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Full text of "Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle"

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GIFT  OF 

SEELEY  W.  MUDD 

and 

GEORGE  I.  COCHRAN     MEYER  ELSASSER 

DR.  JOHN  R.  HAYNES    WILLIAM  L.  HONNOLD 

JAMES  R.  MARTIN         MRS.  JOSEPH  F.  SARTORI 

to  the 

UNIVERSITY  OF  CALIFORNIA 

SOUTHERN  BRANCH 


JOHN  FISKE 


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DICTIONNAIRE 

HISTORIQUE  ET  CRITIQUE 

DE  PIERRE  BAYLE. 

TOME  SEPTIÈME. 

G-HEM. 


DE  L'IMPRIMERIE  DE  FAIN,  PLACE  DE  L'ODÉON, 


DICTIONNAIRE 


HISTORIQUE  ET  CRITIQUE 


DE  PIERRE  BAYLE. 


NOUVELLE  ÉDITION  , 

AUGMENTEE    DE     NOTES     EXTRAITES     DE     CHAUFEPIE  ,    JOLY ,    LA    MONNOIE , 
L.-J.    LECLERC,    LEDUCHAT,    PROSPER    MARCHAND,  ETC.  ,   ETC. 


TOME  SEPTIEME. 


PARIS, 

DESOER,  LIBRAIRE,  RUE    CHRISTINE. 

1820. 

7  p  7  ^ 


DICTIONNAIRE 


HISTORIQUE  ET  CRITIQUE 


i/9 


DE  PIERRE  BAYLE. 


GA. 


(jrABRIEL  (  Gilles  de  ),  licen- 
cié de  l'université  de  Louvain  , 
prêtre  ,  religieux  du  tiers  ordre 
de  saint  François  ,  définiteur  gé- 
néral ,  et  commissaire  aposto- 
lique dans  les  Pays  -  Bas  ,  est 
un  Liégeois  qui  fit  imprimer  à 
Bruxelles,  en  1B75,  un  livre 
intitulé  ,  Specimina  Moralis 
Chrisiianœ  et  Moralis  Diaboli- 
cce.  Ce  titre  fît  peur  à  la  cour  de 
Rome ,  et  obligea  l'auteur  dj 
aller  pour  justifier  sa  doctrine, 
laquelle  ayant  été  trouvée  fort 
saine ,  il  crut  devoir  en  faire  de 
nouveau  part  au  public  en  ré- 
formant un  peu  son  titre  [à)  *'.  Il 
fit  donc  réimprimer  son  ouvra- 
ge ,  en  l'intitulant  Specimina 
Moralia.  Cette  seconde*2 édition 
est  de  Rome  1680.  Il  y  en  a  une 

(a]  Journal  des  Savans ,  du  l^  d'avril  1681, 
pag-  \3g,  édition  de  Hollande  l'oyez  aussi 
M.  Baillet,  au  T'T,  tome  des  Jugemens  des 
Savans  ,  pag .  5o6. 

**  Leclerc  dit  truc  la  congre'gation  de  Yln- 
dex  indiqua  les  corrections  à  1  auteur,  qui  tit 
plus  que  de  réformer  son  titre 

*2  Une  seconde  édition ,  faite  sur  la  pre- 
mière.  avait  paru  à  Lyon  en  1679,  dit  Le- 
clerc Celle  de  Rome  est  donc  la  troisième , 
et  la  traduction  française  serait  la  qua- 
.  trième.    • 

TOME    VII. 


troisième  qui  est  en  français , 
revue,  corrigée  et  augmentée. 
Elle  a  pour  titre  ,  les  Essais  de 
la  théologie  morale ,  et  contient 
3 1 H  pages  in- 12.  Cet  auteur  s'ap- 
proche infiniment  plus  de  la  mo- 
rale sévère  que  de  la  morale 
relâchée  Je  ne  crois  pas  qu'il 
soit  ami  des  jésuites  ,  ni  par  con- 
séquent ,  qu'il  en  soit  aimé  *. 

Leclerc  observe  que  Gabriel  ne  nomme 
ni  désigne  aucun  casuiste. 

GAFFAREL  (  Jacques  ) ,  l'un 
des  hommes  de  lettres  qui  a  fait 
autant  parler  de  lui  au  XVIIe. 
siècle  ,  était  Provençal  (a).  Il  sa- 
vait les  langues  orientales  et 
plusieurs  autres,  et  il  se  piquait 
presque  de  tout ,  et  principale- 
ment des  sciences  occultes  et 
cabalistiques.  Le  cardinal  de 
Richelieu  le  choisit  pour  son  bi- 
bliothécaire (b),  et  l'envoya  en 
Italie  pour  ramasser  les  meil- 
leurs livres  manuscrits  et  im- 
primés   qui  se  pouvaient  trou- 

(a)  Il  était  né  à  Mannes  en  Provence. 
Merc.  Galant ,  du  mois  de  janvier  1682  , 
pag.  159. 

(£)  Là  même  ,  pag.  160. 


GAFFAREL. 


ver  (c).  M.  de  la  Thuillerie  ,  am- 
bassadeur de  France  à  Venise  , 
le  voulut  avoir  auprès  de  lui , 
connue  son  homme  de  lettres 
(A).  Gaffarel  publia  un  livre  in- 
titulé, Curiosités  moitiés,  qui  fit 
un  grand  bruit ,  et  que  la  Sor- 
bonne  censura  (Bj.  Il  fut  obligé 
de  donner  ses  rétractations  ;  car, 


heures  de  récréation ,  par  quelque 
entretien  île  science.  11  ne  croyait 
pas  que  la  politique  fût  au  delà  de  sa 
sphère  :  il  s'imaginait  pouvoir  être 
utile  à  M. de  la  Thuillerie  dans  les  afl'ai- 
res  mêmes  de  l'ambassade  ;  c'est  pour- 
quoi il  pria  M.  Naudé,  son  bon  ami,  de 
lui  envoyer  une  liste  des  auteurs  qui 
ont  écrit  sur  la  politique  :  voilà  l'oc- 
casion qui  ht  éclore  la  Bibliographia 
polilica  de  Gabriel  Naudé, réimprimée 


avant    des   bénéfices    (C),    il    ne  tant  de  fois.  Citons  en  preuve  le  de- 

"J"      .  v    ".  but  de  cet  auteur.    Quœris  a  me  ,  mi 

pouvait  pas  se  commettre  impu-  Gaffarelle  eruditissime  ,  aique  eliam 

nément  sur  le  chapitre  de  l'or—  frequentibus  litteris  vehemenlihs  ur- 

thodoxie*.  Avant  ce  temps-là,  i!  ges  ■>  utproeâ,  quam  in  me  non  se- 

■>>.-.  '    •     u         ,.„.,„  J~  mel  deprehendisti ,  diversorum  Ubro- 

s  était  vu  expose  a  beaucoup  de  *     .  .        ' 

.  1  a  rum  ac  scriptorum  cognilione ,  eorum 

mauvais  soupçons  (D)  ,  et  il  y  a  nomenclaturam   aut    potiiis   cecono- 

beaucoup  d'apparence  qu'il  avait  miamad  te  transmittam,  quos  insti 


des  opinions  fort  particulières. 
On  prétend  que  le  cardinal  de  Ri- 
chelieu voulut  l'employer  à  sa 
grande  affaire  de  la  réunion  des 
religions  ,  et  qu'afin  de  sonder 
le  gué ,  il  l'autorisa  de  prêcher 
contre  la  doctrine  du  Purgatoire 
(E).  Gaffarel  mourut  à  Sigonce  , 
l'an  1681  ,  âgé  de  quatre-vingts 
ans  (d).  Il  avait  presque  achevé 
l'ouvr 


tuendis  traclandisque  cum  reclâ  ra- 
tione  etmethodo  politicœ  studiîs ,  non 
inutiles  fore  censeo.  Quandoquidem 
ipsa  tibi  in  prœsentiarum  maximo- 
perè  esse  necessaria,  vel  te  ipso  ta- 
cente  cœteri  omnes  facile  intelligunt , 
quos  minime  fugit,  le  unum  pr.e  mul- 
tis ,  non  ut  liberalibus  modo  discipli- 
nis  excullum ,  imbutumque  sanctio- 
ns linguœ  facultate  prœclarissimd  , 
sed  tanquam  ad  reliquas  omnes  dis- 
ciplinas factum  a  naturd  ,  et  diligenti 
arte  expolitum ,  ab  illuslrissimo 


rage  auquel  il  travaillait  de-    pientissimoque  viro  domino  Thcill 
un    bon   nombre   d'années    Rio ,   christ ianissimi    nostri  régis  t 


(F)  :  je  ne  sais  si  ses  amis  le  don- 
neront au  public.  Je  ne  donne- 
rai point  une  liste  exacte  de  ses 
ouvrages  (G). 

(c)  Le  père  Jacob,  Traité  des  Bibliolh.  , 
pag .  479'  Voyez  aussi  pag.  70^  ,  oit  il  cite 
ce  que  Gaffarel  a  dit  dans  la  préface  de 
/'Histoire  de  la  guerre  de  Constautiuople  de 
Paul  Iiamnusio. 

*  Leclerc  et  Joly  trouvent  la  re'flexion 
maligne  ,  et  hasaidée  sans  preuve. 

{d)  Mercure  Galant ,  janvier  1682  ,  pag. 
160. 

(A)  M.    de  la  Thuillerie le 

voulut  avoir  auprès  du  lui,  connue  son 
homme  de  lettres  ]  Gallàrel  ne  pré- 
tendait  pas  être  chez  M.  l'ambassa- 
deur (1)  sur  le  pied  d'un  homme  qui 
De  fui.  propre   qu'à  le   délasser  aux 

(1)  Il  parait,  parla  Vie  .IeM.  ùe  Peiresc,  i/ue 
Gaffarel  était  à  Venue  l'an  itiJi. 


ad 

Sercnissimam  liempiibltcam  V^enetam 
oratore  excellenlissimo  ,  seleclum 
fuisse  ;  quoeum  de  rébus  gravis- 
simis  communicare ,  et  subeisivis  ho- 
ris  sermones  litterarios  miscere  pos- 
set  (2). 

(B)  Il  publia   un  livre que  la 

Sorbonne  ce/isura.]  En  voici  le  titre 
tout  entier  :  Curiosités  inouïes  su)1  la 
Sctiljitttre  lalismanique  des  Persans  , 
Horoscope <Ies  Patriarches ,  et  Lectu- 
re des  Etoiles.  L'auteur  «  prétendait 
»  montrer  que  les  talismans  ou  figu- 
»  res  constellées,  avaient  du  pouvoir 
»  pour  rendre  mi  homme  riche  et 
»  fortune ,  pour  rendre  une  maison 
))  et  tout  un  pays  exempts  de  cer- 
»  tains  insectes  et  de  bêtes  venimeu- 
»  ses  ,  et  de  toutes  les  injures  de 
»  l'air  (3). «  Sorel,  déguisé  sousle  nom 

(2)  NaunVus,  in  Bibliographie  polilica,   init. 

(3)  Voyci  la  Bibliothèque  française  de  Sorel, 
pag.  4» 5. 


GAFFAREL. 


de  sieur  tic  Flsle,  réfuta  l'ouvrage  de 
Gaffarel  :  on  fit  assez  de  cas  de  cette 
réfutation.  Vous  y  trouverez  (4)  la  Pa- 
linodie de  Gaffarel.  La  1 rc.  édition  des 
Curiosités  inouïes  est  de  Paris  ,  1(129. 
On  en  fit  une  autre  à  Rouen  ,  l'an  i63i, 
deux  autres  sans  nom  d'imprimeur 
ni  de  lieu  de  l'impression,  Fan  i63^ 
et  Tan  iG5o,  m-8".  Celle-ci  est  aug- 
mentée. L'ouvrage  a  été  imprimé 
en  latin  à  Hambourg,  Fan  167G,  avec 
les  notes  de  Grégoire  Michaè'l. 

(C)  -/>  uni  </(">  bénéfices.]  Je  met- 
trai dans  cette  remarque  tous  les  ti- 
tres que  j'ai  observé  qu'on  lui  donne. 
Il  était  docteur  en  théologie  et  en 
droit  canon  ,  protonotaire  du  saint 
siège  apostolique,  et  prieur  commen- 
dataire  de  Saint-Gilles  (5).  Il  est  mort 
doyen  en  droit,  canon  de  l'université 
de  Paris,  prieur  du  Revest  de  Brous- 
se, au  diocèse  de  Sisteron  ,  et  com- 
mandeur de  Saint-Omeil  (6).  Konig 
Tappelle  Sigonciœ  apud  Qallos  Ab- 
bas. 

(D)  Avant  ce  temps-la  il  s'était  vu 
exposé  a  beaucoup  de  mauvais  soup- 
çons.] Cela  paraît  par  la  préface  des 
Curiosités  inouïes.  Une  personne  de- 
qualité,  dit-il,  a  qui  refuser  ce  qu'il 
veut  c'est  un  crime  ,  les  a  tirées  de 
mon  cabinet  d'où  elles  ne  fussent  ja- 
mais sorties  ,  puisque  j'avais  fait 
dessein  ,  après  tant  de  calomnies  souf- 
fertes ,  de  n'exposer  plus  rten^en  pu- 
blic ,  ayant  mille  fois  soupiré  ces  pa- 
roles autrefois  communes  h  un  prince 
romain ,  utinam  nescîssem  litteras  ! 
Combien  y  a-t-il  d'auteurs  qui  feraient 
ce  même  souhait,  s'ils  n'avaient  la 
force  de  mépriser  les  injustices  de 
certaines  gens? 

(E)  On  prétend  que  le  cardinal  de 

Richelieu l'autorisa  de  prêcher 

contre  la  doctrine  du  purgatoire  \ 
«  Lorsqif  en  une  des  villes  du  Lan  eu  e- 
»  doc,  des  ministres  du  lieu  se  don- 
>'  nèrent  l'honneur  de  lui  (7)  faire  la 
»  révérence,  et  qu'étant,  tombés  sur 
»  les  propos  de  la  réunion  es  choses 
»  de  la  religion,  qu'il  témoignait 
»  souhaiter  puisqu'elle  s'était  heu- 
»  reusement   rétablie    es    choses   de 

(4)  A  tapage  3o5 ,  teste  Colomesio ,  Gall. 
Orient   ,  pag.  iî^. 

(5)  Vojes,  le  père  Jacob,  Traité  des  Biblioth., 
?"£•  704  .  ïo5. 

(6    Merc.  Calant,  janv.  lOS  ■  ,  pag.  i5g. 
(7)  C'est-à-dire,  au  cardinal  de  Richelieu. 


l'état,  ils  lui  repartirent  qu'ils  y 
voyaient  peu  d'apparence  tant,  que 
le  pape  voudrait  retenir  son  auto- 
rité si  tendue  et  toute  infaillible,  il 
répondit  doucement  qu'on  trou- 
verait bien  le  moyen  de  mettre  le 
pape  à  la  raison.  Et  comme  les  ga- 
zettes publièrent  alors  ce  que  le 
sieur  Gaffarel  ,  d'érudition  et  de 
réputation  connues,  autorisé  de  son 
éminence,  avait  publiquement  prê- 
ché en  Dauphine  contre  le  purga- 
toire ,  aussi  sçumes-nous  en  son 
temps  les  secrètes  négociations  qui 
se  formèrent  de  son  ordre  par  le 
père  Audebert,  célèbre  jésuite,  avec 
quelques-uns  de  nos  ministres  les 
plus  renommés,  pour  convenir  des 
propositions  qui  se  pourraient  ajus- 
ter entre  les  deux  partis,  sur  leurs 
principaux  différens.  »  C'est  ce 
que  je  tire  d'une  préface  de  Samuel 
des  Marets  (8\  Je  sais  que  Gaffarel 
publia  un  livre  sur  la  pacification 
des  religions. 

(F)  Il  avait  presque  achevé  l'ou- 
vrage auquel  il  travaillait  depuis  un 
bon  nombre  d' années.]  «  Il  travail- 
»  lait  depuis  plusieurs  années  à  Fhis- 
»  toire  du  monde  souterrain  ,  où  il 
»  parlait  des  antres,  grottes,  mines, 
»  voûtes  ,  et  catacombes  qu'il  avait 
;>  observés  pendant  trente  ans  de 
)>  voyages  dans  toutes  les  parties  du 
»  monde.  Il  avait  presque  fini  cet 
»  ouvrage  ;  les  planches  en  étaient 
»  déjà  toutes  gravées ,  et  on  Fallait 
»  mettre  sous  la  presse,  quand  la  mort 
»  Fa    empêché   d'exécuter    son    des- 

»  sein On  nous  fait  espérer  que 

»  ces  deux  savans  amis  (g)  qui  res- 
»  tent  à  M.  Gaffarel  ,  et  qui  ont  été 
»  dépositaires  de  ses  volontés  ,  ne 
»  priveront  pas  le  public  d'un  ou- 
»  vrage  si  rare  et  si  curieux  (10).» 

(G)  Je  ne  donnerai  pas  une  liste 
exacte  de  ses  ouvrages.]  Voici  seu- 
lement le  titre  de  quelques-uns  :  Ab- 
dita  divinœ  cabalœ  /Uysteria  contra 
sophistarum  logomachiam  defensa  , 
à   Paris,  1623,  in-^°.   ;  Ars  nova  et 

(8)  Mise  au-devant  delà  Réponse  sommaire  à 
la  Méthode  du  cardinal  de  Richelieu.  Cette  Ré- 
ponse fui  imprime'?  a  Groningue,  l'an  irjf>4. 
Un  nouveau  converti ,  cousin  du  père  Maim- 
bourt; .  en  était  l'auteur.  Il  y  prend  le  nom  du 
sieur  P.  de  la  Ruelle. 

(9)  C'est  à  due,  l'abbé  Pécoil  ,  grand  voya- 
geur ,  et  M.  Chorirr  ,  avocat  à  Grenoble. 

(10)  Merc.  Galant,  janv.  1683  ,pag.  161,  iG3- 


4  GAIGNEU 

perqubm  facilis  legendi  liabbinos  sine 
punctis  ;  de  Musicâ  Hebrœorum  stu- 
pendd  libellus  ;  In  voces  derelictas 
V.  T.  centurice  duce  ;  de  Stel/is  ca- 
dentibus  opinio  nova;  Quœstio  he- 
braïco-philosophica,  ulrum  a  principio 
mare  salsum  extiterit.  M.  Colomies 
(ni  nous  renvoie  aux  Apes  Vrbanœ 
d'Allatius,  d'où  il  a  tiré  ces  titres,  et 
où  il  en  a  laissé  plusieurs  autres.  La 
veuve  de  Sarepta, et  un  traité  des 
bons  et  des  mauvais  génies  ,  sont 
deux  productions  de  Gaflarel(i2). 

(n)  Colomesii  Gall.  Orient,  pag.  260,  261. 
(12)  Mère.  Galant,  janv.  1682  ,  pag.  161. 

GATGNEUR  (Guillaume  le) 
était  d'Angers  (a)  ,  et  vivait*  au 
commencement  du  XVIIe.  siè- 
cle. On  a  vu  son  nom  (b)  parmi 
ceux  qui  ont  excellé  dans  l'art 
d'écrire.  J'ai  lu  ,  dans  une  des- 
cription de  la  France  ,  qu'il 
était  le  premier  de  tous  les  écri- 
vains du  royaume ,  et  qu'il  a 
frayé  le  chemin  à  une  infinité 
d'hommes  qui  faisaient  alors  pro- 
fession de  l'art  d'écriture  (c). 
Il  y  a  des  vers  à  sa  louange  dans 
les  poésies  de  Pierre  le  Loyer, 
qui  le  qualifie  secrétaire  de  mon- 
sieur ,  frère  du  roi{d). 

(a)  François  des  Rues,  Descript.  de  la 
France,  pag'.  283,  e'c/i<.  de  Constance,  1608. 

*  Leclerc  dit  qu  il  fallait  mettre  :  vivait 
encore. 

(//)  Dans  la  remarque  de  l'article  Rocco, 
tome  XII. 

(c)  François  des  Rues,  Descript.  de  la 
France,  pag-   283. 

(d)  Voyez  les  OEuvres  et  Mélanges  poéti- 
ques de  P.  le  Loyer,  folio  2^8  verso,  édit. 
de  Paris,  1579. 

GALES  (  Pierre  )  ,  en  latin 
Galesius  ,  savant  Espagnol  (A), 
«  qui  ayant  été  mis  à  la  gêne  * 
»  dans  Rome  ,  pour  avoir  été 
»   soupçonné  de   la   religion ,  y 

Joly  critique  tout  ce  passage  comme  étant 
de  l'.ivle.  Ce  n  est  pas  tout.  Presque  loules 
les  remarques  qu'il  donne  sont  de  Leclerc  , 
q»  il  nu  cite  pas. 


R.  GALES. 

»  perdit  un  œil.  Depuis  étant 
»  venu  à  Genève  ,  il  y  enseigna 
»  la  philosophie  ,  et  fut  quelque 
»  temps  après  recteur  du  col- 
»  lége  de  Guyenne  à  Bordeaux; 
»  d'où  étant  sorti  à  cause  de 
»  l'envie  qu'on  lui  portait,  il 
»  laissa  la  France  poqr  aller  en 
»  Flandre  ,  où  ayant  été  dé- 
»  couvert  de  la  religion  ,  et  mis 
»  entre  les  mains  des  Espagnols 
»  ses  compatriotes  ,  le  plus  doux 
»  traitement  qu'il  en  reçut  fut 
»  d'être  brûlé  par  un  décret  de 
»  l'inquisition.  Ce  Gales  avait  de 
»  bons  livres  ,  et  même  quelques 
»  manuscrits  (a)  (B).  »  Ce  fu- 
rent les  ligueurs  qui  le  prirent, 
et  qui  le  livrèrent  aux  Espa- 
gnols.  Voyez   Meursius  (b). 

(a)  Copié  de  Colomies,  Mélanges  histori- 
ques ,  pag.  y3,  ^4-  "7"'  sans  doute  avait 
copié  Meursius,  Athen.  Bat.,  pag.  333. 

{ô}  Meursius,  Athcuae  Balav.,  pag.  333. 

(A)  Savant  Espagnol ]  Florimond 
de  Rémond  (1)  le  fait  italien,  et  se 
trompe. 

(B)  Il  avait quelques  manu- 
scrits.] «  Casaubon,  qui  l'avait  connu 
»  à  Genève, parle  dans  ses  ouvrages(2) 
»  de  quelques-uns  qu'il  lui  avait  com- 
■»  mimiques ,  et  loue  même  ses  con- 
»  jectures.  Cujas,  dans  ses  observa- 
»  tious  (3),  l'appelle  doctissimum  et 
»  acutissimum  virum  ,  à  l'occasion 
d  d'un  privilège  de  l'empereur  Jus- 
»  tinien  ,  qu'il  lui  avait  fourni  •  et  le 
»  père  Labbe  dans  sa  Bibliothèque  de 
»  manuscrits  cite  (4)  Orientii M onita 
»  in  bibliothecâ  Galesiand  reper- 
»  ta{5).  » 

(1)  Traite'  de  l'Antéchrist ,  chap.  XV11I , 
apud  Colomies,  Mélanges  historiques,  pag.  73. 

(2)  Sur  Tliéoorite,  de  l'édition  de  Genève; 
sur  Diftgène  Laërce,  pag.  5o, ,  p3 ,  i»5,  118  et 
119,  de  l'édu  de  i5p,4  ;  sur  Suétone,  pag.  <)  ; 
et  dans  sa  préface  sur  Athénée,  apud  Colo- 
mies ,  ibid.  Pans  la  préface  sur  Athénée,  il  faut 
lire,  F.jus  eliam  COcUccnî  vidimus  nos,  inter  alios 
neutiquam  vulgares  Pétri  Galesii  Hispani  libro-, 
et  non  pas  Gelasii. 

(3)  Liv.  X  ,  chap.  XI ,  apud  Colomies,  Mé- 
langes historiquei,  paç.  -':•. 

(4)  Pa^.  63,  apud  eumdtin,  ibidem, 

(5)  Colomies ,  ibidem. 


GALLARS.  5 

GALLARS  (  NICOLAS  des)  ,  en  et  mie  apologie  de  Calvin  contre  Co- 

,      .         „    ,,                        •    •  .           i  chiens.    L  abrège  de  la   bibliothèque 

latin    Gallasius      ministre    de  de  Gesner  qai%prend  cela  ne  mV 

Genève,  fut  un  de  ceux  qui  as-  tnil.  |m;llt  en  quelle  année  ces  ouvra- 

sistèrent  au  colloque  de  Poissi.  ges  furent  imprimés  :   ee  défaut  est 

On   le  prêta  à  l'église  de  Paris  ,  trop  fréquent  dans  cet  abrégé  de  Ges- 


lorsqu'elle  envoya  prier  celle  de 
Genève  de  lui  donner  un  minis- 
tre ,  l'an  1 557.  Le  député  (a)  qui 
l'amenait  fut  arrêté  à  Auxonne 
avec  lui ,  et  ayant  eu  des  livres 
suspects  dans  sa  valise,  il  fut 
amené  à  Dijon  ,  où  il  fut  mar- 
tyrisé. On  permit  à  des  Gallars 
de  continuer  son  chemin  :  on  ne 
trouva  sur  lui  ni  livres  ni  lettres 


ner  ,  et  dans  la  plupart  îles  compila- 
lions  de  celte  nature.  Notez  que  le 
commentaire  sur  Esaïe  fut  revu  de- 
puis par  Calvin,  et  qu'ainsi  l'édition 
de  Nicolas  des  Gallars  n'est  point  la 
bonne.  Je  le  prou\  e  par  Théodore  de 
Bèze,  qui  ayant  dit  que  Calvin  ,  quoi- 
que malade  l'an  i5">8,  n'avait  pas 
laisse  de  travailler ,  continue  ainsi: 
/■'.jus  rei  testes  sunt  ultima  christiance 
instititlionis  eilitio  thni  latina  tùm 
eallica,  et  comment arii  in  Esaïamab 
eo   non  tam   emendati    .  quaies  illos 


qui  le  rendissent  suspects  'b).   Il  Galasius  ex  ore prœlegentis  exceptos 

est  auteur  de  quelques  ouvrages  edi'lerat)  quant  novi  prorsùs  emissi 

,,          »  ,,.3          -,          v  (1).  Quelques-uns  croient  .{:>.)  que  des 

(A),    et   dune   édition    de    saint  Gallars  composa  avec   Théodore    de 

Irénée  (B).  11    était   ministre  de  Bèze  l'histoire  ecclésiastique  des  égïi- 
l'église  d'Orléans,  l'an  1 564  (c). 
On   verra  ci-dessous  la  date  de 
quelques-uns  de  ses  écrits  (C). 
Calvin  le  considérait  beaucoup  , 


ses  réformées ,    et  je   crois    qu'ils   se 
trompent  (*). 

(B) et  d'une  édition  de  saint 

Irénée.}  L'abrège  de  Gesner  est  ici  très- 
bon.  On  y  voit  non-seulement  où  et 


et  en   était   si    considéré,   qu'il  en  quelle  année (3)  le  ministre  des 

j  -i  1    -  •  ,      /j,  Gallars   publia   cette   e'dition  ,    mais 

trouvait  en  lui    un   copiste  (a).  yja,uy  v"'J\l«  '♦<,  jû£. 

T      ,,      .       ,       ,,  .  ^ ,       ,,  aussi  en  quoi  elle  est   dinerente   des 

La  (  roix  du   Maine  parle   d  un  autres_ 

(C)   On  verra  ci-dessous  la  date  de 


autre  N.   des  Gallars  (D 

serv 

dres 


re  1>.  DLS  LrALLAUS  ^U;,qui  (C)  On  verra  ci-dessous  la  date  de 
ait  l'église  française  de  Lou-  quelques-uns  deses  écrits.]  L'an  i545, 
-     l'or,    ,Kf\r  il  traduisit  en  latin  un  petit   traité 

que  Calvin  avait  publie  en  i5^o  ,  sur 


(«)  Il  s'appelait  Nicolas  de  Rousseau. 
Bèze,  Histoire  ecclésiastique,  liv.  II,  pag. 

i37. 

(!>  Bèze,  là  même.  V  oyez  aussi  /'Histoire 
des  Martyrs,  Iw.  VII,  folio  ^12  verso. 

(c  Bèze,  préf.  du  Comment,  de  Calvin  sur 
Josue'  ,  pag.  m.  10. 

(d)  Voyez  la  remarque  {D) ,  citation  (i  l) . 


la  cène  du  Seigneur.  Des  Gallars  était 
alors  ministre  de  l'e'glise  de  Genève 
(4)-  Quelque  temps  après  il  fit  une 
traduction  latine  de  ce  que  Calvin 
avait  publié,  en  1  5-j4i  eontre  les  ana- 
baptistes  etles  libertins  (5b  II  fit,  en 
1 548,  la  version  latine  de  l'inventaire 
des  reliques  publié  par  Calvin  ,  en 
i546(6).  Il  publia,  en  i55i,  le  com- 
mentaire qu'il  avait  extrait  des  le- 
çons et  des  sermons  de  Calvin  sur  le 


(A)   77  est  auteur  de   quelques  ou- 
vrages.} 11  publia  à  Genève,  l'an  1 545, 

une  apologie  de  Farel  et  de  ses  col-    prophète  Esaïe  (7) 
lègues  ,  contre  Pierre  Charles.  Il  tra-  ^    -  v;(.  Ca|vini  <  -A  ann 

duisit  en  latin  plusieurs  traites  de 
Calvin.  Son  livre  de  la  divinité  de 
Jésus-Christ  ,  contre  les  nouveaux 
ariens  ,  fut  imprimé  à  Orléans  ,  l'an 
1 565.  Le  commentaire  de  Calvin  sur 
Esaïe  n'est  qu'un  extrait  que  des  Gal- 
lars fit  des  leçons  et  des  sermons  de 
Calvin  sur  ce  prophète.  11  a  fait  un 
commentaire  sur  le  livre  de  l'Exode  , 


(2)  Voyez  Placcius  ,  de  AnODjn 
pag.   102. 

(*)    On    lui    attribue    les    petites    pr 
snnt  à  la  fin  de  etiaque  psaume  île  HLi 


i558. 


bèze,  dans  plusieurs 
(3)  A  G 


pilles  éditions.  Hem.  crit. 


(4     tièze,   préface  du  Commentaire  de  Calvin 

r  Jo-ué  ,  pag.  m    10. 

(51  Là  même  ,  pag.  i5. 

(6)  Là  même. 

(r)  Là  même,  pag.  18. 


6  GALLIGAI. 

(D)  LaCroix  du  M  aine  parle  d'un   drement ,  et  la  mena  en  France 
autre  Nicolas  des  Gallars^  Le  Nico-    lorsqu'elle  y   vint   pour  épouser 


las  des  Gallars  dont  il  fait  mention 
à  la  page  344  ,  et  le  Nicolas  des  Gal- 
lars dont  il  parle  à  la  page  363  ,  sont 
le  même  ministre;  et  ainsi  d'un  seul 
auteur  il  en  fait  deux.  Il  a  écrit  en 
latin  (  c'est  ainsi  qu'il  parle  touchant 
le  dernier  )  et  depuis  traduit  en  fran- 
çais la  Forme  de  police  ecclésiastique 
inst  tuée  a  Londres  en  l'église  des 
Français,  imprimée  Van  i56i  ,  auquel 


Henri  IV.  "La  Gallïgai  ,  sous  le 
titre  de  femme  de  chambre  de 
cette  reine  ,  la  gouvernait  tout 
comme  bon  lui  semblait.  Elle 
était  furieusement  laide ,  mais 
elle  avait  infiniment  d'esprit. 
Elle  épousa  Concino  Concini  , 
domestique  de  la  même  reine , 


temps   d  faisait  sa   demeure  et   resi-  *  .    .            _                       j 

dence  en   la  vWe  de  Londres  (8  .  Si  et  ht  avec  lui  une  fortune  prodi- 

la  Croix  du  Maine,  me  dira-t-on,  ne  gieuse.    Il    y  avait  plus  de    liai- 

se  trompe  point  au   temps ,  il    est  sons  d'intérêt  entre  eux  que  d'a- 

probable  qu'il  y  a  ici  deux  ministres;  mitié  (A).  Ils  avaient  entretenu 

car  JNicolas  des  Gallars  était  a  Irène-  v    K                 T1         .  ,,r        , 

ve  l'an  i56oi'9),  et  en  France  ,  l'an  la  discorde  entre  Henri  IV  et  la 

i56i,lorsdu  colloque  de  Poissi.  Je  reine  (b)  ;  car  leurs  artifices  et 

réponds  que  cela  ne  prouve  rien.  Ce  Jeurs  rapports  furent  cause   du 

ministre  fut  envoyé  à  Londres  ,  l'an  mauyais   ménage  qui    rendit   la 

i56o,  pour  y  établir  une  église  Iran-  .       .          ,        ,  DTT        •  1     /^          1 

çaise.  Cela  est  certain,  et  n'empêche  Vie  Si  amere  a    Henn-le-branc  . 

pas  qu'un  an  après  des  Gallars  n'ait  Après  la  mort  de  ce   prince,  ils 

été  en   France  pour  le  colloque  de  eurent  encore  plus  de  facilité  de 

Poissi (10).  Eodem  tempore  quùm  non  er  jeur  maîtresse  ,  et  ils 

pauci  pu   Gain  post  mariœ  reginœ  o              ,                     .               .       , 

mortem  singulari  serenissimee  reginœ  se  gorgerent  de  biens  et  de  enar- 

Elisabethœ pielate  et  humanitalefreti  ges  (B)  ,  et  se  bouffirent  d'un  or- 

in  Ang'iam  refiigerent,  peterentque  „ue{\    in0uï    et  monstrueux  (C). 

reverendi    vin    Edmundi    Grtndalh  ^^  }     conclusion  de  tout  cela 

episcopi  Loniltnensis   assensu  ut  ue-  A                               .              T,   - 

■  mitteretur  gui  ecclesiam  galli-  fut  extrêmement  tragique.   J  ai 

issus  est  eb  dit  ailleurs   ce  qui  fut   fait   au 


neva    mitteretur  q 
cam  if/ic  constituerel , 


JYicolaus  Galasius  familiarissimus  a    niarj    et  ie  m'en  vais  dire  ce  qui 
mitltis  jam  annis  Calvini  collega  ,   et     ,       -'■    , '1 


a  la  femme.  Elle  fut  me- 
cujus  plurimum  opéra  m    èxcipiendis    '"u  "ul  "  ,     , 

dictatis  utebamr.  Sed  Caluino  mhil  née  à  la  Bastille,  et  puis  a  la 
antiquius  ecclesiarum  cedijicatione  Conciergerie  du  Palais.  Le  par— 
fuit  (m). 

(8)  //  avait  dit  que  ZV.  des  Gallars  e'taii  mi- 
nistre «le  l'église  des  Français  en  la  ville  rie 
Londres,  en  Angleterre 

(9;  JJe'pître  de'dwaloire  de  son  Commentaire 
sur  l'Éxode  est  datée  de  Genève  ,  celte  anne'e-tii. 

(10)  Bèîe,  Histor.  etcles.,  liv.  IV,  pag.  4yo, 
le  met  parmi  les  ministres  qui  se  trouvèrent  h  ce 
colloque» 

(\i)  Beza  ,  in  Vit»  Calvini ,  ad.  ann.  i56o. 


GALLIGAI  (  Leonora  ) ,  fem- 
me du  maréchal  d'Ancre  ,  était 
fille  d'un  menuisier,  et  de  la 
nourrice  de  Marie  de  Médicis 
(a).  Cette  princesse  l'aima  ten- 

(a)  T,e  Grain.  Décade  de  Louis-le-  Juste , 
liv.  H',  pag.  i5^-  Hilarion  de  Coste,  tom. 
//des  Dames  illustres,  pag-fy]1] ,  "ie  '/"''H'' 
ftiljïtte  (le  la  nourrice. 


lement  lui  fit  son  procès  ,  et  la 
condamna  à  avoir  la  tête  tran- 
chée ,  et  à  être  réduite  en  cen- 
dres. Cela  fut  exécuté  le  8  de 
juillet  1617.  Elle  prit  enfin  sa 
résolution  ,  et  mourut  assez 
constamment  et  chrétiennement 
(c).  Elle  fut  convaincue  ,  entre 
autres  choses ,  d'avoir  non-seu- 
lement judaïsé  (D) ,  mais   aussi 

(&)   Voyez  M.  de   Pe'réfixe,   Histoire   de 
Henri-le- Grand,  pai*.  m.  399,  ■'<  Vann.  1 
et  Mézerai,  Abrège  chronologique  ,  tom.  /  /, 
pag. m.  3oi  .  )  36*7. 

(<     Le  Grain,  Décade  de  Louis-le-Juste , 
liv,  X,  pag.  /jiQ. 


GALL1GAI.  7 

d'avoir   employé   l'art   magique    fait,  offrant  Je  le  vérifier  (5).  Quand 

(E) ,    pour   parvenir  à   ses   fins.     mL  Aubri  et  le  BaillL',,1  Ja  fur™fc 
V-.il       i,  x    •  ■  i       interroger  sur  ce  qui  ctail  de  ses  ba- 

Elle    fut  punie  pour   crime  de  et  autres  moyens ,  elle  leur  par- 

lèse-majesté  divine  et  humaine  ,    la  avec  autant   d'assurance  comme  si 

?lcon- 


de 

tenait  tout  ensemble  le  crime  de    charges.]  Voyez',  tome  V,  l'article  de 

lèse-majesté  divine  et  le  crime    Cohcihi  ,  et  considéra  seulement  que 

J„  iu„~    „,„;«o«^i  .       „•    ~  /■v\    r»„    Ton  trouva  clans  les   poches  ilu  ma- 
de  lese-maieste  humaine  (r).  Un      ,  .    ,  ,  .  ■   J         ■    v, 

„  >  A  ici  -liai  (7)   en  rescriptions   de  1  epar- 

lui    ternia    bientôt    la    bouche  ,    «ne,  en  promesses  de  receveurs^  ou 

lorsque    pour    prolonger    sa    vie    en  obligations,  la  somme  dedix-neuf 

elle  allégua  qu'elle  était  grosse    cent  quatre-vingt-cinq  mille  livres. 

(P^  On  trouva  dans  son  petit  logis  ,  pour 

2,5oo,ooo  livres  de    bonnes   rescrip- 


(G). 


(A)  II  y  avait  entre  eux  plus  de 
liaisons  d'intérêt  que  d'amitié.  ]  La 
maréchale  d'Ancre  apprit  sans  pleu- 
rer qu'on  venait  de  massacrer  son 
mari  ,  et  donna  ses  premiers  soins  à 
sauver  ses  pierreries.  Elle  les  mit 
dans  la  paillasse  de  son  lit ,  et  s' étant 
fait  déshabiller  s'y  coucha  dedans 
(1).  Les  archers  qui  allèrent  dans  sa 
chambre ,  ne  trouvant  point  les  pier- 
reries ,  la  firent  (2)  lever  pour  fouil- 
ler dans  son  lit ,  oii  elles  jurent  trou- 
vées (3).  Elle  disait  après,  à  ceux  qui 
la  gardaient  :  Eh  bien,  on  a  tue'  mon 
mari  :  n'est-ce  pas  assez  pour  se  con- 
tenter? qu'on  me  permette  de  me 
retirer  hors  du  royaume  (4).  Quand 
ils  lui  dirent  qu'on  avait  pendu  le 
cadavre  du  maréchal,  elle  parut  fort 


tions(8).  Sa  femme  dit  aux  commis- 
saires qu'elle  avait  encore  ses  perles  : 
savoir  un  tour  de  cou  de  fo  perles  de 
deux  mille  livres  la  ftièce,  et  une 
chaîne  de  cinq  tours  de  j/erles  de  5o 
livres  la  pièce ,  et  qu'en  tout  il  y  avait 
pour  plus  de  120  mille  écus  (cf).  Elle 
avait  déjà  envoyé  au  roi  pour  200 
mille  livres  de  pierreries.  Les  archers 
n'avaient  pas  si  bien  fouille  qu'il  ne 
lui  restât  une  layette  ;  car,  quand  on 
la  mena  à  la  Bastille,  on  lui  deman- 
da avant  que  d'aller si  elle  n'a- 
vait jilus  de  bagues  ;  elle  montra  une 
layette  qui  lui  était  demeurée,  oh  il 
n'y  avait  que  certaines  chaînes  d'am- 
bre ;  et  enquise  si  elle  n'en  avait  point 
sur  elle ,  elle  haussa  sa  cotte ,  et 
montra  jusque  près  des  tétins  ;  elle 
avait  un  caleçon  de  frise  rouge  de 
Florence  :  on   lui  dit  en  riant ,   qu'il 


émue,   sans  pleurer  toutefois;  mais 

elle  ne  laissa  pas  de  dire  qu'il  était  fallait  donc  mettre  les  mains  au  cale- 
un  presumptuos  ,  un  orguillos  ;  qu'il  con  :  elle  répondit ,  qu'en  autre  temps 
n'avait  rien  eu  qu'il  n'eût  bien  méri-  elle  ne  l'eût  pas  souffert  ,    mais   lors 


té  :  qu'il  y  avait  trois  ans  tout  en- 
tiers qu'il  n'avait  couché  avec  elle  ; 
que  c'était  un  méchant  homme  ;  et 
que,  pour  s'éloigner  de  lui  ,  elle  s'é- 
tait résolue  de  se  retire?'  en  Italie,  h 
ce  printemps  ,  et  avait  apprêté  tout  son 


(1)  Relation  de  ta  mort  rln  maréchal  d'Ancre  , 
à  la  suite  de  /'Histoire  des  favoris,  par  M.  du 
Puy  ,  pag.  m    28. 

(2)  Là  même,  pag.  3o,  3i. 

(3)  C'est  sans  doute  de  ces  pierreries  qu'elle 
parlait  ,  lorsqu'elle  dit  à  MM.  Juhri  et  le 
Bailleul ,  qu'elle  avait  envoyé  au  roi ,  le  jour  pré- 
cédent, une  cassette  oii  il  y  avait  pour  deux  cent 
mille  livres  rie  pierreries.  Relation  de  la  mort  du 
maréchal  d'Ancre,  à  la  suite  de  i'Histoire  des 
favoris  ,.par  M.  du  Puy  ,  pag.  61. 

(il  Là  même,  pag.  3i- 


tout  était  permis;  et  du  Util  lier  (10) 
tût  a  un  peu  sur  le  caleçon  (1  0.  11  ne 
fallait  point  d'autres  preuves  de  leurs 
crimes  que  cette  opulence. 

(C) et  se  bouffirent  d'un  or- 
gueil inouï  et  monstrueux.]  «  Elle  ne 
»  voulait  pas  seulement  laisser  entré] 
»  dans  sa  chambre  les  princes ,  les 
»  princesses  ,  ni  les  plus  grands  du 
»  royaume,  et  ne  voulait  seulement 

(5)  Là  même,  pag.  m.  55. 

(6)  L.à  même,  pag.  61. 
(^  Là  même,  pag.  ^9. 
(8)  Là  même  ,  pag.  62. 
(1))  Là  même  ,  pag.  6t. 

(10)  //  était  capitaine  des  gardes. 

(11)  Relation,  etc.  pag.  05. 


g 


GALLIGAI. 


•»  qu'on  la  regardât  ,  disant  qu'on 
y>  lui  faisait  peur  quand  on  la  re- 
i>  gardait,  et  qu'on  la  pouvait  en- 
d  sorce'er  en  la  regardant  ;  qui  fut 
«  la  cause  qu'elle  ne  voulut  plus  voir 
»  tout  plein  de  ses  serviteurs  ,  seule- 
»  ment  pour  l'avoir  regardée  ;  et  sur 
»  la  fin  de  sa  faveur  ,  elle  avait  même 
v  banni  de  sa  chambre,  pour  ce  sujet, 
3>  M.  de  Lusson  ,  et  Faydeau  qui 
»  avait  été  le  dernier  en  faveur  (12).» 
Sa  superstition  pour  les  sortilèges  et 
sa  laideur  était  cause  de  ceci,  encore 
plus  que  sa  vanité. 

(D)  Elle  fut  convaincue  d'avoir 
non-seulement  judaïsé.]  Cette  accu- 
sation lui  était  commune  avec  son 
mari.  On  la  prouva  : 

I.  Par  le  soin  qu'ils  prirent  de  faire 
venir  en  France  un  juif  renomma 
pour  l'intelligence  des  aventures.  Il 
s'appelait  Montalto,  et  faisait  profes- 
sion de  médecine.  Ils  employèrent  à 
cette  négociation  Vincencio  Ludovici, 
leur  secrétaire.  Cela  fut  vérifié  «  par 
j>  lettres  escrites  de  Venise  audit 
J)  Vincence  ,  le  vingt- sixième  avril 
■»  mil  six-cent-onze  ,  par  lesquelles 
3>  on  lui  donne  espérance  de  faire  ve- 
»  nir  en  France  ledit  Montalto  (i3)  ; 
3)  et  par  les  lettres  d'iccluy  Montalto 
3>  mesme,  escrites  le  sixiesme  may  en- 
j)  suivant,  à  ladite  Leonora  Galligai, 
3)  par  lesquelles  il  assure  qu'il  est 
3>  prest  de  venir ,  parle  moyen  d'une 
3>  tant  bénigne  et  singulière  protec- 
33  trice  :  IV'entendant  neantmoins  se 
3)  déguiser  et  contrefaire  en  sa  pro- 
3)  fession ,  ains  exercer  librement  sa 
3)  religion  judaïque ,  veu  qu'il  a  re- 
w  fusé  de  grands  offres  a  luy  faits 
3»  d'ailleurs  h  Bologne ,  h  Messine , 
3>  a  Pise  ,  mesmes  d'estre  successeur 
3)  du  grand  médecin  mercurial  sous 
3>  la  très  bénigne  protection  du  grand- 
3)  duc  Ferdinand  ,  et  qu'aussi  lui 
3)  avoil  esté  offerte  la  première  chaire 
3)  de  Padoue,  adjoustant  qu'en  un 
s»  seul  acte  on  pourra  recognoistre 
»  son  intention  ,  à  savoir  qu'il  ne 
3)  recevra  aucuns  deniers  le  jour  de 
«  son  observance ,  c'est-à-dire  le  jour 
))  du  Sabath.  Ces  lettres  ont  esté  venus 

(12)  Relation  de  la  mort  du  maréchal  d'Ancre  , 
à  la  utile  de  <'[l^toire  des  favoris,  par  M.  du 
Pnj,  png.  83,84. 

(»3j  II  mourut  l'an  1616,  et  assigna  à  Van- 
V'"'1  la  mort  île  la  Galligai.  Le  Crain  , 
Décade  de  Louis-lc-Ju>tc,   Itv.  X,  pag.  419. 


3)  au  procez  en  la  production  litte- 
»  raie  contre  ladite  Galligai  sous  la 
y  cotte  K  ;  et  fait  grandement  à  con- 
»  sidérer  là-dessus  ,  la  déposition  de 
»  la  Place,  escuyer  de  ladite  Galligai 
»  qui  luy  a  soustenu  en  la  confiou- 
»  talion  ,  que  depuis  la  venue  de 
»  Montalto  ,  elle  ne  visitoit  plus  les 
»  églises ,  ne  se  confessoit  plus,  ains 
3)  s'amusoit  à  faire  des  petites  boulet- 
»  tes  de  cire  qu'elle  mettoit  en  sa 
»  bouche  (i4)-« 

II.  On  allégua  (i5)  que  par  la  fré- 
quentation de  ce  Montalto,  les  accu- 
sés furent  désaccoutumés  des  obser- 
vances de  la  religion  chrétienne ,  et 
accoutumés  au  judaïsme  ;  et  que  de 
là  vint  qu'on  trouva  dans  leur  mai- 
son deux  livres ,  dont  l'un  qui  est 
une  forme  de  catéchisme  est  intitulé 
Cheinuc,  c'est-à-dire  en  hébreu,  ac- 
coutumance ;  l'autre  a  pour  titre  ,  Ma- 
chazor  ,  c'est-à-dire,  l'évolution  du 
service  annuel-,  à  l'usage  des  juifs 
espagnols  ,  imprimé  à  Venise. 

III.  On  allégua  (16)  que  de  cette 
fréquentation  et  catechisation  est  en- 
suivie l'apostasie  ,  et  désertion  de  la 
religion  chreslienne  ,  pour  se  trans- 
porter, comme  ils  ont  faict ,  au  ju- 
daïsme ,  pratiqua ns  les  sacrifices  ,  les 
oblalions  ,  et  exorcismes  usilez  entre 
les  juifs  Cela  est  vérifié  au  procez 
tant  par  la  preuve  testimoniale  et  vo- 
cale ,  que  par  la  confession  de  ladite 
Galligai  ;  et  entre  autres  dépositions, 
celle  de  son  carrossier  est  notable  , 
par  laquelle  on  veoit  comme  ils  se  ser- 
vaient de  plusieurs  églises  en  la  ville 
de  Paris  pour  y  commettre  de  nuict 
telles  impietez ,  recogneuës  par  les 
cris  et  hurlemens  que  l'on  entendoit 
en  icelles  ,  lorsque  ladite  Galligai  sa- 
crifioit  un  coq ,  qui  est  une  oblation 
accoustumée  entre  les  juifs  en  la  f este 
de  reconciliation,  offrant  un  coq  pour 
les  péchez,  lit  que  celte  oblation  d' un 
coq  soit  judaïque ,  et  que  les  juifs 
ayent  accoustumé  d'en  user  ez  lieux 
ou  ils  ont  permission  de  demeurer , 
il  en  appert  par  deux  livres  qui  furent 
représentez  par  M.  le  procureur  gê- 
nerai du  roy  lors  que  l'on  procédait 
au  jugement  du  procez,  l'un  inscrit 
Baal    Haturim  ,  c'est-à'dire  ,  le  chef 

(i4)  T-'it  même,  patf.  4°4* 
(i5)  La  même,  pag.  4°5- 
(16)  L'a  même,  pag.  4o5. 


GALLIGAI. 


9 


et  patron  des  ordres ,  en  la  première 
parut-   duquel   intitulé  Grachehaùm 

c'est-à-dire  le  chemin  et  le  sentier  de 
vie,  ou  la  manière  de  vivre  que  Ton 
doit  garder  ,  ou  la  manière  de  passer 
cette  vie  ,  estjaicl  mention  de  celte 
oblalion  ,  et  duquel  livre  Rabbi  Jacob, 
soy  disant  Gaulois,  est  auteur.  Et 
l'autre  intitulé,  la  Synagogue  juirVe 
(*'),  au  vingtiesme  chapitre  duquel  est 
escrit  ce  qui  se  j'aie  t  en  cette  feste  de 
Reconciliation  durant  dix  jours  peni- 
tentiaux  ,  et  qu'au  neufteme  les  juifs 
se  /et  eut  de  grand  matin  ,  fréquen- 
tent l'escole,  chantent  et  font  plu- 
sieurs prières  :  et  soudain  qu'ils  re- 
tournent au  logis  ,  chaque  masle  tant 
i  ieil  que  jeune  prend  en  sa  main  un 
coq  ,  et  la  femelle  une  poule ,  et  la 
femme  grosse  un  coq  et  une  poule  en- 
semble en  leurs  mains,  et  recitent  du 
psaume  de  David  ces  mots  (*2)  :  Les 
fols  par  la  voye  de  leur  prévarica- 
tion et  pour  leurs  iniquitez  sont  af- 
fligez en  sorte  que  leur  ame  a  abo- 
miné toute  viande  ,  et  sont  parvenus 
jusques  aux  portes  de  la  mort.  Cette 
oblation  du  coq  ne  monstre  pas  seule- 
ment le  judaïsme  ,  mais  aussi  le  pa- 
ganisme, et  déclare  les  accusez  apos- 
tats ,  consequemment  sacrilèges ,  car 
t  apostat  est  tenu  pour  sacrilège  par 
les  constitutions  impériales  (*3)  ,  qui 
punissent  tels  crimes  capitaux  de  con 
jiscation  entière.  El  a  ce  que  ladite 
Galligai  a  dit  pour  excuse  ,  qu'elle 
avait  fait  telle  oblation  du  coq  pour 
la  santé  et  guerison  d'une  maladie 
qu'elle  avait  ,  on  luy  a  respondu  que 
telle  impiété  est  punie  de  mort,  encore 
que  ce  soit  pour  remède  de  guerison 

IV.  On  donna  pour  preuve  de  leur 
affection  au  judaïsme  la  diligence 
quilsfaisoienl  défaire  venir  des  juifs 
en  France  ,  ayant  envoyé  à  Amster- 
dam en  Hollande ,  o'u  il  y  en  a  , 
pour  en  faire  venir  à  Paris '(in). 

(E) mais  aussi  d'avoir  employé 

l'art  magique.  ]  L'accusation  était 
encore  commune  au  mari  et  à  la  fem- 
me. On  la  prouva  (18)  : 

("')  Srnagoga  judaîca  édita  Hanovite ,  anno 
i5i/|. 
(")  Psal.  10S. 
(*3)  Tôt.  til.  C   de  Aposlatis. 
(*4)  Novel.  Conil.  T.ronis  imp.  G5. 
(17)  Le  Grain  ,  liv.  X ,  pag.  406. 
Il'*)  L'a  même,  pag.  40G. 


I.  Par  une  lettre  de  la  nommée 
Gondy  ,  et  d'autres  de  ladite  Galli- 
gai accusée ,  «  la  dame  Isabelle  tenue 
pour  sorcière ,  par  lesquelles  elle  la 
prie  luy  mander  si  elle  scait  quelque 
chose  par  son  art  qui  regarde  en  quel- 
que  sorte  sa  personne,  ou  I'inleicst 
de  sa  maison. 

II  Par  trois  livres  de  caractères , 
avec  un  autre  petit  caractère  ,  trou- 
1  1  ■;  en  la  chambre  de  ladite  Galligai, 
et  une  bouette  oit  sont  cinq  rondeau* 
de  velours ,  desquels  caractères  les 
accusez  usoient  pour  avoir  du  pouvoù 
sur  les volontez  des  grands.  Ce  qui 
est  vérifie  par  les  dépositions  de  Aie- 
Ion,  Charton,  et  Nicolas  I  uirt  con- 
j  routez  a  ladite  Galligai.  Et  quant 
aux  livres  de  caractères  trouvez  en 
sa  maison  ,  il  en  est  Jaict  mention  au 
procès  verbal  de  MM.  de  Maujieou  et 
jirnauld  intendans  des  finances  ,  con- 
tenant la  description  des  meubles,  fil- 
tres ,  et  enseignement  trouvez  en  la- 
dite maison. 

III.  Par  la  déposition  de  Philippes 
Dacquin  cy-devant  juif ,  et  a  présent 
chrestien ,  qui  dit ,  que  luy  estant  a 
Molins  chez  le  lieutenant  criminel  , 
les  accusez  luy  ont  mandé  ,  qu'ils  se 
sont  aidez  de  la  cabale  ,  et  des  livres 
des  juifs  ,  ce  qui  sert  contre  le  judaïs- 
me et  le  sortilège  :  estant  a  noter  ce 
que  dépose  Dacquin  ,  que  Conchine 
en  la  présence  de  sa  femme  auroit 
osté  de  sa  chambre  un  urinai  pour 
l'impureté',  emportéhors  ladite  cham- 
bre l'image  du  crucifix,  de  peur  d'em- 
peschement  à  l'effet  que  Conchine  et 
sa  femme  prétendoient  tirer  de  la 
lecture  de  quelques  versets  du  psau- 
me cinquante-et-un  en  hebrieu  ,  la- 
quelle lecture  ils  vouloient  leurestre 
faicte  par  Dacquin  en  la  forme  qu'elle 
leur  avoit  este'  faicte  autrefois  par 
Montalto. 

IV.  Par  la  raison  qu'ils  firent  venir 
des  sorciei-s  prétendus  religieux  dits 
Ambrosiens  ,  de  Nancy  en  Lorraine  , 
lesquels  assïstoîentla  mare'challe  dans 
l'oblation  du  coq. 

V.  Parce  qu'on  trouva  chez  eux 
diverses  estojfes,  dont,  ils  usinent  puni 
les  pendre  au  00/(19),  en  la  façon 
des  préservatifs  que  les  juifs  appellent 
Kamea,  les  Grecs  Philacteria,  et  Pe- 
riapta  ,   les  Latins  Amuleta  et  Liga- 

(19)  L'a  manr ,  pa: 


GALLONIUS. 


turas  ,  qui  sont  choses  reprouvées  par 
les  saints  conciles ,  signamment  par 
le  canon  soixante  et  un  de  la  sixième 
synode  in  Trullo  ,  et  par  un  concile 
romain  sous  le  pape  Grégoire  III , 
et  par  un  autre  d'Agathe  ,  cité  par 
GratianÇ*1),  et  par  Yves  évéque  de 
Chartres  (**)  rapportant  un  concile 
d'Arles  cap.  5.  lequel  condamne  Phi- 
lacteria  diabolica,  et  characteres  dia- 
bolicos. 

VI.  On  prouva  contre  eux  qu'ils  se 
servoient  d'images  de  cire,  et  qu'ils 
les  gardoient  dans  des  cercueils. 

VII.  Et  qu'ils  consultaient  des  ma- 
giciens ,  et  se  servoient  des  astrologues 
faisant  profession  de  la  mathématique 
judiciaire,  et  qu'entre  autres  ils  se 
sont  aidez  de  la  science  diabolique 
de  Cosme  Ruger,  Italien. 

VIII.  «  (20)  Mais  sur  tous  est  nota- 
ble le  faict  d'un  Mathieu  de  Mon- 
tenay  ,  lequel  ladite  Galligai  a 
fait  venir  à  Paris  ,  comme  plus 
grand  magicien  et  plus  expérimen- 
té que  lesdits  Ambrosiens  ,  par  le- 
quel elle  s'est  faict  exorciser  en 
l'église  des  Augustins  en  la  cha- 
pelle des  Epifames  *  ,  et  de  nuict, 
comme  plusieurs  religieux  dudit 
monastère  ont  déposé,  dont  la  plus- 
part  lui  ont  esté  confrontez  et  non 
reprochez  par  elle.  Estant  à  re- 
marquer que  l'exorcisme  se  fit  d'au- 
tre façon  qu'entre  les  ebrerstiens  : 
ce  qui  fut  fait  aussi  es  églises  de 
Sainct-Sulpice  au  fauxbourg  saint 
Germain,  et  aupetit  Sainct-Antoine 
en    la    ville.     Elle    respo.ndoit    à 


»  IX.  Il  faict  aussi  à  remarquer  que 
»  lorsque  ces  Ambrosiens  vouloient 
»  faire  quelque  action  de  leur  art  et 
»  cérémonies  en  la  maison  d'icelle 
»  Galligai ,  ils  en  faisoient  sortir  tous 
«  les  serviteurs  ,  encensoient  dans  le 
»  jardin  ,  et  faisoient  plusieurs  cho- 
»  ses  en  forme  de  bénédictions  sur  la 
»  terre  ,  et  ladite  Galligai  ne  man- 
»  geoit  lors  que  des  crestes  de  coq,  et 
»  des  roignons  de  bélier  ,  qu'elle 
»  faisoit  bénir  ,  et  de  ce  il  y  en  a 
»  preuve  testimoniale  au  proecz. 

»  X.  Est  remarquable  aussi  que 
»  tous  les  ans  la  veille  de  l'Epipha- 
»  nie,  que  l'on  dit  la  feste  des  roys  , 
»  elle  faisoit  bénir ,  par  le  père  Ko- 
»  ger  ,  l'eau  dont  elle  se  servoit  pour 
»  eau  lustrale  ou  beniste ,  ce  qui 
»  n'estoit  sans  mystère  et  dessein  , 
»  et  interrogée  pour  quelle  cause  elle 
■»  faisoit  cela  ,  n'a  rien  voulu  respon- 
»  dre.» 

(F)  Une  accusation  contenait  tout 
ensemble  le  crime  de  lèse-majesté  di- 
vine ,  et  celui  de  lèse-majesté  humai- 
ne.] Car  le  mari  et  la  femme  s'en- 
quirent  de  la.  vie  et  salut  du  roy  a 
personnes  faisant  profession  d'astro- 
logie judiciaire.  Cela  fut  prouvé  par 
la  déposition  de  Jean  du  Chalcl ,  dit 
Caesar  .  qui  étoit  un  devineur  et  fai- 
seur d'horoscopes  ,  confronté  aux  ac- 
cusez, etc.  (21). 

(G)  Elle  allégua  qu'elle  était  gros- 
se.] Ayant  ouï  la  lecture  de  sa  con- 
damnation ,  elle  dit  :  Je  suis  grosse  ; 
mais  on  lui  remontra  quelle  avoitdil 


estant  prisonnière  ,  et  en  son  procez  , 

ela  ,    que     ce    qu'elle    se     faisoit     qu'il  y  «voit plus  de  deux  ans  qu'elle 

lins  exorciser  de  nuict  estoit  a!in     n'a  voit  eu  la  compagnie  de  son  mary, 

de  sorte  que  cela  ne  pouvait  estre  qu'au, 
dommage  de  son  honneur,  a  quoi  elle 
ne  répondit  rien,  et  n'insista  davan- 
tage lit-dessus  (22). 


qu'on  ne  sçeust  le  mal  pour  lequel 
elle  se  faisoit  exorciser,  disant 
qu'elle  estoit  quelquefois  possédée. 
Mais  ce  devoit  estre  par  gens  ayans 
le  vrai  caractère  ,  comme  par  l'e- 
vesque  ou  son  vicaire ,  c'est-à-dire 
le  curé  de  sa  paroisse,  et  non  par 
des  gens  incognus  et  affreux,  les- 
quels  oui  disparu,  et  n  ont  este 
veuz  depuis,  comme  esto'ient  ces 
prétendus  Ambrosiens. 

("')  Si  quis  ariolos,  26,  q.  S. 

{'^  Pari.  XI,  c    i,e<54  W5S. 

(20)  Le  Grain  ,  Décade  de  Louis-lc-Jus(e,.ZiV. 
X  ,  pag.  407.  . 

*  Leclerc  remarque  qu'au  lieu  de  Epifames  , 
il  fallait  écrire  Spif'ames;  te  qui  n'eut  qu'une 
1  impression. 


(21)  Le  Grain  ,  liv.  X,  pag.  408. 

(22)  La  même,  pag.  4l8. 

GALLONIUS  (  Antoine  ) ,  prê- 
tre de  l'oratoire  ,  à  Rome  ,  a 
composé  entre  autres  ouvrages  , 
un  traité  de  Marljrum  cruciati- 
bus,  qui  est  fort  curieux.  On  y  voit 
la  figure  des  instrumens  dont 
les  païens  se  servaient  contre  les 
martyrs  de  la  primitive  église. 


GALLONIUS. 


se  *.  Il  mourut  l'an  t6o5  (a).  Je 
donne  le  titre  de  quelques  an- 
tres ouvrages  qu'il  composa  (A). 
Un  petit  livre  imprimé  eu 
Hollande,  l'an  169g,  m'apprend 
une  chose  qui  me  paraît  digne 
d'être  insérée  dans  ce  Diction- 
naire. Elle  regarde  la  dispute  où 
Gallouius  entra  pour  soutenir 
Baronius  contre  les  moines  du 
mont  Cassin  (B). 

"  Leclerc  dit  que  ces  figures  ne  se  trouvent 
que  dans  quelques  éditions,  entre  autres, 
dans  celle  de  Cologne  ,  1602  ,  in-8'J. ,  et  dans 
(édition  in-/}°. ,  donnc'e  par  Tricliet  Dufrcsne 
en  tôjg. 

(a  Ludovicus  Jacob,  in  Bibliotliecâ  pon- 
tifiera ,  pag.  263. 

(A)  Je  donne  le  titre  de  quelques 
autres  ouvrages  qu'il  composa.  J  II 
fit  la  vie  de  Philippe  Néri,  fondateur 
des  prêtres  de  l'oratoire,  et  une  apo- 
logie pm  assertis  in  annahbus  ecc/e- 
siaslicis  Baronianis  de  A/onac/iatu 
sancti  Gregorii  papœ  advershs  D. 
Constantinum  Bellottum  monaclium 
Casinatem,  à  Rome,  160^,  in-^°.px 
typographid  l'ralicand.  Voyez  la  Bi- 
bliothèque de  Prosper  Mandosio.  QiP 
n'a  eu  garde  d'y  oublier  Gallonius,  qui 
était  natif  de  Rome. 

(B)  Il  entra  en  dispute  pour  soutenir 
Baronius  contre  les  moines  du  Mont 
Cassin]  Le  petit  livre  qui  me  four- 
nira ici  un  commentaire,  est  intitule 
Critique  du  livre  publie  par  les  moi- 
nes bénédictins  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur,  sous  le  titre  de  Biblio- 
thèque divine  de  saint  Jérôme.  Il 
contient  soixante-six  pages  in-\i.  L'a- 
vertissement du  libraire  fait  savoir 
que  nous  sommes  redevables  de  cette 
critique  au  neveu  de  M.  Simon  ,  qui 
l'a  écrite  sui^  les  mémoires  latins  de 
sjou  oncle.    Ce  que  je  m'en  vais  co- 

f>ier  de  ce  livret-là  n'est  pas  l'endroit 
e  moins  curieux  (1).  Les  moines  du 
Mont-Cassin  «  sont  si  libéraux  de  leur 
»  froc  ,  que  l'ayant  donné  à  saint 
»  Grégoire-le-Grand  ,  ils  ne  purent 
)j  souffrir    que  ce    cardinal  (2)   eût 

(1)  Critique  de  la  Bibliothèque  divine  de 
saint  Jérôme,  pag.  64  etsuiv.  Voyez  aussi  les 
Lettres  critiques  de  M.  Simon,  publiées  par  un 
Bentilhoinrrie.  allemand  ,  pag.   1 18  et  suif. 

(2)  C'est-à-dire,  Baronius. 


a\  ancé  dans  ses  annales  ,  qu'il  était 
faux  que  saint  Grégoire  eût  tic' 
moine  bénédictin;  ils  publièrent 
aussitôt  un  livre  sous  ce  titre  : 
(  '•  i  vg  h  ri  it  s  m  a  g  nus  instituto  sanctis- 
miiii  palris  Benedicti  restitutus. 
Mais  Antoine  Gallon,  savant  prêtre 
de  l'oratoire  de  Rome  ,  prenant  ht 
défense  de  son  confrère  Baronius  , 
leui  lit  une  réponse  fort  vigou- 
reuse ;  et  comme  elle  est  devenue 
fort  rare,  je  vous  en  marquetai 
quelque  chose  en  attendant  qu'on 
la  fasse  réimprimer  avec  quelque! 
autres  pièces  sur  la  même  matière. 
Elle  est  imprimée  à  Rome,  in-.]". 
avec  ce  titre  :  Apologeticus  li- 
ber Ci) Je  vous  avoue  que  sî 

l'on  ne  connaissait  d'ailleurs  la  piél  c 
du  père  Gallon  aussi-bien  que  celle 
de  Baronius  ,  on  croirait  qu  il  \ 
aurait  de  l'emportement  dans  cetti 
réponse ,  où  l'on  accuse  les  moi- 
nes de  produire ,  pour  la  dé- 
fense de  leur  cause  ,  des  pièces 
dont  les  auteurs  mériteraient  le 
même  supplice  que  Ciearelle.ElKin- 
ge  comparaison  !  Ce  Cicarelle  lii 
t  longum  *  pour  ses  faussetés  , 
par  l'ordre  du  pape  Pie  V.  11  esl 
vrai  que  le  même  Gallon  avoue 
qu'il  révéla  des  choses  qui  ne  de- 
vraient jamais  venir  à  la  connais- 
sance du  public  ;  mais  il  ajoute  en 
même  temps ,  que  l'imprudence 
extrême  de  ces  moines  l'a  engagé 
aies  écrire.  Il  leurobjecte  un  grand 
nombre  d'actes  faux  qui  avaient 
été  fabriqués  au  Mont-Cassin,  sous 
les  noms  des  papes  et  des  princes. 
Tous  ces  actes  ont  été  imprimés 
à  Venise ,  i«-4°. ,  en  i5t3,  à  la  lin 
de  la  chronique  de  ce  monastère. 
Il  ne  s'agit  de  rien  moins  dans  ces 
faux  titres,  que  d'attribuer  aux 
moines  du  Mont-Cassin  des  p<>Nsr, 
sions  et  même  des  villes  entières.  11 
est  vrai  que  le  moine  Constantin 
produit  pour  la  défense  de  son 
monastère  des  titres  qui  se  trou- 
vaient dans  sa  bibliothèque,  écrits 
en  caractères  lombards  ,  et  qui  par 
conséquent  ne  pouvaient  pas  avoir 


(3)  Voyez  la  suite  de  ce  litre  a  la  remarque 
(A). 

*  C'est-à-dire,  ce  que  tout  lecteur  n'entendrait 
pas,  dit  Leclerc,  qu'il  fut  pendu.  Jo'y  |"  use 
que  cette  manière  de  pirler  vient  de  Piaule, 
Aulul.,   BCt.  1er. ,  se.  lr'. 


I2  GALLUTIUS. 

»  été  forgés  de  nouveau.  Mais  Gallon  ,  tram  mundi  et  temporis  ,  à  Venise, 
3)  trui  connaissait  à  fond  les  pratiques  1 58g  ;  de  The  ma  le  érige  ndo  j  parle 
j)  des    moines   bénédictins,  répond ,   fortunœ  ,  divisione  Zodiaci,   dignita- 

tibus  Planetarum  et  temporibus  ad 
medicandum  accommodalis.  Exstat 
cum  Joli.  Hasfurlo  de  cognoscendis  et 
mèdendis  morbis  ex  corporum  cœles- 
tiumposilione,  cui  argumenta  et  expli- 
cationem  inscripsit ,  à  Venise  ,  1 584 • 


3)  que  tout  ce  qui  est  écrit  parmi  eux 
3>  en  ces  anciens  caractères,  ne  doit 
»  point  faire  foi  ,  comme  s'il  était 
)>  scellé  du  sceau  de  l'Apocalypse  ; 
3>  qu'on  sait  fort  bien  qu'ils  ne  raan- 
33  quent  point  d'écrivains  qui  ont  la 
3)  main  assez  bonne  pour  contrefaire 
3)  les  caractères  lombards  :  Acsiquid- 
•»  quid  eo  caractère  (  Longobardico  ) 
»  exaratuminveniturtanquam  sigillo 
3>  Apocalypsis  sit  çonsignatum  in  du- 
■»  bitalionem  non  liceat  revocare ,  et 


GALLUTIUS  (Tarquiv),  né 
en  Italie  ,  l'an  1 5^4  »  entra  chez 
les  jésuites,  l'an  i5c)o,  et  y  devint 
très-illustre.  Il  enseigna  la  rhé- 


3)  desint  hodiè  quoque  scriptores  qui    torique  dans  le   collège  Romain 
3,  eorumdem  formant    elementorum    pendant  c)jx   ans  j    el   ]a   raorale 


valeant  imitari ,  ut  plus  ajnid  le 
3>  probal  genus  caracleris  ,  quant  ve- 
»  ritas  manifestis  ralionibus  conjir- 
3)   mata-  » 

Je  n'ai  point  vu  la  réponse  qui  a 
été  faite  à  ce  livret  du  neveu  de 
M.  Simon ,  par  les  bénédictins  de  Paris. 
Si  je  l'avais  vue  ,  j'en  aurais  tiré  tout 
ce  qui  pourrait  servir  à  l'éclaircisse- 
ment de  cette  dispute,  et  j'aurais  été 
le  rapporteur  fidèle  de  ce  que  les  deux 
partis  ont  allégué. 

GALLUTIUS  (  Jeav-Paul  ),  sa- 
vant astronome  italien  ,  vivait 
au  XVIe.  siècle.  Il  inventa  un 
instrument  pour  observer  les 
phénomènes  célestes  (à)  ;  et  il 
publia  divers  ouvrages  d'astro- 
nomie ,  et  quelques-uns  de  mé- 
decine (A).  11  était  académicien 
à  Venise. 

(rt)  Çuo  instrpnentonoveexcogitatocuncta 
cœli .pkœnomena  unà  cum  horis  ornais  generis 
observantur  ex  sole ,  lima  ,  ac  stetlis  ,  non 
longé  ab  eclipticd  distanlibus.  Yussius,  de 
Scient.  mal  hem.,  pag.  386. 

(A)  //  publia  divers  ouvrages.  ] 
Voici  ceux  dont  j'ai  connaissance  : 
Délia  fabrica  ed  aso  di  diversi  stro- 
menti  di  Astronomia  e  Cosmogra- 
phià,  à  Venise,  i5q3.  Spéculum  Ura- 
hicum  ,  à  Venise,  i5g3;  Cœlestium 
corporum  et  rerum  ab  ipsis  penden- 
tium  explicatio ,  à  Venise  ,  i(îo5.  Cet 
ouvrage  a  été  mal  attribué  à  Paulus 
Galvicius,  dans  le  catalogue  de  la  bi- 
bliothèque de  M.  deThou(i).    Thea- 

(i)  l'an.  Il ,  pag.  "3. 


pendant  quatre  ans.  Il  mourut  à 
Rome  le  ^Hdejuillet  1649,  clans 
le  collège  des  Grecs ,  dont  il 
avait  été  directeur  dix-huit  ans 
(ci).  Il  est  auteur  de  divers  ou- 
vrages (A). 

(a)  Nathan.  Sotuel,  in  Biblioth.  scriptor. 
societat.  Jesu,  pag.  753. 

(A)  Il  est  auteur  de  divers  ouvra- 
gmk]  Il  prononça  quelques  haran- 
gues devant  le  pape,  qui  ont  été  im- 
primées. Ce  fut  lui  qui  fit  l'oraison 
funèbre  du  cardinal  Bellavmin  ,  qui 
fut  aussi  imprimée.  Plusieurs  autres 
de  ses  harangues  recueillies  en  deux 
tomes ,  et  plusieurs  de  ses  poésies  en 
trois  livres,  ont  vu  le  jour.  On  a  de 
lui  doux  commentaires  sur  la  Morale 
d'Aristote,  imprimés  (1)  à  Paris  chez 
Sébastien  Cramoisi,  in-folio.  Son  livre 
intitulé  Vindicationes  Virgilianœ  , 
et  Commentant  très  de  Tragoedid,  de 
Comœdiâ,  de  Elegià  ,  imprimé  à 
Rome  l'an  1621  (2) ,  est  bien  curieux. 
Son  dessein  «  a  été  de  justifier  Vir- 
»  sçile  à  quelque  prix  que  ce  fût. 
»  Pour  cel  effet  il  rapporte  toutes  les 
»  objections  qu'il  a  cru  pouvoir  faire- 
»  sur  divers  endroits  de  ce  poète. 
»  Mais  il  y  en  a  plusieurs  qu'il  n'a 
3)  point  proposées  dans  toute  leur 
»  force  ,  de  peur  de  s'ôter  la  facilité 
»  d'y  répondre.  Néanmoins  parmi 
»  quelques  raisonnemens  assez,   fai- 

(1)  le  premier,   l'an   if)3î,   et  l'autre ,  l'an 

(aj  Nath.  Sotuel ,  Bibliolhec,  scriptor.  socie- 
latis  Jfsii. 


GALLUTIUS.  GAMACHE.  GAMBARA. 


»  bles  ,  il  s'en  trouve  d'assez  raison- 
»  nables,  soutenus  même  de  beau- 
»  coup  d'humanités  ,  et  de  beaucoup 
»  de  belles  maximes  concernant  l'art 
»  poe'tique  (3).»  M.  Baillet  indique 
là  une  ruse  qui  n'est  que  trop  ordi- 
naire dans  toutes  sortes  de  dispu- 
tes ,  et  principalement  parmi  MM.  les 
controversistes.  Quand  ils  ne  se  sen- 
tent pas  capables  de  répondre  à  une 
objection  ,  ils  en  ôtent  la  principale 
difficulté  ;  c'est  désarmer  son  ad- 
versaire avant  que  île  l'attaquer. Le  pè- 
re Gallutius  publia  à  Rome,  Tan  i633, 
le  renouvellement  de  l'ancienne  tra- 
gédie, et  la  défense  de  Crispus.  Cet 
ouvrage  est  en  italien    \\ 

Ce  j c : s u i ! < •  esl  sans  doute  le  même 
orateur  que  Balzac  loue  dans  les  pa- 
roles que  vous  allez  lire.  J'avais  ap- 
pris en  Italie,  dit-il (5),  que  pour 
écrire  comme  il  faut,  il  se  fallait  pro- 
poser les  bons  exemples  ,  et  que  les 
bons  exemples  étaient  enfermes  dans 
un  certain  cercle  d'années  ,  hors  du- 
quel il  n'y  avait  rien  qui  ne  fut,  ou 
dans  l' imperfection  de  ce  qui  com- 
mence ou  dans  la  corruption  de  ce 
qui  vieillit.  Avec  ce  principe  je  m' é- 
tais  trouvé  à  la  harangue  funèbre 
du  cardinal  Bellarmin  ,  et  j'avais 
considéré  ce  grand  et  admirable  jé- 
suite ,  qin  avec  la  dignité  de  ses  ges- 
tes ,  les  grâces  de  sa  prononciation 
cl  l'éloquence  de  tout  son  corps  ,  qui 
accompagnait  celle  de  sa  bouche  , 
me  transporta  en  esprit  dans  l'an- 
cienne république. 

(3)  Baillet,  Jugemens  sur  les  Poêles,  loin.  I, 
num    lo'i1;,  pag.  5i. 

(4!  Solucl,  Biblioth.  script,  soc.  Jesu. 

(5)  Balzac,  OEuvres  diverses,  pag.  m.  4o4. 

GALLUTIUS  (Ange),  natif 
de  Macérata  en  Italie,  se  fit  jé- 
suite l'an  1606  ,  âgé  de  treize 
ans.  Il  se  fit  estimer  par  son  élo- 
quence et  par  ses  vers.  Il  ensei- 
gna la  rhétorique  dans  le  collège 
Romain  pendant  vingt-quatre 
années  ,  et  il  mourut  à  Rome,  le 
28  de  février  1674?  âgé  de  plus 
de  quatre-vingts  ans  (a).  Il  est 
auteur  de  quelques  ouvrages  (A). 

(a)  Sotuel,  Bibliolli.  scriptor,  soc.  Jesu, 
pag.  6t. 


(A)  //  est  auteur  de  quelques  ou- 
vrages,] De  quelques  harangues  la- 
tines r ,  et  d'une  liistoire  de  la  guerre 
des  Pays-Bas ,  depuis  l'an  i5g3  îus- 
ques  à  la  trêve  conclue  l'an  160g. 
Cette  histoire  est  en  latin  :  elle  fut 
imprimée  à  home,  l'an  1671,  en  deux 
volumes  in-folio.  On  l'a  réimprimée 
en  Allemagne,  in- 4°.,  l'an  1677. 

*  Ces  harangues  latines  sont  au  nomLre  de 
trois.  Joly  en  donne  les  titres  d'après  Sotuel. 

GAMACHE  (  Philippe)  en  la- 
tin Gumachœus  *  ,  docteur  de 
Sorbonne,  et  professeur  en  théo- 
logie dans  l'université  de  Paris, 
a  passé  pour  un  des  habiles  théo- 
logiens du  XVIIe.  siècle.  Il  était 
né  l'an  i586,  et  il  mourut  le 
21  de  juillet  1625  (a  .  Ses  com- 
mentaires sur  Thomas  d'Aquin  , 
intitulés  Summa  théologien  (6), 
sont  fort  estimés.  Voyez  ci-des- 
sus (c)  ce  qu'il  disait  de  saint 
Augustin. 

Joly  dit  que  Gamache  e'tait  Picard  el 
noble,  que  son  nom  de  famille  était  Rouault, 
que  le  nom  de  Gamaches  (et  non  Gamache) 
vient  d  un  bourg  anciennement  appelé  Ga- 
mapiœ.  Leclerc  s'était  contenté  de  dire, 
qu  élant  prieur  de  Sorbonne  ,  Gamache  fut, 
en  iSgG,  nommé  par  Henri  IV  à  lune  des 
nouvelles  chaires  de  philosophie  que  ce  prince 
venait  de  fonder. 

(a)  Frcher   ,  /n  Théâtre  p"g'-  42^ 
(6)  Imprimes  à  Paris,  l'an  1627  ,  en  trois 
volumes  inj'otio. 

(c  Remari/ae  (D)  de  l'article  Adam  (Jean), 
lom.  I ,  pag.  2  1 1. 

GAMBARA  (  Laurent  ) ,  natif 
de  Bresçe,  en  Italie  ,  fut  un  des 
bons  poètes  latins  du  XVIe.  siè- 
cle. Il  vécut  long-temps  à  Ro- 
me, chez  le  cardinal  Alexandre 
Farnèse  (a).  11  publia  dans  la 
même  ville  un  recueil  de  poésies 
dont  le  Giraldi  ,  qui  était  bon 
connaisseur,  et  qui  n'avait  pas 
trop  d'indulgence,  dit  beaucoup 
de  bien  (A).  Manuce  a  loué  en- 
core plus  amplement  les  poésies 

(a)  Tliuan. ,  lib.  LXXXIF,  pag.  m.  76. 


14  GAMBARA. 

de  Gambara  (B)  ;  mais  il  se  faut    lui  écrivit  une  lettre  (2)  peu  après  la 

souvenir    qu'il     lui    donne    ces    mort  de  BasUe  Zanchius ,  te  laqueUe 

.  il  Je  suppose  tres-afllige,  vu  la  liaison 

s    intime    qui    avait  été'   entre  eux.   Il 


grands    éloges   dans   des 


qu'il  lui  écrit.  Muret  passa  dans    remarque  qu'on  les  regardait  comme 


— mue  vestrûm  cul  poëticamfa 
(b)  que  Gambara  avait  fait  des  cultatem  naturel  propensus ,  ac  miré 
vers  trop  libres  ,  et  un  peu  sa-  factus  ,  ingenio  vero  ita  pares,  ut, 
les ,  mais  que  ,  se  voyant  élevé  à    cUl,n  nem0  tam  bonus  Poët(!  sit>  9uin 

,  Al    •     l     -,  ,       .  \  p  vobis  primas  in  componendis  versibus 

la  prêtrise  ,  il  les  jeta  au  feu  en   parles  tribuat  ?  qifam   confessionem 

présence  de  plusieurs  personnes  ,  etiam  ab  invitis  exprima  poëmatum 
quoique  le  public  eût  une  extrê-  comparatio,  uter  tamen  utri prœslet , 
me   impatience   de   les   voir.   Il    non$*™ satis  Judicare $uisquamj>os- 


composa  un   ouvrage  ou  il  met 


sit(5).  Dans  une  autre  lettre,  il  l'ex- 
horte  à    continuer  le  poè'me  dont  il 


les    poètes    sous    un    rude    joug  avait  vu  le  commencement  avec  une 

(D)  ;  car  il  ne  veut  point   qu'ils  extrême    admiration.    Patavii    dum 

touchent  aux  fables  du  paganis-  e™s;   habeb«s  'n  manibus  egregium 

.  1      •  1  Utua   poema    de   noms  insulis  a  Co- 

nie.  Il  mit  en  vers  latins  quel-  iumi,0  inventis  :  cujus  ego  cùm  exor- 

ques  idylles  de  Bion  ,  et  y  réussit  dium,  multis  prœsentibus ,  legissem, 

assez  mal ,  si  l'on  s'en   rapporte  admirants  gravitatem,  eteleganiuiw 

-  carmims,exc!amavi  :  Cedite,  Romani: 


au  jugement  de  Barthius  (c).  11 
mourut  à  Rome  vers  la  fin  de 
l'an  i586  ,  âgé  de  quatre-vingt- 
dix  ans  (d). 


in  quo ,  adhuc,  qui  h  me  dissenliret , 
inveni  neminem.  Quô  magis  lehortor, 
quanquam  ,  ut  spero  ,  cuiTentem ,  ut 
appropercs ,  habeasque  rationem  non 
expectationis  modo  nostrœ,  verkm 
(l>)  Voyez  M.  Teissier,  Élog. ,  lom.  II,    etiam  gloriœ  tuœ  ,  cujus  habes  à  na- 

turd  prœclarum  seminarium ,  quod 
etiam  studio  excolis  ,  ingenium  tuum. 
TJrge  igitur,nec  institutum  dimitte  (fÇ). 
M.  Teissier  assure  que  Gambara  a 
mis  au  jour  cette  description  de  la 
(A)  II  publia  un  recueil  de  poésies    découverte  du  nouveau  inonde  (5).  Si 

dont  le  Gtraldi dit  beaucoup    cela  est  ?  l'exhortation  de  Manuce  ne 

de  bien.  ]   Citons  ses  paroles  :    Vivit    fut  „as  im,tile. 

adhuc  Laurentius  Gambara  Riulanus         (q Muret  passa  dans  une 


pag.  Jï  :  il  cite  /'Apparat  de  Possevin. 

(c)  Bartli.,    in   Statium  ,  lom.   III,  pag- 
i635. 

(d)  Thuan. ,  lib.  LXXXIV,  pag.  76. 


ex  Brixid ,  cujus  poemata  nuper  legi 
Romœ  excusa  ,  non  indigna  illa  qui 


autre  extrémité.]  11   y   a  sans  doute 
une    exagération    blâmable  dans   les 


dem  lectione bonorum,  nam et  numeris  flatteries  de  Paul  Mattuce  ,  mais  l'exa- 
poeticis  ,  ac  Jiguris  ,  et  varia  erudi- 
tione  habetur  insignis.  Romœ  versa- 
tur  Basilico  nostro  Zancho  carissi- 
mus  amicus  ,  ut  ex  ejus  carminé  facile 
cognoscimus  ,  et  Zanchi  ipsius  epis- 
tolis  (1).  Nous  verrons  dans  la  re- 
marque suivante  la  confirmation  de 
ce  que  Ton  vient  de  lire  touchant  l'a- 
mitié de  Gambara  et  de  Basile  Zan- 
chius 


/T>.  '  -m/r  1  t  IV,  paç.  m.  126. 

(B)  Manuce  a  loue  encore  plus  am-       (/.)  palli„s 


'ération  opposée  où  Muret  s'aban- 
donna est  encore  plus  vicieuse.  Il 
écrivit  ces  deux  vers  a  la  tête  de 
son  exemplaire  des  poésies  de  Gam- 
bara : 

Brixia ,  vestratis  merdosa  volumitia  valis 
IVon  sunl  nostrates  tergerc  digna  nales  (6). 

(■>.)   C'en  la  XXVI II'., lu  IV.  lu;;-. 

(S)    Paulus    Manutius,   epist.   XXVIII  ,   lit,. 


(4)   Paulus   Manutius,    epist.    XLVIII ,    l,b. 
pleme.nl  les  poésies  de   Gambara.]  Il    IV,  pag. 161. 

(r>)  Teissier,  Eloj.  ,  lom.  II, pag, 
(1)  Gyrnld.  ,  de  Poët.  suor.  tempor.  dial.  III ,     cite  que  la  lettre  <!••  Manuce. 
pa;;.  m.  jn'i  ,  E,  (G;  Ménnge,  Anti-Baillet,  (ont.  II,  pag.  q. 


Il  ne 


GAMON.  GANYMÈDE. 


i5 


Le  pèi-e  Sirmond  avait  vu  cet  exem- 
plaire dans  la  bibliothèque  des  jé- 
suites de  Rome  (7).  M.  Ménage  oppo- 
se à  ce  jugement  de  Muret  la  louange 
que  M.  deThou  adonnée  à  Gambara 
(8).  S'il  se  fut  souvenu  du  Giraldi  et 
de  Manuce,  il  les  eût  aussi  opposés 
au  sale  et  vilain  distique  qu'il  a  rap- 
porté. 

(D)  II  composa  un  ouvrage  ou  il 
met  les  poètes  sous  un  rude  joug.  ] 
Lisez  ces  paroles  de  M.  Baillet  :  11 
«  a  fait  un  traité  latin  de  la  manière 
»  de  rendre  la  poésie  parfaite,  im- 
»  priméàRome,  in-fy".  l'année  de  sa 
»  mort.  Il  prétend  faire  voir  dans  cet 
»  ouvrage  qu'il  y  a  une  obligation 
»  indispensable  à  tout  poète  ,  ou  à 
»  tout  vérificateur  et  rimcur  se  disant 
)>  poète  ,  de  retrancher  non-seulc- 
»  ment  tout  ce  qui  peut  être  malhon- 
»  nète  ,  lascif  et  libertin  dans  les  vers, 
»  mais  encore  tout  ce  qui  sent  la  fa- 
»  ble  et  le  culte  des  fausses  divinités 
»  (9).»  Je  vous  renvoie  à  la  réfle- 
xion que  M.  Ménage  fait  là-dessus  (10). 

(;)  Là  mime. 

(8)  La  même. 

(<))  Boillet,  Jugemens  sur  les  Poètes,  loin.  I, 
mon.   ioqi  ,   pag.  112. 

(io)  Ménage,  Anti-Baillel,  loin.  II,  pag.  4 
et  sun-. 

GAMON  *  (  Christophle  de), 
ne  m'est  connu  que  par  un  ouvra- 
ge qu'il  publia  l'an  1609. 11  a  pour 
titre  ,  La  Semaine  ou  Création 
du  monde  ,  contre  celle  du  sieur 
du  Barlas.  Voyez  la  remarque 
(A). 

*  Leclerc  dit  que  Gamon  était  d'Annonay  , 
et  calviniste  ,  et  de  plus  cliimiste,  comme  le 


bien  de  la  Semaine  de  du  Bartas  , 
ajoute  ceci  :  «  Mais  comme  les  ju- 
»  gemens  des  hommes  sont  divers  , 
»  Christophle  de  Gamon ,  personnage 
»  recommandable  par  sa  doctrine  , 
»  prétendit  de  marquer  des  défauts 
j>  dans  ce  livre  ,  et  d'en  diminuer  le 
»  mérite  par  un  autre  qu'il  compo- 
»  sa  sur  le  même  sujet,  et  qu'il  mit 
»  en  lumière  quelque  temps  après  la 
»  mort  de  du  Baktas  :  il  lui  disputa 
»  néanmoins  cette  palme  avec  quel- 
»  que  respect,  et  ne  put  après  tout  re- 
»  fuser  à  la  mémoire  de  ce  grand  bom- 
»  me  les  louanges  qu'il  reconnaissait 
»  lui  être  dues  si  justement  (1).» 

(t)  Buliart,  Académie  des  Artsetdes  Sciences, 
loin.  II,  pag-  354. 

GANYMÈDE  ,  fils  d'un  roi  de 
Troie  (A),  était  le  plus  beau 
garçon  du  inonde.  Jupiter  en  fut 
charmé,  et  l'enleva,  et  le  fit  son 
échanson  à  la  place  d'flébé  (a)  , 
et  l'employa  à  d'autres  usages 
très-criminels  (B).  Les  uns  di- 
sent qu'il  le  fit  enlever  par  un 
aigle  ,  les  autres  assurent  qu'il 
fut  lui-même  le  ravisseur,  sous  la 
forme  de  cet  oiseau  (C).  Il  déi- 
fia ce  jeune  garçon  ,  et  fit  un 
très-beau  présent  au  père  (D). 
L'on  n'est  point  d'accord  sur  le 
lieu  où  se  fit  l'enlèvement  ,  ni 
sur  l'état  où  était  alors  le  garçon 
qui  fui  enlevé  (E;.  Les  uns  disent 
qu'il  était  sur  le  mont  Ida  ,  les 
autres  le  placent  ailleurs  :  quel- 


prouve  le  livre  intitulé  :  Commentaire   de     queS-UllS  prétendent   qu'il  cliaS— 

sait ,  et  quelques  autres  qu'il  gar- 
dait un  troupeau.  Je  ne  m'amu- 
serai point  à  rapporter  les  expli- 
cations  allégoriques  que  l'on    a 


Henri  de  Linthault ,  sieur  de  Munition,  doc- 
teur en  médecine .  sur  le  Trésor  des  trésors  de 
Christophle  de  Gamon  ,  revu  et  augmente  par 
l'auteur  1  Linthault  ).  Le  texte  de  Gamon 
est  en  vers  français.  Ce  livre  a  élé  réimprimé. 
Leclerc  ajoute  que  Ion  trouve  des  vers  de 
Gamon  à  la  tête  de  1 Histoire  des  Vaudois , 
publiée,  en  1618.  par  P.  Perrin  de  Lyon. 
On  a  encore  de  Gamon  l".  le  Jardinet  de 
poésie  de  C.  D.  G.,  avec  la  Muse  divine  du 
même  auteur,  1600,  in-12;  2°.  les  Pêche- 
ries, divisées  en  deux  parties ,  Lyon,  1599, 
in-iz.  Ce  sont  des  poésies. 


(a)  On  verra  dans  la  remarque  (D)  l'acci- 
dent qui  fut  le  prétexte  de  lu  destitution 
d'Hebe.  Charles  Etienne  le  rapporte  et  cite 
Servius  :  Cùm  Jove  ,  dit-il,  apud  /Etliiopas 
cœnante  ,  Hehe  pocula  illi  administrais, 
perque  lubricum  minus  cautè  incedens ,  ce- 
,,      r/.  .  cidisset ,  revolutisque  vestibus  ohscœna  supe- 

(A)    forez  la  remarque. \  Le  sieur     ris  nudâsset ,  ab  officio  est  amota,  ejusque 
Lullart ,  après  avoir  dit  beaucoup  de     loco  Ganymedes  subrogatus.  Hœc  Servius. 


i6 


GANYMÈDE. 


données  (b)  :  ce  sont  des  jeux  d'es- 
prit que  l'on  peut  multiplier  à 
l'infini ,  et  par  lesquels  on  trou- 
ve dans  chaque  chose  tout  ce  que 
l'on  veut.  Mais  je  dirai  qu'il  y  a 
des  écrivains  qui  ont  rapporté 
ceci  sur  le  pied  d'un  fait  histori- 
que. Ils  prétendent  que  Gany- 
mède fut  réellement  enlevé  par 
un  prince  qui  en  était  amoureux 
(F).  Les  peiutres  qui  le  représen- 
tent enlevé  sur  le  dos  de  l'aigle, 
s'abusent,  et  ne  consultent  pas 
les  anciens  auteurs  (G)  On  pré- 
tend que  Cicéron  n'a  pas  bien 
connu  le  père  de  Ganymède  (c). 
De  temps  immémorial  les  Phlia- 
siens  avaient  une  dévotion  parti- 
culière pour  une  divinité  qu'ils 
nommèrent  d'abord  Ganymeda  , 
et  ensuite  Hébé.  C'est  ce  que 
Pausanias  nous  apprend  au  livre 
II,  page   i/jo. 

(b)  Voyez  les  commentateurs  du  IVe. 
emblème  d' Alciat. 

(c)  Voyez  la  remarque  (A). 

(A)  Fils  d'un  roi  de  Troie.]  Tros , 
fils  d'Érichthonius ,  et  petit-fils  de 
Dardanus,  fut  père  d'Ilus  ,  d'Assara- 
cus,  et  de  Ganymède.  Voici  des  vers 
grecs  qui  nous  apprennent  cela,  et 
qui  méritent  d'être  cités,  puisqu'ils 
rendent  témoignage  à  la  beauté  de 
ce  garçon  ,  et  à  son  enlèvement ,  et 
à  la  charge  qui  lui  fut  donnée  de  ver- 
ser à  boire  à  Jupiter. 

a-iAÎïa.  (l). 
Tpa>*   <T*  'Epi^Sôvioç    TïXêTO    "Ipâsarcnv 
Tpeeoç  (F  a.Z  Tf>i7;  -mûSa  ap.Cy.wit;  eçt- 

•VSVOVTO  , 

Ihoç  t',    Ao-a-afsucôc  tî  ,    xo.1    ctvfiôeoç 

Tctvvpnfnç, 
Oç  tf»  jcstMiç-oc  ysvi'ro  Ôvjit^v  ÀvQpâ- 

TTUIV  , 
TOV     X.sÙ     *V«f4l'4*VT0    ôeoi     AlV     otvo- 

(i)  Hom.,  II. ,  lib.  XX,  vs.  219- 


KîtXXêOÇ     s/véX*    010,   ÎV    ac9«.V«tTC5-|   f/.t- 

tî»'m  ("i). 

Dardanus  rursiis  genuil  filium  Erichthoniuni 
regem. 

Trocm  autant  Erichlhonius   genuil    Trojanis 

regem  , 
Ex  True  veto  rursum  1res  Jilii  inculpait  nali 

uad, 
Ilusque  Assaracutque  et  divinus  Ganrinedes, 
Qui   sanè  pulchei  rimas  fuil    monalium   ho- 

mituirn  : 
Quem  eliam  rapuerunl  dii  ,  Jovi  ulpoctllalor 

essel , 
Pulchriludinem    ob   suam  ,    ut  immorlalibus 

intéressée. 

Notez  qu'Homère  dans  ces  vers-là 
ne  dit  point ,  comme  il  fait  ailleurs 
(3) ,  que  Jupiter  ait  enlevé  Ganymè- 
de ;  il  dit  que  les  dieux  l'enlevèrent 
pour  le  faire  servir  d'écbanson  à  Ju- 
piter. 11  ajoute  qu'Ilus  ,  frère  aîné  de 
Ganymède,  engendra  Laomédon  qui 
fut  père  de  Priam.  J'observe  cela  par- 
ce qu'il  est  nécessaire  d'examiner  si 
l'on  censure  Cicéron  avec  justice  , 
lorsqu'on  lui  reproche  comme  un  pé- 
ché de  niemoire,  d'avoir  dit  que  l'en- 
fant qui  fut  enlevé  était  fils  de  Lao- 
médon. Trois  igiturfuit  fîlius  Gany- 
medes ,  non  Laomedontis  ,  ut  l'idelur 
sensisse  Cicero prim.  Tuscul.  lapsus 
vide  'icet  memorid  (  quo  nomine  soient 
magni  viri  laborare.  ,  qui  grai'ioribus 
impediticuris ,  eu  m  citant  velautores, 
vel  autorum  testimonia ,  toto  ,  quod 
aiunt  ,  cœlo  abeiTant  :  id  quod  di/i- 
gens  lector  sœpè  in  sîristotelis  depre- 
hendet  libris  ,  prœsertim  de  moribus  ). 
f^erba  Ciceronis  hœc  sunt  :  IVec  flo- 
merum  audio  ,  qui  Ganymedem  h 
Diis  raptum  ait  propter  formant,  ut 
Jovi  pocula  mirùstraret  ;  non  justa 
causa  ,  cur  Laomedonti  tanta  fîeret 
injuria.  Fingebat  hœc  Moments  et 
humana  ad  Deos  transfère) 'al ,  diui- 
na  mallem  ad  nos  (4  )■  M.  le  Fè- 
vre  prétend  que  cette  censure  est  in- 
juste, et.  pour  le  prouver  il  allègue 
(5)  un  passage  du  scoliaste  d'Euripi- 
de ,  où  un  ancien  écrivain  témoigne 

(■>.)  Idem,  ibid.  ,  vs.  23o. 

(3)  Dans  f  liymme  pour  Vénus.  Voyez  la  re~ 
marque  suivante. 

(4;  Commentai-,  in  EmMcmaia  Alciali  ,  pag. 
m.  a<) ,  cul.  1.  Claude  du  Verdier,  Cens,  in 
Autl'or.  ,  pag.  Io5  ,  a  critique  celle  faute  de 
Cicéron 

[5)  Ilinc  animadvertere  pôles  salis  impro~ 
sperè  Ciceronem  à  muttis  reprehensum  fuisse 
qui . .  .  Ganymedem  Laomedontis  filiumjaciat. 
Tan,  l'aber",  epist.  LVIll,M.  Il,  pag.   i53. 


GANYMEDE. 


que  Ganymède  était  fils  de  Laomedon. 
Cela  veut  dire  que  ,  vu  le  partage  de 
sentimens,  Cicéron  a  pu  jouir  de  la  li- 
berté de  suivre  Homère  ,  ou  de  ne 
le  suivre  pas:  et  qu'ainsi  ce  n'est 
point  par  inadvertance  ,  ou  par  ou- 
bli,  mais  par  choix,  qu'il  a  dit  que 
Ganymède  était  fds  de  Laomedon. 
N'en  déplaise  à  l'apologiste  ,  la  cen- 
sure me  paraît  très-bien  fondée  5  car 
Cice'ron  en  cet  endroit-là  rapporte 
une  tradition  qui  venait  d'Homère  ,  et 
il  le  cite  qui  plus  est.  Il  n'y  a  donc 
aucune  apparence  qu'il  l'ait  voulu 
contredire  à  l'égard  du  père  du  beau 
garçon  enlevé.  Disons  donc  qu'il  crut 
qu'Homère  le  faisait  fils  de  Laome- 
don ,  et  concluons  que  sa  mémoire  le 
trompa. 

Notez  que  quand  je  me  suis  servi 
de  l'expression  vague  fils  d'un  roi  de 
Troie  ,  j'ai  eu  égard  aux  variétés  que 
l'on  observe  dans  les  auteurs  sur  ce 
sujet.  Hygin  assure  dans  le  chapitre 
CCXXIV,que  Ganymède  était  fils  d'As- 
saracus,  et  dans  le. chapitre  CCLXXI  ,  jj 
qu'il  était  fil 
q  11  es-un  s  (6) 

don ,  et  par  conséquent  fils  d'Ilus. 
D'autres  (7)  le  font  fils  de  Dardanus. 
Le  sentiment  d'Homère  est  le  plus 
commun. 

(E)  Jupiter...  le  fît  son  échanson... 
et  l'employa  a  d' autres  usages  très- 
criminels  S]  Les  vers  d'Homère,  que 
l'on  a  vus  dans  la  remarque  précé- 
dente ,  ne  marquent  point  qu'au- 
cun motif  d'impureté  ait  donné  lieu 
à  l'enlèvement  de  Ganymède.  Ils  té- 
moignent seulement  que  la  beauté  de 
ce  jeune  homme  engagea  les  dieux  à 
le  transporter  au  ciel ,  afin  qu'il  fût 
l'écbanson  de  Jupiter  ,  et  qu'il  vécût 
entre  les  natures  immortelles.  C'est 
comme  si  l'on  disait  qu'ils  le  trouvè- 
rent trop  beau  pour  ne  devoir  pas 
servir  d'ornement  à  la  cour  céleste, 
et  qu'ils  crurent  que  la  terre  n'ayant 
pas  assez  de  mérite  pour  posséder  un 
trésor  de  cette  importance,  il  lui 
fallait  procurer  une  habitation  plus 


*7 


tenu  dans  les  mêmes  bornes,  lorsqu'il 
a  parlé  de  Ganymède  dans  l'hymne 
de  Vénus.  Il  y  change  quelques  autres 
circonstances  :  car  il  suppose  que  Ju- 
piter l'enleva  afin  de  le  faire  l'échan- 
son  des  dieux  ;  mais  il  n'altère  point 
le  reste  : 

H  toi  y.h  |etv6àv    r*vf//j|if«a  //.itrUrci 

Ztùç 
HpTTct^  eov  oW  JtsUXo?,  ï»    àSavÂTOia-i 

/UlTitiJ  , 

Ktti  tî   Aïoç  K'XTa.   ^ôùfxa.  flsoîç  è^rioivo- 

QO.U/UO.  ifch  ,TavTÎ!T:n   TSTI//8V0Ç  àâ*- 
VatTOIS*!, 

Xpt/o-éoc/  tu.  Kpmtipoç   iqùo-o-uiv    vsKTap 
ipuBf.dv. 

Hic   quidem  Jlavum    Ganjmedem    consulter 

Jupiter 
Rapuit  suam  propter  pulchritudinem,  ut  cum 

Diis  conversarelur , 
El  Joi'is  in  domo  Diis  vinum  eflimderel , 
Mirabile  visu  ,  ab  omnibus  honoralus  immor- 

talibus , 
Aureo  ex  cratère  hauriens  nectar  rubrum. 

Apollonius  ne  s'écarte  point  de  cette 


lans  le  enapure  ^laai       idëe  j  et  pon  gerait  soupconneil 

ils  d  Erichthomus    Quel-     si  Fon  en  jugeait  autrement  sous  pré- 
)   le  font  frère  de  Laome-    texte  des 'derniers  mots  dont  il   s'est 


servi.  Rien  n'empêche  qu'on  ne  les 
réduise  au  même  sens  qu'Homère 
avait  exprimé  : 

....   MeTa.  kcli  ra.vi//x»'JW,  tov  pat. 

5TOT6   Zît/Ç 

Ot/estvw  syxat.i-ivzTcrîv  è<pçç-*ov  aiSav*- 

T  013-1  v , 
KctAXSOÇ  IJUipQltç 

....  Sed  cum  Ganymède ,  quem  aliquando 

Jupiter 
In    cœlo   locdral  ,    et   deorum  feceral  contu- 

bernalem  , 
Pulchriludinis  cupidus  (8). 

Les  autres  poètes  n'ont  pas  gardé  tant 
de  mesures  ;  ils  ont  dit  tout  net  que 
Jupiter  devint  amoureux  de  Gany- 
mède ,  et  qu'il  l'enleva  pour  conten- 
ter sa  pédérastie.  Voyez  les  deux  vers 
de  Piaule  que  j'ai  cités  ci-dessus  (9) , 
et  le  Xe.  livre  (10)  des  Métamorphoses 
d'Ovide.  Si  l'on  en  croit  le  grammai- 
rien Servius,  rapti  Ganrmedis,  dans 
Virgile  ,  est  la  même  chose  que   in- 


digne de  lui ,  c'est-à-dire    une  bonne    pmtl}  corruption).  Je  laisse  plusieurs 

Îuare  dans  le    pavs  de   1  immortelle 
) 


pays 
léatitude.    Cela   ne    désigne    aucune 
lasciveté,   Homère    s'est    exactement 

(6)  Txcties  ad  LycopViron.  ,  pag.  10. 

(7)  T.ucian. ,  in  Charidemo,  071er. ,   Coin.  //  , 
pag.  10  il). 

TOME    VII. 


(8)  Apoll.  Rhodius,  Argonaut. ,  lib.  III,  vs. 
n5  ,  pag.  m.  278. 

($)  Citation  (8)  de  l'article  Adonis. 

(io)  Vs.  i55  et  seq. 

(il)  Servius,  in  hac  verba  .'Eneid. ,  lib.  I, 
«.  28. 

E;  rapti  Ganymedis  honores. 


,8  GANYMÈDE. 

endroits  de  Martial,  et  nommément    riim  coiruptorenu/ue   et   cognatorum 

ces  cruatre  vers  :  quidem ;    quibus   nihil  aliud  ac~ 

tutti   est   quant   ut  pudor  hominibus 

DixUidem quoties  lascivo  Juno  Tonanli?  CVedullSSeilt..    11  est    indubitable  qilll 

IlletamengraciLcumGanymedejacel(n).      avait    en     VUC    la  fiction    de    l'cnlève- 

i  ,  ment  de  Gauymède ,  fiction  d'autant 
Je  ne  compte  pas  pour  peu  de  chose  lllsinjuriei4  à  jupiter  qu'il  était 
l'autorité  de  Lucien  ;  car  quoique  ce  fe  tAJieul  de  ce  -  *  ho'„Jme.  Cette 
fût  un  impie  qui  ne  se  plaisait  qu  a  ^  &  dire  à  quelques-uns  que 
tourner  en  ridicule  la  religion,  il  Dardanus ,  bisaïeul  de  Ganymède  ,n'é- 
fallait  que  ses  railleries  eussent  quel-  ^  ^  de  .,  Uer  ^  ^  ^ 
que  fondement  :  il  se  serait  rendu  lui-  ^  /comment  est-ce  que  Jupiter  au- 
nième  ridicule  s  il  eûtplaisante  sur  des  ^  cominettre  cette  infamie  ?  ,5'ed 
opinions ,  ou  sur  des  cérémonies  for-  alU^ores  idam  trddunt  Dardanum 
gées  dans  sa  tête,  et  imputées  calom-  et  Jasiu£  Corili  fdios  fuisse  non 
meusement aux  païens.  Il  prenait  JwU  nec  enim  (siitaJfuisset)  ad 
donc  dans  les  traditions  et  dans  le  u$us  imudicos  Ganrmedem  prone- 
culte  des  gentils  ,  la  matière  de  ses  m  s£um  habere  potuisset  (iB). 
satires  :  puis  donc  qu  il  a  suppose  r  ^  ^  ^  ^  ^  ^  .; 
que  Ganymède  était  tout  ensemble  le-  .  Qn{  reproche' raux  païens  cette 
chanson  et  le  mignon  de  Jupiter  infamie  du  plus  grand  de  leurs  dieux 
(i3),  il  faut  conclure  que  c  était  un  (  }  ()n  ne  gaur»u  chicaner  sar  ce 
sentiment  assez  commun  dans  le  pa-  int_la  commc  si  les  Clément 
ganisme.  Mais  nous  n  avons  que  faire  alexandrin,  les  Arnobe  ,  les  Lac- 
de  son  autorité  :  celle  de  Platon  ton-  ^  avaicnt  employé  la  superche- 
Le  seule  serait  suffisante.  Ce  grand  •  QU  méme  ]a  calomnie  contre 
philosophe  a  condamne  la  fiction  que  ]es  tils  Ils  ont  objecté  une  tra- 
ies Cretois  avaient  établie  touchant  ^^  bien  étaWie  ?  et  qui  s'e'tendait 
Ganymède,  pousses  a  cela  par  1  m-  ■  au  cult  car  le  même  Jupi_ 
teret  de  trouver  un  grand  exemple  4  que  pon  adorait  dans  ies  tem- 
qui  favorisât  leur  pédérastie  :  or,  la  ples  y  était  représenté  avec  Gany- 
fable  de  Jupiter  et  de  Ganymède  était  mède,  et  avec  l'aigle  qui  enleva  ce 
fort  propre  a  leur  intention,  parce  •  ne  on  Lisez  ces  paroles  de 
qu'on  croyait  que  leurs  lois  étaient  Jactance  (Î8)  :  Nam  quod  aliud  ar- 
venues  de  Jupiter  (14).  Ils  ensci-  entum  habet  imaqo  catamiti ,  et 
gnaicnt  donc  que  cette  divinité  se  e]m„iesaquiiœ  cum  ante  peiJes  J0lfis 
servait  de  Ganymède  pour  les  plai-  '  ;mntJ  in  tempUs  et  cum  ips0  pa. 
sus  de  1  amour.  Je  ne  saurais  m  çin-  ^  adorantur\  nisi  ut  nefandi 
pécher  de  citer  ici  Seneque,  qui  a  sceleri  ac  stupri  mentor  ta  maneat  in 
mis  cette  action  de  Jupiter  entre  les  œicrnum  ?  Consultez  aussi  Tatien 
folies  que  les  poètes  avaient  chan-  (  >  y,d  yu  dans  Jurénal  une  chose 
tees  touchant  ce  Dieu ,  et  qui  ne-  .  si  ifie  ril  y  avait  •  Rome  ou 
taient  propres  qu  a  oter  la  honte  du  un  temple  de  Ganymède  ,  ou  un 
crime  a  tous  ceux  qui  auraient  forme  ,(  )1(,  •  ;  contenait  Ia  statlle  de  cet 
une  telle  idée  de  la  nature  divine.  c:chanson  de  Jupiter.  Les  coramen- 
Swuestras  ha/lucinattonesfero,  dit-  ^^  nYclaircisscnt  guere  cet  en- 
il(i5),  quemadinodum  Jupiter  opli-  droit-l-i  ■ 
mus     maximus    ineptias    poëtarum  .'_.".  .           r ... 

,.  l      ,     ,/  .  Nuper    enim  ,    »(    repelo ,   fanitin    Isidis    et 

quorum  alias adultérant  ipsum  r    Ganrmedem 

induxit alias  raptorem    illgenilO-  Pacis  ,  et  advectœ  secrela  palatia  malris  , 

,(12)  Mort.,  epigr.  XUV.M.  XI.  Voyez  aussi  (16)  Lactant. ,  lib.  I,  subfin. 

2'Épigraihme  XXYII  du  même  livre.  (17)    Voyez   ci-dessus   la    remarque   fB)    de 

(ij)  Voyez  son  Dialogue  de  Junon  et  de  Ju-  l'article  de  Chrysippe,  Os  naturel  de  Pélops  ; 

piter,  Oper.,  tom.  /,  pag.   m     ia8.   J'en  rap-  el  saint  Augustin,  de  Civil.  Dci ,  lib.  VII,  cap. 

porte  un  passage  dans  la  remarque  (\i)  de  Par-  XXVI. 

1    .nous.  (18)  Lactant.  ,  Divin.  Instit.,  lib.  I,  cap.  XI, 

'  '  i)  l'Inio,  de  Legib.  ,  lib   I,  pag.  m.  "^O,  E.  pag.  m.   34- 

(i5)Scnecn,    de   Vitâ   bealn  ,  cap.    XXVI,  (19)    Voyez    la    remarque   (G),    à  la  cita* 

1  ■•      '■■  <«'»  (5çi). 


GANYMÈDE. 


Et   Cererem   (nom  quo  non  proslal  famina 

lemplo  ?  ) 
Notior  Aufidio  machus  celebrare  solebas(io). 

Pausanias  fait  mention  d'une  sta- 
tue de  Jupiter  et  de  Ganymède  qu'un 
certain  homme  de  Thessalie  nommé 
Gnothis  dédia  dans  le  fameux  temple 
d'Olympe  (21). 

(C)  Les  uns  disent  qu'il  le  fit  en- 
lever par  un    aigle,    les  autres    qu'il 

fut.  lui-même  le  ravisseur  sous  la  for- 
me de  cet  oiseau.]  Horace  et  Hygin 
(  22  )  sont  du  premier  sentiment  : 
Ovide  et  Lucien  sont  du  second. 
Voici  les  paroles  d'Horace  : 

Qualem  minùtrum  fulminis  attlem, 
Cui  rex  Peorum  regnum  in  aveis  vagas 
Permisil ,  experlus  Jidelem 

Juppiler  in  Ganymède Jlavo  (2 3). 

Pour  ce  qui  est  d'Ovide  ,  il  s'est  ex- 
primé de  cette  façon  : 

Nulld  tamen  alite  verli 

Dignatur  ,  nisi  qmv portât  sua  fulmina  tente. 
ISec  mora  :  percusso  mendacibus  aère  pennis 
Arripil  Iliadem ,     qui   nunc    quoque   pocula 

iniscet  , 
Invitâque   Jot'i  nectar  Junone  tninisirat  (a4)* 

Vous  trouverez  les  paroles  de  Lucien 
dans  le  dialogue  de  Jupiter  et  de 
Ganymède  (25). 

(D)  77  déifia  ce  jeune  garçon ,  et 
fit  un  très-beau  présent  au  père.] 
Tros  était  inconsolable  d'avoir  perdu 
ce  cher  fils  ;  mais  après  avoir  reçu 
quelque  dédommagement ,  et  la  nou- 
■v  elle  que  celui  qu'il  pleurait  vivait 
toujours  entre  les  dieux  ,  et  ne  vieil- 
lirait jamais  ,  il  se  consola.  Jupiter 
lui  fit  pi'ésent  de  quelques  chevaux 
qui  couraient  fort  vite  ,  et  qui  étaient 
du  nombre  de  ceux  qui  portaient  les 
dieux  (26).  Notez  queLaomédon,  fils 
de  Tros,  promit  à  Hercule  de  lui  don- 
ner les  chevaux  que  Jupiter  avait 
fait  servir  de  compensation  (  27  )  • 
mais  n'ayant  pas  tenu  sa  parole  il 
fut  assiégé  dans  Troie,  et  y  perdit  la 

(20)  Juven.  ,  sat.  IX,  vs.  22. 

(21)  Pausan.  ,  lib.  V,  cap.  XXIV,  pag.  m. 
44°- 

(22)  Hygin.,  Poëlic.  Astron.,  hb.  II ,  cap. 
XVI.  Voyez  aussi  Apollodore  ,  lib.  III,  pag. 
m.  221. 

(23)  Horat. ,  od.  IV,  Ijk.  IV. 

(24)  Ovid.,  Metam.,  lib.  X,  vs.  i5?. 

(a5)  Lucian.  ,  Oper. ,  lom.  I,  pag.  124  et  seq 
(26)  Tiré  d'Homère,  Hynin.  111  Venerem. 
(2-)  à.ùù)£  tiioç  "roiviiv  rav^>i<f50Ç. 
Dcdil  pr»  filio  compensalionem  Ganymède. 
Homer.  ,  Iliad.  ,  lib.  V,  vs.  266. 


vie.  Hercule  avait  demandé  ces  che- 
vaux-là en  récompense  du  service  de 
délivrer  Hésione,  fille  de  Laomédon, 
exposée  à  un  monstre  marin  (28). 
Notez  aussi  que  sans  que  Laomédon 
s'en  aperçût ,  Anchise  eut  l'adresse 
d'avoir  de  la  race  de  ces  chevaux 
(29).  Notez  enfin  que,  selon  quelques 
auteurs  (3o) ,  le  présent  que  Jupiter 
fit  au  père  de  Ganymède ,  fut  une 
vigne  d'or  que  Vulcain  avait  fabri- 
quée. Au  reste  ,  si  les  autorités  qu'on 
a  vues  ci-dessus  (3 1)  touchant  la  déi- 
fication de  ce  jeune  homme  ne  suffi- 
saient pas,  on  y  pourrait  joindre  le  té- 
moignage de  Pindare  v32^ ,  et  celui 
de  Lucien  (33) ,  et  ce  commentaire 
de  Servius.  Honores  dixil ,  vel  prop- 
ter  ministerium  poculorum  ,  ad  quod 
receptus  est.  remotâ  Hebe  filidJuno- 
nis ,  quœJoui  bibere  minisirabat  ;  vel 
ob  hoc  quod  inter  sidéra  collocatus  , 
aquarii  nomen  accepit;  et  non  ob  hoc 
tanlitm  irasciturJuno,  sed  quod  vio- 
latus  sit  ut  diwinos  honores  conseque- 
reiitr  (34).  Vous  voyez  dans  ces  pa- 
roles de  Servius  deux  choses  nota- 
bles :  Lune  est  qu'Hébé  qui  avait  la 
charge  de  verser  à  boire  aux  dieux  , 
fut  privée  de  cet  emploi ,  et  que  Ga- 
nymède fut  mis  à  sa  place  ;  l'autre 
est  qu'on  le  mit  entre  les  étoiles,  et 
qu'il  fut  le  signe  du  zodiaque  ,  que 
nous  appelons  Verseau ,  et  que  les 
Latins  appellent  aquarius.  Hygin 
observe  cela  (35).  Quel  crève-cœur 
pour  la  pauvre  Junon  de  voir  le  mi- 
gnon de  son  mari  occuper  la  place 
qu'on  avait  ôtée  à  sa  fille  Hébé  !  Le 
malheur  qui  était  arrivé  à  Hébé  fut 
bien  le  prétexte  de  sa  destitution  - 
mais  non  pas  la  vraie  cause.  Elle  était 
tombée  pendant  que  les  dieux  étaient 
à  table  ,  et  avait  montré  tout  ce  que 
la  pudeur  veut  que  l'on  cache  (36). 
Jupiter,  qui  désirait  ardemment  que 

(28)  Ex  Apollod. ,  lib.  Il ,  pag.  m.  123,  137. 

(29)  Homer.,   lib.   V,  vs.  26P. 

(30)  Votes  Tanaq.  Fabrum  ,  epi>t.  LVHI, 
lib.  If,  pag.  i53-  licite  le  scoliaste  d'Euripide, 
in  Orest. 

(3i)  Pans  la  remarque  (B),  et  dans  la  pré- 
sente remarque  y  citation  (16). 

(32)  Pindar.  ,  od.   X.  OJymp. 

(33)  Lucian.,  in  Jove  TiagœJo,  Oper.,  lom. 
II,  pag.  2o5,  et  in  ( ".haridemo,  ibul.,  pag.  ioifj. 

(34)  Servius  ,  in  Virgil.,  ^n.  ,  lib.  I,  vs.  98. 

(35)  Hygin.,  cap.  CCXXIV,  et  Poet.  Astron  , 
lib.  II,  cap.  XVI  et  XXIX. 

(36)  Voyez  ci-dessus  la  citation  (a). 


20  GANYMÈDE. 

Ganymède  fAt  son  échanson ,  profita  tentent  enlevé  par  un  prince  qui  en 
de  cette  conjoncture  pour  destituer  était  amoureux.  ]  Hérodien  rapporte 
cette  pauvre  tille. 

(E)  L'on  n'est  point  d'accord  sur  le 
lieu  oh  se  fit  l'enlèvement,  ni  sur 
l'état  oh  était  alors  le  garçon  qui  fut 
enlevé.]  Lucien  (37)  suppose  que  Ga- 
nymède  faisait  la  fonction  de  berger 
sur  le  mont  Ida,  lorsque  Jupiter  l'en- 
leva. Virgile  suppose  qu'il  y  chas- 
sait : 

Inlexlusque  puer  frondosdregius  Ida 
Veloces  jaculo  cervos,  cursuque  faligat  , 
Acer  ,    anhelanti  similis  ,  quein  prœpes     ab 

Ida 
Subliment  pedibus"  rapuil  Jovis  armiger  un- 
cis  (38). 

Valérius  Flaccus  (3g)  et  Staçe  (4°) 
ont  imite  cet  endroit  de  l'Enéide. 
Mais  Strabon(40  assure  que  l'on  di- 
sait que  Ganymède  avait  été  enlevé' 
dans  un  lieu  qui  s'appelait  llarpa- 
geia,  et  qui  était  situé  sur  les  con- 
fins du  territoire  de  la  ville  de  Pria- 


que  le  lieu  qui  se  nommait  Pessi- 
nunte,  dans  la  Phrygie,  avait  été  ainsi 
appelé ,  ou  parce  que  le  simulacre 
de  la  mère  des  dieux  y  était  tombé 
du  ciel ,  ou  parce  que  le  combat  qui 
s'y  donna  entre  Uns  et  Tantale  coûta 
la  vie  à  plusieurs  personnes.  Ces- 
deux  princes  ,  l'un  Phrygien  ,  l'autre 
Lydien  ,se  tirent  la  guerre  ,  ou  par- 
ce qu'ils  ne  purent  convenir  des  li- 
mites de  leurs  états  (45),  ou  plutôt 
à  cause  que  Tantale  avait  enlevé  Ga- 
nymède. Ce  dernier  perdit  la  vie  au 
champ  de  bataille  entre  les  mains  de 
son  frère  ,  et  celles  de  son  ravisseur  , 
celui-ci  ne  voulant  point  le  relâcher  , 
et  l'autre  faisant  tous  les  efforts  pos- 
sibles pour  le  lui  ôter.  Son  corps  ne 
s'étant.  point  trouvé,  on  donna  du 
merveilleux  et  du  divin  à  son  aven- 
ture ,  et  l'on  en  tira  la  fable  que  Ju- 
piter l'avait  enlevé  (46).  Nous  lisons 
pe  ,  et  de  la  ville  de  Cyzique  ;  et  que  dans  la  chronique  d'Eusèbe  (47),  qu'au 
selon  d'autres  ,  il  avait  été  enlevé  au    sujet   de  l'enlèvement  de  Ganymède 

il  s'éleva  une  guerre  entre  Tros,  père 


promontoire  de  Dardanie.  Les  Chal- 
cidiens(4i)  soutenaient  que  l'enlè- 
vement se  fit  chez  eux  ,  c'est-à-dire  , 
dans  l'île  d'Eubœe;  et  ils  montraient 
le  lieu  où  Jupiter  avait  fait  ce  rapt. 
C'était  un  lieu  plein  de  myrtes ,  et 
on  l'appelait  Harpaeium.  Notez  que 
c'étaient  des  gens  d'une  inclination 
excessive  au  péché  contre  nature. 
Tltù    va.   TreufiKÙ    Sctip.ov!a>ç    swtodvt*!. 

Prodigiosè  in  amore  puerorum  fia-  facto,  turpia ,  et  fabulas  turpiores  : 
gra/iÊ  (43).  Il  y  a  donc  bien  de  Fap-  quorum  Tantalus  rex  Phrjgiorum 
parence  qu'ils  débitaient  cette  tradi-    Ganymedem  Trois  Dardanwrum  re 


de  ce  jeune  garçon,  et  Tantale.  On 
assure  cela  sur  la  foi  d'un  écrivain 
nommé  Panoclès.  C'était  un  auteur 
erotique  (48),  ou  pour  m'expliquer 
plus  clairement  ,  un  compilateur 
d'aventures  amoureuses.  Orose  a  parlé 
de  cette  action  de  Tantale  ;  voici  en 
quels  termes  (49)  :  JYec  mihi  mine  enu- 
vierare  opus   est  Tantali  et  Pelopis 


tion  afin  de  se  mieux  couvrir  de 
l'autorité  et  de  l'exemple  du  plus 
grand  des  dieux.  C'est  ce  que  Platon 
a  pensé  des  habitansde  l'île  de  Crète, 
comme  je  l'ai  déjà  dit  (44)-  Suidas 
nous  a  conservé  une  autre  hypothèse 
touchant  le  lieu  de  l'enlèvement , 
voyez  la  remarque  suivante. 

(F)  Il  y  a  des    écrivains   qui 

prétendent  que  Ganymède  fut   réel- 

(37)  Lucian.  ,  in  TVial.  Jovis  et  Ganym. , 
Oper.  ,  loin.  I,  pag.  \il\. 

(iS)  Virg.  ,  TfCn. ,  tib.   V,  vs.  a5a. 

(3jj)  Valor.  Flarcus  ,  Argon.,  lib.  II,  vs.  4>4- 

(  y,    Statius,  Theb.  ,  lib.  I,  vs.  548. 

(/|i)  Sirali.,  lib.  Mit,  pag,  4°4-  l'oyei  aussi 
Steph.  llviant.  Kocr'Af 57217 <a. 

(43)  \il,,n.,  lib.  XIII ,  pag.  601. 

<\  '  j  Idem  ,  ibidem. 

(44;  Dont  ta  remarque  (B),  citation  (i4)- 


gis  ûliuin  chm  flagiliosissimè  rapuis- 
set ,  majore  conserti  certaminis  fos- 
ditate  detinuit ,  sicut  Phanocles poëta 
confirmât  ,  qui  maximum  hélium 
excitatiim  ob  hoc  fuisse  commémorât  : 
sive  quia  hune  ipsum  Tanlalum ,  ut- 
pote  asseclam  Deorum  ,  videri  vult 
raplum  puerum  ad  lïbidinem  Jovis 
familiari  lenocinio  préparasse,  qui 
ipsum  quoque  (ilium  Pelopem  epu- 
lis  ejus   non  dubitârit  imj/endere.  Eus- 

(45)  lly  a  dans  Hérodien  TTipi  l&£v  de  viis; 
mait  ,  selon  la  conjecture  de  Méziriac  ,  Com- 
mentaires sur  les  Epîtres  d'Ovide,  pag.&Hti,  il 
faut  corriger  TTifl  opeev  de  iinibiis. 
'  (46)  Hcrodian.,  lib.  I,  cap.  XI,  Voyez 
aussi  le  scoliaste  de  Lycophrorj,  pag.  5o. 

a*)  Emeb.,  num.  654. 

(48)  Voyvs  Scaliger,  in  Eusebium,  pag.  41. 
//  cite  Tlutarque,  lib.  IV,  cap.   V  IvfMfixs: 

(4g)  Orosius,  tib,  I,  cap.  XII,  pag.  m.  4,  45. 


GANYMÈDE. 


tathius  (  5o  ),  ayant  dit  que  ,  selon 
quelques  auteurs,  Tantale  avaitenle- 
ve'  Ganyraède  ,  ajoute  que  d'autres 
imputaient  ce  rapt  à  Minos.  Si  nous 
consultons  Suidas  ,  nous  apprendrons 
bien  des  circonstances  de  cet  attentat 
de  Minos.  Nous  y  verrons  que  ce  roi 
de  Crète  alla  voir  Tros  ,  et  qu'ayant 
su  que  les  trois  fils  de  ce  prince  e'taient 
à  la  chasse  ,  il  déclara  qu'il  voulait 
chasser  avec  eux.  Il  n'eut  pas  vu  plus 
tôt  Ganymède  ,  qu'il  conçut  pour  lui 
une  passion  très -ardente  :  il  le  fit 
enlever  ,  il  l'embarqua  dans  l'un 
des  vaisseaux  qu'il  avait  envoyés  par 
avance  sur  le  Granique ,  et  s'en  re- 
tourna en  Crète.  Ganymède  fut  si 
afflige  de  son  malheur,  qu'il  se  perça 
de  sa  propre  e'pe'e.  Minos  l'enterra 
dans  un  temple ,  et  de  là  vint  qu'on 
divulgua  que  ce  jeune  homme  con- 
versait avec  les  dieux  (5i).  Eustathius 
(5a)  particularise  la  chose  autrement. 
Il  dit  que  Ganymède  ayant  e'te'  violé 
se  pendit,  et  qu'on  fit  accroire  à  son 
père  qu'un  tourbillon  et  une  nue 
rayaient  enlevé',  afin  qu'il  futl'échan- 
son  de  Jupiter.  Vous  trouverez  dans 
Athe'née  qu'Ëcheme'nès  ,  qui  avait 
fait  un  ouvrage  touchant  ce  qui  con- 
cernait l'île  de  Crète,  avait  assure' 
que  Ganymède  n'avait  pas  été'  enlevé 
par  Jupiter,  mais  par  le  roi  Minos. 
Louis  Vives  assure  que  Tantale  ayant 
enlevé  ce  jeune  garçon  ,  le  transporta 
en  l'île  de  Crète  ,  et  le  donna  à  Jupi- 
ter (53)  :  pure  paraphrase  d'Orose  5 
mais  saint  Augustin  (54)  a  reconnu 
qu'il  n'y  avait  que  la  fable  qui  convînt 
à  Jupiter,  et  que  la  réalité  était  pour 
Tantale.  Voici  une  autre  tradition 
qui  ne  donne  point  un  motif  d'impu- 
dicité  à  la  conduite  de  Tantale.  Sui- 
das ,  sur  le  mot  "Iâiov  ,  et  Cédrenus 
aussi  racontent  que  le  roi  Tros  ayant 
subjugué  plusieurs  princes  ses  voi- 
sins ,  envoya  son  fils  Ganymède ,  ac- 
compagné de  cinquante  hommes  ,pour 
faire  un  sacrifice  d'action  de  grâces  , 
en  un  certain  temple  de  Jupiter , 
qui  était  dans  les  terres  de  Tantale. 

(5o)  Eustalb.  ,  ûi  lib.  XX  Iliad. 

(5i)  Tiré  de  Suidas  ,  in  M/vûiç. 

(52)  Eustathius,  in  lib.  XX  Iliad. 

(53)Lud.  Vives,  in  August.,  de  Civit.  Dei  , 
lib.  VU,  cap.  XXri,  et  lib.  XVI II ,  cap. 
XIII. 

(54)  Auguslin. ,  ibidem,  lib.  XVIII,  cap. 
XIII. 


21 

Mais  Tantale ,  s' imaginant  que  Ga- 
nymède venait  comme  espion  ,  pour 
s' informer  des  forces  de  son  royau- 
me, l'arrêta  prisonnier;  et  l'a  dessus 
Ganymède  tomba  malade ,  et  mourut 
(55)/ 

(G)  Les  peintres  qui  le  représen- 
tent enlevé  sur  le  dos  de  l'aigle,  se 
trompent,  et  ne  consultent  pas  les 
anciens   auteurs.  ]    M.    de   Saumaise 

(56)  a  censuré  cette  méprise  :  il  dit 
que,  selon  les  anciens  poètes,  l'aigle 
prit  Ganymède  par  les  cheveux  entre 
ses  serres.    L'auteur  qu'il  commente 

(57)  le  dit  aussi.  Notez  que  Martial 
suppose  que  l'aigle  avait  peur  de 
faire  du  mal  à  Ganymède. 

jfôlherias  aquild  puerum    portante  per  au- 
ras , 
Illwsum  timidis  unguibus  kœsit  onus  (58). 

Un  ancien  sculpteur  représenta  cela 
merveilleusement  (5t)).Un  docte  An- 
glais a  suivi  l'erreur  commune  des 
peintres  :  c'est  dans  un  ouvrage  dont 
la  traduction  française  fut  imprimée 
à  Rouen,  l'an  i656,  sous  le  titre  de, 
Le  Monde  dans  la  lune.  Voici  ce 
qu'il  observe  (60)  :  «  S'il  y  a  un  si 
»  grand  oiseau  en  Madagascar ,  ainsi 
»  que  le  raconte  Paulus  Vénétus  (*) , 
»  dont  les  plumes  des  ailes  sont  de 
»  douze  pas  de  longueur,  et  qui  peut 
»  enlever  en  l'air  un  cheval  et  son 
«  chevaucheur,  avec  autant  de  faci- 
»  lité  que  ferait  un  de  nos  Milans , 
»  une  petite  souris ,  il  ne  faudrait 
»  donc  qu'instruire  un  de  ces  oiseaux 
)>  à  porter  un  homme  ,  et  l'on  pour- 
»  rait  chevaucher  jusque-là  sur  son 
i>  dos  ,  comme  fait  Ganymède  sur 
»  un  aigle.» 

(55)  Méziriac,  Comment,  sur  les  Epît.  d'Ovi- 
de, pag.  885. 

(56)  Satmas.,  Not.  in  Achillem  Tatium,  pag. 
583. 

(57)  Achill.  Tatius,  pag.  m.  144. 

(58)  Mart. ,  epigr.  VII  ,  lib.  I. 

(5g)  Leochares  aquitain  sentientem  quid  ra- 
piat  in  Ganymède  ,  et  cui  ferai ,  parcenlem  un- 
guibus eliam  per  veslem.  Plin. ,  lib.  XXXIV , 
cap.  VIII,  pag.  m.  125.  On  faisait  grand  cas 
de  cet  ouvrage.  T/voç  Si  XÂptv  Stà  Asai^at- 
fo:/ç  ra.vvp.rifn  tov  ctvSùvyvvov  ,  ûç  ri 
<rwoi/(Ta.7ov  ê^;ovT«ç  x.r>ip.a.,  Tirtpnx.it.Ti. 
Cur  propler  Leocharis  sculptons  arlificium  Ga- 
nymedem  illum  ejj'œminatum ,  lanquam  exi- 
inium  aliquid  habentes ,  colilis  ?  Tatian.  ,  Orat. 
ad  Grajc.  ,  pag.  170. 

(60)  Le  Monde  dans  la  Lune  ,  7".  pan.,  pag. 
267. 

(*)  Lib.  III,  cap.  XL. 


22  GARASSE. 

GARASSE  (  François  ),  natif  Pasquier  vengèrent  leur  père  avec 
d'Angoulême*1,  se  fit  jésuite  l'an  beaucoup  de  hauteur  (B).  Mais 
1601  (a).  Il  fit  extrêmement  par-  celui  qui  écrivit  le  plus  fortement 
1er  de  lui ,  par  le  zèle  qu'il  té-  contre  ce  jésuite  fut  l'abbé  de 
rnoigna  contre  les  esprits  liber-  Saint-Cyran  (C).  On  veut  qu'à 
tins  et  contre  les  ennemis  de  cause  de  cela  le  père  Garasse  ait 
son  ordre.  Il  se  déchaîna  princi-  été  l'Hélène  de  la  guerre  des  jé- 
palement  contre  Théophile  et  suites  et  des  jansénistes  *'  (D).  La 
contre  Pasquier.  11  ne  manquait  dernière  action  de  sa  vie  futtrès- 
ni  de  génie,  ni  de  lecture;  et  belle.  Il  demanda  instamment  à 
comme  il  avait  beaucoup  de  feu,  ses  supérieurs  la  permission  de 
et  l'imagination  assez  vaste  ,  et  servir  les  pestiférés  pendant  une 
une  bonne  poitrine  ,  il  passa  pour  affreuse  contagion  qui  faisait 
un  grand  prédicateur.  Il  était  mille  ravages  dans  Poitiers  :  il 
fort  propre  à  soutenir  une  cause  l'obtint,  et  ayant  gagné  la  pes- 
en  chaire  :  son  tour  d'esprit  et  te  dans  cette  fonction  de  chari- 
ses  manières  faisaient  de  très-for-  té  ,  il  mourut  à  l'hôpital  au  mi- 
tes impressions  ,  vu  le  goût  de  ce  lieu  des  pestiférés  (E),  le  14  de 
temps-là;  mais  il  ne  devait  point  juin  i63i  ,  à  l'âge  de  quarante- 
se  mêler  d'écrire  ,  ou  s'il  ne  pou-  six  ans  (&).  11  s'était  réconcilié 
vait  renoncer  au  titre  d'auteur ,  de  fort  bonne  grâce  avec  le 
il  ne  devait  faire  que  des  vers  la-  prieur  Ogier  (F) ,  et  avec  M.  de 
tins*3,  ou  que  s'exercer  sur  des  su-  Balzac  (G).  Son  Rabelais  Réformé 
jets  peu  importans  ;  car  ayant  a  été  un  titre  trompeur  à  l'égard 
voulu  écrire  sur  les  vérités  les  de  Placcius  (H), 
plus  sublimes  que  les  libertins  II  employa  contre  les  poètes 
puissent  révoquer  en  doute  ,  il  a  une  maxime  qui  est  dans  le  fond 
moins  contribué  à  convertir  ces  Irès-bonne;  mais  on  la  tourna 
gens-là,  qu'à  les  endurcir  (A)  ;  contre  lui-même  (I).  Il  prétend 
parce  qu'à  tous  raomens  il  s'éloi-  que  ce  n'est  pas  une  bonne  excu- 
gnait  de  la  gravité  qui  convient  se  pour  des  pensées  profanes ,  que 
à  une  telle  matière ,  et  qu'il  se  de  dire  qu'on  ne  les  a  point  dé- 
servait de  mauvaises  preuves  ,  et  bitées  en  prose  ,  mais  en  vers. 
qu'il  citait  à  faux.  Il  se  trouva  J'aurais  dû.  dire  qu'il  est  l'au- 
exposé  à  la  critique  de  plusieurs  teurd'un//£e//e  diffamatoire  in- 
clûmes redoutables.    Les  fils  de    litulé  le  Banquet  des  sages  *a,com- 

,        .                     ,  **  Niceron,  dans  le  tome  XXXI  de  ses  Mé- 

1  Prospcr  Marchand  n  a  point  donne  d  ar-  moires^  a  donne-  un  article  au     ere  Garasse. 

t.cle  à  Garasse  ;  mais  il  en  a  consacre  un  très-  Joly  y  a  fait  quelques  additions  b.bliographi- 

long  a  1  AMi-Garasse ,  salue   contre   le  je-  ques  (  à  la  suite  de  s  ,s  remarques  sur  \  article 

suite  :  et  Prospcr  Marchand  prend  occasion  de  dc  Bayl(,    Quant  aux  livrcs  attribués  à  Ga- 

parler  de  deux  cent  quatre-vingt-quatorze  rasse,  Joly  donne  des  détails  curieux  ,  extraits 

nnli,  omis  par   Raillet,  et  sur  quelques-uns  des  Mémoires  manuscrits  de   Garasse,    sur 

desquels  il  donne  de  curieux  détails  hihho-  les  Quœstiones  politicœ,  1626.   * 

graphiques  ;  .1  a  Fait  quelques  additions,  page  (b)  Alegambe  ,  Biblioth.  script,  soc.  Jesu  , 

010  de  son  tome  II.  „.  I2* 

(a)  Alegambe ,  in  Bibliothecâ  scriptor.  so-  *s  Le  titre  de  l'ouvrage  n'est  point  Septem 

cict.  Jesu  ,  pttg.  124.  sapientes,  comme  le  dit  Alegambe  ,  cite'  dans 

"a  Joly  reproche  à  Rayle  de  supposer  que  la   note   (d)  ;    mais  Le    Bani/uet    (les  sages, 

te  pire  Garasse  réussissait  dans  la  poésie  la-  dresse  au  logis  et  aux'  dépens  de  M".  Louis 

Une.  Or  rien  n'est  moins  vrai.  Servin,  auquel  est  porté  jugement  tant  de  ses 


posé  contre  F  honneur  d'un  des 
premiers  magistrats  de  France 
(c).  Il  n'y  mit  point  son  nom  , 
mais  on  ne  laissa  pas  de  savoir 
qu'il  l'avait  fait  :  Alegambe  n'en 


GARASSE.  23 

et  renversée  par  le  père  François  Ga- 
rassus ,  de  la  compagnie  de  Jésus.  II 
croyait  avoir  donne  c'chec  et  mat  à  ces 
libertins ,  et  il  sut  en  peu  de  temps 
que,  selon  le  jugement  du  public, son 
livre  était  bien  plus  propre  à  fomen- 

disconvient  pas  (d).~On  le  cen-  te,r  l'athe'isnf«    S"**  *?    ruiner-   °,n 

*.    ™    '   •  i  î- '    î  adressa  aux  îesui  tes  le  îugement  et  la 

sura  vivement  d  avoir  publie    le  censure  de  cet  ouvrage  (i),  et  on  leur 

conte  des  Tapisseries  de  Jeanne  dit  qu'on  ne  saurait  croire  qu'étant 

d'Albret,  cpie  j'ai  rapporté  dans  des  premiers  et  des  plus  forts  cham- 

l'article  de  cette    reine  (e).    On  P™ns  de  la  vérité ,  ils  eussent  choisi 

,         ,.  't  -  le  père  Garasse  pour  la  défendre.  Cet 

prétendit  que  ses  médisances  a  homme  étant  mieux  pourvu  des  con- 

cet    égard-là  étaient  une   injure  ditions  nécessaires  à  un  poète  saliri 


faite  à  Henri-le  — Grand,  et  à 
Louis  XIII  (/).  On  soutint  qu'il 
avait  appelé  cette  princesse  li- 
bertine ,  profane,  ridicule ,  che- 
val échappe' ;  et  qu'il  l'avait  bla 


que  ,  et  a  un  farceur,  que  nonpas  des 
qualités  convenables  a  un  docteur  ca- 
tholique ,  a  fait  depuis  naguère  un 
livre  qui  porte  un  titre  spécieux  d'é- 
crit contre  les  athées  ,  et  qui,  a  par- 
ler sincèrement  et  comme  devant  Dieu 


f     i         -il  ,  j  •  est  un  cloaque  d'impiété,  une  senline 

sonnée  de  mille  autres  calomnies  .    „„„/-'■  F       '        ,    ,    "£ 

,     .  ,    e  ae  profanations ,    un  ramas  de  bon f- 

(g).   L  accusation  était  mal   ton-  fonneries  et  de  contes  facétieux ,  une 

dée,    et   il    se  justifia    assez  bien  satire  de  malignité  et  de  médisance 

(h).    On    le    censura    aussi    avec  contre    infinis  gens    de    bien  et   de 

î  j    i        .  j>        •       1  mente  (t.).    Apres  avoir  dit  plusieurs 

beaucoup  de  hauteur,  d  avoir  al-  -„té..0  „i;„aM.„„  „„  tn„  m  l 

,       ,      i  '  A  autres  choses  sur  ce  ton-la ,  pour  ca- 

legue  des  passages   malhonnêtes  racteriser  cet  ouvrage ,  on  demande 

(K).  Nous  verrons  (/)    comment  auxje'suites,  Si  ce  sont  là  les  moyens 

il  se  défendit.  de   défendre  la    vénérable    vérité   de 

notre  religion ,  si  ce  sont  la  les  vraies 


humeurs  que  de  ses  plaidoyers,  pour  servir 
d'avant- goût  à  l'inventaire  de  quatre  mille 
grossières  ignorances  et  fautes  notables  y 
remarquées  ,  par  le  sieur  Charles  de  Lespi- 
nait ,  gentilhomme  picard,  1617,  in-8°.  de 
soixante-quatre  pages.  Joly  donne  la  descrip- 
tion et  l'analyse  de  ce  volume  très-rare. 

(c)  Ogicr,  Jugement  du  livre  de  la  Doc- 
trine curieuse,  pag.  23. 

(d)Ilmet  entre  ses  écrits  ,  Septem  sapientes. 

(e)  y  oyez  la  remarque  (R)  de  l'article^  K- 
VARRE  (Jeanne  d'Albret  ,   reine  de). 

(f)  Ogier  ,  Jugement  de  la  Doctrine 
curieuse  ,  chap.  XI,  pag.   llfî  et  suiv. 

(g)  Défense  pour  Etienne  Pasquier,  liv. 
IV,  sect.  I,  pag.  6^4- 


armes  dont  il  faille  combattre  l'a- 
théisme, ou  si  ce  ne  sont  pas  plu- 
tôt les  inslrumens  de  la  perte  des 
âmes ,  et  les  inventions  du  père  du 
mensonge,  pour  rendre  la  vérité  ridi- 
cule et  méprisable  davantage  parmi 
ses  malheureux  suppôts.  La  même 
anne'e  i6a3,  Naudc"  publia  un  livre 
(3)  où  Ton  trouve  ces  paroles  (4)  : 
Pour  le  père  Garasse ,  il  est  vrai  qu'il 
a  tiré  quelques-uns  de  leurs  articles 
du  père  Robert ,  lesquels  il  a  fait  si  à 
propos  entrer  en  parallèle  avec  les 
façons  de  faire  des  libertins  de  ce 
temps,  que    tant  pour  ce   sujet    que 


(h)  Voyez  le  chap.  XV  de  /'Apologie  de  pour  V industrie  de  son  esprit  et  va- 
riété de  sa  doctrine ,  je  suis  fâché 
qu'il  subisse  la  censure  que  l'on  don- 
ne de  tous  ceux  qui  ont  fait  paraître 
leur  doctrine  en  même  matière,  savoir, 


Garasse  ,  pag.  m.  177  et  suiv. 
(t)  Dans  la  remarque  (K). 

(A)  //  a  moins  contribué  a  conver- 
tir les  libertins  ,  qu'à  les  endurcir.] 
Voici  le  titre  d'un  livre  qu'il  publia 
à  Paris,  l'an  1G23  :  La  Doctrine  cu- 
rieuse des  beaux  esprits  de  ce  temps  , 
ou  prétendus  tels  ,  contenant  plusieurs 
maximes  pernicieuses  à  l'état,  à  la  reli- 
gion et  aux  bonnes  mœurs,  combattue 


(1)  Le  prieur  Ogier  est  l'auteur  du  livre  qui 
parut  l'an  1623,  sous  le  titre  de  Jugement  et 
Censure  du  livre  de  la  Doctrine  curieuse  de 
François  Garasse. 

(a)  Dans  l'e'pûre  de'dicatoire. 

(3)  Intitulé:  Instructions  à  la  France,  sur  la 
vérité  de  l'Histoire  des  frères  de  la  Rosc-Croi*. 

(4)  Au  chap.  VI ,  pag.  Go. 


24 


GARASSE. 


que  personne  ri 'écrivit  jamais  mieux  que  François  Garasse  avait  dédié  sou 

contre  les  athéisles ,  que  les  greffiers  livre  a  feu  Etienne  Pasquier  la  part 

qui   ont   minuté  l'arrêt  de  leur  con-  oh  il  sera;  car,  (disait-il),  n'ayant 

damnation  :  si  toutefois  ,    suivant  le  jamais  su    reconnaître    l'air  de  votre 

dire  de  Terlullien  ,  l'église  toute  mi-  religion ,  je  n'ai  pas  su  la  route  et  le 


séricordieuse ,  non  quœrat  potius  pu- 
dorem  sull'undere ,  quàm  sanguinem 
effundere.  Il  revient  à  la  charge  au 
dernier  chapitre  de  son  livre  ,  et 
voici  comment  :  j'ai  quelques  mons- 
tres ii  combattre ,  dit-il  (5) ,....  «  qui 
■»  tirent,  par  une   industrie   abomi- 

)>  nable, l'impiété' ,  du  livre  de 

»  la  Doctrine  Curieuse  ,  lequel  par 
i>  une  témérité  et  impudence  non- 
■»  pareille,  ils  qualifient  du  titre  très- 
3>  pernicieux  de  l'athéisme  réduit  en 


chemin  que  vous  avez  tenus  au  départ 
de  cette  vie  ,  et  par  ainsi  suis-je  con- 
traint de  vous  écrire  h  l' aventure ,  et 
adresser  ce  paquet  la  part  où  vous 
serez.  Afin  de  le  payer  en  même 
monnaie  ,  on  lui  parla  de  cette  façon 
(9)  :  Ceci  m'a  fait  user  de  votre  liber- 
té ,  et  m'a  forcé  de  vous  adresser  ce 
paquet  en  quelque  lieu  que  vous 
puissiez  être.  Car  ne  sachant  si  vous 
êtes  au  Cormier  (  que  vous  appelez 
cabaret  d'honneui',   et  où   vous  con- 


}>  art.  Ce  qui  me  donne  occasion  de  fessez  d 'avoir  eu  maintes  repues  fran- 
»  déplorer  la  calamité  de  notre  sic-  ches)  ou  à  la  ville  de  Clama?' ,  au 
w  cle  ,    laquelle  est  élevée  à  un  tel   faubourg  Saint- Germain   (oh  votre 


3)  degré  de  malice ,  qu'elle  nous  ôte 
»  même  la  liberté  de  nous  opposer 
■»  aux  impiétés  les  plus  grandes,  et 
»  de  les  réfuter  par  les  moyens  les 
3)  plus  ordinaires  et.  légitimes ,  puis- 
3)  que  la  corruption  est  si  grande 
3)  que,  quand  les  religieux  zélés  ,  et 
)>  jaloux  de  l'honneur  et  intégrité  de 
3>  leur  religion,  voluerunt,  comme 
j>  dit  Lactance  (*) ,  posleris  etiam  ap- 
3>  probare,  quanta pietate  defenderint 
3>  religiones  ,  aucloritatcm  religionum 
3J  ipsarum  ,  testando  minuerunt.  » 

(B)  Les  fils  de  Pasquier  (6)  vengè- 
rent leur  père  avec  beaucoup  de  hau- 
teur. ]  Ils  attendirent  à  éclater  que 
Garasse  eût  lait  paraître  son  obsti- 
nation à  le  mordre  (7).  Il  avait  fait 
un  livre  contre  ses  Recherches ,  l'an 
i()'23(8).  L'année  suivante  il  le  mal- 
traita  en  cent  endroits  de  la  Doctri- 
ne curieuse  :  il  continua  le  même 
train  l'an  1624  >  dans  sa  réponse  au 
prieur  Ogier.  Alors  ils  perdirent  pa- 
tience,  et  publièrent  un  livre  très- 
violent  contre  ce  jésuite  ,  et  le  lui 
adressèrent  en  quelque  lieu  qu'il  pût 
être.  La  raison  de  celte  adresse  est 

(5)  Instructions  à  la  France,  sur  la  vérité  île  l'His- 
toire des  frères  tic  la  Rose-Croix  ,pag.  n3,  llA. 

(*)  l.ib.  I  de  Falsâ  rcligione. 

(6)  l'un  s'appelait  Nicolas  Pasquier,  sieur  de 
flîinxe,  et  avait  été  maître  des  requêtes;  l'autre 
l'appelait  Guy  Pasquier,  sieur  de  Bus.ty ,  et  était 
auditeur  des  comptes.  Voyez  le  privilège  de 
leur  livre. 

M  Voyez  Cépître  dc'dicaloire du  livre  intitulés 
Défense  pour  Klienne  Pasquier,  imprimé  h 
Paru  ,  l'an  i6î4- 

(8)  Intitulé  :  Las, Recherches  des  Recherches 
«I  .mires  «uvres  d'Etienne  Pasquier. 


nom  est  inscrit  en  si  beaux  caractères 
sur  tous  les  manteaux  de  cheminée  ) 
ou  en  quelque  autre  lieu  de  même 
espèce  ,  je  suis  contraint  de  vous  en- 
voyer ce  livre  a  V aventure ,  et  de  vous 
le  faire  tenir  en  quelque  lieu  que 
vous  soyez. 

(C)  Celui  qui  écrivit  le  plus  forte- 
ment contre  ce  jésuite  fut  l'abbé,  de 
Saint-Cyrano]  Il  attaqua  le  volume 
in-folio  que  Garasse  avait  publié  l'an 
i6î5,  sous  le  titre  de  la  Somme 
ihcologique  des  vérités  capitales  de 
la  religioji  chrétienne  :  sa  critique 
(10)  est  intitulée  ,  la  Somme  des  fau- 
tes et  faussetés  capitales  contenues 
en  la  Somme  théologique  du  père 
François  Garasse.  Elle  devait  conte- 
nir quatre  volumes;  je  n'ai  vu  que 
les  deux  premiers  et  un  abrégé  du 
quatrième;  et,  si  je  ne  me  trompe  , 
ii  n'y  eut  que  cela  d'imprimé.  Le 
Ier.  tome  contient  les  fautes  que  Ga- 
rasse avait  commises  en  citant  la 
Saitile  Ecriture  ,  saint  Augustin  et 
saint  Basile  de  Séleucie.  Le  IIe.  con- 
tient ses  fautes  sur  les  citations  des 
autres  pères  et  des  auteurs  séculiers. 
Le  IIIe.  devait  contenir  les  fautes  de 
théologie  ,  de  philosophie  ,  de  chro- 
nologie ,  de  cosmographie ,  etc.  Le 
IVe.  devait  contenir  plusieurs  héré- 
sies ,  erreurs  ,  impiétés  ,  irrévérences  , 
bouffonneries  et  vanteries  insuppor- 
tables. L'auteur  dédie   l'ouvrage   au 

.  (9)    Eptlre  dc'dicaloire  de  la  Défense    pour 
Klienne  Pasquier. 

(10)  Elle  est  in-quarto,  et  imprimée  à  Paris, 
l'an  1G2C. 


cardinal  de  Richelieu  ,  et  marque 
dans  son  e'pître  dédicatôire  qu'il  ho- 
nore la  société  des  jésuites  ,  com- 
me une  des  plus  fortes  compagnies 
de  l'armée  du  fils  de  Dieu ,  et  qui 
surpasse  en  courage  aux  occasions, 
et  l'escadron  invincible  de  la  Macé- 
doine, et  la  bande  inséparable  des 
amoureux    nui    mouraient    ensemble 


GARASSK.  ?.5 

res  pour  l'examen  de  ce  livre.  Mais 
cet  éclat  ayant  donné  l'alarme  aux 
jésuites,  ils  montrèrent  bien  que 
ce  n'est  pas  une  entreprise  facile 
que  celle  de  censurer  le  livre  d'un 
jésuite.  Car  ils  firent  tant  par  leur 
cabale  *  auprès  des  magistrats ,  que 
le  livre  de  Saint-Cyran  fut  fort 
long-temps  arrêté.»  L'auteur  ajou- 


pour  le  bien  public   en  Lacédémone  te   que    Garasse    choisit    lui-même 

(i  1).  Il  se  donne  dans  le  privilège  du  cinquante-trois  propositions  dans  son 

roi,  le  non  d'Alexandre  de  V Exclusse  livre  ,  les  plus  aisées  h  défendre  qu'il 

(12).  Je  ne  crois  pas  qu'il   soit   facile  put  trouver,   et  dont  il  n'y  en  avait 

de   trouver    une  critique  aussi  forte  pas   trois   qui  fissent   du    nombre  de 

que   celle-là.    On    y    rencontre    une  celles  dontlrl.  de  Saint-Cyran  l'accu- 

exacte  et  profonde  érudition  ,  un  ju-  sait  dans  son  ouvrage  ,  et  ayant  en- 

gement  solide,  et  une  sagacité  mer-  suite  formé  une  censure  à  sa  fanlai- 

veilleuse    à    découvrir     les     défauts  sie  ,  il  la  réfuta  tout  a  son   aise;  et 

d'un  écrivain.  C'est  une  des  plus  uti-  par  cette  adresse   il   éblouit   quelque 

les  lectures  que  l'on  puisse  faire,    et  temps  le  monde,  et  brouilla  l'examen 

surtout  lorsqu'on  a  dessein  de  s'éri-  de  son  livre  qui  se  faisait  en  Sorbon- 

ger  en  auteur  à  raisonnemens  par  au-  ne  :  de  sorte  que  «   M.   de  Saint-Cy- 


torités  ,  par  allusions  ,    par  compa- 
raisons ,  etc. 

(D)  On  veut  que...  le  père  Garasse 
ait  été  H.  Hélène  de  la  guerre  entre  les 
jésuites  et  les  jansénistes.  ]  C'est  la 
prétention  des  jansénistes,  car  voici  ce 
que  l'un  d'eux  a  publié  (i  3).  «  Ce  fut 
»  l'an  1626,  qu'elle  (1 4)  commença 
»  par  le  livre  d'un  jésuite  nommé 
»  Garasse,  intitulé  :  Somme  des  véri- 
»  lés  capitales  de  la  religion  chré- 
»  tienne.  Feu  M.  l'abbé  de  Saint-Cy- 
»  ran  y  ayant  remarqué  un  nombre 
j>  prodigieux  de  falsifications  de  l'E- 
»  criture  et  des  pères  ,  et  de  propo- 
»  sitions  hérétiques  et  impies  ,  crut 
»  que  l'honneur  de  l'église  deman- 
■»  dait  de  lui  qu'il  en  entreprit  la 
i>  réfutation  ,  quoique  sa  modestie  le 
»  fît  résoudre  en  même  temps  à  ca- 
»  cher  son  nom  ,  comme  il  a  toujours 
»  fait  dans  ses  autres  livres.  La  pre- 
»  mière  partie  de  cet  ouvrage  étant 
»  sous  la  presse  ,  le  bruit  qui  s'en  ré- 
»  pandit  de  toutes  parts  donna  lieu 
»  d'examiner  avec  plus  de  soin  le  li- 
»  vre  de  Garasse.  Le  recteur  de  l'u- 
»  niversité  en  fit  des  plaintes  à  la  fa- 
»  culte,  qui  nomma  des  commissai- 

(11)  Je  crois  qu'il  fallait  dire  Tlièbes  ,  et  non 
pas  Lacédémone.  Voyez  Plutarque ,  dans  la 
Vie  de  Pélopidas. 

(12)  Voyez  Colomiés,  Mélanges  liUtorifjues, 
pag.  26. 

(lî)  L'auteur  des  Imaginaires  ,  lettre  III  , 
pa>;.  m.  47. 

(>4)  C'est-à-dire ,  la  guerre  des  jésuites  et 
des  jansénistes. 


ran  eut  mille  peines  à  faire  lever 
l'empêchement  que  les  jésuites  ap- 
portaient à  la  publication  de  sa  ré- 
futation ;  et  à  détromper  le  monde, 
qui  s'était  laissé  surprendre  à  l'ar- 
tifice du  père  Garasse.  11  en  vint 
néanmoins  à  bout,  et  malgré  toute 
la  cabale  de  la  compagnie ,  et  les 
longs  délais  que  l'on  accorda  au 
père  Garasse.  Il  en  vint  néanmoins 
à  bout ,  et  malgré  toute  la  cabale 
de  la  compagnie  ,  et  les  longs  dé- 
lais que  l'on  accorda  au  père  Ga- 
rasse pour  se  rétracter ,  son  livre 
fut  censuré,  comme  contenant  plu- 
sieurs propositions  hérétiques  ,  er- 
ronées ,  scandaleuses  ,  téméraires  ; 
plusieurs  falsifications  de  passages 
de  l'Écriture ,  et  des  saints  pères  , 
cites  îi  faux ,  et  détournés  de  leur 
vrai  sens  ,  et  une  infinité  de  paro- 
les indignes  d'être  écrites  ,  et  d'être 
lues  par  des  chrétiens  et  par  des 
théologiens .  Les  jésuites  témoignè- 
rent    en  cette   affaire  quelque 

sorte  de  prudence Ils  ne  s'opi- 

niiHrèrent  point  à  soutenir  leur 
père  Garasse  ;  mais  ils  le  reléguè- 
rent loin  de  Paris  en  une  de  leurs 
maisons  ,  où  l'on  n'entendit  plus 
parler  de  lui;  et  par-là  ils  termi- 
nèrent cette  affaire.  Heureux  si  en 
assoupissant  ce  différent,  ils  eus- 
sent étouffé  dans  leur  cœur  le  res- 

*  Cabale  !  s'écrient  Leclcic  et  Joly  :  terme  in- 
jurieux qui  ne  prouve  rien. 


26 


GARASSE. 


»  sentiment  qu'ils  en  conçurent  con- 
»  tre  M.  l'abbé  de  Saint-Cyran  ,  qui 
»  les  a  depuis  engagés  en  tant  d'hoi-- 
»  ribles  excès  !  » 

(E)  //  mourut  au  milieu  des  pesti- 
férés.] Cùm  Pictavii  sava  lues  gras- 

saretur  ,  multis  precibus  exoravit 
moderatores  suos,  nt  sibi  liceret  tabe 
infectis  inservire  ;  quod  cùm  obti- 
nuisset,  in  iis  demùm  piis  oiliciis  , 
in  bospitalidomointer  infectos  ,  quos 
verbo  et  exemple  etiam  moriens  hor- 
tabatur  ,  sanctissimè  et  religiosissimè 
consumptus  est(i5). 

(F)  Il  s'était  réconcilié avec 

le  prieur  Ogier.]  Dès  que  l'apologie 
de  Garasse  eut  paru ,  le  prieur  se 
prépara  à  la  réplique  ;  mais  il  y  eut 
des  médiateurs  de  paix  qui  terminè- 
rent ce  différent.  Le  jésuite  prévint 
son  antagoniste  par  une  lettre  rem- 
plie d'honnêtetés.  Ogier  répondit  de 
même.  Le  public  fut  régalé  de  ces 
lettres  *  aussitôt  quelles  eurent  été 
écrites  (16).  Le  père  Alcgambe  a  fait 
ici  une  faute  dont  M.  Ogier  aurait 
demandé  réparation  ,  s'il  avait  été 
aussi  délicat  que  les  parens  de  Jansé- 
nius(i7);  car  il  résulte  manifeste- 
ment de  lanarration  d'Alegambe  (18), 
que  M.  Ogier  avait  été  hérétique  ,  et 
qu'il  s'était  converti  à  la  communion 
de  Rome.  Sotuel  n'a  point  corrigé  la 
faute  du  père  Alegambe. 

(G) et  avec   M.  de   Balzac.  ] 

Le  narré  de  leur  réconciliation ,  et 
les  lettres  qu'ils  s'entr'écrivirent ,  se 
Aoient  à  la  tête  de  la  Somme  théo- 
logique du  père  Garasse. 

(H)  Son  Rabelais  réformé  a  été  un 
titre  trompeur  al' égard  de  Placcius.] 
Cet  auteur  a  fait  un  livre  de  Scriptis 
et  Scriptoribus  anonymis  alque  pseu- 
donymis  :  il  a  eu   raison   de  mettre 

(i5)  Alegambe,Bibliotli.  scriptor.  sociel.  Jcsu, 
pag.  124.  roye%  aussi  Lescalopier,  in  Cicer., 
de  Nat.  Deorum  ,  Itb.   I,  nuin.  6/J. 

*  Joly  reproche  à  Bayle  «le  ne  pas  renvoyer  à 
ces  lettres,  qui  furent  publiées  à  la  date  donnée 
par  Bayle  dans  la  notc(i6j  ;  en  voici  le  titre  : 
Retire  dit  père  Garasse  à  M.  Ogier.  louchant 
leur  réconciliation,  etc.  in-i?  ,  de  soixante-dix- 
sepl  pages.  La  lettre  du  père  Garasse  finit  à  la 
page  47  ;  la  réponse  de  M.  Ogier  commence  à  la 
page  4g. 

(i6)  En  Van  iCa4- 

(17)  Voyez  leurs  Factums  contre  le  jésuite 
Ha/art. 

(18)  11  met  entre  les  livres  du  père  Garasse  , 
Littera  ad  dominum  Ogier,  et  hujus  ad  illum, 
<i<-  tud eum  eeclesid  reconciliatione..  Alegamb., 
liibliolli.  scriptor.  societ.  Jesu ,  pag.   124. 


François  Garasse  au  nombre  des  écri- 
vains anonymes  ;  car  il  y  a  divers 
ouvrages  de  ce  jésuite  où  l'auteur  ne 
mit  point  son  nom.  Tel  fut  le  livre 
qu'il  intitula  Le  Rabelais  réformé. 
M.  Placcius  s'imagine  que  Garasse  fit 
à  l'égard  de  Rabelais  ce  que  plusieurs 
ont  pratiqué  envers  Martial  et  Ca- 
tulle,  qu'ils  ont  donnés  au  public 
après  en  avoir  retranché  toutes  les 
paroles  sales.  Les  œuvres  de  Rabelais  , 
dit-il  (19) ,  ut  utjucunda  ,  sic  obscœ- 
nis  aliisque  scandalosis  plena,  casti- 
gata  imo  castrata,  titulo  Rabelasii  re- 
formati ,  Pictavii  et  Bruxellis  in-8°. 
nomine  reformantis  Francisci  Garas- 
si,  scriptis  aliis  notissimi jesuitœ  Galli, 
non  adjeclo  prodiére  ,  docente  Ale- 
gambe pag.  124.  La  vérité  est  que  le 
Rabelais  réformé  du  père  Garasse  est 
un  livre  de  controverse  ,  où  il  parle 
satiriquement  de  plusieurs  ministres, 
et  surtout  de  Pierre  du  Moulin  ,  qu'il 
accuse  d'être  imitateur  de   Rabelais  , 


le  titre  *. 

(I)  //  employa  contre  les  poètes 
une  maxime  qui  est  dans  le  fond  très- 
bonne  ;  mais  on  la  tourna  contre  lui- 
même.']  Voici  comment  il  débute  dans 
la  réfutation  d'un  sonnet  de  Théo- 
phile. «  Pour  répondre  à  ces  impié- 
»  tés  il  faut  que  par  anticipation  j'é- 
»  nerve  une  folle  et  faible  défense 
»  que  plusieurs  ont  en  bouche  ,  tou- 
»  chant  les  impiétés  de  cet  écrivain  ; 
»  car  pourvu  qu'ils  puissent  avoir  dit 
»  que  c'est  en  poésie  que  telles  cho- 
»  ses  sont  dites  ,  il  leur  semble  que 
»  le  crime  est  avantageusement  cou- 
»  vert ,  d'autant  que  ce  n'est  point 
»  en  prose ,  comme  si  la  rime  devait 
»  effacer  toutes  les  impiétés  et  licen- 
»  cier  les  esprits  à  prononcer  des 
»  blasphèmes.  11  est  vrai  que  ces  im- 
»  piétés  et  impertinences  que  je  dois 
»  combattre  sont  en  poésie  ,  je  le 
»  vois  bien  ;  mais  c'est  pour  cela  que 
n  je  les  estime  plus  coupables  que  si 
»  seulement  elles  étaient  en  prose  • 
»  car  elles  en  sont  d'autant  plus  étu- 
»  (liées,  recherchées,  pensées  pro- 
»  fondement,  et  par  conséquent  avec 

(19)  Placcius,  de  Anonymis,  cap.  XIV,  num. 
4GH,'  pag.   iii. 

*  La  première  édition  du  Rabelais  ré formé  fut  , 
dit  Joly  ,  laite  à  Bruxelles,  1619,  i7i'-8°. 


GARASSE. 


27 


»  des  termes  plus  efficaces,  plus  puis-    aisément  persuader  une  he're'sie  de' 
»  sans,   plus  élabores  ,  qui  font  plus    bitéepar  un  poète,  qu'une  hérésie  de 


»  d'empreinte  dans  les  esprits  des 
»  lecteurs.  Cléanthe  n'avait-il  pas 
)>  coutume  de  dire  que  la  voix  qui 
»  sort  d'une  flûte  et  d'une  trompet- 
»  te,  est  plus  puissante  que  celle  qui 
»  sort  simplement  par  la  bouche  ;  et 
»  que  les  pense'es  qui  se  lancent  par 
»  une  poe'sie  bien  faite  sont  beau- 
»  coup  plus  raides  ,  plus  durables  , 
»  plus  fortes ,  que  celles  qui  s'expri- 
»  ment  par  une  pe'riode  de  prose  ,  où 
»  les  paroles  sont  ordinairement  lan- 
»  guissantes  ?  J'ai  satisfait  amplement 
»  à  cette  objection  ridicule  dans  le 
»  XXe.  chapitre  de  mon  apologie  , 
»  où  j'ai  fait  voir  qu'une  impiété 
»  faite  en  poésie  n'est  que  d'autant 
»  plus  pernicieuse  (20).  »  Prenez 
bien  garde  que  j'ai  dit  que  dans  le 
fond  cette  maxime  est  très-bonne  ; 
car  je  ne  prétends  pas  l'adopter  aussi 
ge'ne'ralementque  ce  jésuite  l'adopte, 
ni  par  toutes  les  raisons  qu'il  allègue. 
Je  suis  très-persuadé  qu'en  mille  ren- 
contres il  y  a  beaucoup  moins  de 
mal  à  débiter  une  méchante  morale 
en  vers  qu'à  la  débiter  en  prose  ,  et 
qu'il  faut  rabattre  beaucoup  de  la 
pesanteur  d'une  censure  ,  par  la  rai- 
son que  c'est  un  poè'te  qui  parle.  Un 


bitée  en   chaire  ,  ou  dans   un   écrit 
dogmatique.  Je  n'adopte  donc  point 
les  raisons  du  père  Garasse ,  quoique 
je   convienne   du  gros  et  du  fond   de 
son  hypothèse  :  c'est  qu'une  mauvaise 
maxime  ,  ou  contre  les  bonnes  mœurs, 
ou   contre   les  dogmes  spéculatifs  de 
la   foi  ,   est   très-condamnable   dans 
quelque  sorte  de  poésie  qu'on  la  pro- 
pose. Je  conviens  aussi  que  la  licence 
qu'un  poè'te  se  donne    d'étaler  plu- 
sieurs   pensées  contre  la    morale  et 
contre  la  religion  ,   peut  produire  de 
mauvais  effets.  J'avoue  même  que  les 
agrémens  de  la  poe'sie  rendent  quel- 
quefois   plus    pernicieux    un  venin 
qu'il  ne  le  serait  en  prose.  On  ne  sau- 
rait  assez  déplorer  les  maux  que  les 
impiétés    poétiques  d'Homère    et  de 
ses    imitateurs    introduisirent    dans 
le  paganisme.  Les  personnes  éclairées 
connurent  bien  cette  source  ,  et  s'en 
plaignirent   hautement.   Ils  murmu- 
rèrent avec  raison  de  ce  que  les  poè- 
tes imputaient  aux  dieux  les  mêmes 
crimes  qui  se  commettent  sur  la  terre 
(21).  J'ai  cité  ailleurs  (22)  un  endroit 
de   Platon  ,  et  voici  un  beau  passage 
de  Cicéron.    IVec   enim  mullo  absw'- 
iliora  sunt  ea  quœ  ,  poëtarum  rocibus 


homme  qui  soutiendrait  dogmatique-  fusa  ,  ipsâ  suauitate    nocuerunt ,    qui 


ment  des  propositions  hérétiques,  se- 
rait cent  fois  plus  criminel  que  s'il 
les  mêlait  dans  une  pièce  de  poé- 
sie :  il  y  a  tel  poè'me  où  l'auteur 
avance  mille  choses  qu'il  ne  croit  pas, 
et  qu'il  ne  voudrait  jamais  réduire 
en  thèses  à  soutenir  contre  tout  ve- 
nant, et  que  même  il  ne  dirait  pas  en 
vers  ,  s'il  croyait  que  ses  lecteurs  le 
considérassent,  non  pas  comme  un 
jeu  d'esprit,  mais  comme  des  dog- 
mes, ou  des  articles  de  foi.  Il  prend 
plus  de  peine  ,  je  l'avoue  ,  à  les  tour- 
ner et  à  les  orner  ,  que  s'il  les  disait 
en  prose;  il  y  applique  donc  plus 
fortement  son  esprit  ;  il  y  médite 
plus  profondément  ;  mais  enfin  ce 
n'est  pas  toujours  l'image  fidèle  de 
ce  qui  se  passe  dans  son  cœur  :  il  ne 
prétend  point  donner ,  ni  sa  confes- 
sion de  foi ,  ni  un  modèle  de  créance 
à  ceux  qui  le  lisent  ;  et  il  faut  tom- 
ber d'accord  que  les  hommes  ne  sont 
pas  si  dupes  ,  qu'ils  se    laissent  aussi 

(20)  Garasse,  Sonrce  théologique  ,  pag.  3^0. 


et  ira  inflammalos  ,  et  libidine  j ure ri- 
tes induxerunt  Deos  ,  feceruntque  ut 
eoruni  bella,  prœlia,  pugnas ,  uul- 
nera  videremus  :  odia  prœterea  ,  dis- 
sidia  ,  discordias ,  ortus  ,  interilus  , 
querelas  ,  laiuentation.es  ,  effusas  in 
onini  intemperantid  libidines  ,  adul- 
teria ,  vincula  ,  cum  humano  génère 
concubitus ,  mortalesqueer  immortali 
procrealos  (23).  Les  pièces  de  théâtre, 
où  les  dieux  étaient  représentés  si 
indignement ,  excitaient  mille  pas- 
sions déréglées.  Cicéron  ne  le  dissi- 
mula point  ;  saint  Augustin  se  forti- 
fia de  son  témoignage.  Quomodo 
tanta  animi  et  morum  mala  ,  bonis 
prœceptis  et  legibus  ,  vel  imminent  ta 
prohibèrent  ,    vel   insita    extirpanda 

(21)  Voyez  dans  Z'Anti-Baillet  de  M.  Mina- 
ge, a  la  page  227  du  l".  tome  ,  quelques  vers 
de  Xénopuane  ,  rapportes  par  Se*tus  Erapiri- 
cus ,  pag.  57,  et  34i,  advers.  Malhematicos. 
Voyez  aussi  Forcatiilus,  «le  Gallorum  Imperio 
et  pliilosopli.  ,  lib.  IV,  pag.  m.  53-r 

(22)  Dans  la  remarque  (\)  de  l'article  J DN os . 

(23)  Ch cio  ,  de   Nat.  Deorum,   lib.  I ,  cap. 

XVI. 


28  GARASSE. 

cuivrent  Du  taies  ?  qui  etiam  semi-  leur  autorité  est  douteuse  ,  et  n'a  pas 

nandaetaugendaflagitiacuraverunt,  assez  de  poids  pour  nuire;  et  c'est  à 

talia  vel  sua,  veî  quasi  suafacta  per  nous  à  choisir  ce  qu'ils  avancent,  pour 

theatricas  celebritates populis  innotes-  le  bon   parti.    AÎ  S\   to»  7twt£v  V7n- 

cere  cupienles  :  ut  tanquam  autoritate  v*vtio)3-8iç   7rpoç  a.ôroùç   oLvra.va.qécoi/0-at.t 

divind   sud  sponte  nequissima   libido  t«v  ttiç'iv  ,  oùk  iwnv  i<rXfpà,v   pow«v  yt~ 

accenderetur  humana    :  frustra  hoc  vzrôiti   7rpoç  to  /2k*ttov.    ottou  y.h    dùv 

exclamante  Cicérone  ,     qui  ciim    de  ctùroTç  to  tiÔsv«.i  o-uvîyyt/ç  è»<^>avj7ç  7ron7 

poêlis   ageret ,  ad  quos  chm  accessis-  to.ç    oLvrtXoyi&ç ,   $n   t»   ^êXTiov»   o-uvn- 

set,inquit:  Clamor  et  approbatio  po-  yopm.  Poëtarumquoquecontradictio- 

puli  ,   quasi  ma  g  ni  cujusdam  et  sa-  nés    quibus  fidem  dictorum    dubiam 

pientis  magistri ,    quas  illi  obducunt  J'aciant ,  non  sinunl  ea  ad  nocenduiu 

lenebras?  quos  invehunt  metus  ?  quas  satis  momenti  habere.   Ubi  ergojux- 

inflammant  cupiditates  (24.)  ?  Cice'ron  ta  se  posita  contraria  dicta  apud  illos 

se  plaint,  dans  l'un  de  ses  livres,  que  evidenler  sunt,  meliori  parti  adstipu- 

la  lecture  des  poètes  amollit  le  cœur,  landum  est  (29).   Cet   expédient   de 

et  affaiblit  tous  les  nerfs  de  la  vertu.  Plutarque   n'est  pas   un  fort  bon  re- 

Videsne  poëtœ   quid  mali  afferant  ?  mède  ;   car   la   corruption    du   cœur 

Lamentantes  inducunt  fortissimos  vi-  nous  porte  plutôt  à  choisir  ce  que  les 

ros.   Molliunt   animos  nostros  ,   ila  poètes  avancent  en   faveur  du  vice , 

sunt.  deindè  dulces ,  ut  non  legantur  qu'à  choisir  ce  qu'il  avancent  en   fa- 

modo  sed  etiam   ediscantur.  Sic  ad  veur  de  la    vertu.  Outre  cela ,  leurs 

malam  do/nesticam   disciplinant,    vi-  contradictions  portent  à  juger   que 

tamque   umbratilem  ,    et     delicatam  leurs  maximes  les  plus  graves  et  les 

quhm  accesserunt  etiam  poëtœ ,  ner-  plus  dévotes,  ne  sont  que  des  jeux 

vos  omnis  virlutis  elidunt.  Jîectè  igi-  d'esprit,  et  qu'ils  n'en  sont  point  per- 

lur  a  Platone  educuntur  ex  ed  civi-  suade's.    On    s'imagine    qu'ils   ne   les 

taie ,  quam  Jinxit  ille  quiim    mores  étalent  que    parce    qu'ils   ont  trouvé 

optimos ,  et  optimum  reip.  statum  ex-  là  une  matière  susceptible  d'une  belle 

quireret  (25).    Tout  aussitôt  après   il  forme,  et  de   toute  la  majesté  de   la 

observe   comme    un    grand    abus    la  poésie.    Effectivement  ,    il   y    a   des 

coutume  qu'on  avait  de  faire  appren-  poètes  qui,  sans  avoir  aucune  piété 

die   de  tels  auteurs  à  la  jeunesse  ro-  ni  aucune  foi,   ont  fait  des  vers  ma- 

maine  (26).   Plutarque    n'en   jugeait  gnifiques   et  admirables  sur  les  véri- 

pas  de  la  sorte  ;  il  croyait  que  lalec-  tés  les  plus  sublimes   de  la  religion, 

ture    des    poètes    pouvait    servir  de  Ils  choisissaient  ce  sujet ,  parce  qu'il 

beaucoup  (27)  ;   mais  il   est  pourtant  leur   donnait  lieu  d'étaler    les   plus 

contraint  d'avouer  que  ce  n'est    qu'à  belles  phrases  ,  et  les  plus  brillantes 

cause    qu'ils    se    contredisent    (28).  figures   de   l'art.   Un   autre  jour    ils 

Leurs  dogmes  ,   dit-il  ,    sont   tantôt  choisiraient   une   matière  toute  con- 

bons  et  tantôt  mauvais,    tantôt  im-  traire,  pourvu   qu'elle    favorisât  les 

pies   et  tantôt  pieux.    Cela  fait  que  enthousiasmes  de  leur  imagination  ; 

,  ,,  ,              ,     _.  .     „  .     ,„     „  je    veux    dire   pourvu    qu'elle    leur 

(î4)August.  ,   de    Civil.    Dei,    hb.    II,    cap.    'V  ,.      1         .  j  î  ,.-,  n 

Xir,pag.  m.  ,88.  Ce  que  dit  ici  Cicéron  ne    fournit  des    idées    qu  il   se   crussent 

te  trouve  point  dans  les  livres  qui  nous  restent     propres  à  bien    exprimer.    Quel  poids 

peut  avoir  la  bonne  doctrine  que 
l'on  trouve  dans  des  auteurs  que  l'on 
croit  ainsi  tournés  ? 

Disons   en    passant    que  la  poésie 
JZle'rr?,"01  d°C'i  7         "  %?*'  hT    moderne  a  excité  beaucoup  de  mur- 

et  a  pueruia  legimus  et  discimus.  Hanc  erudi-  T,    .  ,       ...    *        /0       , 

lionem   liberalem  et  doctrinam  pulamus.  Idem,     mures.  J  ai    l'apporte    ailleurs  (Jo)  les 
ibidem. 

(2-7)  Voyez  le  Traite'  de  Plutarque ,  de  Au- 
diendis  Poétis. 

(28)  Ceci  rappellera  la  mémoire  de  ce  qu'a 
dit  M.  S. mu  m  dans  la  page  in?  de  son  Examen 
de  la  Théologie  de  M.  Jurieu.  //  n'y  a  rien  de 
quoi  !H,  Jurieu  ait  plus  lieu  de  se  féliciter ,  que 
de  tes  contradictions  perpétuelles ,  parce  que 
•  est  a  la  faveur  de  ces  contradictions  qu'il  est 
vrtlwdoxe. 


poi 

de  lui;  mais  voyez  ce  qu'il  dit  contre  lei  pièce; 
de  théâtre.  Tuscul.  Quœst.  ,  lib.  IV ,  cap 
XXXII. 

(■25)  Cicero,  Tuscul.   Quœsl.  ,  lib.  II,  cap 
XI.  ,  . 


plaintes  que  M.  de  Thou  et  M.  de 
Mézerai  ont  poussées  contre  les  poè- 
tes de  la  cour  de  Henri  II.  J'aurais 
pu  citer  aussi  le  sieur  de  la  Planche, 

(2f))  Plutarque  ,  de  Audiendis  Poétis  ,  pag. 
20  ,  C. 

(3o)  Dans  les  Pensées  diverses  sur  les  Co- 
mètes, num.  ia6  ,  pag.  56<>. 


GARASSE. 


car  voici  un  bon  endroit  de  son  ou- 
vrage. Ce  qui  aggrava  en  cejaict  l'ire 


dresse  à  Neptune ,  et  à  The'tis ,  qu'il 
appelle  numina ,  et  où  il  apostrophe 
la  nature  comme  une  déesse.  On  le 
renvoie  à  sa  propre  maxime  ,  et  aux 
rétractations  de  saint  Augustin.  Ce 
grand  saint  se  repentit  (37)  d'avoir 
donne  aux  muses  le  nom  de  déesses , 
quoiqu'il  ne  l'ait  fait  que  par  jeu  d'es- 
prit. On  censure  le  même  Garasse 
d'avoir  réveillé  des  idées  paganiques 
et  impudiques,  dans  le  poème  qu'il 
avait  l'ait  en  forme  d'épithalame,  du 
occasion  de  toute  meschanceté ,  ce  qui  verbe  et  de  la  nature  humaine.  Je  ne 
s'est  trouvé  principalement  en  cer-  dis  rien  des  reproches  qu'on  lui  fait 
tains  grands  esprits,  adonnez  a  la  touchant  ses  prières  en  prose  *,  où 
poésie  francoise  ,  qui  lors  vindrent  a  il  parla  des  erreurs  d'Ulysse  ,  et  des 
sourdre  comme  par  troupes  :  les  es-  lauriers  de  Thrace  et  de  son  talent 
crits  desquels  ords  et  sales ,  et  remplis    pour  la  poésie. 

de  blasphèmes  ,  sont    d'autant  plus        (K)   On  le  censura d'avoir 

détestables ,  qu'ils  sont  emmiellez  de    allégué  des  passages  malhonnêtes.  ] 
tous   allechemens  qui  peuvent  faire    Il  ne  pardonne  à  aucunes  saletés  et  dé 


de  Dieu  ,fut  que  la  cognoissance  des 
bonnes  lettres  (  moyen  singulier  or- 
donné de  Dieu  pour  apprendre  a  le 
cognoislre  deuemenl ,  et  par  consé- 
quent pour  la  conservation  du  genre 
humain  )  ayant  esté  ramenée  en 
France  par  le  roy  François  ,  plus 
anobly  par  cela  que  pour  autre 
chose  advenue  de  son  temps ,  se  tour- 
na aux  esprits  malins  et  curieux   en 


glisser,  non-seulement  en  toute  eilai 
laine  et  puante  lubricité,  mais  aussi 
en  toute  horrible  impiété,  tous  ceux 
qui  les  ont  entre  mains  (3i).  Joignez 
à    tout   cela   les    plaintes   amères  de 


bauches  ,  disait-on  (38) ,  lesquelles  il 
ne  peut  savoir  si  exactement  sans  les 
avoir  pratiquées.  Il  répondit  (3g)  que 
c'était  fort  mal  raisonner ,  et  le  mon- 
tra  entre   autes  exemples  par  celui 


Gabriel  de  Puy-Herbeau  (3a)  ,  et  les  des  jurisconsultes  j  qui  couchent  au 
raisons  qui  engagèrent  le  pape  Ha-  long  les  brigandages  avenus  ,  jugés  , 
drien  VI  à  ne  point  favoriser  les  poè-    et  condamnés  par  la  cour  (£0) ,  et  ne 


._  par  te  menu  toutes   les  espe 
le  Berger  extravagant  (34).  d'impudicité  ,  depuis  les  simples  pen- 

Voyons  à  cette  heure  comment  le  sées  jusqu'aux  incestes  et  brutalités. 
principe  du  père  Garasse  fut  employé  Lesquelles  ils  ne  savent  que  par  la 
contre  lui.  On  (35)  le  censura  d'avoir  théorie,  et  par  le  rapport  des  mé- 
fait des  vers  qui  contenaient  une  chans(ix).  «  On  lui  allégua  (4^  )  que 
chose  impie  .  et  on  l'avertit  de  se 
souvenir  de  ses  paroles  ,  que  la  rime 
n  efface  pas  les  impiétés-.  ••  ;  et  qu'une 
impiété  faite  en  poésie  n'en  est  que 
d'autant  plus  pernicieuse.  On  blâme 
(36")  les  vers  latins  qu'il  avait  faits  à 
la  louange  du  Soleil,  et  où  il  s'était 
servi  des  termes  les  plus  idolâtres. 
On  n'épargne  pas   les  vers  où  il  s'a- 


(3i)  Histoire  de  l'état  de  France  ,  tant  de  la 
république  que  de  la  religion  ,  sous  le  règne  de 
François  II  ,  pag.  7  ,  e'dit.  de  1576,  m-8°. 

