  ne  pouvaient  être  trahis  ini.- 
punément ,  dont  les  affidés  s'entendaient  au 
loin  par  des  mots  de  convention  et  des  signes 
aussi  incompréhensibles  pour  les  étrangers 
que  le  langage  des  télégraphes,  des  ambi- 
tieux sentirent  qu'il  y  avait  dans  la  franc- 
maçonnerie  un  levier  puissant.  La  loge  de 
Paris,  sous  prétexte  de  simples  festins,  s'or- 
ganisa ténébreusemcnt  ;  bientôt  Derwent- 
Waters  lui-même  ne  fut  plus  initié  à  tous 
les  secrets  ,  et  reconnut  qu'on  ne  s'occupe- 
rait pas  là  de  sa  cause.  On  aitira  le  duc  d'An- 
tin,  qui  se  fit  recevoir.  C'était  un  person- 
nage éminent,  que  deux  petites  anecdotes 
feront  connaître. 

On  citait  le  duc  d'Anlin  comme  un  des  plus 
habiles  courtisans  de  Louis  XIV.  Le  monar- 
que ,  un  soir,  alla  coucher  à  Petit-Bourg  ; 
il  y  criti(iua  une  allée  d'arbres  qui  cachait 
la  vue  de  la  rivière,  et  fut  surpris  de  ne  plus 
la  voir  le  lendemain  matin.  Le  duc  d'Antin 
l'avait  fait  disparaître  pendant  la  nuit  ;  et  il 
dit  au  roi,  qui  témoignait  son  étonnomenl  : 
Les  arbres  n'y  sont  plus  ,  parce  que  Voire 
Majesté  les  a  condamnés. 

11  était  intendant  des  bâtiments  de  la  cou- 
ronne. 

Il  fit  plus  à  Fontainebleau.  Sachant  qu'an 
certain  petit  bois  déplaisait  à  Louis  XIV,  il 
en  fit  scier  tous  les  arbres,  et  posta  derrière 
des  hommes  prêts  au  premier  signal  à  tirer 
les  cordes  qui  devaient  les  abattre.  Le  roi, 
allant  se  promener  de  ce  côté-là,  suivi  de 
toute  sa  cour,  ne  manqua  pas  de  répéter 
que  le  bois  ne  lui  plaisait  point.  —  11  dispa- 
raîtra, dit  le  duc  d'Anlin,  aussitôt  que  Votre 
Majesté  l'aura  ordonné. 

—  Vraiment,  repondit  Louis  XIV,  le  plus 
tôt  sera  le  mieux. 

Au  même  instant  part  un  coup  de  sifflet, 
et  la  furet  tombe  comme  par  cnchautumeut. 
C'est  alors  que  la  duchesse  de  Bourgogne 
s'écria  émerveillée  :  —  Ah  1  mesdames ,  si 
le  roi  avait  demandé  nos  têtes  ,  M.  d'Antin 
les  eût  fait  tomber  de  même. 

Le  grand  courtisan  avait  conservé,  au- 
près de  Louis  XV,  l'art  particulier  non  de 
dire,  mais  de  faire  des  choses  flatteuses.  Eh 
bien  I  chose  surprenante  !  Louis  XV,  à  qui 
la  franc-maçonnerie  donnait  de  l'ombrage, 
échoua  ,  contre  toute  attente ,  dans  la  de- 
mande qu'il  fit  au  duc  d'Anlin  de  ue  plu; 
frcriuenter  la  loge. 

11  était  lié;  sans  doute  déjà  on  lui  avait 
inculqué  cette  règle  des  initiations  égyp- 
tiennes, qu'une  fois  engagé  dans  les  sentiers 
de  l'ordre  ,  il  n'est  plus  permis  de  se  retour- 
ner. 

Le  duc  d'Antin  avait  soixante  ans.  On  le 
fit  grand-maître  de  France. 

On  ne  voit  plus  du  tout,  dans  les  premières 
lignes,  loid  Derwcnt-Waters,  qui  voyageait 


CG5 


FRA 


FR\ 


ccc 


sans  doute,  agent  désormais  exploité  ;  il  fon- 
dait un  temple  dans  l'Artois  ;  des  loges  s'ou- 
vraient partout,  avec  une  activité  incroya- 
ble. Il  y  en  eut  rapidement  dans  tous  les  Etats 
de  l'Europe. 

Mais  quoique  leurs  menées  fussent  bien 
çecrètes,  ils  ne  purent  dissimulerentièrement 
leur  but.  Par  la  bulle  in  Eminenti ,  lancée 
le  23  avril  1738,  le  pape  ("élément  XII  con- 
damna la  franc-maçonnerie.  La  bulle  Pro- 
vidas, de  BenoîlXIV  (18  mars  1731),  confirma 
cet  anathèinc.  Ces  mesures  produisirent  quel- 
que elTet.  En  France,  toutefois ,  les  maçons 
qui  conservaient  quelques  dehors  religieux 
se  relranchèrent  derrière  le  gallicanisme,  et 
plusieurs  allèrent  leur  train. 

Le  duc  d'Anlin  étant  mort  en  1736,  la 
grande-maîtrise  fut  donnée  à  un  prince  du 
sang,  le  comte  de  Clormont. 

Louis  de  Bourbon-Condé,  comte  de  C!er- 
mont,  n'avait  guère  que  trente  ans  ;  c'était 
une  de  ces  têtes  qui  ont  besoin  de  mouve- 
ment et  de  nouveautés.  11  avait  élé  tonsuré 
pour  les  ordres  ;  il  obtint  des  dispenses  et 
tnira  dans  la  carrière  militaire.  Voyant 
qu'il  y  produisait  peu  de  bruit ,  il  voulut  se 
faire  recevoir  membre  de  l'Académie  fran- 
çaise. Ce  fut  tout  un  bouleversement  dont  il 
lriom()hn.  Devenu  académicien  ,  il  fut  acca- 
blé dépigrammes,  parmi  lesquelles  nous  ne 
citerons  que  celle-ci  : 

Trentp-neuf  unis  à  zéro. 
Si  j'enleiids  bien  mon  numéro, 
N'ont  jamais  pu  faire  quarant  ; 
D'oùji'  conclus,  troup"  savanle, 
Qu'ayant  k  vos  côiés  admis 
Clerniont,  cotte  mass  ■  posante. 
Ce  din;ne  cousin  de  Louis, 
La  place  est  encore  vacante. 

Cette  épigramme  est  du  poëto  Roy,  de  qui 
elle  causa  la  mort  ;  les  gens  du  comte  de 
Cleruiont  le  bâlonnèrenl  tellement ,  qu'il 
expira  peu  de  jours  après... 

Le  prince  pourtant  supporta  d'autres  cru- 
dités. Lorsqu'il  baltait  en  retraite  après  la 
j^ournée  de  Crevelt,  il  demanda,  en  entrant 
a  Nuyiz,  s'il  avait  paru  des  fuyards.  Une 
bonne  femme  lui  répondit  :  —  Monseigneur, 
vous  êtes  le  premier. 

Voilà  l'homme  de  poids  que  les  maçons  de 
France  mirent  à  leur  tête  en  1743. 

Disons  pourtant  que  le  comte  de  Clermont, 
qui  avait  aussi  de  bonnes  qualités,  qui  pleura 
ses  fautes  et  ses  égarements,  qui  termina  sa 
vie  dans  les  bonnes  œuvres  et  dans  d'immen- 
ses aumônes,  ne  voulut  rester  qu'un  an 
grand-maîlre  des  francs-maçons.  11  lut  rem- 
placé par  le  banquier  Baure,  qui  prit  la 
chose  sur  une  autre  lace  et  en  fit  une  affaire 
d'argent. 

Ce  fut  Baure  qui  imagina  (ous  les  grades 
honorifiques,  chevaliers  du  Soleil,  chevaliers 
Kadosth,  chevaliers  d'Asie,  frères  du  poi- 
gnard, templiers  ,  frères  du  royal  secret  , 
Roses-Croix,  etc.  Il  vendit  ces  dignités  aux 
amateurs,  trafiqua  de  tout  et  s'enrichit  au 
moyen  de  la  fraternité. 

Les  gros  bonnets  de  l'ordrel'arrêlèrentdans 
celte  voifi;  en  17'i6  ils  le  remplacèrent  dans 
sa  qualité  de  subslitul  du  grand- muîlrc;  leur 


choix  tomba  sur  un  maître  de  danse,  nommé 
Lacorne,  ()ui  sans  doute  avait  donné  des  ga- 
ges à  l'ordre. 

Celui-ci  converti!  la  loge  en  salle  de  bals 
pour  les  initiés  ,  fit  sauler  les  frères  ,  el  , 
voulant  amener  les  dames  à  ses  fêles,  in- 
venta les  loges  d'adoption.  La  duchesse  de 
Bourbon  fut  la  première  grand'-maîtresse  de 
ces  loges  de  femmes,  où  l'on  eut  de  petits 
signes,  de  petits  mois  d'argot,  de  petites 
truelles,  de  petits  tabliers,  de  petits  maillets; 
mais  où  l'on  ne  sut  de  l'ordre  que  les  enfan- 
tillages et  les  petits  mystères  sans  consé- 
quence. 

Pendant  que  ces  joyeusctés  se  faisaient  à 
Paris,  le  prétendant  Charles-Edouard  Stuart, 
se  figurant  que  la  loge  d'Arras  lui  avait 
rendu  des  services,  ou  qu'elle  pouvait  lui  en 
rendre,  donna  à  cette  loge  le  diplôme  hono- 
rifique et  splendide  de  Chapitre  primordial, 
sous  le  nom  de  Loge  d'Ecosse-Jacobile  ;  il 
confia  la  direction  de  cette  loge  à  deux  avo- 
cats d'Arras,  M.  Lagneau  el  M.  Robespierre, 
oncle  de  la  terrible  célébrité  de  1793.  Ceux- 
là  se  hâtèrent  de  constituer  la  maçonnerie 
dans  les  Pays-Bas. 

On  sait  les  tristes  aventures  de  Charles- 
Edouard  Stuart,  à  qui  sa  loged'Ecosse-Jacobi  le 
ne  rendit  pas  le  moindre  service,  et  que  peut- 
être  elle  perdit,  en  faisantrépandreàLondres, 
sous  prélexle  de  lui  gagner  des  partisans, 
le  bruit  injurieux  qu'il  avait  abjuré  la  reli- 
gion catholique;  ce  qui  était  faux. 

La  grande  loge  de  Paris,  que  l'on  commen- 
çait à  appeler  le  Grand-Orient,  préparait  dès 
lors,  au  milieu  des  bals  et  des  fêtes,  un  hardi 
coup  d'Etat.  Hehétius,  Voltaire,  Diderot,  d'Ar- 
gens,  Holbach,  Boulanger,  Dalembert,  tous 
les  philosophes  et  encyclopédistes  ,  s'étaient 
affiliés  à  la  maçonnerie;  et  l'esprit  de  celte 
institution  n'était  plus  douteux  pour  per- 
sonne. Les  jésuile<,  devant  qui  les  bulles  des 
souverains  ponlifes  étaient  choses  sérieuses,, 
se  croyaient  tenus  par  leur  devoir  à  combat- 
tre un  ordre  si  dangereux  pour  l'Eglise.  Ils 
en  découvraient  si  précisément  les  inien- 
liuns  et  la  marche,  ils  en  démasquaient  si 
nettement  les  iniquités,  que  le  Grand-Orient 
s'en  troubla,  prévoyant  une  lutte  où  l'une 
des  deux  armées  devait  tomber. 

Le  parti  fut  bientôt  pris,  et  1rs  batteries 
dressées.  Les  maçons  se  renforcèrent  d'une 
grande  troupe  d'avocats,  gens  très-propres 
en  France  à  la  guerre  d'intrigue.  On  accusa 
les  jésuites  de  domination,  que  ceux-ci  pou- 
vaient reprocher  à  l'ordre  ;  les  plans  de  bou- 
leversements qui  mûrissaient  dans  la  loge 
leur  furent  rondement  attribués.  On  mit  en 
cause  les  petites  difficultés  ridicules  que  l'on 
est  convenu  d'appeler  libertés  de  l'église  gal- 
licane :  on  attira  dans  l'ordre  les  philoso- 
phes du  parlement,  le  corps  de  la  chicane 
qui  n'a  jamais  aimé  l'esprit  conciliant  de 
l'Eglise  romaine,  et  enfin  les  jansénistes,  que 
les  bulles  des  papes  irritaient  toujours. 

La  campagne  fui  si  habilement  conduite, 
que  les  jésuites  furent  supprimés;  elle  Grand- 
Orient  triompha. 

Les  francs-maçons,  dans  leur  gloire,  élureul 


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DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


€C8 


pour  gmnd-maîlre  un  autre  prince  du  sang, 
le  duc  de  Chartres,  qui,  plus  lard,  devenu 
duc  d'Orléans,  en  dépit  des  arreslalions,  des 
menaces,  de  la  crainte  du  poignard  et  des 
terreurs  de  toute  espèce,  se  leva  en  pleine 
Convention,  et  renia  publiquement  lu  franc- 
niaçonneric. 

Un  rejîard  de  Robespierre,  son  collègue  à 
l'assemblée,  sou  frère  à  la  loge,  lui  fil  com- 
prendre ce  qui  l'attendait.  Le  prince  était 
perdu.  11  alla  le  C  novembre  1793  à  l'ccha- 
faud.  Sa  mort  expia  les  égarements  qu'on 
lui  reproche,  car  elle  fut  toute  chrétienne. 

Maximilien  Robespierre  avait  hérité,  de 
son  oncle  d'Arras,  le  secret  et  le  pouvoir 
dans  l'ordre  maçonnique.  Ce  ne  fut  que 
quand  cet  homa)e,  qui  dirigeait  tout  par  dos 
ressorts  incompris,  tomba  lui-même,  que  ia 
franc-maçonnerie  ferma  ses  temples. 

Voilà,  sur  l'ordre  mystérieux  dont  nous 
nous  occupons,  des  aperçus  et  des  faits  rapi- 
dement indiqués  à  vos  méditations.  Les  gou- 
vernements, fussent-ils  despotiiiues  connue 
celui  de  Napoléon,  ne  peuvent  pas  maîtriser 
une  institution  qui  échappe  à  tout.  On  ne 
peu'  lui  opposer  que  la  religion. 

Et  si  vous  repoussez  la  religion  ,  vous 
serez  comme  cette  peuplade  de  l'Orient  qui, 
dans  une  sorte  d'illuminisme,  trouvant  sa 
vue  insuffisante,  se  creva  les  yeux  et  fut 
dévorée  par  les  chacals. 

En  fait  de  religion,  n'oubliez  pas,  lecteurs, 
qui  que  vous  soyez,  qu'il  n'y  en  a  qu'une.  Si 
vous  penchez  pour  les  néo-chrétiens,  per- 
mettez-moi de  les  comparer  à  ces  gens  qui 
vous  disent:  —  Il  y  a  assez  longtemps  qu'on 
fait  du  pain  avec  le  grain,  faisons- eu  avec 
la  paille. 

Si  vous  n'avez  pas  trop  de  honte  des  philo- 
sophes, rappelez-vous  le  mot  de  Napoléon,  en 
quittant  un  philosophe  illustre  de  son  épo- 
que :  —  En  vérité,  il  faut  avec  ces  gens-là 
avoir  les  mains  dans  ses  poches. 

Ajoutons  une  parole  illustre  sur  les  francs- 
maçons;  c'est  aussi  de  l'histoire.  Lorsque  la 
France  repoussa  les  jésuites,  le  grand  Fré- 
déric, dans  son  langage  de  philosophe,  se 
mit  à  dire:  —  Les  Français  renvoient  les 
renards  ;  mais  ils  gardent  les  loups,  et  ils 
en  seront  dévorés. 

Le  vénérable  Frédéric  II,  grand-maître 
des  Jrancs-maçons  de  Prusse  et  de  Brande- 
bourg, savait  bien  de  quels  loups  il  parlait. 

IV. —  Comnaenl  Jaciiucmiii  devient  franc-maçon. 

C'est  quelque  chose  d'extraordinaire  que 
l'approche  du  jour  où  l'on  doit  être  reçu  en 
loge  :  c'est  ridicule,  quand  la  loge  est  sans 
portée,  comme  la  loge  des  Amis  réunis;  c'est 
triste,  quand  celte  loge,  comme  il  arrive 
assez  souvent,  est  un  foyer  de  sombres 
projets. 

Pour  fixer  le  jour  de  la  réception  de  Jac- 
quemin,il  fallait  stipuler  avec  le  juif  Gédéon, 
qui,  fidèle  à  sa  nature,  marchanda  son  ad- 
mission comme  toute  autre  chose.  On  lui  de- 
manda, pour  le  dîner,  deux  cents  francs;  il 
en  offrit  vingt-cinq;  et  comme  il  éiait  le  plus 
tenace  dans  les  cllurls  que  l'ou  lit  pour   se 


rapprocher,  la  chose  finalemont  fut  arrêtée  à 
soixante  francs;  pour  laquelle  somme  le 
frère  Gersant  promit  un  souper  digne  de 
l'ordre,  avec  une  nappe  blanche. 

On  avait  annoncé  au  juif  douze  convives. 
On  eut  soin  de  ne  convoquer  que  les  sept 
frères  de  rigueur;  car  il  faut  au  moins  sept 
membres  pour  composer  une  loge  ;  et  commo 
il  n'est  pas  permis  d'être  à  table  en  nombre 
pair,  on  compta  fort  bien  que  les  sept  mem- 
bres, le  juif  et  le  louveteau,  feraient  neuf. 

Les  sept  frères  maçons  qui  devaient  for- 
mer la  logo,  étaient  l'hôte  M.  Gersant,  à  qui 
sa  taille  et  sa  physionomie  prononcée,  quoi- 
qu'il fût  bon  hoiiimo,  donnaient  dans  toutes 
les  cérémonies  d'admission  le  rôle  du  frère 
terrible  ;  M.  Lassourco,  que  ses  habitudes 
littéraires  plaçaient  au  siège  de  vénérable  ou 
président;  M.  Savoie,  le  marchand  d'épon- 
gés, et  M.  Cavard,  le  sellier  en  chambro  , 
que  l'on  ne  manquait  pas  de  nommer  frères 
surveillants ,  parce  qu'ils  n'avaient  pas  d'au- 
tre indemnité  ;  M.  Félix,  le  peintre  en  bâti- 
ments, qui  était  charge  de  la  décoration  de 
la  loge  ;  M.  Delon,  le  boucher,  et  M.  Hulin  , 
le  fruitier,  ou,  pour  parler  plus  à  la  pari- 
sienne, le  mari  de  la  fruitière  ;  ils  fournis- 
saient dans  les  repas  ce  qui  était  do  leur 
ressort. 

La  soirée  pour  la  double  réception  fut 
mise  au  15  juin.  Il  n'y  avait  plus  que  trois 
jours  ;  on  s'occupa  des  préparatifs  ;  et  tous 
les  soirs,  l'un  ou  l'autre  des  frères  travail- 
lait à  l'éducalion  de  Jacqucmin,  que  Thôle 
avait  présenté  comme  louveteau.  Quant 
à  Gédéon,  qui  payait ,  il  devait  subir  les 
épreuves. 

—  Mon  jeune  ami ,  dit  M.  Lassource  au 
Tourn;iisien,  nous  vivons  au  milieu  d'allégo- 
ries sublimes,  et  voici  l'explication  que  le 
vénérable  liiram  en  donna  lui-même  aux 
frères  initiés  à  ses  grands  mystères. 

Le  compas  et  Véquerre  avertissent  le  maçon 
que  toutes  ses  actions  doivent  êlre  réglées; 
le  niveau,  qu'il  doit  régner  entre  tous  les 
frères  une  parfaite  égalité,  cimentée  par  la 
truelle. 

Les  colonnes  d'airain,  dont  l'une  signifie  : 
i7  donnera  la  fermeté,  et  l'autre  :  en  lui  se 
iroMt)e/a/'orce,  annoncent  que  le  grand  archi- 
tecte de  l'univers  est  le  principe  de  la  force 
et  de  la  persévérance  maçonniques.  Josèphe, 
au  premier  livre  de  ses  Antiquités  judaïques, 
parle  de  doux  colonnes  fameuses,  l'une  de 
briques  et  l'autre  de  pierres,  sur  lesquelles 
les  enfants  de  Selh  avaient  gravé  los  scien- 
ces humaines  en  caraclères  hiéroglyphiques, 
afin  qu'elles  ne  périssent  point  au  déluge, 
qui  avait  été  prédit  par  Adam.  11  ajoute  que 
ces  deux  colonnes,  quo  n'endommagèrent 
p  is  les  eaux,  subsistèrent  longtemps  après 
Noé  ;  il  est  probable,  mon  jeune  ami,  qu'Hi- 
ram,  en  élevant  ces  deux  colonnes  d'airain, 
voulut  conserver  ainsi  le  souvenir  du  mo- 
nument antédiluvien,  dont  les  mystères  et 
les  hiéroglyphes  lui  étaient  parfaitement 
connus, 

La  perpendiculaire,  dont  l'usage  est  sou- 
vent rappelé,    indique  que  tout  vient  d'en 


6'J9 


FRA 


FRA 


670 


haut.  Le  pavé  mozàique,  qui  se  voit  dans  les 
loges  rigoureuses,  est  l'emblème  de  l'union 
qui  règne,  comme  on  sait,  entre  tous  les 
maçons.  Le  dais  d'or  et  d'azur,  qui  surmonte 
le  siège  du  vénérable,  signiGe  par  l'or  la 
richesse,  et  par  l'azur  la  sagesse. 

L'étoile  flamboyante,  conlinua-t-il ,  est 
l'cmblèine  du  génie  qui  élève  aux  grandes 
choses. 

—  C'est  aussi,  ajouta  le  sellier,  la  signifi- 
cation du  grand  architecte  de  l'univers. 

—  Et  le  Delta,  poursuivit  l'hôte,  voilà  qui 
est  sublime;  ça  signifie  tout. 

On  vous  parlera  encore  de  la  pierre  angu- 
laire, symbole  que  vous  connaîtrez  plus 
tard. 

Ce  pathos,  que  l'orateur  empruntait  sans 
rien  dire  au  frère  Pillon  du  Chemin,  ne  pa- 
raissait pas  à  Jacquemin  très-orlhodose. 
Mais  on  ne  lui  laissa  pas  le  temps  d'entrer 
trop  avant  dans  ses  réflexions.  Ces  leçons  se 
donnaient  autour  dune  table  chargée  de  pe- 
tits verres;  le  boucher  avait  pris  un  morceau 
de  papier,  et,  avec  une  vraie  plume  d'au- 
berge, il  avait  écrit  une  demi-page,  où  l'on 
ne  voyait  que  des  signes,  comme  il  suit  : 

Au  G.-.  0.-.  de  P.-.,  le  G.-.  A.-,  de  TU.-,  a 
mis  le  N.'.  sur  les  F.-,  de  l'O.*.,  sur  les  M.', 
de  la  L.*.  comme  sur  le  V.*.  et  sur  tous  les 
F.-.  M.-..  La  F.-.  M.',  dans  son  T.*., sous  l'E.-. 
F.",  qui  est  l'œil  de  J.\  unit  tout  avec  la  ï.-.. 
Ainsi  vivons  d'E.-.,  et  que  le  G.',  nous  règle 
à  la  G.-,  du  G.-.  A.-,  de  l'U.-.. 

—  Lisez  cela,  jeune  homme,  dit-il,  en 
poussant  ce  papier  sous  les  yeux  de  Jacque- 
min. Voilà  une  langue  qui  devient  la  vôtre; 
et  quand  désormais  vous  écrirez  à  des  frères, 
c'est  ainsi  que  vous  devez  marquer  vos 
mots,  à  moins  de  continuer  à  passer  pour 
un  profane. 

Jacquemin  avait  déjà  parcouru  quelques 
livres  de  maçonnerie;  cependant,  le  même 
signe  étant  employé  pour  diverses  expres- 
sions, il  ne  se  retrouvait  pas  bien. 

—  Voilà,  fieu,  reprit  le  boucher  en  lisant  : 
'  —  «  Au  grand  Orient  de  Paris,  le  grand 
architecte  de  l'univers  a  mis  le  niveau  sur 
les  frères  de  l'ordre,  sur  les  maîtres  de  la 
loge  comme  sur  le  vénérable  et  sur  tous  les 
francs-maçons.  La  franc-maçonnerie,  dans 
son  temple,  sous  l'éloile  flamboyante  qui  est 
l'œil  de  Jéhovah,  unit  tout  avec  la  truelle. 
Ainsi,  vivons  d'cquerrc,  et  que  le  compas 
nous  règle,  à  la  gloire  du  grand  architecte 
de  l'univers.  » 

On  ignore  si  Jacquemin  eut  la  pensée  que 
ce  devait  être  encore  là  un  sublime  morceau 
pillé  à  quehiue  gros  bonnet  de  l'ordre.  Mais 
le  boucher  l'avait  appelé  fieu,  et  ce  fut  ce  qui 
le  frappa;  car  c'était  un  mot  du  patois  de 
son  pays. 

—  Vous  m'avez  appelé  fieu, dit-il  à  Delon. 

—  Fieu  l  certainement,  reprit  celui-ci,  c'est 
que  je  suis  de  Lille,  et  de  la  rue  des  Chals- 
liossus  encore.  Ainsi,  nous  sommes  voisins  ; 
et  c'est  pour  cela  que  je  vous  protège;  el 
vous  serez  mailre. 

Jacquemin  parut  très-ttatté.  Il  y  avait  ce- 
pendant en  lui  quL'l([iie  cliose  qu'il  ne  pou- 


vait pas  bien  déterminer,  el  qui  semblait  lui 
dire  qu'il  s'embarquait  dans  une  sotte  af- 
faire. Mais  la  curiosité  l'entraînait.  On  l'en- 
tretenait de  tout  ce  qui  pouvait  l'exciter  :  on 
lui  parlait  des  trente-deux  grades  de  la  ma- 
çonnerie, chevaliers,  templiers,  frères  du 
poignard,  roses-croix;  on  lui  disait  que  ces 
titres  n'étaient  qu'honorifiques,  et  qu'il  n'y 
avait  de  grades  réels  que  les  trois  premiers, 
qui  devaient  lui  être  conférés  tout  d'un 
coup.  Ceux  qui  lui  parlaient  ne  savaient  rien 
encore  des  projets  qui  grondaient  dans  les 
hautes  loges  ;  ils  lui  dirent  le  peu  qu'ils  sa- 
vaient des  loges  du  rite  écossais,  des  loges 
d'adoption,  des  loges  d'élite,  où  l'on  faisait 
un  choix  épuré  des  frères  mêmes;  cl  dans 
ces  causeries,  le  jour  de  la  réception  arriva. 

Le  quinze  juin,  à  sept  heures  du  soir,  tous 
les  membres  convoqués  arrivèrent  à  l'hôtel 
du  quai  des  Orfèvres.  Jacquemin  avait  mis 
son  habit  noir  et  sa  culotle  courte,  qui  alors 
était  de  grande  mode.  Gédéon  était  éclatant, 
chamarré  de  chaînes  d'or  et  de  bijoux,  à  la 
manière  des  juifs.  On  n'attendait  pour  partir 
que  M.  Lassource,  qui  fit  dire  tout  inopiné- 
ment qu'il  était  indisposé  et  qu'on  devait  tra- 
vailler sans  lui. 

La  femme  de  M.  Lassource  n'aimait  pas 
non  plus  que  son  mari  allât  en  loge;  cela  lui 
semblait  ténébreux,  et  elle  ne  manquait  pas 
de  lui  jouer  des  tours  lorsqu'elle  le  voyait 
tirer  de  la  commode  son  tablier  de  maçon  et 
le  mettre  à  l'air  dans  le  projet  de  s'en  parer 
le  soir.  Ce  jour-là,  elle  avait  mis  de  la  rhu- 
barbe dans  une  omelette  aux  fines  herbes 
que  M.  Lassource  avait  mangée  pour  son 
déjeuner.  11  en  était  devenu  si  relâché  et  si 
fade,  qu'il  devait  garder  la  chambre. 

Les  frères  se  fussent  trouvés  dans  un 
grand  embarras,  si  l'hôle  n'eût  songé  aussi- 
tôt au  voisin  Guenaud,le  marchand  de  tabac, 
chez  qui  il  courut,  et  qui  fut  prêt  en  cinq 
minutes,  dès  qu'il  apprit  qu'il  y  avait  un 
souper. 

On  partit  donc  courageusement  pour  la 
rue  Saint-Merry. 

Comme  la  troupe  maçonnique  enfilait  cette 
rue  avec  une  grande  vigueur  de  jarrets,  le 
hasard,  qui  est  souvent  original  et  quelque- 
fois plaisant,  voulut  qu'un  gamin  de  Paris 
croi.-ât  les  frères  en  clianlant  une  joyeuse 
chanson,  dont  ils  aitrappèrent  ce  couplet  : 

Cadel  Rousselle  a  nn  cochon  , 
Cadet  Itoassbllc  a  un  cochon , 
Oue  l'on  a  riçu  lianc-iiiaçou , 
O'ie  l'on  a  ri  çu  franc-iiiavoii; 
Il  fjït  caca  sur  la  Iruelte. 
yue  diles-vous  d,^  Cadet  Roussello? 
AU  !  ah!  ah  !  oui  vraiment, 
Cadet  llousselie  est  bou  enfant. 

—  Polisson!  cria,  de  ses  solides  poumons, 
M.  Cavard  en  s'arrêtant.  Mais  le  gamin  avait 
passé,  et  il  poursuivait  : 

Cadpt  Roussplle  a  un  cheval, 
Cadot  Rousselle  a  un  cheval 
yu'est  ollicier  municipal , 
yu'est  oflicicr  municipal, 
Kt  qui  ne  va  plus  à  la  s.  Ile... 

Un  fiacre  (lui  arrivait  avec  fracas  empocha 
d'cnicndre  le  reste. 


671 


DICriONNAlUE  DES  SCIENCES  OCCL'LTES 


—  No  voyez  vous  pas,  dit  M.  Gersant,  pour 
calmer  le  sellier,  que  c'est  une  chanson  du 
temps  de  l.i  Terreur? 

—  Il  est  fâcheux,  ajouta  le  peintre  en  bâii- 
menis,  que  M.  Lassource  ne  soit  pas  des  nô- 
tres. C'est  celui-là  qui  à  table  sait  de  belles 
chansons  1 

Cependant  on  était  arrivé  au  n°  22,  où  se 
trouvait  la  loge  des  Arnis  réunis.  On  entra. 
Jacquemiii  était  un  peu  honteux.  Après 
qu'on  eut  monlé  trois  étages,  on  s'arrêta  de- 
vant une  porte  sur  laquelle  le  frère  Félix 
avait  peint  ces  mots  en  lettres  rouges  : 

Lauge  des  Francs-Maçons. 
Les  amis  réunis. 

Félix  s'approcha  de  Jacquemin,  qu'il  sa- 
vait être  un  jeune  homme  ayant  fait  ses  élu- 
des, et  lui  montrant  l'inscription  :  —  Je  suis 
en  discussion,  lui  dit-il,  avec  le  frère  Las- 
source  ,  à  propos  de  mon  orthographe.  11 
prétend  qu'il  faut ,  au  premier  mol ,  une 
apostrophe  après  l'L. 

Ces  paroles  furent  pour  le  Tournaisien  un 
coup  de  foudre.  Il  était  évident  que  M.  Las- 
source  se  moquait  de  la  maçonnerie. 

La  porte  cependant  s'était  ouverte. 

—  Vous  causerez  à  table,  iiilerrompit  lo 
marchand  d'épongés,  en  poussant  Jacquemin 
dans  l'antichambre  de  la  loge. 

Il  y  avait  à  droite  et  à  gauche  de  celle  anti- 
chambre, des  cabinets,  cl  au  fond,  une  porte 
qui  ouvrait  dans  le  temple,  ou  du  moins 
dans  la  pièce  qu'on  nommait  ainsi.  Les  frères 
Savoie  et  Gavard,  en  qualité  de  frères  sur- 
veillants, s'emparèrent  des  deux  néophytes 
et  les  conduisirent  aux  cabinets  de  réflexion. 
Jacquemin,  sous  la  garde  du  frère  Savoie, 
entra  dans  le  cabinet  de  droite,  qui  était  bar- 
bouillé ou  tendu  de  noii  jusqu'au  plafond. 
Une  seule  chandelle  brûlait  sur  une  petite 
table.  Devant  celle  chandelle  on  avait  pré- 
paré une  feuille  de  papier,  une  plume  et  de 
l'encre;  et  sur  celte  feuille,  en  guise  de  serre- 
papier,  une  télé  de  mort. 

Le  marchand  d'épongés  dépouilla  Jacque- 
min de  ses  bijoux,  de  son  argent,  de  tout  ce 
qu'il  avait  sur  lui  de  métallique;  puis  il  lui 
dit: 

—  Ce  que  je  fais  là  est  pour  marquer  l'ab- 
négation que  tout  franc-maçon  doit  faire  des 
richesses  et  des  vanilés  de  ce  monde.  A  pré- 
sent, vous  allez  rester  seul  un  moment,  pour 
faire  vos  réflexions  avant  les  engagements 
qu'il  s'agit  de  contracter.  Vous  allez  voir  la 
lumière;  considérez  que  c'est  une  vie  nou- 
velle pour  vous.  En  sortant  des  ténèbres  où 
végètent  les  profanes,  nos  statuts  veulent 
que  vous  fassiez  votre  testament  :  on  entend 
par  là  l'expression  de  vos  plus  intimes  sen- 
timents. 

Tout  ce  discours  du  frère  était  une  formule 
apprise;  et  la  môme  chose  fut  dite  avec  les 
mêmes  accompagnements  à  Gédéon  le  juif, 
dans  le  cabinet  de  gauche. 
1  Jacquemin,  laissé  seul,  ne  se  trouva  pas  à 
son  aise.  —  Qu'est-ce  que  tout  cela?  dit-il; 
c'est  stupide  ou  c'est  mal.  J'aurais  dû  recher- 
cher quelque  bon  conseil;  et  puisque  je  ne 


67* 

connais  ici  personne,  j'aurais  dû  écrire  à 
mes  maîtres  ou  à  des  personnes  vraiment 
éclairées. 

Cependant  il  était  là,  devant  la  télé  de 
mort,  qui  n'est  jamais  chose  réjouissante.  La 
peur,  l'embarras,  la  fausse  honle,  la  curio- 
sité le  ballottaient.  N'osant  pas  ôter  la  tête  de 
mort,  il  tira  doucement  le  papier,  écrivit  h 
la  bâle  quelques  lignes  ,  puis  frappa  trois 
coups,  ainsi  qu'on  le  lui  avait  prescrit. 

Le  frère  surveillant  rentra  aussitôt  : 

—  Vous  êtes  déjà  prêt,  dit-il;  à  la  bonne 
heure.  J'aime  cela. 

Il  mit  à  Jacquemin  un  bandeau  sur  les 
veux,  le  prit  par  la  main  et  le  conduisit,  avec 
le  papier  qu'il  appelait  son  testament,  à  la 
porte  du  temple,  où  il  frappa  trois  fois  trois 
coups. 

—  Qui  frappe  là?  demanda  une  voix  de 
l'inlérieur. 

—  Un  frère, 

—  Que  demandez-vous? 

—  Je  demande  à  présenter  au  temple  un 
candidat,  (ils  de  maçon. 

Dans  celle  circonstance  solennelle ,  le 
mensonge,  quoiqu'il  fût  convenu,  fil  battre 
le  cœur  de  Jacquemin,  qui  pourtant  se  bor- 
nait à  le  tolérer. 

—  Quel  est  le  nom  du  louveteau?  reprit  la 
voix. 

—  Jacquemin  Claes,  jusqu'à  ce  qu'il  lui 
soit  permis  de  s'appeler  le  frère  Jacquemin. 

—  Que  désire-t-il? 

—  Voir  la  lumière. 

—  A-t-il  fait  son  testament? 

—  Je  l'apporte. 

—  Qu'il  soit  introduit;  il  a  ici  un  parrain. 

Tout  cela  n'était  pas  très-régulier  de  l'or- 
me. Néanmoins  la  porte  s'ouvrit,  et  Jacque- 
min entra,  mais  sans  rien  voir;  car  il  avait 
sur  les  yeux  une  serviette  épaisse 

Après  qu'il  eul  fait  trois  pas  dans  la  loge, 
il  sentit  que  la  main  du  frère  surveillant  ie 
lâchait  et  qu'il  était  abandonné  à  lui-même. 
La  feuille  de  papier  qu'on  appelait  son  testa- 
ment fut  remise  au  frère  Félix,  qui  la  lut  à 
haute  voix.  Elle  contenait  ce  qui  suit  : 

«  Je  suis  sous  la  garde  de  Dieu.  Que  sa 
main  me  dirige  :  si  je  m'égare,  qu'elle  me 
fasse  rentrer  dans  la  voie.  » 

Cette  lecture  fut  suivie  d'un  moment  de  si- 
lence, que  le  frère  Gersant  rompit  en  disant  : 

—  C'est  fort  bien  ;  ce  n'est  pas  le  slyle  ma- 
çonnique :  aussi  le  candidat  n'est-il  pas  en- 
core initié.  Je  suis  son  répondant,  corps  pour 
corps;  et  je  demande  que,  comme  louveteau, 
il  soit  exempté  des  épreuves  matérielles  et 
physiques. 

—  C'est  accordé,  répondit  le  vénérable. 
Qu'il  subisse  donc  la  question  morale.  Com- 
mencez, frère  Félix. 

—  Jeune  candidat,  dit  le  peintre  en  bâti- 
ments en  se  tournant  du  côlé  de  Jacquemin, 
qui  avait  toujours  les  yeux  bandés,  que  fe- 
riez-vous  si  vous  étiez  au  haut  d'une  échelle 
et  qu'on  menaçât  de  vous  en  précipiter,  à 
moins  de  renier  la  franc-maçonnerie  ? 

—  Je  me  dépêcherais  de  dosi  cadre,  ré- 


C73 


FRA 


FRA 


674 


pondit  Jacquemin,  et  je  me  moquerais  de  la 
menace. 

—  C'est  flnement  répondu,  s'écria  le  par- 
rain. A  vous,  frère  Guenaud. 

—  Que  feriez-vous,  jeune  candidat,  dit  ce- 
lui-ci, si  l'on  voulait  vous  faire  dîner  gras 
un  vendredi,  à  moins  de  révéler  les  secrets 
de  l'ordre,  qui  vont  vous  être  confiés  ? 

—  Je  ne  dînerais  pas  du  tout,  répondit 
Jacquemin. 

—  Voilà  qui  vous  la  coupe,  dit  le  parrain; 
vous  faites  des  questions  insidieuses  à  ce 
jeune  homme,  que  vous  effarouchez .  A  vous, 
vénérable,  la  troisième  question. 

—  Je  ne  ferai  pas  une  simple  question,  dit  le 
boucher.  Le  candidat  est  chrétien  catholique. 
C'est  une  religion  intolérante.  Je  propose 
donc  que  lejeune  homme  abjure  devant  nous, 
s'il  veut  être  admis;  ou  bien  qu'on  le  rejette 
dans  les  ténèbres. 

—  Si  ce  qu'on  dit  là  est  sérieux,  répondit 
Jacquemin,  on  aurait  dû  m'en  prévenir... 

—  Supérieurement  parlé,  interrompit  le 
parrain  ;  nous  avons  du  caractère.  C'est  ce 
qu'il  taut  dans  notre  ordre.  —  Puis,  se  re- 
tournant vers  l'auteur  de  la  proposition,  il 
lui  dit  à  voix  basse  :  —  Nous  ferons  sou  édu- 
cation. 

S'adressant  à  Jacquemin,  il  ajouta:  Vous 
avez  glorieusement  subi  les  épreuves.  Sortez 
des  ténèbres. 

En  disant  ces  mots,  le  frère  Gersant  en- 
leva le  bandeau  qui  couvrait  les  yeax.  du 
néophyte  ;  et  Jacquemin  vit  la  lumière. 

11  se  trouvait  au  milieu  dune  grande  pièce 
longue,  barbouillée  d'une  couleur  qui  pou- 
vait avoir  la  prétention  d'être  bleue.  Le  pla- 
fond se  trouvait  peint  en  azur,  avec  des 
éioiles,  une  lune  et  un  soleil  en  découpures 
de  papier  doré.  Dans  le  haut  de  la  salle 
étaient  deux  colonnes,  et  entre  les  deux  co- 
lonnes le  siège  du  vénérable,  surmonté  d'un 
dais  en  papier  azur  et  en  papier  doré.  Au- 
dessus  du  dais  l'étoile  flamboyante  <;n  clin- 
quant; au  milieu  de  l'étoile,  qui  avait  trois 
pieds  de  diamètre,  un  delta,  et  au  milieu  du 
delta  un  G,  première  lettre  du  nom  de  Dieu 
(God)  en  anglais. 

Au-dessous  du  vénérable,  des  sièges  ados- 
sés aux  murs  à  droite  et  à  gauche.  Les  frères, 
décorés  de  leurs  tabliers  et  de  leurs  cordons, 
étaient  tous  assis,  ayant  aux  mains  des  gants 
qu'ils  croyaient  blancs.  Tous  tenaient  l'épée 
nue  à  la  main  gauche  ;  il  y  avait  devant  cha- 
que siège  un  petit  bureau,  sur  lequel  repo- 
saient la  truelle  et  le  maillot.  Ils  se  servaient 
(le  ce  dernier  instrument  en  frappant  trois 
coups,  pour  approuver,  pour  applaudir,  ou 
pour  demander  la  parole. 

A  quelques  pas  devant  le  vénérable,  s'é- 
levait un  petit  autel  triangulaire,  sur  lequel 
on  avait  mis  quelques  fleurs  dans  un  vase 
de  verre  bleu. 

Tout  ce  que  nous  venons  de  décrire  occu- 
pait la  partie  gauche  du  temple,  qui  avait  un 
aspect  assez  misérable.  La  partie  droite  avait 
l'air  d'un  magasin,  étiint  remplie  et  obstruée 
d'ohjpts  singuliers  en  usage  dans  lesépreuves. 

—  Voilà  donc  ce  que  c'est  au'une  loge,  dit 


en  lui-même  Jacquemin  singulièrement  pré- 
occupé. 11  avait  cru  que  c'était  plus  curieux. 
Il  se  consola  en  se  promettant  (juclque  agré- 
ment à  voir  les  épreuves  du  juif. 

Cependant  tous  les  frères  s'étaient  assis  au 
moment  où  son  parrain  lui  avait  ôtéle  ban- 
deau ;  ils  voulaient  le  frapper  par  un  impo- 
sant spectacle;  ils  quittèrent  bientôt  leurs 
sièges,  aussi  bien  que  le  vénérable,  et  firent 
cercle  autour  de  lui,  pour  l'initier. 

Ce  fut  son  hôte,  le  frère  terrible,  qui  avait 
déposé  son  formidable  ministère  pour  être 
son  parrain,  qui  fut  chargé  aussi  de  lui  ou- 
vrir le  trésor  des  secrets.  Il  lui  apprit  d'a- 
bord la  marche  en  loge  des  apprentis  et  des 
compagnons,  qui  consiste  à  n'avancer  que 
du  pied  droit,  en  traînant  le  pied  gauche  et 
le  frappant  à  chaque  pas,  par  le  travers, 
contre  le  talon  de  l'autre;  puis  la  marche  des 
maîtres,  car  on  lui  conférait  à  la  fois  les 
trois  grades.  Son  parrain  marcha  en  maître 
devant  lui  ,  avançant  le  pied  droit  sur  la 
droite  et  frappant  le  talon  du  flanc  du  pied 
gauche,  avançant  ensuite  le  pied  gauche  sur 
la  gauche,  et  frappant  pareillement  le  talon 
du  flanc  du  pied  droit;  puis  repartant  de  ce 
pied  droit,  et  toujours  de  môme  en  zigzags 
à  angles  parfaits. 

A  l'enseignement  de  la  marche  succéda 
l'enseignement  des  attouchements.  Il  lui  ap- 
prit que  reconnaître  un  maçon  par  l'attou- 
chement, cela  s'appelle  le  tuilcr.  Il  lui  fit 
l'attouchement  de  l'apprenti,  qui  se  pratique 
en  se  prenant  mutuellement  la  main  droite, 
plaçant  le  pouce  sur  l'os  de  la  racine  du  doigt 
du  milieu  de  la  main  que  l'un  serre,  et  pous- 
sant cet  os  trois  fois,  les  deux  premières  ra- 
pidement, la  troisième  avec  un  peu  plus  do 
lenteur. 

Il  exécuta  les  autres  attouchements,  qui 
varient  peu,  indiqua  les  signes  triangulaires 
et  le  signal  du  niveau  que  l'on  fait  devant  sa 
figure  pour  saluer  ;  il  dit  les  mots  sacrés, 
depuis  le  Jakin  et  le  Tubalcain  des  apprentis 
jusqu'au  Sisboleth  des  maîtres,  et  ajouta  quo 
les  mots  de  passe  variaient  selon  les  saisons, 
donnés  qu'ils  sont  par  le  Grand-Orient. 

On  lui  dit  beaucoup  d'autres  choses  :  que, 
par  exemple,  en  langage  maçonnique  un 
apprenti  avait  trois  ans  et  plus,  un  compa- 
gnon cinq  ans  et  plus,  un  maître  sept  ans  et 
plus,  et  qu'il  fallait,  dans  les  questions  re- 
latives à  ce  point,  répondre  conformément 
à  la  règle,  qui  ne  varie  pas  avec  les  années, 
un  maître  n'ayant  jamais  que  son  âge  de 
maître,  et  un  apprenti  que  son  âged'apprenli. 
On  lui  fit  noter  qu'à  la  demande  :  Connaissez- 
vous  la  lumière  ?  qui  se  fait  à  tous  les  frères, 
et  à  la  demande:  Connaissez-vous  l'acacia? 
qui  ne  s'adresse  qu'aux  maîtres,  on  devait 
répondre  textuellement  et  invariablement  : 
La  lumièrem'est  connue;  l'acacia  m'est  connu. 
On  lui  expliqua  que  le  rôle  du  frère  terrible 
était  de  faire  peur  aux  candidats  et  de  les 
maltraiter  pour  éprouver  leur  courage.  Ou 
lui  dit  encore  que  ce  qu'on  appelait  loges 
d'adoption  étaient  des  tenues  de  fêtes  où  les 
femmes  étaient  admises  au  temple,  avec  la 
tablier  et  le  cordon  eu  sautoir,  et  le  litre  de 


(7S 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCL'LTES. 


CT6 


sœurs,  mais  pour  des  bals  ou  des  guoulclons 
seulement;  el  que  dans  ces  occasions  il  y 
avait  (les  mots  de  passe  de  circonstance  et 
des  signes  de  convention  particuliers,  qui 
ne  couipromeltaient  rien  des  secrets  fonda- 
mentaux. 

Ce  cours,  dont  les  détails,  si  nous  les  al- 
longions, pourraient  sembler  fastidieux,  du- 
ra tout  un  quart  d'heure. 

Cependant  Gédéon  avait  déjà  frappé  trois 
fois.  Le  fière  surveillant  qui  l'avait  mis, au 
cabinet  des  rcllcxions  alla  le  prendre  enfin. 
Tout  le  monde  rentra  dans  le  silence. 

On  heurta  trois  fois  trois  coups  à  la  porte, 
comme  on  avait  fait  pour  Jacquemin;  seule- 
ment, au  lieu  de  répondre  que  celui  qui  de- 
mandait à  étreadmis  étaitunfils  de  maçon,  on 
répondit  que  c'était  un  profane.  Le  frère Gcr- 
Siint  reprit  son  personnage  de  frère  terrible 
et  demanda  si  le  postulant  s'était  préparé  à 
supporter  courageusement  les  épreuves.  Sur 
la  réponse  affirmative  du  frère  surveillant, 
qui  consentait  à  être  parrain,  on  introduisit 
Gédéon,  pâle,  défait,  les  yeux  bandes  selon 
l'usage. 

Son  testament,  qui  occupait  toute  une  page, 
eût  pu  se  résumer  en  ce  peu  de  mots,  qu'il 
léguait  la  direction  de  sa  conduite  aux  frè- 
res. On  en  fut  assez  content. 

Pendant  qu'on  lisait,  Jacquemin  continuait 
son  examen  de  la  loge.  Il  vit  alors  que  le 
temple  était  éclairé  par  un  lustre  en  bois, 
chargé  de  sept  chandelles  allumées.  11  re- 
marquait partout  la  consécration  du  nombre 
impair,  et  surtout  des  nombres  trois,  sept  et 
neuf. 

Il  jeta  aussi  les  yeux  sur  £es  nouveaux 
frères.  Le  marchand  de  tabac  avait  un  tablier 
tout  gâté,  et  un  cordon  privé  de  son  étoile. 
Il  lui  en  fit  l'observation. 

—  Vous  savez  ce  qu'on  dit,  répliqua  ingé- 
nument le  frère  Guenaud,  que  les  cordon- 
niers sont  toujours  les  plus  mal  chaussés. 
C'est  que  je  vends  des  attributs  ;  et  j'espère 
bien  que  vous  nie  donnerez  votre  pratique. 
C'est  un  de  nos  frères,  qui  va  demain  à  la 
loge  du  Pélican,  qui  est  venu  changer  son 
tablier  et  son  cordon  contre  des  neufs.  Ce 
que  c'est  que  d'avoir  des  enfants  1  son  petit 
garçon  avait  pendu  un  polichinelle  au  bout 
du  cordon,  à  la  place  de  l'étoile  qu'il  a  éga- 
rée, et  sa  Glle  avait  collé  des  mâts  de  cocagne, 
des  soldats  et  des  canards  sur  le  tablier,  .l'ai 
mis  cela  pour  aujourd'hui,  ne  voulant  pas  en 
compromellp-'  de  neufs. 

En  riant  de  tout  cela,  le  frère  Guenaud  al- 
luma un  cigare.  Le  frère  Félix  vint  lui  faire 
observer  que  ce  n'était  pas  permis  et  qu'il 
gâtait  le  temple. 

—  Ce  n'est  pas  le  Pérou  que  ton  temple, 
répondit  le  frère  en  éteignant  son  cigare. 

11  marmotta  pour  se  consoler  qu'il  fume- 
rait en  sortant,  et  qu'il  revaudrait  l'affront 
an  peintre. 

On  commençait  alors  les  épreuves,  qui 
attirèrent  l'attention  de  Jacquemin. 

On  fit  monter  le  juif  sur  une  échelle  qui, 
à  chaque  échelon  qu'il  montait,  descendait 
dans  un  trou  de  la  valeur  d'un  échelon.  Après 


qu'il  eut  fait  vingt-rinq  échelons,  ce  qui  de- 
vait lui  faire  croire  qu'il  était  à  une  certaine 
hauteur,  on  lui  commanda  de  se  précipiter. 
Apparemment  qu'il  avait  confiance  ou  qu'il 
était  prévenu  ;  car  il  sauta  sans  hésiter. 
Toutefois  il  parut  surpris,  ayant  pris  un  cer- 
tain élan,  de  tomber  seulement  de  la  hauteur 
d'un  tabouret. 

On  lui  présenta  alors  une  planche  hérissée 
de  clous,  en  lui  ordonnant  de  se  laisser  tom- 
ber dessus.  Après  qu'il  l'eut  bien  talée,  il  se 
laissa  choir;  mais  on  avait  substitué  à  la 
planche  un  matelas. 

On  lui  dit  ensuite  que,  pour  arriver  au 
temple,  il  fallait  faire  un  périlleux  voyage 
souterrain.  On  le  fil  tourner  quatre  fois  au- 
tour d'une  longue- table,  sur  laquelle  des  frè- 
res, armés  d'cpéos  de  théâtre,  faisaient  un 
cliquetis  épouvantable  ;  le  frère  terrible  hur- 
la à  ses  oreilles,  simulant  les  cris  des  bétes 
féroces  avec  une  effroyable  vigueur;  on  cor- 
na dans  des  instruments  sinistres  ;  on  agita 
de  grandes  crécelles;  c'était  un  vacarme  in- 
fernal. On  brûla  autour  du  visage  de  Gédéon 
des  étoupes  imprégnées  d'esprit  de  vin;  le 
petit  juif  suait  à  grosses  gouttes.  Mais  il  allait 
son  chemin. 

A  la  fin  on  lui  dit  qu'il  était  an  bout  du 
souterrain  et  qu'il  fallait  descendre  dans,  un 
précipice.  Le  juif,  pensant  probablement  que 
quoique  en  loge  il  était  sous  la  protection  des 
cinq  codes,  se  laissa  faire.  On  l'attacha  sur 
une  bascule,  que  l'on  fit  tourner  avec  vitesse. 

Quand  on  arrêta  la  roue,  il  était  temps. 
Le  candidat  se  soutenait  à  peine.  On  lui  ôta 
son  bandeau  et  on  le  fit  asseoir,  en  lui  dé- 
clarant qu'il  était  reçu  ;  le  courage  qu'il  avait 
montré  le  dispensait  des  épreuves  morales, 
qui  d'ailleurs  pour  les  frères  présents  étaient 
plus  embarrassantes  que  les  épreuves  phy- 
siques. 

La  joie  le  remit  bien  vile. 

Aussitôt  qu'on  le  vit  ranimé,  on  lui  de- 
manda de  faire  le  serment,  circonstance  que, 
dans  la  préoccupation  des  frères,  on  avait 
oubliée  pour  Jacquemin.  Celui-ci  s'en  ré- 
jouit vivement,  lorsqu'il  en  entendit  la  for- 
mule. Gédéon  prit  cette  formule  qu'on  lui 
présentait,  et  la  prononça,  la  main  droite  po- 
sée sur  l'autel  triangulaire  : 

«  Je  jure  sur  les  statuts  généraux  de  l'or- 
»  dre  et  sur  le  glaive,  symiiole  de  l'honneur, 
»  de  garder  inviolablement  tous  les  secrets 
»  qui  me  seront  confiés.  Je  promets  d'aimer 
»  mes  frères  et  de  les  secourir  selon  mes  fa- 
»  cultes.  Je  consens,  si  je  deviens  parjure,  à 
»  avoir  la  gorge  coupée,  le  cœur  et  les  en- 
»  trailles  arrachés,  le  corps  brûlé  et  réduit 
»  en  cendres,  mes  cendres  jetées  au  vent  ;  et' 
»  que  ma  mémoire  soit  en  exécration  à  tous 
»  les  francs-maçons.  Que  le  grand  architecte 
»  de  l'univers  me  soit  en  aide  I  » 

Le  bandeau  n'eût  dû  tomber  de  ses  yeux 
qu'après  ce  serment,  dont  nous  donnons  le 
texte  officiel,  mais  on  avait  craint  que  Gédéon 
ne  se  trouvât  mal. 

On  lui  dit  alors  qu'il  devait  se  féliciter  de 
n'avoir  pas  subi  de  plus  vio'entes  épreuves; 
on  [iromit  de  lui  en  conter  de  curieuses  a 


i 


67Î  FR\ 

t.iblc;  on  loi  .tpprit  tout  ce  qu'on  avait  appris 
à  Jjicqucmin.  Après  cela,  on  ferma  la  loge  ;  et 
la  bande,  enrichie  de  deux  nouveaux  frères, 
s'en  alla  souper. 

Dans  le  chemin,  ils  se  trouvèrent,  par  un 
jeu  du  hasard,  escortés  par  une  bande  d'ou- 
vriers ivres,  dont  l'un  chantait  à  gorge  dé- 
ployée la  chanson  suivante.  Tous  les  efforts 
dos  frères  ne  purent  obliger  cet  insolent  au 
silence. 

LA   TRUELLE. 

AiH  du  ménage  de  garçon  : 
Je  loge  au  quatrième  éUige. 

Je  suis  un  avocat  sans  cause , 
Ouoiqu'à  l'aBûl  comme  un  requin. 
Sur  nioii  couiple  le  bonri^eois  k'osp; 
On  m'ose  irailer  de  coquin. 
La  ni6ciisance  est  bien  cruelle. 
Mais  quelque  jour  on  se  laira. 
Je  suis  maçon;  j'ai  ma  truelle 
Le  Ti  sie  ira  comme  il  pourra. 
On  nie  fait  des  re;)roches  graves, 
A  moi  qui  suis  fort  et  puissant, 
De  n'être  point  parmi  nos  braves 
Et  d'avoir  pris  un  remplaçuit. 
Mais  le  courage  on  moi  chancelle; 
Jamais  il  ne  s'afleruiira. 
Je  suis  maçon;  j'ai  ma  truelle  ; 
Le  reste  ira  comme  il  pourra. 
J'ai  fait  souvent  pleurer  ma  mère; 
Tout  petit  je  battais  mes  sœurs; 
J'ai  cent  fols  chagriné  mon  |  ère  ; 
J'ai  désolé  mes  professeurs. 
A  l'élude  j'étais  rebelle, 
Mais  âpre  aux  jeux,  el  cœleia. 
Je  suis  maçon;  j'ai  ma  truelle; 
Le  reste  ira  couime  il  pourra. 

Je  vivais  mal  avec  ma  femme  ; 

J'ai  planté  là  mes  deux  enfants. 

Mes  voisins  m'appelli'Ut  iufàine, 

Avccd'aulres  mots  éiouffanls. 

Au  diable  leur  trisle  crécelle! 

Nargue  de  tout  ce  qu'on  «lira  I 

Je  suis  maçon; j'ai  ma  trudle; 

Le  reste  ira  comin^  il  pourra. 

Pour  moi  la  chicane  est  une  onibre 

Qui  m'a  toujours  accompagné. 

Aussi  j'eus  des  procès  sans  nombre; 

Mais  je  n'eu  ai  jamais  gagné. 

Je  n'ai  plus  rien  dans  l'escarcelle; 

Et  quand  mon  crédit  s'éteindra  , 

Je  suis  maçon  ;  j'ai  ma  truelle  ; 

Le  reste  ira  coiume  il  pourra. 

Mon  crédit  se  meurt  assez  vite  : 

Mes  plus  beaux  jours  sont  terminés. 

On  dirait  que  chacun  m'évite  ; 

On  me  ferme  la  porte  au  ue7. 

3e  vais  a  ma  loge  fidèle. 

Li)  du  moins  ou  me  recevra. 

Je  suis  maçon  ;  j'ai  ma  truelle; 

Le  reste  ira  comme  il  pourra. 

J'ai  fait  des  tours  de  passe-passe; 

Dans  plus  d'un  j'eus  un  vrai  bonheur; 

Et  pour  un  traitqui  les  surpasse, 

On  dit  que  j'ai  perdu  l'honneur. 

Mais  de  cette  autre  bagatelle 

Le  souvenir  s'amortira. 

Je  suis  maçon  ;  j'ai  ma  truelle  ; 

Le  reste  ira  comme  il  pourra. 

Maçon,  sans  que  rien  te  déroute, 

Vr.,  moque-toi  d's  préjugés. 

Mais  que  la  mort  t'altrappe  en  roiili!, 

'l'es  comptes  sont  mal  arrangés. 

Satan  te  lient  par  la  lic(  lie. 

Si  tu  dis,  quand  il  le  prendra  : — 

«  Je  suis  maçon  ;  j'ai  ma  iruelK',  »  — 

Le  reste  ira  comme  il  pourra. 

V.  —  Souper  maçonnique. 
En  arrivant  à  l'hôtel  du  quai  des  Orfèvres, 
désagréablement  préoccupé  des  couplets  dont 


FRA 


fi78 


on  venait  de  leur  emplir  les  oreilles,  les  frè- 
res montèrent  sans  s'arrêter,  à  la  salle  du 
premier  étage,  où  le  feslin  se  dressiiil.  La 
table  fut  garnie  en  un  clin  d'œil.  Les  étoiles, 
qu'on  appelle  dans  le  langage  humain  des 
chandelles,  étaient  au  nombre  de  neuf,  ran- 
gées trois  par  trois  et  en  triangles,  selon  le 
devoir.  Le  vénérable,  conservant  sa  dignité 
toute  la  soirée,  prit  le  siège  du  milieu  et 
cria  :  —  Frères,  a  l'ouvrage  1  — Ce  qui  veut 
dire  :  —  Messieurs,  à  table  1 

Tout  le  monde  le  comprit  Les  frères  an- 
ciens tracèrent  en  l'air  devant  leur  nez  des 
triangles  plus  ou  moins  corrects;  Jacquemin 
fll  le  signe  de  la  crois  el  dit  son  Benedicite. 

—  Le  frère  Louveteau  fait  des  triangles 
quadrangulaires  ,  dit  le  juif  en  se  penchant 
vers  l'hôte. 

—  Faites  vos  triangles  comme  vous  l'en- 
tendez, répondit  le  frère  Gersant  ;  vous  n'êtes 
pas  frère  surveillant. 

—  Cette  planche  est  mal  travaillée,  dit  le 
frère  Savoie  en  changeant  la  disposition  do 
quelques  plats.  —  Il  critiquait  la  manière 
dont  la  table  était  servie. 

—  A  vous  la  truelle,  vénérable,  interrom- 
pit le  frère  Hullin,  qui  dévorait  des  yeux  uu 
morceau  de  veau  aux  petits  pois. 

Le  vénérable  prit  la  truelle,  c'est-à-dire  la 
grande  cuiller,  et  servit  le  potage. 

A  ce  mot  de  truelle  ainsi  appliqué,  Jacque- 
min pensa  malgré  lui  au  cochon  de  Cadet 
Rousselle;  ce  qui  fit  qu'il  ne  mangea  que  la 
moitié  de  sa  soupe. 

Avant  d'attaquer  les  plats  de  viande,  le 
vénérable  ordonna  que  l'on  chargeât  les 
barils;  ce  que  vous  autres,  bons  et  honnêti  s 
lecteurs,  vous  appelleriez  emplir  les  verres. 
11  se  leva  ensuite,  en  proposant  un  toast  aux 
deux  frères  initiés. 

Ce  toast  obligé  fut  accueilli  par  des  trian- 
gles horizontaux,  que  tracèrent  les  barils 
dans  l'espace,  avant  de  se  choquer.  Après 
cela,  chacun  joua  des  dents. 

Dès  que  la  conversation  se  ranima,  elle  ne 
roula,  comme  de  juste,  que  sur  l'admission 
qui  était  la  cause  du  repas.  On  refélicita  les 
nouveaux  frères;  on  leur  fit  valoir  l'agré- 
ment qu'ils  auraient  désormais  dans  leurs 
voyages  de  pouvoir  se  dire  en  mettant  le  pii  d 
dans  une  ville  :  —  J'ai  ici  des  frères. 

—  Il  ne  faut  plus  aux  jeunes  initiés,  pour 
être  en  règle,  que  deux  petites  dépenses,  dit 
le  marchand  de  tabac;  la  première  est  l'ac- 
quisition du  tablier,  du  cordon  bleu  et  dos 
autres  attributs  ;  pour  cela  je  me  recom- 
mande aux  frères  de  notre  loge,  je  fais  des 
remises  qu'ils  n'auront  pas  ailleurs. 

—  Nous  nous  entendrons,  dit  le  juif. 

—  J'achèterai  certainement  chez  vous,  dit 
Jacquemin.  Il  ajouta  tout  bas  :  Quand  j'a- 
chèterai; —  car  sa  conscience  éprouvait 
quelque  trouble. 

—  La  seconde  dépense  aura  lieu,  reprit 
Hullin,  quand  les  frères  se  présenteront  au 
Grand-Orient  pour  avoir  leur  diplôme. 

—  Mais,  demanda  Gédéon  surpris,  est-ce 
qu'on  a  besoin  d'un  diplôme  écrit?  On  ne 
m'avait  pas  dit  cela.  Les  mots  et  les  signes 


&h 


DICTIONNAIliE  DES  SCIF.NCKS  OCCULTES. 


C84 


«luî  viennent  de  nous  êlre  appris  ne  suffisenl- 
ils  pas? 

—  Ils  suffisent  pour  la  loge,  dit  le  véné- 
rable. Il  est  indispensable  que  vous  les  sa- 
cliipz  pour  prouver  au  Grand-Orient,  à  ((ui 
nous  vous  présenterons,  que  vous  êtes  ini- 
tiés. Mais  sans  un  diplôme  du  Grand-Orient, 
avec  lequel  on  vous  donnera  en  môme  temps 
les  mots  de  passe,  vous  ne  pouvez  entrer  ni 
pénétrer  dans  aucune  loge  étrangère. 

—  Et  quelle  est ,  demanda  Gédéon,  le 
montant  de  cette  dépense? 

—  Le  diplôme  est  très-llalteur  ,  répondit 
Félix,  je  vous  ferai  voir  le  mien;  c'est  uu 
parchemin  avec  gravures  allégoriques. 

—  Et  cela  coule  ? 

—  Les  colonnes  et  tous  les  attributs  y 
éclatent. 

—  Mais  le  prix? 

—  Ohl  le  prix  varie,  dit  l'hôte,  de  cent  à 
trois  cents  francs. 

—  Bon  1  répliquale  juif,  on  peut  s'arranger. 

—  Mais  on  ne  peut  pas  avoir  cela  d'occa- 
sion, ajouta  malicieusement  le  frère  Cavard; 
t'est  personnel. 

—  Quant  à  vous,  mon  jeune  frère,  inter- 
rompit le  vénérable  en  changeant  la  conver- 
sation et  s'adressanl  à  Jacquemin,  à  la  pre- 
mière assemblée,  nous  vous  ferons  orateur 
de  la  loge. 

—  Je  suis  trop  timide,  répondit  Jacquemin. 

—  Bahl  vous  nous  connaissez  tous;  vous 
parlerez  de  devoirs  et  de  morale,  de  fidélité 
et  de  bienfaisance.  Vous  y  mettrez  de  la  sen- 
sibilité; cela  fait  toujours  bien.  Vous  pour- 
riez écrire  vos  discours.  Est-ce  que  pour  la 
solennité  de  ce  jour  vous  n'avez  pas  fait  une 
petite  chanson? 

—  Une  chanson,  répliqua  le  Tournaisien, 
fnais  je  ne  sais  pas  faire  de  chansons. 

—  Eh  bienl  si  c'est  cela  que  vous  voulez, 
dit  le  peintre  en  bâtiments,  je  vais,  moi,  vous 
chanter  la  chanson  de  M.  Lassource,  vu  qu'il 
n'est  pas  là  pour  la  chanter  lui-ntème.  Et  le 
frère  chanta  à  plein  gosier,  après  qu'on  eut 
fermé  les  fenêtres,  à  cause  de  l'air  patrio- 
tique que  la  Restauration  n'aimait  guère. 

PLAHCUE   DE   TABLE. 

Sur  fuir  de  la  MarseiUaise. 
^            Allons,  enfanls  de  la  truellu, 
Voici  le  monienl  du  dtiier. 
Si  la  faim  nous  semble  cruelle , 
Nos  dents  voul  pouvoir  s'en  donner,  (bis.) 
Voyez-vous  la  lourie  imprévue 

Mais  on  n'avait  pas  remarqué  jusqu'alors 
que  le  frère  Guenaud,  qui  buvail  sans  relâ- 
che, s'était  enivré  eu  silence,  et  qu'un  trôs- 
Çrand  scandale  se  préparait.  Ce  frère  se  mit 
a  l'aire  sa  partie  dans  la  chanson  : 

—  Je  n'ai  pas  vu  la  tourte,  dit-il  en  inter- 
rompant le  chanteur. 

On  lui  cria  unanimement  le  chut  solennel. 
Le  frère  Félix  poursuivit  : 

Les  poulets  à  la  Marengo 

—  Les  poulets  à  la  quoi?...  demanda  pa- 
reillement Guenaud,  pendant  que  Félix  im- 
perturbable achevait  son  couplet  : 

Us  viennent,  Qanqués  du  gigot, 
Auus  ravir  lu  u\.ï  et  la  vue. 


—  Oh  !  la  frime  I  il  était  fier  le  gigot  pour 
te  ravir  le  nez,  dit  encore  l'ivrogne,  dont  le 
murmure  fut  couvert  par  le  refrain  : 

A  table  1  ctiers  amis!  en  dignes francs-uiaçons, 
Buvon'!,  mangeons  ! 
Et  qu'un  vin  pur  anime  nos  chansons! 

Quel  est  ce  grand  plat  dY-orevisses, 
lie  crêtes  et  de  cliampignons  ? 

—  Où  ça  des  écrevisses?  où  ça  des  cliam- 
pignons? interrompit  derechef  le  frère  Gue- 
naud, à  qui  son  voisin  mit  la  main  sur  la 
bouche,  pour  ne  pas  déranger  le  chanteur, 
qui  allait  toujours  : 

l'ourqui  la  choucroute  aux  saucisses 
Kt  la  friture  de  goujons?  (bis.) 

—  Ohl  la  friture I  les  tas  de  menteurs, 
grommela  le  frère  ivre  en  dépit  des  efforts 
de  son  voisin.  C'est  le  vénérable  qui  l'aura 
péchée,  la  friture. 

M<iis  le  peintre  en  bâtiments  continuait 
sans  s'ébranler  : 

Maçons,  pour  nous!  Kl  le  Champagne, 
Le  clos-vougeot,  le  chamberlin 

—  C'est  ça  1  hurla  Guenaud  en  frappant  la 
table;  donnez-en,  versez-en;  chargez  les 
barils  I 

Et  ici,  pendant  que  le  frère  Savoie  gour- 
manduit  rudement  l'interrupteur,  le  frère 
Félix  se  vil  obligé  de  reprendre  : 

Maçons,  pour  nous!  Et  le  Champagne, 
Le  clos-vongeot,  le  chamberlin, 
Viennent  rehausser  le  festin  ! 
Cédons  au  transport  qui  nous  gagne. 
A  table  I  chers  amis!  eu  di}{nes  francs-maçons. 
Buvons,  mangeons! 
Et  qu'un  vin  pur  anime  nos  chansons  ! 

Maçons,  en  gourmets  pleins  d'adresse, 
Sachons  diriger  nos  travaux. 
Lniionsun  peu  contre  l'ivrossc; 
Mangeons  sans  presser  les  morceaux.  (biO 

—  H  n'y  a  plus  rien,  vieux  blagueur I  gro- 
gna le  marchand  de  tabac,  sans  eaipéther  la 
chanson  de  marcher  : 

Mais  dehors  les  bouteilles  vides! 
Mais  loin  de  nous  le  plat  désert! 
El  sur  l'agréable  dessert 
Xoinbons  en  colouucs  avides. 

—  Oui,  tu  tomberas  sur  ton  Prussien,  avec 
les  colonnes,  dit  encore  le  frère  Guenaud. 

Heureusement  le  chorus  couvrit  cette  nou- 
velle incongruité  : 

A  table  !  chers  amis  !  en  dignes  francs-maçons, 
Buvons,  mangeons  1 
Et  qu'uu  viu  pur  anime  nos  chansons  1 

Fi  donc  de  ces  bourgeoi.»  austères, 
Craignant  toujours  de  s'aublier  I 
Ah!  s'ils  connaissaient  nos  mystères, 
Ils  prciiJraienl  tous  le  tablier',  (bis.) 

—  Pour  des  festins  pareils,  il  y  a  presse 
intercala  l'obstiné  contradicteur. 

—  Cet  homme  a  le  vin  mauvais,  dii  le  vé- 
nérable. 

—  ChutI  crièrent  les  autres  frères,  en  ré- 
pétant le  bis  : 

Us  prendraient  tous  le  lahlier. 
Aux  maçons  la  vive  allégre;>«e 
Le  bou(piet  de  ce  jus  divin , 
El  les  ragriûts  et  le  bon  vin! 
Aux  maçons  la  table  et  l'ivresse  t 

—  Je  crois  qu'il  nous  insulte  ce  loriot-là, 
dit  le  frère  Guenaud. 


681 


FR.\ 


FRA 


Après  quoi  il  se  mêla  au  chœur  d'une  voix 

creuse  : 

A  boire,  chers  amis!  en  dignes  francs-maçons, 
Buvons , mangeons  ! 
Et  qu'un  vin  pur  anime  nos  cliansons  ! 

Amour  sacré  de  la  cuisine, 
Conduis,  soutiens  nos  appétits. 

—En  voilà  une  bonne  I  en  voilà  une  salée  1 
On  le  dit  qu'il  n'y  a  plus  rien,  glapit  le  ma- 
leucoiitreux  frère  ivre. 

Le  peintre  en  bâtiments  suivit  son  che- 
min avec  onclion  : 

Que  les  rôtis  aient  bonne  mine  ! 
Qac  tout  soit  digne  des  rôtis!  (bis.) 
Fais  que  ce  banquet  déleclable 
Jusqu'au  bout  soit  un  vrai  festin! 
Que  le  soleil,  demain  malin, 
Nous  retrouve  encor  tous  à  table. 

—Quand  il  n'y  a  plus  rien  dessus,  on  peut 
bien  êlre  dessous  ,  marmotta  le  frère  Gue- 
naud;  et  il  coula  sous  la  table  en  effet,  et  se 
mit  à  ronfler  comme  une  cloche  au  bruit  du 
refrain: 

A  table,  chers  amis!  en  dignes  francs-maçons, 
tiuvons,  mangeons! 
El  qu'un  vin  pur  anime  nos  chansons! 

—  Le  frère  Gucnaud  est  sujet  à  ces  incon- 
venances, dit  l'hôte  à  Jacquomin.  Aussi  nous 
ne  l'avions  pas  engagé.  Il  n'est  venu  que 
grâce  à  l'indisposition  du  frère  Lassource. 
Mais  n'en  concevez  pas  mauvaise  opinion  de 
nos  assemblées.  Si  nous  n'étions  pas  comme 
ce  soir  en  petit  comité, en  famille,  pour  ainsi 
dire,  on  l'eût  mis  dehors. Exceptélui,tousles 
autres  frères  ont  bon  genre  et  se  respectent. 

Malheureusement ,  pendant  que  le  frère 
Gersaut  faisait  ainsi  l'apologie  de  sa  loge,  le 
vin,  qu'il  n'avait  pas  ménagé  (on  n'avait  bu 
que  du  vin  ordinaire),  lui  préparait  de  cruels 
démentis.  Le  boucher  et  le  mari  de  la  frui- 
tière se  tenaient  calmes;  mais  les  frères  Savoie 
et  Cavard,  à  qui  la  chanson  avait  fait  venir 
l'eau  à  la  bouche  en  évoquant  toutes  sortes 
de  bonnes  choses  dont  ils  avaient  été  prives, 
commencèrent  à  se  plaindre  de  la  mesqui- 
nerie du  dîner. 

—  C'est  lui  qui  ordonne  la  chose,  dit  le 
frère  Cavard,  en  désignant  l'hôte,  et  c'est  lui 
qui  empoche  l'argent;  voilà  l'injustice. 

—  Le  mal  vient  de  là,  ajouta  le  frcreSavoic, 
que  tous  les  dîners  se  font  chez  lui. 

—  Voulez-vous,  dit  le  boucher  en  venant  à 
l'aide  du  frère  Gersant,  qu'on  les  fasse  chez 
le  selliei'? 

—  Ou  chez  le  marchand  d'épongés?  ajouta 
le  frère  Hullin. 

—  Vous  me  faites  de  la  peine,  dit  l'hôle 
avec  componclion  ,  dès  (lu'il  se  vil  appuyé; 
vous  êtes  des  ingrats;  je  suis  seul  de  la  loge 
restauraut-lraileur, faut-il  porter  notreargeul 
à  des  profanes?  Faut-il  vous  exposer  chez 
des  gens  qui  vous  verront,  quand  vous  vous 
oubliez,  comme  le  marchand  de  tabac,  sous 
la  table?  Qu'est-ce  qu'on  dira  de  l'onlre? 

—  L'ordre  ne  va  déjà  pas  si  birn,  reprit 
Cavard;  vous  n'avez  pas  besoin  de  nous  re- 
garder avec  votre  mine  de  frère  terrible;  on 
ne  fait  pas  d'épreuves  ici.  Mais  si  on  se  jette 
dans  le  chapitre  des  reproches,  je  ne  trouve 

DiCTioss.  DES  Sciences  occultes,  l 


faut.  iNolre 


pas  qu'on  administre  comme 
loge  est  sale  et  décorée  sans  goût. 

—  Sans  goût,  releva  le  peintre;  donnez  de 
l'argent,  et  vous  aurez  du  goût.  Tiens  1  on  tm> 
passe  cinq  francs  par  réception  pour  l'entre- 
tien de  la  loge,  et  on  veut  du  luxel  Vous  éle.s 
trop  sur  votre  gueule.  Tout  l'argent  qui 
rentre,  vous  le  n>aiigez. 

—  Tu  n'en  laisses  pas  ta  part  aux  chiens, 
loi,  riposta  le  frère  Delon  en  Ciilère. 

—  Cela  n'empêche  pas,  cria  Savoie,  que  le 
souper  que  nous  avons  fait  ne  vaut  pas  ce 
qu'il  coûte.  J'ai  encore  faim. 

L'hôle  poussa  un  pain  de  quatre  livres  de- 
vant le  plaignant,  mit  la  main  sur  son  cœur 
pour  se  contenir,  agita  la  tôle  pour  secouer 
sa  douleur;  puis  il  frappa  trois  fois  la  table 
du  manche  de  son  couteau, 

—  Je  demande  la  parole,  dit-il 

—  Vous  l'avez,  répondit  le  vénérable  ;  et  il 
promena  sur  les  convives  un  regard  qui  im- 
posa silence. 

—  Frères,  reprit  l'hôte,  expliquons-nous. 
Comptez  les  bouteilles.  On  en  a  bu  quarante. 
J'en  ai  fait  monter  quarante-cinq.  C'est  cinq 
bouteilles  par  travailleur;  du  vin  à  douze; 
je  ne  le  fais  pas.  Cinq  bouteilles  à  douze  font 
trois  francs.  De  cinq  francs  que  nous  allouons 
par  tête  dans  nos  dîners  de  corps,  ôtez  trois  , 
reste  deux;  deux  francs,  mes  frères  ,  pour 
le  potage,  Ja  viande,  les  légumes,  le  poisson, 
le  rôti,  les  ragoûts,  le  beurre,  le  sel,  le  poi- 
vre, la  moutarde,  le  pain,  les  chandelles  et 
le  dessert;  jugez. 

Tous  les  frères,  à  ne  discours,  furent  at- 
tendris. Des  excuses  furent  faites;  la  paix  se 
remontra;  l'hôte,  pour  la  cimenter,  alla 
prendre  une  bouteille  de  cent  sept  ans;  et  à 
minuit,  Jacquemin  ,  qui  n'avait  travaillé 
qu'avec  une  extrême  modération  dans  l'ex- 
ploilalion  des  bouteilles,  put  s'aller  coucher, 
seul  entre  tous,  de  sang-froid  et  méditant 
sur  tout  ce  qu'il  venait  de  voir  el  d'entendre. 

Les  scènes  qui  avaient  été  jouées  devant 
lui  eldans  lesquelles  il  avait  eu  son  person- 
nage, se  représentèrent  dans  ses  rêves  agités, 
comme  une  fantasmagorie  absurde.  Il  s'é- 
veilla le  lendemain  très-fatigué;  il  descendit 
bientôt  pour  déjeuner, 

L'hôle  lui  fit  de  nouvelles  excuses,  d'un 
air  tout  penaud. 

—-J'aurai  soin,  ajouta-t-il,  que  la  pro- 
chaine loge  soit  mieux  composée  ;  et  j'espère 
que  nous  aurons  le  plaisir  de  travailler  de 
nouveau  à  la  Saint-Jean.  Je  me  suis  rappelé 
un  singulier  oubli  qu'on  a  fait  hier;  cela  ne 
s'est  peut-être  jamais  vu;  et  je  désire  que 
personne  ne  l'ait  remarqué.  Dans  la  préci- 
pitation qui  nous  dominait,  on  n'a  pas  pensé 
à  vous  demander  le  serment.  Vous  n'êtes 
ainsi  frère  qu'à  demi ,  car  vous  n'êtes  pas 
lié  à  nous.  C'est  comme  un  mariage  dont  une 
des  parties  n'aurait  pas  donné  son  consente- 
ment. Heureusement  que  nous  sommes  gens 
de  revue.  Nous  réparerons  cela  à  la  tenue 
prochaine. 

Plus  heureusement  pour  Jacquemin,  il  fui 
dispensé  de  répondre,   par  l'arrivée   d'un 

2i 


•68S 


DICTIONNAIRE  DES  SClhNCES  OCCULTES. 


cni 


lelire  que  la  servante  du  marchand  tie  labac 
iippurtait. 

— Qu'est-ce  que  peut  avoir  cet  animal-là 
pour  m'écrirc?  dit  le  marchand  de  vin,  en 
tournant  la  lettre  entre  ses  doigts.  Il  se  dé- 
cida à  l'ouvrir. 

Mais  comme  le  Irère  Guenaud  écrivait  fort 
mal  et  que  le  frère  Gcrsant  ne  lisait  pas  trôs- 
liicH,  Jacquemin  fut  prié  de  lire  cette  mis- 
vive,  dont  voici  le  contenu  ; 

Paris,  le  16  juin  1814. 
«Monsieur  Gersant, 

«  Ayant  été  insulté  hier  ,  avec  ma  figure 
tachée  de  vin,  que  le  fière  Ciivard  ou  auire 
avait  marché  sur  ma  cravate  cl  sur  la  poi- 
trine de  ma  ciicmise,  et  môme  que  des  petits 
poisauiardctaient  collés  au  dos  de  mon  iiatiit, 
ma  femme  a  dit  que  cela  n'avait  pas  de  bon 
sens  ni  de  sens  commun,  et  que  ça  no  pou- 
vait pas  continuer,  et  que  nous  n'éliunstous 
que  des  hôtes,  des  serins,  des  vrais  jocrisses. 
Attendu  que  les  petites  loges  comme  nous 
passent  pour  des  pas-grand'clioses,  cl  les 
grandes,  des  conspirateurs,  vu  que  tous  les 
amis  du  tyran  s'en  mettent  ;  que  sa  majesté 
Xouis  le  Désiré  ne  veut  plus  <le  francs-ma- 
çons, qui  sont  les  agents  de  l'ogre  de  Corse 
et  ceux  qui  trament  pour  réintégrer  l'usur- 
pateur et  la  république.  Avec  çà  que  la  police 
a  l'œil  dessus;  et  que  nous  ne  faisons  que 
des  bêtises,  dont  un  enfant  rougirait  de  les 
faire,  comme  dit  ma  femme.  Si  bien  que  je 
ne  tiens  plus  l'article.» 

—  Tant  mieux,  interrompit  IhAle.  Il  ne 
nous  vendait  que  du  rebut,  qu'il  achetait  aux 
ventes  du  mont-de-piélé. 

«  Et  je  donne  ma  retraite  et  démission  de  la 
loge,  abdiquant  mon  titre  et  dignité  de  franc* 
maçon.  Et  si  on  veut  me  tuer  et  me  couper 
en  morceaux  pour  les  jeter  au  vent,  comme 
franc-maçon  réfractaire,  j'ai  l'autorité  qui 
me  protège.  Et  je  me  mo.|uo  de  vous.  El 
.quanta  la  franc-maçonnerie  et  tout  le  bata- 
clan, je  fais  comme  le  cochon  de  Cadet  Rous- 
selle. 

«Etant  en  cette  qualité,  monsieur,  votre 
voisin  très-obligé,  U.  Guenaud.»' 

Après  la  lecture  de  cette  lettre  ,  l'hôte  la 
prit  avec  consternation,  la  regarda,  la  re- 
tourna, s'assura  de  son  mieux  que  tout  ce 
<|u'il  venait  d'entendre  y  était  bien;  puis  il 
marmotta  en  soupirant  : 

—  J'avais  toujours  bien  dit  qu'il  n'y  avait 
-pas  de  fond  à  faire  sur  cet  hoinine-là.  Mais 
il  se  taira  et  ne  nous  trahira  pas.  U  sait  ce 
qui  lui  en  reviendrait. 

Le  frère  Gersant  sortit  avec  la  lettre,  que 
sans  doute  il  allait  communiquer  aux  autres 
(rèrcs  ;  cl  Jacquemin  retomba  dans  tine  per- 
plexité pire  que  toutes  celles  qu'il  avait 
éprouvées  avant  son  admission.  Il  en  fut 
tiré  agréablement,  deux  heures  après,  par 
une  lettre  de  son  père  ,  qui  lui  envoyait  un 
peu  d'argent  et  l'engageait  à  revenir,  attendu 

(t)  Les  francs-maçons  onl  été  condamnés  par  ClémeiU 
XII,  bulle  In  eminentt,  le  23  avril  17.58;— par  Benoit  XIV. 
ImiIIk  Pravidas  ,  le  18  mars  nsi.  Les  carbonarl  ont  élé 
CBuUamnés  par  Pie  VU,  bulle  Kcclesiam  a  Jetu  Chriilo, 


que  la  paix  était  faite  entre  les  alliés,  et  que 
le  pays  était  tranquille.  Jacquemin  saisit 
l'occasion  sans  hésiter;  il  paya  son  compte, 
fit  sa  malle,  et  monta  le  jour  môme,  à  quatre 
heures  ,  dans  la  diligence  de  Lille ,  avant  le 
retour  de  son  hôte. 

Il  prit  à  Lille  la  voiture  de  Tournav  et  ar- 
riva sans  accident  à  son  village  ,  déjà  remis 
et  calmé  par  la  certitude  que  là  enfin  il  ver- 
rait véritablement  la  lumière. 

Après  les  premiers  embrasscments  et  les 
mille  questions  qui  accompagnent  le  retour 
d'un  enfant  dans  sa  famille  ,  à  la  suite  de 
quatre  ou  cinq  mois  d'absence,  Jacquemin 
conta  à  son  père  comment  il  était  devenu 
franc-maçon.  Aux  détails  qu'il  donna,  son 
père  trouva  que  les  gens  des  villes,  qui  s'oc- 
cupent sérieusement  de  stupidités  si  grandes, 
devaient  cacher  là-dessous  quelque  but  se- 
cret; et  il  conseilla  à  son  fils  d'aller  con- 
sulter son  curé,  qui  était  un  savant  homme. 

Quand  le  bon  curé  eut  tout  appris  ,  il  tint 
ce  langage  à  Jacquemin  Claes  : 

—  La  franc-maçonnerie  s'est  élevée  au 
dernier  siècle  .  dans  des  projets  anti -chré- 
tiens; et  dès  qu'on  eut  vu  sa  marche,  les 
papes  Clément  XII  et  Benoît  XIV  la  condam- 
nèrent (1). 

Indépendamment  de  l'infaillibilité  du  saint- 
siége,  qui  est  un  dogme  pour  nous,  n'admet- 
tez-vous pas  quele  pape  et  ses  cardinaux  ont 
aussi,  humainement  parlant,  quelque  impor- 
tance ;  et  que  les  avis  qui  viennent  de  là  va- 
lent bien  les  jugements  isolés  de  notre  intel- 
ligence? 

Nous  devons  nous  soumettre  à  l'aulorilé; 
et  dans  le  cas  dont  il  s'agit ,  nous  pouvons 
méiiic  marcher  droit  en  ne  nous  soumettant 
qu'à  la  raison.  Quand  bien  même  la  franc- 
maçonnerie  ne  serait  pas  instituée  dans  le 
but  secret  de  démolir  ce  qui  vient  de  Dieu, 
pour  édifiera  sa  place  ce  qui  vient  de  l'or- 
gueil humain  (et  vous  savez  qui  (>sl  le  père 
de  l'orgueil  1),  n'est-il  pas  vrai  que  l'ordre 
maçonnique,  dans  la  gros-ièreté  où  vous  l'a- 
vez connu,  est  au  moins  une  occasion  de  pé- 
ché? Car  il  ouvre  la  porte  aux  mascarades,  à 
la  vanité,  aux  excès  de  la  table,  à  l'ivrogne- 
rie, aux  querelles,  à  l'oubli  de  Dieu  :  ou  ne 
saurait  être  à  la  fois  franc-maçon  et  catholi- 
que. C'e.st  à  vous  de  choisir. 

—  Je  resterai  catholique,  répondit  Jac- 
quemin Claes,  et  que  Dieu  me  soit  en  aide  1 

YI. — Le  iiiyslÈre  du  chevalier  Prussien. 

Le  curé,  qui  avait  à  souper  un  de:  ses  pa- 
rents, retint  Jacquemin  qu'il  aimait.  Lor.s- 
qu'on  fut  à  table,  il  lui  dit: 

—  Je  vais,  mon  enfant,  vous  raconter  une 
piquante  aventure  de  maçonnerie.  Elle  vous 
instruira  ;  le  principal  personnage  est  le 
grand  Frédéric: 

Le  jeudi  15  mars  1753,  Frédéric  il  soupait 
en  petit  comité  à  Postdam  ,  avec  Voltaire  , 
qui  était  alors  en  disgrâce  et  qui  demandait 

13  septembre  1821;— tes  francs-maçnns  d  tous  ordres 
secrets  condamnés  par  te  pape  Léon  XII,  bulle  du  1.5  n'ars 
1825.  Les  évêquesdc  Uetgique  n'ont  émis  leur  circulaire 
contre  les  francs- maçons  qu'en  déceniLire  1837. 


G85 


FRA 


FRA 


6S6 


à  s'en  aller;  avec  Mauperluis,  qui  se  réjouis- 
sait (le  la  disgrâce  de  Vollaire,  avec  le  mar- 
quis d'Argens  qui,  un  peu  revenu  de  ses  ex- 
travagances, ne  cherchait  plus  qu'à  vivre  en 
paix.  Tous  ces  illustres  convives,  à  l'exem- 
ple du  roi  ,  dont  l'appétit  était  formidable, 
avaient  mangé  copieusement  et  bu  en  ama- 
teurs ;  la  conversation  avait  prodigué  ses 
épigrammes  sur  tout  ch  qui  avait  un  nom  , 
sur  tout  ce  qui  était  respectable  ;  elle  tomba 
enfin  sur  la  franc-maçonnerie. 

—  Épuisons  un  peu  cette  matière  flam- 
boyante, dit  Frédéric;  les  francs-maçons  se 
propagent;  i!  y  en  a  partout;  il  s'en  glisse 
jusque  dans  mes  États.  Ces  sociétés  secrètes 
nous  joueront  quelque  tour,  si  nous  ne  leur 
donnons  un  croc-en-jambe.  Vous  ,  messieurs 
les  philosophes, vous  ne  devez  pas  approuver 
des  mystères  qui  se  font  dans  l'ombre,  quand 
vous  répandez  si  généreusement  la  lumière. 

—  La  franc-maçonnerie,  dit  Vollaire,  n'est 
qu'un  amas  de  stupidités  imaginées  il  y  a 
trente  ans  par  un  Anglnis  ivrogne,  propagées 
par  des  fous.  Si  vous  redoutez  ces  platitudes, 
faites-les  jouer  sur  le  théâtre.  C'est  le  conseil 
qu'un  donnait  au  lieutenant  de  police  à  pro- 
pos des  convulsions  de  Saint-Médard. 

— Cependant,  interrompitMaupertuis,  vous 
vous  êtes  fait  recevoir. 

— Vous  aussi ,  répliqua  Voltaire;  on  dit 
mêmequevouscherchezenloge  lesmoyensde 
faire  volrepuilsqui  descendra  aux  antipodes. 

—  Allons ,  messieurs,  dit  d'Argens,  en  re- 
marquant la  pâleur  subite  de  Maupertuis  et 
se  hâtant  d'intervenir  ,  ne  querellons  point. 
Moi  aussi  je  suis  maçon,  et  j'avoue  qu'en  ap- 
parence c'est  un  peu  enfant,  mais... 

— Mais,  poursuivit  te  roi,  ces  enfantillages 
joués  par  des  hommes  me  paraissent  sus- 
pects. Si  j'avais  été  à  la  place  de  ce  gros 
bœuf  de  comte  de  Clermont ,  qu'on  a  fait 
grand  niaîtro  en  France,  j'en  saurais  plus  que 
lui.  Il  paraît  qu'ils  sont  excommuniés  ;  c'est 
une  preuve  ,  messieurs  ,  que  la  chose  n'est 
pas  si  innocente.  Eh  bienl  ils  se  font  remon- 
ter au  temple  de  Salomon  ;  je  veux  faire  daus 
mon  royaume  un  ordre  qui  aura  des  litres 
plus  anciens. 

— Au  delà  du  temple  de  Salomon  1  s'écria 
d'Argens,  je  ne  vois  rien  en  fait  de  maçonne- 
rie, sinon  les  pyramides. 

—  J'ai  mieux  que  cela  ,  répondit  Frédéric. 
Je  veux  que  les  maçons  prussiens  n'aientrien 
à  envier;  ils  remonteront  à  la  tour  de  Babel. 

—  Bien  trouvé,  dit  Mauperluis.  .Mais  c'est 
une  entreprise  de  rébellion  que  celte  tour. 

— N'importe, cria  Voltaire, le  roi  arrangera 
cela  comme  vous  arrangez  vos  étoiles,  qui 
ont  la  forme  d'une  meule  de  moulin. 

—  Soyons  d'accord  ,  interrompit  encore 
d'Argens;  nous  aiderons  Sa  Majesté.  Les 
choses  maçotiniques  me  plaisent  à  moi ,  à 
cause  des  festins. 

Eh  bienl  mon  cher  d'Argens,  je  vous  ferai 
faire  une  collation  qui  aura  du  moins  le  mé- 
rite de  la  singularité.  Voici  mes  bases  mes- 
sieurs, continua  Frédéric,  nos  frères  s'appel- 
leront Noachiles  ou  enfants  de  Noé;  ils  s'ap- 
pelleront même  palriarches  ;  ils  s'appelleront 


encore  chevaliers  prussiens.  Depuis  trois 
cents  ans  ,  mes  ancêtres  sont  les  protecteurs 
de  ce  grade.... 

—  Est-ce  que  c'est  vrai?  demanda  naïve- 
ment d'Argens. 

— Vous  ne  voyez  pas,  répliqua  Maupertuis, 
que  Sa  Majesté  s'amuse,  comme  M.  de  Vol- 
taire quand  il  écrit  l'histoire? 

—  C'est  aussi  vrai  ,  dit  Frédéric  ,  que  ce 
qu'on  vous  a  dil  dans  les  loges  adoniramiles. 
Les  chevaliers  prussiens  étaient  célèbres  déjà 
dans  la  mythologie  sous  le  nom  de  Titans  ; 
ils  voulurent  escalader  le  ciel.  Nous  qui  con- 
naissons le  grand  architecte  del'univers,  nous 
laissons  les  Titans  dans  les  fables;  nous  ne 
remontons  ,  comme  je  l'ai  dil,  qu'à  la  tour 
de  Babel.  Nous  célébrerons  notre  grande  te- 
nue dans  la  nuit  de  la  pleine  lune  de  mars, 
anniversaire  de  la  confusion  des  langues  et 
de  la  dispersion  des  ouvriers  rebelles.  Et 
comme  c'est  là  un  châtiment  de  l'orgueil,  ce 
qui  est  toujours  de  bon  exemple,  les  cheva- 
liers prussiens  ne  s'assembleront  que  dans 
un  lieu  retiré  et  n'auront  en  loge  d'autre  lu- 
mière que  la  lune. 

—  Ce  sera  fort  commode  en  campagne,  dit 
d'Argens. 

— Et  si  le  roi,  ajouta  Vollaire,  permet  à  ses 
officiers  de  connaître  la  lumière— de  la  lune, 
— ils  le  feront  à  peu  de  frais. 

— Ainsi,  messieurs,  reprit  le  roi,  nous  de- 
Tons  arranger  cela  entre  nous.  Comme  il 
est  bon  de  savoir  ce  qui  se  fera  en  loge ,  le 
grand  mailre  général  de  l'ordre  sera  a  per- 
pétuité le  roi  de  Prusse. 

— A  perpétuité  veut  dire,  interrompit  Mau- 
pertuis, tant  que  durera  le  grade  des  cheva- 
liers prussiens. 

— Si  c'est  fort  stupide,  dit  d'Argens,  il  en 
sera  d'eux  comme  des  sorciers,  qui  durent 
toujours. 

Le  roi  reprit: — Le  grand  maître  général 
de  l'ordre  s'appellera  en  loge  grand  comman- 
deur; le  premier  surveillant,  grand  inspec- 
teur; le  second  surveillant,  grand  introduc- 
teur; le  secrétaire,  grand  chancelier;  le  tré- 
sorier, grand  trésorier. 

— Vous  leur  donnerez  bien  de  la  grandeurl 
dit  d'Argens  en  riant. 

—  Ce  sont  des  grandeurs  qui  ne  coûtent 
rien  à  Sa  Majesté,  riposta  Vollaire. 

■ — L'orateur,  poursuivit  Frédéric,  s'appel- 
lera chevalier  d'éloquence.  C'est  un  titre 
que  nous  vous  eussions  conféré  avec  joie, 
monsieur  de  Voltaire;  mais  vous  éles  résolu 
à  nous  quitter. 

—  Sire  ,  répondit  le  philosophe  ,  donnez 
cette  dignité  à  Mauperluis.  Au  clair  de  la  lune 
il  sera  plus  pathétique  qu'à  l'Académie. 

—  Ainsi  donc ,  repril  encore  le  roi ,  nous 
descendons  de  Plialeg,  grand  architecte  de  la 
tour  de  Babel ,  qui  s'éleva  plusieurs  siècles 
avant  le  lemple  de  Salomon.  Nous  établis- 
sons celle  origine,  avec  les  statuts  du  grade, 
qui  seront  déposés  dans  nos  archives  royales; 
et  il  sera  expressément  défendu  aux  cheva- 
liers prussiens  de  recevoir  aucun  candidat 
qui  ne  pourrait  pas  prouver  qu'il  est  au 
moins  mailre  et  qu'il  a  rempli  des  foitcliouii 


«87 


DICTIONNAIKE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


css 


«rofficier  liignit.iire  diins  une  logo  complèle 
«'l  régulière.  De  la  sorlc ,  sans  que  nous  al- 
lions à  personne,  les  maçons  <]ui  so  Irouvenl 
«léjà  dans  nos  clals  seronl  obliges  de  venir  à 
nous.  Si  c'est  votre  bon  phiisir,  messieurs  , 
nous  allons  ,  ce  soir  même  ,  établir  ce  que 
vous  appelcï  le  rituel ,  fixer  les  cérémonies, 
arrêter  les  signes  cl  les  mois  de  reconnais- 
sance, déterminer  le  costume  et  les  insignes. 
Demain  nous  nommerons  les  dignitaires , 
avec  de  simples  frères  en  nombre  sufGsanl 
pour  composer  une  loge.  Nous  ferons  prépa- 
rer le  temple;  et  lundi  prochain  ,  19  mars  , 
jour  de  la  pleine  lune  ,  nous  tiendrons  loge  , 
avec  un  aplomb  suffisant  pour  nous  montrer 
constitués.  Nous  ferons  la  veille  une  répéti- 
tion générale. 

—  Mais  ,  observa  d'Argens  ,  rien  ne  sera 
prêt  ;  nous  n'avons  que  trois  jours. 

—  Comme  nous  ne  pouvons  pas  rr culer 
la  pleine  lune  de  mars  ,  dit  le  roi ,  il  faudra 
bien  que  nous  soyons  prêts.  Je  me  charge 
du  temple.  Les  costumes  seront  des  vestes 
d'ouvriers.  De  vrais  maçons  n'ont  pas  de 
robes. 

— El  quel  sera  le  degré  du  grade?  demanda 
Mauperluis. 

—Le  vingt-et-unième,  répondit  le  roi. 

—  Mais  c'est  superbe  ,  s'écria  d'Argens  , 
ils  n'ont  encore  que  onze  degrés  à  Paris  ; 
et  on  n'en  compte  que  huit  dans  le  rit  écos- 
sais (1). 

— Les  grades  intermédiaires  se  feront,  dit 
le  roi.  Travaillons. 

Les  quatre  philosophes  ,  occupés  par  l'ac- 
tivité de  leur  chef,  se  couchèrent  fort  tard. 
Le  lendemain  et  les  jours  suivants,  leur  uni- 
que affaire  fut  de  suivre  le  bizarre  projet  du 
roi;  et  le  lundi  19  mars ,  assuré  par  une  ré- 
pétition Irès-éludice  que  tout  irait  bien,  le 
roi  s'en  alla  ,  au  lever  de  l'astre  de  la  nuit, 
suivi  de  quatorze  courtisans  inaugurés  ma- 
çons du  grade  de  chevalier  prussien,  à  l'o- 
rangerie du  palais,donl  il  avait  pris  une  par- 
lie,  exposée  en  plein  auclair  de  la  lune, pour 
en  faire  son  temple. 

Nous  rapporterons  les  détails  de  cette  te- 
nue, où  le  marquis  d'Argens  devait  jouer  le 
rôle  de  récipiendaire. 

Les  quinze  maçons  entrèrent  dans  une 
salle  où  ils  déposèrent  leurs  habits  et  leurs 
armes  on  insignes  pour  endosser  des  ves- 
tes d'ouvriers  qu'on  avait  faites  à  la  hâte. 
Tous  ceignirent  l'épée  antique  et  se  passè- 
rent au  cou  le  cordon  ou  ruban,  en  soie 
noire  unie,  auquel  pendait  le  bijou;  ce  bijou 
est  un  triangle  équilatér.il  dont  la  bande  in- 
férieure est  traversée  par  une  flèche,  la  pointe 
en  bas.  Il  estenor  lorsqu'on  le  porte  au  bout 
du  cordon,  et  en  argent  lorsqu'il  se  met  à  la 

(1)  l'our  donner  une  idée  de  tous  ces  degrés,  qui  vien- 
«cnl  après  les  titres  d'apprenli ,  compatînon  el  mallre  , 
iiuus  cileriiiis  ici  les  qualités  honoriliques  d'u»  maçon  à  qui 
«n  vieiil  de  décerner  récemmeiil  le  litre  insigne  de  su- 
blime prince  royal.  Il  fst— maître  des  loges  symboliques, 
— mattre  secret,— maître  parlaii,— maître  anglais,— maître 
irlandais ,— maître  en  Israël,— maUrc  éludes  neuf,— illu- 
elre  des  quinze,— sublime  che\alier  élu  ,— grand-matlre 
architecte  .—templier  et  précepteur  d'Asie  ,— sublime- 
éci«»isou  giandiionlite,— iioacLiic  ou  chevalier  prussien. 


boutonnière  de  la  veste.  Ayant  lié  leurs  ta- 
bliers de  peau  jaune,  mis  leurs  gants  jaune», 
el  tenant  d'une  main  l'inévitable  truelle,  de 
l'autre  le  maillet,  les  frères  entrèrent  dans  le 
Icniple,  que  la  lune  éclairait  par  trois  gran- 
des fenêtres,  et  qui  était  régulièrement  com- 
pose de  deux  appartements.  Le  firmament 
était  badigeonné  au  plafond  de  la  première 
pièce,  destinée  aux  travaux.  Il  y  avait  dans 
un  coin  une  grotte  factice  ,  et  sur  l'un  de.s 
côtés  de  la  grotte  un  cercueil  vide. 

Le  roi,  en  t|ualitc  de  grand  commandeur, 
se  plaça  à  l'oppo.sé  de  la  lune,  qui  éclairait 
en  plein  son  visage.  Les  fières  s'approcliè- 
rcnl  de  lui,  pour  être  à  portée  d'enlendro  .ses 
ordres,  n'ayant  point  de  places  fixes  ,  pour 
faire  voir  qu'ils  étaient  tous  égaux.  Le  grand 
commandeur  ayant  frappé  trois  coups,  et  le 
grand  inspecteur  ayant  répondu  par  un  coui) 
de  maillet  frappé  sur  le  poninicau  de  son 
épée  ,  car  les  chevaliers  prussiens  n'avaieiil 
ni  table  ni  bureau  ,  le  grand  commandeur 
dit: — A  l'ordre,  mes  frères! 

Aussitôt ,  tons  les  maçons  furent  debout , 
élevant  les  bras  ,  les  doigts  étendus  vers  la 
lune. 

Alors  le  grand  commandeur,  procédant  à 
l'instruction  ,  qui  doit  se  faire  à  chaque  te- 
nue, lorsqu'il  n'y  a  pas  de  planche  détermi- 
née ,  s'adressa  à  l'un  des  frères.  C'était, 
sous  sa  veste,  un  grave  général  prussien  ;  il 
lui  demanda; — qui  êtes-vous? 

Le  frère  répondit  selon  la  formule: — Ditc- 
moi  qui  vous  êtes  ,  el  je  vous  dirai  qui  ju 
suis. 

—Connaissez-vous  les  enfants  de  Noéî  re- 
prit le  grand  commandeur. 
— J'en  connais  trois. 
-Qui  sont-ils? 
—S.  dit  le  général. 
— C.  poursuivit  le  roi. 
— J.  continua  l'autre. 
— Que  signifient  ces  lettres? 
— Ce  sont  les  initiales  du  mot  sacré  (Sent, 
Gham,  Japhet). 
— Donnez-moi  laltouchement. 
— Le  voici.  Et  comme  le  grand  comman- 
deur présentait  les  deux  premiers  doigts  de 
la  main  droite  étendus,  l'autre  les  prit  avec 
le  pouce  elles  deuxdoigts  suivants,  les  pressa 
trois  fois  en  disant:  Scm,  Cliam;  à  quoi  le 
roi  répliqua:  Japhet;  puis  il  reprit: — Faites- 
moi  le  signe. 

—J'y  satisfais  ,  répondit  le  frère.  Il  éleva 
les  mains  ouvertes,  les  potices  formant  16- 
querre  avec  l'index  ,  mit  les  pouces  contre 
ses  oreilles  et  fil  trois  génuflexions  du  genou 
gauche. 

—C'est  le  s<gne  général,  dit  Frédéric, Fai- 
tes le  signe  d'enlrée  ou  signe  de  passe. 

— royale  hache  on  prince  du  Liban, — chef  du  tabernacle, 
— prince  dn  tabernacle,— chevalier  de  l'Orient  ou  de  l'é- 
pée , —  prince  de  Jérusalem, — souverain  prince  rose- 
croix,- chevalier  dn  pélican, — chevalit;r  du  serpent  d'ai- 
rain,— prince  de  Mercy, — souverain  commandeur  du  tem- 
ple , — chevalier  du  soleil ,— chevalier  Kadosch  , — grand 
inquisiteur  souverain, — patriarche  ries  croisades, — prince 
souverain  du  royal  secret,— grand  écossais  de  .saint  André 
d'Ecosse,  etc.,  etc.,  etc. — El  ces  gens- là  se  moquent  oes 
titres! 


R88 


rnv 


FR\ 


f,90 


Le  clicv.ilior  frappa  trois  coups  ègnuxavoc 
son  inaillel  sur  le  manche  de  sa  Irueile;  puis 
il  avança  les  Irois  premiers  doigts  allongés 
de  la  main  droite  eu  disant:  Noé.  Le  grand 
commandeur  empoigna  ces  trois  doigts  en 
répondant:  Noé, Noé.  Et  il  continua:— dites- 
moi  le  mot  de  passe. 

—  riialeg. 

—  Connaissez-vous  le  grand  architecte 
de  la  tour  de  Babel? 

—  Phaleg  est  son  nom. 

—  Qui  vous  a  appris  son  histoire  ? 

—  Lechevalierd'éloquence  des  chevaliers 
iioachites. 

—  En  quelle  loge? 

—  Dans  une  loge  que  la  lune  éclairait 

—  N'aviez-vous  pas  d'autre  lumière? 
-^  Non. 

—  Cet  édifice  de  la  tour  de  Babel  était-il 
louable  ? 

—  Non,  la  perfection  en  était  impossible. 

—  Pourquoi  ? 

—  Parce  que  l'orgueil  en  était  le  fonde- 
ment. 

—  Est-ce  pour  imiter  les  enfants  de  Noé 
que  vous  en  gardez  la  mémoire? 

—  Non,  c'est  pour  avoir  leurs  fautes  de- 
vnnt  les  yeux. 

—  Où  repose  le  corps  de  Phaleg  ? 

—  Dans  un  tombeau. 

—  A-t-il  été  réprouvé  ? 

—  Non  ;  la  pierre  d'agate  dit  que  Dieu 
a  eu  pitié  de  lui,  parce  qu'il  est  devenu 
humble. 

—  Comment  avez-vous  été  reçu  ? 

—  Par  trois  génuflexions ,  après  avoir 
baisé  le  pommeau  de  l'épée  du  grand  com- 
mandeur. 

—  Pourquoi  vous  a-t-il  fait  faire  des  génu- 
flexions ? 

—  Pour  me  rappeler  que  je  dois  élre 
humble. 

—  Pourquoi  les  chevaliers  prussiens  por- 
tent-ils un  triangle? 

—  En  mémoire  du  temple  de  Phaleg. 

—  Pourquoi  la  flèche  renversée? 

—  En  mémoire  de  ce  qui  arriva  à  la  tour 
de  Babel, 

—  Les  ouvriers  travaiilcnt-ils  jour  et 
nuit? 

—  Oui, le  jour  à  la  clarté  du  soleil, la  nuit 
à  la  faveur  des  rayons  de  la  lune. 

Pendant  cette  dernière  question,  le  grand 
introducteur  était  sorti.  Aussitôt  que  le 
frère  interrogé  eut  terminé  sa  réponse,  le 
çrand  introducteur  frappa  trois  coups  lents 
a  [a  porte. 

Le  grand  inspecteur  répondit  par  un  seul 
coup  violent,  en  disant  :  Qui  étes-vous  ? 

—  Un  chevalier  qui  demande  l'entrée,  ré- 
pondit la  voix  du  dehors. 

Le  grand  inspecteur  ouvrit  la  porte,  reçut 
lus  attouchements,  signes  et  mots  de  passe 
du  grand  introducteur  ,  le  fil  entrer  seul, 
quoiqu'il  eût  un  compagnon  avec  lui  cl  re- 
ferma la  porte. 

—  Grand  commandeur,  dit  alors  en  s'a- 
dressant  au  roi  le  frère  grand  introducteur, 


un  candidat  maître  maçon  demande  la  fa- 
veur de  participer  à  nos  travaux. 

—  En  répondez-vous?  dit  Frédéric. 

—  Comme  de  moi-môme. 

—  lntroduiscz-le;et  qu'il  entre  en  maître, 
après  avoir  donné  les  signes  et  mots  tie 
passe  de  son  grade. 

On  fit  avancer  le  marquis  d'Argens,  dans 
ses  habits  de  ville,  sans  épée  ,  portant  le  ta- 
blier de  maçon  du  troisième  degré  et  les 
gants  blancs. 

—  Chevaliers,  dit  le  grand  commandeur, 
celui  qui  vous  est  présenté  est  un  maître 
maçon, descendant  d'Adoniram.qui  demande 
à  être  reçu  chevalier  prussien.  Y  consentez- 
vous? 

Tous  les  chevaliers  ensemble  tirèrent  leurs 
cpécs ,  en  dirigèrent  la  poinle  vers  le  réci- 
piendaire et  lui  demandèrent  s'il  persistait 
dans  ses  serments.  Après  qu'il  eut  répondu: 
J'y  persiste,  tout  le  monde  rengaina, et  le  roi 
dit  au  marquis  d'Argens  : 

—  Mon  frère,  le  désir  de  parvenir  à  esca- 
laderle  ciel  nous  en  fait  chercher  les  moyens. 
Promettez-vous  de  nous  seconder  et  de  tra- 
vailler avec  nous  ? 

—  Je  le  promets. 

—  Frère  grand  introducteur,  mettez -le  à 
l'ouvrage  et  dirigez-le. 

Aussitôt  on  donna  au  candidat  une  truelle; 
et  tous  les  frères  ,  Voltaire  et  Maupertuis 
comme  les  autres,  se  mirent  avec  lui  à  faire 
semblant  de  maçonner  ,  manœuvre  fictive 
qu'ils  exécutaient  avec  une  gravité  inexpli- 
cable. 

Ils  maçonnaient  ainsi  dans  le  vague  ,  sans 
trop  de  fatigue,  depuis  trois  minutes,  quand 
dans  la  seconde  pièce  on  entendit  un  bruit 
qui  imitait  le  fracas  du  tonnerre.  Toutes  les 
Iruelles  tombèrent  à  la  fois  des  mains  des 
chevaliers, qui  aussitôt  se  remirent  à  l'ordre, 
faisant  des  cornes  à  la  lune. 

—  Frère  grand  introducteur,  cria  le  roi, 
prenez  cet  orgueilleux  (il  désignait  le  mar- 
quis d'Argens  )  dont  l'ostentation  nourrit  un 
projet  qui  ne  lend  à  rien  moins  tiu'à  défier 
le  grand  architecte  de  l'univers.  Conduisez- 
le  au  nord,  qu'il  y  pleure  sa  faute  ;  qu'il  tr;i- 
verse,  pour  y  parvenir,  les  déserts  les  plus 
affreux. 

Le  grand  introducteur  fil  donc  faire  à  d'Ar- 
gens le  tour  de  la  loge,  ce  qui  passa  pour 
les  plus  affreux  déserts  ;  il  le  conduisit  à  la 
grotte  factice,  le  fit  asseoir  dans  le  cercueil, 
lui  servit  une  cruche  d'eau  dont  il  lui  fit 
boire  un  coup,  et  une  assiette  de  caroltt  s 
crues  qu'il  lui  fil  manger. 

—  C'est  là  sans  doute,  dit  d'Argens  ,  le 
friand  festin  que  Sa  Majesté  m'avait  promis. 
La  surprise  est  frugale. 

Pendant  que  le  marquis  d'Argens  croquait 
son  assiette  de  carottes,  sexécutant  assez 
mal,  tous  les  frères  passèrent  dans  le  second 
appartement. 

—  Frère  grand  inspecteur,  dit  alors  le  roi, 
qu'est  devenu  Phaleg  ? 

Le  frère  répondit: — Ilestdans  les  déserts, 
cherchant  par  sa  pénitence  à  apaiser  la  co- 
lère du  ciel. 


C9i 


MCTIONNAmE  DKS  SCIENCES  OCCULTES. 


en 


—  Palriarcli.  s,  mes  frères,  reprit  le  prand 
commandeur,  allons  à  sa  recherche.  Espé- 
rons que  le  grand  archilecte  de  l'univers  lui 
aura  accordé  son  pardon. 

Sur  CCS  paroles,  le  grand  commandeur, 
suivi  de  tous  les  chevaliers,  fil  le  lourde  la 
seconde  pièce,  qui  n'avait  aucune  décora- 
tion, revint  dans  la  première,  en  fil  le  tour 
également,  sans  avoir  l'air  de  rien  remar- 
quer à  celle  promenade  silencieuse. 

Mais  dans  un  second  tour  qui  se  fil  avec 
la  même  gravilé,  le  grand  commandeur  pa- 
rut apercevoir  la  groUe  ;  il  y  cnlra;  il  fil  des 
gestes  d'élonncmenl  en  découvrant  le  cer- 
cueil. Il  le  montra  aux  frères  avec  des 
signes  d'inlelligcnce  ;  et  lous  se  tnircnl  à 
l'ordre. 

En  baissant  les  yeux,  le  grand  comman- 
deur aperçut  à  terre  un  bijou  de  chevalier 
prussien  ;  il  le  ramassa,  tandis  que  le  grand 
inspecteur  eu  ramassait  un  autre. 

Frédéric  chercha  dès  lors  plus  soigneuse- 
ment ;  il  vil  dans  le  cercueil  le  candidat  qui, 
après  avoir  mangé  ses  carottes,  s'était  éten- 
du tout  de  son  long  ;  il  le  fit  lever,  en  lui 
disant  : 

—  Mon  frère,  mettez  votre  confiance  dans 
la  bonté  du  grand  architecte  de  l'univers. 
Fiez-vous  à  lui;  il  vous  conduira  par  des 
voies  sûres  au  but  où  vous  aspirez. 

Le  grand  commandeur  et  lous  les  frères 
retournèrent  ensuite  dans  la  seconde  pièce, 
dont  ils  fermèrent  la  porte. 

Le  grand  introducteur  était  resté  seul  avec 
le  candidat;  il  le  prit  par  la  main  et  alla 
frapper  trois  coups ,  auxquels  trois  coups 
pareils  répondirent. 

—  Voyez  qui  frappe,  dil  le  grand  comman- 
deur. 

—  C'est,  répondit  le  frère  introducteur, 
un  enfant  de  Noé ,  parfait  maçon,  qui,  après 
avoir  fait  pénitence,  demande  la  faveurd'ôtre 
admis  parmi  les  patriarches  noachites. 

—  Donnez-lui  l'entrée  ,  dil  le  grand  com- 
mandeur. Consenl-il  à  se  dépouiller,  dès  ce 
moment  cl  pour  toujours,  de  toute  ostenta- 
tion et  de  tout  orgueil  ? 

—  Je  le  promets ,  répondit  d'Argcns  in- 
troduit. 

—  Que  demandez-vous  ?   reprit  Frédéric. 

—  La  faveur  d'être  admis  parmi  vous. 

—  Y  consentez-vous,  mes  frères? 
Tous  les  patriarches  tirèrent  de  nouveau 

leurs  épées,  et  les  abaissèrent  vers  le  candi- 
dat, en  signe  de  consentement. 

—  Faites  approcher  le  candidat  de  l'autel, 
dil  le  roi. 

Le  frère  introducteur  fil  faire  au  candidat 
trois  génullexions  du  genou  gauche  et  le 
conduisit  à  l'autel  triangulaire. 

—  Mon  frère,  dit  le  grand  commandeur, 
commencez  par  un  acte  d'humilité. 

Il  lui  présenta  le  pommeau  de  son  épée, 
que  d'Argens  baisa  trois  fois.  Puis  s'élanl  mis 
à  genoux,  les  mains  étendues  sur  l'autel,  il 
prêta  le  serment  en  ces  termes  : 

«  Moi  Jean-Baptiste  de  Boyer  ,  marquis 
d'Argcns,  je  promets  et  jure,  sous  les  peines 
portées  dans  mes  précédentes  obligaCions,  de 


ne  jamais  révéler  les  secrets  des  noarhites 
ou  clKMaliers  prussiens,  à  aucun  frère  d'un 
grade  inférieur,  ni  à  aucun  profane,  et  à  me 
soumellrc  aux  statuts  cl  règlements  du 
grade,  appelant  sur  moi  là  vengeance  si  j'y 
manque;  ce  dont  me  préserve  le  grand  ar- 
chiti'cte  de  l'univers  1  » 

Dès  que  ce  sertiient  fut  achevé,  le  grand 
commandeur  fil  passer  la  truelle  sur  la  têlc 
du  récipiendaire  et  lui  dit  : 

—  En  vcrlu  des  pouvoirs  dont  je  suis  re- 
vêtu, et  au  nom  du  sublime  conseil  des  che- 
valiers prussiens ,  je  vous  reçois  chevalier 
noachile. 

Sur  quoi  il  lui  donna  le  baiser  de  paix, 
lui  communiqua,  avec  dignité  el  précision, 
les  signes,  attouchements  et  mots  de  passe, 
el  reprit  : 

—  Promettez-vous,  foi  de  maître  maçon, 
de  garder  les  sccrels  que  je  vous  ai  confiés  ? 

—  Je  le  promets. 

—  Vous  soumettez-vous  aux  trois  obliga- 
tions que  je  vais  énoncer  :  1*  De  ne  janjais 
révélera  aucun  des  enfants  d'Adam  les  mys- 
tères de  notre  ordre,  à  moins  ()ue  vous  ne 
les  connaissiez  pour  maçons  ;  2'  d'êlre  offi- 
cieux el  compatissant  pour  tous  les  cheva- 
liers de  notre  grade;  3°  de  ne  souffrir  ja- 
mais, même  au  péril  de  votre  rie  ,  qu'aucun 
homme  porte  le  bijou  de  chevalier  prussien, 
à  moins  qu'il  ne  se  fasse  reconnaître  de  vous 
comme  tel? 

—  Je  le  jure  et  je  m'engage  sous  serment 
à  ces  conditions. 

Alors  le  grand  inspecteur  el  le  grand  in- 
troducteur ôièrent  à  d'Argens  son  liabil,  et 
lui  mirent  la  veste,  qui,  avec  sa  haute  taille, 
lui  donnait  un  air  très-singulier.  On  le  fit 
asseoir,  cl  le  chevalier  déîoquenco  ,  qui 
était  en  effet  Mauperluis,  fit  le  discours  his- 
toritiue. 

«Les  enfants  deNoc, dit-il, nonobstant  l'arc- 
cn-ciel  ,  qui  était  le  signe  de  réconciliation 
que  le  Seigneur  avait  donné  aux  hommes, 
pour  les  assurer  qu'il  ne  se  vengerait  plus 
d'eux  par  un  déluge  universel  ,  résolurent 
toutefois  de  construire  une  tour  assez  élevée 
pour  se  mettre  à  l'abri  d'un  désastre  nou- 
veau. Ils  choisirent  pour  cela  une  plaine 
nommée  Sennaar,  dans  l'Asie.  Dix  ans  après 
qu'ils  eurent  assis  les  fondements  de  cet  édi- 
fice, cl  comme  ils  étaient  déjà  à  une  grande 
hauteur,  le  Seigneur,  dit  l'Ecriture,  jeta  les 
yeux  sur  la  terre  el  vil  l'orgueil  des  hom- 
mes. Pour  les  punir,  il  mil  la  confusion 
dans  leurs  langues;  c'est  pourquoi  on  ap- 
pela celle  tour  Babel ,  qui  veut  dire  confu- 
sion. 

«  Quelque  temps  après  ,  Nemrod  ,  qui  a 
été  le  premier  à  établir  des  distinclions  par- 
mi les  hommes,  fonda,  dans  le  même  lieu, 
une  ville  qui  pour  cela  fut  appelée  Babylone, 
c'est-à-dire  enreinte  de  confusion. 

«  Ce  fut  dans  la  nuit  de  la  pleine  lune  do 
mars  que  le  Seigneur  opéra  la  merveille  de 
la  confusion  des  langues.  C'est  en  mémoire 
de  cet  événement  que  les  noachites  font  tous 
les  ans  leur  grande  assemblée  dans  la  pleine 
lune  de  mars,  et  leurs  assemblées  d'instruc- 


C93 


FBA 


FRA 


cgi' 


lien  (uu5  les  inuis  ,  le  soir  de  l;i  pleine  lune, 
atlcndu  qu'ils  ne  peuvent  avoir  d'autre  lu- 
mière en  loge. 

«  Les  ouvriers  de  la  tour  de  Babel  ne  s'en- 
tendant  plus,  furent  obligés  de  se  séparer. 
Chacun  prit  son  parti;  il  le  fallait  bien. 
Pliaieg,  qui  avait  donné  l'idée  et  le  plan  du 
bâtiment,  et  qui  en  avait  dirige  les  travaux, 
était  le  plus  coupable.  H  se  condamna  à  une 
pénitence  rigoureuse.  Il  se  retira  jusqu'au 
nord  de  l'Allemagne  ,  dans  des  déserts  où  il 
ne  trouva  ,  pour  toute  nourriture  ,  que  des 
racines  ou  des  fruits  sauvages.» 

—  Voilà  pourquoi,  pensa  d'Argens,  on 
fait  manger  au  récipiendaire  des  carottes; 
mais  on  pourriiit  encore  le  traiter  plus  mal. 

«  Phaieg  vint,  reprit  le  chevaliir  d'élo- 
quence, dans  cette  partie  de  la  Germanie 
qu'on  nomme  aujourd'hui  la  Prusse.  11  con- 
struisit quelques  cabanes  pour  se  mettre  lui 
elles  siens  à  l'abri  des  injures  du  temps  ;  il 
éleva  aussi  un  tninpie  en  forme  de  triangle, 
et  il  s'y  enferma  personiiell('mont,poursolli- 
citer  le  pardon  de  son  péché. 

«  Or ,  en  l'an  533 ,  en  faisant  des  fouil- 
les non  loin  d'ici  ,  on  déterra  un  édifice 
triangulaire,  dans  lequel  se  trouvait  une 
table  de  marbre  blanc.  Toute  celte  histoire 
était  écrite  sur  celle  table  en  caractères  hé- 
braïques. A  côté  se  trouvait  un  tombeau  de 
pierre  de  grès,  et  une  agate  chargée  de 
l'inscription  suivante: 

«  I(i  reposent  les  cendres  du  grand  archi- 
tecte de  la  tour  de  Babel  ;  le  Seigneur  eut 
pilié  de  lui,  parce  qu'il  était  devenu  humble.» 

—  Du  moins  on  ne  dira  pas,  interrompit 
Frédéric,  en  se  penchant  d'un  air  goguenard 
vers  son  voisin,  que  nous  enseignons  une 
morale  de  vanité. 

«  Tous  ces  monuments,  poursuivit  l'cra- 
leiir,  sont  conservés  chez  Sa  Majesté  le  roi  do 
Prusse.  L'épitaphe  n'exprime  pas  le  nom  du 
grand  architecte  de  la  tour  de  Babel;  mais 
la  table  de  marbre  le  mentionne  formelle- 
ment ;  et  elle  nous  apprend  que  Pliaieg  était 
fils  d'Hébrr,  fils  d'Arpaxad,  flis  de  Sem,  fils 
aîné  de  Noé.» 

Le  discours  historique  étant  Qni,  le  grand 
commandeur  fit  donner  une  épéeau  récipien- 
daire et  lui  alt.-icha  le  bijou  de  l'ordre  en  ar- 
gent à  la  troisième  boutonnière  de  la  veste. 
Puis  il  ajouta  : 

—  Quittez,  mon  frère,  les  ornements  de 
maitre  ;  cl  portez  comme  nous  l'humble  ta- 
blier de  compagnon. 

D'Argens  ôla  ses  gants  et  son  tablier  blanc 
cl  prit  les  gants  cl  le  tablier  de  peau  j;iuno 
«lu'on  lui  offiail. 

—  C'e<t,  en  effet,  moins  salissant,  répon- 
dit-il, en  admirant  comme  le  roi  avait  tout 
prévu. 

—  Quelle  heure  esl-il,  frère  grand  inspec- 
teur? demanda  alors  Frédéric,  en  frappant 
un  coup. 

Le  grand  inspecteur  répondit  :  — 11  est 
l'heure  du  repentir;  le  soleil  est  levé. 

—  Puisque  le  soleil  est  levé,  répliqua  le 
erand  commandeur,  frères,  le  chapitre  est 
fermé. 


Il  frappa  trois  coups; les  deux  surveillants 
répétèrent  : 

—  Le  chapitre  est  fermé. 

Tous  les  chevaliers  prussiens,  se  mettant 
à  l'ordre,  gémirent  trois  fois  d'une  voix  lu- 
gubre :  Phaieg  I 

El  comme  il  était  neuf  heures  du  soir,  toute 
la  société  alla  souper,  après  avoir  déposé  In 
veste  et  les  insignes  de  patriarches. 

—  Avouez,  dit  tout  bas  d'Argens  à  Vol- 
taire, auprès  de  qui  il  cbeminail,  regagnant 
le  palais,  avouez  que  c'est  encore  plus  bêle 
que  le  reste. 

—  N'importe,  répondit  l'autre,  ks  che- 
valiers prussiens  n'en  seront  pas  moins 
fiers. 

—  Mais  nous  nous  prêtons  à  ces  plates  fo- 
lies ;  et  puis  nous  combattons  les  cérémonies 
religieuses,  qui  sont  si  augustes  et  si  impo- 
santes. 

—  Ah  I  je  vous  vois  venir,  poltron  1  s'écria 
Voltaire  en  s'arrétanl;  vous  nous  quitterez, 
je  l'avais  prévu  ;  vous  vous  convertirez... 

—  Mais  ce  ne  sera  peut-être  pas  ce  que  je 
ferai  de  plus  mal,  répliqua  froidement  d'Ar- 
gens. 

—  Et  Maupcrluis,  ce  rêveur,  nous  tou-rnera 
aussi  casaque  ;  j'en  suis  sûr.  Eh  bien  !  quand 
si  peu  de  têles  ont  la  force  de  nous  suivre 
jusqu'au  bout,  il  nous  faut  d'autres  appuis. 
Avec  ses  stupidités,  la  maçonnerie  au  moins 
nous  soutiendra. 

—  Mais,  reprit  d'Argens  étonné,  après  un 
mominl  de  silence;  vous  êtes  donc  Satan? 

—  Sous  certains  rapports,  répondit  Vol- 
taire en  riant,  je  ne  dis  pas  non. 

VU.  —  Le  Comédien  Franc-Maçon. 

1"  CITOYEN.  Prends  garde,  citoyen  Meloa, 
tu  trahis  les  secrets. 

2'  CITOYEN.  C'est  grand'choso  que  les  se- 
crets! 

3'  CITOYEN  Des  saloperiesdesccrelscoimno 
ceux-là,  citoyen  Râteau,  j'en  ai  plein  le  dos. 
D'ailleurs  la  traiic-m.içonnerie  est  encore 
une  invention  des  aristocrates  et  des  avo- 
cats ,  avec  leurs  cordons  et  dorures,  à  trois 
pointes.  C'est  encore  plus  bêle  tiue  le  car- 
naval ,  pour  des  Français  qni  ont  reconquis 
leurs  droits  de  l'homme  el„consenli  à  l'exis- 
tence de  l  Être  suprême.  Çà  ne  peut  servir 
qu'il  des  conspirateurs. 

Aneries  révolulionnmres. 

Voici  autre  chose. 

Le  comédien  Morel,bien  connu  à  Marseille 
où  il  joua  quarante  ans  la  comédie  classique, 
faisait,  sous  la  république  et  sous  l'empire,  la 
joie  des  enfants  de  celle  ville,  parce  qu'il  por- 
tait des  bas  rouges  et  qu'il  se  promenait  dans 
les  rues  avec  ses  habits  de  théâtre.  A  la  scène 
il  jouait  souvent  les  charges  ;  hors  de  la  scène 
il  conservait  de  la  gravité.  On  le  regardait 
au  reste  comme  un  assez  bon  homme.  Il  dî- 
nait habituellement  chez  un  petit  traiteur 
voisin  du  théâtre.  Par  convention  formelle, 
quoiqu'il  mangeât  toujours  seul,  on  ne  man- 
quait jamais  de  lui  mettre  doux  couverts,  l'un 
pour  lui,  l'autre  pour  le  grand  Archilecte  da 
l'univers. 

Avant  de  s'asseoir  à  table,  il  saluait  sou 
convive  invisible  ;  il  lui  servait  le  potage, 
après  quoi  il  se  servait;   quand  il  avait  ab- 


695 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES 


C'Jli 


sorbe  son  assielle,  il  prtMiail  doucement  celle 
du  gmnd  arrhitecle  de  l'univers,  et  l'avalait 
très-digncmenl.  11  servait  au  grand  archi- 
tecte le  premier  verre  de  vin,  se  versait  le 
second,  lui  portait  une  sanlé,  vl  dînait,  par- 
tageant exactement  toules  ses  portions  en 
deux,  ne  se  servant  jamais  que  le  dernier, 
mais  mangeant  toujours  la  part  de  son  con- 
vive à  la  suite  de  la  sienne  ;;iu  bout  du  diner, 
sa  bouteille  vide,  il  [irenait  modestement  le 
vin  Verseau  grand  architecte  de  l'univers,  le 
buvait  et  s'en  allait. 

Qu'il  fût  seul  ou  entouré  d'autres  dîneurs, 
Morel  ne  se  gênait  point  ;  il  divertissait  sou- 
vent les  étrangers,  qui  le  voyaient  faire  toutes 
sortes  d'ofTres  obligeantes  et  polies  à  une  as- 
siette devant  laquelle  on  n'apercevait  jamais 
personne. 

A  ceux  qui  demandaient  si  cet  homme  n'é- 
tait pas  fou,  le  traiteur  répondait  : 

—  Non,  il  est  franc-ninçon. 

Il  était  arrivé  à  Morel,  en  1799,  à  l'époque 
où  l'on  s'occupait  do  réorganiser  en  France 
la  maçonnerie,  une  aventure  assez  fâcheuse 
pour  l'ordre.  Ce  pauvre  homme  voyait  dans 
la  suppression  des  francs-m.içons,  qui  avait 
eu  lieu  sous  la  Terreur,  le  plus  grand  délit 
de  la  révolulion.  Il  ne  parlait  qu'en  pâlissant 
de  l'audace  d'un  écrivain  qui  avait  irailuii 
les  loges  sur  la  scène  dans  la  comédie  des 
Francs-Maçons.  Il  soupirait  après  le  réta- 
blissement de  la  société,  où  il  avait  occupé 
un  grade  très-émincnt  ;  car  il  était  grand 
pontife  ou  sublime  maçon  écossais,  dix-neu- 
vième degré  de  la  hiérarchie  niaçonnique. 

Il  regrettait  amèrement  les  jours  où  il  avait 
figuré  en  loge,  voyant  fièrement  au-dessous 
de  lui  dix-huit  grades. 

Au<si,  dès  que  le  vent  de  la  réorganisation 
souffla,  il  se  mit  en  mouvement  pour  recons- 
(iiuer  son  existence  de  dignitaire.  Mais  après 
les  longs  bouleversements  qui  venaient  d'a- 
voir lieu,  si  les  simples  maçons  de  sept  ans 
et  plus  a\a'\enl  déjà  grande  peine  à  se  re- 
trouver ,  les  chevaliers  hors  d'âge  étaient 
bien  plus  empêchés.  Comment  rassembler 
une  loge  degrands  ponlifes  à  Marseille? Deux 
mois  de  recherches  ne  lui  avaient  déterré  que 
quatre  membres;  il  en  fallait  douze  pour 
composer  une  loge  de  perfection.  On  lui  joua 
un  tour  indigne. 

Des  farceurs,  qui  savaient  son  embarras, 
et  dont  quelques-uns  avaient  été  maçons  du 
troisième  degré,  mais  se  moquaient  alors  de 
l'institution,  vinrent  le  trouver  solennelle- 
ment et  lui  dirent,  avec  effronterie,  qu'avant 
quatre-vingt-treize  ils  avaient  eu  la  digniié 
de  grands-pontifes  ;  ils  s'appuyèrent  de  quel- 
ques secrets  que  l'un  d'eux  avait  accrochés 
dans  la  grande  débâcle  ;  ils  lui  demandèrent 
le  rétablissement  d'une  loge  dont  ils  lui  of- 
frirent la  présidence. 

Très-fliUlé  de  cette  démarche,  de  l'honneur 
qn'on  lui  faisait,  et  du  bonheur  de  s'appeler 
le  trois- fois-puissant,  qui  est  le  titre  officiel 
du  président  des  loges  de  grands  pontifes, 
Morel  accepta;  et  conmie  il  possédait  le  livre 
des  formules,  que  les  francs-maçons  appellent 
leur  rituel,  il  se  mit  à  l'œuvre,  fit  préparer  le 


temple,  fit  faire  les  costumes;  et  au  bout  de 
trois  mois  la  loge  s'installa.  Il  lui  avait  fallu 
tout  ce  temps  pour  les  préparatifs  spéciaux, 
et  pour  refaire  l'instruction  d  s  nouveaux 
frères,  à  qui  la  curiosité  donnait  une  forte 
dose  de  patience. 

Sans  doute  qu'ils  s'étaient  attendus  à  plus 
de  merveilles  qu'on  ne  leur  en  donna  ;  car  ii 
y  en  eut  qui  regrettèrent  leur  temps  perdu  et 
leurs  dépenses  ;  et  des  dépits  éclatèrent  comme 
on  le  verra.  Mais  nous  devons  procéder  avec 
ordre. 

La  loge  s'ouvrit  un  vendredi  du  mois  de 
septembre.  C'était  une  vaste  salle  tendue  de 
bleu  parsemé  détoiles  d'or.  Morel, le  trois-fois- 
puissant,  vêtu  d'une  robe  de  satin  blanc,  por- 
tant sur  le  front  un  bandeau  de  velours  bleu 
où  étaient  brodées  en  or  douze  étoiles,  ayant 
un  sceptre  à  la  main,  s'assit  sur  un  trône 
bleu,  surmonté  d'un  dais  de  môme  couleur. 
Au-dessus  de  sa  tète  pendait  un  transparent, 
où  l'on  avait  peint  le  delta.  Ce  transparent, 
éclairé  par  une  énorme  lampe  à  trois  becs, 
était  la  seule  lumière  du  temple,  le  rituel 
n'en  permettant  pas  d'autres,  'fous  les  frères 
étaient  vêtus  de  robes  blanches;  ils  portaient 
tous  le  même  banJeau  que  le  trois-fois-puis- 
sant,  mais  lui  seul  avait  le  sceptre.  Tous 
avaient  aussi  le  cordon,  placé  de  l'épaule 
droite  à  la  hanche  gauche;  c'était  un  largo 
ruban  cramoisi,  liséré  de  blanc,  sur  lequel 
étaient  brodés  les  m;)ts  Alpha  par  devant. 
Oméga  par  derrière,  séparés  par  douze  étoiles 
d'or.  Au  bout  du  cordon  pendait  ce  que  les 
maçons  appellent  le  bijou;  c'était  un  carré 
long  doré,  portant  d'un  côté  la  première 
lettre  de  l'alphabet  grec  et  de  l'autre  côté  la 
dernière. 

Il  n'y  avait,  selon  le  règlement  de  cette 
loge,  qu'un  surveillant,  as^is  à  l'ouest,  à  l'op- 
posé du  trois-fois-puissant.  Il  tenait  à  la 
main  une  étoile  d'or  au  bout  d'une  baguette. 

On  voyait  dans  la  loge  une  peinture  qu'on 
appelle  le  tableau.  C'était  la  représentation 
d'une  ville  carrée  qui  semblait  descendre  du 
ciel  sur  des  nuages  et  se  disposer  à  écraser 
un  serpent  à  trois  têtes.  Le  serpent  se  trou- 
vait façonné  en  carton.  La  ville  carrée  avait 
douze  portes,  trois  sur  chaque  face  :  on  re- 
marquait au  centre  un  arbre  qui  portait 
douze  sortes  de  fruits.  En  avant  du  tableau 
était  une  montagne  haute  de  six  pieds,  cons- 
truite en  planches  recouvertes  de  toile  peinte 
coinn.c  au  théâtre. 

Après  que  les  frères  eurent  admiré  la  di- 
gnité de  leur  temple,  le  trois  fois-puissant 
frappa  douze  coups  avec  son  sceptre,  et  tout 
le  monde  s'étant  assis,  il  dit  : 

—  Fidèles  et  vrais  frères  (c'est  ainsi  qu'on 
parle  aux  maçons  grands  pontifes),  quelle 
heure  est-il? 

On  répondit  : 

—  Il  est  l'heure  prescrite. 

—  Fidèles  et  vrais  frères,  reprit  Morel, 
tout  est  Alpha,  Oméga  et  Emmanuel.  Tra- 
vaillons. 

Sur  quoi,  le  frère  surveillant  frappa  douze 
coups  à  son  tour  avec  son  étoile  et  dit  : 

—  Fidèles  et  vrais  frères,  la  loge  des  grands 


6J7 


FUA 


Fn\ 


60*? 


pontife»  csl  ouverte.  Faites  Tapplaudisse- 
uieiit. 

Chacun  des  assistants  cria  trois  fois  :  —  Al- 
léluia 1 

Pour  comprendre  ce  mélange  de  choses 
sacrées  à  des  choses  aiisurdes,  il  faut  assis- 
ter à  toute  la  séance.  Morel  y  déploya  toute 
sa  science  et  tout  son  savoir-faire. 

11  avait  pensé  que  le  meilleur  moyeu  de 
remettre  tous  les  assistants  sur  la  voie  des 
bonnes  doctrines,  était  de  repasser  toutes  les 
instructions,  en  interrogeant  le  frère  qu'il 
savait  le  plus  solide.  C  eiait  un  vieil  arma- 
teur, qu'il  interpella  ainsi,  avec  la  gravité 
convenable  : 

—  Qui  étes-vous? 

—  Grand  pontife,  ou  sublime  écossais,  à 
qui  rien  n'est  inconnu. 

—  Où  avez-vous  été  reçu  ? 

—  Eu  un  lieu  qui  n'a  besoin,  pour  être 
éclairé,  ni  du  soleil  ni  de  la  lune. 

—  Expliquez-vous  là-dessus. 

—  De  même  que  la  loge  de  sublime  écos- 
sais n'emprunte  point  de  lumière  extérieure 
pour  être  éclairée,  de  même  le  Gdèle  et  vrai 
frère  n'a  besoin  ni  de  richesse  ni  de  naissance 
pour  être  admis  en  loge.  Mais  il  doit  faire 
preuve  de  son  attachement  à  la  maçonnerie, 
de  son  dévouement  pour  ses  frères. 

—  Que  représente  le  tableau  de  la  loge? 

Une  ville  carrée  avec  trois  portei  à  cha- 
que face.  Au  milic^u  est  un  arbre  qui  porte 
douze  espèces  de  fruits.  La  ville  sur  des  nua- 
ges est  suspendue  au-dessus  d'une  autre 
ville  détruite  d'où  sort  un  serpent  à  trois 
têtes. 

—  Expliquez-vous  là-dessus. 

La  ville  carrée  représente  la  nouvelle  ma- 
çonnerie, du  titre  de  Sublime-Ecossais;  elle 
vient  remplacer  l'ancienne,  qui  est  détruite, 
et  elle  écrasera  le  serpent  à  trois  télés  qui 
est  enchaîné. 

—  Comment  la  maçonnerie  ancienne  cst- 
elle  tombée  en  ruines,  puisque  ses  liens  sont 
indissolubles  ? 

—  Cela  fut  ainsi  décrété  de  tous  temps  ; 
nous  l'apprenons  par  saint  Jean,  que  nous 
reconnaissons  pour  le  premier  maçon  qui 
tint  une  loge  de  perfection. 

—  Où  saint  Jean  dit-il  cela  ? 

—  D.ins  la  Révélation  ou  Apocalypse  , 
lorsqu'il  parle  de  Babylone  et  de  la  Jérusa- 
lem céleste. 

(  Dans  tous  ces  détails,  remarquez  qu'on 
se  borne  à  transcrire  scrupuleusement  un 
procès-verbal  et  des  pièces  authentiques.  ) 

—  Que  signifie,  continua  Morcl,  l'arbre 
qui  est  au  milieu  de  la  ville  et  qui  porte  douze 
espèces  de  fruits?— C'est  l'arbre  de  vie  placé 
là  pour  faire  comprendre  que  c'est  dans  la 
loge  sublime  écossaise,  parmi  les  grands 
pontifes,  fidèles  et  vrais  frères,  qu'on  trouve 
les  douceurs  de  la  vie  ici-bas.  Les  douze 
espèces  de  fruits  signifient  que  nous  devons 
nous  rassembler  tous  les  mois  en  tenue  pour 
nous  faire  part  de  nos  mutuelles  lumières  et 
nous  soutenir  contre  nos  ennemis. 

—  Quelle  étendue  doit  avoir  la  Jérusalem 


céleste,  et  combien  de  portes  aura  son  en- 
ceinte ? 

—  Chacune  des  quatre  faces  aura  trois 
portes  comme  au  tableau  ;  l'étendue  totale 
de  la  ville  sera  tle  douze  mille  stades.  Les 
douze  portes  indiquent  qu'on  s'y  rendra  de 
toutes  les  parties  du  monde. 

—  Comment  y  parviendra-t-on? 

—  En  suivant  des  routes  étroites  et  diffi- 
ciles et  en  combattant  les  ennemis  qui  en 
défendent  l'entrée. 

—  Pourquoi  portez-vous  ce  bandeau  ? 

—  Parce  qu'dn  ne  peut,  sans  ce  bandeau, 
être  admis  dans  les  sublimes  l'ogcs  écossai- 
ses, et  qu'il  faudra  le  porter  pour  être  admis 
dans  la  Jérusalem  céleste,  ainsi  que  saint  Jean 
s'en  est  expliqué. 

—  Que  signifient  les  douze  étoiles  que 
porte  votre  bandeau  ? 

—  Elles  représentent  les  douze  anges  qui 
gariletit  les  douze  portes  de  la  Jérusalem 
céleste. 

— Quefaut-il  entendre  par  la  couleurbleue? 
— La  douceur,  qui  doit  être  le  partage  des 
fidèles  et  vrais  frères. 

—  Quel  âge  avez-vous  ? 

—  Je  ne  compte  plus. 

—  Comment  vous  nommez-vous? 

—  Fidèle  et  vrai  frère. 

Après  cette  réponse,  il  y  eut  un  moment  de 
silence.  Le  trois-fois-puissant  reprit  bientôt  : 

—  Ce  que  vous  venez  d'entendre  est  um^ 
instruction.  Pour  achever  de  rappeler  aux 
usages  les  frères  dont  tant  d'années  dexil 
ont  affaibli  la  mémoire,  je  vous  ai  ménagé 
aussi  une  réception. 

Frère  préparateur,  continua  Morel  en  s'a- 
dressant  à  l'un  des  assistants,  allez  prendre 
l'aspirant  qui  est  du  grade  des  rose-croix. 
Vous,  frère  expert,  dit-il  à  un  autre  grand 
pontife,  recunillez-vous. 

Le  frère  préparateur  entra  dans  une  cham- 
bre voisine,  où  était  l'aspirant,  vêtu  de  la 
chasuble  de  rose-croix.  Il  l'amena  à  la  porte 
du  temple  et  frappa  onze  coups.  Tous  les 
frères  étaient  attentifs  et  reconnaissants  de 
la  bonne  idée  de  Morel. 

—  On  a  frappé  en  chevalier  rose-croix,  dit 
le  frère  expert  qui  avait  compté  les  onze 
coups. 

—  Voyez  qui  frappe  ainsi,  dit  le  trois-fois- 
puissant,  et  demandez  ce  qu'on  veut. 

—  Frère  préparateur ,  dit  alors  le  frère 
experl  ,  pourquoi  frappez-vous  ainsi?  qui 
est  celui  qui  vous  accompagne,  et  que  cher- 
che-l-il  ? 

—  Je  frappe,  répondit  le  frère  préparateur, 
pour  présenter  au  trois-fois-puissant  un  che- 
valier rose-croix,  qui  désire,  pour  acquérir 
de  nouvejles  vertus,  être  admis  au  grade  do 
sublime  écossais. 

—  S'il  en  est  ainsi,  qu'il  soit  introduit  pour 
être  soumis  aux  épreuves. 

On  lit  entrer  alors  le  récipiendaire,  chargé 
de  sa  chasuble  de  rose-croix,  taule  bariolée 
de  hiéroglyphes.  Le  trois-fois-puissanl  l'in- 
terrogea aussitôt  : 

—  D'où  venez-vous,  mon  frère? 

—  De  la  Judée.  > 


C99 


DICTIONNArUE  DLS  SCltNCES  OCCULTES. 


7(>0 


—  Par  quelle  ville  ayez-vous  passé  ? 

—  Par  N;izarotli. 

—  Qui  vous  a  conduit? 

—  Raphaël, 

—  Dt!  quelle  (ribu  éles-vous  î 

—  De  celle  tic  Jiida. 

—  Qu'avcz-voiis  appris  dans  vos  voyages? 

—  A  croire,  à  espérer,  à  aimer. 

—  Mon  frère,  ne  croyez  pas  aux  perfides 
insinuations  des  flatteurs;  n'espérez  pas  dans 
ce  monde  un  bonheur  parfait;  n'aimez  pas 
les  objets  frivoles.  Mais  aimez  nos  cérémo- 
nies, délestez  les  traîtres  et  rompez  avec  eux. 
Le  promettez-vous  ? 

—  Je  le  promets  et  je  le  jure. 

Vous  avez  manifesté  le  désir  de  parvenir 
à  la  Jérusalem  céleste.  Une  seule  route  y 
conduit.  Un  guide  éclairé  vous  serait  utile; 
mais  ce  serait  nuire  à  votre  mérite.  Ne  devez 
qu'à  vous  seul  la  gloire  du  succès;  et  choi- 
sissez le  chemin  qui  vous  séduira. 

Aussitôt  la  voix  du  frère  préparateur,  qui 
avait  disparu  derrière  un  rideau,  se  fit  en- 
tendre avec  solennité ,  elle  prononça  ces 
mois  : 

—  Qu'il  gravisse  la  montagne,  s'il  veut 
parvenir  à  son  but. 

Pour  arriver  au  sommet  de  la  montagne  de 
planches,  qui  était  haute  de  six  pieds,  il  y 
avait  deux  chemins,  un  chemin  fleuri  et  un 
chemin  raboleux.  Il  fallait,  pour  la  leçon  , 
qu'il  prît  le  chemin  Oeiiri  ;  ce  qu'il  ne  man- 
qua pas  de  faire.  Quand  il  l'eut  parcouru  en 
cinq  ou  six  pas,  il  fut  contraint  de  s'arrêter, 
la  monlagne  étant  coupée  à  pic  eu  face  du 
trois-fois-puissant. 

—  Que  ne  continuez-vous  votre  roule,  mon 
frère?  lui  dit  Murel. 

—  Je  ne  puis  aller  plus  loin. 

—  Le  trois-fois-puissanl  frappa  trois  coups 
cl  s'écria  : 

—  Fidèle  surveillant,  volez  au  secours  de 
ce  présomptueux,  qui  a  pris  la  route  fleurie, 
et  montrez-lui  comment  on  parvient  à  la 
perfection. 

Le  frère  appelé  monta  aussitôt  par  le  sen- 
tier difficile  qui  était  opposé  au  premier,  prit 
le  récipiendaire  par  les  deux  mains,  le  fit 
descendre  à  reculons  et  le  reconduisit  à  sa 
place. 

—  Frère  Imprudent,  reprit  Morel ,  vous 
avez  choisi,  pour  arriver  à  la  Jérusalem  cé- 
leste, une  route  facile  et  jonchée  de  fleurs. 
La  perfection  ne  peut  s'acquérir  ainsi.  Vous 
marchiez  vers  un  précipice  affreux  ;  votre 
perte  était  infaillible,  si  une  main  généreuse 
n'était  venue  à  voire  secours.  Ce  guide  pré- 
cieux vous  a  fait  franchir  des  routes  escar- 
pées cl  vous  a  garanti  des  dangers  qui  vous 
entouriiienl.  Mais  ne  croyez  pas  avoir  sur- 
mtnté  toutes  les  dilficullés  ;  un  ennemi  puis- 
sant s'oppose  à  votre  passage.  Plusieurs 
avant  vous  ont  succombé  sous  ses  coups. 
Regardez  ;  il  est  sous  vos  yeux  et  vous  at- 
tend pour  vousdévorer.  Pour  arriver  jusqu'à 
moi,  opposez-lui  le  bijou  que  vous  portez. 

Alors  le  serpent  à  trois  lèlcs,  qui  était  une 
machine  prêtée  par  le  théâtre  ,  se  mil  à 
remuer  la  queue  assez  lourdement  ;  il  siffla 


de  son  mieux  au  moyen  d'un  sifflet  que  lo 
trois-fois-puissanl  dirigeait  avec  une  corde 
attachée  à  son  pied  ;  il  agita  ses  trois  létes 
de  carton.  Le  récipiendaire  présenta  son 
bijou  de  rose-croix  ;  incontinent  le  monstre 
devint  immobile;  et  le  frère  préparateur, 
reparaissant,  fit  marcher  le  nouveau  frère 
sur  le  serpent. 

—  Vous  avez  atteint  la  perfection,  s'écria 
Morel  ;  vous  avez  dompté  votre  ennemi,  dont 
les  trois  têtes  vomissent  trois  venins.  Pros- 
ternez-vous  devant  TEernel,  qui  vient  de 
vous  accorder  la  victoire. 

F.,c  récipiendaire  fil  trois  génuflexions;  et  le 
trois-fois-puissanl  reprit  encore  : 

—  Mon  frère,  vous  voyez  sous  vos  yeux  le 
plan  (le  la  Jérusalem  céleste  que  vous  dési- 
rez habiter.  Un  jour  vous  y  serez  admis. 
Remarquez  sa  vaste  étendue;  elle  est  ouverte 
à  tous  les  peuples  de  la  terre.  L'arbre  qui 
est  au  centre  porte  autant  (respèces  de  fruits 
que  l'enceinte  a  d'ouverlures,  pour  mar- 
quer que  chacun  y  trouvera  la  nourriture 
qui  lui  convient.  Approchez,  mon  frère  ,  et 
venez  prendre  l'engagement  du  grade  subli- 
me qui  va  vous  être  conféré. 

Nous  avons  négligé  de  dire  qu'il  y  avait 
devant  le  président,  comme  dans  toutes  les 
loges,  un  autel  triangulaire  sur  une  estrade 
de  trois  marches.  Le  frère  admis  fut  conduit 
à  l'autel  par  le  frère  préparateur,  qui  lui 
fit  mettre  le  genou  droit  sur  la  troisième 
marche  et  la  main  droite  sur  le  chapitre  XXI 
de  l'Apocalypse.  Tous  les  frères  s'éiaient  ap- 
prochés. Le  trois-fois-puissanl  posa  sa  main 
gauche  sur  la  main  étendue  du  récipien- 
daire ;  et  de  la  droite  qui  tenait  le  glaive,  il 
forma  avec  les  glaives  élevés  de  tous  les 
membres  présents,  une  sorte  de  berceau  au- 
dessus  de  la  léte  du  frère  à  genoux.  C'est  le 
berceau  que  les  maçons  appellent  la  voûte 
d'acier. 

Dans  cet  appareil,  le  nouveau  frère  pro- 
nonça ce  serment  : 

—  «  Moi,  Pierre  Scœvola  d'H ,  de  ma 

libre  volonté,  en  présence  du  grand  archi- 
tecte de  l'univers  et  des  fidèles  et  vrais  frères 
ici  rassemblés,  je  jure  sur  ce  livre  sacré,  sous 
toutes  les  peines  portées  par  mes  précédentes 
obligations,  de  garder  religieusement  le  se- 
cret des  sublimes  écossais ,  tant  envers  les 
maçons  des  grades  inférieurs  qu'envers  les 
profanes. 

«  Je  promets  de  ne  consulter  dans  mes  liai' 
sons  d'amitié  ni  la  naissance,  ni  le  rang,  de 
n'estimer  les  hommes  qu'en  raison  de  leur 
attachement  à  la  maçonnerie,  qui  est  la  pra- 
tique des  vertus  civiles  et  morales,  de  prolé- 
ger, accueillir  et  rechercher  les  vrais  maçons, 
enfin  de  me  montrer  digne  d'habiter  un  jour 
la  Jérusalem  céleste.  Amen.  » 

Tous  les  assistants  dirent  trois  fois  :  Amen. 
Puis  le  trois-fois-puissanl,  couvrant  seul  le 
récipiendaire  de  son  glaive,  le  constitua  grand 
pontife  en  disant  ; 

—  Je  reçois  votre  serment ,  cl  convaincu 
que  vous  ie  tiendrez,  je  vous  reconnais  et 
vous  proclame  sublime  écossais  de  la  Jéru- 
salem célesic. 


70! 


FIIA 


FRA 


70J 


Après  CCS  mois,  le  digne  Morel,  posant  son 
glaive  sur  la  léle  du  nouveau  frère,  frappa 
douze  coups  de  son  sceptre  sur  le  dit  glaive  ; 
puis  il  mit  bas  les  armes,  embrassa  le  frère 
reçu,  lui  fit  ôler  la  chasuble  de  rose-croix, 
lui  fit  revêtir  une  robe  blanche  avec  les  or- 
nements du  grade,  puis  lui  donna  les  signes, 
mois  et  attoucbemenis,  les(]uels  consistent, 
savoir  :  le  signe  d'ordre,  à  élever  perpendi- 
culairement le  bras  droit  vers  le  ciel,  que  l'on 
semble  montrer  avec  le  pouce  et  l'index,  les 
trois  autres  doigts  étant  plies,  mais  non  fer- 
més ;  le  signe  de  reconnaissance,  à  tenir  le 
bras  droit  horizonlalement ,  les  doigts  de- 
meurant comme  au  signe  d'ordre  ;  l'attou- 
chement, à  se  mettre  réciproquement  (le  frère 
qui  tuile  et  le  frère  qui  est  luiléj  la  main 
droite  sur  le  fronl,  en  disant,  le  second  :  Al- 
léluia; le  premier  :  Louez  le  Seigneur,  qui 
sont  les  mots  sacrés;  puis  le  second  :  Umn)a- 
nuel;  le  premier  :  Dieu  vous  assiste;  les  deux 
ensemble  :  Amen,  qui  sont  les  mois  de  passe. 

Après  avoir  ajouté  que  la  léponse  à  l'âge 
demandé  est  pour  les  grands  pontifes  ou  su- 
blimes écossais,  je  ne  compte  plus,  le  trois- 
fois-puissant  retourna  à  son  trône,  tous  les 
frères  à  leurs  sièges;  on  fit  asseoir  le  nou- 
veau venu  ;  et  le  trois-fois-puissant  ayant 
frappé  trois  coups  demanda  : 

—  Quelle  heure  est-il  ? 
Le  frère  expert  répondit  : 

—  L'heure  est  accomplie. 

—  Alpha  et  Oméga,  reprit  Morel ,  réjouis- 
sons-nous, mes  frères.  11  frappa  douze  coups, 
le  trère  surveillant  les  répéta  et  dit  en  se  le- 
vant : 

—  Fiitèles  et  vrais  frères  ,  la  loge  des 
grands  pontifes  est  fermée. 

Sur  quoi,  la  loge  alla  dîner  ,  travail  des 
mâchoires  qui  est  la  conséquence  obligée  de 
toute  réunion  maçonnique. 

Morel  était  triomphant  et  superbe;  ce  qui 
ne  l'empêcha  pas,  sous  un  costume  moins 
imposant,  de  jouer  Grispin,  le  soir  même, 
dans  le  Légataire  universel. 

Mais  au  bout  d'un  mois  il  paya  sa  joie  par 
une  grande  douleur.  Quatre  des  plaisants 
qu'il  avait  admis  dans  sa  loge  avec  un  peu 
de  légèreté,  n'étaient  pas  même  maçons.  L'un 
d'eux  était  libraire.  Dans  l'espoir  de  retrou- 
ver ainsi  les  fra»s  qu'ils  avaient  faits  pour 
être  initiés,  ils  publièrent  une  brochure  qui 
se  vendit  rapidoment,  et  qui  révélait  tous  les 
secrets  qu'on  av;iit  fait  passer  devant  leurs 
yeux.  Celle  brochure  était  intitulée  :  Une 
séance  à  la  loge  des  grands  pontifes  ,  sous  la 
présidence  du  père  Morel,  trois-fois-puissant, 
sublime  écossais  et  artiste  dramatique  ;  tout 
cela  en  toutes  lettres. 

Le  Grand-Orient  de  Paris,  qui  se  réorga- 
nisait, envoya  l'ordre  à  tous  les  maçons  de 
supprimer  cette  brochure;  il  interdit  au  pau- 
vre Morel  lijule  présidence  de  loge;  il  défen- 
dit pour  dix  ans  à  Marseille  toute  tenue  de 
loge  des  grands  pontifes.  On  fit  comprendre 
au  libraire  qu'il  ne  fallait  pas  jouer  avec  la 
maçonnerie,  de  sorte  qu'il  n'osa  pas  réim- 
primer sa  brochure  épuisée;  elle  est  devenue 
fort  rare;   nous  avons  suivi  celte  relation 


coMune  un  procès-verbal,  sèchement  et  sans 
commentaire,  vous  laissant  le  soin  d'appré- 
cier les  doctrines  de  ces  pontifes. 

Quant  à  Morel,  il  devint  à  moitié  fou  de 
son  aventure.  Comme  preuve  de  cette  asser- 
tion, on  raconte  que  depuis,  lorsqu'il  était 
sifflé,  il  donnait  en  rentrant  chez  lui  son  sou- 
per à  son  chien  et  mangeait  lui  le  souper  du 
barbet.  Quand  il  était  mécontent  de  la  ma- 
nière dont  il  avait  joué  les  pères  ganaches, 
car  on  l'avait  fait  passer  à  ces  rôles  (terme 
de  comédien),  il  faisait  coucher  son  chien  sur 
son  lit  et  se  couchait  dessous  comme  indi- 
gne. On  assure  même  ([u'il  y  eut  souvent, 
entre  ces  deux  amis,  dos  débals  de  politesse, 
et  que  le  chien,  dans  ces  circonstances,  vou- 
lait à  toule  force  coucher  aussi  sous  le  lit,  à 
côlé  de  son  maître. 

On  parla  un  jour  de  remercier  Morel  du 
théâtre ,  parce  qu'il  était  très-vieux.  Mais 
après  plus  de  quarante  ans  de  services,  il 
avait  tellement  habitué  le  public  à  le  voir, 
que  la  majorité  des  abonnés  demanda  qu'il 
fût  maintenu  dans  la  troupe.  Le  directeur  du 
théâtre,  pour  faire  sa  cour  aux  jeunes  gens, 
annonça  donc  à  Morel  ((ue  non-seulement  on 
le  conservait,  mais  qu'au  lieu  de  deux  mille 
cent  francs  qu'il  avait  eus  jusqu'alors  pour 
appointements ,  on  lui  donnerait  cent  louis. 

Le  pauvre  homme,  habitué  comme  une 
machine  à  ses  deux  mille  cent  francs,  ne  vit 
qu'un  dérangement  dans  l'offre  qu'on  lui  fai- 
sait ;  il  répondit  qu'il  désirait  qu'on  le  gardât 
sans  rien  changera  son  traitement  ;  qu'il  s'é- 
tait habitué  à  le  distribuer  de  manière  à  s'y 
reconnaître  ;  qu'à  son  âge  il  ne  pouvait  plus 
se  rompre  la  tête  à  faire  de  nouveaux  calculs, 
et  qu'il  demandait  à  rester  dans  le  cercle  de 
ses  vingt  et  un  cents  francs  :  c'était  sa  ma- 
nière de  s'exprimer.  Comme  on  ne  put  lui 
faire  comprendre  qu'au  delà  de  celle  somme 
il  trouvait  encore  trois  cenis  francs  dans  les 
cent  louis  proposés,  on  lui  laissa  ses  vingt  et 
un  cents  francs,  qu'il  toucha  jusqu'à  sa  mort, 
arrivée  au  commencement  de  la  restaura- 
tion ;  et  cette  puissance  intellectuelle  de  la 
franc-maçonnerie  conlinuade  porter  tous  les 
jours  ses  toasts  et  d'offrir  ses  politesses  en 
dînant,  —  au  grand  architecte  de  l'univers. 

VtlI.— JacquemiQ  au  Graoïi-Orient. 

CVstdu  Grand-Orienl  h  merveille  incomprise, 

Où  vous  allez  marcher  de  surprise  eu  surprise. 

P.  Leblanc,  Les  Synéoles  nuiçonniques. 

Jacquemin  Glaes,  sur  l'honnête  avis  dj  son 
curé,  abandonna  donc  sa  dignité  de  maîlre  , 
renonçant  à  cette  pompe  de  Satan,  qui  esta 
la  lois  plus  périlleuse  qu'on  ne  pense  et  plus 
slupide  encore  qu'elle  n'en  a  l'air.  Mais  vous 
allez  voir  comment  un  piège  attire  un  autre 
piège,  et  comme  il  n'est  pas  bon  d'avoir 
connu  la  mauvaise  compagnie. 

Jacquemin,  revenu  chez  son  père  ,  se  mil 
à  faire  du  commerce.  Pour  l'apprendre  au- 
trement qu'à  ses  dépens,  il  se  plaça  dans  une 
maison  honorable  de  Tournay.  Par  son  exac- 
titude et  sa  bonne  conduite,  il  gagna  pronip- 
Icmcnt  la  confiance  de  son  chef,  ou  si  ce  mol 


703 


DlCTlOiNNAIRE  DES  SClEiSCES  OCCULTES. 


704 


ne  vous  va  pas,  de  son  patron.  Il  fut  chnrgc 
bientôt  de  voyages  importants,  intéressé  dans 
la  maison  ,  investi  de  pouvoirs;  et  il  méri- 
t.iil  rtslitiie  qu'on  faisait  de  lui,  car  il  avait 
de  la  probité  ;  et  son  ardeur  était  tempérée 
par  une  timidité  rassurante. 

En  1822,  il  avait  gngné  une  petite  somme 
nsseï  ronde,  soigneusement  économisée  par 
sa  mère;  il  se  décida  à  se  marier.  Il  devait 
faire  à  l'automne  le  voyage  de  Paris,  pour  de 
nombreux  recouvrements,  mêlés  de  quelques 
achats;  il  comptait  rapporter  du  là  ses  plus 
élégants  présents  de  noces. 

Il  partit,  l'esprit  tranquille,  le  cœur  en 
paix,  comme  un  honnête  garçon  qu'il  était. 
il  arriva  sans  accident ,  fit  rapidement  ses 
affaires;  et  il  n'avait  plus  que  deux  jours  à 
demeurer  dans  la  grande  ville,  lorsqu'en  pas- 
sant sur  le  quai  des  Orfèvres,  il  se  rappela 
tout  à  coup  le  séjour  qu'il  y  avait  fait  et  sa 
réception  à  la  loge  des  Amis  réunis.  Il  lui 
vint,  je  ne  sais  comment,  la  capricieuse  idée 
de  savoir  ce  qu'étaient  devenus  ses  anciens 
frères  ;  il  se  dirigea  vers  le  petit  hôtel  qu'il 
avait  habile;  mais  il  reconnut  à  l'enseigne 
qu'il  avait  changé  de  maître.  Au  même  in- 
stant, il  aperçut  dans  sa  boutique  le  mar- 
chand de  tabac,  et  il  entra.  Tout  en  achetant 
de  mauvais  cigares ,  il  demanda  à  M.  Gue- 
naud  s'il  ne  le  reconnaissait  pas? 

—  Mais  attendez  donc,  répondit  M.  Gue- 
naud,  en  rejetant  sa  tête  en  arrière,  je  crois 
qu'il  me  semble  en  effet  que  je  pourrais  bien 
vous  avoir  vu!...  Tout  juste,  continua-l-il, 
en  se  remettant,  c'est  à  vous  que  je  dois  le 
bonheur  d'avoir  été  si  vertement  houspillé 
par  ma  femme,  qui  m'a  fait  planter  là  les 
bêtises  des  francs-maçons.  Est-ce  que  vous 
en  êtes  encore  ? 

—  Non  certainement,  répliqua  Jacquemin. 
J'ai  donné  ma  démission  le  même  jour  que 
vous. 

—  Touchez  là,  dit  le  marchand,  vous  êtes 
un  homme.  C'était  en  vérité  trop  absurde. 
Es!-Cf  qu'il  y  a  des  francs-maçons  dans  votre 
pays  ?  Quoique  je  ne  sache  pas  de  quel  pays 
vous  êtes,  vous  devez  être  d'un  pays  quel- 
conque. 

—  Je  suis  de  Tournay.  11  y  a  en  effet  des 
francs-maçons  chez  nous,  qui  font  les  mêmes 
singeries  qu'ici.  On  les  dit  inoffensifs.  Cepen- 
dant n'est-ce  pas  quelque  chose  de  louche 
qu'ils  soient  toujours  en  lutte  avec  le  clergé? 

—  C'est  plus  que  louche,  c'est  obscur.  Et 
puis,  que  dites-vous  de  la  sorte  de  défiance 
qu'ils  inspirent  aux  villageois?  de  la  mau- 
vaise renommée  qu'ils  ont  chez  les  simples 
gens?  Généralement  il  n'y  a  point  de  fumée 
sans  feu.  Je  suis  allé  récemment  dans  le  pays 
de  nria  femme,  qui  est  Gonessc-au-bon-beur- 
re;  j'étais  allé  auparavant  dans  mon  propre 
pays,  qui  est  Longjumeau  ;  j'ai  vu  que  par- 
tout les  paysans  regardent  encore  les  francs- 
maçons  comme  des  sorciers.  Pour  moi  qui 
ne  le  suis  pas,  je  ne  me  suis  point  vanté  d'a- 
voir élé  de  la  clique.  Je  pense  qu'il  n'est  ja- 
mais agréable  d'être  vu  de  travers. 

— On  a  tout  à  fait  les  mêmes  opinions  dans 
nos  contrées  ,  reprit  Jacquemin  ;  et  derniè- 


rement il  est  même  arrivé  quelque  chose  de 
singulier  à  ce  sujet. 

Un  paysan  des  environs  de  Tournay,  cœur 
perverti ,  comme  il  y  en  a  malheureusement 
quelques-uns  en  tout  pays,  se  trouvant  pressé 
d'un  besoin  d'argent ,  un  mauvais  plaisant 
s'avisa  de  lui  dire  qu'en  se  faisant  recevoir 
franc-maçon,  il  deviendrait  tout  d'un  coup 
riche.  Mais,  ajouta-t-il,  vous  risquerez  votre 
âme.  l.e  paysan  savait  bien  que  les  francs- 
maçons  passaient  pour  être  en  commerce 
avec  le  diable;  il  songea  sans  doute  qu'il 
s'occuperait  de  son  âme  un  peu  plus  tard  ; 
car  il  se  résolut  à  tenter  le  chemin  de  fortune 
qui  lui  était  présenté. 

Il  vint  à  Tournay  ,  se  promena  sans  rien 
dire  devant  le  bâtiment  ou  les  maçons  tien- 
nent leur  loge  ,  l'examina  d'un  œil  d'envie  ; 
puis  il  entra  dans  un  petit  cabaret  voisin,  ei 
tout  en  buvant  sa  pinte  de  bière,  il  demanda 
au  cabarctier  ce  qu'on  faisait  dans  ce  bâti- 
ment. 

—  On  y  fait  de  la  franc-maçonnerie  ,  ré- 
pondit l'autre,  qui  était  aussi  un  goguenard, 
et  il  faut  qu'il  s'y  passe  de  terribles  choses  ; 
car  toutes  les  fois  qu'ils  tiennent  loge  ,  s'ils 
entrent  trente,  ils  ne  sortent  que  vingt-neuf. 

—  Comment  cela?  demanda  le  paysan  in- 
trigué. 

—  C'est,  répondit  le  cabaretier  en  baissant 
mystérieusement  la  voix,  qu'on  lue  un  hom- 
me à  chaque  assemblée.  Tenez,  comptez,  les 
voici  qui  entrent. 

Le  paysan  compta  vingt-quatre  personnes; 
et  la  porte  s'étant  refermée,  il  n'ajouta  pas  un 
mot.  Il  tomba  dans  une  profonde  méditation. 

Au  bout  d'un  quart-d'heure,  il  demanda 
une  autre  pinte,  et  reprit  :  —  Restent-ils 
longtemps  là? 

11  désignait  la  loge. 

—  Ce  n'est  pas  grande  assemblée  aujour- 
d'hui, répondit  le  cabaretier,  fier  de  l'effet 
qu'il  avait  produit  sur  son  homme,  ils  reste- 
ront une  heure. 

Le  villageois ,  décidé  à  attendre  ,  retomba 
de  nouveau  dans  le  silence. 

Dès  que  les  maçons  sortirent,  il  les  compta 
d'un  œil  ardent,  et  la  porte  s'étant  refermée 
sur  le  vingt-troisième,  parce  que  le  surveil- 
lant restait  pour  remettre  les  choses  en  or- 
dre :  —  Ils  en  ont  vraim^t  tué  un  ,  dit-il. 
Mais  quel  profil  onl-ils  à  cela? 

—  Oh  1  c'est  une  épreuve  ;  celui  qui  la  fait 
reçoit,  dit-on,  une  bonne  somme. 

Le  paysan  paya  ses  deux  pintes  et  s'en 
alla.  Comme  il  était  fin,  il  s'informa  dans  une 
autre  maison  de  la  demeure  de  l'un  des  prin- 
cipaux maçons  ;  et  il  alla  le  trouver  lout  ron- 
dement. 

—  Je  voudrais  être  reçu,  monsieur,  lui 
dit-il;  j'ai  besoin  d'argent;  je  suis  prêt  à 
tuut.  On  conte  que  vous  tuez  un  homme  à 
chaque  séance  ;  je  ne  recule  pas  pour  cela  , 
si  cela  me  profite. 

Le  maçon  ,  un  peu  surpris  d'une  pareille 
ouverture,  voulut  en  réjouir  ses  frères.  — 
Nous  avons  assemblée  sanu'di ,  dit-il  au  pay- 
san ;  venez  me  voir  au  coucher  du  soleil.  Je 
vous  dirai  si  vous  pouvez  être  reçu  ;  mais 


705 


FRA 


FRA 


70C 


aujourd'hui  écrivez  là-dessus  votre  nom  cl 
voire  vill.igc. 

Il  lui  préscnla  en  même  temps  une  léle  de 
lellre  cliargée  des  hiéroglyphes  de  la  maçon- 
nerie. Le  villageois  ne  savait  pas  écrire,  mais 
il  dicta  son  nom  et  avoua  sa  demeure. 

Les  maçons  consentirent  à  s'amuser  du 
personnage,  qui  vint  exactement  le  samedi, 
à  l'heure  prescrite,  fut  conduit  en  loge,  in- 
troduit 1rs  yeux  bandés,  et  placé  ensuite  au 
milieu  du  Uniple,  où  il  fui  surpris  de  ne  voir 
que  des  bourgeois  et  des  chandelles.  Il  s'at- 
tendait un  peu  à  voir  le  diable.  On  lui  de- 
manda s'il  voulait  être  reçu  maçon  ;  il  répon- 
dit que  oui  ;  s'il  voulait  vendre  son  âme  ,  il 
répondit  qu'il  la  vendrait  pour  dix  ans  ;  s'il 
voulait  luer  un  homme,  il  répondit  que  cela 
dépendait  du  prix. 

Alors  on  lui  demanda  quelle  somme  il 
voulait. —  11  me  faut  six  mille  francs,  ré- 
pondit-il. 

—  Nous  ne  nous  arrangerons  pas  ,  dit  un 
maçon,  car  nous  ne  payons  que  trois  mille 
francs  par  homme. 

Pendant  que  ces  mots  se  disaient,  pour 
achever  d'exciter  le  villageois,  un  frère  ap- 
portait et  remuait  des  corbeilles  d'écus. 

— Je  tuerai  donc  deux  hommes,  dit  le  néo- 
phyte, car  je  veux  six  mille  francs. 

Les  maçons  commencèrent  à  trouver  l'a- 
mateur un  peu  féroce.  Ls  le  firent  boire  et 
l'enivrèrent,  à  quoi  il  se  prêta  de  son  mieux. 
Puis  on  le  mit  dans  une  voiture  ,  sous  pré- 
texte d'épreuves  ;  on  le  reconduisit  à  sa  mai- 
son. Le  lenilemain  matin  on  prévint  Its  au- 
torités, qui  firent  savoir  à  l'ambitieux  pay- 
san qu'il  était  désormais  surveillé.  —  Il  n'en 
est  rien  arrivé  de  plus.  Mais  vous  avouerez 
qu'il  n'est  pas  très-doux  d'être  d'une  société 
qui  donne  lieu  à  des  opinions  comme  celles 
de  ce  malheureux  enragé. 

—  Mais  eiuore,  monsieur,  si  vous  n'êtes 
venu  en  loge  que  le  jour  où  nous  vous  avons 
reçu,  vous  ne  savez  que  peu  de  chose.  Il  faut 
connaître  les  doctrines.  Voici  par  exemple, 
eu  opposition  aux  commandements  de  Dieu, 
les  commandements  de  quelques  loges  : 

Adore  ce  que  lu  voudras  ; 
Cesl  Ion  affaire  entièrement. 
Serraentsde  maçon  tu  iieudras; 
Mais  des  autres  tais  librement. 
Tous  les  dimanetios  tu  feras 
Ce  qui  le  plaira  scutemenl. 

Le  Grand-Orient  serviras, 
^  Si  lu  veux  vivre  sûrement. 

Dispute  et  meurtre  empêclieras 
Entre  maçons  iidèlemeul. 

Dans  les  amours  évil-ras 
Tout  scandale  publiquement. 

'  Aux  frères  nul  ton  ne  feras 

Et  ne  leur  nuiras  nutlemoiit. 
Jamais  rien  ne  révéleras 
D;;  nos  secrets  imprudemment. 

Amour  d'auirui  ne  troubleras 
;  Eu  logo  principalement. 

Le  bien  des  frères  n'i  nvipras, 
Kaisanl  tout  délicatement 

Et  je  vois  avec  plaisir,  poursuivit  le  mar- 
chand de  tabac,  que  cette  poésie-là  ne  vous 
plaîl  guère.  Du  reste,  il  est  arrivé  de  nouvel- 


les phases  qui  ajoutent  à  la  joie  que  j'é- 
prouve de  n'être  plus  porte-tablier.  Depuis 
1815,  la  politique  s'est  jetée  parmi  les  frères; 
plusieurs  loges  sont  devenues  des  loyers  de 
conspiration;  de  sociétés  secrètes  permises, 
quelques-unes  se  sont  faites  sociétés  secrètes 
prohibées.  Il  en  est  même  qui  se  sont  trans- 
formées en  ventes. 

—  Qu'est-ce  que  vous  entendez  par  là?  de- 
manda Jacquemin. 

—  Les  ventes  sont  les  loges  des  carbonari, 
attendu  qu'une  loge  de  carbonari  s'appelle 
une  vente,  une  venin;  c'est  un  mot  étranger. 
Là,  c'est  bien  pis.  On  ne  s'assemble  que  pour 
conspirer;  et  je  sais  beaucoup  de  maçons  qui 
n'étaient,  comme  dit  la  chanson  ,  que  des 
imbéciles ,  et  qui  se  sont  laissé  entraîner 
dans  le  carbonarisme,  où  ce  ne  sera  pas  leur 
faute  s'ils  ne  deviennent  pas  criminels,  puis- 
qu'ils doivent  à  leurs  chefs  l'obéissance  ab- 
solue et  passive. 

—  Mais,  reprit  Jacijuemin  élonné  ,  me  di- 
riez-vous  des  nouvelles  di'  vos  anciens  con- 
frères, de  ceux  qui  vous  ont  aidé  à  me  rece- 
voir? 

—  Difficilement.  Tous  se  sont  dispersés:  je 
crois  que  tous  ont  fait  de  mauvaises  affaires. 
L'argent  qu'on  sème  dans  les  loges  ne  pro- 
duit rien  de  bon. 

11  n'y  a  qu'une  chose  que  je  regrette  , 
monsieur  ,  reprit  Guenaud  ,  après  un  petit 
silence  ,  c'est  de  n'avoir  pas  été  admis  ,  une 
fois  du  moins,  dans  les  cérémonies  du  Grand- 
Orient. 

—  N'est-ce  pas  la  chef-loge  de  la  franc- 
maçonnerie? 

—  Si  vous  voulez.  Toutefois ,  on  ne  s'y 
occupe  que  de  la  distribution  des  grades  et 
insignes  ,  de  l'organisation  des  choses,  de  l;i 
fixation  des  mots  d'ordre  solennels,  de  la  con- 
fection des  diplômes,  et  on  ydonne  continuel- 
lement de  fort  belles  fêles. 

—  Mais  ,  reprit  le  Tournaisien  ,  l'Eglise  , 
qui  repoussela  franc-maçonnerie, en  excepte- 
lelle  le  Grand-Orient? 

—  C'est  probable,  dit  le  marchand  do 
tabac,  puisqu'on  y  voit  des  personnages  de  la 
cour. 

De  singulières  idées  se  heurtèrent  dans  la 
lêle  de  Jacquemin,  qui  ne  sentit  pas  l'absui- 
dité  des  raisonnements  du  marchand  du 
tabac, et  qui  ne  tarda  pasà  sorliren  songeant 
au  Grand-Orient. 

Il  n'avait  p.is  remarqué  que  pendant  l'éloge 
du  Grand-Orient  par  l'ancien  frère  Guenaud, 
un  homme  était  entré  dans  la  boutique  pour 
allumer  son  cigare.  Cet  homme,  convenable- 
ment vêtu  ,  le  suivit  jusqu'au  Pont-Neuf  et 
l'accosta  alors,  en  lui  disant  aussi  : 

—  Vous  ne  me  reconnaissez  pas  ? 

—  Mais,  mais,  mais,  répondit  Jacquemin  , 
absolument  comme  le  marchand  de  tabac,  il 
me  semble  que  je  vous  ai  vu  autrefois. 

—  En  loge  ,  frère  ;  vous  ne  remettez  pas 
Félix,  alors  peintre,  et  aujourd'hui  spécula- 
teur? Je  suis  bien  charmé  de  vous  revoir  ; 
vous  me  rappelez  tout  un  heureux  temps  ;  et 
vous  nrceptcrez  un  petit  verre. 


•rc7 


DICTION.NAIUE  DES  SCIENCES  OCCULTKS. 


708 


—  Je  suis  Irès-pressé  ,  dit  Jacqueiuin.- je 
n'ai  plus  que  deux  jours  à  resl<r  ici. 

—  Cinq  minules  ne  vous  rclarileront  pas. 

On  élail  devant  le  café  Daupliine;  le  spé- 
culateur avait  l'air  si  décent,  que  Jacqucmin 
céda. 

—  Comme  vous  êtes  pressé,  reprit  Félix  , 
après  avoir  demandé  un  demi-bol  de  punch, 
qu'il  paya  de  suilc  très-délicalemcnl ,  je  ne 
veux  pas  vous  retenir.  Mais  je  me  fais  une 
fêle  de  vous  procurer  à  la  volée  le  plaisir  que 
désirait  tant  le  marchand  de  tabac. 

—  Quel  plaisir?  demanda  Jacquemin. 

—  Le  plaisir  de  voir  le  Grand-Orient ,  où 
je  suis  officier  introducteur. 

—  Mais  vous  ignorez  que  je  ne  suis  plus 
maçon. 

—  Qu'importe  1  je  ne  vous  offre  qu'un  spe- 
ctacle. 11  ne  s'agit  là  ni  d'épreuves ,  ni  de 
serment  ;  vous  n'aurez  rien  à  dire  ;  vous  vous 
bornerez  à  voir.  Il  se  trouve  «ju'en  ce  mo- 
ment il  y  a  solennité.  Du  moins  vous  aurez 
joui  du  plus  piquant  spectacle  et  de  la  pompe 
la  plus  bizarre  qu'on  puisse  voir  à  Paris. 
Vidons  nos  verres  ;  nous  sommes  à  deux  pas  ; 
c'est  l'affaire  d'un  quart-d'heure.  Garçon  , 
une  voiture! 

Jacquemin  ,  comme  nous  l'avons  dit  déjà  , 
était  timide  et  taible;  il  éiait  de  plus  un  peu 
curieux.  Des  senlimenls  divers  se  déballaient 
dans  son  esprit.  Félix  ne  lui  laissa  pas  le 
temps  de  se  reconnaître.  Les  gens  qui,  à 
Paris  surtout,  n'ont  pas  la  décision  prompte, 
les  gens  qui  ne  savent  pas  dire  non  ,  doivent 
s'attendre  à  être  menés.  Jacquemin  fut  en- 
levé, mis  en  fiacre  et  conduit  plus  loin  qu'il 
ne  devait  penser,  car  la  course  dura  dix  mi- 
nules ,  pendant  lesquelles  son  ancien  frère 
acheva  d'enflammer  sa  curiosité  et  de  gagner 
sa  confiance. 

On  s'arrêta  enfin  devant  une  maison  de 
bonne  apparence  ;  on  monta  au  premier 
étage;  on  entra  dans  un  petit  salon  bien 
meublé. —  Réjouissez-vous  ,  dit  Félix  ,  nous 
voici  à  la  porte  du  grand  temple.  Vous  n'au- 
rez à  remplir  qu'une  seulecérémonie,  qui  est 
de  rigueur;  c'est  de  revêtir  une  rube  comme 
la  mienne. 

L'introducteur  tira  d'une  armoire  deux 
robes  d'avocal;  il  avait  sonné,  deux  domes- 
tiques en  grande  livrée  entrèrent.  Félix  ôia 
son  habit,  sa  montre,  sa  bourse  ,  qu'il  remit 
au  valet  de  chambre  venu  pour  lui  ,  et  que 
celui-ci  plaça  soigneusement  dnns  l'armoire. 
Maison  même  temps,  voyant  que  Jacquemin 
endossait  sa  robe  par-dessus  son  habit  de 
ville  ,  il  lui  dit  en  riant ,  avec  une  bonhomie 
qui  ne  permit  pas  la  défiance: 

—  Mais  vous  ne  pouvez  pas  entrer  ainsi. 
Les  maréchaux  et  les  princes  qui  viennent 
d'être  introduits  ne  sont  pas  plus  exempts 
que  nous  du  la  formalité  exigée.  Il  f.iut  ôtcr 
seulement  votre  habit  et  vous  dépoukli'r  de 
tout  métal.  Si  vous  avez  des  clefs,  une  mon- 
tre, quelque  argent,  niellez  tout  cela  avec  ma 
défroque;  c'est  l'usage. 

Jacquemin  n'usa  ni  hésiter  ,  ni  reculer.  II 
Ht  coiiune  ceux  qui  se  montrcnl  bravos  lors- 
iju'il  ne  leur  est  plus  possible  de  trouver  une 


autre  issue;  il  déposa  son  habit ,  sa  montre, 
sa  bourse,  qui  contenait  deux  mille  francs  en 
or.  Son  portefeuille  ,  où  il  avait  ses  recou- 
vrements en  papier,  montant  à  une  quaran- 
taine de  mille  francs  ,  était  dans  une  poche 
intérieure  de  son  gilet  ;  il  l'y  laissa;  d'ail- 
leurs, il  ne  conlonail  d'autres  métaux  qu'un 
crayon.  11  endossa  la  robe;  et  il  fut  introduit 
dans  un  second  salon,  fort  propre  aussi. Félix 
lui  demanda  la  permission  de  le  laisser  un 
moment  seul  pour  l'annoncer;  puis  il  ouvrit 
une  petite  porte  el  dispirut. 

Alors  seulement  Jacquemin  put  se  recueil- 
lir; alors  seulement,  se  retrouvant  seul  avec 
lui-même  ,  il  put  se  demander  s'il  ne  faisait 
pas  des  cxlravagances?  s'il  avait  besoin  de 
voir  le  Grand-Orient?  s'il  n'avait  pas  été 
bien  faible?  s'il  devait  se  fier  à  Félix?  s'il 
ne  s'exposait  pas  à  mille  périls  ?  Il  put  son- 
ger tout  à  son  aise  ,  car  un  quart  d'heure  se 
passa  sans  que  le  silence  où  on  le  laissait  fût 
interrompu.  11  prit  enfin  une  résolution  : 

—  Il  est  possible  que  je  fasse  mal  ,  dit- il  ; 
je  dois  oser  me  montrer  ce  que  je  suis  et  re- 
fuser de  mettre  le  pied  dans  ce  qu'ils  appel- 
lent le  temple. 

11  tourna  donc  la  clef  du  premier  salon 
pour  reprendre  ce  qu'il  y  avait  déposé, 
remettre  son  habil  cl  partir;  mais  la  porte  se 
trouvait  fermée. 

Il  se  dirigea  vers  celle  que  Félix  avait 
prise  pour  aller  au  temple;  elle  élail  fermée 
aussi. 

La  pièce  n'avait  pas  d'autre  issue.  Une 
seule  fenêtre  donnait  sur  une  cour  déserte. 
— Serais-je  pris  par  des  filous  ,  sedemanda- 
t-il,ou  par  des  maçons  qui  veulent  me  punir 
d'avoir  abandonné  l'ordre? 

Il  ressentit  une  petite  terreur  inquiète  ;  et 
voyant  le  cordon  d'une  sonnette  ,  il  le  lira. 
Des  pas  bientôt  sefirententendre  ;  quelqu'un 
vint,  qui  tourna  la  clef  dans  tous  les  sens  cl 
ne  put  ouvrir  la  porte. 

—  Est-ce  vous  qui  avez  sonné?  dit  une 
voix. 

—  Oui,  c'est  moi  ;  ouvrez. 

—  Mais  je  ne  le  puis;  vous  êtes  enfermé. 

—  Je  suis  enfermé  en  dehors. 

—  C'est  vrai  ,  dit  la  voix  ,  qui  était  celle 
d'un  concierge.  Il  tira  un  pelil  verrou  qu'on 
avait  poussé  sans  bruit ,  et  il  entra.  Surpris 
de  voir  un  avocat  à  l'air  effaré,  seul  dans  le 
salon: — Qui  êtes-vous?  lui  demanda-l-il. 

—  Je  suis  Jacquemin. 

—  Je  ne  connais  pas  Jacquemin.  Comment 
vous  trouvez-vous  ici  ? 

—  J'y  suis  venu  avec  M.  Félix. 

—  Je  ne  connais  pas  M.Félix. 

—  C'est  l'officier  introducteur. 

—  Quel  introducteur? 

—  L'introducteur  du  Grand-Orienl.  Ne 
sommes-nous  pas  ici  au  Grand-Orient? 

—  Ni  à  l'Orient,  ni  à  l'Occident;  vous  éles 
dans  un  hôtel  garni. 

—  Mais  qui  occupe  cet  apparlcmenl  ? 

—  Trois  messieurs,  qui  n'y  sont  que  d'hier. 

—  Enfin,  dit  Jacquemin,  je  suis  fait  ;  el  je- 
tant sa  robe  ,  il  ouvrit  l'armoire  de  la  pre- 
mière pièce  : 


7«9 


FRA 


FRA 


710 


—  J'ai  laissé  là,dil-il,  mon  habit, ma  mon- 
tre et  ma  bourse. 

Il  pâlit  en  reconnaissant  que  l'armoire 
diait  vide. 

—  Il  me  semblait  bien,  dit  le  portier,  com- 
prenant enfin,  que  ces  messieurs  étaient  trois 
voleurs.  Vous  devez  rester  ,  monsieur,  pour 
ma  décharge.  Marie,  cria-t-il  par  la  fenêtre, 
va  chercher  le  commissaire. 

Le  pauvre  Jacquemin,  en  manche  de  che- 
mise ,  aida  le  concierge  à  visiter  l'apparle- 
ment,  qui  consistait  en  quatre  pièces  ;  ils  cu- 
rent bientôt  reconnu  que  les  locataires 
avaient  tout  dévalisé  de  leur  mieux.  Dans  sa 
détresse  ,  le  Tournaisien  remercia  Dieu  du 
bonheur  qu'il  avait  eu  de  sauver  son  porte- 
feuille, dont  la  perle  eût  été  sa  ruine  entière. 
Il  fut  obligé  de  conter  au  commissaire  toute 
son  histoire.  Le  magistrat  vit  bien  (ju'il 
n'avait  devant  lui  qu'une  honnête  victime  ;  il 
la  fit  reconduire  en  fiacre  à  son  hôtel  ;  car 
il  ne  pouvait  même  lui  laisser  la  robe  d'avo- 
cat ,  qui  devait  être  jointe  comme  pièce  au 
procès-verbal. 

Quand  Jacquemin  ,  de  retour  à  Tournay  , 
dit  sou  malheur  au  bon  curédont  il  ne  s'était 
peut-être  pas  souvenu  assez  tôt: — C'est  une 
seconde  leçon  que  vous  eussiez  pu  éviter  , 
lui  répondit  le  vieillard.  Mais  remerciez  Dieu 
de  n'y  avoir  perdu  que  votre  argent. 

Dans  l'histoire  que  »'ous  venez  de  parcou- 
rir,vous  avez  vu, du  moins, le  côté  grotesque 
de  la  franc-maçonnerie;  et  vous  avez  pu  en 
juger  les  aspects  coupables. 

Nouscroyons  devoir  rapporter  encore  deux 
pièces  intéressantes. 

F.-.  M.-. 

InilialioD  au  grade  de  clievalif  r  de  l'Asie. 
«On  prépare,  dans  une  maison  de  campa- 
gne écartée,  un  caveau  lugubre  et  une 
chambre  tendue  de  noir.  Les  fières  qui  re- 
çoivent le  nouveau  venu  sont  au  nombre  de 
cinq.  Aussitôt  qu'il  arrive,  on  l'enferme 
dans  une  chambre  de  réflexion,  décorée  lu- 
gubrement et  où  se  trouvent  plusieurs  em- 
blèmes relatifs  aux  droits  de  l'homme  et  aux 
crimes  commis  par  la  tyrannie  et  par  le  fa- 
nati.sme.  Des  questions  lui  sont  proposées 
par  écrit  sur  ces  objets,  et  on  attend  ses  ré- 
ponses pour  voir  s'il  est  digne  de  l'honneur 
auquel  il  aspire.  Les  réponses  étant  satis- 
faisantes, on  lui  bande  les  yeux,  ou  lui  lie 
les  mains  ,  on  lui  met  la  corde  au  cou  ;  il  est 
nu-léte,  et  il  a  pour  tout  vêlement  une  robe 
blanche  teinte  de  sang;  tous  les  frères  sont 
en  deuil.  Une  musique  funèbre  se  fait  enten- 
dre. Le  récipiendaire  subit  différentes  épreu- 
ves physiques,  et  les  frères  le  repoussent 
tour  à  tour  avec  le  plus  grand  mépris.  Fina- 
lement, il  est  introduit  dans  le  caveau, 
éclairé  seulement  par  la  flamme  bleuâtre 
d'un  vase  rempli  d'esprit  de  vin.  Là  se  trou- 
vent un  squelette,  différents  ossements  et 
un  cadavre  couvert  d'un  drap  mortuaire.  De 
nouvelles  questions  sont  adressées  au  ciin- 
didat;  et  tous  les  frères  lui  mettent  le  glaive 
sur  le  cœur,  prêts  à  le  percer.  On  saisit  sa 
main  droite,  et  on  la  pose  sur  le  tada\rc;  de 


sa  gauche  il  louche  les  statuts  de  l'ordre,  et, 
dans  cette  attitude,  on  lui  fait  prêter  le  ser- 
ment suivant  : 

«  Je  jure  par  tout  ce  que  j'ai  de  plus  sacré, 
par  les  statuts  du  grade  auxquels  je  m'en- 
gage, de  m'y  conformer  en  tout  temps  et  en 
tous  lieux,  et,  au  péril  de  ma  vie,  de  garder 
avec  une  fidélité  à  toute  épreuve  les  secrets 
qui  me  seront  confiés  par  cet  illustre  con- 
seil. Je  jure  de  coi  pcrer  à  la  destruction  des 
traîtres  et  des  persécuteurs  de  la  franc-ma- 
çonnerie, de  les  écraser  par  tous  les  moyens 
qui  seront  en  mon  pouvoir.  Je  jure  haine 
éternelle  à  la  servitude,  aux  oppresseurs  de 
l'humanité  et  de  la  saine  philosophie;  de  re- 
connaîlrccoinmele fléau  du  malheureuxet  du 
monde  les  rois  et  les  fanaliciues  religieux,  et 
de  les  avoir  toujours  en  horreur.  Je  jure  do 
ne  jamais  me  faireconuuîlre  comme  chevalier 
de  l'Asie  qu'à  celui  qui  |)ossède  ce  grade;  Jo 
jure  de  prêcher  pi^rloul  où  je  me  tiouverui 
les  droits  de  l'homme,  et  de  ne  suivre  d'autre 
religion  que  celle  que  la  nature  a  gravée 
dans  nos  cœurs;  je  m'engage  à  la  répandre 
sur  les  deux  hémisphères.  Je  jure  de  ne  ja- 
mais admettre  à  ce  grade  aucun  individu 
couronné  ou  régnant,  aucun  ecclésiastique, 
ni  aucUH  homme  qui  ne  soit  m.içoii  et  initié 
régulièrement  dans  le  grade  de  kadosch,  et 
qui  n'ait  toutes  les  qualités  requises  par  les 
statuts  du  grade  des  chevaliers  de  l'Asie.  Jo 
jure  obéissance  sans  restriction  au  chef  de 
ce  conseil  ou  à  celui  qui  le  représentera.  Je 
jure  de  ne  reconnaître  aucun  mortel  supé- 
rieur à  moi,  et  de  travailler  de  toutes  mes 
forces  à  éiablir  la  liberté  et  l'égalité  para.i 
les  hommes,  de  ne  voir  dans  les  hommes 
que  les  enfants  dune  même  famille  dont 
Dieu  seul  est  le  souverain.  Que  toutes  les 
épées  tournées  contre  moi  s'enfoncent  dans 
mon  cœur,  si  jamais  j'avais  le  malheur  do 
m'écarter  de  mes  engagements,  pris  de  ma 
pleine  et  libre  volonté.  Ainsi  soit  il.» 

a  Dès  que  le  candidat  a  prononcé  ces  pa- 
roles, on  le  délivre  de  ses  liens,  on  lui  ar- 
rache son  bandeau  et  on  lui  ordonne  d  exa- 
miner tout  ce  qui  l'entoure.  Tous  les  frères 
se  jettent  de  nouveau  sur  lui:  on  lui  ouvre 
une  veine  et  on  lui  fait  écrire  de  son  sang  ce 
même  serment  au  grand  livre  de  l'architec- 
ture et  de  la  correspondance  secrète.  Après 
cela,  le  grand  maîlre  lui  dit:  Toi  que  le  ciel 
envoie  sur  la  terre  pour  amener  le  bonheur 
parn)i  les  hommes,  ton  courage  et  ta  1er- 
mêlé  méritent  notre  estime  ;  nous  te  créons  à 
perpétuité  chevalier  de  l'Asie.  Sois  discret  et 
n'oublie  jamais  les  engagements  que  tu  as 
contractés  parmi  nous.  » 

«  Ces  cérémonies  sont  suivies  de  réjouis- 
sances. On  complimente  le  nouveau  cheva- 
lier, ou  lui  jette  des  fleurs,  on  s'embrasse,  on 
danse  au  bruit  d'une  musique  gaie  et  légère. 
L'initié  reprend  ses  habits  et  met  par-dessus 
une  robe  noire,  en  mémoire  de  la  mort  de 
Jacques  Molai.  Alors  commencent  les  tra- 
vaux dans  une  chambre  où  tout  respire  le 
deuil.  Le  grand  maître  siège  sur  un  trône 
couvert  d'une  étoffe  noire.  Devant  lui,  sur  la 
table   également  couverte  d'un    tapis  noir, 


711 


DlCTlONNAiUE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


"12 


sonl  deux  épées  en  croix.  Au  milieu  de  l,i 
chambre  est  un  tombeau,  éclairé  par  trois 
vases  d'esprit  de  vin  allumé.  Alors  a  lieu  une 
sorte  de  catéchisiue  ou  d'iiistruclion  par  de- 
mandes el  par  réponses. 

«  Entre  autres  qucslions  du  grand  maître, 
on  remarque  celle-ci  :  —  A  quelle  époque 
sommes-nous?  —  Rép.  A  la  régénération  du 
inonde. 

«  A  la  clôture,  le  grand  maître  prononce 
les  mots  suivants  :  «  Mes  frères,  retirons- 
nous;  allons  éclairer  les  hommes  el  exter- 
miner les  serpents  qui  régissent  l'ignorance 
humaine. 

«  La  décoration  du  chevalier  de  l'Asie  est 
un  large  sautoir  noir,  liséré  de  blanc,  au  mi- 
lieu du()uel  sont  brodées  les  lettres  initiales 
de  Jacques  Molai,  entourées  de  six  larmes. 
Au  bas  du  sautoir  est  le  bijou;  c'est  un  poi- 
gnard traversant  un  creur.  La  parole  du 
grade  est  jMelchisedech;  le  mot  de  passe  Sy- 
nedrion,  mot  grec  qui  signifie  conseil,  as- 
semblée. Le  signe  consiste  à  tirer  la  main 
droite  en  arrière,  comme  si  on  voulait  en- 
foncer un  poignard  dans  le  vonlre  de  quel- 
qu'un. L'attouchement  se  fait  en  mettant 
d'abord  la  main  sur  le  cœur,  en  se  donnant 
ensuite  mutuellement  un  fort  coup  dans  la 
main  droite,  en  disant  :  «  Sauvons  le  genre 
humain  opprimé.  » 

{Journal  liistorique  et  Uuéraire  à  Liège.  Janvier  1841.) 

Installation  à  Bruxelles  de  la  loge  maçonnique  te  Travail. 

«  Le  17  août  184.0,  à  deux  heures  de  rele- 
vée, les  frères  de  la  loge  le  Travail,  qui 
étaient  en  instance  pour  se  faire  agréger  au 
Grand-Orient  de  Bruxelles,  se  réunirent  au 
Parc,  dans  le  local  proyisoire  du  Waux- 
Hall,  sous  le  maillet  du  très-illustre  frère  de 
■Wargny,  vénérable.  Oua''a'»'e  frères  ,  dont 
trente-huit  maçons  et  deux  apprentis,  répon- 
dirent à  l'appel.  Deux  frères  étaient  absents 
pour  affaires  profanes  indispensables.  Aus- 
sitôt furent  introduits  les  frères  visiteurs  et 
les  dépulations  de  différentes  loges,  ainsi 
que  les  trois  commissaires  installateurs , 
chargés  par  le  Grand-Orient  de  constituer  la 
nouvelle  luge  et  de  lui  dDnner  ses  pouvoirs. 
Ces  trois  commissaires  étaient  les  très-illus- 
Ires  frères  Defrenne,  Wouters  et  Leroy. 
L'assemblée  se  composait  en  tout  de  quatre- 
vingt  et  une  personnes.  Deux  loges  do 
Bruxelles  n'avaient  pas  accepté  l'invitation 
«le  la  nouvelle,  et  n'y  étaient  pus  représen- 
tées. Les  deux  grands  maîtres  du  rit  écossais, 
les  illustres  frères  Walter  et  Slevens,  n'a- 
vaient pu  venir,  à  cause  de  quelques  affaires 
profanes.  (Juant  au  sérénissime  grand  maî- 
tre de  l'ordre,  le  frère  de  Slass.irt,  il  était 
en  ambassade  à  Turin  ;  et  son  représentant , 
l'illustre  frère  Verbaegen,  était  à  Paris.  A 
cela  près,  la  réunion  était  belle,  gaie  et  con- 
tente. 

«  La  loge  le  Travail  existait  provisoire- 
ment depuis  neuf  mois.  Pour  être  reconnue 
et  installée  par  le  Grand-Orient,  il  f.illait 
qu'elle  commençât  par  fermer  son  temple  et 
ses  travaux,  par  mourir  en  quelque  sorte. 
Cette  cdrémonic  a  lieu  d'une  manière  ingé- 


nieuse et  fort  simple.  Tous  les  frères  étei- 
gnent successivement  leurs  étoiles  ,  c'est-à- 
dire  leurs  chandelles,  et  le  vénérable  soulfle 
la  sienne  le  dernier.  Tout  est  dit  alors;  la 
loge  est  morte. 

«  Immédiatement  après  commencent  les 
travaux  du  Grand  Orient,  les  cérémonies  de 
la  résurrection,  de  la  vie.  Les  coumiissaires 
installateurs  vont  d'abord  tuiler  cli;icun  des 
membres  présents,  c'est-à-dire  les  p.issenten 
revue,  examinant  sévèrement  s'ils  sonl  vrai- 
ment maçons,  et  si  les  frères  dépulés  et  visi- 
teurs ont  le  mot  d'ordre  annuel.  Cela  fait, 
et  tout  ayant  été  trouvé  en  règle,  le  premier 
des  trois  commissaires,  qui  a  le  titre  de  pré- 
sident, fait  donner  lecture  des  pouvoirs  qui 
leur  sont  accordés  par  le  Grand-Orient  et 
des  lettres  de  constitutions.  Ces  lettres  por- 
tent expressément  que  le  Grand-Orient  agit 
sous  la  protection  spéciale  de  sa  majesté 
Léopoldl",  roi  des  Belges.  Elles  confèrent  à 
la  nouvelle  loge  le  pouvoir  dy  se  livrer  aux 
travaux  de  l'art  royal.  Ensuite  le  président 
ayant  reçu  de  chaque  frère  séparément  la 
|)romcsse  de  fidélité  et  d'obéissance  au 
Grand-Orient,  procède  aux  cérémonies  do 
l'installation  et  de  la  résurrection.  Cela  se 
fait  ainsi  : 

«  Le  président  se  procure  du  feu  en  battant 
le  briquet,  allume  une  étoile  vierge,  c'est-à- 
dire  une  chandelle  neuve;  celle-ci  commu- 
nique la  Qamnie  à  deux  autres  étoiles  vier- 
ges. Puis  il  annonce,  le  plus  sérieusement  et 
le  plus  gravement  qu'il  lui  est  possible,  que 
la  loge  est  installée.  Ces  paroles  se  répètent 
trois  fois;  et  on  y  répond  par  trois  applau- 
dissements. Le  président  ouvre  alors  la 
porte  du  temple,  et  s'écrie  :  «  Loin  d'ici, 
profanes  1  ce  lieu  est  consacré  au  grand  ar- 
chitecte de  l'univers.  »  Il  referme  le  temple; 
encore  trois  applaudissements.  Tous  les 
frères  se  donnent  la  niiiin  et  forment  la 
chaîne;  le  président  leur  communique  le 
mot  annuel ,  on  rouvre  le  temple,  et  tous  l  >s 
frères  y  entrent.  Puis  le  président  prononce 
un  discours. 

«  Le  très-illuslre  frère  Defrenne,  chargé 
de  présider,  parla  longuement.  Vu  sou  âge, 
sa  qualité  et  sa  longue  expérience,  il  prit  la 
liberté  de  donner  quelques  leçons  aux  novi- 
ces, et  c'est  à  eux  surtout  qu'il  s'adressa.  Il  leur 
recommande,  entre  autres  vertus,  une  discré- 
tion rigoureuse  et  un  courage  à  toute  épreu- 
ve. «  La  discrétion,  dit-il,  parce  que  la  du- 
rée de  notre  existence  maçonnique  dépend 
de  la  conservation  rigoureuse  de  nos  secrets  ; 
et  le  courage,  pour  se  moquer  du  diable  et  d,: 
l'enfer...  Combien  n'en  a-t-on  pas  vu,  ajoule- 
t-il  tristement,  abjurer  au  lit  de  la  mort,  par 
crainte  des  tourments  de  l'enfer,  le  litre  de 
maçon,  plus  eificace,  d'après  moi  dovanl  le 
trône  des  miséricordes,  que  des  prières  sa- 
lariées? »  11  fuit  observer  que  le  courage 
est  indispensable  à  tout  initié  ,  et  que 
c'est  pour  voir  s'ils  ont  du  courage  (juttu 
soumet  les  candidats  à  diverses  épreu- 
ves physiques;  qu'on  leur  bande  les  yeux, 
qu'on  les  tire,  qu'on  les  houspille,  qu'on 
les  introduit  dans  de«  caveaux    faiblemcul 


I 


Tt5 


FR\ 


FRA 


1*\ 


éclairés  par  quelque  lupur  salanique,  qu'on 
présente  tout  à  coup  à  leurs  regards  éton- 
nés des  CJidavres,  des  squelettes,  qu'on  se 
jette  sur  eux  le  poignard  à  la  main,  ((u'on 
les  tourmente  enfin  par  toutes  sortes  de  fan- 
tasmagories et  de  di.ihleries,  le  tout  pour 
s'assurer  qu'ils  sont  hommes  à  se  rire  plus 
tard  du  diable  en  personne.... 

«  Après  le  discours  où  l'on  dit  encore  que 
la  maçonnerie  ne  s'occupe  pas  de  politique, 
tout  en  s'occiipant  chaudement  de  l'inslrnc- 
lion  publique,  des  élections,  des  moyens 
d'entraver  l'action  du  clergé,  les  trois  illus- 
tres commissaires  installateurs  vont  s'as- 
seoir, et  les  travaux  du  Grand-Orient  sont 
fermés.  La  nouvelle  loge  est  constituée; 
c'est  elle  qui  entre  en  fonctions.  Le  vénéra- 
ble se  lève,  remercie  les  commissaires,  les 
députés  du  Gran'l-Orient  et  des  diverses  lo- 
ges étrangères,  les  frères  visiteurs ,  et  ac- 
corde la  parole  au  frère  orateur.  Celui-ci 
prononce  un  discours  où  il  considère  la 
franc-maçonnerie  comme  une  œuvre  de  pro- 
pagande et  de  haute  moralisalion.  Le  dis- 
cours est  suivi  d'une  prière  à  l'Kternel,  avec 
accompagnement  de  piano.  La  maçonnerie  y 
célèbre  son  triomphe  sur  Rome  et  sur  l'E- 
glise catholique. 

«  Cependant  il  est  tard,  et,  en  dépit  de  la 
joie  et  des  plus  douces  émotions,  on  s'aper- 
çoit finalement  qu'on  a  faim.  Les  frères  maî- 
tres des  cérémonies  viennent  annoncer  que 
le  dîner  est  servi.  L'assemblée  ne  se  le  fait 
pas  dire  deux  fois,  elle  se  rend,  en  défilant 
sur  deux  colonnes,  dans  la  salle  du  banquel, 
où  la  table  est  dressée  en  forme  de  fer  à 
cheval.  La  réunion  se  trouve  accrue.  Le 
tracé,  aulremenl  dit  procès-verbal,  ne  comp- 
tait que  quatre-vingt-un  frères  dans  la  salle 
d'installation;  il  en  compte  cent  autour  des 
plats  et  des  bouteilles.  Musique,  appétit, 
chansons,  toasts,  santés,  etc.  » 

{Jturnal  historique  et  littéraire.  Mars  1811.) 

FRANK  (Christian),  visionnaire  qui 
mourut  en  1590  ;  il  changea  souvent  de  reli- 
gion ,  ce  qui  le  fit  surnommer  Girouette.  11 
croyait  la  religion  japonaise  meilleure  que 
les  autres  ,  parce  qu'il  avait  lu  que  ses  mi- 
nistres avaient  des  extases. 

FRANK  (  Sébastien  ) ,  autre  visionnaire 
du  seizième  siècle,  sur  la  vie  duquel  on  a 
peu  de  données  positives,  quoiqu'il  ait  dans 
son  temps  excité  l'attention  du  public.  Il 
donna  en  1531  un  traité  de  VArbre  de  la 
science  du  bien  et  du  mal,  dont  Adam  a  mangé 
la  mort,  et  dont  encore  aujourd'hui  tous  les 
hommes  la  mangent.  Le  péché  d'Adam  n'est 
selon  lui  qu'une  allégorie,  et  l'arbre  que  la 
personne,  la  volonté,  la  science,  la  vie  d'A- 
dam. Frank  mourut  en  15^5. 

On  a  encore  de  lui  une  traduction  alle- 
mande de  V Eloge  de  la  folie,  par  Erasme  :  le 
Traité  de  la  vanité  des  science^,  et  i' Eloge  de 
l'âne,  traduit  d'Agrippa,  en  allemand  ;  Para- 
doxaou  deux  cent  quatre-vingts  discours  mi- 
raculeux,UrésûeVÊcrilure  sainte,  Ulm,1533, 
in-8  .  Témoignage  de  l'Ecriture  sur  les  bons  et 

DiCTI  )NN.  DES  SCIESCES  OCCCLrES.  l. 


les  mauvais  anges,  1.^35,  in-8°,  etc.  N'était  il 
pas  le  père  du  précédent  ? 

FRANZOTIUS,  auteur  d'un  ouvrage  in- 
titulé :  De  la  divination  des  anges,  in-4*, 
Francfort  ou  Venise,  1632. 

FRAYEUR.  Piron  racontait  souvent 
qu'il  avait  environ  dix  ans  ,  lorsqu'un  soir 
d'hiver,  soupant  en  famille  chez  son  père,  on 
entendit  des  cris  affreux  qui  partaient  de 
chez  un  tonnelier  voisin  ;  on  alla  voir  ce 
que  c'était.  Un  petit  garçon,  transi  de  peur, 
conduisit  les  curieux  dans  la  chambre  d'où 
venaient  les  cris,  qui  redoublèrent  bientôt. 
Ah  !  messieurs,  dit  le  tonnelier  tremblant, 
couché  en  travers  sur  son  lit  ,  daignez  au 
plus  tôt  faire  appeler  un  chirurgien,  car  je 
sens  que  je  n'ai  pas  longtemps  à  vivre. 

Le  père  de  Piron  ,  après  avoir  chargé  un 
domestique  de  remplir  les  intentions  du  pré- 
tendu malade,  s'étant  approché  de  lui,  et 
l'ayant  interrogé  sur  la  cause  de  sa  mata-    - 
die  : 

Vous  voyez,  mon  cher  voisin,  répondit  le 
tonnelier,  l'homme  le  plus  misérable!  Ah  ! 
maudite  femme  I  on  m'avait  bien  dit  que  te» 
liaisons  avec  la  plus  détestable  sorcière  di; 
la  Bourgogne,  ne  tarderaient  guère  à  ni'élrc 
fatales.... 

Ces  propos  faisant  soupçonner  que  la 
télé  de  cet  homme  était  dérangée,  on  atten- 
dit que  le  chirurgien  fût  arrivé. 

Monsieur,  s'écria  le  tonnelier,  lorsqu'il  la 
vit  entrer,  j'implore  votre  secours,  je  suis  un 
homme  mort  ! 

Sachons  d'abord  ,  lui  dit  le  chirurgien,  de 
quoi  il  s'agit. 

Ah  1  faut-il  que  je  sois  fi)rcé,  en  vous  di- 
sant d'où  partent  mes  douleurs,  de  déshono- 
rer ma  femme  môme  !  répondit  le  pauvre 
homme.  Mais  elle  le  mérite  ,  et ,  dans  mon 
état,  je  n'ai  plus  rien  à  ménager.  Apprenez 
donc  qu'en  rentrant  chez  moi  ce  soir,  après 
avoir  passé  deux  heures  au  plus  chez  le 
marchand  de  vin  du  coin,  ma  femme,  qui 
me  croit  toujours  ivre,  m'ayant  trop  poussé 
à  bout,  je  me  suis  vu  forcé,  pour  pouvoir  me 
coucher  en  paix  ,  d'être  un  peu  rude  à  son 
égard  ;  sur  quoi,  après  m'avoir  menacé  de 
sa  vengeance,  elle  s'est  sauvée  du  logis  ;  je 
me  suis  déshabillé  pour  gagner  mon  lit  ; 
mais  au  moment  d'y  monter...  Dieu  1  la  mé- 
chante créature  I  une  main,  pour  ne  pas  diro 
une  barre  de  fer,  plus  brûlante  qu'un  tison, 
est  tombée  sur  ma  fesse  droite,  et  la  douleur 
que  j'en  ai  ressentie,  jointe  à  la  peur  qui  m'a 
saisi,  m'a  fait  manquer  le  cœur  au  point  que 

je  ne  crois  pas  y  survivre  ! Mais  vous  en 

riez,  je  crois  ?  eh  bien  1  messieurs,  voyez  si 
toute  autre  main  que  celle  de  Lucifer  menu- 
pût  jamais  appliquer  une  pareille  claque  1 
Au  premier  aspect  de  la  plaie,  de  sa  noir- 
ceur et  des  griffes  qui  semblaient  y  être  im- 
primées, la  plupart  des  assistants  furent  sai- 
sis, et  le  petit  Piron  voulut  se  sauver.  Mais 
on  rassura  le  malade  sur  les  idées  qu'il  avait 
conçues,  tant  contre  sa  femme  que  contre  la 
prétendue  sorcière  ;  le  chirurgien  lui  appli- 
qua les  remèdes  convenables  :  on  le  laissa  un 

23 


ri5 


DICTIONNAIUF.  DES  SCIENCRS  OCCULTES. 


7JC 


ppu  dans  son  cffioi,  ce  qui  le  corrigea  Icgô- 
remenl  de  son  ivrognerie. 

Ce  remède  avait  clé  miployé  par  la  femme 
(au  moyen  d'un  parent  qu'elle  avail  fait  ea- 
elier  dans  la  maison),  pour  corriger  l'inlem- 
iiéranre  du  toniielii-r. 

FRÉDÉRIC  -  RAUBEROUSSE.  Nous  ne 
voulons  pas  juger  ici  cet  empereur.  Nous 
nous  bornons  à  rapporter  sa  légende  ;  nous 
la  prenons  dans  les  curieuses  recherches 
(;ue  la  Quarterly  review  a  publiées  sur  les  tra- 
ditions populaires. 

Dans  les  siècles  de  la  chevalerie,  une  im- 
mortalité romanesque  fut  souvent  décernée 
aux  hommes  supérieurs,  par  la  reconnais- 
sanee  ou  l'admiralion  populaire.  Ceux  qui 
avaient  vu  leur  chef  ou  leur  roi  dans  sa 
gloire,  après  une  bataille  où  sa  bravoure  le 
dislingu.iit  encore  plus  que  sa  couronne,  ne 
pouvaient  se  faire  à  l'idée  de  le  voir  mourir 
comme  le  dernier  de  ses  soldats.  Le  rêve  d'un 
serviteur  fidèle  et  la  fiction  d'un  poêle,  d'ac- 
cord avec  la  pompe  des  funérailles,  avec 
l'intérêt  d'une  famille  ,  avec  la  créduliié  du 
peuple,  tout  concourait  à  prolonger  au  delà 
de  la  tombe  rinduence  du  héros.  Peu  à  peu 
les  honneurs  rendus  à  sa  cendre  devenaient 
le  culte  d'un  demi-dieu  qui  ne  pouvait  être 
sujet  à  la  mort.  Achille  reçut  des  Grecs  cette 
apothéose.  De  même  les  Bretons  attendirent 
longtemps  le  réveil  d'Arthus  assoupi  à  Ava- 
lon  ;  et,  presque  de  nos  jours,  les  Portugais 
se  flattaient  de  l'espoir  que  le  roi  Sébastien 
reviendrait  réclainer  son  royaume  usurpé. 

C'est  ainsi  que  les  trois  fondateurs  de  la 
confédération  helvétique  dorment  dans  une 
caverne  près  du  lac  de  Lucernc.  Les  berger* 
les  appellent  les  trois  Tell,  et  disent  qu'ils 
reposent  là,  revêtus  de  leur  costume  anti- 
que ;  si  l'heure  du  danger  de  la  Suisse  son- 
nait, on  les  verrait  debout,  toujours  prêts  à 
combattre  encore  pour  reconquérir  sa  li- 
berté. 

Frédéric-Barberousse  a  obtenu  la  môme 
illustration. Lorsqu'il  mourutdansla  Pouillc, 
dernier  souverain  de  la  dynastie  de  Souabe  , 
l'Allemagne  se  montra  si  incrédule  à  sa 
mort,  que  cinq  imposteurs,  qui  prirent  suc- 
cessivement SDH  nom,  virent  accourir  autour 
de  le!;r  bannière  tous  ceux  qui  avaient  ap- 
plaudi au  règne  de  Rodolphe  de  Hapsbourg. 
Les  faux  Frédéric  furent  successivement  dé- 
masqués et  punis  ;  cependant  le  peuple  s'ob- 
sliiiait  à  croire  que  Frédéric  vivait,  et  réjté- 
tait  qu'il  avait  prudemment  abdiqué  la  cou- 
ronne impériale.  C'est  un  sage,  disait-on  ; 
il  sait  lire  dans  Us  astres  :  il  voyage  dans  les 
pays  lointains  avec  ses  astrologues  et  ses 
tiilèles  compagnons,  pour  évilerles  malheurs 
qui  l'auraient  accablé  s'il  fût  reslé  sur  le 
tiône  ;  <|uand  les  ten)ps  seront  favorables  , 
nous  le  verrons  reparaître  plus  fi  rt  et  plus 
redoutable  qtie  jamais. 

On  citait  à^  l'appui  de  celle  supposition  des 
(irophétics  obscures,  qui  annonçaient  que 
Frédéric  était  destiné  à  réunir  l'Orient  à 
l'Occident  ;  ces  prophéties  prétendent  que  les 
Turcs  et  les  païens  seront  défaits  par  lui 
dans  une  bataille  sanglante,  près  de  Coloi,M!e, 


et  qu'il  ira  reconquérir  la  terre  sainte 
Jusqu'au  jour  fixé  par  le  destin,  le  grand 
empereur  s'est  retiré  dans  le  ctiâleau  de 
Kilifh.iusen,  au  milieu  de  la  forêt  d'Hercynie  ; 
c'est  là  qu'il  vil  à  peu  près  de  la  vie  des  ha- 
bitants de  la  caverne  de  Monlésinos,  telle  que 
Cervantes  nous  l'a  décrite.  Il  dort  sur  son 
trAne  ;  sa  barbe  rousse  a  poussé  à  travers  la 
table  de  marbre  sur  laquelle  s'appuie  son 
bras  droit,  ou  ,  selon  une  autre  version  ,  ses 
poils  touffus  ont  enveloppé  la  pierre  comme 
l'acanlhe  enveloppa  un  chapiteau  de  co- 
lonne. 

On  trouve  en  Danemark  une  variante  de 
la  même  fiction,  arrangée  d'après  la  localité, 
où  il  est  dit  que  Holger  Dansvre,  dont  les 
romans  français  ont  faitOgierle  Danois,  est 
endormi  sous  les  voûtes  sépulcrales  du  châ- 
teau de  Cronenbourg.  Quelqu'un  avait  pro- 
mis à  un  paysan  une  forte  somme  s'il  osait 
descendre  dans  le  caveau  et  y  rendre  visite 
au  héros  assoupi.  Le  paysan  se  laissa  tenter  ; 
au  bruit  de  s;'S  pas,  Ogier,  à  demi  renversé, 
lui  demanda  la  main  ;  le  paysan  présenta  à 
Ogier  une  barre  de  fer.  Ogier  la  saisit  et  y 
laissa  l'empreinte  de  ses  doigts. — C'est  bien  I 
ajouta-t-il,  croyant  avoir  pressé  le  poignet 
de  l'étranger  et  éprouvé  sa  force.  C'est  bien, 
il  y  a  encore  des  hommes  en  Danemark. 

Cela  dit,  Ogier  letomba  dans  son  som- 
meil. 

Frédéric-Barberousse  aime  la  musique  et 
il  l'écoute  volontiers.  Il  y  a  quelques  années 
qu'une  troupe  de  musiciens  ambulants  crut 
faire  une  bonne  œuvre  en  donnant  une  séré- 
nade au  vieil  empereur.  Se  plaçant  donc  sur 
son  rocher  lumulairc,  ils  se  mirent  à  exécu- 
ter un  air  de  chasse,  au  moment  où  l'horloge 
de  l'église  de  Tilleda  sonnait  minuit. 

A  la  seconde  aubade ,  on  vit  des  lumières 
autour  du  rocher,  étincelant  à  travers  les 
feuilles  du  taillis  et  illuminant  les  troncs  gi- 
gantesques des  chênes.  Bientôt  après,  la  fille 
de  l'empereur  s'avança  gracieusement  vers 
les  musiciens  ;  elle  leur  fit  signe  de  la  suivre  ; 
la  roche  s'ouvrit,  et  les  artistes  entrèrent 
dans  la  caverne  en  continuant  leur  concert. 
On  les  reçut  à  merveille  dans  la  chambre 
impériale  ,  où  ils  jouèrent  jusqu'au  malin. 
Frédéric  leur  adressa  un  sourire  plein  de 
douceur,  et  sa  fille  leur  offrit  à  chacun  un(> 
branche  verle.  Le  cadeau  était  un  peu  trop 
champêtre  pour  des  artistes  modernes  ,  qui 
n'avaient  peut-être  pas  entendu  dire  que  li's 
vainqueurs  des  jeux  olympiques  ne  rece- 
vaient d'autre  récompense  qu'une  couronne 
de  laurier.  Mais,  tout  en  trouvant  qu'oi 
payait  mal  la  bonne  musique  chez  le  défunt 
nionarque,  leur  respect  pour  sa  sépulcrale 
majesté  les  empêcha  de  refuser.  Ils  s'en  allè- 
rent sans  murmurer,  et  quand  ils  se  virent 
de  nouveau  en  plein  air,  tous,  à  l'exception 
d'un  seul  ,  jetèrent  dédaiu;iieusement  les  ra- 
meaux qui  leur  avaieut  été  si  gracieusement 
donnés  par  la  fille  de  l'empereur.  Le  musi- 
cien qui  conserva  son  rameau  ne  l'emportait 
ciiez  lui  que  comme  un  souvenir  de  celle 
aventuré.  Mais,  lorsqu'il  fut  près  de  sa  mai- 
son, il  lui  sembla  que  la  branche  deveuail 


m 


FRE 


FRI 


71» 


plus  lourde  dans  sa  main  :  il  regarde,  et 
voit  chaque  feuille  briller  d'un  éclat  métalli- 
que   Chaque  feuille  élait  changée  en  un 

ducal  d'or.  Ses  conipagnons,  ayant  appris  sa 
bonne  fortune,  coururent  aux  rochers  où  ils 

avaient  jeté   Ifurs   rameaux Hélas  1   il 

était  trop  lard  ;  ils  ne  les  trouvèrent  plus,  et 
s'en  revinrent  honteux  de  leur  dédain  pour 
la  munificence  impériale. 

L'empereur  Frédéric  ,  ayec  ses  branches 
aux  feuilles  d'or,  n'est,  selon  quelques  uns, 
que  le  démon  gardien  d'un  de  ces  trésors  du 
moyen  âge  dont  la  recherche  devenait  un 
métier  pour  certains  charlatans  de  celle 
époque  ,  prototypes  du  Dousterswivel  de 
l'illustre  romancier  d'Eiosse.  Ces  adeptes 
faisaient  surtout  des  merveilles  dans  les  pays 
de  mines,  où  ils  ont  encore  des  successeurs. 
Chacun  d'eux  avait  sa  manière  d'opérer  : 
c'était  d'abord  le  théurgiste  qui  priait  et  ji  û- 
nait  jusqu'à  ce  que  l'inspiration  lui  vint.  A 
côté  de  lui  venait  le  magicien  de  la  nature. 
Le  seul  talisman  d^nt  il  armait  sa  main  était 
une  bagutl  e  de  coudrier,  qui  lui  révélait, 
par  une  sorte  d'attraction  magnétique,  tan- 
tôt les  sources  d'eau  vive  (I),  tantôt  les  mé- 
taux ensevelis  sous  les  couches  épaisses  de 
la  terre.  «  Illusions  !  s'écriait  l'élève  de  Cor- 
nélius Agrippa  ;  toute  la  science  est  dans  ce 
livre  du  grand  philosophe  :  heureux  qui  sait 
y  lire  pour  apprendre  à  charmer  le  miroir 
dont  la  glace  miraculeuse  vous  montre,  sous 
les  climats  les  plus  lointains  ,  les  personnes 
que  la  mer  et  les  déserts  séparent  de  vous. 
Venez,  vous  qui  osez  y  fixer  les  yeux  :  ce 
miroir  magique  a  été  enterré  trois  jours  sous 
;in  gibet  où  pendait  ui^voleur  ;  et  j'ai  ouvert 
les  tombeaux  pour  présenter  son  cristal  à  la 
fiice  d'un  mort,  qui  s'est  agité  convulsive- 
ment !  » 

Si  vous  alliez  consulter  le  cabaliste  espa- 
gnol ou  italien  ,  il  vous  recevait  paré  de  son 
costume,  qui  n'existe  plus  que  dans  les  mas- 
carades de  notre  carnaval  :  une  ceinture 
particulière  lui  ceignait  les  reins  ;  vous  ne 
compreniez  rien  à  ses  telesmes  et  à  ses  pen- 
lacles.  Il  s'aidait  aussi  des  idoles  constellées, 
dont  l'anecdote  suivante  vous  révélera  la 
merveilleuse  action. 

Un  cabalisle  savait  que  ,  s'il  pouvait  se 
procurer  un  certain  métal,  qui  élait  peut- 
être  le  platine,  et  profiler  de  l'aspect  favo- 
rable des  planètes  pour  en  f.iire  la  figure 
d'un  homme  avec  des  ailes,  celle  figure  lui 
découvrirait  tous  les  trésors  cachés.  Après 
bi«n  des  recherches ,  il  est  assez  heureux 
|)0ur  trouver  le  talisman ,  et  il  le  confie  à  un 
ouvrier  qui  ,  peu  à  peu  ,  le  convertit  en  la 
forme  astrale,  ne  travaillant  avec  ses  outils 
(juo  les  jours  que  lui  indique  le  maître,  qui 
consultait  avec  soin  pour  cela  les  tables  al- 
lonsines.  Or,  il  arriva  que  l'ouvrier,  étant 
laissé  seul  avec  la  statue  presque  achevée, 
eut  la  bonne  inspiration  de  lui  donner  la 
dernière  main  dans  un  niomenl  où  toutes  les 
constellations  étaient  d'accord  pour  la  douer 
de  ses  propriétés  magiques.  Kn  effet,  à  peine 
:ivait-elle  reçu  le  dernier  coup  de  marteau, 

II)  Vojei  BtCCbTTEDlVlKATOBB. 


que  rimO'ge  s'échappe  de  l'enclume  et  saute 
sur  le  plancher  de  l'alelier.  Aucun  effort  ne 
put  l'en  arracher;  mais  l'orfèvre,  devinant 
la  nature  de  l'influence  attractive,  creusa 
sous  la  statue  et  découvrit  un  vase  rempli 
d'or  qui  avait  été  caché  là  par  quelque  an- 
cien propriétaire  de  la  maison.  Il  est  facile 
de  deviner  le  bonheur  de  l'arlisle  :  — Me 
voici  donc  maître  de  tous  les  trésors  de  la 
terre,  s'écria-l-il  ;  mais  hâlons-nous  avant 
que  le  cabaliste  ne  vienne  réclamer  sa  statue. 

Résolu  de  s'approprier  le  talisman  ,  l'or- 
fèvre l'emporte  et  s'embarque  sur  un  navire 
qui  mettait  justement  à  la  voile.  Le  vent 
élait  favorable,  et  en  peu  de  temps  on  fut  en 
pleine  mer.  Tout  à  coup,  le  navire  ayant 
passé  sur  un  abîme  ou  quelque  riche  irésor 
avait  été  perdu  par  l'effet  d'un  naufrage,  le 
talism.in  obéit  à  son  irrésistible  influence  , 
et  se  précipita  de  lui-même  dans  les  vagues, 
au  grand  désappointement  de  l'orfèvre. 

Ce  n'e>t  pas  la  seule  légende  qui  porte 
avec  elle  sa  moralité.  L'avarice  humaine 
nous  y  est  représeniée  courant  après  l'or  et 
le  demandant  à  l'enfer  comme  au  ciel  :  son 
vœu  est-il  exaucé,  c'est  au  prix  d'une  malé- 
diction qui  en  corrompt  la  jouissance  ;  mais 
plus  souvent  la  destinée  la  tour.nente,  comme 
Tantale,  par  une  continuelle  déception.. 

FIllBOURG.  M.  Lucien  Brun  a  publié 
celte  curieuse  légende  des  deux  Fribourg. 
Wilfrid  de  Thanenburg,  un  des  riches  gen- 
tilshommes de  Fribourg  en  Brisgaw  ,  fêlait 
ses  accordailles  avec  la  noble  héritière  de 
Rosenberg.  Les  vins  du  Rhin  ,  des  meilleurs 
crus  ,  coulaient  largement  dans  des  coupes 
souvent  vidées.  —  Le  vieux  bourgmestre 
Conrad  de  Blumenlhal  céda  doucement  à 
une  impulsion  communicative  ,  et  ne  man- 
qua pas,  après  des  révélations  que  l'hisloiro 
n'a  pas  conservées,  d'épancher  <iuelque  dose 
de  mauvaise  humeur  contre  rarclievôque 
Adhémar,  qui  lui  rognait  ses  privilèges. 
Les  convives  se  récrièrent  sur  ce  couragu 
inconnu  ,  dont  ils  firent  ,  du  teste ,  tous  les 
honneurs  au  tokay,  et  chacun  de  rappe'er 
au  bourgmestre  les  prétentions  dt;  l'arche- 
vêque, suivies  d'autant  de  soumissions  du 
digne  magistrat. 

—  Par  saint  Conrad,  Mosseigneurs  !  s'écria- 
t-il  aiguillonné,  ne  saurai-je  donc  pas  meltru 
un  frein  à  ses  empiélemenls  ? 

—  Eh  1  mais ,  nous  avons  tout  lieu  de  le 
croire!  lui  dit  un  de  ses  voisins. 

—  Eh  bien  !  je  veux  ((ue  Satan  nous  em- 
porte, et  avec  nous  la  moiiié  di\  noire  bonne 
ville,  si  hier  déjà  je  ne  lui  ai  fait  senlir  com- 
bien son  arrogance  me  déplaît  ,  et  si  dé- 
niai n.... 

En  ce  moment  un  édal  de  rire  moqueur, 
la  chOte  de  quelques  vases  et  d'un  riche  ba- 
hut ,  interrompirent  le  bourgmestre  : 

—  Qui  ose  rire  ?  s'éeria-t-il  exaspéré, 
(luoiqu'un  peu  inquiet  du  mensonge  qu'il 
venait  de  faire  ;  (lui  veut  que  je  lui  prouve 
ce  que  j'avance  ? 

—  C'est  toi  qui  fais  loul  ce  bruit  I  dit  Wil- 
frid à  ui<»vieux  serviteur  clTiayc. 


719 


DICTIONNAIRE  DKS  SCIENCF.S  OCCULTES. 


TM 


—  Non  ,  monseigneur,  mais  quand  on  a 
parlé  du  diable,  j'ai  senti.... 

—  Le  brûlé,  je  parie,  s'érria  Wilfrid  en 
riant  ;  eh  bien!  donne-nous  du  vin,  el  laisse 
le  diable  en  p;iix  ,  s'il  peut  y  rester. 

Cette  saillie  détourna  l'attention  ;  el  les 
ronvives  eurent  bientôt  oublié  la  colère  de 
lilumenlhal  et  le  court  incident  qui  en  était 
résulté  ;  ils  s'amusèrent  beaucoup  toutefois 
de  la  figure  bouleversée  du  vieil  échanson, 
(|ui  affirma  très-positivement  qu'il  avait  vu 
fdir  les  foréis  et  failli  se  heurter  à  la  lune, 
qui  n'était  pas  à  hauteur  d'homme. 

Or  voici  ce  qui  se  passait. 

Le  bourgmestre  avait  été  pris  au  mot  par 
Satan  lui-même  ,  qui  faisait  voyager,  pour 
son  instruction,  un  jeune  diable. 

—  Mon  fils  ,  lui  avait-il  dit  ,  quand  tu 
sauras  qu'il  y  a  chez  un  jeune  fou  un  projet 
de  fêle  ,  invite-loi  sans  crainte  ,  le  diable 
n'est  jamais  déplacé  dans  une  orgie,  au  con- 
traire. 

Et  ils  s'en  étaient  allés  chez  Wilfrid  de 
ïhanenburg.  — On  a  su  ce  qui  précéda  el 
suivit  les  paroles  du  bourgmestre.  Satan  fil 
un  signe  à  son  élève  ,  et  l'un  de  droite  ,  et 
l'autre  de  gauche,  ils  prirent  joyeusement  la 
moitié  de  Fribourg  la  plus  éloignée  de  la 
cathédrale, ets'cnfuirenl  comme  des  larrons. 
C'étaient  leur  joie  et  ce  brusque  mouvement 
qui  avaient  interrompu  le  bourgmestre. 

Les  deux  démons  ne  savaient  trop  que 
fiiire  de  ce  riche  butin  ;  ils  avaient  enlevé 
Fribourg  en  vrais  voleurs  qui  prennent  par 
goût,  par  instinct,  sans  songer  que  la  porte 
lie  l'enfer,  quelque  vaste  qu'elle  fût,  el  quoi- 
que donnant  passage  à  des  consciences  d'une 
largeur  remarquable  ,  ouvrait  inutilement 
ses  deux  battants  devant  une  demi-ville 
d'une  dimension  presque  égale  et  d'une  na- 
ture beaucoup  moins  élastique  et  compres- 
sible. Ils  suivaient  donc  leur  route  aérienne 
sans  but  arrêté  et  en  devisant  de  choses  et 
d'autres.  Ils  remontèrent  ainsi  le  Rhin  jus- 
qu'à Bâle,  non  sans  admirer  les  riches  plai- 
nes de  l'Alsace;  puis,  prenant  un  peu  à 
droite,  ils  s'avancèrent  dans  la  Suisse. 

Satan  discourait  toujours.  —  Il  est  tout  à 
coup  interrompu  par  unébranlement  subit  du 
fardeau  que  son  jeune  compagnon  avait 
cessé  de  soutenir.  A  la  vue  du  gouffre  au- 
dessus  duquel  il  planait ,  tout  entouré  de 
rochers  à  pic  et  de  noires  forêts  suspendues 
sur  l'abîme  au  fond  duquel  grondait  un  tor- 
rent écumanl ,  Satan  comprit  que  l'autre 
avait  été  soudainement  effrayé  de  l'aspect 
sauvage  de  cotte  nature  inculte ,  el  que  ce 
mouvement  d'horreur  avait  causé  sa  chute. 
Il  se  précipita  tête  baissée  avec  lui  ;  Fribourg 
les  suivait.  —  La  malheureuse  ville  ne  fut 
cependant  pas  gravement  endommagée.  Elle 
se  posa  un  peu  rudement  sur  le  flanc  du 
ravin  et  roula  de-ci  de-là  au  fond  de  l'en- 
tonnoir. C<  tte  ville  est  miiiulenant  fribourg 
en  Suisse,  où  vous  voyez  (chose  parfaite- 
ment inexplicable  sans  légenile)  des  maisdiis 
superposées  et  des  rues  courant  sur  les  toits. 

Satan  el  son  compagnon  ,  voyant  la  ville 

(1)  Letoyer,  llisl.  et  Disc,  des  spectres,  etc.,  p.  142. 


prendre  possession  de  l'endroit ,  trouvèrent 
original  d'être  les  fondateurs  de  cette  cité 
qui  tombait  des  nues,  et  laissèrent  les  con- 
vives et  la  colonie  reconnaître  leurs  do- 
maines. 

Et  cependant  vous  lirez  partout  qu'en  l'an 
i  178  Berthold  Vde  Zœhringen  érigea  en  ville 
Fribourg,  dans  l'OKchtland  ,  sans  que  dis 
ouvrages,  du  reste  fort  estimables,  vous  di- 
sent un  mot  du  fondateur.  —  Ce  que  c'est 
que  l'histoire  1 

FRISSON  DES  CHEVEUX.  On  disait  ati- 
Irefois  dans  certaines  provinces  que  le  fris- 
son des  cheveux  annonçait  la  présence  ou  le 
passage  d'un  démon. 

FRONT.  Divination  par  les  rides  du  front 
Voy.  MÉTOPoscopiE. 

FROTHON.  On  lit  dans  Albert  Krantz  que 
Frolhon,  roi  de  Danemark,  fut  tué  par  une 
sorcière  transformée  en  vache.  Ce  roi  croyait 
à  la  magie,  et  entretenait  à  sa  cour  une  in- 
signe sorcière  qui  prenait  à  son  gré  la  forme 
des  animaux.  Elle  avait  un  fils  aussi  mé- 
chant qu'elle ,  avec  qui  elle  déroba  les  tré- 
sors du  roi  ,  et  se  relira  ensuite.  Frothon 
s'étant  aperçu  du  larcin  et  ayant  appris  que 
la  sorcière  et  son  fils  s'étaient  absentés,  ne 
douta  plus  qu'ils  n'en  fussent  coupables.  Il 
résolut  d'aller  dans  la  maison  de  la  vieille. 

La  sorcière,  voyant  entrer  le  roi  chez  elle, 
eut  recours  aussitôt  à  son  art  ,  se  changea 
en  vache  el  son  fils  en  bœuf.  Le  roi  s'étant 
baissé  pour  contempler  la  vache  plus  à  son 
aise,  pensant  bien  que  c'était  la  sorcière  , 
la  vache  se  rua  avec  impétuosité  sur  lui,  et 
lui  donna  un  si  grand  coup  dans  les  flancs 
qu'elle  le  tua  sur-le-cUamp  (l). 

FRUIT  DÉFENDU.  Voy.  Tabac  ,  Pommb 
d'Adam,  Adam,  etc. 

FRUITIER.  Celui  qui  fait  le  fromage  el  le 
beurre  dans  le  Jura  est  le  docteur  du  canton. 
On  l'appelle  le  fruitier;  il  est  sorcier,  comme 
de  juste.  La  richesse  publique  est  dans  ses 
mains  ;  il  peut  à  volonté  faire  avorter  les 
fromages,  et  en  accuser  les  éléments.  Son  au- 
torité suffit  pour  ouvrir  ou  fermer  en  ce  pays 
les  sources  du  Pactole;  on  sent  quelle  consi- 
dération ce  pouvoir  doit  lui  donner,  et  quels 
ménagements  on  a  pour  lui  I  Si  vous  ajoutez 
à  cela  qu'il  est  nourri  dans  l'abondance,  el 
qu'une  moitié  du  jour  il  n'a  rien  à  faire  qu'à 
songer  aux  moyens  d'accaparer  encore  plus 
de  confiance;  qu'il  voit  tour  à  tour,  en  parti- 
culier, les  personnes  de  chaque  maison,  qui 
uennenl  faire  le  beurre  à  la  fruiterie:  -ju'il 
passe  avec  elles  une  matinée  tout  entière  ; 
qu'il  peut  les  faire  jaser  sans  peine,  et  par 
e  les  apprendre,  sans  même  qu'elles  s'en  dou- 
tent, les  plus  intimes  si  crets  de  leurs  familles 
ou  de  leurs  voisins  ;  si  vous  pe^ez  bien  toutes 
ces  circonstances,  vous  ne  serez  point  étonné 
d'apprendre  qu'il  est  presque  toujours  sor- 
cier, au  moins  devin;  qu'il  est  consulté  quand 
on  a  perdu  quelque  chose,  qu'il  prédit  l'ave- 
nir, qu'il- jouit  enfin,  dans  le  canton,  d'un 
crédit  très-grand,  et  que  c'est  l'homme  qu'on 
appréhende  le  plus  d'offenser  (2). 

FUMÉE.  Dans  toutes  les  communes  du  Fi 

(2)  Leqiiiiiio,  Voyage  dans  le  Jura,  t   II,  p.  3(iC. 


I 


7-21 


FVl 


FL'Z 


ni 


iiistère,  on  voit  à  chaque  pas.  dit  Ciimbry, 
(les  usages  cinlérieurs  à  la  religion  calholi- 
que.  Quand  un  individu  va  resscr  d'ôlre,  on 
consulte  la  fuméi>.  S'é'ève-l-plle  avec  facilité, 
le  mourant  doit  habiter  la  demeure  des  bien- 
heureux. Kst-clie  épaisse,  il  doit  descendre 
ilans  les  antres  du  désespoir,  dans  les  caver- 
nes de  l'enfer. 

C'est  une  espèce  de  proverbe  en  Angle- 
terre que  la  fumée  s'adresse  toujours  à  la 
plus  belle  personne.  El  quoique  cette  opi- 
nion ne  semble  avoir  aucun  fondement  dans 
la  nature,  elle  est  pourtant  fort  ancienne. 
Victorin  et  Casaubon  en  ont  fait  la  remarque 
à  l'occasion  d'un  personnage  d'Athénée,  où 
un  parasite  se  dépeint  ainsi  :  —  Je  suis  tou- 
jours le  premier  arrivé  aux  bonnes  tables, 
doù  quelques-uns  se  sont  avisés  de  m'appe- 
1er  soupe,  il  n'y  a  point  de  porte  que  je  n'ou- 
vre comme  un  bélier;  semblable  à  un  fouet, 
je  m'attache  à  tout,  et,  comme  la  fumée,  je 
me  lie  toujours  à  la  plus  belle  (1). 

On  dit  en  Champagne  que  la  fumée  du 
foyer,  quar.d  elle  s'échappe,  s'adresse  aux 
plus  gourmands. 

FUMÉE  (Martin),  sieur  de  Génillé  ;  il  a 
publié,  comme  traduit  d'Athénagore,  un  ro- 
man dont  il  est  lauleur,  intitulé  :  Du  vrai  et 
parfait  amour.  Tout  insipide  qu'est  ce  roman. 
Fumée  trouva  le  moyen  de  le  faire  recher- 
cher dos  adeptes,  par  diverses  allusions,  et 
surtout  par  un  passage  curieux  où,  sous  le 
voile  de  l'allégorie,  il  peint  la  confection  du 
grand  oeuvre.  Ce  passage  ,  devenu  célèbre 
chez  les  enfants  de  l'art,  se  trouve  à  la  page 
345,  de  l'édition  de  1(512,  moins  rare  que  la 
première,  ainsi  que  dans  V Harmonie  mysli' 
que  (le  David  Laigneau,  Paris,  1636,  in-8°. 

FUMIGATIONS.  Quelques  doctes  pensent 
que  les  bonnes  odeurs  chassent  les  démons, 
(jens  qui  puent  et  qui  ne  peuvent  aimer, 
comme  a  (lit  une  grande  sainte. 

Les  exorcistes  emploient  diverses  fumiga- 
tions pour  chasser  les  démons;  les  magiciens 
les  appellent  également  par  des  fumigations 
de  fougère  et  de  verveine;  mais  ce  ne  sont 
que  des  cérémonies  accessoires. 

FUNÉRAILLES.  Voy.  Deuil,  Mort. 

FURCAS(lemêinequeForcf(«).Voy.cenom. 

FUIIFUR,  comte  aux  enfers.  Il  se  fait  voir 
sous  la  forme  d'un  cerf  avec  une  queue  en- 
(lammée;  il  ne  dit  que  des  mensonges,  à 
moins  qu'il  ne  soit  enfermé  dans  un  triangle. 
11  prend  souvent  la  figure  d'un  ange,  parle 
d'une  voix  rauque,  et  eulrelienl  l'union  en- 
tre les  maris  et  les  femmes.  Il  fait  tomber  la 
foudre,  luire  les  éclairs  et  gronder  le  ton- 
nerre dans  les  lieux  où  il  en  reçoit  l'ordre. 
11  répond  sur  les  choses  abstraites.  Vingt-six 
légions  sont  sous  ses  ordres  (2>. 

FURIES,  divinités  infernales  chez  les  an- 
ciens, ministres  de  la  vengeance  des  dieux, 
et  chargées  d'exécuter  les  sentences  des  ju- 
ges de  l'enfer. 

FUZELY  (Henri),  célèbre  artiste  anglais. 
Il  ressemblait  un  peu  à  nos  peintres  de  l'école 
romantique  :   il  affectionnait  les  sujets  hi- 

'I)  TUomas  BrowD,  Essais  sur  les  erreurs,  etc.cli.  xxii. 
p.  80.  . 


deux  et  sauTages.  C'est  pour  cela,  sans  doute, 
qu'il  aimait  beaucoup  la  mythologie  barbare 
des  Scandinaves  :  il  l'a  prouvé  par  plusieurs 
tableaux,  la  Dcscenle  d'Odin  au  Nnstrund , 
Lock,  dieu  des  jours  noirs,  dévorant  des  vic- 
times humaines,  etc.  Fusely  avait  tant  de  pré- 
dilection pour  son  Thor  combattant  le  ser- 
pent, qu'il  le  présenta  à  l'académie  royale, 
comme  son  tableau  d'admission.  Il  était  em- 
barrassé quand  il  avait  à  peindre  la  beauté 
tranquille  ou  les  grâces  paisibles.  Dans  les 
sujets  chrétiens,  il  introduit  toujours  Satan 
ou  Lucifer.  Son  goût  pour  les  sujets  ef- 
frayants était  si  connu  do  ses  confrères, 
qu'ils  l'avaient  surnommé  le  peintre  ordinaire 
du  diable.  Il  en  riait  lui-même  en  causant 
avec  eux.  —  C'est  vrai ,  disait-il,  le  diable  a 
souvent  posé  pour  moi. 

Un  jour  qu'il  dînait  chez  le  libraire  John- 
son, un  des  convives  lui  dit  :  —  M.  Fuzely, 
j'ai  acheté  un  de  vos  tableaux. 

—  Quel  en  est  le  sujet  ? 

—  Ma  foi,  je  n'en  sais  rien. 

—  Vous  êtes  un  homme  étrange,  d'achetef 
un  tableau  sans  connaître  ce  qu'il  représente. 

—  Je  l'ai  acheté  sur  votre  réputation  ;  cela 
m'a  suffi;  mais  je  ne  sais  quel  diable  de  sujet 
c'est. 

—  C'est  cela,  c'est  sans  doute  le  diable,  ré- 
pliqua Fuzely,  je  l'ai  peint  si  souvent. 

Ace  propos,  quelqu'un  de  la  compagnie  se 
mit  à  dire  pour  changer  la  conversation  qui 
s'échauffait  :  —  Fuzely,  il  y  a  un  membre  du 
votre  académie  qui  a  une  singulière  figure; 
il  est  aussi  original  que  vous  dans  le  choix 
de  ses  sujets. 

—  C'est  vrai,  répliqua  le  professeur;  il  ne 
peint  que  des  voleurs  et  des  assassins,  et 
quand  il  manque  de  modèle,  il  se  regarde 
dans  la  glace. 

A  la  mort  de  'Willon,  Fuzely  devint  le  chef 
de  l'académie  royale.  Son  talent,  son  origi- 
nalité même  lui  attirèrent  un  grand  nombre 
d'élèves.  La  salle  des  leçons  était  ordinaire- 
ment pleine.  Il  était  caustique  et  dur  dans  ses 
propos,  au  demeurant  le  meilleur  des  hom- 
mes, fou  de  la  folie  des  artistes,  c'est-à-dire, 
qu'il  y  avait  toujours  dans  ses  extravagances 
un  grand  fonds  de  raison. 

Un  élève  lui  montrait  un  dessin  qu'il  ve- 
nait (l'achever,  en  lui  disant  avec  complai- 
sance :  —  Voyez,  je  l'ai  fini  sans  employer 
un  seul  morceau  de  pain.  —  Tant  pis  pour 
votre  dessin,  répliqua  Fuzely;  achetez  un 
pain  de  deux  sous,  et  effacez-le  tout  entier. 
Où  il  n'y  a  point  de  fautes,  il  n'y  a  point  de 
talent. 

—  Que  voyez-vous?  dit-il  un  autre  jour  à 
un  élève  qui,  son  papier  di>vant  lui  et  son 
crayon  à  la  main,  regardait  d'un  air  fixe. 

— Rien,  monsieur, répondille  jeune  homme. 

—  Rien?reprit  le  maitre  ;  eh  bien,  vous  ne 
ferez  jamais  que  des  croûtes.  Pour  être  ha- 
bile artiste,  il  faut  voir  quelque  chose  Le 
type  idéal  de  votre  dessin  doit  vous  apparaî- 
tre distinctement.  Quant  à  moi,  j'ai  devant 
les  yeux  la  représentation  de  tout  ce  que  jo 
peins  :  et  plût  au  ciel  qu'il  me  fût  donné  (le 

(2)  Wierus,  In  rscuJomonarcliia  dœm. 


m 


MCTIONNAIRE  DliS  SCIENCES  OCCULTES. 


m 


reproduire  sur  la  toile  ce  que  m'offre  mon 
imagination  1  Âlil  si  j'avais  pu  rendre  le  dia- 
ble coiiitne  je  l'ui  vu,  j'aurais  surpassé  Mi- 


chel-Ange, et  en  le  voyant,  vous  seriez  tom 
morts  de  peur  et  d'admiration  (1). 


G 


GAAP  (autrement  dit  Tap).  Voj.  Tap. 

GABINIUS  ou  GABIENUS.  ï);uu  la  guerre 
de  Sicile,  entre  Oclave  et  Sexius  Pompée,  un 
des  gens  d'Oelave,  nou)mc  Gabinms,  ayant 
été  fait  priîionnier,  eut  la  tôle  coupée.  Un 
loup  emporta  celte  téle;  ou  l'arraeha  an 
loup,  et  sur  le  soir  on  entendil  ladite  léte 
qui  se  plaignait  et  demandait  a  parler  à 
quelqu'un. 

On  s'assembla  autour;  alors  la  bouche  de 
celte  lêle  dit  aux  assistants  qu'elle  était  re- 
venue des  enfers  pour  révéler  à  Pompée  des 
choses  importantes.  Pompée  envoya  aussitôt 
un  de  ses  I  eutcnanls,  à  qui  !e  mort  décrira 
(juo  ledit  Pompée  serait  vainqueur.  La  tète 
chanta  ensuite  dans  un  poëme  les  malheurs 
qui  menaçaient  Home  ;  après  quoi  elle  se  lut, 
à  ce  que  disent  Pline  et  Valère  Maxime. 

Si  ce  trait  a  quelque  fondement,  c'était  sans 
doute  une  fourberie  exécutée  au  moyen  d'un 
ventriloque,  et  imaginée  pour  relever  le  cou- 
rage des  troupes.  Mais  elle  n'eut  point  de 
succès  :  Sexius  Pompée,  vaincu  et  sans  res- 
source, s'enfuit  en  Asie,  où  il  fui  tué  par  les 
gens  de  Marc-Anloine. 

GABKAR.  Les  Orientaux  croient  à  une 
villu  fabuleuse  appelée  Gabkar,  qu'ils  disent 
située  dans  les  déserts  liabités  par  les  génies. 

GABRIEL  (Gilles),  a  écrit  au  dix-sepiiè- 
me  siècle  un  essai  de  la  morale  chrétienne 
coiiiparée  à  la  morale  du  diable:  Spcci  iina 
morulis  chrisliuiiœ  et  muralis  diabulica:  in 
praxi.  Bruxelles,  1673,  in-12. 

GABRIELLE.  Dans  le  Vexin  français,  le 
bourgeois  qui  a  quatre  filles  et  veut  avoir  un 
garçon,  nomme  la  dernière  Gabrielle;  char- 
me qu'il  croit  de  nature  à  lui  amener  infail- 
liblement un  fils. 

GABRIELLE  DESTRÉES,  maltresse  de 
Henri  IV,  morte  en  1599.  Elle  cherchait  â 
épouser  le  Roi,  et  se  trouvait  logée  dans  la 
maison  de  Zamet,  riche  financier  de  ce  temps. 
Comme  elle  se  promenait  dans  les  jardins, 
elle  fut  frappée  dune  apoplexie  foudioyante. 
On  la  porta  chez  sa  tante,  madame  du  Sour- 
dis.  Elle  eut  une  mauvaise  nuit;  le  lendi- 
main  elle  éprouva  des  convulsions  qui  la 
firent  devenir  toute  noire:  sa  bouche  se  con- 
tourna, et  elle  expira  horriblement  défigu- 
rée. On  parla  diversement  de  sa  mort;  plu- 
sieurs en  chargèrent  le  diable;  on  publia 
qu'il  l'avait  étranglée;  cl  au  fait  il  en  était 
bien  capable. 

GABRIKLLE  de  P.,  auteur  de  Vllisloire 
(les  Fantômes  et  des  Démons  qui  se  sont  mun- 
îtes parmi  les  hommes,  in-12,  1819,  et  du 
Dérnuniana,  ou  Anecdotes  sur  les  appari- 
tions de  démons,  de  lutins  et  do  spectres, 
in-18,  1820. 

(l)Ntitic«  publiée  dans  plusieuis  joiiruaux  el  sjguéc 
S.  G* 


GAETH,  dieu  des  morts  chez  les  Kamts- 
chadales.  Voy.  Lézards. 

GAFFAUEL  (Jacques),  hébraïsanl  eî 
oriiMitaliste,  né  en  Provence  eu  1601,  mort 
en  1G8I.  Ses  principaux  ouvrages  sont  : 

Mystères  secrets  de  la  cabale  divine,  défen- 
dus contre  les  paradoxes  des  sophistes,  Paris, 
1625,  in-V. 

Curiosités  inouïes  sur  la  sculpture  lalisma- 
nique  des  Persans,  l'horoscope  des  patriar- 
ches et  la  Lecture  des  Etoiles.  Paris,  1629, 
in-8°. 

Index  de  19  cahiers  cabalistiques  dont  s'est 
servi  Jean  Pic  de  La  Mirandole,  Paris,  1651, 
in -8-. 

Histoire  universelle  du  monde  souterrain, 
contenant  la  description  des  plus  beaux  an- 
tres et  des  plus  rares  grottes,  caves,  voûtes, 
cavernes  et  spélonques  de  la  terre.  Le  prospec- 
tus de  ce  dernier  ouvrage  fui  imprimé  à  Pa- 
ris, 1606,  in-folio  de  8  feuillets  :  il  esl  très- 
rare.  Quant  au  livre,  il  ne  parut  pas  à  cause 
de  la  mort  de  l'auteur.  On  dit  que  c'était  un 
monument  de  folie  el  d'érudition.  11  voyait 
des  grottes  jusque  dans  l'humme  ,  dont  le 
corps  présente  mille  cavités;  il  parcourait  les 
cavernes  de  l'enfer,  du  purgatoire  cl  dis 
limbes,  etc. 

GAILAN.  Les  Arabes  appellent  ainsi  une 
espèce  de  démon  des  forêts,  qui  tue  les  hom- 
mes et  les  animaux. 

GAILLARD,  Voy.  Coirières. 

GAIUS,  aveugle  guéri  par  un  prodige,  du 
temps  d'Antonin.  Esculape  l'avertit,  dans  un 
songe,  de  venir  devant  son  autel,  de  s'y  pro- 
sterner, de  passer  ensuite  de  la  droit  ■  à  la 
gauche,  de  poser  ses  cinq  doigts  sur  l'autel, 
de  lever  la  main,  et  de  la  mettre  sur  ses 
yeux.  Il  obéit,  et  recouvra  la  vue  pq  pré- 
sence du  peuple,  qui  applaudit  avec  trans- 
port. 

C'était  une  singerie  qu'on  faisait  pour  ba- 
lancer les  miracles  réels  du  christianisme. 

GALACHIDE  ou  GARACHIDE,  pierre  noi- 
râtre, à  lafjuelle  des  auteurs  ont  attribué 
plusieurs  vertus  merveilleuses,  celle  entre 
autres  de  garantir  celui  qui  la  tenait,  des 
mouches  et  autres  insectes.  Pour  en  faire 
épreuve,  on  frottait  un  homme  de  miel  pen- 
dant l'été,  et  on  lui  faisait  porter  celte  pierre 
dans  la  main  droite:  ()uaiid  celle  é(>reuve 
réussissait,  on  reconnaissait  que  la  pierre 
était  véritable.  On  |.iéteiidait  aussi  qu'en  la 
portant  dans  sa  bouche,  un  découvrait  les 
secrets  d»!S  autres. 

GALANTA,  sorcière  du  seizième  siècle. 
Elle  donna  nu  jour  une  pomme  à  goûter  à 
la  fille  du  suisse  de  l'église  du  Saint-Espril  à 
Rayonne,  qui  désirait  avoir  trois  paniers  de 
ces  pommes.  Celle  tille  n'eut  pas  (ilutôl  mor- 
du la  pomme,  qu'elle  tomba  du  haul-mal; 


72". 


G  AL 


GAL 


72« 


il  Ifi  force  du  maléfice  fut  fcUo,  qu'elle  en  fut 
lourmenlée  toute  sa  vie.  Aussitôt  qu'elle 
voyait  la  sorcière,  les  accès  lui  prenaient 
Irès-violeiriiiient  :  «  ce  qui  a  été  conOrnié  de- 
vant nos  yeux,  »  comme  dit  Delancre.  De 
nos  jours,  on  n'allribuerait  peut-éire  pas 
cela  au  sortilège;  mais  alors  on  poursuivit 
la  sorcière. 

GALIEN.  Le  plus  grand  médecin  des  temps 
passés  après  Hippocrate.  On  lui  attribue  un 
Traité  des  enchantements,  et  les  médecins 
empiriques  ont  souvent  abusé  de  son  nom. 

(jALltîAI  (Léonoua)  ,  épouse  du  maréchal 
d'Ancre  Coiicino  Concini,  tué  par  Vitry,  capi- 
taine des  gardes  en  1617.  On  la  crut  sorcière  ; 
et  en  elTet,  elle  s'occu|)ait  de  sciences  occul- 
tes et  de  charmes.  On  publia  que  par  ses  malé- 
tices  elle  avait  ensorcelé  la  reine  ;  surtout 
lorsqu'on  cul  trouvé  chez  elle  trois  volumes 
pleins  de  caractères  magiques,  cinq  rouleaux 
de  velours  destinés  à  donu'nrr  les  esprits 
des  grands,  des  amulettes  qu'elle  se  niellait 
au  cou,  des  agnus  que  l'on  prit  pour  des  ta- 
lismans, car  elle  mêlait  les  choses  saintes 
aux  abomin  itions  magiques,  et  une  letlre 
que  Léonora  avait  ordonné  d  écrire  à  une 
sorcière  nommée  Isabelle.  Il  fut  établi  au 
procès  que  le  maréchal  et  sa  ftmnie  se  ser- 
vaient, pour  envoûter,  d'images  de  cire  qu'ils 
gardaient  dans  de  petits  cercueils;  qu'ils 
consultaient  des  magiciens,  des  astrologues 
cl  des  sorciers;  qu'ils  en  avaient  fait  venir 
de  Nancy  pour  sacrifier  des  coqs  aux  dé- 
mons, et  que  dans  ces  cérémonies  Galigaï 
ne  mangeait  que  des  crêtes  de  co(i  et  des  ro- 
gnons de  bélier  qu'elle  faisait  charmer  au- 
paravant. Elle  fut  encore  convaincue  de  s'ê- 
tre fait  exorciser  par  un  cerlain  Mathieu  de 
Monlanay,  charlatan  sorcier.  Sur  ses  pro- 
pres aveux,  dit-on,  elle  eut  la  télé  tranchée, 
cl  fui  brûlée  en  1617.  Cependant  le  prési- 
dent Courlin  lui  demandant  par  quel  charme 
elle  avait  ensorcelé  la  Reine,  elle  répondit 
fièrement  ;  «  Mon  sortilège  a  été  le  pou»oir 
que  les  âmes  fort*  s  ont  sur  les  âmes  faibles.  » 

GALILÉE.  Les  prolestants,  copiés  par  les 
jansénistes,  ont  beaucoup  déclamé  contre  la 
prétendue  persécution  qu'essuya  Galilée,  à 
cause  de  ses  découvertes  astronomiques.  On  a 
fait  fracas  de  ce  qu'on  appelle  sa  condam- 
nation au  tribunal  de  l'inquisition  romaine. 
Mais  il  est  prouvé,  il  est  constant,  il  est  avé- 
ré, il  est  élalili,  depuis  longtemps  déjà,  qu'on 
en  impose  effrontément  dans  ces  récils  infi- 
dèles :  ce  qui  n'empêche  pas  les  écrivailieurs 
de  les  répeler  toujours. 

Galilée  ne  fut  pas  censuré  comme  astro- 
nome, mais  cortuiie  mauvais  théologien.  Il 
voulait  expliquer  la  Bible.  —  Ses  découver- 
tes, à  l'appui  du  système  de  Copernic,  ne  lui 
eussent  pas  fait  plus  d'ennemis  qu'à  cet  au- 
tre savant.  Ce  fut  son  eiilêlement  à  vouloir 
concilier,  à  sa  manière,  la  Bible  et  Coper- 
nic, qui  le  fit  rechercher  par  l'inquisition. 
En  même  temps  que  lui  vivaient  à  Uome  un 
grand  nombre  d'hommes  célèbres, et  le  sainl- 
sjége  n'était  pas  entouré  d'ignorants.  Eu 
1011,  pendant  son  premier  voyage  dans  la 
capitale  du  monde  chrétien,  Galilée  fut  ad- 


miré et  comblé  d'honneurs  par  les  cardinaux 
et  les  grands  seigneurs  auxquels  il  montra 
ses  découvertes.  Lorstiu'il  y  retourna,  en 
1(115,  le  cardinal  Dilinonle  lui  traça  le  cer- 
cle savant  d;ins  lequel  il  devait  se  renfermer. 
Mais  son  ardeur  et  sa  vanité  l'emportèrent. 
«  Il  exigeait,  dit  Guichardin,  que  le  Pape  et 
le  sainl-office  déclarassent  le  système  de  Co- 
pernic fondé  sur  la  Bible,  »  11  écrivit  à  ce 
sujet  mémoires  sur  mémoires.  Paul  V,  fati- 
gué de  ses  instances,  accorda  que  cette  con- 
troverse fût  jugée  dans  une  congrégation. 
Malgré  tout  l'emportenient  qu'y  mil  Galilée, 
il  ne  fut  point  inléressé  dans  le  décret  rendu 
par  la  congrégation,  qui  déclara  seulement 
que  le  système  de  Copernic  ne  paraissait  pas 
s'accorder  avec  les  expressions  de  la  Bible. 

Avant  son  départ,  il  eut  une  audience 
très-gracieuse  du  Pape;  et  Bellarmin  se 
borna,  sans  lui  interdire  aucune  hypothèse 
astronomique,  à  lui  inlcrdire  ses  préteatiuus 
théologiques. 

Quinze  ans  après,  en  1632,  sous  le  ponti- 
fical d'Urbain  VIII,  Galilée  imprima  ses  cé- 
lèbres dialogues  Belle  due  massime  système 
del  mondo,  avec  une  permission  cl  une  ap- 
probation supposées.  Personne  ne  réclama. 
il  fil  reparaîire  ses  mémoires  écrits  eu  1016, 
où  il  s'efforçait  d'ériger  la  rotation  du  globe 
sur  son  axe  en  question  de  dogme.  Ses  bra- 
vades le  firent  citer  à  Rome.  Il  y  arriva  le 
3  février  1633.  Il  ne  fut  point  logé  à  l'inqui- 
sition, mais  au  palais  de  l'envoyé  de  Tos- 
cane. 

Un  mois  après,  il  fut  mis,  —  non  dans  les 
prisons  de  l'inquisition, — conmie  laiit  de 
menteurs  l'ont  écrit,  mais  dans  l'apparle- 
menl  du  fiscal.  Au  bout  de  dix-huit  mois, 
s'étant  rétracté,  c'est-à-dire  ayant  renoncé 
à  sa  conciliation  de  Copernic  el  de  la  sainte 
Bible,  seule  question  qui  fût  en  cause,  il 
s'en  retourna  dans  sa  pairie. 

Voici  ce  qu'il  écrivait  en  1633,  au  P.  Ré- 
ccnéri,  son  disciple:  — «  Le  Pape  me  croyait 
digne  de  son  estime.  Je  fus  logé  dans  le  déli- 
cieux palais  de  la  Trinité-du-MonL  Quand 
j'arrivai  au  saint-office,  deux  pères  domini- 
cains m'invitèrent  irès-honnêlement  à  faire 
mon  apologie.  J'ai  été  obligé  de  rélracler 
mon  opinion  en  bon  catholique.  Pour  mo 
punir,  on  m'a  défendu  les  dialogues,  et  con- 
gédié après  cinq  mois  de  séjour  à  Rome. 
Comme  la  peste  régnait  à  Florence,  on  m'a 
assuré  pour  demeure  le  palais  de  mon  nieil- 
leurami, monseigneur  Piccolomini,  archevê- 
que de  Sienne;  j'y  ai  joui  d'une  pleine  Iran- 
quillilé.  Aujourd'hui  je  suis  à  ma  campagne 
d'Art  être,  où  je  respire  un  air  pur  auprès  de 
ma  chère  pairie  (1).  a 

Néanmoins  les  philosophes  rebelles  con- 
linueront  à  faire  de  Galilée  une  victime  de  la 
superstilion  et  du  fanatisme.  On  citera  le 
coule  de  Galilée  en  prison  ,  écrivant  sur  la 
muraille  ,  autour  d'un  cercle ,  e  puer  se 
muove  :  et  pourtant  elle  tourne  1  Comme  si 
jamais  on  lui  eût  interdit  d'avancer  cela.  On 
consacrera  cette  malice  absurde  par  la  pein- 
ture et  la  gravure  ;  el  on  citera  avec  em- 
(l)  Bcrgier,  Dict.  de  théologie,  au  mol  Soekcbs. 


727 


DICTIONNAIRE  DliS  SCIKNCES  OCCL'LTES. 


IW, 


phase  la  même  Tausscté  mnlrcillantc  illustrée 
par  les  beaux  vers  de  Louis  Racine,  dans  le 
))Uome  do  la  relitjion  : 

L»  terre  cepenilatil,  à  sa  marche  fldèle, 
Emiorte  G^ililée  cl m)ii  juge  avec  elle. 

Tant  il  est  difficile  de  déraciner  une  erreur 
|iassi()iinéo! 

Dans  tout  cela,  nous  ne  jugeons  pas  le 
fyslènie  de  Galilée, sur  lequel  il  u'esl  pus  im- 
possible que  le  drrnier  mol  ne  soit  pas  dit. 
On  Tienl  de  retrouver  les  manuscrits  de 
Galilée,  que  l'on  avait  dit  brûlés  pur  l'inqui- 
sition. Que  ne  pi'Ut-on  retrouver  ,  à  l'usage 
des  ennemis  de  l'Ejçlise.  la  bonne  foi  1 

GAM.\HÉ  ou  CAMxMEU,  espèce  de  talis- 
man qui  consiste  dans  des  images  ou  des  ca- 
ractères naturellement  gravés  sur  certiiines 
pierres,  auxquels  la  superstition  a  fait  attri- 
buer de  grandes  vertus  ,  parce  qu'elle  les 
croit  produits  par  l'influence  des  esprits.  Gaf- 
f.irel  dit  qu'Albert  le  Grand  avait  une  de  ces 
pierres,  sur  laquelle  était  un  serp(!nl  qui 
possédait  cette  admirable  vertu  d'attirer  les 
i.utrcs  serpents  lorsqu'on  la  plaçait  dans  le 
lieu  oii  ils  venaient.  D'autres  pierres,  ajou- 
•e-l-il,  guérissent  les  morsures  et  chassent  les 
venins.  George  Agricola  rapporte  qu'on  voit 
des  Gamahés  de  la  forme  de  quelques  parties 
'lu  corps,  ou  de  quelques  plantes  ,  et  qui  ont 
des  vertus  merveilleuses  ;  ainsi  celles  qui  re- 
présentent du  sang  arrêtent  les  pertes,  etc. 
GAMOULIS  ,  esprits  qui ,  selun  les  habi- 
tants du  Kamischalka,  produisent  les  éclairs 
en  se  lançant  dans  leurs  querelles  les  lisons 
à  demi  consumés  qui  ont  chauQ'é  leurs  hut- 
tes. Lorsqu'il  tombe  de  la  pluie,  ce  sont  les 
Gamoulis  qui  rejettent  le  superflu  de  la  bois- 
son. 

GAMYGYN,  grand  marquis  des  enfers. 
C'est  un  puissant  démon.  On  le  voit  sous  la 
forme  d'un  petit  cheval.  Mais  dès  qu'il  prend 
«elle  d'un  homme,  il  a  une  voix  rauqtie  et 
discourt  sur  les  arts  libéraux.  Il  l'ait  paraître 
aussi  devant  rexorcisic  les  âmes  qui  ont 
péri  dans  la  mer,  et  celles  qui  souffrent  dans 
eelte  partie  du  purgatoire  qui  est  appelée 
Carlagra  (  c'est-à-dire,  affliction  des  âmes  ). 
Il  répond  clairement  à  toutes  les  questions 
qu'on  lui  fait  ;  il  reste  auprès  de  l'exurcisle 
jusqu'à  ce  qu'il  ait  exécuté  tout  ce  qu'on  lui 
ordonne  ;  cependant  là-bas  ,  trente  légions 
lui  sont  soumises  (1). 

GANDILLON  (  Pierre  )  ,  sorcier  de  la 
Franche-Comté,  qui  fut  brûlé  vers  1610, 
pour  a  voir  couru  la  nuit  en  forme  de  lièv  rc  (2). 
GANDREID,  sorte  de  magie  en  usage 
chez  les  Islandais,  laquelle  magie  donne  la  fa- 
culté de  voyager  dans  les  airs  ;  elle  est, 
<'il-on,  d'invention  nouvelle,  quoique  le  nom 
en  soit  connu  depuis  des  temps  reculés.  Mais 
o.n  attribuait  autrefois  les  cavalcades  aérien- 
nes au  diable  et  à  de  certains  esprits.  Les 
Islandais  prétendent  aujourd'hui  que  ce  sont 
des  sorcières  montées  sur  des  côtes  de  che- 
val et  des  tibias,  en  guise  démanche  à  balais, 
qui  se  promènent  p.ir  les  airs. 
Les  sorcières  de  Basse-Saxe  et  du  duché 

(t)  Wierus,  (le  Praesi.  &.vm.,  p.  926. 

{i)  M.  GaririLt,  HUloiro  de  la  magie  eu  France,  \i.  166, 


de  Brunswick  se  mellent  à  califourchon  sur 
la  même  monture  ;  et  tous  les  autres  osse- 
ments qui  se  trouvent  dans  la  campagne,  se 
pulvérisent  à  l'approche  de  l'un  de  ces  ca- 
valiers nocturnes.  L'art  de  préparer  leur 
équipage  consiste  daiis  une  courroie  d'une 
espèce  de  cuir  qu'ils  appellent  Gandreid- 
Jaum,  sur  laquelle  ils  impriment  leurs  runes 
ou  caractères  magiques  (3). 

GANGA-GRAMMA,  démon  femelle  que 
les  Indiens  craignent  beaucoup,  et  par  con- 
séqu(>nt  auquel  ils  rendent  de  grands  hon- 
neurs. Il  a  une  seule  tète  et  quatre  bras  ;  il 
tienl  dans  la  main  gauche  une  petite  jatte  , 
et  dans  la  droite  une  fourchette  a  trois  poin- 
tes. 

On  le  mène  en  procession  sur  un  char 
avec  beaucoup  de  pompe  ;  quelquefois  il  se 
trouve  des  fanatiques  (lui  se  font  écraser  par 
dévotion  sous  ses  roues.  Les  boucs  sont  les 
victimes  ordinaires  qu'on  lui  immole. 

Dans  les  maladies  ou  dans  quelque  autre 
danger,  il  se  trouve  des  Indiens  qui  font  vœu, 
s'ils  en  réchappent,  de  pratiquer  en  l'hon- 
neur de  Ganga-Gramma  la  cérémonie  sui- 
vante. On  leur  enfonce  dans  la  peau  du  dos 
des  crochets,  par  le  moyen  desquels  on  les 
élève  en  l'air  ;  là  ils  font  quelques  tours 
d'adresse,  comme  des  entrechats,  en  pré- 
sence des  spectateurs.  Il  se  trouve  des  fem- 
mes simples  et  crédules,  à  qui  l'on  persuade 
que  cette  cérémonie  est  agréable  à  Ganga- 
Gramma  ,  et  qu'elle  ne  cause  aucune  dou- 
leur. Lorsqu'elles  la  sentent,  il  n'est  plus 
temps  de  s'en  dédire,  elles  sont  déjà  en  l'air, 
et  les  cris  des  assistants  étoulTenl  leurs  plain- 
tes. 

Une  autre  sorte  de  pénitence,  toujours  en 
l'honneurdu  même  démon,  consiste  a  se  lais- 
ser passer  une  ficelle  dans  la  chair,  et  à  dan- 
ser pendant  que  d'autres  personnes  tirent 
cette  Ocelle. 

La  nuit  qui  suit  sa  fétc,  on  lui  sacrifie  un 
buffle  dont  on  recueille  le  sang  dans  un  vase; 
on  le  place  devant  l'idole,  et  l'on  assure  que 
le  lendemain  il  se  trouve  vide.  Des  auteurs 
dirent  qu'autrefois ,  au  lieu  d'un  buffle  ,  on 
immolait   une  victime  humaine. 

GANGUY(  Simone),  dite  la  Pelite-Mère, 
sorcière,  amie  de  Madeleine  Buvan.  11  ne  pa- 
rait pas  qu'elle  ail  été  brûlée. 

GANNA,  devineresse  germaine;  elle  avait 
succédé  à  Velléda  ;  elle  fit  un  voyage  à  Rome, 
où  elle  reçut  de  grands  honneurs  de  Domi- 
tien  (4). 

GANTIÈRE,  sorcière.  En  1382,  le  parle- 
ment de  Paris  confirma  la  sentence  de  mort 
du  bailli  de  la  Ferlé  contre  la  femme  Gan- 
tière. Elle  avouait  que  la  Lofarde  l'avait 
transportée  au  sabbat  ;  que  le  diable  l'avait 
marquée  ;  (|u'il  était  vêtu  d'un  habit  jaune  ; 
qu'il  lui  avait  donné  huit  sous  pour  payer  sa 
taille  ;  mais  que,  de  retour  dans  son  logis  , 
elle  ne  les  avait  plus  trouvés  dans  son  mou- 
choir. 

GARDE  DES  TROUPEAUX,  Voy.  Trou- 
peaux. 

(5)  Voyage  en  Islande,  traduit  du  danois,  etc.,  IfUi. 
(i)  Tatile,  Annales,  'ôH. 


729 


GAI» 


r,\l{ 


730 


GARDEMAIN.  Voyez  Gi.oce^ter. 

GARGANTUA.  «  Histoire  merveilleuse 
de  Gargiiiitua,  duns  laquelle  on  verra  son 
origine  surprenante,  sa  naissance,  ses  prodi- 
gieux faits  pendant  ses  voyages,  et  ses  ac- 
tions éclatantes  au  service  tlu  roi  Arllius, 
dans  toutes  les  victoires  qu'il  a  remportées 
sur  ses  ennemis.  » 

Il  y  avait  du  temps  du  roi  Arthus,  un  phi- 
losophe, le  plus  habile  du  monde  en  nécro- 
mancie, appelé  Merlin,  lequel  faisait  des 
merveilles.  Il  avait  sauvé  le  roi  et  toute  la 
noblesse  de  la  cour  d'une  maladie  coiila- 
gieuse.  Il  avait  imaginé  de  faire  un  navire 
qui  voguait  sur  la  terre  ferme  ai  ec  autant  de 
f.icililé  et  de  vitesse  que  ceux  qu'on  voit  sur 
la  mer.  Mais  un  de  ses  plus  grands  services 
fut  de  découvrir  au  roi,  par  son  art ,  une 
guerre  qui  le  menaçait.  Arihus,  pour  en  dé- 
tourner l'orage,  donna  à  Merlin  tous  ses 
pouvoirs.  Ce  dernier  se  fit  transporter  sur  la 
plus  haute  montagne  de  l'Orient  ;  il  avait 
avec  lui  une  grande  fiole  pleine  du  sang  de 
Lancelot  du  Lac,  avec  les  rognures  des  on- 
gles de  Genièvre  ,  la  femme  du  roi  Artlius. 
ktant  arrivé  à  cette  montagne,  il  fit  une  en- 
clume d'acier,  de  la  grosseur  d'une  tour  ;  il 
avait  trois  marteaux  qui,  par  la  puissance  de 
son  art ,  frappèrent  d'eux-mêmes  sur  cette 
enclume  avec  tant  de  force,  que  l'on  eût  dit 
que  c'était  le  tonnerre  qui  tombait  du  ciel. 
Il  se  fit  ensuite  apporter  un  os  de  baleine,  et 
l'ayant  arrosé  du  sang  de  la  fiole,  il  le  mit  sur 
l'enclume ,  où  il  le  réduisit  en  cendres  ;  de 
cette  poudre  fut  formé  le  père  de  Gargan- 
tua  

Voilà  ce  que  dit  le  vieux  conte  populaire, 
fidèlement  conserve  par  la  bibliothèque 
bleue,  que  Rabelais  a'a  pas  toujours  suivie, 
mais  qui  lui  a  fourni  son  canevas. 

Merlin  fit  de  nouveau  une  semblable  opé- 
ration avec  les  ongles  de  la  reine ,  desquels 
naquit  la  mère  de  Gargantua. 

Après  avoir  achevé  ce  grand  ouvrage, 
l'enchanteur  vil  devant  lui  deux  géants  sur 
lesquels  il  jeta  un  sort  qui  les  endormit  pen- 
dant neul  jours  ;  dans  l'espace  duquel  temps 
il  forma  sur  son  enclume  une  jument  assez 
forte  pour  porter  ces  deux  créatures  colos- 
sales ;  après  quoi  il  rompit  son  enchante- 
ment. 

— Que  fais-tu  là,  Galemelle  ?  dit  l'homme 
à  la  femme.  Elle  répondit  :  —  Je  t'attends, 
Grand-Gosier. 

Merlin  rit  beaucoup,  et  voulut  d'abord 
qu'ils  gardassent  tous  deux  ces  noms  qu'ils 
venaient  de  se  donner.  Il  leur  prédit  qu'ils 
'luraient  un  fils  qui  serait  invincible  et  «rc- 
ilouté  de  ses  ennemis  ;  qu'il  était  destiné  à 
èire  l'appui  du  trône  d'Arilius,  qu'il  fallaii  le 
bien  traiter  ,  et  qu'à  l'âge  de  sept  ans  on  de- 
vait le  mener  à  la  cour  du  prince  qui  avait 
sa  résidence  dans  la  Grande-Bretagne.  Ils 
répondirentqu'ils  ignoraient  où  était  ce  pays. 
Mais  Merlin  leur  signifia  qu'ils  n'avaient 
(|u'à  tourner  la  tète  de  leur  jument  du  côté 
«le  l'Occident,  et  se  laisser  conduire  par  elle. 
Après  laquelle  explication  il  disparut  ;  co 
qui  leur  fil  pousser  des  cris  si  violents,  qu'on 


les  entendait  de  dix  lieues,  et  verser  des 
larmes  si  abondantes  qu'elles  auraient  fait 
tourner  six  gros  moulins. 

Ce  couple  allait  à  la  chasse  pour  dissiper 
ses  chagrins.  Mais  la  femme  de  Grand-Gosier 
devint  mère;  elle  donna  le  jour  à  un  gros 
garç<m  qu'ils  élevèrent  et  qu'ils  aimèrent 
beaucoup.  Ils  lui  firent  un  tambour  de  douze 
peaux  de  bœufs,  des  baguettes  de  deux  arbres 
de  médiocre  gran  leur.  On  l'exerçait  à  jeter 
de  petites  pierres  de  la  grosseur  d'un  homme. 

Le  terme  prescrit  par  Merlin  étant  arrivé, 
Grand-Gosier  et  Galemelle  se  disposèrent 
au  voyage  pour  la  cour  du  roi  Arthus.  La 
jument  était  haule  comme  un  mât  de  navire  ; 
uarganlua,  monté  dessus ,  tenait  une  perche 
à  la  main,  en  guise  de  cravache;  ses  parents 
avaient  deux  rochers  sur  leur  léte  ,  pour 
montrer  leur  forceau  prince.  Ils  traversèrent 
ainsi  l'Allemagne  et  la  Lorraine.  Parvenus  en 
Champagne,  qui  était  alors  pays  de  forêts,  il 
se  trouva  que  des  mouches,  ayant  piqué  la 
jument ,  la  firent  caracoler  avec  une  telle 
violence,  qu'elle  renversait  de  sa  queue  les 
plus  gros  arbres,  de  manière  qu'il  n'en  resta 
pas  un  debout  dans  toute  celte  contrée.  Gar- 
gantua ,  cherchant  à  arrêter  sa  jument ,  se 
mil  uu  fétu  au  coin  de  l'œil,  c'était  un  grand 
sapin,  et  une  accroche  au  petit  doigt  du  pied, 
qui  pesait  plus  de  deux  cents  livres.  Contraint 
de  s'arrêter  pour  doruiir,  on  dit  que  la  vaste 
plaine  où  il  se  reposa  fut  abaissée  de  soixante 
coudées  par  la  pesanteur  de  son  corps.  Les 
brebis  de  celle  plaine  couraient  sur  lui,  il  en 
fut  éveillé,  crut  que  c'étaient  des  insectes,  les 
mil  sous  ies  ongles,  et  en  écrasa  ainsi  près 
de  deux  cents.  Le  berger  qui  courait  après 
le  loup  qu'il  accusait  de  les  avoir  mangées  , 
tomba  dans  la  bouihe  de  Gargantua;  mais 
s'étanl  logé  dans  une  de  ses  dents  creuses,  il 
y  demeura  jusqu'à  ce  que  le  géant  se  lût 
rendormi;  car  il  dormait  toujours  la  bouche 
ouverte;  le  berger  profila  du  premier  moment 
pour  sortir. 

Gargantua,  à  son  réveil,  continua  sa  route 
avec  ses  parents,  qui  moururent  d'une  fièvre 
violente  occasionnée  par  les  grandes  chaleurs. 
Gargantua  ,  au  désespoir,  donnait  de  la  tête 
coulre  les  montagnes,  dont  il  sortit  trente 
tonneaux  de  sang.  Quand  sa  tristesse  fut  cal- 
mée, il  voulut  visiter  Paris,  où  il  jeta  la  ter- 
reur et  l'admiration.  Il  alla  s'asseoir  sur  les 
grosses  tours  de  l'église  de  Noire-Dame,  les 
jambes  lui  pendaient  de  là,  depuis  la  rivière 
de  Seine  jusqu'à  la  place  Mauberl.  Ensuite 
il  fit  sonner  les  deux  grosses  cloches,  ce  qui 
attira  une  grande  foule  qui  fut  bien  surprise 
de  lui  voir  mettre  ces  cloches  dans  ses  po- 
ches, pour  les  attacher  au  cou  de  sa  jument 
comme  des  grelots.  Mais  il  les  remit  à  leur 
place,  sur  le  présent  que  lui  firent  les  Pari- 
siens, do>  trois  cents  bœufs,  trois  cents  mou- 
tons ,  trois  cents  tonneaux  de  vin  ,  et  trois 
cents  fournées  de  pain  pour  son  diner. 

Merlin  s'étanl  présenté  alors  à  Gargantua, 
lui  conseilla  d'achever  son  voyage,  et  le  con- 
duisit à  la  cour  du  roi  Arthus.  Le  roi  l'ayant 
reçu  favorablement,  lui  fil  faire  une  massue 
de  soixante  toises  de  long,   dont  le  bout  était 


DICTIONNMIîK  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


751 


trois  fois  de  la  grosseur  d'un  lonncau.  Arlhns 
lui  dit  que  ses  ennemis,  les  Gollis  elles  Ma- 
pols  ,  étaient  de  terribles  gens,  armés  (le 
pierres  de  tiiilie,  et  lui  montra  un  prisonnier. 
Mais  Garganiua,  loin  d'être  épouvanté  ,  le 
ji'la  si  haut  dans  les  airs,  par  le  collet, qu'on 
leperditde  vue,etque  quelques  heures  après 
on  le  vit  tomber  les  bras  et  les  jambes  rom- 
pus. 

La  massue  achevée,  on  conduisit  Gargan- 
tua à  l'ennemi  ;  il  Dl  un  ravage  affreux,  sem- 
blable à  un  loup  parmi  des  brebis.  Après  sa 
victoire  il  revint  à  la  cour  ,  où  il  fut  loué  et 
choyé.  Le  roi  fil  préparer  une  magnifique 
collation.  Ou  servit  pour  entrée  et  pour  ré- 
veiller son  appétit  les  jambons  de  quatre 
cents  pourceaux, sans  compter  les  andouilles 
et  les  boudins.  La  soupe  fut  faite  dans  cin- 
quante grandes  chaudières.  Il  y  avait  cm  ore 
quatre  cents  pains  de  cinquante  livres  cha- 
cun. Il  mangea  plus  de  doux  cents  bœufs,  et 
tout  le  temps  du  dîner  il  y  avait  quatre  hom- 
mes forts  et  robustes, qui,  à  chaque  morceau 
qu'il  mangeait,  lui  jetaient  une  pelle  de  mou- 
tarde dans  la  gorge. Son  dessert  fut  une  tonne 
de  pommes  cuites.  Il  but  à  son  dîner  sis  ton- 
nes de  cidre  et  autant  de  bière.  Au  reste,  sa 
fourchette  et  son  couteau  pesaient  trois  cints 
livres  chacun. 

Le  roi  le  fit  ensuite  habiller:  huit  cent 
deux  aunes  un  tiers  de  toile  furent  employées 
pour  sa  chemise;  cent  cinq  aunes  un  quart 
de  satin  moitié  cramoisi  et  moitié  jaune  , 
pour  son  pourpoint,  avec  trente-deux  aunes 
et  demi-quart  d'.  franges  pour  la  bordure; 
deux  cents  aunes  et  irois  quarts  d'écarlate 
pour  des  chausses;  trente-cinq  aunes  et  un 
quart  de  taffetas,  moitié  noir  et  moitié  gris, 
pour  des  jarretières.  Pour  les  galons  du  li- 
vrée, neuf  cent  trois  aunes  et  uu  demi-quarl, 
rouge  et  jaune;  pour  la  bordure,  soixante- 
dix  aunes  deux  pouces  de  velours  cramoisi  ; 
pour  son  manteau,  quatre  cents  aunes  et  uu 
quart  de  drap  de  Hollande;  quatre  cent  cin- 
quante aunes  défrise  pour  une  robe  de  cham- 
bre; deux  mille  cinq  cents  peaux  de  renards 
pour  la  fourrure  de  celte  robe;  cinquante- 
cinq  peaux  de  vache  pour  les  souliers,  dont 
les  semelles  employèrent  les  cuirs  de  qua- 
rante bœufs  ;  pour  un  bonnet  à  la  dragonne, 
deux  cents  quintaux  de  laine  de  Ségovie  ; 
la  houppe  pesait  plus  de  trois  cents  livres. 

Il  avait  à  un  de  ses  doigts  un  cachet  d'or 
qui  pesait  trois  cents  marcs  et  dix  onces, 
avec  un  rubis  du  poids  de  trois  cents  livres  ; 
sa  gibecière  avait  absorbé  trois  cents  peaux 
de  maroquin. 

Gargantua,  ainsi  équipé, so  disposa  à  com- 
battre les  Irlandais  et  les  Hollandais,  t|ui  ve- 
naient de  se  soulever  contre  Arllius.  Merlin 
fit  une  nuée  sur  laquelle  le  géant  avec  sa 
massue  passa  la  mer.  Il  marcha  vers  la  ville 
ennemie;  voyant  un  liorame  armé  et  à  che- 
val, il  les  mit  tous  deux  dans  sa  gibecière. 
Arrivé  à  la  ville,  tout  le  peuple  se  sauva  à  la 
vue  de  ce  monstre;  cl  on  sonna  le  tocsin.  Le 
roi  d'Irlande,  qui  se  trouvait  dans  la  ville  , 
sortit  avec  cin<|  cents  hommes  pour  attaquer 
Gargantua.  Mais  quand  celui-ci  les  vit  venir, 


il  ouvrit  une  bouche  fendue  dequatorze  bras- 
sées. Ceux-ci  tirèrent  leurs  flèches  contre 
lui  ;  Gargantua  les  prit  avec  la  main,  les  en- 
ferma au  fond  de  ses  chausses,  et  s'en  re- 
tourna vers  ses  gens  qui  latlendaient  au 
bord  de  la  mer. 

Le  nombre  des  prisonniers  montait  à  huit 
cent  neuf,  et  un  qui  était  mort  d'un  vent 
qu'avait  l'ait  Gargantua  dans  ses  chausses, 
car  il  est  à  remar(|uer  qu'il  soufflait  si  fort, 
qu'avec  ce  souffle  il  renversait  trois  charret- 
tes de  foin,  et  faisait  tourner  plusieurs  mou- 
lins. Cela  ne  paraîtra  pas  étonnant  lorsqu'on 
saura  qu'un  de  ses  crachats  noyait  six  hom- 
mes. 

Le  roi  d'Irlande,  effrayé,  fit  demander  une 
trêve  de  quinze  jours  ,  promettant  de  livrer 
deux  vaisseaux  de  harengs  frais,  deux  cents 
caques  de  sardines  salées,  avec  de  la  mou- 
tarde à  proportion.  Le  géant  s'en  accommoda, 
et  il  consomma  ces  vivres  dans  un  déjeuner. 

Gargantua  étant  couché  après  cela  à  une 
dcnii-lieuc  de  la  ville,  les  magistrats  conclu- 
rent, dans  un  conseil,  qu'on  irait  l'attaquer 
de  nuit ,  et  qu'on  le  tuerait.  Quand  on  fut 
arrivé  au  lieu  oii  il  dormait ,  du  côté  de  la 
tête  ,  car  des  pieds  à  la  tête  il  y  avait  cent 
soixante-trois  toises  cinq  pieds  quatre  pou- 
ces, ils  pensaient  descendre  dans  une  vallée 
et  tombèrent  au  nombre  de  deux  cent  dix- 
sept  dans  sa  bouchequ'il  tenait  ouverte  selon 
son  usage.  Gargantua,  les  ayant  avalés  ,  se 
trouva  si  altéré  à  son  réveil,  qu'il  mit  à  sec 
la  rivière  où  il  alla  boire.  Il  engloutit  mêiiio 
en  buvant  un  bateau  chargé  de  poudre  à  ca- 
non ,  pour  le  secours  de  la  ville.  Il  s'en 
trouva  un  peu  incommodé;  c'est  pourquoi 
il  se  mit  à  siffler  le  signal  convenu  ,  pour 
faire  venir  ses  gens.  11  envoya  avertir  le  roi 
Arthus  de  sa  posilion.  Merlin  se  transporta 
dans  un  nuage  avec  quatre  médecins,  qui 
descendirent  dans  son  gosier  ,  et  de  là  dans 
le  corps,  pour  découvrir  la  source  du  mal. 
Après  la  visite,  les  médecins  ordonnèrent  à 
Gargantua  de  tourner  le  derrière  du  côté  de 
la  ville:  celle  disposition  ayant  été  exécutée, 
on  lui  fil  ouvrir  la  bouche,  où  on  jela  une 
charretée  d'aliumelles  ,  qui  prirent  feu  dans 
son  corps  au  moyen  d'une  torche  qu'un 
des  médecins  y  avait  glissée.  Gargantua 
ferma  la  bouche  en  même  temps  ;  alors  un 
entendit  un  effroyable  tonnerre  ;  et  du  feu 
qui  sortit  de  son  derrière,  la  ville  et  ses  fau- 
bourgs furent  saccagés:  le  roi  d'Irlande  s'a- 
vança enfin  avec  toulcs  ses  forces,  consistant 
en  900,000  hommes  armés,  qui  lurent  mis  en 
déroute:  le  roi  et  ses  barons  furent  prison- 
niers, placés  dans  une  dent  creuse  ,  et  pré- 
sentés à  la  cour,  au  retour  de  l'armée  victo- 
rieuse. Le  fils  de  Grand-Gosier  purgea  en- 
suite le  pays  d'un  géant  qui  avail  pris  le 
parti  des  Golhs  ,  ennemis  d'Arthus  ;  il  l'en- 
ferma dans  sa  gibecière. 

Telle  est  la  véridique  histoire  d'un  des 
héros  les  plus  célèbres.  On  ne  s'accorde  pas 
trop  sur  le  genre  de  sa  mort;  mais  si  on  con- 
teste quelques-uns  de  ses  hauts  faits,  à  cause 
du  prodigieux  (|ui  les  entoure,  tout  K-  monde 
sait  qu'uu  moins  il  su  signala  daus  les  envi' 


■733 


GAR 


G  AT 


731 


rons  (l'Aigues-Mortes;  car  on  montre  près  de 
celle  ville  une  vieille  tour  qu'on  appelle  la 
lourde  Gargantua.  La  nuil  on  aperçoit  du 
loin  celte  tour  (lui  se  dessine  dans  l'ombre 
comme  un  géant;  on  croit  môme  distinguer 
une  tôte  monstrueuse  ;  el  les  bonnes  gens  du 
voisinage  sont  persuadés  que  si  on  entrait 
après  le  coucber  du  soleil  dans  la  tour  de 
Gargantua,  un  grand  bras  de  vingt-cinq 
mètres  descendrait  d'en  baut  et  saisirait 
les  téméraires  pour  les  étouffer. 

GARGOUILLE.  «  Que  vous  dire  de  la 
gargouille  de  Rouen? Il  est  certain  que,  tous 
les  ans,  le  cli.ipilre  niélropolilain  do  celle 
ville  présentait  au  parlement,  le  jour  de  l'As- 
cension, un  criminel  qui  obtenait  sa  grâce, 
en  l'honneur  de  saint  Romain  el  de  la  gar- 
gouille. La  tradition  portail  qu'à  l'époijiie 
{)à  saint  Romain  occupait  le  siège  épiscop.il 
de  Rouen  ,  un  dragon  ,  embusqué  à  quelque 
dislance  de  la  ville,  s  elançail  sur  les  passanis 
et  les  dévorait.  C'est  ce  dragon  qu'on  appelle 
la  gargouille.  Saint  Romain,  accompagné 
d'un  criminel  condamné  à  mort, alla  attaquer 
le  monstre  jus(iue  dans  sa  caverne;  il  l'en- 
chaîna et  le  conduisit  sur  la  place  publique, 
où  il  fui  brûlé  ,  à  la  grande  satisfaction  des 
diocésains  (1).  » 

On  a  contesté  cette  légende  en  niant  les 
dragons,  dont  les  géologues  actuels  recon- 
naissent pourtant  que  l'existence  a  été  réelle. 
Il  se  peut  toutefois  que  ce  dragon  soit  ici 
une  allégorie.  Des  historiens  rapportent  que, 
(lu  temps  de  saint  Romain,  la  ville  de  Rouen 
fut  mena<'ée  d'une  inondation;  que  ce  sainl 
prélat  eut  le  bonheur  do  l'arrêter  par  ses 
soins  et  par  ses  prières.  Voilà  l'explication 
toute  simple  du  miracle  de  la  gargouille.  Ce 
mol,  dans  notre  vieille  langue,  signifie  irrup- 
tion ,  bouillonnement  de  l'eau.  t)es  savants 
auront  rendu  lemot  /(î/rfraparceluidedragon. 

GARIBAUT  (Jeanne),  sorcière,  Voy.  Gre- 
nier, el  i'iElIRE  Labdurant. 

GARINKT  (Jules),  auteur  de  Vllistoire  de 
la  magie  eu  France,  Paris  ,  1818  ,  in-S".  On 
trouve  à  la  tête  de  cet  ouvrage  curieux  une 
description  du  sabbat,  une  dissertation  sur 
les  démons,  un  discours  sur  les  superstitions 
qui  se  rallachent  à  la  magie  chez  les  anciens 
el  chez  les  modernes.  Beaucouf)  de  faits  in- 
léressanls  mériteraient  à  ce  livre  une  nou- 
velle édition  ;  mais  l'auteur,  fort  jeune  lors- 
qu'il le  publia,  lui  a  donné  une  leinte  philo- 
sophique et  peu  morale  que  son  esprit  élevé 
el  ses  vastes  éludes  doivent  lui  faire  désap- 
prouver aujourd'hui.  Une  nouvelle  édition 
serait  donc  épurée. 

G.\RN1KR  (Gilles),  loup-garou,  con- 
damné à  Uô!e  sous  Louis  XIII,  comme  ayanl 
dévoré  plusieurs  enfants.  On  le  brûla  vif,  et 
son  corps  réiluil  en  cendres  fut  dispersé  au 
vent. 

«  Uenn  Camus,  docteur  en  droit  el  con- 
seiller du  roi,  exposa  que  Gilles  Garnicr 
avait  pris  dans  une  vigne  une  jeune  fille  de 
dix  ans,  l'avait  liu  e  el  occise,  l'avait  traînée 
jus()u'i!U  bois  de  La  Serre,  et(iue,  non  content 
d'en  manger,  il  en  avait  ajjporlé  à  sa  temnu'  ; 

(t)  W.  Saignes,  Des  Erreurs,  l.  111,  p.  570. 


(]u'un  autre  jour  étant  en  forme  de  lou]» 
(travestissement  horrible  qu'il  prenait  sans 
doute  pour  sa  chasse),  il  avait  également  « 
lue  et  dévoré  un  jeune  garçon  ,  à  une  lieue 
de  Dôle,  entre  Grédisans  el  Monolée;  qu'en 
sa  forme  d'homme  et  non  de  loup  il  avait 
pris  un  autre  jeune  garçon  de  l'âge  de  douze 
à  treize  ans,  et  qu'il  l'avait  emporté  dans  le 
bois  pour  l'étrangler....  (2).  » 

GARNIZA,  Voy.  Eléazar. 

GAROSMANCIE,  Voy.  GasTromancie. 

GARUDA,  oiseau  fabuleux  qu'on  reprc'r- 
sente  souvent  avec  la  tôle  d'un  beau  jeuno 
honmie,  un  collier  blanc  et  le  corps  d'un 
aigle.  11  sert  de  monture  à  Wishnou,  comme 
l'aigle  servait  de  véhicule  à  Jupiter.  Les  In- 
diens racontent  qu'il  naquit  d'un  œuf  <]uesa 
mère  Ûiti  avait  pondu  et  qu'elle  couva  cinq 
ans. 

GASTROCNÉMIE ,  pays  imaginaire  dont 
parle  Lucien,  où  les  enfants  étaient  portés 
dans  le  gras  de  la  jambe;  ils  en  étaient  ex- 
traits au  moyen  d'une  incision. 

GASrRO?.lANClE  ou  GAROSMANCIE,  di- 
vination qui  se  pratiquait  en  plaçant  entre 
plusieurs  bougies  allumées,  des  vases  de 
verre  ronds  cl  pleins  d'eau  claire  ;  après  avoir 
invoqué  et  interrogé  les  démons  à  voix  basse, 
on  faisait  regarder  attentivement  la  super- 
ficie de  ces  vases  par  un  jeune  garçon  ou 
par  une  jeune  femme;  puis  ou  lisait  la  ré- 
ponse dans  des  images  tracées  par  la  réfrac- 
tion de  la  lumière  dans  les  verres.  Cagliostro 
employait  celte  divination.  Une  autre  espèce 
de  Gastroniancie  se  pratiquait  par  le  devin 
qui  répondait  sans  remuer  les  lèvres,  en  sorte 
qu'on  croyait  entendre  une  voix  aérienne. 
Le  nom  de  cette  divination  signifie  divina- 
tion par  le  ventre;  aussi,  pour  l'exercer,  il 
faut  être  venlriloque,  ou  possédé,  ou  sorcier. 
Dans  le  dernier  cas,  on  allume  des  flambeaux 
autour  de  quelques  verres  d'eau  limpide, 
puis  on  agile  l'eau  en  invoquant  un  esprit 
qui  ne  tarde  pas  à  répondre  d'une  voix  grêle 
dans  le  ventre  du  sorcier  en  fonction. 

Les  charlatans  trouvant,  dans  les  moin- 
dres choses,  des  moyens  sûrs  d'en  imposer 
au  peuple  el  de  réussir  dans  leurs  fourberies, 
la  ventriloquie  doit  être  pourcux  d'un  grand 
avantage. 

Un  marchand  de  Lyon,  étant  un  jour  à  la 
campagne  avec  son  valet,  entendit  une  voix 
qui  lui  ordonnait,  de  la  partdu  ciel,  de  donner 
une  partie  de  ses  biens  aux  pauvres,  et  de 
récompenser  son  serviteur,  il  obéit,  et  re- 
garda comme  miraculeuses  les  paroles  qui 
sortaient  du  ventre  de  son  domestique.  Ou 
savait  si  peu  autrefois  ce  que  c'était  qu'un 
venlriloque,  que  les  plus  grands  personnages 
atlribuaient  toujours  ce  talent  à  la  présence 
des  démons,  l'holius,  patriarche  de  Cons- 
lantinople,  dit,  dans  une  de  ses  lettres  :  «On 
a  entendu  le  malin  esprit  parlerdans  le  ventre 
d'une  personne,  et  il  mérile  bien  d'avoir  l'or- 
dure pour  logis.  » 

GATEAU  DES  ROIS.  La  part  des  absents, 
quand  on  partage  le  gâteau  des  rois, se  gardo 
précieusement;  dans  certaines  maisons  su- 

(2)  SI  Jules  Gariiiol.  Ui-sl.  île  I;i  tnaKie  en  France,  p.  129 


7^5 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


736 


perstitieusps,  elle  iii(li(](ie  l'état  de  la  santé 
lie  ces  personnes  absentes ,  par  sa  bonne 
conscrr.itiun  ;  une  maladie,  par  des  taches 
ou  des  ruptures. 

GATEAU  TRIANGULAIRE  DE  SAINT- 
LOUP.  Les  pi'r>onnes  superstitieuses  font  ce 
(iâicau  le  29  juillet ,  avant  le  lever  du  soleil  ; 
il  est  composé  de  pure  farine  de  froment,  de 
seigle  et  d'orge,  pétrie  avec  trois  œufs  et  trois 
cuillerées  de  sel,  en  forme  triangulaire.  On 
le  donne,  p.ir  aumône,  au  premier  pauvre 
qu'on  rencontre,  pour  rompre  les  maléfices. 

GAUFRIDI  (Louis-Jean-Baptiste),  curé  de 
Marseille  qui  ,  infidèle  à  ses  devoirs,  tomba 
dans  le  désordre  et  se  fit  passer  pour  sorcier 
vers  la  fin  du  seizième  siècle. 

On  raconte  que  le  diable  lui  apparut  un 
jour,  pendant  qu'il  lisait  un  livre  de  magie; 
ils  entrèrent  en  conversation  et  firent  con- 
naissance. Le  prêtre  se  livra  au  diable  par 
un  pacte  en  règle,  à  condition  qu'il  lui  don- 
nerait le  pouvoir  de  suborner  et  de  séduire, 
en  soufflant  au  visage.  Le  diable  y  consentit 
d'autant  plus  volontiers,  qu'il  trouvait  dans 
ce  marché  un  double  avantage. 

L'apostat  s'éprit  de  la  fille  d'un  gentil- 
homme, Madeleine  de  La  Palud  ,  dont  l'his- 
toire est  devenue  célèbre.  Mais  bientôt  la 
demoiselle  eiïrayée  se  relira  dans  un  couvent 
d'Ursulines.  Gaufridi  furieux  y  envoya,  di- 
sent les  relations  du  temps,  une  légion  de 
diables;  la  sorcellerie  du  prêtre  fut  prouvée. 
Un  arrêt  du  parlement  de  Provence  le  con- 
damna au  feu,  en  avril  1611. 

GAURIG,  génie  ou  lutin  que  la  supersti- 
tion des  villageois  bas-bretons  croit  voir 
danser  autour  des  amas  de  pierres,  ou  mo- 
numents druidiques,  désignés  dans  la  langue 
«les  anciens  insulaires  par  le  mot  cliiorgaur, 
que  l'on  a  traduits  par  ceux-ci  :  c/torea  gi^ 
(janlnm,  ou  danse  des  géants,  mais  qu'il  se- 
rait peut-être  plus  exact  d'entendre  chorea 
Gauricorum,  danse  des  Gaurics. 

GAUllIC  (Luc),  astrologue  napolitain,  né 
en  1W6,  qui ,  selon  Mézeray  et  le  président 
de  ïhou  ,  annonça  positivement  que  le  roi 
Henri  H  serait  tué  dans  un  duel  et  mourrait 
d'une  blessure  à  l'œil;  ce  qui  fut  vrai.  Mais 
ne  prédit-il  pas  après  coup? 

Catherine  de  Médecis  avait  en  Luc  Gauric 
la  confiance  la  plus  entière.  Benlivoglio  , 
seigneur  de  Bologne ,  le  condamna  à  cin(| 
tours  d'estrapade,  pour  avoir  eu  la  hardiesse 
de  lui  prédire  qu'il  serait  chassé  de  ses  Etals  ; 
ce  qui  n'était  pas  difficile  à  prévoir,  vu  la 
dispositicn  des  esprits  qui  détestaient  ce  sei- 
gneur. Gauric  mourut  en  1358. 

On  a  de  lui  une  Description  de  la  sphère 
céleste,  publiée  dans  ses  OEuvres,  Bâie,  1575, 
3.  vol.  in-fol.  On  y  trouve  aussi  un  Eloge  de 
l'astrologie. 

On  attribue  à  son  frère  Pomponius  Gauric 
un  livre  dans  lequel  un  traite  de  la  physio- 
ynomonie  ,  de  l'astrologie  naturelle,  etc.  (1); 

(1)  Poin|ionii  Gaurici  N'ea|)oliiaiii  Iraclalus  de  symmc- 
triis,  liucameuli'i  d  iilsyMiogiiomonia,  cjiis<iue  sprciebiis, 
l'tc,  Argeiilor.,  1630,  avec,  la  Chiruiiiaiicic  de  Jean  ab  lii- 
il»giiie. 

(2)  Lucse  Gaurici  geoiihouciiiis  e|jstopi  civUalcusis  Ua- 


mais  il  ne  parait  pas  que  cet  ouvrage  suit  de 
Pomponius,  il  serait  plutôt  de  Luc. 

Le  traité  astrologique  (2)  de  Luc  Gauric 
est  un  livre  assez  curieux.  Pour  prouver  la 
vérité  de  l'astrologie,  il  dresse  l'horoscope  de 
tous  les  personnages  illustres,  dont  il  a  [lu 
découvrir  l'heure  de  la  naissance;  ildémontre 
que  tout  ce  qui  leur  est  arrivé  se  trouvait 
prédit  dans  leur  horoscope,  —  comme  si  ou 
n'y  trouvait  pas  tout  ce  qu'on  vent  1 

GAUTHIER  (Jean),  alchimiste.  Charles  IX, 
trompé  par  ses  promesses,  lui  fil  donner, 
pour  faire  de  l'or,  cent  vingt  mille  livres,  et 
l'adepte  se  mil  à  l'ouvrage.  Mais  après  avoir 
travaillé  huit  jours,  il  se  s.iuva  avec  l'argent 
du  monarque  :  on  courut  à  sa  poursuite,  ou 
l'attrapa  et  il  fut  pen  iu. 

GAUTHIER,  conspirateur  écossais,  Voy. 
AValteb. 

GAUTHIER  DE  BRUGES.  On  conte  que 
ce  cordelier,  nommé  évéque  par  le  pape  Ni- 
colas 111,  et  déposé  par  Clément  V,  appela  à 
Dieu  de  cette  déposition  et  demanda  (|u'cii 
l'inhumant  on  lui  mit  son  acte  d'appel  à  la 
main.  Quelque  temps  après  sa  mort,  le  pape 
Clément  V  étant  venu  à  Poitiers,  et  se  trou- 
vant logé  au  couvent  des  Cordeliers,  désira 
visit(!r  les  restes  de  celui  qu'il  avait  déposé; 
on  ajoute  qu'il  se  fit  ouvrir  le  tombeau,  et 
qu'il  fut  elTrayé  en  voyant  Gauthier  de  Bru- 
ges agitant  son  acte  d'appel  d'une  main  des- 
séchée (3).  Conte  imaginé  par  les  ennemis 
du  pape. 

GAZARDIEL,  ange  qui,  selon  le  Talmud, 
préside  à  l'Orient,  afin  d'avoir  soin  que  le 
soleil  se  lève,  et  de  l'éveiller  s'il  ne  se  le- 
vait pas. 

GAZE  (Théodore  de),  propriétaire  d'une 
ferme  dans  la  Campanie,  au  seizième  siècle; 
il  la  faisait  cultiver  par  un  fermier.  Comme 
ce  bonhomme  travaillait  un  jour  dans  un 
champ,  il  découvrit  un  vase  rond  où  étaient 
enfermées  les  cendres  d'un  mort.  Aussitôt  il 
lui  apparut  un  spectre  qui  lui  commanda  do 
remettre  en  terre  le  même  vase  avec  ce  qu'il 
contenait,  sinon  qu'il  ferait  mourir  son  fils 
aîné.  Le  fermier  ne  tint  compte  de  ces  me- 
naces ,  et,  peu  de  jours  après,  son  fils  aîné 
fut  trouvé  mort  dans  son  lit. 

Quelque  temps  plus  tard,  le  même  spectre 
lui  apparut,  lui  réitérant  le  même  comman- 
dement, et  le  menaça  de  faire  mourir  son 
second  fils.  Le  laboureur  avertit  de  tout  ceci 
Théodore  de  Gaze,  qui  vint  lui-même  à  sa 
métairie ,  et  fit  remettre  le  tout  à  sa  place  : 
sachant  bien,  dit  Leioycr,  qu'il  fait  mauvais 
jouer  avec  les  morts 

GAZIEL,  démon  chargé  de  la  garde  des 
trésors  souterrains ,  qu'il  transporte  d'un 
lieu  à  un  autre  pour  les  soustraire  aux  hom- 
mes. C'est  lui  qui  ébranle  les  fondements 
des  maisons  et  fait  soulfler  des  vents  accom- 
pagnés de  llanunes.  Quelquefois  il  forme  des 
danses  qui  disparaissent  tout  à  coup  ;  il  ins- 

ctatiis  astrologicus,  in  quo  agitur  de  priEtcrilis  mulloni  n 
huniiiium  acciileiililius  [ler  proprias  eoruin  geiiiluras,  M 
uuiiiieni  exaiiiiiialis.VenPiiis.  lui",  1552. 

(5)  M.  ili'  Maicti.Hiny,  'Irislan  \c  vdv.igeiir,  "u  la  FrailCI 
au  iiualwïièiuu  siècle,  l.  l",cliai(.  4,  p.  t)3. 


757 


(.KL 


GEN 


73? 


pire  la  terreur  par  un  graml  bruil  de  elo»  lies 
cl  (le  clocheltes;  il  ranime  les  cadavres,  mais 
pour  un  moment.  Voy.  Anarazel,  son  com- 
pagnon. 

GEANTS.  Les  géants  de  la  fable  avaient 
le  regard  farouche  et  effrayant,  de  longs  che- 
veux, une  grande  barbe,  des  jambes  et  des 
pieds  de  serpent,  et  quelques-uns  cent  bras 
et  cinquante  têtes. 

Homère  représente  les  A'oïdes,  géants  re- 
marquables, comme  étant  d'une  taille  si  pro- 
digieuse, qu'à  l'âge  de  neuf  ans  ils  avaient 
neuf  coudées  de  grosseur,  trente-six  de  hau- 
teur, et  croissaient  chaque  année  dune  cou- 
dée de  circonférence  et  d'un  mètre  de  haut. 
Les  talmudistes  assurent  qu'il  y  avait  des 
géants  dans  l'arche.  Comme  ils  y  tenaienl 
beaucoup  de  place,  on  fut  obligé,  disent-ils, 
de  faire  sortirle  rhinocéros,  qui  suivit  l'arche 
à  la  nage. 

Aux  noces  de  Charles  le  Bcl.roi  de  France, 
on  vit  une  femme  de  Zclande  d'une  taille  ex- 
traordinaire, auprès  de  qui  les  hommes  les 
plus  hauts  paraissaient  des  enfants  ;  elle  était 
si  forte,  qu'elle  enlevait  de  chique  main  deux 
tonneaux  de  bière,  et  portail  aisément  huit 
hommes  sur  une  poutre  (1). 

Il  est  certain  qu'il  y  a  eu,  de  tout  temps, 
des  hommes  d'une  taille  et  d'une  force  au- 
dessus  de  l'ordinaire.  On  trouva  au  Mexique 
des  os  d'hommes  trois  fois  aussi  grands  que 
nous,  et,  dit-on,  dans  l'île  de  Crèle  un  cada- 
vre de  quarante  cinq  pieds Hector  de 

Boëcc  dit  avoir  vu  les  restes  d'un  homme  qui 
avait  quatorze  pieds. 

Pour  la  force  nous  citerons  Milon  de  Cro- 
lone,  tant  de  fois  vainqueur  aux  jeux  olympi- 
ques; ce  Suédois  qui,  sans  armes,  tua  dix  sol- 
dats armés;  ce  Milanais  qui  portail  un  che- 
val chargé  de  blé;  ce  Barsabas  qui,dutcinp< 
de  Louis  XiV  ,  enlevait  un  cavalier  avec  son 
équipage  et  sa  monture;  ces  géants  et  ces 
hercules  qu'on  montre  tous  les  jours  au  pu- 
blic. Mais  la  différence  qu'il  y  a  entre  eux  et 
le  reste  des  hommes  est  petite,  si  on  com- 
pare leur  taille  réelle  à  la  taille  prodigieuse 
que  les  traditions  donnent  auxanciensgéanls. 

Voyez  (ÎARGANTUA. 

GEBEU,  roi  des  Indes,  et  grand  magicien, 
auquel  on  attribue  un  traité  absurde,  Du  rap- 
port des  sept  planètes  aux  sept  noms  de  Dieu, 
et  quelques  autres  opuscules  inconnus  (2). 

GEDl,  pierre  merveilleuse  qui,  d.ins  l'opi- 
nion des  Gèles,  avait  la  vertu,  lorsqu'on  la 
trempait  dans  l'eau,  de  changer  l'air  et  d'ex- 
citer des  venis  et  des  pluies  orageuses.  On 
ne  connaît  plus  la  forme  de  colle  pierre. 

GELLOou  GILO,  c'était  une  fille  qui  avait 
la  manie  d'enlever  des  petits  enfants.  On  dit 
niôin€  que  parfois  elle  les  mangeait,  et  qu'elle 
eniporla  un  jour  le  petit  empereur  Maurice  ; 
mais  qu'elle  ne  put  lui  faire  aucun  mal,  par- 
ce (ju'il  avait  sur  lui  des  amulettes.  Sun  fan- 
tôme errait  dans  l'île  de  Lesbos,  où,  comme 
(Ile  était  jalouse  de  toutes  les   mères,  elle 

(1)  Jonsthoiii  lliauni;ilogra|jliia. 

(2)  N:milé,  Atioloj,'ie  pour  lous  les  gwnds  personnages 
soupçonnés  de  magie,  clmp.  14,  p.  500. 

(3)  Dclrio,  Disiiuibilioiis  niagiiiues;  Wierus.dt  Prsest., 


f/iisail  mourir  dans  leur  sein  les  enfants 
qu'elles  portaient,  un  peu  avant  qu'ils  lus- 
sent à  terme  3).  On  voit  que  c'était  l'épou- 
vantail  du  sixième  siècle. 

GELOSGOPIK.  Espèce  de  divination  qui  se 
tire  du  rire.  On  prétend  acquérir  ainsi  la 
connaissance  du  caractère  d'une  personne, 
et  de  ses  penchants  bons  ou  mauvais.  Un 
rire  franc  n'annonce  certainement  pas  une 
âme  fausse,  et  on  peut  se  défier  quelquefois 
d'un  rire  forcé.  Voy.  Puysiognomonie. 

GEMATRIE.  C'est  une  des  divisions  delà 
cabale,  chez  les  juifs.  Elle  consiste  à  prendre 
les  lettres  d'un  mol  hébreu  pour  des  chiffres 
ou  nombres  arithmétiques ,  et  à  expliquer 
chaque  mot  par  la  valeur  arithmétique  des 
lettres  qui  le  composent.  Selon  d'autres , 
c'est  une  interprélation  qui  se  fait  par  la 
transposition  des  lettres. 

GEMMA  (Cornélius)  ,  savant  professeur 
de  Louvain  ,  auteur  d'un  livre  intitulé  :  Des 
caractères  divins  et  des  choses  admirables  (k), 
publié  à  Anvers,  chez   Christophe  Planlin, 
archilypographe  du  roi;  1575,  in-12. 
GENERATION,  Voy.  Enfants. 
GENGUES,  devins  japonais  qui  font  pro- 
fession de  découvrir  les  choses  cachées  et  de 
retrouver  les  choses  perdues.  Ils  habitent  des 
huttes  perchées  sur  le  sommet  des  monta- 
gnes, et  sont  tous  extrêmement  laids.  Il  leur 
est  permis  de  se  marier,  mais  seulement  avec 
des  femmes  de  leur  caste  el  di^   leur  secte. 
Un  voyageur  prétend  que  le  signe  caracté- 
ristique de  ces  devins  est  une  corne  qui  leur 
pousse  sur  la  têle.  11  ajoute  qu'ils  sont  tous 
vendus  au  diable  qui  leur  so  illle  leurs  ora- 
cles ;  quand  leur  bail  est  fini,  le  diable  leur 
ordonne  de  l'atlendre  sur  une  certaine  roch;'. 
A  midi,  ou  plus  souvent  vers  le  soir,  il  passe 
au  milieu  de  l'assemblée;  sa  présence  cause 
une  vive  émotion.  Une  force  irrésistible  en- 
iralne  alors  ces  malheureux,  (|ul  sont  préci- 
pités à  sa  suite  et  ne  reparaissent  plus. 

GENIANE,  pierre  fabuleuse  à  laquelle  on 
attribuait  la  vertu  de  chagriner  les  ennemis 
de  ceux  qui  la  portaient.  On  pouvait  de  très- 
loin,  en  frottant  sa  pierre,  vexer  de  touto 
façon  les  amis  dont  on  avait  à  se  plaindre, 
el  se  venger  sans  se  compromettre.  Les  doc- 
tes n'indi(iuenl  pas  où  se  trouve  celte  pierre 
curieuse. 

GENIES.  La  tradition  des  anges,  parvenue 
altérée  chez  les  païens,  en  a  fiiit  des  génies. 
Chacun  av;iil  son  génie.  Un  m  igicien  d'E- 
gypte avertit  Marc-Antoine  que  son  génie 
était  vaincu  par  celui  d'Oclave;  et  Antoine 
intimidé  se  relira  vers  Cléopâlre  (5).  Néron, 
dans^/'i.'anntcu«,  dit  en  piirlant  ae  sa  mère: 
Mon  génie  étouné  tremble  di'vaut  le  sien. 
Les  borboriies,  hérétiques  des  premiers 
siècles  de  l'Eglise,  enseignaient  que  Dieu  ne 
peut  être  l'auteur  du  mal  ;  que,  pour  gou- 
verner le  cours  du  soleil,  des  étoiles  et  des 
planètes,  il  aciéé  une  multitude  innombrable 

(i)  De  naturae  divinis  cliaracterismis;  seu  raris  el  a<i- 
miraudis  speclaculis,  causis,  indiciis,  prO|iri('lalibusrerun» 
in  parllbus  singulis  uuiversi  libri  2,  aucture  Curuelio  Gein< 
ma.  etc. 

(3)  l'Iutarque,  Vie  de  Marc-Antoine. 


719 


DICTIUNNAIUR  W.S,  SCIENCES  OCCUi.TES. 


710 


(le  génies,  qui  oui  olc,  qui  soûl  et  seront 
toujours  bons  et  bicnfaisnnis;  qu'il  créa 
riiomme  indilTcreniincnt  avec  tous  les  au- 
tres animaux,  et  que  l'homme  n'avait  que 
«les  pâlies  comme  les  chiens;  que  la  paix  et 
la  concorde  régnèreni  sur  la  terr(!  pendant 
plusieurs  siècles,  et  qu'il  ne  s'y  couitneltait 
aucun  désordre;  que  malheureusement  uu 
génie  prit  l'espèce  humaine  eu  affection,  lui 
donna  des  mains,  et  que  voilà  l'origine  et  l'é- 
poque du  mal. 

L'homme  alors  se  procura  des  forces  arti- 
ficielles, se  fabrii)ua  des  armes,  attaqua  les 
autres  animaux,  fil  des  ouvrages  surprenants; 
et  l'adresse  de  ses  mains  le  rendit  orgueil- 
leux ;  l'orgueil  lui  inspira  le  désir  de  la  pro- 
priété,  et  la  vanité  de  posséder  certaines 
choses  à  l'exclusion  des  autres;  les  querel- 
les et  les  guerres  commencèrent;  la  victoire 
fil  des  tyrans  et  des  esclaves,  des  riches  et 
des   pauvres. 

Il  est  vrai,  ajoutent  les  borboriles,  que  si 
l'homme  n'avail  jamais  eu  que  des  pattes,  il 
n'aurait  point  bâti  des  villes,  nides palais,  ni 
des  vaisseaux;  qu'il  n'aurait  pas  couru  les 
mers;  qu'il  n'aurait  pas  intenté  l'écriture,  ni 
composé  des  livres;  et  qu'ainsi  les  connais- 
sances de  sonesprit  ne  seseraientpoint  éten- 
dues. Mais  aussi  il  n'aurait  éprouvé  que  les 
maux  physiques  et  corporels,  qui  ne  sont  pas 
comparables  à  ceux  dune  âme  agitée  par 
l'ambition,  l'orgueil,  l'avarice,  par  les  in- 
quiétudes et  les  soins  qu'on  se  donne  pour 
élever  une  famille,  et  par  la  crainte  de  l'op- 
probre, du  déshonneur,  de  la  misère  et  des 
châlioienls. 

Aristote  observe  que  l'hommen'est  pas  su- 
périeur aux  animaux  parce  qu'il  a  une  main  ; 
mais  qu'il  a  une  main  parce  qu'il  est  supé- 
rieur aux  animaux. 

Les  Arabes  ne  croient  pas  qu'Adam  ait 
clé  le  premier  être  raisonnable  qui  ait  habité 
la  terre,  mais  seub  ment  le  père  de  tous  les 
hommes  actuellement  existants.  Ils  pensent 
que  la  terre  était  peuplée,  avant  la  création 
d'Adam,  par  dos  étre«  d'une  espèce  supé- 
rieure à  la  nôtre;  que  C  's  la  composition  de 
ces  êtres,  créés  de  Dieu  comme  nous,  il  en- 
trait plus  de  feu  divin  et  moins  de  limon. 
Ces  êtres,  qui  ont  habile  la  terre  pendant  plu- 
sieursmilliersde  siècles,  sont  les  génies,  qui 
ensuite  furent  renvoyés  dans  um;  région 
particulière,  mais  d'où  il  n'est  pas  impossible 
de  les  évoquer  et  de  les  voir  paraître  encore 
(jnelquefois,  parla  force  des  paroles  magi- 
ques et  des  tali.-mans. 

lly  a  deux  sortes  de  génies,  ajoutent-ils, 
les  péris,  ou  génies  bienfaisants,  et  les  dives, 
ou  génies  malfaisants.  Gian-ben-gian,du  nom 
de  qui  ils  furent  appelés  ginnes  ou  génies, 
estle  premier  Corinne  le  plus  fameux  de  leurs 
rois.  Le  Ginnistan  est  un  pays  de  délices  et 
de  merveilles,  où  ils  ont  été  relégués  p.ir 
Taymural,  l'un  des  plus  anciens  rois  de 
Perse. 

Ce  sont  encore  là  des  vestiges  altérés  de 
l'ancienne  tradition. 

Les  Chinois  ont  des  génies  qui  président 
aux  eaux,  aux  montagnes  ;  et  chacun  d'eux 


est   honoré  par  des  sacrilices  solennels.  — 
Voy.  Fkks.  Anges,  Espuits,  etc. 

GÉNIUADK,  médecin  malérialiste,  ami  de 
saint  Augustin  et  très-connu  à  Carlhage  pour 
sa  grande  capaiité.  Il  doutait  qu'il  y  eûl  un 
autre  monde  que  celui-ci.  Mais  une  nuit  il 
vil  en  songe  un  jeune  homme  qui  lui  dit  :  — 
Suivez  moi.--  Il  le  suivit  et  se  trouva  dans 
une  ville  où  il  entendit  une  mélodie  admi- 
rable. 

—  Une  autre  fois  il  vit  le  môme  jeune 
homme  qui  lui  dit  :  —  Me  connaissez-vous? 
Fort  bien,  lui  répondil-il. —  Et  d'où  me  con- 
naissez-vous?— Géniradeiui  raconta  ce  (ju'il 
lui  avait  fait  voir  dans  la  ville  où  il  l'avait 
conduit.  Le  jeune  homme  ajouta  :  —  Est-ce 
en  songe  ou  éveillé  (jue  vous  avez  vu  tout 
cela?  —  C'est  en  songe,  répondit  le  médecin. 
Le  jeune  homme  dit  : — Où  <'St  à  présent  votre 
corps? — Dans  mon  lit. — Savez-vous  bien  que 
vous  ne  voyez  rien  à  présent  des  yeux  du 
corps?  —  Je  le  sais.  —  Quels  sont  donc  les 

yeux  par  lesquels  vous  (ne  voyez? 

Comme  le  médecin  hésilait  et  ne  savait 
quoi  répondre,  le  jeune  ho.nme  lui  dit  encore  : 
—  De  môme  que  vous  me  voyez  et  m'entendez, 
à  présent  que  vos  yeux  sont  fermés  et  vos 
sens  engourdis;  ainsi  après  vo'.re  mort  vous 
vivrez,  vous  verrez,  vous  cnlendrez,  mais 
des  yeux  de  l'esprit.  Ne  doutez  donc  plus. 

Génirade  conclut  que  si  l'âme  pouvait 
voyager  ainsi  dans  le  sommeil,  elle  n'était 
donc  pas  liée  à  la  matière;  et  il  se  convertit. 
GENNADIl]S,patriarchedeConstaniinople. 
Allant  à  son  église  ,  il  rencontra  un  spectre 
hideux.  Il  reconnut  que  c'était  le  diable,  le 
conjura  et  entendit  une  voix  ((ui  lui  dit  :  — 
Je  t'avertis,  Gcnnadius,  que  durant  ta  vie  je 
ne  pourrai  nuire  à  l'église  grecque;  mais 
après  ta  mort  je  la  ruinerai. 

Le  patriarche  se  mit  à  genoux,  pria  pour 
son  église,  et  mourut  peu  après  (Ij.  Ceci  se 
passait  tandis  que  Mahomet  II  faisait  la  con- 
quôte  de  lempire. 

GEOFFROl  DIDEN.  Au  treizième  siècle  le 
seigneur  HumJierl,  fils  de  Guicbard  de  Bélioc, 
dans  le  diocèse  de  Mâcon,  ayant  déclaré  la 
guerre  à  d'autres  seigneurs  de  son  voisinage, 
Geoffroi  d'Iden  reçut  dans  la  niêlée  une  bles- 
sure dont  il  mourut  sur-le-champ.  Environ 
deux  mois  après,  Geoffroi  apparut  à  Milon 
d'Anta,  et  le  pria  de  dire  àHuuibcrt  de  Bélioc, 
au  service  duquel  il  avait  perdu  la  vie,  qu'il 
était  dans  les  tourments  pour  l'avoir  aide 
d  ius  une  guerre  injuste,  et  pour  n'avoir  pas 
expié  avant  sa  mort  ses  péchés  par  la  péni- 
tence ;  qu'il  It-  priait  d'avoir  coni()assii>u  de 
lui  cl  de  son  propre  père  Guicbard,  qui  lui 
.'ivait  laissé  de  grands  biens  dont  il  abusait, 
et  dont  une  grande  partie  était  mal  acquise  ; 
qu'à  la  vérité,  Guicbard,  père  de  Humbert, 
avait  embrassé  la  vie  religieuse  à  Cluny, 
mais  qu'il  n'avait  eu  le  temps  ni  de  satisfaire 
entièrement  à  la  justice  de  Dieu,  ni  de  répa- 
rer ses  torts  envers  le  prochain  ;  qu'il  le  con- 
jurait donc  de  faire  offrir  pour  son  père  et 
pour  lui,  le  saint  sacrifice  de  la   messe,  do 

(t)  Lelovfir,  Ilisl.  dos spccires  ol  npiarilioiis  des  e* 
prils,  p.  270. 


7H  GF.H 

faire  des  aumônes  cl  demplojcr  les  prières 
des  gens  de  bien  pour  leur  procurera  l'un  et 
à  l'autre  une  prompte  délivrance  dus  peines 
qu'ils  endur.iient.  Il  ajouta  :  —  Dites-lui  que 
s'il  ne  vous  écoute  pas,  je  serai  contraint 
daller-moi-méme  lui  annoncer  ce  que  je 
viens  de  vous  prescrire. 

Milon  d'Anla  s'acquitta  de  sa  commission  ; 
Ilumbtrt  en  fut  clTrayé,  mais  il  n'en  devint 
pas  meilleur.  Toutefois,  craif^nant  que  Giui- 
chard,  son  père,  ou  Geoffroi  d'iden,  ne  vins- 
sent l'inquiéter,  il  n'osait  demeurer  seul, 
surtout  pendant  la  nuit;  il  voulait  toujours 
avoir  auprès  de  lui  quelqu'un  de  ses  gens. 

Un  malin  donc  qu'il  était  tout  éveillé  dans 
son  lit,  il  vit  paraître  en  sa  présence  G.  of- 
froi,  armé  comme  un  jour  de  bataille,  qui  lui 
montrait  la  blessure  mortelle  qu'il  avait  re- 
çue, et  qui  paraissait  encore  toute  fraîche. 
Il  lui  Gt  de  vifs  reproches  de  sou  peu  de  pitié 
envers  lui  et  envers  son  propre  père,  qui  gé- 
missait dans  les  tourments.  —  Prends  garde, 
ajoula-t-il,  que  Dieu  ne  te  Iraile  dans  sa  ri- 
gueur, et  ne  le  relire  la  miséricorde  que  lu 
nous  refuses,  el  surtout  garde- loi  bien 
d'exécuter  la  résolution  que  lu  as  prise  d'al- 
ler à  la  guerre  avec  le  comte  Amédée  ;  si  tu 
j  vas,  lu  y  perdras  la  vie  el  les  biens. 

Humbert  se  disposait  à  répondre  au  fan- 
tôme, lorsque  l'écuyer  Richard  de  Marsay, 
ciinseiller  de  Humbert,  arriva  venant  de  la 
messe;  aussilôt  le  mort  di^parut.  Dès  ce  mo- 
ment Humbert  travailla  sérieusement  à  sou- 
lager son  père  et  Geoffroi,  et  il  fit  le  voyage 
de  Jérusalem  pour  expier  ses  péchés.  —  Ce 
fiit  est  rapporté  par  Pierre  le  Vénérable. 

GÉOMANCIE  ou  GÉOMANCE,  divination 
parla  terre.  Elle  consiste  à  jeler  une  poignée 
de  poussière  ou  de  lerre  au  hasard,  sur  une 
table,  pour  juger  des  événements  futurs,  pur 
les  lignes  et  les  figures  qui  en  résultent  :  c'est 
à  peu  près  la  même  chose  que  le  marc  de  café. 
Voy.  Marc  de  café. 

Selon  d'autres,  la  géomancie  se  pratique, 
tantôt  en  traçant  par  lerre  des  lignes  et  des 
cercles,  sur  lesquels  on  croit  pouvoir  deviner 
ce  qu'on  a  envie  d'apprendre  ;  taiilôt  en  fai- 
sant au  hasard,  par  terre  ou  sur  le  papier, 
plusieurs  poinis  sans  garder  aucun  ordre; 
Ks  figures  que  le  hasard  forme  alors  fondent 
un  jugement  sur  l'avenir;  tantôt  enfin  en 
observant  les  fentes  et  les  crevasses  qui  se 
font  naturellement  à  la  surface  de  la  lerre, 
d'où  sortent,  dit-on,  des  exhalaisons  oro- 
pliéliques,  comme  de  l'antre  de  Delphes. 

GKRBERT.  Voy.  Sylvestre  II. 

GÉKÉAHS.  Les  habitants  de  Ceylan  croient 
les  planètes  occupées  par  des  esprits  (\ai 
sont  les  arbitres  de  leur  soit.  Ils  leur  allri^ 
buenl  le  pouvoir  do  rendre  leurs  f.ivoris  heu- 
reux en  dé])it  des  dénions.  Ils  Corment  autant 
d'images  d'argile  appelées  Géréahs,  qu'ils 
supposent  d'espriis  mal  disposés;  ils  leur 
donnent  des  figures  monstrueuses  et  les  ho- 
uorenl  eu  mangeant  cl  buvant;  le  festin  est 

(Il  Lelover,  Hisl.  des  spectres  et  apparitions  dos  es- 
pril«i,  p.  37(). 

(2)  De  proljatione  spiritiuim,  etc. 


GER 


74Î 


accompagné  de  tambours  et  de  danses  jus- 
qu'au point  du  jour;  les  images  sont  jetées 
alors  sur  les  grands  chemins,  où  elles  reçoi- 
vent les  coups  et  épuisent  la  colère  des  dé- 
mons malintentionnés. 

GER.MANICUS,  général  romain  qui  fui  em- 
poisonné par  Planciiie.  Ou  ne  dît  pas  si  ce  fut 
p^r  des  parfums  ou  par  un  poison  plus  direct, 
ou  par  des  maléfices;  mais  ce  (luicst  certain, 
dit  Tacite,  c'est  que  l'on  trouva  dans  sa  de- 
meure des  ossements  et  des  cendres  de  morts 
arrachés  aux  tombeaux,  et  le  nom  de  Ger- 
manicus  écrit  sur  une  lame  de  plomb  qu'on 
avait  dévouée  à  l'enfer  (1). 

GEIISON  (Jean  CuAnLiER  de),  chancelier, 
pieux  et  savant,  de  l'université  de  Paris,  mort 
en  l't29,  auteur  de  rfixamen  des  esprits  (2), 
où  l'on  trouve  des  règles  pour  discerner  les 
faus'^cs  ré\élalions  des  véritables,  et  de  l'yls- 
trolOjie  ré  formée,  qui  eut  un  grand  succès. 
Nous  ne  parlons  pas  ici  de  ses  ouvrages  de 
piété. 

GERT(BERTnoMiNE  de), sorcière  delà  ville 
de  Préchac  en  Gascogne,  qui  confessa  vers 
1G08  que  lors(iu'une  so.xiôre  revenant  du 
sabbat  était  tuée  dans  le  chemin,  le  diable 
avait  l'habitude  de  prendre  sa  figure,  el  de  la 
faire  reparaître  et  mourir  dans  son  logis  pour 
la  tenir  en  bonne  réputation.  Mais  si  celui 
qui  l'a  tuée  a  quelque  bougieou  chandelle  de 
cire  sur  lui,  el  qu'il  en  fasse  une  croix  sur 
la  morte,  le  diable  ne  peut,  malgré  toute  sa 
puissance,  la  tirer  de  là,  et  par  conséquent 
est  forcé  de  l'y  laisser  (.3). 

GERVAIS,  archevêque  de  Reims,  morl  en 
1067,  dont  on  conte  cette  aventure.  Un  che- 
valier normand  qui  le  connaissait  voulant, 
pour  le  besoin  de  son  âme,  aller  à  Rome  vi- 
siter les  tombeaux  des  saints  apôtres,  passa 
par  Reims,  où  il  demanda  à  l'archevêque  sa 
bénédiction,  puis  il  reprit  son  chemin,  dont 
il  s'était  écarlé.  11  arriva  à  Rome,  et  fit  ses 
oraisons. 

11  voulut  ensuite  aller  au  monlSainl-Ange. 
Dans  son  chemin,  il  rencontra  un  ermite  qui 
lui  demanda  s'il  connaissait  Gervais,  arche- 
vêque de  Reims  ;  à  quoi  le  voyageur  répon- 
dit qu'il  le  connaissait. 

—  Gervais  est  mort,  reprit  l'ermite. 

Le  Normand  demeura  stupéfait  ;  il  pria 
l'inconnu  de  lui  dire  comment  il  savait  celle 
nouvelle. 

L'ermite  lui  répondit,  qu'ayant  passé  la 
nuit  en  prière  dans  sa  cellule,  il  avait  en- 
tendu le  bruit  d'une  foule  de  gens  qui  mar- 
chaient le  long  de  sou  corridor  en  faisant 
beaucoup  de  bruit;  qu'il  avait  ouvert  sa  le- 
nêtre,  et  demandé  où  ils  allaieiU;  que  l'un 
d'eux  lui  avait  répondu  :  Nous  sommes  les 
anges  de  Satan  ;  nous  venons  de  Reims.  Nous 
emportions  l'âme  de  Gervais  ;  mais  à  cause 
de  ses  bonnes  œuvres,  on  vient  de  nous  l'en- 
lever, ce  qui  nous  fâche  rudement. 

Le  pèlerin  remarqua  le  lemps  el  le  jour  OÙ 
il  avait  appris  toutcela,el  de  relourà  Reims, 

(5)  Del.iiicre,  Tableau  de  l'iiicoiislaiicc  des  démolis,  etc., 
p.  48.1. 


T43 


DICTIONNAIRE  DES 


il  tiuuva  que  l'arclicvéqucGervais  était  mort 
à  la  même  heure  (I). 

GEYSERIC,  démoniaque  golh,  dont  l'âme 
fut  emportée  par  le  diable  en  enfor,  après  que 
son  corps  eut  crt-vé,  comme  ceux  de  Bucer 
et  d'Arius  pondant  qu'il  était  au  lit  (2). 

GHILCUL  ou  GILGUL.  Ch<z  les  Juifs  mo- 
dernes, c'est  la  métempsycose  ou  transmi- 
gration des  âmes  en  d'autres  corps,  doctrine 
reçue  dans  quelques-unes  de  leurs  sectes. 

GHIRAHDELLI  (Corneille)  ,  franciscain, 
né  à  Bologne  vers  la  (in  du  seizième  siècle. 
Il  étudia  l'astrologie  et  la  méloposcopie  ;  on 
connaît  de  lui  des  discours  aslrologi(iucs,  des 
nlmanachs  comme  celui  de  Mathieu  La>ns- 
berg,  enfin,  la  Ccpluilonie  pbysiononiique, 
ayec  cent  léles  dessinées,  et  des  jugements 
sur  chaque  figure,  lesquels  jugements  sont 
renfermés  en  un  sonnet  rehaussé  d'un  disti- 
que; in-4.*,  1630. 

GHOLES.  La  croyance  aux  vampires,  aux 
gholes,  aux  lamies,  qui  sont  à  peu  près  le 
même  genre  de  spectres ,  est  répandue  de 
teuips  inimémori.'il  chez  les  Arabes,  chez  les 
Perses,  dans  la  Grèce  moderne  et  dans  tout 
l'Orient.  Les  Mille  et  une  Nuits,  et  plusieurs 
autres  contes  arabes,  roulent  sur  cette  ma- 
tière, et  maintenant  encore,  cette  terrible 
superstition  porte  l'épouvante  dans  plusieurs 
contrées  de  la  Grèce  moderne  et  de  l'Arabie. 

Les  Gholes  sont  du  sexe  féminin.  On  en 
cite  des  histoires  qui  remontent  jusqu'au 
dixième  siècle  et  même  jusi|u'au  règne  d'Ha- 
roun  al  Raschild.  Elles  mangent  la  chair  et 
boivent  le  sang  comme  les  loups-garous 
plutôt  que  comme  les  vampires,  car  elles 
n'ont  pas  toujours  besoin  d'être  mortes  pour 
se  livrera  leurs  festins  funèbres. 

Dans  un  faubourg  de  Bagdad  vivait,  dit-on, 
au  commencement  du  quinzièmi;  siècle,  un 
vieux  marchtind  qui  avait  amassé  une  for- 
tune considérable  et  qui  n'avait  pour  héritier 
de  ses  biens,  qu'un  fils  qu'il  aimait  tendre- 
ment. Il  avait  résolu  de  le  marier  à  la  fille 
d'un  de  ses  confrères,  marchand  comme  lui, 
et  avec  qui  il  avait  lié  un  commerce  d'amitié 
dans  ses  fréquents  voyages.— Cette  Jeune  fille 
était  riche,  maislaide;  et  Abdul  (c'est  le  nom 
du  jeune  homme),  à  qui  on  montra  son  por- 
trait, demanda  du  temps  pour  se  décider  à 
ce  mariage. 

Un  soir  qu'il  se  promenait  seul,  à  la  clarté 
de  la  lune,  dans  les  campagnes  voisines  de 
Bagdad  ,  il  entendit  une  voix  fraiche  qui 
chantait  quelque  versets  du  Koran  en  s'ac- 
compagnant  d'une  guitare.  H  traversa  le 
bosquet  qui  lui  cachait  lu  chanteuse  ,  et  se 
trou\a  au  pied  d'une  maisonnette  où  il  vit , 
sur  un  balcon  ombragé  d'herbes  traînantes, 
une  belle  jeune  femme. — Il  n'osa  se  faire  re- 
marquer que  par  des  signes  de  respect;  la 
fenêtre  s'clant  refermée,  il  regagna  la  maison 
paternelle,  sans  savoir  si  seulement  il  avait 
été  TU. 

Le  Icndemam  matin  ,  après  la  prière  du 
lever  du  soleil,  ilrovint  dans  les  mêmes  lieux, 
fit  d'ardentes  recherches,  et  découvrit ,  non 

(1)  Manuseril  de  la  bibtiotlièiiup  royale,  rapiioné  par 
Lt;iiiilul-Du.''re!>iioy,  Disscrlalious,  1. 1". 


SCIENCES  OCCULTES.  744 

sans  peine,  que  celle  qui  l'avait  frappé  était 
fille  d'un  sage  qui  n'avait  point  d'or  à  lui 
donner,  mais  qui  l'avait  élevée  dans  toutes 
les  sciences  sublimes  :  ces  nouvelles  ache- 
vèrent de  l'enll.immer. — Dès  lors,  le  mariage 
projeté  par  son  père  devint  impossible.  Il 
alla  trouver  le  vieillard  et  lui  dit  : 

—  Mon  père,  vous  sa^ezque  jus(iu'ici  je 
n'ai  su  que  vous  obéir  :  aujourd'hui  je  viens 
vous  supplier  de  m'accorder  une  épouse  de 
mon  choix. 

H  exposa  sa  répugnance  pour  la  femme 
qu'on  lui  proposait,  et  son  amour  pour  l'in- 
connue.— Le  vieillard  fit  quelques  objections, 
mais,  voyfinl  que  son  fils  était  entraîné  par 
ce  que  les  musulmans  regardent  comme  une 
fatalité  irrésistible,  il  ne  mit  plus  d'obstacle 
à  son  désir  :  il  alla  trouver  le  vieux  sage  et 
lui  demanda  sa  fille. 

Le  mariage  se  fit,  dit  le  conte. 

Au  bout  de  trois  mois ,  Abdul  s'étant  é- 
veillé  une  certaine  nuit,  s'aperçut  que  sa 
jeune  épouse  avait  quitté  la  couche  nup- 
tiale. Il  crut  d'abord  qu'un  accident  imprévu 
ou  une  indisposition  subite  avait  causé  cette 
absence:  il  résolut  toutefois  d'attendre;  mais 
Nadila  (  c'était  la  jeune  femme  )  ne  revint 
qu'une  heure  avant  le  jour.  Abdul  remar- 
quant qu'elle  rentrait  avec  l'air  effaré  et  la 
démarche  mystérieuse,  Ot  semblant  de  dor- 
mir, et  ne  témoigna  rien  de  ses  inquiétudes, 
ré>olu  de  s'éclaircir  un  pou  plus  tard. 

Nadila  ne  lui  parla  point  de  son  absence 
nocturne;  la  nuit  suivante,  el  e  s'échappa 
de  nouveau,  croyant  Abdul  endormi,  et  sor- 
tiî  selon  sa  coutume. — .Abdul  se  bâta  de  s'Iia* 
biller,  il  la  suivit  de  loin  par  de  longs  dé- 
tours. 

Il  la  vit  entrer  enfin  dans  un  cimetière;  il 
y  entra  pareillement. 

Nadila  s'enfonça  sous  un  grand  tom- 
beau éclairé  de  trois  lampes.— Quelle  fut 
la  surprise  d'Abdul,  lorsqu'il  vil  sa  jeune  et 
belle  épouse,  qu'il  chérissait  si  tendrement, 
entourée  de  plusieurs  gholes,  qui  se  réunis- 
saient là  toutes  les  nuits  pour  leurs  festins 
effroyables  ! 

Il  avait  remarqué,  depuis  son  mariage,  que 
sa  femme  ne  mangeait  rien  le  soir;  mais  il 
n'avait  tiré  de  cette  observation  aucune  con- 
séquence fâcheuse. 

Il  vit  bientôt  une  de  ces  gholes  apportant 
un  cadavre  encore  frais,  autour  duquel  tou- 
tes les  autres  se  rangèrent.  L'idée  lui  vint  de 
se  montrer,  de  dissiper  ces  hideuses  sorciè- 
res ;  mais  il  n'eût  pas  été  le  plus  fort:  il  se 
décida  à  dévorer  son  indignation. — Le  cada- 
vre fut  coupé  en  pièces,  et  les  gholes  le  man- 
gèrent en  chantant  des  chansons  infernales. 
Ensuite,  elles  enterrèrent  les  os,  el  se  sépa- 
rèrent après  s'être  embrassées. 

Abdul,  qui  ne  voulait  pas  être  vu,  se  hât  i 
de  regagner  son  lit,  où  il  feignit  de  dormir 
Jusqu'au  matin.  De  toute  la  journée  ,  il  ne 
témoigna  rien  de  ce  qu'il  avait  vu;  mais,  la 
nuit  venue,  il  eng.igea  sa  jeune  épouse  à 
prendre  sa  part  d'une  légère  collation.  Na- 

(2)  Dclaiicre,  TaMeau  de  l'iiicougtsnce  dus  déinoiis,  eic. 
p.  6. 


.  74-  cm 

dila  s'oxci'.sa  selon  sa  coutume;  il  insi-ita 
longtemps  cl  s'écria  enfin  avec  colère:  Vous 
aimez  mieux  aller  souper  avec  les  giioles! 
Nadila  ne  répondit  ricit,  pâlit,  trembla  de 
fureur,  et  alla  en  silence  se  mettre  au  lit  av(  c 
son  épouT. 

Au  milieu  de  la  nuit ,  lorsqu'elle  le  crut 
plongé  dans  un  profond  sommeil,  elle  lui  dit 
d'une  voix  sombre  :  Tiens,  expie  ta  curio- 
sité. 

En  mémo  temps  elle  se  mil  à  genoux  sur 
sa  poitrine,  le  saisit  à  la  gorge,  lui  ouvrit  une 
veine,  et  se  disposa  à  boire  son  sang.  Tout 
cela  fut  l'ouvrage  d'un  instant.  Le  jeune 
homme  qui  ne  dormait  point,  s'échappa  avec 
violence  des  bras  de  la  furie  ,  et  la  frappa 
d'un  coup  de  poignard  qui  la  laissa  mourante 
à  ses  côtés.  Aussitôt  il  appela  du  secours,  on 
pansa  la  plaie  qu'il  avait  à  la  gorge  ,  et  le 
lendemain,  on  porta  en  terre  la  jeune  ghole. 

Trois  jours  après,  au  milieu  de  la  nuit,  elle 
apparut  à  son  époux,  se  jeta  sur  lui,  et  vou- 
lut l'éloufferde  nouveau.  Le  poignard  d'Ab- 
dul  fut  inutile  dans  ses  mains  ;  il  ne  trouva 
de  salut  que  dans  une  prompte  fuite— 11  fit 
ouvrir  le  tombeau  de  Nadila  qu'on  trouva 
comme  vivante,  et  qui  semblait  respirer  dans 
son  cercueil.  On  alla  à  la  maison  du  sage  qui 

Fassait  pour  le  père  de  cette  malheureuse. 
1  avoua  que  sa  fille,  mariée  deux  ans  aupa- 
ravant à  un  officier  du  Calife,  avait  été  tuée 
par  son  mari;  mais  qu'elle  avait  retrouvé  la 
vie  dans  son  sépulcre,  qu'elle  était  revenue 
chez  son  père;  en  un  mol,  que  c'était  une 
femme  vampire.  On  exhuma  le  corps;  on  le 
brûla  sur  un  bûcher  de  bois  de  senteur;  on 
jeta  ses  cendres  dans  le  Tigre,  et  le  pauvre 
époux  fut  délivré. 

On  sent  bien  que  celte  histoire  n'est  qu'un 
pur  conte  ;  n)ais  il  peut  donner  une  idée  di<s 
croyances  des  Arabes. 

On  voit  dans  certains  contes  orientaux  une 
espèce  de  vampire  qui  ne  peut  conserver  son 
odieuse  vie  qu'en  avalant  de  temps  en  temps 
le  cœur  d'un  jeune  homme  On  pourrait  citer 
une  foule  de  traits  de  môme  sorte  dans  les 
contes  traduits  de  l'arabe  :  ces  contes  prou- 
vent que  les  horribles  idées  du  vampirisme 
sont  anciennes  en  Arabie. 

GHOOLÉE-BEENBAN, vampire,  ou  lamie, 
ou  ghole.  Les  Afghans  croient  que  chaque 
solitude,  chaque  désert  de  leur  pays,  estha- 
hité  par  un  démon,  qu'ils  appellent  le  Ghoo- 
lée-lîeenban,ou  le  spectre  de  la  solitude.  Ils 
désignent  souvent  la  férocité  d'une  tribu  en 
disant  qu'elle  est  sauvage  comme  le  démon 
iju  désert. 

GlALL,  fleuve  des  enfers  Scandinaves  ;  on 
le  passe  sur  un  pont  appelé  Giallur. 

GIAN-BEN-GIAN,  voij.  Génies. 

GIBEL,  montagne  volcanique,  an  sommet 
de  laquelle  se  trouve  un  cratère  d'oii  l'on  en- 
tend, lorsqu'on  prête  l'oreille,  des  gémisse- 
ments et  un  bouillonnement  effroyable.  Les 
Grecs  jetaient,  dans  ce  soupirail  ,  des  vases 
d'or  et  d'argcnl,  et  regardaient  comme    un 

(1)  Loloyer,  Histoire  des  spectres  on  apparitions  des 
esprits,  p.  50. 

UlCTlONN.  DES  SCIIÎNCES  OCCULTE.S.  I. 


G!R 


riC 


bon  présage  lorsque  la  flamme  ne  les  repous- 
sait pas;  car  ils  pensaient  apaiser  par  lu  les 
dieux  de  l'enfer,  dont  ils  croyaient  que  cette 
ouverture  était  l'entrée  (1). 

GILBERT,  démon  dont  parle  01a ns  Ma- 
gnus.  Use  montrait  chez  les  Ostrogolhs,  et  il 
avait  enchaîné  d;ms  une  caverne  le  savant 
Catillus,  nécromancien  suédois  qui  l'avait 
insulté  (2). 

GILO,  voy.  Gello. 

GIMl  ou  GIMIN  ,  génies  que  les  musul- 
mans croient  d'une  nature  mitoyenne  entre 
l'ange  et  l'homme.  Ce  sont  nos  esprits  fol- 
lets. 

GINGUÉRERS,  cinquième  tribu  des  géants 
ou  dénies  malfaisants,  chez  les  Orientaux. 

GINNES ,  génies  femelles  chez  les  Persans, 
qui  les  disent  maudites  par  Salonion,  et  for- 
mées d'un  feu  liquide  et  bouillonnant,  avant 
la  création  de  l'iiomme. 

GINNISTAN.  pays  imaginaire,  où  les  gé- 
nies soumis  à  Salomon  font  leur  résidence, 
selon  les  opinions  populaires  des  Persans. 
Voy.  GÉNIES. 

GINNUNGAGAP,  nom  de  l'abîme  ,  partie 
de  l'enfer,  chez  les  Scandinaves. 

GIOERNINCA-VËDUR.  Les  Islandais  ap- 
pellent de  ce  nom  le  pouvoir  magique  d'exci- 
terdes  orages  et  des  tempêtes,  et  de  faire  périr 
des  barques  et  des  bâtiments  en  mer.  "Cette 
idée  superstitieuse  appartient  autant  à  la  ma- 
gie moderne  qu'à  l'ancienne.  Les  ustensiles 
que  les  initiés  emploient  sont  très-simples  : 
par  exemple,  une  bajoue  de  tête  de  poisson, 
sur  laquelle  ils  pcignenlou  graventdifférenis 
caractères  magiques, entre  antres  la  léle  du 
dieu  Thor,  de  qui  ils  ont  eniprunlé  cette  es- 
pèce de  magie.  Le  grand  art  consiste  h  n'em- 
ployer qu'un  ou  deux  caractères,  el  tout  leur 
secret  est  que  les  mots  Thor,  ha  fol  ou  ha  fut 
puissent  être  lus  devant  eux  ou  en  leur  ab- 
sence sans  être  compris  de  ceux  qui  ne  sont 
pas  admis  à  la  connaissance  de  ces  mystères. 

GiOURTASCH,  pierre  mystérieuse  que  les 
Turcs  orientaux  croient  avoir  reçue  de  main 
en  main  de  leurs  ancêtres  ,  en  remontant 
jusqu'à  Japhet,  fils  de  Noé,  et  qu'ils  préten- 
dent avoir  la  vertu  de  leur  procurer  de  la 
pluie,  quand  ils  en  ont  besoin. 

GIRARD,  (Jean-Baptiste)  ,  jésuite  né  à 
Dôle  en  1680.  Les  ennemis  de  la  société  de 
Jésus  n'ont  négligé  aucun  effort  pour  le  pré- 
senter comme  un  homme  de  scandale.  Ils 
l'ont  accusé  d'avoir  séduit  une  fille  nommée 
Catherine  Cadière  ;  et  sur  ce  thème  ,  ils  ont 
bâti  tous  les  plus  hideux  romans.  Cette  fille, 
folle  ou  malade ,  sembla  possédée  dans  les 
idées  du  temps,  ou  le  fui  peut-être,  el  on  dut 
l'enfermer  aux  Ursulines  de  Brest.  Sur  quel- 
ques divagations  qu'elle  débita,  un  procès 
fut  intenté  par  le  parlement  d'Aix.  Mais  tou- 
tes choses  examiné"S  et  pesées,  il  fallut  so 
borner  à  rendre  C^ilherino  Cadière  à  sa  fa- 
mille. On  ne  put  pas  même  trouver  moyen 
d'impliquer  le  père  Girard  dans  celte  affaire, 
commecoupable,  (juoiqu'on  eût  ameuté  trois 

(2)  Wierus,  de  Praest.,  p.  i6(f 

2& 


747 


DiniONNAinE  OKS  SCIENCES  OCCULTKS. 


74H 


parirs  violents  contre  lui,  les  jansénistes,  le 
parlement  et  les  philosophes.  —  Ce  qui  na 
pas  empêché  les  écrivains  anti-reli«ieux  de 
faire  revivre  sur  son  compte  des  calomnies 
'■condamnées. 

GIRTANNER,  docteur  de  Gottingue,  qui 
a  annoncé  que  dans  le  dix-neuvième  siècle 
tout  le  monde  aurait  le  secnl  de  la  trans- 
mutation des  métaux;  que  chaque  chimiste 
saurait  faire  de  l'or;  que  les  instruments  de 
cuisine  seraient  dor  et  d'argent;  ce  qui 
contribuera  beaucoup,  dit-il,  à  prolonger  la 
vie,  qui  se  trouve  aujourd'hui  compromise 
par  les  oxyiles  de  cuivre,  de  plomb  et  de 
fer  que  nous  avalons  avec  notre  nourri- 
ture (1).  Les  bons  cliimistes  actuels  parta- 
gent cet  avis. 

GITANOS,  mol  espagnol  ,  qui  veut  dire 
Egyptiens.  Voy.  Bohémiens. 

GIWON,  esprit  japonais.  Les  habitants 
croient  qu'il  veille  parliculièrement  à  la 
conservation  de  leur  vie,  et  qu'il  peut  les 
préserver  de  tout  accident  fâcheux,  comtne 
des  chutes,  des  mauvaises  rencontres,  des 
maladies,  et  surtout  de  la  petite  vérole. 
Aussi  ont-ils  coutume  de  placer  sur  la  porte 
de  leurs  maisons  l'image  de  Giwon. 

GRANVILLE  ,  curé  anglican  d'Abbey- 
Church  à  Balh,  mort  en  1680.  On  lui  attri- 
bue un  traité  des  Visions  et  apparitions,  in-S", 
Londres,  170'i);  mais  il  est  cerlaiiieim  nt  au- 
teur d'un  ouvrage  intitulé  :  Considérations 
philosophiques  louchant  Vexistence  des  sor- 
ciers et  la  sorcellerie,  1666,  in-i". 

GLAPHYRA,  épouse  d'Alexandre,  fils  de 
cet  effroyable  Hérode,  qu'on  a  appelé  Hé- 
rode  le  Grand.  Celte  princesse  ayant  perdu 
Alexandre,  se  maria  avec  Archélaiis,  son 
beau-frère,  et  niourut  la  nuit  même  de  ses 
noces,  l'imagination  troublée  par  la  vision 
de  son  premier  époux  ,  qui  semblait  lui 
reprocher  ses  secondes  noces  avec  son 
frère  (2). 

GLASIALABOLAS,  Voy.  Caacrinoliis. 

GLOCESTER.  Sous  Henri  VI,  les  ennemis 
de  la  duchesse  de  Glocester  voulant  la  per- 
dre, l'accusèrent  d'être  sorcière.  On  préten- 
dit qu'elle  avait  eu  des  entreliens  secrets 
avec  Roger Bolingbrocke.  soupçonné  de  né- 
cromancie, et  Marie  Gardemain,  réputéesor- 
cièrc.  On  déclara  que  ces  trois  personnes 
réunies  avaient,  à  l'aide  de  cérémonies  dia- 
boliques, placé  sur  un  feu  lent  une  effigie 
du  roi,  faite  en  cire,  dans  l'idée  que  les  forces 
de  ce  prince  s'épuiseraient  à  mesure  que  la 
cire  fondrait,  et  qu'à  sa  totale  dissolution,  la 
vie  de  Henri  VI  serait  terminée.  Une  telle 
accusation  devait  s'accréditer  sans  peine 
ilans  ce  siècle  crédule;  plus  elle  s'éloignait 
(In  bon  sens,  plus  elle  semblait  digne  de  foi. 
Tous  trois  furent  déclarés  coupables,  et  ni 
le  rang  ni  l'innocence  ne  purent  les  sauver. 
La  duchesse  fut  condamnée  à  un  emprison- 
nement perpétuel,  RogciBolingbrocke  pendu, 
et  Marie  Gardemain  brûlée  dans  Smitfield  (3). 

GLUBBDUBDRIB.  Si  le  fragment  de  Cy- 

(t)  l'iiilosopliie  magique,  t.  VI,  p.  S8/5,  cilée  dans  Ips 
C.uriosiiés  ite  la  lilltiralnro,  I.  I",  p.  202. 
(2)  Lelo^cr,  llisL.  Jes  spectres  cl  des  apparitions  des 


rano-Bergerac  sur  Agri|)pa  présente  l'idée 
qu'on  avait  des  sorciers  en  France  sous 
Louis  XIII,  le  passage  que  Swift  leur  a  con- 
sacré an  siècle  suivant  ne  mérite  pas  moins 
d'être  mis  sous  les  jeux  du  lecteur.  On  le 
trouve  aux  chapitres  vu  et  viii  du  troisième 
Voyage  de  Gulliver. 

«  Glnbbdubdrib,  si  j'interprète  exactement 
le  mol,  signifie  l'île  des  sorciers  ou  des  ma- 
giciens. Elle  a  trois  fois  l'étendue  de  l'Ile 
de  Wiglit;  elle  est  très-fertile.  Cette  lie  est 
sous  la  puissance  d'un  chef  d'une  tribu 
toute  composée  de  sorciers,  qui  ne  s'allienl 
qu'entre  eux,  et  dont  le  prince  est  toujours 
le  plus  ancien  de  la  tribu. 

«  Ce  prince  ou  gouverneur  a  un  palais 
magnifique  cl  un  parc  d'environ  trois  mille 
acres,  entouré  d'un  mur  de  pierres  de  taille 
haut  tie  vingt  pieds.  Ce  parc  renferme  d'au- 
tres petits  enclos  pour  les  bestiaux,  le  blé 
et  les  jardins.  —  Le  gouverneur  et  sa  famille 
sont  servis  par  des  domesti(|ues  d'une  espèce 
assez  extraordinaire.  Par  la  connaissance 
qu'il  a  de  la  nécromancie,  il  possède  le  pou- 
voir d'évoquer  les  morts  et  lie  les  obliger  à 
le  servir  [)eudant  vingt-quatre  heures  ,  ja- 
mais plus  longtemps;  et  il  ne  peut  évoquer 
le  même  esprit  qu'à  trois  mois  d'intervalle, 
à  moins  que  ce  ne  soit  pour  quelque  grande 
occasion. 

«  Lorsque  nous  abordâmes  à  l'fle,  il  était 
environ  onze  heures  du  matin.  Un  de  mes 
deux  compagnons  alla  trouver  le  gouver- 
neur, et  lui  dit  qu'un  étranger  souhaitait 
avoir  l'honneur  de  saluer  son  altesse.  Ce 
compliment  fut  bien  leçu.  Nous  entrâmes 
tous  trois  dans  ta  cour  du  palais,  et  nous 
passâmes  au  milieu  d'une  haie  de  gardes 
arn)és  et  habillés  d'une  manière  très-an- 
cienne, et  dont  la  physionomie  avait  quel- 
que chose  qui  me  causait  une  horreur  indi- 
cible. Nous  traversâuies  les  appartements  , 
et  rencontrâmes  une  foule  de  domestiques 
de  la  même  sorte,  avant  de  parvenir  jusqu'à 
la  chambre  du  gouverneur. 

«  Après  que  nous  eûmes  fait  trois  révé- 
rences profondes,  il  nous  fit  asseoir  sur  du 
petits  tabourets  au  pied  de  son  Irône.  Il  m'a- 
dressa différentes  questions  au  sujet  de  mes 
voyages;  et,  pour  marquer  qu'il  voulait  en 
agir  avec  moi  sans  cérémonie,  il  fit  signe 
avec  le  doigt  à  tous  ses  gens  de  se  retirer  ; 
et  en  un  instant,  ce  qui  ni'étonna  beaucoup, 
ils  disparurent  comme  les  visions  d'un  rêve. 

a  J'eus  de  la  peine  à  me  rassurer.  Mais  le 
gouverneur  m'ayani  dit  que  je  n'avais  rien  à 
craindre,  et  voyant  mes  deux  compagnons 
parfaitement  tranquilles,  parce  qu'ils  claieul 
faits  à  ce  spectacle,  je  commençai  à  prendre 
courage,  et  racontai  à  son  altesse  les  diffé- 
rentes aventures  de  mes  voyages,  non  sans 
un  peu  d'hésitation,  ni  sans  regarder  plus 
d'une  fois  derrière  moi  la  place  où  j'avais  vu 
les  fantômes  disparaître. 

«  J'eus  l'honneur  de  dîner  avec  le  gouver- 
neur, qui   nous  fil  servir  par  une  nouvelle 

esprits,  cliap.  9.,î  ,  p.  i!i6. 

(3)  tiolcIsiiitUi,  Uisloire  il'Aii^rCtoi  M. 


7«9 


GIU 


CI.U 


"M 


troupe  de  spertrcs.  Je  remarquai  que  ma 
frayeur  élail  moins  grandi'  à  celle  seconde 
apparition.  Nous  fûmes  à  labli!  jusqu'au 
coucher  du  soleil.  .le  priai  son  ailessc  de 
permettre  que  je  ne  couchasse  pas  dans  son 
palais,  comme  il  avait  la  honte  de  m'y  enga^ 
ger;  et  mes  deux  amis  et  moi  nous  allâmes 
chercher  un  lit  dans  la  ville  voisine,  capitale 
de  la  petite  lie. 

«  Le  lendemain  matin  ,  nous  revînmes 
rendre  nos  devoirs  au  gouverneur,  comme 
il  avait  bien  voulu  nous  le  recommander  ; 
cl  nous  passantes  de  cette  manière  une  di- 
znine  de  jours  dans  celte  î'e,  demeurant  la 
plus  grande  pirlie  de  la  journée  avec  le 
gouverneur,  et  la  nuit  à  noire  auberge.  Je 
parvins  à  me  familiariser  tellement  avec  les 
esprits,  que  je  n'en  eus  plus  peur  du  tout, 
ou  du  moins,  s'il  m'en  restait  encore  un  peu, 
elle  cédait  à  ma  curiosité. 

«  Son  altesse  me  dit  un  jour  de  lui  nom- 
mer tels  morts  qu'il  me  plairait,  qu'il  me 
les  ferait  venir  et  les  obligerait  de  répondre 
à  toutes  les  questions  que  je  leur  voudrais 
faire,  à  condition  toutefois  que  je  ne  les  in- 
terrogerais que  sur  ce  qui  s'était  passé  de 
leur  temps,  et  que  je  pourrais  être  bien  as- 
suré qu'ils  me  diraient  toujours  vrai;  car  le 
mensonge  est  un  talent  inutile  dans  l'autre 
monde.  —  J'acceptai  avec  de  Irès-humbles 
actions  de  grâces  l'offre  de  son  altesse. 

«  Nous  étions  dans  une  pièce  d'où  l'on 
avait  une  très-belle  vue  sur  le  parc;  cl, 
comme  mon  premier  souhait  fut  de  voir  des 
scènes  pompeuses  et  magnillques,  je  deman- 
dai à  voir  Alexandre  le  Grand  à  la  tète  de 
son  armée,  tel  qu'il  était  à  la  bataille  d'Ar- 
belles.  Aussitôt,  sur  un  signe  du  gouver- 
neur, le  prince  grec  parut  sur  un  vaste 
champ  au  dessous  de  la  fenêtre  où  nous 
étions. 

«  Alexandre  fut  invilé  à  monter  dans  la 
chambre.  J'eus  beaucoup  de  peine  à  enten- 
dre son  grec,  n'étant  pas  moi-même  très- 
versé  dans  cette  langue.  Il  m'assura,  sur  son 
honneur,  qu'il  n'avait  pas  été  empoisonné, 
mais  qu'il  était  mort  d'une  flèvre  causée  par 
un  excès  de  boisson. 

M  Je  vis  ensuite  Annibal  passant  les  Al- 
pes; et  il  me  dit  qu'il  n'avait  pas  une  seule 
goutte  de  vinaigre  dans  son  camp. 

«  Je.  vis  César  et  Pompée  à  la  tète  de  leurs 
troupes  prêtes  à  se  charger.  Je  vis  le  pre- 
mier dans  son  grand  triomphe.  Je  voulus 
voir  le  sénat  ro^nain  dans  une  grande  salle, 
avec  une  assemblée  législative  moderne  ran- 
gée de  l'autre  cô!é.  Le  sénat  me  sembla  une 
réunion  de  héros  et  de  demi-dieux  ;  l'autre 
assemblée  m'avait  l'air  d'un  tas  de  porte- 
ballcs,  de  Clous,  de  voleurs  de  grand  chemin 
et  de  matamores. 

«  Je  fatiguerais  le  lecteur  si  je  citais  le 
grand  nombre  do  personnages  illustres  qui 
fut  évoqué  pour  satisfaire  au  désir  insatia- 
ble que  j'avais  de  voir  toutes  les  périodes  de 
l'antiquité,  mises  sous  mes  yeux.  Je  les  ré- 
jouis principalement  par  la  contemplation 
des  destructeurs,  des  tyrans,  des  usurpa- 
teurs el  des  libérateurs  des   nations  oppri- 


mées. Mais  il  me  serait  impossible  d'expri- 
mer la  satisfaction  que  j'éprouvai,  de  ma- 
nière à  la  faire  partager  à  ceux  qui  liront 
ces  pages. 

«  Désirant  voiries  anciens  les  plus  renom- 
més pour  l'esprit  et  la  science,  je  voulus 
leur  consacrer  an  jour.  Je  demandai  que 
l'on  fît  apparaître  Homère  et  Aristote  à  la 
tête  de  leurs  commentateurs;  mais  ceux-ci 
étaient  tellement  nombreux,  qu'il  yen  eut 
plusieurs  centaines  qui  furent  obligés  d'at- 
tendre dans  les  antichambres  et  dans  les 
cours  du  palais.  Au  premier  coup  d'oeil ,  je 
reconnus  ces  deux  grands  hommes,  et  les 
distinguai  non-seulement  de  la  fouie,  mais 
aussi  l'on  de  l'aulre.  Homère  élait  le  plus 
grand  et  avait  meilleure  mine  qu'Aristote.  Il 
se  tenait  très-droit  pour  son  âge,  et  ses  yeux 
étaient  les  plus  vifs,  les  plus  perçants  que 
j'eusse  jamais  vus.  Aristote  se  courbait  beau- 
coup et  il  se  servait  d'une  canne.  Son  visage 
était  maigre,  ses  cheveux  rares  et  lisses,  sa 
voix  creuse.  Je  m'aperçus  bientôt  qu'ils 
étaient  l'un  et  l'autre  parfaitement  étrangers 
au  reste  de  la  compagnie,  et  n'en  avaient 
pas  entendu  parler  auparavant. 

«  Un  spectre,  que  je  ne  uonmierai  point, 
me  dit  à  l'oroiile  que  ces  commentateurs  se 
tenaient  toujours  le  plus  loin  qu'ils  pou- 
vaient de  leurs  auteurs  dans  le  monde  sou- 
terrain, parce  qu'ils  étaient  honteux  d'avoir 
si  indignement  représenté  à  la  postérité  les 
pensées  de  ces  grands  écrivains. 

«  Je  priai  le  gouverneur  d'évoquer  Des- 
cartes et  Gassendi ,  et  j'engageai  ceux-ci  à 
expliquer  leurssyslèmes  à  Aristote.  Ce  grand 
philosophe  reconnut  ses  erreurs  dans  la 
physique,  lesiiuelles  provenaieut  de  ce  qu'il 
avait  raisonné  d'après  des  conjectures  , 
comme  tous  les  hommes  doivent  le  faire;  el 
il  nous  flt  remarquer  que  Gassendi  et  les 
tourbillons  de  Descaries  avaient  été  à  leur 
tour  rejetés.  Il  prédit  le  même  sort  à  l'at- 
traction, que  les  savants  de  nus  jours  sou- 
tiennent avec  tant  d'ardeur.  Il  disait  que 
tout  système  nouveau  sur  les  choses  natu- 
relles n'était  qu'une  mode  nouvelle  et  devait 
varier  à  chaque  siècle,  et  que  ceux  qui  pré- 
tendaient les  appuyer  sur  des  démonstra- 
tions mathématiques  ,  auraient  de  même 
une  vogue  momentanée  et  tomberaient  en- 
suite dans  l'oubli. 

«  Je  passai  cinq  jours  à  converser  avec  d'au- 
tres savants  hoiiuncs  de  l'antiquité.  Je  vis  la 
plupart  des  empereurs  romains.  Le  gouver- 
neur eut  la  complaisance  d'évoquer  le»  cuisi- 
niers d'Héliogabale  pour  apprêter  notre  dî- 
ner;maisilsne  purenlnous  montrertouieleur 
habileté,  faute  de  matériaux.  Un  ilote  d'A- 
gésilas  nous  fit  un  plat  de  biouct  noir  lacc- 
démonien,  et  nous  ne  pvimes  avaler  la  se- 
conde cuillerée  de  ce  mets.... 

«  Mes  découvertes  sur  l'histoire  moderne 
furent  mortifiantes.  Je  reconnus  que  des 
historiens  ont  transformé  des  guerriers  im- 
béciles et  lâches  en  grands  capitaines,  des 
insensés  et  de  petits  génies  en  grands  politi- 
ques, des  flatteurs  et  des  courtisans  en  gens 
de  bien,  des  alhéts  en  hommes  pleins  de  rc- 


751 


DlCTIO.NNAmE  DES  SCiENCKS  OCCL'LIES. 


in'i 


ligion,  d'iiiMmc»  débouchés  en  gens  chastes, 
et  des  délateurs  de  profession  en  hommes 
vrais  et  sincères.  Un  général  d'armée  m'a- 
voua qu'il  avait  une  fois  remporté  une  vic- 
toire par  sa  poltronnerie  et  son  imprudence  ; 
et  un  amiral  me  dit  qu'il  avait  battu  malgré 
lui  une  flotte  ennemie,  lorsqu'il  avait  envie 
de  laisser  battre  la  sienne. 

«  Comme  chacun  des  personnages  qu'on 
évoquait  paraissait  tel  qu'il  avait  été  dans 
le  monde,  je  vis  avec  douleur  combien  le 
genre  humain  avait  dégénéré...  » 

GNOMES,  esprits  élémentaires  amis  de 
l'homme,  composés  des  plus  subtiles  parties 
de  la  terre,  dont  ils  habitent  les  entrailles, 
selon  les  cabalistcs.  —  La  terre,  disent-ils, 
est  presque  jusqu'au  centre  remplie  de  gno- 
mes, gens  de  petite  stature,  gardiens  des 
trésors,  des  mines  et  des  pierreries.  Ils  ai- 
ment les  hommes,  sont  ingénieux  et  faciles 
à  gouverner.  Ils  fournissent  aux  cabalistes 
tout  l'argent  qui  leur  est  nécess  lire,  et  ne 
demandent  guère, pourprix  de  leurs  services, 
que  la  gloire  d'être  commandés.  Les  gnomi- 
des,  leurs  femmes  sont  petites,  mais  agréa- 
bles ,  et  vêtues  d'une  manière  fort  cu- 
rieuse (1). 

Les  gnomes  vivent  et  meurent  à  peu  près 
comme  les  hommes;  ils  ont  des  villes  et  se 
rassemblent  en  sociétés.  Les  cabalistes  pré- 
tendent que  ces  bruits  qu'on  entendait,  aii 
rapport  d'Aristole,  dans  certaines  lies,  où 
pourtant  on  ne  voyait  personne,  n'étaient 
autre  chose  que  les  réjouissiinccs  et  les  létcs 
de  noces  de  quelque  gnome.  Ils  ont  une  âme 
mortelle;  mais  ils  peuvent  se  procurer  lim- 
mortalilé  en  contractant  des  alliances  avec 
Jes  hommes.  Voy.  Cabale,  Pygmées,  Nains, 

GOBELINS,  KOBOLD,  CtC. 

GNOSTIQUES,  hérétiques  qui  admettaient 
une  foule  de  génies  producteurs  de  tout  dans 
le  monde.  Leur  nom  signifie  illuminés;  ils 
l'avaient  pris  parce  qu'ils  se  croyaient  plus 
éclairés  que  les  autres  hommes.  Ils  parurent 
au  premier  et  au  second  siècle,  principale- 
ment dans  l'Orient.  Ils  honoraient,  parmi 
les  génies ,  ceux  qu'ils  croyaient  avoir 
rendu  au  genre  humain  les  bons  offices  les 
plus  importants.  Ils  disaient  que  le  génie 
qui  avait  appris  aux  hommes  à  manger  le 
fruit  de  l'arbre  de  la  science  du  bien  et  du 
mal  avait  fait  pour  nous  quelque  chose  de 
très-signalé....  Us  l'honoraient  sous  la  figure 
qu'il  avait  prise,  et  tenaient  un  serpent  en- 
fermé dans  une  cage  :  lorsqu'ils  célébraient 
leurs  mystères, ils  ouvraient  la  cage  et  appe- 
laient le  serpent,  qui  montait  sur  une  table 
■  où  étaient  les  pains,  et  s'entortillait  alentour. 
C'est  ce  qu'ils  appelaient  leur  eucharistie... 

Les  giiostiques  ,  auxi]uels  se  rattachaient 
les  basiiidiens ,  les  ophites,  les  simoniens, 
les  carpocratiens,  etc.,  tentèrent  contre  le 
catholicisme  de  grands  efforts.  Leur  serpent, 
non  plus  que  les  autres,  n'y  put  faice  qu'u- 
ser ses  dents.  Voy.  Tète  de  Bopuomet  , 
ËuNs,  etc. 

(1)  i\j  a  apparence  que  ces  contes  de  gnomes  doivent 
leur  oiiiîiiie  aux  relations  de  quelques  anciens  voyageurs 
en  Lapunie. 


GOAP,  roi  des  démons  de  midi.  On  peut 
révoquer  de  trois  heures  du  matin  à  midi,  et 
de  neuf  heures  du  soir  à  minuit  (2). 

GOBBINO,  Voy.  Imagination. 

GOHIÎLINS,  espèce  de  lutins  domestiques 
qui  se  retirent  dans  les  endroits  cachés  de  la 
maison,  sous  des  tas  de  bois.  On  les  nourrit 
des  mets  les  plus  délicats,  parce  qu'ils  ap- 
j>ortent  à  leurs  maîtres  du  blé  volé  dans  les 
greniers  d'autrui. 

On  dit  que  la  manufacture  des  Gobelins  à 
Paris  doit  son  nom  à  quelijucs  follets  qui, 
dans  l'origine,  venaient  travailler  avec  les 
ouvriers  et  leur  apprendre  à  faire  de  beaux 
tapis.  C'est  d'eux,  ajoute-l-on,  qu'on  lient  le 
secret  des  riches  couleurs. 

On  appelait  Gobelin  ce  démon  d'Evreux 
que  saint  Taurin  expulsa,  mais  qui,  ayant 
montré  un  respect  p;srliculier  au  saint  exor- 
ciste, obtint  la  permission  de  ne  pas  retour- 
ner en  enfer,  et  continua  de  hanter  la  ville 
sous  diverses  formes ,  à  condition  qu'il  se 
contenterait  de  jouer  des  tours  innocents 
aux  bons  chrétiens  de  l'Eure. 

Le  Gobelin  d'Evreux  semble  s'être  ennuyé 
de  ses  espiègleries  depuis  (juo'ques  années, 
et  il  a  rompu  son  ban  pour  aller  tourmenter 
les  habitants  de  Caen.  L'un  de  ces  derniers 
hivers,  les  bourgeois  de  la  bonne  ville  do 
Guillaume  le  Bâtard  furent  souvent  effrayes 
de  ses  apparitions.  Il  séiait  affublé  d'une 
armure  blanche,  et  se  grandissait  jusqu'à 
pouvoir  regarder  à  travers  les  fenél^res  des 
étages  les  plus  élevés.  Un  vieux  général  ren- 
contra ce  diable  importun  dans  un  impasse 
et  le  défia,  mais  Gobelin  lui  répondit  :  —  Ce 
n'est  pas  de  toi  que  j'ai  reçu  ma  mission,  ce 
n'est  pas  à  toi  que  je  dois  en  rendre  com|>te. 
Le  général  ayant  insisté,  six  diables  blancs 
de  la  même  taille  sortirent  tout  à  coup  de 
terre,  et  le  général  jugea  prudent  do  J)a(tre 
en  retraite  devant  le  nombre.  Le  journal  du 
département  rendit  justice  à  son  courage  : 
mais  le  général  n'eut  pas  moins  besoin  de 
se  faire  saigner  par  le  docteur  Vastel.  Voy. 
LoTiNs,  Follets.  Kobold,  etc. 

GOBES.  On  appelle  gobes,  dans  la  campa- 
gne, des  boules  sphériques  que  l'on  trouve 
quelquefois  dans  l'estomac  des  animaux  ru- 
minants, et  qui  sont  formées  de  poils  avalés 
spontanément,  mêlés  de  fourrages  et  agglu- 
tinés par  les  sucs  gastriqU'S.  On  jcrsuaderait 
difficilement  à  la  plupart  des  gens  de  la 
campagne,  que  ces  boules  ne  sont  pas  l'effet 
d'un  sort  (3). 

GODESLAS.  Lorsqu'on  prêcha  la  première 
croisade  dans  le  diocèse  di;  Lii'f^c ,  une 
bulle  permettant  aux  vieiilaids  et  aux  infir- 
mes de  s'exempter  du  voyage  de  Terre-Sainte 
moyennant  une  certaine  contribution  ,  un 
meunier ,  nonuné  Godeslas  ,  qui  était  en 
même  temps  riche,  vieux  et  usurier,  s'arran- 
gea de  manière  qu'il  ne  donna  que  cinq 
marcs  d'argent  pour  avoir  la  liberté  de  rester 
à  son  moulin.  Ses  voisins  rapportèrent  à  celui 
qui  levait  l'impôt  que  le  meunier  Godeslas 


(2)  Wiprus,  In  Pseudonionarchiadxinon. 

{Z)  Sali{ues,  des  lirreurs  et  des  préjugés,  i.  II. 


p.  U. 


pouv.iit  donner  quarante  mnrcs  sans  se  gê- 
ner, et  sans  ilitninucr  l'Iiérilage  de  ses  en- 
fants; mais  il  soulinl  le  contraire,  el  per- 
suadas! bien  le  dispensateur,  qu'on  le  laissa 
tranquille.  Son  imposture,  dit  la  légende,  fut 
punie. 

Un  soir  que,  dans  le  cabaret,  il  avait  raillé 
les  pèlerins  qui  faisaient  le  saint  voyage, 
leur  disant  :  —  Il  faut  convenir  que  vous 
êtes  fous  d'aller  traverser  les  mers  el  risquer 
votre  vie,  tandis  que,  pour  cinq  marcs  d'ar- 
gent, je  reste  dans  ma  maison,  et  que  j'aurai 
autantde  mérite  que  vous  ;  —  il  advint  ce  qui 
suit  : 

De  retour  en  son  logis,  le  meunier  s'étant 
couché ,  entendit  tourner  la  moule  de  son 
moulin  ,  el  toute  la  machine  se  mettre  en 
mouvement  d'elle-même,  avec  le  bruit  accou- 
lunié.  Il  appela  le  garçon,  et  lui  dit  d'aller 
voir  qui  faisait  tourner  le  moulin.  Celui-ci  y 
alla,  mais  il  fut  si  effrayé,  qu'il  rentra  sans 
Irop  savoir  ce  qu'il  avait  vu.  —  Ce  qui  se 
passe  dans  voire  moulin  m'a  tellement  épou- 
vanté, répondil-il,  que,  quand  on  m'assora- 
nurait,  je  n'y  retournerais  point. 

—  Fût-ce  le  diable,  s'écria  le  meunier,  j'i- 
rai et  je  le  verrai. 

Il  saute  donc  à  bas  du  lit;  il  met  ses  chaus- 
ses, il  ouvre  la  porte  de  son  moulin,  il  entre 
et  voit  deux  grands  chevaux  noirs  gardés  par 
un  nègre,  qui  lui  dit  :  —  Monte  ce  cheval,  il 
est  préparé  pour  loi. 

Le  meunier,  tremblant,  cherchait  à  s'es- 
qui>er;  le  diable  lui  cria  d'une  voix  terrible: 
—  Plus  de  relard  I  ôte  ta  robe,  el  suis-moi... 

Or,  Godeslas  portait  une  petite  croix  atta- 
chée à  sa  robe;  il  ne  réfléchit  point  que  ce 
signe  le  garantissait;  il  ûl  ce  qu'on  lui  com- 
mandait, et  grimpa  sur  le  cheval  noir,  ou 
pluiôi  sur  le  démon  qu'on  lui  disait  de  monter. 
Le  diable  se  jela  sur  l'autre  cheval,  et  ces 
quatre  personnages  s'éloignèrent,  allant  aux 
enfers.  Là  on  fit  voir  au  meunier  une  chaise 
enflammée,  où  l'on  ne  pouvait  attendre  ni 
tranquillité,  ni  repos,  et  on  lui  dit  :  —  Tu 
vas  retourner  dans  ta  maison,  lu  mourras 
dans  Irois  jours,  et  lu  reviendras  ici  pour  y 
passer  l'éternité  tout  entière  sur  cette  chaise 
brûlante. 

A  ces  paroles,  le  diable  reconduisit,  Go- 
deslas à  son  moulin.  Sa  femme,  qui  trouvait 
son  absence  longue,  se  leva  enfin,  el  fui 
éionnée  de  le  voir  étendu  sur  le  carieau, 
mourant  de  peur.  Comme  il  parlait  de  l'enfer, 
du  diable,  de  la  mort,  d'une  chaise  ardente, 
on  envoya  chircher  un  prêtre  pour  le  rassu- 
rer. —  Je  n'ai  pas  besoin  de  me  confesser, 
dit-il  au  prêtre,  mon  sort  est  fixé.  Ma  chaise 
est  prêle,  ma  mort  arrive  dans  trois  jours; 
ina  peine  est  inévitable.  —  lit  ce  malheu- 
;reux  mourut  sans  vouloir  se  reconnaître  (1). 
GODWIN,  —  écrivain  anglais  qui  a  pu- 
blié la  Vie  des  Nécromanciens ,  ou  histoire 
des  personnages  les  plus  célèbres  auxquels 

(1)  Osarii  Heisterbach.  de  Conlriiione,  lib.  2  Mirac. 
où.  7.  ' 

12)  (.('loyer,  Hist.  des  spectre» OU  apiar.  des  esprits, 
cil.  11 ,  p.  536. 


GON 


7.^* 


on  a  attribué,  dans  les  différents  âge»,  une 
puissance  surnaturelle. 

GOETHE,  auteur  du  drame  de  Fa««f.  Voy. 
Faust. 

GOÉTIE,  art  d'évoquer  les  esprits  malfai- 
sanls,  pendant  la  nuit  obscure,  dans  des  ci- 
vernes  souterraines  à  la  proximilé  des  tom- 
beaux et  des  ossements  des  morts,  avec  sa- 
crifice de  victimes  noires,  herbes  magiques, 
lamentations ,  gémissements  et  offrande  dt; 
jeunes  enfants  dans  les  entrailles  desquels  on 
cherchait  l'avenir.  Voy.  Théurgie. 

GOGUIS,  démons  de  forme  humaine  qui 
accompagnent  les  pèlerins  du  Japon  dans 
leurs  voyages,  les  font  entrer  dans  une  ba- 
lance el  les  contraignent  de  dire  leurs  pé- 
chés. Si  les  pèlerins  taisent  une  de  leurs 
f;iutes  dans  cet  examen,  les  diables  font  pen- 
cher la  balance  de  sorte  qu'ils  ne  peuvent 
éviter  de  tomber  dans  un  précipice  où  ils  se 
rompent  tous  les  membres  (2). 

GOHORRY  (Jacques),  écrivain  alchimiste. 

Voy.  Fl.AMEL. 

GOITKES.  Le»  Arabes  prétendent  guérir 
cette  infirmité  avec  des  amulettes.  Le  docteur 
Abernelhy,  que  l'on  consultait  sur  la  manière 
de  dissiper  un  goitre,  répandit  :«  Je  crois 
que  le  meilleur  topique  serait  de  siffler...  » 

GOMORY,  fort  et  puissant  duc  des  enfers; 
il  apparaît  sous  la  forme  dune  femme,  une 
couronne  ducale  sur  la  tête,  et  monté  sur  un 
chameau;  il  répond  sur  le  présent,  le  passé 
el  l'avenir;  il  fait  découvrir  les  trésors  ca- 
chés; il  commande  à  vingt-six  légions  (3). 

GONDERIC,  roi  des  Vandales,  qui  fut,  à 
l'exemple  de  Geyseric  et  de  Bucer,  éventré 
par  le  diable,  et  dont  l'âme,  selon  les  chro- 
niqueurs, fut  conduite  en  enfer  (4). 

GONIN.  Les  Français  d'autrefois  don- 
naient le  nom  de  maître-gonin  à  leurs  petits 
sorciers,  charmeurs,  escamoteurs  et  faiseurs 
de  tours  de  passe-passe  (5). 

CONTRAN.  Helinand  conte  qu'un  soldat 
nommé  Gontran,  de  la  suile  de  Henry,  ar- 
chevêque de  Reims,  s'étant  endormi  en  pleine 
campagne,  après  le  dîner,  ci>mme  il  dormait 
la  bouche  ouverte,  ceux  qui  l'accompa- 
gnaient,etqui  étaientéveillés,  virentsorlirdo 
sa  bouche  une  bêle  blanche  semblable  à  une 
petite  belette,  qui  s'en  alla  droit  à  un  ruis- 
seau assez  près  do  là.  Un  homme  d'armes  la 
voyant  monter  et  descendre  le  bord  du  ruis- 
seau pour  trouver  un  passage,  lira  son  ép'ée 
et  en  fit  un  petit  pont  sur  lequel  elle  passa  el 
courut  plus  loin.... 

Peu  après,  on  la  vit  revenir,  et  le  même 
homme  d'armes  lui  fit  de  nouveau  un  pont  de 
son  épée.  La  bêle  passa  une  seconde  fois  el 
sen  retourna  à  la  bouche  du  dormeur,  où 
elle  rentra.... 

Il  se  réveilla  alors  ;  el  comme  on  lui  de- 
mandait s'il  n'avait  point  rêvé  pendant  son 
sommeil,  il  répondit  qu'il  se  trouvait  fatigué 
et  pesant,  ayant  fait  une  longue  course  <■! 
passé  deux  fois  sur  un  pont  de  fer. 

Wierus.  In  Psi'ud.omon.  daeinonum. 

Detancre  ,  'i'abl.  de  rincoiii>tanco  des  démons,  «ic. 


[S)  Bodin,  DéiDOUomunitf,  p.  1<8. 


niCTlONNAlKE  DES  SCIENCES  OCCILTRS. 


7Ô6 


Mais  ce  qui  est  p'us  merveilleux,  c'est  (ju'il 
alla  par  le  chemin  qii'arail  suivi  la  belette; 
qu'il  bêcha  au  pied  d'une  petite  colline  et 
qu'il  déterra  un  trésor  que  son  âme  avait  vu 
en  songe. 

Le  diahle,  dit  Wierus,  se  sert  souvent  de  ces 
machinations  pourtromperleshommesetleur 
fdire  croire  que  l'âme,  quoique  invisible,  est 
corporelle  et  meurt  avec  le  corps;  car  beau- 
«ioup  de  gens  ont  cru  que  cette  bête  blanche 
était  l'âme  de  ce  soldat,  tandis  que  c'était  une 
imposture  du  diable.... 

GOO,  épreuve  par  le  moyen  de  pilules  de 
papier  que  les  jammabos,  fakirs  du  Japon, 
font  avaler  aux  personnes  soupçonnées  d'un 
Yol  ou  de  quelque  autre  délit.  Ce  papier  est 
rempli  de  caractères  magiques  et  de  repré- 
sentations d'oiseaux  noirs;  le  Jammabos  y 
met  ordinairement  son  cachet.  Le  peuple  est 
persuadé  que  si  celui  qui  prend  cette  pilule 
est  coupable,  il  ne  peut  la  digérer  et  souffre 
cruellement  jusqu'à  ce  qu'il  confesse  son  cri- 
me. Voy.  Khcmano-Goo. 

GORSON,  l'un  dos  principaux  démons,  roi 
de  l'Occident;  il  est  visible  le  matin  à  neuf 
heures  (1). 

GOUFFRES,  on  en  a  souvent  fait  des  ob- 
jets d'effroi.  Sur  une  montagne  voisine  de 
Villefranche  ,  on  trouve  trois  gouffres  ou 
étangs  considérables,  qui  sont  toujours  le 
théâtre  des  orages;  les  habitants  du  pays 
croient  que  le  diable  est  au  fond,  et  qu'il  ne 
faut  qu'y  jeter  une  pierre  pour  qu'il  s'élève 
aussitôt  sur  ces  étangs  une  tempête. 

GOUL,  espèce  de  larves  ou  sorcières-vam- 
pires qui  répondentauxcmpuses  des  anciens. 
C'est  la  même  chose  que  ghole. 

GOULEHO,  génie  de  la  mort  chez  les  habi- 
tants des  iles  des  Amis.  Il  gouverne  une  sorte 
de  royaume  sombre  où  se  rendent  les  âmes. 
GRAA,  sorte  d'immortelle  (plante)  que  les 
Islandais  employaient  autrefois  à  la  magie, et 
qui  servait  aussi  à  écarter  les  sorciers. 

GRAINS  BENITS.  On  se  sert  encore  dans 
les  campagnes  (et  celte  coutume  est  désap- 
prouvée par  l'Eglise  comme  superstitieuse  ) 
de  certains  grains  bénits  qui  ont  la  propriété 
de  délivrer  les  possédés  par  l'attouchement, 
d'éleiudre  les  incendies  et  les  embrasements, 
de  garantir  du  tonnerre,  d'apaiser  les  tem- 
pêtes, de  guérir  la  pesie,  la  flèvre,  la  para- 
lysie, de  délivrer  des  scrupules,  des  inquié- 
tudes d'esprit,  des  tentations  contre  la  fui,  du 
désespoir,  des  magiciens  et  dts  sorciers  (2). 
GRAINS  DE  BLE,  divination  du  jour  de 
Noël.  Dans  plusieurs  provinces  du  Noid,  on 
fait,  le  jour  de  Noël,  une  cérémonie  qui  ne 
«toit  pas  manquer  d'apprendre  au  juste  com- 
bien on  aura  de  peine  à  vivre  dans  le  courant 
de  l'année.  Les  paysans  surtout  pratiquent 
cette  divination.  On  se  rassemble  auprès  d'un 
grand  feu,  on  fait  rougir  une  plaque  de  fer 
ronde,  et,  lorsqu'elle  est  brûlante,  on  y  place 
douze  grains  de  blé  sur  douze  points  mar- 
(|ués  à  la  craie,  auxquels  on  a  donné  les 
noms  des  douze  mois  de  l'année.   Chaque 

(1)  Wierus,  l'seudom.  d;Ern..  p.  931. 

(i)  Lebrun,  Hisl.  des  siiiiuratiiioiis,  l.  t",  p.  397. 

Î3)  ïriuiiijilie  dtt  l'AïQOur  divin  ïur  it.:>  puisbuucct  da 


grain  qui  brûle  annonce  disette  et  rherlé  dans 
le  mois  qu'il  désigne;  et  si  Ions  les  grains 
disparaissent,  c'est  le  si-;ne  assuré  d'une  an- 
née de  misères.  Triste  divinalinnl 

GKAISSK  DKSSOKCIERS.  On  assure  que  la 
diable  se  sert  de  graisse  humaine  pour  ses 
maléfices.  Les  sorcières  se  frotlent  de  cette 
graisse  pour  aller  au  sabbat  par  la  chemi- 
née; mais  celles  de  France  croient  qu'en  se 
mettant  un  balai  entre  les  jambes,  elles  sont 
transportées  sans  graisse  ni  onguents.  Celles 
d'Italie  ont  toujours  un  bouc  à  la  porte  pour 
les  transfiorler. 
GRALO.V.  Voy.  Is. 

GKANUIER  (  UubiiN).  L'histoire  d'Urbain 
Grandier  est  encore  une  de  ces  tristes  intri- 
gues dont  nous  n'avions  pas  eu  jns(|u'i(i  la 
clef.  La  relation  des  possessions  où  il  fut  itn- 
pliqué  a  été  entreprise  par  plusieurs  écii- 
vains,  presque  tous  ignorants  ou  malinlen- 
lionnés,  surtout  le  calviniste  Saint-Aubin, 
dont  V Histoire  des  diables  de  Loudun  -d  trompé 
beaucoup  de  monde.  Heureusement  aujour- 
d'hui nous  avons  d'autres  guides.  On  a  pu- 
blié en  1839,  du  bon  et  pieux  père  Surin,  un 
livre  jusque-là  resté  inédit  (3),  et  qui,  laissé 
par  un  témoin  irréprochable, nous  permettra 
d'être  plus  véridique. 

Un  couvent  d'UrsuIines  avait  été  élabli  à 
Loudun  en  1(J2G.  Sept  ans  après,  il  y  éclata  de 
sinistres  symptômes.  Il  y  avait  en  de  grands 
procès  entre  d(^ux  chanoines  de  la  collégiale 
de  Sainte-Croix  de  Loudun.  L'un  était  M.  Mi- 
gnon, homme  sage  et  vertueux,  el  l'autre  Ur- 
bain Gratidier,  homme  lettré,  spirituel,  caus- 
tique et  plus  dissipé  que  ne  comportait  sa 
condition,  comme  disent  les  écrits  du  temps. 
Il  se  répandait  dans  le  monde,  n'affectait  pas 
des  mœurs  fort  rigoureuses,  et  faisait  sous  le 
voile  de  l'anonyme  des  chansons  et  des  pam- 
phlets; ce  qui  convient  assez  p 'U  à  un  prê- 
tre. On  lui  attribue  la  brochure  politique 
intitulée  la  Cordonnière  de  Loudun,  petit  écrit 
dirigé  contre  Richelieu. 

Mignon,  généralement  reconnu  pour  un 
homme  de  bien,  fut  choisi  par  les  religieuses 
pour  la  direction  de  leurs  consciences.  Gran- 
dier, qui  eût  voulu  avoir  accès  auprès  de  ces 
dames,  échoua  dans  tous  ses  efforts  :  aucune 
ne  voulut  même  le  voir.  La  haine  qu'il  por- 
tait à  Mignon  et  le  dépit  qu'il  conçut  dès- 
lors  contre  les  Ursulines  l'entrainôieut  dans 
une  manœuvre  dont  on  ne  le  croyait  pas  ca- 
pable. Le  procès  qui  survint  l'on  convain- 
quit, bien  qu'il  n'ait  jamais  avoué  que  son 
fait  fût  une  œuvre  de  nsagie  noire. 

Citons  ici  une  réllexion  de  l'éditeur  du  li- 
vre que  nous  suivons  (4)  :  «  Le  principal  mo- 
tif qui  faisait  nier  la  possession  de  Loudun, 
était  l'irupossibilité  ou  l'ubsurdilé  prétendue 
des  phénomènes  allégués  on  preuve.  Cette  im- 
possibilité ou  cetteabsurdité  peut-elle  être  lé- 
gitimement opposée,  maintenant  que  les  plus 
incrédules  reconnaissent,  ou  du  moins  n'o- 
sent pas  contester  la  réalité  de  tant  d'auires 
phénomènes  analogues,  tout  aussi  extruor- 

l'enfcr.  Avignon,  Scsnin  allié,  1859.  I  vol.  in-12. 
(4)  iriuniplic  de  l'Amour  divin,  etc.  Avis  de  l'&liuur 

(I.  XI. 


757 


GRA 


CRA 


7, M! 


(liiiaii'cs,  tout  aussi  biziirres,  lout  aussi  pro- 
digieux, ijui,  dil-on,  se  produisent  chaque 
jour  par  le  moyen  du  luagnélisme?  » 

Donc,  pour  Irunchor  le  mot,  Urbain  Gran- 
dier  résolut,  non  pas  de  magnétiser  les  Ursu- 
lines  (le  mot  n'existait  pas  encore),  mais  de 
les  ensorceler,  de  leur  donner  des  diables,  de 
les  rendre  possédées,  de  les  livrer  à  des  con- 
vulsions, et  d'amener  surtout  cet  effet  qu'el- 
les devinssent  éprises  de  lui,  quoiqu'elles  ne 
le  connussent  pas.  Il  exécuta  son  dessein  de 
cette  sorte  :  une  branche  de  rosier  chargée 
de  plusieurs  roses  charmées  (  les  magnéti- 
seurs comprendront  parfaitement  ce  fait)  fut 
jetée  dans  le  couvent.  Toutes  celles  qui  les 
llairèrenl  furent  saisies  d'esprits  malins,  et 
livrées  à  un  ensorcellement  qui  les  faisait  sou- 
pirer après  Urbain  Grandier,  qu'elles  n'a- 
vaient jamais  vu,  —  Dieu  permettant  ainsi 
cette  plaie  et  cette  perturbation  de  leurs  sens, 
pour  des  raisons  que  nous  n'avons  ni  le 
droit  ni  le  besoin  d'approfondir.  Elles  étaient 
comme  en  démence,  se  retiraient  dans  les 
lieux  écartés,  appelaient  Grandier;  el  lors- 
que, soit  par  une  hallucination,  soit  par  un 
acte  de  Satan,  la  figure  imaginaire  ou  réelle 
de  Grandier  paraissait  devant  elles  subite- 
ment, elles  le  fuyaient  avec  horreur;  car  le 
cœur  de  ces  pauvres  filles  restait  pur;  leurs 
sens  étaient  seuls  assiégés. 

Aucune  d'elles  ne  consentit  jamais  aux 
suggestions  qui  les  éprouvaient. 

Klignon,  assisté  d'un  sage  curé,  exorcisa  la 
prieure,  qui  était  en  proie  à  d'étranges  cri- 
ses, el  dont  le  corps  parfois  restait  élevé  de 
terre  par  une  puissance  occulte.  La  chose  fit 
bientôt  tant  de  bruit,  qu'on  dut  la  déférer 
aux  magistrats  ordinaires.  Le  roi  même,  in- 
struit de  ce  qui  se  passait ,  ordonna  à  Martin 
de  Laubardemont,  intendant  de  la  justice 
dans  la  province,  de  prendre  la  conduite  du 
procès. 

Cet  homme,  trop  noirci,  mit  dans  l'instruc- 
tion la  lenteur  et  la  modération  la  plus  loua- 
ble. Il  assembla  pour  juger  un  cas  si  grave 
quatorze  juges  de  divers  présidiaux  voisins, 
Poitiers,  Angers,  Tours,  Orléans,  Chinon, 
La  Flèche,  etc.  Un  bon  religieux  récollet,  le 
père  Lactance,  exorcisait  les  possédées  en 
présence  de  l'évèque  de  Poitiers  et  d'un 
grand  concours  d'hommes  éclairés,  pendant 
«lue  les  juges  recueillaient  les  dépositions  à 
la  charge  de  Grandier.  Ou  trouva  sur  son 
corps,  chose  singulière  I  les  marques  dont  les 
sorciers  ne  manquaient  jamais  d'être  tatoués. 
11  fui  démontré  qu'il  était  l'auteur  de  la  pos- 
session des  pauvres  sœurs;  et  quand  même 
il  n'eût  pas  été  sorcier,  l'enquête  eût  prouvé 
du  moins  sa  mauvaise  vie  el  ses  mauvaises 
mœurs.  On  saisit  dans  ses  papiers  un  livre 
scandaleux  qu'il  écrivait  contre  le  célibat 
des  prêtres.  Mais  on  n'y  trouva  pas,  comme 
l'ont  dit  de  mauvais  plaisants,  l'original  du 
pacte  qu'il  avait  pu  faire  avec  le  diable;  et 
les  pièce»  qu'on  a  publiées  dans  ce  genre  ont 
élé  fabriquées  après  coup. 

Grandier  fredonnait  dans  sa  prison  une 
chanson  du  temps  :  L'heureux  séjour  de  Par- 
Ihtnice  et  d'Alidor,  lorsqu'on  vint  lui  annon- 


cer qu'il  était  condamné  au   feu;  ce  qui  fut 
exécuté  sur  le  grand  marché  de  Loudun. 

Une  bande  de  coibeaux,  dont  quelques- 
uns  ont  fait  une  troupe  de  pigeons,  volti- 
geait autour  du  bûcher.  Il  paraît  qu'il  mourut 
m:il. 

Après  sa  mort,  la  possession  n'étant  pas  vain- 
cue, les  exorcismes  continuèrent. Lcsdémons 
qii'il  fallait  chasser  sont  nommés  :  Asmodée, 
Lévialhan,  Béhémoth,  Elimi,  Grésil,  Aman, 
Basas,  Astaroth,  Zabulon,  etc.  Le  père  Lac- 
tance mourut  de  fatigue;  il  fut  remplacé  par 
le  père  Dupin;  et  enfin  le  roi  chargea  des  jé- 
suites de  dompter  cette  hydre.  Un  très-saint 
homme  et  très-instruit,  le  père  Surin,  qui 
prêchait  avec  grands  succès  à  Maronnes,  fut 
délégué  à  cette  opération  difficile.  C'était  un 
homme  frêle  et  maladif,  mais  d'une  grande 
piété.  Il  finit  par  obtenir  une  victoire  com- 
plôie.  Toutefois  il  ne  sortit  pas  de  cette  lutle 
sans  en  porter  de  rudes  cicatrices;  car  pen- 
dant longues  années,  par  la  permission  de 
Dieu,  dont  les  secrets  ne  nous  sont  pas  tous 
connus,  le  père  Surin  vécut  obsédé  et  souffrit 
des  peines  qui  ont  fait  de  sa  vie  un  martyre. 
Voy.  son  livre  que  nous  avons  indiqué. 

GllANGE  DU  DIABLE.  On  voit  encore,  à 
la  ferme  d'Hamclghem  ,  qui  appartient  à 
M.  d'Hoogsvorth ,  et  qui  est  tenue  par 
M.  Sierckx  ,  frère  de  rarclievôquo  de  Ma- 
lines,  ferme  dépendante  de  la  commune  d'Os- 
selt,  entre  Meysse  et  Ophem,  à  une  bonne 
lieue  de  Vilvorde ,  à  trois  lieues  de  Bruxelles  ; 
en  allant  par  Laeken  ,  on  voit ,  dis-je  ,  dans 
cette  ferme  une  grange  ,  qui  passe  pour  la 
plus  vaste  du  pays  ,  mais  qui  en  est  assuré- 
ment la  plus  remarquable  ,  el  qu'on  appelle 
la  Grange  du  Diable  [DayveVs  dak). 

Voici  l'histoire  de  celle  grange  ,  qui  n'est 
appuyée  au  reste  que  sur  des  récits  populaires. 
Il  est  vrai  que  ces  récits  ont  élé  peu  contestés, 
et  que  la  tradition  orale,  qui  a  conservé  l'ori- 
gine et  le  nom  de  la  Grange  du  Diable  ,  est 
une  croyance  à  peu  près  universelle  dans  la 
contrée. 

11  y  a  longtemps  que  cette  grange  est  de- 
bout ;  ceux  qui  l'ont  vu  construire  ne  sont 
plus  de  ce  monde.  11  no  nous  a  pas  élé  pos- 
sible de  découvrir  l'époque  précise  où  elle 
fut  bâtie.  Alors  la  ferme  d'Hamelgbem  était 
occupée  par  un  homme  laborieux  et  actif, 
qui  se  nommait  Jean  Moulens.  Il  vivait  heu- 
reux ,  du  produit  de  sa  forme  ,  qu'il  cultivait 
avec  ses  frères  dont  il  était  l'appui.  Il  avait 
épousé  une  jeune  femme  qu'il  aimait,  et  qui 
pour  la  seconde  fois  était  enceinte;  les  mois- 
sons étaient  venues  riches  et  abondantes  ; 
rarement  il  s'était  présenté  une  année  aussi 
belle;  les  récoltes  étaient  splendides  ;  la  si- 
tuation de  Jean  était  prospère ,  et  son 
sort  digne  d'envie  ,  lorsque  par  une  cruelle 
nuit  du  mois  d'août  ,  le  tonnerre  tomba  sur 
sa  grange,  et  la  réduisit  en  cendres,  sans  lais- 
ser un  débris  de  chevron. 

G  était  le  moment  où  l'on  allait  rentrer  les 
grains;  de  belles  moissons,  fruits  heureux 
d'une  année  de  travaux,  d'un  ciel  indulgeni, 
d'une  saison  magnifique,  étaient  amoncelées 
dans  les  champs  dépouillés.  Et  tout  à  coup  il 


;59 


DICTIONNAIRE  DES  SCIKNCES  OCCULTES. 


7ro 


l'iir  nirinqaai!  un  abri.  Jean  Meulcns  ,  qoi 
s'était  courbé  heureux  et  opulent ,  se  levait 
nvp»;  la  cruflie  perspective  d"uiie  ruine  rom- 
plèle  ;  car  toute  sa  fortune  était  là  ,  expo>éc 
aux  pluies  et  à  i'orage  ;  il  n'était  riche  que  de 
ses  récoltes.  Il  n'avait  pas  d'argi-nl  pour  re- 
faire une  construction  assez  vaste.  Kl  quand 
mémo  il  tût  tenu  une  bourse  bien  garnie  ,  il 
n'avait  plus  le  temps  d>!  faire  bâtir.  Le  mois 
de  septembre  approciiailà  grands  pas  ,  ame- 
nant la  saison  des  pluies.  Jenn  ne  savait  à 
qui  recourir,  à  quel  saint  se  vouer,  ni  quelle 
résolution  prendre. 

Trois  jours  après  l'incendie  de  sa  grange, 
n'ayant  pu  jusque-là  que  se  désoler  ,  sans 
aviser  un  parti ,  Jean  se  promenait  seul ,  à 
rentrée  de  la  nuit ,  sur  un  chemin  croisé  ,  à 
quelque  distance  de  sa  maison  ,  rêvant  Iris- 
Icmcnt  à  la  situation  embarrassante  où  il  se 
irouvail ,  lorsqu'il  vit  venir  à  lui  un  homme 
de  moyenne  taille,  vêtu  de  velours  giis  de 
fer,  avec  un  chapeau  à  cornes  galonné  d'ar- 
{;rnl,  les  pieds  courts  ,  difformes  ,  emboîiés 
(laiis  de  légères  bottines,  les  mains  couvertes 
de  gants  noirs,  et  marchant  si  lestement  que, 
dans  l'ombre  du  crépuscule,  il  paraissait  glis- 
ser sur  le  chemin  de  traverse. 

Il  s'approcha  de  Jean  ,  le  salua  avec  poli- 
tesse et  lui  demanda  le  chemin  de  Meysse. 

—  Nous  n'en  sommes  pas  loin  ,  dit  le  fer- 
mier en  sortant  de  sa  rêverie  ;  je  vais  vous  y 
conduire. 

L'inconnu  remercia  vivement  ;  il  fit  à  son 
guide  diverses  questions  qui  témoignaient  de 
i'inlérêt  pour  lui.  Jean  répondait  assez  vague- 
ment. Il  y  avait  quelque  chose  qui  le  glaçait 
dans  l'extrême  pâleur  de  l'étranger  ,  et  dans 
SCS  regards  fixes  et  ardents.  Il  semblait  pour- 
tant s'apercevoir  si  bien  des  inquiétudes  du 
fermier  ,  que  s'arrêtant  tout  à  coup  au  pied 
d'un  vieux  noyer  séculaire,  en  s'appuyanl  sur 
sa  canne  pesante ,il  lui  demanda  d'une  manière 
formelle,  le  sujet  des  soucis  qui  paraissaient 
le  dévorer.  Jean,  subjugué  en  quelque  sorte, 
n'hésita  plus.  Il  conta  à  l'inconnu  toute  sa 
peine. 

—N'est-ce  que  cela  ?  dit  lentement  l'homme 
velu  de  gris.  Il  fallait  le  dire  plus  tôt.  Je  suis 
ri(  he  et  puissant  ;  je  puis  vous  tirer  du  pas 
fâcheux  où  vous  êtes. 

— Oh  1  soyez  béni ,  si  vous  le  faites  ,  répIi' 
qua  le  feruiier,  à  ces  paroles  consolantes,  je 
ne  l'oublierai  de  ma  vie;  et  Dieu  vous  verra. 

L'inconnu  tressaillit;  il  baissa  les  yeux, 
garda  un  moment  le  silence.  Puis  reprenant 
la  parole,  comme  s'il  eût  fait  un  effort  : — Je 
puis  fournir  aux  frais  de  la  construction  de 
votre  grange,  dit-il,  et  vous  la  faire  même  si 
belle  ,  qu'elle  sera  la  plus  grande  du  pays. 

—J'aurais  besoin  qu'elle  fûtgrandeen  effet, 
répliqua  Jean;  mais  le  temps  presse.  Com- 
ment avoir  fini  assez  tôt? 

— J'ai  des  ouvriers  en  nombre  suffisant. 
S'il  le  faut,  elle  sera  terminée  demain  malin, 
avant  le  lever  de  l'aurore  ,  avant  le  premier 
chant  du  ruq. 

Le  fermier  recula  de  surprise.  Il  se  de- 
manda en  lui-même  qui  pouvait  être  cet 
homme?  Il  avait  ouï  parler  d'entrepreneurs 


habiles.  Jan)ais  une  activité  comme  celle 
qu'on  lui  offrait  ne  lui  avait  semblé  possible. 

— L't  quel  prix  mcltez-vous  à  ce  service  ? 
demanda-t-il  ;  car  je  dois  aller  selon  mes 
forcrs. 

— Un  (irix  assez  modeste,  répondit  l'étran- 
ger. Je  suis  un  original  ,  et  j'ai  mes  idées. 
V^ous  me  donnerez  votre  second  fils  ,  qui  va 
bientôt  naître. 

— Vous  donner  mon  fils  1  dites-vous ,  et 
qu'en  voulez-vous  faire? 

— il  sera  sous  n)os  orilres  ,  j'en  prendrai 
soin.  Que  pouvez-vous  craindre  ,  en  le  con- 
fiant à  un  seigneur  puissant  qui  vous  enrichit? 

—  l'ardon,  interrompit  le  fermier.  Où  peu- 
vent être  vos  domaines  ? 

— Nous  y  serions  en  moins  d'une  heure, si 
nous  allions  un  peu  vile. 

Le  fermier  garda  de  nouveau  le  silence. 
Puis  il  dit:— Je  ne  puis  donner  mon  enfant. 

— Rélléihissez  ,  répli^iua  froidement  l'in- 
connu ;  et  revenez  ici  dans  trois  jours. 

Jean  rentra  chez  lui,  excessive  ment  préoc- 
cupé. Il  ne  dit  rien  à  sa  femme  ,  rien  a  per- 
sonne ;  mais  il  ne  dormil  pas  de  loule  la  nuit. 
Il  se  creusa  la  tête  à  chercher  qui  pouvait 
être  cet  homme  extraordinaire.  Klail-ce  un 
prince?  un  riche  négociant?  un  sorcier?  uu 
démon  ?  Il  repoussa  ces  dernières  supposi- 
tions ,  i-'our  s'attacher  à  l'idée  qu'il  avait 
aff;îire  à  quelque  seigneur  capricieux.  H  se 
sentait  de  trop  tendres  entrailles  de  père  pour 
livrer  cependant  ainsi  son  fils  au  hasard  ;  il 
se  promitdene  pas  retourner  au  rendez-vous. 

Mais  le  second  jour  ,  un  grand  orage  vint 
encore.  Des  torrents  de  pluie  fondirent  sur 
la  terre.  Les  récolles  qui  restaient  sans  abri  en 
souffrirent  cruellement.  Jean  pleura  de  dou- 
leur ;  et  songeant  que  sa  femme  et  son  fils 
premier-né  allaient  bientôt  languir  dans  la 
misère  ,  il  vit  avec  moins  d'effroi  le  sacrifice 
de  son  second  enfant;  il  pensa  que  peut-être 
l'étranger,  qui  l'achetait  si  cher,  voulait  faire 
son  bonheur,  sa  fortune;  qu'il  avait  tort  de 
le  repousser;  et  il  arriva  au  rendez-vous  le 
premier. 

Ses  réflexions  étaient  amères.  11  était  pres- 
que nuit  sombre  ,  lorsqu'il  entendit  un  léger 
bruit  ;  les  feuilles  du  vieux  noyer  s'agitèrent 
brusquement, comme  s'il  eût  fait  un  vent  de 
tempête ,  quoique  l'air  fût  tout  à  fait  calme  ; 
et  aussitôt  Jean  vit  venir  à  lui  l'homme  au 
chapeau  galonné  d'argent. 

— Je  n'ai  qu'un  instant  à  vousdonner,  dil- 
il,  je  retourne  à  Vilvorde.Que  décidez-vous  ? 

— Je  ne  suis  pas  encore  maîlre  de  mou 
élonncment  ,  dit  le  fermier.  Vous  pourriez 
rebâtir  ma  grange  ,  et  la  faire  la  plus  vaste 
du  BrabanI,  et  l'avoir  finie  dans  la  nuit? 

— Avant  le  premier  chant  du  coq,  je  le 
répète.  Si  la  grange  n'est  pas  parfaite  ,  et  si 
jfe  uian(|ue  à  quelqu'une  de  mes  conventions, 
je  n'exigerai  pas  l'exécution  des  vôires. 

—Et  mes  blés  ,  que  les  pluies  viennent  de 
gâter  ,  vous  pourriez  les  faire  étendre  ,  les 
sécher,  les  rentrer? 

— Tout  se  fera  en  même  temps.  De  plus  , 
voici  une  bourse  qui  renferme  eu  or  1001)  flo- 


761 


GRA 


GRA 


7C'2 


iMis.  Snffira-t-elle  à  payer  les  dégâU  de 
l'orage  d'hier? 

— Oh  1  certainement ,  dit  le  fermier  avec 
des  palpitations. 

— Acceptez  donc  et  Gnissons-en 

— Mais,  mon  Olsl  encore  qu'en  voulez-vous 
faire? 

—Ce  que  je  fais  de  ceux  qui  vivent  sous 
mes  ordres  et  (jui  vont  construire  pour  vous. 

11  se  nt  un  silemu  nouveau;  après  quoi , 
Jean  Meulens  reprit: 

— Quand  faudra-t-ll  vous  le  remettre? 

— Je  viendrai  vous  le  demander. 

—Je....  je  consens,  dit  enfin  Jean,  avec  un 
long  soupir. 

— Signez  ceci  ;  et  tout  sera  fait ,  répliqua 
l'homme  ,  en  sortant  de  sa  poche  une  petite 
feuille  de  parchemin  ,  dont  l'extrême  blan- 
cheur faisait  ressortir  l'écriture  ,  dans  l'obs- 
curité qui  commençait  à  devenir  profonde. 

— Il  n'y  a  là  que  ce  que  nous  avons  dit? 
demanda  Meulens  d'une  voix  tremblante. 

— Pas  autre  chose...  Le  fermier  lut  cepen- 
dant ;   les  caractères  étaient  rouges  et  brll- 

I  nls.  Eu  même  temps  l'inconnu  présentait 
une  petite  plume  de  fer. 

—Mais  nous  n'avons  pas  d'encre  ,  dit  Jean 
Meulens. 

— C'est  vrai.  Nous  y  suppléerons. 

Aussitôt,  par  un  mouvement  si  vif  qu'on  eut 
pu  à  grainrpeine  le  remarquer, l'inconnu,  de 
la  poinie  de  sa  plume  de  fer  ,  piqua  la  main 
pauihe  du  fermier  sous  le  doigt  annulaire  ; 
un  peu  de  sang  en  jaillit.  Il  le  recueillit  dans 
le  bec  de  la  plume:  et  le  fermier  signa  d'une 
main  tremblante. 

Dès  (lu'il  eut  fini ,  l'étranger  serra  le  par- 
cheiDin  et  disparut,  comme  s'il  se  fût  envolé. 

Le  fermier  se  croyait  le  jouet  d'un  prestige. 

II  redevint  convaincu  que  son  aventure  était 
réelle,  en  sentant  sous  sa  main  la  bourse  de 
mille  florins.  Il  retourna  à  sa  maison,  moi- 
tié craignant,  moitié  espérant,  et  sentant 
dans  son  cœur  ce  trouble  inexprimable  que 
doit  éprouver  un  homme  qui ,  sans  savoir 
pourquoi,  u'est  pas  content  de  lui. 

il  était  nuit  nuire  lorsqu'il  rentra  dans  la 
cour  de  sa  ferme.  Il  la  trouva  déjà  remplie 
d'une  foule  de  petits  êtres  ,  minces  et  fluets  , 
mais  singulièremeut  agiles,  qui  portaient  des 
poutres  ,  des  briques  ,  du  chaume  ,  du  mor- 
tier, des  planches.  Ils  travaillaient  avec  une 
ardeur  incroyable,  et  dans  un  silence  si  pro- 
digieux, qu'on  les  voyait  scier,  fendre,  frap- 
per, sans  entendre  le  moindre  bruit.  Le 
ciment  des  bri(]ues  se  séchait  aussitôt  qu'il 
était  posé.  Ou  apercevait  leurs  travaux  ,  qui 
montaient  à  vue  d'œil ,  à  la  lumière  que  je- 
laienlleurs  visages,  d'uùsemblaient  jaillir  des 
lueurs  de  l'eu. 

Jean  Meulens  s'épouvanta.  Il  crut  remar- 
quer de  petitescornes  surle  fronldesouvriers 
lestes  qui  travaillaient  à  sa  grange.  Il  lui 
sembla  (fu'iis  avaient  des  griffes  au  lieu  de 
mains,  et  qu'ils  voltigeaient  plutôt  qu'ils  ne 
montaient  à  l'échelle. 

— Aurais-]*'  fait  pacte  avecle  démon  ?  dit- 
il  en  lui-même,  le  cœur  navré. 

Lu  rapidité  de  la  besogne  ({ui  se  laisait  sous 


ses  yeux, et  mille  petitescirconstances  inouïes 
ne  lui  permirent  bientôt  plus  d'en  douter. 
Fréinissanl  à  cette  pensée ,  désespéré  de 
l'horreur  d'avoir  vendu  son  fils  ,  il  ouvrit 
hors  de  lui  la  porte  de  sa  maison  ,  où  sa 
femme  l'attendait  pour  souper. 

Il  avait  les  traits  si  décomposés,  qu'elle  lui 
demanda  pourquoi  il  ne  montrait  pas  plus 
de  courage  ;  car  elle  attribuait  encore  sa  dou- 
leur aux  fléaux  dont  il  était  victime.  11  ne 
répondit  rien,  sinoa  qu'il  était  malade  et 
qu'il  ne  pouvait  rien  prendre.  La  pauvre 
jeune  femme  l'imita  ;  elle  pleura  des  peines 
de  son  mari  ,  et  après  une  demi-heure  de 
silence  pénible  ,  l'époux  et  la  femme  se  mi- 
rent au  lit. 

Le  fermier  ressentait  des  angoisses  qui 
l'étouffaient;  en  songeant  à  son  fils  qui  n'était 
pas  né  et  qui  devait  être  la  proie  du  démon,  il 
s'arrachait  les  cheveuxetfrappaitsa  poitrine 
pleine  de  sanglots.  Sa  douleur  était  si  éner- 
gique, que  sa  femme  ne  pouvant  en  soutenir 
plus  longtemps  le  spectacle,  lui  dit: 

— Jean  ,  il  y  a  quelque  chose  que  tu  me 
caches.  Tout  n'est-il  plus  commun  entre 
nous? 

Le  fermier  hésita  à  répondre.  Mais  enfin  , 
il  conta  tout  à  sa  femme,  la  rencontre  d- 
l'inconnu,  le  pacte  signé  ,  et  la  grange  qui 
s'élevait.  La  fermière  tressaillit  d'horreur. 
Elle  se  leva  et  fil  lever  son  mari.  Minuit  ve- 
nait de  sonner  dans  les  paroisses  voisines. 
En  mettant  le  pied  dans  leur  cour,  Jean  et 
sa  femme  virenlavec  terreurleur  vaste  grange 
achevée  ,  les  grains  rangés  ,  et  cent  ouvriers 
agiles  occupés  à  couvrir  le  toit  de  chaume 
avec  une  vitesse  effrayante.  Sans  perdre  un 
instant,  la  jeune  femme,  heureusement  ins- 
pirée,courut  à  la  portedu  poulailler  et  frappa 
dans  ses  mains.  Il  ne  restait  plus  au  haut  du 
toit  qu'un  troud'une  aune  à  fermer. La  botte 
de  chaume  qui  devait  le  clore  s'élançait , 
portée  par  un  agent  actif,  quand  aussitôt  le 
ci)i(  chanta.... 

Toute  la  bande  infernale  disparut  en  hur- 
lant.... 

Le  jour  vint  ;la  grange  était  complètement 
terminée,  sauf  le  trou  de  deux  pieds  de  dia- 
mètre ;  et  le  diable  avait  perdu. 

On  a  essayé  vainement  juscju'à  ce  jour  de 
fermer  l'ouverture  ,  laissée  au  haut  de  cette 
grange. Tout  ce  qu'on  y  met  le  jour  disparaît 
la  nuit.  Mais  cette  imperfection  n'a  rien 
d'incommode ,  si  ce  qu'où  ajoute  est  bien 
exact  ,  que  la  grêle  ,  la  neige  et  la  pluie  s'y 
arrêtent ,  comme  si  la  grange  était  close  par 
une  glace,  et  que  rien  ne  pût  passera  travers. 

Il  n'y  a  presque  pas  de  province  où  l'on 
ne  montre  dans  quelque  ferme  écartée  une 
grange  mal  famée  ,  qu'on  appelle  la  Grange 
du  diable. Parsuited'un  pacteavec  unpaysau 
dans  l'embarras ,  c'est  toujours  le  diable  qui 
l'a  bâtie  en  une  nuit,  et  partout  le  chant  du 
coq  l'a  fait  fuir  ,  avant  qu'il  n'eût  gagné  sou 
pari;  car  il  y  a  un  trou  qui  n'est  pas  cou- 
vert ,  ou  quelque  autre  chose  qui  manque  à 
toutes  ces  granges. 

Voici  une  autre  version  de  la  même  lé- 
gende (et  nous  pourrions  eu  citer  un  gruml. 


76j 


DICTIONNAIRE  DF.S  SCIKNCES  OCCULTES. 


7r>i 


«oinhre  )  ;  nous  cmprunlons  celle-ci  aux 
lirovietmdrs  d'un  antiquaire  dans  l'ancien 
duché  de  Brahant,  par  M.  Eugène  Gens. 

«  Il  y  a  à  Bicrljecck,  et  dans  tous  les  villa- 
ges enviroiinaiil<,  dans  un  rayon  Irès-étendu, 
une  loculion  qui  dit  ,  (|uand  un  travail  s'est 
exécuté  avec  une  grande  rapidité  :  «  Us  ont 
iravaillé  cunime  lus  diables  à  la  Grange- 
Bleue.  »  Or,  c'est  à  Bierbeeckque  s'est  passée 
riiisloire  ((ui  a  donné  lieu  à  ce  proverbe.  Le 
conte  fantastique  de  la  Grange-Bleue  est  po- 
pulaire dans  tout  le  Brabant;  il  a  bercé  l'en- 
fance de  tous  nos  campagnards,  et  la  terreur 
que  me  causait  son  récit  est  demeurée  avec 
la  complainte  de  Malborough,  parmi  les  plus 
vives  impressions  de  mes  premières  années. 
Celte  tradition  se  reproduit,  avec  de  légères 
variantes  ,  dans  beaucoup  de  pays  ;  mais  un 
fait  remarqualile,  c'est  que  la  Grange-Bleue 
de  Bierbeeck  est  célèbre  en  Allemagne  ;  les 
paysans  de  Bierbeeck  furent  Irèsélonncs, 
lors  de  l'invasion  des  alliés,  en  1814,  de  voir 
accourir  par  bandes  ,  chez  eux  ,  des  soldais 
autrichiens  et  prussiens  qui  venaient  rendre 
visite  à  leurGiange-Bleue.Uest  probable  que 
ce  furent  les  Autrichiens  qui  emportèrent 
cette  tradition  dans  leur  pays,  quand  ils  éva- 
cuèrent la  Belgique.  Le  génie  mystique  de 
l'Ailemagiie  s'en  est  emparé,  comme  d'une 
rêverie  d'Hoffmann  ou  de  Jean -Paul.  La 
voici  (elle  qu'elle  charma  plus  d'une  fois  les 
veillées  de  noire  enfance  ; 

La  Grange-Bleue. 

«  Il  y  avait  une  fois  un  paysan,  (rès-richc 
ei  très-avare  ,  qui  s'appelait  Walter.  Il  avait 
un  caractère  dur  et  bourru  (lui  le  faisait  dé- 
lester de  tous  ses  voisins  ;  jamais  il  n'avait 
donné  une  aumône  aux  pauvres  :  quand  ils 
s'adressaient  à  lui,  il  ne  les  accueillait  qu'a- 
vec des  blaspiièmes,  et  les  chassait  avec  du- 
reté. Quand  on  lui  disait  que  cela  lui  porte- 
rail  malheur  ,  qu'il  pourrait  bien  un  jour 
trouver  sa  ferme  en  flammes,  et  qu'à  chaque 
jurement  qu'il  faisait ,  le  diable  était  là  qui 
guettait  son  âme,  il  ne  faisait  que  rire  de 
ces  propos,  et  quant  au  diable  ,  disait-il,  il 
s'en  moquait.  Il  fallut  bien  cependant  qu'il 
reconnût  la  vérité  de  ces  sages  discours  : 
sou  avarice  faillit  occasionner  sa  perle,  si  la 
sainte  Vierge  n'avait  eu  pitié  de  sa  femme 
et  de  ses  enfants. 

«  Il  arriva  qu'une  année  ses  champs  fu- 
rent couverts  d'une  moisson  si  abondante  . 
que  le  temps  de  la  réi  olle  étant  arrivé,  il 
ne  sut  où  placer  tout  son  grain.  Déjà  s;i 
maison,  ses  greniers  et  sa  grange  étaient 
encombrés,  et  une  bonne  partie  restait  en- 
core dans  la  campagne.  Cependant  la  sai- 
son des  pluies  allait  approcher,  et  il  fal- 
lait bien  prendre  une  résolution.  Laisser 
pourrir  son  grain  dans  les  champs  était  chose 
impossible  ;  donner  son  superflu  aux  pau- 
vres était  un  acte  au-dessus  de  ses  forces,  et 
bâlir  une  nouvelle  grange  répugnait  à  son 
avarice  ;  et  d'ailleurs,  avant  qu'elle  n'eût  été 
faite,  les  pluies  auraient  détruit  son  blé  ;  al- 
ler demandera  un  vois'in  de  pouvoir  leplacer 
chez  lui,  c'eût  été  s'exposer  à  un  relus  cer- 


tain, car  il  n'ignorait  pas  que  lout  le  niomta 
le  délestait.  H  était  donc  dans  une  grande 
perplexité,  et  ne  savait  plus  où  donner  de  la 
léle. 

«  Un  soir  qu'il  s'en  revenait  seul  vers  le 
vill.ige.plus  sombre  encore  que  de  coutume,  il 
repassait  tristement  dans  sa  tête  toutes  les 
causes  di>  son  chagrin,  et  lout  à  coup  il  se 
tordit  les  poings  avec  rage  ,  frappa  la  terre 
avec  violence  et  laissa  échapper  un  épouvan- 
table blasphème.  Alors  il  entendit  un  éclat 
de  rirequi  retentit  derrière  lui;  il  se  retourna, 
et  il  vit  un  étranger  qui  avait  de  fort  beaux 
habits.  Celui-ci  l'aborda  en  riant  et  lui  dit  : 

«  — Camarade,  il  parait  que  tu  as  du  cha- 
grin cl  que  ta  patience  n'est  pas  longue. 

u  — Elle  l'est  si  peu,  répondit  Walter  avec 
colère,  que  je  n'ai  jamais  souffert  qu'on  se 
moquât  de  moi. — El  déjà  il  serrait  son  bâton 
en  signe  de  menace  ;  mais  quand  il  eut  ren- 
contré les  yeux  de  l'étranger,  son  bàlon  lui 
tomba  des  mains.  Il  continua  d'un  ton  brus- 
que :  —  Passez  votre  chc.uiu;  si  j'ai  du  cha- 
grin, cela  ne  regarde  que  moi  seul. 

«  —  Allons,  allons  ,  camarad.',  tu  n'as  pas 
plus  de  raison  qu'un  poulain  qu'on  veut  fer- 
rer. Calme-toi  et  conte-moi  plutôt  tes  em- 
barras ;  nous  aviserons  ensemble  au  moyen 
d'y  remédier. 

«  —  Ce  serait  inutile  ;  mon  malheur  est 
lel  que  personne  ne  pourrait  y  remédier,  et 
vous  pas  plus  que  moi. 

«  —  Voilà  la  première  fois  qu'on  me  dit 
cela.  Je  peux  tout. 

«  —  Tuut  ?  dit  Walter  en  riant  à  son 
tour. 

«  — Tout,  reprit  gravement  l'étranger. 

«  —  Eh  bien  1  si  vous  pouvez  tout,  voyons 
si  vous  sauverez  mon  grain  1 

«  —  Pour  sauver  ton  grain,  il  ne  le  faut 
qu'une  grange,  et  je  puis  l'en  faire  une. 

«  —  Oui ,  mais  il  m'en  faudrait  une  pour 
demain. 

«  —  Tu  l'auras. 

«  —  Pour  demain  malin? 

«  —  Pour  demain  malin,  mais  à  une  con- 
dition :  il  me  faut  ton  âme. 

«  —  Mon  âme  !  s'écria  Walter  qui  ne  riait 
plus,  mais  (jui  donc  êtes-vous  ? 

«  —  Satan. 

«  Et  alors  Walter  le  regarda  avec  terreur, 
et  il  vil  que  les  yeux  de  l'étranger  luisaient 
dans  l'ombre  comme  deux  charbons  ardents, 
et  qu'au  lieu  de  pieds,  il  avait  de  grandes 
griffes  d'oisi  au.  Un  moment  son  avarice  fut 
balancée  parla  peur,  mais  ce  fuU'avarice  qui 
l'emporta. 

«  Èh  bien  1  dit-il,  après  un  moment  de  si- 
lence, j'accepte  ton  marché,  Satan  1  mais  il 
faut  que  ma  grange  soii  faite  demain,  avant 
le  premier  chant  du  coq  ;  alors  je  te  livrerai 
mon  âme.  Dis-moi  ce  qu'il  faut  faire  pour 
conclure  notre  pacte. 

«  — Revenez  ici  ce  soir,  à  l'endroit  où  ces 
deux  chemins  se  croisent  ;  tracez  un  cercle 
dont  le  centre  se  trouve  au  milieu  des  deux 
chemins;  faites  trois  fois  le  tour  du  cercle  à 
reculons,  en  récitant  le /'ai«r  à  rebours;  lu  z 
une  poule  noire,  et  répétez  à  haute  voix  les 


7!!5  (;RA 

torirtos  et  [es  conditions  de  noire  marché. 

«  A  l'instant  mémo  ,  l'élranger  dispnrul , 
et  une  odeur  de  fumée  se  répandit  dans  les 
environs. 

«  Walter  fil  ce  que  Sal;m  lui  avait  ordonné; 
il  retourna  au  carrofour,  Iraça  un  cercle,  le 
parcourut  trois  fois  à  reculons  et  récita  le 
Pater  à  rebours.  Il  tua  une  poule  noire,  et 
répéta  les  termes  du  marché. 

«  Mais  la  nuit  venue  ,  Walter  ne  pouvait 
dormir:  le  fatal  marché  lui  revenait  sans 
cesse  à  la  mémoire.  Encore  quelques  heures, 
p(  nsait  il,  et  il  allait  être  damné  sans  rémis- 
sion; plus  de  joie,  plus  de  repos  pour  lui  ;  sa 
pauvre  âme  était  perdue  I  Et  pour(iuoi?  pour 
quelques  misérables  gerbes  de  bléIQiie  fera- 
t-il  désormais  de  sa  richesse?  pourra-t-il  en 

{'ouir  encore  quand  il  aura  toujonrs  devant 
ni  Satan  prêt  à  saisir  sa  proie?  Et  il  se  re- 
tournait dans  son  lit,  ne  pouvant  demeurer 
un  instant  dans  la  même  position,  et  il  gé- 
missait douloureusement.  Sa  femme  qui 
s'aporçul  de  son  agitation,  lui  demanda  ce 
qu'il  avait,  et  pour()uoi  il  soupirait  ainsi.  Il 
conta  alors  à  sa  femme  lont  ce  qui  était  ar- 
livé.  En  entendant  ce  récit,  elle  fit  un  grand 
signe  de  croix,  et  elle  dit  à  son  mari  : 

«  —  Comment,  Walter,  tu  as  vendu  ton 
âme  pour  avoir  une  grange  1 

« —  Oui,  femme;  au  preniier  chant  du  coq 
ma  grange  sera  faiie,  mais  je  serai  damné! 

«  —  Malheureux  1  dil-elle,  je  vais  prier 
pour  loi. 

«  Alors  elle  récita  une  courte  prière,  et  la 
sainte  Vierge  (  comme  elle  l'a  avoué  )  lui 
inspira  un  projet  qui  lui  donna  l'espoir  de 
sauver  l'âme  de  son  mari.  Elle  s'habilla  et 
descendit  dans  la  cour,  tenant  d'une  main 
une  lanterne  et  de  l'autre  un  tablier.  Elle  vit 
de  loin  dans  le  jardin  la  grange  (jui  s'éle- 
vait, et  les  ouvriers  infernaux  qui  travail- 
laient avec  une  ardeur  ineroyable,  dans  un 
silence  de  mort.  Elle  marcha  droit  au  pou- 
lailler, tenant  sa  lanterne  derrière  le  tablier, 
cl,  comme  elle  l'avait  prévu,  le  coq,  trompé 
par  celte  lumière  qu'il  prit  pour  celle  de 
l'aurore,  se  mit  à  chanter.  Aussitôt  on  en- 
tendit un  bruit  épouvantable;  tout  le  jardin 
parut  en  feu  ;  les  démons  descendirent  pré- 
cipitamment de  la  grange  en  se  renversant 
les  uns  les  autres  et  en  poussant  des  cla- 
meurs de  rage,  parce  qu'ils  n'avaient  pu 
achever  la  grange  avant  le  premier  chant  du 
coq.  La  terre  s'enlr'ouvrit  et  les  démons  s'y 
engloutirent. 

«  Ainsi  fut  sauvée  l'âme  de  Walter. 

«  Sa  grange  était  sur  le  point  d'élre  ache- 
vée ;  il  ne  restait  plus  qu'une  ouverture 
près  du  toit  et  personne  n'a  jamais  pu  bou- 
cher celte  ouvcriure.  Si  vous  allez  à  Bier- 
bceck,  vous  la  verrez  vous-même. 

«  Telle  est  l'histoire  de  la  Grange-Bleue. 

«  La  Grange-Bleue  existe  encore  à  Bier- 
beeck;  elle  est  située  près  d'une  ferme  sur 
le  chemin  d'Opvelp.  C'est  une  conslruclion 
fort  surprenanle.  La  charpente  est  formée 
d'arbres  entiers,  employés  avec  leurs  bran- 
ches et  leurs  racines;  tous  les  angles,  même 
ceux  de  la  jonction  du  toit  et  dos  murs,  sont 


GRA 


me 


arrondis.  Vers  le  haut  est  une  ourerture,  et 
les  paysans  affirment  gravement  (ju'il  est 
iuipossible  de  la  fermer;  que  chaque  fois 
qu'on  l'a  essayé,  ils  ont  trouvé  détruit  le 
lendemain  l'ouvrage  de  la  veille.  J'ai  vu  la 
grange  et  l'ouverture,  mais  je  n'ai  pas  es- 
sayé de  vérifier  celte  dernière  assertion. 

«  Un  fait  qui  paraît  certain,  c'est  que  cette 
grange  fut  élevée  dans  l'espace  d'une  nuit. 
JavDue  que  je  serais  fort  embarrassé  d'assi- 
gner à  celte  étrange  construction  une  origine 
plus  raisonnable  que  celle  que  la  tradition 
lui  assigne. 

«  Mais  pourquoi  cette  grange  s'appelle-t- 
eilo  a  la  Grange-Bleue?  yi  C'est  ce  que  per- 
sonne n'a  pu  médire.  » 

GKANSON.Paul  Diacre  (tfàt.  Longob.)  fait 
ce  conte  :  Deux  seigneurs  lombards,  nom- 
mée Aldon  et  Granson,  ayant  déplu  à  Cuni- 
bert,  roi  de  Lombardie,  ce  prince  résolut  de 
les  faire  mourir.  Il  s'entretenait  de  ce  projet 
avec  son  favori,  lorsqu'une  grosse  mouche 
vint  se  planter  surson  front  et  le  piqua  vive- 
ment; Cuniberl  chassa  l'insecte,  qui  revint  à 
la  charge,  et  qui  l'importuna  jusqu'à  le  met- 
Iredansune  grande  colère. Le  favori,  voyant 
son  maître  irrité,  ferma  la  fenêtre  pour  em- 
pêcher l'ennemi  de  sortir,  et  se  mit  à  pour- 
suivre la  mouche,  pendant  que  le  roi  tira 
son  poignard  pour  la  tuer.  Après  avoir  sué 
bien  longtemps,  Cuniberl  joignit  l'insecte 
fugitif,  le  frappa;  mais  il  ne  lui  coupa  ((u'une 
patte ,  et  la  mouche  disparut.  —  Au  même 
instant  Aldon  etGranson,  ijui  étaient  ensem- 
ble, virent  apparaître  devant  eux  une  es- 
pèce d'hon)mequi  semblait  épuisé  de  fatigue 
et  qui  avait  une  jambe  de  bois.  Cet  homme 
les  avertit  du  projet  du  roi  Cuniberl,  leur 
conseilla  de  fuir,  et  s'évanouit  tout  aussitôt. 
Les  deux  seigneurs  rendirent  grâces  à  l'es- 
pril  de  ce  qu'il  faisait  pour  eux;  après  quoi 
ils  s'éloignèrent  comme  l'exigeaient  les  cir- 
constances. 

GRATAROLE  (  Guillaume  ),  médecin  du 
seizième  siècle,  mort  en  15G8.  Il  esl  auteur 
d'un  ouvrage  inlilulé:  Observations  des  di/fé- 
renies  parties  du  corps  de  Hiomme  pour  juger 
de  ses  facultés  morales  (1).  Bâie,  1554,  in-8". 
Il  a  composé  aussi  sur  l'Antéchrist  un  ou- 
vrage que  nous  ne  connaissons  pas;  enfin 
des  traités  sur  l'alchimie  et  sur  l'art  de  faire 
des  almanachs. 

GRATIANNE  (Jeannette),  habitante  de 
Sibour  ou  Siboro,  au  commencement  du  dix- 
septième  siècle  ;  accusée  de  sorcellerie  à  l'âge 
de  seize  ans,  elle  déposa  qu'elle  avait  été 
menée  au  sabbat  ;  qu'un  jour  le  diable  lui 
avait  arraché  un  bijou  de  cuivre  qu'elle  por- 
tail au  cou  ;  ce  bijou  avait  la  forme  d'un  poing 
serré,  le  pouce  passé  entre  les  doigts,  ce  que 
les  femmes  du  pays  regardaient  comme  un 
préservatif  contre  toute  fascination  et  sorti- 
lège. Aussi  le  diable  ne  le  put  emporter,  mais 
le  laissa  près  de  la  porte.  Elle  assura  aussi 
(m'en  revenant  un  jour  du  sabbat,  elle  avait 
vu  le  diable  en  forme  d'homme  noir,  avec 
six  cornes  sur  la  tète,    une  queue  au  der- 

(I)  De  pnelictione  inoium  nalniaruimiue  homiumn  l'a- 
cili  ut  i!iS|ieclioiic  pai'Uum  curpuris. 


707 


DlCTIONNAinE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


70.1 


rière,  deux  visnges,  etc.;  qu'nyanl  été  pré- 
sentée à  lui ,  elle  en  avait  reçu  uiir  grosse 
poignée  d'or;  qu'il  l'avait  fait  renoncer  à 
son  Créateur,  à  la  siinle  V'icrgc,  à  tous  les 
saints  et  à  tous  ses  parents  (I).  • .. 

GRATIDIA,  deTineresse  qui  trompa  Pom- 
pée ,  conitno  le  rapporte  lloraco  :  car  lui 
ayant  demandé  l'issue  delà  guerre?  de  Pliar- 
sale,  elle  l'assura  qu'il  serait  victorieux  ; 
néanmoins  il  fut  vaincu  (3). 

GRATOULET  ,  insigne  sorcier  qui  appre- 
nait le  secret  d'enibarrcr  ou  non«r  l'aiguil- 
lelte  ,  et  qui  s'était  vendu  à  Bdzebuth.  Il 
donna  des  leçons  de  sorcellerie  à  Pierre  Au- 
petit,  condaniné  en  1598. 

GREATRAKES  (Valentin), empirique  qui 
fit  du  bruit  en  Angleterre  dans  le  dix-sep- 
tième siècle;  il  était  né  en  Irlande  en  1G28. 
On  ignore  la  date  de  sa  mort.  Il  remplit  de 
brillants  emplois,  mais  il  avait  ta  tète  déran- 
gée. En  1(162,  il  lui  sembla  entendre  une 
voix  lui  dire  qu'il  avait  le  don  de  guérir 
les  écrouelles;  il  voulut  en  user  et  se  crut 
môme  appelé  à  traiter  toutes  les  maladies: 
ce  qui  lui  attira  une  grande  célébrité.  Ce- 
pendant une  sentence  de  la  cour  de  l'évê- 
que  de  Li'^more  lui  défendit  de  guérir. 

Sa  méthode  consistait  à  appliepipr  les 
mains  sur  la  partie  malade  elâ  faire  de  légè- 
res frictions  de  haut  en  bas;  élait-ce  du 
magnétisiiie?  Il  touchait  néme  les  possédés, 
qui  tombaient  d-ins  des  convulsions  aussitôt 
qu'ils  le  voyaient  ou  l'enlendiient  parler. 
Plusieurs  écrivains  se  moquèrent  de  lui. 
Saint-  Évreniont  écrivit  contre  lacoutiance 
qu'on  lui  accordait.  Mais  Greatrakes  a  eu 
des  défenseurs,  et  Deleuze,  dans  son //j'stoî're 
du  magnétisme  animal,  l'a  présenté  sous  un 
jour  qui  fait  voir  que  c'était  en  effet  un  ma- 
gnétiseur. 

GRÉGOIRE  VII  (saint),  l'un  des  plus 
grands  papes,  sauva  l'Europe  au  onzième 
siècle.  Comme  il  fit  de  grandes  choses  pour 
l'unité,  il  eut  des  ennemis  dans  tous  les  hé- 
rétiques, et  en  dernier  lieu  dans  les  prole- 
stants, qui  l'accusèrent  de  magie  et  même 
de  commerce  avec  le  diable.  Leurs  menson- 
ge->  furent  stupidement  répétés  par  les  catho- 
liques. Ce  saint  pape  vient  d'être  bien  vengé; 
car  l'histoire  qui  lui  rend  justice  enfin  est 
écrite  par  un  protestant  (Voigt). 

GRELE.  Chez  les  Romains,  lorsqu'une 
nuée  paraissait  disposée  à  se  résoudre  en 
grêle,  on  immolait  des  agneaux  ;  ou  par 
quelque  incision  à  un  doigt  on  en  faisait 
sortir  du  sang,  dont  la  vapeur ,  montant 
jusqu'à  la  nuée,  l'écirtait  ou  la  dissipait  en- 
tièrement :  ce  que  Sénèque  réfute  comme 
une  folie  (3). 

GRENIER  (Je4k),  loup-garou  qui  flo- 
rissait  vers  l'an  IGOO.  Accusé  d'avoir  mangé 
des  enfants,  par  Jeanne  Garibaul  et  par 
d'autres,  quoiqu'il  eût  à  peine  quinze  ans, 
il  avoua  (|u'il  était   fils  d'un    prêtre  noir 

(1)  Delanctf,  Tabl.  de  l'iiicoiistance  dosdéinuns,  elc, 
liv.  IV,  p.  152. 
(2j  Idem,  ilwl.,  liv.  ii.  p.  53. 
(T  \  Lebrun,  l.  I",  p.  olii. 
(4\  M.  Jule:>  Gikriuet,  tli&loire  de  la  magie  en  France, 


(prêtre  du  sabbat),  qui  portait  une  peau  do 
loup  ('»)  ,  et  qui  lui  avait  appris  le  métier. 
On  ne  sait  ce  que  devint  ce  jeune  homme. 
Voy.  Poirier  et  Pierre  Labourait. 

GRENOUILLE.  On  n'ignore  pas  cet  admi- 
rable secret  des  pay>ans,  que  la  grenouille 
di'S  buissons,  coupéi;  et  mise  sur  les  reins, 
fait  tellement  uriner,  que  l-'s  hydropiques  en 

sont  guéris Voy.   Messie  des  JniFs, 

Tremblement  de  terre,  etc. 

Mais  il  y  a  sur  les  grenouilles  d'autres  cu- 
riosités. Nous  allons  exposer  ici  les  singu- 
lières excentricités  qu'ellcjs  ont  inspirées  à 
des  philosophes  allemands  (5). 

On  sait  qu'en  général  ces  philosophes  (jiii 
repoussent  la  révélation  ne  repoussent  ja- 
mais aucune  rêverie. 

«  Lavater  a  calculé  d'instinct,  disent-ils, 
lorsqu'il  a  fait  voir  combien  peu  de  tran- 
sitions deviennent  nécessaires  pour  con- 
duire un  profil  de  grenouille  au  profil  ma- 
gnifique de  l'Apollon  du  Belvédère  qui  est, 
dit-on,  le  beau  idéal.  Vingt-quatre  géné- 
rations qui  se  perfectionneraient  avec  per- 
sévérance arriveraient  en  effet  du  type  cra- 
paud au  type  Apollon;  et  l'on  voit  tous  les 
jours,  à  l'appui  de  cette  ass-îriion,  des  vil- 
lages oîi  l'espèce  est  laide,  s'embellir  pro- 
gressivement, dès  qu'il  arrive  quelques 
circonstances  favorables  qui  pressentie  ré- 
sultat. 

«  Il  est  vrai  cjuc  l'étude  de  Lavater  eût 
pu  se  faire  sur  un  chien  ou  sur  un  c.i- 
nard,  aussi  bien  que  sur  une  grenouille; 
mais   suivons   nos   philosophes. 

«  Ainsi  en  y  réfliichissant ,  pour  peu  que 
vous  soyez  disposé  à  admettre  la  nouvelle 
doctrine  d'un  grand  savant  de  l'Allemagne, 
vous  pourrez  bien  supposer  avec  lui  que 
le  monde  autrefois  était  couvert  par  les 
eaux;  qu'il  n'avait  que  des  habitants  aqua- 
tiques, et  qu'après  qu'il  se  fut  un  peu  séché, 
les  premiers  hôtes  de  l'élément  solide  fu- 
rent des  grenouilles.  Il  raisonne  très-cu- 
rieusement là-!essus;et  les  suppositions  sont 
un  champ    vaste  et  commode. 

<(  Ainsi,  il  ne  faut  plus  que  nous  soyons 
surpris  de  voir  tant  de  nos  frères  ressem- 
bler à  des  crapauds.  La  figure  s'est  un  pou 
arrondie:  mais  nous  avons  encore  les  bras 
et  les  jambes  de  notre  origine;  nous  nageons 
comme  la  grenouille  ;  nous  avons  pris  pour 
l'agilité  un  juste  milieu  entre  la  grenouille 
et  le  crapaud  ;  nous  avons  fait  «les  idiomes; 
inventé  l'imprimerie  et  les  voilures  à  vapeur; 
mais  nous  avons  perdu  Ihabitudo  de  la  vie 
aa;phibie.  Voilà  du  moins  ce  que  dit  le  docte 
allemand. 

«  Un  autre  savant,  Christian-Emmanuel 
Hoppius,  nous  assignait,  au  dernier  siècle, 
une  origine  différente.  Dans  une  dissertation 
que  co  savant  lui  à  l'Académie  d  Upsal,  le 
6  septembre  17i;6,  Académie  où  présidait 
alors  Charles  Linné  , Hoppius  démontra  que 
nous  descendions  du    singe....  Notre  devoir 

(o)  Le  niorceaii  qui  siiil  rsl  détactié  d'un  préambule  du 
nouveau  diciionnairi!  des  alhée»  eldes  iiliiiosoi)hes,pul)liB 
par  l'auteur  de  cel  ouvrage. 


7';9 


CRR 


:;re 


770 


d'iuiparlialilé,  ilans  la  reclierche  des  belles 
choses,  nous  oblige  à  faire  connaître  les 
idées   profondes  du  pri\seur  Hoppius. 

n  11  appelle  anlhropoinorpbes, de deu»  mots 
grecs  qui  veulent  dire  fi  jure  d'homme ,  les 
singes  qui  nous  ressemblent,  c'est-à-dire,  se- 
lon lui,  les  singes  sans  queue.  De  lous  les 
élres  qui  existent  sur  la  terre,  dit-il,  aucun 
genre  ne  se  rapproche  plus  de  l'Iioinine  que 
celui  des  singes.  Leur  face,  leurs  mains,  leurs 
pieds,  leurs  bras,  leurs  jambes, leur  poitrine, 
leur  intérieur,  ont  une  grande  similitude 
avec  les  nôtres.  Leurs  mœurs,  les  tours  cl 
les  espiègleries  qu'ils  inventent,  surtout  leur 
penchant  à  l'imitation,  tout  concourt  aies 
présenter  si  semblables  à  nous,  qu'il  serait 
dilîicile  en  certain  cas  d'établir  la  différence 
entre  l'homme  et  le  singe... 

«Quelques  personnes  ne  seront  pas  de  mon 
avis,  poursuit  le  savant.  Si  ces  hommes  diffi- 
ciles veulent  comparer  les  jeunes  élégants  de 
l'Europe  aux  Hotlentots  qui  habitent  le  cap 
de  Bonne-Espérance,  s'ils  mettent  une  belle 
dan)edela  courauprès  d'une  hideusesauvage, 
ils  trouveront  dans  ces  deux  espèces  plus  de 
différence  qu'entre  l'homme  et  le  singe  pris 
généralement. Une  poire  des  bois,  âcreetpier- 
rouse,  ce  fruit  horrible  qui  vous  étrangle, 
ressemble-t-il  à  la  succulente  poire  de  Si  (ji-r- 
main,  à  la  poire  sucrée  de  Messire-Jean?  C'est 
pourtant  le  même  arbre. 

«  Venons  en  aide  au  savant  profond,  puis- 
qu'on dit  que  les  Allemands  le  sont.  On  a 
trouvé  en  Hongrie,  il  y  a  peu  d'onnées,  une 
jeune  Glle  élevée  par  une  ourse.  Nous  en  es- 
périons des  nouvelles  qui  ont  manqué.  M;iis 
nn  semblable  cas  eut  lieu  en  16G1,  dans  une 
forêt  de  laLilhuanie,  et  Valmont-de-Bomare 
(article  homme  sauvage)  dit  qu'on  ne  put  ja- 
mais apprivoiser  le  féroce  petit  Lithuanien 
pris  parmi  les  ours. Beaucoup  de  faits  pareils 
prouvent  que  l'homme  ,  dans  l'état  brut  , 
est  quelque  chose  comme  le  singe  de  mau- 
vaise espèce  (nous  continuons  à  ne  pas  rai- 
sonner denous-méme).  Philippe  Camérarius 
raconte  qu'en  1551 ,  on  trouva  dans  la  Hesse, 
parmi  les  loups,  un  petit  garçon  que  les  loups 
avaient  élevé.  Ils  le  nourrissaient,  dit-il,  des 
meilleurs  morceaux  de  leur  proie  ;  ils  l'a- 
vaient naturellement  laissé  marchera  quatre 
pattes;  il  courait  avec  eux,  les  suivait  au  trot 
et  faisait  les  sauts  les  plus  légers  :  il  se  cou- 
chait dans  un  Irou  avec  ses  camarades  les 
loups.  On  le  prit,  on  le  mena  à  la  cour  du 
landgrave  de  Hess  •;  mais  il  préféra  toujours 
la  manière  de  vivre  des  loups  à  celle  des 
hommes.  On  ne  put  pas  l'accoutu'oerà mar- 
cher sur  deux  pieds,  et  on  ne  le  forçait  à  se 
tenir  debout,  <tu'cn  lui  liantdcs  morceaux  de 
bois  autour  du  corps..,. 

«  Le  même  Camérarius  parle  d'un  autre 
enfant,  trouvé  à  Bamberg  .  parmi  des  bœufs 
sauvages,  à  la  fin  du  seizième  siècle  ;  il  ne 
marchait  qu'a  quatre  pattes.  Dans  cette  alti- 
tude, il  se  battait  à  coups  de  dents  avec  les 
plus  grands  cliiens,  et  les  mettait  en  fuite. 
Nicolas  Tulp  cite  un  autre  enfant ,  élevé  par 
lies  brebis  sauvages  ,  et  trouvé  dans  une  con- 
tiec   déserte   de   l'Islande.   Il    mangeait  de 


riierbe  et  du  foin  qu'il  choisissait  à  l'odorat  ; 
au  lieu  de  parler,  il  bêlait,  comme  les  petits 
Egyptiens  que  Psamméticus  avait  fait  nourrir 
par  des  chèvres.  On  ne  l'apprivoisa  qne  diffi- 
cilement et  fort  tard.  Tulp  dit  l'avoir  vu,  à 
seize  ans,  à  Amsterdam. 