(3î)  Gabriel  Putberbeus  ,  in  Tbeotimo  ,  sive 
de  tollen.lis  et  cxpnrgandis  malis  libris ,  lit,  I, 
pag.  77  ,  edit.  Paris.,  1 54ç) ,  in-8°.  Voyez  Voe- 
uus  ,  Députât,  theoiog.  ,  loin.  II,  pag.  \i',t\. 

^3)  Voyez  ta  remarque  \0)  de  l'article  Ha- 
drien VI. 

(341 .4  la  page  644  ,  73? ,  ei  alibi. 

(35)  L'abbe'  de  Saint-Cvran  ,  Somme  des  faus- 
setés capitales  contenues  en  la  Somme  de  Garasse, 
loin-  IV,  pag.  34* 

(36)  L'a  mente,  pag.  102. 


»  saint  Augustin  ditfort  élégamment, 
»  que  de  pudendis  rébus  cogit  ne- 
»  cessitas  loqui ,  honestas  circumlo- 
»  qui.  Que  l'infirmité  et  la  nécessité 
»  de  l'homme  l'obligent  à  parler  sou- 
»  vent  de  choses  sales  et  déshonnêtes: 
»  mais  que  l'honnêteté  lui  commande 
»  d'en  parler  avec  circonlocution  et 
»  périphrase.  »  Voici  son  apologie 
(43)  :  «   Pour    laisser    une    centaine 

(37)  Augnst.  ,  Rétractât.  ,  Itb.  I,  cap.  III. 

*  Joly  remarque  que  ces  prières  se  trouvent 
dans  la  Somme  lliéologique ,  a  la  fin  de  chaque 
livre  et  de  quelques  ebapitres. 

(38)  Jugement  de  la  Doctrine  curieuse,  iîan 
un  extrait  de  la  lettre  de  L.  R    L. 

(3g)  Garasse,  Apologie,  chap.  VIII,  pag. 
m.  9». 

(4o)  Là  même  ,  pag.  92. 

(40  Là  même. 

(42)  Jugement  de  la  Doctrine  curieuse,  chap. 
IV,  pag.  3i),  4o. 

(43}  Garasse,  Apologie,  chap.  IX,  pag. 
109  ,  110. 


3o 


GARASSE. 


»  d'exemples  de  cet  incomparable  les  livres  ne  pouvaient  se  communi- 
ai docteur  ,  auxquels  il  parle  du  dieu  quer  si  facilement  qu ils  font  à  pré- 
»  Stercutius  et  Cloacina  sa  parente  ,  sent  par  la  commodité  de  l' impression 
»  il  dit  des  paroles   bien  plus  mate'-  (5i)  ,  et  les  chrétiens  et  catholiques 

»  rielles  que  celles  qu'ils  reprennent  menaient  une  vie  angélique Ils 

»  en  moi  ,     qui  n'y  songeai  jamais  eussent  envisagé  ces   vilenies  et  ouï 

j>  aucune    impureté'.    Qu'ils    me    ré-  toutes    ces    profanations    avec    une 

»  pondent  à  cette  observation  de  saint  détest ation  et  une    aversion  incroya- 

»  Augustin,  au  livre  \l\  de  la  Cité  de  Mes  (5a) .  Aucune  de  ces  circonstances 

»  Dieu, chap.  i^.  Nonnulliabimosine  ne  peut  excuser   Garasse.    11   ne   ré- 


»  pudore  ullo  lam  numerosos  edunt 
■»  sonitus  ,  ut  etiam  ex  illâ  parte  can- 
j)  tare  videantur  ;  et  ceux  qui  rap- 
)i  portent  les  gentilles  observations  de 
»  Vives  touchant  cet  âne  qui  avait 
»  bu  la  lune  ,  pour  me  faire  voir  mes 
»  ânerics  prétendues  ,  qu'ils  pren- 
»  nent  la  peine  de  voir  les  paroles  de 
»  Vives  sur  ce  chapitre  ,  touchant  ce 
»  jeune  Allemand  qui  faisait  des 
j)  merveilles  de  ce  côté-là  ».  Il  avait 
dit  dans  son  livre  (44)  <]ue  publiant 
ces  maximes  d'impiété  il  ne  faisait 
rien  qui  n'eiît  été  pratiqué  par  les 
saints  et  par  les  pères  de  l'église  pri- 
mitive contre  les  gnostiques  etlescar- 
pocratiens  (45).  Son  critique  (4^) 
trouva  trois  disparités  dans  cette 
comparaison  :  la  première  est  que 
les  gnostiques  et  les  carpocratiens 
enseignaient  comme  des  articles  de 
foi  ce  que  les  pères  leur  attribuent. 
11  était  donc  nécessaire  de  réfuter  ,  et 


pondit  pas  exactement  :  il  supposa 
que  la  première  disparité  consistait 
en  ce  que  les  pères  étaient  forcés  de 
publier  ces  abominations  ,  d'autant 
qu'elles  étaient  publiques  et  comme 
autorisées  par  le  monde  (53)  ;  et  il 
répondit  que  «  jamais  les  impudicités 
»  de  Carpocras  ne  furent  si  connues 
»  dans  les  villes  de  la  Grèce  que  les 
»  impudicités  de  Viaud  ,  les  blas- 
»  phemes  de  Lucilio  ,  et  les  impiétés 
»  de  Charron  sont  connues  par  la 
»  France  (54).»  Vous  voyez  qu'il  ou- 
blie le  principal  point  de  la  diffé- 
rence ;  car  les  impiétés  et  les  saletés 
de  Théophile  n'étaient  soutenues  de 
personne  comme  des  dogmes  de  reli- 
gion. Cela  n'empêchait  pas  qu'on  ne 
fût  en  droit  de  les  réfuter  :  et  je 
m'étonne  que  Garasse  n'ait  point  dit 
qu'une  faction  de  débauchés  ,  qui 
publient  effrontément  des  maximes 
de  profanation  et  d'impureté    pour 


par  conséquent  de  rapporter,  ces  vi-    corrompre  la  jeunesse  ,    ne    mérite 


lenies.  Mais  les  profanations  rajipor 
tées  par  Garasse  sont  seulement  ac- 
tions et  paroles  d'esprits  débauchés 
et  enragés,  qui  n'avoueraient  jamais 
de  les  avoir  ni  dites  ni  commises  (fa). 
La  seconde  est  que  les  pères  ne  rap- 
portent qu'à  contre -cœur  les  héré- 
sies impures  qu'ils  sont  obligés  de  ré- 
futer. Garasse  au  contraire  a  ramas- 
sé gaiement  une  montjoie  d'ordures 
(48).  En  troisième  lieu  ,  les  pères  écri- 


pas  plus  de  support  que  des  héréti- 
ques dogmatisans  ;  qu'il  faut  donc 
crier  contre  les  livres  de  ces  débau- 
chés ,  et  en  citer  des  passages , 
aiîn  de  ne  laisser  point  soupçonner 
qu'on  les  calomnie.  Il  n'a  rien  dit 
sur  la  seconde  disparité,  et  il  as- 
sure même  (55)  que  son  censeur 
n'en  a  allégué  que  deux.  Il  pouvait 
néanmoins  se  défendre  en  deux  ma- 
nières :    en   niant  que  de  gaieté   de 


vaient  ponrles  gens  doctes  (49)-  Saint  cœur  il  eut  ramassé  des  ordures;  et 
Irénée  ,  évêque  de  Lyon  ,  écrivit  en  en  soutenant  que  la  répugnance, 
grec,  qui  n'était  ni  la  langue  de  l'em-    avec   laquelle    les  anciens  pères    en 


grec,  q 

pire  d'Occident,  ni  celle  de  la  Gaule 

en  particulier  (5o).  En  ce  temps  -  là 

(4V    Voyez    la   Doctrine    curieuse,    liv.  II, 
sect.  XV. 

(45)  Apologie  de   Garasse  ,  chap.  XII,  pag. 
i5x. 

C46)  Jugement  Je  la  Doctrine  curieuse,  chap. 
IX  ,  pat;.  106  et  suiv. 

(47)  Là  même,  pag.  108. 

l48)  I.à  même,  pag.  lia. 

(49)  /."  mime, pag.  n4- 

1 1.  ciiient  de  la  Doclrine  curieuse,  chap. 
IX.  pat;     11 5. 


étalaient ,  ne  pourrait  pas  les  discul- 
per, si,  au  fond,  c'était  une  chose  per- 
nicieuse et  criminelle.  Il  attaque 
fortement  la  troisième  disparité  ; 
c'est  là  qu'il  triomphe.  Elle  est  fausse 

(5i)  là  même ,  p"g.  117. 
(5a)  /.ii  même , pag.  »i8. 

(53)  Garasse,    Apologie,   chap.  XII  ,   pag. 
i5i. 

(54)  Là  même,  pag.  i5i. 

(55)  Là  même ,  pag.  i5i. 


GARASSE. 


3i 


et  ridicule  ,  dit-il  (56) ,  car  le  cen- 
seur «   dit  que  les  anciens  pères  ,  qui 
»  ont  publié  par  leurs  écrits  las  abo- 
>:  minatious   et  turpitudes   des    car- 
»  pocratiens ,  le  faisaient  non  pas  en 
»  langue   maternelle ,   mais   en    lan- 
»  gage    inconnu    ,    et    pratiqué    de 
j>  peu  de  monde  ;  et  que  c'était  seu- 
»  lement   pour  les  savans  :  et   de  sa 
)>  raison  il  nous  pose   une  merveil- 
»  leuse   instance  ,  d'autant  que  ,  dit- 
»  il ,  saint  Irénée,  évêque  de  Lyon  , 
»  n'a  pas    écrit   en   latin ,    qui  était 
•»  la    langue    connue    pour  lors    en 
»  France  ,    mais   il    écrivit   en  grec  , 
»  pour  n'être  point  entendu  du  vul- 
»  gaire  et    pour  n'exposer  le>    %  ile- 
»  nies   des   hérétiques  à    la   conuais- 
»  sance  de  tout  le  monde.    Or,  que 
»  saint  Irénée  ait  écrit   en    grec  ,  je 
»  ne  le  veux  pas  révoquer  en  doute  , 
»  je  le  sais   bien ,     grâces    à    Dieu  ; 
»  mais  je  dis  que  ce  ne  fut  pas  pour 
»  la  raison  qu'allègue  notre  prieur  , 
»  ains  pource  qu'il  était  Grec  d'ori- 
»  gine  ,  comme  son  nom  le  témoigne, 
m  et  qu'il  avait  cette  langue  plus  fa- 
»  milière  que  la  latine   :  car  ,  à    ce 
»  compte,  si  la  raison  alléguée  par  no- 
»  tre  prieur  était  recevable,  il  faudrait 
»  que  saint  Ëpipbane  et  Théodoret , 
»  qui  étaient  Grecs  de  nation  ,  et  qui 
»  écrivaient,  parmi  les  Grecs,  les  im- 
»  piétés  et  turpitudes  des  athéistes  et 
»  hérétiques  de  leur  temps  ,  eussent 
»  écrit    en   latin    ou   en    allemand  , 
»  pour  n'être  point  entendus  de    la 
»  populace  ■    et    cependant    ils   ont 
»  écrit  en  grec  familier  à  tout  le  peu- 
»  pie  de  cette  nation  ,  plus  d'abomi- 
'>   nations  qu'il  n'y  en  a  dans  quinze 
»  volumes   aussi    gros   que  le    mien. 
»  Mais  que   dirait  notre    homme   du 
»  docteur  Cocldée ,    qui  a  fait  en  al- 
»  lemand  un   livre  nommé  Lutber  à 
»  sept   têtes ,    qui  fut  depuis  traduit 
»  en  latin,  auquel  il  rapporte  en  bon 
»  allemand  ,  parlant  aux  Allemands, 
>'  toutes  les    impuretés    que    Luther 
»  avait  semées  dans  les  Allemagnes  , 
"  jusqu'à  produire  les  proverbes  in- 
"  filmes  et  les  horribles  dictons  que 
"  les  femmes  impudiques  avaient  en 
»  bouche  ,   voir   jusque-là   qu'il  dit 
»  qu'en  toutes  les  villes  d'Allemagne 
"  on  ne   parlait   plus  qu'un  certain 
8  jargon  de   maquerellage  ;  et  cotte 
"  les  particularités  ,  que  je  ne  pro- 
(50)  LU  même,  pag.  i53  et  suiv. 


»  duis  point ,  quoique  je  ne  les  igno- 
»  re  pas  ,  pour  les  avoir  lues  dans  le 
»  livre  de  ce  docteur,  avec  quelque 
»  frisson  d'horreur,  tant  elles  sont 
»  profanes  et  vilaines.  » 

Notez  qu'il  nie  qu'il  se  soit  servi 
du  mot  lavement  au  sens  nouveau 
(57).  A  cette  parole  ,  dit-il  (58)  ,  mes 
ennemis  s'écrient  que  j'ai  des  paroles 
àéshonnétes  en  bouche,  et  que  je  suis 

sans  honte  :  a  quoi  je  réponds 

pour  ma  justification  ,  qu'ils  me  font 
l>lus  savant  et  moins  innocent  que  je 
ne   suis  ;   car  ils    s'imaginent    que  je 
suis  versé  dans    les  façons  de  parler 
des  médecins  et  apothicaires  ,  et  grâ- 
ces h  Dieu  je   n'y  entends  rien  pour 
tout,  que  ce  que  le  commun  des  hom- 
mes y  peut   entendre.  Par  le  mot  de 
Lavement^'e  n'entends  autre  chose  que 
ce  que  j'ai  appris  grossièrement  par 
l'usage   ordinaire  du  peuple  et   des 
anciens    livres  de   médecine  ,    qui   ne 
sont  pas  si  fins    que  les  modernes  ; 
car  dans  les  vieilles  versions  françai- 
ses de   Lomhardus  Fuschius ,  je    vois 
que  le  mot  de  Lavement  ne  se  prend 
que  pour  les  gargarisâtes  ,     comme 
quand  il  dit  au  cinquième ,  que,  poul- 
ie  mal  de  dents  ,    il  faut  prendre  un 
lavement  d'eau  de  plantin ,  et  en  gar- 
gariser la  bouche.  Que  si  les  apothi- 
caires modernes  ,  pour faire  les  douil- 
lets, ont  profané  ce  mol,  je  ne   suis 
pas  obligé  de  m'en  servir  a  leur  usa- 
ge messéant  :  cai'  autrement  il  fau- 
drait que   quand  je  parle  de  l'hypo- 
stase  en  matière  de  théologie  ,  je   me 
gardasse   d'usurper    ce  terme ,  d'au- 
tant que  les  apothicaires  l'ont  profané, 
l'appliquant   avec    déshonneur    aux 
urines  de  leurs  malades;    et  par  con- 
séquent ,  si  je  prends  une  comparai- 
son de  l'hrpostase  ,  il  faudra    qu'on 
m'accuse    de  parler  avec    impureté. 
C'est   faire  bien  le    délicat  et  l'inno- 
cent, que  de  nier  que   l'on    entende 
le  sens  moderne  du  mot   lavement , 
mot   qui   n'a    été    inventé  que    pour 
succéder  à  d'autres  termes  trop  gros- 
siers.   Il  a  été    long-temps  à  la  mode 
parmi  les  personnes  les  plus   polies. 
On  commence  à  s'en  dégoûter  (5g). 

(57)  On  ne  trouve  point  lavement  ait  <ens  de 
clyslère  dans  Nicod  .  ni  dans  Monet ,  dont  j'ai 
l'édition  de  Van  i635. 

(58)  Garasse,  Apologie  ,  chap.  IX,  pag.  106, 
107. 

(5r)ï  l'oyez,  tome  XV,  /'Eclaircissement  snr 
les  Oh-cénilés  ,  an  paragraphe  IX 


32  GARDIE. 

GARDIE  (  Pontus  de  la),  que  les  Danois ,  les  Polonais ,  et 
grand  maréchal  des  armées  de  la  ville  de  Lubec  déclarèrent  à  la 
Suède,  sous  le  roi  Jean  III,  était  Suède  ,  soit  à  cause  de  la  mésin- 
un  gentilhomme  français  d'une  telligence  du  roi  avec  Jean  duc  de 
naissanceplus  illustre  que  ne  l'ont  Finlandie,  son  frère.  Ce  feu,  ca- 
dit  quelques  auteurs  (A).  Il  (a)  ché  au  commencement,  avait  en- 
futdestinépar  son  père  à  l'état  ec-  fin  éclaté.  Le  duc  et  sa  femme  , 
clésiastique  dans  le  monastère  de  sœur  de  Sigismond-Auguste ,  roi 
Montoliou,  au  diocèse  de  Carcas-  de  Pologne,  avaient  été  enfermés 
sonne  ;  mais  l'ardeur  de  son  cou-  dans  une  prison  ;  plusieurs  per- 
rage  ne  lui  permit  pas  de  souffrir  sonnes  suspectes  de  leur  être 
long-temps  cette  clôture  ;  il  en  favorables  furent  maltraitées  :  le 
sortit  bientôt  pour  s'en  aller  à  roi  se  porta  à  de  grands  excès 
la  guerre.  Il  fit  ses  premières  de  cruauté;  mais  comme  il  sut 
armes  dans  le  Piémont,  sous  le  que  l'on  commençait  à  dire  que 
maréchal  de  Brissac  ,  puis  il  pas-  de  droit  il  était  déchu  du  gou- 
sa  en  Ecosse  avec  les  troupes  que  vernement  (d) ,  il  affecta  de  don- 
Henri  II  y  envoya  sous  la  con-  ner  un  grand  exemple  de  dé- 
duite de  Henri  Clutin  d'Oisel  ,  mence  ,  en  redonnant  à  son 
pour  secourir  la  reine-mère  con-  frère  son  premier  état ,  et  en 
tre  ses  sujets.  Cette  guerre  d'E-  mettant  auprès  de  lui  un  sei- 
cosse  ayant  été  terminé,  il  passa  gneur  de  tête  et  brave  (B),  qui 
en  Danemarck  ,  et  se  signala  pût  lui  rendre  en  toutes  rencon- 
dans  les  armées  du  roi  Fridéric  très  les  services  nécessaires.  Ce 
II  ,  contre  Eric,  roi  de  Suède,  fut  notre  Pontus  de  la  Gardie. 
Il  changea  de  maître  quelque  Quelque  temps  après ,  on  crut 
temps  après;  car  ayant  obtenu  que  le  roi  avait  dessein  de  se  dé- 
un  congé  très-honorable  du  roi  faire  de  tous  ses  frères  pendant 
de  Danemarck ,  il  s'attacha  au  la  solennité  de  ses  noces.  C'est 
service  du  roi  de  Suède  (b).  Ce  pourquoi  on  les  exhorta  à  n'y 
fut  l'an  i565.  On  l'envoya  en  point  aller  ,  et  à  délivrer  le 
France  l'année  suivante  avec  un  royaume  de  l'oppression  (C).  Ils 
autre  ambassadeur,  pour  deman-  écoutèrent  ce  conseil,  ils  cou- 
der à  Charles  IX  la  permission  rurent  par  toutes  les  provinces  , 
de  lever  des  troupes  dans  son  ils  y  levèrent  du  monde,  et  se 
royaume   :    cette    affaire    fut    si  mirent  en   état   de   destituer  le 


bien  conduite  ,  qu'ils  amenèrent 
en  Suède  trois  mille  hommes  de 
pied,  et  mitant  de  cavaliers  (c). 
Ils  trouvèrent  à  leur  retour   les 


roi.  On  marcha  droit  à  Stock- 
holm :  on  y  entra,  et  après  quel- 
ques conférences  ,  et  quelques 
escarmouches  où  la  Gardie ,  l'un 


affaires  de  ce  pays-là  en  mauvais  des  chefs  des  troupes  de  Jean , 

état,  soit  à  cause  de  la  guerre  duc  de  Finlandie,  fut  blessé  au 

,  t„.                ,  „,     ,.       »    ,     •  bras ,  on  vint  à  bout  de  l'aflàire. 

<i)  Mezerai,  apud  Glaudium  Arrhenium  ' 
QEmbielin,    in    Vità  Ponti   de   la  Gardie, 

pag.  II.  {d)  Cette  post  palvatas  innneentium  mul- 

'    Claud.  Arilicniiis  OErnbielm ,  in  Vitâ  torum  cmdes ,  jam  non  obscùrœferebantur 

Ponti  de  la  Gardie,  pag.  il.  coces  populi,  regnandi  jure  excidisse  un- 

ibidem,  pag.  \l\ ,  i5.  mitem  principem.  Idem,  ibidem, pag.  16. 


GARDIE.  33 

Le  roi  Éric  fut  détrôné,  et  mis  quelques  villes  impériales,  etc., 
eu  prison,  l'an  i568.  Jean,  son  et  puis  à  la  cour  de  Rodolphe, 
frère  ,  fut  élu  pour  lui  succéder ,  qui  venait  d'être  créé  empereur, 
et  il  donna  tout  aussitôt  à  la  II  passa  ensuite  les  Alpes  pour 
Gardie  la  qualité  de  grand-mai-  aller  â  Rome,  où  il  eut  diverses 
tre  de  sa  maison  ,  et  lui  commit  audiences  de  Grégoire  XIII, 
tous  les  soins  du  couronnement,  après  quoi  il  fut  à  INaples  pour 
qui  ne  se  fit  que  le  10  de  juillet  retirer  ce  qui  était  dû  à  son  maî- 
i56q  Personne  n'avait  plus  con-  tre  (h)  par  rapport  aux  biens  de 
tribué  que  la  Gardie  au  bon  succès  Bonne  Sforce,  mère  de  la  reine 
de  cette  révolution.  Sa  vigilance,  de  Suède.  Il  revint  à  Rome,  et 
son  adresse  ,  sa  fermeté  y  éclate-  y  conféra  quelquefois  avec  le  car- 
rent admirablement.  Le  nouveau  dinal  Hosius;  mais  on  ne  sait 
roi  n'ayant  pu  conclure  une  bon-  point  de  quelles  affaires  il  traita 
ne  paix  avec  celui  deDauemarck  avec  le  pape  (i)  (D).  Il  ne  fut  de 
marcha  contre  lui.  Il  se  donna  retour  à  Stockholm  qu'au  bout 
une  bataille  ou  la  Gardie,  fort  de  dix-neuf  mois.  Il  épousa,  au 
blessé,  fut  fait  prisonnier.  Il  ne  mois  de  janvier  i58o  ,  une  fille 
recouvra  sa  liberté  que  par  le  naturelle  du  roi  de  Suède,  et  il 
traité  de  paix  ratifié  le  16  de  reçut  ordre,  quelques  mois  après, 
mars  iS^i.  Il  avait  été  fait  che-  de  faire  irruption  sur  les  états 
valier  (e)  le  jour  du  couronne-  du  grand-duc  de  Moscovie  ,  avec 
ment  ,  et  il  acquit  un  nouveau  toutes  les  troupes  qu'il  trouve- 
titre  le  27  de  juillet  1571.  Ce  rait  dans  la  Finlandie  et  dans 
fut  celui  de  baron  d'Eckholm  ,  les  provinces  voisines.  Il  fit  cet- 
avec  de  grands  biens  attribués  à  te  expédition  en  qualité  de  géné- 
ce  titre.  En  même  temps  il  fut  rai  [kj  :  ses  instructions  porte— 
en-voyé  {f)  en  ambassade  avec  rent  entre  autres  choses  (/)  , 
deux  autres  à  quelques  villes  im-  qu'on  ne  ferait  aucun  mal  aux 
pénales,  à  l'évêque  de  Munster,  Moscovites  qui  se  soumettraient, 
au  comte  d'Oostfrise  ,  au  duc  et  qu'on  laisserait  aux  moines  et 
d'Albe  ,  au  roi  de  France,  au  aux  religieuses  une  pleine  liber- 
roi  de  JNavarre  ,  au  roi  d'Espa-  té  de  conscience,  sans  leur  ôter 
gne  ;  et  peu  après  son  retour,  les  images,  ni  les  autres  meubles 
il  fut  employé  aux  affaires  de  de  religion  (E;.  Il  se  rendit  maî- 
la  guerre  ,  car  on  l'envoya  en  tre  de  la  proviuce  de  Carélie  en 
Livonie  au  mois  d'août  1673,  fort  peu  de  temps  (m).  Il  fut 
pour  arrêter  les  progrès  du  fait  (n)  gouverneur  de  Livonie 
grand-duc  de  Moscovie  [g).  On  et  d'Ingne  l'année  suivante  ,  et 
le  rappela  trois  ans  après  pour  il  continua  ses  conquêtes  sur  les 
lui  confier  une  ambassade  im-  Moscovites  avec  beaucoup  de 
portante  dont  il  s'acquitta  très— 
bien.    11    négocia  d'abord     avec       ^SZ\mSl\%^. 

(tySummi  militia  prœfecti titulo.  Idem , 
(fi)  Etptes  auratus.  OErnhielm,  in  Vitâ  P.    ibid.     prie    i-\. 
de  ia  Gardie,  pag.  19.  (f)'ld,m,  ibidem,  pag.   17». 

{/    Idem,  ibid. ,  pag.  23.  (m)  Idem,  ibid  ,  pag.  176. 

(g)  Idem,  ibid.,  pag.  m.  [ri)  Ibidem  ,  pag,  I78. 


TOME    VU. 


3 


34  GARDIE. 

bonheur  et  de  prudence.  Il  leur    sortit,  du  côté  des  femmes  ,  le  mare- 

a^     iv  .      *„  „li/-o   An  Narra  chai   de    Bellegarde,  gouverneur  du 

ota  1  importante  place  ae  nerva  .       ,    g  .      »  o 

"  1  r  ,        ,  marquisat  de  Saluées ,  sous  Henri  JII 

et  plusieurs  autres  ;    et    [o)  les  (2)    Vous  trouvez  sur  tout  cela  un 

obligea    en    i5S3    à  consentir  à    détail  circonstancié  dans   la  Vie  de 

une    trêve    de    trois    ans  ,    sans    Pontus  de  la  Gardie  ,  composée    par 

,i      ,llt„,.i0n(   ««/.un*»   Aoa  M.  OErnhielm,  historiographe  deSuè- 

qu  ils  recouviassent  aucune  des  -.                 .,.',     ,,      »  rl      ,. 

...                               j            TI  de,    et    publiée     1  an     îoqo.    11    cite 

villes   quils  avaient  perdues.  Il  M   de  Thou  qui  a  dit  :  Pontus  Gar- 

s'occupa  pendant  celte  trêve  aux  dius   nobili  loco    apud  nos  in   Pe- 

moyens  les  plus  capables  de  faire  trocorus  natus  (3)  ,  et  M.  de  Mézerai 

a  •  c^,,  rr^,-.„c.marr,an*  Tl  Tut  dont  il  traduit  les  paroles  en  cette 
fleura  son  gouvernement,  il  lut  „  i       .  n     ,.   ,    . 

.  ,°  il'-  manière    :    Pater  ejus    (  Ponti  de  la 

aussi  (p)  le  second  plenipoten-  Gardii  )  illastri  domo  arias  propè 
liaire  de  Suède  dans  les  confé—  Ruesium  in  Septimanid.  11  croit  sans 
rences  qui  se  tinrent  à Pernovie,  raison  que  les  Petricorii :  de  M.  de 
l'an  1 585,  avec  les  ambassadeurs    Jhou  sont  présentement  une  partie 

du  Languedoc  (4)  :  il  eut  mieux  lait 
de  critiquer  ce  fameux  historien , 
qui  sans  doute  a  voulu  dire  que  Pon- 
tus de  la  Gardie  était  né  dans  le  Pé- 
rigord  ,  ce  qui  n'est  pas  vrai.  Sa  faute 
peut-être  vient  de  ce  qu'il  avait  ouï 
dire  que  Pontus  était  né  à  Peiregoux. 
C'est  une  seigneurie  au  diocèse  de 
Castres  :  elle  appartenait  à  la  famille 
de  la  Gardie ,  et  c'était  toujours  le 
partage  de  l'aîné.  M.  OErnhielm  le 
remarque  (5)  ,    et   il    ajoute   que   la 


de  Pologne,  pour  la  paix  des  deux 

royaumes   :  elles  furent  bientôt 

rompues;  après  quoi  on  négocia 

avec  les  ambassadeurs  de  Mosco- 

vie  ,  ou  pour  la  prolongation  de 

la  trêve,  ou  pour  un    traité  de 

paix.   Il  périt,  malheureusement 

dans  une  rivière  (F),  pendant  le 

cours  de  ces  négociations,  le  5  de 

novembre  i585(«y).  On  l'enterra    Gardie  est  située   entre    Castres   et 

à  lievel  ,  où  quatre  ans  après  ou    l'albigeois.  C'est  une  erreur  pardon- 

,    •  c.  .      •  ,        l.  j      nahle  a  une  personne  si  éloignée  de 

lui  fit  construire  un  tombeau  de    ce  là    £astres  ^  dans8rAlbi_ 

marbre  (r).  Sa  postérité  est   en-  geois  ;  ainsi  la  situation  de  la  Gardie 

core  très-florissante  dans  la  Suède  n'a  pas  été  bien  désignée  :  il  la  fallait 

(G).  Je  dirai  ailleurs  (s)  quelque  marquer  au  diocèse  de   Carcassone. 

■  i  ,.       .      , •   i„  Quoi  qu  il  en  soit,    on    î 

chosequiadurapportacetarticle.  ^  ^  mUjw  ^  non 


(o)  OErnhielm,  in  Vilâ  Ponti  de  la  Gar- 
die  ,  pag.  190. 

(p)  Idem,  ibid. ,  pag-.  19S. 

(1/)  li/cm,  ibid. ,  pag.  2l3. 

(/*)  Idem  ,  ibid.  ,  pag .  21^. 

(s)  Dans  l'article  Typot  ,  remarque  (A.)  , 
loin.   xir. 

(A)  //  était  d'une  naissance  plus 
illustre  t/ue  ne  l'ont  dit  quelques  au- 
teurs.] On  a  pu  prouver  certaine- 
ment qu'il  étail  issu  de  Robert  de  la 
Gakdie  ,  seigneur  de  Russol  et  de  la 
Gardie,  qui  épousa,  en  i3b'2,  Anne  de 
l'Kstandart.  Les  successeurs  de  ce  Ro- 
Ix'il  jusques  à  Jacques  de  la  Gakdie, 
père  de  notre  Pontus  et  mari  de 
Catherine  de  Sainte  -  Colombe  (  i  )', 
s'allièrent  avec  des  familles  très-no- 
bles et  très-anciennes  ,  et  nommé- 
ment avec  celle  de   Bellegarde ,  dont 

{ijit  l'Spoutal'an  iSxt,  '  , 


ne  peut  nier 
cite  deux 
historiens  français  fort  illustres  ,  qui 
témoignent  que  Pontus  de  la  Gardie 
était  de  bonne  maison.  11  est  encore 
très-vrai  qu'il  censure  justement  le 
père  Maimbourg,  qui  a  dit  que  la 
fortune  prit  plaisir  d'élever  Pontus 
de  la  Gardie  d'une  naissance  assez 
biis.se  aux  premières  charges  du  royau- 
me de  Suéde.  En  effet,  ayant  quitté 
le  village  d'où  il  était,  près  de  Rieux 
en  Languedoc ,  il  suivit  les  armes  oh 
son    inclination    te   portait  ,    et  fut 

(2)  M.  OF.rnliielm ,  m  Vitâ  Ponti  de  la  Gar- 
die, pag.  S,  dit  qu'il  l'avait  déjà  ''te'  sous 
François  Ier.  el  Henri  II,  et  qu'il  obtint  ./.- 
Henri  III  la  charge  de  grand-cetner  dr 
France.  Je  crois  qu'il  se  trompe  ,  el  que  .  sut  le 
dernier  t>uiut ,  il  prend  le  fils  pour  le  père. 

(S)  Thuanus  ,  lib.  LXXXIII.  pag.  m.  57. 

(4)  N une  parlent  faoienlibus  Srptimaniir  i-ul- 
go  Langueducias.  Claudius  Arrhenius  Olîm- 
ïiielm  .  in  VilS  Ponli  de  la  Gardie,  pag.   11. 

(5)  Idem  ,  ibid. ,  pag.  10. 


GARDIE. 


35 


comme  simple  soldat  en  Ecosse,  sous  ville-là,  mais  un  lieu  du  diocèse  de 

le  seigneur  d'Orsel,    lieutenant   de  Narbonnc,  ou  quelque  autre.    11   ne 

François   11(6).  Il    n'y    a   personne  fallait  pas  dire  que  François   II  en- 

qui  ,   sur  ces    paroles,   ne   s'imagine  voya  des  troupes  en  Ecosse  avant    la 

que  notre  Pont  us  était  tout  au  plus  paix  de  Cateau-Cambrésis  ;  car  Hen  ■ 

le    fils   d'un    marchand  où  d'un  no-  ri II,  son  père,  surve'cutà  cette  paix, 

taire  de  village.  On  n'y  voit  rien  qui  et  ce  fut  lui  proprement  qui  envoya 

puisse   faire  juger  que  son  père  était  Clutin  d'Oysel  a  la  régente  d'Ecosse, 

fentilhomme.  Disons  donc  que  Mai  m-  belle-mère  du   dauphin  marie'  à  l'hé- 

ourg  a  fait  là  une  lourde  faute.  Ce  ritiére  d'Ecosse.  En  tout  cas,  la  paix 

n'est  pas  la  seule  qu'il  ait  commise,  de  Cateau-Cambrésis  ne  fit  point  ces- 

Mézerai  assure  que  Pontus  comman-  ser   les  divisions  de  l'Ecosse  :  on  en- 

dait  quelques  compagnies  de  cavale-  voyade  nouvellestroupes  à  la  régente 

rie  en  Ecosse  :  il  n'y  était  donc  point  peu  après  la  conclusion  de  cette  paix, 

en  qualité  de  simple  soldat.  Son  gé-  Toutes  les  preuves  de  M.  OErnhièlm 


néral  s'appelait  Oisel,  et  non  pas 
Orsel;  et  comme  Oisel  fut  envoyé 
en  Ecosse  par  Henri  II,  on  eût  bien 
fait  de  ne  rien  dire  de  François  II. 
Cela  fait  perdre  la  vraie  route  chro- 
nologique. Notez  que  toutes  ces  fau- 
tes ont  été  aveuglément  copiées  dans 
*  Florimond  de  Rémond(7).  Si  M.  Va- 
rillas  les  eût  copiées  avec  la  même 
ponctualité,  il  n'en  eût  pas  augmen- 
té le  nombre  ;  mais  ,  ayant  voulu 
faire  quelques  pas  sans  son  guide,  il 
s'est  égaré.  La  Gartlie  ,  dit-il  (8) , 
était  ne  Français  ,  dans  laprovince  de 
Languedoc  ,   et  dans  un   village  de 


contre  le  père  Maimbourg  ne  sont 
pas  bonnes.  Si  Pontus  de  la  Gardie , 
dit-il (9),  n'eût  pas  été  noble,  et  s'il 
fût  sorti  d'un  village,  Charles  IX  et 
Henri  IV  ne  se  fussent  pas  servis  du 
style  qu'ils  employèrent  en  lui  écri- 
vant ;  les  ambassadeurs  de  France , 
pour  ne  rien  dire  de  l'empereur  Ro- 
dolphe, ni  de  Marie  sa  mère,  ni  de 
Fridéric  roi  de  Danemarck,  ni  des 
Radziwil  ,  ni  des  Zamoyski  ,  ne  lui 
eussent  point  rendu  tous  les  hon- 
neurs qui  paraissent  dans  leurs  let- 
tres, avec  un  empressement  extrême 
de  cultiver  son  amitié.    Cette  raison 


l'éyéché  de  Rieux  ,  croche  de  cette  est  nulle;  car  dès  qu'un  homme  pos- 
sède les  plus  grandes  charges  de  l'é- 
tat et  la  faveur  de  son  maître,  tout 
le  monde  le  ménage  ;  les  autres  prin- 
ces ne  négligent  rien  pour  le  gagner  : 
on  n'a  point  d'égard  à  son  extraction  ; 
on  ne  considère  que  l'état  présent, 
et  ce  qu'il  peut  faire  pour  servir  ou 
pour  nuire.  Qui  ne  sait  les  flatteries 
de  Charles-Quint  pour  le  cardinal  de 
Wolsey,  fils  d'un  boucher  ? 

Finissons  par  dire  que  la  plupart 
des  gentilshommes  de  France  sont 
d'un  village.  Ils  naissent  dans  un 
château  situé  proche  de  quelcpie  pe- 
tite seigneurie  qui  appartient  à  leur 
père.  Et  il  y  a  plusieurs  familles  sans 
titre,  et  qui  n'ont  jamais  paru  à  la 
cour  ni  dans  les  charges  considéra- 
bles de  la  province,  qui  sont  néan- 
moins d'une  noblesse  trè-ancienne  : 
elles  pourraient  produire  des  filia- 
tions de  trois  ou  quatre  cents  ans  \ 
elles  tiennent  par  quelque  bout  d'al- 
liance aux  maisons  les  plus  magnifi- 
quement titrées.  C'est  ce  que  l'on 
pourrait  supposer  de  celle  de  notre 

(9)0Ernhiclm,  inYilâ  P.  d«  la  Gardie,  p.  i3. 


ville.  Il  s'était  attaché  fort  jeune  a 
la  profession  des  armes  ,  et  il  les 
avait  portées  long-temps  en  qualité 
de  simple  soldat.  Il  l'était  encore, 
lorsque  d' Oysel,  que  le  roiFrancois  II 
envoyait  en  Ecosse  avec  des  troupes  , 
l'y  mena.  Il  y  demeura  jusqu'à  la 
paix  de  Cateau-Cambrésis,  qui  ,  le 
mettant  hors  de  service  ,  le  réduisit  il 
prendre  parti  arec  vingt  de  ses  com- 
pagnons, sous  un  capitaine  qui  les 
conduisit  en  Danemarck.  C'est  un 
mensonge  que  de  dire  qu'il  était  né 
dans  un  village  proche  de  la  ville 
épiscopale  de  Rieux.  Les  historiens 
qui  disent  qu'il  était  de  Rieux  ou 
des   environs  n'entendent   pas  cette 

(6)  Maimbourg,  Histoire  <Iu  Luthéranisme  , 
liv.  y  I,  pag    ï5i  ,  édition  de  Hollande. 

*  Leclerc  prétend  qu'au  lieu  de  dans  ,  il  faut 
lire,  d'après. 

(r)  Puntus  de  la  Gardie.  natif  d'un  village 
près  de  Pieux,  en  Languedoc ,  pauvre  soldat  de 
fortune,  désirant  voir  le  inonde,  passa  en 
£cosse  sous  la  char:  e  du  sieur  d'Orsel,  lieu* 
tenant  pour  le  roi  François  II.  Florimond  de 
Rémond,  Naissance  et  Proi^rès  de  l'Hérésie, 
liv.  IV ,  chap.  XVI,  pag.  m.  4ç,5. 

,8)  Yarillas,  Histoire  àr.  l'Hérésie,  liv.  XXX, 
pag.  2S5  ,  édition  de  Hollande. 


36  GARDIE. 

Pontus.  Je  remarque  que  ni  le  lieu  durant  ce  propos  voyait  que  le  duc  le 
ni  le  temps  où  il  naquit  n'ont  pu  nait  les  yeux  Jîchés  sur  un  français 
être  désignes  par  M.  OEmhielm  :  cela  qu 'il  aimait  ,  nomme  Pontus  de  la 
est  bien  surprenant.  '  Gardie,  il  lui  dit,  poussé  de  son  mau- 
(B)  En  mettant  auprès  de  lui  un  vais  ange  (car  ce  fut  l'auteur  de  sa 
seigneur  de  tête  et  brave.  ]  Voici  les  ruine  )  :  mon  frère  ,  je  vous  donne 
paroles  de  M.  OErnhielm(io).  Hujus  Pontus,  servez-vous  de  lui,  et  vous 
(populi)  iram  ut  mulceret  insigni  reposez  sur  sa  valeur  et  loyauté ,  de 
aliquo  speciminc  clementiœ,  fralrem  laquelle  j' ai  fait  souvent  l'épreuve. 
Johannem  ducem  ,  delerso  carceris  (Q  On  les  exhorta-. .'a  délivrer  le 
squalore  ,  libertati  dignitalique pris-  royaume  de  l'oppression^]  Onnepou- 
lina?  restitua.  Eidemque  ,  prœler  cœ-  vaitpaslesy  porter  par  un  motif  plus 
tara  argumenta  duraturœ  in posterum  pressant  que  celui  que  l'on  employa  ; 
benivo/entiœ,  POJYTUM  DE  LA  car  de  toutes  parts  on  leur  écrivit  que 
GARDl  UM  concedit ,  virum  in  ne-  \e  roi  voulait  les  perdre.  Adferunlur 
goliis  pacis  ac  belli  spectatœ  indus-  ad  principes  amicorum  ab  omtii  parle 
iriœ,  ut  ejus  uteretur  opéra ,  ubicun-  Utterœ,  monentes,  cuvèrent  sibi  à  f ti- 
que rerum  magnitudo  posceret.  Peu  turis  inauguranclœ  reginœ,  elocandœ- 
après  il  rapporte  ce  passage  d'une  que  sororis  solemnibus  epulis  ,  qui- 
liistoire  manuscrite  de  Suéde  (il)-  bas  haud  aliter  usurus  sil  rex  quant 
■c  Le  duc  Jean,  prince  prudent  et  retibus  ,  capturis  eversurisque  haud  * 
»  sage,  qui  connaissait  bien  les  bu-  dubiè  suspeclos  fratres  regnique  pro- 
ii  meurs,  l'esprit  et  les  infirmités  du  ceres ,  operosd  alias  conquirendos  in- 
»  roi  son  frère ,  fle'cbit  enfin  à  ses  dagine.  Ad  hœc  adjungunt  se  duci- 
»  commandemens,  et  accepta  le  faix  bus  aliquot ,  de  sud  ipsorumque  jant 
j>  de  cette  grande  et  pénible  chargé,  sainte  sollicili,  décrétant  adserentes 
j)  C'était  la  charge  de  vice-roi ,  lieu-  omnium  necem  ,  certumque  debere 
»  tenant-général,  et  gouverneur  de  opprimi ,  ni  opprimant.  Frustra  ad- 
31  Suède  et  des  deux  Gothies.  Mais  il  hiberi  fidem  promissis  toliens  juralis 
j)  lui  remontra  sincèrement  que  sa  violatisque  Erici ,  ludentis  jam  per- 
3>  longue  prison  lui  avait  fait  dutout  juriis  ,  ut  soient  pueri  astragalis  (i3). 
3)  perdre  non-seulement  tous  les  fi-  Dans  ces  rencontres  il  ne  faut  rien 
3)  dèles  serviteurs  ,  mais  aussi  les  faire  à  demi  :  il  ne  faut  pas  que  les 
3)  bonnes  et  anciennes  habitudes  et  mécontens  s'arrêtent  à  dire  qu'il  y 
s.  connaissances  qu'il  avaità  la  cour,  a  quelque  danger;  il  faut  qu'ils  as- 
3>  et  qu'il  suppliait  très-instamment  surent  positivement  à  un  héritier  pré- 
))  sa  majesté  de  lui  donner  quelque  somptif' ,  qu'il  est  perdu  sans  ressour- 
»  fidèle  conseiller  et  digne  second,  ce  s'il  ne  perd  son  adversaire;  que 
»  sur  lequel  elle  pût  se  reposer  as-  tout  consiste  à  primer,  sans  avoir 
»  sûrement,  et  pour  être  un  illustre  égard  aux  belles  promesses  ou  aux 
»  témoin  et  compagnon  de  ses  ac-  soumissions  que  le  péril  extorquera 
3,  tionseteomportemens.  Sa  demande  du  tyran.  Vous  voyez  que  les  con- 
î,  t:l;intjuste,Éricluidonnavolontiers  ducteurs  de  l'intrigue  de  Suède  em- 
j,  Pontus  delà  Gardie  ou  delà  Garde,  ployèrent  cette  machine.  Notre  Pon- 
»  gentilhomme  Français  de  nation,  tus ,  qui  était  le  principal  directeur , 
»  qu'il  aimait  grandement  pour  son  s'avisa  d'un  beau  stratagème;  ce  fut  d'a- 
3)  espritetson  courage,  etl'avait telle-  nimer  à  cette  entreprise  la  duchesse, 
»  ment  avancé  dans  ses  états ,  qu'il  qui  devait  régner  en  cas  que  la  chose 
3>  se  servait  de  ses  dignes  conseils  en  réussît.  11  savait  sans  doute  que  l'am- 
3)  toutes  les  affaires  de  haute  et  cran-  bition  remue  plus  vivement  le  cœur 
3>  de  conséquence.  »  Florimond  de  des  femmes  que  celui  des  hommes. 
Rémond  raconte  la  même  chose  ,  Voici  de  quelle  manière  il  lui  parla  : 
mais  avec  une  circonstance  que  Jo-  Madame,  toute  la  cour  s'étonne  com- 
livet  a  omise.  Le  roi  ,  dit-il  (12)  ,  qui  ment  monsieur  votre  époux  n'a  pas 
r.,.)  OErnhieim  ,  in  Viif.  P.  de  la  Gardie ,  pitié  de  ce  misérable  royaume ,  où 
pag.  16  tout  le  monde  étant  infiniment  ojjfen- 

(it)  Tdem,  ibid. ,  jBrt.tr-    '7-  Il  cite   Jolivel , 
otilcnr  d'une  Histoire  de  Suède.  ...«*.     j     1     r     j- 

1  tari mond  de  Kérnond,  Naissance  et  P10-        (i3)  OEmhielm  ,  in    Vita    P.   de  la  Oardie, 

grci  de  I  Hérésie,  pag.  t\'j$.  VaS-  *"i  lrj' 


se  et  lassé  des  insolentes  cruautés  et 
tyrannies  du  roi  son  frère  ,  lui  seul  y 
peut  facilement  remédier.  Je  vous 
assure  que  tous  les  grands  et  les  pe- 
tits jettent  les  yeux  sur  lui  pour  lui 
mettre ,  s'il  veut,  la  couronne  royale 
sur  sa  télé.  Il  l'a  méritée  aussi  juste- 
ment que  ce  barbare,  qui  en  est  in- 
digne au  jugement  de  tout  le  monde. 
Si  monseigneur  votre  mari  le  veut,  il 
est  aiséde  le  rendre  maître  de  cet  état  , 
et  de  le  faire  grand  prince  au  heu  de 
duc  qu'il  est  ,  qui  ne  pouira  sans 
doute  éviter  lu  mort  ou  la  prison 
perpétuelle  ,  de  laquelle  lui  et  vous 
êtes  déjà  sortis,  comme  par  un  mira- 
cle, lorsque  vous  y  pensiez  le  moins. 
Je  sais  pour  assuré  de  tous  1rs  capi- 
taines ,  que  les  six  mille  Ecossais 
qu'Eric  tient  a  sa  solde,  sont  mécon- 
tens  ,  et  ne  demandent  rien  plus  qu  a 
changer  de  maître  faute  de  payeme  ni . 
D'ailleurs  il  est  certain  que  les  ducs 
DIagnus  et  Charles,  ses  fivres ,  avec 
les  plus  grands  du  royaume  ,  sont  ex- 
trémement  offensés  et  marris  qu'un  si 
grand  roi  que  leur  frère  ait  épousé 
la  fille  <V un  misérable  sergent ,  con- 
dition odieuse.  Madame ,  prenez  donc 
l'occasion,  qui  se  présente  si  favora- 
ble ,  aux  cheveux ,  pour  le  bien  de 
i  état  ,  pour  le  repos  du  peuple  et  des 
provinces  ,  et  pour'  l' avancement  de 
votre  cher  époux  et  de  votre  maison 
(;4).  M.  OErnhielm,  qui  rapporte  ces 
paroles  ,  avoue  qu'on  n'en  trouve 
point  de  traces  clans  l'histoire  (le  la 
nation  :  il  eût  pu  les  lire  dans  Flori- 
mond  de  Remond ,  avec  la  re'ponse 
de  la  duchesse  :  Ce  sont  de  beaux  dis- 
cours ,  Pontus ,  dit-elle ,  mais  mal- 
aises h  être  exécutes;  sois  sage  et  dis- 
cret ,  j'en  parlerai  au.  duc  mon  mari 
(îoj.  Florimond  déclare  (16)  qu'il  a 
trouve'  ces  paroles  dans  les  mémoires 
manuscrits  de  l'ambassadeur  de  Fran- 
ce ,  envoyé'  en  Suède  Fan  1 566 ,  qui 
fut  témoin  oculaire  des  étranges  chan* 
gemens  qui.  advinrent  en  ce  pays-là 
(17).  N'oublions  pas  cette  circon- 
stance.   Pendant  les   préparatifs  des 

(i4)  Idem,  ibid.  ,  pag.  17.  Il  cite  une  His- 
toire manuscrite  de  Suède,  composée  par  Jo- 
livct ,  avocat  au  parlement ,  et  achetée  d'un  fils 
de  V auteur  par  le  comte  Magnus  de  la  Gardie. 
Elle  est  dans  la  bibliothèque  d'Upsal. 

0  5)  Florimond  de  Remond,  Naissance  et  Pro- 
grès de  l'Hérésie  ,  pag.  497* 

(tf>)  LU  même  ,  pag.  4flC. 

(17)  LU  mettre  ,  pag.  -'\<\\. 


GARDIE.  37 

noces ,  il  courut  un  bruit  parmi  le 
peuple  .  que  la  ruine  des  frères  du 
roi  et  celle  des  grands  du  royaume 
était  résolue.  On  ne  savait  point  si 
cette  rumeur  était  chimérique  ou 
bien  fondée  ;  mais  elle  devint  vrai- 
semblable quelque  temps  après  par 
les  caprices  du  roi ,  et  enfin  les  letr 
très  qui  furent  écrites  de  toutes  parts 
à  sesfrères  la  persuadèrent  (18).  Dum 
hœc  parantur  ,  manat  in  vulgus 
struendarum  in  principes  fratres  pro- 
ceresque  regni  insidiarum  rumor  , 
verus  an  vanus ,  ab  initia  non  satis 
sciebatur  :  Quem  tamen  simHlimurn 
vero  mox  fecerunt  ,  ingenium  Krici 
suspieax ,  infidum ,  inmodum  F.uripi 
œstuans ,  et  mobile  semper  ad  obse- 

'/uiii  pravè  consulentium (tt)) 

Tôt  rébus  adstructd  primo  rumori 
fide. 

Ce  sont  la  pour  l'ordinaire  les  pré- 
paratifs des  révolutions  :  on  répand 
d'abord  des  nouvelles  ;  on  les  laisse 
courir  d'une  rue  à  l'autre ,  d'une 
ville  à  l'autre  ;  on  a  des  raisonneurs 
qui  les  appuient,  et  enfin  des  gens 
graves  qui  les  confirment  par  leurs 
lettres.  Je  ne  prétends  point  dire 
qu'il  y  ait  toujours  de  la  ruse  dans 
ce  manège  :  ce  sont  quelquefois  des 
nouvelles  véritables  ,  que  l'on  n'ap- 
puie que  par  un  bon  zèle  pour  le  bien 
public  ;  et  je  remarque  même  que 
nous  avons  ici  l'un  de  ces  cas.  Flori- 
mond de  Remond  avait  intérêt  de 
disculper  le  roi  Eric,  afin  de  rendre 
plus  odieuse  la  conduite  de  Pontus  de 
ia  Gardie,  qu'il  maltraite  beaucoup, 
le  considérant  comme  la  cause  qui 
empêcha  la  Suède  de  retourner  sous 
l'obéissance  du  pape  :  néanmoins  , 
il  rapporte  mille  crimes  abominables 
de  ce  roi,  et  il  assure  qu'il  n'avance 
rien  qu'il  ne  tienne  de  bon  lieu  (0.0). 
Il  cite  en  particulier  (ai)  la  lettre 
que  le  nouveau  roi  écrivit  à  Char- 
les IX.  Après  cela  ne  se  rend-il  pas 
ridicule  en  finissant  par  ces  paroles  ? 
Mais  bien  souvent  des  faux  bruits 
sont  jetez  sur  les  grands  ,  pour  leur 
attirer  sur  leur  chef  la  haine  des  peu- 
ples qui  leur  obeyssent,  et  lesfaire  ;<■- 

(18)  OErnhielm,  in  Vità  P.  de  la  Gardie, 
pag.  16. 

£19)  LU  même,  pag.  17,   18. 

(20)  Florimond  de  Remond,  Naissance  et  Pro- 
grès de  l'Hérésie,  pag.  4fl'l- 

(ïi)  LU  même ,  pag.  499- 


r*,  o  ry  a.  i 

l       '■     :       ■»         J\      ..... 


38 


GARDIE. 


belles  ,  comme  on  fit  contre  Eric  qui 
périt  misérablement  en  prison  (22J. 

La  réflexion  de  M.  OErnhielm  est 
bonne.  C'est  qu'un  prince  qui  n'é- 
coute que  ses  passions  ,  sans  avoir 
égard  à  ce  qui  est  dû  à  Dieu  et  à  ses 
sujets,  se  ]>rive  des  appuis  les  plus 
nécessaires  à  sa  grandeur.  Il  ne  trou- 
ve point  dans  ses  peuples  une  fidélité 
qu'il  puisse  opposer  à  ceux  qui  l'at- 
taquent. Prœvenit  aduentum  du- 
cum  j'ama  callecti  in  regem  exerci- 
lus  ,  ad  quant  Me  excitus  ,  implorât 
opem  civium  ,  quorum  plerique  per- 
tœstacerbi  regiminis  ,  surdas  obver- 
tunt  aures  precanti ,  hilares  ,  advenis- 
se  tempus ,  quo  jugi  in  dies  ingra- 
vescentis  leventur  onere ,  antequam 
succumbanl '  penitits  interituri,  Itaqne 
subnixus  ope  paucorum,  in  quorum 
animis  nondum  obsoleverat  majestas 
sui  Principis  ,  congressusque  cum 
pluribus  ac  j'ortioribus  ,  non  poterat 
non  redigi  ad  angustias.  Atque  tum 
prœferoci  régi  adparuit ,  et  favore 
cii'ium  ,  et  successufuictendœ  poten- 
tiœ  deslituipolentet,  rerum  ,  cinn  exu- 
tâ  reverentid  Numinis  ,  ex  amplâ 
potestate  usurpant  nil  prœter  trucem 
quidvts  in  subjectos  agendi  licentiam. 
Id  Krico  régi  accidit.  Quem  solio 
subliment  i/idit  sol  ariens  ,  eundem 
occidens  vidit  provolutum  ad  aliéna 
genua  23  i.  Le  nombre  des  princes 
qui  ont  été  assassinés  (a4j  on  empri- 
sonnés pour  leurs  tyrannies  est  si 
grand  ;  le  nombre  de  ceux  qui  ont  pu 
se  maintenir  dans  une  mauvaise  ad- 
ministration ,  et  qui  ri'ont  pas  hâté 
le  couronnement  de  leur  [ils ,  ou  de 
leur  frère  ,  etc.  ,  par  leur  conduite 
violente  ,  est  si  petit,  qu'on  ne  peut 
assez  admirer  qu'il  y  en  ait  qui  ne  ' 
savent  pas  profiter  de  cette  leçon. 
Au  reste  ,  les  révolutions  d'état,  qui 
transfèrent  les  couronnes  d'une  tête 
a  l'autre  ,  ont  été  toujours  si  fréquen- 
tes ,  qu'il  y  a  lieu  de  s'étonner  qu'el- 
les ne  l'aient  pas  été  beaucoup  plus: 
car  enfin  le  pis  qu'on  puisse  craindre 
c'est  de  manquer  son  coup  :  on  trou- 
vera toujours  cent  moyens  de  se  dé- 

(22)  Florimond  de  iicmnnd  ,  Naissance  el  pro- 
grès <le  l'Hérésie.,  pag.  499. 

(23)  OErnhielm,   in  Vitl  P.    <le  la   Gardie, 
pag.  18, 

(24)  4d  generum    Cnreris  sine  cœde  el  san- 

guine pauci 
Descendunt  reger  et  sieed  morte  lyranni. 
Juvcuul.  ,  sut.  X  ,  n.  112. 


fendre  contre  les  reproches  d'injus- 
tice ,  pourvu  que  l'on  réusisse  ;  et 
l'on  ne  manquera  jamais  ni  d'appro- 
bateurs ,  ni  d'alliances. 

(D)  On  ne  sait  pas  de  quelles  af- 
faires il  traita  avec  le  pape.]  M.  OErn- 
hielm avoue  qu'il  n'a  pu  en  décou- 
vrir rien.  Quid  régis  nomine  cum 
pontijice  egerit  non  perindè  liquet , 
cum  regiorum  ma ndatorum  nihil  ed 
de  re  videre  conligerit  (25).  Il  traite 
de  fable  ce  que  le  père  Maimbourg 
raconte  (26) ,  que  Pontus  de  la  Gar- 
die  fut  chargé  de  traiter  avec  le  pape 
Grégoire  XIII ,  de  la  réduction  de  la 
Suéde  à  l'obéissance  de  l'église,  a  cer- 
taines conditions  ,  qui  étaient  :  i°. 
(27)  qu'on  ne  troublât  point  la  no- 
blesse dans  la  jouissance  des  biens 
d' église  quelle  possedoit  ;  1.0.  qu'on 
laissât  aux  evêques  et  aux  prêtres  les 

femmes  qu  ils  avaient  épousées  ;  3°. 
qu'on  permist  aux  laïques  la  commu- 
nion sous  les  deux  espèces  ;  4}°.  que  le 
service  divin  se  fist  en  langue  vul- 
gaire. Cela  est  tiré  de  Florimond  de 
Rémond  ,  qui  ajoute  (28)  que  la  Gar- 
die  ,  à  son  arrivée  ,  trouva  le  roy  en 
alarme  ,  qu'en  voulant  toucher  à  la 
religion,  ceux-là  lui  ostassent  la  cou- 
ronne de  la  teste,  qui  la  luy  avoient 
mise  dessus.  Ce  pauvre  roy  ne  pou- 
vant,  ou  n'osant  remettre  toul-a-fail 
l'église  catholique  ,  il  voulut  compo- 
ser avec  les  archevesques  et.  evesques 
lutherietis  ,  seigneurs  principaux  ,  de 
leur  laisser  pendant  leurs  vies  leurs 
femmes  ,  la  communion  sous  les  deux 
espèces  ,  et  la  messe  en  langue  vul- 
gaire. Onfust  venu  à  bout  des  ecclé- 
siastiques ,  puis  qu'on  ne  touchoit  à 
leur  couche  ;  mais  ceux  qui  portoient 
l'espée  au  costé  ne  voulurent  lascher 
prise.  Ainsi  fut  rompu  ce  dessein  , 
non  sans  soupçon  que  la  Gardie  mes- 
mes  y  eust  apporté  du  retardement 
de  so/i  coité ,  pour  avoir  interest  aux 
grands  biens  dont  il  jouissoit  sous  la 
faveur  de  son  maistre  qu'il  possedoit 
du  tout. 

(E)  Sans  leur  ôter  les  images  ,  ni 
les  autres  meubles  de  religion.  ]  Celte 

(25)  OErnhielm,   in    Vilâ    P.    de   la  Cardié, 
pag.  i65. 

(26)  Maimbourg,  Histoire   du  Luthéranisme, 
Uv.  VI,  pag.  î5l. 

(27)  La  même  ,  pag.  253. 

(28)  Flnrimoml  de  Rémnnd  ,  Naissance  el  Pro- 
grès de  l'Hérésie  ,  chap.  XVII,  pag.  5o2, 


GARDIE. 


défense  était  nécessaire;  car  on  avait 
mal  observé  cela  auparavant.  Omni- 
nà  uutem  vis  omnis  ac  injuria  abessc 
deberet  a  corporibus  ac  bonis  ipso- 
t'um  ,  qui  se  rite  huic  regno  submitle- 
l'ent,  prœcipuè  l'ero  ab  his  ,  qui  pecu- 
liari  soliloque  ei  genli  rilu  ,  eliaiusi 
a  sacris  pênes  nos  receptis  nonnus- 
quam  recédèrent ,  se.ru  invoque  inco- 
lerent  monasteria  ,  quorum  ornamen- 


>9 


.iiiiNi  que  H.  OF.rnliielm  raconte  cet 
accident.  11  y  a  dans  cet  endroit  de 
son  livre  une  note  marginale  où  le 
récit  du  père  Maimbourg  est  censuré. 
Comme  Pontus  delà  Gardie,  ce  sont 
les  paroles  de  ce  père  (3q)  ,  retour- 
nant de  su/1  ambassade  <le  Moscovie , 
vou/oit  entrer  dans  le  }>art  de  Revel , 
capitule  de  lu  TAuonie  suédoise ,  dont 
il  estait  rice-roy,  la    patache,  a  la 


imagines  ,    cœleramque   sacrum    poupe  de  laquelle  il  estoit  assis  dans 


suppellecti/em  inlacta  inviolataque  eis 
linqui  prœcipit,  secus  quam  factum 
hactencs  (29).  On  ne  suivi!  point  cet 
ordre  du  roi  ;  car  on  tira  de  l'église 
de  Carelgrod  les  images,  Les  statues, 
et  les  habits  sacerdotaux  ,  et  on  les 
transporta  dans  la  Finlandie  pour  l'u- 


un  fauteuil ,  ayant  donné  d'une  ex- 
trême roideur  contre  un  rocher  ,  la 
proue  se  haussa  si  fort  de  ce.  coup  , 
que  deux  de  ses  gentilshommes  qui 
estaient  debout  devant  luy  ,  estant 
tombez  et  renversez  sur  sa  chaise, 
firent    encore    baisser   davantage   la 


sage  des  paroisses.  Le  roi  n'en  fut  pas  poupe,  de  sorte  qu'Us  coulèrent  en  un 
content,  et  menaça  désormais  du  der-  instant  tous  trois  dans  la  mer,  et  ne 
nier  supplice  ceux  qui  violeraient  sa    parurent  jamais  plus.    Florimond  , 


défense.  Laissons  parler  encorel'histo- 
rien  suédois.  Utcunque  non probârit , 

quod ,  privato  ausu  ,  sculptas  piclas- 
que  tabulas  aris  impositas ,  stolasque  , 
quibus  sacra  peracturi  sacerdotes  ami- 
ciuntur ,   templo  arcis  Kc.rhalmensis 


qui  a  fourni  ce  narré,  y  a  joint  deux, 
faussetés  que  Maimbourg  n'a  point 
copiées  :  la  première  est  que  la  Gar- 
die  s'aboucha  avec  le  grand-duc  ;  la 
deuxième,  qu'ayant  mis  fin  à  sa  né- 
gociation,  il  monta  sur  mer  avec  ses 


detractas,  nonnulli  in   vicinam  Fin-    vaisseaux.  Dans  la  note  marginale  on 


landiam,  ad  earum ,  in  quibus  habi- 
tiirunt ,  parœciarum  templa  Us  exor- 
nanda  ,  avehi  curaverint  ,  quas  re- 
ductas  in  sacrario  templi  arcis  Vi- 
burgensis  locari  prœcepit ,  douée  ipse 
de  eis  aliter  constituent  :  inlermina- 
tione  mortis  prohibais,  ne  quis  reg- 
no se  submittens  ex  hostibus ,  ulld 
adûceretur  injuria,   aut   horum   de 


accuse  le  père  Maimbourg  de  ne  sa- 
voir pas  la  géographie.  Il  a  supposé 
qu'aux  frontières  de  la  Moscovie  ,  il 
y  a  une  rivière  qui  descend  à  Revel. 
Cela  est  faux.  On  le  blâme  d'avoir  dit 
que  Revel  est  la  capitale  de  Livo- 
nie  ;  il  fallait  dire  d'Esthonie.  On  le 
blâme  d'avoir  dit  que  Pontus  était 
gouverneur  de  Livonie  ;  car,  dit-on, 


victotum  temp/is  ac  monasteriis  ulla    cette  province  n'appartenait  pas  alors 
vel  minima  vis  fïcret  (3o).  a  la  Suède  :  elle  n'a  été  conquise  que 

(F)  Il  périt  malheureusement  dans     par  Gustave-Adolphe.  Cette  censure 

-  ne  me  paraît  pas  raisonnable  ,  puis- 
que M.  OKrnhielm  dit  expressément 
que  Pontus  de  la  Gardie  fut  fait  gou- 
verneur de  Livonie  etd'Ingrie,  l'an 
1 58 1  (33).  Je  me  serais  contente  de 
critiquer  le  terme  de  vice-roi  ,  que 
Maimbourg  a  pris  de  Florimond  de 
Rémond. 

Comme  l'article  Gardie  ,  dans  le 
Supplément  de  Moréri,  a  été  tiré  du 
père  Maimbourg,  vous  trouverez  ai- 


une  rivière.  ]  Lui  et  ses  collègues  s'é 
taient  séparés  des  ambassadeurs  de 
Moscovie,  sans  être  convenus  d'au- 
cune autre  chose  que  d'une  trêve  de 
quinze  jours.  11  se  mit  sur  la  rivière 
pour  aller  à  Nerva  ;  mais  quand  le 
vaisseau  fut  arrivé  à  demi-lieue  de 
cette  ville,  on  se  mita  tirer  quelques 
pièces  de  campagne.  Cela  fit  sauter 
une  planche  ;  l'eau  entra  par  cette 
ouverture  :  ceux  qui  eurent  peur  se 


jetèrent  de  l'autre  coté,  et  renversé-    sèment  dans  ces  remarques  ce  qu'il  a 
rent  le  bâtiment.  La  Gardie  fut  l'un    de  défectueux, 
de  ceux  qui  se  noyèrent  (3 1) .  C'est 


(?çj)  OEmliielm  ,  paç. 
(io)  Idem  ,  ibid.  ,  pa 
(3i)  Idem..  ibid.,pai 

lib.    I.XXXIII  ,   pag. 

OEmliielm  ,  fiag.   n4- 


.   Ii3.  Confrr  Ttiuan., 
5;  ,   ri    Jolivet,    apud 


(3s)  Maimbourg  ,  Histoire  ilu  Luthéranisme, 
tom.  Il  ,  pag.  260  ,  2G1. 

(33)  Etiam  auctus  noi'O  supremi  per  Tngriam 
ac  Livoniam  gubemaloris  Liulo  ac  montre  laça 
priera  repeliit.  OEmliielm  ,  in  Viti  P.  de  la 
Gardie,   pag.  1-8. 


4o 


GARISSOLES. 


(G)  Sa  postévité  est  encore  très- 
florissante  dans  la  Suède-  ]  11  laissa 
deux  filset  une  fille.  Jean  de  laGar- 
die  ,  Taîne' ,  n'eut  que  des  filles  ,  qui 
furent  mariées  très-avantageusement. 
Jacques  de  la  Gardie,  le  cadet,  fut 
fait  comte  (34),  se'nateur,  et  grand 
conne'table  du  royaume,  président 
du  conseil  de  guerre ,  etc.  Son  fils 
aîné,  Magnus  Gabriel  de  la  Gardie, 
épousa  la  sœur  de  Charles-Gustave, 
roi  de  Suède,  et  fut  père  de  Gustave- 
Adolphe  de  la  Gardie,  se'nateur  du 
royaume  ,  et  président  du  conseil 
suprême  de  Suède  Les  frères  de  Ga- 
briel Magnus  ont  eu  aussi  de  beaux 
emplois,  et  ont  laissé  des  enfans. 
Voyez  l'arbre  généalogique  de  cette 
maison  ,  à  la  tête  de  la  Vie  de  notre 
Pontus.  Celui-ci  laissa  deux  frères  en 
France  ,  qui  se  marièrent  ;  mais  il  ne 
reste  aucun  mâle  de  leurs  descen- 
dans  (35). 

(34)  Maimbonrg  ,  et  après  lui  le  Supplément 
rie  Moréii  ,  donnent  à  tort  cette  qualité'  à  Pon- 
tus de  la  Gardie. 

(35j  OEmhielm  ,  pag.   5. 

GARISSOLES  (  Antoine  ) ,  pas- 
teur et  professeur  en  théologie  à 


me  épique  qu'il  avait  entrepris 
pour  chauler  les  grands  exploits 
de  Gustave  (T>).  J'en  parlerai  ci- 
dessous  (a).  Il  fut  modérateur  au 
synode  national  de  Charenton  , 
l'an  i645  (b)  (*). 

(a)  Dans  la  remarque  (B). 

{b)  Tiré  d'un  Mémoire  manuscrit. 

O  Là,  dit-on,  sur  quelque  mauvaise  ma- 
nœuvre du  fameux  la  Milletière,  Garissoles, 
modérateur,  avait  rembarre'  ce  faux  frère 
avec  ces  terribles  paroles  du  Sauveur  :  Fais 
bientôt  ce.  que  tu  fais.  Vous  me  prenez  donc 
pour  un  Judas?  lui  dit  la  Milletière.  Non  pa3 
tout-à-fait  encore  ,  lui  repartit  Garissoles  ; 
car  Judas  leuail  la  bourse  ,  et  vous  la  cher- 
chez Rem.  crit.  [Voyez  l'article  Milletiè- 
re, tome  X.] 

(A)  //  composa  beaucoup  de  lii'tvs , 
dont  quelques-uns  ont  vu  le  jour.  ~\ 
Il  publia  un  volume  de  Sermons, qui 
a  pour  titre  ,  la  Foie  de  salut.  Ses 
autres  livres  imprimés  sont  latins  5 
diverses  thèses  de  théologie  ,  un  trai- 
té De  imputatione  primi  peccati  Adœ, 
un  autre  De  Christo  mediatore,  l'Ex- 
plication du  catéchisme.  Ce  dernier 
ouvrage  avait  été  commencé  par  M. 


.Montauban,  sa  patrie,  a  ete  un    Charles,  collègue  de  M.  Garissol 


très-habile  homme.  Il  naquit 
environ  l'an  1Ô87,  et  fut  reçu 
ministre  à  l'âge  de  vingt-trois  ou 
vingt-quatre  ans.  Il  fut  donné  à 
l'église   de    Puylaurens.    Il    fut 


Il  y  a  ceci  à  considérer  sur  le  livre  De 
imputatione  peccati  Adœ  ,  c'est  que 
l'auteur  le  composa  par  l'ordre  de 
son  synode,  après  avoir  conféré  aima- 
blement sur  cette  matière  avec  M. 
Amyraut  ,   en    pressée    du    synode 


et   d 

ayant 


établi  professeur  en  théologie  à    national  de  Charenton.  M.  Amyraut 
Montauban  ,  l'année  1627,  après    ™  fai?ait  ^  représenter  M.  de  la 
,,,',.       ,    ,  ''    *      ,     Place  son   collègue  (1)5  u  ne  deten- 

avoir  ete  désigne  a  cet  emploi  dait  pas  ses  opinions  propres,  mais 
par  plusieurs  synodes  de»sa  pro-  celles  de  M.  de  la  Place ,  qui  l'avait 
vince  ,  et  chargé  nommément  prié  de  les  expliquer  à  la  compagnie , 
par  un  synode  national  de  Cas- 
tres, d'en  aller  faire  les  fonctions. 
11  les  remplit  dignement  jusques 
en  l'année  i65o,  qui  fut  celle 
de  sa  mort.  U  composa  beaucoup 
de  livres  ,  dont  quelques-uns 
ont  vu  le  jour  (A) ,  et  les  autres 
se  sont  presque  tous  perdus  dans 
la  dernière  persécution.  Il  se 
plaisait  extrêmement  à  la  poésie 
latine ,  et  il  eut  la  joie  devoir 
sortir  de  dessous  la  presse  le  poê- 


les soutenir.  M.  Garissoles  , 
dédié  son  livre  aux  quatre 
cantons  évangéliques,  le  leur  fit  pré- 
senter par  son  fils  aîné  ,  qui  reçut 
partout  de  grands  honneurs.  Un  an 
après,  ils  firent  un  beau  présent  à 
l'auteur  j  ils  lui  envoyèrent  quatre 
grandes  coupes  de  vermeil  d'un  011- 
vrage  exquis  ,  accompagnées  d'une 
Lettre  en  latin  pleine  d'éloges,  et  si- 
gnée des  quatre  syndics  des  quatre 
cillions  (2). 

(1)  Voyez    l'article  Amyiiact,  entre  les  cita- 
tions (g)  et  (h),  loin.  /,  pag.  5og. 

(2)  Tire  du  Mémoire  manuscrit. 


GARN 

(B)  //  vit  sortir  de  dessous  la  presse 
le  poème  épique  qu'il  m'ait  entre- 
pris pour.  .  .  Gustave,  ]  On  l'appelle 
YAdolphide.  L'auteur  l'avait  dédie  à 
la  reine  Christine  et  aux  cinq  grands 
du  royaume;  niais  il  fut  obligé  de 
changer  l'épitre  dédicatoire  ,  parce 
que  son  fils  aine'  lui  écrivit  de  Stock- 
holm, qu'il  ne  serait  pas  possible  de 
présenter  cet  ouvrage  s'il  n'était  dé- 
dié à  la  reine  seule.  On  fit  donc  une 
autre  épître  dédicatoire  adressée  seu- 
lement à  cette  princesse  ,  et  l'ouvra- 
ge fut  présenté.  La  reine  le  reçut  de 
la  manière  du  monde  la  /dus  obli- 
geante et  la  plus  honnête  ,  et  fit 
beaucoup  de  caresses  au  fils  aîné  île 
l'auteur.  Elle  lui  dit  que  certaines 
gens  avaient  travaillé  plus  d'une  fois 
à  lui  décrier  et  le  poème  et  le  poète  ; 
mais  que  I  avant  lu  el'e  en  avait  été 
ravie  ,  et  qu'elle  était  pleine  de  véné- 
ration et  d'admiration  pour  l'auteur. 
Ce  furent  ses  termes.  On  soupçonna 
Grotius  d'avoir  voulu  rendre  ce  mé- 
chant ojjïce  ,  encore  qu'ayant  été  prié 
de  voit  oir  donner  son  avis  sur  cet 
ouvrage,  avant  même  qu'il  fut  impri- 
mé ,  il  en  eut  parlé  très-avantageuse- 
ment ,  et  comme  d'une  pièce  presque 
accomplie.  Quoi  qu'il  en  soit ,  le  livre 
reçut  de  la  reine  de  grands  éloges  , 
l'auteur  en  fut  honoré  d'une  belle 
médaille  d'or,  et  son  fils  aîné  fut  as- 
sez amplement  payé  des  frais  du 
voyage  (3).  Notez  que  M.  Garissoles 
fit.  un  poè'me  sur  le  couronnement  de 
cette  reine. 

(3)  Tire  du  même  Mémoire. 

GARNACHE  '(  Françoise    de 

Rouan,  Dame  de  la),  était  fille 
de  Rohan  Ier.  du  nom  ,  et  d'I- 
sabelle d'Albret,  fille  de  Jean 
d'Albret  ,  roi  de  Navarre.  Elle 
était  par  conséquent  cousine 
germaine  de  Jeanne  d'Albret, 
(a)  mère  de  Henri-le-Grand. 
Une  parenté  aussi  puissante  et 
aussi  recommandable  que  celle- 
là  ,  jointe  à  la  très  -  ancienne 
noblesse  de  la  maison  de  Rohan  , 

(aï  Henri  d'Albret.  roi  de  Navarre,  fils 
de  Jean  et  frère  d Isabelle  d'Albret,  fut 
père  de  cette  Jeanne  d'Albret. 


ACHE.  41 

ne  fut  point  capable  de  la  ga- 
rantir de  la  plus  désagréable  in- 
justice qu'on  puisse  faire  à  une 
personne  de  son  sexe  Le  duc  de 
Nemours  lui  avait  promis  ma- 
riage ,  et  il  avait  obtenu  d'elle  , 
moyennant  cela  ,  toutes  les  fa- 
veurs qu'il  en  pouvait  espérer  ; 
en  un  mot  et  sans  détour,  il  lui 
avait  fait  un  enfant.  Lorsqu'il  se 
vit  sommé  de  tenir  parole,  il  s'en 
moqua  avec  d'autant  plus  de 
hardiesse  ,  qu'il  ne  voyait  pas 
qu'Antoine  ,  roi  de  Navarre  , 
quoique  premier  prince  du  sang, 
eût  ou  assez  de  vigueur  ,  ou  assez 
d'autorité  pour  le  contraindre 
de  réparer  l'honneur  de  la  de- 
moiselle. Ce  fut  bien  pis  après 
que  le  roi  de  Navarre  ,  qui  avait 
eu  quelque  sorte  de  crédit  pen- 
dant le  triumvirat ,  eut  été  tué. 
Le  duc  de  Nemours,  sorti  de 
France  au  commencement  des 
troubles,  à  cause  qu'on  avait  dé- 
couvert qu'il  avait  voulu  enlever 
le  duc  d'Anjou ,  frère  du  roi 
Charles  IX  (b) ,  avait  été  rap- 
pelé bientôt ,  et  avait  servi  utile- 
ment contre  ceux  de  la  religion. 
Cela  et  la  mort  du  roi  de  Navar- 
re l'encouragèrent  à  presser  la 
cour  de  Rome  de  déclarer  nul 
son  engagement.  Il  obtint  tout 
ce  qu'il  voulut  (c);  le  bon  droit 
de  la  demoiselle  de  Rohan  fut 
entièrement  opprimé ,  à  cause 
qu'elle  s'était  déclarée  pour  le 
parti  huguenot  (A);  de  sorte 
qu'il  lui  fallut  avaler  l'affront 
de  se  voir  mère  sans  avoir  été 
mariée,  et  le  déplaisir  de  voir 
son  infidèle  galant  marié  avec  la 

(b)  Le  Laboureur  ,  Additions  à  Castelnau, 
loin.  I,  pag.  808,  tom.  II,  pag.  .>  j. 

(e  Vacillas,  Histoire  de  Charles  IX,  tom. 
II,  pag.  34 ,  ex  Thuan. ,  lib.  XXXIX. 


42  GARN 

veuve  du  duc  de  Guise ,  et  aussi 
honoré  partout ,  et  caressé  des 
dames,  que  s'il  avait  été  le  plus 
honnête  homme  du  monde.  Tou- 
te la  consolation  qui  lui  resta 
fut  le  titre  de  prince  de  Gene- 
vois qu'elle  fit  porter  à  son  fils 
(Bj  :  et  quant  à  elle,  on  la  nomma 
madame  de  la  Garnache  (d),  ou 
la  duchesse  de  Loudunois  (e). 
Elle  se  maintint  adroitement 
dans  ses  terres  pendant  les  guer- 
res civiles  (C).  C'est  apparemment 
de  son  aventure  que  Brantôme 
parle  (D).  M.  Varillas  en  a  parlé 
amplement ,  et  y  a  fait  bien  des 
fautes  (E)  ,  dont  quelques-unes 
sont  si  grossières  ,  qu'on  ne  sau- 
rait s'empêcher  d'en  être  sur- 
pris. 

(d)  C'est  le  nom  d'une  ville  de  Poitou. 

(e)  Celle  duché  fui  érigée  Van  1579. 

(A)  Elle  s'était  déclarée  pour  le 
parti  huguenot.  ]  Si  l'on  n'en  veut 
pas  croire  d'Aubigné,  il  faudra  for- 
tifier son  témoignage  par  celui  de 
M.  de  Thon.  On  toucha  encore  nu 
mariage  clandestin  entre  le  duc  de 
JYemours  et  Françoise  de  Rohan  ; 
mais  autant  qu'il  fallut  ]>our  mettre 
la  complaignante  vers  le  vent  en  hai- 
ne de  sa  religion  ,  et  V autre  en  puis- 
sance d'épouser  la  douairière  de  Gui- 
se (1).  Ecoutons  maintenant  le  latin 
de  M.  de  Thon.  Eodem  tempore  , 
c'est-à-dire  en  i566,  lis  olim  agi- 
tata  inter  Franciscain  Roanam  et 
Jacobum  Sabaudum  IVemorosium  , 
et  superstite  JVavarro  qui  Roanœ 
cognât  a'  patrocinabalur  inlermissu  dé- 
muni renovata  ,  et  prœvalente  hinc 
IVcm.orosii  gratid  ,  indè  onio  religio- 
JHIS     PrOTESTANTIUM    eut     fluu/ia    ad- 

dicta  erat  prœgrauante  ,  interventu 
pontifias  decisa  est ,  schedula  JYemo- 
rosii  de  matrimonio  prœsentibus  ver- 
bis  contracta  irrita pronunciata  (•>.). 

(B)  Toute   la   consolation    qui    lui 
resta  fut  te  litre  de  prince  de   Gêne- 
nt) D'Aublgnc  ,  loin.  I,  liv.  IV,  chap.  VI,  h 
„■  n    ,  Î66 

(aj  Tliuanus,  Ub.  XXXIX,  ptlg.  m.  79.5. 


ACHE. 

vois  qu'elfe  fit  porter  li  son  fils?]  Si 
j'avais  suivi  les  idées  de  Virgile  ,  j'au- 
rais dit  que  celle  dame  se  consola 
de  l'infidélité  de  son  galant  par  le  fils 
qu'il  lui  laissa;  mais  il  y  a  long- 
temps que  nos  dames  ne  sont  point 
faites  comme  la  Didon  de  ce  grand 
poète  romain.  Un  de  ses  plus  grands 
regrets  fut  que  son  perfide  amant  la 
quittait  sans  lui  laisser  de  sa  race  ;  et 
si  elle  avait  eu  un  petit  poupon  «le 
lui  ,  ou  si  du  moins  elle  se  fût  sentie 
enceinte  de  ses  œuvres  ,  elle  eût  été 
incomparablement  moins  affligée  (3). 
Une  tendresse  de  cette  force  ne  serait 
pas  même  bonne  aujourd'hui  poul- 
ies romans,  tant  elle  est  contraire 
à  l'usage.  Le  plus  grand  regret  de 
celles  à  qui  un  galant  manque  de  foi 
n'est  pas  de  lui  avoir  accordé  plus 
qu'on  ne  devait  ;  mais  de  n'avoir  pu 
e'viter  les  suites.  Une  grossesse,  un 
enfant,  sont  des  convictions  de  dés- 
honneur qu'aucune  chicane  ne  peut 
éluder  :  ce  sont  des  preuves  parlan- 
tes, et  Iticc  meridiana  clariores  ;  ce 
sont  des  témoins  sans  reproche,  et 
omni  e.i  cejitione  majores.  C'est  donc 
la  principale  source  de  l'infortune  et 
de  la  désolation,  Questo  è  quel  che 
pi'u  inaspri  i  rhiei  martiri.  Aussi  crois- 
je .  c'est  Brantôme  qui  parle  (4)  tou- 
chant les  demoiselles  qu'il  avait  vues 
à  la  cour  ,  que  le  meilleur  temps 
qu'elles  ont  jamais  eu  ,  et  qu  on  leur 
demande ,  c'est  quand  elles  étoient 
filles  ;  car  elles  avoienl  leur  libéral 
arliitrepour  être  religieuses  aussi-bien 
de  Permis  que  de  Diane ,  mais  qu'el- 
les eussent  la  sagesse  et  l'habileté  et 
savoir  pour  se  garder  de  l'enflure  du 
ventre.  A  certains  égards  il  faut  avouer 
que  le  sort  de  madame  de  la  Garna- 
che fut  assez  conforme  à  celui  de  Di- 
don; car  son  galant  prétendit,  aussi- 
bien  qu'Enée,  qu'il  n'avait  point  pensé 
à  se  marier  (5). 

(C)  Elle  se  maintint  adroitement.... 
pendant  les  guerres  civiles.']  D'Aubi- 

(3)  Satlem  si  quel  mihi  de  le  suscepla  fuis  set 
Anle  fit  gain  toboles  ,    si   quis  mihi  parvidus 

aida 
Luderet  JEneas  ,  qui  te  lantum   ore  referrel, 
Nonequidem  omnin'o  capta  ac  déserta  viderer. 
Virgil. ,  /En. ,  Ub.  IV,  vs.  327. 

(4)  Discours  de  Catherine  de  Mcdicis,   pag. 
100. 

(.1) Nec  conjugis  unquàm 

Piœleiuli  tiedas ,  nul  hrec  in  f cédera  veni. 
Virgil.,Sffio,  ,  Ub.  IV,  vs.  338. 


GARNACI1E. 


43 


gné  sera  ici  mon  auteur  unique.  «  Il 
»  faut  ajouter  ici ,  dit-il  (6) ,  que  la 
»  dame  de  laGarnache,  sœur  du  duc 
»  de  Rohan,  tenoit  la  ville  de  laGar- 
»  nache  et  le  chasteau  de  Beauvôis 
»  sur  rrfler  en  neutralité  ,  se  garen- 
»  tissant  avec  les  soubmissions  et 
»  artifices  qui  ne  peuvent  estre  blas- 
»  mez  à  son  sexe  et  à  sa  condition, 
»  Son  fils  (nomme  le  prince  de  Ge- 
»  nevois  pour  la  prétention  du  raa- 
»  riage  de  sa  mère  avec  le  duc  de 
»  Nemours)  s'estant  saisi  de  la  Gar- 
»  nache  par  l'intelligence  desdomes- 
»  tiques  qui  esperoyent  de  lui,  es- 
»  peroit  en  faire  la  guerre  pour  son 
»  parti  et  ses  nécessitez.  11  entreprit 
»  aussi  sur  Beauvôis  par  intelligence; 
»  mais  elle  estant  double  il  se  trouva 
»  prisonnier  de  sa  mère.  La  cadence 
»  de  tout  cela  fut  que  le  roi  de  Na- 
»  varre  se  meslant  de  sa  liberté  l'o'b- 
»  tint,  et  par  mesme  moyen  la  place, 
»  quand  la  dame  du  lieu,  qui  aussi 
»  s'appeloit  la  duchesse  de  Loudu- 
»  nois,  vid  les  affaires  du  pays  assez 
»  favorables  pour  la  religion  dont 
»  elle  faisoit  profession  ,  pour  ce  que 
»  deslors  on  y  pouvoit  compter  huit 
»  places  partisanes  des  réformez  ■». 
11  parle  au  long  du  sie'ge  delà  Garna- 
che  (5).  11  fallut  que  la  garnison  pro- 
testante se  rendît  enfin  au  duc  de 
Ncvits.  On  peut  hardiment  compter , 
entre  tes  soumissions  ^t  les  artifices  de 
cette  dame,  les  lettres  qu'elle  écrivit 
à  son  frère  ,  assiégé  dans  Lusignan  (8)  : 
elle  fit  tout  ce  qu'elle  put  pour  le 
porter  à  se  rendre  aux  conditions 
avantageuses  que  le  duc  de  Montpcn- 
sier  lui  offrait  :  mais  elle  n'y  gagna 
rien. 

(D)  C'est  apparemment  île  son 
aventure  que  Brantôme  parle.  ]  Il 
dit  qu'il  a  connu  une  fille  de  très- 
grande  part ,  laquelle  vint  a  être 
grosse  du  fait  d'un  très-brave  et  ga- 
lant prince Le  roi  Henri  le  sut 

le  premier,  qui  en  fut  extrêmement 
fâché  ,  car  elle,  lui    appartenait   un 

peu Le  soir  au  bal  il  la   voulut 

mener  danser  le  branle  de  la  torche  , 
cl  puis  la  fit  danser  il  un  autre  le 
branle  de  la  gaillarde  et  les    autres 

(6)  D'Aubigné,  tom.  III,  liv.  I,  chap.  XIII, 
à  l'nnn.  1587 ,  pag.  65. 
(")  ha  même,  liv.  II,  chap.  XII  et  XVI. 
18J  Thiran.}  lib.  LIX,  ad  ann.  i5;4  ,  P<*S-  99- 


branles  ,  la  ou  elle  montra  sa  dispo- 
sition ,  et  sa  dextérité  mieux  que 
jamais,  avec  sa  taille  qui  était  tr-ès- 
belle ,  et  quelle  accommodoit  si  bien 
ce  jour- là  qu'il  n'y  avoil  aucune 
apparence  de  grossesse  ;  de  sorte  que 
le  roi vint  dire  à  un  très- 
grand  de  ses  plus  familiers  :  Ceux- 
là  sont  bien  médians  et  malheureux 
d'être  allés  inventer  que  cette  pau- 
vre fille  étoit  grosse Ils  ont 

menti ,  et  ont  très-grand  tort.  Ainsi 
ce  bon  prince  excusa  cette  belle  et 
honnête  demoiselle  ,  cl  en  dit  de  mê- 
me ii  la  reine  le  soir  étant  couché 
avec  elle  :  mais  la  reine  ne  se  fiant 
en  cela  la  fil  visiter  le  lendemain  au 
matin  ,  elle  étant  présente  ,  et  se  trou- 
va grosse  de  six  mois ,  laquelle  lui 
avoua  et  confessa  le  tout  sous  la  cour- 
tine de  mariage.  Pourtant  le  roi  qui 
étoit  tout  bon  fit  tenir  le  mystère  le 
plus  secret  qu'il  put ,  sans  scandali- 
ser la  fille  ,  encore  que  la  reine  en 
fut  fort  en  colère  ;  toutefois  ils  l'en- 
voyèrent tout  coi  chez  ses  plus  pro- 
ches parens  ,  ou  elle  accoucha  d'un 
beau  fis  ,  qui  pourtant  fut  si  mal- 
heureux qu'il  ne  put  jamais  être  avoué 
du  père  putatif,  et  la  cause  en  traî- 
na longuement  ,  mais  la  mère  n'y 
put  jamais  rien  gagner  '9).  Il  n'est 
pas  difficile  de  reconnaître  là-dedans 
la  dame  de  la  Garnache ,  qui  était 
fille  d'honneur  de  Catherine  de  Mé- 
dicis  au  temps  de  cet  accident  (10). 
Elle  ne  fut  pas  la  seule  qui  gagna  cela 
au  service  de  cette  reine. 

(E)....  31.  Varillas....  y  a  fait  bien 
des  fautes."]  Voici  comme  il  parle  (1 1): 
Jacques,  premier  duc  de  JYemours  , 
surnommé  le  beau  et  le  galant  cava- 
lier par  excellence  ,  avait  aimé  Fran- 
çoise de  Rohan,  gui  paraissait  a  la 
c  air  sous  le  nom  de  mademoiselle  de 
Léon //lui  avait  donné  une  pro- 
messe de  mariage  en  bonne  forme  : 
cette  demoiselle  ajoutait  qu'il  I  avait 
épousée  par  paroles  de  présent ,  et 
que  le  mariage  avait  été  consommé. 
Il  n'en  était  point  sorti  d'enfans,  et 

(ci)  Brantôme,  Dames  galantes  ,  tom.  H,pag. 
m.  i-o. 

(10)  Brantôme  ,  au  Discours  rie  Catherine  de 
Mcdicis  ,  met  la  demoiselle  de  Rohan  en  trie 
des  Jilles  d'honneur  qu'il  avait  rues  chez  les 
reines  de  France. 

(11)  Varillas,  Histoire  <le  Renri  \ïl  ,  lir.  V, 
pag.  18  et  suiu,  ,  édition  de  Hollande. 


44 


GARNACHE. 


les  choses  étaient  encore  demeurées 
dans  l'incertitude  lorsque  Poltrol  tua 

le  duc  de  Guise L'amour  du  duc 

de  Nemours  pour  la  duchesse  de 
Guise  5e  ralluma  aussitôt  qu'elle  fut 
veuve ,  et  il  l'épousa  avant  que  la 
demoiselle  de  Léon  eût  achevé  de 
prendre  toutes  les  mesures  dont  elle 
avait  besoin  pour  y  former  opposi- 
tion. Ses parens,  qui  ne  l'avaient  que 
médiocrement  assistée  avant  l'infidé- 
lité du  duc  de  Wemours  ,  s'échauf- 
fèrent après  qu'ils  le  virent  marié  ; 
et  le  roi  de  JYavarre ,  son  cousin  issu 
de  germain ,  ceux  de  la  maison  de 
Rohan,  et  tous  les  autres  seigneurs 
du  royaume  qui  leur  étaient  alliés  , 
firent  entendre  au  duc  de  Wemours 
que  ,  s'il  ne  faisait  raison  a  la  de- 
moiselle de  Léon  ,  il  fallait  qu'il 
se  battit  en  duel  contre  eux  tous,  l'un 
après  l' autre.  Cette  extrémité  était 
terrible  ;  et  quoique  le  duc  de  IVe- 
mours fût  un  des  plus  vaillans  hom- 
mes du  monde,  il  n'était  pas  possible 
qu'il  satisfît  tant  de  gens  sans  suc- 
comber enfin  dans  la  querelle.  C'est 
ce  qui  lui  fit  prendre  des  sûretés  qui 
l'exemptèrent  du  combat  durant  quel- 
ques années La  duchesse  de  IVe- 
mours accoucha  de  deux    fils et 

lu  demoiselle  de  Léon  s'ingéra  de 
prouver  qu  ils  n'étaient  pas  légitimes. 
Le  procès  en  fut  instruit  avec  beau- 
coup d' appareil.  On  consulta  les  plus 
célèbres  professeurs  de  V Europe  en 
jurisprudence,  aussi-bien  que  les  plus 
célèbres  avocats  des  parlemens  de 
France;  et  la  plupart  des  uns  et  des 
autres  répondirent  que  la  question 
paraissait  difficile  ,  et  que  le  mieux 
serait  d'accommoder  l'affaire.  La 
querelle  de  religion  qui  survint  en- 
suite de  celle  du  mariage  ne  servit 
qu'il  l'augmenter;  car  d'un  coté  la 

maison  de  Rohan  se  fit  calviniste 

La  demoiselle  de  Léon  était  cadette 
de  Bretagne  ,  et  par  conséquent  n'a- 
vail  que  très-peu  de  bien.  Elle  aimait 
la  dépense,  et  c'était  en  lui  fournis- 
sant les  moyens  de  la  faire,  que  le 
duc  de  Wemours  s'était  insinué  dans 
son  esprit.  Elle  fut  attaquée  par  ce 
faible;  et  la  reine-mère  lui  offrit  que, 
pourvu  qu'elle  se  désistât  de  ses  pré- 
imlions  ,  on  délarlicriiil  du  domaine 
royal  la  ville  de  Loudun  et  sa  ju- 
ridiction; et  si  le  tout  ensemble  ne 
valait  pas  cinquante   mille  livres  de 


rente  ,  on  achèterait  des  terres  voisi- 
nes,  et  on  y  joindrait  jusqu'à  la  con- 
currence de  celte  somme  ;  que  le  tout 
ensemble  serait  érigé  en  duché,  et  pai- 
rie, et  que  l'expédition  de  la  chancel- 
lerie porterait  en  termes  exprès  ,  que 
ce  duché  et  cette  pairie  passeraient  de 
la  demoisellede  Léon  a  ses  descendons 
mâles  et  femelles  jusqu'à  l'infini  , 
supposé  qu'elle  en  eût  ;  et  si  elle  n'en 
avait  pas ,  h  tous  les  mâles  et  femel- 
les de  la  maison  de  Rohan,  dans  le 
même  degré  d'infini.  La  demoiselle 
de  Léon  rejeta  d' abord  la  proposi- 
tion  de  la   reine  mère Elle  fut 

tellement  persécutée  par  ses  proches, 
qu'elle  n'osa  plus  s'opposer  ouverte- 
ment au  dessein  de  s' accommoder  ; 
mais  il  naissait  toujours  de  nouveaux 
obstacles  ,  quand  oncivyait  avoir  sur- 
monté les  précédens.  Le  parlement 
de  Paris  ,  qui  devait  enregistrer  les 
lettres  de  l'érection  de  Loudun  en 
duché  et  pairie ,  en  fit  difficulté,  et 
se  fonda  sur  ce  que,  pour  asseoir  dans 
les  règles  un  duché  et  pairie  ,  il  fal- 
lait trouver  une  terre  dont  le  futur 
duc  et  pair  fût  seigneur  incommuta- 
ble  ;  c  est-a-dire  ,  qu'il  la  possédât  si 
parfaitement,  qu'aucun  n'eût  droit 
de  l'en  priver ,  ce  qui  ne  pouvait  avoir 
lieu  à  l'égard  de  la  terre  de  Loudun, 
puisqu'elle  était  du  domaine  royal , 
et  que  quelques  précautions  que  l'on 
prit  pour  l'en  séparer,  il  serait  tou- 
jours permis  au  roi  de  l'y  réunir  ;  et 
quand  sa  majesté  le  négligerait ,  com- 
me elle  n'était  qu  usujruitière  de  son 
royaume  ,  ses  successeurs  seraient 
toujours  en  état  de  le  faire.  Il  était 
malaisé  de  réfuter  cette  raison  par 
une  raison  opposée  d'une  égale  force  : 
mais  la  reine-mère  aurait  employé  au 
défaut  de  cela  tout  son  crédit  ,  et 
toute  l'autorité  du  roi  son  fils  ,  si  le 
changement  qui  survint  en  la  per- 
sonne du  duc  de  Wemours  ne  l'en  eût 
empêché.  Ce  prince devint  pa- 
ralytique    //   languit   deux  ans 

entiers  dans  un  lit ,  et  y  mourut  au 
bout  de  ce  temps  (12).  Comme  son 
indisposition  donnait  de  la  pitié  a 
tout  le  monde  ,  la  demoiselle  de 
Léon  suspendit  les  poursuites  qu'elle 
faisait  contre  lui  en  justice,  et  les  ju- 
ges n'en  voulurent  plus  ouïr  parler 

(12)  Il  mourut  à  Annecy,  au  comte  Je  Fau- 
cigny,  le  19  de  Juin  iMi.  Hilarion  de  Coste, 
lilo^.  des  Dûmes  ,  tout.  I,  pas.  79- 


GARONNE. 


45 


apri'S  la  mor^e  celui  qui  en  était  la  naissance  de  ces  deux  enfans  ;  car  ce 

cause.  Le  roCjiit  ravi  de  n'avoir  plus  duc  n'épousa  la  douairière  de  Guise 

occasion  d'aliéner  son  domaine  ,  et  de  qu'après   avoir  vide  sou  procès    a\  ce 

créer  un  nouveau  duché  et  pairie  pour  mademoiselle  de  Rohan,    en   l'année 

un  sujet  qui  en  était  si  peu  digne i56S,  et  il  v  avait  eu   déjà  une  très 


Et  comme  ce  ri  avait  été  que  par  né- 
cessité ,  et  par  complaisance  pour  la 
reine-mère  ,  qu'il  avait  consenti  a  l'a- 
liénation de  Loudun  ,  il  se  réjouit 
d'être  dispensé  d accomplir  sa  pro- 
messe par  la  mort  duduc  de  Nemours. 
i°.  Je  remarque  que  la  demoiselle 
dont  il  s'agit  est  nommée  par  L'.r. in- 
terne mademoiselle  de  Rohan  (l3)  , 
et  non  pas  mademoiselle  de  Léon. 
2°.  J'ai  fait  voir  (14)  par  le  témoi- 
gnage de  M.  tic  Thou,  que  le  procès 
de  la  demoiselle  fut  définitivement 
jugé  à  son  préjudice  l'an  i566.Lapro- 
messe  de  mariage  qu'elle  produisait 
fut  déclarée  nulle.  .M.  Varillas  le  sa- 
vait bien  en  composant  son  Charles 
IX.  Voyez  les  paroles  que  je  cite  en 
note  (i"5);  elles  déclarent  formelle- 
ment que  le  mariage  du  duc  de  Ne- 
mours avec  la  duchesse  de  Guise  fut 
précédé  de  la  sentence  qui  déclara 
nulles  les  prétentions  de  mademoi- 
selle de  Rohan  (16).  D'où  vient  donc 
qu'il  dit  ici  qu'avant  que  cette  de- 
moiselle eût  pris  toutes  les  mesures 
dont  elle  avait  besoin  pour  y' former 
opposition,  le  duc  de  Nemours  avait 
épousé  la  veuve  du  duc  de  Guise? 
3°.  Quelle  apparence  que  la  demoi- 
selle ait  renouvelé  ses  poursuites 
après  la  naissance  des  deux  garçons 
du  duc  de  Nemours  et  de  cette  veu- 
ve ?  Ce  mariage  s'était  fait  après  la 
sentence  définitive  qui  ruina  les 
prétentions  de  la  demoiselle,  et  par 
conséquent  il  n'y  avait  plus  rien  à 
dire  contre  les  enfans  issus  de  ce 
mariage.  4°-  Et  ainsi  ces  consulta- 
tions des  professeurs  et  des  avocats, 
ce  procès  instruit  avec  beaucoup 
d'appareil,  touchant  la  qualité  des 
deux  fils  du  duc  de  Nemours,  sont 
des  chimères.  5".  La  querelle  de  re- 
ligion ne    fut  point  postérieure  à  la 

(i3)  Discours  de  Catherine  de  Médicis,  pag. 
m.  100 

(i4    Dans  la  remarque  (A). 

(i5)  Aoss  tôt  quf  la  rentence  définitive  eut  e'ie' 
signifiée  a  ia  deqioîselle  de  Rohan  .  te  duc  de 
Nemours  épousa  la  douairière  de  Guise.  V  aril- 
las.  Histoire  de  Charles  IX,  loin.  II,  pag.  34, 
«  l'ann.    i566. 

(16;  Voyez  Hilarion  de  Coste ,  Eloges  des 
D.iine>  ,  tom.  i.  pag.  e(j. 


sanglante  guerre  de  religion.  6°.  La 
maison  de  Rohan  ne  se  fit  point  cal- 
viniste depuis  la  naissance  des  deux 
enfans  du  duc  de  Nemours  ;  car 
M.  Varillas  remarque  (17)  que  dès 
l'an  îfifiî,  le  vicomte  de  Rohan  em- 
brassa le  calvinisme,  par  l'espérance 
d'épouser  l'héritière  de  Soubise.  fj°. 
C'esl  encore  une  chimère  que  cette 
pitié  qui  obligea,  nous  dit-on  ,  la  de- 
moiselle de  Rohan  à  susprcnclre  ses 
poursuites  contre  le  duc  de  Nemours 
paralytique.  8°.  Selon  M.  Varillas,  le 
roi  Henri  III  n'érigea  pas  Loudun  en 
duché  :  la  mort  du  duc  de  Nemours 
l'en  dispensa.  Cependant  il  est  cer- 
tain que  cette  érection  fut  faite  en  fa- 
veur de  la  demoiselle  de  Rohan.  g0.  La 
plus  énorme  des  fautes  de  cet  auteur 
est  de  dire  qu'il  n'était  point  sorti 
d'enfans  du  commerce  du  duc  de 
Nemours  avec  cette  demoiselle.  Voyez 
ci-dessus  (18)  le  passage  du  sieur 
d'Aubigné  (19). 

(17)  Histoire  de  Charles  IX,  liv.  ///,  au 
commencement. 

(18;  Dans  ta  remarque  (C). 

(19)  Voyez  aussi  le  Laboureur ,  Additions  aux 
Mémoires  de  Castelnau,  loin.  I,  pag.  808. 

GARONNE  ,  en  latin  Ganim- 
11a  ,  l'une  des  quatre  grandes 
rivières  de  France.  Papyre  Mas- 
son  (a)  vous  fournira  plusieurs 
passages  de  poètes  concernant 
cette  rivière.  Joignez-y  la  jolie 
et.  plaisante  imagination  de  MM. 
de  la  Chapelle  et  de  Rachaumont 
(b)  sur  son  flux  et  son  reflux.  Je 
me  borne  à  marquer  quelques 
fautes  de  M.  Moréri  (A). 

(n)  In  Descriptione  Francis  per  (lumina. 
(6)  Dans  la  Relation  de  leur  voyage. 

(A)  Je  me  borne  à  marquer  quel- 
ques fautes  de  31.  Moréri."]  i°.  11  dit 
que  la  Garonne  traverse  la  plaine 
d'Aran,  dans  le  pays  de  Comminges. 
C'est  n'entendre  rien  dans  le  latin 
qu'on  a  copié,  car  voicicomme  parle 
M.  Baudrand,  l'original  de  M .  .Moréri  : 
Orilur  (Garumna  i  in  monlibus  Au- 


46 

rœ  in  Aranid  talle  Hispanicœ  ditio- 
nis  in  confinio  Aragoniœ.  M.  Bau- 
drand  ne  parle  pas  de  la  plaine  d'A- 
ran,  mais  de  la  vallée  d'Aran,  et  il 
dit  qu'elle  appartient  à  l'Espagne,  sur 
les  frontières  d'Aragon,  et  non  pas 
qu'elle  fait  partie  du  pays  de  Com- 
minges.  2°.  11  ne  fallait  pas  dire  que 
la  Garonne  passe  à  Rieux,  mais  pro- 
che de  Rieux.  Le  sieur  Coulon  a  évite' 
cette  faute  en  disant  qu'elle  côtoie 
l'évéché  de  Rieur,  en  la  comté  de  toix 
(i).  Ces  dernières  paroles  ne  valent 
rien  ,  puisque  la  ville  de  Rieux  n'est 
point  du  comte  de  Foix ,  et  que  la 
partie  du  diocèse  de  Rieux  côtoyée 
par  les  eaux  de  la  Garonne ,  n'est 
point  au  comte' de  Foix.  3°.  Il  n'est 
pas  vrai  que  la  Garonne  reçoive  à 
Toulouse  le  petit  Lers  :  elle  le  reçoit 
fort  au-dessous  de  cette  ville.  4°-  ^ 
ne  fallait  pas  oublier  qu'à  une  lieue 
au-dessus  de  Toulouse,  elle  reçoit 
une  rivière  tout  autrement  considé- 
rable que  le  petit  Lers.  Je  parle  de 
la  rivière  d'Ariège.  1  ndè  patentes  et 
fertiles  campos  rigans  iluobus  înillia- 
ribus  a  Tliolosâ  in  finculo  (2)  S. 
Crucis  Aurigeram  (3)  fiuvium  exci- 
piens,  arenulis  aureis  intermicantem, 
jam  suis  cujuis  et  externis  ralenlior 
Tholosam  Tectosagum  metropolim 
alluit;  c'est  ainsi  que  parle  Papyre 
Masson  (4).  5°.  Dire  ,  comme  fait 
M.  More'ri,  que  la  Garonne  vient  près 
de  Bordeaux,  est  vouloir  que  les  lec- 
teurs s'imaginent  qu'elle  ne  touche 
point  les  murailles  de  cette  ville,  ce 
qui  serait  une  très-fausse  imagina- 
tion.  6°.  La  Garonne  et  la  Dordogne 
forment  un  seul  canal  de  la  Garonne 
ijui  passe  à  Blaye.  Cette  expression 
esl  si  barbare,  que  le  plus  ignorant 
Wallon  se  serait  mieux  explique'. 
70.  11  ne  fallait  pas  dire  qu'il  y  a  sur 
la  droite  de  la  Garonne,  et  sur  le 
rivage  de  Xaintonge  une  ville  nom- 
mée Marmande;  il  fallait  dire  Alor- 
tagne.  8°.  Au  lieu  de  Pavillac  et  de 
Soulac,  il  fallait  dire  Pouillac  et 
Siiiii/fac.Lni*.  et  la  5e.  fautes  se,  trou- 
vent dans  le  Dictionnaire  géographi- 
que de  M.  Baudrand. 

(1)  Trailé  dis  Uivicrcs  de  France,  /rc.  part., 
pag   4;5. 

(2)  fl  faut  lire  viculo,  petit  village. 
(H)  /.'auteur  ne  traduit  pa>   bien  ce  mot  par 

la   EViège. 

(4j    In   Dcscriptione  Francité  per  Flumina  , 
pag.  433,    edit.   l'nris.   l685. 


GÉDICCUS. 

GÉDICCUS  (  Siagrr  ) ,  docteur 
en  théologie  ,  et  ministre  à  Mag- 
debourg,  ne  m'est  connu  que 
par  la  réponse  qu'il  publia,  l'an 
i5q5  ,  à  un  petit  livre  dans 
lequel  on  avait  voulu  prouver 
que  les  femmes  n'appartiennent 
point  à  l'espèce  humaine  ,  ma- 
tières non  esse  hommes  (  A  ). 
Cela  s'exprime  en  latin  beau- 
coup plus  heureusement  qu'en 
français  ;  car  autant  il  est  ridi- 
cule de  soutenir  en  latin  mulie- 
res  non  esse  homines  ,  autant 
est-il  ridicule  en  notre  langue 
de  soutenir  que  les  femmes  sont 
•  des  hommes  On  a  réimprimé  ce 
petit  livre  plusieurs  fois  (R) ,  et 
il  s'est  trouvé  des  gens  qui  ont 
soutenu  tout  de  bon  la  thèse 
qu'on  voit  au  titre  (C).  Je  n'ai 
point  trouvé  que  la  reine  Elisa- 
beth y  soit  mise  en  jeu  (D). 

Il  y  a  des  gens  qui  croient  que 
l'auteur  de  l'Ecclésiastique  a  com- 
battu le  paradoxe  que  les  fem- 
mes ri  ont  point  d'âme.  S'ils 
avaient  raison  ,  il  faudrait  con- 
clure que  l'auteur  italien  qui  a 
soutenu  ce  paradoxe  a  renou- 
velé une  chimère  bien  surannée 
(E).  Rajeunir  en  ce  sens-là  une 
vieille  décrépite  n'est  pas  un 
ouvrage  fort  malaisé.  L'art  de 
Médée  n'y  est  pas  nécessaire. 
Cependant  comme  ce  nouvel  au- 
teur n'a  pas  été  en  état  de  se 
prévaloir  des  raisonnemens  de 
ceux  qui  ont  été  réfutés  dans 
l'Ecclésiastique,  il  peut  préten- 
dre à  la  gloire  de  l'invention  à 
certains  égards.  Vous  verrez  ci- 
dessous  (a)  un  passage  des  Mé- 
langes d'Histoire  et  de  Littéra- 
ture recueillis  par  M.  de  f^i- 
g/ieul-Maiville. 

(a)  Omis  la  remarque  (E). 


GÉDICCUS. 


47 


(A)   On  avait  voulu  prouver 

mulieresnon  esse  homines.]  J'ai  parle 
ailleurs  (i)  des  vacarmes  et  des  tem- 
pêtes qu'on  excita  contre  le  pauvre 
Acidalius,  qui  avait  donne  à  son  li- 
braire une  copie  de  cette  disserta- 
tion ,  et  j'ai  averti  là  mon  lecteur  que 
je  parlerais  ici  de  ce  petit  livre.  Je 
doute  fort  que  le  sieur  Ge'diccus  ait 

fe'netre'  la  véritable  intention  de 
auteur.  11  s'est  amusé  à  faire  dans 
toutes  les  formes  l'apologie  du  sexe  : 
il  a  donc  cru  qu'il  réfutait  un  ou- 
vrage où  l'on  avait  eu  principale- 
ment en  vue  de  dire  du  mal  des 
femmes.  11  n'a  été  guère  fin,  ce  me 
semble.  L'auteur  de  la  dissertation 
n'en  veut  point  principalement  aux 
femmes;  ce  n'est  que  par  accident  et 
fort  indirectement  qu'il  les  maltraite  : 
son  principal  but  est  de  tourner  en 
ridicule  le  système  des  sociniens,  et 
leur  méthode  de  se  jouer  des  textes 
les  plus  formels  delà  parole  de  Dieu, 
touchant  la  divinité  du  verbe.  11  y  a 
long-temps  qu'un  journaliste  l'a  re- 
marqué. Voici  ses  paroles  (2).  «  Pour- 
»  quoi  ne  pas  permettre  à  tout  le 
»  monde  de  se  convaincre  que  les 
»  sociniens  ne  payent  que  de  chi- 
»  caneries  si  méchantes,  qu'on  leur 
»  a  fait  voir  qu'avec  leurs  gloses  on 
»  éluderait  tous  les  passages  de  l'E- 
»  criture  qui  prouvent  que  les  fem- 
»  sont  des  créatures  humaines  ,  je 
»  veux  dire  de  même  espèce  que  les 
»  hommes.  Ce  fut  le  sujet  d'un  petit 
»  livre  qui  parut  sur  la  tin  du  der- 
V  nier  siècle ,  mulieres  homines  non 
»  esse  ,  auquel  un  nommé  Simon 
»  Gécliccus,  ministre  du  pays  de  Bran- 
»  debourg,  répondit  fort  sgrieuse- 
»  ment,  n'ayant  pas  pris  garde  au 
»  but  de  l'auteur,  qui  était  défaire 
)>  une  satire  violente  contre  les  so- 
)>  ciniens;  car,  en  efièt ,  que  peut-on 
»  imaginer  déplus  propre  à  les  tour- 
»  ner  en  ridicule,  ou  de  plus  mor- 
»  tifiant,  que  de  leur  montrer  que 
»  les  gloses  avec  lesquelles  ils  com- 
»  battent  la  consubstantialité  du  fils 
»  de  Dieu,  sont  capables  d'empêcher 
»  qu'on  ne  prouve,  par  l'Ecriture,  que 
»  les  femmes  sont  des  créatures  hu- 
»  maines  ?    »    Cochleus  employa    la 

(il  Remarque  (G)  de  l'article  AciDiLius  , 
tom.  I  ,  pag.  176. 

(a)  Nouvelles  de  la  République  des  Lettres , 
mois  de  juillel'i6o'5  ,  pag.  802. 


même  machine  ,  mais  fort  inutile- 
ment, contre  Luther:  il  lit  des  li- 
■\  resoù,  ense serrant  delaméthodelu- 
thérienne  ,  il  prouvait  par  des  passages 
de  l'Ecriture  ,  que  Jésus-Christ  n'esl 
point  Dieu ,  que  Dieu  doit  obéir  au 
diable  ,  et  que  la  Sainte  Vierge  ne 
garda  point  sa  virginité.  Cum  Lu- 
therani  Scripturis  ad  suas  nugas 
aptatis  luderent ,  Cocherus  (3)  in  aclis 
Luther ianno  1 527  .se  librum  ex  Scrip- 
inri.s  malè consenti  consarcinâsse  tes- 
tatur,  ad probandum ,  quodChristus 
non  sit  Deus;  additque  anno  i52S.se 
item  simili  arteac  scopo,  scripsissede 
ohedienliâ  diabolo  débita  a  Deo,  et  de 
Beatissimœ  ï  irginis  integritate  1  iola- 
tii.  I  Tndèliquerevolebat,nihilesse  à  deo 
sdnetum ,  adquodimpugnandum  non 
possentoblorqueiiScripturce  &).  L'au- 
teur dont  j'emprunte  ces  paroles  ve- 
nait de  donner  un  grand  exemple  du 
pouvoir  de  la  chicane  :  il  avait  mon- 
tré qu'en  se  servant  des  principes  de 
certains  censeurs  ,  le  Symbole  des 
apôtres  ne  contenait  aucun  article 
que  l'on  ne  put  fulminer.  11  se  plaint 
de  ce  que  Pétrus  Aurélius  avait  fron- 
dé depuis  peu  cet  exemple  de  chica- 
nerie (5)  ;  mais  je  ne  saurais  approu- 
ver sa  plainte  après  avoir  lu,  dans 
M.  Baillet,  ce  que  je  m'en  vais  copier. 

«   Le  père  Théophile  Raynaud 

»  fait  voir  qu'il  n'y  a  point  de  livre, 
»  quelque  parfait  et  quelque  saint 
»  qu'il  puisse  être,  où  on  ne  puisse 
»  trouver  quelque  chose  à  dire  à 
»  droit  ou  à  tort,  quand  une  fois  on 
»  s'est  mis  sur  le  pied  de  tout  per- 
»  vertir,  et  de  contrôler  sur  toutes 
0  choses.  Mais  il  n'était  pas  fort  né- 
»  cessaire  qu'il  nous  en  donnât  des 
)>  preuves  si  sensibles  et  si  efficaces,  en 
)>  voulant  nous  persuader  qu'il  savait 
»  autant  qu'aucun  autre  l'art  de  lii- 
»  cher   et    de    chicaner,    lorsqu'il  a 


(31  C'est  une  faute  d'impres<ion  qui  est  mar- 
quée dans  /'errita.  Il  faut  lire  Cocleus  un 
Cochleus.  M.  Kaillet,  Jugeraens  des  Savans , 
loin.  I,pag.  io3,  ne  s'e'tanl  point  aperçu  dr 
cette  faute  il' impression,  a  cru  que  Théophile 
Kaynaud  avait  cite  un  nommé  Cocher. 

(4)  Tlicnph.  Kaynaudus  ,  de  bonis  ac  malis 
Lions,  part.  III ,  erolem.  III,  num.  5î8  ,  pag. 
m.  agp. 

(.->;  Von  me  latet  nuper  Petruni  Aurelium  io 
hanc  scriptiooem  romuisse  pleraque  virulente. 
quasi  id  sit  illudere  verbo  Pei.  Sed  bec  est  plané 
Irivola  rrimmalio,  hujusmodi  enim  al  bominera 
recriminationes  à  viris  piis  m  non  uissimili  rna- 
teriâ  sont  tdbibilK.  Sic  cum  lulberani ,  etc. 
La  suite  est  dans  le  corps  de  «elle  remarque. 


AS 


GÉDICCUS. 


„  publie  une  censure  libertine  etim- 
5>  pie  du  Symbole  des  apôtres,  dans 
»  laquelle  ou  lui-même,  ou  celui  à 
»  qui  il  l'attribue  ,  et  qu'il  appelle 
»  très-catholique  et  très-savant  hom- 
3,  me  tire  en  effet  tous  les  mots  de 
»  ce  symbole  ou  par  les  cheveux  ou 
»  parles  pieds,  pour  faire  voir  qu'il 
3)  n'y  en  a  point  qui  ne  soient  sus- 
„  pects,  dangereux,  captieux,  im- 
„  pies  et  he're'tiques  en  un  sens. 
„  Voilà ,  à  dire  le  vrai ,  un  essai  de 
j,  ce  que  peut  produire  la  maudite 
«  chicane.  Mais  je  ne  vois  pas  bien 
»  quel  jeu  cet  auteur  très-catholique 
»  a  voulu  jouer,  en  jouant  ainsi  no- 
»  tre  profession  de  foi.  Je  ne  sais  si 
»  c'est  pour  les  personnes  simples  et 
»  faciles  à  être  scandalise'es ,  ou  si 
»  c'est  pour  les  prétendus  esprits- 
»  forts  qu'il  a  fait  cette  pièce,  et  s'il 
si  a  voulu  rendre  quelque  service  aux 
3)  sociniens  ou  aux  de'istes  (6).  »  Con- 
sultez l'article  Poza  *. 

(B)  On  a  réimprimé  ce  petit  livre 
plusieurs  fois.}  L'édition  dont  je  me 
sers  est  de  la  Haye  i638  ,  in-ii ,  je  ne 
marque  pas  les  autres.  Je  ne  saurais 
bien  dire  si  l'ouvrage  condamne  par 
la  congrégation  de  Y  Inde.) ,  à  Rome  le 
18  de  juin  i65i,est  une  version  de  ce- 
lui-ci. Cet  ouvrage  a  pour  titre ,  Che 
le  donne  non  siano  délia  specie 
degl' huomini  :  Discorso piacevole,  tra- 
dolto  da  Horalio  Plat a  ,  Romano('j). 

(C)  Il  s'est  trouvé  des  gens  qui  ont 
soutenu  tout  de  bon  la  thèse  qu'on 
voit  au  titre.]  On  en  verra  la  preuve 
dans  cette  remarque  :  mais  tous  les 
exemples     que    j'alléguerai    ne    sont 

F  oint  propres  à  montrer  qu'on  ait  pris 
affirmative  sérieusement.  Je  crois  , 
avec  Vossius,  que  Cujas  la  prit  seule- 
ment pour  se  divertir  (8)  :  Eoque  cùm 
Cujacius  conlenderet ,  mulieres  non 
esse  homines  ,  credo  a  seriis  animum 
remittens  (  propè  amittens  in  tali  ne- 
gotio  dixerim  )  pauxillum  voluit  nu- 
gari ,  quod post  magnum  virum  aliis 
ciiam  nugandi  prœbuit  occasione.m. 
Cette  matière  fut  extrêmement  agitée 
en  Hollande  pendant  (pie  Sorbière  y 

(6)  Jugemens  des  Savans ,  loin.  /,  pag.  102 
io3. 

*  Baylc  n'a  pas  donné  cet  article. 

(?)  Voyez,  Hndex  d'Alexandre  VII,  num,  55, 
pag.  ï55. 

(8)  Vossius  ,  de  Origin.  Idololfltr.  ,  Ub,  III , 
cap.  XLVIII,  pag.  m.  <|8;j. 


demeurait  :  M.  Béverovic  ,  dit- il,  a 
fait,  «  un  livre  de  i 'excellence  des 
»  femmes,  en  suite  d'une  dispute  sur 
»  une  thèse  avancée  en  forme  de  pa- 
ît radoxe  par  un  écolier  qui  voulait 
»  exercerson  esprit;  mulieres  nonesse 
»  homines.  Cette  dispute  est  passée 
»  de  l'académie  dans  l'entretien  des 
»  meilleures  compagnies;  et  il  a  été 
»  déjà  écrit  beaucoup  pour  et  contre. 
»  Enfin  M.  de  Béverovic  s'en  est  mê- 
»  lé ,  et  nous  a  donné  un  aussi  galant 
»  et  docte  ouvrage  que  l'on  peut 
»  faire  sur  cette  matière..  Il  n'a  rien 
»  oublié  à  dire  à  l'avantage  du  beau 
»  sexe  ,  et  il  a  vérifié  par  mille  exem- 
»  pies  ce  qu'il  a  tâché  de  prouver 
»  méthodiquement  et  par  bonnes  rai- 
»  sons  ,  que  les  femmes  n'étaient 
»  point  inj<  Heures  aux  hommes  en 
»  aucunes  qualités  du  corps  et  de 
»  l'esprit  (y).  »  Je  voudrais  que  Vos- 
sius eût  jugé  aussi  sainement  de  l'o- 
pinion d  Aristote ,  que  de  celle  que 
Cujas  entreprit  de  soutenir  :  mais  il 
ne  fallait  pas  attendre  cela  de  lui; 
l'autorité  d'Aristote  était  encore  trop 
respectée.  Ce  grand  philosophe  a  sou- 
tenu un  étrange  sentiment  :  il  a  cru 
que  la  nature  ne  formait  des  femmes 
que  lorsqu'à  cause  de  l'imperfection 
de  la  matière  ,  elle  ne  pouvait  par- 
venir au  sexe  parfait.  Vossius  (10) 
loue  Cajetan  d'avoir  avoué  cela  à  l'é- 
gard de  la  nature  particulière,  mais 
de  l'avoir  nié  à  l'égard  de  la  nature 
universelle.  Ainsi,  au  dire  de  ces  deux 
docteurs,  la  nature  humaine  ne  se 
propose  pas  d'engendrer  des  femmes  : 
son  but,  est  toujours  de  faire  des  mâ- 
les; mais,  parce  que  ,  si  elle  parve- 
nait toujours  à  ce  but-là  ,  l'univers  en 
souffrirait  trop,  il  y  a  une  nature 
universelle  qui  y  remédie.  Quel  pi- 
toyable jargon  !  et  ([lie  voilà  une  idée 
de  sagesse  bien  bizarre,  et  une  étran- 
ge philosophie  !  La  nature  humaine 
opérerait  alin  de  se  conserver  ,  et 
néanmoins  elle  n'aurait  pas  pour  but 
de  produire  l'être  sans  lequel  il  n'est 
pas  possible  qu'elle  se  conserve.  C'est 
la  plus  grande  des  absurdités  ;  et 
néanmoins  il  y  a  un  nombre  innom- 
brable de  médecins  et  de  philosophes 

(ci)  Sorbière  ,  il  ans  une  lettre  à  Guy  Patin  , 
fente  de  Leiden  ,  environ  l'an  i65o  C'est  la 
I.XIT1".  Voyez  la  page  4^7  de  ses  Lettres, 
in-4». 

(10)  De  Origin.  Idololatr. ,  png.  984. 


GÉDICCUS. 


qui  ont  soutenu  que  la  nature  ne 
fait  des  femelles  que  quand  elle  s'est 
de'route'e,  et  qu'ainsi  elle  n'en  pro- 
duit que  par  hasard  ,  que  par  acci- 
dent, que  par  force.  Ecoutons  cette 
sottise  en  italien,  Huomini  sapientis- 
simi  hanno  lasciato  scritto  ,  che  la 
natura  ,  percib  che  sempre  intende  , 
e  disegna  far  le  cose  piu  perfette , 
se  potesse  ,  produrria  continuamenle 
huomini  :  e  quando  nasce  iina  donna  , 
è  difetto ,  o  error  délia  natura ,  e 
contra  quello  ,  ch'essa  vorrebe  Jure  : 
corne  si  vede  ancor  d'uno  ,  che  nasce 
cieco  ,  zoppo ,  o  con  qualche  altro 
mancamenlo ,  e  ne  gli  arbori  molti 
fruit  i ,  che  non  maturano  mai.  Cosl 
la  donna  si  puo  dire  animal  produt- 
to  a  sorte,  e  per  caso  {xx).  Ce  que  je 
trouve  de  plus  e'trange  est  de  voir 
que  dans  un  concile  (12)  on  ait  gra- 
vement rais  en  question  si  les  fem- 
mes e'taientune  créature  humaine ,  et 
qu'on  n'ait  décide  l'affirmative  qu'a- 
près un  long  examen  *. 

;(D)  Je  n'ai  point  trouvé  que  la  reine 
Elisabeth  y  soit  mise  en  jeu.  ]  Voici 
ce  qu'on  trouve  dans  la  vie  que  M.  Le- 
ti  a  publiée  de  cette  reine.  J'ai  tou- 
jours regardé  avec  horreur,  dit -il 
(i3),  un  méchant  livre  qui  a  pour 
titre  que  les  femmes  sont  d'une  autre 
espèce  que  les  hommes  ,  ou  l'on  ose 
alléguer  l'exemple  de  cette  reine  pour 
se  moquer  de  ceux  qui  ont  loué  sa  ca- 
pacité dans  l'administration  des  af- 
faires, et  dire  que  pendant  son  règne 
ses  favoris ,  son  conseil  et  le  parle- 
ment faisaient  toutes  les  affaires  , 
sans  qu'il  y  eut  autre  chose  d'elle 
que  son  nom.  Comme  apparemment 
il  y  a  quelques  autres  dissertations 
sur  la  thèse ,  mulieres  non  esse  homi- 
nes  ,  outre  le  traite  que  le  sieur  Gé- 
diccus  s'est  donne  la  peine  de  réfu- 
ter ,  je  serais  fort  te'me'raire  si  je  niais 

(11)  I.e  comte  Baltbasar  Castiglione  ,  dans  son 
Parfait  Courtisan  ,  liv.  III.  pag.  m.  382. 

fi  2)  De  Maçon.  Voyez  la  Polygamia  trium- 
phatrix  ,  pag.  Iî3,  oi(  on  lit  ces  paroles  :  C'um 
inter  tôt  sanctos  patres  episcopus  quidam,  sta- 
tuerel  non  posse  nec  debere  mulieres  vocari  ho- 
mines  ,  res  taati  est  habita  ut  in  timoré  Dei  pu- 
bliée ibi  venttlarelur  ,  et  tandem  post  militas 
■vexât»  lui  jus  qutestionïa  discepiationes  conclude- 
retur  quod  mulieres  sint  homines. 

*  La  Poli  gaima  triumphalrix  est  de  J.  Ly- 
séru<,  qui  a  place  dans  le  Dictionnaire  de  Bayle. 
(Voyez  torn.  IX.)  Joly  reproche  à  Bayle  de  s'ap- 
puyer sur  le  témoignage  d'un  semblable  auteur. 

(i3)  Au  lom.  I,  pag.  G. 

TOME    VU. 


49 


ce  que  M.  Leti  rapporte  ;  car  j'avoue 
que  je  n'ai  lu  sur  cette  matière  que  le 
livre  que  le  sieur  Gédiccus  a  réfuté. 
Je  dirai  seulement  que  M.  Leti  aurait 
obligé1  ses  lecteurs,  s'il  avait  caracté- 
risé le  livre  (i4)  où  il  à  lu  cette  mé- 
disance contre  la  reine  Elisabeth. 

(E)    Que  l'auteur  italien  qui  a  sou- 
tenu  ce  paradoxe   a    renouvelé  une 
chimère  bien  surannée.  ]  «   Un  Espa- 
»  gnol  a  dit  que  les  bêtes  n'ont  point 
»  d'ihne.  Un  Français   l'a   dit  aussi. 
»  Mais    un    Italien   plus    outré   s'est 
»  avisé  de   soutenir  que  les  femmes 
»  n'ont  point  d'ilme,  et  ne  sont  pas  de 
»  l'espèce  des  hommes  :  Che  le  don- 
»  ne  non  habbiano  anima  ,  e  che  non 
»  siano  délia  specie  de  gli  huomini,  e 
»  vienne  comprobato  da  molli  luoghi 
»  délia  Scritura  Santa  :  ce  que  l'au- 
»  teurtiîche  de  prouver  par  plusieurs 
»  passages  de  l'Ecriture  Sainte,  qu'il 
»  ajuste  à   sa  fantaisie.  Tant  que  ce 
»  livre   ne  parut  qu'en   latin  ,  Vln- 
»  quisition  ne  dit  rien  ;  mais  dés  qu'il 
»  fut  traduit  en  italien,  elle  le  cen- 
»  sura,    et    le  défendit.    Les    dames 
»  d'Italie  prirent  ce  système  bien  di- 
»  versement   :    les    unes    étaient   fâ- 
»  chées  de  n'avoir  point  d'ames,  et 
m  de  se  voir  si  fort  ravalées  au-des- 
»  sous  des  hommes,  qui  les  traite- 
»  raient  dorénavant  comme  des  gue- 
»  nons  ;  les  autres ,  assez  indifiëren- 
»  tes  ,  ne  se  regardant  plus  que  com- 
»>  me  des  machines,  se  promettaient 
»  de  faire  si  bien  jouer  leurs  ressorts, 
»  qu'elles  feraient  enrager  les  hom- 
»  mes.  Il  était  bien  juste  d'arrêter  le 
»  cours  de  cette  hérésie  qui  est  an- 
»  cienne,etsi  ancienne  que  l'Ecclé- 
»  siastique  paraît  l'avoir  combattue, 
»  lorsqu'il    a    dit    que    Dieu    avait 
»  crée  h  Adam  une  compagne  sem- 
»  blable    a    lui;    et   qu'il   leur  avait 
»  donné  à  tous  deux  une  langue,  des 
»  jeux,   des  oreilles,  et  par  dessus 
»  tout  cela,  une  âme  pour  penser  et 
v  se  conduire.  L'auteur  du  commen- 
«  taire  sur  les  épîtres  de  saint  Paul, 
»  faussement   attribué   à   saint  Am- 
»  broise ,  dit  nettement  sur  le  cha- 
»  pitre    XI    de    la    Ire.    aux    Corin- 
j)  thiens  ,  que    les    femmes    ne    sont 
3)  pas  faites  à  l'image  et  ressemblance 
»  de  Dieu  :  Fœminas  ad  imaginent 

(i4)  Il  aurait  fallu  marquer  en  quelle  langue, 
en  quel  pays,  en  quel  temps  ,  ce  livre  fut  im- 
prime'. 


5o  GELDENHAUR. 

»  Dei  fadas  non  esse  (i5).  »  Tou-  il  fit  son  cours  de  philosophie  à 

chant  cette  dernière  question    voyez  £ouvain  s|  heureusement,  qu'il 
fiisbert  Voètius  au  IIIe.  tome  du  Po-  ,.  .  ,       ,,  7 .  * 

uisneu  vocuiusa  se  rendit   capable  dy  enseigner 
tittca  ecclesiastica  (ioj.  n  piouve  en  .  i  j  & 

peu  de  mots,  par  trois  raisons,  que  la  cette  science.  Le  tut  dans  cette  îl- 

femme  fut  faite  à  l'image  de  Dieu  ;  il  lustre  université  qu'il  lia  une  ami- 

rèpond  à  l'objection  qu'on  voudrait  fâ  très-étroite  avec  plusieurs  sa- 
fonder  sur  un  passage  de  saint  Paul  l 

Ï171.  H  réfute  aussi  (.8)  avec  la  même  vans  personnages,  et  nommément 

brièveté  la  fausse  thèse  matières  non  avec  Erasme.  Il  fit  quelque  séjour 


cm  in  et  par  plusieurs  autres  sco- 
lastiques  avec  la  même  modification  prince  (&);maiscomme  il  n'aimait 
que  nous  avons  vu  (20)  que  Cajetan  y  pas  à  changer  souvent  de  demeu- 
a  fourrée.  An  mulier  sit  à^^u.  re ,  et  qu'il  ne  trouva  pas  à  propos 
erratum  naturœ  etmas  occasionatus ,      ,      ,,    *■  1     „   1      x 

etper  accidens generetur ,  atqae  adeo  de  i  accompagner  en  Espagne  , 
su  monsirum  ?  Resp.  Taie  quid  ex-  il  se  détacha  de  lui,  et  se  mit  au 
cidit  Aristoteli  lib.  2.  de  générât,  service  de  Philippe  de  Bourgo- 
animaliumcap.   3.  et  lib.   ^cap.  2.    gne  ,  évêque  d'Utrecht.  Il  futson 

lecteur  et  son  secrétaire  pendant 
douze  ans  (B),  c'est-à-dire  jusques 
en  l'année  i5a4>  4ui  fu*  celle 
de  la  mort  de  ce  prélat  ;  après 
quoi  il  fit  les  mêmes  fonctions 
auprès  de  Maximilien  de  Bour- 


gogne. On  l'envoya  à  Wittem- 
t?o.   Sed  panacω  distinctions    ,  y^     ^g    afin  d>examiner 

olhri  putant  crudam  liane  opimo-    ,,  ,  °  '    ,         ,      .  7  1    ■  j     1»  ' 


Hanc  opinionem  adoptavit  Thomas, 
part.  1.  qu.  Q2,  art.  et  lib.  3.  c. 
Gentes  cap.  g4-  Ejusque  sequaces , 
Viguerius  Institut,  cap.  11.  §  2.  u.  4. 
Et  commentatores  ad  Thomœ  Sum- 
mam  Cajetanus ,  Medices ,  Alago- 
na ,  et  Ferrariensis  ad.  3.  c.  Gentes 
cap.  ç/|.  Insuper  ex  sententiariis  Bo 
naventura,  sEgidius,  Richardus  ad  2 
di 

CIÏluilllI    UUUUAU    Ll  HUUJll    ir.di-      u^imw 

,  quôd  fœmina  sit  occasiona-  *  état  des  écoles  et  celui  de  1  e— 
tivè ,  non  per  se,  respectu  agentis  glise.  Il  rapporta  de  bonne  foi 
particularis  ...  sed  quôd  .  .  .  sit  per  ce  qu'il  y  avait  observé  ;  et  avoua 
se  ex  intentioue  agentis  universalis , 
et  naturne  (21). 

(i5)  Mélanges  d'histoire  et  de  littérature,  re- 
cneillis  par  M.  de  Vigneul-Mai  ville  ,  pag.  16  et 
suif.  ,  édil  de  Fouen,   1699. 

(16)  Gisb.  Voètius,  Politicae  ecclesiast.  pari. 
II ,  Ub.  I,pag.  i85,  186. 

(17)  Au  verset  7  du  chap.  XI  de  la  I"\ 
éiiître  aux  <orintliieus. 

(18)  Voëlius,  Polit,  ecclesiast.  ,  pari.  II, 
pag.  179  ,  180. 

(19)  Dans   la  remarque  (C). 

(20)  La  même, 
(u)  Voetius  ,  Polit.  ,  part.  II,  pag.  181. 


qu'il  ne  pouvait  point  désap- 
prouver une  doctrine  aussi  con- 
forme aux  prophètes  et  aux  apô- 
tres ,  que  celle  qu'il  y  avait  en- 
tendue. Ainsi  il  quitta  le  papis- 
me, et  se  retira  vers  le  haut 
Rhin.  Il  se  maria  à  Worms  ,  et 
y  enseigna  la  jeunesse  pendant 
quelque  temps.  Ensuite  il  fut 
appelé  à  Augsbousg  (C) ,  pour  le 
même  emploi  ;  et  enfin ,  l'an 
1 534,  il  s'en  alla  à  Marpourg. 
de  Niniegue  (A),  a  tenu  un  rang  T,  ensei  notoire  pendant 
considérable   parmi    les    savans    «feux  ans  ,   et  puis   la    théologie 


GELDENHAUR  (Gérard), 
en    latin    Geldenhaurius  ,    natif 


hommes  du  XVIe.  siècle.  Il  étu- 
dia les  humanités  à  Deventer 
sous  de  très-bons  maîtres  (a)  ,  et 

Alexandre  Hégius,  et  Jean  Ostendorp, 


jusques  à    sa  mort     II    mourut 
de  peste,  le  iode  janvier  i542, 

(b)  Voyez  la  remarque  (B) ,  à  la  /in. 


GELDENHAUR. 


à  l'âge  de  soixante  ans  (c).  Jl 
avait  été  moine  (d).  Son  chan- 
gement de  religion  ,  et  quelques 
écrits  qu'il  publia  contre  l'église 
romaine  ,  le  brouillèrent  avec 
Erasme  (D) ,  qui  parle  très-mal 
de  lui ,  et  qui,  au  lieu  de  l'assister 
dans  sa  misère ,  le  paya  de  rail- 
leries (E) ,  et  le  traita  d'esprit 
séditieux  ;  reproche  qui  ne  mé- 
rite pas  moins  d'attention ,  que 
le  soin  que  prit  Erasme  de  nier 
qu'il  condamnât  le  supplice  des 
hérétiques  (F).  M.  Moréri  a  fait 
quelques  fautes  considérables  (G). 
Paul  Fréher  n'a  pas  été  aussi 
exact  qu'il  le  devait  être  (H).  Je 
donne  les  titres  de  quelques  ou- 
vrages de  Geldenhaur  (I).  C'é- 
tait un  homme  qui  entendait  bien 
la  poésie  et  l'art  oratoire  (e). 

L'empereur  Maximilien  le  ju- 
gea digne  de  la  couronne  j>oéti- 
que  ,  l'an  1 5  j  7  -  Ce  fut  après 
avoir  lu  avec  attention  une  ving- 
taine de  vers  latins  composés  en 
son  honneur  par  Geldenhaur  (f). 
Notez  que  cet  écrivain  supprima 
une  vérité  dans  l'une  de  ses  his- 
toires (K).  Les  conditions  sous 
lesquelles  on  le  chargea  d'être  his- 
torien peuvent  être  quelquefois 
une  occasion  de  mentir  (  L  ). 

Il  y  a  dans  le  Théâtre  de  Fré- 
her une  petite  contradiction  que 
j'aurais  dû  ne  point  passer  sous 
silence.  J'ai  bien  dit  que  l'on  y 
trouve  que    Geldenhaur  ne   fut 

(c)  Tiré  du  Théâtre  de  Paul  Fre'hei-  ,pag. 
1 14,  où  l'un  cite  les  manuscrits  de  l'acadé- 
mie de  Marpourg. 

{d)  y  oyez  la  remarque  (B). 

(e)  Celebris  poëta ,  celebrïor  orator,  cele- 
berrimus  theologus  (  Lovanii  )  salutatus. 
Reiuli.  Loricliius,  Schohis  in  Aphthon.,  pag. 
m.  3o2. 

\f)  Geldenhaur  ,  in  Tilâ  Pliilippi  à  Bur- 
gundiâ  ,  circajin.  Vous  y  trouverez  ce  petit 
poème. 


appelé  à  Marpourg  que  l'an 
•  534  ;  mais  je  n'ai  point  dit  que 
l'on  y  trouve  dans  un  autre  en- 
droit qu'il  enseigna  à  Marpourg 
dès  l'an  i52(j(Mj. 

(A)  Natif  de  Nimègue.  ]  Il  était 
plus  connu  sous  le  nom  de  sa  patrie 
que  sous  celui  de  sa  famille  ;  car  on 
l'appelait  ordinairement  Gerardus 
Noviomagus.  Erasme  ne  l'appelle  pas 
autrement  dans  les  lettres  qu'il  lui 
écrit.  Konig  (1)  ne  parle  de  lui  que 
sous  le  mot  Noviomagus.  Quelques 
autres  bibliographes  (  a  ),  ne  pre- 
nant pas  assez  garde  aux  choses  , 
ont  trouvé  deux  auteurs  où  il  n'y 
en  avait  qu'un  ;  ils  ont  distingué 
Gerardus  Geldenhaurius  ,  de  Gerar- 
dus Noviomagus.  L'erreur  de  la  Po- 
pelinière  n'est  pas  moindre.  Gérard 
de  Noyon  Noviomagun,  dit-il  (3)  , 
a  dressé  l'histoire  de  Hollande,  i53o. 
Ne  semble-t-il  pas  qu'il  lui  donne 
Noviomagun  pour  nom  de  famille  ? 
n'est  -  il  pas  du  moins  certain  qu'il 
le  croit  natif  de  Noyon  ,  en  Pi- 
cardie? On  trouve  une  pareille  mé- 
prise dans  le  Ier.  tome  de  la  Biblio- 
thèque   Universelle.     M.     A/attheus 

fait  voir  qu'Eligius  avait  déjà  prêché 
V Evangile  aux   Frisons  .  .  .    et  qu'il 

fut  le  premier  évêque  de  Nimègue 
f4')«  Il  y  a  trois  fautes  dans  ces  paro- 
les. 11  fallait  traduire  le  mot  latin 
Eligius  ,  par  celui  cYEloi ,  et  le  ter- 
me de  Noviomagus ,  par  celui  de 
Noron  ;  car  c'est  de  Noyon  que  saint 
Eloi  a  été  évêque.  Nimègue  n'a  ja- 
mais été  une  ville  épiscopale. 

(B)  Son  lecteur  et  son  secrétaire 
pendant  douze  ans.  ]  Voici  comme 
parle  l'auteur  qui  m'a  fourni  cet  ar- 
ticle (5j  ;  Se  ad  Philqipum  Ultrajec- 
tinum  pr  :  sulem  contutil  ,  eique  a 
Secretis  in  latind  linguâ  ,  et  in  cubi- 
culo  h  hclionibusfuit  peT  annos  Mil . 
Je  m'étonne  que  Paul  Fréher  ne  dise 
pas  que  Geldenhaur  était  employé  à 
des  fonctions  de  dévotion  chez  cet 
évêque,  comme  l'assure  Valcre  An- 
dré   (6),    Pht/ippo  Burgundo ,   epi- 

(1!  In  Bibliotheeâ  veteri  et  nova. 

(aj  Les  abiéviateurs   de  Gesner  et  Draurlius. 

(3    Histoire  .les  Histoires  ,  Un.  IX,  pag.  483. 

(4)  Bibliothèque  universelle,  Ivm.  /,  pag.  8g. 

(5)  Paul  Fréher,  t'n  Thealro,  pat;.  114. 

(6)  Valer.   Aodr.  in  Bibhulhecâ  Bclgicâ ,  pag. 


52 


GELDENHAUH. 


scopo  Ullrajectino  a  sacris.  C'est  l'ex- 
pression de  Valère  André.  M.  Moréri 
l'a  traduite  par  aumônierde  Philippe 
de  Bourgogne.  On  ne  doit  point  dou- 
ter crue  Geïdenhaur,  qui  était  moine, 
ne  servît  aux  dévotions  de  son  prélat. 
Valère  André  n'est  point  le  seul  qui 
m'apprenne  la  profession  monastique 
de  ce  personnage  (7).  Je  la  trouve 
dans  une  lettre  d'Erasme.  Quod  si 
uera  prœdicas  ,  med  sententid  nec 
aida  ai  s  nus  es  ,  nec  cuculld(Sj  ;  c'est- 
à-dire  :  S'il  est  vrai  que  vous  soyez 
d'un  naturel  si  houleux  (g)  ,  vous 
■li  clés  propre  ni  a  la  cour ,  ni  au  froc. 
Notez  que  ce  moine  servit  aussi  d'au- 
mônier à  Charles  d'Autriche  ,  si  l'on 
en  croit  Vossius  (10). 

(C)  Il  fut  appelé  a  Augshourg.  ] 
Melchior  Adam  (11)  raconte  qu'en 
i53i,  les  magistrats  de  cette  ville 
avant  érigé  une  école  qu'ils  nommè- 
rent de  Sainte- Anne  ,  appelèrent  Geï- 
denhaur pour  en  être  le  recteur.  Voyez 
ce  que  je  cite  d'Erasme  à  la  fin  de  la 
remarque  suivante. 

(D)  Son  changement  de  religion  et 
quelques  e'crits  le  brouillèrent  avec 
Érasme.  ]  Lisez  la  lettre  d'Érasme  in 
Pseudevangelicos  (12)  :  il  l'écrivit  à 
Geïdenhaur,  dont  il  métamorphosa 
le  nom  en  celui  de  I  utlinius,  Il  le 
blâme  d'avoir  publié  des  livres  mo- 
queurs ,  qui  ne  faisaient  qu'irriter 
les  princes  contre  les  sectateurs  de 
Luther.  Par'um  erat  evu/gdsse episto- 
lam  ad  Spirense  concilium  ,  non  mag- 
110  intervallo  prosiliit  nobis  ridiculus 
ille  Comètes  Carolo  Csesari  dicatus. 
Quùm  iter'um  te  nieis  scriptis  admo- 
nuissem,  ut  a  talibus  jocis  tempera- 
res  ,  qui  et  principum  animos  ad  sœ  > 
vitiam  irritarent ,  et  adeo  nihil  juva- 
renl  causant,  a  cujus  victorid  vestra 
pendet  incolumitas  ,  ut  etiain  gravis- 
simè  lœdant ,  placide  quidem  respon- 
disl.i  :  sed  perindè  quasi  te  fuissent 
hurla  tus ,  ut  simile  quiddam  iteriim 

(n)  Ordinis  Cruciferorum  monackus .  Valer. 
Arulr.  in  Bibliothecâ  Belgicâ,  pag.  2-3. 

(81  Eraam  ,  epist.  XLII ,  lib.  III. 

(9)  Erasme  venait  de  dire  :  .Seil  heus  tu  ,  rem 
oppido  novam  ex  luis  litleris  arcipio.  Nesciebam 
te  1  ..ru  virguieo  pu  Joie  |i]:i'ilitiiii.  ut  ad  me  non 
aii^is  Bcribere. 

C10)  Cirsari  Carolo  Va  sacris  fuit.  Vossius  , 
de   llist.   lai.  ,  pag.  G.Vj. 

(11)  //iVilis  theologor.  gennanorum  ,  pag.  rp. 
C'est  la  XLVII".  du  XXXI?.  livre: 
elle  est  datée  du  4  de  novembre  i5sy. 


designares  ,  iia  rursits  ad  Concilium 
Spirense ,  cui  tum  rex  Ferdinandus 
prœsidebat ,  missus  est  libellus ,  no- 
men  Erasmi  litleris  benè  magnis  prœ- 
ferens  (i3j.  Il  le  blâme  aussi  d'avoir 
mis  le  nom  et  quelques  notes  d'E- 
rasme à  la  tête  de  quelques  lettres 
destinées  à  montrer  qu'il  ne  faul 
point  châtier  les  hérétiques.  C'était 
exposer  Erasme  à  la  haine  de  la  cour 
de  Rome ,  et  à  l'indignation  des  puis- 
sances qui  persécutaient  le  luthéra- 
nisme; c'était  dire  qu'Erasme  four- 
nissait des  armes  aux  novateurs  pour 
combattre  leurs  ennemis.  Ce  savant 
homme  n'aimait  point  qu'on  lui  ren- 
dît ce  mauvais  office;  l'âge  l'avait 
rendu  poltron  de  ce  côté-là.  Ses  plain- 
tes contre  la  conduite  de  Geïdenhaur, 
et  contre  celle  des  luthériens ,  sont 
très-amères,  et  furent  repoussées  par 
des  écrits  qu'il  trouva  très-violens. 
Il  crut  que  Geïdenhaur  en  avait  été 
le  ressort,  et  il  ne  feint  point  de  le 
comparer  au  traître  Judas  (i4)-  Sed 
nondum  commigrdrat  Argentoratum 
ille  (1 5)  mirabilis  concitartdœ  sedilio- 
nis  ,  et  mox  turbatis  rébus ,  alibque 
profu giendi  art  if  ex,  ille  qui  loca  ex 
omnibus  epistolis  meis  ad  calumniam 
idonea  enotaret ,  mox  que  fingeret  si- 
bi  librum  h  fratribus  clam  ereptum. 
Qui  adeô  flagrabat  impotenti  odio  , 
ut  hune  librum  è  mendaciis  et  con- 
viciis  non  aliter contextum,  quant  cen- 
to  contexitur  ex  pannis ,  non  potuerit 
expeclare  ,  sedfurtim  emisit  insulsis- 
sima  scholia  ,  et  intérim  nuhi  scribebal 
Mandas  cpistolas  •'  Eram  dominus  ac 
prœceptor  ,  à  quo  libenter  admonere- 
tur ,  qui  sine  imagine  met  non  poterat 
vivere  ,  qui  proximis  ad  me  lit  I  tri. \ 
ctiam  consolatus  est  me,  hortans  ut 
lœlo  essem  animo  ,  contemnens  rabu- 
las  loquaces  et  scribaces  :  denique 
jamdudum  édita   epistold  med ,  quod 

(i3)  Erflsm.  ,  epist.  XI.VII  libri  XXXI. 

(i  \)  Idem  ,  epist.  ullimd  libri  ultimi ,  pag  . 
2137,  datée  du  iel'.  d'août  i53o. 

(îS)  Les  paroles  suivantes  témoignent  assez 
qu'il  parle  de  Geïdenhaur  ,  ce  qui  se  confirme 
l<ar  ce  passage  de  la  lettre  LIf  du  livre  XX\. 
Quidam  G.  N.  è  Brabantià  profugus  cl  ex  ami- 
cisaimo  subite  faclus  rapitalis  hostis  ,  novam  tra- 
gœdiam  movit  Argentorali ,  nrbulo  seditioni 
n;itus.  Is  est  licto  nomine  Vullurins.  Il  parle 
encore  de  lui  dans  la  lettre  T.f'I  du  même  li- 
vre :  Jani  et  evangelici  quidam  ,  quorum  mar- 
ier scelerosiis  ille  Gelrius ,  iniris  teebuis  hoc 
agunt  ut  Caisaris  ac  Ferdinandi  animum  in  me 
irritent. 


GELDENHAUR. 


me  facfurum  scripseram  ,  in  suis  ad 
aiiitinuensem  meum  litlcris  volebat  mi- 
hi  comme ntlari ;  et  intérim  hœc  para- 
bantur,  lantd  arle  mordacia ,  utma- 
gis  lœtlar  laudatus  ,  qu'am  convittis 
ajj'ectus.  Et  hi  se  cum  sfposto/orum 
sanctimonid  conferunt  ,  quùm  hoc 
Vulturii  factura  propiits  accédât  ad 
exemplum  Judas  proditoris  ,  qu'am 
Chris ti.  Ceci  nous  apprend  que  Gel- 
denhaur était  à  Strasbourg  Tan  i53o, 
et  qu'il  y  faisait  paraître  un  esprit 
fort  remuant.  C'est  de  quoi  Melchior 
Adam  ni  Paul  Fre'her  ne  parlent  pas. 
Erasme  dit  en  un  autre  endroit,  que 
personne,  dans  Strasbourg,  n'entre- 
prit rien  contre  lui  avant  que  Gol- 
denhaur  y  allât.  11  écrivit  cela  lors- 
que Geldenhaur  était  déjà  professeur 
en  poétique  à  Augsbourg  :  Argenlo- 
rali  nemo  quicquam  in  mea  niolitus 
est ,  priusquam  eb  commigrdssel  No- 
viomagus  ,  qui  nunc  agit  Augustae , 
profiteturque  poëticam  salaria  ,  ut 
aiunt ,  sexaginla  Jlorenorum  (16). 

(E)  .  . .  qui .  .  .  le  paya  de  raille- 
ries. ]  Après  lui  avoir  représenté  plu- 
sieurs choses  qui  ne  souffraient  pas 
qu'il  secourût  ses  amis  dans  leur  in- 
digence ,  il  lui  dit  que  la  pauvreté 
n'est  pas  une  affaire  pour  ceux  qui  se 
dévouent  au  pur  Évangile,  qu'ils  se 
doivent  soulager  les  uns  les  autres , 
et  qu'en  se  contentant  de  peu  ,  et  en 
se  réduisant  au  pain  et  à  l'eau ,  ils 
trouveront  toujours  de  quoi  vivre. 
Porrb  ,  quod  significas  tibi  molestant 
egestatem  ,  equidem  nec  tant  su  m 
inops  ,  ut  non  possim;  nec  tant  par- 
eils ,  ut  graver  amiculo  aureos  aliquot 
imparliri  :  sed  hœc  benignitas  quart- 
tiilum  haberet  momenti  adtuam  eges- 
tatem sublevandam?  Res  mihi  sanè 
mediocris  est ,  minimumque  superest 
meis  necessitalibus  :  multum  impendii 

requirit  hoc  corpusculum jam 

bona  pars  mihi  deciditur  in  famu- 
los  ,  etc.  .  .  f^erum  postqu'am  ,  mi 
Vulturi  ,  induxisti  in  animum  evan- 
gelicam  vitam  projîteri ,  miror  pau- 
pertatemesse  molestam  ,  quiim  beatus 
Hilarion  ,  ubi  non  inveniret  quod  pro 
naulo  soh'eret  ,  gloriandum  duxerit, 
quod  insciens  ad  tantam  evangelii 
peifectionem  pervenisset.  Gloriatur 
et  Paulus ,   quod  sciât  abundare ,  et 

(16)  F.rasia.,  epist.  LVI  ,   l,b.  XXX,  pag. 
IQ41  >  datée  du  14  décembre  i53i. 


penuriampati ,  qubd  nihil  habens  om- 
nia  possiaeat.  Idem  co/laudat  He- 
braeos  quosdamevangelium  amp/exos, 
quod    rapinam  bonorum  suorum  cum. 

gaudio  suscepissent sldde   si 

Judéei  non  patiuntur  inter  ipsos  esse 
pauperes  ,  quanto  magis  convenit  ut 
qui  jactant  Evangelium,fratrum  ino- 
piam  mutuâ  berùgtdtate  sublevent: 
prœsertim  cum  evangelica  fragali- 
tas  minimo  sit  contenta.  Si  panis  ci- 
barius  adsit  et  aqua,  non  d<  sidérant 
Attica  bellaria  qui  spiritu  vivant. 
Nescuint  lu  cum  ,  jtjnnio  pascunlur. 
Ipsi  apostoli  confrtctis  manu  aristis 
fume  m  seddsse  leguntur . .  .  Fortassis 
hic  tibi  videbor  cauillis  ludere  ;  at  aliis 
non  idem  videtur  (17). 

(F)  Reproche  qui  ne  mérite  pas 
moins,  d' attention  ,  que  le  soin  que 
prit  Erasme  de  nier  qu'il  condamnât 
le  supplice  des  hérétiques.  ]  La  dis- 
pute d'Erasme  avec  Geldenhaur  m'a 
fait  prendre  garde  à  deux  choses  avec 
quelque  sorte  de  surprise. 

La  première  est  que,  selon  Érasme, 
c'était  tenir  des  discours  fort  séditieux 
et  fort  outrageans,  que  d'exhorter 
les  puissances  à  ôter  aux  moines  les 
grands  biens  qu'ils  possédaient,  et  à 
ne  point  résister  à  l'Évangile.  Nisi 
forte  non  videtur  seditiosum  hortari 
principes  ,  ut  facilitâtes  sacerdotibus 
ac  monachis  adimant  ,  et  in  bonos 
vestri  similes  conférant  ;  aut  non  of- 
fendiintur  illorum  anirni;  quùm  au- 
diunt,  Noli  occidere  innocentes  ;  No- 
li  tuo  periculo  recalcitrare  Evange- 
lio  ;  Sine  verbum  Dei  in  tua"  ditione 
praedicari.  Hœc  quid  aliud  sunt  quant 
atrocissima  concilia  nondùm  persua- 
sis ;  imb  in  diversion persuasis?  Quos 
tu  vocas  innocentes  ,  illi  habent  pro 
seditiosis  et  hœreticis  ;  et  quod  tu  vo- 
cas Evangelium  ,  Mis  persuasum  est 
esse  doctrinam  Satanœ.  Prias  igitur 
eral  dlis persuadendum.  Qubd  si  non 
potes,  aliis  rationibus  tractandus  erat 
illorum  animas  (18).  C'est  ce  qu'il 
représente  à  Geldenhaur  ,  qui  avait 
publié  des  lettres  adressées  aux  puis- 
sances ,  et  composées  sur  le  ton  qui 
est  censuré  ici.  Ce  discours  d'Érasme 
est  un  véritable  Janus  ;  il  a  deux  fa- 

(i7)  Idem  ,  epist.  XLVII ,  l,b.  XXXI ,  pag. 
204g,  2o5o. 

(18)  Idem,  epbtola  io  Pseudevansclioos  , 
pag.  2o5i.  Voyez  aussi  epist.  LIX  ,  Mb.  XXXI. 
pag.  2107. 


54 


GELDENHAUR. 


-es  :  il  est  raisonnable  à  certains  seigné  qu'il  ne  faut  point  faire  mou- 
•gards,  mais  il  paraît  injuste  quand  rir  les  hérétiques.  Il  avoue  bien  qu'il 
:>n  l'envisage  d'un  certain  côté.  Ceux    a  exhorté  les  princes  à  n'écouter  pas 


qui  croient  qu'il  faut  convertir  le 
monde  à  une  nouvelle  doctrine ,  et 
détruire  le  mensonge  régnant,  doi- 
vent demander  qu'on  les  écoute,  et 


légèrement  les  plaintes  de  toutes  sor- 
tes de  théologiens  et  de  moines  (19), 
et  à  distinguer  les  erreurs  les  unes 
des  autres  ; 


très  ;  mais  il  nie  d'avoir  jamais 

qu'on  ne  leur  fasse  point  de  violence  :  soutenu  qu'il  ne  fallait  point  punir 

ils  sont  donc  injustes  s'ils  demandent  de  mort  les  hérétiques,  et  il  se  plaint 

que  Ton  violente  ceux  qui  sont  d'une  (20)  que  ceux  qui  l'accusent  de  cette 

autre  opinion  ,  qu'on  les  dépouille  de  fausse  doctrine  l'exposent  au  ressen- 

leurs   biens,    qu'on   les   empêche  de  timent   des  puissances  ,    comme  s'il 

parler  et  de  se   montrer.    Il  semble  leur  voulait  ôter  le  glaive  que  Dieu 

donc  que  Geldenhaur  allait  trop  vite  leur  a  mis  en  main  (21).  tloc  atrocius 

en  demandant  les  biens  des  moines  ,  est ,  quod  nusquam  id  doceo,  non  esse 

et  qu'Erasme  n'a  pas  tort  de  lui  re-  sumendum  capitis  supplicium  de  hœ 


procher  cette  précipitation.  Il  faut 
consentir  qu'on  accorde  aux  autres 
ce  que  l'on  demande  pour  soi-même  ; 
car  chacun  se  vante  de  soutenir  l'in- 
térêt de  la  vérité.  Dire  aussi  aux 
princes  qui  nous  persécutent  qu'ils 
oppriment  le  règne  de  Dieu  ,  c'est 
leur  dire  des  injures  tout-à-fait  atro- 
ces. Il  semble  donc  que  le  mieux  se- 
rait d'adoucir  le  style ,  et  de  ne  pas 
supposer  si  fortement  ce  de  quoi  il 
est  question.  Il  faudrait  avant  toutes 
ch 


reticis,  nec  usquam  adimo  gladii  jus 
principibiis  ,   quod   illis    non    adentit 

Christus  nec  apostoli  (22) ut  pec- 

cant  qui  ob  quenuns  errorem  périr  a- 
hiint  homines  ad  ignem  :  ita  peccanl 
qui  in  nul/os  hœreticos  arbilrantur 
prophano  magistratui  jus  esse  occi- 
dendi....  nec  ulla  res  erat  quœ  pote- 
rat  illos  magis  alienare ,  quant  si  Mis 
gladium  excutiam  è  manibus ,  easque 
sectas  défendant ,  quas  illi  velut  exe- 
crabiles  radicitùs  evulsas  cupiunt,  et 


oses  faire  goûter  ses  maximes  et  ses  facerent ,  nisi  rerum  motus  alib  vocq- 
preuves  ;  et  si  l'on  en  venait  à  bout ,  ret  il  I  or  uni  aniinos.  Je  m'étonne  qu'E- 
on  qualifierait  après  cela  selon  la  ri-    rasme,  qui  avait  tant  lu  les  pères,  ait 

f;ueur  du  droit  et  ses  opinions  ,  et  ignoré  que  pendant  les  trois  premiers 
es  sentimens  de  ses  adversaires.  Parce  siècles  ils  ont  hautement  soutenu  le 
côté-là  les  observations  d'Érasme  pa-  dogme  dont  il  se  purge  avec  tant  de 
raissent  fort  judicieuses  ;  mais  quand  soin.  On  ne  prétendait  point  pour 
nous  considéronsd'un  autre  côté  que ,  cela  ôter  aux  princes  le  droit  du  glaive 
si  l'on  ne  représente  pas  au  monde  qu'ils  tiennent  de  Dieu  ;  on  voulait 
qu'il  est  perdu  sans  ressourceà  moins  seulementdireque  ce  droit  ne  s'étend 
qu'il  ne  se  réforme,  à  moins  qu'il  ne  pas  sur  les  erreurs  de  la  conscience  , 
cesse  de  faire  la  guerre  à  Dieu  en  s'op-  et  que  les  souverains  n'ont  pas  reçu 
posant  aux  réformateurs  ,  on  n'avance  de  Dieu  la  puissance  de  persécuter 
pas  beaucoup ,  on  n'excite  pas  assez 
l'attention  publique  ;  quand,  dis-je  , 
nous  considérons  cela,  il  nous  paraît 
qu'Érasme  faisait  trop  le  philosophe  , 
et  qu'il  ignorait  le  peu  de  pouvoir  de 
la  raison  mal  secourue  des  passions. 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  paraît  guère 

Sossible  que  les  grandes  révolutions 
c  religion  s'exécutent  sans  qu'on 
demande  pour  soi ,  d'abord  ,  une  to- 
lérance que  l'on  est  tout  prêt  de  refu- 
ser à  son  prochain  dès  qu'on  le  pourra 
contraindre.  Non  aliter  hœc  sacra 
constant. 

La  seconde  chose  qui  m'a  surpris 
est  de  voir  qu'Erasme  a  regardé 
comme  une  noire  et  odieuse  calom- 
nie ,  qu'on  lui  imputât  d'avoir  cn- 


les  religions.  C'est  le  vrai  état  de  la 
question.  Tous  les  princes  du  monde 
reconnaissent  qu'ils  n'ont  pas  le  droit 
du  glaive  contre  les  vrais  serviteurs 
de  Dieu ,  ou  contre  l'orthodoxie  ;  ils 
ne  prétendent  l'avoir  que  contre  les 
ennemis  de  la  vérité.  C'est  sur  ce  fon- 

(if))  Tanlum  admoneo  locis  aliquot ,  ne  sit 
hic  prœceps  principum  severitas  ,  nec  facile 
prœbeanl  mires  quorumlibel  iheologorum  mit 
monachorum  delalionibus.  Erasmus  ,  epist. 
XLVfl,  l,b.  XXXI,  pag.  2o5i. 

(in)  Vl  lector  pttritm  allenlus  exiilimarel 
meam  e\*e  sententiam  ,  non  esse  fax  m  ntten~ 
qimm  hœreticum  pana  cnpilis  annnadierlere  , 
eaque  res  Cœsarem  ,  Ferdinandum  ,  aliosqne 
principes,  alque  etiam  liomanum  ponlificem  in 
meuin  caput  irritaret.  Idem  ,  ibidem. 

(21)  Idem,  ibidem. 

(35)  Ibidem,  pag.  2o5a. 


GELDENHAU 

dément  que  les  empereurs  païens 
punissaient  les  anciens  chrétiens  , 
et  qu'aujourd'hui  l'inquisition  fait 
mourir  les  protestons.  Il  est  donc 
très-inutile  de  prouver  aux  persécu- 
teurs qu'ils  ne  doivent  pas  faire  mou- 
rir les  infidèles  ;  car  ils  ne  prétendent 
pas  à  cela  ,  et  ils  ne  sont  pas  assez 
fous  pour  croire  qu'en  leur  étant 
cette  puissance ,  on  leur  de'robe  quel- 
que chose  qui  leur  appartienne.  11 
ne  s'agit  donc  que  de  savoir  s'ils  peu- 
vent punir  ceux  qui  servent  Dieu  se- 
lon les  lumières  de  leur  conscience. 
Les  pères  des  trois  premiers  siècles 
l'ont  nié  ;  d'où  vient  qu'Érasme  n'a 
osé  les  imiter?  Kl  ce  qui  est  bien  plus 
étonnant  (2 3) ,  d'où  vient  que  depuis 
quelques  années  un  ministre  de  Hol- 
lande a  tâché  de  rendre  odieux  les  to- 
lérans,  par  la  raison  qu'ils  étaient  aux 
souverains  un  des  plus  beaux  droits 
de  leur  majesté  (24)?  N'est-ce  pas  être 
plus  malin  et  plus  injuste  que  les 
païens  ne  l'étaient  contre  les  pères 
de  la  primitive  église ,  auxquels  ils 
ne  reprochaient  point  ce  prétendu 
attentat  sur  les  droits  des  souverains, 
ou  ce  prétendu  crime  d'état?  mais 
pour  montrer  l'illusion  de  ce  minis- 
tre ,  il  suffit  de  lui  demander  pour- 
quoi il  ôte  aux  rois  catholiques  le 
droit  du  glaive  par  rapport  aux  pro- 
testans?  Pourquoi  se  croit-il  permis 
ce  qu'il  blilme  dans  les  autres  comme 
un  crime  de  lèse -majesté?  Je  parle 
pour  la  vérité ,  dira-t-U  ;  mais  sa  pré- 
tention est  celle  de  tout  le  monde. 

(G)  M.  Moréri  a  fait  quelques  fau- 
tes considérables.]  I.  Il  ne  devait  pas 
donner  à  PJiiHppe  de  Bourgogne  le 
titre  d'archevêque  d'Utreeht ,  mais 
celui  d'évêque.  Utrecht  n'était  pas 
encore  un  archevêché.  II.  Marpourg 
n'est  point  la  première  ville  d'Alle- 
magne où  Geldenhaur  enseigna.  III. Il 
n'enseigna  jamais  à  Wittemberg.  IV. 
Et  il  ne  fut  point  assassiné  par  des 
poleurs,  en  \5^i.  Valère  André  a  four- 
ni à  M.  Moréri  la  moitié  de  ces  faus- 
setés ;  voici  ce  qu'il  dit  :  Turpi  apo- 
stasida eatholicis  Belgis  ad  Germanos 
Marpurgenses   transfugit  ;  ubi  post- 

{i¥\  11  faut  supposer  qu'au  temps  d'Erasme 
on  ne  connaissait  pas,  comme  l'on  a  fait  depuis, 
la  force  des  preuves  qui  combattent  la  persécu- 
tion. 

(24)  Votei'le  Tableau  du  Socinianisme  ,  lettre 

vin. 


65 

qu'a  m  annos  altquot  historiam  expla- 
ndsset ,  dum  ïrittemhergam  versus 
iter  institua  ,  a  latronibus  fissosecun 
rupiir  misère  periit  ann.  salutis  cid. 
îo.  xlii.  die  x.  januarii ,  ut  refert 
Reinhardus  Lorichius  Hadamarius  , 
scholtis  ad  y/plttlionii  progymnasma- 
la.  Il  y  a  plusieurs  fautes  dans  ces  pa- 
roles. i°.  Geldenhaur  ne  se  retira 
Point  à  Marpourg  lorsqu'il  abjura 
église  romaine;  il  n'alla  à  Marpourg 
qu'après  avoir  résidé  à  Worms ,  à 
Strasbourg  et  à  Augsbourg.  Voyez 
néanmoins  la  remarque  M  ;  20.  iî  ne 
fit  point  un  voyage  à  Wittemberg  , 
après  avoir  enseigné  l'histoire  pen- 
dant quelques  années  à  Marpourg.  Il 
fit  ce  voyage  l'an  \5i6 ,  pendant  qu'il 
était  catholique  ,  et  au  service  de 
MaximiliendeBourgogne;3°. il  ne  mou- 
rut point  des  blessures  qu'il  reçut  des 
assassins  ;  ce  fut  la  peste  qui  l'emporta 
seize  ans  après  cet  assassinat  ;  4°-  l'au- 
teur que  Valère  André  allègue  mar- 
que très-expressément  que  Gelden- 
haur réchappa  de  ses  blessures.  Si  l'on 
avait  su  de  quels  termes  il  s'est  servi 
(  25)  ,  on  ne  serait  point  tombé  dans 
ces  mensonges  ;  et  cela  déclare  com- 
bien il  importe  de  consulter  les  au- 
teurs que  l'on  veut  citer.  Swertius 
(26)  ne  débite  que  ce  mensonge,  c'est 
que  Geldenhaur  allant  de  Marpourg 
à  Wittemberg  ,  fut  tué  par  des  vo- 
leurs le  10  de  janvier  1542. 

(H)  Fréher  n'a  pas  été  aussi  exact 
qu'il  le  devait  être.]  Il  ne  devait  pas 
dire  que  Geldenhaur  se  retira  de  la 
cour  impériale  ,  re/ictd  imperatorul 
au/ti ,  et  se  mit  au  service  de  Philippe 
de  Bourgogne,  l'an  i5i2;  caria  cour 
de  Charles  d'Autriche  qu'il  quitta 
n'était  point  encore  une  cour  impé- 
riale. C'est  errer  grossièrement  dans 
les  calculs,  que  de  dire  qu'un  homme 
qui  va  à  Marpourg  l'an  1 534 ,  et  qui  y 
rneurt  le  10  de  janvier  1 5 4 2  ,  y  a  en- 
seigné deux  ans  l'histoire,  et  ensuite 
neuf  ans  la  théologie.  Historiœ  pri- 
mhmbiennium ,  acpostmodiuu  noven- 
nium  sacras  litteras...  interpretatus 
est.  Cela  serait  faux,  quand  même  l'on 

(a5j  Quœnam  verba  Gerhardw  Novio?na!;us 
ex  lipothymid  ad  sese  rediens,  olun  potuisset 
die ère  ,  cujus  JPitebergam  profecturi  caput  la- 
trones  seenri  diffiderant ,  iptum  apud  Brunonis 
vïeum  humi  slralum  spotiaveranl ,  et  fugitivi 
norluum  credenles  in  sylvd  rehquerant.  R.  Lo- 
ich.  Scoliis  in  Aplilhon.,  pag.  m.  3oo. 
(26)  Athen.  Belg.  ,  pag.  179. 


56 


supposerait  que  dès  la  première  an- 
née il  commença  d'enseigner  la  théo- 
logie. 

(1)  Je  donne  les  titres  de  quelques 
ouvrages  de  Geldenhaur.}  Je  les  tire 
de  Valère  André  :  Mistoria  Batavica 


GELDENHAUR. 

comblés  de  bienfaits.  Ils  suppriment 
ce  qui  n'est  pas  glorieux  à  la  mémoire 
de  leurs  maîtres.  Avouons  néanmoins 
que  Geldenhaur  n'a  point  prétendu 
que  la  chasteté  de  son  Philippe  ait 
été  de  longue  durée  :  il  avoue  que  cet 


cum   appendice   de  vetusld  Batavo-    évêque    d'Utrecht   aima   le  sexe,   et 
mm  nobilàale,  à   Strasbourg    i533  -     que  les  prêtres  ivrognes  trouvèrent 


mais  Vossius  parle  d'une  édition  de 
l'an  i520  (27)-  De  Batavorum  insulâ. 
Germaniœ  inférions  Historiée,  à  Stras- 
bourg 1 5.32.  Kita  Philippi  a  Burgun- 
did  episcopi  U/trajectini.  Voyez  la  re- 
marque suivante.  Catalogua  episco- 
porum  Ullrajectinorum.  Epislola  ad 
Gullie'mum  Geldriœ  principem  gra- 
tulatoria  de  principatuum  suorum 
adeptione.  Epistofa  de  Zelandid.  Sa- 
liras octo ,  imprimées  à  Louvain,  i5i5 
(28). 

(K)  //  supprima  une  vérité  dans 
l'une  de  ses  histoires.  ]  Ce  fut  dans 
l'histoire  de  Philippe  de  Bourgogne  , 
fils  naturel  du  duc  Philippe-le-Bon. 
Il  n'oublia  point  de  dire  que  ce  bâ- 
tard était  si  beau  dans  sa  jeunesse  ,  et 
si  capable  d'inspirer  de  l'amour  aux 
femmes ,  qu'il  y  en  eut  d'assez  lascives 
pour  courir  eil'rontément  après  lui  ; 
mais  au  lieu  d'ajouter  qu'il  y  en  eut 
qui  le  trouvèrent  sensible ,  et  qui  eu- 
rent de  lui  jusqu'à  trois  bâtards,  il  le 
représente  d'une  pureté  virginale  qui 
pensa  lui  coûter  la  vie.  Moribus  et 
conversatione  ita  compositus ,  ut  ma- 
gis  Parlhenius  qu'am  Philippus  ap- 
pellari potuisset.  Quarè  non  tain  ama- 
bat  quant  amabatur  :  lasciviores  enini 
quœdam  matronœ  in  tantitm  eum  ,  se- 
positd  omni  verecundid ,  deperibant , 
ut  harum  causa  ferè  in  vitœ  pericu- 
lutn  incidisset ,  nisi  is  qui  ei  morlem 
intentât  uni  s  putabatur,  occisus  fuis- 
set  (29V  Voici  la  note  que  M.  Mat- 
thaeus  fait  là -dessus  :  IVec  exemp/o 
destitutus,  prœsertim  patris  Philip- 
pin suscepil  spurios  non  paucos.  Très 
etiam  ex  und ,  Phi/ippum ,  Joannem  , 
et  Oliverinm,  ut  observavi  ex  adver- 
sariis  Gisberti  Lappii  à  IVaverenX?)^). 
Apprenons  de  là  à  nous  délier  des  his- 
toires composées  par  des  domestiques 

(27)  Vossius  ,  de  Hislor.  lat. ,  pag.  G^- 
(a8j  Tire   de    Val     André,    Bibliolh.    belç. , 
pag    i"/i ,  374- 

(29)  Geldenhaur,  in  Ptiilippo  Biirgundo,  pag. 
m.  iio.  le  me  sert  de  l'édition  de  M.  MattWus. 

(30)  Antonius  Mailbxus  ,  Vetens  jEv»  Ana- 
lcct. ,  pag.  243,  »44- 


chez  lui  plus  de  rigueur  que  les  im- 
pudiques (3i).  Notez  qu'il  était  ou- 
vertement protestant  lorsqu'il  pu- 
blia cette  histoire  (32),  et  qu'elle  est 
toute  hérétique  ,  si  l'on  s'en  rap- 
porte à  Valère  André  1,33).  Notez  aussi 
que  Sufl'ridus  Pétri ,  qui  en  a  tiré  la 
vie  de  Philippe  de  Bourgogne  qu'il  a 
insérée  dans  son  appendix  de  Béka  , 
en  a  retranché  tout  ce  qui  n'était  pas 
favorable  à  la  communion  de  Rome. 
M.  Matthœus  (34)  observe  cela  dans 
les  notes  qu'U  a  jointes  à  la  nouvelle 
édition  de  ce  petit  livre  de  Gelden- 
haur, insérée  dans  ses  Keteris  œvi 
Analecta  (35). 

(L)  Les  conditions  sous  lesquelles 
on  le  chargea  d'être  historien  peuvent 
être  quelquefois  une  occasion  de  men- 
tir. ]  Philippe  de  Bourgogne  chargea 
Geldenhaur  de  faire  un  recueil  de 
toutes  les  choses  mémorables  qui  ar- 
riveraient, ou  dans  le  diocèse  d'U- 
trecht, ou  dans  les  pays  voisins,  et 
de  lui  lire  tous  les  mois  ses  collec- 
tions, et  aux  personnes  de  son  con- 
seil. Geldenhaur  suivit  cet  ordre,  et 
on  l'avertissait  de  changer  ce  qu'il 
avancerait  autrement  qu'il  n'eût  fal- 
lu. Cela  tombait  non-seulement  sur 
les  faussetés,  mais  aussi  sur  l'indis- 
crétion ;  c'est-à-dire  que  ,  s'il  lui 
échappaitde  parler  d'une  manière  qui 
ne  parût  point  prudente  au  conseil 
du  prince,  on  lui  prescrivait  un  chan- 
gement. Combien  y  a-t-il  de  vérités 
enfermées  dans  cette  classe  de  choses! 
Il  faut  convenir  d'ailleurs  qu'un  his- 
torien peut  rectifier  beaucoup  de  ré- 
cits quind  des  personnes  d'état  exa- 
minent et  corrigent  son  travail;  mais 

(3i)  Ebriosos  prteseriitn  qui  cerevisid  se  in- 
gurgitai e  soient,  deleslabatur,  scortationibus 
minus  infestus.  Ipse  enim  in  Venerem  propen- 
sior  inque  adolescenlularum  amoribus  ardenlior 
cral.  Geldenh.,  in  Pbilippo  Burguado,  pag.  23o. 

(32)  A  Strasbourg,  i52(j. 

(33)  libellus  kic  lotus  hœreticus  est.  Val. 
Andr.  Bibl.  bi-lg.  ,  pag.  2^3. 

(34)  Matilixu.  Vet.  X.v\  Analect. ,  pag.  ■xli']. 

(35)  Imprimes  à  Lejde,  l'an  1697  ,  quoique 
le  litre  porte  1G98. 


GÉLÉNIUS. 


*7 


enfin  il  y  a  des  faits  dont  ils  ne  blâ- 
ment la  publication  que  parce  qu'ils 
sont  véritables,  folu.it  Me  (Philippus 
Burgundus)  per  me  notari  si  quid  in 
sud  dilione  aut  in  finitimis  regtonibus 
memoratu  dignum  actum  essel  ,  sed 
ed  conditione  ut  singulis  mensibus 
quœ  annotdr^am ,  ipsi  et  à  consiliis 
prœlegerem  :  quod  c'um  j'acerem ,  ad- 
monebant  si  quid  perperam,  si  quid 
parhm  consideratè  scriplum  audls- 
sent ,  id  mutarem  (36). 

(M)  Freher dit  qu'il  enseigna  à 

Marpourg  dès  l'an  i5a6.]  Freher  ra- 
conte (37)  que  l'ouverture  de  l'aca- 
de'mie  de  Marpourg  fut  faite  le  1er. 
jour  de  juillet  i526;  que  le  profes- 
seur Johannes  Ferraruis  IMonlanus 
en  fut  cre'e'  le  premier  recteur  ,  et 
qu'on  lui  donna  entre  autres  collè- 
gues François  Lambert ,  et  Gerhardas 
JYouiomagus.  Ce  François  Lambert 
mourut  l'an  i53o,  comme  je  l'ai  dit 
dans  son  article.  Cette  circonstance 
suffirait  seule  à  montrer  la  contra- 
diction de  Fre'her  ;  car  Geldenhaur 
n'aurait  pu  être  professeur  à  Mar- 
pourg en  même  temps  que  Lambert, 
s'il  n'avait  commence'  à  l'être  qu'en 
1 534  :  mais  à  quel  récit  de  Fre'her  se 
fiera-t-on  ?  Je  crois  qu'il  faut  dire  que 
notre  homme  fut  professeur  à  Mar- 
pourg l'an  i5i6,  qu'il  quitta  sa  char- 
ge pour  aller  à  Worms,  qu'il  passa 
depuis  à  Strasbourg,  et  ensuite  à  Augs- 
bourg,  et  qu'enfin  par  cette  incon- 
stance professorale  dont  j'ai  parle'  en 
d'autres  endroits  (38)  ,  il  retourna  à 
Marpourg  l'an  i53{.  Sur  ce  pied-là, 
ma  première  note  critique  (3g)  con- 
tre Valère  André Desse'lius  n'est  point 
bonne;  mais  qui  n'aurait  cru  qu'elle 
l'était,  puisque  je  l'avais  fonde'e  sur 
un  écrivain  (4o) ,  qui  a  cité  les  regis- 
tres manuscrits  de  l'académie  de  Mar- 
pourg? Il  les  a  cités  aussi  lorsqu'il  a 
dit  dans  un  autre  endroit ,  que  Gel- 
denhaur fut  professeur  à  Marpourg 
l'an  i5a6.  Est-ce  savoir  se  servir  d'un 
livre  ?  Notez  que  Melchior  Adam  a 
ignoré  cette  première  profession  de 
Geldenhaur. 

(36)  Geldenhaur.  ,  in  prœfal.  Opuscnlor.  il- 
lustrais Germanise,  apud  Vossium  ,  de  Hist. 
lat  ,  pa%.  654- 

(s-)  Freher.,  in  Thealro  ,  pag.  104. 

(38)  fore»  la  remarque  (G)  de  l'article  Al- 
ciat  (André),  loin.  I. 

(3g)   Voyez  ia  remarque  (G). 

(4o)  C'est-à-dire  ,  Paul  Fréter. 