«  Nous  citerions  une  foule  d'histoires  sem- 
blables. Tout  le  monde  a  lu  ,  dans  Racine 
fils,  le  récit  de  la  jeune  fille  sauvage,  trou- 
vée en  1731 ,  à  Ghâlons-sur-Marne  ;  elle 
avait  dix  ans  :  elle  grimpait  aux  arbres, 
sautait  de  branches  en  branchis,  comme  un 
écureuil ,  se  nourrissait  de  fruits  ,  de  gre- 
nouilles et  de  poissons  qu'elle  attrapait  :  on 
put  la  civiliser  un  peu ,  et  elle  apprit  lo 
français. 

«  On  a  tiré  grand  parti  de  cette  dernière 
circonstance,  poursuivent  nos  savants.  On  a 
soutenu  qu'un  singe  n'aurait  jamais  pu  par- 
ler :cela  n'est  pas  démontré  complètement... 
Linné  dit  avoir  connu  un  chien  qui  parlait. 
Assurément  ce  chien  en  progrès  n'aurait  pas 
fait  des  discours  de  tribune ,  et  n'aurait  pas 
pu  jouer  la  comédie.  Il  ne  devinait  pas  do 
charades  et  ne  faisait  pas  de  calembourgs  ; 
mais  il  demandait  du  café,  du  chocolat ,  du 
pain....  (c'est-à-dire,  qu'il  faisait  entendre 
quelques  sons  qu'on  voulait  bien  inter- 
préter ). 

«  Des  renseignements  que  des  doctes  ont 
pris  là-dessus,  avec  assez  de  peine,  leur  ont 
fait  connaître  que  ce  chien -parleur,  qu'ils 
n'ont  pas  entendu ,  avait  la  bouche  petite  ; 
et  c'est  là,  disent- ils,  tout  le  secret.  Cousez 
la  bouche  trop  grande  d'un  chien  ,  et  soyez 
sûr  qu'il  parlera  ;  fendez  la  bouche  d'un 
homme,  jusqu'aux  oreilles,  et  vous  verrez  s'il 
peut  faire  autre  chose  qu'aboyer.  Les  singes 
ont.  comme  les  chiens,  la  bouche  faite  de 
manière  à  perdre  les  sons  et  à  n'exhaler  que 
des  cris.... 

«  On  voit  que  les  savants  de  la  Germanie 
vont  un  peu  devant  eux.  Us  ne  songent  pas 
que,  chez  les  hommes,  les  sourds-muets 
parlent  sans  le  secours  de  la  bouche. 

«  Revenons  à  nos  petits  sauvages.  Il  est 
constant  que  tous  ceux  qu'on  trouva  étaient 
velus,  qu'ils  marchaient  à  quatre  pattes, 
qu'ils  se  servaient  également  bien  des  pieds 
et  des  mains,  pour  courir  ;  qu'ils  grimpaictit 
aux  arbres  avec  une  agilité  singulière  ;  qu'ils 
étaient  stupéfaits  d'étonnement ,  à  l'aspect 
des  hommes ,  et  qu'il  était  difficile  de  les  dis- 
tinguer des  singes.  On  voit  qu'ici  nous  ne 
raisonnons  avec  nos  doctes  que  matière  et 
physique.  Des  naturalistes  ont  voulu  trou- 
ver des  différences ,  en  disant  que  dans  les 
singes,  les  mains  et  les  pieds  se  ressem- 
blaient, et  ils  ont  appelé  des  singes  quadru- 
manes ;  mais  il  en  était  à  peu  près  ainsi  des 
enfants  trouvés  dans  les  bois.  L'd  peu  près 
est  naïf. 

«  Et  de  même  qu'il  y  a  dans  l'espèce  hu- 
maine plusieurs  degrés,  depuis  l'homme  de 
cour  jusqu'au  Hotlenlot,  comme  nous  avons 
dit,  il  y  a  dans  les  singes  plusieurs  classes 
dont  les  dernières  sont  plus  éloignées  de  nous 
ressembler.  Nous  ne  voulons  pas  encore  com- 
parer les  hommes  au  singe  à  grande  queue  ; 


Î7< 


WCTIONNAIRF.  DF.S  SCIENCES  OCCULTES. 


77-i 


mais  les  singes  sans  queue  n'i)nt  qu'un  pas 
a  faire  pour  être  des  hommes  sauvages  ,  ri 
les  hommes  sauvages  ont  de  grands  échelons 
à  mouler  pour  devenir  fa^hionables.  Seule- 
ment il  est  singulier  que  les  singes  sans 
<|ueue  ne  fasseiU  point  le  seul  pas  qu'ils  ont 
à  faire  pour  être  des  liomines. 

«  On  jugera  par  des  détails  de  la  ressem- 
tdancc  physique  qui  se  trouve  entre  le  singe 
et  riiomme.  Le  singe  a  les  épaules  parlagées 
par  des  elavictiles  ,  les  mains  divisées  en 
•loigts  armés  d'ongles  arrondis  ;  il  marche 
IVéqueminent  sur  ses  seuls  pieds  de  derrière; 
il  prend  sa  nourriture  avec  les  mains  ,  el  la 
porte  à  sa  bouche.  Il  est ,  coinn»e  nous,  Car- 
nivore, hardi  ,  voleur,  effronlé,  rancunier, 
méchant  :  comparaison  flatteuse  dans  le  fond 
et  dans  la  forme. 

«  A  rencontre  des  autres  bêles,  les  singes 
connaissent  et  chérissenl  leurs  cnfanis  , 
•luand  leurs  enfants  n'ont  plus  besoin  d'eux 
(l'exceplion  est  fausse). 

«  Nicol.is  Tulp  décrit  une  guenon  de  la 
elasse  dite  des  satyres,  qui  fut  amenée  en 
Hollande  à  la  On  dii  seizième  siècle  :  elle 
avait  près  de  cinq  pieds  de  haut  ;  elle  pre- 
nait un  vase  à  boire  d'une  main  ,  soulevait 
le  couver(;le  de  l'autre,  et  s'essuyait  la  bou- 
rbe, après  avoir  bu.  En  s'allant  coucher,  elle 
posait  sa  tête  sur  l'oreiller,  s'enveloppait 
d'une  couverture,  et  dormait  tranquille, 
comme  une  femme  bien  élevée... 

«  Une  autre  famille  de  singes,  les  troglo- 
dytes, ue  nous  ressemblent  pas  moins.  Dans 
plusieurs  contrées  des  Indes  orientales,  on 
s'en  sert  comme  de  demi-domesliques  (1). 
Kopping  dit  en  avoir  vu  un  qui  suivait 
comme  un  laquais  un  capitaine  de  vaisseau  ; 
il  levait  les  pieds  très-haut  en  marchant  , 
parce  que.  venant  des  montagnes,  il  n'avait 
pas  l'habitude  de  marcher  sur  un  pavé  plat. 
Uumphius  raconte  qu'il  a  possédé  huit  ans 
lin  de  ces  singes  ;  mais  les  observations  qu'il 
avait  écrites  sur  ces  animaux  sont  perdues. 
«  Buffon  parle  d'un  orang-outang  qui  se 
tenait  gravement  sur  ses  deux  pieds  et  vivait 
à  Paris.  Je  l'ai  vu.  dit-il,  s'asseoir  à  table, 
déployer  sa  serviette,  s'en  essuyer  les  lèvres, 
se  servir  de  la  cuiller  et  de  la  fourchette 
pour  porter  les  mets  à  sa  bouche,  verser  lui- 
même  sa  boisson  dans  un  verre,  le  choquer 
lorsqu'il  y  élait  invité  ,  aller  prendre  une 
lasse  et  une  soucoupe,  l'apporter  sur  la  ta- 
ble, y  mettre  du  sucre,  y  verser  du  thé, 
le  laisser  refroidir  pour  le  boire,  et  tout  cela 
sans  autre  instigation  que  les  signes  et  la 
parole  de  son  maître,  et  souvent  de  lui-même, 
j'ai  vu  cet  animal  présenter  sa  main  poui- 
reconduire  les  gens  qui  venaient  le  visiter, 
se  promener  gravement  avec  eux  el  comme 
de  compagnie  :  il  no  faisait  de  mal  à  per- 
sonne ;  s'approchait  même  avec  circonspec- 
lioa,  et  se  présentait  comme  pour  demander 
des  caresses.  Il  aimait  prodigieusement  les 
bonbons  ;  tout  le  monde  lui  en  donnait ,  et 
comme  il  avait  une  toux  fréquente  et  la  poi- 
trine  attaquée,   cette  grande  quantité   de 

{l)l.ps  Kangourous  fom  ic  iiiôine  office  k  la  NouveUe- 
ZOlaudo. 


choses  sucrées  contribua  sans  doute  à  abré- 
ger sa  vie.  Il  ne  vécut  à  Paris  qu'un  été,  et 
mourut  l'hiver  suivant  à  Londres. 

«  Léguât  cite  une  guenon  qu'il  connut  et 
qui,  lorsqu'elle  avait  mal  à  la  tête,  se  la  ser- 
rait d'un  mouchoir  et  s'allait  coucher  dan.s 
son  lit,  qu'elle  faisait  elle-même... 

«  On  citerait  des  volumes  de  ces  anecdotes 
exagérées.  Il  n'y  avait  pas  longtoinps  qu'on 
voyait  dans  les  rues  de  Paris  un  singe  de 
deux  pieds  et  demi,  connu  sous  le  nom  du 
Jean-Bonhomme.  Il  balayait  les  pavés,  bros- 
sait les  habits,  cirait  les  bottes,  sollicitait  une 
pièce  de  monnaie  ,  envoyait  un  baiser  pour 
re  iiercîment,  saluait  en  iôtant  sa  toque,  pré- 
sentait son  passeport  quand  on  lui  deinan- 
<lait  ses  papiers,  et  le  remettait  soigneuse- 
ment dans  sa  poche,  car  il  élait  habillé.  Ce 
singe  a  même  fait,  par  ses  gentillesses,  la  joie 
de  plusieurs  bals.  Ou  n'a  pas  pensé  en  Franco 
que  ce  fût  un  homme.  Les  penseurs  alle- 
mands se  fussent  extasiés. 

«  Il  est  surprenant,  disent-ils,  qu'on  ne  se 
soit  pas  plus  occupé  d'étudier  ce  ()iii  fait  l'ob- 
jet de  cet  article.  Ce  n'est  qu'aux  Indes  qu'on 
peut  observer  les  troglodytes  ;  il  serait  facile 
à  un  roi  à  qui  tant  d'hommes  cherc  lient  à 
plaire,  de  possédei"  quelques  familles  de  celte 
espèce  de  singes,  el  d'ordonner  là-dessus  des 
élucubraîio-is  ;  mais  on  les  a  faites,  el  on  a 
trouvé  qu'il  fallait  renvoyer  les  philosophes 
de  Germanie  aux  Javanais,  les<iuels  disent 
que  les  singes  pourraient  parler,  mais  qu'ils 
ne  le  veulent  pas,  de  peur  d'être  obligés  à 
travailler... 

«  Nous  avons  cilé  Hoppius,  qui  a  de  très- 
larges  épaules.  C'est  au  lecteur  à  se  faire  sur 
lui  une  opinion.  Nous  n'avons  ajouté  à  la 
doctrine  du  savant  que  des  aiienlutes. 

«  Nous  pourrions  être  bien  plus  longs  si 
nous  voulions  suivre  complélemeiU  et  dans 
tous  leurs  détails  les  raisonnements  de  Hop- 
pius. Millin  s'était  proposé  de  lui  répondre. 
Persuadé  que  l'élève  de  Linné  avait  une  ma- 
nière de  voir  très-arriérée,  Millin  comptait  à 
son  tour  prouver  que  l'honmie  perfectionné 
ne  ressemble  pas  le  moins  du  monde  au  singe. 

o  Mais  voici  que  M.  Schneitz,  un  autre  Al- 
lemand, adoptant  le  système  qui  nous  fait 
descendre  des  grenouilles,  épouse  en  mémo 
temps  l'opinion  de  Hoppius.  Seulement,  à 
l'exemple  du  conciliateur  dans  la  querelle 
des  deux  frères,  de  CoUin  d'Harlcville  : 

Allons  chez  le  uolaire  en  passant  par  le  mail, 

«  M.  Schneitz  nous  fait  descendre  de  la  gre- 
nouille en  passant  par  le  singe,  qui  est,  dit-il, 
le  crapaud  un  peu  avancé,  comme  nous  som- 
mes, nous  autres,  des  singes  très-aniéliorés. 

«  Les  pauvres  savants,  en  rejetant  la  révé- 
lation, n'uni  pas  vu  qu'ils  ne  pouvaient  que 
déraisonner.  La  parole  les  arrêtera  toujours. 
Dans  les  premières  années  du  dix-neuvième 
siècle,  M.  de  Bonuld  émit  sur  le  langage  une 
théorie  qui  posait  admirablement  la  question 
en  faveur  de  la  tradition  chrétienne. 

«  Celle  question  du  langage  avait  été,  dit 
M.  Camille  Baxlon,  un  grand  embarras  pour 
k's  pivilosophcs  matérialistes  du  dix-huilième 


773 


cm 


CRI 


77-.I 


siècle  qui,  bien  que  Irès-ciiffércnts  de  Descar- 
tes, rcleviiienl  de  lui  ce[UMi(iant  en  ce  qu'ils 
prenaienl  pour  point  de  départ  de  tous  leurs 
systèmes  la  facuKé  qu'a  l'individu  de  trouver 
la  vérité  |)ar  lui-même  et  sans  secours  exlé- 
rieur,(l).  Dans  leurs  tentatives  pour  prouver 
que  l'homiue  était  né  du  liuion  de  la  terre  , 
comme  en  naissent  encore  aujourd'hui  les 
plus  vils  des  reptiles  et  des  insectes,  (lu'il 
avait  passé  par  un  état  d'animalité  absolue, 
el  de  cet  état  s'était  élevé  par  de  lents  degrés 
jusqu'à  son  état  présent,  ils  ne  purent  réus- 
sir à  expliquer  conunent  il  avait  inventé  le 
langage;  ce  fut  conune  une  impasse  où  tous 
leurs  efforts  ne  purent  leur  faire  découvrir 
une  issue. 

«  M.  de  Bonald,  les  reprenant  par  ce  côlé 
faible,  posa  comme  un  point  inconlestable 
l'impossibilité  de  l'invention  du  langage,  et 
comme  conséquence  nécessaire  la  révélation 
de  la  parole.  .Mais  ce  ne  fut  pas  tout.  Après 
avoir  ainsi  retnis  aux  mains  de  Dieu  et  à 
celles  de  la  société,  héritière  des  traditions 
que  Dieu  a  déposées  dans  son  sein,  cette 
belle  faculté  du  langage  parlé,  qui  dislingue 
extérieurement  l'homme  de  la  brute,  et  qui 
est,  on  le  savait  déjà,  l'élément  le  plus  in- 
dispensable du  progrès,  M.  de  Bonald  lui 
donna  encore  une  valeur  bien  supérieure. 
li  l'identiQa  complètement  avec  la  pensée. 
Crlle-ci,  selon  lui,  sommeillerait  éternelle- 
ment, si  elle  n'était  éveillée  par  la  parole  ex- 
térieure; el  une  fois  éveillée,  ce  n'est  encore 
<iu'à  l'aide  de  celle  parole  apprise  qu'elle 
peut  se  produire,  même  dans  l'iionime  inté- 
rieur, qui  u'a  d'idées  qu'à  condition  de  se 
parler  à  lui-même.  On  connaît  la  phrase  de 
M.  de  Bonald  :  «  L'homme  pense  sa  parole 
avant  de  parlir  sa  pensée.  »  Ainsi  par  celte 
théorie  l'homme  se  trouva  dépendant,  non- 
seulement  pour  l'expression  de  la  pensée, 
mais  pour  la  pensée  même,  de  la  société. 
Sans  son  secours  il  resterait  toujours  dans 
un  état  de  torpeur,  d'immobilité  ;  il  serait 
enfin  conune  s'il  n'était  p^is.  M.  de  Bo- 
nald ne  niait  pourtant  pas  les  idées  innées. 
«  Notre  enlcndemenl,  dit-il  dans  un  des  plus 
beaux  passages  de  son  livre  ,  est  un  lieu 
obscur  où  nous  n'apercevons  aucune  idée, 
pas  même  celle  de  notre  intelligence,  jusqu'à 
ce  que  la  parole,  pénétrant  par  les  sens  de 
l'ou'ie  et  de  la  vue,  porte  la  lumière  dans  les 
ténèbres,  cl  appelle  pour  ainsi  dire  chaque 
idée  qui  répond,  comme  les  étoiles  dans  Job  : 
Me  voilà  I  » 

«  Mais  sur  ses  traces  apparut  bientôt  un 
autre  esprit  doué  d'une  faculté  d'expression 
supérieure ,  d'une  dialectique  encore  plus 
pressante,  d'une  originalité  de  pensée  égale 
peut-être,  l'abbé  de  Lamennais.  Celui-ci  fit 
yjUssui  sur  l'indifférence,  pour  prouver  que  la 
règle  de  la  certitude  est  dans  le  sens  commun, 
c'esl-à-dirc,  dans  les  croyances  universelles, 

(t)  It  y  a  deux  siècles  que  Réué  Descartes,  incitant  de 
côlé  toutes  les  (loctriues  de  l'école ,  toute  autorité  ,  toute 
iraililiuu,  tout  eiiselgiieiiieut  exléi  ii'up,  toute  notion  reçue 
(lu  lU'Ijois,  posa  en  principe  quecliuque  Individu  trouvait, 
dans  la  conscience  de  sa  facutié  de  peiiscp,  b  puissance 
de  conclure  à  la  réalité  de  son  existence,  pni<  dp  celle-ci 
aux  exiblences  extérieures,   puis  des  e>.istonces  exté- 


dans  les  croyances  de  la  société,  en  donnant 
à  ce  mol  son  acception  la  plus  étendue.  «  Ap- 
pelons vérité,  dit-il,  ce  à  quoi  l'esprit  de  la 
généralité  adhère  partout  et  loiijours.  »  Ce 
n'émit  là  que  poser  la  conséquence  immé- 
diate el  nécessaire  du  système  de  M.  de  Bo- 
nald ;  mais  celui  qui  la  posait  agit  avec  une 
bien  plus  grande  audace  que  ne  l'avaient 
fait  ses  devanciers.  M.  de  Bonald  avait  res- 
pecté Descaries;  l'abbé  de  Lamennais  le  sai- 
sit corps  à  corps  et  engagea  avec  lui  une 
lulte  dont  il  ne  se  reposa  que  quand  il  crut 
l'avoir  terrassé.  M.  de  Bonald  avait  reconnu 
dans  l'individu,  en  la  paralysant,  il  est  vrai,  la 
faculté  innée  de  penser.  L'abbé  de  Lamennais 
nia,  pour  l'individu,  la  réalité  de  la  sensa- 
tion, du  sentiment,  de  la  pensée,  ou  ce  qui 
revient  au  même,  !a  possibilité  de  se  convain- 
cre de  cette  réalité (2). «Vous  avoiieiez  que  le 
singe  et  la  grenouille  sont  un  peu  loin  de 
tout  rpla. 

GUIFFON.  Brown  assure  qu'il  y  a  des 
giilToiis,  c'esl-à-dire,  des  animaux  mixtes, 
qui  par  devant  ressemblent  à  l'aigle  et  par 
derrière  au  lion,  avec  des  oreilles  droites  , 
quatre  pieds  et  une  large  (lueuc. 

GRIGRI.  Démon  familier  que  l'on  voit  chez 
les  Américains,  et  surtout  dans  les  foréls  du 
Canada  el  de  la  Guinée. 

GRILLANDUS  (Paul),  Casiillan  ,  auteur 
d'un  traité  des  Maléfices  [De  malcficiis),  pu- 
bliéàLyon  en  1535, d'un  traité  des  Sortilèges, 
des  Lamies,  de  la  Torture,  etc.,  Lyon,  1536, 
et  de  quelques  autres  ouvrages  de  ce  genre. 
11  conte  quelque  part  qu'un  avocat  ayant  été 
noué  I  ar  un  puissant  maléfice,  que  nul  art 
de  médecine  ne  pouvait  secourir,  eut  recours 
à  un  magicien  qui  lui  fit  prendre,  avant  du 
dormir,  une  certaine  potion,  et  lui  dit  de  ne 
s'effrayer  de  rien.  A  onze  heures  et  demie  de 
la  nuit  survint  un  violent  orage  accompagné 
d'éclairs  ;  l'avocat  crut  d'abord  que  la  mai- 
son lui  tombait  sur  le  dos  ;  il  entendit  bientôt 
de  grands  cris,  des  géuiissements,  et  vit  dans 
sa  chambre  une  multitude  de  personnes  qui 
se  iiaeurtrissaient  à  coups  de  poing  et  à  coups 
de  pied ,  et  se  déchiraient  avec  les  ongles  et 
les  dents  ;  il  reconnut  une  certaine  fiume 
d'un  village  voisin,  qui  avait  la  réputation 
de  sorcière,  et  qu'il  soupçonnail  de  lui  avoir 
donné  son  mal  ;  elle  se  plaignait  plus  que 
tous  et  s'était  elle-même  déchiré  la  face  et 
arraché  les  cheveux.  Ce  mystère  dura  jus- 
qu'à minuit,  après  quoi  lu  maître  sorcier 
entra  ;  tout  disparut  ;  il  déclara  au  malade 
qu'il  était  guéri  :  ce  qui  fut  vrai  (3). 

GRILLON.  Dans  beaucoup  de  villages  et 
surtout  en  Anglelerre,  on  regarde  les  gril- 
lons qui  animent  le  foyer  à  la  campagne  et 
qui  chantent  si  joyeusement  la  nuit,  comme 
de  piUils  esprits  faiiiilicis  d'une  nature  bien- 
vcillanle,  qui  empruulent  leur  forme  exiguii 
pour  échapper  aux  malices  humaines.  Beau- 

rieures  i>  celle   de  Dieu.  Descartes   arrivait  ainsi  à  la 
possession  de  toute  certitude  et  de  toute  vérité. 

(Note  de  M.  liaxton.) 

(2)  M.  Camille  Ba\ton,  des  nouvelles  publications  reli- 
gieuses. Ilevue  de  Paris,  décembre  1840. 

(3)  Diliuero  ,  lab.  de  l'inconslancé  des  démons,  etc., 
p.  556. 


n% 


DICTlONNAlUE  DES  SCIRNT.ES  (KXULTES. 


776 


coup  <lc  villngcois  se  figurent  que  leur  pré- 
senre  porte  l)oiiheiir  dans  In  famille,  et  qu'on 
ne  les  lue  pas  impunément.  Aussi,  en  géné- 
ral, ne  voil-on  point  d'un  bon  œil  le  pied 
brutal  qui  les  écrase. 

«  Toute  la  tribu  des  grillons  se  compose 
de  puissants  esprits,  bien  <|ue  cela  soit  ignoré 
des  gens  qui  ont  affiiire  à  eux  ;  et  il  n'est 
pas  dans  le  monde  invisible  de  voix  plus 
gentilles  et  plus  sincères,  à  qui  on  puisse  se 
fier  davantage  ou  dont  les  conseils  soient 
plus  dévoués  et  plus  sûrs  que  les  voix  qu'em- 
pruntent ces  e>iprits  deTâlreet  du  foyer  pour 
s'adresser  à  l'i^spècc  humaine  (1).  » 

GUIMAI.DI.  Sous  le  règne  de  Louis  le 
Débonnaire,  il  y  eut  dans  toute  l'Europe  une 
maladie  épitlémiquc  qui  s'élendit  sur  les  trou- 
peaux. Le  bruit  se  répandit  dans  le  peuple 
que  Grimaldi ,  duc  de  Bénévent ,  ennemi  de 
Charlemagtie,  avait  occasionné  ce  dégât  en 
faisant  répandre  de  tous  côtés  une  poudre 
meurtrière  par  ses  affidés.  On  arrêta  un  grand 
nombre  de  malheureux,  soupçonnés  de  ce 
crime;  la  crainte  et  la  toriure  leur  firent 
confesser  qu'ils  avaient  en  effet  répandu 
celte  poudre  qui  faisait  mourir  les  troupeaux. 
Saint  Agobard  ,  archevêque  de  Lyon  ,  prit 
leur  défense  et  démontra  que  nulle  poudre 
n'avait  la  vertu  d'infecter  l'air  ;  et  qu'en  sup- 
posant même  que  tous  les  habitants  de  Béné- 
vent, hommes,  femmes,  jeunes  gens,  vieil- 
lards et  enfants,  se  fussent  dispersés  dans 
toute  l'Europe,  chacun  suivi  de  trois  chariots 
do  celte  poudre,  ils  n'auraient  jamais  pu  cau- 
ser le  mal  qu'on  leur  attribuait  (2). 

GRIMOIRE.  —  Tout  le  monde  sait  qu'on 
fait  venir  le  diable  en  lisant  le  Grimoire  ; 
mais  il  faut  avoir  soin  ,  dès  qu'il  parait ,  de 
lui  jeter  quelque  chose  à  la  télé  ,  une  sava- 
te ,  une  souris  ,  un  chiffon  ;  autrement  on 
risque  d'avoir  le  cou  tordu. 

Le  terrible  petit  volume ,  connu  sons  le 
nom  de  (rrimotr*-,  autrefois  tenu  secret,  était 
brûlé  très-justement  dès  qu'il  était  saisi. 
Nous  donnerons  ici  quelques  noies  sur  les 
Irois  Grimoires  les  plus  connus. 

Grémoire  (sic)  du  pape  Honorius,  avec  un 
recueil  det  plus  rares  secrets  ;  sous  la  rubri- 
que de  Rome,  1670,  in-16,  orné  de  figures  et 
de  cercles.  Les  cinquante  premières  pages 
ne  contiennent  que  des  conjurations.  Voy. 
Conjurations  et  Evocation';. 

Dans  le  Recueil  des  plus  rares  secrets,  on 
trouve  celui  qui  force  trois  demoiselles  à  ve- 
nir danser  le  soir  dans  une  chambre.  Il  faut 
que  tout  soit  lavé  dans  cette  chambre; qu'on 
n'^  remarque  rien  d'accroché  ni  de  pendu  , 
qu'on  mette  sur  la  table  une  nappe  blanche, 
trois  pains  de  froment ,  trois  sièges  ,  trois 
verres  d'eau  ;  on  récite  ensuite  une  certaine 
formule  de  conjuration  (3;,  et  les  trois  per- 
sonnes qu'on  veut  voir  viennent,  se  mettent 
à  table  et  dansent ,  mais  au  coup  de  minuit 
tout  disparaît. 

(1)  M.  Cil.  Dyckens,  le  Grillon  du  foyer,  conte  de  Noël. 

(2)  M.  Salgues,  des  Erreurs  et  des  préjugés,  l.  I, 
p.  298. 

(5)  Voici  le»  jiarolcs  dp  ceUe  conjuration  :  t  Bcstici- 
ruiii!   cousolation,  viens  à  moi.  Venu  créon ,  créoo , 


On  trouve  dans  le  même  livre  lieauroup 
de  bêtises  de  ce  genre,  que  nous  rapportons 
en  leur  lieu. 

Grimorium  verum,  vel  probatissimœ  Snlo- 
monis  cUiviculœ  rabbini  Hebrnici,  in  quibus 
lum  naturalia,  tum  svpernaturalia  secretn,  H- 
cet  abdilissima,  inpromptu  apparent,  modo 
oprrator  pcrnecessaria  et  contenta  facial; 
sciât  tamen  oportet  dœmonum  potentia  dum- 
taxat  peragantur  :  traduit  de  l'hébreu,  par 
Plaingière,  avec  un  recueil  de  secrets  cu- 
rieux. A.  Memphis,  chez  Alibeck  l'Egyptien, 
1517,  in-16  {sic  omnia),  et  sur  le  revers  du 
litre  :  Les  véritables  clavicules  de  Satomon,  à 
Memphis,  chez  Aliberk  l'Egyptien,  1517. 

Le  grand  Grimoire  avec  la  grande  clavicule 
de  Salomon,  et  la  magie  noire  ou  les  forces 
infernales  du  grand  Agrippa,  pour  déiou- 
vrir  les  trésors  cachés  et  se  faire  obéir  h 
tous  les  esprits;  suivis  de  tous  les  arts  magi- 
ques, in-18,  sans  date  ni  nom  de  lieu. 

Ces  deux  grimoires  conlienneni,  comme, 
l'autre,  des  secrets  que  nous  donnons  ici  aux 
divers  articles  qu'ils  concernent. 

Voici  une  anecdote  sur  le  grimoire  : — Un 
petit  seigneur  de  village  venait  d'emprunter 
à  son  berger  le  livre  du  grimoire,  avec  lequel 
celui-ci  se  vantait  de  forcer  le  diable  à  pa- 
raître. Le  seigneur,  curieux  de  voir  le  dia- 
ble, se  relira  dans  sa  chambre  et  se  mit  à 
lire  les  paroles  qui  obligent  l'esprit  de  ténè- 
bres à  se  montrer.  Au  moment  où  il  pronon- 
çait, avec  agitation,  ces  syllabes  niaises  qu'il 
croyait  puissantes,  la  porte,  qui  était  mal 
fermée,  s'ouvre  brusquement  :  le  diable  pa- 
rait, armé  de  ses  longues  cornes  et  tout  cou- 
vert de  poils  noirs...  Le  curieux  seigneur 
perd  connaissance  et  tombe  mourant  de  peur 
sur  le  carreau,  en  faisant  le  signe  de  la 
croix. 

Il  resta  longtemps  sans  que  personne  vint 
e  relever.  Enfin  il  rouvrit  les  yeux  et  se  re- 
trouva avec  surprise  dans  sa  chambre.  Il 
visita  les  meubles  pour  voir  s'il  n'y  avait 
rien  de  dégradé  :  un  grand  miroir  qui  était 
sur  une  chaise  se  trouvait  brisé;  c'élail  l'œu- 
vre du  diable.  Malheureusement  pour  la 
beau'é  du  conte,  on  vint  dire  un  instant 
après  à  ce  pauvre  seigneur  que  son  bouc 
s'était  échappé,  etqu'on  l'avait  repris  devant 
la  porte  de  cette  même  pièce  où  il  avait  si 
bien  représenté  le  diable.  Il  avait  vu  dans  le 
miroir  un  bouc  semblable  à  lui  et  avait 
brisé  la  glace  en  voulant  combattre  son  om- 
bre (k). 

GRISGRIS,  nom  de  certains  fétiches  chez  les 
Maures  d'Afriijue,  qui  les  regardent  comne 
des  puissances  subalternes.  Ce  sont  de  pe- 
tits billets  sur  lesquels  sont  tracées  des  figu- 
res magiques  ou  des  pages  du  Koran  en  ca- 
ractères arabes  ;  ces  billets  sont  vendus  assi-z 
cher,  et  les  habilanls  les  croient  des  préser- 
vatifs assurés  contre  tous  les  maux.  Chaque 
grisgris  a  sa  forme  et  sa  propriété.  Voy.  Goo. 

GRISOU.  Le    feu  Grisou  est  un  gaz   qui 

fréon...  Je  ne  niants  pas;  je  suis  maître  du  parchemin, 
par  la  louange,  prince  de  la  montagne,  fais  taire  mes 
ennemis  et  donne-raoi  ce  que  lu  sais.  » 
(ij  Misluire  des  raiitôines  et  dusdéinous,  \>.  2U. 


777 


GUA 


GL'I 


77'J 


s'enflamme  sponlanétnent  ou  par  occasion 
dans  les  mines  de  houille,  cl  qui  produit  sou- 
venl  de  grands  désastres.  —  Beaucoup  de 
mineurs  regardant  le  grisou  comme  un  lutin 
de  méchante  espèce. 

GROENJETTli:.  11  y  a  ,  sur  les  côtes  de 
la  Baltique,  comme  dans  la  plupart  des  con- 
trées montagneuses  de  l'Europe,  des  chas- 
seurs défunts,  condamnés  pour  leurs  méfaits 
à  courir  éteriuliemcnt  à  travers  les  marais  et 
hs  taillis.  Les  habitants  du  Sternsklint  enten- 
dent souvent  le  soir  les  aboiements  des  chiens 
de  Grœnjotte;  ils  le  voient  passer  dans  la 
vallée,  le  chasseur  réprouvé,  la  pique  à  la 
main;  et  ils  déposent  devant  leur  porte  un 
peu  d'avoine  pour  son  cheval,  afin  que  dans 
ses  courses  il  ne  foule  pas  aux  pieds  leurs 
moissons  (1).  Voy.  Veneur. 

GROSSESSE.  On  a  cru  longtemps  à  Paris 
qu'une  femme  enceinte  qui  se  regarde  dans 
un  miroir,  croit  voir  le  diable:  fable  autori- 
sée par  la  peur  qu'eut  de  son  ombre  une 
femme  grosse,  dans  le  temps  qu'elle  sy  mi- 
rait, et  persuadée  par  son  accoucheur  qui  lui 
dit  qu'il  était  toujours  dangereux  de  se  re- 
garder enceinte. 

On  assure  aussi  qu'une  femme  grosse  qui 
regarde  un  cadavre,  aura  un  enfant  pâle  et 
livide  (2). 

Dans  certains  cantons  du  Brésil,  aucun 
mari  ne  tue  d'animal  pendant  la  grossesse 
de  sa  femme,  dans  l'opinion  que  le  fruit 
(lu'elle  porte  s'en  ressentirait.  Voy.  Iuaqi- 

NATION. 

On  ignore  encore  le  motif  pour  lequel  cer- 
taines églises  particulières  refusèrent  long- 
temps la  sépulture  aux  femmes  qui  mou- 
raient enceintes  ;  c'était  sans  doute  pour  en- 
gager les  femmes  à  redoubler  de  soins  envers 
leurs  enfants.  Un  concile  tenu  à  Rouen 
en  1074,  a  ordonné  que  la  sépulture  en  terre 
sainte  ne  fût  nulle  part  refusée  aux  femmes 
enceintes  ou  mortes  pendant  l'accouche- 
ment. 

GROSSE-TÊTE  (Robert),  évéque  de  Lin- 
coln, auquel  Gouvérus  donne  une  androïde 
comme  celle  d'Albert  le  Grand. 

GUACHARO.  Dans  la  montagne  de  Tumé- 
réquiri,  située  à  quelque  distance  de  Cuma- 
na,  se  trouve  la  caverne  de  Guacharo,  fa- 
meuse parmi  les  Indiens.  Elle  est  immense  et 
sert  d'habitation  à  des  milliers  d'oiseaux 
nocturnes  dont  la  graisse  donne  l'huile  de 
guacharo.  11  en  sort  une  assez  grande  ri- 
vière; on  entend  dans  l'intérieur  le  cri  lugu- 
bre de  ces  oiseaux,  cri  que  les  Indiens  attri- 
buent aux  âmes,  qu'ils  croient  forcées  d'en- 
Irer  dans  cette  caverne,  pour  passer  dans 
l'autre  monde.  Ce  séjour  ténébreux,  disent- 
ils,  leur  arrache  les  gémissements  plaintifs 
qu'on  entend  au  dehors.  Les  Indiens  du  gou- 
vernement de  Cumana,  non  convertis  à  la  foi, 
ont  encore  du  respect  pour  cette  opinion. 
Parmi  ces  peuples,  jusqu'à  deux  cents  lieues 
de  la  caverne,  descendre  au  Guacharo  est  syn- 
onyme de  mourir. 

GUAYOTTA,  mauvais  génie  que  les  habi- 
tants de  l'Ile  Ténériffe  opposent  à  Achguaya- 

(I)  Marinier,  Trad.  de  la  Baltique. 

DlCTlONN.   DES  SCIENCES    OCCULTES     I. 


Xcr.ic,  qui  est  chez  eux  le  principe  du  bien. 

GUECUBA,  esprit  du  mal  chez  les  Arau- 
caii'^.  Voy.  ToQui. 

GUELDRE.  On  trouve  ce  récit  dans  les  his- 
toriens hollandais  :  «  Un  monstre  affreux 
d'une  grandeur  prodigieuse  ravageait  la  cam- 
pagne, dévorant  les  bestiaux  et  les  hommes 
môme  ;  il  empoisonnait  le  pays  de  son  souf- 
fle empesté.  Deux  braves  gens ,  Wichard  et 
Lupold,  entreprirent  de  délivrer  la  contrée 
d'un  fléau  si  terrible,  et  y  réussirent.  Le  mon» 
stre,  en  mourant,  jeta  plusieurs  fois  un  sou- 
pir qui  semblait  exprimer  le  mot  y helre.  Les 
deux  vainqueurs  voulurent  qu'en  mémoire 
de  leur  triomphe,  la  ville  qu'ils  bâtirent  prît 
le  nom  de  Ghelre,  dont  nous  avons  fait  Guel- 
dre.  » 

GUI  DE  CHÊNE,  plante  parasite  qui  s'atta- 
che au  chêne,  et  qui  était  regardée  comme 
sacrée  chez  les  druides.  Au  moisde  décembre, 
qu'on  appelait  le  mois  sacré,  ils  allaient  la 
cueillir  en  grande  cérémonie.  Les  devins 
marchaient  les  premiers  en  chantant,  puis 
le  héraut  venait,  suivi  de  trois  druides  por- 
tant les  choses  nécessaires  pour  le  sacrifice. 
Enfin  paraissait  le  chef  des  druides,  accom- 
pagné de  tout  le  peuple  ;  il  montait  sur  le 
chêne,  coupait  le  gui  avec  une  faucille  d'or, 
le  plongeait  dans  l'eau  lustrale  et  criait  :  «  Au 
gui  de  l'an  neuf  (  ou  du  nouvel  an  ).  »  On 
croyait  que  l'eau  charmée  ainsi  par  le  gui  de 
chêne  était  très-efficace  contre  le  sortilège 
et  guérissait  de  plusieurs  maladies.  Voyez 

GUTHEÏL. 

Dans  plusieurs  provinces,  on  est  persuadé 
que  si  on  pend  le  gui  de  chêne  à  un  arbre 
avec  une  aile  d'hirondelle,  tous  les  oiseaux 
s'y  rassembleront  de  deux  lieues  et  demie. 

GUIDO.  Un  seigneur,  nommé  Guido,  blessé 
à  mort  dans  un  combat,  apparut  autrefois 
tout  armé  à  un  prêtre  nommé  Etienne,  quel- 
que temps  après  son  décès,  et  le  pria  de  dire 
à  son  frère  Anselme  de  rendre  un  boeuf  que 
lui  Guido  avait  pris  à  un  paysan,  et  de  répa- 
rer le  dommage  qu'il  avait  fait  à  un  village 
qui  ne  lui  appartenait  pas,  ajoutant  qu'il 
avait  oublié  de  déclarer  ces  deux  péchés 
dans  sa  dernière  confession,  et  qu'il  en  était 
tourmenté.  —  Pour  assurance  de  ce  que  je 
vous  dis,  continua-t-il,  quand  vous  serez 
retourné  à  votre  logis,  vous  trouverez  qu'on 
vous  a  volé  l'argent  que  vous  destiniez  à 
faire  le  pèlerinage  de  Saint-Jacques. 

Etienne,  de  retour,  trouva  en  effet  son  coffre 
forcé  et  son  argent  enlevé  ;  mais  il  ne  put 
s'acquitter  de  sa  commission,  parce  qu'An- 
selme était  absent. 

Peu  de  jours  après,  le  même  Guido  lui  ap- 
parut de  nouveau  et  lui  reprocha  sa  négli- 
gence. Etienne  s'excusa  comme  il  put,  et  il 
alla  trouver  Ansehne,  qui  lui  répondit  dure- 
ment qu'il  n'était  pas  obligé  de  faire  pénitence 
pour  les  péchés  de  son  frère. 

Le  mort  apparut  une  troisième  fois  au 
prêtre,  et  fui  témoigna  son  déplaisir  du  peu 
de  compassion  que  son  frère  avait  de  lui  ; 
puis  il  le  pria  de  le  secourir  lui-même  dans 
cette  extrémité.  Etienne  restitua  le  prix  du 

(2)  Brown,  Essai  sur  les  erreurs  popul.,  p.  ' 

25 


779 


l>(i'iif,  (lit  ilrs  prières,  fit  ilesnutnônes.rccoiii- 
inanda  l'âinf  aux  gens  do  hini  de  sa  connais- 
sance ;  cl  Guido  ne  reparul  plus  (1). 

GUILLAUME ,  domestique  de  Mynhecr 
Clalz,  cenlilhomiiip  du  duché  dw  Jiilrers,  au 
<|iiinzieine  siècle.  Ce  Guillaume  fut  possédé 
du  diable,  cl  demanda  pour  exorciste  un  pas- 
teur hérétique,  nommé  Barlhoiomée  Paiicii, 
homme  qui  se  faisait  payer  pour  chasser  le 
diable,  et  qui,  dans  relie  circouslanco,  fut 
penaud. 

Comme  le  démoniaque  pâlissait,  que  son 
gosier  enQail,  el  qu'on  craignait  qu'il  ne  fût 
suffoqué  entièrement,  l'épouse  du  seigneur 
Clalz,  dame  pieuse,  ainsi  que  toute  sa  famille, 
se  mita  réciter  la  prière  de  Judith. Guillaume 
alors  se  prit  à  vomir,  entre  autres  débris,  la 
ceinture  d'un  bouvier,  des  pierres,  des  pelo- 
tons de  01,  du  sel,des  aiguilles,  des  lambeaux 
de  l'habit  d'un  enfant, des  plumes  de  paon  que 
huit  jours  auparavant  il  avait  arrachées  de  la 
queue  du  paon  même. 

On  lui  demanda  la  cause  de  son  mal.  Il 
répondit  que,  passant  sur  un  chemin,  il  ayait 
rencontré  une  femme  inconnue  qui  lui  avail 
soufflé  au  visage,  et  que  tout  son  mal  datait 
de  ce  moment.  Cependant,  lorsqu'il  fut  réta- 
bli, il  nia  le  fait,  et  ajouta  que  le  démon  l'a- 
vait forcé  à  faire  cet  aveu,  et  que  toutes  ces 
matières  n'étaient  pas  dans  son  corps;  mais 
qu'à  mesure  qu'il  vomissait,  le  démon  chan- 
geait ce  qui  sortait  de  sa  bouche  (2).... 

GUILLAUME  DE  CARPENTRAS,  astrolo- 
gue qui  fit  pour  le  roi  René  de  Sicile, et  pour 
le  duc  de  Milan,  des  sphères  astrologiques  sur 
lesquelles  on  tirait  les  horoscopes.  Il  en  lit 
une  pour  le  roi  Charles  VIII,  qui  lui  coûta 
douze  cents  écus  ;  celle  sphère  contenait  plu- 
sieurs utilités,  et  était  fabriquée  de  telle  ma- 
nière que  tous  les  mourements  des  planètes, 
à  toutes  heures  de  jour  et  de  nuit,  s'y  pou- 
vaient trouver  ;  il  l'a  depuis  rédigée  par  écrit 
en  tables  astrologiques  (3). 

GUILLAUME  LE  ROUX,  fils  de  Guillaorac 
le  Conquérant,  et  lyran  de  l'Angleterre  dans 
le  onzième  siècle.  C'était  un  prince  abomi- 
nable, sans  foi,  sans  mœurs,  blasphémateur 
el  cruel.  Il  fit  beaucoup  de  mal  à  l'Eglise  en 
Angleterre;  il  chassa  l'archevêque  de  Can- 
torbéry,  et  ne  voulut  point  que  ce  siège  fût 
rempli  de  son  vivant,  afin  de  profiler  des  re- 
venus qui  y  étaient  attachés.  Il  laissa  les 
prêtres  dans  la  misère  et  condamna  les 
moines  à  la  dernière  pauvreté.  Il  entreprit 
des  guerres  injustes  el  se  fil  généralement 
délester. 

Un  jour  qu'il  était  à  la  chasse  (en  l'année 
1100,  dans  la  quaranlc-quatrième  de  son  âge 
et  la  treizième  de  son  règne),  il  fui  tué  d'une 
Hèche  lancée  par  une  main  invisible.  Pendant 
•ju'il  rendait  le  dernier  soupir,  le  comte  de 
("ornouailles,  qui  s'était  un  peu  écarté  de  la 
(basse,  vit  un  grand  bouc  noir  cl  velu,  qui 
v<mportait  un  homme  défiguré  et  percé  d'un 

(I)  Pierre  le  Vénérable,  Livre  des  Miracles. 
{i)  Wierus,  de  Pracsl.,  lib.  III,  cap.  vi. 
(?))  Exlruit  d'un  ancien   maniiscrh ,   elle  ï  la  fio  dos 
n'iiiarqL<!s  de  Joly  sur  Hayle. 
(i)  MaUljeiTjnii'li  Prsèmia  virluluro.— Matlhieu  PJiris. 


DlCTlo^^.\mE  des  scie.nces  occi.ltes.  tho 

Irait  de  part  en  pari...  Le  comte,  troublé  de 
ce  spectacle,  cria  pourUiiil  au  bouc  île  s'ar- 
rôler,  et  lui  demanda  qui  il  était,  qui  il  por- 
tail, où  il  allait?  Le  bouc  répondit  :  —  «  Je  suis 
le  diable  ;  j'emporte  Guillaume  le  Roux,  cl 
je  vais  le  préseuter  au  tribunal  de  Dieu,  où  il 
sera  condamné  pour  sa  tyrannie;  cl  il  vien- 
dra avec  nous  (4).» 

GUILLAUME  DE  PARIS.  Il  est  cilé  par 
les  démonographes  pour  avoir  fait  des  statues 
parlantes, à  l'exemple  de  Roger  Bacon,  cho^e 
qui  ne  peut  élrc  faite  que  par  les  opérations 
diaboliques  (5). 

GUINEFOKT.  Tout  le  monde  conn.itt  lo 
f.ibliau  intéressantdu  chien  et  du  serpent  (6). 
Il  est  fondé  sur  une  anecdote  qui  a  produit 
de  graves  superstitions.  Legrand  d'Aussy.qui 
a  publié  ces  détails,  les  doit  au  père  Etienne 
Bourbon,  dominicain,  mort  en  1262  (Traité 
des  différentes  matières  de  sermons,  divisées  se- 
lon les  sept  dons  du  Saint-Esprit,  avec  tes 
causes,  effets,  raisons  et  exemples  pour  édifier. 
(Scriptores  ordiuis  praedicalorum,  touie  1", 
page  193). 

Le  P.  Bourbon  raconte  que,  préchant  cl 
confessant  dans  le  diocèse  de  Lyon,  plusieurs 
femmes  vinrent  à  lui  s'accuser  d'avoir  porté 
leurs  enfants  à  saint  Guinefort.  Curieux  du 
connaître  quel  était  ce  saint  dont  le  culte  de- 
venait un  objet  de  confession,  il  fit  des  infor- 
mations, examina  el  découvrit  que  celait  un 
chien.  Voici,  selon  lui,  comment  arriva  l'é- 
vénement. 

«Ce  chien  appartenait  au  seigneur  de  Vil- 
lar.  Un  jour  que  ce  gentilhomme  était  sorti 
avec  sa  femme,  la  nourrice  qui  allaitait  leur 
fils  ayant  quitté  un  instant  son  nourrisson,  un 
serpent  entre  dans  la  chambre  pour  le  dévo- 
rer. Le  chien  l'attaque  el  le  lue.  La  nour- 
rice, à  son  retour  croit  l'enfant  étranglé.  A 
ses  cris,  le  père  cl  la  mère  accourent  ;  el  ce- 
lui-ci, sans  rien  examiner,  tue  son  chien. 
Mais  bientôt,  convaincu  de  son  injustice,  il 
ensevelit  par  reconnaissance  l'animal  dans 
un  puits,  qui  était  devant  la  porte  du  clià- 
leau  :  il  le  couvre  de  pierres  ;  el,  pour  éter- 
niser sa  mciiioire,  il  fait  planter  un  arbre 
auprès  de  ce  monument. 

«Peu  de  temps  après,  le  château  ayant  élé 
détruitde  fond  en  comble,  lelieu  devint  désert; 
mais  les  paysans  des  enviions, instruits  de  l'a- 
venture el  de  la  mort  malheureuse  du  chien, 
l'honorèrent  comme  martyr,  sous  le  nom  de 
saint  Guinefort;  et,  séduits  par  le  diable,  ils 
vinrent  à  son  tombeau  l'invoquer  dans  leurs 
infortunes  cl  leurs  iiifirmiiés. 

«  Les  femmes  surtout  y  apportaient  leurs 
enfants  quand  ils  étaient  malades.  Elles  s'y 
faisaient  conduire  par  une  vieille  sorcière 
qui  habitaità  une  lieue  de  là,  elqui  était  ha- 
bile dans  l'art  d'évoquer  les  démons.  D'a- 
bord la  mère  et  la  sorcière  offraient  à  Gui- 
nefort du  sel  ou  quelque  autre  don  ;  et  toutes 
deux  enfonçaient  des  aiguilles  dans  les  ar- 


Historia  major,  t.  II. 

(b)  Naude,  A|>ol.  pour  les  grands  personnages  accusés 
de  magie,  ch.  xvii,  p.  493. 

(p)  Voyez  tes  Fabliaux  du  moijen  Age,  recueillis  p.ir 
J.  Loyseaii;  niiez  l'erisse,  ISi",  ji.  i(i. 


781 


CLI 


lires  du  lien.  Puis,  après  avoir  dépouillé  ren- 
iant et  posé  ses  drapeaux  sur  les  buissons 
voisins,  elles  se  le  jetaient  l'une  à  l'autre,  en 
le  faisant  passer  entre  deux  arbres.  Pendant 
ce  temps,  elles  invoquaient  les  démons  et 
surtout  les  faunes  de  la  forêt  Rimile,  qu'elles 
conjuraient  de  prendre  cet  enfant  malade 
qui  leur  appartenait,  et  de  leur  renire  lo 
leur,  qui  naguère  était  sain  et  bien  portant. 
L'enfant,  après  cet  exercice  meurtrier,  élait 
posé  nu  au  pied  d'un  arbre,  sur  la  paille  de 
son  berceau.  Les  deux  femmes  alors  allu- 
maient deux  cierges,  gros  comme  le  pouce, 
qu'elles  posaient,  à  sa  tête  et  à  ses  pieds,  sur 
une  des  branches  de  l'arbre.  Puis  elles  se 
reliraient,  ne  s'arrêtant  et  ne  cessant  de 
marcher  que  quand  elles  ne  pouvaient  plus  le 
voir  ni  entendre  ses  cris.  Lorsque  les  cierges 
étaient  consumés,  elles  se  rapprochaient. 
Mais  souvent  il  arrivait  qu'en  toinbani,  les 
cierges  mettaient  le  feu  à  la  paille,  et  l'enfant 
alors  se  trouvait  brûlé.  J'ai  même  ouï  dire  à 
une  mère,  continue  le  bon  dominicain,  que, 
tandis  qu'elles  se  retiraient  en  invoquant  les 
faunes,  un  loup  sorti  de  la  forêt, était  accouru 
et  aurait  infailliblement  dévoré  son  fils,  si 
elle  n'était  venue  au  secours. 

«Enfin,  quand  les  femmes,  à  leur  retour, 
retrouvaient  l'enfant  vivant,  elles  le  portaient 
à  un  ruisseau  voisin,  nommé  Chalarone,  et 
là  elles  le  plongeaient  dans  l'eau  neuf  fuis  de 
suite.  Peu  d'enfants  étaient  capables  de  rési- 
bler  à  tant  d'épreuves  meurtrières,  et  ordi- 
nairement ils  périssaient  à  l'endroit  même, 
ou  peu  d'heures  après. 

«Je  me  suis  rendu  sur  le  lieu,  poursuit  le 
père  Bourbon  ;  j'y  ai  assemblé  le  peuple,  et 
j'ai  prêché  contre  celte  supersiition.  Par  mon 
ordre,  on  a  détruit  le  bois,  on  a  exhumé  le 
mort,  on  a  brûlé  ses  os,  et  le  seigneur  a 
rendu  une  ordonnance  qui  défendait  de  ve- 
nir là  pour  pareil  motif,  sous  peine  d'une 
confiscation  générale  de  tous  les  biens.  » 

Il  y  a  un  autre  récit,  assez  semblable  à  ce 
qu'on  vient  de  lire;  seulement  l'aventure  a 
lieu  en  Auvergne,  sous  le  règne  de  Louis 
le  Débonnaire  ;  le  chien  périt  d;ins  le  combat 
avec  le  serpent.  Ce  chien  s'appelait  Ganelon. 
Son  mallre,  par  reconnaissance,  lui  fait  éle- 
ver un  tombeau  près  d'une  fontaine.  Deux 
ou  trois  siècles  ayant  aboli  la  mémoire  de 
l'événement,  et  la  fontaine  s'étant  trouvée 
médicinale,  les  guérisons  qu'opérèrent  ses 
eaux  furent  attribuées  à  la  vertu  du  tombeau, 
et  l'on  y  bâtit,  sous  l'invocation  de  saint  Ga- 
nelon, une  sorte  de  chapelle  que  longtemps 
le  concours  des  peuples  rendit  célèbre.  Entin 
un  évêque,  après  bien  des  recherches,  dé- 
couvre dans  les  archives  du  château  l'anec- 
dote du  chien,  et  il  abolit  la  superstition. 

Celle  dernière  histoire  se  trouve  citée  dans 
un  ouvrage  imprimé  en  1713,  sur  la  vénéra- 
tion rendue  aux  reliques  des  saints  selon  l'es- 
prit de  l'Eglise,  et  purgée  de  toute  superstition 

(1)  Le  Journal  de  Pnris,  26  octolire  1786,  donne  l'his- 
toiri'  d'un  interprèle  grec  à  Consiaiilirio(ilc,  dont  la  maison 
élait  devenue  la  proie  di'S  flammes,  el  dont  le  fils  fut  sauvé 
de  l'incendie  par  un  cliien  qui  l'emporta  dans  sa  gueule. 
Cet  homme  ,  dit  l'aulcur  elle  par  le  jourualisle  ,  tuii  syii 


GLY  782 

populaire.  En  l7l4,  les  Mémoires  de  Trévoux 
ayant  rendu  compte  du  livre,  ils  citèrent 
riiistoire  de  Ganelon  ;  e(  depuis,  le  P.  Feijoo, 
bénédictin  espagnol,  l'a  rapportée  dans  sua 
Théâtre  critique  des  erreurs  communes  (1). 

GULLEÏS  ou  BONASSES,  démons  qui  ser- 
vent les  hommes  dans  la  Norwége,  et  qui  se 
louent  pour  peu  de  chose.  Ils  pansent  les 
chevaux,  les  étrillent,  les  frottent,  les  bri- 
dent, les  sellent,  dressent  leurs  crins  et  leurs 
queues,  comme  le  meilleur  palefrenier  :  ils 
font  même  les  plus  viles  fonctions  de  la  mai- 
son. V^oy.  BÉaiTH,  Hecdekiiv,  etc. 

GURME,  chien  redoutable,  espèce  de  Cer- 
bère de  l'enfer  des  Celtes.  Pendant  l'existence 
du  monde,  ce  chien  est  attaché  à  l'entrée 
d'une  caverne;  mais  au  dernier  jour  il  doit 
être  lâché,  attaquer  le  dieu  Tyr  ou  Thor,  et 
le  tuer. 

GUSOYN,  grand-duc  aux  enfers.  Il  appa- 
raît sous  la  forme  d'un  chameau.  Il  répond 
sur  le  présent,  le  passé,  l'avenir,  et  décou- 
vre les  choses  cachées.  Il  augmente  les  di- 
gnités et  affermit  les  honneurs.  Il  commande 
a  quarante-cinq  légions  (2). 

GUSÏAPH.  Voy.  ZOROASTRK 

GUTHEYL  ou  GUTHYL,  nom  sous  lequel 
les  Germains  vénéraient  le  gui  de  chêne.  Ils 
lui  attribuaient  des  vertus  merveilleuses 
parliculièrementconlrel'épilepsie,  etlecueil- 
1  lient  avec  les  mêmes  cérémonies  que  les 
Gaulois. 

Dans  certains  endroits  de  la  Haute-Alle- 
mngne,  cette  superstition  s'est  conservée,  et 
les  habitants  sont  encore  aujourd'hui  dans 
l'usage  de  courir  de  maison  en  maison  et  de 
ville  en  ville,  en  criant  :  «  Gutheyl  !  Gutheyl  1 

Des  Septentrionaux  s'imaginaient  qu'un 
homme,  muni  de  gui  de  chêne,  non-seule- 
ment ne  pouvait  être  blessé,  mais  était  sûr 
de  blesser  tous  ceux  contre  lesquels  il  lançait 
une  flèche.  C'est  à  cause  de  ces  vertus  ma- 
giques, attribuées  au  gui  de  chêne,  qu'on 
l'appelle  en  Alsace  Marentakein,  c'est-à-dire 
arbrisseau  des  spectres. 

GUYMOND  DE  LA  TOUCHE.  Le  règne  de 
Voltaire,  en  1737,  brillait  de  toute  sa  fausse 
splendeur.  Des  souverains  philosophes  ou 
indiffirents  l'encourageaient,  sans  prévoir, 
dans  leurs  vues  bornées,  ce  qui  sortirait  de 
ces  doctrines.  La  société,  tombée  dans  un 
grand  relâchement  de  mœurs,  applaudissait 
une  philosophie  qui  mettait  les  consciences 
à  l'aise.  Une  morale  facile,  vague,  arbitraire, 
toujours  pliée  aux  passions  humaines,  rem- 
plaçait les  grands  enseignements  de  la  reli- 
gion. Ou  n'allait  plus  guère  au  sermon  ;  mais 
il  y  avait  des  prêches  au  théâtre.  Voltaire 
avait  mis  à  la  mode  les  tirades  philosophiques 
sur  la  scène;  et  dans  toutes  les  tragédies  si 
froides  de  ce  temps-là,  on  était  sûr  de  ren- 
contrer, parmi  les  personnages,  un  prédicant 
qui  débitait  des  axiomes  à  tort  et  à  travers. 
'Tous  les  jeunes  poêles  fourvoyés  avaient  soin 

cbien  en  reconnaissance  de  ce  bienfait ,  et  le  flt  manger 
par  ses  amis,  prélendunl  qu'un  pareil  animal  ue  devait 
pas  être,  à  sa  mort,  la  proie  des  vers. 
(2)  Wicrus,  in  Pstudoiaunarcliia  da;m. 


783 


niCTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCLLTES. 


78* 


de  moraliser  ainsi,  quelquefois  de  la  manière 
la  plus  grotesque. 

On  représenta  en  1757,  le  î^juin,  une  Ira- 
gédie  intitulée  :  Jphigénieen  Tauride,  imita- 
lion  des  anciens.  Ceux  qui  connaissent  la 
lilléralure  dramatique,  savent  que  dans  celte 
pièce,  Iphigéiiie,  devenue  vieillf,  rompue  au 
métier  de  bourrelle,  comme  prétresse  de  Dia- 
ne, immolait  de  sa  main, dans  d'horribles  sa- 
crifices, tous  les  étrangers  que  la  mer  jetait 
sur  son  affreux  rivage,  lïh  bien!  l'auteur  lui 
faisait  faire  à  celle  femme  un  discours  moral, 
le  couperet  sanglant  au  poing.  El  quel  était 
le  thème  de  ce  hors-d'œuvre  si  singulière- 
ment placé?  l'éloge  de  la  loi  naturelle,  qu'elle 
violait  tous  les  jours.  C'est,  disait-elle, 

C'est  la  première  loi,  c'est  la  seule  peut-être... 
C'esl  lu  seule  du  moins  qui  se  Tasse  coiiuiiiire, 
Oui  soil  de  tous  les  temps,  qui  soit  de  tous  les  licuXj 
El  qui  règle  à  la  fois  les  hommes  et  les  dieux... 

et  malgré  la  critique  de  Gilbert,  qui  s'écriait 
indigné  : 

La  muse  de  Sophocle,  en  robe  doctorale. 

Sur  des  tréteaux  sangluuts  irolisse  la  morale... 

malgré  la  spirituelle  parodie  do Favart  et  Voi- 
senon  (les  Rêveries  renouvelées  des  Grecs), 
qui  est  une  si  bonne  critique,  malgré  le  sens 
commun,  le  public  d'alors  applaudissait;  et 
de  nos  jours ,  car  il  n'y  a  pas  longtemps 
qu'on  jouait  encore  celte  pièce,  ceux  qui  vont 
au  théâtre  ont  vu  de  tels  vers  accueillis  dans 
une  telle  bouche  et  dans  une  telle  situation. 
L'auteur  de  cette  tragédie  était  Guymond 
de  la  Touche,  poëte  de  38  ans,  né  à  Châ- 
leauroux  en  1719.  Comme  il  n'a  fait  que  celte 
pièce,  et  que  le  jour  de  la  représentation  un 
avocat  au  parlement  de  Paris,  nommé  Yau- 
bertrand.  Ht  vendre  tout  imprimée  une  tra- 
gédie de  lui,  intitulée. pareillement  Jphigénie 
en  lauride,  laquelle  n'a  pa<  été  jouée,  on  a 
voulu  cunlester  à  Guymond  l'invention  de  sa 
fable.  Mais  il  n'y  avait  invention  pour  per- 
sonne, puisque  c'était,  comme  nous  l'avons 
dit,  une  imitation.  Les  sorties  philosophi- 
ques seules  étaient  nouvelles  et  sont  bien 
de  Guymond  de  la  Touche.  Cet  homme  qui, 
d'abord  plein  d'un  zèle  ardent  et  peut-être 
mal  réglé,  était  entré  dans  une  maison  reli- 
gieuse, voulant  se  faire  missionnaire  ,  avait 
ensuite  rencontré  dans  le  mondo  des  philo- 
sophes dont  il  avait  trouvé  la  condition  plus 
douce;  et  il  s'était  laissé  entraîner  dans  leur 
tourbillon.  Il  leur  avait  donné  un  de  ces  ga- 
ges qu'ils  demandent  souvent  à  ceux  de  qui 
ils  s'emparent  ;  il  avait  publié  une  mauvaise 
épîire  intitulée  fes  Soupirs  dw  c/ot/re.  ou  le 
Triomphe  du  fanatisme,  fruit  d'une  colère 
aveugle  et  injuste,  dit  un  biographe.  Lié  avec 
les  incrédules,  il  y  avait  quinze  ans  qu'il 
s'était  rayé  lui-même  de  la  liste  des  chré- 
tiens. Il  n'avait  plus  de  joug,  disait-il,  que 
la  loi  naturelle,  qui  n'est  ni  un  joug  ni  un 
frein ,  puisqu'elle  permet  tout,  qu'elle  se 
plie  à  tout,  et  qu'elle  est  la  licence.  Il  vivait 
donc  en  esprit  fort,  ne  croyant  à  rien  ,  mé- 
prisant les  préjugés,  raillant  la  foi  ,  se  mo- 
quant de  la  foule,  au-dessus,  disait-il,  de  la 
tu,  erslition,  des  faiblesses  et  de  l'erreur, 


ferme  dans  ses  convictions  philosophiques, 
niant  sans  réserve  tout  ce  qu'il  ne  compre- 
nait pas,  prétendant  tout  expliquer  par  la 
seule  puissance  delà  raison  humaine,  et  se 
promettant  bien  de  mourir  enveloppé  dans 
sa  philosophie,  — manteau  un  peu  troué. — 
Mais  hélas  I  ainsi  raisonnait  l'anglais  John- 
son, qui  avait  peur  des  revenants. 

Dans  ces  slo'iques  dispositions ,  le  II  fé- 
vrier 1760,  tout  préoccupé  d'une  Iriigéilie  do 
Régulus,  dont  il  venait  déterminer  le  plan, 
Guymond  s'en  alla  rendre  ses  devoirs  à  une 
très-grande  dame  qui  l'accueillait  à  ses  soi- 
rées. Au  lieu  d'arriver  dans  une  société  nom- 
breuse, comme  il  s'y  était  attendu  ,  il  ne 
trouva  que  la  princesse,  laquelle,  en  com- 
pagnie de  deux  de  ses  amies,  se  disposait  à 
se  rendre  incognito  chez  une  sorcière.  Tel- 
les étaient  les  mœurs  d'alors;  on  n'avait  pas 
de  religion,  elonconsuilait  les  devineresses. 
Desfemmesqui  repoussaient  le  catéchisme, 
ouvraient  les  livres  qui  expliquent  les  son- 
ges. Qu'on  se  rappelle,  un  peu  plus  tard,  les 
succès  de  Caglioslro  ;  et,  sous  l'Empire,  l'im- 
pératrice Joséphine  se  faisant  tirer  les  cartes 
par  mademoiselle  Lenormand. 

La  sagesse  philosophique  de  Guymond  se 
révolta  d'abord.  Malgré  son  respect  pour  la 
grande  dame,  il  osa  dire  :  —  Quoi  1  votre  es- 
prit élevé,  madame  ,  peut-il  croire  aux  sor- 
cières? 

— C'esl  fort  curieux,  répondit  la  princesse; 
et  puis  nous  ne  vous  mettons  point  dans  nus 
secrets  pour  subir  votre  critique. 

— Mais  vous  n'ignorez  pas,  madame,  qu'un 
vain  charlatanisme  est  toute  la  science  de 
ces  femmes. 

—  Que  vous  importe?  les  philosophes  sont 
des  charlatans  aussi. 

—  Mais  nous  sommes  sous  le  règne  de  la 
raison,  dans  le  siècle  des  lumières. 

—  Noire  sorcière  travaille  la  nuit;  et  pour 
vous  punir  de  vos  observations  ,  vous  allez 
venir  avec  nous. 

—  Ce  sera  toujours  un  grand  honneur 
pour  moi.  Mais  au  moins ,  madame,  me  sera- 
t-il  permis  de  rire  des  choses  que  je  ver- 
rai? 

—  Tant  qu'il  vous  plaira,  si  vous  pouvez. 

—  Je  suis  donc  à  vos  ordres. 

Il  partit  avec  les  dames,  et  se  promit,  en 
y  réfléchissant  plus  mûrement,  une  soirée 
amusante.  Toutefois  ,  il  ne  pouvait  se  tenir 
en  lui-même  d'avoir  orgueilleusement  pitié 
delà  princesse  à  l'esprit  faible. 

On  arriva  chez  la  sorcière.  Celait  une  devi- 
neresse de  haute  société.  Les  salons,  mysté- 
rieusement décorés,  avaient  quelque  chose 
de  solennel  et  d'imposant.  La  tenture  était 
une  étoffe  brune,  sur  laquelle  on  avait  brodé 
en  gris  des  chauves-souris ,  des  scarabées 
et  des  hiéroglyphes.  Une  seule  lampe, dont 
la  clarté  était  fort  vive  ,  éclairait  la  salle 
d'audience.  Celte  lampe  reposait  sur  une  table 
carrée, couverte  d'un  tapis  de  serge  noire  (lui 
traînait  jusqu'à  terre.  Tout  auprès  était  as- 
sise, sur  un  trépied  de  fer,  la  sorcière  en  vo- 
gue. Elle  était  velue  d'une  roi)e  pourpre  , 
avec  son  capuchon,  bordée  de  baiidos  blan. 


785 


GUY 


r,u\ 


78fl 


ches  et  semée  d'cloiles  ;  àvs  banilclelles  égyp- 
tiennes encadmicnt  son  visage  sérieux  et  ré- 
gulier. Celle  femme  avait  cinquante  ans; 
elle  était  forte  et  puissante,  relevée  encore 
par  une  haute  taille  et  par  un  grand  air  de 
dignité. 

Les  ricanements  de  Guyinond  de  la  Touche 
expirèrent  un  peu  sur  ses  lèvres,  à  ce  spec- 
tacle qu'il  n'avait  pas  prévu.  Venu  pour 
railler,  il  ne  sentait  plus  dans  son  esprit 
qu'une  curiosité  vivement  excitée.  Se  repro- 
chant cette  sorte  de  concession,  il  détourna 
les  yeux  de  la  sorcière  ,  cherchant  à  sourire 
au  moins  des  assistants  ,  qui  étaient  nom- 
breux. Celait  une  séance  de  celle  maçonne- 
rie égyptienne  que  des  Juifs  vagabonds 
avaient  depuis  peu  importée  à  Paris.  Mais 
tous  les  spectateurs  étaient  imuiobiles  et 
gardaient  le  plus  profond  silence. 

Une  manière  de  Cophte  entra,  sans  dire 
nn  mol,  velu  d'une  longue  robe  blanche,  le 
front  ceint  dune  banderole  d'argent.  Il  opé- 
rait avec  la  devineresse.  Ce  personnage  ne 
s'annonça  qu'en  traçant  dans  l'air  un  alpha 
avec  une  baguettenoire.il  amenaitunejeune 
Qlle  vêtue  de  noir  et  couronnée  de  fougère, 
de  trèfle  et  de  verveine,  laquelle  s'arrêta  de- 
vant la  table.  Un  des  assistants  déposa  un 
papier,  qui  sans  doute  contenait  une  ques- 
tion ;  la  princesse,  que  le  poëte  dramatique 
accompagnait,  en  déposa  un  autre.  Aucun 
bruit,  aucun  mot  ne  rompait  le  silence. 

Le  Cophte ,  qui  procédait  avec  une  ex- 
trême gravité,  se  mil  à  enfoncer  des  épingles 
dans  le  cou  de  la  jeune  fîlle  ,  dont  le  visage 
n'exprimait  pas  la  moindre  sensibililé.  Parmi 
les  spectateurs  ,  les  uns  témoignaient  une 
terreur  muette,  les  autres  une  singulière  vé- 
nération ;  la  princesse  et  ses  amies  demeu- 
raient calmes. 

Cuymond  cherchait  une  figure  qui  du 
moins  échangeai  avec  lui  un  regard;  mais 
personne  n'élail  disirait  du  spectacle  ex- 
traordinaire de  la  jeune  fille  piijuéc. 

Quand  les  épingles  qu'on  lui  enfonçait  dans 
le  cou  eurent  formé  un  triangle  enfermé  dans 
an  cercle  ,  elle  prit  sur  une  console  (jui  était 
derrière  la  sorcière  une  cloche  de  verre  par- 
faitement transparent,  et  la  posa  sur  les  deux 
papiiTs  plies  qui  étaient  déposés  devant  la 
lampe.  Tout  le  monde  redoubla  d'atteniion. 
Le  Cophte  se  retira  pendant  qu'on  admirait 
le  phénomène  des  deux  billets  agites  d'un 
léger  mouYcment.  Guymond  frappé  s'appro- 
cha davantage.  Il  voulait  chercher  des  res- 
sorts à  cette  nwigie  qu'il  voyait. 

La  sorcière  alors  ouvrit  enfin  la  bouche  et 
prononça  sourd(!ment ,  mais  distinctement, 
ces  paroles  en  s'adressant  au  poëte  : 

—  Vous  êtes  bien  empressé  à  vous  éclair- 
cir  de  ce  qu'on  fait  ici  I 

Guymond  releva  la  tête.  Personne  ne  dé- 
tourna les  yeux  de  la  cloche  de  verre  qu'ua 
nujige  gris  remplissait.  On  voyait  à  travers 
les  deux  billets  danser.  Le  nuage  s'épaissit; 
un  moment  on  ne  vit  plus  rien.  La  lumière 
de  la  lampe  devint  plus  rouge  et  plus  c  in- 
centrée. 

Le  poëte,  surpris  de  l'insolence  de  ladcvi- 


ner.'sse  ,  ne  savait  s'il  devait  la  recevoir  au 
sérieux  ou  s'il  devait  en  rire.  Elle  reprit  sur 
le  même  ton  théâtral  : 

—  Curieux  étranger  ,  qui  rouler  pcnéirer 
des  mystères  fermés  pour  vous,  et  <iui  ne 
voyez  pas  ce  qui  vous  touche,  je  vais  vous 
apprendre  un  avenir  que  vous  no  veniez  pas 
chercher  ici.... 

L;i  cloche  était  redevenue  transparente  ;  le 
nuage  s'était  évanoui.  A  la  place  des  deux 
billets  qu'elle  couvrait,  et  qu'on  avait  mis  là 
pJiés  en  carré,  se  trouvaient  deux  autres  bil- 
lets plies  en  triangle.  C'étaient  les  réponses 
demandées. 

La  jeune  fille,  qui  devait  les  prendre,  resta 
immobile,  respeclant  l'action  de  la  sorcière. 
Celle-ci  fixait  sur  Guymond  un  œil  ardent; 
et  tous  les  regards  s'étaient  arrêtés  sur  lui. 

—  Vous  portez  au  front,  poursuivit-elle, 
un  signe  qui  ne  me  trompera  point.  Vous  ne 
reviendrez  pas  deux,  fois  devant  le  trépied 
de  fer... 

Le  poëte  fit  un  mouvcmenl. 

—  Apprenez ,  dit-elle  enfin  ,  que  vous 
mourrez  dans  trois  jours. 

Un  cri  étouffé  sortit  de  la  poitrine  de  Guy- 
mond. A  ce  cri,  la  cloche  bondit  sur  la  table 
et  se  brisa  en  retombant.  Ce  fait  acheva  do 
l'épouvanter;  et  cet  homme,  qui  ne  croyait 
à  rien,  qui  niait  tout,  qui  voulnit  tout  com- 
prendre, s'affaissa  sur  lui-même  et  chercha 
un  siège  où  il  tomba. 

Le  Cophte,  reparaissant  subitement  alors, 
pour  rappeler  aux  autres  assistants  la  né- 
cessité du  silence,  avait  tracé  en  l'air  un  lo- 
sange avec  sa  baguette.  Tous  les  habitués 
savaient  qu'un  mot,  un  cri  prononcé  par  un 
profane  pendant  les  expériences,  détruisait 
les  charmes. 

La  jeune  fille  remit  au  Cophte  les  deux 
billets;  celui-ci  les  rendit  à  leur  adresse.  La 
demande  de  la  princesse  était  : 

—  Qu'est  devenu  un  ami  bien  cher  que 
j'ai  perdu? 

La  réponse  se  fornaulait  ainsi  : 

—  Il  vous  attend,  plein  de  tendresse,  dans 
voire  salon. 

Une  grande  joie  se  manifesta  sur  le  visage 
de  la  haute  dame.  Sans  attendre  autre  chose, 
elle  glissa  dans  la  main  de  la  jeune  fille  aux 
épingles  une  riche  récompense ,  fit  un  signe 
au  poëte,  qui  se  leva  chancelant,  et  sortit 
avec  ses  deux  amies.  Guymond  était  touibé 
dans  une  si  profonde  rêverie  et  dans  un  si 
sombre  abaltcmenl,  qu'il  fut  impossible  aux 
trois  dames  de  le  ramener  à  d'autres  idées, 
et  qu'il  se  tint  comme  un  malade  dans  un 
coin  de  la  voiture. 

En  vain  la  princesse  fil  un  appel  à  sa 
philosophie,  à  son  esprit  fort  ;  il  était  la 
preuve  encore  vivante  de  la  faiblesse  des 
sophistes. 

La  dame  avait  hâte  de  revoir  son  cher 
Lauzun.  Dès  qu'elle  rentra  dans  son  salon, 
sa  femme  de  chambre  le  lui  remil  entre  les 
bras.  C'était  un  joli  épagneul  anglais,  qui 
s'était  perdu  cl  qui,  disail-on  à  sa  louange, 
él'iit  revenu  seul,  depuis  un  quart  d'heure. 

Col  incident  acheva  de  confondre  le  philo- 


787 


DlCTIONNAmE  DE«  SCIENCES  OCCULTES. 


788 


sDphe  ;  il  fil  ses  révérences  et  se  retira  chez 
lui.  Il  se  mit  au  lit.  La  révolution  que  la  der- 
nière parole  de  la  sorcière  avait  opérée  dans 
son  cerveau  lui  donna  une  fièvre  telle  qui! 
le  troisième  jour  en  effet,  —  14  février  1760, 

—  Guymond  de  la  Touche  mourut  de  terreur. 

—  Nous  ignorons  dans  quels  sentiments  il 
■rendit  l'esprit.  Mais  s'il  y  avait  une  porte  au 
cerveau  des  incrédules,  on  y  verrait  ainsi  de 
surprenantes  pusillanimités. 

Vous  seriez  mal  satisfaits,  si  nnus  vous 
laissions  dans  le  doute  sur  les  merveilles 
auxquelles  nous  vous  avons  fait  assister, 
quand  nous  en  avons  la  clef  et  l'explication. 

Quinze  jours  après  la  visite  dont  nous  ve- 
nons de  voir  les  conséquences,  le  lieutenant 
de  police  découvrit  l'antre  de  la  sibylle,  qui 
exerçait  sans  permission  une  profession  pro- 
Inhée.  Ou  l'arrêta,  avec  le  Cophte,  la  jeune 
lille  aux  piqûres  et  un  petit  nain  très-futé 
qui  1rs  servait.  C'était  une  famille  de  Bohé- 
miens d'Alsace,  qui  gagnait  beaucoup  d'ar- 
gent. On  reconnut  que  la  table  au  tapis  noir 
était  adroitement  percée  au  milieu  ;  que  le 
nain  se  tenait  dessous  pendant  les  séances  ; 
qu'il  introduisait  par  un  tube  une  fumiga- 
tion dans  la  cloche,  au  moyen  de  laquelle  il 
établissait  l'obscurité;  qu'il  enlevait  alors  la 
bonde  parfaitement  ajustée,  retirait  les  bil- 
lets et  les  passait,  au  moyen  d'une  coulisse, 
dans  le  réduit  voisin  où  le  Cophte  faisait  les 
courtes  réponses.  Quand  ces  réponses  étaient 
remises  sous  la  cloche,  le  nain  replaçait  la 
bonde  et  par  une  petite  machine  aspirante 
relirait  la  fumée.  II  produisait  par  les  mé- 
iiies  agents  des  commotions  et  d'autres  pro- 
diges. Ces  opérations  se  faisaient  avec  une 
grande  habileté. 

On  apprit  aussi  le  secret  des  épingles. 
Elles  étaient  disposées  sur  une  large  pelote. 
Le  Cophte,  n'ayant  l'air  d'en  prendre  qu'une, 
les  prenait  deux  par  deux ,  une  très-grande 
que  les  assistants  voyaient  fort  bien ,  une 
très-petite  que  l'on  ne  voyait  pas.  Il  laissait 
couler  la  grande  dans  sa  manche,  disposée 
pour  la  recevoir,  et  n'enfonçait  que  la  petite, 


qui  n'avait  qu'une  ligne  de  longueur  et  qui 
était  tellement  fine  avec  une  très-grosse  tète, 
qu'elle  entrait  dans  la  peau  sans  y  causer  au- 
cun dégât. 

Enfin  on  sut  que  les  nouvelles  données  sur 
le  tendre  ami  à  quatre  pattes  delà  princesse 
n'avaient  rien  non  plus  de  surprenant;  c'é- 
tait le  Cophte  lui-même  qui  l'avait  volé,  sa- 
chant bien  ce  qu'il  faisait,  et  qui  l'avait  fait 
reporter  à  l'heure  convenable.  On  découvrit 
bien  d'autres  choses;  et  il  s'agissait  de  faire 
le  procès  à  cette  petite  bande  d'imposteurs. 
Mais  comme  les  grandes  dames,  qui  ne  sont 
jamais  les  dernières  à  fréquenter  les  galetas 
où  se  fabriquent  des  singeries  mystérieuses, 
craignaient  de  se  voir  compromises,  on  ob- 
tint du  lieutenant  de  police  qu'il  se  conten- 
tât de  chasser  de  Paris  la  sorcière  et  ses 
aides  ,  qui  allèrent  ailleurs  faire  d'autres 
dupes. 

On  eût  pu  éclairer  Guymond  de  la  Tou- 
che et  le  faire  rougir  de  sa  petitesse  d'esprit. 
Mais  il  n'était  plus  temps. 

GYMNOSOPHISTES  ,  philosophes  ainsi 
nommés  parce  qu'ils  allaient  nus  ou  sans 
habits.  Chez  lesdémonomaoes,  les  gymnusn- 
phisles  sont  des  magiciens  qui  obligeaient 
Jcs  arbres  à  s'incliner  et  à  parler  aux  gens 
comme  des  créatures  raisonnables.  Thespe- 
sion ,  l'un  de  ces  sages  ,  ayant  commandé  à 
un  arbre  de  saluer  Apollonius,  il  s'inclina, 
et ,  rabaissant  le  sommet  de  sa  tête  et  ses 
branches  les  plus  hautes,  il  lui  fit  des  com- 
pliments d'une  voix  distincte, mais  féminine, 
ce  qui  surpasse  la  magie  naturelle  (1). 

GYUOMANCIE,  sorte  de  divination  qui 
se  pratiquait  en  marchant  en  rond,  ou  en 
tournant  autour  d'un  cercle,  sur  la  circon- 
lérence  duquel  étaient  tracées  des  lettres.  A 
force  de  tourner  on  s'étourdissait  jusqu'à  se 
laisser  tomber,  et  de  l'assemblage  des  carac- 
tères qui  se  rencontraient  aux  divers  endroits 
où  l'on  avait  fait  des  chutes,  on  tirait  des 
présages  pour  l'avenir.  Voy.  Alectrïomas- 

CIE 


H 


HAAGENTI,  grand-président  aux  enfers. 
Il  parait  sous  la  figure  d'un  taureau  avec 
des  ailes  di>  griffon.  Lorsqu'il  se  montre  por- 
tant face  humaine,  il  rend  l'homme  habile 
à  toutes  choses  ;  il  enseigne  en  perfeclion 
J'art  de  transmuer  tous  les  métaux  en  or, 
<l  de  faire  d'excellent  vin  avec  de  l'eau 
claire.  Il  commande  trente-trois  légions. 

HABONDIA ,  reine  des  fées  ,  dos  femmes 
blanches,  des  bonnes,  des  sorcières,  des  lar- 
ves, des  furies  et  des  harpies,  comme  l'assure 
Pierre  Delancre  en  son  livre  de  l'Inconstance 
des  démons. 

HABOllYM,  démon  des  incendies  ,  appelé 
aussi  Aym.  Il  porte  auv  enfers  le  titre  de 

<l)  Delancrp,  Iticrédulil'-  et  iiiécréaiicc  du  sorlilégc 
l'ieiiitiiuem  convaincue,  [t.  33. 


duc;  il  se  montre  à  cheval  sur  une  vipère, 
avec  trois  têtes ,  l'une  de  serpent,  l'autre 
dhomme,  la  troisième  de  chat.  Il  tient  à  la 
main  une  torche  allumée.  Il  commande 
vingt-six  légions.  Quelques-uns  disent  que 
c'est  le  même  quellaum;  ce  qui  nous  paraît 
douteux. 

HACELDAMA  ou  HAKELDAMA,  qui  si- 
gnifie héritage  ou  portion  de  sang.  Ce  mot  est 
devenu  commun  à  toutes  les  langues  du 
christianisme,  depuis  le  récit  sacré  qui  nous 
apprend  qu'après  que  Judas  se  fut  pendu, 
les  prêtres  juifs  achetèrent,  des  trente  pièces 
d'argent  qu'ils  lui  avaient  données  pour  tra- 
hir Nolre-Scigncur,  un  champ  qui  fut  des- 
tiné à  la  sépulture  des  étrangers,  et  qui 
porla  le  nom  dHaccldaaia.  On  montre  encore 


'm 


H.u; 


Il.VI, 


7'JO 


ce  champ  aux  étrangers.  Il  est  prtil  et  cou- 
vert d'une  voûte,  sous  laquelle  on  prétend 
(lue  les  corps  qu'on  y  dépose  sont  consumés 
dans  l'espace  de  trois  ou  quatre  heures. 

HAKELBEllG.  «  L'origine  du  nom  de  Wo- 
lien  ou  Oiiin  se  révèle  par  la  racine  étymolo- 
gique de  l'anglo-saxon  Woodin,  (pii  signifie 
le  féroce  ou  le  furieux.  Aussi  l'appeilc-t-on 
dans  le  Nord  le  chasseur  féroce,  et  en  Allema- 
gne Groden's  heer  ou  Wnden's  heer.  Woden, 
dans  le  duché  de  Brunswirk,  se  retrouve 
s  )us  le  nom  du  chasseur  Jlnkelberg.  Hakel- 
bcrg,  seigneur  de  Rodcnstein,  était  un  che- 
valier pervers  qui  renonça  à  sa  part  des  joies 
du  par.idis ,  pourvu  qu'il  lui  fût  permis  de 
chasser  toute  sa  vie  en  ce  monde  :  le  diable 
lui  promit  qu'il  chasserait  jusqu'au  jour  du 
jugement  dernier.  On  montre  son  tombeau 
dans  la  forôt  d'Usslar  :  c'est  une  énorme 
pierre  brute,  un  de  ces  vieux  monuments 
appelés  vulgairement  pierres  druidiques  ; 
nouvelle  circonstance  qui  servirait  encore  à 
confirmer  l'alliance  des  traditions  populai- 
res avec  l'ancienne  religion  du  pays.  Selon 
les  paysans,  cette  pierre  est  gardée  par  les 
chiens  de  l'enfer,  qui  y  restent  sans  cesse 
accroupis.  En  l'an  1558,  Hans  Kirchof  eut  le 
malheur  de  la  rencontrer  par  hasard  ;  car 
il  faut  dire  que  personne  ne  la  trouve  en  se 
rendant  exprès  dans  la  forêt  avec  l'intention 
de  la  chercher.  Hans  raconte  qu'à  son  ex- 
trême surprise,  il  ne  vit  pas  les  chiens,  quoi- 
qu'il avoue  que  ses  cheveux  se  dressèn'nt 
sur  sa  léle  lorsqu'il  aperçut  le  mystérieux 
mausolée  de  ce  chasseur  félon. 

«  Le  silence  règne  autour  de  la  pierre  de  la 
forêt  d'Usslar;  mais  l'esprit  agité  du  cheva- 
lier Hakelberg,  ou  du  démon  qui  a  pris  ce 
nom,  est  aujourd'hui  tout-puissant  dans  le 
voisinage  d'Oden-Wald,  ou  forêt  d'Odin,  au 
milieu  des  ruines  du  manoir  de  Rodenstein. 
Son  apparition  est  un  pronostic  de  guerre. 
C'est  à  minuit  qu'il  sort  de  la  tour  gardée 
par  son  armée  :  les  trompettes  sonnent,  les 
tambours  battent;  on  distingue  les  paroles 
de  commandement  adressées  par  le  chef  à 
ses  soldats  fantastiques  ;  et,  si  le  vent  souf- 
fle, on  entend  le  frôlement  drs  bannières; 
mais,  dès  que  la  paix  doit  se  conclure,  Ro- 
denstein retourne  aux  ruines  de  son  château, 
sans  bruit,  ou  à  pas  mesurés,  et  aux  sons 
d'une  musique  harmonieuse. 

»  Rodcnstein  peut  être  évoqué,  si  on  veut 
lui  parler.  Il  y  a  quelques  années,  un  garde 
forestier  passait  près  de  la  tour  à  minuit  ; 
il  venait  d'une  orgie  et  avait  une  dose  plus 
qu'ordinaire  d'intrépidité  :  Rodenstein,  ziche 
fteraus!  s'écria-t-il  ;  Rodenstein  parut  avec 
son  armée  :  hélas!  telle  fut  la  violence  du 
i!)ocdans  l'air,  que  le  garde  tomba  par  ti^rre 
comme  si  un  coup  de  vent  l'avait  frappé: 
il  se  releva  plein  d'iffroi  et  n'osa  plus  répé- 
ter :  Rodenstein,  ziche  herausl  (1)  » 

HALEINE.  Une  haleine  forte  et  violente 
est  la  marque  d'un  grand  esprit,  dit  un  sa- 
vant, et  au  contraire,  ajoule-t-il,  une  haleine 

(Ij  Traililious  pojjulaircs.  Quartcriy  Uovicw. 


faible  est  la  marque  d'un  tempérament  usé 
et  d'un  esprit  faible. 

HALLUCINATION.  Walter  Scott,  dans  sa 
démonologie,  voit  la  plupart  des  apparitions 
comme  di  véritables  hallucinations.  Il  a  rai- 
son en  général.  Mais  il  ne  faut  pas  faire  de 
cette  explication  un  système,  à  la  manière 
des  esprits  qui  veulent  tout  comprendre,  dans 
un  monde  (jù  nous  sommes  environnés  de 
tant  de  choses  que  nous  ne  comprenons 
pas. 

C'est  une  hallucination  épidémiquc  que 
l'exemple  qu'il  cile  de  l'Eco^ssais  Patrick 
Walker,  si,  en  eflet,  il  n'y  avait  là  que  les 
phénomènes  d'une  aurore  boréale.  —  «  En 
l'année  loSS,  aux  mois  de  juin  et  de  juillet, 
dit  l'honnête  Walker,  plusieurs  personnages 
encore  vivants  peuvent  attester  que,  près  le 
bac  de  Crosford,  à  deux  milles  au-dessous 
de  Lanark,  et  particulièrement  aux  Mains, 
sur  la  rivière  de  la  Clyde,  une  grande  foule 
de  curieux  se  rassembla  plusieurs  fois  après 
midi  pour  voir  une  pluie  de  bonnets,  de 
chapeaux,  de  fusils  et  d'épées;  les  arbres  et 
le  terrain  en  étaient  couverts;  des  compa- 
gnies d'hommes  armés  marchaient  en  l'air 
le  long  de  la  rivière,  se  ruaient  les  unes  con- 
tre les  autres,  et  disparaissaient  pour  faire 
place  à  d'autres  bandes  aériennes.  Je  suis 
allé  là  trois  fois  consécutivement  dans  l'a- 
près-midi, et  j'ai  observé  que  les  deux  tiers 
des  témoins  avaient  vu,  et  que  l'autre  tiers 
n'avait  rien  vu. 

«  Quoique  je  n'eusse  rien  vu  moi-même, 
ceux  qui  voyaient  avaient  une  telle  frayeur 
et  un  tel  tiemblcment,  que  ceux  qui  ne 
voyaient  pas  s'en  apercevaient  bien.  Un  gen- 
tilhomme, tout  près  de  moi,  disait  :  —  Ces 
damnés  sorciers  ont  une  seconde  vue;  car  le 
diable  m'emporte  si  je  vois  quelque  chose! 
—  Et  sur  le  champ  il  s'opéra  un  changement 
dans  sa  physionomie.  Il  voyait... 

«  Plus  effrayé  que  les  autres,  il  s'écria  : 
— Vous  tous  qui  ne  voyez  rien,  ne  dites  rien  ; 
car  je  vous  assure  que  c'est  un  fait  visible 
pour  tous  ceux  qui  ne  sont  pas  aveugles.  — 
Ceux  qui  voyaient  ces  choses-là  pouvaient 
décrire  les  espèces  de  batterie  des  fusils,  leur 
longueur  et  leur  largeur,  et  la  poignée  des 
épées,  les  ganses  des  bonnets,  etc.» 

Ce  phénomène  singulier,  auquel  la  multi- 
tude croit,  bien  que  seulement  les  deux  tiers 
eussent  vu,  peut  se  comparer,  ajoute  Walter 
Scott,  à  l'action  de  ce  plaisant  qui,  se  posant 
d  lus  l'attitude  de  l'étonnemenl ,  les  yeux 
fixés  sur  le  lion  de  bronze  bien  connu  qui 
orne  la  façade  de  l'hôtel  de  Northumberland 
dans  le  Strand  (à  Londres),  attira  l'attention 
de  ceux  qui  le  regardaient  en  disant  :  —  Par 
le  ciel,  il  remue  1...  il  remue  de  nouveau  1  — 
et  réussit  ainsi,  en  peu  de  minutes,  à  faire 
obstruer  la  rue  par  une  foule  immense  ;  les 
uns  s'imaginanl  avoir  effectivement  aperçu 
le  lion  do  Percy  remuer  la  queue;  les  autres 
atlendant  pour  admirer  la  même  merveille. 

De  véritables  hallucinations  sont  enfan- 
tées par  une  funeste  maladie,  que  diverses 
causes  peuvent  faire  naître.  La  source  la 
plus  fréquente  est  produite  par  les  habitudes 


791 


DICTIOiNNAmE  DES  SCIENCES  OCCULTE?. 


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d'iiilempérancc  de  ceux  qui,  à  la  suile  d'ex- 
cès de  boissons  ,  contractent  ce  (jue  lo 
peuple  nomme  les  diables  bleus ,  sorte  de 
spleen  ou  désorganisation  mentale.  Les 
joyeuses  illusions  que  ,  dans  les  commence- 
ments, enfanle  l'ivresse,  s'évanouissent  avec 
le  temps,  et  dégénèrent  en  impression  d'ef- 
Iroi.  Le  fait  qui  va  suivre  fut  raconté  à  l'au- 
teur par  un  ami  du  patient. 

Un  jeune  homme  riche  ,  qui  avait  mené 
nne  vie  de  nature  à  compromettre  à  la  fois 
.va  santé  et  sa  fortune,  se  vit  obligé  de  con- 
sulter un  médecin.  Une  des  choses  dont  il  se 
plaignait  le  plus,  était  la  présence  habituelle 
d'une  suite  de  fantômes  habillés  de  vert, 
exécutant  dans  sa  chambre  une  danse  bi- 
zarre, dont  il  était  forcé  de  supporter  la  vue, 
quoique  bien  convaincu  que  tout  le  corps  de 
ballet  n'existait  que  dans  son  cerveau.  —  Le 
médecin  lui  prescrivit  un  régime  ;  il  lui  re- 
commanda de  se  retirer  à  la  campagne  ,  d'y 
observer  une  diète  calmante,  de  se  lever  de 
bonne  heure,  de  faire  un  exercice  modéré, 
d'éviter  une  trop  grande  fatigue.  Le  malade 
se  conforma  à  cette  prescriplioa  et  se  réta- 
blit. 

Un  autre  exemple  d'hallucinations  est  ce- 
lui de  M.  Nicolaï,  célèbre  libraire  de  Berlin. 
Cet  homme  ne  se  bornait  pas  à  vendre  des 
livres  ,  c'était  encore  un  littérateur  ;  il  eut 
le  courage  moral  d'exposer  à  la  Société  phi- 
losophique de  Berlin  le  récit  de  ses  souf- 
frances, et  d'avouer  qu'il  était  sujet  à  une 
suile  d'illusions  fantastiques.  Les  circon- 
stances de  ce  fait  peuvent  être  exposées  Irès- 
lirièvemenl,  comme  elles  l'ont  été  au  public, 
attestées  par  les  docteurs  Ferriar,  Hibbert 
ri  autres  qui  ont  écrit  sur  la  démonologie. 
Nicol;;ï  fait  remonter  sa  maladie  à  une  série 
de  désagréments  qui  lui  arrivèrent  au  coni- 
mencrment  dç  1791.  L'affaissement  d'esprit 
occasionné  par  ces  événements  ,  fut  encore 
aggravé  par  ce  fait,  qu'il  négligea  l'usage  de 
saignées  périodiques  auxquelles  il  était  accou- 
tumé ;  un  tel  état  de  santé  créa  en  lui  la 
disposition  à  voir  des  groupes  de  fantômes 
qui  se  mouvaient  et  agissaient  devant  lui ,  et 
quelquefois  même  lui  parlaient.  Ces  fantô- 
mes n'offraient  rien  de  désagréable  à  son 
imagination  ,  soit  par  leur  forme,  soit  par 
leurs  actions;  et  le  visionnaire  possédait 
trop  de  force  d'âme  pour  être  saisi,  à  leur 
présence,  d'un  sentiment  autre  que  celui  de 
la  curiosité,  convaincu  qu'il  était,  pendant 
toute  la  durée  de  l'accès,  que  ce  singulier 
effet  n'était  que  la  conséquence  de  sa  mau- 
vaise santé,  et  ne  devait  sous  aucun  autre 
rapport  être  considéré  comme  sujet  de 
frayeur.  Au  bout  d'un  certain  temps ,  les 
fantômes  parurent  moins  distincts  dans  leurs 
formes,  prirent  des  couleurs  moins  vives, 
s'affaiblirent  aux  yeux  du  malade,  etflnirent 
par  disparaître  entièrement. 

Un  malade  du  docteur  Gregory  d'Edim- 
bourg, l'ayant  fait  appeler,  lui  raconta, dans 
les  termt'S  suivants,  ses  singulières  souf- 
frances :  —  J'ai  l'habitude,  dit-il,  de  dîner  à 
cinq  heures  ;  et  lorsque  six  heures  précises 
ar<iveut,  je  suis  sujet  à  une  visite  fantasti- 


que. La  porte  de  la  chambre,  même  lorsque 
j'ai  eu  la  faiblesse  de  la  verrouiller,  ce  qui 
m'est  arrivé  souvent,  s'ouvre  tout  à  coup  : 
une  vieille  sorcière,  semblable  à  celles  qui 
hantaient  les  bruyères  de  Forrès,  entre  d'un 
air  menaçant,  s'approche,  se  jette  sur  moi  , 
mais  si  brusquement ,  que  je  ne  puis  l'évi- 
ter, et  alors  me  donne  un  violent  coup  de  sa 
béquille  ;  je  tombe  de  ma  chaise  sans  con- 
naissance ,  et  je  reste  ainsi  plus  ou  moins 
longtemps.  Je  suis  tous  les  jours  sous  la 
puissance  de  cette  apparition... 

Le  docteur  demanda  au  malade  s'il  avait  ja- 
mais invité  quelqu'un  à  être  avec  lui  témoin 
d'une  semblable  visite.  Il  répondit  que  non. 
Son  mal  était  si  particulier,  on  devait  si  na- 
turellement l'imputer  à  un  dérangement 
mental,  qu'il  lui  a»ail  toujours  répugné  d'en 
parler  à  qui  que  ce  fût.  —  Si  vous  le  per- 
mettez, dit  le  docteur,  je  dînerai  avec  vous 
aujourd'hui  têteàléte,  et  nous  verrons  si 
votre  méchante  vieille  viendra  troubler  notre 
société. 

Le  malade  accepta  avec  gratitude.  Ils  dî- 
nèrent, et  le  docteur,  qui  supposait  l'exis- 
tence de  quelque  maladie  nerveuse,  em- 
ploya le  charme  de  sa  brillante  conversa- 
tion à  captiver  l'attention  de  son  hôte,  pour 
l'empêcher  de  penser  à  l'heure  fatale  qu'il 
avait  coutume  d'attendre  avec  terreur.  Il 
réussit  d'abord.  Six  heures  arrivèrent  sans 
qu'on  y  fît  attention.  Mais  à  peine  quelques 
minutes  étaient-elles  écoulées  ,  que  le  mo- 
nomane  s'écria  d'une  voix  troublée:  —  Voici 
la  sorcière  1  — et,  se  renversant  sur  sa  chaise, 
il  perdit  connaissance. 

Le  médecin  lui  tira  un  peu  de  sang ,  et  se 
convainquit  que  cet  accident  périodique , 
dont  se  plaignait  le  malade,  était  une  ten- 
dance à  l'apoplexie.  Le  fantôme  à  la  bé- 
quille était  simplement  une  sorte  de  combi- 
n.iison  analogue  à  celle  dont  la  fantaisie  pro- 
duit le  dérangement  appelé  éphialte ,  ou 
cauchemar,  ou  toute  autre  impression  exté- 
rieure exercée  sur  nos  organes  pendant  le 
sommeil. 

Un  autre  exemple  encore  me  fut  cité  ,  dit 
Waller  Scott ,  par  le  médecin  qui  avait  été 
dans  le  cas  de  l'observer.  Le  malade  était  un 
honorable  magistrat,  lequel  avait  conservé 
entière  sa  réputation  d'intégrité,  d'assiduité 
et  de  bon  sens.  —  Au  moment  des  visites  du 
médecin,  il  en  était  réduit  à  garder  la  cham- 
bre, quelquefois  le  lit  ;  cependant ,  de  temps 
à  autre,  appliqué  aux  affaires,  de  manière 
que  rien  n'indiquait  à  un  observateur  su- 
perficiel la  moindre  altération  dans  ses  fa- 
cultés morales  ;  aucun  symptôme  ne  faisait 
craindre  une  maladie  aiguë  ou  alarmante  ; 
mais  la  faiblesse  du  pouls,  l'absence  de  l'ap- 
pétit, le  constant  affaiblissement  des  esprits, 
semblaient  prendre  leur  origine  dans  une 
cause  cachée  que  le  malade  était  résolu  à 
taire.  Le  sens  obscur  des  paroles  de  cet  in- 
fortuné, la  brièveté  et  la  contrainte  de  ses 
réponses  aux  questions  du  médecin  ,  îc  dé- 
terminèrent à  une  sorte  d'enquête.  Il  eut  re- 
cours à  la  famille  :  personne  ne  devinait  la 
cause  du  mal* 


703 


HAL 


HAL 


7!»l 


L'état  des  affaires  du  patient  élait  pro- 
spère ;  aucune  perte  n'avait  pu  lui  occasion- 
ner un  chagrin  ;  aucundésappointemenidans 
ses  affections  ne  pouvait  se  supposer  à  son 
âge  ;  aucune  idée  de  remords  ne  s'alliait  à 
son  caractère. 

Le  médecin  eut  donc  recours  avec  le  mo- 
nomane  à  une  explication  ;  il  lui  parla  de  la 
folie  qu'ily  avait  à  se  vouer  à  une  mort  triste 
et  lente  ,  plutôt  que  de  dévoiler  la  douleur 
qui  le  minait.  11  insista  sur  l'atteinte  qu'il 
portait  à  sa  réputation,  en  laissant  soupçon- 
ner que  son  at)attement  pût  provenir  d'une 
cause  scandaleuse,  peut-être  même  trop  dés- 
honorante pour  être  pénétrée;  il  lui  fit  voir 
qu'ainsi  il  léguerait  à  sa  famille  un  nom 
suspect  et  terni.  Le  malade  frappé  exprima 
le  désir  de  s'expliquer  franchement  avec  le 
docteur,  el ,  la  porte  de  la  chambre  fermée  , 
il  entreprit  sa  confession  en  ces  termes  : 

—  V^ous  ne  pouvez  comprendre  la  nature 
de  mes  souffrances,  et  voire  zèle  ni  votre 
habileté  ne  peuvent  m'apporter  de  soulage- 
ment. La  situation  où  je  me  trouve  n'est 
pourtant  pas  nouvelle, puisqu'on  la  retrouve 
dans  le  célèbre  roman  de  Lesage.  Vous  vous 
souvenez  sans  doute  de  la  maladie  dont  il  y 
est  dit  que  mourut  le  duc  d'Olivarès  :  l'idée 
qu'il  était  visité  par  une  apparition,  à  l'exis- 
tence de  laquelle  il  n'ajoutait  aucunement 
foi  ;  mais  il  en  mourut  néanmoins,  vaincu 
et  terrassé  par  son  imagination.  — Je  suis 
d  ins  la  même  position;  la  vision  acharnée 
qui  me  poursuit  est  si  pénible  et  si  odieuse, 
que  ma  raison  ne  suffît  pas  à  combattre  mon 
cerveau  affecté  :  bref,  je  suis  victime  d'une 
m;il;idie  imaginaire. 

Le  médecin  écoutait  avec  anxiété. 

—  Mes  visions,  reprit  le  malade,  ont  com- 
mencé il  y  a  deux  ou  trois  ans.  Je  me  trou- 
vais de  temps  en  temps  troublé  par  la  pré- 
s<'nce  d'un  gros  chat  qui  entrait  et  sortait 
sans  que  je  pusse  dire  comment,  jusqu'à 
ce  qu'enfin  la  vérité  me  fût  démontrée, 
et  que  je  me  visse  forcé  à  ne  plus  le  re- 
garder comme  un  animal  domestiiiue,  mais 
bien  comme  un  jeu  ,  qui  n'avait  d'existence 
qui'  dans  mes  organes  visuels  en  désordre,  ou 
dans  mon  imagination  déréglée.  Jusque-là, 
je  n'avais  nullement  pour  cet  animal  l'aver- 
sion absolue  de  ce  brnve  chef  écossais, qu'on 
a  vu  passer  par  les  différentes  couleurs  de 
son  plniil  ,  lorsque  par  hasard  un  chat  se 
trouvait  dans  un  appartement  avec  lui.  Au 
contr;iire,  je  suis  aini  des  chats,  et  je  sup- 
portais avec  triinquillilé  la  présence  de  mon 
visiteur  imaginaire,  lorsqu'un  spectre  d'une 
grande  importance  lui  succéda.  Ce  n'était 
autre  chusc  que  l'apparition  d'un  huissier  de 
la  cour. 

Ce  personnage  ,  avec  la  bourse  et  l'épée, 
une  veste  brodée  et  le  chapeau  sons  le  bras, 
se  glissait  à  mes  côtés,  el,  chez  moi  ou  chi'z 
les  autres,  montait  l'escalier  devant  moi, 
comme  pour  m'annoncer  dans  un  salon,  puis 
se  mêlait  à  la  société,  quoiqu'il  fût  évident 
(pie  personne  ne  remarquât  sa  présence,  et 
que  seul  je  fusse  sensible  aux  cliiméri(iucs 
honneurs  qu'il  me  voulait  rendre.   Cttlc  bi- 


zarrerie ne  produisit  pas  beaucoup  d'effet 
sur  moi  ;  cependant  elle  m'alarma,  à  cause 
de  l'influence  qu'elle  pouvait  avoir  sur  mes 
facultés. 

Après  quelques  mois,  je  n'aperçus  plus  lo 
fantôme  de  Ihuissier.  Il  fut  remplacé  par  un 
autre  ,  horrible  à  la  vue,  puisque  ce  n'est 
autre  chose  que  l'image  de  la  mort  elh;- 
même,  un  squelette.  Seul  ou  en  comp.ignie, 
la  présence  de  ce  fantôme  ne  m'abandonne 
jamais.  En  vain  je  me  suis  répété  cent  fois 
que  ce  n'est  qu'une  image  équivoque  et  l'ef- 
fet d'un  dérangement  dans  l'organe  de  ma 
vue;  lorsque  je  me  vois,  en  idée  à  la  vérité, 
le  compagnon  d'un  tel  fantôme  ,  rien  n'a  de 
pouvoir  contre  un  pareil  malheur,  et  je  sens 
que  je  dois  mourir  victime  d'une  affection 
aussi  mélancolique,  bien  que  je  ne  croie 
pas  à  la  réalité  du  spectre  qui  est  devant  mes 
yeux. 

Le  médecin  affligé  fil  au  malade,  alors  au 
lit,  plusieurs  questions.  Ce  squelette,  dit-il, 
semble  donc  toujours  là  ? 

—  Mon  malheureux  destin  est  de  le  voir 
toujours. 

—  Je  comprends;  il  est, à  l'instant  même, 
présent  à  votre  imagination? 

—  Il  est  présent  à  l'instant  même. 

—  El  dans  quelle  partie  de  voire  chambre 
ic  voyez-vous? 

—  Au  pied  de  mon  lit  ;  lorsque  les  rideaux 
sont  entr'ouverts  ,  il  se  place  enlre  eux,  et 
remplit  l'espace  vide. 

—  Aurez-vous  assez  de  courage  pour  vous 
lever  et  pour  vous  placer  à  l'endroit  qui 
vous  semble  occupé,  afin  de  vous  convain- 
cre de  la  déception  ? 

Le  pauvre  homme  soupira  et  secoua  la 
tête  d'une  manière  négative. 

—  Eh  bien  I  dit  le  docteur,  nous  ferons 
l'expérience  une  autre  fois. 

Alors  il  quitta  sa  chnise  aux  côtés  du  lit; 
et  se  plaçant  entre  les  deux  rideaux  entr'ou- 
verts, indiqués  comme  la  place  occupée  par 
le  fantôme,  il  demanda  si  le  spectre  était  en- 
core visible. 

—  Non  entièrement,  dit  le  malade,  parce 
que  votre  personne  est  enlre  lui  et  moi; 
mais  j'aperçois  sa  tête  par  -  dessus  vos 
épaules. 

Le  docteur  tressaillit  un  moment,  malgré 
sa  philosophie ,  à  une  réponse  qui  affirmait 
d'une  manière  si  précise  que  le  spectre  le 
touchait  de  si  près.  Il  recourut  à  d'autres 
moyens  d'investigation  ,  mais  sans  succès. 
Le  malade  tomba  dans  un  marasme  encore 
plus  profond  ;  il  en  mourut,  et  son  histoire 
laissa  un  douloureux  exemple  du  pouvoir 
que  le  moral  a  sur  le  physique,  lors  même 
que  les  terreurs  fantastiques  ne  parviennent 
pas  à  absorber  l'intelligence  de  la  personne 
qu'elles  tourmentent. 

Rapportons  encore,  comme  fait  attribué  à 
l'hallucination,  la  célèbre  apparition  de  Mau- 
perluis  à  un  de  ses  confrères,  professeur  de 
Berlin.  Elle  est  décrite  dans  les  Actes  de  la 
Société  royale  de  B^irlin,  et  se  trouve  rap- 
portée par  M.  Thiébaut  dans  ses  Souvenirs 
de    Frédéric  le  Grand.  Il    est    essentiel  de 


795 


DlCTIONNAllΠ DES  SCIENCES  OCCULTES. 


'96 


prévenir  que  M.  Gledilcli,  à  qui  elle  est  arri- 
Aée,  émit  un  bolanislt;  distingué,  professeur 
lie  philosophie  naturelle,  et  regardé  comme 
un  homme  d'un  caractère  sérieux,  simple  et 
traiiquille. 

Peu  de  temps  après  la  mort  de  M.iuper- 
luis,  M.  Gleditch,  obligé  de  traverser  la  salle 
dans  laquelle  l'académie  tenait  ses  séances, 
ayant  quelques  arrangements  à  faire  dans  le 
rabinel  d'histoire  naturelle,  qui  était  de  son 
ressort  ,  aperçut,  en  entrant  dans  la  salle, 
l'ombre  de  M.  de  Maupertuis,  debout  et  fixe 
dans  le  premier  angle  à  main  gauche,  et  ses 
yeux   braqués  sur  lui. 

Il  était  trois  heures  de  l'après-midi.  Le 
professeur  de  philosophie  en  savait  trop  sur 
sa  physique  pour  supposer  que  son  prési- 
dent, mort  à  Bâle  dans  la  famille  de  Ber- 
nouilli,  serait  revenu  à  Berlin  en  personne. 
Il  ne  regarda  la  chose  que  comme  une  illu- 
sion provenant  d'un  dérangement  de  ses  or- 
g.ines.  Il  continua  de  s'occuper  de  ses  affai- 
res, sans  s'arrêter  plus  longtemps  à  cet  objet. 
Mais  il  raconta  cette  vision  à  ses  confrères, 
les  assurant  qu'il  avait  vu  une  figure  aussi 
bien  formée  et  aussi  parfaite  que  M.  de  Mau- 
pertuis lui-même  aurait  pu  la  présenter. 

Après  avoir  montré  par  ces  récits  les  illu- 
sions que  la  vue  peut  causer,  Walter  Scott 
s'occupe  des  déceptions  que  produit  quel- 
qucfoisl'organederouïe.  Le  docteur  Johnson 
conserva,  dit-il,  une  impression  profonde  de 
ce  que,  un  jour  qu'il  ouvrait  les  portes  de 
son  coHé^çe  ,  il  entendit  la  voix  de  sa  mère, 
à  plusieurs  milles  de  distance,  l'appeler  par 
son  nom  ;  et  il  paraît  surpris  de  ce  qu'au- 
cun événement  de  quelque  importance  n'ait 
suivi  cet  avertissement. 

Le  fait  que  voici  fera  connaître  encore  par 
quels  incidents  futiles  l'oreille  humaine  peut 
être  abusée.  Walter  Scott  lui-même  mar- 
chait dans  un  lieu  solitaire  et  sauvage,  avec 
un  jeune  homme  frappé  de  surdité,  lorsqu'il 
entendit  ce  qu'il  crut  être  les  aboiements 
d'une  meute,  répétés  par  intervalles.  C'était 
dans  la  saison  de  l'été:  ce  qui,  après  une 
courte  réflexion,  persuada  l'illustre  écrivain 
que  ce  ne  pouvait  être  le  bruit  d'une  chasse. 
Cependant  ses  oreilles  lui  reproduisaient 
continuellement  les  mêmes  sons.  Il  rappela 
ses  chiens,  dont  deux  ou  trois  le  suivaient  ; 
ils  s'approchèrent  parfaitement  tranquilles, 
et  ne  paraissant  évidemment  point  frappés 
des  sons  qui  attiraient  l'attention  de  leur 
maître,  au  point  qu'il  ne  put  s'empêcher  de 
<'ire  à  son  compagnon  :  J'éprouve  en  ce  mo- 
ment un  double  chagrin  de  votre  infirmité, 
car  elle  vous  empêche  d'entendre  le  cri  du 
chasseur  sauvage. 

Comme  ce  jeune  homme  faisait  usage  d'un 
(Omet  acoustique,  il  l'ajusta  pendant  que 
je  lui  parlais ,  poursuit  le  narrateur  ;  et 
dans  ce  mouvement,  je  vis  la  cause  du  phé- 
nomène. Ces  aboiements  n'existant  pas,  c'é- 
tait simplement  le  sifflement  de  l'air  dans 
l'instrument  dont  se  servait  le  jeune  homme, 
mais  qui ,  pour  la  première  fois  ,  produisait 
tel  effet  à  mon  oreille. 


Les  autres  sens  trompent  aussi,  mais  sur- 
tout dans  le  sommeil  ou  dans  la  folie. 

La  vision  du  suicide. 

Ceci  est  un  conte  fantastique  extrait  do 
Nicolas  Nikleby,  de  M.  Charles  Dickens. 

Le  baron  von  Koeldwethout  de  Grogzwiij; 
(Allemagne)  était  au  désespoir  :  sa  fenune 
venait  de  lui  donner  son  treizième  enfant,  et 
à  chaque  nouveau  né  elle  était  plus  gron- 
deuse. Ue  plus,  il  venait  de  reconnaître  que 
ses  coffres  étaient  vides.  Le  baron  ne  chas- 
sait plus,  ne  riait  plus  :  —  Je  ne  sais  que 
faire,  dit-il,  j'ai  envie  de  me  tuer. 

C'était  une  brillante  idée! 

Le  baron  prit  dans  une  armoire  un  vii'ux 
couteau  de  chasse,  et  l'ayant  repassé  sur  sa 
botte,  il  fit  mine  de  l'approcher  de  sa  gorge. 

— Hem  !  dit-il,  s'arrêlant  tout  court,  il  n'est 
peut-être  pas  assez  affilé. 

Le  baron  le  repassa  de  nouveau;  et  il  fai- 
sait une  seconde  tentative,  quand  il  fut  in- 
terrompu par  les  clameurs  bruyantes  des 
jeunes  barons  et  des  petites  baronnes;  car 
leur  chambre  était  dans  une  tour  voisine  , 
dont  les  fenêtres  étaient  garnies  de  barres- 
de  fer,  pour  les  empêcher  de  tomber  dans  le 
fossé. — O  délices  du  célibat  1  s'écria-t-il  en 
soupirant,  si  j'avais  été  garçon  ,  j'aurais  pu 
me  tuer  cinquante  fois  sans  être  dérangé. 
Holàl  mettez  un  flacon  de  vin  et  la  plus 
grande  de  mes  pipes  dans  la  petite  chambre 
voûtée,  derrière  la  salle  d'armes. 

Un  valet,  qui  s'appelait  Jean,  exécuta  l'or- 
dre du  baron  dans  l'espace  d'une  demi-heure 
ou  à  peu  près  ;  et  le  sire  de  Grogzwig,  infor- 
mé que  tout  était  prêt,  passadans  la  chambre 
voûtée,  dont  les  boiseries  sombres  élince- 
laientà  la  lueur  des  bûches  amoncelées  dans 
le  foyer. 

La  bouteille  et  la  pipe  étaient  prêtes,  et, 
somme  toute,  la  pièce  avait  un  air  conforta- 
ble. 

— Laisse  la  lampe,  dit  le  baron. 

— Vous  faut-il  encore  autre  chose,  mon- 
seigneur? demanda  le  valet. 

— Va-t'en. 

Jean  obéit  et  le  baron  ferma  la  porte. 

— Je  vais  fumer  une  dernière  pipe  ,  dit-il, 
et  tout  sera  fini. 

Mettant  de  côté  le  couteau  de  chasse  eu 
attendant  qu'il  en  eût  besoin,  et  se  versant 
un  grand  verre  de  vin,  le  sire  de  Grogzwig 
s'étendit  sur  son  fauteuil,  allongea  les  jam- 
bes sur  les  chenets  et  se  mit  à  fumer. 

Le  baron  eût  été  certainement  romantique, 
si  le  romantisme  eût  été  inventé  à  celte  épo- 
que; mais  il  était  doublement  disposé  à  la 
rêverie,  par  sa  qualité  d'Allemand  et  de  fu- 
meur. Rien  n'est  plus  favorable  que  la  pipe 
aux  hallucinations.  La  monotonie  du  mou- 
vement d'aspiration  et  d'expiration  jette  l'es- 
prit et  les  sens  dans  une  espèce  de  somno- 
lence. Les  vapeurs  narcotiques  du  tabac 
surexcitent  et  exaltent  l'imagination.  Il  sem- 
ble que  du  foyer  de  la  pipe  s'échappe  une 
inullilude  d'êtres  aériens  qui  flottent  et  tour- 
biliouncnl  avec  la  luniée,  se  cherchent  cl  se 


707 


Il  AL 


IIAL 


798 


saisissent  au  milieu  du  nuago  azuré,  et  mon- 
liiil  au  ciel  en  dansant. 

Le  baron  songea  à  une  foule  de  choses,  à 
ses  peines  présenles,  à  ses  jours  de  célibat 
et  aux  genlilshomines  verl-poinme,  depuis 
longtemps  dispersés  dans  le  pays,  sans  qu'on 
sût  ce  qu'ils  étaient  devenus  ,  à  l'exceplion 
di!  deux  qui  avaient  eu  le  malheur  d'élre  dé- 
capités, el  de  quatre  autres  qui  s'élaient  (ués 
à  force  de  boire.  Son  esprit  errait  au  milieu 
des  ours  et  des  sangliers,  lorsque,  en  vidant 
son  verre  jusqu'au  fond,  il  leva  les  yeux  et 
crut  s'apercevoir  qu'il  n'était  pas  seul. 

A  travers  l'atmosphère  brumeuse  dont  il 
s'était  entouré,  le  baron  distingua  un  élre 
hideux  et  ridé,  avec  des  yeux  creux  et  san- 
{iianls,  une  figure  cadavéreuse  et  d'une  lon- 
gueur démesurée,  ombragée  de  boucles  épar- 
.ses  de  cheveux  noirs.  Ce  personnage  fan- 
tastique était  assis  de  l'autre  côté  du  feu,  et, 
plus  le  baron  le  regarda  ,  plus  il  demeura 
convaincu  de  la  réalité  de  sa  présence.  L'ap- 
parition était  affublée  d'une  espèce  de  tuni- 
que de  couleur  bleuâtre,  qui  parut  au  baron 
tiiicorée  d'os  en  croix.  En  guise  de  cuissards, 
ses  jambes  étaient  encaissées  dans  des  plan- 
ches de  cercueil,  et  sur  son  épaule  gauche, 
était  jeté  un  manteau  court  et  poudreux,  qui 
semblait  fabriqué  d'un  morceau  de  linceul. 
Elle  ne  faisait  aucune  attention  au  baron, 
mais  contemplait  fixement  le  feu. 

— Ohé  I  s'écria  le  baron,  frappant  du  pied 
pour  attirer  les  regards  de  l'innonnu. 

— Ohé  !  répéta  celui-ci  ,  levant  Us  yeux 
vers  le  baron,  mais  sans  bouger. 

—Qu'est-ce?  dit  le  baron  sans  s'effrayer  do 
cette  voix  creuse  et  de  ces  yeux  mornes,  je 
dois  vous  adresser  une  question.  Comment 
étes-vous  entré  ici? 

—Par  la  porte. 

— Qui  étes-vous  ? 

— Un  homme. 

— Je  ne  le  crois  pas. 

— Comme  vous  voudrez. 

L'intrus  regarda  quelque  temps  le  hardi 
baron  deGrogzwig,  et  lui  dit  familièrement: 

— Il  n'y  a  pas  moyen  de  vous  tromper,  à 
ce  que  je  vois.  Je  ne  suis  pas  un  homme. 

— Qui  éles-vous  donc? 

— Un  génie. 

—Vous  n'en  avez  pas  l'air,  repartit  dédai- 
gneusement le  baron. 

— Je  suis  le  génie  du  désespoir  et  du  sui- 
cide, dit  l'apparition  ;  vous  me  connaissez  à 
présent. 

A  ces  mots,  l'apparition  se  tourna  vers  le 
baron,  comme  si  elle  se  fût  préparée  à  agir  ; 
et  ce  qu'il  y  eut  de  remarquable,  ce  fut  de  la 
yoir  mettre  de  côté  son  manteau  ,  exhiber 
un  pieu  ferré  qui  lui  traversait  le  milieu  du 
corps,  l'arracher  brusquement  et  le  poser 
sur  la  table  aussi  tranquillement  que  si  c'eût 
éié  une  canne  de  voyage. 

—Maintenant,  dit  le  génie,  jetant  un  coup 
d'œil  sur  le  couteau  de  chasse,  éLes-vous 
pi  et  ? 
— Pas  encore,  il  faut  que  j'achève  ma  pipe. 
—  Dépéchez-vous. 

-Vous  semblez  pressé. 


— Mais  oui,  je  le  suis  ;  par  ces  temps  de 
misère  et  d'ennui,  j'ai  beaucoup  à  faire  en 
Angleterre  et  en  France  oùje  vais  de  ce  pas, 
et  tout  mon  temps  est  pris. 

— Buvez-vous  ?  dit  le  baron ,  touchant  la 
bouteille  avec  la  lô(e  de  sa  pipe. 

— Neuf  fois  sur  dix  et  largement,  reprit  le 
génie  d'un  ton  sec. 

— Jamais  avec  modération? 

— Jamais,  répliqua  le  génie  en  frissonnant, 
cela  engendre  la  gaieté. 

Le  baron  examina  encore  son  nouvel  hôlc 
qu'il  regardait  comme  un  visiteur  extraordi- 
nairement  fantasque,  et  lui  demanda  enfin 
s'il  prenait  une  part  active  â  tous  les  simples 
arrangements  du  genre  de  ceux  dont  il  s'a- 
gissait en  ce  moment.  —Non,  répondit  évasi- 
vement  le  génie;  mais  je  suis  toujours  pré- 
sent. 

— Pourvoirsi  l'affaire  va  bien?  je  suppose. 

— Précisément,  répondit  le  génie  en  jouant 
avec  son  pieu  dont  il  examinait  le  fer.  Ne 
perdez  pas  une  minute,  je  vous  prie  ,  car  jo 
suis  mandé  par  un  jeune  homme  afÛigé  de 
trop  de  loisir  el  de  trop  d'argent. 

— Se  tuer  parce  qu'on  a  trop  d'argent! 
s'écria  le  baron,  en  se  laissant  aller  à  une 
violente  envie  de  rire.  Ah  !  ah  I  ah  1  voilà  qui 
est  bon  1 

C'était  la  première  fois  que  le  baron  riait 
depuis  longtemps. 

— Dites  donc,  reprit  le  génie  d'un  ton  sup- 
pliant et  d'un  air  d  anxiété,  ne  recommencez 
piis,  s'il  vous  plait. 

— Pourquoi? 

— Vos  rires  me  font  mal.  Soupirez  tant 
que  vous  voudrez,  je  m'en  trouverai  bien. 

Le  baron  soupira  machinalement,  et  le  gé- 
nie, reprenant  son  courage,  lui  tendit  le 
couteau  de  chasse  avec  la  plus  séduisante  po- 
litesse. 

— Ah  I  ce  n'est  pas  une  mauvaise  idée,  dit 
le  baron,  sentant  la  froide  pointe  de  l'acier, 
se  tuer  parce  qu'on  a  trop  d'argent  1 

— Bah  !  dit  l'apparition  avec  pétulance, 
est-ce  une  meilleure  idée  de  se  tuer  parce 
qu'on  n'en  a  pas  assez? 

Je  ne  sais  si  le  génie  s'était  compromis  par 
mégarde  en  prononçant  ces  mots  ,  ou  s'il 
croyait  la  résolution  du  baron  assez  bien  ar- 
rêtée pour  n'avoir  pas  besoin  de  faire  atten- 
tion à  ce  qu'il  disait  ;  je  sais  seulement  que 
le  sire  de  Grogzwig  s'arrêta  tout  à  coup,  ou- 
vrit de  grands  yeux,  et  parut  envisager  l'af- 
faire sous  un  jour  complètement  nouveau. — 
Mais,  en  effet,  dit-il,  rien  n'est  encore  dés- 
espéré. 

— Vos  coffres  sont  vides,  s'écria  le  génie. 

— On  peut  les  remplir. 

— Votre  femme  gronde. 

— On  la  fera  taire. 

— Vous  avez  treize  en^ints. 

—ils  ne  peuvent  tous  mal  tourner. 

Le  génie  s'irritaitévidemmentdes  opinions 
avancées  par  le  baron  ;  mais  il  affecta  d'en 
rire,  el  le  pria  de  lui  faire  savoir  quand  il 
aurait  fini  de  plaisanter. — Mais  je  ne  plai- 
sante pas,  au  contraire,  reprit  le  baron. 

— lih  bien  1  j'ensuis  charmé,  dit  le  génie.. 


7W  DICTIONNAIUE  DES 

parce  que,  je  l'avoae  fram  hemcnl  ,  toute 
plaisanterie  est  mortelle  pour  iiiui.  Allons  , 
quidez  ce  monde  de  misères. 

—  J'hésite,  dit  le  baron,  jouant  avec  le 
couteau  de  chasse;  ce  monde  ne  vaut  pas 
grand'chose,  mais.... 

—Dépêchez -vous  I  s'écria  le  génie  en  grin- 
çant des  dents. 

—  Laissez-moi,  dit  le  baron  ;  je  cesserai 
de  broyer  du  noir,  je  prendrai  gaîiiient  les 
choses,  je  respirerai  le  frais,  j'irai  à  la 
chasse  aux  ours,  et,  si  l'on  me  contrarie, 
j'enverrai  promener  les  gens. 

A  ces  mots,  le  baron  tomba  en  arrière 
dans  son  fauteuil,  et  partit  d'un  éclat  de 
rire  si  désordonné,  que  la  chambre  en  re- 
tentit. 

Le  génie  recula  de  deux  pas,  regarda  le 
baron  avec  une  expression  de  terreur,  reprit 
son  pieu  ferré,  se  lenlonça  violemment  au 
travers  du  corps,  poussa  un  hurlement  d'ef- 
froi et  disparut. 

Le  sire  de  Grogzwig,  comme  le  bûcheron 
de  la  fable,  ne  revit  plus  le  génie  de  mort. 
Conformant  ses  actions  à  ses  paroles,  il  vé- 
cut longtemps  après  sans  beaucoup  de  for- 
tune, mais  heureux,  laissant  une  nombreuse 
famille  exercée  sous  ses  yeux  à  la  chasse 
aux  ours. 

Bonnes  gens,  si  de  semblables  motifs  vous 
rendent  jamais  hypocondres  et  mélancoli- 
ques, je  vous  conseille  d'examiner  les  deux 
faces  de  la  question,  en  appliquant  à  la  meil- 
leure un  verre  grossissant.  Voy.  Visions. 

HALPHAS,  grand  comte  des  enfers.  Il  pa- 
raît sous  la  forme  d'une  cigogne,  avec  une 
voix  bruyante.  Il  bâtit  des  villes,  ordonne  les 
guerres  et  commande  vingt-six  légions  (1). 
C'est  peut-être  le  même  que  Malphas. 

HA  LTIAS.  Les  Lapons  donnent  ce  nom  aux 
vapeurs  qui  s'élèvent  des  lacs,  et  qu'ils  pren- 
nent pour  les  esprits  auxquels  est  commise  la 
garde  des  montagnes. 

HAMELN.  Voy.  Magiciens. 

HAMLET,  prince  de  Danemark,  à  qui  ap- 
parut le  spectre  de  son  père,  pour  demander 
une  vengeance  dont  il  se  chargea.  Shak- 
speare  a  illustré  celle  sombre  histoire.  On 
montre  toujours  sur  une  colline  voisine 
d'Elseneur  la  tombe  dHamIct  ,  que  des 
croyances  peureuses  entourent  et  protè- 
gent. 

HANDEL  ,  célèbre  musicien  saxon.  Se 
trouvant  en  1700  à  Venise,  dans  le  temps  du 
carnaval.iljouade  la  harpe  dans  une  masca- 
rade. Il  n'avait  alors  que  seize  ans,  mais  son 
nom  dans  la  musique  était  déjà  très-connu. 
Dominique  Scarlati,  habile  musicien  d'alors 
sur  cet  instrument,  l'entendit  et  s'écria  :  Il 
n  y  a  que  le  Saxon  Handel,  ou  le  diable,  qui 
puisse  jouer  ainsi.... 

HANNETON.  Il  y  a,  dans  la  Cafrerie,  une 
sorte  de  hanneton  qui  porte  bonheur  quand 
Il  entre  dans  une  hutte.  On  lui  sacrifie  des 
brebis.  S'il  se  pose  sur  un  nègre,  le  nègre  en 
devient  tout  lier. 

HANNON,  général  carthaginois,  distingué 
(Ij  Wicrus  ia  l'seudomoaarchia  daein. 


SCIENCES  OCCULTES 


800 


par  cette  fourberie  :  il  nourrissait  des  oiseaux 
à  qui  il  apprenait  à  dire  :  Hiinnon  est  un 
dieu.  Puis  il  leur  donnait  la  liberté. 

HAQUIN.  Les  anciennes  histoires  Scandi- 
naves font  mention  d'un  vieux  roi  de  Suède, 
nommé  Haquin,  qui  commença  à  régner  au 
troisième  siècle,  et  ne  mourut  qu'au  cin- 
quième, âgé  de  deux  cent  dix  ans,  dont  cent 
quatre-vingt-dix  de  règne.  Il  avait  déjà  cent 
ans,  lorsque  ses  sujets  s'étant  révoltés  con- 
tre lui,  il  consulta  l'oracle  d'Odin  qu'on  ré- 
vérait auprès  d'IJpsal.  Il  lui  fut  répondu  que 
s'il  voulait  sacrifier  le  seul  fils  qui  lui  res- 
tait, il  vivrait  et  régnerait  encore  soixante 
ans.  Il  y  consentit,  et  ses  dieux  lui  tinrent 
parole.  Bien  plus,  sa  vigueur  se  ranima  à 
l'âge  de  cent  cinquante  ans;  il  eut  un  fils  et 
successivement  cinq  aiitn  s,  depuis  cent  cin- 
quante ans  jusqu'à  cent  soixante. 

Se  voyant  près  d'arriver  à  son  terme,  il 
lâcha  encore  de  le  prolonger;  et  les  oracles 
lui  répondirent  que  s'il  sacrifiiil  l'aîné  de 
ses  enfants,  il  régnerait  encore  dix  ans;  il  le 
fit.  Le  second  lui  valut  dix  autres  années  de 
règne,  et  ainsi  de  suite  jusqu'au  cin(iuièine 
Enfin  il  ne  lui  restait  plus  que  celui-là;  il 
était  d'une  caducité  extrême,  mais  il  vivait 
toujours  ;  lorsqu'ayant  voulu  sacrifier  ce 
dernier  rejeton  de  sa  race,  le  peuple,  lassé 
du  monarque  et  de  sa  barbarie,  le  chassa  du 
trône;  il  mourut,  et  son  fils  lui  succéda. 

Delancre  dit  que  ce  monarque  était  grand 
sorcier,  et  qu'il  combattait  ses  ennemis  i\ 
l'aide  des  éléments.  Par  exemple,  il  leur  en- 
voyait de  la  pluie  ou  de  la  grêle. 

HARIDI,  serpent  honoré  à  Akhmin  ,  ville 
de  la  Haute-Egypte.  Il  y  a  quelques  siècles 
qu'un  derviche,  nommé  Haridi,  y  mourut; 
on  lui  éleva  un  tombeau,  surmonté  d'une 
coupole,  au  pied  de  la  montagne  ;  les  peu|)les 
vinrent  lui  adresser  des  prières.  Un  autre 
derviche  profita  de  la  crédulité  des  bonin  s 
gens,  et  leur  dit  que  Dieu  avait  fait  passer  l'es- 
prit du  défunt  dans  le  corps  d'un  serpent.  Il 
en  avait  apprivoisé  un  de  ceux  qui  sont 
communs  dans  la'fhébaïdcetqui  no  font  point 
de  mal;  ce  reptile  obéissait  à  sa  voix.  Le 
derviche  mit  à  l'apparition  de  son  serpent 
tout  l'appareil  du  charlatanisme,  éblouit  le 
vulgaire,  et  prétendit  guérir  toutes  les  mala- 
dies. Quelques  succès  lui  donnèrent  la  vo- 
gue. Ses  successeurs  n'eurent  pas  de  peine 
à  soutenir  une  imposture  lucrative;  ils  en- 
chérirent en  donnant  à  leur  serpi^nl  l'immor- 
talité, et  poussèrent  l'impudence  jusqu'à  en 
faire  un  essai  public;  le  serpent  fut  coupé  en 
morceaux  en  présence  de  l'émir,  et  déposé 
sous  un  vase  pendant  deux  heures.  A  l'in- 
stant où  le  vase  fut  levé,  les  serviteurs  du 
derviche  eurent  sans  doute  l'adresse  d'en 
substituer  un  semblable  ;  on  cria  au  prodige, 
et  l'immortel  Haridi  acquit  un  nouveau  de- 
gré de  considération. 

Paul  Lucas  raconte  que,  voulant  s'assurer 
des  choses  merveilleuses  que  l'on  racontait 
de  cet  animal,  il  fit  pour  le  voir  le  voyage 
d'Akhmin;  qu'il  s'adressa  à  Assan-Bey,  le- 
quel fit  venir  le  derviche  avec  le  serpent  ou 
lunge,  car  tel  est  le  uom  qu'on  lui  donnait; 


I 


801 


HAR 


HAR 


8(12 


et  que  ce  derviche  tir.i  de  son  sein,  en  sa  pré- 
sence, l'animal  merveilleux.  C'était,  ajoule- 
l-il,  une  couleuvre  de  médiocre  grosseur,  et 
qui  paraissait  fort  douce. 

HAllO.  Le  diable  a  souvent  fait  parler  de 
lui  en  Espagne  comme  partout;  citons  la  lé- 
gende relative  à  l'origine  démoniaque  de  la 
noble  famille  de  Haro. 

Don  Diego  Lopez,  soigneur  de  Biscaye, 
était  à  l'affût  du  sanglier,  lorsqu'il  entendit 
les  accords  d'une  délicieuse  voix  de  femme. 
Il  regarde  et  il  aperçoit  la  chanteuse  debout 
sur  un  rocher.  11  en  devint  épris  et  lui  proposa 
de  l'épouser. 

J'accepte  votre  main,  répondit-elle,  beau 
chevalier,  car  ma  naissance  est  noble;  mais 
à  une  condition: jurez-moi  que  vous  ne  pro- 
noncerez jamais  devant  moi  un  nom  sacré. 

Le  chevalier  le  jura  ;  et,  quand  le  mariage 
fut  consommé,  il  s'aperçut  que  sa  fiancée 
avait  un  pied  de  chèvre.  Heureusement  c'é- 
tait son  seul  défaut.  Personne  n'est  parfait. 
Par  une  convention  tacite,  le  pied  de  chèvre 
ne  fut  bientôt  qu'un  pied  de  biche,  ce  qui  était 
plus  poétique.  Don  Diego  n'en  eut  pas  moins 
d'attachement  pour  sa  femme  ,  qui  devint 
mère  de  deux  enfants,  une  fille  et  un  fils 
nommé  Inigucz  Guerra. 

Or,  un  jour  qu'ils  étaient  à  table,  le  sei- 
gneur de  Biscaye  jeta  un  os  à  ses  chiens  :  un 
mâtin  et  un  épagneul  se  prirent  de  querelle  ; 
l'épagneul  saisit  le  mâtin  à  la  gorge  et  l'é- 
trangla :  «  Sainte  vierge  Marie  !  s'écria  don 
Diego;  qui  a  jamais  vu  chose  pareille?» 

La  dame  au  pied  de  biche  saisit  aussitôt 
les  mains  de  ses  enfants.  Diego  retint  le  gar- 
çon, mais  la  mère  s'échappa  à  travers  les  airs 
avec  la  fille... 

Par  la  suite  ,  don  Diego  Lopez  envahit  les 
terres  des  Maures  :  il  fut  malheureux  dans 
un  combat  et  fait  prisonnier;  les  vainqueurs 
lui  lièrent  les  mains  et  l'emmenèrent  à  To- 
lède. IniguczGuerra  était  triste  de  la  captivité 
de  son  père.  Quelqu'un  lui  dit  alors  :—  Pour- 
quoi n'iriez-vous  pas  invoquer  la  fée  qui 
vous  a  donné  le  jour?  elle  seule  peut  vous 
indiquer  un  moyen  de  délivrer  don  Diego. 

Iniguez  monta  à  cheval,  se  rendit  à  la 
montiigne;  la  fée  était  sur  le  rocher.  Elle 
reconnut  son  fils:  —  Viens  à  moi,  lui  dit-elle; 
je  sais  ce  qui  t'amène  et  je  te  promets  aide  et 
protection.  Laisse  là  ton  cheval,  il  ne  te  serait 
d'aucun  service.  Je  veux  le  remplacer  par  un 
autre  qui  en  quelques  heures  te  portera  à 
Tolède;  mais  tu  ne  lui  mettras  pas  de  bride; 
lu  ne  le  feras  pas  ferrer;  tu  ne  lui  donneras 
ni  nourriture  ni  eau.  La  fée  Pied-de-Biche 
appela  Pardalo;  c'était  le  nom  de  ce  coursier 
extraordinaire. 

Iniguez  s'élança  sur  sa  croupe,  et  ramena 
bientôt  son  père. 

La  fée  Pied-de-Biche  était  si  bien  un  démon, 
que  la  conclusion  de  la  légende,  en  mention- 
nant ses  autres  apparitions  en  Biscaye,  nous 
dit  qu'elle  se  montre  sous  les  traits  qui  ca- 
ractérisent le  diable  (1). 

H  AUOLD.  Gomme  tous  les  anciens  peuples, 
les  Scandinaves  croyaient  volontiers  à  l'cxi- 

(1)  TraJilioos  populaires.  Quarlcrly  Ileview. 


stcnce  de  démons  lutélaires;  et  les  Islandais 
leur  avaient  voué  une  reconnaissance  par- 
ticulière pour  avoir  fait  avorter  les  noirs 
desseins  du  roi  Harold-Germson.  Ce  roi  de 
Norwège  ,  dit  la  Saga,  désirant  connaître  la 
situation  intérieure  de  l'île,  qu'il  avait  l'in- 
tention de  punir, chargea  un  habile  troldman 
ou  magicien  do  s'y  rendre,  sous  laforme  qu'il 
voudrait  prendre. 

Pour  mieux  se  déguiser,  le  troldman  se 
changea  en  baleine  et  nagea  jusqu'à  l'île  ; 
mais  les  rochers  et  les  montagnes  étaient 
couverts  de  ladwailiirs  ou  génies  propices  qui 
faisaient  bonne  garde. 

Sans  en  avoir  peur,  l'espion  d'HaroId  nagea 
vers  le  golfe  de  Vapna,  et  essaya  de  débar- 
quer; mais  un  énorme  dragon  déroula  les 
longs  anneaux  de  sa  queue  sur  les  rochers, 
et,  suivi  d'une  armée  innombrable  de  ser- 
pents, descendit  dans  le  détroit ,  arrosant  la 
baleine  d'une  trombe  de  venin. 

La  baleine  ne  put  leur  résister,  et  nagea 
à  l'ouest  vers  la  baie  d'Ove;  mais  là  elle 
trouva  un  immense  oiseau  qui  étendit  ses 
ailes  comme  un  rideau  sur  le  rivage,  et  l'ar- 
mée des  esprits  s'abattit  à  ses  côtés  sous  la 
même  forme. 

Le  troldman  voulut  alors  pénétrer  par  Bri- 
daford,ausud.Un  taureau  vint  à  sa  rencontre 
et  se  précipita  dans  les  Ilots,  escorté  d'un 
troupeau  qui  mugit  autour  de  son  chef  d'une 
manière  épouvantable. 

Cette  nouvelle  rencontre  ne  découragea 
pas  l'ennemi  ,  qui  se  dirigea  vers  Urekars- 
kinda;  mais  là,  un  géant  se  présenta,  un 
géant  dont  la  tête  dépassait  le  sommet  de  la 
plus  haute  montagne,  un  géant  armé  d'une 
massue  de  fer ,  et  accompagné  d'une  troupe 
de  géants  de  la  même  taille. 

Cette  tradition  est  remarquable  ,  parce 
qu'elle  nous  fait  voir  que  les  Scandinaves 
classaient  leurs  esprits  élémentaires  d'après 
la  doclrinecabalisliquedeParacelse.La  terre 
envoie  ses  génies  sous  la  forme  de  géants; 
les  sylphes  apparaissent  en  oiseaux  ;  le  tau- 
reau est  le  type  de  l'eau;  le  dragon  procède 
de  la  sphère  du  feu. 

Le  mont  Hécla  fait  partie  ,  en  quelque 
sorte,  de  la  mythologie  des  SkaMes.  Les 
hommes  du  Nord  furent  convertis  peu  de 
teujps  après  qu'ils  eurent  fait  connaissance 
avec  ses  terreurs;  et,  lorsqu'ils  devinrent 
chrétiens  ,  ils  en  firent  la  bouche  de  l'enfer. 
L'Hécla  ne  pouvait  manquer  surtout  d'être 
le  refuge  des  esprits  du  feu  ,  que  la  tradition 
avait  probablement  connus  en  Scandinavie 
et  à  Asgard.  Leur  grand  ennemi  était  Luri- 
dan.  On  lit  dans  le  livré  de  Vanagastus,  le 
Norwégien,  que  Luridan  ,  l'esprit  de  l'air, 
«  voyage  par  ordre  du  magicien  en  Laponie, 
en  JPinlande,  en  Skrikfinlande  et  jusqu'à  la 
merGlaciale.  —  C'est  sa  natured'être  toujours 
en  opposition  avec  le  feu  et  de  faire  une 
guerre  continuelle  aux  esprits  du  mont  Hé- 
cla. Dans  celle  guerre  à  mort,  les  deux  pailis 
se  déchirent  l'un  l'aulre,  heurtant  leurs  ba- 
taillons à  travers  les  aiis.  Luridan  cherclic 
à  livrer  le  combat  au-dessus  de  l'Océan  où 
les  blessés  du  l'armée  contraire  tombent  sans 


P(I3 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES 


SOI 


ressource;  ma!»  si  l'nclion  a  lieu  sur  la 
montagne,  l'avantage  esl  souvent  aux  esprits 
dufeu,e(  l'on  entend  de  grandes  lamentations 
en  Islamte,  en  Russie,  en  Norwéjçe  (1),  etc.  » 

HARPE.  Chez  les  Calédoniens,  lorsqu  un 
guerrier  célèbre  était  exposé  à  un  grand  pé- 
ril, les  harpes  rendaient  d'elles-mêmes  un 
son  lugubre  et  prophétique  ;  souvent  les  om- 
bres des  aïeux  du  guerrier  en  pinçaient  les 
cordes.  Les  bardes  alors  commençaient  un 
chant  de  mort,  sans  lequel  aucun  guerrier 
n'était  adtnis  dans  le  palais  de  nuages,  et 
dont  l'elTet  était  si  salutaire  que  les  laiitômes 
retournaient  dans  leur  demeure  pour  y  re- 
cevoir avec  cmpressemenl  et  revêtir  de  ses 
armes  fantastiques  le  héros  décédé. 

HARPPE.  Thomas  Bartholin,  qui  écrivait 
au  dix-septième  siècle,  raconte,  après  une 
ancienne  magicienne  nommée  Landela,  dont 
l'ouvrage  n'a  jamais  été  imprimé,  un  trait 
qui  doit  être  du  treizième  siècle  ou  du  qua- 
torzième. 

Unhommedu  nord,  qui  se  nommait  Harppe, 
étant  à  l'article  de  la  mort,  ordonna  à  sa 
femme  de  le  faire  enterrer  tout  debout  devant 
la  porte  de  sa  cuisine,  afin  qu'il  ne  perdit  p  is 
tout  à  fait  l'odeur  des  ragoûts  qui  lui  étaient 
chers,  et  qu'il  pût  voir  à  son  aise  ce  qui  se 
passerait  dans  sa  maison. 

La  veuve  exécuta  docilement  et  fidèlement 
ce  que  son  mari  lut  avait  commandé. 

Quelques  semaines  après  la  mort  de 
Harppe,  on  le  vit  souvent  apparaître,  sous 
la  forme  d'un  fantôme  hideux,  qui  tuait  les 
ouvriers  et  molestait  tellement  les  voisins, 
que  personne  n'osait  plus  demeurer  dans  le 
village.  Un  paysan,  nommé  OlausPa,  fut  as- 
sez hardi  pour  attaquer  ce  vampire,  car  c'en 
était  un  ;  il  lui  porta  un  grand  coup  de  lance, 
et  laissa  la  lance  dans  la  plaie.  I^c  spectre 
disparut. 

Le  lendemain,  Olaus  fit  ouvrir  le  tombeau 
du  mort;  il  trouva  sa  lance  dans  le  corps  de 
Harppe,  au  même  endroit  où  il  avait  frappé 
le  fantôme.  Le  cadavre  n'était  pascorrom[)u; 
on  le  tira  de  terre;  on  le  brûla,  on  jeta  ses 
cendres  à  la  mer,  et  on  fut  délivré  de  ses  fu- 
nestes apparitions  (2). 

«  Le  corps  de  Harppe,  dit  ici  Dom  Calmct 
(si  l'on  admet  la  vérité  de  ce  fait),  était  donc 
réellement  sorti  de  terre  lorsqu'il  apparais- 
sait. Ce  corps  devait  être  palpable  et  vulné- 
rable, puisqu'on  trouva  la  lance  dans  la 
plaie.  Comment  sortit-il  de  son  tombeau,  et 
comment  y  rentra-t-il?  C'est  la  dilficuUé  ; 
car  qu'un  ait  trouvé  la  lance  et  la  bles- 
sure sur  son  corps,  cela  ne  doit  pas  sur- 
prendre, puisqu'on  assure  que  les  sorciers, 
qui  se  métamorphosent  en  chiens,  en  loups- 
garous,  en  chats,  etc.,  portent  dans  leurs 
corps  humains  les  blessures  qu'ils  ont  reçues 
aux  mêmes  parties  des  corps  dont  ils  se  sont 
revêtus,  et  dans  lesquels  ils  apparaissent.  » 
Le  plus  croyable  sur  cette  histoire  peu  avé- 
rée est  probablement  que  c'est  un  conte. 
Voy.  Vampires. 

HARVILLIEKS  (Jeanne),  sorcière  des  en- 


1  )  Tradilions  populaires.  Quartely  Uevicw. 

2t  liarlhuliui,  de  Causa  coulemplui  luortU,  etc.,  lib  II, 


virons  de  Compiègne,  au  commencement  du 
seizième  siècle.  Dans  son  procès,  elle  racon- 
ta que  sa  mère  l'avait  présentée  au  diable 
dès  l'âge  de  douze  ans  ;  que  c'était  un  grant' 
nègre  velu  de  noir;  qu'il  arrivait  quand  elle 
le  voulait,  botté,  éperonné  et  rcinl  d'une 
épée;  qu'elle  seule  le  voyait,  ainsi  que  son 
cheva!,  qu'il  laissait  à  la  porte. 

La  mère  de  Jeanne  avait  é'é  brûlée  comme 
sorcière.  Elle,  qui  du  reste  avait  commis 
d'autres  crimes,  fut  également  brûlée,  à  l'âge 
de  cinquante  ans,  le  dernier  jour  d'avril  de 
l'année  1578  (3).  Voy.  Sorciers. 

HAIIVIS.  C'est  le  nom  qu'on  donne  aux 
sorciers  de  l'Egypte  moderne. 

«  De  tout  temps,  dit  M.  Théodore  Pavie, 
l'Egypte  a  eu  des  sorciers.  Les  devins  (|ui 
luttèrent  contre  Moïse  firent  tant  de  prodiges, 
qu'il  fallut  au  législateur  des  Hébreux  la 
puissance  invincible  dont  Jéhov.ih  l'av.iit 
doué,  pour  triompher  de  ses  ennemis.  La  ca- 
balistique, la  m;igie,  les  sciences  occultes, 
importées  par  les  Arabes  en  Espagne,  puis 
dans  toute  l'Europe,  où  déjà  elles  avaient 
paru  sous  d'autres  formes  à  la  suite  des  bar- 
bares venus  d'Orient  par  le  Nord,  n'étaient 
que  des  tentatives  pour  retrouver  ces  pou- 
voirs surnaturels,  premier  apan;ige  de  l'hom- 
me, alors  qu'il  commandait  aux  choses  de 
la  création  en  les  appelant  du  nom  que  la 
voix  de  l'Elernel  leur  avait  imposé. 

«  Désormais,  soit  que  les  lumières  de  la 
vérité,  plus  répandues,  rendent  moins  fa- 
ciles les  expériences  des  sorciers  dégénérés, 
soit  que  l'honime  en  avançant  dans  les  siècles 
perde  peu  à  peu  ce  reste  d'empire  sur  la  ma- 
tière, qu'il  cherche  aujourd'hui  à  dompter 
par  l'analyse  des  lois  auxquelles  elle  obéit, 
toujours  est-il  que  la  magie  est  une  science 
perdue  ou  considérée  comme  telle. 

«  L'Egypte  cependant  prétend  en  avoir 
conservé  la  tradition  ;  et  les  devins  du  Caire 
jouissent  encore,  sur  les  bords  du  Nil,  d'une 
réputation  colossale.  11  ne  s'agit  pas  pour  eux 
précisémenlde  jeter  des  sorts,  de  prédire  des 
malheurs;  ils  n'ont  pas  la  seconde  vue  du  Ty- 
rol  ou  do  l'Ecosse;  leur  science  consiste  à 
évoquer, dans  le  creux  delà  main  d'un  en- 
f ml  pris  au  hasard,  telle  personne  éloignée 
dont  le  nom  est  prononcé  dans  l'assemb.ée, 
et  de  la  faire  dépeindre  par  ce  même  enfant, 
sans  qu'il  l'ait  jamais  vue,  sous  des  traits 
impossibles  à  méconnaître. 

«  Le  plus  célèbre  des  harvis  a  eu  l'honneur 
de  travailler  devant  plusieurs  voyageurs  eu- 
ropéens, dont  les  écrits  ont  été  lus  avec  avi- 
dité, et  il  a  généralement  assez  bien  réussi 
pour  que  sa  gloire  n'ait  eu  rien  à  souffrir  do 
ces  rencontres  périlleuses.  Voir  cet  homme, 
assister  à  une  séance  de  magie,  juger  par 
mes  propres  yeux  de  l'état  de  la  sorcellerie 
en  Orient,  trois  choses  qui  me  tentaient  vio- 
lemment :  l'occasion  s'en  présenta. 

«  C'était  au  Caire,  dans  une  des  hôtelleries 
de  celte  capitale  de  l'Egyple.  A  la  suile  do 
quelques  discussions  qui  s'étaient  élevées 
entre  nous  au  sujet  du  grand  harvi,  il  fui 

cap  2. 
(3J  Hùtoirc  de  la  maille  co  Fraoce,  d.  133. 


»m 


IIAR 


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«Oi> 


unaiiimcmciil  résolu  do  le  faire  ajipeîor.  La 
lable  ilail  presque  toute  composée  (l'Anglais. 

«  Vers  la  fin  du  dîner,  le  sorcier  arriv.i. 
Il  entre,  fait  un  léger  signe  de  tôle,  et  va 
s'asseoir  au  coin  du  divan,  dans  le  fond  du 
salon.  Bientôt,  après  avoir  acceplé  le  calé 
<'t  la  pipe,  comme  chose  due  ?  son  impor- 
tance, il  se  recueille,  toutenparcourantl'as- 
semblée  d'un  regard  scrutaleur.  Le  devin  est 
né  à  Alger;  sa  physionomie  n'a  rien  do  gra- 
cieux, son  œil  est  perçant  et  peu  ouvert;  sa 
barbe  grisonnante  laisse  voir  une  bouche  pe- 
tite, à  lèvres  minces  et  serrées;  ses  trails, 
plus  fins  que  ceux  d'un  Egyptien,  n'ont  pas 
non  plus  le  calme  impassible  et  sauvage  du 
Bédouin  ;  il  est  grand,  fier,  dédaigneux,  et 
se  pose  en  homme  supérieur. 

«  Tandis  que  nous  achevions  de  fumer,  ce- 
lui-ci son  chibouk,  celui-là  son  narguilé,  le 
liarvi,  immobile  dans  son  coin,  cherchait  à 
lire  sur  nos  visages  le  degré  de  croyance  que 
nous  étions  disposés  à  lui  accorder;  puis  tout 
à  coup  il  tira  de  sa  poche  un  calam  (sorte  de 
plume)  et  de  l'encre,  demanda  un  réchaud, 
l'I  se  mit  à  écrire  ligne  à  ligne,  sur  un  long 
morceau  de  papier,demystérieuses sentences. 
Dès  qu'il  eut  jeté  dans  le  feu  quelques-unes 
de  ces  lignes,  déchirées  successivement,  le 
charme  commençant  à  opérer,  un  enfant  fut 
introduit.  C'était  un  Nubien  de  sept  à  huit 
ans,  esclave  au  service  de  l'un  de  nos  con- 
vives, récemment  arrivé  de  son  pays,  noir 
comme  l'encre  du  harvi,  et  alTublé  du  plus 
ample  costume  turc.  Le  sorcier  prit  la  main 
de  l'enfant,  y  laissa  tomber  une  goutte  du  li- 
quide magique,  retendit  avec  sa  plume  de 
roseau,  et  abaissant  la  tète  du  patient  sur 
ses  doigts,  de  manière  à  ce  qu'il  ne  pût  rien 
voir,  il  le  plaça  dans  un  coin  de  l'apparte- 
nienl,  près  de  lui.  le  dos  tourné  à  l'assemblée. 

«  Lady  K...1  s'écria  le  plus  impétueux  des 
spectateurs.  — Et  l'enfant,  après  avoir  hésité 
quelques  instants,  prit  la  parole  d'une  voix 
faible.  —  Que  vois-tu?  lui  demanda  son  maî- 
tre, tandis  que  le  harvi,  de  plus  en  plus  sé- 
rieux, marmottait  des  vers  magiques,  tout 
en  brûlant  ses  papiers  ,  dont  il  tira  une 
grande  poignée  de  dessous  sa  robe. 

«  — Je  vois,  répondit  le  petit  Nubien;  je 
vois  des  bannières,  des  mosquées,  des  clie- 
vaux,  des  cavaliers,  des  musitiens,  des  cha- 
meaux... 

«  —  Toutes  choses  qui  n'ont  rien  à  faire 
avec  lady  K... ,  me  dit  tout  bas  un  esprit  fort. 

«  — Shoufta'  ib!  Shoufta'  ihl  regarde  bien  I 
criait  le  spectateur  qui  voulait  évoquer  lady 
K... 

«  L'enfant  se  taisait,  balbutiait  ;  puis  il  dé- 
clara qu'il  voyait  une  personne. 

*  —  Est-ce  une  dame,  un  monsieur? 

n  —  Une  damel 

«  —  Le  harvi  s'aperçut  à  nos  regards  qu'il 
avait  déjà  converti  à  moitié  les  plus  incré- 
dules. 

«  —  Et  comment  est  cette  dame? 

«  —  Elle  est  belle,  reprit  l'enfant,  bien  vê- 
tue et  bien  blanche;  elle  a  un  bou(|uet  à  la 
main;  elle  est  près  d'un  balcon,  et  regarde 
un  beau  jardin. 


«  —  On  dirait  que  ce  négrillon  a  vu  quel- 
quefois les  portraits  de  Lawrence,  dit  le 
maître  de  l'esclave  à  son  voisin  ;  il  a  deviné 
juste,  et  pourtant  jamais  rien  de  semblable 
ne  s'est  présenté  à  ses   yeux. 

«  —  Et  puis,  reprit  l'enfant  après  quelques 
S(  condes,  car  il  parlait  lentement  et  par  mots 
entrecoupés,  cette  belle  dame  a  Crois  jambes! 

«  L'effort  que  fit  le  harvi  pour  ne  pas  ané- 
antir le  négrillon  d'un  coup  de  poing  se  tra- 
hit par  un  sourire  forcé.  Il  lui  répéta  avec 
une  douceur  contrainte,  une  grâce  pleine  do 
rage  :  —  Slioicf  la'  ib!  regarde  bien  I 

«  L'enfant  tremblait;  toutefois  il  affirma 
que  le  personnage  évoqué  dans  le  creux  de 
sa  main  avait  trois  jambes. 

«  Aucun  de  nous  ne  put  se  rendre  compte 
de  l'illusion  ;  mais  on  fit  retirer  le  petit  nègre, 
qui  fut  remplacé  par  un  autre  en  tout  sem- 
blable. Durant  celle  interruption,  le  sorcier 
avait  marmotté  bon  nombre  de  phrases  ma- 
giques etbrûlé  force  papiers.  L'assemblée  fu- 
mait, le  café  circulait  sans  cesse:  l'anima^ 
tion  allait  croissant.  On  convint  d'évoquer 
celte  fois  sir  F.  S.... ,  facile  à  reconnaître, 
puisqu'il  a  perdu  un  bras.  Le  nouveau  né- 
grillon prit  la  place  du  premier,  abaissa  de 
même  sa  léte  sur  la  goutte  d'encre,  et  l'on 
fit  silence. 

«  — Sir  F.  S....  !  dit  une  voix  dans  l'assem- 
blée, et  l'enfant  répéta,  syllabe  par  syllabe, 
ce  nom  tout  à  fait  barbare  pour  lui.  Ainsi 
que  son  prédécesseur,  il  déclara  voir  des 
chevaux,  des  chameaux,  des  bannières  et  des 
troupes  de  musiciens  :  c'est  le  prélude  ordi- 
naire, le  chaos  qui  se  débrouille  avant  que 
la  lumière  magique  de  la  goutte  d'encre 
éclaire  le  personnage  demandé. 

«  — Le  harvi  ne  comprend  ni  le  français, 
ni  l'anglais,  ni  l'italien  ;  mais,  habitué  à  lire 
dans  Us  regards  du  public,  il  devina  qu'on 
lui  proposait  un  sujet  marqué  par  quelque 
signe  particulier.  Jadis  on  lui  avait  demandé 
de  faire  paraître  Nelson,  à  qui,  comme  cha- 
cun sait,  il  manquait  un  bras  et  une  jambe, 
et  il  avait  rencontré  iu.>te,  grâce  à  la  célé- 
brité du  héros.  Cetie  fuis,  il  eut  vent  de  quel- 
que tour  de  ce  genre  ;  aussi,  après  bien  des 
réponses  confuses,  l'enfant  s'écria  : 

«  — Je  vois  un  mor.sieurl  c'est  un  chré- 
tien, il  n'a  pas  de  turban;  son  habit  est 
vert...  Je  ne  vois  qu'un  bras  I 

«  A  ces  mots,  nous  échangeâmes  un  sou- 
rire, comme  des  gens  qui  s'avouent  vaincus  : 
il  fallait  croire  à  la  magie...  Mais  mon  voisin 
l'esprit  fort,  après  avoir  fait  bouillonner 
l'eau  de  son  narguilé  avec  un  bruit  effroya- 
ble, regarda  le  harvi.  Je  remarquai  que 
notre  pensée  avait  été  mal  interpréiée  par  le 
devin,  et  qu'il  chancelait  dans  son  affirma- 
tion, supposant  que  nous  avions  ri  de  pitié. 
Il  dem'uida  donc  à  l'enfant  : 

«  —  Tu  ne  vois  qu'un  bras?  Et  l'autre 7 

«  L'enfant  ne  répondit  pas,  et  il  se  fit  un 
grand  silince.  On  entendit  les  petits  papiers 
s'enfl  immer  plus  vivement  sur  le   réchaud. 

«  —  L'autre  bras,  reprit  le  négrillon...  jo 
le  vois  :  ce  monsieur  le  met  devant  son  dos, 
et  il  tient  un  gant  de  cette  mainl...  u 


«M 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCl'LTES. 


SOS 


Ainsi  le  harvi  qui  opéra  devnnl  M.  Th.  Pa- 
vie  ne  fut  pas  heureux  ounefulpasadroil  (I). 
M.  Léon  de  Laborde  avait  clé  plus  favorisé; 
car  voici  un  fragment  curieux  qu'il  a  publié 
en  1833  dans  la  Revue  des  deux  Mondes,  et 
qu'on  retrouve  dans  ses  CommenCaires  géo- 
graphiques sur  la  Genèse. 

«  L  Orient,  cet  antique  pays,  ce  vieux  ber- 
ceau de  tous  les  arts  et  de  toutes  les  sciences, 
fut  aussi  et  de  tout  temps  le  domaine  du  sa- 
voir occulte  et  des  secrets  puissants  qui  frap- 
pent l'imagination  des  peuples. 

«  J'étais  établi  au  Caire  depuis  plusieurs 
mois  (1827),  quand  je  fus  averti  un  matin 
par  lord  Prudhoe  qu'un  Algérien  (2),  sorcier 
de  son  métier,  devait  venir  chez  lui  pour  lui 
montrer  un  tour  de  magie  qu'on  disait  ex- 
traordinaire. Bien  que  j'eusse  alors  peu  de 
confiance  dans  la  magie  orientale,  j'acceptai 
l'invitation  ;  c'était  d'ailleurs  une  occasion 
de  me  trouver  en  compagnie  fort  agréable. 
Lord  Prudhoe  me  reçut  avec  sa  bonté  ordi- 
naire et  celle  humeur  enjouée  qu'il  avait  su 
conserver  au  milieu  de  ses  connaissances  si 
variées  et  de  ses  recherches  assidues  dans 
les  contrées  les  plus  difficiles  à  parcourir. 

I  Un  homme  grand  et  beau,  portant  turban 
vert  el  benisch  de  même  couleur,  entra  :  c'é- 
tait l'Algérien.  11  laissa  ses  souliers  sur  le 
bout  du  tapis,  alla  s'asseoir  sur  un  divan  et 
nous  salua  tous,  à  tour  de  rôle,de  la  formule 
en  usage  en  Egypte.  Il  avait  une  physionomie 
douceetaffable,  unregard  vif,  perçant, jedlrai 
même  accablant,  cl  qu'il  semblait  éviter  de 
fixer,  dirigeant  ses  yeux  à  droite  et  à  gauche 
plutôt  que  sur  la  personne  à  laquelle  il  par- 
lait; du  reste,  n'ayant  rien  de  ces  airs  étran- 
ges qui  dénotent  des  talents  surnaturels  cl 
le  métier  de  magicien.  Habillé  comme  les 
écrivains  ou  les  hommes  de  loi,  il  parlait 
fort  simplement  de  toutes  choses  et  même  de 
sa  science,  sans  emphase  ni  mystère,  surtout 
de  ses  expériences,  qu'il  faisaitainsi  en  public 
et  qui  semblaient  à  ses  yeux  plutôt  un  jeu,  à 
côté  de  ses  autres  secrets  qu'il  ne  faisait 
qu'indiquer  dans  la  conversation.  On  lui  ap- 
porta la  pipe  el  le  café,  et  pendant  qu'il  par- 
lait, on  fit  venir  deux  enfants  sur  lesquels  il 
devait  opérer. 

«  Le  spectacle  alors  commença.  Toute  la 
société  se  rangea  en  cercle  autour  de  l'Algé- 
rien, qui  fit  asseoir  un  des  enfants  près  de 
lui,  lui  prit  la  main  et  sembla  le  regarder 
attentivement.  Cet  enfant,  fils  d'un  Euro- 
péen, était  âgé  de  onze  ans  et  parlait  facile- 
ment l'arabe.  Achmed,  voyant  sou  inquiétude 
au  munieiil  où  il  tirait  de  son  écritoire  sa 
plume  de  jonc,  lui  dit  :  —  N'aie  pas  peur, 
enfant,  je  vais  l'écrire  quelques  mots  dans  la 
main,  tu  y  regarderas  el  voilà  tout. 

L'enfant  se  remit  de  sa  frayeur,  et  l'Algé- 
rien lui  traça  dans  la  main  un  carré,  entre- 
mêlé bizarrement  de  lettres  et  de  chiffres, 
versa  au  milieu  une  encre  épaisse  et  lui  dit 
de  chercher  le  rollet  de  son  visage.  L'enfant 
répondit  qu'il  le  voyait.  Le  magicien  demanda 
un  réchaud  qui   fut  apporté  sur-le-champ; 

(1)  L'extrait  qu'on  vient  de  lire  de  H.  Titéodore  l'avie 
a  TU  le  juur  en  1839. 


puis  il  déroula  trois  petits  cornets  de  papier 
qui  contenaient  différents  ingrédients,  qu'il 
jeta  en  proportion  calculée  sur  le  feu.  Il  l'en- 
gagea de  nouveau  à  chercher  dans  l'encre  le 
nflL't  de  ses  yeux,  à  regarder  bien  attentive- 
ment, et  à  l'avertir  dès  qu'il  verrait  paraître 
un  soldat  turc  balayant  une  place. 

«  L'enfant  baissa  la  tête;  les  parfums  pé- 
tillèrent au  milieu  des  charbons:  et  le  magi- 
cien, d'abord  à  voix  basse,  puis  l'éli^vant  da- 
vantage, prononça  une  kyrielle  de  nîots  dont 
à  peine  quelques-uns  arrivèrent  distincte- 
ment à  nos  oreilles. — Le  silence  était  pro- 
fond; l'enfant  avait  les  yeux  fixés  sur  sa 
main  ;  la  fumée  s'éleva  en  larges  Hocons,  ré- 
pandant une  odeur  forte  et  aromatique.  Ach- 
meJ,  impassible,  semblait  vouloir  stimuler 
de  sa  voix,  qui  de  douce  devenait  saccadée, 
une  apparition  trop  tardive,  quand  tout  à 
coup,  jetant  sa  tête  en  arrière,  poussant  des 
cris  et  pleurant  amèrement, l'enfiinl  nous  dit, 
à  travers  les  sanglots  qui  le  suffoquaient, 
qu'il  ne  voulait  plus  regarder,  qu'il  avait  vu 
une  figure  afl'reuse;  il  semblait  terrifié.  L'Al- 
gérien n'en  parut  point  étonné,  il  dit  simple- 
ment :  —  Cet  enfant  a  eu  peur,  laissez-le; 
en  le  forçant,  on  pourrait  lui  frapper  trop 
vivement  l'imagination. 

On  amena  un  petit  arab&au  service  de  la 
maison  et  qui  n'avait  jamais  vu  ni  rencontré 
le  magicien  ;  peu  intimidé  de  tout  ce  qui  ve- 
nait de  se  passer,  il  se  prêta  gaiement  aux 
préparatifs  el  fixa  bientôt  ses  regards  dans 
le  creux  de  sa  main,  sur  le  reflet  de  sa  fi- 
gure, qu'on  apercevait  même  de  côté,  vacil- 
lant dans  l'encre.  —  Les  parfums  recommen- 
cèrent à  s'élancer  en  fumée  épaisse  ,  et  les 
formules  parlées  en  un  chant  monolime,  se 
renforçant  et  diminuant  par  intervalles, 
semblaient  devoir  soutenir  son  attention  : — 
Le  voilà,  s'écria-t-il,  et  nous  remarquâmes 
l'émotion  soudaine  avec  laquelle  il  porta  ses 
regards  sur  le  centre  des  signes  magiques. 

— Gomment  est-il  habillé  ? 

— Il  a  une  veste  rouge  brodée  d'argent,  un 
turban  et  des  pistolets  à  sa  ceinture. 

—Que  fait-il? 

— 11  balaie  une  place  devant  une  grande 
lente  riche  et  belle  ;  elle  est  rayée  de  rouge 
et  de  vert  avec  des  boules  d'or  en  haut. 

— Regarde  qui  vient  à  présent? 

—C'est  le  sultan  suivi  de  tout  son  monde. 
Oh!  que  c'est  beau  !... 

«El  l'enfant  regardait  à  droileetà  gauche, 
comme  dans  les  verres  d'une  optique  dont  on 
cherche  à  étendre  l'espace. 

— Comment  est  son  cheval? 

—  Blanc,  avec  des  plumes  sur  la  tôle. 

—Elle  sultan? 

—Il  a  une  barbe.noire,  un   benisch   vert. 

Ensuite  l'Algérien  nous  dit  :  Maintenant, 
messieurs,  nommez  la  peisonne  que  vous 
désirez  faire  paraître;  ayez  soin  seulement 
de  bien  articulcrles  noms,  afin  qu'il  ne  puisse 
pas  y  avoir  d'erreur. 

«  Nous  nous  regardâmes  tous  ,  et  comme 

(2)  Ce  n'était  pas  celui  qui-  vil  plus  lard  M.  Pavie. 


809 


IIAR 


IIAR 


8<0 


toujours  dans  ce  momoot   personne  ne   re- 
trouva un  nom  dans  sa  mcmoire. 

«  — Shakspeare,  dil  enfin  le  major  Félix, 
conipaprudu  (le  voyage  d<!  lord  Priidhoe. 

«  — Ord(^nncz  au  soldat  d'amener  Shaks- 
|ienre,  dit  l'AlRérien. 

«  — Amène  Sliakspearel  cria  l'enfant  d'une 
voix  de  maître. 

«  — Le  voilà  !  »  ajoula-t  il  après  le  temps 
nécessaire  pour  écouler  quel(jues-unes  des 
formules  in  in  tell  igi  blés  du  sorcier.  Notre  élon- 
nenienl  serait  difllcile  à  décrire,  aussi  bien 
que  la  fixité  de  notre  attenlioa  aux  réponses 
de  l'enfant. 

«  — Cotnment  est-il  ? 

«  — 11  porte  un  benisch  noir;  il  est  tout 
liubillé  de  noir,  il  a  une  barbe. 

«  — lisl-ce  lui?  nous  demanda  le  magicien 
d'un  air  fort  naturel,  vous  pouvez  d'ailleurs 
vous  informer  de  sou  pays,  de  son  âge. 

«  — Eh  bien  1  où  est-il  né?dis-jo. 

«  — Dans  un  pays  tout  entouré  d'eau. 

«  Celte  réponse  nous  étonna  encore  da- 
vantage. 

«  —  Faites  venir  Cradock  ,  ajouta  lord 
Prudhoe,  avec  cette  impatience  d'un  homme 
qui  craint  de  se  fier  trop  facilement  à  une 
supercherie. 

—  Le  Caouas  (soldat  turc)  l'amena. 

«  — Comment  est-il  habillé? 

«  — Il  a  un  habit  rouge,  sur  sa  tête  un 
grand  tarbousch  noir,  et  quelles  drôles  de 
boites  !  je  n'en  ai  jamais  vu  de  pareilles  : 
elles  sont  noires  et  lui  viennent  par-dessus 
les  jambes. 

«  Toutes  ces  réponses  dont  on  retrouvait 
la  vérité  sous  un  embarras  naturel  d'expres- 
sions qu'il  aurait  é!é  impossible  de  feindre, 
étaient  d'autant  plus  extraordinaires  qu'elles 
indiquaient  d'une  manière  évidente  que  l'en- 
fant avait  sous  les  yeux  des  choses  entière- 
ment neuves  pour  lui.  Ainsi,  Shakpeare 
avait  le  pclil  manteau  noir  de  l'époque,  qu'on 
appelait  benisch,  et  tout  le  costume  de  cou- 
leur noir  qui  ne  pouvait  se  rapporter  qu'à 
un  Européen,  puis(]ue  le  noir  ne  se  porte 
pas  en  Orient,  et  en  y  ajoutant  une  barbe 
que  les  Européens  ne  portent  pas  avec  le 
costume  franc,  c'était  une  nouveauté  aux 
yeux  de  l'enfant.  Le  lieu  de  sa  naissance, 
expliqué  par  un  pays  tout  entouré  d'eau,  est 
à  lui  seul  surprenant.  Quant  à  l'apparition 
de  M.  Cradock,  qui  était  alors  en  mission  di- 
plomali(|ue  près  du  pacha,  elle  est  encore 
plus  singulière;  car  le  grand  tarbousch  noir, 
(jui  est  le  chapeau  militaire  à  trois  cornes, 
et  ces  bottes  noires  qui  se  portent  par-des- 
sus la  culotte,  él.'iientdes  choses ([ue  l'enfant 
avouait  n'avoir  jamais  vues  auparavant;  et 
pourtatil  elles   lui  apparaissaient. 

«  Nous  fîmes  encore  apparaître  plusieurs 
personnes;  et  chaque  réponse,  au  milieu  de 
son  irrégiilaiilé,  nous  laissait  toujours  une 
profonde  impression.  Enfin  le  magicien  nous 
avertit  que  l'enfant  se  fatiguait;  il  lui  releva 
la  léle,  en  lui  appliiiuant  ses  pouces  sur  les 
yeux  et  en  prononçant  des  paroles  mysté- 
rieuses; puis  il  le  laissa. 

«  L'enfint   était  eomme   ivre  :   ses   yeux 

DlCTIiNS    DES  SC1E>CES  OCCULTES.  I. 


n'avaient  point  une  direction  fixe,  son  front 
était  couvert  de  sueur;  tout  son  être  semblait 
violemment  attaqué.  Cependant  il  se  remit 
peu  à  peu,  devint  gai,  content  de  ce  qu'il 
avait  vu  ;  il  se  plaisait  à  le  raconter,  à  en 
rappeler  toutes  les  circonstances,  et  y  ajou- 
tai! des  détails  comme  à  un  événement  qui 
se  serait  réellement  passé  sous  ses  yeux. 

«  Mon  éioniicment  avait  surpassé  mon 
attente;  mais  j'y  joignais  une  appréhension 
plus  grande  encore  :  je  craignais  une  niysti- 
fnalion  et  je  résolus  d'examiner  par  moi- 
même  ce  qui,  dans  ces  apparitions  en  appa- 
rence si  réelles  et  certainement  si  faciles  à 
obtenir,  appartenait  au  métier  de  charlatan, 
et  te  qui  pouvait  résulter  d'une  inllucnce 
wiar/w^/i(/(je  quelconque.  Je  me  retirai  dans  le 
fond  de  la  chambre  et  j'appelai  Bcllier,  mon 
drogman.Je  lui  dis  deprendie  à  part  Achmed 
et  de  lui  demander  si  pour  une  somme  d'ar- 
gent, qu'il  fixerait,  il  voulait  me  dévoiler 
son  secret;  à  la  condition,  bien  entendu,  que 
je  m'engagerais  à  le  tenir  caché  de  son  vi- 
vant. — Le  spectacle  terminé,  Achmed,  tout 
en  fumant,  s'était  nùs  à  causer  avec  quel- 
ques-uns des  spectateurs  ,  encore  surpris 
de  son  talent;  puis  après  il  partit.  J'étais  à 
peine  seul  av<'C  Bellier,  que  je  m'informai 
de  la  réponse  qu'il  avait  obtenue.  Aclimed  lui 
avait  dit  qu'il  consentait  à  m'apprendre  sou 
secret. 

«  Le  lendemain  nous  arrivâmes  à  la  gran- 
de mosquée  El-Ahzar,  près  de  laquelle  de- 
meurait Achmed  l'Algérien.  Le  magicien 
nous  reçut  poliment  et  avec  une  gaîlé  affa- 
ble ;  un  enfant  jouait  près  de  lui  :  c'était  son 
fils.  Peu  d'instants  apiès,  un  petit  noir  dune 
bizarre   tournure    nous    apporta  les    pipes. 

«  La  conversation  s'engagea.  Achmed  nous 
apprit  qu'il  tenait  sa  science  de  deux  cheicks 
célèbres  de  son  pays,  et  ajouta  qu'il  ne  nous 
avait  montré  que  bien  peu  de  ce  qu'il  pou- 
vait faire. 

«  — Je  puis,  dit-il,  endormirquelqu'un  sur- 
le-champ,  le  faire  tomber,  rouler,  entrer  en 
rage,  et  au  milieu  de  ses  accès  le  forcer  de 
répondre  à  nies  demandes  et  de  me  dévoiler 
tous  les  secrets.  Quand  je  veux  aussi,  je  fais 
asseoir  la  personne  sur  un  tabouret  isolé, 
et,  tournant  autour  avec  des  gestes  particu- 
liers, je  l'endors  inmiédiatement  ;  mais  elle 
reste  les  yeux  ouverts,  parle  et  gesticule 
comme  dans  l'état  de  veille. 

«  Nous  réglâmes  nos  conditions  ;  il  de- 
manda quarante  piastres  d'E<pagne  et  le  ser- 
ment sur  le  Koran  de  ne  révéler  ce  secret  à 
personne.  La  somme  fut  réduite  à  trente 
piastres;  et  le  serment  fait  ou  plutôt chanle, 
il  lit  monter  son  petit  garçon  cl  prépara, 
pendant  que  nous  fumions,  tous  les  ingré- 
dients nécessaires  à  son  opération.  Après 
avoir  coupé  dans  un  grand  rouleau  un  petit 
morceau  de  papier,  il  traça  dessus  les  signes 
à  dessiner  dans  la  main  et  les  lettres  qui  y 
ont  rapport;  puis,  après  un  moment  d'hésita- 
tion, il  me  le  donna. 

«  J'écrivis  la  prière  que  voici  sous  sa  dic- 
tée :  «  Anzilou-Aiouh.i-el-Djenni-Aioiiha-el- 
Djeuiioun-Anzilou-Betakki-Matalalioutou" 

26 


élt 


nicTioNNAinh:  des  sciencks  occulter. 


Sl-Î 


lioii-AIcikoum-Tariiki .  Anzilou,  Taritki.» 

—  Los  liois  parfums  sont  :  «  Takoh  Mabaclii, 

—  Aiiib;ir-Iiuli.  —  Kousonibra-Djaou.  » 

•  L'Algérien  opéra  sur  son  enfant  devant 
moi  Go  petit  garçon  en  avait  une  telle  liabi- 
tiide  qno  les  apparitions  se  succédaient  sans 
difficulté.  Il  nous  raconta  des  cboses  fort  ex- 
traordinaires, et  dans  lesquelles  on  remar- 
quait une  originalité  qui  ôlait  toute  crainte 
de  super(  horie. 

«  J'opérai  le  lendemain  devant  Achmed 
avec  beaucoup  de  succès,  et  avec  toute  lé- 
molion  que  peut  donner  le  pouvoir  élrangc 
qu'il  venait  de  me  communiquer.  A  Alexan- 
drie je  fis  de  nouvelles  expériences,  pensant 
bien  qu'à  celle  distance  je  ne  pourrais  avoir 
de  doute  sur  l'absence  d'intelligence  entre  le 
magicien  et  les  enfants  que  j'employais,  et, 
pour  en  être  encore  plus  sûr,  je  les  allai  cher- 
cher dans  les  quartiers  L's  plus  recules  ou 
sur  les  roules,  au  moment  où  ils  arrivaient 
de  la  campagne.  J'obtins  des  révélations  sur- 
prenantes ,  qui  toutes  avaient  un  caractère 
d'originalilé  encore  plus  extraordinaire  que 
l'eût  élé  celui  d'une  vérité  abstraite.  Une  (bis 
entre  autres,  je  fis  apparaître  lord  Prudhoe, 
qui  était  au  C.iire,  et  l'enfant,  dans  la  des- 
cription de  son  costume,  se  mit  à  dire  :  — 
Tiens,  c'est  fort  drôle,  il  a  un  sabre  d'argent. 

«  Or,  lord  Prudhoe  était  le  seul  peut-être 
en  Egypte  qui  portât  un  sabre  avec  un  four- 
reau de  ce  métal. 

«  De  retour  au  Caire,  je  sus  qu'on  parlait 
déjà  de  ma  science,  et  un  matin,  à  mon  grand 
éionnement,  les  domestiques  de  M.  Msarra, 
drogman  du  consulat  de  France,  vinrent  chi  z 
moi  pour  me  prier  de  leur  faire  retrouver  un 
manteau  qui  avait  été  volé  à  l'un  d'eux.  Je 
ne  commençai  cette  opération  cju'avec  une 
certaine  crainte.  J'étais  aussi  inquiet  des  ré- 
ponses de  l'enfant  que  les  Arabes  qui  atten- 
daient le  recouvrement  de  leur  bien.  Pour 
comble  de  malheur,  le  caouas  ne  voulait  pas 
paraître  ,  malgré  force  parfums  que  je  pré- 
cipitais dans  le  feu,  el  les  violentes  aspira- 
tions de  mes  invocations  aux  génies  les  plus 
favorables  ;  enfin  il  arriva,  et  après  les  pré- 
liminaires nécessaires,  nous  évoquâmes  le 
voleur.  Il  parut. 

«  11  fallait  voir  les  léles  tendues,  les  bou- 
ches ouvertes,  les  yeux  fixes  de  mes  specta- 
teurs, attendant  la  réponse  de  l'oracle,  qui 
en  effet  nous  donna  une  description  de  sa  fi- 
gure, de  son  turban,  de  sa  barbe  :  —  C'est 
Ibrahim,  oui,  c'est  lui,  bien  sûr  !  —  s'écria- 
l-on  de  tous  côtés  ;  et  je  vis  que  je  n'avais 
plus  qu'à  appuyer  mes  pouces  sur  les  yeux 
de  mon  patient  ;  car  ils  m'avaient  tous  quille 
pour  courir  après  Ibrahim.  Je  souhaite  qu'il 
ait  élécoupabic;  car  j'ai  entendu  vaguement 
parler  de  quelques  coups  de  bâton  qu'il  re- 
çut à  celle  occasion.  » 

HASAUD.  Le  hasard,  que  les  anciens  ap- 
pelaient la  Fortune,  a  toujours  eu  un  culte 
étendu,  quoiqu'il  ne  soit  rien  par  lui-même. 
Les  joueurs,  les  guerriers,  les  coureurs  d'a- 
ventures, ceux  qui  cherchent  la  fortune  dans 

(l)  bulancrc,  'J'abic.iu  Uu  l'iiicoiislaiicc  des  démons,  p. 
Ui. 


les  roues  de  la  loîerie,  dans  l'oidre  des  car- 
tes, dans  la  chute  des  dés  ,  daeis  un  tour  de 
roulette  ,  ne  soupirent  qu'après  le  hasard. 
Qu'est-ce  donc  (pie  le  hasarci?  Un  événciiient 
fortuit  amené  par  l'occasion  ou  par  des  cau- 
ses qu'on  n'a  p.is  su  prévoir,  heureux  pour 
les  uns,  malhe'jreux  pour  les  antres.  —  Un 
Allemand  sautant  en  la  ville  d'Agcn  sur  le 
gravier,  l'an  1597,  au  saut  de  l'Allemand, 
mourut  tout  roiile  au  troisième  saut.  Admi- 
rez le  hasard,  la  bizarrerie  et  la  rencontre' 
du  nom,  du  saut  et  du  sauteur,  dit  gravement 
Delancrc  :  Un  Allemand  saute  au  saut  de  l'Ai 
Icmand,  et  la  mort,  au  troisième  saut,  lui  fait 
faire  le  saut  de  la  mort...  On  voit  qu'au  sei- 
zième siècle  même,  on  trouvait  aussi  des  ha- 
sards merveilleux  dans  des  jeux  de  mots. 

HATTON  II ,  surnommé  Bonose,  usurpa- 
teur du  siège  archiépiscopal  de  Mayence,  qui 
vécut  en  107i.  11  avait  refusé  de  nourrir  les 
pauvres  dans  un  temps  de  famine,  et  avait 
uiëme  fait  brûler  une  grange  pleine  de  gens 
qui  lui  demandaient  du  pain  :  il  péril  misé- 
rablement. On  rapporte  que  cet  intrus,  étant 
tombé  malade  dans  une  tour  qui  est  située 
en  une  petite  île  sur  les  bords  du  Uliin,  y 
avait  été  visité  de  tant  de  rats,  (ju'il  fuT  im- 
possible de  les  chasser.  Il  Si-  fit  transpoiier 
ailleurs,  dans  l'espoir  d'eu  être  délivré,  miiis 
les  rats  s'étant  multipliés ,  passèrent  à  la 
nage,  le  joignirent  et  le  dévorèrent. 

Poppiel  II,  roi  de  Pologne,  souillé  d  •  cri- 
mes, fut  pareillement  dévoré  par  les  rats. 

IIAUSSY  (jMarie  de),  sorcière  du  seizième 
siècle,  qu'une  autre  sorcière  déclara  dans  sa 
confession  avoir  vue  danser  au  sabbat  avec 
un  sorcier  de  la  paroisse  de  Faks,  lequel  ado- 
rait le  diable  (1). 

HÉCATE,  diablesse  qui  préside  aux  rues 
et  aux  carrefours.  Elle  est  chargée,  aux  en- 
fers, de  la  police  des  chemins  et  de  la  voie 
publique.  Elle  a  lr.)is  visages  :  le  droil  de 
cheva^,  le  gauche  de  chien,  le  mitoyen  de 
femme.  Delrio  dit  :  «  Sa  présence  fait  trem- 
bler la  terre,  éclater  les  feux,  et  aboyer  les 
chiens.  » 

Hécate,  chez  les  anciens,  élail  aussi  la  tri- 
ple Hécalc  :  Diane;  sur  la  terre,  Proserpine 
aux  enfers,  la  Lune  dans  le  ciel.  Ce  sont,  au 
dire  des  astronomes ,  les  trois  phases  de  la 
lune. 

HÉCLA.  Les  Islandais  prétendaient  autre- 
fois que  l'enfer  éait  dans  leur  île,  et  le  pla- 
çaient dans  le  gouffre  du  mont  Hécla.  Ils 
croyaient  aussi  que  le  bruit  produit  par  les 
glaces,  quand  elles  se  choquent  el  s'amon- 
cellent sur  leurs  rivages,  vient  des  cris  des 
da  unes  tourmentés  par  un  froid  excessif,  el 
qu'il  y  a  des  âmes  condamnées  à  geler  élcr- 
nellcment,  comme  il  y  en  a  ({ui  brûlent  dans 
des  feux  élernels. 

Cardan  dit  que  cette  montagne  est  célèbre 
par  l'apparition  des  spectres  et  des  esprits, 
il  pense  av(  c  Leloyer  (2j  que  c'est  dans  celle 
montagne  d'Hécla  (]ue  les  âmes  des  sarciers 
foul  punies  après  leur  iiiorl.  V*>y.  Hauoi.d. 

HECDEKLN.   En  l'année  liaO,  un  démon 
(i)  llisloiie des  s;icclrcs,  p.  bl'X 


IM5 


Il  KL 


II FX 


814 


I 


que  les  S.ixnns  appelaient  Ilecilckiii.  ou  îlo- 
«Icken,  c'est-à-dire  Vespiit  au  bonnet,  à  c.iuse 
(lu  bonnet  dont  il  était  coiffé,  vint  passiT 
«luelqtK's  mois  dans  la  ville  (rilildesheiin,  en 
Basse-S.ixe.  L'évèque  d'Hihlesheiiu  eu  éiail 
aussi  le  souverain.  Kn  raison  de  ces  di'ux 
titres,  le  démon  crut  devoir  s'atlaclii'r  à  sa 
maison.  Il  se  posta  donc  dans  le  palais  e!  s'y 
(il  bientôt  connaître  avautageusemeni,  soit 
en  se  montrant  avec  eomplaisance  à  ceux  (]iii 
avaient  besoin  do  lui,  suit  en  disparaissant 
avec  prudence  lorsqu'il  devenait  importun, 
soit  en  faisant  des  cboscs  remarquables  et 
difflciles.  —  Il  donnait  de  bons  conseils  dans 
les  affaires  diplomatiques,  portait  de  leau  à  la 
cuisine  et  servait  les  cui^iniers.La  cliosc  s'est 
passée  dans  le  douzièinc  s  ècle  :  les  mœurs 
étaient  alors  plus  simples  qn'aujourd'bui. 

Il  fréquentait  donc  la  cuisine  et  le  salon  ; 
et  les  marmitons,  le  voyant  de  jour  en  jour 
plus  familier,  se  divertissaient  en  sa  compa- 
gnie. —  Mais  un  soir,  un  d'eux  se  porta  r.on- 
tre  lui  aux  injures  ,  quelques-uns  disent 
même  aux  voies  de  fait.  Le  démon  en  cidère 
s'alla  plaindre  au  maître  d'hôtel,  de  qui  il  ne 
reçut  aucune  sali -■fac' ion  ;  alors  il  crut  pou- 
voir si;  vengor.  11  étouffa  le  marmiton,  en 
assomma  quelques  autres,  rossa  le  maître 
d'iiôlel,  et  sortit  de  la  maison  pour  n'y  i)lus 
reparaître  (1). 

HÉKODIADE.  On  dit  en  Catalogne  que  la 
danseuse  homicide  d'Hérode,  l'inlâme  Héro- 
diado,  ayant  longtemps  couru  le  inonde, 
se  noya  dans  le  Ségré,  fleuve  qui  passe  à  Lc- 
riila,  et  cause  de  temps  en  temps  des  dévas- 
tations. Les  bonnes  femmes  ajoutent  qu'Hé- 
rode  y  est  enseveli  avec  elle. 

D'autres  traditions  noient  Hérodiade  dans 
un  lac  glacé  sur  lequel  elle  dansait;  ce  qu'elle 
n'avait  cessé  de  taire  depuis  son  affreuse 
aventure.  La  glace  se  creva  sous  ses  pieds, 
et,  se  refermant  pendant  qu'elle  s'enfonçait, 
lui  trancha  la  tête.  Ce  lac  est  en  Suisse  ,  et 
cette  tête  danse  toujours.  Mais  peu  de  gens 
la  peuvent  voir. 

HÉHUGASTE,  sylphide  qui  se  familiari- 
sait avec  l'empereur  Auguste.  Les  cabalistos 
disent  qu'Ovide  fut  relégué  à  Tomes  pour 
avoir  surpris  Auguste  en  Icle  à  tête  avec  elle; 
que  la  sylphide  fut  si  piiiuée  de  ce  que  ce 
prince  n'avait  pas  donné  d'assez  bous  ordres 
pour  qu'on  ne  la  vît  point,  qu'elle  l'aban- 
lioniia  pour  toujours  ^ri). 

HÉXACONTALITHÔS.  Pierre  qui  en  ren- 
ferme soixante  autres  diverses,  que  les  Tro- 
glodytes offraient  au  diabledans  leurs  sorcel- 
leries (3). 

HÉLA,  reine  des  trépassés  chez  les  an- 
ciens Germains.  Son  gosier  toujours  ouvert 
ne  se  remplissait  jamais.  Elle  avait  le  même 
nom  ()ue  l'enl'er.  Vt)y.  Angerbudk. 

La  mythologie  Scandinave  donne  le  pou- 
voir de  la  mon  à  lîéla,  (jui  gouverne  les  neuf 
mondes  de  Nilleheiin.  Ce  nom  signifie  mys- 
tère, sccrel,  abîme.  Selon  la  croyaiue  popu- 
laire des  paysans  de  l'aniique  Cimbrie,  Héla 

il)  Trillièine,  Clironiquiî  irUirsauge. 
2)  Letlrcs  cjl>ali!>liiiuc's,  l.  1",  p.  Ul. 
5J  DebiKTi',  'l'ublcau  Je  l'iii'.ouslance  des  démons,  etc., 


répand  au  loin  la  peste  et  laisse  tomber  tous 
les  fléaux  de  ses  terribles   mains  en  voya- 
geant, la  nnil,  sur  le  cheval  à  trois  pied;  de 
l'enfer   (Helhesl).   lléia   et    les   loups   de   la 
guerre  ont  longlem[)s  exercé  leur  empire  eu 
Normandie.  Cependant,  lorsque  les  liommti 
dit  Nord  de  Hastings  devinrent  les  Normands 
de  Rollon,  ils  semblent  avoir  perdu  le  souve- 
nir do  leurs  vieilles  superstitions  aussi  rapi- 
dement que  celui  de  leur  langue  maternelle. 
D'Héla  naquit  Hellequin,  nom  dans  lequel 
il  c-ît  facile  de  reconnaître  Hcla-Kïon,  la  race 
d'Héla  déguisée  sous  l'orlhographe  romaine. 
Ce  fut  le  fils  d'Héla  que  Uichard  sans  Peur, 
fils  de  Robert  le  Diable,  duc  da  Normandie, 
rencontra  chassant  dans  la  forêt.  Le  roman 
raconte  qu'Hellequin  était  un  cavalier  qui 
avait  dépensé  toute  sa  fortune  dans  les  guer- 
res de  Charles  Martel   contre  les  Sarrasins 
païens.  La  guerre  finie,  Hellequin  et  ses  fils, 
n'ayant  plus  de  quoi  soutinir  leur  rang,  s(! 
jetèrent  dans  de  mauvaises  voies.  Devenus  de 
vrais  bandits,  ils  n'épargnaient  rien;  leurs 
victimes  ileinandèrent  vengeance  au  ciel,  et 
leurs  cri->  furent  entendus.  HcUeiiuin  tomba 
maladj  et  mourut;  ses  péchés  l'avaient  mis 
en  danger  de  damnation  éternelle  :  heureu- 
sement ses  mérites,  comme  champion  de  la 
foi  contre  les  païens,  lui  servirent.  Son  bon 
ange  plaida  pour  lui,  et  obtint  qu'en  expia- 
tion de  ses  derniers  crimes,  la  famille  d'Hel- 
lequin  errerait  après  sa  mort,  gémissante  et 
malheureuse,  tantôt  dans  une  forêt,  tantôt 
dans  une  autre,  n'ayant  d'autres  distractions 
que    la  chasse  au   sanglier,   mais   souvent 
poursuivie  elle-môine  par  une  meule  d'enfer; 
punition  (|ui  durera  jusqu'au  jugement  der- 
nier. 

HÉLÈNE,  reine  des  Adiabénites ,  dont  le 
lo  iibeau  se  voyait  à  Jérusalem,  non  sans  ar- 
tifice, car  on  ne  pouvait  l'ouvrir  cl  le  fermer 
qu'à  certain  jour  de  l'année.  Si  on  l'essayait 
dans  un  autre  temps,  tout  était  rompu  (k). 

HÉLÉNÉION,  plante  que  Pline  fait  naîiro 
des  larmes  d'Hélène  auprès  du  chêne  où  elle 
fut  pendue,  et  (]ui  avait  la  vertu  d'embellir 
les  femmes  et  de  rendre  gais  ceux  qui  eu 
niellaient  dans  leur  vin. 

HELGAFELL,  montagne  et  canton  d'Is- 
lanile,  qui  a  joui  longtemiis  d'une  grande  ré- 
putation dans  l'esprit  des  Islandais.  Lorsque 
des  parlics  plaidaient  sur  des  objets  dou- 
teux, et  qu'elles  ne  pouvaient  s'accorder, 
elles  s'en  allaient  à  Helgafell  pour  y  prendre 
conseil;  on  s'imaginait  que  tout  ce  (]ui  s'y 
décidait  devait  avoir  une  pleine  réussite. 
Certaines  familles  avaient  aussi  la  persua- 
sion qu'après  leur  mort  elles  devaient  reve- 
nir habiter  ce  canton.  La  montagne  passait 
pour  un  lieu  saint.  Personne  n'osait  la  re- 
garder qu'il  ne  se  fût  lavé  le  visage  et  les 
mains. 

IIELIAS.  «  .\pparilion  admirable  cl  pro- 
digieuse arrivée  à  JeanHélias,  le  premier 
jour  de  l'an  1623,  au  faubourg  Saint-Germain 

p.  18. 

(i)  Leloycr  ,  Hist.  des  spectres  et  apparitions  des  es- 
prits, p.  al. 


Rir,  DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCdULTKS 

fi    Paris.   »  —  C'csl    un    gentilhomme   qui 


SIS 


ion  le  (1)  : 

Liant  allé  le  dimanche,  premier  jour  de 
l'année  1()2.'{,  sur  les  qualre  heures  après 
midi,  à  Noire-Dame,  pour  parler  à  M.  le 
crand-pénilencier  sur  la  conversion  de  Jean 
Hélias,  mon  laquais,  ayant  décidé  d'une  heure 
pour  le  faire  instruire,  parco  qu'il  quittait 
son  hérésie  pour  embrasser  la  vraie  religion, 
je  m'en  fus  passer  le  reste  du  jour  chez  M.  de 
Sainle-Foy,  docteur  en  Sorbonne,  et  me  re- 
tirai sur  les  six  heures.  Lorsque  je  rentrai, 
j'api>t!lai  mon  laquais  avant  de  monter  dans 
ma  ciiambre;  il  ne  me  répondit  point.  Je  de- 
mand  li  s'il  n'était  pas  à  l'écurie;  on  ne  m'en 
sut  rien  dire.  Je  montai,  éclairé  d'une  ser- 
vante, je  trouvai  les  deux  portes  fermées,  les 
clefs  sur  les  serrures.  En  entrant  dans  la  pre- 
mière chambre ,  j'appelai  encore  mon  la- 
quais, qui  ne  ré|)ondil  point  ;  je  le  trouvai  à 
demi  couché  auprès  du  feu,  la  tête  appuyée 
contre  la  muraille,  les  yeux  et  la  bouche  ou- 
verts; je  crus  qu'il  avaitdu  vin  dans  la  tête; 
et  le  poussant  du  pied,  je  lui  dis  :  Levez-vous, 
ivrogne  1 

Lui,  tournant  les  yeux  sur  moi  :  —  Mon- 
sieur, me  dit-il,  je  suis  perdu  ;  je  suis  mort; 
le  diable  tout  à  l'heure  voulait  m'emporter. 
Il  poursuivit  qu  étant  entré  dans  la  chambre, 
ayant  fermé  les  portes  sur  lui  et  allumé  le 
IV-ii,  il  s'assit  auprès,  lira  son  chapelet  de  sa 
poche  et  vit  tomber  de  la  cheminée  un  gros 
charbon  ardent  entre  les  chene's.  Aussitôt 
(Ml  lui  dit  :  —  Eh  bien,  vous  voulez  donc  me 
quitter? 

Croyant  d'abord  que  c'était  moi  qui  par- 
lais, il  répondit  :  —  Pardonnez-moi,  mou- 
sieur,  qui  vous  a  dit  cela? 

—  Je  l'ai  bien  vu,  dit  le  diable  ;  vous  êtes 
allé  tantôt  à  l'église.  Pourquoi  voulez-vous 
me  quitter?  je  suis  bon  maître  ;  tenez,  voilà 
de  l'argent  :  prenez-en  tant  qu'il  vous  plaira. 

—  Je  n'en  veux  point,  répondit  Hélias. 
Le  diable,  voyant  qu'il  refusait  son  argent, 

voulut  lui  faire  donner  son  chapelet. 

Donnez-moi  ces  grains  que  vous  avez  dans 
la  main,  dit-il,  ou  bien  jetez-les  au  feu. 

Mon  laquais  répondit  :  —  Dieu  ne  com- 
mande point  cela  ;  je  ne  veux  pas  vous  obéir. 

Alors  le  diable  se  montra  à  lui;  et  voyant 
qu'il  était  tout  noir,  Hélias  lui  dit  :  Vous 
n'êtes  pas  mon  maître;  car  il  porte  nue 
fraise  blanche  et  du  clinquant  à  ses  habits. 

Au  même  instant,  il  fit  le  signe  de  la  croix 
et  le  diable  incontinent  disparut. 

HELIOGABALE,empireurdeUomc;il  s'oc- 
cupait de  nécromancie,  quoiqu'il  méprisât 
toute  religion.  Bodin  assure  qu'il  allait  au  sab- 
bat et  qu'il  y  adorait  le  diable. 

IIELIOTUOPE.  On  donnait  ce  nom  à  une 
pierre  précieuse,  verte  et  tachetée  ou  veinée 
de  ronge,  à  laquelle  les  anciens  ont  attribué 
un  grand  nombrede  vertus  fabuleuses,  comme 
de  rendre  invisibles   ceux  qui  la  portaient. 

L'héliotrope,  plante  qui  suit,  dit-on,  le 
cours  du  soleil,  a  été  aussi  l'objet  de  plusieurs 
contes  populaires. 

(I)  fii'i-ueil  de  Disscrlations  de  Lenalel-Durresiiov,  t. 

li.  p.  laa. 


HELLEQUIN.  -  Voy.  Héla. 

HENOCH.  Los  rabbins  croient  qu'Hénoch, 
transporté  au  ciel,  fut  reçu  au  nombre  des 
anges,  et  que  c'est  lui  qui  est  connu  sous  la 
nom  de  Métralon  et  de  Michel,  l'un  des  pre- 
miers princes  du  ciel,  lequel  lient  registre  des 
mérites  et  des  péchés  des  Israélites.  l!s  ajou- 
tent qu'il  eut  Dieu  el  Adam  pour  miiîtres. 

S.tint  Jude,  dans  son  Epîire,  parlant  de 
plusieurs  chrétiens  mal  convertis  ,  dit  : 
«  Cestd'eux  qu'Hénoch,  qui  a  été  le  septième 
depuis  Adam,  a  prophétisé  en  ces  termes  : 
Voilà  le  Seigneur  qui  va  venir  avec  la  mul- 
titude de  ses  saints  pour  exercer  son  juge- 
ment sur  tous  les  hommes,  et  pour  convain- 
cre tous  les  impies.  »  Ces  paroles  de  Saint 
Jude  ont  donné  lieu  de  forger,  dans  lo 
deuxième  siècle,  un  prétendu  Livre  d'Hé- 
noclt,  rempli  de  visions  et  de  fables  touchant 
la  chute  des  anges  (.2).  Voy.  Edris. 

HENRI  in.  Fils  de  Catherine  de  Médicis;  il 
était  infatué  des  superstitions  de  sa  mère.  Ses 
contemporains  le  représentent  comme  sor- 
cier. Dans  un  des  pamphlets  qu'on  répandit 
contre  lui,  on  lui  reproche  d'avoir  tenu  au 
Louvre  des  écoles  de  magie  el  d'avoir  reçu,  en 
présent,  des  n»agiciens  ,  un  esprit  familier, 
nommé  Terragon,  du  nombre  des  soixante 
esprits  nourris  en  l'école  de  Soliman.  Celte 
accusation  de  sorcellerie  est,  dit-on,  ce  qui 
mil  le  poignard  dans  les  mains  de  Jacques 
Clément.  Les  ennemis  de  ce  mauvais  prince 
avaient  lenlé  auparavant  de  le  faire  mourir 
en  piquant  ses  images  en  cire,  ce  qui  s'appt;- 
lait  envoûter. 

Voici  l'extrait  d'un  pamphlet  intitulé  :  Les 

sorcelleries  de  Henri  de  Valois,  et  les  abla- 
tions qu'il  faisait  au  diable  dans  le  bois  de 
Yincennes  (  Didier-Millot,  158!)  ),  pamphlet 
qui  parut  quelques  mois  avant  l'assassinat 
de  Henri  IH. 

«  Henri  de  Valois,  d'Epernon,  et  les  autres 
mignons,  faisaient  quasi  publiquement  pro- 
fession de  sorcellerie,  étant  cumntune  à  la 
cour  entre  iceux  et  plusieurs  personnes  dé- 
voyées de  la  sainte  religion  catholique;  on 
a  trouvé  chez  d'Epernon  un  coffre  plein  de 
pajjiers  de  sorcellerie,  auxquels  il  y  avait 
divers  mois  hébreux,  clialdaïques,  lalins,  et 
plusieurs  caractères  inconnus,  des  rondeaux 
0.1  cernes,  desquels  alentour  il  y  avait  di- 
verses figures  et  écritures,  même  des  miroirs, 
onguents  ou  drogues,  avec  des  verges  blan- 
ches, lesquelles  semblaient  être  de  coudrier, 
que  l'on  a  incontinenl  brûlés  pour  l'horreur 
qu'on  en  avait. 

«  On  a  encore  trouvé  dernièrement  au  bois 
de  Vincennes  deux  satyres  d'argent,  de  la 
hauteur  de  quatre  pieds,  lis  élaienl  au-devant 
d'une  croix  d'or,  au  milieu  de  laquelle  on 
avait  enchâssé  du  bois  de  la  vraie  croix  de 
Noire-Seigneur  Jésus-Christ.  Les  politiques 
disent  que  c'étaient  des  chandeliers.  Ce  qui 
fail  croire  le  contraire,  c'eU  que,  dans  ces 
vases,  il  n'y  avait  point  d'aiguille  qui  passât 
pour  y  mettre  un  cierge  ou  une  petite  chan- 

(i)  Itergior,  DutioniKilid  lliéotogiiiuc. 


I 


»n 


IIEN 


IIKN 


818 


(Itilli!.  Ces  monslres  di.iboliqucs  ont  été  vus 
par  messieurs  de  la  ville. 

«  Outre  ces  deux  diahles.  on  a  trouve  une 
peau  d'enfant,  I;i<]nol!e  avait  clé  corroyée,  et 
Bur  ieelle  y  avait  aussi  plusieurs  mots  de 
sorcellerie  et  divers  caractères » 

Le  fait  est  que  les  Valois  s'occupaient  de 
sciences  occultes.  Voy.  ïerragon. 

On  fit  l'anagranime  du  noui  de  Henri  III. 
—  Henri  île  Valois,  où  l'on  trouve  Vilain  Hé- 
rode. 

HENRI  ni,  empereur  d'Allemagne.  Etant 
oncoie  très-jeune,  Henri  HI  obtint  d'un  clerc 
une  petite  canule  d'argent  avec  laquelle  les 
enfants  s'amusent  à  jeter  de  l'eau.  Pour  l'en- 
gager à  lui  faire  ce  modique  présent,  il  avait 
promis  à  ce  clerc  que,  dès  qu'il  serait  uKinté 
sur  le  trône,  il  ne  nian(]ucrait  pas  de  le  faire 
évéquc.  C'était  à  une  éporjue  où  le  Saint- 
Siège  ne  cessait  de  travailler  à  éteindre  la 
Simonie,  fréquente  surtout  en  Allemagne. 
Henri  devint  empereur  en  1139;  il  se  souvint 
de  sa  parole  et  l'exécuta.  Mais  il  ne  tarda 
guère  à  tomber  dans  une  fâcheuse  maladie; 
il  fut  trois  jours  à  l'extrémité  sans  aucun 
sentiment.  IJn  faillie  mouvement  du  pouls  fit 
juger  seulement  qu'il  y  avait  encore  quelque 
hiour  d'espérance  de  le  ramener  à  la  vie.  Le 
prince  recouvra  en  effet  la  santé.  Aussitôt  il 
lit  appeler  ce  prélat,  qu'il  avait  fait  si  préci- 
pitamment évêque,  et,  de  l'avis  de  son  con- 
seil, il  le  déposa.  Afin  de  justifier  un  juge- 
ment aussi  bizarre,  il  assura  que,  pendant 
les  trois  jours  de  sa  léthargie,  les  dénmns  se 
servaient  de  cette  même  canule  d'argent,  qui 
avait  été  le  prix  de  l'évèché,  pour  lui  souiller 
un  feu  si  violent  que  notre  feu  élémentaire 
ne  saurait  lui  être  comparé. 

Ce  fait  singulier  est  rapporté  par  Guillaume 
de  Malmesbury,  historien  du  douzième  siècle. 

HENRI  IV,  roi  d'Angleterre,  il  poursuivit 
les  sorciers,  mais  il  encouragea  d'autres 
philosophes.  Au  rapport  d'Evelyn,  dans  ses 
Niimismala,  Henri  IV  fut  réduit  à  un  tel  de- 
gré de  bcso:n  par  ses  folles  dépenses,  qu'il 
chercha  à  remplir  ses  coffres  avec  les  secours 
de  l'alchimie.  L'enregistrement  de  ce  singu- 
lier projet  contient  les  protestations  les  plus 
solennelles  et  les  plus  sérieuses  de  l'existence 
et  des  vertus  de  la  pierre  philosophale,  avec 
des  eucouragemenls  à  ceux  qui  s'occuperont 
do  sa  recherche,  et  leur  affranchissement  de 
toute  espèce  de  contrariétés  de  la  part  des 
statuts  et  prohibitions  antérieures. 

On  avait  prédit  à  ce  roi  Henri  IV  qu'il 
mourrait  à  Jérusalem.  Il  se  garda  bien  d'y 
aller.  Mais  il  tomba  malade  subitement  dans 
l'abbayo  de  Westminster  et  y  mourut  dans 
une  chambre  appelée  Jérusalem.... 

HENRI  IV,  roi  de  France.  On  fit  une  re- 
cherche assez  curieuse  sur  le  nombre  qua- 
torze relativement  à  Henri  IV.  Il  naquit  qua- 
torze siècles,  quatorze  décades,  et  quatorze 
ans  après  l'ère  chrétienne.  Il  vint  au  moiule 
le  li  décembre  et  mourut  le  14  mai.  Il  a  vécu 
quatre  fuis  (juatorze  ans,  quatorze  semaines, 
quatorze  jours.  Enfin ,    dans    sou    nom   de 

••  (1)  C'est  ainsi  (|iie  oonimpiiç.i  l';ivenuire  d'Androclès  , 
1J\  l»uiivj,  comme  li;  duc  de  Itiuuswiijk,   un  a:iii  daus  suii 


ïlcivide  Bourbon,  il  y  a  quator.7(!  Irtires. 

HICN'RI  LE  LION.  Nous  einpruulons  sa 
légende  à  Miisa-us,  dont  les  contes  populaires 
sont  riches  du  tant  de  traditions  merveilleu- 
ses. 

Pendant  que  la  croisade  de  Fréiléric  Bir- 
btTousse  occupait  le  monde  chrétien,  il  y  eut 
grand  bruit  d  ins  toute  l'Allemagne  de  l'a- 
venture merveilkuse  arrivée  au  duc  Henri 
de  Rrunswick.  —  Il  s'était  embarqué  pour 
la  Terre-Sainte.  Une  tempête  le  jeta  sur  la 
côte  d'.vlrique.  Echappé  seul  du  uaufraa:e, 
il  trouva  un  asile  dans  l'antre  d'un  lion.  L'a- 
nimal, couché  à  terre,  lui  témoigna  tant  de 
douceur  qu'il  osa  s'en  approcher;  il  recon- 
nut que  celte  humeur  hospitalière  du  redou- 
table animal  provenait  de  l'extrême  douleur 
qu'il  ressentait  à  la  patte  gauche  de  derrière; 
il  s'y  était  enfoncé  une  grosse  épine,  et  la 
douleur  le  faisait  souffrira  un  tel  point  qu'il 
ne  pouvait  se  lever  et  qu'il  avait  complète- 
ment perdu  l'appéiit.  La  première  connais- 
sance faite  et  la  confiance  réciproque  établie, 
le  duc  remplit  auprès  du  roi  des  animaux 
les  fonctions  de  chirurgien;  il  lui  arracha 
l'épine  et  lui  pansa  le  pied  (1). 

Le  lion  guérit.  Recoîinaissant  du  service 
que  lui  avait  rendu  son  hôte,  il  le  nourrit 
abondamment  de  sa  chasse,  et  le  combla  de 
touies  les  caresses  qu'un  chien  a  coutume  de 
faire  à  sou  maître. 

C'était  fort  bien.  Mais  le  duc  no  tarda  pas 
à  se  lasser  de  l'ordinaire  du  lion  ,  qui ,  av(  c 
toute  sa  bonne  volonté,  ne  lui  servait  pas  la 
venaison  aussi  bien  apprêtée  (jue  le  faisait 
sou  cuisinier.  H  désirait  ardemment  de  re- 
tourner dans  sa  résidence  ;  la  maladie  du 
pays  le  tourmentait  nuit  et  jour;  mais  il  ne 
voyait  aucun  moyen  de  pouvoir  jamais  re- 
gagner ses  états. 

Le  tentateur  s'approcha  alors  du  duc,  que 
la  tristesse  accablait.  11  avait  pris  la  forme 
d'un  petit  homme  noir.  Henri  d'abord  crut 
voir  un  orang-outang;  mais  c'était  bien 
Satan  en  personne  qui  lui  rendait  visite.  — 
Duc  Henri ,  lui  dit-il ,  pourquoi  te  lamentes-» 
tu?  Si  tu  veux  prendre  confiance  en  moi,  je 
mettrai  fin  à  les  peines  ,  je  te  ramènerai  près 
de  ton  épouse.  Aujourd'hui  même,  lu  sou- 
peras  à  Brunswick,  où  l'on  prépare  ce  soir 
un  grand  festin  ;  car  la  duchesse,  qui  te  croi* 
mort ,  donne  sa  main  à  un  nouvel  époux. 

Celte  nouvelle  fut  un  coup  de  foudre  pour 
le  duc  :  la  fureur  étincelait  dans  ses  yeux, 
son  cœur  était  en  proie  au  désespoir.  H  au- 
rait pu  songer  que,  depuis  trois  ans  qu'on 
avait  annoncé  sou  naufrage  et  sa  mort,  il 
était  bien  permis  à  la  duchesse  de  se  croire 
veuve.  H  ne  s'arrêta  qu'à  l'idée  qu'il  était 
outragé. 

—  Si  le  ciel  m'abandonne,  pensa-t-il,  je 
prendrai  conseil  de  l'onfer. 

Il  était  daus  une  de  ces  situations  dont  le 
diable  sait  profiter.  Sans  perdre  le  tetnps  eti 
délibérations,  il  chaussa  ses  éperons,  cei- 
gnit son  épée,  cl  s'écria  :  —En  roule,  ca- 
marade. 
lion. 


8I'.I 


MCTIONNAIRE  OES  SCIF.NCF.S  OCCULTES. 


8i0 


—  A  rinslaiil  ,  répliqua  le  démon  ;  mais 
(onvnions  dos  frais  do  Iransport. 

—  Demande  co  que  lu  voudras,  dil  le  duc, 
j(>  le  le  donnerai  ,  sur  ma  i)arole. 

—  lUi  bienl  il  laul  que  Ion  ânic  ni'appar- 
lienne  dans  l'autre  monde. 

.  — Soil ,  répondil  le  duc,  datninc  par  la 
lo'ère;  cl  il  loucha  la  muin  du  petil  homme 
noir. 

Le  marché  se  trouva  donc  conclu  entre  les 
parties  intéressées.  Satan  prit  la  forme  d'un 
griffon,  saisit  dans  une  de  ses  serres  le  duc 
Henri,  dans  l'autre,  le  fidèle  lion,  cl  les 
transporta,  des  rôles  de  la  Libye,  dans  la 
ville  (le  Brunswick,  où  il  les  déposa  sur  la 
place  du  marché,  au  moment  où  le  guet  ve- 
nait de  crier  Ihcure  de  minuit.  Puis  il  dis- 
parut. 

Le  palais  ducal  et  la  ville  entière  étaient 
illuminés;  toutes  les  rues  fourmillaient  d'ha- 
hitanls  qui  se  livraient  à  une  bruyante 
{juîlé  ,  et  couraient  au  château  ,  pour  y  voir 
la  fiancée  ,  et  pour  cire  spectateurs  de  la 
tlansu  des  flambeaux,  qui  devait  terminer  les 
fêles  du  jour. 

Le  voyageur  aérien,  ne  ressentant  pas  la 
moindre  fatigue,  se  glissa  à  travers  la  fou'c, 
sous  le  portail  du  palais ,  et ,  accompagne  de 
son  lion  tîdcle,  il  fit  retentir  ses  éperons  d'or 
sur  l'escalier,  entra  dans  la  salle  du  festin, 
tira  son  épée,  et  s'écria  :  —  A  moi  ceux  qui 
sont  fidèles  au  duc  Henri!  mort  et  malédic- 
tion aux  traîtres. 

En  môme  temps,  le  lion  rugit ,  secouant 
sa  crinière  cl  agitant  sa  queue.  On  croyait 
entendre  les  éclats  du  tonnerre.  Les  trom- 
pettes et  les  trombones  se  lurent;  mais  les 
voûies  antiques  retentirent  du  fracas  des 
armes  ,  et  les  murs  du  rhâ  eau  en  trcm- 
l)lèrcnt.  —  Le  fiancé  aux  boucb'S  d'or  et  la 
troupe  bigarrée  de  ses  courtisans  tombèrent 
sous  l'épée  de  Henri.  Ceux  (jui  échappaient 
au  glaive  étaient  déchirés  par  le  lion. 

Après  que  le  pauvre  fi.incé,  ses  chevaliers 
cl  ses  valets  curent  mordu  la  poussière,  et 
que  le  duc  se  fut  montré  le  maître  de  la  mai- 
son d'une  manière  aussi  énergi(|ue  que  jadis 
Ulysse  avec  les  prélendants  de  Pénélope,  il 
prit  place  à  table,  à  côté  de  son  épouse. 
Klle  comniençail  à  peine  à  se  remettre  de  la 
frayeur  mortelle  que  lui  avaient  causée  ces 
n)assacrcs. 

Tout  en  mangeant  avec  grand  appétit  des 
mets  que  son  cuisinier  avait  apprêtés  pour 
d'autres  convives,  et  en  régalanl  son  com- 
pagnon de  ragoûts  qui  ne  paraissaient  pas 
non  plus  lui  déplaire  ,  H(Miri  jetait  les  yeux 
do  temps  en  temps  sur  sa  femme,  qu'il  voyait 
baignée  de  larmes.  Ces  pleurs  pouvaient 
s'expliquer  de  deux  manières  ;  mais  ,  en 
homme  qui  sait  vivre,  le  duc  leur  donna 
l'interprclation  la  plus  favorable.  Il  adressa 
;i  la  dame,  d'un  ton  affectueux,  quelques 
reproches  sur  sa  précipitation  à  former  de 
nouveaux  nœuds,  et  il  repril  ses  vieilles  ha- 
bilndes. 

Henri  le  Lion,  surnommé  ainsi  à  cause  de 
son  aventure,  disparut,  ajoule-'.-on,  en  ll'JS, 
emporté  pir  le  petit  homme  noir. 


HEPATOSCOPIK  ou  HIEUOSCOPIK,  divi- 
!i.ilioii  qui  avait  lieu  j.ar  l'inspection  du  foie 
d  s  victimes  dans  les  sacrifices ,  chez  les  Ro- 
mains. 

()uelques  sorciers  modernes  cherchaient 
aus'i  l'avenir  dans  les  cnirailles  des  ani- 
maux. Ces  animaux  étaient  ordinairement 
ou  un  chat ,  ou  une  taupe,  ou  un  lézard,  ou 
uiw  chauve-souris,  ou  un  crapaud,  ou  une 
poule  noire.  Voy.  Aruspices. 

HÊ1\AH)E.  Voy.  Heiuiaphrodites. 
HliKBAUlLLA.  Autrefois,  il  y  avait  à  la 
place  du  lac  de  Grand-Lieu  en  Brclagne  ,  un 
vallon  délici  'ux  el  fertile,  qu'ombrageait  la 
forêt  de  Vcrlave  ou  Vertou.  Ce  fut  là  que  se 
réfugièrent  les  plus  riches  citoyens  de  Nan- 
tes ,  el  qu'ils  sauvèrent  leurs  trésors  de  la 
rapacité  des  légions  de  César.  Ils  y  bâtirent 
une  cité  qu'on  nomma  Herbaditla,  à  cause 
delà  beauté  des  prairies  qui  l'environnaient. 
Le  commerce  centupla  leurs  richesses  ;  mais 
en  même  temps  le  luxe  charria  jusqu'au 
sein  do  leurs  murs  les  vices  des  Romains.  Ils 
provoquèrent  le  courroux  du  ciel.  Un  jour 
que  saint  Martin  de  Vertou,  fitigué  de  ses 
courses  apostoliques,  se  reposait  prèi  dUi'r- 
badilla  ,  à  l'ombre  d'un  cliêne,  une  voix  lui 
cria  :  Fidèle  confesseur  de  la  foi,  éloigne  toi 
de  la  cité  pécheresse. 

Sailli  Maili»  s'éloigne  ,  cl  soudain  jail- 
lissent, avec  un  bruit  .ilTreux  ,  des  eaux  jus- 
qu'alors inaperçues,  cl  qui  faisaient  irrup- 
tion dune  caverne  profonde.  Le  vallon  où 
s'élevait  la  R.ibylone  des  Bretons  fut  tout  à 
coup  submergé.  A  la  surface  do  celte  onde 
sépulcrale  vinrent  aboutir  par  milliers  des 
bulles  d'air,  derniers  soupirs  de  ceux  qui 
expiraient  dans  l'abîme. 

Pour  perpétuer  le  souvenir  du  châtiment , 
Dieu  permet  que  l'on  entende  encore  au  fond 
de  cel  ;rt)îme  les  cloches  d(!  la  ville  engloutie, 
el  que  l'orage  y  vive  fumiliôremont.  Auprès 
est  une  île  au  milieu  de  laquelle  s'élève  une 
pierre  en  forme  d'obélisque.  Cette  pierre 
ferme  l'entrée  du  gouflro  qui  a  vomi  les  eaux 
du  lac,  el  ce  goulïre  est  la  prison  d'un  géant 
formidable  qui  pousse  dhorribles  rugisse- 
ments. 

A  quatre  lieues  de  cel  endroit,  vers  l'est , 
on  trouve  une  grande  pierre  qu'on  appelle  la 
vieille  de  saint  Martin;  car  il  est  bon  de  sa- 
voir que  celle  pierre,  qui  pour  bonne  raison 
garde  figure  humaine,  fut  jadis  une  femme 
\érilable,  laquelle,  s'êlant  reiournée  malgré 
la  défense  en  sortant  de  la  ville  dHerbadilla, 
fut  Iransfornice  en  statue  (1)    Yo\i.\s. 

HLRBE  MAUDITE.  L.s  paysans  nor- 
mands croient  qu'il  existe  une  (leur  qu'on 
appelle  Vlierbe  maudite:  celui  t]ui  marche 
dessus  ne  cesse  de  tourner  dans  un  même  cer- 
cle, et  il  s'imagine  qu'il  continue  son  chemin 
sans  avancer  d'un  pas  au-delà  du  lieu  où 
riierbe  magique  l'a  enchaîné. 

HEUBli  QUI  EGARIi.  H  y  a,  dil-on  aussi, 
dans  le  l'érigord,  une  certaine  herbe  qu'on 
ne  peut  fouler  sans  s'égarer  ensuite  de  ma- 
nière à  ne  plus  retrouver  son  chemin.  Cette 

(1)  M.  i\>'  Maitliaiigy,  Trislan  le  vnyagciir,  lui».  i,i), 
llj 


821 


IIEU 


liES 


S2?? 


hoihe  qui  ircsl  pas  coniiiic,  so  Irouv.iil  abon- 
dainiueiil  aux  environs  (lu  château  de  Lusi- 
fçnaii,  bâli  par  Mélusine;  ceux  qui  uiarcliaieiit 
<le>!>us  erraient  dans  de  longs  circuits,  s'el- 
lorçaient  en  vain  de  s'éloigaer,  et  se  reïrou- 
vaient  dans  l'enceinte  redoutée  jusqu'à  ce 
qu'un  guide  préservé  de  l'enchantement  les 
remît  dans  la  bonno  voie 

HKHBE  ME  COQ.  Les  habitants  de  Pa- 
nama vantent  beaucoup  une  herbe  qu'ils  ap- 
pellent herbe  de  coq,  et  dont  ils  prétendent 
«lue  l'application  est  capable  de  guérir  sur- 
le-champ  un  poulet  àqui  l'on  aurait  coupé  la 
tête,  en  respectant  une  seule  vertèbre  du 
cou.  Des  voyag(!urs  sollicitèrent  en  vain 
ceu  X  qui  faisaient  ce  récit  de  leur  montrer  l'her- 
be ;  ils  ne  purent  l'obtenir,  quoiqu'on  leur 
assurât  qu'elle  était  commune  :  d'où  l'on 
d  )it  conclure  que  ce  n'est  qu'un  conte  popu- 
laire (1). 

HÉllKNBKKG  (Jean-Christophe),  auteur 
de  J'emées  philosophiques  cl  chrétiennes  sur 
les    Vampires,  173.5.  Voij.  Yampibes. 

HEKMAl'HUODlïES.  Longtemps  avant 
Antoinette  Bourignon,  qui  soutint  cette  sin- 
gulière thèse  au  dix-septième  siècle,  il  s'était 
élevé, sous  le  pontificat  d'Innocent  111,  une 
secte  de  novateurs  qui  enseignait  qu'Adam 
était  à  sa  naissance  homme  et  femme  tout  à 
la  fois. 

Pline  assure  qu'il  existait  en  Afrique  ,  au 
delà  du  désert  de  Zara,  un  peuple  d'andro- 
gynes. 

Les  lois  romaines  mettaient  les  herma- 
phrodites au  nombre  des  monstres,  et  les 
condamnaient  à  mort. 

TiteLiveet  Eutrope  rapportcntqu'il naquit 
auprès  de  Rome,  sous  le  consulat  de  Clau- 
dius  Néron,  un  enfant  pourvu  de  deux  sexes; 
que  le  sénat,  effrayé  de  ce  prodige,  décréta 
qu'il  fallait  le  noyer.  On  enferma  l'enfant 
dans  un  coflVe  ;  on  l'embarqua  sur  un  bâti- 
ment et  on  le  jeta  en  pleine  mer. 

Leioyer  parle  longuement  d'une  femme  de 
Macédoine,  nommée  Héraïde,  qui  se  maria 
comme  femme,  et  devint  homme  ensuite  dans 
une  absence  de  son  mari.  C'était ,  dans  les 
vieilles  opinions,  un  hermaphrodite.  Mais  on 
ne  voit  plus   d'hermaphrodites  aujourd'hui. 

Les  hermaphrodites,  dans  les  contes  plus 
anciens,  avaient  les  deux  sexes,  deux  têtes 
quatre  bras  et  quatre  pieds.  Les  dieux,  dit 
Platon,  avaient  d'abord  formé  l'homme  avec 
deux  corps  et  les  deux  sexes.  Ces  hommes 
doubles  étaient  d'une  forces!  extraordinaire 
qu'ils  résolurentde  faire  la  guerre  aux  dieux. 
Jupiter  irrité  les  partagea  pour  les  atîaiblir, 
cl  Apollon  seconda  le  père  des  dieux  dans 
l'exécution  de  ses  volontés.  Voy.  Polycrite. 

HEllMELINE,  démo»  familier  qui  s'ap- 
pelait aussi  Hermione  et  Hermelinde,  et  qui 
iVéquenta  quarante  ans  Benedetto  Berna  , 
dont  François  Pic  de  la  MIrandole  rapporle 
lui-même  l'histoire.  «  Cet  homme,  dit-il,  bu- 
vait, mangeait,  parlait  avec  son  démon,  qui 
l'accompagnait  partout  sans  qu'on  le  vit;  de 

(I  )  La  Harpe,  Abrégé  de  l'Hlst.  générale  des  Voyages, 
L  XVI,  p.  106  de  redit.  ii.-12. 
<ij  Leiiijlct-Durrfsiioy  ,  Dis,îerlalio!is  sur  lus  ap[iaril., 


sorte  que  le  vulgaire  ne  p')uvanl  comprendre 
le  mystère  de  ces  choses,  se  persuadait  qu'il 
était  fou.  B  Le  vulgaire  n'avait  peut-être  pas 
tort. 

HEiîMÈS.  On  vous  dira  qu'il  a  laissé 
beaucoup  de  livres  merveilleux  ;  qu'il  a  écrit 
sur  les  iléuums  et  sur  l'astrolo^jie.  C'est  lui 
qui  a  décidé  (jue,  comoii!  il  y  a  sept  trous  a 
la  tête,  il  y  aussi  sept  planètes  (lui  présiileiil 
à  ces  trous,  savoir  -.Saturne  et  Jupiter  aux 
deux  oreilles,  Mars  et  Vénus  aux  deux  nari- 
nes, le  soleil  et  la  lune  aux  deux  yeux,  et 
Mercure  à  la  bouche. 

HEBMIALITES,  ou  Hermiens,  disciples 
d"uu  hérétique  du  deuxième  siècle,  nommé 
Hermas  ;  ils  honoraient  l'Univers-Uicu,  di- 
sant à  la  fois  que  ce  monde  est  Dieu  et  que 
ce  monde  est  l'enfer. 

HEHMIONE,  votj.  Hermeline. 

HEHMOTIME.  On  sait  que  Cardan  elunc 
foule  d'autres  se  vantaient  de  faire  voyager 
leur  âme  sans  que  le  corps  fût  de  la  partie. 
L'âme  d'Hermolime de  Clazomène  s'absentait 
de  son  corps  lorsqu'il  le  voulait,  parcourait 
des  pays  éloignés,  et  racontait  à  son  retour 
des  choses  surprenantes.  Apparemment  que 
Hermotime  eut  des  ennemis.  Un  jour  que  son 
âme  était  allée  en  course,  et  que  son  corps 
était  comme  de  coutume  semblable  à  un  ca- 
davre, ses  ennemis  le  brûlèrent  et  ôtèrent 
ainsi  à  l'âme  le  moyen  de  rentrer  dans  son 
étuL 

Mais,  dans  d'autres  versions,  Hermotime 
est  un  vampire.  Voy.  Huet. 

HÉRON,  ermite  qui,  après  avoir  passé 
plus  de  cinquante  ans  dans  les  déserts  de  la 
ïhébaïde,  se  laissa  persuader  par  le  diable, 
sous  la  figure  d'un  ange,  de  se  jeter  dans  un 
puits,  attendu  (jue,  comme  il  était  en  bonne 
grâce  avec  Dieu,  il  ne  se  ferait  point  de  mal. 
il  ajouta  foi,  ditLeloyer,  aux  paroles  du  dia- 
ble, et,  se  précipitant  d'un  lieu  élevé,  dans  la 
persuasion  que  les  anges  le  soutiendraient  , 
il  tomba  dans  le  puits,  d'où  on  le  retira  dis- 
loqué ;  il  mourut  trois  jours  après  (2). 

HERVILLIEUS  (Jeanne  J.  C'est  la  même 
que  Jeanne  Harvilliers. 

HÈSE  (Jean  de),  voyageur  du  quinzième 
siècle,  qui  a  écrit  de  singulières  choses.  M. 
de  Heitfenberg  a  consacré  à  ses  récits  un 
article  curieux,  dansle/îecuei/enci/ciop^d/yMe 
Belije.  Nous  en  rapporterons  quelques  pas- 
sages. Jean  de  Hèse  débute  à  peu  près  en  ces 
termes  : 

«  L'an  du  seigneur  l'i 89,  moi,  Jean  de  Hèse, 
du  diocèse  d'Utrecht,  j'ai  été  à  Jérusalem  au 
mois  de  mai,  visitant  les  lieux  saints.  Et,  dans 
la  mer  Bouge,  j'ai  vu  des  poissons  volant 
aussi  loin  qu'une  batiste  aurait  pu  les  lancer. 
Ces  poissons-là  sont  rouges,  longs  de  plus 
de  deux  pieds  ;  ils  ont  la  tête  ronde  comme 
des  chats,  avec  un  bec  comme  l'aigle;  des- 
quels poissons  moi,  Jean  de  Hèse  susdit,  j'ai 

mangé Et  attendu  ((ue  ces  poissons   sont 

gros,  il  faut  les  faire  bouillir  pendant  long- 
temps. 

lom.  I",  p.  159,  el  Hodin,  Dérnonomjiiie  des  sorcier»,  p. 

-m. 


S2.-. 


DICTlON.NAinE  DFS  SCIENCLS  OfXUl.TR?. 


824 


«  De  la  ville  dHiTinopolh, il  y  a  liuil  jours 
ili»  Kinrchc  jusqu'à  la  villo  appt-léo  Ainr.i  , 
iiui  est  assise  sur  !a  mer  Rouge  que  l'on  y 
travirse  ;  cl  en  sept  jours  on  arrive  à  pied 
iiu  nionl  Sina'i,  où  le  corps  de  sainic  Callie- 
line  est  conserve  dans  un  couvent  de  cha- 
noines réguliers,  vivant  fort  dévotement  et 
ne  mangeant  qu'une  fois  dans  la  journée. 
Ces  chanoines  sont  au  nombre  de  treize;  et 
tians  leur  église,  il  y  a  treize  lampes  arden- 
tes, qu'on  ne  peut  éteindre  et  qui  brûlent 
toujours,  quoique  sans  aliments.  Mais  lors- 
qu'un des  clianoines  vient  à  mourir,  une  des 
lampes  cesse  de  briller,  jusqu'à  ce  (lu'il  soit 
remplacé  ;  cl  alors  elle  se  rallume  d'elle- 
même.... 

«DumoniSinîiï,  onarrivcen  quatrejoursau 
fampd'Helym,  duqucUesanimaux  venimeux 
ne  peuventapprocher.Dansievoisinageest  la 
rivière  Maralh,  dont  les  eaux  ayant  clé  frap- 
pées par  la  baguette  de  Muïsiïdevinrcnldou- 
tes,  de  très-anièrcs  qu'elles  étaient.  Et  au- 
jourd'hui, tous  les  malins,  après  le  lever  du 
soleil,  vient  une  licorne  (unicornus  )  qui 
exprime  dans  l'eau  le  poison  (juc  sa  corne 
contient;  ce  que  j'ai  vu  moi-même... 

«  Après  trois  mois  de  navigation  dans  la 
mer  Océane,  nous  arrivâmes  en  Ethiopie , 
diie  l'Inde  intérieure,  où  prêt  hasaint  Barlhé- 
Jemi.  Là  habitent  les  nègres.  Plus  loin  on 
pénètre  parmi  lesPygmées,  qui  n'ont  qu'une 
coudée  de  haut;  ils  sont  difformes,  n'ont 
point  de  maisons,  cl  habitent  dans  les  grot- 
tes, cavernes  et  couches  marines,  et  l'on  ra- 
conte dans  ce  lieu  que  les  Pyginées  combat- 
tent souvent  contre  les  cigognes  qui  tuent  quel- 
quefois leurs  enfants.  Ces  nains  vivent  au 
plus  douze  ans... 

«  Passant  de  la  mer  d'Ethiopie  dans  la  mer 
de  Jécor  (marc  yccoreujn)  ,  et  dans  la  merde 
sable,  on  parvient  au  bout  de  quatre  jours 
dans  le  pays  de  Monocules  (  qui  n'ont  qu'un 
œil).  La  mer  de  Jccor  a  la  propriété  d'attirer 
les  vaisseaux  dans  ses  abîmes,  à  cause  de 
leur  ferrure,  et  parce  que  son  fond  est  pavé 
d'aimant  qui  attire  le  fer.  De  l'autre  côlé  est 
la  merde  sable.  Et  c'est  un  sable  qui  coule 
conmie  l'eau,  et  qui  a  son  flux  et  son  reflux. 
Les  Monocules,  qui  y  entrent  à  pied,  y  pren- 
nent des  pois-ons... 

«  Les  susdits  Monocules  sont  gros,  forts, 
anthropophages;  ils  ont  au  milieu  du  froni  un 
tfiil  unique,  élincelant  comme  une  escarbou- 
clc,  et  ne  vaquent  à  leurs  affaires  que  la 
nuit.  » 

Ici  M.  de  Ueiffenberg  cesse  de  traduire 
pour  résumer.  (  Ce  voyage,  écrit  en  latin  ,  a 
été  publié  en  li99,  imprimé  à  Deventer.) 

«  Do  là  notre  véridique  voyageur  vient  à 
Andrinople,  ville  où  il  y  a  plus  de  cinq  cents 
ponts  de  pierre.  Après  huit  semaines  de  cap- 
tivité chez  le  roi  Brandican,  de  Hèse  et  ses 
coniftagnons  s'embarquèrentde  nouveau  ;  en 
dix  jours  ils  furent  en  vue  d'une  montagne 
de  pierre,  très-haute,  sortant  de  la  mer,  et 
percée  d'un  trou  de  trois  milles  de  longueur, 
à  travers  lequel  il  leur  fallut  passer.  Ce  trou 
Hait  si  noir  qu'ils  curent  conlinuellement 
besoin  de  chandelle.  Au  sortir  du  trou,  force 


fut  de  descendre  le  navire  d'environ  vingt 
coudéi'8,  parce  que  la  mer  était  plus  basse... 

«  Après  un  mois  de  navigation,  et  vingt- 
quatre  jours  de  marche,  ils  arrivèrent  A 
Edesse,  où  le  prêtre  Jean  fait  sa  résidence. 
Celte  ville  est  la  capitale  de  tout  l'empire  et 
plus  grande  que  vingt-quatre  villes  comme 
Cologne...  Au  milieu  est  le  palais  du  prêtre 
J(;an,  lequel  a  environ  deux  milles  d'Alle- 
magne en  longueur.  11  est  soutenu  par  neuf 
cents  colonnes  ;  et  à  celles  du  milieu  sont 
adossés  quatre  géaitts  de  pierres  précieuses 
dorées,  qui  semblent  soutenir  le  palais  sur 
leur  front  incliné 

«  Les  merveilles  se  multiplient  ;  on  n'a  que 
le  choix  des  prodiges.  Tels  sont  une  horloge, 
qui  rend  un  son  effrayant  lorsqu'il  s'intro- 
duit dans  le  palais  quelqu'un  de  suspect; 
une  table  de  pierres  précieuses  et  dorée,  aussi 
légère  que  si  elle  était  de  bois,  et  qui  para- 
lyse les  effets  des  mets  empoisonnés  que  l'on 
pourrait  poser  dessus;  une  cloche  «jue  fit 
foudre  saint  Thomas  et  dont  le  son  guérit 
les  possédés;  des  appartements  tournant 
comme  une  roue;  une  chapelle  où  le  prêtre 
Jean,  qui  est  (hrélien,  entend  la  messe,  et 
qui  suit  tous  les  mouvements  du  ciel  ;  un  mi- 
roir orné  de  trois  pierres  précieuses,  dont 
l'une  fortifie  la  vue,  l'autre  rend  plus  exquise 
la  sensibilité,  et  la  troisième  augmente  l'ex- 
périence; miroir  que  quatre  docteurs  choisis 
adhoc  regardent  sans  cesse,  pour  savoir  tout 
ce  qui  se  passe  dans  le  monde.  Ces  raretés 
et  beaucoup  d'autres  sont  répandues  dans 
sept  palais  différents,  aussi  riches  que  celui 
du  soleil  décrit  par  Ovide. 

«  El  remarquez  bien  que  de  Hèse  a  été 
dans  ces  lieux  en  personne.  Il  visite  ensuite 
une  île  où  Gog  et  Wagog  étaient  enfermés  , 
disait-on,  entre  deux  montagnes.  Les  insu- 
laires étaient  singulièrement  conformés,  car 
ils  avaient  deux  visages  sur  une  seule  tête, 
l'un  devant  et  l'autre  derrière. 

«  Après  cet  itinéraire  vient  une  lettre  du 
prêtre  Jean  à  son  ami  Emmanuel,  gouver- 
neur de  Uome.  Il  lui  fait  un  détail  de  sa 
p;iissance,  et  se  met  à  conter  de  nouvelles 
merveilles  :  une  pierre  qui  guérit  tous  les 
malades  pourvu  qu'ils  soient  chrétiens;  des 
vers  qui  ne  vivent  que  dans  1,;  feu  ;  une  table 
toujours  couverte  pour  trente  mille  person- 
nes, sans  compter  les  survenants,  etc.. 

«  Ce  livre  est  terminé  par  un  pelit  trailô 
sur  la  vie  et  les  mœurs  du  prêtre  Jean  et  par 
trois  chapitres  sur  les  curiosités  de  l'Inde. 
J'ignore,  dit  M.  de  ll<-iffenberg,  si  ces  fables 
ont  été  recueillies  par  de  Hèse;  du  moins 
l'auteur  ne  se  met  plus  en  scène;  il  ne  dit 
plus  :  «  J'ai  vu  ;  j'ai  été  là.  »  Le  phénix,  des 
poissons  de  forme  humaine,  des  hommes  à 
tête  de  chiens,  des  satyres  ,  des  peuples 
exempts  de  vieillesse  et  de  décrépilude  sont 
mis  sous  la  garantie  de  Pline  le  naturaliste. 
C'est  peut-être  là  que  notre  voyageur  les 
aura  prises  ,  on  plutôt  dans  qnelqui's-unes 
de  ces  compilations  du  moyen  âge  où  l'an- 
tiquité était  ridiculement  travestie,  et  dont 
l'auteur  de  la  chronique  Margarilique,  Julien 
Hossetier,d'Ath,  extrayait  encore,  vers  Îo08, 


Fsr. 


IIIS 


HiP 


82» 


les  contes    puérils   dont  il  a  f.irci    son  ou- 
vra pf-  » 

HEURE.  Voy.  Minuit.  Ann:os  ou  démons 
des  lieiirns.  Voy.  I'ierre  d'Apone. 

HIBOU,  oiseau  de  mauvais  augure.  On  le 
regarde  mlgniremenl  roninie  le  messager  de 
la  mort;  et  les  personnes  superslilietises,  (jui 
perdent  quelque  parent  ou  queliiiie  ami,  se 
ressouviennent  toujours  d'avoir  entendu  le 
cri  du  hibou.  Si  présence,  selon  Pline,  pré- 
sage la  stérilité.  Son  œuf,  mangé  en  ome- 
lette, guérit  un  ivrogne  de  l'ivrognerie. 

Cet  oiseau  est  mystérieux,  parce  qu'il  re- 
cherche la  solitude,  qu'il  liante  les  clo- 
chers, les  tours  et  les  cimetières.  Oa  redoute 
son  cri,  parce  qu'on  ne  l'entend  que  dans  les 
ténèbres;  et,  si  on  l'a  vu  quelquefois  sur  la 
maison  d'un  mourant,  il  y  était  peut-être  at- 
tiré par  l'odeur  cr.d  ivéœuse,  ou  par  le  si- 
lence qui  régnait  dans  cette  maison. 

Un  philosophe  arabe,  se  promenant  dans 
la  campagne  avec  un  de  ses  disciples,  enten- 
dit une  voix  détestable  qui  chantait  un  air 
plus  détestable  encore. — Les  gens  super- 
îilitieux,  dit-il,  prétendent  que  le  chant  du 
hibou  annonce  la  mort  d'un  homme;  si  cela 
était  vrai,  léchant  de  cet  homme  annonce- 
rait la  mort  d'un  hibou. 

Cependant  si  le  hibou  est  regardé  comme 
un  mauvais  présage  chez  les  gens  de  la  cam- 
p:igne,  (juand  on  le  voit  perché  sur  le  haut 
d'une  maison,  il  est  aussi  regardé  comme 
d'un  bon  augure  quand  il  vient  se  réfugier 
dans  un  colombier.  Les  anciens  Francs  con- 
damnaient à  une  forle  amende  quiconque 
tuait  ou  volait  le  hibou  qui  s'était  réfugié 
dans  le  colombier  du  sou  voisin  (1). 

Ou  ne  peut  passer  sous  silence  les  vertus 
surprenmtes  de  cet  oiseau.  Si  l'on  met  son 
cœur  avec  son  pied  droit  sur  une  personne 
endormie,  elle  dira  aiissitùt  ce  qu'elle  aura 
fait  et  répondra  aux  demandes  qu'on  lui 
adressera  ;  de  plus,  si  oa  met  les  mêmes  par- 
ties de  cet  oiseau  sous  les  aisselles,  les  chiens 
ne  pourront  aboyer  après  la  personne  qui 
les  portera;  et  enfin,  si  on  pend  le  foie  à  un 
arbre  ,  tous  les  oiseaux  se  rassembleront 
dessus  (2). 

HIERARCHIE.  Agrippa  disait  qu'il  y  avait 
autant  de  mauvais  anges  que  de  bons,  qu'il 
y  en  avait  neuf  hiérarchies  de  bons  et  neuf 
de  mauvais.  Wierus,  son  disciple,  a  fait  l'in- 
ventaire de  la  monarchie  de  Satan,  avec  les 
noms  et  surnoms  de  soixa:ite-douze  princes 
et  de  plusieurs  millions  de  diables,  nombres 
fantastiques,  qui  ne  son!  app;iyés  sur  d'au- 
tres raisons  que  sur  la  révélation  de  Satan 
même.  Voy.  Coun  infernale. 

HIEROGLYPHES.  Les  Egyptiens  avaient 
beaucoup  d'idées  suiierslitieuses,  s'il  faut  les 
juger  par  leurs  hiéroglyphes.  Ils  expriment 
le  sexe  féininin  par  un  vautour,  dit  un  an- 
cien, parce  que  tous  les  vautours  sont  fe- 
melles, etquele  vent  seul  féconde Icursœufs  ; 
ils  représentaient  le  cœur  par  deux  drachmes , 
parce  que  le  cœur  d'un  enfant  d'un  an  nu 

(1)  M.Salgues,  Dos  erreurs  et  des  préjuges,  elc.,1. 1", 
p.  439. 

(2)  Des  aJmirablcs  Secrets  d'Albert  le  Grand,  r-  lOT. 


pèse  (jue  deux  gros.  Une  femme  qui  n'avait 
qu'un  enfant,  ils  la  figuraient  par  une  lionne, 
parce  que  cet  animal  ne  fait  qu'un  petit  (du 
moins  ils  le  croyaient  de  la  sorte),  lis  figu- 
raient l'avortement  par  un  cheval  qui  donne 
un  coup  de  pied  à  un  loup,  parce  que,  di- 
saient-ils ,  une  cavale  avorte  si  elle  marche 
sur  les  traces  d'un  loup  (•!),  etc.  M.  Cbam- 
poUion  donne  d'antres  explications. 

HIEROMNENON,  pierre  que  les  anciens 
employaient  dans  leurs  divinations,  mais 
dont  ils  ne  nous  ont  laissé  aucune  descrip- 
tion. 

HIEROSCOPIE.  Voy.  Hépatoscopie. 

HIPORINDO,  mot  qui,  prononcé  d'une 
certaine  façon,  charme  les  serpents  et  les 
empêche  de  nuire.  Paracelse  en  parle. 

HIPPARCHUS.  On  lui  attribue  un  ouvrage 
intitulé  :  le  Livre  des  Esprits. 

HIPPOCRATE,  père  de  la  médecine.  Les 
légendes  du  moyen  âge  font  de  lui  un  grand 
magicien,  et  lui  prêtent  des  aventures  dans 
le  genre  de  celles  <iu'elles  attribuent  à  Vir- 
gile. On  met  sous  si>n  nom  un  Traité  des 
songes,  dont  on  recherche  les  éditions  accom» 
pagiiées  des  commentaires  de  Jules -César 
Scaliger;  in-8',  Gnesne,  IGIO;  et  un  autre 
livre  intitulé  les  Aspects  des  étoiles. 

Légende  d'Uippocrate. 

Du  temps  que  César-Auguste  était  empe- 
reur deKome,son  neveu  Gains,  qu'il  aimait 
par-dessus  toutes  chosïs  et  qui  devait  héri- 
ter de  l'empire,  tomba  malade.  Les  médecins 
ne  purent  le  guérir.  Il  y  avait  trois  jours  et 
trois  nuits  qu'il  ne  parlait  plus;  toute  la 
cour  était  dans  une  grande  tristesse.  Sur  ces 
entrefaites  ,  Hippocrate  entra  dans  Rome  , 
qu'il  fut  surpris  de  trouver  en  deuil.  Il  avait 
beau  interroger  les  passants,  personne  ne 
lui  parlait.  H  monta  au  palais  de  l'empereur, 
pour  savoir  la  cause  de  cette  douleur  publi- 
que. Il  se  fraya  passage  jusqu'à  la  chambre 
où  le  malade  était  couché,  comprit  alors  la 
douleur  publique,  mit  la  main  sur  le  cœur 
de  Gatus,  et  dit  à  César-Auguste  :  Quelle  fa- 
veur m'accordercz-vous,  si  je  rends  la  vie  à 
ce  malade?  L'empereur  promit  tout;  et  le 
savant  médecin,  prenant  dans  son  aumônièro 
une  herbe  et  un  breuvage,  en  composa  uno 
potion  qu'il  fit  avaler  au  malade,  en  lui  ou- 
vrant doucement  la  bouche.  L'enfant  ouvrit 
les  yeux  aussitôt,  dit  quelques  paroles.  Eu 
moins  de  trente  jours,  Hippocrate  le  remit 
eu  bonne  santé. 

Auguste  combla  de  biens  l'habile  docteur 
et  fit  élever  deux  piliers,  sur  lesquels  il  mit 
la  statue  d'Hippocrale  et  celle  de  Gatus.  11 
admit  le  savant  à  sa  table  et  lui  donna  place 
dans  son  amitié. 

PcMi  de  temps  après,  des  habitants  du  pays 
de  Galles  vinrent  s'établir  à  Rome.  Il  y  avait 
parmi  eux  une  dame  d'une  grande  beauté. 
Un  jour  que  de  la  fenêtre  du  palais  die  re- 
gardait la  s\atne  d'Hippocrale,  comme  on  lui 
vantait  le  philosophe  :  —  Tout  philosophe 

(3)  Bfown  ,  fessai  sur  les  erreurs  populaires,  loin.  II, 
p.ba 


827 


DICTIONNAIUE  DES  SCIENCES  OCCEETLS 


8i» 


qu'il  est,  (!it-cl!c,  jo  "jagc  qu'en  un  jour  je  le 
ferai  tenir  pour  le  plus  grand  fou  du  monde. 

Le  savant  niédeein,  ajaut  appris  ce  pro- 
pos, voulut  coiiiiaîtiC  !a  belle  tjalluise.  A  sa 
vue,  il  en  devint  si  épris,  ((u'il  loiuba  malade', 
l/enipereur,  inquiel,  cn\oya  toute  sa  l'our 
auprès  de  lui;  la  Galloise  y  vint,  reçut  les 
aveux  du  philosophe,  s'y  montra  sensible,  cl 
Hippocrate  recouvra  la  santé. 

Mais  la  belle  dame,  qu'il  croyait  épouser, 
était  une  malicieuse.  Comme  Hippoerale  la 
pressait  :  —  Venez  c  .tte  nuit  sous  ma  l'enê- 
tre,  lui  dit-elle;  je  descendrai  une  corbeille 
altachée  à  une  coriic,  et  avec  l'aide  de  ma 
servante,  je  vous  monterai  dans  la  tour,  où 
je  vous  ferai  savoir  mes  comlilions. 

Le  savant  fut  exact  :  au  milieu  de  la   nuit 


que  la  Galloise 
sommet  de   la 


il  se  plaça  dans  la  corbeille 
et  sa   servanle  élevèrent  au 
tour,  beaucoup   plus  haut  que  leur  fenêtre; 
puis,  attachant  la  corde  à  un  croc,  elles  Las- 
sèrent le  nuilheureux  Hippocrate  suspendu 
au  milieu  des  airs. 

Or,  cette  corbeille  était  à  Rome  une  espèce 
de  pilori  où  l'on  exposait  les  malfaiieurs. 
Quand  il  fut  jour  et  que  l'on  vil  là  Hippo- 
crate, tout  le  monde  chercha  quel  pouvait  ' 
être  son  crime.  L'empereur  était  à  la  cliasse, 
d'où  il  ne  revint  que  le  soir  :  et  ainsi  la  cor- 
beille ne  fut  descendue  qu'à  la  nuit. 

Le  savant,  dont  le  cœur  n'éiait  pas  guéri, 
ne  voulut  pas  faire  connaître  l'auteur  de  son 
(riste  accident,  de  peur  d'exposer  celle  qu'il 
aimait  à  la  colère  do  l'empereur  et  sa  pas- 
sion à  la  risée  des  courtisans.  La  Galloise 
lui  fit  donc  d'autres  mauvais  tours;  si  bien 
que,  pour  se  venger  alors,  il  la  rendit  éprise, 
au  rtioyen  d'un  phillre ,  d'un  vieux  nain 
bossu  ei  contrefait,  avec  lequel  on  fut  bien 
surpris  de  la  voir  se  marier. 

Quelque  temps  après,  un  chevalier  vint  à 
Rome  annoncer  à  César  -  Auguste  qu'un 
homme  de  Nazareth,  appelé  Jésus,  guérissait 
tous  les  malades,  ressuscitait  les  morts  et 
faisait  d'autres  merveilles.  Hippocrate  aussi- 
tôt quitta  Rome,  en  disant  qu'il  allait  cher- 
cher Jésus  et  apprendre  de  lui  ce  qu'il  ne 
savait  pas. 

En  cheminant,  guérissant  parlout  les  ma- 
lades, mais  ne  ressuscitant  pas  les  morts,  il 
arriva  chez  Antoine,  roi 
rendit  le  flis  à  la  santé.  Anioine,  pour  récom- 
pense, lui  fit  épouser  la  fille  du  roi  de  Syrie. 
Pour  recevoir  dignement  la  belle  prin- 
cesse ,  le  philosophe,  qui  était  magicien, 
comme  vous  voyez,  fit  construire  un  palais 
magnifique,  où  éclataient  l'or,  l'argent  et  les  l 
pierreries;  son  art,  d'ailleurs,  l'avait  rendu 
puis'aiTunent  riche.  U  consiruisil  aussi  un 
lit  qui  guérissait  de  toutes  maladies  ceux 
qu'il  y  faisait  coucher. 

Cependant  la  princesse  ne  l'aimait  point, 
parce  qu'il  n'était  pas  de  race  royale.  Hippo- 
crate s'en  aperçut,  et  il  se  fil  une  coupe  d'or, 
à  laquelle  il  fixa  des  pierres  précieuses  qui 
neutralisaient  l'effet  des  poisons.  Plusieurs 
fois  la  méchante  femme  essaya  <le  l'empoi- 
sonner, mais  inutilement  :  le  charme  de  la 
coupe  était  supérieur  à  la  [)uissance  dei  vo- 


de  Perse,  dont  il     tait  d'heur 


nins.  Iriitce  de  cet  obstacle,  la  princesse  dé- 
roba la  coupe  et  la  jela  dans  la  mer. 

lli  pocrate  s'aperçut  dune  de  ses  mauvais 
desseins  :  au-si  refii-il,  au  plus  vile,  une  au- 
ti'c  coupe  moins  belle, mais  qui  avait  la  même 
vertu.  C'pend^iut  il  oubliait  d'aller  chercher 
Jésus  de  Nazareth  ,  et  pour  ses  passions  , 
comme  lanl  d'autres,  il  so  perdait. 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi  Anioine  tint  une 
cour  plénière,  à  laciuelle  Hippocrate  s'em- 
piessa  de  se  rendre  avec  la  princesse  sa 
iemnie.  Un  soir,  après  souper,  le  roi,  le  phi- 
losophe et  la  méchante  femme  étaient  à  une 
fenêtre  qui  donnait  sur  la  coui'  du  château. 
Ils  virent  dans  cette  cour  une  jeune  truie  qui 
mangeait  un  grand  ver.  Hippocrate  s'écria  : 

—  Celui  qui  m^ïngerail  la  tète  de  cet  ani- 
mal périrait  sur-le-champ,  nul  remède  iiC 
pourrait  bi  sauver.  , 

—  Nul  remèiie?  demanda  la  princesse. 

—  Nul  remède,  répéta  le  philosophe,  ex- 
cepté s'il  buvait  Leau  dans  laquelle  cette  télé 
aurait  été  cuite. 

—  Cela  est  bien  étrange,  ajouta  la  femme; 
puis  elle  parut  s'occuper  de  tout  autre  sujet. 

Mais,  aussitôt  qu'elle  fut  libre,  elle  alla 
trouver  le  cuisinier  du  palais  et  lui  ordonna 
de  servir  à  Hippocrate  la  tête  de  cette  truie, 
qu'elle  désigna,  et  elle  recommanda  de  jeter 
l'eau  qui  aurait  servi  à  faire  cuire  l'animal. 
Le  cuisinier  exécuta  ponctuellement  les  or- 
dres qu'il  avait  reçus;  et  à  peine  le  philoso- 
phe eut-il  mangé  une  partie  de  la  télé  de  la 
truie,  que,  devinant  la  trahison  de  sa  femme, 
il  s'écria  : 

—  Hélas  1  je  suis  mort 

Il  s'empressa  d'aller  aux  cuisines  deman- 
der l'eau  dans  laquelle  avait  été  cuite  la  tète 
de  l'animal  venimeux;  on  lui  indiqua  le  fu- 
mier sur  leijuel  cette  eau  avait  été  jetée.  11 
s'y  coucha,  mais  inutilement  :  le  poison  était 
plus  fort  et  le  brûlait  peu  à  peu. 

La  princesse  qui  l'avait  trahi  ne  put  jouir 
de  sa  mort  ;  car  malgré  les  prières  de  s<m 
mari,  qui  lui  pardonnait  et  demandait  grâce 
pour  elle,  le  roi  Antoine  la  fit  exiioser  sur 
un  rocher  du  rivage.  Elle  y  resta  trois  jouis 
et  y  mourut. 

Hippocrate  cherchait  à  force  de  soins  à 
prolonger  son  existence;  mais  la  vie  le  qui! 


en  heure.  11  fit  creuser  sa  tombe 
sous  un  rocher;  et  avant  de  mourir,  il  fit  une 
chose  qui  étonna  beaucoup  tous  ceux  qui  la 
virent  :  il  prit  un  panier  de  jonc  et  le  rem- 
plit d'herbes;  puis  il  jela  dessus  beaucoup 
u'eau,  qu'il  fit  sortir  par  un  seul  jet,  sans 
"aisser  une  goutte  s'éeha|)per  d'un  autre 
côté.  On  eût  dit  qu'elle  coulait  d'un  tonneau 
bien  fermé.  On  lui  demanda  pourquoi  il  agis- 
sait ainsi. 

—  Je  le  fais,  dit-il,  pour  vous  montrer 
combien  c'est  une  grande  chose  que  la  mort 
d'un  homme,  quand  elle  est  résolue.  Auiune 
médecine  ne  [icut  l'empêcher;  car,  si  je  de- 
vais guérir,  je  pourrais  arrêter  la  dyssenteiie 
(jui  me  travaille,  comme  j'ai  ôlé  de  ce  panier 
l'eau  (|ui  s'y  trouvait. 

.\près  avoir  ainsi  parlé,  le  fils  d'Esculape 
ne  l;irda  pas  à  mourir;   il  expira   le  quin- 


no 


iiip 


ïîèine  jour  do  soptciTibi-o ,  tiuiiizc  unnéi'S 
av.int  la  mort  de  Notio-S  ■:^iiciir... 

Nous  avons  em;iruu!o  celle  iiolice  à  un 
extrait  plus  étendu  que  M.  Leroux  do  Lincy 
a  publié.  Ce  savant  y  ajoute  un  tVaguiciil  du 
louian  dos  Sept  sages  de  Rome,  ou  Hippo- 
craie  joue  un  rô'e  peu  glorieux  : 

Hippocrale,  dit  l'une  des  liisloires  de  ce 
îi\re,  fut  le  plus  savant  médecin  de  la  terre. 
De  toiile  sn  i'auiille,  il  ne  lui  resta  qu'un  ne- 
veu, auquel  il  se  garda  bien  de  découvrir  la 
science  qu'il  possédait.  Malgré  tout,  le  jeune 
houjMie  étudia  en  silence,  et  devint  aussi 
liabilc  que  son  oncle,  qui,  ayant  reconnu  son 
talent,  n'en  parut  nullcmenl  contrarié.  II  ar- 
riva que  le  (ils  du  roi  de  Hongrie  tomba  ma- 
lade. Hippocrate  fut  mandé  aussitôt;  mais 
d'importantes  affaires  rempêchaient  d'entro- 
piendre  un  aussi  long  voy.ige.  Il  répondit 
au  roi  que  ne  pouvant  obéir  à  ses  ordres,  il 
lui  enverrait  un  sien  neveu.  Ce  dernier  se 
rendit  à  la  cour  de  Hongrie. 

Le  roi  et  la  reine  présentèrent  le  malade 
au  jeune  médecin,  qui  regarda  l'entant,  re- 
garda le  père,  regarda  la  mère,  puis  demanda 
à  voir  leurs  urines  :  on  1rs  lui  montra.  Après 
avoir  longtemps  réfléchi,  le  jeune  médecin 
dit  :  —  Donnez  à  manger  à  cet  enfant  de  la 
chair  de  bœuf.  On  ol.éit  à  la  prescription,  et 
le  fils  du  roi  de  Hongrie  guérit  aussitôt.  Le 
jeune  médecin,  richement  payé  par  le  roi, 
retourna  près  de  .'^on  oncle.  Hippocrate  lui 
demanda  :  As-tu  guéri  l'enf.mt? 

—  Oui,  sire. 

—  Que  lui  as-tu  donné? 

—  Chair  de  bœuf. 

—  Tu  es  bien  savant,  dit  Hippocrale;  — 
et  de  ce  moment  il  roula  dans  son  esprit  des 
pensées  de  mort  et  de  trahison  à  l'égard  de 
son  neveu. 

11  l'appela  un  jour  cl  l'emmena  avec  lui 
dans  un  jardin.  Je  vois  une  belle  herbe,  dit 
le  jeune  homme;  et  il  s'empressa  de  la  cueil- 
lir et  de  la  présenter  à  son  oncle. 

—  C'est  vrai,  répliqua  Hippocrale,  mais  je 
crois  en  sentir  une  autre  meilleure. 

Le  neveu  s'agenouilla  pour  la  cueillir; 
aussitôt  Hippocrate  lira  un  couteau  qu'il 
avait  caché  sous  sa  robe,  s'approcha  du 
jeune  homme,  le  frappa  et  le  tua.  Il  fit  plus  : 
rentré  chez  lui,  il  prit  tous  les  livres  (jui 
étaient  en  sa  possession  et  les  brûla. 

Hippocrate,  dit  le  même  livre,  sentant  ci'j'il 
allait  bientôt  mourir,  se  fit  apporter  une 
tonne  remplie  d'eau  pure ,  qu'il  fit  percer  en 
divers  endroits,  et  qu'il  boucha  hermétique- 
ment. Puis,  ayant  sèche  l'eau  de  la  tonne 
avec  une  poudre,  il  appela  si;s  amis:  —  Voici 
une  tonne,  leur  dit-il,  que  j'ai  remplie  d'eau 
claire;  or,  débouchez-la. 

Les  amis  d'Hippocrate  tirèrent  les  che- 
villes; mais  l'eau  ne  coula  pas  ;  —  J'ai  pu 
ctancher  toute  l'eau  de  cette  tonne,  reprit  le 
médecin;  mais  je  ne  puis  arrêter  celle  qui 
coule  de  mon  corps  :  c'est  pi)ur(iuoi  je  vais 
mourir.  Et  il  ne  se  Irompail  pas;  il  ne  larda 
jias  à  rendre  le  dernier  soupir. 

Lcgrand  d'Aussy,  dans  ses  l';ibliaux,  où  il 

(IJ  Manuel  lexjiiuc  de  l'jLibé  l'icvost 


IIIIl  iiSO 

ménage  si  peu  la  délicatesse  de  son  lecteur, 
a  donné  aussi  d'Hippocrate  l'aienture  de  la 
corbeille,  <]ui  du  reste  est  copiée  de  la  légende 
de  V^irgile. 

HlPl'OGUIFFE,  animal  fabuleux,  composé 
du  cheval  et  du  grilîon,  (|ue  l'Arioste  et 
les  autres  romanciers  donnent  qiiekiuefois 
pour  monture  aux  héros  des  romans  de  che- 
vaiei'ie. 

HH'POMANE,  excroissance  charnue  que 
les  poulains  apportent  à  la  tête  en  naissant, 
et  que  la  mère  muige  aussitôt. 

Les  anciens  donnaient  le  nom  û'hippo- 
mane  à  certains  philtres,  p.irce  (|u'on  prétend 
qu'il  y  entrait  de  celle  excioissauce. 

Jlippomane  est  aussi  le  nom  d'une  herbe 
qui  fait  entrer  les  elle  vaux  en  fureur  lorsqu'ils 
la  broutent  (1). — On  raconte  qu'une  cavale 
de  bronze  ,  placée  auprès  du  temple  de  Ju- 
piter olympien,  faisait  hennir  les  chevaux 
comme  si  elle  eût  été  vivante,  vertu  qui  lui 
était  communiquée  par  l'hippomane  <iu'on 
avait  n»êlée  avec  le  cuivre  en  la  foiulanl. 
"Voy.  Philtues. 

HlPPOiMANCIE ,  divination  des  Celtes.  Ils 
formaient  leurs  pronostics  sur  le  hennis- 
sement et  le  Irémoussemenl  de  certains  che- 
vaux blancs,  nourris  aux  dépens  du  public 
dins  des  forcis  consacrées,  où  ils  n'avaient 
d'autre  couvert  que  les  arbres.  On  les  faisait 
marcher  immédiatement  après  le  char  sacré.  • 
Le  prêtre  et  le  roi  ou  chef  du  canton  obser- 
vaient tous  leurs  mouvements,  et  en  tiraient 
des  augures  auxquels  ils  donnaient  une  ferme 
confiance,  persuadés  que  ces  animaux  étaient 
confidents  du  secret  des  ditïux  ,  tandis  qu'ils 
n'étaient  eux-mêmes  que  leurs  ministres. 

Les  Saxons  tiraient  aussi  des  pronostics 
d'un  cheval  sacré,  nourri  dans  le  temple  de 
leurs  dieux,  et  qu'ils  en  faisaient  sortir  avant 
de  déclarer  la  guerre  à  leurs  ennemis.  Quand 
le  cheval  avançait  d'abord  le  pied  droit,  l'au- 
gure était  favorable;  sinon,  le  présage  était 
mauvais,  et  ils  renonçaient  à  leur  entreprise. 

HIPPOMYRMEGES,  peuple  imaginaire  , 
placé  par  Lucien  dans  le  globe  du  soleil.  C'é- 
taient des  hommes  montés  sur  des  fourmis 
ailées,  (jui  couvraient  deux  arpents  de  leur 
ombre,  et  qui  combattaient  de  leurs  cornes. 

HlPPOmOES,  peuple  fabuleux  qui  avait 
des  pieds  de  cheval,  et  que  les  anciens  géo- 
graphes placent  au  nord  de  l'Europe. 

HIIllGOYEN,  sorcier  du  commencement 
du  dix-septième  siècle,  que  l'on  a  vu  danser 
au  sabbat  avec  le  diable,  qu'il  ador.iit  (-2) 

HIRONDELLES.  Plular(iue  cite  l'histoire 
d'un  nommé  IJessiis  qui  avait  tué  son  père 
et  dont  on  ignorait  le  crime.  Etant  un  jour 
près  d'aller  à  un  souper,  il  prit  une  perche 
avec  laquelle  il  abattit  un  nid  d'hirondelles. 
Ceux  qui  le  virent  en  furent  indignés,  et  lui 
demandèrent  pourquoi  il  mallraitait  ainsi 
ces  pauvres  oiseaux.  Il  leur  répondit  qu'il  y 
avait  assez  longtemps  qu'elles  lui  criaient 
qu'il  avait  luéson  père.  Toutes  stupéfaites  do 
celle  réponse,  ces  personnes  la  rapportèrent 
au  juge,  qui   ordonna  de  prendre  Dessus  cl 

(J)  D.  riiiCuUiUuce  dti  UéiiiUiii,  eU'.,  p.  tU. 


R3I 


DlCTIONNAmE  DhS  SCIENf.KS  OCCULTES. 


8-i 


do  le  mrltic  à  la  loilure.  Il  avoua  son  crime 
cl  fut  peiuiu  (1). 

Brown,  dans  son  Fsuni  sur  /es  erreurs  po- 
pHl'iirrx,  dit  que  l'on  craint  de  tuer  les  lii- 
roniiellcs  qtioiqu'oilcs  soient  incommodes, 
parce  (pi'on  est  persuadé  qu'il  en  rcsullerait 
quelque  malheur.  Elien  nous  appretul  que 
les  hirondelles  élaient  consacrées  aux  dieux 
Pénales,  cl  que  par  celle  raison  on  s'abs- 
leuail  de  les  tuer.  On  les  honorait,  dit-il, 
commeles  hérauts  du  printemps;  el,àUhodrs, 
on  avait  une  espèce  de  chant  pour  célébrer 
le  retour  (l;s  hirond.dli's. 

mSTOIRK.  Il  y  a  ,  dans  la  bibliographie 
infernale,  beaucoup  d'histoires  prodigieuses 
publiées  sans  nom  d'auteur.  Nous  n'eu  cite- 
rons que  quelques-unes  : 

Histoire  d'une  apparition,  avec  des  ré- 
flexions qui  prouvent  la  difficulté  de  savoir 
la  vérité  sur  le  retour  des  esprits,  iu-8  ; 
Paris,  chez  Saugrin,  1722,  brochure  de  24. 
pages. 

ilisloire  prodigieuse  nouvellement  arrivée 
à  Paris  ,  d'une  jeune  fille  agitée  d'un  esprit 
fantastique,  in-8". 

Ilisloire  du  diable,  in-t2,  Amsterdam, 
1729,  2  vol.;  et  Rouen,  1730,  2  vol. 

Histoire  miraculeuse  advenue  en  La  Ro- 
chelle, ville  de  Maurienne  en  Savoie,  d'une 
jeune  fille  ayant  été  enterrée  dans  un  jardin 
en  temps  de  peste  ,  l'espace  de  (juinze  ans, 
par  lequel  son  esprit  est  venu  rechercher  ses 
os  par  plusieurs  évidents  signes  miraculeux  ; 
in-8°.  Lyon. 

Histoire  remarquable  d'une  femme  décédée 
depuis  cinq  ans,  laquelle  est  revenue  trouver 
son  mari,  et  parler  à  lui  au  faubourg  Sainl- 
Marcel,  Paris,  1G18,  etc.  Voy.  Appauitions. 

nistoires  à  faire  peur. 

Les  lecteurs  qui  aiment  les  violentes  émo- 
tions recherchent  beaucoup  les  histoires;  el 
on  en  a  fait  plusieurs  recueils.  Voici  deux 
histoires  à  faire  peur,  racontées  par  Des  forges, 
l'auteur  du  Sourd  ou  l'Aiiberge  pleine,  el  en- 
cadrées dans  un  des  jolis  récits  que  M.Henri 
Berihoud  a  semés  si  abondamment  sur  la 
presse  périodique  : 

Kncorc  enfanl,  dit  le  lugubre  narrateur, 
j'habitais  avec  mon  père  une  niriison  de 
campagne  dans  les  environs  de  Paris,  el  il 
se  trouvait  dans  celle  maison  de  campagne 
un  bon  gros  réjoui  Champenois  ,  nommé 
Antoine.  Il  avait  dix-huit  ans  à  l'époque  que 
je  cile.  Ce  garçon  était  exlrémemenl  robuste 
pour  sou  âge.  On  l'employait  aux  commis- 
sions et  aux  transports  de  provisions  de  Paris 
à  la  campagne  el  de  la  campagne  à  Paris.  Il 
Iravaill.iit  au  jardin,  avait  soin  du  cheval  et 
de  la  basse-cour  ;  enfin,  c'était  un  trésor  pour 
l'uliiilé;  ajoutez  à  cela  qu'il  étaildoux,  com- 
plaisant,  toujours  de  la  meilleure  humeur 
(lu  monde;  nous  nous  aimions,  dans  toute  ia 
force  du  terme  ,  comme  deux  frèri'S.  Le  bon 
jeune  homme  se  serait  vraiment  uiis  au  feu 
pour  moi,  el  malgré  mon  cxlrêine  familiarité 
avec  lui ,  jamais  il  n'oublia  que  j'étais  le  fi!s 
de  son  mailre. 

(I)   t'ailli'picJ,  Apii.ii'ilioiis  des  esprits,  p.  iO. 


Depuis (|uclqiU'.'=  semaines,  .\ntoino,  tour- 
menté de  ce  (ju'on  appelle  la  maladie  du 
pays,  m'avait  confié  le  désir  ardent  qu'il 
éprouvait  d'aller  passer  quelques  jours  dans 
sa  famille.  Il  n'osait  pas  eu  demander  la  per- 
mission à  mon  père;  je  m'en  chargeai,  sur  la 
promesse  qu'il  me  fit  de  revenir  bien  vile, 
el  je  n'eus  pas  de  peine  à  obtenir  la  grâce 
désirée.  Antoine  était  absent  depuis  une  ving- 
taine de  jours  et  je  commençais  à  m'impa- 
tienler  un  peu  de  ne  pas  le  voir  revenir.  Il 
n'avait  pas  même  écrit,  et  je  me  sentais  fâché 
contre  lui. 

A  quel(]ues  nuils  de  là  ,  à  peine  élai<-je 
endormi,  que  je  crus  entendre  du  bruit.  J'é- 
coulai el  n'entendis  qu'un  murmure  confus. 
Puis  je  crus  sentir  quelque  chose  de  pesant 
qui  s'appuyait  sur  mon  estomac.  Cela  res- 
semblai! à  un  coude  plié,  avec  lequel  on  me 
pressait  très- fort.,..  Je  me  mets  à  crier,  ou 
plutôt  je  veux  crier  : 

—  Oui  Pst  là? 

—  C'est  moi,  me  répond  très-distinctement 
une  voix  basse  qui  semblait  s'approcher  de 
mon  oreille;  c'est  le  pauvre  Antoine  qui  vient 
vous  dire  adieu,  et  border  votre  lit  pour  la 
dernière  fois! 

Et  au  même  instant  je  me  sens  soulevé  de 
tous  les  côtés  de  mon  lit,  comme  si  effi'ctive- 
menl  on  le  bordait ,  et  je  vois  très-distincte- 
ment, avec  son  chapeau  rabattu,  son  gi!et 
rouge  et  sa  veste  grise,  Antoine  dont  le  vi- 
sage s'approchait  du  mien.  Cela  fait,  il  s'ar- 
rêta devant  moi  les  bras  croisés,  fixa  un 
instant  sur  mes  yeux  ses  yeux  pleins  de  lar- 
mes, et  s'évaiiouit  comme  la  fumée  d'une 
lampe  qui  s'éteint. 

Tout  trempé  d'une  sueur  froide  ,  je  tirai 
mes  rideaux  d'une  main  tremblante  et  glacée. 
La  lune  pénétrait  dans  ma  chambre;  sa  lueur 
mate  donnait  aux  objets  sur  lesquels  elle 
portait,  une  clarté  fixe  et  immobile  qui  avait 
quelque  chose  d'effrayant.  Je  referme  mes 
rideaux;  mais  tout  à  coup  j'entends,  assez 
près  de  notre  corps  de  logis,  de  ces  géiuisi-e- 
mcnts  plaintifs  qui  souvent  retentissent  la 
nuit  dans  les  bois,  et  que  je  ne  savais  point 
alors  cire  les  cris  de  certains  oiseaux  noc- 
turnes. Cela  mit  le  comble  à  mou  effroi;  la 
terreur  enchaîna  mes  facullés;  je  n'osais  ni 
respirer,  ni  rester  dans  mon  lit,  ni  en  sortir, 
ni  fjire  le  moindre  mouvement,  et  je  demeu- 
rai quelques  heures  ainsi,  douloureusement 
suspendu  entre  rexislence  el  le  néant. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  je  raconte  les 
événements  fantastiques  de  celle  unit,  une 
des  plus  pénibles  de  ma  vie  :  c'était  la  nuit 
du  9  au  10  septembre,  el  du  vendredi  au  sa- 
medi, l'an  1760;  il  était  à  peu  près  une  heure 
et  demie  du  matin  ,  lorsqu'il  me  sembla 
(ju'Anloine  venait  me  rendre  le  dernier  ser- 
vice que  je  viens  de  décrire.  Je  voudrais  bien 
savoir  u)ainlenant  quel  sera  le  génie  supé- 
rieur qui  m'expliquera  ce  qui  va  suivre. 

Tout  plein  de  ma  noclurnc  frayeur,  je  ne 
nian(inai  pas,  aux  premiers  rayons  du  jour, 
de  fuir  le  théâtre  des  scènes  qui  m'avaient 
tant  épouvanté  ,  et  d'aller  courant  conter 
non  pas  mon  rcve,  mais  ma  vision,  à  ceux 


f'3 


nis 


IllS 


8ôi 


qui,  par  c(at,  se  levaient  dans  la  maison  avec 
le  soleil,  tels  que  le  jardinier  et  sa  femme. 
Ces  bonnes  gens,  comme  on  sait,  qui  nour- 
rissent une  foule  de  petits  préjugés  super- 
stitieux, parce  qu'on  les  en  a  nourris,  ne 
manquèrent  pas  de  me  dire  que  c'èt.iit  mau- 
vais signe;  el  moi  de  les  croire,  et  moi  de 
pleurer  par  anticipation  mon  pauvre  \ntoine. 

Ma  mère  s'éveille.  Je  vais  tout  triste  l'em- 
brasser à  son  chevet.  Elle  m'interroge;  je 
réponds,  je  raconte,  et  je  fonds  eu  larmes 
volontaires.  On  me  console,  on  cherche  t 
me  désabuser.  La  douleur  d'un  enfant  de 
quatorze  ans  ne  saurait  être  longue;  et  dans 
1,1  maliuée  même,  un  autre  événement  la 
dissipa. 

Le  dimanche  suivant  ,  dix  jours  après  ma 
vision,  mou  p.ère  reçut  une  lettre  de  Cham- 
pagne. 11  l'ouvrit  el  la  lut  devant  moi  à  voix 
basse. 

—  Oh  !  dit-il ,  voilA  qui  est  parliculier. 

—  Qu'est-ce  donc?  dit  ma  mère. 

«DeChaumont,  en  Bassigny,  le  14 
septembre  1760. 
«Mes  chers  monsieur  et  dame, 

«Je  vous  écris  ces  lignes  pour  vous  an- 
noncer que  noire  pauvre  Antoine  est  mort 
d'une  fluxion  de  poitrine,  la  nuit  du  9  au  10 
de  ce  mois  ,  entre  une  et  deux  heures  du 
malin,  en  se  recommandant  à  votre  ban  sou- 
venir et  à  vos  prières.» 

Un  frisson  mortel  me  saisit,  je  pensai  tom- 
bera la  renverse;  ma  mère  me  soutint  dans 
Si;s  bras. 

«Le  pauvregarçon  n'avait  qu'un  regret 
en  mourant;  c'éiail  de  ne  plus  vous  voir, 
mes  chers  monsieur  et  dame,  et  surtout, 
bien  pardon,  excuse  ,  monsieur  voire  petit 
bonhomme,  auquel  il  n'a  décessé  de  penser 
jusqu'à  son  dernier  soupir.» 

Mon  cœur  alors  se  gonOa  de  telle  façon  , 
qu'infailliblement  j'aurais  étoulTé  sans  un 
cri  terrible  qui  m'échappa  ,  et  avec  lequel 
sortirent  mes  sanglots  et  mes  larmes,  ce  qui 
me  soulagea  el  me  sauva.  Je  laisse  aux  plus 
savants  le  soin  d'expliquer  ce  fait;  je  me 
contente  de  l'attester.... 

Quand  il  eut  fait  son  récit,  le  conteur  porta 
les  yeux  autour  de  lui  ,  et  vil  avec  satisfac- 
tion l'impression  vive  qu'il  avail  produite 
sur  son  auditoire.  Les  femmes  siirtoul  étaient 
pâles  et  agitées.  Il  reprit  sans  leur  laisser  le 
temps  de  respirer. 

—  Quelque  extraordinaire  que  soit  cette 
aventure,  il  en  est  une  encore  non  moins 
étrange  et  dont  j'ai  été  pour  ainsi  dire  éga- 
lement le  lémoiii.  Je  l'ai  apprise  l'année  qui 
suivit  l'apparition  d'Antoine.  J'étais  au  col- 
lège el  nous  avions  depuis  quelque  temps 
p;irmi  nos  camarades  un  fort  aimable  garçon 
il'une  très-bonne  fami:le  deVersaillcs,  nommé 
Pierret.  Sorti  de  pension  el  maî'.re  d'une 
grande  fortune,  son  premier  soin  fut  de  venir 
à  Paris  pour  y  acheter  un  cheval  do  main; 
il  aimait  beaucoup  cet  exercice.  N'ayant  pu 
faire  affaire,  il  quitta  le  marché,  el  s'enfonça 
s-eul  dans  les  sentiers  écartés  et  déserts  qui 
se  trouvent  derrière.  I!  était  ,  selon  sa  cou- 
lumc  plongé    dans    une   profonde  rêverie, 


I'  l'squ'i!  en  fut  distrait  par  des  cris  redou- 
blés :  Au  secours^  à  moi  !  au  secours,  on 
m'assassine  !  1!  tiip  son  épée  el  et  court  de 
toute  sa  force  vers  l'endro  t  d'où  les  iris 
semblenlpartir.  Il  arrive  et  voit  un  infortuné 
que  trois  scélérats  poignardaient,  (amix  ci 
prennent  la  tuiteà  la  vuedePierret.  Le  jeune 
iioiiinie  (lue  cet  atlreux  spectacle  avait  mis 
hors  de  lui,  se  |)récipiie  sur  leurs  traces,  el, 
tenant  son  é|  ée  comme  on  tient  un  poignard, 
il  en  atteint  un  des  voleurs  et  le  renverse 
nioil  à  ses  pieds.  Sans  ralentir  sa  course,  il 
arrive  au  second  assassin  et  le  punii  de  même; 
il  était  près  du  troisième,  lorsque  la  maré- 
chaussée, accourue  enlin  aux  tris  de  la  mal- 
heureuse victime  des  trois  bamliis,  jirrive  au 
grand  galop.  Le  sréiérat,  poursuivi  p.ir  Pier- 
ret,  se  retourne  alors  vers  la  maréchaussée, 
et  supplie  les  cavaliers  de  le  pren.lre  sons 
leur  protection  contre  la  fureur  de  ce  jeune 
homme, qui  venait  déjà, disait-il, d'assassiner 
trois  de  ses  camarades.  On  se  saisit  de  ions 
les  deux  :  Pierrel,  sans  dire  un  mot,  rend  son 
épée  sanglante,  se  laisse  mettre  les  menottes, 
et  suit  paisiblement  la  cavalcade,  qui  s'arrête 
auprès  de  celui  qu'il  avail  secouru.  La 
quantitédesangque  cet  homme  avail  perdu 
lui  avait  absnlument  ôté  toute  connaissance. 
Ou  fit  venir  des  brancards,  el  les  vivants, 
ainsi  que  les  morts,  furent  tous,  on  conduits 
ou  portés  dans  la  prison.  Pierrel  el  le  misé- 
rable furent  placés  dans  la  chambre  de  l'as- 
sassiné, que  les  chirurgiens  avaient  avoué 
n'être  qu'évanoui. 

Pierrel,  interrogé,  avait  na'ivement  raconté 
les  faits  comme  ils  s'étaient  passés;  il  avail 
dit  son  nom,  el  avail  demandé  qu'on  donnât 
avis  à  sa  famille  de  sa  malheureuse  affaire, 
ce  qui  lui  avait  été  accordé  sur-le-champ. 

Cependant  le  blessé,  percé  ou  pour  mieux 
dire  criblé  de  coups  de  couteau  ,  ne  donn.iit 
encore  aucun  signe  de  vie.  De  lui  seul  on 
pouvait  attendre  quelque  lumière  sur  cet 
événement;  et  s'il  périssait  sans  avoir  donné 
aucun  éclaircissement ,  que  devenait  son  li- 
bérateur, toujours  effrontément  accusé  par 
l'exécrable  assassin?  La  figure  douce  el  hon- 
nête de  Pierrel,  son  maintien  assuré,  son  air 
distingué,  ses  discours  sages  et  sensés,  son 
calme  ,  sa  résignation  héroïque  à  son  sort  , 
tout  cela  avait  beau  parler  en  sa  faveur,  et 
intéressera  lui  tous  ceux  qui  l'environnaient, 
il  n'en  était  pas  moins  dans  un  péril  ef- 
frayant, si  le  blessé  mourait  sans  pouvoir 
parler. 

Enfin  le  ciel,  qui  le  réservait  à  d'autres 
destinées  sans  doute,  le  ciel  permit  qu'un 
profond  soupir  de  la  victime  annonçât  son 
retour  à  la  vie.  Les  gens  de  l'art  aidèrenl 
celle  lueur  d'espérance  à  se  changer  en  cer- 
titu<lc:  tous  les  secours,  tous  les  soins  furent 
prodigués.  Le  malade  commença  à  rouvrir 
les  yeux  f.iiblement;  ensuite  il  en  reli'ouva 
pins  complètement  l'usage  el  jiarvinl  à  pou- 
voir les  tourner  sur  l  s  objets  qui  l'enviion- 
nairnt  et  (jn'on  avait  entourés  d'une  lumière 
suiïisante.  Tous  les  assistants  attendaient, 
sans  oser  respirer,  le  premier  geste,  le  pre- 
mier mouvement,  le  pren)iur  mol  de  l'iufar- 


83S 


niCTIOiNNAlRE  DKS  SCIENCES  OCCl.LTES. 


836 


luné D';ibord  ii  promène  des  regards  éga- 
ies et  incerlaiiis  aulour  de  lui.  Peu  à  peu 
sa  vue  se  ralTermil,  le  premier  objet  qu'il 
disl'iifïue  est  son  assassin  aux  pie<ls  de  son 
lil.  Il  l'ait  un  gesled'liorreur,  jette  un  cri  d'ef- 
froi, et  referme  les  yeux  pour  un  inslant. 
Ou  redouble  les  secours,  on  parvient  à  le 
ressusciter  encore,  on  lui  parle  doucement; 
on  le  console;  ou  l'exhorte  au  courag';  on 
l'assure  qu'il  est  sauvé;  en  un  mol,  ou  par- 
vient à  lui  rendre  du  calme  et  quelques  for- 
ces. 11  recommence  à  faire  la  revue  de  tout 
ce  qui  l'entourait;  el,  remontrant  cuGn  des 
yeux  le  jeune  Pierrel,  assis  au  chevet  de  son 
lit,  il  s'écrie  :  Ahl  le  voilà!  c'est  lui!  et  en 
même  temps  il  le  serre  dans  ses  bras  autant 
que  ses  forces  peuvent  le  lui  permettre.  Un 
témoignage  aussi  authentique,  aussi  irrécu- 
sable, devait,  ce  me  semble,  sulfire  pour 
attester  l'innocence  de  notre  ami  et  lui  faire 
rendre  sur-le-champ  la  liberlé;  mais  ce  n'est 
■pas  ainsi  que  marche  la  justice,  qui  ne  veut 
rien  faire  avec  précipitation,  et  ne  lâche  ce 
qu'elle  tient  que  quand  il  ne  lui  est  plus  pos- 
sible de  le  retenir. 

Sur  ces  entrefaites, la  mère  de  Pierret  était 
accourue  sans  délai  au  secours  de  son  fi's. 
Bien  informée;  du  fait,  munie  d'une  grande 
quantité  de  lettres  de  recommandation,  elle 
sollicite  et  obtient  que  le  blessé  soit  transporté 
chez  elle  à  sa  uiaison  de  Paris,  et  que  son  fils 
ne  (luille  pas  sa  chambre  qui  sera  soigneu- 
sement gardée. 

De  jour  en  jour  le  malade  reprenait  ses 
forces,  et  la  connaissance  avec  elles.  Quand 
les  chirurgiens  eurent  déclaré  qu'il  élait  en 
étal  de  parler,  il  se  fil  une  assemblée  nom- 
breuse de  juges,  el  de  tous  les  intéressés  à 
l'affaire  dans  la  chambre  de  l'assassiné.  Le 
meurtrier, resté  vivant,  lu!  amené  chargé  de 
fers,  les  cadavres  de  ses  complices  avec  leurs 
mêmes  habils  furent  apportés  aussi  ;  on  avait 
eu  soin  de  les  mellre  à  l'abri  de  la  corrup- 
tion par  des  moyens  connus.  Quand  tout  fui 
dans  l'état  convenable,  le  blessé,  se  soulevant 
sur  son  coude,  prit  la  parole  el  déposa  : 

«Que  leljour,àtelle  hcuredumalin,  ilavait 
rencontré  au  marché  aux  cli<'vaux  ces  trois 
hommes  avec  lesquels  il  était  lié  d'inlérèls  de 
commcrce;qu'ils  lui  avaient  vu  faire  de  très- 
bonnes  affaires,  et  recevoir  beaucoup  d'or  el 
beaucoupdebilletsau  porteur, qu'ils  l'av-iienl 
invité  à  dîner;  que  lui,  ne  se  doutant  de  rien, 
el  ne  se  méfiant  pas  d'eux ,  av.iil  accepié  :  (lu'ils 
avaient  essayé  de  le  faire  boire,  mais  qu'il 
n'avait  pas  soupçonné  leur  dessein;  qu'après 
le  dîner,  où  en  effet  il  avait  un  peu  passé  les 
bornes,  ils  l'avaient  invité  à  faire  un  lourde 
promenade,  cl  l'avaient  conduit  à  l'endroit 
écarté  où  on  avait  dû  le  trouver;  que  là  ils 
s'étaient  jelés  sur  lui  armés  de  couteaux, 
l'avaient  dépouillé  de  son  or,  de  son  argent, 
de  ses  billets;  qu'il  leur  avait  demandé  au 
moins  la  vie,  que  les  seélérals  pour  réponse 
l'avaient  criblé  do  coups  de  couteau  ;  que  ses 
cris  redoublés  avaient  adiré  ce  jeune  homme 
cjui  l'avail  délivré  cl  doiu  les  traits  s'étaient 
sur-le-champ  gravés  dans  sa  mémoire  d'une 
manière  iuilT\.iblc;<iu'ensuile  il  avail  perdu 


connaissance,  et  ne  se  souvenait  plus  de  rien 
jusqu'à  son  retour  à  la  vie.  » 

Une  déposition  aussi  claire  cl  aussi  précise 
ne  laissait  plus  aucun  nuage  sur  linnocenc:' 
de  Pierrel,  et  l'environnait  même  de  tout  l'é- 
clat attaché  au  courage:  le  jeune  homme  fut 
déchargé  de  l'accusation,  les  procès-verbaux 
filent  de  sa  belle  action  la  mention  la  plus 
honorable,  el  il  revint  en  triomphe  avec  sa 
mère  au  sein  de  sa  f;imille.  Ce  ne  furent  que 
fêles  el  réjouissances  à  Versailles  pendant 
quelques  jours  parmi  ses  parents  et  leurs 
nombreuses  connaissances. 

Au  milieu  de  cet  enthousiasme  universel 
et  do  tous  ces  transports  d'allégresse,  lui 
seul  conservait  un  fond  de  mélaneolie  dont 
rien  ne  pouvait  le  tirer,  et  que  la  tendresse 
de  sa  mère  combattait  en  vain.  Un  jour 
qu'elle  le  pressait  plus  vivement  que  de  cou- 
tume de  lui  ouvrir  son  cœur  el  de  lui  confier 
la  peine  secrète  dont  il  semblait  dévoré,  il 
lui  dit  en  l'embrassant  avec  tendresse  : 

—  O  ma  bonne  mère  1  pardonne  à  ton 
pauvre  fils  dont  la  lêle  faible  nourrit  des 
idées  noires  que  rien  ne  peut  dissiper  el  qui 
reviennent  sans  cesse  agiter  son  âme.  Je  ne 
sais  si  elles  sont  la  suite  de  la  funeste  aven- 
ture à  laquelle  je  viens  d'échapper;  mais  j'ai 
le  pressentiment  que  celte  année  ne  se 
passera  pas  sans  qu'il  m'arrive  quelque 
chose  de  fatal. 

Sa  mère  employa  tout  ce  que  la  tendresse 
ella  raison  ont  de  plus  efficace  pour  dé'ruire 
celle  chimère,  si  funeste  à  son  repos  el  à 
celui  (le  son  fils.  Elle  ne  put  y  parvenir.  Elle 
fut  réduite  à  compter  les  jours  de  cette  dan- 
gereuse année,  à  ne  pas  quitter  son  fils  d'un 
instant,  ni  d'un  pas;  à  1  entourer  jour  et  nuit 
de  tous  les  soins  de  la  surveillance  mater- 
nelle, et  en  un  mot,  à  jouer  le  rôle  de  ces 
mères  dont  les  enfants,  dans  les  coules  d.  s 
fées,  se  trouvent  menacés  d'un  grand  dan- 
ger jus(|u'à  une  certaine  épo(iuo.  L'année  fa- 
tale arrivait  enfin  à  son  dernier  terme;  la 
tendre  mère  avail  rassemblé  toute  la  famille 
pour  célébrer  un  si  grand  jour,  quoiqu'elle 
el  sou  fils  fussent  seuls  dans  la  confidence 
do  ces  craintes  malheureuses.  Quand  le  dî- 
ner fut  fini,  comme  il  faisait  un  temps  su- 
perbe, et  qu'on  pouvait  disposer  encore  de 
quelques  heures,  on  proposa  de  mettre  les 
chevaux  aux  voitures  el  d'aller  faire  un  tour 
à  la  chasse  dans  le  parc  jusqu'à  la  nuit.  La 
proposition  csl  accueillie  ;  hommes  et  fem- 
mes partent  lous,  cl  laissent  le  jeune  Pierret 
peu  ami  de  ces  plaisirs  bruyants,  dans  la 
compagnie  de  sa  mère. 

—  lit)  bien  !  lui  disait  la  vieille  dame,  la 
voilà  enfin  révolue  cette  terrible  année  quo 
lu  craignais  tant,  cl  que  lu  m'as  tant  fait 
ciainlre!  lille  sera  finie,  cl. e  l'est... 

—  Bientôt,  mais  pas  encore,  répondit-il 
séricusemcnl. 

Ma<lame  Pierrel  se  mit  à  lire  et  haussa  le» 
épaules.  Cependant,  peu  à  peu  le  jour  lom 
biit.  cl  la  compagnie,  dont  le  rendez-vous 
était  à  la  maison,  se  rassemblait  in>ensiblc- 
ment.  Us  arrivaient  les  uns  après  les  autres, 
cl    se  trouvèrent  bieulôl  en    nombre  asscï 


h?)'' 


iror: 


considômblo  pour  essayer  des  jeux    de  so- 
eU't?.  Oïl  proposa   la  main  chaude  :  aussitôt 
arccptée   que  proposée.   On  cominence,   on 
frappe  lour  à  tour  ;   1res  peu  occupé  du  jdi , 
et  n'y  trouvant  de  plaisir    que  celui  que   sa 
complaisance  pouvait  faireaux  autres,  l'icr- 
rel,  hienlôl  la  tcle  cachée  sur  les  frenoux  do 
sa  mère,  se  Irompiit  à  (ous  les  coups  et  ne 
•levinait  jaunis.    Il    y    avait  une  appuence 
qu'il    ne  quitterait  pas  la  place  de  la  soirée  , 
lorsqu'un  de  ses  beaux-frères,   arrivé  de   la 
chasse  avec  son  fusil  à   la   main,  s'appruclio 
du   jeune   homme   et   le  chatouille  dans    le 
creux  de  la  main  avec  le  bout  du  fusil....  Le 
coup   éclate   aussitôt,    par  je   ne  sais  quelle 
fatahlé,  et   brise   les    reins    du  malheureux 
Pierret,  sur  le  seiii  de  sa  mère  plus  malheu- 
reuse encore.  Je  n'entreprendrai  pas  de  vous 
décrire  cette  scène  d'horreur  à  laquelle  j'as- 
sistai. Je  ne  dirai   pas  non  plus  que  les  der- 
niers mots  de  l'infortuné  furent  celle  excla- 
mation murmurée  avec  douceur  : 
—  Eh  bien!  ma  mèie  ! 
Et  il  retomba  mourant  à  ses  pieds. 
HOCQUE.   Après  l'édit  de  16S2  pour  la  pu- 
nilion  des  maléfices,  la  race  des  sorciers  ma!- 
laisants  diminua  sensiblement   en   France. 
Mais  il  restait  encore,  dans  la  Brie,  aux  en- 
virons de  Paris,  une  cabale  de  bergers  qui 
faisaient  mourir  les  bestiaux, attentaient  à  la 
vie  des  hommes,  commettaient  plusieurs  an- 
Ires  crimes,  et  s'étaient  rendus  formidables  à 
la  protiiice.    h  y  en  eut  enfin   d'arrêtés;  le 
juge  de  Pacy   instruisit  le  procès;  et  par  les 
preuves,  il  parut  évident  que  tous  ces  maux 
étaient  couimis  par  ntaléfices  et  sortilèges. 

Les  sorts  et  les  poisons  dont  ces  bandits 
se  servaient  pour  faire  mourir  les  bestiaux 
consistaient  dans  une  composition  (ju'ils 
avouèrent  au  procès,  et  qui  est  rapportée 
dans  les  factums,mais  remplie  de  sacrilèges, 
d'impiétés,  d'abominations  et  d'horreurs!  en 
niêmc  temps  que  de  poisons.  Ils  mettaient 
celle  composition  dans  un  pot  de  terre,  et 
l'enterraient,  ou  sous  le  seuil  de  la  porte  des 
elables  aux  bestiaux, ou  dans  le  chemin  par 
ou  ils  passaient  ;  et  tant  que  ce  sort  demeu- 
rait en  ce  lieu,  ou  que  celui  qui  l'avait  posé 
était  en  vie,  la  mortalité  ne  cessait  point; 
c'est  ainsi  qu'ils  s'en  expliquèrent  dans  leurs 
interrogatoires. 

Une  circonslaiice  singulière  de  leur  procès 
fit  croire  qu'il  y  avait  un  vrai  pacte  entre 
eux  et  le  diable,  pour  commettre  tous  ces 
maléfices.  Ils  avouèrent  qu'ils  avaient  jeté 
les  sorts  sur  les  bestiaux  du  fermier  de  la 
terre  de  Pacy,  près  de  Brie-Comle-Robert 
pour  venger  l'un  d'eux  que  ce  fermier  avait 
chassé  et  mis  hors  de  son  service.  Ils  firent 
le  récit  exact  de  leur  composition  ,  mais  ja- 
mais aucun  d'eux  ne  voulut  découvrir  le  lieu 
,ou  ils  avaient  enterré  ie  sorl,et  on  ne  savait, 
après  de  semUables  aveux,  d'où  pouvait  ve- 
nir leur  rélicence  sur  ce  dernier  fait.  Le 
li'ge  les  pressa  de  s'en  expliquer;  ils  dirent 
que  s  ils  découvraient  ce  lieu,  et  qu'on  levât 
le  sort,  celui  qui  l'avait  posé  mourrait  à  l'in- 
stant. 

L'un  de  leurs  complices,  nommé   Etienne 


HOC  855 

Hftcquc  ,  moins  coupable  que  les  autres,  et 
.  qui  n'avait  été  condamné  qu'aux  galères 
était  à  la  chaîne  dans  les  prisons  de  la  Tour- 
ne!le.  On  gagna  un  autre  forçat  nommé 
Bealrix,  qui  était  attache  avec  lui.  Ce  der- 
iiier,à  qui  le  seigneur  de  l'acy  avait  fait  tenir 
lie  largent,  fit  un  jour  tant  boire  Hoc(|(ic 
quil  l'eiMvraeten  i  et  état  ie  mil  sur  le  ch  i- 
pitre  du  sort  de  Pacy.  Il  lira  de  lui  le  secret 
qu'il  n'y  avait  qu'un  berger  nommé  Bras-de- 
Fer,  qui  demeurait  près  de  Sens,  qui  pûl  le- 
ver le  sort  par  ses  conjurations. 

Béatrix,  profitant  de  ce  commencement  de 
coiifiilence,  engagea  le  vieux  berger  à  écrire 
à  son  fils  une  lettre  par  laquelle  il  lui  man- 
dait d'aller  trouver  Bras-de-Fer  ,  pour  le 
prier  do  lever  ce  sort,  et  lui  défendait  surtout 
de  dire  à  Bras-de-Fer  qu'il  lût  condamné  et 
emprisonné  ,  ni  que  c'était  lui,  Hocque  ,  qui 
avait  posé  le  sorl. 

Celte  lettre  écrite,  Hocque  s'endormit. 
Mais  à  son  réveil,  les  fumées  du  vin  étant 
dissipées,  et  réfiéchissant  sur  ce  qu'il  avait 
fait,  il  poussa  des  cris  et  des  hurlements 
épouvantables,  se  plaigaantque  Béatrix  l'a- 
vait trompé,  et  (ju'il  serait  cause  de  sa  mort, 
lise  jeta  en  même  temps  sur  lui,  et  voulut 
l'étrangler,  ce  qui  excita  les  autres  forçats 
contre  Béatrix,  en  sorte  qu'il  fallut  que  le 
commandant  de  la  Tournelle  vînt  avec  ses  t 
gardes  pour  apaiser  ce  désordre  ,  et  tirer 
Béatrix  de  leurs  mains. 

Cependant  la  lettre  fut  envoyée  au  sei- 
gneur, qui  la  fit  remettre  à  son  adresse. 
Bras-de-Fer  vint  à  Pacy,  entra  dans  les  écu- 
ries, et,  après  avoir  fait  des  figures  et  des 
i  iiprécalions,  il  trouva  effectivement  le  sort 
qui  avait  été  jeté  sur  les  chevaux  et  les  va- 
ches; il  le  leva  et  le  jeta  au  feu,  en  présence 
du  fermier  et  de  ses  domestiques.  Mais  à 
l'instant  il  parut  chagrin,  témoigna  du  regret 
de  ce  qu'il  venait  de  faire,  et  dit  que  le  dia- 
ble lui  avait  révélé  que  c'était  Hocque,  soa 
ami,  qui  avait  posé  le  sort  en  cet  endroit,  et 
qu'il  était  mort  à  six  lieues  de  Pacy,  au  mo- 
.ment  que  ce  sort  venait  d'être  levé... 

fin  eft'el,  par  les  observations  qui  furent 
faites  au  lîhâteau  de  la  Tournelle,  il  y  a 
preuve  qu'au  même  jour  et  à  la  même  heure 
que  Bras-de-Fer  avait  commencé  à  lever  le 
sort,  Hocque,  qui  était  un  homme  des  plus 
forts  et  des  plus  robustes,  était  mort  en  un 
instant  dans  des  convulsions  étranges,  et  su 
tourmentant  comme  un  possédé,  sans  vou- 
loir entendre  parler  de  Dieu  ni  de  confes- 
sion  

Bras-de-Fer  avait  été  presse  de  lever  an-si 
le  sort  jeté  sur  les  moutons,  mais  il  dit  qu'il 
n'en  ferait  rien,  parce  qu'il  venait  d'appren- 
dre que  ce  sort  avait  été  posé  par  les  enfants 
de  Hocque  ,  et  qu'il  ne  voulait  pas  les  faire 
mourir  comme  leur  père.  Sur  ce  refus,  le 
fermier  cul  recours  aux  juges  du  lieu.  Bras- 
de-Fer,  les  deux  fils  et  la  fille  de  Hocque 
furent  arrêtés  avec  deux  autres  bergers, 
leurs  complices,  iio:iwnés  Jardin  cl  le  Petit- 
Pierre;  li'ur  procès  instruit,  Bras-de-Fer, 
Jardinet   le  Petit  Pierre   furent  condamnés 


R5.) 


DiCriONNAIliF.  DES  SCIENCES  OCCUI/IKS. 


8iO 


à  dire  pentins  et  brûlt-s,  et  les  trois  enfants 
de  Hocque  bannis  pour  neuf  .ins  (I)... 

Oïl  lira  ici  avec  plaisir  la  légonde  suivante 
de  M.  EdouarU  d'Angleiiioul  : 

LE  UliliGEIl  DE  LA  BRIE.— 1230. 

Aux  temps  peu  reculés  delà  sorcillcrie , 
Ali!  (|irilstH:iienl  |>\iissuiilH  les  licrgers  de  la  llrie! 
Il  iiMuil  polnl  piiideiilirall'iiiier  leur  courroux! 
'i'aulôl  ou  l.'S  voyait,  cliuiinés  eu  luiips-yaroux, 
Rôder  dans  les  liaïueaux,  y  ctiorclier  aveuture, 
Enlever  les  eufaiils,  eu  taire  leur  pâture; 
Taiiiôt  de  Ools  de  «réle  ils  fiap|iaieul  les  uioissous 
Ou  dans  les  las  de  blé  seinaieuldes  ehaïaiiçoiis. 
Avaienl-llsa  franchir  un  inuiieuse  intervalle, 
Le  iiiauclie  d'un  balai  leur  servait  de  cavale; 
Leur  rej,'ard  rendait  pâle  un  visage  vermeil; 

Avec  un  œil  de  pie  ils  ôtaieul  le  sommeil 

l'our  répandre  l'effroi,  pour  troubler  les  esprits, 

Leur  fallait-il  un  spectre,  une  chauve-souris 

Leur  baguette  aussiiôt  les  faisait  apparaître; 

Voulaient-ils  mettre  obstacle  au  sc^rmon  d'un  saint  prilre; 

D'un  pécheur  repentant  arrêter  les  aveux. 

Ils  jetaient  sous  leurs  pieds  des  crins  ou  des  cheveux. 

Mais  s'ils  élaient  connus  par  de  noirs  malùtices 

Ils  rendaient  quelquetois  aussi  de  bons  offices; 

Souvent  avec  une  herbe,  un  signe,  quelques  mois. 

Mieux  que  tout  l'art  d'un  mire,  ils  guérissaient  les  maux. 

En  ces  champs  oii,  parmi  les  glay.iils  et  les  auin^s, 

La  Marne  vers  Lagny  roule  ses  ondes  jaunes, 

Atteint  d'un  mal  sans  nom  ei  qui  semblait  mortel , 

Un  baron  languissait  au  sein  de  son  castel. 

Soudain  la  renommée  apporie  b  son  oreille 

Le  bruit  d'une  science  a  nulle  autre  pareille; 

Aussitôt  par  son  ordre  un  varlel  va  chercher 

Celui  qui  la  possède,  au  fond  de  son  rocher. 

Il  accourt  au  manoir;  il  entre;  la  rosée 

Luit  sur  ses  longs  sourcils,  sur  sa  barbe  frisée. 

El  sur  ses  cheveux  roux  au  hasard  ondoyanis  .1 

Ses  yeux  sont  tour  °a  tour  ternes  ou  flamboyants  : 

Il  porte  sur  son  front  et  verveine  etsélage  (i) , 

Sur  son  dos  une  peau  d'un  noirâtre  pelage  ; 

Un  sarreau  de  lin  gris  couvre  ses  reins  pressés 

De  rameaux  de  fougère  en  ceinture  tressés  ; 

Il  tient  de  la  main  droite  une  baguette  blanche  : 

Un  coflret  de  fer-blanc,  qui  sonne  sur  sa  hanche, 

Contient  l'herbe  qui  tue  et  l'herbe  qui  guérit, 

Un  livre  en  traits  de  sang  par  Lucifer  écrit. 

Autour  de  son  cou  brille  un  carcan  planétaire  ; 

Et  ses  pieds,  tout  fangeux,  sont  empreints  d'une  terre  , 

yii'on  ne  peut  rencontrer  ailleurs  qu'en  un  grand  bois, 

D'où  partent  nuit  et  jour  des  cris  et  des  abois  ; 

On  est  mort ,  si  l'on  ose  en  passer  les  barrières  ! 

LE  BARON. 

Approche.  N'es-tu  pas  le  berger  des  carrières? 

LE  BERCER. 

Oui.  Que  demaudez-vous  de  moi  f 

LE  BARON. 

De  me  guérir. 

LE   BERGER. 

Vous  êtes  en  effet  en  dang.  r  de  mourir.      • 

LE    BARON. 

Ton  art  u'aurail-il  point  de  n  ssources? 

LE  BERCER. 

J'y  pense. 

LE  BARON. 

Sauve-mol  ;  tout  cet  or  sera  ta  récompense 

LE    BERGKR. 

Oui,  je  puis  vous  sauver,  mais  si  vous  conseillez 
A  remettre  en  mes  mains.... 

LE  BARON. 

Eh!  quoi  donc? 

LE  BERGER. 

Ecoutez: 
Vous  avez,  monseigneur,  un  enfant  en  bas-âge. 
Eh  bien!  coiiune  l'enfer  ne  veut  aucun  dommage, 
11  faudrait  (ine  le  son  que  l'on  vous  a  jeté 
Sur  cet  être  innocent  fût  par  moi  Iransporté. 

LE  uàhon. 
Que  me  proposes-tu  ?  relne-toi. 

LE    BERCER 

Je  reste. 
Vous  sentez,  je  le  vois,  s'accroître  un  mal  funeste 

(t)  Le  commissaire  Delainarre,  Traité  de  la  |k>Îicp. 
fi)  Le  sé(agc  est  une  |  lanic  dont  se  paraient  autrefois 
K'b  Jruidesses  et  doiil  les  sorciers  oui  fuit  depuis  le  même 


LK  RAHOK. 

Quel  feu  dans  ma  poitrine!  Ah  !  quels  déchircmenis  I 

On  lit!  peut  suppiirler  de  si^nblables  louriiienls! 

Ah!  je  me  iiieuis!  l'enfer!.. .  Sauve-moi;  je  le  livre..., 

LE    BCRCER. 

Monseigneur,  hâlez-vous:  jurez-le  sur  ce  livre. 
Et  le  baron,  en  proie  â  son  égarement 
Sur  le  livre  magique  <  n  laii  l'.iirreiix  serment' 
Et  le  berger  dans  l'air  agite  sa  houssine 
Dont  le  signe  infernal  liiitemenl  se  dessine 
En  s'éeriant:  «  Alpha,  11.  Un,  JaKIérichell  » 

LE  BARON. 

Je  me  sons  bien. 

LE  BERCER. 

Tenez  voire  serment 

LE  BARON. 

Lequel? 

LE   BERGER. 

Livrez-moi  votre  enfant,  car  je  ne  puis  attendre.  ^ 

LE  BARON.  " 

Tu  me  perces  le  cœur,  je  ne  saurais  l'entendre, 
l'reuds  cet  or,  fuis,  mets  II  i  a  ces  cruels  débats. 

LE  BERGER. 

L'enfant  de  monseigneur  ! 

UN  varlet  eiilrmil. 

Le  voyez-vous  Ih-bas? 
Sur  la  blanche  iiimenl  sa  nourrice  l'emiiorle; 
Elle  a,  m'a-i-elle  dit,  écouté  de  la  porte; 
Courez;  si  vous  voulez  les  atteindre,  il  est  temps! 
Et  roulant  des  regards  de  colère  éclatants. 
Le  berger  aussilôi  avec  des  cris  de  rage  : 
«  Devais-je  retirer  ce  fruit  de  mon  ouvrage? 
Belzébulh  de  ses  droits  ne  peut  être  frustré  ! 
Il  faut  que  quelqu'un  meure,  et  c'est  moi  qui  mourrai 
Déjà  des  doigts  de  plomb  pèsent  sur  ma  pau|)iéi  e  ; 
Ah!  femme  de  malheur!  »  Et,  Iroid  comme  la  pierre, 
11  s'enluilde  la  salle  ;  il  veut  franchir  le  pas. 
Et  tombe  consumé  d'un  Icu  qu'on  ne  voit  pas. 

HODEKKN.  Voy.    Hecdekin.  Voy.   aussi 

DiABLG. 

HOFFMANN.  Célèbre  auteur  allemand  dis 
contes  fantastiques, où  le  surnaturel  oceupo, 
d'une  manière  irès-originale,  la  plus  grande 
place. 

HOLDA.  La  holda  était,  chez  1rs  anciens 
Gaulois,  une  espèce  de  sabbat  nocturne,  où 
(les  sorciers  faisaient  leurs  orgies  avec  des 
démons  Iransformés  en  danseuses.Voy.  Bes- 

SOZIA. 

On  parle  encore  en  Allemagne  de  holda, 
la  bonne  pieuse  (sorte  de  fée  qui  remplace, 
dans  les  opinions  populaires ,  une  divinité 
antique).  Elle  visite  sans  être  vue  la  maison 
du  laboureur,  elle  charge  de  laine  les  fu- 
seaux des  ménagères  diligentes  ,  et  répand 
l'abondance  autour  d'elle  (3). 

HOLGEK-DANSVRE  ,  ou  Ogier  le  Danois. 
Voy.  Frédéuic. 

HOLLANDAIS  ERRANT. C'est  un  vaisseau 
fanlaslique  qui  apparaît, dit-on.  dans  les  para- 
ges du  cap  de  Bonne-Espérance.  Ce  vaisseau 
dcploielouîes  ses  voiles  lorsque  aucun  navire 
n'oserait  en  risquer  une  seule.  On  est  par- 
tagé d'opinions  sur  la  cause  de  ce  prodige; 
d'après  la  version  la  plus  répandue,  celait, 
dans  l'origine,  un  navire  richement  chargé 
à  bord  duquel  se  commit  un  horrible  forfait. 
La  pesle  s'y  déclara  ,  et  les  coupables  errè- 
rent vainement  de  port  en  port,  offrant  leur 
riche  cargaison  pour  prix  tl'uii  asile.  On  les 
repoussait  partout,  (le  peur  de  la  contagion. 
Les  matelols  disent  que  la  Providence,  pour 
perpétuer  le  souveuir  de  ce  châtiment,  per- 

usage. 
(.'))  M.  Ozanam ,  De  l'établissement  du  Christianisme  eu 

Aileuiaiiiic. 


84t 


IIOM 


llOM 


6(» 


met  que  le  Hollandais  erranC  apparaisse  en- 
rore  dans  ces  mors  où  la  calaslrophe  cul 
lieu.  Celle  apparition  est  considérée  comme 
Un  mauvais  augure  par  les  navigateurs  (l). 

Le  Hollandais  errant  ,  sujet  de  beaucoup 
de  traditions  ,  s'appelle  aussi  le  Voltigeur 
hollandais.  Voyt'Z  Ce  mot. 

HOLLERE.  M.igicien  danois  qui  s'était  ac- 
quis ,  au  treizième  siècle,  la  réputation 
d'un  homme  à  miracles,  el  qui  n'était  qu'un 
sorcier  adroit.  Pour  passer  la  mer,  il  se  ser- 
vait d'un  os  gigantesque  marqué  de  quel- 
ques charmes  et  Caractères  magiques.  Sur 
ce  singulier  esquif  il  traversait  l'océan  com- 
me s'il  eùl  été  aidé  de  voiles  el  poussé  par 
les  vents.  Il  fut  mallrailé  par  les  autres  sor- 
ciers, ses  envieux,  qui  l'obligèrent  à  quitter 
le  pays  (2). 

HOLZHAUSER  (Barthélémy),  visionnaire 
allemand,  né  en  16.3.  Le  diable  apparut  à  sa 
naissance,  sous  la  forme  d'un  laid  chien  noir; 
le  nouveau-né  s'écria  qu'il  ne  le  craignait 
point,  cl  le  diable  décampa. 

En  étudiant  le  latin,  il  fut  attaqué  de  la 
peste  qui  régnait  à  Cologne.  Comme  il  était 
sur  son  lit,  il  sentit  quelqu'un  lui  donner  un 
souffle).  Il  se  tourna,  nevit  personnei  mais  le 
souftlel  l'avait  guéri;  il  retourna  en  classe. 

Il  alla  faire  sa  philosophie  à  Ingolsladt, 
eut  des  visions  sans  nombre,  fut  vexe  par  les 
démons,  pourchassé  par  des  spectres.  Il  dé- 
livra des  possédés,  prophétisa  et  publia  ses 
visions. 

Et  d'abord  il  mit  au  jour  son  Voyage  aux 
enfers.  —  Il  fit  paraître  ensuite  un  recueil 
de  diverses  petites  visions  peu  remarquables, 
et  son  Explication  de  l'Apocalypse  ,  dont  il 
trouva  toutes  les  prédictions  entrain  de  s'ac- 
complir. Il  mourut  en  1658. 

Ses  visions  sont  très-bizarres.  Il  vit  un  jour 
sept  animaux  :  un  crapiiud  qui  chantait 
comme  un  perroquet;  un  chameau  qui  por- 
tait des  reliques;  un  être  qui  tenait  du  che- 
val hennissant  et  du  chien  aboyant  ;  un 
grand  serpent  plein  de  fiel,  qui  avalait  des 
âmes;  un  pourceau  énorme  qui  se  vautrait 
dans  la  fange  et  qui  allait  du  travers;  un 
sanglier  qui  exécrait,  et  enfin  une  septième 
béte,  morte  et  sans  nom. 

Barthélémy  vit  ensuite  une  monarchie , 
deux  sièges  et  un  archange  qui  se  prome- 
nait entre  plusieurs  fauteuils;  il  vit  un  roi  à 
cheval  sur  le  Danul>c  ,  puis  plusieurs  petits 
vers  qui  allaient  en  manger  un  grand  ,  lors- 
qu'un chat  vint  qui  chassa  tous  les  petits 
vers  et  délivra  le  grand  (3)... 

Nous  ne  pouvons  rien  prononcer  sur  ces 
visions. 
'  HOMMES.  Il  pariJi  qu'il  n'y  a  que  l'homme 
à  qui  la  nature  ait  donné  une  figure  droilc 
cl  la  faculté  de  contempler  les  cicux.  Seul 
parmi  les  animaux  il  a  l'épine  du  dos  et  l'os 
(ie  la  cuisse  en  ligne  droite.  C'est  un  fait,  dit 
Aiistote  ,  que  si  l'homme  est  le  seul  à  qui 

'  (!)  WallerScolt,  M.illiilde  de  Hokeby,  chanta*. 

(2)  JuKemeiils  d»;  Uii'ii,  de  Clias^aanoii,  p.  lli. 

(5)  BioRiapliia  vcn'iutjilis  servi  Dri  liai thuloiuspi  Hol- 
xbiiiiser,  elc  ,  li;iiiil)erg;»!,  1781,  iii-S".  Acccdual  ejiisdein 
iii  AjKicalyifti.ii  euiii'iii'.ir.acii  pl.iiie  adniiiubllus. — Visioiies 

DlCTlOX.X.   DES  SCIKSCSS  OCCULTES.  I. 


il  arrive  des  illusions  nocturnes  ,  c'est  parce 
qu'il  n'y  a  proprement  que  lui  qui  se  cou- 
che sur  le  dos  ,  c'est-à-dire  de  manière  que 
l'épine  et  la  cuisse  fassent  une  ligne  droite, 
el  que  l'une  et  l'autre,  avec  les  bras,  soient 
parallèles  à  Ihoiizon.  Or  les  animaux  ne 
peuvent  pas  se  coUcher  ainsi  ;  quoique  leur 
épine  soit  parallèle  à  l'horizon,  leurs  épau- 
les sont  détournées  et  forment  deux  angles. 
Lisez  Xénophon,  Hérodote,  Plularque  et 
autres  historiens,  vous  verrez  qu'il  existe 
des  contrées  fabuleuses  oii  les  hommes  ont 
une  léle  de  dogue  ou  de  bichon,  des  pays  où 
ils  n'ont  qu'un  œil, d'autres  où  ils  n'ont  qu'un 
pied,  sur  lequel  is  sautent,  de  sorte  que 
quandils  veulcntcourir,ils  sont  obligés  de  se 
mettre  deux  et  de  se  tenir  par  le  bras;  d'au* 
très  enfin  où  ils  n'ont  point  de  tête,  etc.  (4), 
Voyez  HÈsE. 

HOMME  NOIR.  L'homme  ttoir  qui  promet 
aux  pauvres  de  les  faire  riches  s'ils  veulent 
se  donner  à  lui ,  n'est  autre  que  le  diable.  — 
On  lit  ce  qui  suit  dans  la  légende  dorée  :  — 
Un  chevalier  qui  jouissait  d'une  grande  for- 
tune, el  qui  la  dépensait  en  libéralités,  de* 
vintbientôt  si  pauvre,  qu'il  manquait  du  né- 
cessaire. Comme  il  n'avait  pas  le  courage  de 
recourir  à  ses  amis ,  et  que  ses  amis  ne  pa- 
raissaient pas  disposés  à  se  souvenir  de  lui, 
il  tomba  dans  une  grande  tristesse  ,  qui  rc" 
doubla  encore  à  l'approche  de  son  jour  natal» 
où  il  avait  coutume  de  faire  le  magnifique. 
Occupé  de  ses  chagrins,  il  s'égara  dans  une 
solitude  ;  il  y  vit  bientôt  paraître  devant  lui 
un  homme  vêtu  de  noir,  d'une  taille  haute, 
monté  sur  un  cheval  superbe.  Ce  cavalier 
qu'il  ne  connaissait  pas  lui  demanda  la  cause 
de  sa  douleur.  Après  qu'il  l'eut  apprise,  il 
ajouta  :  —  Si  vous  voulez  me  rendre  hom- 
mage, je  vous  donnerai  plus  de  richesses 
que  vous  n'en  avez  perdu. 

—  Cette  proposition  n'avait  rien  d'extra- 
ordinaire dans  un  temps  où  la  féodalité  était 
en  usage.  Le  chevalier  promit  à  l'élraiiger  de 
faire  ce  qu'il  exigerait,  s'il  pouvait  lui  ren- 
dre sa  fortune.  — Eh  bien  I  reprit  le  diable 
(car  c'était  lui),  retournez  à  votre  maison, 
vous  trouverez  dans  tel  endroit  de  grandes 
sommes  d'or  et  une  quantité  de  pierres  pré- 
cieuses. Quant  à  l'hommage  que  j'attends  de 
vous,  c'est  que  vous  ameniez  voire  femme 
ici  dans  un  an. 

—  Le  chevalier  s'engagea,  regagna  sa  mai' 
son,  trouva  les  trésors  indiqués,  et  reprit  son 
habitude  de  largesses  qui  lui  ramena  ses 
bons  amis. 

—  A  la  fin  de  l'année,  il  songea  à  tenir  sa 
promesse.  H  appela  sa  femme.  —  Vous  allez 
monter  à  cheval  et  venir  avec  moi,  lui  dit^il, 
car  nous  avons  un  petit  voyage  à  faire. 

C'était  une  dame  pieuse,  qui  avait  grando 
dévotion  à  la  sainte  Vierge.  Elle  Ht  sa  prière, 
et  suivit  son  mari  sans  demander  où  il  la 
conduisait. 

verierabilis  servi  Dei  Bartholom»!  Holihau!>er,  etc.,  dlgn» 
a;vi  noslri  meinoria  ad  ejiis  Biograihiam  appendix,  Baiii* 
bergie,  1793,  fa-8». 

(i)  M.  Saignes,  des  Erreurs  el  des  préjugés ,  t.  I" ; 
p.  10. 

27 


843 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


m 


—  Aprc^s  avoir  marché  plus  d'une  heure, 
los  deux  ^'pous  reiicoiitrèrcnl  une  église.  La 
dame  voulant  y  entrer,  descendit  de  cheval; 
son  mari  l'atlendil  à  la  porte.  A  peine  ful- 
elle  entrée  dans  l'église  qu'elle  s'endormit  en 
commençant  à  prier;  la  sainte  Vierge  ayant 
pris  sa  figure,  rejoignit  le  chevalier  et  partit 
avec  lui  auiendez-vous. 

—  Lorsqu'ils  arrivèrent  au  lieu  désigné, 
le  prince  des  démons  y  parut  avec  fracas. 
Mais  dès  qu'il  aperçut  la  dame  que  le  cheva- 
lier lui  amenait,  il  commença  à  trembler  de 
tous  srs  membres,  el  ne  trouva  plus  de  force 
pour  s'avancer  au-devant  d'elle.  — Homme 
perOde,  s'écria-t-il,  est-ce  ainsi  que  tu  devais 
reconnaître  mes  bienfaits?  Je  t'avais  prié  de 
m'amener  la  femme,  el  tu  viens  ici  avec  la 
mère  de  Dieu,  qui  va  me  renvoyer  aux  en- 
fers!.... 

Le  chevalier,  stupéfait,  ne  savait  quelle 
contenance  garder  ;  la  sainte  Vierge  dit  au 
diable: — Méchant  esprit,  oserais-tu  bien 
faire  du  mal  à  une  femme  que  je  protège? 
Rentre  dans  l'abime  ,  et  souviens-toi  de  ne 
jamais  chercher  à  nuire  à  ceux  qui  mettent 
en  moi  leur  confiance... 

Le  diable  se  retira.  Le  chevalier  éperdu 
se  jeta  à  genoux  devant  Notre-Dame,  qui, 
après  lui  avoir  reproché  son  égarement  indi- 
gne ,  le  reconduisit  à  l'église  où  sa  femme 
dormait  encore.  Les  deux  époux  rentrèrent 
chez  eux;  ils  se  dépouillèrent  des  richesses 
qu'ils  tenaient  du  diable;  mais  ils  n'en  fu- 
rent pas  plus  pauvres,  parce  qu'ils  recon- 
nurent que  les  biens  matériels  ne  sont  pas  les 
vraies  richesses  (1). 

Le  père  Abram  rapporte  l'anecdote  sni- 
rante,  dans  son  histoire  manuscrite  de  l'u- 
niversité de  Pont-à-Mousson  : 

«  Un  jeune  garçon  de  bonne  famille,  mais 
peu  fourni  d'argent,  se  mil  à  servir  dans 
l'armée  parmi  les  valets.  De  là  ses  parents 
l'envoyèrent  aux  écoles  ;  mais  ne  s'accom- 
moilanl  pas  de  l'assujettissement  que  deman- 
dent les  éludes  ,  il  résolut  de  retourner 
à  son  premier  genre  de  vie.  Eu  chemin  il 
rencontra  un  homme  vêtu  d'un  habit  de  soie 
noire,  au  resle  de  mauvaise  mine,  qui  lui 
demanda  où  il  allait,  et  pourquoi  il  avait 
l'air  si  triste?  —  Je  suis,  ajoula-t-il,  en  état 
de  vous  mettre  à  votre  aise  ,  si  vous  voulez 
vous  donner  à  moi. 

Le  jeune  homme,  croyant  qu'il  parlait  de 
l'engager  à  son  service,  lui  demanda  un  mo- 
ment pour  y  penser.  Mais,  commençant  à  se 
défier  (les  magnifiques  promesses  que  l'étran- 
ger lui  faisait,  il  le  convidér.i  de  plus  près,  et 
ayant  remarqué  qu'il  avait  le  pied  gauche 
fendu  comme  celui  d  un  bœuf,  il  fut  saisi  de 
frayeur,  fit  le  signe  de  la  croix  et  invoqua 
le  nom  de  Jésus.  Aussitôt  le  spectre  s'éva- 
nouit. 

«  Trois  jours  après,  la  même  figure  lui  ap- 
parut de  nouveau,  el  lui  demanda  s'il  avait 
pris  sa  résolution?  le  jeune  homme  répondit 
qu'il  n'avait  pas  besoin  de  maître.  L'homme 
loir  jfila  à  ses  pieds  une  bourse  pleine  d'é- 

(t)  Voyez  cette  légende  curieuse  plus  développée  dans 
U»iégeint(s  de  la  tauue  Vierge,  oi»  elle  esl  inlimlée:  le 


eus,  dont  quelques-uns  paraissaient  d'or  et 
nouvellement  frappés.  Dans  la  même  bourse 
il  y  avait  une  poudre  que  le  specire  Oisail 
Irôs-sublile.  11  lui  donna  ensuite  des  conseils 
abominables,  el  l'exhorta  à  renoncer  à  l'u- 
sage (le  l'eau  bénite  et  à  l'adoration  de  Ihos- 
tie.  Le  jeune  homme  eut  horreur  de  ces  pro- 
positions; il  fit  le  signe  de  la  croix  sur  son 
cœur,  et  en  même  temps  il  se  sentit  jeté  si 
rudement  contre  terre,  qu'il  y  demeura  une 
demi-heure.  S'étant  relevé,  il  retourna  (  hc  z 
ses  parents,  fil  pénitence  et  changea  de  con- 
duile.  Les  pièces  qui  paraissaient  d'or  el 
nouvellement  frappées,  ayant  été  mises  au 
feu,  ne  se  trouvèrent  être  que  du  cuivre.  » 
Ainsi,  lionnes  gens,  défiez-vous  de  l'homme 
noir.  Voy.  Argent.  Foy.  aussi  Hugues. 

HOMME  ROUGE,  —  démon  des  tempéles. 
«  La  nuit,  dans  les  affreux  déserls  des  côles 
de  la  Bretagne,  près  Saint  Paul-de-Léon  (2), 
des  fantômes  hurlants  parcourent  le  rivage. 
L'homme  rouge  en  fureur  commande  aux 
éléments  et  prét;ipite  dans  les  ondes  le  voya- 
geur qui  trouble  ses  secrets  et  la  solitude 
qu'il  aime.  » 

On  croit  dans  le  peuple  qu'un  petit  hommt 
rouge  mystérieux  apparut  à  Napoléon  pour 
lui  annoncer  ses  revers. 

HONGROIS,  Voy.  Ogres. 

HONOltIUS,  Voy.  Grimoire. 

HOKEY,  nom  que  les  nègres  de  la  côte 
occidentale  d'Afrique  donnent  au  diable,  qui 
n'est  sans  doute  qu'un  nègre  aposié  par  les 
marabouts.  Les  cérémonies  de  la  circonci- 
sion ne  manquent  jamais  d'être  accompa- 
gnées dos  mugissements  du  Horey.  Ce  bruit 
ressemble  au  son  le  plus  bas  de  la  voix  hu- 
maine, il  se  fail  entendre  à  peu  de  dislance, 
et  cause  une  frayeur  extrême  aux  jeunes 
{^ens.  Dès  qu'il  commence,  les  nègres  prépa- 
rent des  aliments  pour  le  diable,  et  les  lui 
portent  sous  un  arbre.  Tout  ce  qu'on  lui 
présente  est  dévoré,  dil-on,  sur-le-champ, 
sans  qu'il  en  reste  un  os.  Si  la  provision  ne 
lui  suifit  pas,  il  trouve  le  moyen  d'enlever 
quelque  jeune  homme  non  encore  circoncis. 
Les  nègres  prétendent  (ju'il  garde  sa  proie 
dans  son  ventre,  et  que  plusieurs  jeunes  gens 
y  ont  passé  jusqu'àdix  ou  douze  jours.  Après 
sa  délivrance,  la  victime  qui  a  été  avalée  de- 
meure muette  autant  de  jours  qu'elle  en  a 
passé  dans  !e  ventre  du  diable 

Les  nègres  parlent  avec  effroi  de  cet  es- 
prit malin  ;  cl  l'on  ne  peut  qu'être  surpris 
(le  la  confiance  avec  la(iuelle  ils  assurent 
avoir  été  non-seulement  enlevés,  mais  avalés 
par  ce  monstre. 

HOROSCOPES.  Un  maréchal  ferrant  de 
Beauvais  avait  fait  tirer  l'horoscope  de  son 
fils.  L'astrologue,  après  avoir  examiné  les 
divers  aspects  des  astres,  découvrit  que  Pen- 
fant  élail  menacé  de  mourir  à  quinze  ans 
d'un  coup  de  tonnerre.  Il  désigna  en  même 
temps  le  mois,  le  jour  el  l'heure  où  l'événe- 
mcnl  devait  avoir  lieu  ;  mais  il  ajouta  qu'une 
cage  de  fer  sauverait  le  jeune  homme. 

Quand  le  temps  arriva,  le  père  chercha 
Sire  de  Champ-Fleury 

(2)  Caiiibry,  Vojagc  dans  le  Finistère,  1. 1 


\ 


P45 


HOR 


IIOR 


9\C 


rommenl  laca^c  de  fer  pourrait  éviter  à  son 
(ils  une  mort  si  prématurée;  il  pensa  que  lo 
sens  de  l'oracle  était  probablement  d'enfer- 
mer ce  jour-là  son  enfant  dans  une  cage  de 
fer  bien  fermée.  Il  se  mit  à  travailler  à  la 
construction  de  celte  cage  sans  en  parier  à 
persoime.  Le  moment  arriva.  Une  nuée  pa- 
raissait se  former  dans  le  ciel,  et  jusiifiait 
jusqu'alors  le  dire  de  l'astrologue.  Il  appelle 
donc  son  fils  et  lui  annoixce  que  son  étoile  le 
condamnait  à  être  tué  du  tonnerre,  un  peu 
avant  midi,  s'il  n'avait  heureusement  trouvé 
le  moyen  de  le  soustraire  à  sa  mauvaise  pla- 
nète; il  le  pria  d'entrer  dans  la  cage  de  fer. 

Le  fils,  un  peu  plus  instruit  que  son  père, 
pensa  que,  loin  de  le  garantir  du  tonnerre, 
cette  cage  ne  servirait  au  contraire  qu'à  l'at- 
tirer; il  s'obstina  à  rester  dans  sa  chambre, 
où  il  se  mit  à  réciter  l'Evangile  de  saint 
Jean.  Cependant  les  nuages  s'amoncellent,  le 
temps  se  couvre,  le  tonnerre  gronde,  l'éclair 
brille,  la  foudre  tombe  sur  la  cage  de  fer  et 
la  réduit  en  poudre.  Le  maréchal  surpris 
bénit  pour  la  première  fois  le  ciel  d'avoir 
rendu  son  fils  désobéissant,  et  vit  toutefois 
l'oracle  accompli.  Du  moins  tel  est  le  conte. 
Voy.  Astrologie. 

.Horoscopes  tout  faits,  ou  moyen  de  con- 
naître sa  destinée  par  les  constellations  de 
la  naissance. 

Nous  empruntons  ces  plaisanteries,  qui 
ont  été  si  sérieuses  pour  nos  pères,  et  que 
l'Eglise  a  toujours  combattues ,  aux  divers 
livres  sur  la  matière,  traitée  par  Jacques  de 
Hagen  et  par  cent  autres,  du  ton  le  plus 
grave. 

Les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  les  horosco- 
pes ont  établi  plusieurs  systèmes  semblables 
à  celui-ci  pour  la  forme,  et  tout  différents 
pour  les  choses.  Les  personnes  qui  se  trou- 
vent ici  nées  avec  le  plus  heureux  naturel, 
seront  ailleurs  des  êtres  abominables.  Les 
astrologues  ont  fondé  leurs  oracles  sur  le 
caprice  de  leur  imagination,  et  chacun  d'eux 
nous  a  donné  les  passions  qui  se  sont  ren- 
contrées sous  sa  plume  an  moment  qu'il 
écrivait.  Qui  croira  aux  présages  de  sa  con- 
stellation, devra  croire  aussi  à  tous  les  pro- 
nostics de  l'almanach  journalier,  et  avec  plus 
de  raison  encore,  puisque  les  astres  ont  sur 
la  température  une  influence  qu'ils  n'ont  pas 
tant  sur  nous.  Enfin,  si  la  divination  qu'on 
va  lire  était  fondée,  il  n'y  aurait  dans  les 
hommes  et  dans  les  femmes  que  douze  sor- 
tes de  naturels,  dès  lors  que  tous  ceux  (]ui 
naissent  sous  le  même  signe  ont  les  mêmes 
passions  et  doivent  subir  les  mêmes  acci- 
dents ;  et  tout  le  monde  sait  si  dans  les  mil- 
lions de  mortels  qui  habitent  la  surface  du 
globe,  il  s'en  trouve  souvent  deux  dont  les 
destinées  et  les  caractères  se  ressemblent. 

1"  La  Balance.  (C'est  la  balance  de  Thémis 
(ju'on  a  mise  au  nombre  des  constellations. 
Elle  donne  les  procès.)  La  Balance  domine 
dans  le  ciel  depuis  le  22  septembre  jusqu'au 
21  octobre. 

Les  hommes  qui  naissent  dans  cet  espace 
de  tcmjis,  naissent  sous  le  signe  de  la  Ba- 
lance. —  lis  sont  ordinairement  querelleurs. 


Ils  aiment  les  plaisirs  ,  réussissent  dans  le 
commerce  ,  principalement  sur  les  mers  ,  et 
feront  de  grands  voyages.  Ils  ont  en  partage, 
la  beauté,  des  manières  aisées ,  des  talents 
pour  la  parole  ;  cependant  ils  manquent  à 
leurs  promesses,  et  ont  plus  de  bonheur  que 
de  soin.  Ils  auront  de  grands  héritages. 

Ils  seront  veufs  de  leur  première  femme, 
et  n'auront  pas  beaucoup  d'enfants.  Qu'ils  se 
défient  des  incendies  et  du  l'eau  chaude. 

La  femme  qui  naît  sous  celte  constellation 
sera  aimable,  gaie,  agréable,  enjouée,  assez 
heureuse.  Elle  aimera  les  fleurs  :  elle  aura 
de  bonnes  manières  ;  la  douce  persuasion 
coulera  de  ses  lèvres.  Elle  sera  cepenjîanl 
susceptible  et  querelleuse.  —  Elle  se  mariera 
à  dix-sept  ou  à  vingt-trois  ans.  Qu'elle  se 
défie  du  feu  et  de  l'eau  chaude. 

2°  Le  Scorpion.  (  C'est  Orion ,  que  Diane 
changea  en  cet  animal,  et  qu'on  a  mis  au 
nombre  des  constellations.  11  donne  la  malice 
et  la  fourberie.)  Le  Scorpion  domine  dans  le 
ciel  du  22  octobre  au  21  novembre. 

Ceux  qui  naissent  sous  celte  constellation 
seront  hardis,  effrontés,  flatieurs,  fourbes  et 
cachant  la  méchanceté  sous  une  aimable  ap- 
parence. On  les  entendra  dire  une  chose , 
tandis  qu'ils  en  penseront  une  autre.  Ils  se- 
ront généralement  secrets  et  dissimulés. 
Leur  naturel  emporté  les  rendra  inconstants. 
Ils  jugeront  mal  des  autres,  conserveront 
rancune,  parleront  beaucoup,  et  auront  des 
accès  de  mélancolie.  Ils  n'aimeront  à  rira 
qu'aux  dépens  d'aulrui ,  auront  quelques 
amis,  et  l'emporteront  sur  leurs  ennemis. — 
Ils  seront  sujets  aux  coliques,  et  peuvent 
s'attendre  à  de  grands  héritages. 

La  femme  qui  nall  sous  celle  constellation 
sera  adroite  et  trompeuse.  Elle  se  conduira 
moins  bien  avec  son  premier  mari  qu'avec 
son  second.  Elle  aura  les  paroles  plus  douces 
que  le  cœur.  Elle  sera  enjouée,  gaie,  aimant 
à  rire,  mais  aussi  aux  dépens  des  autres. 
Elle  fera  des  inconséquences,  parlera  beau- 
coup, pensera  mal  de  tout  le  monde.  Eile  de- 
viendra mélancolique  avec  l'âge.  —  Elle 
aura  un  cautère  aux  épaules  à  la  suite  d'une 
maladie  d'humeurs. 

3"  Le  Sagittaire.  (C'est  Chiron  le  Centaure, 
qui  apprit  à  Achille  à  tirer  de  l'arc,  et  qui 
fut  mis  au  nombre  des  constellations.  Il 
donne  l'amour  de  la  chasse  et  des  voyages.) 
Le  Sagittaire  domine  dans  le  ciel,  du  22  no- 
vembre au  21  décembre. 

L'homme  qui  naît  sous  celle  constellalion 
aimera  les  voyages  et  s'enrichira  sur  les 
mers.  Il  sera  d'un  tcmjiérament  robuste, 
aura  de  l'agilité  et  se  montrera  d'un  esprit 
attentif.  Il  se  fera  des  amis  dont  il  dépensera 
l'argent.  Il  aura  un  goût  déterminé  pour  l'é- 
quilation,  la  chasse,  les  courses,  les  jeux  de 
force  et  d'adresse,  et  les  combats.  Il  sera 
juste,  secret,  fidèle,  laborieux,  sociable,  et 
aura  autant  d'amour-propre  que  d'esprit. 

La  femme  qui  naît  sous  cette  constellation 
sera  d'un  esprit  inquiet  et  remuant;  elle  ai- 
mera le  travail.  Son  âme  s'ouvrira  aisémenl 
à  la  pitié;  elle  aura  du  goût  pour  les  voya« 
gcs,  et  ne  pourra  rester  longtemps  daus  lo 


847 


niCTIONNAllΠ DES  SCIENCES  OCCL'LTES. 


8»8 


même  pays.  Elle  scr.i  présonipliieuseel  douce 
ilo  quelques  qualités  lanl  de  l'esprit  que  du 
cœur.  —  Elle  se  mariera  à  dix-neuf  ou  à 
viiigl-qualre  ans.  Elle  sera  bonne  mère. 

i'  Le  Capricorne.  (C'est  la  chèvre  Anial- 
lliéc  qui  allaita  Jupiter,  et  qui  fut  mise  au 
nombre  des  constellations.  Elle  donne  l'é- 
lourderie.  )  Le  C  :pricorne  domine  dans  le 
ciel  du  22  décembre  au  21  janvier. 

Celui  qui  nait  sous  cette  constcllalion  sera 
d'un  naturel  irascible,  léger,  soupçonneux, 
ami  des  procès  el  des  querelles;  il  aimera  le 
travail,  mais  il  hantera  de  mauvaises  socié- 
tés. Ses  excès  !e  rendront  malade.  Rien  n'est 
plus  inconstant  que  cet  homme,  s'il  est  né 
d.ins  la  nuit.  I  sera  enjoué,  arlif  el  fora 
quelquifois  du  bien.  Son  étoile  le  rendra 
heureux  sur  mer.  Il  parlera  modérément, 
aura  la  lôte  petite  et  les  jeux  enfoncés. 

Il  deviendra  riche  et  avare  dans  les  der- 
nières années  de  sa  vie.  Les  bains,  dans  ses 
maladies,  pourront  lui  rendre  la  santé. 

La  femme  qui  naît  sous  celte  constellation 
sera  vive,  légère,  et  cependant  tellement  ti- 
mide dans  ses  jeunes  années,  qu'un  rien 
pourra  la  faire  rougir.  Mais  son  caractère 
deviendra  plus  ferme  et  plus  hardi  dans  l'âge 
|)lus  avancé.  Elle  se  montrera  jalouse,  tout 
en  voulant  cacher  sa  jalousie.  Elle  parlera 
beaucoup,  et  fera  des  inconséquences.  Elle 
aimera  à  voyager.  Elle  ne  sera  pas  d'une 
grande  beauté. 

5°  Le  Verseau.  (C'est  Ganymède,  fils  de 
Tros,  que  Jupiter  enleva  pour  verser  le  nec- 
tar aux  dieux,  et  qu'on  a  mis  au  nombre  des 
constellations.  Il  donne  la  galle.)  Le  Ver- 
seau domine  daus  le  ciel  du  22  janvier  au  21 
février. 

L'homme  qui  naît  sous  cette  constellation 
sera  aimable,  spiriluel,  ami  de  la  joie,  cu- 
rieux, sujet  à  la  fièvre,  facile  aux  projets, 
pauvre  dans  la  première  partie  de  sa  vie,  ri- 
che ensuite,  mais  modérément.  H  sera  ba- 
vard cl  léger,  quoique  discret.  Il  fera  des 
maladies,  courra  des  dangers.  Il  aimera  la 
gloire;  il  vivra  longtemps.  Il  aura  peu  d'en- 
fants. 

La  femme  qui  naît  sous  cette  constellation 
sera  constante,  généreuse,  sincère  et  libé- 
rale Elle  aura  des  chagrins,  sera  en  bulle 
aux  adversités,  el  fera  de  longs  voyages.  Elle 
sera  fidèle,  sage  el  enjouée. 

C°  Les  Poissons.  {  Les  dauphins  qui  ame- 
nèrent Amphilrite  à  Neptune  furent  mis  au 
nombre  des  constellations.  Ils  donnent  la 
douceur.)  Les  Poissons  dominent  dans  le 
ciel  du  22  février  au  22  mars. 

Celui  qui  naît  sous  ••elle  constellation  sera 
officieux,  gai,  aimant  à  jouer,  d'un  bon  na- 
turel, heureux  hors  de  sa  maison.  Il  ne  sera 
pas  riche  dans  sa  jeunesse.  Devenu  plus 
aisé,  il  prendra  peu  de  soin  de  sa  fortune,  et 
ne  profitera  pas  des  leçons  de  l'expérience. 
Des  paroles  indiscrètes  lui  allireront  quel- 
ques désagréments.  11  sera  présomptueux. 

La  femme  qui  naît  sous  celle  constellation 
sera  belle.  Elle  éprouvera  des  ennuis  et  des 
I)eincs  dans  sa  jeunesse.  Elle  aimera  à  faire 
<Sa  bien.  Elle  sera  sensée,  discrète,  économe. 


médiocrement  sensible,  et  fuira  le  monde 
Sa  santé,  faible  jusqu'à  vingt-huit  ans,  de- 
viendra alors  plus  robuste.  Elle  aura  cepen- 
dant de  temps  en  temps  des  coliques. 

7»  Le  Bélier.  (  C'est  le  bélier  qui  portait  la 
toison  d'or,  et  qui  fut  mis  au  nombre  des 
constellations.  Il  donne  les  emportements.  ) 
Le  bélier  domine  dans  le  ciel  du  23  mars  au 
21  pvril. 

Ceux  (|ui  naissent  sous  cette  constellation 
sont  irascibles,  prompts,  vifs,  éloquents, 
studieux,  violents,  menteurs,  enclins  à  l'in- 
constance. Ils  tiennent  rarement  leur  parole 
el  oublient  leurs  promesses.  Ils  courront  de» 
dangers  avec  les  chevaux.  Ils  aimeront  la 
pérhe  et  la  chasse. 

La  femme  qui  naît  sous  celte  constellation 
sera  jolie,  vive  et  curieuse.  Elle  aimera  les 
nouvelles,  aura  un  grand  penchant  pour  le 
mensonge,  et  ne  sera  pas  ennemie  de  la 
bonne  chère.  Elle  aura  des  colères,  sera  mé- 
disante dans  sa  vieillesse  et  jugera  sévère- 
ment les  femmes.  Elle  se  mariera  de  bonne 
heure  et  aura  beaucoup  d'enfants. 

8*  Le  Taureau.  (C'est  le  taureau  dont  Ju- 
piter prit  la  foriiie  pour  enlever  Europe,  et 
qui  fut  mis  au  nombre  des  constellations.  Il 
donne  la  hardiesse  el  la  force.  )  Le  Taureau 
domine  dans  le  ciel  du  22  avril  au  21  mai. 

L'homme  qui  naît  sous  cette  constellation 
est  audacieux;  il  aura  des  ennemis  qu'il 
saura  mettre  hors  délat  de  lui  nuire.  Le 
bonheur  ne  lui  sera  pas  étranger.  Il  voyagera 
dans  des  pays  lointains.  Sa  vie  sera  longue 
et  peu  sujette  aux  maladies. 

La  fenmie  qui  nall  sous  celte  constellation 
est  douée  de  force  el  d'énergie.  Elle  aura  du 
courage;  mais  elle  sera  violente  et  empor- 
tée. Néanmoins  elle  saura  se  plier  à  son  de- 
voir et  obéir  à  son  mari.  On  trouvera  dans 
cette  femme  un  fonds  de  raison  et  de  bon 
sens.  Elle  parlera  pourtant  un  peu  trop.  Elle 
sera  plusieurs  fois  veuve  et  aura  quelques 
enfants,  à  qui  elle  laissera  des  richesses. 

9"  Les  Gémeaux.  (Les  Gémeaux  sont  Cas- 
tor et  Pollux  qu'on  a  mis  au  nombre  des 
constellations.  Ils  donnent  l'amilié.  )  Les 
Gémeaux  dominent  dans  le  ciel  du  22  mai  au 
21  juin. 

Celui  qui  naît  sous  celte  constellation 
aura  un  bon  cœur,  une  belle  figure,  de  l'es- 
prit, de  la  prudence  et  de  la  générosité.  Il 
sera  présomptueux,  aimera  les  courses  cl 
les  voyages,  et  ne  cherchera  pas  beaucoup  à 
augmenter  sa  fortune  ;  cependant  il  ne  s'ap- 
pauvrira point.  Il  sera  rusé,  gai,  enjoué;  il 
aura  des  dispositions  pour  les  arts. 

La  femme  qui  naît  sous  cette  constellation 
est  aimante  et  belle.  Elle  aura  le  cœur  doux 
et  simple.  Elle  négligera  peut-être  un  peu 
trop  ses  affaires.  Les  beaux-arts,  principale- 
ment le  dessin  et  la  inusii]ue,  auront  beau- 
coup de  ciiarmes  pour  elle. 

10°  L'Ecretissc.  (  C'est  le  cancre  ou  l'écre- 
vissc  qui  |)iqua  Hercule  tandis  qu'il  tuait 
l'hydre  du  marais  de  Lerne,  et  qui  fui  mise 
au  nombre  des  constellations.  Elle  donne  les 
désagréments.)  L'Ecrevisse  domine  dans  le 
ciel  du  22  juin  au  21  juillet. 


8;9 


IIOT 


flOT 


830 


Les  hommes  qui  naissent  sous  celle  con- 
slellalion  sonl  sensuels.  Ils  auront  des  pro- 
cès et  des  querelles,  dont  ils  sorlironl  sou- 
vent à  leur  avantage;  ils  éprouveront  de 
grands  périls  sur  mer.  Cet  horoscope  donne 
ordinairement  un  penchant  à  la  gournian- 
ilise  ;  quelquefois  aussi  de  la  prudence,  de 
l'esprit,  une  certaine  dose  de  modestie. 

La  femme  qui  na!l  sous  cette  constellation 
est  assez  belle,  active,  emportée,  mais  facile 
à  apaiser.  Elle  ne  deviendra  jamais  très- 
grasse;  clic  aimera  à  rendre  service,  sera 
timide  et  un  peu  trompeuse. 

11°  Le  Lion.  (C'est  le  lion  de  la  forêt  de 
Némée,  qu'Hercule  parvint  à  étouffer,  et  qui 
fut  mis  au  nombre  des  constellations.  11 
d<mne  le  courage.)  Le  Lion  domine  dans  le 
ciel  du  22  juillet  au  21  août. 

Celui  qui  naît  sous  celte  constellation  est 
hrave,  hardi,  magnanime,  Qer,  éloquent  et 
orgueilleux.  Il  aime  la  raillerie.  Il  sera  sou- 
vent entouré  de  dangers;  ses  enfants  feront 
sd  consolation  et  son  bunhcur.  11  s'abandon- 
nera à  sa  colère  et  s'en  repenlira  toujours. 
Les  honneurs  et  les  dignités  viendront  le 
trouver;  mais  auparavant  il  les  aura  cher- 
chés longlcmps.il  aura  de  gros  niollets. 

La  femme  qui  naît  sous  celte  constellation 
sera  vive,  colère  et  hardie.  Elle  gardera  ran- 
cune. Elle  parlera  beaucoup,  et  ses  paroles 
seront  souvent  ainères.  Au  reste,  elle  sera 
belle;  elle  aura  la  tête  grosse.  — Qu'elle  se 
tienne  on  garde  contre  l'eau  bouillante  et  le 
fiu.  Elle  sera  sujette  aux  coliques  d'estomac. 
Elle  aura  peu  d'enfants. 

12"  La  Vierge.  (C'est  Aslrée  qu'on  a  mise 
au  nombre  dts  constellations.  Elle  donne  la 
pudeur.)  La  Vierge  domine  dans  le  ciel  du 
22  août  au  21  septembre. 

L'homme  qui  nall  sous  cette  constellation 
est  bien  fait,  sincère,  généreux,  spirituel, 
aimant  les  honneurs.  Il  sera  volé.  11  ne  saura 
garder  le  secret  des  autres  ni  le  sien.  Il  aura 
de  l'orgueil,  sera  décent  dans  son  maintien, 
dans  son  langage  ,  et  fera  du  bien  à  ses 
amis.  Il  sera  compatissant  aux  maux  des 
autres.  Il  aimera  la  propreté  cl  la  toilette. 

La  femme  qui  naît  sous  cette  constellation 
sera  chaste,  honnête,  timide,  prévoyante  et 
spirituelle.  Elle  aimera  à  faire  cl  à  dire  du 
bien.  Elle  rendra  service  toutes  les  fois 
qu'elle  le  pourra  ;  mais  elle  sera  un  peu  iras- 
cible. Cependant  sa  colère  ne  sera  ni  dange- 
reuse ni  de  longue  durée.... 

Ou  peut  espérer  que  le  lecteur  ne  s'arrê- 
tera à  celte  ridicule  prescience,  que  pour  se 
divertir  un  instant. 

HORTILOPITS  (Jeanne),  sorcière  du  pays 
de  Labour,  arrêtée  comme  telle  en  1603,  dès 
l'âge  de  14-  ans,  et  châtiée  pour  avoir  été  au 
sabbat. 

HOTELS  DE  VILLE.  Plusieurs  hôtels  de 
ville,  plusieurs  cathédrales  et  beaucoup  d'au- 
tres monuments  qui  surprennent  (sans  par- 
ler de  divers  poats),  passent  pour  avoir  été 
faits  avec  l'aide  du  diable.  Nous  donnerons 
ici  la  légende  de  l'hôlel  de  ville  de  Bruxelles. 

Regnard  ,  le  poêle  comique  ,  n'était  connu 
dans  le  monde  à  l'âge  de  trente-quatre  ans , 


époque  où  il  vint  à  Bruxelles  ,  que  par  ses 
dissipations  et  ses  folies.  Un  immense  besoin 
d'activité  le  portait  aux  voyages.  Fils  d'un 
riche  marchand  ,  qui  lui  avait  laissé  de  la 
fortune,  il  avait  visité  rilalio,  jouant  parlou' 
gros  jeu  ,  et  préparant  déjà  ,  du  fruil  de  ses 
observations  et  de  ses  sensations  propres,  sa 
comé'lie  du  Joueur.  Revenani  par  mer  en 
France,  avec  une  dame  dont  il  faisait  grande 
estime,  il  fut  pris  par  des  corsaires  algériens 
emmené  à  Conslantinople  ,  où  une  circon- 
stance le  vexa  beaucoup,  c'est  que  la  dame, 
dont  il  faisait  tant  de  cas,  fut  vendue  cinq 
cents  francs  moins  que  lui.  Esclave  avec  elle 
chez  le  même  patron,  il  sut  adoucir  les  ri- 
gueurs de  la  captivité  par  les  talents  qu'il 
possédait  dans  l'art  culinaire.  Enfin  une 
somme  de  douze  mille  francs,  que  lui  en- 
voya sa  famille,  lui  rendit  la  liberté,  ainsi 
(lu'à  la  dame  ,  sa  compagne  ,  qu'il  voulait 
épouser  en  arrivant  en  France,  quand  le  mari 
de  celte  dame,  qu'on  croyait  mort,  reparut 
tout  à  coup,  pour  lui  inspirer  la  comédie  du 
Retour  imprévu. 

Reprenant  alors  ses  voyages,  il  se  dirigea 
vers  les  Pays-Bas ,  et  arriva  à  Bruxelles  , 
le  12  mai  1681. 

Il  visitait  les  monuments  ,  les  édifices  pu- 
blics, les  objets  curieux.  Il  alla  voir  Sainle- 
Gudule  ,  l'église  du  Sablon  ,  Notre-Dame  do 
la  Chapelle,  le  palais  de  l'ancienne  rour,  qui 
fut  brûlé  cinquante  ans  plus  tard  ;  il  s'arrêta 
devant  le  Manneken-Pis;  mais  la  plus  grande 
j)art  de  son  admiration  fut  donnée  à  l'hôtel, 
de  ville  de  Bruxelles  ,  ce  chef-d'œuvre  lom- 
bard-gothique, d'une  architecture  que  riea 
ne  semble  pouvoir  reproduire  aujourd'hui. 

Rpgnard  s'était  présenté  avec  des  lettres 
de  re(  ommandaiion  chez  maître  Simon  de 
Fierlant,  chancelier  de  Brabant,  chez  maître 
Jean  Locquet ,  président  au  grand  conseil, 
et  chez  messire  Mathias  de  Crumpippen  , 
conseiller  du  prince  de  Parme,  gouverneur 
des  Pays-Bas  pour  Charles  11.  Ces  trois  gra- 
ves personnages  faisaient  au  poêle  voyageur 
les  honneurs  de  Bruxelles. 

Pendant  qu'il  considérait  les  quatre-vingts 
lucarnes  du  toit  de  l'hôlel-de-ville,  les  qua- 
rante fenêtres  de  la  façade,  séparées  par  des 
niches  qui  attendent  encore  leurs  hommes 
illustres,  les  deux  lions  du  perron  qui  gar- 
dent l'écusson  du  sénat  et  du  peuple  bruxel- 
lois, les  six  tourelles  hexagones  qui  déco- 
rent l'édifice,  Jean  Locquet  lui  demanda  s'il 
n'était  pas  étonné  de  la  pompeuse  tour  de 
Saint-Michel ,  haute  de  trois  cent  soixante- 
quatre  pieds,  percée  à  jour  dans  toute  son 
clévalion  avec  tant  de  hardiesse  cl  de  grâce, 
surmontée  de  la  statue  dorée  de  saint  Michel, 
irouelte  gigantesque  de  dix-sept  pieds,  jetée 
ans  les  airs,  sur  une  pierre-plate  de  douze 
pieds  de  diamètre  ,  au  désespoir  de  tous  les 
architectes  à  venir? 

—  C'est  admirable ,  dit  Regnard  ;  et  l'hôlel 
de  ville  de  Bruxelles  esl  le  plus  beau  monu- 
ment de  ce  genre  que  j'aie  vu  jamais.  Pour- 
quoi faut-il  que  sa  prodigieuse  tour  soit 
placée  de  travers  ? 


l 


85! 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


85S 


—  Oh  !  c'esl  toute  une  histoire  ,  dit  Simon 
de  Ficrlant. 

—  Cela  lient  à  l'aventure  de  l'architecte  , 
ajouta  Jean  Locquet.  Celle  belle  place  où 
nous  sommes  était  autrefois  un  étang.  Lors- 
qu'on 1380  on  l'eut  desséché  et  comblé  par 
des  remblais  successils,  on  décida  que  cet 
endroit  ,  comme  point  central ,  serait  la 
t'irande-Place.  Elle  était  précédemment  au 
Marché-aux-Herbes.  On  ne  commença  l'hô- 
Icl  de  Ville  qu'en  liO  ).  On  amenait  les  ma- 
tériaux par  une  rue  qui  est  ici  près  ,  cl  qui 
depuis  s'est  toujours  appelée  la  rue  des  Pier- 
res ,  parce  que  durant  quarante  ans  elle  en 
fut  constamment  obstruée.  Un  bâtiment 
comme  celui-ci  en  absorbe  1 

—  Par  monseigneur  de  Parme  !  s'ecria 
Mnthias  de  Crumpippen,  vous  n'arrivez  pas 
à  l'aventure  de  l'archilecte. 

—  N'était-ce  pas  un  Italien,  demanda  Jean 
Locqiiei  ? 

-  L'architecte  de  ceci ,  riposta  vivement 
Simon  de  Fierlant  1  Pour  un  président  au 
grand  conseil,  vous  êtes  merveilleux  1  Ou- 
bliez-vous que  ce  grand  homme  était  Jean 
de  Ruysbrot  ck,  noire  compatriote?  Lorsqu'il 
voulut  placer  sa  tour,  où  l'on  devait,  selon 
le  vœu  du  bon  duc  Henri  I",  élever  l  effigie 
du  saint  archange  qui  est  le  patron  de  notre 
ville,  un  religieux  proposa  de  s'en  rapporter 
au  saint  lui-même.  On  jeta  une  plume  au 
vent  ;  elle  s'arrêta  à  l'endroit  où  vous  ad- 
mirez l'élégant  obélisque. 

—  Je  voudrais  savoir  si  c'est  à  la  chan- 
cellerie que  vous  avez  pris  cela,  interrompit 
Jean  Locquet.  Il  n'en  fut  pas  ainsi  ;  mais 
Jean  de  Ruysbroeck,  étant  allé  consulter  une 
sainte  femme,  qui  vivait  en  recluse  près  de 
Saint-Nicolas  ,  paroisse  de  l'hôtel  de  ville  , 
elle  lui  dit  de  fouiller  ses  fondations  et  de 
poser  sa  tour,  comme  centre  parfait  de  la 
villfr,  à  l'endroit  où  il  trouverait ,  vers  une 
profondeur  de  27  pieds,  deux  petits  lions  de 
pierres  ,  emblèmes  de  Bruxelles  et  du  Bra- 
bant.  Vous  pouvez  les  voir  dans  la  rue  de 
l'Ami,  où  ils  jettent  de  l'eau  sur  des  coquilles. 
On  les  déterra  à  27  pieds  6  pouces  du  sol,  à 
l'endroit  où  vous  contemplez  la  magnifique 
tour. 

—  Mille  pardons  ,  messieurs  ,  dit  alors 
Crumpippen,  en  saisissant  brusquement  la 
parole.  Mais  vous  déOgurcz  complèlement 
les  faits.  Par  Marie-Louisn  dOrléans,  notre 
digne  reine  1  C'est ,  comme  l'a  dit  maître 
Simon  de  Fierlant  ,  toute  une  grande  his- 
toire. Je  puis  heureu>ement  la  conter  à  no- 
ire jeune  ami ,  car  je  descends  par  ma  mère 
dç  Jeun  do  Uuysbrueck. 

—  Je  vous  entendrai  avec  plaisir,  dit  lleg- 
nard,  tout  enfoncé  dans  la  contemplation  du 
chef-d'œuvre  qu'il  avait  devant  les  yeux. 

—  Or  donc,  reprit  Malhias.vous  saurez 
que  Jean  de  Ruysbroeck,  jeune  architecte 
qui  avait  visité  le  monde,  fut  chargé  en  liOO 
défaire  le  plan  de  l'hôtel  de  ville  de  Bruxel- 
les et  d'en  diriger  les  travaux.  Ayez  mainte- 
nant l'extrême  bonté  de  diviser  l'édifice  en 
deux  parties;  la  première  comprend  la  fa- 
<;adc  qui  est  devant  uous  ,  depuis  la  tourelle 


où  vous  voyez  une  vieille  horloge  placée  là 
en  \'M,  jusqu'à  la  grande  tour  de  Saint-Mi- 
chel inclusivement.  Si  vous  en  ôliez  celte 
tour,  l'escalier  des  lions  ferait  tout  juste  Je 
milieu  de  celle  façade ,  qui  a.  comme  vous 
voyez,  onze  cintres  au  rez-de-chaussée  et  dix 
fenêtres  en  ligne  au  premier  étage.  L'autre 
partie  qui  est  a  droite,  ayant  six  arcadesseu-» 
îement  surmontées  de  huit  fenêtres,  n'est 
plus  de  lui.  Jean  de  Ruysbroeck  commençait 
à  la  rue  de  l'Etoile  et  s'arrêtait  à  sa  bonne 
tour. 

Néanmoins  ,  comme  il  voulait  élever  son 
monument  et  le  rendre  durable,  il  s'aperçut 
bientôt  que  la  ville  ne  lui  donnait  pas  assez 
de  fonds,  et  reconnut  qu'il  ne  viendrait  jamais 
à  bout  de  son  œuvre.  Il  ne  se  découragea 
pourtant  point  :  il  avait  coutume  de  dire  (ce 
qui  est  un  propos  blâmable)  qu'il  se  donne- 
rail  au  diable  ,  plutôt  que  de  laisser  l'édifice 
inachevé. 

Un  jour  qu'il  manquait  tout  à  fait  d'argent, 
el  ()u'il  ne  savait  plus  que  devenir,  il  vil  en- 
trer dans  sa  maison  un  frère  Sachet,  qui  des- 
cendait la  rue  de  la  Madelaine... 

—  Qu'est-ce  qu'un  frère  Sachet ,  demaiid  i 
le  poëte? 

—  C'étaient ,  dit  le  président  Locquet ,  do 
bons  petits  religieux  auxquels  on  avait  donné 
la  maison  des  Templiers,  après  leur  suppres- 
sion, maison  située  rue  de  la  Madeleine,  au- 
près de  la  chapelle,  et  qui  s'appelaient  Sa- 
chets, parce  que  leur  habit  avait  la  forme 
d'un  sac. 

— Mais  celui-là,  reprit  vivement  Crumpip- 
pen, était  un  faux  frère  sachet  ;  il  est  même 
constant  que  ce  n'était  pas  autre  chose  qu'un 
démon  véritable,  mon  cher  monsieur.  11  dit 
à  Jean  :  —  Vous  avez  faute  d'argent,  et  moi 
j'ai  besoin  d'un  serviteur  dévoué.  Si  vous 
>  oulez  être  à  moi ,  signez  ce  contrat  sur  par- 
chemin rouge,  et  voici  de  l'or. 

Le  prétendu  frère  portait  sous  sa  vaste  robe 
une  valise  plus  grosse  que  lui,  une  valise 
que  dix  hommes  n'eussent  pas  soulevée.  Jean 
vil  tout  de  suite  à  qui  il  avait  affaire  ;  il  leva 
la  main  pour  se  munir  d'un  signe  de  croix  , 
car  il  était  encore  bon  chrétien,  et  n'avait 
tenu  le  propos  malavisé  que  j'ai  dit,  que  dans 
un  de  ces  moments  de  légèreté  malheureuse- 
ment fréquents  chez  les  artistes.  Mais  il  ne 
fait  pas  bon  jouer  avec  le  diable;  on  y  est 
souvent  pris.  Le  malin  qui  était  là  ,  avec  sa 
lourde  sacoche  ,  arrêta  la  main  qui  l'allait 
éconduire,  et  demandant  à  l'architecte  s'il 
était  fou,  il  le  railla  si  ingénieusement  et  lou- 
cha si  bien  dans  son  cœur  les  cordes  de  l'a- 
mour-propre  et  de  la  vanité,  que  le  pauvre 
Jean  succomba  à  la  tentation  et  tomba  dans 
le  piège. 

—  Le  marché  va  ,  dit-il  brusquement ,  si 
vous  me  donnez  le  moyen  de  faire  l'autre  aile 
ctde  compléter  mon  édiflce,  de  manière  que 
la  tour  suit  au  milieu. 

—Non  pas,  répliqua  le  Sachet;  puisque  lu 
me  reconnais,  tu  dois  savoir  que  nous  ne 
pouvons  rien  faire  de  régulier.  Mais  tu  élè- 
veras Il  tour  bien  haut  dans  les  airs,  et  toa 
nom  vivra. 


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HOU 


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Los  yeux  du  faux  moine  brillaient  sur  son 
visage  pâle,  comme  deux  charbons  ardents 
sur  un  monceau  de  cendns. 

Jean  de  Ruysbroeck  signa  le  pacte  ;  el  tout 
alla  si  bien  qu'en  1V20,  pendant  qu'on  n'a- 
vait plus  à  élever  que  la  tour,  à  laquelle  il 
voulait  donner  cinq  cents  pieds,  il  Ct  faire 
les  fondations  de  la  seconde  partie  de  l'hôlcl 
de  ville  ,  malgré  les  formelles  défenses  du 
Sachet.  Mais  il  ne  trouva  qu'un  sol  maréca- 
geux el  (les  fondrières  qui  se  remplissaient 
d'eau  toutes  les  nuits.  Il  fit  pourtant  com- 
mencer la  base,  qu'on  assit  sur  des  sablières 
enveloppées  de  cuirs  de  bœufs,  mais  qu'on  ne 
put  pousser  plus  loin  que  ce  que  vous  voyez  : 
car  un  gouffre  se  trouvait  au  bout,  à  l'en- 
droit où  vous  avez  maintenant  une  rue. 

Le  démon,  craignant  qu'il  ne  parvînt  à  le 
combler,  quoique  le  terme  du  pacte  ne  fût 
pas  échu,  s'empara  de  Jean  de  Ruysbroeck, 
etleremplitd'undésespoir  de  vanitési  violent, 
que  le  pauvre  architecte  se  pendit  à  sa  porte. 
Sa  maison  était  là  ,  dans  la  rue  de  l'Etoile  , 
qui  devrait  s'appeler  rue  de  l'Eiole.  Mais  on 
dénature  tout,  ainsi  que  vous  allez  en  juger. 
Cn  bon  frère  Bogard  vint  à  passer;  il  était 
religieux  du  tiers  ordre  de  Saint -Fran- 
çois et  venait  dire  la  sainte  messe  aux  ou- 
vriers. Il  aperçut  l'architecte,  le  détacha,  lui 
mil  son  étole' autour  du  cou  cl  l'exorcisa  , 
voyant  bien  que  le  diable  l'avait  envahi.  Jean 
revint  à  la  vie  el  se  mil  à  hurler,  mais  le  di- 
gne moine  ne  se  rebuta  point  ;  d'autres  saints 
religieux  étaient  accourus.  Le  diable,  »olido- 
nienl  assiégé,  délogea  eiifin  et  s'alla  préci- 
uiter  dans  le  gouffre  dont  nous  parlions. 
L'architecle  délivré  tomba  à  genoux  plein  de 
repentance  ;  il  alla  finir  ses  jours  au  couvent 
des  Bogards;  et  son  fils  continua  ses  travaux. 

On  fouilla  le  gouffre  où  le  démon  s'était 
jeté  ;  on  en  retira  une  immense  léte  dorée  , 
qu'on  apporta  sur  la  place,  et  qui  fit  faire 
bien  des  contes  ;  d'autant  plus  que  le  lende- 
main elle  avait  perdu  sa  doiure  et  n'était 
plus  qu'un  bronze  Irès-compacî.  On  cn  fit  la 
grande  effigie  du  diable,  qui  est  là  haut,  aux 
pieds  de  larchange. 

Le  nouvel  architecte,  pour  laisser  à  son 
père  toute  sa  gloire,  ne  poussa  pas  les  tra- 
vaux plus  loin  sur  l'aile  droite,  qu'il  acheva 
ainsi  irrégulière  et  difl'ércnte  dans  plusieurs 
détails  de  la  première  construction,  il  perça 
sur  le  gouffre  qu'on  parvint  ^  remplir,  une 
rue  qui  s'appelle  encore  rue  de  la  Téle-dOr. 
Jean  de  Uiiysbroeik  étnil  mort  en  liiO; 
l'hôtel  de  ville  fut  achevé ,  tel  que  vous  le 
voyez,  avec  sa  tour,  en  14V2  ;  en  14i5 ,  le 
jour  de  l'Ascension,  on  plaça  au  sommet  de 
la  flèche  la  statue  dorée  de  saint  Michel  ter- 
rassant lediable,  en  bronze  vert  antique,  sur 
une  base  de  pierre,  de  trente-six  pieds  de 
circonférence,  taillée  à  l'endroit  qu'on  nom- 
me rue  de  la  Pierre-Plate.  En  liiS  on  érigea 
danslbôtel  une  chapelle, où  l'on  dilencorela 
messe  tous  les  jours,  pour  le  repos  de  l'âme 
de  Jean  de  Ruysbroeck.  Et  voilà  l'histoire. 

Begnard,  qui  fut  lui-môme  le  type  de  son 
Joueur,  se  peignit  sans  doute  aussi  dans  le 
Distrait  :  car  il  entendit  ce  récit  lellcmcnt  de 


travers  ,  que  dans  la  relation  de  son  Voyage 
en  Flandre  ,  il  se  borne  à  dire  que  «  l'hôtel 
de  ville  de  Bruxelles  fut  fait  par  un  Italien, 
qui  se  pendit  de  dépit  d'avoir  manqué  à  met- 
tre la  tour  au  milieu,  comme  son  épitaphe  le 
fait  connaîire...  »  Cette  épitaphe  n'existe  pas. 

HOUILLE.  Le  charbon  de  terre  qui  se 
trouve  dans  le  Hainaut  et  dans  le  pays  do 
Liège,  et  que  l'on  y  brûle  communément, 
porte  le  nom  de  houille,  à  cause  d  un  certain 
maréchal  nommé  Priidhomme-le-Houilleux  , 
qui ,  dit-on,  en  fit  la  première  découverte  au 
onzième  siècle;  el  des  doctes  assurent  (ju'un 
fanlôine,  sous  la  figure  d'un  vieillard  habillé 
de  blanc,  ou  d'un  ange,  lui  montra  la  pre- 
mière mineel  disparut. 

D'autres  contes  populaires  font  intervenir 
un  gnome  ou  un  gobelin  dans  la  découverte 
de  la  houille,  ({ui  eut  lieu  au  douzième  siè- 
cle, selon  les  uns,  au  onzième,  selon  d'autres, 
mais  qui  est  beaucoup  plus  ancienne. 

La  Légende  du  houilleur. 

Il  y  avait  cinquante-cinq  ans  que  le  pieux 
Ansfride,  dernier  comte  de  Huy,  avait  donné 
ses  domaines  à  l'évêque  de  Liège,  lorsque  le 
pauvre  Tiel,  son  petit-fils  el  son  dernier 
descendant,  parvint  à  sa  vingt-deuxième 
année,  vers  la  fin  de  l'été  de  l'année  lO'iO. 
Il  se  fêta  tout  seul  d'un  petit  esturgeon, 
qu'il  avait  péché  dans  ta  Meuse.  Le  bravo 
garçon  ,  se  trouvant  sans  fortune,  habitait 
solitairement,  dans  le  village  de  Plenevaux, 
une  petite  cabane  où  il  ne  possédait  qu'un  arc, 
une  cognée,  une  pioche  et  quelques  instru- 
ments de  pèche.  Il  gagnait  sa  vie  au  métier  de 
maréchal  ferrant,  qu'un  vieux  forgeron  du 
village  avait  eu  la  compassion  de  lui  appren- 
dre. 11  était  si  sage  el  si  doux,  que  tout  lo 
monde  l'aimait  et  qu'on  ne  l'appelait  pas  au- 
trement que  Tiel  le  Prud'homme.  Les  vieil- 
lards l'estimaient  pour  sa  bonne  conduite  : 
toutes  les  jeunes  fillesdu  village, des  hameaux 
voisins  el  de  tout  le  Condros  l'eussent  vo- 
lontiers pris  pour  mari,  malgré  sa  pauvreté 
Mai>Tiel  ne  se  pressait  pas  de  donner  son 
cœur. 

Un  beau  soir  du  il  de  septembre  10'i^2, 
qu'il  revenait  de  faire  ses  dévolions  à  Se- 
raing  ,  devant  la  sainte  châsse  de  l'abhaye 
du  Val-Saint-Lambert,  il  s'égara  parmi  le< 
bois  de  Plenevaux  cl  de  Brion,  La  nuit  éiail 
belle;  il  chercha  longtemps  son  chemin  avec 
patience;  il  éprouva  enfin  une  singulière 
émotion  de  joie,  cn  apercevant  une  lumière 
assez  vive  à  l'endroit  qu'on  nomme  aujour- 
d'hui le  Champ  deBoiur.  11  s'en  approcha  ;  el 
peu  à  peu  il  découvrit  que  cette  lumière,  qui 
s'élevail  par  une  petite  cheminée  comnie 
une  gerbe  de  flamme,  au-dessus  de  la  cime 
des  vieux  chênes,  partait  d'une  cabane 
isolée,  laquelle  paraissait  construite  à  peine 
di'puis  quelques  jours.  Il  n'y  trouva  point 
de  porte  ;  mais  la  vaste  baie  (|ui  servait  de 
fenêtre  el  qui  descendait  fort  bas  n'étant 
fermée  ni  par  vitrail,  ni  par  rideaux,  il  put 
voir  tout  à  son  aise  ce  qui  se  passait  dans 
l'intérieur. 

L'ameublement  n'était  pas  considérable. 


ÇS5  DICTIONNAIRE  DES 

il  consistait  en  deux  tabourets  noirs,  une 
prtile  table  d'ardoise,  et  deux  lils  de  feuil- 
1  igo.  La  lumière,  que  Tiol  avait  aperçue, 
était  produite  par  un  grand  feu,  qui  flambait 
et  pétillait  joyeusement  dans  le  foyer,  niais 
dont  le  jeune  prud'homme  ne  put  reconnaî- 
tre l'aliment,  car  il  n'y  avait  dans  l'âtre,  bois, 
paille,  ni  rameaux.  (Tétait  une  masse  de  feu 
de  nature  iiiCDiinue,  qui  lançait  une  vive 
lumière,  et  jetait  jusqu'au  dehors  une  cha- 
leur suave  et  confortante, 

Les  reflets  de  ce  feu  surn.iturel  (alors  on 
ne  conn.'iissait  pas  l'usage  du  charbon  de 
terre)  éclairaient  assez  pour  laisser  voir  par- 
faitement les  deux  seuls  habitants  de  la  ca- 
bane; c'étaient  un  vieillard  et  sa  fille.  Le 
vieillard  n'avait  pas  quatre  pieds  de  haut; 
ses  jambes  étaient  contournées;  sa  tête  pro- 
fondément enfoncée  dans  ses  solides  épaules; 
ses  yeux  étincelants  ;  sa  figure  exlréme- 
nienl  grave.  Ses  cheveux  épais  devenaient 
gris.  11  était  velu  d'un  hoquelon  rouge  ba- 
riolé de  bandes  noires.  Tiel  le  vit  tout  entier, 
d'un  seul  coup  d'œil  ;  et  cet  aspect  lui 
inspira  un  tel  sentiment  d'embarras  ou  de 
crainte,  (ju'il  n'osait  avancer,  lorsque  ses 
regards  distinguèrent  la  ji-une  fille. 

Klle  paraissait  avoir  dix-huit  ans.  Un  ins- 
tant Tiel  se  crut  en  présence  d'un  ange.  Il 
n'avait  d'abord  remarqué  qu'une  jolie  main, 
blanche  comme  la  neige,  sortant  d'une  robe 
de  soie  noire.  Bientôt  elle  se  tourna  vers  la 
baie,  elTiel  le  Prud'homme  perd,  t  le  repos,  en 
contemplant  une  jeune  tète,  éblouissante  de 
fraîcheur,  une  longue  chevelure  noire  relo- 
vée en  nattes  par  derrière,  une  peau  comme 
l'albâtre,  des  yeux  grands  et  doux,  un  sou- 
rire capable  de  réveiller  le  monde  éteint. 

Oui,  le  cœur  de  Tiel  s'ébranla  avec  vio- 
lence; un  grand  amour  se  saisit  de  lui.  Mais 
la  sorte  de  gène  que  lui  inspirait  le  vieillard, 
le  tumulte  de  ses  idées,  et  peut-être  la  pen- 
sée de  sa  misère,  pensée  qui  rend  si  timide, 
ne  lui  laissèrent  pas  la  force  d'entrer  dans  la 
cabane. 

Le  nain  cl  sa  fille  ne  parlaient  point,  Tiel 
le  Prud'homme  était  depuis  longtemps  con- 
ire  un  arbre  dans  l'extase,  quarnJ  le  vieillard 
!*;t  levant,  prit  par  le  bras  la  jeune  fille,  qui 
ie  dt'passait  de  la  tôle,  et  s'avança  vers  la 
baie  éonune  pour  sortir. 

Tiel,  effrayé,  s'enfonça  rapidement  dans  un 
taillis.  Pour  tout  au  monde,  par  une  de  ces 
inexplicables  faiblesses  de  l'espril  bumain  , 
il  n'eût  voulu  éîre  vu  en  ce  moment. 

Après  avoir  couru  quelques  minutes,  il  se 
retourna,  n'entendant  et  ne  voyant  plus  rien; 
il  écoula  un  moment;  il  hésita  ;  el  ne  distin- 
guant, dans  le  silencç  qui  l'entourait,  que  les 
palpitations  de  son  cœur,  qi^i  lui  semblait 
prêt  il  s'échapper  de  sa  poitrine,  il  se  ha- 
sarda à  revenir  sur  ses  pas  ;  mais  il  s'égara 
de  nouveau,  et  il  eut  beau  marcher  jus- 
qu'au jour,  il  ne  put  retrouver  ni  la  ca^bane, 
ui  sa  lumière,  ni  ses  hôtes. 

H  revint  à  Plenevaux  ,  harassé  de  fatigue 
et  gonflé  d'un  sentiment  qui  devait  désormais 
Je  dominer.  Le  soir  venu,  à  demi  reposé,  il 
rçlourua  dans  ie  bois.  11  y  alla  tous  les  jours 


SCItNCES  OCCl'LTES. 


8ÔC 


suivants.  Jamais  il  ne  put  reroir  la  chau- 
mière, et  personne  ne  sut  lui  en  apprendre 
aucune  nouvelle;  car  lui  seul,  sans  doute, 
l'avait  vue. 

De  vieilles  femmes  et  de  pauvres  bûche- 
rons lui  dirent  pourtant  que  parfois  ,  en  tra- 
versant les  bois  de  Brion,  ils  avaient  entendu 
des  chants  sauvages,  aperçu  des  lueurs,  el 
cru  voir  des  follets  ;  mais  qu'ils  n'avaient  eu 
garde  de  s'en  approcher  ,  parce  que  le  bruit 
courait  que  des  lutins  et  des  démons  faisaient 
leur  sabbat  dans  les  bruyères  de  ces  bois. 

Tiel  ne  se  rebuta  point  el  continua  ses  re-- 
cherches. 

Cependant  les  seigneurs  du  pays  se  fai- 
saient alors  de  ces  guerres  de  destruction,  si 
fréquentes  au  moyen  âge.  En  lft't4,  presque 
tous  les  villages  qui  n'étaient  pas  fortifiés 
furent  détruits,  el  beaucoup  de  forêts  brû- 
lées. La  désolation  était  grande  sur  les  bords 
de  la  Meuse.  Un  hiver  s'avançait,  que  l'on 
présumait  devoir  être  rigoureux  ;  les  bonnes 
gens  se  voyaient  forcées  d'aller  chercher  le 
bois,  alors  seul  moyen  de  chauffage,  jusqu'à 
la  forêt  des  Ardennes.  Tiel  le  Prud'homnie 
ne  méritait  plus  guère  ce  surnom;  car  il  pa- 
raissait vivre  isolé  au  milieu  de  ses  voisins, 
ne  rêvant  qu'à  sa  vision,  et  oubliant  tout  le 
reste.  Néanmoins^  le  17  septembre  lOii,  jour 
de  la  fête  du  saint  prélat  de  Maestrichi,  il  se 
souvint  que  c'était  à  pareil  jour,  en  revenant 
d'honorer  la  châsse  miraculeuse  de  saint 
Lambert,  qu'il  avait  fait  son  heureuse  ren- 
contre. Il  partit  donc  pour  Seraing ,  s'age- 
nouilla humblement  devant  l'autel  de  l'ab- 
baye, el  pria  avec  tendresse  jusqu'à  la  nuit. 
Il  s'en  revint,  comme  la  première  fois,  pre- 
nant son  chemin  à  l'aventure,  dans  la  direc-' 
lion  des  bois  de  Brion  et  de  Plenevaux,  qui 
avaient  été  brûlés.  Ceux  qui  ont  ressenti  les 
angoissesd'un  grand  sentiment  que  d'épaisses 
ténèbres  environnent,  comprendront  seuls 
l'immense  battement  de  cœur  qui  l'assail- 
lit, lorçqu'en  traversant  celle  campagne 
de  cendres,  il  aperçut,  de  l'autre  côté  d'une 
masse  sombre  qui  était  devant  lui,  une 
lueur  vive,  qui  s'allongeait  sur  le  Champ  de 
Boeur.  Cette  masse  était  la  cabane.  Il  la 
tourna  en  prenant  le  large,  dans  un  trem-r 
blemenl  extrême.  Dès  qu'il  fut  en  face  de  la 
baie,  il  revit  le  même  feu  que  la  première 
fois,  le  même  vieillard  un  peu  plus  gris,  la 
même  jeune  fille  un  peu  plus  radieuse.  Il  sç 
mil  à  genoux,  leva  les  mains  au  ciel,  et  ren- 
dit grâces  à  saint  Lambert. 

Après  qu'il  eut  prié,  il  se  leva;  il  s'ache- 
minait, décidé  à  franchir  la  baie  de  la  cabane, 
à  se  jeter  aux  genoux  du  vieillard,  à  obtenir 
la  main  de  sa  fille.  Il  n'étail  plus  qu'à  quel- 
ques pas,  lorsqu'il  entendit  le  nain  commen- 
cer une  chanson,  tout  en  remuant  la  braise 
pétillante  avec  un  crochet  de  fer;  la  jeune 
iille,  dont  la  voix  seule  l'eût  ravi,  accompa- 
gnait les  accents  bizarres  de  son   père;   ils 
chantaient  eu  vieux  langage  wallon,  ces  cou- 
plets, que  nous  avons  cru  devoir  traduire  ; 
LE  CHANT  DES  HOUILLELRS. 
Avec  ardeur  vous  cUercbez  la  fortune, 
DUiïil  U  terre,  aux  iiiaiianls  Uu  l>u&>>p. 


ES7  HOO 

Mai»  chercUei  mieux,  car  son  poids  m'importune  ; 
Clierchei  loiijours,  car  elle  est  dans  mon  sein. 

Pour  vous  je  me  dépouille 

De  mes  feux  les  plus  cUers; 

Tirez,  lirez  la  liouillo  : 

KécbauOuz  l'univers. 
La  terre  seule  est  mère  de  largesse, 
Disait  la  houille,  en  prenant  sou  essor  ; 
Venez  à  moi,  car  je  suis  la  richesse, 
Et  mon  teint  noir  cachn  un  vaste  li  ésor. 

Que  le  pic  se  dérouille, 

Fraijpez,  lancez  vos  fers; 

Tirez,  tirez  la  houille  : 

Ranimez  l'univers. 
Triomphez  donc,  peuples  de  la  vallée, 
Hnuillenrs  constants,  votre  travail  est  bon, 
Dit  la  fortune,  au  grand  jour  étalée, 
En  se  montrant  sur  la  fosse  au  cliarbon 

Hou'lleur,  fouille  et  refouille; 

U,l  répète  ces  vers  : 

Tirons,  lirons  la  houille; 

Eclairons  l'univers. 

Dès  que  les  chanls  eurent  cessé,  et  qiie  la 
cabane  fui  retombée  dans  le  silence,  Tiel  le 
Prud'homme,  qui  n'avait  rien  compris  à  la 
chanson,  s'élança  vers  la  baie.  Mais  il  s'ar- 
rêta encore  au  moment  de  la  franchir  : 

—  Seigneur  et  noble  demoiselle,  dit-il  d'une 
voix  émue,  m'accordercî-vQ'as  de  m'arrétcr 
un  instant  à  voire  foyer? 

La  jeune  fille  sourit  et  rougit,  avec  la  plus 
gracieuse  expression  de  bienveillance.  Klle 
indiqua  du  doigt  au  pauvre  Tiel  un  troisième 
siège  qu'il  n'avait  pas  aperçu,  pendant  que 
le  nain  lui  disait  doucement  : 

—  Soyez  le  bien  venu,  si  vous  nous  aimez. 
Tiel  sentit  son  cœur  se  relever  à  ces  pa- 
roles. 

—  Si  je  vous  aimel  dit-il... 

La  jeune  fille  reposait  sur  lui  un  regard  si 
bon,  qu'il  s'affermit  ;  il  osa  se  lancer  tout 
d'un  coup;  et  se  jetant  à  genoux  entre  le 
nain  et  sa  fille  : 

—  Si  je  vous  aimel  reprit-il.  11  y  a  deux 
ans  que  j'eus  le  bonheur  de  vous  voir,  ici 
même.  Depuis  deux  ans  je  ne  vis  que  de  mon 
souvenir.  Je  suis  venu  ici  pour  y  mourir,  si 
je  ne  puis  obtenir  la  main  de  l'ange,  dont 
sans  doute  vous  êtes  le  père. 

Le  cœur  du  jeune  homme  bondit  ;  car,  en 
finissant  ces  mots,  il  ne  vit  pas  le  front  de  la 
jeune  fille  se  rembrunir.  Le  nain  le  releva 
en  disant  : 

—  Asseyez-vous.  Ce  que  vous  demandez 
est  possible... 

Peut  ôtie  faut-il  ici  nous  arrêter  un  in- 
stant; car  vous  devez  éprouver  de  la  sur- 
prise. En  effet,  les  mœurs  que  nous  essayons 
de  décrire  ne  sont  pas  h.ibituelles.  On  pro- 
cède avec  moins  d'abandon  parmi  les  hom- 
mes. Mais  la  naïveté  du  nain  et  de  sa  fillo, 
leur  empressement  à  accueillir  Tiel,  ont  fait 
soupçonner  aux  savants  que  ce  mystérieux 
personnage  était  de  l'espè  e  aujourd'hui  peu 
connue,  que  les  anciens  appelaient  Gnomes, 
ou  habitants  de  l'intérieur  de  la  terre,  et 
gardiens  de  ses  mines,  pi-tits  êtres  qui  te- 
naient à  grand  honneur  d'être  recherchés 
par  les  hommes. 

Quoi  qu'il  en  soit, Tiel  baisa  avec  transport 
!a  main  du  vieillard  ;  après  quoi  il  saisit  celle 
^e  la  jeune  fille, 


HOU 


S53 


C'est  possible,  reprit  le  vieillard;  car  je 
vois  que  Florine  vous  aimera. 

La  jeune  fille  rougit  de  nouveau ,  comme 
pour  ne  pas  démentir  son  père.  Le  pauvre 
garçon  eut  besoin  de  toutes  ses  forces  pour 
ne  pas  extravaguer  de  joie. 

—  Mais  qui  êlos-vous,  dit  le  nain? 

—Je  suis  le  petit-fils  du  comte  Ansfride. On 
m'appelle  Tiel  le  Prud'homme. 

—  Celait  un  noble  et  digne  seigneur  que 
le  comte  Ansfride.  Mais  ma  fille  aura  de  moi 
une  riche  dot.  El  n'csl-il  pas  vrai ,  Florine, 
que  lorsqu'il  sera  voIrc  époux,  il  faudra  qu'il 
s'appelle  Tiel  le  Houilleur  ? 

Florine  répondit  par  un  signe  de  tête.  Tiel 
ne  s'était  pas  attendu  à  un  tel  accueil.  Mais 
ces  mots  ;  a  Ma  fille  aura  une  riche  dot  »  vin- 
rent le  troubler.  Le  nain  s'en  aperçut. 

—  Ce  nom  de  Tiel  le  Houilleur  vous  déplai- 
rait-il, mon  fils,  dit  le  vieillard? 

Alors,  comme  nous  l'avons  dit,  la  houille 
n'était  pas  connue.  Tiel  ne  comprenait  cas  ce 
nom,  qui  lui  devenait  cher  s'il  plaisait  à  Flo- 
rine. 11  expliqua  donc  la  cause  de  son  em- 
barras, qui  était  sa  pauvreté.  Le  vieillard 
lui  dit: 

—  L'homme  est  fait  de  chair  et  d'os;  totis 
naissent  également  pauvres  ;  et  aueun  n'a 
dans  lui-même  la  mine  d'or.  Mais  la  fortune 
est  là  (il  frappa  la  terre  du  pied),  dans  le  seiu 
de  leur  mère  commune.  Il  faut  la  conquérir. 
Voici  l'immense  trésor  qui  sera  votre  pré- 
sent de  noces,  ajouta-t-il,  en  remuant  av(  c 
son  crochet  un  gros  morceau  de  houille,  que 
Tiel  n'avait  pas  remarqué  dans  un  coin  de 
la  cheminée,  et  dont  il  était  loin  de  soupçon- 
ner les  propriétés  . 

Tiel  ouvrait  de  grands  yeux,  sans  oser  faire 
de  questions.  Le  vieillard  reprit  : 

—  Ceci,  mon  fils,  vous  enrichira,  vous, 
vos  enfants  et  les  enfants  de  \os  enfants,  vos 
parents,  vos  amis  et  vos  concitoyens;  c'est 
une  fortune  inépuisable ,  qui  doublera  un 
jour  la  prospérité  de  ces  contrées  ;  elle  ré- 
pandra ses  bienfaits  sur  le  resta  du  monde. 
Quand  la  civilisation  aura  détruit  les  forêts, 
dans  les  cruels  hivers,  on  demandera  à  la 
terre  la  houille  bienfaisante. 

—  M  is  qu'est-ce  que  ce  trésor?  demanda 
en  tremblant  Tiel  le  Prud  homme. 

—  C'est  le  feu  ei  la  lumière,  dit  le  nain.  En 
même  temps  il  brisa  le  morceau  de  houille 
qui  était  devant  lui  ;  il  en  jeta  une  partie  dans 
la  flamme  qui  devint  plus  pétillante  et  plus 
vive.  Tiel  comprit  que  la  houille  pouvait 
remplacer  le  bois,  et  qu'elle  avait  bien  plus 
de  chaleur. 

Après  cela,  le  nain  mit  l'autre  morceau 
enflammé  dans  un  alambic  ;  il  l'arrosa  d'un 
peu  d'eau,  qui  rendit  son  arileur  plus  aciive; 
il  le  distilla  ;  il  en  tira  une  sorte  de  bilum» 
babylonien,  un  cock  ou  charbon  qui  pouvait 
brûler  longtemps  encore,  et  dans  un  tube  il 
recueillit  un  léger  gaz  auquel  il  mit  le  feu. 
Une  lumière  immense  éclaira  la  cabane.  Tiei 
se  croyait  dans  nii  pays  de  prestiges. 

—  Cette  lumière,  dit  le  nain,  viendra  plus 
lard.  Ne  vous  occupez  maintenant  que  de 
tirer  la  houille  et  de  remplacer  le  bois  ijui 


WCTIONNAIBE  DES  8CKNCES  OCCULTES. 


£60 


manque.  Je  vais    voas  conduire  à  la  mine. 

Le  nain,  portant  à  la  main  le  tube  euflam- 
nié,  se  mil  en  marche.  Tiel,  au  comble  du 
bonheur,  donna  le  bras  à  la  belle  Floriiie,  cl 
le  suivit.  Arrivés  au  bord  de  la  Meuse,  le 
vieillard  siflla;  une  barque  dcscendil,  con- 
duite p;ir  six  hommes  trapus,  hauts  de  qua- 
tre pieds,  qui  ramèrent  eu  siUnce  et  dépo- 
sèriiil  no^  trois  personnages  dans  un  endroit 
que  le  nain  leur  indi(iiiait.  La  lutnière  et  le 
vieillard  marchaient  devant. Tiel  suivait  tou- 
jours avec  Florine.  Quand  le  nain  s'arrêta, 
Tiel  s'aperçut  que  les  six  petits  hommes  du 
bateau,  dont  il  n'avait  point  entendu  les  pas, 
étaient  avec  eux.  La  terre  en  cet  endroit 
était  couverte  de  quelques  grès  tachetés  de 
noir.  Les  six  hommes  de  quatre  pieds  se  mi- 
rent à  piocher  avec  une  vitesse  surhumaine; 
la  terre  s'ouvrait,  et  on  les  y  voyait  descen- 
dre, comme  des  masses  pesantes  qui  s'enfon- 
ceraient dans  la  neige.  Bientôt  ils  découvri- 
rent la  houille. 

—  Voici,  dit  le  nain,  ce  que  je  vous  ai 
promis.  Amenez  ici  demain  des  hommes  ,  et 
devenez  heureux.  Vous  n'aurez  à  redouter 
dans  l'exploitation  de  la  houille  que  deux 
sortes  d'ennemis  formidables.  D'abord  la  Me- 
haigne,  le  Hoyoux,  la  Meuse  et  plusieurs 
autres  fluenis  qui,  sans  doute  irrités  de  tous 
voir  au-dessous  de  leur  lit,  chercheront  à  s'in- 
filtrer dans  vos  galeries,  à  détruire  vos  mines, 
à  étouffer  vos  ouvriers.  Prévoyez  ces  affreux 
désastres. Craignez  ensuite  le  Grisou,  démon 
mauvais,  rapide  comme  l'éclair,  irritable  et 
funeste,  que  l'on  dit  gardien  de  certains  mé- 
Jaux  et  qui,  dès  qu'il  croit  qu'on  en  appro- 
che, vomit  la  flamme  dans  les  gaz,  produit 
d'épouvantables  détonations  ,  ébranle  les 
conduits  souterrains  et  tue  les  mineurs.  Veil- 
lez à  ce  que  la  lumière  qui  éclairera  vos  tra- 
vaux ne  soit  pas  en  contact  avec  le  gaz  in- 
flammatoire. Adieu  ;  que  le  Très-Haut  vous 
protège  1  Et  vous ,  ma  fille  ,  maintenant  que 
vous  avez  un  époux,  embrassez  votre  père  et 
me  faites  vos  adi(  ux. 

La  jolie  fille  du  nain  se  mit  alors  à  pleu- 
rer. Tiel  la  consolait  encore,  lorsqu'il  s'a- 
perçut que  tout  avait  disparu  autour  de  lui. 
Le  nain  et  ses  compagnons  étaient  partis. 

Tiel  emmena  à  sa  chaumière  la  fille  du 
mystérieux  vieillard,  qu'il  ne  revit  plus.  Il 
épousa  Florine  le  lendemain,  à  l'abbaye  du 
Val-Saint-Lambert  ;  et  le  même  jour  il  mit 
des  ouvriers  à  la  fosse.  Il  devint  bientôt  ri- 
che. Il  établit  des  usines  et  de  hauts-four- 
ueaux.  H  laissa  des  enfants  dans  la  splendeur. 

Le  commerce  de  la  houille  devint  si  con- 
sidérable, qu'au  quatorzième  siècle  les  bouil- 
leurs formaient  une  très-grande  partie  de  la 
puissante  armée  liégeoise. 

Il  serait  inutile  d'énumérer  tout  ce  qu'on 
doit  aujourd'hui  à  celte  grande  et  précieuse 
découverte. Tiel  le  Uouilleur  fut  avec  Florine 
le  plus  heureux,  et  avec  sa  dot  le  plus  opu- 
lent des  hommes  de  son  siècle.  Son  bonheur 
le  préserva,  tant  qu'il  vécut,  d  s  inondations 
et  du  feu  grisou.  Fasse  lu  bon  saint  Lambert 

(1)  Lennli'i-Dulrosnoj-,  Diss«itJl  ,  Km  I. 

(2)  In  12,  iVis.  172i. 


que  ces  deux  fléaux  horribles  éparj^nent  tou- 
jours désormais  les  braves  bouilleurs  1 

HOUMANl,  génie  femelle  qui  gouverne  la 
région  des  astres  chez  les  (orientaux.  Voy. 

Scn*DA-ScHIVAOUN. 

HoURIS,  vierges  merveilleuses  du  para- 
dis de  Mahomet  ;  elles  naîtront  des  pépins 
de  toutes  les  oranges  servies  aux  fidèles 
croyants  dans  ce  séjour  fabuleux.  Il  y  eu 
aura  de  blanches,  de  j;iuncs,  de  vertes  et  de 
routes.  Leur  crachat  sera  nécessairement 
parfumé. 

HUBNER  (Etienne),  revenant  de  Bohême. 
Plusieurs  auteurs  ont  dit  qu'il  parut,  (|uelqne 
temps  après  sa  mort,  dans  sa  ville,  et  quii 
embrassa  môme  de  ses  amis  qu'il  rencon- 
tra (1). 

HUET  (Pierre-Daniel),  célèbre  évéque  d'A- 
vranches,  mort  en  1721.  —  On  trouve  ce  qui 
suit  dans  le  Huetiana,  ou  Pensées  diverses 
de  M.  Huet,  évoque  d'Avranches  (2),  tou- 
chant les  bruucolaques  et  les  tympanites  des 
lies  de  l'Archipel. 

«  C'est  une  chose  assez  étrange  que  ce 
qu'on  rapporte  des  broucolaques  des  l'es  de 
l'Archipel.  On  dit  que  ceux  qui,  après  une 
méchante  vie,  sont  morts  dans  le  péché,  pa- 
raissent en  divers  lieux  avec  la  même  figure 
qu'ils  portaient  pendant  leur  vie;  qu'ils  font 
souvent  du  désordre  parmi  les  vivants,  frap- 
pant les  uns,  t(iant  les  autres;  rendant  quel- 
quefois des  services  utiles,  et  donnant  tou- 
jours beaucoup  d'effroi.  Ils  croient  que  ces 
corps  sont  abandonnés  à  la  puissance  du 
démon  qui  les  conserve,  les  anime  et  s'en 
sert  pour  la  vexation  des  hommes.  Le  Père 
Richard,  jésuite  ,  employé  aux  missions  de 
ces  îles,  il  y  a  environ  cinquante  ans,  donna 
au  public  une  relation  de  l'ite  de  Sant-Erini 
ou  de  Sainle-lrène,  qui  était  la  J'hera  des 
anciens,  dont  la  fameuse  Cyrène  fut  une  co- 
lonie. Il  a  fait  un  grand  chapitre  de  l'histoire 
des  broucolaques.  H  dit  que,  lorsque  le  peu- 
ple est  infesté  de  ces  apparitions,  on  va  dé- 
terrer le  corps,  qu'on  trouve  entier  et  sans 
corruption,  qu'on  le  brûle,  ou  qu'on  le  met 
en  pièces,  principalement  le  (3j  cœur  ;  après 
quoi  les  apparitions  cessentel  le  corps  se  cor- 
rompt. Le  mol  de  Broucolaques  vient  du  Grec 
moderne  Bourcos  qui  signifie  delà  bouc,el  de 
Laucos  qui  signifie /bsse,c/oague,parcequ'on 
trouve  ordinairement ,  comme  on  l'assure, 
les  tombeaux  où  l'on  a  mis  ces  corps,  pleins 
de  boue. 

«  Je  n'examine  point  si  les  faits  que  l'un 
rapporte  sont  véritables,  ou  si  c'est  une  er- 
reur populaire;  mais  il  est  certain  qu'ils 
sont  rapportés  par  tant  d'auteurs  habiles  et 
dignes  de  foi,  et  par  tant  de  témoins  oculai- 
res, qu'on  ne  doit  pas  prendre  parti  sans 
beaucoup  d'attention.  Il  est  certain  aussi  que 
cette  opinion,  vraie  ou  fausse,  est  fort  an- 
cienne, et  les  auteurs  en  sont  pleins.  Lors- 
qu'on avait  tué  quelqu'un  frauduleusement 
et  par  surprise ,  les  anciens  habitants 
croyaient  ôler  au  mort  le  moyen  de  s'en  ven- 
ger en  lui  coupant  les  pieds,  les  mains,  le 

(3)  Relation  de  l'Ile  Saotcrini,  j>ar  le  P.  RicSiard,  e.  tS 


sei 


tlUG 


HUL 


nez  et  les  oreilles.  Gela  s'appelait  Acroteria- 
zein.  Ils  pendaient  tout  cela  au  cou  des  dé- 
funts, ou  ils  le  plaçaient  sous  leurs  aisselles, 
d'où  s'est  formé  le  mot  Mascalizein  qui  signi- 
fie la  même  chose.  On  en  lit  un  témoignage 
exprès  dans  k-s  Scholies  grecques  (1)  de  So- 
phocle. C'est  ainsi  que  fut  traité  par  Ménéias 
Déiphobe,  mari  d'Hélène,  et  re  fut  en  cet  état 
Hu'il  fut  vu  d'Enée  dans  les  enfers. 

Atijue  liic  Priamidem  laniaUmi  corpore  loto 
Doij  lioljum  vidil,  laceruui  ciuieliler  ora, 
Ora,  niaiiusqui;  aiiibas,  po|iulaiaque  leinpora  raptis 
Auribus,  et  truncas  iuhoiiesto  vuluere  iiares. 

«  Les  anciens  ont  traité  de  fable  l'histoire 
d'Hermolimc  de  Clazoïnènes,  dont  on  dit  que 
l'âme  sortait  souvent  de  son  corps  pour 
voyager  d;ins  les  régions  éloignées  ,  et  s'in- 
struire de  ce  qui  s'y  passait  et  de  ce  qui  s'y 
préparait  ;  qu'à  son  retour  il  instruisait  ses 
compagnons  de  l'avenir.  Mais  qu'enfin  ses 
ennemis  ayant  obtenu  de  sa  femme  la  liberté 
de  brûler  son  corps,  l'âme,  à  son  retour,  se 
trouvant  privée  de  sa  retraite  ordinaire,  s'é- 
tait retirée  pour  ne  plus  revenir. 

«  Suétone  écrit  qu'après  la  mort  violente 
de  Caligula,  son  corps  n'ayant  été  brûlé  qu'à 
moitié  et  enterré  fort  superficiellement  ,  la 
maison  où  on  l'avait  tué  et  les  jardins  où  il 
était  mis  en  (erre,  furent  inquiétés  de  spec- 
tres toutes  les  nuits,  jusqu'à  ce  que  celte 
maison  fût  brûlée,  et  que  les  sœurs  du  dé- 
funt eussent  rendu  plus  régulièrement  à  son 
corps  les  derniers  devoirs.  Servius  (2)  mar- 
que expressément  que  les  âmes  des  morts 
(dans  l'opinion  des  anciens)  ne  trouvaient  le 
lieu  de  leur  repos  qu'après  que  le  corps 
était  eniicremenl  consumé.  Les  Grecs  au- 
jourd'iiui  sont  encore  persuadés  que  les  corps 
des  excommuniés  ne  se  corrompent  point, 
mais  s'enllent  comme  un  tambour  et  en  ex- 
pritncnt  le  bruit  quand  on  les  frappe  ou 
qu'on  les  roule  sur  le  pavé.  C'est  ce  qui  les 
fait  appeler  toitpi  ou  tympanites.  » 

HUGON,  espèce  de  faniôme  malfaisant,  à 
l'existence  duquel  le  peuple  de  Tours  croit 
très-fermement.  Il  servait  d'cpouvantail  aux 
petits  enfants,  pour  qui  il  était  une  manière 
de  Croquemitaine.  C'est  de  lui,  dit-on,  que 
les  réformés  sont  appelés  huguenots,  à  cause 
du  mal  qu'ils  faisaient  et  de  l'effroi  que  semait 
leur  passage  au  seizième  siècle,  qu'ils  ont 
ensanghinté  et  couvert  de  débris. 

HUGUES ,  bourgeois  d'Epinal.  Voy.  Es- 
prits. 

HUGUES  LE  GRAND,  chef  des  Français, 
père  de  Hugues  Capet.  Gualbert  Radulphe 
rapporte  qu'il  était  guetté  par  le  diable  à 
l'hi  ure  de  la  mort.  Une  grande  troupedhom- 
mes  noirs  se  présentant  à  lui,  le  plus  appa- 
rent lui  dit  :  Me  connais-tu  ? 

—  Non,  répondit  Hugues;  qui  peux-tu  être? 

—  Je  suis,  dit  l'homme  noir,  le  puissant 
des  puissanis,  le  riche  des  riches;  si  lu  veux 
croire  en  moi,  jo  te  ferai  vivre. 

U)  Vide  Eleclr.  v.  UH;  Meursiiim  in  Lycophronem.rag. 
509,  Slauliùuin  iii  -lEsclill.  Cœpli.  v.  437. 

(ï|  In/KiKid.,  liv.  IV,  vers.  -418. 

(3)  Leioyer ,  Histoire  des  spcclres  ou  apparitions  des 
«sprils,  liv.  III,  p.  273. 


862 


Quoique  ce  capitaine  eût  été  assez  dérangé 
dans  sa  vie,  il  fit  le  signe  de  la  croix.  Aussi- 
tôt cette  bande  de  diables  se  dissipa  en  fu- 
mée (3). 

HUILE  BOUILLANTE.  Les  habilanls  de 
Ceyian  et  des  côtes  de  Malabar  emploient 
l'huile  bouillante  comme  épreuve.  Les  pre- 
miers ne  s'en  servent  que  dans  les  affaires 
de  grande  importance,  comme  lorsqu'ils  ont 
des  procès  pour  leurs  terres,  et  qu'il  n'y  a 
point  de  témoins. 

On  se  servait  autrefois  en  Europe  de  l'é- 
preuve par  l'huile  bouillante  pour  les  causes 
obscures.  L'accusé  mettait  le  poing  dans  la 
chaudière;  s'il  le  retirait  sans  brûlure,  il 
était  acquillé. 

HUILE  DE  BADME.  L'huile  de  baume, 
extraite  du  marc  de  l'eau  céleste,  dissipera 
la  surdité,  si  on  en  met. dans  les  oreilles  trois 
goutlesde  tempsen temps, en  bouchant  lesdi- 
tes  oreillesavec  ducoton  imbibé  de  cebaume. 
H  guérit  toute  sorte  de  gale  et  de  teigne  les 
plus  invétérées,  aposlèmes,  plaies, cicatrice», 
ulcères  vieux  et  nouveaux,  de  morsures  ve- 
nimeuses de  serpents,  de  scorpions,  etc..  fis- 
tules, crampes  et  érysipèles,  palpitations  de 
cœur  et  des  autres  membres,  le  tout  par  fo- 
mentation et  emplâtre.  Crollius  en  fait  tant 
d'eslime,  qu'il  le  nomme  parexcellenceAui/e 
mère  de  baume  [k). 

HUILE  DE  TALC.  Le  talc  est  la  pierre  phi- 
losoph;ile  fixée  au  blanc.  Les  anciens  ont 
beaucoup  parlé  de  l'huile  de  talc,  à  laquelle 
ils  attribuaient  tant  de  vertus,  que  presque 
tous  les  alchimistes  ont  mis  ei\  œuvre  tout 
leur  savoir  pour  la  composer.  Ils  onl  calciné, 
purifié.subliméle  talc,  et  n'en  ont  jamais  pu 
exîraire  cette  huile  précieuse. 

Quelques-uns  entendent,  sous  ce  nom,  l'é- 
lixir  des  philosophes  hermétiques. 

HU-JUM-SIN,  célèbre  alchimiste  rhinois 
qui  trouva,  dit-on,  la  pierre  philoso|ih;ile. 
Ayant  tué  un  horrible  dragon  qui  ravageait 
le  pays,  Hu-Jum-Sin  attacha  ce  moi.stre  à 
une  colonne  qui  se  voit  encore  aujourd'hui, 
et  s'éleva  ensuite  dans  le  ciel.  Les  Chinois, 
par  reconnaissance,  lui  érigèrent  un  temple 
dans  l'endroit  même  uù  il  avait  tué  le  dragon. 

HULIN,  petit  marchand  de  bois  d'Orléans; 
étant  ensorcelé  à  mort,  il  envoya  chercher 
un  sorcier  qui  se  vantail  d'mlever  toutes  les 
maladies.  Le  sorcier  répondit  qu'il  ne  pou- 
vait le  guérir,  s'il  ne  donnait  la  maladie  à  son 
fils  qui  était  encore  à  la  mamelle.  Le  père  y 
consentit.  La  nourrice,  ayant  entendu  cela, 
s'enfuit  avec  l'enfanl  pendant  que  le  sorcier 
touchait  le  père  pour  lui  ôter  le  mal.  Quand 
il  eut  fait,  il  demanda  où  était  l'enfant.  Ne 
le  trouvant  pas,  il  commença  à  s'écrier  :  — 
Je  suis  mort,  où  est  l'enfant?  —  Puis  il  s'en 
alla  très-piteux  :  mais  il  n'eut  pas  plutôt  mis 
les  pieds  hors  la  porte,  que  le  diable  le  tua 
soudain.  11  devint  aussi  noir  que  si  on  l'eût 
noirci  de  propos  délibéré;  car  la  maladie 
était  restée  sur  lui  (5). 

(1)  Le  Pclil  Albert,  p.  112. 

(S)  Budiii ,  Uéiiiuiiuiiiaïur- ,  p.  330.  C'est  le  trait  d4 
berger  da  Brio.  Vo>ei  les  vers  cilés  il  la  tiu  de  l'arUlltf 
HocQue. 


8«S 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


8(5} 


HUMMA.dicu  souverain  dos  Cafrrs,  qui  fait 
loinbcrlapluie,sourner  ii's  vonls,et(|uidoiine 
lu  froid  el  le  chuud.  Ils  ne  croienl  pas  qu'on 
soit  obligé   de  lui   remlre   hommage,  parce 
que,  disent-ils,  il  les  brûle  d(M:h'ik-uret  de  sé- 
flicrcsse  sans  garder  la  moindre  proportion. 
HUNKK1(>.  Avant  la  persécution  d'Huné- 
ric,  Gis  de   Genscric,  roi   des    Vandales,  qui 
fut  si  violcnlf  contre  les   catholiques  d'Afri- 
que, plusieurs  signes  annoncèrent,  dit-on, 
cel  orage.  On  aperçut  sur  le  mont  Ziqiien  un 
homme  de  haule  stature,  qui  criait  à  droite 
el  à  gauche  :  «  Sorli-z,  sortez.  »  On  vil  aussi 
à  Carlh.ige,  dans  l'église  de  Suint-Fausle,  une 
grande  troupe  d'iilhiopiens  qui  chassaient  les 
sain!s  comme  le  berger  chasse  ses  brebis.  Il 
n'y  eut  guère  de  prrséculion  d'hérétiques  con- 
tre les  catholiques  plus  foric  que  celle-là  (1). 
HUNS.  Les  antiens  historiens   donnent  à 
les  peuples    l'origine  la  plus   monstrueuse. 
Jornandès  raconte  (2)  que  IMiilimor,  roi  des 
(iolhs,  entrant  dans  les  lerres  gétiques,  n'y 
tmuva   que  des  soriières   d'une  laideur  al- 
freuse;  qu'il  les  repoussa  |i)in  de  son  armée; 
qu'elles  errèrent  seules  dans  les  déserts,  où 
des  démons  s'unirent  avec  elles.  C'est  de  ce 
commerce  infernal  qu^  naquirent  les  Huns, 
si  souvent  appelés  tes  enfaiitn  du  diable.  Ils 
étaient  d'une  difformité  horrible.  Les  histo- 
riens disent  qu'à  leurs  yeux  louches  et  sau- 
vages, à  leur  figure  torse,  à  leur  barbe  de 
bouc,  on  ne  pouvait   s'empêcher  de  les  re- 
connaître pour  enfants  de  démons.  Besoldus 
prétend,  après  Servin,  que  le  no^u  de  Huns 
vient  d'un  mol  tudesque.ou  celtique,  ou  bar- 
bare, qui  signifie  puissants  par  la  inajie, 
grands  magiciens.  Ue  11  jiinaire  dit,  dans  son 
//  ivoire  rfeFmnce,  que  les  Huns,  venant  faire 
1.1  guerre  à  Chereberl,ou  Gariherl,  furent  at- 
taqués près  de  la  rivière  dlilbe  parSigebert, 
roi  de  Melz,  et  que  les  Francs  furent  obliges 
de   combattre  contre  les  Huns  et  contre  les 
spectres  dont  ces  barbaris  avaient  rempli 
l'air,  par  un  effet  de  la  magie;  ce  qui  rendit 
leur  victoire  plus  distinguée.  Voy.  Ogres. 

HUPPE,  oiseau  commun,  nommé  par  les 
Chaltlcens  B()ri,el  par  les  (Irecs  Isan.  Celui 
qui  le  regarde  devient  gros;  si  on  porte  les 
yeux  lie  la  h  ppe  sur  i'eslomac,  on  se  récon- 
ciliera avec  lous  ses  eiuicaiis.  Enûii,  c'est  de 
peur  d'être  trompé  par  quelque  marchand, 
qu'un  homme  de  p.écaution  a  sa  tête  dans 
une  bourse  (3; 

HUTGIN,  démon  qui  trouve  du  plaisir  à 
obliger  les  hommes,  se  plaisant  eu  leur  so- 
ciété, répondant  à  leurs  questions,  et  leur 
rendant  service  quand  il  le  peut,  selon  les 
traditions  de  la  Saxe.  Voici  une  des  nom- 
breuses complaisances  qu'on  lui  attribue  : 
—  Un  Saxon  partant  pour  un  voyage,  et  se 
trouvant  fort  inquiet  sur  la  conduite  de  sa 
femme,  dit  à  Hutgin  :  —  Compagnon,  je  le 
recommande  ma  femme  ;  aie  soin  de  la  gar- 
der jusqu'à  mon  retour. 
La  femme,  aussitôt  que  son  mari  fut  parti, 

(I)  Ltloyer,  Hist.  des  speclres,  p.  272 
li)  De  rébus  Kotliicis. 
(S)  Secrets  il'Alhert  le  Gniml,  p.  111. 
(i)  Wierus,  De  l'ijcsluiis  (Ju.iu  ,  eic. 


voulut  se  donner  des  licences  ;  mais  le  démon 
l'en  (tmpccha.  Enfin  le  mari  revint  ;  Hutgin 
courut  au-devant  de  lui  et  lui  dit  : 

— Tu  fais  bien  de  revenir,  car  je  commence 
à  me  lasser  de  la  commission  que  tu  m'as 
donné(>.  Je  l'ai  remplie  avec  toutes  les  peines 
du  uionde;  et  je  le  prie  de  ne  plus  t'absen- 
ter,  parce  que  j'aimerais  mieux  garder  lous 
les  pourceaux  de  la  Saxe  que  la  femme  (4J. 

On  voit  que  ce  démon  ne  ressemble  guère 
aux  .'lulres. 

HVEllGELMEll,  fontaine  infernale.  Voy. 

NirLUEIM. 

HYACINTHE,  pierre  précieuse  que  l'on 
peiidiii  au  cou  pour  se  défendre  de  la  peste. 
Ue  plus,  elle  fortiûail  le  cœur, garantissait  de 
la  foudre,  et  augmentait  les  richesses  et  les 
honneurs. 

HYDKAOTH  ,  magicien  célébré  par  le 
Tasse;  il  était  père  du  soudan  de  Damas,  et 
oncle  d'Armide,  ({u'il  instruisit  dans  les  arts 
magiciues  (o). 

HYUKO.MANCIE  ou  HYDROSCOPIE,  art 
de  prédire  l'avenir  par  le  moyen  de  l'eau; 
on  en  attribue  l'invention  aux  Perses.  Les 
doctes  en  distinguent  plusieurs  espèces  : 

1°  Lorsqu'à  la  suite  des  invocations  el  au- 
tres cérémonies  magiques  ,  on  voyait  écrits 
sur  l'eau  les  noms  des  personnes  ou  des  cho- 
ses qu'on  désirait  connaître;  et  ces  noms 
se  trouvaient  écrits  à  rebours; 

2°  Oa  se  servait  d'un  vase  plein  d'eau  et 
d'un  anneau  suspendu  à  un  fil,  avec  lequel 
on  frappait  un  certain  nombre  de  fois  les 
côtés  du  vase; 

3°  On  jetait  successivement  el  à  de  courts 
intervalles,  trois  petites  pierres  dans  une  eau 
tranquille  el  donnante  ;  el  des  cercles  qu'en 
formait  la  surface,  ainsi  que  de  leur  intersec- 
tion, on  lirait  des  présages; 

^°  On  examinait  attentivement  les  divers 
mouvemenls  el  l'agilalion  des  Ilots  de  la  mer. 
Les  Siciliens  et  les  Eubéiiis  étaient  fort 
adonnés  à  ci  Ite  superstition; 

5°  On  lirait  des  présages  de  la  couleur  de 
l'eau  eldes  figures  qu'on  croyait  y  voir.  C'est 
ainsi,  selon  Varron,  qu'on  apprit  à  Rome 
quelle  sérail  l'issue  de  la  guerre  contre  Mi- 
thridale.  Certaines  rivières  ou  fontaines  pas- 
saient chez  les  anciens  pour  être  plus  pro- 
pres que  d'autres  à  ces  opérations  ; 

6°  C'était  encore  par  une  espèce  d'hydro- 
niaiicle  que  les  anciens  Germains  éclaircis- 
saient  leurs  soupçons  sur  la  fidélité  des  fem- 
mes :  ils  jetaient  dans  le  Rhin,  sur  un  bou- 
clier, les  enfants  dont  elles  venaient  d'ac- 
coucher; s'ils  surnageaieni,  ils  les  tenaient 
pour  légitimes,  el  pour  bâtards  s'ils  allaient 
au  fond  (6); 

7°  On  remplissait  d'eau  une  coupe  ou  une 
tasse,  et,  après  avoir  prononcé  dessus  cer- 
taines paroles,  on  examinait  si  l'eau  bouil- 
lonnait et  se  répandait  par-dessus  les  bords; 
8°  On  mettait  de  l'eau  dans  un  bassin  de 
verre  ou  de  cristal  ;  puisun  y  jetait  une  goutte 

(5)  Dehncre, Tableau  de  Pinconslauce  desdéiiioi.s,elc., 
liv.  1,  p.  37. 

(6)  Voyez ,  d.uis  les  l<''sfndfts  de  l'iiisloire  de  Fraucç, 
une  fumiUe  gauloiic  avant  César. 


8f5 


ICII 


rno 


Ki 


d'huile,  et  l'on  s'imaginait  voir  Jans  cette 
eau,  comme  dans  un  miroir,  ce  dont  on  dé- 
sirait d  être  instruit; 

9*  Les  femmes  des  Germains  pratiquaient 
une-  neuvième  sorte  d'Iiydromancie,  en  exa- 
minnnt.pour  y  deviner  l'avenir,  les  tours  et 
détours,  et  le  bruit  que  faisaient  les  eaux  des 
fleuves  dans  les  gouffres  ou  tourbillons  qu'ils 
formaient  ; 

10"  EiiGn.on  peut  rapporter  à  l'hydroman- 
cie  une  snperstition  qui  a  longtemps  été  en 
usage  en  Italie.  Lorsqu'on  soupçonnait  des 
personnes  d'un  vol,  on  écrivait  leurs  noms 
surautantde  petits  cailloux  qu'on  jetait  dans 
l'eau.  Le  nom  du  voleur  ne  s'eftuçaiX  pas.  ''oy. 
OoMANCIE,  Cagliostro,  etc. 

HYENE.  Les  Egyptiens  croyaient  que  la 
liyènc  changeait  de  sexe  chaque  année. 

On  donnait  le  nom  de  pierres  de  la  hyène  à 
des  pierres  qui  ,  au  rapport  de  Pline,  se 
(rouventdans  le  corps  de  la  hyène,  lesquelles, 
placées  sous  la  langue,  attribuaient  à  celui 
ijui  les  portait  le  don  de  prédire  l'avenir. 


HYMERA.  —  Une  femme  de  Syracuse, 
nommée  Hyméra.  eut  un  songe,  pendant  le- 
quel elle  crut  monter  au  ciel ,  conduite  par 
un  jeune  hommequ'elle  ne  connaissait  point. 
Après  qu'elle  eut  vu  tous  les  dieux  et  ad- 
miré les  beautés  de  leur  séjour,  vile  aperçut, 
atlacliéavec  dos  chaînes  de  fer,  sous  le  trône 
de  Jupiter,  un  homme  robuste,  d'un  teint 
roux,  le  visa;;e  tacheté  de  lentilles.  Elle  de- 
manda à  son  guide  quel  était  cet  homme 
ainsi  enchaîné?  Il  lui  fut  répondu  que  c'é- 
tait le  mauvais  destin  de  l'Italie  et  de  la  Sicile, 
et  que.  lorsqu'il  serait  délivré  de  ses  fers,  il 
causerait  de  grands  maux.  Hyméra  s'éveilla 
là-dessus,  et  le  lendemain  elle  divulgua  son 
rêve. 

Quelque  temps  après,  quand  Denys  le  Ty- 
ran se  fut  emparé  du  trône  de  la  Sicile,  Hy- 
méra le  vit  entrera  Syracuse,  et  s'écria  que 
c'était  l'homme  qu'elle  avait  remarqué  si 
bien  enchaîné  dans  le  ciel.  Le  tyran  ayant 
appris  cette  singulière  circonstance,  fit  mou- 
rir la  songeuse  (1). 

HYPHIALTES.  —  Voyez  Ephultes. 


I 


lALYSIENS,  peuple  dont  parle  Ovide,  et 
dont  les  regards  avaient  la  vertu  magique  de 
gâter  tout  cequ'ils  fixaient.  Jupiter  les  chan- 
gea en  rochers  et  les  exposa  aux  fureurs 
des  ilois. 

lA.MEN,  dieu  de  la  mort  chez  les  Indien». 

IBIS,  oiseau  d'Egypte,  qui  ressemble  à  'a 
cigogne.  Quand  il  met  sa  tête  et  son  cou 
sous  ses  ailes ,  dit  Elien ,  sa  figure  est  à  peu 
près  celle  du  cœur  humain. 

Oii  dit  que  cet  oiseau  a  introduit  l'usage 
des  lavements,  honneur  qui  est  réclamé  aussi 
par  les  cigognes.  Les  Egyptiens  autrefois 
lui  rendaient  les  honneurs  divins  ,  et  il  y 
avait  peine  de  mort  pour  ceux  qui  tuaient 
un  ibis,  même  par  mégarde.  De  nos  jours, 
les  Egyptiens  regardent  encore  comme  sa- 
crilège celui  qui  tue  l'ibis  blanc,  dont  la  pré- 
sence bénit,  disent-ils,  les  travaux  champê- 
tres ,  et  qu'ils  révèrent  comme  un  symbole 
d'innocence. 

I6LIS  ,  le  même  qu'Eblis.  Voyez  ce  mot. 
Voyez  aussi  Alexandre  le  Grand. 

ICHNEUMON.ratdu  Nil,  auquel  les  Egyp- 
tiens rendaient  un  culte  particulier;  il  avait 
ses  prêtres  et  ses  au  tels.  Buffon  dit  qu'il  vit  dans 
l'état  de  domesticité,  et  qu'il  sert  comme  les 
chats  à  prendre  les  souris.  11  est  plus  fort 
tjue  le  chat,  s'accommode  de  tout,  chasse  aux 
ciseaux  ,  aux  quadrupèdes,  aux  serpents  et 
iiux  lézards. 

Pline  conte  qu'il  fait  la  guerre  au  croco- 
dile, qu'il  l'épie  pendant  son  sommeil,  et  que, 
si  ce  vaste  reptile  était  assez  imprudent  pour 
dormir  la  gueule  ouverte,  l'ichneumon  s'in- 
troduirait dans  son  estomac  et  lui  rongerait 
les  entrailles.  M.    Denon    assure  que  c'est 


t)  Valère-Maxime. 

i)  M.  Salgues,  Dus  Erreurs,  etc.,  t.  III,  (i.  561. 


une  fable.  Ces  deux  animaux  n'ont  jamais 
rien  à  démêler  ensemble,  ajoute-il  ,  puis- 
qu'ils n'habitent  pas  les  mêmes  parages.  On 
ne  voit  pasdecrocodilesdansla  basse  Egypte  ; 
on  ne  voit  pas  non  plus  d'ichneumons  dan» 
la  haute  (2). 

ICHTHYOMANCIE,  divination  très-an- 
cienne qui  se  pratique  par  l'inspection  d(  s 
entrailles  des  poissons.  Polydamas,  pendant 
la  guerre  de  Troie,  et  Tirésias  s'en  sont 
servis. 

On  dit  que  les  poissons  de  la  fontaine  d'A- 
pollon à  Miré,  étaient  prophètes  ,  et  Apulée 
fut  aussi  accusé  de  s'en  être  servi  (3). 

IDA.  On  voit  dans  la  légende  de  la  bien- 
heureuse Ida  de  Louvain  quelques  pâles  ap- 
paritions du  diable  ,  qui  cherche  à  la  trou- 
bler et  qui  n'y  parvient  pas.  {Bollandistes  , 
13  avril.) 

IDIOT.  En  Ecosse  ,  les  gens  du  peuple  ne 
voient  pas  comme  un  malheurun  enfant  idiot 
dans  une  famille.  Ils  voient  là,  au  contraire, 
un  signe  de  bénédiction.  Celte  opinion  est 
partagée  par  plusieurs  peuples  de  l'Orient. 
Nous  nous  bornons  à  la  mentionner  sans  la 
juger. 

IDOLES. L'idole  est  une  image,  une  figure, 
une  représentation  d'un  être  imaginaire  oa 
réel.  Le  culte  d'adoration  rendu  à  quelque 
idole  s'appelle  idolâtrie. 

Si  les  idoles  ont  fait  chez  les  pa'ïens  des 
choses  qu'on  pouvait  appeler  prodiges  ,  ces 
prodiges  n'ont  eu  lieu  que  par  le  pouvoir  des 
démons  ou  par  le  charlatanisme. 

Saint  Grégoire  le  thaumaturge,  fe  rendant 
à  Néocésarée,  fut  surpris  par  la  nuit  et  par 
une  pluie  violente  qui  l'obligea  d'entrer  dans 

(3)  Delancre,  Incrédulité  et  mécréanco,  etc.,  p.  267. 


B67 


un  temple  d'idoles  ,  fameux  dans  le  pays  à 
cause  des  oracles  qui  s'y  rendaient.  11  invo- 
qua le  nom  de  Jésus-Christ,  fit  le  signe  de  la 
croix  pour  purifier  le  temple,  el  passa  une 
partie  de  la  nuit  à  chanter  les  louanges  de 
Uien,  suivant  son  habitude.  Après  qu'il  fut 
parti,  le  prêtre  des  idoles  vint  au  temple,  se 
disposant  à  faire  les  cérémonies  de  son  culte. 
Les  démons,  dit-on,  lui  apparurent  aussiiôt, 
cl  lui  diront  qu'ils  ne  pouvaient  plus  habi- 
ter ce  lieu,  depuis  qu'un  saint  évdque  y  avait 
séjourné.  11  promit  bien  des  sacrifices  pour 
les  engager  à  tenir  ferme  sur  leurs  autels; 
mais  la  puissance  de  Satan  s'était  éclipsée 
•levant  Grégoire.  Le  prêtre,  furieux,  pour- 
suivit lévéque  de  Néocésarée,  et  le  menaça 
de  le  faire  punir  juridiquement  s'il  ne  répa- 
rait le  mal  qu'il  venait  de  c.iuser.  Grégoire, 
qui  l'écoolait  sans  s'émouvoir,  lui  répondit  ; 
—  Avec  l'aide  de  Dieu,  qui  chasse  les  dé- 
mons ,  ils  pourront  revenir  s'il  le  permet. 

Il  prit  alors  un  papier  sur  lequel  il  écri- 
vit :  —  Grégoire  à  Satan.  Rentre. 

Le  sacrificateur  étonné  porta  ce  billet  dans 
son  temple  ,  fit  ses  sacrifices,  et  les  démons 
y  revinrent.  Kéfiéchissant  alors  à  la  puis- 
sance de  Grégoire  ,  il  retourna  vers  lui  à  la 
hâte,  se  fit  instruire  dans  la  religion  chré- 
tienne, et  convaincu  par  un  nouveau  mira- 
cle du  saint  thaumaturge,  il  devint  son  dis- 
ciple. 

Porphyre  avoue  que  les  démons  s'enfer- 
maient dans  les  idoles  pour  recevoir  le  culte 
des  gentils.  «  Parmi  les  idoles,  dit-il ,  il  y  a 
dos  es[)ri!s  impurs,  trompeurs  el  malfaisants, 
qui  veulent  passer  pour  des  dieux  et  se  faire 
adorer  par  les  hommes;  il  faut  les  apaiser, 
de  peur  qu'ils  ne  nous  nuisent.  Les  uns,  gais 
et  enjoués,  se  laissent  gagner  par  des  spec- 
tacles et  des  jeux  ;  l'humeur  sombre  des  au- 
tres veut  l'odeur  de  la  graisse  ei  se  repait 
des  sacrifices  sanglants.  » 

IFURIN,  enfer  des  Gaulois.  C'était  une  ré- 
gion sombre  el  terrible,  inaccessible  aux 
rayons  du  soleil  ,  infectée  d'insectes  veni- 
meux ,  de  reptiles,  de  lions  rugissants  il  de 
loups  carnassiers. 

Les  grands  criminels  élaicnt  enchaînés 
dans  des  cavernes  encore  plus  horribles, 
plongés  dans  un  étang  plein  de  couleuvres 
et  brûlés  par  les  poisons  qui  distlllaienl  sans 
cesse  de  la  voiite.  Les  gens  inutiles  ,  ceux 
qui  n'avaient  fait  ni  bien  ni  mal  ,  résidaient 
au  milieu  des  vapeurs  épaisses  et  pénélran- 
les,  élevées  au-dessus  de  ces  hideuses  pri- 
sons. Le  plus  grand  supplice  était  un  froid 
liès-rigoureux. 

IGNORANCE.  Ceux  qui  enseignèrent  que 
l'Océan  était  salé  de  peur  qu'il  ne  se  corrom- 
pit, el  que  les  marées  étalent  faites  pour  con- 
duire nos  vaisseaux  dans  les  ports,  ne  sa- 
vaient sûrement  pas  que  la  Méditerranée  a 
(les  ports  et  point  de  reflux.  Voy.  Erreurs  , 
Merveilles,  Prodiges,  etc.,  etc.,  etc. 

ILKS.ll  y  a, dans  la  Baltique, des  lies  rap- 
prochées que  les  pécheurs  croient  avoir  été 
filles  pardesenchanleurs,  qui  voulaient  s'en 
u.lerplus  facilemeut  d'un  lieu  à  Uii  autre,  cl 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES.  8C8 

qui   établissaient  ainsi  des  stations  sur  leur 


roule  (1). 

ILLUÂIINÉS,  sorte  de  francs-maçons  d'Al- 
lemagne ,  qui  croient  avoir  la  seconde  vue 
el  qui  prophétisent.  On  connaît  peu  leur 
doctrine, qui  est  vague  et  libre;  mais  ils  ont 
eu  des  prédécesseurs.  En  1575,  Jean  de  Vil- 
lalpando  el  une  carmélite,  nommée  Cathe- 
rine de  Jésus,  établirent  une  secte  d'illumi- 
nés, que  l'inquisition  de  Cordoue  dispersa. 
Pierre  Guérin  les  ramena  en  France  en 
1634-.  lis  prétendaieni  que  Dieu  avait  révélé 
à  l'un  d'entre  eux,  le  lière  Antoine  Bocquet, 
une  pratique  de  vie  et  de  foi  suréininenle  , 
au  moyen  de  laquelle  on  devenait  tellement 
saint,  qu'on  ne  faisait  plus  qu'un  av(cDieu, 
el  qu'alors  on  pouvait  sans  péché  se  livrer 
à  toutes  SOS  passions,  ils  se  nattaient  d'en  re- 
montrer aux  apôtres  ,  à  tous  les  saints  et  à 
toute  l'Eglise.  Louis  XIII  dissipa  cette  secte 
de  fous.  Voy.  Bloemardinb. 

IMAGES  DE  CIRE.  Voy.  Envoûtement. 

IMAGINATION.  Les  rêves,  les  songes,  les 
chimères,  les  terreurs  paniques,  les  supersti- 
tions, les  préjugés,  les  prodiges,  les  châteaux 
en  Espagne,  le  bonheur,  la  gloire  et  tous  ces 
contes  d'esprits  et  de  revenants,  de  sorciers 
et  de  diables,  sont  ordinairement  les  enfan- 
tements ,de  l'imagination.  Son  domaine  est 
immense,  son  empire  est  despotique;  une 
grande  force  d'esprit  peut  seule  en  réprimer 
les  écarts.  Un  Athénien,  ayant  rêvé  qu'il 
était  devenu  fou,  en  eut  l'imagination  lillo- 
ment  frappée,  qu'à  son  réveil  il  fit  des  foiies 
comme  il  croyait  devoir  en  faire,  el  perdit  en 
eflet  la  raison. 

On  connaît  l'origine  de  la  fièvre  de  Saint- 
Vallier.  A  cette  occasion  Pasquier  parle  de 
la  mort  d'un  bouffon  du  marquis  de  Ferrare, 
nommé  Gonelle,  qui,  ayant  entendu  dire 
qu'une  grande  peur  guérissait  de  la  fièvre, 
voulut  guérir  de  la  fièvre  quarte  le  prince  son 
maître,  qui  en  était  tourmenté.  Pour  cet  effet, 
passant  avec  lui  sur  un  pont  assez  étroit,  il  le 
poussa  el  le  fil  tomber  dans  l'eau  au  péril  de 
sa  vie  On  repêcha  le  souverain,  et  il  fui 
guéri.  Mais,  jugeant  que  l'indiscrélion  de 
Gonelle  méritait  quelque  punition,  il  le  con- 
di>mna  à  avoir  la  léle  coupée,  bien  résolu 
cependant  de  ne  pas  le  faire  mourir.  Le  jour 
de  l'exécution,  il  lui  fil  bander  les  yeux,  et 
ordonna  qu'au  lieu  d'un  coup  de  sabre  on  ne 
lui  donnât  qu'un  petit  coup  de  serviette 
mouillée;  l'ordre  fut  exécuté  et  Gonelle  délié 
aussitôt  après  ;  mais  le  malheureux  bouffon 
étaii  mort  de  peur.  Est  ce  vrai?  Ce  Pastjuier 
a  fait  tant  de  contes  1 

Hci|uet  parle  d'un  homme  qui,  s'étant  cou-< 
elle  avec  les  cheveux  noirs,  se  leva  le  matin 
avecles  cheveux  blancs, parcequ'il  avaii  rêvé 
qu'il  était  condamné  à  un  supplice  cruel  et 
infamant.  Dans  le  Uiclionnuire  de  police  de 
Des  Essarts,  on  trouve  I  histoire  d'une  jeune 
fille  à  qui  une  sorcière  prédit  qu'elle  serait 
pendue;  ce  qui  produisit  un  lel  efTet  sur 
son  esprit,  qu'elle  mourut  suffoquée  la  nuit 
suivante. 

Athénée  raconte  que  quelques  jeunes  gens 

(I)  Mjrmipf,  Tradiiioii  de  la  mer  Baltique. 


8C9 


IMA 


IMA 


87« 


d'Agrigcnte  étant  ivres,  dans  nne  chambre  de 
cabaret,  se  crurent  sur  une  galère,  au  milieu 
(!e  la  mer  en  furie,  et  jetèrent  par  les  fenêtres 
tous  les  meubles  de  la  maison,  pour  soulager 
le  bâtime:it. 

Il  y  avait  à  Athènes,  un  fou  qui  se  croyait 
maître  de  tous  les  navires  qui  entraient  dans 
le  Pirée,  et  donnait  ses  ordres  en  consé- 
quence. Horace  parle  d'un  aulre  fou,  qui 
croyait  toujours  assister  à  un  spectacle,  et 
qui,  suivi  d'une  troupe  de  comédiens  imagi- 
naires, portait  un  théâtre  dans  sa  têlc,  où 
il  était  tout  à  la  fois  et  l'acteur  et  le  specta- 
teur. 

On  voit,  dans  les  maniaques,  des  choses 
aussi  singulières  ;  tel  s'imagine  élre  un  moi- 
neau, un  vase  de  terre,  un  serpent  ;  tel  autre 
se  croit  un  dieu,  un  orateur,  un  Hercule.  Et 
parmi  les  gens  qu'on  dit  sensés,  en  esi-il 
beaucoup  qui  maîtrisent  leur  imagination, 
et  se  montrent  exempts  de  faiblesses  et  d'er- 
reurs? 

Plusieurs personnesmordues  pardes  chiens 
ont  été  très-malades  parce  que,  les  suppo- 
sant atteints  de  la  rage,  elles  se  croyaient 
menacées  ou  déjà  affectées  du  même  mal.  La 
Société  royale  des  sciences  de  Montpellier 
rapporte,  dans  un  mémoire  publié  en  1730, 
que  deux  frères  ayant  été  mordus  par  un 
chien  enragé,  l'un  d'eux  partit  pour  la  Hol- 
lande, d'où  il  ne  revint  qu'au  bout  de  dix  ans. 
Ayant  appris,  à  son  retour,  que  son  frère, 
depuis  longtemps,  était  mort  hydrophobe,  il 
se  sentit  malade  et  mourut  lui-même  enragé 
par  la  craiiite  de  l'être. 

Voici  un  fait  qui  n'est  pas  moins  extraordi- 
naire :  un  jardinier  rêva  qu'un  grand  chien 
noir  l'avait  mordu.  H  nepouvait  montrer  au- 
cune trace  de  morsure  ;  sa  femme,  qui  s'était 
levée  au  premier  cri,  lui  as  ura  que  toutes 
li's  portes  étaient  bien  fermées  et  qu'aucun 
chien  n'avait  pu  entrer.  Ce  fut  en  vain  ;  l'i- 
dée du  gros  chien  noir  restait  toujours  pré- 
sente à  son  imagination;  il  croyait  le  voir 
sans  cesse  :  il  en  perdit  le  sommeil  et  l'ap- 
pétit, devint  triste,  rêveur,  languissant.  Sa 
femme,  qui,  raisonnable  au  commencement, 
avait  fait  tous  ses  efforts  pour  le  calmer  et  le 
guérir  de  son  illusion,  finit  par  s'imaginer 
(lue,  puisqu'elle  n'avait  pas  réussi,  il  y  avait 
quelque  chose  de  réel  dans  l'idée  de  son  mari, 
et  qu'ayant  été  couchée  à  côté  de  lui,  il  était 
fort  possible  qu'elle  eût  été  aussi  mordue. 
Otte  disposition  d'esprit  développa  chez  elle 
les  mêmes  symptômes  que  chez  son  mari, 
abattement,  lassitude,  frayeur,  insomnie.  Le 
médecin,  voyant  échouer  toutes  les  ressour- 
ces ordinaires  de  son  art  contre  celte  nia- 
iidie  de  l'imagination,  leur  conseilla  d'aller 
en  pèlerinage  à  Saint-Hubert.  Dès  ce  moment 
J.'s  deux  malades  furent  plus  lrani)uilles  :  ils 
allèrent  à  Saint-Hubert,  y  subirent  le  traite- 
ment usité,  et  revinrent  guéris  (1). 

Un  homme  pauvre  et  malheureux  s'était 
lelleinent  frappé  l'imagination  de  l'idée  des 
richesses,  qu'il  avait  fini  par  se  croire  dans 

(I)  Celle  anecdote  ne  doil  infirmer  en  rieii  la  juste  ré- 
putaliui.  du  iièlcrinago  de  Sainl-Hiiberl^où  il  est  avéré 


la  plus  grande  opulence.  Un  médecin  le  gué- 
rit, et  il  regretta  sa  folie. 

On  a  vu,  en  Angleterre,  un  homme  qui 
voulait  absolumentquerienne  l'aflligeât  dans 
ce  monde.  En  vain  on  lui  annonçait  un  évé- 
nement fâcheux;  il  s'obstinait  à  le  nier.  Sa 
femme  étant  morte,  il  n'en  voulut  rien  croire. 
Il  faisait  mettre  â  table  le  couvert  de  la  dé- 
funte, et  s'entretenait  avec  elle,commesi  elle 
eût  été  présente  ;  il  en  agissait  de  même  lors- 
que son  fils  était  absent.  Près  de  sa  dernière 
heure,  il  soutint  qu'il  n'était  pas  malade,  et 
mourui  avant  d'en  avoir  eu  le  démenti. 

Voici  une  autre  anecdote  :  Un  maçon,  sous 
l'empire  d'une  monomanie  qui  pouvait  dé- 
générer en  folie  absolue,  croyait  avoir  avalé 
une  couleuvre  ;  il  disait  la  sentir  remuer  dans 
son  ventre.  M.  Jules  Cloquet,  chirurgien  de 
l'hôpital  Saint-Louis,  à  qui  il  fut  amené, 
pensa  que  le  meilleur ,  peut-être  le  seul 
moyen  pour  guérir  ce  monomane,  était  de 
se  prêter  à  sa  folie.  Il  offrit  en  conséquence 
d'extraire  la  couleuvre  par  une  opération  chi- 
rurgicale. Le  maçon  y  consent;  une  incision 
longue,  mais  superficielle,  est  faite  à  la  ré- 
gion de  l'estomac,  des  linges ,  des  compres- 
ses, des  bandages  rougis  par  le  sang  sont 
appliqués.  La  tête  d'une  couleavre  dont  on 
s'était  précautionné  est  passée  avec  adresse 
entre  les  bandes  et  la  plaie.  «Nous  fa  tenon» 
enfin  ,  s'écrie  l'adroit  chirurgien;  la  voici.  » 
En  même  temps,  le  patient  arrache  son  ban- 
deau; il  veut  voir  le  reptile  qu'il  a  nourri 
dans  son  sein.  Quelque  temps  après  une 
nouvelle  mélancolie  s'empare  de  lui;  il  gé- 
mit ,  il  soupire;  le  médecin  est  rappelé  t 
«Monsieur,  lui  dit-il  avec  anxiété,  si  elle 
avait  fait  des  petits?— Impossible I  c'est  un 
mâle.  » 

On  attribue  ordinairement  à  l'imagination 
des  femmes  la  production  des  fœtus  mon- 
strueux. M.  Salgues  a  voulu  prouver  que 
l'imagination  n'y  avait  aucune  part,  en  citant 
quelques  animaux  qui  ont  produit  des  mon- 
stres, et  par  d'autres  preuves  insuffisantes. 
Plessir.an  ,  dans  sa  Médecine  puerpérale  ; 
Harting,  dans  une  thèse;  Demangeon,  dans 
SCS  Considérations  physiologiques  sur  le  pou- 
voir de  l'imagination  maternelle  dans  la  gros- 
sesse, soutiennent  l'opinion  générale.  Les 
femmes  enceintes  défigurent  leurs  enfants, 
quoique  déjà  formés,  lorsque  leur  imagina- 
tion est  violemment  frappée.  Malebranche 
parle  d'une  femme  qui,  ayant  assisté  à  l'exé- 
cution d'un  malheureux  condamné  à  la  roue, 
en  fut  si  affectée,  qu'elle  mit  au  monde  ui» 
enfant  dont  les  bras,  les  cuisses  et  les  jambe» 
étaient  rompus  à  l'endroit  où  la  barre  de 
l'exécuteur  avait  frappé  le  condamné.  Le 
peintre  Jean-Baptiste  Rossi  fut  surnommé 
Gobbinoparcequ'ilétaitagréablcment(/o66o, 
c'est-à-dire  bossu.  Sa  mère  était  enceinte  de 
lui  lorsque  son  père  sculptait  le  gobbo,  bé- 
nitier devenu  célèbre,  et  qui  a  fait  le  pendant 
du  pasquino,  autre  bénitier  de  Gabriel  Ca- 
gliari. 

Une  femme  enceinte  jouait  ans  cartes.  En 

(comme  il  est  fadlft-anx  curieux  de  s'en  convaincre)  qu'w»' 
cuu  malade  a'esl  aUé  sans  trouver  la  guéri^un. 


«71 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCLLTES. 


8*3 


relevant  son  jeu,  elle  voit  que,  pour  faire  un 
grand  coup,  il  lui  manque  l'as  dépique.  La 
(li-rnièrc  rarte  qui  lui  rontro  était  effcclive- 
menl  celle  qu'elle  attendait.  Une  joie  immo- 
dérée s'empare  de  son  esprit.se  communique, 
comme  un  choc  électrique,  à  toute  son  exi- 
stence; et  l'enfant  qu'elle  mit  au  monde  porta 
dans  la  prunelle  de  l'œil  la  forme  d'un  as  de 
pique,  sans  que  l'organe  de  la  vue  fût  d'ail- 
leurs offensé  par  cette  conformation  extraor- 
dinaire. 

«  Le  Irait  suivant  est  encore  plus  étonnant, 
dit  Lavatcr.  Un  de  mes  amis  m'en  a  garanti 
l'anlhentirilé.  Une  dame  de  condition  du 
Rhinihal  voulut  assister,  dans  sa  grossesse, 
nu  supplice  d'un  criminel  qui  avait  été  con- 
damné à  avoir  la  télé  tranchée  et  la  main 
droite  coupée.  Lu  coup  qui  abattit  la  main 
effraya  tellement  la  femme  enceinte  ,  qu'elle 
détourna  la  lêlc  avec  un  mouvement  d'hor- 
reur, et  se  retira  sans  attendre  la  fin  de  l'exé- 
cution. Elle  accoucha  d'une  fille  qui  n'eut 
qu'une  main  ,  et  qui  vivait  encore  lorsque 
mon  ami  me  fit  part  de  cette  anecdote  ;  l'autre 
main  sortit  séparément ,  après  l'enfante- 
ment. » 

Il  y  a  du  reste,  sur  les  accouchements  pro- 
dig'eux,  lilen  des  contes.  «J'ai  lu,  dans  un 
recueil  de  faits  merveilleux,  dit  M.  Salgues 
[Des  erreurs  et  des  préjugés  répandus  dans  la 
société),  qu'en  1778,  un  chai,  né  à  Stap  en 
Normandie,  devint  épris  d'une  poule  du  voi- 
sinage et  qu'il  lui  fit  une  cour  assidue.  La 
frrmière  ayant  mis  sous  les  ailes  de  la  poule 
des  œufs  de  cane  qu'elle  voulait  faire  couver, 
le  chat  s'associa  à  ses  travaux  maternels.  11 
détourna  une  partie  des  œufs  et  les  couva  si 
tendrement, qu'au  boutde  vingt  cinq  jours  il 
en  sorti!  de  petits  êtres  am|  hibies,  partici- 
pant de  la  cane  et  du  chat ,  tandis  que  ceux 
de  la  poule  étaient  des  canard'<  ordinaires. 
Le  docteur  Vimond  atteste  (|u'il  a  vu,  connu, 
tenu  le  père  et  la  mère  de  cette  singulière 
fannlle,  et  les  petits  eux-mêmes.  Mais  on  dit 
au  docteur  Vimond  :  «  A  vieZ-vous  la  vue  bien 
nette  quand  vous  avez  examiné  vor,  canards 
amphibies?  vous  avez  trouvé  l'animal  vêtu 
d'un  poil  noirâtre,  touffu  et  soyeux;  mais  ne 
savez-vous  pas  que  c'est  le  premier  duvet 
des  canards?  Croyez-vous  que  l'incubation 
d'un  chat  puisse  dén.ilurer  le  getme  ren- 
ferné  dans  l'œuf?  Alors  pourquoi  l'incuba- 
tion de  la  poule  aurail-elle  été  moins  efficace 
et  n'aurait-elle  pas  produit  des  êtres  moitié 
poules  et  moitié  canaids?» 

Ou  rit  aujourd'hui  de  ces  contes,  on  n'ose- 
rait plus  écrire  ce  que  publiaient  les  jour- 
naux de  Paris,  il  y  a  soixante  ans  ,  qu'une 
chienne  du  faubourg  Saint-Honoré  venait  de 
mellre  au  jour  quatre  chats  et  trois  chiens. 
—  Eli(  n  ,  dans  le  vii  ux  temps,  a  pu  parler 
d'une  truie  qui  mit  bas  un  cochon  ayant  une 
lê!e  d'éléphant,  et  dune  brebis  qui  mil  bas 
un  lion.  Nous  le  rangerons  à  côté  de  Tor- 
quemr.da  ,  qui  rapporte,  dans  la  sixième 
journée  de  son  lixainéron,  qu'en  un  lieu 
d'Espagne,  qu'il  ne  nomme  pas,  une  jument 

(t)  Baylo,  Uépulilitiiie  des  leures,  1681,  l  III,  p.  472, 
cilé  i<ai'  M.  Saigiu  s. 


était  tellement  pleine,  qu  au  temps  de  mettre 
bas  son  Iruil.clle  creva, et  qu'il  sortit  d'elle 
une  mule  qui  mourut  incontinent,  ayant 
comme  sa  mère  le  ventre  si  gros  et  si  enflé, 
que  le  maître  voulut  voir  ce  qui  était  dedans. 
On  l'ouvrit  et  on  y  trouva  une  autre  mule 
de  laquelle  elle  était  pleine.... 

Autre  anecdote.  Un  duc  de  Mantoue  avait 
dans  ses  écuries  une  cavale  pleine  qui  mit 
bas  un  mulet.  Il  envoya  aussitôt  aux  plus 
célèbres  astrologues  d'Italie  l'heure  de  la 
naissance  de  celte  bête,  les  priant  de  lui 
faire  l'horoscope  d'un  bâtard  né  dans  son 
palais  sous  les  conditions  qu'il  indiquait.  Il 
prit  bien  soin  qu'ils  ne  sussent  pas  (|ue  c'é- 
t;iit  d'un  mulet  qu'il  voulait  parler.  Les  de- 
vins firent  de  leur  niieux  pour  fiatier  le 
prince,  ne  doutant  pas  que  ce  bâtard  ne  fût 
du  prince.  l,es  uns  dirent  qu'il  serait  général 
d'armée  ;  les  autres  en  firent  mieux  encore, 
et  tous  le  comblèrent  de  dignités.  —  Mais 
rentrons  dans  les  accouchements  prodi- 
gieux. 

On  publia  au  seizième  siècle  qu'une  femme 
ensorcelée  venait  d'enfanter  plusieurs  gre- 
nouilles. De  telles  nouveautés  étaient  reçues 
alors  sans  opposition.  Au  commencement 
du  dix-huitième  sièile,  les  gazettes  d'Angle- 
terre annoncèrent,  d'après  le  certificat  du 
chirurgien  accoucheur,  appuyé  de  l'analo- 
miste  du  roi,  qu'une  paysanne  venait  d  ac- 
coucher de  beaucoup  de  lapins;  et  le  public 
le  crut ,  jusqu'au  moment  où  l'analumistc 
avoua  qu'il  s'était  prêté  à  une  mystifica- 
tion. 

On  fit  courir  le  bruit ,  en  1471,  qu'une 
femme,  à  l'avie,  avait  mis  bas  un  chien;  un 
cita  la  Suissesse  qui,  en  1278,  avait  donné  le 
jour  à  un  lion,  et  la  femme  que  Pline  dit 
avoir  été  mère  d'un  éléphant.  —  On  voit 
dans  d'autres  conteurs  anciens  qu'une  autre 
Suissesse  se  délivra  d'un  lièvre;  une  Thu- 
ringienne,  d'un  crapaud;  que  d'autres  fem- 
mes mirent  bas  des  poulets  (1). 

Ambroise  Paré  cite,  sur  ou'i'-dire,  un  jeune 
cochon  napolitain  qui  portait  une  tête 
d'homme  sur  son  corps  de  cochon. 

Boguet  assure,  dans  ses  Discours  des  exé- 
crables sorciers,  qu'une  femme  maléficiée 
mit  au  jour  à  la  fois ,  en  1531 ,  une  této 
d'homme,  un  serpent  à  deux  pieds  et  un  pe- 
tit pourceau.  B^yle  parte  d'une  femme  qui 
passa  pour  être  accouchée  d'un  chat  noir; 
le  chat  fut  brûlé  comme  produit  d'un  dé- 
mon (2). 

Le  même  Torquemada  que  nousavons  cité, 
énuiiicre  beaucoup  d'accouchements  extra- 
ordinaires :  une  femme  qui  mit  au  monde 
sept  enfants  à  la  fois,  à  Médina  del  Carapo  ; 
une  autre  femme  de  Salamanque  qui  en  eut 
neuf  d'une  seule  couche;  puis  une  Italienne 
qui  donna  le  jour  à  soixante  dix  enfants 
d'une  même  portée.  Et  com;iie  on  pourr.iit 
être  surpris  du  nombre  ,  il  rappelle  ce  que 
conte  Albert  le  Gr;inil ,  qu'une  Allemande 
enfanta,  d'une  seule  couche,  cent  eint|Ui'iute 
enfants,  grands   comme  le  doigt,  très-biei( 

f2)  Bayle,  Rénubliiiuc  Ucs  lettres ,  \GS6,  tom.  Itl,  ii»fi, 
1014. 


873 


ni  A 


IMM 


formés  et  tous  enveloppés  dans  une  pellicule 
On  ne  dit  pas  ce  que  devint  celle  petite  fa- 
mille. Mais  avouez  qu'il  n"y  a  que  l'Allema- 
gne pour  CCS  choses-là.  —  Une  Hollandaise 
pourtant  fil  plus  encore.  V^iy.  Marguerite. 
«  Ces  faits  soûl  difficiles  à  croire  à  qui  ne  les 
a  pas  vus,  »  dit  Torque.nada;  et  il  parle  de 
visu,  d'un  enfant  né  eu  Italie  avec  une  liarlu' 
de  bouc;  comment  a-l-il  reconnu  que  celle 
barbe  était  précisémeni  une  barbe  de  bouc? 
—  Volaterranus  se  préoccupe  d'un  enfant 
qui  naquit  homme  jusqu'à  la  ceinture, 't 
chien  dans  la  partie  infôrieure  du  corps.  Un 
autre  enfant  monstrueux  vint  au  monde 
kous  le  règne  de  Constance,  avec  deux  bi)U- 
ches,  quatre  yeux,  deux  petites  oreilles  et  de 
la  barbe. 

Un  savant  professeur  de  Louvain,  Corné- 
lius Gemma  ,  écrivant  à  une  époque  où  l'on 
admettait  beaucoup  de  choses ,  rapporte 
qu'en  154-5  une  dame  de  noble  lignée  mil  au 
monde,  dans  la  Belgique,  un  garçon  qui 
avait,  au  dire  des  experts,  la  tête  d'un  dé- 
mon avec  une  trompe  d'éléphant  au  lieu  do 
nez,  des  patles  d'oie  au  lieu  de  mains,  dos 
yeux  de  chat  au  milieu  du  ventre,  une  tête 
de  chien  à  chaque  genou  ,  doux  visages  de 
singe  sur  l'estomac  et  une  queue  de  scorpion 
longue  d'une  demi-aune  de  Brabant  (trente- 
cinq  centimètres).  Ce  petit  monstre  ne  vécut 
que  quatre  heures  ,  et  poussa  des  cris  en 
mourant  par  les  deux  gueules  de  chien  qu'il 
avait  aux  genoux  (1). 

Nous  pourrions  multiplier  ces  contes  ridi- 
cules, fondes  sur  quelques  phénomènes  na- 
turels que  l'imagination  des  femmes  encein- 
tes a  produits.  Arréions-nous  nu  moment 
aux  faits  prodigieux  plus  réels.  Tels  sont  les 
enfants  né*  sans  tête,  ou  plutôt  dont  la  tête 
n'est  pas  distincte  des  épaules.  Un  de  ces  en- 
fautsvintau  monde  au  villagedeSchmechten, 
près  de  Paderborn.  le  IG  mai  loi^o  ;  il  avait 
la  bouche  à  l'épaule  gauche  et  une  seule 
oreille  à  l'épaule  droite.  Mais  en  compensa- 
lion  de  ces  enfants  san;i  tête,  une  Normande 
accoucha,  le  20  juillet  lG8'*,d'un  enfant  mâle 
dont  la  télé  semblait  doube.  Il  avait  quatre 
yeux,  deux  nez  crochus,  deux  bouches,  deux 
langues  et  seulement  deux  oreilles.  L'inté- 
rieur renfermait  deux  cerveaux  ,  deux  cer- 
velets et  trois  cœurs  ;  les  autres  viscères 
étaient  simples.  Ce  garçon  vécut  une  heure  ; 
et  peul-étre  eût-il  vécu  plus  longtemps,  si 
la  sage-femme  qui  en  avait  peur  ne  l'ciil 
laissé  tomber. 