GÉLÉNICS  (Sigismoxd),  né 
d'une  bonne  famille  à  Prague 
(A) ,  a  été  un  des  savans  hom- 
mes du  XVIe.  siècle.  Il  se  mit  à 
voyager  de  fort  bonne  heure  en 
Allemagne  ,  en  France  et  en 
Italie  ,  et  apprit  facilement  les 
langues  de  ces  trois  pays.  Il  se 
confirma  en  Italie  dans  la  con- 
naissance du  latin  ,  et  il  y  apprit 
le  grec  sous  Marc  Musurus.  Re- 
venant en  Allemagne  il  passa  par 
Bàle  ,  et  s'y  fit  connaître  à  Eras- 
me qui  l'estima  ,  et  qui  conseilla 
à  Jean  Froben  de  lui  donner 
l'intendance  de  son  imprimerie. 
Gélénius  accepta  cette  condition  , 
quelque  pénible  qu'elle  fût  ;  car 
il  eut  à  corriger  quantité  de  li- 
vres hébreux  ,  grecs  ,  et  latins  , 
que  Froben  faisait  imprimer.  Il 
s'acquitta  bien  de  cette  charge 
jusques  à  sa  mort ,  c'est-à-dire 
pendant  trente  ans  ,  et  ne  secon- 
tenta  pas  de  corriger  le  travail 
des  imprimeurs ,  il  s'érigea  en 
traducteur,  et  en  critique.  Peu 
de  savans  ont  traduit  de  grec  en 
latin  autant  d'ouvrages  que  lui 
(B).  C'était  un  homme  de  grande 
taille  et  fort  gros.  Il  avait  la  mé- 
moire bonne  et  l'esprit  prompt 
et  subtil  ,  ne  se  mettait  pres- 
que jamais  en  colère  (C) ,  et  ne 
se  souciait  ni  d'honneurs  ,  ni  de 
richesses  (D).  Il  préféra  aux  char- 
ges qu'on  lui  offrit  en  d'autres 
lieux  la  condition  paisible  qu'il 
avait  à  Baie  (a) ,  où  il  mourut 
(E)  en  bon  chrétien ,  âgé  de  cin- 
quante-sept ans.  Il  s'était  marié 
dans  ce  lieu-là,  et  il  laissa  deux 
garçons  et  une  fille  (&) ,  dont  je  ne 

(à)  Voyez  la  remarque  (D). 

(b)  Tire  de  la  préface  que  Cselius  Secunctus 
Curion  a  mise  au-devant  de  la  version  d'Ap- 
pien. 


58  GÉLÉNIUS 

sais  pas  quelle  a  été  la  destinée. 
1res  uns  placent  sa  mort  sous 
l'an  1 554  (c) ,  les  autres  sous 
l'an  1 555  (d).  Son  édition  d'Ar- 
nobe  a  été  fort  condamnée  (F). 


(c)  Thuan.  Bucholcerus. 

(d)  Pantal.  ,  apud  Bucliolcerum  ,  Ind. 
Chron. 

(A)  II  était  d'une  fort  bonne  fa- 
mille. ]  Voyons  ce  que  Curion  en  dit. 
Gelenia  familia  antiqua  et  honesta ,  a 
cervis  nomen  traxit ,  quos  ipsi  Gele- 
nos  vocant,  ita  ut  Lalind  lingud  Cer- 
vina  dici  possit.  Pâtre  m  habuit  sum- 
mo  apud  regem  loco  et  honore,  ho- 
minem  minime  illiteratum. ,  nam  et 
Moriam  Erasmi  in  palriam  linguam 
convertit,  et  lepidum  salsumque  opus 
cum  suis  communicai'it.  3/atre  ejus 

fœmind  primarid  et  nobili ,  propler 
mulievis  prudenliam ,  et  probatos  mo- 
res ,  rcgina  plurimhm  et  famtliariter 
utebatur.  Talibus  parentibus  ortus 
Gelenius  ,  parem  quoque  ,  hoc  est 
ingenuam  et  libéraient ,  habuit  educa- 
lionem  (1). 

(B)  Peu  de  savons  ont  traduit  de 
grec  en  latin  autant  d'ouvrages  que 
lui.]  Après  avoir  publie'  un  diction- 
naire en  quatre  langues  (2),  il  se  mit 
à  faire  des  notes  sur  Pline  etsurTite- 
Live,  et  les  publia.  Il  traduisit  les  An- 
tiquités judaïques  de  Josèphe,  et  cor- 
rigea les  autres  œuvres  de  cet  auteur, 
en  collationnant  ensemble  plusieurs 
manuscrits.  Ensuite,  il  mit  en  latin 
quelques  homélies  de  saint  Chryso- 
stome,  et  puis  l'Histoire  romaine  de 
Denys  d'Halicarnasse ,  l'Histoire  ec- 
clésiastique d'Évagrius,  l'ouvrage  d'O- 
rigène  contre  Celsus,  les  œuvres  de 
Philon  et  celles  d'Appien.  Après  ce- 
la il  entreprit  la  version  des  œuvres 
de  Justin  Martyr,  et  il  les  avait  déjà 
traduites  pour  la  plupart  lorsqu'il 
mourut.  Voilà  ce  que  je  trouve  dans 
la  préface  de  Curion  sur  Appien.  Je 
n'y  trouve  pas  le  travail  de  Gelenius 
sur  Ammien  Marcellin  ,  travail  que 
Henri  Valois  a  fort  loue'.  Voici  ce  qu'il 

(1)  Cœlius  Sccundas  Curio,  precfat.  in  Appia- 
nura  Alexandr. 

(a)  Lingunrum  quatuor  Symphonum  Lexi- 
cum  ,  grœci.t  videlicet ,  latinis  ,  germanicis  ,  et 
dalmaticis  vocibus  online  disposais  concinna- 
vil.  Idem,  ibidem. 


en  a  dit  (3)  :  Erat  quidem  in  utroque 
horum  virorum  (4)  magna  doctrina  , 
ut  scripta  utriusque  testantur.  Sed  in 
Gelenio  major  quœdam  ingenii  vis , 
et  judicium  acrius  fuit.  Quod  citm 
multi  prœclari  labores  illius  viri  tes- 
tantur ,  titm  maxime  interprétatio- 
ns latinœ  Dionysii  Halicarnassensis, 
Appiani,  Philonis  item  ac  Josephi , 
Origenis  et  aliorum.  Ex  quibus  ap- 
paret  eum  excellenli  ingenio  et  sin- 
gulari  doctrina  prœditum  fuisse.  Sed 
et  Ammiani  Marcellini  historiœ  ab 
eo  éditas  id  ipsum  abundè  testantur. 
In  quibus  plurima  aculè  et  ingeniosè 
emendavit  ;  et  insignem  paginarum 
transpositionem  ,  quœ  in  mss.  omni- 
bus codicibus  reperitur ,  et  in  editione 
exstat  Accursii ,  mira  dexteritate  res- 
tituit.  Quamobrem  ejus  viri  nomini 
libenter  hoc  laudis  testimonium  im- 
pertimus ,  neminem  adhuc  exstitisse , 
qui  de  historid  Marcellini  melius  me- 
ritus  sit.  Erasme  ne  parle  pas  si  avan- 
tageusement du  travail  de  Gelenius 
sur  Pline  ;  au  contraire,  il  en  donne 
une  très-me'chante  ide'e.  Sigismundus 
Gelenius  tun  nomini  (5)  dicavit  Anno- 
tationesin  Plinium;'(7/M  tertio  ab  ipso 
casligatum.  Sed  miré  imposuit  illi  co- 
dex manu  descriptus  ,  in  quo  sciolus 
aliquis  è  suo  capite  mulavit  quicquid 
libnil ,  et  quodam  modo  novum  Pli- 
nium  nobis  dédit.  Admonui ,  nefide- 
ret  illi  exemplari,  sed  auditus  non 
sum.  Hermolaiis  non  ausus  est  mula- 
re  lectionem  Plinianam.  Gelenius  se 
putat  rem  mirificam  prœstitisse ,  ego 
censeo  crimen  esse  inexpiabile  (6). 
Voici  le  jugement  de  M.  Huet(y)  :  In 
iis  quoque  numeratur  Sigismundus 
Gelenius  Bohemus ,  quo  vix  quispiam 
pluribus  hanc  artem  monumenlis  di- 
tavit  :  disertus  imprimis  habitus  est  et 
elegans  ;  audax  in  constringendis plu- 
ribus in  unum  periodis ,  vel  disjun- 
gendis  ,  senstts  sibi  non  semper  intel- 
leclos  ad  libitum  recoquit. 

(C)  //  ne  se  mettait  presque  jamais 
en  colère.  ]  Curion  exprime  cela  en 

(3)  Henricus    Valesius  ,    in    prcefat.    Amm. 
Marcellini. 

(4)  C  en-a-dire ,    Mariangelus   Accursius  ,    et 
Sigismond.  Gelenius. 

(5)  C'est-à-dire  ,  a  Damien  de  Goë.s. 

(6)  Erasmus  ,  epist.  LXIX  ,  lib.  XXX,  pag. 
'<)57  ,  datée  le  21  de  mai  i535. 

(•;)   Huctius,    de   Claris    Intcrpret. ,   pag.  m. 

32  5. 


GÉLÉNIUS. 


% 


ces  termes  (8)  :  Erat  in  co  animi  leni- 
tas  mira,  naturœque  honitas  quœdam, 

ut  idx  irasci  posset  etiani  irritatus 

cum  ncmine  unquam  simultatem  ges- 
sit  :  rerum  alienarum  minime  curio- 
sus ,  minime  susjiicax  :  sed  antiqud 
non  tamen  stuttâ  simplicitate  preedi- 
tus.  Voilà  le  vrai  caractère  d'une 
bonne  âme.  Cela  paraîtra  encore  par 
la  remarque  suivante. 

(D  )  Il  ne  se  souciait  ni  d'honneurs 
ni  île  richesses.]  Je  me  sers  des  termes 
de  Curion(9).  Quanta  vero  continen- 
tiâ  atque  abstinentiâ  fuerit ,  quorum 
Ma  in  lis  quœ  abstint  non  expetendis, 
altéra  in  Us  quœ  adsunt ,  in  nostrdque 
potestate  sunt  abstinendo ,  Ma  décla- 
rant, quod  ciirn  per  tôt  annos  tanto- 
pere  111  re  literarid  élaboraient ,  ex 
quo  magnorum  t'irorum  gratiam  est 
conseculus,  nullas  tamen  divitias  con- 
gessit,  nullas  tamen  reliquit,  suppel- 
lectile  domeslicd ,  victuque  contentus. 
Bonis  et  doctis  ,  si  quos  egere  animad- 
i>erlebat ,  largiebatur  :  Jelicibus  etfor- 
tunalis  non  invidebat  :  calaniilatibus 
aliorum  affteiebatur  :  neminem  con- 
temnebat.  Jllud  verb  maximum  con- 
linentiœ  signum  fuit ,  quod  in  régis 
Bohemiœ  aulam  magnis  prœmiis  ,  et 
honoribus  ,  quibusque  vel  cupidus  et 
ambitiosus  aliquis  contentus  esse  po- 
test,  allectus  renuit,  hanc  quietam  et 
moderatam  vilain  ambitiosis  Mis  et 
turbulentis  dignitatibus  anteponens. 
Omitto  provincicts  bonas  et  lilteras  et 
artes  profite  ndi  ohlatas  ,  quas  nun- 
qimm  ut  susciperet  adduci  potuit  , 
adeb  tenax  proposili ,  uitœque  generis 
semel  honestœ  suscepli ,  semper  fuit. 
Erasme,  qui  trouvait  Gélénius  digne 
d'une  meilleure  fortune,  n'osait  pour- 
tant lui  souhaiter  des  richesses;  il 
craignait  que  cela  ne  lui  ralentît  l'ar- 
deur avec  laquelle  il  le  voyait  occu- 
pe' au  bien  de  la  république  des  lettres . 
Gelenius  pro  suddoctrind  nonvulgari, 
proque  morum  sincerilate  dignus  est 
laulioreforlund ,  divilias  wix  ausim  Mi 
oplare.  Quidpericitli,  inquis?  Ne  seg- 
nior  fiât  ad  provehendam  rem  littera- 
riam.  Multos  7rtvla.  ad  indus  tria  m  sti- 
mulat(io).  Gélénius,  selon  M.  de  Thou, 
lutta  contre  la  misère  toute  savie(i  1). 

(8)  Ciirio,  in  prœfal.   in  Appian.    Alcxandr. 

(9)  Idem  ,  ibidem. 

('10)  Erasraus  ,  epist.  XXXVIII,  lib.  XXVII, 
pag.  1555. 

(u)  Cum  partiale  Iota  vitd  conjlictatus. 
Thuan.  ,  lib.  XIII,  pag.  a-, ,  ad  ann.  i554- 


(E)  //  mourut  a  Bd/e.]  M.  Moréri 
a  fait  ici  une  insigne  transposition. 
Sigismondde  Ghelen,  fait-il  dire  à 
M.  de  Thou  ,  natif  de  Bdle  ,  mourut 
en  Bohème.  M.  de  Thou  avait  dit  qu'il 
était  né  en  Bohème ,  et  qif  il  était 
mort  à  Bille  (13).  M.  Moréri  a  eu  tort 
de  dire  que  Gélénius  a  traduit  quel- 
ques homélies  d'Origène;  il  ne  fallait 
dire  cela  qu'à  l'égard  de  saint  Chry- 
sostome.  M.  Teissier  a  eu  tort  de  ue 
le  point  dire  ;  il  s'est  laissé  tromper 
par  ceux  qui  ont  abrégé  Gesner  (i3). 
//  a  aussi  corrige  plusieurs  homélies 
de  suint  Chrysostome ,  c'est  M.  Teis- 
sier (fui  parle  04) ,  et  c'est  nier  que 
Gélénius  en  ait  traduit.  Mais  voyez 
seulement  le  père  Labbe  (iô1!,  vous  y 
pourrez  compter  plusieurs  homélies 
de  saint  Chrysostome  ,  mises  en  lai  in 
par  Gélénius. 

(F)  Son  édition  d'Arnobe  a  été  fort 
condamnée.  ]  Voici  ce  qu'en  a  dit 
Barthius  (16)  :  Ingeniosissimus  sedau- 
dacissimus  ,  et  nil  prorsùs  sibi  ne- 
gans ,  Arnobii  correctorSigismundus 
Gelenius  in  eam  editionem  quant  to- 
tam  ad  suum  captum  reformaint ,  aut 
transforma  vit  potiùs  ,  testatus  nemi- 
nem sibi  unquam  auctorem  tantitm 
negotii  exhibuisse.  Ajoutez  à  ce  pas- 
sage celui  de  la  préface  d'Arnobe,  de 
l'édition  de  Leyde  ,  i65i.  Arno- 
bium  quidem  hune  primus  Bomœ 
vulgaverat  Franciscus  Priscianen- 
sis  Florentinus,  sed  unit  cum  vete- 
ris  manuscripti  ,   quo    usus  fuerat  , 

foedis  admodum  erroribus .  Sigismun- 
dus  postea  Gelenius  editionem  hanc 
corruiitain  solo  ingenio  ,  uti  po- 
tuit ,  restituit-  Sed  ingenii  Me  fiducie. 
malo  exemplo  usus  ,  conjecturas  suas 
textui  inseruit ,  antiquas  lectiones  suo 
imperio  ejecit ,  et  Arnobium  nobis 
effinxit ,  qui  Arnobii  speciem  non  re- 

ferret.  Hanc  audaciam  merilo  repre- 
hendit  Cajiterus. 

(12)  InBohemiâ  natus,  Basileœ  decessit.  Idem, 
ibidem. 

(tï)  Chrysoslomi  Homilias  aUqnot  cum  mn- 
nuscriplis  granit  exemplaribus  contulit ,  emen- 
davil,  supplevtl.  Epit.  Bibliotli.  Gesner.,  pag. 
753. 

(i^)  Teissier,  É"log. ,  tom.  /,  pan-  0".  P"P« 
Blount  ,  Censur.  autorum  ,  pag.  4^9  i  "'  dans 
la  même  erreur. 

(i5)  De  Scriplor.  ccclesiajlic.,  tom.  I ,  pag. 
53l  et  sequent. 

(16)  Advcrsar.  ,  lib.  XLIK,  cap.  I.  apud 
Pope  Blounl ,  Censur.  celebr.  Autor. ,  pag.  460.. 


6o  GENT 

GENTILIS  DE  BÉCHIS ,  na- 
tif d'Urbin  ,  et  chanoine  de  Flo- 
rence, fut  promu  à  l'évêché  d'A- 
rezzole2i  d'octobre  1 47 3*.  Les 
Florentins  en  eurent  bien  de  la 
joie;  ils  le  députèrent  souvent 
à  la  cour  des  princes,  et  ce  fut  lui 
qu'ils  choisirent  pour  aller  faire 
à  Charles  VIII ,  roi  de  France  , 
les  complimens  de  condoléance 
sur  la  mort  du  roi  son  père  ,  et 
les  complimens  de  félicitation 
sur  son  avènement  à  la  couron- 
ne {a).  Il  se  fit  estimer  par  son 
éloquence  ,  et  la  fit  paraître  dans 
des  harangues  latines  qu'il  pro- 
nonça en  divers  endroits  de  l'I- 
talie. Il  eut  part  à  l'éducation 
de  Léon  X.  Il  se  mêla  aussi  de 
faire  des  vers.  Quelques  criti- 
ques parlent  de  ses  productions 
avec  assez  de  mépris  ,  et  ne  lui 
sauraient  pardonner  les  termes 
de  la  mauvaise  latinité  qui  se 
glissèrent  dans  ses  ouvrages  , 
ni  souffrir  que  la  meilleure  de 
ses  pièces  contienne  la  phra- 
se prœstore  obedienliam.  Nous 
verrons  la  preuve  de  tout  ce- 
ci dans  un  passage  d'Àlcyonius 
(À).  La  harangue  où  cette  phrase 
se  trouve  est  celle  qu'il  fit  au 
pape  Alexandre  VI  ,  lors  de 
l'ambassade  d'obédience.  On  pré- 
tend que  l'envie  qu'il  eut  de 
haranguer  en  cette  rencontre , 
fut  l'une  des  causes  qui  obligè- 
rent Pierre  de  Médicis  à  empê- 
cher que  les  peuples  d'Italie  ne 
rendissent  ce  devoir  au  nouveau 
pape  tous  ensemble  et  par  une 
seule  députation  (B).  Gentilis  fut 
député    à  Charles   VIII    (0)    au 

*  Il  mourut  en  1^97  ,  dit  Lcclerc. 

(a)  ïm/rf'Ughelli,  au  /er.  tome  de  Z'Italia 
hicra,  pag.  ^79. 

(b)  Dghelli  ,  ibidem. 


ILIS. 

temps  de  l'expédition  de  Naples  , 
et  régla  les  conditions  que  les 
Florentins  avaient  à  suivre  dans 
cette  situation  délicate  des  affai- 
res d'Italie. 

(A)  Nous  vendons  la  preuve  de  tout 
ceci  dans  un  passage  et '  Alcyonius .] 
Je  le  lire  d'un  dialogue  où  Jules  de 
Médicis,  l'un  desinterlocuteurs, parle 
de  cette  façon  au  légat  Jean  de  Mé- 
dicis, qui  fut  le  pape  Léon  X.  Aie- 
mini  eliam  opérant  te  dare  Gentili 
prœsuli  Aretino  ,  homini ,  ut  suis 
temporibus  ,  politioris  humanitatis 
laude  florentissimo.  Sed  nihil  etiam 
melior  ille  fuit  quant  Poltlianus  ,  id 
quod  ciim  ex  aliis  monimenlis  ejus 
perspici  polest ,  thm  ex  orationibus 
quas  in  diversis  Italiœ  locis  complu- 
res  habuit  :  in  il/is  enim  mu/la  verba 
ex  trivio  arrepta  visunlur,  multce 
quoque  elocutiones  barbarœ  et  agres- 
tes occurrunt  ,  sententiœ  aulem  mul- 
lœ  puériles  ac  imprudentes sunt.  Non- 
nulli  tamen  eam  in  primis  oralionem 
honoriûcd  laude  prosequuntiir  quant 
habuit  apud  Alexanarum  VI ,  pon- 
tif.  niax.  legalus  populi  Florentine 
paulôpost  quant  ille  sacris  chrislianis 
publiée  prœfectus  est.  Veritm  hanc 
quoque  non  satis  dignam  video  quœ 
iterunt  legatur  ;  in  ed  enim  miniis 
eleganter  expressit  id  quod  homini 
exprimendum  erat  elegantissimè ,  hoc 
est  causant  cur  Romam  venissel ,  quœ 
erat  ut  per  illum  populus  Florenti- 
nus  se  conferret  ad  auctorilatem  pon- 
tiûcis  maxinii.  Ille  aillent  in  hoc  sen- 
su reddendo  plebeiam  elocutioneni 
usurpavit,  quœ  est  obedientiam  prae- 
stare.  Quant  ob  rem  id  genus  oratio- 
nis  tempus  ut  alias  multorum  obli- 
vione  obraet.  Feruntur  quoque  ejus- 
dem  versiculi  jaciliore  quidem  musa 
factiy  sed  sine  cultu  et  latinœ  purila- 
lis  nitore(i  ).  11  y  a  là  une  prédiction 
que  le  temps  a  vérifiée  ;  car  on  ne 
parle  pas  plus  des  harangues  de  ce 
Gentilis  ,  que  si  elles  n'avaient  ja- 
mais existé. 

(B)    L'envie  qu'il  eut  de   haran- 
guer lors  de  l'ambassade  d! obédience 

a  Alexandre  VI, fut  l'une  des 

causes    que  ce  devoir   ne   se    rendit 

(1)  Pclrus  Aloyonius,  in  Medice  Legato  pos- 
teriore  ,  circajin. 


GENTILTS.  61 

f>oiiit par  une  seule  députatio n .]  peine  cédait-il  a  V incomparable  Sa- 
iOuis  Sforce  avait  fait  résoudre  que  vonarofe.  Il  avait  obtenu ,  par  son 
les  états  d'Italie  n'enverraient  au  pape  crédit,  delà  république  de  Florence, 
qu'une  ambassade  d'obe'dience  oh  les  que  ce  serait  lui  qui  haranguerait  le 
députés  de  chaque  prince  et  republi-  pape  pour  elle ,  et  il  avait  ensuite 
que  seraient  ensemble  ,  marcheraient  composé  son  discours  avec  toute  l'ap- 
a  leur  rang  ,  n  auraient  qu'un  ora-  plication  dont  il  était  capable.  Il  Va- 
leur et  concerteraient  si  bien  leur  vait  communiqué  a  Jean  Pic  de  ta 
conduite,  que  si  le  nouveau  pape  se-  Mirandole  ,a  A nge  Politien,  à  illar- 
tait  proposé  de  les  diviser ,   il  en  per-  cille  ricin  et  aux  autres  beaux  es- 

dà  l'espérance  (2) JMais  Pierre  prits  de  i Italie,  qui,  l'ayant  approu- 

de  IMédicis  ,  qui  n'avait  osé  s'opposer  vé ,  l'avaient  confirme  dans  le  sen- 
ti cette  résolution,  parce  qu'il  s'était  tintent  que  c'était  un  chef-d' œuvre  : 
trouvé  seul  d'avis  contraire,  n'oublia  ainsi  l'on  ne  pouvait  le  desobliger  da- 
rien  de  ce  qu'il  jugeait  capable  d'en  vantage  qu'en  l'empêchant  de  te  pro- 
traverser l'e.ri  culio/t.  Il  s'était  fait  noncer;  ce  qui  arriverait  pourtant , 
nommer  chef  de  la  députationdes  rlo-  s'il  n'y  avait  qu'un  orateur  pour  toute 
rentins  ;  so/i  équipage  était  presque  l'Italie  ,  parce  que  le  roi  de  JVaples, 
tout  dressé  :  et  comme  il  n'y  avait  en  comme  le  plus  qualifié  de  tous  les  prin- 
Italie  que  la  république  de  Kenise  qui  ces,  aurait  droit  de  le  nommer.  Ce 
eut  plus  d'argent  que  lui,  et  qu'il  prince,  qui  avaitdans  sa  ville  capitale 
n'épargnait  rien  dans  les  occasions  l'académie  la  plus  florissante  de  l Eu- 
d'éclat ,  il  était  assuré  de  paraître  rope ,  pour  les  belles-lettres,  dont  le 
plus  lui  seul  que  tous  les  autres  am-  célèbre  Sannazar  était  directeur,  n'a- 

bassadeurs  et  députés  ensemble vait  gardede  choisir  hors  de  ce  corps 

Il  comprit  que  ,  si  son  train  marchait  un  sujet  pour  porter  la  parole  h  sa 

avec  celui  des  autres  ambassadeurs  ,  sainteté.  Gentile  ,  animé  par  son pro~ 

il  serait  obscurci  par  le  grand  nom-  pre  intérêt ,  échauffa  de  sorte  Pierre 

bre  ,  et  qu'il  n'y  aurait  que  les  yeux  de  Me'dicis ,  qu'il  lui  fit  solliciter  le 

les  plus  Jîns  qui  le   distingueraient  roi  de  Dfaples  pour  le  rétablissement 

dans    la    conjusion  ,   au    lieu   qu'en  de   la  coutume  que  chaque  puissance 

entrant  dans  Home  ,  et  en   allant  à  d'Italie  rendît  en  particulier  ses  res- 

l audience  seul ,    les    connaisseurs   et  pecls  au  nouveau  pape  (4).  Cela  réus- 

ceux  qui    ne    l'étaient  pas    beaucoup  sit.    La  cérémonie   de  l'obédience  se 

lui  rendraient   une    égale  justice.  Il  fit  par  chaque  prince,  par   chaque 

n'aurait    pourtant  pas    été  impossi-  'république  d'Italie  en  particulier,  et 

ble  de    le  desabuser    de  cette  préven-  les  deux  Florentins  y  trouvèrent  leur 

tion  ,  si  ses  amis  y  eussent  travaillé  ;  compte.    L'équipage   de     Pierre    de 

mais   celui  d'entre  eux  ,  7'"  lui  était  Médias  l'emporta  sur  tous  les  autres 

le  plus   intime  ,  le  confirma    par  un  pour  la  magnificence  ,   et    la  haran- 

autre   caprice  dans    son  erreur  ,    au  gue  de  Scipion  GehtUe  fut  tellement 

lieu  de    l'en    tirer.    Celait    Scipion  estimée  ,  qu'on  la  mit  h  la  tète  du  re- 

Gentile  ,  gentilhomme  florentin  (3)  ,  cueil  de  cette  sorte  d' ouvrages  (5). 

et  évéque  d'ylrezzo  ,  qui  s'était  rendu  Voilà   une   citation    trop    longue, 

J'ort  célèbre  par  la  science  des  bel/es-  diront  quelques-uns  ;  mais  jene  doute 

lettres,  et  par  ses  agrémens  dans  la  pas  que  plusieurs  autres  ne  soient  bien 

conversation.    Sa     naissance   et   ses  aises  de  trouver  ici  l'instruction  eom- 

grands  biens  ne  le  rendaient  pas  moins  plète  d'un  fait  aussi  curieux  que  l'est 

trailable ,    et   son  trop  d' attachement  celui-là. 

a  V éloquence  était  presque  le  seul  de  ,,.  „    ...       „.           ,    „,     ,     ,.,,, 

,  ./                ,,        ,  r     .    1                 ...  (à)   >  arillas  ,  Histoire  Je  Charles  MU  ,  pas. 

ses  défauts.    Il    n  était  que  médiocre  ,53; 

orateur  ;    cependant  il  avait  si  bonne  (5)  Là  même,  pag.  j65,  166. 

opinion  de  lui-même  en  ce  point ,  qu'a  „  .^  „ .,_,,. 

F                                 F         l  G  E  N  T  î  L I S  (  Jean-V  alentin  ) 

(2)  Varillas,  Histoire    rie    Charles   VIII,    IiV.  {à)  ,   lialif    de    CozeilCe  (A)  ,    dailS 

";^\1^,e'dfd'Jffolla"1.''t              d  Ie   royaume    de    Naples,  quitta 

(S)  Uglielh  ne    lui    donne    point   ce    nom    ne  J                                         I           '      * 
baplême ;  il  ne  le  nomme  que  Genlilis  île  Béchis: 

il  le  fan  natif  d'Urbin, et  non  pas  gentilhomme  (")  rores  ci-apres  la   remarque   (D)  de 

de  Florence.  l'article  Gentilis  (Scipion)  ,  à  lajin. 


62  GENTILIS. 

son  pays  pour  la  religion  vers  le  honorable  ,  qu'à  jeter  lui-mê- 
milieu  du  XVIe.  siècle,  et  se  re-  me  ses  écrits  au  feu ,  et  qu'à 
tira  à  Genève,  où  plusieurs  fa-  promettre  de  ne  point  sortir  de 
milles  italiennes  avaient  déjà  la  ville  sans  permission.  Cette 
formé  une  église.  Il  se  trouva  sentence  fut  exécutée  le  i  de 
parmi  ces  réfugiés  d'Italie  quel-  septembre  i558.  11  fut  mis  hors 
ques  esprits  qui  voulurent  subti-  de  prison  peu  de  jours  après: 
liser  sur  le  mystère  de  la  trinité,  et  sur  la  requête  qu'il  présenta 
sur  les  mots  d'essence ,  de  per-  touchant  l'impossibilité  où  il  se 
sonne  ,  de  co-essentiel  ,  etc.  ;  trouvait  de  donner  caution  ,  on 
George  Blandrata ,  médecin ,  et  le  dispensa  d'en  donner  ;  mais 
Jean  -  Paul  Alciat  ,  Milanais  ,  on  le  fit  jurer  qu'il  ne  sortirait 
étaient  les  principaux  de  ces  no-  point  de  Genève  sans  le  consen- 
vateurs,  avec  un  avocat  qui  s'ap-  tement  des  magistrats.  Il  ne 
pelait  Matthieu  Gribaud.  La  laissa  pas  de  s'enfuir  bientôt ,  et 
chose  se  traitait  sans  éclat  et  par  de  se  retirera  la  campagne,  chez 
des  écrits  particuliers.  Gentilis  Matthieu  Gribaud  (C),  son  cama- 
se  fourra  dans  ces  disputes  ,  et  rade  d'hérésie.  Il  fut  ensuite  à 
ne  contribua  pas  peu  à  faire  le-  Lyon  ,  et  puis  il  erra  de  lieu  en 
ver  la  tête  à  ces  nouveaux  ariens,  lieu  dans  le  Dauphiné  et  dans  la 
Cela  donna  lieu  au  formulaire  Savoie  ;  et  n'étant  en  sûreté  nul- 
de  foi  que  l'on  dressa  dans  le  le  part ,  il  s'en  retourna  au  villa- 
consistoire  italien  ,  le  18  de  mai  ge  où  il  s'était  retiré  la  première 
i558  (B).  Il  contenait  la  plus  fois ,  sur  les  terres  du  canton  de 
pure  orthodoxie  de  ce  mystère,  Berne.  11  y  fut  bientôt  connu, 
et  il  faisait  promettre  en  termes  et  mis  en  prison  ;  mais  il  fut 
précis  et  à  peine  d'être  réputé  élargi  dans  quelques  jours,  et 
parjure  et  perfide ,  de  ne  rien  il  publia  une  confession  de  foi 
faire  ni  directement  ni  indirec-  soutenue  de  quelques  preuves  , 
tement  qui  put  la  blesser.  Gen—  et  de  quelques  invectives  contre 
tilis  souscrivit  à  ce  formulaire,  saint  Athanase.  Il  la  dédia  au 
et  ne  laissa  pas  de  semer  clan-  bailli  qui  l'avait  emprisonné  , 
destinement  ses  erreurs.  Là-des-  et  le  chagrina  beaucoup  par  une 
sus  les  magistrats  prirent  con-  telle  dédicace  (D;.  Environ  ce 
naissance  de  la  chose  ,  et  le  mi—  même  temps  il  fut  emprisonné 
rent  en  prison.  Il  fut  convaincu  à  Lyon  pour  sa  doctrine;  mais 
d'avoir  violé  sa  signature  ,  ce  comme  il  eut  l'adresse  de  faire 
qu'il  tâcha  d'excuser  sur  les  in-  voir  qu'il  n'en  voulait  qu'à  Cal- 
stincts  de  sa  conscience.  II  pré-  vin  ,  et  nullement  au  mystè- 
sen ta  divers  écrits, d'abord  pour  re  de  la  trinité,  la  prison  lui 
tâcher  de  colorer  et  de  soutenir  fut  ouverte.  Blandrata  et  Alciat 
ses  sentimens  ,  et  puis  pour  qui  faisaient  rage  en  Pologne 
adoucir  l'esprit  de  Calvin ,  et  pour  établir  leurs  hérésies  le 
pour  reconnaître  et  abjurer  ses  firent  venir  auprès  d'eux,  afin 
erreurs  :  moyennant  quoi  les  qu'il  fût  leur  compagnon  d'œu- 
magistrats  de  Genève  ne  le  con-  vre.  Ils  auraient  fait  beaucoup 
damnèrent    qu'à    faire   amende  plus  de  mal  qu'ils  ne  firent ,  s'ils 


GENT 

ne  se  fussent  divisés  ,  et  si  le  roi 
de  Pologne  n'eût  publié,  en  i5r>6, 
un  édit  de  bannissement  contre 
tous   les    étrangers    qui    ensei- 
gnaient leurs  nouveaux  dogmes 
(E).    Gentilis   se  retira   dans  la 
Moravie  ,    d'où    ayant   passé    à 
Vienne  en  Autriche  ,  il  se  réso- 
lut de  retourner  en  Savoie  ou  il 
espérait  de  trouver  encore   son 
ami  Gribaud;  outre  que  la  mort 
l'avait  délivré  du  plus  redouta- 
ble adversaire  qu'il  eût  à  crain- 
dre en  ces  quartiers-là,  je  veux 
dire  de  Calvin  :  mais  il  vint  s'en- 
ferrer lui  -même  ;  car    le   bailli 
du  canton  de  Berne  ,  qui  l'avait 
autrefois  emprisonné  ,  se  trouva 
encore  en  charge  ,  et  ne  manqua 
pas  de  mettre  la  main   sur  lui , 
le  1 1  de  juin  i566  (F).  La  cause 
fut  portée  à  Berne  où  on  l'exa- 
mina depuis  le  5  d'août  jusques 
au  g  de  septembre.  Gentilis  dû- 
ment convaincu  d'avoir  opiniâ- 
trement ,  et  contre  son    propre 
serment ,  attaqué  le  mystère  de 
la  trinité,  fut  condamné  à  per- 
dre la  tête.  Il  se  glorifia  de  souf- 
frir pour  la  gloire   de   Dieu    le 
père  (G)  ,  et  taxa  les  autres  de 
sabellianisme  (b).  Son  sentiment 
était  tout  particulier.  11  croyait 
que,  dans  l'étendue  de  l'éternité, 
Dieu  avait  créé   un   esprit  très- 
excellent,  qui  s'incarna  lorsque 
la  plénitude   des  temps  fut  ve- 
nue (c).   Je  ne  pense  pas  que  ce 
soit  avoir  été  trithéite  {d);  mais 


(b)  Cet  article  a  été  extrait  d'un  livre  latin 
imprimé  à  Genève,  chez  François  Perrin, 
l'an  1567,  in-40.  i  il  contient ,  outre  divers 
Traités  dogmatiques  ,  /'Histoire  de  la  Con- 
damnation de  Gentilis,  par  Benedictus  Are- 
lius  ,  théologien  de  Berne. 

(c)  Voyez  la  remarque  {G) ,  «  la  fin. 

{d)  On  le  qualifie  ainsi  dans  le  More'ri  de 
Hollande,  à  tarticle  de  Jean-Paul  Alciat. 


ILIS.  63 

il  a  eu  sans  doute  en  divers  temps 
plusieurs  opinions. 

(A)  //  était  natif  de  Cozence.  ]  Quel- 
ques-uns(i)  ontdit  qu'il  n'était  point 
né  dans  cette  ville  ;  d'autres  (2)  l'ont 
fait  Napolitain.  Le  sieur  Nice-démo 
les  réfute  invinciblement  par  le  té- 
moignage de  plusieurs  graves  auteurs, 
et  par  la  signature  même  de  Valentin 
Gentilis  ;  mais  il  se  trompe  quand 
il  attribue  à  Théodore  de  Bèze  l'His- 
toire du  supplice  de  cet  hérétique. 
Pour  avoir  raison  entièrement,  il  dé- 
tail attribuer  cet  ouvrage  à  Benoît 
Arétius,après  avoir  censuré  le  Quat- 
tromani  qui  l'avait  donné  à  Calvin. 

(B)  Cela  donna  lieu  au  formulaire 
de  foi  que  l'on  dressa  dans  le  consis- 
toire italien  le  18  de  mai  i558.]  L'au- 
teur (3)  du  livre  que  j'ai  cité,  et 
Calvin  contre  Gentilis,  ne  parlent 
que  du  formulaire  du  consistoire  ita- 
lien ,  et  ne  nomment  que  cinq  per- 
sonnes qui  le  signèrent,  et  disent  bien 
que  Gentilis  et  cinq  autres ,  n'ayant, 
point  voulu  signer  sur-le-champ  li- 
gnèrent dans  la  suite  ,  lorsqu'on  les 
appela  en  particulier  (4)  ;  mais  ils  ne 
disent  pas  qu'il  fut  l'un  des  sept  qui 
aimèrent  mieux  quitter  Genève  que 
de  donner  leur  signature  ,  jusqu'à  ce 
que  les  fortes  sollicitations  des  com- 
patriotes les  eussent  obligés  à  reve- 
nir et  à  signer.  C'est  M.  Leti  (5)  qui , 
sans  rien  dire  du  formulaire  dressé 
par  le  consistoire  italien  ,  en  rap- 
porte un  beaucoup  plus  long  qui , 
selon  lui,  fut  proposé  à  signer  devant 
le  conseil.  Ce  formulaire  n'était  au- 
tre chose  que  la  confession  de  foi  que 
Calvin  avait  dressée  depuis  peu,  et 
que  les  ministres  ,  les  syndics  ,  le 
conseil  des  vingt-cinq,  celui  des  deux 
cents  ,  et  l'assemblée  générale  du 
peuple  avaient  approuvée.  Il  nomme 
quantité  de  gens  qui  le  signèrent.  Il 
nomme  entre   autres   Galeazzo    Ca- 

(1)  Sertorio  Quattromani ,  in  Epist.  ad  Cel- 
sum  Mollum  ,  apud  Leonarduin  S'icodemum  , 
Addizioni  alla  Bibliotheca  ïVapolelana,  pag.  i^i. 

(i)  Liïiilanus ,  111  Dubitantio  ,  dial.  II ,  pag. 
1/19,  et  ex  eo  Prateolus  ,  in  Elencli.  Hœret.  , 
pag.  5i«,  apud  Nicodemuni  ,  ibid.  ,  pag.  -j4<J. 

(3)  Benedictns  Aretius.  Vuyez,  touchant  son 
livre  ,  la  citation  (//)  ,  en  note  au  bas  du  corps 
de  cet  article. 

01)  Voyez  Bèze,  dans  la  Vie  de  Calvin. 

(5)  Histor    Genevrina  ,  tom.  III ,  pag.  io4- 


64 


GENTILIS. 


ravciolo  ,  Celso  conte  Martinettgo , 
Massimûiano  suo  fratello  ministro 
délia  Chiesa.  Mais  quant  au  premier, 
la  relation  de  sa  vie  nous  apprend 
qu'il  fut  hors  de  Genève  depuis  le 
7  de  mars  jusqu'au  4  d'octobre  i558. 
Or  ce  fut  dans  cet  intervalle  que  se 
firent  les  signatures  ,  et  que  Gentilis 
fut  emprisonné ,  etc.  Pour  les  deux 
autres,  la  même  relation  nous  ap- 
prend qu'il  faut  les  réduire  à  un, 
c'est  à  savoir  au  ministre.  Or  ce  Mar- 
tinengo  était  mort  avant  qu'on  son- 
geâ'tauxsignatures.  Voyezla  CCLXIle. 
lettre  de  Calvin.  M.  Leti  ajoute  que 
sept  personnes  refusèrent  de  signer  , 
et  sortirent  de  la  ville  :  Che  in  fatti 
si  ritirarono  délia  citl'a  ,  e  tra  questi 
Andréa  Ossel/ani ,  Marco  Pizzi ,  e 
falenlino  Gentile:  iqualivintipoi  in 
brei'e  dalle  persuasive  de  loro  corn- 
patriotti ,  si  ridussero  a  sottoscrivere 
(fi).  Ce  qu'il  dit  pourrait  être  vrai  ; 
mais  s'il  l'est,  quel  tort  n'ont  point 
eu  les  auteurs  des  autres  relations , 
d'avoir  supprimé  des  choses  si  essen- 
tielles à  cette  histoire  ?  M.  Spon  (7) 
ne  s'accorde  qu'en  partie  avec  eux  : 
il  dit  que  le  conseil  fit  souscrire  la 
confession  générale  de  l'église  aux 
Italiens  suspects  ;  il  avoue  qu'il  s'en 
trouva  qui  sortirent  de  la  ville;  mais 
non  pas  qu'ils  y  rentrèrent  pour  si- 
gner ,  et  il  ne  met  point  Gentilis  au 
nombre  de  ceux  qui  sortirent,  de  la 
ville.  Pourquoi  faut-il  que  l'histoire 
soit  si  remplie  de  variations?  Est-ce 
qu'on  se  plaît  à  falsifier  les  mémoires 
que  l'on  copie?  Est-ce  qu'on  ne  s'a- 
perçoit pas  du  changement  qu'on  y 
apporte  ? 

(C)  Il  se  retira  h  la  campagne  chez 
Matthieu  Gribaud.]  Arétius  dit  qu'il 
se  retira  in  pâgum  Fargiaruih ,  et 
que  ce  village  est  dans  le  pays  de 
Gex,  in  prœfecturâ  Gajensi.  Cela  me 
fait  croire  qu'il  y  a  faute  dans  l'en- 
droit de  Lubiéniécius  (8)  ,  où  il  est 
dit  queMatthœus  Gribaldus  celeber- 
rimus  jurisconsultus  Palavinus  était 
pagi  Turgiarumdominus.  Au  lieu  de 

Turgiarum  je  voudrais  dire  Fargia- 
rum.  Le  pays  de  Gex  était  alors  pos- 
sédé par  le  canton  de  Berne. 

(D)  //  dédia  nu  bailli  de  Gex  une 
confession  de  foi et  le  chagrina 

<d)  Mistor.  Ocncvrina  ,  loin.    III  ,  pag.  117. 

(7)  llisi.  de  Genève  ,  à  Vann.  i558. 

'H;  Hist.  Reformât,  rolonicœ ,  pag.  108. 


beaucoup  par  une  telle  dédicace.]  Ce 
bailli  de  Gex  avait  demandé  une 
confession  de  foi  à  Gentilis,  afin  de 
la  faire  examiner  par  les  ministres, 
et  de  l'envoyer  à  Berne  :  là-dessus 
Gentilis  la  fit  imprimer  comme  par 
ordre  du  bailli,  et  la  lui  dédia (9). 
La  Bibliothèque  des  anti-trinitaires 
débite  (10)  que  ce  bailli,  qui  avait 
mis  Gentilis  hors  de  prison  à  la  prière 
de  Jean-Paul  Alciat,  devint  suspect 
d'hérésie  à  Berne ,  à  cause  qu'on  lui 
avait  dédié  cette  confession  ,  et  que 
de  là  vint  qu'il  s'assura  de  Gentilis 
dès  que  l'occasion  s'en  présenta.  Il  le 
fit  pour  dissiper  les  soupçons.  Que 
cela  soit  vrai  ou  non  ,  au  moins  est- 
il  fort  certain  qu'il  n'y  a  guère  de 
machine  qui  remue  plus  puissam- 
ment ceux  qui  veulent  conserver  ou 
amplifier  leurs  dignités  ,  que  l'envie 
de  ne  passer  pas  pour  hérétiques.  Si 
l'on  faisait  l'histoire  de  toutes  les  in- 
justices ,  et  de  tous  les  tours  de  co- 
médien qui  sortent  de  cette  source, 
que  d'étranges  choses  ne  dirait-on 
pas  !  La  confession  de  Gentilis,  et 
les  pièces  qui  l'accompagnaient,  fu- 
rent imprimées  à  Lyon  ;  cependant  le 
titre  portait  a  Anvers ,  et  l'on  faisait 
parler  le  libraire  dans  la  préface,  sous 
le  nom  de  Tlieophilus  ad  filios  eccle- 
siœ.  Les  mensonges  furent  mis  en  tête 
des  crimes  de  fourberie  dans  le  procès 
de  Gentilis  (11).  On  le  trouva  saisi 
de  quelques  autres  ouvrages  de  sa 
façon  quand  on  l'arrêta, mais  ils  n'é- 
taient pas  imprimés.  Arétius  (12)  et  la 
Bibliothèque  des  anti-trinitaires  (1 3) 
en  parlent. 

(E)  Le  roi  de  Pologne publia 

en  i566  un  édit  de  bannissement 
contre  tous  les  étrangers  qui  ensei- 
gnaient de  nouveaux  dogmes.J  Mo- 
réri  commet  ici  plusieurs  fautes.  i°. 
Il  veut  que  Valentin  Gentilis  ait  été 
chassé  de  Pologne  vers  l'an  1062; 
a°.  que  l'édit  publié  alors  par  le  roi 
Si^ismond  Auguste  ait  banni  tous  les 
hérétiques.  Tout  cela  est  faux.  L'édit 
fut  publié  dans  une  diète  convoquée 
le  5  de  mars  i566  04)  >  et  ne  regar- 

(t))  Areïuis,    pag.  Ç)  et  46. 
(  10)  Pag.  27.  Vide  eliam  Histonam  Keforrn. 
Polonicx  ,pag,  107. 

(11)  Arelius,  pag.  46. 

(12)  Ibid.,  pag.  11,  n. 
(i3)  Pag.  2(5,  27. 

U4)  In   Comitïu   Pinsaviensibus  anno  i5(î6, 
5  martii celebraùs.  Arétius,  pag.  10.  i'Histoirc 


GENTILIS. 


65 


fiait    point   les    calvinistes.    Are'tius  pute  fut  qu'on  emprisonna  l'héréli- 

n'en  eût  pas  loué  le    roi   de  Pologne  que  (17). 

comme   il   a  fait ,  si   les  reformés  y  (0)11  se  glorifia  de  souffrir  pour  la 

eussent  e'té  compris  ;    et   tant    s'en  gloire  de  Dieu  le  père.]  Arétim  ne  lui 

faut  qu'ils  le   fussent ,  qu'on   les  ac-  fait  rien  dire    de   plus  particulier  le 

(use  d'avoir  pousse'  à  la  roue  pour  le  jourde  sa  mort;  mais  il  remarque  ait- 

faire  donner.    Instigantibus  adversa-  leurs  (18)  le  détail  que  je  m'en  vais 

riis  Romano  et  Lemo.no  spiritu  ductis,  rapporter.  Gentilis  de  se  ita  et  scrip- 

rex  Augustus  in  Comitio  Lublinensi  sit  et  loquutus  est  ,qubd  essel  palrn- 

anno  !  566   legem    horrendi  carminis  nus  summiPatris  eminentiw,el  asser- 


in  Anabaptistas  ,  et  Trideitas  latam 
promulgari  curavit ,  qud  ii  inlra  men- 
sem  regni  finibus  excedere  jussi.  C'est 
ainsi  que  parle  le  sieur  Lubiéniécius 
dans  la  page  igi  de  sa  héformation 
de  Pologne.  3°.  Enfin,  il  n'y  a  nulle 
exactitude  à  dire  si  généralement  que 
Gentilis  passant  a  Berne  y  eut  la 
tête  tranchée,  vers  l'an  i565.  Le  père 
Maimbourg  (i5)  n'a  pas  évité  entiè- 
rement l'anachronisme  à  l'égard  de 
Gentilis  :  il  le  fait  disputer  à  la  con- 
férence de  Pétricovie  en  1 566;  mais 
elle  fut  tenue  en  1 565. 

(F)  Le  bailli qui  l'a- 
vait autrefois  emprisonné  se  trouva 
encore  en  charge,  et  ne  manqua  pas 
de  mettre  la  main  sur  lui ,  le  1 1  de 
juin  i56G.  ]  Ce  fut  à  Gex  que  Gen- 
tilis fut  arrêté,  et  non  pas  à  Berne. 
11  y  était  allé  (16)  trouver  le  bailli  , 
pour  lui  demander  qu'il  permît  une 
dispute  publique  ,  dont  on  trouva  le 
plan  et  les  conditions  parmi  les  pa- 
piers de  ce  fugitif.  Il  voulait  que  le 
bailli  fît  savoir  aux  ministres  et  aux 
consistoires  du  voisinage ,  que  si 
quelqu'un  voulait  soutenir  contre 
Gentilis  la  doctrine  de  Calvin  ,  il  eût  à 
venir  à  Gex  dans  la  huitaine,  pour 
disputer  avec  lui  à  telle  condition  , 
que  celui  qui  ne  pourrait  pas  prou- 
ver son  sentiment  par  la  pure  parole 
de  Dieu,  serait  mis  à  mort  comme 
un  imposteur  notoire ,  et  un  défen- 
seur d'une  fausse  religion  ;  et  que  si 
personne  n'acceptait  le  cartel  ,  le 
bailli  et  tout  le  conseil  de  ville  pro- 
nonceraient que  Gentilis  avait  des  sen- 
timens  orthodoxes  et  pieux  touchant 
le  Dieu  très-haut  et  son  fils  Jésus- 
Christ.  La  réponse  que  l'on  fit  aux 
premières    ouvertures    de    cette  dis- 

<le  la  Réformation  de  Pologne,  pag.  19Ï,  dit 
que  ce  fut  in  Comitio  Lublinensi  anno  i566. 

(l5)  Histoire  fie  l'Arianisine  ,  loin.  II /,  pag. 
356,  e'dil.  de  Hollande. 

(16;  Arétius,  pag.  47»  4^- 

Tome  vu. 


tor  gloriœ  Palris.  JYec  dubitavit  etiam 
dicere,  neminem  adhuc  (  quod  ipse 
quidem  sciret)  pro  glorid  et  eminen- 
titi  Palris  mortuum  esse  ;  prophetas  , 
apostolos  ,  piosque  martyres  ,  pro 
lulii  glorid  persecutiones  ,  mortem  , 
et  extrema  quœque  passos  esse  ;  emi- 
nentiam  autem  Deipatris  nullos  ad- 
huc martyres  habere.  Mettons  ici  le 
sentiment  qu'il  déclara  dans  un  sy- 
node de  Pologne.  S  ente  ni  ia  ejus 
quant  in  Polonid  in  synodo  Pinczo- 
viœ  ann.  l562  ,  die  4  novembris  cele- 
bratd  proposuerat,  hœc  fuit ,  Deum 
creavisse  inlatitudine  œternitatis  spi- 
ritum  quemdam  excellentissimum  , 
qui  posteà  in  plenitudine  temporis 
incarnatus  est  (19). 

(17)  Ab  prœfecto  Gaiensi  petit  publiram  di>- 
putationem:  respondit  ille  ,  fiât  quod  justum  est, 
et  ad  carerre*  duci  jussit.  Idem,  pag.  10. 

(18)  Pag.  27. 

(iCf)  Bibliotb.  Anti-Trinitar. ,  pag.  2G.  Ilistor. 
Réf.  Polon.  ,  pag.  107. 

GENTILIS  (Albéric),  pro- 
fesseur en  droit  à  Oxford  ,  était 
fils  de  Matthieu  Gentilis  ,  méde- 
cin italien  (A) ,  issu  d'une  an- 
cienne et  noble  famille  de  la 
Marche  d'Ancône.  Ce  médecin 
ayant  trouvé  des  abus  dans  la 
communion  romaine ,  et  goûté 
la  bonne  semence  de  la  réforma- 
tion  ,  abandonna  son  pays  ,  et  se 
retira  dans  la  Carniole  avec  Al- 
béric son  fils  aîné  ,  et  avec  Sci- 
pion  le  pénultième  de  ses  sept 
enfans.  Albéric  fut  envoyé  en 
Angleterre,  où  sa  grande  capacité 
lui  fit  trouver  un  bon  établisse- 
ment, je  veux  dire  une  chaire 
de  professeur  en  droit  dans  l'uni- 
versité d'Oxford,  l'an   i5b2.    Il 

5 


66 


GENTILIS. 


optimus  et  cla- 


avait  été  reçu  docteur  à  Pérouse  Matthœus  Gehtilis  op, 
,    i,a         i        ■      ».    „♦    ,,v,    anc       ot    rissimus,  Malth.  Durastanti  ,  nied. 
a     âge  de  vinfit   et   un    ans.    et  ,.,  » 

a  iagc  «"   ''6    é       ''<••»•  et  philos,  prœstantissimo   proposuts- 

peu  après  il  avait  ete  tait  juge  set  tetiu0libroeinspondit(i).lHotez 
dans  la  ville  d'Ascoli ,  charge  en  passant  que  le  médecin  qui  ré- 
qu'il  quitta  afin  de  s'exiler  avec  pondit  à  cette  question  a  été  mal 
■  •"  i  nommé  Durastanes  par  AI.  Konig.  Il 
s'appelait  Durastantes  (2). 

(B)  II  composa  plusieurs  ouvra- 
ges. ]  Il  a  fait  trois  livres  Je  Jure 
fielli,  qui  n'ont  pas  été  inutiles  à 
Grotius.  Il  en  a  fait  aussi  trois  de 
Legationihus.  Ses  disputes  sur  le  pou- 
voir absolu  des  rois,  et  sur  l'union 
des  royaumes  de  la  Grande-Bretagne  , 
et  sur  l'injustice  inséparable  de  la  ré- 
sistance aux  rois ,  de  vi  civium  in  re- 
gem  sentper  injustd  ,  marquaient  en- 
core plus  clairement  qu'il  n'était  pas 
pour  les  maximes  républicaines,  que 
les  dix  disputes  dont  il  fit  présent  à 
son  fils,  afin  qu'il  les  dédiât,  en  l'an 
1607  >  au  comte  de  Pëtoibrock  ,  son  pa- 
tron. Elles  sont  sur  les  titres  du  code  , 


son  père  par  un  pur  motif  de 
conscience.  Il  composa  plusieurs 
ouvrages  (B) ,  qui  lui  acquirent 
beaucoup  de  réputation.  11  y  en 
a  quelques-uns  oit  il  ne  donne 
pas  tout-à-fait  dans  les  hypo- 
thèses des  protestans  (C)  ;  car 
peu  s'en  faut  que  sa  dispute  tou- 
chant le  Ier.  livre  des  Machabées 
ne  soit  une  apologie  indirecte  de 
ceux  qui  le  tiennent  pour  cano- 
nique. On  peut  faire  un  semblable 
jugement  à  peu  près  du  traité  qu'il 
composa  contre  ceux  qui  blâment 

le  latin  de  la  vulgate.  Voyez  la  Si  quis  Imperatori  maledixerit ,  ad 
remarque  (C).  Il  mourut  à  Lon-  lfge'H  Jl![iam  de  rnajeslate.  Ses  livres 
,  ,a  t     .    .         /-    o     <    i>«  de  J uns  lnteruretibus  ,  et  de  Advo- 

dres,  îe  19  de  pin  ibotf ,  al  âge  cMione  HlspJucd  (3)  j  ne  sont  pas  les 
de  cinquante-huit  ans*.  11  aimait  moindres  de  ses  ouvrages.  Je  laisse  là 
de  telle  sorte  à  profiter  dans  les  le  titre  de  plusieurs  autres  " 
sciences  ,  qu'il  ne  cherchait  pas 
moins  à  s'instruire  par  les  con- 
versations que  par  la  lecture  : 
et  il  a  publié  lui-même  que  ses 
recueils  étaient  remplis  de  mille 
choses  qu'il  avait  ouïes  ,  en  cau- 
sant familièrementavec  des  gens 
qui  ne  pensaient  pas  que  ce  qu'ils 
disaient  dût  être  ainsi  honoré. 
L'endroit  où  il  parle  de  cela  mé- 
rite d'avoir  place  dans  nos  re- 
marques (D).  Voyez  la  Bibliothè- 
que du  sieur  Konig,  et  l'oraison 
funèbre  de  Scipion  Gentilis. 


*  Il  avait ,  dit  Leclerc 
cru  il  esl  mort ,  eu  161 1 


soixante  ans ,  lors- 
il  élait  né  en  l55i 
1  Castello  di  San  Geuesio.  Il  n  eut  sa  chaire 
a  Oxford  qu'en  158^,  et  non  eu  l582. 

(A)  Il  était  fils  de  Matthieu  Gen- 
tilis ,  médecin  italien.  "\  J'ai  trouvé 
quelque  chose  qui  le  concerne  dans 
un  ouvrage  de  Scipion  Gentilis.  sfn 
rir<i  Dcemones  morborupi  caussasint , 
hune  iptivstionetn  c'um  parens   meus 


(C) .  ..lly  en  a  quelques-uns  oh  il  ne 
donne  pas  toui-a-fatl  dans  les  hypo- 
thèses des  protestans.  ]  Voëtius  s'en 
est  très-bien  aperçu.  Il  raconte  que 
Jean  Howson  ,  théologien  d'Oxford  , 
soutint,  dans  une  thèse  publique,  le 
sentiment  des  catholiques  romains 
sur  l'indissolubilité  du  mariage  :  sa- 
voir, que  l'adultère  peut  bien  être 
une  raison  légitime  de  se  séparer 
d'une  femme  ,  mais  non  pas  une  rai- 
son qui  donne  le  droit  de  se  marier  à 
une  autre.  Un  théologien  anglais  , 
qui  se  nommait  Thomas  Pyus,  écri- 
vit contre  ce  dogme  de  Jean  Howson. 
Celui-ci  se  défendit,  et  composa  une 
apologie  qui  fut  imprimée  à  Oxford, 
m-/i°.  ,  l'an  1606,  avec  la  thèse,  et 
avec   deux   lettres  ,   l'une  de    Jean 

(1)  Scipio  Gentilis,  in  Comment,  in  Apolog. 
Apulcii,  pag.  260. 

(2)  Voyez  Lindenius  renovatus,  pag-  5o^. 
('i)  Pour  comprendre  la  raison  de  ce  titre  %  il 

faut  savoir  (yu'Albéric  Gentilis  fut  établi  l'avo- 
cat perpétuel  de  toutes  les  causes  que  les  sujets 
du  roi  d'Espagne  auraient  en  Angleterre.  Voyez 
son  ipitaphe  dans  la  Hibliotliéqne  de  Konig. 

*  O11  trouve  l'indication  des  ouvrages  de  Gen- 
tille ,  dans  les  Mémoires  de  JVtceron,  toiu.  XV 
et  XX. 


GENTILIS.  67 

Baynoldus  à   Thomas  Pyus  ,  l'autre  ilisti  aliquando   a  pâtre    de  illustri 

d'Alberic    Gentilis    à   Jean    Howson.  prœceptore  suo  Argenterio,  qui  ab 

Notez  que  ftaynoldus  censura  Pyus  uniuscujusque  ore  solebat  pendere  si 

d'avoir   débite  certaines    choses  qui  forte  aliud  agendo  excidisset  homini 

n'e'taient  point  exactes  :  mais  il  per-  aliud  quod  ipse  disceret;  nam  et  die 

sistait  dans    la  doctrine   qu'il   avait  la   homuncionum   curabat  reponi  in 

déjà  soutenue  contre  Bellarmin ,  dans  sua  quœdam  volumina ,  si  quœ  au- 

un  livre  anglais  touchant  le  divorce,  dîsset  non  inepta  ?  Enfin  notre  Gen- 

Gcntilis  biaisa  ,  et  fit  connaître  qu'il  tilis    rapporte    qu'Alciat   apprit  par 

ne  savait  que  penser  sur  cette  ques-  l'action  d'un  paysan  le  sens  d'un  pas- 

tion.  Et  néanmoins  dans  son  ouvrage  sage  de   Plaute  qui  lui  avait  e'té  in- 

de  Nuptiis il  s'était   de'clare' pour  la  connu    jusque-là.    hefert   Alciatus 

doctrine    ordinaire    des    protestans.  {*)exfactosuicujusdaruuilliciselo- 

Voé'tius  ayant  narré  tout  cela  y  joint  cum    Plauti    iniellexisse  queni  non 

une  réflexion  qui  me'rite  d'être  rap-  potuerat  antea.  Dieu  nous  garde  de 

portée.  Iste  (  Alb.  Gentilis  )  in  bac  tels  auditeurs  !    ils  seraient  le  fléau 


epislold  baud  obscure  futetur 
futetuare  ,  quamvis  antea  in  libro  de 
Nuptiis  ajmrmantem  sententiam  tra- 
diduset.  Sed  nescio  quomodo  Alberi- 
cus  Gentilis  i>aslœ  eruditionis  Ray- 
noldiaiiœ ,  et  théologies  ipsius  tan- 
qu'am  nimis purœ  et  reformata;  in  dog- 
matibus  et  in  practicis ,  si  non  œntu- 
lum  (  de  qno  quidem  ex  singularium 
faclorum  gnaris ,  aliquid  audlsse  me- 
mini)  se  ostendere ,  salteni  snspectum 
se  reddidisse  vtdeatur  diatribis  suis 
de  vu^gatà  versione  ,  de  actortbus  fa- 
bulant m,  de  abusu   mendacii ,   etc.  , 


des  compagnies  s'ils  y  étaient  recon- 
nus. Tel  qui  avance  hardiment  tout 
ce  que  sa  mémoire  lui  fournit  serait 
fort  gêné  s'il  croyait  qu'au  partir  de 
là  ,  quelques-uns  de  la  compagnie 
écriraient  dans  leurs  recueils  ce  qu'ils 
lui  auraient  entendu  dire.  On  trouve 
bien  du  mécompte  ,  et  quant  aux 
noms  propres,  et  quant  aux  circon- 
stances des  temps  et  des  lieux,  lors- 
qu'on compare  avec  les  livres  de  son 
cabinet  la  conversation  des  personnes 
qui  ont  le  plus  de  mémoire ,  et  qui 
parlent    sans   dessein   prémédité  (6). 


in  quibus  tam  longe  ac  disciplina  re-    Chacun  en  a  pu  faire  l'expérience    et 
formata ,   /'(   mort' 
miœ  Perusinœ , 

sus  erat ,  non  abibat.  S'edhœc  in  tan 
ta  omnium  imperfectione  miseriœ  hu- 
ma nœ  pars  non  mininta  (4). 

(D)  L'endroit  oit  il  parle  de  ses  re- 
cueils mente  d'avoir  place  dans  nos 
remarques.  ]  Voici  ce  que  nous  lisons 
dans  l'un  de  ses  livres  (5).  Quid  de 
Oxoniensibus  mets  ?  uel  répertoria 
mea  testantur  satis  quantum  ego  co- 
piant fruclus  ex  eorum  virorttm  et 
juuenum  colloquiis ,  nam  in  illts  eqo 
descripst  non  pauca  quœ  durit  minus 
id  ipsi  cogitant  ,  disco  tamen  et  as- 
servo  ex  sermonibus  familiaribus.  Il 
ajoute  ce  qu'il  avait  ouï  dire  à   son 


ej      —   j ......  ,v  ........   „,..  „  i' «  -«»*  v.  *  i/A|*v.in.m,c  ,   eu 

tribus  antiquis  acade-    doit  souhaiter  par  conséquent  qu'on 
,  ubi  antea  jus  profes-    n'écrive  pas  ce  qu'il  débite  dans  le 
discours  familier.   Ceux  qui  souhai- 
tent le   contraire   ne  devraient  rien 
dire  sans  préparation. 

(*)  Lib.  I  Parerg.,  cap.  XXI. 
(6)  Le  Scaligéraoa  ,  etc.,  pour  ne    rien    dire 
des  Lettres  de  Guy  Patin,  confirme  cette  vérité, 

GENTILIS  (Scipioi»),  frère 
d'Alberic,  et  aussi  célèbre  juris- 
consulte que  lui ,  naquit  à  Caste.l- 
lo  di  Sangenesio  ,  en  Italie,  l'an 
i563.  Il  était  encore  enfant  lors- 
que son  père  quitta  sa  patrie  et  sa 
femme  ,  pour  aller  ailleurs  faire 
père,  qui  avait  étudié  la  jurispru-  profession  ouverte  de  la  religion 
dence  sous  le  professeur  Argentier,  protestante  ;  et  il  ne  sortit  pas 
Ce   professeur  ne   laissait  tomber  à    avec  lui  de  la  maison  :  mais  un 

terre    rien   «le  ce  qu'il  apprenait  en     „„   >  ^  i 

conversion;  et  il  avait  des  livres  en  Pfu  aP«*  °»  trouva  les  expe- 
blanc  où  il  écrivait  avec  soin  jusqu'à  diens  de  le  dérober  à  sa  mère,  et, 
des  choses  que  des  personnes  du  com-  sous  prétexte  d'une  promenade  , 
mun  lui  avaient  dites.   Tu  non  au-    dele  meneràson  père  , qui  s'était 

(4)  Gisbert.  Voétius,  Poiitica  eccies.,  <om.  //,    arrêté  pour  l'attendre,  dès  qu'il 
Pag-  »"J*.  , ,     .     l  ..        I        .  *    , 

(5)  Diai.  m  de  juris  internet.  ,/oi.  36.  s  était  vu  en  un  lieu  de  surete. 


68  GENTILIS. 

Nous  avons  déjà  dit  qu'il  se  re-  notre  Gentilis  occupa  son  poste 

tira  dans   la   Carniole ,    et  qu'il  de    premier    professeur.    Il    fui 

envoya  son  fils    aîué  en  Angle-  fait  aussi  conseiller  de  la  ville  de 

terre.  Quant  à  Scipion,  qu'il  ai-  Nuremberg.  Il  remplit  toutes  ces 

niait  fort  tendrement,    il   l'en-  charges  dignement  jusques  à  sa 

voya  étudier  à  l'académie  de  Tu-  mort ,  qui  arriva  l'an    1616.  Sa 

binge.  Il  avait  de  quoi  soutenir  méthode  d'enseigner  clairement 

ces  frais  ,  car  il  jouissait  dans  la  et  brièvement  tout  ensemble ,  et 

Carniole,  du  titre   de  médecin  de  mêler  avec  les  épines  du  droit 

de  la  province ,  avec  des  appoin-  les  fleurs  des  belles-lettres  (car 

temens  (a)    Le  jeune  homme  fit  il  était  grand  humaniste),  cette 

beaucoup  de  progrès  à  Tubinge.  méthode ,  dis-je  ,  ayant  été  re- 

II  apprit  la  langue  grecque  sous  connue  tant  par  ses  leçons  ,  que 

le  célèbre  Martin  Crusius  ;  et  il  se  par  les  livres   qu'il  publia  ,  le  fit 

trouva  l'esprit  tellement  tourné  demander  par  plusieurs  acadé- 

à  la  poésie,  queMélissus,  qui  a  été  mies  célèbres  (A)  ;  mais  il  préféra 
l'undesmeilleurspoëtesd'Allema-  le  poste  qu'il  avait  dans  l'acadé- 

gne,  se  reconnut  son  inférieur.  Il  mie  d'Altdorf  à  toutes  les  con- 

allaétudierensuiteàWittemberg,  ditions   qu'on    lui  proposait.   Il 

et  puis  à  Leyde,  afin  d'être  plus  avait  vécu  dans    le  célibat  jus- 

près  de  son  père,  qui  ayant  été  qu'en  1612  ;  mais  enfin  il  fallut 

contraint  de  sortir  de  la  Carniole  subir  le  joug  conjugal.  La  beau- 

pour  la  religion,    s'était    retiré  té  et  le  mérite  d'une  demoiselle 

en  Angleterre  auprès  de  son  fils  originaire  de  Luques  ,  fille  de  Cé- 

aîné.    Scipion    Gentilis     profita  sar    Calandrin  ,    captivèrent    sa 

beaucoup  à  Leyde  ,  sous  Hugo  liberté  :  il  la  demanda  en    ma- 

Donellus  et    sous    Juste  Lipse  ,  riage  et    l'obtint ,  et  en  eut  un 

après  quoi  il  alla  à  Bâle  ,  et  y  fut  fils  (B)  et  une  fille  (b).  Je  donne 

reçu  docteur  en  droit,  l'an  1589.  le  titre  de  ses  principaux   écrits 

Il  s'en  alla  à  Heidelberg  quelque  (C).  Il  est    fait    mention  de   lui 

temps  après  ,  ou  Julius  Pacius  ,  dans  les  lettres  de  Bongars  (D). 
Italien  comme  lui ,  enseignait  la  . 

,  ,.        °  .  (0)  Tire  de  son  Uraison  lunebre  ,  pronon- 

jurisprudence.     Il    S  éleva    je    ne  ceé  par  Michel  Piçcart,  professeur  en  logi 

Sais  quelle  émulation  entre  eux,  que  et  en  métaphysique  àAltdorf.   Elle  est 

.   ,\  ,         ,    „    .     .  ,,  .  clans  le  Recueil  du  sieur  VA  itte. 

qui  ht  prendre  a  bcipion  1  envie 

de  sortir  de  là  pour  s'en  aller  à       (A)  Sa  méthode  d'enseigner.  .  .  le 

Altdorf,  OÙ  par  les  soins  de  Do-  fi*    demander   par  plusieurs  acade- 

,,  -        '.    •«  r  vues  célèbres.      On  lui  oJI'rit  un  pro- 

nellus  ,  qui  y  était  professeur  en  fessm.at  en  FiJicc  ?  ,  Heideld       'et  à 

droit ,  il  devint  son  collègue,  1  an  Leyde  ;  et,  ce  qui  estbien  plus  remar- 

l5oo  ;  et  lorsque  Pierre  Wésen-  quable  par  la  rareté  du  fait,  le  pape 

bécius  eut  été   appelé   en    Saxe  ,  Clément  VIII ,  pour  lui  faire  accep- 

1  '  ter  une  chaire   de  professeur  a    Lo- 

(a)  Province  proceres...  constituent  il-  j  t    j    j  {    j    libertë   de  CQn. 

Inm  Arclnnlron  proposais  us  conddiond/us,        P^  '         * 

eteâerga  ipsum  muni/lcentid  usi  quam  ipse  science  (,1). 

nec  aspernari  vellet ,  nec  renndiare  ullô  ra-         .  ,     .  .  _     ,        _..:'_.  „■,„ 

I  „  -        ,     'o   •    .  r.      .m  Lctlcrc  observe  que    liayle  ,    qii   ne  eile    a 

tione  posset.   Oral,  funeb.   Scipion.  Gentil.  ,,        -  qu(!  Votthon  fnn|bre  de  Gmtilis,  «urait 

Voyez  aussi  Albcrif.  Gentilis,   lib.    III  de  ()u  sc  rapj,eler  )e  proverbe  :  Menteur  comme  une 

Jure  belli,  cap,  XIII,  et  lib.  III  de  Legalis,  oraison  funèbre. 
Cap,  XIV.  (1  )  Pi'-cart  ,  in  Orat.  funebri  Scip.  Gcntiti-. 


GENTILIS.  69 

(B)  Il  .  .  .  un  fils.  ]  On   voit,  dans    Bonis    matcrnis  et  secundis   IVuptiis 
une  lettre  de  Vossius  (2)  à  Guillaume    libri  duo  ;  in  sipulei  apologiam  Com- 
Laud  ,   archevêque   de   Cantorbéri  ,    mentarius  ;  de  Jurisdictione  libri  très; 
que  la   mère   de  ce   garçon,   ne    se     Commentarius  in  Pauli  epistolam  ad 
voyant  pas  en  état  de  lui  faire  conti-    PMlemonem  ;   de  Erroribus   lesta- 
mur  ses  e'tudes,  à  cause  des  pertes    mentor um.  Son  oraison  funèbre,  avec 
qu'elle  avait  faites  durant  les  guerres    la  liste  de  ses  ouvrages,  est  dans  lere- 
u' Allemagne ,    tâcha   de   lui   obtenir    cueil   du  sieur   Witte;  mais   il  faut 
une  place  dans  un  collège    d'Oxford    prendre  garde  qu'on   lui  en  attribue 
ou  de   Cambridge.   Ses  amis  devaient    quelques-uns  dans  ce   catalogue-là  , 
présenter  une  requête  pour  cela  ,  et    qui  appartiennent  à  son  frère,  com- 
ils  espéraient  que  la  mémoire  d'Al-    me  le  traite  de  Jure  Jielli ,  et  celui 
bèric  Gentilis  servirait  à  son  neveu,    de  Lesationibus  ,    et    qu'on  n'y  dit 
Vossius  prépara  les  voies  à  cette  rc-    rien   de  son  livre  de  antiquis  Ita/iœ 
quête  :  je   ne   sais   point   ce   qui  en     Linguis ,  ni  de  ses  notes  sur  Tacite, 
avint  ,  ni   ce    qu'est    devenu   ce   fils    ni  de  ses  Quœstiones  ad  Ajvhoanum 
unique  de  Scipion  Gentilis.  Je  remar-  jurisconsultum.  Ce  sont  trois  ou vra- 
que  qu'on  a  toutes  les  peines  du  mon-    ges    dont   il    fait    mention    dans   son 
de  à  suivre  â  la  (race  les  descendans    commentaire  sur  l'apologie  d'Apulée. 
de  la   plupart  des  héros  de  la   repu-         (D)  //  est  fait  mention  de  lui  dm/s 
blique  des  lettres.  Assez  souvent  les    les  lettres  de  Bongars.  ]  Si  je  m'en 
choses    vont  bien  pour  la  première    souviens  bien  ,  il  y  est  presque  tou- 
génération.  La  seconde  commence  à    jours  désigné  par  les  termes  de  Scipio 
s'obscurcir  ;  les  curieux  ont  besoin  de    noster ,  ou  semblables.  La  langue  la- 
quclque  temps  pour  la  trouver  :  mais    tine  souffre  et  approuve  cet   usage  ; 
la  troisième  ou  la  quatrième  se  trou-    mais    le   traducteur   français    a    eu 
vent   tellement  confondues   dans    la    grand  tort  de  mettre  M.  Scipion  en 
foule,    qu'on   ne    les    démêle   plus,    ces  endroits-là.  C'est  une  ignorance  ; 
Ainsi  l'on  ne  pourrait  pas  dire  de  la    car  s'il   avait  su   qu'il    s'agissait   de 
postérité  de  ces  grands   hommes   ce    Scipion  Gentilis  ,  il  eût  dit  M.  Gen- 
qu'un  satirique  romain  a  dit  touchant    tilis,  et  non  pas  31.  Scipion  (4). 
ses  ancêtres  ,  et  qu'il  a  prétendu  que        Notez  que  cette  coutume   de  de'si- 
quantité  de  gens  nobles    disent  des    gner   les  gens  en  latin  ,  aussitôt  par 
leurs  (3).  Le  quatrième  degré  en  des-    leur  nom  de   baptême  que  par  leur 
cendant  est  déjà   dans  les  ténèbres,    nom  de  famille,  donne  lieu  à  des  er- 
Que  dirai-je   de    tant   d'hommes   il-    reurs  5  et  je  m'imagine   qu'elle  a  été 
lustres   par  leur  savoir,  dont  la  fa-    cause  que   M.  Konig  s'est  abusé  tou- 
mille   est   aussi  obscure  au    premier    chant  Gentilis  l'arien.  Il  parle  deux 
degré  qui  les  sait  ,  qu'au  premier  de-    fois  de  lui,  sans  s'apercevoir  que  c'est 
gré  qui  les  précède  ?  Ne  dirait-on  pas    toujours   le   même    hérétique.   Il  en 
que  ce  sont  des    feux    que  l'on  voit    parle  sous  le  mot  Gentilis  ,  et  sous  le 
briller  de  loin  au  milieu   d'une  nuit    mot    Vdlentinus.    Au   premier    en- 
obscure,  sans   qu'on  puisse  rien  dé-    droit  (5)  il  ne  lui  donne  pour  nom  de 
couvrir  autour  d'eux,  tant  les  ténè-    baptême  que  Johannes,  et  il  suppose 
bres  les  environnent  de  toutes  parts.?    que    Valentinus  est  son  surnom  de 
Voyez   la  remarque   (B)    de   l'article    patrie.    Au    second  endroit  (6)  il   lui 
Ben ser ade  ,tom.  III,  pag.  3i6.  donne    Valenlinus  pour  nom  de  fa- 

(C)  Je  donne  le  titre  de  ses  prin-  mille,  et  Johannes  pour  nom  de  bap- 
cipaux  écrits.  ]  Le  voici  :  De  Jure  téme-  La  première  source  de  cette 
puh/icoPopu/i  Romani;  de  Conjura-  erreur  est  apparemment,  qu'il  y  a 
tionibus  libri  duo  ;  de  Donaùonibus  des  livres  où  l'on  donne  simplement 
inter  cirant  et  uxorem  libri  II;  de    et  tout  court  à  cet  homme-là,  le  nom 

Valentinus  ,  qui  était  la   moitié  de 

(2)  Cest  ta  CCLXVI  :  elle  fut  e'erite  l'an  son  prénom  ,  ou  de  son  nom  de  bap- 
,G35-  teme. 

(3)  Quœre  ex  me quis  mini  quartus 

SU  pater,  haud  prompte  ,  dicamlamen  :  adcle         (/,)  Celle  faute    se  trouve  dans  Vc'dil.  de  lu 

etiamunum,  /Ai.  e  ,  i6()5'. 
Vnum  eliam,  lerrte  est  jam  filius.  (^)  Konig,  Biblioth. ,  pa$.  34i. 

Pers. ,  sat.  VI,  vs.  5-].  (fi)  Idem  ,  ibid. ,  pag.  8i(>. 


7° 


GENTILLET. 


GENTILLET  (Innocent),  na- 
tif de  Vienne  en   Dauphiné  (a), 
a  fleuri  au  XVIe.  siècle   II  pu- 
blia  des   livres    de    controverse 
qui  le  rendirent  recommandable 
au  parti  des  protestans  (A),   car 
H  y  déploya  de   l'érudition ,    et 
beaucoup  de  zèle  contre  le  papis- 
me.  II  était  jurisconsulte  de  pro- 
fession ;  et  l'on  dit  qu'il  fut  avo- 
cat au    parlement  de    Toulouse 
(b).   J'ai   vu  à  la  tète  de  l'un  de 
ses  livres,  qu'il  prend  la  quali- 
té de  président  au  parlement  de 
Grenoble  (c).    Il   apprend   dans 
une  préface  (d) ,  qu'il   se    trou- 
vait exilé  à  cause  des   édits  que 
l'on  avait  faits  en  France  contre 
ceux  de   la   religion.    Quelques- 
uns  assurent  qu'il  a   été   syndic 
de  la  république  de  Genève  ,    et 
qu'il  se  déguisa  sous  le    nom  de 
Joachimus   Ursinus  anti-jesuita 
(B) ,  à  la  tête  de  divers  ouvrages 
dont  il  fit  présent  au  public.   Je 
crois  que  M.  Allard  se   trompe , 
lorsqu'il  assure  ,  (e)  que  Vincent 
Gentillet  (C) ,  sonjils  ,  conseil- 
ler, puis  président  en  la  chambre. 
de  l'édit  de  Grenoble,  fit  l  Anti- 
Machiavel ,  Van   if)y3,  une  re- 
montrance,   au   roi   Henri   /If, 
plusieurs  préceptes  touchant  la 
police ,  et  quil  a  traduit  le  li- 
vre de  la  République  des  Suisses 
de    Josias    Simlérus.     J'admire 
que  l'on  trouve  si  peu  de  parti- 
cularités   touchant    la  vie    d'un 
homme  qui  se  distingua  par  ses 
écrits  et  par   ses  charges;  et   je 
ne  saurais   assez  m'étonner  que 

(a)   Allard,    Bibliothèque    de    Dauphiné, 
paç.   114. 

{b)  Voyez  la  remarque  (B). 
(i  Voyez  la  remarque  (A). 
d    Voyez  la  mente  remarque, 
(e)    Allard,    Bibliothèque  de   Dauphiné', 
pag.  114. 


ceux  mêmes  qui  ont  composé  la 
bibliothèque  des  auteurs  de  sa 
province,  n'aient  pu  remplir  six 
lignes  sur  son  sujet,  et  qu'il* 
y  aient  commis  beaucoup  de 
fautes. 

(A)  Il  publia  des  Hures  de  contro- 
verse, qui  le  rendirent  retommanda- 
ble  au  parti  des  protestant.  ]  Il  fit 
pour  eux  ce  que  Quadratus  ,  Aristi- 
de ,  Justin  Martyr,  Mëliton,  Tertul- 
lien  et  quelques  autres  avaient  fait 
pour  les  chrétiens  des  premiers  siè- 
cles ,  je  veux  dire  une  apologie.  Il  la 
de'dia  au  roi  de  Navarre  ,  qui  fut  en- 
suite roi  de  France.  L'épître  de'dica- 
toire  est  date'e  du  i5  février  iS^S. 
L'édition  qu'il  fit  dix  ans  après  fut 
fort  augmente'e  et  bien  corrige'e.  Et 
notez  qu'il  publia  cet  ouvrage  en  la- 
tin et  en  français. Voici  le  titre  latin  , 
Apologia  pro  christianis  Gallis  re- 
ligionis  ci> angelicœ  seu  reformatai  r 
qud  docetur  hujus  religionis  funda- 
menla  in  sacra  scriplurd  jacla  esse  , 
ipsaniqne  tkm  ralione ,  tiun  antiquis 
canonibus,  comprobari-  L'édition  dont 
je  me  sers  est  la  seconde  ,  et  de  Ge- 
nève ,  chez  Jacques  Stoé'r  ,  i588  , 
m -8°.  Il  y  paraît  sous  ce  titre,  Au- 
thore  Innocentio  Gentilleto  Juris- 
consullo  clarissimo  ,  et  amplissimi 
senalûs  prouinciœ  Delphinensis  prœ- 
sifîe.  L'ouvrage  qu'il  intitula  ,  Le 
Bureau  du  concile  de  Trente  :  au- 
quel est  monstre  qu  en  plusieurs 
poincls  iceluy  concite  est  contraire 
aux  anciens  conciles  et  canons  ,  et  a 
l'autorité  du  roy  ,  fut  imprimé  l'an 
1 586 ,  i/i-Sn.  Il  le  dédia  au  même  roi 
de  Navarre  ,  et  data  1'épître  dédica- 
toire  le  12  de  juillet  1 586.  Il  se  nomme 
simplement  Innocent  Gentillet ,  ju- 
risconsulte dauphinois.  Il  publia  le 
même  livre  en  latin,  la  même  année  , 
sous  le  titre  de,  Examen  concilii  Tri- 
dentini  :  in  quo  demonstratur  ,  etc. 
Il  s'est  fait  plusieurs  éditions  de  cet 
ouvrage  :  la  dernière  ,  si  je  ne  me 
trompe  ,  est  celle  de  Gorchom  ,  en 
Hollande,  1678.  Notez  ces  paroles  de 
l'épitrc  dédicatoire  (  1  )  :  Voyant, 
donc  ,  Sire  ,  que  les  conltvrol/eurs  de 
t'oslre   déclaration  fondent    du    tout 

d)  Gentillet,  r'pître  dedicatoire  du  Bureau  du 
Concile  de  Trente. 


GENTILLET. 


7! 


leur  opinion  sur  ce  concile  de  Tren- 
te ,  j'ay  estime  que  le  devoir  que  j'ay 
h  vostre  service  ,  et  a  ma  patrie  ,  me 
commandoyent  assez  d' employer  le 
loisir ,  dont  l'edict  qu'on  appelle  de 
réunion  méfait  jouyr  en  exil,  à  leur 
e  sbra  nier  ce  fondement .  La  déclara- 
tion dont  il  parle  est  celle  que  le  roi 
de  Navarre  avait  fait  publier  par- 
tout ,  de  vouloir  demeurer  à  la  déci- 
sion d'un  libre  concile-,  sur  les  diffé- 
rens  de  religion  qui  étaient  en  Fran- 
ce (2).  Cette  déclaration  fut  publiée 
Tan  i585  ;  l'e'dit  de  Réunion  fut 
fait  en  la  même  année.  Il  faut  donc 
dire  que  Gentillet  ne  travailla  point 
à  cet  ouvrage  avant  cette  année-là, 
et  que  par  conséquent  Voé'tius  se 
trompe  quand  il  dit  (3)  que  ce  livre 
fut  publié  en  latin,  Tan  1  556,  sous  le 
titre  de  Historien  relatio  et  Nullitàs 
concilii  Trident ini.  Il  ajoute  qu'il  fut 
imprimé  à  Amberg  ,  Tan  161 5.  Notez 
qu'en  i556  le  concile  de  Trente  n'é- 
tait pas  conclu. 

(B)  Quelques-uns  assurent  qu'il  a 
été  syndic  de  la  république  de  Ge- 
nève,  et  qu'il  se  déguisa  sous  le  nom 
de  Joacbimus  Ursinus  anti-jesuita.  ] 
Considérez,  je  vous  prie,  ces  paroles 
de  M.  Placcius  (4):  Anti-Machiavelli 
nomine  vulgà  insigniuritur  commen- 

tariorum   de   regno....    libri  très 

qui  cilantur  sub  nomine  Innocentii 
Gf.ntileti  JCti Delphinatis,olim  To- 
losanœ  curiœ  advocati,  dein  Gene- 
vensis  reipublicœ  svndici.  Pour  prou- 
ver cela,  il  allègue  Draudius  ,  page 
1  16g  et  il^î  du  Biblioteca  classica  ; 
Voé'tius,  page  124,  20g,  211,  218, 
du  Ier.  volume  des  Tbèses  Théologi- 
ques ;  Pellérus ,  page  5o5  du  Politi- 
cus  scelertitus  impugnatus  ;  Conrin- 
gius,  à  la  préface  de  son  édition  du 
Prince  de  Machiavel  :  et  Keckerman  , 
au  Ier.  chapitre  du  Consilium  de  Lo- 
cis  communibus.  Voilà  cinq  auteurs 
qu'il  cite  :  je  n'ai  pu  consulter  que 
les  trois  premiers,  et  je  n'y  ai  rien  vu 
qui  marque  que  Gentillet  ait  plaidé 
au  parlement  de  Toulouse,  ni  qu'il 
ait  eu  quelque  charge  dans  la  répu- 
blique de  GeneAe.  Il  faut  même  re- 
marquer que  Pellérus  le  qualifie  Ju- 

(2)  Gentillet ,  r'ptlre  dedicatuire  du  Bureau  du 
Concile  de  Trente. 

(3)  Voètius  ,  Polit,   eccleç. ,  10m.  IV  ,  pag. 
171. 

(4)  Placcius,,  de  Anonymi*  ,  pag.  60. 


risconsultus  Dclphensis ,  e.e  qui  est 
fort  propre  à  faire  croire  que  Gentil- 
let était  de  Hollande,  et  non  pas  de 
Dauphiné.  M.  Baillet  observe  (S)  que 
l'opinion  commune  veut  que  l'auteur 
de  P Anti-Machiavel  soit  un  huguenot 
duDauphiné,  nommé  Innocent  Gentil- 
let, qui  fut  d'abord  avocat  plaidant 
au  parlement  de  Toulouse  ,  et  depuis 
syndic  de  la  république  de  Genève  (*). 
A  Pégard  de  Joackimus  Ursinus 
anti-jesuita ,  M.  Placcius  (6)  articule 
cinq  ouvrages  qui  ont  paru  sous  ce 
faux  nom-là.  Le  premier  est  intitulé 
Concilii  Trident  ini  historica  relatio, 
et  nullitàs  solide  et  ex  fundamento 
demonstrata ,  et  fut  imprimé  à  Am- 
berg ,  l'an  t6t  5  ,  j«-8°.  Le  seconda 
pour  titre  Apologia  pro  Christianis 
gallis  religionis  reformatas ,  à  Genè- 
ve, 1598,  m-8°.  Le  troisième  s'inli- 
tule  Stupenda  templi  jesuitici  :  il  er.t 
divisé  en  trois  parties,  et  fut  impri- 
mé à  Francfort  et  à  Amberg,  l'an 
1610,  in-S°.  Le  titre  du  quatrième  est 
Flosctdi  bl asphennarum jesuilicarum, 
ex  tribus  concionibus  super  beatifica- 
tione  Ignatii  Loyola?  habitis  decerpli, 
una  cum  S  orbonœ  Parisien  sis  censu- 
ra. Cet  ouvrage  fut  imprimé  en  1612, 
in-^°.  Le  cinquième  fut  imprimé  à 
Amberg,  Pan  1611,  m-8°. ,  et  a  pour 
titre ,  Hispanicœ  inquisitionis  ,  et  car- 
nifîcinœ  secretiora ,  ubi  prœter  illius 

originem exemplis    illustrioribus 

tiim  Martyrum  ,  tiim  articulorum,  et 
regularum  inquisitoriarum  in  fine  ad- 
jectis  per  Joachimum  Ursinum  anti- 
jesuitam  ,  de  jesuitis  qui  inquisitio- 
neni  hispanicam  in  Germanium  et  Bo- 
hemiam  vicinam  introducere  mo/iun- 
tur  ,  prœfantcm.  Vincent  Mollérus  , 
bourgmestre  de  Hambourg,  et  bis- 
aïeul de  M.  Placcius,  avait  marqué 
de  sa  main  le  nom  d'Innocent  Gentil- 
let au  premier  de  ces  cinq  ouvrages  : 
cela  et  quelques  autres  raisons  déter- 
minèrent M.  Placcius  à  juger  que  c'é- 
tait le  nom  véritable  du  prétendu 
Joachim  Ursinus  (7).  M.  Baillet  (8)  a 

C5j  Baillet,  (obi.  Il  dei  Anti  ,  pag.  l3l. 

(*)  A  la  pap;e  43  du  Citadin  de  Genevre,  on 
trouve  parmi  les  fameux  jurisconsultes  qui  ont 
rendu  leurs  oracles  dan-,  Genève,  Innocent  Gen- 
tillet ;  mais  il  n'esl  point  dit  qu'il  y  ait  eu  de 
ebarge.  Kem.  Crit. 

(G)  Placcius  ,  de  Pscudonymis  ,  pag.  5-  >. 

(7)  Idem,  ibib.  ,  pag.  27G. 

(8)  Baillet ,  au  Ier.  tome  des  Anti,  pag.  IQ7. 


72  GERGENTI. 

suivi  ce  sentiment,  et  il  donne  (9)  au  vu  (i3),s'estqualifié  àlatètede  l'Apo- 

même  Gentillet  un  ouvrage  qui  fut  logie  des  réformés ,  amplissimi  Sena- 

imprimé  à  Francfort,  l'an  1612  ,  sous  ttis  provincial   Delphinensis  presses. 

le  titre  tYA ' nti-Socinus ,  hoc  estsolida  Jeconjecture  qu'il  futfait président  de 

confutatio  errorum  quos  olim  Aria-  la  chambre  de  l'e'dit  à  Grenoble,  lors- 

ni     etc.   Je  n'ai   pas  assez  de  livres  qu'on  accôYda  aux  huguenots  cette  es- 

pour  bien  éclaircir  tout  cela.  pèce  de  tribunaux  en  chaque  par/e- 

(C)  Je  crois  que 31.  Allard  se  trom-  ment,  l'an  1 876  (i4j)-  Cela  lui  donnait 

ne ,  lorsqu'il' assure  que  Vincent  Gen-  lieu  de  prendre  la  qualité  deprésident 

tillet,  etc.]  Il  remarque  (m)  en  pre-  au  parlement  de  sa  province.   Nous 

mier  lieu,  que  l'examen  du  concile  avons  vu  (  i5)  que  l'édit  de  réunion 

de  Trente  est  un  ouvrage  d'Innocent  fut  cause  de  son  exil;  et  j'ajoute  ici 

Gentillet,  auteur,  dit-il,  qui  vivait  que  Possevin  (16)  a  observé  que  l'au- 

suiis  Henri  III;  et  puis  il  ajoute  que  teur  calviniste  qui    avait  écrit  con- 

VincentGentillet,  son  fils fît  l'An-  tre  Machiavel,  s'était   réfugié  à  Ge- 

ti-Machiavel, l'an  1573.  C'est  choquer  nève.    Nouvelle  marque  que  M.  Al- 

l'usage  des   chronologues;  car  lors-  lard  s'est  abusé  en  attribuant,  non 

qu'ils  marquent  l'âge  des  hommes  il-  pas  au  père,  mais  au  fils,  l'ouvrage 

lustres,  ils  mettent  quelque  distance  contre  Machiavel.  La  préface  que  le 

entre  les  pères  et  les  fils,  les  maîtres  traducteur  français  a  mise  au-devant 

et  les  disciples,  quoiqu'il  arrive  as-  de  l'écrit  de  Josias  Simler,  sur  la  ré- 

sez  souvent  que  le  temps  de  la  repu-  publique  des  Suisses,  n'indique  quoi 

tation   des  uns   concourt  avec  l'état  que  ce  soit  qui  fasse  conjecturer  qu'il 

florissant   des   autres.   Le  bibliothé-  pourrait  être  notre  Gentillet  ;  néan- 

caire  de  Dauphiné  n'a  pas  suivi  cette  moins  je  le  croirais  facilement  i'au- 

règle.  Il  met  le  père  sous  Henri  III,  teur  de  cette  version.  Quelques-uns 

et  place  plus  haut,  sous  Charles  IX  ,1a  la   lui  donnaient,   à   ce    que  dit    la 

production  du  principal  livre  du  fils.  Croix  du  Maine.  Llle  fut  imprimée  à 

Cette   erreur  est  moindre  que   celle  Paris, l'an  1  Sy»)  (17)  (*),  et  à  Anvers, 

que  je  m'en  vais  indiquer.  11  fallait  l'an  i58o,  in-8°.  Simler  avait  publié 

dire,  suivant  l'opinion  générale,  que  en  latin  cet  ouvrage ,  l'an    1576,  et 

î'Anti- Machiavel  est    la   production  était  mort  quelques  mois  après  (18). 

d'Innocent  Gentillet,  et  non  p^as  la  Je  parlerai  ailleurs  (19)  assez  am- 

production  de  son  fils.  Je  n'ai  point  plement  de  l' Anti-Machiavel  de  Gcn- 

t.rouvc   de    bibliographe  qui  ait  fait  tillet. 

mention  de  ce  Vincent  Gentillet,  fils  ,,»,..      ,    „              ,..„,,. 

d,F                   .         ,    -«        .      a                1  .  r>  une  nouvelle  édition  de  1  ouvrage  d  Allard  ,  dit 

Innocent,  et  il  est  sûr  que  la  Croix  formelleraent  ,„./„„„«„,  est  auteur  des  deux 

du  Maine  (i  i)  donne  à  Innocent  Gen-  ouvrages  qu'Allard  attribue  à  Vincent. 

Illlet   tOUS  lesOUVrageS  que  M.  Allard  (i3)  Dans  la  remarque  (A). 

spécifie  comme  des  écrits  de  Vincent.  (»4)  Mézerai,  Abrégé  clironol. ,  tom.  V,  pag. 

il  est  vrai   que  la  Croix  du  Maine  se  2I,2',*  „       ,                   /AN 

1            i      i           a             .-.            .  (i5)  Pans  la  remarque  (A;. 

trompe  au  nom  de  baptême  :  il  a  mis  (ifi)  Possevfn.  >  Biblioth. ,  lift.  XVI,  cap.  V. 

François  au  lieu  d'Innocent  (12).  La  ^  Ponr  jacque,  r/„  Purs,  le  privilège  du 

charge  de  président  en  la  chambre  de  roi  est  date'  du  16  d'août  1577. 

l'édit  de  Grenoble  ,  qu'il  donne  à  cet  (*)  Sur  une   édition    in-8°.  de  l'année   1577  , 

écrivain,    me  Confirme    dans   la    pen-  «a™  ™m  délie..,  cbez  Antoine  Chupin  et  Fran- 

,             ,.,  '                                                    T          l  çois  le  Preux.  1\em.  crit. 

see  qu  il  a  eu  en  vue  notre  Innocent  (l8)  Voyei  la  p^face  du  traduvteur_ 

Gentillet1',  qui,  comme  nous  1  avons  (,pl  Dans  la  ,.e„iarlJue  (E)  de  Varticie  Mi. 

I  II  I  A  Vh I    j  loin     X. 

(9)  Baillet  ,  tom.  //",  des  Anti  ,  pag.  3l> 

Cxo)  Aiurd,  Bibiiotb.  de  D.uph. ,  pag.  1.4,  GERGENÏI  ,  ville  de  Sicile  , 

(ni  Dans  la  Bibliothèque  française  ,  pag.  97.  autrefois  Agrigeillum  OU    Acra- 

(i2)  Kcclerman,  apud  Ploccium  de   Pseudo-  „ag     Je  n'e„    parJe  que  pour  cor_ 

nym.s,  pag.  60,  a/au  la  même  faute.  &.                                I               ~l          l                    ,    . 

*LaMonnoic,  dans  ses   notes  sur  la  Croix  l'iger    I6S     fautes    de    M.     Moren 

.1.,  Vaine  .lit:  «Pour  moi,  je  crois  que  tous  ces  /AN       g          p^cl^s     d'omiSSlOn      de- 

•  •«■millet  sont  des  masques  ,  ••  c  est-a-dire  ,  de  v      /                    1 

faux  noms.  Le.luchat  pense  que  Vinctnl ,  qu'on  manderaient    Ull    long    discours  ; 

lit  dans  Allard  ,  n'est  qu'une  lantr  d'impression  ,  ..                 ll-'l             1                  1             1 

ei  qu'il  s'agit  d'Innocent.  Chalvet,  quia  donné  Car  il  a  Oublie  les  Choses  les  plus 


GERGENTI. 


curieuses  qui  se  pouvaient   dire 
d'Agrigente  (B). 

(A)  Je  n'en  parle  que  pourcorrieer 
les  fautes  de  31.'  Moréri.]  i°.  Il  n'est 
pas  vrai  que  cette  ville  ait  tiré  son 
nom  du  mont  yleraças.  Etienne  de 
tfyzance ,  qui  rapporte  trois  autres 
étymologies  ,  ne  fait  aucune  mention 
de  celle-là.  Plusieurs  villes  de  Sicile 
portaient  le  nom  de  leurs  rivières  (i)  : 
celle-ci  était  de  ce  nombre,  selon  le 
premier  (2)  des  trois  sentimens  rap- 
portés par  cet  auteur.  11  est  certain 
qu'elle  était  bâtie  sur  la  rivière  d'A- 
cragas(3):  mais  selon  la  troisième 
opinion  ,  (4) et  cette  rivière  et  la  ville 
s'appelaient  ainsi  à  cause  de  la  bonté 
du  terroir.  Je  laisse  la  deuxième  opi- 
nion ,  selon  laquelle  la  ville  devait 
son  nom  à  Acragas,  fils  de  Jupiter  et 
d'Astérope.  20.  Il  n'est  pas  vrai  que 
Virgile  fasse  mention  de  la  montagne 
d'Acragas  ;  les  deux  vers  (5)  cités  par 
Moréri  signifient  uniquement  et  visi- 
blement une  ville  située  sur  une  émi- 
nence.  3°.  Il  eût  été  nécessaire  de 
nommer  l'auteur  qui  a  dit  que  les 
Ioniens,  conduits  par  Gelle  ou  Gé/on, 
jetèrent  les  premiers  fondemens  d'A- 
grigente ;  car  cet  auteur  doit  être 
bien  apocryphe,  puisque  Cluvier  ne 
1  a  point  connu  ,  ou  ne  l'a  point,  jugé 
digne  d'être  cité.  Il  eût  mieux  valu 
laisser  ce  Gelle  ou  Gélon  ,  et  dire 
avec  Thucydide  que  les  habitans  de 
Gela  envoyèrent  une  colonie  à  Acra- 
gas,  108  ans  après  la  fondation  de 
Gela  (6).  Or  comme  Gela  fut  bâtie 
conjointement  par  Antiphème ,  chef 
d'une  troupe  dePdiodiens,  et  par  En- 
timus.  chef  d'une  troupe  de  Cretois, 
el  qu'ils  lui  donnèrent  les  statuts  des 
Doriens  (7) ,  j'aimerais  mieux  prendre 

(1)  Dnris,  apud  Slepli.  Byzantin. 

(1)  Thucydide ,  liv.  V,  et  Aristarque  ,  apud 
Scliolia,ten  Pindari,  in  od.  II  Olymp. ,  sont  de  ce 
sentiment. 

0)  Voyez  Polvbe  ,  liv.  IX ,  cap  VIII  ■ 
Elien.Var.  Hist. ,  lib.  II,  cap.  XXXlII;le 
Scoliaste  de  Pindare  ex  Aristarcho  ubi  supra; 
Thucydide,  ibidem. 

(4)  Polybius  ,  apud  Stephanum  Byzantinum. 

(5)  Arduus   indè  Acragas  ostendat  maxima 

longé 
Mœnia ,    magnaniintim    quondam   grneralor 

equorum. 

Virgil.  ,  yEn.  ,  lib.  TU,  vs.  704. 
(G)  Thucyd.  ,  liv.  VI,  circa  init. 
(7)  Idem,  ibidem. 


>3 


Agrigentc  pour  une  colonie  dorique, 
que  pour  une  colonie  ionienne.  Thu- 
cydide, qui  marque  le  temps  et  le 
nom  des  fondateurs,  est  ici  un  peu 
plus  croyable  rjnc  Strabon ,  qui  s'est 
contenté  de  dire,  d'une  façon  vague, 
qu'Agrigenté  appartenait  aux  Ioniens 
s  .  Je  ne  pense  pas  qu'il  l'ait  dit  plus 
d'une  fois,  et  je  suis  sur  qu'il  a  rare- 
ment parlé  de  cette  ville  :  ainsi  je 
compte  pour  la  4e-  faute  ces  paroles 
de  .Moréri,  c'est  pour  cela  tjue  Stra- 
bon la  nomme  ordinairement  sfgri- 
genle  Ionienne.  Avant  que  de  pas- 
ser plus  avant.  ,  je  dis  que  Polybe 
parle  d'Agrigente  comme  d'une  colo- 
nie de  Bliodiens  (9).  Il  s'est  glissé  une 
grosse  faute  dans  Cluvier  ,  que  son 
abréviateur  n'a  point  corrigée  :  on 
y  trouve  (10)  que  les  habitans  de  Gela 
fondèrent  Agrigentc,  en  la  99e  olym- 
piade. Il  fallait  mettre  49e-  et  non  pas 
99e.  ;  car  voici  le  calcul  de  Cluvier  : 
il  met  la  fondation  de  Syracuse  à  l'an 
a  de  la  ne.  olympiade  :  quarante- 
cinq  ans  après ,  selon  Thucydide  (1 1) , 
Gela  fut  fondée  par  les  Rhodiens  et 
par  les  Cretois,  et,  selon  le  même 
auteur  ,  ceux  de  Gela  envoyèrent 
une  colonie  à  Agrigente  108  ans 
après  que  leur  ville  eut  été  fondée; 
ils  l'envoyèrent  donc  la  49e-  olym-r 
piade.  5°.  Il  ne  fallait  pas  citer  Éîien, 
touchant  le  luxe  des  Agrigentins  en 
maisons  et  en  repas,  sans  dire  qu'il 
cite  Platon  ;  car  un  bon  mot  venant 
de  Platon  (12)  a  incomparablement 
plus  de  force  que  s'il  venait  d'Élien. 
6".  Il  est  faux  que  Diodore  de  Sicile 
nous  apprenne  qu'Alcamon  domina 
dans  Agrigente  après  Phalaris  ,  et 
qu'Alcandre ,  Théron  et  Thrasidée 
furent  successeurs  d'Alcamon.  90. 
Il  n'y  a  rien  de  plus  opposé  aux  lois 
d'une  bonne  narration,  «pie  de  join- 
dre ensemble  le  temps  où  la  ville 
d'Agrigente  fut  prise  par  les  Cartha- 
ginois ,  et  le  temps  où  elle  devint 
une  portion  de  la  république  romai- 
ne ;  car  l'état  des  Agrigentins  chan- 
gea en  plusieurs  manières  considéra- 
is) Strabo  ,  lib.  VI,  pag.  187. 

(9)  Polyh.  ,  /,*.  IX,  cap.  VII. 

(10)  SLcïl.  Anliq.  ,  lib.  I ,  cap.  XV,  pag. 
m.  108. 

(11)  Thucyd.  ,  lib.  VI,  circa  init. 

(12)  Diogène  Laërce  ,  lib.  VIII,  in  Fmpe- 
docle,  attribue  à  Empe'docle  ce  </n'Elien  attribue 
à  Platon. 


74 


GERGENTI. 


blés  depuis  que  les  Carthaginois  les 
eurent  pilles, Tan  4  de  la  gic.  olym- 
piade ,  jusqu'à  ce  que  les  Romains 
lussent  possesseurs  de  cette  ville.  Ils 
le  devinrent  pendant  la  seconde 
guerre  punique,    et  ils  ne   Tétaient 


gence  (16).  Si  M.  Moréri  avait  eu  du 
discernement  par  rapport  aux  choses 
qui  frappent  le  plus  un  lecteur,  il 
aurait  ajouté  une  circonstance  fort 
singulière  concernant  cette  statue  ; 
c'est  qu'on  lui  avait,  use  les  lèvres  et 


pas  quand   ils   prirent  Syracuse;  car    le  menton  à  force  de  la  baiser  de'vo- 


depuis  même  cette  prise ,  les  Cartha 
ginois  qui  étaient  maîtres  d'Agrigen- 
te leur  taillèrent  de  la  besognc(i3). 
8°.  Il  ne  fallait  pas  appliquer  au 
temps  qu'elle  fut  soumise  au  joug 
des  Romains ,  la  description  magni- 
fique  que  Diodore  de  Sicile  nous  en 
\i  laissée.  Cette  description  concerne 
l'état  florissant,  où  étaient  les  Agri- 
gentins,  lorsque  les  Cartbaginois  les 
attaquèrent ,  en  la  q3e.  olympiade. 
La  ville  se  releva  de  l'état  affreux 
où  cette  guerre  l'avait  réduite  :  on 
trouve  même  que  ses  forces  furent 
redoutables  en  divers  temps  (i4) 
depuis  le  saccagement  qu'elle  souf- 
frit ,  quand  elle  tomba  au  pou- 
voir des  Carthaginois  ,  l'année  que 
j'ai  marquée  ;  mais  c'est  confon- 
dre les  temps  que  dire  avec  Mo- 
reri ,  qu'elle  était  une  des  plus 
florissantes  villes  de  l'empire  romain, 
grande,  belle  et  extrêmement  peuplée. 


tement.  Rictus  ejus  acmentum  paulo 
sil  altritius  ,  quôd  in  precibus  et  gra- 
tutalionibus  non  soliim  id  venerari  , 
veritm  etiam,  osculari  soient  (17). 
1 1°.  Pline  n'a  point  dit,  touchant  le 
sel  d'Agrigente,  ce  que  M.  Moréri  lui 
impute  ;  mais  seulement,  qu'il  souffre 
le  feu  ,  et  qu'il  saute  hors  de  l'eau. 
De  ces  deux  propriétés  M.  Moréri  a 
oublié  la  dernière,  et  mal  rapporté 
la  première  ;  car  il  veut  que  Pline 
ait  dit  que  ce  sel  se  fondait  dans 
le  feu.  S'il  voulait  rapporter  cela,  il 
fallait  citer  d'autres  gens  que  Pline; 
les  paroles  de  cet  écrivain  (18),  Agn- 
gentinus  (sal)  ignium  patiens  (19) 
ex  aàuâ  exilit,  signifient  seulement, 
que  ce  sel  pétillait  dans  l'eau ,  et 
s'élançait  bors  de"  l'eau  ,  mais  qu'il 
soutirait  le  feu  sans  y  pétiller.  En 
citant  Solin  ,  ou  saint  Augustin  , 
M.  Moréri  n'aurait  eu  à  craindre 
nulle  censure.    Voici  les  paroles    de 


lorsque    les  Romains    en    chassèrent    Solin  :  Salem  Agrigentinum  si  igni 


les  Carthaginois  et  s'y  établirent. 
90.  Empédocle  le  philosophe  ,  et 
Empédocle  le  poè'te ,  ne  sont  qu'un 
seul  homme  ;  il  ne  fallait  pas  en  faire 
deux  illustres  Agrigentins.  io°.  Ci- 
céron  ne  parla  pas  du  temple  et  de 
la  statue  d  Hercule  qu'on  voyait  a 
Agrigenle  ,  comme  d'un  des  plus 
beaux  ouvrages  de  V antiquité.  Tout. 
au  plus  il  ne  parle  ainsi  que  de  la 
statue,  et  il  se  contente  de  dire,  à 
l'égard  du  temple,  que  les  Agrigen- 
tins le  considèrent  comme  un  lieu 
bien  saint  :  Hcrculis  lemplum  est 
apud  Agrigentinos  non  longe  a '  Jb- 
ro  sane  sanctum  apud  illos  et  re- 
ligiosum  (i5).  Touchant  la  statue,  il 
dit  que  c'est,  une  des  plus  belles  qu'il 
ait  vues  de  sa  vie  ;  mais  il  reconnaît 
qu'il  n'était  pas  connaisseur,  et  que 
sur  cette  matière  il  avait  donné 
beaucoup  plus  d'occupation  à  ses 
yeux,  qu'il   n'avait  acquis  d'intelli- 

(i3)  Voyez  Clavier  ,  Sicil.  Antiq.  ,  pag.  112  , 
citant  Tite-Live  ,  liu.  XXIV et  XXV. 

(i/))  Voyez  Cltivier,  ta  même  ,  citant  Diodore 
de  Sicile,  «k.  XVI  et  XIX. 

(i5)  Cicero,  ia  Verrem  ,  acl.  VI,  c.  XLIII. 


junxeris ,  dissolvitur  ustione  :  cui  si 
liquor  aquœ  proximaverit  ,  crépitât 
veluli  torreatur  (20).  Saint  Augustin 
allègue  ce  phénomène  aux  incrédules 
qui  rejetaient  tous  les  miracles  de 
religion,  dés  que  les  théologiens  ne 
les  pouvaient  pas  expliquer.  Il  repré- 
sente à  ces  incrédules  bien  des  cho- 
ses naturelles  dont  les  philosophes 
ne  pouvaient  donner  de  raison ,  et  il 
commence  par  les  singularités  du  sel 
d'Agrigente.  Agrigentinum  Siciliœ 
salem  perhibenl  cum  fuerit  admolus 
igni  velut  in  aqud  Jlnesccre  :  cinn 
verb  aquœ  feint  in  igné  crepitare 
(21).    Notez  contre    ceux  qui    vou- 

(  16)  Ibi  est  ex  a>re  simulacrum  ipsius  Her- 
cutis  ,  quo  non  facile  quicquam  dixeriin  me  vi- 
disse  putchrius  :  tametsi  non  tain  mulùiin  in 
istis  relus  inlelligo  ,  qu'am  mulla  vidi.  Iilem  , 
ibidem. 

(i-*)  Idem  ,  ibidem. 

(,S)  Plin.  ,  lib.  XXXI,  cap.  VU,  p.  m.  807. 

(19)  Mcursius  ,  in  Antigon.  ,  pag.  188  ,  con- 
jecture qu'il  faut  lire  impatiens.  I.e  père  Har- 
donin,  in  hune  locum  Plinii  ,  renvoie  au  loin 
celte  conjecture. 

(20)  Solin.,   cap.  V. 

(aij  August.,  rlc  Civitate  Dci,  lib.  XXI,  cap. 
V.  Voyez  aussi  chap.  VII. 


GIFANIUS. 


75 


d raient  faire  l'apologie  de  M.  Mo- 
réri ,  qu'il  y  a  une  extrême  difle- 
rence  entre  se  fondre  au  feu,  et  souf- 
frir le  feu  sans  y  pétiller.  Je  ne  dis 
rien  sur  les  fausses  citations  (22).  Je 
dis  seulement,  pour  finir  cette  remar- 
que, qu'il  y  a  une  infinité'  d'articles 
dans  le  Dictionnaire  de  Morcri ,  qui 
ne  sont  pas  moins  remplis  de  fautes 
que  celui-ci. 

(B) Il  a  oublié  les   choses  les 

plus  curieuses  qui  se  pouvaient  dire 
d'yfgri génie.']  Je  lui  ai  déjà  repro- 
che qu'il  n'a  rien  dit,  ni  de  ces 
baisers  de  dévotion  qui  avaient  ap- 
plati  les  lèvres  de  l'Hercule  de  bron- 
ze des  Agrigentins,  ni  de  l'une  des 
propriétés  merveilleuses  du  sel  d'A- 
gi igente.  Il  n'est  pas  moins  digne  de 
Blâme  de  n'avoir  rien  dit  des  pro- 
priétés des  lacs  qui  étaient  proche 
de  la  ville.  L'eau  en  était  salée  com- 
me celle  de  la  mer,  mais  les  hommes 
n'y  enfonçaient  point  :  ceux  mêmes 
qui  ne  savaient  pas  nager  y  flottaient 
comme    le  bois.     Tltpt    ' Axpâ.yeLV'ra.  S\ 

>.iy.VO.i,  T))V  [jCll  yiiïviv  S^Of  Ti  ^StAclTTHC  , 
THV  Si  <$l/?tv  JW<£C/fOy"  oùS%  ysLp  T0?ç 
tX.X.OXuf/.Coiç  ^.a.7T'xiÇi7%!L\    0-v/u.Ça.ivii  5   £v- 

xu)v  TpoTTov  'emTrùxàÇounv.  ylpttd  slgri- 
gei/tam  lacus  sunl  gustu  marino , 
naturel  plane  diversd  :  nain  et  na- 
landi  inscii  in  iis  lignorum  in  mo- 
rrm  supernatant  (23).  Combien  de 
choses  singulières  ne  pouvait-il  pas 
tirer  du  XIIIe.  livre  de  Diodore  de 
Sicile,  concernant  le  luxe  des  Agri- 
gentins ,  leurs  richesses  et  la  dé- 
pense que  l'un  d'eux  faisait  à  régaler 
les  étrangers?  11  ne  fallait  pas  ou- 
blier que  l'endroit  de  cette  ville  qui 
servit  de  forteresse,  fut  bâti  avant  la 
prise  de  Troie,  qu'il  fut,  dis-jc  ,  bâti 
par  Dédale,  le  plus  habile  ingénieur 
de  l'antiquité.  Il  fortifia  si  habile- 
ment la  place ,  que  trois  ou  quatre 
hommes  la  pouvaient  défendre.  Cela 
détermina  le  roi  Cocalus  à  y  rési- 
der, et  à  y  mettre  ses  trésors  (24). 
Je  n'aurais  pas  voulu  omettre  le  zèle 
ardent  des  Agrigentins,  contre  ceux 
que  le  préteur  Verres  avait  envoyés 
au  temple  d'Hercule  avec  ordre  d'en 

(22)  On  cite  Pline,  l.  3i.  r.  Il  fallait  mar- 
quer que  c'est  ou  chapitre  VII .  Il  fallait  citer 
Tïiui-ydide  ,  au  liv.  FI ,  et  non  pas  au  l.  5  ;  el 
Cluvier  ,  in  Siciliâ  Antiqiri  ,  el  non  pas  in  Descr. 
Ital. 

(23)Strabo  ,  hb.  VI,  pag.  iSq. 

(«4)  Diodor.  Sien!.,  Iib.  IV. 


enlever  la  statue.  On  força  la  garde 
du  temple  ,  et  l'on  travailla  une  heu- 
re entière  à  faire  sauter  cet  Hercule  . 
à  force  de  bras  et  de  machines.  Mais 
malgré  les  ténèbres  de  la  nuit  ,  les 
Agrigentins  eurent  le  temps  de  s'ar- 
mer, et  de  chasser  du  temple  les 
satellites  de  Verres.  Dès  que  l'alar- 
me eut  été  donnée,  chacun  se  leva  : 
les  vieillards  el  les  infirmes  trouvè- 
rent assez  de  forces  pour  aller  au 
secours  d'Hercule.  Ex  clamore  j'ama 
totd  urbe  percrebuit ,  expugnari  Deos 
palrios,  non  hoslium  aaventu,  neque 
repenlino  prœdonum  inipclu  :  sed  n 
domo  atque  cohorte  prœtorid  maman 
fugitivorum  instructam ,  armatamaue 
venisse.  IVemo  Agrigenli  neque  œta- 
te  tant  affecta  ,  neque  t'iribus  tant 
infirmis  fuit  ,  qui  non  illd  nocte.  eo 
nuncio  excitalus  ,  surrexerit ,  telum- 
que ,  quod  cuique  sors  offerebat  , 
arripucrit  (i5) .  Ce  grand  zèle  n'em- 
pêcha point  les  habitans  de  tourner 
en  raillerie  cette  aventure  :  ils  dirent 
qu'il  la  fallait  ajouter  aux  travaux 
du  dieu.  Nunquiim  lanliim  viali  est 
Siculis  quin  aliqnid  facetè  et  com- 
mode dicant ,  velut  in  hâc  re  :  aiebant 
in  labores  Herculis  non  minus  hum 
immanissimum  p'errem  ,  qu'uni  illuni 
aprum  lirymanlhium  injerri  opor- 
lere  (26). 

(a5)  Cicero,  in  Verr. ,  oral.  Vf,  cap.  XLIII. 
(26)  Idem  ,  ibidem. 

GIFANIUS  (Obert)  a  été 
un  savant  humaniste  ,  et  un 
grand  jurisconsulte.  II  était  de 
Buren  au  pays  de  Gueldre.  Il 
fit  ses  étndes  à  Louvain  et  à  Pa- 
ris, et  il  fut  le  premier  qui  éta- 
blit à  Orléans  la  bibliothèque  de 
la  nation  allemande.  Il  reçut 
dans  celte  ville  le  bonnet  de 
docteur  en  droit ,  l'an  1 5(S^  ,  et 
s'en  alla  en  Italie  à  la  suite  de 
l'ambassadeur  de  France  ;  après 
quoi  il  passa  en  Allemagne ,  où 
il  enseigna  la  jurisprudence  avec 
tant  de  capacité  ,  qu'il  s'acquit 
une  très-belle  réputation.  II 
l'enseigna  premièrement  à  Stras- 
bourg oii  il  fut  aussi  professeur 


seigna    dans   l'académie    d'AIt-   dire  cela    lui  qui  mourut  le 
j    ac  c       -     t         i  *    j      ti    pinvier    mon  ?     Je     n  cinix-ch 

dorf     et   enfin   a    Ingolstad.    Il   Jq(ie ,  pour  lever  la  difficulté, 


GIFANIUS. 

en   philosophie  ,    puis   il    l'en-    ollé  a  Home  (4).   Scaliger  pouvait-il 

mourut  le  21  de 

:    pas 

,  on  ne 

abandonna  la  religion  protestan-   suppose  qu'il  courut  un  faux  bruit 

te,  pour  embrasser  la  romaine,    de  la    mort   de  Gifanius,   sur  quoi 

11  fut  attiré  à  la  cour  impériale   Scaligerse  fonda,  ou  que  les  compi- 

.1  »  j„  1        1  j  l  lateurs  du   Scaligérana  y  ont  fourre 

et  honore  de  la  charge  de  con-    „i  .,...;«>„ -„   u         .  vi     /    •     «.     •  * 

,c,  .0  vv"       plusieurs  choses  qu  ils  n  avaientpoint 

seiller  et  référendaire  de  l'em-  ouï  dire  à  Scaliger.  Cela  se  remarque 
pereur  Rodolphe.  Il  mourut  à  en  d'autres  endroits  de  cette  com pi- 
Prague  ,  le  26  de  millet  ifroo,  lation,-  Mais  le  Plus  sûr  est  de  dire 
/\-i"~,îJ~„i  j  r  \  ■  .  .  1l,e  swcrhus  et  Valcre  André  se 
(A)  âge  de  plus  de  («)  soixante  et  trompent,  n'ayant  pas  suivi  M.  de 
dix  ans  (0; ,  si  1  on  en  croit  quel-  Thon,  qui  a  mis  la  mort  de  Gifanius 
ques  auteurs;  mais  quelques  au-  a  lan  l6o4- 

très  mieux  informés  mettent  sa     ,(B)  P  ét?lt  *B  bon  économe.]  Je 
.  .  i>         r-     .  ,  \    T1         .  n  en  ai  point  d  autre  preuve  que  ces 

mort  al  an  1604  (cj.  Il  avait  amas-  paroles  %  Scafiger  (5).  Il  était  cou- 
se du  bien,  car  il  était  un  bon  seiller  de  V  empereur  ;  et  parce  qu'il 
économe  (B).  On  l'accuse  d'une  faut  entretenir  maison  ayant  femme, 
insigne  supercherie  par  rapport  £™"W  [a  sienne  h  Nuremberg. 
0  •.      i      r.         •   ■  l   ,^,^       Il  était    riche   de    23,000  ducats ,    et 

aux  manuscrits  de  Fruterms(C);  demeurait  en  un  galetas.  Liberis 
et  on  le  met  dans  la  liste  des  utebatur  ut  servis.  Cela  passe  l'éco- 
écrivains  plagiaires  (D).  Ses  dé-    nomie  :  cest  une  vraie  mesquinerie. 

mêlés  avec  Lambin  ont  fait  éclat  (C)  °.a  Vaccuse  d'u,ne  ins'$ne  su~ 

1           ,           >      1  1  •             ■•  percherie    par   rapport    aux    manu- 

dans  la    république   des    lettres  scrits  de  Fruterius.]  Frutérius ,  l'un 

(L).     La    cause    pourquoi    il    se  des  grands  esprits  de  son  siècle,  était 

brouilla  avec  le  terrible    Sciop-  à  Paris  l'an  i566,  avec  quelques  au- 

„;„.    .;. „.   i      1          •        j      .    i-1  très  Flamands,  JanusDouza,  Obertus 

pius  tient  de  la  peine  du  ta  ion  r;t    :         t          t         »•         »„     ^ 

Jr.      n            ce  ■  Gitanius  ,  Janus    Lernutius ,  etc.,  et 

{t).    Cette  affaire    est   assez  eu-  y  mourut  fa  même  année,  à  l'âge  de 

rieuse.  Vous  trouverez  le  titre  de  vingt-cinq  ans  (6).    Il  avait  déjà  re- 

la  plupart  de  ses  ouvrages  dans  cueilli  un  bon  nombre  d'observations 

lo  n,Vt,"~,,~~;..„    ï„    i\/r     J.   ■  de   critique,    qu'il    recommanda    en 

le  Uictionnaire  de   lVloreri  ,    ou  *  >  r#    •       r  1   ■  „;    ,„.,  a„ 

,,         ,                -ii  mourant  a  Gifanius.  Celui-ci   usa  de 


1  on  donne  ridiculement  comme    fraude  ;  il  les  supprima  autant  qu'il 

deux  personnes  Hubert  Giphani    lui  fut  possible,  et  cène  fut  qu'après 

Obertus  Giphanius.  les  plaintes  de  Janus  Douza  ,  qu'il  se 

résolut  à  restituer  une  partie   de  ce 


et 


(a)  Soixante-quinze,  selon  Witte,  in  Dia- 
ne- Biograpli. 

(/>)  Tiré  de  Valère  André,  Biblioth.  belg  , 
pag:  703. 

(c)  M.  de  Thou  le  fait,  liv.  CXXXI,  pag: 
m.  îo^i. 

(A)  //  mourut  îi  Prague,  le  26  (1) 
de  juillet  160g.]  Swertius  (2)  et  Va- 
lère André  (3)  le  disent;  mais  je  ne 
sais  comment  l'accorder  avec  le  Sca- 
ligérana, où  l'on  fait,  mention  de  la 
mort  de  Gifanius.  Un  jésuite  italien 
s'est  trouvé 'à  sa  mort,  et  a  pillé 
beaucoup  de  ses  papiers  ,  et  s'en  est 

(1)  L.e  25,  salon  le  Diar.  Biograpli.  de  Wiltc. 
(■>)  Ailicn.  bel;;.  ,  pag.  58^. 
(3)  Bibliolb.  bc\r,-,pag.  70?. 


dépôt.  Lisez  ces  paroles  de'  M.  de 
Thou  (7)  :  Is  (Fruterius)  in  puriore 
litteraturd  ciim  excellent  ,  et  jam 
multa  commenlatus  esset,  properatd 
morte  prœpeditus  omnia  ea  Gijanii 
judieio    ac   fidei    commisit  (8)  ,    qui 

(4)  Scaligérana  ,  pag.  nu  f)4» 

(5)  L'a  même,  pag.  m.  q4'- 

(6)  Tlmaii.,    llislor.  ,   lib.    XXXVIII  ,    ad 
ann.  i5(>G. 

(n)  Idem  ,   ibidem. 

(8)  Ad  fuit  ille  quidem,  faleor,  tectique  resedit 
Anlepedes  :  sed  non  ulàmici  impendere,  verhm 
Vulluris  officium  i-alido  maVe  posset  amico: 
Ul  vrl  continua  paluil ,  c'um  Fruterius  jam 
Dejiciens,  illi  manuum  monumenta  suarum 
Subjicienda  operis  prtvlorum  Iradcret;  atque 
Han-  mea  sinl  Fanni  libi,  dicerel,  ut  tua  curie. 
Douza  ,  sat.  II,  pag.  33çj,  edil.  îGor). 


GIFAN1US. 


pari  fide  minime  nsus  creditur,  vix- 
que  Vite  a  Jano  Duzd  motâ  exorari 
]J0tuit7  ut  pauciila  <juœ  ex  tan  ta  jac* 
turd,  velut  ex  magna  naujragio  exi- 
guœ  tabulée  s up ère vaut ,  si nt  publi- 
cata.  Douza  fut  si  en  colère  contre 
Gifanius,  à  cause  de  cette  mauvaise 
foi,  qu'il  n'oublia  rien  pour  le  met- 
tre à  la  raison.  Il  implora  même  le 
secours  de  Giselinus  7  afin  que  de 
concert  ils  obligeassent  le  voleur  à 
restituer  les  manuscrits. 

Quid  tamen  htvc  ,  Giseline ,  jurant  %  si  Fan- 
nius  hœres 

Se  premere  œlernd  toi  bona  nocle  cupit  ? 
Ille  cupit  :  secl  tu  genio  comtnunis  amict 

Âssertor  t'entas  ,    tnjiciasque  manus. 
Tune  ego  damnatus  t'Otit  de  more  sacrabo 

Prima  quidem  Ncmesi  dona%  secunda  tibi. 
Sets  etenim  quant  me  mendact  lœserit  ore  , 

Dum  pia  pro  caris  manibus  arma  gero  (9). 

Le  tamen  du  premier  vers  se  rapporte 
à  un  endroit  où  Douza  dit,  que  Gi- 
se'linus  était  le  premier  qui  avait  crié 
contre  la  mauvaise  foi  de  Gifanius. 

Al  quota  virtutum  pars  est  tamen  ista  tnafum? 

Ma  jus  opus  Fanni  non  tacuissc  dotos  , 
Verbaque  F  rulericœ  prima  injecisse  favillœ  , 

Nec  dubiam  factis  exkibuissejidein, 
Non  miht  Fruterium  reddr.ndo  plura  dediss0t; 

Hoc     quoque    Fruterium     reddere      pœnè 
fuit  (10). 

Il  raconte  dans  sa  IIe.  satire  ce  qu'il 
avait  fait  pour  la  mémoire  du  défunt , 
et  contre  Gifanius. 

Suspectum  ex  tllo  cœpi  observare  ,  quid  esset 
Demum  aclurus  ;  al  ille  vafer  malh  dusimu- 

lare , 
Nec  de  se  qutcquam  promittere  ,  donec  aperto 
Spps  muta  ta  tnelu  nos  exlorquere  subegil 
Edilionïs  opus.  Mirum  ,  qua.t  perfidus  hic  se 
Vcrierit  in  faciès  :  primitm  civtlia  jura 
Caussari  :  mox  comme ntaria  sesqmpeihrfi 
Cœsaris    inçeminare    sono  ,    et    cui    no/nen 

Agelli 
Ipse  adeb  primus  vult  restiluisse  videri  : 
Postremb  ,  ipse   meas  postponere    tes  atienis 
Nec    l'olo ,    nec  possum  ,  nec   debeo  ,   dicere, 

Quid  te 
Longa  ambage  moror?  cessi  indè ,  nec  ulte- 

rius  mî 
Cessandum   ralus  ,    haud  faites  tamen  ,    im- 
probe ,  dixi. 
Nec   mora,   et  nrchctjpum    exemvlar    clam 

nactus  ,  et  apta 
Tcmpora ,  dum  sese  miralur  Fannuts  ,  et  \pe 
Crescentem   tumidd   inflat  utremt    vrœcunte 

fideli  • 

Verba  Srro  ,  à  capile  ad  calcemloc  a  çuœque 

j»     nolando 
Ifàcripsi  sapiens.  Hinc  tempêstalis  origo. 
Hlne  Mis  lachrymœ  (11) 

(D)   On  le  mit  dans  la  liste  îles  l-cri- 

(gl  Ibidem,  epist.  III,  pag.  4". 
(10)  Idem,  ibtd.,  pag.  ijn. 
(ii)Trfewi,  sat-  II,  png.  33i). 


11 


vains  plagiaires.  J  Voyez  le  recueil 
du  docte  Thomasius,  sur  ces  gens-là  ; 
vous  y  trouverez  (12)  Gifanius  acca- 
ble île  tous  les  reproches  qu'on  vient 
de  lire ,  et  de  plusieurs  autres  :  vous 
y  verrez  ces  vers  de  Douza  : 

Tu  prœ'.er  omnes  alpha  legidejorum 
Burane  quem  inter  bustuarios  verres, 
Plitmis  adornatum  et  colore  furtivo  , 
yfutumnilat   l'ontana  nobdein fecit , 
Nolisque   Transrhenana  inusla   frons    Gal- 
lis  (l'i). 

Vous  les  y  verrez,  dis-je,  accompa- 
gnés de  cette  note,  Autumnitas  Pouta- 
aa  idem  est  quad  Fruteriana  ;  sume- 
bat  enimFruterius  nomenPontani,ut 
5eBrugis(Po«i,  Bruche)  natum  signi- 
Jicaret  :  fide  reliquias  ejus  ,pag.  1 34- 
JVotœ  aillent  Galla:  suiit  quas  Dionr- 
sius Lambinus  Gallus  Giphanio  ,qàan- 
quam  suampotiiis  qiùim  Fruterii  cau- 
sant agens  ,  tum  initio  coram  audïto  - 
ribus  suis,  tum  poste'a  in  prœfat.  ad 
lectorem  Lucretii  tertium  editi  inus- 
sit.  Vous  y  verrez  que  Giselinus  se 
trouva  très-mal  d'avoir  prête  son  Pru- 
dence à  Gifanius. 

Atque    uttnam  tan  tum    scires   mea   vulnera  , 
nec  le 
Lusissel  plagiis  improbus  ille  suis. 
Illa  dies  nocuit  ,  qud  le  sibi  credere  primant 

Nobile  Prudenti  nomine  suasit  opus. 
Te  quoque  tune   animas  vnfrd.  sub  vulpe  la- 
tentes 
Suspicor ,     et     Geldram    perdidicisse   fi- 
dem  (i4/* 

Cela  signifie  que  Gifanius  avait  vole' 
à  Giselinus  ce  qu'il  y  avait  trouvé  de 
meilleur.  Lorsque  Douza  écrit  en 
prose,  il  ne  s'emporte  pas  tant ,  et  il 
épargne  même  le  nom  de  son  enne- 
mi ;  mais  il  ne  laisse  pas  de  dire  que 
Gifanius  avait  orné  son  Lucrèce  des 
dépouilles  de  Frutérius  :  Nec  dubium 
quin  de  Giphanio  intelligendum  sit , 
quotl  lego  aputl  Va^er.  Andrœam  , 
pag.  629  Bib'.  Bel  g.  nota  visse  Janum 
Douzam  ad  triumviros  amoris  ,  quœ 
in  Lucretium  adfccta  Frutérius  ha- 
buerit,  iis  non  parùm  adjutos  fuisse, 
qui  post  Lambinum  auctorem  illiun 
collectaneis  illustrârunt.  Utique  enini 
in  Lucretium  habentur  collectanea 
Giphanii  (i5). 

(E)  Ses  démêlés  avec  Lambin  ont 
fait  éclat  dans  la  république  îles  let- 
tres. ]  Lambin  ne  se  contenta  pas  do 

(12)  Numéro  4'"5  et  seq. 

(i3)  Donza  ,  Ode  in  Felles  litternrias,  pag. (îig. 

(i4)  Idem,  episl    III,  pag.  412. 

{i5j  Thomasius,  de  Plagio  Lilterario,  pu  g.  igÇ. 


78  GIFANIUS. 

se  plaindre  dans  ses  leçons  publiques  commentaire  de  Lambin  lui  avait  e'ie' 

que    Gifanius  l'avait  volé;  il   en  te'-  très-utile.  Dionysio  autcm  Lambino 

moigna  son  indignation  dans  la  pre'-  et  Adriano  Turnebo  cluobus  Franciœ 

face  de  son  Lucrèce,  lorsqu'il  le  lit  omamentis  quantum   tlebeatur  prœ- 

imprimer  la  troisième  fois.  Voici  des  jnii ,    quippe  qui  de    hoc  gravissimo 

vers    qui    concernent  les   invectives  scrtptore  optimè  si/it  meriti,  oralione 
qu'il  lit  en  chaire  (16J. 


meci  quidem  nequeam  adsequi.  Ne- 
que  sanè  viri  Uli  prœstantissimi  h  me 
id  ut  faciam  e.rpectant  aut  volunt  , 
salis  inclaruit  eOrum  industriel  et 
eruditio  incredibilis.  Hoc  tanliim  ve- 
reque  testatum  relinquere  possum  ac 
debeo  ,  illorum  maxime  laboribus  et 
solertiâ  aajutum  esse  in  his  cujusque- 
modi  Emeiulalionibus  ac  Nolis  com- 
Giphanius,  sans  être  nomme  dans  la  parandis(ii').  Voilà  bien  des  louan- 
préface  (18),  y  est  traité  comme  un    ges,  mais   elles  venaient  trop   tard, 


Nec  libel  antiquam  plagii  renovare  querelam: 
Qubd  le  ,  felieem  quondam  ,  Lambine,   cere- 

brt, 
El  vidi  el  pleno  memini  postasse  iheatro 
Parisiis ,   lune   ciim  miserandus  el  hoslibus 

ipsis 
Fannius  intrursum  delracld  pelle  paterel. 
Xndignum   scelus ,  et  nuilo  salis   igné  pian- 

dum  (17). 


chien  :  les  injures  les  plus  atroces  y 
pleurent  sur  lui.  P.  xxvi.  ipsi  Gi- 
phanius  est  quidam  omnium  morta- 
lium,  quiunquàm  fuerunt,  qui  sunt, 
qui  erunt  injustissimus  ,  audacissi- 
mus,  impudentissimus  :  p.  xxx  ,  au 


et  ne  pouvaient  pas  guérir  la  plaie 
faite  dans  la  page  précédente,  où 
l'on  avait  dit  que  l'on  donnait  un 
Lucrèce  beaucoup  meilleur  que  ne 
l'était  celui  de  Lambin  ;  et  que  Lam- 
bin avec  toute  son  érudition  n'avait 


dacem  vocal,  arrogantem ,  impuden-    pu   faire  que  le  public  eût    le  vrai 
tem ,  ingratum,  petulantem,  insidio-    Lrcrèce.  Mettez  tant  qu'il  vous  plai- 


sum  ,  fallacem  ,  infidum  ,  nigrum  : 
p.  seq.  unum  ex  omnibus  mortalibus 
nulhl  re  magis,  quàm  feritate  ,  im- 
portunitate ,  contumaciâ"  ,  superbiA  , 
audaciâ,  confidenti;!,  et  impudentiâ 
excellentem   (19).    Le  fondement  de 


ra  une  dorure  d'éloges  sur  cette  pi- 
lule, vous  n'en  oterez  jamais  l'amer- 
tume ;  elle  sera  toujours  d'un  méchant 
goût,  et  mettra  en  mouvement  la 
bile  et  toutes  les  autres  mauvaises 
humeurs.   Voici   le  passage  tout  en- 


ces  horribles  injures  est  que  Gifanius    tier  ;  à  tout  prendre  ,  il  est  désobli 


avait  pillé  dans  le  Lucrèce  de  Denys 
Lambin ,  ce  qui  lui  avait  paru  bon , 
et  avait  bla"mé  le  reste  ,  sans  recon- 
naître de  qui  il  tenait  son  bien.  Om- 
niajerë,  quœ  in  eo  Lucretio  recta 
sunt ,  mea  sunt  •'  quœ  tamen  iste  aut 
silentio  prœlermiltil  ,  aut  maligne 
laudat  ,  aut  sibi  impudenter  arrogat. 
Sic  undè  reprehendendi  ansam  arri 


géant.  Tandem  Dionysius  Lambi- 
nus  libros  manu  descriptos  complu- 
res  felicissimè  nactus  ;  adjutus  etiam 
dodiss.  firorum  ,  in  iis  prœcipuè 
Adriani  Turnebi,  et  Joli,  etiam  Au- 
rait operd ,  ipse  incredibdi  diligenliâ 
et  eruditione prœditus  ,  à  pluribus  us- 
que  turpissimis  menais  Lucretium  li- 
beravit.    Sed    quia    tam  fœdè    esset 


père  potest,    ibi   mihi  petulantissimè    contaminatus  ,  uli  adhuc  prœstantis 

simus  poëta  nomine  tantiimfuerit  no- 
tus  ;  Uli  recusantibus  medicinam  ad- 
hibere  eruditis  tdris ,  ut  si  desperatus 
esset  ac  ilepositus  •'  ejjicere  ille  quam- 
ins  dodus  et  diligens  (  quod  pace  viri 
dodiss.  dictum  velim  )  non  potuit,  ut 
purum  ac  meruvi  liaberemus  Titum. 
Nos  igitur  etsi  id  quoque  prœstare 
non  potuimus  ,  spero  tamen  id  nos 
consecutos  ,  ut  multis  jam  parldjus 
melior  et.  emendatiorin  hominumfhia- 
rtibus  esse  possit  optimus  Rojnaniser- 
monis  auctùr(vi).  Je  ne  sais  point, 
non  plus  que  Tliomasius,  si  Gifanius 

(21)  Giplian.,  prof,  in  Lucret.,  fol.  »t  **î. 
fii)  Idem  ,  ibid.  ,  folio  *"  verso. 


insultât,  in  eo  me  improbissimè  in- 
seclatur  (  20  ).  11  est  pourtant  vrai 
qu'il  reconnut  dans  sa  préface  que  le 

(16)  Douza  ,  sat.  I ,  pag.  336. 

(17)  Voyez  aussi  ces  vers  de  la  IIe.    satire  : 

Non  ut  ineplus 

Fannius  hic  Fidentini  genus ,  el  plagii  olitn 
Convictus,  lambine,  tibi  ,  c'ttm  frvnle  retectd 
Furtivis  risum  movtt  curnicula  plumis. 

Iilcm  ,  pag.  338. 

(18)  Ego  autem  nunquam  abducàr  ut  eum  no- 
minatim  desertbam.  Lambinus  .  prcef.  tertiœ 
edit.  Liicrelii ,   pag.  Divin,  apud  Thomasium  , 

P"S-  >97- 

(i<))  Tliomasius  ,  ibid. 

(ao)  Lambinas,  pag.  -xxix  ,  apud  Tïioma- 
siuni  ,  ibid.  Notez  que  j'ai  vérifie'  les  citations 
de  la  pre'J'ace  de  lambin  alléguées  par  TUoma- 
iius. 


G  I  FAIS  I US. 


79 


se  défendit  contre  Lambin  (a3)   :  je 
sais  seulement  qifil  en  fit  ses  plain- 
tes à  Muret  (24) ,  et  qu'il  se  jeta  sur 
la  récrimination.  Il  prétendit  que  ses 
corrections  sur  Cicéron  et  sur  Cor- 
nélius Népos  avaient  paru  de  bonne 
prise  à  Lambin,  et  d'ailleurs,  il  l'ac- 
cusa   d'un   vilain  mensonge  :   Lam- 
bin,   dit-il,  se  vanta  de  l'amitié  de 
tous   les   Flamands  qui  étudiaient  à 
Paris  ,  excepte:  Gifanius  ,  et  jen  nom- 
ma une  douzaine ,  dont  il  n'eût  pas 
même  su  le  nom,  s'il  ne  s'était  servi 
d'artifice.   Voici  les  paroles  de  Gifa- 
nius. De  Lambino  ,  <$iZ  tâç  Àvuiïia.ç  ! 
in  quem  ut  omnia  pulchrè concernant, 
accipe     et     aliua    ejus    stratagema. 
Cum  Lutetiœ  thyrsum  ,  non  Lucre- 
tiunum  Miim,  sed  suum  in  me  qua- 
tere    instiluisset ,    (  ego  intérim  do  mi 
uirgam  lam  pueriliter peccanti  mini- 
tabar  ,  )  prima   concione  dixit  ,  cum 
Belgis    omnibus  familiaritalem    sibi 
esse ,    me    unum    sibi    malè    cupere  ; 
protulilque  duodecim  ferè  Belgarum 
nomina  ,  qui  liuu  ibi  agerenl  studio- 
rum   causa ,    (  conferenda  sunt  cum 
lus  ,  qiux  scribit   Lambin,   ad    Lect. 
tertiœ  éd.  Lucret.  p.  xxxi,  xxxn.  ) 
Multi   ex   his    admirati    liane  publi- 
cam   testationem  et  citalionem,  qubd 
Muni  ne  salutdssent  quidem ,  me  au- 
tem  uterenlur  familiarissunè  ;  imb  eo 
ipso   tempore  epigrammala    in  illum 
parlim.  proscripsissent ,  ad  nie  accur- 
rerunt  ,  et  acumen  Lambini,  artes- 
que  ejus  oralorias  mihi  exposuerunt. 
3'Iirantibiis  omnibus,  undè  eorum  no- 
mina collegisset,  intervenu  mox  ejus 
con\>i<lor  Bruxellensis ,    qui  scrupu- 
lum  illum  nobis    exernit  :  se  namqne 
rogalum  et  coactum  fuisse    Lambino 
petenti   domi  aliquot    Belgarum  no- 
mina diclare,  causœ  ignaram.  sitque 
ita  l'es  in  risum  abiit  (a5).  C'est  une 
cliose   très-f;lcheuse    que   les   belles- 
lettres  ne  puissentpoint  garantir  ceux 
qui  les   professent  du  désordre    des 
passions. 

Muret  ne  fut  pas  le  seid  déposi- 
taire  des    plaintes   de  Gifanius.    On 

(23)  Quid  Poit.tv,  nuid  Lambino  ipsi ,  ad  is- 
las  accusationes  responderil  Giphanius ,  fateor 
ignorare  rnr.  Tbomasius,  pag.  198. 

(24,  Tliomnsms,  pag.  199»  200,  rapporte 
tous  1er  passages  des  Ldlre*  «le  Gifanius  à  Mu- 
ret, et  ilet  Réponses  de  Muret. 

(a5)Giphan.  ad  Murettim  epist.  LXXVIII 
lib.  T,  inler  F.uistohs  Mureli,  apud  Tliniua- 
-  lum  .  pag.  200. 


\  ienl  de  publier  une  lettre  que  celui- 
ci  écrivit  à  Théodore  Cautérus,  l'an 
1 5S7 ,  où  se  trouvent  ces  paroles  (26)  : 
Prœlerea  nosti  quemadmodum  mea 
compildrit ,  me  que  tractdrit  Lambi- 
nas in  /Emilium  Probum,  cujus  rei 
testes  habeo  epislolas  Mureti  ,  quus 
et  tujam  devulgatas  l'idere  potuisti, 
et  Puleani  cujus  auclorilate  Lambi- 
nus  abutitur  inviti ,  etc.  Gifanius  écri- 
vit au  même  Cantérus,  l'an  1667,  ce 
qui  suit  (27)  :  Ille  qui  ea  fulmina  in 
me  jacit,  anne  ut  divinavi  est  Ludo- 
vicus  Carrion  ,  quem  mihi  nomen 
amicissiiuum  putavi  ?  Certè  eum  esse 
indica\'it  Dn.  Bombergus.  Sic  Lu- 
creliana  mea  ubique  vapulant ,  sed 
tuti  et  lui  similium  amicilid  fretus 
vana  illa  fulmina  esse  judico. 

Je  dirai  en  passant  que  Scaliger 
n'est  pas  fort  propre  à  faire  croire 
que  Gifanius  ne  fut  point  un  pla- 
giaire. Gifanius,  dit-il  (28)  ,  était 
docte  ,  son  Lucrèce  est  très-bon.  Je 
lui  ai  envoyé  depuis  quelque  chose 
de  bon  siw  Lucrèce,  qu'il  a  gardé, 
et  dit  qu'il  n'a  rien  reçu ,  et  s'en  veut 

prévaloir //  avait  dérobé  à  L. 

Frutérius,   son   Agellius ,  qui   était 
prvt  d'être  imprimé. 

(F)  La  cause  pour  laquelle  il  se 
brouilla  avec  le  terrible  Scioppius 
tient  de  la  peine  du  talion.  ]  Sciop- 
pius  ayant  obtenu  de  Conrad  Kit- 
tershusius  ,  chez  qui  il  logeait  à 
Altdorf,  une  lettre  de  recommanda- 
tion auprès  d'Obert  Gifanius,  pro- 
fesseur à  Ingolstad,  s'insinua  dans 
les  bonnes  grilces  de  ce  professeur , 
et  après  avoir  eu  un  accès  fort  libre 
chez  lui,  il  trouva  un  jour  le  moyen 
de  visiter  la  bibliothèque  en  l'absen- 
ce du  maître ,  et  d'en  ôter  un  ma- 
nuscrit de  Symmaque.  11  copia  aussi 
tout  ce  qu'il  voulut  dans  un  ouvrage 
manuscrit  de  Gifanius  ,  et  y  trouva 
des  matériaux  pour  s'ériger  en  au- 
teur critique  ;  et  lorsque  Gifanius 
eut  fait  éclater  ses  plaintes,  le  pla- 
giaire vomit  sur  lui  cent  injures.  Voi- 
'  là  ce  que  les  amis  de  Scaliger  con- 
tent à  la  charge  de  Scioppius.  In 
œdes  primum ,  mox  in  animum ,  pos- 
te'a  in  btbliothecam  absenlis  penetra- 

(26)  Voyez  les  Lettres  711e  M.  Mattlircus , 
professeur  en  droit  à  Lcjde  ,  ^  a  publiées,  l'an 
iliqS  ,  pag.  97. 

(27}  Ibidem. 

(28)  Scaligérana,  p^g-  ofi- 


8o  G I  FAN  IUS. 

fit    Giphanii ,    cui   MS.  Symmachi  le  public  ne  fût  point  frustre  si  lông- 

codicem  subduxit  :  libros  verd  obser-  temps  de  ce  trésor ,  fit  mille  caresses 

vationum  linguœ  latinœ  invito  domi-  à  Gifanius,  et  le  pria  souvent  à  sou- 

tw  percurrit ,  et  ex  Us  qttœ  voluit  fur-  per;  mais  que  tout  cela  fut  inutile, 

tim   sùblegit.  E  quibus  pariim,  par-  quoique  ce  professeur   se  plût  beau- 

tim  emendationibus  Plautinis  ,  quas  coup  a  souper  chez  ses  amis.   Sciop- 

è  Camerarù  membranis  descriptas  in  pius  ne  tiiterarum  studiosis  liber  ejus- 

sito  Rittershusius  codice    adnotdrat  ,  modi  diutiiis  deberetur,    Giphanium 

partim  etiam  reliquiis  schedarum  Mo-  creberrimè  ad   cœnam    vocando    de- 

dii  ,   quas   ab   amplissimo    Velsero  ,  mulcere  (  vix  enim   ullam  diem  toto 

summo  litterarum  patrono  acceperat  ;  anno  elabisibi  Gifanius  sinebat ,  quin 

duos  illos,  quibus  primùm  innotuit  ,  foris  cœnaret,  ac  plerumque  Menelai 

libellos  corrasit  ....  Quod  quidem  Homerici  exempta   invocatus   amicis 

plagium  cùm  passim  voce  passim  lit-  condiceret)et  Symmachi  copiant  abeo 

teris  testarelur  Giphanius  ,  in  prœ-  impetrare  studuit ,  séd  frustra  (34). 

t'.eptorem  suutn  et  doctissimum  homi-  5°.  Que,  voyant  cette  obstination  ,  il 

nem  erupit  hœc   vipera  ,»et  quœcun-  s'associa    avec    trois   jurisconsultes  , 

que  undique  poterat  concilia   in  eum  pour    enlever  secrètement  ce  manu- 

i-ontorsit  (29!.  Voici  ce  que   repond  scrit,  et  que  s'en  étant  servi  il  le  re- 

Scioppius.    i°.  Il  cite  deux  endroits  mit  à  sa  place  le  lendemain.  6°.  Que 

de  ses  ouvrages  (3o)  ,  où  il  reconnaît  la   subtilité   avec   laquelle  il   devina 

les  obligations  qu'il  avait  à  Gifanius ,  où  était  ce  manuscrit  surpasse   toute 

pour  la  communication  du  manuscrit  la  iinesse  des  critiques  qui  ont  com 

de   Symmaque.  i°.  Il  avoue  que  ces  mente  Symmaque.  Unica  Ma  conjec- 

deux  endroits  n'étaient  qu'une  rail-  tura  sua  qtio  loco  Symmachi  codex 

lerie  (3i)  ;  car,  ajoùte-t-il,   Gifanius  in    Giphanii  bibliothecd  situs  foret.  , 

ne  m'a  laissé  voir  qu'une  fois  ce  ma-  omnium  Criticorum  quolquol  ei  scrip- 

nuscrit  ,   et    quand    je    le    lui    de-  tori    operam   navârunt  ingenium    et 

mandai   une   autre   fois  ,   il   me    lit  acumen    longé    superavit   (  35  ).    r}°. 

réponse  :  Monsieur  ,    me   demander  Qu'il  est  faux  qu'il  ait  dérobé  ce  ma- 

mon  Symmaque ,  c'eit  toute  la  même  nuscrit,  puisqu'il  ne  le  garda  qu'une 

chose  que  si  l'on  me  demandait  que  nuit,  afin  que  d'autres  s'en  pussent 

je  permisse   qu'on  couchât   avec    ma  servir.  Rem  quoque  malo  furto    ac- 

femme -.Symmachum'a  mepetereper-  quisitam  possessori    suo   nequaquam 

indè   est  atque  uxorem   meam  uten-  subduxerit    (  velut    tu  mentiris  )  sed 

dam  postulare   (32).   3°.    Que    Gifa-  usum  ejus  unius   noctis  lucubratione 

nius,  qui  avait  volé  ce  manuscrit  à  cum   aliis    communicant    (  36).   8U. 

Venise  ,  dans  la  bibliothèque  du  car-  Quant  a  l'autre  manuscrit ,  il  avoue 

dinal  Dessarion  ,  ne  voulait  ni  le  pu-  qu'il  l'a  eu   entre   les    mains  par  le 

blier ,  ni  le  laisser  publier  à  d'autres,  moyen  du   copiste  de    Gifanius,  et 

Erat  autem  liber  ille  Symmachi  ex  qu'il  en  a  tiré  le  meilleur,  mais  non 

Bessarionis  bibliothecd  fenetiis  fur-  pas  pour  se  l'approprier,  puisqu'il  en 

to  Gifanii  sublatus  (  velut  Jfoljgan-  alaissé  tirer  des  copies  à  plusieurs  per- 

gus    Zundelinus    indicium    Scioppio  sonnes  curieuses  de    la  belle  latinité. 

jecit  )  quem  ille  neque  ni  ederel,  ne-  Cùm  ei  Giphanii  amanuensis  librum 

que  ut  Rittershusio  id  pelenti  eden-  Muni  obsei'vationrim  attulisset  ,  cum 

dum  daret,  ullis  precibus  aul  mime-  iisdem  jurisconsultis  ,    amicis    suis, 

ribus  induci  potuit  (33).  4°.  Que  lui ,  opéras  pariitus    intra    paucos    dies 

Scioppius, voulant  faire  en  sorte  que  quicqitid   in  eo   minus  peryulgalum 

,  esse  videretur,  descripsit ,  et  passim 

(a9)  VoyezU  satireKtrçtititomï&emou  ,       m     u             j     -        studiosis , 

il  y  a  un   appenaix  intitule  :  Vila   et  parentes  r    ,                                 "■••■     /i        ?•                  j 

Gaspar.  Scioppii,  pag.  145,  14G.  eltam  sacrilego  du    Guldtnasto    des- 

(3o)  La  préface  rie  set  Verisirailia ,  et /a  lettre  cribpndi  copiant  fecit  {3']).  (f .   Il  pré- 

XV  de  ses  Suspects  lectiones.  tend  avoir  reconnu  publiquement  le 

(3i)  Ista  Scioppitttn  non  serio  ,  sed  joco  tan- 
tiim  scripsisse.  Oporintis  Grnbinius  ,  Ampliot. 

Scioppian.  ,  pag.  i3o.  (34)  Ibidem ,  pag.  i^o. 

(3s)    Opminus   Gruliiniu»  ,    Ampliot.    Sciop-  (35)  Ibidem. 

pian.  ,  pag.  i3g.  (3Gi  Ibidem,  pag.  «41- 

(33J  Ibidem.  (37)  Ibidem. 


GILLES.  GYMNOSOPHISTES. 


Si 


profit  qu'il  avait  tiré  de  cet  ouvrage  :  Tun'is  contra  Damascum  ,  id  est 
«  De  Observationibus  Çtrummalicis ,  l'utela  ecclesiœ  romance  contra  cal- 
»  j'ateri  puta  Scioppium  cum  prœfa-  vinistarum  incursiones  objecta  consi- 
»  tione  disputationis  de  injuriis  ita  derationibus  cujusdam  ministri  P. 
»  Giphanium  alloquitur  :  ego  multa  Gillio  subscripti;  œdiftcata  cum  pro- 
»  este  quamvis  inscio  et  invito  didi-  pugnaculis  à  Fr.  Theodoro  lielvede- 
»  ci.  »  Je  ne  m'étonne  point  que  Gi-  rensi,  etc.  Cet  ouvrage  fut  imprimé 
fanius  se  soit  bien  mis  en  colère;  à  Turin,  Tan  i63C,  et  réfuté  peu 
car  qui  pourrait  souffrir  patiemment  après  parle  sieur  Gilles,  qui  répon- 
de telles  supercheries?  Scioppius  en  dit  aussi  à  un  autre  livre  que  le 
avoue  assez  pour  persuader  ses  lec-  même  moine  avait  publié  en  italien 
teurs  qu'il  n'était  pas  honnête  hom-  sous  le  titre  de  Lucerna  délia  Cliris- 
me.  Le  pis  fut  pour  Gifanius  que  l'on  tiana  Keril'a  per  conoscer  la  vera 
se  moqua  de  sa  colère.  Hoc  ut  resci-  Chiesa  e  la  falsa  pretësa  reformata  ; 
fit  Giphanius ,  tanium  non  in  J'uro-  il  y  répondit ,  dis-je,  par  un  ouvrage 
rem  reductus  est,  omnibusque  vins  intitulé  Torre  Evahgeliea  divisé  en 
doctis  etiam  amicis  suis  deridteulo  XLVIII  chapitres ,  dont  il  donne  le 
fuit  (38}.  sommaire  dans  son  histoire  des  Vau- 
J'ai  ouï  dire  à  l'illustre  M.  Grœ-  dois  (3).  H  en  fait  autant  à  l'égard  de 
vins  ,  qu'il  a  vu  entre  les  mains  de  sa  réponse  à  un  autre  livre  italien  que 
Fridéric  Grouovius  une  lettre  de  ce  belvédère  dédia  à  messieurs  de  la 
Philippe  Paréus,  où  l'on  donnait  avis  à  Pfopaganda  pour  les  informer  de 
Gronovius  que  le  manuscrit  des  Obser-  l'état  des  églises  réformées  vaudoi- 
vations  de  Gifanius  sur  la  langue  la-  ses  ?  et  de  leur  ordre,  doctrine  et  Cé- 
line, avait  été  retrouvé,  et  qu'il  se-  remanies,  concluant  a  la  jïn  obli- 
rait    facile   par-là    de    découvrir  les  quement  qu'il   les  faudrait  extermi- 


larcins  de  Scioppius. 

(38)  Ibidem. 

GILLES  (Pierre  ) ,  pasteur  de 
l'église  réformée  de  la  Tour  dans 
la  vallée  de  Lucerue  ,  composa  , 
par  ordre  de  ses  supérieurs  ,  une 


ner  (\) 

(3)  Histoire  des  Eglises  vaudoises  ,  pas.  54i 
et  suiv. 

(4)  LU  même ,  pag.  545  et  suiv. 

*  Leclerc  d.t  qu'il  faut  ,  à  la  liste  de  ses  ou- 
vrages, ajouter  les  Psaumes  en  vers  itaUens  . 
10^4 ,  in-S°. 

GYMNOSOPHISTES.    Les 


histoire   ecclésiastique   des  eg h-  r*.<>„ 

,   .  .    f     ,.     .     o  •  Lrrecs  ont  ainsi   nomme  les  phi- 

ses   vaudoises  ,  et  la   ht  impn-  w^u^  „  •    n  ■  ,    \    T, 

.  n      .      '  „        a,  ,     ■  l    „  losophes  qui  allaient  nus  (A\  Il 

mer  a  Genève  ,  I  an  ib44»  m^  •    v<.nm; û-uioj        i>*r- 
T,   r.   ..     ,         ',  ^?       7       y  en  avait  de  tels  dans  l'Afrique; 

11  était  alors   dans  sa  soixante-    ma;6  ioc  „ilic  *.„„         «^  ,An      ' 

mais  les  plus  renommes  étaient 

dans   les    Indes.    Les   g3rmnoso- 

phistes    d'Afrique    demeuraient 

sur    une  montagne  d'Ethiopie, 

assez  près  du  Mil  ,  sans    aucune 


treizième    année.    Il   avait   delà 
publié  d'autres  ouvrages  (A). 

(A)  Il    avait  déjà  publié  d'autres 
ouvrages..}   J'ai  dit   ailleurs  (i)  que 

le  prieur  Marco  Aurélio  Rorenco  fit  maison  ni  cellule.  Ils  ne  for- 
imprimer  en  i634  l'apologie  d'un  maient  point  de  communau- 
écrit  quil    avait  tait  1  au    16J2.  No-    t  •      .  ■/•    • 

tre  Pierre  Gilles  réfuta  cette  apologie  te  et  ne  sonnaient  point  en 
par  un  ouvrage  intitulé  Considéra-  commun  comme  ceux  des  In- 
tio/is 
siei 
de 

préfet  des    moines  (2). 
pliqua  par  un  ouvrage  latin,  intitulé 

(a)  Philoslrate ,   qui  parle  ainsi  dans  la 

(1)  Dans  l'article  Rorenco,; lom.  XII.  Vie  d'Apollonius,  liv    VI,  est  bien  différent 

(2)  Voyet  son  Histoire  des  Eglises  vaudoises  ,     de  Porphyre,  t'oyez  la  remarque  ^L>  1  de  l'ar- 
pag.  540.  .  ticle  Brachmanes ,  tvm  IF,  pag.  96, 

TOME   VII.  Q 


32  GYMNOSOPHISTES. 

que  les  homicides  involontaires  les  médecins.  Ceux-ci  n'étaient 
se  présentassent  à  eux  pour  leur  pas  sédentaires  comme  lesHylo- 
demander  l'absolution,  en  se  sou-  biens,  et  se  piquaient  de  savoir  en- 
dettant aux  pénitences  qui  leur  tre  autres  choses  les  remèdes  de  la 
seraient  imposées,  et  sans  cela  stérilité  (C).  On  les  logeait  avec 
ils  ne  pouvaient  pas  revenir  à  plaisir  :  cette  science  de  faire 
leur  patrie.  Ces  philosophes  fai-  engendrer  fils  et  filles  leur  don- 
saient  profession  d'une  grande  naît  un  bon  privilège  d'hospita- 
frugalité  ;  car  ils  ne  vivaient  lité.  Quelques  autres  se  mêlaient 
que  de  fruits  que  la  terre  leur  de  prédictions  et  d'enchantemens 
fournissait  d'elle-même.  Si  l'on  et  paraissaient  fort  instruits  des 
en croitPhilostrate(^), ils  étaient  cérémonies  et  des  traditions  qui 
descendus  des  gymnosophistes  regardent  l'état  des  morts  :  ils 
indiens  (B).  Je  ne  saurais  bien  étaient  un  peu  coureurs.  D'au- 
dire  si  c'est  à  eux  que  l'on  doit  très,  bien  plus  polis  que  ceux-là, 
attribuer  les  découvertes  astro-  ne  prenaient  de  ce  qui  se  dit  de 
nomiques  dont  Lucien  (c)a  don-  l'autre  monde  que  les  choses  qui 
né  la  gloire  à  leur  nation.  Il  pouvaient  servir  à  la  sainteté  et 
prétend  que  c'est  dans  l'Ethiopie  à  la  piété  (e).  Généralement  par- 
que la  science  des  astres  a  eu  ses  lant,  les  gymnosophistes  ont  fait 
commencemens  ;  et  que  c'est  là  honneur  à  leur  profession  :  les 
qu'en  considérant  les  diverses  maximes  que  les  historiens  leur 
phases  de  la  lune  on  a  com-  attribuent  if),  et  les  discours 
mencé  de  connaître  qu'elle  em-  qu'on  leur  fait  tenir  ne  sentent 
pruntait  toute  sa  lumière  du  point  le  barbare  :  on  y  voit  au 
soleil.  Pour  ce  qui  regarde  les  contraire  bien  des  choses  d'un 
gymnosophistes  de  l'orient ,  ils  grand  sens  ,  et  d'une  profonde 
étaient  divisés  en  brachmanes  méditation.  On  ne  peut  pas  se 
{d) ,  dont  j'ai  donné  un  long  ar-  plaindre  qu'ils  aient  mal  soutenu 
ticle ,  et  en  Germanes.  Les  plus  la  majesté  de  la  philosophie  , 
considérables  de  ceux-ci  por-  puisque  c'était  leur  méthode  de 
taient  le  nom  d'Hylobiens,  à  eau-  n'aller  trouver  personne,  mais 
se  qu'ils  demeuraient  dans  les  de  mettre  les  choses  sur  un  tel 
bois.  Ils  s'y  nourrissaient  de  feuil-  pied  à  l'égard  même  des  rois  (D), 
les  et  de  fruits  sauvages  ;  ils  re-  que  si  quelqu'un  avait  besoin 
nonçaient  au  vin  et  à  l'autre  sexe  ;  d'eux  il  vînt  le  leur  dire,  ou  le 
ils  répondaient  aux  questions  leur  envoyât  dire.  C'est  poureela 
des  princes  par  des  messagers;  qu'Alexandre,  qui  ne  crut  pas 
et  c'était  par  eux  que  les  rois  hono-  qu'il  fût  de  sa  dignité  de  les  aller 
raient  et  priaient  la  divinité.  Le 
second  degré  d'estime  était  pour  (e)  Oùé'  a.ù'roù;  <f«  à;r  j^o^évoc/ç t£v x*5" 

dfouBf  uhht.il/uh  oev,  sV«  (ToJtEÎVpcç  tv~îCaa.v 

xcii    omo'THTa..    Qui  nec  ipsi  abstineant  ab 

{b)  In  Vil  â  Apollon.,  lib.  VI,  d'où  J'ai  Us  ejuœ  de  inferis  memorantur  e/uœ  ad  pieta- 

tiré  ce  que  dessus.  lem  sanctitnoniamque  pertinent.  Strabo,  lib. 

(c)De  Astrolog.  XV.  pag.  4yi. 

(d)  VoyesStrabon,  auliv.XV,  et  la  re-  ',/]  Voyez  Stràbon,  ibid.  Phitostrat. ,  in 

marque  iFl  de  l'article  Bka.CHMA.NES  ,  (uni.  V  il  â  ipollon. ,  ///*.  ///.  Plutarch, ,  in  Alexan- 

tl\  pag.  97.  dvo  Aman.  Exped. ,  lib.  VII, 


GYMNOSOPHISTES. 


83 


voir,  leur  députa  quelques  per-  les  hommes  vivaient  comme  les 
sonnes,  afin  de  satisfaire  l'envie  brachmanes  (H)? 
qu'il  avait  de  les  connaître  (g-).  Il 
ne  se  peut  rien  voir  de  plus  beau 
que  la  manière  dont  ils  élevaient 
leurs  disciples  (E).  Ils  leur  de- 
mandaient chaque  jour  ,    avant 


(A)  Les  Grecs  ont  ainsi  nomme 
les  philosophes  qui  aliment  nus.  j  J) 
serait  absurde  de  nier  qu'il  y  ait  eu 
des  philosophes  indiens  qui  ne  por- 
taient point  d'habits  j  mais  on  pour- 
qu'on  se  mît  à  table,  à  quoi  ils  rait  prétendre  que  les  brachmanes 
avaient  employé  la  matinée  ;  et  n'ont  point  été  de  ce  nombre  :  car  , 
chacun  de  leurs  élèves  était  obli-    outre  l,s  autorités  que  j'ai  alléguées 

en    un   autre    heu(i),    on  peut  faire 


gé  de  produire  ,  ou  quelque  bon- 
ne action  morale,  ou  quelque 
progrès  dans  les  sciences,  faute 
de  quoi  on  le  renvoyait  au  tra- 
vail sans  lui  donner  à  manger. 
On  a  vu  dans  l'article  des  brach- 
manes la  grande  frugalité  des 
gymnosophistes  ,  et  leur  patience 
extraordinaire  à  se  tenir  long- 
temps en  une  même  situation 
(F).  Il  n'est  pas  hors  d'apparence 
que  le  dogme  de  la  métempsyco- 
se les  portait  à  ne  manger  de  rien 
qui  eût  été  animé,  et  que  Py- 
thagore  emprunta  d'eux  cette 
doctrine  ;  mais  il  est  absurde  de 
faire  descendre  d'eux  le  peuple 
juif,  comme  Aristote  (h)  l'en  a 
fait  descendre.  C'était  une  chose 
honteuse  parmi  eux  que  d'être 
malade  ;  de  sorte  que  ceux  qui 
voulaient  éviter  cette  ignominie 


remarquer,  i°.  que  l'Iarchas  (2)  de 
Philostrate  (3)  se  dépouille  avant 
que  d'entrer  dans  une  fontaine  avec 
Apollonius;  a0,  qu'un  autre  brach- 
mane  tire  une  lettre  de  dessous  sa 
robe  (4)  ,  une  lettre,  dis-je  ,  qu'il 
écrivait  à  un  démon  ,  pour  lui  com- 
mander avec  menaces  de  sortir  du 
corps  d'un  jeune  homme  ;  3°.  qu'A- 
pollonius reproche  aux  gymnosophis- 
tes d'Ethiopie  ,  d'avoir  tout-à-fait 
quitte  l'habit  des  gymnosophistes 
indiens,  et  d'avoir  espéré  par-là  de 
faire  croire  qu'ils  étaient  Éthiopiens 
d'origine.  Il  y  a  une  autre  question 
à  proposer,  savoir,  si  ceux  qui  al- 
laient nus  couvraient  les  parties  na- 
turelles. Saint  Augustin  le  soutient. 
Per  opacas  ,  dit-il  (5),  quoque  Indice 
solitudines  quîim  quidam  nudi  phi- 
losophentur  ,  undè  gymnosophistœ 
nominantur ;  adhibent  tanien  genita- 
libus  tegumenta,  quibus  per  codera 
membrorum  carent.  Je  crois  qu'il  a 
raison  ,  car  une  semblable  ceinture 
n'a  pas  dû  empêcher  qu'on  n'imputât 
la  nudité  à  ces  philosophes  :  elle  n'em- 
pêche aujourd'hui  personne  de  dire 


se  brûlaient  eux-mêmes  (;').  C'est   - 

r.   1  r.  ■     ,     et  décrire  que    certains    peuples  de 

ainsi  que  Calanus  se  fit  mourir  a    la  terrc  von|  nus    Lors_ J  ph^ostra. 

la  suite  d  Alexandre.  Nous  avons  te  parle  des  gymnosophistes  d'Afri- 
dit  ailleurs  que  le  dogme  de  la 
transmigration  des  âmes  inspi- 
rait une  extrême  indifférence  aux 
brachmanes  pour  la  vie  ou  pour 
la  mort  (G).  Porphyre  répond 
pertinemment  à  ceux  qui  leur 
proposaient  cette  objection  ,  que 
deviendrait   le  monde  ,   si  tous 


que ,  il  les  appelle  cent  fois  les  nus 
simplement  et  absolument  :  néan- 
moins il  ne  les  représente  pas  comme 
n'ayant  rien  sur  le  corps  ;  au  contrai- 
re ,  il  dit  (6)  qu'ils  sont  habillés  comme 


(t)Plut.,  ibid.  et  alii. 
(Ii)  .4 pu  d  Clcarclium  ,   cité  par  Josèphe  , 
lib.  I  contra  Appion. 
(i)  Strabou  ,  "ptig,  4y3. 


(1)  Dans    la     remarque     (G)     de     l'article 
Brachmanes  ,  tum.  IV. 

(2)  C  était  en  ce  temps-là   le  président   des 
brachmanes. 

(3)  JTnVitS  Apollon»,  lib.  III. 

(4)  Simul  epistolam  è  s  mu  delrttctam  mulieri 
dedtl    lilem  ,  ibid. 

(M  Augusl. ,  de  CIvilatc  Dci ,  lib,  XIV,  car 
XVII. 

(G)  Lib.  VI,  pag-  m.  1Î7. 


84 


GYMNOSOPHISTES. 


les  moissonneurs  d'Athènes ,  et  il  leur 
reproche  d'avoir  quitté  l'habit  indien 
sous  l'espérance   qu'avec  l'habit  d'E- 
thiopie ils  gagneraient  la  réputation 
d'être    de  véritables  Ethiopiens.    Je 
trouve  que  pour  appuyer  le  sentiment 
de  saint  Augustin    on    cite  (7)  Nico- 
las de  Damas,  et   Diodore  de  Sicile. 
Le  premier  (8)  rapporte ,  comme  té- 
moin oculaire,  que  les  présens  que 
le  roi  des  Indes  lit  à  l'empereur  Au- 
guste, furent  portés  par   huit  escla- 
ves  nus   à  la  vérité ,    mais  non    pas 
quant  aux  parties  viriles.  Louis  Vives 
et  Pérérius  rapportent  cela  ,  comme 
si   ces  huit  esclaves  avaient  été  don- 
nés   à   Auguste.   Voilà   comment   les 
plus  doctes  sont  sujets  à  ne  regarder 
pas  de  fort  près  à  ce  qu'ils  allèguent. 
On  (9)    fait  parler  Diodore  de  Sicile 
comme  s'il  avait  assuré  que  les  Ethio- 
piens   allaient    nus  ,    mais    de    telle 
sorte  qu'ils  se  faisaient  des  ceintures 
ou  de  poil ,  ou  de  queues  de  renard. 
C'est  supprimer  une    partie   du   pas- 
sage  en  faveur  de  la  cause  que   l'on 
soutient.    On  veut  soutenir  la  pensée 
de  saint  Augustin  ,  que  la  honte  ,  de- 
puis le  péché,  est  naturelle  à  tous  les 
hommes,  quant  aux  parties  qu'Adam 
et  Eve  ne  purent  voir  nues  après  avoir 
mangé   de   la  pomme.  Si  Diodore  de 
Sicile  avait  avancé  que  tous  les  Ethio- 
piens qui  vont  nus  cachent  ces  par- 
ties ,  son  autorité  serait  de  poids  ;  il 
a  donc  fallu  ou    ne  point  parler   de 
lui,  ou  supposer   qu'il  s'exprime   de 
la  sorte.  La  vérité  est  qu'il  ne  le  fait 
pas ,  et  qu'ainsi   il  fait  plus  de    tort 
que  de  bien   à  la  cause  de  saint  Au- 
gustin.   Il  parle  de  quatre  sortes  d'E- 
thiopiens (  10)  :  les  premiers  vont  nus  ; 
les  seconds  se  couvrent   de  quelques 
queues  de  bêtes  les  parties  honteuses  5 
les  troisièmes    s'affublent  de  la  peau 
de  quelques  animaux;  et  les  derniers 
se  font  un  tissu  de  poils  qui  les  cou- 
vre jusqu'à  la  ceinture. 

(B)  Si  Von  en  croit  Philostrate  , 
ils  étaient  descendus  des  gymnoso- 
phistes  indiens.]  Apollonius  avait  vu 
ceux-ci  avant  que  d'aller  en  Ethiopie, 


(n)  Vives,  in  Au-ust.  ,  Je  Civitai.  Dei  ,  lib. 
XIV.  cup.  XVII.  Pcrerius,  in  Geneslm  , 
cap.  III. 

(9,)  Apud  Strab. ,  lib.  XV. 

(q)  Perer.  ,  in  Gcnesim,  cnp.  III 

(10)  DioJor.  Sicul.  ,  lib.  IV,  cap.  I. 


et  il  ne  cessait   de  témoigner  l'admi- 
ration  qu'il  avait  conçue  pour  eux. 
Les  gymnosophistes  d'Ethiopie ,  ayant 
eu  le  vent  de  cela  ,  affectèrent  de  lui 
parler  avec  mépris  de  ceux  des  Indes. 
Il  leur  répondit  là-dessus  fort  libre- 
ment, qu'ils   ne    médisaient  des   In- 
diens qu'afin  de  persuader  au  monde 
qu'ils  n'étaient  point  venus  de  ce  pays- 
là  en  Ethiopie  ,  pour    de    mauvaises 
raisons,    comme  le    bruit  en  courait 
(11).  Voici  quel  était  ce  bruit.  On  di- 
sait (12)   que    les  Éthiopiens    étaient 
originaires  des  Indes  ;  qu'ils  y  avaient 
été  anciennement  sujets  du  roi  Gan- 
ges  ,   qu'ils  l'avaient  tué;  que  les  au- 
tres Indiens  les  avaient  regardés  de- 
puis ce  meurtre  comme  des  abomi- 
nables ;    que   la    terre   n'avait    plus 
voulu  les  souffrir,  qu'elle  ne  laissait 
plus  mûrir  leurs  moissons,  ni  venir 
à  terme    leurs   femmes    grosses,    ni 
croître    leurs    bestiaux  ;    et    qu'elle 
s'affaissait  partout    où    ils  voulaient 
bâtir  des  maisons;  que    l'ombre    du 
roi  meurtri  les  suivait  partout,  et  les 
effrayait  ;  et  qu'on  ne  vit  aucune  lin 
à  ces  misères,    que  lorsque    les    au- 
teurs de  ce  parricide  eurent  été  en- 
gloutis par  la  terre.  On  prétend  (i3) 
que  tous  ces  prodiges  ûrent  déserter 
le    pays    à    ce  peuple  ,  et  qu'il  vint 
s'établir   dans  cette  partie  de    l'Afri- 
que qu'on  a  nommée  l'Ethiopie.  D'au- 
tres   ont   parlé  de  cette  transmigra- 
tion ,   comme  le  docte  Marsham   l'a 
montré  (1%).  Il  a  fait  voir  aussi  qu'on 
a  reconnu  deux  sortes  d'Ethiopiens  ; 
les    uns  en    Asie,  et   les    autres    en 
Afrique,  et  des  Indiens  en  Afrique; 
mais  il  prétend  sans  raison  que  dans 
un  passage  de  Virgile  ,  on   doit    en- 
tendre   l'Ethiopie  par  le  mot    Indis. 
Virgile   entendait    par-là    les    Iudcs 
Orientales;  il  croyait   que    le   Nil  y 
avait  sa  source,  et  vous  voyez  aussi 
qu'il   le  fait  passer  par  les  frontières 
de  Perse. 

Nain  ,  quh  Pellœi  gensforlunata  Canopi 
Aceolil  rffuso  slagnarilemjlumine  Ndum  , 
El  circitin  piclis  vehitur  sua  titra  phase'is  , 
Qttaqite  pkarelralat  vicinia  Persidis  urget, 
El  viraient  /Egyptltm  nigrd  fœculldal  arma, 
El  divers  a  ruens  septem  discurril  in  ora  , 

(11)  Pliilostrat.  ,  in  ejus  VUS,  lib.  VI. 
(ia)  Idem  ,  ibid. ,  lit'.  III. 
(i3)  Idem,  ibidem,  lib.   VI. 
04)   Cbron.   Canon.    Xgypt.',    ftecul.   XII!, 
pag.  335  ,edil.  1/1-40. 


GYMNOSOPIÏÏSTES. 


H, 


Vsque  coloralis  amnis  devexus  ab  Indis  : 
Oinnis  in   hdc  certain   rcgio  jacit   aile  salu- 
tem  (i5). 

(C)  Ils  se  piquaient  de  savoir,  entre 
autres  choses,  les  remèdes  de  la  ste'rili- 
le.]  Là-dessus  ils  se  vantaient  de  trois 
choses  :  de  pouvoir  faire  que  l'on  eût 
beaucoup  d'enfans;  de  me'nager  que 
ce  fussent  des  garçons;  de  procurer 
que  ce  fussent  des  femelles.  Strabon 
marque  tout  cela.  At/v*3-6«.i  Js  *a.\ 
5roÀt/"},ovo!/c  ttoisiv  ,  X.XI  ct'f. ptvoydi/ouc  KO.) 
Bnxvyôvwç  <fià  Qa.'fy.u.x.iutix.-nç.  Posse 
eos  et  fœcundos  facere  ,  et  ma  nu  m 
enunarum  procrealionrm  medica- 
me ntis  prœstare  (16) .  C'était  le  moyen 
dese  rendre  nécessaires  ou  agréables 
à  plusieurs  sortes  de  personnes,  car 
il  y  en  a  qui  souhaitent  une  nom- 
breuse famille;  d'autres,  n'ayant  que 
des  filles,  souhaitent  passionne'ment 
un  garçon;  d'autres,  n'ayant  que  des 
garçons,  voudraient  bien  aussi  avoir 
quelque  fille.  C'est  principalement 
la  passion  des  mères  :  elle  est  assez 
raisonnable  ,  car  une  fille  est  une 
compagne  et  une  aide  plus  commo- 
de à  une  mère  qu'un  garçon. 

(D)  A  l'égard  même  des  rois.]  Ceci 
ne  doit  point  s'entendre  générale- 
ment  de  tous  les  gymnosophistes  ; 
car,  selon  Nèarchus ,  les  brachmanes 
étaient  à  la  cour  et  à  la  suite  des 
rois,  en  qualité  de   leurs  conseillers 

(17)- 

(E)  Bien de  plus  beau  que  la 

manière  dont  ils  élevaient  leurs  dis- 
ciples.] Tout  ce  qu'en  dit  Apulée 
me  paraît  digne  d'être  copié.  Est 
prœterea  ,  dit-il  (18),  genus  apud 
illos  (Indos)  prœstabile ,  gymnoso- 
phistce  vocantur.  Ifos  ego  maxime 
admiror  :  quôd  homines  sunt  periti, 
non  propagandœ  vitis  ,  nec  inocula n- 
dœ  arboris ,  nec  proscindendi  soli  : 
non  illi  nôrunt  arvum  colère ,  vel 
aurum  colare,  vel  equum  domare , 
vel  taurum  subigere ,  vel  ovem  vel 
capram  tondere  vel  pascere.  Quid 
igilur  est?  Unum  pro  his  omnibus 
nôrunt.  Sapientiam  percolunt,  tam 
magistri  senes  quant  discipuli  mi- 
nores. JYec  quidquam  apud  illos  œquè 

(tS)  Virgil.  ,  Georg.,  lib.  IV,  vs.  287. 
(it>)  Slrab. ,   lib.   XV,  pag.  49>- 

(17)  Nearclius  ,  apud  Strabonem,  lib.    XV, 
pag.  493. 

(18)  Apul.  F^oiidor.  ,  lib.  I ,  circa  init. ,  pag. 
m.  343. 


laudo  qu'am  quod  torporem  animi 
et  otium  oderunt.  Igitur  ubi  mensa 
posita  ,  priusquàm  edulia  apponan- 
tur,  omnes  adolescentes  ex  diversis 
locis  et  officiis  ad  dapem  conve- 
niunt.  Magistri  perrogant,  quodfac- 
tum  a  lucis  ortu  ad  Mua  diei  bo- 
num  feceiit.  llic  alius  se  commémo- 
rât inier  duos  arbilrum  detectum  ,  sa- 
natâ  simultate  ,  reconcilialâ  gralid , 
purgatâ  suspicione  ,  amicos  ex  infen- 
sis  reddidisse  :  indè  alius ,  sese  pa- 
rentibus  quidpiam  imperantibus ,  obe- 
disse  :  et  alius ,  aliquid  meditatione 
.sua'  reperisse  ,  vel  allerius  demon- 
stratione  didicisse.  Denique  cœteri 
commémorant.  Qui  nihil  habet  ad- 
ferre  cur  prandeat  ,  impransus  ad 
opus  foras  extruduur. 

(F)   On  a   vu leur  patience  a 

se  tenir  long-temps  en  une  même  si- 
tuation.] Outre  ce  qui  a  été  allégué 
sur  ce  sujet  dans  la  remarque  (A)  de 
l'article  Brachmanes  ,  je  dirai  ici 
que  cette  dure  contrainte  n'a  pas  été 
hors  d'usage  parmi  les  philosophes 
grecs.  Socrate  se  mettait  quelquefois 
à  cette  épreuve  (19)  ,  afin  de  faire 
bonne  provision  de  patience  pour 
les  besoins  à  venir.  Nous  pren- 
drions cela  pour  une  bêtise  :  j'ai  ouï 
parler  comme  d'une  grande  marque 
de  mollesse  et  de  pesanteur  d'es- 
prit ,  de  la  coutume  qu'avait  un  mo- 
narque ,  vers  le  commencement  du 
XVIIe.  siècle,  de  laisser  son  chapeau 
tout  comme  on  le  lui  mettait  sur  la 
tête  en  l'habillant.  Mais  remarquons 
qu'il  n'y  aurait  guère  de  supplice 
plus  insupportable,  que  d'être  con- 
damné à  se  tenir  toute  sa  vie  dans 
une  même  posture.  La  situation  qui 
nous  semble  la  plus  commode  ,  être 
bien  assis  ,  veux-je  dire  ,  fatiguerait 
à  la  longue  cruellement  (20). 

(G)  La  transmigration  des  dmes 
inspirait  uneextremeindifférence  aux 
brachmanes  pour  la    vie  ou  pour  la 

(19)  Stare  solitus  Socrates  dicilur  prrlinaci 
statu  perdius  atque  pernox  ,  h  summo  lucis  ortu 
ad  solem  aherum  orientein  inconnivens ,  imino- 
bilis ,  iisdem  in  vestigiis,  et  ore  atque  oculit 
cundem  in  locutn  directis  cogitabundus.  A. 
Gellius,  lib.  II,  cap.  I. 

(20)  Voyez  les  commentateurs  de  Virgile  ,  sur 
ces  paroles  du   VIe.  livre  île  l'Enéide  ; 

Sedet  a-ternumqne  sedebit 

Infelix  Theseus 

Voyez  surtout  M.    du  Rondel,    Dissert,    sur  le 

Cuénix,  pag.  96  et  suiv. 


86  GYMNOSOPHISTES. 

mort.]  A  cela  se  rapporte  ce  que  doit  prescrire  lui-même  les  saintes 
Trajan  dit  des  Gètes  (21)  ,  qu'ils  lois  que  les  dieux  et  les  serviteurs 
étaient  les  plus  belliqueux  de  tous  des  dieux  ont  établies.  Ces  maximes 
les  hommes,  non-seulement  à  cause  de  Porphyre  peuvent  servir  à  ceux 
de  la  force  de  leur  corps,  mais  aussi  qui  prêchent  l'observation  de  la  rao- 
à  cause  de  l'opinion  que  Zamolxis  raie  la  plus  sêvêre,  et  qui  conseil- 
leur avait  persuadée;  car  comme  ils  lent  tant  le  célibat.  Que  deviendrait 
ne  croyaient  pas  que  la  mort  fût  au-  le  monde,  leur  dit-on,  si  chacun 
tre  chose  qu'un  changement  de  de-  obéissait  à  vos  conseils?  Ne  soyez 
meure,  ils  se  préparaient  plus  aisé-  pas  en  peine  sur  cela,  doivent-ils 
ment  a  mourir  qu'à  faire  un  voyage,  répondre  (a3) ,  peudegensnous  pren- 
Voila  de  quoi  couvrir  de  honte  les  dront  au  mot.  Les  anabaptistes  se 
chrétiens,  a  qui,  généralement  par-  servent  avec  succès  d'une  semblable 
lant,  l'espérance  prochainedu  paradis  réponse  ,  touchant  la  condamnation 
ne  peut  arracher  l'amour  immense  des  charges  de  magistrature  :  ils  sa- 
qu'ils  ont  pour  la  vie.  vent  bien  qu'on  ne  manquera  jamais 

(H)    Porphyre    répond  pertinent-    de  maître ,  et  que  quand  leurs  cen- 
nient  a  l'objection,    que    deviendait    sures  et  leurs    exhortations   seraient 
le  monde,    si    tous   les  hommes    vi-    les  plus  pathétiques  du  monde,  il  se 
valent    comme    les  brachmanes?]  Il    trouvera    toujours  plus  de  postulans 
n  avait  garde    de  ne   pas    louer    ces    que  de  charges.   Cela  me  fait  souve- 
philosophes  indiens,  dans  son  livre  de    nir  d'un  théologien  de  l'église  angli- 
l'abstinence,  puisqu'ils    pratiquaient    cane,    à  qui  l'on   voulait   persuader 
si  bien    son   dogme.  Il  fait  (22)    une    que     le  dogme  de  l'obéissance   pas- 
description  très-avantageuse  de  leur    sive  devait  être  abandonné,  comme 
frugalité  ,    de    leurs    bonnes    mœurs    tout-à-fait  contraire  au  bien  public  : 
et  de  leur  mépris  pour  la  vie.  Quant    N'ayez    pas  peur,   répondit-il,   que 
à  l'objection  des  mondains,  il  la  ré-    les   peuples  en   soient   plus  portés  à 
fute  de  la  manière  que  Pythagore  l'a    souffrir  qu'on  les  opprime;  et  comme 
réfutée.    Si  tous  les  hommes ,  dit-il,    vous    ne    craignez    pas   en    prêchant 
devenaient    rois,  la  vie  humaine  se-    très-fortement  contre  la  vengeance, 
rait  dans  un  embarras  étrange;  faut-    d'exposer  votre  prochain  à  l'insulte; 
il   pour  cela  fuir   la    royauté?  Et  si    car  vous  savez  bien  que,  nonobstant 
ton;    les  hommes    suivaient   la  ver-    tous  vos  sermons,  il  mettra  bon  or- 
tu,  on  ne  sortirait  jamais  des  char-    dre   que   son    insensibilité   pour    un 
ges    publiques;  car  il  faudrait    que    soufflet  ne  lui  attire  de  nouvelles  in- 
ceux  qui  les  administreraient  ne  per-    jures  ;   ainsi,   etc.  Notez  que  la  pen- 
dissent jamais   cette  récompense   de    sée  de  Porphyre,  les  lois  ne  défendent 
leur  probité    :    personne  néanmoins    point  au  peuple ,  etc.  se  peut  confir- 
n  est  assez   fou    pour  prétendre  que    mer  par  ce  passage  de  Cicéron  (1^)  : 
ce   ne  soit  pas    le   devoir  de  tous  les    Aliter  leges  ,  aliter  philosojdiitoll uni 
hommes    de   marcher    avec    ardeur    astutias  :  leges  quatenùs  le  n  ère  manu 
dans   le   chemin  de  la  vertu.  Il  v  a    res  possunl  :  phi/osophi  quatenùs  ra- 
bien  des  choses  que  les  lois  permet-    tione  et  intelligentid .  Et   par  ce  pas- 
tent  au  peuple,  qu'on  ne  regarderait    sage   de   Sénèque  (a5)    :    Quant    an- 
pas  comme    tolérables  à  un  philoso-    gusta  innocenlia  est  ad  legem  bonum 
phe.  Les  lois  ne  défendent  point  au    esse  !  quanta  latihs    qfficiorum  palet 
peuple  les    divertissemens    avec   les    quant  juris  régula  '.  quant  midla  pie- 
fillçs  de  joie,  ni    la  vie    de   cabaret;    tas ,  humanitas  ,  liberalitas ,  justitia  , 
mais  elles  jugent  qu'un  tel  commer-    fides   exiguntl  quœ  omnia  extra  pu- 
ce, et  un  tel  genre  de  vie  sont  lion-    blicas   tabulas  sunt.    Voyez    Grotius 
feux    aux  personnes  mêmes    dont  la 

probité  n  est  que  médiocre.  Il  ne  (a3)  Voyez  M.  Baillet,  dans  les  Nouvelles  de 
faut  dODC  pas  permettre  aUX  Ver-  la  République  des  Lettre,,  <ie'c.  1686,  pag.  «435. 
tucux  ce  que  l'on  Souffre  dans  le  On  voit  une  autre  réponse  de  saint  Augustin  , 
„,„_„     »»„,-— l-  1     1  1  dans V auteitr  des  Nouvelles  Lettres  contre  V H is- 

'"-nu     peuple    :     un     philosophe     se     loire  dll  Calvinisme  ,1e  Maimbourg ,  pag.  767. 

.      .     _  f>4)     Cicer.  ,     <lc    Offic.    ,     Ub.      III  ,     cap. 

(21)  Apud  Jullanum,  in  Ca*<rr.  XVII . 

'1*)  I.ib.  IV  de  Abslln.  (»5j  S  me.  ,  de  Ira  ,  Ub.  II,  cap.  XXV1T. 


GIOACHINO  GRECO.  GTRAC.  GLAPHYRA. 


-S' 


au  chapitre   X  du  IIIe.  livre  de   Jure 

Btlh  et  Pacis. 

Au  reste,  la  pense'e  de  saint  Au- 
gustin, que  j'indique  en  note  (26), 
me  fait  souvenir  d'un  philosophe. 
Voire  philosophe  ,  dit-il  (27),  n'est 
pas  trop  sage ,  quand  il  se  veut  ma- 
rier pour  laisser  en  France  de  sa  race. 
S'il  était  de  la  race  des  empereurs  et 
des  souverains ,  je  ne  l'empêcherais 
pas  pour  le  roi.  Eh  quoi  !  .1/.  a- 
t-il  peur  que  le  monde  vienne  a  man- 
quer? Quand  il  manquerait  par-la, 
il  ne  peut  plus  glorieusement  finir  : 
qu'un  courtisan  ,  qu'un  magistrat , 
se  marie,  un  marchand  et  une  mar- 
chande,  j'jr  consens  :  mais  qu'un  phi- 
losophe se  charge  de  femme  et  d  en- 
fans  ,  et  un  philosophe  de  la  famille, 
de  Zenon,  c'est ,  M.  ,  une  espèce  de 
prodige  plus  digne  d'être  expié  que 
celui  des  vaches  qui  ont  parlé,  et  ont 
dit  autrefois  effroyablement  :  Rome, 
prends  garde  à  toi. 

(26)  Citation  (2i). 

(27)  Cotin  ,  OEuvres  galantes,  lom.  I ,  pag. 
m.  2^5. 

GIOACHINO  GRECO ,  connu 
sous  le  nom  du  CALABROIS, 
jouait  aux  échecs  avec  tant  d'ha- 
bileté, qu'on  ne  peut  trouver 
étrange  que  je  lui  consacre  un 
petit  article.  Tous  ceux  qui  ex- 
cellent dans  leur  métier  jusques 
à  un  certain  point  méritent  cette 
distinction.  Ce  fut  un  joueur 
qui  ne  trouva  son  pareil  en  au- 
cun endroit  du  monde.  Il  voya- 
gea dans  toutes  les  cours  de 
l'Europe ,  et  s'y  signala  au  jeu 
des  échecs  d'une  manière  sur- 
prenante. Il  trouva  de  fameux 
joueurs  à  la  cour  de  France ,  le 
duc  de  Nemours ,  Arnaud  le 
Carabin  ,  Chaumont  et  la  Salle  ; 
mais  quoiqu'ils  se  piquassent  d'en 
savoir  plus  que  les  autres  ,  aucun 
d'eux  ne  fut  capable  de  lui  résis- 
ter :  ils  ne  purent  pas  même  lui 
tenir  tête  tous  ensemble.  Celait 
en  fait  d'échecs  ,    un  brave   qui 


cherchait  dans  tous  les  états  quel- 
que fameux  chevalier  avec  qui 
il  put  se  battre  et  rompre  une 
lance}  et  il  n'en  trouva  point 
dont  il  ne  demeurât  le  vainqueur. 
Un  bel  esprit  fit  des  vers  sur  ce 
sujet  (a)  (A).  Voyez  ,  tome  III  r 
l'article  Roi*. 

(a)  Tiré  d'uic  lettre  insérée  dans  le  Mer- 
cure Galant  du  mois  de  décembre  i6\)3. 

Le  Jeu  des  échecs  ,  trad.  de  l'italien  de 
Gioac/iino  Greco  Calabrais,  fut  imprime'  à 
Paris  ,  en  1669,  in-[2,et  réimprime  dans 
les  anciennes  éditions  de  V Académie  des  jeux. 
Dans  les  nouvelles  ,  on  lui  a  substitue'  l'ou- 
vrage de  Pliilidor,  qui  est  beaucoup  meilleur. 
Leje'suite  Ce'rutti  a  composé,  en  français,  un 
poëme  sur  les  échecs ,  qui  a  e'te'  imprime'  dans 
['Encyclopédie  méthodique  (jeux)  et  qui  fait 
partie  du  Recueil  de  quelques  pièces  de  litté- 
rature en  prose  et  en  vers  ,  Glascow  et  Paris, 
1784  ,  t/z-8». 

(A)  Un  bel  espiit  fit  des  vers  sur 
ce  sujet.]  La  plupart  des  lecteurs  me 
voudraient  du  mal ,  si  je  leur  appre- 
nais cela  sans  leur  faire  voir  les  vers 
mêmes.  Il  faut  donc  que  je  les  rap- 
porte. 

A  peine  dans  la  carrière 
Contre  moi  tu  fais  un  pas  , 
Que  par  la  démarche  fière 
Tous  mes  projets  sont  à  bas. 
Je  vois  dès  que  tu  t'avances 
Céder  toutes  mes  défpnses , 
Tomber  tous  mes  champions  : 
Dans  ma  résistance  vaine 
Roi,  chevalier,  roc  et  reine 
Sont  moindres  que  des  pions  (i). 

(1)  De  la  lettre  insérée  au  Mcrc.  Gai.  ,  dé- 
cembre i6g3. 

GIRAC  (Paul-Thomas,  sieur 
de).  Voyez  Thomas  ,  tome  XIV. 

GLAPHYRA , femme  d'Arché- 
laiis ,  grand-prêtre  de  Bellone  à 
Comaue  dans  la  Cappadoce  ,  pro- 
cura des  royaumes  à  ses  deux 
fils  par  sa  beauté.  Elle  florissait 
en  même  temps  que  Marc  An- 
toine. Il  y  a  des  historiens  qui  ne 
disent  pas  formellement  qu'elle 
se  gouvernât  mal  ;  ils  se  con- 
tentent de  le  donner  à  penser  (A), 
en  rapportant  ce  que  faisait  Marc 


88 


GLAPHYRA. 


Antoine  pour  l'amour  d'elle  ; 
mais  Dion,  sans  nulle  sorte  de 
ménagement,  la  traite  de  femme 
de  mauvaise  vie  (H).  11  est  effec- 
tivement très-probable ,  vu  l'hu- 


lant  pour  ne  se  déclarer  pas  en 
faveur  d'un  prêtre  qui  avait  une 
si  belle  femme.  Je  serais  bien  aise 
de  savoir  sur  quoi  se  fondait  un 
bel  esprit ,   lorsqu'il    disait  (a)  , 


meur  de  Marc  Antoine  ,  qu'il  ne  que  la  Glapbyra  de  l'épigram- 
donnait  pas  des  couronnes  en  me  d'Auguste  était  la  comédien- 
considération  de  Glaphyra,  pour  ne  Cythéride.  Nous  verrons  dans 
la  seule  satisfaction  d'obliger  l'article  suivant  que  Glaphyra 
une  belle  femme ,  et  qu'il  pre-  prétendait  descendre  des  rois  de 
nait  d'elle  tous  les  témoignages  Perse, 
de  reconnaissance  qu'un  volup- 
tueux est  capable  de  souhaiter  et 
de  prescrire.  Le  bruit  de  celte 
galanterie  vint  jusques  à  Rome  ; 
et  Fui  vie ,  femme  de  Marc  An- 
toine ,  aurait  bien  voulu  qu'Au- 
guste la  vengeât  de  cette  in- 
fidélité de  son  mari.  Ses  désirs 
étaient    là  -  dessus    si    ardens    , 


(à)  Nouveaux  Dialogues  des  Morts ,  //''. 
partie,  dial.  IV ,  pag.  m.  28. 

(A)  Il  y  a  des  historiens  qui  ne  di- 
sent pas  formellement  quelle  se 
gouvernait  mal  ;  ils  se  contentent  de 
le  donner  a  penser.]  Appien  est  ce- 
lui que  ie  de'signe  :  voici  comme  il 
parle  quand  il  raconte  ce  que  Marc 
Antoine  fit  dans  l'Asie,  après  la  dé- 
faite  de  Brutus  et  de  Cassius.  Discep- 


qu'elle  menaçait  Auguste  d'une  tationes   quoque  c'witatum  ac  regum 

déclaration  de  guerre  ,  s'il  ne  la  ex   arbitrio    suo   composait,  Sisinnœ 

traitait  comme  son  mari  traitait  -friarathisque  in  Çappadociâ ,  prœ- 

~,      ,             .                      ,  lato  oisinna  in  Lrlaphyrœ  mains  for- 

Glaphyra.  Auguste  méprisa  celte  mosœ  gratiam^y* Ce    fut  l'an  7i3 

menace  ,  et  aima  mieux  s'exposer  de  Rome  que   Sisinna  fut  établi  roi 

à  une  guerre  ,  que  d'être  galaut  de   Cappadoce  à  l'exclusion  d'Aria- 

J»  ;n„;co^^  p),0,   Tr„l„;o    r'oci  rathes.  Il  ne  jouit  pas  long-temps  de 

cette  couronne;  cariions  allons  voir 


de  jouissance  chez  Fulvie.  C'est 
au  moins  ce  qu'il  voulut  qu'on 
jugeât  de  lui;  car  il  composa  là- 
dessus  une  épigramme ,  que  Mar- 
tial a  insérée  dans  ses  poésies  (C). 
Je  ne  sais  par  quelle  fatalité  le 
inaride  Glaphyra  n'eut  pas  auprès 


qu'en  l'année  718  Ariarathes  régnait 
dans  la  Cappadoce. 

(B)  Dion la  traite  de  fem- 
me de  mauvaise  vie.  ]  C'est  lorsqu'il 
parle  du  changement  de  gouverne- 
ment qui  fut  fait  par  Marc.  Antoine 
dans  plusieurs  provinces    de   l'Asie  , 


de  César  ,  le  même  support  que  l'an  718.  Amyntas,  qui  avait  été  se- 

ses  fils  auprès  de  Marc  Antoine,  crétaire  de  Déiotarus ,  fuirais  en  pos- 

t>   •     !'•-     i-           ,.i    /     •.              1  session  de  la  Galatie ,  et  de  quelques 

J  ai    déjà  dit  qu  il   était  grand-  partics  de  la  Lycaonie  et  de  la  Pam- 

prêtre  de  Rellone;  c'était  une  di-  phylic.   Ariarathes  fut  chassé  de  la 

gnité  considérable.  César  la  don-  Cappadoce ,  et  Archélaiis  futmis  en  sa 

na  à  un  graud  seigneur  nommé  Pla,Çe.>  Archélaiis,  dis-je,  issu  des  Ar- 

t              •  1      /t\\            •     r      1    ••  cnelaus    qui  avaient   tait    la    guerre 

Lycomede  (D) ,  qui    tondait  ses  aux  Romains ,  et  fils  de  la  courtisane 

prétentions  sur  de  bons   titres.  Glaphyra.  'O  <T'  'Ap^éxaoç  oZroç ,  npoç 

Oh  était  alors  Glaphyra?  Si  elle  M*v  w*t?«,  ik  vmv  'A^êxacov  èxe»V»y 

eût  plaidé  la  cause  de  son  mari  ™v  7™'PT*!0,Ç  ù'"*™/*?™™  », 

devant   César,    elle  eut  lait  voir  viT0.yIrchelalverô  hujusgenus  paler- 

sans    doute  que    les    prétentions  numdeducebatur ab Archelaïsquicon- 
de   Lycoinède  étaient  mal  fon- 

j  <        J ,                             ■.     ',  r   .  (1)  AppUn.,  lib.    V ,   de  Bell,    civil.,  pag. 

<lees  :  le  juge  aurait  ele  trop  ga-  ,„.  sya. 


GLAPIIYRA.  89 

Ira  Romanos  belligemverant,  mater    mittationemque  generis  jure  minime 

autan  ei  erat  scortum  Glaphyra  (2).    dubio,    vetuslate   tameh    i/itermisso, 

(C)  Auguste  composa  là-dessus  une    sacerdotium  id  repetebat  (6).  On  en- 

épigramme  ,    que  Martial  a  insérée    trevoit  dans  ces  paroles  qu'il  y  eut 

quelques  disputes  devant  César,  tou- 
chant l,i  possession  de  ce  bénéfice  : 
or,  comme  Strabon  assure  que  Lyco- 
mède  le  posséda  après  Archëlaus ,  il 
semble  que  le  débat  fut  entre  eux 
deux.  C'est  aussi  le  sentiment  du 
père  Noris;  car  il  n'a  point  fait  dif- 
ficulté d'assurer  (7)  qu' Archëlaus 
jouit  du  pontificat  de  Bellone  jus- 
ques  à  ce  que  César  le  lui  ôta  en 
l'année  707  ,  pour  le  conférer  à  Ly- 
comède.    Selon  cette  supposition  ,  il 

Jr  a  lieu  de  demander  où  étaient  alors 
es  charmes  de  Glaphyra,  et  pour- 
quoi ne  s'en  servit-elle  point  contre 
les  demandes  de  Lycomede?  Ils  de- 
vaient être  plus  puissans  qu'en  713  : 
ce  n'est  pas  un  fruit  que  le  temps 
rende  meilleur.  Son  mari  l'aurait-il 
cachée  ?  Aurait-il  mieux  aimé  perdre 
sa  prêtrise,  que  d'exposer  sa  femme 
aux  galanteries  redoutables  de  César? 
C'est  ce  que  je  ne  sais  pas. 

(G)  Hirtius  ,  de  Bcllo  Alexandr. 
(7)  In  Cenotaph.  Pisao.  ,  pag.  iz5. 

GLAPHYRA  ,  petite-fille  de  la 
précédente,  était  fille  d'Arché- 
îaûs  ,  roi  de  Cappadoce.  Elle  fut 
mariée  en  premières  noces  avec 
Alexandre ,  fils  d'Hérode  et  de 
Mariamne  ;  et  comme  elle  était 
fière  ,  et  infatuée  de  sa  noblesse  , 
elle  ne  servit  nullement  à  entre- 
tenir la  concorde  dans  la  famille 
où  elle  entra  ;  famille  dont  les 
divisions  rendirent  Hérode  le 
plus  malheureux  et  le  plus  cri- 
i-apportons  ses  termes:  Id  (Bellonaj  minel  de  tous  les  eres  Glaphv- 
templum  )  liomini  nobihssimo  IMico-  .     ,    .    l  x    - 

medi  Bithymo  adjudwaidt ,  qui  regio  ra  se  vantait  a  tout  propos  que 
Cappadocum  génère  ortus  propter  son  père  était  descendu  de  Té— 
adversamfortunam majorum  suorum    menus    (a),   que    sa    mère  était 

(2)  dio  ,  ia.  xlix,  PaS.  469,  d.  issue  de  D.arius  '  fils  d'Hystaspe  , 

f3)  Maniai.,  epigr.  xxi,  ni,,  xi.  Vovez  la    et  qu'ainsi  elle  surpassait  infini- 
ment en  noblesse  toutes  les  da- 

(a)  Elle  entendait  apparemment  celui  quiful 
l'un  des  trois  chefs  des  Héraclides,  pour  ren- 
trer au  Peloponèse;  de  sorte  qu'elle  prétenr 
dait  que.  son  père  Archëlaus  descendit  d'Her- 
cule, 


dans  ses  poésies.]  Si  je  la  rapporte  , 
ce  n'est  qu'après  en  avoir  ôté  les  ter- 
mes trop  scandaleux  (3). 

Cœsaris  Augusti  lascivos  livide  versus 

Sex  lege  ,  qui  tristis  ver/. a  latina  legis. 
QuôJ....  Glaphyram  Antonius,  liant  milii  pœ- 
nam 

Fulvia  constituil,  se  qnoqtie  uti.   .   •   . 
Fulviara  ego  ut.  .  .  .  qnid  si  me  Manius  oret 

Paedicem  ,  faciam?   non  puto  si  sapiam. 
Aut  .  .  ■  aut  pugnemus  ,  ait.  Quul  qua:  milii 
vitâ 

Carior  est  ipsâ  mentnla  ?  signa  canant. 
Absolvis  lepiaos  nimirum  ,  Auemle ,  libellos, 

Qui  scis  Romand  simplicitale  lo'/ui. 

Le  père  Noris  s'est  imaginé  qu'Au- 
guste fit  cette  épigramme  contre 
Marc  Antoine,  et  dans  la  vue  de  lui 
reprocher  ce  mauvais  commerce  (4). 
Mais  ce  n'est  nullement  sur  Marc 
Antoine  que  le  coup  porte,  c'est  sur 
sa  femme  Fulvie,  et  c'est  bien  le  plus 
rude  coup  que  la  satire  puisse  por- 
ter à  une  femme.  Je  prends  avec 
d'autant  moins  de  scrupule  la  liberté 
de  relever  cette  petite  méprise  du 
savant  bibliothécaire  du  Vatican  , 
qu'il  serait  ravi  de  dire  qu'il  n'a 
point  examiné  ces  sortes  de  vers ,  et 
qu'il  fait  gloire  de  s'y  tromper.  Son 
erreur  est  infiniment  moindre  que 
celle  de  Farnabe ,  qui  a  trouvé  dans 
ces  vers  une  protestation  d'Auguste , 
que  la  chasteté  lui  était  plus  chère 
que  la  vie.  Nous  verrons  dans  l'arti- 
cle Lycoris,  qu'il  y  a  des  gens  qui 
veulent  qu'il  s'agisse  delà  courtisane 
Cy  théris  dans  l'épigramme  d'Auguste. 
(D)  César  donna  la  dignité  de  son 
mari  a  un  seigneur  nommé  Lycomè- 
de.~\  J'ai  déjà  dit  en  un  autre  endroit 
(5)  qu'Hirtius   le  nomme  Nicomède  ; 


(4)  H'nc  (c'est-à-dire,  de  ce  qui  a  été  cité 
d'Appien)  argumifntura  obscœni  epigrammatis 
Augustus  posteà  sumpsit ,  quod  Antonio  objicit 
apud  Martialem.  Noris ,  Cenolaph.  Pisan.  , 
pag.  ii5. 

(5)  Dans  la  remarque  (D)  de  l'article  Ancai- 
LKiis  ,  roi  de  Cappadoce,  tom.  II,  pag.  269. 


go  GLAPHYRA. 

mes  de  la  cour.  Elle  traitait  de  fils  qu'elle  avait  eus  d'Alexandre, 
haut  en  bas  la  sœur  et  les  fem-  son  premier  mari ,  abandonnâ- 
mes d'Hérode,  et  reprochait  à  rent  de  bonne  heure  la  religion 
celles-ci  que  leur  beauté  seule  ,  judaïque  (e)  ,  apparemment  à 
et  non  pas  leur  qualité,  les  avait  cause  qu'Archélaùs ,  leur  aïeul 
élevées  au  rang  où  elles  étaient,  maternel,  les  attira  auprès  de 
Rien  n'était  plus  propre  que  de  lui ,  et  prit  soin  de  leur  fortu- 
tels  discours  à  mettre  le  feu  dans  ne.  L'un  s'appelait  Alexandre  et 
la  famille  d'Hérode  ;  et  il  est  cer-  l'autre  Tigrane  :  nous  dirons 
tain  que  cette  fierté  de  Glaphyra  quelque  chose  de  leurs  aventu- 
fut  une  des  premières  causes  de  res,  dans  les  remarques (D).  Si  la 
la  mort  de  son  mari  Elle  le  ren-  chronologie  de  quelques  moder- 
dit  odieux,  et  augmenta  l'envie  nés  était  véritable  (Ë)  ,  il  fau- 
que  l'on  avait  de  le  perdre,  par  drait  mettre  les  deux  Glaphyra 
des  calomnies  et  par  des  ma-  au  nombre  des  femmes  qui  ont 
chinations(ô).  Pendant  le  procès  été  belles  même  dans  leur  vieil- 
criminel  qu'Hérode  fit  faire  à  lesse. 
Alexandre  ,  il  fit  interroger  Gla- 

!                 ,         ,                      ,   ,,&  c.  te)  Idem,  Antirr. ,  lib.  XVIII ,  cap.    VII. 

phyra  :  la  réponse  qu  elle  ht  me-  '                * 

rite   d'être  rapportée  (A).  Après  (A)  La  réponse  qu'elle   fit  mérite 

qu'Hérodeeutfaitmourir  Alexan-  d'être  rapportée.']  Elle  subit  l'inter- 

dre,  il  renvoya  Glaphyra   à  son  rogatoire  en  présence  de  son   mari, 

père  Archélaiis ,  et  retint  les  deux  1ue  r?n  Tait  S*"01*  comme  ™  fils 

1                               '                  .  conspirateur   contre    la    vie   de    son 

fais  que  le  défunt   avait  eus  de  pere.  Cette  vue  la  désola  ,   et  lui  lit 

cette  femme   (c).    Josèphe   pré—  pousser  les  plus  tristes  gémissemens. 

tend  qu'elle  se  remaria  avec  Ju-  Son  mari  >  Presse'  de  dire  si  sa  femme 

i            *  •    j       v  -i                        »           .  était  complice  de  1  attentat,    repon- 

ba      roi  de   Libye,  et  qu  ayant  dit  qifil  nW,it  point  homme  à  rien 

perdu   ce  second    mari   elle  re-  cacher  à  une  femme  dont  il  avait  des 

tourna  chez  son  père  :  mais  il  est  enfans  ,  et  qui   lui  était  plus  chère 

aisé  de  prouver  que  cela  est  faux  <i"e  ?a  vie-  Là-dessus  elle  protesta  de 

,r>N       .  1       ,,              i   j     t    i.             -  son  innocence,   et  déclara  qu  elle  ne 

(B)     si  on  1  entend  de  Juba,  roi  fcraifc  point  d'ifficultë  de  mentil.5  si 

de   Mauritanie.   Ce  qu  il  y  a   de  cela  pouvait  contribuer  quelque  cho- 

certain ,  c'est  qu'Archélaus  ,  fils  se  à  sauver  la   vie  de    son   mari,  en 

d'Hérode,    devint    si   amoureux  dût-elle  perdre  la  vie,  mais  qu'au- 

d,   ,,                             -,,  r                 -i      '  trement   elle    contesserait    tout.    Le 

elle,  que  pour  1  épouser  il  re-  marf  fit  alors  sa  confesslori)  et  dit 

pudia  sa  femme  (d).  On  dit  que  qu'ils  n'avaient  eu  autre  dessein  ,  lui 

Glaphyra  ne  vécut  pas  fort  long-  et   elle  ,  que  de  s'en  aller  à  la  cour 

temps  depuis  son  retour  en  Ju-  d'Archélaiis,  et  de  là  à  Rome(i). 

d»    *                               •„    „     •    ,„    '  (B)  Il  est  aisé  de  prouver  que  cela 

ee ,  pour  un  mariage  si  oppose  )  L       ,  T    ,  ,    '      ,    A  i      mn 

1  r.     .                       orl  est    faux.]  Josej)he  parle  de  ce   raa- 

aux  lois  judaïques  ;  et  1  on  parle  riage  de  Glaphyra  avec  Juba  ,  roi  de 

d'un  songe  qu'elle  eut,  qui  fut  le  Libye,  comme  d'une  chose  certaine 

présage  de  sa  mort  (C).  Les  deux  (»)  :  i|  a.ioute  que  Juba  était  mort 

1          °  quand  Glaphyra  fut  mariée  a  Arche- 

(b)  Ex  Josepho,  de  Bello  Jud. ,  lib.  I,  laiis.  Voici  comment  on  démontre 
cap.  XVII. 

(r)  Idem,  ibidem,  cap,  XVIII,  et  Anlii{.  ,  /,)  Ex  j0,cpl10     Aoliquit. .  lib.  XVI ,  cap. 

lib.  XVII,  cap.  I.  XVI. 

(d)  Ex  Joscpho  Antirpnt.,  lib.  XVII,  cap.  f3)  Idrm  ,  ibid.  ,   lib.  XVII,  cap.   XV,  de 

XV ,  et  de  Bell.  Jud. ,  lib.  II,  cap.  XI.  Bell.  Jud. ,  Ub.  Il,  cap.  XI. 


GLAPHYRA 

3 ne  cela  ne  se  peut  entendre  du  roi 
e  Mauritanie.  Juba,  roi  de  Maurita- 
nie ,  n'était  point  mort  (  3  )  quand 
Strabon  composa  son  VIe.  livre  ;  or 
Strabon  le  composa  sous  l'empire  de 
Tibère  (4)  '■  Juba  n'e'tait  donc  point 
mort  quand  Archelaùs,  fils  d'Hérode, 
fut  marié  avec  Glaphyra ,  puisqu'il 
l'épousa  pendant  sa  prospérité  ,  et 
par  conséquent  avant  l'an  de  Rome 
^5q,  qui  fut  celui  de  sa  disgrâce; 
car  ce  fut  alors  qu'Auguste  le  relé- 
gua à  Vienne.  Auguste  vécut  encore 
sept  ou  huit  ans.  On  peut  prouver 
que  Strabon  lit  son  VIe.  livre  envi- 
ron l'an  5  de  Tibère;  car  dans  le 
IVe.  livre  (5)  il  remarque  qu'il  y 
avait  trente-trois  ans  que  Tibère  et 
Drusus  avaient,  subjugué  les  Nori- 
ques  (6).  Il  serait  supcrUu  de  remar- 
quer après  cela  que  Dion  (7)  parle 
du  roi  Juba  comme  d'un  prince  plein 
de  vie  ,  sous  la  même  année  où  il  po- 
se le  bannissement  d'Archélaùs.  On 
peut  recueillir  du  IVe.  livre  des  An- 
nales de  Tacite,  que  Juba  mourut  en- 
viron l'an  10  de  Tibère  ;  cet  histo- 
rien en  parle  (8)  comme  d'un  homme 
vivant  sous  l'an  de  Rome  776;  mais 
sous  l'année  suivante  il  parle  du  ré- 
gne de  Ptolomée,  fils  de  Juba  (9).  Le 
XVIIe.  livre  de  Strabon  fut  composé 
peuaprès  lamortdu  même  Juba(io). 
C'est  donc  une  affaire  vidée  que  Jo- 
séphe  se  serait  lourdement  trompé  ,  si 
par  le  roi  de  Libye,  qu'il  donne  pour 


maginer  ce  divorce.  Noldius  (ia) sup- 
posé peut-être  un  fait  moins  incer- 
tain, c'est  que  Josèphc  a  entendu  pal 
Juba,  roi  de  Libye,  un  roi  qui  n'a- 
vait aucune  relation  avec  les  Ro- 
mains, et  dont  Glaphyra  était  veine 
lorsqu' Archelaùs  devint  son  amant 
Cet  auteur  soutient (1 3)  que  la  Libye 
se  prend  pour  toute  l'Afrique  en  gé- 
néral ,  ou  pour  certaines  parties  de 
l'Afrique  en  particulier;  mais  qu'en 
cette  dernière  signification  elle  n'en- 
ferme jamais  la  Mauritanie;  d'où  il 
prend  occasion  de  censurer  (i4) 
Sigismond  Gélénius ,  qui  a  traduit 
par  liegcm  Mauritaniàe  les  paroles 
dont  Josèphc  s'était  servi  en  parlant 
de  Juba  roi  de  Libye,  tûïv  Attlaiv.  Il 
censure  plus  fortement  le  père  Salian, 
qui  a  cru  que  Juba  avait  été  tué  dans 
le  combat  dont  Dion  (i5)  a  fait  men- 
tion au  livre  LV.  C'est  un  combat 
où  les  Gétules  remportèrent  la  vic- 
toire ;  et  ils  s'étaient  soulevés  parce 
qu'ils  ne  voulaient  point  obéir  à  Juba. 
Ce  jésuite  observe,  pour  soutenir  son 
opinion  ,  que  Juba  était  mort  en  ce 
temps-là  ;  que  sa  veuve  était  retour- 
née chez  son  père,  et  qu'elle  avait 
épousé  en  troisièmes  noces  l'ethnar- 
que  de  Judée,  Archelaùs.  Il  cite  Jo- 
sèphc; mais  il  fallait,  se  souvenir  qu'en 
l'année  où  les  Gétules  remportèrent 
la  victoire  dont  Dion  parle  ,  Arche- 
laùs fut  relégué  par  Auguste.  Il  est 
donc    vrai    que  Juba    vivait    encore- 


second    mari    à    Glaphyra  ,   il    avait    l'année  qu'Archélaùs  fut  relégué  au 
entendu  le  roi  de  Mauritanie.  Le  pè-    delà  des  Alpes  :  il  n'est  donc  pas  vrai 


re  Noris(ir)  ne  soulagerait  Josèphe 
que  d'une  partie  de  la  faute ,  s'il 
avait  raison  de  conjecturer  que  Gla- 
phyra fut  répudiée  par  Juba.  Ce  que 
Josèphe  déclare  touchant  la  mort  du 
second  mari,  antérieure  au  mariage 

d'Archélaùs  et   de  Glaphyra  ,   serait    père  Salian  a  mis  en  jeu  ,  suffit  pour 
toujours  faux;   mais  ce    n'est   qu'en     le  convaincre  de  bévue 


pas 
que  sa  veuve  ait  été  femme  d'Arché- 
laùs; car  il  serait  absurde  de  sup- 
poser qu'il  ne  l'épousa  que  peu  de 
jours  avant  sa  disgrâce ,  arrivée  l'an 
9  ou  10  de  son  ethnarchic.  De  sorte 
que  le  seul  passage  de    Dion  ,  que  le 


devinant  ,  et    en    supposant,  tout  ce 
qu'on  veut,   que  l'on  a  droit  de  s'i- 

(3)Strabo,  lib.  VI,  pag.  198. 

(4)  Ibidem,  pag.  199,  quee  tsl  ullima  librl 

(5)  Pag.  1ZJ2  ,  subjin. 

(6)  Calvisius  met  cette  expédition   a    l'an   de 
Rome  738,  et  la  mort  d'Auguste  à  l'an  "-oG. 

(7)  Dio,  lib.  LV,  adann.  7%. 
(8)Tacit,  ,  Ann.  ,  lib.  IV,  cap.   V. 

(9)  Ibidem,  cap.  XXIII. 

(10)  Voyez  Stfobon  ,  lib.  XVII,  pag.  S70. 

(11)  Cenotopb.  Pisan. ,  pag.  238. 


(C)  L'on  parle  d'un  songe  qu'elle 
eut  ,  qui  fui  le  présage  de  sa  mort.] 
Je  le  rapporte  avec  les  moralités  que 
l'historien  y  a  jointes  (16)  :  je  me 
sers  de  la  traduction  de  Génebrard  ; 
car,  comme  mon  principal  but  est  de 


(1 


de 


et  Geslis   Herodum, 


Noldi 
pag.  190. 

(i3)  Pag.  iS5  et  seq. 

(i4)  Pag.   i85. 

(i5)  Ad  annum  759. 

(16)  Joseph.  ,    Anllquit.  ,    lib.     XVII,    cnp. 
uh.  Vorez  aussi  de  Bello  Jud. ,  lib.  II,  cap.  XI. 


93 


6LAPHYRA. 


compiler  des  faits ,  il  me  doit  suffire    ne,  à  qui  Ne'n 

qu'on   les  trouve    dans  ce  livre   :  il    d'Arménie.    Ce  Tigrane    eut   un  fds 


ron  conféra  le  royaume 
le  Tigrane    eut  un  fds 
importe  peu  que  ce  soit   en  vieux    homme  Alexandre,  qui  épousa  Jotape, 
langage.  Ainsi  qu 'elle  estoit  avec  son    fille  d'Antiochus  ,    roi  des  Comagé- 
dernier    mary    Archelaus ,  elle    eut    niens  ,  et  qui  obtint  de  Vespasien  un 
un  tel  songe  :  il  lui  sembla  qu  A-    royaume  dans  la   Cilicie.  Ajoutons  à 
lexaiulre  vint  a  elle,  et  qu  elle  l' em-    ce  narre' de  Josèphe  le  supplément  que 
brassa  de  grande  joye  qu'elle  avoit.    Tacite    nous    fournit.    Advenit    Ti- 
Màis  Alexandre  luy  fais  oit  reproche,    granes    a    IVerone    ad  capessendum 
disant  •■  Glaphyra  ,    tu   as   bien  con-    imperium  delectus  ,    Cappadocum  ex 
fermé  le  proverbe  commun  ;   Qu'il  ne    hobilitate  ,  régis  Archelai  nepos  ,  sed 
se  faut  point  fer  aux  femmes  •■  tu    quod  dih   obses   apud   urbent   fuerat 
m'as  este'  donnée    vierge  et  pucelle  :    usque  ad  servilem  patienliam  demis- 
tu  as  esté  faite   mère   d'enfans    qui    sus  (19).  Il   y  a  lieu    de   croire   que 
nous  estoient  communs  :  et  ayant  du    les  Romains  ne  maintinrent  pas  Tigra- 
iout  oublié  noslre  amour ,    tu  as  esté    ne  contre  les  Parthes  ,  qui  voulaient 
éprise   de  désir  de  voler  aux  secon-    l'Arménie    pour    Tiridate.  Tacite  ne 
des  nopces.  Et   ne    te  contentant  de    marque  pas  avec  pre'cision  le  degré 
in  avoir  fait  un  tel  outrage,   tu  as    de  parente    de  ce   Tigrane,  par  rap- 
bien  osé  coucher  avec   un  iroisiesme    port  à  Archélaiis  roi   de  Cappadoce 
mary  ,    te  fourrant   vilainement    et    (20).    Cet  Archélaiis  était,   non  pas 
imprudemment  dedans  ma  famille  :    son  aïeul ,  mais  son  bisaïeul ,  puisque 
et    tu    pourras     maintenant    porte?'    ce   Tigrane    était  fils    d'un    Alexan- 
qu  Archelaus     mon   frère     soit    ton    dre   qui  avait  eu  pour  père  un    au- 
époux?  Mais  de  moy  ,  je  ne  mette ray    tre   Alexandre,    et   pour   mère   Gla- 
jamais  en  oubly  ton  ancienne  amitié  :    phyra  fille  d'Archélaùs. 
et  je  te  délivrerai  d'un  tel  vilain  op-        (E)  Si  la  chronologie  de  quelques 
probre ,  en  te  faisant  mienne,   com-    modernes   était    véritable.]    Noldius 
me  tu  estois.  Apres  qu'elle  eut  de-    prouve,  contre  Tacite ,  qu' Archélaiis 
claré  ce  songe  a  quelques  femmes  qui    n'était  point  l'aïeul ,  mais  le  bisaïeul 
luy  estoient  familières  ,  elle  mourut    de  ce  Tigrane,   à  qui   Néron  donna 
bien-tost  après.  Il  m'a  semblé  qu'il    l'Arménie,  il  le  prouve  (21) ,  dis-je  , 
estoit  bon  de  reciter  cecy ,   d autant    premièrement  par  le  témoignage  de 
que  mon  propos  est  de  ces  roy s  :  et  au-   Josèphe,  et  en  second  lieu  par  l'âge 
trement  cecy  semble  eslre  un  exem-    décrépit    où   ce    Tigrane   aurait   dû, 
pie   digne  d'estre  noté,pource  qu'il    être  s'il  eût  été  fils  d' Archélaiis  ;  car 
contient  un  très-certain  argument  de    en  ce    cas  il  aurait  été  fds  d'Alexan- 
/' immortalité  des  âmes  ,  et  de  la  pro-    dre  :    or  Hérode   fit    mourir  son    fils 
vidence  divine.  Si  ces  choses  semblent    Alexandre  peu  après  la  bataille  d'Ac- 
incroyables a  quelqu'un,  qu'il jouysse    tium  ;   Tigrane   serait   donc  né  vers 
de   son    opinion  :    mais    aussi    qu'il    Tan  724    ^e    Rome.    Il   aurait    donc 
n  empesche    point    les   autres  de    le    eu  près  de  quatre-vingt-dix  ans  lors- 
croire ,  qui  par  tels  exemples  sont  in-    qu'il   fut     envoyé     dans    l'Arménie. 
citez  a  s'estudiera  vertu.  C'est   la    conséquence    que     Noldius 

(D)  IVous  dirons  quelque  chose  des  devait  tirer  de  son  hypothèse  ;  il  ne 
aventures  de  ses  deux  fis  ,  dans  les  l'a  pourtant  point  tirée,  il  a  mieux 
remarques.]  Tigrane  fut  roi  d'Armé-  aimé  raisonner  ainsi  :  puisque  le 
nie,  et  mourut  sans  enfans(i7).  Jo-  père  de  Tigrane  fut  misa  mort  peu 
sèphe se  contente  de  dire  que  les  Ro-  après  la  bataille  d'Actium,il  faut 
mains  l'accusèrent  :  il  aurait  dû  aiou-        ,    .  .,  ,        ...    „,ir  ywt 

.         „    „    rp-,    ,         ,       ,.  ]       •',  (irO   Idem,  ibidem,   lib.  XIV,  cap.  XXVI. 

ter  que  Tibère  le  ht  punir   du  der-       ^  r      •  u  re,Jrque  (E). 

nier   supplice  (18).  Alexandre  ,  frère        (21)  Eum pronepotem  fuisse prœter  Josephum, 

de  Tigrane,  eut  un  fils  appelé  Tigra-    Am.  XIX,  c.  7.  ipsa  rcrum  séries  os  tendit. 

Quo  pacto    eniui  Tigranes    nepos  circa  tempus 


(17)  Joseph.  ,  Antiquit.  ,  lib.  XVIII ,  cap. 
Vif. 

(18)  Aie  Tigranes  quidem  Armenid  quondam 
politus ,  ac  lune  reus  nomine  regio  supplicia 
civium  cjff'ugu.  Tacit. ,  Annal.,  lib.  VI,  cap. 
X.L  ,  ad  ami.  788. 


médium  Augusli  natus  (  pater  non  mullo  post 
vietoriam  ad  Aclium  al>  Ilerode  interfectus)  sub 
Nerone  agere  aut  pati  potuit?  quo  profecto  tera- 
pore  natura  euni  aut  morte  aut  senio  ito  multa- 
verat ,  ut  rébus  gerendis  aptus  tuni  baud  esse  po- 
tuerit,  nednm  ila  aiduis  et  pcrtuibalis.  Noldius, 
de  Vild  et  Geslis  fferodum  ,  pag.  36". 


GLEICHEN. 


1)3 


1 


que  Tigrane  soit  né  vers  le  milieu  guste  aurait  eu  là  un  beau  champ 
de  l'âge  d'Auguste  ;  il  n'aurait  donc  pour  faire  des  épigrammes  satiriques 
-uère  été  en  e'tat  d'agir  sous  l'empire    contre    Marc    Antoine  ,    et    pour   le 

e  Néron.   La  première  conséquence    tourner    en  ridicule.    D'autre    côté 
ne  sent  point   l'exacte  chronologie,    comme  Glaphy  ra,  la  fille  d' Archélaiis' 
Auguste  mourut  l'an    766  de  Rome  ,    ne  se  maria  avec  Archélaiis,  fils  d'Hé- 
âgé  de  soixante-seize   ans  :  le  milieu 
de  son  âge  est  donc  l'an  728.  Or  un 
chronologue  exact  peut-il  dire  qu'un 
homme  né  environ    l'an  7'.>.8  est    iils 
d'un  père  qui   fut  mis  à    mort    peu 


rode  ,  qu'après  qu'Hérode  fut  mort, 
elle  aurait  pu  inspirer  un  amour  ar- 
dent à  l'âge  de  cinquante  bonnes 
années.  Rectifions  donc  fa  chronolo- 
gie de  Noldius,  et    disons   avec   le 


après  la  bataille  d'Actium?  L'autre 
conséquence  est  beaucoup  meilleure: 
l'Arménie  fut  donnée  à  Tigrane  par 
Néron,  l'an  8i3;  donc  si  Tigrane 
était  né  en  l'année  728 ,  il  aurait 
fait  le  voyage  d'Arménie  à  l'âge  de 
quatre-vingt-cinq  ans.  Mais  faisons 
voir  à  Noldius  qu'il  a  bâti  sur  une 
fausse  hypothèse.  La  mort  d'Alexan- 
dre, fils  d'Hérode,  ne  peut  pas  suivre 
de  près  la  bataille  d'Actium  ;  car 
ce  malheureux  prince  laissa  deux  fils,  aventure  bien  singulière.  Il  fut. 
On  peut  donc  supposer  que  sa  femme    pris  dans   un   combat  contre  les 


père  Noris  (23)  ,  qu'Alexandre,  mari 
de  la  dernière  Glaphyra  ,  ne  fut  mis 
à  mort  qu'après  l'an  742  de  Rome. 

Néanmoins,  on  n'en  doit  point  tirer  ries  consé- 
quences pour  soutenir  des  hypothèses  chronolo- 
giques ,  qui  sont  d'ailleurs  peu  certaines, 
(rt)  Cenotaph.   Pisaa.,  pag.  i53  et  seq. 

GLEICHEN.  On  rapporte  d'un 
comte  allemand  de  ce  nom  une 


Turcs  ,  et  amené  en  Turquie.  Il 
y  souffrit  une  dure  et  longue 
captivité  ,  on  lui  fit  travailler  la 


était  âgée  de  vingt  ans  lorsqu'il  mou- 
rut j  elle  serait  donc  née  environ  l'an 
704  de  Rome  ;  Archélaiis ,  son  père  , 
serait  donc  né  environ  l'an  684.  Il 
aurait  eu  donc,  quatre-vingt-cinq  ans  terre  ,  etc.  ;  mais  voici  quelle  fut. 
lorsqu'il  mourut  Or  c'est  ce  qui  Sa  délivrance.  Il  fut  abordé  un 
na   nulle   vraisemblance,  parce  que    •  .     c     ,  ...  . 

les  historiens  qui  ont  parlé  de  sa  Jour  et  fort  questionne  par  la 
mort ,  l'ont  fait  d'une  manière  très-  fille  du  roi  son  maître  (a) ,  pen- 
odieuse  pour  Tibère,  et  néanmoins  dant  qu'elle  prenait  le  plaisir  de 
ils  n'ont  pas  marqué  la  circonstance  ]a  promenade.  Sa  bonne  mine  et 
d  un  âge  si  avance,  circonstance  qui         l       ,  ,  ...  A 

était  si  propre  à  rendre  beaucoup  s?n  adresse  a  travailler  plurent 
plus  affreuse  la  cruauté  de  cet  em-  si  fort  à  cette  princesse,  qu'elle 
pereur.  Ajoutez  que  si  Archélaiis  lui  promit  de  le  délivrer  et  de  le 
ela>t  ne-Tan  684,  il   faudrait  que   sa    sui  ,,    yé  , 

mère  eut   eu  près  de  cinquante   ans    t>   '  £  j  /» 

lorsque  sa  beauté  donnait  tant  d'à-  J  ai  une  femme  et  des  enlans  , 
mour  à  Marc  Antoine.  La  preuve  en  repondit-il.  Cela  n'y  fait  rien  , 
est  facile  à  donner.  Archélaiis  n'é- 
tait pas  son  fils  aîné,  on  peut  donc 
croire  raisonnablement  qu'elle  l'eut 
à  l'âge  d'environ  vingt  ans.  Or,  ce 
fut  en  713  que  Marc  Antoine  donna 
le  royaume  de  Cappadoce  à  Sisiuna, 
fils  de  Glaphyra.  C'eût  été  chose  rare 
que  de  voir  une  grand' mère,  dont 
la  petite-fille  avait  déjà  neuf  ou  dix 
ans,  tenir  dans  ses  fers  par  les  char- 
mes de  sa  beauté,  le  distributeur  des 
sceptres  et  des  couronnes  (22).    Au- 

(22)  On  verra  dans  ce  Dictionnaire  ,  remarq. 
(G)  de  Varlicle  Aragon  (Jeanne  o")  ,  loin.  TI, 
pag.  223,  et  remarq.  (F)  de  l'article  C.ïrus  , 
tom.  V,  pag.  216,  quelques  exemples  de  fem- 
mes dont  la  beauté  a  duré  long-temps. 


répliqua-t-elle ,  la  coutume  de 
Turquie  est  qu'un  homme  ait 
plusieurs  femmes.  Le  comte  ne 
fit  point  l'opiniâtre,  il  acquiesça 
à  ces  raisons ,  il  engagea  sa  pa- 
role. La  princesse  s'employa  si 
promptement ,  si  adroitement 
à  le  tirer  de  captivité  ,  qu'ils  fu- 
rent bientôt  en  état  de  s'embar- 
quer. Ils  arrivèrent  heureuse- 
ment à  Venise.  Le  comte  y  trou* 

(a)  Filia  régis  sub   quo  serviebat  cornes. 
Hondorf.  ,  Tlic-utr.  Exempl.  -,  pag.  535. 


9|  GLEICHEN. 

va  l'un  de  ses  gens  qui  rôdait  Description  de  l'Allemagne  (/"). 

partout  pour  apprendre   de  ses  L'an  i  227,  dit  du  Val ,  un  comte 

nouvelles.    Il  sut    de  lui  que  sa  de   Gleichen  obtint  du  pape  la 

femme  et  ses  enfans  se  portaient  permission  d'avoir  deux  femmes 

bien  ,  et  tout  aussitôt  il  courut  en  même  temps.  Si  cette  histoire 

à   Rome ,  et   après   avoir  narré  est  véritable ,  nous  avons  là  un 

ingénument  ce  qu'il   avait  fait  ,  très-grand  triomphe  de  l'amour 

il  obtint  du  pape  une  permission  (C).  Un  abbé  ,  qui  avait  commer- 

solennelle   de   garder    ces   deux  ce  de  lettres  avec  le  comte  de 

épouses  (b).   Si  la  cour  de  Rome  Bussi  ,    avait   ouï  dire  quelque 

se  montra  commode  en  cette  oc-  chose  de  cette  histoire  ;  mais  il 

casion  ,  la  femme  du  comte  ne  ignorait  le  vrai  état  de  la  ques- 

le  fut  pas  moins-  car  elle  fit  cent  tion  (D).  Au  reste,  l'auteur  des 

caresses  à  la  dame   turque  qui  Quinze  joies  de  mariage  semble 

était  cause  qu'elle  recouvrait  son  supposer  qu'il  arrive  assez  sou— 

cher  mari ,  et  conçut  pour  cette  vent  qu'une  femme  se  remarie 

concubine  une  tendresse  parti-  sur  la  fausse  supposition   de  la 

culière  (c).  La  princesse  turque  mort  de  son  époux  (E). 

répondit  de  très-bonne  grâce  à  Le  journal   de  Hambourg  me 

toutes  ces   honnêtetés.  Elle  fut  fournira  un  bon  supplément  de 

stérile,  et  néanmoins  elle  aima  cet  article  (F), 
beaucoup  les  enfans  que  l'autre 

c                 b  •      -i  >    C   •             ri*  (/")  A    la  vaee   2o5  ,   édition   de  Paris, 

femme  faisait  a  foison.  On  trou-  ^ Vauteir Bdu Ptfygatnia triumphatrix, 

Ve    encore   à   Erford    U11     mOllU—  pag.556  ,dit  que  ce  comte  de  Gleichen  fut 

ment  de   ceci   (d)  (A).  Un   fort  d*  la  croate  dé  friterie  n.  Van  wp -, 

u^u^uv.     v^v.      \     j   y    j                 ^  mais  l  expédition  de  cet  empereur  est  dK  t  an 

honnête  homme  (e) ,  qui   m  in-  I228. 

diqua  cette  histoire ,  l'an  1697,  %        -, 

.                     -i      _■„_   i~.  (A)   On  trouve  encore  a  Erford  un 

me  parut  surpris  de  ce   que  les  *■   >           7         .  -,  v  .  .  , , -^    „  1  , 

,     .r  .               1                         t.   ,  monument  de  ceci. J   Voici  les  paroles 

écrivains  protestans,  obliges  de  d'Hondorf  :  Hujus   rei  monumentum 

satisfaire  aux  reproches  touchant  Erphordice  etiamnum  extat  -.  in  quo 

ce  que  les  réformateurs  permi-  ex  utroque  latere  comiù  uxores^  ad- 

r  .            1       j           „    j      tr^,„~  stant.   Résina  marmoreâ  corond  or- 

rent  a  un  landgrave   de  Hesse ,  °-,  •             /„,        ,        1      , 

p,        ,                      .    '  nata  :  comitissa  sculpta    est    muta  et 

n  ont  point  allègue  la  permis-  infantes  ad  ejus  pedes  replantes  (1). 
sion  qui  fut  accordée  par  le  pa-  (B)  Et  voulut  savoir  ma  pensée  ta- 
pe au  comte  de  Gleichen;  et  dessus.]  Si  je  m'en  souviens  bien, 
1  ,  .  •  t  ,.  i  ma  réponse  se  réduisit  a  ceci:  pre- 
voulut  savoir  ma  pensée  la-des-  mièrcment  que  c,était  un  fait'  a*sez 

sus  (B).  Il  m  avertit  que  du  Val  obscur:  et  secondement  qu'il  ne  ser- 

a  parlé  de  cette  aventure  dans  sa  virait  de  rien  de  l'alléguer,  à  moins 

qu'on  ne  put  produire  les  lettres  du 

(l>)  De  ordinenarratâ,  litteras  à  Pontifîce  pape  ,  OU  le  te'moignage    de  quelque 

impetrat  quitus  ei  concéderetur  utramque  auteur  contemporain ,    ou  l'aveu  des 

fovere  conjugem.  Idem,  ibidem.  écrivains   catholiques.    Hondorf  est 

(c)  Summo  amore pellicemcujusoperâea-  presque  le  Seul  auteur  que  l'on  al- 
rissimum  maritum  recepisset ,  proseqiulur.  f-  ,,  jj  it  personne  ,  c'est 
Idem  ,  ibidem.  6     -w                         1 

(d)  Tire  du  Théâtre  historique  d'André  ,  ,  _  ,  .  _,  ,  C3_ 
,T  ,  , :  .  ,  .  ,  ,  -  ;  (1)  llondorf,  Tlicalr.  exeni'/i. ,  pas.  535, 
Hondorl    à  la  page  535  de  la  cinquième  eai-  pfu    i(;,,_ 

lion  .  qui  est  celle  de  Franc/or, ,  t633  ,  Wl-8".  '  {' }  Sim'n  Goulal.t    qui  „  inseWcrUt  histoire 

(e)  M.  PaUardy  ,  ministre  français  a  ,/„„,  ,„  Traduction  des  Méditations  historiques 
Pelft.  d'-  Camérarius,  loin.   //  ,  liv.  Il ,  chap.  XIV , 


GLEICHEN. 


95 


un  compilateur  que  les  gens  doctes 
n'ont  jamais  fort  estimé  ;  et  comme 
il  est  protestant ,  les  catholiques  ro- 
mains ne  manqueraient  pas  de  reje- 
ter son    témoignage.    Ils    demande- 
raient les   archives  ou  les  annalistes 
d'où  il  a  tiré  ce  fait;  et,  puisqu'il  ne 
cite    rien  ,  ils  prétendraient  qu'il  ne 
se   fonde  que   sur  l'ouï-dire  ,  et ,  sur 
des   traditions  vagues    :    ils    diraient 
qu'un  grand  nombre    de  maisons  il- 
lustres font  courir  des  traditions  in- 
certaines ou  même  très-fabuleuses  , 
touchant  la   manière   dont  leurs  an- 
cêtres furent  délivrés  de  la  prison  au 
temps  des  Croisades.  En  un  mot,  s'ils 
niaient  le  fait,  que  pourrait-on  leur 
répondre?  Le  monument  d'Erford  ne 
peut  rien  prouver;  une  figure  d'hom- 
me entre  deux  figures  de  femme  si- 
gnifie-t-elle  clairement  la  polygamie? 
Ne  peut-elle  pas  signifier  entre  autres 
choses   deux   mariages  successifs,  ou 
deux    mariages    contractés  entre  un 
mari  et  deux  épouses  vivantes  ,  mais 
dont  le  dernier  fut  annulé  ?  Combien 
y  a-t-il   de  contes  absurdes  que  l'on 
tâche  de  prouver  par  des  monumens 
de   pierre?  C'est   ainsi  que  l'on  pré- 
tend   prouver    qu'une    comtesse    de 
Hollande  accoucha  tout  à  la  fois  de 
365  enfans ,  chose  dont  les  bons  his- 
toriens se   moquent ,   et    qu'ils    con- 
vainquent de  fausseté. 

(C)  IVous  avons  la  un  très-grand 
triomphe  de  V amourJ]  Savoir  la  fille 
d'un  roi  non-Seulement  prête  à  re- 
noncer aux  avantages  sublimes  de 
son  état  pour  suivre  un  esclave  au 
bout  du  monde,  mais  fugitive  actuel- 
lement après  avoir  méprisé  tous  les 
périls  où  son  dessein  exposait  sa  vie 
et  celle  du  prisonnier  dont  elle  était 
amoureuse.  Elle  ne  s'engage  pas  peu 
à  peu  à  une  fuite  si  environnée  de 
périls,  si  préjudiciable,  si  malhon- 
nête ;  elle  y  est  toute  résolue  dès  la 
première  fois  qu'elle  voit  l'esclave  : 

Vt  vidi,  utperii,  ut  me  malus  abslulil  errorÇi), 

pouvait -elle    s'écrier   comme    bien 


d'autres.   Qu'on  a  eu    raison   de  dire 
dans  un  opéra  : 

Bacchus  revient  vainqueur  des  climats  de 
l'aurore, 

Il  traîne  après  son  char  mille  peuples  vain- 
cus : 

Il  méprisait  l'Amour  ,  mais  VAmour  est 
encore 

Un  vainqueur  mille  fois  plus  puissant  que 
Bacchus. 

Je  ne  sais  si  la  dame  de  Ville-Dieu  a 
romanisé*  l'histoire  de  notre  comte 
de  Gleiehen.  C'eût  été  un  beau  champ 
pour  sa  plume,  et  quelque  sec  que 
puisse  être  le  narré  d'Hondorf,  elle 
en  eut  fait  qu<  lque  chose  de  bien  joli. 
Notez  que  le  triomphe  de  l'amour  ne 
regarde  ici  que  le  beau  sexe  ;  car  sû- 
rement le  comte  ne  devint  point 
polygame  en  qualité  d'amoureux  , 
mais  en  qualité  de  gentilhomme  qui 
s'ennuyait  d'être  esclave,  et  de  tra- 
vailler la  terre.  Mais  notons  aussi 
que  l'action  de  cette  princesse  tur- 
que n'est  pas  à  beaucoup  près  aussi 
noire  que  celle  de  la  fille  de  Nisus , 
ou  que  celle  de  la  fille  de  Ptérélaiis 
(4).  Peut-être  même  qu'elle  est  un 
peu  plus  excusable  que  celle  de  la 
tille  de  Minos.  Aussi  eut-elle  un  suc- 
cès beaucoup  plus  heureux  que  la 
trahison  de  ces  trois  princesses  ,  et. 
de  plusieurs  autres  semblables  victi- 
mes de  l'amour,  ornemens  du  char 
de  triomphe  de  Vénus.  N'attribuez  pas 

fiour  cela  l'avantage  an  sexe  mascu- 
in  ;  car  sûrement  il  y  a  beaucoup  plus 
d'hommes  qui  épousent  leurs  servan- 
tes ,  qu'il  n'y  a  de  femmes  qui  épou- 
sent leurs  valets  *. 

(D)   Un    abbé avait   ouï  dire 

quelque  chose  de  cette  histoire ,  niais 
il  ignorait  le  vrai  état  de  la  question.] 
Voici  ce  qu'il  écrit  à  M.  le  comte  de 
Bussi  Rabutin  ,  le  12  de  juin  1674  (5). 
«  Je   trouvai    l'autre   jour    madame 

»  de et  comme   on  parlait  de 

»  M.  de qui  avait  présente  une 

»  requête  au  pape  ,  pour  qu'il  lui 
»  fût  permis  d'épouser  une  autre 
»  femme,  on  dit  que  le  saint  siège 
»  avait  fait  cette  grâce  une  fois  à  un 

(4)  Voyez  l'article  ^'Amphitryon  ,  au  texte, 
entre  les  citations  (c)  et  (d). 

*  Leclerc  et  Joly  reprochent  à  Ravie  cette  re- 
marque ,  qui  n'est  que  le  commentaire  d'une 
histoire,  qu'il  a  reconnue  fausse  dans  la  remar- 


pag.  m.  i5a  ,  ne  cite  que  le  Théâtre  d'Hondorf. 
Je  sais  que  l'auteur  du  Polygamia  iriumpliatrix, 
pag.  556,  a  cite'  Dresser.  Milieu.  6.  Z.iller. 
Contin.  Itineris  German.  Peccensti  inius  ,  in 
Theatr.  Saxon.  Mais  ces  auteurs  ,  ni  cent  autres     _ 

de  même  trempe,  ne  peuvent  donner  aucun  poids     que  (R)  qui  précède. 

«  ce  conte-là.  {5)  Lettres  du  comte  de  Bussi    Rabutin,  loin* 

IV,  pag.    114.    n5.   e'Ju    iUffollar.de. 


(3j  Yirgil.  ,  edog    VIII,  M.  4'- 


96  GLEICHEN. 

»  comte  d'Allemagne,  auquel  sa  fem-  dit-il  (7),  qui  a  vescu  avec  sa  femme 

»  me  ne  pouvant  suffire,  il  fut  per-  en  grands  délits  et  plaisances   cinq 

j>  mis  pour  le  salut  de  son  âme  d'en  ou   six    ou  huit  ans  plus  ou  moins, 

»  prendre  une  seconde  avec  la  sien-  veut  acquérir  honneur  et  vaillance.... 

»  ne.  Madame  de qui   s'endôr-  A    l'advanture   il    va    outremer  en 

■»  mait   auparavant,  s'éveilla    en  cet  quelque  armée  pour   acquerre  hon- 

»  endroit,  et  dit  en  soupirant  :  qu'il    neur  et  chevallerie si  prend  con- 

»  ne   se  trouvait  plus  de  maris  faits  gé  de  sa  femme  à  grand  regret ,   la- 

»  comme  celui-là.»    On    voit  mani-  quelle  fait    tout  le    dueil   que    l'on 

festement  qu'il  confond  les   choses  ,  pourroit  dire  :  mais  il  est  homme  qui 

et  que  de  deux  aventures  il  n'en  fait  aime  honneur,  et   n'est    riens  qui   le 

qu'une    :    il  joint  pêle-mêle   ce   qui    détint Il  s'en  va  et  recommande 

concerne  le   comte    de   Gleichen ,  et  sa  femme  et  ses    enfans  qu'il  ayme 

ce    qui  concerne    un    landgrave   de  plus   que   chose  qui    soit   apres^  son 

Hesse  ;  et  il  ne  sait  les  circonstances  honneur,  h  ses  especiaux  amis.  Or 

ni  de  l'une  ni  de  l'autre  de  ces  deux  advient  qu'il  passe  la  mer,  est  pris 

choses.  La  permission  qu'on  pre'tend  des  ennemis  ,  ou  par  fortune  au  au- 


l'on  a  accordée  à  un  landgrave  ne  fut  advient  qu'elle  a  ouf  dire   qu'il  est 

point  non  plus  fondée  sur   une  telle  mort,  dont  elle  fait  si  grand  dueil 

raison  (6) ,  quoique  M.  de  Thou  l'ait  que    c'est  merveilles   :    mais   elle  ne 

dit.  Je  ne  voudrais  pas  re'pondre  que  peut  pas   tousjours  pleurer,  et  s'ap- 

cet  abbe'  ait  mieux  suivi  les  lois  de  paise   dieu  mercy  tant  qu'elle  se  re- 

l'histoire    quant  au    bon  mot  et   au  marie  avec  un  autre,  ou    elle  a  pris 

soupir  de  madame  de que  dans  son  plaisir,   et  a  tantost  oublié  son 

le  reste.  Il  inventa  peut-être  lui-mê-  mary  qu'elle  souloit  tant  aimer,  et 
me  cette  réflexion  ,  et  l'écrivit  néan-  V amour  de  ses  enfans  est  oubliée ,  les 
moins  comme  quelque  chose  d'histo-  belles  chères  ,  les  baisers,  les  accol- 
rique,  au  comte  dé  Rabutin  ,  pour  lemens ,  les  beaux  semblans  qu'elle 
finir  la  lettre  par  un  trait  divertis-  soultoit  faire  a  son  mary  sont  tous 
sant.  Quoi  qu'il  en  soit ,  je  me  trou-  passez  et  oubliez,  et  qui  la  verroit 
vai  l'autre  jour  avec  un  homme  qui  faire  avec  cestuy  dernier  mary,  il 
est  marié  depuis  cinq  ou  six  années  ,  diroit  qu'elle  t'aime  plus  qu'elle  ne 
et  je  remarquai  qu'après  qu'on  lui  fst  oncq  l'autre  qui  est  prisonnier, 
eut  fait  le  récit  de  toute  cette  partie  ou  en  autre  nécessité  pour  sa  vail- 
de  la  lettre  de  l'abbé,  il  dit  presque  lance  :  ses  enfans  que  le  bon  hom- 
en  soupirant,  que  s'il  ne  se  trouvait  me  aimoit  sont  déboutez,  et  leur  des- 
plus  de  maris  faits  comme  celui-là,  perd-on  le  leur  à  grand  abandon, 
il  se  trouvait  encore  moins  de  fem-  ainsi  jouent  et  gallent  ensemble  et  se 
mes  faites  comme  celle-là.  J'eusse  donnent  du  bon  temps.  Mais  il  ad- 
voulu  qu'il  eut  fait  encore  une  ré-  vient  ainsi  que  fortune  le  veut,  que 
flexion  ,  c'est  que  la  dame  supposait  le  bon  gentilhomme  son  mary  s'en 
à  tort  que  notre  siècle  est  inférieur  vient,  qui  est  moult  envieilly  et  gas- 
aux  temps  passés.  Cela  est  faux  :  les  té  ;  car  il  n'a  pas  esté  a  son  aise  deux 
maris  de  cette  trempe  ont  été  tou-  ou  trois  ou  quatre  ans  qu'il  a  esté 
jours  fort  rares  ,  et  aussi  rares  dans  prisonnier ,  et  quant  il  approche  de 
les  siècles  précédons  que  dans  celui-  son  pays  ,  il  enquiert  de  sa  femme  et 
ci.  de  ses  enfans  :  car  il  a  grand  pan 
(E)  L'auteur  des  Quinze  joies  du  qu'ils  ne  soyent  morts,  ou  qu'ils 
mariage  semble  supposer  qu'il  (trrnc  riayent  a  ut  iv  grande  nécessité.  Et 
assez  souvent  qiï une  femme  se  marie  pensez  bien  quanles  fois  le  bon  hom- 
sur  la  fausse  supposition  de  la  mort  me  y  aura  songé  au  milieu,  des  on- 
de son  époux.]  Car  voici  sa  treizième  goises  de  sa  prison,  et  s'en  est  donné 
joie  de  mariage.    Un  gentilhomme  ,  ■  .       .  . 

J                                  °  [rj)   Les  (Quinze  joies  do  mariage,  pa^.   154  et 

suiv.  Edition  de  Rouen,  1^96  :  le  litre  porte  que 

(6)    forez   la  remarque  (Q)  de  l'article  de  ce  livre  a Aê extrait  d'un  vieil  exemplaire escril  à 

Luths»,  la  main,  passez  sout  quatre  cens  ans. 


GOLDAST. 


maintes  malaises  ou  sa  femme  se 
donnait  du  bon  temps  :  et  peut  eslre 
qu'a  telle  heure  que  le  bon  homme 
pensoit  à  elle  ,  et  priait  Dieu  qu'il  la 
eonservast  que  celuy  qu'elle  a  der- 
nièrement pris  la  lenoit  entre  ses  bras 
et  n'avait  garde  de  péril.  Lors  il  oit 
dire  qu'elle  est  mariée  :  or  jugez 
quelle   aachée  (*)  il    a  d'ouyr  telles 

nouvelles Or  arrive  au  pays , 

et  scait  la  chose  certainement  ;  s'il 
est  homme  d'honneur  jamais  ne  la 
prendra  ,  l'antre  qui  C  avait  prise  , 
qui  s'en  est  donné  du  bon  temps  ,  la 
laissera.  Ainsi  elle  est  perdue  a  son 
honneur,  et  par  advanlure  ajfollera 
du  tout.  Le  bon  preud' homme  en  au- 
ra une  douleur  perpétuelle  que  jamais 
il  n'oubliera  ,  ses  enfans  seront  au- 
cunement ahontis  par  la  faute  de 
leur  mère,  l'un  ny  l'autre  ne  se  pour- 
ront plus  marier  la  vie  durant  l'un 
de  l'autre. 

(F)  Le  journal  de  Hambourg  me 
fournira  un  bon  supplément  de  cet 
article.]  M.  Dartis,  en  parlant  (8) 
d'une  historiette  de  M.  le  Noble,  inti- 
tule'e  Zulima  ou  l'amour  pur,  ob- 
serve que  la  première  idée  de  ce  ro- 
man a  été  prise  d'un  mémoire  tiré  des 
archives  de  la  maison  de  Gleichen , 
qui  descend  du  pîince  de  Westphalie 
principal  héros  de  cette  nouvelle  his- 
torique. Il  s'appelait  Ebherard  ,  et 
ayant  étéjtris  a  la  bataille  de  Joppa, 
que  le  sultan  Noradin  gagna  sur  les 
chrétiens  croisés,  d  fut  si  heureux 
qu'il  donna  de  l'amour  a  la  fille  de  ce 
sultan.  Elle  lui  aida  a  briser  les  fers 
de  son  esclavage ,  passa  avec  lui  en 
Europe ,  et  fut  sa  seconde  femme 
après  la  mort  de  celle  qu'il  avait 
épousée  quelque  temps  avant  de  se 
croiser.  M.  le  Noble  cite  pour  té- 
moin irréprochable  de  la  vérité  de 
celte  histoire  le  tombeau  où  reposent 
les  cendres  de  ce  prince  et  de  ses 
deux  femmes.  On  le  voit,  dit-il,  en- 
core a  Herford  ,en  JVestphalie ,  ou  il 
faisait  sa  résidence.  C'est  sur  ce  fon- 
dement qu  il  a  bâti  les  intrigues  d'un 
amour  pieux  qui  aboutit  première- 
ment a  ta  conversion  de  la  sultane  , 
et  ensuite  à  son  mariage  avec  le  prin- 

(*)  Aachée  est  mis  ici  pour  ce  qu'autrefois  on  a 
appelé  marrissoii ,  ce  mot  est  formé  de  l'interjec- 
tion Aah  .'  Kem.  crit. 

(8)  Journal  île  Hambourg,  du  iGd'iiOÙt  i6g5, 
pag.  i4»- 

TOME   VII. 


97 


ce  westphalien.  Il  dit  en  un  autre 
lieu  (9)  que  les  faiseurs  de  roman 
sont  obligés  de  suivre  l'histoire  lors- 
qu'ils donnent  dans  une  préface  le 
fondement  de  leurs  fictions.  C'est 
pourtant ,  ajoute-t-il ,  ce  que  M.  le 
Noble  n  a  point  fait  dans  l'avertisse- 
ment qu'il  a  mis  a  sa  Zulima  ,  com- 
me il  paraîtra  par  l'entrait  d'une 
lettre  que  j'ai  reçue  de  bon  lieu  sur  ce 
sujet.  Le  voici.  «  On  voit  bien  par  ce 
»  que  vous  rapportez  du  petit  livre  de 
»  M.  le  TYoble,  qu'il  a  tout  brouillé. 
»  Eberhard,  duc  de  H  estplialie,  est 
»  un  personnage  absolument  incon- 
»  nu  a  l'histoire  ,  et  s'il  vivait  du 
»  temps  de  Noradin,  prince  sarrasin 
»  duXlle.  siècle  ,  comment  pouvait-il 
»  être  auteur  de  ces  comtes  de  Glei- 
»  chen  qui  prétendaient  d'avoir  reçu 
»  leur  comté  de  Chartemagne  ,  et 
■»  qui  du  moins  sont  plus  anciens  que 
»  les  guerres  d'outremer?  La  maison 
»  des  comtes  de  Gleichen  est  éteinte  , 
»  et  je  crois  que  ce  qu'on  prétend, 
»  avoir  tiré  de  leurs  archives  est  aussi 
»  fabuleux  que  te  reste  du  petit  ro- 
»  man.  Il  est  vrai  cependant  qu'il  y 
»  a  une  tradition  ,  confirmte  par 
»  quelques  chroniques  modernes  ,  qui 
»  porte  qu  un  comte  de  Gleichen  ame- 
»  nanl  sa  libératrice  de  delà  la  mer,  et 
»  retrouvant  sa  première  femme  , 
»  trouva  le  moyen  de  les  ga  rder  toutes 
»  deux  en  bonne  intelligence  entre 
»  elles  ,  et  de  l'aveu  (dit- on)  de  l'é- 
»  glise  ,  en  quoi  il  y  a  peu  d'appa- 
)>  rence.  On  peut  tenir  pour  assuré 
»  qu' il  n'y  a  point  de  monument  du 
»  duc  Eberhard  de  ff^eslphalie  ni  a 
»  Erford  ni  h  Hervorde.  Les  comtes 
»  de  Gleichen  étaient  voisins  d'Er- 
»  ford  en  Turinge  ,  et  n' avaient  rien 
»  de  commun  avec  Hervorde  en 
»   Westphalie.» 

(g)  Journal  de  Hambourg,  dulo  de  septembre 
iGy5 ,  pag.  219 ,  220  ,221. 

GOLDAST  (a)  (  Melchioh  Hai- 
minsfeld  )  ,    natif  de  Bischoli- 

<a)  Par  les  lettres  latines  qu'on  lui  écri- 
vait ,  «7  parait  qu'on  l'appelait  indifférem- 
ment Goldastus,  ou  Goldinastus,  ou  Guldi- 
nastus  Ses  prénoms  étaient  latinises  , 
Mclchior  ,  ou  Melior  lleiininsfeldius  ,  ou 
Haiminsfeldius,  ou  Hamenveltus ,  ou  Ha- 
luenvelto,  ou  Hanieuevelto 


9B  GOLDAST. 

zell(ô)  au  pays  des  Suisses,  et  pro-  que  bon  établissement  (F).  Le 
testant  de  la  confession  de  Ge-  recueil  dont  je  parle  finit  là. 
nève  a  été  un  fort  savant  hom-  Goldast  avait  déjà  publié  beau- 
rue  auXVII".  siècle.  Sa  famille  coup  de  livres  ,  et  il  continua 
n'était  point  ricbe  (A),  et  il  ne  de  le  faire  jusques  à  sa  mort 
fit  jamais  fortune;  de  sorte  qu'il  (G),  c'est-à-dire  jusqu'au  i  ic. 
se  fit  plus  connaître  par  le  grand  jour  du  mois  d'août  i635  (c). 
nombre  de  livres  qu'il  composa,  Scioppius  avait  donné  ordre  que 
ou  dont  il  procura  des  éditions  ,  l'on  publiât  dans  son  Scaliger 
que  par  ses  emplois  publics.  Un  Hypobolimœus  ,  que  Goldast 
recueil  de  lettres,  imprimé  l'an  avait  été  roué;  mais  ayant  con- 
1688  (B),  fait  voir  qu'en  l'année  nu  la  fausseté  de  ce  fait,  il  fit 
i5q8  il  se  tenait  à  BischofFzell  ;  en  sorte  que  l'on  corrigeât  cela, 
que  l'année  suivante  il  était  logé  Nous  verrons  dans  les  remarques 
à  Saint-Gai,  chez  un  honnête  comment  il  se  tire  d'affaire  (H)  ; 
homme  qui  se  déclara  son  Mé-  ce  n'est  pas  sans  dire  beaucoup 
cène,  et  qui  se  nommait  Scho-  de  mal  de  Goldast.  On  ne  saurait 
bingérus  ;  qu'eu  la  même  année  approuver  la  conduite  de  ce  der- 
il  fut  à  Genève ,  et  qu'il  y  logea  nier  à  l'égard  de  Juste  Lipse  (I) , 
chez  Lectius  (C)  avec  les  fils  de  sous  le  nom  duquel  il  publia  une 
Vassau  ,  desquels  il  était  pré-  harangue  dont  il  était  lui-même 
cepteur  ;  qu'il  était  encore  à  Ge-  l'auteur.  Il  paraît  que  l'on  se  plai- 
nève  l'an  160?.  ,  et  qu'il  s'y  plai-  gnaitdeson  humeur  un  peu  bizar- 
gnait  de  sa  misère  ;  que  la  même  re  (K) ,  et  de  sa  mauvaise  foi  {d). 
année  il  s'en  alla  à  Lausanne  ,  à       (c)  witie ,  in  Diario  Biographico. 

Cause  qu'il  y  pouvait    Subsister  à         U)  Payez  la  remarque  (G) ,  citations  (18) 

1     c     ■         "   n       '  '•!     et  (19). 

moins  de  frais  qu  a  Genève  ;  qu  il  VJ 

retourna   peu    après  à    Genève;        (A) Sa  famille   n'était  point  ri- 

,,    .  I  x    j    .•        j     T  c/ie.l   Cela   parait  par   quelques  let- 

qu  a  la  recommandation  de  Lee-    tres  de   Co£rad  Rittershusius  >  chez 

tius,  il  fut  donné  pour  sécrétai-  qUi  Goldast  avait    été  en  pension  , 

re  au  duc  de  Bouillon  ;  qu'il  ne  Goldast  en  était  sorti  sans  payer  son 

garda  -uère  cet  emploi ,    car  il  hôte;   et  depuis   qu'il   fut   retourné 

*?     .     ,  Y,  r     ,         1       ■      3     c  dans  sa  patrie,  il  laissa  couler  bien 

était  a  Francfort  au  mois  de  re-  du  temp's  sans  ,e  satisfeire.  hitter- 

vrier  l6o3  ;  qu'il  avait  une  con-  shusius  s'en  plaignit  (1),  et  représenta 

dition  à  Forsteg  l'an  1604;  qu'en  que   les   bouchers,   les   boulangers, 

l'année  l6o5  il   demeurait  à  Bi-  les  brasseurs  l'avaient  tant    pressé, 

,     „,    ,.      ,    .,         ,    ■         •    j       ,»  qu  il  lui  avait  lallu  prendre  de  1  ar- 

schoffzell,  ou  il  se  plaignait  de  ne-  gent  -  intérêtjafin  de  foire   cesser 

tre  pas  en  sûreté  (D) ,  à  cause  de    b-m-s  persécutions.  11  ajouta  qu'il  es- 


s'y  maria ,   et   qu'il   y   demeura  pensionnaires    qui    avaient     besoin 

jusques  à  l'année  iino  mal  dans  qu'on  leur  fît  crédit.  Sa  lettre  est  da- 

ses  affaires  (E) ,  et  voyant  échouer  tée  ?»  M  f.aoû*  '5?8-.  L;,nnc:e  ^'l~ 

,    v    '  '        .  J                      ,  vante,  Stiickius  (2)   écrivit  au  même 
les  vues  de  ses  amis  pour  quel- 

(1)  .Vrt  lettre  est  ta  III0.  dans  le  recueil  im- 

'li)  En  latin    Lpi  copo-Gella.    moreri   se  prune' Pan  16HH. 

trompe  en  le  faisant  natj^d'Héminsfeldt.  (a     Sa    lotlrr  est  la  IXe.    du  même  recueil. 


GOLDAST. 


Goldast,  que  Rittershusius  se  plai- 
gnait de  ne  toucher  pas  les  52  florins 
d'or  qui  lui  e'taient  dus  ;  c'est  pour- 
quoi on  exhorte  le  débiteur  à  s'acquit- 
ter promptement ,  et  on  lui  dit  que 
s'il  y  manque  les  plaintes  en  seront 
portées  à  sa  mère.  Une  lettre  de  Rit- 
tershusius (3)  ,  en  date  du  8  de  sep- 
tembre 1 599,  apprend  qu'il  était  paye-, 
et  qu'il  quittait  les  intérêts;  mais 
que  ,  comme  Goldast  avait  laissé  plu- 
sieurs dettes  à  Altorf ,  il  courait  di- 
vers mauvais  bruits  de  lui.  Ce  n'est 
point  une  preuve  qu'on  puisse  op- 
poser aux  prétentions  de  noblesse. 
Nous  apprenons  de  Sealiger  que  Gol- 
dast prétendait  être  gentilhomme  (4) . 
On  peut  L'être  sans  a  voir  de  quoi  payer 
sa  pension.  Scioppius  remarque  que 
Goldast  mettait  dans  ses  noms  une 
particule  qui  n'était  propre  qu'à  la 
noblesse  :  Fratrlbus  quidem  certè 
hoc  uno  nomme  nobilior  quod  Mi  se 
tanlutu  Heiminsfeld  ,  hic  autem  héros 
noster  pro  consuetiuline  plerœque 
nohililatis  ab  Heiminsfeld  cognominat 
(5).  Mais  voici  une  bonne  marque  de 
la  pauvreté  de  Goldast.  Quand  il  fai- 
sait imprimer  des  livres,  il  en  en- 
voyait des  exemplaires  aux  magis- 
trats des  villes  et  aux  consistoires  ,  et 
cela  afin  qu'on  lui  fît  quelque  présent. 
On  lui  envoyait  un  pe  1  plus  que  le 
livre  ne  coûtait ,  et  ses  amis  s'imagi- 
naient lui  rendre  beaucoup  de  servi- 
ce ,  en  lui  ménageant  ces  petites  ré- 
compenses. Ce  chétif  trafic  aidait  à 
le  faire  subsister.  Un  ministre  ,  nom- 
mé David  Lange  ,  lui  écrivit  de  Mem- 
minse,  ciue  les  magistrats  du  lieu 
lui  envoyaient  dans  1  incluse  unum 
minimum  aureum,  et  le  consistoire 
un  autre  ,  pour  l'exemplaire  de  son 
livre  (6). 

(B)  Un  recueil  de  lettres.  \  En  voici 
le  titre  :  Virorum  clarissimorum  et 
doctorum  ad  Melchiorem  Goldastum 
Kpistolce  ,  ex  Bibliothecâ  llenrici 
Cxuntheri  Thidemarii  ./.-  C.  editœ. 
Francofurti  et  Spirœ  1688  in-\°. 

(C)  Il  logea  a  Genève  chez  Lec- 
tius.  ]  C'était  un    professeur  de  l'a- 

(3)  C'est  ta  XIe.   du  même  recueil. 

(4)  Goldastus  se  dit  être  noble,  et  remarque 
sa  maison  à  l'entour  de  Saint-Gai.  Scaligérana, 
pag.  m.  g5. 

(5)  Oporini  Grubioii  Ampliot.  Stioppian.  , 
pag.  m. 

(G)  Voyez  /oCXXXl*.  lettre  du  recueil. 


99 


eadémie.  Le  recueil  de  lettres  donf 
j'ai  parlé  en  contient  une  (7)  qui  est 
fort  sanglante  contre  lui.  11  se  plai- 
gnait que  lorsque  Goldast  et  ses  dis- 
ciples étaient  sortis  de  chez  lui ,  ils 
ne  lui  avaient  pas  fait  un  présent 
honnête  ;  mais  Goldast  de  son  côté 
se  plaignait  qu'on  les  avait  obligés 
de  payer  cent  sortes  de  choses  injus- 
tement ,  fourneaux  ,  bancs,  serrures, 
clefs  ,  etc.  Il  faut  avouer  que  ceux 
qui  tiennent  des  pensionnaires  dans 
les  universités  ,  font  paraître  trop 
souvent  une  avarice  sordide.  Quand 
ce  ne  sont  pas  des  professeurs  ,  le 
mal  n'est  pas  grand  ;  mais  quelle 
honte  pour  les  lettres  ,  quel  déshon- 
neur pour  le  caractère,  lorsque  des 
professeurs  s'attachent  si  mesquine- 
ment au  gain! 

(D)  En  l6o5  il  demeurait  a  Bi- 
schojfzell,  oii  Use  plaignait  (8)  de  n'ê- 
tre point  en  sûreté. J  Scioppius  conte 
que  le  sieur  Jodocus  Mezlérus,  vicaire 
de  l'abbé  de  Saint-Gai ,  lui  avait  dit 
que  Goldast  fut  mis  en  prison  à  Saint- 
Gai  pour  cause  de  vol.  Il  ajoutait 
que  Goldast  avait  demandé  permis- 
sion d'acheter  une  petite  terre  pro- 
che de  Saint-Gai  ,  où  la  femme  lu- 
thérienne qu'il  avait  dessein  d'épou- 
ser eût  la  liberté  de  conscience  j  que 
quant  à  lui,  il  serait  facilement  ca- 
tholique. Commodttm  eas  litleras  le- 
geram  cum  ojjicii  causa  visum  ad 
me  venit  D.  Jodocus  Mezlérus  ,  illus- 
trissimi  principis  et  abbatis  Sancti 
Galli  v ic arius ,  istiimque  Melchiorem 
adhtic  vivum  probèque  sibi  notum 
esse  ajjirmavit.  Idque  ut  credibilius 
focerel,  prœter  alianoc  quoque  de  eo- 
dem  narrai>it  ,  exposuisse  eiim  sibi 
in  sermone  in  qttanlo  apud  San* 
gallenses  periculo  semel  t'ersaliis  fue- 
rit ,  ciim  illijurli  nomine  in  carcerem 
se  compegissent  :  petiisse  eliant  ut 
prœdioli  cujusdam  in  Sanga/lensi 
lerrilorio  emendi  ab  Abbate  pote;- tas 
sibi  fierel ,  ila  tamen  ut  uxort ,  quant 
ducere  in  animo  haberet ,  lutheranœ 
religionis  libertas  salva  esset  :  nom 
seipsum  quidem  catholiciaajacilèju- 
lurum.  Mis  ego  auditis  ctepi  de  ipso 
non  desperare  J'utunim  ut  juto  a/i- 
quando  fra/rts  utatur ,  et  sublime  po- 
tius  quàm  humi  putiscat,  ciim prœ- 

(7)  C'est  la  LVI*. 

(8)  Voyez  la  lettre  CIX  du  recueil. 


IOo  G'OLDAST. 

serîim  nemo  ,  qui  faciem  ejus  viderit ,  mes  in-folio  ;  Constitutionum  Impe- 
non  confeslim  patibulo  dignum  judi-  rialiuni  tomi  quatuor,  in-folio  ;  Sue- 
cet.  Intérim  nos  velut  Ciceronem  vicarum  Rerum  Scriptores  veteres  , 
Vatinii  morte  nunciatd ,  cujus  pariim  à  Francfort  i6o5  in  -4°  ;  de  Juribus 
certus  dicebatur  auctor ,  respondisse  ac  Privilegiis  Regni  Éohemîce ,  et 
legimus  ,  usurâ  fruemur  (9).  Sciop-  hœreditariâ  Regiœ  Familiœ  Succes- 
pius  est  ici  suspect ,  tant  parce  qu'il  sione  libri  sex  cum  Appendice ,  in-fo- 
e'tait  fort  médisant ,  que  parce  qu'il  lio  ;  Consultatio  de  officia  et  jure 
regardait  Goldast  comme  celui  qui  Electoris  Bohemiœ  in  conventibus 
avait  fourni  des  matériaux  â  Scaligcr  Eleclorum  Romani  imperii;  Rationale 
pour  la  construction  de  la  satire  Constitutionum  Imperalium;  Statuta 
Munsterus  Hypobolimœus  (10).  Ap-  et  Re  script  a  Imperialia  ;  Politica  Im- 
pliquez  ceci  à  la  remarque  (H).  perialia  ;  Calholicon  rei  monelariœ  , 

(E)  11  demeura  jusqu'en  1610  a  seu  Leges  Monarchicce  générales 
Francfort,  mal  dans  ses  affaires.^Cela  de  rébus  nummariis  et  pecuniariis  ; 
paraît  dans  une  lettre  (  1 1  )  qui  lui  Digesta  regia  seu  Constituliones  Im- 
fut  écrite  par  Ouirinus  Reuterus  ,  periales  de  SS.  Eucliarislid  ;  Apo- 
directeur  du  collège  delà  Sapience,  logiœ  Principum  Germaniœ  pro 
à  Heidelberg.  11  l'exhorte  à  se  venir  Henrico  IV  Imperatore  contra  cri- 
mettre  en   pension  dans  ce    collège,    minaliones  Gregorii  VII ;  Replicatio 

(F) et    voyant  échouer  les    pro    Cœsared    et  Regid  Francorum 

vues  de  ses  amis  pour  quelque  bon  Majestate  et  Ordinibus  Imperii  con- 
établissement.}  Ils  négocièrent  à  la  tra  Gretserum(\3) ;  Imperialia Decre- 
cour  de  l'électeur  palatin,  pour  lui  ta  de  cultu  imaginum ;  Paradoxon 
faire  avoir  la  charge  de  conseiller  de  de  honore  Medicorum  ,  et  obiter  de 
son  altesse  électorale,  l'an  1608.  La  honore  Theologorum  et  Jureconsul- 
lettre  CXCI  parle  de  cela  comme  torum  ;  Sybilla  Francien  ,  seu  de  ad- 
d'une  chose  conclue;  mais  dans  la  mirabili  Puelld  Joannâ  Lotharingd 
lettre  CXCIV  Lingelsheim  témoigne  exercitûs  Francorum  ductrice  sub 
que  cette  aiïaire  reculait  ;  et  dans  la  Carolo  VII  ;  Dinlogi  duo  de  quere- 
CCIXe.  il  apprend  qu'elle  était  entiè-  lis  Franciœ  et  Anglice ,  et  de  jure 
rement  échouée.  L'électeur  de  Mayen-  successionis  utrorumque  Regum  in 
ce  offrait  alors  un  emploi  à  notre  regno  Franciœ  ;  Centuria  Epistola- 
Goldast.  Celui-ci  demanda  conseil  à  rumPhilologicarumdiversorumhomi- 
Lingelsheim  (12),  qui  n'osa  le  dé-  num,  à  Francfort  1610,  in-8°;  Emen- 
tourner  absolument  d'accepter  ces  dationes  in  Petronium  Arbitrum  ; 
offres ,  vu  qu'il  le  savait  dans  une  Notœ  ad  parceneticos  Scriptores  ve- 
grande    nécessité ,  et    qu'on    n'avait    leres. 

rien  à  lui  offrir.  Il  lui  représenta  seu-  Ce  dernier  ouvrage  n'était  pas  fort 
lement  la  servitude  qui  lui  était  im-  estimé  de  Scaliger.  //  cite  de  vieux 
manquable  dans  un  lieu  où  les  je-  auteurs  en  ses  Parénétiques ,  dit-il, 
suites  étaient  les  maîtres.  parlant  de  Goldast  (i4)-  H  s'est  trop 

(G)'  Il  -continua  de  publier  des  amusé  après  ces  vieux  mots.  Il  n'y  a 
livres  jusqu'à  sa  mort.]  Donnons  ici  rien  qui  vaille  dans  ces  Parenetici 
une  liste  de  ses  principaux  ouvrages.  Melchioris.  Cela  serait  bon  s'il  fai- 
Alamannicarum  Rerum  Scriptores  sait  imprimer  ces  vieux  instrumens  : 
vetusti,  3  volumes  in-folio;  Monar-  on  apprendrait  toujours  quelque  cho- 
chia  Imperii  Romani,  seu  de  Juris-  se  pour  les  maisons  des  genti/sliom- 
diclione  et  Polestate  Impera loris  et  mes.  Meichior  a  des  manuscrits ,  sed 
Papœ  per  vurios  Autores ,  trois  volu-    inlimi  œvi.  Je  me  prostituais  en  écri- 

,  ,  c.  .       .       .     „      ..„,...,      ,  vont  h  ûlelchior  ,    puisqu'il  est    tel 

(ni   ncinnpius     m   Oiionni    (.>rul>inii  Ampliol.      ,    <-.     T1       ,      .  l         •      jfi  <■■ 

Sciouuian     Dot',  mx  (!•>)•  11  n  est  pas  besoin  d  avertir  que 

(io)  Hem^R  libi  omninm  illorum,   qun  de  la  plupart  des  ouvrages  que  Goldast 

Scioppii  oatatibus ,  vit.î ,  siucim ,  ac  l'oriun»  in  a  fait  imprimer  sont  des  productions 

satyram  et  confutatipnem  t,,,,,,  conjecisti  ,  auclor  t1ont  jj  n\:Ult  pas  l'auteur  :  les  titres 

luit.  Mann,    ibiilem ,    yttg.     m.    /  ojez    ausst  x 

pag.iii.  r  1 3  )  Jésuite  allemand ,  qui  écrivit  divers  livres 

(,,;  C'est  la  CCI.XXVJII'.   du  recueil.  conlre  Goldast. 

(12)  Voyez  les  Icllrcs  CCXIV  et  CCXYII  du  (,/()  Scaligérana,  pag.  i)5 

recueil.  (i5)  Là  même,  pag.   i53,   au  mol  Melcliior. 


/ 

GGLDAST.  ior 

montrent  assez  qu'il  ne  faisait  que  pour  avoir  commis  un  meurtre  hoir- 
ies re'duire  en  un  corps  ,  ou  que  rible.  Eum  vide  tiret  superiori  anno 
les  tirer  des  bibliothe'ques  où  elles  cum  Bullionio  duce  ,  cui  interpretis 
n'étaient  qu'en  manuscrit.  Il  s'est  opérant  dederit ,  Genevd  in  Germa- 
montré  en  cela  l'un  des  plus  infati-  niant  profectum  ,  cum  Argentinœ  in 
gables  hommes  du  monde.  Conrin-  familiaritatem  Centurionis  cujusdam 
gins  lui  donne  de  grands  éloges,  pervenisset,  qui  in  contubernio  suo 
f^ir ,  dit-il  (16)  ,  editis  antiquis  Ger-  puellam  nobilem  ,  domo  paternd  ab- 
manice  monumeniis  tam  benè  de  pa-  ductam  ,  pm  secutuleid  muliere  et 
tria  meritus  ,  ut  absque  dubio  Athe-  concubine  circumducebat  ,  audito 
nienses  illum  in  Prytanœo  allassent,  eum  jam  satietate  illius  captum  mille 
si '  quidem  illud  in  cevum  incidisset.  aureosei,  quiab  ittd  se  liberaret ,  pol- 
Cum  (17)  primis  in  Germaniâ  cer-  liceri ,  avide  conditionem  quod  prê- 
tais meliusque  hoc  studiorum  genus  tio  inhiaret ,  arripuisse ,  etitadigres- 
(  de  Jure  pûblîco   Imp.    Germ.  agit)  so  Centurione  non procul  ab  urbe  in 

incensum   fuit   initio    hujus    seveuli    ipsd  via  regid misellam  ohtrun- 

auctore  AIelciiiore  Goldasto  cui  casse  (20).  Il  avait  lie  amitié,  di- 
nenio  Germaniâ'  rébus  illustrandis  saient-ils  ,  avec  un  certain  capitaine  , 
par  fuit  ,  nec  forte  erit  quispiain,  et  qui  commençait  d'être  las  d'une  dé- 
féré illius  duclu  paulaùm  cœpit  apud  moiselle  qu'il  avait  enleve'e  ,  et  qui 
nos  sn/ilo  éxquisitior  Reip.cognitio.H  promettait  mille  éous  à  quiconque 
ne  laisse  pas  de  le  traiter  d'homme  l'en  délivrerait.  Goldast  accepta  le 
de  mauvaise  foi  en  certaines  choses  parti  ;  mais  peu  après  il  massacra 
(18)  :  Sunt  hœc  omnia  (examinât  cette  femme  au  milieu  du  grand  che- 
nonnulla  ex  libro  III  Constitutio-  min  ,  proche  de  Strasbourg,  et  la  dé- 
uiim  Imperialium)  illaudabili  facino-  pouilla  ,  et  s'en  revint  à  la  ville.  On 
re  perquam  tamen  Goldasto  fami-  le  saisit  dans  son  cabaret,  comme  il 
liari  effîcta ,  quo  nomine  eum  ex  me-  de'cousait  les  habits  de  cette  femme  , 
rilo  acerrimè  increpayit  Wendelinus  et  on  le  mit  en  prison  ,  et.  dans  sept 
c.  2  del.Salicd.  Il  n'est  pas  le  seul  qui  jours  il  fut  condamne'  à  être  roué  et 
se  plaigne  de  Goldast  sur  ce  chapitre,  brûlé.  Septimo  tandem  post  die  ca- 
Qtii  nouerit  quant  militas  suspectai  pilis  condemnatum  et  summo  suppli- 
fidei  merces  pix>  veris  erudito  orbi  ob-  cio  tanquam  parricidam  affectum  , 
truserit  Goldastu s,  cui cœteroquindi-  hoc  est  membratim  pêne  rold  contu- 
ligentiœ  laudem  non  negamus ,  in  re  sum  et  comminutum,  et  imlè  lignis 
cui  aliundè  fides  fieri  non  potest ,  vix  infelicibus  uslulatum  conflagrdsse 
ejus  solius  auctoritate  sibi  aliquid  (21).  Scioppius  écrivit  tout  aussitôt 
plané persuaderi patietur  (19).  cette  histoire  ,  afin  qu'elle   fût  insé- 

(H)  IVous  verrons comment  rée  dans    l'ouvrage   qu'il  faisait  im- 

Scioppius   se   tire    d'affaire.]    Deux  primer  en  Allemagne, contre  Scaliger  : 

gentilshommes    de    Franconie  ,    qui  il  ne  crut  point  avoir  besoin  d'autre 

avaient  logé   avec  lui  à  Altorf ,  chez  apologie,    ni  d'autre  vengeance  con- 

Conrad   Rittershusius ,  lui  rendirent  tre  Goldast  (22)  par  rapport  au  mau- 

une  visite  pendant  leur  séjour  à  Ro-  vais  office  qu'il  croyait  en  avoir  reçu, 

me.    Il    leur  demanda   des  nouvelles  II  prétendait  que    Goldast   avait  pu- 

de   leurs  communs   amis  ,    et   entre  blié,   sous   le  nom  de  Scioppius  ,  un 

autres  de  Goldast  qui  avait   été    en  Commentaire  sur  les  Priapées ,  dont 

pension   avec  eux   à   Altorf  :  ils    lui  lui  Scioppius   n'était   point  l'auteur, 

contèrent  que  ce  misérable  avait  été  La  lettre  qu'il  écrivit  touchant  cette 

rompu    sur   la  roue ,    et    puis  brûlé  prétendue  fin    tragique  de  Goldast , 

fut  suivie  d'une  autre  cinq  mois  après 

(i(>)  In  pra-Çal.  ad  Tacitum  de  Moribus  Ger-  (23)  ,   où  il   fit   savoir  à  son  ami  ,  <|U< 

manorum  ,  apud  Magirom  Eponymolog. ,  pag :  l'histoire  que  les  deux    gentilshom- 
mes allemands  lui    avaient  contée , 

(20)   Oporinus    Orubioius ,    in   AmpUotidibus 
Scioppian. ,  pag-   <o\. 
(2 1  j  Idem ,  ibid. 
(22)  Ibidem  ,  pa£.  106. 
(2  3)  Ibidem. 


3f)3. 

(17;  Id.  ,  in  dedicat.  Exercitationibas  deRep. 
Imp.  Germ.  prœmiss.  apud  eutndem  Magirum, 
ibidem. 

(18)  Idem,  cap.  VII  de  O.  J.  G.  apud  eum- 
dem  ,  ibidem  ,  pag.  3(j4* 

(if))  Er.  Manrit.  de  raatriculâ  Impcrii,  num. 
12  ,  apud  euindem  Magirum  ,  ibid. 


GOLDAST. 


regardait  un  frère  de  Melchior  Gol- 
dast. Le  sieur  Charles  Fugger ,  pré- 
sident de  la  chambre  impériale  de 
Spire  ,  avait  fait  savoir  à  Scioppius 
Faction  barbare  et  le  supplice  de 
ce  frère  de  Goldast.  Voici  ce  qu'il 
lui  apprit.  Sebastianus  JJeiminsjeld  , 
dictas  Guldenast ,    natus  Cellœ  épis- 


de  Goldast  fut  roué  (28).  Ils  disaient 
aussi  que  quand  Goldast  massacra  la 
demoiselle  auprès  de  Strasbourg ,  il 
faisait  le  voyage  d'Allemagne  avec  le 
duc  de  Bouillon,  dont  il  était  secré- 
taire. Cela  ne  s'accorde  point  avec 
une  lettre  que  Goldast  écrivit  au 
sieur  Schobinger ,    son    Mécène,    au 


copiin  Turgouid  ,  die  sexlâ  junii  an-  mois  de   février  1603(29).    Il  n'était 

no   i6o3  proptereh  in  carcerem   con-  plus    avec    le    duc    de    Bouillon,    et 

jeetus  fuit  ,     quod   pridiè  feminam  néanmoins  l'assassin  de  la  demoiselle  , 

qtiandam,  Dorotheamde  Gries,  Bam-  interrogé   par   ses  juges    au  mois  de 

bergœ  aut  Herbipoli,  quemadmoditm  juin  i6r>3,  dit  que  Melchior  Goldast, 

ipse  retulit  ,    natarn  ,    quant  diebus  son  frère ,  était  au  service  du  duc  de 


aliquot  h'acillac  circumduxerat ,  bene 
mane  non.  longe  ab  hâc  ch'itate  prius- 
qiiam  palefactœ  essent  poitœ  ,  Sata- 
née instinctu  cultro  immaniter  ob- 
trunedsset ,  et  omni  vestitu  usque  ad 
lineain  intendant  spolidsset ,  ac  post- 
qu'am  aliquantum  de  via  regid  eam 
provolverat  ,  in  civitatem  portis  com- 
modum  apertis  ingressus  in  liospi- 
tium    publicum   diuertisset  ,     ubi    et 


Bouillon  (3'>). 

(I)  On  ne  saurait  approuver  la 
conduite  de  Goldast  a  l'égard  de 
Juste  Lipse.~\  Scioppius,  qui  était 
un  grand  exagérateur  ,  n'eut  point 
de  honte  de  dire  dans  un  temps  où 
il  croyait  que  Goldast  avait  été  rom- 
pu sur  la  roue ,  que  le  principal 
crime  qui  lui  avait  attiré  cette  af- 
freuse   peine ,    était    d'avoir  supposé 


captus  mox  ,  factumque  quœstioni  une  harangue  à  Juste  Lipse.  Hujus 
subjectus  ,  et  sponte  etiam  sud  ,  con-  ego  non  minus  facti ,  quant  supplicii 
fessus  die  10  ejusdem  mensis  Rotœ  atrocitalem  cuin  aninio  meo  recogi- 
supplicio  ajfectu  s  fuit  (i\).  Scioppius  tans  ,  nullius  magis  sceleris  ,  qu'uni 
apprit  peu  après  de  Jodocus  Mezler,  quod  orationem  illam,  de  qud  Lip- 
vicaire  de  l'abbé  de  Saint-Gai  (a5)  ,  sius  cent,  iv  epist.  lxviii  ad  consti- 
tue Melchior  Goldast  était  plein  de  lesac  senatumlmperialisoppidiFran- 
vie.  Il  écrivit  donc  à  son  ami  qu'il  cofurtensis  scribit  ,  ejusdem  Lipsii 
ne  fallait  pas  imprimer  ce  qu'il  lui  nontine  prœscriptam  minime  Helve- 
avait  mandé  touchant  le  supplice  de  tied  simplicitate ,  sed  actu  plusquhm 
cet  homme.  Hoc  a  te  pro  amicitid  punico  et  verè  Genevensi  malitid  Ti- 
nostrd peto ,  ut  siadhuc  est  integrum,  guri  edendam  curdsset ,  pœnas  ab  eo 
illa  supplicii  de  monslro  islo  sumpti  expeditas  et  sumptas  esse  judicaui 
mentio  ex  Scaligero  meo  Hypoboly-  (3i).  Cette  harangue  avait  pour  titre  , 
mœo  circumscribatur.  Sin  autem  ,  de  duplici  Concordiâ  Litterarum  et 
quod  vereor ,  bac  ipsd  med  epistolâ  Religionis,  et  parut  l'an  1600.  On 
ad  calcem  libri  illius  adjunctd  totius  supposaitqueLipseFavaitprononc.ee 
gestœ  rei  ordinem  pal'am  omnibus  de-  ;)  Jéna  ,  le  3i  de  juillet  1 5^4 -  E^e  ne 
clnrari  cnpio  (-26).     Cette   deuxième    fut  pas  imprimée  à  Leyde,  comme  le 


lettre  est  datée  du  3  de  mars  160^ 
et  par-là  on  peut  convaincre  les  deux 
gentilshommes  de  s'être  trompés  à 
la  circonstance  du  temps:  car  au 
commencement  de  novembre  1606 
(an)  ,  Scioppius  écrivit  à  son  ami 
qu'ils  lui  avaient  dit  que  Goldast 
avait  sou  Ile  ri  le  dernier  supplice  l'an- 
née précédenlc,  superiori  un  no.  Or 
c'était  le  10  de  juin  iGo3  que  le  frère 

(a4)   Oporinus   Grubinius ,   in   Ampliolidibus 
Scioppian.   pag.  ioç|  ,  no. 
(a5)  F  oyez  la  remarque  (D). 

(26)  Opor.   Grubin.,   Ampliot.  Sciopp.,  pag. 
109. 

(27)  La  II"",  lettre  de  Scioppius  fut  écrite  cinq 
mois  aj'rès  lu  première,  [bid.  ,  pag.  106. 


titre  le  portait,   mais  à  Zurich,  par 
Jean-Jacques  Frisius  (3a).  On  en  en- 

(28)  Sebastianus  Melchioris  frairr  Germamu 
is  fueritqtii  Argentinae.  anno  ibo'3  a.  d.  10  Jnnii, 
ob  crudelissimum  homicidium  et  latrociniuni 
affectlis  ,  mine  qtioque  superbus  et  celsus  in  ro- 
lâ  ,  velut  in  railialo  disco,  quotidiano  prandio 
asso  ,  inquam,  bmè  ad  solem  tosto  corvos  ncci- 
piat.  Ibidem  ,  pag.  107.  Voyez  ci-dessus  ,  cita- 
tion (2^). 

(2C|)  Voyez  le  Recueil  des  Lettres  écrites  ;\ 
Goldast,  imprimé  en  Allemagne  ,   Van   1688. 

(3o)  Ampliotides  Scioppian. ,  pag.  110. 

(3i)  Jlndem.  pag.  io5. 

(3a)  Voyez  la  lettre  de  StueViUS  à  Goldast, 
dans  Ir  recueil  cité  ci-dessus,  citation  (?q), 
c'est  In  XVIIIe.  Voyez  aussi  Lipse,  epist 
LXVIII  l.entur.  ad  Gcnnan.  et  Gallos. 


GOLIUS.  io3 

voya  cent  exemplaires  à  la    foire  de    trouva  qui  s'obstinèrent   à   soutenir 
Francfort,  que   Plantin  acheta  tous ,    que  Lipse   avait  harangue  tout  rum- 
en niant  que  cette  pièce  fût  de  Lipse,    me  Goldast  le  supposait.  Lisez  ce  qui 
et  en  menaçant  que    l'imprimeur  et    suit  (!ïc)N.  Jusii  Lipsii  nomine  ,de  du- 
le  vrai  auteur  s'en  repentiraient  (33).    plici    concordiâ*  lilterarum    et    reli- 
Le  libraire  de    Zurich  fit  savoir  ces    gionis  ,    éditas   orationes  (  4° )  ,   non 
choses  à  Goldast,    et  le    pria  de  jus-    esse  ipsius  ,  sed  Melchioris  Goldasti , 
tifier   que   cette    harangue    était  de    Miranus    in    Vilâ    Lipsii,  pag.    m.  65 
celui  dont  elle  portait   le  nom.  Un    referl.    Carolus  eliam  Scribanius  yV- 
professeur  de  Zurich  avertit  Goldast    suita  ,   cap.  ult.    defensionis  posthu- 
des  menaces  de  Juste  Lipse,  et  lui    mai ,    Lipsii    operibus   in  folio  prœ- 
marqua  que  le  tissu  et  le    fil  de   la   jixœ  ,   aliquot  jam    antè    mensibus 
harangue    faisaient    connaître    que    qukm  oraltones  islçe  habitœ perhiben- 
Lipse  en  était  l'auteur:  Nos  quidem    tur ,  Lipsium    Jenâ  discessisse ,  au- 
ex  Jîlo  orationis  conjicimus  omnino    dacter  scribit     sed  vide  refutationem 
ejusesse  (34).    C'est  ainsi  que  les  sa-    hujusce  mendacii  factam  a  Sagittario 
vans  de  Zurich  jugèrent  :1e  goût  de    ira  Lipsio  Proteo,   Franco/uni   r6i4 
ceux    de    Pans  était  tout  autre  ;  ils    edito.  Je  ne  prétends  pas  nier   l'in- 
n'y  trouvèrent  point  le  style  de  Lip-    constance  de  Juste  Lipse    sur  le  fait 
se.  Lipsii  oratio  noua  nobis  visa  fuit ,    de  la  religion. 

nec  ira  ed  Lipsii  styluni  sine  monitio-  (K)  On  se  plaignit  de  son  humeur 
ne  tua  unqu'am  agnovissemus  (35).  un  peu  bizarre.]  Lorsque  son  patron 
Les  menaces  de  Juste  Lipse  ne  fuient  Schobinger  lui  conseille  de  s'en  aller 
point  vaines.  Il  s'adressa  aux  magis-  à  Lausanne,  si  la  dépense  y  e'tait 
trats  de  Francfort,  qui  ordonnèrent  moindre  qu'à  Genève,  il  y  ajoute 
que  cette  harangue  serait  effacée  du  cette  restriction  :  Modo  à  crebris 
Catalogue  de  leur  foire  (36).  Il  les  en  migrationibus  in posterum  abstineas  , 
remercia  ,  et,  leur  montra  par  bien  quœ  neque  è  re  neque  pro  existima- 
des  raisons  l'imposture  de  ceux  qui  tione  tu  à  morositatis  nescio  cujus 
la  lui  avaient  supposée.  Il  soutint  en-  suspectum  te  apud  nonnullos  fevêre , 
tre  autres  choses  qu'il  n'e'tait  point  à  qui  id  mihi  Tiguri  nuper  objecerunl 
Jéna  le  3i  de  juillet  1 574  ,  et  qu'il  (4')- 
en   était   parti  le    premier   de 


mars 
(31;).  Goldast  mérita  toute  sorte  de 
confusion  ;  il  n'y  eut  guère  de  gens 
équitables  qui  ne  fussent  persuadés 
à  cet  égard  de  l'innocence  de  Lipse. 
Insulsam  illam  et  vix  lalialem  ora- 
tionem  de  duplici  concordiîl  littera- 
rum  et  religionis  Jenœ,  ut  t'olunt 
habitant,  jam  o/im  falsimoniam  esse 
meram,  édita  epistolâ  ipse  ostendit  , 
et  nuper  supposition  istius  fœtus  pa- 
rens  Melchior  Haiminsfeldus  Goldas- 
tus  se  prodidit  (38).  Maisil  y  a  des  gens 
si  entêtés  ,  qu'ils  ne  veulent  démor- 


(3q1  Placcias  ,  cle  Pseudonymis ,  pag.  219. 

(4o)  Il  ne  fallait  pas  s'exprimer  par  le  plu- 
riel ;  car  il  n'y  avait  qu'une  liarangue. 

(4i)  Voyez  la  lettre  LVI1I  du  recueil  imprime 
l'an  1688.  Elle  est  datée  de  Saint-Gai  ,  au 
mois  de  février  1G02. 


GOLIUS  (Jacques),  profes- 
seur en  mathématique  et  en 
arabe  dans  l'académie  de  Leyde  , 
naquit  à  la  Haie,  l'an  i5c)6,  d'une 
famille  ancienne  et  considérable 
drede  rien,  et  qu'ils  sont  à  l'épreuve    /^    jj  eut  une  forte  inclination 

des  raisons  les  plus  évidentes.  Il  s'en         '       ,       ,    ■  . „/„:«,  A& 

1  pour  les  lettres ,  et  un  génie  de 

(33)  Jean-Jacques  Frisi.is  avertit  Goldast  de   grande  étendue  ;  car  il  ne  se  con- 

tourcel^Sa  lettre  est  dans  k  recueil.  d'étudier    les    langues, 

(S4)  Waserus,   epist.  ad  Goldnstum.  C  est  la  J  .  °    .     » 

XXXVIIIe.  du  remea.  la    philosophie,    les    antiquités 

(3S)Ya*san<  dans  la  \eareXX%l  du  recueil  eg       Jes    antiquités     l'Oinai- 

écrite  de  Pans  a  Goldast,  le  ii  de  septembre     gn."jin.j  ,  *j  , 

1600.  nés  ,  la  théologie  ,  la  médecine  ; 

cifirjRSiïïfï&Jlr^^   il  s'appliqua  aux  mathématiques 

(37)  idem,  ibid.  pag.  702.  avec  une  extrême  ardeur.  A  l'âge 

(38)  Mirsus,  in  Vilâ    Lip.ii,   circa  finem,     j         •       t  j[  (,uitta  l'académie 
pag.  m.  35.  •                                                                          D  1 


504  GOL 

de  Leyde ,  où  il  avait  fait  de 
grands  progrès  ,  et  se  retira  dans 
une  maison  de  campagne  (à)  , 
avec  la  résolution  d'y  passer  deux 
ans  sans  s'occuper  que  de  ses 
études;  mais  à  force  d'étudier 
il  tomba  bientôt  malade ,  et  il 
fut  obligé  d'interrompre  son  des- 
sein. Il  fut  si  charmé  des  tra- 
vaux et  des  leçons  du  savant  Er- 
pénius  (b),  qu'il  s'attacha  tout 
entier  à  lui.  Il  fit  un  voyage  en 
France  avec  la  duchesse  de  Tri- 
mouille  ,  ce  qui  lui  donna  lieu 
d'être  appelé  à  la  Rochelle,  pour 
y  enseigner  le  grec.  Il  n'exerça 
pas  long-temps  (c;  cette  charge, 
parce  que  les  guerres  civiles,  qui 
se  terminèrent  enfin  par  la  prise 
de  cette  ville  ,  firent  souhaiter 
à  Golius  de  retourner  en  Hol- 
lande. Quelque  temps  après  (d) 
il  suivit  l'ambassadeur  que  les 
Provinces-Unies  envoyèrent  au 
roi  de  Maroc  ,  et  il  profita  extrê- 
mement des  conseils  qu'Erpénius 
lui  donna  (B) ,  pour  acquérir  la 
parfaite  intelligence  de  l'arabe. 
Il  parut  si  curieux  et  si  bien 
instruit  des  sciences  et  des  ma- 
nières des  Arabes  ,  qu'il  se  ren- 
dit très -agréable  aux  docteurs 
et  aux  courtisans.  Il  reçut  même 
plusieurs  témoignages  de  bonté 
de  Mulei  Zéidân  ,  roi  de  Maroc 
(C).  Il  s'accommoda  de  plusieurs 
livres  inconnus  aux  Européens  , 
et  entre  autres  des  Annales  de 
l'ancien  royaume  de  Fez  et  de 
Maroc  ,  lesquelles  il  résolut  de 
traduire.  Il  fit  aussi  beaucoup  de 
recueils  concernant  l'Histoire  des 

(a)  Silure  auprès  de.  Naaldwijk.  Elle  ap- 
partenait à  son  pire. 

(b)  Il  était  professeur  en  arabe  à  Leyde. 

(c)  Un  an  seulement. 

(d)  L'an  1622. 


IUS. 

Shérifs.  Il  apporta  par  ce  moyeu 
à  Erpénius  mille  beaux  trésors 
qui  auraient  rendu  de  grands 
services  à  ce  savant  professeur, 
si  une  maladie  contagieuse  ne 
l'eût  enlevé  peu  après.  Golius, 
sans  considérer  le  péril  où  il 
s'exposait,  rendit  tous  les  servi- 
ces qu'il  lui  fut  possible  à  son 
cher  maître  pendant  cette  mala- 
die ,  et  ne  le  quitta  point  qu'il 
ne  l'eût  vu  expirer.  Il  fut  élu  son 
successeur  dans  la  profession  de 
l'arabe  (e)  ,  conformément  aux 
conseils  que  le  défunt  avait  don- 
nés peu  avant  sa  mort;  et  il  s'ac- 
quitta si  doctement  de  cet  em- 
ploi ,  qu'on  ne  trouvait  pas  à 
redire  l'incomparable  Erpénius 
{f).  Mais  pendant  qu'il  satisfai- 
sait les  autres  ,  il  n'était  pas  con- 
tent de  lui-même  ;  il  croyait 
qu'il  lui  manquait  beaucoup  de 
choses  ,  qu'il  ne  pourrait  acqué- 
rir qu'en  se  transportant  aux 
lieux  les  plus  voisins  de  la  source. 
Il  demanda  donc  congé  à  ses 
supérieurs,  pour  faire  un  voyage 
au  Levant  (g).  Il  s'arrêta  un  an 
et  demi  à  Alep;  après  quoi  il  fit 
quelques  courses  dans  l'Arabie 
et  vers  la  Mésopotamie ,  et  s'en 
vint  par  terre  à  Constantinople. 
Son  savoir  et  sa  prudence  lui  fi- 
rent trouver  partout  des  amis , 
et  les  facilités  nécessaires  pour 

(e)  L'an  1624. 

(f)  Hcec.  in  Spart  à  ornandâ  jam  satisfa- 
ciebat  omnibus  ,  ha.udquaqu.am  sibi  :  nemo 
non  renatum  in  Golio  Erpenium ,  et  corpus 
tantum  liominis  ,  non  virtutem  professons 
mutalam  credere  -.  ipse  non  credulus  illis 
omnia  in  sese  requirere  ,  et  ticet  naudquw- 
quam  arrogaret  sibi  magistri  summam, 
tamen  ne  fuir  qnidem  ContenlUS  esse.  Joli. 
Fridericus  Gronovius,  in  Orat.  funelm  Jac. 
Golii,  pag.  i5. 

(g)  Les  lettres  patentes  que  le  prince  d'O- 
range FridériC  Henri  lui  accorda  sont  da- 
te'es  du  Ju  novembre  \6zr0. 


GOL 

profiler  d'un  voyage  parmi  ces 
nations  barbares.  Il  trouva  des 
Turcs  qui  le  laissèrent  fouiller 
dans  de  belles  bibliothèques  (D). 
En  un  mot ,  il  laissa  son  nom  en 
si  bonne  odeur,  que  cela  fut  très- 
utile  à  son  frère  (h) ,  qui  quel- 
que temps  après  s'engagea  au 
même  voyage.  Notre  Golius  fut 
de  retour  à  Leyde  au  bout  de 
quatre  ans  ,  chargé  de  beaux  ma- 
nuscrits et  de  la  mémoire  d'une 
infinité  de  choses  rares  (/).  Ayant 
repris  le  train  de  ses  anciennes 
leçons ,  il  se  vit  bientôt  appelé  à 
en  faire  d'une  autre  nature  (E)  ; 
car  il  fut  fait  professeur  en  ma- 
thématiques à  la  place  Willibrord 
Snellius.  Il  remplit  très-digne- 
ment les  fonctions  de  ces  deux 
charges,  environ  quarante  ans  ;  et 
quoiqu'elles  pussent  épuiser  tout 
le  loisir  d'un  homme  laborieux  , 
il  ne  laissa  pas  de  trouver  du 
temps  pour  travailler  à  de  beaux 
ouvrages  qui  ont  vu  le  jour  (F), 
et  d'en  entreprendre  d'autres  qui 
ne  céderaient  point  à  ceux-là  , 
s'il  avait  assez  vécu  pour  y  met- 
tre la  dernière  main  (G).  Ce 
qu'il  y  eut  de  plus  louable  dans 
ses  travaux  fut  qu'il  s'appliqua 
avec  zèle  à  faire  servir  sa  con- 
naissance des  langues  à  la  pro- 
pagation de  la  foi  parmi  les 
peuples  infidèles  (H) ,  et  à  la 
consolation  des  chrétiens  qui  gé- 
missent sous  la  tyrannie  des  Ma- 
hométans.  Il  avait  commerce  de 

(/;)  II  était  moine.  Voyez  l'article  Héme- 
LAR  ci-après. 

((')  Quadriennio  eiratmaclo  cnm  inœstima- 
bili ,  quo  bibliotheca  publica  superbit,  ra- 
rissimorum  librorum  thesauro ,  quem  mente 
ne  peclore  conctiderai ,  kùc  regrtssus  inter- 
missa  docendi  mnnia  repetiit.  Gronovius  , 
Orat.  fun.  J.  Golii ,  pag:  19.  Le  catalogue 
des  manuscrits  qu'il  apporta  a  été  imprime 
plus  d'une  fois. 


IUS.  io5 

lettres  avec  les  plus  savans  hom- 
mes de  l'Europe  (k)  ,  et  il  fut 
très-estimé  de  ses  souverains  (/). 
Son  tempérament  était  si  robus- 
te (I) ,  qu'il  jouit  presque  tou- 
jours d'une  très-bonne  santé.  Il 
mourut  le  28  deseptembre  1 667  , 
après  avoir  passé  par  tous  les 
honneurs  académiques  ,  et  après 
s'être  fait  considérer  autant  par 
sa  vertu  et  par  sa  piété  ,  que  par 
son  érudition.  Il  jugeait  saine- 
ment des  choses  ,  car  il  déplorait 
la  manière  dont  on  se  gouver- 
ne dans  les  disputes  de  religion 
(K).  Il  laissa  deux  fils  dont  je 
parlerai  dans  les  remarques  (L). 

(à)  Gronovius  en  nomme  plusieurs  ,  et  en- 
tres autres,  M.  Descartes.  Voyez  dans  la 
Vie  de  ce  philosophe  ,  par  M.  Baillet,  l'a- 
mitié de  Golius  pour  lui. 

(I)  Tiré  de  son  Oraison  funèbre  ,  pronon- 
cée par  Jean  Fridérie  Gronovius.  Les  dates 
y  manquaient  partout  ,  il  a  fallu  les  sup- 
pléer à  la  marge. 

(A)  Il  était  d'une  famille  ancienne 
et  considérable.}  Elle  était  originaire 
de  Leyde  ,  où  François  Golius  ,  tris- 
aïeul de  celui  dont  nous  parlons  , 
était  échevin  environ  l'an  i458.  Cor- 
neille et  Gilbert  Golids,  ses  petits- 
fils,  furent  sénateurs  de  la  même 
ville.  Ils  étaient  fils  de  Théodoric 
Golius  qui,  s'étant  marié  deux  ou 
trois  fois,  procura  à  ses  descendans 
divers  degrés  de  parentage  avec  un 
grand  nombre  de  bonnes  familles. 
Un  autre  Théodoric  Golius,  issu  de 
celui-là,  fut  père  de  notre  Jacques.  Il 
possédait  une  charge  considérable  (1), 
et  il  fut  Fun  des  citoyens  de  Leyde 
qui  contribuèrent  le  plus  à  sauver 
la  ville  pendant  le  siège  dont  les 
historiens  ont  tant  parlé.  Sa  femme  , 
mère  de  notre  professeur,  s'appelait 
Anne  Hémelar  (2)  ,  et  avait  un  frère  à. 
qui  je  destine  un  article  (3) ,  où  \e 
parlerai  de  Pierre  Golius,  frère  de 
Jacques. 

(1)  Feiidorum  ffollandup  acluarius.  Gro- 
novius,  1/1  Orat.  funebri  Jacobi  Golii  ,  pag.   6. 

(2)  Ex  Oratione  fuuebri  Golii ,  habita  a 
Gronovio. 

(3    Cherches  IK.iir.LiR  (Jean.) 


,o6  GOLIUS. 

(B)  II  profita  des  conseils  qu'Er- 
pénius  lui  donna.]  Il  le  chargea  entre 
autres  choses  de  s'informer  de  l'ori- 
gine de  certains  proverbes  ,  et  de  re- 
chercher sur  quelle  coutume  ,  ou  sur 
quelle  inclination  des  peuples  e'taient 
fondées  plusieurs  expressions  ,  ou 
termes  arabes  qu'il  n'entendait  que 
par  conjecture  ,  et  sur  quoi  il  s'i- 
maginait qu'il  eût  pu  se  faire  donner 
de  bons  e'claircissemens ,  s'il  avait 
e'té  dans  le-;  pays  où  cette  langue  est 
en  usage.  Mais  servons-nous  de  la 
description  que  l'on  trouve  de  tout 
ceci  dans  le  livre  que  je  cite.  Intel- 
lexerat  (  Erpenius  )  unum  sibi  déesse 
quhd  terras  ,  in  quibus  viget  atque  in 
usu  habetur  yirabismus  ,  non  inco- 
luisset ,  non  accessisset.  (Juian  eniin 
multa  in  promptu  haberet  verba  , 
proverbia  ,  vocabula  ,  quœ  quid  sig- 
nificarent ,  divinabat  inagis  et  sus- 
picabatur  quant  noverat,  quod  de  re- 
rum  Jbr/nis ,  hominum  actionibus  ,  lo- 
corum  habitu  ,  undè  et  ubi  Ma  nala 
essent  nunquam  oculis  judicdssct  , 
hoc  prœcepit ,  inculcavit ,  infixit  nos- 
tro  ,  ut  quicquid  ejusmodi  sive  natura 
illic ,  sive  ars  ,  swe  consuetwlo  nobis 
ignarum  peperisset ,  aut  inlroduxisset 
diligentissimè  observaret  ,  accuratè 
describerel ,  annolaretque  una  cum 
signato  cujusque  nomine  ,  et  si  nos- 
cerentur ,  causis  nominum  (4). 

(C)  //  reçut  plusieurs  témoignages 
de  bonté  de  Mulet  Zéidân,  roi  de  Ma- 
roc] Il  lui  avait  apporte'  une  lettre 
d'Erpénius,  très-bien  e'crite  ,  et  ils'é- 
tait  lui-même  recommande  heureu- 
sement par  ses  manières  agre'ables  (5). 
Voilà  tout  ce  que  l'on  trouve  là-des- 
sus dans  son  oraison  funèbre.  Nous 
y  pouvons  joindre  un  supple'ment 
très-curieux,  tire  d'une  relation  ma- 
nuscrite que  Colomie's  avait  lue,  et 
dont  il  a  publie  un  petit  morceau  qui 
regarde  Golius.  Je  rapporte  le  passa- 
ge tout  entier,  quoique  je  tombe  par- 
là  dans  l'importune  nc'cessite'  de  ré- 
péter quelque  chose  de  ce  qui  se  voit 
dans  M.  Moréri.  «  M.  Golius ,  que  je 
»  vis  à  Leyde,  où  il  était  professeur 

(4)  Gronovius  ,  inOrat.  funebri  Jacol>i  Golii, 
pag.  i3,  14. 

(5)  iWc  privatd  tantum  humttnitale ,  sed  et 
imperatorh  ipsiui  Mulei  Zidani  (quam  et  litle-, 
ris  Erpenii  purissimo  sermone  scrintis ,  et  tuo 
lepore  alijue  honcslale  promerueral  )  cfetneuiut, 
fiumulatissimi  prmstilit.  Gronov. ,  in  Orot.  fun. 
J.  Golii ,  pag.  \!\. 


en  arabe  en  la  place  de  M.  Erpe- 
nius ,  était  fort  intelligent  dans  les 
langues  et  dans  les  mathématiques  ; 
mais  il  avait  encore  plus  de  génie 
que  d'érudition.  Il  acquit  beau- 
coup d'honneur  au  voyage  qu'il 
fit  dans  l'Orient,  l'an  1622,  et  sur- 
tout à  Maroc  ,  avec  un  ambassa- 
deur des  états  et  un  écuyer  du  prin- 
ce d'Orange.  Comme  ils  furent 
arrivés  dans  cette  ville  ,  ils  allèrent 
faire  la  révérence  au  roi,  qui  se 
nommait  Moulcy  Zidam  ,  et  qui  les 
reçut  ,  avec  leurs  présens  ,  fort 
obligeamment.  11  témoigna  parti- 
culièrement être  fort  content  du 
présent  que  lui  avait  envoyé  M.  Er- 
penius ,  qui  était  un  grand  Atlas 
et  un  Nouveau  Testament  arabe , 
dans  lequel  il  lisait  ensuite  sou- 
vent. L'ambassadeur  des  états  ve- 
nant à  s'ennuyer  de  ce  qu'on  ne 
lui  donnait  point  son  expédition  , 
fut  conseillé  de  présenter  au  roi 
une  requête ,  que  M.  Golius  fit  eu 
écriture  et  en  langue  arabesque  , 
et  en  style  chrétien  ,  extraordi- 
naire en  ce  pays-là.  Le  roi  de- 
meura étonné  de  la  beauté  de  cette 
requête  ,  soit  pour  l'écriture ,  soit 
pour  le  langage ,  soit  pour  le  style; 
et  ayant  mandé  les  talips  ou  écri- 
vains ,  il  leur  montra  cette  requê- 
te ,  qu'ils  admirèrent.  Il  fit  aussi- 
tôt venir  l'ambassadeur  ,  à  qui  il 
demanda  qui  avait  dressé  cette 
requête.  L'ambassadeur  lui  ayant 
dit  que  c'était  M.  Golius  ,  disciple 
et  envoyé  de  M.  Erpenius  ,  il  le 
voulut  voir,  et  lui  parla  en  arabe. 
M.  Golius  lui  répondit  en  espagnol 
qu'il  entendait  fort  bien  ce  qu'il 
lui  disait  ,  mais  qu'il  ne  pouvait 
lui  répondre  en  arabe,  parce  ([ne 
la  gorge  ne  lui  aidait  point.  Le  roi, 
qui  entendait  l'espagnol ,  reçutson 
excuse ,  et  ayant  accordé  à  l'am- 
bassadeur les  fins  de  sa  requête  , 
le  fit  promptement  expédier.  Je 
dois  toutes  ces  particularités  à  la 
relation  de  feu  M.  le  Gendre,  mar- 
chand de  Rouen,  qui  se  trouva 
alors  à  Maroc.  M.  Briot  en  garde 
une  copie  ,  qu'il  me  fit  la  faveur 
de  me  communiquer  à  Paris.  Ajou- 
tons encore  un  mot  au  sujet  de 
M.  Golius.  11  était  frère  de  Pierre 
Golius  ,  très-savant  aussi  dans  les 
1  langues   orientales  ,  qui  a  tourné 


GOL 

»  de  latin  en  arabe  le  livre  de  l'Imi- 
»  talion  de  J.-C.  de  Thomas  à  Kem- 
»  pis,  et  qui  s'étant  fait  de  l'ordre  des 
»  «armes  déchausses,  prit  le  nom  de 
»  père  Ce'lestin  de  Saint-Lidwine.  Ces 
»  deux  dignes  frères  étaient  neveux 
)>  d'un  chanoine  d'Anvers ,  nommé 
»  Hémclar  ,  qui  a  fait  un  beau  livre 
»  do  médailles  ,  qui  ne  se  trouve  pas 
»  pisément  (6).  »  Je  voudrais  que 
les  mélanges  historiques  de  Colomiés 
fussent  un  in-folio. 

(D)  II  trouva  des  Turcs  qui  le  lais- 
sèrent fouiller  dans  de  belles  biblio- 
thèques, j  Les  Turcs  ne  sont  pas  aussi 
dépourvus  de  livres  que  l'on  pense. 
Voyez  ce  que  M.  Spon  a  rapporté  (7), 
et  joignez-y  ce  passage  de  Gronovius. 
Simui  cum  Legalo  18)  in  Aswm  tran- 
sit (  Golius),  prœfeclo  orœ  Propon- 
tidos  aniœnissituos  horlos  cum  amplis- 
simd  bibliothecâ  eis  cedente  :  in  quo 
secessu  in  historicorum  et  geograj>ho- 
rum  Arabum  scripta  aul  ignorata 
adhuc  ,  aut  inevoluta  se  ingurgitai'it. 
Ut  recliit ,  et  memoriam  lectorum  per 
occasiones  in  sermonibus  apud  Megis- 
tanas  ostendit  ,  ila  obslupefecit  au- 
dienles  ut  purpuratorum  principi  di- 
gnatione  pro.rimus  cum  eoegerit,  im- 
peraloris  diplomate  ornatus  ac  lotus 
omne  imperium  obiret ,  ac  situs  loco- 
runi  rectiiis  quant  vulgo  fit  in  lahulis 
depingerel  :  il  le  graliamfecit  prœtex- 
to  sacramento  quod  ordinibus  dixis- 
sel  ,  sed  et  periculi  magnitudinem 
cogitans  (9)  Ce  passage  méritait  d'ê- 
tre rapporté,  puisqu'il  peut  appren- 
dre à  mes  lecteurs  la  considération 
particulière  que  l'on  eut  pour  Golius 
à  Constantinople  ,  et  les  offres  qu'on 
lui  fit  d'une  commission  authentique 
qui  l'eût  érigé  en  géographe  du  grand- 
seigneur.  La  connaissance  que  Golius 
avait  de  la  médecine  ,  et  les  remèdes 
qu'il  fournissait  sans  en  vouloir  être 
payé  ,  lui  procurèrent  beaucoup 
de  présens  et  beaucoup  d'amis.  On 
lui  offrait  de  grands  avantages  pour 
l'engager  à  s'arrêter  dans  le  Levant. 
Philarchi  et  resuli  Arabum  admise- 


(G)  Colomiés ,  Mélanges  historiques ,  imprimes 
a   Orange,   1675,  pag.  75  et  suiv. 

(7)  Au  IeT.  tome  de  ses  Voyages  ,  pag.  if)3  , 
édition  de  Hollande.  Voyez  aussi  le  Voyage  Je 
M.  Wliéler  ,  pag.  162. 

(8)  //  entend  Corneille  Haga  ,  ambassadeur 
de  Hollande  à  Constantinople. 

(1))  Gronovius ,  in  Orat.  funebri,  pag.  18. 


IUS;  Ï07 

runl  eum  familiariler  ,  et  ob  medici- 
nœ  expérimenta  suspexerunt ,  quod- 
que  mercedes  recusaret  donis  p/uri- 
mis  et pretiosis  affecerunt ',  majoribus, 
utsecum  maneret,  sollicildrunt  (10). 
Voilà  des  choses  bien  glorieuses  à  un 
chrétien. 

(E)  Il  se  vit  bientôt  appelé  a  en 
faire  d'une  autre  nature,  j  Tout  ex- 
près,  j'ai  suivi  la  narration  de  Gro- 
no\  lus,  afin  de  donner  à  mes  lecteurs 
un  exemple  qui  les  convainque  com- 
bien il  faut  regarder  de  près  aux  cho- 
ses ,  si  l'on  veut  attraper  tout  ce  qui 
est  nécessaire  à  développer  un  fait. 
Ceci  est  raconté  de  telle  sorte  dans 
l'oraison  funèbre  ,  qu'il  n'y  a  per- 
sonne qui  n'en  conclue  que  Snellius 
décéda  après  le  retour  de  Golius,  et 
que  celui-ci  ne  fut  créé  professeur  • 
aux  mathématiques  qu'après  avoir 
fait  pendant  quelque  temps  les  fonc- 
tions de  son  autre  charge  ,  depuis 
qu'il  fut  revenu  à  Lcyde.  Ceux  qui 
croiraient  cela  se  tromperaient.  Snel- 
lius mourut  Fan  1626,  et  Golius  re- 
vint du  Levant  l'an  1629  ,  et  fut  créé 
successeur  de  Snellius  pendant  son 
voyage.  Il  apprit  à  Constantinople 
qu'on  l'avait  élu  professeur  à  la  place 
de  Snellius. 

(F)  Il  travailla a  de  beaux  ou- 
vrages qui  ont  vu  le  jour.  ]  Il  publia 
l'histoire  des  Sarrasins,  composée  par 
Elmacin.  Ce  travail  est  dû  en  partie 
à  Erpénius  ,  qui  avait  commencé  la 
version  de  cette  histoire.  Golius  a- 
cheva  ce  qui  manquait.  Il  publia  la 
Vie  de  Tamerlan  ,  composée  en  ara- 
be par  un  écrivain  de  grand  nom.  II 
publia  aussi  les  Élémens  astronomi- 
ques d'Alferganus  ,  et  y  joignit  une 
nouvelle  version  et  de  savans  com- 
mentaires. Son  Lexicon  Aràbicum  es  l 
un  ouvrage  tout-à-fait  exact  (11).  II 
enrichit  de  notes  et  d'additions  la 
grammaire  arabe  d'Erpénius  ,  et  y 
joignit  plusieurs  pièces  de  poésie,  ti- 
rées des  auteurs  arabes,  et  principa- 
lement de  Tograi  et  d'Ababolla.  Quoi- 
qu'il n'eût  commencé  à  étudier  tout 
de  bon  la  langue  persane  qu'à  Fïige 
de  cinquante-quatre  ans  ,  il  s'y  per- 
fectionna de  telle  sorte  qu'il  en  com- 
posa un   très-ample  dictionnaire   qui 

fio)  Idem  ,  ibid   ,  pag.  17. 

(11)  Non  parvw  molis ,  sed  immensm  alque 
infinilw  cura;  et  indus  triât.  Gronovii  Oral.  fim. 
J.  Golii  ,  pag.  20. 


!03 


GOLIUS. 


a  été  imprimé  à  Londres  (12).  Il  au- 
rait pu  en  faire  autant  de  la  langue 
turque.  Il  avait  tant  de  naissance 
pour  l'étude  des  langues  ,  que  s'étant 
mis  sur  le  tard  à  apprendre  celle  des 
Chinois,  il  s'y  avança  jusqu'au  point 
de  pouvoir  lire  leurs  livres  et  les  en- 
tendre. Ce  n'est  pas  peu  de  chose  que 
de  savoir  seulement  connaître  les  fi- 
gures dont  ils  se  servent  en  écrivant. 
Ils  en  ont  jusqu'à  huit  mille  (  j3  ). 
L'atlas  de  la  Chine  ,  à  quoi  il  a  joint 
quelque  chose  ,  témoigne  les  progrès 
qu'il  avait  faits  dans  cette  langue. 

(G)   et  en  entreprit  d'autres 

qui  ne  céderaient  point  a  ceux-là  s'il 
■y  avait  mis  la  dernière  main.]  Il  vou- 
lait donner  une  seconde  édition  de 
la  Vie  de  Tamerlan  :  le  teste  aurait 
.  été  imprimé  avec  les  voyelles  5  il  y 
aurait  joint  une  traduction,  et  un  com- 
mentaire tout  plein  d'éclaircissemens 
sur  l'histoire  orientale.  Peu  s'en  fal- 
lut que  cet  ouvrage  ne  fût  en  état 
d'être  donné  à  l'imprimeur.  Il  avait 
commencé  un  dictionnaire  géogra- 
phique et  historique  qu'il  destinait  à 
l'explication  du  Levant ,  in  quo  om- 
nia  locorum  et  hominum  per  Orien- 
tent nomina  explicarentur.  Il  faisait 
espérer  depuis  long-temps  une  nou- 
velle édition  de  l'Alcoran  ,  avec  une 
traduction  et  une  réfutation.  Il  vou- 
lait donner  un  catalogue  de  tous  les 
livres  persans  qui  sont  dans  l'Euro- 
pe ,  et  un  traité  des  dialectes  de  la 
langue  persane.  Il  eût  principalement 
examiné  la  dialecte  qui  passe  pour 
la  meilleure  ,  et  qui  a  obtenu  cette 
qualité  par  un  des  arrêts  les  plus  au- 
thentiques que  l'on  puisse  demander 
dans  ce  genre  de  privilèges.  Voyez  la 
note  (i4)  :  vous  y  trouverez  un  fait 
singulier  :  jamais  les  Grecs  ,  jamais 
les   Romains   ni   aucun   des   peuples 

(12)  //  est  inséré  dans  le  Lexicon  Hcptaglot- 
too  de  Caslellus. 

(i3)  Quod  rarissimum,  annis  jam  vergenlibus 
Sinensi  etiam  Imguœ  difficillimat  ,  et  msi  quis 
inler  ipsos  tPlatem  exigat ,  ingénia  humano  in- 
exsuperabili  atlenderat  ,  et  ad  octo  mitlibus 
signorum  quihus  pro  vocibus  utuntitr  salis  as- 
suerat  ,  ut  libros  illorum  non  aigri  légère  atijuc 
intelligere  possel.  Gronovii  Oral.  fun.  J.  Golii  , 
pag.   20. 

(l'i)  Et  libellus  de  variis  linguie  Versicœ  dia- 
leclis  ,  prceserlim  de  omnium  purissimi! ,  quam 
jussu  tnagnorwn  regum  omnibut  ex  parlibus 
regni  concilia  coaclo  sapientes  moroso  verborum 
delcctu.   probdrunl  ,   el  aulti  tecepit.   Ibidem , 

/<«,','.  21. 


qui  ont  le  plus  cultivé  les  lettres  et 
l'éloquence ,  n'ont  fait  pour  leur  lan- 
gue ce  qu'ont  fait  les  rois  de  Perse. 
L'académie  delta  Crusca  et  ses  sem- 
blables ,  ni  celle  dont  le  cardinal  de 
Richelieu  fut  le  fondateur  ,  n'appro- 
chent pas  de  cette  assemblée  de  sa- 
ges que  les  rois  de  Perse  convoquè- 
rent pour  l'admission  ou  pour  l'ex- 
clusion des  mots. 

(H)  //  s' appliqua  a  faire  servir  sa 
connaissance  des  langues  a  la  propa- 
gation de  la.  foi  parmi  les infi- 
dèles. ]  On  peut  compter  pour  une 
marque  de  son  zèle  le  soin  particu- 
lier qu'il  prit  de  faire  imprimer  en 
grec  littéral  et  en  grec  vulgaire  le 
Nouveau  Testament.  Messieurs  les  é- 
tats  voulurent  bien  faire  cette  dépense 
en  faveur  des  Grecs.  IVemo  tanto  stu- 
dio ,  labore  ,  gratin  ob  consulalus  et 
prœturas  et  imperia  contendit  om- 
nemque  lapident  movit ,  quàm  ille  ut 
IVovi  Fœderis  sacratissimœ  tabulas  , 
simul  uti  screptee  sunt  ,  simul  ut  in 
fuifA.a.ix.01  (  ut  appellant  )  seu  Grœcatn 
linguam  vulgarem  traductœ  ,  formis 
vulgarenlur  :  alque  id  magnifïcum 
atque  divinum  niunus  potenlissimo- 
rum  liberi  Be/gii  ordinum  beneficio  , 
gemens  sub  barbariœ  intolerabili  jugo 
gens  libertatis  et  elegantiœ  iiwentrix 
acciperet  fi5).  Il  eut  soin  de  répan- 
dre, parmi  les  chrétiens  du  Levant  , 
une  traduction  arabe  de  la  confession 
des  réformés ,  de  leur  catéchisme  et 
de  leur  liturgie  ;  car  il  y  a  des  chré- 
tiens  en  ce  pays-là  qui  se  servent  de 
la  langue  arabe  dans  le  service  divin. 
Il  employa  à  cette  version  un  Armé- 
nien qui  entendait  l'arabe  vulgaire 
et  les  phrases  consacrées  à  la  reli- 
gion ,  et  qui  pouvait  accommoder  à 
la  portée  de  tout  le  monde  le  style 
de  Golius  :  car  si  Golius  avait  tra- 
vaillé tout  seul  à  cela  ,  il  eût  été  à 
craindre  que  ses  expressions  n'eussent 
été  trop  relevées  et  trop  savantes.  Il 
garda  chez  lui  cet  Arménien  deux 
ans  et  demi  ,  et  lui  promit  la  même 
pension  que  les  états  avaient  accor- 
dée à  l'archimandrite  qui  mit  le 
Nouveau  Testament  en  grec  vulgaire. 
Cependant  il  ne  savait  pas  si  les  états 
voudraient  faire  cette  dépense.  Il  ne 
leur  proposa  la  chose  que  quand  le 
travail   fut   achevé  ,  et  ils  n'eurent 

(i5)  Ibidem. 


GOLIUS. 


[09 


garde  de  le  dédire.  Ils  lui  firent  mê- 
me un  beau  présent  à  lui  en  particu- 
lier (16).  Je  ne  renverrai  point  ail- 
leurs ce  que  j'ai  à  dire  touchant  un 
autre  présent.  Il  était  leur  interprète 
ordinaire  pour  les  langues  arabe,  tur- 
que ,  persane  ,  etc.  ,  et  cela  lui  valait 
une  pension  annuelle.  Je  crois  que  les 
fonctions  de  cette  charge  n'interrom- 
paient guère  ses  autres  travaux  ; 
mais  tontes  les  fois  qu'on  avait  be- 
soin de  lui  pour  des  affaires  de  cette 
nature ,  il  recevait  mille  honnêtetés, 
et  on  lui  fit  même  présent  d'une 
chaîne  d'or  avec  une  fort  belle  mé- 
daille (17). 

(I)  Son  tempérament  était ro- 
buste. ]  Il  en  avait  conservé  la  bonne 
trempe  par  une  perpétuelle  fruga- 
lité ,  et  par  la  fuite  des  voluptés  (18). 
A  1  ;lge  de  soixante-dix  ans  il  fit  à 
pied  tout  le  chemin  qui  est  entre  la 
Meuse  et  le  Wahal ,  à  un  endroit  où 
il  lui  fallut  marcher  pendant  quatorze 
heures  (19). 

(K)  //  déplorait  la  manière  dont 
on  se  gouverne  dans  les  disputes  de 
religion.  ]  Voici  comment  s'est  ex- 
primé l'auteur  de  son  oraison  funè- 
bre :  Religionem  ,  perindè  ut  rempu- 
blicam  ,jacltonibus  geri  dolebat.  <Spe- 
ciem  quandam  externam  sibi  circum- 
dedisse  multis  sujfficere  ,  quant  vita 
et  actiones  confutarent.  Inter  dissen- 
tientes  ,  de  mediis  quoque  rébus  atque 
indijferentibus  ,  nullam  turpem  ra- 
lionem  vincendi  .  calumnias ,  arles 
matas,  pias  fraudes  figere.  Nusquam 
moderata  consilia  ,  zelum  ,  qui  fupor 
sit  ,  uoeari.  Partim  scripturam  S . 
traclare  ,  potiùs  ut  ingenium  indè 
qu'uni  salulis  curant  nulriant.  Theo- 
îogicen  prœferre',  ut  nomen  scientiœ 
atque  auctoritatis.  Ergb  missâ  in  dis- 
crimen  veritate  ,  quannns  satis  excel- 
le nter  doclos  esse  constet,  tant  securè 
de  illâ  transigere.  Hos  in  theo'ogid 
philosophari ,  ad  disputandum  modo, 
atque  ut  magni  et  conspecti  sint,  theo- 
logos  (20).  C'est  une  des  cinq  ou  six 
réflexions  que  Gronovius  a  choisies 

(16)  Gronovius,  in  Orat.  funebri  Colii,  pag. 
22 ,  23. 

(17J  Idem  y  ibidem. 
(iS)  Idem,  pat;.  28. 

(19)  Sepiuaginta  nains  annos  conlinenti  qua- 
tuordreitn  horaruin  Vàhalim  inter  et  Mosam 
umbulaiione  iler  pedes  confecit.  Ibidem. 

(20)  Gronorius,  ibid.  ,  pag.  3o. 


parmi  plusieurs  autres  que  l'on  avait 
OUÏ  faire  à  Golius  pendant  sa  dernière 
maladie  (  21  ).  Toutes  les  personnes 
de  bon  sens  conviendront  que  ce 
chois  est  judicieux,  car  il  n'y  a  point 
de  choses  qui  méritent  d'être  déplo- 
rées ,  si  les  abus  dont  il  est  ici  ques- 
tion ne  méritent  pas  de  l'être  :  et 
néanmoins  on  voit  le  monde  si  en- 
durci à  cela  ,  et  si  peu  touché  de  ce 
désordre  ,  qu'il  faut  conclure  qu'il 
n'appartient  qu'aux  personnes  d'un 
jugement  très-exquis  de  penser  sur 
celte  affaire  comme  faisait  notre  pro* 
fesseur.  L'église  divisée  en  factions 
et  en  cabales  tout  comme  les  répu- 
bliques ;  en  factions  ,  dis -je  ,  qui 
triomphent  ou  qui  succombent  tout 
comme  dans  les  républiques  ,  non 
pas  à  proportion  que  les  causes  sont 
bonnes  ou  ne  le  sont  pas  ,  mais  à  pro- 
portion que  l'on  peut  mieux  ,  ou  que 
l'on  peut  moins  se  servir  de  toutes 
sortes  de  machines  (  22  )  ;  une  telle 
église  est  sans  doute  un  objet  de  com- 
passion ,  un  sujet  de  gémissement. 
Une  autre  chose  que  Gronovius  a  re- 
cueillie est  de  très-bon  sens ,  ce  me 
semble.  Golius,  qui  avait  tant  vécu, 
tant  vu  ,  tant  voyagé  ,  n'avait  trouvé 
rien  de  plus  rare  qu'un  chrétien  di- 
gne de  ce  nom.  Le  genre  humain  lui 
avait  paru  partout  plongé  dans  le 
vice,  partout  masqué  (23).  Les  voya- 
geurs remarquent  une  diversité  infi- 
nie parmi  les  hommes  :  d'un  jour  à 
l'autre  ils  se  trouvent  transportés 
dans  un  pays  tout  nouveau;  nouvelle 
langue  ,  nouvelle  vêture  ,  nouvelles 
manières  ;  mais  nonobstant  cette  in- 
finité de  variations,  tous  les  peuples 
se  ressemblent  et  se  réunissent  en  ce 
point-ci  ,  c'est  qu'il  y  a  partout  peu 
d'honnêtes  gens  ,  et  que  les  plaisirs 
défendus  sont  l'exercice  ordinaire. 

(L)  //  laissa  deux  fils  dont  je  par- 
lerai dans  les  remarques.  ]  Us  étu- 
dièrent tous  deux  en  droit ,  et  furent 
reçus  avocats.  L'aîné  s'appelait  Tin  0- 
dore  :  il  entra  dans  le  conseil  de 
Leyde  ,  l'an  1(169.  Il  fut  bourgmes- 
tre de  la  même  ville  trois  fois  ,  et  il 

(21  )  Ibidem  ,  pag.  28. 

(22)  Nullam  turpem  rationem  vincendi  :  ca- 
lumnias, arles  matas,  piaf  fraudes  vigere. 
Gronov.  ,  Oral    fuueb.  J.  Colii  ,  pag     io. 

(2?)  Vana  esse  omnia  ,  et  fucala  ,  lolumque 
orbem  inundaUtm  et  iinmersum  iitio.  Ibidem  , 
pag.  29. 


,,o  G0L1US.  GOMARUS. 

y  exerça  une  fois  la  charge  de  grand-  tinuer  ses  éludes  à  Neustad  ,   oii 

bailli  •  ^st  la  première  charge  des  ]es  professeurs  d'Heidelberç  s'é- 
villes  de  Hollande.  Il  fut  aussi  députe        -1  .    ,  TI   _  & 

au  collège  de  l'amirauté  d'Amster-  taient  retires  (a).  Il  fit  un  voyage 

dam.  Il  mourut  Fan   1679  ,  dans  la  en  Angleterre  sur  la  fin  de  l'an 

charge    de    bourgmestre.    Son    frère  i582  ,   et   ouït  à  Oxford   les    le- 

Matthieu  Golius  ,  tres-honnete  hom-  _„_*    j„    .1,'   1       •      j      t  t>    ■ 

\  <      1    1  -i    1    ™  j  cons  de   tneo  oeie  de  Jean  Kai- 

me    et   très  -  habile  homme,   doyen  -    ..  ,  &      . 

des  conseillers  de  la  cour  de  Hollande,  "Oldus,  et  a  Cambridge,  celles  de 
est  mort  à  la  Haye  au  mois  de  sep-  Guillaume  Witaker.  Il  y  reçut  le 
tembre  1702^.  Leur  mère  était  d'une    degré  de   bachelier   au  mois  de 

juin  i584  H  passa  les  deux  an- 
nées suivantes  à  Heidelberg  (b) , 
où  l'académie  avait  été  rétablie 
L'église  flamande  de  Francfort 
le  demanda  pour  ministre  ,  l'an 
1587,  e*  jouit  de  son  ministère 
depuis  ce  temps -là  jusques  ce 
qu'en  l'année  i5g3  elle  fut  toute 
dissipée  par  la  persécution.  11  fut 
ï'an  1600  (b).  Il  composa  en  la-  aPPelé  à  Leyde  pour  la  profes- 
tin un  abrégé  de  morale  tirée  des  slon  en  théologie,  l'an  1594.  Il 
dix  livres  d'Aristote  ad  Nicoma-  l'accepta;  et  avant  que  d'en  aller 
chum,  et  un  Abrégé  de  politique  prendre  possession,  il  fut  pren- 
tirée  du  même  Aristote.  Il  dédia  dre  à  Heidelberg  le  doctorat.  Il 
le  premier  de  ces  deux  ouvrages  exerca  tranquillement  cette  pro- 
au  baron  de  Tanberg,  le  premier  fesslon  jaques  à  ce  qu'il  eut  pour 
de  septembre  i5c,2.  L'édition  collègue  Jacques  Armunus ,  l'an 
que  j'ai  de  l'un  et  de  l'autre  est  de    1 60  J,  homme  qui  ne  tarda  pas 

long-temps  à  répandre  ses  doc- 
trines pélagiennes  (A),  et  à  se 
rendre  chef  de  parti  dans  l'aca- 
démie. Gomarus  s'éleva  contre 
lui  avec  un  grand  zèle ,  non- 
seulement  dans  les  auditoires  de 
Leyde,  mais  aussi  en  présence 
des  états  de  la  province.  Ils  dis- 
GOMARUS  (  François  ),  pro-   pUtèrent  deux   fois  tête  à   tête 


très-bonne  famille   et   très-bien   ap 
parente'e  (24)  :  elle  ve'cut  vingt-quatre 
ans   avec  son  mari  daus  une    grande 
concorde  (25). 

(24'  Gronovius ,  Orat.  fun.  J.  Golii  ,  pag.  i^ 
et  seq. 

(i5)  Idem,  pag.  26. 

GOLIUS  (  Théophile  ) ,  profes- 
seur en  morale  à  Strasbourg  où 
il  était  né  l'an  i528  (a) ,  mourut 


Strasbourg,  tj-pis  Josiœ  Richelii 
hœredum.)  1621  in-S°.  Je  n'ai 
point  vu  sa  Grammaire  grecque. 
M.  Konig  en  fait  mention  (c). 

(a)  Konig. ,  Bihlioth.  ,  pag.  352. 

(b)  Idem,  ibidem. 

(c)  Idem ,  ibidem. 


fesseur  en  théologie  ,  naquit  à 
Bruges,  le  3o  de  janvier  i563. 
Son  père  et  sa  mère ,  qui  avaient 
embrassé  la  religion  réformée, 
se  retirèrent  au  Palatinat ,  l'an 
1578,  afin  de  la  professer  tran- 
quillement, et  le  firent  étudier 
à  Strasbourg,  sous  le  célèbre  Jean 


dans  l'assemblée  des  états  de  Hol- 
lande, l'an  i()o8,  et  cinq  contre 
cinq  l'année  suivante.  Le  succès 
de  ces  disputes  ne  fut  pas  tel  que 
les   églises   le    souhaitaient  (  c  )  ; 

(a)  L'électeur  palatin  les  avait  chasses  ,  à 
cause  (/ii'ils  n'étaient  pas  luthériens. 

(b)  L'électeur  Louis,   persécuteur  d<-s  ré- 


SlurmiuS.    11  fut  SOUS  la  dlSCipll-   formes  ,  étant   mort  l'an  i583,  le  prince  Ca 

ne  de 'Ce    bon    vieillard    environ   ')["'"'■   son  frère    eut  l'administration   de 

,  .  /  et, -clorai,  et  rétablit  les  réformes 

I  rois  ans  ,  après  quoi  il  alla  con-       (c)  Voyez  la  remarque  (A) ,  citation  (1). 


GOMARUS.  m 

mais  néanmoins  il  servit  de  quel-  saurait  le  disculper  de  beaucoup 
que  chose  ,  il  fit  connaître  le  pé-  d'entêtement  (D).  Il  est  facile  de 
lagianisme  d'Arminius.  Ce  pro-  s'en  convaincre  à  ceux  qui  savent 
fesseur,qui  était  déjà  malade,  juger  des  choses.  Meursius  a 
se  servit  de  cette  excuse  pour  trompé  Moréri  en  quelques  faits 
discontinuer  les  conférences,  et  (E);  mais  les  fautes  que  Moréri 
mourut  quelque  temps  après.  Ses  a  commises  de  son  chef  sont  pi- 
adversaires  employaient  toute  toyables  (F).  On  les  a  marquées 
leurindustrieafind'empêcherque  presque  toutes  dans  l'édition  de 
Vorstius  ne  lui  succédât;  et ,  n'y  ce  pays.  J'oubliais  de  dire  que 
pouvant  réussir,  il  arriva  que  Go-  Scaliger  n'estimait  guère  notre 
marus ,  pour  n'avoir  pas  un  tel 
collègue,  quitta  la  partie  et  se  re- 
tira à  Middelbourg,  l'an  1G1  i.  Il 
y  fut  ministre,  et  y  fit  aussi  des 
leçons  publiques.  Cela  dura  jus- 
ques à  ce  qu'eu  l'an  1614  il  fut 
appelé  par  l'académie  de  Saumur 
pour  la  chaire  de  théologie.  Il 
exerça  cette  charge  pendant  qua- 
tre ans  ;  après  quoi  il  se  retira  à 
Groningue ,  pour  y  être  premier 
professeur  en  théologie,  et  en 
hébreu.  Il  y  trouva  une  assiette 
fixe,  où  il  se  tint  fermement 
collé  jusques  à  sa  mort  ,  c'est-à- 
dire  jusques  au  1 1  de  janvier 
164 1.  S'il  s'absenta  deux  fois, 
ce  ne  fut  pas  pour  se  donner  du 
relâche;  ce  fut  pour  aller  être 
l'un  des  juges  de  la  cause  d'Ar- 
minius au  synode  de  Dordrecht 
(d),  et  pour  revoir  la  traduction 
du  Vieux  Testament  (e).  Il  se 
maria  trois  fois  ,    et  n'eut   des 


Gomarus  (G). 

(A)  Arminius  ne  tarda  pas  long- 
temps a  répandre  ses  doctrines  pé- 
lagiennes.  J  J'avance  cela  en  qualité 
de  traducteur  de  celui  qui  a  compo- 
sé la  Vie  de  Gomarus  (1)  :  mais  du 
reste  je  ne  prétends  pas  garantir  qu'il 
ait  raison;  car  je  sais  qu'Arminiu- 
ne  demeurait  point  d'accord  que  ses 
sentimens  fussent  semblables  à  ceux 
de  Pelage,  ni  même  à  ceux  des  semi- 
pélagiens.  Voyez  le  traité  de  Gro.tius 
qui  a  pour  titre  :  Disquisitio  an  Pe- 
lagiana  sint  ea  dogmata  quœ  nunc 
sub  eo  nomine  traducuntur  ?  Il  est 
dans  le  troisième  volume  de  ses  œu- 
vres théologiques.  Voyez  aussi  l'une 
de  ses  lettres  (2).  Quand  donc  vous 
lisez  dans  la  Vie  de  Gomarus  ,  que 
pour  le  moins  on  retira  cette  utilité 
des  conférences  que  l'on  eut  avec  les 
arminiens  ,  qu'ils  furent  manifeste- 
ment convaincus  d'enseigner  les  dog- 
mes de  Pelage  (3)  ,  n'allez  pas  croire 
qu'on  les  contraignit  d'avouer  cela  , 
et  que  les  juges  de  la  conférence 
prononcèrent  qu'ils  en  avaient  été 
suffisamment  convaincus.  Les  termes 
de  cet  auteur  ne  doivent  signifier 
enfaus  que  de  sa  seconde  femme  autre  chose  si  ce  n'est  que  Gomarus 
(B).  C'était  un  fort  habile  hom-   Prétendit   avoir   avancé    de  bonnes 

preuves  de  1  accusation  qu'il  intentait 
à  Arminius. 

(Bj  II  n'eut   des  enj'ans  que  de  su 


(B). 

me  et  principalement  aux  lan- 
gues orientales.  On  imprima  ses 
oeuvres  à  Amsterdam  ,  in-folio  , 
l'an  i645  (/)  (C).  S'd  est  vrai 
qu'il  ait  fait  à  Barnevelt  la  ré- 
ponse dont  Grotius  parle,  on  ne 

(d)  fan  1618. 

(e)  A  Leyde ,  l'an  i633. 

(f)  Tire  de  sa  Vie ,  dans  le  recueil  de  cel- 
les des  professeurs  de.  Groningue, 


(1)  Dogmata  Pflagiana  clam,  pal'am  ,  eoce, 
scripto   spargere  cœpit  ,  ne  familiam  in     l<  a 
muî  ducere.   Vila  Gomari ,  inler   Profes».  Gio- 
ningen.s.   Vitas,  png.  -6. 

(2)  La  XIXe.  de  la  IIe.  partie. 

(3)  Successu  quide.m  non  eu  uuem  ecclesiic 
optabant,  ut  profligattt  erroribus  ac  schismdte 
orlhodoxa  veritas  et  concordia  in  arce  colloea- 
retnr  :  non  tamen  nullo  ,  citm  d<  tiacta  tarva 
advertarn  Pelagianismus  pal.tm  evicltis  Jueril. 
Vita  Gomari  ,  pag.  "■ 


1,2  GOMARUS. 

seconde  femme.]  Elle  s'appelait  Ma-  dans  lequel  il  déclara  qu'il  rendait 
rie  Leremite  ,  et  était  demoiselle  grâce  à  Dieu  de  ce  que  ces  contrô- 
lant du  coté  paternel  que  du  mater-  verses  ne  regardaient  point  les  doc- 
nel.  Il  l'épousa  à  Francfort  (4).  Il  en  trines  fondamentales  de  la  religion 
eut  un  fils  et  deux  filles  :  le  fils  mou-  chrétienne.  Sur  quoi  Gomarus ,  ayant 


rut  avant  son  père ,  et  laissa  des  en 
fans.  La  fille  puînée  se  maria  avec 
David  de  la  Haye  ,  ministre  d'une 
église  wallone.  Cette  remarque  ,  et 
plusieurs  autres  semblables  que  l'on 
trouvera  répandues  dans  ce  Diction- 
naire ,  sont  faites  en  faveur  de  quan- 
tité de  bonnes  dmes  que  l'on  connaît 
fort  curieuses  de   nouvelles  concer- 


obtenu  la  permission  de  parler,  pro- 
testa qu'il  ne  voudrait  point  compa- 
raître devant  le  trône  de  Dieu  avec 
les  erreurs  d'Arminius.  C'est  dans  les 
lettres  de  Grotius  que  l'on  trouve 
cette  particularité  (6).  On  la  trouve 
aussi  dans  la  préface  qui  a  été  mise 
au-devant  des  actes  du  synode  de 
Dordrecht.  Je  doute  qu'il  y  ait  au- 
nant  la  famille  des  pasteurs  et  des  jourd'hui  des  partisans  de  Gomarus 
savans.  S'il  y  a  des  lecteurs  qui  se  assez  passionnés  pour  soutenir  qu'il 
soucient  peu  de    cela  ,    comme   sans    ait  eu  raison  de  dire  cela.  La  chaleur 


doute  il  n'y  en  a  que  trop ,  on  les 
prie  de  se  souvenir  qu'un  auteur 
n'est  pas  obligé  à  ne  rien  dire  que  ce 
qui  est  de  leur  goût.  Dans  ira  ou- 
vrage  comme,  celui-ci ,   il  faut  tra 


de  la  dispute  ,  et  les  influences  mali- 
gnes de  l'émulation  professorale  ,  lui 
faisaient  outrer  les  choses  ,  et  lui 
troublaient  le  jugement  ;  car  aujour- 
d'hui les  calvinistes  les  plus  rigides 


vailler  tantôt  pour  une  sorte  de  gens,  ne  font  point  difficulé  d'avouer    que 

tantôt  pour  une  autre.  Ceci  soit  dit  les  cinq  articles  des   remontrans   ne 

une  fois  pour  toutes.  sont  point  des  hérésies  fondamenta- 

(C)  On  imprima  ses  œuvres  a  Am-  les  \  et  ils  font  assez  entendre  que   le 

sterdam,  in  folio,  l'an  i645.]  Cela  veut  schisme  serait  facile  à   lever,   si   la 

dire   qu'on    rassembla    en  un   corps  secte  d'Arminius   n'était  point  tom- 


plusieurs  traités  qui  avaient  paru  en 
divers  temps.  Son  Anti-Costérus  fut 
imprimé  l'an  i5tjç)  et  l'an  1600.  Sa 
Lyra  Davidis fat  publiée  long-temps 
avant  sa  mort  :  Louis  Capel  écrivit 
contre  cet  ouvrage.  IVon  ita  pridem 
vir  Cl.  et  Doctis.  c'est  Rivet  qui  dit 
cela  (5),  Franciscus  Gomarus  edidit 
Lyram  Davidis  ,  in  qud  putavit  se  ad 
metra  Horaliana  et  similia  Davidis 
psalmorum  versus  ita  exegisse ,  ut 
veram  poè'seos  Hebraïcœ  ralionem 
invenerit.  Sed  Ludovicus  Capellus 
animadversionum  libello  totum  illud 
D.  Gomari  opus  obelo  transjigere 
conatus  est ,  ut  indè  lector  discat  vix 
inler  doctos  de  eo  posse  convenire  , 
neque  labore parùm  ulili  se  ultra  J'a- 

tiget.      ^  .,..-.. 

(D)  S'il  est  vrai  qu'il  ait  fait  a 
Bamevelt  la  réponse  dont  Grotius 
parle  ,  on  ne  saurait  le  disculper  de 
beaucoup  d'entêtement.}  Barnevelt  lit 
un  petit  discours  à  ces  deux  antago- 
nistes devant  les  états  de   Hollande  , 

(4)  II  avait  aussi  épousé  la  première  dans  la 
même  ville.  Il  épousa  la  troisième  a  MiddeU 
bourg  :  ainsi  on  n'a  pas  ilù  due  dans  le  I" . 
tome  des  Anti  ,  pag-  128,  qu'il  s'était  marié  a 
'    ,  de  avant  que  d'aller  a  Middelbourg. 

(5)  Proltgom.  io  Psaluios. 


bée  dans  de  nouvelles  erreurs  mille 
fois  plus  pernicieuses  que  celles 
que  commirent  Gomarus  et  Armi- 
nius.  Ainsi  ceux  qui  n'ont  point  eu 
la  tête  échauttee  par  les  démêlés  per- 
sonnels qui  avaient  aigri  Gomarus  , 
ne  croient  pas  comme  lui  que  l'on 
soit  damné  éternellement  lorsque  l'on 
croit  les  cinq  articles  des  arminiens. 
C'est  donc  à  l'animosité   personnelle 

3u'il  faut  imputer  l'opinion  bourrue 
e  cet  adversaire  d'Arminius. 
Afin  qu'on  ne  me  conteste  point 
les  faits  que  j'avance  ,  je  m'en  vais 
produire  une  preuve  qui ,  bien  que 
fondée  seidement  sur  un  témoin  ,  a 
toute  la  force  d'une  bonne  démon- 
stration ;  puisque  ce  témoin  n'est 
autre  que  M.  Jurieu,  l'homme  du 
monde  le  plus  intraitable  par  rap- 
port aux  arminiens.  M.  Arnauld 
croyait  avoir  fait  un  livre  tout-à-fait 


(6)  Cum  D.  Oldenbarneveldius ,  /irevi,  quam 
ad  professores  habebal,  oralione  inler  alia  grn- 
tias  se  habere  deu  diceret,  <juo<i  de  Christian  te 
religionis  capitibus  nulla  esset  disputatio;  res- 
pondit  Gomarus,  poslulalddiccnaiveniâ,  ejus- 
tnodi  esse  collegœ  sui  opiuiones  in  arliculis  m- 
ter  ipsos  controverses,  ul  ipse  ,  ita  senliens ,  nolit 
coràm  dco  judice  gonsistere.  Grolius,  epist. 
Xi ,  part.  I,  pag.  3. 


GOMARUS. 


ri3 


embarrassant  contre  les  ministres*,  anglais  de  quelques  lettres  publiées 
lorsqu'il  publia  son  Renversement  de  par  les  arminiens,  Gomarus  était  un 
la  Morale.  11  fonda  toutes  ses  preuves  nomme  très  emporté.  Voyez  les  let- 
sur  les  dogmes  du  synode  de  Dor-  très  de  ces  messieurs,  à  la  page  5_j8, 
drecbt,  et  il  supposa  qu'une  assem-  565,  etc.  Cela  me  rend  plus  bardi  à 
blée  de  cette  importance  n'eût  point  rejeter  la  téméraire  et  maligne  con- 
obligé  à  la  profession  de  ces  dogmes  jecture  de  ceux  qui  voudraient  pré- 
sous   peine   d'excommunication  ,    si  tendre  qu'il  ne  croyait  pas   que  les 


elle  ne  les  avait  jugés  fondamentaux. 
M.  Jurieu  lui  répondit  cent  bonnes 
cboses  ,  et  le  rendit  tout  confus  ,  en 
lui  soutenant  que  ce  synode  n'avait 
jamais    regardé   comme  des  articles 


doctrines  d'Arminius  conduisissent 
à  l'enfer,  mais  qu'il  l'assura  pour- 
tant afin  de  justifier  les  oppositions 
qu'il  formait  contre  ces  doctrines  : 
car  il  avait  lien  de  craindre  que   les 


nécessaires  au  salut  les  dogmes  dont    états  de   Hollande  ne  lui  dissent  tpie 


il  s'agissait  dans  les  disputes  des  re 
montrans  (-).  Il  dit  en  particulier 
touchant  celui  de  la  grâce  inamissi- 
ble  ,  l'un  des  principaux  chefs  de  la 
dispute,  que  ,  depuis  la  décision  du 
synode,  il  est  libre  aux  luthériens  et 


ce  n'était  pas  la  peine  de  tant  crier 
si  les  opinions  d'Arminius  n'empê- 
chaient pas  qu'on  ne  se  sauvât.  La 
meilleure  réponse  qu'on  pouvait  fai- 
re à  cette  objection  était  de  dire 
que  l'on  ne   pouvait  pas   se   remuer 


à  toute  autre  communion  de  défendre    avec  trop  de  force  ,  ni  implorer  avec* 


ce  dogme  ou  de  ne  le  revoir  pas.  Je  dis 
que  cela  est  libre  ;  non  pas  qu'on  ne 
pèche  toujours  quand  on  rejette  une 
vérité  sainte,  importante,  et  claire- 
ment établie  par  la  parole  de  Dieu , 
comme  est  celle  -  là  ;  mais  ce  n'est 
]>as  un  péché ,  selon  nous  ,  qui  exclue 
de  la  grâce  et  qui  ruine  la  foi  (S).  Il 
dit  même  que  ceux  qui  vivent  dans 
la  communion  des  contre-remontrans 
ont  la  liberté  de  ne  se  soumettre  point 
à  la  décision  du  synode  de  Dordrecht , 
a  cet  égard ,  et  d'avoir  là-dessus  des 


trop  d'ardeur  l'autorité  des  tribu- 
naux contre  ces  doctrines  ,  puis- 
qu'elles étaient  capables  de  précipi- 
ter dans  les  enfers  tous  ceux  qui 
s'en  laisseraient  infecter.  Grotius  re- 
marque que  Gomarus  ,  dans  une  con- 
versation qu'ils  eurent  sur  les  con- 
troverses arminiennes  ,  appela  pro- 
fanes et  impies  les  opinions  d'Ar- 
minius ,  et  s'emporta  contre  lui  , 
mais  sans  presque  rien  dire  sur.  la 
prédestination.  Citm  multa  acriter 
in   jlrnunium    diceret ,    impiasque  et 


sentimens  particuliers  ,  pourvu  qu'ils  profanas  vocaret  ipsius  opiniones  , 
ne  s'amusent  point  à  dogmatiser  et  à  lamen  de  prœdeslinalione  vix  quic- 
faire  des  disciples  ,  et  que  si  on  ne  quant  locutus  est.  Sed  primiun  in 
souffre  pas  dans  la  chaire  des  pas-  lllam  maxime  senlentiam  invectus 
leurs  qui  enlreprenncntde  combattre  la  est,  quœ  justificationis  objecium  aut 
persévérance  des  vrais  saints ,    et    si     materiam     statuit   fidem  ,     justiliam 

autem  Christi  causant  meritoriamjus- 
tificationis  ejus  quœ  est  ex  fuie  (io). 
Il  insistait  principalement  sur  la  ma- 
tière de  la  justification  ;  et  néan- 
moins la  plupart  des  membres  des 
états  de  la  province  avaient  jugé 
que  sur  ce  point  la  dispute  de  Go- 
marus et  d'Arminius  n'était  presque 
qu'une  dispute  de  mots(ii).  S'il  y 
avait  de  l'artifice  à  n'insister  pas 
beaucoup  sur  la  matière  de  la  pic- 
destination  ,  c'était  aussi  un  artifice 
que  d'y  insister,  et  ce  second  artifice 
était  celui  d'Arminius.  Il  remarquait 

(10)  Orotius,  epist.  XI  ,  pari.  I,  pag.  3. 

(  1 1)  Ylerique  ex  senatu  judicaverant  hoc  non 
mullo  plus  esse  ,/uiitn  M")  OfAtt >;'stv  (  verborum 
pugnam  )  .  .  .  .  illr  contra  rein  magnam  agi  pu- 
labal.  Grotius  ,  ibidem. 

8 


on  les  chasse  de  la  communion  ,  on 
ne  prétend  pas  pour  cela  les  bannir 
du  corps  de  Jésus-Christ  (9). 

Au  reste  ,  s'il  en  faut  croire  l'auteur 

*  Voyez  In  note  sur  la  remarque  (D)  de  l'article 
Beaulieo  ,  III  ,  223  ,  et  la  note  sur  la  remarque 
(D)  «le  l'article  rie  G.  Forbes  ,  toui.  VI,  page 
524. 

("t  )  J'ai  dit  Ips  raisons  pourquoi  le  synode 
de  Dordrecht  a  fait  entrer  cela  dans  ses  déci- 
sions :  c'est  ..  en  troisième  lieu,  pour  apaiser 
des  differens  en  terminant  une  controverse  sur 
laquelle  les  esprits  se  partageaient.  Mais  je  nie 
encore  une  fois  </ue  le  srnvtle  ait  eu  dessein  de 
faire  un  article  fondamental  de  notre  foi  par 
celte  nouvelle  décision.  Jurieu,  Justification  de 
la  Morale  tics  Réformés,  IIe.  par'..,  tir.  VI, 
chap     III ,  pag    216 

(8,  Juncu,  Justification  .le  la  morale  des  Ré- 
formés, IIe.  partie,  liv.  VI,  chap.  Il ,  pag. 
207. 

(g)  Là  même» 

TOME    VII. 


»4 


GOMARUS. 


que  le  dogme   de  la  réprobation  ab-  sance  de    Gomarus  à  Tan    i562(i5), 

solue   pouvait  être  aisément  tourne  et  l'a  fait  aller   en   Angleterre  avant 

d'un  sens  odieux,  et  qui  soulève  l'es-  qu'en    Allemagne.    On    connaît    ces 

prit  ,  et  que  sa  doctrine  sur  ce  point  deux  fautes  quand  on  lit  la  narration 

était  plus  plausible  et  plus  populai-  que  j'ai  rapportée,  qui  est  sans  com- 

re  •  c'est  pourquoi  il  se  faisait  voir  de  paraison    meilleure    que  celle     que 

ce  côté-là  (i a).   C'est  la  coutume  gé-  M.  Morëri  a   suivie,   puisqu'elle   est 

ne'rale   des   plaideurs  :  ils   montrent  tirée  d'un  livre  fait  à  Groningue,  où 

toujours  leur  cause    par  son  bel  en-  Gomarus  a  professé  vingt-deux  ans , 

droit.  Remarquez  bien   ce   que  Gro-  d'un  livre  dis-je  ,    composé  après  la 

tius  rapporte  à  la  fin  de  cette  lettre,  mort    de  Gomarus ,    et   sur  des  mé- 

Uyttenhogard  avait  prévu  ,  dés   l'an  moires    beaucoup    plus  amples    que 

1608,  le  succès  de  ces  disputes  5  c'est  ceux  qui  avaient  servi  à  Jean  Meur- 

que  la  doctrine  de  Calvin  triomphe-  sius. 

rail  en  Hollande  ,  comme  elle  triom-  (F)  Les  fautes  que  Moréri  a  coin- 

pha  à  Genève  au  temps  de  Castalion  ,  mises  de  son  chef  sont  pitoyables.}  11 

homme  *  qu'on    persécuta   de    telle  a  dit  que  le  père  de  Gomarus  le  me- 

sorte  ,  et  qu'on  réduisit  à  un  tel  état,  na  en    Angleterre.    Meursius    ne   dit 

qu'il  fut  obligé   de    gagner  sa  vie  au  point  cela;  et  l'auteur   des   Vies   des 

métier  de  bûcheron.  Cùm  tantis prœ-  professeurs  de  Groningue  dit  formel- 

fUdiciis   res    àg'atur  ,     et   singulares  lement  le  contraire.  II  dit  que  le  père 

doclorunt   opiniones ,    in    mentes  dis-  de  Gomarus  se  retira  au   Palatinat , 

cipulorum  sensbii   irrepentes ,   atque  et    envoya     son     fils    à    Strasbourg. 

auctu   temporis ,  et  altiiis  inquirendi  M.    Moréri  prétend  qu'Arminius  en- 

negfigentid  aespecie,  tacito  ecclesia-  seignait  une   doctrine  particulière  à 

rum  consensu  receptœ  ,  libérant  mag-  Lcyde  ,  lorsque  Gomarus  y  fut  appelé. 

norum   ingenioruiu    sedulilatem   au-  C'est    un   grand  anachronisme.    Il   y 

loritate  sud  jugulent  ,    neque  minus  avait  dix  ans  que  Gomarus  professait 

in  ecclesiis  ,  quam  in  aliis  consessibus  à  Leyde  ,  lorsqu'Arminius  commença 

t'incat    major  pars     meliorem  ;    non  d'y  enseigner.    Mais  la  plus  étrange 

alium  se    eventum    rerum    Arjninii  bévue  de    notre  auteur,    et  la    plus 

sperare,    quam    Castellionis  fuerit  ,  inexcusable  dans  un  piètre  français  , 

qui  pressus  impotentid  adversariorum  qui  se  devait  croire  appelé  à  la  con- 

eo  redactus  sit  ut  uir  non  indoctus  et  version  des    huguenots ,   est    d'avoir 

pcrpetuœfamœ  lignando  sibi  l'ictum  cru  que  le  dogme  de   la  grâce    irré- 

quicreret'(i3).  sistible  et  inamissible  était  une  erreur 

(E)  Meursius  a  trompé  Moréri  en  où  Gomarus   tomba ,  pour  avoir  été 

quelques  faits.]  Il  a  mis  (i/f)  la  nais-  poussé  un  peu  trop  loin  par  sa  pas- 
sion.   Quelle  ignorance  !  N'est-ce  pas 

(12)  Ai  Aiminius  dicebat,  non  ita  graves  esse  une  doctrine  qui   a  toujours  dominé 

conlroversias  ,  sed  maxime  circaprœdeslinalio- 
nem  arntugi,  quod  ideb  in  conventu  dixisse  vi- 
debalur  aut  credebalur  quia  in  isto  argumenlo, 
popidaris  ac  pUiustbilis  est  novilas  Idem  ,  ibid. 
*  Dans  la  première  édition  de  son  Dictionnai- 
re .  en  parlant  ici  de  Castalion,  Bayle  avait  dit  : 
Homme  qu'on  chas  ta  de  Genève,  et  qui  se  vit 
réduit  à  un  tri  étal  ,  etc    ;  mais  lorsqu'en    i(>i|8 

Bayle  composa   pour  la   seconde  édition   l'article  nait(lo). 

Castalion  ,  il  eut  occasion  de  se  convaincre  que  /Q\  ScaliseT  II' , 

Caslaliou  n'avait  lias  été  chassé  de    la    ville;  et  /-.                    -,'""1  • 

en  effet  il  ne  parle'  pas  de  cette  orcons.ance  dans  GomatUS .]    Lisez 


dans  la  communion  de  Genève,  de- 
puis Calvin  jusqu'à  présent?  Ce  que 
Gomarus  pouvait  avoir  de  moins 
commun  est  de  s'expliquer  durement 
selon  l'hypothèse  des  supralapsaires. 
Voyez  les  avis   que  Vossius  lui  don- 


parte  pa 
son  article  (tome  IV,  pag.  5a6).  Cependant  dans 
cette  seconde  édition  il  laissa  encore  (par  iné- 
garde)  a  l'article  C.omarus  ,  la  phrase  que  je 
viens  de  rapporter.  Ces)  Bayle  lui-même  qni 
donne  ces  détails  dans  son  Mémoire  sur  quelques 
endroits  qui  le  concernent  .  dans  les  nouvelle* 
additions  <!<■  (f.  Teissier  aux  Eloges  des  hom- 
me savan<;  mémoire  qui  lait  partit  du  tome 
IV  de  ses  OEuvres  diverse*  .  in-fol.  La  version 
qu'on  lit  aujourd'hui  est  celle  de  1730. 

(l3)    ('.rotins  ,  epitt,    XI  ,  pn,l.  I  ,  pag,  4< 

(i4)  Alhen.  Balav.,  pa:;.  l'fi. 


estimait  guère  notre 
ce  passage  du  Sca- 
ligérana.  Qui  demandera  a  Gomarus 
et  a  Snellius  si  ce  siècle  portera  de 

(i5)  M  Baillet,  loin.  Ides  Anli  ,  pag.  127, 
ayant  en  cela  suivi  Meursius,  a  dû  dire  par  une 
conséquence  nécessaire  ,  que  Gomarus  mourut 
âgé  de  soixante-dix-neuf  ans,  puisqu'il  mou- 
rut Van  ifi.ii.  la  vérité  est  qu'il  s'en  /allait  de 
quelques  jours  qu'il  neùl  soixante-dix-huit  ans 
Ir  jour  itc  ta  mort. 

(16)  Vossius,  epist.  CCCXCVI  ,  pag.  JCa, 
edit.  Londinensis ,  ifig3. 