Le  phénomène  des  êtres  bicéphales  est 
moins  rare  que  celui  des  acéphales.  On  pré- 
senta en  1779,  à  l'Académie  des  sciences  de 
Paris  ,  un  lézard  à  deux  télés ,  qui  se  servait 
égahîment  bien  d  •  toutes  les  deux.  Li;  Jour- 
nal de  médecine  du  mois  de  février  1808  don- 
ne des  détails  curieux  sur  un  enfanl  né  avec 
deux  têtes  ,  mais  placées  l'une  au-dessus  de 
l'autre  ,  de  sorte  que  la  pre.nière  en  portail 
une  seconde;  cet  enfant  elail  né  au  Bengale. 
A  son  entrée  dans  le  nioiide  ,  il  elîraya  telle- 
ment la  sage-l'emme  (juc  ,  croyant  tenir  le 
diable  dans  les  mains,  elle  le  jeta  au  Icu.  On 
(1)  CoriU'Iii  CniiiiiwR  «rosmocrliics,  lib.  I,  cap.  8. 

DlCTrONS.    DES    SCIENCES    OCCULTES.    L 


8-i 


se  hâta  de  l'en  retirer, mais  il  eut  les  oreilles 
endommagées.  Ce  qui  rendait  le  cas  encore 
plus  singulier,  c'est  que  la  seconde  tête  élail 
renversée  ,  le  front  en  bas  et  le  menton  en 
haut.  Lorsque  l'enfant  eut  atteint  l'âge  de 
six  mois  ,  les  deux  têtes  se  rouvrirent  d'une 
quantité  à  peu  près  égale  de  cheveux  noirs. 
On  remarqua  que  la  tête  supérieure  ne  s'ac- 
cordait pas  avec  l'inférieure; qu'elle  fermait 
les  yeux  quand  l'autre  les  ouvrait, et  s'éveil- 
lait quand  la  tête  principale  était  endormie; 
elle  avait  allernalivement  des  mouvements 
indépendants  et  des  rnouvemenls  sympathi- 
ques. Le  rire  de  la  bonne  tête  s'épanouissait 
sur  la  tête  d'en  haul;niais  la  douleurde  celle 
dernière  ne  passait  pas  à  l'autre ,  de  sorte 
qu'on  pouvait  la  pincer  sans  occasionner  la 
moindre  sensaion  à  la  tête  d'en  bas.  Cet  en- 
fanl mourut  d'un  accident  à  sa  quatrième 
année. 

Ce  que  nous  venons  de  rapporter  n'est 
peiit-étro  pas  impossible.  Mais  remarquez 
que  ces  merveilles  viennent  toujours  de  très- 
loin.  Cependant  nous  avons  vu  de  nos  jours 
Uilta-Christina  ,  cette  jeune  fllle  à  deux  tê- 
tes ,  ou  plutôt  ces  deux  jeunes  filles  accou- 
plées.Nous  avons  vu  aussi  les  jumeaux  Sia- 
mois, deux  hommes  qu'une  partie  du  ventre 
rendait  inséparables  et  semblait  réunir  en  un 
seul  être.  Pour  le  reste  ,  le  plus  sûr  est  do 
rejeter  en  ces  matières  ce  qui  n'est  pas  cer- 
tifié par  de  suffisants  témoignages. 

Dans  ce  genre  de  faits  ,  on  attribuait  au- 
trefois au  diable  tout  ce  qui  sortait  du  cours 
ordinaire  de  la  nature. 

Il  est  certain  qu'on  exagère  ordinairement 
ces  phénomènes.  On  a  vu  des  fœtus  mon- 
strueux, à  qui  on  donnait  gratuitement  la 
forme  dun  mouton, et  qui  élaienl  aussi  bien 
un  chien  ,  un  cochon  ,  un  lièvre  ,  etc.,  puis- 
qu'ils n'avaient  aucune  figure  distincte.  On 
prend  souvent  pour  une  cerise, ou  pour  une 
fraise  ,  ou  pour  un  boulon  de  rose  ,  ce  q  li 
n'est  qu'un  seing  .plus  large  et  plus  coloré 
qu'ils  ne  le  sont  ordinairement.  Voy. 
Frayeurs,  Hallucinations,  etc. 

IME  ,  géant.  Voy.  Nains. 

IMMORTALITE.  Ménandre  ,  disciple  de 
Simon  le  .Magicien  ,  se  vantait  de  donner  un 
baptême  qui  rendait  immortel.  On  fut  bien 
vile  détrompé. 

Les  Chinois  sent  persuadés  qu'il  y  a  quel- 
(lue  part  une  eau  (jui  empêche  de  mourir  ; 
et  ils  cherchent  toujours  ce  breuvage  d'im- 
mortalité ,  qui  n'est  pas  trouvé  encore. 

Les  Strulldbruggs,  ou  immorlel>  de  Gulli- 
ver, sont  fort  malheureux  do  leur  ininiorla- 
lité.  La  même  pensée  se  retrouve  dans  celte 
légende  des  bords  de  la  Baltique  :  —  A  Fal- 
ster,  il  y  avait  autrefois  une  f.iiinie  fort  ri- 
che qui  n'avait  point  d'enfants.  Elle  voulut 
faire  un  pieux  usage  de  sa  tortune  ,  et  elle 
bâiil  uneéglise.L'édificeachevé,  elle  le  trouva 
si  bien,  qu'elle  se  crut  en  droit  de  demander 
à  Dieu  une  récompense.  Elle  le  pria  donc  de 
la  laisservivrcau-si  longtempsquesonéglise 
subsisierail.Son  vœu  lut  exaucé.  La  moit  pas- 
sa devant  sa  porte  sans  entrer;  la  mort  frappa 
autour  d'elle  voisins,  pareiils,amis.  élue  lui 

28 


s:5 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


87C 


montra  passculemenl  te  bout  de  safatix.Elle 
vécut  au  milieu  de  toutes  les  guerres,  de 
toutes  les  pestes  ,  de  tous  les  (léaux  qui  tra- 
versèrent le  pays.  Elle  vécut  si  longtcinps  , 
qu'elle  ne  trouva  plus  un  ami  avec  qui  elle 
pût  s'entretenir.  Elle  parlait  toujours  d'une 
époque  si  anricnne ,  que  personne  ne  la 
comprenait.  Elle  avait  bien  demandé  une  vie 
perpétuelle  ;  mais  elle  avait  oublié  de  de- 
mander aussi  la  jeunesse;  le  riel  ne  lui  don- 
na que  juste  ce  qu'elle  voulait  avoir,  et  la 
pauvre  femme  vieillit  ;  elle  perdit  ses  forces, 
puis  la  vue,  etrouïe  et  la  parole.  Alors  elle 
se  fit  enfermer  dans  une  caisse  de  chêne  et 
porter  dans  l'église.  Chaque  année  ,  à  Noël , 
elle  recouvre  ,  pendant  une  heure,  l'usage 
de  ses  sens;  et  chaque  année,  à  cette  heuie- 
là  ,  le  prêtre  s'approche  d'elle  pour  prendre 
ses  ordres.  La  malheureuse  se  lève  à  demi 
dans  son  cercueil ,  et  s'écrie:  —  Mon  église 
subsisle-t-elle  encore? 

—  Oui ,  répond  le  prêtre. 

—  Hélas  1  dit-elle.  Et  elle  s'affaisse  en 
poussant  un  profond  soupir,  et  le  coffre  de 
chêne  se  referme  sur  elle  (1). 

IMPAIR. Une  crédulité  superstitieuse  a  at- 
tribué ,  dans  tous  les  temps  ,  bien  des  pré- 
rogatives au  nombre  impair  (2).  Le  nombre 
pair  passait ,  chez  les  Romains  ,  pour  mau- 
vais ,  parce  que  ce  nombre  ,  pouvant  élre  di- 
visé également ,  est  le  symbole  de  la  morta- 
lité et  de  la  destruction  ;  c'est  pourquoi  Nu- 
ma,  corrigeant  l'année  de  Romulus  ,  y  ajou- 
ta un  jour,  afin  de  rendre  impair  le  nombre 
de  ceux  qu'elle  contenait.  C'est  en  nombre 
impair  que  les  livres  magiques  prescrivent 
leurs  opérations  les  plus  mystérieuses.  L'al- 
chimiste d'Espagnet,  dans  sa  Description  du 
Jardin  des  Sages,  place  à  l'entrée  une  fontai- 
ne qui  a  sept  sources.  Il  faut ,  dit-il ,  y  faire 
boire  le  dragon  par  le  nombre  magique  de 
trois  fois  sept ,  et  l'on  doit  y  chercher  trois 
sortes  de  Heurs  ,  qu'il  faut  y  trouver  néees- 
sairoment  pour  réussir  au  grand  œuvre.  Le 
crédit  du  nombre  impair  s'est  étab'i  jusque 
dans  la  médecine:  l'année  cliniatérique  est  , 
dans  la  vie  humaine  ,  une  année  impaire. 

IMPOSTURES.  On  lit  dans  Leloyer  qu'un 
valet,  par  le  moyen  d'une  sarbacane,  enga- 
gea une  veuve  d'Angers  à  l'épouser,  en  le 
lui  conseillant  de  la  part  de  son  mari  défunt. 
Plus  d'un  imposteur  a  employé  ce  strata- 
gème. 

Un  roi  d'Ecosse,  voyant  que  ses  troupes 
ne  voulaient  point  combattre  contre  les  Pie- 
tés, suborna  des  gens  habillés  d'écaillés  bril- 
lantes, ayant  en  main  des  bâtons  de  bois  lui- 
sant, qui  les  excitèrent  à  combattre,  comme 
s'ils  avaient  été  des  anges,  ce  qui  eul  le  suc- 
cès qu'il  souh  iilait  (3). 

Nous  aurions  un  gros  volume  à  faire,  si 
nous  voulions  citer  ici  toutes  les  impos- 
tures de  l'histoire.  On  y  pourrait  joindre 
maints  stratagèmes  et  ruses  de  guerre.  Voy. 

ApPABITIONS,    rA^T')MES  ,     BuDÉMlENS,     JeT- 
ZEB,   etc. 

IMPRKCA'riONS.  Ce  qui  va  suivre  est  de 

(1)  Marinier,  Traditions  de  la  Baltique. 
Ci)  Hwnero  Veus  iin'^nre  gmtlet. 


Chassanion.  huguenot,  en  ses  Grands  juge- 
mcnls  de  Dieu:  «Quant  à  ceux  qui  sont 
adonsiés  à  maugréer,  et  qui,  comme  des 
gueules  d'enfer,  à  (ont  propos  dépilent  Dieu 
par  d'horribles  exécrations,  et  sont  si  force- 
nés que  de  le  renier  pour  se  donner  au  dia- 
ble, ils  mérilent  bien  d'être  abandonnés  de 
Dieu  et  d'être  livrés  entre  les  mains  de  Sa- 
tan pour  aller  avec  lui  en  perdition;  ce  qui 
est  advenu  visiblement  à  certains  malheu- 
reux de  notre  temps,  (jui  onl  éié  emportés 
par  le  diable,  auquel  ils  s'étaient  donnés. 

«  Il  y  a  quelque  temps  qu'en  Allemagne 
un  homme  de  mauvaise  vie  était  si  mal  em- 
bouché, que  jamais  il  ne  parlait  sans  nom- 
mer les  diables.  Si  en  cheminant  il  lui  adve- 
nait de  faire  quelque  faux  pas  ou  de  se  heur- 
ter ,  aussitôt  il  avait  les  diables  dans  sa 
gueule.  De  quoi,  combien  que  plusieurs  fois 
il  eûl  été  repris  par  ses  voisins,  et  admonesté 
de  se  châtier  d'un  si  méchant  et  détestable 
vice,  toutefois  ce  fut  en  vain.  Continuant 
dans  cette  mauvaise  et  damnable  coutume, 
il  advint  un  jour  qu'en  passant  sur  un  pont 
il  trébucha  et,  étant  tombé  du  haut  en  bas, 
proféra  ces  paroles  :  —  Lève  toi  par  tous  les 
cent  diables. 

«  Soudain,  voici  celui  qu'il  avait  tant  de 
fois  appelé  qui  le  vint  étrangler ,  et  l'em- 
porta. 

«  L'an  mil  cinq  cent  cinquante  et  un,  près 
Mégalopole,  joignant  Voilsladl,  il  advint  en- 
core, durant  les  fêles  de  la  Pentecôte,  ainsi 
que  le  peuple  s'amusait  à  boire,  qu'une  fem- 
me, qui  était  de  la  campagne,  nommait  or- 
dinairement le  diable  parmi  ses  jurements  : 
lequel,  à  celle  heure,  en  la  présence  d'un 
chacun,  l'enleva  par  la  porte  de  la  n)aison, 
et  l'emporta  en  l'air.  Ceux  qui  étaient  pré- 
sents sortirent  incontinent,  tout  étonnés, 
pour  voir  où  celte  femme  élail  ainsi  tram»- 
porlée  :  laquelle  ils  virent,  hors  du  village, 
pendue  quelque  temps  en  l'air  bien  haut, 
dont  elle  tomba  en  bas,  et  la  trouvèrent  à 
peu  prés  morte  au  milieu  d'un  champ. 

«  Environ  ce  temps-là.  il  y  eut  un  grand 
jureur  en  une  ville  de  Savoie,  homme  fort 
vicieux  et  qui  donnait  beaucoup  de  peine 
aux  gens  de  bien,  qui,  pfiur  le  devoir  de  leur 
charge,  s'employèrent  à  le  reprendre  et  l'ad- 
miineslèrenl  bien  souvent,  afin  qu'il  s'amm- 
dâl  :  à  quoi  il  ne  voulut  oncijucs  entendre. 
Or,  advint  que,  la  pesie  étant  en  la  ville,  il 
en  fut  frappé  et  se  relira  en  un  sien  jardin, 
avec  sa  feuime  et  qi;el(|ues  parents  Là,  les 
ministri'Sde  l'Eglise  ne  cessèrent  de  l'exhor- 
ter à  repenlance,  lui  remontrant  ses  fautes 
et  péchés  pour  le  réduire  au  bon  chemin.  Mais 
tant  s'en  fallut  qu'il  fût  touché  par  tant  de 
bonnes  et  saintes  remontrances,  qu'au  con- 
traire il  ne  fil  que  s'endurcir  davantage  m 
ses  péchés.  Avançant  donc  son  malheur,  ua 
jour,  comme  ce  méchant  reniait  Dieu  et  se 
donnait  au  diable  et  l'appelait  tant  qu'il  pou- 
vait, voilà  le  diable  ((ui  le  ravit  soudaine- 
ment et  l'emporta  en  l'air;  sa  femme  et  sa 
parente  le  virent  passer  par-dessus  leuis 
(5)  Hector  de  B..ëco. 


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lêles.  Etant  ainsi  transporté,  son  bonnol  lui 
tomba  (le  dessus  la  tôle,  et  fut  trouvé  auprès 
du  Rhône.  Le  magistrat,  averti  de  cela,  vint 
surieliou,  et  s'informa  du  fait,  prenant  al- 
testalinn  de  ces  deux  femmes  de  ce  qu'elles 
avaient  vu. 

«  Voilà  des  événements  terribles,  épouvan- 
tables, pour  donner  crainte  et  frayeur  à  tels 
ou  semblables  jureurs  et  renieurs  de  Dieu, 
desquels  le  monde  n'est  que  trop  rempli  au- 
jourd'hui. Refrénez  donc,  misérables  que 
vous  êtes,  vos  langues  infernales;  départez- 
vous  de  toutes  méchantes  paroles  et  exé- 
crations, et  vous  accoutumez  à  louer  et  glo- 
rifier Dieu  tant  de  bouche  que  de  fait  »  (1). 

Quand  les  femmes  grecques  entendent  des 
imprécations,  comme  il  s'en  fait  dans  les 
chaudes  colères  de  leur  pays,  elles  se  hâtent 
de  mouiller  leurs  seins  avec  leur  salive,  de 
peur  qu'une  partie  de  ces  malédictions  ne 
tombent  sur  elles  (2).  Voy.  Jurements. 

INCENDIE.  En  UOl ,  un  professeur  de 
Brunswick  annonça  qu'il  vendait  de  la  poudre 
aux  incendies  ,  comme  un  apothicaire  vend 
de  la  poudre  aux  vers;  il  ne  s'agissait,  pour 
sauver  un  édifice,  que  de  le  saupoudrer  de 
quelques  pincées  de  cette  poudre  ;  deux  onces 
suffisaient  par  pieil  carré  :  et  comme  la  livre 
ne  coûtait  que  sept  à  huit  sous,  et  qu'un 
homme  n'a  que  quatorze  pieds  de  superficie, 
on  pouvait,  pour  17  sous  ou  six  deniers 
(vieux  style),  se  rendre  incombustible. Quel- 
ques gens  crédules  achetèrent  la  poudre  du 
docteur.  Les  gens  raisonnables  crurent  qu'il 
voulait  attraper  le  public  ,  et  se  moquèrent 
de  lui  (3). 

INCOMBUSTIBLES.  Il  y  avaitjadis  en  Es- 
pagne des  hommes  d'une  trempe  supérieure 
qu'on  appelait  Suludadores ,  Santiguado- 
res,  Ensalmadores.  Ils  avaient  non-seule- 
ment la  vertu  de  guérir  toutes  les  maladies 
avec  leur  salive  ,  mais  ils  maniaient  le  feu 
impunément  ;  ils  pouvaient  avaler  de  l'huile 
bouillante,  marcher  sur  les  charbons  ardents, 
se  promener  à  l'aise  au  milieu  des  bûchers 
enfiamniés.  Ils  se  disaient  parents  de  sainte 
Catherine,  et  montraient  sur  leur  chair  l'em- 
preinte d'une  roue  ,  signe  manifeste  de  leur 
glorieuse  oiigine. 

Il  existe  aujourd'hui  en  France,  en  Alle- 
magne et  dans  presque  toute  l'Europe  ,  des 
hommes  qui  ont  les  mêmes  privilèges,  et  qui 
pourtant  évitent  avec  soin  l'examen  des  sa- 
vants et  des  docteurs.  Léonard  Vair  conte 
qu'un  de  ces  hommes  incombustibles  ayant 
été  sérieusement  enfermé  dans  un  four  très- 
chaud,  on  le  trouva  calciné  quand  on  rouvrit 
le  four.  Il  y  a  quelques  années  qu'on  vit  à 
Paris  un  Espagnol  marcher  pieds  nus  sur 
des  barres  de  fer  rougies  an  feu  ,  promener 
des  laines  ardentes  sur  ses  bras  et  sur  sa 
langue,  se  laver  les  mains  avec  du  plomb 
fondu,  etc.;  on  publia  ces  merveilles.  Dans 
un  autre  temps,  l'Espagiiol  eût  passé  pour 
un  homme  (jui  avait  des  relations  avec  le 
démon;  alors, on  se  contenta  de ciicr Virgile, 
qui  (lit  que  les  prêtres  d'.Apollon,  au  mont 

(I  )  Ch  iss.inlon,  Ji;!?pmcnls  de  D'cii,  p.  in'J.» 
(ii  lljC  l'jilaiie.  Souvenirs  du  Levain. 


Soracte  ,  marchaient  sur  des  charbons  ar- 
dents; on  cita  Varron  ,  qui  affirme  que  ces 
prêtres  avaient  le  secret  d'une  composition 
qui  le^  rendait  pour  quelques  inslants  inac- 
cessibles à  l'action  du  (eu. 

Le  P.  Regnault,  qui  a  faitqnelques  recher- 
ches pour  découvrir  les  secrets  de  ces  procé- 
dés, en  a  publié  un  dans  ses  Entretiens  sur 
la  physique  expérimentale. 

Ceux  qui  font  métier,  dit-il,  de  manier  le 
fi'U  et  d'en  tenir  à  la  bouche, emploient  quel- 
quefois un  mélange  égal  d'esprit  de  soufre, 
de  sel  ammoniac,  d'es  eiice  de  romarin  et  de 
suc  d'oignon.  L'oignon  est,  en  effei,  regardé, 
par  les  gens  de  la  c;impagne,co:nme  un  pré- 
servatif contre  la  brûlure. 

Dans  le  temps  où  le  P.  Regnault  s'occupait 
de  ces  recherches,  un  chimiste  anglais,  nom- 
mé Richanison ,  remplissait  toute  l'Europe 
du  bruit  de  ses  expériences  merveilleuses.  Il 
mâchait  des  charbons  ardents  sans  se  brûler; 
il  faisait  fondre  du  soufre,  le  pl;içait  tout 
animé  sur  sa  main  ,  et  le  reportait  sur  sa 
langue,  où  il  achevait  de  se  consumer;  il 
mettait  aussi  sur  sa  langue  des  charbons  em- 
brasés, y  faisait  cuire  un  morceau  de  viande 
ou  une  huître,  et  souffrait ,  sjjus  sourciller, 
qu'on  excitât  le  feu  avec  un  suufdet  ;  il  tenaii 
un  fer  rouge  dans  ses  mains  ,  sans  qu'il  y 
restât  aucune  trace  de  brûlure  ,  prenait  ce 
fer  dans  ses  dents,  et  le  lançait  au  loin  avec 
une  force  étonnante;  il  avalait  do  la  poix  et 
du  verre  fondus,  du  soufre  et  de  la  cire  mê- 
lés ensemble  et  tout  ardents,  de  sorte  que  la 
flamme  sortait  do  sa  bouche  comme  d'une 
fournaise.  Jamais  ,  dans  toutes  ces  épreu- 
ves ,  il  ne  dunnaii  le  moindre  sigiie  de  dou- 
leur. 

Depuis  le  chioiisie  Richardson  ,  plusieurs 
hoinines  ont  essayé  comme  lui  de  manier  le 
feu  impunément.  Eu  1774,  on  vit  â  la  forge 
de  Laune  un  homme  qui  marchait  sans  se 
brûler,  surdos  barres  de  fer  ardentes,  tenait 
sursa  maindes  charbons,  et  les  soufflait  avec 
sa  bouche;  sa  peau  était  épaisse  et  enduite 
d'une  sueur  grasse,  onctueu'ie,  mais  il  n'em- 
ployait aucun  spécifiiiue.  Tant  d'exemples 
prouvent  qu'il  n'est  pas  nécessaire  d'êir.' 
parent  de  sainte  Catherine  pour  braver  les 
effets  du  feu.  Mais  il  fallait  que  quelqu'un 
[irîl  la  peine  de  prouver,  par  des  expérien- 
ces décisives,  qu'on  pi'oi  aisément  opérer 
tous  les  prodiges  dont  l'Espagnol  incombus- 
tible a  grossi  sa  réputation  ;  ce  physicien 
s'est  trouvé  à  Naples. 

M.  Semenlini,  premier  professeur  de  chi- 
mie à  l'université  de  celte  vile,  a  publié  à  ce 
sujet  des  recherches  qui  ne  laissent  rien  à 
désirer.  Ses  ()remières  tentatives  no  furent 
pas  heureuses  ;  mais  il  ne  se  découragea 
point,  il  conçut  que  ses  chairs  ne  pouvaient 
acquérir  subitement  les  mêmes  faculiés  que 
celles  du  fameux  Lionctti,qui  était  alors  in- 
combustible ;  qu'il  était  nécessaire  de  répé- 
ter longtemps  les  mêmes  tentatives  ,  et  que  , 
[lour  obtenir  les  résultats  qull  cherchait ,  il 
fallait  beaucoup  do   constance.  A   force   de 

\'^)  H.  Saignes,  des  Errmirs  el  dus  préjuges  ,  t.  III,  p. 
215. 


Dir.TIONN AmE  DES  SCIF.NCES  OCCULTES. 


i-9 

soins,  il  rcusMi.  11  se  fil  sur  le  corps  des 
frictions  sulfureuses,  et  les  répéta  si  sou- 
vent, qu'enfin  il  put  y  promener  impuné- 
ment une  lame  de  fer  roniîc  11  essaya  de 
produire  le  même  effet  a\ec  une  dissolution 
d'alun,  l'nne  des  substances  les  plus  propres 
à  repousser  l'action  du  feu  :  le  succès  fui  en- 
core plus  complet. 

Mais  quand  M.  Semcntini  avait  lave  la 
partie  incoinbustiblc,  il  perdait  aussitôt  tous 
ses  avantages,  et  devenait  aussi  périssablii 
que  le  commun  des  mortels.  11  fallut  donc 
tenter  de  nouvelles  expériences. 

Le  hasard  servit  à  souhait  M.  Semenlini. 
Eu  cherchant  jusqu'à  quel  point  l'énergie  du 
spécifique  qu'il  avait  employé  pouvait  se  con- 
server, il  passa  sur  la  partie  Iroltée  un  mor- 
ceau de  savon  dur.  et  l'essnya  avec  un  linge: 
il  y  porta  ensuite  une  lame  de  fer.  Quel  fut 
son  étonnemenl  dy  voir  qne  sa  peau  avait 
non-seulement  conservé  sa  première  insensi- 
bilité, mais  qu'elle  en  avait  acquis  une  bien 
plus  grande  encore  1  Quand  on  est  heureux, 
on  devient  entreprenant  :  M.  Sementini  tenta 
sur  sa  langue  ce  qu'il  vcnnil d'éprouver  sur 
son  bras,  et  sa  langue  répondit  parfaitement 
à  son  attente;  elle  soutint  l'épreuve  sans 
murmurer  ;  un  fer  étincelant  n'y  laissa  pas 
la  moindre  empreinte  de  brûlure.  —  Voila 
donc  les  prodiges  de  l'inrombustibilile  ré- 
duits à  des  actes  naturels  et  vulgaires  (i). 

Voy.  Ffv.  ,  . 

INCREDULES.  On  a  remarque  ,  par  de 
tristes  expériences,  que  les  incrédules,  qui 
nient  les  faits  de  la  religion,  croient  aux  f.i- 
bles  superstitieuses,  aux  songes,  aux  cartes, 
aux  présages,  aux  plus  vains  pronost  es 
—  comme  pour  montrer  que  l'esprit  fort  est 
surtout  un  esprit  faible. 

INCUBES,  démons  qui  séduisaient  les  fem- 
mes. Serviiis  Tullins,  qui  fut  roi  des  Ko- 
mains,  était  le  fils  d'une  esclave  et  de  Vul- 
cain,  selon  d'anciens  auteurs;  d'un  salaman- 
dre, selon  les  cabalistcs  ;  d'un  démon  incube, 
selon  les  démonographes. 

INCUBO,  génie  gardien  des  trésors  de  la 
terre.  Le  petit  peuple  de  l'ancienne  Rome 
croyait  que  les  trésors  cachés  dans  hs  en- 
trailles de  la  terre  étaient  gardés  par  des 
esprits  nommés  Incubones,  qui  avaient  de 
petits  chapeaux  dont  il  fallait  d'aboi  d  se  sai- 
sir. Si  on  avait  ce  bonheur,  on  devenait  leur 
maître,  et  on  les  contraignait  à  déclarer  et  à 
découvrir  où  étaient  ces  trésors.  Ces  esprits 
sont  nos  gnomes  et  nos  lutins. 

INFERNAUX. On  nomma  ainsi,  dans  le  sei- 
zième siècle,  les  partisans  de  Nicolas  Gallus 
et  de  Jacques  Smidelen.qui  soutenaient  que, 
pendant  les  trois  jours  de  la  sépulture  de 
Notre-Seigneur,  son  âme,  descendue  dans  le 
lieu  où  les  damnés  souffrent,  y  avait  été 
tourmenlé  •  avec  ces  malheureux  (-2). 

INFIDELITE.  Quand  les  hommes  de  cer- 
taines peuplades  d'Egypte  sc^upçonnaient 
leurs  femmes  d'inQdelile,  ils  leur  faisaient 
avaler  de  l'eau   soufrée  ,   dans  laciuellc  ils 

(1)  M.  Saignes, des  Krrmirs  et  ilcs  |>iéjiigô"î,  l.  II,  p.  t8C 
Cl  MlIV.  , 

(2j  Bergier.  Dicl.  Uieulog. 


mettaient  delà  poussière  et  de  l'huile  dclampe, 
prétendant  que,  si  elles  étaient  coupables,  ce 
breuvage  leur  feraitsouffrir  des  douleurs  in- 
supportables :  espèce  d'épreuve  connue  sous 
le  nom  de  calice  du  soupçon. 

INFLUENCE  DESASTRES.  Le  Taureau 
domiiiesur  le  cou;  les  (léme aux  sur  les  épau- 
les; l'Ecrevisse  sur  les  bras  cl  sur  les  mains; 
le  Lion  sur  la  poitrine,  le  cœur  elle  dia- 
phragme; la  Vierge  sur  l'estomac,  les  intes- 
tins, les  côtes  et  les  muscles;  la  Balance  sur 
les  reins;  leScorpionsur  les  parties  secrètes; 
le  Sagittaire  sur  le  nez  et  les  excréuients;  le 
Capricorne  sur  les  genoux;  le  Verseau  sur 
les  cuis^es;  le  Poisson  sur  les  pieds. 

Voilà  en  peu  de  mots  ce  qui  regarde  les 
douze  signes  du  Zodiaque  touchant  les  diffé- 
rentes parties  du  corps,  il  est  donc  très-dan- 
gereux d'offenser  qneliiue  membre,  lorsque 
la  lune  est  dans  le  signe  qui  le  domiiie,  parce 
que  la  lune  en  augmente  l'humidiié,  comme 
on  le  verra  si  on  expose  de  la  chair  frai i  lie 
pendant  la  nuit  aux  rayons  de  la  lune  :  il  s'y 
engendrera  des  vers,  et  surtout  dans  la  pleine 
lune  (.3).  Voy.  Astrologie. 

INIS-FAIL,  nom  dune  pierre  fameuse  at- 
tachée encore  aujourd'hui  sous  le  siège  où 
l'on  couronnait  ,  dans  l'église  de  Westmins- 
ter, les  rois  de  la  Grande-Bretagne.  Celte 
pierre  du  destin,  que  dans  la  légende  hé- 
roïque de  ces  peuples  les  anciens  Ecossais 
avaient  apportée  d'Irlande,  au  quatrièuie  siè- 
cle, devait  les  faire  régner  partout  où  elle 
serait  placée  au  milieu  d'tux. 

INQUISITION.  Ce  fut  vers  l'an  1200  que  le 
pape  Innocent  III  établit  le  tribunal  de  l'in- 
quisition pour  procéder  contre  les  Albigeois, 
héréiiques  perfides,  qui  bouleversaient  la  so- 
ciété. Déjà,  en  118'k  le  concile  de  Vérone 
avait  ordonné  aux  évoques  de  Lombardie  de 
rechercher  les  hérétiques  rebelles,  et  de  li- 
vrer au  magistral  civil  ceux  qui  seraient 
opiniâtres.  Le  comte  de  Toulouse  adopta  ce 
tribunal  en  l-i29;  Grégoire  IX,  en  1233,  le 
confia  aux  dominicains.  Les  écrivains  qui  ont 
dit  que  saint  Dominique  fut  le  premier  inqui- 
siteur général,  ont  dit  là  chose  qui  n'est  pas. 
Saint  Dominique  ne  fut  jamais  inquisiteur; 
il  était  mort  en  1221.  Le  premier  inquisiteur 
général  fut  le  pieux  légat  Pierre  de  Castcl- 
nau,  que  les  Albig(  oi^  a-sassinèrent. 

Le  pape  Inuocenl  IV  étendit  l'inquisition 
dans  toute  l'Italie  ,  à  l'exception  de  Naples. 
L'iispagne  y  fut  soumise  de  1480  à  U84  , 
sous  le  règne  de  Ferdinand  et  d'Isabelle;  le 
Portugal  l'établit  en  1557.  L'inquisition  parut 
depuis  dans  les  pays  où  ces  puissances  do- 
ruiiièrent  ;  mais  elle  ne  s'est  exercée  dans 
aucun  royaume  que  du  consentement  et  le 
plus  souvent  à  la  demande  des  souverains  (4). 
Elle  a  été  repoussée  en  France  et  en  Bel- 
gique. 

«  Si  l'on  excepte  un  très-petit  nombre 
d'hommes  instruits  ,  dit  Joseph  de  Maislre  , 
il  ne  vous  arrivera  guère  de  parler  de  I  in- 
quisition sans  rcnconlrer  dans  chaque  tête 

(5)  Admirables  secrets  d'All)erl  le  Grand,  p.  18. 
(  i)  Bergier,  Dicl.  llié'>log. 


«81 


INQ 


I.XQ 


882 


Irois  erreurs  capilales  ,  plaiilées  el  comme 
rivées  dans  les  esprils,  au  poinl  qu'elles 
cèdent  à  peine  aux  démonstrations  les  plus 
évidentes. 

«  On  croit  que  l'inquisition  est  un  tribu- 
nal purement  ecclésiastique  :  cela  est  faux. 
On  croit  que  les  ecclésiastiques  qui  siéjçent 
dans  ce  tribunal  condamnent  certains  accusés 
à  la  peine  de  mort  :  cela  est  f.iux.  On  croit 
qu'ils  les  condamnent  pour  de  simples  opi- 
nions :  cela  est  faux. 

«  Le  tribunal  espagnol  de  linquisition 
était  purement  royal.  C'était  le  roi  qui  dési- 
gnait l'inquisiteur  général,  et  celui-ci  nom- 
mait à  son  tour  les  inquisiteurs  particuliers, 
avec  l'agrément  du  roi.  Le  règlement  consti- 
tutif de  ce  tribunal  fut  publié  en  Tannée  liSi 
par  le  cardinal  ïorquémada,  de  concert  avec 
le  roi  (1). 

«  Doux,  tolérant,  charitable  ,  consolateur 
dans  tous  les  pays  du  monde,  par  quelle 
magie  le  gouvernement  ecclésiastique  sévi- 
rait-il en  Espagne  ,  au  milieu  d'une  nation 
éminemment  nobleetgcnéreuse?  Dans  l'exa- 
men de  toutes  les  questions  possibles ,  il 
n'y  a  rien  de  si  essentiel  que  d'éviter  la  con- 
fusion des  idées.  Séparons  donc  et  distin- 
guons bien  exactement,  lorsque  nous  rai- 
sonnons sur  l'iuquisilion,  la  part  du  gouver- 
nement de  celle  de  l'Eglise.  Tout  ce  que  le 
tribunal  montre  de  sévère  et  d'effrayant  ,  el 
la  peine  de  mort  surtout ,  appartient  au 
gouvernement  ;  c'est  son  affaire  ;  c'est  à  lui, 
et  c'est  à  lui  seul  qu'il  faut  en  demander 
compte.  Toute  la  clémence,  au  contraire, 
qui  joue  un  si  grand  rôle  dans  le  tribunal 
de  l'inquisition,  est  l'action  de  l'Eglise,  qui 
ne  se  mêle  de  supplices  que  pour  les  suppri- 
mer ou  les  adoucir.  Ce  caractère  indélébile 
n'a  jamais  varié.  Aujourd'hui,  ce  n'est  plus 
une  erreur  ,  c'est  un  crime  de  soutenir  , 
d'imaginer  seulement  que  des  prêtres  puis- 
sent prononcer  des  jugements  de  mort. 

«  11  y  a  dans  l'histoire  de  Fnince  un  grand 
fait  qui  n'est  pas  assez  observe  ,  c'est  celui 
des  templiers  ;  ces  infortunés,  coupables  ou 
non  (ce  n'est  point  de  quoi  il  s'agit  ici),  de- 
mandèrent expressément  d'être  jugés  parle 
tribunal  de  l'inquisition  ;  car  ils  savaient 
ui(n,  disent  les  historiens  ,  que  s'ils  obte- 
n.iienl  de  tels  juges  ,  ils  ne  pouvaient  plus 
être  condamnés  à  mort.... 

«  Le  tribunal  de  l'inquisition  était  composé 
d'un  chef  nommé  grand  inquisiteur,  qui 
était  toujours  archevêque  ou  cvêque  ;  de 
huit  conseillers  ecclésiastiques  ,  dont  six 
étaient  toujours  séculiers,  et  do  deux  régu- 
liers, dont  l'un  était  toujours  dominicain,  en 
vertu  d'un  privilège  accordé  par  le  roi  Phi- 
lippe 111.  «(-2) 

Ainsi  les  dominicains  ne  dirigeaient  donc 
pas  l'inquisition  ,  puisque  l'un  d'eux  seule- 
ment en  faisait  partie  par  privilège. 

«  On  ne  voit  pas  bien  précisément,  dit  en- 
core Joseph  de  Maistre  ,  à  quelle  épocjue  le 
tribunal   de   l'inquisition  commença  à   pro- 

(  t)  Voyez  lerapportodicii'l  eu  venu  cluciuel  l'iiiquisiliuii 
lia  sii|i|'nméc  par  les  corièa  do  181i. 
Ci)  Josoi)ti  de  Muibtre,  Luiues  a  un  gemilliommc  ruise 


noncer  la  peine  de  mort.  Mais  peu  nous  im- 
porte ;  il  nous  suffit  de  savoir  ,  ce  qui  est 
incontestable,  qu'il  ne  put  acquérir  ce  droit 
qu'en  devenant  royal  ,  el  que  tout  jugement 
de  mort  demeure,  par  sa  nature,  étrangi'r  au 
sacerdoce. 

«  La  teneur  des  jugements  établit  ensuite 
que  les  confiscations  étaient  faites  au  profit 
de  la  chambre  royale  et  du  fisc  de  Sa  Mu- 
jeslc. 

«  Ainsi,  encore  un  coup,  ce  tribunal  était 
purement  royal,  malgré  la  fiction  ecclésias- 
tique ;  et  toutes  les  belles  phrases  sur  l'avi- 
dité sacerdotale  tombent  à  terre  (3).  Ainsi 
l'inquisition  religieuse  n'était,  dans  le  fond, 
comme  dit  Garnier,  qu'une  inquisition  poli- 
tique (i).  Le  rapport  des  cortcs  de  1812  appuie 
ce  jugement. 

«  Philippe  II,  le  plus  absurde  des  princes, 
dit  ce  rapport ,  fut  le  véritable  fondateur  de 
l'inquisition.  Ce  fut  sa  politique  raffinée  qui 
la  porta  à  ce  point  de  hauteur  où  elle  était 
montée.  Les  rois  ont  toujours  repoussé  les 
avis  qui  leur  étaient  adressés  contre  ce  tri- 
bunal ,  parce  qu'ils  sont ,  dans  tous  les  cas , 
maîtres  absolus  de  nommer  ,  de  suspendre 
ou  de  renvoyer  les  inquisiteurs  ,  et  qu'ils 
n'ont  ,  d'ailleurs  ,  rien  à  craindre  de  l'in- 
quisition ,  ({ui  n'est  terrible  que  pour  leurs 
sujets....  » 

Ainsi  tombent  ces  contes  bleus  de  rois 
d'Espagne  qui  s'apitoyaient  sur  des  con- 
damnés sans  pouvoir  leur  faire  grâce,  quand 
il  est  démonlré  que  c'étaient  ces  rois  eux- 
mêmes  qui  condamnaient. 

On  a  dit  que  depuis  trois  siècles  l'hisloire 
était  une  vaste  conspiration  contre  le  catho- 
licisme. Ou  ferait  un  volume  effrayant  du 
catalogue  des  mensonges  qui  ont  été  prodi- 
gués dans  ce  cens  par  les  historiens.  La 
plupart  viennent  de  la  rélorme  ;  mais  les 
écrivains  catholiques  les  copient  tous  les 
jours  sans  réflexion.  C'est  la  réforme  qui  la 
première  a  écrit  l'histoire  de  l'iuquisilion  ; 
on  a  trouvé  commode  de  transcrire  son 
odieux  roman,  qui  épargnait  des  recher- 
ches. Vous  tiouverez  donc  partout  des  faits 
inventés  <jui  se  présentent  avec  une  effron- 
terie incroyable.  Nous  en  citerons  deux  ou 
trois. 

«  Si  l'on  en  croit  quelques  historiens, 
Philippe  m,  roi  d'Espagne,  obligé  d'assister 
à  un  aulo-da-fê  (c'est  le  nom  qu'on  donne 
aux  exécutions  (les  inquisileurs),  fiémit,  et 
ne  put  lelenir  ses  larmes  en  voyant  une 
ji-une  Juive  et  une  jeune  Maure  de  quinze  à 
seize  ans  qu'on  livrait  aux  flammes,  et  qui 
n'étaient  coupables  que  d'avoir  été  élevées 
dans  la  religion  de  leurs  pères  (  t  d'y  croire. 
C(  s  historiens  ajouteulque  l'inquisition  fiiuii 
crime  à  ce  prince  d'une  compassion  si  natu- 
relle; que  le  grand  inquisiteur  osa  lui  dire 
qu  '  pour  l'expier  il  lallail  qu'il  lui  en  coulât 
(lu  sang  ;  que  Philippe  III  se  laissa  saignci', 
et  (|ue  le  sang  qu'on  lui  tira  fut  brûle  par  la 
main  du  bourreau 

sur  l'inquisiiion  espagnole, 
tôj  Id  ,  ibid. 
Uj  Hiil.  du  l^rançois  I«',  l.  ll.cliap.î. 


DICT.ONNAIRK  DliS  SUtiNCES  OCCLUES. 


881 


•"est  Sainl-Foiï  qu'  riipporle  ce  lissiid'ab- 
«urdes  faussetés,  dans  ses  I''s.snis  sur  Paris, 
sans  songer  qu'aucun  historien  n'est  là  pour 
;ip))uyer  ces  faits;  qu'ils  ont  été  im.ijjinés 
quatre-ringls  ans  après  la  mort  de  Philippe 
III  ;  que  l'Iiiiippe  111  était  maître  de  faire 
«race  et  de  condamner;  que  l'inquisition  ne 
brûlait  pas  les  Juifs  et  les  Maures,  coupa- 
hles  seulement  d'avoir  été  élevés  dans  la  re- 
ligion de  leurs  pères  et  d'y  croire  ;  qu'elle  se 
contentait  de  les  bannir  pour  raisons  poli- 
tiques, etc. 

Vous  lirez  ailleurs  que  le  cardinal  ïor- 
quémada,  qui  remplit  dix-huilans  les  fonc- 
tions de  grand  inquisiieur,  condamnait  dix 
mille  victimes  par  iin,ce  qui  ferait  cenlqua- 
ire-vingt  mille  victimes.  Mais  vous  verrez 
ponriaiil  ensuite  qu'il  mourut  ayant  faii 
<!;iiis  sa  vie  six  mille  poursuites,  ce  qui  n'est 
|tascenlqualre-viugtmille;que  le  pape  lui  fil 
trois  fois  des  représentations  pour  arrêter  s« 
^évc^.té;  vous  trouverez  dans  Ijs  jugements 
;iss(2  peu  de  condamnations  à  mort.  Les 
autos-(ia-fé  ne  se  faisaient  que  tous  les  deux 
■•■ns;  les  condamnés  à  mort  attendaient  Ion 
guemenl  leur  exécution,  parce  qu'on  espé- 
lait  toujours  leur  conversion  ;  et  vous  re- 
t;rctlerez  de  rencontrer  si  rarement  la  vérité 
d.ius  les  livres. 

Un  gros  ouvrage  qui  vient  de  p.iraitre  (le 
Dictionnaire  universel  de  la  Géographie  et 
de  l'Histoire)  porte  à  cinq  m  liions  le  nombre 
des  personnes  que  l'inqnisilion  a  fait  périr 
en  Espagne C'est,  de  plus  de  quatre  mil- 
lions et  neuf  cent  mille,  une  erreur,  —pour 
ne  pas  dire  plus. 

Rapportons  mainlenanl  quelque  procé- 
dure de  rinquisition.  Le  fait  qui  va  suivie 
est  tiré  de  riiistoire  de  l'inquisition  d'Espa- 
gne, faite  à  Paris  sur  les  matériaux  fournis 
par  I).  LIorcnle,  matériaux  qu'on  n'a  pas 
toujours  eiii()  oyés  comme  LIorentc  l'eût 
voulu;  car  on  a  fait  de  son  livre  un  pam- 
[ihlet. 

«  L'inquisition  faisait  naturellement  la 
guerre  aux  francs-maçons  et  aux  sorciers. 
A  la  fin  du  dernier  siècle,  nn  artisan  fut  ar- 
réléaunomdu  saint-office  pour  avoir  dit 
dans  quelques'  entretiens  qu'il  n'y  avait  ni 
diables,  ni  aucune  autre  espèce  d'esprits  in- 
fernaux capables  de  se  rendre  maîtres  des 
âmes  humaines.  Il  avoua,  dans  la  première 
audience,  tout  ce  qui  lui  était  imputé,  ajouta 
qu'il  en  était  alors  persuadé  pour  les  raisons 
(juil  exposa,  et  déclara  qu'il  était  prêt  à  dé- 
tester de  bonne  foi  son  erreur,  à  en  recevoir 
l'absolution,  et  à  faire  la  pénitence  qui  lui 
^erail  imposée. 

«J'avais  >u(dit-il  en  se  justifiant)un  si  grand 
nombre  de  malheurs,  dans  ma  personne,  mii 
famille,  mesbiens  et  mes  affaires, que  j'en  per- 
dis patience,  et  que,  dans  nn  moment  de  dé- 
sespoir, j'appelai  le  diable  à  mon  secours  :  je 
lui  offris  en  retour  ma  personne  et  mon  âme. 
Jle  renouvelai  plusieurs  fois  mon  invocation 
dans  l'espace  dci)ue!ques jours, mais  inutile- 
ment,cnrlcdiable  ne  vint  point.  Jeni'adressai 
a  un  pauvre  homme  qui  passait  pour  sorcier  ; 
je  lui  lis  nai  t  de  ma  situation.  11  uie  condui- 


sit chez  une  femme,  qu'il  disait  beaucoup 
plus  habile  que  lui  dans  les  opérations  de  la 
sorcellerie.  Cette  femme  nie  conseilla  de  me 
rendre,  trois  nuits  de  suite,  sur  la  colline  des 
Vistillns  de  saint  Fr.'nçois  ,  et  d'appeler  à 
grands  cris  Lucifer,  sous  le  nom  d'anye  de 
lumière,  en  reniant  Dieu  et  la  religion  chré- 
tienne, et  en  lui  offrant  mon  âme.  Je  fis  tout 
ce  que  celte  femme  m'avait  conseillé,  mais 
je  ne  vis  rien  :  alors  elle  me  dit  de  quitter  le 
rosaire,  le  scapulaire  et  les  autres  signes  de 
chrétien  que  j'avais  coutume  de  porter  sur 
moi,  el  d(!  renoncer  franchement  et  de  toute 
mon  âine  à  la  foi  de  Dieu  ,  pour  embrasser 
le  parti  de  Lucifer,  en  déclarant  que  je  re- 
connaissais sa  divinité  el  sa  puissance  pour 
supérieures  à  celles  de  Dieu  même  ;  cl  après 
m'élre  assuré  que  j'étais  véritablement  dans 
ces  dispositions,  de  répéter,  pendant  trois 
autres  nuits,  ce  que  j'avais  fait  la  première 
fois. 

J'exécutai  poncluellcmenl  ce  que  cette 
1  mine  venait  de  me  prescrire;  cependant 
l'anije  de  lumière  ne  m'apparut  pi)inl.  La 
vieille  me  recommanda  de  prendre  de  mon 
sang,  et  de  m'en  servir  pour  écrire  sur  du 
papier  (lue  j'engageais  mon  âme  à  Lucifer, 
comme  à  son  maîlie  el  à  son  souverain  ;  de 
porter  cet  écrit  au  lieu  où  j'avais  fait  mes 
invocations,  el,  pendant  que  je  le  tiendrais  à 
la  main,  de  répéter  mes  anciennes  paroles:  je 
fis  tout  ce  qui  m'avail  été  recommandé,  mais 
toujours  sans  résultat. 

«  Me  rappelant  alors  tout  ce  qui  venait  de 
se  passer,  je  raisonnai  ainsi  :  S'il  j  avait  des 
diables,  el  s'il  était  vrai  qu'ils  désirassent  de 
s'emparer  des  âmes  humaines,  il  sérail  im- 
possible de  leur  ea  ofl'iir  une  plus  belle  oc- 
casion que  celle-ci,  puisque  j'ai  vérilable- 
inenl  désiré  de  leur  donner  la  mienne.  11 
n'est  donc  pas  vrai  qu'il  y  ait  des  démons  ; 
le  sorcier  el  la  sorcière  n'ont  donc  fait  aueun 
pacte  avec  le  «iiablc,  el  ils  ne  peuvent  être 
que  des  fourbes  et  des  charlatans  l'un  et 
l'autre.  » 

Telles  étaient  en  substance  les  raisons  qui 
avaient  fait  apostasier  l'artisan  Jean  Pérez. 
11  les  exposa,  en  confessant  sincèremcal  son 
péché.  On  entreprit  de  lui  prouver  que  tout 
ce  qui  s'était  pas-é  ne  prouvait  lien  contre 
i'exisleiicv!  des  déimiis,  mais  fais,;it  voir 
seulement  que  le  diable  avait  manqué  de  se 
rendre  à  l'appel,  Dieu  le  lui  défendant  quel- 
quefois, pour  récompenser  le  coupable  de 
(|uelques  bonnes  œuvres  qu'il  a  pu  faire 
avant  de  tomber  dans  l'apostasie.  11  se  sou- 
mil,  reçut  l'absolution  el  fut  condamné  à 
une  année  de  prison,  à  se  confesser  el  à 
communier  aux  fêles  do  Noël,  de  Pâques  et 
de  la  Pentecôte,  pendant  le  reste  de  ses 
jours,  ^0!ls  la  conduite  d'uu  prêtre  qui  lui 
serait  donné  pour  directeur  spiriluel  ;  à  ré- 
citer une  partie  du  rosaire  el  à  faire  tous  les 
jours  des  actes  de  foi,  d'espérance,  de  cha- 
rité, de  contrition,  elc.  Tel  fut  son  châti- 
ment. 

Voici  maintenant  l'histoire  d'un  antre 
épouvautalilc  ;uilo-d,i-fé,  exlraitedu  Voyage 
la.l  en  Espagne  pendaul  les  années  178t)  el 


»ts 


INV 


LNV 


1787,    par   Joseph    Fownsend  ,   recteur  de 
Pewsey  : 

«  Un  mendiant,  nommé  If^nazio  ïlodriguez, 
fut  mis  en  jugement  au  tribunal  de  l'inquisi- 
lion  pour  avoir  distrihué  des  philtres  amou- 
reux, dont  les  ingrédients  étaient  tels  que 
l'honnêteté  ne  permet  pas  de  les  désiqner.  Kri 
administrant  le  ridicule  remède  (il  paraît 
que  le  prédiranl  anglais  n'est  pas  sévère), 
iipronoiiçail  quelques  paroles  de  nécroman- 
cie. Il  fut  bien  constaté  que  la  poudre  avait 
élé  administrée  à  des  personnes  de  tout 
rang.  Rodrigucz  fut  condamné  à  être  con- 
duit dans  les  rues  de  Midiid,  monté  sur  un 
âne,  et  à  être  fouellé.  On  lui  imposa  de  plus 
quelques  pratiquas  de  religion  et  l'esil  de  la 
capitale  pour  cinq  ans.  La  lecture  de  la  sen- 
tence futsouveni  interrompue  par  de  grands 
éclats  di!  rire,  auxquels  se  joignait  le  men- 
diant lui-même.  Le  coupable  fut,  en  effel, 
promené  par  les  rues,  mais  non  fouetté;  et 
pendant  la  route,  on  lui  offrait  du  vin  et  des 
biscuits  pour  se  rafraîchir....  » 

Nous  pourrions  rasst  mbler  beaucoup  de 
traits  pareils,  qui  peindraient  l'inquisition 
tout  autrement  queue  la  montrent  des  livres 
infiniment   trop  menîeurs.  Voy.   Tribunal 

SECRET. 

INSENSIBILITE.  On  prétendait  que  le 
diable  rendait  les  sorciers  insensibles  à  la 
question  on  ti  rture.  Miis  ce  fait  ne  s'est  ja- 
mais VII,  ou  du  moins  avec  certitude. 

INTEIIDIT,  censure  de  l'Eglise  qui  sus - 
pend  les  ccciésiastiqnes  de  leurs  fonctions, 
et  qui  prive  le  peuple  de  l'usage  des  sacre- 
ments, du  scrvi<  6  divin  et  de  la  sépulture  pu 
terre  sainte.  L'objet  de  l'interdit  n'était,  dans 
son  origine,  que  de  punir  ceux  qui  avaient 
causé  quelque  S(  andale  public,  et  de  les  ra- 
mener au  devoir  en  les  obligeant  à  deman- 
der la  levée  de  l'interdit. 

Ordinairement  l'interdit  arrêtait  les  dérè- 
glements des  monastères,  empêchait  les  hé- 
résies de  s'étendre,  mettait  un  frein  aux  ex- 
cès des  seigneurs  lyranniques,  des  criminels 
puissants,  des  perturbateurs  de  la  paix  pu- 
blique. Ainsi,  après  le  massacre  des  vêpres 
siciliennes,  le  pape  Martin  IV  mit  en  inter- 
dit la  Sicile  elles  Etals  de  Pierre  d'Aragon. 
Grégoire  Vil,  qui  fil  grand  usage  de  l'inter- 
dit, sauva  plus  d'une  lois  par  cette  mesure  la 
cause  de  l'humanité,  qui  sans  lui  périssait 
de  toutes  parts. 

L'interdit  doit  être  prononcé  dans  les  mê- 
mes formes  que  l'excommunication,  parécrit, 
nommément,  avec  l'expression  de  la  cause  et 
après  trois  monitions.  La  peine  de  ceux  qui 
violent  l'inlerdit  est  de  tomber  dans  l'excom- 
munication. 

INVISIBILITE.  Pour  être  invisible,  il  ne 
faut  que  mettre  devant  soi  le  contraire  de  la 
lumière;  un  mur,  par  exemple  (1). 

Mais  le  Petit  Albert  et  les  Clavicules  de 
Salomon  nous  découvrent  des  secrets  plus 
rares  et  plus  importants  pour  l'invisibilité. 
On  se  rend  invisible,  par  exemple,  eu  portant 
>ous  son  bras  droit  le  cœur  d'une  chauve- 
iouris,  celui  d'une  pouicnoirc  ou  celui  d'une 
(l)  Lk  (tuiiile  du  Gabulii. 


8S6 


grenouille.  Ou  bien,  disent   ces  infâmes  pe- 
tits livres  de  secrets  stupides,  volez  un  chat 
noir,   achetez  un  pot    neuf,  un    miroir,   un 
briquet,  une   pierre  d'agale,   du  charbon  cl 
de  l'amadou,   observant  d'aller   prendre  do 
l'eau  au  coupde  minuil  àunefonlaine;  après 
quoi  allumez  votre  feu,  mettez  le  chat  dans 
le  pot,  et  tenez-le  couvert  de  la  main  gau- 
che sans  jamais  bouger  ni  regarder  derrière 
vous,  quelque  bruit  que  vous  enlendiez;  ef 
après  l'avoir  fait  bouillir  vingt-quatre  heu- 
res,   toujours   sans   bouger,  sans   regarder 
derrière  vous,  sans  boire  ni  manger,  mettez- 
le  dans  un  plat  neuf,  prenez   la  viande  et  la 
jetez  par-dessus  l'épaule  gauche,   en  disant 
ces  paroles  :  Accipe  quod  libi  do  et  niliil  am- 
/j/(us;  puis  mettez  les   os  l'un  après    l'autre 
sous  les  dents,  du  côté  gauche,  eu  vous  re- 
gardant dans  le  miroir;   et  si  l'os  que  vous 
tenez  n'est  pas  le  bon,  je'ez-Ie  successive- 
ment, en  di.-ant  les  mêmes   paroles  jusqu'à 
ce  que  vous  l'ayez  trouvé;  sitôt  que  vous  ne 
vous  verrez  plus   dans   le  miroir,   retirez- 
vous  à  reculons.  La  possession  de  cet  os  vous 
rendra  invisible  toutes  les  fois  que  vous    le 
prendrez  entre  les  dents. 

On  peut  encore,  pour  se  rendre  invisible, 
faire  celte  opération  que  l'on  commence  un 
mercredi,  avant  le  soleil  levé.  On  se  munit 
de  sept  fèves  noires;  puis  on  prend  une  tête 
de  mort  ;  on  met  une  fève  dans  la  bouche, 
deux  dans  les  narines,  deux  dans  les  yeux 
et  deux  dans  les  oreilles  ;  on  fait  ensuite  sur 
celle  tête  la  figure  d'un  triangle,  puis  on 
l'enterre  la  face  vers  le  ciel  ;  on  l'arrose 
pendant  neuf  jours  avec  d'excellente  eau-iie- 
vie,  de  bon  matin  ,  avant  le  soleil  levé.  Au 
huitième  jour,  vous  y  trouverez  un  esprit  ou 
démon  qui  vous  demandera  :  —  Que  fais- 
tu  là  ? 
Vous  lui  répondrez  :  —  J'arrose  ma  plante. 
11^  vous  dira:—  Donne-moi  cette  bouteille, 
je  l'arroserai  moi-même. 

Vous  lui  répondrez  que  vous  ne  le  vou- 
lez pas.  Il  vous  la  demandera  encore  ;  vous 
la  lui  refuserez  jusqu'à  ce  qu'il  t'ude  la 
main,  où  vous  verrez  une  figure  semblable  à 
celle  que  vous  avez  faite  sur  la  tête  ;  vous 
devez  être  assuré  dès  lorsque  c'est  l'esprit 
véritable  de  la  tête. 

N'ayant  plus  de  surprise  à  craindre,  vous 
lui  donnerez  votre  fiole  ,  il  arrosera  lui- 
même,  et  vous  vous  en  irez. 

Le  lendemain  ,  qui  est  le  neuvième  jour, 
vous  y  retournerez  ;  vous  y  trouverez  vos 
fèves  mûres,  vous  les  prendrez,  vous  en  met- 
trez une  dans  votre  bouche,  puis  vous  regar- 
derez dans  un  niiroir  :  si  vous  ne  vous  y 
voyez  pas,  elle  sera  bonne.  Vous  en  ferez  de 
même  de  toutes  les  autres  ;  celles  qui  ne 
vaudront  rien  doivent  être  enterrées  au  lieu 
ouest  la  tête.  —  Pour  cette  expérience,  ayez 
toutes  les  choses  bien  préparées  avec  dili- 
gence et  avec  toutes  les  solennités  retjuiscs... 
Il  y  a  encore  de  malheureux  niais  qui 
croient  à  ces  procédés.  Voy.  Anneau. 

INVOCATIONS.  Agrippa  dit  (jue,  pour  in- 
voquer le  diable  cl   l'obliger  à  paraître,  ou 


887 


DICTIONNAIIIK  DES  SCIiNCbS  OCCULTKS. 


888 


fiii  serl  (les  piirolcs  mngiqaes  :  Dieu  mies, 
jc.'yuet  benedo  efet  douvema  cnileinaiisl  Mais 
PiiTrc  Lcloyer  dit  (jUPCcux  qui  ont  des  rous- 
seurs au  »isago  no.  peuvent  faire  venir  les 
(louions,  qiioi(|u'ils  lis  invoiinenl.  V^oy.  Evo- 
cations et  Conjurations. 

10.  Celle  femme  que  Junun  changea  on 
génisse  esl  traitée  de  sorcière  dans  les  démo- 
nographes.  Delancre  assure  (1)  que  c'élait 
une  niagici  une  (|ui  se  faisait  voir  tantôt  sous 
les  traits  d'une  femme,  tantôt  sous  ceux  d'une 
vache  avec  ses  cornes. 

Il'ÈS  ou  AYPKKOS,  prince  et  comte  de 
l'enfer;  il  apparaît  sous  la  forme  d'un  ange, 
quelquefois  sous  celle  d'un  lion,  avec  la  Icle 
et  l'.'S  pâlies  d'une  oie  et  une  queue  de  liè- 
vre, ce  qui  est  un  peu  court;  il  connaît  le 
passé  et  l'avenir,  donne  du  génie  et  de  l'au- 
dace aux  hommes,  el  commande  trente-six 
légions  (-2). 

IRLANDE.  Parmi  beaucoup  d'opinions 
poétiques  ou  bizarres,  les  Irlandais  croient 
qu'ui:e  personne  qui  doit  mourir  nalurelle- 
nienl  ou  par  accident,  se  montre  la  nuit  à 
quelqu'un,  ou  plutôt  son  image ,  dans  un 
lirap  mortuaire.  Celle  apparition  a  lieu  dans 
les  trois  jours  qui  précèdent  la  mort  an- 
noncée. 

IS  Ville  bretonne,  gouvernée  par  le  roi 
Gralon  ;  loule  espèce  de  luxe  et  de  débau- 
che régnait  dans  celle  opulente  cité.  Les 
plus  saints  personnages  y  prêchaient  en  vain 
les  mœurs  el  la  réforme.  La  princesse  Dahul, 
lllle  du  roi, oubliant  la  pudeur  et  la  modéra- 
tion naturelle  à  son  sexe,  y  donnait  loxem- 
ple  de  tout  genre  de  dépravation.  L'heure  de 
la  vengeance  approchait  :  le  calme  qui  pré- 
cède les  plus  horribles  tempêtes,  les  chants, 
la  musique  le  vin,  loule  espèce  despectacles 
cl  de  débauchesenivraient ,  endormaient  les 
habitants  endurcis  de  la  grande  vilie.  Le  roi 
(iralun  seul  n'était  pas  insensible  à  la  voix 
du  ciel  ;  un  jour  le  prophète  Guénolé  pro- 
nonça d'une  voix  sombre  ces  mots  di'vant 
le  roi  Gralon  : 

—  Prince,  le  désordre  est  au  comble,  le 
bras  de  l'Eternel  se  lève,  la  mer  se  gonfle,  la 
cité  d'Is  va  disparaîire  :  partons. 

Gialon  moule  aussitôt  à  cheval  el  s'éloigne 
à  toute  bride;  sa  fille  Dahut  le  suit  en  crou- 
pe   La  main  de  l'Eternel  s'abaisse;  les 

plus  hautes  tours  de  la  ville  sont  englouties, 
ii;«  Ilots  pressent  eu  grondant  le  coursier  du 


saint  roi,  qui  ne  peut  .s'en  dégager  ;  une  voix 
terrible  se  fait  entendre  :  —  Prince,  si  tu 
veux  te  sauver,  renvoie  le  diable  qui  le  suit 
en  croupe. 

La  belle  Dahnt  perdit  la  vie,  elle  se  noya 
près  du  lieu  qu'on  nomme  Poul-Dahut.  La 
tempéle  cessa,  l'air  devint  calme,  le  ciel  se- 
rein ;  mais  depuis  ce  moment  le  vasle  bassin 
sur  lequel  s'élcndail  une  partie  de  la  ville 
d'Is  fut  couvert  d'eau.  C'est  maintenant  l<i 
baie  de  Douarnenez  (3). 

ISAACAHUM.l'undes  adjoinisdeLevialhan 
da'>^s  la  possession  de  Loudun. 

tSLAND.\IS.  Les  Islandais  sont  si  experts 
dans  l'art  magique,  dit  un  voyageur  du  der- 
nier siècle,  qu'ils  font  voir  aux  é^angers  ce 
qui  se  passe  dans  leurs  maisons,  même  leurs 
pères  ,  mères,  parents  et  amis,  vivants  ou 
morts  (i). 

ISLE  EN  JOURDAIN  (Mainfroy  de  l),  ha- 
bile devin  qui  découvrit  par  l'astrologie  l'hor- 
rible conduite  de  deux  chevaliers  ,  Philippe 
cl  Gauthierd'Aunoy, lesquels  étaient  amants, 
l'un  de  Marguerite  de  Navarre ,  femme  de 
Louis  le  Iluliii,  et  l'autre  de  Blanche,  femme 
de  Charles  le  Dél  ;  on  prouva  encore  qu'ils 
envoûtaient  les  maris  de  ces  deux  dames. 
C'étaient  les  deux  frères  de  Pliilip|»e-lo. 
Long.  Le  roi  Philippe  en  fit  justice  :  les  deux 
chevaliers  furent  écorchés  vifs  et  pendus,  et 
les  deux  dames  périrent  en  prison  (5). 

ISPAREÏTA,  idole  principale  des  habitants 
de  la  côte  du  Malabar.  Antérieurement  à 
toute  création,  Isparetta  se  changea  en  un 
œuf  d'où  sortirent  le  ciel  et  la  terre  et  tout  ce 
qu'ils  contiennent.  On  le  représente  avec 
trois  yeux  et  huit  mains,  une  sonnette  pendue 
au  cou,  une  demi-lutie  el  des  serpents  sur  le 
front. 

ISUAFIL,  ou  ASRAFIL.  Voy.  Asrafil. 

ITHYPHALLE,  nom  d'une  espèce  il'amu- 
leltes  que  l'on  pendait  au  cou  des  enfants  et 
des  vcsliles;  on  lui  attribuait  de  grandes 
vertus.  Pline  dit  que  c'élait  un  préservatif 
pour  les  empereurs  mêmes,  qu'il  protégeait 
contre  les  effets  de  l'envie. 

IWAN-BASILOWITZ.  Voy.  Jran. 
IWANGIS,  sorciers  des  îles  Moluques,  qui 
font  aussi  le  métier  d'empoisonneurs.  On 
prétend  qu'ils  déterrent  les  corps  morlset  s'en 
nourrissent,  ce  qui  oblige  les  Moluquois  à 
naonterla  garde  auprès  des  sépultures,  jus- 
qu'à ce  que  les  cadavres  soient  pviurris. 


J 


JARAMIAU,  mol  puissant  de  la  cabale  élé- 
mentaire, lequel,  prononcé  par  un  sage  ca- 
baliste,  res'.ituc  les  membres  tronqués. 

JACOB.  Voy.  Eternoment. 

JACOBINS  DE  BEllNE.  Voy.  Jetzer. 

JACK.  Parmi  les  démons  inférii  uis  de   la 

(I)  Tableau  de  l'imoiislance  di'S  déliions,  [t.  -48. 
(2;  VVierus,  in  l'srinloii.oiiarcliiadaein. 
(5)  M.  Caiiibiy,  V'oyjgc  dans  la  l'inislère  ,  lum,  H,  v:\-'. 
est. 
U)  Nouv.  vojnse  vers  le  sijrteat.,  1708.  cliaii.  66 


sphère  du  feu,  nous  ne  saurions  oublier  le 
follet  appelé  vulgairement  on  Angleterre 
Jackwitli  tbe  l  nlern,  Jack  à  la  lanterne,  que 
Millon  nomme  aussi  le  moine  des  marais  ((>). 
Selon  la  cli(i)nic)ue  de  l'abbaye  de  Corweg, 
ce  moine  eu  séduisit  un  autre,  frère  Séba^- 

(3)  Manuscrit  de  la  Bibliollièque ,  cilé  par  Joly  dans  ses 
Reimniues  sur  Baille. 

(i>)  Lu  loiiiaiicior  américaiii  a  fuit  uu  volume  iur  JacKi 
tj  laaieruc. 


8S9  JAD 

lien,  qui,  revenant  (!(•  pièchcr  la  fête  de  saiul 
Jean,  se  l.li^sa  conduire  à  travers  (champs 
par  la  fatale  lanterne  jusqu'au  boni  d'un  pré- 
cipice où  il  périt.  C'était  en  l'année  1034- ; 
nous  ne  saurions  vérifier  le  fait. 

Li's  paysans  allemands  regardent  cedialilc 
de  feu  comme  très-irritable  ;  pourtant  ils  ont 
quelquefois  la  malice  de  lui  chanter  un  cou- 
plet qui  le  met  en  fureur.  —  Il  n'y  a  pas 
trente  ans  qu'une  fille  du  village  de  Lor>ch 
eut  l'imprudence  de  chanter  ce  refrain,  au 
moment  où  le  follet  dansait  sur  une  prairie 
marécageuse  :  aussitôt  il  poursuivit  la  chan- 
teuse ;  celle-ci  se  mil  à  courir  de  toute  la  vi- 
tesse de  ses  jambes;  elle  se  croyait  déjà  sai- 
vée  en  apercevant  sa  maison,  mais  à  peine 
franchissait-elle  le  seuil  qua  Jack  à  la  lan- 
terne le  franchit  aussi,  et  frappa  si  violem- 
ment de  ses  ailes  tous  ceux  qui  étaient  pré- 
sents qu'ils  en  furent  éblouis.  Quant  â  la 
pauvre  fille,  elle  en  perdit  la  vue;  elle  ne 
ciianti  plus  que  sur  le  banc  de  sa  porte,  lors- 
qu'on lui  assurait  que  le  ciel  était  pur.  Telle 
est  du  moins  la  légende. 

Il  ne  faut  pns  être  un  Irès-fort  chimiste 
pour  deviner  la  nature  de  ce  démon  électri- 
que ;  mais  on  peut  le  classer  avec  les  démons 
du  feu  (\u\  dénoncent  les  trésors  cachés  par 
les  llammes  livides  (ju'ils  font  exhaler  de  la 
terre,  et  avec  ceux  qui  parcourent  les  cime- 
tières par  un  temps  d'orage.  Maintes  fois, 
autour  des  sources  sulfureuses  où  les  petites 
maîtresses  vont  chaque  année  réconforter 
leurs  poitrines  délicates,  le  montagnard  des 
Pyrénées  voit  volligerdesgobelins  de  la  même 
famille  :  ils  agitent  leurs  aigrettes  bleuâtres 
pendant  la  nuit,  et  font  mémo  entendre  de  lé- 
gères détonations. 

Le  plus  terrible  de  ces  démons  est  celui 
qui  fond  son  essence  vivante  dans  les  li- 
(jueurs  fermentées,  qui  s'introduit  sous  cette 
l'orme  liijuide  dans  les  veines  d'un  buveur, 
ft  y  allume  à  la  longue  un  incendie  qui  le 
dévore,  en  fournissant  aux  médecins  un 
exemple  de  plus  de  ce  qu'ils  appellent  scien- 
tifi<)uement  une  combustion  spontanée  (1). 

JACQUES  I".  Le  roi  d'Angleterre  Jacques 
premier  ,  que  Henri  IV  appelait  si  plaisam- 
ment maître  Jacques ,  ne  se  .contentait  pas 
de  faire  brûler  les  sorciers  :  il  a  produit  en- 
core, sous  le  litre  de  JJémonoloyie,  un  gi'os 
volume  pour  prouver  que  les  sorciers  entre- 
tiennent un  commerce  exécrable  avec  le  dia- 
ble. Ou  trouve  dans  ce  livre  toutes  les  idées 
de  son  temps,  dont  quelques-unes  sont  assez 
étroites. 

JADE.  Pierre  à  laquelle  les  Indiens  attri- 
buaient, entre  autres  propriétés  merveilleu- 
ses, celles  de  soulager  les  douleurs  de  reins, 
quand  on  l'y  appliquait,  etde  faire  écouler  le 
sable  de  la  vessie.  Ils  la  regardaient  aussi 
comme  un  remède  souverain  contre  l'épi- 
1,'psie,  et  s'étaient  persuadé  que  ,  portée  en 
amulette,  elle  était  un  préservatif  contre  les 
morsures  des  bêtes  venimeuses.  Ces  prélen- 
dues  propriétés  lui  avaient  donné  la  vogue  à 

(1)  Tradilions  populaires.  Qimrterly  Review. 

li)  tiros  el  Ariléros. 

13)  Hiil.  des  siiKCif Ci  ou  apparitions  des  esprits,  liv.  !v. 


JVM 


8Vl) 


P>ii  is,  il  y  a  quel(|ues  années  ;  mais  cette' 
pierre  prodigieuse  a  perdu  sa  réjiutatiou,  et 
^es  grandes  vertus  sont  mises  au  rang  des 
frbles. 

JAKISES, esprits  malins  répandusdans l'air 
chez  les  Japonais.  On  célèbre  des  fêtes  pour 
obtenir  leurs  bonnes  grâces. 

JAMAMBUKES,  ou  JA.MMABOS,  espèce  de 
f  uiatique  japonais,  du  genre  des  fak.rs,  qui 
errent  d.ius  les  campagnes  et  prétendent  con- 
verser familièremi'nt  avec  le  diable.  Quand 
ils  vont  aux  enterrements ,  ils  enlèvent, 
(lit-on,  le  corps  sans  qu'on  s'en  aperçoive, 
et  ressuseitent  les  morts.  Après  s'être  meur- 
tris de  coups  de  bâton  pendant  trois  mois,  ils 
entrent  en  nombre  dins  une  barcjue,  s'avan- 
cent en  pleine  mer,  font  un  trou  à  la  barque 
et  se  noient  en  l'honneur  de  leurs  dieux. 

Cette  sorte  de  fakirs  fait  sa  profession,  à  ce 
qu'on  assure  ,  entre  les  mains  du  diable 
même,  qui  se  montre  à  eux  sous  une  forme 
terrible.  Ils  découvrent  les  objets  perdus  ou 
dérobés  ;  pour  cela,  ils  font  asseoir  un  petit 
garçon  à  terre,  les  deux  pieds  croisés;  en- 
suite ils  conjurent  le  diable  d'entrer  dans  le 
corps  du  jeune  homme,  qui  écume  ,  tourne 
les  yeux,  et  fait  des  contorsions  effrayantes. 
Le  jamambuxe,  après  l'avoir  laissé  se  débat- 
tre, lui  recommande  de  s'arrêter  et  de  dire 
où  est  ce  qu'on  cherche  ;  le  jeune  homme 
obéit  :il  prononce  d'une  voix  enrouée  le  nom 
du  voleur,  le  lieu  où  il  a  mis  l'objet  volé,  le 
temps  où  il  l'a  pris,  et  la  manière  dont  on 
peut  le  faire  rendre.  Voy.  Goo. 

JAMBLIQUE,  philosophe  platonicien  du 
quatrième  siècle,  né  en  Syrie  sous  le  règne 
de  Constantin  le  Grand.  Il  fut  disciple  d'Ana- 
tole el  de  Porphyre.  Il  admettait  l'existence 
d'une  classe  de  démons  ou  e^prits  d'un  ordre 
inférieur,  méilialeurs  entre  Dieu  et  les  hom- 
mes. Il  s'occupait  des  divinations,  et  on  a 
vu,  à  l'article  Aleclryomancie,  que  c'est  lui 
((ui  prédit  par  cette  divination  l'avéncment 
au  trône  de  ïhéodose.  On  ignore  où,  quand 
et  comment  il  mourut;  mais  Bodin  -assure 
qu'il  s'empoisonna  lui-même  pour  éviter 
le  supplice  que  Valens  réservait  aux  magi- 
ciens. 

Oii  conte  qu'étant  un  jour  dans  la  ville 
deGadare  en  Syrie,  pour  faire  voir  sa  science 
magique,  il  fit  sor  ir  en  présence  du  peuple 
deux  génies  ou  démons  d'une  fontaine;  il 
les  nommait  Amour  et  Contre-Amour  (2); 
l'Amour  avait  les  cheveux  dorés,  tressés  et 
flottants  sur  les  épaules  ;  ils  paraissaient 
éclatants  comme  les  rayons  du  soleil;  l'au- 
tre était  moins  brillant  ;  ce  qui  attira  lad- 
miration  de  toute  la  populace. 

Leloyer  dit  (3)  encore  que  c'est  Jamblique 
et  Maximus  qui  ont  perdu,Julien  l'Apostat. — 
0.1  recherche  de  Jamblique  le  traité  des 
Mystères  des  Egyptiens,  des  Chaldéens  et  de» 
Assyriens  [k).  Il  s'y  montre  crédule  pour 
toutes  les  rêveries  des  astrologues. 

JANNÈSet  MAMBBÈS,  sorciers  égyptiens 
les  plus  anciens  que  les  saints  livres  nous 

p.  511 

(i)  Jambiiclius,  Diî  mysterlis  .Egyplinnpii.Chaldaeoriini, 
AssjriOTum  ,  avec  d'imlres  cpuscutos.  In-IB,  l(i07. 


891  DICriO.MNAlIiE  DES 

fassent  connaître  par  L-ur  nom  après  Chain. 
Ils  faisaient  apparaîlre  des  grenouilles,  des 
serpents;  ils  changaient  IVau  du  Nil  en  sang, 
et  lâchaient  il'anéantir  par  lenrs  prestiges  la 
vérité  des  miracles  que  Dieu  faisait  par  l'or- 
gane de  M(ris<'  (1). 

JAMMA  LOCON,  enfer  indien  d'où,  après 
un  certain  temps  de  peines  et  de  souffran- 
ces, les  âmes  reviennent  en  ce  monde  pour 
y  animer  le  premier  corps  où  elles  peuvent 
entrer. 

JARREïIÈHR.  Secret  de  la  jarretière  pour 
les  voijageurs.  V<ius  cueillerez  de  Ihcrbe  que 
1  on  appelle  armoise,  dans  le  temps  que  U> 
soleil  f.iil  son  entrée  au  premier  signe  du  C;i- 
pricorne;  vous  la  laisserez  un  peu  sécher  à 
l'ombre,  et  en  ferez  des  jarretières  avec  la 
peau  d'un  jeune  lièvre,  c'est-à-dire  qu'ayant 
coupé  la  peau  du  lièvre  en  courroie  de  la  lar- 
geur de  deux  pouces,  vous  en  ferez  un  re- 
doublé dans  lequel  vous  coudrez  ladite  herbe, 
et  les  porterez  aux  jambes.  Il  n'y  a  point  de 
chevalqui  puissesnivn-  bmglemps  un  homme 
de  pied  qui  est  muni  de  ces  jarretières. 

Ou  bien  vous  pn-ndrez  un  morceau  d  •  cuir 
de  la  peau  d'un  jeune  loup,  dont  vous  ferez 
deux  jarretières,  sur  lesquelles  vous  écrirez 
avec  votre  sang  les  paroles  suivantes  :  Abii- 
malilli  cados;  vou,<  serez  étunné  de  la  vitesse 
avec  laquelle  vous  cheminerez,  et  int  muni 
de  ces  jarretières  à  vosjnmbes.  De  peur  que 
les  caractères  écrits  ne  s'eflacent,  il  sera  bon 
de  doubler  la  jarretière  d'un  padoue  de  fil 
blanc  du  côté  de  l'écriiur  •. 

«  Il  y  a  encore  une  manière  de  faire  la 
larretièrc,  que  j'ai  lue  d.ins  un  vieux  ma- 
nuscrit en  lettres  gothiques.  En  voici  la  re- 
celte. Vous  aurez  les  ch'veux  d'un  larron 
lendu,  desquels  vous  ferez  des  tresses  dont 
vous  formerez  des  jarretières  que  vous  cou- 
drez entre  deux  to  les  de  telle  couleur  qu'il 
vous  plaira  ;  vous  les  attacherez  aux  jambes 
de  derrière  d'un  jeune  poulain  ;  puis  vous 
laisserez  échapper  le  poulain,  le  ferez  courir 
à  perle  d'haleine,  et  vous  vous  servirez  avec 
plaisir  de  ces  jarretières  »  (2). 

On  prétendait  autrefois  que  les  magiciens 
pouvaient  donner  une  jarretière  enchantée, 
avec  laquelle  on  faisait  beaucoup  de  chemin 
en  peu  de  temps.  C'est  là  peut-être  l'origine 
des  botles  de  sept  lieues. 

JAUNISSE.  Les  rois  de  Hongrie  croyaient 
avoir  le  privilège  de  guérir  la  jaunisse  par 

I  attouchement  (3). 

JAYET  d'ISLANDE.  Les  anciens  Islandais 
attribuaient  des  vertus  surnaturelles  à  ce 
jayet,  qu'ils  regardaient  comme  un  ambre 
noir.  Sa  principale  qualité  était  de  préserver 
de  tout  sortilège  celui  qui  en  portait  sur  soi. 
En  second  lieu,  ils  le  croyaient  un  anlidole 
«jonire  le  poison.  Sa  troisième  propriété  était 
de  chasier  les  espiiis  et  les  fantômes,  lors- 
qu  on  en  brûlait  dans  une  maison  ;  la  qua- 
trième,de  préserverde  maladies  épidémiques 
les  appartements  qui   en   étaient  parfumés. 

II  '*^  ^''^'IIV'  "'*^-  ''''*  '^PPC'rus  ou  apparil.  des  esprit!, 
Uj  iciruts Un  l'clil  AIUciI,  p.  90. 


sci(:nci;s  oocl'ltes. 


«!<] 


La  plupart  de  ces  idées  superstitieuses  sub- 

sisti'iU  encore. 

JEAN    (EVANGIIF  DE  saint).   Voy.  «IBLIO- 
MANCIK. 

JEAN,  magicien  sectateur  d'Apollonius 
de  Tyane.  Il  c  ourait  de  ville  en  ville,  faisant 
le  métier  de  charlatan,  et  portait  une  chaîne 
de  fer  au  cou.  Après  avoir  séjourné  quelque 
temps  à  Lyon,  il  acquit  une  si  grande  célé- 
brité par  ses  cures  merveilleuses,  que  le  sou- 
verain du  pays  l'admit  en  sa  présence.  Jean 
donna  à  ce  prince  une  superbe  épée  enchaii- 
lée;  elle  s'entourait  m€rveilleusement,  dans 
le  combat,  de  cent  quatre-vingts  couteaux 
lires.  Il  lui  donna  aussi  un  bouclier  porlaitt 
un  miroir,  qu'il  disait  avoir  la  vertu  de  d  - 
vulguer  les  plus  grands  secrets.  Ces  arme, 
disparurent  un  jour  ou  furent  volées;  sur 
quoi  Delancre  conclut  (i)  que  si  les  rois  d.- 
France  dressaient,  coinnve  les  ducs  d'Italie, 
des  arsenaux  de  vieilleries  (ce  qu'ils  font  à 
présent)  ,  on  y  trouverait  de  ces  armes  en- 
chantées et  fabriquées  par  quelque  magicien 
ou  sorcier. 

JEAN,  patriarche  schismatiqne  de  Con- 
slaiitinople.  Zonaras  conte  que  l'empereur 
grec  Théophile,  se  voyant  obligé  de  mettre  à 
la  raison  une  province  révoltée  sous  la  con- 
duite de  trois  capitaines,  consulta  le  patriar- 
che Jean,  habile  enchanteur.  Celui-ci  fil  faire 
trois  gros  mjirleaux  d'airain,  les  mit  entre 
les  inains  de  trois  hommes  robustes,  et  con- 
iluisit  ces  hommes  an  milieu  du  cirque,  de- 
vant une  statue  de  bronze  à  trois  (êtes.  Ils 
abattirent  deux  de  ces  télés  avec  leurs  mar- 
teaux, et  firent  pencher  le  cou  à  la  troisième 
sans  l'abattre.  Peu  après,  une  bataille  se 
donna  entre  Théophile  et  les  rebelles  :  deux 
des  capitaines  furent  tués,  le  troisième  fut 
blessé  et  mis  hors  de  combat,  et  tout  rentra 
dans  l'ordre. 

JEAN  XXII,  pape,  mort  en  133'»,  après  un 
pontifical  de  dix-huit  ans.  On  lui  allribue 
les  Taxes  de  la  chambre  apostolique,  tradu  - 
tes  en  français  sous  le  litre  de  Taxes  des 
parties  casuelles  de  la  boutique  du  pape.  Ce 
texle,  presque  partout,  est  une  supposition 
d'un  protestant  faussaire.  On  donne  encore 
à  Jean  XXII  VElixir  des  philosophes  ou  Art 
tranimulatoire  des  métaux,  livre  qu'il  n'a 
pas  fait.  Ce  livre  a  été  traduit  du  latin  en 
Irançais  ;  in-12,  Lyon,  1557. 

On  dit  enfin  que  Jean  XXII  ou  Jean  XXI 
s'occupait  d'astrologie  et  s'amusait  à  suppu- 
ter les  changements  de  temps.  On  a  fait  là- 
dessus  de  petits  contes  assez  dépourvus  de 
sel. 

JEAN  ou  IWAN  BASILOWITZ,  grand-dnc 
dcMoscovie,  au  quatorzième  siècle,  tyran 
cruel.  A  l'article  de  la  mort,  il  tomba,  dit-on, 
dans  des  pâmoisons  terribles,  et  son  âme 
fil  de  pénibles  voyages.  Dans  le  premier,  il 
fut  tourmenté  en  un  lieu  obscur,  pour  avoir 
tenu  au  cachot  des  prisonniers  innocents  ; 
dans  la  seconde  excursion,  il  fut  encore  plus 
tourmenté    pour   avoir    accablé  le   peuple 

(ô)S.i)jTues,  Dcsrrrenrs  el  des  préjugés,  t.  I,  p.  272 
(l)  tableau  de  riatoiiblaucc  dus  cléiiious,  clc,  lu    v. 
p.  345. 


f^n 


JK.\ 


JF.A 


804 


ci"impô(s;  et  son  successeur  Tliéodorc  «nt 
soin  de  l'en  décharger  en  partit'.  Iwiin  inou- 
riil  à  son  troisième  voyage;  son  corps  jeta 
nne  puanteur  si  infecte  qu'on  ne  pouvait 
l'approcher;  ce  qui  fit  penser  que  son  âme 
avait  été  emportée  par  le  diable;  d'autant 
plus  ()ue  son  cadavre  avait  disparu,  <]uand 
vint  le  jour  fixé  pour  l'enlerremcnt  (1). 

JEAN-BAPTISTE.  I!  y  a  des  paysans  qui 
noient,  on  ne  sait  sur  quelle  autorité,  que 
saint  Jean-Biptistecstné  dans  un  chameau... 

JEAN  dARllAS,  écrivain  français  du  qua- 
torzième siècle,  qui  compila  ie  roman  de 
jyjélusine.  Voy.  ce  mot. 

JEAN  d'ESTAMPES.  D'anciennes  chroni- 
ques rapportent  que  Jean  d'Estampes,  l'un 
des  gardes  de  Cliarlcmagne,  mourut  en  11.'Ï9, 
après  avoir  vécu  3'ltj  ans;  mais  d'autres  di- 
sei>t  quiil  ne  >écut  que  250  ans  :  malheureu- 
sement son  secret  de  lofigévité  n'est  connu 
de  personne  (2). 

JEAN  DE  MEUNG,  astrologuequicomposa 
le  roman  de  la  Rose,  où  il  monire  bien  son 
savoir,  quoiqu'il  ne  fût  âgé  que  de  dix-neuf 
ans  lorsqu'il  le  fit.  li  est  aus^i  l'auteur  d'un 
livre  intitulé  :  Traité  sur  la  direclion  des  na- 
tivités et  révolutions  des  ans;  il  traduisit  le 
livre  des  Merveilles  d  jrlnnde. 

On  prétend  que  c'est  lui  qui  a  prédit  les 
hauts  laits  d'armes  du  connétable  de  France 
Bertrand  du  Guesclin  (3). 

JEAN  DE  MILAN,  astrologue  du  quinzième 
siècle,  qui  prédit  à  Vélasquez,  gouverneur 
d'Hispaniola  ou  Saint-Domingue,  rheureuse 
issue  de  la  guirre  du  Pérou,  entreprise  par 
Fernand  Gortcz. 

JEAN  DE  SICILE,  habile  astrologue  et 
théologien  qui  prédit  le  couronnement  de 
l'empereur  Sigisinoiid.  C'est  encore  lui  qui 
annonça  à  Boucicaull  ce  (jui  lui  devait  ad- 
venir, el  qui  l'avertit  de  la  trahison  (|iie  fi- 
rent aux  Français  le  marquis  de  Monlferral 
et  le  comte  Francisque,  trahison  qu'il  évita 
en  fuyant  ('i). 

JEANNE  liARC,  dite  la  Pmelle  d'Orléans, 
née  en  Champagne,  à  Douirémi  près  de  Vau- 
couleurs  sur  la  lisière  de  la  Lorraine ,  en 
IVIO.  Jamais  la  France  ne  fui  acablée  do 
calamités  aussi  grand<'s  que  durant  le  demi- 
siècle  qui  précéda  l'année  mémorable  où  l'on 
vit  le  courage  abattu  de  ses  guerriers  piès 
de  subir  coinplélement  le  joug  de  l'éiran- 
ger,  se  ranimer  à  l-a  voix  d'une  jeune  fille 
lie  dix-huit  ans. 

Charles  VII  était  sur  le  point  de  céder  Chi 
noH,  sa  dernière  plac  ,  à  l'ennemi,  lors(|ue 
Jeanne  d'Arc  parut  vers  la  fin  île  février  IVi  i. 
Ce  n'était  qu'une  simple  paysanne.  Son  père 
>e  nomuiall  Jacques  d'Arc  ;  sa  mère,  Isabelle 
Komée.  Dès  sa  plus  tendre  enfance  el.e  avait 
montré  une  timidité  sans  exemple  el  fuyait 
b^  plaisir  pour  se  livrer  tout  entière  à  Dieu; 
mais  en  même  temps  elle  s'exerçait,  dit-on, 
à  manier  les  chevaux,  et  l'on  remarquait 
liéjà  en  elle  l'ardeur  m.irtialc  qui  devait  si- 

(l)Lelojer,  Uisl.  des  spectres  el  clts  apparilioiis  des 
f.sp'ils,  liv.  IV,  p.  301. 
(2)  l..-all,  Cal.iul.  vérilab.,  p.  liO. 
(jj  .Maiiuscril  de  ia  Bits!Jot!jcqtic  ilii  roi .   cilé  dans  k's 


gnaler  la  libératrice  des  Français.  A  l'âge  de 
seize  ans,  le  cœur  de  Jeanne  s'exalta.  Vers 
l'heure  de  midi,  elle  vit  un  jour  (était-ce  eu 
imagination  ou  en  réalité?)  dans  le  jardin  Ak' 
son  père,  l'archinge  Mi(  bel,  l'ange  Gabriel, 
sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite  ,  re- 
splendissants de  lumière.  Ces  saints,  depuis, 
la  guidèrent  dans  ses  actions.  Les  voix  (car 
elle  s'exprimait  ainsi)  lui  ordonnèrent  d'aller 
en  aide  au  roi  de  France,  el  de  faire  lever 
le  siège  d'Otiéaiis.  Malgré  les  avis  contrai- 
res," elle  obéit  aux  voix  et  se  renilil  d'aboid 
à  Vaucouleurs.  Jean  de  Meiz,  frappé  de  ce 
qu'elle  lui  dit,  se  chargea  de  la  présenter 
au  roi. 

Ils  arrivèrent  tous  deux,  le  2i  février  1429, 
à  Chinon,  où  Charles  tenait  sa  petite  cour. 
Jeanne  s'agenouilla  devant  lui. 

—  Je  ne  suis  pas  le  roi,  lui  dit-Il  pour 
l'éprouver;  le  voici,  ajouta-l-il  en  lui  mon- 
trant un  des  seigneurs  de  sa  suite. 

—  Gentil  prince,  répliqua  la  jeune  vierge, 
c'est  vous  et  non  un  autre.  Je  suis  envoyée, 
de  la  part  de  Dieu  ,  pour  prêter  secours  à 
vous  et  à  votre  royaumt;;  el  vous  mande  le 
Koi  lies  cieux  par  moi  que  vous  serez  sauvé, 
<'t  couronné  en  la  ville  de  Reims,  et  serez 
lieutenant  du  Roi  des  cieux,  qui  est  le  vrai 
roi  de  France. 

Charies  surpris  lira  Jeanne  à  l'écart;  et. 
après  un  court  entretien,  il  déclara  qu'elle 
lui  avait  dit  des  choses  si  secrètes,  que  nul 
ne  pouvait  les  savoir  que  Dieu  el  lui  :  ce  qui 
attira  sur-le-champ  à  la  mjstérieuse  jeune 
fille  la  confiance  de  la  cour.  Cependant  un 
doute  restait  à  éclaircir,  c'était  de  savoir  si 
elle  était  pure:  ce  (jui  fut  reconnu;  si  elle 
était  inspirée  du  ciel  ou  de  l'enfer  :  ce  qui 
sembla  devoir  être  interprété  en  faveur  du 
ciel. 

Après  plusieurs  consultations  ,  on  lui 
donna  des  chevaux  el  des  hommes;  on  l'arma 
d'une  épée  que,  sur  sa  révélation,  on  trouva 
enterrée  d^ins  lEglise  de  Sainte-Calherine 
de  Fierbois.  Elle  se  rendit  aussitôt  sous  les 
murs  d'Orléans,  et  combattit  dès  le  premier 
jour  avec  un  courage  qui  éclipsa  celui  des 
plus  grands  capitaines.  Elle  chassa  les  An- 
glais d'Orléans,  fil  ensuite  ,  selon  l'ordre 
qu'elle  avait  reçu,  sacrer  son  roi  à  Reims, 
lui  rendit  Troyês,  Châlons,  Auxerre,  et  la 
plus  grande  partie  de  son  royaume.  Après 
quoi,  elle  voulut  se  n  tirer,  disant  foruielle- 
menl  que  sa  mission  était  accomplie. 

Mais  elle  avait  donné  trop  de  preuves  desa 
vaillance,  et  l'armée  avait  trop  de  confiance 
eu  elle,  pour  qu'on  voulût  sitôt  lui  accorder 
sa  liberté.  Ce  fut  la  cause  de  ses  malheurs  : 
elle  les  prévit,  les  annonça  en  pleurant  ;el 
bientôt,  s'élanl  jetée  dans  Compiègne  pour 
délendre  celle  place  contre  le  duc  de  Bourgo- 
gne, elle  fut  prise  par  un  genlilhommc  pi- 
canl  qui  la  vendit  à  Jean  de  Luxembourg, 
lequel  ta  revenditaux  Anglais. 

Pour  .>e  venger  de  ce  qu'elle  les  avait  trop 

lieiiuiii[>tes sur  Buyte. 

(i)  Mjiiusonl  (le  la  BililiolUèque  du  roi;  ou-ail du  livre 
(le  Juiy. 


893  DICTlONNAtKi:  DES 

sauvent  vaincus,  ceux-ci  l'accusèrenl  d'avoir 
employé  les  sorlilégt'S  et  la  magie  à  ses  triom- 
phes. On  la  trailuisil  devant  un  tribunal  cor- 
rompu, qui  la  déclara  fanatique  et  sorcière. 
C<î  procès  serait  ridicule  s'il  n'était  atroce. 
Ce  qu'il  y  a  de  plus  horrible,  c'est  que  Tin- 
terai monarque  qui  lui  devait  sa  couronne 
l'abandonna;  il  crut  n'avoir  plus  besoin 
d'elle. 

Le  procès  se  poursuivit  avec  activité;  à  la 
treizième  séance,  on  voulut  lui  faire  com- 
prendre la  différence  qui  existait  entre  l'é- 
plise  triomphante  et  l'église  militante.  On  lui 
demanda  ce  qu'elle  en  pensait.  —  Je  me  sou- 
mets au  jugement  du  Sainl-Siége,  répondit- 
elle. 

On  lui  demanaa  si,  dès  son  enfance,  les 
saints  qui  lui  apparaissaient  parlaient  an- 
glais ou  français?  s'ils  avaient  des  boucles 
d'oreilles?  des  bagues?  etc.  —  Vous  m'en 
avez  pris  une,  dit-elle  pour  toute  réponse, 
rendez-la  moi. 

—  Les  saints  sont-ils  nus  ou  habillés? 

—  Pensez  vous  que  Dieu  n'ait  pas  de  quoi 
les  vêtir? 

Comme  on  insistait  sur  la  chevelure  de 
saint  Miche!,  elle  dit  :  —  Pourquoi  la  lui  au- 
rait-on coupée? 

—  Avez-vous  vu  des  fées? 

—  Je  n'en  ai  point  vu,  j'en  ai  entendu  par- 
ler; mais  je  n'y  ajoute  aucune  f  li. 

—  Avez-vous  une  mandragore?  qu'en  avez 
vous  fait? 

—  Je  n'en  ai  point  eu;  je  ne  sais  ce  que 
c'est.  On  dit  que  c'est  unecliose  dangereuse 
et  criminelle. 

Quelquefois  plusieurs  juges  l'interro- 
geaient à  la  fois.  —  Beaux  pères,  disait-elle, 
l'un  après  l'autre,  s'ii  vous  plaît. 

Durant  l'inslruclion,  Ligny-Luxembourg 
vint  la  voir,  accompagné  de  Warwick  et  de 
StralTort  :  —  Je  sais  bien,  leur  dit-elle,  que 
ces  Anglais  me  feront  mourir,  croyant  qu'a- 
près ma  moit  ils  gagneront  le  royaume  de 
France.  Mais,  seraient-ils  cent  mille,  avec 
ce  qu'ils  sont  à  présent,  ils  n'auront  pas  ce 
royaume. 

Fatiguée  de  mauvais  traitements ,  elle 
l-)inba  dangireusement  malade.  Bedfort  , 
Wincester,  Warwick  chargèrent  deux  méde- 
cins d'en  avoir  soin,  et  leur  enjoignirent  de 
prendre  bien  garde  qu'elle  ne  mourût  de  sa 
mort  naturelle,  le  roi  d'Angleterre  l'avait 
trop  cher  achetée  pour  être  privé  de  la  joie 
de  la  faire  brûler. 

Le  2k  mai,  on  la  conduisit  à  la  place  du 
cimetière  de  l'abbaye  de  Rouen.  Guillaume 
Erard  déclama  contre  le  roi  de  France  et 
contre  les  Français;  puis,  s'adressant  à  la 
Pucelle  :  —  C'est  à  toi,  Jeanne,  que  je  parle, 
f  t  te  dis  que  ton  roi  est  hérétique  et  schisma- 
ti(|ue. 

L'exécuteur  attendait  la  victime  à  l'exlré- 
inilé  de  la  place,  avec  une  charrette,  pour  la 
conduire  au  bûcher.  Mais  tout  cet  effrayant 
appareil  n'avait  pour  but  que  de  lui  arra- 
cher des  aveux.  On  lui  lut  une  formule  par 
lai)uclle  elle  promettait  de  ne  jamais  monter 
à  cheval,  de  laisser  croître  ses  cheveux,  de 


SCIENCKS  OCCULTES, 


80ti 


ne  plus  porter  les  armes  à  l'avenir.  II  fallait 
mourir  ou  signer  cet  écrit.  Elle  signa.  Mais 
on  avait  substitué  une  cédule,  par  laquelle 
elle  se  reconnaissaii  dissolue,  hérétique,  sé- 
ditieuse, invocatrice  des  démons  et  sorcière. 
Cette  supercherie  servit  de  base  au  jugement. 
Elle  fut  condamnée  à  passer  le  reste  de  ses 
jours  dans  une  prison  perpétuelle,  au  pain 
de  douleur  et  à  l'eau  d'angoisse. 

Les  juges,  après  l'arrêl,  furent  poursuivis 
à  coups  de  pierres  par  le  peuple  qui  aimait 
Jeanne;  en  même  temps,  les  Anglais  vou- 
laient les  exterminer,  l(!s  accusant  de  n'avoir 
reçu  l'argent  du  roi  d'Angleterre  que  pour  le 
tromper. 

—  Ne  vous  embarrassez  pas,  dit  l'un  d'eux  ; 
nous  la  rattraperons  bien. 

Jeanne  avait  promis  de  ne  plus  porter 
d'habits  d'homme  ;  elle  avait  repris  ceux  de 
son  sexe.  La  nuit,  les  gardes  de  sa  prison 
enlevèrent  ses  vêtements,  et  y  substituèrent 
des  habits  d'homme.  Lorsque  le  jour  vint , 
elle  demanda  qu'on  la  déferrât ,  c'est-à-dire 
qu'on  relâchât  la  chaîne  qui  l'attachait  par 
le  milieu  du  corps.  Puis,  voyant  des  habits 
d'homme,  elle  supplia  qu'on  lui  rendit  ses 
vêlements  du  jour  préeéilent  :  on  les  lui  re- 
fusa ;  elle  resta  couchée  jusqu'à  midi.  Alors 
elle  fut  forcée  de  s'habiller  avec  les  seuls  vê- 
tements qu'elle  eût  à  sa  disposition.  Des  té- 
moins aposlés  entrèrent  pour  constater  sa 
désobéissance;  les  juges  accoururent.  Incon- 
tinent elle  fut  condamnée  comme  relapse,  hé- 
rétique, sordère,  exconnnuniée,  rejitée  du 
sein  de  l'Eglise. 

On  lui  lut  sa  sentence  de  mort ,  qu'elle  en- 
tendit avec  constance.  Elle  demanda  qu'il  lui 
fût  permis  de  s'approcher  de  l'eueha'istie  ; 
ce  qui  lui  fut  accordé.  Massieu,  curé  de  Saini- 
Claude  de  Ilouen ,  qui  avait  la  charge  de  la 
conduire  devant  ses  juges,  lui  permettait  de 
faire  sa  prière  devant  la  chapelle.  Celle  in- 
dulgence lui  attira  de  sanglants  reprorhes. 

Jeanne  alla  au  supplice  le  3;)  mai,  sous 
l'escorte  de  cent  vingt  hommes  On  l'avait 
revêtue  d'un  habit  de  femme;  sa  tête  était 
chargée  d'une  mitre  en  carton,  sur  laquelle 
étaient  écrits  ces  mots  :  Hérétique  ,  relapse, 
apostate,  idolâtre.  Deux  pères  dominicains 
la  soutenaient  ;  elle  s'écriait  sur  la  route  : 
Ahl  Rouen  ,  Rouen  ,  seras-tu  ma  dernière 
demeure? 

On  avait  élevé  deux  échafauds  sur  la  place 
du  Vieux-Marché.  Les  juges  attendaient  leur 
victime  chargée  de  fers.  Son  visage  était 
baigné  de  pleurs  :  on  la  fit  monter  sur  le  bû- 
cher, qui  était  fort  élevé,  pour  que  le  peuple 
entier  pût  la  voir. 

Lorsqu'elle  sentit  que  la  flamme  appro- 
chait, elle  avertit  les  deux  religieux  de  se 
retirer.  Tant  qu'elle  conserva  un  reste  de 
vie  ,  au  milieu  des  gémissements  que  lui  ar- 
r.ichait  la  douleur,  on  l'entendit  prononcer 
le  nom  de  Jésus,  en  baisant  une  croix  de  bois 
qu'elle  tenait  de  ses  mains  enc  haînées.  Un 
dernier  soupir,  loiigueiju;nt  prolongé,  avertit 
qu'elle  \enait  dexpirer. 

Alors  le  cardinal  de  Wincester  Ht  rassem- 
bler SCS  ccudrcs,  cl  ordonna  quelles  lussent 


«)7 


iER 


jetées  dans  la  Soine.  Son  cœur,  dil-on  ,  fut' 
respecté  par  les  flammes  :  on  le  trouva  sain 
et  entier 

En  face  du  bûcher,  se  trouvait  un  tableau 
portant  une  inscriplion  qui  qualifiait  Jeanne 
de  mcuideresse  ,  invocatrice  dos  démons, 
apostate  et  mal  créante  de  la  foi  de  Jésus- 
ChrisUl). 

Louis  XI  fil  réhabiliter  la  mémoire  de 
Jeanne  d'Arc.  Doux  do  ses  juges  furent  brû- 
lés vifs,  deux  autres  exhumés,  pour  expier 
aussi  dans  los  fiamnies  leur  jugement  inique. 
Mais  le  procès  de  la  l'unoUe  n'en  sera  pas 
moins  à  jamais  un  sujet  d'opprobre  pour  les 
Anglais  et  aussi  pour  ie  roi  Charles  VII. 

JEANNE  DIBISSON,  sorcière,  arrêtée  à 
l'âge  de  vingl-neuf  ans.  On  lavait  vue  plu- 
sieurs fois  danser  au  sabbat;  elle  disait  que 
ceux  qui  y  vont  trouvent  le  temps  si  court  , 
qu'ils  n'en  peuvent  sortir  sans  regret.  Il  ue 
paraît  pas  qu'elle  ait  été  brûlée  (2). 

JEANNE  DU  HARD  ,  sorcière  ,  saisie  à 
l'âge  de  cinquante-six  ans.  On  la  trouve  im- 
pliquée dans  l'aff.iire  de  Marie  Chorropique, 
pour  lui  avoir  touché  le  bras,  lequel  devint 
comme  mort.  Nous  ne  dirons  pas  si  elle  fut 
brûlée  (3). 

JEANNE  (mère).  Une  vieille  fille  véni- 
tienne, connue  sous  le  nom  de  mère  Jeanne, 
infatua  tellement  Gnilhiunie  Poslel  de  ses  rê- 
veries, qu'il  soutint,  dans  un  livre  écrit  à 
son  sujet,  que  la  rédemption  des  femmes 
n'avait  pas  encore  été  achevée,  et  que  celle 
V^énitienne  devait  accomplir  le  grand  ou- 
vrage. C'était  la  mère  (]ue  cherchent  aujour- 
d'hui les  saints-simonioiis. 

JEANNE  SOUTHCOTE.  Voy.  Socthcote. 

JÉCHIEL,  rabbin  et  cubalisto.  Voy.  Lampe 

MERVEILLEUSE. 

JEHOVAH.  Ce  nom  auguste  est  employé 
souvent  chez  les  cabalisles  juif>i.  Oii  le  trouve 
dans  les  odieuses  et  absurdes  conjurations 
de  la  magie  noire. 

JENNES  ,  célèbre  enchanteur  de  l'E- 
gypte, un  de  ceux  que  Moïse  confondit  par 
ses  miracles  (4). 

JENOUNES.  Quelques  Arabes  nomment 
ainsi  une  sorte  de  génies  intermédiaires  en- 
tre les  anges  et  les  diables  :  ils  fré(]uenien( 
les  bosquets  et  les  fontaines,  cachés  sous  la 
forme  de  divers  reptiles,  exposés  à  être  fou- 
lés sous  les  pieds  des  passants.  La  plupart 
des  maladies  sont  le  résultat  de  leurs  ven- 
geances. Lorsqu'un  Arabe  est  indisposé,  il 
s'imagine  avoir  outragé  un  de  ces  agents  in- 
visibles ;  il  a  aussitôt  recours  à  une  magi- 
cienne qui  se  rend  à  queli]ue  source  voisine, 
y  brûle  de  l'encens,  et  sacrifio  un  coq  ou  une 
poule,  un  bélier  ou  une  brebis,  suivant  le 
sexe,  la  qualité  du  malade,  ou  la  nature  de 
la  maladie. 

JEROME  (saint).  On  a  eu  le  front  de 
lui  attribuer  des  livres  de  nécromancie,  et 
particulièrement  VArl  notoire.  Voy.  ce  mot. 

(1)  Voyez  dans  les  légeuJcs  Je  t'iiisloire  de  France  les 
loces  d'Àrton. 

(i)  Delaiicre,  Tableau  de  l'i:iconstaiice  des  démons,  etc., 
liv.  Il,  p.  127. 

Çt)  Dclancre,  Tableau  deliiicoiistauce  des  démons,  etc., 


JET  .  808 

JÉRUSALEM.  Avant  la  destruction  de 
Jérusalem  par  Titus,  fils  de  Vespasien,  on 
distingua  ,  dit-on  ,  une  éclipse  de  lune  qui 
se  répéta  douze  nuiis  de  suite.  Un  soir  , 
vers  le  coucher  du  soleil,  on  aperçul  dans 
l'air  dos  chariots  de  guerre,  des  cavaliers, 
des  cohortes  do  gens  armés,  qui,  mêlés  aux 
nuages,  couvraient  toute  la  ville  et  l'envi- 
ronnaient de  leurs  bataillons.  Pondant  lo 
siège,  et  peu  de  jours  avant  la  ruine  de  la 
ville,  on  vit  lout  à  coup  paraître  un  hoinnie 
absolument  inconnu,  qui  se  mit  à  parcourir 
les  rues  et  les  places  publiques,  crianl  sans 
cosse  :  «  Malheur  à  loi,  Jérusalem  !  »  On  le 
fit  battre  de  verges  ;  on  le  déchira  de  coup-i, 
pour  lui  faire  dire  d'oîi  il  sortait  ;  mais  sans 
pousser  une  seule  plainte,  sans  répondre  un 
seul  mot,  s  ins  donner  le  moindre  témoi- 
gnage de  souffrance,  il  criait  toujours  et  sans 
relâch'  :  «  Malheur  à  loi,  Jérusalem  1  »  En- 
fin, un  jour  qu'il  se  trouvait  sur  le  remp.irt, 
il  s'écria  •  «  Malheur  à  moi-même  1  »  et  un 
instant  après,  il  fut  écrasé  par  une  pierre  que 
lançaient  les  assiégeants  (5). 

JÉSABEL,  reine  des  Israélites,  qui  fut 
mangée  par  des  chiens  après  avoir  été  préci- 
I-iiée  du  haut  d'une  four,  et  aue  Bodinraet 
an  nombre  des  sorcières. 

JETZER.  Celle  affiire  des  jacobins  de 
Berne  a  fait  un  grand  bruit;  et  les  ennemis 
de  la  religion  l'ont  travestie  avec  une  insi- 
gne mauvaise  foi.  Voici  toute  l'histoire  : 

Les  dominicains  ou  jacobins  ne  s'accor- 
ilaient  pas  entièrement  avec  los  cordeliers 
sur  le  fait  auguste  de  l'immaculée  concep- 
tion de  la  Irès-sainle  Vierge.  Les  domini- 
cains ne  l'adiiietLiienl  pas  alisolumenl.  Or  , 
au  commencement  du  seizième  siècle,  il  y 
avait,  au  couvent  des  dominicains  de  Berne, 
alors  fort  relâché,  quatre  mauvais  moines  , 
qui  imaginèrent  une  affreuse  jonglerie,  pour 
faire  croire  que  la  sainte  Vierge  se  pronon- 
çait contre  les  cordeliers,  qui  défendaient 
une  de  ses  plus  belles  prérogatives.  Ils 
avaient  parmi  eux  un  jeune  moine,  simple 
et  crédule,  nommé  Jelzer;  ils  lui  firent  ap- 
paraître pendant  la  nuit  des  âu)os  du  purga- 
toire, et  lui  persuadèrent  qu'il  les  délivrerait 
en  restant  couché  en  croix  dans  une  cha- 
pelle, pondant  le  letiips  qu'on  célébrerait  la 
sainte  messe.  On  lui  fil  voir  ensuite  sainte 
Barbe,  à  laquelle  il  avait  beaucoup  de  dévo- 
tion, et  qui  lui  annonça  qu'il  était  destiné  à 
de  grandes  choses.  Par  une  nouvelle  impos- 
ture sacrilège,  le  sous-prieur,  qui  était  un 
des  quatre  moines  criminels,  fil  le  personnage 
de  la  sainte  Vierge,  s'approch.i  la  nuit  de 
Joizor  et  lui  donna  trois  goutlos  de  sang  , 
disant  que  c'étaient  trois  liirinos  que  Jésus- 
Chrisl  avaient  rép;induos  sur  Jérusalem.  Ces 
trois  larmes  signifiaient  que  la  sainte  Vierge 
était  restée  trois  heures  dans  le  péché  origi- 
nel.... Celte  explication  était  rehaussée  di; 
diatribes  conlre  les   cordeliers.  Jetzer ,   qui 

hv.  Il,  p.  107. 

(4)  Sidiit  Paul.  II  Tim.  cliap.  5 ,  v.  8. 

(5)  Voyez  .losèphe  ,  Hisl.  de  la  (guerre  de  Judée,  llos- 
suol,  Discours  sur  l'.hisl.  uiiiveisclle,2*  pari.,  chap.  8. 


im 


DICTIUNNAIIIE  DES  SCIKNCES  OCCULTES. 


OÛC 


était  (1«  bonne  foi  et  qui  avnil  l'âme  droite  , 
s'iiiquiélail  de  la  passion  qui  perçait  dans 
cette  affairt' ,  et  «e  troublait  surtout  de  rccon- 
nallre  la  voix  du  sous-prit-ur  dans  la  voix  de 
la  sainte  Vii'ige.  Pour  le  raffermir,  on  l'cn- 
dornii'  avec  un  breuvage  et  on  voulut  le 
stigmatiser;  puis,  comme  il  ne  répondait 
pas  à  l'espoir  qu'on  avait  mis  en  lui,  ou 
chercha,  dit-on,  à  l'empoisonnor,  et  on  l'en- 
ferma ;  mais  il  trouva  moyen  de  s'échapper;" 
il  s'enluit  à  Rome,  où  il  révéla  toute  l'intri- 
gue. Le  Saint-Siège  fil  poursuivre  les  moines 
scélérats  et  les  fit  livrer  au  bras  séiuiir. 
Les  quatre  dominicains  coupables  turent 
brûlés  le  31  mars  loOi),  à  la  porte  <le  B  rue. 
Mais  le  malhenrde  ces  grandes  prof  ination-', 
c'est  que  les  ennemis  de  l'Eglise  oublient  la 
réparation  ou  la  taisent,  et  n'en  gardent  que 
le  scandale. 

JEUDI.  Les  sorciers  font  ce  jour-là  un 
de  leurs  plus  abominables  sabbats,  s'il  faut 
eu  croire  les  démonomanvs. 

JEU.  Prenez  une  anguille  morte  par 
faute  d'eau  ;  prenez  le  Qel  d'un  taureau  qui 
aura  été  tué  par  la  fureur  des  chiens  ;  met- 
tez-le dans  la  peau  de  cette  anguille,  joignez- 
y  un  drachme  de  sang  de  vautour  ;  liez  la 
peau  d'anguille  par  les  deux  bouts  avec  de 
la  corde  de  pendu,  et  cachez  cela  dans  du 
fumier  chaud  l'espace  de  quinze  jours  ;  puis 
vous  le  ferez  sécher  dans  un  four  chauffé 
avec  de  la  fougère  cueillie  la  veille  de  la 
Saint-Jean;  puis  vous  en  ferez  un  bracelet  , 
sur  lequel  vous  écrirez  avec  une  plume  de 
corbeau  ei  de  votre  propre  sang  ces  quatre 
lettres  HV'l'V,  et,  portant  ce  bracelet  autour 
de  votre  bras,  vous  ferez  fortune  dans  tous 
les  jeux  (1).  Voy.  Roitelet. 

JOAGHLM,  abbé  de  Flore,  en  Galahrc, 
passa  pour  prophète  pendant  sa  vie,  et  laissa 
des  livres  de  prédictions  qui  ont  été  condam- 
nés en  1215,  par  le  concile  de  Latran.  O  i  lui 
attribue  aussi  l'ouvrage  intitulé  :  l'Epnngile 
éternel. 

JOB.  Des  alchimistes  disint  que  Job,  après 
son  alUiction,  connut  le  secret  de  la  pierre 
philosophale,  et  devint  si  puissant,  qu'il 
pleuvait  chez  lui  du  sel  d'or  :  idée  analogu,; 
à  celle  des  Arabes,  ([ui  tiennent  que  la  neigi^ 
et  les  pluies  qui  tombaient  chez  lui  étaient 
précieuses. 

Isidore  place  dans  l'idumée  la  fontaine  de 
Job,  claire  trois  mois  de  l'année,  trouble  trois 
mois,  verte  trois  mois,  et  rouge  trois  autn  s 
mois.  C'est  peut-être  celte  fontaine  que,  se- 
lon les  musulmans,  l'ange  Gabriel  flt  sortir 
en  frappant  du  pied,  el  dont  il  lava  Job  et  le 
guérit. 

JOCABA.  Voy.  Cincinnatclus. 

JOHNSON  (Samuel).  Johnson,  incrédu'e 
pour  tout  ce  qui  n'éiait  qu'extraordinaire, 
adoptait  avec  plus  de  conliance  tout  ce  qui 
sentait  le  miracle,  traitant  de  fable,  par 
exemple,  un  phénomène  de  la  nature,  et 
écoulant  volontiers  le  récit  d'un  songe;  dou- 
tant du  tremblement  de  terre  de  Lisbonne 

(l)  AJmiralJes  socrcis  du  Pt-lit  All)ert,  p.  23. 

{i)  i.  Macauijj,  Suiiiucl  JuU:u>aii   el  !>es  coiiluin|ui- 


pendant  six  mois,  el  allant  à  U  chasse  du  re- 
venant do  Cock-Lane;  rejetant  les  généalo- 
gies et  les  poèmes  cellinues,  et  se  (lé>  laranl 
prêt  à  ajouter  foi  à  la  seconde  vue  des  mon- 
tagnards d'Ecosse.  En  religion,  plusieurs  de 
SiS  opinions  étaient  plus  (jue  libérales,  et  eu 
même  temps  il  vivait  sous  la  tyrannie  de 
certaines  pratiques  superstitieuses  (2j.  Voy. 
Hallucination. 

JOLI  BOIS.  Voy.  Verdelet 

JONGLEURS.  «  Eaisint  route  de  Bombay  a 
Pounah  (en  183?t).  dit  M.  Tliéodore  Pavie  (3  , 
je  m'arrêtai  à  Karli,  (loiir  visiter  le  temple 
souterrain  creusé  dans  li  colline  qui  fait 
face  au  village;  et,  pendant  la  chaleur  du 
jour,  je  me  reposais  sous  l'ombrage  des  co- 
cotiers, si  beaux  en  ce  lien,  quand  je  vis  s'a- 
vancer, au  bruit  d'i  islruments  discordants, 
i;ne  bande  d'Hindous.  L'un  d'eux  len;iit  dans 
chique  main  une  cobra-rapelln,  la  plus  ter- 
rible espèce  de  serpents  dont  l'Inde  puisse  se 
vanter,  el  eu  outre  il  portait  en  sautoir  un 
énorme  boa. 

«  Arrivé  près  de  moi,  lejonjetir  jeta  ses 
serpents  à  terre,  les  fil  courir,  irrita  les  co- 
bras, qui  déroulaient  leurs  anneaux  d'une 
manière  effrayante,  embrassa  son  boa  ;  puis 
il  se  prit  à  les  faire  danser  tous  les  trois  au 
son  d'un  flageolei  singulier,  qui  se  touchait 
comme  une  vielle,  bien  qu'il  fût  formé  d'une 
calebasse.  Pe.id.ml  ce  temps,  ses  acolytes 
avaient  disposé  tout  leur  éialdissement  sur 
la  poussière;  le  tambourin  rassemblait  les 
enfants  du  village,  el  bientôt  se  forma  un 
cercle  considérable  de  spectaieurs  de  dix  ans 
et  au-dessous  :  les  plus  petits  nus,  les  autres 
portant  une  ceinture,  et  tous  accroupis,  dans 
l'atlenlc  des  grandes  choses  qui  se  prépa- 
raient. 

«  Ce  jongleur  avait  toute  la  volubilité 
d'expressions  d'un  saltimbaiiifue  européen. 
11  s'exprimait  très-clairement,  fn  bon  hin- 
douslani,  bien  qu'il  se  trouvât  en  pays  mah- 
ralle;  mais  le  public  semblait  n'y  rien  per- 
dre, tant  ses  gestes  el  ses  gambades  étaient 
inintelligibles. 

«  D'abord  il  posa  par  terre  une  marion- 
nette, soldai  portant  le  sabre  et  l'arc.  A  l'en- 
tendre, c'était  un  sipald,  un  grand  chasseur, 
un  tueur  de  lions,  de  tigres,  de  gazelles... 
Bientôt,  à  son  commandement,  la  marion- 
nelle  lança  une  flèche  el  renversa  le  bul  dis- 
posé devant  elle,  non  pas  une  fois,  mais  à 
plusieurs  reprises,  à  la  satisfaction  évidente 
de  la  jeune  assemblée. 

«  Ge  n'était  là  qu'un  préambule,  les  baga- 
telles de  la  porte!  Le  jongleur  prit  une  poi- 
gnée de  blé  noir  [djouari],  la  mil  dans  un 
manteau;  puis,  quand  on  cul  bien  secoué  le 
manteau,  bien  vanné  le  grain,  il  se  Irou  a 
changé  en  un  beau  riz  blanc,  pur,  prêt  s 
faire  un  kirry. 

«  Je  n'y  avais  rien  compris,  et  je  commen- 
çais à  rentrer  dans  mes  habitudes  d('  crédii- 
lité ,  lorsque  l'escaïuoleur  ambulant  étala 
une  seconde  marionnette,  longue  de  six  pou- 

(5)  Los  liarvis  el  les  jongleurs,  écrit  daté  de  Puunali  , 
chez  les  Maliraiies  ,  le  ■iô  itécenibre  1839  ,  publié  i>;ii  là 
Hivue  (les  (teux-niui'Uet 


9>)\ 


J'iN 


JON 


res  au  pius  cl  de  la  grosseur  du  pi.igiiel. 
Cette  informe  poupée  épouv.int.i  gvnndomeni 
la  partie  la  plus  n.iive  du  public;  mais  quelle 
ne  fut  pas  la  surprise  générale,  quand  de  ce 
morceau  de  bois,  cadié  sous  un  mouclioir. 
sorlirenl  successivement  jusqu'à  quatre  gros 
pigeonsl  Ils  devaient  y  être  contenus  d'a- 
vance, à  moins  de  sortilège...  Quant  à  moi, 
j'aurais  eu  peine  à  y  introduire  ([uatrc  moi- 
neaux. 

«  Noire  jongleur  accompagniil  ses  tours 
de  montras  (prières  magiques),  et  traçait  des 
cercles  avic  sa  baguette.  Mais  il  avail  sur 
SCS  confrères  d'Euroiic  un  avantage,  ou  plu- 
tôt une  supériorile  bien  marquée;  car  il  opé- 
rait sur  le  sol, sans  lable  ni  gobelets,  et  com- 
plètement nu,  sauf  le  turban  et  la  ceinture, 
<iue  les  Hin<lous  ne  ((uittent  jamais  :  donc, 
pas  de  manches,  pas  de  gi4)rcière.  Son  cabi- 
net consislait  en  quelques  mauvais  paniers 
de  bamb<tu,  destinés  à  porter  les  .'•erpenis, 
qu'il  escamolait  aussi  et  faisait  paraître  il 
disparaître  avec  une  telle  adresse,  (jue  le 
plus  fin  n'y  <  ût  rien  compris.  Ainsi,  d'un 
mouchoir  déroulé,  secoué  et  mis  au  vent 
comme  un  pavillon,  je  le  vis  faire  sortir  une 
de  ses  cobras,  laissée  dans  un  panier  près  de 
moi,  à  une  très-grande  distance  du  lieu  où  ii 
se  trouvait;  en  sorte  que,  voyant  1é;  nid  de 
l'animal  entièrement  vide,  je  soupçonnai 
qu'il  s'était  frayé  un  chemin  sous  lerrê. 

«  Ce  qui  donnait  à  celte  représentation  un 
caractère  pittoresque  et  animé,  c'étaient  les 
physionomies  enfantines  de  ces  petits  grou- 
pes si  franchement  effrayés  et  si  francliemenl 
réjouis;  puis  ici  une  jeune  fille,  revenalit  de 
puiser  de  l'eau  au  pied  de  la  pagode,  s'arrê- 
tait, la  cruche  sur  la  têle,  et,  après  avoir 
prélé  un  instant  d'allention  au  spectacle,  re- 
prenait sa  roule  vers  le  village;  là  un  vieux 
Mabratte,  le  bouclier  sur  l'épaule,  la  lance 
au  poing,  se  levait  sur  létrier,  et  bientôt  re- 
tombait dédaigneusement  sur  sa  selle;  plus 
loin,  de  jeunes  enfants  attardés  accouraient 
si  vite,  que  quelques-uns  lombaieut  en  che- 
min. L'aîné  plaçait  le  plus  jeutii;  sur  sa  han- 
che, à  la  manière  des  Hindous,  et,  pliant 
sous  le  faix,  traînait  par  la  main  le  reste  de 
la  famille. 

«  C'était  une  scène  de  nature,  sans  m  i- 
nière  ni  affectation;  et  en  vérité  je  ne  sais 
rien  de  si  gracieux  (jue  ces  figures  plus  ou 
moins  brunes  penchées  en  avant,  ces  têtes 
étranges  chargées  de  pendants  d'oreilles  et 
d'anneaux  passés  dans  le  nez,  appuyées  sur 
deux  petites  mains  couvertes  de  bracelets, 
ces  genoux  plies  sous  le  menton  et  ces  pieds 
ornés  de  (jougouroux  sonores  ;  car  lel  est  le 
vêtement  des  habitants  de  l'Inde,  jusqu'à  ce 
que  l'âge  leur  apprenne  à  purter  quelque 
chose  de  plus  que  des  ornemenis. 

«  Cependant  les  tours  de  magie  conti- 
nuaient sans  interruption.  Le  jongleur  tenait 
à  la  main  une  cruche  aussi  impossible  à  vi- 
der que  le  tonneau  des  Uanaïdes  l'était  à 
remplir  :  il  versait  l'eau  à  terre,  la  jet.iit 
dans  son  oreille  et  la  rendait  par  la  bouche, 
s'administrait  des  douches  sur  la  lète,  et  tou- 
jours le  vase  était  plein  jusqu'au  bord. 


909 


«  Ensuite  il  tira  de  son  sac  une  paire  do 
panloufles  de  bois  plus  larges  que  la  plinte 
de  ses  pieds.  Après  bien  des  discours  et  des 
charges,  ii  finil  par  faire  adhérer  à  ses  ta- 
lons nus  ers  semelles  Irès-polies,  et  fit  pins 
de  gambades  avec  de  telles  ehau^sures  que 
n'en  pourraient  faire  à  l'Opéra  de  jolis  petits 
pieds  chaussés  d'élégants  escarpins.  Tantôt  ii 
s'élevait  en  l'air;  tu;.tôt  il  frappait  la  pan- 
loafle  sur  la  terre,  de  manière  à  la  faire  tom- 
ber, mais  jamais  elle  ne  glissait.  Ce  fut  en- 
core là  une  chose  inexplicable  pour  moi  ;  car 
il  n'avait  appliqué  à  ses  pieds  aucune  sub- 
stance collante,  et  il  pouvait  à  volonté  lâcher 
ces  pantoufles  unies  comme  la  glace. 

«  Enfin  la  séance  se  termina  par  une  ex- 
périence plus  surprenante  encore,  que,  par 
cette  raison  sans  doute,  notre  magicien  gar- 
dait pour  la  dernière.  L'un  des  joueurs  de 
tambourins,  grand  garçon  d'une  belle  taille, 
se  laissa  attacher  les  'pieds,  lier  les  mains 
derrière  le  cou,  et  enfermer  dans  un  filet  à 
poissons  bien  serré  par  une  douzaine  de 
nœuds.  Dans  cet  état,  après  l'avoir  promené 
autour  du  cercle  des  spectateurs,  on  le  con- 
duisit près  d'un  panier  de  deux  pieds  de  haut 
sur  quatorze  ponces  de  large. 

«  —  Voulez-vous  que  je  le  jette  dans  l'é- 
tang? demanda  le  chef  de  bande.  C'est  un 
vaurien;  le  voilà  bien  lié;  l'occasion  est 
bonne  :  j'ai  envie  de  m'en  défaire  1 

«  Et  l'auditoire  crédule  se  tournait  déjà  du 
côté  de  cette  pièce  d'eau,  ombragée  d'arbres 
magnifiques  et  creusée  au  bas  de  la  pagode 
pour  les  ablutions  et  les  besoins  du  village. 

«  —  Non,  dit  en  s'interrompant  le  jongleur, 
après  une  minute  de  réflexion;  je  vais  l'esca- 
moter, l'envoyer...  où  vous  voudrez:  à  Pou- 
nah,  à  Delhi,  à  Ahmed  Nagar,  à  Bénarèsl 

«  Et  sur-Ie-cliamp  il  enleva  le  patient,  tou- 
jours incarcéré  d.;ns  son  filet,  et  le  plaça  au 
fond  du  panier,  en  rabattant  le  couvercle  sur 
sa  léle;  il  j'en  fallait  de  plus  de  trois  pieds 
que  les  bords  se  joignissent.  On  jeta  un 
uianteau  sur  le  tout. 

«  Insensiblement  le  volu.'re  diminua,  s'af- 
faissa; on  vit  voler  en  l'air  le  filet  et  les  cor- 
des qui  attachaient  le  jeune  Hindou;  puis  le 
panier  se  ferma  de  lui-même,  et  une  voix 
qui  semblait  sortir  des  nues  cria  :  Adieu  I 

«  —  Il  est  parti  pour  Ahmed-Nagar,  il  est 
envolé  :  Oar-Gayal  Our-Gatja!  répéta  le  jon- 
gleur avec  transport;  ii  ne  saurait  tenir  dans 
Ufi  aussi  petit  espace  (et  ci  la  paraissait  phy- 
siquement iuijiossiblej.  Je  vais  donc  attacher 
le  panier  et  prendre  congé  de  l'assemblée. 

«  Le  paquet  fut  ficelé;  il  ne  restait  plus 
qu'à  le  mettre  sur  le  dos  du  buffle  destiné  à 
porter  les  bagages  de  la  troupe. 

«  —  Un  insiant!  reprit  subitement  le  jon- 
gleur; si  pourtant  il  était  dans  le  panier!  Qui 
sait? 

«  Et  là-dessus,  tirant  un  hmg  sabre,  il  tra- 
versa le  panier  presque  par  le  milieu...  Le 
s.mg  couli  en  abondance...  l'anxiété  était  à 
son  comble...  lorsque  tout  à  coup  le  couver- 
cle se  lève  de  nouveau, et  d'un  bond  le  grand 
garçon  saule  hors  de  sa  niche,  frais  et  dispos, 
s.ins  la  moindre  cgralignuiel 


903 


niCTlONNAinE  HES 


<  Ce  tour  psi  simple,  Irès-simpir,  dira-I- 
on ;  mais  se  débarrasser  des  cordes  el  dufilcl, 
se  cacher  dans  un  si  petit  espace,  y  rester 
un  qnarl  d'heure  sans  broncher,  el  de  telle 
façon  ((ue  le  sabre  ne  puisse  rencontrer 
(|uel()ue  membre  à  entamer,  ce  sont  là  des 
pi'odiges  de  dextérité,  d('  souplesse  el  de  pa- 
tience que  l'on  ne  peut  concevoir,  surtout 
quand  on  les  a  vus. 

«  Après  ce  nec  plus  uHrn  de  la  science,  les 
jongleurs  firent  leurs  paquets  el  se  mirent 
en  marche  vers  Nipapour,  1  ur  patrie.  Je  les 
vis  se  perdre  dans  la  l'oule  de  bœufs  chTirsés 
que  des  troupes  de  mahralles,  tril)us  ambu- 
lantes traînant  avec  eux  armes  et  bagages, 
femmes  el  enfants,  conduisent  dans  l'in- 
térieur. 

«  La  foule  se  dispersa  peu  à  peu.  Le  snb  il 
déclinait  derrière  les  montagnes,  le  peuple 
.se  rendait  à  l'étang  pour  les  ablutions,  et  le 
gros  oiseau  pêcheur,  hôte  de  ces  eaux  trati- 
quilles,  était  si  sérieux  à  la  pointe  de  la  pa- 
gode, qu'on  l'eût  pris  pour  le  dieu  de  ce  tem- 
ple idolâtre. 

«  Pour  moi,  je  remontai  sur  mon  petit 
cheval,  el,  tout  en  trottant  au  milieu  des 
nuages  d'une  poussière  dorée  par  les  di-r- 
niers  feux  du  jour,  je  ne  pus  ra'empêcher  de 
reconnaître  que  ces  jongleurs  errants  bat- 
taient complètement  non-seulement  les  har- 
vis  du  Caire,  mais  encore  les  plus  fameux 
escamoteurs  de  l'Europe,  et  que,  si  la  maaie 
n'est  pas  morte,  c'est  dans  l'Inde  qu'il  faut 
la  chercher.  » 

JOURS.  Les  magiciens  et  sorciers  ne  peu- 
vent rien  deviner  le  vendredi  ni  le  dimanche. 
Quelques-uns  disent  même  que  le  diable  ne 
fait  pas  ordinairement  ses  orgies  et  ses  as- 
seuiblées  ces  jdurs-là;  m;iis  ce  sentiment 
n  est  pas  général. 

Si  on  rogne  ses  ongles  les  jours  de  la  se- 
maine qui  ont  un  r,  comme  le  niardi,  lu 
mercredi  el  le  vendredi,  il  viendra  des  envies 
aux  doigts.  Il  n'est  pas  facile  d'en  donner  la 
raison. 

Suivant  une  autre  croyance,  en  ne  cou- 
pant ses  ongles  que  le  vendredi,  on  n'a  jamais 
mal  aux  dents. 

On  a  fait  des  tables  des  jours  heureux  et 
malheureux  pour  chaque  mois.  Mais  comme 
elles  varient  toutes,  le  jour  heureux  de  l'une 
étant  malheureux  dans  l'autre,  nous  laissons 
aux  amateurs  le  soin  de  dresser  ces  tables  à 
leur  gré  pour  leur  usage. 

JOSUE  BEN-LEVl,  rabbin  si  rusé  et  si 
sage,  qu'il  trompa  le  ciel  el  l'enfer  toul  en- 
semble. Comme  il  était  près  de  (répasser,  il 
gagna  si  bien  le  diable,  qu'il  lui  fil  promettre 
(le  le  porter  jusqu'à  l'entrée  du  paradis,  lui 
disant  qu'il  ne  voulait  que  voir  le  lieu  de  l'ha- 
bilalion  divine,  et  qu'il  sortirait  du  monde 
plus  content.  I^e  diable,  ne  voulant  p<is  lui 
refuser  celte  saiislaclion,  le  porta  jusqu'au 
guichet  du  paradis;  mais  Josué  s'en  voyant  si 
près  se  jeta  dedans  avec  vitesse,  l.ii>sant  le 
diable  derrière,  ei  jura  par  le  Dieu  vivanl 
qu'il  n'en  sortirait  point.  Dieu,  disent  les  r.ili- 
biiis,fit  conseienee  que  le  rabbin  se  parjurât, 
et  cousentit  qu  ii  demeurât  avec  les  jusUs. 


SCIRNCES  OCCULTES.  9"4 

Voy.  Messie  ues  Juifs,  et  à  la  suite  de  l'ar- 
ticle Faust,  la  légende  du  maréchal  de  Ta- 
inine. 

JUDAS  ISCARIOTE.  Après  sa  trahison  in- 
fâme, il  fut  possédé  du  diable  et  se  pemlil  à 
un  sureau.  Les  Flam.inds  appellent  encore 
les  excroissances  parasites  de  l'écorce  du  su- 
reau sueur  de  Judas. 

Dans  le  Mystère  di-  [a  Passion,  recueilli  par 
Jean  Michel  et  joue'»  à  Aiigers  en  l'iSG,  on 
trouve  réunies  les  traditions  les  plus  célèl)r<s 
relatives  à  Judas.  Su' vaut  les  légendaires,  l'af- 
freux Judas  avait  éjxiusé  sa  mère  et  tué  son 
père.  Au  moment  du  ^-rand  sacrifice  qui  ra- 
chète le  genre  humain  sur  le  Calvaire,  les 
auteurs  des  Mystères  de  la  Passion  nous  mon- 
trent Jiid.is,  saisi  de  rage  el  de  désespoir,  er- 
rant autour  du  gibet  où  étaient  expo-és  bs 
cadavres  des  sup|iliciés,  dans  un  lieu  souillé 
d'immondices  et  de  décombres.  Il  entend  de 
loin  les  cris  de  la  muliitude  autour  du  Christ 
qu'il  a  livré.  En  proie  à  des  tortures  ef- 
froyables, courant  çà  et  là  comme  un  insen- 
sé, il  invoque  l'enfer.  Le  démon,  sous  une 
forme  hideuse,  sort  aussitôt  de  l'ablmc. 

LE  DÉMON. 

Mùcliaiil,  que  vciix-ui  qu'on  le  fasse? 
A  quel  pori  veux  lu  alioidei  ? 

JCDAS. 

.'e  ne  s:iis;  je  n\iy  œil  en  face. 
Oui  daijine  les  deux  regarder. 
Qui  es-lu  î 

LE  DÉM  >n. 

Sans  plus  domaudcr, 
«e  suis  pour  venger  lou  offense. 

JtJU.lS. 

D'oU  viens-tu? 

LE  DÉM   N. 

Je  viens  de  l'enfer. 

Jl'DAS 

Ton  nom? 

LE  UKMO!«. 

Mon  nom?  Désespérance. 

Jl'DAS. 

Approche  cl  me  donne  allégeance. 

LEUÉMIIN. 

Oui;  mais  11  nous  faut  abréger... 
Celinfernaldialogue  continue. Judas  hésite 
encore.  Il  voudrait  invoquer  Dieu,  Jésus  el 
la  Vierge  Marie.  Mais  la  présence  de  son  im- 
pitoyable compagnon  l'arrête.  Le  démon  le 
presse  d'en  finir;  il  lui  présente  alternative- 
ment une  dague,  une  corde  à  nœu;l  coulant, 
et  ne  lui  laisse  que  le  choix  de  la  mort.  Un 
arbre  peu  élevé  croît  près  d'<'ux  dans  les  fentes 
d'un  rocher.  Désespérance  le  montre  à  Judas, 
le  pousse,  l'aide  à  y  monter.  Une  légion  de  dé- 
mons apparaît  alors  sur  la  scène.  Us  forment 
au  pied  de  l'arbre  une  ronde  effroyable.  Dé- 
sormais le  traître  leur  appartient  ;  du  haut  de 
ce  nouveau  gibet,  il  hurle  son  exécrable 
testament. 

Moi  Judas,  jadis  traître  apdlre 
Me  donne  à  vous  coinine  le  vftlre, 
El  ne  veux  point  requérir  grâce, 
Ni  que  Dieu  vrai  pardon  nie  fasse. 
Mais  renonce  Dien  el  les  anges. 
Et  saint  Michel  et  les  archanges; 
Je  renie  la  Vierge  .Marie, 
Et  Jésus  et  .sa  compagnie... 
Item  reconiiriaude  mon  ànie 
A  Lucifer  ord  el  iulàme, 
El  veux  que  mon  corps  soit  ravi 
lui  enfer  au  plus  pré»  de  'ni... 
Uref,  me  donne  Sine,  corps  el  liieri. 
S-ins  i«ûiais  eu  excepter  rien, 


905 


JIII 


J'JI 


900 


En  dépit  de  Dieu  qui  me  Ut, 
A  tous  les  diables. 

LUCIFER. 

Il  suOlt. 
'  Tu  renonces  à  tout  pardon. 

Le  dernier  crime  est  consommé.  Judas  a 
devancé  la  justice  de  Dieu  ;  mais  son  âme  im- 
monde s'arrête  sur  ses  lèvres,  chaudes  encore 
du  baiser  du  Sauveur.  Lucifer  s'étonne  de 
cette  circonstance  : 

Que  diable  est  l'àme  devenue? 
Il  n'est  donc  pas  mort  ? 

Si  est,  si  est,  répondent  les  démons.  Et  une 
O'ieur  infecte  s'exhale  du  cadavre  du  ré- 
prouvé. Ses  entrailles  se  répandent  sur  le  sol  ; 
l'âme  s'échappe  avec  elles; 

Car  par  sa  bouche  orde  et  maligne 
Oui  liaisa  son  niaistre  tant  digne , 
Elle  ne  peut,  ni  doit  passer. 

Avant  que  les  diables  emportent  l'âme, 
elle  dit  : 

Ali  I  maudite  ftme  malheurée, 
Enragée  et  désespérée  I... 
Le  ver  de  dur  et  vit'  reinord. 
Sans  fin  nie  poingt  et  mord , 

Et  je  reste  obstinée; 

Mais  en  mon  dolent  tort 

Je  ne  quiers  réconfort, 

Puisque  je  suis  damnée.... 

JUGEMENT  DE  DIEU.  Voy.  Epreuvks. 

JUIF  ERRANT.  On  voit  dans  la  légende  du 
Juil  errant  que  ce  personnage  était  cordon- 
nier de  sa  profession  et  qu'il  se  nommait 
Ahassvérus;  mais  la  complainte  l'appelle  Isaac 
Laquedcm.  A  l'âge  de  dix  ans,  il  avait  enten- 
du dire  que  trois  rois  cherchaient  le  nouveau 
roi  d'Israël  ;  il  les  suivit  et  visita  avec  eux  la 
sainte  étable  de  Bethléem.  11  allait  souvent 
entendre  Notre- Seigneur.  Lorsque  Judas  eut 
vendu  son  maître,  Ahassvérus  abandonna 
aussi  celui  qu'on  trahissait. 

Comme  on  conduisait  Jésus  au  Calvaire 
chargé  de  l'instrument  de  sa  mort,  le  bon 
Sauveur  voulut  se  reposer  un  instant  devant 
la  boutique  du  cordonnier,  qui,  craignant  <ie 
se  compromettre,  lui  dit  :  — .Allez  plus  loin, 
je  ne  veux  pas  qu'un  criminel  se  repose  à  ma 
porte. 

Jésus  le  regarda  et  lui  répondit  :  —  Je  vais, 
et  reposerai  ;  mais  vous  marcherez  et  vous  ne 
reposerez  pas;  vous  marcherez  tant  que  le 
monde  durera;  et  au  jugement  derniur  vous 
me  verrez  assis  à  la  droite  de  mon  Père. 

Le  cordonnier  prit  aussitôt  un  bâton  à  la 
main  et  se  mit  à  marcher  sans  pouvoir  s'ar- 
rêter nulle  part.  Depuis  dix-huit  siècles  il  a 
parcouru  toutes  les  contrées  du  globe,  sous 
le  nom  du  Juif  errant.  Il  a  aflVonlé  les 
combats,  les  naufrages,  les  incendies.  Il 
u  cherché  partout  la  mort  et  no  l'a  pas 
trouvée. 

Il  a  toujours  cinq  sous  dans  sa  bourse. 
Personne  nepeutso  vanter del'avoir  vu; mais 
nos  grands-pères  nous  disent  que  leurs  grands- 
pères  l'ont  connu,  et  qu'il  a  paru,  il  y  a  plus 
de  cent  ans,  dans  certaines  villes.  Les  aïeux 
de  nos  grands-pères  en  disaient  autant,  et  les 
bonnes  gens  croient  à  l'existence  personnelle 
'lu  Juif  errant. 

DiCTIONN.   DES  SCIENCES    OCCULTES.  I. 


Ce  n'est  pourtant  qu'une  allégorie  ingé- 
nieuse, qui  représente  toute  la  nation  juive, 
errante  et  dispersée  depuis  l'analhème  tombé 
sur  elle.  Leur  race  ne  se  perd  point,  quoique 
confondue  avec  les  nations  diverses,  et  leurs 
richesses  sont  à  peu  près  les  mêmes  dans  tous 
les  temps  aussi  bien  que  leurs  forces.  La  re- 
ligion qu'ils  professent  les  a  jusqu'ici  distin- 
gués des  autres  hommes,  et  en  fera  toujours 
un  peuple  isolé  au  milieu  du  monde. 

JUIFS.  Indépendamment  de  ce  coup  de 
foudre  qui  marque  partout  les  Juifi  et  les  fait 
partout  reconnaître;  il  y  a  sur  eux  plusieurs 
signes  de  l'abandon  oii  les  a  jetés  la  malé- 
diction de  Dieu.  Tant  qu'ils  ont  été  le  peuple 
fidèle,  ils  ont  conservé  intact  le  dépôt  des 
saintes  Ecritures.  Depuis  leur  crime,  les  en- 
seignements de  Moïse  sont  étouffés  chez  eux 
par  les  incroyables  absurdités  du  Talmud,  et 
le  sens  n'est  plus  avec  eux. 

La  Terre-Sainte,  qui  était  le  plus  ferlilo 
et  le  plus  beau  pays  du  monde,  maudite 
avec  la  nalion  qu'elle  portait,  est  devenue  si 
horrible,  qu'elle  ne  nourrit  plus  ses  rares; 
habitants. 

Partout  en  exécration,  les  Juifs, qui  avaient 
massacré  et  torturé  les  chrétiens  toutes  le- 
fois  qu'ils  avaient  été  les  plus  forts,  se  sont 
vus  en  tous  lieux  hiiïs  et  mal  tolérés. On  vou.s 
dira  que  souvent  on  les  poursuivit  pour  des 
crimes  imaginaires  ;  mais  on  ne  prête  qu'au.x 
riches,et  leur  histoire  est  sérieusement  pleine 
de  crimes  irop  rée  s.  On  les  chassa  violem- 
ment de  l'Espagne,  qu'ils  voulaient  dominer; 
mais  sans  les  mesures  viol 'nies  des  rois  chré- 
tiens la  Péninsule  serait  aujourd'hui  la  proie 
des  Juifs  et  des  Maures. 

Quelquefois,  sans  doute,  on  mit  peu  d'hu- 
manité dans  les  poursuites  exercées  contre 
eux;  mais  on  ne  les  bannissait  pas  sans  leur 
donner  trois  mois  pour  s'expalrier,  et  ils 
s'obstinaient  à  demeurer  dans  les  pays  où 
leurs  têtes  étaient  proscrites. 

Parmi  les  moyens  que  l'on  employait 
pour  les  découvrir  il  en  est  un  singulier  que 
rapporte  Tostat  dans  son  livre  des  Démons  ; 
c'élait  une  tête  d'airain,  une  androïde,  qui, 
en  Espagne,  dit-il,  révélait  les  Juifs  ca- 
chés  

Us  faisaient  l'usure  et  dépouillaient  large- 
ment les  chrétiens  dans  les  contrées  où  ils 
étaient  soufferts  ;  puis,  quand  ils  avaient  îout 
ravi,  les  princes  qui  avaient  besoin  d'argent 
les  faisaient  regorger  avec  violence.  JJans 
de  tels  cas,  ils  essuyèrent  surtout  de  grandes 
vexations  chez  les  Anglais.  Le  roi  Jean  fit  un 
jour  emprisonner  les  riches  Juifs  de  son 
royaume  pour  les  forcer  à  lui  donner  de  l'ar- 
gent ;  un  d'eux,  à  qui  on  arracha  sept  dents 
l'une  après  l'autre, en  l'engageant  de  la  sorte 
à  contribuer,  paya  mille  marcs  d'argent  à 
la  huitième.  Henri  III  tira  d'Aaroii,  Juif  d'York, 
quatorze  mille  marcs  d'argent,  et  dix  mille 
pour  la  reine.  Il  vendit  les  autres  Juifs  de 
son  pays  à  son  frère  llicliard  pour  le  terme 
d'une  année,  afin  que  ce  comte  évmtrâl  ceux 
qu'il  avaitdéjàccorchés,  comme  dit  Matthieti 

Paris 

En  général,  lorsqu'on  tolérait  les  Juifs,  ou 

29 


907 


niCTIONNAlRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


908 


les  distinguait  des  autros  habitants  pur  des 
marques  infamantes,  l'hilippc  III  les  obligea 
en  France  à  porter  une  corne  sur  la  tcle  :  il 
leur  était  défendu  de  se  baigner  dans  laSeine  ; 
et,  quand  on  les  pendait,  c'était  cuire  deux 
chiens. 

Le  jour  de  la  fête  de  Pâques, c'était  un  vieil 
usage  à  Toulouse  de  donner  un  soufflet  à  un 
Juif  de  la  ville.  On  raconte  qu'Aymeric,  vi- 
comte de  Rocliechouurt,  accompagné  de  Hu- 
gues son  chapelain,  se  trouvant  à  Toulouse 
le  dimanche  de  Pâques,  les  chanoines  char- 
gèrent Hugues  de  cette  cérémonie  ;  que  le 
chapelain  donna  un  coup  si  violent  au  Juif, 
qu'il  lui  fit  sauter  la  cei  voile;  que  ce  malheu- 
reux tomba  mort.  Mais  il  paraît  que  ce  conte 
est  faux.  Les  Juifs  de  Toulouse  enlevèrent 
leur  mort  de  la  cathédrale,  et  l'inhumèrent 
dans  le  cimetière  de  leur  synagogue  sans 
(jserse  plaindre,  ajoute  Dulaure(l),  qui  était 
un  menteur.  Le  vrai  de  ce  fait,  et  nous  som- 
mes loin  de  l'excuser,  c'est  que  le  soufflet 
renversa  le  Juif.  Voy.  Bohémiens. 

«  Avant  de  quitter  Jaffa,  je  vous  parlerai 
d'une  couluiiie  que  vous  ignorez  peut-être  et 
qui  est  établie  chez  les  Grecs  de  cette  ville. 
Chaque  soir,  pendant  le  carême,  les  petits 
enfants  des  familles  grecques  vont  à  la  porte 
des  maisons  chrétiennes,  et  demandent  avec 
des  cris  monotones,  qu'on  prendrait  pour 
une  complainte,  du  bois  ou  des  paras  (liards) 
pour  acheter  du  bois.  —  Donnez,  donnez, 
disent-ils;  et  l'an  prochain  vos  enfants  seront 
mariés;  et  leurs  jours  seront  heureux;  et 
vous  jouirez  longtemps  de  leur  bonheur. 

«  Le  bois  que  sollicitent  ces  enfants  est 
destiné  à  brûler  les  Juifs.  C'est  le  soir  du 
jeudi  saint  des  Grecs  qu'on  allume  les  feux  ; 
chaque  pctile  troupe  allume  le  sien.  On  f;i- 
hrique  un  homme  de  paille  avec  le  costume 
juif,  et  la  victime  en  effigie  est  ainsi  conduite 
devant  le  feu,  au  milieu  des  clameurs  et  des 
huées.  Les  enfants  délibèrent  gravement  sur 
le  genre  de  supplice  auquel  il  faut  condam- 
ner l'Israélite;  les  uns  disent  :  Crucifions-le, 
il  a  crucifié  Jésus-Christ;  les  autres  :  Cou- 
pons-lui la  barbe  et  les  bras,  puis  la  tète  ; 
d'autres  enfin  :  Fendons-le,  déchirons-lui 
les  entrailles,  car  il  a  tué  notre  Dieu.  Le  chef 
de  la  troupe,  prenant  alors  la  parole  :  — 
Qu'est-il  besoin,  dit-il,  de  recourir  à  tous 
ces  supplices?  Il  y  a  là  un  feu  tout  allumé  ; 
brûlons  le  Juif. 

«  Et  le  Juif  est  jeté  dans  les  flammes.  — 
Feu  ,  feu,  s'écrient  les  enfants,  ne  l'épargne 
pas,  dévore-le;  il  a  souffleté  Jcsus-tîhrist  ; 
il  lui  a  cloué  les  pieds  et  les  mains.  —  Les 
enfants  énumèrent  ainsi  toutes  les  souffran- 
ces que  les  Juifs  firent  endurer  au  Sauveur. 

«  Quand  la  victime  est  consumée,  on  jetlc 
au  vent  ses  cendres  avec  des  imprécations  ; 
et  puis  chacun  se  relire,  satisfait  d'avoir  puni 
le  bourreau  du  Christ.  — ^  De  semblables  cou- 
tumes portent  avec  elles  leur  caractère,  et 
n'ont  pas  besoin  d'être  accompagnées  de  ré- 
flexions (2).  » 

Les  diverses  religions  sont  plus  ou  moins 
M)  Dulaurc,  Principaux  Lieux  de  France,  lom.  II,  |iage 


tolérées  dans  les  Etats  des  Turcs  et  des  Per- 
s.'ins.  Des  Juifs,  à  Conslantinople,  s'avisèrent 
de  dire,  en  conversation,  qu'ils  seraient  les 
seuls  qui  entreraient  dans  le  paradis.  —  Oà 
serons-nous  donc,  nous  autres?  leur  deman- 
dèrent quelques  Turcs  avec  qui  ils  s'entre- 
tenaient. —  Les  Juifs  ,  n'osant  pas  leur  dire 
ouvertement  qu'ils  en  seraient  exclus,  leur 
répondirent  qu'ils  seraient  dans  les  cours. 
Le  grand  vizir,  informé  de  cette  dispute,  en- 
voya chercher  les  chefs  de  la  synagogue,  et 
leur  dit  que,  puisqu'ils  plaçaient  les  musul- 
mans dans  les  cours  du  paradis ,  il  était 
juste  qu'ils  leur  fournissent  des  tentes,  afin 
qu'ils  ne  fussent  pas  éternellement  exposés 
aux  injures  de  l'air.  On  prétend  que  c'est 
depuis  ce  temps-là  que  les  Juifs,  outre  h"  tri- 
but ordinaire,  payent  une  somme  considéra- 
ble pour  les  tentes  du  grand-seigneur  et  de 
toute  sa  maison,  quand  il  va  à  l'armée  (3). 

Nous  ne  réveillerons  pas  ici  les  accusations 
portées  contre  les  Juifs  à  propos  de  l'assas- 
sinat commis  à  Damas,  le  5  février  184-0, 
contre  le  père  Thomas  et  son  domestique. 
Ceux  qui  ont  lu  les  pièces  officielles  de  co 
triste  procès  savent  ce  qu'ils  doivent  en  pen- 
ser. Mais  nous  extrairons  du  savant  Journr;/ 
historique  et  littéraire  de  Liège  (janvier  18V1) 
un  passage  relatif  à  la  doctrine  des  Juifs  sur 
le  meurtre  : 

Le  célèbre  rabbin  Maimonide  ,  mort  en  1205, 
écrivait  à  l'époque  où  les  Juifs  furent  le  pins 
accusés  de  meurtres  sur  les  chrétiens.  Un 
de  ses  principaux  ouvrages  est  le  Jad  Cha- 
zakah  ou  la  Main  forte  ,  qui  est  un  abrégé 
substantiel  du  Talmud.  Voici  ce  qu'il  dit: 

«  Il  nous  est  ordonné  de  tuer  les  héréti- 
ques {minim),  c'est-à-dire  ceux  des  Israélites 
qui  se  livrent  à  l'idolâtrie,  ou  celui  qui  pècho 
pour  irriter  le  Seigneur,  et  les  épicuriens , 
c'est-à-dire  ceux  des  Israélites  qui  n'ajou- 
tent pas  foi  à  la  loi  et  à  la  prophétie.  Si 
quelqu'un  a  la  puissance  de  les  tuer  publi- 
quement par  le  duel,  qu'il  les  tue  de  cette 
manière.  S'il  ne  peut  faire  ainsi,  qu'il  lâcho 
de  les  circonvenir  par  fraude  jusqu'à  ce  qu'il 
leur  ait  donné  la  mort.  Mais  de  quelle  ma- 
nière? Je  réponds  :  S'il  voit  l'un  d'eux  tombé 
au  fond  d'un  puits  dans  lequel  une  échelle 
avait  été  placée  auparavant,  qu'il  la  retire  et 
dise  :  Je  suis  obligé  de  faire  descendre  du 
toit  mon  fils  qui  est  en  danger;  quand  je 
l'aurai  sauvé,  je  vous  remettrai  l'échelle.  Et 
ainsi  des  autres  circonstances.  » 

Ce  passage  n'est  qu'une  paraphrase  du 
texte  talmudique  de  V Avoda-Sara,  clmp.  2, 
qui  prescrit  les  mêmes  manœuvres  pour  faire 
périr  les  hérétiques.  Il  ajoute  un  autre  expé- 
dient, celui  de  fermer  le  puits  au  moyen  d'une 
pierre,  et  de  dire  qu'on  l'a  couvert  de  crainte 
que  le  bétail  n'y  tombât.  L'objet  de  ces  ho- 
micides est  moins  déterminé  dans  le  Talmud 
que  dans  le  passage  de  Maimonides  ;  il  laisse 
plus  de  latitude  aux  coups  mcurtriiTs.  Ton» 
les  minim  sont  désignés  au  fer  assassin  ;  et  il 
est  notoire  que  les  chrétiens  sont  appelés  de 
ce  nom.  Le  Talmud  appelle  les  Evangiles  le 
(2)  Micliaud  cl  Poujoulat,  Correspondance  de  l'Orient. 
{ô)  Sainl-Foix,  lissais,  l.  II. 


9U9 


JUI 


JUP 


910 


livre  des  miniin.  Maimonides  compln  parmi 
les  héréliques  {minim)  ceux  qui  prétendent 
que  Dieu  a  pris  un  corps  et  qui  adorent, 
outre  le  Seigneur,  un  médiateur  entre  lui  et 
nous,  c'est-à-dire  les  chrétiens. 

La  haine  des  Juifs  contre  les  chrétiens  est 
ancienne.  Sans  remonter  au  premier  siècle , 
tout  plein  d'exemples  sanglants,  Chosroès, 
roi  de  Perse,  Ol,  en  6!3,  une  irruption  sur  la 
Palestine  ;  il  comptait  sur  les  Juifs  pour  se 
défaire  des  chrétiens.  Il  prit  Jérusalem,  et  fit 
une  multitude  de  prisonniers  chrétiens  qu'il 
abandonna  aux  Juifs.  Ceux-ci  les  massacrè- 
rent, dit-on,  au  nombre  de  quatre-vingt-dix 
mille.  L'empressement  des  Juifs  fut  tel ,  que 
chacun  consacrait  une  partie  de  son  patri- 
moine à  l'achat  des  prisonniers  chrétiens  , 
qu'il  massacrait  aussitôt.  Basnage,  dans  son 
Histoire  des  Juifs,  raconte  ces  massacres  sans 
élever  le  moindre  doute  sur  leur  authen- 
ticité. 

Des  Juifs  convertis  onti  avoué  plusieurs 
fois  que  chez  eux  on  massacrait  des  enfants 
volés  ou  achetés  ,  sous  prétexte  qu'en  les 
tuant  on  empêchait  toute  une  race  idolâtre 
de  naître.  On  peut  aller  loin  avec  ce  prin- 
cipe. 

Leurs  rabbins  disent  que  le  précepte  du 
Décalogue  :  Non  occides,  vous  ne  tuerez 
point,  n'oblige  qu'à  l'égard  des  Israélites. 
Lévi  ben  Gersom,  dans  son  commentaire  sur 
le  Pentateuque ,  dit  :  «  Les  paroles  Vous  ne 
tuerez  point  signiQenl  :  vous  ne  tuerez  point 
parmi  les  Israélites  ;  car  il  nous  est  permis 
de  tuer  le»  animaux;  il  nous  est  aussi  or- 
donné de  tuer  une  partie  des  nations,  comme 
Amaleth  et  les  autres  nations  à  qui  il  nous 
est  commandé  de  ne  pas  laisser  la  vie.  Il  est 
donc  clair  que  le  commandement  défend 
seulement  de  tuer  les  Israélites.  » 

Maimonides  dit  aussi  qu'on  viole  ce  com- 
mandement lorsqu'on  tue  un  Israélite,  lais- 
sant assez  entendre  qu'on  ne  le  viole  pas  en 
tuant  un  chrélien  ou  un  gentil.  «  Un  Israé- 
lite qui  a  tué  un  étranger  habitant  parmi 
nous,  dit-il  ailleurs,  ne  peut  d'aucune  ma- 
nière être  condamné  à  mort.  »  Dans  le  Bava 
mezia,  il  est  encore  dit  que  les  Juifs  sont  des 
hommes  et  que  les  autres  peuples  du  monde 
sont  des  brutes.  Les  rabbins  enseignent  que 
les  autres  peuples  du  monde  n'ont  pas  d'âme 
humaine;  et  ils  les  traitent,  surtout  les  chré- 
tiens, de  porcs,  de  bœufs,  de  chiens,  d'ânes 
et  de  sangliers.  Dès  lors  le  précepte  :  Vous  ne 
tuerez  point,  n'obligeant  pas  envers  les  ani- 
maux, n'oblige  pas  envers  les  chrétiens. 

Ces  doctrines  ne  sont  ni  celles  de  Moïse, 
ni  celles  des  aulrcs  livres  saints.  Ce  sont  les 
doctrines  des  lulmudistes,  rabbins  ou  scri- 
bes. Mais  Buxtorf  assure  {in  Synayoya  Ju- 
daica)  que  cet  axiome  est  vulgaire  :  Mon  fils, 
faites  plus  attention  aux  paroles  des  scribes 
(ou  rabbins)  qu'à  celles  de  la  loi.  Salomoa 
larchi,  un  des  plus  fameux  docteurs  juifs, 
écrit  dans  ses  commentaires  sur  le  Deuléro- 
nome  :  «  Vous  ne  vous  écarterez  pas  des  pa- 
roles des  rabbins,  quand  même  ils  vous 
diraient  que  votre  maindroite  est  votre  main 
gauche,  ou  que  votre  gauche  est  votre  droite. 


Vous  le  ferez  donc  bien  moins  lorsifu'ils  ap- 
pelleront votre  droite,  droite,  et  votre  gau- 
che, gauche.  » 

JULIEN  L'APOSTAT,  né  en  331,  empereur 
romain,  mort  en  363.  Variable  dans  sa  phi- 
losophie,  inconstant  dans  sa  manière  de  pen- 
ser, après  avoir  été  chrétien,  il  retomba  dan» 
le  paganisme.  Les  ennemis  seuls  de  l'Eglise 
ont  trouvé,  dans  quelques  qualités  apparen- 
tes, des  prétextes  pour  faire  son  éloge.  Ce  sage 
consultait  Apollon  et  s-icrifiait  aux  dieux  de 
pierre,  quoiquil  connût  la  vérité.  Les  démo- 
nomanes  l'ont  mis  au  nombre  des  magiciens; 
et  il  est  vrai  qu'il  croyait  fermement  à  la 
magie,  qu'il  attribuait  a  cette  puissance  les 
miracles  de  Notre-Scigneur,  dont  il  n'était 
pas  assez  stupide  pour  nier  l'évidence;  et  il 
expliquait  de  ta  môme  manière  les  prodiges 
que  Dieu  accordait  alors  encore  à  la  foi 
ferme  des  chrétiens.  Enfin  avec  Maxinius  et 
Jainblique  il  évoquait  les  esprits  et  recher- 
chait l'avenir  parla  nécromancie. 

Ilavaitdes  visions  :AmmienMarccllin  rap- 
porte que  peu  avant  sa  mort,  comme  il  écri- 
vait dans  sa  tente,  à  l'imitation  de  Jules  Cé- 
sar, il  vit  paraître  devant  lui  le  génie  du 
Home  avec  un  vis.ge  blême. 

Il  fut  tué  par  un  Irait  que  personne  ne  vit 
venir,  à  l'âge  de  trente-deux  ans.  Ennemi 
acharné  de  Jésus-GhrisI,  il  recueillit,  dit-on, 
en  tombant  un  peu  de  son  sang  dans  sa  main 
et  le  lança  vers  le  ciel,  en  disant  :  —  Tu  as 
vaincu,  Galiléen! 

Après  sa  mort,  on  trouva,  dans  le  palais 
qu'il  habitait,  des  charniers  et  des  cercueils 
pleins  de  têtes  et  de  corps  morts.  En  la  ville 
de  Carres  de  Mésopotamie,  dans  un  temple 
d'idoles,  on  trouva  une  femme  morte  pen- 
due par  les  cheveux,  les  bras  étendus,  le 
ventre  ouvert  et  vide.  On  prétend  que  Julien 
l'avait  immolée  pour  apaiser  les  dieux  in- 
fernaux auxquels  il  s'était  voué,  et  pour 
apprendre  par  l'inspection  du  foie  de  cette 
femme  le  résultat  de  la  guerre  qu'il  faisait 
alors  contre  les  Perses. 

La  mort  de  l'Apostat  fut  signifiée,  dit-on, 
dans  plusieurs  lieux  à  la  fois,  et  au  même 
moment  qu'elle  advint.  Un  de  ses  domesti- 
ques, qui  allait  le  trouver  en  Perse,  ayant 
été  surpris  par  la  nuit,  et  obligé  de  s'arrêter 
dans  une  église  faute  d'auberge,  vit  en  songe 
des  apôtres  et  des  prophètes  assemblés  qui 
déploraient  les  calamités  de  l'Eglise  sous  un 
prince  aussi  impie  que  Julien ;et  on  d'entre 
eux  s'étant  levé  assura  les  autres  qu'il  al- 
lait y  porter  remède.  La  nuit  suivante,  ce 
valet,  ayant  vu  dans  son  sommeil  la  même 
assemblée,  vit  venir  l'homme  de  la  veille  qui 
annonça  la  mort  de  Julien. 

Le  philosophe  Didyme  d'Alexandrie  vit 
aussi  en  songe  des  hommes  montés  sur  des 
chevaux  blancs,  et  courant  dans  les  airs  en 
disant  :  —  Annoncez  à  Didyme  qu'à  cette 
heure  Julien  l'Apostat  est  tué. 

JUNG,  auteur  allemand,  vivant  encore  sans 
doute  :  il  a  écrit  sur  les  esprits  un  ouvrage 
intitulé  :  Tliéorie  de  Geister-Kunder,  Nurem- 
berg, 1808,  in-8°. 

JUPITER  AMMON.  Les  Egyptiens  portaicul 


9tl  niCTIONNAlIlE  DES 

(.ur  le  lORtir,  comme  un  puissanl  prcservalif, 
une  amulelle  ou  pliilaclèrc ,  qui  clail  une 
lame  sur  laquelle  ils  écrivaient  le  nom  de 
Jupilcr  Ammon.  Ce  nom  élait  si  grand  dans 
leur  esprit,  cl  mémo  chez  les  llomains,  qu'on 
en  croyait  l'invocation  suffisante  pour  obte- 
nir toutes  sortes  de  biens. 

On  sait  que  Jupiter  Ammon  avait  des  cor- 
nos  de  bélier.  Sa  statue ,  adorée  à  Thèbes  , 
dans  la  haute  Egypte,  était  un  automate  qui 
taisait  des  signes  de  (été. 

JUUEMKNT.  «  C'est  une  chose  honteuse , 
dit  un  bon  légendaire,  que  d'entendre  si  sou- 
vent répéter  le  nom  du  diable  sans  nécessité. 
Un  père  en  colère  dit  à  ses  enfants  :  — Venez 
ici,  mauvais  diables I  Un  autre  s'écrie  :  — Te 
voilà,  bon  diable  !  Celui-ci ,  qui  a  froid,  vous 
l'apprend  en  disant  :  —  Diable!  le  temps  est 
rude. Celui-là,  (pii  soupire  après  la  table,  dit 
qu'il  a  une  faim  de  diable.  Un  autre,  qui  s'im- 
patiente ,  souhaite  que  le  diable  l'emporte. 
Un  savant  de  société,  quand  il  a  proposé  une 
énigme  ,  s'écrie  braven)ent  :  —  Je  me  donne 
au  diable  si  vous  devinez  cela.  Une  chose  pa- 
rait-cUe  embrouillée,  on  vous  avertit  que  le 
diable  s'en  môle.  Une  bagatelle  est-elle  per- 
due, on  dit  qu'elle  est  à  tous  les  diables.  Un 
homme  laborieux  prend-il  quelque  sommeil, 
un  plaisant  vient  vous  dire  que  le  diable  le 
berce.  —  Ce  qu'il  y  a  de  pis ,  c'est  que  des 
gens  emploient  le  nom  du  diable  en  bonne 
part  ;  ainsi  on  vous  dira  d'une  chose  médio- 
cre :  —  Ce  n'est  pas  le  diable.  Un  homme 
lait-il  plus  qu'on  ne  demande ,  on  dit  qu'il 
travaille  comme  le  valet  du  diable.  Que  l'on 
voie  passer  un  grenadier  de  cinq  pieds  dix 
pouces  ,  on  s'écrie  :  —  Quel  grand  diable  ! 
D'un  qui  vous  étonne  par  son  esprit,  par  son 
adresse  ou  par  ses  talents,  vous  dites  :— Quel 
diable  d'homme!  On  dit  encore  :— Une  force 
de  diable,  un  esprit  de  diable,  un  courage  de 
diable  ;  un  homme  franc  est  un  bon  diable  ; 
un  homme  qu'on  plaint, un  pauvre  diable; 
un  homme  divertissant  a  de  l'esprit  en  dia- 
ble, etc.,  et  une  foule  de  mots  semblables.  Ce 
sont  de  grandes  aberrations.  » 

Un  père  en  colère  dit  un  jour  à  son  Gis  :— 
Va-t'en  au  diable  !  Le  fils  étant  sorti  peu 
après,  rencontra  le  diable,  qui  l'emmena;  et 
on  ne  le  revit  plus  (l). 

Un  autre  homme,  irrité  contre  sa  fille  qui 
mangeait  trop  avidement  une  écuelle  de  lait, 
eut  l'imprudence  de  lui  dire  :  —  Puisses-tu 
avaler  le  diable  dans  ton  ventre!  La  jeune 
fille  sentit  aussitôt  la  présence  du  démon,  et 
elle  fut  possédée  plusieurs  mois  (2). 

Un  mari  de  mauvaise  humeur  donna  sa 
femme  au  diable  ;  au  même  instant,  comme 
s'il  fût  sorti  de  la  bouche  de  l'époux,  le  dé- 
mon entra  par  l'oreille  dans  le  corps  de  celte 


SCIENCES  OCCULTES. 


912 


pauvre  dame.  Cis  contes  vous  font  rire  ; 
puissent-ils  vous  corriger  (3)  1 

Un  avocat  gascon  avait  recours  aux  gran- 
des figures,  pour  émouvoir  ses  juges.  Il  plai- 
dait au  quinzième  siècle,  dans  ces  temps  où 
les  jugements  de  Dieu  étaient  encore  en  usa- 
ge. Un  jour  qu'il  défendait  la  cause  d'un 
Manceau  cité  en  justice  pour  une  somme 
d'argent  dont  il  niait  la  dette,  comme  il  n'y 
avait  aucun  témoin  pour  éclaircir  l'aiïaire', 
les  juges  déclarèrent  qu'on  aurait  recours  à 
une  épreuve  judiciaire.  L'avocat  de  la  pariie 
adverse,  connaissant  l'humeur  peu  belli- 
queuse du  Gascon,  demanda  que  les  avocat» 
subissent  l'épreuve,  aussi  bien  que  leurs 
clients  ;  le  Gascon  n'y  consentit  qu'à  condi- 
tion que  l'épreuve  fût  à  son  choix. — La  chose 
se  passait  au  Mans. 

Le  jour  venu,  l'avocat  gascon  ayant  lon- 
guement rélléclii  sur  les  moyens  qu'il  avait 
à  prendre  pour  ne  courir  aucun  péril,  s'a- 
vauç:i  devant  les  juges,  cl  demanda  qu'avant 
de  recourir  à  une  plus  violente  ordalie  ,  on 
lui  permît  d'abord  d'essayer  celle-ci,  c'est- 
à-dire  qu'il  se  donnait  hautement  et  ferme- 
ment au  diable,  lui  et  sa  partie,  s'ils  avaient 
louché  l'argent  dont  ils  niaient  la  dette.  Les 
juges,  étonnés  de  l'audace  du  Gascon,  se  per- 
suadèrent là-dessus  qu'il  était  nécessaire- 
ment fort  de  son  innocence  cl  se  disposaient 
à  l'absoudre  ;  mais  auparavant  ils  ordon- 
nèrent à  l'avocat  de  la  partie  adverse  de 
prononcer  le  même  dévouement  que  venait 
de  faire  l'avocat  gascon. 

—  Il  n'en  est  pas  besoin,  s'écria  aussil6t 
du  fond  de  la  salle  une  voix  rauque. 

En  même  temps  on  vil  paraître  un  monstre 
noir,  hideux,  ayant  des  cornes  au  front,  des 
ailes  du  chauve-souris  aux  épaules,  et  avan- 
çant les    griffes  sur  l'avocat  gascon Le 

champion,  tremblant,  se  hâta  de  révoquer  sa 
parole,  en  suppliant  les  juges  et  les  assis- 
tants de  le  tirer  des  griffes  de  l'ange  de  ténè- 
bres. 

—  Je  ne  céderai,  répondit  le  diable  ,  que 
quand  le  crime  sera  révélé... 

Disant  ces  mots  ,  il  s'avança  encore  sur  le 
plaideur  manceau  et  sur  l'avocat  gascon.  Les 
deux  menteurs,  interdits,  se  hâtèrent  d'avouer, 
l'un,  qu'il  devait  la  somme  qu'un  lui  deman- 
dait ;  l'autre,  qu'il  soutenait  sciemment  une 
mauvaise  cause.  Alors  le  diable  se  retira  , 
mais  on  sut  par  la  suite  que  le  second  avo- 
cat, sachant  combien  leGasconélaitpeureux, 
avait  été  instruit  de  son  idée  ;  qu'il  avait  en 
conséquence  affublé  son  domestique  d'un  ha- 
bit noir  bizarrement  taillé  ,  et  l'avait  équipé 
d'ailes  et  de  cornes,  pour  découvrir  la  vérité 
par  ce  ministère. 


K 


KAABÂ.  Ce  lieu  célèbre  à  La  Mecque,     dans  l'cnccintc  du  temple ,  est,   dit-on,   la 

(1)  Cssarii  Ileisterb.  miractf..,  \îa.  5,  cap.  !&  (3)  Kjusdein,  cap.  3,  Ibid. 

(2)  EJusUim,  cap.  2,  ilnd. 


H5 


KAll 


KAL 


9t« 


maison  (l'Abraham,  bâtie  par  lui ,  scion  les 
croyances  musulmanes.  Le  seuil  est  un  bloc 
de  pierre  qui  a  été,  disent  les  Arabes,  la  sta- 
tue de  Saturne,  autrefois  élevée  sur  la  Kaaba 
môme,  et  renversée  parun  prodige,  ainsi  que 
toutes  les  autres  idoles  du  lieu  ,  au  moment 
de  la  naissance  de  Mahomet. 

La  Kaaba  est  un  petit  édifice  d'une  quin- 
zaine de  pieds.  Les>musulnians  l'appellent 
la  maison  carrée  et  la  maison  de  Dieu;  dans 
le  Koran  elle  est  désignée  comme  le  lieu  le 
plus  saint  de  la  terre  :  aussi  les  bons  musul- 
mans se  tournent-ils  toujours  dans  leurs 
j-rières  vers  la  Kaaba;  et  il  faut  être  peu  dé- 
vot pour  n'en  pas  faire  au  moins  une  fois  en 
sa  vie  le  pèlerinage.  On  y  révère  la  fameuse 
pierre  noire  qui  servait  d'échafaud  à  Abra- 
ham lorsqu'il  maçonnait  la  maison  carrée. 
On  conte  qu'elle  se  haussait  et  se  baissait 
«l'elle-méme,  selon  les  désirs  du  patriarche. 
Elle  lui  avait  été  apportée  par  l'ange  Ga- 
briel ;  et  on  ajoute  que  celte  pierre,  se  voyant 
abandonnée  après  qu'on  n'eut  plus  besoin 
d'elle,  se  mit  à  pleurer;  Abraham  la  consola 
en  lui  promettant  qu'elle  serait  extrêine- 
menl  vénérée  des  musulmans;  et  il  la  plaça 
en  effet  près  de  la  porte,  où  elle  est  baisée 
par  tous  les  pèlerins 

RABOTERMANNEKENS,  petilslulins  fla- 
mands qui  font  des  niches  aux  finîmes  de  la 
campagne,  surtout  en  ce  qui  touche  le  lai- 
tage et  le  beurre. 

KACHER,  vieux  magicien  qui,  dans 
l'histoire  fabuleuse  des  anciens  rois  de  Ka- 
chemire,  transforma  le  lac  qui  occupait  ce 
beau  pays  en  un  vallon  délicieux  ,  et  donna 
aux  eaux  une  issue  miraculeuse  en  coupant 
une  montagne  nommée  Barabouié. 

KAF  ,  montagne  prodigieuse  qui  en- 
toure l'horizon  de  tous  côtés,  à  ce  que  disent 
les  musulmans.  La  terre  se  trouve  au  milieu 
(le  cette  montagne,  ajoutent-ils  ,  comme  le 
doigtau  milieu  de  l'anneau.  Elle  a  pour  fon- 
dement la  pierre  Sakhrat ,  dont  le  moindre 
fragment  opère  les  plus  grands  miracles. 
C'est  celte  pierre,  faite  d'une  seule  émeraude, 
qui  excite  les  tremblements  de  terre,  en  s'a- 
gilant  selon  que  Dieu  le  lui  ordonne. 

Pour  arriver  à  la  montagne  de  Kaf,  il  faut 
traverser  de  vastes  régions  ténébreuses,  ce 
qu'on  ne  peut  faire  que  sous  la  conduite 
d'un  être  supérieur.  C'est,  dit-on,  la  demeure 
des  génies.  Il  est  souvent  parlé  de  celle  mon- 
tagne dans  les  contes  orientaux.  Voy.  Sakh- 
rat. 

KAHA  ,  maléfice  employé  aux  îles  Mar- 
quises. Les  habitants  attribuent  au  .Kaha  la 
plupart  de  leurs  maladies.  Voici  comment  il 
se  pratique  :  «  Quelque  sorcier  aura  attrapé 
de  votre  salive,  et  puis  il  vous  a  lié  du  ter- 
rible Kaha  ou  malcHce  du  pays,  en  envelop- 
pant cette  salive  dans  un  morceau  de  feuille 
d'arbre  et  la  conservant  en  sa  puissance.  11 
tient  là  votre  âme  et  votre  vie  enchaînées. — 
A  ce  mal  voici  le  remède  :  ceux  qui  ont  eu 
le  pouvoir  de  vous  jeter  le  charme  ont  aussi 
le  pouvoir  de  vous  l'ôlcr,  moyennant  quel- 
«lue  présent.  Le  sorcier  vient  donc  se  cou- 
cher près  de  vous;  il  voit  ou  il  entend  le  gé- 


nie du  mal  ou  de  la  maladie  quand  il  eniro 
en  vous  et  quand  il  en  sort,  car  il  parait  que 
ces  génies  se  promènent  souvent;  et  il  l'at- 
trape comme  au  vol ,  ou  bien  il  le  saisit  en 
vous  frottant  le  bras ,  et  il  l'enferme  à  son 
tour  dans  une  feuille  ,  où  il  peut  le  dé- 
truire (1).  » 

KAIDMORDS  ,  nom  du  premier  homme 
qui  sortit  de  la  jambe  de  devant  d'un  tau- 
reau, selon  la  doctrine  des  mages  ;  il  fut  tué 
par  les  Dives;  mais  il  ressuscitera  le  jour  du 
jugement.  On  invoque  son  âme  chez  les  Guè- 
bres.  Voy.  Boundschescu. 

KAIOMERS,  le  premier  roi  de  l'antique 
dynastie  des  Pichadiens  ;  il  était,  suivant  les 
historiens  persans,  le  pelit-fils  de  Noé.  C'est 
lui  qui  vainquit  les  Dives  ou  mauvais  génies 
à  la  puissance  desquels  le  pays  était  sou- 
mis. 

KAKOS,  (icjnon  invoqué  dans  les  litanies 
du  sabbat. 

KALMOUCKS.  Les  Kalmoucks  rendent 
hommage  à  deux  êtres  puissants  :  au  génie 
du  bien  et  au  génie  du  mal,  sacrifiant  sur  le 
sommet  des  mon'agnes,  sur  les  bords  des  ri- 
vières, ou  dans  linlérieur  des  cabanes,  à  l'un 
comme  à  l'autre  ,  mais  le  plus  souvent  à  la 
divinité  mallaisante ,  parce  qu'i's  jugent  né- 
cessaire de  la  fléchir  et  d'en  apaiser  le  cour- 
roux. 

Le  soleil,  ou  comme  ils  l'appellent,  l'œil 
de  Dieu,  est  pour  eux  l'objet  d'un  culte  par- 
ticulier. Quelque  dégénérée  que  soit  ci'tto 
fausse  religion  ,  on  voit  cependant  le  rap- 
port qui  existe  entre  elle  et  lune  des  plus 
anciennes,  celle  des  disciples  de  Zoroastre, 
qui  avait  étendu  son  iniluencc  nun-seulc- 
raent  sur  llnde  et  la  Perse,  mais  encore  sur 
les  peuples  nomades  des  steppes  mongoles  ; 
cl  nous  voyons  encore  de  nos  jours  des  tri- 
bus, telles  que  les  Calmoucks,  qui  en  ont 
conservé  le  souvenir  pendant  une  suite  do 
siècles. 

Aujourd'hui,  comme  au  moyen  âge  ,  les 
Kalmoucks  ont  des  schamanes  qui,  abusant 
de  leur  crédulité,  leur  persuadent  qu'ils  pos- 
sèdent un  empire  magique  sur  une  foule  de 
génies  invisibles  dont  ils  se  disent  accompa- 
gnés et  qui  leur  révèlent  l'avenir  et  les  cho- 
ses secrètes.  Gomme  au  moyen  âge,  le  mort 
et  même  le  malade  leur  inspirent  une  hor- 
reur qu'ils  n'ont  garde  de  cacher.  Après 
avoir  placé  près  de  lui  tout  ce  dont  il  peut 
avoir  besoin  à  leur  avis,  ils  s'éloignent  du 
malade,  fût-ce  leur  père  ;  la  couche  du  mou- 
rant, s'il  est  riche,  est  gardée  tout  au  plus 
par  un  schamane;  la  famille  se  coniciiic 
d'envoyer  de  temps  en  temps  demander  de 
ses  nouvelles. 

Cette  indifférence  inhumaine  ne  les  empê- 
che pas  de  rendre  après  la  mort  tous  les  hon- 
neurs possibles  à  celui  qu'ils  viennent  de 
perdre.  Le  défunt ,  vêtu  de  ses  plus  beaux 
habits  ,  est  quelquefois  enterré  au  fond  des 
bois,  avec  son  arc  et  ses  flèches,  sa  pipe,  sa 
selle  et  son  fouet.  D'autres  suspendent  leurs 
morts   dans  des  couvertures  de  feutre  au 

(1)  I.curcs  du  P.  îlathias  Gracia  sur  les  lies  Marquises; 
Icllre  6-. 


M5 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTKS. 


91S 


haut  des  arbres  les  plus  élevés;  d'aulres  en- 
fin en  brûlent  les  restes  mortels  sur  un  bû- 
cher pour  garder  leurs  cendres.  Dans  ce  cas 
le  cheval  favori  du  défunt  est  brûlé  avec 
lui. 

Ce  sont  encore  les  mœurs  dont  parlent  les 
chroniques  cl  les  voyageurs  du  moyen  âge. 
En  général  cette  peuplade  offre  jusqu'à  pré- 
sent l'image  fidèle  de  ce  qu'étaient  les  Mon- 
gols à  une  époque  malheureusement  trop 
glorieuse  pour  celte  nalion,  lorsque,  conduits 
par  Tchinguis-Khan,  ils  portèrent  de  victoire 
en  victoire  la  terreur  cl  la  désolation  jus- 
()u'au  centre  de  l'Europe,  jusque  dans  les 
plaines  riantes  de  la  Silcsie. 

KALPA-ÏAROU,  arbre  fabuleux  sur  le- 
quel les  Indiens  d'autrefois  cueillaient  tout 
ce  qu'ils  pouvaient  désirer. 

KAMLAT  ,  opération  magique  en  usage 
chez  les  Tarlares  de  Sibérie,  et  qui  consiste 
à  évoquer  le  diable  au  moyen  d'un  tambour 
magique  ayant  la  forme  d'un  tamis  ou  plu- 
tôt d'un  tambour  de  basque.  Le  sorcier  qui 
fait  le  kamlal  marmotte  quelques  mots  tar- 
lares, court  de  côté  et  d'autre,  s'assied,  se 
relève ,  fait  d'épouvantables  grimaces  et 
d'horribles  contorsions,  roulant  les  yeux,  \es 
fermant,  et  gesticulant  comme  un  insensé. 
Au  bout  d'un  quart  d'heure,  il  fait  croire 
que,  par  ses  conjurations,  il  évoque  le  dia- 
ble, qui  vient  toujours  du  côté  de  l'occident 
en  forme  d'ours,  pour  lui  révéler  ce  qu'il  doit 
répondre;  il  fait  entendre  qu'il  est  quelque- 
fois maltraité  cruellement  par  le  démon,  et 
tourmenté  jusque  dans  le  sommeil.  Pour  en 
convaincre  ses  auditeurs,  il  feint  de  s'éveil- 
ler en  sursaut  en  criant  comme  un  possédé. 

KAMOSGHet  KEMOSCH.— Voy.  Cuamos. 

KANTIUS  LE  SILÉSIEN.  L'histoire  de 
Jean  Kanlius,  racontée  au  docteur  More  par 
un  médecin  de  la  Silésie,  est  un  des  exem- 
ples les  plus  frappants  de  celte  croyance  aux 
vampires,  qui  a  régné  en  souveraine  sur  cer- 
tains esprits  an  dernier  siècle.  —  On  dit  que 
Kanlius,  sortant  du  tombeau  ,  apparut  dans 
la  ville  qui  l'a  vu  naître;  mais  ce  qui  est  po- 
sitif, c'est  que  de  nombreuses  rumeurs  ,  re- 
latives à  ce  même  fait,  jetèrent  une  agitation 
violente  cl  une  terreur  profonde  parmi  ses 
concitoyens  et  dans  toute  l'étendue  de  la  Si- 
lésie. 

Jean  Kanlius  était  un  des  échevins  de  la 
ville  de  Pesth;  sa  réputation  de  probité  et 
son  jugement  droit  lui  avaient  acquis  une 
grande  considération.  Un  jour  le  maire  l'en- 
voya chercher  pour  l'aider  à  terminer  une 
affiiire  qui  venait  de  s'élever  entre  des  voi- 
turiers  et  un  négociant  pannonien.  L'affaire 
arrangée,  le  maire  invita  Kantius,  et  l'invi- 
tation fut  acceptée.  Or  le  repns  était  excel- 
lent, et  cette  circonstance  n'était  pas  d'un 
médiocre  intérêt  pour  Kanlius ,  qui  savait 
jouir  en  connaisseur  des  plaisirs  de  la  table; 
aussi  était-il  de  très-bonne  humeur. 

Cependant  sa  gaieté  paraissait  ce  soir-là 
plus  folle  que  réelle;  tout  en  sablant  un 
grand  verre  de  vieux  vin  du  Rhin  ,  il  pro- 
no.nça  ces  mots  :  —  Plongeons-nous  dans  les 
joies  de  ce  monde,  car  un  malheur  peut  ar- 


river à  tout  moment.  —  Ce  qui  était  d'une 
morale  médiocre. 

Kantius  fut  obligé  de  quitter  la  société  de 
bonne  heure  ,  pour  veiller  aux  préparatifs 
d'un  voyage.  Arrivé  chez  lui,  il  alla  à  l'écu- 
rie, examina  son  cheval ,  qui  lui  sembla 
avoir  perdu  le  fer  de  l'un  des  pieds  de  der- 
rière ;  il  voulut  lui  prendre  la  jambe  pour 
voir  le  sabot,  et  reçut  une  violente  ruade 
dans  l'estomac.  Il  s'écria  sur-Ic-champ  :  -- 
C'est  fail  de  moi. 

On  le  porta  au  lit;  bientôt  sa  situation  fut 
désespérée.  Pendant  son  agonie,  il  fut  en 
proie  à  une  grande  tourmente  d'esprit  ;  il  ré- 
pétait souvent  :  —  Mes  péchés  sont  tels,  que 
le  Tout-Puissant  ne  me  les  pardonnera  ja- 
mais I  —  Cet  aveu  était  si  étrangement  con- 
traire à  l'opinion  qu'on  avait  de  lui,  q\ie  les 
assistants  ne  savaient  comment  s'en  rendre 
compte.  On  en  vint  à  soupçonner  qu'il  s'é- 
tait vendu  au  prince  des  ténèbres,  et  co 
soupçon  subit  ne  laissait  pas  d'être  appuyé 
sur  quelques  faits  auxquels  on  n'avait  pas 
encore  songé,  entre  autres  sur  ceux-ci .  qu'il 
avait  acquis  ses  immenses  richesses  avec  une 
soudaineté  inconcevable  ,  et  qu'il  possédait 
dans  son  logis  un  chat  noir  d'une  grosseur 
extraordinaire. 

L'heure  de  la  mort  de  Kantius  fut  signa- 
lée par  un  orage  qui  ne  cessa  qu'après  ses 
funérailles.  Aussitôt  que  le  cadavre  se  trou- 
va déposé  dans  la  fosse,  li-s  éléments  rentrè- 
rent dans  le  calme,  comme  si  la  terre  eût 
é!é  délivrée  de  la  présence  de  quelque  dé- 
mon. 

Bientôt  le  bruit  courut  qu'un  spectre  se 
promenait  dans  les  appartements  du  défunt. 
Le  garde  de  nuildu  quartier  avait,  disail-il, 
entendu  un  étrange  tumulte  dans  la  maison 
de  Kantius  ;  il  lui  avait  semblé  qu'on  jetait 
çà  et  là  sur  le  parquet  les  glaces  et  les  meu- 
bles, en  riant  aux  éclals  d'un  rire  aigu  et  sa- 
tanique.  Des  grilles  de  fer,  qui  chaque  soir 
étaient  fermées  aux  verrous ,  se  trouvaient 
ouvertes  le  lendemain  sans  que  personne 
eût  passé  par  là.  —  Ce  bouleversement  sur- 
naturel s'étendit  même  aux  écuries  de  l'éche- 
vin  défunt  :  tous  les  matins  les  chevaux 
étaient  couverts  d'écume  ,  comme  s'ils  eus- 
sent fail  une  excursion  dans  de  lointaines 
contrées  ;  et  cependant,  à  entendre  les  trépi- 
gnements extraordinaires  donl  toute  la  nuit 
ils  ébranlaient  le  sol,  on  pouvait  être  assuré 
qu'ils  n'avaient  -pas  quitté  l'écurie.  Les 
chiens  ne  cessaient  d'aboyer  et  de  hurler  de 
la  manière  la  plus  pitoyable.  Les  habitants 
de  Pesth  ne  pouvaient  fermer  l'œil  de  la 
nuit. 

Une  vieille  domestique,  qui  prétait  une 
grande  attention  à  tout  ce  qui  se  passait, 
jura  avoir  ouï  quelqu'un  monter  et  descen- 
dre les  escaliers  à  cheval,  et  parcourir  les 
appartements  au  galop.  L'acquéreur  de  la 
maison  de  Kantius,  épouvanté  de  tout  ce  va- 
carme, se  promenail  un  jour  dans  les  envi- 
rons de  la  ville;  il  vit  distinctement  sur  la 
terre  couverte  de  neige  l'empreinte  de  pas 
qui  n'appartenaient  à  aucune  créature  hu- 
maine, a  aucun  animal  terrestre. 


917 


K\N 


KAT 


9!8 


L'inquiétude  devint  inexprimable  ,  lors- 
qu'on acquit  la  certitude,  par  le  témoignage 
de  personnes  dignes  de  foi,  que  Kantius  se 
promenait  à  cheval  non-seulement  dans  la 
cour  de  son  ancienne  maison,  mais  encore 
dans  les  rues  de  la  ville,  dans  les  vallées  et 
sur  les  collines  des  environs  ,  courant  avec 
la  rapidité  de  l'éclair,  comme  si  quelque 
chasseur  infernal  eût  été  à  sa  poursuite. 

Un  Juif  prétendit  que  Kantius  avait  engagé 
une  lutte  avec  lui  et  lui  avait  fait  souffrir  une 
torture  inouïe.  Un  charretier  déclara  qu'en 
approchant  de  Pesth  il  avait  rencontré  Kan- 
tius, qui  lui  avait  vomi  à  la  figure  de  lon- 
gues flammes  bleues  et  rouges. 

Mais  voici  qui  est  plus  surprenant.  Tous 
les  soirs,  lorsque  le  pasteur  se  mettait  au  lit, 
Kantius  venait  le  rouler  dans  les  draps  en 
avant  et  en  arrière,  jusqu'à  ce  que  l'unifor- 
mité du  mouvement  et  la  fatigue  le  fîïseiit 
.succomber  au  sommeil.  U  se  glissait  auprès 
de  lui  sous  la  forme  d'un  nain  à  travers  les 
fentes  de  la  cloison. 

Il  arriva  encore  que  les  lèvres  d'un  enfant 
furent  tellement  col'écs  ensemble,  qu'on  ne 
put  les  séparer  :  c'était  l'œuvre  de  Kantius. 
A  certaines  heures  de  la  soirée,  la  lumière 
des  flambeaux  devenait  tout  à  coup  blanche 
et  triste  :  c'était  le  signe  infaillible  de  la  vi- 
.«ite  de  Kantius. — Des  vases  qui  contenaient 
du  lait  la  veille  furent  trouvés  le  lendemain 
vides  ou  remplis  de  sang.  L'eau  des  fontai- 
nes devint  insalubre  et  corrompue  ;  des  vieil- 
lards furent  étranglés  dans  leurs  lits  sans 
que  l'on  parvînt  à  découvrir  les  auteurs  de 
«es  crimes  répétés.  Tous  ces  événements  ir- 
réguliers, et  bien  d'autres  encore  qu'il  serait 
trop  long  d'énumérer,  ne  devaient-ils  pas 
être  attribués  à  Kantius? 

Qu'il  nous  sulfise,  pour  dernier  trait,  de 
dire  qu'à  la  funèbre  clarté  de  la  lune  appa- 
raissait, à  la  lucarne  d'une  yieille  tour,  une 
tête  aux  yeux  élincelants,  qui  tout  à  coup 
prenait  la  forme  d'un  manche  à  balai  ou 
d'une  chauve-souris.  Celte  tête  était  celle  de 
Kantius,  el  ne  pouvait  être  celle  d'un  autre. 

Enfin  la  frajeur  et  le  désespoir  des  habi- 
tants de  Pesth  furent  poussés  au  dernier 
point.  Les  voyageurs  évitaient  la  ville  ;  le 
commerce  s'anéantissait  :  les  citoyens  fini- 
rent par  chercher  un  remède  à  cet  état  de 
choses;  il  fut  résolu  en  conseil  de  commune 
<iue  l'on  commencerait  par  s'assurer  si  lé- 
chevin  était  bien  mort. — En  conséquence 
les  plus  courageux  des  habitants  se  mirent 
en  route  pour  le  cimetière,  où  ils  ouvrirent 
plusieurs  fosses  avec  précaution.  Ils  remar- 
quèrent, non  sans  surprise  ,  que  les  voisins 
de  Kantius,  qui  avaient  été  enterrés  avant  ou 
après  lui,  éiaient  tous  réduits  en  poussière, 
tandis  que  sa  peau  à  lui  était  tendue  el  ver- 
meille. On  lui  mil  un  bâton  dans  la  main,  il 
le  saisit  fortement,  ouvrit  les  yeux  cl  les  re- 
ferma aussitôt.  On  lui  piqua  une  veine  de  la 
jambe,  et  le  sang  coula  en  abondance.  Ce- 
pendant il  y  avait  six  mois  qu'il  avait  été  mis 
en  terre.  Le  maire  fit  sur  son  compte  une  en- 

(1)  Nous  avons  recueilli  ceUe  histoire  dans  nn  feuilleton 
de  la  presse  périodique,  ^ous  regrettons  de  n'être  pas  en 


quête  en  règle.  Le  tribunal  condamna  Jean 
Kantius,  échevin  de  Pesth,  à  être  brûlé  com- 
me vampire. 

Mais  l'exécution  rencontra  un  obstacle 
étonnant.  On  ne  put  tirer  le  corps  de  la  fosse, 
tant  il  était  pesant. 

Enfin  les  citoyens  de  Pesth,  bien  inspirés, 
cherchèrent  et  découvrirent  le  cheval  dont  la 
ruade  avait  tué  Kantius;  ce  cheval  parvint  à 
grand'peine  à  amener  hors  de  terre  les  res- 
tes de  son  ancien  maître.  Mais  lorsqu'il  s'a- 
git d'anéantir  ces  restes,  une  autre  difficulté 
se  présenta.  On  mil  le  corps  sur  un  bûcher 

allumé,  et  il  ne  se  consuma  pas On  fut 

obligé  de  le  couper  en  morceaux  que  l'on  ré- 
duisit parliellement  en  cendres,  et  depuis 
lors  l'échevin  Jean  Kantius  cessa  de  faire  des 
apparitions  dans  sa  ville  natale  (1). 

KARCIST,  nom  qu'on  donne, dans  le  Dra- 
gon rouge,  à  l'adepte  ou  sorcier  qui  parle  avec 
les  esprits. 

KAIIRA-KALF,  le  plus  haut  degré  de  la 
magie  en  Islande.  Dans  les  temps  modernes, 
lorsqu'on  pratiquait  le  karra-kalf,  le  diable 
paraissait  sous  la  forme  d'un  veau  nouvelle- 
ment né  et  non  encore  nettoyé  par  sa  mère. 
Celui  qui  désirait  d'être  initié  parmi  les  ma- 
giciens était  obligé  de  nettoyer  le  veau  avec 
sa  langue;  par  ce  moyen,  il  parvenait  à  la 
connaissance  des  plus  grands  mystères. 

KATAKHANÈS.  C'est  le  nom  que  les  ha- 
bitants de  lî'.e  de  Candie  donnent  à  leurs 
vampires.  En  aucune  contrée  du  Levant  la 
croyance  aux  vampires  ou  katakhanès  n'est 
aussi  générale  que  dans  cette  île,  où  l'on 
croit  aussi  aux  démons  des  montagnes,  de 
l'air  et  des  eaux.  Voici  un  récit  fait  il  n'y 
a  pas  longtemps  à  un  voyageur  anglais  , 
M.  Pashiey,  qui  le  rapporte  comme  il  lui  q 
été  raconté.  Nous  l'empruntons  à  la  iîecwe 
britannique  (mars  1837)  : 

«Un  jour  le  village  de  Kalikrati,  dans  lo 
district  de  Sfakia,  fut  visité  par  un  katakha- 
nès; les  habitants  s'efforcèrent  de  découvrir 
qui  il  était  et  d'où  il  venait.  Ce  katakJianès 
tuait  non-seulemenl  les  enfants,  mais  encore 
les  adultes,  el  il  étendait  ses  ravages  jusqu'aux 
villages  des  environs.  Il  avait  éié  enterré 
dans  l'église  de  Saint-Georges  à  Kalikrati,  et 
une  arche  avait  été  construite  au-dessus  do 
sa  tombe.  Un  berger,  gardant  ses  moutons 
el  ses  chèvres  auprès  de  l'église  ,  fut  surpris 
par  une  averse,  et  vint  se  réfugier  sous  cette 
arche.  Après  a  voir  ôté  ses  armes  pour  prendre 
du  repos,  il  les  posa  en  croix  à  côté  de  la 
pierre  qui  lui  tenait  lieu  d'oreiller.  —  La  nuit 
vint.  Le  katakhanès  ,  sentant  alors  le  besoin 
de  sortir  pour  faire  du  mal  aux  hommes,  dit 
au  berger: 

Compère,  lève-toi  de  là,  car  j'ai  des  affaires 
qui  m'obligent  de  sortir. 

Le  berger  ne  répondit  ni  la  première  fois, 
ni  la  seconde,  ni  la  troisième;  il  supposa  qua 
le  mort  inhumé  danscelte  tombe  était  le  ka- 
takhanès auteur  de  tous  les  meurtres  commis 
dans  la  contrée.  En  conséquence,  la  qua- 

mcsurc  de  citer  l'auteur. 


919 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


•HO 


trième  fois  qu'il  lui  adressa  la  parole,  le  ber- 
ger répondit  : 

Je  ne  me  lèverai  point  de  là,  compère,  car 
je  crains  que  tu  ne  vailles  pas  grand'chose, 
et  lu  pourrais  me  faire  du  mal;  mais  s'il  faut 
que  je  me  lève,  jure  par  ton  linceul  que  tu 
ne  me  toucheras  pas;  alors  je  me  lèverai. 

Le  katakhanès  ne  prononça  pas  d'abord 
les  paroles  qu'on  lui  demandait;  mais  le 
berger  persistant  à  ne  point  se  lever,  il  finit 
par  faire  le  serment  exigé.  Sur  cela  le  berger 
se  leva  et  ôla  ses  armes  du  tombeau;  le  ka- 
takhanès sorlit aussitôt;  après  avoir  salué  le 
berger,  il  lui  dit  : 

—  Compère,  i!  ne  faut  pas  que  tu  t'en  ailles  ; 
reste  assis  là;  j'ai  des  affaires  dont  il  est  né- 
cessaire que  je  m'occupe  ;  mais  je  reviendrai 
dans  une  heure,  et  je  te  dirai  quelque  chose. 

Le  berger  donc  attendit  ;  le  katakhanès  s'en 
alla  à  environ  dix  milles  île  là,  où  vivaient 
deux  jeunes  époux  nouvellement  mariés;  il 
les  égorgea  tous  deux.  A  son  retour,  le  berger 
s'aperçut  que  les  mains  du  vampire  étaient 
souillées  de  sang  ,  et  qu'il  rapportait  un  foie 
dans  lequel  il  soufflait,  comme  l'ont  les  bou- 
chers, pour  le  faire  paraître  plus  grand. 

Asseyons-nous,  compère,  lui  dit  le  kata- 
khanès, et  mangeons  le  Ibie  que  j'apporte. 

Mais  le  berger  fit  semblant  de  manger;  il 
n'avalait  que  le  pain  et  laissait  tomber  les 
morceaux  de  foie  sur  ses  genoux. 

Or,  quand  le  moment  de  se  séparer  fut 
venu,  le  katakhanès  dit  au  berger: 

Compère,  ce  que  lu  as  vu,  il  ne  faut  point 
eu  parler;  car,  si  tu  le  fais,  mes  vingt  ongles 
se  fixeront  dans  ta  figure  et  dans  celles  de 
tes  enfants. 

Malgré  cela  ,  le  berger  ne  perdit  point  de 
temps;  il  alla  sur-le-champ  tout  déclarera 
des  prêtres  et  à  d'autres  personnes;  et  on  se 
renaît  au  tombeau,  dans  lequel  on  trouva  le 
corps  du  katakhanès  précisément  dans  l'état 
où  il  était  quand  on  l'avait  enterré  :  tout  le 
monde  fut  conTainca  que  c'était  lui  qui  était 
cause  des  maux  qui  pesaient  sur  le  pays.  On 
rassembla  une  grande  quantité  de  bois  que 
l'on  jeta  dans  la  tombe,  et  on  brûla  le  cada- 
vre. Le  berger  n'était  pas  présent;  mais, 
quand  le  katakhanès  fut  à  moitié  consumé, 
il  arriva  pour  voir  la  fin  de  la  cérémonie,  et 
alors  le  vampire  lança  un  crachat  :  c'était 
une  goutte  de  sang  qui  tomba  sur  le  pied  du 
berger;  ce  pied  se  dessécha  comme  s'il  eût 
été  consumé  par  le  f.!U. 

Quand  on  vit  cela,  on  fouilla  avec  soin 
dans  les  cendres;  on  y  trouva  encore  l'ongle 
du  petit  doigt  du  katakhanès;  on  le  réduisit 
en  poussière. 

Telle  est  la  terrible  histoire  du  vampire 
de  Kalikatri.  C'est  sans  doute  au  goût  qu'on 
suppose  à  ces  êtres  malfaisants  pour  le  l'oie 
humain  qu'il  faut  attribuer  celte  exclamation 
que  Tavernier  attribue  à  une  feiiinie  can- 
diote:—  J'aimerais  mieux  manger  le  foie  de 
mon  enfant  !  Voy.  Vampires. 

KATMIH    -Voy.  D.>RM\?(TS,àli  fin. 

K.WBORA,  esprit  d.s  forêts,  à  l'existence 
dutiuel  croiea'  encore  les  Américains;  ils  d'- 

(IJ  Voyage  au  Brésil,  par  le  père  Neuwied,  t.  H,  c.  12 


sent  que  cet  esprit  enlève  les  enfants,  les 
cache  dans  les  creux  des  arbres  et  les  y 
nourrit  (1). 

KELBY  ,  esprit  qu'une  superstition  écos- 
saise suppose  habiter  les  rivières  sous  diffé- 
rentes formes,  mais  plus  fréquemment  sous 
celle  du  cheval.  Il  est  regardé  comme  mal- 
faisant et  porte  quclquelois  une  torche.  On 
attribue  aussi  à  ses  regards  un  pouvoir  de 
fascination. 

KELEN  et  NYSROCK,  démons  que  les  dé- 
monographes  font  présider  aux  débauches, 
aux  danses,  aux  orgies. 

RENNE .  pierre  fabuleuse  qui  se  forme 
dans  l'œil  d'un  cerf,  et  à  laquelle  on  attribue 
des  vertus  contre  les  venins. 

KEPHALONOMANCIE ,  divination  qui  se 
pratiquait  en  faisant  diverses  cérémonies  sur 
la  tête  cuite  d'un  âne.  Elle  était  familière  aux 
Germains.  Les  Lombards  y  substituèrent  une 
têlede  chèvre. 

Delrio  soupçonne  que  ce  genre  de  divina- 
tion, en  usage  chez  les  Juifs  infidèles, donna 
lieu  à  l'imputation  qui  leur  fut  faite  d'adorer 
un  âne.  Les  anciens  la  pratiquaient  en  met- 
tant sur  des  charbons  allumés  la  tête  d'un 
âne,  en  récitant  des  prières  superstitieuses, 
en  prononçant  les  noms  de  ceux  qu'on  soup- 
çonnait d'un  crime,  et  en  observant  le  mo- 
ment où  les  mâchoires  se  rapprochaient  avec 
un  léger  craquement.  Le  nom  prononcé  en 
cet  instant  désignait  le  coupable. 

Le  diable  arrivait  aussi  quelquefois  sans  se 
montrer  pour  répondre  aux  questions  qu'on 
avait  à  lui  faire. 

KHUMANO-GOO,  sorte  d'épreuve  en  usage 
au  Japon.  On  appelle  goo  un  petit  papier 
rempli  de  caractères  magiques,  de  figures  de 
corbeau  et  d'autres  oiseaux  noirs.  On  pré- 
tend que  ce  papier  est  un  préservatif  assuré 
contre  la  puissance  des  esprits  malins;  et  les 
Japonais  ont  soin  d'en  acheter  pour  les  ex- 
poser à  l'entrée  de  leurs  maisons.  M;iis  parmi 
ces  goos,  ceux  qui  ont  la  plus  grande  vertu 
viennent  d'un  certain  endroit  nommé  Khu- 
mano;  ce  qui  fait  qu'on  les  appelleKhumano- 
goos. 

Lorsque  quelqu'un  est  accusé  d'un  crime 
et  qu'il  n'y  a  pas  de  preuves  suffisantes  pour 
le  condamner,  on  le  force  à  boire  une  cer- 
taine quantité  d'eau  dans  laquelle  on  met  un 
morceau  de  khumano-goo.  Si  l'accusé  est 
innocent,  cette  boisson  ne  produit  sur  lui 
aucun  effet;  mais  s'il  est  coupable  ,  il  se 
sent  attaqué  de  coliques  qui  le  forcent  à 
avouer.  Quelquefois  on  fait  avaler  le  Goo. 
Voy.  ce  mot. 

KIJOUN,  nom  d'une  idole  que  les  Israélites 
honorèrent  dans  le  désert,  et  qui  paraît  avoir 
été  le  soleil.  Le  prophète  Amos  en  parle  au 
thap.  V. 

KIONES ,  idoles  communes  en  Grèce,  qui 
ne  consistaient  qu'en  pierres  oblongues  en 
forme  de  colonnes,  d'où  vient  leur  nom. 

KIIIGHIS.  Les  Kirghis  ,  voisins  des  Kal- 
moucks,>ionld'une  taille  jnédiocriî, ont  presque 
tous  les  jambes  cagneuses,  présentant  une 
physionomie  assez  agréable  lorsqu'ils  sont 
jeunes  •  ils  ne  portent  alors  que  la  moustache, 


Ô-'t 


KLE 


KLE 


922 


mais  en  vieillissant  ils  laissent  croître  leur 
barbeàpartirde  la  pointe  du  menton,  et  l'em- 
bonpoint effrayant  qu'ils  atteignent,  par  suite 
d'une  constante  oisiveté,  leur  donne  un  as- 
pect hideux. 

Les  Kirghis  sont  mahométans;  ils  ont  un 
crand  prêtre appeIé.4c/«0Mn,  qui  réside  près  du 
khan;  ignorants  et  superstitieux,  ils  croient 
aux  sortilèges  et  possèdent  cinq  classes  de 
magiciens  :  les  uns  font  leurs  prédictions  avec 
dos  livres  ,  d'autres  so  servent  de  romopiate 
d'une  brebis,  dépouillée  avec  un  couteau, 
car  elle  serait  sans  vertu  si  quelqu'un  y  avait 
porté  les  dents;  une  troisième  classe  ,  pour 
lire  dans  l'avenir,  sacrifie  un  cheval,  un 
mouton  ou  un  bouc  sans  défaut;  la  quatrième 
enfin  consulte  Ja  flamme  qui  s'élève  du 
beurre  ou  de  la  graisse  jetée  dans  le  feu. 
Enfin  il  y  a  des  sorcières  qui  ensorcèlent  les 
esclaves,  persuadent  aux  maîtres  que  si  l'es- 
clave ensorcelé  venait  à  déserter,  il  s'égare- 
rait indubitablement  dans  sa  fuite  et  retom- 
berait dans  les  mains  de  son  maître;  que  s'il 
s'échappait,  il  rentrerait  au  moins  dans  l'es- 
clavage du  même  peuple. 

Pallas  rapporte,  d'après  le  récit  même  qu'il 
en  a  entendu  faire  par  les  Kirghis ,  un  fait 
assez  ingénieusement  inventé  : 

Un  parti  de  Kirghis  se  mit  un  jour  en  cam- 
pagne avec  un  des  <Ievins  de  la  seconde  classe 
pour  attaquer  lesKalmoucks  ;  ceux-ci  avaient 
également  un  devin  qui ,  employant  toute  sa 
science,  avertit  ses  compatriotes  de  l'arrivée 
des  Kirghis ,  et  les  engagea  à  s'éloigner  à 
mesure  que  ceux-ci  avançaient.  Le  devin 
kirghis,  voyant  que  son  frère  le  Kalmouck 
allait  faire  échouer  l'entreprise,  employa  la 
ruse;  il  dit  aux  Kirghis  de  seller  leurs  che- 
vaux à  reculons  et  de  monter  dessus.  Le 
Kalmouck,  ainsi  induit  en  erreur,  vit  sur  son 
os  que  les  Kirghis  rétrogradaient;  il  conseilla 
donc  à  son  parti  de  revenir  sur  ses  pas.  Les 
Kirghis  joignirent  par  ce  moyen  les  Kal- 
moucks  et  les  firent  prisonniers  (1). 

KLEUDDE  (2).  Kleuddc,  tout  barbare,  tout 
cacophonique  quedoit  vous  paraître  ce  nom, 
est  un  lutin,  et  un  lutin  national,  un  lutin 
vivant  des  brouillards  de  la  Flandre  et  du 
Brabant,  un  lutin  belge  en  un  mot.  —  Si  vous 
avez  quelque  feu  dans  l'imagination,  sans 
doute  qu'à  ce  seul  nom  de  lutin  vous  vous 
formez  déjà  toute  une  cour  fantastique,  idéale, 
surnaturelle,  composée  de  gnomes  aux  yeux 
malins,  de  sylphes  aux  ailes  d'azur,  aux 
cheveux  d'or,  de  salamandres  aux  pieds  de 
feu.  —  Poètes,  jeunes  filles,  enfants, Kleudde, 
avec  son  enveloppe  sombre,  avec  son  nom 
aussi  affreux  que  son  être;  Kleudde  doit  d'un 
seul  mot  tuer  l'échafaudage  de  vos  songes. 
Kleudde  est  un  lutin  malfaisant,  qui  a  les  re- 
gards du  basilic  et  la  bouche  du  vampire, 
l'agilité  du  follet  et  la  kideur  du  griffon. 

Kleudde  aime  les  nuits  froides  et  brumeu- 
ses, les  prairies  désertes  et  arides,  les  champs 
incultes  et  blanchis  par  des  os  de  morts,  les 
arbres  frappés  de  la  foudre,  l'if  et  le  cyprès  ; 

11)  la  Russie  pittoresque. 
2)  Cette  notice  est  du  M.  le  baroD  Jutes  de  SaiiU-Ge- 


il  se  plaît  au  milieu  des  ruines  couvertes  d« 
mousse;  il  fuit  les  saints  lieux  où  reposent 
des  chrétiens ,  l'aspect  d'une  croix  l'éblouit 
et  le  torture;  il  ne  boit  qu'une  eau  verle 
croupissant  au  fond  d'un  étang  desséché  :  le 
pain  n'approche  jamais  de  ses  lèvres. 

Kleudde  évite  la  foule;  la  lumière  du  grand 
jour  lui  brûle  les  yeux;  il  n'apparaît  qu'aux 
heures  où  le  hibou  gémit  dans  la  tour  aban- 
donnée; une  caverne  souterraine  est  sa  de- 
meure; ses  pieds  n'ont  jamais  souillé  le  seuil 
d'une  habitation  humaine  :  le  mystère  et 
l'horreur  entourent  son  existence  maudite. 
Vagues  comme  les  atomes  de  l'air,  ses  formes 
échappent  aux  doigts  et  ne  laissent  aux 
mains  de  l'imprudent  qui  essayerait  de  les 
étreindre  qu'une  ligne  noire  et  douloureuse 
comme  une  brûlure. 

Son  rire  est  semblable  à  celui  des  damnés  ; 
son  cri,  rauque  et  indéfinissable,  fait  tres- 
saillir jusqu'au  fond  des  entrailles;  Kleudde 
a  du  sangde  démon  dans  les  veines.  Malheur 
à  qui,  le  soir,  dans  sa  route,  rencontre 
Kleudde,  le  lutin  noir! 

Dans  certains  villages  du  Brabant  la  nom 
seul  de  Kleudde  exerce  sur  l'esprit  de» 
paysans  un  empire  si  redoutable,  qu'il  serait 
impossible  de  les  faire  sortir  de  leur  maison 
à  une  heure  avancée  de  la  nuit  pour  les  en- 
voyer dans  un  champ,  un  bois,  une  prairie 
où  la  croyance  populaire  place  ce  lutin.  Le» 
cnfanîs  en  ont  une  grande  peur;  on  les  me- 
nace de  la  présence  de  Kleudde  lorsqu'ils 
font  mal.  La  frayeur  des  jeunes  filles  n'est 
pas  moins  enracinée  pour  cette  espèce  de 
loup-garou;  plus  d'une  le  soir  arrive  essouf- 
flée au  foyer  paternel  raconter  en  tremblant 
qu'elle  a  aperçu  Kleudde  agitant  ses  chaînes 
dans  l'ombre.* 

Au  dire  des  campagnards ,  ce  lutin  est  un 
véritable  protée,  prenant  les  formes  les  plus 
diverses,  les  plus  bizarres.  Tantôt  c'est  un 
arbre  d'abord  très-petit ,  ensuite  s'allon- 
geant  peu  à  peu  à  une  hauteur  prodigieuse; 
puis, se  mouvant  tout  à  coup,  il  s'élève  de 
terre  et  disparaît  dans  les  nuages.  Le  seul 
mal  que  Kleudde  fasse  réellement  sous  cette 
forme,  c'est  de  déraciner  et  de  renverser  le» 
autres  arbres  qu'il  rencontre  sur  son  passage 
Tantôt  il  se  revêt  de  la  peau  d'un  chien* 
noir;  il  marche  sur  ses  pattes  de  derrière  ^ 
agite  une  chaîne  qu'il  porte  au  cou  et  saul& 
à  l'improvisle  sur  les  épaules  de  celui  qu'il 
voit  la  nuit  dans  un  sentier  isolé  ,  l'étreint^ 
le  jette  par  terre  et  s'enfuit. 

Souvent  Kleudde  est  un  cheval  maigre  et 
efflanqué;  alors  il  devient  l'épou vantail  de» 
garçons  d'écurie.  On  sait  que  c'est  l'usage 
dans  les  grandes  fermes  de  mettre  pendant 
la  nuit  les  chevaux  en  pâture  dans  les  prai- 
ries; les  domestiques  rapportent  avec  une 
bonne  foi  rustique  qu'il  leur  arrive  parfois, 
lorsqu'ils  croient  monter  sur  une  de  leurs 
juments,  d'en  fourcher  Kleudde, qui  aussitôt  se 
met  à  courir  de  toutes  ses  forces,  jusqu'à  ce 
que,  arrivé  près  d'un  étang  ou  d'un  ruisseau, 
il  se  cabre  et  y  précipite  son  cavalier  :  ensuite, 

unis,  qui  l'a  donnée,  il  j  a  queliues  années,  dans  leJoUT' 
naldci  Flandres. 


«S3 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES 


m 


pondant  que  la  victime  se  débat  dans  l'eau  , 
il  se  couche  un  instant  à  plat  ventre,  pousse 
■un  éclat  de  rire  et  disparaît  au  moment  où  le 
cavalier  sort  de  son  bain. 

Selon  les  circonstances,  Klcudde  se  ciiange 
«n  chai ,  en  crapaud  ,  en  chauve-souris ,  en 
tout  autre  animal.  Les  paysans  prétendent 
pouvoir  rrconnaîtreson  approche  à  deux  pe- 
tites flammes  bleues  qui  vacillent  et  s'avan- 
cent en  sautillant  ,  mais  toujours  en  ligne 
•droite;  ces  petites  llanimes  sont  les  prunel- 
les de  ses  deux  yeux.  Le  seul  moyen  alors 
«l'éviter  Kleudde,  c'est  de  s'enfuir  en  zigzag, 
«omme  ferait  celui  que  poursuit  un  scrpenl. 

H  y  a  de  cela  trois  mois,  je  logeais  par 
iiasard  dans  une  ferme  à  Ternalh,  aux  envi- 
rons de  Bruxelles.  C'était  le  soir  ;  je  me  trou- 
vais en  compagnie  avec  tout  le  personnel  de 
la  ferme,  réuni  autour  d'un  large  foyer  d'hi- 
ver. En  société  de  ces  bons  et  simples  pay- 
sans, c'était  pour  moi  une  nouveauté  d'au- 
tant plus  piquante  que  je  comptais  mettre  la 
soirée  à  proflt  pour  recueillir  quelques  ren- 
seignements sur  Kleudde.  J'amenai  la  cause- 
rie sur  ce  sujet,  sur  les  lutins,  sur  les  kabo- 
terinannekens  et  autres  follets  dont  le  nom 
m'échappe. 

—  Monsieur,  savez  -  vous  l'origine  de 
Kleudde?  me  dit  un  vieux  domestique. 

—  Non,  lui  répondis-je,  ravi  de  son  inter- 
pellation. 

— C'est  affreux  à  entendre,  continua  le  vieil- 
lard. Voici  comme  on  le  raconte  dans  notre 
endroit,  lly  a  bien  cent  ans,  on  voyait  au  bout 
du  bois  qui  borde  la  partie  nord  du  village 
une  petite  et  chélive  maison  habitée  par  une 
femme  si  décrépite,  si  hideuse,  qu'on  songea 
plus  d'une  fois  à  s'emparer  d'elle  atin  de  la 
brûler  comme  sorcière  ;  car  tout  le  monde 
disait  qu'elle  avait  des  rapports  avec  le  diable 
et  que  sa  baraque  servait  de  lieu  de  réunion 
pour  le  sabbat.  Un  soir  qu'un  orage,  tel  qu'on 
n'en  avait  entendu  de  mémoire  d'homme, 
ébranlait  toutes  les  habitations,  le  feu  du  ciel 
tomba  sur  la  masure  suspecte  et  la  consuma 
ainsi  que  la  vieille  femme,  dont  on  aperçut 
le  lendemain  le  corps  noirci  gisant  dans  les 
cendres.  Pendant  (rois  jours  personne  n'osa 
approcher  du  lieu  de  l'incendie;  mais  enGn 
comme  le  propriétaire  du  bois  voulait  utili- 
ser cette  portion  de  son  terrain,  il  prit  avec 
lui  quelques-uns  de  ses  plus  courageux  do- 
mestiques munis  de  longs  crochets  pour  re- 
tirer la  sorcière  des  décombres.  Les  valets 
déforme  se  mirent  en  tremblant  à  l'ouvrage; 
à  peine  eurent-ils  touché  la  sorcière  de  leurs 
crocs  ,  qu'ils  entendirent  un  grand  bruit  et 
reçurent  dans  tous  les  membres  une  violente 
commotion  ;  ils  virent  un  petit  homme  noir 
sortir  du  corps  de  la  vieille,  grandir  tout  à 
coup  et  s'échapper  des  ruines, en  crian  t  ;/irZeuc/- 
de,  Kleudde ,  Kleudde l 'Sons  les  domestiques 
pcrdirentconnaissance,et  lorsqu'ils  revinrent 
a  eux,  ils  n'aperçurent  plus  ricnsurle  théâtre 
de   l'incendie  qu'un  étang  rempli  d'une  eau 

(1)  extrait  d'un  article  signé  XX.  dansl'Jmi  delareli- 
çion.  11»  du  i9  octobre  1814. 

(2)  Dp  Sapienlla  iuftisa  Adamca  Salomoneaquo.— Arca- 
i-nm  uiicrocosinicum;  Paris,  1681.— rrodromusquinqueii- 


croupissante  dont  l'odeur  soulevait  le  cœur. 

L'âme  damnée  de  la  sorcière  était  passée 
dans  le  corps  de  cet  homme  noir, ou,  pour 
mieux  dire,  dans  le  corps  de  ce  diable,  qui 
depuis,  n'ayant  plus  aucun  repos,  parcourt 
les  campagnes  et  les  plaines  cherchant  à 
nuire  à  tout  ce  qu'il  rencontre... 

KOBAL, démon  perfidequimordenrianf, di- 
recteur général  des  farces  de  l'enfer, qui  doi- 
vent être  peu  joyeuses;  patron  des  comédiens. 

KOBOLD  ,  esprit  de  la  classe  des  lutins. 
«  C'est  un  petit  nain  étrange,  de  forme  rabou- 
grie ,  avec  des  habits  bariolés,  un  bonnet 
rouge  sur  la  tête.  Honoré  par  les  valets,  les 
servantes  et  les  cuisinières  de  l'Allemagne, 
il  leur  rend  de  bons  offices  ;  il  étrille  leurs 
chevaux ,  il  lave  la  maison ,  tient  la  cuisine 
en  bon  ordre  et  veilleà  tout.  Qu'on  ne  s'avise 
pas  de  le  négliger.  Si  c'est  une  cuisinière, 
rien  ne  lui  réussit;  elle  se  brûle  dans  l'eau 
bouillante;  elle  brise  la  vaisselle  ;  elle  ren- 
verse ou  gâte  les  sauces;  et  quand  le  maître 
du  logis  la  gronde,  elle  entend  le  Kobold 
rire  aux  éclats  derrière  elle.  Sil  a  reçu  quel- 
que insulte,  la  scène  devient  plus  tragique, 
il  verse  dans  les  plats  du  poison  ou  du  sang 
de  vipère  ;  quelquefois  uiôme  il  tord  le  cou 
à  l'imprudent  valet  qui  l'a  harcelé  (!).'>  —  il 
est  de  la  famille  des  Cabales  et  des  Coboli; 
peut-être  leur  tige.  —  Voy.  ces  mots. 

KORAN.  Voy.  Maohidath. 

KOUGHAS,  démons  ou  esprits  malfaisants', 
redoutés  des  Aléotes  ,  insulaires  voisins  du 
Kamtschalka.  Ils  attribuent  leur  état  d'asser- 
vissement et  leur  détresse  à  la  supériorité 
des  koughas  russes  sur  les  leurs  ;  ils  s'ima- 
ginent aussi  que  les  étrangers  ,  qui  parais-^ 
sent  curieux  de  voir  leurs  cérémonies, 
n'ont  d'autre  intention  que  d'insulter  à  leurs 
koughas,  et  de  les  engager  à  retirer  leur  pro- 
tection aux  gens  du  pays. 

KRATIM  ou  KAÏMIR.  C'est  le  nom  qu'on 
donne  au  chien  des  septDormants.  Voy.  Dor- 
mants. 

KUHLMANN  (Qcirinus),  l'un  des  vision- 
naires du  dix-seplièi»e  siècle,  né  à  Breslau 
en  1651.  Il  était  doué  d'un  esprit  vif,  étant 
tombé  malade  à  lâge  de  huit  uns ,  il  éprouva 
un  dérangetnent  dans  ses  organes,  et  crut 
avoir  des  visions.  Une  fois  il  s'imagina  voir 
le  diable,  escorté  d'une  foule  de  démons  su- 
balternes ;  un  autre  jour  il  se  persuada  que 
Dieu  lui  avait  apparu  :  dès  ce  moment  il  ne 
cessa  de  voir  à  côté  de  lui  une  auréole  écla- 
tante de  lumière.  11  parcourut  le  Nord  es- 
corté d'une  très-mauvaise  réputation,  il  es- 
croquaitde  l'argent  à.ceux  qui  lui  montraient 
quelque  confiance  ,  pour  l'employer,  disait- 
il,  à  l'avancement  du  royaume  de  Dieu. 

Il  fut  chassé  de  Hollande  au  commence- 
ment de  l'année  1675  ,  et  voulut  se  lier  avec 
Antoinette  Bourguignon,  qui  rejeta  ses  avan- 
ces. H  fut  arrêté  en  Russie  pour  des  prédic- 
tions séditieuses,  et  brûlé  à  Moscou  le  3  oc- 
tobre 1689.  Il  a  publié  à  Lubeck  un  Traité 
de  la  sagesse  infuse  d'Adam  et  de  Salomon  (2j; 

nli  mirabilis.  In-S";  Lcyde,  1674.  On  n'a  qu'un  volume  de 
cet  ouvrage, qui  devait  en  avoir  Irois et  contenir  cenl  raille 
inventions  curieuses,  etc. 


oas 


LAC 


on  ]ui  duit  une  quarantaine  d'opuscules  qui 
n'ont  d'autre  mérite  que  leur  rareté. 

KUPAY,  nom  qui  chez  les  Péruviens  dé- 
signait le  diable.  Quand  ils  prononçaient  ce 
nom,  ils  crachaient  par  terre  en  signe  d'exé- 
cration. On  l'écrit  aussi  Gupai,  etc'est  encore 
le  nom  que  les  Floridiens  donnent  au  sou- 
verain de  l'enfer. 


LAC 
habitants  de 


92B 
Asie  qui  adorent 


KURDES , 
le  diable. 

KUTUKTUS.  Les  Tartares  Kalkas  croient 
que  leur  souverain  pontife  ,  le  kuluklus ,  est 
immortel;  et,  dans  le  dernier  siècle,  leurs 
fakirs  firent  déterrer  et  jeter  à  la  voirie  le 
corps  d'un  savant  qui  dans  ses  écrits  avait 
paru  en  douter. 


L 


LABADIE  (Jean  ),  fanatique  du  dix-sep- 
tième siècle,  né  en  1610  à  Bourg  sur  la  Dor- 
dogne.  Il  se  crut  un  nouveau  Jean-Baptiste, 
envoyé  pour  annoncer  la  seconde  venue  du 
Messie,  et  s'imagina  qu'il  avait  des  révéla- 
tions. 1!  assurait  que  Jésus-Christ  lui  avait 
déclaré  qu'il  l'envoyait  sur  la  terre  comme 
son  prophète.  Il  poussa  bientôt  la  suffisance 
jusqu'à  se  dire  revêtu  de  la  divinité  et  parti- 
cipant du  nom  et  de  la  substance  de  Noire- 
Seigneur.  Mais  il  joignit  à  l'ambition  d'un 
sectaire  le  goût  des  plaisirs;  il  f;iisait  servir 
à  SCS  odieux  projets  le  masque  de  la  religion, 
et  il  ne  fut  nu'un  détestable  hypocrite.  11 
mourut  en  1674. 

Voici  quelques-unes  de  ses  productions  : 
Le  IJérauld  du  grand  roi  Jésus,  Amsterdam, 
1667,in-12.  Le  Véritable  Exorcisme,  ou  l'uni- 
que moyen  de  chasser  le  diable  du  monde  chré- 
tien. —  Le  Chant  royal  du  roi  Jésus-Christ. 
Ces  ouvrages  sont  condamnés. 

LABOUR,  pays  de  Gascogne  dont  les  ha- 
bitants s'adonnaient  au  commerce  et  entre- 
prenaient de  longs  voyages,  où  ils  croyaient 
que  le  diable  les  protégeait.  Pendant  que  les 
hommes  étaient  absents,  Delancre  dit  que 
les  femmes  devenaient  d'habiles  sorcières. 
Henri  IV  envoya  en  1G09  ledit  Pierre  Delan- 
cre, conseiller  au  parlement  de  Bordeaux, 
pour  purger  le  pays  de  ces  sorciers,  qui, 
instruits  de  son  arrivée  ,  s'enfuirent  en  Es- 
pagne. 11  en  fit  toutefois  brûler  quelques- 
uns. 

LABOURANT.  Voy.  Pierre  Labourant. 

LAC.  Grégoire  de  Tours  rapporte  que 
dans  le  Gévaudan  il  y  avait  une  montagne 
appelée  Héianie,  au  pied  de  laquelle  était  un 
grand  lac;  à  certaines  époques  de  l'année 
les  villageois  s'y  rendaient  de  toutes  parts 
pour  y  faire  des  festins,  offrir  des  sacrifices, 
et  jeter  dans  le  lac,  pendant  trois  jours,  une 
infinité  d'offrandes  de  toute  espèce. Quand  ce 
temps  était  expiré,  selon  la  tradition  que  rap- 
porte Grégoire  de  Tours,  un  orage  mêlé  d'é- 
clairs et  de  tonnerre  s'élevait;  il  était  suivi 
d'un  déluge  d'eau  et  de  pierres.  Ces  scènes 
durèrent  jusqu'à  la  fin  du  quatrième  siècle. 

Cent  ans  avant  l'ère  chrétienne  il  y  avait 
aussi  à  Toulouse  un  lac  célèbre,  consacré  au 
dieu  du  jour ,  et  dans  lequel  les  Tectosages 
jetaient  en  offrandes  de  l'or  et  de  l'argent  en 
profusion,  tant  en  lingots  et  monnayé  que 
mis  en  œuvre  et  façonné. 