GOMBAULD.  n5 

élevé ,  moins  fécond  que  ju- 
dicieux ,  l'humeur  ardente  et 
prompte  ,fort  portée  à  la  colère, 
quoiqu'il  eut  l'air  grave  et  con- 
certé ;  qu'après  avoir  achevé  à 
Bordeaux  toutes  ses  éludes  en  la 


plus  grands  hommes  que  les  précc- 
dens;  Us  répondront  sans  doute  qu'oui, 
parce  qu'ils  pensent  être  les  plus  sa- 
faris. Gomarus  est  de  Bruges  ,  voilà 
pourquoi  il  est  docte  :  il  a  une  belle 
librairie ,  il  a  force  ramistes  ;  car  il 
est  grand  analytique  qui  est  la  mar- 
que d'un  ramiste.  II.  pense  être  le  plus 
savant  théologien  de  tous.  Il  s'en-  plupart  des  sciences,  sous  les 
tend  à    la  chronologie   comme   moi  h    plus    CXCelletlS    maîtres    de    son 


faire  de  la  fausse  monnaie  (17). 
(«")  P"S-  "'•  95- 

GOMBAULD  (Jean-Ogifi.  de), 
l'un  des  bons  poètes  français  du 
XV 
longe  , 

près  de  Brouage  (a).   On  a  pu    monarque  (c).   Il  fut  fort  consi- 
voir  dans  le  Moréri  ,  que  non-    aéré  de  Marie  de   Médicis  ,  et  il 


temps,  il  vint  à  Paris  ,  sur  la  fin 
du  règne  du  roi  Henri-le-Grand, 
ou  il  ne  tarda  guère  à  être  connu 
et  estimé  (b).  Il  ne  fut  ni  des  der- 


VIIe.  siècle,  naquit  en  Xain-    niers  ni  des  moindres  qui  firent 
nge  ,  à  Saint- Just  de  Lussac  ,    des  vers  sur  la  mort  *  de  ce  grand 


seulement   il  fut  agrégé  à  l'aca 
demie    française   dès    le     com- 
mencement  de    l'institution   de 
cette    compagnie   ,    mais    aussi 

qu'il   fut  de  la  petite  assemblée    une  pension  de^  douze  cents  écus 
de   beaux    esprits    qui    précéda 


n'j-  avait  point  d'homme  de  sa 
condition  qui  eût  Ventrée  plus 
libre  chez  elle,  ni  qui  en  fût  vu 
de  meilleur  œil  Elle  lui  donna 


«  Et  comme  il  était  autant  en— 

»  nemi  des  dépenses  superflues  , 

>»  qu'exact  à  faire  honnêtement 

»  les  nécessaires, il  fit  un  fonds  as- 

»  sez  considérablede  l'épargne  de 

>r  ces  années  d'abondance,  ce  qui 

»  lui  vint  bien  à  propos  pour  pas- 

»  ser  celles  de  stérilité  qui  succé- 

»  dèrer.t,  quand  les  guerres  civi- 

»  les  et  étrangères  eurent  dimi— 

»  nué   et  enfin    tari  les  sources 

»  d'où     les    premières     avaient 

»  coulé.  On  le  réduisit  d'abord 

(b)  Préface  des  Traites  et  Lettres  de 
M.  Gombauld  sur  la  Religion.  M.  Colomiés, 
dans  sa  Bibliothèque  choisie,  pag.  l55  de 
la  seconde  édition  ,  observe  que  M.  Conrart 

grand  'bien  fait ,  de  bonne  mine    est.  l'au\eur  dt ceite Préf%e- 

0                                 13              7-  Leclerc  observe  que  Ion  ne  trouve  au- 

et  sentant  son  homme  de  qualité;  cune  pièce  de  Gombauld  dans  le  Recueil  de 

que    Sa    piété   était   sincère   ,     Sa  diverses  poésies  sur  le  trépas  de  Henvi-h- 

x        ,   .    ,  * ,                         ,  Grand,   101 1,  in-li°. ,    et   que,   dans   le  re- 

probile    a    toute   épreuve  ,    ses    cueil  des  poâieS  Jc  Gombauld,  donné  par 

mœurs  Sages     et    bien    réglées;     lui-même  eu  1646',  il  n'y  a  aucune  pièce  sur  ce 
>  •/  •.    7  •         7  /       suiet  :  d'où  Leclerc   et  Joly  concluent   que 

au  il  avait  le  cœur  aussi  noble      ],     .        ,  .  r>  .„,  ..,,_   .1' 

2  cette  circonstance  est  laussc;  au  reste,  uaus 

que  le   corps  ,    l'âme  droite   et 
naturellement  vertueuse  ,  l'esprit 

(a)  Pellisson  ,  Histoire  de  l'Académie  fran- 
çaise ,  pag,  nr.  33g. 


cette  institution  ,  et  qui  donna 
lieu  à  la  fondation  de  cette  illus- 
tre académie.  On  a  pu  voir  dans 
le  même  dictionnaire  quelques 
autres  choses  curieuses  touchant 
M.  de  Gombauld  :  je  ne  le  répé- 
terai point;  je  m'attacherai  seu- 
lement aux  faits  qu'on  n'y  trouve 
pas.  Je  dirai  donc  qu'il  était  de 
la  religion  (A) ,  et  gentilhomme, 
et  cadet  d'un  quatrième  maria- 
ge ,  comme  il  avait  accoutumé 
de  le  dire  lui-même,  par  raille- 
rie,  pour  s'excuser  de  ce  qu'il 
n  était  pas    riche  ;    qu'il    était 


le  passage  transcrit  par  Bayle  .  deux  mots  ont 
ètè    suppriine's   ou   oublies.    Conrart  a  dit  : 
■   M  GamhMÙl.,  quoique  jeune,  ne  fut  ui  des 
derniers,  etc.  >■. 
(c)  Là  même. 


n6  GOMB 

»  de  douze  cents  écus,  à  huit 
»  cents  ,  et  ensuite  de  huit  cents 
»  à  quatre  cents  ,  où  il  est  de- 
»  meure  jusqu'à  sa  mort,  sans 
»  être  payé  néanmoins,  depuis 
»  la  guerre  de  Paris  ,  que  par  les 
»  offices  de  quelques  personnes 
»  puissantes  et  généreuses  (15), 
»  dont  il  avait  l'honneur  d'être 
»  connu  et  protégé,  entre  les- 
»  quelles  M.  le  duc  et  madame 
»  la  duchessede  Montausier  doi- 
»  vent  tenir  le  premier  rang. 
>»  Durant  quelcjues  années  il  fut 
»  aussi  gratifié  d'une  pension  sur 
»  le  sceau  ,  par  M.  Séguier  , 
«  chancelier  de  France.  Il  avait 
»  toujours  vécu  fort  sain  ;  à 
»  quoi  sa  frugalité  et  son  éco- 
»  noniie  avaient  extrêmement 
»  contribué.  Mais  un  jour  qu'il 
»  se  promenait  dans  sa  chambre, 
»  ce  qui  lui  était  fort  ordinai- 
»  re ,  le  pied  lui  ayant  tourné, 
u  il  tomba,  et  se  blessa  de  telle 
»  sorte  à  une  hanche  qu'il  fut 
»  obligé  de  garder  presque  tou- 
»  jours  le  lit  depuis  cet  acci- 
»  dent  jusques  à  la  fin  de  sa  vie, 
»  qui  a  duré  près  d'un  siècle  ,  si 
»  une  date  écrite  de  sa  main, 
»  dans  un  des  livres  de  son  cabi- 
»  net ,  était  le  temps  véritable 
»  de  sa  naissance  ,  comme  il  l'a 
»  dit  en  confidence  (Ç)  à  quel- 
»  qu'un  qui  n'en  a  parlé  qu'a- 
»  près  sa  mort.  »  Il  avait  été 
des  plus  assidus  à  se  trouver  aux 
cercles  de  Marie  de  Médicis  et 
d'Anne  d'Autriche  ,  pendant  les 
régences  de  ces  deux  princesses. 
Mais  il  se  rendait  encore  avec 
plus  de  soin  et  de  plaisir  à  V hôtel 
de  l\ambouillel{d)  (D,.  1 1  mourut 
l'an  i66i>.  Je  mettrai  (K)  dans  une 

(il    Tirette  ht  préface  des  Traites  et  Lel- 
Ires  de  GomLauld, 


AULD. 

seule  remarque  ce  que  j'ai  à  dire 
sur  ses  écrits  ,  et  sur  ce  que  les 
connaisseurs  en  ont  jugé. 

(A)  Il  était  de  la  religion.]  C'est 
ce  que  les  continuateurs  de  More'ri 
n'ont,  point  dit  :  ils  l'ignoraient  peut- 
être  ;  mais  peut-être  aussi  qu'ils  n'en 
eussent  point  parlé  encore  qu'ils 
l'eussent  su.  Quoi  qu'il  en  soit ,  cette 
omission  est  vicieuse  ;  car  à  moins 
que  l'on  ne  voie  dans  un  dic- 
tionnaire historique  imprimé  en 
France ,  et  composé  par  des  catholi- 
ques romains  ,  qu'un  auteur  ne  pro- 
fessait pas  la  religion  dominante  , 
l'on  suppose  ordinairement  qu'il  la 
professait  ;  on  le  suppose  ,  dis-je  ,  si 
Ton  trouve  d'ailleurs  (  1  )  qu'il  est 
dans  des  postes  honorahles ,  comme 
dans  une  académie  de  beaux  esprits, 
fondée  par  un  cardinal  premier  mi- 
nistre d'état  :  qu'il  est  chargé  delà 
commission  d'examiner  les  statuts  de 
cette  nouvelle  compagnie  ;  et  qu'il 
donne  des  mémoires  là-dessus.  Afin 
donc  de  ne  porter  pas  les  lecteurs  à 
se  figurer  que  Gombauld  était  ca- 
tholique romain  ,  il  fallait  dire 
nommément  et  expressément  qu'il 
ne  l'était  pas,  et  qu'il  était  huguenot, 
sauf  à  joindre  à  cela  des  réflexions 
sur  le  malheur  qui  l'accompagnait  à 
cet  égard.  Les  livres  que  cet  auteur 
donna  au  public  n  étaient  guère  pro- 
pres à  faire  connaître  qu'il  était  bon 
protestant;  mais  tout  le  monde  a  pu 
connaître  cela  par  quelques  traités 
posthumes  qui  furent  imprimés  en 
Hollande,  l'an  1678*.  Ce  sont  des  dis- 
cours de  religion  ,  et  c'étaient  de  tous 
ses  ouvrages  ceux  que  Gombauld  es- 
tiniaii  le  plus.  Il  les  avait  composés 
par  un  pur  motif  de  charité  ,  dans  le 
dessein  de  faire  connaîre  la  vérité  h 
ceux  qui  étaient  dans  l'erreur,  et  d'af- 
fermir dans  la  bonne  créance  ceux 
qui  y  1  taie  ni  nés  ,  ou  qui  l'avaient 
embrassée.  Il  se  plaignait  ordinaire- 
ment de  deux  choses,  l'une  que  la 
plupart  de  ceux  qui  écrivaient  sur 
ces  matières  faisaient  de  trop  gros  li- 
vres ,  ou  ils  entassaient  preuves  sur 
preuves ,  et   autorités  sur  autorités, 

(1)  On  trouve  cria  dans  le  Moréri. 

*  Lrclerc  remarque  qu'ils  forent  imprimé.' 
d<:-  1669,  par  le»  «oins  de  l'onrarl;  el  il  ajoute 
que  ré'liiion  citée  par  Bayle  est  une  srcondc#  ou 
la  première,  rajeunie  par  un  frontispice. 


GOMBAULD. 


117 


sans  se  soucier  beaucoup ,  ni  de  l'or- 
dre ,  ni  de  la  clarté;  et  l'autre  qu'ils 
se  persuadaient  que  la  doctrine  et  l'é- 
léganee  étaient  incompatibles.  Pour 
faire    voir   qu'ils    se  trompaient   en 


libérales  pendant  leur  vie  ,  si  elles  \c 
pouvaient  être  sans  s'incommoder; 
c'est  qu'elles  jugent  que  ta  jouissance 
de  tous  leurs  efiets  leur  est  nécessaire. 
On  serait  zélé  peut-être  au  delà  des 


cela  ,  il  composa  ses  Considérations  justes  bornes,  si  l'on  condamnait  cette 

sur    la    religion    chrétienne  ,     lors-  conduite  de  Gombauld.  11  ne  subsis- 

qu' il  était  encore  dans  la  vigueur  de  lait  que  par  le  moyen  d'une  pension 

l'âge.,    et  il   fit   voir  véritablement,  de  la  cour  de  France;  et  il  n'en  était 

qu'on  peut  être  tout  ensemble  vigou-  payé  qu'en  opposant  à  mille  diflicul- 


reu.r  et  clair  ;  concis  et  plein  ;  solide 
et  élégant.  Ayant  communiqué  cette 
pièce  a  plusieurs  de  ses  amis  ,  et  mê- 
me à  quelques-uns  de  la  communion 


te's  le  crédit  d'un  grand  seigneur. 
Ce  crédit  eût  e'te'  trop  faible  ,  s'il  eût 
eu  à  surmonter  les  objections  prises 
de  ce  que    Gombauld    aurait    publie' 


romaine,  elle  fut  estimée    de    tous,    dos  ouvrages  de  controverse  ;  et  ainsi 


et  cela  lui  donna  courage  de  faire 
ensuite  le  Traité  de  V Eucharistie  ,  et 
un  autre  qu'il  adresse  à  un  de  ses  amis, 
sous  le  nom  d'uirislandre.  Pour  les 
lettres  ,  il  les  a  faites  en  un  dge  beau- 
coup j>his  avancé,  excepté  celle  a 
un  proposant,  qui  est  presque  de 
même  date  que  les  Considérations  sur 

la  religion  chrétienne Sa  plus 

grande  passion  était  de  publier  ces 
écrits  ,  parce  qu'il  était  persuadé 
qu'  ils  seraient  utiles  ;  et  peut-être  n'a- 
l-o n  guère  vu  d'homme  séculier  avoir 
autant  de  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu, 
et  autant  d'amour  pour  le  prochain  , 
qu'il  en  avait.  Mais  quand  on  aura 
remarqué  dans  ses  ouvrages  la  fer- 
veur de  ce  zèle ,  et  quand  on  saura 
tl ailleurs  ,  que  sa  subsistance  dépen- 
dait presque  indispensablement  de  la 
cour ,  on  ne  trouvera  plus  étrange 
qu  il  ne  les  ait  pas  fait  paraître  du- 
rant sa  vie.  Pour  empêcher  que  le 
public  11  en  fit  prive  après  sa  mort , 
s'ils  fussent  tombés  entre  les  mains 
de  quelques  personnes  d'autre  reli- 
gion que  de  la  sienne  ,  il  les  mit ,  sur 
ses  dernières  années,  en  celles  d'un 
de  ses  anciens  amis  ,  dont  il  avait 
éprouvé  la  fidélité  et  V affection  ,  et 
lui  fit  promettre  de  ne  s'en  point  des- 
saisir, et  de  les  mettre  au  jour  dès 
que  la  commodité  s'en  présenterait 
(2).  On  peut  aisément  connaître  par 
la  lecturedeces  traités-là,  que  Gom- 
bauld était  aussi  éloigné  de  la  com- 
munion romaine  qu'un  ministre  ; 
mais  d'ailleurs  il  doit  être  comparé  à 
ces  personnes  qui  ne  font  du  bien  à 
leurs  héritiers  qu'après  leur  mort. 
Ce  n'est  pas  qu'elles  manquent  d'af- 
fection, et  qu'elles  ne  voulussent  être 

^  (2)  Préface  des  Traites  et   Lettres  de  M,  de 
Gombauld.       • 


la  publication  de  celte  espèce  d'é- 
crits eût  ùlé  le  pain  des  mains  à  son 
auteur.  Ne  serait-on  dune  pas  trop 
rigide  si  l'on  condamnait  son  ména- 
gement, et  si  l'on  trouvait  étrange 
qu  il  eut  renvoyé  au  temps  qu  il  ne 
serait  plus  le  profit  de  ses  lecteurs? 
Combien  y  a-t-il  de  gens  qui  se  fus- 
sent moqués  de  lui ,  s'il  eût  perdu  sa 
pension  pour  avoir  mis  en  lumière 
ses  traités  de  controverse?  ils  eussent 
dit  qu'il  outrait  la  charité;  et  qu'ayant 
plus  de  besoin  de  sa  pension  que 
ses  frères  n'avaient  besoin  de  ses  li- 
vres ,  il  avait  dû  prendre  ses  mesu- 
res sur  cette  règle  ,  et  remédier  au 
plus  pressé,  tempérer  son  zèle  par 
la  prudence  ,  et  se  contenter  d'être 
auteur  posthume.  La  naïveté  du 
poè'te  Gomès  était  fort  sensée  dans 
cette  épigramme. 

Plaise  au  roi  me  donner  cent  livres , 
Pour  acheter  livres  et  vivres  : 
Dr  livres  je  m'en  passerais , 
Mats  de  vivres  je  ne  saurais  (3), 

(B)   On  le  réduisit..  .  de  huit  cents 

a  quatre  cents sans  être  payé 

que  par  les  offices  de  quelques  per- 
sonnes  généreuses.  \  Il  y  avait  là 

deux  choses  lâcheuses  ;  car  cette  des- 
cente successive  de  la  pension  est  fort 
capable  d'incommoder  les  affaires 
d'un  bel  esprit ,  et  de  le  bien  cha- 
griner ;  mais  outre  cela  il  fallait  faire 
bien  des  visites,  et  se  rendre  impor- 
tun aux  autres  ,  en  se  fatiguant  soi- 
même  ,  pour  pouvoir  toucher  la  por- 
tion à  quoi  l'on  était  réduit.  Combien 
de  fois  fallait-il  avoir  recours  à  l'in- 
tercession des  muses,  et  leur  extor- 
quer des  vers  ,  soit  pour  fléchir  les 
intendans    des    finances  ,    soit    pour 

(3)  Voyez  Guéret  ,  pag.  m,  171  de  la  Guerre 
des  auteurs. 


u8  GOMBAULD 

mendier  de  fortes  recommandations, 
soit  pour   remercier   de  ce  qu'enfin 


on  avait  été'  exauce  ,  et  que  la  des- 
cription pathétique  de  ses  grandes 
nécessités  avait  attendri  les  coeurs  ! 
Lisez  les  œuvres  des  plus  grands 
poètes  ,  vous  y  trouverez  beaucoup 
de  vers  de  cette  nature.  Mais  quelque 
fâcheux  que  pût  être  le  destin  de 
M.  Gombauld,  il  était  incomparable- 
ment moins  déplorable  que  celui  de 
beaucoup  d'autres  beaux  esprits,  qui 
étaient  toujours  renvoyés  à  vide.  Ja- 
mais homme  n'avait  été  plus  libéral 
envers  eux  que  le  cardinal  de  Riche- 
lieu :  son  ministère  fut  un  siècle  d'or 
pour  les  muses  de  la  France.  Mais  sa 
mort  fut  une  terrible  grêle  sur  leur 
moi  ;son  ,  non  pas  tant  par  la  diver- 
sité de  génie  de  ceux  qui  lui  succédè- 
rent ,  qu'à  cause  des  confusions  où  le 
royaume  tomba.  Les  pensions  furent 
supprimées  ou  diminuées  ,  ou  en 
tout  cas  mal  payées  ,  et  cela  fit  mur- 
murer et  soupirer  bien  des  gens.  Je 
ne  citerai  que  les  complaintes  de 
M.  de  Scudéri.  Elles  furent  étalées 
dans  les  vers  qu'il  composa  sur  l'E- 
néide burlesque  de  Scarron  : 

Quand  tu  souffres  qu'on  le  voye , 

Tu  ressuscites  majore; 

'Tu  rétablis  ma  raison: 

De  l'humeur  qui  m  assassine  , 

Ton  livre  est  la  médecine 

Et  le  seul  contre-poison. 
Je  te  jure  par  Hercule , 

(  Serment  de  l'antiquité) 

Que  ton  héros  ridicule 
IWa  presque  ressuscité. 
Aussi  pour  ses  assistances  , 
Tappends  comme  des  potences, 
El  mes  chagrins  et  mes  soins  : 
Et  tout  ce  qu'un  misérable , 
De  l'épargne  inexorable , 
Endure  et  souffre  le  moins. 

Tappends  (dis-je)  dans  le  temple 
De  VIRGILE  TRAVESTI 
Mille  chagrins  sans  exemple, 
Dont  je  me  trouve  investi: 
Ouy  ,  par  ce  grotesque  Enée  , 
J'incague  la  Destinée 
Qui  me  met  à  l'abandon  : 
El  f  offre  mon  ordonnance , 
Et  mes  brevets  sans  finance  , 
A  la  burlesque  Didon  (Vj). 

Concluons  que  notre  Gombauld  ne 
fut  pas  des  moins  bien  traités  :  il  ne 
perdit  que  les  deux  tiers  de  sa  pen- 
sion ;  et  à  force  d'implorer  *  les  as- 

(41  Scudéri  ,  ode  à  Scarron,  au-devant  du 
I  ii  ;ile  travesti, 

*    D'une   épiçr.immc  qui   se  trouve   à  la  paye 

'  -  >    du   recueil  .le   Gombauld    Leclerc  conclut 

1    rt  loin  d'avoir  L'humeur  solliciteuse. 


ï 


sistances  de  ses  protecteurs ,  il  fut 
payé  du  tiers  pendant  une  longue 
suite  d'années.  Il  mourut  pension- 
naire jubilé  ,  et  plus  que  jubilé  (5)  ; 
car  les  gratifications  qu'on  lui  fit  an- 
nuellement durèrent  plus  d'un  demi- 
siècle  *.  Circonstance  bien  insigne  ; 
puisqu'autant  la  cour  de  France  ac- 
corde facilement  des  pensions  ,  et 
est  ponctuelle  à  les  payer  pendant  les 
j>remières  années,  autant  est -elle 
prompte  à  s'en  décharger  ,  et  à  con- 
vertir en  d'autres  usages  plus  pres- 
sans,  les  fonds  sur  quoi  on  les  avait 
assignées.  Il  se  présente  incessam- 
ment de  nouveaux  venus  ,  et  l'on  est 
bien  aise  de  les  contenter  sans  une 
nouvelle  dépense  ,  c'est-à-dire  en 
leur  appliquant  ce  qui  a  déjà  servi 
pour  d'autres,  que  l'on  suppose  avoir 

oui  du   bénéfice   assez    long-temps. 

es  vieux  pensionnaires  sont  les  plus 
odieux  ,  et  ceux  qui  sont  obligés  de 
postuler  avec  la  plus  grande  et  la 
plus  humble  patience ,  et  qui  sont 
rebutés  avec  le  moins  de  scrupule. 

(C)   Sa    vie a  duré  près    d'un 

siècle comme  il  l'avait  dit  en  con- 
fidence.] Qu'est-ce  que  ceci?  Un 
homme  de  bonnes  mœurs  ,  et  zélé 
pour  sa  religion  ■  un  tel  homme , 
dis  je,  qui  fait  mystère  de  l'année  de 
sa  naissance,  et  qui  ,  ayant  pu  se  ré- 
soudre à  révéler  ce  grand  cecret  à  un 
bon  ami  ,  lui  recommande  si  forte- 
ment la  discrétion  ,  que  cet  ami  se 
croit  obligé  à  ne  rien  dire  qu'après  la 
mort  du  confident!  A  peine  pardon- 
nèrait-on  cela  à  une  fille  ou  à  une 
veuve  ,  quoique  d'ailleurs  on  ait  l'in- 
dulgence de  ne  pas  trouver  mau- 
vais qu'elles  soient  bien  aises  que  la 
véritable  date  de  leur  naissance  soit 
inconnue  (6).  Mais  nous  pouvons  voir 
ici,  comme  en  cent  autres  occasions, 
que  ce  qui  semble  n'être  «pie  bizarre- 
rie ,  que  faiblesse  extravagante  ,  que 
puérilité  de  vieille,  ne  laisse  pas  d'a- 
voir pour  son  fondement  une  raison 


(■/>)  Voyez  tu  remarque  (O)  de  l'article  Ben- 
sebade  (loin.  111). 

"  Bayle  raisonne  dans  la  supposition  que  Gom- 
Daniel  avait  olnenu  une  pension  ,  îles  i(iio  ,  pour 
une  pièce  sur  la  mort  de  Henri  IV.  .  e  <pi>'  .lit 
Gombauld  sur  sa  pauvreté  autorise  à  penser 
qu'il  ne  fut  pas  renié  comme  on  pourrait  le 
croire   d'épris  le  texte  de  Bayle. 

((il  Voyez  les  Nouvelles  Lettres  contre  Maim- 
bnurs  ,  pag.  762  ,  763  ,  oit  l'on  cite  un  passage 
fort  joli  des  Lettres  du  chevalier  d'Her**. 


GOMBAULD. 


spécieuse  ,  et  d'un  certain  genre  de 
solidité.  Gombauld  n'était  point  un 
rimailleur  ,  ou  un  versificateur  ,  c'é- 
tait un  poète  excellent ,  et  qui  s'était 
fait  estimer  dans  le  grand  inonde  (7). 
11  avait  été  fort  assidu  aux  ruelles  et 
aux  cercles  ,  et  par  conséquent  il 
avait  acquis  l'habitude  des  conversa- 
tions galantes.  S'il  se  trouvait  avec 
des  femmes  ,  il  se  souvenait  du  style 
de  sa  jeunesse  ,  il  les  louait,  il  les  en- 
censait. Le  rôle  de  bel  esprit  et  de 
galant  homme  était  encore  son  par- 
tage. Mais  pour  le  soutenir  avec  plus 
de  bienséance  ,  il  avait  besoin  que 
l'on  ignorât.  s,i  vieillesse.  11  lit  impri- 
mer un  gros  recueil  d'épigrammes, 
l'an  1657.  N'avait-il  pas  à  craindre 
que,  si  l'on  venait  à  savoir  qu'il  était 
;îgé  de  quatre-vingt-dix  ans  * ,  l'on 
ne  trouvât,  fort  étrange  qu'il  deman- 
dât un  privilège  pour  un  tel  li\  re  , 
et  qu'il  fît  ses  présens  d'auteur?  N'a- 
vait-il pas  à  craindre  que  M.  Daillé 
et  les  autres  ministres  de  Paris  ne  le 
censurassent  de  vaquer  encore  à  de 
semblables  productions  dans  un  âge 
si  avancé  ?  En  tout  cas  il  n'est  pas  le 


tf) 


n'approchait  de  ce  temple  de  l'hon- 
neur  ,  ou  la  vertu  était  référée  sous 
le  nom  de  V incomparable  Arténiec , 
qui  ne  fut  digne  de  son  approbation 
et  de  son  estime. 

(E)  Je  mettrai  dans  une  seule  re- 
marque ce  que  j'ai  a  dire  sur  ses 
<;crits  et  sur  ce  nue  les  connaisseurs 
en  ont  jugé.  J  L'Histoire  de  l'Acadé- 
mie française  (10)  nous  apprend  ([n'en 
i65a  Gombauld  n'avait  point  encore 
publié  ni  la  tragédie  des  Danaïdes, 
ni  la  tragi-comédie  de  Cydippe  ,  ni 
(mis  livres  d'épigrammes,  ni  plu- 
sieurs autres  poésies  et  lettres  et 
discours  de  prose  ;  mais  que  son  En- 
dymion  *,  et  sa  pastorale  d'Amarante, 
et  un  volume  de  poésies  ,  et  un  vo- 
lume de  lettres  étaient  imprimés. 
M.  l'abbé  de  Marolles  ,  dans  un  livre 
qu'il  publia  en  1 6.^7 ,  observe  que 
31.  Gombaùlt  venait  de  donner  un 
excellent  recueil  d'épigrammes  (il), 
et  (12)  que  son  Acoiue  (i3)  cl  ses 
immortelles  Danaïdes  ,  oh  se  lisent  de 
si  beaux  vers  ,  n'étaient  pas  encore 
imprimés.  La  préface  des  Traités 
posthumes  nous  apprend  que  la  tra- 


seul  qui  ait  eu  cette  faiblesse  ,  nous  la    ge'c|ie  des  Danaïdes  a  été  imprimée  , 
verrons  ci-dessous  (8)  dans  un  gram-    cL  (I(le  l'auteur  a  laissé  non-seulemen  t 


mairien  hérissé  de  grec,  et  qui  aurait 
du  s'en  affranchir  beaucoup  mieux 
qu'un  poète  de  cour. 

(D)  //  se  rendait  avec  soin  a  l'hô- 
tel de  Rambouillet.  ]  L'auteur  de  la 
préface  le  nomme  le  délicieux  réduit 
de  toutes  les  personnes  de  qualité  et 
<le  mérite  qui  fussent  alors  (9).  C'é- 
tait ,  ajoute-t-il  ,  comme  une  cour 
abrégée  et  choisie  ;  moins  nombreuse, 
mais  ,  si  je  l'ose  dire  ,  plus  exquise 
que  celle  du  Louvre  ,  parce  que  rien 

(7)  Voyez  la  citation  (17)  et  1er  remarques  de 
M  Ménage,  sur  les  h'oésies  de  Malherbe,  en  di- 
vers endroits  oh  Gombauld  est  loue'  et  cite. 

"  Pour  que  Gombauld  eût  quatre-vingt-dix 
ans,  en  1637,  comme  le  dit  Baj  e,  il  faudrait 
qu'il  en  eût  eu  quarante-trois  en  1C10.  Leclerc 
et  Joly  demandent  si  Conrart  eût  pu  alors  em- 
ployer les  mots  quoique  jeune.  Voyez,  pag.  n5, 
ma  note  sur  le  texte.  Leclerc  et  Jo!y  pensent 
avec  raison  qu'en  1610  Gombauld  devait  avoir 
environ  vingt  ans.  Il  en  avait  donc  environ 
soixante-dix,  et  non  quatre-vingt-dix,  lors  de  la 
publication  de  son  Recueil  intitulé  ■  Les  Épi- 
grammes  de  Gombauld,  divisées  en  trois  livres, 
in-12  de  cent  quatre-vingts  pages.  Voyez  ci-après 
ma  note  sur  la  remarque  (E). 

(8)  Voyez  la  remarque  (B)  de  l'article  Gdvet 
(François). 

(ç)l  Préface  des  Traités  et  Lettres  de  M.  de 
Gombauld.   * 


[' 

une  tragi-comédie  de  Cydippe ,  mais 
aussi  de  quoi  faire  un  nouveau  recueil 
de  vers  ,  particulièrement  de  sonnets 
et  d'épigrammes  ,  qui,  pour  être  en- 
tre les  mains  de  personnes  peu  intel- 
ligentes en  ces  soi'les  de  choses-la  , 
n'ont  pu  encore  être  mis  en  lumiè- 
res. Notez  que  l'Endymion  est  en 
prose:  il  fut  imprimé  en  162J,  et 
réimprime  en  1626.  C'est  une  espèce 
de  roman. 

Les  sentimens  sont  partagés  sur  le 
mérite  de  ses  poésies.  Quelques  au- 
teurs prétendent  que  son  fort  était  le 
sonnet;  que  c'était  pour  ainsi  dire 
son  lot ,  et  la  portion  du  Parnasse 
qui  lui  était  échue.  Suivons  toujours 
notre  naturel ,  c'est  ainsi   que  parle 


(10)  Pag.  33ç) ,  e'dil.  de  Paris ,  1(172  ,  in-ia. 

*  VEndymion  ne  fut  imprimé  qu'en  i6ï4î 
mais  il  courait  en  manuscrit  dès  1619  ,  comme 
on  le  voit  dans  la  Satyre  du  temps ,  imprimée  cette 
année  ,  à  la  suite  de  l'Espadon  satjrique  de  Dcs- 
ternod. 

fil)  Marolles  ,  Suite  .les  Mémoires  ,  pag. 
246. 

(13)  Là  même]  j"'g.  it\i. 
(i3)  C'en   la  même  pièce   que  M.  Pellisson 
nomme  Cidippe. 


I20  GONET. 

M.  Guéret  (\/i) ,  ne  sortons  jamais  du  Voyons  le  jugement  d'un  autre  criti- 
senre  qui  nous  est  propre  ,  et  n'en-  que  ;  je  le  rapporte  dans  les  mêmes 
vions  point  aux  autres  la  gloire  que  termes  que  M.  Baillet  a  employés  (18). 
nous  ne  saurions  acquérir  comme  «  M.  Rosteau  dit  (*)  qu'il  y  a  peu 
eux.  Laissons  l'élégie  a  Desportes, 
les  stances  a  Théophile  ,  le  sonnet  a 
Gombauld,  V épigramme  a  Mainard. 
D'autres  étendent  plus  loin  la  domi- 
nation de  Gombauld  ;  ils  veulent  que 
non-seulement  il  ait  re'gne'  sur  le  son- 
net ,  mais  qu'il  ait  aussi  conquis  sur 
Mainard  l'empire  de  l'épigramme. 
«.  De  l'île  Sonnante ,  ou  terre  des 
j)  Sonnets  ,  Gombauld  le  grand  ca- 
v  suiste  et  législateur  Au  pays  en  fit 
»  venir  de  bien  propres  et  de  bien 
»  lestes.  Il  tira  aussi  des  montagnes 
»  épigrammatiques  trois  compagnies 
«  de  chevfiu-légers  de  petite  taille*', 
»  mais  qui  combattaient  avec  une  mer- 
»  veilleuse  vivacité  ,  et  qui  avaient 
33  des  traits  fort  dangereux  qu'ils  lan 


d'exemples  de  poètes  qui  aient 
»  fini  leurs  travaux  par  des  épi- 
»  grammes  ,  qui  pour  l'ordinaire  sont 
»  forme'es  de  pointes  d'esprit ,  et 
»  d'un  feu  qui  convient  mieux  à  un 
»  jeune  homme  qu'à  des  poètes  usés 
))  et  avancés  en  âge.  Mais  il  ajoute 
»  qu'on  peut  excuser  M.  de  Gom- 
»  bauld  de  s'être  appliqué  à  ce  genre 
»  d'écrire  clans  la  dernière  partie  de 
»  sa  vie  ,  sur  ce  que  la  plupart  de  ses 
)>  épigrammes  sont  plutôt  des  cen- 
»  sures  des  vies  et  des  mœurs  cor- 
■»  rompues  de  son  temps ,  que  de  ces 
»  galanteries  qui  se  font  ordinaire- 
»  ment  pour  les  dames.  »  M.  Rosteau 
suppose  ,  ce  qui  n'est  guère  certain  , 
que   les    épigrammes  de    Gombauld 


»  caient  avec   une    adresse  non-pa-  furent  le  dernier  travail  à  quoi  l'au- 

»  reille.  11  s'en  était  servi  à  démem-  teur  s'occupa.  C'est  un  fait  douteux , 

v  brer    la     principauté     qu'y    avait  pour  ne  rien  dire  de  pis  5  car ,  encore 

»  auparavant    usurpée    le    président  qu'elles    soient   le    dernier  livre    de 

3j  Mainard (1 5). »  L'abbé  de  Marolles  poésie  que  Gombauld  ait  publié  (19), 

se  contente  de  mettre  M.  Mainard  ,  il   ne   s'ensuit    pas    qu'il  ne  les    eût 

M.  de    Baulru    et   M.    Gombauld,  composées  dans  sa  jeunesse  (20). 


(18)  Baillet ,  Jugemens  sur  les  poètes,  tom.  V, 
pag.  2S  ,  26. 

(*,  Rosteau,  Senlim.  sur  quelques  livres  qu'il 
a  lus,  pag.  74- 

(19)  Je  parle  ainù ,  ne   tachant  pas  bien  en 


entre  les  poètes  français  a  qui  nos 
voisins  ne  sauraient  contester  les  avan- 
tages de  la  primauté  à  l'égard  de  l'e- 
pigramme ,  et  qui  tien  doivent  guère 
aux  anciens   (16).   M.  Despréaux   ne 

fait    aucun    cas    des    sonnets  de  notre      quelle  année  les  ^i\e,  furent  publiées 
j«i^    1»  ^20^   jg  veux    rfu.e  qU  ti  commença    btei 

poète.  en  faire,  et  qu'il  y  en  joignit  d'autres  toits  les 

Un    sonnet    sans    défaut  vaut  seul   un  long  ans  ,  selon  l'occasion. 

poème. 

Mais  en vain  mille  auteurs  j  pensent  arriver,  flONFT  (  Tf  AX-BaPTISTF  1      re- 

Et  cet  heureux  phénix  est  encore  a  trouver.  Wi1Cil    *.J.       .    -DAFllSl  t.  ;  ,   I  e 

A    peine    dans    Gombauld,    Mainard   ,     et  IjorieUX   dominicain ,  natif  de    Be- 

Malleville,  P                    ,L  ,   j        .              i       i, 

En  peut-on  admirer**  deux  outrais  entre  mille.  ZierS  ,    a    ete  dOCleUF  de  1  UlllVer- 

J.e  reste  ,  aussi  peu  lu  que  ceux  de  Pelletier  ,  ^  j       Bordeaux  ,   fit  V   a    régenté 

N'a  fait  de  ch"i  Sercy  qu  un   saut   chez   le-  i         1     '    1         ■          ti 

picier  (17).  publiquement  la  théologie.   11  y 

04)  Guéret,  Guerre  des  auteurs,  P.i38,  t39.    fit  approuver  *  les  fameuses  let- 

*'    La   plupart   des  épigramems  de  Gombauld      tj.es       provmcialeS      de      Montalte 
n'ont  que  quatre  ou  six  vers.  J  •    1      •  •  îv       T 

(i5)   Furetière,   Nouvelle   allégorique,    pag .     (a)  ,    Ce    f[Ul    llil   attira    1  indigna— 

56(V6>z^L^M«rolie»fslurj«kêmoire5,    lion  et  l'aversion  des  jésuites.  Il 
pag.  246.  ,.  a  publié  plusieurs  ouvrages  (A), 

**  La  première  édition  de  l  Art  poétique  porte:  II  A  11 

Enpeui-on  supporter,  etc.  ou  il  lait  paraître  que  la  scolas- 

II    est    probable  que  c'est  ce   texte  que   Bayle      tiqUC  était  S011  fort,  et  Clll'il  ll'avait 
avait  présent  à  la  mémoire  ,  quand   il  a    cent  la  1  ^    ^ jK^, J„„„ 

plirasc  qui  précède  sa  citation,  Jusqu'à  ce  jour 
aucune  des  réimpressions  de  Boileau  ne  donne 
celte  variante,  dont  je  dois  l'indication  à  M.  lier- 
,,. il    Sa'n  t-Prix. 

(il)  Ucsprcaux,  Art  poétique,  chant  // ,  vs. 
.,',  Il  dit  dans  le  chant  lf\  VS.  48,  que  Gom- 
bauld  ,  tant  loue',  garde  rncor la  boutique. 


pas   une  grande  érudition  dans 

"  Ce  fait,  {lit  Leclerc,  n'a  pour  toute 
preuve  qu'un  témoin  inconnu  à  Baylo  lui- 
même. 

(a)  C'est-à-dire,  de  M.  Paschal, 


GONTAUT.  121 

ce  qu'on  appelle  théologie  posi-  chai  de  France,  l'an  1577.  Il 
tive.  Il  se  retira  à  Béziers  sur  la  était  grand-maître  de  l'artillerie 
fin  de  ses  jours  ,  et  y  mourut  le   depuis  le  5  de  novembre   i56<), 


de  janvier  1681  (b).  M.  de 
Rocolles  ,  qui  l'avait  loué  dans 
quelques-uns  de  ses  ouvrages  (c), 
publia  au-devant  d'une  nouvelle 
édition  la  lettre  de  remercîment 
qu'il  avait  reçue  de  ce  religieux  , 
où  on  l'assurait  de  lui  rendre  la 
pareille  dès  que  l'occasion  s'en 
présenterait. 

(b)  Tiré  d'un  Mémoire  reçu  de  Paris. 

(c)  Je  crois  que  c'était  /'Introduction  à 
1  Histoire. 

(A)  //  a  publié  plusieurs  ouvra- 
ges.] Sa  théologie,  intitulée  Clypeus 
JJoclrinœ  Thomisticœ  ,  fut  imprimée 
premièrement  à  Bordeaux  ,  en  seize 
volumes  in- 12,  l'an  1666  •  et  puisa 
Paris  ,  en  cinq  volumes  in-folio  ,  l'an 
1669.  Cette  dernière  édition  fut  aug- 
mentée de  plusieurs  préfaces  et  de 
plusieurs  dissertations  ,  et  est  beau., 
coup  plus  correcte  que  la  première. 
Les  Espagnols  la  trouvent  trop  courte, 
et  ils  Tappellent  un  fort  joli  compen- 
dium  de  théologie.  Il  fit  imprimer  à 
Bordeaux,  en  1664,  l,n  petit  livre  in- 
titulé Dissertatio  théologien  de  Pro- 
hahilitate{\).  Son  dernier  ouvrage  est 
l\I annale  Thomistarum  ,  imprimé  à 
Béziers,  l'an  1680,  en  six  volumes 
in-\ï.  Il  a  laissé  un  cours  de  philo- 
sophie à  imprimer;  mais  on  le  trouve 
trop  diffus  ,  et  peu  conforme  au  gé- 
nie de  notre  siècle  (2). 

(1)  Le  Journal  des  Savans,  du  3o  mars  i665 , 
en  donna  un  fort  bon  extrait. 

(2)  Tire'  d'un  Mémoire  reçu  de  Paris. 


et  avant  cela  il  avait  passé  par 
toutes  les  charges  de  la  guerre 
(a).  Parmi  tant  de  belles  actions 
qui  le  rendirent  illustre  ,  il  n'y 
en  a  point  qui  mérite  plus  de 
louanges  que  la  fidélité  qu'il 
garda  au  roi  Henri  III  ,  dont  il 
n'était  point  aimé  (A) ,  et  à  Hen- 
ri IV,  qui  était  ouvertement  sé- 
paré de  la  communion  romaine. 
Il  n'y  eut  personne  qui  contri- 
buât autant  que  lui ,  après  la 
mort  de  Henri  III  ,  à  con- 
server la  couronne  à  Henri  IV 
(B).  Aussi  fut-il  extrêmement 
regretté  de  ce  dernier  prince, 
lorsqu'il  fut  tué  au  siège  d'une 
ville  de  Champagne  (b) ,  avant 
que  la  ligue  eût  été  domptée. 
Quand  il  n'aurait  fait  qu'empê- 
cher que  Henri  IV  ne  se  confor- 
mât à  l'avis  de  ceux  qui  lui  con- 
seillaient de  chercher  par  mer 
un  lieu  de  sûreté  (C) ,  il  mérite- 
rait de  grandes  louanges.  Il  n'a- 
vait guère  de  religion  ,  et  pour 
le  peu  qu'il  en  avait,  il  était 
plutôt  protestant ,  que  catholi- 
que (D).  Il  était  si  suspect  aux 
inquisiteurs  ,  qu'il  fut  mis  par- 
mi les  proscrits  au  massacre  de 
la  Saint-Barthélenii  (E)  :  mais 
comme  il  logeait  à  la  Bastille  en 


GONTAUT  (  Armand  de),  ba-    qualité  de  grand-maître  de  l'ar- 
ron  de  Biron  (*) ,  fut  fait  mare-    tillerie  ,  il  sut  bien  rendre  inu- 
tiles  les    mauvais    desseins   des 

(*)  M.  Bayle  aurait  pu  ajouter  que  Biron  le     massacreurs.  La  raison  pourquoi 
père  suivit  le  duc  d'Anjou  dans  les  Pays-Bas  , 
qu'il  était  à  Anvers  lorsque  ce  prince  tenta     ' 


de  subjuguer  la  ville,  et  que  d'abord  on  l'y 
soupçonna  d'avoir  e'té  l'un  des  principaux  au- 
teurs du  complot  :  mais  que,  dans  la  suile, 
après  la  retraile  du  duc  d'  Vnjou  ,  une  lettre 
de  Biron  au  duc  ,  où  il  dissuadait  et  même 
détestait  l'entreprise,  ayant  e'te'  trouvée  dans 
les  babils  de  ce  duc  ,  fit  succéder  à  la  haine 
des   bourgeois 'd'Anvers   pour  Biron,   toute 


leur  estime  et  toute  leur  bienveillance. 
C'est  ce  que  dit  Busbeck  ,  dans  la  XIXe. 
lettre  de  son  ambassade  de  France.  Rem. 
CRIT. 

(a)  Voyez-en  le  détail  dans  Brantôme, 
Mémoires  .  tom.  III ,  paff.  32Ô  et  suiv.  Le 
père  Anselme,  copié  par  le  sieur  Moréri  , 
ad  fait  qu'abréger  Brantôme. 

(b,  A  Épernay,  lu  26  de  juillet  i5g3. 


v%%  GONTAUT. 

on  le  soupçonna  de  favoriser  les  pendant  plusieurs  mois ,  et  ne  trou- 
huguenotslui  est  infiniment glo-  vajt  Point  d'autre  expédient  de  se 
'.  o         _,      T  .     ,  j°  retirer  avec  honneur  que  celui  d  un 

rieuse  (F).  Jamais  homme  de  sa    traite'  cle  paii    car  la  continuation 

qualité  ne  fut  plus  universel  (G),  du  sieste  était  hasardeuse,  et  s'oppo- 
II  était  propre  non-seulement  à  sait  à  l'envie  que  la  reine-mère  avait 
tous  les   emplois   de  la  guerre,  de  revoir  le  duc  d'Anjou    et  au  des- 
.     1,      ,             ,     °.            '  sein  qu  il  avait  lui-même  d  aller  pren- 
mais  aussi  tres-bon  négociateur,  are  possession  du  royaume  de  Polo- 
II  aimait  les  livres  et  la  conver-  gne.   De   sorte  que    sa  mère    et   lui 
sation  des  savans  ,  et  il   écrivait  étaient  bien  aises  qu'on  portât  les  as- 
sur  ses    tablettes   tout  ce  qui  lui  f& s  ,à  UQ  accommodement.    Biron 
,.             .               *  fit  tout  ce  nu  il  put  pour  divertir  le 
paraissait    digne    de    remarque.  roy  et  la  reynea  n'entendre  a  aucune 
Il  était  trop  emporté;  et  il  aimait  composition,  et  que  sur  sa  vie  on  lui 
un  peu  trop  le  vin  (H).   Il  avait  laissast  faire,  qu'il  aurait  la  ville  la 
i       iV    i'l-          i                  i  corde  au  col  dans  un  mois  ,  ou  pour 
un  autre  deraut  bien  pus  grand  >      ;     „     u  •       r 

1.       \  o  le  plus  tard  dans  cinq  sepmaines,  sans 

que  ces  deux-là  ,  et  qui  très-sou-  rien  perdre  ni  hazarder  sinon  a  faire 

vent  fait  beaucoup  de   tort  aux  de  bons  blocus.  Cet  avis  et  ces  lettres 

princes,  c'est  qu'il  négligeait  les  n'apportèrent    nul   coup  pour  cette 

1  ■     '      3     p  i>  fois IM.   de   Biron   quanti    il  vit 

occasions  de  frapper  sur  1  enne-  •>   ,a  ne  peut  venir  aude'ssus  du  roy, 

mi  un  coup  décisif  (I).     Il   crai-  de  la  rerne,  et  du  roy  de   Pologne 

gnait  que  cela  ne    fit    cesser    les  sur  ce  fait ,  s'avise  de  brouiller  d' ail- 

désordres  de  la  guerre,  et  qu'a-  £«"•   ^  escrire  a  M.  le  cardinal 

-.         ,  y>  ai  de    Lorraine    et    aucuns   principaux 

lors  la  cour  ne  le  renvoyât  chez  du  conseii,  qu>as  empeschassent  ce 

lui  sans  aucun    emploi.    On   dit  levement  de  siège  et   cette  paix,   et 

qu'après  s'être  bien  moqué   des  <7"'°"  lllï  laissast  faire  seulement, 

P..ÔJ."^#:„„<-  J„ ■  *•  *  qu'un  temporisement  de  six  sepmai- 
rediclious  de  ceux  qui  tirent  "  7  *..  ,  ,,  ,  ,  R„ 
,  i-i  nes  rendroit  au  roy  la  ville  de  la  no- 
ies horoscopes,  de  quoi  la  cour  dielle  plus  sujette  a  luy ,  quelle  ne 
de  France  était  alors  infatuée  ,  fut  jamais  ,  comme  certes  il  estoit 
il  devint  tout-à-fait  crédule  par  »ray>  M-  le  cardinal,   qui  estoit  un 

_„ .                         i               ..   j       l  vray  brouillon  d'affaires,   se   met  a 

rapport  au  genre  de  mort  dont  J  -J                 ,•    -,•"         '   « 

il                 b                      ""          "  *"  faire  menées   la-dessus ,  et  a  gagner 

ces  gens-la   le   menacèrent  (K).  Ceux  du  conseil,  pour  divertir  le  roy 

Les    fatigues ,   les    blessures ,    les  et  la   reyne  de  cette  capitulation  et 

années  n'empêchaient  pas  qu'il  ne  Paix>  1ui  importunèrent  tant  leurs 

C«.    ,    •          •    '                     fit  maiestez,  et  principalement  la  reyne, 

tut  tres-vigoureux  ;  et  1  on  con-  JMe  n'e  Jeut  t^uver  remedeJpour 

te  une  chose  considérable  de   la  s'en  depestrer,  sinon  d'escrire  et  man- 

bontéde  son  estomac  (L)  Il  laissa  der par  l'abbé  de  Gadagne,  en  qui 

plusieurs  enfans.  Je  vais   parler  elle  se  fwit  du  tout    au  roy  de  Po- 

Ji     i,   a     r                                         l  logne  son  bon  fus ,  les  belles  menées 

ae  1  aine.  et  manigances'  que  n-aitoit  M.  de  Bi- 
ron contre  luy  ,  et  qu  il  parlast  bien 

(A)  Henri  fil  dont  il  n'était  point  à  lui  ,  comme  il  faloit ,  et  des  grosses 

aime.  ]  Il  avait  encouru  son  indigna-  dents ,  comme  l'on  dit ,  et  de  mesme 

tion  fi),  pour  s'être  opposé  à  la  |>aiv  en  escrivist   audit  cardinal  et  autres 

qui   fut  faite  devant  la  Rochelle  l'an  messieurs  les  beaux  conseillers  de  ce 

1 5^3.  Henri  III ,  qui  n'était  alors  que  fait,    des   lettres   bien   hautaines   et 

duc  d'Anjou,  avait  assiégé  cette  place  menaçantes  ;  ce  qu'il  sceut  très -bien. 

faire  ,  car  de  sa  propre  main  il  en  fit 


(i)  Notez  que  Brantôme  avait  déjà   dit,  que 
ce  prince  s'emporta  furieusement  contre  Biron  , 

cl  le  menaça  de  la  dague  h  la  troisième  guerre 
civile  ,  et  avant  la  bataille  de  MoncoiUour. 
Voyez  ci-dessous ,  remarque  (t)). 


les  lettres  ,  comme  je  scay ,  et  si  bra- 
ves et  si  rigoureuses  ,  qu'ils  jurent 
tous  eslonnez  et  demeurèrent  court , 
si  bien  qu'ils  n'osèrent  plus   en  son- 


GONTAUT.  123 

ner  un  seul  petit  mot.  Quant  à  M.  de  dit  qu'il  aurait  embrasse  la  ligue  ,  si 
Biron  ,  estant,  sans  y  penser,  un  les  trente  mille  écus  qui  lui  furent 
matin  allé  trouver  le  roy  ,  et  flans  sa  presentezlui  eussent  été  mis  en  main, 
garde-robe  ,  ou  le  conseil  tenoit  celle  il  est  probable  qu'il  rejeta  toutes  ces 
fois ,  esloit  fort  étroit  et  garny  de  peu  propositions  (7).  Tant  y  a,  que  le 
de  gens  ;  le  roy  de  Pologne  le  vous  roy  après  ne  trouva  point  en  cette 
entreprend  d'une  façon  qui  ne  tomba  guerre  meilleur  ne  plus  loyal  servi- 
pas  hterre  ,  comme  on  dit,  car  d'à-    teur M.  de  Guise  mort,   il  alla 

bordade  il  luy  donna  ce  mot  :  Venez  trouver  son  roy  bien  h  propos  ,  et  du- 
ca,  petit  gaillard,  j'ay  sceu  de  vos  quel  il  avait  très-grand  besoin,  qui 
nouvelles;  vous  vous  meslez  défaire  récent  aussi  une  grande  joye  ,  secou- 
des  menées  contre  moy  et  d'escrire  a  rut  son  maistre  en  très-grande  ne.ces- 
la  cour;  je  ne  scay  qui  me  lient  que  site ,  car  quasi  toute  la  France  esloit 
je  ne  vous  donne  "de  l'espée  dans  le  bandée  contre  luy ,  a  cause  de  ce  mas- 
corps  et  vous  estende  mort  par  terre;  sacre  de  M.  de  Guise  (8). 
on  pour  mieux  faire ,  que  je  ne  vous  (B)  Il  n'y  eut  personne  qui  conlri- 

fasse   donner  des   commissaires  pour    huât  autant  que  lui a  conserver  la 

examiner  et  s' informer  de  vostre  vie  couronne  à  Henri  //  '.]  Ecoutons  en- 

et   des   traitez    qu'avez  faits   contre  core   Brantôme  (9).  «  Son  roy  mort  , 

moy,  le  roy,  et  son   estât,   et  ]>uis  ■»  luy    ayant    pris    de    longue    main 

vous  trancher  la  teste.  Et  vous  appar-  »  créance  parmy  les  gens  de  guerre, 


tient-il  aller  contre  mes  volonlez  et 
desseins  ?  Vous  que  je  scay  bien  qui 
vous  estes  ?  Sans  le  roy  et  moy  que 
seriez- vous  ?  et  vous  vous  oubliez; 
vous  voulez  faire  du  galand,  vous 
voulez  prendre  la  Rochelle,  et ,  dites- 
vous  ,  dans  un  mois  ou  six  sepmai- 
nes ,  et  voulez  en  avoir  l'honneur  et 
m'en  priver  ;  vous  m'avez  trop  inté- 
ressé le  mien  ,  petit  galand  que  vous 


»  tant  François  qu'estrangers  ,  que 
»  tous  l'aymoient  et  adoroient,  il  les 
»  assura  et  gagna  si  bien,  que  voicy 
»  un  grand  coup  celuy-cy,  voire  le 
»  plus  bea  u  qu'il  ay  t  fait  de  son  temps, 
»  pour  matière  d'état,  que  voicy  le 
»  roy  de  Navarre  ,  sans  contradic- 
»  tion  de  la  voix  et  du  consentement 
3)  de  tous  mis  en  la  place  du  feu 
roy si  bien  que  tout  le  monde 


estes Vous  m'avez  fait   demeurer  »  tient  et  est  aisé  à  présumer,    que 

cinq  mois  ;  h  celle  heure  que  j'en  puis  1,  M.  le  mareschal  le  fit  roy  ,  comme 

sortir  a   mon  honneur ,   vous  me   le  »  il    luy    sceut  ,    à    ce    que  j'ai    ouï 

voulez  traverser ,  et  proposez  d'y  de-  »  dire,   depuis    une    fois    bien    dire 

meurer  et   l'emporter,   et  triompher  »   et  reprocher  ;    car  les  catholiques 

de  cet  honneur  par  dessus  moy.  Je  »  le  voyant  huguenot  l'eussent  aban- 

voùs  apprendra}-  à   vouloir  faire  du  »  donné,   et  les  huguenots  n'étaient 

grand  capitaine  ii  mes  dépens  ,  et  ne  »  assez  forts  pour   le    mettre   en  ce 

testes  pas  aux  vostres  (2).  Biron  fit  »  siège  ;   mais  par   l'industrie  dudit 

tout  doucement  ses  excuses  le  mieux  >,  sieur  maréchal   ils  furent   réduits 

qu'il  put.  (3)  ,  et  du  depuis  le  roy  de  »  et  convertis  d'obéir  à  ce  nouveau 

Pologne  lui  fit  toujours  froide  mine  ,  »  roy  ,   tout   huguenot    qu'il  estoil  , 


et  même  à  son  retour  de  Pologne  (4)* 
Mais  il  lui  fit  assez  bonne  chère  (5) , 
quand  Biron  lui  fit  la  révérence  au 
mois  d'août  i5~5,  ayant  été  mandé 
par  la  reine-mère  à  la  prière  du  duc 
de  Guise,  qui  ne  voulait  avec  luy  que 
1\I.  de  Biron  et  M.  de  Strozze,  pour 
bien  estriller  M.  de  Thoré  (6)  et 
tous  ses  retires.  Biron  fit  très -bien 
dans  cette  guerre  ,    et    quoiqu'on  ait 

(3)  Brantôme,  Eloge  du  maréchal  rie    Hiron, 
au  IIIe.  tome  de  ses  Mémoires,  pag-  3.jo. 
(3)  La  même  ,  pag.  3^4- 
(If)  L.à  même,  pas;.  34-^»- 
(5)  Là  même,  pag.  3/|6. 
(G)  Fils  du  conne'laile  de  Monlmorenci . 


))  sinon  par  bon  vouloir  ,  au  moins 
))  pour  venger  la  mort  du  pauvre 
»  trépassé  ,  injustement  massacré  , 
»  qu'il  donnoit  ainsi  à  entendre.  Ce 
»  ne  fut  pas  tout ,  car  il  le  falloit 
»  maintenir  et  conquérir  les  places 
»  où  il  n'estoit  roy  qu'à  demy  ;  à 
»  quoy  ledit  sieur  mareschal  assista 

(7)  Vautrer,  la  plus  saine  pari ,  disent  que 
certainement  il  se  trouva  en  ce  festin  ,  entendit 
leurs  paroles  et  desseins  qu'il  de'prouva  ;  et 
mesme  de  quoy  ils  les  fondaient  sur  la  religion 
et  d'exterminer  l'hére'sic  ,  dont  il  s'en  mocqua. 
Brantôme,  Mémoires  ,  loin.  III,  pag.  353,354- 

(8)  Là  même  ,  pag.   354 - 
(y)  Là  même. 


124  GONTAUT. 

»  si  bien  à  son  roy  ,   qu'avant  mou-  sa  personne  sacrée  ,  et  qu'il  s'embar- 

»  rir  il  luy  aida  à  en  recouvrir  de  quât  au  plus  tôt  pour  prendre  la  route 

»  belles   et   bonnes  ,   gagner   la    ba-  a  Angleterre  ou  de  la  Rochelle  ,  de 

»  taille  d'Yvry  ,    et   sortir  d'Arqués  peur  que  s'il  tardoit  davantage  ,  il  ne 

i>  et  de  Dieppe,  comme  j'espère  dire  se  trouvât  investi  par  mer  aussi-bien 

j)  en  la  vie  de  nostre  roy  •   et  puis  en    que  parterre Jls  appuyoient  cet 

»  reconnoissant  la  ville  d'Espernay  il  avis  de  tant  de  fortes  considérations, 
3)  vint  à  avoir  la  teste  emportée  d'une  que  le  roi  même  commençait  à  s '  é- 
3>  canonnade.  »  Il  y  eut  une  tache  qui  branler  quand  le  maréchal  de  Biron, 
ne  fut  pas  de  longue  dure'e  dans  sa  qui  avait  entendu  ce  discours  avec 
fidélité  pour  Henri  IV.  Il  se  jugeait  dédain,  fâché  qu'il  fît  plus  d'impres- 
le  plus  ne'cessaire  ,  et  il  l'e'tait  aussi  sion  qu'il  ne  devait ,  prit  la  parole  , 
après  la  mort  de  Henri  III ,  et  croyant  et  d'une  voix  animée  de  colère  dit  au 
que  dans  cette  confusion  le  royaume  roi ,  etc.  Je  ne  rapporte  pas  sa  ha- 
s'en  irait  en  lambeaux  ,  il  s'imagi-  rangue ,  on  la  trouvera  dans  Me'ze- 
na  qu'il  en  pourrait  avoir  quel  qu  un  ;  rai:  elle  est  si  bien  tourne'e  ,  et  si 
et  étant  entré  dans  le  cabinet  sans  se  remplie  de  fortes  raisons  qu'il  ne 
faire  de  fêle ,  après  qu'il  eut  quelque  faut  pas  être  surpris  de  son  effet. 
temps  entendu  gronder  les  uns  et  les  Henri  IV,  l'ayant  ouïe,  ne  songea  plus 
autres,  il  tira  Sancy  h  part ,  et  lui  qu'à  tenir  ferme  dans  son  poste.  Il 
déclara  qu'il  désirait  avoir  le  comté  y  fut  attaque' ,  et  il  repoussa  glorieu- 
se Périgord  en  souveraineté ,  pour  le  sèment  l'ennemi  ï  iron  eut  raison  de 
prix  des  services  qu'il  rendrait.  San-  dire  qu'en  l'état  où  étaient  les  choses, 
cy  ,  pour  ne  le  pas  rebuter,  en  alla  sortir  de  France  seulement  pour  vingt- 
parler  au  roi  tout  h  l'heure;  le  roy  quatre  heures,  c'était  s' en  bannir  pour 
le  chargea  de  lui  donner  toutes  sortes  jamais.  Ce  n'est  pas  le  moyen  de  re'us- 
de  belles  espérances  ;  et  Sancy  gou-  sir  dans  cette  sorte  de  concurrence 
verna  cet  esprit  avec  tant  d'adresse  que  de  dire  à  ses  ge'ne'raux  :  slyez. 
et  de  force,  que  l'ayant  piqué  de  gé-  soin  de  ma  couronne  ,  j'aurai  soin  de 
nérosité,  il  l'obligea  non-seulement  de  ma  personne  ,  etc. 
renoncer  à  cette  prétention ,  mais-  en-  (D)  //  était  plutôt  protestant  que 
core  de  protester  qu'il  ne  souffrirait  catholique.  J  Les  soupçons  qu'on  eut 
jamais  qu  aucune  pièce  de  l'état  fût  de  lui  à  cet  e'gard  furent  cause  qu'on 
démembrée  en  faveur  de  qui  que  ce  ne  le  fit  point  chevalier  de  l'ordre  au 
f lit  (10).  commencement  des  guerres  civiles. 
(C)  //  empêcha  que  Henri  IV  ne  Notez,  dit  Brantôme  (  i3  )  ,  que  la 
se  conformât  à  l'avis  de  ceux  qui  lui  principale  occasion  pourquoy  il  n'eut 
conseillaient  de  chercher  par  mer  un  cet  honneur,  et  ne  faisoit-on  pas 
lieu  de  sûreté.  ]  Le  duc  de  Mayenne  grand  cas  de  liiy  ,  c'est  qu'il  estoit 
ayant  oblige'  ce  prince  à  lever  le  sie'-  tenu  pour  fort  huguenot  ,  et  même 
se  de  Rouen  ,  et  à  se  retirer  du  côté  qu'il  avoit  fait  baptizer  deux  de  ses 
de  Dieppe,  tâcha  de  le  serrer  de  si  enfans  (  ce  disoiton  à  la  cour)  à  la 
près  que  toute  autre  voie  de  s'échap-  huguenotte  ,  ce  que  les  grands  capi- 
per  lui  fût  fermée  que  celle  de  la  taines.  d'alors  ,  comme  le  roy  de  JYa- 
mer.  Les  capitaines  de  Henri  IV  ,   les  varre  ,    messieurs  de   Guise,   le  con- 

religionnaires  mêmes    (  il) ne  nestable  ,    et  le  mareschal  de  Saint- 

voyaient  pas  bien   quel  expédient  les  André ,  abhotroienl  comme  la  peste, 

pourrait  tirer  de  ce  péril  ,    et  appré-  et   les  religieux  ,  le  monde  et  tout, 

hendaient  extrêmement  pour  'e  salut  P'oila  pourquoy  mondit  sieur  de  Bi- 

du    roi ,    duquel  dépendait   celui    de  ron  estoit    regardé  de  fort    mauvais 

tout  l'état.  De  sorte  que  dans  un  con-  osil  ,  si  bien  qu'il  résolut  de  partir  de 

seil  qu'il  tint  le  5  de  septembre  (la) ,  la  cour  et  se  retirer  en  sa  maison.  Il 

la  plupart  concluaient  que  ,  laissant  aurait  exécuté  ce  dessein  si  du  Per- 

ses   troupes  a   terre  ,  fortifiées  dans  ron  ,  qui  fut  ensuite  le  maréchal  de 

de  bons  postes ,  il  mît  en  sûreté  Rets,  n'eût  parlé  pour  lui  à  la  reine. 

On  le  retint  ,   il   suivit  l'armée  sans 

(io)  Mé«rai,  Histoire  de  France,  tom.  III,  aucunc  charge:  mais  ayant  fait  bien- 

(1 1)  Méterai,  là  même ,  pag.  8^2.  (i3)    Brantôme,  Mémoires,  tom.  III,  pag. 

(12)  i53g.  3îS. 


GONTAUT.  i25 

tôt  connaître  son  mérite  ,  il  fut  don-  de  tout  ce  qui  se  faisoit  au  dehors  .- 

ne  pour  assister  les  grands  maréchaux  ce  qui  est  le  plus   grand  abus    du 

de  camp.  Monsieur  de  Guise  le  com-  monde  ;  car  s'il  eust  pris  cette  ville, 

menca  a  gousler.  bien  qu'il  Jist  tous-  il  en  estoit  gouverneur  ,   et  posses- 

jours  quelque   signe   et  dist    quelque  seur  de  la  plus   importante  place  de 

petit  mot  huguenot  ,   et  ne  s'en  pou-  la   trance  :  et  luy  ,   qui  estoit    un 

voit    garder ,    mais    secrètement     et  capitaine   ambitieux  ,  je    vous  laisse 

montrant    une  secrète   affection  à  ce  a  penser  s'il  eust   voulu   eschapper 

party.  Il   se  Jil   enfin   si  capable  en  ce    bon  morceau  s'il  l'eus!  peu  pren- 

sa  charge  ,  qu'il  fallait  qu'on  se  ser-  dre  ;  et ,  si  on  /'eust  voulu  croij-e  ,  et 

vistdeluy  (t^-  A  la  troisième  guerre  monsieur  de  Strozze,la  ville  eust  esté 

civile    \\  fut   malheureux  par  deux  prise  en  la  gagnant  pied  h  pied,  com- 

fois  ,  et  fort  blâme  de  Monsieur,  qui  me  nous  avons  fait  a   la  fin  (18  .  Ne 

était  le  général  ,    et  tenions  nous  en  doutons  point  que  les  soupçons  qu'on' 

l'armée  (  c'est   Brantôme   qui    parle  forma  qu'il  y  avait  des  intelligences 

(i5)  )  qu'il  l'avoit  menuet  de  luy  don-  entre  lui   et  les  habitans   de  la  Ro- 

ner  des  coups  de  dague  :  mais  ce  fut  chelle  ,  n'eussent   pour    principe    le 

a  monsieur  de  Biron  de  dire  ses  e.>  eu-  penchant  qu'on   lui  croyait  vers  les 

ses  le  plus  bellement  qu'il  peut  ;  car,  huguenots.  C'est  pourquoi  j'ai  joint 

s'il  eust  parlé  le   moins   du   monde  ce   dernier   passage  de  Brantôme  aux 

haut ,   Monsieur  lui  en  eust  donné  ,  précédens.   Je  m'en   vais  les   confh— 

tant  qu'il  estoit  en  colère  contre  luy  :  mer  Par  ces  paroles  de  Mézerai  ,  ti- 

et  luy  reprochant  qu'il  estoit  hugue-  rées  de   l'éloge   de  notre  Biron  (19). 

not ,   et    en  favorisoit  le  party  ,    et  «  Pour    la    religion  ,    ses    sentiment 

avoit  fait  ces  fautes  exprès  pour  luy  »  penchaient  un  peu  vers  la  nou- 
faire  recevoir  une  honte  ,  et  luy  faire 
couper  la  gorge  et  h  toute  son  armée. 
Monsieur  de  Tavannes  ,  qui  estoit 
haut  h  la  main  et  fort  impérieux , 
parla  aussi  bien  h  luy  ,  jusques  à  luy 
dire  qu  il  appris t  bien  sa  leçon ,  et 
qu'il  vouloit  se  mesler  de  tout  et 
d'un  mestier  qu'il  ne  savoit  pas  en- 


»  velle  réforme.  Un  précepteur  qu'il 
»  avait  eu  dans  ses  jeunes  années 
»  lui  en  avait  donné  la  première 
»  teinture ,  et  sa  femme  ,  qui  la  pro- 
»  fessait  ouvertement,  l'entretenait 
»  dans  ces  opinions  (20)  :  de  sorte 
w  qu'il  favorisait  sous  main  les  reli- 
»  gionnaires  ,   sinon  quand  il  s'agis- 

core  ,  et  qu'il,  luy  feroit  bien  appren-    »  sait  purement  du  service  du  roi  ; 

dre  ,    et    qu'il    estoit    huguenot  ,    et    »  et  l'abondance  de  son  cœur  se  dé- 


qu  il  11  oyoit  jamais  la  messe  ,  et 
quand  il  y  allait  c  estoit  par  forme 
d'acquit.  Tout  cela  luy  fut  reproché 
au  conseil  ,  et  ce  fut  a  monsieur  de 
Biron  à  cal  1er  et  h  se  taire.  Après  le 
massacre  de  la  Saint-Barthélemi  le 
roi  l'envoya  en  Xaintonge  (16)  pour 
réduire  la  Rochelle  à  l'obéissance  ou 
de  gré  ou  de  force.  11  fallut  assié- 
ger la  ville  :  Biron  fut  (17)  malheu- 
reux en  ce  siège  ,  car  il  s'y  travailla 
et  peina  ,  fit  tous  les  devoirs  d'un 
grand  capitaine  et  d'un  bon  grand 
maître  d'artillerie,  et  ,  qui  pis  est  , 
y  receul  une  grande  arquebusade  ; 
toutefois  la  plus  grand  part  des  as- 
siégeons avaient  opinion  qu'il  s'en- 
tendoit  avec  ceux  de  dedans  ,  et  que 
luy  et  les  siens  leur  donnoient  avis 

(i4)  fa.  même,  pag.  33o. 
(i?l    Tj'a  même y  pag.  33a. 

(16)  Bu  on    en  e'tail  gouverneur    et  du  pays 
itAnnis. 

(17)  Brantôme  ,  Mémoires,  pag.  338. 


»  gorgeant  par  sa  bouche  ,  il  laissait 
»  souvent  échapper  des  traits  de  rail- 
»  lerie  contre  les  cérémonies  de  l'é- 
»  glise  romaine.  On  soupçonna  à 
»  cause  de  cela  qu'il  rétardait  la 
»  conversion  du  roi  ;  lequel  ,  pour 
»  la  même  raison,  et  pour  les  signa- 
»  lés  services  qu'il  lui  avait  rendus 
»  après  la  mort  de  Henri  111  ,  en  lui 
■»  assurant  les  gens  de  guerre  ,  avait 
»  pris  grande  confiance  en  lui  ,  et 
»  déférait  entièrement  à  ses  avis,  non 


(18)  Joignez  aux  malheurs  qu'il  eut  dans  ce 
sié<:e  la  tTiil/le  réprimande  que  lui  fit  le  roi 
de  Pologne,  ci-dessus  ,  remarque  (A),  cita* 
lion  (2). 

(19)  Mézerai,  Histoire  de  France,  loin.  III, 
pag.  102G. 

(20)  Je  m'étonne  qu\l  ne  due  rien  de  sa 
mère,  qui,  selon  IH.  de  Thon  .  donna  retraite 
aux  réformés.  Denique  in  Âgînnensi  ;i£io  apud 
Annam  Bonvalliam  ,  Armani  Bironi  tamosi  illias 
ducis  matrem,  toto  eo  tenipore  tutus  receptus 
fuit.  Thuan.,  lib.  XXMII  ,  pag.  671,  ad 
ann.  j5t>2. 


!2G  GONTAUT 

î)  toutefois  sans  se  piquer  souvent  de 
»  sa  manière  impérieuse.  » 

(E)  Il  fui  mis  parmi  les  proscrits 
au  massacre  de  la  S 'aint-Barthélemi*.'] 
On  s'était  servi  île   Biron  pour  faire    prières    de   la    belle    Chdteauneuf , 


l'aient  été  couchés  sur  le  rôle;  main 
l'absence  du  maréchal  de  Montmo- 
renci ,  qui  était  à  Chantilly.,  mit  en 
sûreté  la  vie  de  ses  trois  frères  :  les 


venir  la  reine  de  Navarre  à  la  cour 
de  France  ,  avec  le  prince  son  fils  , 
que  l'on  mariait  à  la  sœur  de  Char- 
les IX.  Biron  amena  ce  prince,  accom- 
pagné de  toute  la  fleur  des  hugue- 
nots ,  qui  pensant  tous  braver  et 
gouverner  tout  le   monde  prirent   l'a 


maîtresse  de  Monsieur  ,  sauvèrent 
Cossé  son  allié  :  et  Biron  ,  grand 
maître  de  l' artillerie,  ayant  fait  poin- 
ter quelques  coulevrines  sur  la  porte 
de  l'arsenal ,  arrêta  la  fougue  des 
massacreurs  ,  et  recueillit  quelques- 
uns  de  ses  amis  ,    entre  autres   Lac- 


une fin   misérable.  Ceux  qui  en  es-  ques  ,   second  fils  du  seigneur  de  la 

chaperent  en  bi 'usinèrent  mondit  sieur  Force,   lequel  n'étant  âgé  pour  lors 

de  Biron  ,   et  luy  en  donnèrent  toute  que  de  dix  a  douze  ans  ,  s'était  adroi- 

la  coulpe  ,  disant  qu'il  les  estoit  allé  temenl  caché  entre  les    corps   de  sort 

tous   amadouer  et   apaster  pour  les  père  et  de  son  frère  aîné ,  qu  on  avait 

mener  tous   au  marché  de    la    bou-  tués  dans  un  lit  où  ils  étaient  couchés 

chérie  ,  et  pour  ce  commencèrent  a  tous  ttvis. 

debagouler  contre  lui et    si  ne        (F)  La  raison  pour  laquelle  on  le 

laissa-t  il  pour  toutes  ces  calomnies  ,  soupçonna   de  favoriser  les   hugue- 

soupçons  et  causeries,   qu'il  ne  fust  nots  lui  est glorieuse.  ]  Je  me 

en  grande  peine  à.   cette  feste  ;   et  servirai  des  paroles  d'un  de  nos  meil- 

bien  luy  prit  d'estre  brave  ,   vaillant  leurs   historiens   (  23  ).   «  Biron  sem 


et  assuré  ,  car  il  se  retira  aussi-tost 
en  son  arcenal  ,  braqua  force  artil- 
lerie  a  la  porte  et  autres  avenues, 
fit  si  belle  et  si  assurée  contenance 
de  guerre  ,  qu'aucunes  troupes  de 
Parisiens  ,  qui  n'avoient  eu  jamais 
affaire  a  un  tel  homme  de  guerre  , 
i'aprochanl  à  sa  porte  ,  il  parla  h 
eux  si  bravement ,  les  menaça  de  leur 
tirer  force  canonnades  s'ils  ne  se  re- 
tiraient ,  ce  qu'ils  firent  aussi-tost  et 
n'osèrent  plus  s'y  approcher ,  ny  rien 
faire  a  lui  de  ce  qu'ils  vouloient  et 
qui  leur  avoit  esté  commandé  ;  car 
pour  le  seur  il  estoit  proscrit  ainsi 
que  les  autres  que  je  scay  ,  comme 
il  me  dit  luy-mesme  a  son  retour 
de  Brouage  ,  car  il  m' estoit  bon  pa- 
rent et  amy  ,  et  me  discourut  fort 
de  ce  massacre.  On  disoit  que  mon- 
sieur de  Tavannes  ,  qui  fie  l' aimait 
trop  ,  et  le  comte  de  Bets  non  plus  , 
luy  jtresterent  celte  charité  de  pro- 
scription  (21).  M.  de  Mézerai  nous 
apprend  que  Biron  donna  retraite 
dans  la  Bastille  à  quelques-uns  de 
ses  amis.  Citons  ses  paroles  (22).  Les 
Montmorenci 


»  blait  avoir  toujours  garde'  quelque 
»  inclination  pour  les  nouvelles  opi- 
»  nions  depuis  qu'il  avait,  été  en  es- 
»  time  auprès  du  feu  roi  de  Navarre.  Il 
»  témoigna  néanmoins  tout  le  reste 
»  de  sa  vie  qu'il  était  fort  bon  ca- 
»  tholique  ;  et  toutes  les  fois  qu'il 
»  y  eut  guerre  contre  les  huguenots, 
»  il  s'y  comporta  avec  autant  de 
■»  courage  et  de  fidélité  qu'aucun 
»  autre.  Mais  ce  qui  donnait  lieu 
»  de  croire  qu'il  ne  les  haïssait  pas  , 
»  c'est  qu'il  ne  pouvait  consentir 
»  qu'on  leur  violât  la  foi  quand  on 
»  la  leur  avait  donnée  ,  et  que  par 
»  plusieurs  fois ,  lorsque  l'on  plâtra 
»  le  dernier  édit  de  pacification  ,  il 
»  fit  entendre  à  la  reine-mère  qu'il 
«  eût  été  plus  convenable  à  la  ma- 
»  jesté  du  roi  de  les  pousser  jus- 
»  qu'au  bout  (24)  ,  que  de  faire  un 
»  traité  qu'il  prévoyait  bien  de  ne 
y  devoir  pas  être  observé.  A  raison 
»  de  quoi  ,  et  parce  qu'il  avait  une 
»  trop  libre   et  trop  sincère  probi^ 


(a3)  Mézerai,  Histoire  <le  France,  tom.  II, 
Cossé    et     Biron    a-    P"g.  367 ,  à  l'ann.  157a. 

(a4)  On  s'est  étonné  qu'aucun  ministre  d'état 
lie  Louis  XIV  ne  lut  ait  osé  dire  la  même  chose  , 
quand  il  s'amusait  à  publier  tant  d'arrêts  contre 
ceux  de  la  religion.  Il  en  fallut  venir  enfin  à 
ta  force  ouverte  :  à  quoi  servirent  donc  tant  de 
procédures  du  palan  ?  Voyez  les  Nouvelles 
de  la  Képublique  îles  Lettres,  mois  de  novembre 
|<J85,  pag.  i2(J3,  sur  la  manière  de  persécuter 
dont  Marie  ,  reine  d' Angleterre  ,  se  servit. 


*  Leclcrc  et  Joly  récusent  ici  le  témoignage  île 
Brantôme  parce  qu'il  ne  mérite  pas  le  nom 
d'Iiistorien  ;  et  celui  île  Mézerai,  parce  qu'il  n'a 
pu  être  témoin  île  ce  qu'il  avance. 

(ail  Brantôme,  Mémoires,  tome  III,  pag. 
335. 

(22)  Mézerai  ,  Abrégé  chronologique,  loin. 
V ,  pag.  1S7,  i58. 


GONTAUT.  127 

i>  té,  la  reine -mère   et    les    Guises  que  M.  de  Mc'zerai  a  fait  de  Biron. 

j>  l'avaient    mis   sur   le    rôle    de    la  11  avait  l'esprit   vif  et  perçant  ,   le 

»  Saint-Bartbélemi  :  au  moins  il  eut  discours  facile ,  fort  et  persuasif,  le 

»  cette  croyance  ,   et  toute  sa  vie  il  cœur  haut  et  guerrier  ,  était  alerte 

»  en  garda  dans  son  ame  un  très  vif  et  agile  Je   sa  personne  ,   laborieux 

»  ressouvenir.»  et  hardi,   Iris-curieux  d'apprendre  , 

(G)  Jamais  homme  de  sa  qualité  et   très-exact  ,   aussi  adroit  dans  les 

ne  fut  plus   universel.  ]  «  Lorsqu'il  intrigues  de  la  cour  et  parmi  les  </,,- 

est  mort,  il  est  mort  un  très-uni-  mes   que  vaillant  à  la  guerre Il 

vcrscl  ,  fust  pour  la  guerre,  fust  faisait  gloire  d être  universel,  et  d'en- 
pour  les  affaires  d'estat,  lesquelles  tendre  aussi  bien  les  négociations  que 
il  a  traitées  autant  et  les  a  secues  l'art  militaire.  Il  se  mêlait  de  tout , 
aussi  bien  que  seigneur  de  France,  et  se  donnait  de  l'emploi  même  ,  si 
Aussi  la  reine-mére  ,  quand  elle  on  ne  lui  en  donnait  pas  ;  se  pi- 
avoit  quelque  grande  affaire  sur  quaii  de  savoir  parfaitement  la  geô- 
les bras,  lenvoyoit  quérir  tous-  graphie  et  l'histoire,  dessinait  les  car- 
I'ours  ,  fust  en  sa  maison  ou  ail-  tes  de  sa  propr-e  main,  disant  que  c'é- 
eurs  ,  et  avoit  son  grand  recours  tait  une  des  parties  d'un  grand  copi- 
er! luy.  Luy-mesme,  en  goguenar-  taine  de  savoir  faire  voir  sur  le  pa- 
dant,  il  disoit  qu'il  estoit  un  mais-  pier  ce  qu'il  savait  exécuter  à  la  cam- 
trcaliboron  qu'on  employoit  à  tout  pagne  (26). 

faire  ,  comme  il  estoit  vray  ,  et  (H)  //  aimait  un  peu  trop  le  vin.  ] 
s'entendoit  avec  elle  très-bien  en  Me'zerai  dit  seulement  (27)  qu'il  se 
(ont  ,  fust  pour  affaire  de  paix  ,  plaisait  aux  bons  mets  et  h  faire 
fust  des  guerres,  ausquelles  il  es-  grande  chère;  qu'il  demeurait  peu 
toit  très-universel  ,  et  pour  com-  au  lit  ,  et  long-temps  h  la  table ,  oii 
mander  et  pour  exécuter.  Il  avoit  il  buvait  jusqu'à  se  rendre  gai/lard. 
fort  aymé  la  lecture  ,  et  la  con-  Mais  une  repartie  que  l'on  attribue 
tinua  fort  bien  dès  son  jeune  âge.  à  Henri  IV  porte  la  ebose  plus  loin. 
Il  avoit  été  curieux  de  s'enquérir  «  Le  duc  de  Savoie  lui  louant  un 
et  sçavoir  tout ,  si  bien  qu'ordi-  »  jour  les  belles  actions  et  les  ser- 
nairement  il  portoit  dans  sa  po-  »  vices  des  Biron  père  et  fils ,  le  roi 
che  des  tablettes  ,  et  tout  ce  qu'il  »  lui  répondit  qu'il  était  vrai  qu'ils 
voyoit  et  oyoit  de  bien,  aussi-tost  »  l'avaient  bien  servi  ;  mais  qu'il 
il  le  mettent  et  escrivoit  sur  lesdi-  »  avait  eu  beaucoup  de  peine  à  mo- 
tos tablettes;  si  bien  que  cela  cou-  »  dérer  l'ivrognerie  du  père,  et  à  re- 
roit  à   la  cour  en   forme  de  pro-  »  tenir  les  boutades  du  fils  (28).  » 

verbe,    quand     quelqu'un    disoit       (l)  Il  négligeait de  frapper  sur 

quelque  ebose,  on   lui  disoit  :  Tu  l'ennemi  un  coup  décisif]  Brantôme 

as   trouvé  cela  ou  appris  dans  les  rapporte  (29)  qu'on  disait  que  si  Bi- 

tablettes  de  Biron  :  mesme  le  gref-  ron  eut  voulu  aller  a  la  rigueur     il 

fier  Fol   du   roy  Henry  ,  il  jmoit  eût  fait  beaucoup  plus  de  mal  au  roi 

quelquefois  par  les  divines  tablet-  de  Navarre  *  Je  parle  du  temps  que 

tes  de  Biron et  j'ay  veu  plu-  Biron    commandait  en   Guienne  sous 

sieurs  s'estonner  de  luy,  que  luy  ,  Henri  III.  Dans  une  autre  rencontre 

qui  n'avoit  jamais  traité   grandes  c'est-à-dire  ,    quand  le  duc  de  Parme 

affaires   avec   pais  estrangers  ,    ny  était   à    Caudebec  ,   le   maréchal    de 

mieux  esté  ambassadeur ,  pour  le  Biron  relança   son   fils  ,   qui    repré- 

mieux  entendre  ,  comme  un  mon-  sentait   au  roi  que  si  on  lui  voulait 

sieur  deLansac,  de  Rambouillet,  donner  quatre  mille  arquebusiers  et 
et  le  marescbal   de   Rets  ,    et   au- 
tres chevauclieurs  de  coussinets  ,       (a6)  Mezerai  .Histoire  de  France    ton,.  111, 

il  en  savoit  plus  que  tous  eux,  et  p«g-  1026. 
)  leur  en   eust   fait  leçon  ,  tant   de       (v])  Là  même. 
celles     de   dehors   que   dedans    du       (a8)  Péréflze,   Histoire  de   Henri-le-Grand, 

royaume  (a5).  »  Joignons  à  ce  pas-  "  '*""• ,.6o°.'  pag-  '"???■ 

J  \  r  °  1        11  -/  (20)  Mémoires,  loin    111 ,  pair.  35o. 

saee   quelques  fragmens    de    reloge       *V    i  T  .    .  .    , . 

&        l        /  ,     b  5  *  Lederc  et  Joly  o\5ont  que  les  (ails  rapportés 

fa5)  Brautûuic,    Mémoires,    loin.    111,   pag.     dans  celte  remarque  ex.  .lan.i  la  suivante  ,  auraient 
35G.  •  besoin  de  meilleures  preuves. 


158 


deux  mille  chevaux  il  empêcherait 
le  passage  aux  ennemis.  Servons- 
nous  des  paroles  de  Brantôme.  Mon- 
sieur le  maréchal  sur  cela  rabroua 
fort  son  fils  devant  le  roy ,  et  luy 


GONTAUT. 

»  à  consulter  les  diseurs  de  bonne 
»  aventure.  Un  de  ces  gens  -  là  lui 
«  ayant  prédit  six  mois  auparavant 
»'  ce  sie'ge  qu'il  serait  tué  d'un  coup 
»  de   canon  ,   il  s'imprima  tellement 


dit  que  c'estoit  un  habile  homme  pour  »  l'effet  de  cette  prédiction  dans  l'es- 
le  faire  ,  et  s'en  montra  si  drfficul-  »  prit  ,  que  toutes  les  fois  qu'il  en- 
tueux  qu'il  en  rompit  le  coup.  Le  soir  »  tendait  tirer  ,  comme  il  l'avouait 
après  il  luy  dit  etrenwnstraqu' il  savait  »  à  ses  amis,  il  ne  pouvait  s'em- 
bienqu'ilauroitfait  ce  coup,ou  ilfust  »  pêcher  de  tressaillir  de  peur  ,  et 
mort  :  mais  il  ne  fal  oit  jamais  tout  a  »  de  baisser  la  tête.  Cette  fois-là  (33), 
coup  voir  la  ruine  d'un  tel  ennemy  »  ayant  entendu  fifïïer  le  boulet  , 
des  François,  car  si  tels  sont  une  fois  »  comme  il  se  jetait  à  quartier  pour 
du  tout  vaincus  et  ruinez  ,  les  roys  »  éviter  le  coup  ,  le  malheur  voulut 
ne  font  jamais  plus  cas  de  leurs  ca-  »  qu'il  le  rencontra  ,  si  bien  qu'il 
pitaines  et  gens  de  guerre,  et  ne  s'en  »  alla  au-devant  de  sa  mort ,  et  ac- 
soucient  plus  quand  ils  en  ont  fait  ,  »  complit  lui-même  une  prédiction 
et  qu'il  faut  tousjours  labourer  et  »  qui  peut-être  ne  fût  pas  arrivée 
cultiver  la  guerre  ,  comme  on  fait  »  s'il  s'en  fût  moqué  (34).  »  Cet  his- 
un  beau  champ  de  terre  ;  autrement  torien  est  plus  exact  que  je  n'aurais 
ceux  qui  l'ont  labourée,  et  puis  la  cru  à  rapporter  de  semblables  choses. 
laissent  en  friche  ,  ils  meurent  de  (L)  On  conte  une  chose  considé- 
faim  (3o).  Voici  un  style  plus  ner-  rable  de  la  bonté  de  son  estomac.  ] 
veux  et  plus  poli  tout  ensemble  :  Le  Continuons  d'entendre  M.  de  Méze- 
maréchal  de  Biron  était  accusé  de  rai  (35).  «  Il  s'était  trouvé  à  une 
susciter  diverses  factions  afin  d'avoir  >>  infinité  de  sièges  de  grandes  villes 
matière  d'exercer  son  adresse  et  son  »  et  de  sanglantes  mêlées  ,  et  avait 
crédit  ,  et  de  prolonger  la  guerre  ,  )>  commande  en  chef  dans  sept  ba- 
non  pour  le  désir  de  butiner  ,  mais  »  tailles  ou  grands  combats  ,  où  il 
pour  demeurer  toujours  le  maître  et    »  avait  reçu  autant  de  blessures.  Et 

»  quoiqu'il  fût  tout  rompu  de  tra- 
»  vaux  et  de  coups ,  et  qu'il  eût 
»  soixante-huit  aus  passés  (36),  néan- 
■»  moins  il  était  d'une  si  vigoureuse 
»  santé,  que  les  chirurgiens  quil'ou- 
»  vrirent  pour  l'embaumer  ne  lui 
»  trouvèrent  aucune  viande  dans  l'es- 
bien    qu'il    n'eût   été  tué 


le  conducteur  des  affaires  (3i).  On 
voit  régner  quelquefois  une  pareil- 
le ambition  parmi  les  théologiens. 
Voyez  (3a)  comment  on  applique  à 
un  docteur  de  parmi  le  monde  ces 
maximes  du  maréchal  de  Biron. 

(K)  //  devint crédule  par  rap- 
port au  genre  de  mort  dont  les  ti-    »  tomac 

.».._*■  !'  I   ............     .  /  _-«_  —  _   1.~._  —  4  ~\  Xt         .lit      tllli 


reurs   d'horoscopes  le  menacèrent.  ] 

Voici  ce  qu'on  trouve  dans  la  grande 

histoire  de  Mézerai.  «    J'ai  oui    ra- 

»  conter  à  qui  avait  bien  connu  ce 

j>  maréchal  une  chose  digne  de  mé- 

3)  moire.  Il   s'était  toute  sa  vie  mo- 

»  que  de  la  divination  ,   que   néan- 

i>  moins  la  curiosité  de  la   reine  Ca- 

i>  thcrine   de   Médicis  avait  mise  fort 

»  en    vogue    à    la    cour  ;   mais    peu 

3)  avant  sa  mort ,  pour  en  avoir  vu 

3>  quelque  efièt  apparent, ,  il  y  ajou- 

»  tait,  foi   avec   autant    de   supersti- 

»   tion    qu'il   avait   eu   d'incrédulité    dit  que  a 

»  pour   ces   choses-là  ,   et  s'était  mis    el  '>"■     a 


»  qu'une  heure  après  souper  ,  mar- 
»  que  d'une  grande  chaleur  naturelle 
3>  qui  avait  pu  faire  digestion  en  si 
»  peu  de  temps  (3^).  » 


poi 

(3o)  Brantôme,  Mémoires,  tom.  III.  pag.  308. 

(il)  MétiT.ii,  Histoire  de  France,  tom.  lit  , 
pag  ;oïC>.  Voyci  aussi  Davila,  liv.  XIII, 
pag.  m.  8o(>. 

(32)  Dans  let  Entretiens  sur  la  Cabale  cliimc- 
îiquc,  pag.  191. 


(33)  C'est-à-dire,  quand  il  fut  tué  d'un  coup 
de  fauconneau,  devant  Epernai. 

(34)  Histoire   de    France,  tom.    III,    pag. 
1024. 

(35)  La  même. 
(3(i)  Davila,  liv.  XIII  ,  pag.  806,    dit  qu'il 

entrait  dans  ta  \oixanle-cinquième  anne'e  D'Au- 
bisné,  tom.  III ,  pag-  3fi8,  ne  lui  donne  que 
soixante-cinq  ans. 

(3^  Oupleix,  Histoire  de  Henri  IV  ,  pag   çi'i, 
fut  une  heure  après  avoir  bien  dîné , 
vail  cinquante-huit  ans. 


GONTAUT  (  Charles  de  ) ,  duc 
de  Biron  ,  fils  du  précédent ,  fut 
vin  des  plus  grands  capitaines  de 
son  siècle;  mais  il  avait  le  défaut 


GONTAUT.  129 

de  parler  lui-même  de  ses  exploits  sée  ,  qu'un  guerrier  doit  éloigner 

avec  un  orgueil   insupportable,  le   plus   qu'il   peut  le  traité   de 

il  avait  appris  de  bonne  beure  le  paix  ,  parce  qu'en  temps  de  paix 

métier  des  armes  sous  le  inaré-  on  peut  se  passer  de  lui ,  et  qu'où 

chai  de  Biron  son  père,  qui  n'a-  le  laisse  dans  sa  maison  de  cam- 

vait  rien  oublié  ni  pour  l'avan-  pagne  (b).  Ce  fut  par  ce  principe 

cer,  ni  pour  le  faire  paraître  bien  qu'il  ne  donna  pas  tous  les  ordres 

digne  d'être  avancé  (A).  Il  obtint  nécessaires  pendant  le  siège  d'A- 

la  charge  d'amiral  de  France,  l'an  miens,  pour  empêcher  le  secours 

i5c)2  ,  et  s'en  étant  démis,  l'an  que  l'archiduc  voulait  faire  en- 

i5q4,    il  fut    fait  maréchal  de  trer  dans  la  place.    Il  n'eût  pas 

France  et  gouverneur  de  Rpur—  été  fâché  qu'on  l'eût  secourue, 

gogne.  Le  roi  érigea  la  banJhnie  parce  que  cela  aurait  retardé  la 

de    Riron    en  duché-pairie,  l'an  paix.  A  peine  pouvait-il  souffrir 

iSqS,  et   envoya    tout    aussitôt  que  l'on  fit  part  de  la  gloire  des 

le  nouveau  duc  à  Bruxelles,  chef  bons  succès  à   Henri-le-Grand  , 

d'une  ambassade  magnifique.  Ce  et  il  menaçait  les  historiens  qui 

fut  pour  faire  jurer  à  l'archiduc  ne  s'accommodaient  pas  assez  à 

la  paix  de  Vervins.  Il  fut  envoyé  sa  vanité  (H).  J'ai  de  la  peine   à 

en    Suisse    au   mois    de    janvier  croire  ce  que  l'on  débite  touchant 

îGoa(B),  pour  un  renouvelle-  son   érudition  (I)    Ce    que  l'on 

ment  d'alliance  avec  les  cantons,  conte  de  sa  réminiscence  mérite 

Il  était  passé  en  Angleterre  l'an-  d'être  rapporté  (K).    On   l'éleva 

née  précédente  ,§ pour  faire  des  d'abord  à  la  protestante  (c).  C'é— 

complimens  de  la  part  du  roi  à  tait  un  grand  joueur  (d)  ;  mais 

la  reine  Elisabeth.  Cette  grande  il  ne  se  plongeait  point  dans    la 

reine  lui    fit  des  honneurs   ex—  débauche  des  femmes  ,  ni   dans 

traordinaires.  On  a  mêlé  quelques  les  autres  voluptés   du  corps  (e). 

fables  dans  la  relation  de  ce  qu'elle  Henri  IV  le  voulut  faire  son  gen- 

fit  en  cette  rencontre  (C).  Chacun  dre  (L)  ,  et  se  vantait,    dit-on, 

sait  la  fin  tragique  du  maréchal  de  lui  avoir  sauvé  la  vie  (M).   Je 

#duc  de  Biron  :  il  eut  la  têtetran-  ne  marquerai  que  deux  fautes  de 

chée,  le3i  de  juillet  1602,  pour  M.  Moréri  (N). 

une  horrible  conspiration   qu'il  ,,,  v  „„,  „„  n •„„„„  „,    ,     f 

1                        *■  \b)  y  oyez  un  JJiscours  sur  les  lavons,  in- 

avait  tramée  contre  l'état  avec  le  séré  dans   les    Additions   de    le    Laboureur 

duc  de  Savoie  (D).   II  donna  sur  Jjg  Ménioires  de  Castelnau ,  tom.  il,  pag. 

l'échafaud  mille  marques  d'em-  (ê)  Voyez,  la  remarque  (*•). 

portement  (F).    Il  n'avait  pas  en-  (rf>  H  perdit  en  un  an  plus  de  cinq  cent 

_„__                     ,                /    \    c                 ï_"  mille  ecus.  Mézerai ,  Abrégé  cbronolosjique  , 

core  quarante  ans  (a).  Son  ambi-  tonu  IV %  pag  ^  ;  à  Ua*n.  ltjo2_    »  q 

tioil     n'avait    point      de    bornes;  (e)  Cayet  ,  Cbronol.  septénaire ,  fol.  3i7. 

et ,  quoiqu'il  n'eût  point  de  reli-  ,  «  \  •'■«•        <               > 

1.r,.  *.,  ,    .     l  if-  (A)  Aon  père n  avait  rien  ou- 

gion  (b  ),  il  ne  laissa  pas  de  faire  blte  nipouv  v  avancer  ni  pour  le  faire 

le  superstitieux  ,   afin  de   ressus-  paraître  bien  digne  d'être   avancé.  } 

citer  la  ligue  (G).  Il  profita  de  la  En   l58°  (0  une  ciluU'  ,lr  cheval  lui 

leçon  que  son  père  lui  avait  lais-  cassa  en  deux  endroits  Ia  cuisse>  dont 

...                   TT.       .                       .  (1)  //  menait  son  année  vers    V  Iste-en-Jour- 

(«)  Matthieu,  Histoiredc  la  Paix,  liv.  IV,  dain  ,  h  quatre  lieues  de    Toulouse.  Dupleix  , 

pag.  218.  Hist.  de  Henri  III,  pag.  82. 

TOME    VII.  Q 


i3o  GONTAUT. 

il  était  boiteux  ,   de  sorte   qu'il  fut  se  voyant  dans  une  grande  autorité 

obligé  de  laissera  d'autres  la  conduite  après  la  mort  de  Henri  III ,  ne  songea 

de  son  armée;  et  pour  ne  point  faire  plus  qu'a  élever  le  baron  de  Biron  : 

de  jaloux  ,   il  pria  ceux  qui  avaient  et  quoiqu'il  fût  jeune  et  sans  expé- 

droit   au   commandement  de  choisir  rience  ,  néanmoins  il  fit  une  querelle 

eux-mêmes    un   chef.    Ils   choisirent  d'Allemand   a    M.   de  Dampierré , 

son    lils  -,    qui    n'était    âgé    que    de  maréchal  de  camp  ;  lui  fit  quitter  sa 

quinze  ans  (2).  D'autres  historiens  (3)  charge  ,  et  en  Jît  pourvoir  ledit  baron 

assurent  qu'à  quatorze  ans  ce  même  de   Biron  ,    en    qualité  de   maréchal 

ûhful  colonel  des  Suisses  en  Flan-  de  camp  général  ;   et  parce   qu'il   ne 

dre  ,  tôt  après   maréchal  de  camp  ,  savait  pas  la  charge ,   il  travaillait 

cl  puis  maréchal  général.  Mais  on  ne  nuit   et  jour  pour  lui,  et  lui  en  lais- 

saurait   accorder   cela    avec    ce    que  sait  tout  l'honneur  :  ce  qui  mit  ledit 

d'autres  content,  que  son  père,  après  baron  de  Biron  en  telle  réputation  et 

la  mort  de  son  fils  aîné,  le  fit  appeler  créat&e  parmi  les  gens  de  guerre  , 

baron  de    Biron  ,  et  le    mena  en   la  que  tè  maréchal  son  père ,  ayant  été 

cour,  ou  incontinent  il   eut  une  que-  tué  d'un  coup  de  canon  devant  Eper- 

relle  avec  le  sieur  de   Carency ,fils  nai,  le   roi  le  fit  amiral;  et  M.  de 

aîné  du  comte  de  la  Kauguyon,  la-  fillars  venant  au  service  du  roi,  il 

quelle  se   termina  par  un   combat  de  lui  remit  l'amirauté ,  et  fut  fait  ma- 

trois  contre  trois,  l'an    1 585.  Biron  ,  réchal  de  France  (10).  Il  est  difficile 

Loignac  et  Janissac  d'un  côté ,  tuè-  d'écrire   plus    mal   en    français    que 

renl  Carency  ,  d' Estissac  et  la  Bas-  l'auteur  dont  j'emprunte  ces  paroles; 

lie I.e  duc  d' Espernon   obtint  sa  car  il  faut  perpétuellement  deviner  , 

grâce  (4)'  H  l'avait  mené  à  Pau  ,  lors-  soit  en  raisonnant,  soit  en  consultant 

qu'il  y  alla  trouver  le  roi  de  Navar-  l'histoire  ,  à  qui  se  rapportent  ses  il. 

re  (5).  Depuis  ,  le   père  du  jeune  Bi-  Finissons  cette  remarque  par  un  pas- 

ron  fut  lieutenant  gênerai  en  l'armée  sage  de  Mézerai  (1 1  j  :  Les  catholiques 

de   Poitou  au  siège  de  Marans  ,  le-  ne  regrettèrent  pas  tant  le  maréchal 

quel  le  faisait  commander  h  toute  sa  de  Biron  que  fit  IjÈroi,  qui  en  témoi- 

maison  ,  et  h  toute  sa  compagnie  de  gna  une  plus  grande  affliction  que  de 

gendarmes  ;  même  il  l'appelait  M.  le  toutes  autres  perles  qu'il  mail  jamais 

baron  ,  et  dès  lors   il  devint  si  impé-  reçues ,  et  eut  eu  plus  de  peine  a  s'en 

vieux  et  si  libre  en  paroles  ,  que  rien  consoler ,  s'il  n'eilt  cru  que  le  baron 

plus    (6).   Notez,  que  ,    selon   Victor  de  Biron  son  fils  ,  étant  façonné  de 

Cayet ,   il  avait  seize    ans   lorsque  le  sa  main  ,  pouvait  lui  rendre  d'aussi 

maréchal  de  Biron,  son  père,  le  tira  grands  services;  d'autant  plus   qu'il 

d'auprès  de  son  précepteur  (7).  Notez  avait  toute  l'expérience  du  père  ;  mais 

aussi  que  ce  maréchal  perdit  un  fils  ,  il  n'en  avait  pas  encore  la  finesse  et 

l'an  1 583,  au  massacre  d'Anvers.  C'é-  les  mauvaises  maximes. 

tait  sans  doute  son  fils  aîné  ,  puisqu'il         (B)  Il  fut  envoyé  en  Suisse en 

avait  déjà   des   enfans  (8),  et  que  le  1602.]  De  Vie  et  Silleri   avaient  eu 

duc   de    Biron   n'avait  pas   quarante  beaucoup  de  peine  à  régler  le  renou- 

ans  (9),  lorsqu'il  fut  décapité  en  1602.  vellement    d'alliance,    et    lorsqu'ils 

Il  v  a  beaucoup  d'apparence  que  Du-  croyaient  avoir  surmonté  toutes  les 

plêix  et    Pierre  Matthieu  donnent  à  difficultés,   ils  virent   que    tout  s'en 

Charles  de    Gontaut  ce  qui  convient  allait  rompu  par  les  émissaires  d' Es- 

à  son  frère.  pagne   et   de  Savoie  ;    mais  le  maré- 

Ce  qui  suit  me  fournira  une  plus  chai  de  Biron,  qui   arriva  à  Soleure 

soliile  preuve.  Le  maréchal  de  Biron,  avec  une  grande  suite  ei  un  pompeux 

,    „      .  ...            B  équipage,   termina  heureusement  le 

li)  Dupleix  ,  liist.  de  Henri  III,  pag.  8a.  '    ./,   »,  '                  .„              ,  , 

(S)  Plene  Matthieu,  His«  de  la  Paix  ,.  i«v.  V,  traité.  A  a  magnifique  dépense,   son 

pag.  m.  218.  discours  tout  martial ,  et  l'éclat  de  ses 

(A)  Cayct ,  Chronologie   septénaire ,  folio   3 1 1)  ...           ,     ,      ,                     ,. 

KHJo       3      '                    01                yj  (io)  Discours  historique  de  la   fortune  et  dis- 

"e(5)  La  mfme,  folio  32o  verso.  grâce  de. ,  Favoris  ,  depuis  François   I»r.   jusque* 

Va  Là  mimé:  ;  Vou,s  xm  •™'"'re    !'\  "  *rU"",ns  d",'; 

7    L'a  mfme,  folio  3,c,  Laboureur  aux  Mémoire,  de  «.astelnau  ,  lom.  II, 

(k)  le  pire  Anselme,  pag.  .«,7.  P«fi-  ^4-  II  «  '£  imprima  depuis  sous  le  turc 

fo)  Matthieu  ,   Histoire  de   1»  Paix,   Uy.   F,  de  Mémoires de  Beauvau-Nang.s. 

pag    m    218  («0  Histoire  de  France,  lom.  III,  pag.  102<.. 


GONTAUT. 


i3i 


beaux  faits  dont  les  Suisses  avaient  je  parle  même  des  relations  que  les 

été  si  souvent  témoins  ,  purent  beau-  principaux  historiens  de  ce  temps-là 

coup   envers  ces  peuples  guerriers  ;  publièrent  ,   soient  remplies  de  tant 

puis  les  voitures  d'argent  oui  le  sui-  de  fables.    Camden  se  moque  juste- 

i  aient  de  près  achevèrent  (le  les  com-  ment  de  ce  qu'ils  ont  dit  que  la  reine 

hier Il  couronna  cette  fête  par  la  montra  au  maréchal  de  Biron  la  tète 

magnificence   d'un    somptueux    ban-  du  comte  d'Essex.  Cette  tête  avait  été 

quet,  où  il  fit  merveilles  de  prêcher  les  enterrée  avec  le  corps.  Quod  quidam 

grandeurs  du  roi.  et  les  forces  de  la  gallui    scriptores  prodiderunt ,    eam 

France.  Ce  ne  fut  pas  la  le  moindre  cranium   Easexii  inter  p'ura  damna- 

de  ses  services  (ia).  torum  ,    in    intima  larario,   vel   (ut 

(C)    On    a   mêlé   quelques   fables  alii  scribunt  )  polo  affitum  ,  Bironio 

dans   la  relation  de  ce  que  la  reine  et  Gallis  ostentdsse  ,  ridicule  vanum 


ai  Mludemm  unà  cum  corpore  con- 
sepmtiim  (tB).  Il  remarque  que  cette 
reine  était  alors  dans  une  maison  de 
campagne  qu'il  nomme  Basingum. 
M.  de  Bassompierre   (19),   qui  avait 


Elisabeth///  en  cette  rencontre."]  Une 
infinité  d historiens  disent  qu'elle  af- 
fecta de  lui  faire  voir  la  tète  du 
comte  d'Essex ,  afin  d'avoir  occasion 

de   lui  apprendre  les  motifs  qui  l'a* 

%  nient  portée  à  châtier  si  sévèrement  accompagné  le  maréchal  de  Biron  ,  la 
la  rébellion  de  cet  ingrat.  On  ajoute  nomme  Basing.  Corrigez  donc  Sci- 
qu'ellc  lui  dit  que  le  roi  de  France  pion  Dupleix  qui  la  nomme  Joignes. 
ferait  fort  bien  de  punir  ainsi  les  II  a  fait  bien  d'autres  fautes  que 
traîtres  (i3).  Les  uns  disent  que  ce  M.  de  Bassompierre  ne  lui  pardonne 
fut  des  fenêtres  de  son  palais  qu'elle  pas.  En  voici  une  :  La  reine  fit  un 
lui  montra  la  tête  de  ce  rebelle  ;  les  festin  royal  a  nos  Français  ,  joua  de 
autres  que  ce  fut   en  passant  sur  le    l'épinette  en  leur  présence,  et  maria 


pont  de  Londres.  Rien  de  tout  cela 
ne  peut  être  vrai ,  puisque  la  reine 
passa  à  Vignes  tout  le  temps  que  le 
maréchal  de  Biron  fut  en  Angleterre. 
Dupleix  (i4)  a  réfuté,  par  cette  re- 
marque ,  ce  que  tant  d'autres  histo- 
riens avaient  débité.  M.  Leti  les  réfute 
par  la  même  observation  (i5).  Il  se 
trompe  quand  il  dit  que  Henri  IV 
n'envoya  Biron  à  Londres  qu'après 
son  retour  à  Paris  (16).  Ce  fut  de  Ca- 
lais qu'il  l'envoya. 

Je  ne  prétends  pas  nier  que  cette 
reine  n'ait  tenu  ces  discours-là  sur  le 
►•sujet,  du  comte  d'Essex;  mais  au  lieu 
de  dire  qu'elle  les  tint  en  montrant 
au  duc  de  Biron  la  tête  du  comte  ; 
il  fallait  dire  ,  comme  a  fait  le 
Grain  (17)  ,  qu'elle  lui  parla  ainsi 
dans  son  cabinet.  ,  en  lui  montrant 
le  portrait  de  ce  seigneur.  C'est  une 
honte  que  les  relations  des  Français, 

(12)  Mêlerai  ,  Abrégé  chroiiol.  ,  loin.  VI, 
pag.  î57,  à  Vann.  itioi. 

(i3)  Pierre  Matthieu,  Cayet  ,  elc.  Méîerai, 
Abrégé  chronnl. ,  loin.  /'/,  pag.  ?.4|t.  dilqu'elle 
lui  montra  peut-être  à  dessein  la  tête  du  comte 
d'Esse*.  M.  de  Tbou  ,  liv.  CXXVI ,  pag.  943, 
dit  qu'elle  lui  Uni  ce  discours  comme  ils  regar- 
daient les  tries  fichée  t  sur  la  tour  de  Londres. 

(■4)  Histoire  de.Henri  IV  ,  pag.  3oo. 

(i5     Histoire  d'Elisabeth  ,  font;  //,  pag.  4g5. 

(  16)  La  même  ,  pag.  485. 

(17I  Le  Grain  ,  Décade  de  Henri-le-Grand  , 
pag.  m.  782. 


sa  voix  avec  l'instrument.  La  réfuta- 
tion de  cela  contient  ces  termes  (20)  : 
«  Elle  ne  fit  aucun  festin  royal  aux 
»  Français,  hormis  qu'elle  défraya 
»  M.  de  Biron  et  sa  troupe  tant  qu'il 
»  fut  à  Laning  (21)  ■  et  un  jour  que 
»  M.  de  Biron  était  à  Basing  ,  le  mi- 
»  lord  Corbain  le  fit  entrer  avec  qua- 
»  tre  ou  cinq  de  nous,  par  une  porte 
»  dérobée  dans  sa  chambre,  pour  la 
«  surprendre  lorsqu'elle  chantait.  » 
(D)  Il  eut   la  tête   tranchée  pour 

une conspiration   tramée    cuntre 

fêtât  avec  le  duc  de  Savoie.  ]  Ce  n'é- 
taient pas  de  ces  petites  conspirations 
qui  ne  tendent  qu'à  occuper  un  mo- 
narque, afin  qu'il  n'ait  pas  les  mains 
libres  pour  troubler  le  repos  de  ses 
voisins.  On  prétend  que  le  duc  de  Sa- 
voie et  Biron  étaient  convenus  de  dé- 
membrer le  royaume,  y  faire  autant 
de  souverainetés  que  de  provinces  ,  et 
mettre  tous  ces  petits  princes  sous  la 
protection  d' Espagne.  Le  duc  de  Sa- 
voie eût  pris  pour  sa  part  ,  s'il  eut  vu, 
le  Lyonnais ,  le  Dauphiné  et  la  Pro- 
vence ;  et  Biron  la  duché  de  Bourgo- 

(18)  Camden,    Hist.    Elisabeth.,  pari.  IV , 
pag.  rn.  820.  ad  ann.  1601. 

(19)  Bassompierre,  Observations  su/  Dupleix, 
pag' Sa. 

20)  Là  même  ,   pag.  83. 
(21)  Maison  proche  de  Basing.  On  la  nomme 
Latting  dans  la  page  précédente. 


132 


GONTAUT. 


gne,  a  laquelle  les  Espagnols  eussent 
joint  la  Franche- Comté  ,  pour  îlot 
d'une  fille  de  leur  roi ,  ou  d'une  fille 
de  Savoie  ,  qu'Us  promettaient  de  lui 
donner  en  mariage  (22).  Cela  me 
donne  occasion  de  marquer  une 
grande  diflerence  entre  les  passions 
des  souverains  et  celles  des  particu- 
liers. Il  n'y  a  point  de  gentilhomme 
qui  ne  prît  pour  le  fondement  d'une 
très-grosse  querelle,  si  quelqu'un  de 
ses  voisins  lui  débauchait  ses  valets  , 
et  les  engageait  à  un  coup  de  trahison 
contre  leur  maître.  Les  cartels  de  défi 
suivraient  bientôt,  ou  du  moins  on 
chercherait  bientôt  l'occasion  de  vi- 
der ce  différent  l'épée  à  la  main. 
Pour  ce  qui  est  des  princes,  ils  se 
contentent  de  punir  les  traîtres,  et 
ils  continuent  de  vivre  comme  aupa- 
ravant avec  le  séducteur.  Henri  IV 
avala  tout  doucement  cette  hostilité 
du  duc  de  Savoie.  Il  n'en  sortit  au- 
cune rupture,  ni  aucune  interrup- 
tion de  la  bonne  intelligence  quant  YOrlando  furioso  : 
aux  dehors.  Voyez  ci-dessous  (23)  un  . ,,  ,        , 

dui  ucuu'  J    "  .  1*1  Beslemnuando  fuggilalma  sdegnosa, 

passage    de  brantome  ,    touchant    les  Che  fu  si  altéra   al   mondo,e  slorgoglio- 

querelles  des  grands  (a4).  sa  (26). 

(E)Il  donna  sur l'echajiaud  mille  mar-  Qum^  [\   eut   su    qu'il    n'y  avait 

ques  d'emportement.  ]  Tous  les  nisto-  -t  de        don  à  eSpérer  ,   il  s'em- 

riens  du  temps  sont  remplis  de  ce  qu  il  a  d,une  manière  si  vi0lente  con- 

fitetdece  qu'il  ditpendantson  procès,  *re  ]a           onne    de   Henri   IV ,    que 

jusqu'au  moment  de  1  exécution.  Je  ne  rhistoire  n*a  pas  osé  si 


»  mesmes  de  son  mouchouer,  puis  se 
»  débanda  et  se  releva,  jurant  et 
»  blasphémant  que  l'on  ne  le  mist 
»  pas  en  furie  :  et  qu'il  gasteroit  la 
»  moitié  de  tous  tant  qu'ils  estoient- 
»  là  ;  priant  des  soldats  mousquctai- 
»  res  arrengez  dans  la  cour  de  le 
3>  tirer,  en  ces  mots  :  y  a  il  point 
»  quelque  bon  compagnon  qui  veuille 
»  tirer  le  maréchal  de  Biron,  que  ces 
»  coquins  ne  le  facent  pas  mourir  ? 
»  Se  pleignant  du  chancelier  à  Iny 
»  mesmes  delà  rigueur  de  ce  juge- 
»  ment.  Enfin  vous  pouvez  croire 
»  que  sa  mort  estoit  très-nécessaire  à 
33  la  France.  Je  vous  puis  encores  as- 
»  seurer  qu'il  est  mort  comme  celuy 
»  dont  l'Italien  dit  : 

»  Biaslemmiando  se  ne  fuge  l'aima  con  gran 

cordoglio , 
»   Cotne  nel  mondo  fisse  piena  d'ira  et  d'or- 

goglio  ... 

Ces  deux  vers  ressemblent  beaucoup 
à  ceux  qui  se   trouvent  à  la  fin  de 


rapporterai  que  ce  que  je  trouve  dans 
une  lettre  du  sieur  Gillot  à  Scali- 
ger  (a5).  «  Vous  aurez  entendu  de  la 
j)  mort  du  mareschal ,  auquel  le  roy 
»  remit  la  rigueur  de  l'exécution  en 
w  Grève ,  pour  la  convertir  dans  la 
3)  cour  de  la  Bastille  :  lequel  ne  vou- 
«  lut  onc  rien  confesser  pour  les 
x  complices .  ne  dire  autre  chose  que 
m  ce  qui  estoit  en  son  procès.  Mourut 
m  fort  mal  affectionné  vers  son  roy 
»>  et  sa  patrie.  Et  le  tesmoigna  ainsi  : 
33  Priant,  dit-il ,  Dieu  qu'il  eust  pitié 
3>  de  son  ame  et  de  celle  du  roy. 
3)  Puis  dist  :  Boute  ,  boute  ,  viste  :  ne 
s;  voulut  jamais  souffrir  que  l'on  le 
3>  liast  :  jurant  qu'avec  les  dents  il 
3)  cstrangleroit  l'exécuteur,  qui  n'ap- 
■»  procha  point  de  luy ,  se  banda  lny  - 

(22)  Mézerai ,  Abrégé  chronologique ,  tom. 
VI,  pag.  2Ï7. 

(23;  Dans  la  remarque  (1)  de  l'article  Poi- 
tiers ,  torp.  XII. 

(24)  Il  est  tiré  de  la  page  3ag  du  II'.  tome 
des  Dames  galantes. 

(25)  EpîU'ÉS  françaises  à  Sc.iligcr,  pag.  j/|8. 


pas  osé  se  charger  d'un 
tel  dépôt.  «  Le  duc  de  Biron....  ayant 
3>  abandonné  toutes  les  puissances  de 
33  son  ;ime  à  la  douleur  et  à  la  pas- 
3>  sion  ,  prend  l'advantage  de  parler 
3>  le  premier ,  et  de  dire  tout  ce 
3>  qu'une  langue  maistrisée  par  la 
3)  douleur  peut  proférer,  reprochant  i 
3)  au  chancelier  qu'il  n'avoit  eu  au- 
3)  tant  d'affection  à  le  sauver  comme 
3>  à  le  condamner.  Il  adjousta  en  cest 
3>  endroit  des  paroles  dont  la  me- 
33  moire  est  défendue  ,  et  punissable 
»  le  rapport.  Mais  les  princes  ne  se 
3)  soucient  des  traits  qui  estant  lan- 
3)  cez  par  leurs  sujets  contre  leur 
»  majesté  retombent  tousjours  en  la 
3>  poictrine  d'où  ils  sont  sortis  (27).  » 
(F)  Quoiqu'il  n'eut  point  de  reli- 
gion  ]    J'alléguerai    là -dessus    ce 

(2I))  Conférezavcc  ceci  ers  paroles  île  Virgile  : 
....      IIU  solvuhlur  frigore  membra 
Vitar/ue  cum  geinitufugit  indignata  sub  tim- 
bras. 
.fëneiil.  ,  lib.  ultimo  ,  M.  f)5i. 
(27)  Matthieu,  Histoire  de  la  Paix,  liv.    V , 
pag.  34« 


GONTAUT. 


i33 


passage  de  Victor  Cayet  (28)  :  «  Il 
»  s'est  mocqué  plusieurs  fois  de  toute 
»  religion  :  mesmes  son  confident  le 
»  baron  de  Lux  ,  luy  disant,  qu'un 
»  capucin  remonstrant  à  son  oncle 
»  l'archevêque  de  Lyon  à  l'article  de 
»  sa  mort,  luy  avoit  dit  :  Quand 
J)  Dieu  void  qu'il  n'y  a  point  d'amen- 
)>  dément  au  mcscliant. ,  et  qu'il  re- 
w  jette  sa  grâce,  il  luy  donne  des 
»  prosperitez",  toutes  choses  luy  arri- 
»  vent  à  souhait,  il  le  saoule  des 
»  contentions  (29)  du  monde.  Le  raa- 
»  reschal  luy  lit  response  :  Je  vou- 
"  drois  bien  estre  abandonne  comme 


porte  que  le  maréchal  de  Bfron  se 
moqua  des  dispositions  chrétiennes 
avec  quoi  le  comte  d'Essex  alla  à  la 
moii  ,  comme  si  de  telles  résigna- 
tions n'eussent  été  dignes  cpie  d'un 
pre'dicant  ;  et  non  pas  d'un  homme 
de  guerre  (3i). 

(G)   //  ne  laissa  pas  défaire  le 

superstitieux  (*),  afin  de  ressusciter  la 
ligue.  ]  Mezerai  remarque  (3a)  qu'a- 
près  la  perte  de  Dourlens  et  de  Cam- 
brai ,  la  noblesse  et  les  gens  de  guerre 
avaient  jeté  les  yeux  sur  lui  seul  , 
connue  sur  le  libérateur  de  l'état.  Au 
retour  du  siège  d" Amiens ,  il  s' riait 


»  cela.  11  se  raconte  une  infinité  enivré  de  l'amour  du  peuple  île  Pa- 
»  d'autres  traicts,  de  son  peu  de  re-  ris  ;  et  quand  il  alla  en  Flandre 
»  ligion,  tels  que  cestuv-cy  :  mais  ce  faire  jurer  la  paix  îi  l'archiduc,  les 
»  n'est  de  nostre  intention  d'en  ta-  Espagnols ,  connaissant  sa  vanité  et 
»  cher  sa  mémoire.  »  Cet  historien  sa  mauvaise  disposition  ,  luj^dnnnc- 
avaif.  dit  dans  la  page  précédente,  une  rent  de  si  hauts  éloges,  rfti'ils  lui 
chose  d'autant  plus  digne  d'être  rap-  remplirent  la  télé  de  vent  ,  et  le  cœur 
portée  ici,  qu'elle  nous  apprend  que  de  fort  mauvais  senlimens.  Dès  lors , 
Biron  fut  élevé  à  la  religion  réformée,  et  même  dès  auparavant,  il  recher- 
Voici  les  paroles  de  Victor  Cayet:  chait  la  faveur  des  peuples ,  affectait 
«  Onl'aveusouventcsfoisse  mocquer  pour  la  religion  catholique  un  zèle 
»  de  la  messe  ,  et  se  rire  de  ceux  de    qui  allait  jusqu'au  chapelet  et  aux 


»  la  religion  prétendue  reformée  , 
»  avec  lesquels  il  avoit  esté  nourry 
»  dès  ses  jeunes  ans  :  car  en  son  en- 
»  fance  ,  et  ce  à  l'aage  de  huict  ans  , 
»  madame  de   Brisambourg  (3o) 


confréries  ,  comme  s'il  eût  voulu  re- 
lever la  ligue  que  son  épée  avait 
abattue.  Il  n'avait  pas  oublié  jusqu'où, 
l'entêtement  de  la  ville  de  Paris  pour 
le  duc  de  Guise  avait  poussé  et  sou- 


»  tante  paternelle  ,   qui  estoit  de  la  tenu  l'ambition  de  ce  seigneur;  et  il 

»  religion  prétendue    reformée  ,    le  savait   bien  que  la   principale  cause 

ti  prit  en   telle    affection  pour    une  de  ce  grand  entêtement  était   que  le 

»  gaillardise  et   naifveté  qu'il  avoit  duc  de  Guise  travaillait  à  l'extinction 

»  en  luy,    qu'elle  le  demanda   à   sa  des   réformés.   Il   crut  donc    qu'afin 

)>  mère,   sa   belle-sœur,    ce    qu'elle  que   les  Parisiens   ne  jurassent  que 

»  luy  accorda  (car  elles  estoient ton-  par  lui  ,    il   fallait   fortifier    par  les 

■»  tes   deux  de  ladite  religion  ).    La  grimaces  de  la  bigoterie  les  impres- 

»  mère  donc  le  luy  bailla  volontiers  sions   que  sa  valeur  avait  faites  sur 

»  poux  le  faire  nourrir  et  Êslever  en  l'esprit   de    ce    grand    peuple.  C'est 

»  ceste  religion  ,  ce  qui  fut  faict  ,  et  dans  celte  vue  qu'il  affecta  de  haïr  les 

»  deslors  sa  tante  de  Brisambourg  le  huguenots.  Voici  la  suite  de  ce  que 


»  déclara  son  unique  héritier.  Or 
»  avoit-elle  de  grands  biens ,  à  cause 
»  des  trois  marys  qu'elle  avoit  espou- 
»  sez ,  et  desquels  elle  n'avoit  eu  au- 


j'ai  cité  de  la  lettre  du  sieur  Gil- 
lot  (33)  :  Je  vous  dirai  que  c'était 
pure  ligue  et  pur  catholicon.  //  y 
avait  promis   et  juré  de  ne  voir  , 


»  cuns  enfans,  mais  bien  en  avoit  eu  parler,  ni  hanter,  ni  admettre  aucun 
»  de  grands  douaires  et  de  grandes  huguenot,  et  pour  tenir  son  serment 
»  donations ,    lesquelles    luy  furent 


»  toutes  adjugées  à  son  profit  ,  et  en 
»  pleine  disposition.  »  Camden  rap- 

(28)  Chronologie  septénaire,  folio  3ip. 

(29)  Ou  plutôt  contentemens  ,  comme  il  y  a 
data  Pierre  Matlhieu  ,  qui  rapporte  le  même 
fuit  dans  le  IIe.  livre  ,  pag .  7/1.  9.-1. 

(30)  Brisambourg  est  proche  de  Saint-Jean' 
d'Angeljr. 


(3i)  Licel  hanc  pielalem.  ut  minhéello  qu'an 
viro  bellicoso  digniorem  Bironus  et  alii  prophani 
subsannrtrent.  Camdenus  ,  in  Annal.,  part.  IV ', 
pag.   8o5. 

(*)  Le  facétieux  récit  touchant  Ht.  saint  Bi- 
ron. I.  2.  cliap.  8  de  la  Confession  de  Sancy  ,  au- 
rait bien  ici  trouvé  sa  place.  Rem.  crit. 

(32)  Abrégé  chronologique,  loin.  VI ,  pag. 
209,  à  l'ann.  i5gç). 

(33)  Épître*  françaises  à  Scaliger  ,  pag.  249- 


f< 


,3',  GONTAUT. 

ne  voulut  point  voir  sa  mère  lorsqu'il    d'Homère    ne   voulait   pas   qu'aucun 
fut  au  pays  ,  chassa  tous   les  vieux    autre  Grec  tirât  sur  Hector  ,   il  vou- 
ojfficiers  de  son  feu  père  et  les  siens  ,    lait  avoir  en  propre  toute  la  gloire 
sacramento    îllo    obligatus     vers    le    de  l'avoir  tué  : 
comte  île  Fuentès. 

(H)  A  peine  pouvait-il  souffrir  que 
l'on  fît  part  de  la  gloire  des  bons  suc- 
cès a  Henri  le-Grand ,  et  il  menaçait 
les  historiens  qui  ne  s' accommodaient 
as  h  sa  vanité.  |  Il  y  avait  de  la  ja- 
ousie  entre  ce  monarque  et  le  maré- 
chal de  Biron.  Le  roi  ne  convenait 
pas  toujours  de  la  gloire  que  le  ma- 
réchal s'attribuait ,  et  en  disait  fort 
librement  sa  pensée  au  duc  de  Sa- 
voie (34) ,  qui,  par  une  finesse  très-  L'autorité  d'Homère  n'empêcha  point 
maligne,  le  mettait  sur  ces  discours,  que  l'antiquité  ne  juge.1t  que  ce  ca- 
afin  de  pouvoir  rapporter  des  choses  ractére  d'Achille  n'était  point  bon. 
qui  outrassent  le  maréchal  (35).  Ce-  Voici  ce  que  Plutarque  nous  ap- 
îui-ci, apprenant  ces  choses  ,  se  lais-  prend  (40  :  A  bon  droit  reprend-on 
soit  11  lier  mit  pires  puretés  que  sa  mesme  .lchdles,  et  dit-on  qu  il  ne  fit 
eho' 'ère  pouvoit  former  contre  le  res-    point  en  homme  sage  ,  ains  en  jeune 

pect  et  le  service  du  roy ilfaisoit  fol  estourdy ,  et  transporté  par  con- 

des  reparties  fort  brusques  et  légères,  voilise  d'honneur ,  en  ce  qu'il  faisoit 
car  il  estait  fort  sensible  aux  coups  signe  aux  autres  Grecs  au  fort  de  la 
lancez  contre  la  réputation  de  sa  va-  bataille,  et  ' leur  defendoit  de  tirer 
leur ,  au  prix  de  laquelle  il  11  estimoit  coup  a  Hector,  ainsi  que  dit  Ho- 
rien  ;  et  quand  il  entroit  en  l'histoire  mère  : 
de  sa  vie  ,    il   adjoustoit  de   mauvais       ^  .  ,  .         1  .,  ■  .  „„, 

Que  eest  honneur  autre  ne  luy  levast, 


XIV ç  , 

Ot/ef    t'ict  'tp.tva.i  \tti  "ExTOfi  -nrix-pa.  0  - 

XifAVCt. 
MhTIÇ     Xvi'tjç    «tpOITO   /Î&KWV  ,    0   &t    $IV 

Têpoç  ê'xSol. 
Populis  aulem  innuebal  capile  nobilis  Âchilles, 
Neque    sinebal  miUere    in   Hectorem  acerba 

tela  , 
Ne  quis  gloriam  auferrel  jaculatus,  ipse  vero 
poslerior  veniret  (4o). 


contes  de  tout  le  monde  ,  et  n  esp ar- 
guait pas  mesmes  le  roy  (36).  Auquel 
il  disait  quelquefois  (3j)  ,  qu'il  ne 
voulait  point  qu'on  disl  en  l'histoire 
de  France  qu'autre  que  luy  eust 
faict  telle  et  telle  chose  (38ï.  Ayant  vu 
un  discours  de  Pierre  Matthieu  sur 
les  causes  et  sur  les  effets  des  lan- 
gues guerres  entre  la  maison  de 
France  et  d' Auslriche  ;  et  croyant 
qu'on  n'y  parlait  pas  de  lui  ni  si  sou- 
vent, ni  si  hautement  qu'il  vouloit  , 
il  s'en  plaignit  au  chancelier  de  Bel- 
lievre ,  et  découvrit  plus  ouvertement 
sa  cholere  à  de  Vie,  ambassadeur  en 
Suisse  ,  adjoustant  aux  mauvaises 
paroles  des  cruelles  menaces  contre 
Fauteur  (39). 

Notez  qu'il  y  avait  dans  son  carac- 
tère une  manière  d'ambition  toute 
semblable  à  celle  d'Achille.  Ce  héros 

(34)  Pendant  le  séjour  que  ce  duc  fil  à  la 
cour  de  France  ,  l'an  1600. 

(35)  Pierre  Matthieu  ,  Histoire  de  la  Paix,  lie 
lTl,pag.  m.  449. 

(3G)  Là  même. 

(il)  La  même,  pag.  t,fr. 

(38)  Ces  paroles  furent  ditet  et  entendues  au 
siège  d' Juliens.  Matthieu,  Histoire  «le  la  Paix  , 
liv.   III ,  pag.  45î. 

(39)  La  même,  fcV.  IV ',  pag.  388. 


lit  que  trop  tard  puis  il  n'y  arrivas!. 

(I)  J'ai  de  la  peine  a  croire  ce  que 
l'on  débite  louchant  son  érudition.] 
Balzac  nous  apprend  une  chose  très- 
curieuse  (42);  la  voici.  «J'ajoute 
»  hors  d'œuvre  aux  deux  Français 
■»  que  j'ai  allégués  (43) ,  un  troisiè- 
»  me  que  j'avais  oublié,  et  dont  vous 
»  ne  vous  douteriez  jamais  :  t'est  le 
»  maréchal  de  Biron,  dernier  mort; 
»  cet  homme  qui  ne  respirait  que 
»  feu  et  que  sang,  et  de  qui  Tor- 
»  quato  Tasso  a  dit ,  en  la  personne 
»  d'Argante  : 

»*   Impatiente  ,  inesorahil ,  fîero  , 

»  Ne  Vanne  infaticabdeed  invitlo,  etc. 

»  Un  de  nos  amis,  qui  le  connaissait, 
>;  a  écrit  de  lui  ce  qui  s'ensuit  :  Le 
»  roi  envoya  le  maréchal  de  Biron  à 
»  la  reine   Elisabeth ,  l'appelant   par 

(4o)  Homer. ,  Hiad. ,  lit.  XXII,  vs.  to5,pag. 
m.  63p. 

(4i)  Plut.,  in  Pompeio,  pag.  634,  version 
«i'Amyot. 

(4?)  Balzac,  entretien  IV,  vers  la  fin,  pag. 
m.  7»,  -;3. 

(43)  Il  avait  parle',  pag.  71 ,  de  M.  de  Gi- 
vry  et  de  M.  d'Urfe',  qui  ont  M  éloquent  et  sa- 
unas ,   et  ont  su  écrire  en  prose  et  en  sers. 


GONTAUT. 


i3! 


»  ses  lettres  d'envoi ,  le  plus  tran-  se  trowa  nullement  enclin  aux  l,<i- 
»  chant  instrument  de  ses  victoires,  très  ,  mais  toujours  aux  armes  ;  ce 
»  Le  maréchal  s'acquitta  dignement  qui  fut  cause  que  son  père  ,  le  nia- 
it de  sa  charge  ,  n'étant  point  de'-  récital  de  Biron  ,  homme  martial  et 
»  pourvu  des  dons  de  l'esprit ,  non  qui  était  catholique  ,  le  retira  d'avec 
»  plus  que  de  ceux  du  courage.  Il  a  sa  tante  ,  et  le  mena  un  temps  avec 
»  été  dit  ailleurs  que,  pour  s'accom-  lui  par  les  provinces  de  Saintonge , 
»  moder  à  la  bêtise  du  siècle,  il  vou-  Aunis  et  ytngoumois  ,  et  le  fit  in- 

»  lait  se  faire  estimer  brutal.  Mais  il    struire  en  la  religion  catholique 

»  est  certain   qu'avec    le   naturel   il  Charles    de    Biron   donc  ,     jusqu'à 

»  avait  l'acquis.  Comme  il  parut   un  l'"ge  de  seize  ans,  en  son  adolescen- 

»  jour  à  Fresne ,  où  le  roi  se  prome-  ce  ,  étant  incapable  aux  lettres  ,   se 

»  nant  dans  une  galerie  ,  et  ayant  de-  rendit  si  capable  aux  armes  qu'il  m: 

u  mandé  à  quelques  maîtres  des  re-  trouvait    rien    impossible  ;   son   pire 

»  quêtes,  l'interprétation    d'un   vers  aussi  y  prenait  plaisir  ;    et  c'est  une 

»  grec  gravé  sur  une  pierre  de  mar-  chose  merveilleuse  qu'on  a  observée 

»  hre  ,  le  maréchal  à  leur  défaut  la  en  fui ,  qu'ayant  été  nourri  aui  his- 

»  jeta  par-dessus   l'épaule ,    et    puis  toires   dans    Brisam bourg  ,    sous    un 

»  passa  la  porte,  étant  honteux  d'en  nommé  Afanduca,  docte  personnage 

»  avoir  plus  su   que  les  maîtres  des  et    Maltais   de  nation   (  comb.'en  que 

»  requêtes  de  ce  temps-là.  »  Je  suis  lors  il  n'y  profitait  nullement),  néan- 

presque  persuadé  qu'on  a  pris  le  fils  moins  du  depuis  il  en  a  rapporté  des 

pour  le  père  ;  car  comme  le  père  ai-  exemples,  et  récité  toutes  sortes  d'his- 

mait  la  lecture  et  les  entretiens  sa-  toires  avec  une  façon  admirable,  corn- 

vans  ,  et  qu'il  mettait  sur  ses  tablettes  bien  que  de  son  naturel  il  ne  fût  point 

tout  ce  qu'il  entendait  dire  de  remar-  parleur  [!\-)). 

quable ,  ce  fut  apparemment  lui  qui  (L)  Henri  IV  le  voulut  faire  son 
trouva  dans  ses  tablettes  l'explica-  gendre.  ]  J'ai  lu  cela  dans  les  Addi- 
tion du  vers  grec,  et  qui  la  fournit,  tions  aux  Mémoires  de  Castelnau  ,  et 
Je  n'ai  garde  néanmoins  de  rien  dé-  je  ne  pense  pas  que  mes  lecteurs 
cider  :    on  verra  dans    la  remarque  soient  f;îchés  d'en  trouver  ici  un  bon 


suivante  un  fait  qui  cause  mon  in- 
certitude. M.  dePéréfixe  (^\)  déclare 
que  Biron  le  fils  était  fort,  ignorant; 
imiis  extrêmement  curieux  des  pré- 
dictions des  astrologues  ,  devins  , 
géomanciens  et    autres    affronteurs 


morceau  tout  plein  de  choses  cu- 
rieuses (48).  «  Si  le  duc  de  Biron  ne 
»  conspira  contre  sa  personne  (4g)  , 
»  on  ne  peut  nier  qu'il  n'eût  con- 
>'  juré  contre  son  état  ,  et  qu'il  ne 
»  fût  d'intelligence   pour  le  mettre 


Au  reste,  M.  de  Balzac  n'agit  point  »  en  pièces,  et  l'abandonner  en  proie 

ici  avec  assez  de   rondeur;  il  se  sert  s  au   roi  d'Espagne  et  au  duc  de  Sa- 

un   peu  des  ruses   des   auteurs   glo-  »  voie  ,  son  prétendu  beau-père.  Le 

lieux;   il    n'ose   nommer  celui  qu'il  »  roi    fut  d'autant   plus   irrité  de  sa 

cite  ;  il  espère   que   ce    silence    fera  »  défection  ,  qu'il  l'aimait  jusqu'au 

soupçonner  aux  lecteurs  qu'il  a  puisé  »  point   d'avoir  jeté  les  yeux  sur  lui 


dans  une  source  inconnue  au  reste 
du  monde  ;  et  cependant  ce  qu'il  rap- 
porte est  tiré  d'un  livre  commun;  je 
veux  dire  de  l'Histoire  de  d'Aubi- 
gné  (45).  J'ai  fait  ailleurs  (46)  une 
pareille  remarque. 

(K)   Ce    que  l'on    conte   de  sa   ré- 


»  pour  le  faire  son  gendre  ,  et  pour 
»  lui  faire  épouser  Cathcrinc-Hen- 
»  riette  ,  sa  fille  ,  depuis  duchesse 
»  d'Elbœuf ,  afin  de  mieux  assurer 
»  sa  couronne  au  duc  de  Vendôme  , 
»  qu'il  prétendait  rendre  légitime 
»  par  son  mariage  avec  la  duchesse 


miniscence  mérite  d'être    rapporté.  ]    "  de  Beaufort.  Il   découvrit  ce  d 

T    cil     1 1 1 1      r*l_rl  facile       *-r»i*,il      fnf     Â\  n-mr    ™  ..  Il      C*"»in     n     KAnt  iinonldiu        ,,,,,*     A**    -i/m 


J'ai  dit  ci-dessus   qu'il  fut  élevé  au 
près  de  sa  tante  paternelle ,  la  dame 
de  Brisambourg.  J'ajoute  ici  qu'i7  ne 

(44)  Histoire  de  Henri-le-Grand  ,  pai>.  m.  3"4- 

(45)  Aulome  III,  liv.  V,chap.  XII,  vae. 
G68 ,  669. 

(46)  Dans  la  remarque   (C.)    de  l'article  Ck- 
vitciMTE,  à  la  fin,  tom.  IV,  pag.  6o3. 


»>  sein  à  Fontainebleau,  peu  de  jours 
»  après  la  mort  de  cette  dame  ,  sa 
»  maîtresse,  au  sieur  du    Vair  ,  lors 

(47)  Cayet,  Chronologie  septénaire,  fol.  iiç). 

(48)  Le  Laboureur,  Additions  aux  Mémoires 
de  Castelnau,    loin.  Il,  pag.  «3a. 

(4p.)    C'est-à-dire ,    contre    la    personne    île 
Henri  IV. 


i36 


GONTAUT. 


conseiller  d'état ,  dans  une  con- 
férence particulière  ,  après  lui  a- 
voir  conlie  ses  regrets  ;  et  l'ayant 
oblige'  de  ne  lui  point  celer  ce 
qu'il  en  pensait  :  Si  votre  majesté, 
sire  ,  lui  dit-il  ,  était  un  duc  de 
Toscane,  de  Manloue  ou  d' Urbin 
(  c'est  que  l'Italie  est  toute  pleine 
d'exemples  de  cruauté'  ,  particu- 
lièrement dans  l'e'tablissement  des 
souverainetés ,  qui  ont  e'té  presque 
toutes  tyranniques dans  leurs  com- 
mencemens),7'e  croirais  qu  en  fai- 
sant exterminer  ses  parens  et  amis 
d'iceux  ,  elle  pourrait  avoir  établi 
des  enj'ans  non  légitimes  ;  mais 
étant  un  roi  de  France  si  débon- 
naire et  soigneux  de  vivre  comme 
ses  prédécesseurs  ,  elle  eût  couru 
grande  fortune  de  perdre  tout-a- 
fait  l'état  et  peut-être  la  vie.  Vous 
vous  trompez  ,  lui  répondit  le  roi, 
en  France  on  s'accoutume  à  tout. 
Le  roi  ayant  perdu  le  moyen  de 
faire  régner  le  duc  de  Vendôme  , 
songea  à  le  rendre  le  plus  grand 
du  royaume  ,  et  continuait  son 
dessein  de  lui  donner  le  duc  de 
Biron  pour  beau-frère  ;  mais  soit 
qu'il  n'y  trouvât  pas  le  même  a- 
vantagc  ,  ou  qu'il  fût  fâché  de 
se  voir  engagé  par  autorité  à  un 
parti  qui  ne  pouvait  comme  au- 
paravant satisfaire  son  ambition  , 
il  se  laissa  follement  flatter  de 
l'espérance  de  pouvoir  épouser  la 
fille  du  duc  de  Savoie  ,  descen- 
due par  ses  père  et  mère  du  roi 
François    1er.    et     de    l'empereur 

Charles  V Le  même   sieur  du 

Vair  ,  retournant  de  la  cour  en 
Provence ,  par  Dijon  ,  eut  un  long 
entretien  avec  le  secrétaire  du  duc 
de  Biron  :  et  comme  il  lui  eut  té- 
moigné quelque  étonnement  qu'un 
seigneur  de  son  âge  ,  si  grand  et 
si  établi  ,  ne  se  mariât  point  ,  il 
lui  donna  quelque  lumière  de  ses 
desseins  par  cette  réponse  :  Ces 
grands  se  laissent  mettre  à  la  tète 
de  si  hautes  entreprises  qu'ils  ont 
peine  à  se  connaître.  En  effet ,  ce 
duc  de  Biron  ,  qui  était  d'un  es- 
prit fier  et  hautain,  et  presque  in- 
gouvernable, ne  se  plaisait  qu'aux 
choses  difficiles  et  presque  impos- 
sibles ;  il  enviait  toute  la  gran- 
di -m  d'autrui  ;  et  la  jalousie  qu'il 
portait  au  duc  de  Montmorenci  , 


»  à  cause  de  sa  charge  de  connéta- 
»  ble  ,  s'étendit  jusqu'à  Louise  de 
"  Budos  ,  sa  femme  II  lui  fît  par- 
»  1er  de  mariage ,  son  mari  vivant , 
«  comme  celui  qui  croyait  devoir 
»  être  son  successeur  (5o) ,  et  la  par- 
»  tie  était  faite  entre  eux  ,  si  leur 
w  destinée  y  eût  consenti  ;  mais  tous 
»  deux  moururent  dans  la  fleur  de 
»  leurs  années  et  de  leurs  grands 
»  desseins  ,  et  le  connétable  leur 
»  survécut.  » 

(M)  et  se  vantait  de  lui  avoir 

sauvé  la  vie.  ]  J'ai  lu  cela  dans  une 
Histoire  de  Henri-le- Grand  composée 
par  Q.  Sossi.  Cet  auteur  (5i)  intro- 
duit ce  prince  disant  :  Tout  roi  que 
je  suis  ,  j'ai  sauvé  un  mien  soldat 
de  la  mort  ;  sans  moi  il  eût  été  tué 
devant  mes  yeux  ;  j'ai  vu  ce  vail- 
lant guerrier  tourner  le  dos  à  l'en- 
nemi. Il  est  hors  de  doute  que  ce 
que  le  roi  disait  était  assez  notoire  : 
sur  la  frontière  ,  poursuivant  Far~ 
nèse  qui  faisait  sa  retraite  ,  il  y  eut 
une  rencontre  de  combat  a  cheval  , 
auquel  l'ennemi  ayant  repi-is  ses  for- 
ces attaqua  Biron ,  et  perça  d'un 
coup  de  lance  son  cheval.  Tout  na- 
vré de  coups  d'épées  en  la  rencontre 
de  Fontaine-Française  ,  il  reçut  un 
coup  sur  la  tête  ,  dont  il  eut  les  yeux 
tout  éblouis  du  sang  qui  coulait  de 
sa  plaie.  Le  roi  le  retira  de  ces  deux 
dangers.  Pierre  Matthieu  rapporte 
ceci  avec  plus  de  netteté.  Il  m'a 
bien  servi ,  disait  le  roi  ,  mais  il  ne 
peut  dire  que  je  ne  lui  aye  sau- 
vé la  vie  trois  fois.  Je  le  tirai  des 
mains  de  l'ennemi  à  Fontaine- Fran- 
çaise ,  si  blessé  et  si  estourdy  de 
coups  ,  que  comme  j' avois  fait  le  sol- 
dat pour  le  sauver,  je  fis  encores  le 
mareschal  pour  la  retraicte  ;  car  il 
me  dict  qu'il  n  estait  pas  en  estât  d'y 
penser  ni  de  me  servir  (5a).  Voici 
ce  qu'il  y  a  dans  la  marge  de  cet 
historien  :  «  Au  combat  de  Fontaine- 
»  Françoise  le  roi  dégagea  le  mares- 

(5o)  L'auteur  du  Discours  historique  de  la 
fortune  el  disgrâce  des  favoris,  insère  dans  les 
Additions  aux  Mémoires  de  Castelnau  ,  parle 
ainsi  ,  pag.  1 35  :  Le  roi  ,  pour  récompenser  les 
services  dudit  maréchal ,  le  fit  duc  et  pair  ,  lui 
donna  de  grands  appnintemens,  et  n'attendait 
que  la  mort  du  connétable,  déjà  fort  vieux,  pour 
lui  en  donner  la  charge. 

(5i)  /.i>'.  IV,  pag.  m.  Ifii. 

(5a)  Matthieu,  Histoire  de  la  Paix,  liv.  IF, 
pag.  m.  386. 


»  chai  de  Biron  du  milieu  des  arque- 
»  busades.  Un  des  serviteurs  de  sa 
»  majesté'  lui  dit  qu'il  y  avoit  trop 
»  de  Lazard  à  se  jetter  aveugle'ment 
»  au  milieu  de  ses  ennemis.  Il  est 
»  vray  ,  dit  le  roi  ,  mais  si  je  ne 
»  le  fais  ,  et  que  je  ne  m'advance  , 
»  le  mareschal  de  Biron  s'en  pre'vau- 
»  dra  toute  sa  vie.  » 

(N)  Je  ne  marquerai  que  deux  fau- 
tes de  M.  MorériJ]  Il  dit  que  là  ba- 
ronnie  de  Biron  fut  érigée  en  du- 
ché et  pairie  après  que  le  maréchal 
fut  retourné  de  son  ambassade  d'An- 
gleterre. Cela  est  faux  (53)  :  l'érec- 
tion pre'ce'da  d'environ  trois  ans 
cette  ambassade.  Il  ajoute  que  le 
sieur  de  Biron,  ayant  perdu  la  charge 
d'amiral  ,  et  eu  quelques  petits  su- 
jets de  mécontentement  ,  machina 
contre  l'état.  Cela  aussi  est  faux  :  il 
s'était  démis  volontairement  de  l'a- 
mirauté ,  l'an  i5g4  ,  et  avait  été  lar- 
gement récompensé  de  sa  démission. 

(53)  Celte  faute  e<t  dans  le  père  Anselme, 
Histoire  des  grands  officiers  ,  pag.  211. 

GONZAGUE  (Cécile  dé) 
doit  être  comptée  parmi  les  plus 
vertueuses  et  les  plus  savantes 
filles  qui  aient  vécu  au  XVe.  siè- 
cle. Elle  fut  instruite  aux  belles- 
lettres  par  Victorin  de  Feltri  , 
avec  des  progrès  admirables  ;  car 
c'est  d'elle  ,  si  je  ne  me  trompe , 
qu'il  faut  entendre  ce  que  l'on 
trouve  dans  l'un  des  livres  d'Am- 
broisedeCamaldoli(A).  Sa  mère , 
Paule  Malateste  ,  dame  très-illus- 
tre par  sa  vertu  ,  par  son  savoir 
et  par  sa  bonté,  lui  inspira  le 
mépris  du  monde  (B) ,  et  la  por- 
ta à  vouloir  être  religieuse.  Ce 
désir  fut  ferme ,  et  ne  céda  point 
aux  oppositions.  Cécile  harangua 
son  père ,  qui  ne  voulait  point 
qu'elle  renonçât  au  mariage  ,  et 
lui  montra  par  de  très-bonnes 
raisons  la  justice  de  son  dessein 
(a).   J'ai   marqué  ailleurs  {b)  la 

(a)  Voyez  In  remarque  (B)  ,  citation  (7). 
(_!/)  Dans  l'article  ConkaîiVS,  tom.  F. 


GONZAGUE.  337 

lecture  qu'on  lui  conseilla  lors- 
qu'elle fui  engagée  à  la  vie  reli- 
gieuse. M.  Joly  a  fait  quelques 
fautes  (C). 


(A)   C'est  d'elle qu'il  faut  ew 

tendre  ce  que  l'on  trouve  dans.  ... 
Ambroise  de  Camaldoli.  ]  Lisez  son 
Hodœporicon ,  vous  y  trouverez  (1) 
que  VictorinusFeltrius  enseignait  les 
belles-lettres  à  Mantoue,  avec  beau- 
coup de  réputation,  et  qu'il  instrui- 
sait les  enfans  du  seigneur  du  lieu  : 
c'était  Jean-François  de  Gonzague.  II 
avait  une  fille  d'environ  huit  ans 
qui  savait  déjà  les  déclinaisons  et 
les  conjugaisons  de  la  langue  grec- 
que ,  de  quoi  elle  fit  preuve  en 
présence  du  très -docte  Ambroise  , 
général  des  Camaldoli ,  lorsqu'il  passa 
par  la  ville  de  Mantoue  ,  l'an  i43a. 
Principis  filiam  octo  fermé  annorum 
ita  imbuerat  (  Victorinus  Feltrius  ) 
ut  legeret  jam  et  scriberet ,  greeca- 
que  et  nomina  et  verba  inoffense  de- 
clinaret  non  sine  admiralione  noslrâ. 
Voilà  les  paroles  dont  Ambroise  s'est 
servi  dans  la  relation  de  son  voyage, 
c'est-à-dire  de  la  visite  qu'il  fit  de 
plusieurs  maisons  de  l'ordre  dont  il 
était  général.  Je  m'en  vais  dire  une 
chose  qui  doit  être  rapportée  ,  ce 
me  semble ,  à  un  voyage  postérieur. 
Je  la  copie  de  M.  Joly  (2)  :  Ce  qui 
est  rapporté  d'une  autre  fille  dans 
la  Vie  d' Ambroise  (*')  ,  général  de 
l'ordre  des  Camaldoli ,  est  tout  au- 
trement remarquable.  Ambroise  étant 
envoyé  par  le  pape  Eugène  IF  au 
concile  de  Baie  ,  il  passa  h  un  châ- 
teau appelé  Gorda  ,  dans  le  territoire 
de  Mantoue ,  où  il  trouva  deux  en- 
fans  ,  dont  l'un  était  un  garçon  de 
quatorze  ans  ,  qui  récita  devant  lui 
deux  cents  vers  qu'il  avait  composés  , 
avec  tant  de  grâce  (  *I  )  ,  qu'il  ne 
croyait  pas  que  Virgile  eut  mieux  pro- 
noncé devant  Auguste  son  sixième 
livre  de  V Enéide  :  il  n'est  point  fait 
mention  qui  était  ce  garçon.    Mais 

(1)  A  tapage  34. 

(2)  Joly  ,  Avis  chrétiens  et  moraux  pour  l'in- 
stitution ries  enfans  ,  pas.  347,  ^48- 

(*')  Lib.  3  historiar.  Camaldulens.  cap.  24- 
autore  Augustino  Florenùno  monacho  Camal- 
dulensi,    edit.   Florenlia: ,   i57?,   in-4°. 

(*2)  L'auteur  de  celle  histoire  dit  qu  Ambroise 
avait  rapporté  cela  dans  la  trente-cir,quième  dt 
ses  épttres. 


i38 


GONZAGUE. 


gîtant  à  la  fille  il  y  a  ce  qui  suit  (  ). 
Il  se  présenta  aussi  la  fille  du  prince 
(c'est-h  duc  du  <luc  (3j  de  Mantoue)  , 
ayant  environ  l'âge  de  dix  ans  ,  qui 
écrivait  en  grec  avec  tant  d'élé- 
gance  qu'Ambroise   n'en  eût  pas  dé- 


biioux  ni  en  parures  ,  elle  dépen- 
sait beaucoup  à  bâtir  ou  à  réparer 
des  églises  ,  à  nourrir  les  pauvres  , 
à  marier  de  jeunes  filles,  etc.  Elle 
inspira  le  même  esprit  à  notre  Cé- 
cile, comme  Matthieu  Bossus  va  nous 


iré  davantage  dans  tout  homme  sa-    l'apprendre  (7).  Habuit Mantua  Pau- 
vant. 

Je  crois  sans  peine  qu'il  s'agit  de 
la  même  fille  dans  ces  deux  voyages, 
et  que  cette  fille  est  celle  qui  l'ait  le 
sujet  de  cet  article. 

Notez  que  Victorin  de  Feltri  fut 
un  homme  très-célèbre.  Voici  ce  que 
Léandre  Albert  en  a  dit  dans  sa  Des- 
cription de  l'Italie  (4)  :  Illuslrdrunt 
Feltrium    ingénia   qtiœdam    nobilia  , 

nominatim  J^ictorinus   memorid  nos- 

trorurn  avoruni  linguœ  latinœ  ,  quœ 

tam  dm  perierat ,  reductor  ac  instau- 

ralor. 

(B)  P aule  Malateste...  illustre  par 

sa  vertu lui  inspira  le  mépris  du 

monde.]  Léandre  Albertla  loue  beau- 
coup ,  et  déclare  qu'elle  fut  com- 
blée d'éloges  par  tous  les  auteurs  du 

temps.  Paula  Francisci  primi  Gon- 

zagœ  Mantuani  marchionis  conjux  , 

non  solhm  excellenti  formœ  pulchri- 

tudine   (   yenuslissima  quippe   totius 

Italiœ  habebalur  )  sed  etiam  mu/lis 

virtulibus  ,  lilteris ,  prudéntid  ,  sanc 


lam    Gonzagam   illustre  m  fosminam 
universd  llalid  celeberrimam  ,  quant 
si   dixero  corporis  cultum  contemp- 
sisse  ,     omnem   suam  rem    in  œdiji- 
candis   instaiirandisque  delubris  ,   in 
pauperum   Chrisli  necessitalibus ,   in 
locandis  nuptuiqtte  tradendis  virgini- 
bus  ,  quœ  quidem  maxima  sunt,  ero- 
gdsse  ,  si   nihil   unquam   illam,  omi- 
sisse  ,    quod  ad  l'eram  luimililatem  , 
culmenqiie  virtutis  conducat  ,   si  orn- 
ais denique  ingenioli  mei  vires  in  ejus 
laudibus  expendam  ,  paritm  dixisse 
me  profectô  semper  agnoscam.  Pri- 
mant  Paulam  ,    cujus  modo  mentio- 
nem  fecimus   (8)   imilala  ,  Cucilmm 
virginem  suant  Jiliam  lillerarum  peri- 
tissimam   suo   educalu  ,   sud  que   imi- 
tations ad  tantam  scecularium  orna- 
mentorum,  ut   ita   dixerim,  nauseam 
perduxit  ,   et  ad  religionem  inflam- 
mavit  ,    ut     apud    pairem    primum 
DJantuœ    marchionem    vincere    ejus 
propositnm  cupientem  ,  causam  con- 

Ces 


stantissimè  agere  non  sit  venta 
paroles  sont  tirées  d'un  discours  que 
tilateque  decorata  (5).  Ailleurs,  en  Matthieu  Bossus  ^  adressa  au  car- 
parlant  du  même  François  de  bon-  dinal  Begsarion  ?  pour  l'exhorter  à 
zague  ,   élevé  a  la  qualité   de   mar-    ng  point  permettre  que  ies  femmes 

de  Bologne    reprissent    leurs  orne- 
mens. 

(C)  M.  Joly  a  fait  quelques  fau- 
tes. ]  N'abrégeons  pas  son  discours  ; 
une  infinité  de  gens  apprendront 
avec  plaisir  ce  que  j'en  retranche- 
rais. A  bien  considérer  ces  temps-là, 
dit-il  (10)  ,  on  peut  dire  qu'ils  fu- 
rent plus  féconds  en  femmes  savan- 
tes que  d'autres  ,  quoique  l'igno- 
rance fut  grande  alors  parmi  les 
hommes  ;  car  il  est  fait  mention  dans 
la  fin  du  siècle  de  i5oo,  d'une  Paule 
de  Gonzague  ,  fille  du  marquis  de 
Mantoue,  religieuse;  d'une  Baplista, 


quis  de  Mantoue  ,  par  l'empereur  Si 
gismond,  le  22  septembre  i4-33  ,  il 
dit  :  Uxorem  habuit  lectissimam  fee- 
minam  ,  religione  ,  sapientid  ,  pudi- 
ciïid  ,  litterisque  decoratam  Paulam 
Malateslam,  ab  omnibus  illorum  tem- 
porum  scriploribus  ob  singulares  vir- 
tutes  miripeè  laudatam  (6).  Qui  n'au- 
rait loue  une  femme  si  incompara- 
ble ?  Elle  passait  pour  la  plus  belle 
de  toute  1  Italie  ,  et  néanmoins  elle 
méprisait  tous  les  ornemens  du  corps; 
et,  ne   faisant  point  de  dépenses  en 

(*)  Adfuit  puella  quoque  principis  filia.de- 
cpnnis  fermé,  Grwcè  ad.  o  scribens  el.gnntcr,  ut 
tanlundem  in  quolibet  à  se  crudilo  homine  A111- 
brosius  desideravrrit. 

(3)  Les  seigneur*  de  Mantoue  n'étaient  point 
encore  ducs  :  Us  n'ont  celle  qualité  que  depuis 
l'an  i53o. 

(4)  Pag-  m.  74(V 

(',)  Lcand.r  Albertu»,  Dcsrnptio  Ilalirc  ,  pag. 
45G. 

(G)  Idem  ,  ibiil.  prrg   Co8. 


(7)  Matlliœiis  Bossus  ,  de  Immoderato  mulie- 
rum  Culta  ,  pag.  m.  327. 

(8)  Un  peu  auparavant ,  il  avait  parle  de 
Paula,  mire  de  Blesilla  et  d'Etutochium,  si 
célèbres  dans  les  1  crits  de  saint  Jérôme. 

(i))  Il  était  de  Vérone  ,  et  chanoine  re'guliei  : 
j'ai  donné  son  article. 

(luj  Joly,  Voyage  de  Hollande, pag.  i63,  1G4. 


veuve  du  sieur  d' Arimini  ;  des  fit/ es 
de  Jean  Férujfini ,  jurisconsulte  mi- 
lanais, à  qui  Marguerite,  leur  mère, 
eut  autant  de  soin  de  faire  appren- 
dre les  langues  grecque  et  latine , 
que  depuis  ,  Thomas  .Monts  eut  de 
les  faire  apprendre  aux  siennes  ;  d'I- 
sota  JVogarola  ,  de  Vérone  ,  oii  le 
cardinal  Bessarion  l'ayant  été  visi- 
ter exprès ,  dit  que.  c'était  une  vierge 
plus  divine  qu'humaine  (*') \  de  Vio- 
lante ,  veuve  du  prince  de  Céséne  , 
et  par  après  religieuse  de  l'ordre 
de  saint  François  ,  toutes  rapportées 
par  Matthieu  Bossus  (*')  ,  aussi  /  V- 
ronais  ,  chanoine  régulier  de  saint 
4ugus1in.  C'est  commettre  plus  d'une 
faute  que  de  dire  que  la  docte  fem- 
me nomme'e  Paule  ,  dont  Matthieu 
Bossus  a  fait  mention,  a  ve'cu  dans 
la  fin  du  XVe.  siècle  ,  et  qu'elle 
e'tait  fdle  du  marquis  de  Mantoue  , 
et  religieuse.  Elle  e'tait  de  la  maison 
de  Malateste,  et  puisqu'elle  eut  pour 
mari  le  premier  marquis  de  Man- 
toue (n) ,  il  ne  la  faut  point  placer 
à  la  fin  du  XVe.  siècle  ;  car  ce  mar- 
quis mourut  l'an  i4$4  02)  >  après 
avoir  eu  d'elle  plusieurs  enfans.  S'il 
était  vrai  qu'il  l'épousa  l'an  i4<°  , 
comme  l'assure  M.  de  Marolles  (i3), 
l'erreur  de  M.  Joly  serait  plus  vi- 
sible. Joignez  à  cela  que  Matthieu 
Bossus  ohserve  qu'elle  prépara  sa 
fille  Cécile  à  la  vie  religieuse  :  il  ne 
dit  point  que  se  voyant   veuve  elle 


GONZAGUE.  i3g 

Je  sais  de  plus  qu'elle  (tait  de  la 
maison  de  Malateste  ,  qui  dominait 
à  Arimini  (i.'j)  :  et  en  tout  cas  je 
suis  bien  sûr  que  cette  dame  avait 
beaucoup  de  crédit  dans  toute  la 
ville  ;  car  son  exemple  ,  ses  exhor- 
tations et  ses  ordres  obligèrent  les 
femmes  d'Arimini  à  s'habiller  mo- 
destement ,  et  à  renoncer  aux  lon- 
gues queues  de  jupe.  Une  telle  ré- 
formation n'est  point  l'ouvrage  d'une 
dame  médiocre  en  autorité  et  en  mé- 
rite. C'est  l'une  des  plus  difficiles  en- 
treprises  qu'on  se  puisse  mettre  dans 
la  tète.  Quoi  qu'il  en  soit  ,  voyons 
tout  du  long  le  bel  éloge  que  Mat- 
thieu Bossus  adonné  à  cette  héroïne 
chrétienne.  Bajjtistani  insignern  Ari- 
minense  solum  habuit  siizgulari  hu- 
mditate  ,  pariter  et  litlerarum  stu- 
diis  preedilam  ,  quœ  adeo  animi  or- 
namenla  corporalibus  prœtulit  ,  ut 
nihil  unquant  prœtermisisse  visa  sit, 
quod  ad  principis  aut  pixesentis  mit 
futurœ  decus  ,  et  ornamenlum  ullo 
pacio  poluerit  attinerc.  At  cceteris 
suis  rébus  gestis  omissis  ,  invenio  il- 
lam  etiain  vivente  viro  nedum  humili 
habilu  incessisse ,  verum  cœtcras  con- 
cives  et  populares  hortatu  suo  im- 
perioque  temperalissimis  ornamen- 
tis  ,  brevissiinisque  veslitim  candis 
usas  fuisse  (  i5).  Volaterran  (  16)  a 
parlé  de  l'érudition  de  cette  femme  , 
et  ohserve  que  Léonard  Arétin  et 
plusieurs  autres  savans  lui  dédièrent 


embrassa  l'état  monastique.  Je  n'ai  des  livres.  Prenez  bien  garde  que  je 
point  les  lettres  de  cet  auteur  ;  ainsi  ne  prétends  pas  nier  qu'il  n'y  ait 
je  ne  saurais  dire  si  l'on  y  trouve  eu  une  religieuse  nommée  Paule  de 
que  la  savante  Baptista  avait  été  ma-  Gonzague  :  je  dis  seulement  que  ce 
riée  au  seigneur  d'Arimini.  Je  sais  n'est  point  d'elle  que  Matthieu  Bos- 
seulement   qu'il  ne  le  dit  point  dans    sus    a    parle*  ;    il    était  mort    avant 

qu'elle  entrât  en  religion  :  elle  n'a 
vécu  qu'au  XVIe.  siècle  •  et  je  n'ai 
vu  aucun  auteur  qui  la  loue  que 
sur  le  pied  d'une  religieuse  très-dé- 
vote. Voyez  Hilarion  de  Coste,  à  la 
page  707  du  Ier.  tome  des  Éloges  des 
dames  illustres  ,  où  il  dit  qu'on  a 
voulu  la  canoniser. 

(i4)  Fuit  et  Baptista  singularit  Çormœ  ,  sa- 
pientiœ  ,  honesiaiis  ac  eruditionis  millier. 
Leand.  Alberlus  .  De^cripl.  Italire.  pag.  456. 

(i5)  Matlljx'us  Rossas,  de  Iramotlcra'o  Gui  ta 
fœminarum,  pag.  iz-. 

(îG)  Volaterr.  ,  Commentai-.  Urban. ,  lilt.  V I , 
pag.  2o3. 

GONZAGUE  (Éléonore  de)  , 
fille  de  François  II ,  marquis  de- 


l'autre  ouvrage   que  M.  Joly  a  cité. 

("')  V-  aux  Dames  illustres  de  la  Coste  ,  pag. 
721. 

(  5)  In  Recuperationib.  Fœsnlanis  ,  ad  Bessa- 
rion. Csrd.  de  lione^to  Cultu  fœminarum.  /(.  , 
ep.  3  et  102. 

(1 1}  Bossus  Voiture  dans  les  paroles  que  j'ai 
citées  ci-dessus,  citation  (7). 

(12)  Volaterr.,  lit.  IV,  pag.  It3.  Leand. 
Albertns,  Descr.  Ital. ,  pag.  608.  //  v  a  erreur 
dans  tet  calculs  de  ce  dernier:  il  rapporte  une 
inscription  qui  témoigne  que  ce  marquis  riait 
âge' d'environ  douze  ans  au  mois  de  mars  1407. 
(Volaterran  ,  Uv.  IV,  pag.  n3,  lui  en  donne 
quatorze,  )  et  puis  il  place  sa  mort  au  =3  d'oc- 
tobre 1-144  .  et  lui  donne  cinquanle-qualre  ans 
de  vie.  L'abbé  de  Marolles,  Mémoires,  loin.  I, 
P"S  427i  s'accorde  avec  lui  sur  ces  deux 
nombre*. 

(i3)  Marolles,  Mémoires ,  tom.  I ,  pag.  txi~. 


140  GONZAGUE. 

Mantoue,  et  femme  de  François-    ce*  duché   François-Marie  de  la  Ro- 
Marie  de  la  Bovère,  duc  d'Urbin    ^,re-  Voilà  le  tem-Ps  de  disgrâce  où 

(A),  au  XVIe.  siècle,  se  rendit  frZT'B  ""T*  "T  *?"**  C°'l~ 

:,,''  r.   h  i-    -  stance   aux   adversités   et  aux  coups 

illustre  par   ses    belles    qualités,  injurieux  de   la  Fortune   que    reçut 

Elle    fit    paraître    beaucoup     de  son   mari,    quand  il  fut  privé  pour 

constance  dans  sa  mauvaise  for-  (Iuel(lll«  temps  de  son  état ,  ce  qui 

tune,  et  beaucoup  de  modéra-    Zt$  JT"  lUmordp  de sf  S^ 

i  X^r,       nerosite   ordinaire,  m   de  carder    a 

tion  dans  les  temps  heureux.  Elle    son  mari    une    entière  fidélité  ,    lui 

aima   toujours  son  mari ,  et  lui   faire  bonne  compagnie ,  et  le  conso- 

tint  une  fidèle  compagnie  dans  ler  en  ses   djsSr»ces  »  auxquelles  , 

„.,„   i-        a         ,r>\    ht    •  comme   une  femme  d'honneur .    elle 

ses  disgrâces  (B)    Mais  sur  toutes  uoulut  toujours  a.oir  part  (2)  Ils  ren- 

les  vertus  elle  chérit  la  chasteté;  trèrent  en  possession  du  duché  d'Ur- 

ce  qu'elle  fit  hautement  paraître  bin    après  la    mort    de   Laurent  de 

par  la  rigueur  qu'elle    exerçait    *itdQic*s/v( V'  H  marï  ™>"™t  l'an 

ooS    (4).   raid  Jove  le    loue   beau- 


pa 

contre    les  femmes  de  mauvaise 


coup  (5). 


vie  (C).    Elle    eut    cinq    enfans  ,        (C)  Elle  fit  paraître   son  amour 
deux    fils    et   trois    filles.    Guy-   Pour  ^a  chasteté par  la  rigueur'qu elle 
Ubalde    de   la   Bovère ,  son   fils    exercaU  ™nt™  lesjemmes  de  mau 
aîné,  fut  duc  d'Urbin  ;  le  puîné 
futducde  Sore,  et  cardinal  ;  Hip- 
polyte,  l'aînée  des  filles,  fut  fem- 
me d'Antoine  d'Aragon  ,  duc  de 
deMontalte  ;  Julie,  la  seconde  , 
épousa   Alfonse  d'Est  ,  marquis 
Montecchio  ;    Isabelle  ,    la  plus 
jeune  de  toutes  ,  fut  mariée  avec 
Alberic  Cibo ,  prince  de  Malespi- 
ne  et  marquis  de  Massa  (a). 


(«)  Tiré  cl'Hilarion  de  Coste  ,  Éloges  des 
Dames  illustres,  tout.  1 ,  pag  .  5^4  et  suiv. 

(A)  Elle  était  femme  de  François- 
Marie  de  la  Rovère,  duc  d' Urbin.] 
Il  était  neveu  de  Jules  II  ,  et  (Ils 
de  ce  Jean  «le  la  Rovère  à  qui  Sixte  IV 
donna  la  principauté  de  Sore  et  de 
Sénégaille  ,  et  qui  épousa  Jeanne  de 
Montefeltro,  fille  de  Frédéric  de  Mon- 
tefeltro  ,  duc  d'Urbin.  Notre  Fran- 
çois-Marie ,  issu  de  ce  mariage,  de- 
vint duc  d'Urbin  après  la  mort  de 
Guy-Ubalde  de  Montefeltro  ,  son  on 


vaise  vie.]  «  Car  elle  ne  voulut  voir 
»  chez  elle  ,  ni  avoir  aucune  fami- 
»  liarité  avec  les  dames  de  maison 
>>  et  de  qualité  qui  avaient  eu  le 
»  bruit  et  soupçon  d'avoir  souillé 
»  l'honneur  de  leur  sexe  par  le  désor- 
»  dre  de  leur  conduite,  et  fut  mor- 
»  telle  ennemie  de  toutes  celles  qui 
»  s'étaient  laissées  aller  aux  infâmes 
»  plaisirs  de  l'impudicité  ,  en  ayant 
»  banni  et  fait  chasser  plusieurs  de 
»  ses  terres  ,  et  fait  punir  avec  sé- 
»  vérité  ces  vieilles  misérables  qui , 
»  après  avoir  perdu  en  leur  jeunesse 
»  la  honte,  l'honneur,  la  conscience 
»  et  la  réputation  ,  ne  pensent  jour 
»  et  nuit  ,  étant  sur  la  fin  de  leurs 
»  jours  ,  qu'aux  moyens  de  rui- 
»  ner  et  de  perdre  les  jeunes  filles 
»  simples  et  peu  avisées.  Aussi  elle 
»  est  encore  digne  d'une  éternelle 
»  mémoire  pour  n'avoir  jamais  épar- 
»  gné  ses  biens  pour  enlever  toutes 
»  les  innocentes  colombes  abusées 
»  des  grillés  des  éperviers  ,  et  les 
»  consacrer  aux  autels  ,  où  depuis 
»  elles  ont  fait  des  merveilles  en 
)>  matière   de  vertu    (6).  »  C'était  là 


cle  maternel  ,    qui  ne  laissa  point  de  remplir  les   devoirs  d'une  princesse 
postérité  (i). 

(B)  et  lui  tint  une  fidèle  com-  (i).Hilarion    de  Coste,   Éloges  des  Dames, 

■       j                       j           -«ii'-v  loin.  I .  pas.  54^. 

pasme  dans  ses  ifiscraces.     Léon  A  «vT       ■    ...         „      .      ,   ,              ,,, 

a    .          //    j           j,i, °i  .        ¥    J            .     ■■  (31  Leaiul.  Alliert.,  Desciipt.  Itali»,  pas;.  445. 

ayant  crée  duc    d  Urbin   Laurent  de  }An         u  j 

.;,,..                                          ,  ,            i,i  l'i)  Hem,  ibidem. 

Médias,   son  neveu,  dépouilla   de  (5;  Paulus  Jovius ,  Elog.  beUicî  virt.  illustr... 

Iib.  ri,  pag.  m.  /J97. 

(1)    Vuyez.  Lcand.   Albert,    Desciipt.    Mal. ,  (G)  Hilorion  de  Coste,  Eloges  des  Dames  illus- 

pas.  m.  \\  i.  très  ,  (oui.  /,  pag.  546,  547. 


GONZAGUE. 


Hi 


vertueuse  ;  car  on  peut  dire  qu'elle    d'être  comptée  parmi  les  dames 
ne  les  aurait  point  remplis   si  elle    les  plus  illustres.  L'un  de  ses  pa- 


se  fût  contentée  de  garder  exacte 
ment  la  foi  conjugale.  Cela  peut  suf- 
fire à  une  femme  du  commun  ,  mais 
non  pas  à  celles  qui  occupent  les 
premières  places.  Elles  sont  indis- 
pensablement   obligées  à  imprimer  , 

Î)ar  des  te'moignages  manifestes  de 
cur  indignation  ,  une  note  d'infa- 
mie aux  femmes  galantes.  Cette  fle'- 
trissure  est  une  leçon  plus  efficace 
de  bonne  conduite  que  les  sermons 
les  plus  éloquens  d'un  prédicateur 
pieux  ;  et  il  est  certain  que  les  de'sor 


neg\  listes  la  nomme femme  pour 
sa  boMé  ■  son  intégrité ,  son  cou- 
rage et  sa  noblesse ,  plus  divine 
qu'humaine  (b).  Elle  eut  une 
chasteté  qui  mérite  de  l'admira- 
tion :  mais  on  en  raconte  des 
circonstances  qui  paraissent  fa- 
buleuses ;  car  on  dit  qu'ayant 
couché  deux  années  avec  sou 
époux  ,  sans  qu'il  eût  rien  fait  de 


dres  qui  procèdent  de  la  galanterie    ce  qu'on  nomme  devoir  conju- 
des  femmes  sont  une  tache  à  la  vie       ]    elle  demeura  très-persuadée 

il  une  souveraine ,  quelque  vertueuse    °    ,.,  ■  -1 

qu'elle  soit  de  sa  personne;  car  enfin  qu  il  ne  manquait  rien  a  son 
si  elle  excluait  de  sa  familiarité  les  mariage  (A) ,  et  que  tous  les  au- 
femmes  de  mauvais  renom  ,  si  elle 
leur  défendait  l'entrée  de  son  pa- 
lais ,  si  pour  le  moins  elle  les  mor- 
tiiiait  par  des  marques  de  froideur  , 
et  par  des  censures  ,  pendant  qu'elle 
ferait  éclater  son  estime  et  son  ami- 
tié' pour  les  femmes  chastes ,  elle 
produirait  infailliblement  la  refor- 
mation des  mœurs.  D'où  l'on  peut 
conclure  que  si  la  galanterie  marche 
la  tête  levée ,  c'est  un  signe  que  la 
principale  dame  ne  met  guère  de 
distinction  extérieurement  entre  cel- 
les qui  donnent  lieu  à  la  médisance  , 


très  maris  ressemblaient  au  sien. 
Enfin  elle  fut  désabusée  de  cette 
erreur  ,  et  son  mari  même  lui 
avoua  son  infirmité ,  lorsqu'il  se 
fut  aperçu  qu'elle  en  savait  la 
nature  (B)  ;  mais  elle  ne  cessa 
point  d'avoir  pour  lui  beaucoup 
de  tendresse  :  elle  le  consola,  et 
ne  se  plaignit  jamais  ,  et  ne  révé- 
la à  personne  l'état  de  son  maria- 
ge. Ce  secret  ne  laissa  pas  d'être 
et  celles  qui  se  conduisent  très-bien,  connu  au  public  (C)  ;  et  alors 
Voyez  ce  qui  a  été  dit  en  un  autre  elle  se  vit  puissamment  sollicitée 
heu  (7).  Je  veux    que    l'on    attribue     «   „         „     <     i>      .  1    ■ 

,  t.    ''      ■  M  i  f    .    a  sonsrer  a  d  autres  noces  ;  on  lui 

cette  connivence ,  non  pas  au  défaut    _         v         ,  .  .        , » 

de   zèle  pour  la  propagation   de  la    ht  voir  qu  "  lxa  serait  tres-lacile 
pureté,  mais  à  une  certaine  douceur   de  faire  déclarer  nul  son  mariage  , 
de   naturel   qui   ne   permet  pas  que    et  ou  lui  mit  devant  les  yeux  plu- 
Ion  s  oppose  au  torrent  avec  les  hau-    „•        „  „    .  -j'     .-  .    • 
,          Kl       .           ,,  -              . .           sieurs  autres  considérations  très- 
leurs  nécessaires  :  alléguez   cette  ex- 
cuse tant  qu'il   vous  plaira  ,  je  vous 
soutiendrai    que   la    mollesse  ,  ou  si 
vous   voulez  la  douceur  de  naturel , 
est  un  grand  défaut  eu  de  pareilles 
rencontres. 


(7)  Dam  la  remarque  (M)  de  V article  de 
Lot'is  XII,  loin.  IX. 

GONZAGUE  (Isabelle  de), 
femme  de  Guy-Ubakle  de  Mou- 
tefeltro  (a),  ducd'Urbin  ,  mérite 

(a^  Et  non  pas  de  la  Rovère,  comme  llila- 
riou.de  Goste  le  dit,  pag.  697  du  /'  ',  tome 
tics  Eloges  des  Dames  illustres. 


fortes.  Rien  ne  l'ébranla(D)  ;  elle 
fut  très-fâchée  que  l'impuissance 
de  son  mari  fût  connue ,  et  il  n'y 
eut  que  la  mort  du  duc  qui  la  sé- 
parât de  lui.  Cette  mort  la  jeta 
presque  dans  le  désespoir  ,  et  il 
s'en  fallut  bien  peu  que  son  af- 
fliction ne  fût  mortelle  au  pied 
de  la  lettre  (E).   Notez  que  son 

h  Joseph  Betussi ,  délie  Donne  illustre, 
cite  par  Hilarion  de  Coste,  tom.  /,  pag.  b'97. 
Vojrez aussi Crist0fanoBron7.ini .  delladigni- 
tà  e  nobillà  délie  Donne,  Civrnata  quinta , 
pag,  I  i(j. 


,^2  G01SZAGUE. 

mariage  dura  vingt  ans  (c).  Les 
exclamations  d'un   minime  qui 
l'a  louée  sont  pardonnables,   vu 
la  rareté  du  fait  :  néanmoÉb  ,   il 
aurait  pu  se  modérer  un  peu  plus, 
sans  sortir  des  règles  d'un  bon 
rhéteur.  Notre  Isabelle  passa  le 
reste  de  sa  vie  dans  un  veuvage 
glorieux.  Elle  était  tante  d'Éléo- 
nore  de  Gonzague  ,  qu'elle  maria 
avec  un   neveu  de   Jules  II  ,  je 
veux  dire  avec  François-Marie  de 
la  Rovère,  successeur  de  son  mari 
au   duché    d'Urbin.    Vous    ver- 
rez par -là   en    quel   temps  elle 
a  vécu  ,  et  si  vous  lisez  le  Courti- 
san de  Balthasar  Castillon  ,  vous 
l'y   verrez  fort   louée  ,  et   vous 
comprendrez  que  la  cour  d'Ur- 
bin était  alors  tout-à-fait  polie. 
Je  rapporterai  ce  que  Pierre  Bem- 
bus  disait  de  cette  duchesse  (F). 

(c)   Tiré  d'Hilarion  de  Coste ,  Éloges  des 
Dames  illustres  ,  tom.  /,  pag.  697  et  suiv. 

(A)  Avant  couché  deux  ans  areeson 
époux,  "sans  qu'il  eût  rien  fait  de  ce 
qu'on  nomme  devoir  conjugal,  elle  de- 
meura  très-persuadée  qu'il  ne    man- 
quait  rien  a  son  mariage.]  Servons- 
nous  des  phrases  du  minime  Hilanon 
de  Coste  ;  car  la  traduction  que  je  vou- 
drais faire  de  son  français  déplairait 
peut-être  aux  lecteurs  prudes.  «  Elle 
«  fut  du  nombre  de  celles  dont  parle 
»  l'apôtre  ,  qui  sont  mariées  comme 
»  ne  l'étant  point,  car  ou  par  la  fai- 
»  blesse  de  son  âge,ou  parla  simplicité 
»  de  son  naturel ,  elle  fut  les  deux 
»  premières    années  de  son   mariage 
»  dans  une  si  profonde  ignorance  du 
»  sacrement  où   elle   était  engagée  , 
»  qu'elle   estimait    qu'il   en^  fût   des 
»  autres   mariées  comme  d'ellc-me- 
j,  me  :  semblable  en  cela  à  la  femme 
»  de  l'ancien  lliéron  ,  qui  ne  se  plai- 
M  gnait  point  de  la  mauvaise  halei- 
»  ne  de  son  mari,  estimanl  que  Ions 
»  les    autres  hommes   l'eussent  ainsi 
»  forte  :  mais  L'âge  par  une  secrète 
»  et  non  insensible  leçon ,  lui  ayant 
v  enseigne  ce  qui  n'est  pas  ignoré 


»  des  nations  les  plus  barbares,  ni 
»  des  complexions   les   plus  endor- 
»  mies  ,    notre    nature    corrompue 
»  n'étant   que  trop  encline  aux  plai- 
»  sirs  sensuels  ,  soit  que  la  libre  fré- 
»  quentation    qu'elle    avait   comme 
»  mariée  avec  les  dames  qui  l'étaient, 
»  lui  apprît  des  choses  qu'elle  ne  sa- 
»  vait  pas  ,  les  taies  de  son  ignorance 
»  tombèrent  de  ses  yeux  (1).»  Il  n'est 
point  vraisemblable  qu'elle  ait  été  si 
long-temps  aveugle  dans   une  affaire 
comme   celle-là.   La  plupart  de  ceux 
qui   ont  lu    le    livre    de  ce  minime 
ont  dit  sans  doute  que  pour  trouver 
une  fille  d'une  si  grande  innocence  à 
l'égard  de  la  théorie  ,   il  la  faudrait 
prendre  à  l'âge   de  cinq   ou  six  ans. 
En  effet ,  il  règne  une  très-mauvaise 
coutume  dans  les  familles  ,  soit  qu'on 
ne  la  puisse  empêcher  ,  soit  qu'on  es- 
père qu'elle  sera  de    quelque  usage  , 
soit  qu'une  secrète  providence   souf- 
fre   cela   pour   le  bien   temporel   de 
l'univers.  Dès  que   les  enfans  ont  un 
certain  âge  ,  on  ne  leur  parle  que  de 
maîtresses  et  que  de  galans  ;  on  dé- 
clare  aux   petites   filles    qu'on  veut 
corriger  de   quelque    chose,    que  si 
elles  ne  s'en  corrigent ,  elles  n'auront 
jamais  de    mari  ;  on    leur  promet  la 
conquête  d'un  galant,  pourvu  qu'elles 
fassent  ceci  ou  cela  (2).  Cent  promes- 
ses ,  autant  de  menaces  ,    sont  éter- 
nellement en  campagne  sur  ce   ton- 
là.  Les  servantes  du  logis,  les  blan- 
chisseuses ,  les   lingères  ,  les  femmes 
de   chambre  ,    etc.,   vont    beaucoup 
plus  loin  ,  elles  expliquent  à  l'oreille 
tout  ce  que  cela  veut  dire.  Mille  oc- 
casions s'en  présentent  naturellement. 
Il  se  fait  des  mariages   de   temps   en 
temps  dans  le  voisinage  ,  dans  la  pa- 
renté :  on    est   curieux   d'aller    aux 
temples   pendant  la    cérémonie   des 
bénédictions  nuptiales,  ce  qui  arrive 
souvent  ;  et  voilà  une  ample  matière 
de   conversation  ,  non-seulement   à 
haute  voix  ,  mais  même  à  voix  basse, 
pour  l'instruction    mystérieuse    des 
petites   novices.  Celte  instruction  se 
donne    surtout    dans  le    temps    qui 
court    entre    les    préliminaires    des 
fiançailles,  ou  plutôt  entre  les  fian- 
çailles, et  le  jour  des  noces.   Par  ce 


(11  Ililarion  de  Coste,  Éloges  des  Dames 
illustres  ,  tum.  I.pag-  69- ,  698. 

fa)  Voyez  les  Nouvelles  Letlres  contre  le 
Calvinisme  de  Maimbourg  ,  pag.  663,  664. 


GONZAGUE.  143 

moyen    la    théorie    du    mariage    est  nés  tes  /lambeaux  et  les  ruines  de  leurs 

très-bien  connue   avant  l'âge  de  pu-  maisons  ,  des  états  et  des  républiques, 

berté.  Mais  posons  le    cas   qu'on   eût  et  des  pères  qui  les   onWengehdrés. 

mettre  une  fille   à   couvert   des  Que  pour  son  regard  il  ne  s'en  mit 


prévenir  la  curiosité   de  la  nature  ;  jusqu'au  tombeau ,  afin  que  lui    ne 

posons  ,  dis-je  ,  le  cas  qu'une  fille  fût  pouvant  pas ,  par  défaut  dénature, 

donnée  à  son  époux  aussi  ignorante  jouir  de  ce   qui  lui  était  destiné,  un 

dans  la  théorie  que  dans  la  pratique,  autre  ne  vint  h  la  posséder,  et  que 

pourrait-elle    demeurer    long -temps  personne  n'en  saurait  jamais  rien. 

dans  cette  ignorance?  N'y  a-t-il  pas         (C) Ce   secret  ne   laissa   pas 

encore  une  antre  coutume  qui  règne  d'être  connu  au  public]  Hilarion  de 
partout?  Ne  fait-on  pas  cent  questions  Coste  (4) ,  ayant  fait  une  exclamation 
aux  nouvelles  mariées,  le  lendemain  contre  ceux  qui  disent  que  les  fem- 
de  leurs  noces?  Si  leurs  mères  par  mes  ne  sont  pas  capables  de  secret  , 
bienséance  s'abstiennent  de  ques-  ajoute  que  la  duchesse  d'Urbin  a  plus 
tionner  ,  nVmploient-elles  pas  d'au-  fidèlement  gardé  son  secret  et  sa pro- 
tres  femmes?  Lestantes  et  les  cou-  messe  h  son  mari  que  ce  prince  ne 
sines  ,  les  amies  ,  etc.  se  peuvent-elles  l'a  gardée  ,  ayant  vécu  plus  de  qua- 
empéehei  de  faire  subir  l'interroga-  torze  ans  avec  lui,  en  sorte  que  par  au- 
toire  ?  On  ne  saurait  donc  s'imaginer  cune  plainte  elle  n'a  fait  paraître  'e 
que  notre  duchesse  d'Urbin  ait  été  défaut  de  son  mariage;  aux  preinii- 
deux  ans, depuis  ses  noces,  dans  l'igno-  res  années  elle  le  cela  par  jeunesse  et 
rance  (pie  le  minime  lui  attribue.  par  ignorance  ,  depuis  par  honneur  , 
(B)  Son  mari  même  lui  avoua  son  in-  Par  la  force  de  sa  vertu,  et  parl'o- 
firmité,  lorsqu'il  se  fut  aperçu  qu'elle  bligation  du  secret.  Non- seulement 
en  savait  la  nature.']  Employons  en-  ies  peuples  du  duché  d'Urbin,  les 
core  les  expressions  du  minime.  (3).  habitons  de  la  belle  ville  de  Pésaro, 
Le  duc  son  mari  ayant  aperçu  que  la  ma's  encore  les  plus  secrets  et  f ami- 
duchesse  Isabelle  avait  reconnu  son  ^ers  domestiques,  et  principaux  sei- 
in/irmité,  fut  contraint  lui-même  de  gneurs  de  leur  cour,  ne  surent  que 
lui  déclarer  en  termes  et  paroles  fort  ce  défaut  et  cette  stérilité  procédaient 
honnêtes  son  impuissance,  témoignant  du  duc;  au  contraire,  ils  V  attribuè- 
par  ses  discours  l'affliction  qu  il  avait  rent  plutôt  h  la  duchesse.  Jamais  on 
de  se  voir  en  état  de  ne  pouvoir  lais-  n'en  eût  rien  su  si  le  duc  même  ne 
Ser  des  enfuis  pour  succéder  à  son  l'eut  dit,  lorsque,  chassé  de  son  état 
état ,  et  que  si  cela  était  reconnu  de  Par  César  Borgia  ,  duc  de  Valenti- 
ses  sujets  ,  qu'il  en  serait  moins  aime.  n°is  ,  il  vint  saluer  notre  roi  Louis 
A  ces  tristes  paroles ,  la  sage  et  ver-  XII ,  qui  était  lors  en  sa  ville  de 
tueuse  Isabelle, avec  unvisage  joyeux  Milan,  et  dans  son  duché  de  Mila- 
et  serein  ,  commença  a  le  consoler  ,  na's  >  auquel  il  eut  recours  pour  être 
l'exhortant  de  vouloir  supporter  cette  remis  et  rétabli  dans  ses  terres,  du- 
disgrdce  avec  une  résignation  par-  <J"e^  n'ayant  pu  obtenir  ce  qu'il  de- 
faite  a  la  volonté  de  Dieu;  que  beau-  mandait,  a  cause  que  le  roi  était  li- 
coup  de  rois  et  de  grands  princes  gué  avec  le  pape  Alex amlre  f^I , père 
avaient  été,  et  étaient  encore  en  celle  du  duc  de  P'alenlinois ,  et  craignait 
affliction ,  et  que  souvent  il  est  med-  la  haine  de  ceux  de  la  maison  de 
leur  de  n'avoir  point  d'enfans,  que  Borgia  contre  lui  et  sa  maison,  il 
d'en  avoir  de  médians  et  de  vicieux  ,  leur' donna  espérance  de  se  séparer 
d'autant  que  pour  /'ordinaire,  corn-  d'avec  sa  femme ,  et  de  se  faire  d' r  - 
médit  le  vieux  proverbe  latin ,  Filii  glise ,  assurant  que  jamais  il  n avait 
Heroiim  noxœ,  c'est-à-dire  que  les  consommé  le  mariage  au  sujet  de 
héros  n'engendrent  que  des  monstres,  son  impuissance;  et  étant  interrogé 
enfans  ingrats  et  dénaturés,  les  fu-  par  le  roi,  il  affirma  qu'il  était  véri- 
table. Ainsi  ce  secret   ayant  été  ré- 

(3)    flilarion    de    Coste ,    Eloges   des    Dames 

illustres  ,  loin.  I,  pa:;.  (j.,3.  (4)  Idem,  ibitl,  pas-  699 


,44  GONZAGUE. 

vêlé  par  le  mari ,  il  fut  divulgué  par  parlât  au  contraire,  et  se  fâcha  fort 
tout  l'état  d'Urbin,  et  par  l'Italie ,  quand  la  vérité  de  l'histoire  vint  en 
où  les  moiMres  du  peuple  surent  que  évidence  ?  O  très- fidèle  et  très-chaste 
Guy-Ulxdde  de  la  Rovère(5)  ,  duc  princesse',  que  celles 'Va  jettent  les 
d'Urbin,  n'était  homme  que  par  le  yeux  sur  toi,  qui,  poussées  de  l'esprit 
visage,  ou,  s'il  était  homme ,  il  ne  de  sensualité ,  sans  sujet ,  ou  sur  le 
l'était  pas  pour  prendre  rang  au  moindre  prétexte  et  raison  frivole  , 
nombre  des  maris;  et  tout  le  monde  défont  des  mariages  concertés  par 
admira  la  constance  et  la  pudicité  avis  de  parens ,  et  faits  en  face  d'e- 
lle la  sage  et  chaste  princesse  Isa-  glise ,  procurant  des  dispenses,  je  ne 
belle  de  Gonzague  ;  sa  constance ,  sais  quelles ,  sous  des  faux-enlendre 
puisque  pouvant  faire  déclarer  ce  qui  ne  leur  serviront  que  de  lien 
mariage  nul  par  une  déclaration  pour  les  traîner  a  la  damnation  : 
qu'elle  eût  pu  obtenir  facilement ,  puisque  vous  étant  encore  jeune  ,  belle 
elle  ne  le  voulut  pas,  aimant  mieux  et  noble  ,  qui  pouviez  légitimement 
se  taire  que  de  polluer  ses  lèvres  ;  sa  procurer  une  séparation,  avez  voulu 
pudicité,  par  cet  acte  héroïque  de  montrer  que  vous  étiez  mariée  plus  de 
pudeur ,  ayant  vécu  plus  de  vingt  ans  l'esprit  que  du  corps.  Après  cela  il 
sans  avoir  assez  de  front  pour  rougir  observe  quatre  grands  sujets  d'ad- 
de  la  honte  de  celui  que  le  monde  ré-  miration  dans  la  victoire  qu'elle 
putait  pour  son  époux.  remporta  sur  soi  (7).    i°.  Par  abon- 

(D)  Elle  se  vit  puissamment  solli-   dance  de  courage  et  de  vertu ,  elle  ne 

citée  de  songer  h  a' autres  noces se  sépara  point  de  son    mari,  quoi- 

Rien  ne  l'ébranla.~\  C'est  ici  qu'Hi-  qu'elle  le  pût  légitimement  faire. 
larion  de  Coste  crie  à  plein  gosier,  20.  L'amour  qu'elle  portait  a  son 
et  qu'il  élève  sa  voix  comme  un  cor-  mari  lui  fit  déposer  le  désir  commun 
net.  O  chasteté  merveilleuse  d'une  et  raisonnable  qu'ont  tous  ceux  qui 
femme!  s'e'crie-t-il  (6),  o  constance  se  marient de  laisser  des  en- 
incroyable  !  6  vertu  parfaite  et  sans  fans ce  qui  doit  être  plus  ad- 

exemple  !  vivre  ainsi  vingt  ans  avec  miré  en  cette  grande  princesse,  qui 
un  mari  en  une  même  maison,  et  voyait  finir  en  son  mari  la  ligne  di- 
dans  un  même  palais  :  c'est  vrai-  jecte  d'une  maison  souveraine.  3°. 
ment  un  parangon  de  pudicité,  et  Elle  eut  la  prudence  d'accompagner 
une  vraie  preuve  que  l'esprit  et  la  partout  son  mari ,  pour  ne  point  ma- 
vertu  ont  plus  de  pouvoir  que  la  nifesler  le  défaut  de  ce  prince.  La 
chair  et  la  sensualité ,  et  que  la  foi  et  ^e.  merveille  est  que,  parmi  la  li- 
!  amour  conjugal  sont  plus  puissans  berté  de  sa  condition,  parmilaquan- 
que  l'appétit  inférieur  ,  et  la  déshon-  tité  d'hommes  qui  traitaient  avec  elle, 
nêteté.  Combien  y  en  aurait-il  eu  elle  ait  conservé  entière  sa  virginité, 
d'autres  qui  eussent  voulu  demeurer  Les  circonstances  du  quatrième  point 
sans  publier  un  secret ,  je  ne  dis  pas  sont  confirme'es  par  Balthasar  Castil- 
quatorze  ans  ,  mais  quatorze  mois  ,  Ion  ;  car  il  dit  que  la  cour  d'Urbin 
que  celle-ci  garda  ,  non  pas  vingt  était  remplie  de  gentilshommes  bien 
mois  ,  mais  vingt  a?is  ,  et  jusqu'à  la  faits  de  corps  et  d'esprit,  qui  s'occu- 
m.ort  de  son  mari,  sans  défaire  le  paient  toute  la  journée  à  des  exerci- 
mariage  ;  puisque  priée ,  importunée,  ces  convenables  à  leur  condition,  et 
et  presque  forcée  par  toute  sorte  de  qui  se  rendaient  après  souper  à  la 
personnes  puissantes  ,  et  qui  lui  chambre  de  la  duchesse ,  pendant 
étaient  parentes,  de  se  vouloir  séparer  que  le  duc  ,  qui  s'allait  coucher  de 
de  son  mari,  pour  mille  considéra-  bonne  heure  à  cause  de  ses  mala~ 
lions  très-fortes  qu'ils  lui  mettaient  dics,  était  au  lit.  Erano  adunque  lutte 
en  avant,  jamais  elle  n'y  voulut  en-  l'hore  del  giorno  divise  in  honore- 
tendre  ;  au  contraire,  elle  soutint  voli  et  piacevo/i  essercilii  ,  cosi  del 
toujours  que  ce  défaut  ne  venait  point  corpo  ,  corne  dell'  animo  :  ma  per- 
de lui  ,  ains  trouva  mauvais  qu'on  en    che    il  S.    Duca  conlinuamente  per 

la   infirmita  ,   dopo   cenu    assai  per 

Ci}  Il  n'était  pas  de  la  maison  de  la  novere,      ,  J  >         7  j_  ,     •„ .       nn 

■  ',      \ï  1    v  1,         m    1  r  i,  „  tempo  se  n  andava  a   dormtre  ,    og- 

mais  de  celle  de  teltri  oh  nlonlcjcllro.  r  '       o 

('))  Jiloges  des  Dames  illustres,  loin.  1 ,  pag, 
-no.  (7)  H'idem  ,  pag.  701. 


GONZAGUE.  ,45 

mino  pet  ordtnario,  dove  era  la   si-  qu'on  était  prêt  d'étaler  tout  le  mé- 

gnora  duchés  sa  ElisabettaGonzaga  a  rite  de  sa  continence. 
quelS  hora  si  riduceva(8).   Rappor-        Notez  que  Cristôforo  Bronzini ,  qui 

tons  ce  qu'il  observe  de  l'infirmité  Au  a  fail    l'éloge  de  cette  dame  ,  dit  les 

duc    :    cela    donne  lieu     de    croire  mêmes  choses  ,    et   avec   les   mêmes 

qu'Hilarion  de  Coste  a  suivi  des  écri-  exclamations  que  le  minime.  Voyez 

vains  qui   ont  trop  exagère.  Prenez  la  Giornata   quinta  de  ses  dialogues 

l>icn  garde  à  ce  que  je  m'en  vais  dire,  délia  dignita  e  nobilta  délie  Donne 

Le  duc  e'tait  très-bien  l'ait  de  sa  per-  (12). 

sonne,  vigoureux,   dispos  (o)  ;   mais        (E)  Il  s  en  fallut  peu  que  son  af- 

à    l'âge    de    vingt  ans  (10)  il   devint  fliction  ne  fit  mortelle  au  pied  de  la 

goutteux  d'une   manière   si    étrange  lettre.   Le   père  Hilarion  de  Coste  5e 

qu'il  ne  pouvait  se  remuer.  Il  se  ma-  trouve -fort    empêché   a  donner  des 

ria  sans  doute    avant  que  d'être  ré-  preuves  de  l' amour  et  de  la  prudence 

duit   en  cet  état  :  il  y  a  donc  beau-  quelle  eut  dans  le  deuil  de  la   mort 

coup    d'apparence   qu'il    consomma  de  son  mari  :  car — tant  qu'il  fut  en 

son  mariage.  Il  est  vrai  que  le  même  vie  ,  jamais  elle  ne  se  laissa  aller  aux 

auteur  va  nous  apprendre  que  la  du-  pleurs afin  que  son  affliction 

chesse   fut  sollicitée  à  se   séparer  de  exprimée  extérieurement  par  les  lar- 

son  mari  ,  puisque   son  mariage  était  mes,  ne  lui  en  causât  une  autre  ;  mais 

un  état  de  viduité.   C'est  une  marque  sitôt  qu'il  eut  rendu  l'esprit,  a  l'heu- 

qu'on  la  prenait  pour  une  iîlle  ;    car  re    même  elle  lâcha  la   bonde  a   la 

une  impuissance,  qui  survient  depuis  douleur  qui  la  jit  tomber  sur  lui 

l'accomplissement  du  mariage  ,  n'est  criant  h  haute  voix  .-   Ah  !  mon  cher 

point  un  juste  sujet  de  divorce.  Won  mari,  pourquoi  me  laissez-vous  ainsi 

posso  piu   tacere   una  parola   délia  et  où  allez-vous  ?  Ces  paroles  dites 

signora  duchessa  nostra ,  la  quale  es-  elle  tomba  en  faiblesse  ,  sans  pouvoir 

sendo  vivuta  xv   an  ni  in  compagnia  jamais  dire  autre  chose ,   et  demeura 

del   marilo ,  corne  vedoa ,   non  sola-  comme  demi- morte.    Il  y  en  eut  qui 

mente  e  stata  constante  di  non  pale-  la  crurent  vraiment  morte  ,  se  voyant 

sar  mai  questo  a  persona  del  mondo,  empêchés  h  lui  faire  revenir  lés  es- 

ma  essendo  da  suoi proprii  slimulata  prits  ;   si  bien  qu'ils  pleuraient   tout 

da  uscirdi  questa  viduith,  elessie  piu  ensemble  la  mort  de  l'un  et  de  l'autre, 

presto  pâlir  essilio  ,  po vertu  ,  ed  ogni  Mais  Dieu  ,  ne   les  voulant  pas  tant 

al  Ira   sorte  d' infelicita ,    che  accettar  affliger  tout  a  la  fois  ,  permit  qu'elle 

quello,  che  a  tutti  gli  altriparea  gran  revînt  peu  a  peu,  ouvrant  les  Yeux  , 

gratta  ,   e  prospérait  di  fortuna  :  e  et  les  tournant  vers  le  ciel  :  puis  elle 

seguilando  pur  Messer  Cesarc  circa  se  mit  a  les  jeter  sur  ceux  qui  étaient 

questo  ,  disse  la    signora    duchessa  :  autour  d'elle  ,  et  les  regardant     leur 

Parlate  d'altro  ,  e  non  intrate  piu  in  dit,  comme  par  plainte  et  reproche  : 

tal  proposito  ,    che  assai  d'altre  cose  Quelle  importunité  est-ce  que   vous 

havete  che  dire  (i  1).  Vous  voyez  dans  me   faites?  Pourquoi  usez-vous  avec 

ces  paroles  italiennes  un  trait  admi-  moi  de  cette  cruauté,  que  de  m'em- 

rable   de  la  modestie  de  cette  dame  :  pêcher    de    suivre   mon   très-honoré 

elle  ne  voulait  point  qu'on  la  louât  :  seigneur  et  mari?  Pourquoi  ne  vou- 

elle  détournait  la  conversation  lors-  lez-vous  pas  que  j'accompagne  en  la 

mort  celui  avec  qui  j'ai  passé  le  meil- 

(8)  Le  comte  Balthasar  Castillon,  dans  son  leur  de  ma   vie?  0  moi  ,   misérable 

Courtisan.  liv.  /,  vas.  m.  10.  „    vi       t   _  •.        11/  ,«i     ..   .,,  ? 

-  »•-,    '  ,      "        .,  j       n  . ,      .    ,  qu  il   s  en   soit    aile  ,  et    qu'il    faille 

(q)  JSon  essendo  aiwora  d  duca  Guido  gntnlo  '        •      1  ■  '  .  . 

«//in  anni ,  s'infermb  di  podagre ,  le %uaU  (lue  Je  demeure  !  non  ,  non ,  je  ne  puis 

cou    atrocissimi    àolori   procedendo  ,    in    poco  m'y    résoudre  ,   et    il   faut  que    j'aille 

spatio  di  tempo  lalm.nle  tutti  imembri  gli   im-  après    lui.    Si      tôt     qu'elle     eut     (lillSL 

pedtrono   che   ne    tiare  in  piedi  ne  tnover  si  r>o-  /•  /  1    ■    ..       2 

tea.eeosi  resio  un  deipmbeUi,  e  dispasti  J°rme   *«  plaintes  ,  ses    yeux   com- 

corpi  del  mondo  deformato  e  guasto  nella  sua  mencèrent    a   ruisseler   comme  deux 

verde  elà.  Bah.  Cakiglione ,  il  Cortegiano,  lib.  sources  de  larmes  ,  et  il  ne  fut  jamais 

Vo?'oLins  ,  dans  Toison  fnnibr,  de  ce  Posslble  fendant   deux  jours  d'avoir 

prince  ,  dit  que  ce  fut  à  l'dge  de  vingt-un  ans.  "M"'e  raison  d  elle  ,    ne  voulant  pren- 
(u)  Balt.  Castil.,  il  Cort«g.  ,  lib.  III,  pag.         (,2)  Ce   livre   fut   imprimé  à    Florence,   en, 

46o.  m  1625,  jn-4°, 

TOME  VII.  IO 


i46 


GONZ 


dre  ni  repos  ni  repas  ;  disant  toujours 
quelle  ne  pouvait  survivre  a  son  ma- 

(F)  Je  rapporterai  ce  que  Pierre 
Bembus  disait  de  cette  duchesse.  ] 
L'auteur  du  traité  qui  a  pour  titre 
de  Matrimonio  Litlerati ,  an  cœlibem 
esse  an  vero  nubere  conveniat  (i4)  , 
allègue  le  grand  mérite  de  quelques 
femmes ,  et  n'oublie  point  celle-ci. 
Quid  de  Elizabethâ  Gonzagâ?  dit- 
il,  quant  Bembus  ita  laudat ,  ut  la- 
pideum  eum  esse  dicat  qui  non  unam 
ejus  sessiunculam  omnibus  philoso- 
phorum  ambulationibus  et  disputa- 
tionibus  anteponat. 

(i3)  Hilar.  de  Cosle  ,  Eloges  des  Daines  illus- 
tres, loin.  I,  pag.  "joi,  7o4- 

(i4)  Il  &  élé  imprimé  plusieurs  fois  :  il  est 
dans  un  recueil  de  semblables  pièces  imprime' 
TJrsellis,/'«rc  1606.  Vous  le  trouvera  aussi  dans 
le  livre  intitule',  Baudii  Amures. 

GONZAGUE  {  Julie  de  ) ,  du- 
chesse de  Traiette ,  et  comtesse 
de  Fondi ,  fut  femme  de  Vespa- 
sien  Colonne.  Après  la  mort  de 
son  mari  elle  prit  pour  sa  de- 
vise «  une  amaranthe ,  que  les 
»  herboristes  appellent  fleurd'a- 
»  mour,  avec  ce  mot ,  non  mori- 
»  tura.  Elle  voulut  témoigner 
»  par-là  que  sa  première  amour 
»  serait  immortelle.  La  mer- 
»  veille  est  que  son  mari  était 
»  vieux  ;  qu'elle  était  en  la  fleur 
»  de  son  âge ,  et  dans  une  si 
»  grande  réputation  de  beauté  , 
»  que  Soliman  ,  empereur  des 
»  Turcs,  eut  envie  de  la  voir.  Il 
»  envoya  pour  cela  Barberousse, 
»  roi  d'Alger  (a) ,  et  son  lieute- 
»  nan t  général,  avec  une puissan- 
»  te  armée  jusqu'à  Fondi ,  où  elle 
»  faisait  son  séjour  ordinaire  : 
»  mais  il  ne  réussit  pas  dans  son 
»  dessein  ;  car  quoique  Barbe- 
»  rousse  arrivât  la  nuit ,  et  prît 
»  la  ville  d'assaut,  la  belle  et 
»  chaste  Julie  ne  tomba  pas  en- 

(«)  Cela  me  dispense  de  marquer  i/ti'elle  a 
vécu  an  XV  !' .  siècle* 


AGUE. 

»  tre  les  mains  du  barbare.  Soit 
»  qu'elle  fût  avertie  du  malheur 
»  qui  la  menaçait,  ou  qu'elle 
»  fût  inspirée  de  Dieu  ,  elle  s'en- 
»  fuit  les  pieds  nus  au  premier 
»  bruit  qu'elle  entendit  ;  et  pour 
»  sauver  son  honneur  elle  expo- 
»  sa  sa  vie  à  mille  dangers  (b).  » 
Cette  dame  fut  suspecte  de  luthé- 
ranisme (c).  Monsieur  de  Thott , 
François  Billon  et  autres  au- 
teurs la  louent  pour  son  savoir , 
qui  lajit  estimer  parles  plus  ha- 
biles hommes  de  V Italie  (d).  La 
raison  pourquoi  elle  ne  se  rema- 
ria pas  est  considérable  (A).  Il  y 
a  lieu  de  douter  qu'elle  ait  joué 
le  personnage  de  belle-mère  , 
sans  en  retenir  quelques  défauts 
(B).  Nous  verrons  comment 
Brantôme  a  rapporté  l'aventure 
de  Barberousse  (C). 

(b)  Tiré  des  Entretiens  cTAriste  et  d'Eu- 
gène, petg.  ?n.  458  ,  45g.  Voyez  aussi  Hila- 
rion  de  Cosle ,  loin.  II  des  Dames  illustres, 
pag.  96" ,  97. 

(c)  Convictusaue  t/uôd  cum  sectariis  in 
Germaniâ,  et  in  Italidcam  Victoria  Colnm- 
nd  marchîonis  Piscarii  viduâ ,  etJuliâ  Gon- 
zagâ, lectissimis  alioquifeminis ,  depravi- 
tate  sectariâ  suspeclis  ,  amiciliam  coluisset. 
Thuanus  ,  lib.  XXXIX,  circa  init. 

(d)  Hilar.  de  Coste  ,  Vies  des  Dames  illus- 
tres ,  toin.  II,  pag.  97. 

(A)  La  raison  pourquoi  elle  jie  se 
remaria  pas  est  considérable.~\  «  Après 
»  la  mort  de  son  mari ,  elle  fut  re- 
w  cherchée  des  plus  grands  seigneurs 
»  d'Italie,  qui  ne  purent  pas  pour 
»  tant  la  faire  résoudre  à  de  secondes 
»  noces,  parce  que,  disait-elle,  si  le 
»  mari  qu'elle  épouserait  était  bon  , 
»  cela  la  mettrait  en  perpétuelle  ap- 
»  préhension  de  le  perdre  :  s'il  était 
)>  mauvais ,  cela  lui  serait  fort  fà- 
-»  cheux  et  pénible  à  supporter  5  et 
»  qu'après  en  avoir  eu  un  bon  ,  jar 
»  mais  elle  ne  voulait  bannir  de  son 
»  cœur  l'affection  qu'elle  lui  avait 
»  portée  (1).  »  Elle  fut  bien  heureuse 

(1)  Ililarion  ùe  Coste,  Vies  des  Dames  illus- 
tres ,  (oh».  Il ,  pag-  97. 


GONZAGUE. 


"47 


de  ne  rencontrer  pas  sous  ses  yeux 
quelque  objet  qui  la  touchât  ;  car  en 
ce  cas-là  son  dilemme  eût  été  bien- 
tôt renverse.  Didon  eut  beau  dire  : 

Sed  rniki  vcl  lellus  oplem  pri'us  imn  dehiscat, 
Vel  palet  omntpolens  adigal  mefulmine  ml 

timbras , 
Pallenles  timbras  Erebi ,  noclemque  proftiti- 

dam  ; 
Anle  ,  ptidor,    quàin   te   violo  ,    aut  tua  jura 

resoh'O. 
file  meos ,  primat  qui  me  sibi  jutixit  ,  amorti 
Abstutit  ;  ille  habeal  secum,  servelque  sepul- 

chro  (2). 

La  bonne  mine  (3)  et  le  mérite  d'Enée 
avaient  déjà  fait  impression.,  et  re- 
nouvelé les  vieilles  traies  (4);  il  fal- 
lut succomber  aux  secondes  noces  , 
et  oublier  toutes  les  belles  résolu- 
tions. Généralement  parlant ,  le  di- 
lemme de  Julie  de  Gonzague  est  une 
médaille  que  Ton  peut  tourner;  car 
on  peut  dire  :  si  mon  second  mari  est 
méchant ,  je  ne  craindrai  pas_  de  le 
perdre;  s'il  est  bon,  il  me  rendra 
très-heureuse.  D'ailleurs,  celles  qui 
ont  perdu  un  bon  mari  peuvent  allé- 
guer celte  raison  :  Je  me  suis  si  bien 
trouvée  du  mariage  ,  que  je  veux  ren- 
trer dans  un  état  dont  j'ai  eu  sujet  de 
me  louer.  Celles  qui  ont  perdu  un 
mauvais  mari  peuvent  dire  :  //  est 
juste  que  j' essaie  si  je  serai  plus  heu- 
reuse la  seconde  fois  que  la  première  : 
il  ne  faut  pas  que  je  meure  sans  cher- 
cher quelque  dédommagement . 

(B)  Il  y  a  lieu  de  douter  qu'elle 
ait  joué  le  personnage  de  belle-mère 
sans  en  retenir  quelques  défauts.  ] 
C'est  nu  rôle  bien  difficile  :  les  plus 
sages  têtes  ont  de  la  peine  à  s'en  bien 
tirer;  il  y  a  je  ne  sais  quelle  fatalité 
qui  inspire  beaucoup  de  mauvaise 
humeur  aux  marâtres.  Quoi  qu'il  en 
soit,  le  minime  que  j'ai  déjà  cité 
m'apprend  (5)  que  Vespasien  Colonne 
ai'ait  eu  de  sa  première  femme  (6) 
une  fille  nommée  Isabelle,  laquelle 
notre  Julie  ,  sa  belle-mère  ,  ayant  ré- 
solu de  donner  en  mariage  a  Louis 
de  Gonzague  son  frère  ,  résista  pour 

(2)  Virgil.,  JEneiJ.,  lib.  IV,  vs.  i\. 

(3)  Quàm  sete  ore  ferras  !  qitàm  Jorli  péclore 

et  armis  '. 

11.1.1  ,  vs.  II. 

(4)  Agnosco  vetPris  vesligia  Jlammœ . 

Ibid. ,  vs.  1  < 

(5)  Hilarion  rie  Coste  ,  Vies  tles  Dames  illus- 
tres ,  tom.  II,  pag.  (jo. 

1,6)  Be'atrix  ,  fille  du  seigneur  de  Piombin. 
Sansovino  ,  Uelle  case  d'Iulia,/ofio  g3. 


ce  sujet  au  pape  Clément  l'II  (  qui 
la  voulait  faire  épouser  à  don  Ilip- 
polyte,  son  neveu,  qui  fut  depuis  car- 
dinal), et  a  l'empereur  Charles  V, 
qui  s'en  était  saisi  pour  la  marier  à 
don  Ferdinand  de  Gonzague  ,  et 
pallie  par  son  courage,  partie  par 
son  indus/ne  ,  vint  à  hmit  de  son  des- 
sein. Mais  consultait-elle  les  inclina- 
tions de  la  jeune  fille  ?  c'est  la  ques- 
tion :  Isabelle  Colonne  aurait  mieux 
aimé  peut-être  le  parti  que  Clé- 
ment VII  lui  offrait  ,  ou  celui  que 
l'empereur  lui  voulait  donner  ,  que 
celui  <|iii  plaisait  à  sa  belle-mère. 
N'est-ce  pas  agir  en  marâtre  ,  que  de 
gêner  le  penchant  du  cœur  dans  un 
point  comme  celui-là  ? 

(C;  Nous  verrons  comment  Bran- 
ténue  a  rapporté-  l'aventure  de  Jlar- 
beroussc.  ]  «  Nous  avons  un  conte 
»  pareil  qui  me  fut  fait  en  la  vdle 
»  de  Fondy  auprès  de  Naples  ,  et  qui 
»  est  tout  commun  de  par  de  là,  vray 
»  et  frais  encore,  de  la  signora  Li- 
»  via  (7)  Gonzaga,  qui  avoit  espousé 
»  Ascanio  (8)  Colonne;  elle  fut  esti- 
»  mée  de  son  temps  la  plus  belle 
»  femme  de  toute  l'Italie,  et  dételle 
»  sorte,  dis -je,  estimée,  que  sa 
»  beauté  vola  jusqu'au  Levant  (  j'en 
»  ay  veu  le  portrait  en  femme  veufve 
»  plusieurs  fois  qui  le  confirme  ain- 
»  si  )  et  en  Constantinople  ,  dont 
»  Ariadan  Barberousse,  lors  qu'il  eut 
»  le  baston  de  gênerai  de  l'armée  de 
»  mer  du  graud-seigneur ,  la  pre- 
»  miere  fois  avec  une  trés-solemnelle 
»  pompe  (comme  il  est  escrit)  ayant 
»  passé  par  le  Far  de  Messine  ,  et 
»  costoyé  la  Calabre  ,  et  y  fait  de 
»  grands  ravages,  et  vers  Naples,  lit 
»  entreprise  sur  la  ville  de  Fondy  , 
»  et  y  arriva  de  nuit,  et  si  à  propos, 
»  et  si  à  l'improviste ,  qu'ayant  mis 
»  deux  mille  Turcs  en  terre  ,  prin- 
»  drent  la  ville  d'assaut  et  d'escalade, 
«  donnèrent  au  chasteau  où  estoit 
»  ladite  Livia  Gonzaga  endormie  et 
»  couchée  en  son  lit,  laquelle  oyant 
»  l'alarme  fut  tellement  surprise 
)>  qu'elle  se  leva  en  sursaut ,  et  tout 
»  le  loisir  qu'elle  eut,  ce  fut  de  se 
»  jetter  en  chemise  par  une  fenestre, 
»  et  se  sauver  par  les  montagnes  si  à 
»  propos,    que    les  Turcs   entrèrent 

(7)  Il  fallait  dire  Julie. 

(8)  Je  l'ai  appelé'  Vespasien  dans  le  corps 
de  cet  article,  et  c'était  son  vrai  nom. 


i48 


GONZ 


»  en  sa  chambre  ainsi  qu'elle  n'es- 
w  toit  que  quasi  sortie.  On  dit  que 
v  Barberousse  en  vouloit  faire  un 
»  présent  au  grand-seigneur  ,  et  que 
»  ladite  entreprise  ne  fut  faite  que 
»  pour  cela  ,  et  quand  il  sceut  qu'elle 
3>  avoit  este  faillie ,  il  s'en  cuida 
»  désespérer  ;  mais  le  malheur  de  la 
»  dame  voulut  que  tombant  de  Scille 
j)  en  Caribde ,  vînt  à  tomber  en  se 
3>  sauvant  parmy  les  bandoliers  et 
3)  foruscis  du  royaume ,  laquelle  fut 
3)  recogncue  d'aucuns  ,  d'autres  non  : 
3)  je  vous  laisse  donc  à  penser  si  ce 
3>  bon  et  friand  boucon  tombe  entre 
3)  les  mains  et  puissance  de  ces  afià 
3>  mez  ne  fut  pas  gouslé  et  taste'  à 
33  bon  escient,  ainsi  que  plusieurs 
3)  n'en  doutoient  point,  d'autres  si  : 
))  mais  quelque  serment  et  ex/ecra- 
33  tion  qu'elle  peut  faire  ,  n'en  peut 
•  33  estre  creue  ;  car  volontiers  une  si 
3)  belle  et  bonne  viande  ne  scauroit 
3)  eschapper  impolluë  de  telles  gens. 
3)  Les  plus  clairvoyans ,  et  qui  s'en- 
3>  tendent  en  ces  choses  ,  et  qui  en 
33  ont  tasté ,  n'en  sçauroient  que  bien 
3>  dire  ;  et  qu'aucuns  du  pays  le  di- 
»3  sent  par  ainsi  :  voilà  comme  hom- 
33  mes  et  femmes  se  damnent  aise- 
3)  ment  par  leurs  sermens,  mesmes 
3>  que  les  plus  belles  reynes  et  prin- 
>3  cesses ,  quand  elles  tomberoient  en 
3>  tels  hazards  ,  ne  seroient  espar- 
33  gnées  non  plus  que  les  autres  ; 
33  puis  qu'une  grande  beauté  ne  porte 
3)  aucune  règle  ny  sauvegarde  avec 
»  soy  qu'elle  ne  soit  par  tout  des- 
33  prise'e ,  et  que  l'amour  en  cela 
3)  n'use  de  son  droit  et  autorite'  sans 
33  aucun  respect:  au  partir  de  là  sont 
33  quittes  pour  dire  et  jurer,  que 
33  leur  grandeur  a  fait  perdre  l'har- 
3)  diesse  à  ceux  qui  l'ont  voulu  en- 
>i  treprendre  ,  et  Dieu  sçait  (9).  » 

M.  Varillas  (10)  a  tire'  de  ce  livre 
de  Brantôme  tout  ce  qu'il  a  dit  de 
l'aventure  de  Julie  de  Gonzague. 

Il  s'est  trompé  quairt  au  temps:  il 
a  mis  cela  sous  l'année  i53^,  et  il 
aurait  dû  suivre  Paul  .love  (11)  qui 
en  parle  sous  l'an  i53zj. 


(g)  Brantôme  ,  Vies  des  Dames  illustres , 
pag.  2H2. 

(m;  Varillas,  Histoire  de  François  Ier.,  liv. 
Vil!,  !">{;■  '"■  347>  "  l'ann.  15^7. 

(iij  Paul.  Jovius,  llisl.,  lib.  XXXIII,  fol. 
m.  255. 


ÀGUE. 

GONZAGUE  (  Lucrèce  'de  ) 
est  une  des  plus  illustres  femmes 
qui  aient  vécu  au  XVIe.  siècle. 
Elle  releva  la  noblesse  de  sa  nais- 
sance par  l'éclat  de  son  esprit, 
par  son  savoir  (A) ,  et  par  la  dé- 
licatesse de  sa  plume.  Les  beaux 
esprits  de  ce  temps-là  ne  man- 
quèrent pas  de  la  louer  (B).  Elle 
écrivaitdesi  belles  lettres*,  qu'on 
les  ramassa  avec  un  extrême  em- 
pressement pour  les  donner  au 
public.  J'ai  vu  le  recueil  qui  en 
parut  à  Venise  l'an  i552.  On  y 
apprend  que  son  mariage  avec 
Jean- Paul  Manfrone  fut  fort 
malheureux.  C'était  un  homme 
qui  n'était  pas  digne  d'elle  par 
ses  richesses  ,  et  qu'elle  épousa  à 
regret  n'étant  âgée  que  de  qua- 
torze ans  (a).  Elle  se  consola  ai- 
sément de  ne  vivre  pas  chez  lui 
avec  tout  l'éclat  que  sa  qualité 
demandait.  On  ne  saurait  voir 
une  plus  belle  morale  que  celle 
qu'elle  étaladansunelet  Ire  qu'elle 
écrivit  à  un  moine  {b)  qui  la 
plaignait  d'avoir  été  mariée  à  un 
si  petit  campagnard  (Cj  ;  mais 
elle  fut  fort  chagrine  et  fort  dé- 
solée de  la  conduite  de  son  mari. 
Il  était  fort  brave  et  altier  (c)  , 
et  il  fit  certaines  actions  qui 
ne  demeurèrent  pas  impunies. 
Le  duc  de  Ferrare  le  fit  enlever , 
et  le  retint  plusieurs  années  dans 
unedure  prison  (d).  Parleprocès 

*  Ces  lettres  ,  en  italien  ,  pulilie'es  en  l552, 
in-8".  ,  à  Venise,  sous  le  nom  de  L.  de  Gon- 
zague, ne  sont  point  louvrage  de  cette  dame. 
Fontanini ,  Apostolo  Zeuo  et  Tiraboscki 
s'accordent  à  dire  qu  elles  sont  de  Laudo  ,  ou 
Landi  dont  Bayle  parle  dans  sa  remar(|iie  (B) . 

(a)  Voyez  ses  Lettres,  pag.  i5i  ,  21/j. 

{/')  Elle,  fut  écrite  au  père,  Bandel ,  et  se 
troupe  à  la  page  61. 

(c)  Voyez  les  Lettres  de  Lucrèce  de  Gon- 
zague ,  pag,  57  ,  lo5. 

{cl)  l'oyez  la  page  59  des  mêmes  Lettres. 


GONZAGUE.  149 

qu'il  lui  fit  faire,  il  le  trouva  pourquoi  elle  remua  ciel  et  terre 
digne  du  dernier  supplice  ;  niais  pour  obtenir  l'élargissement  de 
il  usa  de  clémence  ,  et  ne  voulut  son  mari  :  toutes  ses  peines  furent 
pas  le  faire  mourir  (e).  Notre  Lu-  inutiles.  Il  mourut  dans  la  pri- 
crèce  travailla  autant  qu'elle  put  son  (n) ,  après  avoir  témoigné 
à  lui  procurer  la  liberté.  Elle  ta-  dans  sa  disgrâce  une  impatience 
cha  d'attendrir  le  duc  de  Ferrare,  qui  fit  juger  qu'il  avait  perdu 
par  une  lettre  fort  toucbante(y):  l'esprit  (0).  La  réponse  que  fit  sa 
elle  implora  l'intercession  de  veuve  à  ceux  qui  lui  proposèrent 
Paul  III  (g-),  celle  de  Jules  III  de  se  remarier  mérite  notre  ad- 
(7?) ,  celle  du  sacré  collège,  celle  miration  (E).  De  quatre  enfans 
de  l'empereur,  celle  du  roi  de  qu'elle  avait  eus  (p)  il  ne  lui  res- 
France,  celle  de  tous  les  autres  ta  que  deux  filles  {q)  qu'elle  mit 
potentats  de  la  chrétienté.  Elle  dans  des  couvens  (r).  On  eut 
recourut  à  l'assistance  de  la  cour  tant  d'estime  pour  toutes  les  pro- 
céleste par  ses  oraisons ,  et  par  ductions  de  sa  plume ,  que  l'on 
celles  qu'elle  fit  faire  dans  tous  ramassa  jusqu'aux  billets  qu'elle 
les  couvens  et  dans  les  autres  écrivait  à  ses  domestiques  (F); 
églises  ;  et  quand  elle  vit  que  ce-  vous  en  trouverez  plusieurs  dans 
la  ne  servait  de  rien  ,  elle  forma  l'édition  de  ses  lettres.  Vous  y 
Ja  résolution  de  s'adresser  au  trouverez  aussi  beaucoup  de  mar- 
grand-turc  (i)  ,  et  lui  écrivit  ques  de  sa  vertu  et  de  sa  piété, 
une  lettre  flatteuse  et  respec—  Les  censures  qu'elle  fit  à  quelques 
tueuse  (A),  pour  le  supplier  personnes  impudiques ,  ou  ava— 
de  s'emparer  de  la  forteresse  où  res  ,  ou  arrogantes ,  sont  très- 
son  mari  était  prisonnier,  et  de  belles  (G)  et  ne  méritent  pas 
ne  faire  point  d'autre  mal  aux  moins  d'être  lues  que  celles 
états  chrétiens.  Elle  avait  re-  qu'elle  adressa  à  un  prêtre  qui 
mercié  très -humblement  (Z)  le  s'adonnait  aux  plaisirs  vénériens 
duc  de  Ferrare  d'avoir  épargné  la  (H).  On  peut  lire  aussi  avec  édi- 
vie  d'un  prisonnier  (D)  que  les  fication  ce  qu'elle  écrivit  à  une 
juges  avaient  trouvé  digne  de  mère  qui  avait  besoin  d'être  con- 
mort  :  mais  elle  eût  voulu  que  la  solée  pour  n'avoir  pu  persuader 
clémence  eût  été  portée  plus  loin,  à  sa  fille  d'aimer  mieux  le  cloître 
On  ne  mettait  point  son  époux  que  le  mariage  (s).  Elle  lui  débi- 
en liberté  :  elle  n'avait  pas  la  ta  en  peu  de  mots  les  plus  excel— 
permission  de  l'aller  voir:  ils  lens  lieux  communs  dont  les  pro- 
pouvaient seulement  s'écrire  (m),  testans  se  servent  pour  exalter  la 
et  cela  ne  la  contentait  pas  :  c'est  noblesse  et  la  sainteté  du  maria- 
ge.  N'oublions  pas  qu'elle  était 

(e)  Là  même,  pag.  58.  H1|e    de    pyrrhus    de    GoilZagUC , 

if)  Elle  est  a  la  page  16.  J                                          ° 

(g)  P"ff-  99- 

(h)  Pag.  loi.  (n)  Là  même  ,  pag .  221  et  suw. 

(i)  Vojez  ses  Lettres  ,  pag-.   10!}.  (»)  Là  même  ,  pag.  208. 

(k)  Elle  est  à   la  page  25?    de   ses  Let-  (p)  Là  même,  pag.  100  et  l5l. 

très.  (7)  Là  même,  pag.  l5i. 

/   là  même,  pag.  i58  ,  l5g.  (r)  Là  même  ,  pag.  i^i. 

{m)  Là  même  ,  pag.  i56.  (s)  Là  même  ,  pag.  3^  .  35, 


,5o  GONZAGUE. 

et  qu'elle  eut  des  frères  et  des 
sœurs  (/). 


(t)  Lettres  de    Lucrèce  de    Gonzague  , 
pag.  87. 

(A)  Elle  releva  la  noblesse  de  sa 
naissance  par.....  son  savoir.  ]  Il  n'y 
a  point  d'érudition  clans  ses  lettres  , 
mais  on  ne  laisse  pas  d'y  apprendre 
qu'°!le  e'tait  docte  ;  car  en  écrivant 
.1  .  ibortel,  elle  déclara  qu'il  lui 
fait  entendre  par  ses  commen- 
taires plusieurs  passages  obscurs  d'A- 
ristote  et  du  poète  Eschyle.  Egli  è 
gi  an  tempo  ,  che  vi  sono  affezionata 
per  i  beneficii  che  mi  senlo  haver  ri- 
cevulodai  vostri  divint  componipiénti, 
i  quali  m'hanno  illuminato  /' intel/etto 
in  molti  oscuri  luoghi ,  e  di  Aristo- 
tile  ,  e  di  Eschilo  ,  doue  il  vostro 
nobil  ingegno  s'è  moîto  affaticato  (1). 
Elle  s'était  moquée  de  ce  que  le  doc- 
teur Louis  Picco,  son  cousin,  ensei- 
gnait l'astrologie  à  sa  fille  ;  mais 
ayant  su  le  grand  service  que  Sulpi- 
tius  Gallus  et  Pétioles  avaient  ren- 
du ,  l'un  aux  Romains,  l'autre  aux 
Grecs  ,  par  la  connaissance  de  l'astro- 
logie ,  elle  voulut  l'étudier  ,  et  pria 
Louis  Picco  de  l'instruire  dans  cette 
science  (2).  L'une  des  choses  qu'elle 
étudia  le  plus  fut  la  rhétorique  (3). 
Il  paraît  aussi  qu'elle  apprit  beau- 
coup de  logique  de  Bandel  ,  son 
maître  (4)  ,  et  qu'il  lui  expliqua  Eu- 
ripide (5;. 

(B;  Les  beaux  espj-its  de  ce  temps- 
la  ne  manquèrent  pas  de  la  louer.  ] 
lïortcnsio  Lando  fut  celui  qui  s'y  em- 
ploya avec  le  plus  d'empressement. 
Il  lit  un  très-beau  panégyrique  de 
cette  dame.  Voyez  la  lettre  {6)  où 
elle  l'en  remercie  modestement ,  et 
où  elle  lui  représente  (7)  qu'il  aurait 
mieux  fait  de  garder  ses  conceptions 
ingénieuses,  et  ses  beaux  termes  pour 

(1)  Lettere  délia  signera  Lncrelia  Goniaga  da 
Gazuolo .  pa^.  7*« 

(?'i  I.a  lettre  qu'elle  lui  écrivit  est  à  la  page  5o. 

(3)  Litière  di  Lucretia  Gonzaga,  pag.  53. 

(/j)  Ibidem,  pag.  5a. 

(5)  Ibidem  ■  pag.  61. 

(fi)  Elle  est  à  la  page  3o.  Voyez  aussi  la  page 

161. 

(-)  MoltO  meglio  havreUe  voi  fatto  traspor- 
lando  nel  paneginco  délia  sic.  marchesana 
tutti  '  bel  conceUi,  e  tulle  le  scelle  parole  che 
destinaste  àlpartegirico  composta  per  illustrare 
1  ,„  .1  nome orcuro,  Lettere  di  Lucr.  Goniaga, 
pag.  3o. 


le  panégyrique  délia  signora   Mar- 
chesana (8).  Je  dis  ceci  afin  de  faire 
connaître  le  nom  d'une  autre  dame 
très-illustre  en  ce  siècle-là.  Le  même 
auteur   dédia  à   notre    Lucrèce    son 
Dialogue  del  temperar  gli  affetti  dell' 
animo  (9).   Il  y  eut  un  grand  com- 
merce  de  lettres  entre  elle  et   lui  : 
elle  lui  en  écrivit  plus  de  trente,  qui 
ont  été  imprimées.  Disons  un  mot  de 
celle    qui   est   à  la   page  21 5.    On  y 
trouve  Hortensio  Lando  un  peu  cen- 
suré de  ce  qu'il  se  chagrinait  excessi- 
vement   de    se   voir   pauvre.    On  le 
blâme  de  s'affliger  d'une  chose  dont 
on  lui  étala  les  commodités.  Essendo 
voi  persona  dolla  ,  e  taulo  bene  es- 
perta  nei  mondani  casi,   mi  maravi- 
glio  che  di  si   strana  maniera  vi  at- 
tristiate  per   la  poverta  ;    quasi  non 
sappiate  la  vila  dei  poveriesser  simile 
ad  una   navigatione  presso  il  lito  ;  e 
quella  de  ricchi ,  non  esser  différente 
da   coloro    che    si  rilrovano  in    alto 
mare  :  a  gli  uni  è  facile  giltarlafune 
in  terra ,  e  condur  la  nave  a  sicuro 
luogo ,  ed  a  gli  altri  è  sommamente 
difficile  ,  etc.  (10).    Jérôme   Ruscelli 
fut  l'un  des  panégyristes  de  cette  da- 
me. Cela  paraît,  par  une  lettre  qu'elle 
lui  écrivit,  et  dont  voici  le  commen- 
cement: Insieme  col  panegirico  Jatlo 
da  non  so  cui  ,  in  mia  commendatio- 
ne  ,   ho  anche  letto  la  bella  ,  e  pro- 
lissa lettera  che  per  voi   vi  si  è  ag- 
giunta  ;  nella  quale ,  m  havetertiratla 
col  penello    délia   vostra  facondia  , 
taie,  quale  io  doverei  essere  per  haver 
quella  perfettione  che  non  ho  (11). 
Lisez   aussi  l'autre  lettre  qu'elle  lui 
écrivit  (12).  Un  mémoire   qui  vient 
de  bon  lieu  m'apprend  ,  «  que  le  Ban- 
»  del  lui  a  dédié  une  de  ses  Nouvel- 
»  les -c'est  la  XXIe.  de  la  2e.  partie. 
»  C'est  là  qu'il  lui    dit  sur  la   fin  : 
»  Spero  ben  tosto  darvi  del  mia  il  H- 
»  bro  de  le  mie  stanze  tutto  composta 
»  in  vostra  Iode  ,  ove  vederete  corne 
»  io  mi  sforzo  a  farvi  immorlale  ;   et 
))  c'est  sûr  ces  stances  que  Jules-César 
»  Scaliger  ,  grand  ami  du  Bandel ,   a 
»   fait  une  assez,  mauvaise épigramme, 
»  qu'il  intitule  de  Bandelli amoribus 

(8    C'était  la  marquise  de  P adula  ,  de  la  mai- 
son de  Car  donne.  Ibiil.  ,  pag.  3i. 
(r,)  Ibidem,  pag.  i/(o. 
(10)  Ilnd.,  pag.  ai5. 
fu)  Lelteredi  Lucr.  Gonzaga,  pag.  76. 
(ia)  llnd.  ,  pag.  l3i. 


GONZAGUE. 


i5i 


»  thuscd  lingttâ  decantatis  (i3).»  On 

sera  peut-être  bien  aise  de  lavoir  ici  : 

Maxime    Phœbigenùm  ,  cui  Thutco  œqualis 
f/omero 
lydia  lUœonio  neclare  vena  fluil  : 
Umlè  libi  œlherios  iminensi  nummis  hauttus 

Largut  opum  pleno  peciore  spiral  atnor  ? 
Tanlus   erai    voies,  tanta  est  Lucrecia.  An 
ipsum 
Hoc  illi  délieras  :  an  dedil  illa  libi  ? 
Dum  cœlo  impunis  ,  transcendent  sidéra.  Sic 
le 
Dal  Dea,  lamrari  carminis  esse  Deum  (i4)- 

Voyez  dans  les  Nymphes  du  même 
auteur,  la  pièce  qui  a  pour  titre  :  Pro 
Diva  Lucrelid  Gonzagâ  Pyrr/ii  filià 
canit  Talarisla  (i5)  :  et  dans  les  Hé- 
roïnes, Têpigramme  intitulée:  Lu- 
cretia  Pyrrhi  Gonzagœ  F.  (i G).  Mais 
surtout  voyez  les  Rime  di  diversiau- 
tori  in  Iode  di  donna  Lucretin  Gonza- 
gâ, imprimées  à  Bologue,  l'an  i565, 
in-^°.  Mettons  encore  ici  un  passage 
de  Mattheo  Bandel  (17);  il  nous  ap- 
prendra le  nom  de  la  mère  de  notre 
Lucrèce  et  quelques  autres  particula- 
rités. Voici  comme  il  parle  a  la  mol- 
to  illust.  e  vertuosa  heroina  la  S.  Isa- 
bella  Gonzaga  di  Poccino ,  en  lui 
dédiant  la  LVIIe.  nouvelle  de  la 
ire.  partie.  Essendo  troppo  al  mondo 
manifeste)  il  débita  e  obligo  che  io  ho 
a  la  felice  ed  honorala  memoria  del 
valoroso  S.  Pwro  Gonzaga ,  e  de  la 
gentifissima  S.  Camilla  fientivoglia  , 
foslri  honoralissimi  padre  e  madré 
che  tanto  m  amavano  ,  e  tut/o  il  di 
con  nuovi  bcnejicii  m'obligavano  ,  e 
menlre  vissero ,  furono  da  me  (secon- 
da le  debo/iss'me  Jbrze  mie  )  sempre 
tenuti  in  quella  riverenza  che  io  seppi 
la  maggiore  ,  corne  fie  le  stanze  mie 
si  veder'a  che  io  in  Iode  ho  composte 
de  la  voslra  nobilissima  sorella ,  dal 
mondo  riverita  e  da  me  santissima- 
mente  amata  ,  la  signora  Lucretia ,  le 
quali  in  brève  saranno  publicate  ,  ove 
ancora  vederete  il  nome  vostro  essere 
celebrato. 

(C)  On  la  plaignait  d'avoir  été  ma- 
riée a  an  si  petit  campagnard.  J  C'est 
ainsi  qu'il  me  semble  que  je  puis  tra- 

(i3)  Mémoire  communique'  par  M.  de  la 
Monnoie. 

(i4)  Jul.  Cœsar  Scaliger,  in  Farra;ine  ,  pag. 
174  prima-  partis  poematum  ,  edil.  i5qi. 

(i5)  Elle  esta  tapage  278  de  la  /re.  partie. 

(16)  Elle  esta  la  page  Z-tn  de  la  même  partie. 

(17)  II  m'a  été  communique'  par  M.  de  la 
Monnaie.  • 


duire  ces  paroles  italiennes  :  Ho  in- 
teso  che  la  riverenza  voslra  molto  si 
c  maravigliata  che  i  miei  maggiori  mi 
maritassero  mai  in  huomo  di  si  poche 
facilita  ,  il  quale  ,  m'havesse  à  con- 
durre  in  una  poco  amena  villuccia,  et 
farmihabitare  in  unatorrepoco  de.gna 
degli  avoli  onde  ne  sono  secondo  la 
carne  discesa  ;  e  per  quanto  appare 
dalle  vostre  scrilte  a  mia  sorella  , 
assai  vene  doleste  (18).  Mais  afin 
qu'on  ne  se  fasse  pas  de  fausses  idées, 
je  dois  dire  ici  que  Jean-Paul  Man- 
frone  était  beaucoup  plus  considéra- 
ble que  ce  moine  ne  croyait.  Une 
lettre  de  son  épouse  nous  apprend 
qu'il  avait  eu  de  belles  charges  dans 
l'armée  vénitienne  ,  et  qu'il  avait 
ba"ti  de  magnifiques  palais.  Qu'on  lise 
ce  qui  suit,  on  y  trouvera  quelques 
autres  circonstances  de  sa  vie.  Vene 
supplica  tullo  il  territorio  f^icentino, 
donde  egli  ne  trahe  l'origine  ;  vene 
priega  la  citta  di  P ado  va  ,  dove  egli 
fanciullo  essendo  diligentemente  stu- 
dio :  vene  priega  il  Polesino  ,  dove 
molli  a  uni  praltico  ,  e  palazzi,  e 
gianlini  con  grande  arte  edifieb  ;  ve- 
ne priega  tutto  il  distretto  Manlova- 
no,  dove  sposandomi  benfanciulla,  si 
imparento  :  vene  priega  finalmenle 
tutto  il  senalo  Vinitiano  ,  il  quai  ha 
sin  dalle  fascie  per  condottiere  e  fe- 
delmente  ,  ed  honoratamenle  sempre 
servito  (19).  Voilà  les  raisons  que  sa 
femme  emploie  pour  engager  Paul  III 
à  intercéder  pour  lui. 

(D)  Elle  remercia  le  duc  de  Fer- 
rare  d' avoir  épargné  la  vie  d'un  pri- 
sonnier que  les  juges  avaient  trouvé 
digne  de  mort.]  Pour  bien  connaître 
les  circonstances  de  ce  procès  ,  il  faut 
voir  l'histoire  qu'Antoine  Brasavolus 
(10)  en  a  publiée.  Nous  apprenons 
dans  l'Epitorae  de  la  Bibliothèque  de 
Gesncr  ,  que  les  trois  premiers  livres 
d'un  volume  de  médecine  ,  composé 
par  Brasavolus  ,  contenaient  Histo- 
riam  oapli  et  supplicia  afjiciendi 
Pauli  IManfroni  propter  insidias  ad- 
versùs  ducem  ,  et  quomado  dux  ei 
vilam  donaverit,  sed  incarcère  reli- 
nueril  (21). 

(E)  La  réponse  qu'elle  fit  à  ceur 
qui  lui  proposèrent  de   se   remarier 

(18)  Lettres  de  Lucrèce  de  Goniagiie,pa£.  61. 

(19)  La  même,  pag.  ioo,  101. 

(20)  Médecin  illustre  de  Ferrare. 

(21)  Fpitome  BiWiotli.  Gesneri ,  pag.  65. 


i52  GONZAGUE. 

mérite  notre  admiration.  ]  J'avoue  mirées.  Nous  venons  de  voir  ce  que 
qu'ils  ne  gardèrent  pas  le  décorum  :  notre  veuve  répondit  au  sieur  Orsola 
ils  se  pressèrent  trop;  ils  tirent  la  Pellégrini,  qui  lui  avait  conseille  de- 
proposition  avant  qu'un  mois  se  fût  convoler  en  secondes  noces  ;  qui  lui 
écoule  depuis Tenteri-ement  du  mari,  avait,  dis-je,  conseillé  cela  le  mois 
Les  veuves  les  plus  coquettes  et  les  même  de  l'enterrement  du  premier 
plus  avides  de  mariage    feraient    pa-  mari.  Voyons  à  cette  heure  comment 


formulaire    du    style   des   conversa-    né  que  vers  la  fin  du  premier  an  du 

lions  ,  demandent   que  l'on  paraisse    veuvage.  Lucrèce  lui  déclara  qu'elle 

fort  affligée  pendant  quelque  temps ,     avait   été    si   malheureuse    avec    son 

et  fort  éloignée  du  dessein  matrimo-    mari,    qu'elle  trouvait  fort  étrange 

niai;  et,  comme  ceux  qui  croiraient    qu'on   lui   propos.1t    de   se  remettre 

se  rendre   agréables  par  les  conseils    sous  le  joug  conjugal  dont  Dieu  l'a- 

trop    hâtifs    de    mariage,    témoigne-    vait  délivrée.  Sachez,   dit-elle,  que 

raient  quelque  mauvaise  opinion    de    je    ne   m'y    remettrais    pas  ,    quand 

la   continence   d'une   veuve,   l'ordre    même  je  pourrais  trouver    un   mari 

veut  qu'on  les  repousse  avec  des  airs    plus  sage  que   Lélius ,  plus  beau  que 

de  colère.  J'avoue  donc  que  les  per-    Nirée ,  et  aussi  riche  que  Crassus.  Il 

sonnes  qui  furent  si  promptes  à  pro-    vaut  mieux  entendre  ses  propres  pa- 

poser  un  second  maria  notre  Lucrèce    rôles  (24)  :  Won  mi  posso  veramenle 

de  Gonzague,  observèrent  mal  le  ce-    pensare  che  fantasia  t*i  sia  \>enuta  in 

rémonial.   Mais  je  trouve  dans  sa  ré-    capo ,  di  procacciarmi  marito  ,    non 

ponse  je  ne    sais    quoi   qui   lui  fait    essendo   ancora  consunto  il  cadavero 

beaucoup  d'honneur,   et  qui  ne  res-    di  chi  già  prima  a  se  di  legitlimo  no- 

semble  pas  au  langage  artificieux  de    do  mi  lego ,  il  quale  mi  ha  fatto  sen- 

la  jeune  veuve   (22)  de  La  Fontaine,     tire  tanti  affanni,  che  se  divina  farza 

ytppena  ho  rasciutto  le  lagrime  che    non  mi  haresse  aiutata  ,    non  havrei 

giorno  e  notte  mi  sono  con  larghissi-    potuto    mai   resistere   a    tanti   guai  ; 

ma  i>ena  piovuieda  gliocchi  :  a  fatica    Iddio     finalmente    mi    ha     restituilo 

ho  posta  termine   ai  singhiozzt  ed  ai     quel/a  liberta  ,  che  m'era  slata  occu- 

sospiri  :  ne  anche  è   compiuto  il  mese    pata  dalla  f rater na  volunïa ,  dando- 

che  l'infelice  mio  consorte  è  slato  se-    mi  matvto  contra  mia  woglia  ;   e  \>oi  , 

polto,  e  i'oi  gia  mi  parlate  di  rima-     non  so  da  quai  spirito  guidata ,  cer- 

ritare   !   Non    sapele    voi   casta    non    cale  di  condurmi  unaltra  fiata  sotto'l 

esser  mai  stata  istimata  ,  chi  due  fiate     marital  giogo  :  ponete  pur  il  vostix> 

si  è  maritata  ?    Didone  ancora  presso    core  in  pace  ,    e   pensale   ad   a/tro  ; 

di    Virgilio  ,    chiama  sotto    nome   di    che  non  ritoglierei  marito  s'egli  fusse 

colpa    le   seconde  nozze  ,   e    voi  con    pik   savio   di    quel   Lelio ,  che   hebhe 

tanta  instanza  mi  ci  invitale  ?  ]Yo  no;     il     titulo     del     savio  ,     s'egli    fusse 

io  non  voglio  piii  sentire   de  si  falti     niù  hetlo  di  Nireo  ,   e    s'egli  posse- 

cordogli  ;  ne  altro  marito  intendo  pih    desse  lefacii/tit  di  Crasso.  Voilà  donc 

di  v'olere  che    Giesu    Christo    (ï3).     une  veuve  bien  différente  de  celle  de 

Tout  le  reste  de  la  lettre  roule  sur  le    La    Fontaine.    Elle  parle  au  bout  de 

dessein    de   se    consacrer   désormais    l'an  tout  comme  le  premier  jour  :  on 

uniquement  à  Jésus-Christ  comme  à    ne  peut  donc  pas  lui  appliquer  ces 

son  époux.  Il  y  a  de  Fexcès«dans  ce     quatre  vers  : 

que  noire  Lucrèce  assure,  qu'on  n'a 

jamais  estimé  chaste  une  femme  qui 

se  remarie  :  mais  il  est  sl\r  que  celles 

qui  n'ont  jamais  voulu  se  reniai  ici'  , 

et  qui  oui  \éen  sans  reproche  dans 

le  veuvage ,  ont  été  toujours  plus  ad-    Je  me  crois  oblige'  «radoucir  un  peu 

la  critique  que  j'ai  faite  des  pense'es 

(22)  C'eit  te  titre  que   M.   de  la  Fontaine  a  ,JC   cotte  daine  ,   lorsque   j'ai  dit   qu'il 

donné  h  la  fable  XXI  du  livre  VI,  pa$.  226  du  *        J                  ' 

IIe.  tome  ,  édit.  de  Paris,  1678.  (2/))  Ijucretia  Gomaga  ,  lcltcrr  ,  pdf;.  2i4- 

(23y  Lucielia  Gotuaga  ,  lellcre,  pai;.  2i3.  (25)  La  Fontaine  ,  fable  XXI  du  livre  VI. 


Entre  la  veuve  d'une  anne'e 
Et  la  veuve  d'une  journe'e 
La  différence  est  grande.  On  ne  croirait  Ja- 
mais 
Que  ce  fut  la  même  personne  (î5). 


GONZAGUE.  i53 

y  avait  de  l'excès  dans  ses  exprès-    Ajoutons  que  la  vertueuse   Lucrèce 
sions.  On   peut   excuser  cet  excès  en    de    Gonzague    a\ ;ùt.    été    éblouie    <lu 
supposant  que  notre  Lucrèce  avait    grand  éclat  de    réputation  qui  envi- 
adopté  avec;   un  peu  trop  de  respect    ronnait  jusque  clans  le  paganisme  les 
les   maximes   de    saint   Jérôme.    Les    femmes  qui  ne  se  remariaient  point. 
plus. sages  critiques  observent  que  ce    Etant  ainsi    éblouie  ,    elle   conclu! 
grand  saint  a  outré  un  peu  cette  ma-    qu'on   ne    croyait    pas    bien   ebastes 
tière.  Voici  un  passage  de  M.  Dail-    celles  qui  prenaient  un  second  mari. 
lé  (26).  Je  passe  ce  qu'il  dit  h   tout    Elle  avait   lu   sans  cloute  les  paroles 
propos  de  contumélieux  ,  et  contre  le    que  je   citerai    bientôt   d'un   auteur 
mariage  en  général,  et  contre  les  se-    païen  ,   où  nous  apprenons  que  l'on 
condes -noces  particulièrement,  usant    décernait  une  couronne  de  pudicité 
quelquefois    d'expressions    si    crues  ,     aux   femmes  qui    n'avaient  eu    qu'un 
au' après  avoir employé  pour les  expli-    mari,  et  que  par-là  l'on  faisait  con- 
quer  toutes  les  ouvertures  dont  il  nous    naître  que  l'on  regardait  la  réitéra- 
avise  lui-même  en  l'épître  qu'il  écrit    tion  du   mariage  comme  une  espèce 
h  Pammachius  sur  ce  sujet  ,   il  sem-    de  dérèglement.  Quœ  uno  contentas 
/•le  néanmoins  impossible  de  leuroter    mtilrimonio  fueranl  ,   cOTOnâ  pudici- 
le  sens  de  Tertutlien  ,  condamné-  pur    tiiv  konorabantur.  Ea  islimabant  cnini 
l'Église  comme  contraire  h  l'honné-    eum  prœcipuè  matronœ  sincerâ  fuie 
tête  du  mariage  ,   et  a   l'autorité   de    incorruptum  esse  animum  ,    qui  post 
l'  Ecriture.    Par  exemple  ,    avec  quel    depositœ  virginilatis  cubile   in  jnthli- 
miel ,  et   avec  quel  sucre  saurait-on    cum  egredi  nesciret  :  mu/torum   ma- 
adoucir  ce   qu'il  dit,  écrivant  a  une    trimoniorum experienliam,  quasi  ille- 
dame  nommée  Furia  (*')  :  Qu'elle  ne    gitimœ  (28)  cujusdam  intempérant  au 
sera   pas    tant  louable  de   demeurer    signum  esse  credentes  (29).  Je  crois 
veuve  ,  qu'elle  sera  exécrable  si  elle    aussi  qu'elle  avait  lu  dans  Tertullien, 
se  remarie,  ne  pouvant  se  conserver,    les  privilèges  que  le  paganisme  ac- 
chrétienne,  ce  que  plusieurs  femmes    cordait  aux  femmes  qui  n'avaient  été 
de  sa  famille  avaient  observé  ,  païen-    mariéesqu'imefois.Â/o«0£wmVirt/H«Z 
nés  j   conception  qu'il  répète   encore    Ethnicos  in  summo  honore  est  :  ut  et 
en  l'épître  suivante,  exhortant  -Age-    virginibus  nubentibus  univira  pronu- 
ruckia  au  même  dessein  (*2),  et  aine-    ba  adhibeatur ,  et  sic  auspicii  initium 
ne  sur  ce  sujet  des  comparaisons  peu    est.  Item  in  quibusdam    solemnibus 
bonnes,  appliquant   il    celles  qui   se    et  auspiciis,  ut  prior  sit  univirœ  locus. 
remarient  le  proverbe  dont  use  saint     Celle  Flaminia  non  nisi  univira  est. 
Pierre  sur  un  autre  propos  ,  un  chien    Lipse  allègue  ce  passage  de  Tertul- 
retournant  à    son   vomissement  ,   et    lien  ,   lorsqu'il    commente    l'endroit 
une  truie  lavée  à  se  vautrer  dans  les    où    Tacite   observe    que   la   fille   de 
boues.   N'est- ce  pas   la   clairement    Pollion  fut  préférée  à  la  fille  de  Fon- 
ranger   les   seconds  mariages  entre    teins  Agrippa  ,  par  cette  seule  raison 
les  choses  sales  et  pollues  ?   Si  vous    qu'elle   avait  pour  mère  une  femme 
voulez  mieux  connaître  ce  qui  con-    qui  n'avait  eu  qu'un  mari.  Il  s'agis- 
cerne  la  pudicité   que  saint  Jérôme    sait  de  l'élection  d'une  vestale,  l'r.r- 
attribue   aux    ancêtres    féminins  1  de    lata  est  Pollionis  filia  non  ob  aliud 
Furia,   lisez    l'article   Camille  (27).     quant  quôd  mater  ejus  in  eodem  con- 

jugio  manebat.  Dfam  Agrippa  disci- 

(a6)  Daillé,  de  l'Emploi  des  pires ,  liv.  II ,    dio  domum    imminuerat    (3o).  Lipse 

chap.  IF,  Pag.  m.  38i.  „     „      ne  rapporte  point  tous  les  privilèges 

(*')  Id.,   Ep.  10  ad  Furiam,  t.  I  ,  p.  8q,  D.       i        .   £.'     .     nf         /•-.  .  •  r  -i  & 

et  Soi,  C.  Ut  non  tnm  laudanda  >is  ,  si  v'dua    «ont  Tertullien  fait  mention  :   il  ne 

persévères,  quàm  execranda  ,  si  id  christiana  non  dit  point  qu'il   II  y  avait  C[lie  les  fem- 

serves  ,    quod   per  lanta  swcula  gentiles  fœminœ  mes     monogames     (3f)    qui    pUSSeOt 

custodierant.   Mox     p.  90,  G.   Canis  revertens  „        ,      couronne    s„r   ]a   tête  de  la 
ad  vomitnni  ;  et  sus  Iota  ad  volutabruiu  luti. 

(*7)  Id.  Ep.  11.  ad  Asmich. ,  loin.  1  ,  pas.  ,                 .     .  . 

101,    C.  tôt.  Haecbvevi   sermone  perstrinxi ,  ul  (?8)  Les  meilleurs  manttscritsporlentlegihaite 

ostendam    adolescentulam    meam    non   pirestare  ('o)    Valerius   Maximits,    lib.    II,    cap.    I, 

nionogamiain  generi  suo  ,  sed  reddere  ,  nec  tain  num.  3.                                                             r  ,vm 

laudandam  esse  si  tribuat ,   quàm  omnibus  exe-  0°)  Tacit.,  Annal.,  lib.  II,  cap.  LXXXrl. 

crandam  si  negare  lentaveiit.  {il)    C'est-à-dire,    qui    n'avaient,    eu    qu'un 

(a-)  Tcmç  IV ',  pag.  3S(j,  remarque  (F).  mait. 


ï54  GONZ 

Fortrtue  féminine  (3a).  Je  ne  dis  rien 
des  épitaphes  où  l'on  marquait  soi- 
gneusement. Fépithéte  cVUnivira  en 
riionncur  des  femmes  qui  ne  s'e'taient 
point  remariées.  C'est  une  preuve  que 
l'on  regardait  cette  conduite  comme 
une  chose  qui  méritait  l'immortalité'. 
L'exclamation  de  Libanius  nous  peut 
apprendre  que  cette  conduite  était 
admire'e  entre  autres  raisons  à  cau- 
se qu'on  n'en  voyait  pas  beaucoup 
d'exemples.  Ce  sophiste  ayant  appris 
que  la  mère  de  saint  Chrysostome 
était  Agée  de  quarante  ans,  et  veuve 
depuis  vingt  années  ,  s'écria  :  Bon 
Dieu  !  quelles  femmes  trouve-t-on 
dans  le  christianisme  (33)  ! 

L'auteur  des  Nouvelles  de  la  Piépu- 
blique  des  Lettres  a  dit  quelque  part 
qu'un  certain  éloge  qu'on  venait  de 
faire  du  mariage  était  appuyé  sur 
des  raisons  qui  prouvent  trop,  et  qui 
ruinent  une  notion  qui  a  été  fort  com- 
mune ,  même  parmi  ceux  qui  ,  pour 
des  raisons  politiques  ,  attachaient 
une  espèce  de  déshonneur  au  célibat. 
Cette  notion  est,  qu'une  veuve  qui  ne 
se  remarie  point  est  plus  estimée  ,  les 
autres  choses  étant  égales  ,  qu'une 
veuve  qui  se  remarie.  Quand  nous 
n'auiions  pas  une  foule  d'autorités 
sur  cela  ,  les  seules  paroles  que  Vir- 
gile met  en  la  bouche  de  Didon  nous 
apprendraient  quel  a  été  là-dessus  le 
goût  des  anciens  : 

Me  meos  primus  qui  me  sibi  jnnxit,  amores 
Abstulit.    llle  babeal   secum  servetque  sepul- 
cro. 

JEneid. ,  IV,  28. 

Les  idées  d'honnêteté  sont  plus  favo- 
rables aux  secondes  noces  des  hom- 
mes ,  il  enfant  demeurer  d' accord  ; 
mais  il  est  pourtant  certain  que  ces 
noces  ont  été  sujettes  autrefois ,  et  le 
sont  encore,  a  des  peines  canoniques; 
et  si  l'on  en  croit  le  savant,  juriscon- 
sulte qui  a  fait  les  Droits  de  la  reine, 
la  dévolution  qui  a  eu.  lieu  en  cer- 
tain pays  n'y  a  été  établie  que  pour 
refréner  l'incontinence  des  veufs  , 
et  pour  les  empêcher  de  convoler  en 
secondes  noces,  au  grand  préjudice 
des  enfans  de  leur  premier  mariage 

(3î)  ForiuriB  muliebri  coronam  non  imponc- 
nal  nisi  univira,  Tertull. 

C3)  Zet0xi,  Ê'q>»  ,  o(*i  m.pk  Xtiç-i^voTç 
yvva.tx.ic  itTt.  Cbrysost.  Orat.  ad  viduam  ju- 
uiorcui ,  loin.  IV,  pag.  Sïi  0. 


AGUE. 

(34).  Ce  qu'il  dit  de  Didon  n'a  pas 
été  inconnu  à  l'illustre  dame  qui  sert 
de  matière  à  cet  article.  Je  ne  sais  si 
elle  avait  lu  le  passage  de  Pausanias, 
que  j'ai  rapporté  dans  l'article  Gor- 
gophone  ,  ou  les  raisons  que  Plutar- 
que  allègue  pourquoi  les  noces  des 
filles  ne  se  célébraient  jamais  dans 
Rome  les  jours  de  fêtes ,  ni  celles  des 
veuves  un  jour  ouvrier.  Selon  Var- 
ron  ,  le  fondement  de  cette  coutume 
était ,  qu'il  ne  faut  rien  faire  contre 
son  gré  les  jours  de  fête  (35)  :  or  , 
ajoutait-il  ,  une  veuve  se  remarie 
avec  plaisir  ,  mais  une  fille  ne  se 
marie  qu'avec  douleur  (36).  Cette 
pensée  serait  indigne  de  ce  savant 
homme ,  si  nous  la  prenions  à  la  let- 
tre :  il  faut  donc  dire  qu'il  n'a  parlé 
que  des  apparences.  Son  sens  est  sans 
doute  que  les  jours  de  fête  étant 
destinés  aux  réjouissances  publiques, 
il  faut  que  la  joie  soit  répandue  sur 
tous  les  visages  pendant  ces  solen- 
nités. Puis  donc  que  les  lois  de  la 
bienséance  engagent  les  filles  à  faire 
paraître  un  air  sombre  et  morne  le 
jour  de  leurs  noces  (37)  ,  et  que  les 
veuves  sont  dispensées  de  cette  gri- 
mace ,  on  ne  marie  point  les  filles 
un  jour  de  fête  ,  etc.  Parlons  d'une 
autre  raison  alléguée  par  Plutarque. 
11  dit  que  le  mariage  étant  hono- 
rable aux  filles  et  honteux  aux  veu- 
ves ,  il  faut  célébrer  les  noces  des 
filles  en  présence  de  beaucoup  de 
gens ,  cela  est  glorieux  à  la  mariée  ; 
mais  au  contraire  les  veuves  doi- 
vent souhaiter  que  leurs  noces  soient 
célébrées  en  présence  de  peu  de 
gens ,  et  c'est  pour  cela  qu'elles  choi- 
sissent un  jour  où  chacun  est  attiré  à 
d'autres  spectacles  :  "H  p.SL\MV  oTijaîi 
pàv  Trctp&hoiç,  x.clkov  p.»  hxiycev ,  ra.iç  Se 

X*pcLU  Ct'lTXfOV  7T0KXUV  ovtûjv  ya.piÎTfta.1  ; 

£h\ù>tÔç   yà.p  0  TTfciôroç  yapoç,  0  <Ts  ê'iv- 

(34'  Nouvelles  de  la  République  des  Lettres, 
sept.  i685  ,  art.  III,  pag.  968  ,  9G9. 

(Wh.oprt)  Si  //»âsv   Mffoupivovç  woiem 

p.y\SsT(hçà.va.yx.y\.  Feslo  die  n ihil  cum molestid 
etcoactione  agendum.  Plut.,  in  Qurest.  Roman., 
pag.  289,   A. 

(36)  Ai/7roôy.iva.t  ph  <*'  tta^îvoi  yct- 
y.oûvToti,  XeLh^'J<TeL>  ^  eùyuvAMiÇ.  Virgi- 
nr<  nubere  tristes,  mulieres  autem  cum  lauilid. 
Idem,  ibidem. 

Ci-])  Sans  doute  c'était  l'usage  de  Rome,  et 
c'est,  encore  l'usage  de  plusieurs  pays. 


GONZAGUE. 


£û)VTû>V    TffiV    TrpOTÎpWV    ITtpOVÇ    XH/aCoLVU)- 

o-iv  ,    oifi/fOVTati  <fs  «tv  à^•oâs<.v&VTCev•   G^êV 

«3-H^l'tl    XtthWC'1     f*^MV      *     ëopuCoiÇ    KdLl 

7rto7rti/ui7ra.7ç'  «tt  «Ts  êopT<*<  wepi^Trws-»  tokç 

^/;/t  fluia  Jecori  est  (drginibus  nup- 
tins  earum  multis  prœsentibus  pera- 
gi ,  idemque  viduis  dedecori  ?  primée 
enim  nupliœ  optamlœ  sunt  et  in  pre- 
cio  :  sccuntlœ  votis  recusandœ  ,  quôd 
vel  cum  turpitudine  nubunt  wivente 
priore  marito  ,  vel  cum  luctu ,  si  is 
sit  mortuus.  I  laque  vidu.ce  ad  suas 
nuptias  quiète  magis  gaudent  quant 
j'requentiâ  hominum  et  tumultu;  fes- 
tiritates  porrà  multitudinem  ad  se 
trahunt ,  nequc  nuptiis  vacare  pa- 
tiuntur  (38).  J'ai  cru  qu'il  fallait  ci- 
ter toutes  les  paroles  de  Plutarque, 
parce  que  dans  le  précis  que  j'en  ai 
donne  en  français  ,  je  n'ai  pas  repré- 
senté toute  la  force  des  expressions 
et  des  circonstances  par  lesquelles  il 
a  témoigné  le  peu  d'estime  que  l'on 
avait  pour  les  seconds  mariages  d'une 
femme.  Si  vous  joignez  à  cela  les  ré- 
ponses qui  furent  faites  par  quel- 
ques dames  illustres,  lorsqu'on  leur 
parla  d'épouser  un  second  mari  (3g), 
vous  excuserez  ce  qu'il  y  a  d'ex- 
cessif dans  les  paroles  de  notre  Lu- 
crèce. 

Souvenez-vous  de  la  réponse  d'une 
autre  dame  de  la  maison  de  Gonza- 
gue  (4o). 

(F)  On  ramassa  jusqu'aux  billets 
qu'elle  écrivait  h  ses  domestiques.  ] 
On  n'oublia  pas  même  ce  qu'elle  écri- 
vit à  son  estafier  ,  pour  le  gronder 
de  ce  qu'il  n'obéissait  pas  prompte- 
ment  à  dame  Lucie  ,  qui  avait  soin 
de  la  dépense  (40-  ^n  n'oublia  point 
non  plus  ce  qu'elle  écrivit  à  cette 
Lucie  pour  lui  défendre  d'être  si  mé- 
nagère ,  et  pour  lui  donner  ordre  de 
fouetter  jusqu'au  sang  une  servante 
désobéissante.  Se  Livia  non  vi  è  obe- 
diente  ,  alzatele  in  capo  i  drappi  et 
dale/ene  tante  che  le  carni  si  faccia- 
no  livide  ed  il  sangue  le  scorra  fino 
aile   calcagna   (  !\i  ).    Je    ne   sais    si 

(38)  Plut.  ,  in  Qiiœst.  Roman. ,  pag.  289,  A. 

(3q)  Voyez  la  remarque  (F)  de  l'article 
Porcie,  tom.  XIT. 

(4o)  Voyez  l'article  Gonzacue  (Julie)  ,  cita- 
tion (1). 

(40  Cette  Icltre  est  a  la  page  22G.  Voyez 
aussi  ce  qu'elle  écrivit   à   son  sommelier ,  pag. 

«22. 

(40  La  mciue  ,pag.  227. 


M.  Montreuil  s'est  réglé  suvcet  exem- 
ple lorsqu'il  a  mis  dans  le  recueil 
de  ses  lettres  ce  qu'il  écrivait  à  son 
bouclier  (  43  )  ;  mais  je  m'imagine 
qu'on  aurait  pu  supprimer  cette  es- 

fièce  de  billets  de  notre  Lucrèce  sans 
ui  faire  tort.  Je  fais  un  autre  juge- 
ment des  billets  qui  nous  appren- 
nent qu'elle  s'appliquait  avec  un 
grand  soin  à  marier  ses  domestiques. 
Cela  fait  beaucoup  d'honneur  à  sa 
mémoire.  C'est  une  des  bonnes  qua- 
lités qu'une  grande  dame  doit  pos- 
séder ,  et  en  même  temps  c'est  une 
vertu  qu'on  ne  trouve  guère  dans  le 
grand  monde  ;  car  si  une  dame  est 
mal  servie  ,  elle  se  défait  de  ses  ser- 
vantes et  de  ses  femmes  de  chambre, 
etc. ,  sans  les  récompenser;  et  si  elle 
en  est  bien  servie  ,  elle  les  garde 
aussi  long-temps  qu'elle  peut  ,  sans 
leur  procurer  un  mariage  qui  la  pri- 
verait des  bons  services  qu'elles  lui 
rendent.  Il  n'y  a  point  de  personnes 
qui  soient  plus  inexcusables  dans 
cette  conduite  que  les  dames  à  grand 
train  ,    à  grand  équipage  ;   car  elles 

Îieuvent  connaître  très-aisément  par 
a  familiarité  qui  se  noue  entre  leurs 
domestiques  de  différent  sexe,  qu'el- 
les leur  feraient  un  grand  plaisir  en 
les  mariant.  La  vigilance  la  plus  exac- 
te des  maîtresses,  leur  sévérité,  leurs 
exhortations  ,  leurs  censures  ,  n'em- 
pêchent point  les  liaisons  et  les  tête- 
à-tête  des  domestiques  ,  ni  d'autres 
commerces  encore  plus  forts  ,  dont 
les  suites  scandaleuses  éclatent  assez 
souvent.  Cela  découvre  avec  la  der- 
nière évidence  ce  qu'il  faudrait  faire 
pour  récompenser  les  services  que 
l'on  a  reçus.  Blâmons  donc  les  dames 
qui  n'imitrîii  pas  notre  Lucrèce  , 
louons-la  de  son  affection  et  de  son 
honnêteté  pour  les  personnes  de  son 
sexe  qui  la  servaient.  Elle  eut  la  bonté 
d'écrire  elle-même  à  Cornélia  Gian- 
notti  qu'elle  lui  avait  trouvé  un  mari 
jeune  ,  riche  et  bien  fait.  Elle  lui  en 
décrivit  exactement  les  perfections  ; 
qu'il  avait  beaucoup  d'esprit ,  qu'il 
était  honnête  dans  ses  discours  (44)  > 
poli  dans  ses  manières ,  industrieux  , 
grave  ,  civil ,  etc.  Voilà  pour  ce  qui 
regarde  l'âme.  Elle  noublia  point  ce 

(43)  Vorez  l'article  Pats,  remarque  (B),  t.  XI. 

(44)  Dalla  sua  hocca  non  usci  mai  parola, 
(  non  dico  vergognosa  )  ma  ne  pur  leggiera  « 
licenliosa.  Lctlerc  di  L.  Goiuaga.  ,  pag.  221. 


i56 


GONZAGUE. 


qui  concernait  le  corps  5  elle  entra  Les  tentations  de  la  chair  sont  sem- 
même  dans  un  détail  bien  particu-  blables  aux  sirènes  :  il  faut  s'en 
lier.  Venso  hora  aile  qualita  corpa?  éloigner  si  l'on  veut  s'en  garantir  (4g): 
rali ,  dit-elle  ,  le  quai  sonomi  parute  Non  ti  i>ego  porre  alcuna  di/igenza 
degne  di  conlemplatione  ,  percioche  per  schivar  quelle  cose  che  alla  libi- 
eeli  è  piu  tosto  robusto ,  che  delicato,  dine  incitar  ti  possono  ,  ed  è  ben  ra- 
tion molto  grande ,  ma  ihoroso,  d'oc-  gione  che  cm  ama  il  pericolo  pe- 
chio  vwacissimo  ;  di  largo  petto  ;  di  risca  nel  pericolo.  Sono  le  lenla- 
fianco  rotundo  ;  di  gamba  svelta  ,  di  tioni  carnali  simili  aile  sirène  ,  dalli 
fronte  ampia  ;  di  capo  londo  ,  e  rie-  quali  pochi  ne  scampano  ,  se  non  si 
~ciuto  ,  ne  aggiugne  al  ventesimo  an-  allontanano  (5o).  Voilà  ,  pour  le  dire 
no  (  per  quanto  si  dice  )  (45).  Tout  en  passant ,  une  illusion  très-com- 
cela  montre  qu'elle  avait  choisi  en  mune.  On  se  plaint  de  ne  pouvoir 
bonne  maîtresse  et  en  bonne  amie,  résister  à  certaines  tentations  ,  quoi- 
Une  autre  fois  ,  ayant  trouvé  un  qu'on  les  combatte  de  toutes  ses  for- 
parti  avantageux  à  quelqu'une  de  ses  ces  ,  dit-on.  Mais  est-ce  les  combat- 
femmes  ,  elle  lui  en  écrivit  prompte-  tre  de  cette  manière,  que  de  se  uour- 
ment  l'heureuse  nouvelle  ,  et  l'exhor-  rir  des  meilleures  viandes  ,  que  de 
ta  d'un  côté  à  rendre  grâces  à  Dieu,  faire  toutes  sortes  de  visites,  que 
et  de  l'autre  à  se  tenir  propre,  afin  de  chercher  les  conversations  les  plus 
que  le  galant  qui  devait  la  venir  agréables  ,  etc.  ?  Il  est  si  facile  de 
voir  ne  la  prît  pas  pour  la  cuisinière  :  franchir  les  bornes  qui  séparent  les 
Rallegrali,  Giulia  ,  ed  alza  le  mani  plaisirs  permis  des  plaisirs  défendus, 
al  cielo  ,  poi  che  menlre  son  stata  qu'on  ne  saurait  croire  qu'une  per- 
alla  fera  di  Rovigo  ,  ti  ho  tivt'ato  sonne  travaille  sincèrement  à  bien 
un  marito  di  tal  qualita  che  ogn'uno  vivre ,  lorsqu'elle  ne  renonce  pas  à 
che  lo  conosce  lo  giudica  laborioso...  plusieurs  commodités  innocentes. 
ponli  adunqne  in  ordine  ,  percioche  Raffrenati  eziandio  dai  leciti  pia- 
io  penso  ch'cgli  se  ne  \>ei~ra  con  noi  ceri  (5i),  faut-il  dire  aux  voluptueux, 
alla  Fratta  ;  fa  che  non  ti  ritroui  con  comme  on  le  disait  à  la  débauchée 
i   capegli  scarmigliati  ;   col  uiso  tin-    dont  je   parle   ici.  Cette  impudique 

10  ,  o  con  le  mani  impastricciate  co-  avait  une  sœur  qui  menait  la  même 
me  se  tufussi  la  cuoea  (46).  Elle  ren-  vie  :  Lucrèce  lui  écrivit  une  longue 
dit  un  pareil  service  à  l'une  des  fem-  lettre  (5a)  qu'elle  remplit  des  rai- 
snes  de  sa  sœur  (47 )■  sons  les   plus  capables  de   convertir 

(G)  Les  censures  qu'elle  fit  a  quel-  cette  créature.  On  ne  peut  pas  s'ex- 
ques  personnes  impudiques  ,  ou  ai>a-  primer  plus  éloquemment  ni  plus  vi- 
res ,  ou  arrogantes ,  sont  très-belles.]    vement   qu'elle   fait  contre    la   bru- 

11  faut  lire  ce  qu'elle  écrivit  à  une  talité  de  ce  vice.  Elle  n'est  pas  moins 
personne  de  son  sexe  ,  laquelle,  pour  éloquente  lorsqu'elle  censure  un 
s'excuser  de  ses  impudicités  ,  allé-  vieux  pécheur,  et 'qu'elle  le  tourne 
guait  l'inutilité  de  sa  résistance  (48).  en  ridicule  :  Oh  bella  cosa,  che  per 
Notre  Lucrèce  lui  donna  entre  au-  tutta  la  citta  rosira  si  dica ,  che  non 
très  conseils  celui  de  manger  fort  ui  possate per  vecchiezza  che  i-i  hab- 
peu  ,   de  ne  dormir  guère ,  de  chas-    bia   sovragiunto  dislogliere  dalle  li- 

ser  l'oisiveté,   de  fuir  les  conversa-    bidinose  schifezze Fra   tutti  i 

tions  lascives,  de  s'abstenir  des  plai-  mostri ,  niuna  cosa  è  piu  mostruosa 
sirs  permis,  d'étudier  les  saintes  let-  di  un  vecchio  libidinoso.  Conlem- 
tres  ,  et  de  vaquer  à  l'oraison.  Je  ne  plate  àlmeho  allô  specchio  i  canuti 
m'étonne  pas ,  lui  dit-elle ,  .que  vous  capegli,  la  canuta  barba  ,  la  fronte 
n'ayez  pas  la  force  de  vous  priver  rugosa  ,  e  la  faccia  simiglianle  ad 
des  plaisirs  grossiers  ;  car  je  ne  vois  un  cadauero  (53).  Ce  qu'elle  écrivit 
pas  que  vous  vous  teniez  sur  vos 
gardes  pour  vous  éloigner  des  cho- 
ses  qui   vous  excitent  à  la  luxure. 


(45)  I.etterc  di  L,  Gon/.aga ,  pag.  221. 

(,',(!)  Ibidem,   pag.  i43. 

(/,-)  Ibid. 

(.j8)  Ibid.,  pag.  292,  2g3. 


(ijf))  Conférez  ce  qui  est  dit  dans  l'article 
FoNTEVRACD,  remarques  (M)  et  (fi),  tout.  VI. 

(5o)  Lcltcre  di  L.  Gonzaga,  pag.  2C)3. 

(5i)  Ibid. 

(5i)  Ibid. ,  pag.  294  et  suiv.  Voyez  ce  qu'elle 
écrivit  h  d'autres  débauchées  ,  pag.  128,  i(JG. 

(53)  Letlcre  di  L.  Gonzaga,  pag.  29S. 


GORGOPHONE. 


à  un  homme  qui  ,  bien  loin  d'avoir 
trouve  dans  le  mariage  la  guérison 
île  ses  désordres  ,  y  était  devenu 
plus  lascif,  n'est  pas  moins  fort  (54). 
Si  elle  avait  voulu  censurer  toutes 
les  personnes  que  ni  la  vieillesse  ni 
le  mariage  ne  retirent  pas  de  cet 
abîme  ,  elle  aurait  écrit  plus  de  let- 
tres qu'il  n'en  faudrait  pour  deux 
volumes  in-folio.  Quant  aux  person- 
nes avares  ou  superbes  qu'elle  a  t;1- 
ché  de  corriger,  voyez  les  pages  que 
je  cotte  (55j. 

(H)  et   ne  méritent  pas  moins 

d'être  lues  que  celles  qu'elle  adressa 
ii  un  prêtre  qui  s'adonnait  aux  plai- 
sirs vénériens.  ]  Voici  de  quelle  ma- 
nière  elle  lui  parle  (5G)  :  Egli  è pur 
forza  che  posposto  og/ii  rispetto  ,  io 
ri  ammonisca  ,  e  vi  faccia  ravve- 
derc  dei  rostri  sporchi  j'alli  ,  voi  sa- 
cerdole  d'inmo,  tutto  consacrato  aile 
cose  divine  ,  non  vi  vergognerete  toc- 
care  la  putrida  carne  di  una  mere- 
trice  ,  con  quella  bocca  ,  con  laquale 
ricevete  il  corpo  del  nostro  Signore  ; 
et  non  vi  vergognerete  trattare  si 
odiose  brutlui'e  con  quelle  istesse  ma- 
ni,  con  lequali  celebrale  que/lo  inef- 
Jabile  misterio  ministrandovi  gliagno- 
li  ?  Oh  corne  non  si  patono  insieme , 
farsi  quel  medesimo  corpo  ,  e  spirito 
con  Iddio,  ed  un  medesimo  corpo  con 
la  malvagia  jemina! 

(54)  1°  ""  ereàevo  ,  rhe  voi  vi  foste  mariialo, 
perche  il  malrimonio  vi  havesse  ad  essere  il  ri- 
fuggio  delta  voalra  incontinenza  :  ma  per  quan- 
ta s' intende. ,  gli  vi  è  pm  losto  .slalo  un  sprone, 
ed  uno incilamenlo  alla  lussuria.  Ibidem,  pag. 

^99- 

(55)  Ibid.  ,  pag.  29,   129,   174  ,  2^2,  304. 
(5C)  Ibid. ,  pag.  297. 

GORGOPHONE  ,  fille  de  Per- 
sée  et  d'Andromède  ,  fut  femme 
de  Périères  fils  d'Éole ,  et  roi 
des  Messéniens  au  Péloponnèse. 
Ayant  vécu  plus  que  son  mari , 
elle  se  remaria  avec  OEbalus,  et 
fut  la  première  femme  qui  con- 
vola en  secondes  noces  ;  car  avant 
elle  les  personnes  de  son  sexe 
s'étaient  fait  une  religion  de  ne  se 
remarier  jamais  (a).   Celte  inno- 

(a)  rifûTê'pov  cfê  x.ct.diçrix.it  ntiç  yi/vst,i^iv 
iiti  «vcTf/  à/ToS«vovTi  %Hpîùuv.  cùm  unit 


i57 

vation  ne  peut  pas  flétrir  sa  mé- 
moire, autant  que  Lamecli  a  été 
flétri  par  l'innovation  qu'il  ap- 
porta au  mariage ,  en  épousant 
deux  femmes  qui  vivaient  en  mê- 
me temps.  Mais  c'est  toujours 
une  flétrissure  ,  quand  l'histoire 
marque  qu'on  a  été  le  premier 
qui  a  relâché  la  pratique  de  la 
morale  sévère.  Le  relâchement 
des  en  fans  de  Gorgophone  fut 
infiniment  plus  condamnable  ; 
car  ils  donnèrent  dans  l'inceste. 
Elle  eut  deux  fils  de  son  premier 
mariage,  savoir  Apharéus  etLeu- 
cippus.  Du  second  lit  elle  eut 
une  fille  nommée  Arène  qui  fut 
femme  d' Apharéus.  Cet  Apha- 
réus laissa  bien  régner  son  fils 
avec  lui  à  Messène  ,  mais  il  rete- 
nait la  principale  autorité.  Il 
bâtit  une  ville  qu'il  nomma  Arè- 
ne ,  à  cause  de  sa  femme  {b). 
Gorgophone  fut  enterrée  à  Ar- 
gos  sa  patrie  (c).  Elle  eut  de  son 
second  mariage  un  fils  qui  eut 
nom  Tyndare,  et  qui  fut  père 
d'Hélène  (d).  Je  crois  que  Plaute 
l'a  prise  pour  la  grand'mère 
d'Amphitryon  (A) ,  et  non  pour 
la  tante. 

sanctum  et  solemne  Jœminis  fuisse! ,  priore 
viro  mortuo ,  secondis  nupliis  abstiiiere. 
Pausanias ,  ex  versiorw  Romuli  Amasaù ,  lib. 
Il,  pag.  64. 

(Ii)  Pausanias,  lib.  IV,  pag.  112. 

(c)  Idem  ,  lib.  II,  pag.  64. 

(d)  Idem  ,  ibidem  ,  pag.  81. 

(A)  Plante  l' a  prise  pour  la  grand'- 
mère d'amphitryon.  ]  Voici  ses  pa- 
roles (t).  Ego  idem  ille  sum  Amphi- 
Iryo  ,  Gorgophones  nepos  ,  impera- 
tor  Thebanorum.  Mademoiselle  le 
Fèvre  fait  là-dessus  cette  note  :  «  Je 
»  n'ai  jamais  remarqué  dans  les  an  - 
«  ciens  le  mot  nepos  pour  ce  que 
«  nous  appelons  neveu  :  il  signifie 
»  toujours  petit-fils  ,  je   crois  pour- 

(1)  Ampliitr.  ,  act.  IV ,  se.  IV,  vi.  49. 


i58 


GORLJEUS. 


3)  tant  qu'Ovide  s'en  est  servi  dans 
)>  le  même  sens  ,  comme  le  fait  ici 
w  Plante  ,  car  Gorgophone  était  fille 
i>  de  Perse'e  ,  sœur  d'Alcée ,  et  par 
3>  conse'quent  tante  d'Amphitryon.  » 
Pour  moi ,  je  ne  saurais  me  persua- 
der que  Plaute  se  soit  servi  du  mot 
nepos  qu'au  sens  de  petit- fils.  Ou  ne 
trouve  point  certainement  que  ce 
mot  ait  eu  d'autre  signification  avant 
la  décadence  du  latin  :  ainsi  tous 
les  spectateurs  et  tous  les  lecteurs 
de  l'Amphitryon  allaient  tout  droit 
à  petil-pils  par  le  mot  nepos.  Quelle 
apparence  que  le  poète  les  eût  voulu 
ainsi  tromper  en  leur  donnant  pour 
le  petit-fils  de  Gorgophone  celui  qui 
n'aurait  été  que  le  neveu  de  cette 
■dame  ?  Je  sais  bien  que  selon  la  gé- 
néalogie qu'Apollodore  a  rapportée 
(2) ,  Amphitryon  n'est  que  le  neveu 
de  Gorgophone  ;  mais  je  sais  aussi 
que  toutes  ces  généalogies  du  temps 
fabuleux  ont  été  disposées  en  plu- 
sieurs manières,  et  qu'il  est  fort  ap- 
parent que  Plaute  avait  lu  quelques 
auteurs  qui  faisaient  Amphitryon  pe- 
tit-fils de  Gorgophone.  Souvenons- 
nous  qu'elle  eut  deux  maris  ,  et  des 
enfans  de  chacun  d'eux  :  on  aura  pu 
lui  faire  présent  d'une  fille  qui  ait 
été  femme  d'Alcée ,  et  mère  d'Am- 
phitryon. Cela  ne  serait  pas  plus 
étrange  que  ce  qu'on  lit  dans  Apol- 
lodore  (3),  savoir  qu'Electryon  épou- 
sa Anaxo  ,  sa  nièce  ,  fille  d'Alcée.  Si 
Electryon  a  épousé  la  fille  de  son 
frère  Alcéc  ,  celui-ci  aurait  bien  pu 
épouser  la  fille  de  Gorgophone  ,  sa 
sœur.  Joignez  à  cela  que  les  auteurs 
qui  nous  restent  ne  sont  point  d'ac- 
cord touchant  la  femme  d'Alcée  qui 
fut  mère  d'Amphitryon.  Les  uns  (4) 
veulent  qu'elle  ait  été  fille  de  Mé- 
nœcéus  ,  et  qu'elle  ait  eu  nom  Hip- 
ponome. D'autres  (5)  disent  qu'elle 
s'appelait  Lysidice  ,  et  qu'elle  était 
fille  de  Pélops.  D'autres  (6)  enfin  la 
font  fille  de  Gunéus ,  qui  était  de 
Phc'néum,  dans  l'Arcadie,  et  la  nom- 
ment Laonome.  Qui  empêche  que 
d'autre  écrivains,  qui  n'étaient  point 
encore  perdus  au  temps  de  l'iaute  , 
n'aient  dit  qu'elle  était  fille  de  Gor- 

(1)  T.ib.  II .  pag.  m.  97. 
Ci)  Idem  ,  ibidem. 

(4)  Idem,  ibidem. 

(5)  Pausan.  ,  lib.  VIII,  pag.  aQH. 
tj*/  Idem ,  ibidem. 


gophone  (7)  ?  Au  reste  ,  il  ne  faut  pas 
s'étonner  qu'Amphitryon  ait  voulu 
se  faire  valoir  sur  le  théâtre  ,  par  cette 
généalogie  ;  car  le  nom  seul  de  Gor- 
gophone faisait  songer  à  Persée  ,  le 
dompteur  des  Gorgones.  C'est  de  cette 
action  que  sa  fille  eut  le  nom  qu'elle 
porta  (8). 

(7)  Confer  quie   infra  dans  la  remarque  (F) 
de  l'article  Téléboes  ,  tom.  HIV. 

(8)  Pausan.,  lib.  II,  pag.  64. 

GORLjEUS  (Abraham),  né  à 
Anvers,  l'an  i5/|.q,  se  rendit  cé- 
lèbre par  la  curiosité  de  ramasser 
un  grand  nombre  de  médailles 
et  d'autres  semblables  monu— 
mens.  Les  anneaux  et  les  cachets 
des  anciens  ne  furent  pas  sa 
moindre  passion.  Il  en  rassem- 
bla une  quantité  prodigieuse  , 
comme  il  paraît  par  l'ouvrage 
qu'il  publia,  l'an  1601  (A).  Sept 
ans  après  il  publia  un  recueil 
de  plusieurs  médailles.  Il  avait 
choisi  la  ville  de  Delft  pour  le 
lieu  de  son  séjour,  et  il  y  mou- 
rut le  i5  d'avril  r6og.  Il  n'est 
pas  vrai  qu'il  y  fut  pourvu  d'u- 
ne charge  dans  la  monnaie  (B). 
Quelques-uns  disent  qu'il  n'avait 
jamais  étudié  la  langue  latine 
(C) ,  et  que  la  docte  préface  qui 
est  à  la  tête  de  sa  Dactyliollieca 
fut  composée  par  un  autre  (D). 
Ses  héritiers  vendirent  son  cabi- 
net au  prince  de  Galles  {a).  Il  ne 
serait  pas  toujours  sûr  de  se  fier 
à  ses  médailles  ,  si  l'on  s'arrêtait 
au  Scaligérana  (E). 

(a)  V oyez  Swerlius,  Atlien.  Be\g.,pag .  87. 

(A)  L'ouvrage  qu'il  publia  ,  l'an 
1601.  ]  En  voici  le  titre  :  Dactylio- 
theca  ,  seu  slnmdorum  sigillarium 
quorum  apud  priscos  tam  Grœcos 
quant  Romanos  usus  ex  j'erro ,  œre  , 
argento ,  etauvo  Promptuarium.  Ce 
fut  la  première  partie  de  l'ouvrage  : 
la  deuxième  eut  pour  titre  :  P^aria- 
rum  Gemmarum  quitus  Antiquitasin 


signando  utisolita  Sculptoviv.  Ce  qui 
me  fait  dire  que  cet  ouvrage  fut 
imprime  l'an  1601  ,  quoique  je  sa- 
che <{iie  Swertius  (1)  et  Valère  An- 
dré' (a)  assurent  qu'il  fut  imprime 
à  Nuremberg  Tan  1600  ,  est  la  date 
de  l'Epî tre  dédicatoire.  L'auteur  dé- 
dia son  livre  à  l'électeur  de  Cologne, 
le  premier  d'octobre  1601.  Déplus, 
la  taille-douce  de  l'auteur,  à  la  tète 
de  l'ouvrage  ,  est  de  la  même  an- 
née (3).  Enfin  ,  M.  Gronovius,  qui  a 
publié  une  nouvelle  édition  de  cet 
ouvrage  (4)  ,  observe  (5)  qu'il  fut 
imprimé  la'  première  année  de  ce 
siècle.  L'édition  de  ce  livre  ,  dans  la 
bibliothèque  de  M.  de  Thon  ,  est  de 
Leyde  ,  >6o5  ;  dans  celle  de  AI.  le 
Tellier  ,  archevêque  de  Reims  ,  elle 
est  d'Anvers  iGog.  Le  père  Labbe  (6) 
marque  l'édition  de  Leyde,  i65o  : 
peut-être  ses  imprimeurs  ont  fait  de 
i6o5,  i65o  ,  par  la  seule  transposi- 
tion d'un  chiffre.  Quoi  qu'il  en  soit  , 
l'édition  de  Leyde  ,  i6g5  ,  surpasse 
toutes  les  autres  ;  car  non-seulement 
elle  contient  un  plus  grand  nombre 
de  figures  ,  mais  aussi  une  courte  et 
très-docte  explication  que  M.  Grono- 
vius y  a  jointe. 

(B)  II  n'est  pas  vrai  qu'il  fut  pour- 
vu d'une  charge  dans  la  monnaie  de 
Delft.J  Valèrc  André  a  fait  ici  une 
très-insigne  bévue  :  Abrahamus  Gor- 
Itvus  ,  dit-il  (7)  .  Antuerpiœ  nalus  , 
eclebri  emporio ,  Delphis  Batavorum 
vixit  in  collegio  III  vh-orum  moneta- 
lium.  C'est  assurer  deux  choses  ,  l'une 
qu'il  y  a  à  Delft  un  corps  composé 
de  trois  personnes  préposées  à  la  mon- 
naie ,  l'autre  que  Gorheus  était  l'un 
de  ces  trois  hommes.  Or  ni  l'une  ni 
l'autre  de  ces  choses  n'est  véritable. 
Cette  erreur  est  venue  de  ces  paroles 
de  Gorheus  (8)  :  JYescio  quojato  in 
antiquorum  numismatum  ôiceplctv  de- 
ta/iMis  ,  reùjue  du/cedine  allectus ,  to- 
tum  me  trado  liuic  conlemplationi  : 
et  tanquam  in   Colle gium  III  viro- 

(1)  Swert.,  Atlien.  Belgic.  ,  pag.  87. 

(2)  Val.  André,  Bibliolli.  Belg.,  pag.  I. 

(3)  F.Ue  marque  qu'il  était  alors  dans  sa  cin- 
quante-deuxième année. 

(4)  A  Leyde,  chez  fonder  /ta,  1695. 
(;"i)  In  prtefal. 
(ti)  Fiililiolh.  Biblietliecar.,  in  Mantij&âantiqna- 

ric  supellectilis  ,  pag.  m.  34 1. 
(7)  Biblioth.  Belg.,  pag.  1. 
t8)   In  Alloquio  ad  Leclorem. 


GORLEUS.  iS9 

ruin  monelalium  cooptatus  ,  nthil 
prœtcr  nummos  velercs  somnio.  Swer- 
tius <)  a  fort  bien  compris  ce  que 
ces  paroles  veulent  dire,  et  il  les  a 
rapportées  selon  le  sens  de  l'auteur  ; 
mais  Valère  André  les  a  perverties  : 
il  ne  dit  pas  que  Gorheus  s'appliquait 
à  la  recherche  des  anciennes  mon- 
naies,  comme  un  homme  qui  aurait 
été  l'un  des  triumvirs  de  la  monnaie  ; 
il  le  représente  actuellement  revêtu 
de  cette  fonction.  M.  Gronovius  s'est 
informé  des  raisons  qui  avaient  porté 
cet  antiquaire  à  sortir  de  son  pays  , 
afin  de  se  retirer  en  Hollande  poul- 
ie reste  de  ses  jours,  et  quels  em- 
plois MM.  de  Delft  lui  donnèrent: 
mais  il  n'a  pu  en  rien  découvrir.  Ip- 
sum Gor/œum  cognoscere  familia- 
rihs  cupivi,  et  quœ  causa  illum  in- 
dttxisset  palriam  Batavia  mutare 
prœsertim  quùm  dissona  de  eo  me- 
ntor are  ntur  ,  sic  ut  ibi  quoque  mori 
et  sepelire  novem  annis  post  volueril. 
Ipse  in  prœfatione  poslremb  videtur 
se  describere  eum  qui  publias  quoti- 
diè  distringeretur  muneribus,  et  qua- 
lia  ista  fuerint  resciscere  non  magis 
potui,  quant  id  ipsum  quod  modo 
dixi  (10).  Ce  qu'il  y  a  de  certain  , 
c'est  que  Gorlœus  lui-même  se  re- 
présente comme  un  homme  à  qui 
des  emplois  publics  ôtent  le  temps 
d'étudier  autant  qu'il  voudrait.  Ccc- 
ter'um  ,  dit-il  (ri),  citm  illud  pree- 
stare  quod  a  nobis  ipsi  exigimus  ,  ejus 
sit  verius  qui  in  umbralicâ  rerum  con- 
templalione  et  desidie  litterarum  tor- 
pescit,  qttàm  qui  publias  quotidiè 
dislringitur  muneribus  ,  aliis  relin- 
quemus  quod  optari  possit  ,  710/us 
quod  ad  nominis  nostri  existimatio- 
nem  pubîicamque  utilitatem  sufficiet 
reservabimus , 

(C)  Quelques-uns  disent  qu'il  n'a- 
vait j/imais  étudie  la  langue  latine.  ] 
M.  de  Peiresc  contait  cela,  lorsqu'il 
parlait  des  conversations  qu'il  avait 
eues  avec  Gorheus,  à  Delft.  Les  paro- 
les de  son  historien  méritent  d'être 
rapportées.  Quo  loco  narrant  solebat 
remmeinoralu  non  indignant ,  nempç 
Gorlœttm  ,  chut  alias  îatinœ  linguœ 
non  stûduisset  ,  intellexisse  tamen 
libros   omîtes  circa   rem  nammariam 

(9)  Atben.  Belg.  ,  pag.  87. 

(10)  Gronovius,  1»  prtefat. 

(11)  In  secundo  Monilo  ad  leclorem. 


i6o 


GORLŒUS. 


latine  conscriptos  ,  eodem  modo ,  quo 
Forcatulus  omnes  circa  rem  mathe- 
maticam  :  tantùm  valet  improbus  la- 
bor  ex  desidei'io  quidpiam  noscendi 
vehementissimo  profectus  (12).  Cela 
serait  assez  singulier*,  et  donnerait 
l>.  ut-être  plus  de  relief  à  la  gloire  de 
Gorlœus,  qu'il  ne  lui  serait  honteux 
de  n'avoir  pas  étudié.  K'est-ce  pas 
une  marque  de  bon  esprit,  que  d'en 


un  bon  homme.  Cela  et  toute  la  suite 
du  passage  témoigne  que  Scaliger 
rangeait  Gorlaeus  au  nombre  des  fa- 
bricateurs  de  fausses  médailles. 


GORLŒUS  (David),  natif 
d'Utrecht ,  a  vécu  dans  le  XVIIe. 
siècle.  Il  publia  quelques  livres 
de  philosophie  (a) ,  où  il  s'écarta 
tendre  un  livre  latin  par  la  seule  de  l'opinion  ordinaire  des  écoles, 
connaissance  que  1  on  a  de  la  matière  p  '  •  „  j-  -  1  ,  -«»•  t-. 
dont  il  traite?  Plutarque  dit  quel-  KeSlus>  disc.ple  de  M.  Descartes, 
que  part,  qu'ayant  étudié  l'Histoire  se  voyant  harcelé  pour  une  thèse 
Fiomaine  dans  les  livres  grecs ,  cela  qui  concernait  l'union  de  l'â- 
me et  du  corps  ,  allégua  qu'il 
s'était  servi  des  propres  termes 
de  Gorlœus.  Cela  ne  lui  servit  de 
rien  ,  et  fut  cause  que  Voëtius, 
professeur    en    théologie  ,  flétrit 

'  *         1  VI      1       •    r     i  "111 

de  M.   Peiresc  avec  ce  qu'on  lit  dans    autant   <lu  l}   lul  fut    possible  les 
Swertius,  qui  avait  connu  familière-    Sentimens  de  Gorlaeus  (A). 


était  cause  qu'il  entendait  la  langue 
des  historiens  latins.  Gorlaeus  aurait 
pu  dire  que  la  science  des  médailles, 
qu'il  s'était  acquise  ,  lui  faisait  com- 
prendre la  pensée  des  auteurs  latins 
qui  avaient  écrit  sur  cette  science. 
Mais  on  ne  saurait  accorder  ce  conte 


ment  Gorlaeus (  i3).  Un  camarade 
d'école  d'André  Schottus  allait  sans 
doute  au  collège.  M.  Gronovius  (i4) 
emploie  cette  raison  contre  ce  que 
dit  Gassendi. 

(D) et  que  la  docte  préface, 

qui  est  a  la  tête  de  sa  Dactyliotheca  , 
fut  composée  par  un  autre.  ]  Cunaeus 
assure  qu'TElius  Everbard  Vorstius  en 
était  l'auteur  ;  il  l'assure  ,  dis-ie  , 
dans  l'oraison  funèbre   de  Vorstius. 


(a)  Exercilationes  philosophicœ  ,  anno 
1620,  in -8°.  Item  Idea  physices.  Konig,  Bi- 
bliotheca  vet.  et  nov. ,  pag .  355.  Voyez  So- 
rel ,  à  la  page  2^8  de  la  Perfection  de 
r  homme. 

(A)    Voëtius flétrit    autant 

qu  il  lui  fut  possible  les  sentimens  de 
Gorlœus.]  Vous  trouverez  l'histoire 
de  tout  ceci  dans  M.  Baillet(i).  Il 
nous  apprend  que  Régius  avait  sou- 


Un  docte  Allemand  (i5)   qui  a  écrit    tenu  entre  autres  choses  (*)  :  que  de 


touchant  les  anneaux,  assure  la  même 
chose. 

(E)  77  ne  serait  pas sûr  de  se 

fier  a  ses  médailles  ,  si  l'on  s' ari'élait 
au  Scaligérana.~\  On  y  trouve  ces 
paroles  (16)  :  Gorlœus  fond  des  mé- 
dailles; il  m'en  a  quelquefois  mon- 
tre ,  mais  j  ai  découvert  quelles  n  e- 
taient  pas  anciennes  ;  il  ne  m'en  a 
montré  depuis  que  de  vraies.    C'est 


(fi)  Gassendus  ,  in  Vita  Peireslûi,  hb.  II, 
ad  ann.  1606,  pag.  m.  265. 

*  I.cclerc  et  Joly  reprochent  à  Bayle  de  ne  rien 
dire  de  ce  que ,  dans  le  passage  transcrit,  le  mê- 
me PeyrescditdeForcadel(rn  latin  Forcalelius); 
les  réflexions  sur  ce  qui  regarde  Gorlfleus  peuvent 
aussi  s'appliquer  à  ce  qui  concerne  Forcadel. 

(i3)  Mihi  familiaris  s  liberalibus  sludiis  à 
primis  adoLeseentice  annis  delectatus  ,  candis- 
1  ipulum  habuil  Andream  Scholtum  .toc.  Jesu 
Presbyt.  Swerlius  ,  Atlien.  lîelgic,  pag.  S'r 

(i4)  In  prafat. 

(i5j  Kirclimannus,  cap.  III  de  Aamûk, pag. 
j3  ,  éd.  Lugd.  Bat.,  1632. 

(16)  A  la  page  97. 


l'union  de  l'âme  et  du  corps  il  ne  se 
faisait  pas  un  être  de  soi ,  mais  seu- 
lement par  accident Il  suffit  a 

31.  Voëtius  que  cela  ne  fût  pas  con- 
forme au  langage  ordinaire  de  l'éco- 
le ,  pour  déclarer  31.  Jiégius  héré- 
tique ,  et  faire  procéder  it  sa  déposi- 
tion. 31.  Régius  eut  beau  s'excuser 
sur  ce  que  cette  manière  de  parler 
n'était  pas  de  lui,  mais  de  Gorlœus, 
dans  les  écrits  duquel  il  l' avait  prise, 
telle  qu'elle  se  trouvait  insérée  dans 
la  dispute.    Voëtius  fit  ordonner  au 

nom  de  la  faculté  de  théologie 

que  les  étudions  en  théologie  s'abs- 
tiendraient des  leçons  de  A/.  Régius 
comme  de  dogmes  pernicieux  it  ta 
religion.  Peu  de  jours  après,  le  mê- 
me Voëtius  fit  imprimer  des  ilièses 

(1)  Vie  de  Descartcs  ,  loin.  II,  pag.  i45,  itfi, 
à  Vann.   1641. 

(*)  Ex  mente  c\  corpore  non  fit  iinuin  per  se, 
sed  per  accident. 


GOSÉLINI. 


auxquelles  il  ajouta  trois  corollaires  , 
dont  voici  le  Ier.  L'opinion  de  l'athée 
TaureUus  et  de  David  Gorlœus  qui 
enseignent  que   l'homme    composé  de 
l'a' me  et  du  corps  est  un  être  par  ac- 
cident,  et  non  de  soi-même ,  est  ab- 
surde et   erronée.   Voici  le  IIIe.  La 
philosophie    qui     rejette     les  formes 
substantielles  des  choses  avec    leurs 
Jacullés  propres   et   spécifiques  ,  ou 
leurs  qualités  actives  ,   et  conséquem- 
ment  les  natures  distinctes    et  spéci- 
fiques des   choses  ,  telle  que  Taurel- 
ius  ,    Gorlœus    et  Basson  ont  tâché 
de  l' introduire  de  nos  jours,  ne  peut 
point  s'accorder  avec  la  physique  de 
Moïse  ,  ni  arec  tout  ce  que  nous  en- 
seigne V Ecriture.  Cette  philosophie 
est   dangereuse ,  favorable  au  scepti- 
cisme ,  propre  a  détruire  notre  créan- 
ce   touchant    l'âme   raisonnable ,    la 
procession  des  personnes  divines  dans 
la   Trinité,  l'incarnation    de   Jésus- 
Christ,  le  péché  originel,  les  mira- 
cles ,  les  prophéties ,  la  grâce  de  no- 
tre   régénération    et    la    possession 
réelle  des  démons. 

On  voit  là  manifestement  de  quoi 
sont  capables  les  impressions  de  la 
coutume    et  les   préjuge's.    C'est    un 

Soids  qui  nous  entraîne  où  l'intérêt 
e  notre  cause  demande  que  nous 
n'allions  pas;  car  que  peut-on  dire 
de  plus  contraire  aux  intérêts  de  ces 
dogmes  fondamentaux  de  la  religion 
(2) ,  que  de  soutenir  qu'ils  ont  un  be- 
soin extrême  ae  la  doctrine  des  sco- 
lastiques  sur  la  distinction  de  Yens 
per  se  ,  et  de  Yens  per  accidens  ,  et 
sur  la  nature  des  formes  qui  consti- 
tuent les  espèces  des  corps?  Eus  per 
se  ,  Eus  per  accidens  ,  sont  des  phra- 
ses inexplicables,  un  virai  jargon  des 
logiciens  espagnols  ,  qui  ne  signifie 
rien  ;  et  quant  aux  formes  substan- 
tielles ,  ce  que  l'on  dit  de  leur  nature, 
et  de  la  manière  de  leur  production  et 
de  leur  destruction ,  est  si  absurde,  et 
si  incompréhensible,  qu'on  ne  peut  le 
faire  passer  pour  une  doctrine  né- 
cessaire à  la  religion ,  sans  commet- 
tre dangereusement  les  vérités  les 
plus  sublimes  de  l'Evangile  ,  et  sans 
remplir  de  tant  de  mystères  le  cours 
général  de  la  nature  ,  que  la  religion 
n'aura  plus  aucune  prérogative  sur 
la  nature.  Il  est  sûr  que  les  plus  pro- 
fs) On  entend  ceux  qui  sont  Spécifiés  dans  le 
troisième  corollaire. 

TOME"  VII. 


l6l 


fonds  mystères  de  l'Évangile  sont 
pour  le  moins  aussi  aisés  à  compren- 
dre que  la  doctrine  des  formes,  et 
que  la  nature  de  YEns  per  se  des 
scolastiques. 

Cette  réflexion  ne  regarde  Voè'tius 
que  d'une  façon  éloignée  et  indirec- 
te ;  car  ,  quand  on  consulte  son  co- 
rollaire tout  entier ,  on  voit  que  la 
raison  pour  laquelle  il  trouve  tant  de 
péril  pour  les  dogmes  évangéliques 
dans  la  rejection  des  formes,  n'est 
pas  la  rejection  même  des  formes, 
mais  le  motif  de  leur  rejection  (3).  Il 
observe  que  la  raison  principale  de 
ceux  qui  les  nient  est  que  la  manière 
dont  elles  sont  produites  est  inex- 
plicable, et  puis  il  montre  que  sur 
un  semblable  fondement,  il  est  à 
craindre  que  l'esprit  humain  ne  se 
porte  à  la  négation  des  mystères  ,  etc. 
Cela  change  l'état  de  la  question  ,  et 
met  la  dispute  en  état  d'être  plus  fa- 
cilement terminée.  On  n'a  qu'à  expli- 
quer le  malentendu  ,  et  à  donner  la 
disparité.  Mais  pour  ceux  qui  con- 
damnent en  elle-même  la  rejection 
des  formes ,  comme  préjudiciable  à  la 
religion  ,  je  le  répète ,  ils  méritent 
qu'on  leur  représente  ce  que  j'ai  dit 
ci-dessus. 

Vous  trouverez  dans  la  remarque 
(E)  de  l'article,  Heidanus  ,  quelque 
chose  qui  concerne  les  difficultés  in- 
explicables de  la  doctrine  des  péri- 
patéticiens  ,  touchant  les  formes  sub- 
stantielles :  mais,  pourvoir  cela  dans 
toute  son  étendue,  vous  n'avez  qu'à 
voir  le  Ier.  volume  des  thèses  d'Ha- 
drien Heereboord  depuis  la  page ia5 
jusqu'à  la  page  148,  où  il  fait  valoir 
les  raisonnemens  profonds  et  subtils 
de  Guillaume  Pemhélius,  qui  a  écrit 
en  anglais  sur  cette  matière. 

(31  Quidquid  sit  de  summtZ  rei ,  quant  philo- 
sophorum  disqtn-itioni  reltnqutmus ,  hoc  unum 
saltem  hyponema  studiosis  noslris  subjicimus  : 
Jchillei  argumenli  istiut  ,  quo  formas  explo- 
dere  cunantur,  consrquenliam  suspectant  ha- 
béant  ;  quœ  est  hœc ,  negatur  essentia  et  exis- 
triUia  'ormarum ,  quia  earum  origo  seu  modus 
originis  incerlus  est ,  aut  explicari  non  potest , 
sic  ut  palroni  formai  um  et  sibi  et  aliis  in  eo 
satisfactant  Hoc  venculoso  axiomale  semel 
hau..to  proclive  et  il  vanUalt  ,  sceplicismo  et  pe- 
tulanliœ  humain  ingenii,  disputare,  non  daii 
animant  rationalem  ,  etc. 

GOSFLIM  (  Julie»),  né  à 
Rome  ,  l'an  i525,  fut  dès  l'âge 
de    dix-sept   ans    secrétaire    de 

11 


162 


GOSÉLINI.  GOSSELIN. 

lier 


La  chose  était  digne  d'être 
marquée  dans  son  épitaphe ,  titu- 
lo  res  digna  scpulcri  :  aussi  ne 
l'y  a-t-on  pas  oubliée  (a).  Les 
affaires  du  secrétariat ,  qui  l'oc- 
cupèrent plus  de  quarante  ans  , 
ne  l'empêchèrent  pas  de  publier 
divers  ouvrages  (A).  Il  mourut 
à  Milan  le  1  2  de  février  1 587  , 
âgé  de  près   de    soixante -deux 


Ferdinand  de  Gonzague,  vice- 
roi  de  Sicile.  Il  continua  de  l'ê- 
tre lorsque  le  vice-roi  passa  au 
gouvernement  de  Milan.  Il  eut 
la  même    fonction  sous   le  duc 
d'Albe ,  et  sous  le  duc  de  Sesse , 
qui  furent  successivement  gou- 
verneurs  de    cet    état  après    la 
mort  de   Gonzague.  Le  duc  de 
Sesse  l'amena  avec  lui  à  la  cour 
d'Espagne  ,  ou  Gosélini  se  rendit    ans  (b) 
si  agréable  par  son  adresse  et  par       (a)  Compomndis  discordas  nato 
sa  prudence  ,  qu'on  témoigna  à 
ce  duc  qu'il  ferait  bien  de  n'em- 
ployer que  ce  négociateur  dans 
les   affaires    qu'il   aurait  auprès 
du  roi.   Gosélini  fut  gratiné  en 
même  temps  d'une  pension  via- 
gère de  deux  cents  écus  par  an. 
Le  marquis  de  Pescaire  ,  succes- 
seur du  duc  de  Sesse  ,  eut   pour 
Gosélini  les  mêmes  égards  et  la 
même  confiance  que  ses  prédé- 
cesseurs ;  mais  les  choses  chan- 
gèrent étrangement  sous   celui 
qui  succéda  à  ce  marquis  :  ce  fut 
le  duc  d'Albuquerque.  Il  en  usa 
d'une  manière  si  bizarre  et  si  fa- 
rouche envers  Gosélini ,  que  peu 

>  c  11  ,■  ''i  „  1  ■  C S*  „-J„«  doute  uue  Gosélini  eût  écrit  la  con- 
s  en  tallut  qu  il  ne  lui  ht  perdre    .       ..  *    -,  .     -,     v- 

^ .„  1     „  iuration  du   comte  de   riesque,    vu 

et  la  vie  et  1  honneur  en  même  qu'en  donnant  la  raison  pourquoi  il 
temps.  La  fin  de  cette  persécu- 
tion fut  néanmoins  honorable  à 
ce  secrétaire.  11  esquiva  le  coup 
adroitement ,  et  se  gouverna  avec 
une  telle  prudence,  pendant  cette  de  Rets.  Il  avoue  qu'ils  sont  incom- 
rude  tempête,  qu'il  s'en  tira  à  parables,  chacunen  son  espèce;  mais 
u  il  1-  ftue  les  deux  premiers  donnent  trop 

son  honneur.  11  ne  rentra  en  ^e  part  à  la  France  dans  ce  projet, 
charge  que  sous  le  marquis  d  Ai-  et  que  les  deux  derniers  ne  lui  en 
monte  et  sous  le  duc  de  Terra-  donnent  pas  assez. 

nOVa,  qui  furent  gOUVemeursdll        (0  Préface  de  son  François  Ier. 

Milanais  ,  et  dont  il  fut  sécrétai-  GOSSELIN.  Je  connais  trois 
re  à  leur  grande  satisfaction,  auteurs  normands  qui  ont  eu  ce 
Entre  plusieurs  bonnes  qualités  ,  nom.  Guillaume  Gosselin  ,  natif 
011  lui  donne  cellede  pacificateur  deCaen  ,  vivait  au  XV  1e.  siècle,  et 
des  querelles.  On  dit  qu'il  avait  se  mêla  de  mathématiques  (A). 
pour  cela  un  talent  tout particu-   Jean  Gosselin  vivait  aussi  en  ce 


(b)  Tiré  du  Ghilini,  Tealro  d  Huomini 
Letterati  ,  part.  I,  pag:  i3^.  Voyez  aussi 
Prosp.  Mandosio  ,  Biblioth.  roman.  ,pag-  26. 

(A)  II  publia  divers  ouvrages.] 
Voici  le  titre  de  quelques-uns  :  Rime; 
Discorsi  ;  Letlere  ;  Ragionamento 
sopra  i  Componimenti  del  Borghesi  ; 
Dichiarazione  di  alcuni  Componi- 
menti ;  f^ita  di  Don  Ferdinando 
Gonzaga  ;  Tre  Congiure  ,  cioè  de' 
Pazzi  e  Salviati  contra  i  Medici  , 
del  Conte  Giovan  Luigi  de'  Fieschi 
contra  la  republica  de  Genova ,  e 
d' alcuni  Piacentini  contra  il  loro 
Duca  Pielro  Luigi  Farnese.  Il  a  fait 
aussi  des  vers  et  des  lettres  en  latin  , 
et  il  traduisit  en  italien  un  livre  fran- 
çais intitule',  Récit  véritable  des  choses 
qui  se  sont  passées  aux  Pays  -  Bas 
depuis  E  arrivée  de  Don  Juan  d' Au- 
triche ,  etc.  M.  Varillas  ignorait  sans 


traite  de  cette  conjuration ,  il  ne 
nomme  (1)  que  quatre  auteurs  qui 
en  aient  publie'  l'histoire ,  Hubertus 
Folietta  ,  Agostino  Mascardi ,  made- 
moiselle de    Scude'ri   et  le    cardinal 


GOUD 

siècle-là.  Il  était  de  Vire  ,  et  fut 
garde  de  la  Bibliothèque  du  roi. 
11  s'attacha  beaucoup  à  l'astrolo- 
gie (B).  Il  mourut  fort  vieux , 
d'une  manière  assez  singulière. 
Nous  verrons  ce  que  Scaliger  a 
dit  de  lui  (C).  Antoine  Gosseli.v 
était  de  Caen  *,  et  y  fut  profes- 
seur royal  en  histoire  et  en  élo- 
quence ,  et  principal  du  collège 
du  Bois.  Il  publia,  en  latin,  l'his- 
toire des  anciens  Gaulois,  l'an 
i636.  Il  se  trompa  en  bien  des 
choses ,  comme  M.  Bochart  le 
fit  voir  dans  quelques  observa- 
tions qu'il  composa  sur  cet  ou- 
vrage, et  qu'il  ne  voulut  point 
rendre  publiques  ;  car  il  craignit 
de  déplaire  aux  amis  et  aux  pa- 
rens  de  l'auteur.  Elles  ont  été 
insérées  dans  la  dernière  édition 
de  ses  OEuvres. 

*  Antoine  était  d'Amiens  ,  ainsi  que  le  dit 
la  Biographie  universelle ,  qui  parle  aussi,  de 
Guillaume  et  de  Jean. 

(A)  Guillaume  Gosselin i...  se 

mêla  de  mathématiques .]  Cela  paraît 
par  l'ouvrage  qu'il  publia  à  Paris,  en 
1 577 ,  sous  ie  titre  de  Arte  magna  , 
seu  de  occulta  parte  numerorum  quœ 
et  Algebra  et  Almucabala  vulgo  di- 
citur,ltbri  quatuor,  in  quibus  expli- 
cantur  œqualiones  Diophantis  ,  et 
regu/œ  quantitalis  simplicis  et  quan- 
titatis  surdœ.  Il  joignit  des  démon- 
strations ,  et  des  inventions  à  la  tra- 
duction française  qu'il  fit  de  l'arith- 
mc'tique  de  Nicolas  Tartaglia,  auteur 
italien.  Cette  version  fut  imprimée  à 
Paris,  l'an  1577  (1),  et  à  Anvers,  chez 
Plantin  ,  l'année  suivante  (2). 

(B)  Jean  Gosselin  s'attacha  beau- 
coup a  l'astrologie.]  Témoin  le  livre 
qu'il  publia  à  Paris,  en  1 577,  et  qu'il 
intitula  Historin  imaginum  cœles- 
lium  nostro  sœculo  accommodata ,  in 
quâ  earum  vicinitates  seu  habitudines 
inter  se  atque  stellarum  fixaruiu  si- 
tus  et  magnitudines  explicantur.    Six 

fi)  Tiré  de  du  Verdier  Vau-Privas,  Biblio- 
tliéque  française,  pag.  4"". 

(?)  La  Croi*  cîu  Maine  ,  pag.  »47* 


IMEL. 


i63 


ans  auparavant  il  avait  donné  au  pu- 
blic ,  la  Main  harmonique  ,  ou  les 
principes  de  musique  antique  et  mo- 
derne ,  et  les  propriétés  que  la  mo- 
derne reçoit  des  sept  planètes,  com- 
me aussi  Ejdiémérides,  ou  almanach 
du  jour  et  de  la  nuit  pour  cent  ans 
commençant  en  l'an  15^1  (3).  Il  fit 
imprimer  à  Paris,  en  i58a,  une  table 
de  la  réformation  de  l'an,  et  une 
version  française  du  calendrier  Gré- 
gorien (4).  Notez  que  Vossius  (5)  n'a 
fait  aucune  mention  de  ces  deux 
auteurs.  C'est  une  marque  qu'il  n'en 
avait  point  ouï  parler. 

(C) Il  mourut  fort  vieux 

nous  verrons  ce  que  Scaliger  a  dit  de 
lui.]  a  Gosselin,  gardien  de  la  Biblio- 
»  chèque  du  roi,  est  mort  tout  brûlé, 
»  étant  tombé  dans  son  feu  ;  et  à 
»  cause  de  son  âge,  étant  seul,  ne  s'est 
»  pu  relever,,  ce  qui  advient  ordir 
»  nairementaux  vieilles  gens.  M.  Ca- 
»  saubon  le  sera  maintenant.  Ce  feu 
»  bibliothécaire  Gosselin  ne  laissait 
g.  entrer  personne  en  la  bibliothèque, 
»  tellement  que  M.  Casaubon  trouve 
»  des  trésors  qu'on  ne  savait  point 
»  qui  y  fussent  (6).» 

Concluez  deux  choses  de  ce  passa- 
ge,  l'une  que  Jean  Gosselin  mourut 
vers  le  commencement  du  XVIIe. 
siècle  ;  l'autre,  que  sa  charge  fut  don- 
née à  Casaubon. 

(i)  Tire  de  du  Verdier  Vau-Privas ,  Bibliotb. 
française,  pag.  708. 

(4)  La  Croix  du  Maine  ,  pag.  a3o. 

(5)  Dans  son  livre   de  Scieotiis  inaihematici.? 

(6)  Scaligérana  ,   pag.  m.  97. 

GOUDIMEL  (Claude),  l'un 
des  plus  excellens  musiciens  du 
XVIe.  siècle  * ,  fut  massacré  à 
Lyon  ,  l'an  i5y2  ,  à  cause  qu'il 
était  de  la  religion.  Le  Marty- 
rologe des  protestans  fait  men- 
tion de  lui  (A).  D'Aubigné  se 
trompe  quand  il  le  met  parmi 
ceux  qui  périrent  à  Paris ,  le  jour 
de  la  Saint-Barthélemi  (B).  M. 
Varillas  n'a  point  commis  cette 
faute  ;  mais  il  a  eu  tort  de  croire 
que  Goudimel  et  Claudin  le  jeu- 

*  Bayle  en  reparle  dans  la  remarque  (N)  de 
son  article  Marot.  ton)    X. 


t64  GOUDIMEL. 

ne  aient  été  la  même  chose  (C). 
Il  fait  une  observation  curieuse 
contre  ceux  qui  n'exceptèrent 
pas  du  massacre  un  aussi  habile 
musicien  (D).  Si  l'on  avait  su 
prendre  garde  à  la  signature  de 
Goudimel ,  on  n'aurait  pas  dé- 
figuré son  nom  comme  l'on  a 
fait  (E).  Il  y  a  de  ses  lettres  (a) 
imprimées  parmi  les  poésies  de 
Mélissus  ,  son  intime  ami.  11  y 
signe  Goudimel.  Mélissus  ne 
mancpia  pas  d'exercer  sa  muse 
sur  la  triste  destinée  de  son  ami. 
Je  rapporterai  l'épigramme  où 
l'on  observe  que  Goudimel  aurait 
trouvé  plus  d'humanité  sur  les 
flots  de  la  mer  Egée  ,  comme 
autrefois  Arion  ,  qu'il  n'en  trou- 
va dans  sa  patrie  (F).  Je  crois 
que  ce  musicien  était  Franc-Com- 
tois (G). 

(a)  Elles  sont  en  latin ,  et  bien  écrites. 

(A)  Le  Martyrologe  des  protes- 
tons fait  mention  de  lui.~\  En  ces  ter- 
mes (i)  :  «  Claude  Goudimel,  excel- 
»  lent  musicien ,  et  la  mémoire  du- 
»  quel  sera  perpétuelle ,  pour  avoir 
»  heureusement  besogné  sur  les  psau- 
}>  mes  de  David  en  français  ,  la  plu- 
3)  part,  desquels  il  a  mis  en  musique, 
»  en  forme  de  motets  à  quatre,  cinq, 
»  six  et  huit  parties  ,  et  sans  la  mort 
»  eut  tôt  après  rendu  cet  œuvre  ac- 
■»  compli.  Mais  les  ennemis  de  la 
3)  gloire  de  Dieu  et  quelques  mé- 
)>  chans  envieux  de  l'honneur  que 
»  ce  personnage  avait  acquis,  ont 
»  privé  d'un  tel  bien  ceux  qui  ai- 
»  ment  une  musique  chrétienne.» 

(B)  D ' Aubigne  se  trompe  quand  il 
le  met  parmi  ceux  qui  périrent  a  Pa- 
ris ,  le  jour  de  la  Saint- Iiarlhé/emi.~\ 
Après  avoir  nommé  plusieurs  person- 
nes notables  que  les  massacreurs  de 
Paris  tuèrent,  il  ajoute:  Goudimel, 
excellent  musicien,  et  Perrot ,  juris- 
consulte, tout  cela  jeté  par  les  fenê- 
tres ,  et  traîné  par  les  rues  ,  fut  porte' 
en  la  rivière  a  la  sollicitation  du  duc 
de   Montpensier ,   qui  s'était  joint  a 

(j)  Liv.  X  ,  folio  727  ,  à  l'ann.  1572. 


ceux  que  nous  auons  dit  pour  crier 
qu'on  tuât,  et  qu'ils  avaient  entrepris 
sur  la  fie  du  roi  (2).  S'il  avait  con- 
sulté M.  de  Thou,  comme  il  a  fait 
sur  d'autres  choses ,  il  aurait  évité 
cette  méprise  ;  car  voici  ce  qu'on 
trouve  dans  M.  de  Thou  ,  à  l'endroit 
qui  concerne  le  massacre  de  Lyon. 
Eamdem  fortunam  expertus  est  Clau- 
dius  Gaudimelus ,  excellens  nostrd 
œtate  musicus ,  qui  psalmos  Davidi- 
cos  uernaculis  l'ersibus  a  Clémente 
Maroto  et  Tlieodoro  Bezd  expressos 
ad  varios  et  jucundissimos  modula- 
tionum  numéros  aptavit,  quitus  et 
fiodiè  publiée  in  concionibus  protes- 
tantium  ac  pr'watim  décanta ntur  (3). 

(C)  M.    Varillas a  eu  tort 

de  croire  que  Goudimel  et  Claudin 
le  jeune  aient  été  la  même  chose.] 
On  verra  dans  la  remarque  suivante 
qu'il  les  réduit  à  une  seule  et  même 
personne.  Il  faut,  pourle  réfuter,  que 
j'allègue  ici  un  fait  notable  qui  con- 
cerne ce  Claudin ,  et  qui  nous  ap- 
prend qu'il  était  encore  en  vie  neuf 
ans  après  le  massacre  de  la  Saint- 
Barthélemi.  J'ai  trouvé  ce  fait  dans 
le  commentaire  qui  a  été  imprimé 
avec  la  vie  d'Apollonius  de  Tjane  , 
traduite  en  français.  Je  me  servirai 
des  termes  du  commentateur,  quoi- 
qu'ils ne  soient  pas  fort  élégans  (4)  ■' 
«  Ce  fut  aussi  par  ces  deux  chants 
»  phrygiens  et  sous -phrygiens  que 
»  Timothée  fit  preuve  de  son  savoir 
»  en  la  personne  d'Alexandre,  lui 
»  faisant  par  un  chant  phrygien 
»  courir  aux  armes  étant  à  table  ,  et 
»  soudain  par  un  sous -phrygien  le 
»  faisant  retourner  à  sa  première  tran- 
»  quillité.  J'ai  quelquefois  oui  dire 
»  au  sieur  Claudin  le  jeune  (5) ,  qui 
»  a,  sans  faire  tort  à  aucun  ,  devancé 
»  de  bien  loin  tous  les  musiciens  des 
»  siècles  précédens,  dans  l'intelli- 
»  gence  de  ces  modes  ,  qu'il  fut  chau- 
»  té  un  air  (qu'il  avait  composé 
»  avec  les  parties)  aux  magnificen- 
»  ces  qui  furent  faites  aux  noces 
»  du    feu    duc    de    Joyeuse  (6)   du 

(1)  Histoire  universelle,  loin.  II,  liv.  I,  chap . 
iV ',  a  Faim.  1572. 

(3)  Thuanus,  llistor.,  lib.LII,pag.  m.  1084. 

(4)  Anus  Thomas,  sieur  d' Embrr ,  Comment, 
sur  la  Vie  d'Apollon.,  liv.  I,  chap.  XVI,  p    282. 

5)  L'auteur  met  ici  ce  sommaire  :  Louange 
du  sieur  Claudin  le  jeune  ,  l'honneur  de  tous  les 
musiciens. 
(G_)  /(  se  maria  en  i58i. 


GOUDIMEL. 


«65 


»  temps  d'heureuse  mémoire  d'Henri 
»  III  roi  de  France  et  de  Pologne , 
»  que  Dieu  absolve,  lequel,  comme 
■»  on  l'essayait  en  un  concert  qui  se 
»  tenait  particulièrement,  fit  mettre 
»  la  main  aux  armes  à  un  gentil- 
»  homme  qui  était  là  pre'sent  ,  et 
»  qu'il  commença  à  jurer  tout  liant 
»  qu'il  lui  était  impossible  de  s'em- 
»  pêcher  de  s'en  aller  battre  contre 
»  quelqu'un  ;  et  qu'alors  on  com- 
»   menca  à  chanter  un   autre  air  du 


»  grand  crime  fut  d'avoir  invente'  les 
h  beaux  airs  des  psaumes  de  Ma- 
»  rot  et  de  Bèzc  ,  qui  se  chantaient 
»  au  prêche ,  et  pour  l'en  punir  on 
»  n'eut  point  d'égard  à  la  loi  ro- 
»  mainc  ,  indulgente  aux  personnes 
»  singulières  en  leur  profession  ,  à 
»  cause  que  le  public  en  s'en  dé- 
»  fesant  perdait  sans  comparaison 
»  davantage ,  qu'il  ne  profitait  par 
»  l'exemple  de  leur  supplice  (io).  » 
L'indulgence    de    la  loi  romaine 


»  mode  sous-phrygien  qui  le  rendit    dont  parle  M.  Varillas,  excitera  la  cu- 


)>  tranquille  comme  auparavant 
»  qui  m'a  été  confirmé  encore  de- 
3)  puis  par  quelques-uns  qui  y  assis- 
»  tèrent  ,  tant  la  modulation  ,  le 
»  mouvement,  et  la  conduite  de  la 
»  voix  ,  conjoints  ensemble ,  ont  de 
)>  force   et    de  puissance  sur  les  es- 

»  prits  (  7  ) Pour  clore   cette 

»  longue  annotation,  si  on  veut  voir 
»  une    excellente    pratique    de    ces 
»  douze  modes  ,  qu'il  chante  ou  oye 
w  chanter  le  Dodécacorde   du  sieur 
»  Claudin  le  jeune  ,    dont  j'ai   parlé 
»  ci-dessus  ;   et  je  m'assure    qu'il  y 
»  trouvera  toutes   ces  figures  et  va- 
»  riations  maniées  avec   tant  d'art  , 
»  tant  d'harmonie  et  tant  de  savoir  , 
»  qu'il  confessera  qu'on  ne  peut  rien 
)»  ajouter   à  ce  chef-d'œuvre    que  la 
»  louange  que  tous   les  amateurs   de 
»  cette  science  doivent  rendre  à    ce 
»  rare    et  excellent   personnage ,  le- 
»  quel    était  capable  de   pousser  la 
»  musique  jusqu'au  dernier  degré  de 
»  sa   perfection   ,    si    la   mort   n'eût 
w  devancé  l'exécution  de   ses   hauts 
»  et  profonds  desseins  sur  ce  sujet.  » 
(D)  Il  fait  une  observation  cu- 
rieuse contre  ceux  qui  n'ea  copièrent 
pas  du  massacre  un  si  habile  musi- 
cien. ]  Voici  ses  paroles  :  «  Mandelot 
»  (8)  se   mit  inutilement  en   devoir 
»  d'empêcher ,  à  Lyon  ,  le  massacre 
»  de  treize  cents  calvinistes ,  et  sur- 
)>  tout    de  l'incomparable    musicien 
))  Gaudinel  (9)  ,  connu  sous  le  nom 
»  de    Claudin    le    jeune.     Son    plus 

(7)  Commentaire  sur  la  Vie  d'Apollonius , 
pag.  286. 

(8)  II  commandait  dans  Lyon.  Voyez  M.  de 
Tbou  ,  Un.  LU ,  pai;.  io83,  17111  Iraile  de  hon- 
teuse come'die  le  semblant  que  fit  Mandelot,  de 
désapprouver  le  massacre  ,  et  d'en  vouloir  punir 
les  auteurs. 

(9)  On  défie  M.  Varillas  de  citer  aucun  au- 
teur qui  ait  dit  que  Mandelot  ail  souhaite 
principalement  de  sauver  ce  musicien. 


riosité  d'un   grand   nombre   de  lec- 
teurs :  ils  trouveront  là  une  singula- 
rité bien  remarquable  ;  mais  comme 
ils  savent    qu'il  en    a  donné  bien  à 
garder  ,  en  matière  même  d'histoire , 
i'objet  principal  de  ses  études,  ils  ne 
le  croiront  pas  trop  digne  de  foi  sur 
un  arlicle  de  jurisprudence  ,  matière 
qui  n'était  pas  de  son  ressort.   Afin 
donc   de  les  tirer  d'inquiétude  ,    je 
leur  donnerai  une  meilleure  caution, 
c'est-à-dire ,  le  témoignage  d'un  hom- 
me beaucoup  plus  docte  que  lui  ,  et 
qui  a  cité  deux  auteurs  très-graves. 
Voici  ce  que  Girac  remarqua  contre 
Costar   (11).   «  Notre   docteur  pèche 
»  encore  contre  les  règles  de  la  ju- 
»  risprudence  ,  lui  qui  se  mêle  quel- 
)>  quefois    d'agiter  des   questions  de 
»  droit  :   il   est  très-faux  qu'un    011- 
»  vrier  mérite    d'autant  plus  d'être 
»  puni ,  que  son  ouvrage  sera  admi- 
»  rable  ,  et  qu'il  saisira  l'imagination 
»  des  regardans  :  tous  les  interprètes 
»  du  droit  soutiennent  le  contraire  5 
»  et    c'est   une  pratique    qui    a    été 
»  souvent   observée   par  les   princes 
»  et  les  cours   souveraines ,  que    de 
»  donner  la  vie  à  ceux  qui  excellent 
»  en  quelque  art,  bien  qu'ils  méritas- 
»  sent  de  la  perdre  pour  les  crimes 
»  qu'ils  avaient  commis  (*).  » 

(E)  Si  l'on  avait pris  garde  il  la 

signature  de  Goudimel  ,  on  n'aurait 

(10)  Varillas,  Histoire  de  Charles  IX  ,  liv. 
IX,  pag.  4?1  >  472  1  e'd'1-  de  l'ara  ,  in-\n  , 
1684. 

(11)  Girac  ,  Réplique  à  Coslar,  sect.  XXVI , 
pag.  m.  235. 

(")  Hinc  apparet  ratio  ejns  quod  pasùm  jurit 
ulriusque  interprètes  adnolnrunt  ,  sciheel ,  pœ- 
nam  esse  vel  remillendam  vel  minuendam  </<•- 
linqtienù  oh  insignem  ejns  peritiam  ,  seu  ex  eo 
quod  artifex sit  celebris  magnique  nominis,  etc. 
Covarr. ,  lib.  II  \  Var.  Resol..  cap.  IX;  mini . 
6.  Vide  Ji.li.  Clar.  Sent.  ,  lib.  V,%Jin.qu. 
Go  ,  num.  26  et  alios. 


[66 


GOVEA. 


pas  défiguré  son  nom  comme  l'on  a         GOVÉA  (  ANDRÉ J  (a)  ,  en  batin 

fait.-]  M.  de  Thou  le  nomme  Gaudi-  Goveanus ,  natif  de  Beia  dans  le 

melus  ■  Gisbert   Voetius(i2),  Uaiuli-  n  ,    '-  •       •      1  j  u  ' 

SEt'.M.  VariUas,   G«Jmel.-Ié-  Portugal ,  fut  principal  du  colle- 

de    Pours,    Guidomet.   «  Le  ge  de  Sainte-Barbe  (A) ,  à  Paris , 

Guidomel   a  composé   les  au  XVIe.  siècle ,  et  y  éleva  trois 


me 
re'mie 
»  même 


»  Psaumes  de  David  ,  imprimés  à 
v  Paris  par  Adrian  le  Roi  et  Robert 
»  Balaard ,  Pan  i565.  11  avait  aussi 
»  composé  dix-neuf  chansons  spiri- 
»  tuelles  ,  imprimées  à  Paris  par  Ni- 
))  colas  du  Chemin  ,  Pan  1 555  (i3).  » 
(F)  Je  rapporterai  V épigramme  où 
l'on  observe  qu'A  aurait  trouvé  plus 


neveux  T*  qui  se  rendirent  illus- 
tres par  leur  savoir.  Le  roi  de 
Portugal  leur  fournissait  de  quoi 
s'entretenir  à  Paris.  Martial  *a 
Govéa  ,  l'aîné  des  trois  frères , 
devint  bon  poète  latin  ,  et  publia 


d'humanité  sur  les  flots que a  Paris  une  grammaire   latine. 

dans  sa  patrie.  ]  Elle  est  à  la  page  79  ANDRÉ  GovÉA  *3 ,  son  puîné  ,  en- 
seigna premièrement  la  gram- 
maire ,  et  puis  la  philosophie , 
dans  le  collège  de  Sainte-Barbe  , 
et  enfin  il  fut  établi  principal  de 
ce  collège  à  la  place  de  son  on— 

abexlerno  si,  Goudimel,  hoste  fuisses     cle    *f  ,    et    COmilie     il    s'acquittait 

bien  de  cette  charge,  il  fut  ap- 
pelé à  Bordeaux  pour  exercer 
un  pareil  emploi  dans  le  collège 
de  Guyenne.  Il  y  alla  l'an  i534  , 
et  y  remplit  ses  devoirs  avec  une 
exactitude  qui  fut  très-utile  à  la 
jeunesse  (B).  C'est  ce  qui  porta 
Jean  III  ,  roi  de  Portugal ,  à  le 
Je  pardonnerais  aux  poètes  latins  ce  fajre  revenir  dans  ses  états  ,  pour 
qui  n'est  point  pardonnable  aux  his- 
toriens, d'avoir  été,  ou  change',  ou 
aiouté  quelques  lettres  à  Goudimel; 
car  c'est  un  mot  un  peu  bien  rude 
dans  la  poésie  latine 


d'un  livre  qui  a  pour  titre,  Me'issi 
Schediasmatum  Reliquiœ ,  et  qui  fut 
imprimé  l'an  1 575 ,  in-8°.  Il  con- 
tient plusieurs  pièces  de  poésie  sur 
Goudimel,  qui  ne  sont  pas  de  Mé- 
lissus. 

Pren 

Veilor  in  Tomo  ,  musice  cïare  ,  ma 
Ille  tibi  vitam  vel  non  volui<sel  ademplatn  , 

Lenilus  cilhard  carmimbusque  luis  ; 
In  tutos  aliquis  vel ,  sicut  Ariona  ,  Delphin 

Tergore  portas  s  et  le  quasi  uave  locos. 
Audhere  luos  Galli  modulosque  probdrunt 

Indigence  ,  decori  queis  tua  musa  fuit  : 
At  datus  es  lelko  ,  iicet  insons  ,  inque  cruenli 

Stagnanleis  Araris  prœcipitalus  aquas. 
Prohsceljts  indigenùm!  nain  barbants  hostis 
in  hostem 

Barbaricum  laniis  mitior  esse  solei. 


{a)  C'est  ainsi  que.  M.  de  Thou  le  nomme  , 
liv.  XXXVIII,  pag-.  769  ;  mais  André  Schot- 
tus,  Bibliolli.  h.sp. ,  pag.   3oo ,  et  Ribadé- 
neira,  Vila  Ignatii,  lib.  I ,  cap.  III,  l'appel- 
le) Je  crois  que  ce   musicien  était    &**  Jacques.  Ce  fut  lui  gui  voulut  fouetter 
Franc-Comtois.}  Je  le  conjecture  de    Vacc  L°Y"la;  l  ^']e  '  aPPell« /*,",',"  da'.is 

»     ,.  V  •  u    -t     la  noie  (3o^    de  la   remarque  (b  1  de  1  article 

ce  que  le  heu  de  sa  naissance  était    LoYOLA\  tom    ,X-] 
situé  sur  le  Doubs  ,  nviere  qui  passe 
à  Besancon. 


*'  Leclerc  et  Joîy  disent  qu  il  fallait  dire 
au  inoins  quatre;  ce  que  prouvent  des  vers 
d Antoine  ,  l'un  deux.  La  Monnoie  croit  que 
ce  quatrième  s'appelait  André.  Leclerc  et 
Joly  pensent  qu'il  s  appelait  Jacques,  comme 
son  oncle. 

"3  Leclerc  et  Joîy  croient  qu'aucun  deg 
frères  Govéa  ne  s'appelait  Martial.  Ils  pré- 
tendent que  Antonio  ne  parle  que  d'un  seul 
Govéa.     Antonio ,    dans    sa    ftibl.   Itispan.  , 

J'ai  trouvé  ces  Vers  à   la  page  79  du     paile  ne  trois  Govéa  ;  mais  il   a  latinisé  les 

Melissi  Schediasmatum  Reliquiœ.         noms  de  deux- 


Goudimel  Ule  meus,    meus  (eheu>)  Goudi- 
mel ille  est 
Occisus.  Testes  vos  Arar  el  Rhodane , 
Semineces,  vivosque  simul  violenter  ulrts   qe 

Absorplos  visi  plangere  gurgitihus. 
Sequana  cmn  Ligeri  Jlevit ,  flrvilque  Garum- 
na  ; 
Prœcipuè  palriusfl entamant  Duhis. 


(11)  Polit,  ccclesiast.  ,  tom.  I,  pag.  534- 
(i3)  Jérémie   de    Pours,  Divine   Mélodie   1)11 

saint    Psalmistt;,    lit.    il,    ehap,    XL! ,  pag. 

58i. 


*3  Leclerc  croit  qu'André  était  l'aîné  des 
quatre  frères. 

*/'  Ce  ne  fut  pas  à  la  place  de  son  oncle  , 
mais  conjointement  avec  lui,  disent  Leclerc- 
et  Joly. 


GOVÉA.  167 

l'établissement   d'un    collège    à   avait  déjà  régenté   à  Bordeaux, 
Conimbre ,  qui  fût  semblable  à    dans   le  collège  dont  son    frère 
celui  de  Guyenne.  Govéa  partit    était  principal;  qu'en  \5/\%  ¥l  il 
de  Pordeaux  l'an  1 547  '    et  prit   enseignait  à  Paris,  sous  son  oncle 
avec  lui  quelques  savans  person-    (G);    qu'au    bout   d'un    certain 
nages  propres  à  instruire  la  jeu-    temps   il    retourna    à  Pordeaux 
nesse  (C).  Il  exerça  à  Conimbre    auprès  de  son  frère  ;  qu'il  cou- 
la même  cbarge  qu'il  avait   eue    tinua   de    demeurer   dans   cette 
à  Bordeaux  (b).  Il  avait    dessein    ville  après  que  son  frère  s'en  fut 
de  retourner  dans  cette  dernière    allé  à  Conimbre  (//)  ;  qu'il  a  pas- 
yille  ,   après  avoir  donné  deux   se   pour   athée    **    dans   l'esprit 
ans  à  mettre  en  bon  train  le  col-    de  quelques-uns  (H);  et  qu'il  n'y 
lége  de  Conimbre  ;  mais  il  mou-   a  point    d'apparence  qu'il    soit 
rut  avant  ce  terme  (c),  au  mois  de    mort  l'an    i665  *3  ,  comme  M. 
juin  1548  ,  âgé  de  cinquante  ans   de    Thou   l'assure  (£);    ni    l'an 
ou  plus  (d).  Il  était  prêtre  et  pré-    i5c)5,  comme  Nicolas    Antonio 
dicateur  (D) ,  et  ne  fit  rien  impri-    le  dit.  Ce  dernier  auteur  n'a  pas 
mer  (e).  Antoine  Govéa,  le  plus   été  tout-à-fait  exact  (I).  On  ne 
jeune  des  trois  frères  ,  fut  le  plus    peut  rien  dire  déplus  glorieux 
illustre  de  tous.  Voyez  dans  Mo-    pour    Antoine  Govéa  ,    que   ce 


réri  ce  qu'en  a  dit  M.  de  Thou 
{f)  :  il  serait  inutile  de  le  répé- 
ter. Je  remarquerai  seulement 
que  s'il  est  vrai ,  comme  l'assure 
M .  de  Thou  ,  que  Govéa  ait  en- 
seigné la  jurisprudence  à  Greno- 
ble {g)  (E)  à  un  fort  grand  nom- 
bre d'auditeurs,  on  a  très-mal 
fait  de  dire  dans  la  Bibliothèque 
de  Dauphiné  ,  qu'j/  a  consulté 
dans  Grenoble  et  lu  dans  l'uni- 
versité de  faïence-  H  y  a  une 
autre  réflexion  à  faire  sur  le 
narré  de  M.  de  Thou  (F).  Par 
forme  de  supplément  àMoréri, 
je  dirai  qu'en  1  53c)  Govéa  étu- 
diait en  droit  à  Toulouse  *  ;  qu'il 

(6>  Ex  Eliâ  Vineto,  epist.  ad  Scliottum  , 
in  Bihlioth.  liispan. ,  pag.  tflS. 

(cLSchottus ,  in  Bihlioth.  hispan. ,  pag 
618.  'Voyez  aussi  M.  de  Thou,  lib.  XV il, 
subfin. 

(d)  "Vinetus,  epist.  ad  Scliottum  ,  in  Bi- 
hlioth. hispan.  ,  pag.  !\"]5. 

(e)  Idem ,  ibidem. 

(/)  Lib.  XXXVIII,  pag.  769  ,  770  ,  ad 
ttnn.  i565. 

(g)  Gralianopoli  jus  civile  magnâ  audilo- 
rum  freq uenlià  professas  est. 

Joly  dit  que   Govéa  avait    quitté  Tou- 


que Ronsard  en  disait  (k).  Le 
public  a  vu  divers  écrits  de  Go- 
véa ,  tant  sur  la  philologie  que 
sur  le  droit  *4.  Il  y  a  des  gens 
qui  soutiennent  qu'il  surpassait 
en  esprit  le  grand  Cujas  (K).  Je 
dirai  quelque  chose  de  Mainfkoi 
Govéa  ,  son  fils  (L). 

louse  dès  la  fin  de  t538,  et,  qu'en  l53g  ,  il 
fit   imprimer  à  Lyon  ses  poésies  latines. 

"'  Leclerc  reproche  à  Ba\lc  de  n'avoir 
point  renvoyé  à  1  article  Bamus  (tom.  XII), 
où  il  parle  de  la  dispute  que  ce  dernier  eut 
avec  Govéa  ,  en  i5^2. 

(h)  Ex  Epist.  Elise  Vineti,  apad  Schott. , 
BiMioth.  hispan.  ,  pag.  I\j5. 

*2  Leclerc  ,  dans  sa  Lettre  critique,  justifie 
longuement  Govéa  du  reproche  d'athéisme. 
La  Monnoie,  plus  juste,  dit,  dans  le  Mena- 
giana ,  que  Bayle  a  rassemblé  tout  ce  qu  il 
a  trouvé  pour  et  contre 

*3  Leclerc  croit  cette  date  honne. 
(r)  Voyez  la  remarque  (I). 
(k)  Voyez  aux  remarques  la  citation  '26) . 
"4  Pour  la  liste   de  ces    écrits,   Leclerc  se 
contente  de   renvoyer  à  la  Bibliothèque  de 
Gesner,  en  ajoutant  que  le  commentaire  sur 
Térence,  promis  dès  i544.  •"'>  suivant  Fa- 
hricius,  imprimé  à  Paris,  l552  ,  in-folio. 

(A)  Il  fut  principal  du  collège  de 
Sainte-Barbe.]  C'est  ainsi  qu'il  faut 
traduire  le  collegii  Barbarani  prœ- 


i68 


GOVÉA. 


fectus ,  d'André  Schottus  (i)>et  non 
pas  principal,  du  collège  Barbarini  , 
comme  a  fait  M.  Teissier  (2). 

(B)  André  Govéa remplit  ses 

devoirs  avec  une  exactitude  qui  fut 
très-utile  h  lajeunesse.~\Cest  ce  qu'on 
peut  voir  dans  la  préface  de  Businus, 
au-devant  des  Lettres  de  Gélida,  im- 
primées à  la  Rochelle ,  l'an  1 57 1 .  Ubi 
quamdiù  egerit,  quem  se  gesserit 
(Andréas  Goveanus  ),  et  quomodo  ab 
rege  suo  in  patriam  sit  revocatus  , 
Conbnbricensis  scholœ  instituendœ 
gratiâ  quœ  similis  esset  Burdigalensi, 
in  prœfatione  Busini  in  Epistolas 
Gelidœ  cognosci  potest  (3). 

(C;  Il  prit  avec  lui  quelques  savans 
personnages  propres  a  instruire  la 
jeunesse.]  George  Buchanan  ,  et  Pa- 
trice Buchanan  ,  son  frère  ,  furent  de 
ce  nombre  :  Nicolas  Grouchi  ,  Guil- 
laume Guérente  ,  Elie  Vinet ,  Arnoul 
Fabrice  ,  Jean  la  Coste  ,  Jacques  Té- 
vius  et  Antoine  Mendez  en  furent 
aussi  (4). 

(D)  Il  était  prêtre  et  prédicateur.  ] 
Je  ne  sais  si  Bèze  est.  digne  de  foi 
quand  il  le  fait  docteur  deSorbonne  ; 
pne  le  crois  point  **.  Cependant  il 
est  bon  de  rapporter  ce  qu'il  en  dit. 
Ce  ne  fut  rien  a  la  pin  ,  dit-il  (5) , 
hormis  qu'un  pauvre  serviteur  fut 
baillé  entre  les  mains  du  principal 
du  collège  ,  oindre  de  Govea,  Portu- 
gais ,  docteur  de  la  Sorbonne  (  sur- 
nommé  communément  Sinapivorus  , 
c'est-h-dire  ,  Avalemoutarde  )  pour 
estre  chastié ,  et  avoir  comme  on  dit 
la  Sa'e.  Bèze  venait  de  parler  d'Ay- 
mon  de  la  Voye,  martyr  protestant  , 
brûlé  à  Bordeaux,  l'an  i54i  +2 ,  et 
de  quelques  écoliers  qui  furent  pris 
le  lendemain  ,  estant  soupçonnez  d'a- 
voir fait  un  placart  qui  fut  trouvé  at- 
taché au  posteau. 

(E)  S'il   est   vrai y/t'ANToiNE 

Govéa  ait  enseigné h  Grenoble.] 

N'ayant  point  les  livres  que  je  vou- 
drais ,  je  laisse  une  infinité  de  choses 

(1)  Biblinth.  hispan.  ,  pag.  3oo. 

(2)  Teissier  ,  Eloges,  loin.  I,  pag.  291. 

(3)  Elias  Vmelus  ,  epist.ad  Schottum  ,  in  Bi- 
bliotli. hispan.,  pag.  ^5. 

(4)  Scliniius  ,  lîibl.  hispan. ,  pag.  617. 

*'  Leclerc  dit  qu'en  effet  Covéa  n'était  que 
maître  es  arts. 

(5}  Histoire  ecclésiastique  des  églises,  liv.  I, 
pag.  18. 

**  Joly  remarque  que  Bèze  date  le  supplice 
d'Ayraon  de  la  Voye,  du  21  d'août  1542. 


dans  l'incertitude.  Ceux  qui  les  y  ont 
laissées ,  ayant  toutes  sortes  de  biblio- 
thèques à  la  main  ,  sont  plus  blâma- 
bles que  moi.  En  tout  cas ,  mes  in- 
certitudes détermineront  quelques 
lecteurs  à  chercher  la  décision  *. 
Je  répète  ici  cette  remarque  avec 
d'autant  moins  de  scrupule  ,  que  je 
suis  persuadé  qu'on  ne  lira  ce  Dic- 
tionnaire que  par  morceaux.  Ainsi  , 
un  avertissement  qui  ne  serait  donné 
qu'une  fois  courrait  risque  de  demeu- 
rer inconnu. 

André  Schot  serait  bien  capable  de 
m'assurer  de  ce  que  je  lis  dans  M.  de 
Thou ,  concernant  la  profession  de 
Grenoble  ,  si  je  ne  voyais  qu'au  lieu 
même  où  il  déclare  que  Govéa  ensei- 
gnait en  cette  ville  ,  il  écrit  sans  exac- 
titude. Voici  le  passage  tout  entier 
(6).  Cadurcijus  annos  aliquot  magno 
concursu  docuit ,  et  Valentiœ  Del- 
phinatus  anno  à  Christo  nato  i555 
ad  tit.  de  vulgari  et  pupillari  substi- 
ttttione  dictabat.  Tolosœ  6  anteii  an- 
no Andréas  naturd  atque  anima  fra- 
tri,  beneficiis  vero  parenti ,  librum 
de  jure  accrescendi  inscripsit.  Gra- 
tiariopoli  ad  legem  Falcidiam  quœ 
perdifficilis  est  dictabat  anno  1566(7). 
Quarto  post  anno  uxorem  ibi  domum 
duxit  ,  ex  edque  liberos  sustulit  Pe- 
trum  et  Manfredum  ,  quorum  illum 
Petrus  Bertrandus  Cadurcorum  epi- 
scopus  in  baplismutis  fonte  suscepe- 
ral.  Le  sens  naturel  de  ce  récit  est  : 
i°.  que  Govéa  enseigna  le  droit  à 
Cahors,  avant  que  de  l'enseigner  à 
Valence  ,  c'est-à-dire  ,  avant  l'année 
1 555  ^  20.  qu'il  l'enseignait  à  Grenoble 
l'an  i566,  et  qu'il  s'y  maria  l'an 
1570  ;  3°.  qu'il  fit  présenter  au  bap- 
tême l'aîné  de  ses  fils  par  l'évèquede 
Cahors.  Ces  trois  choses  paraissent  si 

*  Voici  comment  Joly  la  donne  ,  toutefois 
d'après  Leclerc.  Antoine  Govéa  eut  une  chaire 
à  Toulouse,  en  ifi4^;  et,  Tannée  suivante,  il 
dédia  son  Traité  de  Jure  accrescendi,  à  son  frère 
André  ,  qu'il  croyait  vivant.  A  la  fin  d'août  i54<>, 
Antoine  passa  à  Cahors,  ou  il  se  maria,  en  sep- 
tembre. Il  y  enseigna  pendant  cinq  ans.  En  i554 
il  accepta  une  chaire  à  Valence,  qu'il  ne  garda 
qu'un  an.  Vers  la  fin  du  mois  d'août  i558,  il  se 
transporta  à  Grenoble.  En  i56z,  il  fit  imprimer 
à  Eyon  un  in-folio  de  3zz  pages,  sous  ce  titre  : 
Antonii    Goveani   jurisconsulli  opéra  juris  civi- 

(6)  Andr.  Schottus  ,  Biblioth.  hispan.,  pag. 
4oi. 

(7)  Paul  Eréher  ,  copiant  ceci  danr  son  Théâ- 
tre ,  pag.  849,  a  mi,f  anno  i555 ,  cl  Va  mis  même 
eu  alinéa.  Ce  sont  deux  grosses  fautes. 


GO^V 

dérangées  ,  qu'elles  choquent  un  lec- 
teur exact.  Le  bon  sens  dicte  que  Go- 
ve'a  était  professeur  à  Cahors,  quand 
il  pria  l'évêque  du  lieu  de  lui  faire 
Thonneur  d'être  son  compère.  Or  , 
suivant  le  récit  que  j'ai  rapporté,  il 
professait  à  Cahors  avant  l'année  1 555. 
Que  veut-on  donc  dire  quand  on  as- 
sure qu'il  professait  à  Grenoble,  l'an 
i566  ,  et  qu'il  s'y  maria  l'an  1570,  et 
que  son  fils  aîné  fut  présenté  au  bap- 
tême par  l'évêque  de  Cahors  ?  N'ai- 
je  pas  raison  de  me  défier  du  père 
Schottus  ?  un  jurisconsulte  allemand, 
qui  a  fait  réimprimer  à  Leipsic  les 
vies  de  quelques  jurisconsultes,  aug- 
mente mes  défiances  ;  car  il  fait  une 
objection  très-solide  à  ce  jésuite,  par 
rapport  à  ces  paroles  Gratianopoli  ad 

legem  Falcidiam dictabat  i566. 

Voici  l'objection.  Videtur  hic  Schot- 
tus temporis  rationem  miniis  rectè 
observasse  ,  fieri  enim  non  potnit  ut 
prœlectiones  suas  ad  L.  Falcidiam 
anno  demhm  1 566  habuerit  Goi'eanus 
Gratianopoli  ,  qui  easdem  jam  an. 
i56o  Michaëli  Hospitalio  Franciœ 
cancellario  inscripserat  (8). 

Notez  qu'Etienne  Pasquier  assure 
(9)  q\\Antonius  Go^eanus  enseigna 
le  droit  à  Grenoble  et  y  mourut.  Il 
se  trompe  pour  le  moins  quant  au 
dernier  fait.  Je  viens  d'apprendre , 
dans  la  XIIe.  lettre  du  IIe.  livre  de 
Languet ,  datée  du  i3  de  février  i56o, 
que  Govéa  était  professeur  à  Greno- 
ble. Ei  (  Cujacio  )  Valentiœ  succedet 
Gribaldus ,  pulchrum  sane  par,  ubi 
ipse  et  Loriotus  conjuncti  fuerint ,  et 
habucrint  Gratianopoli  vicinum  Go- 
veanum  ,  qui  utroque  est  longé  scele- 
ratior. 

(F)  Il  r  a  une  autre  réflexion  a 
faire  sur  le  narré  de  31.  de  Thou.~\ 
Voici  ses  paroles  (10)  :  Ab  jEmilio 
Ferrelo  qui  Avenione  jus  civile  doce- 
bat  ,  cùm  Lugduni  privatis  studiis 
intentus  desideret  (  Antonius  Govea- 
nus)  ad  illius  perplexœ  scientiœ  pro- 
j'e.ssionem  evocatus  est.  La  suite  du 
discours  témoigne  que  Ferretn'exhor- 
ta  point  Govéa  à  étudier  en  droit  , 
mais    à  enseigner    cette  science  ;   et 

(8)  Frider.  Jac.  Leic  herus,  in  not.  ad  Vitas 
clariss.  Jurisconsultorum,  pag.  202,  20'i ,  edil. 
Lips.  ,   1686. 

(ci)  Fasquier,  Heclierel!es ,  liv.  IX,  chap. 
XXXVII,  pag.  m.  8c,8. 

(10)  Thuanus  ,  Ub.  XXXFIII  ,  pag.   769. 


ÉA.  169 

cela  même  est  assez  clair  par  les  pa- 
roles que  j'ai  rapportées  ,  et  que  du 
hier  a  ainsi  traduites  :  Emile  Ferret, 
qui  enseignait  le  droit  civil  a  Avi- 
gnon ,  l'invita  d  Y  venir  faire  profes- 
sion *'  de  cette  science  laborieuse  et 
difficile  ,  voyant  qu'il  passait  son 
tenijis  à  Lyon  en  des  études  privées. 
Disons  donc  que  ces  paroles  de  M.  de 
Thon  affirment  que  Govéa  fut  attiré 
à  Avignon  par  Ferret  *a ,  afin  d  y 
enseigner  la  jurisprudence.  On  peut 
former  là -dessus  deux  difficultés: 
l'une  est  prise  de  ce  que  M.  de  1  hou, 
ayant  dit  que  Govéa  connut  bientôt 
la  vraie  manière  d'expliquer  le  droit, 
et  s'y  fit  admirer  de  telle  solrte  que 
Cujas  en  fut  alarmé,  ajoute  :  Igitur 
Goveanus  Tolosœ  primhm  ,  dein  Di- 
vione  Cadurcorum  ,  post  J^alentiœ  et 
Gratianopoli  jus  civile  magna  audito- 
rum  frequentid  pi-ofessus  est.  Voici 
donc  l'analyse  de  ce  narré.  Govéa  , 
attiré  par  Ferret  à  Avignon  afin  d'y 
enseigner  la  jurisprudence,  devint, 
bientôt  un  excellent  interprète  du 
droit  civil ,  jusqu'à  donner  de  la  ja- 
lousie au  grand  Cujas.  Il  enseigna  donc 
le  droit  premièrement  à  Toulouse  , 
puis  à  Cahors  ,  ensuite  à  Valence  et 
à  Grenoble  à  un  grand  nombre  d'au- 
diteurs. Ne  peut-on  pas  demander  à 
ce  grand  historien  où  il  a  laissé  Avi- 
gnon ?  Ne  s'est-il  pas  visiblement  con- 
tredit ?  N'a-t-il  pas  dû  dire  que  Govéa 
enseigna  premièrement  dans  cette 
ville  ?  La  seconde  difficulté  est  prise 
de  ce  que  dans  la  Bibliothèque  d'Es- 
pagne ,  où  l'on  donne  un  abrégé  de 
la  vie  de  Govéa ,  tiré  de  ses  propres 
écrits  ,  on  dit  qu'il  enseigna  la  juris- 
prudence à  Cahors  ,  à  Valence  et  à 
Grenoble;  mais  quant  à  Avignon  età 
Toulouse  ,  on  dit.  seulement  qu'il  y 
étudia  le  droit  avec  une  extrême  ap- 
plication. Juvcnis  natu  grandiortres 
ferè  anno  in  juris  civilis  studio  ope- 
ram  dédit  JEmilio  Feretto  Avenione 
profitent! ,  suœ  memoriœ  facile  prin- 
cipi  ;  quemque  parentem  alterum  ap- 
pellarc  lib.    1  de  juris    dictione  non 

*I  Lcrlerc  pense  que  ,  par  le?  mois  ad  illius 
professionem ,  de  Tliou  n'a  pas  entendu  parler 
de  profession  ,  comme  traduit  Bayle  ,  ou  de  ré- 
gence ,  mais  seulement  d'application  à  l'étude  du 
droit. 

*J  F.  Ferret  était  retiré  à  Lyon  et  sans  emploi, 
lorsqu'il  y  connut  Govéa  :  ce  ne  fut  que  plus 
tard  qu'il  obtint  une  chaire  à  Avignon,  ainsi  que 
le  dit  Lcclerc. 


I70 


GOVÉA. 


dubitat  :  neque  ex  eo  tempore  ajuris-    »  ouvrages  (î6).  »  Si  l'ouvrage  dont 
consultoriim   libris  longius    unquam    j'emprunte  ces  paroles  contenait  deux 

ou  trois  gros  in-folio ,  on  pardonne- 
rait à  l'auteur  une  citation  si  vague  ; 
mais  c'est  un  in-ii  de  rn\  pages. 
L'auteur  pouvait  donc  se  donner  la 
peine  de  chercher  l'endroit  où  Calvin 
a  si  mal  parle  de  Govéa  ,  et  il  aurait 
fait  beaucoup  de  plaisir  aux  lecteurs 


oculos  dimoi'it.  Tolosœ  mox  tantd  tn 
studio  assidttitate  ,  tanteique  est  usus 
contentione ,  ut  majore  non  posset  (  i  i  ) . 
Un  fameux  historiographe  de  Savoie 
(12)  renverserait  la  narration  de  bien 
des  gens  ,  s'il  avait  dit  avec  raison 
qu'en  l'année  1 55g  le  duc  de  Savoie 

érigea  une  académie  à  Mondevis  ,  et  en  le  citant  ;  car  il  leur  eut  épargné 
y  établit  pour  professeur,  entre  au-  le  soin  de  feuilleter  huit  ou  neuf  vô- 
tres   savans    personnages,    Antoine    lumes  in-folio  Je  ne  ferai  point  cette 


Govéa. 

(G)  En  1 542  ,  il  enseignait  à  Paris 
sous  son  onde  ]  Lorqu' André  Govéa, 
le  neveu  ,  alla  à  Bordeaux  ,  l'an  1 534, 
il  avait  été  principal  du  collège  de 
Sainte-Barbe,  à  Paris  ,  pendant  quel- 
que temps  ,  à  la  place  d'André  Go- 
véa ,  l'oncle  (i3).  Puis  donc  que 
celui-ci  était  principal  à  Paris  ,  Tan 


faute  ,  quelque  gros  que  soit  mon 
ouvrage  ;  je  rapporterai  les  paroles 
de  Calvin  ,  etje  marquerai  la  page  où 
elles  se  trouvent.  Agrippam  ,  ViUa- 
novanûm ,  Dolêtum  ,  et  similes  vulgb 
notum  est  lanquam  Cyclopas  quos- 
piain  Evangelium  semper  fastuosè 
sprevisse  Tandem  eb  prolapsi  sunt 
amentiœ  et  furoris  ,    ut  non   modo  in 


i542  (14^  ,  il  faut  conclure  qu'il  re-  Jilium  Dei   erecrabiles  blasphemias 

prit  sa  charge  lorsque  son  neveu  alla  écornèrent ,  sed  quantum  ad  anima; 

à   Bordeaux;   c'est  ce   qu'Elie  Vinet  tdtam  attinet ,  nihil  a  canibus  et  por- 

eût  dù  observer  expressément,  afin  cis  putarent  se  diffeme .  Alii  (ut  liabe- 

de  donner  un  récit  plus   intelligible,  lœsus,  Deperius ,  et  Goveanus)  gus- 

(Hj  //  a  passé pour  atheedans  l'esprit  tato  Evangelio ,  eddem  cœcilale  sunt 

de  quelques-uns]  «  11  a  consulté  dans  percussi.  Cur  islud  ?  nisi  quia  sacrum 

»  Grenoble,  lu  dans  l'université  de  Va-  illud  t'itœ  ceternœ  pignus  ,  sacrilegii 

»  lence,  et  a  composé  quelques  ouvra-  ludeiidi  aut  ridendi  audacid  antè  pro- 

»  ges  dans  ces  deux  villes.  Ily  (1 5)  fut  famirant    (17)?   Nous  apprenons  de 

»  même  accusé  d'avoir  mal  parlé  delà  ces  paroles  que  Govéa  était  un   mo- 

»  Divinité  ,  et  il  fallut  qu'il  s'en  justi-  queur  ,    et   qu'il  avait   approuvé  au 

»  fiât;   ce  qu'il   fit  par  un   excellent  commencement  le  parti  de  la  réfor- 

»  discours  ,  qu'on  a  vu  autrefois  ma-  me.  Ce  fait  n'est  guère  connu.  Voici 


»  nuscrit  dans  la  bibliothèque  d'En- 
»  nemont  de  Rabot  d'Ilins ,  premier 
»  président  en  ce  parlement ,  sur  le- 
»  quel  de  Gordes,  lieutenant  de  roi 
»  en  cette  province  ,  trouva  lieu  de 
»  se  faire  son  protecteur.  Cette  li- 
»  berté  de  parler  a  obligé  Calvin  de 
»  l'appeler   athée   dans   l'un   de    ses 

(11)  Bibliotb.  bispan,  Scholti ,  pag.  3oo. 

(12)  Guichenon,  Histoire  de  Savoie,  lom.  I, 
pag    678. 

(i3)  Andréas  aputl  patruum  grammalicam 
prim'um  ,  mox  philotophiam  professus ,  ah  eo- 
dem  tchotœ  itli  tandem  prie  f ex  lus  fuit.  Vinet.  , 
in  Biblioth.  hispan.,  pag.  4 7 S. 

(i4)  Illie  (Lutetiœ)  Anlonium  Goveanum  vidi 
prim'um  an.  a  Christo  nato  i5.|2  qu'uni  doceret 
apud  palruum.  Idem  ,  ibid. 

(i$)  Cela  signifie  clairement  qu'il  fut  accuse" 
à  Grenoble  et  a  Valence;  mais  il  n'y  a  nulle 
apparence  que  l'accusation  ait  été  réitérée  dans 
un  autre  lieu.  L'auteur  s'est  mal  exprimé  appa- 
remment. Il  a  voulu  dire  que  Govéa  fut  accusé 
dans  l'une  de  ces  deux  villes.  Il  rut  bienfait  de 
s' exprimer  sans  équivoque.  ,  et  de  marquer  si  ce 
fut  à  Grenoble  ou  à  Faïence  que  le  pruces  fut 
intenté. 


deux  vers  contre  Govéa  ,  par  rapport 
à  sa  mécréance. 

Anloni  Goveane  ,  tua  hœc  Marrana  propago, 
In  cœlo  et  cellis  non  putal  esse  Deum. 

Ils  servaient  de  réponse  à  ce  disti- 
que qu'il  avait  fait  contre  un  con- 
seiller (18)  : 

Dum   tonal ,    in  cellas  propero  pede  Vallius 
Confugil  :  in  cellis  non  putal  esse  Deum  * . 

(16)  Allard  ,  Bibliothèque  de  Daupbiné  ,  pag. 
118,  119. 

(1-)  C.alvinus  ,  in  Tractatu  de  Scandalis  ,  in 
volumine  Traciatuum  tbcologicorum  ,  pag.  90  , 
col.  1  ,  edil.  Genev.,  1611. 

(18)  Au  parlement  de  Bordeaux,  et  non  de 
Toulouse ,  comme  on  l'assure  dans  le  prima 
Sealigerana,  pag.  96-  l'oyez  Ht.  Ménage,  Anti- 
Ba  llet  ,  lom.  I ,  pag.  262  ,  011  il  montre  que  ce 
conseiller  s'appelait  Briand  de  Valle'e. 