On  lit  dans  la  Vie  de  saint  Sulpice,  évoque 


de  Bourges,  qu'il  y  avait  de  son  temps  dans 
le  Berry  un  lac  de  mauvaise  renommée,  qn'on 
appelait  le  lac  des  Démons.  Voy.  Pilate,  Heb- 

BADILLA,   Is,    etc. 

LACAILLE  (Denyse  de).  En  1612  la  ville 
de  Beauvais  fut  le  théâtre  d'un  exorcisme  sur 
lequel  on  n'a  écrit  que  des  facéties  sans  au- 
torilé.  La  possédée  était  une  vieille,  nommée 
Denyse  de  Lacaille.  Nous  donnons  de  cette 
affaire  la  pièce  suivante  en  résumé;  nous  la 
croyons  supposée  par  quelque  farceur. 

Extrait  de  la  sentence  donnée  contre  les  dé- 
mons qui  sont  sortis  du  corps  de  Denyse  de 
Lacaille. 

«  Nous,  étant  dûment  informés  que  plu- 
sieurs démons  et  malins  esprits  vexaient  et 
tourmentaient  une  certaine  femme,  nommée 
Denyse  de  Lacaille,  de  la  Landelle,  nous 
avons  donné  à  Laurent  Lepot  toute  puis- 
sance de  conjurer  lesdils  malins  esprits.  Le- 
dit Lepot,  ayant  pris  la  charge,  a  fait  plu- 
sieurs exorcismes  et  conjurations,  desquels 
plusieurs  démons  sont  sortis,  comme  le  pro- 
cès-verbal le  démontre.  Voyant  que,  de  jour 
en  jour,  plusieurs  diables  se  présentaient; 
comme  il  est  certain  qu'un  cerlain  démon, 
nommé  Lissi,  a  dit  posséder  ladite  Denyse, 
nous  commandons,  voulons,  mandons,  or- 
donnons audit  Lissi  de  descendre  aux  en- 
fers, sortir  hors  du  corps  de  ladite  Denyse, 
sans  jamais  y  rentrer;  et,  pour  obvier  à  la 
revenue  des  autres  démons,  nous  comman- 
dons, voulons,  mandons  et  ordonnons  que  Bel- 
zébuth,  Satan,  Motelu  et  Briffault.les  quatre 
chefs,  etaussi  les  quatre  légions  qui  sont  sous 
leur  puissance,  et  tous  les  autres,  tant  ceux 
qui  sont  de  l'air,  de  l'eau,  du  feu,  de  la  terre 
et  autres  lieux,  qui  ont  encore  quelque  puis- 
sance de  ladite  Denyse  de  Lacaille,  compa- 
raissent maintenant  et  sans  délai,  qu'ils  aient 
à  parler  les  uns  après  les  autres,  à  dire  leurs 
noms  de  façon  qu'on  les  puisse  entendre, 
pour  les  faire  mettre  par  écrit. 

«  Et  à  défaut  de  comparoir,  nous  les  met- 
tons et  les  jetons  en  la  puissance  de  l'enfer, 
pour  être  tourmentés  davantage  que  de  cou- 
tume ;  et  faute  de  nous  obéir,  après  les  avoir 
appelés  par  trois  fois,  commandons,  vou- 
lons, mandons  que  chacun  d'eux  reçoive  les 
peines  imposées  ci-dessus  ,  défendant  au 
même  Lissi,  et  à  Ions  ceux  qui  auraient  pos- 
sédé le  corps  de  ladite  Denyse  de  Lacaille, 
d'entrer  jamais  dans  aucun  corps,  tant  de 
créatures  raisonnables  que  d'autres 

«Suivant  quoi  ledit  Lissi,  malin  esprit, 


857 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES, 


928 


prêt  à  sortir,  a  signé  ces  présentes.  Belzé- 
bulh  paraissani,  Lissi  s'est  retiré  au  bras 
droit;  lequel  Belzébulh  a  signé;  pareillement 
Reizébulh  s'élant  retiré,  Salan  apparut,  et  a 
signé  pour  sa  légion,  se  retirant  au  bras  gau 
che;  Motelu,  paraissant,  a  signé  pour  toute 
la  sienne ,  s'ét.int  retiré  à  l'oreille  droite; 
incontinent  Bjriffaultest  comparu,  et  a  signé 
ces  présentes.  — Signé  Lissi;  Belzébutu; 
Satan; Motelu;  Briffault. 

«  Le  signe  et  la  marque  de  ces  cinq  dé- 
mons sont  apposés  à  l'original  du  procès- 
verbal. 

«  Benuvais.le  12  décembre  1612.  » 

LACHANOPÏERES,  animaux  imaginaires 
que  Lucien  place  dans  le  globe  de  la  lune. 
C'étaient  degrands  oiseaux  couverts  d'herbes 
au  lieu  de  plumes. 

LACHUS,  génie  céleste,  dont  les  Basili- 
diens  gravaient  le  nom  sur  leurs  pierres  d'ai- 
mant magique;  ce  talisman  préservait  des 
enchantements. 

L.\CI  (Jean),  auteur  d'un  ouvrage  intitnlé 
Averlissements  prophétiques,  publié  en  1708, 
un  vol.  in-8";  il  parut  différents  ouvrages  de 
cette  sorte  à  l'occasion  des  prétendus  pro- 
phètes des  Cévennes. 

LAENSBERGH  (Mathieu),  Liégeois  célèbre 
qui  passe  parmi  le  peuple  pour  le  plus  grand 
mathématicien,  astrologue  et  prophète  des 
temps  modernes.  Ses  prédictions  trouvent  en- 
core, dans  les  campagnes,  de  bonnes  gens 
qui  se  feraient  scrupule  d'en  douter,  et  qui, 
quand  son  almanach  prédit  de  la  pluie  pour 
un  jour  de  beau  temps,  se  contentent  de  dire  : 
«  il  pleut  ailleurs.  »  Le  premier  almanach  de 
Mathieu  Laensbergh  a  paru  en  1636. 

LAFIN  (  Jacques  ),  sorcier  qui  fut  accusé 
d'envoûlement;  on  dit  même  qu'on  trouva 
sur  lui  des  images  de  cire  qu'il  faisait  par- 
ler(i). 

LAICA.  Nom  de  fées  chez  les  Péruviens. 
Les  laicas  étaient  ordinairement  bienfaisan- 
tes, au  lieu  que  la  plupart  des  autres  magi- 
ciennes mettaient  leur  plaisir  à  faire  du  uial. 

LAMIA,  reine  de  Libye,  qui  fendait  le  ven- 
tre des  femmes  grosses  pour  dévorer  leurs 
fruits.  Elle  a  donné  son  nom  aux  lamics. 

LAMIES,  démons  mauvais,  qu'on  trouve 
dans  les  déserts  sous  des  Ggures  de  femmes, 
ayant  des  têtes  de  dragon  au  bout  des  pieds. 
Elles  hantent  aussi  les  cimetières ,  y  déter- 
rent les  cadavres,  les  mangent,  et  ne  laissent 
des  morts  que  les  ossements. 

A  la  suite  d'une  longue  guerre,  on  aperçut 
dans  la  Syrie,  pendant  plusieurs  nuits,  des 
troupes  de  lamies  qui  dévoraient  les  cada- 
vres des  soldats  inhumes  à  fleur  de  terre.  On 
s'avisa  de  leur  donner  la  chasse,  et  quelques 
jeunes  gens  en  tuèrent  plusieurs  à  coups 
«l'arquebuse;  il  se  trouva  le  lendemain  que 
ces  lamies  n'étaient  plus  que  des  loups  et 
Ucs  hyènes. 

11  se  rencontre  des  lamies,  très-agiles  à  la 
course,  dans  l'ancienne  Libye;  leur  voix  est 

(1)  M.  Garinel,  Hist.  de  la  magie  en  France,  p.  175. 
(2)Hi.sl.  des  8i)eclres,  ou  Apparit.  des  esprils,  liv.  U\, 
p.  199. 
(3)Naud£,  Apol.  pour  les  grands  persoaaai^es,  etc., 


un  sifflement  de  serpent.  Quelle  que  soit  leur 
demeure,  il  est  certain,  ajoute  Leloyer,  qu'il 
en  existe,  «  puisque  cette  croyance  était  en 
vigueur  chez  les  anciens....  »  Le  philosophe 
Ménippo  fut  épris  d'une  lamie.  Elle  l'attirait 
à  elle;  heureusement  qu'il  fut  averti  de  s'en 
défier,  sans  quoi  il  eût  été  dévoré. 

Semblables  aux  sorcières,  dit  encore  Le- 
loyer (2),  ces  démons  sont  très-friands  du 
sang  des  petits  enfants. 

Tous  les  démonomanes  ne  sont  pas  d'ac- 
cord sur  la  forme  des  lamies:  Torquemada, 
dans  son  Hexaméron,  dit  qu'elles  ont  une 
figure  de  femme  et  dos  pieds  de  cheval  ;  qu'on 
les  nomme  aussi  chevesches,  à  cause  du  cri 
et  de  la  friandise  de  ces  oiseaux  pour  la  chair 
fraîche.  Ce  sont  des  espèces  de  sirènes  selon 
les  uns  ;  d'autres  les  comparent  aux  gholcs 
de  l'Arabie. 

On  a  dit  bien  des  bizarreries  sur  ces  fem- 
mes singulières.  Quelques-uns  prétendent 
qu'ellesne  voient  qu'àtravers une  lunette  (3). 
Wierus  parle  beaucoup  de  ces  monstres 
dans  le  troisième  livre  de  son  ouvrage  sur 
les  Prestiges.  Il  a  même  consacré  aux  lamies 
un  traité  particulier  {'*). 

LAMOTTE  LE  VAYER  (François),  littéra- 
teur, né  à  Paris  en  1588,  et  mort  en  1672. 
C'était,  selon  Naudé  ,  le  Plutarque  de  la 
France, ressemblant  aux  anciens  par  ses  opi- 
nions et  ses  mœurs.  Il  a  laissé  des  Opuscules 
sur  le  Sommeil  et  les  Songes,  in-8'",  Pa- 
ris, 1643. 

LAMPADOMANCIE  ,  divination  dans  la- 
quelle on  observait  la  forme,  la  couleur  et 
les  divers  mouvements  de  la  lumière  d'une 
lampe,  afln  d'en  tirer  des  présages  pour  l'a- 
venir. 

LAMPE  MERVEILLEUSE.  Il  y  avait  à  Pa- 
ris, du  temps  de  saint  Louis,  un  rabbin  fa- 
meux, nommé  Jéchiel,  grand  faiseur  de  pro- 
diges, et  si  habile  à  fasciner  les  yeux  par  les 
illusions  de  la  magie  ou  de  la  physique,  que 
les  Juifs  le  regardaient  comme  un  de  leurs 
saints,  et  les  Parisiens  comme  un  sorcier. 
La  nuit,  quand  tout  le  monde  était  couché, 
il  travaillait  à  la  clarté  d'une  lampe  mer- 
veilleuse, qui  répandait  dans  sa  chambre  une 
lumière  aussi  pure  que  celle  du  jour.  Il  n'y 
mettait  point  d'huile;  elle  éclairait  conti- 
nuellement, sans  jamais  s'éteindre,  et  sans 
avoir  besoin  d'aucun  aliment. 

On  disait  que  le  diable  entretenait  cette 
lampe  et  venait  passer  la  nuit  avec  Jéchiel. 
Aussi  tous  les  passants  heurtaient  à  sa  porte 
pour  l'interrompre.  Quand  des  seigneurs  ou 
d'honnêtes  gens  frappaient ,  la  lampe  jetait 
une  lueur  éclatante,  et  le  rabbin  allait  ou- 
vrir ;  mais  toutes  les  fois  que  des  importuns 
faisaient  du  bruit  pour  le  troubler  dans  son 
travail,  la  lampe  pâlissait;  le  rabbin,  averti, 
donnait  un  coup  de  marteau  sur  un  grand 
clou  flché  au  milieu  de  la  chambre  ;  aussitôt 
la  terre  s'enlr'ouvrait  et  engloutissait  les 
mauvais  plaisants  (o). 

cli.ip.  8. 
(V)  j:  Wieri  de  Lamiis  liber.  In-4";  Baie,  1S77. 
(s)  Sauvai,  Aiitinuilés  de  Taris,  etc. 


929 


LAN 


LAN 


930 


Les  miracles  de  la  lampe  inextinguible 
étoiinaienl  tout  Paris.  Saint  Louis,  en  ayant 
entendu  parier,  fit  venir  Jéchiel ,  afin  de  la 
voir;  il  fut  content,  disent  les  Juifs,  de  la 
science  étonnante  de  ce  rabliin. 

LAMPES  PEUPETUELLES.  En  ouvrant 
quelques  anciens  tombeaux  ,  tels  que  celui 
de  la  fille  de  Cicéron,  on  trouva  des  lampes 
qui  répandirent  un  pou  de  lumière  pendant 
quelques  moments ,  et  même  pendant  quel- 
ques heures;  d'où  l'on  a  prétendu  que  ces 
lampes  avaient  toujours  brûlé  dans  les  tom- 
beaux. 

Mais  comment  le  prouver?  dit  le  père  Le- 
brun ;  on  n'a  vu  paraître  des  lueurs  qu'a- 
près que  les  sépulcres  ontété  ouverts  et  qu'on 
leur  a  donné  de  l'air.  Or  il  n'est  pas  surpre- 
nant que  dans  les  urnes  qu'on  a  prises  pour 
des  lampes  il  y  eût  une  matière  qui  ,  étant 
exposée  à  l'air,  devînt  lumineuse  comme  les 
pliosphores.  On  sait  qu'il  s'excite  quelque- 
fois des  flammes  dans  les  caves,  dans  les  ci- 
metières et  dans  tous  les  endroits  ou  il  y  a 
beaucoup  de  sel  et  de  saipêlre.  L'eau  de  la 
mer,  l'urine  et  certains  bois  produisent  de 
la  lumière  et  même  des  flammes  ,  et  l'on  ne 
doute  pas  que  cet  efl'et  ne  vienne  des  sels 
qui  sont  en  abondance  dans  ces  sortes  de 
corps. 

Mais  d'ailleurs  Ferrari  a  montré  claire- 
ment, dans  une  savante  dissertation,  que  ce 
qu'on  débitait  sur  ces  lampes  éternelles  n'é- 
tait appuyé  que  sur  des  contes  et  des  his- 
toires fabuleuses. 

LAMPON,  devin  d'Athènes.  On  apporta  un 
jour  à  Périclès,  de  sa  maison  de  campagne , 
un  bélier  qui  n'avait  qu'une  corne  très-forte 
au  milieu  du  front  ;  sur  quoi  Lampon  pro- 
nostiqua (  ce  que  tout  le  monde  prévoyait  ) 
que  la  puissance  ,  jusqu'alors  partagée  en 
deux  factions,  celle  de  Thucydide  et  celle  de 
Périclès  ,  se  réunirait  dans  la  personne  dj 
celui  chez  qui  ce  prodige  était  arrivé. 

LAMPROIES,  poisson  à  qui  on  a  donné 
neuf  yeux  ;  mais  on  a  reconnu  que  c'était 
une  erreur  populaire,  fondée  sur  ce  que  les 
lamproies  ont  sur  le  côté  de  la  tête  des  cavi- 
tés ,  qui  n'ont  aucune  communication  avec 
le  cerveau  (1). 

LANCINET.  Les  rois  de  France  ont  de 
temps  immémorial  revendiqué  l'honneur  de 
guérir  les  écrouelles.  Le  premier  qui  fut 
guéri  fut  un  chevalier  nommé  Lancinet. 
Voici  comment  le  fait  est  conté  : 

Il  était  un  chevalier  nommé  Lancinet,  de 
l'avis  duquel  le  roi  Glovis  se  servait  ordi- 
nairement lorsqu'il  était  question  de  faire  la 
guerre  à  ses  ennemis.  Etant  affligé  de  cette 
maladie  des  écrouelles ,  et  s'élant  voulu  ser- 
vir de  la  recette  dont  parle  Cornélius  Celsus, 
qui  dit  que  les  écrouelles  se  guérissent  si  l'on 
mange  un  serpent,  l'ayant  essayée  par  deux 
fois,  et  ce  remède  ne  lui  ayant  point  réussi , 

(l)Brown,  Des  Erreurs  popul. ,  lom.  I",  liv.  Ht, 
,iag.  ôi9. 

(2)  Delaacre,  Traité  de  ratloucheoient,  p.  lfJ9;  Forca- 
lel,  De  Imper,  et  pliilosop.  gall. 

(3)  M.  Salgues,  Des  Erreurs  et  des  préjugés,  etc.,  tom. 
I",  p.  273. 


un  jour,  comme  le  roiClovis  sommeillait,  il 
lui  fut  avis  qu'il  touchait  doucement  le  cou 
à  Lancinet ,  et  qu'au  môme  instant  ledit  Lan- 
cinet se  trouva  guéri  sans  que  même  il  parût 
aucune  cicatrice. 

Le  roi,  s'étantlevé  plus  joyeux  qu'à  l'or- 
dinaire ,  lout  aussitôt  qu'il  fit  jour,  manda 
Lancinet  et  essaya  de  le  guérir  en  le  tou- 
chant ,  ce  qui  fut  fait  ;  et  toujours  depuis 
celte  vertu  et  faculté  a  été  comme  hérédi- 
taire aux  rois  de  France  ,  et  s'est  trausmiso 
à  leur  postérité  (2). 

Voilà,  sans  contredit,  un  prodige  :  mais 
on  représentera  que  personne  ne  se  nom- 
mait Lancinet  du  temps  de  Clovis  ;  que  ni 
Glovis,  ni  Glotaire,  ni  le  roi  Dagobert,  ni  au- 
cun des  Mérovingiens  ne  se  vantèrent  de 
guérir  les  humeurs  froides;  que  ce  secret 
fut  également  inconnu  aux  Garlovingiens  , 
et  qu'il  faut  descendre  aux  Gapétiens  pour 
on  trouver  l'origine  (3). 

LANDELA,  magicienne.  Voy.  Harpe. 

LANGEAG,  ministre  de  France,  qui  em- 
ployait beaucoup  d'espions,  et  qui  fut  sou- 
vent accusé  de  communiquer  avec  le  dia- 
ble (4). 

LANGUE.  On  lit  dans  Diodore  de  Sicile 
que  les  anciens  peuples  de  la  Taprobanc 
avaient  une  langue  double,  fendue  jusqu'à  la 
racine,  ce  qui  animait  singulièrement  leur 
conversation  et  leur  facilitait  le  plaisir 
de  parler  à  deux  personnes  en  même 
temps  (5). 

Mahomet  vil  dans  son  paradis  des  anges 
bien  plus  merveilleux;  car  ils  avaient  cha- 
cun soixante-dix  mille  télés,  à  chaque  télé 
soixante-dix  mille  bouches,  et  dans  chaque 
bouche  soixante-dix  mille  langues  qui  par- 
laient chacune  soixante-dix  mille  idiomes 
différents. 

LANGUE  PRIMITIVE.  On  a  cru  autrefois 
que  si  on  abandonnait  les  enfants  à  l'ins- 
truction de  la  nature  ils  apprendraient 
d'eux-mêmes  la  langue  primitive  ,  c'est-à- 
dire  celle  que  parlait  Adam,  que  l'on  croit 
être  l'hébreu.  Mais  malheureusement  l'expé- 
rience a  prouvé  que  cette  assertion  n'était 
qu'une  erreur  populaire  (6).  Les  enfants  éle- 
vés par  des  chèvres  parlent  l'idiome  des  boucs, 
et  il  est  impossible  d'établir  que  le  langage 
n'a  pas  été  révélé. 

LANGUET,  curé  de  Saint-Sulpice,  qui  avait 
un  talent  tout  particulier  pour  l'expulsion  de 
certains  esprits  malins.  Quand  on  lui  ame- 
nait une  de  ces  prétendues  possédées  que  les 
convulsionnaires  ont  produites,  et  qui  ont 
donné  malière  à  tant  de  scandales,  il  accou- 
rait avec  un  grand  bénitier  plein  d'eau  com- 
mune, qu'il  lui  versait  sur  la  léle,  en  disant  : 
—  Je  t'adjure  de  te  rendre  tout  à  l'heure  à 
la  S;ilpètrièrc,sans  quoi  je  t'y  ferai  conduire 
à  l'instant.  —  La  possédée  ne  reparaissait 
plus. 

(i)  Berlin,  Curiosités  de  la  littérature,  1. 1",  p.  St. 

(5)  M.  Salgues,  Des  Erreurs  et  des  préjugés,  tom.  111, 
p.  119. 

(6)  TliomasBrown,  Essais  sur  les  erreors,  t.  II,  ch.  23, 

p.  95'. 


931 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


932 


LANTHILA  ,  nom  que  les  habitants  des 
Moluques  donnent  à  un  être  supérieur  qui 
commande  à  tous  les  Nclos  ou  génies  malfai- 
sants. 

LAPALUD.  Voy.  Palud., 

LAPONS.  Les  Lapons  se  distinguent  un 
peu  des  autres  peuples  :  la  hauteur  des  plus 
grands  n'excède  pas  un  mètre  et  demi;  ils 
ont  la  tête  grosse,  le  visage  plat,  le  nez  écrasé, 
les  yeux  petits,  la  bouche  large,  une  barbe 
épaisse  qui  leur  pend  sur  l'eslomac.  Leur 
habit  d'hiver  est  une  peau  de  renne,  taillée 
comme  un  sac,  descendant  sur  les  genoux, 
et  rehaussée  sur  les  hanches  avec  une  cein- 
ture ornéede  plaques  d'argent;  cequi  adonné 
lieuà  plusieurs  histori^i^dcdire  qu'il  y  avait 
des  hommes  vers  le  Nwfl  velus  comme  des 
bêles,  et  qui  ne  se  servaient  point  d'autres 
habits  que  ceux  que  la  nature  leur  avait 
donnés. 

On  dit  qu'il  y  a  chez  eux  une  école  de  ma- 
gie où  lés  pères  envoient  leurs  enfants,  per- 
suadés que  la  magie  leur  est  nécessaire  pour 
éviter  les  embûches  de  leurs  ennemis,  qui 
sont  eux-mêmes  grands  magiciens.  Ils 
font  passer  les  démons  familiers  dont  ils 
se  servent  en  héritage  à  leurs  enfants,  afin 
qu'ils  les  emploient  a  surmonter  les  démons 
des  autres  familles  qui  leur  sont  contraires. 

Ils  se  servent  souvent  du  tambour  pour  les 
opérations  de  leur  magie.  Quand  ils  ont  en- 
vie d'apprendre  cequi  sepasseenpays  étran- 
ger, un  d'entre  eux  bat  ce  tambour,  meKant 
dessus,  à  l'endroit  où  l'image  du  soleil  est 
dessinée,  des  anneaux  de  laiton  attachés  en- 
semble par  une  chaîne  de  même  métal.  Il 
frappe  sur  ce  tambour  avec  un  marteau  four- 
chu, fait  d'un  os,  de  telle  sorte,  que  ces  an- 
ueaux  se  remuent.  Le  curieux  chante  en 
même  temps  d'une  voix  distincte  une  chan- 
son que  les  Lapons  nomment  jonk;tous  ceux 
qui  sont  présents,  hommes  et  femmes,  y  ajou- 
tent chacun  son  couplet,  exprimant  de  temps 
en  temps  le  nom  du  lieu  dont  ils  désirent  sa- 
voir quelque  chose.  Le  Lapon  qui  frappe  le 
tambour  le  met  ensuite  sur  sa  tête  d'une 
certaine  façon,  et  tombe  aussitôt  par  terre, 
immobile,  sans  donner  aucune  marque  de 
vie  ;  les  assistants  continuent  de  chanter 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  revenu  à  lui,  car  si 
on  cesse  de  chanter,  l'homme  meurt,  disent- 
ils,  ce  qui  lui  arrive  également  si  quelqu'un 
essaye  de  l'éveiller  en  le  touchant  de  la  main 
ou  du  pied.  On  éloigne  même  de  lui  les  mou- 
ches et  les  autres  animaux  qui  pourraient  le 
faire  revenir. 

Quand  il  reprend  ses  sens  de  lui-même,  il 
répond  aux  questions  qu'on  lui  fait  sur  le 
lieu  où  il  a  été  envoyé.  Quelquefois  il  ne  se 
réveille  qu'au  bout  de  vingt-quatre  heures, 
selon  que  le  chemin  qu'il  lui  a  fallu  parcou- 
rira  élélongoucourt;el,  pour  ne  laisser  au- 
cun doute  sur  la  vérité  de  ce  qu'il  raconte, 
il  se  vante  d'avoir  rapporté  du  pays  où  il  a 
été  la  marque  qu'on  lui  a  demandée,  comme 
un  couteau,  un  anneau,  un  soulier  ou  quel- 
que autre  chose. 

Les  Lapons  se  servent  aussi  du  même  tam- 
bour pour  savoir  la  cause  d'une  maladie,  ou 


pour  faire  perdre  la  vie  ou  la  santé  à  leurs 
ennemis. 

Parmi  ces  peuples,  certains  magiciens  ont 
une  espèce  de  gibecière  de  cuir, dans  laquelle 
ils  tiennent  des  mouches  magiques  ou  des 
démons,  qu'ils  lâchent  de  temps  en  temps 
contre  leurs  ennemis,  ou  contre  le  bétail,  ou 
simplement  pour  exciter  des  tempêtes  et  faire 
lever  des  vents  orageux  Enfln  ils  ont  une 
sorte  de  dard  qu'ils  jettent  en  l'air,  et  qui, 
dans  leur  opinion,  cause  la  mort  à  tout  ce 
qu'il  rencontre.  Ils  se  servent  encore,  pour 
ce  même  effet,  d'une  pelote  nommée  tyre, 
de  la  grosseur  d'une  noix,  fort  légère,  pres- 
que ronde,  qu'ils  envoient  contre  leurs  en- 
nemis pour  les  faire  périr;  si  par  malheur 
cette  pelote  rencontre  en  chemin  quelque 
autre  personne  ou  quelque  animal ,  elle  ne 
manque  pas  de  leur  causer  la  mort  (1).  Voy. 

FlNNES. 

LARES.  Les  lares  étaient,  chez  les  anciens, 
des  démons  ou  des  génies  gardiens  du  foyer. 
Cicéron,  traduisant  le  Timée  de  Platon,  ap- 
pelle lares  ce  que  Platon  nomme  démons. 
Festus  les  appelle  dieux  ou  démons  infé- 
rieurs, gardiens  des  toits  et  des  maisons. 
Apulée  dit  que  les  lares  n'étaient  autre  chose 
que  les  âmes  de  ceux  qui  avaient  bien  vécu 
et  bien  rempli  leur  carrière.  Au  contraire 
ceux  qui  avaient  mal  vécu  erraient  vaga- 
bonds'et  épouvantaient  les  hommes. 

Selon  Servius ,  le  culte  des  dieux  lares  est 
venu  de  ce  qu'on  avait  coutume  autrefois 
d'enterrer  les  corps  dans  les  maisons,  ce  qui 
donna  occasion  au  peuple  créJule  de  s'ima- 
giner que  leurs  âmes  y  demeuraient  aussi, 
comme  des  génies  secourables  et  propices, 
et  de  les  honorer  en  cette  qualité. 

On  peut  ajouter  que  la  coutume  s'étant  in- 
troduite plus  tard  d'inhumer  les  morts  sur 
les  grands  chemins,  ce  pouvait  bien  être  de 
là  qu'on  prit  occasion  de  les  regarder  comme 
les  dieux  des  chemins.  C'était  le  sentimenl 
des  platoniciens,  qui  des  âmes  des  bons  fai- 
saient les  lares,  et  des  lémures  des  âmes  des 
méchants.  On  plaçait  leurs  statues  dans  un 
oratoire  que  l'on  avait  soin  de  tenir  propre- 
ment. Cependant  quelquefois  on  perdait  le 
respect  à  leur  égard,  comme  à  la  mort  de 
quelques  personnes  chères;  on  les  accusait 
do  n'avoir  pas  bien  veillé  à  leur  conserva- 
tion, et  de  s'être  laissé  surprendre  par  les 
esprits  malfaisants.  Caligula  fit  jeter  les  siens 
par  la  fenêtre,  parce  que  ,  disait-il,  il  était 
mécontent  de  leurs  services. 

Quand  les  jeunes  garçons  étaient  devenus 
assez  grands  pour  quitter  les  bulles  qu'on 
ne  portait  que  dans  la  première  jeu- 
nesse, ils  les  pendaient  au  cou  des  dieux 
lares.  Les  esclaves  y  pendaient  aussi  leurs 
chaînes,  lorsqu'ils  recevaient  la  liberté.  Voy. 
Larves 

LAIIMES.  Les  femmes  accusées  de  sorcel- 
lerie étaient  regardées  comme  véritablement 
sorcières  lorqu'elies  voulaient  pleurer  et 
qu'elles  ne  le  pouvaient.  Une  sorcière  dont 
parle  Boguet  dans  son  premier  avis  ne  put 
jeter  aucune  larme,  bien  qu'elle  se  fût  plu- 
(IJ  Dom  Calmet,  Sur  les  Yaoïpires 


9K3 


LAV 


LAZ 


OZi 


sieurs  fois  efforcée  devant  son  juge  :  «  Car  il 
a  clé  reconnu  par  expérience  que  les  sor- 
ciers ne  jellenl  point  de  larmes  :  ce  qui  a 
donné  occasion  à  Sprangeri  Grillandel  Bodin 
de  dire  que  l'une  des  plus  fortes  présomp- 
tions que  l'on  puisse  élever  contre  le  sorcier 
est  qu'il  ne  larmoie  point  (1).  » 

LARIUVEY  (Pieure), ancien  poëte  drama- 
tique du  seizième  siècle,  né  à  Troyes  en  1590. 
Il  s'est  fait  connaître  par  un  Almanach  avec 
grandes  prédictions,  le  tout  diligemment  cal- 
culé, qu'il  publia  de  1618  à  1647.  Il  précéda 
ainsi  Ma thieuLaensbcrgh.il  ne  mangeait  point 
de  poisson,  parce  que,  selon  son  horoscope, 
il  devait  mourir  étranglé  par  une  arête,  pré- 
diction qui  ne  fut  pas  accomplie. 

Lesalmanachs  qui  continuent  de  porter 
son  nom  sont  encore  très-estimés  dans  le 
midi  de  la  France,  comme  ceux  de  Mathieu 
Laensbergh  dans  le  nord. 

LARVES  ,  âmes  des  méchants  que  l'on 
dit  errer  çà  et  là  pour  épouvanter  les  vi- 
vants ;  on  les  confond  souvent  avec  les  lému- 
res, mais  les  larves  ont  quelque  chose  de  plus 
effrayant. 

Lorsque  Caligula  fut  assassiné,  on  dit  que 
son  palais  devint  inhabitable,  à  cause  des 
larves  qui  l'occupaient,  jusqu'à  ce  qu'on  lui 
eût  décerné  une  pompe  funèbre.  Voy.  Fan- 
tomes,  Spectres,  etc. 

LAUNOY  (Jean),  célèbre  docteur  de  Sor- 
bonne,  né  le  21  décembre  1603  à  Valdéric, 
diocèse  de  Coutances.il  a  laissé  une  disserta- 
tion pédantesque  sur  la  vision  de  saint  Simon 
Stock,  qu'il  n'a  pas  su  comprendre,  étant  un 
peu  janséniste  ;  un  vol.  in-S";  Paris  ,  1653 
et  1663. 

LAURIER,  arbre  qu'Apulée  met  au  rang 
des  plantes  qui  préservent  les  hommes  des 
esprits  malins.  On  croyait  aussi  chez  les  an- 
ciens qu'il  garantissait  de  la  foudre. 

LAUTHU,  magicien  tunquinois  ,  qui  pré- 
tendait avoir  été  porté  soixanle-dix  ans  dans 
le  sein  de  sa  mère.  Ses  disciples  le  regardaient 
comme  le  créateur  de  toutes  choses.  Sa  mo- 
rale est  très-relâchée;  c'est  celle  que  suit  le 
peuple,  tandis  que  la  cour  suit  celle  de  Cou- 
fucius. 

LAVATER  (Louis),  théologien  protestant, 
né  à  Kibourg  en  1527,  auteur  d'un  traité  sur 
les  spectres,  les  lémures(2), (ilc.yZurich,  1370, 
in-12,  plusieurs  fois  réimprimé. 

LAVATER  (Jean-Gaspard)  ,  né  à  Zurich 
en  1741,  mort  en  1801, auteur  célèbre  de  l'Art 
de  juger  les  hommes  par  la  physionomie. 
Voy.  Physiognomonie. 

LAVISARI.  Cardan  écrit  qu'un  Italien 
nommé  Lavisari,  conseiller  et  secrétaired'un 
prince,  se  trouvant  une  nuit  seul  dans  un 
sentier,  le  long  d'une  rivière,  et  ne  sachant 
où  était  le  gué  pourla  passer, poussa  un  cri, 
dans  l'espoir  d'être  entendu  des  environs. 
Son  cri  ayant  été  répété  parune  voix  de  l'au- 
tre côté  de  l'eau,  il  se  persuada  que  quelqu'un 
lui  répondait,  et  demanda  :  — Dois-je  passer 
ici  f 

La  vois  lui  répondit:  — Ici. 

(  i  i  Boguet,  Premier  avis,  n°  GO,  p.  26. 

(2j  De  speclris  ,  lemuribus  el  magnis  alque  insoliiis 


Il  vit  alors  qu'il  était  sur  le  bord  d'ua 
gouffre  où  l'eau  se  jetait  en  tournoyant. 
Epouvanté  du  danger  que  ce  gouffre  lui  pré- 
sentait, il  s'écrie  encore  une  fois  :  —  Faut-il 
que  je  passe  ici  ? 

La  voix  lui  répondit  :  —  Passe  ici. 

II  n'osa  s'y  hasarder,  et,  prenant  l'écho 
pour  le  diable  ,  il  crut  qu'il  voulait  le  faire 
périr  et  retourna  sur  ses  pas  '.3). 

LAZARE,  —  tzar  des  Serviens  dans  leurs 
temps  héroïques.  On  lit  sur  ce  prince,  dans 
les  chants  populaires  des  Serviens  (  ces  bar- 
bares qui  seront  opprimés  tant  qu'ils  outra- 
geront les  femmes,  tant  qu'ils  diront  grossiè- 
rement qu'elles  ont  les  cheveux  longs  et  le 
jugement  court,  tant  qu'ils  les  écarteront  de 
leurs  conseils  el  les  traiteront  en  esclaves,)  on 
lit  sur  lui  de  singulières  légendes. 

Leur  grand  cycle  poétique,  c'est  l'ère  fa- 
tale de  la  conquête,  c'est  la  bataille  de  Kos- 
sowo .  où  périt  le  roi  Lazare  ,  trahi  par  son 
gendre  Wuk  et  par  ses  douze  mille  guerriers. 
A  celte  bataille,  le  poêle,  c'est-à-dire,  le  peu- 
ple (  car  le  poêle  qui  l'a  chantée  ne  fait  que 
poser  une  tradition)  le  peuple  fait  assister 
et  mourir,  par  un  touchant  anachronisme, 
les  héros  serviens  qui  naiiuirent  plus  tard, 
comme  s'il  manquait  à  leur  gloire  d'avoir 
sanctifié  de  leur  présence  et  de  leur  mort  cette 
mémorable  défaite  des  Serviens  que  n'eût  pu 
détourner  tout  le  courage  des  temps  passés, 
rassemblé  dans  ce  moment  triste  et  solennel 
de  leur  histoire.  Dans  un  premier  récit  du 
poëte  intitulé  les  Apprêts  religieux  ,  le  saint 
prophète  Elic  vient  annoncer  au  tzar  la  vo- 
lonté de  Dieu  ,  et  l'avertir  qu'il  est  temps  de 
choisir  entre  le  royaume  du  ciel  et  celui  de  la 
terre. 

«  Lazare  mande  le  patriarche  de  Servie  et 
les  douze  grands  archevêques,  pour  qu'ils 
donnentia  sainte  communion  à  ses  braves,  et 
que  purifiés  ils  se  préparent  à  la  mort » 

«  Comme  il  mène  la  bataille,  le  vaillant 
Lazare  I  et  avec  lui  périt  l'armée  entière  des 
Serviens  ;  soixante  dix-sept  mille  vaillants 
guerriers  I  maintenant  tous  pleins  d'honneur 
et  de  sainteté,  ils  sont  admis  auprès  du  Tout- 
Puissant  1  » 

Voilà  le  christianisme  dans  sa  mâle  austé- 
rité ,  et  le  paradis  chrétien  dans  son  plus 
beau  contraste  ,  avec  les  joies  sauvages  du 
Walhalla  et  le  paradis  de  Mahomet. 

Dans  un  second  récit ,  au  moment  où  les 
troupes  défilent  en  bon  ordre  pour  aller 
mourir  aux  champs  de  Kossowo  ,  la  tzarine 
Mililza  demande  à  son  noble  époux  qu'au 
moins  un  de  ses  frères,  un  des  neuf  lugowilz, 
reste  avec  elle  dans  la  forteresse  de  Krusch- 
watz.  C'est  bien  le  moment  de  tenircompagnio 
aux  femmes  I  Ils  refusent  tous  de  se  désho- 
norer. Golabun  ,  le  serviteur,  reçoit  l'ordre 
do  rester  près  de  Mililza,  et  des  larmes  ruis- 
sellent sur  ses  joues.  Dès  que  l'aube  du  ma- 
lin parait,  deux  corbeaux  messagers,  comme 
dans  les  chants  populaires  de  la  Grèce  mo- 
derne ,  arrivent  auprès  de  la  tzarine  qui  se 

fragoribus  el  prsesagilionibus  qiiae  obituni  lioiiiinum   cl»- 
des,  miitaiionesiiue  iuiperipruiu  praecfduiit.  elc. 
(S)  Lenglel-Dutresnoy,  Disseri-,  1. 1,  p.  ICU, 


«55 
trouble 


DICT10N.NA.lHli:  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


9^,6 


puis  le  guerrier  Milulinc,  couvert 
de  dix-sept  blessures  et  portant  sa  main 
gauche  dans  sa  droite ,  vient  conter  à  Mi- 
lilza  comment  l'illustre  tzar,  son  époux,  est 
tombé,  comment  est  tombé  le  vieux  lug,  son 
père  ,  comment  sont  tombés  les  neuf  lugo- 
witz  (1)  ,  et  comment  est  tombé  Milosch  le 
Wiiiwode. 

«  Que  Dieu  bénisse  Milosch  et  tous  les 
siens  1  Son  nom  vivra  dans  les  cœurs  ser- 
viens  ,  dans  les  chants  des  femmes,  dans  les 
récits  des  vieillards.  » 

Et  comme  le  refrain  lugubre  de  la  chanson, 
la  malédiction  tombe,  avec  le  son  monotone 
de  la  gusla  (2),  sur  l'infâme  Wuk.  Dans  le 
troisième  récit, une  jeune  fille  d'Amsel,  le  di- 
manche au  matin,  pnrcourt  à  pas  lents  le 
champ  de  carnage,  le  Waterloo  de  la  Servie, 
lave  avec  de  l'eau  fraîche  le  visage  des  bles- 
sés ,  et  leur  verse  dans  la  bouche  quelques 
gouttes  de  vin.  Sous  cette  main  charitable, 
Paul  Orlowilz ,  le  jeune  porte-étendard  des 
princes  de  Servie,  reprend  assez  de  force  pour 
dire  à  la  jeune  fille  d'Amsel  où  est  tombé  son 
fiancé  ,  entre  le  waiwode  Milosch  et  le  kos- 
santschilz  Iwan  : 

«  Chère  sœur,  jeune  vierge  d'Amsel,  vois-îu 
là-bas  cet  amas  de  lances  de  bataille  ?  Là  où 
elles  sont  plus  hautes  et  plus  pressées ,  là 
ruisselait  a  grands  flots  le  sang  des  héros. 
Les  coursiers  en  avaient  jusqu'aux  étriers 
et  aux  sangles.  Mais  les  héros  en  avaient 
jusqu'à  la  ceinture  ;  c'est  là  que  tous  trois 
sont  tombés  ,  les  braves  l  Pour  toi,  retourne 
à  ta  blanche  demeure,  et  ne  souille  pas  ta  robe 
dans  le  sang.  » 

On  n'avait  pu  retrouver  sur  la  sanglante 
plaine  la  lête  de  Lazare.  Un  jeune  Turc, 
né  d'une  Servienne,  l'avait  jetée  dans  une 
source  d'eau  vivej  elle  y  resta  quarante  ans, 
et  elle  brillait  comme  la  lune  sur  l'eau.  Ti- 
rée de  là  enfin  et  jetée  sur  le  gazon,  elle  va 
rejoindre  son  corps  ,  qui  fut  déposé  par  les 
douze  grands  archevêques  dans  le  beau  mo- 
nastère do  llawanitza  en  Macédoine,  «  fondé 
par  Lazare  de  son  propre  argent,  sans  qu'il 
en  coûtât  un  para  ou  une  larme  à  son  pau- 
vre peuple  (3).  » 

LAZARK  (Denys),  prince  de  Servie,  qui  vi- 
vait eu  l'année  de  l'hégire  788.  11  est  auteur 
«l'un  ouvrage  intitulé  les  Songes  ,  publié  en 
1686, 1  vol.  in-8°.  11  prétend  avoir  eu  des  vi- 
fiions  nocturnes  dans  les  royaumes  de  Sté- 
phan,  de  Mélisch  et  de  Prague. 

LEAUPARTIE ,  seigneur  normand  d'un 
esprit  épais,  qui  fit  paraître  en  1735  un  mé- 
moire pour  établir  la  possession  et  l'obses- 
sion de  ses  enfants  et  de  quelques  autres 
filles  qui  avaient  copié  les  exlravagances  de 
ces  jeunes  demoiselles. — 11  envoya  à  la  Sor- 
bonnc  et  à  la  faculté  de  médecine  de  Paris  des 
observations  pour  savoir  si  l'état  des  possé- 
dées pouvait  s'expliquer  naturellement.  Il 
exposa  que  les  possédées  entendaient  le  la- 
Un  ;  qu'elles  étaient  malicieuses  ;   qu'elles 

(1)  lugowilz,  enfants  de  lug. 

(2)  Guilare  i  une  seule  corde. 

(3)  Exlraiis  des  comptes  fendus  pw  la  presse  périodique 
«ur  les  léiieudes  de  la  Servie. 


parlaient  en  hérétiques  ;  qu'elles  n'aimaient 
pas  le  son  des  cloches  ;  qu'elles  aboyaient 
comme  des  chiennes  ;  que  l'aboiement  de 
l'une  d'elles  ressemblait  à  celui  d'un  dogue; 
que  leur  servante  Anne  Néel,  quoique  forte- 
ment liée,  s'était  dégagée  pour  se  jeter  dans 
le  puits  :  ce  qu'elle  ne  put  exécuter,  parce 
qu'une  personne  la  suivait  ;  mais  que,  pour 
échapper  à  cette  poursuite,  elle  s'élança  con- 
tre une  porte  fermée  et  p.issa  au  travers,  etc. 
— Le  bruit  s'étant  répandu  que  les  demoi- 
selles de  Lcauparlie  étaient  possédées,  un 
curé  nommé  Heurtin,  faible  ou  intrigant, 
s'empara  de  l'affaire,  causa  du  scandale,  fit 
des  extravagances.  Mais  M.  de  Luynes,  évé- 
que  de  Bayeux,  le  fit  renfermer  dans  un  sé- 
minaire ;  et  les  demoiselles  ,  ayant  été  pla- 
cées dans  des  communautés  religieuses  ,  so 
trouvèrent  immédiatement  paisibles. 

LEBUUN  (Charles),  célèbre  peintre,  né 
à  Paris  en  1619  ,  mort  en  1690.  On  lui  doit 
un  Traité  sur  la  physionomie  humaine  compa- 
rée avec  celle  des  animaux,  1  vol.  in-folio. 
LEBRUN  (Piekre),  oratorien  ,  né  à  Bri- 
gnolles  en  1661 ,  mort  en  1729.  On  a  de  lui  : 
1*  Lettres  qui  découvrent  l'illusion  des  philo- 
sophes sur  la  baguette,  et  qui  détruisent  leurs 
systèmes,  1693,  in-12  ;  2°  Histoire  critique  des 
•pratiques  superstitieuses  qui  ont  séduit  les 
peuples  et  embarrassé  les  savants,  1702,  3 
vol.  in-12,  avec  un  supplément,  1737,  in-12. 
Nous  avons  occasion  de  le  citer  souvent. 
LÉCANOMANCIE.  divination  par  le  moyen 
de  l'eau.  On  écrivait  des  paroles  magiques 
sur  des  lames  de  cuivre,  qu'on  mettait  dans 
un  vase  plein  d'eau,  et  une  vierge  qui  regar- 
dait dans  celte  eau  y  voyait  ce  qu'on  voulait 
savoir,  ou  ce  qu'elle  voulait  y  voir. 

Ou  bien  on  remplissait  d'eau  un  vase  d'ar- 
gent pendant  un  beau  clair  de  lune  ;  en- 
suite on  réfléchissait  la  lumière  d'une  chan- 
delle dans  le  vase  avec  la  lame  d'un  couteau, 
et  l'on  y  voyait  ce  qu'on  cherchait  à  connaî- 
tre. 

C'est  encore  par  la  lécanomancieque  chez 
les  anciens  on  mettait  dans  un  bassin  plein 
d'eau  des  pierres  précieuses  et  des  lames  d'or 
et  d'argent ,  gravées  de  certains  caractères, 
dont  on  faisait  offrande  aux  démons.  Après 
les  avoir  conjurés  par  certaines  paroles,  on 
leur  proposait  la  question  à  laquelle  on  dési- 
rait une  réponse.  Alors  il  sortait  du  fond  de 
l'eau  une  voix  basse  ,  semblable  à  un  siffle- 
ment de  serpent,  qui  donnait  la  solution  dé- 
sirée. Glycas  rapporte  que  Nectanébus,  roi 
d'Egypte,  connut  par  ce  moyen  qu'il  serait  dé- 
trôné ;  et  Delrio  ajoute  que  de  son  temps 
cette  divination  était  encore  en  vogue  partui 
les  Turcs. 

Elle  éiait  anciennement  familière  aux 
Cbaldéens,  aux  Assyriens  et  aux  Egyptiens. 
V'igenère  dit  qu'on  jetait  aussi  du  plomb 
fondu  tout  bouillant  dans  un  bassin  plein 
d'eau  ;  et  par  les  figures  qui  s'en  formaient 
on  avait  la  réponse  à  ce  qu'on  deman- 
dait (4). 

(i)  Delancre ,  Incrédulité  cl  mécréance  du  soriilÈge 
p'.eiuemoDt  convaincues,  p.  3GS. 


957 


LEG 


LEG 


03S 


LKCHIES  ,  démons  des  bois,  espèces  de 
ratyreschez  les  Russes,  qui  leur  donnent  un 
corps  humain,  depuis  la  partie  supérieure 
jusqu'à  la  ceinture,  avec  des  cornes,  des 
oreilles,  une  barbe  de  chèvre;  et,  d(^  la  cein- 
ture en  bas,  des  formes  de  bouc.  Quand  ils 
marchent  dans  les  champs,  ils  se  rapetis- 
sent au  niveau  des  herbages;  mais  lorsqu'ils 
courent  dans  les  forêts,  ils  égalent  en  hau- 
teur les  arbres  les  plus  élevés.  Leurs  cris 
sont  effroyables.  Ils  errent  sans  cesse  autour 
des  promeneurs,  empruntent  une  voix  qui 
leur  est  connue,  et  les  égarent  vers  leurs  ca- 
vernes, où  ils  prennent  plaisir  à  les  chatouil- 
ler jusqu'à  la  mort. 

LECOQ,  sorcier  qui  fut  exécuté  à  8au- 
mur,  au  xvi'  siècle,  pour  avoir  composé  des 
vénéGces  et  poisons  exécrables  contre  les  en- 
fants. Le  bruit  courait  dans  ce  temps-là  que, 
lui  et  d'autres  sorciers  ayant  jeté  leurs  sorts 
diaboliques  sur  les  lits  de  plume  ,  il  devait  s'y 
engendrer  certains  serpents  qui  piqueraient 
<'l  tueraient  les  bonnes  gens  endormis;  si 
bien  qu'on  n'osait  plus  se  coucher.  On  at- 
trapa Lecoq,  et  on  le  brûla,  après  quoi  on 
alla  dormir  (1)  :  ce  que  vous  pouvez  faire 
aussi. 

LEDOUX  (  Mademoiselle  )  ,  tireuse  de 
cartes,  dont  on  fit  le  proies  à  Paris  le  H  juil- 
let 1818.  Elle  fut  condamnée  à  deux  ans  d'em- 
prisonnement et  à  douze  francs  d'amende, 
pour  avoir  prescrit  à  une  jeune  demoiselle 
d'aller  la  nuit  en  pèlerinage  au  Calvaire  du 
Alont-\  alérien  ,  près  Paris  ,  et  d'y  porter 
quatre  queues  de  morue  enveloppées  dans 
quatre  moiceaux  d'un  drap  coupé  en  quatre, 
ciliu  de  détacher,  par  ce  moyen  cabalistique, 
le  cœur  d'un  jeune  homme  riche,  de  neuf 
veuves  et  demoiselles  qui  le  poursuivaient 
en  mariage  (2J. 

LÉGENLES.  Nous  avons  rapporté  plu- 
sieurs légendes  qui  tiennent  aux  sciences 
occultes  et  aux  croyances  merveilleuses. 
Nous  pourrions  ici  en  réunir  un  grand  nom- 
bre qui  sont  sur  plusieurs  points  à  la  fois  de 
tes  croyances.  Nous  nous  contenterons  de 
celles  qui  suivent. 

La  Monlatjne-du-Géant. 
Si  c'est  possible,  c'est  fait;  >i  c'est  impossible  ce!  j  se  fera. 
Le  duc  de  OccKiaGHiM. 

11  est  fâcheux  que  les  hommes  ne  sachent 
garder  aucune  mesure  dans  leurs  opinions 
et  leurs  croyances.  Autrefois  on  croyait  tout; 
maintenant  on  ne  croit  plus  rien.  Personne 
chez  nos  pères  ne  doutait  des  géants,  que 
vous  regardez  à  tort  aujourd'hui  comme  une 
chimère.  11  y  a  eu  des  géants,  et  même  de 
Irès-grands  géants. 

Madeleine  de  Niquezza,  pauvre  Espagnole 
de  Carlhagène,  prise  par  les  Chiquitos,  tomba 
successivement  des  mains  de  divers  peupla- 
des sauvages  dans  une  tribu  de  géants  qui 
avaient  neuf  pieds  de  haut.  Le  doute  s'est 
emparé  de  cette  aventure;  cependant  l'em- 
pereur Maximiii  avait  huit  pieds.  Guillaume 
ïloMalmesbury  dilqu'Odorwpa,  fils  du  comte 

(1)  Njnaiild,  Discours  de  la  Lycaulhrople,  p.  b. 

UuiTi.MSiiRE  DES  SCIENCES  OCCULIES.  L 


de  Devon,  dont  il  mesura  le  lonbeau,  faisait 
des  enjambées  de  cinq  aunes.  Lecat  décou- 
vrit en  1754,  dans  un  cimetière  de  Bordeaux, 
dos  os  de  géants  qui  avaient  plus  de  neuf 
pieds;  et  il  est  constant  qu'on  a  trouvé  en 
Si(  ile  des  squelettes  d'hommes  qui  ont  eu 
douze  coudées  ;  c'est  la  mesure  que  donnent 
au  géant  Ferragus  les  chroniques  de  Char- 
lernagne. 

Nous  ne  prétendons  pas  croire  qu'il  y  ait 
eu,  depuis  le  déluge,  des  géants  beaucoup 
plus  hauts  que  ceux-là.  Nous  ne  pensons  pas 
avec  les  musulmans  que  notre  premier  perç- 
ait porté  une  lieue  de  hauteur;  nous  serions 
trop  dégénérés.  Nous  trouvons  de  l'exagéra- 
tion dans  le  peuple  de  Douai  qui  donne  à 
Gayanl,  l'un  de  ses  aïeux,  un  (aille  de  vingt 
mètres;  mais  nous  admettons  les  géants;  et 
nos  pères  étaient  plus  grands  que  nous. 

Dans  les  cavalcades  de  fêtes  que  les  pro- 
vinces du  Nord  ont  toujours  aimées,  on  voit 
partout  des  géants.  A  Douai,  c'est  donc  lo 
brave  Gayant,  avec  sa  famille  colossale;  à 
Lille,  c'était  Lyderick  et  sa  femme,  fonda- 
teurs de  celte  ville,  hauts  de  soixante  pieds. 
A  Bruges,  à  Anvers,  à  Liège,  à  .Matines  ,  à 
Mons,  à  Bruxelles,  on  promène  aussi  des 
géants  populaires.  Charles-Quint  trouvait  du 
grandiose  dans  ces  usages  qu'il  favorisait; 
comme  lui,  la  plupart  des  souverains  les 
encouragèrent. 

Mais  abordons  notre  chronique,  qui  s'ap- 
puie sur  un  géant,  et  qui  nous  reporte  à  des 
jours  un  peu  éloignés. 

Il  y  avait,  en  860,  auprès  de  Bruxelles, 
une  sorte  de  petit  château  bâti  en  bois  ,  si- 
tué à  l'endroit  même  que  l'on  gravit  encore 
par  les  ruelles  escarpées,  qui  se  nomment 
toujours  la  Montagne-du-GéanI  ;  il  occu- 
pait les  lieux  où  le  dernier  siècle  a  encore 
vu  la  Steenpoort,  et  s'étendait  de  la  rue  des 
Alexiens  à  l'allée  des  Ïrois-Perdrix,  tout  en 
haut  de  la  voie  rapide  dite  rue  de  l'Escalier. 
Ce  petit  château  était  occupé  par  un  géant 
dont  le  vrai  nom  n'a  pas  été  conservé,  mais 
que  l'on  appelait  l'Omméganck,  d'un  mol  du 
pays  qui  voulait  dire  alors  prolecteur  des 
chemins,  et  qui  signifie  aujourd'hui  quelque 
chose  comme  procession  par  les  rues.  Les 
langues  ont  aussi  leurs  changements.  Il  n'a- 
vait que  neuf  pieds  de  haut. 

Son  manoir,  bâti  sur  une  colline  plus  éle- 
vée de  quatre-vingts  pieds  que  le  sol  envi- 
ronnant, était  alors  inabordable;  la  monta- 
gne était  de  tous  côtés  abrupte,  taillée  à  pic; 
le  géant  n'y  remontait  qu'à  l'aide  d'un  rude 
escalier  tourné  vers  la  rue  à  laquelle  il  a 
donné  son  nom.  Il  s'y  plaisait  néanmoins.  11 
y  élait  respecté.  On  conte  qu'il  était  bizarre, 
sauvage,  ne  parlant  point,  brusque  en  ses 
manières,  mais  ne  faisant  mal  à  personne, 
comme  c'est  l'ordinaire  des  gens  forts  et  bra- 
ves. Il  n'employait  sa  puissance  et  sa  bonne 
armure  qu'à  redresser  les  torts  dans  le  pays, 
pourchassant  les  voleurs,  détendant  les  mar- 
chands et  purgeant  la  contrée  des  briganiis 
vagabonds  qui  infestaient  les  routes. 

(2)  M.  J.  Gariiiet,  Hist.  Je  la  Magie  en  France,  p.  2&t. 

30 


539 


DICTlONNAïaE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


040 


Or,  en  géant  n'avait  plus  de  femme  ,  mais 
il  avait  une  fille  qui  lui  ressemblait  peu, 
car  elle  était  petite,  gracieuse,  ravissante. 
Il  la  tenait  enfermée  pendant  toutes  ses  ex- 
cursions, et  jamais  elle  n'était  descendue 
dans  la  vallée  de  Rollcbcck  (aujourd'hui 
comblée). 

Un  vaillant  chevalier,  qui  s'était  couvert 
de  gloire  en  repoussant  les  Normands,  était 
revenu  depuis  peu  dans  le  pays.  Il  avait 
trente  ans.  Il  suctédait  à  son  père  qui  avait 
occupé  de  nombreux  ouvriers  dans  ses  mines 
de  cuivre  de  la  forêt  de  Soigne.  On  le  nom- 
mait Hans  de  Huysleen. 

Un  jour  que  le  géant,  sorti  pour  ses  cour- 
5>s,  avait  laissé  seule  au  manoir  sa  (ille 
Hélène,  la  jeune  beauté  mit  la  tête  à  une 
petite  fenêtre  qui  donnait  sur  Bruxelles  alors 
naissante.  Le  chevalier  de  Huysteen  passait 
en  ce  moment  au  pied  de  la  montagne;  il 
aperçut  la  charmante  fille  ;  un  éclair  n'est 
pas  plus  rapide  que  le  trait  violent  qui  se 
jeta  dans  son  cœur.  Hors  d'état  de  l'arracher, 
il  monta  l'escalier  du  géant;  mais  au  mo- 
ment où  il  entrait  dans  le  château,  lOinmé- 
ganck  parut.  Sa  fille  courut  au-devant  de 
lui,  le  front  beau  de  rougeur;  après  quoi 
elle  salua  l'étranger.  Le  géant  fronça  le 
sourcil  : 

—  Qui  l'a  rendu  assez  téméraire  pour 
mettre  les  pieds  dans  ce  manoir? dit-il. 

—  Seigneur,  répondit  Huysleen,  escusez- 
moi.  J'ai  vu  votre  fille  ,  et  l'admiration  m'a- 
menait à  ses  genoux. 

Hélène  tremblait. 

—  Qui  es-tu  ?  dit  le  géant. 

Son  ton  brusque  et  mécontent  fit  frémir 
la  demoiselle. 

—  Je  suis  Hans  de  Huysteen,  répondit  le 
jeune  homme.  Lolhaire  m'a  fait  chevalier. 

—  Tu  n'es  pas  indigne  de  nous,  reprit  le 
géant,  avec  un  sourire  qui  annonçait  quel- 
que chose  de  bizarre. Mais  j'ai  fait  un  vœu  : 
lu  ne  seras  l'époux  de  ma  fille,  que  si  tu 
peux,  demain,  à  la  première  heure  du  jour, 
venir  ici  la  chercher  à  cheval,  à  travers  un 
portique  de  pierres ,  pour  la  conduire  à 
l'église  de  Saint-Géry. 

Là-dessus  le  géant  rentra,  ferma  sa  porte, 
et  laissa  le  paurre  jeune  homme  sur  le  pla- 
teau de  la  petite  montagne.  Un  regard 
()u'Hélène  ne  lui  avait  pu  refuser  en  s'é- 
loignant  lui  mettait  au  cœur  un  bon  cou- 
rage. Mais  lorsqu'ens'approchantde  l'escalier 
il  vit  ce  qu'on  lui  avait  prescrit,  quand  il 
y  songea  ,  quand  il  réfléchit  qu'on  lui  don- 
nait la  nuit  seulement  pour  une  entreprise 
immense;  quand  il  eut  mesuré  les  quatre- 
vingts  pieds  d'escarpement  sur  lesquels  il 
fallait  faire  une  route,  et  l'impossibilité  de 
monter  des  pierres  pour  bâlir  là  un  portique, 
il  vit  bien  que  le  géant  l'avait  raillé.  £t  tout 
le  monde  savait  qu'il  ne  revenait  j.imais  sur 
une  parole  dite. 

Cependant  le  cœur  touché  voit  rarement 
un  obstacle  insurmontable.  Hans  courut  à 
ses  mines  ,  où  travaillaient  six  cents  ou- 
vriers, il  appela  leurs  chefs  et  leur  demanda 
a'ils  ne  pourraient  pas  en  une  nuit  construi- 


re un  chemin  qui ,  de  Bruxelles  ,  dont  la  li- 
mite était  alors  vers  la  Grande-Place  ,  con- 
duisit à  la  montagne  du  géant.  Les  maîtres 
mineurs  lui  répondirent  qu'il  fallait  plus  d'u- 
ne année  pour  de  si  vastes  travaux. 

Hans  n'ajouta  rien  ,  et  se  mit  à  soupirer. 
Comme  il  errait,  pensif  et  désolé,  dans  les 
sombres  galeries ,  il  vit  un  petit  homme  à 
cheveux  blancs,  haut  de  quatre  pieds,  qui  le 
regardait  d'un  œil  fixe  et  ardent  : 

—  Vous  éles  dans  la  douleur  ,  dit-il  ;  si 
vous  le  voulez,  je  vous  tirerai  de  peine. 

—  Oh  !  je  ferai  tout  au  monde  ,  dit  le  che- 
valier. Mais  qui  étes-vous  ? 

—  Vos  gens,  dit  le  petit  homme,  m'appel- 
lent le  lutin  .  Mais  moi  et  les  miens  ,  quels 
que  nous  soyons,  nous  habitons  ces  demeu- 
res souterraines  que  vos  fouilles  viennent 
troubler.  Si  vous  me  jurez  de  fermer  cette 
mine  et  de  nous  y  laisser,  sire  de  Huysleen, 
nous  ferons  celte  nuit  le  chemin  ;  nous  bâti- 
rons la  porte  de  pierre  ;  et  demain ,  au  point 
du  jour,  vous  serez  l'époux  d'Hélène. 

Pour  ne  pas  nuire  à  votre  fortune ,  pour- 
suivit le  nain,  je  vous  indiquerai  ailleurs  une 
autre  mine  plus  abondante  ,  et  je  vous  don- 
nerai le  secret  d'étamer  le  cuivre. 

Le  chevalier  promit  tout,  bondissant  d'al- 
légresse. 

Pendant  ce  temps-là,  le  géant,  voyant  venir 
.  la  nuit,  s'entretenait  avec  sa  fille.  Il  riait  do 
toutes  ses  forces ,  aux  dépens  du  sire  de 
Huysteen.  Mais  Hélène  soupirait. 

Vers  minuit ,  il  se  fit  une  grande  tempête. 
Les  vents  ébranlaient  le  manoir;  les  arbres 
voisins  se  rompaient  en  criant;  des  tonner- 
res lointains  faisaient  entendre  sans  relâche 
leurgrondement  formidable. Hélène  eutpeur; 
le  géant  ouvrit  la  fenêtre  : 

—  C'est  sans  doute  ,  dit-il ,  le  démon  de  la 
chasse  qui  sort  de  la  forêt. 

Mais  la  nuit  était  si  noire  qu'il  ne  vil  rien  ; 
seulement  il  entendait  le  bruit  des  marteaux, 
le  cliquetis  des  pioches  ,  le  roulement  des 
brouettes  et  les  voix  confuses  des  travail- 
leurs. C'était  un  vacarme  sourd  et  un  im- 
mense bourdonnement,  comme  si  cent  mille 
hommes  actifs,  pressés,  haletants,  eussent 
été  rassemblés  là. 

Il  poussa  un  nouvel  éclat  de  rire: — Huys- 
teen est  fou  ,  s'écria-t-il  ;  il  a  entrepris  le 
chemin. 

H  referma  la  fenêtre  ,  car  le  vent  venait 
d'éteindre  la  lampe.  Hélène  ne  put  prendre 
aucun  repos.  Aux  premiers  rayons  de  l'au- 
rore, elle  courut  à  la  verrière.  Quelle  fut  sa 
surprise  et  sa  joie,  en  voyant  devant  le  ma- 
noir une  magnifique  porte  de  pierres  [Sleen- 
jK)orl]\  elle  poussa  un  cri  si  retentissant  que 
le  géant  accourut. 

lin  ce  moment,  le  chevalier  Hans  de  Huys- 
leen parut  à  cheval  sous  le  portique  ,  con- 
duisant à  la  main  un  élégant  palefroi  pour 
Hélène.  Tout  ce  que  le  géant  avait  demandé 
était  fait. 

Il  embrassa  le  chevalier  qui ,  ce  jour  là 
même,  heureux  époux  d'Hélénc,  tint  fidèle- 
ment parole  au  petit  homme  à  cheveux 
blancs.  11  devint  puissamment  riche.  Cent  ans 


ÎMl 


LEG 


LEG 


942 


plus  tard,  un  de  sps  di'scondjinls.  sire  Ro- 
(luiplie  de  Huystcen  ,  qui  fui  chef  des  deux 
grandes  t'amillcs  palriciennos  deHuysleen  et 
(le  Siecnhuys,  él<iblilpuur  la  première  fois,  en 
l'honneur  du  commerce,  la  procession  de 
rOmméganck,  que  Jean  I  ■■,  duc  de  Brabant, 
remit  en  vogue  au  Ireiz  ème  siècle. 

Les  légendes,  dans  le  Nord  et  dans  le  Midi, 
à  l'Est  et  à  l'Ouest,  conlii  nnent  tant  de  tradi- 
tions piquantes,  que  l'on  pourrait  en  ciler 
ici  un  grand  nombre.  Nous  donnerons  d'abord 
quelques-unes  de  celles  que  Schreiber  et  ses 
amis  ont  publiées  à  Heidelberg,  il  y  a  une 
trentaine  d'années.  On  a  publié  celles  de 
Grinini  et  de  Musœus,  qu'il  faudrait  toutes 
reproduire,  mais  souvent  elles  sont  trop 
longues. 

f.e  burg  d'Eppstein . 

On  trouve  dans  les  montagnes  du  Taunus 
quatre  charmants  vallons  que  le  printemps 
orne  annuellement  de  ses  plus  belles  fleurs, 
de  ses  plantes  les  plus  salutaires  ;  sur  ces 
vallons  domine  tristement  une  roche  escarpée 
où  fut  le  burg  (forteresse)  solitaire  A'Epps- 
lein.  Eppo  l'a  bâti  dans  un  temps  dont  il  ne 
reste  plus  de  traces.  Un  jour  il  s'y  était  égaré 
à  la  chasse;  car  alors  toute  la  contrée  était 
sauvage  et  n'inspirait  que  de  l'horreur.  Eppo 
fatigué  se  couche  négligemment  au  pied  du 
rocher  sur  un  lapis  de  verdure  arrosé  d'une 
source  qui  sort  de  la  fente  de  cette  masse 
informe.  II  s'endorl,  se  réveille,  et  reposé  il 
se  relève  pour  chercher  son  chemin,  lorsqu'il 
entend  la  voix  mélodieuse  d'une  femme;  l'air 
elles  paroles  étaient  mélancoliques  et  parais- 
saient sortir  du  sein  des  rochers.  Le  cheva- 
lier se  met  en  marche  à  travers  les  ronces 
et  les  buissons,  et  se  fraye  un  sentier  vers 
le  lieu  d'où  part  la  voix  qui  l'a  charmé.  Il  se 
trouve  enfin  à  l'entrée  d'une  grotte  où  est 
assise  une  demoiselle  d'une  éblouissante 
beauté.  La  roinanct'  plaintive  était  achevée; 
des  larmes  anières  inondaient  son  visagi- 
qu'elle  essuyait  avec  les  boucles  des  longs 
cheveux  châtains  qui  flottaient  sur  son  cou. 
Elle  voit  le  chevalier,  et  implore  son  secours 
d'une  voix  faible  cl  tremblante. 

Eppo  lui  liemande  qui  elle  est  et  ce  qui  l'a 
conduite  dans  ce  désert. 

Je  ne  puis  vous  en  dire  qu'un  mol,  dil-elle, 
car  bienlôl  l'heure  qui  retient  mon  lyran 
lians  un  sommeil  léthargique  est  écoulée.  Je 
suis  Beriha,  née  au  Uremihal,  burg  qui  est 
là-bas.  Le  gémi  qui  domine  dans  ces  con- 
trées, a  tué  mon  père  et  mes  frères  et  me  re- 
tient prisonnière  dans  ces  lieux  où  il  me 
veut  contraindre  à  l'épouser.  Heureusement 
dès  que  je  me  mels  à  pritn- à  haute  voix,  il 
perd  ses  forces  et  il  est  hors  d'état  de  me 
liire  aucun  mal.  Tous  les  jours  à  midi  il  esl 
surpris  d'un  sommeil  dont  aucune  jiuissance 
humaine  ne  peut  le  tirer.  C'est  à  ce  moment 
<iu'il  repose  sur  celle  pointe  de  roi:her. 

Eppo  tire  son  sabre;  — Je  vais,  dil-il,  en- 
voyer ce  monstre  dans  les  abîmes  infernaux. 

—  Ahl  reprit  Bertlia,  nul  fer  n'a  de  |)0U- 
vuir  sur  lui. 

—  ie  vais  le  précipiter  du  rocher. 


—  C'est  impossible;  s'il  dort,  mille  bras  ne 
peuvent  le  tirer  de  sa  place. 

—  Fuyez  avec  moi  1 

—  Ne  voyez-vous  pas  que  je  suis  enchaî- 
née (son  pied  était  attaché  aux  parois  de  la 
roche)?  Chaque  fois  qu'il  va  dormir,  il  me 
relient  ainsi  sous  son  odieux  joug. 

—  Je  vous  délivrerai,  belle  inconnue,  dûl- 
il  m'en  coûter  la  vie. 

Un  regard  de  reconnaissance  exprime  les 
senlimenls  de  Beriha.  — Si  vous  y  êtes  dé- 
terminé, dil-elle,  allez  au  burg  de  mon  père. 
Le  châtelain  vous  donnera  lelikten  maillés 
de  fer  que  mon  père  a  rapporté  en  trophée 
de  la  Palestine.  Il  est  tissu  d'un  art  merveil- 
leux; nous  y  prendrons  le  monstre  qui  me 
persécute. 

Us  convinrent  encore  d'autres  mesures. 
Eppo  courut  au  burg  de  Bremlhiil,  et  en  rap- 
porta le  filet  le  lendemain,  au  lieu  du  ren- 
dez-vous indique  par  Beriha.  Il  n'avait  pas 
attendu  l'espace  d'une  heure  dans  le  bosquet 
que  Beriha  lui  cria  de  l'entrée  de  la  caverne: 
—  Dieu  nous  envoie  le  moment  favorable,  le 
voilà  vers  la  montagne  qui  se  fait  un  chalu- 
meau; vile  le  filet,  et  ne  bougez  que  je  ne 
vous  appelle. 

Le  chevalier  passe  à  travers  la  grille  qui 
enfermait  Beriha  le  filet  souple;  il  se  prête 
à  toutes  sortes  de  formes.  Beriha  grimpe 
promptemenlsur  la  haute  roche, etrélendsur 
la  place  où  le  monstre  a  coutume  de  prendre 
son  repos.  Elle  a  soin  de  le  couvrir  de  mousse, 
elle  le  jonche  encore  des  fleurs  champêtres 
qui  y  croissent  abondamment. 

Midi  approche;  le  géant  à  demi  endormi 
s'avance  vers  le  lit  parfume  et  croit  voir  là 
les  douces  attentions  de  sa  captive.  La  joie 
qu'il  en  a  lui  fait  oublier  de  l'attacher  comme 
d'ordinaire;  il  chancelle  et  tombe  endormi 
sur  la  couche  traîtreusement  apprêtée. 

A  peine  est-il  endormi,  que  Beriha  accourt 
replier  sur  lui  tous  les  pans  du  filet;  elle  ap- 
pelle Eppo,  qui  n'arrive  qu'après  beaucoup 
de  fatigues,  car  le  vrai  chemin  passait  par 
la  grotte  fermée;  il  lui  faut  se  faire  voie  à 
travers  les  ronces  et  les  épines;  enfin  il  ar- 
rive. 

Beriha  le  prie  de  la  ramener  au  burg  de 
son  père  dans  le  Bremlhal. 

Volontiers,  dit  Eppo,  mais  vous  n'y  seriez 
pas  en  sûreté  contre  le  monstre,  qui  enfin 
parviendra  à  briser  son  filet.  Qui  pourrait 
lui  résister  ?  Qu'il  meure  1  Beriha  craint 
tout.  Mais  Eppo  la  conduit  au  pied  de  la 
montagne,  la  prie  de  l'attendre,  sans  se  li- 
vrer aux  inquiétudes,  remonte  et  s'efforce  en 
vain  de  précipiter  le  monstre  dans  l'ablmc, 
sur  le  penchant  duquel  il  était  couché.  Ses 
efforts  étaient  sans  succès.  L'affreux  co- 
losse immobile  ouvre  les  yeux  ,  et  se  voyant 
dans  les  lacets,  hurle  des  cris  effroyables 
dont  tous  les  vallons  relenlissenl.  Comme  il 
fait  un  mouvement  pour  tâcher  de  rompre 
les  mailles,  Eppo  en  profile,  et  le  lance 
avec  tant  de  vigueur  vers  les  bords  du  ro- 
cher, que  le  poids  du  monstre  l'entraîne  en 
roulant  jusqu'au  fond  du  vallon.  Tous  ses 
membres  sont  brisés  et  suspendus  aux  poin- 


045 


DTICIONNAIUE  DLS  SCIE^CF.S  OCCL'LTEg. 


9i4 


les  des  rochers;  longtemps  il  lullc  contre  la 
morl,  qui  enfin  délivre  la  terre  de  son  pou- 
voir lyrannique.  Les  oiseaux  de  proie  se 
précipitent  en  foule  sur  ses  membres  paipi- 
lanls,  et  mêlent  les  cris  funèbres  de  leur 
voracité  à  ses  accents  de  mort. 

Eppo  conduisit  la  captive  au  burg  de  ses 
pères.  Après  quelques  semaines  elle  est  son 
épouse.  Il  bâtit  le  château  d'Eppstein  ,  et 
suspend  à  ses  chaînes  les  mains  du  géant , 
comme  un  éternel  souvenir. 

Le  chevalier  Brœmser  de  Pudesheim. 

Comme  saint  Bernard  prêchait  la  croisade 
à  Spire,  Jean  Brœmser  de  Uudesheim  prit  la 
croix  avec  beaucoup  d'autres  gentilshommes 
et  alla  en  Palestine.  Là  il  fit  de  grands  traits 
de  valeur;  son  nom  y  fut  fut  honoré  des  Fran- 
çais et  redouté  des  Sarrasins. 

Il  y  avait  dans  un  vallon  sauvage  el  pier- 
reux un  dragon,  qui  s'était  rendu  redoutable 
à  toute  l'armée  chrétienne;  il  égorgeait  les 
bonnes  gens  qu'on  envoyait  pour  faire  du 
bois  et  de  l'eau  ;  de  sorte  que  personne  ne 
voulait  plus  se  rendre  dans  le  voisinage  de 
«;e  monstre.  Brœmser  met  son  casque,  prend 
l'écu  et  l'épée,  se  rend  au  repaire  du  dragon 
et  le  tue,  comme  il  rampait  hors  de  sa  ca- 
verne. 

Le  brave  chevalier  fut  assailli  dans  ce 
moment  par  des  infidèles  qui  étaient  en 
embuscade  et  qui  le  firent  prisonnier.  Il 
languit  longtemps  dans  les  fers.  Se  voyant 
sans  aucune  espérance  d'êlre  racheté,  il  fit 
vœu  que,  s'il  revenait  au  beau  Rhin,  il  con- 
sacrerait au  ciel  Gisèle,  sa  fiile  unique,  et 
lui  donnerait  le  voile.  Bientôt  après  la  ville 
où  Brœmser  était  prisonnier  fut  prise  par  ses 
compatriotes.  Libre  alors,  il  échangea  ses 
armes  contre  le  bourdon  el  la  calebasse  du 
pèlerin  ;  il  parcourut  la  France,  aborda  en 
Allemagne,  et  parvint  à  Rudesheim  sans 
éprouver  aucun  accident.  Les  larmes  cou- 
lèrent de  ses  yeux  en  entrant  dans  le  burg; 
sa  fille  venait  au-devant  de  lui, avec  les  ser- 
viteurs de  la  maison,  et  il  ne  pouvait  expri- 
mer que  par  des  regards  levés  au  ciel  ce  qui 
se  passait  dans  son  âme.  La  belle  Gisèle 
avait,  pendant  les  trois  années  qu'avait 
duré  son  absence ,  acquis  la  force  de  la 
jeunesse;  la  joie  de  son  retour  l'embellissait 
encore. 

Lorsiiue  le  vieux  Brœmser  lui  parla  de  son 
vœu,  Gisèle,  comme  frappée  du  coup  de  la 
mort,  pâlit,  el  tous  ses  traits  s'altérèrent. 
Sans  nouvelles  de  son  père,  elle  av;iil  depuis 
quelques  mois  promis  sa  main  à  un  jeune 
chevalier  du  voisinage,  parfaitement  digne 
de  son  choix.  En  revoyant  son  père  ,  elle 
avait  espéré  le  voir  approuver  par  lui.  Elle 
se  jeta  à  ses  pieds,  embrassa  ses  genoux,  et 
Il  s  arrosa  de  ses  larmes  ;  elle  lui  représenta 
qu'elle  voulait  bien  renoi'.cer  à  ce  inari.ige  , 
mais  qu'elle  le  priait  de  ne  pas  la  repousser 
de  la  maison  où  elle  était  née,  promenant 
qu'elle  se  ferait  un  devoir  bien  doux  de  soi- 
gner sa  vieillesse  et  d'adoucir  ses  infinnilcs. 
Elle  lui  rappelait  le  temps  où  il  la  portait , 
encore  enfant,  dans  ses  bras  ;  elle  lui  par- 


lait de  sa  mère  qu'ils  avaient  perdue,  et 
dont  le  souvenir  était  toujours  si  cher  au 
chevalier.  M.iis  ni  larmes  ni  paroles  n.3 
purent  fiéchir  le  vieux  guerrier;  il  men.ïÇd 
Gisèle  de  maudire  les  cendres  de  sa  mère, 
si  elle  n'obéissait  pas.  Le  cœur  de  la  jeunn 
fille  se  brisa,  ses  sens  se  lroublèr»-nt  ;  elle 
se  lève,  ouvre  la  porte  de  la  salle  bâtie  sur 
le  Uhin  ;  la  tempête  mugit  dans  l'enceinte 
du  vallon  ;  la  malédiction  de  son  père  la 
trouble  comme  un  spectre.  Voulant  s'en  dé- 
livrer, dans  un  transport  de  démence,  elle 
se  précipite. 

On  trouva  le  lendemain  le  corps  de  Gi- 
sèle rejeté  par  le  Uhin,  près  de  la  tour 
d'Halton;  et,  disent  encore  les  bateliers  alle- 
mands ,  souvent  le  nautonnier  voit  dans  le 
calme  de  la  soirée  son  ombre  planer  sur  les 
vieux  murs  du  burg  ;  il  entend  des  accents 
plaintifs  se  mêler  aux  sifflements  des  vents. 

Le  vieux  Brœmser,  inconsolable  ,  fil  vœu 
alors  de  bâtir  une  église  pour  le  repos  de 
l'âme  de  sa  fille,  car  il  espérait  qu'avant 
d'expirer  elle  avait  pu  se  repentir  el  mériter 
le  pardon  d'un  crime  commis  dans  un  acres 
de  folie;  mais  il  oublia  bientôt  cet  autre 
vœu. 

Un  soir  à  minuit  il  fut  éveillé  par  un  songe 
horrible  ;  le  dragon  qu'il  avait  lue  autrefois 
en  Palestine  lui  apparut  ouvrant  la  gueule 
et  menaçant  de  le  dévorer  ;  mais  tout  à  coup 
il  vint  une  figure  pâle  et  jeune  ,  qu'il  recon- 
naît pour  sa  Gisèle.  A  son  aspect  le  monstre 
s'éloigna  ,  el  au  moment  même  les  chaînes 
qu'il  avait  portées  en  Palestine  tombèrent  du 
mur  avec  fracas,  et  le  réveillèrent  tremblant 
de  frayeur.  Le  malin  du  même  jour,  un  valet 
arriva  de  la  campagne  avec  une  image  de  la 
sainte  Vierge  :  un  bœuf  l'avait  déterrée  en 
labourant,  et  l'image  avait  fait  entendre,  di- 
sait-on, un  cri  d'appel.  Aussitôt  Brœmser 
prit  ses  mesures  pour  l'accomplissement  de 
son  vœu.  Il  fil  bâtir  à  l'endroit  où  l'image 
avait  été  trouvée  une  église  et  un  couvent 
qu'on  nomme  encore  NothgoU  (secours  de 
Dieu).  On  montre  dans  cette  église  les  chaî- 
nes de  Brœmser  et  la  langue  du  dragon  qu'il 
avait  vaincu.  Son  burg,  que  possède  aujour- 
d'hui le  comte  de  Metlernich  ,  garde  en- 
core des  monuments  de  celle  vieille  époque. 
La  grande  salle  d'honneur  est  ornée  des  ta- 
bleaux de  famille  des  Brœmser,  hommes  et 
femmes  ,  peints  sur  une  seule  pièce  de  bois 
avec  les  noms,  l'année ,  les  armoiries  et 
quelques  rimes.  Dans  la  chapelle  on  voit  les 
cornes  du  bœuf  qui  a  déterré  la  sainte  image. 
La  chambre  à  coucher  csl  décorée  de  toutes 
sortes  de  figur.  s,  et  le  lit,  qui  est  très-am- 
ple, a  des  sculptures  peintes  qui  retracent  des 
sujets  de  l'Ancien  Testament,  et  qui  font  al- 
lusion à  la  foi  conjugale.  Près  du  lit  se  trou- 
vent divers  meubles,  chaises,  marchepieds, 
etc.,  tous  fort  simples  el  sans  apprêt,  mais 
fiits  pour  une  longue  durée,  comme  l'était 
encore  alors  la  vie  des  hommes. 

L'échelle  du  diable. 
On  voit  à  Lorch ,  sur  les  confins  du  Rhiiu 
gau,  quelques  débris  d'un  vieux  burg.  Ce 


945 


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9l'î 


fut  la  demeure  de  Sibo  de  Lorch,  forte  épéo. 
d'une  humeur  bizarre  et  peu  sociable.  Ou 
frappa  à  sa  porte  pendant  une  nuit  fort  ura- 
geuse.  C'était  un  petit  vieux  bonhomme  qui 
demandait  l'hospitalité.  Le  chevalier  refusa 
brutalement  de  recevoir  l'étranger  sans  ap- 
parence. —  Tu  me  le  payeras,  rumine  dans 
sà  barbe  le  petit  bonhomme,  et  il  se  retire. 

Le  sire  de  Sibo  oublie  bientôt  celte  insi- 
gnifiante visite;  mais  le  lendemain,  lors- 
qu'on sonne  le  dîner,  sa  fille,  dont  les  beaus 
traits  commençaient  à  se  développer,  sou 
unique  enfant,  qui  n'a  que  douze  ans,  a  dis- 
l)aru.  Il  la  fait  chercher  partout;  lui-même 
se  fatigue  en  inutiles  perquisitions.  11  ren- 
contre enfin  un  jeune  pâtre  qui  lui  raconte 
qu'il  a  vu  le  malin  une  petite  fille  cueillant 
dos  fleurs  là-bas  an  pied  de  la  montagne  es- 
carpée de  l'inaccessible  Kedrich  ;  que  tout  à 
coup  étaient  venus  de  petits  hommes  bien 
vieux,  qui  avaient  pris  la  jeune  fille  par  les 
bras  et  l'avaient  emportée  en  grimpant  en 
haut  de  la  montagne  aussi  facilement  qu'un 
autre  aurait  couru  dans  les  prés.  —  Ah  1 
mon  Dieu  1  ajoula-t-il,  faisant  un  signe  de 
croix ,  ce  sont  sûrement  les  terribles  lutins 
qui  tiennent  leur  sabbat  là-haut  sur  le  Ke- 
drich, et  qu'il  est  si  aisé  de  fâcher.  Le  che- 
valier regarde  avec  effroi  la  montagne;  il 
lève  les  yeux  jusqu'en  haut,  et  voit  effecti- 
vement sa  fille  Garlinde,  qui,  tout  au  faîte, 
semblait  lui  tendre  les  bras. 

11  rassemble  aussitôt  ses  gens,  espérant  en 
trouver  un  qui  saura  grimper  à  la  cime, 
mais  inutilement.  11  leur  fait  apporter  des 
outils  pour  pratiquer  un  chemin.  Ils  s'em- 
pressent d'y  travailler;  mais  à  peine  se  sont- 
ils  mis  à  l'œuvre  qu'une  énorme  roche  roule 
du  haut  en  bas,  les  force  de  prendre  la  fuite, 
et  une  grosse  voix  se  fait  entendre  :  —  C'est 
ainsi  que  se  venge  le  refus  d'hospitalité. 

Le  sire  de  Sibo  se  mord  les  lèvres,  mais  il 
ne  renonce  pas  à  l'espoir  de  tirer  sa  fille  des 
mains  de  ces  esprits  malfaisants.  Il  fait  des 
vœux;  il  répand  à  pleines  mains  des  aumô- 
nes, donne  aux  pauvres,  aux  couvents,  et 
ne  sait  plus  que  faire  encore.  Les  jours, 
cependant,  les  semaines,  les  mois  s'écoulent  ; 
sa  seule  consolation  est  de  savoir  que  sa  fille 
vit  encore  ;  car  le  matin  et  le  soir,  ses  pre- 
miers et  ses  derniers  regards  sont  fixés  sur 
le  Kedrich ,  et  toujours  il  la  voit  ;  elle  est  là  , 
regardant  au  fond  du  vallon. 

Dans  le  fait,  les  Iulins  n'épargnent  rien  de 
ce  qui  peut  conserver  sa  fraîcheur  et  sa  santé. 
Un  petit  pavillon  tapissé  de  coquilles, de  cris- 
taux ,  de  pierres  brillantes,  lui  sert  de  de- 
meure. Elle  a  des  robes,  des  colliers  de  co- 
rail et  toutes  sortes  de  joyaux.  Des  chants 
mélodieux  ,  des  contes  agréables,  une  table 
abondamment  pourvue  de  laitage  et  de  fruits, 
rien  n'est  négligé  pour  rendre  doux  les  jours 
de  sa  captivité.  Une  sorte  de  vieille  petite 
fée  surtout  prend  à  lâche  de  lui  plaire,  et  lui 
dit  souvent  à  l'oreille  :  —  Courage,  ma  fille, 
nous  vous  marierons  avec  un  des  nôtres.  Je 
vous  prépare  un  bon  trousseau  ;  une  reine 
n'en  donne  pas  tant  à  sa  fille. 
H  y  avait  déjà  quatre  ans  que  la  pauvre 


Garlinde  avait  été  enlevée,  et  son  père  com- 
monçait  à  perdre  toute  espérance  de  la  revoit 
de  près,  lorsqueRulhelm,  jeune  et  brave  che- 
valier, revint  de  Hongrie,  où  il  avait  acquis 
beaucoup  de  gloire  en  combattant  contre  les 
infidèles.  Son  burg  n'était  qu'à  une  demi- 
lieue  de  Lorch.  Dès  qu'il  apprit  le  malheu- 
reux sort  de  Garlinde,  sa  grande  âme  conçut 
le  dessein  de  la  délivrer.  Il  vint  donc  trouver 
le  père  désolé,  et  lui  fit  part  de  son  projet. 

Sibo  lui  présente  la  main.  — Je  suis  riche, 
dit-il,  je  n'ai  que  cette  enfant;  si  tu  peux  me 
la  rendre,  elle  est  à  toi. 

Aussilôt  Ruthelm  va  sonder  les  alentours 
du  rocher;  il  examine  s'il  y  a  moyen  d'y 
parvenir,  mais  ce  n'était  qu'un  mur  uni 
comme  une  planche  et  qui  ne  présentait  au- 
cun accès.  Pensif  et  consterné,  il  se  tient  là 
debout  jusqu'à  l'entrée  de  la  nuit;  déjà  il 
reprenait  le  chemin  de  son  burg,  lorsqu'un 
petit  nain  l'aborde  et  lui  dit  : 

—  N'est-ce  pas,  beau  sire,  que  vous  avez 
aussi  ouï  parler  de  la  belle  Garlinde  qui  est 
là-haut  sur  cette  roche  ?  C'est  ma  pupille  ;  si 
vous  la  voulez  pour  épouse,  je  vous  l'accor- 
derai. 

—  Tôpe!  dit  le  chevalier  en  lui  tendant  la 
main. 

—  Je  ne  suis  qu'un  nain  à  vos  yeux,  reprit 
le  petit  bonhomme,  mais  je  tiens  parole  de 
géant.  La  belle  enfant  est  à  vous,  si  le  che- 
min qui  conduit  à  elle  ne  vous  paraît  pas 
trop  difficile.  Mais  vraiment,  le  prix  vaut  le 
travail;  car  ,  foi  de  nain  1  pas  une  fille  du 
Rhingau  ne  la  vaudrait  pour  la  beauté,  pour 
l'esprit,  la  gentillesse  et  la  retenue. 

Le  petit  vieillard  sourit  et  disparaît  dans  le 
bois.  Cela  donna  bien  à  Ruthelm  sujet  de 
penser  qu'il  se  moquait  de  lui.  Il  jette  encore 
les  yeux  sur  le  rucher,  murmurant  à  demi- 
voix  :  — Ah  I  si  l'on  avait  des  ailes  pour  planer 
jusqu'à  la  cimel 

—  On  peut  y  parvenir  sans  ailes,  dit  une 
voix. 

Le  chevalier  stupéfait  regarde  autour  de 
lui,  et  voit  une  petite  vieille  qui  lui  frappe 
familièrement  sur  l'épaule. 

— C'est  mon  frère  qui  vient  de  vous  parler, 
j'ai  entendu  tout  ce  qu'il  vous  a  dit.  Le  père 
de  Garlinde  l'a  offensé,  mais  il  en  est  bien 
puni  depuis  quatre  ans,  et  la  pauvre  fille  n'y 
peut  rien.  C'est  une  belle  et  bonne  petite  en- 
fant,  douce  et  compatissante,  qui  ne  serait 
pas  capable  de  refuser  le  couvert.  Je  l'aime 
comme  ma  fille,  et  je  ne  souhaiterais  rien 
tant  que  de  savoir  un  bon  chevalier  qui  en 
ferait  son  épouse.  Mon  frère  vous  a  donné 
sa  parole ,  et  nous  ne  manquons  jamais  à 
nos  promesses.  Prenez  cette  clochette,  des- 
cendez au  Wisperthal.  Vous  trouverez  là 
l'entrée  d'une  mine  ombragée  d'un  hélre  et 
d'un  sapin  qui  croissent  du  même  tronc.  En- 
trez-y sans  crainte ,  et  sonnez  trois  fois  la 
clochette.  Mon  frère  le  jeune  y  demeure,  et 
vient  dès  qu'il  entend  ce  signal.  Vous  lui  di- 
rez, pour  vous  faire  connaître, que  c'est  moi 
qui  vous  envoie.  Priez-le  de  vous  faire  une 
échelle  aussi  haute  que  le  Kedrich,  et  vous 
pourrez  parvenir  au  sommet  sans  danger. 


8i7 


Uulhelm  siiiiit  ponctuellement  co  conseil  . 
courut  au  Wisperihal ,  trouva  la  mine  aban- 
donnée cl  donna  trois  coups  de  sonnette.  Au 
troisième  parut  du  fdnd  de  la  mine  un  petit 
nain  vieux  cl  grison,  une  lampe  de  mineur 
à  la  main  ;  il  demanda  à  Uulhelm  ce  qu'il 
voulait.  Le  chevalier  lui  exposa  le  sujet  de 
sa  visite;  il  fut  bien  accueilli  et  reçut  l'ordre 
de  se  trouver  le  lendemain  matin  au  point 
du  jour  au  pied  du  Kedrich  :  le  nain  en  même 
temps  tire  un  sifflet  du  fond  de  sa  gibecière, 
silde  trois  fois  ;  et  voilà  que  toute  la  vallée 
fourmilla  de  gnomes  armés  de  cognées  ,  de 
scies,  de  marteaux.  Le  chevalier  entend  en- 
core dans  l'éloignement  le  fracas  des  arbres 
renversés,  le  bruit  de»  haches  qui  taillent 
cl  éqoarrissent,  le  choc  des  marteaux  qui  ras- 
semblent les  pièces  et  enfoncent  les  chevilles; 
son  cœur  palpile  d'espérance  et  de  joie.  Dès 
qu'il  entend  le  chant  du  coq,  il  se  rend  au 
Kedrich  ;  il  y  trouve  l'échelli!  posée  et  bien 
affermie.  Il  frémil  aux  premiers  échelons  ; 
mais  il  prend  courage  à  mesure  qu'il  avance. 
Enfin  il  est  à  la  cime,  au  moment  où  l'aurore 
commence  à  d«rer  les  montagnes;  Garlinde 
est  là  couchée  sur  un  lit  de  mousse  que  l'é- 
glantine  épineuse  environne  et  que  parfu- 
ment les  fl(  urs  les  plus  éclatantes  de  la  mon- 
tagne. Elle  était  profondément  assoupie.  Elle 
se  réveille  et  voit  le  chevalier  :  —  Je  suis 
venu ,  lui  dit-il ,  pour  vous  recoadaire  à  votre 
père. 

Garlinde  verse  des  larmes  de  joie.  Et  alors 
parait  le  vieux  nain  ((ui  l'avait  enlevée,  et 
derrière  lui  la  bonne  vieille  qui  a  voulu  lui 
servir  de  mère.  Le  nain  fronce  un  peu  le 
sourcil  à  la  vue  du  chevalier;  mais  il  voit  l'é- 
thelle;  il  devine  tout,  rit  aux  éclats  et  dit  ; 

—  Ce  sont  sûrement  ces  vieux  cœurs  amol- 
lis qui  ont  tout  comploté.  Prends  celle  que 
lu  cherches,  et  sois  plus  hospitalier  que 
son  père;  mais  il  faut  que  de  nouveaux  |/é- 
riis  payent  sa  rançon.  Va-t'en  par  où  lu  es 
venu;  et  pour  la  jeune  fille  nous  saurons 
bien  te  la  renvoyer  par  un  chemin  plus  com- 
mode. 

Uulhelm  ne  se  le  fait  pas  dire  deux  fois,  il 
descend  vaillamment  sa  périlleuse  échelle, 
pendant  que  le  vieillard  et  sa  sœur  condui- 
sent Garlinde  par  un  souterrain  jusqu'au 
pied  du  roc  où  est  ménagée  une  secrète  sor- 
tie ;  en  quittant  sa  protégée  la  vieille  lui  remit 
une  cassette  de  pierreries  et  lui  dit  :  Prends, 
mon  enfiinl,  voilà  la  dot  que  je  t'ai  amassée. 

—  Garlinde  la  remercia,  les  larmes  aux 
yeux. 

Uulhelm,  trouvant  la  jeune  fille  au  pied  du 
roc,  la  mena  au  burg.  Qui  pourrait  décrire 
la  joie  et  les  transports  de  son  heureux  père 
en  la  revoyant?  Corrigé  par  celle  longue 
épreuve,  son  cœur  s'ouvrit  au  plaisir  d'o- 
bliger ses  semblables;  depuis  ce  temps,  tout 
étranger  qui  se  présentait  à  Lorch  y  était 
reçu  et  bien  traité  pendant  huit  jours. 

Uuthelm  obtint  la  main  de  Garlinde  et 
vécut  longti  mps  avec  elle  dans  un  bonheur 
non  inieriompu;  à  chaque  enfant  que  le  ciel 
leur  donnait,  la  bonne  vieille  apporta  un 
présent  au  nouvcauné. 


DICTIO.NN.MItE  DES  SCIENCES  OCCULTES.  Ô48 

L'échelle  merveilleuse  subsista  longtemps 
au  rocher  impénétrable.  Les  voisins  la  re- 
gardaient comme  l'ouvrage  d'un  esprit  mal- 
faisant. l''est  ce  qui  fait  qu'ils  ont  donné  lo 
nom  d'échelle  du  diable  au  rocher  de  Ke- 
drich. 


Le  Wisperthal 

Il  y  a  derrière  Lorch  un  vallon  sauvage  et 
solitaire  où  ne  se  rencontrent  que  quelques 
pauvres  chaumières  :  longtemps  ce  n'était 
qu'un  désert;  car  si  quelquefois  les  voisin» 
venaient  à  y  pénétrer,  ils  y  éprouvaient  des 
angoisses  et  se  trouvaient  tellement  harcelés 
par  des  lutins  qu'ils  s'enfuyaient  au  plus 
vite.  On  dit  môme  que  plusieurs  y  firent 
une  malheureuse  fin. 

Dans  un  siècle  qui  est  déjà  loin  de  nous, 
trois  jeunes  garçons  de  Nuremberg  faisaient 
en  partie  de  plaisir  un  voyage  du  Rhin  ;  leurs 
pères  étaient  de  riches  marchands.  Arrivés  à 
Lorch,  ils  entendirent  parler  de  la  vallée 
merveilleuse  :  ils  se  déterminèrent  à  en  tenter 
la  visite.  Ils  franchireni  en  moins  d'une  demi- 
heure  un  chemin  qui  y  conduisait.  Couvert 
de  ronces  et  d'épines  ,  ce  chemin  avait  à 
peine  des  traces.  Ils  virent  bientôt  devant 
eux  une  énorme  masse  de  roche  qui  avait 
presque  la  figure  d'un  château;  de  grandes 
ouvertures,  semblables  de  loin  aux  croisées 
gothiques  d'un  vieux  dôme,  achevaient  l'illu- 
sion. A  l'une  de  ces  prétendues  fenêtres  pa- 
rurent en  un  groupe  trois  télés  de  femmes. 
Des  bsl!  bsll  bien  prononcés  partirent  de  là, 
comme  un  signe  d'appel.  —  Oh  I  oh  1  dirent 
les  jeunes  gens,  ce  manoir  n'est  pas  si  ef- 
frayant qu'on  nous  l'avait  annoncé.  Ces  da- 
mes s'ennuient  sans  doute,  allons  leur  de- 
mander l'hospitalité.  Ils  aperçoivent  une 
porte  étroite.  Ils  entrent  et  ne  craignent  pas 
de  traverser  une  longue  allée  qui  les  conduit 
à  un  vaste  et  grand  vestibule.  Tout  à  coup 
ils  se  trouvent  enveloppés  de  ténèbres  si 
épaisses,  qu'ils  ne  voient  plus  leur  main 
quoiqu'ils  l'approchent  de  leurs  yeux.  A 
force  de  tâtonner,  l'un  d'eux  rencontre  une 
porte  qu'il  s'empresse  d'ouvrir.  La  lumière 
de  mille  bougies  les  éblouit  ;  c'était  l'entré' 
d'une  magnifique  salle  dont  les  parois  étaient 
couvertes  de  glaces  depuis  le  plafond  jusqu'à 
terre.  Chaque  trumeau  n'était  séparé  de  l'au- 
tre que  par  des  girandoles  qui  portaient 
d'innombrables  flambeaux.  —  Soyez  les  bien- 
venus, s'écrient  les  trois  jeunes  filles.  Mais 
elles  ne  son.1  plus  trois  seulement;  elles  se 
mulliplient  en  un  clind'œil;  elles  circulent 
par  centaines,  répétées  dans  les  gliccs  lim- 
pides, et  rient  aux  éclats  de  leur  étoune- 
meut. 

Enfin  s'ouvre  une  porte  à  glaces  placée 
dans  une  niche.  11  en  sort  un  grand  vieillard 
vêtu  do  noir,  la  barbe  plus  blanche  que  la 
neige.  —  Soyez  les  bienvenus,  dit-il  ;  vous 
venez  sans  doute  épouser  mes  trois  filles?  Je 
ne  marchanderai  pas  avec  vous,  car  je  no 
suis  pas  avare;  je  leur  donne  à  chacune 
mille  livres  pesant  d  or 

Et  taules  les  filles  de  rire  avec  plus  de 
briHt;  et  nos  trois  compaguoua  de  ne  savoir 


'M 


LEG 


LEG 


9'.0 


t]uc  penser  de  tout  cela.  —  Eh  bien  I  que 
chacun  de  vous  choisisse  celle  qui  lui  con- 
vient pour  épouse,  dit  d'une  voix  de  tonnerre 
le  vieillard  impérieux. 

Les  trois  voyageurs  s'avancent  en  trem- 
blant; chacun  d'eux  présente  la  main  à  la 
Hgure  qui  lui  plaît  et  ne  touche  que  l'informe 
superficie  d'une  glace  inanimée. 

Le  vieillard  se  prit  à  rire,  comme  toutes  les 
nymphes  ;  sa  voix  faisait  trembler  la  salle. — 
J'oubliais  une  condition,  dit-il,  avant  de  pou- 
voir être  mes  gendres,  il  faut  que  vous  le 
méritiez.  Mes  filles  ont  perdu  leurs  oiseaux 
favoris  :  c'est  un  étourneau,  un  corbeau,  une 
pic.  Ils  sont  sûrement  là-bas  dans  le  bois  et 
très-faciles  à  reconnaître.  L'étourneau  pro- 
pose des  énigmes ,  le  corbeau  croasse  sa 
chanson,  la  pie  jase  l'histoire  de  sa  grand'- 
mère,  aussitôt  qu'on  les  fait  parler.  Allez  , 
braves  prétendants,  et  nous  rapportez  ces 
bons  amis  cmplumés,  qui  sont  dociles  et  se 
laissent  facilement  saisir. 

Les  trois  compagnons  s'empressent  d'o- 
béir aux  ordres  du  vieillard.  Ils  s'avancent 
dans  le  bois  et  trouvent  en  effet  les  trois 
oiseaux  perchés  sur  les  branches  d'un  chêne 
à  demi  desséché. 

—  Etourneau,  dit  l'un  d'eux,  propose-moi 
Ion  énigme. 

L'étourneau  vole  sur  son  épaule  et  lui  dit  : 

Quelle  chose  imprimée  en  Ion  ignohie  face 

^e  peut  pourtant  se  voir  dans  la  meilleure  glace? 

—  Corbeau  I  corbeau  !  la  petite  chanson  I 
dit  le  second  jeune  homme  ;  et  le  corbeau  de 
l'hanter  d'un  ton  enroué  : 

.Sur  un  cheval  du  pays  de  Cocagne 
Trois  jeunes  grns  visitent  la  campagne. 
Force  ortolans  volent  de  toute  part, 
Bien  potelés  et  rôtis  avec  art. 
M:iis  aucun  d'eux  des  trois  Nurembergpois 
Ne  peut  franchir  les  gosiers  trop  étroits. 
Mourant  de  faim,  les  trois  gaillards  s'en  vont 
Ea  leurs  pays,  et  peu  contents  ils  sont. 
Ils  se  disaient  :  Ce  pays  que  l'on  vante 
Méiile  mal  le  renom  qu'on  lui  chante; 
Ils  sont  trop  gros  ses  friands  ortolans. 
Ou  nos  gosiers  ne  sont  pas  a.sseï  grands. 

Le  corbeau  n'a  pas  plutôt  fini  sa  chan- 
son ingénieuse,  qu'il  s'élance  de  l'arbre  et 
vient  se  percher  sur  l'épaule  du  second  com- 
pagnon. 

,  —  Margot  I  margot!  raconte-moi  l'histoire 
de  ta  graiid'mère,  dit  le  troisième.  La  pie  >c 
rengorge  et  se  met  à  conter  : 

«  Ma  grand'mère  était  luie  pie  qui  pondait  des  œufs  d'oii 

[sortaient  des  pies, 
■  Lllsi  ellen'était  pas  morte,  elle  serailencore  en  vie.  .» 

En  parlant  sans  s'arrêter ,  elle  bat  ries 
aileselvasejucher  sur  l'épaule  du  troisième. 

Quelle  joie  pour  nos  jeunes  marchands 
d'avoir  mis  si  heureusement  fin  à  leur  ten- 
tative! IIb  courent  à  toutes  jambes  au  châ- 
teau-rocher qu'ils  atteignent  encore  avant 
la  fin  de  la  nuit. 

Mais,  ô  surprise  1  ce  n'était  plus  ce  salon 
magnifique  tapissé  de  glaces,  resplendissant 
de  lumière;  ce  n'étaient  plus  ces  enchanteres- 
ses qui  devaient  couronner  leur  périlleuse 
aventure.  Lis  vieux  mursgris,les  piliers  mas- 


sifs de  l'énorme  voûte  sont  d'une  horrible  nu- 
dité. Troistablesétaient  couvertes,  richement 
fournies  de  vins  et  de  mets  de  toute  espèce. 
Trois  vieilles  tout  édontées  viennent  an- 
devant  d'eux.  —  Ah  !  voici  nos  chers  amanis. 
criaillaient-elles  toutes  ensemble.  Et  les  voilà 
ànasillonner,à  gazouiller,  à  marmotter  entre 
leurs  dents;  et  l'étourneau  de  les  accompa- 
gner de  son  énigme,  le  corbeau  de  son  vau- 
deville, la  pie  de  son  conte  de  grand'nière. 
C'était  une  jaserie.une  piaillerie,  un  gazouil- 
lement, un  bavardage  tels  que  personne  ne 
s'entendait.  Les  oiseaux  croassaient,  jasaient, 
volaient  d'épaule  à  épaule,  et  ne  faisaient  pas 
la  partie  la  moins  bruyante  de  ce  linlamarre 
infernal.  Car  les  trois  vieilles  étaient  trois 
sorcières.  Nos  trois  coureurs  d'aventures 
n'avaient  plus  ni  faim  ni  soif. 

Cependant  il  leur  fallut  décemmrntprendre 
un  doigt  de  vin  ;  le  vene  vidé,  ils  tombèrent 
dans  un  sommeil  léthargique. 

Lorsqu'ils  se  réveillèrent  le  soleil  élait  en 
son  midi.  Ils  se  trouvèrent  couchés  dans  d'é- 
paisses broussailles,  au  pied  d'une  roche  sil- 
lonnée par  les  ouragans,  les  jambes  si  pe- 
santes qu'ils  eurent  peine  à  gagner  un  terrain 
découvert.  Honteux,  épuisés,  ils  reprennent 
le  chemin  du  vallon;  mais  de  nouveau  le 
maudit  bst  !  bst  !  se  fait  entendre  de  tous  les 
côtés  de  la  cime  touffue  de  tous  les  arbres  ; 
et  il  leur  semblait  voir  percer  à  travers 
toutes  les  branches  la  tête  d'une  des  vieilles 
guenons.  Les  trois  oiseaux  perchés  sur  un 
vieil  orme  à  la  lisière  du  bois  ,  escortèrent 
le  retour  de  celte  glorieuse  caravane.  L'éiour- 
neau  disait  son  énigme,  le  corbeau  croas- 
sait sa  chanson,  la  pie  récitait  son  conte  de 
grand'mère. 

Un  des  compagnons  plus  éveillé  que  les 
autres,  et  dont  le  grand  air  avait  ranimé  le 
courage, demanda  à  un  paysan  que  le  hasard 
amenait:  —  L'ami,  que  penses-tu  que  veuil- 
lent dire  sérieusement  ces  maudits  oiseaux  ? 
—  Je  vous  le  dirai,  mais  ne  vous  fâchez  pas, 
dit  le  villageois.  L'énigme  signifiai  un  pied 
de  nez  qu'on  a  reçu  et  dont  personne  ne 
s'aperçoit.  Le  corbeau  vous  avertit  de  pren- 
dre les  oiseaux  à  la  main  au  lieu  de  les  at- 
tendre la  bouche  béante,  et  la  pie  fait  un 
conte  tel  que  vos  arrière-neveux  en  feront 
peut-être  un  de  vous. 

Ce  qu'on  vient  de  lire  est,  comme  on  voit, 
un  de  ces  contes  de  village  que  les  Allemands 
ailmircnt  beaucoup. 

Le  Drachenfels. 

Le  Drachenfels  est  un  des  sept  monts  ;  ses 
ruines  dominent  avec  le  plus  de  hardiesse 
sur  les  i;ontrées  du  Rhin  qui  l'avoisinent. 
Dans  les  vieux  temps,  dit  une  antienne  tra- 
dition, la  caverne  qu'on  y  voit  servait  de  re- 
traite à  un  monstrueux  dragon,  auquel  les 
habitantsdu  voisinage  rendaient  les  honneurs 
divins  et  offraient  des  viclimes  humaines.  On 
choisissait  à  cet  effet  les  prisonniers  dont  la 
guerre  avait  forgé  les  chaînes;  c'était,  au  dire 
des  habitants,  le  culte  leplus  cher  à  l'horrible 
divinité. 

Un  jour  il  se  trouva  5iarmi  les  captifs  une 


951 


d;ctionnaiiie  des  sciences  occultes. 


g.";2 


jeune  fille  des  meilleures  maisons  du  pays  ; 
elle  avni(  été  élevée  dans  le  christianisme  ; 
elle  était  d'une  si  rare  beauté  que  deux  dos 
i;hefs  se  la  dispulèrcnt.  Les  anciens  les  mi- 
rent d'afcord  en  décidant  qu'ils  ne  l'épouse- 
raient ni  l'un  ni  l'autre,  mais  qu'elle  serait 
offerte  au  dragon, puisque  sa  beauté  devenait 
une  pomme  de  discorde. 

Velue  de  blanc,  couronnée  de  fleurs,  la 
belle  captive  fut  conduite  à  la  cime  do  la 
montagne  où  gisait  le  monstre,  et  liée  à  un 
arbre  auprès  duquel  était  une  pierre  qui 
tenait  lieu  d'aulcl.  Un  nombreux  peuple 
s'était  rassemblé  à  peu  de  distance  pour  être 
témoin  de  l'affreux  spectacle.  Tous  les  cœurs 
sensibles  à  la  pitié  plaignaient  le  sort  de  la 
malheureuse  jeune  fille. Elle  cependant, calme 
et  résignée,  fixait  ses  pieux  regards  vers  le 
ciel. 

Le  soleil  lançait  ses  premiers  rayons  der- 
rière les  sommets  des  montagnes  ;  et  ces 
avant-coureurs  d'un  beau  jour  traversaient 
l'obscure  entrée  de  la  caverne.  Bientôt,  les 
ailes  déployées,  le  monstre  rampe  hors  de 
son  repaire  ;  il  redouble  l'active  lourdeur 
de  ses  replis  tortueux  dès  qu'il  s'approche 
davantage  du  lieu  où  il  a  coutume  d'assouvir 
sa  Toracilé.  La  jeune  fille  n'est  pas  émue; 
elle  lire  de  son  sein  le  crucifix,  l'uniqucobjel 
de  sa  confiance;  elle  l'oppose  à  son  effroya- 
ble ennemi.  Le  dragon  recule  avec  épou- 
vante; et,  poussant  d'horribles  sifflements,  il 
se  précipite  dans  l'abîme  profond  des  bois 
voisins  ;  jamais  depuis,  dit  la  tradition,  per- 
sonne ne  le  revit. 

Le  peuple,  stupéfait  de  cette  miraculeuse 
délivrance,  s'empresse  de  rompre  les  liens 
de  la  jeune  chrétienne;  la  foule  voit  avec 
étonnement  le  petit  crucifix  qui  a  produit 
cette  grande  merveille.  La  captive  alors  les 
instruit  de  sa  sainte  croyance  et  du  pouvoir 
de  celui  qu'elle  adore. 

Ils  se  prosternent  à  ses  pieds,  la  supplient 
de  retourner  chez  les  siens,  et  de  leur  en- 
voyer un  prêtre  qui  les  instruise  et  les  bap- 
tise au  nom  de  ce  Dieu  tout-puissant.  Ainsi 
le  Drachenfels  fut  le  berceau  de  la  foi  dans 
ces  cantons,  et  une  chapelle  fut  érigée  dans 
le  lieu  où  la  pierre  avait  servi  d'autel. 

La  vierge  de  Lurley. 

Dans  les  vieux  temps  il  apparaissait  quel- 
quefois sur  le  Lurley,  au  déclin  du  jour  et 
au  clair  de  la  lune,  une  jeune  fille  qui  chan- 
tait d'une  voix  si  agréable  que  tous  ceux  qui 
l'entendaient  en  étaient  ravis.  Plus  d'un  ba- 
telier, en  descendant  le  Rhin,  allait  se  briser 
contre  les  écueils,  ou  se  perdre  dans  le 
gouffre,  parce  que,  tout  absorbé  dans  l'admi- 
ration de  ces  sons  divins,  il  devenait  inca- 
pable de  mouvenienl  et  négligeait  la  con- 
duite de  son  navire.  Personne  n'avait  encore 
vu  la  nymphe  de  près,  sinon  quelques  jeunes 
pêcheurs  qu'elle  favorisait  et  à  qui  elle  mon- 
trait, aux  rapides  instants  du  crépuscule,  le 
lieu  où  ils  devaient  jeter  leurs  filets.  Ils  fai- 
saient bonne  capture  lorsqu'ils  suivaient  son 
conseil.  Us  avaient  tant  vanté  partout  l'in- 
connue, que  le  fils  d'un  comte  palatin,  «jui 


Icn.iit  sa  cour  dans  la  contrée,  voulut  la  voir. 
Prétextant  une  course  à  Wesel,  il  monte 
dans  un  balelet  et  se  fait  descendre  jusqu'au 
lieu  où  se  montrait  londine,  car  c'en  était 
une  sans  doute.  Il  y  arriva  au  coucher  du 
soleil,  et  l'étoile  du  berger  ilépassait  l'ho- 
rizon lorsqu'il  se  trouva  au  Lurley. 

—  La  voyez-vous,  la  maudite  magiriennc? 
dirent  en  ramant  les  bateliers  :  la  voilà. 

Le  jeune  comte  l'aperçoit  effectivement, 
assise  sur  le  revers  de  la  roche;  les  boucles 
de  ses  cheveux  plus  éclatants  que  l'or, 
étaient  retenues  par  une  couronne  de  fleurs. 
11  entend  ses  mélodieux  accents  ;  il  n'est  plus 
maître  de  lui-même;  il  force  les  matelots  à 
s'approcher  du  rivage,  et  veut  franchir  l'es- 
pace pour  courir  à  la  nymphe.  Mais  son 
pied  mal  assuré  glisse,  et  il  disparait  dans 
les  flots  écumants  qui  l'enveloppent  de  toutes 
parts. 

La  nouvelle  de  l'événement  funeste  ne 
larde  pas  à  se  répandre ,  elli^  arrive  aux 
oreilles  du  malheureux  père.  La  douleur  et 
la  colère  déchirent  son  cœur;  il  ordonne 
aussilôi  qu'on  s'empare  de  la  sorcière  et 
qu'on  la  lui  livre  morte  ou  vive. 

Le  plus  hardi  de  ses  capitaines  est  chargé 
de  la  dangereuse  expédition  ;  il  ne  demande 
que  la  permission  de  précipiter  dans  les  flots 
la  magicienne,  aussitôt  qu  il  l'aura  saisie;  il 
craint  que  dans  le  trajet  elle  n'emploie  la 
ruse  ou  la  magie  pour  briser  ses  fers  et  se 
mettre  en  liberté.  Le  comte  permet  tout.  A 
l'entrée  de  la  nuit,  la  roche  est  environnée 
d'un  nombreux  corps  de  cavaliers  qui  for- 
ment un  demi-cerle  jusqu'à  la  rive  du  fleuve. 
Trois  des  plus  courageux  accompagnent  le 
capitaine  au  sommet  du  Lurey.  L'ondine 
malfaisante  est  à  la  cime,  ses  mains  se  jouent 
avec  une  ceinture  decoraux  ;  elle  voitarriver 
les  ravisseurs  et  leur  demande  ce  qu'ils 
cherchent. 

—  C'est  loi,  magicienne  empestée;  viens 
faire  le  saut  périlleux  dans  les  larges  bords 
du  Rhin. 

—  Eh  bien  !  que  le  capilaine  vienne  lui- 
même  à  moi,  dit  la  jeune  fille  en  souriant. 

En  disant  ces  mots,  elle  jette  sa  ceinture 
dans  le  fleuve  et  chante  d'un  ton  formidable  : 
«  Entends  ma  voix,  père  d«'S  eaux  :  lance  tes 
coursiers  rapides;  qu'ils  emmènent  ta  fille 
d.ms  les  grottes  profondes....»  . 

Sa  voix  est  étouffée  aussitôt  par  les  mu- 
gissements d'un  violent  ouragan.  Le  Rhin 
bouillonne  ;  des  flots  écumants  couvrent  la 
plaine  et  les  hauteurs  de  leur  blanche  écume. 
Deux  vagues  qui  ont  la  forme  dun  beau 
couple  de  chevaux  blancs  ,  s'élèvent  à  la 
cime  du  rocher  et  entraînent  dans  l'abime 
des  eaux  la  nymphe  qui  disparait  à  jamais. 

A  cet  aspect,  le  capitaine  reconnaît  que  la 
magicienne  est  vraiment  une  de  ces  puis- 
santes ondines  sur  lesquelles  aucun  homme 
n'a  de  puissance. 

Depuis  ce  temps  ,  l'ondinp  de  Lurley  ne 
s'est  plus  montrée  ;  mais  elle  continue  de 
fréquenter  la  montagne  et  de  se  jouer  des 
bateliers  dont  elle  s'amuse  à  contrefaire  la 
voix,  absolument  cuuunc  un  écho. 


9K5 


LEG 

Le  Mummelsce. 


LF.G 


954 


Sur  une  hanle  montagne  de  la  Forél-Noire, 
non  loin  de  Bade,  il  y  a  un  lac  dont  on  ne 
trouve  pas  le  fond.  Si  l'on  noue  dans  un  linfçe 
des  pois,  de  petites  pierres  ou  d'autres  cho- 
ses pareilles  en  nombre  impair,  et  qu'on 
suspende  ce  linge  au-dessus  du  lac ,  ce  qui 
est  impair  devient  pair,  et  ce  qu'on  met  pair 
devient  impair. Telle  est  la  croyance  du  lieu. 
Si  l'on  jette  dans  ce  lac  une  pierre  ou  deux, 
le  ciel  se  trouble  ;  il  se  fait  un  orage  avec 
des  gréions  et  un  grand   vent  de  tempête. 

Un  jour  que  des  pâtres  gardaient  leurs 
troupeaux  autour  du  lac  ,  il  en  sortit  un 
taureau  brun  qui  vint  se  mêler  aux  trou- 
peaux. Un  pelit  homme  inconnu  parut  pf'U 
après  (sortait-il  aussi  du  lac?  on  l'ignore; 
mais  personne  ne  l'avait  jamais  vu).  Il  vou- 
lut remmener  son  taureau;  et  comme  l'ani- 
mal refusa  de  le  suivre,  il  le  laissa,  le  maudit, 
cl  retournant  au  lac ,  il  y  disparut.  C'est  là 
un  des  contes  du  Mummelsee.  On  ne  dit  rien 
de  p'us  de  ce  taureau;  mais  il  y  a  bien  d'au- 
tres récits. 

Cn  paysan  passa  un  jour  sur  le  lac  alors 
glacé  ;  il  menait  ses  bœufs  qui  conduisaient 
quelques  troncs  d'arbres.  Il  n'y  courut  au- 
cun danger  :  mais  son  petit  chien  ,  qui  sui- 
vait son  lourd  chariot  vit  la  glace  se  rompre 
sous  ses  pattes,  et  se  noya. 

Un  chasseur,  passant  près  du  lac  en  hiver, 
aperçut  un  homme  des  bois  qui,  assis  sur  la 
glace  du  lac ,  s'amusait  à  jouer  tout  seul 
avec  une  grande  sacoche  de  pièces  d'orélin- 
celantes.  Le  chasseur  avide  coucha  le  bon 
homme  en  joue  pour  le  tuer  et  avoir  son  ar- 
gent. L'homme  des  bois  plongea  aussitôt 
avec  sa  sacoche  ;  puis  il  releva  la  têlc  sur 
le  lac  et  cria  au  chasseur  que  s'il  l'en  avait 
prié,  il  aurait  eu  bientôt  fait  de  le  rendre 
riche  ,  mais  qu'il  resterait  pauvre  ,  lui  et 
toute  sa  postérité. 

Un  jour  un  petit  homme  vint  d 'mander  à 
coucher  dans  la  ferme  d'un  paysan,  voisine 
du  Mummelsee.  Le  paysan  n'ayant  pas  do  lit 
lui  offrit  un  banc  de  bois  et  une  jonchéi*  de 
paille  dans  la  grange.  Mais  le  petit  homme 
voulait  coucher  dans  la  fosse  au  chanvre. 
—  Comme  lu  voudras,  répondit  le  paysan  ; 
si  cela  le  fait  plaisir,  tu  pourras  même  cou- 
cher dans  le  réservoir  ou  dans  l'auge  de  la 
fontaine. Voyant  que  le  paysan  y  consentait, 
le  petit  homme  alla  se  coucher  dans  les  joncs 
bourbeux  où  était  le  chanvre  et  s'y  enfonça 
comme  dans  un  lit  de  bon  foin  pour  s'y  ré- 
chauffer. Le  lendemain  il  se  leva  avec  des 
habits  tout  secs.  Comme  h;  paysan  marquait 
sa  surprise,  le  petit  homme  lui  dit  qu'il  se 
pouvait  bien  qu'aucun  de  ses  pareils  ne  re- 
vînt coucher  dans  la  ferme  avant  des  cen- 
taines d'années.  Il  lui  confia  alors  qu'il  était 
un  homme  des  eaux  ;  qu'il  allait  chercher  sa 
femme  dans  le  Mummelsee  ,  cl  il  le  pria  de 
l'accompagner.  Il  lui  raconta  en  chemin 
bien  des  merveilles,  comment  déjà  il  avait 
cherché  sa  femme  dans  plusieurs  lacs  ,  et 
comment  tout  était  fait  dans  ces  demeures-là 

Arrivé  au  Mumuicisec  il    s'y  plongea  , 


priant  le  paysan  d'attendre  qu'il  revint,  ou 
au  moins  qu'il  lui  fît  un  signal.  Au  bout  di; 
deux  heures  ,  le  villageois  vil  le  bâton  du 
petit  homme  surnager  ,  avec  deux  poignées 
de  pièces  d'or,  au-dessus  du  lac  ,  et  venir  à 
lui.  Il  comprit  que  c'était  là  le  signal  pro- 
mis, prit  les  pièces  d'or  et  s'en  alla. 

Un  duc  de  Wurtemberg  fit  construire  un 
radeau  pour  aller  sur  le  lac  et  en  sonder  la 
profondeur.  Ayant  jeté  la  sonde  à  neuf  pelo- 
tons de  fil  sans  trouver  le  fimd,  il  remarqua 
que  le  radeau,  quoiqu'il  fût  de  bois,  com- 
mençait à  s'enfoncer;  il  se  hâta  de  renoncer 
à  son  entreprise  ,  lâcha  sa  sonde  el  ne  pensa 
plusqu'àsc  sauver. On  montre  encore  au  bord 
du  Mummelsee  quelques  débris  de  ce  radeau. 

L'origine  du  monastère  de  Frauenalb. 

Le  comte  d'Erchingen  habitait  son  château 
de  Magenheim  ou  Monheim  dans  le  Zabern- 
gau,  canton  voisin  de  ceux  de  Craich  et  du 
Nècre.  Il  reçut  un  jour  la  visite  de  Frédéric, 
duc  de  Souabe,  d'Albert  de  Suinnern,  de 
Bertold  d'Eberstein  et  d'auires  seigneurs 
qui  venaient  se  divertir  avec  lui.  La  forêt  de 
Stromberg,pleinedegibier,  n'est  pas  éloignée 
du  château.  Il  y  paraissait  de  temps  en  temps 
un  grand  cerf,  que  ni  le  comte  ni  ses  gens 
n'avaient  jamais  pu  forcer.  Le  comte  était  à 
table  avec  ses  convives,  lorsqu'un  serviteur 
vint  annoncer  que  le  cerf  venait  de  paraître. 
Toute  la  compagnie  fut  ravie,  el  tous  les 
seigneurs  avec  leurs  gens  accoururent  pour 
prendre  le  cerf  mort  ou  vif.  Albert  de  Suin- 
mern  poussait  son  cheval  plus  que  les  autres 
dans  la  direction  qu'on  lui  désignait  comme 
celle  que  sa  proie  avait  suivie.  En  avant  de 
tout  le  monde  ,  il  aperçut  tout  à  coup  le 
grand  cerf  :  il  était  tel  qu'il  n'en  avait  de 
sa  vie  vu  un  pareil.  Il  redouble  son  galop, 
le  poursuit  longtemps,  el  tout  à  coup  le  perd 
de  vue  sans  pouvoir  deviner  ses  erres.  Au 
même  instant  parait  devant  lui  nn  homme 
qui  portail  une  figure  effrayante.  Albert 
frémit  à  son  aspect,  quoiqu'il  fût  bien  le 
moins  peureux  des  chevaliers.  Il  fil  le  signe 
de  la  croix.  Sans  se  troubler  de  ce  signe, 
l'homme  l'aborde  et  lui  dit  :  Ne  craignez 
point ,  mais  suivez-moi.  Je  suis  envoyé  pour 
vous  faire  voir  des  choses  surprenantes.  — 
Marche  donc ,  dit  Albert  sans  peur.  Et 
l'homme  alla  devant  lui  jusqu'au  sortir 
de  la  forêt;  le  chevalier  se  vil  alors  dans 
une  prairie  émaillée  de  fleurs;  devant  lui 
s'élevait  un  château  magnifique  qu'il  n'avait 
vu  de  sa  vie.  Il  suivit  son  guide  jusqu'à  la 
porte  d'honneur.  Plusieurs  domestiques  ve- 
naient au-devanl  d'eux,  et  aucun  ne  disait 
mol;  mais  ils  prirent  en  silence  ta  bride  du 
cheval.  Le  guide  laid  dil  à  Albert  de  ne  pis 
s'étonner  de  la  taciturnité  de  ces  gens,  de  ne 
pas  leur  parler,  mais  de  le  suivre  el  de  faire 
ce  qu'il  lui  dirait.  Ils  furent  introduits  dans 
une  grande  salle  oii  siégeait  un  grand  sei- 
gneur au  milieu  de  ses  courtisans.  Tous  se 
levèrent  à  la  vue  d'Albert,  le  saluèrent,  se 
rassirent,  el  se  mirent  à  boire  et  à  manger 
Albert  avait  l'épée  à  la  main  el  ne  voulait 
pas  la  remctlre  dans  le  fourreau.  Il  consi- 


nsn 


DICTIONNAIRE  Drs  SCIENCES  OCCULTES. 


S5Î 


dérait  avec  admiralion  les  vases  d'argent 
précieusement  travaillés,  et  contemplait  le 
mouvement  du  festin  qui  se  dévorait,  mais 
toujours  en  silence. 

Après  qu'il  fut  resté  là  longtemps  sans 
que  les  convives  parussent  s'inquiéter  da- 
vantajçp  de  lui,  son  puide  lui  fit  signe  de 
se  retirer.  Albert  salua  la  conpagnie  qui  lui 
rendit  le  salut;  il  suivit  l'homme  affreux  jus- 
qu'à la  cour  d'honneur,  où  les  domestiques 
muets,  qui  gardaient  son  cheval,  lui  tinrent 
les  éperons.  Ils  rentrèrent  sans  ouvrir  la 
bouche,  dès  qu'il  eut  piqué. 

L'homme  étrange  qui  avait  conduit  Albert 
le  ramena  par  le  même  chemin  à  la  forêt  de 
Stromberg,  et  lui  confia  alors  le  mol  de  ce 
mystère  (]ui  excitait  si  vivement  sa  curio- 
sité. —  Le  seigneur  que  vous  avez  vu  à  ta- 
ble, dit-il,  est  votre  oncle  Frédéric,  qui  a 
vaillamment  combattu  les  infidèles.  Mais 
comn)e  il  opprimait  ses  vassaux  ,  et  que 
nous,  ses  serviteurs,  nous  l'aidions  servile- 
ment dans  ses  exactions,  nous  souffrons  avec 
lui  une  juste  peine  jusqu'à  ce  qu'il  plaise  à 
Dieu  de  nous  accorder  pardon.  Je  vous  fais 
connaître  ces  choses,  afin  que  vous  ne  souil- 
liez pas  votre  cœur  généreux  des  mêmes 
vices.  Rejoignez  vos  amis  :  mais  regardez 
encore  un  peu  en  arrière,  et  voyez  l'état 
vrai  du  château  que  vous  venez  de  visiter. 

En  disant  ces  mots,  le  fantôme  s'évanouit. 
Albert  se  retourne,  et  ne  voit  que  des  lour- 
billou'i  de  flammes,  à  la  place  qu'il  avait  vue 
occupée  par  un  château  splendide;  il  y  en- 
tend de  longs  gémissements  qui  paraissent 
sortir  du  sein  de  l'embrasement.  Saisi  d'ef- 
froi, il  galoppe  jusqu'à  Monheim  ;  mais  il  ne 
fut  reconnu  qu'avec  peine  par  le  duc  Fré- 
déric, son  oncle,  tant  sa  barbe  et  ses  che- 
veux avaient  blanchi.  Il  raconta  son  aven- 
ture, et  demanda  au  comte  d'Erchingen  la 
permission  de  bâtir  une  église  à  la  place  où 
il  avait  vu  l'apparitiou.  Il  y  consentit,  et 
Ijirîold  d'EbersIein  ,  qui  était  présent ,  fit 
aussilôt  vœu  de  fonder  un  couvent  de  femmes 
dans  la  vallée,  qui  s'appelait  la  vallée  de 
l'Alb.  Telle  fut  l'origine  du  monastère  de 
Frauenalb. 

La  légende  de  messire  Pierre  de  Stau/Jenberg. 

Pierre  d'Irminger,  qui  hitliitait  son  burg 
de  Stauffeu  dans  i'Ortenau,  et  se  nommait 
messiie  de  Stauffeu  ,  revenait  un  jour  de  la 
chasse,  au  coucher  du  soleil,  lorsque,  arrivé 
au  vill.ige  de  Nussbach,  il  se  trouva  accablé 
de  soif  et  épuisé  de  fatigues,  il  descendit  à 
une  source  qui  était  sur  le  chemin,  ombra- 
gée de  beaux  chênes.  Il  y  trouva  une  jeune 
iille  assise  :  elle  avait  l'air  noble  et  royal  ; 
elle  lui  rendit  modestement  son  salut,  en  le 
nommant  par  son  nonr.  Le  chevalier,  stu- 
péfait, demande  à  l'inconnue  qui  elle  est  et 
d'où  elle  vient.  Je  demeure  près  d'ici ,  ré- 
pondit-elle; je  vous  ai  vu  plusieurs  fois 
venir  avec  vos  chasseurs  à  cette  fontaine  ; 
c'est  ce  qui  m'a  fait  connaître  votre  nom. 

Slauffen  ,  encore  sans  engagement ,  fut 
émerveillé;  son  cœur  se  préoccupa,  et  les 
jours  suivants,  à  la  même  heure,  il  revint 
a  la  source  .igrcstc  ;  mais  l'inconnue  n'y  était 


pas.  Le  soir  du  qu.ilrièmo  jour,  comme  il 
était  là  ,  livré  à  des  pensées  inquiètes,  seul , 
appuyé  contre  un  chêne  ,  il  entendit  subite- 
ment une  voix  mélodieuse  qui  chantait  et 
qui  semblait  venir  du  fond  de  l'eau.  Il  s'ap- 
proche doucement ,  regarde  partout  avec  une 
impatiente  curiosité,  ne  peut  rien  découvrir, 
et  bientôt  la  voix  cesse  de  se  faire  entendre. 
Il  s'en  retournait  à  son  chêne,  avec  l'espoir 
«tue  peut-être  la  voix  reprendrait  ses  chants. 
Tout  à  coup  il  voit  l'inconnue,  assise  sur  la 
pierre  qu'il  venait  de  quitter  ;  elle  paraissait 
d'une  humeur  enjouée.  A  chaque  question 
qu'il  lui  adressait ,  elle  ne  faisait ,  tout  en 
riant ,  que  des  réponses  évasives,  qui  l'em- 
barrassaient. Il  en  obtint  cependant  un  ren- 
dez-vous pour  le  lendemain,  au  même 
endroit.  Le  chevalier  s'y  trouva  de  bonne 
heure.  L'inconnue  sortit  du  taillis,  si  gra- 
cieuse, que  le  chevalior  crut  voir  une  fée  : 
les  boucles  de  ses  beaux  cheveux  blonds  pa- 
raissaient humides  ;  une  tresse  de  bleuets 
éclatants  ,  mêlés  de  roses,  entourait  sa  tête. 
Ebloui ,  il  lui  prit  la  main,  et  lui  avoua  la 
passion  qu'elle  avait  fait  naître  en  son  cœur. 
Je  ne  suis  pas  une  enfant  des  hommes  , 
lui  dit-elle;  les  eaux  m'ont  donné  naissance. 
Je  suis  une  nymphe,  une  ondine,  une  fée 
d(  s  eaux  ,  ou  tout  ce  que  vous  voudrez  bien 
m'appeler.  Nous  n'accordons  notre  cœur 
qu'avec  notre  main.  Pensez  y ,  sire  cheva- 
lier. Si  vous  me  donnez  votre  foi,  votre  fidé- 
lité doit  être  pure  comme  cette  eau  limpide, 
et  ferme  conmie  l'acier  de  votre  épée.  Une 
seule  inconstance  causerait  votre  mort  et  à 
moi  des  regrets  éternels;  car  et  nos  affec- 
tions et  nos  douleurs  n'ont  point  de  terme. 

Le  chevalier  confirma  par  serment  ce  qu'il 
avait  déjà  dit ,  qu'il  lui  était  impossible  de 
vivre  sans  elle  ,  et  que  jamais  il  ne  pourrait 
l'offenser  sans  mourir.  L'ondine  lui  donne 
alors  un  anneau  précieux.  Il  lui  parle  de  la 
charmante  situation  de  son  burg,  lui  dépeint 
le  bonheur  qu'elle  aura  à  y  vivre  dans  la 
paix;  il  fixe  avec  elle  le  lendemain  pour  la 
conduire  à  l'autel. 

Le  lendemain  matin,  au  point  du  jour,  le 
chevalier,  entrant  dans  la  salle  d'honneur  de 
son  manoir  que  l'on  s'était  hâté  de  parer,  vit 
sur  la  table  trois  corbeilles  artistement  tres- 
sées. L'une  était  pleine  d'or,  l'autre  pleine 
d'argent,  et  la  troisième  pleine  de  pierreries 
de  toutes  valeurs  :  c'était  la  dot  de  l'épouse. 
Elle  parut  bientôt  elle-même  suivie  de  nom- 
breuses compagnes  ,  inconnues  comme  elle 
dans  la  contrée.  Avant  la  célébration  du  ma- 
riage, elle  voulut  encore  parler  au  chevalier. 
Elle  le  pria  de  songer  une  dernière  fois  à  ce 
qu'il  allait  faire;  elle  lui  rappela  ce  qu'elle 
lui  avait  déjà  dit ,  que  si  jamais  il  devenait 
inconstant,  il  serait  perdu  :  qu'il  auraitalors 
un  signe  de  sa  mort  prochaine;  qu'il  serait 
à  jamais  séparé  d'elle,  son  épouse;  et,  ajou- 
la-t-elle ,  vous  ne  verrez  plus  rien  de  toute 
ma  personne  que  ce  pied  droit  que  voilà. 

Le  chevalier  renouvela  ses  serments  sans 
hésiter,  et  le  mariage  se  fit.  Ce  jour  et  les 
suivants ,  et  beaucoup  d'autres,  s'écoulèrent 
dans  les  plaisirs  et  la  scréuilé.   La  jeune 


P57 


LKG 


LEG 


om 


épouse  était  une  (leur  qui  se  développait  tou- 
jours avec  de  nouvelles  grâces.  L'année  n'é- 
(;iit  pas  encore  révolue  lorsqu'elle  donna  un 
fils  au  chevalier. 

Mais  i)ieniôt  après  une  guerre  terrible  oui 
lieu  vers  les  frontières  du  pays  des  Francs. 
Pierre  était  bravent  ilaiinait  lagloire.  L'am- 
bition l'entraîna.  La  mystérieuse  comtesse 
ne  crut  pas  convenable  de  s'opposer  aux  no- 
bles désirs  de  son  époux;  elle  le  laissa  par- 
tir, mais  en  le  conjurant  de  n'oublier  ni  sa 
feiime  ni  le  gage  cliéri  de  leur  lendrcsgn. 

Pierre  passa  le  lUiin  à  la  tête  d'une  troupe 
d'élite  ,  et  alla  combattre  sons  les  enseignes 
lie  Charles  Mai  tel ,  duc  des  Francs.  Dès  la 
pr  mière  aff  lire  il  montra  sa  valeur,  sa  force 
et  son  intelligence.  Le  duc  le  remarqua,  et 
dans  une  forte  mêlée  ,  ce  fut  au  chevalier 
Pierre  qu'il  fut  redevable  de  la  vie.  Ce  fut 
aussi  la  bravoure  du  chevalier  qui  décida  la 
victoire.  Le  duc  ,  plein  de  reconnaissance, 
crut  ne  pas  trop  faire  en  lui  proposant  la 
plus  jeune  de  ses  filles;  c'était  aussi  la  p'u< 
belle.  Pierre  en  fut  frappé.el  se  montra  sensi- 
b!p  à  l'honneur  d'une  alliance  aussi  ilustre; 
maisiln'était  pas  assez  vjl  pour  dissimuler  son 
m.iriagc  :  il  raconta  naïvement  loul  ce  qui 
lui  était  arrivé.  Le  duc  l'entendit  en  secouant 
la  tête,  dit  que  l'esprit  malin  s'en  mêlait,  que 
le  chevalier  n'était  pas  tenu  de  garder  parole 
à  des  fantômes,  et  que  pour  le  bien  de  son 
âme  il  désirerait  le  voir  dégagé  d'une  si  dan- 
gereuse liaison.  On  consulta  des  hommes 
habiles,  qui  assurèrent  que  le  chapelain  qui 
avait  uni  Pierre  à  la  fée  des  eaux  s'était 
trouvé  abusé  par  une  puissance  occulte  ,  et 
que  dès  qu'il  aurait  reçu  d'un  saint  prêtre  la 
bénédiction  de  l'Eglise,  cette  illusion  magique 
s'évanouirait.  L'infidèle  Pierre  n'eut  pas  de 
peine  à  se  laisser  persuader  ,  et  l'on  fit  les 
fiançailles.  La  noce  fut  remise  à  la  quinzaine. 

La  veille  du  jour  fixé,  il  arriva  un  des  gens 
de  Stauffenberg  ,  apportant  au  chevalier  la 
nouvelle  que  son  enfant  et  sa  femme  avaient 
disparu  du  burg.  Pierre  s'informa  des  cir- 
constances, et  il  apprit  que  c'avait  é'é  juste- 
ment à  l'instant  des  fiançailles.  Ce  rapport 
le  confirma  dans  le  soupçon  de  magie  qu'on 
lui  avait  inspiré.  11  alla  donc,  le  cœur  assez 
dégagé,  célébrer  son  nouveau  mariage. 

Comme  on  était  gaîmentà  table,  le  cheva- 
lier, alors  en  joyeuse  humeur,  jeta  par  ha- 
sard les  yeux  devant  lui,  sur  le  mur  de  la 
salle.  Il  y  vil  paraître,  comme  sortant  de  la 
muraille,  un  joli  pe'.il  pied  de  femme.  11  se 
frolte  les  yeux,  mais  reconnaît  clairement 
et  longtemps  ce  funeste  signe.  Saisi  de  trou- 
ble, il  boit  coup  sur  coup  pour  dissiper  de 
noirs  pressentiments;  il  y  réussit  en  quelque 
sorte.  Le  soir  on  renlie  au  château.  Il  fallait 
traverser  un  petit  pont;  Pierre,  (jui  se  défi  lit, 
aima  mieux  faire  passer  son  cheval  à  gué. 
A  peine  ciait-il  au  milieu  de  l'eau  qu'elle 
s'agite,  écume  et  bouillonne,  comme  s'il  y 
eût  eu  une  tempête;  les  Ilots  se  soulèvent; 
le  cheval  s'effraye,  se  cabre,  renverse  le 
chevalier  et  gagne  le  rivage.  La  tempête  à 
l'instant  se  calme  ;  les  eaux  reprennent 
leur    limpidité    et    leur    paisible    cours . 


Mais  le  chevalier  avait  disparu;  et  jamais  on 
ne  put  retrouver  son  corps.  —Ce  qui  fait 
bien  voir  que  les  ondines  et  antres  esprits 
élémentaires  sont  des  démons  et  rien  plus. 

La  grotte  de  Sainle-Odille  près  de  Fribourg. 

Odille  était  fille  d'Altich ,  duc  d'Alsace.  Ello 
avait  été  élevée  au  couvent  de  Mayenfeld  et 
s'était  promis  dans  son  cœur  de  prendre  le 
voile.  Un  jour  qu'elle  vint  du  couvent  à  la 
cour  du  duc  son  père,  tous  les  jeunes  sei- 
gneurs furent  épris  de  ses  grâces.  Un  prince 
allemand  demanda  sa  main.  Le  duc  ,  approu- 
vant cette  riche  alliance,  ordonna  à  sa  fille 
de  considérer  le  prince  comme  son  époux, 
et  de  se  préparer  à  le  suivre  à  l'autel.  Mais 
Odille  pensait  à  son  vœu;  ne  sachant  d'autre 
moyen  que  la  fuite  pour  être  libre  de  le  rem- 
plir, elle  se  dépouilla  de  ses  précieux  vête- 
ments, prit  des  ha  bits  pauvres  et  gagna  le  Rhin. 
Une  nacelle  la  passa  heureusement  à  l'autre 
rivage.  Sa  fuite  fut  bientôt  découverte.  Le 
duc  envoya  partout  ses  gens  à  sa  recherche. 
Il  monta  lui-même  à  cheval  cl  prit  par  hasard 
le  même  chemin  que  la  jeune  princesse  avait 
suivi.  Le  batelier  qui  l'avait  passée  la  dépei- 
gnit si  bien,  qu'il  ne  laissa  point  de  doute  ;  le 
père  traversa  le  fleuve  avec  toute  sa  suite. 

Odille  était  déjà  arrivée  à  mi-côte  de  la 
montagne  qui  domine  le  Rhin  :  fatiguée  d'une 
route  à  laquelle  elle  était  si  peu  accoutumée, 
elle  s'était  assise  sur  une  roche;  les  yeux 
levé.s  au  ciel  el  les  mains  jointes,  elle  priait. 
Tout  à  coup  elle  entend  du  bruit;  elle  voit 
une  troupe  de  cavaliers;  elle  reconnaît  les 
couleurs  de  son  père.  Elle  se  lève  et  s'enfonro 
dans  les  épais  buissons  pour  s'y  cacher.  La 
crainte,  d'abord,  lui  donnait  des  ailes;  mais 
bientôt  elle  perdit  ses  forces,  el  tomba  tout 
épuisée  derrière  une  roche  qui  la  dérobait 
aux  yeux  de  ceux  qui  la  cherchaient.  OdilLs 
tremblante  étend  les  mains  vers  le  ciel,  implo- 
rant sa  délivrance;  la  roche  s'ouvre  subite- 
ment ;  Odille  s'y  jette,  et  la  pierre  se  referme. 

Au  même  instant,  le  trot  des  chevaux 
frappe  la  roche.  Odille  entend  la  voix  de  sou 
père  (|ui  l'appelle  par  son  nom.  — Mon  père, 
répond-elle.  — Allich,  surpris  de  reconnafire 
la  parole  de  sa  fille  ré.sunnant  à  travers  la 
roche  sans  ouverture  ,  crie  de  nouveau  : 
—  Odille!  —  el  frémil  en  entendant  une  se- 
conde fois  la  voix  rie  sa  fille  percer  le  rocher. 

—  Vous  persécutez  celui  qui  me  protège,  dil 
la  princesse.  Je  ne  puis  être  l'épouse  il'uu 
homme. 

Allich  comprend  la  généreuse  résolution 
de  sa  fille  timide.  11  révère  dans  ce  qui  se 
passe  la  main  de  Dieu;  il  jure  de  respecter 
le  vœu  de  la  pieuse  Odille,  el  de  lui  bâtir  un 
couvent  à  Hohenbourg. 

La  roche  se  rouvre  alors.  F^a  jeune  fille 
reparaît.  Elle  semble  rayoniiaïUe  d'une  lu- 
mière céleste  en  lombanl  dans  h  s  bras  de 
son  père. 

La  roche  de  sainte  Odille  est  restée  ou- 
verte jusqu'à  ce  jour.  Dans  la  grotte  qui 
l'avait  cachée  jaillil  une  source,  qui  rend  la 
lumière  aux  yeux  malades.  Los  pèlerins  y 
vont  eu  grand  nombre. 


•M  DICTIONNAIRE  DES  SCICNCES  OCCULTES. 

Légende  du  Vieux  Chasseur. 


9C0 


On  voit  enrorn  dans  une  conlrée  tauvn^e 
cl  déscrtp  du  Schwarzw;ild  (rhamp  noir)  les 
ruines  d'un  burg  dont  le  n«»m  même  est  igno- 
ré. Mais  on  en  raconte  l'histoire  suivante  : 

Le  dirnier  seigneur  qui  l'habita  élail  un 
comte  fort  riche  qui  passait  sa  vie  à  la  chasse. 
Il  ménageait  tellement  son  gibier  que  les 
terres  de  ses  vassaux  en  étaient  dévastées,  et 
que  ces  pauvres  gens  mouraient  de  faim. 

Une  veille  de  fé!e  qu'il  chassait  à  son  ordi- 
naire, il  s'égara  dans  la  forêt  sans  pouvoir 
retrouver  son  chemin.  En  vain  espère-l-il 
reconnaître  un  sentier  :  les  bois,  à  mesure 
(|u'il  marche,  deviennent  plus  épais  et  plus 
sombres.  Bientôt  il  n'a  plus  qu'à  grande 
peine  la  force  de  se  retirer  des  buissons  et 
des  ronces  qui  couvrent  la  terre.  Enfin,  à 
minuii,  il  parvient  à  une  clairière  qu'il  n'a 
jamais  vue  au  milieu  des  bois  où  il  se  sent 
étranger.  11  se  jitle  par  terre  pour  reprendre 
haleine.  Il  entend  remuer  alors  dans  les  feuil- 
lages; il  prend  son  javelot  pour  se  défendre, 
mais  ses  chiens  se  niellent  à  gémir  d'un  ton 
douloureux.  Le  bruit  croissant,  il  est  pris  de 
peur;  il  rentre  dans  les  buissons  épais.  Tout 
inirépide  qu'il  était,  le  comte  se  sent  trembler 
en  voyant  apparaître  un  homme  de  haute 
taille,  l'arc  en  main  et  le  cor  à  la  ceinture, 
accourani,  hors  d'haleine  el  haletant,  du  fond 
du  bois.  Derrière  lui  venait  avec  ardeur  une 
grande  troupe  de  squelettes,  tous  montés  sur 
de  vieux  cerfs  seize  cors. 

L'homme  cherchait  à  leur  échapper,  mais 
de  quelque  côté  qu'il  tournât  sa  course,  il 
était  assailli  par  ses  redoutables  poursui- 
vants. Le  comte,  éperdu,  fit  le  signe  de  la 
croix  et  se  mit  à  invoquer  le  nom  du  Sau- 
veur. Tous  les  fantômes  montés  sur  les  cerfs 
disparurent  aussitôt.  L'homme  traqué  s'ap- 
procha alors  du  chasseur  égaré  :  —  Que  ma 
rencontrete  profite,  lui  dit-il  ;jesuis  un  deles 
ancêtres.  Comme  toi  j'ai  aimé  passionnément 
le  brutal  plaisir  de  la  chasse;  comme  toi  j'ai 
tyrannisé  mes  vassaux.  J'ai  fait  enchaîner 
sur  des  cerfs  plus  de  cent  de  ces  malheureux 
que  j'appelais  braconniers;  je  les  ai  fait  pour- 
suivre par  mes  chiens  jusqu'à  ce  qu'ils  tom- 
bassent quelque  part,  et  que  le  malheureux 
qu'ils  portaient  rendît  l'âme  au  milieu  des 
tortures.  C'est  en  punition  de  cette  longue 
barbarie  que  j'erre  maintenant  dans  mes 
forêts;  el  chaque  nuit  la  troupe  de  ceux  que 
j'ai  fait  périr  me  poursuit  et  me  fait  subir 
mille  fois  ce  que  je  leur  ai  fait  endurer.  Ren- 
trez dans  votre  manoir  el  que  mon  exemple 
soit  votre  leçon. 

  ces  mots  le  malheureux  disparut.  Le 
comte,  saisi  d'effroi,  ne  pouvait  plus  se  mou- 
voir. Ses  gens  le  trouvèrent  le  lendemain, 
mais  si  défiguré  qu'ils  ne  le  reconnaissaient 
pas.  Ils  voulaient  le  ramener  au  burg;  il  leur 
déclara  la  résolution  qu'il  avait  prise  de  bâ- 
lir  une  cellule  en  cet  endroit,  el  de  se  retirer 
dans  la  plus  prnch(!  caverne  jusqu'à  ce  qu'elle 
fût  achevée.  Il  distribua  ses  meubles  aux 
pauvres,  fil  murer   toutes  les  avenues  du 


burg,  afin  que  jamais  créature  humaine  n'y 
pût  pénétrer,  et  que  le  nom  de  sa  race  fût  à 
jamais  effacé  de  la  mémoire  des  hommes.  Et 
c'est  ce  qui  arriva,  et  ce  qui  fait  que  personne 
ne  sait  plus  le  nom  de  ce  burg. 

La  cloche  de  Wunnenstein. 

L'appel  aux  nobles  guerres  de  la  terre 
sainte  pour  la  délivrance  du  saint  sépulcre 
avait  retenti  dans  toutes  les  contrées  de  l'Al- 
lemagne. Maint  chevalier  aux  cheveux  gris 
reprenait  son  armure  et  voulait  donner  de 
nouvelles  preuves  de  valeur  dans  les  com- 
bats sacrés  qui  allaient  se  livrer  en  l'honneur 
de  la  croix. 

Le  chevalier  de  Slein  aperçut  de  son  don- 
jon de  Wunnenstein  un  convoi  de  chevaliers 
el  d'écuyers,  qui  remontaient  la  vallée  du 
Nècre.  Il  leur  envoie  demander  le  sujet  de 
leur  marche;  il  apprend  que  tous  n'avaient 
qu'un  but,  le  but  gravé  dans  les  cœurs  de 
tous  les  vrais  fidèles,  celui  de  venger  l'igno- 
minie où  se  trouvait  le  sépulcre  du  Sau- 
veur. 

A  CCS  mots,  il  selle  son  cheval,  et  va  se 
joindre  aux  héroïques  pèlerins  qui  se  ren- 
dent à  la  terre  sainte.  Ce  ne  fut  qu'après 
un  long  et  pénible  voyage,  qu'avec  ses  com- 
pagnons il  aborde  en  Palestine.  Chacun  se 
prosterne  spontanément;  toutes  les  bouches 
des  hommes  de  cœur  supplient  humblement 
el  avec  larmes  le  Toui-Puissant  de  daigner 
couronner  l'œuvre  difficile  qu'ils  entrepren- 
nent pour  sa  gloire.  Ce  ne  fut  qu'au  mois  de 
mai  de  l'an  1099,  après  bien  des  combats  et 
bien  des  peines.qu'ilsaperçurentdansle  loin- 
tain les  créneauxde  la  sainlecilé.  Ils  pressent 
leur  marche  ;  un  cri  général  remplit  les  airs  ; 
des  torrents  de  larmes  de  joie  inondent  tous 
les  visages.  Mais  il  leur  restait  à  fournir  de 
grands  coups  de  lance  avant  de  joruir  de  la 
conquête  tant  désirée.  Maint  valeureux  che- 
valier, et  surtout  le  pieux  sire  di'  Slein,  mal- 
gré toute  l'ardeur  avec  laquelle  il  se  prépare 
au  combat,  ne  manque  pas  de  faire  le  vœu 
solennel  de  bâtir  une  église  dans  le  burg 
qu'il  a  hérité  de  ses  ancêtres,  si  Dieu  lui  fait 
la  faveur  de  couronner  ses  fatigues  par  le 
succès  et  de  le  ramener  à  sa  terre,  où  il 
remerciera  tous  les  jours  l'auteur  de  tout 
bien. 

Enfin  commencèrent  les  combats  décisifs 
autour  des  murs  de  Jérusalem,  et  ce  fut  une 
horrible  effusion  de  sang.  Quand  l'étendai'd 
de  la  croix  fut  arboré  sur  les  créneaux,  le 
glaive  du  vainqueur  immola  tout  ce  qui  avait 
vie  parmi  les  Sarrasins.  Ce  ne  fut  qu'après 
que  l'effervescence  des  premiers  moments  do 
la  victoire  fut  un  peu  calmée,  que  les  croisés 
et  notre  chevalier  avec  eux  pens^èrenl  à  pu- 
rifier leurs  épées  souillées  du  sang  infidèle. 
Puis,  la  tête  découverte  et  les  pieds  nus,  ils 
s'approchèrent  du  saint  sépulcre;  et  celte 
ville  où  venaient  de  se  faire  entendre  les 
cris  du  désespoir  el  les  hurlements  du  mas- 
sacre retentit  de  ferventes  prières  et  du 
pieux  canti(fucs. 

Quelques  mois  encore  s'écoulèrent  avani 


961  LEG 

que  le  chevalier  de  Slein  fût  de  retour 
dans  sa  patrie  ;  mais  pourtiint  il  rentra  un 
jour  dans  Wunnenslein,  le  burg  de  ses  pè- 
res ,  et  son  premier  soin  fut  d'élever  le  saint 
édifice  dont  il  avait  fait  vœu.  [/église  dédiée 
à  saint  Michel  fut  bientôt  célèbre  par  les 
miracles  qui  s'y  opéraient.  Le  puiss.inl  ar- 
change protégeait  la  contrée  contre  les  ra- 
vages du  tonnerre.  La  foudre  épargnait  les 
cauipagnes  voisines  au  son  de  la  cloche  d'une 
grandeur  démesurée  suspendue  dans  la  tour 
de  son  église. 

Souvent,  pendant  un  temps  calme,  ses  sons 
harmonieux  se  faisaient  entendre  aux  habi- 
tants d'Heilbronn  ,  mais  leur  bénédiction 
ne  s'étendait  pas  sur  tous  les  nobles  de 
Wunnenslein,  qui  souvent  offensaient  le 
ciel.  Aussi  les  bonnes  gens  d'Heilbronn  cher- 
chèrent-ils tous  les  moyens  de  se  rendre  maî- 
tres de  la  cloche.  Mais  toutes  leurs  démarches 
furent  inutiles,  jusqu'à  ce  qu'enGn  les  cha- 
noinesses  d'Obristenfeld,  auxquelles  l'église 
et  la  commune  appartinrent  pendant  un  cer- 
tain temps,  la  cédèrent  à  ceux  d'Heilbronn 
pour  une  grosse  somme  d'argent 

Tous  les  villages  qui  environnaient  Wun- 
nenslein furent  plongés  dans  la  tristesse  , 
quand  ils  n'entendirent  plus  le  son  de  leur 
cloche  protectrice,  pendant  que  les  habitants 
d'Heilbronn  l'introduisaient  en  triomphe 
dans  leur  ville.  Ils  la  reçurent  avec  la  plus 
grande  solennité,  la  firent  bénir  derechef  et 
la  placèrent  dans  leur  grande  église.  Le  sénat 
et  la  bourgeoisie  s'étaient  rassemblés  pour 
entendre  les  premiers  sons  qu'elle  rendrait 
parmi  eux,  mais  inutilement  :  elle  resta 
muette.  En  vain  les  exorcistes  prononcèrent- 
ils  les  formules  les  plus  puissantes,  la  clo- 
che persista  dans  son  silence.  Confus  et  re- 
pentants ,  les  bourgeois,  saisis  de  crainte, 
ramenèrent  eux-mêmes  la  cloche  dans  son 
sanctuaire  favori.  Des  troupes  nombreuses 
de  campagnards,  comblés  de  joie,  l'allendi- 
renl  aux  limites  de  Wunnenstein,  et  la  reçu- 
rent comme  s'ils  avaient  retrouvé  la  plus 
tendre  des  mères.  Pour  ne  point  perdre  de 
temps,  un  laboureur  qui  revenait  des  champs 
la  prit  sur  son  chariot;  et  comme  si  le  ciel 
eût  voulu  mettre  le  comble  à  la  joie  commu- 
ne, il  permit  que  deux  bœufs  franchissent  à 
pas  précipités  la  montagne  escarpée,  con- 
duisant une  masse  que  douze  des  meilleurs 
chevauxd'Heilbronn  n'avaient  pu  faireavan- 
cer  d'un  pas. 

Dès  que  la  cloche  fut  replacée  sur  son 
beffroi,  elle  reprit  ses  sons  puissants  ;  le  peu-* 
pie  se  prosterna  en  chantant  des  cantiques 
d'actions  de  giâces.  Et  depuis  ce  temps  la 
cloche  de  Wunnenslein  n'a  jamais  cessé 
d'annoncer  harmonieusement  aux  campa- 
gnes l'abondance  des  bénédictions  que  le 
pieux  chevalier  avait  rapportées  de  son  pè- 
lerinage. 

Le  chevalier  de  Rodenstein. 

T.e  burg  de  Rodenstein  dans  l'Odenwald 

était  occupé,  à  l'une  des  plus  rudes  époques 

du  droit  féodal,  par  le  vaillant  chevalier  qui 

iiortait  son  nom.  Sa  figure  était  gracieuse  et 


LEG 


9ÇI 


belle,  et  pourtant  il  était  redouté  de  tous  ses 
voisins.  C'est  qu'il  n'aimait  que  la  guerre  et 
la  chasse,  et  que,  disail-on,  son  cœur  n'avait 
pas  battu  encore  d'un  sentiment  tendre. 

Il  vint  à  un  tournoi  où  le  comte  palatin 
avait  invité  tous  les  barons  du  voisinage.  Sa 
fière  jeunesse  et  sa  figure  brillante  fixèrent 
tous  les  yeux  sur  lui;  dans  les  joules  il  dé- 
monta tous  ses  adversaires  comme  il  l'a- 
vait fait  en  mille  autres  occasions;  et  il  reçut 
le  prix  du  tournoi  des  belles  mains  de  Ma- 
rie, fille  (lu  comte  de  Hochberg. 

Rodenstein  ,  comblé  de  gloire  ,  fut  frappé 
en  même  temps  des  grâces  de  l'aimable  per- 
sonne (jui  l'avait  couronné  publi(|uement. 
Né  avec  des  passions  impétueuses,  il  n'était 
pas  de  caractère  à  cacher  sa  passion.  Il  la 
déclara  à  la  jeune  comtesse.  Bien  lait  et  re- 
nommé, il  se  vit  accueilli.  Il  épousa  Marie  , 
et  la  conduisit  en  triomphe  à  son  burg,  à 
Rodenstein.  Ce  fut  une  joie  générale  dans  la 
contrée ,  que  de  voir  le  chevalier  au  cœur  île 
fer  subjugué  enfin.  Les  premiers  mois  de 
son  mariage  furent  pleins  de  bonheur.  Marie 
paraissait  avoir  adouci  l'humeur  sauvage  et 
turbulente  de  son  époux  :  on  ne  le  voyait 
plus  rêver  sans  cesse  à  la  chasse  et  à  la 
guerre  ;  mais  ses  passions  bouillantes  re- 
prirent bientôt  le  dessus  ;  une  querelle  avec 
un  baron  voisin  ,  par  qui  il  se  croyait  of- 
fensé,  lui  fit  reprendre  les  armes,  et  il  se 
prépara  à  l'attaque. 

Sa  jeune  épouse  pria  ,  pleura,  se  désola  , 
mais  en  vain.  Le  chevalier  emporté  lui 
imposa  le  plus  strict  silence,  alléguant  qu'il 
s'agissait  là  de  son  honneur.  Il  part  donc 
armé  ,  et  M.irie,  éperdue,  s'étanl  couchée, 
pour  le  retenir,  à  travers  la  porte  du  burg  , 
en  l'assurant  qu'un  pressentiment  l'avait 
avertie  qu'il  ne  reverrait  pas  le  seuil  de  sa 
porte,  il  la  saisit,  furieux,  la  repoussa  bru- 
talement ,  monta  à  cheval,  et  s'éloigna.  La 
pauvre  épouse  cependant,  tombée  évanouie, 
accoucha  ,  avant  terme,  d'un  enfant  mort , 
et  succomba  elle  même,  suivant  son  premier- 
né  au  cercueil. 

Rodenstein  ne  savait  pas  cette  double 
perte.  Il  se  met  en  embuscade  dans  les  épais 
taillis  du  burg  de  Schnellert,  son  ennemi, 
burg  infesté  d'esprits  qui,  la  nuit,  faisaient 
des  rondes  infernales,  avec  grand  fracas. 
Là  ,  couché  sur  la  mousse,  Rodenstein  passe 
sans  sommeil  une  nuit  redoutable.  Tout  à 
coup  il  voit  venir  de  Rodenstein  au-devant 
des  esprits  de  Schnellert  ,  un  fantôme  noir, 
qui  tient  un  enfant  dans  ses  bras.  Jusqu'a- 
lors inaccessible  à  la  peur,  il  sent  ses  che- 
veux se  dresser  sur  sa  tête  ;  car  il  reconnaît 
sa  femme  dans  le  fantôme.  Elle  est  à  l'instant 
devant  lui,  avec  les  pâleurs  de  la  mort  ;  mais 
il  reconnaît  bien  ses  traits.  Elle  se  redresse 
avec  lenteur,  et  prononce  ces  mots,  d'une 
voix  sépulcrale: — Ma  tendresse  n'a  pu  qu'ex- 
citer votre  fureur.  Vous  avez  oublié  ces 
droits  sacrés  qui  me  rend  lient  respectable 
à  vos  yeux!  Avec  la  mère,  vous  avez  con- 
duit au  tombeau  notre  enfant,  doux  espoir 
d'un  bon  père.  Vous  serez  puni,  et  vous 
n'aurez  point  de  repos,  même  api  es   voti'e 


963 


DICTIONNAIRE  DES  ?CIENCES  OCCULTES. 


9r,4 


mort.  Jusqu'à  la  Gn  des  temps,  vous  errerez 
de  inonlagne  en  montagne,  et  votre  spectre 
sera, dans  ces  villages,  l'annonce  de  laguerre 
et  de  la  désolation.  » 

Elle  dit,  et  disparaît,  et  bientôt  le  sort  du 
chevalier  est  accompli.  Il  est  blesse  à  mort 
dans  le  premier  choc  de  l'ennemi  qu'il  guet- 
tait. On  le  porte  mourant  chez  le  ciiâtelain 
de  Schnellert  ;  il  expire. 

Il  fut,  il  est  vrai,  inhumé  en  terre  sainte, 
mais  la  prédiction  de  Marie  s'accomplit  en 
lui  :  son  esprit  errant  est  condamné  à  précé- 
der les  fléaux  cruels;  et  jusqu'à  nos  jours, 
'lès  que  la  guerre  doit  se  lever,  l'esijrit  de 
Rodenslein,  qui  semble  avoir  l'oilorat  du 
sang,  sis  mois  avant  les  hostilités ,  sort  de 
.son  tombeau  de  Schnellert,  à  la  tête  d'une 
troupe  guerrière  et  nombreuse,  que  les  cris 
des  soldats,  le  bruit  des  chariots  ,  le  galop 
des  chevaux  ardents,  le  son  des  tambours  et 
des  fifres,  des  cors  et  des  fouets  accompagnent 
toujours  ;  ce  tumulte  mystérieux  remplit 
toute  la  contrée,  fait  frissonner  le  cultiva- 
teur qui  rentre  chez  lui  à  la  hâte,  llodens- 
lein,  dit-on,  traversant  les  vallées  et  les  fo- 
rêts, se  rend  à  son  burg  où  il  veille  à  la 
garde  de  ses  trésors  enfouis,  et  séjourne  là 
jusqu'à  ce  que  les  prières  des  peuples  aient 
ramené  la  paix.  Six  mois  avant  les  traités,  il 
rentre  avec  le  même  vacarme  dans  son  re- 
pos du  Schnellert, 

On  montre  dans  le  hameau  d'Oberkries- 
hach  une  grange  par  laquelle  le  chasseur 
sauvage,  comme  l'appellent  les  gens  du 
pays,  passe  toujours  quand  il  se  rend  à  Ro- 
denstein. 

La  Fosse  à  la  poule. 

Au  temps  où  le  grand  doyen  de  Strasbourg 
était  étroitement  resserré  dans  le  château  de 
Windeck,  une  cabane  couverte  de  mousse  au 
Wolfshag  était  habitée  par  une  bonne  vieille 
que  les  voisins  appelaient  la  petite  femme  des 
bois.  Elle  avait  une  profonde  connaissance 
des  choses  cachées,  ainsi  que  de  la  vertu  des 
piaules  et  des  racines.  Les  bêtes  féroces  de 
la  forêt,  loin  de  lui  faire  aucun  mal,  parais- 
saient au  contraire  obéir  à  sa  voix.  Sdu 
unique  avoir  consistait  en  quelques  poules 
blanches  d'une  taille  peu  commune,  qui  al- 
laient à  la  picorée  dans  les  tailiis. 

Unjourqu'ellectait  assise  dwvant  sa  huile, 
elle  vit  s'avancer  deux  jeunes  garçons  d'une 
beauté  remarquable., Ils  étaient  égarés  et  ve- 
naient lui  demander  le  chemin  du  burg;  elle 
les  accueillit  avec  bienveillance,  les  fit  re- 
poser dans  sa  cabane,  leur  offrit  de  son  pain 
«■Ides  fruits.  Le  plus  jeune,  qui  n'avait  que 
treize  ans,  mangeait  de  bon  appétit;  l'autre, 
qui  pouvait  en  avoir  dix-huit,  tenait  négli- 
gemment sa  pomme  à  la  main  et  laissai! 
échapper  quelques  larmes,  que  cependant  il 
cherchait  a  cacher.  Il  alla  mêmtî  se  laver  les 
yeux  à  la  fontaine  fraîche  el  limpide  qui  cou- 
lait de  la  roche  voisine  :  ce  rafraîchissement 
rendit  à  son  visage  tout  l'incarnat  de  la  jeu- 
nesse. La  femme  des  bois  prit  plaisir  à  le 
voir  et  lui  dit  :  — Vous  n'êtes  pas  un  garçon, 
mon  enfant;  vous  élcs  assurément  une  jeune 


fiile  déguisée;  prenez  confiance  en  moi,  mes 
enfants:  dites-moi  où  demeurent  vos  parents 
et  ce  que  vous  voulez  faire  à  Windeck. 

Les  jeunes  pèlerins  se  mirent  à  pleurer  ; 
Talné  répondit  :  —  il  est  vrai  que  je  suis  une 
fiile;  on  m'appelle  Emma  d'Erstein,  et  l'en- 
fant qui  m'accompagne  est  mon  frère.  Le 
grand  doyen  de  Strasbourg,  notre  oncle,  a 
eu  pour  nous  les  soins  «l'un  père;  il  languit 
là-haut  dans  le»  fers;  nous  venons  implo- 
rer sa  délivrance  auprès  du  seigneur  du  châ- 
teau. 

—  Apportez-vous  doue  une  rançon?  dit  la 
bonne  vieille, 

—  Hélas  1  répondit  Emma  en  tirant  une 
croix  de  diamants  de  sa  poitrine,  voilà  tout 
ce  que  je  possèile,  mais  nous  prierons  tant 
ce  seigneur,  qu'il  nous  prendra  pour  otages, 
jusqu'à  ce  que  mon  oncle  ail  pu  fournir  sa 
rançon. 

—  Eh  bienl  dit  la  vieille,  en  caressant  les 
cheveux  bouclés  de  la  jeune  fille,  c'est  moi 
(lui  payerai  la  rançon.  'Tenez,  mes  enfants  , 
(  eux  de  Strasbourg  se  préparent  au  siège  du 
château;  j'ai  vu  cette  nuit  deux  espions  qui 
se  tenaient  cachés  dans  l'épaisseur  du  bois, 
ils  avaient  soigneusement  observé  les  issues 
du  château  el  bien  reconnu  le  côté  faible, 
au  bois  Ass  s  ipins,  devant  la  croix  sépul- 
crale. Allez  vile  au  manoir;  dites  à  sire  Re- 
naud, le  jeune  chevalier  de  Windeck,  qu'il  y 
fisse  creuser  un  fossé  profond  dès  aujour- 
d'hui; car  je  crains  que  l'ennemi  ne  vienne 
ie  surprendre  à  la  chute  du  jour. 

—  Mais  le  chevalier  nous  rendra-t-il  notre 
oncle?  dirent  les  enfanis. 

—  Je  vais  aussi  vousdonner  de  quoi  payer 
la  rançon. 

Elle  fit  claquer  ses  doigts;  et  aussitôt  ses 
poules  blanches  accoururent  de  toutes 
parts.  Elle  en  prit  une  et  la  donna  à  Enmia  : 
—  Porlez-la,  dit- elle,  au  chevalier  Renaud 
de  Windeck,  afin  qu'il  relâche  le  grand 
doyen,  sire  d'Oxenstein. 

Les  enfanis,  très-surpris ,  la  regardaient 
avec  de  grands  yeux. 

—  Faites  ce  que  je  vous  dis,  conlinua- 
I  -elle  ;  vous  lui  recommanderez  qu'au  coucher 
du  soleil  il  ait  soin  d^e  poser  la  poule  à  1.1 
croix,  où  les  ennemis  ont  médité  l'ailaque; 
'■■"'i  j'y  réfléchis,  il  n'a  pas  assez  de  gens  au 
cliâl<au  pour  creuser  si  vite  un  fossé  large  el 
profond. 

A  ces  mots  la  bonne  femme  se  mit  à  grat- 
ter la  poule,  en  chantanl  à  voix  basse  el  peu 
«nlelligible  : 

M'eiitenjs-tultipti,  poule  blancheUe? 
Ce  soir,  au  ni  de  la  cliouetle, 
Que  le  fossé  soit  prolongé 
Jusiju'au  frr  que  rien  n'a  rnngé. 
Gratte  et  creuse  de  loug  en  large, 
Jusqu'au  cliaruier.  Moi  ((ui  l'en  cliarge. 
Je  le  sais  capable  du  fait, 
El  qu'à  uiiuuii  tout  soil  p^irfait. 

Emma  prit  la  poule,  non  sans  frémir  un 
peu  ;  mais  la  bonne  vieille  était  si  caressanle, 
si  engageante,  qu'enfin  elle  lui  inspira  de  la 
confiance.  Le  petit  frère  n'avait  pas  peur;  il 
se  réjouissait  au  contraire  de  voir  le  spos- 


%s 


LEO 


LEG 


&66 


(;iile  si  merveilleux  d'une  poule  creusant 
an  large  fusse. 

A  peine  furent-ils  à  mi-chemin  de  la  mon- 
tagne, qu'ils  rencontrèrent  le  jeune  cheva- 
lier. C'était  un  guerrier  d'un  port  noble. 
Quoique  d'abord  la  jeune  demoiselle  fût  in- 
quiète de  la  gravité  de  ses  manières,  le  Ion 
de  douceur aveclequel  il  lui  parla  l'eut  bien- 
tôt rassurée. 

11  leur  demanda  qui  ils  étaient,  ce  qu'ils 
venaient  faire  dans  son  burg. 

Emma  répondit  :  —  Noble  seigneur,  vous 
relenez  prisonnier  le  grand  doyen  de  Stras- 
bourg. C'est  notre  oncle.  Il  nous  tient  lieu 
•le  père,  car  nous  sommes  orphelins.  C'est 
pourquoi  nous  venons  vous  supplier  de  lui 
rendre  la  liberté;  et  vous  nous  retiendrez  en 
otages. 

Le  chevalier  ne  put  dissimuler  son  émo- 
lion.  Il  considérait  avec  attention  l'un  et 
l'antre  enfant,  et  sans qu"il  y  pensâtses  yeux 
se  fixèrent  spontanément  sur  la  poule  blanche 
que  tenait  Emma.  Celle-ci  était  là  toute  con- 
fuse, et  elle  ne  put  lui  expliquer  qu'avec  des 
paroles  entrecoupées  ce  à  quoi  il  pourrait 
s'en  servir. 

Le  chevalier  prétait  une  oreille  attentive  : 
il  pensait,  il  réfléchissait,  il  lâchait  de  péné- 
trer jusqu'au  fond  le  secret  de  la  poule,  de 
lire  les  pensées  les  plus  intimes  d'Emma, 
lient  les  discours  étaient  sans  liaison.  Son 
frère  enfin  crut  devoir  s'en  mêler. — Emma, 
interrompit-il,  ce  n'est  pas  ainsi  qu'a  dit  la 
bonne  vieille. 

  ces  mots  Emma  devint  brûlante  comme 
si  le  feu  lui  eût  monté  au  visage.  —  Mes 
beaux  enfants,  dit  Windeck,  c'est  Dieu  qui 
vous  a  conduits  ici,  jouissez-y  de  toute  ma 
protection.  Entrez  dans  mon  burg,  dont  vous 
sortirez  quand  il  vous  plaira;  venez  et  faites 
à  votre  oncle  la  plus  agréable  surprise. 

Le  chevalier  les  laisse  dans  les  bras  du 
doyen  et  se  hâte  de  faire  les  préparatifs  de  la 
plus  vigoureuse  défense.  Il  n'ignorait  pasque 
le  côté  de  la  sapinière  était  le  moins  bien  â 
couvert  d'une  attaque,  et  depuis  quelques 
jours  il  employait  ses  gens  à  y  faire  un  fusse, 
mais  c'était  un  travail  de  longue  haleine  au- 
quel ils  n  auraient  pu  suffire.  Aussi  savait- 
il  bon  gré  de  sa  mission  imprévue  à  la  vieille 
des  bois,  en  qui  il  avait  confiance.  Dès  que 
parut  l'étoile  du  berger,  il  alla  porter  la 
poule  à  la  croix  drs  morts  où  son  aïeul 
avait  succombé  vaillamment  dans  un  com- 
bat et  où  reposaient  ses  cendres.  Il  y  revint 
à  minuit  sonnant,  et  quelle  fui  sa  surprise  d'y 
trouver  un  profond  et  large  fossé,  garni  de 
son  parapet,  et  d'apercevoir  à  la  lueur  des 
étoiles  l'épée  resplendissanic  qu'on  avait 
ensevelie  avec  le  liéros  1  La  poule  blanc^he 
avait  disparu. 

Avant  l'aurore  on  vit  s'avancer  les  cou- 
rageuses bandes  de  la  garnison  de  Stras- 
bourg. Elles  montaient  hardiment  à  l'as- 
saut, mais  le  fossé  leur  opposa  un  obstacle 
insurmontable.  Le  merveilleux  travail  de  la 
poule  avait  déconcerté  leurs  projets;  elles 
furent  repoussées   avec  une   grande   perle. 

Cependant  Emma  availfait  impression  sur 


le  cœur  du  chevalier.  Le  doyen  ne  consenlil 
à  leur  union  qu'après  un  traité  avantageux 
qui  rétablit  la  concorde  entre  les  familles; 
lui-même  leur  donna  la  bénédiction  nupliale, 
tt  libre  désormais  il  demeura  pourtant  avec 
eux  pour  jouir  de  leur  bonheur.  —  Le  nom 
de  la  Fosse  à  (a  poule  s'est  perpétué  jusqu'à 
nos  jours. 

Hohenrechberg. 

A  unelieuedeSchwœbich-Gemund,  villedu 
Wurtemberg,  et  à  une  lieue  de  Hohenstaulen. 
berceau  des  illustres  empereurs  de  la  maison 
de  Souabe,  est  le  célèbre  burgde  Hohenrech- 
berg, qui  a  donné  naissance  au  comte  de 
Rechberg  et  à  ceux  de  Rothen-Lœwen.  C'est 
lin  des  sites  les  plus  élevés  des  A'pes  de 
Souabe,  isolé  des  hauteurs  de  l'Albach,  au- 
(luel  il  ne  tient  que  par  ses  racines  et  par  un 
rideau  d'une  lieue  qui  le  met  en  liaison  avec 
llohenstaufcn.  Il  a  2167  pieds  d'élévation  au- 
dessus  du  nivea  1  de  la  mer. 

Ce  vieux  buig.  dont  les  possesseurs  sont 
connus  dans  l'histoire  dès  le  temps  de  Char- 
lemagne,  domine  donc  une  des  plus  belles 
contrées  de  la  Souabe.  Mais  ce  qui  lait  sur- 
tout sa  réputation,  c'est  la  petite  chapelle, 
où  demeura  autrefois  un  ermite  qui  apporta 
là  une  miraculeuse  image  de  la  viurge  Marie, 
but  révéré  de  grands  pèlerinages.  D'autres 
traditions  s'y  rattachent  :  entre  autres  celle 
du  Klopferlé  et  celle  de  l'e-prit  du  Siauf. 

Le  Klopferlé  est  un  grand  mystère.  On 
entend  frapper  comme  du  heurtoir  lorsque 
la  mort  va  choisir  une  proie  dans  la  fauiille 
de  Rechberg.  Ce  bruit  inconnu  commence 
aussitôt  que  le  malade  ne  dunne  plus  d'espé- 
rance de  guérison,  et  dure  jusqu'à  sa  mort. 
Il  a  lieu  non-seulement  dans  le  burg,  mais 
encore  dans  toutes  les  maisons  des  Rechberg, 
même  dans  celles  qu'ils  ont  aliénées.  Et  voici 
comme  on  raconte  l'origine  de  ce  heurlement. 

Ulrich  de  Rechberg,  celui  qui  a  établi  le 
fidéi-commis  de  la  famille,  eut  un  grand  chien, 
tellement  dressé  que  lorsqu'il  faisait  quelque 
absence,  il  s'en  servait  comme  d'un  courrier, 
lui  attachant  au  cou  une  bourse  de  cuir  (jui 
contenait  ses  lettres  à  sa  femme,  restée  dans 
le  burg.  On  voyait  autrefois  ce  chien  intelli- 
gent, peint,  dans  ses  fonctions  de  messager, 
sur  un  vieux  lambris  du  château  de  Weis- 
senstein.  il  arriva  qu'Ulrich,  étant  en  voyage 
en  1496,  fut  longtemps  sans  envoyer  de  let- 
tres à  sa  femme  ,  Anne  de  Venningen.  Elle 
eut  de  vives  inquiétudes,  et  tous  les  jours 
elle  allait  prier  pieusement  à  la  chapelle.  Un 
jour  qu'elle  répandait  ainsi  ses  larmes  devant 
le  Seigneur,  elle  entendit  frapper  à  la  porte 
de  l'humble  sanctuaire.  Elle  se  fà'  ha  de  cette 
importunilé  ,  croyant  que  c'é  ait  le  fait  d'un 
domestique,  et  tous  savaient  qu'elle  n'aimait 
pas  à  être  interrompue  dans  ses  pieux  exer- 
cices. Le  bruit  ne  cessant  pas,  elle  se  leva  do 
son  prie-dieu  ,  et  dit  celte  parole  répréhen- 
sible  :  — Puisses-tu  à  jamais  frapper  ainsi! 
—  Elle  ouvrit  en  même  tenij  s  la  porte  pour 
réprimandrr  le  domestique.  Quel  fut  son  ef- 
froi de  n'y  trouver  que  le  chien,  revenu  sans 
lettre,  et  s'approchanl   tristement  pour  la 


?g7 


niCTIONNAinE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


9(m 


CTresscr  !  —  Elle  recul  pou  après  la  fatale 
nouvelle  de  la  mort  du  comte  ,  et  depuis  ce 
temps  on  entend  ainsi  frapper  dans  le  burg 
chaque  fois  que  la  mort  enlève  un  Rechberg. 
Le  fait  est  rapporté  ainsi  depuis  plus  de  trois 
ceHlsans;  il  est  enregistré  dans  les  papiers 
de  la  famille,  et  cunOrmé  par  les  ofriciers  du 
château. 

Un  autre  rérit  des  gens  du  pays  explique  la 
tradition  du  Stauf,  Staufengeisl ;  en  voici  le 
résumé  fidèle.  L'esprit  du  Siauf  est  une  lu- 
mière qui,  aux  temps  d'orage,  paraît  poindr* 
du  Staufen  dans  la  direction  opposée  au 
Rechberg.  On  la  voit ,  après  le  repos  de  la 
cloche  qui  sonne  VAngelus  du  soir,  sur  le 
château  dHohonstaufen;  elle  a  tout  l'aspect 
de  '.a  bouche  d'un  four  embrasé.  Tout  à  coup 
l'esprit  (les  bonnes  gens  du  pays  lui  donnent 
ce  nom)  s'élève  et  s'avance  au-dessus  du 
rideau  qui  sépare  les  deux  châteaux,  tantôt 
planant  lentement ,  tantôt  sautillant  sur  la 
cime  des  sapins;  puis  ,  laissant  à  gauche  le 
Rechberg,  il  se  porte  jusqu'au  Herge,  reprend 
ensuite  son  chemin  vers  le  Staufen  ,  où  il 
cesse  d'être  visible  à  VAngelus  du  matin. 

Ce  phénomène  ne  paraît  pas  tous  les  jours, 
mais  de  temps  à  autre,  surtout  en  automne. 
Le  nom  d'esprit  que  lui  donnent  les  habi- 
tants indique  qu'ils  y  trouvent  quelque  chose 
de  surnaturel.  C'est  au  reste  un  esprit  bien- 
faisant, qui  ne  fait  de  mal  à  personne. 

Passons  à  d'autres  légendes.  Celle  qui  suit 
est  empruntée  au  Bencley's  Miscellany. 

Vile  de  Saint-Brandan , 

«  Il  y  a  ici-bas  p!us  de  choses  que  n'en  a 
rêvé  notre  philosophie  ,  »  comme  dit  Ham- 
let.  Parmi  ces  choses  inconnues  il  faut  placer 
1  île  de  Saint-Brandan,  la  merveille  et  le 
mystère  des  mers.  Tout  le  monde  connaît  les 
Canaries,  les  îles  Fortunées  des  anciens, 
fragment,  dit-on,  et  débris  de  cette  immense 
Atlantide  englouliepar  l'Océan, comme  nous 
le  voyons  dans  Platon.  Ceux  qui  ont  lu 
l'histoire  de  ces  îles  se  rappelleront  les  ré- 
cits prodigieux  d'une  autre  plus  belle  encore, 
dont  on  aperçoit  de  temps  en  temps ,  de 
leurs  rivages,  les  ioiigs  promontoires  bru- 
meux et  les  pics  dorés  par  les  feux  du  soleil. 
Que  de  navigateurs  sont  partis  des  Canaries 
à  la  découverte  de  cette  île  1  Mais  à  mesure 
qu'ils  avançaient,  les  montagnes  et  les  pro- 
montoires s'évanouissaient  peu  à  peu  ,  et 
enfln  rien  ne  frappait  plus  les  regards  des 
navigateurs,  si  ce  n'est  le  ciel  d'azur  au-des- 
sus de  leurs  têtes,  et  le  bleu  sombre  des  Ilots 
sous  leurs  pieds.  Aussi  les  anciens  géogra- 
phes ont-ils  appelé  cette  terre  fantastique 
l'Inaccessible  ;  les  modernes  ont  révoqué  en 
doute  son  existence,  et  l'ont  traitée  d'illu- 
sion, comme  les  Fana  tnorgana  du  détroit  de 
Messine,  le  Cap  fugitif  et  la  ferre  desNuages. 

Pourtant  son  existence  a  été  très  grave- 
ment attestée  par  les  poètes,  race  doues 
d'une  espèce  de  seconde  vue,  pour  qui  c'est 
l'île  où  fleurissait  jadis  et  où  fleurit  encore 
sans  doute  le  jardin  des  Hespérides,  avec  les 
fruits  d'or  ;  c'est  là  aussi  que  s'épanouissait 
le  jardin  enchanté  d'Armiile. 


On  voit  sur  ses  rives  Icnoruie  Kraken 
soulever  la  masse  de  son  corps,  ei  couvrir, 
en  se  vautrant,  un  espace  immense  ;  'à  est 
aussi  le  serpent  de  mer,  replié  sur  lui-mëiiit! 
dans  l'intervalle  de  ses  apparitions,  si  mal  à 
propos  contestées  ;  là  enfln  le  pelage  bleu 
trouve  un  port,  jette  son  ancre,  déroule  sa 
voile  vaporeuse,  et  se  repose  un  moment  de 
sa  course  éternelle. 

Là  sont  conservés  les  trésors  engloutis  par 
la  mer  ,  des  lingots  d'or  ,  des  caisses  de  per- 
les, de  riches  ballots  d'étoffes  orientales  ;  on 
y  voit  scintiller  le  diamant  et  briller  I  escar- 
boucle  ;  là  mouillent  dans  des  baies  profon- 
des des  vaisseaux  enchaînés  par  un  charme, 
et  depuis  longtemps  oubliés. 

On  raconte  de  cette  île  bien  d'autres  mer- 
veilles; ce  que  nous  en  avons  dit  répandra 
au  moins  quelque  lumière  sur  la  légende 
qui  va  suivre  : 

Au  commencement  du  xv  siècle,  lorsque 
le  prince  Henri  de  Portugal,  de  digne  mé- 
moire, poursuivait  le  cours  de  ses  explora- 
tions le  long  de  la  côte  occidentale  d'Afrique, 
et  que  le  monde  entier  retentissait  des  récits 
de  continents  tout  semés  d'ur  et  d'iies  ré- 
cimment  découvertes,  ilarri  va  à  Lisbonne  un 
vieux  pilote  égaré,  que  des  tempêtes  avaient 
poussé  hors  de  toute  voie,  et  qui,  fort  éloigné 
dans  les  mers,  avait  trouvé  une  île  inconnue, 
h.ibilée  par  des  chrétiens  et  couronnée  de 
nobles  villes. 

Les  habitants,  qui  n'avaient  jamais  eu  la 
moindre  visite  d'un  vaisseau  européen,  s'é- 
taient, disait-il,  rassemblés  autour  de  lui,  et 
ils  lui  avaient  dit  être  les  descendants  de 
quelques  chrétiens  qui  s'étaient  enfuis  d'Es- 
pagne à  l'époque  de  la  conquête  de  ce  pays 
par  les  Maures.  Ils  avaient  demandé  des 
nouvelles  de  leur  patrie,  et  s'étaient  fort  af- 
fligés en  apprenant  que  le  royaume  de  Gre- 
nade appartenait  encore  à  leurs  ennemis.  l's 
avaient  voulu  mener  le  vieux  marin  à  leur 
église,  pour  le  bien  convaincre  de  leur  foi; 
mais  il  avait  cru  devoir  retourner  immédia- 
tement à  son  bord.  lien  avait  été  puni  :  une 
tempête  furieuse  s'était  élevée,  l'avait  fait 
chasser  sur  son  ancre ,  l'avait  jeté  au  larg"  , 
et  il  n'avait  plus  vu  l'île  inconnue. 

Cet  étrange  récit  causa  une  grande  sur- 
prise. Les  hommes  instruits  se  rappelaient 
en  eQi-t  qu'ils  avaient  lu,  dans  une  ancienne 
chronique,  qu'à  l'époque  du  viii*  siècle,  «.l'i 
la  croix  sainte  fut,  en  Espagne,  renversée 
par  le  croissant,  et  les  églises  chrétiennes 
transformées  en  mosquées  ,  sept  évêques,  à 
la  téie  de  pieux  exilés  ,  s'élaient  enfuis  de  la 
Péninsule  ,  et  mis  en  mer  à  la  recherche  de 
quelque  île  de  l'Océan,  où  ils  pourraient  fon- 
der sept  villes  chrétiennes. 

Le  sort  de  ces  pieux  aventuriers  élait 
ignoré  depuis.  Le  récit  du  vieux  loup  de 
nier  ressuscita  ce  souvenir.  On  en  conclut 
()ue  rtle,  ainsi  découverte  par  le  hasard, 
était  certainement  la  retraite  des  évéi|ues  er- 
rants et  de  leur  fidèle  troupeau.  L'île  des 
Sept -Villes  excita  alors  autant  d'intérêt 
parmi  les  chrétiens  qu'en  souleva  la  fameuse 
cité  de  Tombouctou  parmi  les  touristes  mo- 


m 


LRG 


LEG 


970 


riernes.  Mais  personne  ne  pril  la  chose  à 
cœur  aulant  que  don  FernantI  de  Ulmo , 
jeune  cavalier  portugais,  d'un  esprit  ardent 
et  romanosiue  L'ilo  des  Sept-Villes  devint 
l'unique  objet  de  ses  pensées  pendant  le  jour 
et  de  SCS  révts  pendant  la  nuit.  Elle  balança 
même  sa  passion  pour  une  riche  Lisbon- 
naise  à  laquelle  il  clail  fiancé.  Il  s'enflamma 
tellement,  qu'il  résolut  de  faire  une  expédi- 
tion à  la  recherche  de  cette  ville  sain'.e.  Ce 
ne  pouvait  pas  élre  une  excursion  bien  lon- 
gue, puisque,  sur  les  calculs  du  pilote,  l'îlo 
en  question  devait  être  dans  1rs  parages  des 
Canaries;  à  cette  époque  où  le  nouveau 
monde  n'était  pas  encore  découvert,  les  Ca- 
naries étaient  la  limite  des  navigateurs  sur 
l'Océan.  Fernand  réclama  pour  son  projet  la 
protection  royale;  comme  il  était  aimé,  il 
obtint  du  roi  don  Juan  II  une  commission 
qui  l'instituait  adelantado  ou  gouverneur 
militaire  des  pays  qu'il  pourrait  découvrir, 
à  la  seule  condition  que  tous  les  frais  do 
son  entreprise  seraient  à  sa  charge,  et  qu'il 
abandonnerait  à  la  couronne  un  dixième  de 
ses  bénéfices. 

Don  Fernand  se  mit  à  l'œuvre,  vendit  ses 
terres  et  en  convertit  le  produit  en  navires  , 
en  canons,  en  munitions  et  en  vivres.  Beau- 
coup de  chercheurs  d'aventures  s'engagèrent 
dans  sa  troupe. 

Un  seul  honime  désapprouvait  le  projet  : 
c'était  don  Ramire  Alvarez,  le  père  de  Séra- 
Gna,  la  Guneée  de  don  Fernand,  vieillard 
positif.  Il  ne  croyait  pas  à  l'île  des  Sept- 
Villes;  il  voyait  avec  colère  son  gendre  futur 
vendre  de  bonnes  terres  pour  des  châteaux 
en  l'air,  et  il  l'avait  baptisé  du  sobriquet 
d'Adelantadu  du  pays  des  niais. 

L'engagement  de  Fernand  avec  Sérafina  le 
jeta  quelque  temps  dans  un  embarras  ex- 
trême. Il  était  Irès-altaché  à  la  jeune  dame  ; 
mais  il  était  plus  épris  encore  de  son  projet. 
Comment  concilier  ces  deux  passions?  Une 
facile  combinaison  se  présentait  :  épouser 
Sérafina  avant  son  départ.  Il  proposa  cet  ar- 
rangement à  doo  Ramire;  mais  alors  le 
vieux  cavalier  laissa  éclater  la  tempête  de 
sa  mauvaise  humeur,  et  reprocha  à  Fernand 
ce  qu'il  appelait  sa  sotte  crédulité;  Fernand 
était  trop  jeune  [lour  écouter  paisiblement 
un  tel  langage.  Une  querelle  s'ensuivit;  don 
Ramire  le  traita  de  fou,  et  lui  interdit  sa 
maison  jusqu'à  ce  qu'il  eût  prouvé  son  re- 
tour à  des  idées  plus  raisonnables.  Le  jeune 
homme  sortit  plus  obstiné  que  jamais  dans 
sa  résolution. 

Les  apprêts  de  l'expédition  se  terminèrent. 
Deux  élégantes  caravelles  étaient  à  l'ancre 
dans  le  Tage,  prêtes  à  mettre  à  la  voile  dès 
l'aurore.  Le  jeune  homme  écrivit  à  Sérafina: 
c  Quelques  mois,  et  je  reviens  Iriomptiant. 
Votre  père  rougira  alors  de  son  incrédulité, 
et  m'appellera  le  bienvenu  chez  lui,  lors- 
que je  franchirai  le  seuil  de  sa  porte,  riche 
comme  un  puissant  monarque  cl  adalantado 
des  Sept-Villes.  »  Et  au  point  du  jour  les  ca- 
ravelles gagnèrent  la  mer.  Elles  gouvernè- 
rent vers  les  Canaries. 

A  peine  avaient-elles  atteint  ces  parages. 

Dictionnaire  des  Sciences  occultes.  L 


qu'il  s'éleva  une  violente  lempête  qui  les  sé- 
para. Fernand,  sur  le  seul  navire  qui  lui 
restait,  fut  plusieurs  jours  et  plusieurs  nuits 
le  jouet  des  cléments;  un  soir  enfin  la 
lempête  se  calma,  les  nuages  se  dissipèrent 
comme  si  un  rideau  placé  dov;:nl  le  ciel  s'é- 
tait écarté  tout  à  coup;  le  soleil  couchant 
brilla  sur  une  belle  île  monlueuse.  Les  ma- 
telots, se  frottant  les  yeux,  contemplaient, 
sans  savoir  encore  si  ce  n'était  pas  une  hal- 
lucination, celte  terre  si  soutlaincmcnt  sortie 
des  ténèbres  profondes.  Mais  elle  était  là, 
avec  ses  ravissants  points  de  vue,  ses  villa- 
ges, ses  tours  et  ses  clochers;  et  la  mer 
calmée  roulait  ses  flots  paisibles  jusqne  sur 
le  rivage.  A  une  lieue  environ  l'œil  distin- 
guait fort  bien,  baignée  par  une  rivière, 
une  superbe  ville,  avec  des  tours  et  des  mu- 
railles élevées,  un  fort  qui  la  prolégeail. 
Fernand  jeta  l'ancre  à  l'embouchure  de  la 
rivière,  qui  paraissait  former  un  port  spa- 
cieux. Bientôt  on  vit  s'avancer  une  embar- 
cation d'apparat;  elle  était  ornée  de  dorures 
fort  riches,  quoique  bizarres.  Une  bannière 
qui  portait  l'emblème  sacré  de  la  croix  flot- 
tait au  vent.  Celte  chaloupe,  montée  par 
seize  rameurs  qui  marquaient  avec  Icuri 
avirons  la  cadence  d'un  vieux  chant  espa- 
gnol, était  commandée  par  un  cavalier  vêtu 
d'un  pourpoint  très-riche  ,  de  forme  an- 
cienne ,  et  coiffé  d'un  vaste  sombrero,  qu'une 
plume  légère  décorail. 

Lorsque  le  canot  cul  abordé  la  caravelle, 
le  cavalier  monta  à  bord.  Il  était  grand;  il 
portail  une  longue  figure  espagnole  avec 
une  gravité  Gère;  ses  moustaches  frisées  se 
relevaient  jusqu'aux  oreilles;  sa  barbe  éiait 
régulière  et  partagée  en  deux  ,  ses  gantelets 
lui  montaient  jusqu'aux  coudes,  et  il  lais- 
sait traîner  derrière  lui  une  lame  de  Tolède 
dont  l'énorme  poignée  élail  faite  en  cor- 
beille. Il  salua  Fernand  par  son  nom  et  lui 
souhaita  sa  bienvenue  avec  l'antique  cour- 
toisie castillane.  Etonné  de  s'entendre  ap- 
peler par  son  nom  dans  un  pays  étranger, 
Fernand  demanda  en  quelles  régions  il  était 
arrivé. 

—  Dans  l'Ile  des  S:'pt-Villes. 

La  tempête  l'avait  ainsi  poussé  vers  la 
terre  même  qu'il  cherchait.  Son  autre  cara- 
velle, dont  la  tempête  l'avait  séparé ,  était 
entrée  dans  un  port  voisin,  et  avait  annoncé 
l'expédition  qui  venait  réunir  ce  pays  à  la 
grandj  unité  chrétienne.  L'Ile  entière  célé- 
brait cet  événement  par  des  réjouissances; 
et  on  n'attendait  que  sa  présence  pour  jurer 
fidélité  à  la  couronne  de  Portugal  cl  le  sa- 
luer adelantado  des  Sept-Villes. 

Un  grand  festin  devait  avoir  lieu  le  soir 
même  au  palais  de  l'alcade  ou  gouverneur, 
qui  avait  envoyé  son  grand  chambellan  dans 
sa  chaloupe  d'honneur  pour  conduire  l'ada- 
lantado  à  la  cérémonie. 

Fernand  se  crut  bercé  par  un  rêve.  Il 
fixa  un  œil  scrutateur  sur  le  grand  cham- 
bellan ,  qui,  son  message  accompli ,  restait 
debout,  dans  une  grande  dignité.  Le  jeum; 
homme,  voyant  bien  que  ce  qui  se  passait 
ne  pouvait  être  une  fiction,  revélil  ses  jilus 

31 


97» 


DICTlONNAlUt:  DES  SCIENCES  OCCILTES. 


87J 


beaux  babils.  Il  voulait  mettre  son  canot  à  la 
nier  et  débarquer  avec  ses  bomnies  ;  mais  ou 
lui  dit  que  la  cbaloupe  avait  été  disposée 
pour  lui  ;  qu'après  la  fête  ou  le  ramènerait  à 
sou  navire  et  que  le  jour  suivant  il  ferait, 
dans  l'appareil  convenable,  son  entrée  au 
port.  Il  se  jeta  donc  dans  l'embarcation.  Le 
grand  chambellan  s'assit  sur  un  coussin  en 
face  de  lui,  et  les  rameurs  se  penchèrent  sur 
leurs  avirons. 

La  nuit  vint  avant  qu'ils  entrassent  dans 
la  rivière.  Ils  doublèrent  le  promontoire  dé- 
fcMidu  par  une  tour  ;  et  les  sentinelles  criè- 
rent :  Qui  va  là  ? 

—  L'adclantado  des  Sept-Villes. 

—  Il  est  le  bienvenu.  Passez. 

En  entrant  dans  le  port,  ils  ramèrent  le 
long  d'une  galère  d'un  modèle  fort  ancien. 
Des  soldats  armés  d'arbalèies  étaient  en  fac- 
tion sur  le  pont. 

—  Qui  va  là  ?  dcmanda-t-on  de  nouveau. 

—  L'adclantado  des  Sept-^  illes. 

—  11  est  le  bienvenu.  Passez. 

Ils  abordèrent  à  un  escalier  de  pierre  con- 
duisant, entre  deux  tours  massives,  à  une 
porte  où  ils  frappèrent.  Une  sentinelle  cria  : 
Qui  est  là? 

—  L'adalantado  des  Sept-Villes. 
La  porte  tourna  sur  ses  gonds. 

Us  entrèrent  entre  deux  rangs  de  guer- 
riers, cuirassés  de  fer  battu,  portant  des  ar- 
balètes, des  haches  d'armes,  et  des  masses. 
Us  firent  le  salut  militaire  en  silence.  La  ville 
était  illuminée,  mais  sombre;  on  voyait  dans 
les  rues  des  feux  de  jnic  autour  desquels  so 
groupaient  des  costumes  qui  rappelaient  le 
carnaval;  les  dames  très-parées,  que  l'on 
apercevait  aux  balcons  tendus  de  vieilles 
tapisseries  ,  ressemblaient  plutôt  à  des  fi- 
gures bénites  qu'à  des  femmes  en  toilette. 
Tout  portail  l'empreinte  des  anciens  temps , 
ou  plutôt  c'était  le  monde  espagnol  rétro- 
gradé de  plusieurs  siècles.  On  avait  surtout 
conservé  dans  l'île  des  Sept-Villes  la  vieille 
graviié  castillane  :  quoiqu'on  célébrât  des 
réjouissances  publiques  et  que  Fernand 
fût  l'objet  de  leurs  félicitations  ,  partout  où 
il  se  montrait,  au  lieu  d'arclamations,  ce 
n'étaient  que  révérences  officielles  et  som- 
breros silencieusement  agités  dans  les  airs. 

En  arrivant  au  palais  de  l'alcade,  on  ré- 
péta la  formalité  ordinaire  : 

—  Qui  est  là? 

—  L'adclantado  des  Sept- Villes. 
Il  est  le  bienvenu.  Passez. 

On  entra  dans  un  salon  magnifique,  illu- 
miné aux  flambeaux.  L'alcade  et  les  digni- 
taires delà  ville  attendaient  leur  hôte  illus- 
tre; ils  le  reçurent  avec  l'étiquette  officielle 
remarquée  partout. 

Le  banquet  se  composait  de  mets  incon- 
nus, de  friandises  oubliées  ;  un  paon  fut 
servi  dans  sou  plumage,  sur  un  plat  d'or,  au 
haut  bout  de  la  table. 

La  fille  de  l'alcade  était  assise  à  côté  de 
Fernand.  Sa  toilette  à  la  vérité  avait  pu  être 
(le  mode  huit  ou  neuf  cents  ans  auparavant  ; 
mais  elle  avait  de  beaux  yeux  noirs,  une 
charmante  figure  andalouse ,  et  une   voix 


pleine  de  douceur.  Le  jeune  homme,  à  qui 
la  brusque  et  complète  réalisation  de  ses 
espérances  avait  presque  tourné  la  télé,  et 
qui  avait  plusieurs  fuis  vidé  la  coupe  que 
des  pages  attentifs  lui  présentaient  à  chaque 
instant,  n'était  pas  arrivé  à  la  moitié  du 
banquet,  que,  très-épris,  il  sollicita  l'hon- 
neur de  sa  main.  La  demoiselle  baissa  la  léto 
d'une  manière  quisignifiaitun  consenlemeni, 
et  Fernand  allait  la  demander  à  son  pèro 
sans  se  ressouvenir  de  Sérafina,  lorsque  le 
chambellan  vint  lui  annoncer  que  la  cha- 
loupe l'attendait  pour  le  conduire  à  sa  cara- 
velle. Don  Fernand  prit  congé  de  la  noble 
compagnie  dans  toutes  les  règles  du  cérémo- 
nial, dit  an  tendre  adieu  jusqu'au  lendemain 
à  la  fille  de  l'alcade,  et  fut  reconduit  à  son 
vaisseau.  Rentré  dans  sa  chambre,  et  pris 
d'une  sorte  de  vertige  causé  par  tout  ce  qu'il 
avait  vu,  il  se  jeta  sur  son  lit,  et  tomba  bien 
vile  dans  un  sommeil  fiévreux,  agité  de 
rêves  vagues  et  sans  suite.  Combien  dura  ce 
sommeilfil  ne  lesut  jamais.  En  se  réveillant, 
il  se  trouva  dans  une  cabine  inconnue,  en- 
touré de  personnes  qu'il  n'avait  vues  de  sa 
vie.  Dormait-il  encore?  il  se  frotta  les  yeux. 
En  réponse  à  ses  questions,  on  lui  apprit 
qu'il  était  sur  un  navire  portugais  faisant 
voile  pour  Lisbonne,  et  qu'il  avait  été  re- 
cueilli sans  connaissance  sur  un  débris  de 
navire  flottant  à  la  merci  des  vagues  au  mi- 
lieu de  l'Océan. 

Fernand  fut  fort  étonné;  il  se  rappe- 
lait parfaitement  tout  ce  qui  lui  était  arrivé 
dans  l'î.e  des  Sept-Villes  cl  ce  qu'il  y  avait 
vu.  On  prit  ses  discours  pour  des  divaga- 
tions; et,  dans  leur  sollicitude,  les  gens  du 
navire  lui  administrèrent  des  remèdes  si  vio- 
lents, qu'il  se  crut  obligé  degarderle  silence 
Le  vaisseau  entra  dans  le  Tage,  et  jeta  l'an- 
cre devant  Lisbonne.  Fernand,  s'élançant 
sur  le  rivage,  courut  au  manoir  de  ses  an- 
cêtres. A  sa  grande  stupéfaction,  il  le  trouva 
habité  par  des  étrangers;  et  lorsqu'il  demanda 
des  nouvelles  de  sa  famille,  personne  ne  put 
lui  en  donner. 

Il  se  dirigea  alors  vers  la  demeure  de  don 
Ramire,  car  sa  passion  pour  Sérafina  s'était 
ranimée.  H  s'approcha  du  balcon  sous  lequel 
il  lui  avait  donné  tant  de  sérénades.  Sérafina 
elle-même  était  au  balcon.  11  poussa  un  cri 
de  ravissement  en  tendant  les  bras  vers  elle. 
Elle  lui  lança  un  regard  d'indignation,  se  re- 
tira et  ferma  la  fenêtre.  La  porte  était  ou- 
verte. Il  franchit  rapidement  l'escalier,  et  eu 
entrant  dans  la  chambre  il  se  jeta  à  ses  pieds  ; 
elle  recula  avec  eflroi.  Un  jeune  cavalier 
qui  était  présent  s'avança  : 

—  M'expliquerez-vous,  monsieur,  ce  que 
vous  venez  faire  ici?  dit-il. 

—  De  quel  droit,  demanda  Fernand,  me 
faites-vous  cette  question  ? 

—  Du  droit  d'un  fiancé. 

Fernand  tressaillit  et  pâlit.  —  0  -Sérafina  ! 
Sérafina  1  s'écria-t-il  avec  l'accent  du  déses- 
poir, est-ce  là  la  foi  que  vous  m'aviez  pro- 
mise? —  Sérafina  1  Que  voulez-vous  dire? 
Cette  jeune  dame  «'appelle  Maria. 


CT>  LEG 

—  N'cst-clle  pas  Sér;ifina  Alvarez?  el  ne 
vois-je  pas  là  son  portrait? 

—  Sainte  Viergp,  s'écria  la  jeune  fille  ,  il 
parle  de  ma  bisaïeule  1 

Le  malheureux  Fernand  se  trouvait  dans 
lin  embarras  nouveau  :  s'il  s'en  rapportait  au 
témoignage  de  ses  yeux,  il  voyait  devant  lui 
Sérafina;  s'il  en  croyail  ses  oreilles,  ce  n'é- 
taient que  SCS  traits  héréditaires ,  perpé- 
tués dans  la  personne  de  sa  petilc-fiile.  Sa 
cervelle  commença  à  s'embrouiller.  11  sortit 
lirusquemcnl  ;  il  courut  au  bureau  du  minis- 
tère (le  la  marine,  et  fit  un  rapport  sur  son 
expédition  et  sur  l'île  des  Sepl-Villes.  Per- 
sonne n'avait  entendu  parler  de  rien  de  sem- 
l)lablc.  Il  déclara  qu'il  avait  formé  cette  en- 
treprise après  avoir  reçu  une  commission 
officielle  qui  le  constituait  adelantado.  Ces 
paroles  attirèrent  l'attention  d'un  vieil  em- 
ployé à  cheveux  blancs,  dont  la  mémoire 
n'était  qu'un  catalogue  de  faits  officiels  et  de 
documents.  Après  avoir  regardé  quelque 
temps  le  navigateur  du  haut  de  son  tabouret, 
il  se  mit  la  plume  derrière  l'oreille  et  des- 
cendit. Il  su  souvenait  d'avoir  entendu  son 
prédécesseur  parler  d'une  expédition  sembla- 
ble à  celle  dont  il  était  question.  Mais  clic 
était  partie  sous  le  règne  de  Juan  II,  mort  de- 
puis plus  de  cent  ans.  Pour  éclaircir  la  chose, 
il  fit  d'activrs  recherches  dans  les  archives, 
il  y  trouva  l'indication  d'un  contrat  entre  la 
ccuronne  et  un  certain  Fernand  de  Ulmo 
pour  la  découverte  de  l'île  des  Sept-Viiles 
ainsi  que  d'une  commission  qui  lui  avait  été 
donnée  coumie  adelantado  du  pays  qu'il  pou- 
vait découvrir. 

—  Eh  bien  1  s'écria  Fernand  triomphant, 
■vous  avez  sous  les  yeux  la  preuve  de  ce  que 
j'ai  dit.  Je  suis  ce  Fernand  de  Ulmo  nommé 
dans  C(  lie  pièce,  j'ai  découvert  l'Ile  d»  s  Sepl- 
Villes,  el  j'ai  droit  d'en  être  adelantado. 

Le  récit  de  don  Fernand  avait  la  meilleure 
autorité  historiques  le  témoignage  des  do- 
cuments. Mais  comment  un  homme  à  la 
fleur  de  la  jeunesse  parlait-il  d'événements 
qui  dataient  de  plus  d'un  siècle?  On  le  re- 
garda comme  un  fou. 

Le  vieux  commis  haussa  les  épaules  et  se 
gratta  le  menton,  remonta  sur  son  tabouret 
et  se  remit  à  copier.  Ainsi  abandonné,  Fer- 
nand s'élança  hors  du  bureau  la  léte  égarée. 
Dans  son  trouble  il  se  dirigea  de  nouveau 
vers  la  demeure  d'Alvarez;  mais  elle  lui  fut 
fermée.  Pour  le  convaincre  que  Sérafina 
éiait  vraiment  morte,  on  le  conduisit  à  sa 
tombe,  qui  portait  l'empreinte  du  temps  ; 
caries  mains  du  cavalier  son  époux  avaient 
perdu  leurs  doigts,  et  la  figure  de  la  belle 
Sérafina  n'avait  plus  de  nez.  Il  fit  réparer 
par  un  habile  statuaire  le  nez  de  Sérafina,  et 
dit  adieu  à  ce  monument. 

Il  ne  pouvait  plus  douter  désormais  qu'il 
n'eût  franchi  un  siècle  pendant  la  nuit  qu'il 
avait  passée  dans  l'île  des  Sepl-Villes.  Il  se 
trouvait  aussi  étranger  au  milieu  de  sa  pa- 
trie que  s'il  n'y  eût  jamais  été.  Il  souhaita 
(le  se  retrouver  dans  ces  vieilles  salles  où  il 
avait  reçu  un  accueil  si  courtois;  elil  aurait 
bien  voulu  entreprendre  une  autre  cxpédi  - 


LEG 


974 


tion  à  la  recherche  de  lile  ;  mais  il  n'avait 
plus  aucunes  ressources,  el  personne  ne  vou- 
lait ajouter  foi  à  ses  récits,  que  l'on  regar- 
dait comme  les  rêves  d'un  naufragé. 

Il  s'embarqua  pour  les  Canaries ,  parce 
qu'elles  étaient  dans  la  latitude  de  son  an- 
cienne principauté,  et  que  les  habitants  ai- 
maient assez  à  courirles  aventures.  Il  trouva 
là  de  dociles  auditeurs;  les  vieux  pilotes  et 
les  vieux  marins  étaient  là  des  chercheurs 
d'Iles,  et  croyaient  à  toutes  les  merveilles  des 
mers.  Tous  regardèrent  ce  qui  lui  était  arrivé 
comme  une  circonstance  ordinaire  et  se 
dirent  en  branlant  la  tétc  :  «  Il  a  été  à  l'île  do 
Saiut-Brandan.  » 

Ils  lui  parlèrent  alors  de  cette  énigme  di^ 
l'Océan,  de  ses  apparitions  fréquentes  et  des 
nombreuses  expéditions  parties  vainement  à 
sa  recherche.  Us  le  menèrent  à  un  promon- 
toire d'où  l'on  avait  le  plus  souvent  aperçu 
l'Ile  mystérieuse. 

Fernand  ne  doutait  plus  que  ce  ne  fût  là 
le  port  où  une  influence  surnaturelle  avait 
agi  sur  lui  pour  resserrer  dans  l'espace  d'une 
nuit  l'événement  d'un  siècle.  Il  ne  réussit 
pas  à  engager  les  insulaires  dans  une  nou- 
velle tentative  de  découverte  ;  ils  avaient 
renoncé  tous  à  l'île  in.iccessible.  Fernand 
néanmoins  ne  se  décourngeait  pas.  Assis  au 
promontoire  de  Palnia,  il  y  restait  de  longues 
journées,  s'attendant  toujours  à  voir  poiiulro 
les  magiques  montagnes  de  Saint-Brandan; 
puis  il  s'en  revenait  désappointé,  mais  il 
retournait  à  son  poste  le  lenileniain.  Ses  che- 
veux y  blanchirent;  cl  un  jour  on  l'y  trouva 
mort. 

AUTRES  LÉGENDES. 

Il  y  aurait  une  foule  do  légendes  bizarres 
à  rassembler  dans  les  mylhologies  anciennes. 
Voici  par  exemple  la  fable  que  les  Egyptiens 
racontaient  au  sujet  de  Ilhéa,  la  fille  du  Ciel 
et  de  la  Terre,  pour  expliquer  les  change- 
ments qu'ils  avaient  dû  fiire  à  leur  année, 
qui  n'avail  d'abord  que  3C0  jours. 

Rhéa  étant  devenue  grosso  de  Saturne,  lo 
Soleil,  irrilé  ,  la  chargea  de  malédiclions  et 
jura  qu'elle  n'accoucherait  dans  aucun  des 
douze  mois  de  l'année.  Elle  fil  part  de  son 
embarras  à  Mercure,  qui  entreprit  de  la  ga- 
rantir des  fureurs  du  Soleil.  La  souplesse 
d'esprit  qui  le  caractérisait  lui  fournit  pour 
y  parvenir  un  expédient.  Un  jour  qu'il  jouait 
aux  dés  avec  la  Lune,  il  lui  proposa  de  jouer 
la  soixante-douzième  partie  de  chaque  jour 
de  l'année.  Il  gagna,  et,  profitant  de  son 
gain,  il  en  composa  cinq  jours  qu'il  ajouta 
aux  douze  mois.  Ce  fut  pendant  ces  cinq 
jours  que  Ilhéa  accoucha  ;  elle  mit  au  monde 
Isis,  Osiris,  Orus, Typhon  et  Nephihé.  Ainsi 
l'année  égyptienne,  qui  n'était  d'abord  que 
de  trois  cent  soixante  jours  ,  reçut  les  cinq 
jours  conplémenlaires  qui  lui  manquaient. 

C'est  aussi  une  légende  que  l'histoire  de 
Cadmus  et  de  son  dragon.  Cadmus,  fils  d'Agé- 
uor  el  de  Téléphassa,  avant  d'offrir  un  sa- 
crifice à  Pallas,  envoya  ses  compagnons  pui- 
ser de  l'eau  dans  un  bois  consacré  à  Mars; 
mais  un  dragon,  fils  de  ce  dieu  et  de  Vénus. 


9T5 


DICTIONNAIRE  DES  Sr.IENCE6  0CCULTK5. 


Jes  (icvoia.  Cadnius  vengea  leur  mori  en 
tuant  le  monstre,  et  en  sema  les  dents,  par 
le  conseil  de  Minerve.  Il  en  sortit  dix  hom- 
mes tout  armés,  qui  rassaillironl  d'abord, 
mais  tournèrent  bienlôl  leur  fureur  contre 
eux-môiiies  et  s'enlre-luèrent ,  à  l'exception 
de  cinq ,  qui  lui  aidèrent  à  bâtir  la  ville  que 
l'oracle  de  Delphes  avait  ordouné  de  cons- 
truire. 

En  voici  une  autre  : 

Anius,  roi  de  Déios,  et  grand  prêtre  d'Apol- 
lon, eut  de  Dorippe  trois  filles,  qui  avaient 
reçu  de  Bacchus  le  don  de  changer  tout  ce 
qu'elles  touchaient,  l'une  en  vin  ,  l'aulrc  en 
blé,  et  la  troisième  en  huile.  La  première  se 
nommait  OEuo  ;  la  deuxièmi'  Spermo  ;  et  la 
troisième  Elaïs.  Agamemnon,  allant  au  siège 
de  Troie  ,  voulut  les  contraindre  de  l'y  sui- 
vre, comptant  qu'avec  leur  secours  il  pour- 
rait se  passer  de  pro\isions.  Mais  Bacchus, 
qu'elles  implorèrent,  les  changea  en  colom- 
bes. 

11  y  en  aurait  mille. 

Laodaniie,  fille  d'Acastc,  éponsa  Protésilas. 
Son  mari  ayant  clé  tué  par  Hector,  Laodamie 
fit  faire  une  slalue  qui  lui  ressemblait  :  un 
vaUt  l'ayant  vue  devant  cette  slalue,  alla 
dire  à  Acaste  que  sa  fille  était  avec  un 
homme;  il  y  courut.  Ayant  trouvé  la  statue, 
il  la  fit  brûler  pour  ôter  à  sa  fil^e  ce  trisle 
souvenir.  Mais  Léodamie,  s'é:ant  approchée 
du  bûcher,  s'y  jeta  et  y  périt.  C'est  là  ce  qui 
a  fait  dire  aux  poëtes  que  les  dieux  avaient 
rendu  la  vie  à  Protésilas  pour  trois  heures 
seulement,  et  que  se  voyant  obligé  de  rentrer 
dans  le  royaume  de  Plutun,  il  avait  persuadé 
à  sa  femme  de  le  suivre. 

On  voit  en  Provence,  entre  Arles  et  Mar- 
seille, une  tiès-grande  plaine  couverte  de 
pierres  dégale  grosseur  dont  chacune  peut 
remplir  la  main.  C'est  aujourd'hui  la  Crau  , 
petit  pays  de  Provence,  à  l'embouchure  du 
Rhône.  Voici  la  fable  que  les  anciens  ont  ima- 
ginée pour  expliquer  comment  cette  plaine 
avait  pris  un  tel  aspect.  Albion  et  Bergion  , 
géants  ,  enfants  de  Neptune ,  eurent  l'audace 
d'attaquer  HiTcule,  et  voulurent  l'empêcher 
de  passer  le  Rhâne.  Ce  héros  ayant  épuisé 
ses  flèches  contre  eux,  Jupiter  les  accabla 
(l'une  giéle  de  pierres,  et  le  champ  où  les 
pierres  tombèrent  fut  appelé  campus  lapi- 
deus. 

Mais  laissons  les  vieilles  fables.  Le  sujet 
d'Ilamzah,  dans  l'Orieul,  a  donné  lieu  aux 
pins  curieux  récits. 

Hamzah,  prophète  d'Harem,  divinité  des 
Druses,  est,  disent-ils,  descendu  sept  fois 
sur  la  terre.  Dans  l'âge  d'Adam,  il  a  paru 
tous  le  nom  dcChatnil;  dans  l'âge  de  Noé, 
sous  celui  de  Pyth;igore;  dans  l'âge  d^Abra- 
hau),  sous  celui  du  David;  dans  l'âge  de 
Moïse ,  sous  celui  de  Chaïl  ;  dans  l'âge  de 
Notre-Seigneur.sous  celui  de  Messie  ou  d  Hé- 
liTisar;  dans  l'âge  de  Mahomet ,  sous  celui  de 
Selman  et  de  Farsi;  et  dans  l'âge  de  Sa'id  , 
sous  celui  de  Saiih.  Les  livres  des  Druses 
l'appellent  le  plus  grand  de  tous  les  pro- 
phètes, et  la  cause  des  causes.  , 

Le  boRaha  est  un  arbre  de  l'Ile  de  Ccylan, 


S76 

que  les  Européens  ont  nommé  l'arbre  Dieu, 
en  raison  du  culte  qu'ils  lui  ont  vu  rendre. 
Le  bogaha  le  plus  renommé  se  trouve  à  An- 
narodgburro,  ville  ruinée  dans  la  partie  sep- 
tentrionale des  Etals  du  roi  de  Candy,  dont 
les  sujets  ont  seuls  la  faculté  de  s'approcher 
de  ce  sanrtuaire.  Selon  la  tradition  reçue,  le 
bogaha  traversa  les  airs  pour  se  lendre  à 
Ceyian  de  quelque  pays  éloigné,  et  enfonça 
lui-même  ses  racines  en  terre  à  la  place  qu'il 
occupe  actuellement.  Il  fit  ce  voyage  pour 
servir  d'abri  au  dieu  Bouddha,  qui  se  reposa 
à  son  ombre  tout  le  temps  qu'il  demeura  sur 
la  lerre.  Quatre  vingt-dix-neuf  rois,  qui, 
par  les  temples  et  les  images  qu'ils  ont  dédiés 
à  Bouddha,  ont  niérilé  que  leur  âme  fût  reçue 
dans  le  séjour  do  la  lélicité  ,  ont  été  enterrés 
sous  l'arbre  sacré.  Transformés  en  bons  gé- 
nies, ils  sont  charges  de  veiller  à  la  sûreté 
des  adorateurs  de  ce  dieu,  et  surtout  de  les 
préserver  du  joug  des  Européens. 

Cambadaxus  était  un  bonze  dont  les  Japo- 
nais racontent  l'anecdote  suivante  :  A  huit 
ans,  il  fit  construire  un  temple  magnifique  , 
et,  se  prétendant  las  delà  vie,  il  annonça 
qu'il  voulait  se  retirer  dans  une  caverne,  et 
y  dormir  dix  mille  millions  d'années.  En 
conséquence  il  entra  dans  une  caverne  dont 
l'issue  fut  scellée  sur-le-champ.  Les  Japonais 
le  croient  encore  vivant,  et  l'invoquent 
comme  un  dieu.  C'est  bien  plus  hardi  quo 
nos  sept  dormants. 

Voici  comme  le  Shaslah  indien  trace  l'o- 
rigine de  la  métempsycose  ou  de  la  transmi- 
gration des  âmes.  Les  debtahs  ou  anges 
rebelles  ayant  encouru  la  disgrâce  de  l'E- 
ternel, l'univers  fut  créé  pour  leur  servir  de 
séjour.  Le  dieu  forma  des  corps  qui  devaient 
leur  tenir  lieu  de  prison  et  de  demeure  ,  as- 
sujettit ces  corps  au  changement,  à  la  déca- 
dence, à  la  mort,  et  soumit  les  debtahs  cou- 
pables à  quatre-vingt-neuf  transmigrations. 
Les  quatre-vingt-sept  premières  transmigra- 
tions devaient  être  leur  cbâlimenl  ;  à  la 
quaire-vingt-huitième  ils  devaient  animer 
le  corps  d'une  vache,  et  enfin  à  la  quatre- 
vingt-neuvième  celui  de  l'homme  ;  et  celle 
dernière  épreuve  devait  être  la  plus  forte  da 
toutes. 

Laulhu  était  un  magicien  tunquinois  qui 
prétendait  avoir  été  formé  et  porté  soixante  et 
dix  ans  dans  le  sein  de  sa  mère  ;  ses  disciples 
le  regardaient  comme  le  créateur  de  loules 
choses;  c'est  celle  religion  que  suit  le  peu- 
ple ,  tandis  que  la  cour  suit  celle  de  Cou- 
lulzée. 

Mais  le  philosophe  Tao  Kium,  auquel  les 
Chinois  ont  décerné  les  honneurs  divins,  est 
encore  plus  surprenant.  Porté  quatre-vingt- 
dix  ans  dans  les  flancs  de  sa  n>ère,  il  s'ou- 
vrit un  passage  par  le  côlé  gauche,  et  causa 
la  mort  de  celle  qui  l'avait  conçu  :  k  Tao ,  ou 
la  raison  et  plutôt  le  raisonnement,  disent- 
ils,  produisit  un,  un  produisit  deux,  deux 
produisirent  trois,  et  trois  ont  produit  toutes 
choses...  »  Voyez  la  plupart  des  récits  de  ce 
dictionnaire. 

LEGENDUE  (  Gilbert- Charles  ) .  mar- 
quis de  Saint-Aubin-sur-  Loire,  né  à  Pans  en 


^n  LEG 

1C88,  mort  en  I7V6.0na  de  lui  un  Traité  de 
l'opinion,  oît  Mémoires  pour  servir  à  l'his- 
toire de  l'esprit  humain  ,  Paris  ,  17;{3  ,  G  vol. 
in-12  :  ouvrage  dont  M.  Salgues  a  tiré  très- 
grand  parti  pour  son  livre  Des  erreurs  et  des 
préjiu/és  répandus  dans  la  société. 

LÉGIONS.  Il  y  a  aux  enfers  six  mille  six 
cent  soixante-six  légions  de  démons. Chaque 
légion  de  l'enfer  se  compose  de  six  mille  six 
cent  soixante-six  diables  ,  ce  qui  porto  le 
nombre  de  tous  ces  démons  à  quarante-qua- 
tre millions  quatre  cent  trente-cinq  mille 
cinq  cent  cinquante-six,  à  la  télé  desquels 
se  trouvent  soixante-douze  chefs  ,  selon  le 
calcul  de  Wierus.Mais  d'autres  doctes  mieux 
informés  élèvent  bien  plus  haut  le  nombre 
des  démons. 

LELEU  (Auudstin),  contrôleur  des  droits 
du  duc  de  Chaulnes  sur  la  chaîne  de  Piqui- 
gny,  qui  demeurait  à  Amiens,  rue  de  l'Aven- 
ture ,  cl  dont  la  maison  fut  infestée  de  dé- 
mons pendant  quatorze  ans.  Après  s'être 
plaint ,  il  avait  obtenu  qu'où  fit  la  bénédic- 
tion des  maisons  infestées  ;  ce  qui  força  les 
diables  à  détaler  (1). 

LEMIA,  sorcière  d'Athènes,  qui  fut  pu- 
nie du  dernier  supplice  ,  au  rapport  de  Dé- 
mosthène  ,  pour  avoir  enchanté  ,  charmé  et 
fait  périr  le  bétail;  car  dans  cette  république 
on  avait  établi  une  chambre  de  justice  desti- 
née à  poursuivre  les  sorciers  (2). 

LEMNIUS  ou  LEMMENS  (Lievin),  né  en 
toOSà  Ziriczée  en  Zélande,  médecin  et  théo- 
logien ,  publia  un  livre  sur  ce  qu'il  y  a  de 
vrai  et  de  faux  en  astrologie,  et  un  autre  sur 
les  nierveilles  occultes  de  la  nature  (3). 

LÉMURES,  génies  malfaisants  ou  âmes 
des  morts  damnés  qui  (selon  les  croyances 
superstitieuses  )  reviennent  tourmenter  les 
vivants  ,  et  dans  la  classe  desquels  il  faut 
mettre  les  vampires. On  prétend  que  le  nom 
de  Lérnure  est  une  corruption  de  Rémure, 
qui  vient  à  son  tour  du  nom  de  Rémus ,  lue 
par  Romulus,  fondateur  de  Rome;  car  après 
sa  mort  les  esprits  malfaisants serépaiidinnt 
dans  Rome  ('*).  Yoy.  Lâres,  Larves,  Spec- 
tres ,  Vampires  .  etc. 

LENGLEÏ-DDFRESNOY  (Nicolas),  né  à 
Beauvais  en  167'*  ,  et  mort  en  1753.  On  lui 
doit,  1°  une  Histoire  de  la  philosophie  her- 
nie tique, accompagnée  d'un  catalogue  raisonné 
des  écrivains  de  celte  science,  avec  le  véritable 
philalète,  revu  sur  les  originaux,  1742,  3  vol. 
in-12; 

2'  Va  Traité  historique  et  dogmatique  sur 
les  apparitions  ,  visions  et  révélations  parti- 
culières ,  avec  des  observations  sur  les  dis- 
sertations du  R.  P.  Dom  Galmet  sur  les  ap- 
parilions  et  les  revenants ,  1751 ,  2.  vol. 
în-12  ; 

3°  Un  Recueil  de  dissertations  anciennes  ot 
nouvelles  sur  les  apparitions  ,  les  visions  et 
les  songes, avec  une  préface  historique  et  un 
catalogue  des  auteurs  qui  ont  écrit  sur  les 

(1)  Lenglet-Dufresnoy,  Dissertations  sur  les  apparil., 
(,.  m,  p.  213. 

(2)  M.  Garinet,  Hist.  de  la  magie  tn  Franco,  p.  14. 

(.5)  iJuAsirologi.i  liber  unus,  in  (|uo  obiler  iii(licaliiri|uid 
Ula  vcii,  quiil  ficli  fabiiiue  lialjeal,  cl  iiualciius irli  sil  li»- 


LEG 


S78 


esprits,  les  visions,  les  apparitions,  les  son- 
ges et  les  sortilèges  ;  1732,  4  vol.  in-i2. 

Nous  avons  puisé  constamment  dans  ces 
ouvrages. 

Nous  donnerons  une  idée  de  ses  compila- 
tions, en  empruntant  à  son  Traité  hislorique 
et  dogmatique  sur  les  apparitions  et  les  vi- 
sions un  assez  curieux  morceau  qui  termine 
le  tome  second.  C'est  la  reproduction,  avec 
observations  critiques  ,  d'im  opuscule  inti- 
tulé :£e  retour  rfesmor/s, ou  Traité  qui  prouve, 
par  plusieurs  histoires  aulhcnliiiues ,  que 
les  âmes  des  trépassés  reviennent  quelque- 
fois par  la  permis'iion  de  Dieu.  Sur  Fimoriiné 
à  Toulouse  en  1694-. 

LE   RETOUR   DES   MORTS. 

Première  apparition.  Driihelme.  {Beda  lib,  v 
Hist.  Gentis  Anglor.  cap.  13.) 

Entre  les  choses  extraordinaires  qui  sont 
arrivées  en  Angleterre,  l'une  des  plus  mémo- 
rables est  l'aventure  d'un  nommé  Drithelme, 
dont  le  vénérable  Bède  nous  a  laissé  l'histoire. 
Il  la  rapporte  comme  un  fait  dont  il  était  très- 
bien  informé,  et  qui  arriva  de  son  temps  avec 
l'élonnemenl  de  tout  le  monde  ;  il  le  raconte 
ainsi  dans  le  cinquième  livre  de  l'Histoire 
d'.\nglelerre. 

De  notre  temps,  dit-il ,  il  y  eut  en  Angle- 
terre un  miracle  des  plus  mémorables,  et  qui 
sans  doute  est  pareil  à  ceux  qui  se  faisaient 
anciennement  ;  car  pour  la  résurrection 
de  l'âme  de  plusieurs  personnes  mortes  par 
le  péché,  l'on  a  vu  ressusciter  un  homme  mort 
de  la  vie  du  corps.  Cet  homme  rendu  à  la  vie 
raconta  plusieurs  choses  très-considérables, 
cl  j'ai  cru  eu  devoir  citer  quelques-unes  en 
cet  endroit. 