*  Joly,  qui  transcrit  aussi  ces  vers,  met  dans  le 
premier  ,  trepido  ,  au  lieu  de  propero  ;  et ,  dans 
le  second  an,  au  lieu  de  non.    Il    ajoute  que    la 


réponse  a 


st   de  Briand  de  la   Vallée 


lui-même.  (Voyei  la  note  18.  ) 


GOVÉA. 


'71 


Vous  trouverez  ces  quatre  vers  dans 
le  premier  Sca/igcrana  ,  avec  quel- 
ques autres  choses  qui  font  honneur  à 
Govéa.  Goveanus  dodus  erat  vir ,  et 
valens  dialecticus  ,  optimus  poëta  gai- 
licus  ,  nec  enim  Hispanum  judicave- 
ris  ,  adeb  bené  gallic'c  loi/uebatur. 
Dans  le  second  Scaligérana  ,  l'athéis- 
me dont  Calvin  accuse  Govéa  est  traite' 
de  calomnie  ;  Goveanus  fuit  doctus 
Lusitanus.  Calvinus  vocal  illum 
atheum,  citm  non  fuerit  ;  debebai  il- 
lum meliùs  nosse. 

(I)  Nicolas  Antonio  n'a  pas  été  ici 
toul-h-j'ait    exact.  ]    Il    assure    (  19  ) 
qu'Antoine  Govéa  enseignait  le  droit 
à  Toulouse,  environ  Tan  i53ç);  mais 
Elie   Vinet  me'rite  plus  de  croyance  , 
lui   qui   avait  connu  très-particuliè- 
rement André  et  Antoine  Govéa,  et 
qui   fut  prié  par  André   Schottus  de 
lui    en   écrire   l'histoire.  Il  dit  sim- 
plement qu'en  l'année  i53g,  Antoine 
Govéa   étudiait   déjà  en  droit  à  Tou- 
louse (20).  Chacun  voit  la  différence 
entre  enseigner  le  droit  et  l'étudier. 
Nicolas   Antoine    ajoute    que    Govéa 
fut  professeur  un  peu   après,  à  Paris 
et  à   Bordeaux  ,   et  qu'enfin  il  s'ar- 
rêta à  Cahors  ,  où  il  professa  la  ju- 
risprudence avec  une  extrême   répu- 
tation ,  qui  ,   volant  jusqu'à  Turin  , 
fit  résoudre  le  doc  de  Savoie  à  l'atti- 
rer  à  son  service  ,   par  la  charge  de 
son   maître  des   requêtes   et  de    son 
conseiller.  Cadurci   deruùm    suhstitit 
juris  ciiilis  anleccssor  in  swnmo  tau- 
dis atque^xistimaiionis  loco  positus. 
Quod  ciim  prospexisset  ab  ipsd  Au- 
guste Tauri.noru.rn  SabaudUe   dux  , 
etc.  (21).  11    y  a   bien  du  mécompte 
là-dedans.  Govéa  s'était  fait  entendre 
de  plus   près   depuis   qu'il    fut  sorti 
de  Cahors  ;   il  avait  lu   dans  le  voi- 
sinage du  duc  de  Savoie  ,   à  Valence 
en  Dauphiné  ,  et  ct^ne  fut  point  dans 
le  Querci  que  les  offres  de  ce  prince 
l'allerent  trouver  :  il  leur  était  allé 
au-devant  à   plus  des  deux  tiers  du 
chemin.  Outre  que  la  princesse  Mar- 
guerite (22)  ,   sœur  de  Henri  II  ,    et 

(19)  Nicol.  Anton.  ,  Biblintb.  bispnn. ,  loin,  I, 
pag.  97. 

(20J  Lilleras  anlè  professas  est  quàm  ego 
qui  veni  an.  Chri.\t.  1 53tj ,  quo  trmpore  Tolosœ 
jam  operain  juri  dabai.  V inclus  ,  in  epist.  ad 
Schotl.,   in  Bibl.   hisp   ,  pag    47Ï. 

(ai)  Nicol.  Anton.,  Bibl.  hispan. ,  loin.  /, 
p.-ig   117. 

(22)  Thuanus,  U>.  XXXÎUI ,  pag.  770. 


femme  du  duc  de  Savoie,  le  recom- 
manda à  son  époux.  Or,  comme  elle 
était  savante,  elle  avait  été  toujours 
curieuse  de  s'informer  qui  étaient 
ceux  qui  se  distinguaient  en  France 
par  leur  esprit  et  par  leur  érudition. 
Nicolas  Antonio  prétend  que  Govéa 
vivait  encore  l'an  '5g5;  car,  dit-il , 
Tésauro  le  jeune  fait  mention  de  lui 
avec  éloge  sous  cette  année,  dans  la 
XIX''.  Question  forense.  Si  j'avais  cet 
ouvrage  ,  j'y  reconnaîtrais  peut-être 
que  cet  éloge  ne  s'adressa  pas  au 
Govéa  dont  nous  parlons  ,  mais  à 
son  fils  *'  ;  et  quand  même  je  ne 
pourrais  pas  y  reconnaître  cela ,  je 
no  laisserais  pas  de  croire  que  Go- 
véa n'a  point  vécu  jusqu'en  ï5ç)5  ; 
car  Vinet  parle  de  lui  comme  d'un 
homme  qui  ne  vivait  pas  (a3)  ;  Vinet , 
dis-je  ,  qui  est  mort  l'an  1 687  (24). 
Nicolas  Antonio  ,  ayant  présupposé 
faussement  que  Govéa  était  plein  de 
vie  l'an  i5g5, censure  Elie  Vinet  (25) 
qui  a  cru  que  Govéa  était  mort  à 
l'âge  de  soixante  ans.  Le  censeur  se 
fonde  sur  ce  que  Govéa  enseignait 
le  droit  à  Toulouse  l'an  1509.  Il  a 
raison  d'en  inférer  que  Govéa  ,  vi- 
vant encore  Tan  i5g5  ,  est  mort  plus 
âgé  que  ne  l'a  cru  Elie  Vinet.  Cette 
conséquence  n'est  pas  si  forte  quand 
on  suppose  que  Govéa  étudiait  en 
droit  l'an  1 539  ^  mais  eHe  l'est  pour- 
tant beaucoup  ,  parce  que  Vinet  ob- 
serve que  Govéa  avait  régenté  à 
Bordeaux  avant  que  d'étudier  en 
droit  à  Toulouse.  Un  régent  de  classe, 
pour  l'ordinaire  ,  a  plus  de  vingt 
ans  ,  et  ainsi  Govéa  aurait  eu  pour 
le  moins  soixante -dix -sept  ans  en 
1  5g5.  Qu'avez-vous  donc  à  dire  con- 
tre Nicolas  Antonio  ?  me  demande- 
ra-t-on.  Vinet  n'est-il  point  juste- 
ment battu  de  ses  propres  armes  ? 
Je  réponds  que  non  ;  car  puisqu'il 
est  mort  l'an  1  58^  +ï  ,  il  n'a  point 
pu  supposer  que  Govéa  vivait  en- 
core l'an  i5g5  ,  et  ce  n'est  que  sur 
cette   supposition  que  la  censure  de 

*'  Leclerc  reconnaît  que  la  réflexion <\c  Baylc 
est  juste. 

(*3)  Qui  Taurinis  decessisse  feilur  liliello- 
ruin  suppttcuni  magister.  Vinet.  ,  apud  Schott., 
Bibliotb.  bisp.  ,  pag.  :rS. 

(24)  Thuanus,  t,b.  LXXXriII ,  pag.  137. 

(25)  Il  le  nomme  mal  Klias  Vénétus  :  la  Bi- 
bliotlieca  bispaoïci  de  Schottua  a  la  même  Joute. 

*2  Leclerc  observe  que  Vinet  est  mort  en  i58a, 
et  non  en  1JS7. 


172  GOVÉA. 

Nicolas  Antonio  peut  avoir  un  bon  genii  est  (  cœterorum  pace  dixerim  ), 
fondement.  Il  est  bien  certain  qu'il  triton.  Goveanum  et  Jac.  Cujacium. 
a  ignoré  en  quel  temps  Vinet  est  Il/uni,  ut  mihi  quidem  videtur,  mullo 
mort  ;  sa  censure  est  un  témoignage  feliciore  ingenio  ad  jurisprudentiam 
incontestable  de  cette  petite  igno-  natum  :  sed  qui  natures  viribus  tant 
rance.  Il  a  ignoré  aussi  que  M.  de  confideret,  ut  diligenliœ  laudem  sibi 
Tbou  ait  fait  Téloge  de  Govéa  ;  car,  non  necessariam  ,  minus  eliam  for- 
s'il  l'avait  su  ,  il  aurait  cité  cet  en-  tassé  honorificam  putare  vider etur. 
droit  ,  et  ne  se  serait  pas  contenté  Hune  contra  minus  lucido  prœstantt- 
d'un  autre  où  ce  grand  historien  ne  que  ingenii  acumine  ,  sed  qui  assiduo 
parle  de  Govéa  que  par  occasion  (26).  labore  ea  quoque  se  adsequi  posse  cre- 
D'ailleurs,  comme  M.  de  Thou  a  deret ,  quœ  solis  ingenii  nervis  para  ri 
mis  la  mort  de  Govéa  sous  l'an  i565,  queunt  (27).  Cujas  lui-même  ne  s'é- 
Kicolas  Antonio  n'eût  pas  manqué  loignait  pas  de  cette  pensée  ;  il  aurait 
d'indiquer  cette  méprise,  qui  selon  cédé  la  carrière  à  Govéa  s'il  l'avait 
lui  est  énorme.  Bien  des  gens  ,  et  connu  aussi  studieux  que  spirituel, 
entre  autres  M.  Allard,  à  la  page  119  Adolescens  (Cujacius)  Anlonii  Go- 
de la  Bibliothèque  de  Dauphiné  ,  et  veanijurisconsuïtiingeniumadmira- 
M.  Konig ,  à  la  page  356  du  Biblio-  batur,  sed  indiligenliâ  hominis  nota- 
theca  vêtus  et  noua  ,  suivent  en  cela  ta,  nihil  detenitus  est  ,  deterritum  iri 
M.  cle  Thou  ;  mais  André  Schot  n'est  5e  dicens  a  jure  traclando,  sihomo  Lu- 
pas  de  ce  nombre  ,  puisqu'il  aflîr-  sitanus  tanto  ingenio  ,  tamque  sub- 
me,  à  la  page  3oi  du  Bibliotheca  Mis-  tili,  labores  civilium  studiorum  séria 
panica,  que  Govéa  dictait  à  Greno-  suscipere  ne  subire  voluisset  (28). 
ble  l'an  i566,  et  y  faisait  des  enfans  Pasquier  donne  la  prééminence  à 
après  l'année  15^0  *'.  Cujas  sur  Antoine  Govéa.  Repassant , 

(K)  Des  gens soutiennent  qu  il    dit-il  (29)  ,   sur  les  trois  chambrées 

surpassait  en  esprit  le  grand  Cujas.]  de  ceux  qui  ont  écrit  sur  le  droit  ; 
Antoine  Faure  *'  prétend  que  Govéa  en  la  première  je  fais  grand  état 
et   Cujas    ont  été  les   deux  plus  ex-    d  Accurse  entre  les  glossateurs  ;  en 

cellens  jurisconsultes  de  leur  siècle  ;    la  seconde  ,  de  Barthole Et  en- 

mais  avec  cette  différence  que  Go-  tre  ceux  de  la  troùième  ,  qu'il  me 
véa  avait  l'esprit  plus  heureux,  et  plaît  de  nommer  humanistes,  je  donne 
que  ,  se  fiant  trop  à  son  naturel  ,  il  le  premier  lieu  a  notre  Cujas ,  qui 
ne  croyait  pas  que  le  travail  lui  fût  n'eut  ,  selon  mon  jugement ,  n'a  et 
nécessaire  ni  honorable;  au  lieu  que  n'aura  par  aventure  jamais  son  pa- 
Cujas  ,  d'un  génie  moins  pénétrant ,  reil  ;  et.  au  milieu  de  ces  derniers  , 
travaillait  en  homme  qui  était  per-  je  n'en  vois  aucuns  qui  aient  écrit 
suadé  qu'à  force  de  s'appliquer  on  en  langage  plus  élégant  que  Govéa 
découvraitles  choses  mêmes  que  l'on  et  Duaren  ,  au  peu  que  l'un  et  l  au- 
ne peut  conquérir  qu'à  la  pointe  de  tre  nous  ont  laissé  de  leurs  ouvra- 
l'esprit.  Ceux  qui  entendent  le  latin  ges  ;  et  de  ces  deux  je  donne  le  pre- 
seront  bien  aises  de  voir  de  quelle  nuer  lieu  a  Govéa.  Je  ne  comprends 
manière  Antoine  Faure  a  prononcé  pas  qu'on  puisse  dire  que  Duaren  ait 
ce  jugement.  Tulit  œtas  nostra  maxi-  peu  écrit,  car  ses  œuvres  font  un 
77105  in  jurisprudentid  viros  non  pau-  gros  in-folio  (*).  . 
cos  ,    sed prœcipuos  ,   si  quid  mei  in-        (h)  Je  dirai  quelque  chose  de  M ain- 

froi  Govéa  ,  fils.  ]  Il  naquit  à  Tu- 

(26)  J'avoue   que   la,    par    occasion  ,   il    lui 

donne  /tes  louanges  plus  exquises  que  quand  il  (17)  Antonius  Faber ,  in  prςat.  ,  lib.  VII  et 

en  parle  ex  professo  ,    car   il   le  met    an.  petit  seqq.  Conjcctur.  ad  Petrum  Fabrum  apucl   Leic- 

nomhre  de  ces  savans  de   collège  qui,  par  un  Mierum    in  not.  ad  Vitas  clariss.  Jurisconsulto- 

honheur  très-rare ,  n'ont  aucune  pédanterie.  Ru-  rum  ,  pag.  200. 

ebauan,  Tnmèbe  et  Muret   sont  les  trois  autres  (28)    Pnpyr.   Masso  ,    in  Vitâ   Cnjacii ,    pag. 

qu'il  met  de  ce  nombre  ,  suivant  le  goût,  de  Ron-  3oo  ,   Soi. 

sard.  Voyez, loin.  IV,  pag.  221,  lacitalion  (29)  (29)  Pasquier,  Recliercbes  ,    liv.IX,    ckap. 

deV article  lîccniNAN.  X  ,  pag.  902. 

*'  Leclerc,    qui  donne  la  série  chronologique  (*)  Duaren  n'a  pas,    à  beaucoup  près ,  autant 

des  principaux  événemens  de  la  vie  de  Govéa  ,  écrit  que  Cujas.   C'est    ce  qu'a  voulu  dire  Pas- 

Ie  fait  naître  en  i5o5  ,  ou  environ.  quier,  non  pas  1.  9,  ebap.    10  ,  pag.  902  ,   mais 

*2  Leclerc  observe  qu'il  fallait  éciirc   h'atre.  1    f),  chap.  39,  pag.  902,  de   l'édition  de  iG4'a, 

Ce  Favre  est  le  père  de  Yaugelas.  s'entend.  Rem.  cr.it. 


GOULART. 

et  se  rendit  fort  capable  d'é-    tions    aux   catholi 


i73 


ques  ,  corurrie 
aurait  fait  le  nom  de  Genève.  11 
avait  une  connaissance  fort  éten- 
due de  tout  ce  qui  se  passait  en 
matière  de  librairie  ,  et  c'est 
pour  cela  qu'Henri  IJ[I ,  voulant 
connaître  l'auteur  qui  se  déguisa 
sous  le  nom  de  Stephanus  Ju- 
mus  Brutus ,  pour  débiter  une 
doctrine  lout-à-fait  républicaine, 
envoya  un  homme  exprès  à  Si- 
mon Goulart,  afin  de  s'en  in- 
former; mais  Goulart,  qui  sa- 
GOULART  (Simon),  natif  de    "j*  to«*  le  mystère ,  ne  le  vou- 

t  pas    découvrir  ,    de    peur  * 


crire  en  vers  et  en  prose.  11  entendit 
bien  les  belles-lettres  et  le  droit  ci- 
vil et  canonique  ,  et  se  fit  considé- 
rer du  duc  de  Savoie  ,  son  maître  , 
qui  l'honora  de  la  charge  de  con- 
seiller dans  le  se'nat  de  Turin  ,  et 
dans  le  conseil  d'état.  Il  mourut  L'an 
i6i3.  On  a  de  lui:  Consilia;  No- 
tes et  animadrersiones  in  Opéra  Ju- 
in Clari  ;  Carmina  ;  Orazione  fu- 
nèbre nella  morte  di  FUippo  II ,  rè 
di  Spagna  (3o). 

*  Leclerc  dit  que  Mainfroi  naquit ,  vers  i55o  , 
à   Cahots  ,   oii  son    père    s'était  marié  en  i54g. 

(io)  Tiré  du  Gliiliui  Teatro  ,  pari.  II ,  pag. 
l8<J 


Senlis  et  ministre  de  Genève,  a 
été  un  des  plus  infatigables  écri- 
vains de  ces  derniers  temps  (A). 
Quand  il  ne  mettait  pas  son  nom 
à  un  livre,  il  le  désignait  par  ces 
trois  lettres  initiales  :  S.  G.  S.  , 
qui  voulaient  dire  ,  Simon  Gou- 
lart ,  Setilisien  (a).  C'est  à  cette 
marque  que  le  père  Labbe  (b) 
croit  avec  raison  l'avoir  reconnu 
pour  l'auteur  des  notes  margina- 
les et  des  sommaires  qui  ac- 
compagnent les  Annales  de  Nicé- 
tas  Chômâtes,  dans  l'édition  de 
Geuève  1 5^3.  Goulart  mourut  à 
Genève  ,  fort  âgé,  l'an  1G28  (B). 
La  date  ordinaire  de  ses  épîtres 
dédicatoires  est  de  Saint-Gervais, 
qui  est  le  nom  que  l'on  donne  à 
une  partie  de  la  ville  de  Genève. 
Si  l'on  ne  savait  pas  qu'il  datait 
de  même  les  lettres  qu'il  ne  des- 
tinait pas  au  public  (c) ,  on  croi- 
rait sans  doute  qu'il  se  servait  de 
cette  date  ,  parce  qu'elle  ne  ren- 
dait point  suspectes  ses  composi- 

(a)  On  le  nomme  dans  le  Catalogne  d'Ox- 
ford, Simon  Gouldrtius  Sanlisiensis  Sylva- 
riectinus.  Il  fallait  mettre  un  sive  entre  les 
deux  derniers  mots. 

(b)  De  Script,  eccles. ,  tom.  II ,  pag.  ^65. 

(c)  l'oyez  les  lettres  qu'il  écrivait  à  Sca- 
liger,  dans  le  Recueil  publie  pur  Jacques  de 
Rives,  à  Hardenvick  ,  162/j. 


d'exposer  les  intéressés  (d).  Sca- 
liger  l'estimait  beaucoup  (C).  Un 
fils  de  Simon  Goulart  fut  minis- 
tre de  l'église  wallonne  d'Amster- 
dam,  et  embrassa  avec  ardeur 
le  parti  des  arminiens  (D). 

*  Tronchin  ne  dit  pas  que  Goulart  garda 
le  silence  de  peur  d'exposer  les  intéressés  ; 
Voici  le  texte  :  ne  sanctissimiwiri  mânes  im- 
menlo  sol/icitarentur.  Languet  ,   en    effet 
était  mort  avant  la  puLlication  de  son  livre  ■ 


et  celait  ses  mânes  seuls 


quon  pouvait  in- 


quiéter. Leclerc  et  Joly  reviennent,  au  reste, 
sur  ce  sujet,  dans  leur  Critique  ou  notes  sur 
la  Dissertation  de  Bayle  sur  le  livre  d'Etien- 
ne Junius  Brutus,  qui  sera  ci -après,  tome 

(d)  Voyez  son  Oraison  funèbre  ,  prononcée 
par  M.  ïroncliin,  professeur  en  théologie. 

(A)  Il  a  été  un  des  plus  infatiga- 
bles écrivains  de  ces  derniers  temps.] 
Cela  paraît  par  le  grand  nombre  de 
livres  qu'il  a  ou  ornés  de  notes  et 
de  sommaires  (1)  ,  ou  commentés, 
ou  mis  en  français  ,  ou  composés  de 
son  cru.  Les  Semaines  de  du  Bartas- 
sont  un  des  livres  sur  lesquels  il  a 
fait  des  commentaires.  Il  ne  se  con- 
tenta pas  de  traduire  en  notre  lan- 
gue les  Méditations  historiques  de 
Camerarius  ,  il  y  joignit  beaucoup 
d'additions.  Il  a  fait  un  gros  recueil 
d  histoires  admirables  et  mémora- 
bles. La  Croix  du  Maine  vous  indi- 
quera plusieurs  traductions  françai- 
ses  composées   par  Simon  Goulart  , 

(1)  C'est  ce  qu'il  a  fait  a  toutes  les  OEuvrrs 
Je  Plutarque,   traduites  par  Amiot. 


i74 


GOULART. 


celle  de  l'Histoire  de  Portugal  (2)  ,  vit  à  Scaliger,  le  17  d'octobre  1606 
celle  de  la  Chronique  de  Carion  ,  (5) ,  nous  apprenons  qu'il  était  alors 
celle    de   quelques   traités  de  The'o-    au  bout  de   sa  soixante-troisième  an- 


doret,  celle  des  livres  de  Jean  Wier, 
touchant  l'imposture  des  diables. 
Ajoutez-y  celle  de  toutes  les  œuvres 
de  Sénèque,  publiée  à  Paris  en  deux 
volumes  in-^%,  l'an  jSgo*.  Ce  même 
auteur  composa  divers  traités  de  dé- 


II  y  a  peu  de  gens  qui  aient 
exercé  le  ministère  aussi  long-temps 
qu'il  l'exerça  5  car  il  succéda  à  Calvin 
Pan  i564  (6). 

(C)  Scaliger  l'estimait  beaucoup.] 
«  M.  Goulart....  a  bien  travaillé  sur 


votion  et  de   morale  ,   et  sur  les  af-    »  son    Cyprien.  C'est  un  gentil  per- 
faires    du    temps.    D'Aubigné   parle    »  sonnage  qui  a  tout  appris  de  soi- 


avec  éloge  de  ces  derniers  ;  car  a 
près  avoir  donné  le  titre  de  quel- 
ques livres  de  cette  nature  ,  il  con- 
tinue en  cette  manière  :  A  quoi  je 
joindrai  les  divers  écrits  doctes  ,  pa- 
thétiques et  puissans  en  raisons,  les- 
quels a  fournis  a  diverses  occasions 
Simon  Goulart  ,  Senlisien  ,  plume 
digne  d'écrire  l'histoire  ,  si  sa  pro- 
fession lui  eût  permis  d'écrire  sans 
'juger  (3). 

J'ai  marqué  en  note  que  Simon 
Goulart  mit  des  notes  et  des  som- 
maires au  Plutarque  d'Amiot.  Il  faut 
dire   aussi    qu'il  y  joignit  quelqu 


»  même  ,  et  a  commencé  tard  au 
»  latin  *a  ,  lorsque  j'étais  à  Genève. 
»  On  dit  que  son  fils  contente  bien 
»  son  église.  Monsieur  Goulart  a  si 
»  bien  et  si  joliment  travaillé  sur  son 
»  Cyprien  !  je  l'ai  lu  tout  du  long  *3. 
»  Il  faisait  ses  prêches  bien  clairs. 
»  Il  a  fait  châtrer  les  oeuvres  de 
»  Montaigne  5  quœ  audacia  in  scripta 
»  aliéna  !  JYon  putdssem  Goulartium, 
»  quod  serius  incoepit ,  tambenè posse 
»  scribere  ,ut  fecit{rj).  »  Nous  allons 
parler  de  ce  fils  de  Simon  Goulart. 

(D)   Un  de  ses  fils embrassa 

avec  ardeur  le  parti  des  arminiens.  ] 


parallèles  dont  M.  Varillas  ne  porte    Provoqué  par  un  jeune  ministre,  son 


point  un  jugement  favorable.  Quel- 
que habile  ,  dit-il  (4)  ,  que  fût  du 
temps  de  nos  pères,  Simon  Goulart, 
de  Senlis  ,  ministre  de  Genève  ,  et 
quelque  soin  qu'il  eut  pris  d'ajou- 
ter au  Plutarque  français  les  com- 
paraisons qui  manquent  dans  le  grec, 
il  n'y  en  a  pourtant  qu'une  debonne 


collègue  ,  il  prêcha  un  jour  contre 
ceux  qui  disent  qu'en  vertu  des  dé- 
crets de  réprobation  ,  certains  en- 
fans  qui  meurent  à  la  mamelle  ou 
dans  le  ventre  de  leurs  mères  ,  sont 
damnés  éternellement.  On  le  suspen- 
dit pour  cela,  l'an  iG  1 5  (8).  Il  fut  un 
des  ministres  remontrans  qui,  pour 


lie  d'Alexandre-le- Grand    n'avoir  pas  voulu   souscrire   au  sy- 


qui  est   ce 

avec  Jules  César. 

(B)  Il  mourut fort  dgé   l'an 

1628  (*).  ]  Par  une  lettre  qu'il  écri- 
ra) Composée  par  Osorius. 
*  Joly  donne  à  entendre  que  l'édition  ne  peut 
être  que  de  i5ç5,  et  qu'elle  doit  avoir  trois  vo- 
lumes. Voici  quelques  explications  :  le  privilège 
du  roi,  pour  l'impression,  est  du  20  février  l5g5  ; 
l'édition  a  trois  volumes,  mais  le  second  et  le 
troisième,  étant  très-minces  ,  sont  ordinairement 
relié*  en  un  seul.  De  là  l'erreur  de  Bayle,  qui 
n'indique  que  deux  volumes.  Le  privilège  du  20 
février  i5<|5  est  imprimé  dans  chacun  des  trois 
volumes.  C'est  donc  par  faute  typographique 
que  le  second  est  date  de  MDXC  ,  au  lieu  de 
MDXCV.  Le  V  a  été  oublié  sur  le  frontispice 
de  ce  volume;  et  c'est  le  seul  que  Rayle  ail  con- 
sulté ,  ce  qui  explique  encore  son  erreur.  En  ren 
voyant  ,  pour  les  ouvrages  de  C.oulart,  au  tome 
XXIX  des  Mémoires  deNiceron  ,  Leclcrc  et  Joly 
Indiquent  quelques  corrections  à  ce  que  dit 
Niceron. 

(S)  D'Aubigné,  Histoire  universelle,  tom.III, 
Uv.  III,  <ha,>.  XXÎII,pag.  m.  401. 

(4)  Varillas,  Histoire  de  Louis  XI,  Uv.  XI, 
<iu  commencement ,  pag  ■  '»•  ^58  »  ^5q- 

(*)  Simon  Goulart  mourut  âgé  de  quatre  vingt- 


six  ans  ,  et  avait  prêché  sept  jours  avant  sa 
mort.  C'est  ce  que  dit  d'Aubigné  ,  à  la  page  der- 
nière de  ses  petites  OEuvres  mêlées  ,  ou  l'on 
trouve  l'éloge  de  ce  ministre.  Rem  crit.  [Leclerc 
dit  que  S.  Goulart,  né  le  20  novembre  i543, 
mourut  le  i  février  1628  ,  dans  sa  quatre-vingt- 
cinquième  année.] 

(5)  C'en  la  IIIe.  du  IIIe.  livre,  au  recueil 
de  Jacq.  de  Rêves. 

**  Voyez  la  note  à  la  suite  de  la  remarque  cri» 
tique. 

(fi)   Spon  ,  Histoire  de  Genève,  pag.  m.   263. 

*'  Leclerc  et  Joly  trouvent  que  ce  passage 
donne  un  démenti  à  te  que  Bayle  a  rapporté  dans 
sa  note  (6)  sur  la  remarque  (Bj,  qui-  Goulart 
succéda  à  Calvin,  en  1.Ï64.  D'ailleurs,  Tb.  Tron- 
chin  ne  le  lait  recevoir  mnistre  que  ie  20  octo- 
bre l566,  ce  qui  réduit  un  peu  la  durée  de  son 
ministère.  Sur  tous  les  autres  points  ,  Leclerc 
préfère  le  témoignage  de  Scaliger  à  celui  de 
Troncliin. 

*3  Malgré  cet  éloge  de  Scaliger,  Leclerc  dit 
que  l'édition  du  saint  Cyprien  de  Goulart  est  peu 
de  chose. 

(7)  In  Scaligeranis,   pag.  m.  cjn  ,  cfi. 

(8j  Voyei  les  Epistokc  ecclcsiastica:  et  théolo- 
gies:,  pag.  4'4i   edit.    in-folio. 


GOU 

node  de  Dordrecht,  furent  déposes 
de  leurs  charges,  et  chassés  du  pays. 
Il  se  retira  à  Anvers  ,  d'où  il  écri- 
vit quelques  lettres  qui  ont  été  in- 
sérées dans  le  recueil  que  je  cite 
en  note.  11  en  écrivit  une  à  son 
père  ,  au  mois  de  mars  1620  (9),  où 
il  fait  mention  d'un  livre  qu'il  avait 
fait  imprimer  depuis  deux  ans,  sous 
ce  titre  :  Examen  des  opinions  de 
M.  E.  Bassecourt  (  10)  ,  contenues 
en  son  livre  de  disputes  ,  intitulé  : 
Election  éternelle  et  ses  dépendan- 
ces. Il  se  retira  en  France  après  la 
fin  de  la  trêve  des  Hollandais  et  des 
"Espagnols,  et  séjourna  quelques  an- 
nées à  Calais  ,  d  où  il  passa  dans  le 
pays  de  Holstein.  Il  y  a  une  de  ses 
lettres  (nj  qui  ne  rend  pas  bon  té- 
moignage aux  ministres  à  l'égard  des 
guerres  de  religion  qui  régnaient 
alors  en  France.  Selon  M.  Witte  , 
il  était  né  à  Senlis  (12)  ,  et  il  mou- 
rut à  Frédéricstad  ,  en  1628,  à  l'iîge 
de  cinquante-deux  ans.  M.  Mollé- 
rus,  qui  l'avait  cru  de  Genève  avant 
que  de  lire  le  IIe.  tome  du  Diarium 
Biographiçwm  ,  changea  de  pensée 
quand  il  eut  su  que  M.  de  Witte  le 
faisait  Senlisien  ,  Senlisiensem  Sil- 
vanectinnm  esse  rectihs  forte  tradit 
rir  clatissimns Henn.  Mittenius  (i3). 
Je  trouve  plus  vraisemblable  le  pre- 
mier sentiment  de  M.  Mollérus  que 
l'autre;  et  comme  il  observe  que 
M.  AVitte  donne  à  Goulart  le  fils  les 
ouvrages  qu'il  fallait  donner  à  Gou- 
lart le  père  ,  il  aurait  pu  dire  aussi 
qu'apparemment  on  a  confondu  le 
temps  de  la  mort  de  l'un  avec  le 
temps  de  la  mort  de  l'autre  (i^)- 
Voyez  ce  qu'il  a  observé  depuis,  dans 
son  livre  de  Scriptoribus  Homonymis 
à  la  page  678  et  67g. 

(9)  C'est  In  CCCtXXlV.  des  mimes  Epis- 
tola:  ecclf.iiasiîcaï ,  etc. 

(10)  C'était  un  ministre  qui  avait  été  moine. 
(m)  Cest  la  CDXXIV.  Voyez  la  page  696. 
(12;  Senlisiensis,  Sdvanectinu*.  Wiite,  Diar. 

Biogr.iph.,  loin  II,  pag.  35.  Il  fallait  mettre  un 
aive  entre  ces  deux  mots.  M.  Mollérus,  ubi  infrà, 
les  rapporte  sans  virgule. 

(l3)  Mollérus,  l«agoge  ad  Ilistor.  Chers. 
Cimbr.  ,  part.   II ,  pag.  223. 

(i4)  Witte  ,  met  au  19  de  mars  1628  la  mort 
île  Goulart  le  fils. 

GOULU  (Nicolas),  en  latin 
Gulonius  ,  fils  d'un  vigneron 
auprès  de  Chartres  (A)  ,  fut   fait 


LU.  175 

professeur  royal  en  langue  grec- 
que dans  l'université  de  Paris  , 
l'an  i5t>7  [a] ,  à  la  place  de  Jean 
Daurat  dont  il  avait  épousé  une 
fille.  11  a  traduit  de  grec  en  latin 
la  dispute  de  Grégentius  contre 
le  juif  Herbanus  {b) ,  laquelle 
Gilles  de  Noailles  ,  ambassadeur 
de  France  en  Turquie  ,  avait  ap- 
portée de  Constantinople  :  cette 
version  ,  accompagnée  de  quel- 
ques notes  de  Nicolas  Goulu  ,  fut 
imprimée  avec  le  texte  grec  à 
Paris  ,  l'an  1 586.  On  avait  déjà 
imprimé,  dans  la  même  ville  ,  en 
i58o  un  recueil  de  diverses  piè- 
ces*1 de  ce  professeur  (B).  Il  eut 
deux  fils  ,  Jean  et  Jérôme,  dont 
il  sera  parlé  ci-après.  Madeleine 
Daurat,  sa  femme,  était  savan- 
te. Son  épitaphe  nous  apprend 
qu'elle  savait  la  langue  grecque, 
la  latine ,  l'italienne  et  l'espa- 
gnole. J'emprunte  de  M.  Ména- 
ge (c)  toutes  ces  particularités. 
On  verra  dans  les  articles  des 
fils  de  Nicolas  Goulu,  ou  dans 
les  remarques  ci-jointes  ,  ce  qui 
me  reste  à  marquer  de  ses  ou- 
vrages. Il  y  a  quelque  apparence 
que  c'est  de  lui  dont  d'Aubigné 
voulait  parler  dans  le  chapitre 
VIII  du  premier  livre  de  son 
Baron  de  Faeneste  *2.  L'endroit 
est  fort  satirique  (G).  On  s'éton- 
ne que  Daurat  n'ait  pas  fait  quit- 
ter à  son  gendre  le  nom  de  Goui 
lu  (D). 

(a)  Du  Breul,  Antiquité'*  de  Paris,  p.  566. 

(//)  Ménage  .Remarques  sur  la  Vie  d  Ay- 
rault ,  pag-.  252  et  âoi . 

"  Goulu  lut  en  son  temps  ,  dit  Leclerc,  un 
poêle  bannal  comme  son  beau-père  Daurat. 

(ri  Ménage.  Remarques  sur  la  Vie  d'Ay- 
rault  ,  pag.  252,  5oi. 

*2  Leclerc  observe  que  le  personnage  dont 
parle  d'Aubigné  s'appelait  Legoutu  .  il  était 
jurisconsulte  .  et  Louduuois.  Le  nom,  la  pro- 
fession, la  patrie  sont  des  différences  dont 
Bayle  aurait  dû  être  frappé 


[^6 


GOULU. 


(A)  Il  était  fils  d'un  vigneron  d'au- 
près de  Chartres.  ]  Guillaume  Du- 
rai ,  qui  a  écrit  dans  son  Catalogue 
des  professeurs  du  roi  ,  que  Nicolas 
Goulu  était  Limousin  ,  a  fait  une 
faute  ,  et  peut-être  l'a-t-il  faite  en 
considérant  que  Daurat  ,  qui  avait 
donné  Tune  de  ses  filles  et  sa  charge 
à  Nicolas  Goulu  ,  était  de  ce  pays- 
là.  Goulu  témoigne  lui-même,  à  la 
tête  de  quelques  poésies  latines  qu'il 
a  publiées ,  qu'il  était  Chartrain  (i). 

(B)  On  avait  publié un  recueil 

de  diverses  pièces  de  ce  professeur.  ] 
Savoir,  la  traduction  de  la  paraphrase 
grecque  d'Apollinaris  sur  les  psau- 
mes ;  une  paraphrase  en  vers  grecs 
du  Magnificat ,  du  JYunc  dimittis  , 
du  cantique  de  Zacharie  ;  une  hymne 
de  Jésus-Christ  ,  et  une  préface  en 
vers  grecs  sur  la  paraphrase  d'Apol- 
linaris.  Ce  livre  a  été  inconnu  au 
dernier  continuateur  de  l'Epitorne 
de  Gesncr,  et  à  Du  VercHer  Vau-Pri- 
vas ,  qui  a  fait  des  supplémens  à 
cet  Epitome  ;  et  il  ne  paraît  ni  dans 
les  Catalogues  de  Draudius,  ni  dans 
celui  d'Oxford,  ni  dans  celui  de  M.  de 
Thou  ,  ni  dans  celui  de  l'archevêque 
de  Reims. 

(C)  L'endroit  est  fort  satirique.  ] 
Pour  l'honueur  de  la  savante  Made- 
leine Daurat  ,  je  voudrais  ou  que 
Nicolas  Goulu  eût  été  marié  deux 
fois  ,  et  que  le  quatrain  qu'on  va 
voir  concernât  son  autre  femme , 
ou  que  d'Aubigné  ne  se  trompât 
pas  sur  la  patrie  de  celui  dont  il 
fait  mention  ;  car  cela  prouverait 
que  cette  satire  ne  regarde  point 
Nicolas  Goulu.  Quoi  qu'il  en  soit  , 
c'est  ainsi  qu'il  parle  :  Il  y  avait  h 
Paris  un  loudunois  ,  savant  homme, 
nommé  le  Goulu;  il  enrageait  quand 
sa  femme  prenait  en  pension  ceux 
qui  étudiaient  aux  lois  ;  il  ne  voulait 
que  les  petits  grimaux ,  dont  il  fut 

fait  un  quatrain  duquel  le  sens  vaut 
bien  la  rime  ;  le  voici  : 

Du  Goulu  savant  ne  prend  guires 
Les  barbus  pour  pensionnaires  ; 
Il  choisit  1rs  petits  en  fans  ; 
Mais  la  Goulue  les  veut  grands. 

Ce  qui  pourrait  faire  naître  quelque 
soupçon  qu'il  ne  s'agit  point  ici  du 
gendre  de  Jean  Daurat  ,    est  de  voir 

(1)  Ménage,  Remarques  sur  la  Vie  d'Avrault, 
pag.  î5l,  2Ï2. 


qu'il  n'est  point  qualifié  professeur 
ou  lecteur  des  lettres  grecques  ,  ce 
que  d'Aubigné  n'ignorait  pas  appa- 
remment ;  et  il  n'était  pas  homme  à 
vouloir  fuir  en  semblables  occasions 
ce  qui  pouvait  désigner  les  person- 
nages. Laissons  donc  la  chose  indé- 
cise ,  si  on  la  veut  telle.  Du  Verdier 
Vau-Privas  n'a  point  su  le  nom  de 
baptême  de  notre  homme.  Daurat , 
dit-il  (2) ,  avait  une  fille  qu'il  maria 
a  G.  Goulu  ,  lecteur  public  es  let- 
tres grecques  ,  avec  lequel  il  avait 
quelque  débat,  et  parlant  de  lui  l'ap- 
pelait mon  Goulu. 

(D)  On  s'étonne  que  Daurat  n'ait 
pas  fait  quitter  à  son  gendre  le  nom. 
de  Goulu.  ]  J'emprunte  cette  remar- 

3ue  de  M.  Baillet.  Ce  même  Daurat, 
it-il  (3)  ,  qui  paraissait  honteux  et 
dégoûté  du  nom  de  Disnemandi  *  , 
ne  fit  point  de  difficulté  de  don- 
ner sa  fille, a    un  autre  savant 

du  nom  de  Goulu  ,  qui  marque  en- 
core quelque  chose  de  moins  hon- 
nête que  celui  de  Disnemandi  ,  et 
qui  ne  vaut  guère  mieux  que  le  lurco 
des  Latins.  Après  ce  qu'il  avait  fait 
pour  son  nom  ,  il  y  a  lieu  de  s'éton- 
ner qu'il  n  eut  point,  fait  insérer  dans 
le  contrat  de  mariage  de  sa  fille , 
qu'on  changerait  le  nom  de  Goulu , 
et  qu'il  ait  bien  voulu  que  non-seu- 
lement son  gendre  ,  mais  encore  ses 
petits-fils  aient  conservé  ce  nom  ,  et 
l'aient  rendu  même  immortel  dans 
la  postérité ,  sans  avoir  pris  d'autre 
liberté  que  celle  de  le  tourner  assez 
mal  en  latin  par  le  mot  de  Gulo- 
nius.  Sans  doute  il  y  a  lieu  de  s'en 
étonner  ;  car  d'un  côté  la  pratique 
de  métamorphoser  son  nom  était 
commune  en  ce  temps-là  parmi  les 
savans  ;  et  de  l'autre  il  doit  être  un 
peu  fâcheux  de  porter  un  nom  qui 
réveille  certaines  idées  ,  et  qui  ou- 
vre le  champ  à  mille  fades  allusions. 
Il  est  fort  probable  que  quand  les 
familles  ont  commencé  à  se  distin- 
guer par  des  noms  propres  ,  on  a 
affecté  à  quelques  personnes  le  nom 
qui  leur  convenait  pour  certains  dé- 

(a)  Prosopograpliie  ,  tom.  III,  pag.    15*6. 

Ci)  Auteurs  dégui-és,  pag.  i56. 

"  Comme  le  dit  Leclerc,  l'étonneirtent  dont 
parle  Bayle  part  de  la  .supposition  que  Dorât 
avait  changé  son  nom  de  Disne-malin  pour  pren- 
dre celui  sous  lequel  il  est  connu.  Y.  Uadràt  , 
toui    VI  ,  pag.  420. 


GOULU. 


i77 


fauts.  Voilà  vraisemblablement  d'où    une  apologie  des  œuvres  de  ce 

viennent,  en    tous  pays   les    familles     saJnt    Denis      j,  ;  {    j 

qui   portent  le  nom   à" Aveugle  ,  de  ,     .  <««ai    i« 

Bossu  ,  de  Noir.    Sur  ce   pied-là  ,    version  latine  que  son  père  avait 

faite   des  traités   de   saint  Gré- 


Daurat  se  devait  déplaire  à  un  nom 
qui  faisait  penser  qu'il  était  issu  d'un 
alfamé  ,   et   que  son    gendre   n'avait 

f>as  une   meilleure  origine.  Je  laisse 
es   mauvaises   plaisanteries   que    les 


goire  de  Nysse  contre  Euno- 
mius ,  et  la  donna  au  public. 
Elle  est  dans   l'édition  de   saint 


poètes   du  parti  de  Balzac   tirèrent  Grégoire  de  Nysse  (b) ,  procurée 

du   nom  de  son  adversaire  ,  le  père  par  Fronton  du  Duc  (c).  Le  père 

Goulu.   Vovez  le    V^aticinium  data-  p_„i„ „„ 1    .  .  , 

;      j        v     n     <     j  \,*Ala  woulu  ne  se  voulut  pas  borner  à 

teœ    de  exitio   Pantophaçt,  a  la  tête     „  .        ,  ,  r  »*".»«. 

taire  des  traductions  ;  il  se  mêla 
aussi  de  controverse ,  et  fit  un 
livre  contre  celui  que  Dumoulin 
avait  publié  ,  de  la  Vocation  des 
pasteurs  (D).  On  a  de  plus  de  sa 
façon,  la  vie  de  Françoisde  Sales, 
évêque  de  Genève,  et  l'oraison 
funèbre  de  Nicolas  Lefèvre,  pré- 
cepteur de  Louis  XIII  ;  mais  on 
prétend  qu'il  ne  la  récita  jamais 


de  la  réponse  du  sieur  de  la  Motte- 
Aigron  (4). 

(4)    Conférez  avec  ceci  ce  qu'on  trouve  ,  tom. 
VI  ,  remarque  (A)  de  l'article  Feuardknt. 

GOULU  (  Jean  ) ,  fils  de  celui 
dont  je  viens  de  faire  mention  , 
n'avait  pas  peut-être  plus  de 
mérite  que  son  père ,  quoiqu'il 
ait  fait  plus  de  bruit  que  lui.  Il 


était  né  à  Paris,  le  25  d'août  1 676    (E).  A  dire  le  vrai,  ses  écrits* 
(a)  :  et  ayant  été  reçu  avocat ,  il    ne  lui  acquirent  pas  une  grande 


se  proposait  d'en  exercer  la  pro- 
fession au  parlement  de  cette 
ville;  mais  il  eut  le  malheur  de 
demeure 


réputation;  mais  il  lui  survint 
une  affaire,  l'an  1627,  qui  fit 
extrêmement  parler  de  lui  (F). 


er    court  a    la  première    Un   feuillant ,  qu'on    n'appelait 
cause  qu'il   plaida   (A)  ;   et  l'on    que  frère  André  {d) ,   avait   fait 
croit  que   cette  disgrâce  lui   fit 
venir   la   pensée   de    quitter   le 
monde  ,  et  de  se  mettre  en  reli- 


gion. 11  choisit  l'ordre  des  feuil 
lans  ,  et  y   fut  reçu   l'an    1604. 
1   s'y   fit  tellement   considérer 


un  petit  recueil  des  pensées  dont 
il  croyait  que  Balzac  n'avait  été 
que  le  copiste.  Les  envieux  de  la 
gloire  de  Balzac  prônèrent  si 
fort  cette  pièce ,  qui  ne  courait 
que  manuscrite  ,  que  cela  donna 


fut  celui  de  dom  Jean  de  Saint- 
François.  Comme  il  entendait 
la  langue  grecque  ,  il  s'appliqua 
à   traduire  en    notre   langue   le 


qu'il  y  fut  toujours  en  charge,    Heu  à  l'apologie   qu'Ogier ,    son 
et  qu'enfin  il  en  obtint  le  gêné-    bon  ami , publia  ,  ou  frère  André 
ralat  (B).  Son  nom  de  religion    fut  traité  fort  durement.  L'exem- 
plaire qu'on  en  fit  porter  au  père 

(b)  Labbe  ,  d«£eript.  eccl. ,   t.  I,p.  382. 

(c)  A  Paris  ,  161 5. 
"  Outre   ceux   dont  parle  Bavle  ,  il  paraît 

Manuel  d'Epictète  ,  les  Disserta-    1uil avait  fait  une  fie  du  chancelier  de  su- 

.•  j>  a  1  i       •,  •        leri  ,    que    le   commandeur   brûla    nnr    une 

tions  d  Arrien  ,  quelques  traites    . 
de  saint  Basile  ,  et  les  œuvres  de 
saint  Denis  l'aréopagite   (C).  Il 
joignit  à  cette  dernière  version 

(a)  Saint  -Romuald  ,   Trésor   chronologi- 
que ,  à  l'ann.  l6?.g. 

TOM  F.    Vit. 


saillie  de  dévotion  ,  dit  l'auteur  des  Mémoi- 
res historiques,  politiques  ,  critiques  et  lit- 
téraires. 

(J)    C'est    celui  que  Balzac  appelle  dom 
André  de  Saint-Denis,   dans  les  lettres  qu'il 
lui  écrivit  après  leur  réconciliation    Voyez 
la  rem.  (C)  de  l'article  Balzac  (Jean     etc  ) 
tom.  III.  ' 

12 


I78  GOULU. 

Goulu,  qui  était  alors  général  de  sa   charge,  et  ou  ils   pouvaient 

l'ordre     fut  pris  pour  un  cartel  mettre   le   pied ,    débitaient    en 

de  défi ,  qui  le  mit  dans  une  co-  conversation  mille   choses  désa- 

lère  furieuse.  Il  publia  deux  vo-  vantageuses  contre  M.  de  Balzac 

lûmes  de  lettres  contre  Balzac,  (G),  selon  la  coutume  des  dévots 

qui  sont  remplies  d'un  emporte-  (H) ,  était  bien  plus  dangereux, 

ment  horrible.   Il  s'y  donna  le  Ce  fut  alors  que  le  père  Goulu 


nom  de  Phjllarque  ,  c'est-à-dire 
de  prince  des  feuilles,  comme 
l'ont  traduit  ses  adversaires;  et  il 
ne  faut  point  douter  qu'il  n'ait 
eu  en  vue  sa  qualité  de  général 
des  feuillans,  en  se  masquant 
sous  ce  faux  nom.  Pour  se  faire 
une  juste  idée  de  son  animosité  , 
il  suffit  de  considérer  qu'autant 
qu'il  le  put  il  intéressa  "toute 
la  terre  à  la  ruine  de  Balzac ,  et 
qu'il  le  livra  à  toute  la  rigueur 
du  bras  séculier.  11  tâcha  même 
d'engager  les  femmes  à  la  puni- 
tion de  cet  adversaire.  Il  les 
apostropha  par  l'éloge  flatteur  de 
belles  dames  (e) ,  et  leur  déclara 
que,  si  elles  avaient  tant  soit  peu 
de  courage ,  elles  étaient  obli- 


devint  très-célèbre  (1).  Il  eut 
pour  partisans  ,  d'un  côté  pres- 
que tous  les  moines  (K) ,  parce 
que  Balzac  avait  parlé  de  leur 
littérature  avec  un  peu  trop  de 
mépris;  et  de  l'autre,  tous  ceux 
qui  portaient  envie  à  la  grande 
réputation  de  ce  jeune  auteur. 
On  publia  quantité  d'écrits  pour 
et  contre  (/"),  et  l'on  en  vint 
même  jusques  à  l'épée  et  au  pis- 
tolet, ce  qui  apparemment  fit 
taire  quelques  écrivains,  qui  n'ai- 
maient pas  que  l'on  usât  ainsi  de 
main  -  mise.  Le  père  Goulu  ne 
posséda  pas  long-temps  le  plaisir 
d'avoir  excité  un  si  grand  dés- 
ordre dans  la  république  des 
lettres  ;  car  il  mourut  le  5  de 


gées  de  crever  les  jeux  à  Balzac  janvier  1629  (g)  (L).  Il  fut  en- 
avec  la  pointe  de  leurs  aiguilles,  terré  dans  le  choeur  des  Feuillans 
ou,  en  cas  de  miséricorde,  de  lui  de  Paris.  L'on  marqua  entre  au- 
faire  endurer  la  peine  que  les 
dames  de  la  cour  voulurent  faire 
souffrir  à  Jean  de  Meun.  C'é- 
tait la  peine  du  fouet.  Le  zèle  du 
père  Goulu ,  qui  soulevait  ainsi 
le  monde  ,  dans  un  livre,  contre 
un  auteur  dont  toute  la  faute 
consistait  à  s'être  servi  de  quel- 
ques pensées  froides,  trop  libres 
et  trop  immodestes ,  et  à  n'avoir 
pas  réprimé  la  fougue  et  les 
hyperboles  de  son  imagination 
naissante;  ce  zèle,  dis-je,  qui 
était  sorti  de  dessous  la  presse  , 
n'était  pas  le  plus  malfaisant. 
Celui  de  ses  émissaires,  qui,  par- 
tout   où  s'étendait  l'autorité  de 

(e)  Lettre  XV  du  /cr.  lame. 


très  choses  dans  son  épitaphe, 
qu'il  avait  rétabli,  par  ses  écrits, 
la  pureté  de  notre  langue  Qi). 
M.  de  Balzac  en  fit  sonner  haut 
ses  plaintes  (M).  L'un  de  ses  te- 
nans  ,  nommé  la  Motte-Aigron  , 
publia  des  choses ,  touchant  le 
père  Goulu,  qui  ont  quelque  sin- 
gularité (Nj. 

{/)  Voyez  la  Bibliothèque  française  de 
Sorel,  chap.  VU. 

(g)  Ménage  ,  Remarques  sur  la  Vie  d'Ay- 
rault ,  pag .  252.  Saint-Romuald  ,  Journal 
chronologique,  tom.  I,  pag.  2.1\. 

{h)  Script  is  suis  mirum  quantum  adulte* 
ratant  eloz/uentiie  puritalem  revocaverit  , 
conservaient ,  illustraverit. 

(A)  77  eut  le  malheur  de  demeurer 
court  a  la  première  cause  qu'il  plai- 


GOULU. 


<la.]  Je  vous  donne  pour  mon  garant 
un  des  ennemis  du  père  Goulu ,  sa- 
voir le  sieur  de  la  Motte-Aigron  (i) , 
qui  raconte  de  telle  sorte  l'aventure  , 
qu'il  paraît  manifestement  ,  par  un 
grand  nombre  de  circonstances  dont 
il  la  revêt ,  que  le  malheur  de  ne 
savoir  plus  que  dire  arriva  à  l'avocat 
Jean  Goulu  ,  la  première  fois  qu'il 
plaida.  On  n'ose  pas  assurer  qu'ayant 
risqué  une  seconde  tentative,  il  ait 
été  accueilli  du  même  accident  ;  mais 
on  avance  (a)  que  quelques-uns  l'ont 
dit;  et  l'on  insinue  (3)  qu'il  ne  se 
mêla  jamais  de  prêcher  depuis  qu'il 
se  fut  fait  feuillant.  Mais  Balzac  nous 
fait  entendre  le  contraire  dans  ces 
paroles.  Son  portrait,  dit-il  (j) ,  se 
montre  par  rareté  dans  une  maison 
des  galeries  du  Louvre  :  il  est  de  la 
main  du  peintre  des  héros  et  des  lié- 
roines,  et  fait  si  au  naturel  qu'il  ne 
lui  manque  que  la  parole.  Encore 
quelques-uns  disent  que  ce  silence 
n'est  pas  tant  un  défaut  de  l'art, 
qu'une  des  propriétés  de  mon  adver- 
saire ,  et  que  ,  lorsqu'il  plaidait  au 
parlement,  ou  qu'il  prêchait  dans 
le  chapitre ,  car  il  a  été  avocat  et 
prédicateur  ,  il  avait  de  coutume  de 
tenir  ainsi  sa  gravité ,  et  de  conclure 
souvent  sans  avoir  rien  dit.  Les  mé- 
disons prennent  plaisir  de  s'égayer 
là-dessus,  et  allèguent  entre  autres 
exemples  ce  rhétoricien  muet  si  mal- 
traité par  le  poète  Ausone  (5; ,  sur 
la  peinture  duquel  il  se  joue  ainsi  a 
la  un  d'une  épigvamme  :  Qu'est-ce 
que  fait  Rufus  dans  sa  chaire?  la 
même  chose  que  dans  son  portrait. 

Je  m'en  vais  citer  un  autre  passa- 
ge, non  pas  à  cause  qu'il  fait  mention 
de  l'aventure,  mais  parce  qu'il  peut 
servir  à  désabuser  ceux  qui  croient 
que  ce  n'est  pas  un  grand  crime  de 
rapporter  de  mauvaise  foi  les  paroles 
d'un  auteur,  afin  de  le  rendre  odieux. 
Je  soutiens  que  cette  méchanceté  n'est 
point  différente  de  celle  des  notaires 
qui  falsifient  un  contrat  :  écoutons 
là-dessus  un  homme  dont  l'éloquence 
a  beaucoup  de  majesté.  Avouez-moi, 

(1)  Réponse  à  PlivM.irque,  page  74  "  ■""" 
vantes. 

(a)  Là  même,  pag.  «5. 

(3)  Là  même,  pag.  80  ,  S3. 

(4)  Relation  à  Ménandre,  ITt.  pallie,  pag. 
m   3n9. 

(5;  Dans  ['épigramme   XLV1I. 


'79 


dit-il  (6) ,  que  ce  n'est  pas  un  petit 
effet  de  la  providence  de  Dieu  de 
s'être  visiblement  opposé  au  premier 
genre  de  vie  qu'avait  choisi  un  hom- 
me si  dangereux  ,  et  de  l'avoir  chassé 
du  ban-eau  par  cette  célèbre  disgrâ- 
ce qui  lui  arriva  en  pleine  audience. 
Le  coup  fatal  dont  sa  langue  fut 
frappée  a  <  u  salutaire  a  une  infini- 
té de  familles  :  c'a  été  la  bonne  for- 
tune des  veuves  et  des  pupilles  qui 
fussent  tombés  entre  ses  mains  ;  et  ce 
jour-la  apparemment  Dieu  garantit 
ce  pauvre  royaume  de  plusieurs  vo- 
lumes de  faux  contrats,  et  de  tes- 
tamens  de  même  nature ,  dont  son 
bel  esprit  le  menaçait  (7).  Au  reste 
l'Eloge  du  père  Goulu  ,  que  je  citerai 
dans  la  remarque  suivante ,  en  parle 
comme  d'un  homme  qui  aurait  pu 
se  signaler  parmi  les  plus  fameux 
avocats.  Foro  jam  assuetus  ,  ubi  ce- 
leberrimus  inler  jurisconsultes  lune 
temporis  eminere  posset.  Il  ne  faut 
pas  disputer  à  un  éloge  le  privilège 
d'être  subreptice  ,  mais  on  ne  de- 
vrait point  le  faire  passer  jusqu'à 
celui  d'être  obreptice. 

(  B  )  //  choisit  l'ordre  des  feuil- 
lans  ;  et  il  en  obtint  le  genr râ- 
lât.} Ceux  qui  ont  dit  qu'il  l'eut 
deux  fois  (8)  n'avaient  pas  consulté 
son  Eloge  ,  dans  la  seconde  édition 
de  son  saint  Denis  l'aréopagite  (9). 
Cet  Éloge  nous  apprend  que  ,  depuis 
son  noviciat ,  il  eut  toujours  quelque 
charge  dans  l'ordre,  et  qu'enfin  il 
fut  élevé  à  la  première  ,  qu'il  exerça 
pendant  six  ans;  après  quoi  il  fut 
donné  pour  conseiller  et  pour  asses- 
seur à  celui  qui  lui  succéda.  D'où 
paraît  que  la  Motte-Aigron  se  trom- 
pe, lorsqu'il  dit  (10)  que  dont  Jean 
Goulu  est  depuis  trois  ans  général 
de  sa  compagnie.  Il  écrivait  cela  en 
1637,  ou  en  1628  :  le  père  Goulu 
mourut  au  commencement  de  1629  , 

(6)  Balzac,  OEuvres  diverses  ,  dise.  XIV, 
pag.  m    377. 

(-)  Ceci  est  fondé  sur  ce  qu'on  pre'lend  que 
Goulu  falsifia  et  sophistiqua  ce  qu'il  citait  de 
Balzac.  Voyez  ,  touchant  ce  crime,  tes  Avis  iu 
petit  auteur  des  petits  livrets,  qui  parurent  pen~ 
dam  la  guerre  de  la  caba'e  chimérique  tic  Rot- 
terdam ,  t'anne'e  l(iqi  et  iù,  a 

(8)  M.  Ménage  est  de  ceux-là,  Remarques 
sur  la  Vie  d'Ayrault ,  pag.  ?5i. 

(9)  Elle  est  de  l'an  1629  ,  in-4°.  Le  pire  de 
Viscb  n  inséré  cet  éloge  dans  sa  Bibliotb.  Script, 
sacri  ordinis  Cisterciens)»  ,  vas.  220. 

(>o.)  Vag    72. 


i8o  GOULU 

n'étant  plus  dans  la  charge  de  géné- 
ral,  laquelle  il  avait  exercée  six  ans  *  : 
chacun  voit  la  conclusion.  Un  au- 
teur de  Livonie(n)  dit  que  ce  père 
fut  général  de  la  congrégation  de 
l'ordre  de  Cîleaux.  Il  fallait  dire 
de  la  congrégation  des  Jéuillans  , 
gui  est  une  branche  de  l'ordre  de  Cî- 
teaux. 

(C)  //  s'appliqua  a  traduire  en 
notre  langue  le  Manuel  d!  Kpictète..., 
et  les  œuvres  de  saint  Denis  V aréo- 
pagite.]  Je  n'ai  pas  nommé  chaque 
traduction  suivant  son  âge  ;  mais  les 
voici  en  meilleur  ordre.  La  première 
fut  celle  de  saint  Denis  l'aréopagite  , 
qui  fut  imprimée  en  1608,  et  réim- 
primée en  1629,  et  l'an  1642.  La  se- 
conde fut  celle  d'Épictète  :  elle  parut 
en  1609,  et  l'on  voit  par  le  privilège, 


eus  contre  Dumoulin.  François  de 
Sales  est  mort  quelques  mois  avant 
Coè'flèteau  ;  il  n'a  donc  point  vu  la 
réponse  du  père  Goulu  ,  si  elle  n'a 
été  entreprise  qu'au  temps  marqué 
par  la  Motte- Aigron.  Mais  afin  qu'on 
sache  de  quel  côté  est  la  méprise  ,  je 
dois  avertir  que  l'ouvrage  du  père 
Goulu  contre  Dumoulin  parut  en 
1620,  et  que  Coè'flèteau  ne  mourut 
qu'en  162Î. 

(E)  On  a...  son  oraison  funèbre 
de  IVico/as  Lefèvre . . .  ;  mais  on  pré- 
tend qu'il  nela  récita  jamais.]  La  Mot- 
te-Aigron  le  soutient  positivement; 
ainsi  l'on  doit  lire  avec  quelque  cir- 
conspection ce  qui  est  dit  dans  le  Dic- 
tionnaire de  Moréri,  à  l'article  de  Ni- 
colas Lefèvre  ,  que  Jean  de  Saint- 
François  ,  feuillant ,  fit  son   oraison 


3u'il  l'entreprit  pour  la  reine  Marie  funèbre.  M.   de  Balzac  (i5)  en  cite  un 

e  Médicis.  La  troisième  fut  celle  des  passage  qui  est  d'un  style  bien  guin- 

homélies  de  saint  Basile  sur  l'Hexamé-  dé  et  un  peu  dur.  Elle  fut  imprimée  la 

ron  ,  qui  fut  imprimée  en   1616(12).  première  fois  en    1612    :    l'auteur  ne 

(D)  Il  fit  un  livre  contre  celui  de  mit  son  nom  qu'à  la  seconde  édition, 

Dumoulin de  la   location  des  en    1616.    La   troisième    édition    fut 

pasteurs.]  Je  trouve  une  grande  dif-  augmentée  de  deux  traités  (16). 
férence  entre  le  moine  de  Saint-Ro-         (F)  //  lui  survint  une  affaire,  l 'an 

muald,  et   le  sieur  de  la  Motte-Ai-  1627,  qui  fit  extrêmement  parler  de 


gron  ;  non-seulement  par  rapport  à 
la  qualité  de  cette  réponse,  laquelle 
celui-ci  méprise  autant  que  l'autre 
la  loue ,  mais  aussi  à  l'égard  du  temps 
où  elle  fut  faite.  Ce  fut  du  vivant  de 
François  de  Sales  ,  si  nous  en  croyons 
le  moine  ,  qui  nous  conte  (i3)  que  ce 
prélat ,  ayant  lu  le  livre  de  la  Voca- 
tion des  pasteurs,  contre  Dumoulin  , 
jugea  que  le  père  Goulu  était  seul 
digne  de  succéder  aux  travaux  du 
cardinal  du  Perron  contre  l'hérésie. 
Mais  la  Motte- Aigron  prétend  (i4) 
que  ce  père  s'ingéra  à  faire  cette  ré- 
ponse après  la  mort  de  Coèflèteau; 
et  il  s'élonne  qu'il  ait  osé  se  prendre 
pour  celui  qui  devait  succéder  aux 
grands  combats  que  Coè'flèteau  avait 

*  Leclerc  observe  que  le  généralat  n'était  que 
de  trois  ans  ;  mais  on  pouvait  être  réélu  pour 
trois  autres  années;  et  c'est  ce  qui  arrivait  pres- 
que toujours.  Bayle  ignorait  cette  particularité 
quaml  il  soutint  que  Goulu  ne  fut  pas  deux  fois 
général.  Ce  qui  a  pu  l'induire  en  erreur,  c'est 
que  lorsqu'un  général  était  continué,  on  comp- 
tait tantôt  par  Tannée  de  chaque  généralat ,  tau- 
tût  par  l'année  des  fouctions. 

(11)  Witle,  Diar.  Biographie,  in  Append. 

(iaj  Ex  Bitdiolh.  Cisterciens.  C.aroli  de  Viscb. 

(i'6)  Trésor  chronologique,  à  l'ami.  iGfj. 

04)  P"S    S1  1  S)»- 


lui.]  C'est  là  l'époque  des  diflërens 
de  Balzac  avec  le  père  Goulu  ;  car 
ce  qui  fit  mettre  celui-ci  aux  champs 
fut  l'apologie  publiée  pour  celui-là, 
et  achevée  d'imprimer  le  8  d'avril 
1627.  Le  premier  volume  des.  Lettres 
de  Phyllarque  ,  qui  parut  dès  la  mê- 
me année,  attaque  principalement 
M.  de  Balzac  ,  je  l'avoue 5  mais  l'apo- 
logiste y  est  attaqué  aussi  de  temps 
en  temps.  Cela  montre  que  M.  Mé- 
nage et.  le  sieur  Pierre  Borel  se  sont 
tromjiés,  quand  ils  ont  dit,  l'un  (17), 
que  le  prieur  Ogier  répondit  aux  li- 
vres du  père  Goulu  contre  M .  de  Bal- 
zac _,  par  un  livre  qu'il  intitula  ,  l'Apo- 
logie de  M.  Balzac;  l'autre  (18) ,  que 
M.  Descartes  servit  fort  à  propos 
M.  de  Balzac  contre  le  père  Goulu  , 
l'an  1625,  auprès  du  cardinal  Barbe- 
rin,  légat  en  France.  Il  est  certain  que 
le  livre  du  prieur  Ogier  vit  le  jour 
avant  les  Lettres  de  Phyllarque,  et 
qu'en  1625,  M.  de  Balzac  n'avait  rien 
à  démêler  avec  le  p*ëre  Goulu. 

(i5)  Rclat.  à  Ménandre,  IÎI*.  part. 

(16)  Biblioth.  Cisterciens.  Caroli  de  Viscb. 

(17)  Remarques  sur   la    Vie  d'Ayraull,  pag. 
a5a. 

(18)  Vit*  Cartesii  CompcnJ. 


GOULU. 

Le  sieur  Richelet  a  commis  la  me-    tes  bonnes   compagnies  (22) 


181 


me  faute  que  M.  Ménage.  Le  père 
Goulu,  dit-il  (19),  se  déchaîna  da- 
vantage contre  Balzac  ;  car  il  com- 
posa une  sanglante  critique  contre 
ses  écrits,  et  cela  aurait  pu  causer 
quelque  chagrin  a  cet  éloquent  hom- 
me ,  si  .'7/.  Ogier,  jeune  ecclésiastique  , 
n'eût  montré  par  une  apologie  que 
le  bon  père  avait  tort.  Il  faudrait  en 
quelque  façon  ,  dans  les  matières  de 
fait ,  suivre  le  conseil  que  M.  Des- 
cartes   donne  à  l'e'gard   des  spécula- 


tions parler  des  pratiques  qui  se  sont 
faites  hors  Je  ce  royaume ,  et  du  por- 
trait monstrueux  qui  a  été  publié  de 
moi  en  toutes  les  cours  de  ta  chré- 
tienté ,  il  suffit  que  vous  sachiez  ce 
qui  s'est  passé  a  Paris  dans  la  pre- 
mière ardeur  de  la  guerre.  On  a  vu 
trois  mois  durant  certain  nombre  de 
ceux  de  la  faction  sortir  tous  les  ma- 
tins de  leur  quartier  et  prendre  leur 
département  de  deux  en  deux  avec 
ordre  de  m  aller  rendre  de  mauvais 
tions  philosophiques,  examiner  cha-  offices  en  toutes  les  contrées  du  petit 
que  chose  tout  de  nouveau  sans  avoir  monde  ,  et  de  semer  partout  leur 
aucun  égard  à  ce  que  d'autres  en  doctrine  médisante  avec  intention  de 
ont  c'erit  +.  Mais  il  est  infiniment  soulever  contre  moi  le  peuple  et  le 
plus  commode  de  s'arrêter  au  témoi-    porter  à  faire  de  ma  personne  ce  que 

gnage  (Tallinn,  et  c'est  ce  qui  mul-    leur  supérieur  a  fait  de  mon  livre 

tiplie  prodigieusement  les  témoins  Ils  ont  été  rechercher ,  pour  grossir 
des  faussete's.  leur  troupe  ,  des  hommes  condamnés 

(G)  Ses  émissaires débitaient    par   la   voix  publique,  fameux  par 

en  conversation  mille  choses  désa-  leurs  débauches  et  par  le  scandale 
vantageuses  contre  31.  de  Balzac]  de  leur  vie  ,  connus  de  toute  la  Fran- 
La  preuve  de  ceci  se  trouve  dans  les 


Relations  à  Me'nandre.  Vous  y  voyez 
(20)  que  dans  tous  les  lieux  de  l'o- 
héissance  du  général  des  feuillans  , 
M.  de  Balzac  ne  s'appelait  plus  que 
le  monstre 5  et  que  ce  n'était  que 
sous  ce  nom-là  qu'il  e'tait  connu  des 
novices  et  des  frères  lais.  Vous  y 
voyez  les  plaintes  de  M.  de  Balzac 
contre  les  inventions  et  contre  les  ar 


ce  par  les  mauvais  senlimens  qu'ils 
ont  de  la  foi,  et  le  mépris  qu'ils  font 
de  la  sainteté  de  nos  mystères.  Ils 
ont  offert  à  ces  gens-là  (qui  pourra 
se  l'imaginer?  mais  il  est  vrai  pour- 
tant qu'ils  leur  ont  offert)  protection 
contre  les  jésuites  :  qu'ils  les  ont  as- 
surés dans  les  alarmes  de  la  con- 
science ,  et  contre  les  menaces  des 
lois  :  il  est  vrai  qu'ils  leur  ont  pro- 
tificos  de  la  calomnie.  Bien  n'a  été  niis  leur  faveur  et  leur  témoignage  , 
oublié,  dit-il  (21),  pour  donner  du  en  cas  qu'ils  fussent  accusés  d'impie- 
crédit  ii  mon  adversaire,  et  pour  me  té,  ou  de  quelque  autre  crime  capi- 
perdre  de  réputation  On  a  fait  une  ta) ',  pourvu  qu'ils  voulussent  se  join- 
affaire  d'état  d'un  différent  de  col-  dre  à  eux  en  cette  occasion,  et  me  dé- 
lége  ,  et  une  guerre  générale  des  es-    clarer  la  guerre  sous  les  enseignes  de 

mon  adversaire. 

(H) selon  la  coutume  des  dé- 
vots.] Voilà  leurs  manières.  Les  uns 
écrivent  des  libelles,  que  d'autres 
font  valoir  dans  les  compagnies  ;  et 
il  i\y  a  point  de  chicanes  qu'ils 
ne  convertissent  par  ce  moyen  en 
bonnes  raisons  auprès  d'une  infinité 
de  gens.  C'est  une  scène  qui  se  joue 
en  toutes  sortes  de  pays.  Ces  gens- 
là  se  font  connaître  par  des  traits  si 
marqués ,  qu'il  n'a  pas  été  diflicile  de 
les  peindre  naïvement.  C'est  ce  qu'ont 
fait  depuis  peu  quelques  beaux  es- 
prits de  Paris  (a3j  :  mais  que  gagne- 
t-onà  les  peindre?  leurs  artifices  et 

(12)  la  même  ,  pag.  33g. 
(î3^)  Madame  Desboulières ,  M.  Je  la  Bruyère, 
l'ab  le  de  Villiers  ,  etc. 


prits  ,  d'un  petit  jeu  de  syllabes  et  de 
mots.  Il  s'est  débité  plusieurs  fables 
à  mon  préjudice  ,  et  beaucoup  plus  a 
l'avantage  du  mon  ennemi.  On  a 
brigué  toutes  les  voix  ,  on  a  remué 
tous  les  corps  ,  on  a  sollicité  toute 
la  France   pour  lui.  Il   n'a   manqué 

ni  d'orateurs  ,  ni  de  poètes  ,  ni  de 
parasites  ,  qui  l'ont  prêché,  qui  l'ont 

chanté ,  qui  ont  bu  a  sa  victoire  dans 

(19)  Richelet,  Vie  des  auteurs  français,  au 
devant  d'un  recueil  de  lettres  ,  pag.  xlij. 

*  Lcclerc  trouve  excellente  cette  leçon  de  Bayle; 
mais  lui  reproche  de  n'en  avoir  pas  fait  son  pro- 
fit. Voyez  la  note  sur  la  remarque  (C)  de  l'article 
M.  Blroalde,  tom.  III,  pag.  366. 

(20)  Balzac,    OKuvres    diverses,    pag.    3io 
e'dit.  de  Rouen  ,  itï58  ,  in-8°. 

(21)  Là  même,  pag.  33C. 


i8î  GOULU. 

leurs  complots  n'en  sont  pas  moins  souffrir  les  autres.  Il  a  ses  plaies  et 

redoutables.  vénérable  corps  ,  et  ses  incommodités 

(I) Ce  fut  alors  que  le  père  cachées.    Et  si  j'étais  homme  a  me 

Goulu  devint  très-célèbre.]  Outre  ce  prévaloir  de   fa  division  que  j'aidé- 

que  je  viens  de  citer  de  la  Relation  couverte ,  et  a  ménager  les  mécon- 

à  Me'nandre  ,   en   voici  un  autre  ex-  tenlemens   des    esprits    malades  ,  je 

trait  qui  prouve  admirablement  que  pourrais  faire  une  notable  diversion  ; 

cette    querelle    fit  voler    de    toutes  et  il  est  certain  qu'on  s' est  offert  a  moi 

parts   le    nom   du    père   Goulu  (24)-  jusqu'en  Italie,    et  qu'on  m'a  voulu 

Quelques-uns    de   ses  partisans    ont  fournir  des  mémoires  dont  je  n'ai  pas 

assuré  qu'il  avait    reçu   un  bref  de  voulu  me  servir.  11  fait  connaître  en 

notre  saint  père  le  pape D'au-  un  autre  endroit  (27)  que  s'il  n'a  pas 

très  ont  dit  que  l'assemblée  du  clergé  employé  toutes  ses  forces  contre  un 

lui   avait  envoyé  des    députés  pour  religieux  ,  c'est  qu'il  n'a  point  voulu 

se  réjouir  avec  lui  de  la  prospérité  de  donner   aux  huguenots  le  plaisir  de 

ses  armes Il  n'y  a   point  de  rire.    C'est    peut-être    par  le   même 

prince   ni  de  princesse ,  de  seigneur  motif  que  son  second  ,  le  sieur  de  la 

ni  de  dame  de  condition  ,  a  qui  il  n  ait  Motte-Aigron  ,    n'a    point    publié   le 

fait  porter  de  ses  livres  en  cérémonie,  livre  latin  dont  il  avait  menacé  (28) 

la  plupart  relies  en  forme  d'heures  le  père  Goulu  ,  et  où  il  devait  révé- 

ou  de  prières  dévotes.    Ils  ont  passé  1er  bien   des  mystères.   Voilà  ce  que 

le   Rhin  ,  le  Danube  et  l'Océan;  ils  c'est  que  d'être  engagé  au  service  de 

ont   volé  au  delà  des  Alpes   et  des  l'église  :    on    n'ose    vous    pousser   à 

Pyrénées    :    ils   interviennent   dans  bout:  et  malgré  que  l'on  en   ait,  on 

toutes  les  conversations,   et  se  four-  vous  laisse  dans  l'impunité,  de  peur 

rent  dans  tous  les  cabinets.  On  en  a  d'apprêter    à    rire    aux    autres   reli- 

chargé  des  chariots  pour  envoyer  au  gions.  J'ai  parlé  (29)  d'un  homme  qui 

siège  de  la  Rochelle  (25) Son  voulant  détourner  son  fils  de  la  pro- 

portrait   se  montre  par  rareté  dans  fession    d'avocat,  afin    de    l'engager 

une   maison    des  galeries    du   Lou-  aux  ordres   sacrés,   lui    allégua   une 

vre il  faut  n  être  pas  de  la  cour,  fort  bonne  raison  ;  mais  il  en  oublia 

et   n'avoir  point  de  belle  curiosité,  une  autre  qui  est  encore   meilleure, 

pour  n'avoir  point  vu  la  figure  de  ce  c'est  l'impunité  qu'on  vient  de  tou- 

redoutable  prince.  cher. 

(K)  //   eut  pour  partisans (L)   Il  mourut  le  5  janvier  162g. J 

presque  tous  les  moines."]  C'est  à  bon  L'auteur  de  l'Eloge  du  père  Goulu  , 

droit  que  j'ai  usé  d'exception ,  puis-  et  Pierre  de  Saint-Romuald,  desquels 

que    M.   de   Balzac    déclare (26)  que  j'emprunte  cette  date,  ajoutent  que 

quantité  de   bons    religieux  avaient  le  père    Goulu  mourut  âgé   de   cin- 

bldmé  publiquement  la  faute  du  père  quante-quatre  ans  :  je  n'ai  pu  adop- 

Goulu.  Des  ordres  entiers  ,  poursuit-  ter  cela  ,    après  avoir  adopté  la  date 

il,  c'est-à-dire,  comme  il  nous  l'ap-  du  jour  natal  que  j'ai  trouvée  dans 

prend  lui-même  un  peu  plus  bas  ,  les  Saint-Romuald  ,  savoir  le   25  d'août 

principaux  de  leurs  compagnies,  ont  i5"]6.  Je  ne  sais  pas  bien  si  j'ai  suivi 

rendu  témoignage  a  mon  innocence ,  un  bon  guide  ;  car  ,  quoiqu'en  quali- 

et  ont  protesté  contre  la  mauvaise  foi  té  de  feuillant,  il   semble  ne  devoir 

de   mon  ennemi Parmi   les  pas  s'être  trompé  sur  un  tel  fait ,  on 

siens    mêmes    il   s'en    est   trouvé  qui  ne  peul  nier  d'ailleurs  qu'il  ne  se  soit 

n'ont  pas  été  extrêmement  satisfaits  réfuté  lui-même ,  puisqu'il  a  dit  dans 

de  son  action //  n'a  pas  reçu  l'abrégé  de   son  Trésor,  et  dans  son 

des  vieux  et  des  sévères  ,  les  éloges  Journal  Chronologique,  que  le  père 

que  lui  ont  donnés  les  jeunes  et  les  Goulu    est  mort  âgé    de    cinquante- 

gaillards Tout  n'est  pas  d'ail-  quatre  ans.  C'est  une  chose  pitoyable, 

leurs  si  bien  joint  ni  si  bien  d'accord  «jUe  d'être   obligé    à   se  servir  d'au- 

en  son  étal  ,  qu'il  n'y  ait  quelque  tours  peu  exacts  :  il  vaudrait  mieux 
partie  désunie  qui  souffre  ou  qui  fait 

(27)  Ut  même,  png.  3i6. 

(2/1)  Balzac,  OF.uvres  diverses .  pag.  337,  338.  (2K)  Réponse  à  Pliyllarquc  ,  pag.  71  ,  322. 

(a5)  La  mime,  pag.  3oq.  Ca9)  Tom.  I,  pag.    lai ,    remarque  (L)    de 

(a6J  Là  même,  pag.  34a,  343.  l'article  Ace  lus. 


GOULU. 


î83 


avoir  à  faire  à  des  gens  dont  les  fau- 
tes ont  quelque  justesse  entre  elles. 
Au  moins  devrait-on  avertir,  lorsque 
Ton  se  sert  tantôt  d'un  calcul ,  tan- 
tôt d'un  autre  ,  quel  est  celui  où 
l'on  a  été  trompe'.  Quoi  qu'il  en  soit  , 
on  peut  accuser  de  beaucoup  de  né- 
gligence le  sieur  de  la  Motte-Aigron  , 
qui,  en  e'crivant  contre  le  père  Gou- 
lu, l'an  «628,  lui  donnait  soixante  tant 
d'ans  (3o)  ,  et  le  faisait  plus  vieux 
environ  de  quarante  que  n'est  la  Sa- 
maritaine (3i). 

(M)  M.  de  Balzac  en  fit  sonner  haut 
ses  plaintes.  ]  Voyez  son  poème  latin 
intitule'  Crudelis  Umbra  ,  et  la  lettre 
(32)  où  il  appliqua  si  ingénieuse- 
ment à  son  ennemi  ces  deux  vers 
d'Ovide  : 

Ergà   et  adhuc  meluendus  eral?  Cinis  ipse 

sepulti 
In  caput  hoc  sievil  :  turuulo  quoque  sensimus 

hoslem  (33). 

Pierre  de  Saint-Romuald  dit,  dans 
son  Tre'sor  Chronologique  (34)  ,  que 
l'e'pitaphe  du  père  Goulu  est  de  la 
façon  de  M.  Corneille.  Notez  que  le 
duc  de  Vendôme,  fils  naturel  de 
Henri  IV  ,  et  Françoise  de  Lorraine  , 
sa  femme ,  firent  mettre  sur  le  tom- 
beau du  père  Goulu  l'e'pitaphe  qu'on 
y  voit.  M.  Ménage  l'assure  dans  la 
page  q52  de  ses  Remarques  sur  la  vie 
de  Pierre  Ayrault. 

(N)  La  Motte-Aigron  en  publia 
des  choses  qui  ont  quelque  singulari- 
té] Le  père  Goulu  (35)  ,  n'étant  en- 
core que  précepteur  chez  un  homme 
qui  demeurait  à  Paris  ,  alla  avec  lui 
dans  le  pays  d'Angoumois  ,  et  logea 
avec  lui  chez  le  père  du  sieur  de 
la  Motte-Aigron.  Il  y  fut  persécuté 
d'une  soif  si  violente,  qu'il  fallait  lui 
donner  à  boire  en  toutes  sortes  de 
compagnies  ,  et  que  la  nuit  même  il 
était  contraint  de  boire.  D'ailleurs  il 
se  portait  très-bien.  Par  bonheur  il 
se  rencontra  dans  un  pays  où  il  croît 
beaucoup  de  vin  :  mais,  au  milieu  de 
cette  abondance  ,  la    médiocrité  des 

(3o)  Pag.  101. 

(3i)  Pag.  72. 

(3a)  Elle  est  pag.  2/ti  <*e  l'édition  de  Paris  , 
i65i  ,  i'n-12. 

(33)  C'eil  d'Achille,  demandant  le  sacrifice 
de  Polyxène,  çu'Oviile,  Mélamorphos.  ,  lib. 
XIII,  vs.  5o3,  fait  parler  Hécube. 

(34)  A  l'ann.  1629. 

(35)  Réponse  à  Phyllarquc,  pag.  3 18. 


verres  ne  servait  qu'à  irriter  cette 
soif.  On  en  chercha  dans  le  logis  et 
chez  les  amis  ;  et  comme  il  ne  s'en 
trouva  point  d'assez  grand  ,  on  en  fit 
faire  un  exprès  que  l'on  garde  dans 
la  famille,  en  mémoire  de  Phyllarque 
dont  il  porta  toujours  le  nom.  //  était 
grand  i> entablement ,  mais  non  pas  à 
comparaison  de  la  coupe  de  JVestor  ; 
car  il  ne  fallait  pas  trois  hommes 
pour  lui  faire  perdre  terre  ,  chacun 
le  pouvait  lei'er  aisément  avec  les 
deux  mains.  Cette  incommodité  du 
père  Goulu  (36l  est  phis  singulière 
que  celle  qui  l'obligea  long-temps 
après  ,  en  logeant  chez  le  même  hôte 
pendant  son  généralat,  à  ne  manger 
que  de  la  viande,  quoiqu'il  (37) 
eût  le  teint  si  frais  ,  et  l'embonpoint 
si  excellent  ,  qu'on  ne  croyait  pas 
qu'd  eût  besoin  d'être  dispensé  de  sa 
règle. 

Je  ne  sais  point  d'où  la  Motte- 
Aigron  avait  pris  que  la  coupe  de 
Nestor  demandât  les  forces  de  trois 
hommes  pour  être  portée  :  Homère 
ne  dit  point  cela  ;  il  ne  dit  sinon  que, 
quand  on  l'avait  remplie ,  un  autre 
eût  eu  de  la  peine  à  l'ôter  de  dessus 
la  table,  mais  que  Nestor  le  faisait 
facilement. 

"Axxoç  /xsv  /utoyicev  à.7rox.ivnTtt.7x.t  rpct- 

7rîÇnÇ 
IlÀfîov  «oV  tiîçaif   cT'  0  yipoov  d/utoyyiri 

Àttptv' 
AUus  quidem  non  sine  labore  subtnovisset  à 

mensd 
Plénum  existent  :  Nestor  verb  senex  sine  la- 
bore lollebal  (38). 

On  trouve  dans  le  onzième  livre  d'A- 
thénée utw  longue  explication  de  tous 
les  vers  d'Homère  qui  regardent  cette 
coupe  ;  mais,  bien  loin  d'y  rencontrer 
quelque  chose  qui  favorisât  le  sieur 
de  la  Motte-Aigron  ,  j'y  ai  lu  qu'il  ne 
faut  pas  entendre  qu'aucun  Grec  n'au- 
rait pu  soulever  la  coupe  ,  mais  qu'au- 
cun vieillard  comme  Nestor  ne  l'au- 
rait pu  faire.  Hercule ,  qui  était  un 
grand  buveur  (3q)  ,  avait  une  coupe 
bien  grande  •  mais  je  ne  remarque 
pas  qu'il  fallût  trois  hommes  pour  la 
porter.  Stace  n'y  en  met  que  deux  •■ 


(36)  Là  même,  pag.  322  ,  3a4. 

(37)  Là  même,  pag.  33o. 

(38)  Horaer. ,  lliad.,  lib.  XI,  vt.  G3.ï. 
(3q)    Macrobius  ,     Saturn.  ,     lib.    V,    cap. 

XXI. 


184 


GOULU.  GOURNAI. 


ffuie  pretium  pabna  gemini  croîtra  ferebant 

Uerculeum  juvenes.  Illvm  Tyrinlhius  Héros 

Ferre  manu  sold,  spumanlemque  tire  supino 

Verlere  seu  monstri  victor  ,  seu  Marie,  sole- 

bat  (4«) 

On  pourrait  alléguer  bien  des  choses 

touchant   la    coupe   d'Hercule  ,    qui 

e'tait  d'une  grandeur  si  e'norme ,  selon 


(B)  Le  général   des  feuilletas 

céda  a  son  cadet  la  succession  au  pro- 
fessorat de  la  langue  grecque.  ]  Voici 
les  premières  paroles  de  cet  éloge  (2). 
Inter  Gallos  doctrind  illustres  Joan- 
nes  Gulonius  annumerari  merelur , 
quent  IVicolaûs  pater  (  Joannis  Au- 


quelques-uns ,  qu'ils  disaient  qu'elle  ™ H  gêner  ac  m  regia  grœcœ  linguœ 

lui   avait   servi    de   vaisseau    sur  la  profession  successor)  singulari  na- 

mer  (40;  mais  tout   cela  serait  ici  turœ  bomiale  prœdaum  adolescentem 

hors  de  sa  place  (4a).  non  vulgariler  cl  adeojelici  successu 

r          "  institua ,  ut  ab  Academiœ  F arisiensis 

(4o)  Sut.,  Theb. ,  Ub.  VI.  curatoribus  dignissimus  sit  judicatus, 

(4i)  Macrobiusf  Saturn. ,  Ub.  V,  cap.  XXI.  nui  sublato  è  vii>is parente  lilter art am 

(At)  Ten  parle  dans  la  remarque  (D)  de  Var-         ■         professionem    SUSciperet  :  Sed  in 
ticle  Hercule,  lom.  f  III,  J         r     J  r 

jratrem    se   mi/iorem  muneris    istius 

GOULU  (Jérôme),  frère  puî-  f™fonem  paternd  pietale   tram~ 
né  du  précédent ,  a  été  profes- 

r     ,  ,  1  ,  (2  Wpui  Carol.  de  Viscb ,  Bibliolh.  Cisterc.  , 

seur  royal  en  langue  grecque  a  p„g' 210. 

la  place  de  son  père     auquel   il  G0URNAI   (Marie  de  Jars  t 

succéda  a  1  âge  de  dix-huit  ans  DEM0ISELLE  DE)7    fine  d'alliance 

(a),  1  année  i595^).Il  a  ete  en-  de  Michel  de  Monta;gne  (A),  et 

suite  médecin  de  la   faculté  de  cëlëbre            son  savoir-    Voyez 

Paris.    Je    parle    de   ses   enfans  dans  Morëri   de          lle  famille 

dans  une   remarque   (A).  On  a  d]e    ëtait      et     lusieurs   autres 

publie  dans    1  éloge   du  gênerai  circonstances  de  son  histoire.  Je 

des    feuillans,  epu  il  céda  a  son  ^         beau           de  choses  a  y 

cadet  la  succession  au  professo-  .{er  *    Qn   trouve    dans    le 

rat  de  la  langue  grecque  (B).  Perroniana  un  trait  fort  déso- 

(a)  Ménage  ,  Remarques  sur  la  Vie  d'Ay-     bligeant  Contre   Cette  demoiselle 

rault.paç.  254.  (B)  :  c'est  au  sujet  d'une  satire 

(b)  Dubreul ,   Antiquités  de  Paris,   pag.     v  ,  ,  „,         '  •     r    . 

565.  ou  on  la  mêla ,    et  qui   tut   une 

..  '  T         ,     ,  c         .        des  suites  de  l'Anti-Coton   (C). 

(A)  Je  parle  de  ses   enfans    dans    T1  .  ,.,     ,.  •        . 

une  remarque.  }  Il   eut  pour  femme  J1  y  eut  ausSl  un  llbelle  <ÎU1  eut 

Charlotte  de  Monantheuil,    fdle    de  pour    titre    l'Anti-Gournai    (a). 

Henri  de  Monantheuil ,  doyen  de  la  La  raillerie   piquante  du   cardi- 

facultedemédecinedeParis,etpro-  nal    du    perron  n'empêchait  pas 
tesseur  du  roi,   en    mathématiques.  ,-i      ?    a,    i     .,     .•       x  .. 

De  ce  mariage  sont  sortis  ,  entre  au-  4U  ll  n  eut  de/  est,me  Pour  cette 

très  enfans,   Nicolas   Gould  ,  qui  a  savante  demoiselle.  Il  est  dans  le 

fait  un  livre  des  éloges  des  Goulu;  catalogue   de    ceux   qui   lui    ont 

Jacques    maître  d'hôtel  du  roi    con-  domlë    des    louanges    (D).     Elle 

nu  sous  le  nom  de  M.  de  Monantheuil:  <•/-■•<  "        *     \    1 

et  Marthe,  femme  de  René  Labitte  ,  fut  régulièrement  payée  de  la  pe- 

avocat  au  parlement,  petit-neveu  de  tite  pension  que  la  cour  lui  ac- 

ce  Jacques  Labitte ,  juge  de  Mayenne,  corda  {b) ,  et  vécut  toujours  dans 
qui  a  fait  l'indice  des  livres  des  juris- 
consultes ,    et    que    Cujas  a  cité   avec         *  Leclerc  cite  les  Advis  ou  présens  de  In 

éloge  au  chap.  1er.  du  livre  IV,  et  au  demoiselle  de   Gournai  ,  troisième  e'dition  , 

V  de  ses  Observa-  ,,64'>   »«*4'-   de  99-5  pages ,  où  l'on  trouve 

Lien    des     particularités     sur   cette   savante 

fille. 

(a)  Voyez  la  remarque  (Ci  ,  à  la  fin. 


chap.  XV  du  livre 
tions  (1). 


(1)  M<nagc,  Rem,.rcjnes  sur  la  Vie  il'Ayrault, 
t'as   ^k 


(b)  Voyez  la  remarque  D;. 


GOURNAI. 

le  célibat.   Elle  était    fort   bien 
reçue   chez    les   princesses   (E). 


r85 


Elle  eût  bien  fait  de  ne  pas 
écrire  contre  les  partisans  de 
l'Anti-Coton.  Une  personne  de 
son  sexe  doit  éviter  soigneuse- 
ment cette  sorte  de  querelles. 
Les  écrivains  satiriques  sont  des 
rustres  qui  ne  gardent  point  de 
mesures  (c)  :  ils  attaquent  les 
femmes  par  l'endroit  le  plus 
sensible.  Celle-ci  fut  représen- 
tée ,  non-seulement  plus  vieille 
qu'elle  n'était  (F)  ,  mais  aussi 
comme  une  fille  de  mauvaise  vie 


moignait  pas  moins  de  respect  et  de 
zèle  pour  ce  père  d'alliance  que 
pour  son  véritable  père.  Vous  en  tom- 
berez d'accord ,  si  vous  conside'rez 
bien  tout  ce  qu'elle  dit  dans  la  pré- 
face des  Essais.  Elle  fit  imprimer  ce 
livre  l'an  i635,  et  le  dédia  au  cardi- 
nal de  Richelieu.  La  préface  qu'elle 
y  ajouta  vaut  la  peine  d'être  lue  ,  et 
peut  surtout  être  agréable  à  ceux  qui 
aiment  l'histoire  des  livres  et  des  édi- 
tions. Le  jugement  qu'elle  fit  des 
premiers  Essais  de  Montaigne ,  et  la 
bienveillance  qu  elle  lui  t'oua  sur  la 
seule  estime  qu'elle  en  prit  de  lui, 
long  -temps  avant  qu'elle  l'eut  vu, 
firent  faire  bien  des  réflexions  à  cet 
auteur,  et  donnèrent  lieu  à  l'alliance. 
Il  l'estima  dès  lors ,  et  pre'dit  qu'elle 


(d)  On  a  publié  presque  en  même    serait  capable  des  plus  belles  cho 


temps  deux  contes  *  qui  ne  se 
ressemblent  guère  touchantM.  de 
Racan  et  mademoiselle  de  Gour- 
nai  (G).  Je  trouve  étrange  que 
M.  Moréri  débite  que  les  livres 
de  cette  fille  ne  parurent  qu'a- 
près sa  mort  (e). 

Quand  M.  Ménage  suppose 
dans  sa  Requête  des  Dictionnai- 
res, que  la  demoiselle  deGournai 
s'intéressa  très-particulièremen  t 


ses  (i). 

Pasquier  nous  apprend  quelques 
circonstances  de  cette  espèce  d'adop- 
tion. Michel  de  Montaigne,  dit-il  (2)  T 
laissa  deux  fies;  l'une  qui  naquit 
de  son  mariage  ,  héritière  de  tous  et 
chacun  de  ses  biens  ,  qui  est  mariée 
en  bon  lieu  ;  l'autre ,  sa  Jille  par  al- 
liance, héritière  de  ses  études.  Tou- 
tes deux  demoiselles  très-vertueuses . 
Mais  surtout  je  ne  puis  clore  ma 
lettre  sans  vous  parler  de  la  seconde. 
Celle-ci  est  la  demoiselle  de  Jars , 
qui  appartient  a  plusieurs  grandes  et 


a  la  disgrâce  des  vieux  mots  que  nobles  familles  de  Paris;  laquelle  ne 

MM.     de    l'académie     française  s'est.  proposé   d'avoir  jamais    autre 

.     -i     ,  1  *  ■    .  mari  que  son  honneur,  enrichie  par  fa 

proscrivaient ,  il  n  employa  point  lectJe  des  bons  /jm/5  ^  et  >  SJ  tous 

la  fiction  ;  car  il  est  très-vrai  que  les  autres ,  des  Essais  du  seigneur  de 


cette  fille  se  fâcha  beaucoup  de 
ce  changement  de  langage  (H). 
Je  ne  sais  si  l'on  fit  des  vers  à  la 
louange  de  son  chat;  mais  je  suis 
persuadé  que  les  beaux  esprits 
auraient  fait  plusieurs  poèmes 
sur  ce  sujet ,  si  elle  eût  été  jeune 
et  belle.  C'était  un  chat  dont 
M.  l'abbé  de  Marolles  a  immorta- 
lisé la  fidélité  (I). 

(c)  Rusticu prog-eniesnescit habere moditm. 

(d)  Voyez  ta  remarque  (C). 

*  Leclerc  est  ici  de  l'avis  du  Bayle. 

(e)  Voyez  la  remarque  (D). 

(A)  Elle   était  Jille  d'alliance  de 
Michel  de  Montaigne.  ]  Elle   ne  te- 


Monlaigne  ;  lequel  faisant ,  en  l'an 
i588,  un  long  séjour*  en  la  ville 
de  Paris ,  elle  te  vint  exprès  visiter  , 
pour  le  connaître  de  face  ;  même  que 
la  demoiselle  de  Gournai ,  sa  mère  ; 
et  elles  le  menèrent  en  leur  maison  de 
Gournai,  oh  il  séjourna  trois  mois  , 
en  deux  ou  trois  voyages,  avec  tous 
les  honnêtes  aceueils  que  l'on  pour- 
rait souhaiter.  Enfin   cette  vertueuse 

(1)  Voyez  1rs  Fssais  de  Montaigne,  liv.  II, 
ckap.  XVI 1 ,  à  la  fin  ,  pag.  m.  606. 

{2)  Pasquier  ,  au  //e.  volume  de  ses  Lettres, 
liv.  XVIII,  pag.  m.  384  ,  385. 

*  Les  détails  dans  lesquels  entre  Pasquier, 
sont ,  comme  le  remarque  Leclerc ,  contredits 
par  l'auteur  de  la  Vie  de  Mademoiselle  de 
Gournai  ,  qui  est  à  la  tête  des  Advis  ou  prr'sen  «. 
Montaigne  ne  resta  que  neuf  mois  à  Paris. 
Mademoiselle  de  Gournai  envoya  le  saluer,  et 
Montaigne  vint  la   visiter  des  le  lendemain. 


[86 


GOURNAI. 


demoiselle,  avertie  de  sa  mort  *',  tra- 
versa presr/ue  toute  la  France,  sous 
la  faveur  des  passe-ports  ,  tant  par 
son  propre  dessein,  que  par  celui  de 
la  veuve  et  de  la  fille  ,  qui  la  conviè- 
rent d'aller  mêler  ses  pleurs  et  re- 
grets,  qui  furent,  infinis,  avec  les 
leurs.  L'histoire  en  est  vraiment  mé- 
morable. 

(B)  On  trouve  dans  le  Perroniana  , 
un  trait  fort  désobligeant  contre  celte 
demoiselle.]  Je  rapporte  le  passage 
tout  du  long.  Comme  M.  Pelletier 
lui  (3)  disait  un  jour  ,  qu'il  avait 
rencontré  mademoiselle  de  Gournai , 
qui  allait  présenter  requête  au  lieu- 
tenant criminel  (4) ,  pour  faire  dé- 
fendre la  Défense  des  Beurrières, par- 
ce que  là  dedans  elle  est  appelée  cou- 
reuse, et  qui  a  servi  le  public  ;  il  dit: 
je  crois  que  le  lieutenant  n'ordonnera 
pas  qu'on  la  prenne  au  corps ,  il 
s'en  trouverait  fort  peu  qui  vou- 
draient prendre  cette  peine  ;  et  pour 
ce  qui  est  dit  qu'elle  a  servi  le  pu- 
blic, ça  été  si  particulièrement  qu'on 
n'en  parle  que  par  conjecture  ,  il 
faut  seulement  que  pour  faire  croire 
le  contraire ,  elle  se  fasse  peindre  de- 
vant son  livre  :  c'est  ce  que  je  dis  une 
fois  a  mademoiselle  de  Surgères ,  qui 
mepriait,  chez  M.  de  Rets,  que  je  fisse 
une  épitre  devant  les  œuvres  de  Ron- 
sard,  pour  montrer  qu'il  ne  l'aimait 
pas  d'amour  impudique.  Je  lui  dis  : 
au  lieu  de  cette  épitre ,  il  y  faut  seu- 
lement mettre  votre  portrait  *%.  Je  suis 
sûr  que  la  demoiselle  de  Gournai 
aurait  pris  pour  une  mortelle  offen- 
se cette  raillerie  ;  car,  encore  que  la 
nature  eût  hautement  réparé  en 
elle  les  défauts  du  visage  par  les 
perfections  de  l'esprit,  et  qu'ainsi  , 
au  cas  qu'on  la  méprisât  du  coté  du 
corps,  elle  eût  une  consolation  toute 
prête,  et  même  une  grande  ressour- 
ce de  gloire  ,  il  n'y  a  nulle  apparence 
qu'elle  ait   été  jamais  assez  humble  , 

'  Les  mois  avertie  île  ta  mort  pourraient  faire 
croire  que  mademoiselle  de  Gournai  partit  sur- 
le-champ;  mais  Leclerc  ilit  qtic  le  voyaçe  de 
Bordeaux  n'ent  lieu  qu'environ  deux  ans  après. 

(3,  C'est-à-dire,  au  cardinal , lu  Perron. 

(4)  "  "le  semble  que  c'est  nu  lieutenant  civil 
il  interJir.?  les  livres. 

*2  Leclerc  révoque  en  doute  le  propos  attribué 
au  cardinal  du  Perron  ;  car  ,  longtemps  avant 
l'époque  à  laquelle  il  l'aurait  tenu  ,  le  portrait 
de  mademoiselle  de  Gournai  était  au-devant  de 
ses  ouvrages.  Le  portrait  porte  :  jElalis  3o.  11 
e.st  donc  de   iSçfi. 


pour  renoncer  à  l'estime  de  ses  agré- 
mens  corporels  autant  que  la  raison 
le  demandait.  Je  doute  que  la  vertu 
des  plus  grandes  saintes  fût  à  l'épreu- 
ve d'un  aussi  sanglant  outrage  que 
le  serait  celui-ci  :  Pour  faire  taire  la 
calomnie  de  ces  esprits  satiriques  , 
qui  disent  que  vous  n'avez  pas  gardé 
une  exacte  continence  ,  vous  n'avez 
qu'à  vous  montrer,  ou  en  personne, 
ou  en  effigie  II  est  certain  que  le 
cardinal  du  Perron  poussait  l'insulte 
au  delà  de  toutes  sortes  de  limites  ; 
et  je  crois  que  la  demoiselle  aurait 
mieux  aime  ne  savoir  rien  ,  et  n'avoir 
que  très-peu  d'eprit ,  que  de  passer 
pour  une  personne  aussi  dépour- 
vue d'agrémens ,  que  le  serait  une 
fille  qui  aurait  conservé  son  pucela- 
ge ,  faute  de  trouver  qui  le  voulût. 

(C) Au  sujet   d'une   satire 

oh  on  la  mêla ,  et  qui  fut  une  des 
suites  de  V Anti-Coton.]  On  appelle 
cette  satire  dans  le  Perroniana  la 
Défense  des  Beurrières.  Je  croirais 
volontiers  que  ce  n'est  point  là  le 
vrai  titre  ,  et  qu'il  aurait  fallu  dire 
Le  Remerctntent  des  Beurrières.  Car 
j'ai  lu  une  satire  (5)  qui  a  pour  titre  > 
Le  Remercîment  des  Beurrières  de 
Paris  ,  au  sieur  de  Courbouzon 
Montgommery ,  dans  laquelle  on  voit 
d'abord  (6)  ces  paroles  :  Et  singuliè- 
rement par  la  défense  magnifique 
dçs  pères  jésuites  qui ,  suivant  la  tra- 
ce et  les  mémoires  de  la  demoiselle 
de  Gournai ,  qui  a  toujours  bien  ser- 
vi au  public ,  vous  avez  fait  publier 
depuis  huitjoursen  ci. Quelques  pages 
après  on  lit  ceci  (7)  :  Depuis  naguè- 
res  ,  c'est  une  beurrière  qui  parle  au 
sieur  de  Courbouzon  ,  ils  se  sont 
présentés  quelques  mal  habiles  gens 
qui  ont  voulu  entreprendre  sur  vos 
marchés  ,  et  vous  dérober  votre  chan- 
landise  ,  comme  un  certain  Pelletier , 
et  la  demoiselle  Gournai  pucelle  de 
cinquante-cinq  ans  ,  qui  s'y  sont  mê- 
lés de  publier  des  défenses  pour  les 
jésuites ,  comme  ayant  intérêt  en 
cause ,  sous  prétexte  qu'ils  ont  été 
rappelés  et  rétablis  a  la  poursuite  , 
briève  (*)  ,    et  sollicitude  du  postillon 

(5)  Imprime' h  Niort,  l'an  1610. 

{61  PaS.  3. 

(7)  Pag.  8.  ^ 

(*)  (.'est  prière  et  non  pas  briève,  qu'on  doit 
lire  dans  ces  paroles  d'une  satire,  où  d'ailleurs 
fourmillent  les  fautes  d'impression.  Uem.  crit. 
|  Lclucliat  dit  qu'il  faut  lire  brigue  ,  ainsi  que  le 


GOUR 

général  de  Vénus.  A  quoi  si  nous 
ajoutons  le  passage  que  je  mets  en 
note  (8),  il  sera  manifeste  ,  je  m'as- 
sure, que  toutes  les  plaintes  que  la 
demoiselle  de  Gournai  voulait  por- 
ter devant  les  juges,  concernaient 
le  Remercîment  des  Beurrières.  Au 
reste  ,  ce  que  j'ai  cite'  de  cette  satire 
fait  connaître  que  la  demoiselle  de 
Gournai  (9)  publia  quelques  écrits 
pour  les  jésuites  ,  et  contre  l'Anti- 
Coton.- Voici  le  titre  de  l'imprime 
dont  on  se  moque  dans  le  Remercî- 
ment des  Beurrières  :  Le  Fléau  d'A- 
ristogiton, ou  contre  le  calomniateur 
des  pères  jésuites,  sous  le  titre  d'  Anti- 
Coton  ,  par  Louis  de Montgommery, 
sieur  de  Courbouzon.  On  peut  assurer 
une  chose  que  M.  Bailiet  n'assure 
pas  (10),  c'est  que  l'auteur  du  Fléau 
d'Aristogiton  a  paru  sous  son  ve'ri- 
table  nom  **.  M.  Bailiet  croit  que 
l'e'crit  de  Courbouzon  a  paru  après  le 
Fléau  d'Aristogiton  (1  i)  ;  mais  l'un 
n'est  point  différent  de  l'autre.  Les 
adversaires  des  jésuites  ne  se  con- 
tentèrent pas  d'avoir  insulté  notre 
pucelle  dans  le  Remercîment  des 
Beurrières  ,  ils  firent  un  livre  contre 
elle  ,  qu'ils  intitulèrent  Anli-Gour- 
nai  :  M.  Bailiet  en  parle ,  mais  non 
pas  en  donnant  la  liste  des  pièces 
qui  parurent  à  l'occasion  de  l'Anti- 
Coton(i2).  Il  semble  même  n'avoir 
point  su  que  la  demoiselle  de  Gour- 
nai fût  intéressée  à  cet  Anti  +a. 

(D)  Lje  cardinal  du  Perron 

est  dans  le  catalogue  de  ceux  qui  lui 
ont  donné  des  louanges.}  Pour  prou- 
ver cela  ,  je  rapporterai  un  fort  long 

porte  le  Remerciaient  des  Beurrières,  Niort, 
1610.] 

(8)  Le  père  Colon...  s'est  premièrement  adrei- 
sé  a  une  demoiselle  Carabine  ,  qui,  pour  ta  dé- 
fense  de  ce  vénérable ,  a  eu  bientôt  nié  la 
poudre  de  son  fourniment  ,  et  puis  ayant  en- 
seigné au  sieur  de  Courbouzon  le  marchand 
chez  lequel  on  prend  celle  munition,  lui  ont 
fait    jouer  Venfant     perdu.    Là    même  ,    pag. 

II  ,     17. 

(9)  C'est  elle  que  le  père  Richeome  nomme 
amazone.  Voyez  les  ADti  de  M.  Bailiet,  loin.  I, 
pag.  1.I6. 

(10)  Tom.  I  des  Anti,  pag.  i/j6. 
*'  C'est  ce  que  confirme  Loclerc. 

(11)  Tom.  I  des  Anti  ,  pag.  i45. 

(12)  ha  même  ,  pag.  i-r>. 

*2  Joly  rlit  qu'on  attribue  l'Anti-Coton  à  Au- 
gustin Casanbon  ,  fils  d'Isaac  ;  mais  M.  Tabaraud 
{Biograph.  univers.  ,  VII,  262 )  rlit  qu'on  n'en 
a  aucune  preuve.  M.  A.  A.  Barbier  croit  que 
l'Anti-Coton  est  de  César  Duplei.x  ,  avocat, 


NAI.  187 

passage  qui  la  concerne  dans  les  mé- 
moires de  l'abbé  de  Villeloin.  Ceux 
qui  trouveront  qu'il  n'aurait  fallu 
qu'en  copier  une  partie  seront  des 
gens  qui  ne  se  soucient  pas  de  con- 
naître beaucoup  de  particularités  de 
la  vie  des  hommes  illustres.  Ce  n'est 
pas  pour  ceux  qui  ont  ce  goût-là 
que  je  travaille;  j'en  fais  ma  décla- 
ration une  fois  pour  toutes.  Celte 
bunnc  fille  ,  c'est  ainsi  que  parle  le 
bon  abbé  de  Marolles,  touchant  notre 
demoiselle  de  Gournai,  que  j'ai  tou- 
jours beaucoup  estimée,  et  que  je  vi- 
sitais souvent  en  mon  particulier  , 
avait  l'âme  candide  et  généreuse.  Sa 
beauté  était  plus  de  l'esprit  que  du 
corps  ,  et  savait  force  choses  qui  ne 
sont  pas  ordinaires  aux  personnes 
de  son  sexe.  JYous  avons  plusieurs 
ouvrages  de  sa  façon,  en  prose  et  en 
vers,  qui  sont  recueillis  en  un  seul 
volume  ,  qu'elle  fit  imprimer  de  son 
temps ,  et  l'a  intitulé  :  Présens  de  la 
demoiselle  de  Gournai.  Ceux  qui 
l'ont  voulu  railler  n'ont  pas  trouvé 
sujet  de  s'en  glorifier,  et  plusieurs 
grands  personnages  lui  ont  donné 
des  louanges  pendant  sa  vie  ,  et  après 
sa  mort ,  et  entre  autres  Michel  de 
Montaigne ,  Juste  Lipse ,  les  cardi- 
naux du  Perron  et  de  Richelieu  , 
M .  Cospéan  ,  évéque  de  Nantes  , 
M.  de  Rocheposai ,  évéque  de  Poi- 
tiers ,  31.  Séguier,  chancelier  de 
France,  et  MM.  les  surintendans  , 
qui  ont  toujours  eu  soin  de  lui  payer 
une  pension  assez  médiocre  que  le 
roi  lui  donnait ,  et  n'en  a  jamais  vou- 
lu avoir  davantage  ,  a  la  charge  de 
se  sen'ird'un  catTOsse  ,  comme  je  sais 
qu'il  lui  fut  offert  de  la  part  de  M.  le 
cardinal  de  Richelieu.  Plusieurs  sa- 
vons hommes  la  visitaient  aussi  fort 
souvent ,  et  la  bonne  demoiselle  comp- 
tait au  nombre  de  ses  meilleurs  amis, 
M.  de  la  Mothe-le-Vayer,  M.  le 
prieur  Oger*,  et  monsieur  son  frère  ; 
MM.  les  Haberts  ,  Cerisai ,  Lestoi- 
le ,  Roisrobert,  de  Révol ,  Colletet  , 
Malleville  ,  tous  assez  connus  dans 
la  république  des  lettres;  et  ,  si  je  ne 


*  Il  faut  écrire  Ogier  ,  dit  Leclerc.  C'est  le 
même  Ogier  dont  Bayle  parle,  soit  dans  le  tcite, 
soit  dans  la  remarque  (F)  de  l'article  Garasse, 
ci-dessus,  page  a6.  A  la  liste  des  personnes  qui 
estimaient  mademoiselle  de  Gournai  ,  on  peut, 
dit  Leclerc',  ajouter  Louis  Savot  ,  C.rotius  ,  Jac- 
ques, roi  d'Angleterre,  Henri  IV  ,  etc. 


,88  GOURNAT. 

me  trompe,  elle  me  faisait  l'honneur    cette  visite  ;  mais  quanti  il  eut  su  ïe 
de  me  mettre  en  ce  nombre-là  (i3).         jour  et  l'heure,  il  eut  la  malice  d'en- 

(E)  Elle  était  fort  bien  reçue  chez  voyer  chez  la  demoiselle  ,  quelque 
les  princesses.]  Le  même  abbé  de  Ma-  temps  auparavant  ,  un  homme  delà 
rolles  nous  apprend  cela  en  parlant  cour,  qui  feignit  d'être  le  marquis  de 
du  duc  de  Rhe'telois  ,  fils  aine  du  duc  Racan.  Quand  cette  visite  fut  faite  , 
de  Nevers.  Mademoiselle  de  Gour-  il  alla  lui-même  chez  mademoiselle  de 
nai ,  dit-il  (i 4) ■>  était  un  de  ses  grands  Gournai  ,  et  se  dit  M.  de  Racan.  11 
divtrlissemens  ,  et  quoiqu'il  fut  d'une  fut  reçu  ,  et  témoigna  à  la  dame  beau- 
humeur  assez  galante ,  si  est-ce  qu  il  coup  de  surprise  de  la  hardiesse 
n'y  avait  point  de  dame  qu'il  n'eût  qu'on  avait  eue  d'emprunter  son  nom 
quittée  pour  entretenir  celle-ci,  soit  pour  lui  rendre  une  visite.  Dès  qu'il 
qu'il  la  vît  chez  mademoiselle  sa  fut  sorti,  le  véritable  Racan  arriva. 
sœur,  soit  qu'il  la  trouvât  chez  ma-  «  On  alla  aussitôt  avertir  mademoi- 
damede  Longueville, sa  tante, ou  chez  »  selle  de  Gournai:  elle  était  Gas- 
madame  la  comtesse  de  Soissons ,  où  »  conne  (17)  ,  et  un  peu  bilieuse  de 
elle  allait  quelquefois.  »  son   naturel  ;    elle    s'emporta  à  la 

(F)  Elle  fut  représentée  plus  vieille  ■»  vue  de  ce  troisième  Racan  ,  et ,  sans 
qu'elle  n'était.}  Voyez  dans  la  remar-  «attendre  qu'il  lui  parlât,  est-ce 
que  (C) ,  le  passage  du  Remercîment  »  que  je  ne  verrai  toute  ma  vie  que 
des  Beurrières  ,  où  on  lui  donne  »  des  Racans  ?  dit-elle  avec  fureur; 
cinquante-cinq  ans ,  lorsqu'elle  n'é-  ■»  et  s'armant  d'une  de  ses  pantoufles, 
tait  âgée  que  de  quarante-cinq.  Elle  »  elle  le  chargea  vigoureusement ,  et 
mourut  l'an  164e» ,  à  l'âge  de  quatre-  »  le  poussa  hors  de  sa  chambre  sans 
vingts  ans  * ,  elle  n'en  avait  donc  »  vouloir  l'écouter,  en  lui  disant 
que  quarante-cinq  l'an  1610.  »  toutes  les  injures  que  sa  colère  lui 

(G)  On  a  publié....  deux  contes  qui  »  dictait,  dont  le  pauvre  marquis  de 
ne  se  ressemblent  guère  touchant  »  Racan  fut  si  surpris  ,  qu'il  ne  sut 
M.  de  Racan  et  mademoiselle  de  »  que  lui  répondre  ,  et  sortit  promp- 
Gournai-]  Le  premier  se  trouve  dans  »  tement ,  avec  l'opinion  que  la  de- 
le  M énagiana  (i5) ,  et  l'autre  dans  le  ■>,  moiselle  savante  était  devenue  fol- 
Recucil  des  bons  mots  (16).  Le  pre-  »  le  (18).  »  Je  croirais  sans  peine  que 
mier  nous»  représente  M.  de  Racan  et  c'est  une  fable  ,  et  je  juge  principa- 
mademoiselle  de  Gournai  comme  lement  cela  à  l'égard  des  coups  de 
deux  personnes  qui  se  voyaient  très-  pantoufle.  Apparemment  ce  fut,  ou 
souvent,  et  qui  se  parlaient  à  cœur  une  invention  toute  pure,  ou  une 
ouvert  quand  l'un  méprisait  les  vers  broderie  de  Boisrobert,  pour  plaisan- 
de  l'autre.  C'est ,  entre  auteurs  qui  ter  tout  à  la  fois,  et  de  Racan  ,  et  de 
sont  amis,  le  comble  de  la  familiarité,  la  savante.  Mais  en  tout  cas  cette 
Mais  au  contraire  le  second  récit  est  aventure  met  entièrement  hors  du 
tout-à-fait  propre  à  persuader  que  vraisemblable  la  liaison  que  M.  Mé- 
ces  deux  personnes  furent  mal  en-  nage  supposait  entre  cette  docte  fille 
semble.  On  nous  débite  ce  second  ré-  etle  marquis  de  Racan.  Voici  ce  qu'on 
cit  sur  le  pied  d'un  des  bons  contes  trouve  dans  le  Ménagiana  (  19). 
de  Boisrobert,  et  on  lui  donne  pour  «  M.  de  Racan  alla  voir  un  jour  ma- 
titre  ,  les  trois  Racans.  On  suppose  »  demoiselle  de  Gournai,  qui  lui  fit 
que  la  demoiselle  ayant  envie  de  con-  »  voir  des  épigrammes   qu'elle  avait 


demoiselle  ayant  envie  de 

naître  le  marquis  de  Racan  ,  il  y  eut 

un  bel  esprit   qui  le  disposa  à  faire 

(1 3)  Mémoires  de  l'abbé  de  Marolles,  pag. 
58  ,  à  l'ann.  i6î3.  Voyez  aussi  ce  qu'il  ilil , 
pa%.  100  ,  à  l'ann.  f03G  :  il  dit  qu'il  alla  loger 
à  la  rup  Saint- Honoré ',  au  voisinage  de  cette 
demoiselle,  qui  faisait  alors  imprimer  la  première 
édition  de  ses  Ouvrages. 

(i4)  Là  méine,pag.  58. 

*  File  ne  les  avait  pas  ,  dit  Lerlerc  ;  car  ,  née 
i  la  lin  de  i566,  elle  est  morte  le  |3  juillet  iG|î. 

(i5)  Imprime' à  Paris  ,  Van  i6g3. 

(16;  Idem. 


»  faites  ,  et  lui  eu  demanda  son  sen- 

(l'f)  Je  ne  croit  pas  que  cela  soit  frai.  Je 
m'étonne  711'Flilarion  de  ("osle,  qui  a  tant  parle' 
d'elle.  Vies  des  Dames  illustres,  loin.  Il,  pag. 
6(18  et  suivantes ,  n'ait  point  dit  d'où  elle  e'tait. 
Le  passage  de  Pasquier  ,  ci-dessus  ,  remarque 
(A),  prouve,  ce  me  semble,  qu'elle  n' e'tait  pas 
Gasconne.  [  Elle  était  de  Paris  ,  comme  le  re- 
marque Leclerc.  ] 

(18)  Recueil  des  bons  contes  el  des  bons  mots, 
pai;.  i58,   édition  de   Hollande. 

(ii))  Pag.  i38  de  la  première  édition  de  Hol- 
lande. 


GOURNAI. 


y  timent.  M.  de  Racan  lui  dit  qu'il 
»  n'y  avait  rien  de  bon  ,  et  qu'elles 
»  n'avaient  pas  de  pointe.  Mademoi- 
»  selle  de  Gournai  lui  dit  qu'il  ne 
»  fallait  pas  prendre  garde  à  cela  , 
»  que  c'e'tait  des  e'pigrammes  à  la 
»  grecque.  Ils  allèrent  ensuite  dîner 
»  ensemble  chez  M.  de  Lorme  ,  mé- 
»  decin  des  eaux  de  Bourbon.  M.  de 
»  Lorme  leur  ayant  fait  servir  un 
»  potage  qui  n'était  pas  fort  bon  , 
»  mademoiselle  de  Gournai  se  tour- 
»  na  du  côte  de  M.  de  Racan  ,  et  lui 
»  dit:  Monsieur  ,  voilà  une  méchante 
)>  soupe.  Mademoiselle,  repartit  M.  de 
»  Racan ,  c'est  une  soupe  à  la  grec- 
»  que.  »  Je  dirai ,  en  passant,  que  ce 
petit  conte  a  souflèrt  ce  qui  arrive 
presque  toujours  aux  récits  de  cette 
nature:  on  en  varie  prodigieusement 
les  circonstances.  Lisez  ce  passage  de 
la  Défense  de  Voiture  (20).  On  tra- 
duisit   une    fois,    pour    un    de    nos 

poètes  (21)  «  qui  n'entendait  pas 

»  le  grec  ,    quelques  rjiigrammes  de 

»  V  Jï  lithologie 11  les  trouva  si 

»  fades,  et  d'un  goût  si  plat,  que  dî- 
»  nant  le  lendemain  à  la  table  d'un 
»  prince  ,  où  l'on  servit  devant  lui 
»  un  potage  qui  ne  sentait  que  l'eau, 
»  se  tournant  vers  un  de  ses  amis 
))  qui  avait  vu  ces  èpigrammes  avec 
)>  lui,  J^oiia  ,  dit-il ,  un  vrai  potage 

•     I  lis-        r  ■       ° 

»  a  la  grecque ,  s  il  en  jut  jamais.  » 

Notez  qu'on  a  insère'  dans  la  suite 
du  A/cnagiana  (22)  le  conte  des  trois 
Racans^  et  ainsi  l'on  suppose  que  les 
conversations  de  M.  Ménage  se  con- 
tredisaient quelquefois. 

(H)  Elle  se  jdcha  beaucoup  de  ce 
changement  de  langage.]  Citons  l'en- 
droit où  Sorel  relève  un  péché  d'o- 
mission du  père  Bouhours.  «  Pour 
>>  parler  d'une  personne  qui  s'est 
»  mise  fort  en  colère  en  ce  temps- 
»  là  contre  ces  retranchemens  de 
»  mots,  il  fallait  parler  de  la  bonne 
»  demoiselle  de  Gournai,  qu'Ariste  , 
»  l'un  des  personnages  des  fcntre- 
»>  tiens  dont  il  est  question  ,  a  mise 
»  au  rang  des  illustres  et  des  filles 
«  d'esprit.  Certainement  elle  a  bien 
»  mérité  ceci.  Au-dessus  de  son  sa- 
»>  voir  je  voudrais  mettre  encore  sa 
»  générosité  ,   sa  bonté  et  ses  autres 


,89 


(20)  Costar,  Défende  Je  Voiture,  pa$ 

(ai)  C'était  Rncan. 

(il)  Imprimé  à  Paris ,  Van  iGy5. 


»74- 


vertus  ,  qui  n'avaient  point  leurs 
pareilles.  11  faut  avouer  pourtant 
qu'elle  gardait  toujours  quelque 
animosite  contre  les  nouveaux  au- 
teurs de  son  siècle  ;  mais  c'était 
avec  raison  ,  puisqu'il  y  en  avait 
entre  eux  qui  ne  prenaient  plai- 
sir qu'à  lui  faire  pièce.  Ceux  qui 
l'ont  rue  autrefois  savent  qu'elle 
avait  des  emportemens  horribles 
quand  elle  parlait  des  gens  de  la 
nouvelle  bande  ou  de  la  nouvelle 
cabale  ,  et  que  c'était  là  son  fai- 
ble. Elle  pourrait  donner  grande 
matière  de  discourir  touchant  la 
langue  ,  autant  pour  ce  qu'on  lui 
en  a  oui  dire ,  que  pour  ce  qu'elle 
en  a  écrit.  Ceux  qui  ne  sont  pas 
assez  vieux  pour  avoir  eu  sa  con- 
versation ,  doivent  avoir  recours 
à  son  livre  appelé ,  Les  A  fis  et 
les  Présens  de  la  demoiselle  de 
Gournai.  Ils  y  trouveront  plu- 
sieurs chapitres  du  Langage  Fran- 
çais ,  entre  autres  le  chapitre 
des  Diminutifs ,  et  quelques-uns 
touchant  la  poésie  ,  où  elle  veut 
remettre  en  crédit  les  mots  com- 
posés à  l'imitation  des  Grecs  ,  et 
faire  toujours  subsister  ,  sans  au- 
cune exception,  le  langage  de  Ron- 
sard   (  23  ).    »    Voyons    comment 

M.  Ménage  a  mis  en  œuvre  cette  pas- 
on  de  la  demoiselle.  Il  étala  d'abord 

la  proscription  de 

Ces  nobles  mois  :  moult ,  ains  ,  jacoil, 

Ores  ,  aeionc  ,  maint,  ainsi-soil , 

A-lanl ,  11  que  ,  piteux  ,  icelle, 

Trop  plus ,  trop  mieux  ,  l/landice,  isnelle, 

Pie'ca  ,  tollir  ,  illec  ,  ainçois  , 

Comme  étant  de  mauvais  (Yançois. 

Et  puis  il  feint  que  les  dictionnaires 
exposent  dans  leur  requête  que  , 

.   .   .   Bien  que  telle  outrecuidance 
(  Suit  dit  sauf  votre  révérence  ) 
Fît  préjudice  aux  supplians 
Vos  bons  ei  fidèles  clients  ; 
Et  que  tle  Gournai  la  pucelle , 
Cette  savante  demoiselle , 
En  faveur  de  l'antiquité 
Elit  notre  corps  sollicité 
De  faire  ses  plaintes  publiques 
Du  ilécri  de  ces  mots  antiques  : 
Toutefois ,  etc. 

Plusieurs  dirent  sans  doute  que  la 
demoiselle  de  Gournai  ,  atteinte  de 
la  maladie  des  vieillards  ,  ne  con- 
damnait  la   réforme  du  langage  que 


(î3)  Sorel,  de  la  Connaissance  des  bons  livres, 
pa>;.  m.  418  ,  419. 


[9° 


GOURNAI. 


parce  que  c'était  la  production  des  en  jour.  La  source  du  mal  n'est  pas 
îeunes  auteurs,  ou  qu'à  cause  qu'elle  toute  entière  dans  cette  inconstance 
n'eut  pu  l'approuver  sans  convenir  des  langues  vivantes  ,  que  les  an- 
qu'à  son  grand  âge  elle  avait  be-  ciens  ont  éprouvée  et  très-bien  dc- 
soin  de  retourner  à  l'école.  On  lui  crite  (27).  Il  s'y  fourre  je  ne  sais  quel 
appliqua  sans  doute  ce  qu'Horace  dit  complot ,  et  cette  machination  ne 
si  bien  de  certaines  gens,  qui  s'i-  vient  pas  tant  des  lecteurs  qui  sont 
maginent  que  leur  goût  est  la  seule  auteurs  que  de  ceux  qui  ne  le  sont 
règle  du  bon  ,  ou  qu'il  leur  serait  pas.  Ceux-ci  se  donnent  tout  le  plai- 
honteux  de  céder  le  pas  aux  nouveaux  sir  de  critiquer  sans  sentir  la  peine 
venus  ,  et  d'avouer  dans  leur  vieil-  de  composer.  Ceux  qui  sentent  cette 
lesse  l'inutilité  des  études  de  leur  peine  sont  plus  indulgens  envers  les 
jeunesse  (^4) •  Mais  ,  tout  bien  consi-  mots.  J'excepte  deux  sorta*  d'au- 
déré  ,  cette  demoiselle  n'avait  pas  teurs  :  les  jeunes ,  et  ceux  qui  ne 
autant  de  tort  que  l'on  s'imagine  ,  font  qu'un  petit  écrit  en  deux  ou 
et  il  serait  à  souhaiter  que  les  au-  trois  ans.  Un  jeune  auteur,  qui  ne 
teurs  les  plus  illustres  de  ce  temps-  lit  guère  que  les  livres  les  plus  nou- 
là  se  fussent  vigoureusement  oppo-  veaux  ,  ne  traite  de  beau  langage 
ses  à  la  proscription  de  plusieurs  que  les  termes  et  les  expressions 
mots  qui  n'ont  rien  de  rude  ,  et  qu'ils  lui  fournissent.  Malheur  au- 
qui  serviraient  à  varier  l'expression ,  près  de  lui  à  tout  mot  et  à  toute  au- 
à  éviter  les  consonnances  ,  les  vers  tre  phrase  qu'il  trouve  ailleurs  :  cela 
et  les  équivoques.  La  fausse  délica-  est  de  la  vieille  cour  ,  dit-il  ,  cela 
tesse  ,  à  qui  on  lâcha  trop  la  bride ,  commence  à  sentir  le  vieux  gaulois, 
a  fort  appauvri  la  langue.  Les  meil-  Pour  ce  qui  est  d'un  écrivain  de 
leurs  écrivains  s'en  plaignent  ;  je  dis  demi-page  par  jour  ,  il  n'a  pas  le 
les  auteurs  qui  sont  le  moins  in-  temps  de  sentir  la  peine  que  cause 
commodes  de  cette  indigence  ,  et  qui  le  retranchement  d'une  infinité  d'ex- 
trouvent  dans  le  fonds  fertile  de  leur  pressions  qui  étaient  bonnes  sous  le 
génie  de  quoi  la  réparer.  Voyez  les  règne  de  Henri  IV  et  de  Louis-le- 
réfiexions  de  M.  de  la  Bruyère  (25).  Juste.  C'est  pourquoi  il  se  pique  de 
Quelques-uns  d'entre  eux  donnent  dégoûts  à  l'égard  de  tous  les  mots 
mille  bénédictions  à  M.  l'évèque  de  qui  sont  suspects  de  vieillesse.  Mais 
Meaux  ,  à  M.  l'évèque  de  Nîmes,  et  s'il  avait  à  composer  un  ouvrage  de 
à  telles  autres  plumes  du  premier  longue  haleine  ,  et  sans  beaucoup 
étage  ,  lorsqu'ils  les  voient  se  servir  de  lenteur  ,  il  ne  ferait  pas  tant  le 
de  quelque  terme  vieillissant.  Cela  dégoûté:  les  difficultés  du  travail, 
le  réhabilite  et  le  rajeunit  ;  c'est  au  l'embarras  des  répétitions  ,  la  né- 
moins  une  barrière  qui  prévient  la  cessité  presque  inévitable  de  rimer 
proscription  ,  et  qu'on  peut  opposer  en  prose  ,  etc.  ,  lui  feraient  connaî- 
aux  chicaneries  des  puristes.  Notre  tre  le  tort  qu'on  fait  aux  auteurs  en 
lan°ue  doit  beaucoup  aux  écrivains  appauvrissant  la  langue  dont  ils  se 
qui  disent  certes   en  prose  ,  et   qui  servent. 


(I)  Elle  avait  un  chat  dont  M.  l'ab- 
bé de  Marolles  a  immortalisé  la  fi' 
délité.  ]  Il  a  rendu  le  même  service 
à  la  linote  de  son  hôtesse.  Une  li- 
ante ,  dit-il  (28)  ,    que  j'ai   vue   a  la 

prits  ,  ou  le  caprice  de   l'usage  nous     très-honnéle  et  très-vertueuse  made- 

ont    privés  et  nous   privent   de  jour 


se  commettent  pour  lui  dans  leurs 
ouvrages  (26J.  On  pourrait  faire  la 
même  observation  par  rapport  à 
d'autres  mots  très-commodes ,  dont 
la   fausse  délicatesse  de  quelques  es 


(l4)  Vel  quia,  nil  rectum  ,    nisi   r/uod  placuit 

sibi  ,  ducu.nl  : 
Vel  quia  lurpe  pillant  parère  minoribus  ,  et , 

qum 
Imberbes  didicére  ,  senes  perdenda  fateri. 
Horat. ,  epist    l,  in.  83  ,hb.  II. 
(i5)  La  Bruyère,  Caractères  de  ce  siècle,  au 
chapitre  de  Quelques  Usages  ,  pag.  635  et  suiv. 
Me  la  huitième  édition  de  Paris. 
(26;  La  Bruyère  ,  ta  même. 


(2-) Morialia  facta  peribunt  : 

Neduin  sermonumstel  honos,  et  gratin  vivax. 
fllutta  rena.'cealur ,    quœ  jam  cecidêfe,  ca- 

deillque 
Quœ  nunc  sunt  in  honore  voc.ibula  ,  si  volet 

u\us , 
Quem  pênes  arhitrium  est ,   et  /ur ,    et  norma 

loquendi. 

Bor»t.  ,  de  Ane  |ioét. ,  vs.  68. 
(28)  Marolles,  Suite  des  Mémoires  ,  pag.  9?, 


GRAIN. 


riioiseHe  de  Belleville  ,  chez  qui  je 
loge  a  Paris ,  a  duré  entre  ses  mains 
plus  de  quatorze  ans  :  et  pour  quel- 
que beau  temps  que  c'eût  été  ,  ce 
petit  oiseau  n'eut  eu  garde  de  /> ren- 
dre l'essor  quand  sa  bonne  maîtresse 
le  mettait  hors  de  sa  cage  sur  la 
fenêtre  de  sa  chambre.  Le  piaillon 
de  mademoiselle  de  Gournai  (  c'é- 
tait son  chat  )  ,  en  douze  années  qu'il 
a  vécu  auprès  d'elle,  ne  se  fdt  pas 
délogé  une  seule  nuit  de  sa  chambre 
pour  courir  dans  les  gouttières  ou  sur 
les  tuiles  comme  les  autres  chats.  Si 
la  demoiselle  eût  eu  des  galans  tels 
que  Catulle  ,  son  chat  fût  devenu 
aussi  célèbre  que  le  moineau  de 
Lesbie.  Notez  que  M.  l'abbé  de  Ma- 
rolles  n'oublie  point  ce  moineau  , 
ni  le  perroquet  de  Melior  (29)  ,  ni 
la  colombe  de  Stella  (3o).  On  pourra 
joindre  à  ces  exemples  ,  quand  on 
voudra,  l'épagneul  de  madame  Des- 
houlières  (3i). 

(at,)  Voyez  Stace,  silv.  IV,  lib.  II. 
(3o)  Voyez  Martial,  epigr.  VIII,  lib.  I. 
(3i)  Voyez  le  Ier.  tome  du  Mercure   Galant, 
1672  ,  pag.  m.  83,    io3. 

GRAIN  *  (  Baptiste  le  ) ,  maî- 
tre des  requêtes  ordinaire  de 
l'hôtel  de  Marie  de  Médicis,  reine 


191 


»  et  Ton  juge  que  cette  histoire  a 
»  été  écrite  de  bonne  foi  comme  par 
»  un  vrai  Français.  »  C'est  Sorel(i) 
qui  dit  cola  touchant  la  première 
décade  ;  à  l'égard  de  la  seconde ,  il 
dit  (2)  que,  comme  c'était  une  histoi- 
re publiée  dans  le  temps  et  le  cré- 
dit de  ceux  dont  elle  parlait  ,  les 
affaires  d'auparavant  y  sont  fort  dé- 
criées. Le  maréchal  cV  Ancre  et  ceux 
de  son  parti  y  sont  très-maltraités . 
Les  bons  serviteurs  de  la  reine-mère 
n'y  sont  pas  même  épargnés  ,  telle- 
ment qu'autrefois  cela  faisait  fort  re- 
chercher ce  livre  ,  que  les  uns  vou- 
laient garder  par  curiosité,  et  les  au- 
tres avaient  dessein  de  le  supprimer. 
On  remarque  principalement,  qu'en 
ce  qui  touche  l'evéque  de  Lucon  , 
qui  depuis  a  été  le  cardinal  de  Ri- 
chelieu ,  cet  auteur  rapporte  de  lui 
une  lettre  adressée  au  maréchal  à"  .  lu- 
cre ,  laquelle  on  prétend  être  en  ter- 
mes fort  soumis.  On  a  raison  de  le 
prétendre  (3). 

(B)  Il  se  déclara  fortement  pour 

l'édit  qu'on avait  accordé  aux 

protestans.  ]  Voyez  le  livre  VIIe. 
(4)  de  la  décade  de  Henri  IV,  vous 
y  trouverez  une  belle  apologie  d<* 
ce  prince  ,  au  sujet,  de  l'édit  de 
Nantes  ;  une  apologie  ,  dis-je,  sou- 
tenue et  d'exemples  et  de  raisons. 
de  France  ,   a  composé  quelques    D'Aubigné  n'oublia  point  d'en  insé 


histoires  qui  sont  assez  bonnes 
(  A  ).  Il  était  né  environ  l'an 
i563  (a).  Il  ne  témoigne  point 
d'aigreur  contre  ceux  de  la  re- 
ligion j  au  contraire  ,  il  se  décla- 
ra fortement  pour  l'édit  qu'on 
leur  avait  accordé  (B). 

*  L'abbé  Goujet  a  donné  un  Irès-Lon  arti- 
cle sur  le  Grain  ,  dans  le  Moréri  de  17.^9. 

(a)  Voyez  sa  Décade  de  Henri-le-Grand  , 
lie.  I,  pag.  80,  édition  de  Rouen,  i633 , 
in- te0. 

(A)  //  a  composé  quelques  histoi- 
res qui  sont  assez  bonnes.  |  On  a  de 
lui  deux  décades  :  la  première  est 
l'Histoire  de  Henri-le-Grand  ;  la  se- 
conde est  l'Histoire  de  Louis  XIII , 
depuis  le  commencement  de  son  rè- 
gne jusqu'à  la  mort  du  maréchal 
d'Ancre,  en  1617.  «  En  quelques  tn- 
»  droits  il  a  mis  des  particularités 
»  qui  ne  se  voient  point  ailleurs  , 


rer  le  précis  dans  son  histoire  (5). 
Le  Grain  n'avait  point  changé  de 
principes  lorsqu'il  écrivait  sa  décade 
de  Lotus  XIII  ;  car  il  y  lit  (6)  l'apo- 
logie des  lettres  patentes  (7)  par  les- 
quelles sa  majesté  avait  déclaré  , 
qu'elle  n'a  entendu  comprendre  ses 
sujets  de  la  religion  prétendue  ré- 
formée ,  au  serment  et  protestation 
faite   en  son  sacre   (7'employer    son 

ÉPÉE    ET    MOYENS    POUR    l'exTIRP ATION 

des  hérésies.  Ces  deux  beaux  passa- 
ges, en  faveur  de  la  tolérance  de  re- 
ligion ,  se  trouvent  dans  un  ouvrage 
du  sieur  Colomiés  (8). 

(1)  Bibliothèque  française,  pag.  m.  35a. 

(2)  Là  même,  paii.  35X  ,  354-' 

(H)  Voyez    le    Grain,    liv.    X,    pag.    4"i  <* 
Vann.  .617. 

(4)  Pag.  m.  704. 

(5)  Tom.    III,    liv.   V,  chap.  II,  pag.  m. 
63i. 

(6)  Au  livre  VI II  ,  pag.    agg. 

(•})  Elles  furent  rrgistre'es  au  parlement  le  ■} 
d'août   iGi(). 

(8)    Intitulé  :  Home   proie.-. la» te  ,   pag.    G5  fl 


I92  GRAMMONT.  GRAMOND. 

GRAMMONT  (Gabriel  de), 
cardinal  français  au XVIe.  siècle. 
Je  n'en  parle  que  pour  corriger 
quelques  fautes  de  M.  Moréri 
(A). 


(A)  Je  n'en  parle  que  pour  corri- 
ger quelques  fautes  de  M.  Moréri.  ] 
i°.  L'entrevue  de  Clément  VII  et  de 
François  Ier.  ,  à  Marseille  ,  ne  se  fît 
point  Tan  i552  ,  mais  Fan  i53a  *. 
2°.  Ce  ne  fut  pas  pour  avoir  per- 
suadé au  pape  le  dessein  de  cette 
entrevue  que  le  cardinal  de  Gram- 
mont  fut  récompensé  de  Févêché  de 
Poitiei's  ;  car  il  possédait  cette  mitre 
lorsqu'il  partit  de  France  pour  aller 
négocier  avec  Clément  VII.  3°-  Ces 
paroles  ,  le  roi  lui  donna  V archevê- 
ché de  Bordeaux  et  de  Toulouse  :  il 
en  allait  prendre  possession  ,  doi- 
vent être  censurées  ,  puisque ,  selon 
le  sens  le  plus  naturel ,  elles  signi- 
fient que  l'on  donna  ces  deux  mé- 
tropoles en  même  temps  et  tout  à 
la  fois  à  ce  cardinal.  Or  cela  est 
faux.  De  plus  ,  on  ignore  si  c'est  de 
l'archevêché  de  Bordeaux  ou  de  ce- 
lui de  Toulouse  qu'il  allait  pren- 
dre possession  :  la  phrase  de  M.  Mo- 
réri ne  nous  détermine  à  rien.  4°-  H 
n'est  pas  vrai  que  ce  cardinal  soit 
mort  avant  que  de  prendre  posses- 
sion de  l'archevêché  de  Toulouse. 
11  en  prit  possession  par  procureur, 
le  27  d'octobre  i533,  et  en  personne, 
le  i5  de  mars  suivant.  5°.  Le  châ- 
teau de  Balura  est  une  chimère  ;  il 
fallait  dire  le  cMteau  de  Balma  :  le 
cardinal  y  mourut  le  26  de  mars  (1) 
i534  ,  selon  du  Bouchet.  Ce  château 
appartient  aux  archevêques  de  Tou- 
louse, et  n'est  éloigné  de  la  ville  que 
d'une  petite  demi-lieue.  6°.  Si  le  car- 
dinal fut  attaqué  d'une  fièvre  lente, 
ce  ne  fut  pas  lorsqu'il  alla  prendre 
possession  de  l'archevêché;  il  fallait 
dire  que  son  voyage  de  nome  lui 
causa  une  longue  maladie  dont  il 
mourut  onze  jours  après  la  prise  de 
possession.    Meurt- on    d'une    fièvre 

*  Jean  Boncliet,  à  qui  Bayle  a  donné  un  ar- 
ticle (toin.  IV,  pag.  2-J  )  ,  et  que,  suivant  la 
remarque  de  I.eclerc  ,  il  a  tort  d'appeller  ici  du 
Bouchet ,  a  ,  dans  la  nouvelle  édition  de  ses  An- 
nales d' Aquitaine ,  donnée  à  Poitiers  ,  en  1 535, 
porté   ortie  entrevue  au  mois  d'octobre  i533. 

(1)  Moréri  dit  la  it\  de  mars. 


lente  en  si  peu  de  jours  ?  Ce  qu'il 
y  a  d'étonnant  est  que  Catel  (2)  , 
l'un  des  auteurs  que  M.  Moréri  cite, 
me  fournit  la  correction  de  toutes 
les  fautes  qui  viennent  d'être  mar- 
quées. A  quoi  songe  cet  homme,  de 
nous  citer  des  auteurs  qu'il  n'a  point 
vus  ?  Catel  relève  une  faute  de  Jean 
du  Bouchet  touchant  le  nom  du  châ- 
teau (3)  ;  ainsi  M.  Moréri  pouvait 
connaître  certainement  le  vrai  nom 
de  cet  édifice. 

(2)  Mémoires  de  l'Histoire  du  Languedoc,  liy. 

(3)  Du  Boucliet  dit  que  le  cardinal  mourut 
au  lieu  de  Abalme  ,  étant  des  appartenances  de 
l'archevêché ,  h  deux  lieues  près  de  'Toulouse, 

GRAMOND  (  Gabriel  Barthé- 
lemi  *  de),  en  latin  Gramondus, 
président  au  parlement  de  Tou- 
louse ,  et  fils  du  doyen  de  ce  mê- 
me parlement  (A),  a  composé  une 
histoire  qui  est  estimée  (B).  J'ai 
lu ,  dans  un  auteur  allemand ,  un 
fait  singulier  dont  je  doute  fort 
(C),  et  qui,  étant  véritable,  serait 
très-glorieux  au  président  de 
Gramond.  Les  lettres  de  Patin  ne 
confirment  guère  ce  que  l'auteur 
allemand  débite  (D). 

*  Leclerc  remarque  que  Barthélemi  n'est 
point  le  nom  de  baptême ,  mais  le  nom  de 
famille  de  Gramond. 

(A)  //  était  fils  du  doyen  du  par- 
lement de  Toulouse.  ]  Ce  doyen  des 
conseillers  s'appelait  Barthélemi  de 
Gramond.  C'était  un  homme  d'une 
grande  probité  et  d'une  intégrité 
achevée.  Son  Fils  lui  donne  cet  éloge 
en  rapportant  une  action  plus  digne 
d'un  courtisan  que  d'un  sénateur  zélé 
pour  la  bonne  discipline.  Il  dit  (1) 
que  M.  de  Montmorenci  ,  gouver- 
neur de  Languedoc  ,  voulut  que  sa 
femme  fût  reçue  dans  toutes  les  vil- 
les de  son  gouvernement  avec  des 
honneurs  inusités  jusqu'alors.  Il 
souhaita  en  particulier  que  les  ma- 
gistrats de  Toulouse  envoyassent  des 
gens  armés  au-devant  d'elle  pour  la 
recevoir.  On  rejeta  plusieurs  fois  sa 

(1)  Gramond  ,  Ilistor.  Gallix  ,  lib.  III, 
yag.  m.  »i3  ,  ad  ann.  161g. 


GRAMOND. 


i93 


proposition,    el    on    luk  représenta    que   le  président  de   Gramond  pos- 
que  les  jeux  ,  les  danses  ,  la  musi-    séduit  bien  la  langue  latine.  11  avait 

publié  à  Toulouse,  l'an  1623,  l'His- 


que  ,  étaient  le  véritable  appareil  de 
la  réception  d'une  femme;  mais  que 
les  bonneurs  militaires  devaient  être 
réservés  pour  ceux  qui  ont  de  la  ju- 
ridiction sur  les  armes.  Bartbélemi 
de  Gramond  fut  d'un  autre  senti- 
ment •  car  il  fut  d'avis  que  l'on  re- 
çût la  duchesse  de  Montmorenci  de 
la  manière  que  son  mari  le  souhai- 
tait; il  fut  député  aux  capitouls  (2) 
de  la  part  du  parlement  ,  et  leur 
persuada  d'acquiescer  aux  désirs  du 
gouverneur  de  la  province.  Ceci  se 
passa  l'an  1619.  On  ne  trouve  là  au- 
cune trace  de  l'ancienne  gravité  ro- 
maine. Notre  historien  eût  beaucoup 
mieux  travaillé  à  la  gloire  de  son 
père  s'il  eût  pu  dire  que  le  député 
du  parlement  confirma  les  capitouls 
dans  le  dessein  de  rejeter  les  nou- 
veautés que  M.  de  Montmorenci  exi- 
geait d'eux  pour  son  épouse.  Cette 
conduite  eût  senti  son  homme  qui 
avait  très-bien  profité  du  sage  con- 
seil de  Tibère  moderandos  fœmina- 
rum  honores  (3)  ,  et  de  la  harangue 
de  Sévérus  Caecina  ,  sénateur  romain 
sous  cet  empereur.  Elle  fut  rejetée  ; 
mais  s'en  faut-il  étonner  ?  Rome  a- 
vait  perdu  toutes  ses  belles  maxi- 
mes. Notez  que  ce  sénateur  opina 
qu'il  ne  fallait  point  permettre  à 
ceux  qui  avaient  du  commandement 
dans  î«s  provinces  d'y  amener  leurs 
femmes  (4).  Il  allégua  de  très-solides 
raisons. 

(B)  II  a  composé  une  histoire  qui 
est  estimée.}  Elle  comprend,  en  XVIII 
livres  ,  ce  qui  s'est  passé  en  France 
depuis  la  mort  de  Henri  IV  jusqu'à 
l'année  1629  (.*>).  Elle  fut  imprimée 
à  Toulouse,  l'an  i6f3.  Les  étrangers 
l'ont  jugée  digne  de  leurs  presses  , 
tant  en  Hollande  qu'en  Allemagne  (6). 
Je  me  sers  de  l'édition  de  Mayence, 
i6n3  ,  in-8°.  Le  style  de  cet  auteur 
est  un  peu  trop  concis  ,  et  n'est 
pas  assez  naturel  ;   mais  il  témoigne 

(a)  C'est  ainsi  qu'on  nomme  ceux  qui  prési- 
dent a  la  maison  de  fille  de  Toulouse. 

(3)  Tacit.,  Annal.  ,  hb.  I,  cap.  XIV. 

(4)  Idem,  ibidem  ,  lib.  VI ,  cap.  XXXIII. 

(5)  Et  non  pas  jusquen  16'ig  ,  comme  dit 
Moréri. 

(0)  Notez  que  les  auteurs  allemands  la  citent 
beaucoup.  I  oyei  entre  autres,  Pellerus  ,  dans 
son  Polilicus  sceleratus  impugnalus. 

TOME   VU. 


toire  particulière  de  la  guerre  que 
Louis-le-Juste  avait  faite  à  ses  sujets 
de  la  religion. 

(C)  J'ai  lu  dans  un  auteur  alle- 
mand un  fait  singulier  dont  je  doute 
fort.  ]  Christien  Funccius  débite  que 
le  président  de  Gramond  ayant  suivi 
les  traces  de  M.  de  Thou  dans  la 
hardiesse  de  dire  la  vérité ,  et  de 
découvrir  les  fautes  du  gouverne- 
ment, et  celles  des  grands  seigneurs 
se  lit  beaucoup  d'ennemis  ,  et  n'était 
pas  même  en  sûreté  au  milieu  de  sa 
patrie  *.  In  eo  l'huano  par  quôd  in- 
trépide dtcat  quidsentiat,  non  dissi- 
mulans  grauissima  aulœ  et  magria- 
tum  peccata  ,  indèque  idem  quod 
Uiuanus ,  fatum  expertus.  Simul 
enim  ac  prima  pars  historiœ  prodiit 
multorum  iucurrit  odia  :  ita  ut  vix 
Tholosœ  tuto  uivere  potuerit.  Quare 
non  prodiit ,  tenus  hac  ,  nisi  pars 
prima  :  si  altéra  succederet ,  opus 
esset  incomparabile  ,  t>el  non  nisi 
cum  ipsd  antiquilate  comparandum. 
Arcanissima  enim  reipublicœ  Gallicœ 
autor  penetraueratd).  M.  Graverol , 
avocat  de  Nîmes  qui  avait  de  gran- 
des habitudes  à  Toulouse ,  et  que 
j'avais  consulté  sur  ce  fait ,  me  ré- 
pondit plusieurs  choses,  mais  rien 
qui  me  fît  connaître  qu'il  eût  jamais 
ouï  parler  d'une  telle  chose. 

(D)  Les  lettres  de  Patin  ne  confir- 
ment guère  ce  que  l'auteur  atlenitmd 
débite.}  Tant  s'en  faut  que  Guy  Pa- 
tin nous  représente  M.  de  Gramond 
comme  un  martyr  de  la  vérité,  qu'il 
le  traite  de  lâche  flatteur.  Je  crois 
qu'il  outre  les  choses,  et  qu'au  pis 
aller  ,  l'extrémité  de  l'écrivain  alle- 
mand serait  moins  vicieuse  que  celle 
de  Guy  Patin.  Quoi  qu'il  en  soit  , 
voici  les  paroles  de  ce  dernier.  «  J'ai 
»  l'histoire  de  M.  de  Gramond  ,  pré- 
»  sident  de  Toulouse  ,  dont  vous  me 
»  parlez.  Je  l'ai  souvent  entretenu 
»  pendant  qu'il  était  en  cette  ville. 
»  C'était  un  bon  vieillard  ,  mais  d'une 
»  âme  faible  et  bigote.  Il  se  faisait 
»  de  fête  pour   obtenir  des  mémoi- 

*  Bayle  ne  fait  qu'en  douter.  Leclerc  assure 
que  ce  fait  est  indubitablement  faux. 

(7)  Cbr.  Funccius,  Ivm.  /,  Oibis  Imper., 
pag.  443,  apud  Konig. ,  Bibliotli.  ,  pag.  358. 

i3 


GRAMONT.  GRANDIER. 


»94 

»  res  ,  et  pousser  son  histoire  jusqu'à 
»  la  mort  du  feu  roi  :  mais  le  car- 
»  tlinal  Mazarin  ne  lui  a  pas  voulu 
»  donner  cet  emploi.  11  est  mort 
«  depuis  peu  à  Toulouse  (8).  Son  li- 
„  vre  est  peu  de  chose,  et  infiniment 
»  au  dessous  de  l'Histoire  du  pre'si- 
»  dent  de  Tliou.  Il  est  rempli  de 
»  faussetés  et  de  flatteries  indignes 
»  d'un  homme  d'honneur.  Quand  il 
«  fut  achevé  d'imprimer  ,  et  près 
»  d'être  mis  en  vente  ,  M.  de  Gra- 
a  mondfit  refaire  quinze  demi-fettil- 
»  les  ,  pour  y  flatter  plus  fortement 
»  le  cardinal  de  Richelieu  ,  qui  était 
»  alors  au  plus  haut  point  de  sa  fa- 
»  veur.  Ce  hon  homme  crut  qu'il 
»  n'y  avait  point  de  termes  assez 
»  forts  pour  le  louer  :  mais  il  n'y 
»  gagna  rien  ;  car  le  cardinal  vint  à 
»  mourir  (9)  *.» 

(8)  Concluez  de  là  ,  que  Konig  ,  qui  met  sa 
mort  a  Van  16^2  ,  se  trompe;  car  cette  lettre  de 
Patin   e.U  dale'e  du  i5  septembre  i654- 

(q\  Patio  ,  lettre  XC  ,  loin.  I,  pag.  365. 

*  Le  président  de  Gramond  eut  des  démêlés 
avec  R.  Amauld.  Voyez  lome  II,  page3y8  ,  et  la 
note  qui  a  été  ajoutée. 

GRAMONT*(Scipionde), 
sieur  de  Saint-Germain  ,  et  se- 
crétaire de  la  chambre  du  roi , 
était  provençal.  J'ai  dit  ailleurs 
(a)  qu'il  vit  à  Rome  les  honneurs 
funèbres  de  M.  de  Peiresc,  et 
qu'il  mourut  à  Venise  quelque 
temps  après.  Il  composa  quel— 
qfres  livres  (A) ,  et  entre  autres 
un  qui  est  intitulé  le  Denier 
royal  :  traité  curieux  de  l'or  et 
de  l'argent.  Naudé  parle  de  cet 
ouvrage  avec  éloge  (B).  C'est  un 
in-8°.  qui  fut  imprimé  à  Paris  , 
l'an  1620. 

*  Joly  dit  qu'il  écrivait  indifféremment  son 
nom  Grandmont  ou  Grammont  ,  et  en  latin 
Grandi  Monte.  Il  était  poète  latin  et  fran- 
çais ;  et  Leclerc  donne  les  litres  de  quelques- 
uns  de  ses  opuscules. 

(à)  Dans  la  remarque  (C)  de  l'article  Pei- 
resc ,  loin.  XI. 

(A)  //  composa  quelques  livres.] 
Il  puhlia  à  Paris  ,  l'Art  d<  s  •consé- 
quences,  in-S". ,  l'an  1 6 1 4  j  de  la  Na- 
ture ,  Qualité  ,  et  Prérogativtï   ad- 


mirables du^Point,  in-S''.  l'an  1G19; 
son  abrégé  des  Artifices,  traitant  de 
plusieurs  inventions  nouvelles  ,  et 
surtout  d'un  secret  et  moyen  exquis 
pour  entendre  et  comprendre  quelle 
langue  que  ce  soit  dans  un  an,  mê- 
me la  latine  et  la  grecque  ,  fut  im- 
primé à  Aix ,  en  Provence  ,  l'an  ]6{o, 
in-S°. 

(B)  Naudé  parle  Je  son  Denier 
Royal  avec  éloge.]  Voici  ses  termes  : 
Quoniam  res  ipsa  (  vectigalium  im- 
positiones)  plerumque  a  necessitale 
dependet  ,  aut  principum  volunlate  , 
quœ  leges  non  admittunt,  indè  est, 
qttod  pauci  admodùm  reperd  sunt  , 
qui  de  Mis politicum  quidquam  moi  1è- 
re voluerint.  Quare  unicum  lanlum- 
modo  proférant  Scipionem  Gramon- 
tium  ;  ex  cujtis  JVttmmo  Regio  ,  gal- 
licè  quideni  edito  ,  plurima  depromi 
possunt ,  quœ  rem  ipsam  prœclarè 
illustrent  ,  simulque  legentium  ani- 
inos  rejiciunl  dulci  pabulo  varice  lec- 
ttonis  ,  et  gravissimd  diversarum  ob- 
servationum  varielale  (1). 

(1)  Naud.  ,  Bibliogr.  politic.  ,  cap.  XIII, 
pag.  543,  edit.  Creniana. 

GRANDIER  (Urbain),  curé 
et  chanoine  de  Loudun  ,  brûlé 
vif  comme  magicien ,  était  fils 
d'un  notaire  royal  de  Sablé,  et 
naquit  à  Bovère  proche  de  Sablé. 
Il  prêchait  bien  ,  et  cela  fu,t  cau- 
se que  les  moines  de  Loudun 
conçurent  d'abord  contre  lui 
beaucoup  d'envie,  et  enfin  beau- 
coup de  haine  ,  lorsqu'il  eut 
prêché  fortement  sur  l'obligation 
de  se  confesser  à  son  curé  aux 
fêtes  de  Pâques.  Il  était  bel  hom- 
me ,  agréable  dans  la  conversa- 
tion ,  propre  en  ses  habits  et  en 
sa  personne,  ce  qui  le  fit  soup- 
çonner d'être  aimé  des  femmes  , 
et  de  les  aimer  (A).  On  l'accusa , 
en  1  (i? q,  d'avoir  eu  affaire  avec 
des  femmes  dans  l'église  dont  il 
était  curé.  L'official  de  Poitiers 
le  condamna  à  se  défaire  de  ses 
bénéfices,  et  à  vivre  en  pénitence. 
Il  en  appela  comme  d'abus,  et 


GRANDIER.  i95 

par  arrêt  du  parlement  de  Paris   de  s'informer  soigneusement  de 
il  fut   renvoyé   au    présidial   de    l'affaire  des  religieuses;  et  il  lui 
Poitiers  ,  qui  le  déclara  innocent,    fit  assez  paraître  qu'il  souhaitait 
Trois  ans  après,  quelques  reli-    de  perdre  Grandier.  M.  de  Lau- 
gieuses  ursulines  de  Loudun  pas-  bardemont  le  fit  prendre  prison- 
sèrent,  dans  la  commune  opinion    nier,  au  mois  de  décembre  i633, 
du  peuple,  pour  possédées  (P>).    et ,  après  avoir  informé  ample- 
Les  ennemis  de  Grandier  firent   ment   de  cette    affaire,    il    alla 
aussitôt  courir  le  bruit  que  cette    trouver  le  cardinal  pour  concer- 
possession  était  arrivée  par  son    ter  avec  lui.  On  expédia  des  let- 
fait,  et  ils  l'accusèrent  de  magie:    très  patentes,  le  8  de  juillet  i634, 
ce  qui  paraît  assez  bizarre,  car,    pour  faire  le  procès  à  Grandier. 
s'ils   le   croyaient  capable  d'en-    Ces  lettres  furent  adressées  à  M. 
voyer  le   démon    dans    le  corps    £e  Laubardemont ,    et   à  douze 
des  gens,  ils    devaient  craindre   juges  des  sièges  voisins  de  Lou- 
de  l'irriter  (C)  ;  ils  devaient  le   dun  ,  tous  véritablement  gens  de 
ménager,    de  peur  qu'il   ne   les    bien,  mais  tous  personnes  cré- 
soumît  à  une  légion  de  diables,    dules,    et    par  cette   raison    de 
Quoi  qu'il  en  soit,  ils  l'accusèrent    crédulité    tous    choisis    par   les 
de  magie.  Les  capucins  de  Lou-    ennemis  de  Grandier  (F).  Le  i8 
dun,  ses  grands  ennemis,  trou-    (a)  d'août  1 634  ,  sur  la  déposition 
vèrent  fort  à  propos  pour  faire    d'Astaroth  (G),  diable  de  l'ordre 
réussir  l'accusation,  de   se  mu-    des  séraphins  ,  et  le  chef  des  dia- 
nir  de  l'autorité  toute-puissante    blés  possédans  ;  d'Easas ,  de  Cel- 
du  cardinal  de  Richelieu.    Pour    sus,  d'Acaos  ,de  Cédon  ,d'Asmo- 
cet  effet,  ils  écrivirent  au  père    dée,    de  l'ordre  des   trônes;    et 
Joseph  ,  leur  confrère  ,  qui  avait    d'Alex  ,  de  Zabulon  ,  de  Neph- 
beaucoup   de    crédit   auprès    de    talim  ,  de  Cham  ,  d'Uriel ,  et  d'A- 
cette    éminence,   que    Grandier   chas,  de Fordredes principautés  ; 
était   l'auteur  d'un  libelle  inti-    c'est-à-dire  ,  sur  la  déposition  des 
lulé  la  Cordonnière  de  Loudun    religieuses  qui  se  disaient  possé- 
(D),    très  -  injurieux   et  à  la    déespar  ces  démons, les  commis- 
personne  et   à  la    naissance   du    saires  rendirent  leur  jugement, 
cardinal  de  Richelieu.  Ce  grand    par  lequel  maître  Urbain  Gran- 
ministre  ,  parmi    beaucoup    de    dier ,    prêtre  ,  curé   de    l'église 
perfections,  avait  le  défaut    de   Saint-Pierre  du  marché  de  Lou- 
poursuivre  à  toute  outrance    les    dun ,    et    chanoine    de     l'église 
auteurs  des    libelles    qui    s'im-  Sainte-Croix  ,    fut    déclaré    du- 
primaient   contre  lui  :  de  sorte    ment  atteint  et  convaincu  du  cri- 
que  s'étant   laissé  persuader  (E)    me  de  magie  ,  maléfice ,  et  pos- 
au  père    Joseph    que   Grandier    session  arrivée  par  son  fait  es 
était  l'auteur  de  la  Cordonnière  personnes    d'aucunes    des   reli— 
de  Loudun  ,  il  écrivit  aussitôt  à   gieuses    ursulines   de  Loudun, 
M.  de  Laubardemont,  conseiller    et  autres  séculières  mentionnées 
d'état,  sa  créature,  qui  faisait 
démolir  à  Loudun  ,  de  la  part  du   „  ^  M-  *&*%* .  Remarques  sur  la  Vie  de 

.    ,        „        .~         .  ,        f  A  Guillaume  qlenage  ,  pcg.  J42  ■  s  est  trompe 

roi,  les  fortifications  du  château  ,  en  mettant  le  8. 


196  GRANDIER. 

au  procès  ;  pour  la  réparation  zébut  qui  volait  autour  de  Gran- 
desquels  crimes  il  fut  condamné  dier,  pour  emporter  son  âme  en 
à  faire  amende  honorable  età  être  enfer;  et  là-dessus  on  fit  une 
brûlé  vif  avec  les  pactes  et  carac-  chanson  très-plaisante.  La  dia- 
teres  magiques  étant  au  greffe  ,  bleriede  Loudun  dura  encore  un 
ensemble  le  livre  manuscrit,  par  an  après  la  mort  de  Grandier. 
lui  composé,  contre  le  célibat  des  ïhéophraste  Renaudot ,  médecin 
jyrétres(H),  et  les  cendres  jetées  au  célèbre  ,  et  l'inventeur  de  la  Ga- 
vent(b).  Grandier,  ayant  ouïsans  zette  de  France,  a  fait  un  éloge 
émotion  cette  terrible  sentence  ,  de  ce  Grandier ,  qui  a  été  impri- 
demauda  pour  confesseur  le  gar-  mé  à  Paris  en  feuilles  volantes, 
dien  des  cordeliers  de  Loudun  ,  Ceci  est  tiré  de  M.  Ménage  (e) , 
docteur  en  théologie  de  la  fa-  qui  prend  hautement  le  parti  de 
culte  de  Paris.  On  le  lui  refusa*  ce  curé  de  Loudun,  et  traite 
et  on  lui  présenta  un  récollet ,  de  chimérique  la  possession  de 
dont  il  ne  voulut  point  se  servir  ces  religieuses  (I).  On  dirait  mé- 
disant que  c'était  son  ennemi  ,  me  qu'il  a  voulu  combattre  en 
et  l'un  de  ceux  qui  avaient  le  général  tout  ce  qui  se  dit  des 
plus  contribué  à  sa  perte.  On  magiciens  (K).  Ce  serait  se  tirer 
persista  à  ne  lui  vouloir  donner  d'un  embarras  par  un  autre  (L). 
d'autre  confesseur  que  ce  récol-  Depuis  la  composition  de  cet  ar- 
let  :  il  persista  de  son  côté  à  le  ticle,  on  a  imprimé  en  Hollande, 
refuser;  et  ainsi  il  ne  fit  qu'une  (f)  V  Histoire  des  Diables  de 
confession  mentale  à  Dieu  :  après  Loudun;  et  il  paraît  manifeste- 
quoi  il  alla  au  supplice ,  et  le  ment  par  cet  ouvrage  ,  que  la 
souffrit  très  -  constamment  et  prétendue  possession  de  ces  ur- 
très-chrétiennement.  Comme  il  sulines  fut  une  horrible  machi- 
était  sur  le  bûcher,  il  arriva  nation  contre  la  vie  de  Grandier. 
qu'une  grosse  mouche  du  genre  Cette  relation  est  très-curieuse , 
de  celles  qu'on  appelle  bourdons,  et  munie  de  toutes  les  pièces 
vola  en  bourdonnant  autour  de  qui  concernent  ce  procès.  J'y 
sa  tête.  Un  moine  présenta  l'exé-  ai  trouvé  une  chose  qui  m'a 
cution,  qui  avait  lu  dans  le  con-  donné  quelque  surprise  ,  par 
cile  de Quières(c),  que  les  diables  rapport  aux  grands  vacarmes 
se  trouvaient  toujours  à  la  mort  que  l'on  fit  contre  le  père  Co- 
des hommes  pour  les  tenter  (d)  ,    ton  (M). 

et  qui  avait  ouï  dire  que  Belzé-  On  trouve  dans  la  vie  d'un  jé- 
but  signifiait  eu  hébreu  le  suite ,  qui  fut  l'un  des  exorcis- 
dieu  des  mouches  ,  cria  tout  tes  des  religieuses  de  Loudun , 
aussitôt  que  c'était  le  diable  Bel-  beaucoup  de   particularités    sur 

cette   affaire.     J'en    rapporterai 

(b)  Voyez  le  XXe.  tome  du  Mercure  Fran- 
çais ,  pag.  771. 

(c)  Jpud  Carisiacum. 

(d)  Cerlum    est   quia   ad   omnes    hominrs 
quando  egrediuntur  de  cofpore  veniuul  dia- 


deux  choses  ,  dont  l'une  est  fort 
surprenante  (IN). 


Loliet  adjustosel  ad  peccaiu.es   Lettre  des    Remarques  sur  celte  Vie. 

pères  de  ce  concile  à  Louis,  roi  de  Germa-        (/)    ,1  Amsterdam  ,    1693,   in-Uk 

nie.  été  traduite  en  flamand. 


(e)  In  Vitâ  Guillelmi  Menagii  ,  et  dans  les 
elle  a 


GRANDIER.  797 

(A)  Il  fut  soupçonné  d'être  aimé  naturelles.  Il  cite  deux  livres  qui  fu- 
des  femmes  ,  et  de  les  aimer.]  Le  r en t  faits  contre  cette  prétendue  pos- 
Mercure  Français  (i)  dit  (\\\>  Urbain  session  ,  Pun  par  Duncan  ,  Ecossais 
Grandier  était  homme  majestueux  et  célèbre  ,  médecin  de  Saumur  :  l'autre 

fastueux,  qui  avait  quelque  lecture  par  Jacques  Boutreux  sieur  d'Etiau  , 

et  assez  bon  esprit ,  d'ailleurs  avan-  homme  docte  de  la  ville  d'Angers  j  et 

tagé  de  quelques  perfections  naturel-  il  rapporte  ce  que   Claude  Ménard  , 

les  et  acquises;  mais  qui ,  par  une  ré-  lieutenant  de  la  prévôté'  d'Angers,  a 

duplication  de  vices  extraordinaires  ,  dit  de  ce  livre  de  Jacques  Boutreux  , 

nommément  de  paillardise  et  impure-  dans  son  Catalogue  des  écrivains  an- 

té ,  avait prostitue  l'honneur  de  gevins.    Laudunensis  theatri  scenam 

son  caractère  ;   et   que  son  intention  aggressus  ,  parochi   Granderii   tepi- 

était ,  en  briguant  la  place  de  direc-  datas   stlentio   longo  favillas  mémo- 

teur  des  ursulines  ,  de  faire   un  dés-  riamque  scriplo  vindicare  ausus,  du- 

honnête  sérail   de  leur  couvent ,   et  biœ  quœstionis  theina  renovavil ,  ut 

autant  de    sales   concubines  qu'il  y  tristes  virginum  ma  là  traclarum  pœ- 

aurait  de  belles  vierges.  La  lettre  du  nas  ,  vel  exercitœ  potihs  trophœa  vir- 

sieur  Séguin  ,  me'deein  de  Tours  ,  dit  tutis  ad  scurrilia  planorum  ludibria  , 

(2)  que  les  //artisans  mêmes  de  Gran-  vindicandique  et  suppositi  in  Grande- 

dier  reconnaissaient  qu'il  vivait  dans  rium  ,  ut  credi  vult,   maleficii  minis- 

une  débauche   qu'on  ne  peut  autre-  teria  personala    traduceret  ,   grandi 

ment  qualifier  que  du  nom  d'impiété,  certè  mentis  fiducid ,    calami  scripti- 

profanant  les  choses  les  plus  saintes,  que  libertate  ,  nescio  an  cessura  fefi- 

et  abusant  hautement  de  la   religion  citer.   Voyez  ci-dessous  la  remarque 

qu'il  prêchait  avec  assez  de  réputa-  (I).  Or,  quant  à  ce  que   M.  Ménage 

tion.  On  a  pu  voir  dans  l'article,  l'ac-  observe   que   l'intelligence    des  lan- 

cusation    qu'on    lui    intenta    d'avoir  gués ,  qui  est  l'une  des  trois  marques 

connu  des  femmes  dans  l'église  même  d'une  véritable  possession  ,  ne  se  trou- 

dont  il  était,  curé.  M.  Ménage,  qui  le  vait  point  dans  ces  religieuses,  il  est 

rapporte  ,  se  contente  de   dire  dans  bon  de  remarquer  que   le   sieur   Sé- 

les  notes,  qu'il  fut  accusé  d'adultère  \  guin  ,   médecin   de  Tours,   rapporte 

il  ne  dit  pas  que  ce  fût  avec  la  femme  qu'elles  répondirent  en  langage  tau- 

d'un  magistrat  de  Loudun    CVstM.de  pinamboux  queleurparlaM.de  Lau- 

Monconis    (3)  qui  le   dit,  sur  la  foi  naiRazilli,  que  je  crois  ,  dit-il ,  plus 

de  la  supérieure  des  ursulines.  La  re-  que  moi-même ,  et  que  je  vous  allègue 

lation  qu'on  a  publiée  en  Hollande  ,  a  cause  que  vous  le  connaissez  pour 

l'an    1693,    ne    nous   permet   pas  de  homme  de  créance  (5).  Mais  puisque 

douter  que  ce  prêtre  ne  fût  impudi-  M.  Ménage,  qui   n'ignorait   point  le 

que  et  orgueilleux.  contenu  de  cette  lettre,  ni  les  autres 

(B)  Quelques  religieuses  de  Loudun  contes  que  l'on  avait  publiés  touchant 
passèrent ,  dans  la  commune  opinion  l'intelligence  des  langues  attribuée  à 
du  peuple ,  pour  possédées.  J  M.  Me-  ces  nonnes,  ne  laisse  pas  d'affirmer 
nage  (4)  ne  se  contente  pas  de  cette  qu'elles  ne  témoignaient  point  par-là 
clause  ;  il  ajoute  tout  de  suite  :  Car  ,  qu'elles  fussent  véritablement  possé- 
a  l'égard  des  savans  ,  la  plupart  d'en-  dées  ,  on  voit  qu'il  ne  faut  guère  se 
tre  eux  soutenaient  que  ces  religieuses  fier  aux  relations  en  cette  sorte  de 
n'étaient  que  malades ,  ne  se.  trouvant  choses.  Ce  que  M.  de  Balzac  a  dit,  dans 
en  elles  ,  quelque  chose  qu'on  ait  dit  ses  Entretiens ,  mérite  d'avoir  ici  sa 
au  contraire  ,  aucune  des  trois  mar-  place.  Si  pour  avoir  deviné ,  dit-il  (6), 

ques  que   le   rituel  romain,  demande    on  l'accusait  d'être   magicien il. 

pour  la  marque  d'une  véritable  pos-  faudrait  que  les  diables  avec  lesquels 

session ,  qui  sont  :  la  divination ,  V in-  il   aurait  eu   communication  ne  fus- 

telligence  des  langues  qu'on  n'a  point  sent  que  goujats  des  troupes  de  Luci- 

ap prises  ,  et  les  forces  de  corps  sur-  fer.    Il  faudrait   qu'ils  fussent  moins 

,  ,  _        „_              ,„  savans  que  ceux  de  foudun  ,  qui  n'a- 

(1)  Tome  XX,  pas.  rfô.  .    V         ,.      ,-  ,  •             ••}.'• 

,  (  _,      ..         r  "    '  valent  pas  étudie  iiisqu  a  lu  troisième, 

(2)  l.a  me-iie,paa.n".r.  .    '           yi      .     J       ',                   .              , 
iaw„            ife         .'     „„,.  ainsi  que  disait  un  des  courtisans  de 

>,S)  Voy.iges,  7re.  partie  ,  pag.  f).  / 

(41  Remarques  surla    Vie  de  Guillaume  Mé-  (5)  Mercure  Français  ,  tom.   XX,  pas-    777. 

nage,  pag.  l\o.  (6)  Entrelien  XVII. 


198  GRANDIEK. 

31.  le  cardinal  de  Richelieu.  Ilfau-  »  entre  ceux  de  la  justice  ,  si  les  dia- 

drait  enfin  qu'ils  fussent  de  l'ordre  »  blés  étaient  ternis  d'aller  à  l'école. 

de  ces  diables  écoliers  qui  ,  dans  les  >,  Les  jurisconsultes  maintinrent  que 

Oraisons  de  1 heodore  ,  font  des  fau-  „  c'était  le  proprium  in  quarto  modo 

tes  au  nombre  et  au  langage ,  pèchent  »  des  démoniaques  ,  de  parler  toutes 


et ,  tenant  le  sacrement  dans  sa  main, 
il  lui  parla  en  ces  termes  :  Adora 
Deum  tuum  ,  creatorem  tuum  ;  adore 
ton  Dieu  ,  ton  créateur.  Etant  pres- 
sée ,  elle  répondit  :  Adoro  te  ,  je  t'a- 
dore. Quem  adoras  ?  qui  adores-tu  ? 
lui  dit  l'exorciste  diverses  fois.  Jésus 
Christus  ,  répliquà-t-elle  en  faisant 
des  mouvemens  comme  si  elle  eût  souf- 
fert de  la  violence.  Daniel  Drouin  , 
assesseur  a  la  prévôté ,  ne  put  s'em- 
pêcher de  dire  assez  haut  :  Voilà  un 
diable  qui  n'est  pas  congru.  Barré, 
changeant  la  phrase  ,  demanda  h  l'é- 
nergu 


»  Commando  libi  ut  e.reas  Belzelmt 
»  et  Astaroth  ,  aut  ego  augmentabo 
»  vestras peenas  ,  et  vobis  dabo  acrio- 
»  res.  A  la  seconde  fois ,  il  redoubla  : 
«  Jnbeo  exeatis  super pœnam  es  com- 
»  municationis  màjoris  et  minnris. 
»  Enfin  ,  tout  en  colère ,  il  ajouta  : 
»  flTisi  vos  exeatis ,  vos  relego  et  con- 
»  plno  in  infernum  centum  annos 
»  magis  quant  Deus  ordinavit  (g1.  » 
Je  ne  doute  point  que  ceci  ne  soit  de 
l'invention  de  l'auteur. 

(C)  S'ils  le  croyaient  capable  d'en- 
voyer le  démon  dans  le  corps  des 
tumene  ■  Quis  est  iste  quem  ado-  ens  .  i/s  devaient  craindre  de  l'irri- 
rasr  qui  est  celui  que  tu  adores?  Il  ?er]  M  Ménagea  trouvé  si  belle  cette 
espérait  quelle  dirait  encore,  Jésus  pensée  ,  qu'après  s'en  être  servi  dans 
Umstus  :  mais  elle  répondit  ,  Jesu  ja  Vie  <je  Guillaume  Ménage  (10I  ,  il 
Curiste.  On  entendit  alors  plusieurs  en  a  enrichi  ses  notes  sur  cette  Vie. 
voix  des  assistons  qui  crièrent  :  Voilà  jj  est  bon  je  l'entendre  en  français  ; 
de  mauvais  latin.  Barré  soutint  hardi-  sotl  latin  est  en  note-  jts  accusèrent 
mentqu  elle  avait  du  Adoro  te,  Jesu  Grandier  ,  dit-il ,  de  magie,  le  crime 
Lhriste  ;  je  t  adore  ,  ÔJesns  Christ  (8)!    ortjinaire  de  ceux  qui  n'en  ont  point , 

et  lequel ,  selon  la  pensée  excellente 


Voici  une  raillerie  bien  acérée  con- 


tre  le  capucin  conducteur  de  la  pie-    d'Apulée  ,  accusé  autrefois  du  même 


tendue  possédée  Marthe.  On  disait 
qu'elle  avait  deux  diables  dans  le 
corps ,  l'un  appelé  Belzébut  ,  l'au- 
tre Astaroth.  Les  juges  d'Angers  les 
examinèrent  et  en  grec  et  en  latin 
Belzébut  en  colère  répondit ,  «  que 
:»  s'il  voulait  il  répondrait  aussi-bien 
3>  au  grec  qu'au  latin.  Le  capucin, 
j)  pour  lui  fournir  une  excuse,  dit  : 


crime  ,  n'est  pas  même  cru  par  ceux 
qui  en  accusent  les  autres  ;  car  si  un 
homme  était  bien  persuadé  qu'un  au- 
tre homme  le  pût  faire  mourir  par 
magie  ,  il  appréhenderait  de  l'irriter 
en  l'accusant  de  ce  crime  abominable. 
Mais  quelque  solide  que  paraisse  cette 
manière  de  raisonner,  je  crois  néan- 
moins qu'il  y  a  eu  toujours  des  gens 


Belzébut ,    mon  ami ,  il  y  a  ici   des    qni  ont  cru  coupables  ceux  qu'Us  ac 
j)  hérétiques  ,    c  est    pourquoi    vous 


»  ne  voulez  pas  parler.  On  se  mit  à 
»  latiner  avec  Astaroth  ,  qui  s'excusa 
»  sur  sa  jeunesse  (M.  Belzébut  s'ex- 
3)  cusa  ,  disant  qu'il  était  pauvre  dia- 
»  ble.   Là    il    y   eut   grande    dispute 

(•;)  Voyez  1rs  Nouvelles  de  la  République  des 
Lettres  ,  mars  1G84  ,  pag.  10  de  la  seconde  édi- 
tion. 

(8)  Histoire  des  Diables  deLoudun  ,  imprimée 
ii    Amsterdam  »  i(xj3  ,  pag.  57. 

(*)  Allusion   sur   ces   paroles  de    Lucifer 


Astaroth  ,  au  feuillet    ^5    touroé  de  la    Concep- 
tion à  personnages  : 

Aslarolh  ,   ne  parle  jamais  .• 

Tu  es  encore  trop  novice.  Rem.  crit. 

(9)  Confession  catholique  de  Sancy  ,  liv.  t , 
chap.  VI. 

(10)  De  malejicio  Jingit  se  a'sentiri  (Arman- 
dus  Richelius  )  ,  nu  ul  verc  Appuleius  et  ipse 
malefiçii  reus  po.Unlattis  ,  id  genus  criminis  non 
est  ejus  accusare  qui  crédit,  accusare  entm  eo 
crimine  is  eum  timerel.  quem  vi  canlamtnum 
poste  tanlum  faiereiur.  Menag.  ,  in  Vilâ  Guil- 
lcl. m  lVIcnagiï,  pag.  83. 


GRANDIER.  irjg 

casaient  de  magie  ;  car  ,  en   premier  très,   peuvent,   produire.    Il  ne   faut 

lieu  ,    il   ne  faut  pas  trop   s'attendre  donc   pas    toujours  raisonner  ainsi  : 

que  l'homme  agisse  conséquemment  :  Une    telle    chose  est  si    absurde,    si 

de  plus   on  s'imagine,   pour   l'ordi-  basse,  si  extravagante,  qu'un  homme 

naire  ,  que  dès  que  la  justice  est  sai-  d'esprit  et  de    jugement  ne  voudrait 

sie  de  la  cause  d'un  magicien  ,    il  ne  pas  y  faire  attention  ;  et   par  consé- 

peut  plus  faire  de  mal.  Flnfin  ,  on  croit  quent   il  est  faux  qu'un  tel   ministre 

qu'un  magicien    n'osera   rien  entre-  d'état  s'en  soit    servi ,    qu'il  l'ait  in- 

prendre  contre  ses  accusateurs,  puis-  ventée  ,  qu'il  l'ait  appuyée.  L'auteur 

que    ce   serait   fournir    des    preuves  de  l'Histoire  de  l'Édit  de  Nantes  ob- 

contre  soi-même.  serve  (i5),   qu'il  y  eut  bien  des  gens 

(D)  On  écrivit  au  père  Joseph qui  prirent  pour  une  affaire  de  religion 

que  Grandier  était  auteur  d'un  libelle  In  comédie  qui  fut  joute  durant  plu- 
intitulé  la  Cordonnière  de  Loudun.  ]  sieurs  années  aux  ursulihes  de  Lou- 
La  raison  de  ce  titre  e'tait  prise  de  ce  dun.  Je  crois  qu'il  veut  dire  que  ces 
qu'on  faisait  parler  dans  ce  libelle  la  gens-là  s'imaginèrent  qu'on  lit  jouer 
femme  d'un  cordonnier.  M.  Ménage  cette  pièce  ,  afin  de  travailler  à  la 
a  pris  les  fadaises  dont  cette  satire  est  sape  de  l'edit  de  Nantes.  Il  raconte 
remplie,  pour  une  forte  preuve  que  agréablement  le  ridicule  des  réponses 
Grandier  ne  l'avait  point  faite  (i  1)  •  que  faisaient  ces  posse'dées.  Notez 
et  il  avait  ouï  dire  à  M.  Bouillaud  ,  qu  d  dit  que  Grandier  gouvernait 
qu'il  e'tait  constant  que  Grandier  n'e'-  le  couvent  des  nrsulines  ;  mais  dans 
tait  point  l'auteur  de  ce  libelle  (12).  l'errata  il  avertit  qu'il  faut  dire 
M.  Bouillaud  ,  natif  de  Loudun ,  avait  que  Grandier  visitait  quelquefois  ces 
connu  familièrement  cet  homme  (t3).  religieuses.  Ce  dernier  fait  n'est  pas 
Voyez  dans  la  Relation  imprimée  à  plus  conforme  que  l'autre  à  la  re- 
Amsterdam d 4) ,  avec  quelle  adresse  lation  qu'on  a  publiée  l'an  i6g3. 
on  se  servit  de  cette  satire  pour  per-  Voyez-y  la  page  a5  ,  vous  y  trouve- 
drc  Grandier.  rez  ces  paroles  :  Il  est  du  moins  con- 

(E)   Le  cardinal   de  Riche-  stant  que  ces  filles  avaient  demeuré 

lieu  s' étant  laissé  persua<ler.~\  J'ai  lu  sept  ou  huit  ans  à.  Loudun  ,  sans  qu'il 

quelque    part    qu'il    fomenta    cette  leur  eut  rendu  aucune  visite;  et,  en 

farce,  afin  de  faire  peur  à  Louis  XIII,  Van  i63/f,  lorsqu'elles  lui  furent  con- 

et  de  le  tenir  plus  soumis  à  ses  des-  frontées,  il  parut  qu'elles  ne  l'avaient 

seins,    par   les   contes  de  sorcellerie  jamais   vu.    Le  père    Tranquille   Vu 

dont  on  lui  battait  les  oreilles.  Cela  aussi  soutenu  dans  un  de  ses  livres  , 

n'est  point   vraisemblable ,  quoiqu'il  et  que  le  curé  ne  s'était  jamais   mêlé 

faille  convenir  que  les  génies  les  plus  de  leurs  affaires. 

sublimes  sont,  pour  l'ordinaire,  ceux  Tout  à  ce  moment  je  me  ressou  ■ 
qui  négligent  le  moins  les  occasions  viens  que  c'est  dans  le  Sorbériana  que 
qui  semblent  les  plus  ridicules  et  j'ai  lu  ce  que  j'ai  dit  au  commence- 
les  plus  absurdes.  Je  parle  de  ces  n|ent  de  cette  remarque.  L'endroit 
ids    ~ 


-   7*  - 

qu'ils  connaissent  mieux  que  ne  font  hardemont  (r6)  s'en  scandalisa,  et 
les  autres  hommes  tous  les  usages  décréta  contre  Quillet ,  qui,  voyant 
que  l'on  peut  faire  d'une  vétille  ;  que  toute  la  momerie  était  un  jeu  que 
c'est  que  la  faiblesse  du  genre  hu-  le  cardinal  de  Richelieu  faisait  jouer 
main  leur  est  plus  connue:  ils  savent  pour  intimider  le  feu  roi  (17)  ,  qui 
mieux  ce  que  l'ignorance  et  la  fai-  naturellement  craignait  fort  le  dia- 
blesse des  uns  ,  et  la  malice  des  au-  Me  ,  jugea   qu'il  ne  faisait  pas   bon 

fn)   Granderii  non    ece    toi    inepties   quibus  (i5)   Tom.   II,  Iw.    X,  paç.    538,  à  Vann. 

scalet  arguant    [item,  ibid.  i634. 