Il  y  avait  un  homme  dans  le  pays  de  Nor- 
thumberland  qui  vivait  fort  saintement  avec 
toute  sa  famille  ;  il  fut  atteint  d'une  maladie 
qui  augmenta  toujours  de  plus  en  plus  et  lu 
mit  si  bas,  qu'il  mourut  vers  l'entrée  de  la 
nuit.  Mais  sur  le  point  du  jour  ressuscitant 
et  se  levant  tout  à  coup,  il  remplit  de  frayeur 
l'esprit  de  ceux  qui,  avec  beaucoup  de  lar- 
mes ,  avaient  veillé  auprès  de  son  corps  ,  si 
bien  qu'ils  s'enfuirent  tous  ,  à  la  réserve  de 
femme,  qui,  l'aimant  beaucoup,  resla  seule, 
quoique  tout  eJfrayée.  Le  défunt  pour  la 
rassurer  lui  dit  :  —  Ne  craignez  rien,  je  suis 
vraiment  ressuscité ,  et  l'on  m'a  permis  dj 
vivreencore  une  fois  parmi  les  honnnes,  non 
pas  néanmoins  ainsi  que  j'avais  accoutumé, 
mais  d'une  bien  différente  manière. 

Ayant  dit  ce  peu  de  paroles,  il  se  relira  sou- 
dain dans  une  petite  chapelle  qu'il  avait  à  sa 
métairie,  où  sans  cesse  il  s'occupait  à  la 
prière  ;  et  peu  de  temps  après  il  divisa  tout 
ce  qu'il  avait  de  bien  en  trois  parties,  dont 
il  donna  l'une  à  sa  femme,  l'autre  à  ses  en- 
fants, et  la  troisième  il  la  distribua  aussitôt 
aux  pauvres.  Ainsi  délivré  de  l'embarras  et 
des  inquiétudes  du  siècle,  il  s'en  vint  au  mo- 

benda  fides;  Anvers,  15SI,  iii-8'.— Di!  occullls  nilurae  mi- 
raculis  llbri  11;  Anvers,  1539,  miaUéimprimé  clicz  l'iaii 
lin  en  qualre  livres;  Anvers,  1361. 

(i)  Lcliivcr,  Hisl.  des  spectres  ou  appar.  des  osprii», 
cU.  5. 


979 


DICT  ONNAIUE  DES  SCIENCES  OCCULTES 


L?0 


nastère  de  Maiiros  ,  où  il  se  fit  raspr  ,  et  se 
logea  dans  une  petite  cellule  que  l'abbé  lui 
marqua,  et  où  il  passa  le  reste  de  ses  jours 
dans  un  si  grand  regret  de  ses  offenses  pas- 
sées, qu'il  était  aisé  de  juger  par  la  vie  qu'il 
monail,  plus  que  par  ses  paroles,  qu'assuré- 
ment il  avait  vu  d'étranges  choses  capables 
de  réveiller  nos  désirs  ,  ou  d'exciter  nos 
crainles. 

Il  racontait  donc  ainsi  ce  qu'il  avait  vu.  — 
Mon  conducteur,  disait-il ,  était  merveilleu- 
sementéclatanl  enson  visage  et  en  ses  babils. 
Nous  arrivâmes  d'abord  dans  une  vallée  éga- 
lement large  et  profonde  ,  et  d'une  longueur 
presque  infinie;  le  côté  gauche  était  horrible 
à  voir  ,  à  cause  des  Danimes  dévorantes  qui 
en  sortaient,  et  le  droit  ne  l'était  pas  moins 
parla  grêle  dont  il  était  inccssammcnl  ballu, 
par  des  neiges  conlinuellcs,  et  un  vent  froid 
et  piquant  qui  y  règne  toujours  :  l'un  et  l'au- 
tre de  cesdeux  lieux  était  tout  rempli  d'âmes, 
emportées  comme  par  un  lourbillon,  qui  se 
lançaient  tantôt  dans  l'un  et  tantôt  dans  l'au- 
tre; car  ne  pouvant  d'une  part  souffrir  l'ar- 
deur et  la  violence  des  flammes  qui  les  dé- 
voraient,  elles  se  jetaient  au  milieu  de  ces 
froids  cuisants;  et  de  l'autre  n'y  trouvant  pas 
le  soulagement  qu'elles  en  avaient  espéré, 
elles  s'élançaient  dans  des  feux  qui  ne  s'étein- 
dront jamais. 

Voyant  une  multitude  incroyable  d'es- 
prits tourmentés  sans  relâche,  je  n'hésitai 
pas  à  croire  que  c'était  là  cet  enfer  ,  dont 
j'avais  ouï  dire  des  choses  si  effroyables.  Mais 
mon  guide,  qui  s'aperçut  assez  de  ma  pensée, 
me  dit  aussitôt  :  —  Non,  ce  n'est  pas  l'eufer, 
cl  savez-vous  bien  ce  que  c'est  que  vous  avez 
vu  ?  —  Non  vraiment,  dis-je.  —  Eh  bien  1 
répliqua-l-il,  celte  vallée,  que  vous  avez  vue 
si  terrible  par  les  flammes  dévorantes  qui  en 
sortent  et  par  le  froid  si  rude  qu'on  y  sent, 
est  justement  le  lieu  où  sont  punis  ceux  qui 
ont  toujours  différé  la  confession  de  leurs 
péchés  et  l'amendement  de  leur  vie,  et  qui 
enfin  à  l'heure  de  la  mort  ont  eu  recours  au 
sarrement  de  pénitence  ;  ces  gens-là,  parce 
qu'ils  se  sont  confessés  de  leurs  péchés,  du 
moins  à  l'instant  de  leur  mort,  seront  reçus 
dans  le  ciel  au  jour  du  jugement  ;  il  est  vrai 
que,  par  des  prières,  des  jeûnes  et  des  aumô- 
nes ,  et  surtout  par  le  sacrifice  auguste  de 
l'autel,  les  personnes  qui  vivent  encore  dans 
le  monde  peuvent  leur  abréger  ce  temps. 

Le  vénérable  Bède  ajoute  que,  comme  ce 
saint  homme  ne  cess.iitde  se  tourmenter  par 
de  grandes  austérités  ,  que  souvent  il  priait 
Dieu  et  chantait  ses  louanges  plongé  dans 
des  fleuves  tout  glacés,  ses  confrères,  surpris 
d'une  si  étrange  conduite,  lui  dirent  :  —  C'est 
merveille,  frère  Driihelme,  que  vous  puissiez 
endurer  la  rigueur  de  ce  froid  ;  il  ne  répon- 
dait autre  chose  sinon  :  —  Le  froid  que  j'ai 
vu  est  encore  plus  grand  ;  et  comme  on  lui 
répétait  souvent  :  C'est  merveille  que  vous 
ayez  entrepris  de  mener  une  vie  si  austère, 
il  ne  disait  autre  chose  sinon  :  J'ai  vu  de 
plus  grandes  austérités  ;  cl  il  persista  jusqu'à 
la  mort  dai'.s  la  pratique  de  ces  pénibles 
ïxercices  ,  cl  dans   un  Irès-ardent  désir  de 


posséder  un  jour  les  biens  éternels.  11  ma- 
tait son  corps  par  des  jeûnes  continuels,  quoi- 
qu'il fût  déjà  cassé  de  vieillesse  :  enfin  par 
ses  paroles  et  par  ses  exemples,  il  contribua 
beaucoup  au  salut  de  plusieurs  personnes. 
Observation. 
Ce  fait,  raconté  avec  tant  d'assurance  par 
le  vénérable  Bède,  caractérise  sa  crédulité. 
Peut-on  regarder  comme  une  résurrection 
la  syncope  d'un  homme  qui  s'évanouit  le 
soir,  et  qui  le  matin  revient  à  lui  ?  N'est-ce 
pas  donner  dans  l'excès  que  dn  qualifier  ce 
réveil  du  nom  de  résurrection?  Eh  1  que  ra- 
conte cet  homme?  II  ne  fait  que  rapporter  ce 
qu'une  pieuse  imagination  lui  a  conservé  des 
récits  journaliers  du  purgatoire.  Que  l'on 
examine  toutes  les  peintures  que  ces  préten- 
dus revenants  ou  ressuscites  font  du  purga- 
toire, on  n'en  verra  pas  deux  qui  se  ressem- 
blent; parce  qu'elles  sont,  non  les  portraits 
delà  chose,  mais  de  l'imagination  de  ceux 
qui  en  font  le  récit.  Or  les  imaginations  ne; 
sont  pas  moins  variées  que  les  physionomies. 
Cependant  le  purgatoire  est  toujours  le 
même  pour  toutes  les  âmes  que  la  justice 
divine  y  envoie.  Pourquoi  donc  le  peindre  si 
différemment?  Il  ne  saurait  l'être  que  d'une 
seule  manière. .Je  n'en  veux  pas  davantuge 
pour  réfuter  une  historiette  si  mal  appuyée. 
D'ailleurs  la  conduite  de  ce  prétendu  ressus- 
cité n'est  pas  conforme  à  son  devoir.  Dieu 
l'avait  appelé  à  l'état  de  mariage,  et  l'y  avait 
fait  prospérer;  il  devait  eu  suivant  la  loi,  et 
non  pas  son  imagination,  rester  dans  le 
monde  pour  y  sanctifier  sa  femme  et  ses  en- 
fants, et  il  aurait  agi  conformément  à  sa 
première  vocation.  Satisfaire  aux  devoirs 
généraux  est  la  voie  de  la  sanctification, 
sans  s'aller  précipiter  dans  des  abîmes  d'ima- 
ginations scrupuleuses,  qui  ne  sont  pas  de 
l'ordre  de  Dieu. 

Deuxième  apparition.  Adelhard ,  religieux 
de  Fulde.  (  Joannes  Trithemius  in  Yitn 
B.  Rabani  Mauri,archiepiscopi  Moguntini, 
lib.  11,  cap.  3.) 

L'histoire  de  Raban  Maur,  premièrement 
abbé  de  Fulde  ,  et  ensuite  archevêque  de 
Mayence,  raconte  que  ce  saint  prélat  avait 
beaucoup  de  charité  pour  les  pauvres  ;  en 
sorte  que  la  bonté  avec  laquelle  il  tâchait 
de  les  secourir,  et  même  de  prévenir  leurs 
nécessités,  lui  avait  acquis  à  juste  litre  la 
qualité  de  père  et  protecteur  des  miséra- 
bles. 11  est  vrai  que  ses  largesses  passèrent 
dans  l'esprit  de  quelques-uns  de  ses  reli- 
gieux pour  prodigalité,  et  qu'il  s'en  trouva 
d'assez  avaricieux  pour  plaindre  ce  qu'on 
donnait  aux  membres  de  Jésus-Christ.  On 
remarque  que  ceux-ci  n'étaient  pas  les  stu- 
dieux, mais  ceux  qui  avaient  soin  du  tem- 
porel. Le  chef  de  cette  troupe  fut  un  certain 
Adelhard,  cellérier  et  économe  du  monastère; 
mais  Dieu  fit  de  sa  personne  un  exemple 
formidable,  qui  apprit  aux  autres  à  ne  pas 
regretter  le  pain  qu'on  donne  aux  pauvres. 

Le  saint  abbé  avait  fait  une  ordonnance 
qui  n'était  pas  moins  avantageuse  pour  les 
religieux  décédés  que  pour  ks  indigents  : 


S8l 


L  G 


LEG 


gsa 


elle  portait  qu'après  la  morl  de  chaque  re- 
ligieux on  donnât,  l'espace  de  trente^  jours, 
sa  portion  tout  entière  aux  pauvres.  Il  arriva 
que,  plusieurs  de  ces  religieux  étant  morts  en 
même  temps,  l'abbé,  qui  connaissait  l'humeur 
trop  ménagère  de  son  cellérier,  commanda 
Irès-exprrsséuient,  en  présence  des  autres, 
d'accomplir  ce  qu'il  avait  ordonné.  Adelhard 
l'assura  qu'il  n'y  manquerait  pas;  cepen- 
dant son  avarice  prévalut  sur  l'obéissance; 
de  sorte  qu'il  retrancha  plus  de  la  moitié  des 
aumônes  ,  et  enfin  il  n'en  donna  plus  du 
tout. 

Un  soir,  étant  occupé  fort  tard  à  son  of- 
fice, et  la  communauté  étant  retirée,  comme 
il  passait  devant  le  chapitre  pour  aller  au 
dortoir,  il  aperçut,  à  la  faveur  de  la  lumière 
qu'il  portait,  quantité  de  religieux  assis  aux 
deux  côtés  du  chapitre;  ce  qui  le  surprit 
d'autant  plus,  que  c'était  pendant  la  nuit. 
Regardant  d'un  peu  plus  près,  il  reconnut 
que  c'étaient  tous  ceux  dont  il  avait  retenu 
les  aumônes.  Alors  saisi  de  crainte,  il  aurait 
bien  voulu  prendre  la  fuite;  mais  sa  frayeur 
était  si  grande  qu'il  demeura  immobile  sans 
pouvoir  avancer  un  pas.  Dans  ce  moment, 
toutes  ces  ombres  s'approchant  de  lui,  le 
renversèrent  par  terre,  et  l'ayant  dépouil'é  : 
—  Voici,  lui  dirent-elles,  le  commencement 
des  peines  préparées  à  voire  cruauté:  dans 
trois  jours,  vous  serez  des  nôtres,  et  vous 
apprendrez  par  une  funeste  expérience  qu'il 
n'y  a  point  do  miséricorde  pour  ceux  qui  la 
refusent  au  prochain.  Ils  lui  donnèrent  en- 
suite la  discipline  jusqu'au  sang,  et  le  lais- 
sèrent évanoui  sur  la  place,  oii  il  demeura 
jusqu'à  minuit,  que  les  religieux  s'étant  as- 
semblés pour  matines,  le  trouvèrent  en  ce 
pitoyable  état.  Il  fut  porté  à  l'infirmerie, 
où,  par  les  soins  des  religieux  étant  revenu 
à  soi,  il  leur  exposa  ce  qui  lui  était  arrivé, 
et  l'arrêt  irrévocable  de  la  morl  qu'il  devait 
subir  dans  trois  jours. 

Toute  la  communauté  fut  fort  touchée  de 
l'infortune  du  cellérier,  mais  surtout  le  très- 
saint  abbé.  11  essaya  de  fortiGer  ce  malade 
et  de  le  disposer  à  une  sérieuse  pénitence, 
l'assurant  que  Dieu  lui  serait  propice,  quoi- 
qu'il le  châtiât,  et  qu'il  importait  peu  qu'il 
ne  fit  point  de  miséricorde  en  cette  vie  au 
corps,  pourvu  qu'il  ne  la  refusât  pas  éter- 
nellement à  l'âme.  Enfin,  ayant  reçu  les  der- 
niers sacrements,  il  décéda  avec  des  marques 
d'une  véritable  contrition. 

Le  saint  père  Raban  ne  termina  pas  ses 
inquiétudes  à  sa  mort  ;  au  contraire,  comme 
il  jugeait  bien  que  ses  peines  étaient  extrê- 
mes dans  le  purgatoire,  il  offrit  beaucoup 
plus  de  sacrifices  et  d'aumônes  pour  son  sou- 
lagement qu'il  n'avait  fait  pour  les  autres  qui 
l'avaient  précédé.  Il  ordonna  des  jeûnes  et 
des  oraisons  plus  longues  et  plus  fréquentes, 
et  n'oublia  rien  de  ce  qui  pouvait  fléchir  la 
justice  de  Dieu  en  sa  faveur. 

Trente  jours  après  son  décès ,  le  vénéra- 
ble abbé  étant  en  oraison  pour  lui  après  ma- 
tines ,  le  défunt  lui  apparut  triste ,  défiguré  , 
portant  même  jusque  sur  son  habit  les  si- 
gnes de  son  touruicnl.  Le  saint  hominc  ne 


s'épouvanta  point  de  cette  apparition  ;  mais, 
rempli  de  confiance  en  Dieu,  il  interrogea  ce 
frère  sur  son  étal,  et  si  les  pénitences  et  les 
oraisons  qu'on  avait  faites  pour  lui  l'avaient 
soulagé.  Mon  père,  répond  le  mort,  vos  bon- 
nes œuvres  sont  aussi  agréables  à  Notre- 
Seigneur  qu'utiles  aux  âmes  du  purgatoire 
Hé  !  plût  à  Dieu  que  mon  avarice  n'en  eût 
point  retardé  l'effet  pour  moi  1  Mais  vous  sau- 
rez, mon  père,  que  j'endure  des  tourments 
inexplicables ,  et  que  Dieu  ,  par  un  juste  ju- 
gement, me  fera  souffrir  jusqu'à  l'entière  dé- 
livrance de  tous  nos  frères,  dont  mon  ava- 
rice a  relardé  le  bonheur,  en  sorte  que  le 
mérite  des  aumônes  qu'on  fait  pour  moi  leur 
est  appliqué  :  je  vous  demande  donc  la  grâce 
de  les  redoubler  ,  puisque  c'est  l'unique 
moyen  de  me  tirer  de  ces  brasiers  ardents, 
où  je  suis  tourmenté  plus  qu'on  ne  peut  ja- 
mais se  l'imaginer.  Le  bon  père  lui  promit 
tout  ce  qu'il  désirait,  et  l'exécuta  avec  une 
fidélité  nonpareille.  Trente  jours  depuis 
cette  apparition,  le  même  se  présenta  une 
seconde  fois  à  son  abbé  ;  mais  dans  un  état 
bien  différent  ;  car  il  témoignait  sur  son  vi- 
sage autant  de  joie  et  de  gloire  qu'il  avait  au- 
paravant fait  paraître  de  douleur  et  do 
tristesse.  Il  l'assura  de  sa  béatitude  et  lui 
rendit  grâci'S  de  lui  en  avoir  procuré  l'avan- 
cement par  ses  charitables  soins.  Il  n'est  pis 
besoin  d'expliquer  combien  cette  renconlre 
opéra  de  fruit  dans  ce  monastère  ,  ni  si  l'on 
donnait  libéralement  l'aumône  aux  pauvres. 
Chaque  religieux  se  retranchait  tous  les 
jours  une  partie  de  sa  nourriture  pour  ce  su- 
jet, et  leur  saint  abbé  avait  plus  de  peine 
à  modérer  leur  ferveur  en  ce  point  qu'à 
l'exciter. 

Observation. 
Cette  seconde  apparition  n'est  pas  moins 
singulière  que  la  première.  Trilhème,  quoi- 
que habile,  vivait  dans  un  temps  où  ces  sortes 
de  merveilles  étaient  à  la  mode.  Et  quand  la 
rapporte-t-il  ?  Près  de  700  ans  après  Raban 
Maur,  abbé  de  Fulde.  Raban  .Maur  vivait  au 
milieu  du  neuvième  siècle,  et  Trithème  sur 
la  fin  du  quinzième.  Or,  sur  un  fait  de  cetio 
nature,  je  croirais  difficilement  Raban  lui- 
même.  Voici  la  raison  que  j'ai  de  rejeter 
cette  apparition.  Il  est  certain  que  ceux  que 
l'on  suppose  en  purgatoire  sont  morts  dans 
la  grâce  de  Dieu  et  ave  la  charité  dans  lo 
cœur,  ainsi,  avec  la  douceur  et  la  modéra 
lion  qui  convient  au  vrai  chrétien.  Il  Icui 
reste  seulement  quelque  temps  de  pénitence 
à  accomplir.  Au  lieu  qu'on  nous  représente 
dans  les  moines  de  cette  apparition  des  fu- 
rieux qui  se  jettent  sur  ce  pauvre  cellérier 
et  qui  le  réduisent  à  la  mort.  11  avait  fait 
mal  à  la  vérité  ;  mais  ce  n'est  point  par  des 
coups  mortels  que  les  âmes  prédestinées  cor- 
rigent ou  doivent  corriger  les  défauts  d'au- 
trui.  C'est  par  de  sages  et  utiles  instructions. 
Ce  seul  manque  de  charité  me  fait  voir  qu9 
celte  apparition  est  fausse  :  le  cellérier  so 
sera  sans  doute  livré  à  quelque  excès  ;  cela 
arrivait  quelquefois  chez  les  moines  alle- 
mands de  ces  anciens  temps.  Pour  couvrir 
sa  turpitude,  il  aura  feint  cette  apparition  : 


r.'S3 


o'j  pciil-ôtre  quelque  moine  méconlenl  de 
son  celléiior  aura  imaginé  ce  conte.  C'étnil 
le  caractère  du  temps.  Voulail-on  prouver 
une  vérité  de  morale,  ou  établir  une  règle 
de  conduite,  on  apportait,  quand  on  le  pou- 
vait, les  témoignages  de  l'Ecriture  et  des  Pè- 
res, que  l'on  accompagnait  de  faits  histori- 
iiues  ;  si  l'on  ne  trouvait  pas  de  traits 
d'histoire  propres  à  prouver  ce  qu'on  vou- 
lait, on  inventait  ou  l'on  copiait  une  liisto- 
rietle,  qui  pouvait  s'y  rapporter.  C'est  ce  qui 
nous  en  a  produit  un  si  grand  nombre.  Mais 
dans  de  si  graves  questions,  nous  voulons 
du  vrai,  et  du  yrai  solidement  appuyé. 

Troisième  apparition.  Arnould,  prêtre.  {Ex 
actis  sancti  Ramberti,  archiepiscopi  Ham- 
burgensis,  apud  Henschenium,  cap.  3.) 

L'auteur  de  la  Vie  de  saint  Rambert,  arche- 
vêque de  Hambourg,  rapporte  qu'un  prêtre, 
nommé  Arnould,  étant  dérédé  depuis  déjà 
longtemps,  apparut  à  saint  Rambert,  lors- 
qu'il était  encore  sous  la  discipline  de  saint 
Anschaire,  son  prédécesseur.  Dans  cette  ap- 
parition, Rambert  interrogea  Arnould  sur 
l'état  de  son  âme  en  l'autre  vie  ;  il  répondit 
en  soupirant  :  Pendant  que  j'étais  au 
monde,  j'ai  vécu  dans  une  grande  négligence 
de  mon  salut,  et  sans  application  à  ce  que 
Diru  demandait  de  moi  dansl'élat  sacerdotal  ; 
au  lieu  d'aspirer  à  la  sainteté  et  de  pratiquer 
les  bonnes  œuvres  ,  qui  en  sont  le  chemin, 
j'ai  passé  ma  vie  diins  l'oisiveté  et  souvent 
dans  le  désordre,  jusqu'à  rompre  l'abstinence 
aux  jours  défendus  :  c'est  ce  qui  m'a  empé- 
rhé  de  voir  Dieu ,  et  ce  qui  me  retient 
dans  une  prison  de  feu  ,  où  j'expie  avec  des 
tourments  inexplicables  mes  fautes  passées. 
Si  vous  voulez  ,  ajouta-t-il  ,  entreprendre 
un  jeûne  de  quaranle  jours  pour  moi,  ne 
mangeant  que  du  pain  et  du  sel,  et  ne  buvant 
cjue  de  l'eau  ,  je  crois  que  Dieu  me  fera  misé- 
ricorde et  me  délivrera  du  purgatoire. 

Le  saint  lui  promit  d'accomplir  sa  prière  ; 
et  en  ayant  conféré  avec  saint  Anschaire  , 
son  maître,  il  commença  ce  rigoureux  ca- 
rême, pendant  lequel  il  fut  tourmenté  d'un 
mal  de  dents  si  violent,  qu'il  ne  pouvait 
pas  seulement  manger  son  pain,  ce  (jui  ren- 
dait sa  pénitence  encore  plus  longue  et  plus 
difficile  :  de  sorte  qu'il  était  contraint  de  le 
tremper  dans  l'eau  pour  pouvoir  prendre  sa 
nourriture. 

Son  jeûne  expiré,  le  prêtre  apparut  à  une 
sainte  femme,  paralytique  depuis  plusieurs 
i'r.,)é<'s,  laciuelle  endurait  son  mal  avec  tant 
d'égalité  d'esprit,  qu'il  ne  l'empêchait  pas  de 
se  faire  porter  tous  les  jours  à  l'église  pour 
participer  aux  saints  sacrements  et  entendre 
la  parole  de  Dieu.  Elle  apprit  dans  cette  vi- 
siiinquela  pénitence  de  saint  Rambert  avait 
délivré  l'âme  de  ce  prêtre  du  purgatoire,  et 
(|i!  il  la  priait  de  l'en  remercier  de  sa  part, 
/tjoutant  qu'il  était  du  nombre  dos  justes  dont 
fiarte  le  Sage,  qui  portent  le  l'eu  et  la  lumière 
parlout  où  ils  se  rencontrent,  et  qu'il  avan- 
çait tous  les  jours  notablement  dans  les  voies 
de  la  grâce. 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES.  $*| 

Obsertatton. 
<]etle  historiette  conduirait  à  l'impéniff  ncc, 
en  nous  représentant  un  prêtre  qui  néglige 


ses  devoirs,  sans  que  l'on  aperçoive  qu'il  en 
ait  fait  une  pénitence  commencée.  Il  se  con- 
tente de  la  faire  faire  à  saint  Rambert.  C'é- 
tait pourtant  la  moindre  chose  que  le  crédule 
auteur  nous  dit  quelques  mots  de  la  conver- 
sion d'Arnould.  Oa  le  suppose,  je  le  veux 
croire;  mais  ce  ne  sont  point  là  des  choses 
seulement  à  supposer.  Il  faul,pour  l'instruc- 
tion  et  l'édification  des  lecteurs,  en  donner 
sinon  le  détail,  du  moins  le  principe  et  l'idée 
générale. 

Autre  peinture  du  purgatoire  :  c'est  ici  une 
piWson  de  feu.  Apparemment  que  celui  qui  a 
écrit  cette  apparition  était  un  homme  sombre, 
à  qui  l'imagination  représentai!  des  prisons. 
Enfin,  Arnould  devait-il  faire  connaître  à 
d'autres  qu'à  saint  Rambert,  son  bienfaiteur, 
l'état  de  félicité  où  il  avait  été  élevé  par  la 
pénitence  du  saint?  N'était-ce  pas  lui  qu'il 
devait  remercier  en  personne,  puisque  c'était 
à  lui  qu'il  s'était  personnellement  adresse 
pour  faire  en  son  lieu  et  place  une  pénitence 
volontaire? 

Quatrième  apparition.  Saint  Odilon,  abbé  de 
ClHny.{B.  Peints  Damianus, in  Vita  sancli 
Odilonis,  cap.  10  et  11). 

Nous  lisons  dans  la  Vie  de  saint  Odilon, 
abbé  deCluny,  qui  a  été  écrite  par  le  B.  Pierre 
Damien,  cardinal  de  l'Eglise  romaine,  per- 
sonnage très-grave  et  digne  de  foi,  qu'un  re- 
ligieux français  venant  du  voyage  de  Jérusa- 
lem, fut  jeté  par  une  tempéle  dans  une  île 
proche  de  la  Sicile,  où  il  fit  rencontre  d'un 
ermite,  qui  passait  là  ses  jours  dans  une  aus- 
tère pénitence  au-dessous  d'une  caverne.  Ce 
solitaire  le  reçut  fort  charitablement  dans  sa 
cellule,  en  attendant  que  la  mer  fût  calme  et 
les  vents  propres  à  la  navigation;  et  ayant 
appris  qu'il  était  Français  de  nation,  il  lui  de- 
manda s'il  connaissait  l'abbé  Odilon  et  le 
monastère  de  Cluny.  Le  religieux  français  lui 
ayant  dit  qu'il  connaissiiit  l'un  et  l'autre,  il 
ajouta  que  proche  de  sa  retraite  il  y  avait 
un  certain  lieu  où,  dit-il,  j';ii  vu  souvent  des 
flammes  effroyables  et  des  feux  qui  semblent 
être  capables  de  dévorer  tout  ce  pays;  sor- 
tant des  abîmes  de  la  (erre,  ils  élèvent  avec 
eux  un  million  d'âmes  tout  ardentes ,  qui 
endurent  des  tourments  insupportables,  et 
purgent  leurs  péchés  dans  cet  embrasement 
avec  des  cris  lamentables,  parmi  lesquels  j'ai 
encore  entendu  les  hurlements  horribles  des 
démons  exécuteurs  de  la  divine  justice  :  je  les 
ai  vus  sous  des  figures  affreuses;  transpor- 
tés de  rage,  ils  se  plaignent  de  ce  que  plu- 
sieurs de  ces  âmes  leur  sont  ravies  avant  le 
Icmps,  et  sont  conduites  au  ciel  en  triomphe 
par  les  prières,  sacrifices  et  pénitences  de 
tous  les  fidèles,  et  spécialement  par  les  con- 
tinuelles mortifications,  les  sacrifices  et  les 
prières  de  l'abbé  de  Cluny  et  de  ses  religieux, 
qui  s'emploient  à  celte  œuvre  de  charité  avec 
beaucoup  de  zèle  et  de  ferveur. 

Cela  dil,  il  conjura  le   religieux,  au  nom 
de  Dieu,  d'aller  trouver  Odilon  de  sa  pari. 


983 


LEG 


LEG 


98() 


.-iiissitôl  qu'il  serait  de  retour  en  France,  de 
lui  rapporler  fidèlement  toul  ce  qu'il  venail 
de  lui  dire,  ei  de  le  supplier,  au  nom  de 
toutes  les  âmes  du  purgatoire,  de  redoubler 
sa  ferveur  à  les  secourir,  puisque  ses  prières 
et  ses  bonnes  œuvres  leur  étaient  si  efficaces, 
ce  qui  paraissait  visiblement  par  la  rage  de 
l'enfer  contre  eux. 

Le  religieux  s'acquitta  fidèlement  d'une 
commission  si  importante;  et,  après  avoir  ex- 
pliqué à  saint  Odilon  son  aventure,  ce  saint 
tâcha  aulant  qu'il  put  do  soulager  encore  da- 
vantage les  âmes  souffrantes.  Il  n'eut  pas 
grande  peine  à  se  laisser  persuader  une  chose 
à  laquelle  ilavait  déjà  une  vive  inclination. 
Ainsi,  depuis  celle  rencontre,  son  zèle  parut 
encore  plus  ardent,  afin  que  l'embrasement  de 
sa  charilé  éteignîtcelui du  purgatoire;  cardes 
ce  jour-là  il  fit  un  décret  qu'il  envoya  par 
toutes  les  maisons  dépendantes  de  Gluny,  et 
dans  lequel  11  ordonne  que  tous  les  ans  on 
ferait  la  commémoration  des  fidèles  trépas- 
sés, commençant  leur  olfice  après  les  vêpres 
du  jour  de  la  fêle  de  tous  les  saints;  qu'en 
ce  même  jour  le  doyen  et  le  celléricr  du  mo- 
nastère donneraient  l'aumône  générale  à 
tous  les  pauvres,  de  pain  et  de  vin,  selon  la 
pratique  du  jeudi  saint,  et  que  l'aumônier 
aurait  soin  de  distribuer  les  restes  des  frères, 
sans  rien  réserver  pour  le  lendemain;  que 
les  préIres  offriraient  le  saint  sacrifice  de  la 
messe  à  leur  intention,  et  qu'on  donnerait  à 
mangera  douze  pauvres. 

Il  promet  à  ceux  qui  voudront  imiter  sa 
charité  de  participer  aux  bonnes  œuvres 
faites  par  tous  les  religieux  de  la  congréga- 
tion de  Cluny,  et  conclut  en  exhortant  ses 
di.sciples  d'avoir  un  soin  particulier  do  sou- 
lager par  leurs  prières  et  par  leurs  péuiten- 
cis  les  enfants  deS.iint-Bcnolt,  puisqu'on  est 
plus  obligé  aux  domestiques  qu'aux  étran- 
gers. Il  recommande  aussi  l'empereur  Henri, 
insigne  bienfaiteur  de  l'ordre,  et  marque 
quelques  prières  qu'on  doit  dire  à  sou  in- 
tention. 

Voyons,  dans  un  exemple  très- illustre, 
l'cfîet  des  prières  de  ce  saint. 

Le  pape  Benoit  VIII  étant  décédé,  saint 
Odilon,  qui  lui  avait  des  obligations  infinies, 
ressentit  vivement  sa  perle,  et  ne  manqua 
pas  de  lui  rendre  devant  Dieu  toul  le  secours 
que  la  nécessité  de  ce  pape  mort  et  son  zèle 
lui  inspirèrent.  Il  offrit  quantité  de  sacrifices, 
veilla  et  pria  pour  lui;  il  fit  des  aumônes 
extraordinaires,  et  intéressa  ses  enfants  dans 
le  soulagement  du  pontife  universel  de  l'E- 
glise. Benoît  connut,  par  la  permission  de 
Dieu,  au  milieu  de  ses  peines  (car  il  était 
en  purgatoire),  les  pénitences  et  les  orai- 
sons que  saint  Odilon  faisait  pour  en  ac- 
courcir  la  durée.  Il  apparut  ensuite  à  trois 
personnes  différentes  ,  desquelles  le  nom 
est  supprimé,  excepté  celui  de  Jean,  évêque 
de  Porto.  II  leur  déclara  la  violence  de  ses 
tourments,  dont  il  espérait  néanmoins  être 
délivré  par  les  prières  de  l'abbé  Odilon,  se- 
lon les  promesses  que  Dieu  lui  en  avait  faites: 
il  les  conjura  instamment  d'envoyer  en  dili- 
gence à  Cluny,  pour  prier  le  saint  honuuc 


de  sa  part,  do  ne  rien  épargner  pour  avancer 
sa  béalilude  ;  qu'il  attendait  ce  dernier  té- 
moignage de  son  amitié,  et  que  sa  recon- 
naissance en  serait  éternelle. 

Je  ne  prétends  pas  expliquer  de  quelle 
manière  notre  saint  s'employa  pour  procurer 
la  délivrance  du  pape.  On  le  peut  bien  pen- 
ser, mais  non  pas  écrire.  Je  dis  seulement 
qu'il  ne  se  donna  pas  un  moment  de  repos, 
et  qu'essayant  d'animer  ses  religieux  du  mê- 
me zèle  dont  il  brûliiil,  c'était  à  qui  s'impo- 
serait à  soi-même  de  plus  sévères  pénitences. 
Bientôt  après.  Dieu  délivra  le  pape  du  pur- 
gatoire, et  alors  il  en  vint  remercier  son  li- 
bérateur. Un  des  religieux  le  vil  entrer  dans 
le  chapitre,  suivi  d'une  grande  multitude  de 
personnes  vêtues  de  blanc  qui  portaient, 
dans  la  joie  imprimée  sur  leurs  fronts,  les 
marques  assurées  de  leur  béatitude.  Le  prin- 
cipal de  cette  heureuse  troupe  fit  une  incli- 
nation profonde  à  l'abbé,  le  remerciant  de» 
grâces  qu'il  avait  reçues  par  son  moyen.  Lo 
religieux  s'élanl  informé  de  son  nom  par  un 
de  la  compagnie,  il  apprit  que  c'était  l'âme  du 
pape  Benoliquesaint  Odilon  avait  délivrée  du 
purgatoire,  et  qu'il  était  venu  exprès  pour  lui 
en  témoigner  sa  reconnaissance,  et  l'avertir 
qu'il  entrait  dans  la  gloire.  On  peut  connaî- 
tre par  cet  exemple  combien  les  prières,  les 
aumônes  et  le  saint  sacrifice  de  la  messe  sont 
utiles  à  ces  âmes  qui  payent  au  milieu  des 
feux  allumés  la  peine  due  à  leurs  péchés. 
Observation. 

Pierre  Damien,  bon  chrétien,  et  même  sage 
et  vertueux  ecclésiastique,  était  très-crédule, 
mais  il  vivait  dans  un  siècle  où  l'on  aimait  les 
choses  merveilleuses.  Il  nous  en  donne  ici 
deux  preuves  :  celle  de  l'ermite  des  environs 
de  la  Sicile  esl  for^née  sur  les  flammes  du  mont 
Etna,  que  les  païens  aussi  bien  que  le  bon 
ermite  regardaient  comme  une  des  bouches 
de  l'enfer;  et  le  bruit  des  flammes  de  ce  vol- 
can, qui  varie  souvent  de  diverses  manières, 
lui  représentait  les  plaintes  de  tant  de  per- 
sonnes dans  la  peine  et  dans  les  souffrances. 
C'est  encore  une  autre  peinture  du  purga- 
toire. Mais  qui  avait  dit  à  ce  bon  erniile 
que  c'étaient  les  diables  qui  châtiaient  les 
âmes  détenues  dans  ce  lieu  d'attente  et  de 
souffranc;'s?  N'est  ce  p;is  une  imagination? 

L'apparition  du  pape  Benoit  VllI  n'est  pas 
mieux  imaginée,  puisque  la  fôte  des  Trépas- 
sés, que  l'on  en  regarde  cojnme  une  suite, 
fut  fondée  en  998,  ainsi  2G  ans  avant  la  mort 
de  Benoît  Vlll,  qui  mourut  seulement  en 
1024,  et  qui  fut  pape  l'an  1012,  ainsi  i\  ans 
après  l'établissement  de  cotte  fête. 

Cinquième     apparition.     Pierre  d'Engeberl. 
[fetr.  Cluniac.  lib. Il  de  MiFaculis,cap.2S.] 

Pierre  de  Cluny,  surnommé  le  Vénérable, 
fil!  regardé  de  son  temps  comme  l'oracle  d»; 
Il  France  ;  c'était  un  homme  qui  procédait 
en  toutes  choses  avec  considération,  sans 
avancer  rien  de  frivole  ni  de  léger.  Voilà 
pourquoi  je  me  servirai  volontiers  de  son 
autorité.  Il  raconte  qu'en  une  bourgade 
d'Iilspagne  nommée  Estella  il  y  avait  un 
personnage  de  condition  app.lé  Pierre  d'En- 


PR7 


DICTIOXNAIUE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


93a 


geberl,  qui  élail  fort  pslimé  d.iiis  le  mniidc 
pour  ses  belles  qualités  et  ses  grandes  riches- 
ses. Néanmoins,  l'esprit  de  Dieu  lui  ayant 
fiiii  reconnallrc  la  vanité  de  toutes  les  choses 
humaines,  lorsqu'il  était  dans  un  âge  mûr, 
il  se  rendit  dans  un  monastère  de  l'ordre  de 
Cluny,  pour  y  passer  le  reste  de  ses  jours 
plus  saintement,  comme  on  dit  que  le  meil- 
leur encens  vient  des  vieux  arbres.  Il  par- 
lait assez  souvent  avec  ses  frères  d'une  vi- 
sion qui  lui  était  arrivée  étant  encore 
dans  le  monde,  et  qui  n'avait  pas  peu  servi 
h  sa  conversion.  Ce  bruit  vint  aux  oreilles 
du  vénérable  Pierre,  qui  était  son  général, 
et  qui  pour  les  affaires  d.-  son  ordre,  s'était 
alors  transporté  en  l^spagne:  voilà  pourquoi, 
comme  il  ne  permettait  jamais  qu'on  avançât 
des  discours  de  choses  extraordinaires,  s'ils 
n'étaient  1  ien  vérifiés,  il  prit  la  peine  d'aller 
jusqu'en  un  petit  monastère  de  Navarre  où 
était  Engeberl,  et  l'interrogea  en  présence 
des  évéques  dOloron  et  d'Osma,  le  conjurant 
en  vertu  de  la  sainte  obéissance,  toute  puis- 
sante dans  l'état  monastique,  de  dire  exac- 
tement la  vérité  touchant  celte  vision  qu'il 
avait  eue  étant  encore  dans  la  vie  séculière. 

Il  parla  ainsi  :  Bu  temps  qu'Alphonse  le 
Jeune,  héritier  du  grand  Alphonse,  faisait  la 
guerre  en  Castille  contre  quelques  factieux, 
qui  s'étaient  soustraits  à  son  obéissance  ,  il 
porta  un  édit  qui  obligeait  chaque  maison  de 
son  royaume  de  lui  fournir  un  homme  de 
cuerre.  Pour  obéir  à  ce  commandement  , 
j'envoyai  à  l'armée  un  de  mes  douiesliqucs, 
qui  se  nommait  Sanche.  Depuis,  la  paix 
étant  faite  et  les  troupes  congédiées,  il  re- 
vint dans  ma  maison  où,  après  avoir  séjourné 
quelque  temps,  il  fut  atteint  d'une  maladie 
qui  l'emporta  en  peu  de  jours.  Nous  lui  ren- 
dîmes les  devoirs  qu'on  a  coutume  de  rendre 
aux  morts  ;  et  quatre  mois  étaient  déjà  pas- 
sés, que  nous  n'avions  appris  aucune  nou- 
Telle  de  l'état  de  son  âme,  quand  voici 
qu'une  nuit  d'hiver,  étant  dans  mon  lit  bien 
éveillé,  j'aperçois  un  homme  qui,  remuant 
les  cendres  de  mon  foyer,  découvrit  les  brai- 
ses ardentes,  à  la  lueur  desquelles  je  le  vis. 
Quoique  je  me  sentisse  un  peu  surpris  à  la 
vue  de  ce  spectre,  Dieu  me  donna  cependant 
la  hardiesse  de  lui  demander  qui  il  était,  cl  à 
quel  dessein  il  venait  découvrir  mon  feu.  11 
me  répond  d'une  voix  assez  basse: — Mon  maî- 
tre, ne  craignez  point,  je  suis  Sanche,  votre 
pauvre  serviteur.  Je  m'en  vais  en  Gastille, 
avec  bonne  compagnie  de  soldats  pour 
expier  mes  péchés  au  lieu  même  où  je  les  ai 
commis. 

Je  lui  réplique  d'une  voix  assurée  ;  —  Si  le 
commandement  de  Dieu  vous  appelle  là,  à 
quel  propos  êtes -vous  venu  ici  ?  —  Mon 
maître,  dil-il,  ne  le  trouvez  pas  mauvais; 
cela  ne  se  fait  point  sans  la  permission  di- 
vine. Je  suis  dans  un  état  qui  n'est  point  dé- 
sespéré, et  où  vous  pouvez  me  secourir,  si 
vous  avez  encore  quelque  bonté  pour  moi. 

Sur  cela,  je  m'informe  quelle  était  sa  né- 
cessité, et  quel  secours  il  prétendait  de  moi. 

ous  savez  ,  répondit-il,  mon  maître  ,  que 
peu  avant  ma  mort  tous  m'aviez  cnvojé  en 


un  lieu  où  l'on  n'a  pas  coutume  du  se  sanc- 
tifier (k  la  guerre)  ;  la  liberté,  le  mauvais 
exemple,  la  jeunesse  et  la  témérité,  tout 
conspire  à  perdre  l'âme  d'un  soldat  qui  n'a 
point  de  conduite.  J'ai  fait  des  excès  à  la 
guerre  dernière,  volant  et  pillant  jusqu'aux 
l)icns  des  églises,  pour  lesquels  je  suis  à 
présent  grièvement  tourmenté  :  niais  mon 
bon  maître,  si  vous  m'avez  aimé  pendant  ma 
vie,  comme  vous  appartenant,  ne  m'oubliez 
point  après  la  mort.  Je  ne  vous  demande 
rien  de  vos  grandes  richesses,  mais  seule- 
ment vos  prières  et  quelques  aumônes  en 
ma  considération,  qui  aideront  beaucoup  à 
soulagermes  peines.  Ma  maîtressemedoilen- 
core  environ  huit  francs  du  reste  d'un  compte 
qu'elle  fil  avec  moi;  qu'elle  emploie  cel;i, 
non  pour  le  corps,  qui  n'en  a  aucun  besoin, 
mais  au  soulagement  de  mon  âme,  qui  at- 
tend cela  de  votre  charité. 

Je  ne  sais  comment  je  me  trouvais  encou- 
ragé par  ce  discours;  mais  j'avais  plus  de 
désir  de  m'entretenir  que  je  n'avais  do  crainte 
de  cette  apparition.  Je  lui  demandai  s'il  ne 
savait  point  de  nouvelles  d'un  de  mes  com- 
patriotes nommé  Pierre  Dejaca,  qui  ét:iit 
mort  depuis  peu  de  temps.  A  quoi  il  fil  ré- 
ponse que  je  n'avais  que  faire  de  m'en  met- 
Ire  en  peine  et  qu'il  était  déjà  au  nombre  des 
bienheureux,  vu  les  grandes  aumônes  qu'il 
avait  faites  en  la  famine  dernière,  et  qui  lui 
avaient  acquis  le  ciel.  De  là  j'entrai  en  une 
autre  question,  curieux  de  savoir  ce  qui  était 
arrivé  à  un  certain  juge  que  je  connaissais 
fort  bien,  et  qui  était  passé  depuis  peu  en 
l'autre  vie.  Il  me  réplique  là-dessus  : 

—  Mon  maître,  ne  parlez  point  de  ce  mi- 
sérable, car  l'enfer  le  possède  pour  les  cor- 
ruptions de  la  justice  qu'il  a  exercées  par  de 
damnables  pratiques,  ayant  l'honneur  et  l'â- 
me vénale  au  préjudice  de  sa  conscience. 

Ma  curiosité  monta  plus  haut  et  je  m'en- 
quis  de  ce  qu'était  devenue  l'âme  du  roi 
Alphonse  le  Grand.  Alors  j'entendis  une  au- 
tre voix  qui  venait  d'une  fenêtre  derrière  ma 
tête,  qui  dit  assez  intelligiblement  :  —  Ce 
n'est  pas  à  Sanche  que  vous  devez  demander 
cela,  d'autant  qu'il  ne  peut  rien  savoir  en- 
core de  l'état  de  ce  prince;  mais  jeu  puis 
avoir  plus  d'expérience  que  lui,  étant  mort 
depuis  cinq  ans,  et  mêlant  trouvé  à  une 
rencontre  qui  m'a  donné  quelque  éclaircis- 
sement là-dessus. 

Je  fus  surpris  d'entendre  inopinément  cette 
voix  ;  et  me  tournant,  je  vis  à  la  clarté  de  la 
lune,  qui  donnait  dans  ma  chambre,  un  hom- 
me appuyé  sur  ma  fenêtre;  je  le  suppliai  de 
me  dire  où  était  donc  le  roi  Alphonse.  Sur 
quoi  il  repartit  qu'il  savait  bien  qu'au  sortir 
de  la  vie  il  avait  été  fort  tourmenié,  et  que 
les  prières  des  bons  religieux  lui  avaient  bien 
servi;  mais  qu'il  ne  pouvait  p;is  dire  à  pré- 
sent en  quel  élat  il  était.  Et  après  qu'il  eut 
dit  cela,  il  se  tourna  vers  Sanche,  qui  s'était 
assis  auprès  du  feu,  cl  lui  dit  :  —  Allons,  il 
est  temps  de  partir.  A  quoi  Sanche,  sans 
lui  rien  répondre,  se  leva  promplemcnl  et 
redoubla  ses  plaintes  d'une  voix  pitoyable, 
disant  :  —  Mon  uidilic,  je  vous  en  supplie 


!}h9 


Li:c 


pour  la  dernière  fois,  souvenez  vous  de  moi, 
el  que  ma  malin  sse  exécute  la  requête  que 
je  vous  ai  faite. 

Le  lendemain,  Engebert  apprit  à  sa  femme 
ce  que  cet  esprit  lui  avait  dit,  et  se  mit  en 
devoir  de  satisfaire  promptenient  et  rharita- 
biemcnt  à  tout  ce  qu'il  avait  demandé. 
OOserialion. 

Nous  avons  mainlenant  affaire  à  Pierre  le 
Vénérable,  abbé  de  Cluny,  homme  liès-dis- 
tingué  dans  l'Eglise,  tant  par  sa  haute  nais- 
sance que  par  ses  talents  dans  le  gouverne- 
ment. Cet  illustre  abbé  était  de  la  maison  do 
Montboissicr.dont  il  subsisteencorpplusieurs 
branches  avec  dignité;  mais  s'il  primait  dan< 
le  gouvernomenl  d'un  ordre  célèbre  et  fort 
étendu,  il  vivait  dans  le  douzième  siècle,  siè- 
cle éclairé  pour  la  doctrine,  mais  où  l'on  se 
laissait  aisément  séd.uire  sur  des  faits  réputés 
iiiiraculoux.  Examinons  celui  de  Pierre  Eii- 
l^cbert. 

Sanche,  qui  paraît  si  bien  instruit  sur  quel- 
ques âmes  ou  bienheureuses  ou  damnéis, 
ne  l'est  nullement  sur  ce  qui  regarde  celle 
du  roi  Alphonse.  Cependant  ce  dernier  fait 
était  de  plus  grande  importance  que  les  au- 
tres. Mais  Pierre  de  Cluny  devait  savoir  que 
les  âmes  séparées  du  totps  sont  autant  d'ê- 
tres indépendants  les  uns  des  autres,  qui  ne 
savent  que  ce  que  la  Divinité  leur  découvre; 
elle  ne  le  fait  môme  qu'en  ce  qui  leur  est 
nécessaire  de  ne  pas  ignorer;  et  de  quelle 
utilité  était  à  Sanche  de  savoir  la  damnation 
du  juge  dont  il  est  ici  question? 

Sixième   apparition.    Eusèie,  duc   de  Sar- 
daigne.  {Roa,  Pinelli,  et  alii.) 

Quelques  auteurs  célèbres  rapportent  que 
deux  ducs  se  faisaient  la  guerre  avec  des 
succès  fort  différents;  l'un  était  Eusèbe,  duc 
de  Sardaigne;  l'autre  Ostorge,  duc  de  Silésie, 
Eusèbe  avait  une  dévotion  incomparable  an 
secours  des  âmes  des  défunts  :  il  faisait  offrir 
pour  elles  tous  les  jours  des  sacrifices,  il  don- 
nait d'ampb  s  aumônes,  et  ne  man(|uait  point 
à  faire  payer  la  dime  de  tous  ses  biens  pour 
leur  soulagement. 

Il  fut  jusqu'à  cet  excès  de  piété,  qu'il  voua 
à  Dieu  la  plus  grosse  et  la  plus  riche  de  ses 
villes  pour  la  délivrance  de  ces  âmes,  n'en 
voulant  rien  tirer  pour  son  usage,  et  desti- 
nant tout  le  revenu  qu'il  en  recevait  à  pro- 
curer les  moyens  de  les  aider.  Il  y  nourris- 
sait et  entretenait  une  grande  multitude  de 
pauvres  à  ce  dessein  ;  il  y  faisait  dire  tous  les 
jours  dans  toutes  les  églises  un  grand  nom- 
bre de  messes,  de  sorte  que  celle  vr.lle  se 
nommait  communément  la  ville  de  Dieu. 

Ostorge,  son  ennemi,  s'attachant  à  cette 
ville,  la  prit  et  s'en  rendit  maître  ;  de  quoi 
Eusèbe  eut  un  si  sensible  déplaisir,  qu'il 
protestait  qu'il  lui  eût  été  plus  supportable 
d'avoir  perdu  la  moitié  de  ses  Etats  que  cette 
seule  ville  de  Dieu. 

Il  amasse  des  troupes,  il  se  met  en  cam- 
pagne contre  le  victorieux;  son  armée  campe, 
it  ceux  qui  faisaient  la  garde  du  camp  re- 
gardaient de  tous  côtés  pour  découvrir  co 
qui  se  pasîail.  Alors  u.ie  aruice  leur  appa- 


LEG  990 

raftdeloin;  elle  était  composée  d'hommes 
tous  vêtus  de  blanc, qui  s'avançaient  à  grands 
pas  vers  eux  sur  des  chevaux  blancs,  avec 
des  armes  blanches  et  des  drapeaux  tout 
blancs  ;  ce  que  les  sentinelles  coururent  dirp 
au  prince. 

11  ne  sait  que  penser  el  que  faire  à  celte 
étrange  nouvelle;  il  craint  el  espère  tout  en- 
semble; il  lient  conseil,  et  de  l'avis  de  ses 
gens,  il  dépêche  quatre  hommes  vers  cette 
armée  pour  demander  s'ils  viennent  comme 
ennemis  ou  comme  amis.  A  la  demande  des 
ambassadeurs,  les  chefs  de  l'armée  répon- 
dent :  —  Nous  sommes  de  la  maison  du  Roi 
des  rois,  et  nous  venons  offrir  notre  service 
à  votre  maître  contre  son  ennemi. 

Eusèbe  n'eut  pas  sitôt  appris  une  si  favo* 
rable  réponse,  qu'il  marche  en  assurance 
contre  Ostorge,  dont  l'armée  était  trois  fois 
plus  grosse  que  la  sienne;  mais  son  armée 
cependant  ne  laissait  pas  de  paraître  égale  à 
l'autre,  parce  que  l'armée  blanche,  qui  lui 
servait  d'avant-garde  ou  de  troupes  avan- 
cées, paraissait  de  (luaranle  mille  hommes. 

Ostorge  se  trouva  fort  effrayé;  ces  cava- 
liers blancs  l'épouvantaient  terriblement  par 
leurs  postures  et  leurs  menaces.  11  demande 
la  paix,  il  s'offre  à  donner  toute  satisfacliou 
à  Eusèbe.  La  paix  se  conclut,  il  rend  et  paye 
au  double  tout  ce  qu'il  avait  pris,  et  se  sou- 
met avec  tous  ses  Etats  au  duc  de  Sardiigne. 

Alors  l'armée  blanche  voulant  contenter 
la  curiosité  d'Eusèbe,  qui  demandait  à  ces 
troupes  qui  elles  étaient,  on  lui  répondit  :  — 
Nous  sommes  les  âmes  de  ces  défunts  que 
par  vos  bienfaits  et  par  vos  aumônes  vous 
avez  mises  dans  le  repos  éternel.  Travaillez 
incessamment  à  ce  que  toutes  les  autres,  que 
vous  rachèterez  de  leurs  peines  reposent  en 
paix  avec  nous,  afin  que  tant  de  bons  amis 
que  vous  aurez  délivrés  vous  gagnent  la  fa- 
veur du  grand  Juge  et  l'obligent  à  vous  fairo 
miséricorde.  Et  cela  dit,  ils  parurent  tous 
s'en  aller  dans  le  chemin  par  où  ils  étaient 
venus.  , 

Nous  savons  que  colle  histoire  a  été  avé- 
rée dans  les  deux  provinces,  el  sur  la  rela- 
tion d'un  saint  abbé  de  grande  autorité,  qui,, 
dans  la  guerre  de  ces  deux  princes,  fut  pri- 
sonnier, pendant  qu'il  visitait  quelques  ab- 
bayes qui  étaient  sur  les  confins  de  leurs  ter- 
res. Et  vraiment  si  cet  abbé  ou  celui  qui  le 
fait  auteur  df  cette  aventure,  eût  voulu  men- 
tir ou  faire  un  conte,  il  est  croyable  qu'il 
n'eût  pas  pris  autant  de  témoins  de  son  men- 
songe qu'il  y  avait  de  soldats  dans  lis  doux 
armées,  et  d'habitants  dans  la  Silésie  et  dans 
la  Sardaigne.  Car  une  chose  si  merveilleuse 
n'a  pu  arriver  sans  que  ces  provinces  en 
eussent  la  connaissance. 

Observation. 

Voici  une  historiette  qu'il  ne  sera  pas  dif- 
ficile de  détruire  :  la  géographie  seule  en  va 
montrer  la  fausseté.  On  y  fait  paraître 
comme  voisins  un  duc  de  Sardaigne  et  un 
duc  de  Silésie  ;  et  entre  les  deux  ,  il  y  a  non- 
seulement  un  peu  plus  de  trois  cents  lieues 
(le  dislance;  mais  outre  l'éloigncmcnl ,  on  y 
trouve  encore  de  terribles  barrièrcSj  savoir  : 


9Si 

toute  la   Buiiéme 


DÎCTIUNNAIRE  DES  SCIENCES  OCCL'LTKS. 


995 


l'Autriche  ,  les  Alpes  , 
l'Apennin  ,  l'Italie  et  une  partie  de  la  mer 
Méititerranée,  cl  l'on  appelle  cela  des  princes 
voisins  et  limitrophes!  El  puis,  oiî  l'auteur 
a-l-il  pris  un  Eusèbe ,  duc  de  Sardaigno  ,  et 
un  Oslorgp,  duc  de  Silésle?  La  Sardaigne 
a  passé  des  Sarrasins  aux  Génois,  puis  fut 
gouvernée  par  des  juges ,  el  enfin  elle  eut 
des  rois  ;  mais  dans  tout  cela  point  de  duc. 
A  moins  que  les  écrivains  qui  ont  traduit 
Sardaigne,  aient  mal  traduit,  et  qu'il  s'agisse 
d'une  autre  contrée. 

Septième  npparilinn.  Sainte  Christine.  [Thom. 
C'inlaprilanus  in  Vita  sanctœ  Christinœ.] 

Sainte  Christine ,  qui  a  mérité  le  surnom 
d'Admirable,  pour  la  vie  tout  à  fait  mer- 
veilleuse qu'elle  mena  en  faveur  des  âmes 
du  purgatoire,  raconte  d'elle-même  qu'étant 
morte  son  âme  fut  aussitôt  portée ,  par  le 
ministère  des  anges,  en  un  lieu  obscur,  hor- 
rible et  rempli  d'âmes.  Or  les  lounnents  , 
dit-elle,  qu'on  faisait  endurer  à  ces  pauvres 
âmes  me  parurent  si  effroyables  ,  que  je  ne 
pense  pas  qu'on  en  puisse  jamais  donner 
une  juste  idée.  Je  vis  dans  ce  lieu  les  âuies 
de  plusieurs  personnes  que  j'avais  connues 
durant  leur  vie.  Etant  donc  touchée  d'une 
ettréme  compassion  à  l'égard  de  ces  pauvres 
infortunées,  je  demandai  quel  était  ce  lieu  , 
dans  la  pensée  que  ce  ne  pouvait  être  que 
l'enfer.  Mais  mes  conducteurs  me  dirent 
d'abord  que  c'était  le  lieu  du  purgatoire,  où 
les  pécheurs ,  qui  à  la  vérité  se  sont  repentis 
durant  leur  vie  de  leurs  offenses,  mais  qui 
n'ont  pas  encore  satisfait  à  la  justice  de  Dieu 
par  des  peines  proportionnées  à  l'énormilé 
de  leurs  crimes ,  achèvent  d'espier  leurs 
fautes.  De  là  ils  me  conduisirent  dans  l'en- 
fer, où  je  vis  encore  quelques  personnes  que 
j'avais  connues  autrefois.  Ensuite  je  fus  por- 
tée dans  le  pareidis  ,  devant  le  trône  de  la 
divine  majesté,  où,  me  voyant  bien  accueillie 
du  Seigneur,  j'en  conçus  une  incroyable  joie, 
dans  la  créance  où  j'étais  que  je  demeurerais 
éternellement  avec  lui  en  ce  lieu  de  délices. 

Mais  Dieu,  qui  voyait  les  désirs  de  mou 
cœur  ,  me  dit  aussitôt  :  —  Il  est  vrai  ,  ma 
chère  fille ,  que  vous  serez  un  jour  éternelle- 
ment avec  moi  ;  mais  avant  cela  ,  je  veux 
vous  donner  le  choix  de  deux  choses  bien 
différentes  ,  ou  de  demeurer  ici  avec  moi 
durant  toute  l'éteruilé,  ou  de  vous  en  re- 
tourner en  terre,  pour  y  endurer  de  grandes 
peines  en  un  corps  mortel,  et  par  ce  moyen 
délivrer  ces  pauvres  âmes,  dont  vous  re- 
grettiez si  fort  le  malheur  ,  et  pour  qui 
vous  aviez  tant  de  compassion;  en  mênic 
temps  aussi ,  par  les  exemples  de  votre  vie 
pénitci\le  ,  vous  porterez  les  pécheurs  à 
abandonner  leurs  crimes  et  à  se  convertir 
sincèrement  à  moi  ;  ensuiti;  vous  revien- 
drez, après  avoir  accru  vos  mérites  jusqu'à 
l'infini. 

A  cette  proposition,  je  ne  balançai  pas  un 
moment ,  et  dis  d'abord  que  je  voulais  bien 
reprendre  mon  corps.  Le  Seigneur,  après 
m'avoir  félicilce  de  m'êlre  si  promplement 
offerte  ,  commanda  qu'on  tiiuU  m(>n  âaie 


dans  son  corps  ;  et  on  ne  saurait  assez  ad- 
mirer l'extrême  vitesse  avec  laquelle  ces  es- 
prits bienheureux  exécutèrent  cet  ordre;  car 
comme  on  prononçait  pour  la  première  fois 
VAguus  Dei  de  la  messe  qu'on  offrait  pour 
moi,  je  fus  présentée  dev;int  le  trône  de 
Dieu,  et  quand  on  le  dit  pour  la  troisième 
fois,  mou  âme  se  trouva  réunie  à  mon  corps. 

C'est  ainsi  que  les  choses  se  sont  passées 
dans  ma  mort  et  dans  ma  résurrection.  Je 
suis  donc  revenue  pour  l'amendement  des 
hommes  ;  ainsi  je  f  ous  conjure  de  n'être  pas 
surpris  des  choses  que  vous  verrez  en  moi, 
quoiqu'on  n'ait  jamais  rien  vu  de  pareil  dans 
le  monde. 

C'est  ainsi  qu'elle  parla.  L'auteur  de  sa 
Vie  ajoute  que  pour  lors  elle  commença  à 
exécuter  les  choses  pour  lesquelles  Dieu  l'a- 
vait renvoyée.  On  la  voyait  tout  d'un  coup 
se  lancer  dans  des  fournaises  ardentes  ;  et 
quoiqu'elle  fût  horriblement  tourmentée  au 
milieu  de  ces  brasiers,  ce  qui  paraissait  par 
les  cris  pitoyables  qu'elle  jetait,  néanmoins 
étant  sortie  de  là,  il  ne  paraissait  sur  son 
corps  aucune  marque  de  brûlure.  Ensuite 
elle  se  plongeait  dans  les  eaux  toutes  glacées 
de  la  Meuse,  et  y  demeurait  l'espace  de  six 
jours  et  quelquefois  davantage. 

Un  peu  plus  bas  il  ajoute  que,  priant  au 
milieu  des  eaux,  elle  en  était  entraînée  jus- 
que dans  les  moulins  ,  où  ,  étant  froissée 
par  les  roues,  elle  en  sortait  sans  qu'il  en 
parût  rien  sur  sa  personne.  Elle  se  levait 
quelquefois  à  minuit,  et  parcourant  toutes 
les  rues  de  la  ville  de  Sainl-Trond ,  elle  aga- 
çait les  chiens,  qui  la  déchiraient  avec  leurs 
dents  comme  une  bêle  féroce  ;  quelquefois 
elle  courait  parmi  les  épines  et  les  ronces, 
et  en  était  tellement  percée,  qu'il  n'y  avait 
point  de  partie  en  tout  son  corps  qui  n'en  fût 
ensanglantée.  Cependant  après  avoir  ré- 
pandu bien  du  s.ing,  on  ne  voyait  eu  elle 
nulle  apparence  de  blessure. 

Obsei'vatioti. 

'Voilà  des  choses  merveilleuses. N'y  voit-on 
prs  l'effet  d'une  léthargie  de  vingt-quatro 
heures  ou  environ?  Il  s'en  trouve  encore  de 
plus  longues ,  et  la  sainte  ,^  dont  on  peint  ici 
l'imagination  ,  était  frappée  des  peintures 
que  l'on  fait  et  des  discours  que  l'on  tient  et 
que  l'on  a  raison  de  tenir  sur  les  peines  des 
âmes  du  purgatoire,  et  encore  plus  sur 
celles  des  damnés  :  elle  en  est  attendrie.  C<'la 
était  de  sa  charité  ;  mais  après  avoir  été  pro- 
menée en  songe  dans  ces  endroits  de  tris- 
tesse et  de  peines ,  on  lui  fait  apercevoir 
cnlin  ce  lieu  de  délices  et  de  repos  où  doi- 
vent aspirer  tous  les  chrétiens,  et  où  elle 
aspirait  elle-même.  Revenue  de  sa  léthargie, 
elle  raconte  tout  ce  qu'elle  a  imaginé,  ou 
plutôt  tous  les  tableaux  que  lui  a  présentés 
son  imagination.  Elle  les  raconte  vraisem- 
blablement comme  des  songes  ,  et  l'enthou- 
siasme de  ses  auditeurs  va  si  loin  ,  que  l'on 
réalise  en  histoire  tout  ce  qu'elle  a  pieu- 
sement imaginé  dans  le  sommeil.  Il  en  eA 
beaucoup  d'autres  de  la  même  espèce  Je 
ne  crois  pas  non  plus  tous   les  touroK  nU 


903 


LEfi 


LEG 


994 


que  l'on  prétend  qu'elle  s'imposa  volontai- 
rement. 

Huiliême  apparition.  Frère  Pèlerin  d'Osma. 
{Pelriis  Montrai,  et  alii  in  Vita  S.  Nicolai 
de  Tokntino.) 

Pondant  que  saint  Nicolas  de  Tolcntino 
demeurait  au  monaslèredeValmanant,  étant 
un  samedi  bien  avant  dans  la  nuit  couché 
sur  son  grabat ,  il  ouït  une  voix  qui  semblait 
être  arrachée  des  plus  profondes  entrailles 
de  quelque  personne  réduite  à  l'extrémité, 
qui  so  plaignait  amèremeni ,  et  disait  :  — Pè- 
re Nicolas,  ayez  pitié  de  moi;  grand  servi- 
teur de  Dieu,  écoulez-moi.  Le  saint,  qui  ne 
reconnaissait  pas  la  voix,  voulut  savoir  qui 
rappelait.  —  Je  suis  ,  dit  cette  même  voix, 
l'âme  de  frère  Pèlerin  d'Osma,  qui  expie 
dans  les  flammes  du  purgatoire  les  lâchetés 
que  j'ai  commises  en  l'observance  de  mes 
règles:  je  vous  conjure,  par  l'amour  que 
vous  portez  à  Dieu  et  la  sainte  amilic  que 
vous  m'avez  autrefois  témoignée,  d'ottrir 
vos  sacrifices  à  Notre-Seigneur,  afin  qu'il 
plaise  à  sa  bonté  de  me  retirer  de  ces  brasiers 
et  de  me  conduire  en  un  lieu  de  rafraîchisse- 
ment. 

Sailli  Nicolas,  qui  devait  cette  semaine-là 
dire  chaque  jour  la  messe  conventuelle , 
voulant  s'en  excuser,  —Eh!  mon  père,  ré- 
pliqua cette  âme,  ne  m'abandonnez  point  en 
la  nécessité,  et  ne  fermez  pas  à  une  pauvre 
âme  qui  n'espère  du  soulagement  que  par 
la  vertu  de  vos  suffrages,  les  entrailles  de 
voire  charité,  que  vous  tenez  toujours  ou- 
Terles  à  tous  ceux  qui  implorent  votre  se- 
cours; et  afin  que  vous  voyiez  combien  ma 
requête  est  juste  et  civile,  prenez  la  peine 
de  venir  avec  moi  ;  vous  verrez  un  spectacle 
qui  sans  doute  arrachera  les  larmes  de  vos 
yeux  el  la  pitié  de  votre  cœur. 

Le  saint  suivit  cette  âme,  et  vint  à  une 
vallée  siiuée  à  l'aulre  côté  du  désert,  où  il 
découvrit  un  grand  nombre  d'âmes  toutes 
couvertes  de  flammes,  et  lesquelles,  d'aussi 
loin  qu'elles  1  eurent  aperçu,  se  prirent  à 
crier  à  haute  voix  :  —  Père  Nicolas,  père 
Nicolas,  ayez  pilié  de  nous,  puisque  c'est  en 
vous  seulque  gît  l'espoir  de  notre  délivrance 

A  ce  piteux  spectacle,  le  cœur  du  saint 
se  trouva  touché  d'un  si  intime  ressenti- 
ment, qu'il  passa  le  reste  de  la  nuit  fondant 
en  larmes,  el  priant  Notrc-Seigiieur  pour  le 
suulagement  de  ces  pauvres  âmes.  Le  jour 
venu,  du  consentement  de  son  supérieur,  il 
commit  son  office  à  un  autre,  pour  octroyer 
à  ces  âmes  ce  qu'elles  lui  avaient  demanoé; 
il  redoubla  la  rigueur  de  ses  exercices  reli- 
gieux, jeûnant,  pleurant,  priant,  et  surtout 
offrant  avec  une  extraordinaire  ferveur  le 
saint  sacrifice  de  la  messe;  si  bien  qu'au  bout 
de  huit  jours  l'âme  de  frère  Pèlerin  lui  appa- 
raissant derechef,  le  vint  renuircicr  do  la 
part  de  toutes  les  autres,  de  la  grâce  que 
Dieu  leur  avait  faite  par  l'oblalion  de  ses 
sacrifices,  les  ayant  retirées  du  purgatoire 
et  logées  dans  le  ciel ,  pour  jouir  dans  ce 
bienheureux  séjour  d'un  repos  â  jamais 
durable. 


Observation. 
Je  serai  moins  long  sur  ce  récit  que  sur 
les  précédents.  Celui  qui  l'a  imaginé  ne  con- 
naissait pas  l'efficacité  du  saint  sacrifice  de 
la  messe.  11  représente  saint  Nicolas  de  To- 
lenlino,  qui  refuse  d'en  être  le  ministre  ac- 
tuel, parce  qu'il  veut  faire  quelque  acte  par- 
ticulier de  pénitence  ,  pour  retirer  une  âme 
du  purgatoire.  Mais  en  est-il  un  plus  efficace 
que  celui  de  la  prière,  qui  se  fait  à  la  vue 
et  en  vertu  de  Jésus  crucifié  ;  prière  même 
qui  est  soutenue  des  vœux  ardents  de  toute 
une  pieuse  communauté?  Elle  n'assiste  aux 
divins  offices  que  pour  y  offrir  conjointe- 
ment avec  le  prêtre  les  prières  des  fidèles  , 
pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour  les  besoins 
de  toute  l'Eglise  ,  dont  les  âmes  du  purga- 
toire font  une  des  plus  nobles  parties.  C'est 
même  la  seule  manière  de  bien  et  réelle- 
ment assister  à  ce  redoutable  sacrifice,  que 
de  s'unir  au  célébrant  qui  prie  ,  et  avant  et 
après  la  consécration  ,  pour  les  fidèles  qui 
sont  dccédés  dans  la  foi  et  dans  la  chariié  , 
afin  que  Dieu  abrège  le  temps  de  leur  péni- 
tence. Jésus-Christ  e-t  mort  pour  le  salut  do 
tous  les  hommes  nés  et  à  naître  ;  il  nous  a 
ordonné  de  renouveler  continuellement  son 
môme  sacrifice,  et  do  le  faire  dans  les  mômes 
vues.  Ce  serait  donc  s'écarter,  (juo  do  subs- 
tituer des  pénitences  pariicuières  et  arbi- 
traires à  ce  sacrifice,  si  nécessaire  aux  âm^s 
de  tous  les  fidèles,  et  qui  n'a  été  institué  que 
pour  leur  bien  spirituel  ,  et  pour  leur  pro- 
curer les  secours  dont  ils  ont  besoin. 

À  la  suite  de  ce  traité,  l'auteur  donne  une 
curieuse  pièce  que  voici  : 
Lettre  de  M.  Mollinger,  premier  secrétaire 
du  sérénissime  électeur  palatin ,  à  M- 
Schœpfflin,de  l'académie  royale  des  inscrip- 
tions et  belles-lettres,  historiographe  du  roi, 
professeur  d'histoire  et  de  belles-lettres  à 
Strasbourg. 

Les  bontés  infinies  que  vons  m'avez  tou- 
jours prodiguées  depuis  que  j'ai  le  bonheur 
d'être  connu  de  vous  ,  Monsieur,  me  font 
espérer  que  vous  daignerez  recevoir  les 
vœux  que  je  fais  pour  vous  au  sujet  du  re- 
nouvellement de  l'année.  A'ous  devez  assez 
connaître  la  source  d'où  ils  partent,  pour 
être  convaincu.  Monsieur,  que  personne  au 
monde  n'en  forme  ni  de  plus  ardents,  ni  de 
plus  sincères  que  moi. 

A  l'exemple  des  anciens,  qui  avaient  cou- 
tume d'entretenir  leur  amitié  par  de  pelils 
présents,  j'ose  prendre  la  liberté,  Monsieur, 
de  vous  joindre  ici  un  échantillon  du  petit 
trésor,  que  je  tiens  sans  doute  de  la  main  de 
la  Proviiience  ou  du  hasard  ,  suivant  les 
dogmes  des  esprits  forts  de  notre  siècle. 
Heureux  !  si  vous  vouliez  bien  lui  accorder 
une  place  dans  votre  cabinet. 

Comme  nous  avons  la  permission  de  creu- 
ser aussi  longtemps  que  nous  le  jugerons  à 
propos,  et  que  suivant  les  apparences  ,  il  y 
a  encore  bien  des  choses  cachées  par  ici, 
je  compte  que  nous  n'en  resterons  pas  là  , 
cl  que  ce  n'est  que  le  commencement  d'une 
espèce  do  fortune.  L'histoire  de  ce  trésor 
s'est  passée  forl  uniment.  Il  y  a  plus  d'un 


995 


DICTIONNAIRE  DES  SeiCNCES  OCCULTES. 


935 


nn  que  M.  Cavallari ,  premier  musicien  de 
mon  sérénissime  maître,  el  Vénitien  de  na- 
tion, avait  envie  de  faire  creuser  à  Uolhen- 
kirchon  à  une  demi-lieue  d'ici,  qui  était  au- 
trefois une  abbaye  ou  couvent  fort  renommé, 
et  qui  fut  ruiné  du  tem[js  de  la  réformation. 
I/occasion  lui  en  fut  fournie  par  une  appa- 
rition que   la  femme  du  ensier   dudit   Ko- 
lienkirchen  avait  eue  plus  d'une  fois  en  plein 
midi,  et  surtout  le  7  mai ,  pendant  deux  ans 
consécutifs.  Elle  jure  et  veut  prêter  serment 
d'avoir  vu  un   prêtre  vénérable  en   habits 
pontificaux  ,  brodés  en  or,  qui  jeta  devant 
lui  un  grand  las  de  pierres.  Et  quoiqu'elle 
soit  luthérienne,  par  conséquent  peu  crédule 
sur  ces  sortes  de  choses-là,  elle  croit  pour- 
tant, que  si  elle  avait  eu  la  présence  d'esprit 
d'y  mettre  un  mouchoir  ou  un  tablier,  toutes 
ces  pierres  seraient  devenues  de   l'argent. 
Quelle  folie  1  M.  Cavallari  demanda  donc  la 
permission  de  creuser.  C'est  ce  qui  lui  fut 
d'autant  plus  facilement  accordé,  moyennant 
le  dixième    qui   en  est   dû  au  souverain  , 
qu'on  le  traita  de  visionnaire,  et  qu'on  re- 
garda l'affaire  des  trésors  comme  une  chose 
inouïe.    Cependant   il  se  moqua  du  qu'en 
dira-l-on  el  me  demanda  si  je  voulais  être  de 
moitié  avec  lui.  Passionné  que  je  suis  pour 
les  antiquités,  je  n'ai  pas  hésité  un  moment 
à  aciepter  cette  proposition  :  mais  j'ai  été 
bien  surpris  de  irouver,  au  lieu  des  urnes 
avec  de  la  cendre ,  de  petits  pots  de  terre 
remplis  d'or.  Toutes  ces  pièces ,  plus  fines 
que  les  ducats,  sont  pour  la  plupart  du  xiv 
et  du  XV'  siècle,  à  ce  que  je  crois.  11  m'ea  est 
échu  pour  ma  part  six  cent  soixante-six  , 
trouvées  à  trois  différentes  reprises.  II  y  en 
a  des  archevêques  de  Mayence,  de  Trêves  et 
(le    Cologne  ;   des   villes    d'Oppcnheim  ,   do 
Bacharac,  de    Bingen  ,    de   Coblence.   Il   y 
en  a  aussi  de  Rupert  palatin,  de  Frédéric, 
burgrave  de  Nuremberg,  quelques-unes  do 
Wenceslas  ,   et   une   de  l'empereur   Char- 
les IV,  etc. 

Je  me  propose  d'en  faire  une  petite  des- 
cription ,  et  je  ferai  graver  en  taille-douce 
une  de  chaque  espèce.  Je  me  regarderais 
comme  sacriiége  envers  le  monde  savant , 
si  je  ne  faisais  pas  cette  petite  opération. 
Oicrai-jc  me  flatter,  Monsieur,  que  vous 
voudriez  bien  m'indiquer  l'auteur  le  plus 
convenable  qui  me  pourrait  servir  de  guide 
en  cette  carrière  ?  J'auiais  déjà  pu  faire  la 
vente  de  plusieurs  de  ces  pièces  dont  on  m'a 
offert  neuf  à  dix  florins.  d'Allemagne.  Mais  je 
ne  veux  pas  m'en  défaire  séparément.  J'en 
tirerai  peut-être  davantage. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  respect 
iiifini,  Monsieur, 

Votre  très-humble  et  très- 
obéissant  serviteur. 

J.-F.    MOLLINGER. 

A  Kirchheim,  ce  i"  janvier  1747. 

LENORMAND  (Marie-Anne) ,  née  en  1772 
à  Alençon,  morte  à  Paris  en  1843,  dite  la 
sibylle  du  faubourg  Saint-Germain. 

C'est  toujours  une  spéculation  productive 
qut  celle  qui  s'attache  aux  faiblesses  de  l'es- 
prit humain;  et  les  devineresses  qui  savent 


exploiter  les  passions  plus  ou  moins  cachées, 
ont  toujours  prospéré  lorsqu'on  les  a  lais- 
sées faire.  Mademoiselle  Lcnormaïul,  qui  est 
morte  depuis  peu,  est  une  preuve  de  celte  vé- 
rité peu  flatteuse  pour  les  lumières  du  siècle. 
Ceux  qui  ne  connaissent  la  sibylle  pari- 
sienne que  par  les  réclames  des  journaux, 
les  canards  et  les  poufs  qui  se  sont  propagés 
sur  son  compte,  les  mystérieux  prospectus 
qu'elle  a  publiés  en  forme  de  mémoires,  ne 
seront  peut-être  pas  f.;ehés  d'avoir  sur  cette 
fenmic  une  notice  plus  complète.  Elle  a  mis 
au  jour  des  souvenirs  prophéli(iucs  et  des 
mémoires  qu'elle  n'a  pourtant  guère  vendus 
qu'à  ceux  qui  allaient  la  consulter  ;  et  d'après 
ces  autorités  sans  garanties  on  a  écrit  et 
arrangé  sur  elle  des  anecdotes  que  nous  ré- 
duirons à  leur  juste  valeur. 

Ce  qui  a  fait  la  célébrité  de  mademoiselle 
Lenormand,  c'est  qu'elle  tirait  les  cartes  à 
rimpératriceJoséphine,comme  nous  le  dirons. 
Mais  on  vous  contera  qu'étant  petite  elle 
fui  illuminée  et  douée  de  bonne  heure  de  l'art 
divinatoire;  qu'elle  prédit  aux  bonnes  reli- 
gieuses qui  lui  apprenaient  à  lire  le  dépla- 
cement de  leur  supérieure,  et  d'autres  parti- 
cularités merveilleuses  ;  qu'en  1793  elle 
tenait  déjà,  à  vingt-deux  ans,  un  antre  de 
sibylle;  qu'elle  reçut  trois  hommes  (jui  vin- 
rent savoir  chez  elle  leur  destinée  ;  qu'elle 
prédit  à  tous  trois  une  mort  violonle,  avec 
des  funérailles  éclatantes  pour  l'un,  et  pour 
les  deux  autres  les  insultes  de  la  populace  ; 
que  ces  trois  hommes  étaient  Marat,  Robes- 
pierre et  Saint-'ust;  qu'elle  osa  dire  à  d'an- 
tres terroristes  des  choses  aussi  formidables; 
que  ses  imprudences  la  firent  mettre  en  pri- 
son, et  que  la  réaction  thermidorienne  la 
sauva.  Tous  ces  récits,  faits  après  coup,  sont 
des  contes  sans  ombre  de  fondement.  Made- 
moiselle Lcnormand  n'était  pas  connue  eu  - 
core  sous  le  Directoire. 

C'était  en  179tj  une  grosse  fille  d'une  édu- 
cation très-négligée,  d'une  fortune  assise  sur 
les  brouillards  de  la  mer,  qui,  voulant  un 
mari  pour  avoir  une  position  quelcoiuiue,  lo 
cherchait  dans  les  cartes,  comme  font  à  Pa- 
ris, aujourd'hui  encore  ,  tant  de  jeunes  filles 
incomprises. 

A  force  de  remuer  le  jeu  de  piquet,  délire 
nuit  el  jour  les  livres  variés  qui  expliquent 
le  jeu  de  caries,  les  horoscopes  cl  les  songes, 
d'étudier  les  rêveries  publiées  par  Allietle 
sous  l'anagramme  d'Eiieila,  concernant  la 
cartomancie  et  l'art  de  trouver  les  choses  ca- 
chées dans  les  tarots,  elle  éiait  parvenue  à  se 
faire  un  babil  qui  en  imposait. 

Elle  était  reçue  dans  une  de  ces  maisons 
très-mêlées  que  fréquentait  la  veuve  Beauhar- 
nais,  créole  citoyenne,  à  qui  une  vieille  né- 
gresse avait  promis  aux  colonies,  comme  le 
promettent  toutes  les  vieilles  négresses  , 
qu'elle  monterait  sur  un  trône.  La  citoyenne 
Beauharnais  venait  d'épouser  un  simple  offi- 
cier ,  le  jeune  Bonaparte  ,  dont  on  ne  pré- 
voyait guère  alors  la  splendeur  future;  car 
lui-même  cherchait  du  service  en  Corse. 
Curieuse  et  crédule  ,  elle  se  tirait  les  carte» 
elle-même.  Elle  n'eut  pas  plulôl  appris  que 


Q07 


L!-N 


LEN 


<I9» 


inaJcmoiselle  Lononnand  avait  dans  cet  art 
un  talent  de  société  de  quelque  force,  qu'elle 
la  pria  de  lui  faire  le  jeu.  La  grosse  fille,  sa- 
chant le  prix  que  madame  Bonaparte  atta- 
chait ,  tout  en  riant ,  à  son  horoscope  de  la 
négresse,  rencontra  intrépidement  le  même 
horoscope  dans  le  jeu  de  piquet,  et  protesta 
fermement  que  la  dame  de  trèfle  porterait  la 
couronne.  Bonaparte,  qui  était  le  roi  de  trè- 
fle, rit  beaucoup  du  pronostic.  Mais  il  avait 
si  bien  pris  que  la  devineresse  promit  depuis 
des  royaumes  à  tout  le  monde.  Si  tous  ces 
royaumes  n'arrivèrent  pas,  Bonapartedeviut 
premier  consul;  et  quand  sa  femme  fut  Tim- 
pcratrice  Joséphine,  comme  elle  n'avait  cessé 
de  cultiver  mademoiselle  Lenormand  ,  et 
qu'elle  la  consultait  tous  les  mois,  la  sibylle 
se  trouva  à  la  mode. 

Elle  n'attrapait  toujours  point  de  mari, 
quoiqu'elle  en  vît  sans  cesse  dans  ses  caries. 
Elle  s'en  consola  de  son  mieux  ,  en  établis- 
sant, à  la  rue  de  Tournon  (à  Paris),  un  salon 
où  elle  disait  la  bonne  aventure,  sous  le  nom 
un  peu  classique  de  sibylle  du  faubourg 
Saint- Germain.  Dix  ans  d'études  l'avaient 
préparée  ;  et  c'était  un  élat... 

1°  Elle  tirait  les  caries.  Ce  qui  consiste  à 
extraire,  suivant  diverses  méthodes,  d'un  jeu 
de  piquet,  sept,  treize  ou  dix-sept  cartes,  qui 
font  le  petit,  le  moyen  et  le  grand  jeu,  et  à 
juger  leur  signiGcalion. 

Les  cœurs  sont  excellents  et  les  trèfles  fort 
bons;  les  carreaux  cl  les  piques  sont  dange- 
reux. )*uis  les  combinaisons  amènent  des 
nuances.  Chaque  carte  sait  ce  qu'elle  veut 
dire  :  un  dix  de  trèfl",  est  la  campagne,  un 
sept  de  carreau  un  voyage,  un  huit  de  pique 
une  querelle,  un  as  de  carreau  une  lettre, 
un  as  de  pique  un  chagrin;  et  autres  belles 
choses. 

Puis  encore  ,  pour  ne  pas  se  borner  à  la 
première  disposition  des  cartes  étalées. on  les 
môle;  on  les  relève  deux  ou  trois  fois  dans 
d'autres  arrangements,  on  y  voit  encore  tout 
ce  qu'on  veut. 

2"  Elle  faisait  les  tarots  ;  c'est  le  jeu  de 
cartes  allemand,  avec  des  coupes,  des  épées, 
des  fleurs  cldes  bâtons,  au  lieu  de  nos  cœurs, 
de  nos  piques,  de  nos  carreaux  et  de  nos  trè- 
fles. Mais  comme  il  y  a  dans  ce  jeu  soixante- 
dix-huil  cartes,  contenant  beaucoup  de  figu- 
res, il  offre  un  grimoire  qui  donne  à  la  devi- 
neresse plus  de  latitude. 

3°  Elle  disait  la  bonne  aventure  par  le 
marc  de  café.  Voici  le  procédé.  On  verse  le 
marc  d'une  once  de  café  sur  une  grande  as- 
siette blanche  très-plate,  percée  au  milieu 
d'un  seul  petit  trou  par  lequl  l'eau  s'en  va. 
On  laisse  le  marc  s'assécher  un  quart  d'heure. 
Il  s'est  formé  alors  des  figures  capricieuses  , 
qui,  à  vos  yeux,  peut-être,  ne  diraient  rien, 
fnais  qui  sont  tout  un  livre  pour  les  person- 
nes dressées  à  lire  dans  les  assiettes  sales. 

k"  Ell<!  pronostiquait  par  le  blanc  d'œuf, 
«ulre  recette  qu'elle  disait  tenir  de  Caglios- 
Iro.  Elle  prenait  un  œuf  frais,  le  cassait,  en 
séparait  le  jaune,  laissait  tomber  ce  jaune 
dans  un  grand  verre  d'eau;  s'il  ne  se  divisait 
imi  dans  la  chute,  c'était  signe  de  succès. 


Elle  le  remuait  ensuite,  et  voyait,  dans  !a 
forme  des  ondulations,  ce  qu'on  ne  soupçon 
nerait  jamais  dans  un  jaune  d'œuf. 

5°  Elle  donnait  des  horoscopes  ,  c'est-à- 
dire  des  thèmes  tout  faits,  suivant  les  ensei- 
gnements des  vieux  astrologues,  qui  ont 
trouvé  tant  de  lumières  dans  les  douze  signes 
du  zodiaque.  Ils  déclarent  que  ceux  qui 
sont  nés  »ous  le  Sagittaire  (du  22  novembre 
au  21  décembre)  feront  des  voyages  mariti- 
mes, tandis  que  ceux  qui  ont  vu  le  jour  sous 
le  Capricorne  (du  22  décembre  au  21  janvier) 
auront  de  petits  yeux  ,  et  que  les  personnes 
venues  au  monde  sous  le  Verseau  (du  22  jan- 
vier au  21  février)  vivront  longtemps.  Il  y  en 
a  ainsi  pour  toute  l'année. 

Si  votre  acte  de  naiss/incc  vous  place  sous 
les  Poissons  (du  22  février  au  21  mars),  vous 
serez  présomptueux.  Sous  le  Bélier  (du  2i 
mars  au  21  avril  )  naissent  les  gens  qui  ont 
1 1  migraine.  Sous  le  Taureau  (du  22  avril  au 
21  mai)  on  ne  se  marie  qu'à  vingt-quatre  ans. 

Soyez  né  sous  les  Gémeaux  (du  22  mai  au 
21  juin),  vous  négligerez  vos  affaires  et  vous 
pourrez  bien  être  artiste.  Mais  si  l'Ecrevisse 
a  présidé  à  votre  première  heure  (du  22  juin 
au  21  juillet),  vous  risquez  déirc  gourmand  ; 
et  si  c'est  le  Lion  (du  22  juillet  au  21  août), 
vous  n'aurez  pas  de  mollets. 

Sous  la  Vierge  (du  22  août  au  21  septem- 
bre) on  nail  discret;  mais  on  aura  la  chance 
d'être  volé  dans  sa  poche.  Sous  la  Balance 
(du  22  septembre  au  21  octobre)  vous  au- 
rez le  don  de  dire  la  bonne  aventure.  Sous 
le  Scorpion  enfin  (du  22  octobre  au  21  no- 
vembre) on  sera  goguenard,  sournois,  et 
on  gagnera  un  ventre  ballonné.  Voilà. — 
Nous  ne  donnons  ici  qu'un  sommaire. 

Avec  toutes  ces  cordes  à  son  arc ,  made- 
moiselle Lenormand  pouvait  conlenier  les 
plus  difficiles.  Elle  travaillait  pour  cinq 
francs,  pour  dis  francs,  pour  vingt  francs , 
pour  quatre  cents  francs.  Moyennant  celte 
somme  on  avait  un  horoscope  écrit.  Beau- 
coup de  têtes  faibles  vinrent  la  con'sulterea 
effet.  De  grands  personnages,  grands  par 
leur  position,  mais  petits  du  reste,  lui  de- 
mandèrent leur  bonne  aventure.  Comme 
elle  était  très-fine,  lorsqu'elle  avait  à  répon- 
dre à  des  gens  de  bonne  mine  qu'elle  ne  con- 
naissait pas,  elle  les  remettait  au  lendemain, 
les  faisait  suivre  et  savait  ainsi  ce  qu'elle 
devait  dire. 

Voici  deux  anecdotes  qui  feront  apprécier 
la  hauteur  de  son  talent.  Un  banquier  qui 
en  doutait  lui  mena  son  fils,  âgé  de  quinze 
ans  et  habillé  en  jeune  fille.  La  sibylle  y  fut 
trompée,  comme  l'avait  été  le  d.^cieur  Gail 
en  pareille  occasion ,  et  promit  un  époux 
merveilleux  avec  toutes  sortes  de  choses  qui 
convenaient  au  sexe  dont  le  déguiseniMit 
l'abusait. 

Une  dame,  voulant  savoir  si  les  cartes  di- 
saient la  vérité,  déjeuna  parfaitement;  puis, 
désignant  sous  le  nom  d'une  opération  le 
repas  qu'elle  venait  de  faire,  elle  alla  de- 
mander à  la  sibylle  si  l'opération  dont  elle 
s'était  occupée  tout  à  l'heure  avait  été  me- 
née  afin;  les  cartes   dirent  que   non.  On 


9*9 


DiXTlONNAIRE  DES  SCl!.NCES  OCCL'l.rES. 


1000 


ritei-at!  mille  faits  pareils.  Mais  le  public 
bénin  des  niais  ne  les  remarquait  pas  plus 
que  les  prédictions  d'une  grande  fortune  aux 
gens  qui  se  ruinaient  le  mois  i-uivant,  et 
d'une  longue  vie  aux  infortunés  qui  se  hâ- 
taient de  mourir  pour  lui  donner  un  dé- 
menti. 

Cependant  elle  assaisonnait  ses  consul- 
tations d'accessoires  et  de  précautions  qui 
auraient  dû  la  rendre  plus  heureuse. 

Elle  avait  soin  de  demander  au  consultant  : 
Quel  âge  avez-vous?  Quelle  couleur  préfé- 
rez-vous? Quel  est  la  fleur  que  vous  aimez  î 
Quel  est  l'animal  que  vous  ne  pouvez  souf- 
frir? Mangez-vous  des  ognons?  et  d'autres 
questions  bizarres  qui  lui  fournissaienl  ma- 
tière à  des  inductions ,  et  qu'elle  faisait  d'un 
air  nonchalant,  tout  en  recommandant  de 
couper  les  cartes  de  la  main  gauche  et  de 
garder  telle  ou  telle  position. 

Si  l'on  s'étonne  de  l'espèce  de  renommée 
où  s'est  vue  sous  l'empire  mademoiselle  Le- 
normand,  si  l'on  est  surpris  de  la  voir  visi- 
ter par  de  grandes  dames  et  par  des  person- 
nages notables ,  il  faut  en  dire  les  deux 
raisons.  La  première  est  dans  la  petitesse  de 
l'esprit  humain  ,  qui  lui  amena  "Talma,  ma- 
dame de  Staël  elle-iiiéme,  en  dépit  de  sa  su- 
perbe philosophie,  et  le  peintre  David  qui 
faisait  l'incrédule,  et  qui  se  battait  les  flancs 
pourl'étre.Laseconderaison  était  une  idée  de 
l'empereur,  qui  en  tirait  très  grand  parti  pour 
sa  police.  Tous  les  mois,  et  plus  souvent  au 
besoin, l'impératrice  Joséphine,  qui  pouvait 
bien  être  de  concert  avec  son  illustre  époux 
et  jouer  un  jeu  en  simulant  une  grande  con- 
fiance dans  la  sibylle,  savait  d'elle  les  visites 
qu'elle  avait  reçues  el  les  secrets  qu'elle  avait 
dépistés.  C'est  ce  qui  explique  la  protection 
intéressée  que  Napoléon  donnait  à  ces  jon- 
gleries. 

Mais  en  même  temps  qu'il  employait  ma- 
demoiselle Lenurmand  à  l'éclaircir  sur  une 
foule  de  détails,  il  la  faisait  espionner  elle- 
même.  Lorsqu'il  projeta  son  divorce  avec 
Joséphine ,  ce  projet  fut  longtemps  connu 
avant  que  Napoléon  voulût  l'annoncer  à  sa 
fenmie.  Il  était  formellement  recommandé  à 
ceux  qui  approchaient  l'impératrice  de 
ne  rien  éventer  d'une  telle  intention.  Napo- 
léon ne  songeait  pas  à  la  sibylle;  elle  ne 
matiqua  pas  de  dévoiler  le  fait  à  Joséphine 
comme  une  prophétie.  Le  lendemain,  Fou- 
ché,  qui  dirigeait  la  police,  ûl  venir  made- 
moiselle Lenormand. 

—  Savez-vous,  lui  dit-il,  pourquoi  je  vous 
ai  mandée  ? 

—  Pour  une  consultation,  sans  doute,  ré- 
pondit-elle. J'ai  apporté  le  grand  jeu. 

Fouché  et  ïalleyrand  l'appelaient  quel- 
quefois ainsi,  sous  prétexte  de  son  art, 
mais  pour  la  faire  parler  d'autre  chose  que 
des  cartes. 

—  \  ous  n'avez  pas  regardé  dans  votre 
main,  ou  vos  tarots  sont  embrouillés  ,  reprit 
Fouché  ,  car  vous  êtes  arrêtée  ;  et  de  ce  pas 
vous  allez  en  prison.  Vous  ne  l'aviez  pas 
prévu? 

—Mais  pourquoi  en  prison  ?  demanda-l-clic. 


—  Vous  qui  savez  tant  de  choses ,  vous 
no  savez  pas  cela? Cherchez  dans  vos  cartes. 

Au  bout  de  peu  de  jours,  comme  on  ne 
voulait  donner  qu'une  leçon  à  la  sorcière,  et 
qu'oi  avait  besoin  d'elle  ,  on  la  remit  en  li- 
berté. Mais  plus  tard,  quand  vinrent  pour 
Napoléon  les  jours  de  revers,  la  sibylle  ayant 
caressé  quelques  espérances  des  légitimistes, 
fut  emprisonnée  de  nouveau,  toujours  sans 
l'avoir  prévu. 

Après  la  chute  de  l'empereur  ,  elle  fut  vi- 
sitée par  Alexandre  el  par  le  duc  de  Berry, 
qui  croyaient  ramasser  dans  son  entretien 
quelquiS  piquantes  anecdotes.  Mais  ce 
qu'elle  savait  de  détails  conservait  peu  d'in- 
térêt, lis  n'y  retournèrent  pas.  Ces  visites 
toutefois  lui  firent  tirer  beaucoup  d'argent 
des  Russes  ,  des  Prussiens   et  des   Anglais. 

Quand  Jo-éphino  fut  morte  et  Napoléon  à 
Sainte-Hélène,  elle  se  mit  à  rédiger  ses  sou- 
venirs et  ses  mémoires,  où  elle  débita  tout 
ce  qu'elle  voulut.  Ell(!  écrivit  même,  ou  fit 
écrire,  une  réponse  à  Huflmann  ,  qui  s'était 
moqué  d'elle  dans  le  Journal  des  Débals.  Et 
comme  dans  la  suite  la  police  ne  pouvait 
guère  soulTrir  une  devineresse  exerçant  pu- 
bliquement, elle  prit  une  patente  de  librairie, 
et  donna  son  adresse  en  mettant  sur  sa  porte: 
Mudemoiselle  Lenormcnd ,  libraire.  On  ne 
trouvait  chez  elle  que  ses  brochures.  Mais  ce 
n'était  pas  pour  se  meubler  l'esprit  qu'on  y 
allait. 

Son  astre  pâlissait  dans  le  calme  de  quinze 
ans  (jui  suivit  les  cent  jours.  Pour  ramener 
sur  e.le  l'intérêt  public,  elle  fit  quelques 
voyages  à  l'étranger.  On  se  rappelle  son  ar- 
rivée à  Bruxelles  ,  où  elle  se  proposait  de 
tirer  l'horoscope  du  prince  d'Orange.  Elle 
avait  fait  des  progrès  ;  elle  joignait  depuis 
longtemps  déjà  à  ses  anciens  procédés  la 
chiromancie,  ou  l'art  de  lire  les  desliné-s 
dans  les  lignes  de  la  main  gauche.  Elle  pré- 
tendait savoir  que  le  prince  d'Orange  avait 
dans  la  main  une  ligne  de  fortune  qui  se 
développait  avec  de  beaux  accroissements  ; 
elle  se  proposait  de  lui  annoncer  des  c.in- 
quêtes. 

Pour  seconde  ressource,  elle  faisait  un  peu 
la  contrebande;  et  les  douaniers  belges,  plus 
fins  que  son  jeu  de  cartes,  ayant  saisi,  dans 
ses  belles  à  double  fond,  des  monlres  qu'elle 
fraudait,  la  sibylle  fit  dans  les  Pays-Bas  son 
entrée  triomphante  en  prison.  Elle  n'avait 
pas  compté  là-dessus.  Elle  en  sortit  pour 
dire  la  bonne  aventure  au  prince  d'Orange, 
qui  en  effet  l'accueillit,  dit-on;  et  elle  ne  vit 
pas  que  la  ligne  de  fortune  du  prince  était 
rompue  en  un  certain  point. 

Depuis  1830,  Mlle  Lenormand  était  pres- 
que oubliée,  lorsque  les  journaux  ont  an- 
noncé sa  mort,  arrivée  le  25  juin  1843. 
Elle  n'avait  que  soixante-douze  ans,  quoi- 
qu'elle eût  prophétisé  qu'elle  en  vivrait  cent 
et  un.  Elle  a  laissé  une  fortune  assez  ronde. 
On  dit  qu'avant  de  mourir  elle  a  reconnu 
tes  vanités  stupides  et  condamnées  de  son 
charlatanisme  dangereux,  et  qu'elle  a  ter- 
miné SU  viu  dans  les  scntinien'.s  chrétiens.  Il 


1001 


LEO 


LES 


paraît  même  que  cent  pauvros  fomnics  qui 
ont  suivi  son  convoi,  un  cierge  à  la  main, 
de  l'église  Sainl-Jacques-du-Haut-Pas  au 
cimetière  du  Père-Lachaise,  sont  des  infor- 
tunées à  qui  elle  a  laissé  de  petits  legs. 

Quant  à  ce  qu  ont  dit  les  journaux  pari- 
siens qu'on  voyait  aussi  à  la  suite  du  cor- 
billard les  élèves  de  la  devineresse,  c'est  une 
plaisanterie;  elle  n'avait  rien  à  apprendre  à 
personne,  et  depuis  plusieurs  années  ne  pra- 
tiquait plus. 

C'était,  dans  ses  derniers  temps,  une  courte 
et  grosse  femme,  à  l'air  commun,  qui  parlait 
du  nez,  qui  débitait  ses  oracles  avec  la  vo- 
lubilité d'une  actrice  répétant  un  rôle,  et  qui 
se  coiffait  d'un  vieux  turban  sur  une  per- 
ruque blonde,  mise  du  reste  comme  une 
femme  de  chambre. 

Si  les  Parisiens  ont  de  l'esprit,  la  vogue  de 
Mlle  Lenoruiand  fait  voir  qu'ils  n'en  ont  pas 
toujours. 

LK  NORMANT  (Martin),  astrologue  qui 
fut  apprécié  par  le  roi  Jean  ,  auquel  il  pré- 
dit la  victoire  qu'il  gagna  contre  les  Fla- 
mands (1). 

LÉON  III ,  élu  pape  en  795.  On  a  eu 
l'effronterie  de  lui  attribuer  un  recueil  de 
platitudes  et  de  choses  ridicules ,  embrouil- 
lées dans  des  figures  et  des  mots  mystiques 
€t  inintelligibles,  composé  par  un  visionnai- 
re, plus  de  trois  cents  ans  après  lui ,  sous  le 
titre  d'Enchiridion  Leonis  papœ{2).  On  a 
.'ijouté  qu'il  avait  envoyé  ce  livre  à  Charlc- 
inagne. 

Voici  le  titre  exact  de  cet  ouvrage  :  En- 
chiridioti  du  pape  Léon ,  donné  comme  un 
présent  précieux  au  sérénissime  empereur 
Charlemagne  ,  récemment  purgé  de  toutes 
ses  fautes.  Rome,  1G70,  in-1-2  long  ,  avec  un 
cercle  coupé  d'un  triangle  pour  vignette  ,  et 
à  l'entour  ces  mots  en  légende  :  Formation  , 
réformation,  transformation.  Après  un  avis 
aux  sages  cabalisles,  le  livre  commence  par 
l'Evangile  de  saint  Jean,  que  suivent  les  se- 
crets et  oraisons  pour  conjurer  le  diable. 
Voy.  Conjurations,  etc. 

LÉONARD, démon  du  premier  ordre, grand 
maître  des  sabbals,  chef  des  démons  subal- 
ternes, inspecteur  général  de  la  sorcellerie, 
tie  la  magie  noire  el  des  sorciers.  On  l'ap- 
pelle souvent  le  Grand  Nègre.  Il  préside  au 
sabbat  sous  la  figure  d'un  bouc  de  haute 
taille;  il  a  trois  cornes  sur  la  tête,  deux 
oreilles  de  renard,  les  cheveux  hérissés,  les 
yeux  ronds,  enflammes  el  fort  ouverts,  une 
barbe  de  chèvre  el  un  visage  au  derrière. 
Les  sorciers  l'adorent  en  lui  baisant  ce  vi- 
sage inférieur  avec  une  chandelle  verte  à  la 
main. 

Quelquefois  il  ressemble  à  un  lévrier  ou  à 
un  bœuf,  ou  à  un  grand  oiseau  noir,  ou  à  un 
tronc  d'arbre  surmontéd'unvisageténébreux. 
Ses  pieds,  quand  il  en  porte  au  sabbat,  sont 
toujours  des  pattes  d'oie.  Cependant  les  ex- 
perts qui  ont  vu  le  diable  au  sabbat  obscr- 

(1)  Manuscril  cilé  h  la  lin  des  rem.  de  Joly  sur  Bayle. 

(2)  Kncliiriiiion  Leouis  papae  screnissiiuo  iiiipeialori  Ca- 
iwiu  Magiio  iii  muuiis  pi-eUosuiii  dalum,  iiuiieniiue  uiendis 

DlCTlO.N.V.  DES   SCIENCES  OCCCLTES.  1. 


1002 


vent  qu'il  n'a  pas  de  pieds  quand  il  prend  la 
forme  d'un  tronc  d'arbre,  el  dans  d'autres 
circonstances  extraordinaires. 

Léonard  est  taciturne  el  mélancolique; 
mais  dans  toutes  les  assemblées  de  sorciers 
et  de  diables  où  il  est  obligé  de  figurer,  il  se 
montre  avantiigcusement  et  déploie  une  gra- 
vité superbe  (3j. 

LÉOPOLD,  fils  naturel  de  l'empereur  Ro- 
dolphe II.  Il  embrassa  la  magie  et  éludia  les 
arts  du  diable,  qui  lui  apparut  plus  d'une 
fois.  Il  arriva  que  son  frère  Frédéric  fut  pris 
en  bataille  en  combattant  contre  Louis  de 
Bavière.  Léopold,  voulant  lui  envoyer  un 
magicien  pour  le  délivrer  de  la  prison  de 
Louis  sans  payer  rançon,  s'enferma  avec  ce 
magicien  dans  une  chambre,  en  conjurant  et 
appelant  le  diable,  qui  se  présenta  à  eux  sous 
forme  et  costume  d'un  messager  de  pied, 
ayant  ses  souliers  usés  et  rompus,  le  chape- 
ron en  tête;  quant  au  visage,  il  avait  les 
yeux  chassieux. 

Il  leur  promit,  sans  que  le  magicien  se  dé- 
rangeât, de  tirer  Frédéric  d'embarras,  pour- 
vu qu'il  y  consenlît.  11  se  transporta  de  suite 
dans  la  prison,  changea  d'habit  et  de  forme, 
prit  celle  d'un  écolier,  avec  une  nappe  au- 
tour du  cou,  et  invita  Frédéric  à  entrer  dans 
la  nappe,  ce  qu'il  refusa  en  faisant  le  signe 
de  la  croix. 

Le  diable  s'en  retourna  confus  chez  Léo- 
pold, qui  ne  le  quitta  point  pour  cela  ;  car, 
pendant  la  maladie  à  la  suite  de  laquelle  il 
mourut,  s'étant  levé  un  jour  sur  son  séant, 
il  commanda  à  son  magicien,  qu'il  tenait  à 
gages,  d'appeler  le  diable,  lequel  se  montra 
sous  la  forme  d'un  homme  noir  et  hideux; 
Léopold  ne  l'eut  pas  plutôt  vu,  qu'il  dit  : 
—  C'est  assez,  —  et  il  demanda  qu'on  le  re- 
couchât dans  son  lit,  où  il  trépassa  {^). 

LESAGE.  Voy.  Luxembours. 

LESCORIÈRE  (Marie),  vieille  sorcière  ar- 
rêtée au  seizième  siècle,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-dix  ans.  Elle  répondit  dans  son  inter- 
rogatoire qu'elle  passait  pour  sorcière  sans 
l'être;  qu'elle  croyait  en  Dieu,  l'avait  prié 
journellement,  et  avait  quitte  le  diable  depuis 
longtemps  ;  qu'il  y  avait  quarante  ans  qu'elle 
n'avait  été  au  sabbat.  Interrogée  sur  le  sab- 
bat, elle  dit  qu'elle  avait  vu  le  diable  en  for- 
me d'homme  et  de  bouc,  qu'elle  lui  avait  cédé 
les  galons  dont  elle  liait  ses  cheveux,  que  le 
diable  lui  avait  donné  un  écu  qu'elle  avait 
mis  dans  sa  bourse;  que  le  diable  lui  avail 
surtout  recommandé  de  ne  pas  prier  Dieu,  de. 
nuire  aux  gens  de  bien,  et  lui  avait  dour.é 
pour  cela  delà  poudre  dans  une  boîte;  qu'il 
était  venu  la  trouver  en  forme  de  chat,  et 
que,  parce  qu'elle  avait  cessé  d'aller  au  sab- 
bat,il  l'avait  meurtrie  à  coups  de  picrres;que 
quand  elle  appelait  le  diable,  il  venait  à  elle 
en  figure  de  chien  pendant  le  jour  et  en  fi- 
gure de  chat  pendant  la  nuit  ;  qu'une  fois  elle 
l'avait  prié  de  faire  mourir  une  voisine,  co 
qu'il  avait  fait;  qu'une  autre  fois  passant  par 

oniiiibiis  purgaluiii,  fie. 
(S)Dclrio,  Delaucre,  Bodia,  elc. 
(4)  Lcloycr,  Hist.  dts  spectres,  [i.  304 

32 


fOOÔ 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCLLTES. 


1004 


un  village,  le»  chiens  l'avaient  suivie  et  mor- 
due; que  dans  l'instant  elle  avait  appelé  le 
diiible,  qui  les  avait  tués.  Elle  dit  aussi  qu'il 
ne  se  faisait  autre  chose  au  sabbat  sinon 
honneur  au  diable,  qui  promettait  ce  qu'on 
lui  demandait;  qu'on  lui  faisait  offrande  le 
baisant  au  derrière,  ayant  chacun  une  chan- 
delle à  la  main  (I). 

LESCOT  devin  de  Parme  qui  disait  in- 
dilîérenimcnt  à  tout  homme  qui  en  voulait 
faire  l'essai  :  «  Pensez  ce  que  vous  voudrez, 
et  je  devinerai  ce  que  vous  pensez,  »  parce 
qu'il  était  servi  par  un  démon  (2). 

LESPÈCE,  Italien  qui  fut  avalé  pendant 
le  séjour  de  la  flotte  françaisi?  au  port  de 
Zante,  sous  le  règne  de  Louis  XII.  Il  ét;iit 
dans  le  brigandin  de  François  de  Grammonl. 
Un  jour,  après  avoir  bien  bu,  il  se  mil  à 
jouer  aux  dés,  et  perdit  tout  son  argent.  Il 
maugréa  Dieu,  les  saints,  la  bienheureuse 
Vierge  Marie,  mère  de  Dieu,  et  invoqua  le 
diable  à  son  aide.  La  nuit  venue,  connue 
l'impie  commençait  à  ronfler,  un  gros  et 
horrible  monstre,  aux  yeux  étincelaiits,  ap- 
procha du  brigandin.  Quelques  matelots 
prirent  cctle  béte  pour  un  monstre  marin  , 
cl  voulurent  l'éloigner;  mais  elle  aborda  le 
navire,  et  alla  droit  à  l'hérétique,  qui  fuyait 
de  tous  côtés.  Dans  sa  fuite  il  trébucha , 
et  tomba  dans  la  gueule  de  cet  horrible  ser- 
pent (3). 

LÉTHÉ,  fleuve  qui  arrosait  une  partie  du 
Tartarc,  et  allait  jusqu'à  l'Elysée.  Ses  ondes 
faisaient  oublier  aux  ombres,  forcées  d'en 
boire,  les  plaisirs  et  les  peines  de  la  vie 
qu'elles  avaient  quittée. 

On  surnomuiail  le  Léthé  le  fleuve  d'Huile, 
parce  que  son  cours  était  paisible,  et  par  la 
même  raison  Lucuin  l'appelle  deus  Tacilus, 
le  dieu  du  silence;  car  il  ne  faisait  entendre 
aucun  murmure. 

C'était  aux  bords  du  Lélhé  que  les  âmes 
des  méchants,  après  avoir  expié  leurs  crimes 
par  de  longs  tourments,  venaient  perdre  lo 
souvenir  de  leurs  maux  et  puiser  une  nou- 
velle vie.  Sur  ses  rives,  comme  sur  celles  du 
Cocyte,  on  voyait  une  porte  qui  communi- 
quait au  Tartarc  (4). 

LETTRES  sur  les  diverses  apparitions  d'un 
bénédictin  de  Toulouse,  in4°,  1G79.  Ces  ap- 
paritions étaient,  dit-on,  des  supercheries  de 
quelques  novices  de  la  congrégation  de  Sainl- 
Maur,  qui  voulaient  tromper  leurs  supé- 
rieurs. On  les  fit  sortir  de  l'ordre. 

LETTRES  INFERNALES,  ou  Lettres  des 
campagnes  infernales,  publiées  en  1734.  Ce 
n'est  qu'une  satire  contre  les  fermiers  géné- 
raux. 

LECCE-CAllIN,  hérétique  du  second  siècle, 
auteur  apocryphe  d'un  livre  intitulé  :  Voya' 
(jes  des  apôtres.  Il  y  conte  des  absurdités. 

LEUCOPHYLLE,  plante  fabuleuse  qui,  se- 
lon les  anciens,  croissait  dans  le  Phase,  fleuve 
<ls  la  Colchide.  On  lui  altribuait  la  vertu 
d'cnipéctier  les  infidclilés;   mais  il  fallait  la 

(1)  Discours  des  sorlilégos  et  vénéfices,  lires  des  procès 
CriiiiiiiHls,  |).  ai- 

(■2)  Delaiicici,  Incrédnliié  otinôcréancede  la  divination, 
(lu  sonilégp,  p.  30i. 


cueillir  avec  de  certaines  précautions,  et  on 
ne  la  trouvait  qu'au  point  du  jour,  vers  lo 
commencement  du  printemps,  lorsqu'on  cé- 
lébrait les  mystères  d'Héc.itc. 

LÉ\  lATHAN,  grand  amiral  del'enfer,  se- 
lon les  démonomanes.  Wierus  l'appelle  le 
grand  menteur.  Il  s'est  mêlé  de  posséder,  do 
tous  temps,  les  gens  qui  courent  le  monde. 
Il  leur  apprend  à  mentir  et  à  en  imposer.  Il 
est  tenace,  ferme  à  son  poste  el  difflcile  à 
exorciser. 

On  donne  aussi  le  nom  de  Léviathan  à  un 
poisson  immense  que  les  rabbins  disentdes- 
liné  au  repas  du  Messie.  Ce  poisson  est  si 
monstrueux,  qu'il  en  avale  d'un  coup  un 
autre  lequel,  pour  être  moins  grand  que  lui, 
ne  laisse  pas  d'avoir  trois  lieues  de  long. 
Toute  la  masse  des  eaux  est  portée  sur  Lé- 
viathan. Dieu,  au  commencement,  en  créa 
deux,  l'un  mâle  et  l'autre  femelle;  mais  de 
peur  qu'ils  ne  renversassent  la  terre  et  qu'ils 
ne  remplissent  l'univers  de  leurs  semblables. 
Dieu,  disent  encore  les  rabbins,  tua  la  fe- 
melle, et  la  sala  pour  le  repas  du  Messie  qui 
doit  venir. 

En  hébreu,  Léviathan  veut  dire  monstre 
des  eaux.  Il  parait  que  c'est  le  nom  de  l.t 
baleine  dans  le  livre  de  Job,  chap.  lxi.  Sa- 
muel Bochard  croit  que  c'est  aussi  le  nom 
du  crocodile. 

LEWIS  (Mathieu-Grégoire)  ,  auteur  de 
romans  et  de  pièces  de  théâtre,  né  en  1773  et 
mort  en  1818.  On  a  de  lui  le  Moine,  1793, 
3  vol.  in-12,  production  effroyable  et  dange- 
reuse, qui  fil  plus  de  bruit  qu'elle  ue  mérite; 
le  Spectre  du  ckâleau,  opéra  ou  drame  en 
musique,  etc. 

LÉZARDS.  Les  Kamtschadalcs  en  ont  une 
crainte  superstitieuse.  Ce  sont,  disent-ils,  les 
espions  de  Gaeth  (dieu  des  morts),  qui  vicii- 
nent  leur  prédire  la  fin  de  leurs  jours.  Si  on 
les  attrape,  on  les  coupe  en  petits  morceaux 
pour  qu'ils  n'aillent  rien  dire  au  dieu  des 
morts.  Si  un  lézard  échappe,  l'homme  qui 
l'a  vu  tombe  dans  la  tristesse,  et  meurt  quel- 
quefois de  la  peur  qu'il  a  de  mourir. 

Les  nègres  qui  habitent  les  deux  bords  du 
Sénégal  ne  veulent  pas  souffrir  au  contraire 
qu'on  tue  les  lézards  autour  de  leurs  mai- 
sons. Ils  sont  persuadés  que  ce  sont  les  âmes 
de  leurs  pères,  de  leurs  mèresctde  leurs  pro- 
ches parents,  qui  viennent  faire  le  folgar, 
c'est-à-dire  se  réjouir  avec  eux  (5). 

LIBANIUS,  magicien  né  en  Asie,  qui,  pen- 
dant le  siège  de  Ravenne  par  Constance,  eiii- 
ployaitdcs  moyens  magiques  en  place  d'armes 
pour  vaincre  les   ennemis(6). 

LIBANOMANCIE,  divination  qui  se  faisait 
par  le  moyen  de  l'encens.  Voici,  selon  Dion 
Cassius,  les  cérémonies  que  les  anciens  pra- 
tiquaient dans  la  libanomancie.  On  prend, 
dit-il,  de  l'encens,  et,  après  avoir  fait  des 
prières  relatives  aux  choses  que  l'on  deman- 
de, on  jette  cet  encens  dans  le  feu,  afin  que 
sa  fumée  porte  les  prières  jusqu'au  ciel.  Si 

(j)  D"Autoii,  Histoire  de  Louis  XII. 

(4)  Uelaiidine,  l'Enfer  des  anciens,  p.  281. 

(5)  Al)régé  des  voyages,  par  de  Laharpe,  l.  II,  p.  151, 
^6)  Leloyer,  Hisl.  cl  Disc,  desspcclrcs,  etc.,  p.  726. 


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ce  qu'on  sou4iaitc  doit  arriver,  l'oncens  s'al- 
lume sur-le-champ,  quand  m<*me  il  serait 
tombé  hors  du  feu  ;  le  feu  semble  l'aller  cher- 
cher pour  le  consumer.  Mais  si  les  vœux 
qu'on  a  formés  ne  doivent  pas  être  remplis, 
ou  l'encens  ne  tombe  pas  dans  le  feu,  ou  le 
feu  s'en  éloigne  et  ne  le  consume  pas.  Cet 
oracle,  ajoute-t-il,  prédit  tout,  excepté  ce 
qui  regarde  la  mort  et  le  mariage. 

LIBERTINS  ,  fanatiques  qui  s'élevèrent  en 
Flandre  au  milieu  du  seizième  siècle  et  qui 
se  répandirent  en  France,  oii  ils  eurent  pour 
chef  un  tailleur  picard  nommé  Quinlin.  Ils 
professaient  exactement  le  panlhéismc  [des 
philosophes  de  nos  jours,  et  les  rêveurs  alle- 
mands les  copient.  Ils  regardaient  le  paradis 
et  l'enfer  comme  des  illusions,  et  se  livraient 
à  leurs  sens.  Le  nom  qu'ils  se  donnaient, 
comme  affranchis  ,  est  devenu  une  injure. 

LICORNE.  La  corne  de  licorne  préserve 
des  sortilèges.  Le  cardinal  Torquemada,  dit- 
on  ,  en  avait  toujours  une  sur  sa  table.  Les 
licornes  du  cap  de  Bonno-Espérance  sont  dé- 
crites avec  des  têtes  de  cheval,  d'autres  avec 
«les  léles  de  cerf.  On  dit  que  le  puits  du  palais 
de  Saint-Marc  ne  peut  être  empoisonné, 
parce  qu'on  y  a  jeté  des  cornes  de  licornes. 
On  est  d'ailleurs  indécis  sur  ce  qui  concerne 
ces  animaux  ,  dont  la  race  semble  perdue. 
A'oy.  CouNEs. 

LIERRE.  Nous  ne  savons  pourquoi  les 
Flamands  appellent  le  lierre  fil  du  diable 
(Duivels-Naaigaren). 

LIÈV  RE.  On  raconte  des  choses  merveil- 
leuses du  lièvre.  Evax  et  Aaron  disent  que 
si  l'on  joint  ses  pieds  avec  la  lêtedun  merle, 
ils  rendront  l'homme  qui  les  portera  si 
liardi,  qu'il  ne  craindra  pas  même  la  mort. 

Celui  qui  se  les  allachera  au  bras  ira  par- 
tout où  il  voudra,  et  s'en  retournera  sans 
danger. 

Que  si  on  eu  fait  manger  à  un  chien,  avec 
le  cœur  d'une  belette,  il  est  sûr  qu'il  n'obéira 
jamais,  quand  même  on  le  tuerait  (1). 

Si  des  vieillards  aperçoivent  un  lièvre  tra- 
versant un  grand  chemin,  ils  ne  manquent 
guère  d'en  augurer  quelque  mal.  Ce  n'est 
pourtant,  au  fond, qu'unemenace des  anciens 
augures  expriiiiée  en  ces  termes  :  Jnauspi- 
câlum  dat  iter  oblatus  lepiis.  Cette  idée  n'a- 
vait apparemment  d'autre  fondement,  si  ce 
n'est  que  nous  devons  craindre  quand  un 
animal  timide  passe  devant  nous  ;  comme  un 
renard,  s'il  y  passe  aussi,  nous  présage  quel- 
que imposture. 

Ces  observations  superstitieuses  étaient  dé- 
fendues aux  Juifs ,  comme  on  le  voit  dans 
Maimonide,  qui  les  rapporte  à  l'art  de  ceux 
qui  abusent  des  événements  pour  les  con- 
vertir en  signes  heureux  ou  sinistres. 

ChezlesGrecs  modernes, siun  lièvre  croise 
le  chemin  d'une  caravane,  elle  fera  halle 
jusqu'à  ce  qu'un  passant  qui  ne  l'ait  pas  vu 
coupe  le  charme  eu  traversant  la  môme 
route  (2). 
A  l'honneur  des  lièvres,  voyez  encore  Sa- 

KIMOUHI. 

(1)  Secrets  d'Albert  le  Grand,  p.  108. 
1%)  Brown,  Erreurs  populaires. 


LIÈVRE  (Le  Grand).  Les  Cliipiouyans,  peu- 
plade sauvage  qui  habite  l'intérieur  de  l'A- 
mérique septentrionale,  croient  que  le  Grand 
Lièvre,  nom  qu'ils  donnent  à  l'Etre  suprê- 
me ,  étant  porté  sur  les  eaux  avec  tous  les 
quadrupèdes  qui  composaient  sa  cour,  forma 
la  terre  d'un  grain  de  sable  tiré  de  l'Occun, 
et  tira  les  hommes  des  corps  des  animaux. 
Mais  le  Grand  Tigre,  dieu  des  eaux,  s'op- 
posa aux  desseins  du  Grand  Lièvre.  Voilà, 
suivant  eux,  les  principes  qui  se  comballcnl 
perpétuellement. 

LIGATURE.  On  donne  ce  nom  à  un  malé- 
fice spécial,  par  lequel  on  liait  et  on  paraly- 
sait quelque  faculté  physique  de  l'homme  ou 
de  la  femme. 

On  appelait  chevillrment  le  sortilège  qui 
fermait  un  conduit  et  empêchait  p;ir  exem- 
ple les  déjections  naturelles.  On  appelait  cm  - 
barrer  l'empêchement  magique  qui  empê- 
chait un  mouvement.  On  appelait  plus  spé- 
cialement ligature  le  maléfice  qui  affectait 
d'impuissance  un  bras,  un  pied  ou  tout  au- 
tre membre. 

Le  plus  fameux  de  ces  sortilèges  est  celui 
qui  est  appelé  dans  tous  les  livres  où  il  s'a- 
gitde  superstitions,  dau'^  le  curéThiers,dans 
lepère Lebrun  eldans  lousles  autres,  \enoue- 
ment  de  l'aiquiiletCe  ou  l'aiguillette  nouée, 
désignation  honnête  d'une  chose  honteuse. 
C'est  au  reste  le  terme  populaire. 

Cette  matière  si  délicate,  que  nous  aurions 
voulu  pouvoir  éviter,  tient  trop  de  place  dans 
les  abominations  superstitieuses  pour  être 
passée  sous  silence. 

Les  rabbins  attribuent  à  Cham  l'invention 
du  nouemenl  de  l'aiguillelle.  Les  Grecs  con- 
naissaient ce  maléfice.  Platon  conseille  à  ceux 
qui  se  marient  de  prendre  garde  à  ces  char- 
mes ou  ligatures  qui  troublent  la  paix  des 
ménages  (3). On  nouaitaussi  l'aiguillette  chez 
les  Romains  ;  cet  usage  passa  des  magiciens 
du  paganisme  aux  sorciers  mcderncs.  On 
nouait  surtout  beaucoup  au  moyen  âge.  Plu- 
sieurs conciles  frappèrent  d'anathème  les 
noueurs  d'aiguillettes  ;  le  cardinal  du  Perron 
fit  mêaie  insérer  dans  le  rituel  d'Evreux  de< 
prières  contre  l'aiguillette  nouée;  car  jamais 
ce  maléfice  ne  fut  plus  fréquent  qu'au  sei- 
zième siècle. 

«  Le  nouement  de  l'aiguillette  devient  si 
commun,  dit  Pierre  Delancre,  qu'il  n'y  a 
guère  d'hommes  qui  s'osent  marier,  sinon  à 
la  dérobée.  On  se  trouve  lié  sans  savoir  par 
qui, et  de  tant  de  façons,  que  le  plus  rusé  n'y 
comprend  rien.  Tantôt  le  maléfice  est  pour 
l'homme,  tantôt  pour  la  femme,  ou  pour  tous 
les  deux.  Il  dure  un  jour  ,  un  mois  ,  un  an. 
L'un  aime  et  n'est  pasaiiné;  les  époux  se 
mordent ,  s'égratignent  et  se  repoussent  ;  ou 
bien  le  diable  interpose  entre  eux  un  fan- 
tôme, etc.  » 

Le  démonologue  expose  tous  les  cas  bizar- 
res et  embarrassants  d'une  si  fâcheuse  cir- 
constance. 

Mais  l'imagination,  frappée  de  la  peur  du 
sortilège,  faisait  le  plus  souvent  tout  le  niul. 
(3)  Platon,  Des  lois,  liv.  II. 


!007 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


1(K)3 


On  altiibuailauT  soniors les  accidents  qu'on 
ne  comprenail  point,  sans  se  donner  la  peine 
d'en  chercliii-  la  véritable  cause.  L'impuis- 
sance n'était  donc  généralement  occasionnée 
ijne  parla  peur  du  maléfice,  qui  frappait  les 
esprits  et  affaiblissait  les  organes  ;  et  cet  état 
ne  cessait  que  lorsque  la  sorcière  soupçon- 
née voulait  bien  guérir  l'imagination  du  ma- 
lade en  lui  disant  qu'elle  le  restituait. 

Une  nouvelle  épousée  de  Niort,  dit  Bodin 
(1),  accusa  sa  voisine  de  l'avoir  liée.  Le  juge 
(il  mettre  la  voisine  au  cachot.  Au  bout  de 
deux  jours,  elle  commença  à  s'y  ennuyer,  et 
s'avisa  de  faire  dire  aux  mariés  qu'ils  étaient 
déliés  ;  et  dès  lors  ils  furent  déliés. 

Les  détails  de  ce  désordre  sont  presque 
toujours  si  ignobles,  qu'on  ne  peut  mettre 
sous  les  ycuxd'un  lecleurhonnéte  cet  enclie- 
nillement,  comme  l'appelle  Dclancre  (2). 

Les  mariages  ont  rarement  lieu  en  Russie 
sans  quelque  frayeur  de  ce  genre.  «  J'ai  vu 
un  jeune  homme,  dit  un  voyageur  (3),  sortir 
comme  un  furieux  de  la  chambre  de  sa  fem- 
me, s'arracher  les  cheveux  et  crier  qu'il 
était  ensorcelé.  On  eut  recours  au  remède 
employé  chez  les  Russes,  qui  est  de  s'adrcs- 
ses  à  des  magiciennes  blanches,  lesquelles, 
pour  un  peu  d'argent,  rompent  le  charme  et 
dénouent  l'aiguillette;  ce  qui  était  la  cause 
de  l'état  où  je  vis  ce  jeune  homme.  » 
Noiiement  de  l'aiguilletCe. 

Nous  croyons  devoir rapportercomme  spé- 
cimen des  bêtises  de  l'homme  la  stupide  for- 
mule suivante,  qu'on  lit  au  chapitre  premier 
des  Admirables  secrets  du  Petit  Albert  : 

«  Qu'on  prenne  la  verge  d'un  loup  nouvelle- 
ment tué;  qu'on  aille  à  la  porte  de  celui 
qu'on  veut  lier,  et  qu'on  l'appelle  par  son  pro- 
pre nom.  Aussitôt  qu'il  aura  répondu,  on 
liera  la  verge  avec  un  lacet  de  fil  blanc,  et  le 
pauvre  homme  sera  impuissant  aussitôt.  » 

Ce  qui  est  surprenant,  c'est  que  les  gens 
de  village  croient  à  de  telles  formules,  qu'ils 
les  emploient,  et  qu'on  laisse  vendre  publi- 
quement des  livres  qui  les  donnent  avec  de 
scandaleux  détails. 

On  trouve  dans  Ovide  et  dans  Virgile  les 
procédés  employés  par  les  noueurs  d'ai- 
guilleltede  leur  temps.  Ils  prenaient  une  pe- 
tite figure  de  cire  qu'ils  entouraient  de  ru- 
bans ou  de  cordons;  ils  prononçaient  sur  sa 
tête  des  conjurations,  en  serrant  les  cordons 
l'un  après  l'autre;  ils  lui  enfonçaient  ensuite, 
ù  la  place  du  foie,  des  aiguilles  ou  des  clous, 
et  le  charme  était  achevé. 

Bodin  assure  qu'il  y  a  plus  de  cinquante 
moyens  de  nouer  l'aiguillelle.  Le  curé  Thiers 
rapporte  plusieurs  de  ces  sortes  de  moyens, 
qui  sont  encore  usités  dans  les  villages. 
Contre  l'aiguillette  nouée. 

On  prévient  ce  maléfice  en  portant  un  an- 
neau dans  lequel  soit  enchâssé  l'œil  droit 
d'une  belette;  ou  en  mettant  du  sel  dans  sa 
poche,  ou  des  sous  marqués  dans  ses  souliers, 
lorsqu'on  sort  du  lit  ;  ou,  selon  Pline,  en  frot- 
tant de  graisse  de  loup  le  seuil  cl  les  poteaux 

(l)Démonomanie  des  sorciers,  liv.  IV,  c!i.  S. 
\i)  L'IncréJulité  et  uiécréance,  etc.,  ir.  (i. 


de  la  porte  qui  ferme  la  chambre  à  cou- 
cher. 

Hincmar,  archevêque  de  Reims,  conseille 
avec  raison  aux  époux  qui  se  croient  maléfi- 
ciés  du  nouementde  l'aiguillette,  la  pratique 
des  sacrements  comme  un  remède  efficace  ; 
d'aulres  ordonnaient  le  jeûne  et  l'au- 
mône. 

Le  Petit  Albert  conseille  contre  l'aiguil- 
lelle nouée  de  manger  un  pivert  rôti  avecdu 
sel  bénit  ,  ou  de  respirer  la  fumée  de  la  dent 
d'un  mort  jetée  dans  un  réchaud. 

Dans  quelques  pays  on  se  Halte  de  dénouer 
l'aiguillette  en  mettant  deux  chemises  à  l'en- 
vers l'une  sur  l'autre.  Ailleurs,  on  perce  un 
tonneau  de  vin  blanc,  dont  on  fait  passer  le 
premier  jet  par  la  bague  de  la  mariée.  Ou 
bien,  pendant  neuf  jours,  avant  le  soleil  levé, 
on  écrit  sur  du  parchemin  vierge  le  mot  avi- 
gazirtor.  Il  n'y  a  ,  comme  on  voit,  aucune 
extravagance  qui  n'ait  été  imaginée. 

Voici,  avant  do  finir,  un  exemple  curieux 
d'une  manière  peu  usitée  de  nouer  l'aiguil- 
lette :  «  Une  sorcière,  voulant  exciter  une 
haine  mortelle  entre  deux  futurs  époux,  écri- 
vit sur  deux  billets  des  caractères  inconnus^ 
et  les  leur  fit  porter  sur  eux.  Comme  ce 
charme  ne  produisait  pas  assez  vite  l'effet 
qu'elle  désirait,  elle  écrivit  les  mêmes  carac- 
tères sur  du  fromage  qu'elle  leur  fit  manger; 
puis  elle  prit  un  poulet  noir  qu'elle  coupa 
par  le  milieu  ,  en  offrit  une  partie  au  diable, 
et  leur  donna  l'autre,  dont  ils  firent  leur  sou- 
per. Cela  le»  anima  tellement,  qu'ils  ne  pou- 
vaient plus  se  regarder  l'un  l'autre.  —  Y  a-t-il 
rien  de  si  ridicule? ajoute  Delancre,  persuadé 
pourtant  de  la  vérilé  du  fail ,  et  peut-on  re- 
connaître en  cela  quelque  chose  qui  puisse 
forcer  deux  personnes  qui  s'entr'aiment  à 
se  haïr  à  morl  ?  » 

On  dit  que  les  sorciers  ont  coutume  d'en- 
terrer des  têtes  et  des  peaux  de  serpent 
sous  le  seuil  de  la  porte  des  mariés,  ou  dans 
les  coins  de  leur  maison,  afin  d'y  semer  la 
haine  et  les  dissensions.  Mais  ce  ne  sont  que 
les  marques  visibles  des  conventions  qu'ils 
ont  fuites  avec  Satan,  lequel  est  le  maître  et 
l'auteur  du  maléfice  de  la  haine. 

Parfois ,  continue  Delancre  ,  le  diable  no 
va  pas  si  avant,  et  se  contente,  au  lieu  de  ta 
haine,  d'apporter  seulement  de  l'oubli,  met- 
tant les  maris  en  tel  oubli  de  leurs  femmes, 
qu'ils  en  perdent  tout  à  fait  la  mémoire, 
comme  s'ils  ne  s'étaient  jamais  connus.  Un 
jeune  homme  d'Etrurie  devint  si  épris  d'une 
sorcière  ,  qu'il  abandonna  sa  femme  et  ses 
enfants  pour  venir  demeurer  avec  elle,  et  il 
continua  ce  triste  genre  de  vie  jusqu'à  ce  que 
sa  femme,  avertie  du  maléfice,  l'étant  venue 
trouver,  fureta  si  exactement  dans  la  mai- 
son de  la  sorcière,  qu'elle  découvrit  sous  son 
lit  le  sortilège,  qui  était  un  crapaud  enfermé 
dans  un  pot ,  ayant  les  yeux  cousus  et  bou- 
chés, lequel  elle  prit,  et,  lui  ayant  ouvert  les 
yeux,  elle  le  fit  brûler.  Aussitôt  l'amour  el 
l'affeclion  qu'il  avait  autrefois  pour  sa  femme 

(3)  Nouveau  voyage  vers  le  Septentrion,  1708.  ch.  2. 


fC09 


LIM 


LIT 


101!) 


et  ses  finfanis  revinrent  tout  à  coup  dans  la 
inémoiro  du  jeune  homme,  qui  s'en  relourna 
chez  lui  honteux  et  repentant ,  et  passa 
dans  de  bons  sentiments  le  reste  de  ses 
jours. 

Delancre  cite  d'autres  exemples  bizarres 
des  effeis  de  ce  charme  ,  comme  des  époux 
qui  se  dctes(aient  de  près  et  qui  se  chéris- 
saient de  loin.  Ce  sont  de  ces  choses  qui  se 
voient  aussi  de  nos  jours,  sans  qu'on  pense 
à  y  trouver  du  maléfice. 

Le  P.  Lebrun  ne  semble  pas  croire  aux 
noueurs  d'aiguillette;  cependant  il  rapporta 
le  trait  de  l'abbé  Giiibert  de  Nogent,  qui  ra- 
conte (1)  que  son  père  et  sa  mère  avaient  eu 
l'aiguillelle  nouée  pendant  sept  ans,  et  qu'a- 
près cet  intervalle  pénible  une  vieille  femme 
rompit  le  maléûce  et  leur  rendit  l'usage  du 
mariage. 

Nous  le  répétons  ,  la  peur  de  ce  mal ,  qui 
n'a  guère  pu  exister  que  dans  les  imagina- 
lions  faibles,  était  aulrefois  très-répandue. 
Personne  aujourd'hui  ne  s'en  plaint  dans  les 
villes  ;  mais  on  noue  encore  l'aiguillette 
dans  les  villages;  bien  plus  ,  on  se  sert  en- 
core des  procédés  que  nous  rapportons  ici, 
car  la  superstition  n'est  pas  progressive.  Et 
tandis  qu'on  nous  vante  à  grand  bruit  l'a- 
vancement des  lumières,  nous  vivons  à  quel- 
ques lieues  de  pauvres  paysans  qui  ont  leurs 
devins,  leurs  sorciers,  leurs  présages,  qui  ne 
se  marient  qu'en  tremblant,  et  qui  ont  la  télé 
obsédée  de  terreurs  infernales.  Voy.  Chevil- 

LEMENT,  GniLLANDUS,  LUAQINATIONS  ,  MALÉ- 
FICES, etC. 

LILITH.  Wierus  et  plusieurs  autres  démo- 
nomanes  font  de  Lililh  le  prince  ou  la  prin- 
cesse des  démons  succubes.  —  Les  démons 
soumis  à  Lililh  portent  le  même  nom  que 
leur  chef,  et,  comme  les  Lamies ,  cherchent 
à  faire  périr  les  nouveau-nés;  ce  qui  fait 
que  les  Juifs,  pour  les  écarter,  ont  cou- 
tume d'écrire  aux  quatre  coins  de  la  cham- 
bre d'une  femme  nouvellement  accouchée  : 
«  Adam,  Eve,  hors  d'ici  Lililh  (2).  » 

LILLY  (William),  astrologue  anglais  du 
dix-septième  siècle  qui  se  Dt  une  réputa- 
tion en  publiant  l'horoscope  de  Charles  I". 
11  mourut  en  1681.  Sa  Vie,  écrite  par  lui-mê- 
me, contient  des  détails  si  naïfs  et  en  même 
temps  une  imposture  si  palpable ,  qu'il  est 
impossible  de  distinguer  ce  qu'il  croit  vrai  de 
ce  qu'il  croit  faux.  C'est  lui  qui  a  fourni  la 
partie  la  plus  considérable  de  l'ouvrage  in- 
titulé Folie  des  astrologues.  Les  opinions  de 
Lilly  et  sa  prétendue  science  avaient  tant  de 
vogue  dans  son  siècle ,  que  Gataker  fut 
obligé  d'écrire  contre  celle  déception  popu- 
laire. 

Parmi  un  grand  nombre  d'écrits  ridicules 
dont  le  litre  indique  assez  le  sujet,  nous  ci- 
terons de  Lilly  :  l' le  Jeune  Anglais  Merlin, 
Londres,  1664;  2°  le  Messager  des  étoiles, 
1645;  3°  Recueil  de  prophéties,  1646. 

LIMAÇONS.  Les  limaçons  ont  de  grandes 
propriétés  pour  le  corps  humain,  dit  l'auleur 

(1)  De  Vila  sua,  lib  I,  op.  11. 

(2)  D.  Calmet,  Dissertation  >ur  les  apparit,  lom.  Il, 
e.  74. 


des  Secrets  d'Albert  le  Grand,  et  il  indique 
de  suite  quelques  jocrissades. 

Beaucoup  de  personnes  doutent  si  les  li- 
maçons ont  des  yeux.  On  s'est  guéri  de  co 
doute  par  le  secours  des  microscopes  :  les 
points  ronds  et  noirs  de  leurs  cornos  sont 
leurs  yeux,  et  il  est  certain  qu'ils  en  ont 
quaire. 

LIMBES.  C'est  le  mot  consacré  parmi  les 
Ihéologiens  pour  signifier  le  lieu  où  les  âmes 
des  saints  patriarches  étaient  (iclonues  en 
altendant  la  venue  de  Jésus-Christ.  On  don- 
ne aussi  le  nom  de  Limbes  aux  lieux  où 
vont  les  âmes  des  enfants  moris  sans  bap- 
tême. 

LIMYRE,  fontaine  de  Lycie  qui  rendait 
des  oracles  par  le  moyen  de  ses  poissons. 
Les  consultants  leur  présentaient  à  manger; 
si  les  poissons  se  jetaient  dessus ,  le  présage 
élait  favorable  ;  s'ils  le  refusaient,  surtout 
s'ils  le  rejetaient  avec  leurs  queues  ,  c'éiait 
un  mauvais  indice. 

LINURGUS,  pierre  fabuleuse  qui  se  Irou- 
vait,  dit-on,  dans  le  fleuve  Achéloùs.  Les  an- 
ciens l'appelaient  lapis  lineus.  On  l'enve- 
loppait dans  un  linge,  et  lorsqu'elle  devenait 
blanche,  on  se  promettait  bon  succès  dans 
ses  projets  de  mariage. 

LION.  Si  on  fait  des  courroies  de  sa  peau, 
celui  qui  s'en  ceindra  ne  craindra  point  ses 
ennemis  ;  si  on  mange  de  sa  chair,  ou  qu'on 
boive  de  son  urine  pendant  trois  jours,  on 
guérira  de  la  fièvre  quarte Si  vous  por- 
tez les  yeux  de  cet  animal  sous  l'aisselle, 
toutes  les  bêtes  s'enfuiront  devant  vous  en 
baissant  la  télé  (3). 

Le  Lion  est  un  des  signcsduzodiaque.  Voy. 
Horoscopes. 

Le  diable  s'est  montré  quelquefois  sous  la 
forme  d'un  lion,  disenl  les  démonogrnphes. 
Un  des  démons  qui  possédèrent  Elisabeth 
Blanchard  est  désigné  sous  le  nom  du  lion 
d'enfer.  Voy.  Messie  des  Juifs. 

LISSI,  démon  peu  connu  qui  posséda  De- 
nise de  La  Caille,  et  signale  procès-verbal 
d'expulsion. 

LITANIES  DU  SABBAT.  Les  mercredis  et 
vendredis  on  chantait  au  sabbat  les  litanies 
suivantes,  s'il  faut  en  croire  les  relations  : 

Lucifer,  Belzébulh,  Léviathan,  prenez  pi- 
tié de  nous. 

Baal,  prince  des  séraphins;  Baaibérith, 
prince  des  chérubins;  Aslarolh,  prince  des 
trônes  ;  Rosier,  prince  des  dominations  ;  Car- 
reau ,  prince  des  puissances;  Bélias,  prince 
des  vertus,  Perrier.  prince  des  principautés, 
Olivier,  prince  des  archanges  ;  Junier,  prince 
des  anges;  Sarcueil,  Fume-Bouche,  Pierrc- 
de-Fcu,  Carniveau,  Terrier,  Goutellier,  Can- 
delier,  Béhémoth,  Oilette,  Belphégor,  Saba- 
than,  Garandier,  Dolers  ,  Pierre-Fort ,  Axa- 
phat,  Prisier,  Kakos,  Luccsme ,  priez  pour 
nous  (4). 

Il  faut  remarquer  que  Satan  n'est  pas  in- 
voqué dans  ces  litanies,  non  plus  qu'une 
foule  d'autres. 

(3)  Admirables  secrets  d'All)ert  le  Grand,  p.  109, 

(4)  M.  Garincl,  Hist.  de  la  magie  en  France. 


ion 


DiCTlONNAlRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


ior2 


LITHOMANCIE,  divination  par  les  pierres. 
File  se  faisait  au  moyen  de  plusieurs  cail- 
loux qu'on  poussait  l'un  contre  l'autre,  et 
dont  le  son  plus  ou  moins  clair  ou  aigu  don- 
nait à  connaître  la  volonté  des  dieux. 

On  rapporte  encore  à  cette  divination  la 
superstition  de  ceux  qui  croient  que  l'amé- 
ihyste  a  la  vertu  de  faire  connaître  à  ceux 
ijui  la  possèdent  les  événements  futurs  par 
les  sonj;es. 

On  disait  aussi  que,  si  on  arrose  l'amc- 
llijste  avec  de  l'eau,  ei  qu'on  l'approche  de 
l'aimant,  elle  répondra  aux  questions  qu'on 
lui  fera,  mais  d'une  voix  faible  comme  celle 
d'un  enfant  (1)... 

LITUUS  ,  baguette  d'augure  ,  rrcourbée 
dans  le  bout  le  plus  fort  et  le  plus  épais.  Le 
liluus  dont  on  fil  usage  à  l'élection  de  Numa, 
second  roi  de  llonie  ,  était  conservé  dans  le 
lemple  de  Mars.  On  conte  qu'il  fut  trouvé 
entier  après  l'incendie  général  de  Uome  (2). 
LIVRES.  Presque  tous  les  livres  qui  con- 
tiennent les  secrets  merveilleux  et  les  ma- 
nières d'évoquer  le  diable  ont  été  attribués  à 
de  grands  personnages.  Abel,  Adam,  Alexan- 
dre ,  Albert  le  Grand  ,  Daniel,  Hippocrate, 
Galien,  Léon  ill,  Hermès,  Platon,  saint  Tho- 
mas, saint  Jérôme,  passent,  dans  l'idée  des 
imbéciles,  pour  auteurs  de  livres  magiques. 
La  plupart  de  ces  livres  sont  jninlelligi- 
Itles,  et  d'autant  plus  admirés  des  sots  qu  ils 
eu  sont  moins  entendus.  Voyez  à  leurs  noms 
les  grands  hommes  auxquels  on  attribue  les 
livres  magiques. 

LeLivre  desprodiges, ouUlsMres  et  Aven- 
tures mervcilleiists  et  remarquables  de  spec- 
tres, revenants,  esprits,  fantômes,  dé- 
mons, etc.,  rapportées  par  des  personnes  di- 
gnes de  fui.  1  vol.  in-12,  ô*"  édition  ,  Paris, 
1821  ;  —  compilation  sans  objet.  Voy.  Mira- 
bilis Liber. 
LIZABEÏ,  démon.  Voy.  Colas. 
LOCKI.  Chez  les  Scandinaves,  les  tremble- 
ments de  terre  é!aient  personnifiés  dans  un 
dieu,  un  dieu  mauvais  ,  un  démon  nommé 
Locki.  Après  avoir  répandu  le  mal  dans  toute 
la  Scandinavie,  comme  un  semeur  une  grai- 
ne, Lucki  fut  à  la  fin  enchaîné  sur  des  roches 
aiguës.  Lorsqu'il  se  retourne,  ainsi  qu'un 
niuiade,  sur  son  lit  de  pierres  coupantes,  la 
terre  tremble  ;  lorsqu'il  écume  et  répand  sur 
ses  membres  sa  bave,  qui  est  un  poison, 
ses  nerfs  entrent  eu  convulsion,  et  la  terre 
s'agite  (3). 

LOFAKDE  ,  sorcière  qui  fut  accusée ,  en 
1582  par  sa  compagne,  la  femme  Gantière, 
tic  l'avoir  menée  au  sabbat,  où  le  diable 
lavait  marquée,  lequel  était  vêtu  d'un  hila- 
ret  jaune. 

LOKMAN,  fabuliste  célèbre  de  l'Orient 
qui  vivait,  dit-on,  vers  le  temps  de  David, 
1  e  qui  n'est  pas  certain  ;  il  fut  surnommé  le 
iiage.  Les  Perses  disent  qu'il  trouva  le  secret 
de  faire  revivre  les  morts,  et  qu'il  usa  de  ce 
sicrel  pour  lui-même  ;  ils  lui  accordent  une 
longévité  de  trois  cents  ans  ;  quelques-uns 
prétendent  qu'il  en  vécut  mille. 

ilaires,  t.  I",  p.  \m. 
supcnlilions,  t.  II,  p.  591- 


(1)  IJrowii,  Erreurs  populair 
ij|Lel>ruii,  Traité  des  supc 


Il  a  laissé  un  grand  nombre  d'apologues 
qui  jonissonl  d'une  grande  célébiilc.  Le» 
écrivains  de  l'Asie  réclamenl  pour  lui  la  plu- 
part des  actions  que  les  Grecs  attribuent  à 
Esope. 

LOLLARD  (Gauthier),  hérétique  qui  com- 
mença en  1315  à  semer  ses  erreurs,  qu'il 
avait  prises  des  Albigeois.  Il  rnsrignait  que 
les  démons  avaient  été  chassés  du  ciel  in- 
justement, qu'ils  y  seraient  un  jour  rétablis, 
et  que  saint  Michel  et  les  antres  anges  se- 
raient alors  éternellement  damnés,  il  prê- 
chait des  mœurs  corrompues.  Ses  disciples 
firent  beaucoup  de  mal  ;  pour  lui ,  il  fut 
brûlé  à  Cologne  en  1322. 

LONGÉVITÉ.  On  a  vu,  surtout  dans  les 
pays  du  nord,  des  hommes  qui  ont  prolongé 
leur  vie  au  delà  des  termes  ordinaires.  Cette 
longévité  ne  peut  s'attribuer  qu'à  une  cons- 
titution robuste,  à  une  vie  sobre  et  active, 
à  un  air  vif  et  pur.  11  n'y  a  pas  cinquante  ans 
que  Kolzebue  rencontra  en  Sibérie  un  vieil- 
Lird  bien  portant,  marchant  et  travaillant 
encore,  dans  sa  cent  trente-deuxième  année. 
Des  voyageurs,  dans  le  Nord,  trouvèrent  au 
coin  d'un  bois  un  vieillard  à  barbe  grise  qui 
pleurait  à  chaudes  larmes.  Ils  lui  demandè- 
rent le  sujet  de  sa  douleur:  te  vieillard  ré- 
pondit que  son  père  l'avait  battu.  Les  voya- 
geurs surpris  le  reconduisirent  à  la  maison 
paternelle,  cl  intercédèrent  pour  lui.  Après 
quoi,  ils  demandèrent  au  père  le  motif  d(>  la 
punition  qu'il  avait  infligée  à  son  fils.  —  Il  a 
manqué  de  respect  à  son  grand-père,  ré- 
pondit le  vieux  bonhomme. 

Les  chercheurs  de  merveilles  ont  ajouté  les 
leurs  à  celles  de  la  nalure.  ïorquemada 
conte  qu'en  1531  un  vieillard  de  Trente,  âgé 
de  cent  ans ,  rajeunit  et  vécut  encore  cin- 
quante ans;  clLangius  dit  que  les  habitants 
de  l'île  de  Bonica  en  Amérique  peuvent 
aisément  s'empêcher  de  vieillir,  parce  qu'il 
y  a  dans  cette  île  une  fontaine  qui  rajeunit 
pleinement.  Voy.  Haquin. 

Lorsque  l'empereur  Charles-Quinl  envoya 
une  armée  navale  en  Birbarie,  le  général 
qui  commandait  cette  cxpéililion  passa  par 
un  village  d«  la  Calabre  où  presque  tous 
les  paysans  étaient  âgés  de  cent  trente-deux 
ans,  et  tous  aussi  sains  et  dispos  que  s'ils 
n'en  avaient  eu  que  trente.  C'éiail,  disent  les 
relations,  un  sorcier  qui  tes  rajeunissait. 

En  1773  mourut,  près  de  Copenhague  ,  un 
matelot  nommé  Drakenberg,  âgé  de  cent 
quarante-six  ans  :  la  dernière  fois  qu'il  se 
maria  il  avait  cent  onze  ans,  et  il  en  avait 
cent  trente  quand  sa  femme  mourut.  Il  de- 
vint épris  d'une  jeune  fille  de  dix-huit  ans 
qui  le  refusa  ;  de  dépit,  il  jura  de  vivre  gar- 
çon désormais,  et  il  tint  parole. 

En  1(570,  sous  Charles  H,  mourut  dans 
l'Yorkshire  Henri  Jenkins,  né  en  loOl,  sous 
Henri  VU.  H  se  rappelait  à  merveille  d'avoir 
été  de  l'expédition  de  FlandresousHenri  VIll, 
en  1513.  11  mourut  à  cent  soixante-neuf  ans 
révolus ,  après  avoir  vécu  sous  huit  rois  , 
sans  compter  le  règne  de  Grooîwcll.  Son  der- 
(3)  M.  DiUroii,  Histoire  du  diable. 


te  13 


LOIS' 


nier  méticf  clail  celui  de  pécheur.  Agé  de 

plus  de  cent  ans,  il  traversait  la  rivière  à  la 

iiiagp.  Sa  peiite-fille   mourut  à  Cork  à  cent 

Jircize  ans.  Voy.   Arthephius  ,    Dormants  , 

Fi.AMEL,    Jean    dEstampes  ,    Lokman,  Zo- 

HOASTRE,    etc. 

EXTRAIT  d'un  livre  INTITULÉ  :  Histoire  des 
personnes  qui  ont  vécu  plus  d'un  siècle,  et 
de  celles  qui  ont  rajeuni,  avuc  le  secret  dit 
rajeunissement,  tiré  d'Arnauid  de  Ville- 
neuve,  par  M.  de  Longeville-Har court 
[nous  ne  connaissons  pas  cet  écrivain).  Vol. 
petit  in-12,  Paris,  1716. 

I. 

Dieu,  qui  s'était  occupé  de  lui-même  du- 
rant l'éternité ,  résolut  de  tirer  du  néant  des 
créatures  capables  de  le  louer.  11  forma 
l'homme  à  cet  effet,  et  ce  vaste  univers  des- 
tiné pour  son  apanage  fut  aussitôt  soumis  à 
ses  lois.  L'homme,  dès  l'instant  de  sa  créa- 
tion ,  fut  doué  d'une  immortalité  qui  répon- 
d  lit  à  l'avantage  d'être  sorti  de  la  main  de 
Dieu.  Cétait  le  moyen  de  posséder  pleine- 
ment les  biens  dont  il  était  comblé,  pourvu 
i|u'il  restât  fidèle  à  ses  dovoirs. 

Celle  immortalité  dépendait  de  l'innocence 
où  notre  premier  père  devait  demeurer. 
L'arbre  de  vie,  qui  était  au  milieu  du  para- 
dis terrestre,  la  devait  conserver  ;  il  avait 
la  force  de  réparer  les  dégâts  du  temps  qui 
use  tout. 

Dans  l'état  d'innocence,  l'homme  ne  lais- 
sait donc  pas  d'être  composé  de  parties  dont 
les  qualités  contraires  lui  (louvaient  nuire. 
La  chaleur  naturelle  qui  le  faisait  vivre  dé- 
vorait son  humide  radical;  en  vain  usait-il 
d'aliments  plus  nourrissants  que  les  nôtres, 
il  avait  besoin  de  réparer  les  désordres  que 
causait  ce  feu  qui  le  consumait  intérieure- 
ment; et  comme  la  Providence  n'abandonne 
pas  même  l'homme  criminel,  elle  avait  pré- 
paré pour  l'homme  innocent  l'arbre  de  vio. 

Dans  celte  situation  fortunée,  où  l'homme 
n'était  occupé  qu'à  louer  Dieu,  quelque  temps 
qu'elle  eût  duré,  cet  homme  toujours  jeune 
avait  en  même  temps  les  avantages  de  la 
vieillesse  sans  en  éprouver  les  disgrâces  ;  sa 
raison  possédait  les  lumières  qu'il  lui  fallait 
pour  se  bien  conduire,  et  il  n'avait  pas  be- 
soin d'affaiblir  son  corps  par  l'application  à 
l'étude,  afin  de  rendre  son  esprit  supérieur  : 
ces  deux  parties  de  lui-même ,  également 
innocentes,  ne  formaient,  à  l'envi  l'une  de 
de  l'autre,  aucuns  désirs  opposés  ;  toutes 
deux  semblaient  agir  de  concert  pour  la  fé- 
litilé  de  la  créature. 

L'une  des  principales  merveilles  de  l'arbre 
de  vie  était  donc  de  préserver  1  homme  de  la 
mort.  Il  unissait  si  étroitement  l'âuie  avec  le 
corps ,  que  le  nombre  des  années  ne  les  eût 
pu  séparer,  si  l'innocence  eûl  toujours  sou- 
tenu leur  intelligence  et  prévenu  leur  divi- 
sion. 

Division  funeste  que  causa  l'égarement 
du  premier  homme;  dès  ce  moment  son 
crime  le  rendit  mortel  ;  ses  yeux  s'ouvrirent 
sur  son  infortune;  sa  nudité,  jusqu'alors 
innoccnle,   lui  fit  scnlir  qu'il  élait  devenu 


tO.N  KM 

coupable  en  mangeant  du  fruit  de  l'arbre  de 
la  science  du  bien  et  du  mal  ;  il  en  perilil  le 
rare  privilège  de  l'immortalité  ;  l'arbre  de 
vie  lui  fut  ravi. 

Comme  Adam  n'était  pas  tant  immorlel  par 
sa  propre  conslitulion  que  par  un  secours 
emprunté,  afin  que  la  nécessité  de  l'employer 
lui  apprit  qu'il  en  devait  l'avantage  à  la 
pure  libéralité  de  son  Créateur,  sitôt  que  ce 
secours  manqua,  il  fut  trop  faible  pour  se 
soutenir  par  lui-même  ;  l'innocence  l'ayant 
abandonné,  tout  concourut  à  sa  desiruction  : 
sa  perte  fut  arrêtée,  l'ange  exterminateur  le 
chassa  du  paradis  terrestre;  il  perdit  son 
autorité  sur  tout  ce  qui  était  créé  ;  les  bêtes 
qu'il  avait  nommées  lui-même  le  méconnu- 
rent. Sa  désobéissance  lui  avait  fait  perdre  la 
sainteté  et  la  justice,  dans  lesquelles  il  avait 
été  formé  ;  son  corps  fut  soumis  à  la  mort  ; 
mais  par  la  bonté  de  Dieu  son  âme  resta  im- 
mortelle. 

L'homme  ne  connut  sans  doute  le  prix  do 
l'imraortiilité  qu'après  l'avoir  perdue  ;  et 
comme  la  privation  excite  les  désirs,  cette 
perte  lui  donna  l'envie  d'en  recouvrer  au 
moins  quelque  chose. 

La  crainte  de  mourir  et  le  désir  de  vivre 
furent,  depuis  celte  sensible  perle,  les  pas- 
sions les  plus  naturelles  à  l'homme  ;  il 
tremble  de  finir  avant  d'avoir  à  peine  com- 
mencé d'être.  Il  désire  de  perpétuer  ses  jour^ 
sans  en  comprendre  le  peu  de  durée,  et  dé- 
sespérant d'y  réussir  par  lui-même,  on  le 
voit  appliqué  à  s'en  dédommager,  essayant 
au  moins  d'immortaliser  son  nom  par  la 
célébrité  de  ses  actions. 

Ainsi  les  pères  souhaitent  des  enfants 
pour  revivre  dans  les  temps  futiirs  par  leur 
postérité  ;  les  savants  écrivent  pour  tromper 
l'oubli  par  la  répulation  de  leurs  ouvrages  ; 
les  princes  élèvent  des  palais  et  bâtissent  des 
villes,  pour  êlre  encore  célèbres  après  la 
mort  par  leur  magnificence  ;  et  les  conqué- 
rants ne  désolent  runiver.<;  que  pour  s'éta- 
blir une  renommée  jusque  dans  le  sein  mémo 
de  l'horreur  et  du  carnage. 

C'est  la  pensée  de  ïerluUien  ,  lorsqu'il  a 
traité  des  désirs  que  nous  ressentons  pour 
l'immortalité.  Il  dit  que  celle  passion  qui 
nous  est  resiée  pour  une  durée  sans  fin, 
est  une  preuve  certaine  de  notre  origine  im- 
mortelle. 

Les  physiciens  ajoutent  que  l'homme  ayant 
été  créé  pour  l'immortalité,  il  lui  en  esi  resté 
un  principe  qui  ne  saurait  êlre  détruit  Celle 
opinion  les  persuade  que  le  corps  humain 
renferme  une  source  inépuisable  d'un  baume 
capable  de  faire  recouvrer  celle  longue  vie  ; 
ils  disent  qu'il  est  dans  le  sang,  dans  le  lait, 
dans  la  graisse,  dans  les  us,  dans  la  cer- 
velle, dans  le  crâne,  dans  le  fiel. 

Beker,  fameux  médecin  ,  soutient  que  Dieu 
ayant  mis  dans  la  plupart  des  bêles  une  infi- 
nité d'excellents  antidotes ,  comme  dans  le 
cerf,  la  vipère,  le  loup,  le  lièvre,  le  renard  , 
et  même  dans  les  pierres  où  nous  éprouvons 
des  vertus  amulétiques  ,  telles  que  le  jaspa 
qui  arrête  le  sang,  le  saphir  qui  préserve  la 
vue  dans  la  petite  vérole,  et  la  pierre  néphré- 


§01" 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


10!  G 


tiquo  qui  soulage  les  reins,  il  a  plu  à  sa  bonté 
d'en  répandre  aussi  dans  le  corp9  humain. 
Klles  les  surpassent  môme  aulant  que  la 
rréalure  raisonnable  surpasse  par  sa  dignité 
tous  les  êtres  créés. 

L'Iiomme  en  effet  fut  destiné  pour  élre  le 
roi  de  la  nature.  Son  âme,  la  plus  noble  par- 
tic  de  lui-même,  restée  immortelle  el  l'éga- 
lant aux  anges  ,  communique  à  son  corps 
cette  majesté  qui  brille  encore  sur  son  visage. 
C'est  ce  qui  fait  croire  que  le  corps  humain 
doit  avoir  mille  vertus  qui  lui  sont  resléos  de 
ses  anciennes  prérogatives.  Les  théologiens 
conviennent  qu'il  renferme  un  principe  de 
vie,  parce  qu'il  était  originairement  immor- 
tel :  le  péché ,  qui  l'a  depuis  assujetti  à  la 
mort,  l'a  privé  de  ce  premier  avantage  à  l'é- 
gard du  corps,  sans  néanmoins  anéantir  sa 
nalure,  et  sans  donner  atteinte  à  l'immorta- 
lilé  de  son  âme. 

Ce  n'est  pas  que  le  corps  de  l'homme  eût 
toujours  subsisté  sur  la  terre;  Dieu  ne  l'avait 
mis  dans  le  jardin  de  délices  que  pour  le  cul- 
tiver et  pour  le  garder.  Le  premier  homme 
y  devait  travailler  à  sa  sanctiOcation  par  sa 
fidélité  cl  par  ses  adorations.  Alors,  confirmé 
dans  son  innocence  et  pénétré  du  désir  de 
posséder  son  Dieu,  une  douce  extase  l'eût 
ravi  au  ciel.  Dans  ce  brillant  séjour  que  no- 
Ire  esprit,  selon  saint  Paul,  ne  saurait  com- 
prendre, l'âme,  aidée  dune  faveur  surabon- 
dante ,  eût  glorifié  son  corps;  bonheur  dif- 
féré pour  nous  jusqu'après  la  résurrection. 
11  y  a  là  une  preuve  que  cette  immortalité 
n'est  pns  absolument  perdue;  les  miséricor- 
des divines  l'ont  seulement  suspendue  pour 
ceux  qui  seront  fidèles.  Ainsi  la  prérogative 
d'une  durée  éternelle  n'a  été  qu'interrompue 
et  non  pas  éteinte;  les  sacrements  de  l'Eglise 
(ont  chaque  jour  renaître  l'homme  à  la  grâce 
pour  le  faire  véritablement  revivre  dans 
toute  l'éternité. 

Mais  il  faut  avouer  que  l'homme  a  beau 
désirer  aujourd'hui  cette  immortalité  éga- 
rée, tout  fuit  et  tout  passe  avec  lui;  la  perte 
de  son  innocence  fut  le  terme  de  son  bon- 
heur. Le  péché  originel,  qui  depuis  a  infecté 
toute  la  masse  du  genre  humain,  n'est  effacé 
que  par  le  secours  inespéré  du  baptême. 

La  mort  toutefois  ne  fut  pas  si  prompte  à 
enlever  les  premiers  hommes  qui  habitèrent 
la  terre,  puiscju'il  s'en  trouva  qui  l'habitè- 
rent neuf  siècles  et  au  delà. 

On  peut  dire  ,  à  la  vérité,  que  la  terre, 
alors  toute  nouvelle,  se  ressentant  de  la  bé- 
nédiction de  son  créateur,  était  animée  par 
des  esprits  plus  vifs  et  remplie  de  sucs  bien 
plus  nourriss.inis  qu'après  le  déluge.  Les 
principes  de  sa  fécondité  étaient  encore  en- 
tiers, rien  n'en  avait  altéré  la  bonté  ;  les 
racines  et  les  fruits,  qui  faisaient  les  seuls 
aliments  de  l'homme,  renfermaient  toute  la 
vertu  de  leur  espèce. 

Après  le  déluge,  la  terre  trop  imbibée,  ses 
sels  plus  détrempés  qu'il  ne  convenait,  et 
les  plantes  ne  tirant  leur  substance  que  d'un 
fonds  altéré  par  le  trop  long  séjour  des  eaux, 
n'eurent  ni  d'égales  saveurs ,  ni  de  sembla- 
bles (jiialités  ;  l'homme  ,  n'y  trouvant  plus 


une  nourriture  solide,  dut  avoir  recours  aux 
animaux.  Noé  en  immola  sur  l'autel  qu'il 
éleva  au  vrai  Dieu  en  sortant  de  l'arche  ,  et 
son  sacrifice  fut  agréable 

Alors,  par  l'ordre  du  Seigneur,  l'homme 
commença  à  vivre  de  la  chair  des  bêtes. 
Nourrissez-vous  de  tout  ce  qui  a  vie  el  mot«- 
vcmenl,  dit  le  Seigneur.  Peut-être  celle  sorte 
d'aliments  composés  de  chair  et  de  sang,  fut 
moins  salutaire  aux  corps  accoutumés  aux 
fruits  et  aux  racines.  C'est  l'avis  des  physio- 
logistes. Qui  sait  si  la  vie  n'en  lut  pas  abré- 
gée? La  diversité  des  viandes  est  dangereuse 
à  la  santé,  leurs  différents  sucs  nuisent  à 
leur  digestion  et  portent  dans  les  veines  un 
principe  de  corruption  qui  devient  aisément 
il!  levain  des  maladies  aiguës.  C'est  peut-êlro 
ce  qui  engagea  bien  des  nations  à  s'en  pri- 
ver :  les  Perses,  les  Grecs,  les  Romains,  et 
jusqu'aux  Gaulois,  nos  ancêtres,  issus  de  Ja- 
phet,  fils  de  Noé,  en  fournissent  des  exem- 
ples certains.  La  plupart  des  peuples  de  l'O- 
rient ne  se  servent  que  de  riz;  les  Ecossais, 
les  Islandais  et  les  Irlandais  ne  vivent  pres- 
que que  de  laitages. 

On  sait  que  le  paradis  terrestre  ayant  él6 
planté  d'arbres  dont  les  fruits  devaient  nour- 
rir l'homme  pendant  qu'il  n'avait  pas  appris 
à  vivre  pour  manger,  mais  à  manger  pour 
vivre,  ce  serait  se  déclarer  contre  cette  sage 
abstinence,  dans  laquelle  on  employait  seu- 
lement les  fruits  de  la  terre,  son  lait,  son 
mielel  son  huile,  que  d'en  manger  sans  né- 
cessité les  animaux.  Les  hommes  trop  car- 
nassiers en  tirent  leur  force,  disons  en  même 
temps  celte  férocité  qu'une  pareille  nourri- 
ture pourrait  bien  communiquer  à  ceux  qui 
ont  tant  d'appétit  pour  s'en  engraisser.  Pj- 
Ihagore,  qui  vivait  53'*  ans  avant  Jésus- 
Christ,  défendait  aux  disciples  de  son  école, 
à  Samos  et  à  Tarente,  l'usage  de  toutes  sortes 
de  viandes  :  l'immortalité  de  l'âme,  qu'il  en- 
seignait par  la  métempsycose,  fut  l'orijinc 
de  cette  défense;  c'est  pour  la  soutenir  que 
ces  vers  furent  composés  : 

lieu!  quanlumscelus  est,  in  viscère  viscera  condi, 
Congestoque  avidiim  piiiguoscere  corpore  corpus; 
Alteriusque  aiiiaianlem,  aiiim:iDlis  vivere  lellio. 

Quel  crime  d'enfermer  des  viscères  d.ins 
d'autres  viscères,  d'engraisser  un  corps  af- 
famé en  y  entassant  les  morceaux  d'un  au- 
tre corps,  et  de  faire  vivre  une  chose  animée, 
au  prix  d'une  autre  à  qui  on  a  donné  la 
mort! 

II. — Durée  de  la  vie  des  hommes  dans  le  pre- 
mier âge  du  monde,  depuis  la  création  jus- 
qu'au déluge. 

Il  est  certain  que  depuis  la  création  du 
monde  jusqu'au  déluge,  qui  abîma  la  nalure, 
et  que  les  chronologisles  marquent  vers 
l'an  1656  de  la  création,  2307  ans  avant  Jésus- 
Christ, et  la  600'  de  Noé, les  hommes  vivaient 
très-longtemps  par  rapport  à  ce  qu'ils  ont 
vécu  depuis. 

Ou  la  nature  est  devenue  plus  faible,  ou 
Dieu  avait  jugé  qu'une  longue  vie  était  né- 
cessaire pour  peuper  l'univers,  et  pour  trou- 
ver les  sciences  et  les  arts  :  c'est  ce  qui  pour- 


1017 


LON 


LUN 


mn 


rail  avoir  é(é  cause  que  les  premiers  hom- 
mes onl  vécu  plusieurs  siècles. 

Adam,  le  chef  de  la  race  humaine,  a  vécu 
9.30  ans,  Selh  912.  Enos  903,  Gaïnan  919, 
Walaleel  895,  Jared  962,  Enoch  36:i. 

On  nous  laisse  douier  si  ce  patriarche  est 
mort;  Dieu,  selon  quelques  auteurs,  le  ré- 
serve pour  rassembler  les  justes  lorsqu'ils 
seront  dispersés  par  l'Antéchrist. 

Le  2'v  verset  du  chapitre  v  de  la  Genèse 
porte  que  ce  patriarche  ne  parut  plus,  parce 
que  Dieu  l'enleva. 

Maihusalrm  a  vécu.  969  ans. 

C'est  celui  des  hommes  dont  la  Providence 
a  le  plus  éiendu  les  jours. 

Sur  la  fin  de  ce  premier  âge,  Dieu  résolut 
d'exterminer  la  race  des  hommes,  devenue 
crimiurile  et  infâme.  Alors  la  vie  humaine 
fut  ahrégée.  Dieu  se  repentit  en  quelque  fa- 
çon d'avoir  créé  l'homme;  son  amour  ou- 
tragé par  lingralitude ,  selon  Hugues  de 
Sainl-^  ictor,  ne  donna  que  120  ans  à  la  créa- 
turc,  pour  sortir  de  ses  crimes,  ou  se  dispo- 
ser à  un  déluge  universel. 

Ces  120  ans  jettent  dans  l'erreur  ceux  qui 
veulent  qu'ils  aient  été  marqués  pour  le 
terme  de  la  vie  de  tous  les  hommes  en  géné- 
ral, au  lieu  de  l'avoir  été  seulement  pour  la 
durée  du  monde  d'alors,  à  qui  ce  peu  d'an- 
nées était  donné.  Noé  les  employa,  par  ordre 
du  Seigneur,  à  bâtir  l'arche  qui  devait  con- 
server le  genre  humain  épuré.  Des  huit  per- 
sonnes renfermées  dans  cette  arche  sont 
également  sortis  tous  les  hommes,  les  mo- 
narques et  les  bergers,  les  riches  cl  les  pau- 
vres. 

Noé,  le  restaurateur  de  la  nature,  ainsi 
que  l'appellent  des  interprètes  sacrés,  avait 
O'JO  ans  lorsque  le  déluge  arriva  ;  il  en  vécut 
depuis  350,  preuve  certaine  que  les  120  ans 
tombaient  absolument  sur  le  terme  donné  à 
la  créature  pour  sortir  de  ses  égarements,  et 
non  pas  sur  l'homme  innocent,  ou  sur  celui 
qui  n'était  pas  encore  né.  En  effet  nous  appre- 
nons de  la  Gi'nèse  que  plusieurs  de  cem  qui 
vécurent  après  le  déluge  onl  passé  bien  plus 
de  120  ans  sur  la  terre.  Le  chapitre  suivant 
l'exposera. 

III.  —  Durée  de  la  vie  des  hommes  dans  le 
second  âge  du  monde,  depuis  le  déluge  jus- 
qu'à Abraham. 

Les  eaux  du  déluge,  qui  puriOèrenl  le 
monde  l'an  1656  de  la  création,  tombèrent 
quarante  jours  et  quarante  nuits  sur  la  terre; 
elles  s'y  conservèrent  130  jours,  après  les- 
quels elles  commencèrent  à  diminuer;  cl  la 
terre  ensuite  devint  sèche:  ces  eaux  avaient 
surmonté  de  quinze  coudées  les  plus  hautes 
montagnes,  et  toute  la  nature  en  avait  été 
bouleversée.  La  terre  parut  depuis  avoir 
moins  de  force  dans  ses  productions  ;  il  n'est 
donc  pas  surprenant  que  l'homme  en  ait 
senti  l'altération,  et  que  le  cours  de  sa  vie 
en  ait  été  abrégé.  Malgré  toutefois  celte  ré- 
volution de  l'univers,  nous  ne  laissons  pas 
de  trouver  que  les  jours  de  l'homme  passè- 
nnl  encore  bien  au  delà  des  120  ans. 

Sem.fils  aine  de  Noé,  a  depuis  vécu 600  ans. 


Arphaxat  338,  Salé  W3,  Héber  Wi,  Phaîc" 
239,  Reu  239,  Sarug  230,  Nachor  148,  ci 
ïharé  203. 

Il  semble  qu'à  mesure  que  le  monde  vieil- 
lissait la  terre  perdait  peu  à  peu  de  sa 
vigueur. 

Le  troisième  âge  du  monde  ne  donne  à 
l'homme  que  des  années  toujours  plus 
courtes. 

IV.  — Durée  de  la  vie  des  hommes  dans  le  troi~ 
sième  âje  du  monde,  dejiu's  Abraham. 

Abraham,  le  père  des  croyants,  fils  do 
Tharé,  ne  vécut  que  173  ans;Sara,  sa  femme, 
127 ;Ismaë!, fils  d'Agar, servante  de  Sara,  137. 

Isaac  vécut  lSOans,.Iosèplie  dit  185;  Jacob, 
fils  d'Isaao,  1V7;  Joseph,  fils  de  Jncob  et  de  la 
belle  llachel,  110.  H  gouvernaiU'EgypIe  l'an 
1750  avant  Jésus-Christ. 

Enfin  la  vie  de  Job,  cet  homme  d'une  pa- 
tience admirable,  s'étendit  jusqu'à  217  ans, 
1300  ans  avant  l'incarnation  du  \  erbe. 

V.  — Des  rois  et  des  princes  qui  ont  vécu  plus 

d'un  siècle. 

Fohi,  fondateur  de  l'empire  de  la  Chine, 
1003  ans  environ  avant  Jésus-Christ,  quoi 
qu'en  disent  les  chronologies  fabuleuses  do 
l'empire  du  Milieu,  régna,  dit-on,  115  ans.. 
C'est  lui  qui  prit  un  dragon  dans  ses  éten- 
dards. 

Zénung ,  qui  établit  dans  ce  pays  l'agri- 
culture et  la  médecine,  régna  HO  ans. 

Hoamti  régna  110  ans;  c'est  lui  qui  pritlo 
jaune  pour  la  couleur  des  empereurs  chinois. 

Yao  régna  100  ans,  il  fut  pieux  et  libéral; 
son  empire  fut  affligé  sous  lui  d'un  déluge 
partiel  qui  dura  neuf  ans,  et  ruina  presque 
toute  la  Chine.  Dans  toutes  ces  chroniques 
incertaines  on  voit  des  souvenirs  altérés  do 
l'Ecriture  sainte. 

Apaphus  le  Grand,  roi  de  Thèbes  aux  cent 
portes,  dans  la  basse  Egypte,  régna  100  ans, 
l'an  22i8  du  monde. 

Phiops,  roi  de  Memphis,  dans  la  basse 
Egypte,  régna  aussi  100  ans  ;  il  en  avait  six 
lorsqu'il  monta  sur  le  trône. 

Anliochus  IV,  surnommé  Epiphanes,  mou- 
rut à  l'i^9  ans. 

Homère  vante  Nestor,  fils  de  Nélée  et  de 
Chloris,  lequel  avait  (si  vous  voulez  bien  le 
croire)  300  ans  au  siège  de  Troie  en  Phrygie, 
l'an  2810  ans  du  monde,  et  1184  avant  Jésus- 
Christ. 

Tarquin  le  Superbe,  dernier  roi  de  Home, 
vécut  en  parfaite  santé  90  ans,  selon  Lu- 
cien. 

Agathocle,  roi  de  Sicile,  vécut  95  ans, 

Hicron,  roi  de  Syracuse,  92  ans. 

.\nthoas,  roi  de  Scythie,  90  ans,  et  fut  ttiô 
dans  une  bataille  contre  Philippe,  père  d'A- 
lexandre. 

Bardyles,  roi  des  Illyriens,  vécut  le  même 
âge,  et  mourut  de  la  même  manière. 

Terée,  roi  des  Odrysiens,  92  ans. 

Antigonus.  roi  de  Macédoine,  surnommé 
le  Borgne,  81  ans;  il  mourut  dans  un  com- 
bat  contre SéleucuselLysimachus  en  Phrygie. 

Ptolomée,  fils  de  L.igus,  vécut  80  ans. 

Altalus,  sou  successeur,  82. 


1019 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


WIO 


Mitliiiilnlo,  roi  de  Ponl,  SV. 

Aii;irales,roi  de  Cappadoce,  82;  Penliccas, 
•lui  l'yvait  pris  dans  un  coinbal,  le  fit  pendre 
à  cel  âge. 

Artaxerxès  Mnemon  vécut  9V  ans. 

Synarlhocle,  roi  des  Parlhes,  vint  au  trône 
à  ^"0  ans,  et  mourut  à  87. 

Tigrannes,  roi  d'Arménie,  à  qui  LucuKus 
fil  la  guerre,  vécut  85  ans. 

Hispasme,  roi  des  Caraciens,  vers  la  mer 
Ronge,  aussi  Soans.ïerée,  son  successeur, 
92,  et  Arlabaze ,  successeur  de  Terée,  com- 
mença son  règne  à  86. 

Mnascire,roi  dcsParthes,  parvint  àOGars. 

Massinissa,  roi  de  Numidie,  à  90  ;  il  eut 
un  nis  à  l'âge  du  86  ans,  tant  su  santé  était 
robiiSte. 

Azandre,  qu'Auguste  nomma  roi  du  Bos- 
|)l)ore,  combattit  à  pied  et  à  cheval  à  90  ans  ; 
il  se  laissa  mourir  de  faim  du  déplaisir  d'a- 
voir déplu  à  Auguste. 

Goése,  roi  des  Ommaniens,  dans  l'Arabie 
Heureuse,  mourut  à  115  ans;  tout  cela  sui- 
vant ce  que  rapporte  le  même  Lucien. 

Tuisco ,  premier  roi  des  Germains,  selon 
Tacite,  parvint  à  l'âge  de  173  ans. 

Juvénal  dans  sa  dixième  satire  parle  d'un 
prince  nommé  Pélius  qui  a  vécu  plusieurs 
siècles. 

Pline  assure  qu'un  roi  d'IIIyrie  nommé 
Daddon  avait  vécu  509  ans;  il  ajoute  qu'il 
n'éprouvait  aucune  des  incommodités  de  la 
vieillesse,  peut-être  par  ses  allentions  à  les 
prévenir. 

Xénophon  est  encore  plus  libéral,  donnant 
800  ans  à  l'un  des  rois  latins,  au  père  duquel 
il  en  assure  600. 

Cyrus  le  Grand,  roi  de  Perse,  vécut  un 
siècle. 

Anacréon  rapporte  que  Cyniras,  roi  de 
Chypre,  qui  ruina  ses  Etats  pour  s'enrichir, 
a  vécu  160  ans,  et  qu'Arganthonius,  roi  des 
Tartasses  en  Espagne,  en  a  vécu  130.  Silius 
Italiens  lui  on  donne  300. 

Gordien  l'Africain  fut  salué  empereur 
après  l'âge  de  80  ans,  l'an  241  de  notre  salut. 

Bonfinius  écrit  qu'Attila,  qui  vivait  dans 
le  cinquième  siècle,  parvint  à  124.  ans,  et 
qu'il  mourut  d'excès  aux  fêtes  de  ses  secon- 
des noces.  11  se  nommait  le  Fléau  deDieu,à  la 
différence  de  Cosroès,  roi  des  Perses,  qui  se 
qualifiait  le  Salut  des  hommes. 

Priniislas,  villageois  ou  paysan  qui,  ma- 
rié par  le  sort  à  Libussa,  fille  de  Crocus,  duc 
de  Bohême,  vers  l'an  620,  succéda  à  ce 
duché  qu'il  gouverna  sagement  près  de  50 
*  ans,  vécut  un  siècle,  et  fut  le  premier  roi  de 
ce  pays. 

\  Piast,  paysan  de  la  Crusvicie  en  Pologne, 
ri  qui  en  fut  élu  prince  en  821,  après  que 
Poppiel  II  eut  été  mangé  par  les  rats  avec  sa 
femme  et  ses  enfants,  vécut  120  ans;  il  gou- 
verna ses  sujets  avec  une  douceur  extrême. 
1-a  postérité  de  Piast  n'a  fini  que  dans  la  per- 
sonne de  Casimir  II  dit  le  Grand. 

Alphonse  I",  fils  du  comte  Henri,  issu  de 
llobert,  roi  de  France,  a  vécu  91  ans  ;  il  en 
régna  46  dans  le  onzième  siècle,  on  qualité 
d(  premier  roi  de  Portugal. 


W.  — Chefs  (les  peuples  et  généraux  d'armées 
qui  ont  vécu  plus  d'un  siècle. 

Amrani,  père  de  Moïse  et  d'Aaron,  vécut 
137  ans. 

Moïse,  selon  qu'il  est  rapporté  au  chapitre 
xxxi  (tu  Dentéronome,nc  mourut  qu°^120an$. 

Aaron,  fils  de  Nun,  à  110. 

Joïada,  à  130. 

ïobie,  à  102. 

Mardochée,  oncle  dEslhcr,  à  197. 

Lucius  Metellus,  à  103. 

Marcus  Perpenna  remplit  un  siècle  entier. 

Valère  Maxime  nous  offre  Marcus  Vale- 
rius  Corvinus,  âgé  de  100  ans,  pour  un 
grand  consul,  un  habile  républicain,  un  la- 
boureur expérimenté  ,  un  excellent  citoyen; 
et  ce  qui  comble  tous  les  éloges,  pour  le 
meilleur  père  de  famille,  selon  Galon. 

Xénophon,  le  capitaine  et  l'bislorien  do 
la  retraite  des  dix  mille  Grecs  (qu'il  ramen.i 
de  Perse  en  Grèce  après  la  mort  du  jeune 
Cyrus,  tué  par  son  frère  Artaxerxès  400  ans 
avant  notre  rédemption  ),  passa  l'âge  de  9J 
ans,  malgré  les  fatigues  de  la  guerre  et  l'ap- 
plication à  l'étude. 

Pour  nous  rapprocher  de  notre  temps,  Al- 
bert, ducdeSase,  a  vécu  102  ans. 

François-Albert,  comte  deVignacourt,  en- 
voyé de  France  à  Vienne  en  Autriche,  y 
mourut  à  103  ans,  le  6  juin  1700,  sur  la  pa- 
roisse des  Ecossais,  suivant  son  extrait  fu- 
néraire. Ce  seigneur  remplissait  encore  son 
ministère  avec  toute  la  dextérité  qu'on  pou- 
vait attendre  du  génie  le  plus  élevé  dans  la 
négociation. 

VII.  —  Bes  savants  qui  sont  parvenus  à  de 
très-grands  âjes. 

Epiménide,  de  l'île  de  Crète,  selon  ThéO- 
pnmpe,  a  vécu  157  ans.  D'autres  disent  299. 

Hippocrate,  prince  des  médecins,  104  ans. 

Orbilius,  du  temps  de  Cicéron,  avait  100 
ans. 

Euphranor  enseignait  ses  écoliers  à  100 
ans. 

Demonax  ,  sous  Adrien  ,  mourut  à  100 
ans. 

Galion,  le  médecin  célèbre,  a  vécu  dans 
une  parfaite  santé  104  ans.  Il  ne  mangeait 
rien  qui  ne  fût  cuit,  et  ne  salisfil  jamais  en- 
tièrement sa  faim,  ni  sa  soif;  d'où  son  ha- 
leine se  conserva  toujours  très-douce.  Il  a 
donné  un  traité  de  la  manière  de  se  con- 
server en  sanlé;  et  il  l'observa  si  précisé- 
ment, qu'il  n'eut  aucune  infirmité  dans  toute 
sa  vie. 

Eginius  a  passé  jusqu'à  200  ans. 

Démocrite  mourut  d'abstinence  mal  ré- 
glée à  104  ans.  Interrogé  de  quelle  manière 
il  était  parvenu  à  cet  âge  avec  une  bonne 
santé,  il  répondit  que  c'était  en  mangeant 
du  miel,  et  en  se  frottant  le  corps  d'huile. 

Solon,  Thaïes  cl  Pittacus,  trois  sages  dr 
la  Grèce,  vécurent  chacun  100  ans. 

Zenon,  chef  des  stoïciens,  vécut  98  ans. 

Cléanle,  son  disciple,  99. 

Diogène  arriva  à  l'âge  de  88  ans, 

Platon,  à  81. 


ion 


LO.N 


LOIS 


I0i:2 


AIhénodorc,  précepteur  «l'Auguste,  à  82. 

Nestor,  précepteur  de  Tibère,  à  92. 

Ciesibius,  historien,  mourut  en  se  prome- 
nant, à  124  ans. 

Hicronyme,  cnpilaine  sous  Antigonus  le 
Borgne,  mourut  à  lO't  ans. 

Timée  Tauroémnile,  à  93. 

Aristobule  de  Macédoine,  à90.  Il  avait  com- 
mencé son  Histoire  à  l'âge  de  8Ï  ans,  comme 
il  le  dit  dans  sa  préface. 

)'olémon,  pnëte,  cessa  de  vivre  à  97  ans  ; 
et  il  mourut  à  force  de  rire  ,  pour  avoir  vu 
un  âne  manger  des  Ogues  qu'on  avait  servies 
sur  sa  table. 

Sophocle,  poëte  tragique  d'Athènes,  fut 
étranglé  par  un  grain  de  raisin  à  130  ans. 

L'un  de  ses  enfants  qui  en  avait  85,  l'ayant 
accusé  de  démence  ,  Sophocle  lut  devant  les 
juges  des  vers  qu'il  avait  composés  depuis 
peu,  et  ensuite  leur  dit  : 

Si  je  suis  Sophocle,  je  ne  suis  pas  en  dé- 
lire ;  ou  si  je  snis  en  délire,  je  ne  suis  pas 
Sophocle.  (Erasm.,  1.  Vlll  Apopht.) 

Soi  rate  l'orateur  parvint  à  106  ans,  et 
Gorgias  Lcontinus  à  108. 

Asclépiade,  médecin  de  Pruse,  était  si  vi- 
vacc,  qu'il  serait  peut-être  encore  en  vie. 
sans  une  chute  qui  termina  ses  jours  à  150 
ans.  Il  était  si  certain,  dit-on,  des  principes 
de  la  science  par  laquelle  il  prolongeait  sa 
vie  (quoique  appuyée  sur  les  conjectures  et 
sur  l'expérience) ,  qu'il  consentit  à  passer 
pour  un  ignorant ,  s'il  était  attaqué  de  la 
plus  légère  indisposition.  C'est  lui  qui  le 
premier  employa  le  vin  consme  remède  pour 
la  santé,  au  contraire  d'Androcide  :  ce  der- 
nier écrivait  à  Alexandre  que  le  vin  était  le 
sang  de  la  terre,  mais  le  poison  de  l'homme 
lorsqu'il  en  usait  au  delà  de  ses  besoins. 
Ce  conquérant  en  fit  la  triste  épreuve  un 
vingt-deuxième  de  mai,  303  ans  avant  notre 
salul.  Les  astronomes  chaldéens  lui  avaient 
en  vain  prédit  d'éviter  Babylone,  il  y  mou- 
rut à  33  ans,  n'y  faisant  que  manger,  boire 
et  dormir.  Sortant  un  jour  d'un  festin  où  il 
avait  excessivement  bu  (car  Alexandre  était 
un  fameux  prince,  et  l'un  des  plus  grands 
ivrognes),  un  médecin  l'invita  à  lui  faire 
l'honneur  d'entrer  chez  lui  goûter  son  vin. 
Le  vainqueur  de  l'Asie  y  défia  avec  une 
coupe  de  vin  tenant  quatre  litres,  un  certain 
Prolhéus,  grand  buveur,  quoiqu'il  ne  fût  ni 
Allemand  ni  Suisse.  Cet  homme,  charmé  de 
la  préférence  que  lui  donnait  Alexandre  sur 
toute  la  compagnie,  lui  fit  à  l'instant  raison  ; 
et,  remplissant  aussitôt  le  même  verre,  défia 
le  roi  de  redoubler.  Le  monarque  voulait 
partout  vaincre;  il  but:  mais  son  estomac 
ne  pouvant  garder  le  vin  dont  il  le  noyait 
par  une  vanité  hors  de  saison  ,  la  coupe  fa- 
tale tomba  de  ses  mains,  une  violente  fièvre 
le  saisit  et  l'emporta  le  douzième  jour.  Ainsi 
le  vin  l'empoisonna  pour  en  avoir  trop  pris, 
comme  lui  avait  écrit  Androcide. 

Juvénal,  poëte  latin  du  premier  siècle, 
vécut  plus  de  100  ans  ;  il  en  avait  50  lors- 
qu'il composa  sa  seizième  satire  contre 
Paris,  l'un  des  comédiens  de  Néron. 

Gralinus,  autre  poëte  fameux,  selon  la 


qualriènie  satire  du  premier  livre  d'Horace, 
était  âgé  de  près  d'un  siècle,  lorsciu'il  expira 
de  douleur  en  voyant  un  tonneau  rompu  , 
et  le  vin  qui  s'en  répandait. 

Aristarqiie,poëtedeTégée  enArcadic,sous 
Plolomée  Philadelphe,  passa  l'âge  de  100 
ans.  C'est  lui  qui  disait  :  Je  ne  puis  écrire 
ce  que  je  voudrais,  et  je  ne  veux  pas  écrire 
ee  que  je  pourrais. 

Pacuvius,  neveu  d'Ennius,  mourut  dans 
ïarenle  à  près  de  100  ans. 

Varron,  le  plus  savant  des  Romains  ,  et 
l'intime  de  Cicéron,  à  qui  il  dédia  son  livre 
de  la  langue  latine,  et  que  l'on  dit  avoir 
composé  plus  de  500  volumes,  vécut  aussi 
près  d'un  siècle. 

Carnéades  d'Athènes,  que  Cicéron  et  Caton 
cstiuinient  l'homme  du  monde  le  plus  élo- 
quent, s'empoisonna  à  90  ans,  du  chagrin 
qu'il  eut  de  la  mort  d'Antipater.  C'est  ce 
Carnéades  qui  élonna  si-  fort  le  sénat  de 
Rome,  à  qui  il  parlait  comme  ambassadeur 
d'Athènes,  qu'on  le  renvoya  au  plus  tôt, 
tant  son  éloquence  éblouissait  les  esprits  par 
la  subtilité  de  ses  raisons. 

Vlll. — Prélats  et  gens  d'église,  dont  les  jours 
ont  été  très-longs. 

L'histoire  des  Machabées  nous  instruit  do 
la  mort  de  Mathalhias,  à  146  ans  ;  il  soute- 
nait la  religion  de  ses  pères  et  l'honneur 
de  sa  patrie  :  ce  vieillard  intègre  refusait  de 
manger  des  viandes  défendues  ,  et  même  de 
faire  semblant  d'en  manger. 

Saint  Jean  l'Evangéliste  vécut  plus  de  100 
ans. 

Saint  Siméon,  successeur  de  saint  Jacques, 
deuxième  évéque  de  Jérusalem,  fut  mis  en 
croix  sous  Trajan,  à  120  ans.  La  conformité 
de  sa  mort  avec  celle  du  Fils  de  Dieu  lui 
donna  des  forces  pour  la  souffrir  en  jeune 
athlète. 

Saint  Polycarpe,  évêque  de  Smyrnc,  dis- 
ciple de  saint  Jean  ,  fut  brûlé  à  99  ans. 

Nircisse,  successeur  de  saint  Siméon, 
mourut  à  166  ans,  sous  Septime-Sévère. 

Olaûs  Magnus  parle  d'un  évêque  d'An- 
gleterre, nommé  David,  qui  mourut  âgé  de 
170  ans. 

Ojius,  évéque  de  Cordoue,  vécut,  selon 
Ellies  Dupin,  101  ans,  étant  né  en  257,  et 
mort  en  358.  Tillemont  prétend  qu'il  a  vécu 
lO'i-  ans.  A  100  ans  il  tomba  dans  l'aria- 
nisme,  pour  avoir,  par  faiblesse,  souscrit  en 
357  la  formule  arienne  de  Sirmiura.  Mais 
saint  Athanase,son  ami,  déclare  qu'en  mou- 
rant il  protesta  contre  cet  égarement,  et 
condamna  formellement  l'hérésie  d'Arius  , 
dans  laquelle  l'empereur  Constance  l'avait 
forcé  d'entrer. 

Pierre  de  Natalibus  assure  que  saint  Se- 
verin,  évêque  de  Tongres,  vécut  175  ans. 

Saint  Kenigern,  dont  Bollandus  parle  au 
15  janvier,  parvint  à  185  ans. 

Saint  Paul  l'Ermite,  le  premier  des  hom- 
mes que  l'Esprit  de  Dieu  porta  dans  une 
sainte  retraite.  Ce  chef  des  anachorètes,  qui 
préféra  le  silence  des  rochers  et  la  tranquil- 
lité des  forêts  à  la  société  des  hommes ,  uc 


1023 


cessa  de  vivre  qu'à  113  ans  :  il  parvint  à  cet 
Âge  malgré  ses  niacéralions  et  son  jeûne 
continuel.  Sa  reîraite  était  un  désert ,  où  de 
l'eau  et  quelques  dattes,  avec  la  nioilic  d'un 
pelit  pain  que  depuis  l'âge  de  63  ans  la  l'ro- 
vidcnce  lui  envoyait  chaque  jour,  ont  suffi 
à  sustenter  sa  vie.  Mais  l'amour  de  Dieu  est 
un  grand  aliment. 

Saint  Antoine ,  cet  autre  solitaire  que 
l'Egypte  aima  comme  son  enfant,  l'Afrique  et 
l'Asie  comme  leur  citoyen  ,  l'univers  cntirr 
comme  son  proicctcur,  ce  grand  serviteur  de 
Lieu  vécut  jusqu'à  103  ans. 

Daniel  le  prophète  parvint  à  l'âge  de  lîO 
ans. 

Pietro  délia  Valle  écrit  au  quatrième 
lomc  de  ses  Relalions  qu'en  1C2()  le  Père 
Gaspard  Dragonetti ,  jésui'e  ,  âgé  de  près  de 
120  ans,  était  encore  frais  et  robuste;  il  avait 
toujours  ses  dents,  lisait  sans  lunettes  et  fai- 
sait journellement  ses  leçons  dans  l'un  des 
collèges  de  Rome  ,  avec  celte  éloquence  vive 
et  persuasive  qui  ne  trouve  rien  d'impossible 
et  qui  sera  toujours  l'apanage  des  enfants  de 
saint  Ignace. 

Saint  Samson,  évoque  de  Dol,  avait  vu  trois 
siècles;  il  naquit  en  493  de  Jésus-Christ, 
vécut  le  cinquième  siècle  entier  ,  et  mourut 
en  607,  le  28  juillet,  âgé  de  112  ans. 

Sous  Thuatalus,  quatrième  roi  d'Hibcrnie, 
qui  régnait  l'an  540  de  notre  rédemption, 
saint  Mochée  cessa  de  vivre,  dit-on  ,  à  300 
ans. 

Dom  Félibien  a  laissé  des  mémoires  sur 
son  ordre  ,  où  l'on  trouve  ,  pag.  502  ,  que 
Turquétule,  cousin  germain  d'Edouard  1 ', 
dit  le  Vieux,  après  avoir  été  longtemps  chan- 
celier d'Angleterre  sans  être  marié ,  se  fit 
moine,  et  fut  nommé  abbé  du  monastère  de 
Croyland  ,  que  les  Normands  avaient  ruiné 
vers  l'an  820,  en  sorte  qu'à  peine  cinq  reli- 
gieux y  pouvaient  subsister.  —  Turquétule 
le  fit  rebâiir ,  et  dota  cette  abbaye  de  six 
terres  qu'il  possédait.  Avant  sa  retraite,  par 
cri    public   dans    Londres    il  en   avait    fait 
avertir  ses  créanciers  et  tous  ceux  à  qui  il 
pouvait  avoir  fait  quelque  tort,  injustice  ou 
violence  ,  dans  le  dessein  de  les  réparer  au 
triple.  —  11  s'adonna  ensuite  tout  entier  à  ré- 
tablir son  couvent,  qui  devint  plus  florissant 
que  jadis.  Il  y  fil  rcnailre  l'ancienne  ferveur  ; 
il  divisa  les  moines  en  trois  classes  :  la  pre- 
mière, composée  des  jeunes,  jusqu'à  la  vingt- 
quatrième  année  de  profession,  portait  tout  le 
poids  des  offices,  du  chœur  et  de  la  maison  ; 
la  seconde  ,  jusqu'à  la  quarantième  année, 
avait  beaucoup  moins  d'obligations  publi- 
ques à  remplir;  la  troisième  classe,  jusqu'à 
la  cinquantième  année  de  profession,  com- 
prenait uniquement    les   anciens,   nommés 
Sympeclœ;  ils  avaient  la  liberté  de  vivre  en 
tranquillité  ,  sans  même  qu'on  leur   parlât 
jamais  d'affaires  temporelles.  Les  cinq  moi- 
nes trouvés  dans  l'abbaye  vécurent  tous  au 
delà  d'un  siècle.  L'un,  nommé  Glérambaut, 
parvint  à  l'âge  de  148  ans  ;  Swarlinge  arriva 
à  sa  142'  année;  Turgar  mourut  à  113  ans. 
Turquétule  leur  rendit  les  devoirs  funèbres, 
et  vécut  lui -mémo  88  ans. 


DICTIONNAIRE  DES  SCII':NCES  OCCLLTES.  lOîi 

Etienne  Mabillon  ,  père  du  célèbre  béné- 
dictin, avait  passé  l'âge  de  108  ans  lorsqu'il 
mourut.  Il  était  fils  d'un  homme  qui  en  avait 
vécu  116.  Ils  étaient  de  Pierremont  eu 
Champagne. 

Saint  Simon  Stock  vécut  100  ans. 


IX.  —  Personnages  de  diverses  conditions  qui 
ont  vécu  plus  d'un  siècle. 

Pierre  Mafféi  rapporte  que  ,  dans  le  Bcn- 
ga!a,  un  paysan  avait  vécu  333  ans,  s'il  n'y  a 
pas  erreur  dans  les  chiffres. 

Guy  Donalus  remarque  qu'en  122.3  il  con- 
nut un  certain  Richard  à  qui  on  donnait  plus 
de  4C0  ans;  il  était  soldat  de  profession  ,  et 
pouvait  avoir  porté  les  armes  sous  Gharle- 
magne. 

Jean  d'Etampcs  ,  écuyer  de  Charlemagne, 
parvint  à  un  âge  semblable  à  celui  de  Ri- 
chard. Il  mourut  sous  Louis  ^  II,  dit  le  Jeune, 
en  1146. 

Sousl'empercur  Claude  H  on  vérifia  qu'un 
citoyen  de  Bologne,  nommé  Fullonius,  avait 
152  ans. 

Lucius  Térenlius,  de  la  même  \  ille,  prouva 
qu'il  avait  130  ans  sous  A  espasien. 

Bucchanan  en  donne  170  à  Laurent  Hut- 
land. 

Ovide  parle  de  son  père ,  frais  et  vigou- 
reux à  90  ans. 

Pline  nous  entretient  avec  étonnement  de 
l'heureuse  et  agréable  vieillesse  du  musicien 
Xénophile.  A  130  ans  il  en  paraissait  avoir 
50,  exemple  cité  comme  miraculeux. 

La  vieillesse  n'était  apparemment  pas  si 
difficile  à  supporter  chez  les  anciens  que  chez 
nous  ,  quoique  le  poëte  Euripide  ,  dans  son 
Hercule  furieux  ,  assure  qu'elle  est  plus 
lourde  que  tout  le  mont  Athos. 

C'est  dans  ce  sens  que  saint  Grégoire, 
évêque  de  Nazianzc,  écrivait  qu'il  était  ac- 
cablé d'une  vieillesse  plus  pesante  que  toutes 
les  montagnes  de  Sicile. 

Si  ces  grands  hommes  eussent  connu  lo 
traité  que  Cicéron  on  a  adressé  à  Atticus.  ils 
eussent  changé  de  sentiments.  Caton  le  Cen- 
seur y  prouve  si  agréablement  à  Scipion  el  à 
Lélius  que  la  vieillesse  n'affaiblit  ni  l'esprit 
ni  le  corps,  qu'elle  n'ôle  nullement  le  goût  ni 
l'usage  des  agréments  de  la  vie  ,  et  qu'elle 
n'est  pas  plus  que  la  jeunesse  menacée  d'une 
mort  prochaine,  que  je  ne  sais  trop  si  l'âge 
florissant  lui  est  préférable. 

Lorsque  les  empereurs  Vespasicn  etTilus, 
son  fils,  faisaientle  dénombrement  de  l'Italie, 
on  trouva  à  Vellejacium,  près  de  Plaisance, 
63  hommes  âgés  chacun  de  110  ans  ,  quatre 
qui  en  avaient  chacun  120  ,  deux  qui  en 
avaient  125  ,  quatre  130  ,  autant  qui  en 
comptaient  137,  et  trois  vieillards  de  140  ans. 

A  Parme,  on  en  trouva  trois  âgés  chacun 
de  120  ans,  et  deux  de  130;  à  Plaisance  ,  un 
de  131  ;  et  enfin ,  à  Bologne ,  Lucius  Téren- 
tius ,  fils  de  Marcus ,  et  à  Rimini ,  Marcus 
Apponius,  qui  avaient  loO  ans  chacun. 

"V^incent  Coquelin,  maître  chapelier,  mou- 
rut à  Paris,  sur  la  paroisse  de  Saint-Sulpice, 
vers  1C64,  à  112  ans. 
L'Ordinaire  de  Hollande  du  3  avril  1687 


tOâS 


LON 


LON 


fOîO 


faisait  mention  d'un  homme  nommé  Galdo  , 
passant  alors  par  Venise  ;  il  avait  son  por- 
trait avec  lui  :  les  maîtres  de  l'art  le  recon- 
naissaient pour  être  du  Titien  ,  qui  vivait 
130  ans  auparavant.  Gaido  pouvait  en  avoir 
30  lorsqu'on  l'avait  point  ;  le  tout  revenait  à 
ICO  ans  sans  ce  que  Galdo  aura  pu  vivre  de- 
puis 1G87. 

Guillaume  Rouillé,  dans  la  troisième  par- 
tie de  sa  PréexcellencR  de  la  Gaule,  rapporte 
que  dans  la  paroisse  d'Aiicines,  près  d'Alen- 
çon  en  Normandie,  il  mourut  de  son  temps 
un  homme  âgé  de  srpl-viiigt-dix  ou  150  ans. 

Le  même  auteur  dit  encore  que  Philippe 
Jounnès,  père  d'un  doses  beaux-frères,  avait 
12i  ans  lorsqu'il  écrivait  son  livre. 

Alexandre  Benoit  et  Cardan,  après  Albert 
le  Grand,  remarquent  qu'un  homme  de  Sa- 
mothrace  était  frais  et  vigoureux  à  plus  de 
104  ans. 

Jacques  II,  roi  d'Angleterre  (à  qui  la 
France,  asile  ordinaire  des  piinces  ,  a  s-ervi 
de  retraite  lors  de  l'invasion  de  l'Angleterre 
en  1688) ,  a  eu  la  bonté  de  dire  à  l'auteur  de 
ceci,  en  présence  de  .Monsieur,  frère  de  Louis 
le  Grand,  que,  le  9  octobre  1633,  Thomas 
Parte,  Anglais,  âgé  de  152  ans  (t  quelques 
mois,  avait  été  présenté  au  roi  Charles  I", 
père  de  Jacques  il  et  de  feu  Charles  II,  son 
Irôre  aîné. 

Ce  vieillard  ,  de  la  paroisse  d'Alberbury, 
était  né  l'an  1483;  il  avait  vu  dix  rois,  ses 
souverains  :  Edouard  iV  ,  Edouard  V  ,  Ri- 
chard III,  Henri  VII ,  Henri  A  III ,  qui  com- 
mença le  schisme  ,  Edouard  \l ,  Marie  ,  qui 
rétablit  la  religion  orthodoxe,  Elisabeth^  qui 
la  renversa  ;  Jacques  V  ,  roi  d'Ecosse  et  pre- 
mier d'Angleterre,  de  la  maison  des  Stuarls; 
et  Charles  I",  son  fils,  à  qui  on  le  présentait. 
Parke  mourut  seize  ans  après,  à  Londres,  le 
24  novembre  1631,  sans  douleur,  à  169  ans. 
L'ouverture  de  son  corps  présenta  des 
viscères  fort  sains  ;  les  seuls  poumons  étaient 
noyés  dans  le  sang;  les  médecins  attribuè- 
rent sa  mort  prompte  à  l'air  grossier  de 
Londres. 

Presque  au  même  temps  la  comtesse 
d'AroniJel  présenta  à  la  reine ,  épouse  de 
Charles  1'='',  une  sage-femme  âgée  de  123  ans, 
laquelle  deux  ans  avant  exerçait  encore  sa 
profession. 

Dans  la  province  de  Northamphton,  en 
Angleterre,  Jean  James,  sur  la  fin  de  juillet 
1705,  cessa  de  vivre  à  122  ans  ,  encore  assez 
fort  et  d'assez  bon  sens. 

François  Secardi  Hongo,  surnommé  Hup- 
pazzolij  mourut  à  114  ans  10  mois  et  12 
jours ,  de  la  gravelle  accompagnée  d'un 
rhume,  le  27  janvier  1702,  dans  la  ville  de 
Smyrne,  où  il  était  consul  pour  les  Vénitiens  ; 
il  n'avait  jamais  été  malade,  sans  doute  par 
la  diète  qu'il  avait  toujours  observée  avec 
exactitude.  Sa  vue,  son  ouïe,  sa  mémoire  et 
son  agilité,  étaient  surprenantes;  il  faisait  à 
pied  quatre  lieues  par  jour;  à  100  ans  ses 
cheveux  blancs  redevinrent  noirs,  ainsi  que 
ses  sourcils  et  sa  barbe;  et  ce  qui  est  de  plus 
admirable,  toutes  ses  dents  étant  tombées,  il 
lui  en  perça  deux  grosses  à  la  mâchoire  d'en 


haut,  un  an  avant  son  décès.  Il  usait  d'eau 
de  scorsonère  pour  toute  boisson ,  sans 
prendre  vin,  liqueur,  sorbet,  café  ni  tabac; 
il  vivait  d'un  peu  de  potage,  de  gibier  rôti, 
cl  de  fruits  qu'il  prenait  avec  le  pain;  il  ne 
mangeait  jamais  hors  de  chez  lui,  pour  ne 
pas  interrompre  son  régime;  il  était  catho- 
lique, homme  d'honneur,  d'esprit  et  de  mé- 
rite. 

Le  19  novembre  de  la  môme  année  1702 
mourutau  village  de  Vendeuille  on  Lorraine 
Mathieu  Littard,  dit  la  Ronce,  âgé  de  113 
ans;  il  avait  servi  dans  la  dernière  guerre 
d'Italie,  du  règne  de  Henri  IV. 

Lefèvre  de  Lezeau,  oncle  de  d'Ormesson, 
entrait  au  conseil  du  roi   à  100  ans  passés. 

La  marquise  de  Luxembourg  mourut  à 
101  ans. 

Eu  1708  Catherine  de  la  Croix  en  Lyon- 
nais mourut  à  113  ans. 

En  1709  Jeanne  Carrière,  près  de  Langresj 
à  116  ans. 

Augustin  Galand,  de  Savignac  en  Auver- 
gne, à  115  ans. 

Le  curé  de  Sassetot,  pays  de  Caux,  à  116 
ans,  plein  de  connaissance  et  de  bon  sens. 

Nicolas  de  Bezanes,  à  106  ans. 

Claude  Baranger,  près  d'Issoudun,  à  10*7 
ans. 

La  femme  de  Sagonne,  notaire  à  Margauxj 
dans  le  Médoc,  à  116  ans. 

Anne  Marna,  à  Paris,  chez  madame  la  pré- 
sidente de  Bretonvilliers,  à  102  ans. 

En  1710  Jean  Mensard  cessa  de  vivre  à 
110  ans,  avec  bon  sens  et  jugement.  Il  avait 
épousé  dix  femmes;  celle  qui  lui  a  survécu 
avait  dix-huit  ans  lorsqu'il  l'épousa  âgé  de 
9J  ans. 

Le  sieur  de  Roque,  avocat,  près  d'Ageri, 
mourut  à  111  ans. 

Michel  de  GourgueSj  seigneur  de  la  Buge,- 
à  105  ans  et  8  mois,  dans  la  ville  de  Saintes; 
s4x  jours  avant  il  avait  été  à  la  chasse. 

Guillaume  Delabal,  à  la  Flèche,  à  111  ans. 

Le  sieur  Castra,  avocat  à  Bordeaux,  à  111 
ans  10  mois  et  10  jours. 

Jeanne  Tiberge,  veuve,  parois.-e  Saint-f 
Germain-l'Auxerrois,  à  Paris,  à  104  ans. 

Michel  Fortin,  de  Viinoulier  eu  Norman- 
die, à  116  ans  et  4  mois. 

Louis  Amiot,  de  Geay,  près  de  Charente  en 
Aunis,  à  107  ans  et  3  mois.  Il  avait  eu 
sept  femmes,  et  cherchait  la  huitième;  il 
avait  vu  sa  cinquième  génération. 

Jean  Guichard,deSainte-Aulaye,à  lOSans. 

Catherine  Peliglau,  de  Grès  près  de  Beau* 
vais,  mourut  fille  le  10  octobre  1710,  à  113 
ans. Elle  était  née  pendant  que  Henri  le  Grand 
assiégeait  Amiens, que  les  Espagnols  avaient 
surpris  avec  des  noix  au  mois  de  mars  1397. 

Rachel  du  Bichois  cessa  de  vivre,  la  môme 
année,  dans  la  ville  de  la  Rochelle  à  107 
ans  3  mois  et  8  jours.  Elle  avait  été  vingt- 
deux  fois  mère.  Le  cardinal  de  Richelieu 
l'avait  ramenée  de  la  religion  prétendue  ré-^ 
formée  au  bercail  de  Jésus-Christ  pendant 
le  siège  de  celte  ville  en  1628.  Louis  XIIJ, 
de  glorieuse  mémoire,  lui  avait  fait  l'hon» 
ncur  de  manger  deux  fois  chez  elle  dan» 


W27 


DICTIONNAIUE  DES  SCIENCES  OCCLLTES. 


1028 


uue  maison  Je  plaisance  qu'elle  avait  à  deux 
lieues  de  lu  Rochelle  et  dans  laquelle  li-s 
incommodiléi  du  sicgc  l'avaient  obligée  de 
se  retirer, 

La  veuve  Lenioine,  paroisse  de  S.iitU-Ni- 
colas  du  Chardoniict  à  Paris  ,  acheva  sa 
carrière  le  15  novembre  1710  à  10(i  ans. 

La  veuve  Faveja,  à  Carrnan,  diocèse  de 
Toulouse,  mourut  le  3  décembre  suivant,  à 
113  ans.  Elle  n'avait  jamais  usé  do  remèdes. 

En  1711  Benoît  Chauinont  de  S.iint-Bon- 
net  en  Auvergne,  mourut  à  110  ans  2 
mois  et  3  jours. 

Henri  le  Boucher,  de  la  ville  de  Caen,  sei- 
gneur de  Verdun,  à  115  ans;  il  n'avait  ja- 
mais été  malade;  son  père  avait  vécu  108 
ans,  son  Gis  en  avait  73. 

La  dame  Coupper  présenta  alors  à  la 
reine  d'Angleterre,  Anne  Stuart,  une  femme 
âgée  de  128  ans. 

Lucrèce  Jovin,  du  diocèse  d'Aulun,  passa 
à  une  meilleure  vie,  le  21  avril  1711,  à  108 
ans.  Elle  avait  toujours  lu  et  écrit  sans  lu- 
nettes. 

Guillaume  Crevin,  doyen  des  avocats  de 
Pont-l'Evêque  en  Normandie,  mourut  le 
6  mai,  à  107  ans. 

La  dame  deGouserans,prèsdeTorniac,  au 
diocèse  de  Cahors,  mourut  dans  son  château 
de  Casoul  à  111  ans.  La  veille  de  son  décès 
elle  était  allée  à  pied  à  sa  paroisse  faire  une 
confession  générale  de  sa  vie  depuis  l'âge  de 
cinq  ans,  avec  mémoire  et  bon  sens. 

Jac(iues  Thévenol,  laboureur,  à  Château- 
Vilain  en  Champagne,  mourut  le  11  sep- 
tembre, à  114  ans.  Le  mois  précédent  il  avait 
fauché  des  prés  :  (rois  épouses  successives 
lui  avaient  donné  trente-neuf  enfants. 

Le  chevalier  Bulslradc  à  Sainl-Germain- 
en-Layc,  près  de  Paris, décéda  le  3  octobre, à 
105  ans;  il  laissait  dix-sept  enl'an'.s,  dont 
l'aîné  avait  72  ans,  et  le  dernier  14. 

En  1712  Angélique  Boursaut  de  Vientais, 
fondatrice  et  supérieure  des  religieuses  de 
Beaulieu,  près  de  Loches  en  Tourrainc,  passa 
de  cette  vallée  de  misères  à  la  céleste  Jéru- 
salem, le  13  mars,  à  I  âge  de  112  ans. 

François  Drouin,  de  Chautnont  en  Lyon-  ' 
nais,  mourut  le  9  novem))ic,  à  103  ans. 

Anned'Aleçon,  veuve  du  sieur  Manueville, 
mourut  âgée  de  106  ans,  le  15  du  môme  mois, 
à  Abbeville. 

Alain  des  Croches,  curé  de  Saint-Pierre-de- 
la-Rivière,  au  diocèse  de  Lisicux.  passa  au 
mois  de  décembre,  âgé  de  113  ans;  il  était 
curé  de  sa  paroisse  depuis  81  ans,  et  célé- 
brait encore  la  sainte  messe  peu  de  mois 
avant  son  décès. 

La  daine  de  la  Chassagne  mourut  la  môme 
année,  à  108  ans. 

Madelaine  le  Cas  ,  religieuse  de  Notre- 
Dame  de  Soissons,  y  décéda  le  3  janvier  1713, 
à  107  ans. 

La  demoiselle  Jeanne  Boor,  au  village  de 
Peunnetier,  près  de  ïrémolal  en  Périgord  , 
mourut  le  12  août  de  la  même  année,  à  108 
ans.  A  l'âge  de  90  ans  une  fièvre  avait  fait 
tomber  ses  cheveux  blancs,  qui  avaient  re- 
poussé U'jirs;  lesquels  blanchirent  de  nou- 


veau à  100  ans,  et  peu  après  retombèrent, 
et  revinrent  encore  noirs. 

Jacques  Liiik,  archevêque  de  Tuam  en 
Irlande,  et  aumônier  d'honneur  de  Charles  11. 
roi  d'Espagne,  mourut  à  Paris,  le  29  octobre 
1713,  à  103  ans. 

Dans  le  cours  de  cette  année  1713  fut  cé- 
lébré le  mariage  du  nommé  Larcher,  jardi- 
nierdc  la  paroisse  Saint-Hippolyle,  faubourg 
Saint-Marcel, à  Paris;  il  épousait  (en  juillet), 
à  l'âge  de  103  ans,  une  femme  de  76.  Ces 
éponx  faisaient  ensemble  179  ans. 

On  avait  vu  deux  ans  auparavant,  en  1711, 
im  mariage  non  moins  suiprenant  :  celui  de 
Jeanne  Scrimphau,  Anglaise',  de  la  paraisse 
de  Bow,  née  le  3  avril  loS'i-;  elle  épousait  à 
127  ans  Edouard  Korkains,  dont  nous  igno- 
rons l'âge. 

Jean  Guillot ,  de  lu  ville  de  Dun-sur- 
Meuse,  au  diocèse  de  Reims,  finit  sa  vie  le  8 
décembre  1713,  à  l'âge  de  109  ans;  il  n'avait 
pas  un  seul  cheveu  blanc.  Son  ami  Jean  Ju- 
vin,  manœuvre  deBrieule  près deDun, l'avait 
précédé  de  peu  de  jours,  à  114  ans. 

Le  28  décembre  1713  la  princesse  Ulrique 
Eléonore,  sœur  de  Charles  XU,  roi  de  Suède, 
et  régente  du  royaume  pendant  son  absence, 
ayant  assemblé  les  états  ,  le  nommé  Dannc- 
man,  député  du  quatrième  ordre,  qui  est  ce- 
lui des  paysans  ,  y  parla  avec  applaudisse- 
ments, quoique  âgé  de  plus  de  100  ans. 

Charles  Pasquot ,  major  des  bourgeois  de 
Joinville,  mourut  à  111  ans,  en  1714;  il  avait 
peu  de  jours  avant  tiré  le  papeguay  avec  les 
chevaliers  de  l'arquebuse. 

Le  29  mars  1714,  jeudi  saint,  la  cérémonie 
du  l.ivemcnt  dus  pieds  (jue  l'empereur  Char- 
les VI  et  les  trois  impératrices  ,  la  régnante 
et  les  deux  douairières  ,  firent  à  Vienne  en 
Autriche,  était  composée  de  quarante-huil 
personnes  faisant  ensemble  3693  années. 

L'empereur  lava  les  pieds  à  douze  vieil- 
lards qui  comptaient  ensemble  976  ans. 

L'impératrice  régnante  fil  la  môme  céré- 
monie à  douze  vieilles  faisant  833  années. 

L'impératrice  mère  fil  la  même  chose  à 
douze  autres  femmes  composant  910  ans. 

Et  l'impératrice  Amélie  à  douze  encore, 
dont  les  années  revenaient  à  970. 

Phlégon,  dans  son  opuscule  sur  ceux  qui 
ont  longtemps  vécu  ,  y  parle  d'une  quantité 
de  personnes  arrivées  à  100,  à  120,  à  13!) 
et  à  130  ans  ;  il  ajoute  que  la  sibylle 
Erythrée  avait  vécu  dix  âges,  faisant  1000 
ans,  un  âge  étant  composé  de  lOO  ans.  H 
p.irle  bien  encore  d'un  Macroseiris  qui 
avait  vécu  3000  ans;  mais  ce  fait  n'esl  p,is 
vérifié. 

Labbé  Dupin  nous  a  aussi  donné  quelque 
chose  des  m  icrobies,  ou  gens  qui  ont  long- 
temps vécu  ;  il  dérive  le  nom  des  termes 
grecs  macros,  long,  et  bios,  vie  ;  il  dit  que  ce 
nom  a  été  donné  à  certains  peuples  d'Afri- 
que, que  Pomponius  Mé!a  place  dans  l'île  de 
Méroé  :  Pline  les  met  dans  l'Ethiopie,  près  des 
peuples  anthropophages  ou  mangeurs  d'hon- 
mes,  comme  les  Lestrigons,  dont  parlent  Ho- 
mère et  Ovide  ;  mais  les  habitants  de  cei  terres 
barbares  nedonaaient  pas  letempsàla  nature 


fiUD 


LON 


LON 


(le  produire  des  macrobies  ;  le  roi  du  pays 
l'aisail  tuer  chnque  jour  dans  son  palais  de 
Monsol  (capitale  de  ses  Klats)  deux  cents 
criminels  ou  esclaves,  dont  on  apprêtait  la 
chair  pour  sa  table  et  pour  celle  de  ses  cour- 
tisans. 

La  femme  de  charge  du  vicomte  de  Mor- 
tain,  au  diocèse  d'Avranches,  mourut  en  juil- 
let 1712,  à  102  ;ins.  Elle  travaillait  à  faire  du 
linge  la  veille  de  son  décès  ;  et  cinq  fonimes 
qui  faisaient  ensemble  a25  ans  la  portèrent 
en  terre. 

Louis  Jouan,  laboureur  à  Berville,  pays  de 
Caux,  décéda  le  18  septembre  ITli,  à  108  ans 
cl  demi,  ayant  conduit  sa  charrue  la  veille 
de  sa  mort. 

Acesmacrobiesqiii  ne  sont  plus  on  en  join- 
dra qui  subsisleni  aujourdliui  {année  1715)  ; 
tels  que  le  sieur  de  laTonr-Gory,  âgé  de  108 
ans  ;  il  est  filleul  du  premier  président  J.iy, 
décédé  en  16V0  (il  y  a  7G  ans).  Ce  vieillard 
va  presque  toutes  les  semaines,  de  la  rue  de 
Richelieu,  oîi  il  demeure, dîner  chez  M.  Tel- 
Iclier  de  Souzy,  conseiller  dKtat  ordinaire, 
rue  de  la  Coulure-Sainle-Catherine. 

M.  Durand  ,  curé  de  Hombourg-la-Forte- 
resse ,  m'a  envoyé  par  M.  de  la  Tour,  com- 
missaire des  guerres  ,  un  certificat  du  30 
juillet  dernier,  par  lequel  il  atteste  que  les 
nommés  Jean  Diedrick  et  AnneSchel,  ses  pa- 
roissiens, ont  chacun  105  ans,  et  paraissent 
par  leur  bonne  santé  en  devoir  vivre  bien 
davantage  :  il  ajoute  (ju'Anne  Durand  ,  sa 
grand'mère,  était  décédée  depuis  peu  ,  après 
avoir  achevé  108  années. 

Philippe  Herbclot  ,  demeurant  à  Paris  , 
cloître  Saint-Nicolas  du  Louvre,  est  un  autre 
macrobie  vivant;  sou  extrait  baptistère,  dû- 
ment légalisé,  prouve  qu'il  a  112  ans  accom- 
plis, étant  né  le  1  "  janvier  1602  à  Doulevant, 
près  Juinvillc  en  Champagne. 

On  assure  qu'il  y  a  dans  lesCcvennes  un 
macrobie  de  liO  ans,  qui,  par  son  grand 
âge,  s'est  cru  exempt  de  toute  imposition  ; 
on  ajoute  que  les  traitants  n'ont  pas  eu  l'in- 
hunianilé  de  faire  persécuter  une  aussi  res- 
pectable vieiilesrie. 

X.  —  Femmes  de  l'antiquité  qui  ont  beaucoup 
vécu. 

Les  sibylles,  suivant  le  quatrième  livre  des 
Métamorphoses,  Técurenl  chacune  au  moins 
sept  siècles  ;  nous  avons  dit  que  celle  d'Ery- 
thrée avait  été  plus  loin. 

La  sibylle  de  Samos,  qui  vivait  en  l'an  3306 
du  monde,  n'avait  que  50!)  ans  au  temps  de 
Numa,  second  roi  de  Rome. 

ïerentia,  fille  de  Cicéron,  parvint  à  l'âge 
(le  103  ans. 

Claudia,  fille  d'Offilius  ,  après  avoir  été 
quinze  fois  honorée  du  titre  de  mère,  ne  finit 
sa  carrière  qu'à  115  ans. 

Galeria  Copiola  Embolaria  à  10+  ans. 

Sammulla  vécut  110  ans. 

Luceya,  comédienne,  jouait  encore  à  100 
ans  avfc  applaudissements. 

Pausanias  dit  que  Tunagra,  femme  de  Pé- 
mandrr ,  vécut  si  vieille,  (ju'on  l'appelait 
grand'mère  par  excellence. 


to:o 


Julia  Modeslina  vil  l'âge  de  120  ans. 

Lors  du  dénombrement  dont  nous  avons 
parlé  sous  Vespasien  et  sous  Titus  on  trouva 
à  Rimini  une  femme  nommée  Tertulla . 
âgée  de  137  ans,  el  une  autre  à  Favenlia,  qui 
en  avait  132. 

Judith  ,  celte  veuve  sainte  dont  l'Ecriture 
a  si  glorieusement  célébré  la  victoire  sur 
Holopherne,  général  de  Nabuchodonosor , 
l'an  du  monde  33i8 ,  demeura  105  ans  dans 
la  maison  de  Manassès,  son  mari;  elle  avait 
au  moins  20  ans  à  son  mariage. 

XI.  — La  tempérance  contribueà  la  longue  vie. 

Les  anachorètes  des  déserts  n'ont  dû 
leurs  longues  années  qu'à  la  tempérance. 
S.iint  Siméon  Slylite  mourut  près  d'Antioche 
âgé  de  plus  de  100  ans.  On  voit  dans  saint 
Jérôme  qu'il  en  avait  passé  47  au  haut  d'une 
colonne  dans  la  pratique  d'une  oraison  conti- 
nuelle el  dans  des  jeûnes  extraordinaires. 

Les  philosophes  païens  ont  connu  l'excel- 
lence et  les  avantages  de  la  tempérance;  elle 
contribuait,  selon  eux  ,  à  former  les  grands 
génies-,  ils  estimaient  qu'elle  était  le  premier 
effet  de  l'étude  de  la  sagesse  ;  ils  croyaient 
que  la  justice,  la  prudence  el  la  force  ne 
pouvaient  subsister  sans  la  tempérance. 

Apollonius  de  Tyanc  se  conserva,  dit-on, 
dans  une  brillante  jeunesse  ,  par  la  tempé- 
rance et  la  sobriété,  jusqu'au  delà  de  130  ans. 

Démocrile  dut  aux  mômes  vertus  de  se 
voir  à  109  ans  dans  une  santé  parfaite. 
Diogène  Laërce  rapporle  une  circonsianco 
particulière  de  sa  fin;  savoir,  qu'à  la  prière 
de  sa  sœur  il  se  conserva  les  trois  derniers 
jours  de  sa  vie,  ne  se  nourrissant  que  par 
la  seule  odeur  des  pains  chauds. 

Polydamas,  ce  fameux  athlète  de  Thessa- 
lie  qui  arrèlait  un  char  tiré  par  des  chevau-i 
lancés,  et  qui  étrangla  un  lion  sur  le  mont 
Olympe;  Milon  de  Crotone,  qui  portait  un 
b(Euf  sur  son  dos;  Théagène,  qui  courait, 
tenant  une  statue  de  bronze  de  sa  bailleur: 
tous  ces  hommes  robustes  n'avaient  d'aulre 
secret  que  la  tempérance  pour  se  conserver 
dans  une  force  capable  de  les  conduire  à  la 
plus  longue  vie.  Us  se  préparaient  à  jouir  d(  s 
honneurs  d'un  misérable  triomphe  en  s'abs- 
lenant  de  tous  les  plaisirs;  ils  se  condain- 
naienl  au  régime  le  plus  austère  pour  se 
procurer  des  forces  ;  ceux  qui  courent  dans 
la  lice  s'abstienncnl  de  tout,  dit  saint  Paul. 
Tertullien  ajoutait  que  ces  athlètes,  pour 
redoubler  leur  vigueur,  étaient  continents 
et  sobres  jusqu'à  la  contrainte,  à  la  vio- 
lence el  aux  tourments;  ils  no  mangeaient 
que  des  choses  sèches,  insipides,  dures,  et 
s'imposaient  une  abstinence  qui  allait  jus- 
qu'à la  macération. 

Guillaume  Postel,  de  Normandie,  fut  si  tem- 
pérant, qu'il  porta  sa  vie  au  delà  de  100 
ans  :  on  le  surnomma  l'Abîme  de  science  du 
xv  ou  du  xvr  siècle;  il  possédaitles  langues 
si  éminemment,  qu'il  pouvait  faire  le  tour 
du  monde  sans  interprète.  Sa  réputation  fut 
ternie  par  les  absurdités  cl  les  hérésies  quil 
soutint;  car  il  était  orgueilleux.  C'est  lui 
qui  avança  que  les  femmes  n'avaient  pas 


1031 


DICTIONNAIIIE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


1(,32 


été  racliclécs  du  précieux  sang  de  Jcsus- 
Cliri^l. 

De  Thou  fait  mention,  sou<  l'an  loGG, 
de  Louis  Cornaro,  ayant  pltis  de  104-  ans, 
sain  (le  corps  et  d'esprit,  lorsqu'il  uiourul  à 
Padouc,  le  '26  avril  de  cetle  année,  dans  son 
fauteuil,  sans  douleur,  par  la  seule  défail- 
lance de  la  nature.  Peu  de  mois  auparavant 
il  avait  perdu  son  épouse,  qui  n'était  guère 
moins  âi^ée. 

Sa  tinipcrance  cl  sa  sobriété  étaient 
telles,  qu'en  vingt-quatre  heures  il  ne  pre- 
nait que  douze  onces  de  nourriture  solide 
et  quatorze  do  loule  boisson. 

A  niesurequeson  âge  avançait, il  diminuait 
insensiblement  ce  peu  d'aliments,  jusqu'à  ne 
prendre  à  chacun  de  ses  deux  repas  qu'un 
jaune  dœuf,  encore  le  partageait-il  en  di'ux 
sur  la  fin  de  sa  vie,  trouvant  sa  chaleur 
moins  forte,  à  mesure  qu'il  avançait  vers 
son  terme  :  tant  il  est  vrai  que  la  nature 
est  simple;  qu'il  lui  faut  peu  de  choses  pour 
la  soutenir;  et  (jne  la  perfection  qu'elle  donne 
à  ses  ouvrages  ne  dépend  que  d'un  fonds  de 
sagesse,  qui,  par  une  même  conduite,  rem- 
plit une  infinité  do  vues. 

Par  une  attention  aussi  sage,  il  se  con- 
serva toujours  sain  et  vigoureux;  son  es- 
prit n'éprouva  aucune  diminution  ;  ses  yeux 
et  ses  oreilles  restèrent  sans  altération  ;  et 
te  qui  semblera  hors  d'apparence,  sa  voix 
s'entretint  si  nette,  si  étendue,  si  sonore  et 
si  belle,  qu'il  chantait  à  cent  ans  avec  une 
douceur  pleine  d'harmonie.  Il  vérifiait  les 
paroles  de  l'Ecclésiastique;  le  Saint-Esprit  y 
a  dit ,  que  l'abstinent  prolonge  ses  jours. 
Il  faut  entendre  l'abstinent  qui  se  gouverne 
avec  prudence,  les  maladies  provenant  d'une 
diète  outrée  n'étant  pas  moins  dangereuses 
que  celles  qui  sont  causées  par  la  réplé- 
tion. 

Cornaro,  à  83,  à  86,  91  et  à  98  ans,  écrivit 
quatre  traités  sur  la  sobriété  et  sur  le  jeûne 
volontaire  qu'il  pratiquait  depuis  l'âge  de  36 
ans;  on  n'y  trouve  que  de  la  clarté,  de  la 
force  et  du  bon  sens;  tout  y  suit  l'opinion  do 
saint  Jérôme,  lorsqu'il  a  dit  que  le  jeûne  était 
non-seulement  une  vertu  parfaite,  mais  en- 
core la  base  de  toutes  les  vertus. 

Cet  illustre  Vénitien  disait  que  la  nature 
se  contentait  de  peu;  que  ce  qui  excédait  le 
nécessaire  n'était  qu'une  source  de  maladies 
t]ui  nous  rendait  vieux  avant  d'avoir  eu  le 
plaisir  d'être  jeunes;  et  qu'à  peine  un  siècle 
donnait  des  rides  et  de  la  caducité  aux  per- 
sonnes sobres;  que  la  chair  des  animaux 
était  inutile  à  la  santé;  et  qu'un  ou  deux  re- 
pas en  vingt-quatre  heures ,  de  pain ,  de 
fruits,  d'herbes,  do  racines,  de  légumes  et  de 
laitages,  avec  de  l'eau  ou  très-peu  de  vin, 
suivant  le  conseil  de  l'Ecclésiaslique,  suffi- 
saient à  ceux  qui  ne  comptaient  pas  leur 
ventre  au  nombre  des  fausses  divinités  ;  qu'il 
avait  peine  à  concevoir  que  des  personnes, 
abusant  de  leurs  richesses,  s'exposassent  à 
mourir  de  trop  manger,  pendant  qu'une  mul- 
titude d'infortunés  tombaient  chaque  jour 
lians  l'affreuse  nécessité  de  mourir  de  faim, 
il  nommait  la  sobriété  une  inclinatioa  di- 


vine, agréable  à  Dieu,  amie  de  la  nature;  il 
l'appelait  fille  d«  la  raison,  mère  do  toutes 
les  vertus,  compagne  de  la  chasteté;  il  disait 
qu'elle  était  gaie  sans  évaporation,  modeste 
sans  contrainte,  sage  sans  artifice,  et  réglée 
dans  toutes  ses  entreprises;  il  la  publiait 
l'appui  de  la  vie,  la  conservatrice  de  la  santé 
elle  plus  puissant  secours  d'une  bonne  cons- 
titution; il  lui  donnait  pour  fondement  les 
lois  les  plus  saintes;  il  assurait  que  son 
usage  chassait  les  intempéries  de  la  réplé- 
tion,  la  véritable  cause  de  tous  nos  maux. 

Il  remarquait  enfin  que  le  bonheur  et  le 
repos  qui  suivent  la  sobriclé  nous  invitaient 
à  l'acquérir  ;  que  sa  beauté  nous  y  engageait, 
parce  qu'elle  nous  offrait  la  durée  de  notre 
être,  et  conservait  notre  vie. 

En  effet  cette  vertu  si  rare  enseigne  au 
riche  à  se  servir  modestement  de  son  opu- 
lence; au  pauvre  à  couler  sans  murmure  les 
temps  durs  de  la  nécessité;  aux  vieillards 
l'art  de  vivre;  aux  jeunes  celui  de  jouir  do 
la  vie.  Elle  épure  les  sens,  fortifie  le  corps, 
illuminel'esprit, redouble  la  mémoire, éclaire 
la  raison,  embellit  l'âme;  elle  nous  dégage 
dâs  liens  qui  nous  attachent  trop  à  la  terre, 
et,  nous  élevant  au-dessus  de  nous-mêmes, 
nous  rend  de  nouveaux  hommes  à  mesure 
qu'elle  nous  procure  de  nouveaux  jours  de 
travail  pour  mériter  la  vie  nouvelle  de  l'éter- 
nité. 

Lessius,  en  vue  de  sa  santé,  s'imposa  une 
aussi  sévère  abstinence;  le  succès  lui  parut 
si  favorable,  qu'il  entreprit  de  montrer  qu'à 
l'aide  de  cette  vertu  on  avait  vu,  dans  tous 
les  temps  et  dans  toutes  les  conditions , 
nombre  de  personnes  vivre  leur  siècle;  elles 
n'imitaient  pas  apparemment  l'athlète  Bu- 
thus,  qu'Hésychius  de  Milet  rapporte,  qui 
mangeait  un  bœuf  dans  un  repas. 

Ce  Buthus  était  bien  éloigné  du  sentiment 
de  Plutarque,  que  Trajan  fit  consul  ;  ce  Béo- 
tien dans  son  livre  de  la  conservation  do 
la  santé  désapprouve  les  viandes,  parce 
qu'elles  causent  des  crudités  qui  fournissent 
un.levain  assuré  aux  maladies;  opinion  que 
Gallicn  a  confirmée  dans  son  ouvrage  sur  les 
aliments  du  bon  ou  du  mauvais  suc;  il  y 
écrit  que  l'on  jouira  d'une  santé  parfaite 
tant  qu'on  aura  soin  d'éviter  les  crudités, 
ajoutant  que  le  grand  remède  contre  tons  les 
maux  est  la  sobriété,  la  tempérance  et  la 
tranquillité. 

Cardan  nous  assure  que  le  jurisconsulte 
Panygarole,  différent  de  celui  qui  fut  évoque 
d'Âsti,  se  conserva  sans  incommodités  plus 
de  90  ans  par  la  sobriété  et  par  un  travcil 
modéré;  il  prenait  seulement  28  onces  de 
nourriture  par  jour;  2  onces  au  delà  de  Cor- 
naro, qui  vécut  néanmoins  davantage,  bien 
qu'il  prît  moins  d'aliments;  il  avait  lu  ces 
mots  dans  l'Epydimion  d'Hippocratc  ;  Le  plus 
sûr  moyen  de  préserver  la  santé  est  de 
manger  sans  se  rassasier  et  de  travailler 
avec  modération,  comme  font  les  pauvres; 
ces  gens-là  sont  moins  malades  de  disette 
que  les  riches  ne  le  sont  d'abondance. 

Les  solitaires  de  la  Thébaïde  dans  la  basse 
Egypte  vivaient  de  4  et  5  dattes  en  24  hcu- 


^1 


lo: 


LON 


I.ON 


mi 


re»,  bien  que  les  arbres  de  leurs  retraites  les 
ruurnissent  avec  profusion. 

Ces  iiiodèiivs  en  austérités  n'avaient  peut- 
éîre  pas  étudié  suint  B.isile  :  il  nous  apprend 
qu'il  ne  faut  pas  accabler  le  corps  de  ma- 
nière qu'on  lui  ôlc  les  forces  nécessaires  à 
rrniplirses  devoirs;  la  Providence  veut  qu'on 
satisfasse  ses  justes  besoins  pour  l'entrôlenir 
et  le  ménager. 

C'est  ce  qui  obligea  l'Eglise,  dans  le  second 
siècle,  à  condamner  les  monlanislcs  ;  ils  vou- 
laient qu'on  observât  trois  carêmes  ,  avec  les 
Xérophagies  de  la  semaine  sainte  ;  c'étaient 
des  jours  où  l'on  jeûnait  avec  du  pain  et  du 
sel,  et  où  l'on  ne  buvait  que  de  l'eau;  on  y 
ajouta  peu  après  des  légumes,  des  herbes  , 
ou  quelques  fruits;  les  esséens  ,  au  rapport 
de  Philon,se  contentaient  de  joindre  de  l'Iiys- 
sope  à  leur  pain. 

El  pour  faire  voir  que  le  jeûne  n'est  pas 
si  nuisible  que  nous  le  pensons,  même  ac- 
compagné d'une  retraite,  d'un  silence  et 
d'une  macération  continuelle  ,  tels  que  l'ob- 
servent les  chartreux  et  les  chartreuses,  on 
trouve  par  les  mémoires  de  cet  ordre  qu'en 
lo24  dom  Jean  Briselance,  profès  du  Val- 
Dieu  au  Porche,  après  78  ans  de  profession, 
y  mourut  à  101  ans  ; 

Qu'en  1559  dom  Je.in-Edmond  GlavCl, 
profès  de  Bonnefoi  cnNivarais,  y  demeura 
90  ans,  et  ne  cessa  de  vivre  qu'à  111  ans; 

Qu'en  1593  dom  Corneille ,  profès  de 
Sainte-Sophie  près  Bois-le-Duc,  y  vécut  96 
ans,  et  ne  finit  ses  jours  qu'à  118  ans  ; 

Que  vers  1610  dom  Percheron,  profès  du 
Mont-Dieu  près  Sedan,  parvint  à  105  ans  ; 

Qu'en  1516  domne  Mii  belle  de  Mon- 
lorsier,  professe  de  Gannaj  près  Béthune,  y 
arriva  à  118  ans; 

Qu'en  1574  domne  de  Marsonnas  ,  pro- 
fesse deSaletle,  fondée  pour  des  filles  nobles 
vers  1291,  par  Humbert  1"  du  nom,  prince 
du  Dauphiné ,  et  par  Anne  son  épouse , 
mouiut  à  103  ans,  après  85  ans  de  religion  ; 

Et  enfin  qu'en  1625  domne  Isabelle  de 
Bergues  ,  professe  de  la  même  chartreuse  de 
Gannay,  y  mourut  à  101  ans,  dont  elle  en 
avait  passé  83  dans  les  saintes  austérités  de 
sa  règle. 

Xll  —  Climats  où  Von  parvient  à  une  extrême 
vieillesse. 

L'Inde  orientale ,  selon  Pline  et  Solin , 
nourrit  des  peuples  qui  vivent  400  ans ,  parce 
qu'ils  se  nourrissent  de  vipères;  ce  reptile, 
qui  sort  entier  du  ventre  de  sa  mère,  et  non 
en  œuf,  comme  les  autres  reptiles,  est  sou- 
verain pour  substituer  des  esprits  dans  les 
corps  affaiblis,  ou  qui  en  sont  dénués;  la  vi- 
père effettivemenl  est  remplie  de  sels  vola- 
tils, qui  sont  alkalis  raréfiants,  sudorifiques 
et  apéritifs  ;  c'est  l'un  des  sels  les  plus  salu- 
taires,les  plus  subtils, et  les  plus propresà pu- 
rifier le  sang;  Charas  a  écrit  de  ses  propriétés 
spécifiques,  et  avant  lui  Francesco  Reddi,  et 
Pandolphe  Collenuccio  :  ces  auteurs  remar- 
quent que  l'essence  de  ce  reptile,  ou  1  once 
de  son  eau  prise  chaque  malin  à  jeun  pen- 
dant 15  jours ,  tous  les  ans ,  surtout  au  mois 

DlCTIONNAIHE  DES  SCIENCES  CICCL'LTKS.    i- 


d'avril  et  de  mai ,  perfectionne  tellement  la 
nature  par  son  baume  vil.il,  qu'elle  peut 
réparer  les  tempéraments  usés,  rappeler  la 
fécondité  ,  et  rendre  en  quelque  manière  la 
jeunesse. 

Lucien,  déjà  cité,  dit  que  les  Sères  du 
Cathaï ,  par  la  bonté  du  climat,  et  parce 
qu'ils  ne  boivent  que  de  l'eau,  vivent  300 
ans,  et  les  Athotes  de  Grère  120  ;  les  Chal- 
(iéens  lin  peu  moins:  ces  derniers  mangent 
du  pain  d'orge  ;  Lucien  prétend  qu'il  éciair- 
cit  la  vue  et  rend  les  sens  plus  vigoureux. 

Antoine  Pigafetta,  remarque  qu'au  Brésil, 
dans  le  territoire  de  Verzine,  on  y  arrive  a 
l'iOans. 

Louis  Barlhema  assure  que,  dans  l'Arable 
Heureuse,  on  y  vit  ordinairement  l'âge  de 
120  ans. 

Onésicrile  d'Egine,  historien  oculaire  des 
guerres  il'Alcxandre  vers  l'an  400  de  Uome, 
rapporte  que,  sons  la  zone  torride  il  y  a  des 
peuples  dans  ces  mêmes  Indes  orientales  ,* 
qui  sont  hauts  de  5  coudées,  faisant  7  pieds 
et  demi, lesquels  vivent  130  ans  sans  vieillii'. 

Ctésias  raconte  que  ceux  des  Pandores 
qui  habitent  les  vallons  ,  vivent  200  ans  ;  ils 
ont  cela  de  contraire  aux  autres  hommes  , 
que  leurs  cheveux  sont  blancs  dans  leur 
jeunesse  et  noirs  dans  leur  vieillesse. 

Pomponius  Mêla  écrit  comme  Lucien, 
que  ceux  qui  demeurent  près  le  mont  Alhos, 
que  Xerxès  fil  couper,  pour  s'ouvrir  un  pas* 
sage  en  Grèce  du  côté  de  la  Mai  édoine  ,  vi> 
valent  deux  fois  plus  que  les  autres  peuples 
de  la  terre. 

Dans  les  montagnes  de  Yucatan  vers  le 
Mexique,  la  vie  est  très-longue ,  ainsi  que 
dans  celles  de  l'Arabie  ,  où  l'âge  centenaire 
est  commun  :  il  en  est  ainsi  dans  celles  de  la 
Laponie  et  de  la  Norwégo,  où  la  plus  extrême 
vieillesse  porte  toujours  les  cheveux  noirs. 

A  l'occident  d'Ecosse,  dans  les  lies  Hébri- 
des, la  vie  des  insulaires  est  d'une  si  longue 
durée,  qu'on  assure  que  les  habitants  ont  la 
cruauté  d'y  faire  mourir  ceux  qu'ils  esti- 
ment ,  après  150  et  200  ans ,  inutiles  au 
monde  par  leur  extrême  caducité. 

Les  lieux  d'une  élévation  raisonnable  ,  et 
dans  une  exposition  où  l'air  est  pur,  avec 
l'eau  claire  el  légère,  sont  très'salutaires 
pour  la  longue  vie  ;  les  situations  des  mai- 
sons royales  de  Saint-Germain  ,  de  Meudon 
et  de  Saint-Cloud  ,  sont  si  heureuses  ,  qu'à 
[  eine  y  voit-on  des  malades  quand  les  envi- 
rons en  sont  remplis. 

L'abbé  de  Vertot,  de  l'académie  royale  des 
Inscriptions  ,  a  fait  le  plaisir  à  l'auteur  de 
ceci,  de  lui  communiquer  ses  lumières  sur 
l'Allantica  du  fameux  Budbeek. 

Cet  auteur  ,  qui  professait  dans  l'univer- 
sité d'Upsal,  en  Suède,  nous  apprend  que  les 
descendants  de  Japhel, troisième  fils  de  Noé, 
passèrent  dans  cette  contrée  septentrionale; 
que  l'air  y  est  si  favorable,  que  les  hommes 
y  arrivent  ordinairement  à  la  plus  extrême 
vieillesse. 

11  assure  qu'outre  la  fécondité  qui  permet 
d'y  voir  20  et  30  enfants  d'une  même  mère  , 
on  a  connu   par  les  extraits  baptislaires  cl 

33 


io:>îi  DicTiortiSAmE  des 

mortuaires,  envoyés  à  Rudbpck  par  l'cvéque 
d'Arosen,  ou  de  Wesirras,  son  frère,  conte- 
nant seulement  les  73  premières  années  du 
xvir  siècle,  que  dans  l'étendue  de  12  parois- 
si'S,  il  s"élait  trouvé  232  hommes,  dont  plu- 
sieurs avaient  140 ans,  elles  autres  90. 

Que  deux  particuliers  y  étaient  parvenus, 
l'un  à  156  ans  et  l'autre  à  160;  que  ce  der- 
nier avait  vu  la  septième  génération  ;  et  que 
dans  ces  mêmes  paroisses  il  y  avait  eu  plus 
de  860  personnes  âgées  de  70  et  de  80  ans  ; 
qu'il  n'était  pas  surprenant  en  Suède  devoir 
des  gens  de  100  ans;  et  que  dans  la  seule 
ville  d'Upsal,  le  gouverneur  et  l'aïeul  mater- 
nel de  Rudbeck  approchaient  de  ce  terme, 
lorsqu'ils  cessèrent  d'y  vivre  à  98  et  à  99 
ans. 

XIII.  —  La  vie  de  l'homme  n'a  jamais  été  bor- 
née à  70,  80,  ni  120  ans,  selon  les  Ihéolo  - 
giens. 

Les  exemples  de  tant  de  personnes  qui  ont 
vécu  au-delà  de  lO'J  ans,  et  qui  même  ont 
passé  plus  de  2  siècles,  l'ont  voir  que  le  dé- 
cret des  120  ans  ne  tirait  à  aucune  consé- 
quence pour  le  terme  de  la  vie  de  tous  les 
hommes  en  général ,  en  dépil  de  toutes  les 
disputes  et  de  tous  les  écrits  que  celle  nia- 
lière  a  iaitnailre  en  Hollande. 

Ce  point  fatal  de  nos  jours  avait  autrefois 
fait  dire  à  saint  Thomas  d'Âquin,  que  Dieu 
ne  trouble  jamais  l'ordre  naturel  des  choses 
que  lui-même  a  élabiies,  qu'il  les  veut  et 
les  voit  de  la  même  manière  qu'elles  doivent 
être  selon  la  nature  qu'il  leur  a  donnée;  les 
choses  contingentes ,  contingemment  ;  les 
choses  nécessaires,  nécessairement. 

Le  sixième  chapitre  de  l'Apocalypse  ilc- 
clare  que  Dieu  a  donné  pouvoir  à  la  mort  de 
moissonner  le  genre  humain  :  les  uns  sont 
enlevés  par  le  glaive;  1,100,000  âmes  périrent 
dans  Jérusalem  assiégée  et  prise  par  Tilus, 
le  8  septembre  de  la  seconde  année  de  l'em- 
pire de  Vespasien.  On  dit  que  Jules  César 
tailla  en  pièces  1,200,000  Gaulois  avant  de 
subjuguer  leur  patrie. 

La  mort  lue  pnr  la  famine.  On  pria  l'em- 
pereur Honorius  de  permettre  d'égorger  les 
vieillards,  les  femmes  et  les  enfants,  et  de 
mcllre  le  prix  sur  leur  chair  exposée  dans 
les  boucheries  de  Rome,  pour  essayer  d'ef- 
facer l'opprobre  de  la  faim,  comme  dit  Ezé- 
chiel. 

Lorsque  Bénadab,  roi  de  Syrie,  assiégeail 
Samarie,  rapilale  de  Joram,  roi  d'Israël,  du 
temps  d'Klisée,  901  ans  avant  Jésus-ChrisI, 
on  y  vendait  la  tête  d'un  âne  80  sicles,  fai- 
sant 120  livres  de  nos  monnaies  ;  et  deux 
femmes  convinrent  de  manger  leurs  enfants, 
et  en  mangèrent  un  en  effet.  Une  aussi  déso- 
lante extrémité  se  fit  éprouver  au  siège  de 
Jérusalem  dont  ont  vienl  de  parler. 

La  mort  enfin  enlève  une  multitude  do 
créatures  par  les  maladies  et  par  les  bêles  qui 
dévorent  ou  qui  blessent. 

On  meurt  encore  par  l'usage  immodéré  de 
certains  aliments,  ainsi  qu'il  arriva  à  Albert 
d'Autriche,  à  Frédéric  III,  et  à  Henri  Vil, 
empereurs,  pour  avoir  trop  mangé  de  me- 


SClb;NCF,S  OCCULTES.  1036 

Ions  :  Philibert  second,  dit  le  Reau,  comlo 
de  Brescia,  et  [iremier  duc  de  Savoie,  mou- 
rut pour  avoir  bu  trop  frais,  l'an  loOi.  Il  est 
donc  certain  que  les  120  ans  de  la  prétendue 
restriction  de  nos  jours,  ne  tombaient  préci- 
sément que  sur  la  durée  du  monde  jusqu'au 
déluge,  et  non  pas  également  sur  la  vie  de 
tous  les  hommes. 

XIV.  —  Sentiments  de  Salomon  sur  la  mort. 

La  mort  est  une  suite  du  péché  :  le  Christ 
a  été  envoyé  pour  en  être  le  destructeur  et 
la  mort  d  •  la  mort  même  :  elle  doit  marcher 
devant  lui  pour  justifier  cequ'en  adil  le  pro- 
phète Hahacuc  au  chapitre  troisième  de  son 
cantique  :  l'auteur  de  la  vie  ne  se  réjouit  vé- 
ritablement pas  dans  la  dcstrucdon  de  son 
ouvrage. 

Salomon  pour  marquer  combien  la  longue 
vie  est  précieuse  devant  Dieu,  ajoute  que  la 
vieillesse  est  la  couronne  du  grand  âge;  elle 
rend  les  cheveux  blancs  vénérables,  ils  don- 
nent du  poids  à  nos  avis,  de  la  confiance  à 
nos  desseins,  de  l'espoir  à  nos  entreprises  et 
de  la  préférence  à  nos  actions  :  levez-vous, 
dit  le  Dieu  d'Israël,  devant  ceux  qui  ont  les 
cheveux  blancs,  et  honorez  la  personne  du 
vieillard. 

Si  nous  en  croyons  les  anciens,  la  mort 
était  une  divinité  qu'ils  adoraient,  comme  la 
plus  implacable  des  déesses  :  ils  la  faisaient 
fille  de  la  nuit  et  sœur  du  sommeil;  quel- 
ques-uns l'estimaient  l'une  des  trois  Par- 
ques :  on  l'honorait  à  Laeédémone  ;  les  Phé- 
niciens lui  avaient  élevé  un  temp'.e  dans  l'Ile 
de  Gadira,  aujourd'hui  Cadix;  on  lui  sacri- 
fiait un  coq;  sa  robe  était  semée  d'étoiles,  cl 
ses  ailes  étaient  noires. 

On  la  représentait  sans  yeux,  pour  ne  pas 
voir  la  beauté,  les  richesses  et  la  gloire,  qui 
eussent  pu  la  fléchir,  la  corrompre  et  la  sé- 
duire ;  on  la  dépeignait  sans  oreilles,  ,ifin 
qu'elle  fût  sourde  aux  \œux,  aux  prières 
et  aux  soupirs  ;  on  la  fais;iit  paraître  sans 
entrailles,  pour  être  insensible  à  la  douleur, 
aux  souffrances  et  à  l'affliction  ;  et  l'on  ar- 
mait ses  cruelles  mains  d'une  longue  faux, 
avec  ces  paroles  qu'elle  prononçait  :  Je  n'é- 
pargne personne. 

Les  chrétiens  sont  ceux  pour  qui  la  dureié 
de  ce  terrible  arrêt  n'eut  j  ;mais  rien  de  trop 
effrayant  :  pénétrés  des  vérités  qui  leur  ont 
appris  que  la  vie  passe  aussi  vile  qu'une 
fleur,  coule  ainsi  qu'une  ombre,  et  s'évanouit 
comme  la  fumée;  ils  savent  que  la  seule 
mort  les  fera  jouir  de  l'immortalité,  pour  la- 
quelle l'homme  avait  été  créé.  Quelle  diffé- 
rence entre  la  fin  des  païi  ns  qui  terminait 
tout  leur  bonheur,  et  celle  des  chrétiens  qui 
commence  toute  leur  félicilél 

XV.  —  Du  rajeunissement,  et   s'il  est  pos- 
sible. 

Rajeunir,  c'est  rentrer  dans  cette  belle 
saison  qui  nous  donne  les  agrénaenls  et  les 
forces  de  la  jeunesse. 

Il  est  inutile  de  traiter  ici  la  question  quo 
tant  de  savants  ont  agitée,  pour  savoir  si 
l'art  pourrait  être  porté  jusqu'à  ce  point 
d'excellence,   de  rajeunir  un  vieillard  :  on 


10S7 


LON 


ION 


iOSS 


sait  combien  Paracelse  s'est  vanté  que  par 
son  mercure  de  vie,  il  lui  était  possible  de 
métamorphoser  une  vieille  en  jeune,  aussi 
bien  que  de  changrr  le  fer  en  or;  lui- 
même  cependant  qui  promettait  aux  autres 
les  années  des  sibylles,  la  longue  vie  des 
ci'rfs,  ou  tout  au  moins  les  300  ans  de 
Nestor,  cessa  de  vivre  âgé  d'un  peu  plus  de 
37  ans. 

Regarderons-nous  cependant  la  nature,  si 
admirable  dans  ses  ouvrages,  comme  une 
marâtre,  et  ne  la  croirons-nous  capable  que 
d  éiouffer  ses  productions  presque  au  mo- 
nienl  qu'elle  les  aura  mises  au  jour?  Cet 
instinct  qu'elle  donne  à  toutes  les  créatures 
pour  leur  conservation  lui  manquera-t-il  ? 
et,  serait-il  possible  qu'elle  pût  refuser  <à 
l'homme,  pour  qui  tout  a  été  créé,  ce  qu'elle 
accorde  aux  cerfs  fl),  aux  aigles,  et  aux 
serpents?  On  leur  voit  en  effet  quitter  tous 
les  ans  les  tristes  apanages  de  leur  caducité, 
pour  se  revêtir  des  agréments  de  la  jeunesse 
la  plus  vive,  la  plus  gracieuse  et  la  plus  bril- 
lante. 

Dieux  cruels  1  s'écriait  TibuUe,  qui  dé- 
pouiller les  serpents  de  leurs  vieilles  années, 
qui,  arrêtant  la  fluide  rapidité  de  leurs  jours, 
retarder  leur  fin,  et  leur  restituez  les  tendres 
charmes  du  plus  bel  âge,  pourquoi  nous  re- 
fuseï-vous  la  môme  faveur? 

Sentiment  que  Rimer  a  soutenu  dans  la 
même  idée  de  Tibulle;  il  se  plaignait  avec 
lui  que  la  condition  de  l'homme  fût  moins 
favorable  que  cil!e  de  plusieurs  animaux  : 
ils  portaient  tous  deux  envie  au  rajeunisse- 
ment des  serpents. 

Effectivement,  on  ne  trouve  pas  que  l'art 
soit  encore  parvenu  à  ce  degré  de  perfection 
capable  de  rajeunir  l'homme;  mais  ce  que  le 
passé  n'a  point  vu,  l'avenir  le  pourrait  trou- 
ver :  ce  prodige  serait  d'autant  plus  à  espé- 
rer, que  la  nature  l'a  opéré  plusieurs  (ois 
dans  nombre  de  personnes  que  l'histoire 
rapporte. 

il  n'y  aurait  ainsi  qu'à  observer  la  ma- 
nière dont  elle  fait  de  si  étonnants  miracles, 
pour  exécuter  ensuite  avec  succès  une  aussi 
agréable  métamorphose;  l'arl,  par  ce  moyen, 
parviendrait  certainement  à  ce  que  l'on  a  vu 
de  temps  en  temps  arriver  à  plusieurs.  Le 
premier  moyen  egt  un  bon  tempérament, 
comme  Moïse,  dont  il  est  dit  que,  pendant 
cent  vingt  ans  qu'il  vécut,  sa  vue  ne  baissa 
point. 

Le  cerf,  l'aigle,  l'épervier  et  le  serpent  ra- 
jeunissent; Aldrovandus  traite  du  renouvel- 
lement de  l'aigle.  Des  oiseaux  du  ciel,  enire 
lesquels  Pline  dit  que  le  corbeau  et  ie  phénix 
vivent  chacun  six  cents  ans,  ce  renouvelle- 
ment a  passé  aux  animaux  de  la  terre;  per- 
sonne ne  doute  que  le  cerf  ne  répare  sa  ca- 
ilucilé  par  l'usage  des  vipères  et  des  serpents. 
Le  même  Pline  assure  que,  plus  de  cent  ans 
après  Alexandre  de  Macédoine,  on  prit  des 
cerfs  aux(|ucls  ce  prince  avait  fait  mettre  des 
colliers  d'or,  qui  se  trouvèrent  recouverts  de 
leur  peau. 

(I)  C'est  une  opinion  que  chaque  aniiéo  le  curf  rajeunit 
en  quiiuiil  sou  bois,  l'aiale  ses  i.luincs.  cl  le  serpenl  sa 


Il  y  a  des  singes  dans  le  mont  Caunase  qui 
vivent  de  poivre,  dont  ils  font  la  récolle  pour 
les  habitants;  la  chair  de  ces  animaux  est 
un  médicament  souverain  pour  le  lion,  qui 
s'en  guérit  et  qui  rajeunit  lorsqu'il  en  mange. 

Le  cerf  que  Thisloire  de  nos  rois  marque 
avoir  élé  pris  clans  les  forêts  vers  Senlls,  sous 
Louis  ^I,  dit  le  Gros,  mort  en  1037,  avait 
éprouvé  plusieurs  rajeunissements  depuis 
Jules  César.  C't  empereur  régnait  environ 
quarante  ans  avant  la  naissance  de  Jésus- 
Christ.  Il  n'est  pas  impossible  qu'en  passant 
à  la  conquête  d'Angleterre,  alors  dile  Albion, 
il  eût  fiit  donner  un  collier  à  cet  animal. 
Ces  mots  y  furent  trouvés,  d'un  caractère 
assez  conforme  au  temps  de  la  république  : 
César  m\i  fait  ce  présent.  On  y  voyait,  par  la 
supputation  des  années,  que  ce  cerf  avait 
vécu  près  de  douze  cents  ans  (si  ce  n'élait 
pas  un  autre  César). 

Ceux  r,ui  ont  écrit  sur  l'éléphant  avancent 
qu'il  va  jusqu'à  trois  siècles.  Le  Geyian,  le 
royaume  de  Siam  (2),  où  se  trouve  le  fameux 
éléphant  blanc  qu'on  y  sort  dans  des  vases 
d'or,  et  le  royaume  d'Achem,  dans  l'île  de  Su- 
matra, produisent  les  plus  renommés.  Le  roi 
d'Achem  fait  rendre  à  ces  animaux  des  hon- 
neurs incroyables;  on  assure  qu'ils  ont  assez 
d'esprit  pour  y  être  sensibles.  Leur  docilité 
à  l'inslruelion  égale  leur  génie  ;  on  en  amène 
un  nombre  devant  le  trône  de  diamants  du 
Mogol,  les  cinq  jours  que  dure  sa  fêle,  qui 
commence  à  celui  de  sa  naissance  :  ces  élé- 
phants, superbement  parés,  saluent  profon- 
dément l'empereur,  baissant  trois  fois  leur 
trompe  et  la  relevant  sur  leur  têle,  poussant 
en  même  len)ps  un  grand  cri  d'allégresse. 

Passant  de  l'éléphant  au  chi  val,  l'histoire 
nous  appr(  nd  que,  dans  le  commencement 
du  neuvième  siècle,  Raoul,  roi  de  Bourgogne, 
qui  avait  usurpé  la  couronne  de  France  sur 
Charles  le  Simple,  fils  de  Louis  le  Bègue,  roi 
et  empereur,  reçut  l'hommage  d'un  duc  de 
Gascogne,  lequel  était  monté  sur  un  cheval 
âgé  de  cent  ans,  qui  était  encore  assez  vigou- 
reux. Disons  en  passant  que  le  cheval  est  le 
seul  des  animaux  de  la  terre  donl  la  perfec- 
tion consiste  à  participer  de  l'homme,  du 
lion,  du  bœuf,  du  mouton,  du  mulet,  du  cerf, 
du  loup,  du  renard,  du  serpent  et  du  lièvre, 
prenant  trois  qualités  de  chaque  :de  l'hom- 
me la  poitrine,  la  coupe  et  les  crins;  du  lion 
le  maintien,  la  hardiesse,  la  fureur;  du  bœuf 
l'œil,  la  narine,  la  jointure;  du  mouton  le 
nez,  la  douceur,  la  patience;  du  mulet  la 
force,  la  constance  au  travail,  et  le  pied  ;  du 
cerf  la  tôle,  la  jambe,  le  poil  court;  du  loup 
la  gorge,  le  col  et  l'ouï;';  du  renard  l'oreille, 
la  queue,  le  trot;  du  serpent  la  mémoire,  la 
vue,  le  contournenient;  et  enfin  du  lièvre  ou 
du  chat  la  course,  le  pas  et  la  souplesse. 

Et  pour  venir  des  animaux  terrestres  aux 
aquatiques,  l'an  1^97,  dans  un  étang  de 
Souabc,  près  d'Huilprin  en  Allemagne,  on 
pécha  un  brochet  dune  grandeur  prodi- 
gieuse ;  ce   poisson  portail  à  l'une  de  ses 

"^72)  Relation  itu  olievallcr  de  CliaumoDt,  ambassadeur  do 
France  a  Siam,  eu  1687. 


^'}^9 


DICTIONNAinE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


lOiO 


Dieilles  un  anneau  ilc  cuivre;  ces  caractères 
latins  s'y  lisaient  : 

Je  suis  te  premier  poisson  mis  dans  cet 
étang  par  les  tiuiins  de  Frédéric  II,  gouver- 
neur du  monde,  le  5  octobre  1230. 

Ce  brochet  paraissait  avoir  vécu  269  ans, 
sans  ce  qu'il  eût  pu  vivre  s'il  n'eût  pas  été 
I  éché,  et  si  ce  récit  est  sinrère. 

Le  crocodile,  selon  Maruiol,  est  encore  un 
animal  aquatique  qui  vit  très-Ionglenips.  On 
en  juge  par  ses  forces,  un  seul  s'élanl  dé- 
fendu contre  trente  hommes;  par  sa  gran- 
deur :  on  en  avn  de  trente-trois  pieds  de  lon- 
gueur :  par  sa  grosseur,  on  en  a  trouvé  dans 
la  gueule  desquels  un  homme  eût  pu  se  tenir 
debout.  On  ajoutera  (]ue  sa  chair  odorifé- 
rante parfume  les  lieux  où  l'on  en  fait  la 
dissection  :  ce  qui  pourrait  encore  contribuer 
à  sa  longue  vie. 

Des  animaux  de  la  terre  le  rajeunissement 
est  descendu  jusqu'aux  reptiles;  le  serpent 
qui  renouvelle  le  cerf  se  renouvelle  en  quit- 
tant sa  vieille  peau  :  on  en  peut  déduire  que, 
la  nature  se  rajeunissant  dans  l'ordre  infé- 
rieur des  productions  de  Dieu,  il  n'est  pas 
hors  d'apparence  que  le  même  prodige  se 
puisse  trouver  dans  l'ordre  supérieur  de  ces 
mêmes  productions  d'où  l'homme  a  été  tiré; 
car  enfin  l'homme  n'est  pas  de  pire  condition 
que  les  bétes  qu'il  devait  dominer. 

11  est  certain  que  le  secret  du  rajeunisse- 
ment serait  l'art  de  trouver  au  moins  la  lon- 
gue vie;  il  faut  pourtant  convenir  qu'elle 
pourrait  s'acquérir  sans  son  secours;  la  na- 
ture peut  donner  à  un  seul  homme  autant 
de  jours  qu'elle  en  donne  à  plusieurs,  ainsi 
qu'elle  a  donné,  par  exemple,  à  des  géants 
autant  de  stature  qu'il  en  eût  fallu  pour  for- 
mer les  corps  de  trois  hommes  raisonna- 
bles. 

Moïse  rapporte  que  de  son  temps  on  voyait 
le  lit  de  fer  d'un  géant,  lequel  avait  neuf 
coudées  de  longueur,  ou  treize  pieds  et  demi, 
«ur  six  de  largeur;  cette  taille  était  bien 
d.ffércnte  de  celle  de  ces  pygmées  du  détroit 
de  Magellan,  ou  de  ces  Lapons  de  Suède  qui 
n'ont  guère  de  haut  que  trois  pieds  et  demi. 

De  semblables  nains  eussent  pris  pour  un 
colosse  cette  Sccundilla,  qui  rivait  sous  Au- 
guste. Solin,  dans  son  recueil  des  choses 
mémorables  ,  remarque  qu'elle  avait  dix 
pieds  de  hauteur;  et  l'Hercule  thébain,  que 
ses  trente-sept  travaux  ont  rendu  si  célèbre, 
n'avait  que  sept  pieds  de  taille,  scion  le  même 
écrivain. 

XVL  —  Des  hommes  et  des  femmes  que  l'on 
croit  avoir  été  rajeunies. 

Ovidecontele  rajeunissement  du  vieil  Eson, 
qui  était  père  de  Jason,  roi  de  Thessalie,  que 
Médée  aimait.  A  sa  prière,  elle  employa  sa 
science  à  ce  rajeunissement.  Eson  fut  enve- 
loppé dans  une  quantité  d'aromates  cl  d'her- 
bes chaudes ,  arrosées  de  liqueurs  spécifi- 
ques; et  ce  fut  par  le  moyen  de  leurs  sucs 
que  Mcdéc  lui  fit  recouvrer  sa  première  jeu- 
nesse. 

Le  quatrième  livre  d'Hérodote  fait  men- 


tion d'une  fontaine  qui  rétablissait  les  vieil- 
lards dans  leur  vigueur. 

Pierre  Chicza  rapporte  de  semblables  mi- 
racles dune  fontaine  située  à  Lucaya  dans 
1  Amérique  ;  c'est  peut-être  sur  les  admi- 
rables vertus  de  pareilles  eaux  qu'a  paru 
le  proverbe  d'aller  à  la  fontaine  de  Jou- 
vence. 

Le  Campus  Elysius  d'Arejes  cite  André 
Bficcius,  liv.  VI,  chnp.  28  de  Thermis,  qui 
rapporte  que  l'Ile  d'Euboé,  aujourd'hui  Né- 
grepont,  dans  l'archipel  de  la  Grèce,  avait 
une  fontaine  qui  changeait  la  vieillesse  en 
jeunesse. 

Au  nord  de  Napoli  de  Romanie  ,  dans  la 
Morée,  près  des  ruines  de  l'ancienne  Nau- 
plion,  voisine  d'Argos,  on  voyait  autrefois  l.i 
célèbre  fontaine  nommée  Canathus.  Pausa- 
nias  dit  que  la  déesse  Junon  s'y  baignait 
tous  les  ans  ;  il  assure  que  les  eaux  de  cette 
source  rétablissaient,  dans  celte  épouse  de  Ju- 
piter, ce  que  le  temps,  qui  use  tout,  pouvait 
apporter  de  dommages  à  sa  jeunesse.  Ce  fut 
ce  qui  engagea  les  femmes  du  pays  à  y  al- 
ler en  pèlerinage  ,  supposé  que  Pausanias 
ne  nous  en  veuille  pas  faire  accroire. 

Valescus  ïarentaiius  parle  d'une  abbesse 
deMorvédro,  autrefois  Sagonte,  au  royaume 
de  Valence  en  Espagne;  sa  décrépitude  fut 
convertie  en  brillante  jeunesse,  ses  dents 
redevinrent  blanches,  ses  cheveux  noirci- 
rent et  s  épaissirent,  les  rides  de  son  front 
disparurent;  elle  fut  une  seconde  fois  jeune. 

Ferdinand  Caslenade  et  Mafféi  assurent 
unanimement  qu'un  noble  Indien  rajeunit 
trois  fois  pendant  trois  cent  quarante  ans 
qu'il  vécut. 

Torquemada  montre  qu'en  1531,  à  Ta- 
renie,  ville  du  royaume  de  Naples  ,  un  vieil- 
lard âgé  de  cent  ans  rajeunit  ;  un  reste  de 
mauvais  cheveux  tomba  ,  et  il  lui  revint  une 
tête  naissante,  en  sorte  qu'il  se  sentit  re- 
nouvelé, et  vécut  encore  cinquante  ans. 

Pierre  Martyr  cite  un  autre  vieillard,  qui , 
pour  se  procurer  une  longue  vie,  se  baignait 
dans  une  fontaine,  dont,  ayant  bu  quelque 
temps,  il  parut  jeune  et  frais  ,  se  maria  ,  et 
eut  des  enfants. 

Le  roi  de  Gambnye  ,  aux  Indes  orientales, 
prit  dans  ses  troupes  un  habitant  de  Ben- 
gala,  âgé  de  trois  cent  trente- cinq  ans ,  qui 
avait  un  fils  très-vieux,  s'il  faut  en  croire  la 
physique  curieuse  de  Gaspar  Scot. 

Lorichius  nous  apprend  qu'un  homme , 
dans  une  maladie,  perdit  ses  cheveux  blancs, 
sa  barbe,  et  jusqu'à  sa  vieille  peau.  Sa  sur- 
prise fut  Irès-agréable  quelques  mois  après, 
voyant  renaître  sa  chevelure  blonde,  et  une 
légère  barbe,  avec  une  peau  de  la  plus 
vive  fraîcheur. 

Aulu-Gelle  dit  qu'une  femme  nomméeVic- 
loria  ,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans  ,  perdit 
seis  mauvaises  dents  avec  ses  cheveux  blancs; 
dans  la  suite,  les  plus  belles  dents  et  les  plus 
beaux  cheveux  lui  revinrent  :  il  est  à  sou- 
haiter que  ces  auteurs  ne  nous  trompent  pas 
en  écrivant  des  événements  si  flatteurs. 

Pline  a  remarqué  plusieurs  personnes  très- 
âgées,  à  qui  les  dents  étaient  revenues:  il 


lOlt 


LON 


ajouie  que  sur  leurs  (êtes  les  cheveux  blancs 
avaient  aussi  cédé  la  place  aux  plus  beaux 
cheveux  noirs. 

Poste! ,  dont  nous  avons  parlé  ,  étant  par- 
venu à  la  plus  grande  vieillesse,  vit  ses  che- 
veux et  sa  barbe  changer  du  blanc  au  noir. 

Ces  exemples  prouvent  le  rajeunissement 
possible,  d'où  l'on  pourrait  espérer  de  (rès- 
iongues  années ,  pour  qui  découvrirait  la 
rare  invention  :heureuxcn  même  temps  ceux 
quijouiraientavecsagessedes  choses  de  la  vie! 

Les  gens,  à  la  vérité,  qui  tranchent  sur 
toutes  choses,  qui  font  les  génies  sublimes 
et  qui  ne  trouvent  rien  sans  le  contester, 
affectent  d'être  incrédules  surdo  pareils  pro- 
diges de  la  nature  ;  ils  lui  disputent  son  pou- 
voir et  ne  veulent  pas  qu'elle  puisse  opérer 
des  choses  si  surprenantes. 

X\  II.  —  Méthode  d'Arnaud  de  Villeneuve, 
pour  opérer  le  grand  œuvre  du  rajeunisse- 
ment 

.\rnaud  de  Villeneuve,  médecin  en  France, 
vers  la  fin  du  xiii»  siècle  ,  avait  apparem- 
ment lu  les  rajeunissements  dont  nous  venons 
de  parler  ;  ils  lui  donnèrent  envie  d'inventer 
une  mélhode  pour  parvenir  à  de  tels  prodi- 
ges, sans  aller  dans  les  pays  éloignés,  où  se 
sont  trouvées  les  heureuses  et  f.ivorables  fon- 
taines qui  y  ont  le  plus  contribué.  Pour  cet 
effet  il  a  Idissé  à  ses  plus  intimes  le  secret  du 
grand  œuvre  qu'il  avait  imaginé. 

Il  veutqu'on  renouvelle  cetleosuvre  adtni- 
rable  tous  les  sept  ans  sur  les  corps  naturel- 
lement sains  et  bien  organisés  ;  quant  à  ceux 
qui  sont  trop  ou  (rop  peu  resserrés,  il  ordonne 
qu'on  les  tempère  par  l'usjige  d'une  once  de 
moelle  de  la  meilleure  casse ,  prise  en  entrant 
à  table  une  fois  par  semaine,  et  trois  fols  avant 
de  commencer  sa  méthode;  la  casse  étant  fa- 
vorable ,  suivant  ce  médecin,  contre  toutes 
les  humeurs  viciées. 

Dès  le  premier  jour  de  l'opération  on  mettra 
sur  le  cœur,  pendant  le  sommeil,  un  emplâtre 
d'une  once  de  safran  oriental ,  d'une  dcmi- 
jnce  de  roses  rouges,  de  deux  gros  de  santal 
de  pareille  couleur,  d'un  gros  de  bois  d'aloès, 
et  d'autant  de  bon  ambre  ;  ces  drogues  Irès- 
pulvérisées  s'incorporeront  avec  une  demi- 
livre  de  cire  blanche,  et  se  malaxeront  dans 
une  quantité  suffisante  d'huile  rosat.  Au  ré- 
veil on  lèvera  cet  emplâtre  pour  le  rouler, 
afin  de  l'enfermer  dans  une  boite  de  plomb 
jusqu'au  moment  de  s'en  resservir  en  entrant 
au  lit. 

Cette  œuvre  consiste  en.<:aile  à  vivre  quel- 
que temps  de  poules  préparées  d'une  certaine 
manière;  les  lempéramenls  sanguins  pen- 
dant 16  jours,  les  flegmatiques  durant  25,  et 
les  mélancoliques  pendant  30. 

Par  cette  raison  on  aura  autant  de  poules 
que  letempéramenl  l'indiquera;  on  lesmellra 
dans  un  lieu  spacieux  où  l'air  soit  pur  et 
l'eau  claire,  et  dans  lequel  il  n'y  ait  ni  her- 
bes ni  autres  choses  à  manger  ;  pour  qu'elles 
ne  puissent  être  nourries  que  de  l'aliment 
destiné. 

Cet  aliment  se  fera  avec  autant  de  bonnes 
vipères  qu'il  y  aura  de  poules;  ou  fouettera 


LON 


mi 


ces  reptiles  dans  un  tonne;iu  à  l'effet  de  leur 
couper  ausilôt  la  têle  et  la  queue  ;  puis  les 
ayant  écorchés,  on  les  trempera  dans  du  vi- 
naigre ,  et  on  les  frottera  de  sel  avec  uno 
étoffe  rude  ;  ensuite  les  ayant  mis  par  mor- 
ceaux, on  les  jettera  dans  une  grande  marmite 
avec  une  demi-livre  do  fleurs  de  romarin,  de 
fenouil,  de  calamanthe  et  d'anet,  autant  des 
unes  que  des  autres  ,  et  l'on  y  ajoutera 
une  demi-livre  d'herbes  de  cumin  ;  la  mar- 
mite étant  aux  deux  tiers  pleine  d'eau  pure 
on  la  fera  doucement  bouillir  jusqu'à  la  cuis- 
son des  vipères. 

Alors  on  y  versera  une  quantité  de  fro- 
ment bien  nettoyé,  et  suffisante  à  la  nourri- 
ture des  poules  pendant  les  jours  arrêtés  : 
on  fera  cuire  ce  blé  jusqu'à  ce  qu'il  se  soit 
rempli  de  la  qualité  de  ces  reptiles,  couvrant 
la  marmite  pour  y  mieux  conserver  leur» 
esprits,  et  la  tenant  élevée  sur  un  trépied  où 
elle  agira  également  à  feu  doux  jusqu'à  ce 
que  tout  s'épaississe  ;  en  cas  de  besuiu  ou  y 
pourra  remettre  de  l'eau. 

La  marmite  ôlée  de  dessus  le  feu,  on  éten- 
dra ce  blé  pour  le  sécher  dans  un  lieu  bien 
aéré,  crainte  de  corruption,  et  quoique  chaud 
on  en  donnera  aux  poules,  leur  en  faisant  de 
petites  peloles  avec  du  son  que  l'on  pétrira 
dans  le  bouillon. 

Ces  poules  ainsi  engraissées  pendant  un  ou 
deux  mois,  la  personne  en  mangera  tous  les 
jours  une  ;  on  la  fera  cuire  seule  dans  une 
quantité  d'eau  nécessaire  à  faire  deux  assiet- 
tes de  potage.  On  fera  ce  potage  avec  un  pain 
de  farine  pure  de  froment,  bien  fait  et  de  deux 
jours  au  plus. 

A  souper,  on  ne  prendra  qu'un  potage, 
comme  à  dîner,  avec  le  reste  de  la  poule,  ou 
deux  ou  trois  œufs  frais  bouillis  dans  l'eau,  à 
l'ordinaire,  que  l'on  mangera  avec  un  peu 
de  ce  pain,  buvant  du  vin  blanc  ou  du  clai- 
ret, à  cause  de  leur  légèreté. 

Cette  opération  est  plus  salutaire  aux  mois 
d'avril  et  de  mai,  à  cause  du  renouvellement 
de  la  nature.  Lorsque  les  jours  en  seront 
achevés,  on  se  baignera  trois  fois  dans  une 
semaine,  de  deux  jours  l'un,  dans  une  eau 
claire  et  tiède,  où  l'on  aura  mêlé  une  décoc- 
tion de  fleurs  de  romarin,  de  sureau,  des 
deux  sthécas,  de  camomille,  de  mélilot ,  de 
roses  rouges  et  de  nénuphar,  de  chacune 
une  livre;  on  y  joindra  des  racines  de  bis- 
torte,  de  brionne,  de  coulevrée,  d'aulnée,  de 
patience  et  d'iris,  de  chacune  une  poignée, 
nette  et  concassée,  le  tout  mis  dans  un  sac 
de  loilc  de  lin,  et  bouilli  une  ou  deux  ondes 
dans  un  grand  chaudron  plein  d'eau  de 
rivière. 

Le  bain  se  prendra  à  jeun  et  jusqu'au  cou, 
et  l'on  s'y  assiéra  sur  le  sac  de  fleurs  pour 
y  rester  une  heure  au  moins  ;  ce  sac  servin 
seul  aux  trois  bains. 

Sortant  de  l'eau,  on  avalera  un  gros  de 
bonne  thérlaque  dans  six  cuillerées  de  vin 
infusé  de  fleurs  de  romarin  et  de  cumin,  et 
l'on  se  mettra  dans  un  lit  tiède  pour  y  repo- 
ser et  dormir. 

S'il  survenait  une  sueur,  on  la  soutiendra 
comme  l'effet  favorable  de  ce  remède  ;  et. 


1045  DICTIONNAIRE  DES  SCIKNCES  OCCULTES 

après  avoir  reposé,  sué  cl  dormi,  on  mangera 
iiiodcrémenl  selon  l'appélil. 

Pour  achever  celte  opération,  causera  au 
moins  pendant  douze  jours  de  la  confection 
qui  suit,  après  s'être  baigné. 

Ayei  quatre  onces  de  chaux  d'or,  dissous 
philosophiquement,  bois  d'aloès,  bois  des  trois 
sanlaux,  semences  de  perles,  saphirs  ,  hya- 
cinthes ,  énicraules,  rubis,  topazes,  corail 
blanc  et  rouge,  baume  Irès-pur,  rûpure  d"i- 
voirc,  des  os  du  cœur  du  cerf,  de  chacun  un 
demi  gros  ;  ambre  et  musc  des  meilleurs,  six 
grains  de  l'un  et  autant  de  l'autre. 

Pulvérisez  le  tout  d'une  manière  impalpa- 
ble, et  l'incorporez  avec  conserves  de  citrons, 
de  bourrache  cl  de  romarin,  de  chacune  une 
once;  ajoutez  j  une  livre  de  sucre  On  pour 
former  ce  condiment  avec  du  sucre  rosat, 
autant  qu'il  en  faudra  pour  mettre  cette  con- 
fection dans  un  vase  de  porcelaine  ou  de 
fayence  que" l'on  couvrira  bien. 

Hen  faut  prendre  les  malins  à  jeun  cl  lessoirs 
en  se  couchant  environ  une  demi-cuillerée, 
el  l'on  connaîtra  dans  peu  le  prix  de  celte  œu- 
vre rare  pour  réparer  la  caducité  la  plus 
décrépite. 

Gel  art  merveilleux  de  rétablir  la  nature  , 
n'est  pas  dans  le  volume  in-folio  des  ouvra- 
ges du  célèbre  Arnaud  de  Villeneuve,  impri- 
més à  Lyon  il  à  Bâle  au  quinzième  siècle  ; 
U  est  dans  un  ancien  manuscrit  latin,  tombé 
dans  le  dix-seplième  à  M.  du  Poirier,  pre- 
mier médecin  di'  I'h6|iital  général  de  Tours, 
Sii  le  prêta  à  M.  l'abbé  de  Vallemont,  au 
âtcau  de  la  Rourdaisiiôre,  en  Touraino,  le- 
quel l'a  communiqué  à  l'auteur  de  ce  traité. 

X'III.   Dfs  choses  qui   peuvent  prolonger 
notre  vie. 


*Ml 


Ces  choses  sont  des  quintessences  qui  se 
tirent  des  animaux,  des  minéraux  et  des  vé- 
géla,ux. 

La  perfection  de  ces  quintessences  con- 
siste dans  leur  préparation;  elle  est  si  diffé- 
rente dans  les  opérations,  que  souvent  ces 
essences  ne  semblent  pas  élrc  une  même 
chose  tirée  du  même  principe. 

L'essence,  par  exemple,  des  vipères  con- 
serverait la  santé  bien  des  années ,  si  elle 
était  vérilablement  travaillée  selon  l'art  ; 
cette  essence  est  bien  plus  salutaire  que  la 
li'oudre  des  mêmes  vipères,  qui  renferme 
^oute  leur  matière  terrestre. 

L'essence  de  myrle  préserve  de  corrup- 
tion jusqu'aux  choses  inanimées. 

L'huile  balsamique  du  soufre,  laquelle, 
au  dire  de  Paracelse,  ne  laisse  corrompre 
aucune  chose  morte  ou  vivante;  elle  fait 
toujours  du  bien  el  jamais  de  mal,  selon 
Fioramenli  :  lorsqu'on  a  philosophiquement 
extrait  le  sel,  la  teinture  el  l'huile  essen- 
tielle de  ce  soufre,  on  procède  ensuite  à  l'o- 
pération de  son  huile  balsamique. 

L'huiledc  mars  ou  devitriol,extraitedeson 
sel  et  de  son  huile,  rectifiés  et  cuits  ensemble, 
produisent  l'huile  fixe  de  mars,  dont  les  ver- 
tus ne  sont  pas  connues  de  tout  le  monde. 

La  vraie  teinture  de  corail,  tirée  iiar  les 


rayons  du  soleil  el  l'eau-de-vie  céleste,  ou 
par  le  jus  de  cilron. 

La  quintessence  des  perles,  si  utile  à  Cer- 
tifier le  principe  de  vie  coalre  les  venins. 

La  quintessence  de  l'ambre  gris  pour  la 
santé  (et  non  pour  les  parfums),  laquelle 
augmente  notre  chaleur  sans  l'enllammer,  et 
la  fomente  sans  la  résoudre;  elle  relève  les 
forces  abattues  des  vieillards  pqr  l'esprit 
universel  dont  elle  est  remplie. 

La  quintessence  du  sucre  (dont  Isaac, 
hollandais,  nous  a  laissé  la  pratique),  cl  qui 
est  si  favorable  à  tous  les  tempéraments  ;  il 
la  prétend  souveraine  contre  l'hydropisie, 
la  phthisie  et  la  consomption,  ainsi  que  dans, 
l'épilepsie  cl  les  accouchements. 

La  quintessence  de  miel  composé  de 
fleurs  et  de  rosée,  laquelle  renferme  en  elle 
un  esprit  véritablement  céleste. 

La  teinture  de  l'or  naturel,  réduit  par  celle 
opéralion  à  l'huile  véritable  ou  teinture 
d'or 

De  toutes  ces  essences  ou  teintures,  on 
compose  en.suilc  le  diaphoron,  dont  parle 
Barthélémy  Korodorfer  dans  ces  termes  : 

«  Il  serait  difficile  d'expliquer  les  verlus 
du  diaphoron  contre  toutes  sortes  de  maux. 

«  Si  l'on  en  môle  par  dose  avec  notre  eau 
dorée,  on  aura  une  très-vigoureuse  santé. 

«  U  est  le  baume  de  la  vie,  et  a  fait  dci 
miracles. 

«  Un  roi  des  gentils  en  a  conservé  ses 
jours  jusqu'à  trois  cents  ans. 

«  Je  m'en  suis  rétabli  moi-même,  et  aussi 
un  mien  ami,  âgé  de  89  ans,  si  bien,  que 
nous  étions  comme  à  vingt  ans. 

«  J'en  ai  donné  à  des  mourants  une  demi-^ 
cuillerée;  ils  sont  revenus  et  se  sont  bien 
portés.  » 

Le  savant  M.  de  Comiers  d'Ambrun  nous 
a  donné  des  règles  pour  la  longue  vie;  on  en 
pourrait  joindre  la  pratique  aux  secrets 
dont  on  vient  do  parler. 

Règles  pour  la  longue  vie. 

Il  faut  qu'une  bonne  constitution  puisse 
donner  lieu  à  de  très-longs  jours. 

Que  l'humeur  radicale  el  la  chaleur  natu- 
relle soient  d'accord  :  d'où  naît  le  tempéra- 
ment sanguin,  le  plus  favorable  de  tous. 

Que  dans  un  corps  bien  organisé  il  £% 
trouve  un  esprit  sain,  gai  et  sage. 

Que  l'on  ne  mange  que  pour  vivre ,  et  J3- 
n)ais  jusqu'à  être  rassasié- 

Qu'on  agisse  médiocrement,  pour  tenir  le 
corps  dans  une  activité  raisonnable. 

Que  l'on  vive  chastement,  si  l'on  veuf  v^- 
vre  longtemps. 

Que  l'on  s'abstienne  de  manger  diverses 
viandes  el  de  boire  différentes  boissons  dans, 
un  même  repas,  de  crainte  que  les  sucshété 
rogènes  ne  se  nuisent  dans  l'estomac  pai 
leurs  qualités  contraires. 

Que  l'on  brise  parfaitement  ce  que  l'on 
mange.  La  mastication  est  une  première  di- 
gestion ;  elle  se  fait  par  l'humeur  acid"  qui 
sort  des  glandes  salivales,  proche  les  dents, 
oculaires  :  la  mastication,  la  digestion  el  la 
distribution  des  aliments  font  en  nous  uiig 


V  5 


LON 


espèce  de  chimie  imperceptible,  sans  laquelle 
nous  no  pourrions  subsister. 

Que  dans  les  repas  on  mange  alternalivc- 
ment  les  choses  humides  après  les  sèches, 
les  grasses  après  les  maigres ,  les  douces 
après  les  aigres  ,  et  les  froides  après  les 
chaudes,  afln  que  l'une  puisse  être  le  cor- 
reclifde  l'autre. 

Qu'après  avoir  bu  plus  qu'on  ne  doit  on 
mange  du  pain  sec  et  que  l'on  prenne  du  jus 
de  citron,  pour  se  délivrer  dans  le  moment 
du  hoquet,  que  la  réplélion  engendre  aussi 
bien  que  l'inanition;  qu'alors  on  se  garde  de 
boire  de  l'eau-de-vio  ni  d'autres  liqueurs 
chaudes  :  elles  sont  pernicieuses  après  avoir 
bu  trop  de  vin. 

Que  l'on  ne  fasse  aucun  exercice  violent, 
mais  seulement  jusqu'à  la  rougeur  :  jamais 
jusqu'à  la  sueur. 

Que  dans  une  sueur  extraordinaire  on  ne 
se  découvre  en  aucune  manière,  et  que  l'on 
marche  modérément,  de  crainte  de  se  refroi- 
dir, buvant  un  peu  de  vin  pur  et  non  de 
l'eau,  si  elle  n'est  tiède,  et  goutte  à  goutte, 
pour  éviter  la  pleurésie  ou  quelque  rhuma- 
tisme. 

Qu'en  sortant  du  lit  on  ne  s'expose  pas  à 
la  fenêtre ,  non  plus  qu'au  feu  quand  on 
vient  du  froid,  parce  que  tout  changement 
trop  prompt  est  dangereux. 

Que  dans  les  nouveaux  fruits  on  en  mange 
peu,  afin  que  l'estomac  s'y  puisse  accoutu- 
mer et  soit  ainsi  délivré  des  fermentations, 
d'où  proviennent  tant  de  fièvres  périlleuses. 

Que  la  boisson  soit  d'un  peu  de  vin  :  l'eau, 
prise  dans  le  besoin,  serait  plus  salutaire; 
la  bonne  est  limpide,  légère,  sans  odeur  ni 
saveur;  elle  provocjuc  un  sommeil  doux  ;  les 
idées  y  sont  nettes,  à  la  différence  des  illu- 
sions et  des  rêveries  causées  par  les  cha- 
leurs et  les  fumées  du  vin. 

On  doit  à  Néron  l'invention  de  boire  l'eau 
épurée  après  la  distillation  et  rafraîchie  par 
la  glace.  Cette  liqueur  naturelle,  puie  et 
simple,  dont  nos  premiers  pères  ont  usé 
pendant  près  de  dix-sept  cents  ans  ,  est 
capable  de  détruire  cette  pépinière  de  vers 
qu'une  corruption  engendre  dans  l'esto- 
mac de  ceux  qui  mangent  sans  choix  et 
sans  mesure,  bien  souvent  sans  goût  ni  déli- 
catesse. M.  Perrault, de  l'académie  des  Scien- 
ces, délivra  par  cet  innocent  remède  une  re- 
ligieuse tourmentée  d'un  pareil  accident  : 
tant  il  est  vrai  qu'il  n'est  pas  nécessaire  d'ê- 
tre médecin  pour  guérir  un  malade. 

Le  dormir  se  trouvant  une  tendre  inven- 
tion de  la  miséricorde  divine  pour  réparer  la 
nature  épuisée,  M.  de  Comiers  veut  (comme 
disait  Apollonius  de  Tyane  à  Pliraortes,  roi 
de  l'Inde)  que  l'on  ne  dorme  pas  du  bout  des 
paupières,  mais  bien  de  la  pensée  :  c'est  ce 
qui  n'arrive  guère  à  ceux  qui  usent  immo- 
dérément du  vin  et  des  liqueurs  oii  entre 
l'cau-de-vie,  et,  qui  pis  est,  de  l'esprit-de- 
vin.  Quoique  deux  ou  trois  cuillerées  d'eau- 
de-vie  puissent  fortifier  l'estomac  et  aider  la 
digestion  de  ceux  qui  s'oublient  jusqu'à  trop 
manger,  et  qu'elle  soit  en  certaines  rencon- 
tres un  topi<!ue   excellent,  on  a   remarqué 


LON 


lOiG 


que  son  usage  en  boisson  ayant  été  intro- 
duit en  Amériqae,  les  peuples  y  oni,  ainsi 
que  nous,  abrégé  leur  longue  vie. 

Si,  après  le  dormir,  les  forces,  qui  doivent 
en  é:re  rétablies,  se  trouvent  abattues,  ou 
aura  recours  à  la  sueur,  pour  soulager  la 
pesanteur  que  causera  trop  de  sue  nutritif. 
Pour  cet  effet,  on  se  tiendra  immobile  sur 
les  reins,  dans  des  dcaps  blancs  et  chauds, 
entre  deux  lits  de  plumes  n'ayant  que  le 
visage  découvert,  et  l'on  no  sortira  du  lit 
qu'une  heure  après  avoir  sué. 

On  suera  trois  fois  l'année  :  dans  l'au- 
tomne, dans  l'hiver  et  dans  le  printemps,  el 
l'on  se  fera  frotter  deux  fois  par  semaine, 
au  moins,  avec  des  linges  chauds,  pour  exci- 
ter la  transpiration,  si  néci;ssairo  à  la  vie. 

Si  l'on  était  dégoûté,  ou  fera  diète  pendant 
vingt-quatre  heures  et  l'on  se  promènera 
doucement  au  grand  air,  pour  ranimer  la 
chaleur  naturelle,  accablée  par  trop  de  suc 
nutritif. 

Ce  trop  de  suc  nuîritif,  poussant  avec  vio- 
lence le  sang  au  cerveau,  y  cause  une  pe- 
santeur qui  souvent  est  l'avantcoureur  do 
l'apoplexie.  Les  plus  tendres  rameaux  des 
veines  se  rompent,  et  ce  suc,  en  s'épanchant, 
presse  les  nerfs  et  empôihe  la  distribution 
des  esprits.  Fernel  prétend  qu'ils  sont  le  vé- 
hicule de  la  chaleur  naturelle;  son  extinc- 
tion donne  la  mort.  On  remédiera  à  cet  in- 
convénient en  ouvrant  la  veine  sans  différer, 
pour  diminuer  la  cause,  et  faisant  suer  dans 
le  lit  :  les  veines  du  cerveau  s'amolliront  et 
s'étendront  sans  se  rompre.  Changer  de  lieu 
dans  ces  instants  n'est  pas  indifférent,  sur- 
tout si  l'on  fait  passer  le  malade  dans  un  air 
plus  doux  et  raisonnablement  frais. 

La  diète  el  la  sueur  sont  ainsi  une  espèce 
de  médecine  universelle,  capable  de  préser- 
ver nos  corps  el  de  leur  acquérir  une  longue 
vie. 

La  diète  ramène  l'appétit;  l'appélit,  médio- 
crement contenté,  augmente  les  forces;  les 
forces  contribuent  à  la  santé,  et  la  santé 
donne  la  vie. 

La  sueur  dégage  des  mauvaises  humeurs 
et  soulage  les  obstructions,  d'où  procèdent 
toutes  nos  maladies. 

Les  plus  violentes  sont  guéries  par  la 
sueur  réitérée  ;  elle  n'est  pas  même  inutile 
contre  le  tremblement  des  nerfs.  On  se  guérit 
aussi  en  buvant  pendant  trois  mois,  entre  les 
repas,  de  l'eau  dans  laquelle  on  aura  fait  in- 
fuser à  froid  de  la  petite  sauge  verte  passée 
sur  le  feu,  à  cause  des  reptiles  qui  vont  y 
chercher  leur  guérison  :  par  exemple,  une 
poignée  de  cette  plante  dans  deux  pintes 
d'eau  de  rivière  bien  épurée  el  froide,  où  h's 
sels  ne  se  fixent  pas  et  où  ils  restent  vol  itils, 
à  la  différence  de  l'eau  chaude,  où  les  sels  so 
fixent  et  se  soutiennent. 

A  celle  manière  prompte  el  simple  de  gué- 
rir, M.  de  Comiers  veut  que  l'on  joigne  une 
nourriture  de  très-facile  digestion  pour  les 
malades;  elle  se  fail  de  bonnes  viandes  cou- 
pées par  petits  morceaux,  avec  les  os  moel- 
leux cassés  très-menus,  et  piles  dans  uir 
mortier  de  marbre  :  ces  viandes  cuites  à  feu 


io;7 


blCTlONNAlUE  DES  SCIENCES  OCCULTES 


1048 


lent  seront  passées  dans  un  linge  blanc  ,  et 
de  celle  espèce  de  panade  les  malades  use- 
ront pour  aliment  et  buisson  ,  en  la  rendant 
à  It'ur  gré  plus  ou  moins  liquide. 

Ceux  qui  voudront  dans  les  bouillons  faire 
retenir  les  sels  volatils  des  viandes,  qui  en 
font  la  meilleure  partie,  se  serviront  de  la 
machine  de  M  Papin  ,  pour  amollir  les  os  : 
l'utilité  en  est  parfaitement  démonlrce  dans 
l'impression  de  1682  faite  chez  Michallel. 
XIX.  —  De  la  médecine  universelle^ 
La  diète  et  la  sueur,  que  M.  de  Comiers  a 
pensé  des  remèdes  certains,  lui  ont  fait  in- 
venter une  médecine  universelle  qui  les  aidât 
et  même  les  perfectionnât. 

Dans  cette  vue,  son  étude  nous  a  dccou- 
Ti  rt  la  teinture  aurifjque  de  l'antimoine ,  qui 
est  le  premier  être  de  l'or  ;  il  le  prétend  si 
homogène  à  nos  corps,  que  si  le  secret  n'en 
est  pas  infaillible,  au  moins  lui  sera-l-on 
obligé  d'avoir  essaye  de  nous  procurer  une 
santé  capable  de  nous  faire  arriver  à  la  plus 
longue  vie,  après  notre  immortalité  perdue. 
Composition  de  la  médecine  universelle. 
Prenez  sel  de  nilre  raffiné;  fondez-le  len- 
tement dans  un  vaisseau  de  fer  ;  étant  fondu, 
jetez  dessus  une  légère  quantité  de  charbon 
de  bois  doux  (comme  du  saule)  bien  pilé;  ce 
charbon  sç  consumera  d'abord ,  ce  qui 
obligera  d'en  remettre  peu  à  peu  ,  jusqu'à  ce 
que  le  sel  de  nitre ,  après  la  détonation,  soil 
fixe,  et  qu'il  ait  une  couleur  un  peu  verdâtre; 
c'est  ce  qui  arrive  lorsque  le  charbon  ne  se 
$oulèYC  pas  comme  il  faisait  auparavant  : 
alors  versez  votre  sel  de  nitre  fondu  dans  un 
mortier  de  marbre  bien  chaud  ;  étant  re- 
froidi, il  restera  blanc  comme  pierre  d'albâ- 
tre ,  et  cassant  comme  verre  ;  pikz-le  incon- 
tinent, et  étendi-z  la  poudre  sur  une  assiette 
de  fayence,  et  l'ayant  couTcrte  contre  la 
poussière ,  exposez-la  un  peu  penchée  à  l'air, 
inaia  dans  un  endroit  où  le  soleil ,  la  pluie  ni 
la  rosée  ne  puissent  pénétrer;  mettez  au- 
dessous  un  vase  de  tçire,  pour  recevoir  la 
liqueur  huileuse  qui  en  coulera;  car  l'humi- 
dilé  de  l'air  résolvant  le  sel  de  nitre  en  quel- 
ques jours,  on  Irouveradeux  fois  plus  pesant 
d'huile  qu'il  ny  avait  de  sel,  si  l'opération 
se  fuit  dans  mi  temps  doux,  tempéré  et  hu- 
wide. 

Celte  huile  étant  rectiflée  est  un  très-puis- 
sant dissolvan!  pour  extraire  l'essence  de 
toutes  sortes  de  mixtes. 

Ainsi  prenez  quatre  ou  cinq  parties  de 
celle  huile  rectifiée,  avec  une  partie  du  meil- 
leur antimoine,  que  l'on  reconnaît  par  cer- 
taines rousseurs  qu'il  lire  de  l'or,  près  de  la 
mine  duquel  il  se  forme;  l'antimoine  étant 
réduit  sur  le  marbre  en  poussière  très  One, 
meliez-lc  dans  un  grand  matras  de  verre  ,  et 
versez  Ihuile  de  nitre  par-dessus  ;  il  faul  que 
les  deux  tiers  du  matras  restent  vides;  bou- 
chez si  bien  le  matras,  qu'il  ne  transpire 
point  ;  meltez-le  en  digestion  à  feu  doux,  ou 
à  feu  de  lampe,  jusqu'à  ce  que  l'huile,  qui 
surnage  sur  l'antimoine,  paraisse  de  couleur 
d'or  ou  de  rubis  ;  alors  lirez  votre  huile,  et 
(I)  Voyages  lie  Cook. 


l'ayant  filtrée  par  le  papier,  versez-la  dans 
un  autre  matras  de  verre  à  col  loug,  cl 
mettez  par-dessus  autant  de  bon  esprit  de  vin 
bien  rectifié;  les  deux  tiers  du  matras  restant 
vides,  bouchez-le  bien,  mettez-le  ensuite  en 
digestion  à  chaleur  lente  pendant  quelques 
jours,  jusqu'à  ce  que  l'esprit  de  vin  ait  tiré 
touie  la  couleur  de  l'huile  en  teinture  de  l'an- 
timoine ,  de  manière  que  l'huile  de  nilre  res- 
tera au  fond  très-claire  et  blanche,  sur  la- 
quelle surnagera  l'esprit  de  vin,  et  séparez- 
le  par  décantation  ;  Ihuile  de  nitre  servira 
toujours  à  d'autres  opérations  pour  tirer  l'es- 
sence de  l'antimoine  autant  que  l'on  voudra. 
Mêliez  votre  esprit  de  vin  dans  un  alambic 
de  verre ,  distillez-le  doucement  jusqu'à  ce 
qu'il  n'en  reste  au  fond  que  la  cinquième 
partie  qui  retiendra  la  teinture  de  l'anli- 
moine,  ou  bien  distillez  tout  l'esprit  de  vin, 
ne  laissant  au  fond  que  l'essence  de  l'anti- 
moine. 

Vous  aurez  ainsi  en  liqueur  la  médecine 
universelle,  qui  guérira  ou  préservera  di» 
tout  mal. 

La  dose  est  de  cinq  à  six  gouttes  dans  da 
vin  ou  du  bouillon,  selon  l'indisposition. 

Due  dose  plus  forte  ne  peut  nuire  ;  les  ma- 
ladies se  guérissent  dans  la  troisième  prise; 
si  le  mal  se  rendait  opiniâtre,  un  redoublera 
l.i  dose ,  et  l'on  en  prendra  trois  fois  par  se-p 
maine. 

Cette  médecine  guérit  les  maux  inlernoa 
cl  externes,  comme  plaies  et  gangrènes, 
l'appliquant  dessus  en  forme  de  baume;  elle 
réconforte laléte  et  l'estomac,  étant  un  véri- 
table or  potable;  elle  opère  par  l'insensiblo 
transpiration,  souvent  par  les  sueurs  et  les 
urines,  rarement  par  ailleurs,  et  presque 
jamais  par  le  vomissement  :  son  effet  est  na- 
turel et  sans  violence,  ce  qui  fait  qu'on  en 
peut  user  à  tout  âge ,  pour  toutes  com-r 
plexions,  et  dans  tous  les  temps. 

A  celle  médecine  universelle,  nous  en  join-r 
drons  une  pour  réparer  les  forces  aballuea, 
et  guérir  toute  lassitude. 

Pour  rappeler  les  forces. 

Mettez  un  coq  sous  une  geôle;  nourrissez-, 
le  15  jours  de  bon  froment,  et  laissez  pro-i 
mener  autour  six  poules  avec  un  autre  coq 
très-rjeune:  il  excitera  celui  qui  sera  renfermé, 
en  sorte  qu'il  mangera  de  colère  et  de  ja- 
lousie, ce  qui  l'enflammera;  après  les  15 
jours  tuez  le  coq  ancien ,  distillez-eu  le  sang, 
versant  trois  fois  l'eau  qui  sortira  sur  les  lies; 
prenez  celle  eau  distillée,  metlez-y  trois 
gouttes  d'ambre  gris ,  et  en  avalez  une  cuil- 
lerée à  jeun  les  malins  pendant  15  jours. 

Voyez  Secbkt. 

LOOTA,  oiseau  qui ,  dans  l'opinion  de» 
habitants  des  lies  des  Amis, mange  à  l'instant 
de  la  mort  les  âmes  des  gens  du  peuple  ,  et 
qui ,  pour  cet  effet  ,  se  promène  sur  leurs 
tombes  (1). 

LORAY.  Voy.  Orat. 

LOTERIE.  La  loterie  doit  son  origine  à  un 
Génois.  Elle  fut  établie  à  Géncs  en  17-20,  eu 
France  en  1758.  Elle  est  supprimée  depuis  peu. 

Entre  plusieurs  moyens  imaginés   par  les 


1019 


LOU 


LOU 


1.150 


visionnaires  pour  gagner  à  la  loterie,  le  plus 
commun  étail  celui  des  songes.  Un  rêve, 
sans  que  l'un  en  snclie  la  raison,  indiquait  à 
celui  qui  l'avait  fait  les  numéros  qui  devaient 
sortir  au  prochain  tour  de  roue.  Si  l'on  voit 
en  songe  un  aigle,  disent  les  livres  qui  en- 
seignent cette  science,  il  donne  8,  20,  40.  Un 
ange,  20,  46,  56.  Un  bouc,  10,  13,  90.  Des 
brigands,  4,  Id,  33.  Un  champignon,  70,80, 
90.  Un  chal-huant,  13,  85.  Un  crapaud.  4, 
46.  Le  diable,  4,  70,  80.  Un  dindon,  8,  40, 
66.  Un  dragon,  8,  12,  43,  CO.  Des  fanlômes, 
1,  22,  52.  Une  femme,  4,  9,  22.  Une  fille,  20, 
35.  58.  Une  grenouille,  3,  19,  27.  La  lune, 
9,  46,  79,  80.  Un  moulin,  15,  49,  62.  Un  ours, 
21,  50,  63.  Un  pendu,  17,  71.  Des  puces,  45, 
57,  83.  Des  rats,  9,  40,56.  Un  spectre,  31,43, 
74,  elc. 

Or,  dans  cent  mille  personnes  qui  met- 
taient à  la  loterie,  il  y  avait  cent  mille  rêves 
différenis,  et  il  ne  sortait  que  cinq  numéros  ; 
de  plus,  aucun  système  ne  se  ressemblait. 
Si  Cagliosiro  donnait  pour  tel  rêve  les  nu- 
méros 11,  27,  82,  un  autre  indiquait  des  nu- 
méros tout  opposés. 

Secret  pour  gagner  à  la  loterie. 

Croirait-on  que  les  livres  de  secrets  mer- 
veilleux donnent  gravement  ce  procédé  ?  Il 
faut  avant  de  vous  coucher  réciter  trois  fois 
la  formule  qui  va  suivre;  après  quoi  vous  la 
mettrez  sous  votre  oreiller ,  écrite  sur  un 
parchemin  vierge;  et  pendant  votre  som- 
meil le  génie  de  votre  planète  vient  vous 
dire  l'heure  où  vous  devez  prendre  votre 
billet,  et  vous  révéler  en  songe  les  numéros. 
Voici  la  formule  : 

«  Seigneur ,  montrez-moi  donc  un  mort 
mangeant  de  bonnes  viandes,  un  beau  pom- 
mier ou  de  l'eau  courante,  tous  bons  signes  ; 
et  envoyez-moi  les  anges  Uriel,  Rubiel  ou 
Barachiel ,  qui  m'instruisent  des  nombres 
que  je  dois  prendre  pour  gagner;  par  celui 
qui  viendra  juger  les  vivants  et  les  morts  et 
le  siècle  par  le  feu.  » 

Dites  alors  trois  Pater  et  trois  Ave  pour 
les  âmes  du  purgatoire 

LOUDUN.  Pour  la  possession  de  Loudun, 
voyez  Grandier.  L'histoire  des  diables  de 
Londun  est  l'ouvrage  d'un  calviniste  très- 
partial,  pour  ne  pas  dire  Irès-menteur. 

LOUIS  1",  surnommé  le  Débonnaire,  fils 
deCharlemagne,  né  en  778,  mort  en  840. 
Les  astrologues  jouirent,  dit-on,  d'une  grande 
faveur  à  sa  cour. 

A  l'article  de  la  mort ,  ou  raconte  qu'au 
moment  où  il  rtcevait  la  dernière  bénédic- 
tion, il  se  tourna  du  côté  gauche,  roula  les 
yeux  comme  une  personne  fâchée  ,  et  pro- 
féra ces  mots  allemands  .■  hutz,  hutz  (dehors, 
dehorsjl  Ce  qui  fit  conclure  qu'il  s'adres- 
sait au  diable  ,  dont  il  redoutait  les  appro- 
ches (1). 

LOUIS  XI ,  roi  de  France  ,  né  en  1+23  , 
mort  en  1483.  Un  astrologue  ayant  prédit  la 
mort  d'une  personne  qu'il  aimait,  et  cette 
personne  étant  morte  en  effet,  il  crut  que  la 

{IJ  M.  Garinel,  Hisl.  de  la  magie  eu  Frauce,  fit 


prédiction  de  l'astrologue  en  étail  la  cause. 
Il  le  fit  venir  devant  lui  avec  le  dessein  de  le 
faire  jeter  parla  fenêtre.  — Toi  qui  prétends 
être  né  si  habile  homme,  lui  dit-il,  ap- 
prends-moi quel  sera  ton  sort? 

—  Le  prophète  qui  se  doutait  du  projet 
du  prince  ,  lui  répondit  :  Sire,  je  prévois 
que  je  mourrai  trois  jours  avant  votre  ma- 
jesté. 

Le  roi  le  crut,  et  se  garda  bien  de  le  faire 
mourir.  Du  moins  tel  est  le  conte  ;  el  on 
en  a  prêté  beaucoup  à  ce  roi  si  bizarre. 

LOUIS  XIII ,  roi  de  France,  né  en  1001  , 
mort  en  1641,  surnommé  le  Juste  parce  qu'il 
était  né  sous  le  signe  de  la  Balance  ;  mais  il 
mérita  ce  surnom.  Lorsqu'il  épousa  linfanle 
Anned'Autricha,  on  prouva,  dit  Sainl-Foix, 
qu'il  y  avait  entre  eux  une  merveilleuse  et 
très-héroïque  correspondance.  Le  nom  de 
Loys  de  Bourbon  contient  treize  lettres.  Ce 
prince  avait  treize  ans  quand  le  mariage  fut 
résolu  ;  il  étail  le  treizième  roi  de  France  du 
nom  du  Loys.  Anne  d'Autriche  avail  aussi 
treize  lettres  en  son  nom  ;  son  âge  était  de  treize 
ans,  el  treize  infantes  du  même  nom  se  trou- 
vaient dans  la  maison  d'Kspagne.  Anne  el 
Loys  étaient  de  la  même  taille  ;  leur  con- 
dition était  égale  ;  il  étaient  nés  la  même 
année  et  le  même  mois. 

LOUIS  XIV.  Voy.  Anagrambes. 

LOUIS  DE  HONGRIE.  Peu  de  temps  avant 
la  mort  de  ce  prince,  arrivée  en  1520,  comme 
il  dînait,  enfermé  dans  la  citadelle  de  Bude-, 
on  vit  paraître  à  sa  porte  un  boiteux  mal 
vôlu  ,  qui  demandait  avec  grande  instance  à 
parler  au  roi.  Il  assurait  qu'il  avait  des 
choses  de  la  dernière  importance  à  lui  com- 
muniquer. On  le  méprisa  d'abord,  et  l'on  ne 
daigna  pas  l'annoncer.  Il  cria  plus  haut  et 
protesta  qu'il  ne  pouvait  découvrir  qu'au  roi 
seul  ce  dont  il  était  chargé.  On  alla  dire  à 
Louis  ce  qui  se  passait.  Le  prince  envoya  le 
plus  apparent  des  seigneurs  qui  étaient  au- 
près de  lui,  et  qui  feignit  d'être  le  roi  :  il  de- 
manda à  cet  homme  ce  qu'il  avait  à  lui 
dire.  Il  répondit  :  —  Je  sais  que  vous  n'êles 
pas  le  roi  ;  mais  puisqu'il  méprise  de  m'en- 
lendre,  diles-lui  qu'il  mourra  certainement 
bientôt.  Ayant  dit  cela,  il  disparut,  et  le  roi 
mourut  en  effet  peu  après  (2). 

LOUISE  DE  SAVOIE,  duchesse  d'Angou- 
lôme,  mère  de  François  I",  morte  en  1532. 
Elle  avait  quelques  préjugés  superstitieux  , 
et  redoutait  surtout  les  comètes.  Brantôme 
raconte  que  trois  jours  avant  sa  mort,  ayant 
aperçu  pendant  la  nuit  une  grande  clarté 
dans'sa  chambre,  elle  fît  tirer  son  rideau  . 
et  fut  frappée  de  la  vue  d'une  comète.  —  Ahl 
dit-elle  alors,  voilà  un  signe  qui  ne  paraît 
pas  pour  une  personne  de  basse  qualité; 
refermez  la  fenêtre.  C'est  une  comète  qui 
m'annonce  la  mort;  il  faut  donc  s'y  pré- 
parer. 

Les  médecins  l'assuraient  néanmoins 
qu'elle  n'en  était  pas  là.  —  Si  je  n'avais  vu, 
dit-elle,  le  signe  de  ma  mort,  je  le  croirais, 
car  je  ne  me  sens  point  si  bas. 

(i)  Leuaclivius,  Paiidecta;  lnsl.  lurcic»  cUurica:,  p.  MT. 


I1(M 


D:CTIO.NNAlRli  DliS  SCIENCES  OCCULTES 


lO.j- 


Celle  comète  n'est  pas  la  seule  qui  ait 
épouvanté  Louise  de  Savoie.  Gomme  elle  se 
promenait  dans  le  bois  de  Uomoranlin  ,  la 
nuit  du  28  août  i5ik,  elle  en  vil  une  vers 
l'occident ,  et  s'écria  :  —  Les  Suisses  1  les 
Suisses  1 

Elle  resta  persuadée  que  c'était  un  aver- 
tissement que  le  roi  serait  en  grande  affaire 
contre  eux  (1]. 

LOUP.  Chez  les  anciens  Germains  et  chez 
les  Scandinaves  ,  le  diable  ou  le  mauvais 
principe  était  représenté  par  un  loup  énorme 
cl  béant. 

A  Quimper,  en  Bretagne ,  les  habitants 
niellent  dans  leurs  champs  un  trépied  ou  un 
couteau  fourchu,  pour  garantir  le  bétail  des 
loups  et  aiitres  bêtes  féroces  (2). 

Pline  dii  que  si  un  loup  aperçoit  un  homme 
avant  qu'il  en  soit  vu,  cet  homme  deviendra 
enroué  et  perdra  la  voix  ;  fable  qui  est  restée 
en  vigueur  dans  toute  l'Italie. 

En  Espagne,  on  parle  souvent  de  sorciers 
qui  vont  faire  des  courses  à  cheval  sur  des 
IcMips,  le  dos  tourné  vers  la  tête  de  la  bête, 
parce  qu'ils  ne  sauraient  aller  autrement  à 
eause  tie  la  rapidité.  Ils  font  cent  lieues  par 
heure;  car  ces  loups  sont  des  démons.  La 
queue  de  ces  loups  est  raide  comme  un  bâ- 
ton, et  il  y  a  au  bout  une  chandelle  qui 
éclaire  la  route. 

Il  n'y  a  pas  un  homme  à  la  campagne  qui 
ire  vous  assure  que  les  moutons  devinent  à 
l'odorat  la  présence  du  loup  ;  qu'un  troupeau 
ne  franchira  jamais  le  lieu  où  l'on  aura  en- 
lerré  quelque  portion  des  entrailles  d'un 
loup;  qu'un  violon  monté  avec  des  cordes 
tirées  des  intestins  d'un  loup  mettrait  en 
fuite  tout  le  bercail.  Des  hommes  instruits  et 
sans  préjugés  ont  vérifié  toutes  ces  croyantes 
et  en  ont  reconnu  l'absurdité.  Kirker  a  ré- 
pété à  ce  sujet  des  expériences  démonstra- 
tives ;  il  a  même  poussé  l'épreuve  jusqu'à 
suspendre  un  cœur  de  loup  au  cou  d'un  mou- 
Ion,  et  le  pacifique  animal  n'en  a  pas  moins 
hrouté  l'herbe  (3).  Yoy.  Oraison  du  loup, 

ErREUHS  PltPCLAlRES,    CtC. 

LOUP-GAllOC,  ou  LYCANTHROPE, 
homme  ou  femme  métamorphosé  en  loup  par 
enchantement  ou  sorcellerie.  Voy.  Lycan- 
rnnopiE. 

LOUVIERS  (Possession  de).  Voy.  Picard. 

LOYER  (Pierre  le),  sieur  de  la  Brosse, 
conseiller  du  roi  au  siège  présidial  d'Angers, 
et  démonographe,  né  à  Huillé  dans  l'Anjou, 
en  1330,  auteur  d'un  ouvrage  intitulé  :  Dis- 
cours el  histoires  des  spectres,  visions  et  ap- 
paritions des  esprits,  anges,  démons  et  âmes 
se  montrant  visibles  aux  hommes;  divisé  en 
huit  livres,  desquels,  par  les  visions  mer- 
veilleuses et  prodigieuses  apparitions  ave- 
nues en  tous  les  siècles,  tirées  el  recueillies 
des  plus  célèbres  auteurs  tant  sacrés  que 
profanes ,  est  manifestée  la  certitude  des 
spectres  et  visions  des  esprits,  et  sont  baillées 
les  causes  des  différentes  sortes  d'appari- 
lions  d'iceux,  leurs  effets,  leurs  différences, 

(tl  M.  Weiss,  Biograptiie universelle. 

ii)  Voyage  au  Finistère,  t.  llf,  p.  33. 

(3)  Saisufs,  Des  Erreurs  el  des  préjugés  ,  t.  1",  p,  9. 


les  moyens  pour  reconnaître  les  bons  et  les 
mauvais  el  chasser  les  démons;  aussi  est 
traité  des  extases  et  ravissements  ;  de  l'es- 
sence, nature  et  origine  des  âmes,  et  de  leur 
état  après  le  décès  de  leur  corps;  plus  des 
magiciens  et  sorciers  ;  de  leur  communica- 
tion avec  les  malins  esprits;  ensemble  des 
remèdes  pour  se  préserver  des  illusions  et 
impostures  diaboliques.  Paris,  chez  Nicolas 
Buon,  1603,  1  vol.  in-4''. 

Ce  volume  singulier  est  dédié  Deo  optimo 
maximo  ;  il  est  divisé  en  huit  livres,  comme 
l'annonce  le  titre  qu'on  vient  de  lire.  Le  pre- 
mier contient  la  définition  du  spectre,  la  ré- 
futation des  saducéens,  qui  nicnl  les  appari- 
tions et  les  esprits;  la  réfutation  des  épi- 
curiens ,  qui  tiennent  les  esprits  corpo- 
rels ,  etc. 

Le  livre  second  traite,  avec  la  physique  du 
temps,  des  illusions  de  nos  sens,  des  prestiges, 
des  extases  et  métamorphoses  des  sorciers, 
des  philtres. 

Le  troisième  livre  établit  les  degrés,  char- 
ges, grades  et  honneurs  des  esprits  ;  les  his- 
toires de  Philinnion  et  de  Polycrite,  el  di- 
verses aventures  de  spectres  et  de  démons. 

Dans  le  livre  suivant,  on  apprend  à  quelles 
personnes  les  spectres  apparaissent;  on  y 
parle  des  démoniaques,  des  pays  où  les 
spectres  el  démons  se  montrent  plus  volon- 
tiers. Le  démon  de  Socrale  ,  les  voix  pro- 
digieuses, les  signes  merveilleux,  les  songes 
diaboliques  ;  les  voyages  de  certaines  âmes 
hors  de  leur  corps  tiennent  place  dans  ce 
livre. 

Le  cinquième  traite  d«  l'essence  de  l'âme, 
de  son  origine,  de  sa  nature,  de  son  état 
après  la  mort,  des  revenants. 

Le  livre  sixième  roule  tout  entier  sur  l'ap- 
parition des  âmes;  on  y  démontre  que  les 
âmes  des  damnés  el  des  bienheureux  ne  re- 
viennent pas  ;  mais  seulement  les  âmes  qui 
souffrent  en  purgatoire. 

Dans  le  septième  livre,  on  établit  que  la 
pylhonisse  d'Endor  fil  paraître  un  démon 
sous  la  figure  de  l'âme  de  Samuel.  Il  est  traité 
en  ce  livre  de  la  magie,  de  l'évocation  des 
démons,  des  sorciers,  etc. 

Le  dernier  livn;  est  employé  à  l'indication 
des  exorcismcs,  fumigations,  prières  et  autres 
moyens  anti-diaboliques.  L'auteur ,  qui  a 
rempli  son  ouvrage  de  recherches  et  de 
science  indigérée,  combat  le  sentiment  ordi- 
naire qu'il  faut  donner  quelque  chose  au 
diable  pour  le  renvoyer. 

«  Quant  à  ce  qui  est  de  donner  quelque 
chose  au  diable,  dit-il,  l'exorciste  ne  le  peut 
faire,  non  pas  jusqu'à  un  cheveu  do  la  tête, 
non  pas  jusqu'à  un  brin  dherbe  d'un  pré  ; 
car  la  terre  et  tout  ce  qui  habile  en  elle  ap- 
partient à  Dieu.  » 

LUBIN.  C'est  le  poisson  dont  le  fiel  ser- 
vit au  jeune  Tobio  pour  rendre  la  vue  à  sou 
père.  On  dit  (]uil  a  coiilre  l'ophllialmie  une 
grande  puissance,  et  que  son  cœur  sert  ^ 
chasser  les  démons  (4). 

(l)  Lelover,  HIsl.  des  snoclres-ou  anparit.  des  esiiiiis, 
liv  VUl,  p.  S53. 


<03' 


IXG 


F.UClîSME,  démon  invoqué  dans  les  lita- 
nies du  snbbnt. 

LUCIEN,  écrivain  grec  donl  on  ignore  l'é- 
poque de  la  yie  et  de  ta  mort.  On  a  dit  qu'il 
fut  cliangé  en  âne,  ainsi  qu'Apulée,  par  !es 
sorciers  de  Larissc,  qu'il  était  allé  voir  pour 
essayer  si  leur  art  magique  était  visible;  de 
sorte  qu'il  devint  sorcier. 

LUCIFER,  nom  de  l'esprit  qui  préside  à 
l'orient,  selon  l'opinion  des  magiciens.  Lu- 
cifer était  évoqué  le  lundi,  dans  un  cercle 
au  milieu  duquel  était  son  nom.  Il  se  con- 
tentait d'une  souris  pour  prix  de  ses  com- 
plaisances. On  le  prend  souvent  pour  le  roi 
(les  enfers.  Lucifer  coiuinande  auxEuropéens 
et  aux  Asiatiques.  11  apparaît  sous  la  forme 
et  la  figure  du  plus  bel  enfant.  Quand  il  est 
en  colère,  il  a  le  visage  enflammé,  mais  ce- 
pendant rien  de  monstrueux.  C'est,  selon 
quelques  démonographcs,  lo  grand  justicier 
des  enfers.  Il  est  invoqué  le  premier  dans 
les  litanies  (^u  sabbat. 

LUCIFERIENS,  nom  donné  aux  partisans 
de  Lucifer,  évéque  schismalique  de  Cagliari, 
au  quatrième  siècle. 

LUCUM0RIEN8,  sujets  du  czar  de  Mosco- 
vie,  qui,  à  l'instar  de  la  marmotte  ,  depuis 
le  mois  d'octobre  jusqu'à  la  fin  du  mois  d'a- 
vril suivant,  demeurent  comme  morts,  au 
4ire  de  Leloyer  (1). 

LUDL.\M ,  sorcière  ,  fée  ou  magicienne 
très-fameuse,  dont  les  habilanls  du  comté  de 
Surrey,  en  Anglelerre ,  pl.icenl  l'habiiation 
dans  une  caverne  voisine  du  ciiâieau  de  Farn- 
ham,  connu  dans  le  pays  sous  le  nom  du  Lu- 
dlam's  Hole,  caverne  de  la  mère  Ludlam.  La 
tradition  popul.iire  porte  que  cette  sorcière 
n'était  point  un  de  ces  êtres  malfaisants  qui 
Uennenl  une  place  distinguée  dans  la  démo- 
nologie;  au  contraire,  elle  faisait  du  bien  à 
tous  ceux  qui  imploraient  sa  protection  d'une 
manière  convenable.  Les  pauvres  habitants 
du  voisinage,  manquant  d'ustensiles  de  cui- 
sine ou  d'instruments  de  labourage,  n'avaient 
qu'à  lui  manifester  leurs  besoins,  ils  la  trou- 
vaient disposée  à  leur  prêter  ce  qui  leur  était 
nécessaire.  L'homme  qui  voulait  avoir  un  de 
ces  meubles  se  rendait  à  la  caverne  à  mi- 
nuit, en  faisait  trois  fois  le  tour,  et  disait 
ensuite  :  —  Bonne  mère  Ludlam,  ayez  la 
bonté  de  m'envoyer  telle  chose;  je  vous 
promets  de  vous  la  rendre  dans  deux  jours. 

Cette  prière  faite,  on  se  relirait;  le  lende- 
main, de  grand  matin,  on  retournait  à  la  ca- 
verne, à  l'entrée  de  laquelle  on  trouvait  la 
chose  demandée. 

Ceux  qui  invoquaient  la  mère  Ludlam  ne 
se  montrèrent  pas  toujours  aussi  honnêtes 
qu'elle  :  un  paysan  vint  la  prier  une  fois  de 
lui  prêler  une  grande  chaudière,  et  la  garda 
plus  longtempsq  u'il  ne  l'avait  promis.La  mère 
Ludlam,  offensée  de  ce  manque  d'exactitude, 
refusa  de  recevoir  sa  chaudière  lorsqu'on  la 
lui  rapporta,  et  depuis  ce  temps  elle  se  venge 
en  ne  se  prêtant  plus  à  aucune  des  demandes 
qu'on  lui  fait  (2). 

LUGUBRE,  oiseau  du  Brésil,  dont  le  cri 

(1)  Leiovcr,  Hisl.  des  spectres  ou  npparil.  Je»  csprils. 
liv.lV,  p. '455. 


LL'L  m* 

funèbre  ne  se  fait  entendre  que  la  nuit;  ce 
qui  le  fait  respecter  des  naturels,  qui  sonl 
persuadés  qu'il  est  chargé  de  leur  a|)porler 
(les  nouvelles  des  morts.  Léry  ,  voyageur 
français,  raconte  que,  traversant  un  village, 
il  en  scandalisa  les  habitants  pour  avoir  ri 
de  l'alteniion  avec  laquelle  ils  écoutaient  le 
cri  de  cet  oiseau.  —  Tais-toi,  lui  dil  rude- 
nient  un  vieillard ,  ne  nous  empêche  pas 
d'entendre  les  nouvelles  que  nos  grands- 
pères  nous  envoient. 

l.ULLE  (Raymond),  l'un  des  maîtres  le 
plus  souvent  cités  de  la  philosophie  herméti- 
()up,  et  l'un  des  savants  les  moins  connus 
du  moyen  âge.  Nous  emprunterons  ce  que 
nous  allons  eu  dire  à  un  travail  très- remar- 
quable de  M.  E.-J.  Dclécluze. 

«Raymond  Lulle  ,  dit-il,  fut  le  dernier 
dos  grands  chimistes  du  treizième  siècle  qui 
étudia  la  science  avec  bonne  foi  et  désinté- 
ressement. A  compter  de  1330  à  peu  près,  les 
dupes  et  les  fripons  commencèrent  à  se  mê- 
ler de  la  transmutation  des  métaux  ,  les  uns 
dans  l'espérance  de  produire  de  l'or,  les  au- 
tres pour  faire  accroire  qu'ils  posséilaitut  le 
secret  du  grand  œuvre,  et  bientôt  l'alchimie 
devint  à  la  mode  dans  toutes  les  classes  de 
la  société.  Cependant  l'cngouementgénéral 
cessa  peu  à  peu  ,  et  la  chimie,  qu'Arnaud  de 
Villeneuve  et  Raymond  Lulle  avaient  lancée 
dans  une  si  bonne  voie,  ne  fit  plus  de  pro- 
grès jusqu'au  commencement  du  xvir  siècle. 
Entre  Raymond  Lulle  et  Bernard  Palissy, 
cette  science  resla  à  peu  près  slationnaire... 

«  Raymond  Lulle  naquit  à  Palma,  capitale 
de  l'Ile  Majorque.  Lorsqu'en  1231  le  roi  d'A- 
ragon Jean  ou  Jayme  I"  assembla  les  corlèg 
et  lit  connaître  à  ses  vassaux  le  dessein  qu'il 
avait  de  chasser  les  Maures  de  l'île  de  Major- 
que, un  certain  Raymond  Lulle,  père  du  chit 
misle,  du  docteur  illuminé,  qui  nous  occu-s 
pe,  se  présenta  pour  faire  partie  de  cette 
expédition,  pendant  laquelle  il  se  distingua 
en  effet  par  sa  bravoure.  Après  la  conquêla 
et  l'expulsion  des  Maures,  Jean  d'Aragon  fit 
la  vente  des  terres.  Raymond  Lulle  en  acheta 
une  assez  grande  quantité  et  s'y  établit.  Re- 
vêtu d'emplois  honorables  et  lucratifs,  il  ne 
larda  pas  à  se  créer  des  revenus  considéra-i 
blés,  ce  qui  l'engagea  à  faire  venir  d'Espa- 
gne sa  femme,  donl  la  couche  avait  été  jus- 
que-là stérile,  et  dont  il  eut  un  fils  en  123â, 

«  L'éducation  de  cet  enfant  se  ressentit  dq 
la  position  où  se  trouvaient  son  père  et  toulu 
sa  famille.  Quoique  spirituel  et  fort  intelli» 
gent,  il  apprit  peu  de  choses,  et  céda  dQ 
bonne  heure  à  toutes  les  fantaisies  et  aux 
désordres  que  pouvait  se  permettre  impuné- 
ment le  fils  d'un  des  conquérants  de  ri:e  ,  à 
qui  des  dépenses  folles  ne  coûtaient  rien. 
Celte  vie  oisive  et  désordonnée  inspira  des 
inquiétudes  à  son  père,  qui  lui  fit  contracter 
un  mariage  brillant  dans  l'espoir  de  l'amener 
à  une  conduite  plus  régulière.  Le  jeune  Ray- 
mond, qui,  en  raison  des  services  rendus  à 
Jean  d'Aragon  par  son  père ,  avait  été  fait 
sénéchal  de  l'île  et  majordome  du  roi,,épousa 

(î)  M  Noël,  Uiciionnaire  de  la  F.able. 


1055 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


!()5d 


une  nob!e  et  riche  héritière,  nommée  Cathe- 
rine Labots,  dont  il  eut  trois  enfants,  deux, 
fils  et  une  filif.  Malheureusement  les  soins 
de  la  famille  n'apportèrent  aucun  chango- 
rocnt  dans  la  conduite  dellaymond  Lullc,  et 
il  n'en  passai!  pas  moins  son  temps  à  dissi- 
per une  partie  de  sa  fortune  en  bals,  en  fê- 
tes et  en  banquets. 

«  Converti  (  à  la  suite  d'une  vision  qui  le 
frappa  dans  son  sommeil) ,  il  se  sépara  de 
sa  femme  et  de  ses  enfants;  après  avoir  dis- 
posé d'une  partie  de  ses  biens  pour  l'entre- 
tien de  sa  famille,  il  en  distribua  le  reste  aux 
pauvres,  et  prit  le  parti  de  renoncer  au  mon- 
de. Ce  grand  événement  dans  la  vie  de  Ray- 
mond Lulle  eut  lieu  en  1267,  lorsqu'il  avait 
atteint  sa  trente-deuxième  année. 

«  Près  des  maisons  élégantes  dans  lesquel- 
les il  avait  mené  jusque-là  sa  vie  dissipée», 
était  la  montagne  de  Ilanda ,  dont  il  avait 
conservé  la  propriété ,  et  au  sommet  de  la- 
quelle il  se  proposait  de  se  retirer;  mais, 
avant  de  se  livrer  à  la  retraite  et  à  la  péni- 
tence, il  Qt  d'abord  un  pèlerinage  à  Saint- 
Jacques  de  Compostelle  en  Galice.  A  son  re- 
tour, et  lorsqu'il  se  retira  effectivement  sur 
le  mont  Randa,  vêtu  de  l'habit  des  frères  mi- 
neurs, et  abrité  seulement  par  une  cabane 
qu'il  avait  construite  lui-même,  toute  la  ville 
de  Majorque,  sans  en  excepter  les  personnes 
de  sa  famille,  jugea  qu'il  était  devenu  fou  , 
et  l'ou  ne  fit  bientôt  plus  guère  attenUon  à 
son  nouveau  genre  de  vie,  auquel  il  se  con- 
forma rigoureusement  pendant  neuf  ans. 

«  Quoique  dans  cette  retraite  il  eût  de  fré- 
quentes visions  et  qu'une  bonne  partie  de 
son  temps  fût  consacrée  à  des  devoirs  reli- 
gieux et  à  des  actes  de  pénitence,  cependant 
c'est  du  fond  de  cette  cellule  de  Randa  que 
Raymond  forma  le  projet  de  travailler  acti- 
vement à  la  conversion  des  infidèles,  et  sur- 
tout des  sectateurs  de  Mahomet;  c'est  alors 
qu'il  commença  à  se  livrer  aux  études  gram- 
maticales et  scientifiques  qu'il  regardait 
comme  indispensables  à  l'accomplissement 
de  son  vaste  et  hardi  projet.  En  lisant  les 
livres  des  Arabes,  les  seuls  où  l'on  puisât 
alors  la  plupart  des  connaissances  scientifi- 
ques sur  tous  les  sujets  Raymond  Lulle  se 
familiarisa  avec  leur  idiome  ,  et  acquit  une 
érudition  immense  qui  prépara  son  esprit  à 
s'occuper  de  toutes  les  matières,  et  le  dispos,! 
à  embrasser  l'ensemble  des  connaissances 
que  l'homme  peut  acquérir. 

«  Après  neuf  ans  de  retraite  et  d'études  , 
Raymond  Lulle,  sentant  sa  foi  religieuse  et 
ses  connaissances  scientifiques  solidement 
affermi&s,  crut  qu'il  était  temps  de  se  rendre 
agréable  à  Dieu  et  utile  au  monde  en  cher- 
chant à  mettre  en  pratique  tout  ce  qu'il  avait 
appris,  tout  ce  qu'il  avait  conçu.  Son  idée 
dominante,  comme  celle  de  tous*  les  hommes 
distingués  de  cette  époque,  était  de  convertir 
le&  infidèles  ,  de  réfuter  et  de  détruire  les 
principes  de  l'Alcoran,  et  de  répandre  la  foi 
chrétienne  en  opposant  les  vérités  Ihéologi- 
ques,  soutenues  par  la  démonstration  scien- 
tifique, aux  erreurs  des  enfants  de  Mahomet. 
«11  est   vraisemblable  ijuc,  pendant  les 


neuf  années  qu'il  passa  sur  la  montagne  de 
Randa,  il  s'était  déjà  livré  à  la  composition 
de  plusieurs  ouvrages  importants,  puisque 
après  avoir  fait  un  court  séjour  à  Montpel- 
lier, il  vint,  à  l'âge  de  trente-neuf  ans,  à  Pa- 
ris, où  il  publia  différents  traités  de  philo- 
sophie, de  médecine,  d'astronomie  et  d'autres 
sciences.... 

«  Raymond  Lulle,  dans  sa  cinquante-sep- 
tième année,  avait  atteint  un  âge  où  le  corps 
et  l'esprit  de  la  plupart  des  hommes  devien- 
nent ordinairement  paresseux  et  stériles. 
Cependant,  grâce  à  l'énergie  de  son  âme,  et, 
il  faut  bien  le  supposer,  à  la  force  de  son 
tempérament ,  ce  ne  fut  qu'à  dater  de  celle 
époque  qu'il  entra  réellement  dans  la  dou- 
ble carrière  de  missionnaire  et  de  savant 
qu'il  parcourut  toujours  avec  tant  de  cou- 
rage, et  souvent  avec  supériorité. 

a  Gênes  paraît  avoir  été  pour  lui  le  point 
central  de  ses  opérations  et  de  ses  voyages. 
En  quittant  Tunis,  il  revint  dans  cette  ville, 
d'où,  après  quelques  mois  de  repos  employés 
à  perfectionner  sa  méthode,  il  partit  pour 
Naples  et  y  enseigna  publiquement  sa  nou- 
velle introduction  aux  sciences,  autre  forme 
de  son  grand  art. 

«  Cette  époque  (1263)  fut  marquée  par  un 
événement  très-important  dans  la  vie  scien- 
tifique de  Raymond  Lulle.  A  Naples,  où  il 
n'était  venu  que  dans  l'intention  de  répan- 
dre ses  doctrines,  il  retrouva  un  homme  fort 
célèbre,  avec  lequel  il  avait  eu  déjà  des  re- 
lations à  Montpellier  et  à  Paris,  Arnaud  de 
Villeneuve,  le  plus  savant  chimiste  de  ce 
temps.  Il  s'en  fallait  bien  que  Raymond 
Lulle  fût  précisément  étranger  à  l'art  de  la 
transmutation  des  métaux  :  en  lisant  les 
auteurs  arabes  dans  sa  solitude  de  Randa  , 
il  avait  née  ssairement  acquis  des  connais- 
sances théoriques  sur  cette  matière;  mais  il 
lui  manquait  la  pratique,  il  n'était  pas  en- 
core artiste,  lorsqu'en  se  trouvant  avec  Ar- 
naud de  Villeneuve  à  Naples,  il  prit  goût  à 
cette  science,  se  lia  d'amitié  avec  le  savant 
chimiste,  reçut  de  lui  des  conseils,  et  même, 
à  ce  que  l'on  dit,  le  secret  de  la  transmuta- 
tion des  métaux  et  l'art  de  faire  de  l'or. 
Quelles  que  soient  l'importance  et  la  réalité 
de  ces  prodigieuses  confidences,  le  résultat 
des  entretiens  scientifiques  d'Arnaud  de  Vil- 
leneuve avec  Raymond  Lulle  à  Naples  fut 
que  le  missioiiuaire  devint  aussi  habile  chi- 
miste que  son  maître. 

«  On  n'a  sans  doute  pas  oublié  la  distinc- 
tion que  j'ai  établie  en  commençant  entre 
les  alchimistes  et  les  chimistes.  Raymond 
Lulle  était  de  ces  derniers,  et  sans  m'enga- 
ger  ici  dans  une  histoire  de  la  science  her- 
métique, je  dois  cependant,  pour  faire  con- 
naître le  rang  que  notre  missionnaire  y 
occupe,  indiquer  les  noms  et  les  travaux  dos 
hommes  les  plus  distingués  qui  font  pré- 
cédé dans  les  études  chimiques  depuis  le 
VIII'  siècle. 

«  Cette  science,  déjà  connue  dans  l'anti- 
quité, fut  transmise  aux  Européens  par  les 
Arabes.  Le  plus  ancien  chimiste  de  celte  na- 
tion, parmi  les  véritables  savanls^est  GeUep> 


f()-7 


I.UL 


(XL 


105'< 


iiui  vivait  vers  l'an  730  de  notre  ère.  Il  reslo 
(le  lui  un  assez  grand  nombre  d'ourragcs, 
dont  les  plus  importants  sont  :  1°  Somme  île 
1.1  perfi'clinn  du  grand  œuvre,  Summa  pnr- 
fectionis  magisterii;  2"  Livres  de  la  recher- 
che du  grand  œuvre,  Lihri  invesiigalionis 
magisterii  ;  3"  enfin  le  Testament  de  Gelier, 
philosophe  et  roi  de  l'Inde,  Testamenttim  Ge- 
bri  philosophi  et  Indice  régis.  Le  premier  ou- 
vrage traite  de  l'essence,  des  espèces  diver- 
ses, de  la  sublimation  et  calcinatioa  des 
minéraux,  des  préparations  qu'on  pont  leur 
faire  subir  et  de  l'emploi  de  c;'s  corp-;  dans 
les  opérations  chimiques.  Le  second  donne 
une  suite  de  receUes  pour  obtenir  les  sels 
de  toutes  les  substances  minérales  qui  en 
oonliennent  ou  en  produisent.  Le  troisième 
traite  encore  des  sels,  mais  plus  particuliè- 
rement de  la  calcinalion  des  métaux  (1). 

«  Rha/cs  ,  médecin,  chirurgien  et  anato- 
mislc,  arabe  de  naissance,  mort  en  922  de 
noire  ère  ,  tient  encore  une  place  éminente 
parmi  les  chimistes  de  son  pays  et  de  son 
temps.  II  passe  pour  êlre  le  premier  qui  ait 
fait  mention  de  l'eau-de-vie,  arak.  Son  livre 
intitulé  :  Préparation  du  sel  ammoniac,  est 
cité  par  les  savants  comme  une  œuvre  très- 
remarquable  ;  et  dans  le  cours  de  ses  traités 
sur  la  médecine,  on  peut  acquérir  la  convie- 
lion  que  ce  célèbre  praticien  avait  fait  de 
fréquentes  applications  de  ses  connaissances 
chimiques  à  la  pharmacologie.  La  nature 
de  ses  études  l'avait  également  conduit  à 
s'occuper  de  la  transmutation  des  métaux. 

»  Vient  ensuite,  mais  près  de  deux  siècles 
plus  tard,  Albert  le  Grand,  issu  d'une  très- 
noble  famille,  et  né  à  Lawingcn  ,  dans  le 
duché  deNeubourg,  en  Souabe,  l'an  1193. 
Dès  l'âge  de  vingt-deux  ans,  il  était  entré 
dans  l'ordre  des  dominicains  ;  sa  piété  et  sa 
vertu  le  firent  nommer  évéque  de  Ratisbonne 
en  12C0.  Cet  homme,  dont  les  traditions  po- 
pulaires ont  fait  jusqu'à  nos  jours  une  es- 
pèce de  thaumaturge  et  de  sorcier,  fut  re- 
marquable au  contraire  par  la  profondeur 
de  sa  science  et  le  calme  de  sa  raison.  Con- 
formément à  la  disposition  de  tous  Us  es- 
prits élevés  de  son  temps,  il  s'appliqua  aux 
éludes  encyclopédiques  ,  et  ne  négligea  pas 
la  transmutation  des  métaux.  Cependant  son 
principal  ouvrage  :  Des  minéraux  et  des 
substances  minérales  [De  Mineralibus  et  ré- 
bus mctallicis)  ,  fornie  un  traité  dans  lequel 
le  savant  expose  et  discute  les  opinions  des 
chimistes  de  l'antiquité  et  de  l'école  arabe 
avec  une  précision  de  critique  et  un  calme 
scientifique  qui  ne  justifient  guère  les  légen- 
des absurdes  recueillies  par  ses  biographes. 
Loin  de  se  donner  comme  ayant  des  res- 
sources surnaturelles  et  pour  un  inventeur 
de  secrets ,  Albert  le  Grand  ,  guidé  par  l'ob- 
servation et  esclave  des  expériences  qu'il 
avait  eu  souvent  l'occasion  de  faire  dans  son 
pays  si  riche  en  mines ,  fut  au  contraire  un 
savant  plein  de  discrétion  et  de  prudence,  un 
philosophe  vraiment  sage.  Sa  piété,  d'ail- 

(1)  Ces  trois  ouvrages  se  trouvent  dans  la  Bibliotfteea 
cliimica  curiota.  de  Mauget,  toni.  l",i)ag.  319-564. 
U)  Il  se  irouvc  fiansh ViblioUièqiie  deMauget,  lom.  I'', 


leurs,  comme  celle  qui  anima  Roger  Racoti 
et  Raymond  Lulle,  lui  faisait  voir  dans  l'é- 
tude des  sciences  physiques  un  moyen  d'af- 
fermir les  bases  sur  lesquelles  devait  reposer 
la  théologie,  et  une  occasion  d'augmenter  et 
de  perfectionner  les  armes  intellectuelles 
destinées  à  combattre  et  à  détruire  les  er- 
reurs de  Mahomet. 

«  C'est  donc  sans  étonnement  que  l'on  doit 
voir  le  nom  de  saint  Thomas  d'Aquin  ad- 
joint à  celui  du  chimiste  Albert  le  Grand, 
dont  il  devint  l'élève  favori,  tors(|u'il  lui  fut 
confié  à  Cologne  par  Jean  le  Teuloniquc, 
quatrième  général  de  l'ordre  des  domini- 
cains. Sous  ce  maître,  Thomas  apprit  non- 
seulement  la  théologie  ,  mais  parcourut  le 
cercle  des  sciences,  et  se  garda  bien  d'omet- 
tre la  chimie. 

«  Roger  Bacon,  le  moine  anglais,  contem- 
porain d'Albert,  de  Thomas  et  de  Raymond 
Lulle,  suivit  la  môme  direction  qu'eux,  et 
au  nombre  de  ses  écrits,  tous  destinés  à  con- 
solider la  théologie  et  à  combattre  les  doc- 
trines mahométanes,  se  trouve  un  traité  de 
chimie,  Spéculum  alchemiœ  (2). 

«  Alain,  natif  de  l'Isle,  dans  les  Pays-Bas, 
moine  de  Clairvaux  et  évéque  d'Auxerre  en 
1 151,  surnommé  le  docteur  universel,  à  cause 
(le  la  variété  de  ses  connaissances,  cultiva 
également  la  chimie  et  s'occupa  de  la  trans- 
mutation des  métaux  dans  des  intentions 
pieuses. 

«  Un  seul  homme  en  ce  temps  semble 
s'être  écarté  du  principe  exclusivement  reli- 
gieux qui  servit  de  règle  à  tous  les  autres 
savants.  Arnaud  de  Villeneuve,  né  en  Pro- 
vence, mérita  pins  d'une  fois  les  censures 
de  l'Eglise,  et  risqua  même  d'être  frappé  de 
ses  foudres. 

«  Le  peu  de  détails  que  l'on  ail  sur  les 
relations  scientifiques  qui  s'établirent  entre 
ces  deux  hommes ,  se  trouvent  épars  dans 
les  écrits  de  Raymond  Lulle.  Il  dit,  par  exem- 
ple, dans  celui  de  ses  livres  intitulé  :  Mon 
Codicille:  tu  ie  crus  témérairement  qu'il  me 
serait  possible  de  pénétrer  cette  science  (la 
chimiejsans  le  secoursde personne,  jusqu  au 
jour  ou  Arnaud  de  Villeneuve,  mon  maître, 
me  la  fil  connaître  en  me  prodiguant  tous  les 
trésors  de  son  esprit.  »  Dans  le  livre  des  Ex- 
périences,  on  trouve  encore  ce  passage  :  «  Je 
n'ai  pu  fixer  ces  huiles,  jusqu'à  ce  que  mon 
ami  Villeneuve  m'eût  enseigné  à  faire  celte 
expérience.  »  Mais  le  document  de  ce  genre 
le  plus  curieux  est  la  treizième  expérience 
du  livre  intitulé  :  Expérimenta.  On  lit  eu 
lèle  du  chapitre  :  Expérienct  treizième  d'Ar- 
naud de  Villeneuve,  qu'il  me  fit  connailre  à 
Naples,  et  le  chapitre  contient  toutes  les 
opérations  chimiques  au  moyen  desquelles 
on  obtient  d'abord  la  pierre  philosophale , 
puis  de  l'or  (3)... 

><  Mais  revenons  au  récit  de  la  vie  de  R.:y- 
inond  Lulle.  Raymond  avait  obtenu, en  1311, 
deux  succès  importants.  D'abord  le  papeClé- 
nient  V,  Philippe  le  Bel  et  Jayme  II  av.iient 

pag  613. 

(3;  Voyez  Rihliotheca  cliimica  de  Maugel,  tom.  1",  p.ng. 
jjii  et  suif. 


rw 


DICTIONNAIRE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


lOCO 


établi  des  écoles  pour  les  langues  orientales; 
puis  rUniversilc  de  Paris,  par  un  acte  au- 
thenliqup,  adoptait  et  recommandait  l'usage 
de  sa  méthode  cl  lie  ses  doctrines.  Aussi  l'es- 
poir de  ruiner  les  doctrines  de  Mahomet  ot 
d'y  substituer  celles  du  christianisme  était- 
il  devenu  plus  vit  que  jamais  dans  son 
cœur. 

«A  partirdecclle  époque,  son  existence  dé- 
jà si  aventureuse,  va  ledeveiiir  encore  davan- 
tage. Le  théologien,  le  philosophe  va  nous 
apparaître  pendant  dix-huil-mois  (mars  1312 
—  octobre  1313),  comme  un  adepte  de  la 
science  hermétique  ,  exclusivement  occupé 
de  chimie  et  de  métallurgie. 

«  L'Université  de  Paris ,  arbitre  suprême 
alors  par  toulel'Europe  en  matièredcscicnce, 
avaitaccrusingulièrementla célébrité  du  doc- 
teur illuminé,  en  approuvant  ses  doctrines. 
Tous  les  souverains  désiraient  le  voir  et  l'en- 
tretenir. Comme  il  était  encore  à  Vienne, 
où  se  tenait  le  concile,  il  reçut  des  lettres 
d'Edouard  H  ou  V  (1).  roi -d'Angleterre,  et 
de  Robert  Bruce,  roi  d'Ecosse,  par  lesquelles 
chacun  de  ces  souverains  l'invilail  à  se  ren- 
dre près  de  lui.  R.iymond  LuUe,  dont  1  idée 
fixe  était  la  conquête  de  la  terre  sainte  et  la 
ruine  de  la  loi  de  Mahomet,  se  persuada,  en 
recevant  les  lettres  flatteuses  de  ces  deux 
princes, qu'ils  voulaient  se  servir  de  lui  pour 
combiner  cl  entreprendre  quelque  nouveau 
projet  contre  les  infidèles  de  la  Palestine. 
Malgré  ses  soixante  dix-sept  ans,  il  passa 
donc  en  Angleterre  et  se  mil  à  la  discrétion 
d'Edouard.  La  réalité  de  ce  voyage  a  été  con- 
testée par  les  auteurs  Espagnols,  qui,  en  écri- 
vant la  vie  de  Raymond,  se  sont  clToreés  de 
faire  croire  qu'il  ne  s'était  jamais  occupé  de 
chimie;  on  ne  peut  cependant,  à  ce  sujet, 
concevoir  aucun  doute  (2).  Outre  les  lettres 
du  savant  sur  les  opérations  du  grand  œuvre, 
adressées  au  roi  Edouard  en  1312  (3j,  il  y  a 
un  passage  d'un  de  ses  livres  intitulé  Com- 
pendium  Iransmutaliunis  anitnœ,où,  en  par- 
I  ni  de  certaines  coquilles  qu'il  eut  occasion 
d'observer,  il  dit  :  1  idiinus  isla  omnin  dum 
ad  Angliam  transiimus  propter inlercessionem 
do)ninire(/is  Edoardi  illustrissimi.  —  J'ai  vu 
ces  choses  lorscjueje  passais  en  Angleterre, 
d'après  la  prière  que  m'en  avait  faite  le  très- 
illustre  roi  Edouard. 

«  Si  le  fait  du  voyage  est  avéré,  il  faut  con- 
venir que  le  peu  que  l'on  sail  sur  son  séjour 
à  Londres  est  enveloppé  d'un  assez  grand 
mystère.  D'après  le  témoignage  de  quelques 
écrivains  anglais,  il  paraîtrait  que  Raymond 
Lulle  fut  employé  à  faire  de  l'or  et  à  sur- 
veiller la  fabrication  de  la  monnaie  en  An- 
gleterre. On  dit  que  ,  toujours  préoccupé  de 
l'idée  de  reconquérir  la  terre  sainte,  Ray- 
mond se  fil  illusion  sur  les  véritables  motifs 
qui  donnaient  à  Edouard  le  déïir  de  possé- 
der de  grandes  richesses.  11  s'imagina  que  ce 

(1)  \oyet,  dans  Y  Art  de  vérifier  les  dates,  la  double  ma- 
nière de  compter  les  Edouard  d'Anctoterre. 

fi)  Vida  y  liechos  del  admirable  dolor  y  marti/r  tiamoiit 
Luit  de  itatlorca,  por  et  dolor  Juan  Seguv,  canoiiigu  de 
Mallurca  ;  eu  Mallorca,  ano  l(i06. 

(5)  Voy.  lom.  1",  pag.  863  de  la  Bibliothèque  chimique 


prince  ne  voulait  en  faire  usage  que  pour  la 
cause  sainte,  tandis  qu'au  contraire  Edouard, 
gouverné  par  des  favoris ,  et  passant  ses 
jours  dans  l'oisiveté  et  les  délices ,  ne  pré- 
tendait user  de  la  science  du  chimiste  que 
pour  faire  face  à  ses  profusions.  Dans  ce 
connu  de  passions  si  contraires  ,  le  zèle  du 
missionnaire  et  la  cupidité  du  roi,  il  est  dif- 
ficile de  déterminer  le(|uel  des  deux  a  été  le 
plus  dupe  ;  mais  ce  que  l'histoire  rapporte  , 
et  ce  que  Raymond  affirme  dans  son  Dernier 
Testament ,  c'est  le  succès  d'une  expérience 
qui  tendait  à  convertir  en  une  seule  fois  en 
or  cinquante  mille  pesants  de  mercure,  de 
plomb  et  d'étain  :  Converti  in  una  vice,  in 
aurum,  ad  L  millia  pondo  argenti-vivi,plumbi 
et  stanni. 

«  Edouard,  beaucoup  plus  curieux  de  voir  . 
le  résultat  des  opérations  du  chimiste  que 
préoccupé  de  l'emploi  sacré  que  le  mission- 
naire prétendait  que  l'on  en  fît,  reçut  Ray* 
mond  Lulle  en  le  comblant  de  caresses  et 
d'honneurs.  Jean  Grenier,  abbé  de  West- 
minster, contemporain  de  Lulle  ,  et  qui  , 
comme  lui,  s'adonnait  à  l'étude  de  la  chimie, 
a  laissé  dans  son  Testament  des  détails  sur 
celte  réception  ('♦).  «  J'introduisis,  dit-il,  cet 
homme  unique  en  présence  du  roi  Edouard, 
qui  le  reçut  d'une  inanière  aussi  honorable 
que  polie.  Après  être  convenus  ensemble  do 
ce  qui  devait  être  fait  ,  Raymond  Lulle  se 
montra  extrêmement  satisfait  de  ce  que  là 
divine  Providence  l'avait  rendu  savant  dans 
un  art  qui  lui  permetlail  d'enriihir  le  roi.  Il 
promit  donc,  au  prince  de  lui  donner  toutes 
les  richesses  qu'il  désirerait,  sous  la  condi- 
tion seulement  que  le  roi  irait  en  personne 
faire  la  guerre  aux  Turcs,  que  les  trésor*  ne 
seraient  employés  qu'aux  frais  qu'occasion- 
nerait celle  entreprise  ,  et  que  sans  égard 
pour  aucun  orgueil  humain  ,  cet  argent  ne 
servirait  jamais  à  intenter  des  querelles  aux 
princes  chrétiens.  Mais,  ô  douleur!  ajoute  le 
pieux  abbé ,  qui  ne  fut  pas  moins  dupe  que 
son  ami  Lulle  en  cette  occasion,  toutes  ces 
promesses  furent  indignement  violées.  » 

«  Jean  Crcmer  donna  d'abord  une  cellule 
à  Raymond,  dans  le  cloître  de  l'abbaye  de 
Westminster,  d'où,  dit-on,  il  ne  se  retira 
pas  en  hôte  ingrat;  car  long-temps  après  sa 
mort ,  en  faisant  des  réparations  à  la  cellule 
qu'il  avait  habitée,  l'architecte  chargé  de  ce 
travail  y  trouva  beaucoup  de  poudre  d'or, 
dont  il  lira  un  grand  profit. 

«  Mais  son  royal  patron,  impatient  de  voir 
les  résultats  de  la  science  de  Raymond,  lui 
donna  un  logement  dans  la  Tour  cle  Londres. 
La  simplicité  d'âme  du  missionnaire  ne  lui 
permit  pas  d'abord  de  s'apercevoir  de  la  pré- 
caution maligne  qui  couvrait  celte  politesse 
royale ,  et  il  se  mit  à  faire  de  l'or,  dont  on 
ballit  monnaie.  Jean  Crcmer  affirme  le  fait, 
et  Camden  ,  dans  ses  Antiquités  eccle'siasli- 

de  Mauget. 

(4)  Cet  ouvrage,   Cremeri  abhatis   Weumoitaiteriensii 

Teslameiitum,se  trouve  dans  hilusavm  liermencum,  \»-i° 

Francfort,  1677  78.  — l^.ainden,  dans  ses  Hloiiwnenls  ecclé- 

'  sittitiqiies,  donne  aussi  des  détails  sur  le  séjour  de  Ray- 

mouU  Lullo  eu  Angleterre. 


J((5t 


LUI. 


ques  ,  (iil  piénisémonl  que  les  pièces  d'or 
nommées  nobles  à  la  rose  ,  et.  fabriquées  au 
temps  d'Eiloiiaid,  son!  le  produit  des  opéra- 
tions chimiques  que  Raymond  Lullc  fit  dans 
la  Tour  de  Londres. 

«  Lorsque  cet  important  travail  fut  ter- 
miné,  et  que  Raymond  put  reprendre  le 
cours  de  SCS  éludes  habituelles,  il  ne  tarda 
pas  à  s'apercevoir  que  son  logement  à  la 
Tour  était  une  prison  ,  et  que  le  roi  le  rete- 
nait pour  satisfaire  sa  cupidité.  Malgré  ses 
soixante-dix-huit  ans,  il  rassembla  tout  son 
courage,  et  au  moyen  d'une  barque  s'étant 
échappé  par  la  Tamise  ,  il  parvint  à  s'em- 
barquer sur  un  bâtiment  qui  le  conduisit  à 
Messine.  C'est  en  celle  ville  qu'il  composa 
sou  livre  des  Expériences  [ExperiinenCa),  où 
se  trouve  ce  passage  ,  faisant  allusion  à  sa 
captivité  et  à  la  mauvaise  foi  du  prince  an- 
glais :  «  Nous  avons  opéré  cela  pour  le  roi 
d'Angleterre,  qui  feignit  de  vouloir  com- 
battre contre  les  Turcs,  et  qui  combattit  en- 
suite contre  le  roi  de  France.  Il  me  mit  en 
prison  ;  cependant  je  m'évadai.  Gardez-vous 
d'eux,  mon  flis  1  » 

«  Il  ne  restait  plus  à  cet  homme  extraor- 
dinaire qu'une  année  à  vivre;  voici  com- 
ment il  l'employa  :  de  Messine  il  revint  à 
Majorque  sa  patrie,  où,  ayant  pris  le  seul 
genre  de  repos  qui  lui  convînt,  c'est-à-dire 
ayant  composé  plusieurs  ouvrages,  il  forma 
la  résolution  d'entreprendre  encore  un  grand 
voyage  en  Afrique,  pour  prêcher  les  doctri- 
nes chrétiennes,  visiter  ceux  de  ses  disciples 
qu'il  avait  laissés  en  Palestine  et  sur  le  lit- 
toral de  l'Afrique,  et  enfin  pour  travailler  de 
nouveau  à  la  conversion  des  Turcs.  Ce  fut 
un  spectacle  bizarre  et  attendrissant  tout  à 
la  fois  que  de  voir  ce  vieillard  de  soixante- 
dix-neuf  ans  résistant  aux  prières  et  aux 
larmes  de  ses  amis,  de  ses  parents  et  de  ses 
compatriotes,  qui  tous,  en  le  voyant  partir 
sans  espérance  de  retour,  se  réunissaient 
pour  le  conjurer  de  mourir  aux  milieu 
d'eux.  Uien  ne  put  ébranler  sa  volonté  ni 
son  courage,  et  il  partit. 

«  Il  ne  faut  rien  moins  quo  l'attestation  di; 
plusieurs  écrivains  recommandablcs  pour 
ajouter  foi  à  ce  que  l'on  dit  de  sa  dern  ère 
mission  apostolique.  Il  débarqua  en  Egypte, 
alla  jusqu'à  Jérusalem,  puis  revint  à  Tunis. 
Là,  toujours  sous  le  poids  d'une  cond.imna- 
tion  à  mort,  il  visita  les  amis,  les  disciples 
qu'il  avait  précédemment  instruits  dans  la 
religion  chrétienne,  les  exhortant  à  persé- 
vérer dans  leur  croyance,  et  leur  enseignant 
par  son  exemple  à  braver  les  fatigues  et  la 
mort  même  ,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le 
triomphe  de  la  foi  chréliinne.  Dès  qu'il  crut 
élrecertain  d'avoir  affermi  le  couragedes  nou- 
veaux chrétiens  de  Tunis,  il  se  dirigea  vers 
Bougie  pour  prendre  les  mêmes  soins  auprès 
des  disciples  qu'il  avait  formés.  Dans  cette 
ville  ainsi  ((ue  dans  l'autre,  sa  tôle  était  mise 
à  prix.  Cependant  ,  après  s'être  conformé 
pendant  quelques  jours  aux  précautions 
d'une  pieuse  prudence,  afin  de  s'assurer  que 
les  chrétiens  de  Bougie  étaient  demeurés 
fermes  dans  leur  foi ,  purs  dans  leur  ins- 


LtJL  <4i«9 

traction,  il  sortit  loul  à  coup  des  retraites 
qu'on  lui  ménageait,  et  se  mit  à  prêcher  pu- 
bliquement l'Evangile. 

«  Par  cet  acte  de  témérité,  Raymond  Lulle 
espéra-t-il  entraîner  la  population  de  Bougie 
à  lui,  ou  son  but  en  cette  occasion  ne  fut-il, 
contme  le  disent  ses  panégyristes  ,  que  do 
terminer  sa  carrière  apostolique  en  méritant 
la  palme  du  martyre  ?  C'est  ce  que  Dieu  seul 
peut  savoir.  Quoi  qu'il  en  soit,  aussitôt  que 
la  populace  le  vit  et  l'entendit  prêcher  à 
haute  voix  la  foi  chrétienne,  elle  le  chargea 
d'injures  et  bientôt  de  coups.  Environné  par 
une  multitude  dont  le  cercle,  en  s'avançint 
sur  lui,  se  rétrécissait  de  plus  en  plus,  Ray- 
mond Lulle  recula  pas  à  pas  jusqu'au  ri- 
vage, contenant  encore  la  fureur  des  musul- 
mans par  son  aspect  vénérable,  parla  fer- 
meté de  sa  parole  et  surtout  par  l'insou- 
ciance (ju'il  montrait  pour  le  danger.  Mais 
le  souverain  du  pays  n'apprit  pas  sans  in- 
quiétude avec  quel  calme  héro'iqnc  Raymond 
parlait  à  la  populace  furieuse.  Il  anima  ceux 
des  habitants  qui  étaient  restés  éirangers  à 
celte  scène,  en  leur  représentant  l'injure  que 
l'on  faisait  à  la  loi  de  Mahomet,  et  bientôt 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  pieux  musulman.s 
à  Bougie  se  porta  sur  la  plage  vers  laquelle 
11!  missionnaire  était  toujours  repoussé.  En- 
fin, plusieurs  pierres  jetées  à  Raymond  Lulle 
au  même  moment  le  forcèrent  de  fléchir,  et 
il  tomba  sur  la  grève,  où  cependant  il  fit  un 
dernier  effort  pour  se  relever  el  dire  quel- 
ques mots.  Alors  la  populace  furieuse  se  jeta 
sur  lui,  l'accabla  de  coups  et  le  laissa  pour 
morl. 

«  La  nuit  tombait,  el  son  corps  resta  sur 
le  rivage.  Pendant  toute  la  durée  de  celle 
scène  terrible,  aucun  des  convertis,  ei  en- 
core moins  les  chrétiens  d'Europe  qui  se 
trouvaient  à  Bougie,  n'avaient  osé  défendre 
Raymond  Lulle,  ou  même  intercéder  en  sa 
faveur.  Cependant  quelques  marchand»  gé-  " 
nois,  désirant  donner  à  son  corps  les  hon- 
neurs de  la  sépulture,  vinrent  dans  une  bar- 
que, pendant  la  nuit,  pour  l'enlever  du  ri- 
vage. Comme  ils  se  disposaient  à  remplir  ce 
pieux  devoir  ils  s'aperçurent  que  Raymond 
Lulle  n  spirait  encore.  Au  lieu  d'aller  pren- 
dre terre  pour  faire  l'inhumation,  ils  se  diri- 
gèrent aussitôt  vers  leur  navire  ,  et  mirent 
a  la  voile  pour  Majorque,  dans  l'intention  de 
reconduire  le  saint  martyr  dans  sa  patrie. 
Mais  le  reste  de  vie  que  conservait  Raymond 
dura  peu,  et,  comme  le  vaisseau  était  en  vue 
de  l'île  ,  le  saint  el  savant  homme  rendit 
l'esprit,  le  29  juin  1315,  à  l'âge  de  quatre- 
vingts  ans.  » 

Le  savant  auteur  de  la  belle  el  curieuse 
notice  qui  nous  a  fourni  ces  fragments  la 
termine  ainsi  : 

«  Les  chimistes  d  s  xi*,  xii*  et  xui"  siècles 
é:aieiit-ils  des  fous,  cl  la  transmutation  des 
métaux  est-elle  une  opération  impossible  ? 

«  Il  ne  m'appartient  pas  de  traiter  une  pa- 
reille question,  el  je  me  bornerai  à  rapporter 
à  ce  sujet  les  paroles  d'un  des  chimistes  les 
plus  éclairés  de  uos  jours  ;  —  S'il  ne  sort  de 


mi 


DICTIONNAIUK  DES  SCIENCES  OCCULTES 


m^ 


ces  rapproclicmonts ,  dit  M.  Dumas  (1),  au- 
cune preuve  (le  la  possibilité  d'opérer  dos 
transmulalions  dans  les  corps  simples,  du 
nïoins  s'opposenl-ils  à  ce  qu'on  repousse 
celle  idée  comme  une  absurdité  qui  serait 
démontrée  par  l'état  actuel  de  nos  connais- 
sances. » 

LUMIÈRE  MERVEILLKUSE.  —  Prenez 
quatre  onces  d'herbe  appelée  serpentinette, 
meltez-la  dans  un  pot  de  terre  bouché,  puis 
faites-la  digérer  au  ventre  de  cheval,  c'est-à- 
dire  dans  le  fumier  chaud,  quinze  jours  ; 
elle  se  changera  en  de  petits  vers  rouges  , 
desquels  vous  tirerez  une  huile  selon  les 
principes  de  l'art  ;  de  celle  huile  vous  gar- 
nirez une  lampe,  et  lorsqu'elle  sera  allumée 
dans  une  chambre,  elle  provoquera  au  som- 
meil et  endormira  si  profondément  ceux  qui 
seront  dans  la  dite  chambre,  que  l'on  ne 
pourra  en  éveiller  aucun  tant  que  la  lampe 
brûlera  (2). 

LUNE,  la  plus  grande  divinité  du  sabéismc 
après  le  soleil,  l'indare  l'appelle  l'oeil  de  la 
nuit,  et  Horace  la  reine  du  silence.  Une  par- 
lie  des  Orientaux  l'honoraient  sous  le  titre 
d'Uranic.  C'est  l'Isis  des  Egyptiens,  l'Astarlc 
des  Phéniciens,  la  Mylitla  des  Perses,  l'Ali- 
lat  des  Arabes,  la  Séléné  des  Grecs,  et  la 
Diane,  la  Vénus,  la  Junon  des  Romains.  Cé- 
sar ne  donne  point  d'autres  divinités  aux 
peuples  du  Nord  et  aux  anciens  Germains 
que  le  feu,  le  soleil  el  la  lune. 

Le  culte  de  la  lune  passa  dans  les  Gaules, 
où  la  lune  avait  un  oracle  desservi  par  des 
druidesscs  dans  l'ile  de  Sein ,  sur  la  côte  mé- 
ridionale de  la  Basse-Bretagne.  Elle  avait  uu 
autel  à  Arlon  {Ara  Lunœ). 

Les  magiciennes  de  Thessalie  se  vantaient 
d'avoir  un  grand  commerce  avec  la  lune,  et 
de  pouvoir,  par  leurs  enchantements,  la  dé- 
livrer du  dragon  qui  voulait  la  dévorer  (lors- 
jqu'elle  était  éclipsée),  ou  la  faire  à  leur  gré 
'descendre  sur  la  terre. 

L'idée  que  cet  astre  pouvait  être  habile  a 
donné  lieu  à  des  iictions  ingénieuses  :  telles 
sont  entre  autres  les  voyages  de  Lucien,  de 
Cyrano  de  Bergerac,  et  la  fable  de  l'Ariosle, 
qui  place  dans  la  lune  un  vaste  magasin 
rempli  de  fioles  étiquetées,  où  le  bon  sens  de 
chaquCrindividu  est  renfermé. 

On  a  public  en  1835,  sous  le  chaperon  du 
savant  astronome  Hcrschell,  qui  sans  doule 
ne  soupçonnait  pas  l'honneur  qu'on  lui  fai- 
sait, la  plaisanterie  que  voici  : 

«  On  sait  que  le  célèbre  John  Hcrschell 
fut  envoyé  en  1834  au  cap  de  Bonne-Espé- 
rance pour  observer  le  passage  de  Mercure 
sur  te  disque  du  soleil.  Un  M.  Grant  a  publié 
ses  observations  et  les  a  enrichies  de  détails 
très-plaisants  sur  des  découvertes  qu'il  a 
faites  dans  la  lune.  Malheureusement  nous 
ne  connaissons  pas  les  moyens  qu'il  a  em- 
ployés pour  obtenir  des  résultats  semblables 
aux  siens  et  qui  détruiraient  toutes  les  no- 
lions  d'optique  admises  jusqu'à  ce  jour.  Nous 
ne  savons  quel  peut  avoir  élé  son  but.  Les 
voyages  de  Gulliver  el  ceux  de  Microinégas 

(l)  Leçom  sw  ta  p'tilosophic  cUimique,  ncuviènic  leçon 
pajj.  520. 


étaient  satiriques;  peut-élrc  plus  tard  nous 
donnera-l-on  quelques  détails  de  mœurs  sur 
les  habitants  de  la  lune  qu'on  vient  de  dé- 
couvrir et  de  décrire. 

«  Après  être  entré  dans  quelques  détails 
sur  la  topographie  de  la  lune,  et  avoir  dé- 
crit une  belle  vallée  dans  lanuelle  se  trou- 
vent des  moutons  seiublatdes  aux  nôtres, 
l'auteur  arrive  à  la  description  des  êtres  qui 
liabilcnt  cet  astre.  Ils  avaient,  dit  M.  Grant, 
taille  moyenne  ,  quatre  pieds  de  haut  ;  ils 
étaient  couverts,  excepté  à  la  face,  de  longs 
poils  touffus  comme  des  cheveux,  mais  bril- 
lants et  couleur  de  cuivre;  ils  avaient  des 
ailes  composées  d'une  membrane  très-mince 
qui  pendaiei»t  derrière  leur  dos  très-coiifor- 
lablemenl,  depuis  le  haut  des  épaules  jus- 
qu'au mollet.  Leur  figure,  d'une  couleur  de 
chair  jaunâtre, était  un  peu  mieux  conformée 
que  celle  de  l'orang-outang.  Us  avaient  une 
expression  plus  ouverte,  plus  intelligente» 
el  leurs  fronts  beaucoup  plus  larges.  Cepen- 
dant la  bouche  é!ait  liès-proéminenle,  quoi- 
qu'elle fût  un  peu  cachée  par  une  é|)aisse 
barbe  à  la  mâchoire  inférieure  el  par  de» 
lèvres  beaucoup  plus  humaine^  tjue  celles  de 
toutes  les  espèces  de  la  famille  des  singes.  En 
général  la  symétrie  di;  leurs  corps  était  in- 
linimenl  supérieure  à  celle  des  membres  de 
l'orang-outang.  Le  lieutenant  Diummonl 
disait  ((ue  sans  leurs  longues  ailes  ils  parai' 
traientaussi  bien  sur  un  terrain  de  parade  que 
la  plupart  de  nos  anciens  conscrits.  Les  che- 
veux étaient  d'une  couleur  plus  foncée  que  le 
poil  du  corps;  ils  étaient  Irès-frisés,  mais 
moins  laineux,  au  moins  autant  que  nous 
pûmes  juger;  ils  étaient  arrangés  sur  les  tem- 
pes endeux  demi-cercles  très-singuliers. Nous 
ne  pûmes  voir  les  pieds  de  ces  êtres  que  lors- 
qu'ils les  levaient  en  marchant  ;  cependant 
nous  remarquâmes  qu'ils  étaient  minces  au 
bout  cl  très-prolubéranls  au  talon. 

«A  mesure  que  leurs  groupes  passèrentsur 
le  canevas,  il  était  évident  qu'ils  étaient  en- 
gagés dans  une  conversation.  Leurs  gestes 
l»arliculièremenl,  les  actions  variées  de  leurs 
mains  et  de  leurs  bras,  paraissaient  passion- 
nés  el  emphatiques.  Nous  conclûmes  de  là 
que  c'étaient  des  êtres  intelligents,  quoique 
peut-être  pas  d'un  ordre  aussi  élevé  (|iic 
d'autres  que  nous  découvrîmes  le  mois  sui- 
vant sur  le  bord  de  la  baie  des  Arcs-en-citl, 
el  qui  étaient  capables  de  produire  des  œu- 
vres d'art. 

«  La  seconde  fois  que  nous  les  vîmes 
nous  pûmes  les  observer  bien  mieux  encore: 
c'était  sur  les  bords  d'un  pelit  lac  ou  grande 
rivière  que  nous  aperçûmes  coulant  vers  la 
vallée  du  grand  lac  el  ayant  sur  ses  rives 
orientales  un  joli  petit  bois.  Quelques-uns 
de  ces  êtres  avaient  traversé  d'un  bord  à 
l'autre,  et  y  était  étendus  comme  des  aigles. 
Nous  pûmes  alors  remarquer  que  leurs  ai- 
les avaient  une  énorme  étendue,  et  étaient 
semblables  pour  h  ur  structure  à  celles  de 
la  chauve  -  souris  ;  elles  élaient  formées 
d'une  membrane  demi-transparente  qui  pou- 

(2;  Le  Pelil  Albert,  p.  Ibi 


lues 


H,N 


LUN 


1066 


vait  se  déployer  en  divisions  courbes  par  le 
inojeu  de  rayons  droits  liés  au  dos  par  des 
tégumpnls  dorsaux.  Ce  qui  nous  élouna  le 
plus,  ce  fut  de  voir  que  celte  membrane 
continuait  depuis  les  épaules  jusqu'aux  jam- 
bes, liée  au  corps,  et  diminuant  graducile- 
menl  de  largiiir.  Ces  ailes  semblaient  en- 
tièrement soumises  à  la  volonté  de  ces  êtres, 
car  nous  les  vîmes  se  baigner,  et  les  étendre 
aussitôt  dans  toute  leur  dimension  ,  les  se- 
couer en  sortant  de  l'eau,  comme  font  les 
canards,  et  les  refermer  en  une  forme  com- 
pacte. Les  observations  que  nous  fîmes  sur 
les  habitudes  de  ces  créatures,  qui  étaient 
des  deux  sexes,  nous  conduisirent  à  des  ré- 
sultats si  remarquables,  que  je  préfère  les 
voir  livrer  au  public  dans  l'ouvrage  du  doc- 
leur  Herscliel,  où  je  sais  qu'ils  sont  détaillés 
avec  une  consciencieuse  vérité,  quelle  que 
soit  l'incrédulilé  avec  laquelle  on  les  lira. 

«  Au  bout  de  quelques  instants  les  trois 
familles  étendirent  leurs  ailes  presque  si- 
multanément et  se  perdirent  dans  les  som- 
bres confins  du  canevas  ,  avant  que  nous 
pussions  revenir  de  notre  étonnemeni.  Nous 
appelâmes  scientifiquement  ces  êtres  hom- 
mes-chauves-.souris(t;Mper07to/iomo).Cesont 
sûrement  des  êlres  innocents  et  heureux. 

«  Nous  nommâmes  la  vallée  où  ils  vivent 
le  Colisée  de  rubis,  à  cause  des  magnifiques 
montagnes  qui  l'entourent.  La  nuit  étant 
Irès-avancée,  nous  remîmes  à  une  autre 
occasion  la  suite  de  nos  éludes.  » 

Ce  canard  ,  qui  venait  des  Etats-Unis  où 
il  s'en  fait  tant,  fut  pris  au  sérieux  par  plu- 
sieurs journaux. 

Les  Péruviens  regardaient  la  lune  comme 
la  sœur  et  la  femme  du  soleil,  et  comme  la 
mère  de  leurs  incas;  ils  l'appelaient  mère 
universelle  de  toutes  choses,  et  avaient  pour 
elle  la  plus  grande  vénération.  Cependant 
ils  ne  lui  avaient  point  élevé  de  temple,  et 
ne  lui  offraient  point  de  sacrifices.  Us  pré- 
tendaient aussi  que  les  marques  noires 
qu'on  aperçoit  dans  la  lune  avaient  été 
{ailes  par  un  renard  qui ,  ayant  monté  au 
ciel,  l'avait  embrassée  si  élroitemeni,  qu'il 
lui  avait  fail  ces  taches  à  force  de  la  serrer. 

Suivant  les  Taïliuus,  les  taches  que  nous 

(1)  Voyages  de  Cook. 

(i)  Des  Erreurs  et  des  préjugés,  etc.,  1. 1",  p.  210. 

(5)  Ceux  ([Ui  oulohservé  les  pliénoinènes  que  présente 
le  clunal  des  régions  inlerlropicales  n'ont  pas  prêté  une 
asscz  grande  alleniion  à  l'induence  que  la  lune  y  exerce. 
.Si  l'on  s'accorJe  à  reconuatlre  que  la  pression  ou  Taltra- 
clion  lunaire  agil  forteuieul  sur  les  marées,  ou  ne  doit 
pas  craindre  d'allirmer  que  l' atmosphère  est  soumise  <i  une 
action  semlilable.  Ceiju'il  y  a  de  certain,  c'est  qne,  dans 
les  basses  terres  des  i  éyions  intertropicales  ,  un  observa- 
teur atlciilifde  la  nature  est  frappé  du  pouvoir  que  la  lune 
exerce  sur  li  s  saisons  aussi  bien  que  sur  le  règne  animai 
«l  sur  le  végétal.  A  Démérara,  il  y  a  chaque  année  treize 
priiilenq)s  et  treize  automnes;  car  il  est  constaté  que  la 
sève  des  arl)res  y  monte  aux  brandies  et  redescend  aux 
raciues  treize  fois  alternativement. 

Le  vallaba,  arbre  résineux  assez  commun  dans  les  bois 
de  Démérara,  et  qui  ressemble  h  l'acajou,  fournit  un  exem- 
ple irès-curieux  eu  ce  genre.  Si  ou  le  coupe  la  nuit , 
quelques  jours  avant  la  nouvelle  lune,  .son  bois  est  excel- 
lent pour  les  charpentes  et  toute  espèce  de  con.slruclions, 
et  la  dureté  en  est  telle  qu'on  ne  le  peut  fejidre  qu'avec 
beaucoup  de  peine,  et  encore  inégalement.  Abattez-le 
pendant  la  pleirje  lune,  vous  le  partagez  en  une  infinité  de 
planches  3us'*i  mines  et  au.ssi  droites  qu'il  vous  plaît  avec 

DîCTI    NNAIKE  DES  SCIENCE-i  OCCULTE*.  1. 


toyons  à  la  lune  sont  dos  bosquets  d'une  es- 
pèce d'arbres  qui  croissaient  autrefois  à 
Taïli;  un  accident  ayant  détruit  ces  arbres, 
les  graines  furent  portées  par  des  pigeons  à 
la  lune,  où  elles  ont  prospéré  (l). 

Les  mahométans  ont  une  grande  vénéra- 
tion pour  la  lune;  ils  la  saluent  dès  qu'elle 
parait,  lui  présentent  leurs  bourses  ouver- 
tes, et  la  prient  d'y  faire  multiplier  les  espè- 
ces à  mesure  qu'elle  croîtra. 

La  lune  est  la  divinité  des  Nicaborins,  ha- 
bitants de  Java.  Lorsqu'il  arrive  une  éclipse 
de  lune,  les  Chinois  idolâtres,  voisins  de  la 
Sibérie,  poussent  des  cris  et  des  hurlements 
horribles,  sonnent  les  cloches,  frappent  con- 
tre du  bois  ou  des  chaudrons,  et  touchent  à 
coups  redoublés  sur  les  timbales  de  la  grande 
pagode.  Ils  croient  que  le  méchant  esprit  de 
l'air  Arachula  attaque  la  lune,  et  que  leurs 
clameurs  doivent  l'effrayer. 

11  y  a  des  gens  qui  prétendent  que  la  lune 
est  douce  d'un  appétit  extraordinaire;  que 
son  eslomac,  comme  celui  de  l'autruche,  di- 
gère des  pierres.  En  voyant  un  bâtiment 
vermoulu,  ils  disent  que  la  lune  l'a  mutilé, 
et  qu'elle  peut  ronger  le  marbre. 

Combien  de  personnes  n'osent  couper 
leurs  cheveux  dans  le  décours  de  la  lunel 
dit  M.  Salgues  (2).  Mais  les  médecins  sont 
convenus  enfin  que  la  lune  influe  sur  le  corps 
humain,  comme  sur  bien  d'autres  choses  (3). 

La  plupart  des  peuples  ont  cru  encore  que 
le  lever  de  la  lune  était  un  signal  mysté- 
rieux auquel  les  spectres  sortaient  de  leur» 
tombeaux.  Les  Orientaux  content  que  les 
lamies  et  les  gholes  déterrent  les  morts  dans 
les  cimetières,  el  font  leurs  festins  au  clair 
de  la  lune.  Dans  certains  cantons  de  l'o- 
rient de  l'Allemagne,  on  prétendait  que  les 
vampires  ne  commençaient  leurs  infesta- 
lions  qu'au  lever  de  la  lune ,  el  qu'ils  étaient 
obligés  de  rentrer  en  terre  au  chant  du  co»]. 

L'idée  la  plus  extraordinaire,  adoptée  dans 
quelques  villages,  c'est  que  la  lune  ranimait 
les  vampires.  Lorsqu'un  de  ces  spectres, 
poursuivi  dans  ses  courses  nocturnes,  élait 
frappé  d'une  balle  ou  d'un  coup  de  lance,  on 
pensait  qu'il  pouvait  mourirune  seconde  fois, 
mais  qu'exposé  aux  rayons  de  la  lune  il  re- 
la  pins  grande  facilité  :  mais  alors  il  ne  vaut  rien  pour  les 
constructions,  el  se  détériore  bientôt.  Faites  des  pieux 
avec  des  bambous  de  la  grosseur  d'un  bras;  si  vous  les 
avez  coupés  à  la  nouvelle  lune,  ils  dureront  dix  ou  douze 
années  ;  mais  si  c'est  pendant  qu'elle  était  dans  son  plein, 
ils  seront  pourris  en  moins  de  deux  ans. 

Les  effets  de  la  lune  sur  la  vie  animale  sont  prouvé* 
aussi  par  un  grand  nombre  d'exemples.  3'ai  vu  en  Atrique 
des  animaux  nouveau-nés  périr  en  queliues  heures  au- 
près de  leur  mère  pour  être  restés  exposés  aux  rayons  da 
la  pleine  lune.  S'ils  en  sont  frappés,  les  poissons  tratche- 
ment  péchés  se  corrompent,  et  la  viande  ne  se  peut  plus 
conserver,  même  au  moyen  du  sel. 

Le  marinier  qui  dort  sans  précaution  la  nuit  sur  le  til- 
lac,  la  face  tournée  vers  la  lune  ,  est  alteinl  de  nictalopie 
ou  cécité  nocturne,  el  quelquefois  sa  tète  enfle  d'une  ma- 
nière prodigiense.  Les  paroxisuies  des  fous  redoublent 
d'une  manière  effrayante!»  la  nouvelle  et  à  la  pleine  lune; 
lesfrissons  humides  delà  lièvre  intermittente sefont  sentir 
an  lever  de  cet  astre,  dont  la  douce  lueur  semble  il  peine, 
ellleurer  la  terre.  Mais  qu'on  ne  s'y  méprenne  pas,  ses 
elfels  sont  puissant.s,  el,  parmi  les  agents  qui  lèguent  sur 
ralniosphèic  on  peul  affirmer  qu'elle  ne  tient  pas  le  der- 
nier rang.  (.Wrtrlin's  history  of  lltc  lliinish  coloiim.) 

3* 


10(V7 


DICTIONNAIRE  DKS  SriENCrS  OCCULTF.S. 


I0S8 


prenait  ses  forces  ei  pouvait  sucer  de  nou- 
veau les  vivants. 

LUNDI.  En  Russie,  1p  lundi  passe  pour  un 
jour  malheureux.  Parmi  le  peuple  et  les  per- 
sonnes supersiilieiises,  la  répug[nance  à  en- 
treprendre ce  jour-là  quoique  chose,  surtout 
un  voyage,  est  si  universelle,  que  le  petit 
nombre  de  gens  qui  ne  la  partagent  pas  s'y 
soumet  par   égard  pour  l'opinion  générale. 

LURE  (Gu)llaume),  docleur  en  théologie, 
qui  fut  coiidainiié  comme  sorcier,  à  Poitiers, 
en  l<>a3,  convaincu  par  son  propre  aveu,  par 
témoins  et  pour  avoir  élé  trouvé  saisi  d'un 
pacle  fait  avec  le  diable,  par  lequel  il  renon- 
çait à  Dieu   et  se  donnait  à  icclui  diable  (1). 

LUUIDAN,  esprit  de  l'air  en  Norwége  et  en 
Lapoiiie.  Voy.  Hirold. 

LUSIGNAN.  On  prétend  que  la  maison  de 
Lusignan  descend  en  ligne  directe  de  Mélu- 
sine.  Voy.  Mélusine. 

LUTHER  (Martin),  le  plus  fameux  nova- 
leur  religieux  du  xvi*  siècle,  né  en  li8i  en 
Saxe,  mort  en  15^6.  Il  dut  son  éducation  à  la 
charité  des  moines,  et  entra  chez  les  Augus- 
tins  d'Erfnrt.  Devenu  professeur  de  théolo- 
gie, il  s'irrita  de  ne  pas  être  le  Judas  des  in- 
dulgences, c'est-à-dire  de  n'en  pas  tenir  la 
bourse;  il  écrivit  contre  le  pape  et  prêcha 
contre  l'Eglise  romaine.  Devenu  épris  de 
Cilherine  Bore,  religieuse,  il  l'enleva  de 
son  couvent  avec  huit  autres  «œurs ,  se 
hâta  de  l'épouser,  et  publia  un  écrit  où  il 
comparait  ce  rapt  à  celui  <)ue  Jésus-Christ 
fit,  le  jour  de  la  passion,  lorsqu'il  arracha 
les  âmes  <le  la  tyrannie  de  Satan... 

Nous  ne  pouvons  ici  faire  sa  vie,  mais  sa 
mort  nous  revient.  Ses  ennemis  ont  assuré 
que  le  diable  l'avait  étranglé;  d'autres  qu'il 
mourut  subitement  en  allant  à  la  garde- 
robe,  comme  Arius,  après  avoir  trop  soupe; 
que,  son  tombeau  ayant  été  ouvert  le  lende- 
main de  son  enterrement,  on  n'y  avait  pu 
trouver  son  corps,  et  qu'il  en  était  sorti  une 
odeur  df  soufre  insupportable. — George  La- 
pôlrc  le  dit  fils  d'un  démon  et  d'une  sorcière. 

A  la  mort  de  Luther,  disent  les  relittions 
répandues  chez  ses  contemporains  ,  les  dé- 
mons en  deuil,  habillés  en  corbeaux,  vinrent 
chercher  cet  ami  de  l'enfer.  Ils  assistèrent 
invisiblenient  aux  funérailles;  et  Thyrseus 
ajoute  qu'ils  remportèrent  ensuite  loin  de  ce 
monde,  où  il  ne  devait  que  passer.  —  On  conte 
encore  que  le  jour  de  sa  mort  tous  les  dé- 
mons qui  se  trouvaient  en  une  certaine  ville 
de  Brabaut  (à  Malines)  sortirent  des  corps 
qu'ils  possédaient  et  y  revinrent  le  lende- 
main; et  comme  on  leur  demandait  où  ils 
avaient  passé  la  journée  précédente,  ils  ré- 
poniirent  que,  par  l'ordre  de  leur  prince,  ils 
s'étaient  rendus  à  renterremenl  de  Luther. 
Le  valet  de  Luther,  qui  l'assistait  à  sa  mort, 
déclara,  ce  qui  est  très-singulier,  en  confor- 
n)ilé  de  ceci,  qu'ayant  mis  la  tête  à  la  fenê- 
tre pour  prendre  l'air  au  moment  du  trépas 
de  son  maiire,  il  avait  vu  plusieurs  esprits 
horribles  qui  dansaient  autour  delà  maison, 
et  ensuite  des  corbeaux  muigres  qui  accom- 

(1)  Di-l.incre,  luconsiance  des  démons  ,  I.  VI,  p.  493. 
yt]  SivliucUlhna.  Uo  Kxiiiiiiu  llwolog,  oporiiin.  l  l". 


pagnèrcnt  le  corps  en  croassant  jusqu'à  Wit- 
teniberg 

La  dispute  de  Luther  avec  le  dinble  a  fait 
beaucoup  de  bruit.  Un  religieux  vint  un  jour 
frapper  rudement  à  sa  porte,  en  detnandant 
à  lui  parler.  Le  renégat  ouvre;  le  prétendu 
moine  regarde  »n  moment  le  réformateur  , 
et  lui  dit  :  —  J'ai  découvert  dans  vos  opi- 
nions certaines  erreurs  papistiques  sur  les- 
quelles je  voudrais  conférer  avec  vous.  — 
Parlez,  répond  Luther. 

L'inconnu  proposa  d'abord  quelques  dis- 
cussions assez  simples,  que  Luther  résolut 
aisément.  Mais  chaque  question  nouvelle 
était  plus  difficile  que  la  précédente,  et  le 
moine  supposé  exposa  bientôt  des  syllogis- 
mes très-embarrass;ints.  Luther,  offensé,  lui 
dit  brusquement:  —  Vos  questions  sont  trop 
embrouillées;  j'ai  pour  le  moment  autre 
chose  à  faire  que  de  vous  répondre. 

Cependant  il  se  levait  pour  argumenter 
encore,  lorsqu'il  remarqua  que  le  religieux 
avait  le  pied  fendu,  et  les  mains  armées  de 
griffes.  —  N'es-tu  pas,  lui  dit-il,  celui  dont 
la  naissance  du  Christ  a  dû  briser  la  tête? 

Et  le  diable,  qui  s'atlendait  avec  son  ami 
à  un  combat  d'esprit  et  non  à  un  assaut  d'in- 
jures, reçut  dans  la  figure  l'encrier  de  Luther, 
qui  était  de  plomb  (2)  :  il  dut  en  rire  à  pleine 
gorge.  On  montre  encore  sur  la  muraille,  à 
"Wittemberg,  les  éclaboussures  de  l'encre. 

On  trouve  ce  fait  rapporté,  avec  quelque 
différence  de  détails,  dans  le  livre  de  Luther 
lui-même  sur  la  messe  privée,  sous  le  litre 
de  Conférence  de  Luther  avec  le  diable  (3).  Il 
conteqne,  s'étant éveillé  unjour,  versminuii, 
Satan  disputa  avec  lui,  l'éclaira  sur  les  er- 
reurs du  catholicisme,  et  l'engagea  à  se  sé- 
parer du  pape.  C'est  donner  à  sa  secte  une 
assez  triste  origine.  L'abbé  Cordemoy  pense, 
avec  beaucoup  d'apparence  de  raison,  que 
certains  critiques  ont  tort  de  prétendre  que 
cette  pièce  n'est  pas  de  Luther.  Il  est  constant 
qu'il  était  très-visionnaire,  ce  qui  doit  suffire 
aux  incrédules  ;  et  que  pour  les  rroyants  il 
étiiit  très  en  état  de  voir  le  diable.  Il  est 
même  possible  que  la  bravade  de  l'encrier 
soit  une  vauterie. 

LUTINS.  Les  lutins  sont  du  nombre  des 
démons  qui  ont  plus  de  malice  que  de  mé- 
chanceté. Ils  se  plaisenlàtourmenlerlesgens, 
et  se  contentent  (le  faire  pi  us  de  peur  que  de  mal. 
Cardan  parle  d'un  de  ses  amis  qui,  couchant 
dans  une  chambre  que  hantaient  les  lutins  , 
sentit  une  main  froide  et  molle  comme  du  co- 
ton passer  sur  son  cou  et  son  visage,  et  cher- 
cher à  lui  ouvrir  la  bouche.  Il  se  garda  bien 
de  bâiller;  mais,  s'éveillanl  en  sursaut,  il  en- 
tendit de  grands  éclats  do  rire  sans  rien  voir 
autour  de  lui. 

Leloyer  raconte  que  de  son  temps  il  y 
avait  de  mauvais  g.irncments  qui  faisaient 
leurs  sabbats  dans  les  cimetières  pour  éta- 
blir leur  réputation  et  se  faire  craindre,  et 
que,  quand  ils  y  étaient  parvenus,  ils  al- 
laient dans  les  maisons  buffeler  le  bon  vin. 
Les  lutins  s'appelaient  ainsi  parce  qu'ils 

(5;  Colloquium  LiiUiernm  inler  et  diaboluin,  al)  ipso  Lu- 
ihero  conscriplum  .  i;i  eius  librode  Mibsa  prl  ala,  cic. 


ICGO 


LUX 


LTC 


M70 


prenaient  qnelqnerois  plaisir  à  lutter  avec 
les  hommes.  Il  y  en  avait  un  à  Thermesie 
i]ui  se  battait  avec  tous  ceux  qui  ariivaiont 
dans  celle  ville.  Au  reste,  disent  de  bons 
légendaires,  les  lutins  ne  mettent  ni  dureté 
ni  violenci' dans  leurs  jeux 

LUTSCHIN.  Au  pied  du  Lutschin  ,  rocher 
gigantesque  de  la  Suisse,  coule  un  torrent 
où  s<!  noya  un  fratricide  en  voulant  laver 
son  poignard  ensanglanté.  La  nuit,  à  l'heure 
où  le  meurtre  fut  commis,  on  entend  encore 
près  du  torrent  des  soupirs  et  comme  le  râle 
d'un  homme  qui  se  meurt.  On  dit  aussi  que 
l'àiiie  du  meurtrier  rôile  dans  les  environs, 
cherchant  un  repos  qu'elle  ne  peut  trouver. 

LUTTEUi'iS,  démons  qui  aiment  la  lutte  et 
les  petits  jeux  de  muins.  C'est  de  leur  nom 
qu'on  a  nommé  les  lutins. 

LUXEMBOURG  (François  de  Montmoren- 
cy), maréchal  de  France,'né  en  1628,  mort  en 
1695,  On  l'accusa  de  s'être  donné  au  diable. 

Un  de  ses  gens,  nommé  Bonard,  voulant 
retrouver  des  pnpiers  qui  étaient  égarés,  s'a- 
dressa à  un  certain  Lesage  pour  les  recou- 
vrer. CeLesage  était  un  homme  dérangé,  qui 
se  mêlait  de  sorcellerie  et  de  divinations.  Il 
lui  ordonna  d'aller  visiter  les  églisî-s,  de  ré- 
citer des  psaumes  ;  Bonaril  se  soumit  à  tout 
ce  qu'on  exigeait  de  lui,  et  les  papiers  ne  se 
retrouvèrent  pas.  Une  fille,  nommée  la  Dupin, 
les  retenait.  Bonard,  sous  les  yeux  de  Lesage, 
lit  une  conjuration  au  nom  du  maréchal  de 
Luxembourg;  la  Dupin  ne  rendit  rien.  Déses- 
péré, Bonard  fit  signer  un  pacte  au  maréchal 
qui  se  donnait  au  diable.  A  la  suite  de  ces 
menées,  la  Dupin  fut  trouvée  assassinée.  Ou 
t-n  accusa  le  maréchal.  Le  pacte  fut  produit 
an  procès.  Lesage  déposa  que  le  maréchal 
s'était  adressé  au  diable  et  à  lui  pour  faire 
mourir  la  Dupin.  Les  assassins  de  celte  fille 
avouèrent  qu'ils  l'avaient  découpée  en  quar- 
tiers, et  jetée  dans  la  rivière  par  les  ordres  du 
maréchal.  La  cour  des  pairs  devait  le  juger; 
mais  Louvois,  qui  ne  l'aimail  pas,  le  fi'  en- 
fermer d.ins  un  cachot.  On  mil  de  la  négli- 
gcnic  à  instruire  son  procès  ;  enfin  on  lui 
confronta  Lesage  elun  autre  sorcier,  nommé 
Davaux,  avec  lesquels  on  l'accusa  d'avoir  fait 
des  sortilèges  pour  faire  mourir  plus  d'une 
personne.  — Parmi  les  imputations  horribles 
qui  faisaienlla  basedu  procès,  Lesage  dit  que 
le  maréchal  avait  faitun  pacte  avec  le  diable, 
pour  pouvoir  allier  un  de  ses  fils  avec  la  fa- 
mille de  Louvois.  Le  procès  dura  quatorze 
mois,  lln'yeutde  jugement  ni  pour  ni  contre. 
La  Voisin,  la  Vigoureux  et  Lesage,  compro- 
mis dans  ces  crimes,  furent  briîlé*  à  la  Grève. 
Le  maréchal  de  Luxembourg  fut  élargi  , 
passa  quelques  jours  à  la  campagne,  puis  re- 
vint à  la  cour,  et  reprit  ses  lonclion<  de  ca- 
pitaine des  gardes.. 

LUXEMBOURG  (L*  maréchale  de).  Ma- 
dame la  maréchale  do  Luxembourg  avait 
pour  valet  do  chambre  un  vieillard  qui  la 
servait  depuis  longtemps  ,  cl  auquel  elle 
étail  attachée.  Ce  vieillard  tomba  tout  à  coup 
dangereusement  malade.  La  maréchale  était 
dans  l'inquiétude.  Elle  ne  cessait  d'envoyer 
demander  des  nouvelles  de  cet  homme ,  et 


souvent  allait  elle-même  en  savoir.  Se  por- 
tant très-bien,  elle  s'éveille  au  milieu  de  la 
nuil  avec  une  agitation  singulière  ;  elle  veut 
sonner  pour  demander  ce  que  fait  son  valet 
de  chambre;  elle  ouvre  les  rideaux  de  sou 
lit;  à  l'inslanl,  l'imagination  fortement  frap- 
pée, elle  croit  apercevoir  d  ms  son  apparte- 
ment un  fantôme  couvert  d'un  linceul  blanc; 
elle  croit  entei\dre  ces  paroles  :  —  Ne  vous 
inquiétez  point  de  moi,  je  ne  suis  plus  de  ce 
monde,  et  avant  la  Pentecôte  vous  viendrez 
me  rejoindre.»  La  fièvre  s'empara  d'elle;  elle 
fut  bientôt  à  toute  extrémité. Gequi  contribua 
le  plus  à  augmenter  sa  terreur,  c'est  qu'à  l'in- 
stant même  où  elle  fut  frappéede  cette  vision, 
l'homme  en  question  venait  effectivement 
d'expirer.  La  maréchale  a  cependant  survécu 
à  la  préiliclion  du  fantôme  i:naginaire,  et 
cette  résurrection  fait  furieusement  de  tort 
aux  spectres  pour  l'avenir  (1).  » 

LYGANTHROPIE  ,  transformation  d'un 
homme  en  loup.  Le  lycanlhrope  s'appelle 
communément  loup-g.irou. 

Les  loups-garous  ont  été  bien  longtemps 
la  terreur  des  campagnes,  parce  qu'on  savait 
que  les  sorciers  ne  pouvaient  se  faire  loups 
que  par  le  secours  du  diable.  Dans  les  idées 
des  démonographes,  un  loup-garou  est  un 
sorcier  que  le  diable  lui-même  transmue  en 
loup,  et  qu'il  oblige  à  errer  dans  les  campa- 
gnes en  poussant  d'affreux  hurlements. 

L'existencede  loups-garous  est  allestée  par 
Virgile,  Solin,  Slrabon,  Pomponius  Mé'.a  , 
Diouysius  Afer,  Varron,  et  par  tous  les  ju- 
risconsultes et  démonomanes  des  derniers 
siècles.  A  peine  commençait-on  à  eu  douter 
sous  Louis  XIV. 

L'empereur  Sigismond  fit  débattre  devant 
lui  la  question  des  loups-garous,  el  il  fut 
unanimement  résolu  que  la  transformation  des 
loups-garous  était  nnfait  positif  et  constant. 

Un  garnement  qui  voulait  faire  des  fripon- 
neries mellail  aisément  les  gens  en  fuiie  eu 
se  faisant  passer  pour  un  loup-garou.  Il  n'a- 
vait p.is  besoin  pour  cela  d'avoir  la  figure 
d'un  loup,  puisque  les  loups-garous  de  répu- 
tation étaient  anêlés  comme  tels,  quoicpio 
sous  leur  figure  humiine.  On  croyait  alors 
qu'ils  portaient  le  poil  de  loup-garou  entre 
cuir  et  chair. 

Peuccr  conte  qu'en  Livonie,  sur  la  fin  du 
mois  de  décembre, il  se  trouve  tous  les  ans  un 
bélître  (pii  va  sommer  les  sorciers  de  se  ren- 
dre eu  certain  lieu  ;  el  s'ils  y  manquent  le 
diable  les  y  mène  de  force,  à  coups  si  rude- 
ment appliqués,  que  les  marques  y  demeu- 
rent. Leur  chef  passe  devant ,  el  quelques 
milliers  le  suivent,  traversant  une  rivière, 
laquelle  passée  ils  changent  leur  figure  en 
celle  d'un  loup,  se  jellenl  sur  les  hommes  el 
sur  les  troupeaux,  el  font  mille  dommages. 
Douze  jours  après  ils  relournenl  au  même 
fleuve  el  redeviennent  hommes. 

On  attrapa  un  jour  un  loup-garou  qui 
courait  dans  les  rues  de  Padoue  ;  ou  lui  cou- 
pa ses  pattes  de  loup,  et  il  reprit  au  mémo 
instant  la   forme  d'homme,  mais  avec  les 

(  t  )  Histoire  des  rcvenantsou  préierulai  tel»,  lom.  I,  p.l7 1 . 


«C7l 


DlCTIONi\AmE  DES  SCIENCES  OCCULTES. 


1072 


liras  et  les  pieds  coupés,  à  ce  que  dil  Fincel. 

L'an  1588,  en  un  village  distant  de  deux 
lieues  d'Apchon,  dans  les  montagnes  d'Au- 
vergne, un  gentilhomme,  étant  sur  le  soir  à 
sa  finétre,  aperçut  un  chasseur  de  sa  con- 
naissance, et  le  pria  de  lui  rapporter  de  sa 
chasse. Le  chasseur  promit,  et,  s'élant  avancé 
dans  la  plaine,  il  vil  un  gros  loup  qui  venait 
à  sa  rencontre.  Il  lui  lâcha  un  coup  d'arque- 
buse et  le  manqua.  Le  loup  se  jeta  sur  lui  et 
l'attaqua  vivement.  Mais  l'autre,  en  se  dé- 
Tcndant,  lui  ayant  coupé  la  pale  droite  avec 
son  couteau  de  chasse,  le  loup  estropié  s'en- 
fuit et  ne  revint  plus.  Comme  la  nuit  appro- 
chait, le  chasseur  gagna  !a  maison  de  son 
ami,  qui  lui  demanda  s'il  avait  lait  bonne 
chasse.  Il  lira  de  sa  gibecière  la  patte  coupée 
au  prétendu  loup,  mais  il  fut  bien  étonné  de 
la  voir  convertie  en  main  de  femme,  et  à 
l'un  des  doigts  un  anneau  d'or  que  le  gen- 
tilhomme reconnut  être  celui  de  son  épouse. 
Il  alla  aussitôt  la  trouver.  Elle  était  auprès 
du  feu,  cachant  son  bras  droit  sous  son 
tablier.  Comme  elle  refusait  de  l'en  tireV,  il 
lui  montra  la  main  que  le  chasseur  avait  rap- 
portée; cette  malheureuse,  éperdue,  avoua 
que  c'était  elle  en  effet  qu'on  avait  poursui- 
vie sous  la  figure  d'un  loup-garou;  ce  qui  se 
\érifia  encore  en  confrontant  la  main  avec  le 
brasdontelle  faisait  partie. Lemari courroucé 
livra  sa  femme  à  la  ju-lice;  elle  fut  brûlée. 

Que  penser  d'une  leMe  histoire,  racontée 
par  Boguet  comme  étant  de  son  temps?  Etai  - 
ce  une  trame  d'un  mari  qui  voulait,  comme 
disent  les  Wallons,  être  quitte  de  sa  femme? 


Les  loups-garous  étaient  fort  Lommuns  dans  le  Poitou  ; 
on  les  v  appetail  la  bête  bigouine  qui  court  la  fialiiiode. 
Qwnui  les  Iwniies  gens  eiileiideiil  les  liurlempnlsdii  loup- 
garou,  ce  qui  n'arrive  qu'au  milieu  iJt^  la  nuit,  ils  se  gar- 
dent du  mettre  ta  lêle  à  la  fenêtre,  parce  qu'ils  auraient 
le  cun  tordu.  —  Ou  assure,  dans  celle  province,  qu'on 
peut  forcer  le  loup-garou  u  (piilter  sa  lornie  d'emprunt  en 
iiiidorniaul  uncoupde  lourilie  euire  les  deux  veux. 

On  sait  (|ue  la  ()ii.ililé  distinclive  des  loups  giirnus  est 
un  yriiud  goût  pour  la  cliair  fraîche.  Delancre  assure  qu'ils 
étranglent  les  chiens  et  les  enl'anls;  qu'ils  les  niangi  ni  de 
l)nn  appétit;  qu'ils  marchent  à  qnntre  pattes;  qu'ds  hur- 
lent cnniuic  de  vrais  loups,  avec  de  grandes  gueules,  des 
yeu\  élincelanls  et  des  deuls  crochues. 

Rodiu  racoDle  s»ns  rougir  qu'en  15i2  on  vit  un  malin 
lliO  lou|)S-garous  sur  une  place  de  Constantinople.  —  On 
trouve  dans  le  roinau  de  Persilès  et  Sigismonde  ,  dernier 
ouvrage  de  Cervantes,  des  iles  de  loiips  garons  et  des 
sorcières  qui  se  changent  en  louves  pour  enlever  leur 
IToie,  comme  on  trouve  dans  Gulliver  une  Ile  de  sorciers. 
Mais  au  moins  ces  livres  sont  des  romans. — Delancre  |iro- 
pose  (t)  comme  un  bel  exemple  ce  Irait  d'un  duc  de  Rus- 
sie. Averti  ((u'un  sien  .sujet  se  changeait  en  toutes  sortes 
de  bêle»,  il  l'envoya  chircbfr,  le  fit  enchaîner,  Pt  lui 
cimiinanda  de  donner  une  preuve  de  son  art  ;  ce  qu'il  lit,  se 
transformant  en  loup;  mais  ce  duc,  avant  préparé  deux 
dogues,  les  lit  lancer  contre  ce  misérable,  qui  aussitôt  fut 
mis  en  pièces  — On  amena  au  médecin  Poniponace  un 
paysan  atteint  de  lycaatrophie,  qui  criait  si  ses  voisins  de 
s'eniuir  s'ils  ne  voulaient  pas  qu'il  les  mange&t.  Oimme 
ce  pauvre  homme  n'avait  rien  de  la  forme  d'un  loup,  les 
villageois,  persuadés  pourtant  qu'il  l'était,  avaient  com- 
mencé À  l'écorcher,  pour  voir  s'il  ne  portait  pas  le  poil 
sous  la  pi^au.  Pomponace  le  guérit;  ce  n'était  qu'un  hypo- 
condre. — J.  deNynauld  a  publié  eu  I6I0  un  traité  complet 
de  la  Lycuiitropk,  qu'il  aiipelle  aussi  Folle  loiwière  et  ii/- 

(l)  Incnnslance  des  niauv.iis  angos.  liv.lV,  p.  ôOi. 
(S)  Leloyer,  llist.  de»  spectres,  i>.  198. 


caonie,  mais  dont  il  admet  inconteslablement  la  réalité. — 
IJn  sieur  de  B  aiivoys  de-Clianvincourt,  gentilhomme  an- 
gevin, a  fait  imprimer  en  1399  (Paris,  petit  in-12)  un  vo- 
lume intilulé  :  Discours  de  la  lycaulhrojiie,  oude  lalrausmu- 
lalion  des  liommes  eu  loups. — Claude,  prieur  de  Laval, avait 
|)ublié  quelques  années  au|iaravanl  un  autre  livre  sur  la 
môme  matière,  intitulé  :  Oiologues  de  la  lycautltropie . 
Us  affirment  tous  qu'il  y  a  certainement  des  loups-garous. 

Ce  qui  esl  plus  singulier,  c'est  qu'il  n'y  a  peul-ètrp  pas 
de  vilbge  qui  n'ait  encore  ses  loups-garous  ;  il  «si  possi- 
ble que  celui  dont  on  va  parler  soit  encore  aux  galères.  Il 
se  faisait  appeler  Maréchal,  et  demeurait  en  180i  an  vil- 
lage de  Longueville  ,  a  deux  lieues  de  Méry-sur-Seine.  Il 
était  bflcheron,  faisait  des  fossés,  et  s'occupait  de  divers 
métiers  qui  s'exercent  dans  la  solitude,  et  sont  par  consé- 
(pient  propres  à  la  sorcellerie.  Avec  l'aide  du  diable,  il  se 
changeait  toutes  les  nuits  en  loup  ou  on  ours,  et  faisait  de 
grnndcs  peurs  aux  bonnes  gens.  Un  jeune  paysan  s'arma 
d'un  lusll  et  l'attendit  une  nuit.  Il  vit  un  monstre  à  quatre 
pattes  qui  venait  lourdetneiil  à  lui.  Il  le  coiiclia  enjoué  et  la 
manqua.  Le  loup-garou,  qui  avait  aussi  un  fusil,  tira  il  son 
tour  sur  le  paysan  et  le  blessa  ii  la  jambe.  Celui-ci,  stupé- 
fait de  se  trouver  en  face  d'un  leup  qui  tirait  des  coups  de 
fusil,  se  mit  a  fuir.  A  la  fin,  la  justice  informée  s'empara  de 
riiomnie.  0»  ne  trouva  dans  le  prétendu  sorcier  qu'un  vau- 
rien coupable  de  vols  et  de  brigandages  qu'il  everçaitdans 
ses  courses  nocturnes.  On  le  coudainua  aux  galères  perpé- 
tuelles. 

Le  lecteur  fera  sans  doute  ici  une  réflexion  tonte  natu- 
relle :  coniiuent  se  peut-il  qu'un  loup-garou  é|iOUvante 
une  contrée  pendant  trois  ou  quatre  ans,  sans  que  la 
justice  l'arrête?  C'est  encore  une  des  misères  de  nos 
pavsans.  Comme  il  y  a  chez  eux  beaucoup  de  méchanu, 
ils"se  craignent  entre  eux  ;  ils  ont  un  discernement  et  une 
expérience  qui  leur  apprennent  que  la  justice  n'est  pas 
toujours  juste  ;  et  ils  disent  :  Si  nous  dénonçons  un  coupa- 
ble et  qu'il  ne  soit  pas  mis  hors  d'étal  de  nuire  ,  c'est  un 
ennemi  inipl.ncable  que  nous  allons  nous  faire.  Les  paysaui 
sont  vindicatit's.  Après  dix  ans  de  galères,  ils  reviennent  se 
venger  de  leurs  dénonciateurs.  Il  faudrait  peut-être  qu'un 
roupable  qui  sort  des  galères  n'eût  jias  le  droit  de  repa- 
raître dans  la  contrée  qui  a  été  le  théâtre  de  ses  crimes. 
Koi/.  Ct.vanthhopie  ,  BooSASiBROPie,  Raollet,  Bisclava- 

l'yca'oN,  fils  de  Phoronée,  roi  d'Arcadie,  à  laquelle  il 
donna  le  nom  de  Lycaonie.  li  bâtit  sur  les  montagnes  la 
ville  de  Lycosure,  la  plus  ancienne  de  toute  la  Grèce,  et 
y  éleva  un  autel  à  Ju|>iter  Lycaeiis  ,  auquel  il  ooniiuença  ï 
sacrifier  des  victimes  humaines.  11  faisait  mourir  ,  pour  les 
manger,  tous  les  étrangers  ipii  passaient  dans  ses  Etats. 
Jupiter  éiaiit  allé  loger  chez  lui,  Lycaon  se  prépara  a  ûier 
la  vie  à  son  hôte  pendant  qu'il  serait  endormi  ;  mais  aupa- 
ravant il  voulut  s'assurer  si  ce  n'était  pas  un  dieu  ,  et  lui 
fit  servir  à  souper  les  membres  d'un  de  ses  hôtes  ,  d'au- 
tres disent  d'un  esclave.  Un  feu  vengeur,  allumé  par  l'or- 
dre de  Ju|iiter,  consuma  bientôt  le  palais,  et  Lytaon  fut 
changé  en  loup.  C'est  le  plus  ancien  loup-garou. 

LYCAS  ,  démon  de  Thémèse,  chassé  par  le  champion 
Eutliyniius,  et  qui  fut  en  grande  renommée  chez  les  Grecs. 
Il  était irès-uoir,  avait  le  visage  et  tout  le  corps  hideux, 
et  lortait  une  p>;iu  de  loup  pour  vêlement  (2). 

LYCll.NOMANClK,  divinaiion  oui  se  faisait  par  1  mspec- 
lion  de  la  fiamnie  d'une  lampe;  il  en  reste  quelques  tra- 
ces. Lorsqu'une  étincelle  se  détache  de  la  mèche,  elle  an- 
nonce une  nouvelle  el  la  direction  de  cette  nouvelle.  Voy. 
LAMl>ADo,^^A^clE. 

LYN.X.  Les  anciens  disent  des  merveilles  du  lynx.  Non- 
seulement  ils  lui  attribuent  la  faculté  de  voir  à  travers  le» 
nuirs,  unis  encore  la  vertu  de  produire  des  pierres  pré- 
cieuses. Pline  raconte  sérieusement  que  les  lilets  de  son 
urine  se  Iransforment  en  ambre  ,  en  rubis  et  en  ■  scarbeu- 
cles.  Mais  il  aj'jiite  que ,  par  un  sentiment  de  jalousi»,  cet 
animal  avare  a  soin  de  nous  dérober  ces  richesses  en  cou- 
vrant de  terre  ses  précieuses  évacnalions.  Sans  cela  nous 
aurions  pour  rien  l'ambre,  lesrubisel  lesesc.irlKMicles(3). 

LYSIMACHIE  ,  plante  ainsi  nommée  parce  que,  posée 
sur  le  joug  auquel  les  bœufs  et  autres  animaux  étaient 
attelés,  elle  avait  la  vertu  de  les  empêcher  de  se  bultre 

LYSIMAQUE,  devin  dont  parle  Uémétriu»  de  Phalere 
dans  .sou  livre  de  Socrale.  Il  gagnait  sa  vie  à  interpréter 
des  songes  au  moyen  de  certaines  tables  astrologiques  11 
se  tenait  au|]rès  du  temple  de  liacchus  (i). 

{5)  M.  de  Saignes,  Des  lirreurs,  elc.  t.  Il,  p.  lO.'). 
(t)  Plularqup,  Vie  d' Aristide,  §  L.VVl. 


FIN  DU  PREMIER  VOLUME. 


Palis.  —  liiipiiiKCiie  .MIG-NK 


<0C5 


U,N 


LUN 


1066 


»ait  se  déployer  en  divisions  courbes  par  le 
moyen  de  rayons  droits  liés  au  dos  par  des 
tégumcnls  dorsaux.  Ce  qui  nous  étonna  le 
plus,  ce  fut  de  voir  que  celle  membrane 
conlinuait  depuis  les  épaules  jusqu'aux  jam- 
bes, liée  au  corps,  et  diminuant  graduelle- 
ment de  largeur.  Ces  ailes  semblaient  en- 
tièrement soumises  à  la  volonté  de  ces  élres, 
car  nous  les  vîmes  se  baigner,  el  les  étendre 
aussitôt  dans  toute  leur  dimension  ,  les  se- 
couer en  sortant  de  l'eau,  comme  font  les 
canards,  el  les  refermer  en  une  forme  com- 
pacte. Les  observations  que  nous  fîmes  sur 
les  habitudes  de  ces  créatures,  qui  étaient 
des  deux  sexes,  nous  conduisirent  à  des  ré- 
sultats si  remarquables,  que  je  préfère  les 
voir  livrer  au  public  dans  l'ouvrage  du  doc- 
teur Herscliel,  où  je  sais  qu'ils  sont  détaillés 
avec  une  consciencieuse  vérité,  quelle  que 
soit  l'incrédulité  avec  laquelle  on  les  lira. 

«  Au  bout  de  quelques  instants  les  trois 
familles  étendirent  leurs  ailes  presque  si- 
multanémi'iil  et  se  perdirent  dans  les  som- 
bres confins  du  canevas  ,  avant  que  nous 
pussions  revenir  de  notre  étonnemcn!.  Nous 
appelâmes  scientiGquement  ces  êtres  hom- 
incs-chauves-souris(ve.«perii7ïoAomo).Cesont 
sûrement  des  êtres  innocents  et  heureux. 

«  Nous  nommâmes  la  vallée  où  ils  vivent 
le  Cotisée  de  rubis,  à  cause  des  magnifîques 
montagnes  qui  l'entourent.  La  nuit  étant 
très-avancée,  nous  remîmes  à  une  autre 
occasion  la  suite  de  nos  études.  » 

Ce  canard ,  qui  venait  des  Etals-Unis  où 
il  s'en  fait  tant,  fut  pris  au  sérieux  par  plu- 
sieurs journaux. 

Les  Péruviens  regardaient  la  lune  comme 
la  soeur  et  la  femme  du  soleil,  et  comme  la 
mère  de  leurs  incas;  ils  l'appelaient  mère 
universelle  de  toutes  choses,  el  avaient  pour 
elle  la  plus  grande  vénération.  Cependant 
ils  ne  lui  avaient  point  élevé  de  temple ,  et 
ne  lui  offraient  point  de  sacriGces.  Ils  pré- 
tendaient aussi  que  les  marques  noires 
qu'on  aperçoit  dans  la  lune  avaient  été 
faites  par  un  renard  qui ,  ayant  monté  au 
ciel,  l'avait  embrassée  si  étroitement,  qu'il 
lui  avait  fait  ces  taches  à  force  de  la  serrer. 

Suivant  les  Taïtieus,  les  taches  que  nous 

(1)  Voyages  de  Cook. 

ii)  Des  Erreurs  et  des  préjugés,  etc.,  1. 1",  p.  2i0. 

(5J  Ceux  qui  oiiloliservé  les  pliénouiènes  que  présente 
le  climat  des  régions  interlropicales  n'ont  pas  prêté  une 
asseï  grande  alteiilion  à  l'influence  que  la  lune  y  exerce. 
-Si  l'uu  s'accorde  i  reconnaître  que  la  pression  ou  l'attra- 
ction lunaire  agit  rorteuient  sur  les  marées ,  ou  ne  doit 
pas  craindre d'alliimer  que  l'atmosphère  est  soumise  à  une 
action  seuil)lable.  Ce  (lu'il  y  a  de  certain,  c'est  qne,  dans 
les  basses  terres  des  i  égious  iniertropicales  ,  un  observa- 
teur aticnlitde  la  nature  e.>il  frappé  du  pouvoir  que  la  lune 
exerce  sur  li  s  saisons  aussi  bien  que  sur  le  règne  animal 
el  sur  le  végétal.  A  Déuiérara,  il  y  a  chaque  année  treize 
printemps  et  treize  automnes;  car  il  est  constaté  que  la 
héve  des  arbres  y  monte  aux  branches  et  redescend  aux 
racines  treize  fois  alternativement. 

Le  vallaba,  arbre  résineux  assez  commun  dans  les  bois 
de  Déniérara,  et  qui  ressemble  à  l'acajou,  fournit  un  exem- 
ple Uès-curicux  en  ce  genre.  Si  on  le  coupe  la  nuit, 
ipielqiies  jours  avant  la  nouvelle  lune,  sou  bois  est  excel- 
lent pour  les  charpentes  et  toute  espèce  de  construcjious, 
et  la  dureté  en  est  telle  qu'on  ne  le  peut  fendre  qu'avec 
beaucoup  de  peine,  et  encore  inégalement.  Abattez-le 
pendant  la  pleine  lune,  vous  le  partagez  en  une  infinilé  de 
|4anehes  aussi  m<nc<'S  et  aussi  droites  (pi'il  vous  jilall  avec 

DiCTI    .NNAIKK  DES  .SCIENCES  OCCIITE'^.  1. 


voyons  à  la  lune  sont  des  bosquets  d'une  es- 
pèce d'arbres  qui  croissaient  autrefois  à 
ïaïti;  un  accident  ayant  détruit  ces  arbres, 
les  graines  furent  portées  par  des  pigeous  à 
la  lune,  où  elles  ont  prospéré  (1). 

Les  mahométans  ont  une  grande  vénéra- 
tion pour  la  lune;  ils  la  saluent  dès  qu'elle 
paraît,  lui  présentent  leurs  bourses  ouver- 
tes, et  la  prient  d'y  faire  multiplier  les  espè- 
ces à  mesure  qu'elle  croîtra. 

La  lune  est  la  divinité  des  Nicaborins,  ha- 
bitants de  Java.  Lorsqu'il  arrive  une  éclipse 
de  lune,  les  Chinois  idolâtres,  voisins  de  la 
Sibérie,  poussent  des  cris  et  des  hurlements 
horribles,  sonnent  les  cloches,  frappent  con- 
tre du  bois  ou  des  chaudrons,  et  touchent  à 
coups  redoublés  sur  les  timbales  de  la  grande 
pagode.  Ils  croient  que  le  méchant  esprit  de 
l'air  Arachula  altaque  la  lune,  et  que  leurs 
clameurs  doivent  l'effrayer. 

H  y  a  des  gens  qui  prétendent  que  la  lune 
est  douée  d'un  appétit  extraordinaire;  que 
son  estomac,  comme  celui  de  l'autruche,  di- 
gère des  pierres.  En  voyant  un  bâtiment 
vermoulu,  ils  disent  que  la  lune  l'a  mutilé, 
et  qu'elle  peut  ronger  le  marbre. 

Combien  de  personnes  n'osent  couper 
leurs  cheveux  dans  le  décours  de  la  lune! 
dil  M.  Salgues  (2).  Mais  les  médecins  sont 
convenus  enfin  que  la  lune  influe  sur  le  corps 
humain,  comme  sur  bien  d'aulres  choses  (3). 

La  plupart  des  peuples  ont  cru  encore  que 
le  lever  de  la  lune  était  un  signal  mysté- 
rieux auquel  les  spectres  sortaient  de  leurs 
tombeaux.  Les  Orientaux  content  que  les 
lamies  et  les  gholes  déterrent  les  morts  dans 
les  cimetières,  et  font  leurs  festins  au  clair 
de  la  lune.  Dans  certains  cantons  de  l'o- 
rient de  l'Allemagne,  on  prétendait  que  le» 
vampires  ne  commençaient  leurs  infesta- 
lions  qu'au  lever  de  la  lune ,  et  qu'ils  étaient 
obligés  de  rentrer  en  terre  au  chant  du  coq. 

L'idée  la  plus  extraordinaire,  adoptée  dans 
quelques  villages,  c'est  que  la  lune  raniuiait 
les  vampires.  Lorsqu'un  de  ces  spectres, 
poursuivi  dans  ses  courses  nocturnes,  était 
frappé  d'une  balle  ou  d'un  coup  de  lance,  ou 
pensait  qu'il  pouvait  mourir  une  seconde  fois , 
mais  qu'exposé  aux  rayons  de  la  lune  il  re- 

la  plus  grande  facilité  :  mais  alors  il  ne  vaut  rien  pour  les 
constructions,  el  se  détériore  bientôt.  Faites  des  pieux 
avec  des  bambous  de  la  grosseur  d'un  bras;  si  vous  les 
avez  coupés  à  la  nouvelle  lune,  ils  dureront  dix  ou  douze 
années;  mais  si  c'est  pendant  qu'elle  était  dans  son  plein, 
ils  seront  pourris  en  moins  de  deux  ans. 

Les  effets  de  la  lune  sur  la  vie  animale  sont  prouvé* 
aussi  par  un  grand  nombre  d'exemples.  3'ai  vu  en  Afrique 
des  animaux  nouveau-nés  périr  en  quelques  heures  au- 
prèsde  leur  mère  pour  être  restés  exposés  aux  rayons  du 
la  pleine  lune.  S'ils  en  sont  frappés,  les  poissons  Iralche- 
ment  péchés  se  corrompeni,  el  la  viande  ue  se  peut  plus 
conserver,  même  au  moyeu  du  sel. 

Le  marinier  qui  dort  sans  précaulion  la  nuit  sur  le  til- 
lac,  la  face  tournée  vers  la  Inné  ,  est  atteint  de  nictalopie 
ou  cécité  nocturne,  et  quelquefois  sa  lête  enfle  d'uue  ma- 
nière prodigieuse.  Les  paroxisn.es  des  fous  redoublent 
d'une  manière  effrayante  à  la  nouvelle  et  à  la  pleine  lune  ; 
les  frissons  humides  delà  lièvre  inlermilteulesefoni  sentir 
an  lever  de  cet  astre,  dont  la  douce  lueur  semble  à  peine 
effleurer  la  terre.  Mais  qu'on  ne  s'y  méprenne  pas,  ses 
effets  sont  puissants,  et,  parmi  les  agents  qui  régnent  sur 
l'atmosphère  on  peut  affirmer  qu'elle  ne  tient  pas  le  der- 
nier rang.         {Uartiiù  liiilonj  of  tlte  Bnuisli  coluniei.) 

S* 


1067 


DICTIONNAinK  DES  Sf.lËNCF.S  OCCULTF.S. 


1068 


prenait  ses  forces  ei  pouvait  sucer  de  nou- 
veau les  vivants. 

LUNDI.  En  Russie,  !••  lundi  passe  pour  un 
jour  malheureux.  Parmi  le  peuple  et  les  per- 
sonnes supersiilietises,  la  répugnance  à  en- 
treprendre ce  jour-là  quelque  chose,  surtout 
un  voyage,  est  si  universelle,  que  le  pelit 
nombre  de  gens  qui  ne  la  partagent  pas  s'y 
soumet  par   égard  pour  l'opinion  générale. 

LUUE  (Guillaume),  docteur  en  théologie, 
qui  fui  condamné  comme  sorcier,  à  Poilicrs, 
en  Uo3,  convaincu  par  son  propre  aveu,  par 
témoins  et  pour  avoir  élé  trouvé  saisi  d'un 
pacte  fait  avec  le  diable,  par  lequel  il  renon- 
çait à  Dien  et  se  donnait  à  ictiui  diable  (1). 

LUItlUAN,  esprit  de  l'air  en  Norwégc  et  en 
Laponie.  Voy.  Harold. 

LUSIGNAN.  On  prétend  que  la  maison  de 
Lusignan  descend  en  ligne  directe  de  Mélu- 
sine.  Voy.  Mélusine. 

LUTHIÎR  (Martin),  le  plus  fameux  nova- 
teur religieux  du  xn'  siècle,  né  en  liSi  en 
Saxe,  mort  en  1516.  Il  dut  son  éducation  à  la 
charité  des  moines,  et  entra  chez  les  Augus- 
lins  d'Erfnrt.  Devenu  professeur  de  théolo- 
gie, il  s'irrita  de  ne  pas  être  le  Judas  des  in- 
dulgences, c'est-à-dire  de  n'en  pas  tenir  la 
bourse;  il  écrivit  contre  le  pape  et  prêcha 
ciintre  l'Eglise  romaine.  Devenu  épris  de 
Citherine  Bore,  religieuse,  il  l'enleva  de 
son  couvent  avec  huit  autres  sreurs ,  se 
liâla  de  l'épouver,  et  publia  un  écrit  où  il 
romparait  ce  rapt  à  celui  que  Jésus-Christ 
fit,  le  jour  de  la  passion,  lorsqu'il  arracha 
les  âmes  de  la  tyrannie  de  Satan... 

Nous  ne  pouvons  ici  faire  sa  vie,  mais  sa 
mort  nous  revient.  Ses  ennemis  ont  assuré 
-que  le  diable  l'avait  étranglé;  d'autres  qu'il 
«nuurut  subitement  en  allant  à  la  garde- 
robe,  comme  Arius,  après  avoir  trop  soupe; 
que,  son  tombeau  ayant  été  ouvert  le  lemle- 
maiti  de  son  enterrement,  on  n'y  avait  pu 
trouver  son  corps,  et  qu'il  en  était  sorti  une 
odeur  de  soufre  insupportable.  — George  La- 
pôlre  le  dit  fils  d'un  démon  et  d'une  sorcière. 

A  la  mort  de  Luther,  disent  les  relations 
répandues  chez  ses  contemporains  ,  les  dé- 
mons en  deuil,  habillés  en  corbeaux,  vinrent 
chercher  cet  ami  de  l'enfer.  Ils  assistèrent 
invisibiement  aux  funérailles;  et  Thyrseus 
{jjoute  qu'ils  l'emportèrent  ensuite  loin  de  ce 
inonde,  où  il  ne  devait  que  passer.  —  On  conte 
encore  que  le  jour  de  sa  mort  tous  les  dé- 
mons qui  se  trouvaient  en  une  certaine  ville 
de  Brabant  (à  Malines)  sortirent  des  corps 
qu'ils  possédaient  et  y  revinrent  le  lende- 
main; et  comme  on  leur  demandait  où  ils 
avaient  passé  la  journée  précédente,  ils  ré- 
l>oniirent  que,  par  l'ordre  de  leur  prince,  ils 
s'étaient  rendus  à  l'enterrement  de  Luther. 
Le  valetde  Luther,  qui  l'assistait  à  sa  mort, 
déclara,  ce  qui  est  très-singulier,  en  confor- 
mité de  ceci,  qu'ayant  mis  la  tête  à  la  fenê- 
tre pour  prendre  l'air  au  moment  du  trépas 
de  son  maître,  il  avait  vu  plusieurs  esprits 
borribles  qui  dansaient  autour  de  la  maison, 
et  ensuite  des  corbeaux  maigres  qui  accom- 

(t)  Di-Lincre,  Ijiconslance  des  démons  ,  i.  VI,  p.  493. 
\i)  Mflaiiclilliou.  do  i:x;imiu   Uicolog.  opcruiii.  l    l". 


pagnèrent  le  corps  en  croassant  jusqu'à  Wit- 
teniberg 

La  dispute  de  Luther  avec  le  diable  a  fait 
beaucoup  de  bruit.  Un  religieux  vint  un  jour 
frapper  rudement  à  sa  porte,  en  demandant 
à  lui  parler.  Le  renégat  ouvre;  le  prétendu 
moine  regarde  nn  moment  le  réformateur  , 
et  lui  dit  :  —  J'ai  découvert  dans  vos  opi- 
nions certaines  erreurs  papisliques  sur  les- 
quelles je  voudrais  conférer  avec  vous.  — 
Parlez,  répond  Luther. 

L'inconnu  proposa  d'abord  quelques  dis- 
cussions assez  simples,  que  Luther  résolut 
aisément.  Mais  chaque  question  nouvelle 
était  plus  diffieile  que  la  précédente,  et  le 
moine  supposé  exposa  bientôt  des  syllogis- 
mes très-embarrassants.  Luther,  offensé,  lui 
dit  brusquement: — Vos  questions  sont  trop 
embrouillées;  j'ai  pour  le  moment  autre 
chose  à  faire  que  de  vous  répondre. 

Cependant  il  se  levait  pour  argumenter 
encore,  lorsqu'il  remarqua  que  le  religieux 
avait  le  pied  fendu,  et  les  mains  armée-  de 
griffes.  —  N'es-tu  pas,  lui  dit-il,  celui  dont 
la  naissance  du  Christ  a  dû  briser  la  tête? 

El  le  diable,  qui  s'attendait  avec  son  ami 
à  un  combat  d'esprit  et  non  à  un  assaut  d'in- 
jures, reçut  dans  la  figure  l'encrier  d.-  Luther, 
qui  était  de  plomb  (2)  :  il  dut  en  rire  à  pleine 
gorge.  On  montre  encore  sur  la  muraille,  à 
Wittemberg,  les  éclaboussures  de  l'encre. 

On  trouve  ce  fait  rapporté,  avec  quelque 
différence  de  détails,  dans  le  livre  de  Luther 
lui-même  sur  la  messe  privée,  sous  le  titre 
de  Conférence  de  Luther  avec  le  diable  (3).  Il 
conteqnc,  s'étant éveillé  unjour,  versminuii, 
Satan  disputa  avec  lui,  l'éclaira  sur  les  er- 
reurs du  catholicisme,  et  l'engagea  à  se  sé- 
parer du  pape.  C'est  donner  à  sa  secte  une 
assez  triste  origine.  L'abbé  Cordemoy  pense, 
avec  beaucoup  d'apparence  de  raison ,  que 
certains  critiques  ont  tort  de  prétendre  que 
cette  pièce  n'est  pas  de  Luther.  H  est  constant 
qu'il  était  très-visionnaire,  ce  qui  doit  suffire 
aux  incrédules;  et  que  pour  les  rroyants  il 
étiiit  très  en  état  de  voir  le  diable.  Il  est 
même  possible  que  la  bravade  de  l'encrier 
soit  une  vanterie. 

LUTINS.  Les  lutins  sont  du  nombre  des 
démons  qui  ont  plus  de  malice  que  de  mé- 
chanceté. Ils  se  plaisentàtourmenterlesgens, 
et  se  contentent  de  faire  pi  us  de  peur  que  de  mal. 
Cardan  parle  d'un  de  ses  amis  qui ,  couchant 
dans  une  chambre  que  hantaient  les  lutins  , 
sentit  une  main  froide  et  molle  comme  du  co- 
ton passer  sur  son  cou  et  son  visage,  et  cher- 
cher à  lui  ouvrir  la  bouche.  Il  se  garda  bien 
de  bâiller;  mais,  s'éveillant  en  sursaut,  il  en- 
tendit de  grands  éclats  de  rire  sans  rien  voir 
autour  de  lui. 

Leioyer  raconte  que  de  son  temps  il  y 
avait  de  mauvais  g;irnemenls  qui  faisaient 
leurs  sabbats  dans  les  cimetières  pour  éta- 
blir leur  réputation  et  se  faire  craindre,  et 
que,  quand  ils  y  étaient  parvenus,  ils  al- 
laient dans  les  maisons  buffeler  le  bon  vin. 

Les  lutins  s'appelaient  ainsi  parce  qu'ils 

(3)  Collociuium  I.Hllienim  inler  et  dbboliim,  al)  ipso  l.u- 
Ihero  conscriplum  ,  i:i  cius  lilirode  .Mi»s:i  ini  ala,  tic. 


ïl'Gtl 


LUX 


LTC 


1070 


prônaient  quelquefois  plaisir  à  lutter  avec 
les  hommes.  Il  y  en  avait  un  à  Thermesie 
qui  se  battait  avec  tous  ceux  qui  arrivaient 
dans  celle  ville.  Au  reste,  disent  de  bons 
légendaires,  les  lutins  ne  mettent  ni  durelé 

ni  violence  dans  leurs  jeux 

LUTSCHIN.  Au  pied  du  Lutschin  ,  rocher 
giiçantesquc  de  la  Suisse,  coule  un  torrent 
où  se  noya  un  fralriciile  en  voulant  laver 
son  poignard  ensanglanté.  La  nuit,  à  l'heure 
où  le  meurtre  fut  commis,  on  entend  encore 
près  du  torrent  des  soupirs  et  comme  le  râle 
d'un  homme  qui  se  meurt.  On  dit  aussi  que 
l'âme  du  meurtrier  rôile  dans  les  environs, 
cherchant  un  repos  qu'elle  ne  pent  trouver. 
LUTTEURS,  démons  qui  aiment  la  lutte  et 
les  petits  jeux  de  mains.  C'est  de  leur  nom 
qu'on  a  nommé  les  lutins. 

LUXEMBOURG  (Fbançois  de  Montmoren- 
cy), fuaréehal  de  France,  né  en  1628,  mort  en 
1695.  On  l'accusa  de  s'être  donné  au  diable. 

Un  de  ses  gens,  nommé  Bonard,   voulant 
retrouver  des  papiers  qui  étaient  égarés,  s'a- 
dressa à  un  certain  Lesage  pour  les  recou- 
vrer. Ce  Lesage  était  un  homme  dérangé,  qui 
se  mêlait  de  sorcellerie  et  de  divinations.  11 
lui  ordonna  d'aller  visiter  les  églises,  de  ré- 
citer des  psaumes  ;  Bonard  se  soumit  à  tout 
ce  qu'on  exigeait  de  lui,  et  les  papiers  ne  se 
retrouvèrent  pas.  Une  fille,  nommée  la  Dupin, 
les  retenait.  Bonard,  sous  les  yeux  de  Lesage, 
fit  une  conjuration  au  nom  du  maréehal  de 
Luxembourg;  la  Dupin  ne  rendit  rien.  Déses- 
péré, Bonard  fit  signer  un  pacie  au  maréchal 
qui  se  donnait  au  diable.   A  la  suite  de  ces 
menées,  la  Dupin  fut  trouvée  assassinée.  On 
en  accusa  le  maréchal.  Le  pacte  fut  produit 
au  procès.  Lesage  déposa  que  le  maréchal 
s'était  adressé  au  diable  et  à  lui   pour  faire 
mourir  la  Dupin.  Les  assassins  de  cette  fille 
avouèrent  qu'ils  l'avaient  découpée  en  quar- 
tiers, et  jetée  dans  la  rivière  par  les  ordres  du 
maréchal.  La  cour  des  pairs  devait  le  juger; 
mais  Louvois,  qui  ne  l'aimait  pas,  le  fil  en- 
fermer dans  un  cachot.  On  mit  de  la  négli- 
ginee  à  instruire  son  procès  ;  enfin  on  lui 
confronta  Lesage  et  un  autre  sorcier,  nommé 
Davaux.  avec  lesquels  on  l'accusa  d'avoir  fiit 
des  sortilèges  pour  faire  mourir  plus  d'une 
personne.— Parmi  les  imputations  horribles 
qui  faisaientla  basedu procès,  Lesage  dit  que 
le  maréchal  avait  faitun  paete  avec  le  diable, 
pour  pouvoir  allier  un  de  ses  fils  avec  la  fa- 
mille de  Louvois.  Le   procès  dura  quatorze 
mois,  lln'yeul  de  jugement  ni  pour  ni  contre. 
La  Voisin,  la  Vigoureux  et  Lesage,  compro- 
mis dans  ces  crimes,  furent  brûlés  à  la  Grève. 
Le    maréchal  de   Luxembourg    fut  élargi  , 
passa  quelques  jours  à  la  campagne,  puis  re- 
vint à  la  cour,  et  reprit  ses  fonctions  de  ca- 
pitaine dis  gardes., 

LUXEMBOURG  (La  maréchale  de  ).  Ma- 
dame la  maréchale  de  Luxembourg  avait 
pour  valet  de  chambre  un  vieillard  qui  la 
servait  depuis  longtemps  ,  et  auquel  elle 
était  attachée.  Ce  vieillard  tomba  toutà  coup 
dangereusement  malade.  La  maréchale  était 
dans  finquiétude.  Elle  ne  cessait  d'envoyer 
demander  des  nouvelles  de  cet  homme ,  et 


souvent  allait  elle-même  en  savoir.  Se  por- 
tant très-bien,  elle  s'éveille  au  milieu  de  la 
nuit  at'ec  une  agitation  singulière  ;  elle  veut 
sonner  pour  demai>der  ce  que  fait  son  valet 
de  chambre;  elle  ouvre  les  rideaux  de  sou 
lit;  à  l'instant,  l'imagination  fortement  frap- 
pée, elle  croit  apercevoir  d  ins  son  apparte- 
ment un  fantôme  couvert  d'un  linceul  blanc; 
elle  croit  entendre  ces  paroles  :  —  Ne  vous 
inquiétez  [loint  de  moi,  je  ne  suis  plus  de  ce 
monde,  et  avant  la  Pentecôte  vous  viendrez 
me  rejoindre.  «  La  fièvre  s'empara  d'elle  ;  elle 
fut  bientôt  à  toute  extrémité. Cequi  contribua 
le  plus  à  augmenter  sa  terreur,  c'est  qu'à  l'in- 
stant même  où  elle  fut  frappéede  celtevision, 
l'homme  en  question  venait  effectivement 
d'expirer.  La  maréchale  a  cepenilanl  survécu 
à  la  préliclion  du  fantôme  imaginaire,  et 
cette  résurrection  fait  furieusement  de  tort 
aux  spectres  pour  l'avenir  (1).  » 

LVCANTHROPIE  ,  transformation  d'un 
homme  en  loup.  Le  lycanthrope  s'appelle 
communément  loup-g;irou. 

Les  loups-garous  ont  été  bien  longtemps 
la  terreur  des  campagnes,  parce  qu'on  savait 
que  les  sorciers  ne  pouvaient  se  faire  loups 
que  par  le  secours  du  diable.  Dans  les  idées 
des  démonographes,  un  loup-garou  est  un 
sorcier  que  le  diable  lui-même  transmue  en 
loup,  et  qu'il  oblige  à  errer  dans  les  campa- 
gnes en  poussant   d'affreux  hurlements. 

L'existencede  loups-garous  est  attestée  par 
Virgile,  Solin,  Slrat)on,  Pomponius  Mêla  , 
Dioiiysius  Afer,  N  arron ,  et  par  tous  les  ju- 
risconsultes et  démonomanes  des  derniers 
siècles.  A  peine  commençait-on  à  en  dciuler 
sous  Louis  XIV. 

L'empereur  Sigismond  fit  débattre  devant 
lui  la  question  des  loups-garous,  et  il  fut 
unanimement  résilu  que  la  lran^fllrm.l  lion  de» 
lonps-garons  élait  un  fait  positif  et  constant. 

Un  garnement  (lui  voulait  faire  des  fripon- 
neries mettait  aisément  les  gens  en  fuiie  eu 
se  faisant  passer  pour  un  loup-garou.  Il  n'a- 
vait pas  besoin  pour  cela  d'avoir  la  figure 
d'un  loup,  puisque  les  loups-garous  de  répu- 
tation élaienl  ariôtés  comme  tels,  quoi(iuo 
sous  leur  figure  hum:iine.  On  croyait  alors 
qu'ils  portaient  le  poil  de  loup-garou  entre 
cuir  et  chair. 

Peucer  conte  qu'en  Livonie,  sur  la  fin  du 
mois  de  décembre,  il  se  trouve  tous  les  ans  un 
bélître  qui  va  sommer  les  sorciers  de  se  ren- 
dre en  certain  lieu  ;  et  s'ils  y  manquent  le 
diable  les  y  mène  de  force,  à  coups  si  rude- 
ment appliqués,  que  les  marques  y  demeu- 
rent. Leur  chef  passe  devant  ,  et  quelques 
milliers  le  suivent,  traversant  une  rivière, 
laquelle  passée  ils  chang«  ni  leur  figure  en 
celle  d  un  loup,  se  jettent  sur  les  hommes  et 
sur  les  troupeaux,  et  font  mille  dommages. 
Douze  jours  après  ils  retournent  au  même 
lleuve  el  redeviennent  hommes. 

On  atirapa  un  jour  un  loup-garou  qui 
courait  dans  les  rues  de  Padoue  ;  on  lui  cou- 
pa ses  pattes  de  loup,  et  il  reprit  au  mémo 
instant  la   forme  d'hoiume ,   mais  avec  les 

(t)lli3loircilesrcvcfianlsouiirélei.Uostelï,lom.!.p.t7l- 


IC7I 


DlCTIONiSAinE  DES  SCIENCES  OCCCLTES. 


bras  et  les  pieds  coupés,  à  ce  que  dit  Fincel. 
L'an  1588,  en  un  village  distant  de  deux 
lieues  d'Âpchon,  dans  les  moiitagi  s  d'Au- 
vergne, un  gentilhomme,  étant  sur  le  soir  à 
sa  fenêtre,  aperçut  un  chasseur  de  sa  con- 
naissance, et  le  pria  de  lui  rapjfortcr  de  sa 
chasse.  Le  chasseur  promit,  et,  s'élant  avancé 
dans  la  plaine,  il  vit  un  gros  loup  qui  venait 
à  sa  rencontre.  Il  lui  lâcha  un  coup  d'arque- 
buse et  le  manqua.  Le  loup  se  jeta  sur  lui  et 
l'attaqua  vivement.  Mais  l'autre,  en  se  dé- 
fendant, lui  ayant  coupé  la  pâte  droite  avec 
son  couteau  de  chasse,  le  loup  estropié  s'en- 
fuit et  ne  revint  plus.  Comme  la  nuit  appro- 
chait, le  chasseur  gagna  la  maison  de  son 
ami,  qui  lui  demanda  s'il  avait  fait  bonne 
chasse.  Il  lira  de  sa  gibecière  la  patte  coupée 
au  prétendu  loup,  mais  il  fut  bien  étonné  do 
la  voir  convertie  en  main  du  femme,  et  à 
l'un  des  doigts  un  anneau  d'or  que  le  gen- 
tilhomme reconnut  être  celui  de  son  épouse. 
il  alla  aussitôt  la  trouver.  Elle  était  auprès 
du  feu,  cachant  son  bras  droit  sous  son 
tablier.  Comme  elle  refusait  de  l'en  tirer,  il 
lui  montra  la  main  que  le  chasseur  avait  rap- 
poriée;  cette  malheureuse",  éperdue,  avoua 
que  c'était  elle  en  effet  qu'on  avait  poursui- 
vie sous  la  figure  d'un  loup-garou;  ce  qui  se 
>érifia  encore  en  confronlaul  la  main  avec  le 
bras  dont  elle  faisait  partie.  Le  mari  courroucé 
livra  sa  femme  à  la  ju>lice;  elle  fut  brûlée. 

Que  penser  d'une  telle  histoire,  racontée 
par  Boguet  comme  étant  de  son  temps?  Etai  - 
ce  une  trame  d'un  mari  (jui  voulait,  comme 
disent  les 'Wallons,  être  quitte  de  sa  femme? 

Les  luups-garous  éiaienl  fort  communs  dans  le  Poiloii; 
on  les  y  appeljiil  la  bêle  biguurne  qui  court  la  gahpode. 
(Jn:jiiJ  les  bonnes  gens  enlenitenl  les  hurlements  du  loup- 
garou,  ce  qui  n'arrive  qu'au  milieu  de  la  nuit ,  ils  se  gar- 
dent de  niittre  la  lêle  à  la  fenêtre,  parce  qu'ils  auraient 
le  cou  tordu.  —  On  assure,  dans  cette  province,  qu'on 
peut  Torcer  le  loup-gaiou  à  ((uitter  sa  l'orme  d'emprunt  en 
tiiidonnant  un  coup  de  tourelle  entre  les  deux  jeux. 

Un  sait  (pie  la  qualité  distinctive  des  loups  garons  est 
im  grand  goût  pour  la  etiair  fraîche.  Delancre  assure  (pi'ils 
étranglent  les  chiens  et  les  enfanls;  qu'ils  lesmaiigeiade 
lion  appétit;  qu'ils  marchent  à  quatre  pattes;  qu'ils  hur- 
lent connue  de  vrais  loups,  avec  de  grandes  gueules,  des 
yeii\  étincelanis  et  des  dents  crochues. 

Ilodin  raconte  sans  rougir  qu'en  1512  on  vit  un  matin 
150  loufis-garous  sur  une  place  de  Conslanlinople.  —  On 
trouve  dans  le  roman  de  Pei's>/«5e(  SijrJsnioMrye  ,  dernier 
ouvrage  de  Cervantes,  des  Iles  de  loui>s  garons  et  des 
sorcières  qui  se  changent  en  louves  pour  enlever  leur 
I  roie,  comme  on  trouve  dans  Gulliver  une  Ile  de  sorciers. 
U^iis  au  moins  ces  livres  sont  des  romans.— Delancre  pro- 
pose (t)  comme  uu  bel  exemple  ce  trait  d'un  duc  de  Rus- 
sie. Averti  qu'un  sien  sujet  se  changeait  en  toutes  sortes' 
de  bêles,  il  l'envoya  chercher,  le  tit  enchaîner,  ei  lui 
coniniaiida  de  donner  une  preuve  de  son  art  ;  ce  qu'il  lit,  se 
Iransformanl  en  loup;  mais  ce  duc,  a.yant  préparé  deux 
dogues,  les  lit  lamer  contre  ce  misérable,  qui  aussitôt  fut 
Diis  eu  pièces  — On  amena  au  médecin  Pomponace  un 
paysan  atteint  de  lycantrophie,  qui  criait  a  ses  voisins  de 
s'eniuir  s'ils  ne  voulaient  pas  qu'il  les  mangeât.  Comme 
ce  pauvre  homme  n'avait  rien  de  la  lorine  d'un  loup,  les 
villageois,  persuadés  pourtant  qu'il  l'était,  avaient  com- 
mencé À  l'écorcher,  pour  voir  s'il  ne  portait  pas  le  poil 
sous  la  peau.  Pomponace  le  guérit;  ce  n'était  qu'un  hvpo- 
coiidre.— J.  deNynauld  a  publié  en  1615  un  traité  complet 
de  la  Lycautropie,  qu'il  aiipelle  aussi  Pulle  louviére  et  ((/- 

(1)  Inconslauce  des  mauvais  anges.  liv.IV,  p.  30t. 

(2)  Leioycr,  Hisl.  de»  spectres,  p.  198. 


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caonie,  mais  dont  il  admet  incontestablement  la  réalité. — 
Un  sieur  de  B  auvoys  de-C.liauviiicourt,  gentilhomme  an- 
gevin, a  fait  imprimer  en  1599  (Paris,  petit  in-12)  un  vo- 
lurrie  intitulé  :  Disconrsde lalycanlhropie,  oude  lalrimsmu- 
laliun  des  hommes  en  /orips.— ^Claude,  prieur  de  Laval,  avait 
publié  quelques  années  auparavant  un  autre  livre  sur  la 
môme  matière,  intitulé  :  Dialogues  de  la  hjcaulliropie. 
Ils  allirmenl  tous  qu'il  y  a  certainement  des  loups  garous. 

Ce  qui  est  plus  singulier,  c'est  qu'il  n'y  a  peiil-élre  pas 
de  village  qui  n'ait  encore  ses  loups-garous  ;  il  est  possi- 
ble que  celui  dont  on  va  parler  soit  encore  aux  galères.  Il 
se  faisait  appeler  Maréchal,  et  demeurait  en  1801  au  vil- 
lage de  Loiigueville  ,  à  deux  lieues  de  Méry-sur-Seine.  il 
était  bûcheron,  faisait  des  fossés,  et  s'occupait  de  divers 
métiers  qui  s'exercent  dans  la  solitude,  et  sont  par  consé- 
quent propres  à  la  sorcellerie.  Avec  l'aide  du  diable,  il  se 
changeait  toutes  les  nuits  en  loup  ou  en  ours,  et  faisait  de 
grandes  peurs  aux  bonnes  gens.  Un  jeune  paysan  s'arma 
d'un  liisil  et  l'attendit  une  nuit.  Il  vit  un  monstre  à  quatre 
patles  qui  venait  lourdement  k  lui.  11  le  coucha  enjoué  et  le 
manqua.  Le  loup-garou,  qui  avait  aussi  un  fu<iil,  tira  il  son 
tour  sur  le  paysan  et  le  blessa  à  la  jambe.  Celui-ci,  stupé- 
fait do  se  trouver  en  face  d'un  loup  qui  lirait  des  coups  de 
f'isil,  se  mit  à  luir.  A  la  fin,  la  justice  informée  s'empara  de 
riioninie.  On  ne  trouva  dans  le  prétendu  sorcier  qu'un  vau- 
rien coupable  de  vols  et  de  brigandages  qu'il  e>;erçait  dans 
Ses  courses  nocturnes.  Ou  le  condamna  aux  galères  perpé- 
tuelles. 

Le  lecteur  fera  sans  doute  ici  une  réflexion  Imite  natu- 
relle :  coin  lient  se  peut-il  qu'un  loup-garou  é|;0uvanle 
une  contrée  pendant  trois  ou  quatre  ans,  sans  que  la 
justice  l'arrête?  C'est  encore  une  des  misères  de  nos 
fiaysans.  Comme  il  y  a  chez  eux  beaucoup  de  méthanUs, 
ils  se  craignent  entre  eux  ;  ils  ont  un  discernement  et  une 
expérience  qui  leur  apprennent  que  la  justice  n'est  pas 
toujours  juste  ;  et  ils  disent  :  Si  nous  dénonçons  uu  coupa- 
ble et  qu'il  ne  soit  pas  mis  hors  d'étal  de  nuire  .  c'est  uu 
ennemi  implacable  que  nous  allons  nous  faire.  Les  paysan» 
sont  vindicatifs.  Après  dix  ans  de  galères,  ils  reviennent  se 
venger  de  leurs  dénonciateurs.  Il  faudrait  peut-être  qu'un 
coupable  qui  sort  des  galères  n'eilt  pas  le  droit  de  repa- 
raître dans  la  contrée  qui  a  été  le  théâtre  de  ses  crimes. 

Voy.  CïNAKTHHOPlK  ,  BOCSAHTUBOPIE  ,    KaOLLET,    BiSCLA\  A- 

KET,  etc. 

LYCAON,  fils  de  Phoronée,  roi  d'Arcadie ,  à  laquelle  il 
donna  le  nom  de  Lycaonie.  11  bâtit  sur  les  montagnes  la 
ville  de  Lycosure,  la  jJus  ancienne  de  toute  la  Grèce,  el 
y  éleva  un  autel  à  Ju|>iter  Lycseiis  ,  auquel  il  commença  k 
sacriUer  des  victimes  liumaines.  11  faisait  mourir ,  pour  les 
manger,  tous  les  étrangers  qui  |iassaient  dans  ses  Etals. 
Jup  1er  éiaiit  allé  loger  chez  lui,  Lycaon  se  prépara  a  ôier 
la  vie  à  son  liôle  pendant  qu'il  serait  endormi  ;  mais  aupa- 
ravant il  voulut  s'a.ssiirer  si  ce  n'éiait  pas  un  dieu  ,  et  lui 
fil  servir  à  .souper  les  membres  d'uu  de  ses  hôtes  ,  d'au- 
tres disent  d'un  esclave.  Un  feu  vengeur,  allumé  par  l'or- 
dre de  Jupiter,  consuma  bientôt  le  palais,  el  Lycaon  fut 
changé  en  loup.  C'est  le  plus  ancien  loup-garou. 

LYCAS  ,  démon  de  Thénièse,  chassé  par  le  champion 
Euihymius,  et  qui  fut  en  grande  renommée  chezlesCrecs. 
Il  était Irès-noir,  avait  le  visa^^e  el  tout  le  coips  hideux, 
el  I  orlait  une  peau  ih-  loup   pour  vêtement  (2). 

LYCIlNOMAiNClE,  divinaiion  qui  se  faisait  par  l'inspec- 
tion de  la  flamme  d'une  lampe;  il  en  reste  quelques  tra- 
ces. Lorsqu'une  étincelle  se  détache  de  la  mèche,  elle  an- 
nonce une  nouvelle  et  la  direction  de  celle  nouvelle.  Voy. 
Lampadomancie. 

LYN.X.  Les  anciens  disent  des  merveilles  du  lynx. Non- 
seulement  ils  lui  altribueiit  la  faculté  de  voir  il  travers  le» 
murs,  ni;iis  encore  la  vertu  de  produire  des  pierres  pré- 
cieuses. Pline  raconte  sérieusement  que  les  lilots  de  son 
urine  se  transforment  en  ambre  ,  en  rubis  el  en  >  scarbou- 
cles.  Mais  il  aj'iiite  que ,  par  un  sentiment  de  jalousie,  cel 
animal  avare  a  soin  de  nous  dérober  ces  riches,ses  en  cou- 
vrant de  terre  ses  précieuses  évacuations.  Sans  cela  nous 
aurions  pour  rien  l'ambre,  les  rubis  et  les  escarboucles  (5). 

I.YSIMACHIE  ,  plante  ainsi  nommée  parce  que,  [xisûe 
sur  le  joug  auquel  les  bœufs  et  autres  animaux  étaient 
attelés,  elle  avait  la  vertu  de  les  empêcher  de  .se  battre 

LYSIMAQUE,  devin  dont  parle  Démélrius  de  Phalère 
dans  son  livre  de  Sorrale.  Il  gagnait  sa  vie  à  interpréter 
des  songes  au  moyen  de  certaines  tables  astrologiques  11 
se  teiiail  auprès  du  temple  de  Uacchus  (4). 

(.'51  M.  de  Saignes,  Di'S  Erreurs,  eic,  l.  II,  p.  103. 
(i)  Pluiarque,  Vie  d' Aristide,  §  L.\VI. 


FIN  DU  PREMIER  VOLUME. 


Taiis.  —  Iiiipiimeric  .MIC.NE