(12)  Ménage,   Remarques  sur  la   Vie  de  Guil-  (16)  Il  fallait  dire  Laubardemont. 

laume  Ménage ,  pag.  343.  (l,)  CeUe  expreftion  esl  mauvaUt  .  el[e  si. 

,,(  Da  ""■"""•  pas    34'-  *?'»>>  Henri  IV,  et  l'intention  de  l'auteur  est 

(h;  faS.  iJ9.  de parler  de  louil  XJII 


2oo  GRANDIER. 

pour  lui  a  Louitun  ,    ni  en  France  ,  nelle  rend  au  démon  (ï\)  ?  Je  trouve 

et  s'en  alla  en  Italie  (18).  tout-à-fait  rares  les  pensées  dû  sieur 

Naude' confirme  ce  qui  concerne  la  Séguin.//  semble,   dit-il  ("25),   que 

disgrâce  de  ce  faiseur  de  défi.  Rap-  ce  ne  soit  pas  tant  un  jugement  des 

portons  ses  termes.  «  Duncanet  Quil-  hommes  que  de  Dieu,    qui   ait  fait 

»  let  s'étant  opposés  aux  fourberies  sortir  les  diables  d'enfer  pour  la  con- 

»  des  religieuses  de  Loudun ,  celui-là  fusion  de  ce  misérable ,  car  c  est  une 

y>  en  fut  réprimandé  et   menacé  de  chose  admirable  comme  les  démons  se 

»  belle  sorte  par  le  cardinal  de  Ri-  sont  élevés  contre  lui ,  et   l'ont   ccn- 

x  chelieu  ,  et  celui-ci   fut  contraint  traint  de  reconnaître  qu  ils  étaient  ses 

»  d'aller  servir  le  marquis  de  Cœuvre  accusateurs.   Je  laisse  à  jugera   la 

»  à  Rome  (19).  »  Sorbonne  si   l'on  a    dû  recevoir  les 

(F)  Les  juges furent  tous  choi-  causes  de  récusation  contre  eux  ,  par- 
sis  par  les  ennemis  de  Grandier.]  La  tant  de  la  part  de  Dieu  ,  et  donnant 
remarque  que  M.  Ménage  fait  sur  cela  des  marques  évidentes  de  la  vérité 
me  paraît  digne  d'être  copiée  :  //  est  qu'ils  étaient  forcés  de  dire.  On  alior- 
a  remarquer ,  dit-il  (ao)  ,  qu'il  n'f  a  reur  quand  on  pense  que  des  juges 
point  d'innocence  h  l'épreuve  du  choix  chrétiens  trouvèrent  nulles  les  causes 
des  juges:  qu'on  donne  le  choix  des  de  récusation  fournies  contre  de  sem- 
juges  a  un  accusateur,  il  fera  briller,  blables  témoins  :  car  il  est  de  foi 
par  des  juges  molinisles,  tous  les  qu'ils  sont  les  pères  du  mensonge.  Il 
évéques  jansénistes  ,  et  par  des  juges  ne  servirait  de  rien  d'alléguer  que  la 
jansénistes  ,  tous  les  évéques  moli-  force  des  exorcismes  les  empêchait 
nistes.  Voilà  matière  à  réflexion  (21).  de  mentir  :  on  avait  fait  depuis  peu 
Le  procureur  delà  commission, nom-  l'expérience  du  contraire.  Le  second 
mé  Deniau  ,  conseiller  au  présidial  procès  verbal  porte  (26) ,  que  tant 
de  la  Flèche,  a  fait  un  traité  delà  aurait  été,  et  si  continu ement  pro- 
possession  des  religieuses  de  Loudun  cédé  aux  exorcismes ,  tant  auraient 
(22),  pour  soutenir  le  jugement  des  été  faits  de  jeûnes  ,  d'oraisons  et  de 
commissaires.  pj-ières  ,    que  le  maître  diable  et  ses 

(G)  Sur  la  déposition  d'Astaroth.']  associés  ,  après  avoir  promis  de  f rap- 
Cela  se  recueille  du  second  procès  per  le  magicien  si  violemment  et  en 
verbal  des  exorcistes  (a3).  Il  y  eut  telle  partie  de  son  corps,  que  la  place 
trois  possessions  :  durant  la  première  serait  aussi  visible  que  sensible,  et 
les  diables  ,  hormis  un  ,  refusèrent  de  encore  après  avoir  reconnu  qu  il  ce- 
se  nommer  ;  ils  se  contentèrent  de  dait  a  la  toute-puissance  de  Dieu  ,  et 
répondre  qu'ils  étaient  ennemis  de  déclaré  qu'il  se  retirerait  de  ce  mo- 
Dieu.  Durant  la  seconde  et  la  troisiè-  nastère  pour  toujours;  enfin  serait 
me,  ils  se  firent  connaître  parleurs  sorti,  le  i3  octobre  1682,  du  corps 
noms  et  dignités,  et  ils  accusèrent  de  ladite  supérieure,  et  signifié  sa 
nommément  Grandier.  Il  est  à  remar-  sortie  par  sept  flegmes  qu'elle  aurait 
quer  qu'ils  répondaient  en  français^,  jetés  fort  loin  par  sa  bouche  :  serait 
encore  que  les  exorcistes  leur  parlU-  aussi  soiUi  du  corps  de  sœur  Claire  , 
sent  en  latin.  Mais  il  est  incompara-  le  démon  qui  la  possédait ,  et  ensuite 
blement  plus  digne  d'observation,  les  religieuses  se  seraient  trouvées 
que  leur  témoignage  ait  été  reçu  en  sans  inquiétudes  ,  leurs  lieux  sans  in- 
iustice,  et  qu'il  ait  servi  de  preuve  festation,  et  tout  le  monastère  en 
dans  un  procès  où  l'on  condamna  sainte  paix.  Mais  ils  ne  tinrent  point 
l'accusé  à  être  brûlé  tout  vif.  Ignorait-  leur  promesse  ,  ils  puèrent  les  exor- 
onle  témoignage  que  la  vérité  éter-  cistes  ;   dès  le  20  de  novembre  de  la 

même  année  i632,  la  plupart  des  re- 

(18)  Sorbenana ,  Vocr  Qm\\et,  pag.  m.  17a.  ligieuses   se   trouvèrent  inquiétées  et 

(ki)  Naudé  ,  Dial.  de  Mascurat,  png.  3m.  infestées  des  malins  esprits  (27). 

(ao)  Ménage  ,  Remarques  sur  la  Vie  de  Guil- 

Jaunie  Ménage,  pa$.  34a.  fj/>  Évangile  de  saint  Jean  ,    chap.    VIII  , 

(31)  Voyez  quelque  chote  d  approchant  dans  ,', 

la  remarque   (B)  de  Varliçle  Montàicu  (Jean),  ',?.'„               r.            •                  vr     „„»■    „~~ 

y  (     )  Mercure  Français,  loin.  AA  ,  pag.  777, 

(ai)  Ménage,  Remarques,  etc.,  pa-;.  34a-  ",«    r-       -                    c 

(a3)  Dan,  le  XXe.  volume  du  Mercure  Fran-  ('6)  La  même,  pag.  7b!. 

çais  ,  pag.  760,  76a.  (■>',)  La  même,  pag.  76a. 


201 


(H)  Le manuscrit  par  lui  com- 
posé contre   le   célibat  des  prêtres.] 


GRANDIER. 

Il  avoue  néanmoins  (34),  qu'il  a  ouï 
dire  à  La  supérieure  des  ursulines  «le 
Loudun,  que  lorsqu'elle  fut  délivrée 
des  démons  qui  la  tourmentaient,  un 


M.  Ménage,  qui  a  oui  dire  a  M.  Bouil- 
lautl  au  il  n'y  avait  point  de  preuve    « 

nue  Grandier  eût  fait  ce  livre  (a8,i ,  ne  ange  grava  sur  sa  main  Jésus  Maria, 
disconvient  pas  qu'il  n'eût  été  trouvé  Joseph  ,  F.  de  Salles,  et  quelle  lui 
parmi  ses  papiers  (09).  Il  ajoute  que  montra  sa  main  sur  laquelle  ces  mots 
ce   livre   n'était  pas    mal    fait;    qu'il     étaient  en   effet  graves,   mais  lege- 

'  renient ,  et  de  la  façon  que  sont  gra- 
vées ces  croix  (*)  qu'on  voit  aux  bras 
des  pèlerins  de  la  Terre-Sainte.  Il 
lui  a  ouï  dire  de  plus  ,  que  cet  ange 
grava  premièrement  au  haut  du  dessus 
de  sa  main  le  nom  de  François  de 
Salles,  que  ce  mot  se  baissa  pour  faire 
place  par  honneur  a  celui  Je  Joseph 
et.  il  celui  de  Maria ,  et  qu'ils  se  bais- 
sèrent ensuite  tons  trois  pour  faire 
place  a  celui  de  Jésus  II  a  bien  fait 
de  ne  dire  pas  en  propres  fermes, 
médecin  n'a  pas  tort  de  dire  (3o),  que  ^ji  prenait  cela  pour  des  impos- 
ée livret  donne  soupçon  que  Grandier  tures  .  son  lecteur  le  comprend  assez. 
était  marié.  Notez ,  poursuit-il ,  qu'il  jyja^s  jyj  de  Monconis  (35)  ne  laisse 
est  adressé  à  sa  plus  chère  conçu-  aucunlieu  de  douter  de  la  foui  herie  ; 
bine ,  le  nom  de  laquelle  partout  est  c'esj  pourquoi  il  ne  sera  pas  hors  de 
supprimé,  aussi-bien  qu'au  titre....  Je  prop0s  de  rapporter  ici  ce  qu'il  on 
ne  puis  vous  dissimuler,  continue-t-  jjt  jj  avia  volr  cette  supérieure  des 
il,  que  ce  traité  m'a  semblé  très-bien  urSulines  le  8  de  mai  i64?>,  et  comme 
fait,  et  bien  suivi  jusqu'à  la  conclu-    ej]e   se  fa  attendre  au   parloir  plus 

d'une  grosse  demi-heure,  il  soup- 
çonna quelque  artifice.  11  la  pria  de 
lui  montrer  les  caractères  que  le  dé- 
mon qui  la  possédait  avait  marqués 
sur  sa  main  lorsqu'on  l'exorcisait  (36): 
elle  le  fit;  il  vit  en  lettres  de  couleur 
de  sang,  surledosdelu  main  gauche, 
commençant  du  poignet  jusqu'au  petit 


pas 

était  adressé  à  une  femme,  et  qu'il 
finissait  par  ces  vers  : 

Si  ton  gentil  esprit  prend  bien  celte  rcience, 
Tu  mettras  en  repos  ta  bonne  conscience. 

Il  avait  sans  doute  appris  cela  de  la 
lettre  du  sieur  Séguin  ,  médecin  de 
Tours  ,  insérée  dans  le  Mercure  Fran- 
çais ;  mais  peut-être  n'aurait-il  pas 
dû  supprimer  ce  qu'on  y  trouve ,  que 
Grandier  avoua  à  la  question  qu'il 
avait   composé  ce  petit  ouvrage.  Ce 


sion  qui  cloche  véritablement  et  qui 

découvre  le  venin.   Il  n'y  a  rien  qui 

tende   a  la   magie;  et   semble  plutôt 

que  V on  en  pourrait  induire  le  con- 

traire  ,  s'il  n'y  en  avait  d'ailleurs  des 

preuves   suffisantes.   11    s'était    servi 

peu  auparavant  de  ces  termes  :  C'é- 
tait au  reste  un  esprit  fort  résolu  ,  et 

qu'on  peut  dire  fort ,  et  tel  que  M.  le    "J^'f„t  j  Je'sus,  au-dessous  ,  tirant' vers 

président  m'a  dit  avoir  admiré  sur  la    l'épaule,  Maria,  plus  bas  Joseph,  et 

plus  bas  a  la  quatrième  ligne ,  F.  de 
Salles.  Flic  lui  dit  toutes  les  méchan- 
cetés du  prêtre  Grandier,  qui  avait 
été  brillé  pour  avoir  donné  le  malé- 
fice au  couvent  ;  et  comme  un  magis- 
trat de  la  ville,  duquel  il  débauchait 
la  femme  ,  s'en  était  plaint  a  elle  ,  et 
que  de  concert  ils  l'avaient  dénoncé, 
nonobstant  les  fortes  inclinations  que 
ce  malheureux*  lui  causait  par  ses  sor- 
tilèges ,  dont  la  miséricorde  de  Dieu 


Mette  ,  et  regrettait  sa  perte.  L'o- 
raison funèbre  de  Scévole  de  Sainte- 
Marthe,  faite  à  Loudun,  par  Gran- 
dier,  est  imprimée  parmi  les  OEuvres 
de  Sainte-Marthe  (3i). 

(I)  M.  Ménage....  traite  de  chimé- 
rique la  possession  de  ces  religieuses.] 
Il  trouve  fort  vraisemblable  (32)  qu'el- 
les n'étaient  tourmentées  que  de  suffo- 
cations de  matrice,  et  il  dit  (33)  que 
Grandier  mérite  d'être  ajouté  au  cata- 


logue de  Gabriel  IVaudé,  des  grands    la  préservait .  Enfin  M.  de  Monconis 
hommes  accusés  de  magie  injustement.    pril  conoé  d'elle,  et  souhaita  de  re- 


(18)  Remarques  ,  pag.  34?. 

(29)  Dans  {'Histoire  rie  l'Kdit  île  Nantes  ,  loin. 
Il ,  pag.  538  ,  on  insinue  que  Grandier  avait 
publie'  cet  écrit. 

(30)  Mercure  Français,  loin.  XX  ,  pag.    ^9. 
(3i)  Ménage  ,  Remarques,  pag.  34<">- 

(3îi  In  Vita  Guill.  Menagïi  ,  pag.  81. 
(33)  Remarques,  pag.  3<9- 


(34)  La  même  ,  pag.  344- 

(*)  Voyez  Thévenot  ,  chap.  XLVI  de  soi) 
Voyage  du  Levant. 

(35)  Voyage*  ,  lTC    partie  ,  pag.  8  et  9. 

(36)  Selon  IU.  Ménage,  ce  fut  un  ange  qui 
grava  ces  caractères ,  lorsque  la  possestion 
cessa. 


202  GRANDIER. 

voir  sa  main,  quelle  lui  donna  fort  comme  la   première  fois,  qu'on  ne 

civilement  au  travers  de  la  grille  :  il  pouvait  plus  traiter  avec  lui  sans  le 

.lui  fit  remarquer  que  le  rouge  des  su  de  la  supérieure.  Alors  ce  spectre 

lettres    n'était    plus    si    vermeil  que  devint  tout-à-fait  semblable  à  Gran- 

?uand  elle  était  venue;  et  comme  il  dier  :  Il  parla  d'amourettes  à  la  reli- 

ui  semblait   que  ces  lettres   s'écail-  gieuse ,   la  sollicita  par  des   caresses 

laient,    et   que   toute  la  peau   de   la  aussi  insolentes   qu'impudiques  : 

main  semblait  s'élever,  comme  si  c'eut  elle  se  débat,  personne  ne  l'assiste; 
été  une  pellicule  d'eau  d'empois  des-  elle  se  tourmente ,  rien  ne  la  console  ; 
séchée,  avec  le  bout  de  son  ongle  il  elle  appelle  ,  nul  ne  répond  ;  elle  crie, 
emporta,  par  un  léger  attouchement ,  personne  ne  vient  ;  elle  tremble  ,  elle 
une  partie  de  la  jambe  de  V Al ,  dont  sue  ,  elle,  pâme,  elle  invoque  le  saint 
elle  fut  fort  surprise ,  quoique  la  place  nom  de  Jésus  ,  enfin  le  spectre  s\:va- 
restdt  aussi  belle  que  les  autres  en-  nouit.  J'avoue  à  M.  Me'nage  que  cela 
droits  de  la  main.  Il  fui  satisfait  de  est  assez  propre  à  disculper  son  Ur- 
cela.  Je  n'en  doute  point  :  c'était  un  bain  Grandier  quant  à  la  magie,  mais 
tre'sor  inestimable  pour  un  homme  non  pas  à  le  justifier  à  d'au  très  égards, 
comme  lui ,  que  la  découverte  d'une  N'aurait-il  pas  pu  ,  sans  que  le  diable 
si  grande  forfanterie,  qui  avaitinfatue'  Cédonlui  ouvrît  la  porte  (4;  0,  gagner 
tant  de  gens.  La  nouvelle  Histoire  la  portière,  et  s'introduire  dans  la 
des  Diables  de  Loudun  vous  appren-  chambre  de  la  religieuse  en  faisant 
dra  que,  lorsque  les  rides  de  la  vieil-  l'esprit,  et  en  se  couvrant  d'un  mas- 
lesse  eurent  rendu  la  main  sèche  et  que  qui  ressemblât  le  feu  directeur. 
décharnée ,  les  drogues  qu'on  em-  Le  narre'  de  la  religieuse  sent  fort 
ployait  pour  refaire  ces  noms  ne  pou-  l'accomplissement  de  l'acte  vénérien. 
vant  plus  les  imprimer ,  la  bonne  M.  Ménage  dit  aussi  (4-3)  qu'aucune 
mère  dit  alors  que  Dieu  avait  accordé  personne  de  bon  sens  ne  pourra  croire 
a  ses  prières,  de  laisser  effacer  ces  que  Grandier  ait  eu  le  pouvoir  de  dis- 
noms ,  qui  étaient  cause  de  ce  que  poser  des  démons  h  sa  volonté ,  pour 
quantité  de  gens  venaient  la  troubler,  les  envoyer  tourmenter  des  filles  in- 
V importuner,  et  la  distraire  souvent  nocentes  et  consacrées  h  Dieu  Enfin 
de  ses  actes  de  dévotion  (3^).  Vous  y  il  loue  la  prudence  et  la  justice  de 
trouverez  aussi  que  Cérisantes  avait  Louis  XIV,  «  qui  a  arrêté  le  cours 
l'industrie  de  marquer  un  nom  sur  sa  »  des  procès  criminels  contre  ceux 
main  (38)  ,  et  que  les  filles  de  la  reine  »  qu'on  accuse  de  magie  et  de  sorti- 
se  moquèrent ,  l'an  i65a,  des  gravures  »  lége  ,  ayant  commué  la  peine  de 
des  insulines  (3g).  »  mort  en  bannissement,  à  l'égard 
(K)....  On  dirait  même  qu'il  a  voulu  »  de  plusieurs  particuliers  condam- 
combattre  en  général  tout  ce  qui  se  »  nés  par  arrêt  du  parlement  de 
dit  des  magiciens.)  En  effet,  il  se  »  Rouen  à  être  brûlés,  comme  cou- 
moque  de  là  première  scène  de  cette  »  pables  de  ce  crime,  et  ayant  ensuite, 
horrible  tragédie ,  et  il  en  tire  des  »  par  arrêt  de  son  conseil  d'état  du 
preuves  pour  la  justification  de  Gran-  »  26  avril  1672,  ordonné  que  par 
dier.  Cette  première  scène  consiste  »  toute  la  province  de  Normandie, 
en  ce  que  l'une  des  religieuses ,  repo-  »  les  prisons  seraient  ouvertes  à  toutes 
sant  durant  la  nuit  sur  son  petit,  mais  »  personnes  qui  y  seraient  détenues 
très-chaste  grabat  (40),  aperçut  un  »  pour  raison  des  mêmes  crimes,  et 
spectre  qui  ressemblait  à  leur  défunt  »  qu'à  l'avenir  celles  qui  en  seraient 
confesseur,  et  qui  avoua  que  c'était  »  accusées  seraient  jugées  selon  la 
lui,  et  qu'il  revenait  pour  commu-  ->  déclaration  que  sa  majesté  promet 
niquer  des  lumières  fort  singulières.  »  par  cet  arrêt  d'envoyer  dans  toutes 
La  partie  fut  renvoyée  au  lendemain  »  les  juridictions  de  France  ,  pour 
à  pareille  heure  :  le  spectre  ne  man-  >»  régler  les  procédures  qui  doivent 
quapas  de  revenir  ;  on  lui  répondit,  »  être  tenues  par  les  juges  dans  l'in- 

/•>  \  vi*  »  -       i      r\-  ui      j    t       j  ic  (40  On   prétend   qu'a    la   troisième    pos.teç- 

(3")  Histoire  cle-.  Ihahles  de  l.oiiiliin.ofle.  ûfH).        ■         .1  ■.       '  , 

y' '  <r   s    1   j  siun   ,1  entra  nuitamment  rar    une  porte  ,/ue  ce 

(i8)  La  même  ,  pag.  3g4-  ,/„./-(<•  lui  avait  ouverte.  Mercure  Français-,  lo,n, 

(3o)  Va  même.  XX.  pag.  'fil . 

(4o)  M(  rcure  Français,  loin.  XX,  pag.  749.         (4'0  Remarques,  pag.  34>> 


GRA1NDIER. 


203 


»  struction   des  procès   de  magie  et  taré  :  on  y  explique  les  passions  par- 

»  de  sortile'ge.  »  ticulières  et  personnelles  qui  inspirè- 

(L) Ce  serait  se  tirer  d'un  em-  rent   cette  étrange  momerie  ;    et  ,  >i 

barras  par  un  autre.]  Il  est  certain  l'on  en  croit  Fauteur  de  la  relation  , 
que  les  philosophes  les  plus  incré-  la  supérieure  n'a  pas  été  un  seul  mo- 
dules et  les  plus  subtils  ne  peuvent  ment  dans  la  bonne  foi. 
n'être  pas  embarrasses  des  phéno-  (M)  Les  grands  vacarmes  que  l  on 
mènes  qui  regardent  la  sorcellerie,  fit  contre  le  père  Coton. \  Il  marqua 
Mais  à  L'égard  de  Grandier,  je  ne  sais  sur  un  morceau  de  papier  diverses 
pas  si  l'on  ne  pourrait  point  dire  ce  choses  sur  quoi  il  voulait  questionner 
que   dit    Olympias,    en    voyant  une  une  possédée.  Entre  autres  questions  , 


maîtresse  de  son  mari  qu'elle  trouva 
extrêmement  belle  et  spirituelle  , 
qu'on  ne  l'accuse  plus  de  sorcellerie  , 
tous  ses  enchanlemens  sont  dans  sa 
personne  (43).  Le  cure'  de  Loudun 
était  bel  homme  ,  propre  ,  beau  par- 
leur ;  c'était  apparemment  la  magie 
avec  laquelle  il  mettait  en  tentation 
la  supérieure  des  ursulines  (44) ,  et 
faisait  souffrir  des  ardeurs  violentes 
et  sales  aux  religieuses  (45).  Le  vœu 
de  continence  et  la  dévotion  ne  pou- 
vant pas  chasser  ce  désordre  ,  on 
s'imagina  qu'il  était  surnaturel.  Cette 
pensée  épargnait  à  l'amour-propre  la 
confusion  de  garder  long-temps  une 
mauvaise  passion  naturelle  :  on  se 
crut  donc  ensorcelé ,  toute  la  machine 
se  détraqua,  et  il  fallut,  pour  l'hon- 
neur de  cette  communauté  que  les 
premières  avances  ne  fussent  pas  ré- 
tractées. Il  n'y  a  rien  de  plus  dan- 
gereux pour  les  personnes  qui  croient    tare  (4g)  ? s'il  y  avait  en  enfer 

que  leur  bonne  réputation  est  néces-    des  personnes  qui  eussent  fort  goûte 
saire  à  l'église  ,  que  de  s'engager  dans    l'amour  divin  sur  terre  ?  Le   démon 


il  proposait,celle-ci  :  Quel  est  le  pas- 
sage de  ^Ecriture  le  plus  propre  à 
prouver  le  purgatoire  (46).  Ceux  de  la 
religion  s'accordèrent  avec  un  grand 
nombre  de  catholiques  à  crier  contre 
cette  impie  curiosité,  et.  â  insulter 
tant  le  père  confesseur  de  Henri  IV, 
que  tout  l'ordre  des  jésuites.  Il  est 
pourtant  vrai  que  ce  confesseur  ne 
faisait  que  suivre  l'usage  ne.  son  église, 
si  vous  exceptez  quelques  questions, 
qu'il  voulait  qu'on  fît  touchant  des 
faits  politiques.  L'exorciste  de  Lou- 
dun ne  demandait-il  pas  au  diable 
(47),  quelle  était  la  meilleure  voie  par 
laquelle  la  créature  qui  s'est  égarée 
de.  Dieu  peut  retourner  a  lui  ?  Ne  lui 
demandait-il  pas  (48),  si,  depuis  sa 
chute  ,  il  n'avait  jamais  goûté  les  dou- 
ceurs de  V amour  divin ,  et  quel 

est  le  plus  fort  de  tous  les  liens  qui 
tiennent  l'homme  attaché  a  la  créa- 


îgage 

une  fausse  démarche.  Cette  supérieure 
des  ursulines  a  pu  être  dans  la  bonne 
foi  au  commencement  ;  mais  elle  n'y 
était  plus  quand  elle  reçut  la  visite 
de  Monconis  :  cependant  il  fallait 
continuer  la  comédie  afin  de  sauver 
le  passé.  Ceux  à  qui  la  carte  de  la 
petite  ville  de  Loudun  eût  été  parfai- 
tement connue  ,  au  temps  que  ces 
diableries  commencèrent ,  eussent  pu 
les  expliquer  beaucoup  mieux  qu'on 
ne  pourrait  faire  présentement. 

Peu  de  mois  après  avoir  composé 
ce  qu'on  vient  de  lire  ,  j'appris  qu'un 
homme  de  ce  pays-là  faisait  imprimer, 
à  Amsterdam  ,  une  relation  exacte  de 
cette  aventure.  J'y  ai  trouvé  la  con- 
firmation  de  ce  que  j'avais  conjec- 

(43)  Voyez  la  remarque  {Y)  de  l'article  Apu- 
ItK,  ou  \eci(e  les  paroles  grecques  de  Plutarquc, 
loin    II .  pag    21H. 

(44)  Monconis,  Voyages ,   lre.  partie,  pag.  g. 
(4">)  Mercure  Français  ,  loin.  X  Y,  pag.  7G1. 


répondait  amplement  à  ces  demandes, 
et  découvrait  même  plusieurs  secrets 
de  sa  politique  ,  et  les  moyens  de  la 
renverser.  Ce  n'est  pas  seulement  à 
Loudun  que  de  telles  choses  se  sont 
pratiquées  :  elles  sont  du  style  cou- 
rant des  exorcistes  ,  comme  les  théo- 
logiens protestans  le  reprochent  aux 
catholiques    romains    (5o).    Ainsi    la 

(46)  Thuan  ,  Hist. ,  lib.  CXXXIT,  pag. 
io53  ,  ad  ann.  i6o4> 

(47)  Hist.   ries  Diables  de  Loudun,  pag.  371. 

(48)  Là  même  ,  pag.  î-]2. 
(4g)  Là  même,  pag.  3-j3. 

(5o)  Si  qui*  attente  legerit  nupera  exorcista- 
rnm  scripla  ,  ul  monacki  Michaèlis  ,  historiam 
Ludovici  Gaufridicl  obsessarum  mulierum,  non 
salis  uni  an  poicrit  impietalem  et  stolidilaleia 
hominum  ,  qui  judicium  conlrovertiarumfidei  à 
dannonibus  exposcunt  ,  eos  finçunl  panilenliœ 
prœduatores ,  eos  adigunt  ,  ul  pièces  ad  Peum 
fundanl,  el  onuua  religionis  et  pietatis  exlerna 
munia  obranl  Hcideggeros ,  Dissertât,  selectar. 
Tt  iacade,  pa;;.  qS  Voyez  ausii  Voclius,  Disput., 
tout  III,  pag.  Ù21,  Ga3. 


5>.04 


GRAPALDUS. 


haine    particulière    que    l'on    avait  »  posse'de'  ou  obsédé  presque  tout  lu 

contre  les  jésuites  fut  cause  que  l'on  »  reste  de  sa  vie.  » 
déclama  contre  une  conduite  du  père 

Coton ,   laquelle   on  laisse  en   repos  GRAPALDUS   (  FraW0IS-Ma- 

quand  d'autres   s'en   servent    Je   ne  Ru;s)     savant  homme,  a  vécu  au 

parle  point   des   protestans.    Un    ne  yç.y     .,    .       T)    ,     .     ' 

guérira  jamais  le  vice  de  l'acception  ■&■*  *  ■  siècle.  Il  était  de  Panne  ; 

des  personnes.  et  lorsque  sa  patrie  ,  après  avoir 

(N)  Je  rapporterai  deux  choses,  dont  été  délivrée   du   ioup- des  Fran- 

l' une  est  fort  surprenante.]  Je  ne  les  „   •       „„  f„»  _„     ■                  1»  v  •■ 

■   J            '  i         i  Ju    a~  m  Çais5  se  tut  remise  sous  I  obeis- 

connais   que   par  les  extraits  de  M.  °             i      t    1 

Cousin.  Voici  ce  que  j'ai  lu  dans  son  sance  de  Jules  II,   il  fut  choisi 
Journal  des  Savans ,  à  l'endroit  où  il  chef  de  l'ambassade  qui  fut  en- 
fait  mention  de  la  vie  du  père  Seu-  voyée  à  ce  pape  (a).  Son  éloquen- 
rin  (5i).  A  l'occasion  des  combats  Ce  et  sa  belle  taille  le  firent  choi- 
donnes  par  ce  père  aux  démons,  1  au-  .                                  ,    .      . 
leur  de  sa  vie  (5a)  prouve  fort  au  sir  Pour  cet  emploi    {b).    Il   ha- 
long  la  vérité  de  la  possession  des  rangua    très-bien  Jules  II  ,  et    il 
religieuses  de  Loudun,  surtout  par  le  publia   des   vers  sur   la   matière 
témoignages  deux  des  plus  grands  ■  avak  été  jfi       •      de  ga  h 
esprits  de  ^siècle.  L,  un  est  te  cardi-  L         T                          > 
nul  de  Richelieu  ,  qui  envoya  a  Lou-  gue-  Le  PaPe  le   couronna   de  sa 
dun  des  exorcistes  entretenus  aux  dé-  main  avec  beaucoup  de  solenni— 
pens  du  roi,  et  l'autre  le  milord  de  té  dans  le  Vatican  *.  Grapaldus, 
Montaigu  qui  ,    avant   vu   sortir  les 
démons  du  corps  de  la  Mère  des  An- 


encourage  par  cette  couronne 
poétique,  se  mit  à  faire  beaucoup 
de  vers ,  qui  ont  été  imprimés 
(c).  L'ouvrage  qui  a  fait  le  plus 


ges  ,  en  fut  parfaitement  convaincu  , 
et  en  entretint  Urbain  f^IU ,  lors- 
qu'il abjura  l'hérésie  ,  et  fil  profes- 
sion  de    la   foi   catholique   entre   ses  ».  *  i    • 

,„„•       r„  J.     •    m->a    ,r~-   j;,„  „<.f   paraître  son  érudition  est  celui 
mains.  Le  que  je  m  en  vais  dire  est    i  , 

beaucoup  plus  singulier.  On  y  verra  OU  il  explique  toutes  les   parties 

un   homme   qui  a  été  la  rançon  de  d'une  maison  (A).  Il  mourut  d'u- 

Jésus-Christ  corps  pour  corps,  c'est-  ne  rétention   d'urine  ,  à  l'âge  de 

a-dire  qui ,  pour  le  tirer  des  mains  •    „  i_    •               ,              ,  ■.      ° 


du   diable 


plus  de  cinquante  ans  (d). 

(a)  Jovius  ,  in  Elogiis ,  cap.  LXTI. 

(b)  A  pnvstanti  facundiâ  et  insigni  corpo- 
ris  proceritate  legationis  princeps.  Idem  , 
ibidem. 

*  On  peut  voir  les  détails  de  cette  céré- 
monie  ,  dans  le  Journal  de  Paris  de  Grassis, 
dont  Bréquigni  a  publié  un  extrait  dans  le 

>>   pour  obtenir  la  délivrance  du  corps     tome   II   des  Notices  des  manuscrits  de  la 

»  de  son  maître  ,  et  consentit  que  le    Bibliothèque  du  Roi. 


s'est  livré  lui-même  au 
démon.  Lisez  ces  paroles  du  journa- 
liste (53).  «  Au  temps  auquel  le  père 
»  Seurin  exorcisait  les  possédés  de 
»  Loudun  ,  les  démons  déclarèrent 
3>  que  deux  magiciens  s'étaient  saisis 
}>  de  trois  hosties  pour  les  profaner. 
»  Le  père  Seurin  se  mit  en  prières 


w  sien  propre  fût  mis  au  pouvoir  des 
3)  démons  pour  le  racheter.  Les  offres 
m  furent  acceptées  ,  et  l'échange  exé- 
»  cuté.  Les  démons  tirèrent  les  trois 
»  hosties  d'entre  les  mains  de  leurs 


(c)  Ex  Jovii  Elogiis  ,  cap    LX11. 

(d)  Idem  ,  ibidem. 

(A)  L'ouvrage  qui  a  fait  le  plus 
paraître  son  érudition  est  celui  où  il 
»  suppôts  ,  et  les  mirent  au  pied  du  parle  de  toutes  les  parties  d'une  mai- 
»  soleil  du  saint  sacrement  qui  était  son.]  Paul  Jove  en  juge  ainsi  fort 
»  alors  exposé ,  et  l'un  d'eux  entra  sainement.  Sed  multo  uberilis  ,  dit-il 
»  dans  le  corps  du  père,  qui  demeura    (i)  ,  et  latius  ingenii  famam  propa- 

gavil ,  edito  libro  de  partibus  œdium  , 

(5t)  Journal  des  Savans,  <lu  9  mai  168g,  pag.    (,n0  per  nptimas  disciplinas  perorna- 

Jl/t,wM"''Ifi','"'"'M    ■    n     i„  tum  dilisenti  culture,  ingenium  de- 

(5ï)  il .»  apprlle  Henri-Marie  Konrlon.  9  o 

(53)  Journal  drs  Savans  ,  duinoisde  mai  1G89, 
pas-  3'0-  (')  J0V1US  >  <"  E'ogiis,  cap.  LXIl. 


G  11  ASSIS.  ao5 

monstravit.  Cet  ouvrage  a  été'  impri-  que  celui  qui,  au  commencement 

mé  plusieurs  fois.  La  première  édi-  du  seizième  siècle,  fut  maître  des 

tion  est  celle  de  Parme,  chez  Antoine  ,    ,.                          , 

Quinlianus.  Je  n'en  sais  point  l'année  ;  cérémonies .sous  plusieurs  papes, 

je  sais  seulement  que  l'auteur  en  fit  et  eveque  de  Pesaro ,  et  frère  du 

faire  une  seconde  sept  ans  après  :  elle  cardinal  Achille   de   GrASSIS.  On 

était  plus  ample  que  la  première  (a).  cita  son  Journal  *  Jans  les  écrits 

Gesner  n  indique  que  les  éditions  de  .    «              c  .                ,      ,•.. 

Bâle,i533  et  .54i,L-4°.  Celle  dont  je  4U1    furent  faits  sur    la   dispute 

me  sersestde  Dordrecht,  1618,  in-é°.  de  la  préséance  entre  la  républi- 
que de  Venise  et  le  duc  de  Sa- 

{,)  Voyez  l'avis  au  lecteur.  ^      (  ^       g^     Cérémonia]     est 

GRASSIS  (  Paris  de  )   mérite  imprimé  ,   et    l'on   en    fait   cas 

beaucoup  de  blâme  *  pour  l'im-  (c)-   U  témoigna  un  grand  zèle 

posture  qu'il    fit    au    public.    Il  contre  un  plagiaire ,  car  c'est  de 

composa  l'épitaphe  d'une  mule  lui  Hue  M-  le  président  Cousin 

(A),  et  la  fil  graver  sur  une  pièce  Parle  dans  le   passage   que  l'on 

de  marbre  ,  qu'il  cacha  ensuite  verra  ci-dessous  (D). 

sous  la  terre,  dans  sa  vigne.  Au  «r    r         ,    ,    „•,•                «  , 

'                            o  *  Ce  Journal ,   le  plus  important  des  ou- 

bout   de  quelque  temps  il  donna  vrages  de  Grassis,  n  est  point  irapr 


irime  ;  mais 


Ordre    qu'on    plantât   des    arbres  on  en  trouve  de  longs  passages  dans  les  ^u- 

■ .         *    ,           *           ,            r      .  nales  ecclésiastiques  de  Odéric  Rainaldi  ;  et 

au  lieu    OU  Ce    marbre    était    en-  Bre'quigni   en  a  donne'  des  extraits  dans  le 

terré  ;  et  quand  on   lui   vint  dire  tome  II  des  Notices  des  manuscrits  de  la  Bi- 

la  découverte  qu'on  avait  faite  de  bllf'é9ue  d"™i. 

.T.        .  (b)   Voyez  G-raswinckel ,  de  Jure  Fraece- 

cette  inscription,  il  la  donna  pour  dentiœ,  paS.  263,  320,  329. 

une  chose  qui  avait  été  prédite  (c)  y°Jez  Naude'-  Bibliographie  polit. , 
touchant  sa  mule.  Un  ne  ht  qu  en 

rire    pendant    quelque    temps  ,  (A)  II  composa  l'épitaphe   d'une 

et  l'on  ne  tint  pas  grand  compte  mule.]  Il  supposa  qu'un  Publius  Gras- 

de  cette  pièce    de  inarbre;  mais  sus  avait  dressé  ce  monument  à  sa 

,1    .                     'ni  mule.  Dis  pedibus  saxum  est  le  com- 

après  plusieurs  années  elle  de-  raencement  de  cette  inscription. 

vint  considérable  ,  et  passa  pour       (B)  Cette  épitaphe passa  pour 

une     antique     dans    l'esprit     de  une  antique  dans  l'esprit  de  bien  des 

bien  des  gens  (B)  :  de  sorte  que  «*»/  \   U,.  Ve™   MaHUon    assure 

„,               ,?          v    i  .               t    ,  j1  Vins  eruditts  nonnitlUs  fucum  jectt, 

1  bornas  Porcacchi  a  insère  dans  dit_u  (l)  ?  opinantibus  id  esse  anti- 
un  livre  cette   épitaphe,  comme    quum Thomas  Porcacchius  inter 

une  pièce  légitime  et  venue  de  alios  hoc  epitaphium  pro  genuino  et 

l'antiquité  (a).    Paris    de  Grassis  antiquohabuitinlibrofunerahum: 

,        1       ,            1        •     ■            t      t  anmo  Alexander  vil  in  ad\ersarus 

n  est  pas  le  seul  qui  ait  tendu  de  suis  nntat  id  repertum  fuisse  prope 

cette  sorte  de  pièges   aux  anti—  Sanctum-Petrum.  Il  nous  apprend 

quaires(C).  Je  crois,  pour  le  dire  que   Sébastien    Maccius    a   rapporté 

en   passant,   qu'il  est  le  même  £histoîfe,î}e  cet^P^™  '  Ti 

*                '    ^  Recueil  d  Inscriptions  antiques,  qui 

se  trouve  en  manuscrit  dans  la   hi- 

*Ce  ne  serait  tout  au  plus  qu'une  plai-  hliothéque    du  cardinal    Chigi.  Mac- 

sauterie,   dit   Leclerc,    qui  soutient  ensuite  •        .         •.  „  i„  ji  a„„;i,„i     II,,. 

p.       ...         -.  •.        r  l  •      -      t  1  cius  tenait  cela  d  Annibal  ne  Orassis, 

que  1  inscription  n  était  pas  fabriquée.   Joly,  ,    „             ,      T              ,.      .    .                               * 
tout  en   rapportant  les  raisonnemens  de  Le-  eveque  de  Jaccentia  (2). 
clerc  ,  dit  que  tout  est  plein  de  fausses  in- 
scriptions et  défausses  médailles.  (0  Mabillon ,  in  Mus.-eo  Ital.co,  tom.  I,  pag. 

(a)  Ex  Musaeo  Italico  Mabillonii  ,  tom.  I,  *  '(jj  jjt  Maccius  refert  ex  Annibalc  ,1e  Grassi* 

pag-  170.  Bononieint  Jaccentia  episcopo.  Idem,  ibid. 


2o6 


GRASSIS. 


(C)  Il  n'est  pas  le  seul  qui  ait  tendu  bendos    tradit ,    ipsa  vero  marmora , 

de    cette    sorte    de  pièges   aux   anti-  tanquam  sanctiora  KupÛKt*  ,  in  gazo- 

quaires.~\  Je   ne    rapporterai    qu'un  phylacio  religiosè  servat  (5) .  H  y  en 

exemple    de    pareilles    impostures  ,  a  qui   disent   que    Cajado   par   cette 

quoiqu'il   soit    facile   d'en   compiler  fourbe  espéra  de  s'insinuer  dans  les 

un  grand  nombre.  Le  9  d'août  i5o5,  bonnes  grâces    du   roi,   et   d'en  ex- 

on   trouva   trois  pierres  ,   proche  le  croquer  quelque  argent.  Posteh  ta- 

cap  de  Roco  de  Sintra  ,  dans  le  Por-  men  compertum  eosdem  conjictos    et 

tugal.  Il  y  avait  sur  ces  pierres  une  impositos  fuisse    à    quodam   Hermo 
inscription    latine    en    vieux   carac- 
tères ,  qui  contenait   une  prophétie 
La  voici  : 


Sibylla  valicinium  occiduis  decretum  , 
Volvenlur  .taxa  litteris  ,  et  ordine  redis, 
Chm  videas  Occidens  Orientis  opes. 
Ganges,  Indus  ,  Tagus  ,  eril  mirabile  visu  , 
Merces  commutabit  suas  ,  ulerque  sibi. 
Soli  œlerno,  ac  Lunœ  decretum. 


Cajado  Lusitano  ,  qui  illos  marmo- 
ri  inscripserat ,  dejoderalque  ut  situ 
hùmoreque  terrœ  aliquantulum  de- 
formati ,  l'etustatis  indicium  exhibè- 
rent ;  rursùsque  per  mercenarias  ope- 
ras  refoderat ,  ut  hoc  tam  nobili  alque 
peregregio  anliquttalis  monumento  , 
régis  (Lusitaniœ  ,  Emmanuelis)  gra- 
tiam ,  avide  in  Orientis  opes  intenti 
On  prit  cela  pour  un  oracle  de  si-  pecuniamque  aucuparetur  :  ut  testan- 
bylle  (3)  ,  et  il  y  eut  des  savans  qui  tur  Cœsar  Orlandius  et  Gaspar  Bar- 
s'exercèrent  à  l'explication  de  ces  reiius ,  quos  refert  Ortelius  in  Thea- 
vers  ;  mais  enfin  on  découvrit  que  tro  magno  ,  tab.  5  novi  Orbis  ,  et  ab 
Cajado,  poète  portugais,  en  était  l'au-  eomutuatus  Malvenda,lib.  3  de  An- 
teur,  et  que  c'était  lui  qui  avait  en-  tichristo ,  cap.  16.  Torniellus  in  An- 
terré  ces  pierres,  et  qui  avait  pris  son  nalibus  ,  2  tom.  anno  mundi  3o43  , 
temps  pour  les  faire  déterrer.  Frau-    nu  m.  7,  pag.  48  {6). 

devi  detexit  Caspar  Varrerius  :  Sci-        (D)  C'est  de  lui  que  M Cou- 

licet ,  quo  tempore  Emmanuel  Lusi-  sin  parle  dans  le  passage  que  l'on 
laniœ  rex  ,  per  Vascum  Gamam  ,  na-  verra  ci-dessous.]  «  Christophe  Mai- 
vigationes  in  Indiam  Orientaient  fe-  »  cel ,  nommé  à  l'archevêché  de  Cor- 
liciter  tentdsset  :  Ulyssepone  vixit  »  fou ,  ayant  recouvré  une  copie  du 
Hermicus  Cajadus  ,  poêla  celebris  ,  »  livre  qu'Augustin  Patrice  avait 
Angeli  Politiani  discipulus  (4)  :  hic  »  composé  sous  le  pontificat  d'inno- 
tria  marmora  litteris  anliquis ,  hoc  va-  »  cent  VIII,  des  Rites  de  l'église  ro- 
ticinium  continenlibus  ,  incidi ,  et  clam  »  maine  ,  le  fit  imprimer  à  Venise, 
circa  oppidum  Syntra,  leviter  terra  »  l'an  i5i6,  et  le  dédia  à  Léon  X, 
tesi  curavit.  Postquam  vero ,  tractu  »  sans  faire  mention  d'Augustin  Pa- 
temporis  ,  aliquani  antiquitatis  spe-  »  trice,  son  véritable  auteur, qui  avait 
ciem  conlraxissent ,  amicos  quosdam,  »  été  maître  des  cérémonies  à  Rome, 
in  villa  sud,  circa  quam  hœc  mar-  »  depuis  le  pontificat  de  Pie  II,  son 
mora  occultala  erant,  convivio  ex-  »  oncle,  qui  lui  avait  donné  le  sur- 
cipit  ;     quibus    strenuè    epulantibus    „  nom  de  Picolomini,  jusqu'à  celui 


nunciat  villicus,  fossoi'es  marmora 
ignotis  litteris  inscripta,  invenisse, 
procul  dubio  thesaurum  eo  loco  de- 
Jbssum  esse.  Advolanl  ovines  ,  inve- 
niunt  lapides  ,  miranlur  valicinium  , 
non  sanefoliis  in>criptum  ■■  Rex  ,  hu- 
jus    fraudis  con.scius  ,   stuporem  ta- 


it d'Innocent  VIII  ,  sous  lequel  il 
»  corrigea  le  Pontifical  romain  ,  et 
»  composa  ce  Cérémonial.  Paris  de 
»  Grassis  ,  qui  exerçait  la  charge  de 
»  maître  des  cérémonies  sous  Léon 
»  X,  n'eut  pas  sitôt  vu  l'édition  de 
»  Venise  ,    qu'il   s'en    plaignit  à    sa 


jnen  simulât  ,    versus  aulicis  descri-    »  sainteté  comme  d'un    attentat  qui 

»  ne  pouvait  être   expié  que  par  le 


(3)  Hos  versus  Sibrllinos  esse  Valenlinus 
Moranus ,  Jacobus  Navarck  ,  Ferdirtandus 
Lopez  in  suis  historiis  Induv  OtiriKalis ,  sibi 
et  aliis  persuaseranl.  Jo.  Eiuebins  Nicrrmber- 
gim,  de  Origine  Sacra:  Scripturte,  lib.  III,  cap. 
III,  apud  Voetiuni  ,  Disputât.,  tom.  IV, 
pag.  <'x/,. 

(4)  Nicolas  Antonio  ,  Bibliotli.  Iiispan. ,  tom. 
7,  pag.  433  ,  dit  que  Cajadus  ,  a  son  arrivée  en 
Italie  ,  trouva  que  Politicn  était  mort. 


»  feu  qui  consumerait  les  exemplai- 
«  res  et  l'auteur.  Le  pape  ,  qui  avait 
»  donné  son  privilège  pour  cette  édi- 

(5)  Montaniis ,  Légat,  belg.  si)  Japan.  ,  pag. 
i5,  apud  Lomeierum  de  Bibliotb.,  pag.  360,  367. 

(6)  Nicrrmhrrgius  ,  de  Orip.  S.  Script.,  lib  m 
II  f,  cap.  III,  apud  Voetium,  Disput. ,  tom. 
IV ,  pag.  6(J6. 


GRASSIS. 


x>  tion  ,  fit  semblant  de  prendre  feu 
»  sur  ce  que  lui  remontra  ce  zélé 
»  maître  des  cérémonies,  et  ordon- 
»  na  une  congrégation  pour  cxami- 
»  ner  l'affaire.  Mais,  quelque  dili- 
»  gence  que  fît  Paris  de  Grassis,  il 
»  ne  put  empêcher  qu'on  ne  vît 
»  bientôt  plusieurs  nouvelles  édi- 
«  tions  de  ce  livre  à  Cologne  et  ail- 
»  leurs  (7).» 

Voilà  ce  qu'on  trouve  dans  l'ex- 
trait que  M.  Cousin  a  donné  du  se- 
cond volume  du  Musœum  Italicum. 
Pai  consulté  ce  second  volume  de- 
puis la  première  édition  de  mon  Dic- 
tionnaire ,  et  cela  m'a  fait  sentir 
qu'Ovide  assure  avec  beaucoup  de 
raison  que  l'on  boit  plus  agréable- 
ment à  la  foutaine. 

Gratais  ex  ipso  fonte  bibuntur  ar/uœ  (S). 

J'ai  trouvé  que  la  passion  de  Pilris  de 
Grassis  contre  l'archevêque  de  Corfou 
ne  venait  pas  tant  de  ce  qu'on  s'attri- 
buait un  livre  qu'un  autre  avait  com- 
posé ,  que  de  ce  qu'on  divulguait  des 
cérémonies  qui  devaient  demeurer  ca- 
chées, et  qu'on  les  divulguait  même 
avec  des  altérations.  Il  expose  dans 
une  lettre  adressée  à  LéonX  (9) ,  qu'il 
est  maître  des  cérémonies  depuis 
près  de  seize  ans ,  et  qu'il  se  croirait 
blâmable  ,  s'il  souffrait  tranquille- 
ment qu'elles  fussent  corrompues  et 
publiées,  et  que  l'on  ôtât  à  ses  pré- 
décesseurs la  louange  qui  leur  con- 
venait. Il  ne  dissimule  point  que 
l'un  de  ses  griefs  consiste  en  ce  que 
la  publication  de  ces  choses  en  di- 
minue la  vénération  ,  et  fait  mépri- 
ser ce  que  le  voile  du  secret  et  du 
mystère  rendait  vénérable.  Quemad- 
modùm  justi.  cujusque  principis  est 
curare,  ne  quisquam  suo  jure  frau- 
dai nr  :  ita  ,  si  diligenter  inspexeri- 
mus  ,  ad  quempiam  alium  non  magis 
spécial  quant  ad  romanum  pontifi- 
cem  ,  ne  sacrœ  suœ  ceremoniœ  nuicu- 
lentur,  neve  aliqud  in  parte  alteren- 
tur,  ac  prœsertim  ne  corrumpantur  : 
sed.  et  quod  omnium  principum  est , 
ne  prolatœ  in  vulgus  velut  prostitu- 
tœ  pontifzcalium  sacrorum  e.ristima- 
tio/iem    minuanl,  Jlocci  J'aciant,    et 

(7)  Journal  des  Savans,  du  7  de  mars  1689, 
pag.  141,  142,  e'dit    de  Hollande. 

Ifi)  Ovidius ,    in   Epist.  ex  Ponlo     epist.  V 
9S.  8. 

(£),)  Ecrite  Can  i5i-). 


207 


co  nie  m  nantur  (10).  Il  allègue  l'exem- 
ple des  anciens  païens ,  qui  ne  vou- 
laient point  permettre  que  les  mys- 
tères des  dieux  vinssent  à  la  con- 
naissance des  profanes.  Il  cite  en 
Rarticulier  la  conduite  des  anciens 
omains,  et  le  roi  Tarquin  qui  lit 
jeter   dans  la    mer   Marc  us  Tullius, 

fiour  le  punir  d'avoir  donné  à  copier 
e  livre  des  Cérémonies  Sacrées.  Notre 
de  Grassis  demanda  que  le  livre  de 
l'archevêque  de  Corfou  fût  brûlé 
avec  son  auteur  ,  ou  que  pour  le 
moins  l'auteur  fût  puni  comme  on  le 
trouverait  à  propos.  Le  pape  trouva 
raisonnable  cette  demande,  et  pro- 
mit de  la  faire  examiner  dans  le  con- 
sistoire suivant.  Hanc  epistolam  clim 
in  manibus  papee  dedissem,  legisset- 
que  libenter  et  avide ,  et  acceptdsset 
rationes  et  argumenta  in  eu  per  me 
allegata  ;  versus  ad  cardinales  ali- 
quos  ,  qui  sibi  forte  adhœrebant  , 
dixit  me  ralionem  liabere  super  petilio- 
nibus  mets  ,  et  librum  ceremoniarum 
nuper  impressum  omnino  comburi 
simul  cumfaho  auclore  ,  sicul  postu- 
lassent, aut  saltem  ipsum  auctorem 
corrigi  et  castigari  omnino  debere 
prout  prœsenlibus  videretur.  Itaque 
ad  primuni  consislorium  rem  et  cau- 
sant diffeiTe  (1 1) .  On  ne  sait  point 
quelle  fut  l'issue  de  cette  affaire  ; 
car  il  manque  quelques  cahiers  dans 
le  Cérémonial  de  Grassis,  à  l'endroit 
où  devait  être  la  suite  de  la  narra- 
tion (13).  Il  s'en  faut  bien  peu  que 
le  père  Mabillon  ne  se  moque  du 
grand  zèle  de  Paris  de  Grassis,  et  ce 
n'est  pas  sans  quelque  plaisir  qu'il 
observe  fi3)  que  le  livre  de  l'archevê- 
que de  Corfou  ne  fut  point  brûlé.  Il 
dit  que  les  catholiques  de  bon  sens 
ne  règlent  pointleur  vénération  pour 
le  pape  sur  ces  cérémonies  occultes  , 
mais  sur  sa  qualité  de  chef  de  l'église. 
Il  faut  pourtant  convenir  que  ce 
zélateur  du  secret  ne  disait  pas  sans 
raison  qu'il  était  à  craindre  qu'en 
divulguant  tout  le  mystère  du  céré- 
monial de  Rome,  on  ne  diminuât  l'i- 
dée   qu'en    ont  les  peuples  (î^;   car 

(10)  lVIusaium  Italie.  .  tom.  II  in  Appendice  , 
pag.  58S 

(.i)   rbid.pag.5g->. 

(12)  Ibidem,  m  Commenter. ,  pag.  vj. 

(i3)  Ibidem  ,  pag.  vij. 

(i4)  Quod  si  sacrorum  arcana  pandanlur ,  et 
Sacra1  pitblicrittur  ceremonia; ,  illuojuturum  est 


208 


GRASWINCKEL. 


c'est  la  coutume  d'admirer  bien  plus    ]a  Haye  ,  où  l'on  voit  son  épita- 
ce  que  l'on  ne  connaît  pas^que   ce    pj^  ^  jui  <jonne  <Je  très-grands 

éloges. 

(A)  II  l'a  témoigné  par  plusieurs 


qu'on  connaît.  Il  paraît  même  fâché 
de  ce  que  le  Pontifical  était  devenu 
public  ;  ce  qui ,  dit-il ,  est  cause  qu'au 
mépris  du  sacerdoce,  les  ce'rémonies 
que  cet  ouvrage  contient  tombent 
tous  les  jours  entre  les  mains  des  pro- 
fanes ,  et  que  les  sectaires  en  ti- 
rent de  grands  sujets  de  se  moquer 
de  notre  religion.  Sed  utindm  etiam 
et  Ma  quœ  dixi ,  secretiora  forent  et 
magis  recondita  !  Won  enim  ea  quo- 
tidiè  ad  profanas  manus  in  sacerdo- 
tii  contemptum  ,  nec  ad  aliénas  sectas 
in  noslrœ  religionis  irrisionem  deveni- 
re  videremus  (i5).  Quoi  qu'il  en  soit , 
nous  devons  dire  qu'il  s'est  trop  mis 
en  colère  contre  le  prélat  de  Corfou. 
Il  le  charge  d'injures;  et  je  ne  sais 
s'il  ne  conçut  point  pour  lui  autant 
d'horreur  qu'on  en  concevait  ancien- 
nement pour  ceux  qui  avaient  divul- 
gué les  cérémonies  des  mystères  de 
Cérès  ;  gens  avec  qui  l'on  n'eût  point 
voulu  s'embarquer  ,  crainte  d'être 
enveloppé  dans  la  peine  qu'ils  mé- 
ritaient. 

Est  et  fidfli  tuta  silentio 

Mèrces.  Velabo  ,  qui  Cereris  sacrum 
Vulgarit  arcanœ  ,  sub  tisdem 
Sit  trabibus,  fragilemque  meciini 

Sulval  phaselum  :  stepè  Diespiler         ' 

Negleclus  ,   incesto  addutd  integrum  (16). 

ul  omnis  opinio  minualur,  ul  pontificia  auclo- 
rilas  elanguescat  necesse  est.  Muséum  italicum, 
loin.  III ,  in  Append.  ,  png.  589. 

(15)  Ibidem,  pag.  588. 

(16)  Horat. ,  od.  II ,  Ub.  III. 

GRASWINCKEL  (Théodore), 
natif  de  Delft ,  a  été  un  fort  sa- 
vant jurisconsulte  dans  le  XVIIe. 
siècle ,  et  il  l'a  témoigné  par 
plusieurs  ouvrages  (A).  11  était 
non-seulement  bien  versé  dans 
les  matières  de  droit ,  mais  aussi 
dans  les  belles-lettres  et  dans  la 
poésie  latine.  Son  mérite  fut  re- 
connu ;  car  il  eut  de  belles  char- 
ges à  la  Haye  (B).  La  république 
de  Venise  le  fit  chevalier  de  Saint- 
Marc.  11  mourut  d'une  apoplexie 
à  Malines  ,  le  1 1  d'octobre  1666, 
âgé  de  soixante-six  ans,  et  fut 
enterré  dans  la  grande  église  de 


«es.]  Il  publia  à  la  Haye,  l'an 
un  livr 


ouvrages. 

1642,  un  livre  de  Jure  Majestatis, 
qu'il  dédia  à  la  reine  de  Suède.  Il  y 
établit  les  principes  les  plus  favora- 
bles aux  monarques  ,  et  les  plus  op- 
posées aux  maximes  républicaines  de 
Buchanan.  Il  prit  le  parti  de  la  ré- 
publique de  Venise,  contre  le  duc  de 
Savoie,  dans  la  dispute  de  la  pré- 
séance ;  car  il  publia  un  livre  ,  l'an 
16.^4  ?  de  Jure  prœcedentiœ  inter  se- 
renissimam  Venetam  Rempublicam 
et  serenissimum  Sabaudiœ  ducem  , 
où  il  réfute  la  dissertation  qui  avait 
paru  là-dessus  en  faveur  du  duc  de 
Savoie.  Il  y  avait  long-temps  qu'il 
avait  donné  des  marques  de  son  zèle 
pour  la  république  de  Venise.  Dès 
l'an  i634,  il  avait  faitune  réponse  au 
Squitlinio  ,  laquelle  il  intitula,  Li- 
bertas  Veneta ,  seu  Venetorum  in  se 
ac  suos  imperandi  jus.  L'an  1662,  il 
écrivit  contre  un  Génois,  nommé  Bur- 
gus  ,  qui  prétendait  la  même  chose 
que  Seldénus,  c'est-à-dire,  que  la 
mer  fût  soumise  non  moins  que  la 
terre  à  l'empire  de  certains  états. 
Maris  liberi  Vindiciœ  adversus  Pe- 
trum  Baptistam  Burguiu  Ligustici 
maritimi  dominii  assert  or em  ,  est  le 
titre  de  l'ouvrage  (  1  )  de  Graswinckel , 
qui  l'année  suivante  publia  un  pareil 
traitécontre  Velvodus.  J'aivuausside 
lui  un  traité  de  Prœludiis  Justiliœ  et 
Juris,  imprimé  l'an  1660,  où  il  réfute 
un  jésuite  portugais  (2).  Il  y  joint 
une  dissertation  de  Fide  Hœreticis 
et  Rebellibus  seruandd.  Je  n'oublie 
point  ses  Stricturœ  aduershs  Felden, 
ni  son  commentaire  sur  Salluste  ,  et 
sur  un  auteur  espagnol  de  Kitâ  et 
Nece  Cassii  et  Êruii(i),  ni  sa  tra- 
duction des  Psaumes  de  David  ,  en 
vers  héroïques  ,  ni  sa  version  de  Tho- 
mas à  Kempis(4),  en  vers  élégiaques  , 

(1)  Le  Soprani  ,  dans  son  Recueil  des  Ecri- 
vains de  la  Ligurie  ,  en  parlant  de  Burgus  ,  dit 
que  Tliomaso  Graseninckelio  écrivit  contre  lui, 
l'an  1552.  Oldoini  a  copié  celle  faute  dans  son 
Atlienieum  Ligusticum.  C  est  falsifier  le  nom  et 
le  surnom  de  notre  Grasvviiicl.il 

(2)  Nommé  Ferdinand  Rébullus. 

(3)  Voyez,  tom.  IF,  pag.  iç)4,  la  citation  (5i) 
de  l'article  Brutos  (Marc  Junius.  ) 

,.|1  De  Imilaliuac  Jcsu  Clirisù. 


GRATAROLUS. 


ni  le  poème  en  vers  hexamètres  où 
il  décrit  la  vie  d'André  Cantèrus,  na- 
tif de  Groningue,  qui  fut  un  prodi- 
ge de  savoir  dans  ses  plus  tendres 
années.  Il  a  fait,  aussi  quelques  livres 
en  flamand  :  l'Art  de  bien  vivre  ; 
un  Commentaire  sur  les  édits  de  An- 
no  nis ,  et  deux  volumes  in-^°.  (5) 
de  la  souveraineté  des  États  de  Hol- 
lande. 

(B)  II  eut  de  belles  charges  h  la 
Haye.]  Il  était  avocat  fiscal  des  do- 
maines des  états  de  Hollande,  et 
greffier  et  secrétaire  de  la  chambre 
mi-partie ,  de  la  part  des  États  géné- 
raux. 

(5)  Ils  ont  étp  imprimés  après  sa  mort  ,  l'un 
en  1667,  Vautre  en  1674. 

GRATAROLUS  (Guillaume), 
savant  médecin  ,  a  vécu  au  XVIe. 
siècle.  Il  était  né  à  Bergarne  en 
Italie,  et  il  quitta  son  pays  pour 
s'en  aller  en  Allemagne  faire 
profession  de  la  religion  protes- 
tante. Après  s'être  arrêté  quel- 
que temps  à  Bâle,  il  fut  appelé 
à  Marpourg ,  pour  y  être  pro- 
fesseur en  médecine  ;  mais  il  n'y 
demeura  qu'un  an  ,  soit  que  l'air 
du  pays  de  Hesse  ne  lui  convînt 
pas ,  soit  qu'il  eût  laissé  à  Bâle 
des  agrémens  qu'il  regrettait 
(a).  Il  retourna  en  cette  dernière 
ville,  et  y  mourut  quelque  temps 
après  (A) ,  à  l'âge  de  cinquante- 
deux  ans.  11  est  auteur  de  plu- 
sieurs bons  livres  (B).  On  dit 
qu'il  excellait  dans  la  science 
physionomique  (b).  Bèze  lui  écri- 
vit quelques  lettres  qui  sont  im- 
primées (c). 

(a)  Nobilis  hune  misit  Cattis  Basilea,  sed 

anno 
Vix  semel  exaclo  rursits  eu  rediil 
Sive  qubd  Hassiaco  non  posset  vivere 
cœlo , 
Sive  qubd  in  volis  urbs  Basilea  foret. 
Pelr.  Nigid.  ,  apud  Frelier.  Tlieatr. ,  1252. 

(b)  Tiré  de  Paul  Fréher  ,  Theatr.  Vir. 
illustr.  ,  pag.  1252. 

(c)  La  XL  II'.  et  la  XLVI*. 

(A)  Il  mourut  à  Bille  quelque  temps 
TOME    VU. 


209 


après.}  On  assure  dans  le  Théâtre  de 
Paul  Fréher,  que  ce  fut  le  6  de  mai 
i56i ,  et  l'on  cite  la  IVe.  partie  des 
Hommes  doctes  de  Jean-Jacques  Bois- 
sard  *.  On  eût  pu  citer  aussi  le  Dia- 
rium  Hisloricum  de  Reusnérus.  La 
nouvelle  édition  de  Vander-Linden 
(1)  met  aussi  la  mort  de  ce  médecin 
à  Fan  i56î.  Konig  Fa  mise  à  Fan 
1666  ,  et  M.  de  Thou  (2)  et  Buchol- 
cer  (3)  au  16  d'avril  1 568.  Deux  pré- 
faces (4)  ,  avec  quelques  opuscules 
que  G  rata  roi  us  ,  étant  à  Marpourg,  dé- 
dia, le  25  d'août  i562,  au  landgrave 
de  Hesse,  prouvent  qu'il  ne  mourut 
pas  à  Bâle  le  6  de  mai  de  la  même 
année.  11  est  fâcheux  de  trouver  tant 
de  différences  entre  les  auteurs  à  l'é- 
gard d'un  fait  de  cette  nature,  qu'il 
serait  si  facile  de  savoir  exactement. 
J'ai^emarqué  les  mêmes  variations  à 
l'égard  de  Gifanius.  Voyez  la  remar- 
que (A)  de  son  article. 

(B)  //  est  auteur  de  plusieurs  bons 
livres.  ]  Voici  le  titre  de  quelques- 
uns.  De  Memoriâ  reparandd  ,  au- 
gendd ,  conservandd  ,  ac  de  Remi- 
niscentid.  La  première  édition ,  qui 
est  de  l'an  i554  ,  a  été  suivie  de  plu- 
sieurs autres  (5).  De  Prœdictione  mo- 
rum  ,  naturarumque  hominum  facili  , 
exlnspeclionepartium  corporis.Prog- 
nostica  naturalia  de  temporum  mu- 
talione  perpetud  ,  ordine  litlerarum; 
de  Litleratorum  et  eorum  qui  magis- 
tralibus  funguntur  conservandd  prœ- 
servanddque  valetudine  ;  de  uini  na- 
turd  ,  artificio,  et  usu  ,  deque  omni  re 
potabili  ;  de  Regimine  iter  agentium  , 
vel  equitum  ,  uelpeditum ,  uel  navi,  veL 
curru  seu  rhedd,  etc.,  viatoribus  qui- 
busqué  utilissimi  libri  duo.  Il  publia 
quelques  livres  d'autres  auteurs  ,  et  y 
joignit  quelque  chose  de  sa  façon. 
Pétri  Pomponatii  liber  de  causis  oc- 
cultorum  affectuum ,  seu  de  Incan- 
tatione  ,  cum  prcefatione  et  glossu- 
lis  ;  Pétri  Aponensis  libellus  de  Ke- 
nenis  ad  manuscriptum  exemplar 
correctus  ,   cui  adjecit  multa  ejus  ar- 

*  Leclerc  remarque  que  ,  bien  que  le  texte  de 
Boissard  dise  :  6  mai  i5r>2,  le  portrait  qui  ac- 
compagne le  texte  ,  et  qui  est  sur  la  même  feuille, 
dit  :  obiit  anno  i5t>6. 

(i)  De  Script.  Medic.  ,  pag  3^6. 

(Y)Thuan.,  Ub.  XLIII ,  sub.fin. 

(3)  Bucholcer.  ,     in  Indice  chron.,  p.  m.  632. 

(4)  Imprimées  a  Strasbourg,  l'an  1Ô63,  in-S°. 
(5J    Vide   Lindcnium  renovatum  ,  pag.  3^6, 

377. 

'4 


GRAWÉRUS. 


210 

gumenti  ut il "ui  ;  Correctiones  et  Ad- 
ditinnes  in  Librum  Ilalicumfalsb  at- 
tribut uni  Gabrieli  Fallopio,  cui  titil- 
las est  Sécréta  Fallopii.  Il  fit  un  re- 
cueil de  divers  traités  touchant  la 
sueur  anglaise  ,  et  touchant  les  bains, 
et  une  compilation  de  plusieurs  ou- 
vrages d'alchimie  (6).  On  ne  lui  sau- 
rait refuser  l'éloge  d'avoir  eu  à  cœur 
le  bien  public ,  puisqu'il  a  cherché 
non-seulement  les  remèdes  qui  peu- 
vent servir  aux.  magistrats,  mais  aussi 
ceux  qui  sont  propres  à  toutes  sortes 
de  voyageurs.  Il  n'a  pas  oublié  les 
hommes  d'étude  ;  il  a  tâché  de  leur 
fournir  des  secours  et  pour  la  con- 
servation de  la  santé  ,  et  pour  la  con- 
servation et  l'augmentation  de  la 
mémoire.  Un  homme  qui  leur  four- 
nirait là-dessus   ce  de    quoi    ils    ont 


après  il  y  exerça  la  charge  de 
professeur  en  la  même  faculté. 
Enfin  ,  l'an  1616  il  obtint  la  sur- 
intendance du  pays  de  Weimar 
(e).  Il  mourut  le  3o  de  novembre 
16 1  7  {f).  C'était  le  plus  chaud  * 
théologien  qui  se  puisse  voir  ;  et 
jamais  homme  n'a  écrit  avec  plus 
d'emportemeut  que  lui  contre 
ceux  de  la  confession  de  Genève. 
C'est  à  lui  principalement  que 
les  missionnaires  recourent  (B) , 
quand  ils  veulent  faire  voir  l'ani- 
mosité  qui  règne  entre  les  deux 
communions  protestantes.  Il 
était  fougueux  non-seulement 
besoin  mériterait  les  honneur*  di-  daus  ]es  disputes  de  vive  voix 
vins  dans  la  république  des  lettres.  „,.,;,.  aiisei  tfans  m  ^rr;ts  (C 
La  mémoire  y  est  presque    aussi  ne 


cessaire  que  la  vie 

(6)  L'mdenius  renovatus  ,  pag.  377  ,  et  Paul. 
Frelier.  ,  in  Theatro ,  pag.  I25î. 

*  Niceron  ,  qui  a  donné  dans  le  tome  XXXI 
de  ses  Mémoires  un  article  à  Gratarole,  a  omis, 
dit  Joly,  un  Trailé  De  notis  Anli-Christi ,  cité 
par  Gesner  et  quelques  autres  bibliographes. 

GRAWÉRUS  (  Albert),  né  à 
Mésécow ,  dans  la  marche  de 
Brandebourg,  l'an  i5y5,  a  été 
fort  estimé  parmi  les  théolo- 
giens de  la  confession  d'Augs- 
bourg.  On  peut  le  comparer  à 
ces  soldats  de  fortune  qui ,  pas- 
sant par  tous  les  degrés  de  la 
milice ,  parviennent  enfin  aux 
premières  charges.  D'abord  il  ne 
fit  que  régenter  dans  la  Hongrie 
(a)  (A);  mais  lorsqu'Agriaeut  été 
prise  (b)  par  les  Ottomans  ,  il  se 
retira  à  Wittenberg  ,  d'où  il  pas- 
sa à  Islèbe  pour  y  diriger  l'école; 
ensuite  de  quoi  il  devint  doyen 
de  Mansfeld  (c)  ;  puis  il  fut  reçu 
docteur  en  théologie  dans  l'aca- 
démie de  Iène  (d),  et  deux   ans 

(a)  Premièrement  à  Scépuz  ,  et  puis  ,  l'un 
i5o,7  ,  à  dissocie. 

(b)  L'an  i5on. 
(fi)  L'an  1607. 
(d)  L'an  1609. 


mais  aussi  dans  ses  écrits  (C). 
Il  sont  en  grand  nombre  (D),  la 
plupart  contre  ceux  de  la  reli- 
gion. Il  a  aussi  écrit  contre  les 
sociniens  ,  et  contre  l'église  ro- 
maine. 

(e)  Ex  Spizclio  ,  in  Templo  Honoris  rese- 
rato,  pag:  3g.  Voyez  aussi  le  Théâtre  do 
Paul  Fre'her  ,  pag.  3ç>4  ,  395. 

(f)  Freùer.  ,  Theatr.  ,  pag-.  3g5.  Spizé- 
lius  met  l'an  161 6. 

*  A  l'occasion  de  ce  superlatif,  Leclerc  re- 
proche à  Bayle  d'employer  trop  fréquemment 
ces  expressions  outrées  et  ,  généralement 
parlant,  toujours  fausses ,  et  dit  que  1  hy- 
perbole est  la  figure  favorite  de  Bayle. 

(A)  D'abord  il  ne  fit  que  régen- 
ter dans  la  Hongrie.]  Voilà  l'idée 
qu'on  se  formerait  ,  si  l'on  ne  con- 
sultait que  le  sieur  Spizélius;  mais 
quand  on  recourt  au  sermon  funèbre 
(i),l'on  trouve  que  le  baron  Gré- 
goire Horwath  ayant  érigé  un  nou- 
veau collège  à  Scépuz  (2)  ,  en  fit  rec- 
teur le  sieur  Grawérus  à  la  recom- 
mandation de  Gilles  Hunnius,  et  que 
Grawérus  y  enseigna  la  philosophie 
et  la  théologie. 

(B)  C'est  à  lui... que  les  missionnai- 
res recourent.  ]  Le  père  Adam  ,  lors- 
qu'il fit  un  livre  contre  M.  Daillé,  pro- 
d  tiisit  je  ne  sais  combien  d' Allemands, 

(1)  Apud  Frcberura,  in  Tlieatro  ,  pag.  3g4  r 
395. 

(2)  L'an  i5rj5. 


un  Gilles  Hunmus,  un  Zéphirius,  un 
Gibelin,  un  Philippe  Nicolas ,  et  un 
Granvértts(3)  ,  qui  répètent  et  qui 
exagèrent  un  grand  nombre  d'invecti- 
ves contre  ceux  de  la  religion.  11  ap- 
puya principalement  sur  un  traité  de 
Grawérus,  qui  a  pour  titre,  dit-il,  Les 
Absurdités  très-absurdes  des  Absur- 
dités Calviniennes  (4).  Voici  la  sage 
réponse  de  M.  Daillé  ,  mais  un  peu 
tropdésobligeantc  pour  l'auteur  dont 
je  parle  dans  cet  article.  «  Ce  sont 
»  des  frères  qui  sont  en  colère.  11  faut 
»  pardonner  à  leur  passion  ,  et  nous 
»  consoler    par   le    témoignage    que 


GRAWÉRUS.  2ii 

Notez  que  M.  Daillé  eût  pu  accuser 
le  jésuite  Adam  de  n'avoir  pas  bien 
traduit  le  titre  du  livre  de  notre  Gra- 
wérus.  Voici  la  vraie  traduction  ■ 
Les  Absurdités  Calviniennes  plus  ab- 
surdes que  toute  autre  absurdité. 

(C)  Il  était  fougueux dans  les 

disputes  de   vive  voix,  et dans 

ses  écrits.]  Il  eut  une  conférence 
avec  Amlingo  l'an  1604  >  dans  le  châ- 
teau  de  Schochwiz,  et  il  la  fit  im- 
primer avec  des  notes  qui  ne  respi- 
raient que  son  zèle  pour  le  luthéra- 
nisme  ,  P'eritatis  Lutheranœ  amore 
notulis  (juibusdam  asperis  evulgatum 


"  WU.1U1\.1  i'tlj  11.  lV.lll<Jl^NllteV  ^|..~  ,(•',,.,,      .         yiiM.dJUM,,,        «Ol/C     (J      '      1       lit   ^  tl   L   It   IIL 

»  leur  violence  même  rend  à  la  bon-    (Colloquium  cum  Amlingo.  )  jamais 


»  té  de  notre  cause ,  dans  le  diffé- 
»  rent  que  nous  avons  avec  eux. 
«  S'ils  n'avaient  tort,  ils  n'en  vien- 
»  draient  pas  aux  injures.  C'est  as- 
»  sûrement  l'erreur  qui  les  trouble. 
»  La  vérité  a  plus  de  douceur  et  de 
»  retenue  ,  et  n'a  pas  acecoutumé  de 
>'  s'emporter  ainsi.  Car  que  Lutber 
»  et  ses  disciples  fussent  en  colère 
»  quand  ils  écrivaient  les  vilenies  et  les 
»  borreurs  que  vous  en  avez  ramas- 
»  sées  ,  le  désordre  et  l'extravagance 
»  de  leurs  propres  paroles  le  mon- 
»  trent  assez  ;  comme ,  pour  laisser  là 
»  le  reste  ,  ce  titre  ridicule  du  livre 
»  de  l'un  deux,  que  vous  ne  manquez 
»  pas  de  représenter ,  les  Absurdités 
))  très-absurdes  des  Absurdités  Cal- 
»  viniennes.  Un  homme  savant  ne 
»  parlerait  pas  si  sottement ,  s'il  était 
»  en  son  sens  rassis.»  Il  finit  son 
chapitre  par  ces  paroles  :  Grâces  a 
Dieu  ,  ils  ne  sont  pas  tous  dans  les 
emporleme.ns  de  vos  Gibelins  et  de 
vos  Granvères.  //  y  en  a  de  plus 
doux  et  de  plus  traitables  ;  et  le  Jeu 


docteur  Calixte,  théologien  de  JJelm-    ranisme  (8) 


il  n'avait  fait  tant  d'eflbrts  en  faveur 
de  son  parti ,  qu'il  en  fit  en  cette 
rencontre.  Singulari  zelo  et  Jervore 
spiritus  sancti  motus  strenuè  et  mas- 
culè  advershs  hostium  quorumvis  co- 
hortes depugnavit  ,  nec  quicquam 
omisit  quo  veritatis  cœlestis  doctrina 
asseri  propugnarique  queat ,  ccm  pri- 
mis  in  gravissimo  illo  colloquio  cum 
Amlingo  habito  (6).  Jugez  combien 
il  s'échauffa  contre  Sébastien  Lamius, 
qu'il  convainquit  de  calvinisme  dans 
un  synode.  Quemadmodum  eliam  in 
synodo  Hungarico  -  Kersmarcensi 
anno  g5  habita  Sebastianum  Lamium 
heterodoxice  calvinianœ  convicit(j). 
Sans  doute  il  l'avait  dénoncé  comme 
un  faux  frère,  qui  sous  le  nom  de 
ministre  luthérien  couvait  les  er- 
reurs des  calvinistes  •  et  cela  seul 
pouvait  échauffer  un  esprit  froid. 
D'ailleurs  il  disputa  contre  lui  dans 
un  synode  :  la  circonstance  du  lieu 
était  toute  seule  capable  de  lui  émou- 
voir la  bile.  N'oublions  pas  qu'on  l'a 
appelé  le  bouclier  et  l'épée  du  lulhé- 


stat ,  le  plus  savant  de  tous  les  luthé- 
riens de  son  temps  ,  fa  assez  témoi- 
gné par  deux  ou  trois  livres  (*)  , 
qu'il  a  publiés  sur  ce  sujet  (5). 

(3)  C'est  ainsi  qu'il  j  a  dans  la  Réplique  de 
M.  Daillé ,  77e.  part  ,  pag.  36  ;  mais  il  fallait 
dire  Grawérus. 

(4)  Le  litre  latin  est  :  Absurda  absurdorum  ab- 
surdissima  ,  Calvinistica  abMir>la,  hoc  est  invic- 
ta  Demonslraliu  logica  et  tbeologica  aliquot  hor- 
rendorum  paradoxoruui  Calviniani  dogmatis  in 
articnlis  de  personà  Cliristi  ,  cœnâ  dommi ,  Bap- 
tisino  ,  et  praedestinnlione  ,  Jenœ ,  1612  ,  jn-4°., 
cesl  la  seconde  édition. 

(*)  Judiriuin  de  Controv.  Luther,  et  Réf.  , 
ann.  i65o.  Desideriuin  et  Studium  concord.  éc- 
oles ,  ann.  i65i. 

(5)  D.nllé,  Réplique  à  Adam,  77e.  part  , 
thap.  XI  F,  pag.  m.  86. 


(D)  Ses  écrits  sont  en  grand  nom- 
bre.] Les  titres  seuls  feront  connaître 
l'excès  de  son  zèle.  Bellum  Calvini 
etJesu  Christi,  àMagdebourg,  i6o5. 
Harmonia  prœcipuorum  Calviniano- 
rumctPhotinianorum,  àlène  1612,  in- 
4°.  J'ai  déjà  rapporté  YAbsurda  absur- 
dorum, etc.  Son  Anti-lAibinus ,  hoc 
est  Elenchus  paradoxorum  et  emble- 
matum  Calvinisticorutn  D.  Eilhardi 
Lubini  ,  de  prima  causa  et  naturâ 
mali,    à   Magdebourg ,   1606,  i/1-4"., 


(6)  Spizelius 
pag.  4S. 

(7J  Idem  ,  ibid. 
(8)  Idem  ,  pag.  ^0 


Templo    honoris     reseralo , 


2I2  GREBAN.  GRÉGOIRE  I". 

ne  laisse  pas  d'être  un  ouvrage  contre  l'envoya  nonce  àConstantinople  , 
•e  qu  fcilhard  Lu-  p0ur  demander  du  secours  con- 
u  luthérien ,  a  ce    4         ,         T         ,        -,        T,  •    .     , 

raW.  „„„  \a„„  tre  les  Lombards.  Jl  revint  a 
Rome  *  après  la  mort  de  l'em- 
pereur (B)  ,  et  servit  quelque 
temps  de  secrétaire  au  pape  Pe- 
lage; ensuite  il  obtint  permis- 
sion de  se  retirer  dans  son  mo- 
nastère (c).  Lorsqu'il  croyait  y 
jouir  du  repos  de  la  solitude,  il 
fut  élu  pape  par  le  clergé  ,  par 
le  sénat  et  par  le  peuple  romain  ; 
et ,  après  s'être  servi  de  tous  les 
moyens  imaginables  pour  n'a- 
voir pas  cette  charge  (C),  il  fut 
obligé  de  l'accepter  (d).  Il  parut 
par  sa  conduite  qu'on  ne  pouvait 
pas  choisir  un  homme  qui  fût 
plus  digne  que  lui  de  ce  grand 
poste;  car  ,  outre  qu'il  était  sa- 
vant, et  qu'il  travaillait  par  lui- 
même  à  l'instruction  de  l'église 
soit  en  écrivant ,  soit  en  prê- 
chant ,  il  savait  fort  bien  ména- 
ger l'esprit  des  princes  en  faveur 
des  intérêts  temporels  et  spiri- 
tuels de  la  religion.  Le  détail  de 


les  calvinistes ,  encore 
bin  ait  toujours  ve'c 
que  M.  Baillct  assure  (9);  car  sans 
doute  Grawérusle  soupçonnait  d'être 
du  sentiment  de  Calvin  en  certaines 
choses.  Je  laisse  le  titre  de  ses  au- 
tres livres.  Vous  le  trouverez  dans 
Spizêlius  (10),  et  dans  Paul  Fre'- 
her  (11). 

(9)  Au  Ie' '.  lome  des  Anti ,  pag.  35i. 

(10)  In  Templo  Hon.  reserato ,  pag.  'o. 
(HJ  Theatr.  Viror.  illustr.  ,  pag.  3o,5. 

GREBAN  *. 

*  Bavle  n'a  jamais  donné  d'article  à  Gre- 
ban. Mais  Leclerc  ,  dans  ses  remarques  ,  à 
l'occasion  de  la  remarque  (A)  de  l'article 
Chocquet,  ton».  V  ,  pag.  148,  renvoie  au 
mot  Greban  ,  et  en  effet,  au  mot  Greban  ,  il 
dit  :  •<  Deux  poètes  français  de  ce  nom ,  ne's 
».  à  Compiégne  ,  et  frères,  ont  fleuri  au  XVe. 
»>  siècle...  l'un  d'eux,  chanoine  du  Mans,  se 
»  nommait  Arnoul,  et  vivait  vers  iA5o.  11 
»•  mit  les  Actes  des  apôtres  en  vers  français 
»  et  en  personnages  ,  c'est-à-dire  qu'il  en  fit 
»  des  pièces  à  être  repre'sente'es  sur  le  théâ- 
»  tre.  N'ayant  pu  mettre  la  dernière  main  à 
•»  cet  ouvrage  ,  son  frère,  nommé  Simon  , 
».  l'acheva,  et  mourut  après  îlfii.  Simon 
»  était  secrétaire  du  comte  du  Maine.  •> 
Prosper  Marchand  ,  dans  son  Dictionnaire 
historique  ,  a  donné  un  long  et  curieux  ar- 
ticle aux  frères  Greban. 

GRÉGOIRE  Ier..  surnommé  le 


Grand  ,  né  à  Rome  d'une  famille  cette  conduite  me  mènerait  trop 

patricienne  ,    fit    paraître    tant  loin  ,  et  je  me  dispense  d'autant 

d'habileté  dans   l'exercice   de   la  plus    raisonnablement    de    m'y 

charge  de  sénateur,  que  Tempe-  étendre,  que  chacun   s'en  peut 

reur  Justin  le  jeune  le  créa  pré-  instruire  dans  un  écrivain  mo- 

fet  de  Rome  *1  (a).  Il  quitta  cet-  derne  (e)   Mais  je  marquerai  que 

te  dignité  dès  qu'il  eut  compris  notre  pape  entreprit  la   conver- 

qu'elle  l'attachait  à  la  terre,  et  sion  des  Anglais  (D).  et  qu'il  en 

s'enferma    *2   dans   un    couvent  vint  à   bout  fort   heureusement 

(A) ,  sous  la  discipline  de  l'abbé  par  les  secours  d'une  femme  (y), 

Valentius(i^).  Il  en  fut  tiré  bien-  selon  le  train  ordinaire  des  ré- 

tôt  par  le  pape  Pelage  II  ,  qui  le  volutions  de  religion.  Ses  maxi- 

fit  son  septième  diacre  *3,  et  qui  mes  touchant  la  contrainte  de  la 

conscience  n'ont  pas  été  unifor- 


*  '  Ce  fut  environ  l'an  537  ,  dit  Leclerc. 

(a)  Maimbourg  ,  Histoire  du  pontificat  de 
saint  Grégoire 

*a  Vers  l'an  5?5  ,  dit  Leclerc. 

(b)  D'autres  le  nomment  Valenlin. 

*3  C'est-à-dire ,  l'un  des  sent  archidiacres 
de  Rome  ,  dit  Leclerc  ,  qui  ajoute  que  ,  sui- 
vant Fleuri ,  ce  fut  Benoît  Ier.  qui  lui  confé- 
ra cette  dignité. 


*  En  583  ,  dit  Leclerc. 

(c)Maimb.  ,  Hist.  du  pontificat  de  saint 
Grégoire  ,  pag     7   et  8. 

(rf)  Il  fut  installé  le  3  de  septembre  5go. 

(e)  M.  Maimb. ,  dans  /'Histoire  du  ponti- 
ficat de  saint  Grégoire-le-Grand. 

(/')  Voyez  la  remarque  (D). 


GRÉGOIRE  Ier.  2i3 

mes ,  et  il  donnait  quelquefois  che  de  Constantinople  était  mal 
dans  un  grand  relâchement  (E).  réglé  (K).  Il  n'est  pas  certain 
Aussi  est-il  bien  difficile  d'avoir  qu'il  ait  fait  détruire  les  beaux 
des  règles  pour  une  chose  si  monumens  de  l'ancienne  ma— 
contraire  à  la  raison.  En  récom-  gnificence  des  Romains  (L),  afin 
pense,  sa  morale  par  rapport  à  la  d'empêcher  que  ceux  qui  venaient 
chasteté  des  ecclésiastiques  était  à  Rome  ne  fissent  plus  d'atten- 
très-rigide  (F)  ;  car  il  prétendait  tion  aux  arcs  de  triomphe,  etc. 
qu'un  homme  qui  avait  perdu  sa  qu'aux  choses  saintes.  Faisons  le 
virginité  ne  devait  point  être  même  jugement  de  l'accusation 
admis  au  sacerdoce,  et  il  faisait  qu'on  lui  intente,  d'avoir  fait 
interroger  là-dessus  les  postu-  brûler  une  infinité  de  livres 
lans.  Il  exceptait  de  cette  néces-  païens  (M),  et  nommément  Tite 
site  les  veufs ,  pourvu  qu'ils  eus-  Live  (N).  Il  mourut  le  10  de 
sent  été  réglés  dans  leur  mariage  mars  60  j.  Je  ne  ferai  point  de 
et  que  depuis  fort  long-temps  remarque  concernant  ses  OEu- 
ils  eussentvécu  dans  la  continen-  vres  ;  je  renvoie  mon  lecteur  à 
ce.  Il  fut  aussi  fort  sévère  à  l'é-  M.  du  Pin ,  dont  l'ouvrage  est 
gard  de  la  calomnie  (G).  Tout  plus  commun  que  ne  sera  ce 
bien  compté ,  il  mérite  le  sur-  Dictionnaire.  J'ai  pensé  oublier 
nom  de  grand  :  mais  on  ne  sau-  l'attachement  de  ce  pape  pour  la 
rait  excuser  la  prostitution  de  psalmodie  de  l'église  (0). 
louanges  avec  laquelle  il  s'insi-  L'ouvrage  ,  que  dom  Denis  de 
nua  dans  l'amitié  d'un  usurpa-  Sainte-Marthe  (g)  a  fait  impri— 
teur  (H),  tout  dégouttant  encore  mer  (h)  sous  le  titre  d'Histoire 
d'un  des  plus  exécrables  parri-  de  saint  Grégoire-le-Grand  , 
cides  que  l'on  puisse  voir  dans  n'avait  point  encore  paru  lors- 
l'histoire.  C'est  uu  exemple  très-  que  je  fis  cet  article.  Je  viens  de 
insigne  de  la  servitude  ou  l'on  parcourir  cette  histoire ,  et  il 
tombe  ,  dès  qu'on  veut  se  soute-  me  semble  que  ce  serait  un  pa- 
nir  dans  les  grands  postes.  Quaud  négyrique  continuel  de  ce  grand 
on  compare  ses  flatteries  pour  pape ,  si  l'auteur  n'avait  souvent 
l'empereur  Phocas,  avec  celles  entrecoupé  les  éloges  par  plu— 
dont  il  régalait  une  très-mé-  sieurs  observations  qui  expli- 
citante reine  de  France  (1),  on  quent  les  matières,  et  qui  éclair- 
doitconvenirqueceux  qui  leçon-  cissent  les  faits ,  ou  qui  sont  la 
traignirent  à  être  pape  le  con-  réfutation  de  quelques  autres 
naissaient  mieux  qu'il  ne  se  con—  écrivains.  Il  donne  dans  sa  pré- 
naissait lui-même.  Ils  voyaient  face  une  liste  de  ceux  qui  ont 
en  lui  le  fonds  de  toutes  les  ruses  composé  la  vie  de  saintGrégoire, 
et  de  toutes  les  souplesses  dont  et  c'est  là  qu'il  censure  quelques 
on  a  besoin  pour  se  faire  de  fautes  du  ministre  Pierre  Du- 
grands  protecteurs  ,  et  pour  at-  moulin  ,  outre  celle  que  l'on  a 
tirer  sur  l'église  les  bénédictions  vue  dans  la  remarque  (C).  11  ne 
de  la  terre.  1 1  y  a  beaucoup  d'ap- 

1        <  1  »-i    \  '         •  ttA   Bénédictin    de    la    congrégation   de 

parence  que  le  zèle  qu  il    temoi-    ..  5   ,,  °    s 

gna  contre  1  ambition  du  patnar-      (/<>  a  Rouen  .  i6q; .  in-\°. 


2ï4  GRÉGOIRE  I". 

paraît  guère  content  de  M.  Maim-  néralement  parlant,  que  les  ob- 
bourg(P).  Il  réfute  le  cardinal  jets  de  la  mémoire  sont  dune 
Baronius  en  ce  qui  concerne  le  nature  très-différente  de  celle 
monacat  de  saint  Grégoire  ,  et  des  objets  de  la  vue.  Ceux-ci  di- 
il  combat  quelques  sentimens  de  minûent  à  proportion  de^  leur 
M.  de  Goussainville  (£).  Ce  qu'il  distancent  ceux-là,  pour  l'ordi- 
observe  contre  les  centuriateurs  naire,  grossissent  à  mesure  qu'on 
deMagdebourg  estmêléde  faus-  est  éloigné  de  leur  temps  et  de 
se  critique.  Nous  le  verrons  ci-  leur  lieu  (m). 
dessous  (Q).  Je  n'ai  point  trou- 
vé qu'il  blâme  de  rien  le  pape 
Grégoire  :  il  prend  le  parti  d'a- 
pologiste sur  toutes  choses  ,  sur    v 

les  louanges  données  à  Phocas  et    l'avait  fondé  à  Rome ,  dans  sa  maison 
à    Brunehaud  ,  sur   la  crédulité    paternelle  (i),  et  il  en  avait  donne  la 
in  r  r  '    direction  à  Valentnis  ,  cru  il  tira  d  un 

avec  laquelle  ce   pape  a    publie    ZlTstL  de  province  (»).  H  fonda 
tant  de  miracles  dans  ses  dialo- 
gues (R)  ,  et  sur  l'inconstance  de 
ses  principes  à  l'égard  des  persé- 
cutions de  religion  ,   etc.    11    se 


(m)  Omnia  post  obitumfingil  majora  t>e- 
tustas, 

(A)  77  s'enferma  dans  un  coûtent.] 
Ce  fut  dans  celui  de  Saint-André  :  il 


six    autres   couvens  dans   la   Sicile  T 

et  il  fendit  tout  le  reste  de  ses  biens 

dont  il  donna  le  prix  aux  pauvres  (3). 

(B)  //  revint  a  Rome  après  la  mort 


'  de  l'empereur.]  Cet  empereur  s'ap- 
range  du  parti  de  ceux  qui  nient  pe]ait  Tibère  :  il  mourut  le  i^  d'août 
que  saint  Grégoire  ait  délivré  582  (4)  ;  et  cela  fait  voir  une  grosse 
des  enfers  l'âme  de  Traian  (k).  faute  de  M.  Maimbourg.  Il  dit  (S) 
S'il  était  vrai  nu'anrès  la  mort  que  Grégoire ,  qui  ne  put  obtenir  au- 
5il    était  vrai  qu  après  la  mort    cuq  secours  .  ne  faissa  pas  de  servir 

de  ce  pape  on  eût  brûle  une  par-    trei-utilement  l'église,  puisqu'il  cora- 
tie  de  ses  écrits  ,  et  qu'on  n'eût    posa  à  Constantinople   son  excellent 

,      ,  a     1      '     1        1  1        A  1  ''  T  *'' '"-    --'—      '■"'■        of     «-ni  il 

ete  empêche  de  les  brûler  tous , 
que  par  le  moyen  d*un  incident 
(S)  fort  semblable  à  celui  qui  avait 
anciennement  détourné  le  peuple 
romain  de  faire  mourir  les  sé- 
nateurs  comme   meurtriers    de 
Roniulus(«?)  ,  quelques  personnes 
en     concluraient  que    la   gloire 
de  ce  pape ,  aussi-bien  que  celle 
de  quelques  autres  anciens  pères, 
ressemble  aux   neuves  ,  qui  de 
très-petits  qu'ils  sont  à  leur  sour- 
ce deviennent  très-grands  lors- 
qu'ils en  sont  fort  éloignés.  Il  y 
aurait  à  redire  dans  cette  com- 
paraison ;  mais  il  est  certain,  gé- 

(i }  /tuteur  de  l'édition  des  Œuvres  de  saint 
Grégoire,  1675. 

(k)  Voyez  la  remarque  (  V)  de  l'article 
Tb'ajan,  tom.  XIV. 

(/)  Voyez  Plutarque,  dans  la  Vie  de  Ro- 
mulus  ,  pag.  35. 


livre  des  Morales  sur  Job  ,  et  qu  il 
obligea  ,  par  ses  doctes  conférences  , 
le  patriarche  Euifchius  a  rétracter 
ses  erreurs  touchant  la  résurrection. 
Après  quoi  ,  continue-t-il ,  sa  non- 
ciature étant  finie  par  le  décès  de 
l'empereur  Tibère  qui  mourut  sur  ces 

entrefaites  , il  retourna  a  Rome. 

Il  met  ces  conférences  à  l'an  586  :  il 
faut  donc  qu'il  croie  que  Tibère  ne 
mourut  pas  avant  cette  année,  et 
c'est  là  une  grosse  erreur  de  chrono- 
logie. M.  Cave  met  les  mêmes  confé- 

(0  Maimbourg  ,  Histoire  du  pontificat  (le  saint 
Grégoire-le -Grand,  pag.  7,  édition  de  Hol- 
lande. 

(1)  Monaslerio  suo  urbano  Valeiitium  ex  mo- 
naUerio  i'.  Equitii  m  provincid  Valerid  acci- 
tumprafecit.  Cave,  Hist.  litterar.  Scriplor.  ec- 
clesiast.',  pag.  43o. 

(s)  Maimbourg  ,  Histoire  du  pontificat  de  saint 
Grégoire,    pag.   7. 

(4)  Clironio..  Alcxandr.  Voyez  le  père  P.igi  , 
Oiss.  Ilypalica,  pag.  336,  et  Denis  de  Sainte- 
Marthe,  f"g-  '00  1  i01  ^e  /'Histoire  de  saint 
Grégoire. 

(5)  Histoire  du  pontificat  de  saint  Grégoire, 
pan-  8- 


GRÉGOIRE  Ier. 


2l5 


renées  ,  et  la  mort  de  cet  empereur 
à  Fan  586  (6).  11  a  donc  commis  la 
même  faute.  Baronius  (7)  ,  lui  aussi , 
met  la  mort  de  cet  empereur  à  la 
même  année*  5  sa  fausse  chronologie 
n'a  pas  e'te'  connue  de  M.  du  Pin  (8). 
(C)  //  se  servit  de  tous  les  moyens 
imaginables  pour  n'avoir  pas  cette 
charge. "\  Il  e'erivit  à  l'empereur  une 
lettre  très-pressante  ,  où  il  le  conjure 
de  ne  pas  confirmer  son  élection  ,  et 
d'ordonner  qu'on  en  fus;  e  prompte- 
ment  une  antre  d'un  sujet  qui  eût  p/'is 
de  capacité ,  de  force  et  de  saute  qu'il 
n'en  avait  (9)  ;  et  quand  il  eut  su  que 
sa  lettre  avait  été  interceptée  par 
le  gouverneur  de  Rome  ,  et  qu'il  se 
fut  persuade  que  son  e'iection  serait 
confirmée  à  la  cour  impériale,  il  prit 
la  fuite  ,  et  s'alla  cacher  au  fond 
dune  foret  ,  dans  une  caverne ,  ré- 
solu  d'y  vivre jusqu'à  ce  que,  dés- 
espérant de  le  trouver,  on  eût  fait  une 
nouvelle  élection  (10).  Il  fallut  que  par 
des  signes  célestes  il  apprît  manifes- 
tement que  Dieu  voulait  qu'il  fût 
pape;  il  fallut ,  dis-je,  qu'Ai  apprît 
cela  par  cette  voie  surnaturelle,  avant 
que  de  se  résoudre  à  accepter  le  pa- 
pat.  On  prétend  (1 1)  qu'une  colombe 
volant  devant  ceux  qui  le  cherchaient, 
leur  montrent  le  chemin  qu'ils  devaient 
suivre  ;  ou  qu'une  lumière  miraculeuse 
leur  marquait  l'endroit  de  sa  retraite. 
Voilà  qui  ressemble  fort  à  l'aventure 
des  mages  qui  allèrent  adorer  le  .Mes- 
sie nouveau -ne.  L'exclamation  de 
M.  Maimbourg,  sur  la  résistance  de 
saint  Grégoire,  est  fort  juste.  Grand 
exemple  ,  s'écrie-t-il  (ia)  ,  qui  doit 
confondre  la  furieuse  ambition  de 
ceux  qui,  n'ayant  rien  d'approchant 
de  la  sainteté,  de  la  doctrine  et  de  la 
suffisance  de  ce  grand  homme  ,  qui 
s'ensevelit  tout  vivant  sous  terre  pour 
se  garantir  du  pontificat  comme  d'un 
coup  de  foudre ,  font  par  leurs  brigues 

(6)  Histor.  lilterar.  Scriptoc  ecclesiast.  ,  pag. 
43o. 

(7)  In  Annal. 

*  Il  est  très-vrai,  dit  Leclcrc ,  que  Baronius 
avait  d'abord  mis  5^6  :  il  se  corrigea  depuis, 
mais  imparfaitement ,  en  mettant  583. 

(8)  Noliv.  bibliolb.  des  Auteurs  ecc)é»iast.  , 
tom.  V ,  pag.  102  ,  édition  de  Hollande. 

(9)  Maimbonrg  ,  Histoire  du  pontificat  de  saint 
Grégoire  ,  pag.   10. 

(10)  La  même  ,  pag.  i3. 
(il)  T.'a  même. 

<">  p«s-  »4- 


scandaleuses  une  espèce  de  violence 
au  Saint-Esprit  pour  s'élever  contre 
ses  ordres  par  des  voies  purement  hu- 
maines et  très-peu  canoniques  ,  jus- 
qu'il la  première  place  de  l'église. 
Voyez  lc>  Ni  nivelles  de  la  République 
des  Lettres  (1 3)  dans  l'extrait  d'un  li- 
vre intitule'  de  Clerico  renilenle.  Je 
ne  dois  pas  oublier  un  autre  endroit 
de  M.  Maimbourg,  touchant  les  ré- 
ponses de  suint  Grégoire  aux  lettres 
dont  on  l'accabla  de  tous  côte's  (i4)  , 
pour  lui  témoigner  la  part  qu'on 
prenait  dans  la  joie  que  tout  le  momie 

avait  de  son  exaltation //  n'y  fit 

réponse  que  par  des  expressions  très- 
vives  de  l'extrême  douleur  qu'il  res- 
sentait d'avoir  été  tiré  de  sa  solitude  , 
pour  être  replongé  dans  l'abîme  des 
affaires.  Mais  parce  que  l'expérience 
a  fait  voir  dans  tous  les  siècles  ,  c'est 
la  réflexion  de  M.  Maimbourg ,  que 
les  belles  choses  qu'un  homme  d'es- 
prit peut  dire  et  peut  écrire ,  ne  sont 
pas  toujours  une  bonne  preuve  de  sa 
droite  intention  et  de  sa  vertu  ,  et 
qu'il  s'en  voit  assez  qui  pensent  et  font 
tout  le  contraire  de  ce  qu'ils  prê- 
chent et  de  ce  qu'ils  écrivent  :  je  ne 
copierai  point  ici  ce  que  ce  grand, 
pontife  a  dit  de  lui-même  sur  ce  sujet 
dans  ses  écrits.  Mais  il  y  a  une  chose 
que  l'équité  ne  souffre  pas  que  j'ou- 
blie ;  c'est  une  faute  du  célèbre  Pierre 
Dumoulin  ,  relevée  par  M.  Maim- 
bourg *.  Afin  que  personne  ne  se 
plaigne  que  j'exténue  ou  que  j'am- 
plifie la  chose ,  je  me  servirai  des  pro- 
pres termes  du  censeur  (i5). 

Le  minisire  Dumoulin,  dans  un 
Jielit  écrit  qu'il  a  fait  sous  le  faux  ti- 
tre de   Vie    de    saint,  Grégoire    Ier.  , 

surnommé    le  Grand veut  faire 

accroire que   ce  pontife   romain. 

était  d'une  religion  contraire  à  la 
notre.  Mais  sans  qu'il  faille  se  don- 
ner la  peine  de  réfuter  un  si  miséra- 
ble libelle  ,  c'est  assez  que  je  mon're  , 
pour  faire  voir  quelle  créance  il  mé- 
rite, qu'il  commence  parla  plus  hor- 
rible et  la  plus  grossière  imposture 
qui  fut  jamais.    Car  voici  comme    il 

(iî)Ju  moir  de  février  iC>85,pag.  1-9. 

(i4)  Maimbourg.  Histoire  du  pontificat  de  saint 
Grégoire,  pag.    i^. 

*  Ce  que  Raylc  appelle  une  Caute  ,  est  ,  dit 
Joly  ,  appelé  par  Maimbourg  lapins  horrible  et 
la  plus  grossière  imposture  qui  fut  jamais. 

(\5)  Maimbourg  ,  pre'f.  de  /'Histoire  du  l'onti- 
ln.it  de  saint  Grégoire. 


2i6  GRÉGOIRE  Ier. 

parle  au  chapitre    II  page   g,  pour    bonnes  lettres ,   et  fort  zélée  pour  la 
prouver  contre  le  témoignage  de  Gré-  foi  catho/icjiic  (19).  Elle  le  disposa  à 


écrit  la  Vie  de  Grégoire  ,  notamment  .se/orc  u«e  </es  vieilles  superstitions  du 
Grégoire  de  Tours,  disent  qu'il  lit  peuple,  afin  que  s'ils  voulaient  user 
quelque  résistance  ;  mais  cela  est  mal    de  quelque  charme  et  de  quelque  se- 


fùt  établi  évéque  ,  et  il  cite  a  la  mai^-   paisiblement ,  il  leur  dit  que  tout  ce 
ge  ces  paroles  '•  sibi  ut  imponeretur    qu'il  venait  d'entendre  lui  plaisait  in- 
episcopatus  non   restitisse,  qu'il  n'a  Jîniment  ;    que   néanmoins  ces  belles 
point  résisté  à  ce  qu'on  le  chargeât  de    choses  ,   et  surtout  ces    magnifiques 
l'épiscopat.     Qu'on    lise    maintenant    ptvmesses  qu'ils    lui  faisaient   d  une 
cette  épître  ,  on  y  trouvera  justement    vie  étemelle  ,  ne   lui  paraissant  pas 
tout  le    contraire.    En    effet,   saint    trop  assurées  ,  il  ne  trouvait  pas  qu  il 
Grégoire  se  plaint  à  son  ami  Jean  ,   fût  à  propos   d' abandonner  ce    qu'il 
patriarche  de  Constantinople  ,  de  ce    tenait  de    ses   ancêtres,   pour  courir 
qu'il  n'a  pas  empêché ,  par  les  bons    après  l'incertain  (10).  Il  leur  permit 
offices  qu'il  lui  devait  rendre  auprès    de  prêcber  dans  son  royaume  ;  il  per- 
de   l'empereur  ,    qu'on  ne  confirmât    mit  aussi  à  tous  ceux  qui  goûteraient 
son  élection  ;  et  voici  comme  il  parle  :    leur   doctrine   de   l'embrasser.    Il  se 
Si  l'on  nous  commande  d'aimer  no-    convertit  lui-même   (ai)  :  et  comme 
tre    prochain    comme   nous-mêmes  ,    l'exemple  des  rois  est  ordinairement 
d'où   vient    que   votre   béatitude   ne    très-efficace,    soit  pour  le  bien,  soit 
m'aime  pas  comme  soi-même  ?  Car  je    pour  le  mal ,  la  plupart  des  cinglais 
sais  avec  quelle  ardeur  elle   a  voulu    embrassèrent   après   lui  la  foi  cliré- 
fuir  l'épiscopat  ;  et  néanmoins  elle  ne    tienne.  Et  ce  qui  acheva  de  les  gagner, 
s'est  pas  opposée  à  ce  qu'on  m'impo-  fut  celte  manière  également  douce  et 
sât  cette   même  charge.  Saint   Gré-    efficace  dont  il  les  sut  prendre.  Car  il. 
goire  se  plaint  ici,  en  termes  formels ,    ne  violenta  et  ne  contraignit  par  force 
de  ce  qu'on  ne  s'est  point  opposé  h  ce    personne  h  renoncer  à  leurs  anciennes 
qu'on  le  fît   évéque  de  Rome  ;    et   le    superstitions,    ayant    appris   de   ses 
ministre     Dumoulin    veut   que   saint    docteurs  ,  que  le  service  qu'on  rend  a 
Grégoire  avoue  en  cet  endroit  même  ,    Jésus-Christ ,  doit  être  volontaire  (22). 
qu'il  n'y  a  fait  aucune  résistance  ,  at~    La  reine  contribua  extrêmement  à  ces 
tribuant  ainsi  a  ce  saint  pape  ce  que    conversions  5  car  non-seulement  elle 
lui-même  dit  du  patriarche  de   Con-    disposa  le  roi ,  son  époux ,  à  traiter 
stantinople  ,  en  se  plaignant  de  lui.    favorablementles  missionnaires,  mais 
(D)  //  entreprit  la   conversion  des    aussi  à  se  convertir.  Il  n'y  a  eu  guère 
Anglais.}   Il  envoya   en    Angleterre    de  révolution  de  religion  en  bien  ou 
quelques  moines   de   son    monastère    en  mal,  à    quoi   les  femmes  n'aient 
(16)    sous   la    conduite    d'Augustin,    donné  le  grand  branle.  M.  Maimbourg 
leur  abbé   (17) ,  que   les   évéques  de    nous  en  va  donner  quelques  exem- 
JFrtince  consacrèrent  premier  évéque    pies  (a3).  «  On  peut  dire  que  ,  comme 
de  la  nation,  des  Anglais,    selon  le     »  le  diable  se  servit,  autrefois  des  ar- 
pouvoir  qu'ils    en   avaient    de    saint    »  tifices   de    trois   impératrices    (*)  , 
Grégoire  (18).  Ethelrède  régnait  alors 
en  Angleterre,  et  avait  épousé  Aide-       fo)  £««»«»*.  P"S-  »°7- 

bi>      .1  .111       1      /-il        -L  (aoJ  ''"  même,  pag.  208  .  a  l  ann.  S07. 

erge  ou   Derme ,  hlle  de  Chanbert  ,       ;    >  T-     -  ■  v        a 

.  ",       _,  '.  »  (21;  La  mente,  pag.  312  ,  a  l  ann.  hoo. 

roi    de   France ,    jeune    princesse    de       („}  Vm.ez  les  Nouveiics  a«  i.   République 

beaucoup    d'esprit,    instruite  dans  les  .les  Lettres  ,  mois  de  février    1686,  j>ag.    ujï, 

aoi  ,  contre  la  comparaison    ijue   Mfumbmirg  a 

(ifi)  C'esl-à-dirr,  de  celui  qu'il  avait  fondé  il  /'"'««/>«'«  '"  méthode  convértisseuse  d'Elhelrède 

Home  dans  >a  maison.  et  celle  <le  Lotus  Xl*  ■ 

(17)  Mainibourç,  Histoire  «lu  pontificat  Je  saint         ''2'>  Histoire  du  pontificat  île  saint  Grégoire  , 
Grégoire,  pag.  2ui.  p°g-  G9 

(18)  Là  même,  pag.  206.  (*)  Conslanlia  ,  Eusebia,  Vomiitica. 


GRÉGOIRE  I",  2r7 

»  qui  furent  femmes ,  Tune  de  Lici-    Cet  exemple/;^,  bientôt  après ,  suivi 
•»  nius,  l'autre  de   Constantius  ,  et  la    en  Espagne  et  en  Italie  ,  et  principa- 
))  troisième  de  Valens  ,  pour  e'tahlir    tentent  en  Provence,  ou  l'on  fit  en- 
»  l'hérésie  arienne  en  Orient,  Dieu,     core  plus  qu  il  ri  avait  fait.  Car,  sans 
»  pour  renverser  sur  son  ennemi  ses    5e  mettre  en  peine  de  les  attirer  a  la 
»  machines,  et  le  combattre  de  ses  foi  par  de  saintes  instructions  et  par 
»  propres  armes ,  se  voulut  aussi  sep-    de  bons  exemples ,  on  les  contraignait 
»  vir  de  trois  illustres  reines,    Clo-    de  recevoir  le  saitit  baptême  maigre 
»  tilde,  femme  de  Clovis,  Ingonde  ,    qu'ils  en  eussent  :  ce  qui  causait  au- 
»  épouse   de    saint  Erménieilde  ,    et    tant  de  profanations    d'une  chose  si 
»  Theodelinde  ,  femme  d'Agilulphc  ,    sainte ,  et  de  sacrilèges  qu'il   y   avait 
»  pour  sanctifier  l'Occident,  en  con-    de   baptisés    parmi    les  juifs.    Saint 
y  vertissant  les  Français  du  paganis-    Grégoire ,  pour  empêcher  un  si  grand 
»  me,  et  en  exterminant  l'arianisme    mal,  en  écrivit^*')  à  Virgilius ,  arche- 
»  de  l'Espagne  et  de  l'Italie,  par  la    vêque  d!  Arles ,   et  a  Tliéodore ,  évé- 
»  conversion  des  Visigoths  et  des  Loin     que  de  Marseille ,  deux  grands  hom- 
»  bards.  »  Dans  un  autre  ouvrage,  il    mes  de  bien,  leur  ordonnant  de  faire 
n'avait  parle  que  des  services  rendus    en  sorte  qu'on  ne  contraignit  pas  les 
par  des  femmes  aux  mauvaises  causes,    juifs  de  se  faire  baptiser ,  de  peur  que 
Comme  s'il   était   de   la  destinée  de    les  sacrés  fonts  où  l'on  renaît  à  une 
chaque  hérésie ,  dit-il  (24)  ,  selon  qu'il    vie   divine  parle   baptême,    ne  leur 
a  paru  par  cent  exemples  ,  de  trouver    soient  occasion  d' une  seconde  mort  plus 
toujours  sa  protection ,  et,  si  je  m'ose  funeste  que  la  première  par  l'aposta- 
exprimer  ainsi,  de   trouver  son  fort    sie- Il  avait  écrit,  un  peu  auparavant, 
dans  le  faible  de  quelque  princesse  ,    la  même  chose  a  l' évéque  de  Terracine 
qui,  ou  par  vanité  pour  s'en  faire    (26).  Il   lui   ordonna  de  laisser   aux 
honneur,    ou  par  illusion,    pensant    juifs   l'entière  liberté  de  s'assembler 
peut-être  s'en  faire  un  mérite  ,   veut    au  lieu  qui  leur  a  été  accordé  pour  y 
devenir  le  chef  d' un  parti ,  qui,  ne  se    célébrer  leurs  fêtes  (27).  C'est  ce  qu'il 
pouvant  soutenir ,  tombe,  et  l'accable    e'erivit  encore  quelque  temps  après 
enfin  misérablement  sous  ses  ruines,    à  l'évêque  de  Cagliari ,  en  Sardaigne. 
(E)  Il  donnait  quelquefois  dans  un    «   Les  lois  ,  lui  dit-il ,  défendent  bien 
grand  relâchement.)  Le  peu   d'uni-    »  aux  juifs  de  bâtir  de  nouvelles  sy- 
formité  de  ses  maximes  paraît  mani-    •'  nagogues  :    mais    aussi    elles    leur 
festement ,  en  ce  qu'il  n'approuvait    "  permettent  de  posse'der  les  ancien- 
pas  que  l'on  contraignît  les  juifs  à  se    "  nés  ,  sans  qu'on  puisse  les  inquiéter 
faire   baptiser,    et  qu'il    approuvait    "  là-dessus  (*').  Et  il  ajoute  ce  qu'il 
que  l'on  contraignît  les  hérétiques  à    "  dit  aussi  au  sujet  des  juifs  de  Mar- 
revenir  à  l'église.  Saint  A  vil,  évêque    "  seille  ,  que  c'est  par  la  prédication 

de  Clermont  en  Auvergne allant    »  qu'il  les  faut  attirer  à  lafoi,  et  non 

après  son  clergé  en  procession  par  la    »  Pas  Par  la  violence  :  que  Dieu  veut 

ville  ,  tout  le  peuple  qui  le  suivait »  que  le    sacrifice  qu'on  lui  fait  de 

se  jeta  tout  a  coup  sur  la  synagogue  »  l'esprit  et  du  cœur  soit  volontaire  ; 
des  juifs  ,  et  la  renversa  tellement  de  »  et  «1  ajoute,  que  ceux  qui  se  con- 
fond  en  comble ,  qu'il  rien  resta  plus  »  vertissent  par  contrainte  et  par 
que  la  place  tout  aplanie  ,  et  sans  »  nécessité  retournent  à  leur  vomis- 
qu'il  y  restât  pierres  sur  pierres  (a5).  »  sèment ,  quand  ils  le  peuvent  (28).  » 
Le  prélat  ,  voulant  profiter  d'une  oc-    Cela  va  le  mieux  du  monde  5    mais 


casion  si  favorable,  fit  dire  aux  juifs 
qu'ils  eussent   à   se  convertir,  ou   à 


(*')  Dum  quispiam  ad  Baptismatis  fontem 
non  prredicalione  ,  sed  necessilate  pervenerïl , 
sortir  de  Son  dlOCeSC  1  rois  Cents  „d  prislinam  superstitionem  remeans ,  ind'e  de- 
d'entre    eUX    Se    Convertirent  ,     Ct    les     terius  moritur ,  undè  renalus  esse  videbalur.  L. 

autres  furent  contraints  de  se  retirer,     "'/j?;!5-    ,  „•  .  ■    j         ,-r    .j 

(26)  Maimboui»,  Histoire  du  pontificat  desamt 
Grégoire  ,  pag.  1^0. 
(24;  Histoire    du   grand    Scliisme    d'Occident,  {**•)  L'a  même  ,  pag.  il^i. 

5*/'    ft'"**"  '"'  ,R3'  *"   '"*'"  ''"    '°  Pr'"ces'e  (**)  Quia  siiul  legalts  definitio  Jitdœos  notai 

.Ç™!  protectrice  de  Wiclef.  V-orez  aussi  ce      non  palitur  erixerr  rynagoga* ,  ila  quoque  eo< 
q"  il  du  dans  le  même  ouvrage,  Iw.  IV,  pag.  7g.      sjne  inquietudine  veteres  liabere  permuta. 

(ï5)  Maimbourg,  Histoire  du  pontificat  de  saint  (28)  Maiml  oiirg,  Histoire  du  pontificat  de  .'aint 

Grcjgoire,  pag.  3;iC).  Grégoire  ,  pag.  242. 


2l8 


GREGOIRE  I". 


voici  une  étrange  distinction  ,  et  qui 
fait  une  monstrueuse  bigarrure  dans 
in  système.  «  (29)  Ce  n'est  pas  nean- 

>  moins  que  ,  selon  lui-même  ,  il  n'y 

>  ait  en  ceci  grande  différence  entre 
j  les    infidèles    et    les    hérétiques  , 

>  principalement  au  commencement 

>  des-  he're'sies.  Car  ceux-ci  doivent 
,  être  traités    comme  des   rebelles  , 

>  des  perfides  et  des  parjures  qui  ont 
1  fausse'  la  foi  qu'ils  avaient  donne'e 
,  à  Dieu  et  à  l'église  catholique,   de 

>  laquelle  ils  sont  sortis ,  en  se  ré- 
1  voltant  contre  elle ,  et  s'eflbrçant , 

>  autant  qu'ils  peuvent ,  de  l'anéan- 
1  tir.    On    peut  les    contraindre    de 

rentrer  dans  l'obéissance  qu'ils  lui 
doivent,  et  dans  leur  devoir  ;  et , 
s'ils-  ne  le  font ,  les  punir  comme 
le  veulent  les  lois  impériales  ,  les 
saints  pères  ,  et  Calvin  même  ,  qui 
a  fait  un  écrit  sur  ce  sujet  pour 
justifier  sa  conduite  à  l'égard  de 
Servet,  qu'il  fit  condamner  au  feu 
à  Genève.  Il  n'en  est  pas  ainsi  des 
païens,  des  juifs  et  des  mahomé- 
tans ,  ni  même  de  ces  hérétiques 
qui,  étant  nés  dans  l'hérésie  qu'ils 
ont  reçue  de  leurs  ancêtres  ,  n'ont 
jamais  été  élevés  dans  l'église  non 
plus  que  tous  ces  infidèles.  On  ne 
doit  pas  les-  contraindre  directe- 
ment ,  et  à  vive  force,  de  se  con- 
vertir ,  surtout  quand  on  les  a  to- 
lérés quelque  temps.  Mais  saint 
Grégoire  nous  apprend,  et  par  sa 
doctrine  ,  et  par  son  exemple,  qu'il 
est  bon  de  les  y  contraindre  indi- 
rectement,  selon  l'Évangile,  qui 
dit  :  Compelle  intrare.  »  Ce  qui  se. 
veut  faire  en  ces  deux  manières  :  l'une 
en  traitant  à  la  rigueur  les  obstinés  ; 
autre  en  faisant  du  bien  à  ceux  qui 
e  convertissent.  «  C'est  ainsi  que 
1  saint  Grégoire  veut  qu'on  persécute 

>  les  manichéens,  obstinés  dans  leur 
)  hérésie  ;  qu'il  ordonne  à  l'évêque 
)  de  Cagliari  de  surcharger  les  pay- 

>  sans ,    et  ceux    d'entre    les    païens 

>  qui  appartiennent  à  l'église  ,  et 
tiennent  ses  terres  ,  et  qui  refusent 
toujours  opiniâtrement  d'embras- 
ser'le  christianisme  ;  et  qu'au  con- 
traire  il  veut  qu'on  décharge  les 
juifs  qui  se  convertiront  du  tiers 
qu'ils  sont  obligés  de  rendre  à  IV- 


(aç)ï  MainibonrR,  Histoire  du  Pontificat  de  saint 
Grégoire,  png.  2:'(3  ,  il\t\. 


»  glise  romaine  ,  pour  les  terres  de 
w  son  patrimoine  qu'ils  cultivent 
»  dans  la  Sicile,  afin  que  les  autres  , 
»  attirés  par  l'espérance  d'une  pa- 
»  reille  remise  ,  se  rendent  plus  faci- 
»  lement  chrétiens  ;  et  cependant,  à 
»  ceux  qui  pourraient  tenir  ces  sor- 
»  tes  de  conversions  intéressées  pour 
»  fort  suspectes,  il  dit  (*)  ,  que  si 
»  ces  gens-là  trompent  ,  et  ne  sont 
»  pas  bien  convertis ,  on  gagnera  tou- 
»  jours  beaucoup  ,  en  ce  que  du 
»  moins  leurs  enfans  deviendront 
»  bons  catholiques.  » 

Ceci  pourrait  fournir  la  matière 
d'un  long  discours;  je  me  contente 
de  quelques  notes.  i°.  Il  est  certain 
que  l'alternative  de  la  conversion  ou 
de  l'exil  est  très-dure  et  très-propre 
à  faire  des  hypocrites;  car  que  ne 
font  pas  les  gens  d'une  médiocre  pié- 
té ,  pour  ne  pas  perdre  les  douceurs 
du  pays  natal?  Et,  en  un  mot,  tous 
ceux  qui  proposent  cette  alternative 
la  condamnent  comme  une  action  de 
tyran  partout  où  ils  y  sont  exposés 
eux-mêmes  ;  marque  évidente  qu'ils 
ne  jugent  de  la  justice  d'une  action 
que  par  la  règle  de  leur  intérêt,  quod 
volumus  sancium  est.  a0.  C'est  attri- 
buer à  l'église  un  pouvoir  qu'elle  n'a 
pas  ,  que  de  prétendre  qu'elle  peut 
traiter  tous  ceux  qui  la  quittent 
comme  les  états  humains  traitent  les 
rebelles.  L'église  ne  peut  avoir  que 
des  sujets  volontaires  ,  et  ae  peut  ja- 
mais exiger  un  serment  dérogatoire 
à  la  loi  de  l'ordre  ,  qui  veut  que  l'on 
suive  en  tout  temps  et  en  tout  lieu 
les  lumières  de  la  conscience  :  et  par 
conséquent  ceux  qui  pour  obéir  à  ces 
lumières  rompent  la  foi  qu'ils  lui 
ont  donnée  doivent  être  comparés 
à  ceux  qui  préfèrent  les  sermens  pri- 
mitifs et  absolus  aux  sermens  posté- 
rieurs et  conditionnels  ;  car  ce  serait 
une  impiété  que  de  s'engager  à  un 
formulaire  de  croyance  ,  sans  pré- 
supposer qu'il  est  bon  :  et  ainsi  tous 
les  sermens  par  où  l'on  s'engage  à 
l'église  sont  conditionnels  ;  mais  l'en- 
gagement aux  lumières  de  la  con- 
science est  naturel  ,  essentiel  et  ab- 
solu. Ce  que  l'on  peut  dire  de  ceux 
qui,  pour  obéir  à  leur  conscience  , 

(*)  Elsi  ipsi  minus  fi  déliter  ventant  :  hi  lamen 
qui  de  Ht  nati  furrint  jam'Jtdelius  baplisantur. 
Aut  ip.iosergo,  nui  eorumjilios  hurumur.  L. 
4,  ei>-  0 


GREGOIRE  Ier.  21g 

faussent  le  serment  qu'ils  avaient  risent  ne  soient  entraîne'*  par  les 
prête  à  l'église  est,  que  d'éclairés ,  ils  promoteurs  de  l'affaire  à  des  démar- 
sont  devenus  ignorans.  Mais  où  sont  clics  ,  où  non-seulement  il  y  ait  beau- 
tés états  bien  policés  qui  établissent  coup  d'injustice,  mais  aussi  beaucoup 
des  peines  contre  ceux  qui  oublient  de  bassesse  (33  .  6°.   La  raison  pour- 


leur  érudition,  et  contre  ceux  qui 
acquièrent  des  idées  qui  leur  persua- 
dent que  ce  qu'ils  prenaient  pour 
l'erreur  est  la  vérité  ?  Disons  donc 
que  si   l'église  pouvait  punir  comme 


quoi  saint  Grégoire  ne  voulait  pas 
que  Ton  convertît  les  juifs  par  con- 
trainte est  fort  bonne  5  c'est,  disait- 
il,  que  ceux  que  l'on  convertit  de 
cette  sorte    retournent  à  leur  vomis- 


des  rebelles  ceux  qui  la  quittent  4pement  quand  ils  le  peuvent.  Mais  il 
elle  aurait  plus  de  pouvoir  que  les  avait  donc  grand  tort  de  vouloir 
princes  les  plus  despotiques  (3o;  n'en  qu'on  les  convertît  en  surchargeant 
exercent.  Elle  pourrait  cbÉtier  com-  les  opiniâtres ,  et  en  déchargeant  du 
me  un  crime  capital  le  changement  tiers  de  la  taille  ceux  qui  se  feraient 
de   quelques   idées.   3°.    Il    n'est  pas    chrétiens;  car  il  est  visible  que  ceux 


difficile  de  comprendre  la  chimère  de 
la  distinction  ;  car  un  homme  qui  a 
été  élevé  dans  une  église  ,  n'a  jamais 
pu  renoncer  à  la  faculté  d'en  sortir  , 
dès  que  sa  conscience  le  pousserait 
dans  une  autre  communion  :  et  ainsi, 
il  a  autant  de  droit  de  suivre   cette 


que  l'on  convertit  de  cette  façon 
retournent  quand  ils  le  peuvent  à 
leur  vomissement.  rj°.  Et  si  la  raison 
pourquoi  il  veut  que  l'on  convertisse 
les  juifs  en  aggravant  les  charges  des 
opiniâtres,  et  en  soulageant  les  con- 
vertis ,  est  bonne  ,  il  a  tort  de  désap- 


communion   que  ceux  qui  y  ont  été    prouver  qu'on  les  contraigne  à  rece- 


nourris;  car  tout  le  droit  de  ceux-ci 
consiste  en  ce  qu'ils  sont  persuadés 
que  leur  religion  est  bonne.  u\°.  Mes 
maximes  sont  si  certaines  ,  que  cha- 
que parti  en  tombe  d'accord  quand 
il  ne  suppose  pas  son  propre  principe. 


voir  le  baptême  ;  car  voici  quelle  est 
sa  raison  :  si  ces  convertis  trompent  , 
on  gagnera  toujours  beaucoup  ,  en  ce 
que  du  moins  leurs  enfans  deviendront 
bons  catholiques.  Ne  peut-on  pas  dire 
la    même  chose   par   rapport  à  ceux 


Un  juif ,  bien  loin  d'appeler  perfide  qu'on  baptise  par  contrainte?  On  ne 
et  rebelle  celui  qui  renonce  au  chris-  peut  donc  pas  le  sauver  d'une  pitoya- 
tianisme  pour  embrasser  la  religion    ble  contradiction. 


judaïque  ,  le  nomme  fidèle  à  Dieu  ,  à 
la  vérité,  à  la  vraie  église:  il  n'ap- 
pelle perfides  que  ceux  qui  renon- 
cent au  judaïsme.  Chaque  religion  en 
use  ainsi.  5°.  Quant  aux  deux  ma- 
nières du  Compelle  intrare  ,  soit 
renvoyé  au  Commentaire  philosophi- 
que. Je  dis  seulement  que  l'épithète 


(F)  Sa  morale,  par  rapport  a  la 
chasteté  ecclésiastique  ,  était  très- 
rigide.  }  Quand  il  s'agissait  d'élire  un 
évèque  ,  il  recommandait  principale- 
ment aux  électeurs  de  s'informer  si 
celui  que  l'on  proposait  était  coupa- 
ble d'adultère  ,  ou  de  simple  forni- 
cation. <t  II  voulait  même  qu'on  l'in- 


de  maquignons  de  la  parole  de  Dieu    »  terroge;ît  en  particulier  et  en  secret 


(3i1,  doit  convenir  par  excellence  à 
ceux  qui  emploient  ces  deux  maniè- 
res dans  le  métier  de  convertisseur 
(3î)  ,  et  qu'il  est  moralement  impos- 
sible que  les  souverains  qui  les  âuto- 

(3o)  C'est-à-dire ,  considères  seulement  com- 
me souverain*  ;  car  notez  que  ter  souverains  qui 
punissent  ce  qu'ils  appellent  hérésie  ne  le  font 
qu'en  vertu  de  leur  religion  ,  et  ainsi ,  propre- 
ment ,    c'est  leur  religion  qui  punit  :  Quod  no- 

TANDUM. 

(3i)  IIe.  éuître  aux  Corinthiens,  chap.  II, 
vs.  i-j. 

(3î)  Cela  me  fait  souvenir  de  ces  deux  vers 
d'Enoius  : 

Nec  mi  aurum  posco  ,  nec  mi  prelium  dede- 
rilis  . 

Nec 


ituponantet  bellui 

n  .  sed  belligérante 

Cicero.de  Offic. 

,  lib.  f,  cap.  XII. 

»  s'il  n'était  pas  tombé  dans  ce  désor- 
»  dre  ,  l'avertissant  que  s'il  était  cou- 
»  pable  de  ce  crime,  quoique  per- 
»  sonne  n'en  sût  rien  ,  et  qu'on  n'eût 
»  point  de  preuve  pour  l'en  convain- 
»  cre  ,  il  ne  pourrait  eu  conscience 
»  recevoir  les  ordres  ;  qu'on  les  lui 
«  donnerait  néanmoins  ,  s'il  protes- 
»  tait  qu'il  en  était  exempt  ;  mais  s'il 
»  le  confessait,  qu'on  lui  remontrât 
»  doucement  qu'il  devait  bien  plutôt 

(33)  Voyez  les  Nouvelles  Lettres  cnnlre  le 
Calvinisme,  de  M.  Maimbourg,  loin.  /,  pag. 
2o5  et  suiv.  et  ce  qui  est  dit  des  manières  de 
convertir  employées  par  la  reine  Marie  ,  en 
Angleterre  Nouvelles  de  In  République  ries  Let- 
tres ,  mois  de  novembre  iGS5  ,  pag.  1283. 


22o  GRÉGOIRE  Ier. 

»  songer  an  cloître  pour  y  faire  péni-  pris  que  l'abbé  Sécondin  ,  qui  était  un 
»  tence ,  qu'au  sacerdoce,  dont  son  fort  méchant  homme,  avait,  commis 
«  crime,  quoique  secret,  le  rendait  d'horribles  crimes,  il  dit  que  sans  se 
»  incapable  (34).  »  Ce  grand  pontife,  mettre  en  peine  d'en  chercher  des 
ayant  su  (35)  que  quelques  ecclésiasti-  preuves  pour  l'en  convaincre  juridi- 
ques de  Sardaigne  étaient  tombés  dans  quement ,  il  suffisait  que lui-même  , 
ce  péché  d'impureté  après  avoir  reçu  peut-être  en  se  vantant  de  ce  que  ces 
les  ordres  ,  il  ordonna  non-seulement  sortes  de  débauchés  appellent  leurs 
qu'ils  fussent  déposés ,  sans  espérance  bonnes  fortunes  ,  eût  (  )  avoué  qu'il 
de  pouvoir  jamais  être  rétablis  dans  s'était  diverti  avec  des  femmes  ,  ce  qui 
les  fonctions  de  leur  ministèiv  ;  m.aijjfi  n'avait  pas  empêché  qu'il  ne  fit  par- 
aussi  que  ,  pour  prévenir  un  si  grand  venu  a  être  abbé;  sur  quoi  il  le  /il  dé- 
mal,  on  (*')  n'admît  plus  de  sujets  poser  (38).  Il  traita  de  la  même  sorte 
aux  ordres  sacrés  ,  et  surtout  a  l'épi-  l'évéque  de  Docléatine ,  ville  de  i II- 
scopat ,  qu'on  ne  fût  assuré  qu'ils  lyrie ,  que  l'on  appelle  maintenant 
avaient  toujours  vécu  chastement ,  et  Catlaro ,  et  il  ordonna  à  son  metro- 
qu'ils  avaient  même  gardé  la  conti-  politain  que  si  ce  méchant  homme, 
nence  plusieurs  années  après  s'être  qu'on  avait  justement  déposé  pour 
séparés  de  leurs  femmes  ,  afin  de  avoir  souillé  son  caractère  par  ce  vice 
pouvoir  être  admis  au  sacerdoce.  Les  infâme,  osait  jamais  prétendre  et 
suffrages  ayant  e'te  partage's  à  Naples  même  témoigner  par  un  seul  mol  qu'il 
dans  l'élection  d'un  évéque ,  ce  pape  songeât  encore  a  l' épiscopat ,  on  le 
de'clara  tout  net  qu'il  ne  voulait  poiut  confinât  dans  un  monastère  pour  y 
du  diacre  Jean  (36),  (37)  parce  qu'il  faire  pénitence  toute  sa  vie  ,  privé  de 
était  bien  informé  qu'il  avait  une  fort  la  communion  jusqu'à  la  mort  (+I). 
petite  fille  ;  et  quelle  présomption  ,  Ce  qu'il  -y  a  de  très-remarquable  en 
ajoute -t-il ,  d'oser  prétendre  h  être  ceci,  c'est  que  l'évéque  de  Tarente 
évéque  ,  h  lui  qui  est  manifestement  ayant  été  non  pas  accusé  ,  mais  seu- 
convaincu ,  par  ce  petit  enfant  qu'il  lement  soupçonné  d'avoir  entretenu 
a,  du  peu  de  temps  qu'il  y  a  qu'il  une  concubine  depuis  qu'il  était  évé- 
garde  continence  (*')  ?  Il  faisait  in-  que  ,  il  l'avertit  fort  sérieusement  que 
violablement  observer,  selon  les  ca-  s'il  se  sent  coupable  de  ce  crime  ,  quoi- 
nons,  que  tout  ecclésiastique  et  bé-  qu'il  soit  secret,  et  qu'il  le  nie,  et 
néficier,  soit  sous-diacre ,  soit  diacre ,  qu'on  n'en  ait  aucune  preuve  con- 
prêtre  ,  abbé  ou  évéque  ,  qui  serait  vaincante,  il  est  néanmoins  obligé  en 
tombé  dans  un  péché  d impureté  ,  s'il  conscience  de  se  déposer  lui-même ,  et 
y  avait  des  preuves  de  son  crime  ,  fit  de  s' abstenir  de  toute  fonction  sacer- 
déposé ,  et  mis  en  pénitence  dans  un  dotale-  Cela  paraîtra  d'autant  plus 
monastère  ,  sans  qu il  put  jamais  pré-  étrange  que  ce  même  évéque  ayant 
tendre  d'être  rétabli  dans  son  ordre  commis  un  autre  crime  qui,  selon  le 

et  dans  sa  dignité Ayant  (*3)  ap-  monde  semble  plus  grand  ,  il  le  punit 

d'une  peine   incomparablement  plus 

(34)  Maimbourg,  Histoire  du  pontificat  de  saint  douce.   Car  ce  prélat   trop    emporté  , 
Grégoire,  pag.  35i.  ayant  reçu  quelque   mécontentement 

(35)  La  même.  j>               j  J                                           •     11 

;_,,/  „   ,               .......  d  une    de    ces    pauvres     vieilles     qui 

(*    t  Sed  ne  unquain  il   que  orilinttli  suiit   pe-  ,                                   .    '                   ,  ,                  ,       J,  , 

reant,  protide, -i   débet    quales   ordmantur  ,    ut  étaient    nourries    aux   dépens    de    l  e- 

pri'us  aspicialur  si  fila  illorum  continent  in  an-  glise  ,    lui    avait   fait   donner   tant    de 

nis  plarimis  fuent .  etc.  h.  3,  ep.  26.  coups  de  bâton  qu'elle   en  était  de- 

{l6l  «""  i"  'ie",f  q"'°"  f  ■"""'  e'-es'   1      ■  meurée  demi-morte.  Il  est  certain  que 

isn)  Maimbourc,  Histoire  du  pontificat  de  saint  •      11       /-._                                  1       ■                     „' 

Grégoire,  pa".  353.  sl  e"e  Jl"  morte  peu  de  jours  après 

(*2)  Nain  qud  prtv  snmplionc  ad  episcopalum 

audel  accedere  ,  qui  adhuc  longam  corporis  mi  (*')   Hoc   solum  ad  ejus  damnauonem  potes t 

continentiam,  filiold  teste,  confine  Uur  non  ha-  suffi  cere,  quod  eliam  ipse  de    se   dtedurjuisse 

hère?  L.  8,  ep.  11.  confessus  quod    à  statu  habitut  sut  m  lapsv.m 

(*3)  Qui  posl  acceplum  sacrum  ordinem  lap-  corporis  ceciderit.  L.  1 ,  ep.  23 ,  md    , , . 

SUS  in  peccatum  carnis  fuent,  sacro  ordine  ita  ('■}«)  Maimbourg,  Histoire  du  pont.Ccat  de  saint 

careal  ut  ad  altaris  miilisterium  ulleri'ui  non  ac-  Grégoire,  pag.  354- 

cedal.  L.  3  ,  ep.  26.  Si  Clericus  fuerit  h  suo  re-  (*2)  Si  forte  posl  depositionem  suàm   infere- 

mnlus  officio  ,  pro  mit  continua  lugendis  excès-  cundè  ac  mente  perfersd  aliquid  de  episcopalu 

gibus  in  monaileriumdetrudatur.  L.  3  ,   ep.  9  ;  loqui  ,     alque.  ruriits  ad   hoc   qudlibel   aspirait 

L.  1  ,  ep.  18  ,  /|2.  prœsuinplione  tentaverit.  L.  10,  ep.  3  î . 


GRÉGOIRE  P 


221 


avoir  été  si  cruellement  battue ,  on 
l'eût  puni  comme  coupable  d'homi- 
cide très-sévèrement ,  selon  toute  la 
rigueur  des  canons  :  toutefois  comme 
elle  ne  mourut  que  huit  mois  après  , 
saint  Grégoire  ne  crut  pas  qu'on  dût 
attribuer  sa  mort  a  ces  coups  de  bâton 
qu  elle  avait  reçus  ,  et  se  contenta  de 
le  suspendre  pour  deux  mois.  iWats 
pour  le  péché  d' incontinence  ,  qui 
selon  les  lois  de  la  justice  humaine 
serait  puni  beaucoup  moins  rigoureu- 
sement que  cette  autre  action  ,  si  in- 
digne d'un  évêque*,  il  lui  déclare  que 
s'il  l'a  commis  ,  quoiqu'on  ne  le  puisse 
prouver,  il  faut  absolument,  pour  sa- 
tisfaire  à  sa  conscience,  qu'il  renonce 
u  son  évéché  (3g) . 

M.  Maimbourg  ne  quitte  point  cette 
matière,  sans  dire  «  que  la  rigueur 
»  des  canons  sur  ce  point-là  n'est 
»  plus  maintenant  eR  usage  ,  et  que 
»  Ton  n'est  pas  oblige'  de  suivre  sur 
»  ce  cas  de  conscience  le  sentiment 
»  de  saint  Grégoire  (4<>).  » 

(G)  Il  fut  fort  sévère  à  l'égard  de 
la  calomnie.^  Tout  ce  que  M.  Maim- 
bourg  rapporte  surce  sujet  m'a  semble' 
si  bon  que  ,  ne  voyant  pas  qu'il  y  eût 
rien   d'inutile  ,    je   ne   me    suis   pas 
amuse  à  l'abréger.  Il  remarque  (40 
premièrement  qu'il  y  a  une  oppres- 
sion très-subtile  ,  (*')  et  il' autant  ]>lus 
dangereuse  qu'elle  est  très-difficile  a 
découvrir,  savoir  la  calomnie  que  les 
plus  sages  ,  et  ceux-là  même  qui  font 
gloire  de  souffrir  avec  joie  la  première 
(4a),  trouvent  si  rude  et  si  peu  sup- 
portable ,    qu'ils    ne    peuvent    empê- 
cher,   quelque  force    d'esprit    qu'ils 
aient  ,  que  leur  constance  n'en  soit 
ébranlée.  Ensuite  voici  ce  qu'il  ex- 
pose :  «  Je  sais  que  les  C*1)  lois  civiles 
»  et  canoniques  ordonnent  des  peines 
»  pour  punir  ce  crime ,  dont  on  se 
»  plaint  fort  dans  le  monde;   mais 
»  elles  ne  sont  pas  toujours  bien  ob- 
»  serve'es   à   l'égard   des    ecclésiasti- 
»  ques,  comme  saint  Grégoire  le  té- 
«  moigne,  et  surtout  dans  les  corn- 
et)) Maimbourg,  Histoire  du  pontifical  de  saint 
Grégoire,  pag.  355  et  suiv. 
(4o)  Là  même. 
(7|i)  l.à  même  i  pag.  46o. 
(*')  Calurunia  conlurbat  sautentem.  Eccl.,  c. 

(4i)  C'est-à-dire  ,  le  malheur  d' être  opprime 
par  la  violence  de  ceux  qui  gouvern'tit. 

{•')  D.gest. ,  l.  1  ,  Ut.  2  ,  Grat.  ,  e.  5,9-6, 
caus.  G ,  q.  i. 


»  munautés  ,  où  l'on  ne  fait  guère 
»  justice  de  la  calomnie,  sous  pré- 
»  texte  qu'en   punissant    une  fausse 
»  accusation ,    on    ôterait  la   liberté' 
»  qu'on   doit   avoir   d'en  former  de 
»  véritables,    et    de   découvrir   aux 
»  supérieurs  les  fautes  de  ceux  qui 
»  méritent  d'être   châtiés.    Or   c'est 
»  cela  que  saint  Grégoire  ne  pouvait 
»  nullement  souffrir,   comme  il   est 
»  aisé  de  le  voir  en  plusieurs  de  ses 
»  lettres.  En  (+,)efletEpiphane,  prêtre 
m  de  l'église  de  Cagliari ,  ayant  été 
»  fanssementaccusédequelque grand 
»  crime  ,  par  d'autres  ecclésiastiques 
»  sardiots  qui  avaient   même    porté 
»  jusqu'au  pape  cette  accusation  ,  il 
»  voulut  lui-même  connaître  à  fond 
»  de   cette  cause.    Et   comme  il   eut 
»  trouvé   que   ce    n'était   là    qu'une 
»  pure  calomnie  dont  on  voulait  op- 
»  primer  l'innocence  de  ce   prêtre , 
»  il  le  renvoya  pleinement  absous  à 
»  son  évêque,  auquel  il  enjoignit  de 
»  le  rétablir  dans  son   ordre ,  et  de 
»  retrancher  de  la  communion  celui 
»  qui  l'avait  accusé,  s'il  n'était  prêt 
»  de  montrer  par  des  preuves  cano- 
)>  niques  et  très  -  évidentes  la  vérité 
»  de  ce  qu'il  avait  avancé  contre  ce 
»  prêtre.  C'est  (**)  ce  que  veut  la  loi , 
»  qui  ajoute   que    celui    qui  accuse 
»  faussement    son    frère    doit    être 
»  puni  de  la  même  peine  que  méri- 
»  terait  l'accusé  s'il  se  trouvait  cou- 
»  pable.  Voici  quelque  chose  de  plus. 
»  Hilaire,  sous-diacre  de  l'église  de  Na- 
»  pies,  ayantinventé  contre  Jean,  dia- 
»  cre  de  la  même  église ,  une  fausse 
»  accusation,   qu'il  ne  put  soutenir 
»  contre   plusieurs   témoins   qui  at- 
»  testaient  de  l'innocence  du  diacre  , 
»  le   saint   trouva  très-mauvais   que 
»  Paschasius,  leur  évêque  ,  n'eût  pas 
»  encore  puni  le  calomniateur.   Sur 
;>  quoi  il  ordonne  au  défenseur,  An- 
»  thémius,  de  l'avertir  de  sa   part, 
)>  qu'il  veut  premièrement  qu'on  le 
»  prive  de  son  (*3)  office  de  sous-diacre 
»  dont  il  est  indigne  ;  secondement 
»  qu'on   le  fasse    fouetter   publique- 

(*')  L.  3,  ind.  12,  ep.  »4- 

(**)  Cod.  I.  4  et  i|  ,  lit.  de  (in.l-.it  leg.  finali. 
Ciiin  calumniantps  ad  vindictara  po.-cat  siruiiitu- 
do  snpplicii.  Caus.  i  ,  q-  8  ,  c.  3. 

t*3)  L  p,  ind.  4,  eP'  66.  L't  eundem  Hrfa- 
num  prt'us  subdiaconatds  quo  indignus f'ungttur, 
privet  ojftcio  ,  atque  verberibus  publiée  camga- 
lum  facial  in  exilium  déportait ,  ut  iinmr  pirna^ 
mullorum  point  esse  coi  rectio. 


GRÉGOIRE  1er. 


222 

).  ment;  car  on  usait  encore  en  ce 
»  temps-là  de  cette  sorte  de  correc- 
}>  tion  pour  châtier  les  clercs  ,  com- 
«  me  on  peut  voir  dans  saint  (*')  Au- 
»  gustin  ,  quoiqu'on  ait  depuis  aboli 
«cette  coutume  5  et  enfin  qu'après 
)>  avoir  été  châtie'  de  la  sorte  on 
»  l'envoie  ou  dans  un  monastère  pour 
»  y  faire  pénitence  ,  ou  en  exil  , 
»  bien  entendu  ,  par  l'ordre  du  ma- 
»  gistrat,  auquel  seul  il  appartenait 
j)  de  punir  de  l'exil,  selon  la  loi  du 
»  prince,  un  criminel.  Et  comme  il 
3;  faisait  paraître  l'horreur  qu'il  avait 
»  de  la  calomnie  en  la  punissant  si 
»  sévèrement ,  il  se  tenait  aussi  avec 
))  très-grand  soin  sur  ses  gardes,  pour 
j>  ne  s'y  pas  laisser  surprendre,  et  ne 
»  croyait  point  du  tout  au  délateur, 
j)  jusqu'à  ce  qu'ayant  examine'  jus- 
)>  ques  aux  moindres  circonstances 
»  de  l'accusation ,  et  bien  ouï  les 
33  deux  parties,  il  ne  pût  nullement 
>3  douter  que  l'accusé  ne  fût  cou- 
3)  palile  Encore  craignait-il  si  fort 
33  d'être  trompé  ,  quoique  innocem- 
33  ment ,  par  l'artifice  de  la  calomnie, 
33  que,  quand  il  le  pouvait,  il  se 
33  dispensait  déjuger  de  l'accusation, 
»  en  s'en  rapportant  à  quelque  autre 
33  de  la  suffisance  et  de  la  probité  du- 
33  quel  il  se  tenait  fort  assuré.  >3 

(H)  On  ne  saurait  excuser  la  pro- 
stitution de  louanges  avec  laquelle  il 
s'insinua  dans  V amitié  d'un  usurpa- 
teur.) L'armée  de  l'empereur  Mau- 
rice s'étant  soulevée  contre  lui  à  l'in- 
stigation de  Pbocas ,  marcha  vers 
Constantinople  et  s'en  empara  sans 
aucune  peine.  L'empereur  fut  livré  à 
Pbocas  ,  qui  par  une  effroyable  cruau- 
té fit  égorger  en  sa  présence  et  aux 
yeux  de  Maurice  cinq  petits  princes , 
ses  enfans  ,  que  leur  malheureux 
père  n'avait  pu  sauver  (43).  La  nour- 
rice du  plus  jeune  l'avait  retiré  adroi- 
te ment  du  massacre,  et  avait  substi- 
tué en  sa  place  le  sien  propre  ;  mais 
Maurice  ,  qui  s'en  aperçut.  ,  fit  re- 
donner le  sien  aux  bourreaux  (44)- 
«  Après  cela  le  tyran,  plus  cruel  que 
33  les  bêtes  les  plus  féroces,   n'étant 

(*')  Qui  modus coërchionis ,  rt  à  magistris 
liberalium  artium  et  ah  ipsis  parciilibus  ,  ri  sre- 
pi  etîtini  in  judiciii  ait  episcopis  *vlet  usurpari. 
Au;;.  ,   «p.    i5g. 

(4<)  Voyet  Maimbourg,  Histoire  du  pontifi- 
cal tic  saint  Grégoire,  pag.  î^rj. 

(44J  £"  même  y  pag.  180. 


33  nullement  touché  d'une  si  belle  et 
3)  si  généreuse  action  ,  qui  faisait 
)3  fondre  en  larmes  tous  les  assistans  , 
)3  commanda  qu'on  tuât  ce  pauvre 
33  petit  innocent,  et  que  l'on  achevât 
33  ce  sanglant  sacrifice  de  sa  cruauté  , 
33  en  étendant  Maurice  sur  les  corps 
33  de  ses  cinq  enfans ,  comme  sur  un 
33  autel,  où  il  le  fît  encore  inhumai- 
3)  nement  égorger.  3>  L'aîné  des  lîls 
de  Maurice  avait  été  peu  auparavant 
envoyé  au  roi  de  Perse  ;  mais  il  fut 
pris  à  Nicée,  et  décapité.  «  Le  cruel 
33  Pbocas  fît  aussi  mourir  presque 
3>  tous  les  parens  et  les  amis  de  l'em- 
33  pereur  Maurice  ,  et  même  l'impé- 
33  ratrice  Constantine  ,  et  ses  trois 
))  fdles ,  contre  la  parole  qu'il  avait 
33  donnée  au  patriarche  Cyriaque  , 
33  qu'il  les  laisserait  vivre  en  repos 
33  dans  un  monastère  où  elles  s'é- 
33  taient  renfermées.  Enfin  il  n'y  eut 
33  jamais  tant  de  sang  innocent  ré- 
3)  pandu ,   ni  tant  de  misères  et  de 

33  malheurs,  que   sous  son   règne 

33  (45).  Aussi  n'y  eut-il  jamais  de  plus 
33  infâme  tyran  que  ce  malheureux 
33  homme  ,  sans  vertu  ,  sans  nais- 
33  sance  ,  sans  honneur,  sans  mérite  , 
»  très-mal  fait  de  sa  personne  ,  fu- 
33  rieusement  laid  ,  d'un  regard  af- 
33  freux,  paraissant  toujours  en  furie 
33  quand  il  parlait,  ivrogne,  lascif, 
33  brutal,  sanguinaire,  n'ayant  nul 
33  sentiment  d'humanité  ,  tenant  tout 
33  de  la  bête  féroce  dans  ia  physiono- 
33  mie  et  dans  l'humeur,  et  ne  rete- 
33  nant  rien  de  l'homme,  que  la  fi- 
33  gure  horriblement  difforme  ;  en  un 
33  mot ,  ayant  toutes  les  méchantes 
33  qualités  qu'on  peut  opposer  à  celles 
33  que  les  historiens  ont  extrêmement 
3)  louées  dans  Maurice  (46).  »  Je  me 
"suis  servi  des  paroles  du  sieur  Maim- 
bourg, afin  que  personne  ne  put  dire 
que  pour  flétrir  davantage  saint  Gré- 
goire j'exagérais  les  crimes  de  Pbo- 
cas ;  et  je  m'en  vais  encore  me  servir 
des  expressions  du  même  auteur  à 
l'égard  des  flatteries  de  ce  pape  ,  afin 
qu'on  ne  m'accuse  pas  d'y  répandre 
quelque  sorte  de  malignité.  J'avoue, 
dit  l'historien  (47))  1"e  iout  ce  que  je 
viens  de  dire  peut  faire  quelque  peine 
ii  <rn.i    qui  après  cela  liront  les  trois 


tt5)Làm?,ne,pag. 
(46)  Va  même  ,  pug. 
(47.  Pag..  «Si. 


Ceilreno. 


GRÉGOIRE  P 


épîlres  que  le  (*)  saint  pontife  écrivit 
a  Phocas  et  a  Léontia  sa  femme , 
quand  on  sut  à  Home  ce  qui  s'était 
fait  h  Constantinop/e  ,  lorsqu'il  y  fut 
couronné  empereur.  Car  il  semble 
que  ilans  toutes  les  trois  il  se  réjouit , 
et  rend  grâces  à  Dieu  de  son  avène- 
ment a  la  couronne ,  comme  du  plus 
grand  bien  qui  pouvait  arrivera  l'em- 
pire ,  et  qu  il  en  parle  dans  les  termes 
du  monde  les  plus  avantageux ,  com- 
me d'un  admirable  prince,  qui  le  va 
faire  refleurir,  et  le  rendre  très- heu- 
reux,  en  le  délivrant  de  toutes  les 
misères  dont  il  a  été  affligé jusqu'  alors. 
Et  il  loue  Dieu  de  ce  qu'après  avoir 
été  sous  un  rude  et  fâcheux  joug ,  on 
commence  a  rentrer  dans  la  jouis- 
sance d'une  douce  liberté  sous  son 
empire.  M.  Maimbourg  colore  le 
mieux  qu'il  peut  cette  étrange  flat- 
terie (4*5)  :  il  en  cherche  plusieurs 
raisons  ;  mais  il  ne  dit  rien  de  la  vé- 
ritable  ,  qui  est  que  Maurice  s'était 
déclaré  pour  le  patriarche  de  Con- 
stantinople  contre  le  pape  Grégoire 
(49),  dans  des  disputes  très-délicates, 
comme  le  sont  toujours  les  diflérens 
sur  l'autorité  ,  ou  sur  la  supériorité. 
Le  pape ,  ravi  d'être  délivré  d'un 
empereur  qui  favorisait  le  patriarche 
de  Constantinople ,  combla  de  louan- 
ges le  nouveau  prince ,  afin  d'ob- 
tenir de  lui  ce  qu'il  souhaitait  contre 
son  rival  ^5o1.  On  n'a  presque  point 
d'exemples  d'une  vertu  qui  ait  t-té  à 
l'épreuve  de  la  jalousie  d'autorité, 
ou  de  l'intérêt  de  parti.  Qu'un  prince 
possède  les  plus  grandes  quahh-s  , 
mais  qu'avec  cela  il  soit  contraire  à 
une  certaine  église  ,  qu'on  le  chasse  , 
qu'on  le  tue  ,  elle  regarde  cela  comme 
une  faveur  du  ciel ,  elle  baise  res- 
pectueusement la  main  humaine  qui 

(*)  L.  il  ,  ep.  38  ,  ind.  6  et  45  et  46. 
(48)  Voici  comme  M.  Cave,  Hist.  litter. 
Scriptor.  eccles. ,  pag.  liii  ,  s'exprime  :  Anno 
6o3  datis  ad  Ptaocam  tyrannum  lilteris  imperium 
illi  pessimis  flagitiis  arreptum  eraluiatus  est  :  qinn 
et  si  verum  l'ateri  las  si t ,  aileo  lurpiter  iu  liâc  re 
lapsus  est  Gregorius,  ut  scelestissimo  parricida; 
excogltatissimis  adulandi  artibus  blandiri  ,  et  in 
piis-mii  principes  Mauricii  mânes  acerviuiè  de- 
Daccliari   non  erubesceret. 

(4"})  Maimbonrg  en  convient  ,  pag.  \i'\. 
(5o)  Phocas  favorisa  la  cour  île  Fome  ,  elfil 
une  loi  par  laquelle  il  défendit  a  l'évéque  de 
Constantinople  de  s'intituler  patriarche  œcu- 
ménique ,  déclarant  que  ce  n'était  qu'au  seul 
e'vcque  di-  l'ancienne  Ilvme  que  ce  titre  apparte- 
nait. I  l^cl  Maimbourg,  pag.  126. 


2  2J 

procure  cette  faveur,  et  surtout  lors- 

3ue  cette  main  prend  le  contre-pied 
e  l'autre  prince.  On  voit  alors  dans 
la  bouche  du  clergé  deux  proposi- 
tions contradictoires  :  le  parti  qui 
perd  son  patron  ne  considère  cette 
perte  que  comme  un  malheureux 
complot  des  puissances  infernales;  il 
cite  les  lois  divines  et  les  lois  hu- 
maines contre  la  révolution.  Mais 
l'autre  parti  ne  parle  que  des  voies 
merveilleuses  de  la  providence,  que 
des  soins  paternels  du  ciel ,  et  se  jette 
à  corps  perdu  sur  les  dogmes  de  la 
politique.  Mais  je  ne  sais  si  jamais 
l'on  a  porté  cette  prévention  à  des 
infamies  semblables  à  celles  de  saint 
Grégoire.  Quelle  chute!  quel  aveu- 
glement !  quelle  lâcheté  !  Un  pape 
qui  est  si  sévère  contre  un  pauvre 
clerc  fornicateur,  et  qui  donne  là- 
dessus  des  sentences  si  terribles  ,  écrit 
à  Phocas  sans  lui  témoigner  qu'il  eût 
bien  voidu  que  Maurice  et  ses  enfans 
n'eussent  pas  soull'ert  le  dernier  sup- 
plice. Il  n'y  a  point  de  gens  qui  crient 
plus  contre  les  pyrrhoniens  que  mes- 
sieurs les  gens  d'église  ,  et  personne 
n'est  plus  accoutumé  qu'eux  à  tour- 
ner, comme  un  nez  de  cire  ,  toutes  les 
règles  de  morale  ,  selon  l'intérêt  ré- 
ciproque de  leur  cause  ,  ce  qui  dans 
le  fond  est  un  pyrrhonisme  très-dan- 
gereux. 

(I)  Une  très-méchante  reine  de 
France.}  C'était  la  rtine  Brunebaud. 
Dans  toutes  les  lettres  que  ce  pape 
lui  écrivit,  il  lui  donna  (5i)  toutes 
les  louanges  qu  on  peut  donnera  une 
des  plus  parfaites  princesses  du  monde, 
jusque-là  qu'il  n'a  point  fait  de  dif- 
ficulté de  dire  fort  affirmativement 
que  la  nation  française  est  la  plus 
heureuse  de  toutes  ,  puisqu'elle  a  mé- 
rite d'avoir  une  semblable  reine  , 
douée  de  toutes  sortes  de  vertus  et  de 
belles  quali.és  {*)■  Voici  ce  qu'on 
trouve  sur  ce  sujet  dans  les  Nou- 
velles de  la  République  des  Lettres 
(52)  :  On  doit  tenir  à  ce  pape  un  plus 
grand  compte  de  ses  bonnes  inten- 
tions ,  que  de  la  complaisance  exces- 

(5i)  Maimbourg,  Histoire  du  pontificat  de  saint 
Grégoire  ,  pag.  3i3. 

(*)  Piyp  aliis  gentibus  gentem  Francorum 
asierimvs  feticetn,  qum  sic  bonis  omnibus  vrœ- 
il.iam  méruit  habere  reginam.  L.  11  ,  ep   8. 

(52)  Nouv.  de  la  République  dei  Lettres, 
mois     ((février  [686,  pag-  ijjfri 


224 


GRÉGOIRE  Ier 


sive  au  il  avait  pour  la  reine  Brune-  pour  empêcher  qu'on  ne  V élevât  sur 

haud ,  la  plus  méchante  femme  de  la  le    trône   patriarcal  (56).    Le    pape 

terre,  a  ce  que  disent  presque  tous  les  Grégoire  lui  en  rendit  ce  témoigna- 

histoiiens  ,    mais   en  même  temps   la  ge  ,  quo  ardore  ,  qup  studio  beatitudo 

plus  adroite   a    s'acquérir  le  clergé ,  vestra     episcopatds    pondus    fugere 

parce  qu'au  milieu  de  ses  crimes  les  voluerit  scio   (5'j).    Mais    lorsque    ce 

jjlus  atroces  ,  elle  conservait  un  esprit  grand  jeûneur  eut  été  assis  pendant 

de  magnificence  extraordinaire  envers  quelque  temps  sur  ce  beau  trône  ,  il 


les  gens  d'église  (53),  et  en  fonda- 
tions de  temples  et  de  couvens ,  sans 
oublier  de  demander  bien  dévotement 
des  reliques  au  saint  père —  M.  Maim- 
bourg  convainc  de  supposition  les 
exemptions  qu'on  prétend  avoir  été 
accordées  par  ce  pape  a  la  pieuse 
reine  Brunehaud ,  car  c'est  de  celte 
vertu  que  saint  Grégoire  la  loue  ,  et 
qu'on  louera  toujours  quiconque  sera 


ne  fut  plus  le  maître  de  son  orgueil. 
Peut-êre  était-il  atteint  de  cette  mau- 
vaise qualité'  avant  son  patriarcat  ; 
car  il  est  assez  ordinaire  que  si  la 
nature  corrompue  ne  peut  pas  pous- 
ser les  gens  à  la  volupté  ,  elle  se  dé- 
dommage par  d'autres  défauts,  et 
principalement  par  l'esprit  d'orgueil. 
Peut-être  aussi  que  la  dignité  pa- 
triarcale ,  par  je  ne  sais  quelle  fata- 
ibéral  envers  l'église ,  la  dupe  née  de  lité  contagieuse  ,  fit  naître  dans  l'â- 
ces  gens-la  ,  qui  quelquefois  sont  les  nie  de  Jean  le  jeûneur  les  sentimens 
dupes  h  leur  tour.  Cela  me  fait  sou-  de  l'ambition.  Quoi  qu'il  en  soit  ,  il 
venir  de  la  réponse  qui  fut  faite  par  lui  fut  facile  sous  cette  grande  di- 
un  chartreux  à  Philippe  de  Comines.  gnité  de  se  mettre  au  large  :  il  pou- 
«  Le  corps  de  Jehan  Galeas,  un  grand    vait  se  couvrir  du  beau  prétexte  des 

»  et  mauvais  tyran est  aux  char-    droits  du    patriarcat  qu'il  occupait. 

»  treux  à  Pavie  ,  près  du  parc,  plus  Ceux  qui  se  piquent  d'une  austère 
»  haut  que  le  grand  autel,  et  le  m'ont  dévotion  tiennent  plus  facilement  à 
j)  monstre  les  chartreux  ,  au   moins    la  chaîne  leurs  défauts   lorsqu'ils   ne 

sont  pas  dans  un  poste  où  ils  peuvent 
alléguer  les  intérêts  de  l'église,  ceux 
de  la  gloire  de  Dieu  ,  la  charité  du 
prochain  ,  etc.  ;  mais  lorsqu'ils  occu- 
pent de  tels  postes  ,  ils  peuvent  met- 
tre en  liberté  plusieurs  passions ,  et 
les  faire  voguer  à  pleines  voiles  sous 
les  auspices  sacrés  qu'on  vient  de 
toucher.  Revenons  à  Jean  le  jeûneur. 
11  se  donna  le  titre  de  patriarche 
œcuménique  :  le  pape  le  trouva  si 
mauvais,  qu'il  lui  défendit  sur  pei- 
ne d'excommunication  de  plus  pren- 
dre cette  qualité.  Jean  le  jeûneur 
s'étonna  si  peu  de  ces  menaces ,  qu'il 
retint  toujours  son  titre  d'oecumé- 
nique. Et  il  le  fit  avec  tant  de  hau- 
teur, ou  plutôt  avec  tant  d'affecta- 
tion ,  que  dans  les  actes  d'un  synode 
qu'il  envoya  il  Rome.  .  .  il  se  nomme 


»  ses  os  (et  y  monte-1'on  par  une 
>»  eschelle)  lesquels  sentent  comme  la 
»  nature  ordonne  :  et  un  natif  de 
»  Bourges  le  m'appela  sainct  :  et  je 
«  lui  demanday  en  l'oreille  ,  pour- 
»  quoy  il  l'appeloit  sainct ,  et  qu'il 
»  pouvoit  voir  peintes  à  l'entour  de 
«  luy  les  armes  de  plusieurs  cités 
»   qu'il  avoit  usurpées  ,  où  il  n'avoit 

»  nul  droit Il  me  respondit  tout 

»  bas  :  IVous  appelions  ,  dit-il ,  en  ce 
»  pays  icy,  saincts,  tous  ceux  qui  nous 
»  font  du  bien  (54)-  »  La  maxime  de 
ces  bons  moines  est  de  tous  les  temps, 
et  de  tout  pays. 

(K)  Le  zèle  qu'il  témoigna  contre 
l' ambition  du  patriarche  de  Constan- 
tinople  était  mal  réglé.  J  Ce  patri- 
arche est  honoré  comme  un  saint 
dans  l'église  grecque    :   il  s'appelait 


Jean  le  jeûneur.  On  lui  donna  le  sur-   presque    il    chaque  ligne    patriarche 


nom  de  jeûneur,  à  cause  que  c'était 
un  homme  d'une  incroyable  absti- 
nence, et  d'une  très-grande  au sterité 


œcume/uque  (58).  Ce  fut  la  source 
d'une  très-grosse  querelle  entre  saint 
Grégoire  et  lui.  Bien  des  gens  préten- 


de vie  (55j Il  fit  tout  ce  qu'il  put    dent  qu'il  n'y  avait  entre  eux  qu'une 

dispute   de   mot ,   et  il    semble  que 


(53)  V oyn  Maimbourg,  Histoire  du  pontificat 
rie  saint  Grégoire  ,  pag.  23fi. 

(54)  l'Iiilipp.  deComims,  Mémoires,  liv.  y II, 
pag.  m.  45 1. 

(55)  Maimbourg,  HUloivc  du  pontificat  de  saint 
Ciégoire  ,  pag.  io3. 


(5(i)  Là  même,  pag.  106. 

(57)  Gregor.  ,  lit).  I ,  epist.  IV  (  ind.  9,  apud 
Maimbourg  ,  pag.  106. 

(58)  Maimbourg,  Histoire  du  pontificat  de  saint 
G  "y  lire  j  pag     109. 


GRÉGOIRE  Ier.  225 

M.  Maimbourg  le  prouve  assez  bien,  que  dans  Johannes  Sarisheriensis  ; 
Mais  il  ne  saurait  le  faire  sans  que  ,  ainsi  je  n'y  ajoute  pas  beaucoup  de 
bon  gré  mal  gré  qu'il  en  ait,  on  ne  foi  ;  mais  je  rapporte  ses  paroles  :  Si 
trouve  là  une  furieuse  satire  contre  vero  ma  i/iematicorum  via  es  set  tisane- 
Us  deux  principaux  prélats  de  ce  quaque  laudabilis ,  non  tant  opère  pœ- 
temps-là  ,  l'évoque  de  Rome  et  le  pa-  nituisset  magnum  Au gustinum  se  eo- 
triarche  de  Constantinople  ;  car  quoi  rum  consultait nibus  inclinasse.  Ad 
de  plus  ridicule  que  les  tempêtes  hœc  doctor  sanctissimus  ille  Grego- 
qu'ils  excitèrent,  s'il  est  vrai  que  rius  qui  melleo  prœdicalionis  inibre 
leur  dispute  ne  fut  qu'une  vaine  totam  rigavit  et  inebriavit  ecclesiam 
question  de  nom  (5g)  ?  non  modo  mathesin  jussit  ab  auld  \ 
(L)  //  n'est  pas  certain  qu'd  ait  sed  ut  traditur  a  majoriùus  ,  incendia 
fait  détruire  les  beaux  monumens  des  dédit  probalœ  lectionis  scripta  Pa- 
Romains.  ]   Il  est  certain  qu'il  en  a  lalinus 

été  accusé  ;  car  voici  ce  que  dit   Pla-  Quiecnnqoe  tenebat  Apollo  , 
Une  en  rejetant  cette  accusation.  Ne- 
que  est  cùrpatiamur  Gregorium  hdc  l,n  1utblls   erant  prœcipna  ,  quœ  cos- 
in  re  à  ffibusdam  litterarum  ignaris  lest,ium  "tentent ,    et  superiorum  ora- 


IISIUH      t>C      C*lf  ►'O/Clt      ^     «*».      IpSl     îlîl£l<.tt.t,    f  p       -*     j  --    s  w"    9 

ad  urbem  religionis  causa  venientes  a!in  .de  rendre  Ph,s  recommanda- 
posthabitis  locis  sacris  ,  arcus  trium-  ^les  les  hvres  sacrés.  Ferlur  beatus 
phales  et  monumenta  velerum  cum  L"'t:g°rius  bibliothtcam  combussisse 
admiratione  inspicerent.  Absit  hœc  gentllf>1 ,  ?"°  divtnœ  paginas  gratior 
calumnia  h  tanto  pontifïce  Romano  eJs.et  {ocus  >  e\  maJor  autorilas  ,  et 
prœsertim  :  oui  cerlè  p6st  Deum  pa-  dl'igentta  studiosior  (63) .  Ce  qu'il  y 
tria  quant  fila  car  ior  fuit  (6o).  Le  a  d.e  tort  certain  ,  c'est  que  le  pape 
même  historien  remarque  que  Sabi-  avait  C0.I!ÇU  beaucoup  d'aversion 
nien  qui  succéda  à  Grégoire  témoi-  Pol,r  les  hyres  du  paganisme.  On  en 
gna  une  extrême  animosité  contre  Jn§era  P".  ce  morceau  de  son  bis- 
son    prédécesseur,    dont  il   ne    s'en    toire/(  Didier,  archevêque  de  Vienne, 

»  était  un  homme  d'un  très-grand 
»  mérite ,  d'un  rare  savoir  et  d'une 
»  vertu  fort  éclatante  ,  à  qui  saint 
»  Grégoire  a  écrit  plus  d'une  fois 
»  avec  éloge  ;  et  néanmoins  il  trou- 
w  va  à  redire  à  sa  conduite  ,  et  le 
»  reprit  aigrement  ,  comme  d'un 
»  grand  crime ,  de  ce  qu'il  s'em- 
»  ployait  à  enseigner  à  quelques-uns 
»  de  ses  amis  la  grammaire  et  les 
»  lettres  humaines ,  et  à  leur  expli- 
»  quer  les  poètes.  Il  assure  que  cette 


fallut  guère  qu'il  ne  fît  brûler  les 
livres.  Quelques  habitans  de  Rome 
poussaient  à  cela  le  nouveau  pape  , 
à  cause  ,  dit-on  ,  que  saint  Grégoire 
avait  mutilé  ou  renversé  les  statues 
des  anciens  Romains.  Platine  rejette 
aussi  cette  accusation.  Paululàm 
etiam  abfuit  quin  libri  ejus  combure- 
rentur  ,  adeo  in  Gregorium  ira  et  in- 
vidiaexarserat  homo  malevoltts.  Sunt 
qui  scribanl  Sabinianum  insligantibus 
quibusdam  Romanis  hoc  in  Gregorium 


molitumesse,  qubd  velerum  statuas  "  ^cheuse  nouvelle  lui  a  donné  tant 

totd  urbe  dam  vivent,  et  obtruncave-  "  de  chagrin     que  toute  la  joie  qu'il 

rit  et  disjecerit  :  quod  quidem  ita  vero  "  avalt,  el'e  d  apprendre  le  succès  de 

dissonum  est,  ut  illud  quod  de  abo-  *  ses,  et"des,  et  de  sa  grande  capa- 

lendis  œdificiis  majorum  in  vitd  ejus  "  clîe  '  s  était  changée  tout  à  coup  en 

diximus  (6i).  "  tristesse  ,  Parce  que,  lui  dit-il (*), 

(M)   On  l'accusa  d'avoir  fait  brûler  (6a,  joban.SariBl.erieniîs,  de  Nugis  Curialium, 

une  infinité  de  livres  païens.  ]  La  bi-  Ub.  II ,  cap.  XXVI ,  pag.  m.  104. 

bliothéque  palatine  qu'Auguste  avait  (&*)  Idem,  ibidem,  Ub.  VIII ,  cap.  XIX , 

fondée  fut   réduite   en    cendres  par  pflA\sA'7  ■-  •                             7    ■   1     ,-, 

n     ,                    ,,                T        ,    .   «       r  -,  {*)  \tuiit  m  uno    le   ore  cum  Jovis  laudibus 

Saint  Grégoire  ,  dit-on.  Je  n  ai  lu  cela  Chrùti  laudes  non  capiunt.  Et  quàm  grave  ne- 

fandumque  sit  episcopis  canere  quod  nec  lateo 

(5g)    Voyez  les  Nouvelles   de    la   République  'religtoso  coiwenial.ipse  considéra.  Quanlb  exe- 

des  Lettres  ,  mois  de  février  1686 ,  pag,  189.  crabile   est   hoc    de  sacerdole  enarrari,   lantà 

(60)  Platina  ,  in  Grrgorio  I.  utrum  ita  neene  sil  dislricld  et   veraci    oporlet 

(61)  Idem,  in  Vitâ  Sabiniani.  salisj'actione  cognosci. 

Tome  vu.  i5 


22Ô 


GRÉGOIRE  I". 


«  les  louanges  de  Jupiter  et  celles 
»  de  Jésus-Christ  ne  peuvent  être 
»  dans  la  même  bouche.  Songez  un 
»  peu  combien  c'est  une  chose  indi- 
»  "ne  et  détestable  a  un  évéque ,  de 
»  chanter  des  vers  que  même  un  laï- 
»  que  dévot  et  religieux  ne  pourrait 
»  réciter  avec  bienséance  ,  et  sans 
»  faire  tort  à  sa  profession.  Il  ajoute 
»  qu'encore  que  d'ailleurs  ou  l'ait 
»  assure  qu'il  n'en  e'tait  rien,  cela 
»  pourtantlui  tienttoujours  bien  fort 
j>  au  cœur,  et  qu'il  veut  s'informer 
»  d'autant  plus  exactement  de  la  vé- 
»  rite' ,  qu'il  est  plus  horrible  ,  et  mê- 
j)  me  exe'crable  d'entendre  dire  une 
3»  pareUle  chose  d'un  prêtre,  et  d'un 
3>  évêque.  Que(*),  si  néanmoins  ,  lui 
3>  dit-il  enfin,  pour  le  consoler,  je  puis 
3>  connaître  évidemment  que  le  rap- 
3>  pon  qu'on  m'a  fait  contre  vous  est 
3)  faux  ,  et  que  vous  ne  vous  amusez 
3>  point  a  ces  bagatelles  de  lettres 
3>  humaines  et  de  sciences  mondaines 
»  et  séculières  ,  j'en  rendrai  grâces  h 
3>  Dieu  ,  qui  n'aura  pas  permis  que 
»  votre  cœur  soit  souillé  des  louan- 
3>  ges  pleines  de  blasphèmes  que  ces 
3)  auteurs  profanes  donnent  aux  plus 
3>  scélérats  de  tous  les  hommes  (6/f).  » 
M.  Maimbourg  ne  manqua  pas  de 
réfléchir  sur  soi-même  après  avoir 
rapporté  cela.  Voyez  ses  paroles  dans 
les  nouvelles  de  la  République  des 
Lettres  ,  mois  de  septembre  1686, 
pag.  io34,  et  dans  M.  Seckendorf , 
page  4  du  Ier.  livre  de  l'Histoire  du 
luthéranisme. 

(N) et  nommément  Tile  Live.} 

Antonin  ,  archevêque  de  Florence,  est 
le  plus  ancien  auteur  qui  soit  cité 
pour  cela  par  Vossius.  On  prétend 
queTite  Live  fut  ainsi  traité,  à  cause 
qu'il  insiste  trop  sur  les  cultes  su- 
perstitieux du  paganisme.  Al  miri- 
Jicus  zelus  fuit  sancti  Gregorii ,  qui 
ut  sanctus  Antoninus ,  et  ex  eo  Jo. 
Hesselius  ex  uiroque  Raderus  ad 
Marlialem  tradit  ,  Livium  propte- 
rea  combussit  ,  quôd  in  supersti- 
tionibus  et  sacris  Romanorum  per- 
petuô  versetur  (65). 

(*)  Si  posthac  evidenter  ea  quar  ad  nos  per- 
lala  sunt  falsa  esse  claruerint ,  nec  vos  nugis  et 
sœcularibus  lilteris  sludere  constilerit  ,  Deo  nos- 
Iro  grattas  agunus,  qui  cor  vestrutn  maculari 
bla<phemis  nefandorum  laudibus  non  permisit- 

(64)  Mtairabourg,  Histoiredu  pontilica»  de  saint 
Grégoire,  png.  263,  264. 

(65)  Vossim,  de  Hiet.  Ut.,  pag.  98. 


(0)  J'ai  pensé  oublier  V attachè- 
rent de  ce  pape  pour  la  psalmodie  de 
■glise.  ]  «  (66)  Il  s'appliqua  prin- 
cipalement à  régler  l'office  et  le 
chant    de  l'église.  Pour  cet  effet  il 

composa  son  Antiphonairc  (67) 

Il  n'y  a  rien  de  plus  admirable  que 
ce  qu'il  lit  en  cette  occasion.  Quoi- 
qu'il eût  sur  les  bras  toutes  les 
affaires  de  l'église  universelle ,  plus 
encore  accablé  de  maladies  que  de 
cette  multitude  infinie  de  tant  de 
différentes  choses  ,  auxquelles  il 
fallait  nécessairement  pourvoir 
dans  toutes  les  parties  du  monde  : 
il  prenait  néanmoins  le  temps 
d'examiner  lui-même  d auquel  air 
on  devait  chanter  les  psaRmes  ,  les 
hymnes  ,  les  oraisons  ,  les  versets  , 
les  répons,  les  cantiques  ,  les  le- 
çons ,  les  épîtres  ,  l'évangile  ,  les 
préfaces  et  l'oraison  dominicale  ; 
quels  étaient  lestons,  les  mesures  , 
les  notes  ,  les  modes  les  plus  con- 
venables à  la  majesté  de  l'église , 
et  les  plus  propres  à  inspirer  de  la 
dévotion  ;  et  il  en  forma  ce  chant 
ecclésiastique  qui  n'a  rien  que  de 
grave  et  d'édifiant ,  qu'on  appelle 
encore  aujourd'hui  le  chant  gré- 
gorien. Il  institua  de  plus  une  aca- 
démie de  chantres  (*') ,  pour  tous 
les  clercs  jusqu'au  diaconat  exclu- 
sivement ,  parce  que  les  diacres  ne 
doivent  s'employer  qu'à  prêcher 
l'évangile,  et  à  distribuer  les  au- 
mônes de  l'église  aux  pauvres ,  et 
qu'il  voulait  que  les  chantres  s'ap- 
pliquassent à  se  rendre  parfaits 
dans  l'art  de  chanter  juste  ,  selon 
les  notes  de  son  chant ,  et  à  se  bien 
former  la  voix  pour  chanter  agréa- 
blement et  d'un  air  dévot,  ce  que , 
selon  saint  Isidore  (*')  on  n'obtient 
que  par  le  jeûne  et  l'abstinence. 
Car  ,  dit-il ,  les  anciens  jeûnaient 
la  veille  qu'ils  devaient  chanter  , 
et  n'usaient  dans  leur  vivre  or- 
dinaire que  de  légumes  pour  avoir 

(66)  Maimbourg,  Histoire  du  pontificat  de  saint 
Grégoire  ,  png    327. 

(6-)  Là  même  ,  pag.   33o  et  suiv. 

(*')  Scholamquoque  Cantorum,  quœ  haclen'us 
eisdem  instttulionibus  in  S.  R.  eccl.  modulalur, 
construit.  L.  4  ,  ep.  44- 

(*2)  Isid.  ,  de  eccl.  Offic.  L.  2,  c.  12.  Pridii 
quàiu  cantandum  eral  cibis  abslinebanl  psal- 
tentes,  legumine  in  causa  vocis  assidue  uleban- 
lur,  unde  et  canlores  apud  gentiles  faborii  die- 
ti  sunt. 


GRÉGOIRE  Ier. 


227 


»  la  voix  plus  nette  et  plus  clai- 
»  re,d'où  vient  que  les  gentils  ap- 
»  pelaient  les  chantres  mangeurs  de 
»  fèves.  Je  ne  sais  pas  aujourd'hui 
»  si  les  chantres  voudraient  bien  s'ac- 
»  commoder  de  cette  me'thode  ,  à  la- 
»  quelle  ils  ne  sont  pas  trop  accou- 
»  tume's.  Quoi  qu'il  en  soit  ,  saint 
»  Grégoire  prenait  grand  soin  de  les 
»  instruire,  et  leur  faire  des  leçons 
»  lui-même,  tout  pape  qu'il  était  , 
»  pour  leur  apprendre  à  bien  chan- 
»  ter.  Jean  (*)  le  diacre  nous  assure 
j>  que  ,  de  son  temps ,  on  gardait  avec 
»  grande  vénération  ,  dans  le  palais 
»  de  Saint-Jean-de-Latran  ,  le  lit  où 
»  étant  malade  il  ne  laissait  pas  de 
»  chanter  ,  pour  enseigner  les  ehan- 
»  très  ,  et  le  fouet  avec  lequel  il  me- 
o>  naçait  les  jeunes  clercs  et  les  en- 
»  fans  de  chœur  ,  quand  ils  ne  pre- 
»  naient  pas  bien  le  ton ,  et  qu'ils 
»  manquaient  aux  notes  de  son 
»  chant.  »  Il  faut  faire  ici  une  obser- 
vation contre  ceux  qui  citent  sans 
examiner  les  circonstances.  Le  mi- 
nistre wallon ,  qui  publia  un  gros 
livre  de  la  divine  mélodie  du  saint 
psalmiste,  l'an  1644,  ne  s'est  pas  mis 
en  peine  si  les  choses  avaient  changé 
depuis  Jean  le  diacre  auteur  de  l'his- 
toire de  saint  Grégoire.  Jean  le  dia- 
cre a  vécu  au  IXe.  siècle.  Il  a  dit 
qu'on  gardait  encore  le  fouet  avec 
lequel  ce  grand  pape  menaçait  les 
écoliers  de  musique. Mais  il  ne  s'ensuit 
pas  que  nous  puissions  user  comme 
lui  du  temps  présent,  lorsque  nous 
rapportons  ce  fait  :  et  ainsi  le  minis- 
tre wallon  est  très-digne  de  censu- 
re. Voici  ce  qu'il  a  dit  (68)  :  Gré- 
goire-le-Grand ,  auparavant  cité ,  in- 
stitua une  école  de  chantres ,  et  leur 
bâtit  des  collèges  avec  un  revenu 
convenable.  On  montre  encore  h  Ro- 
me ,  aujourd'hui  ,  son  lit  sur  lequel  se 
reposant  il  modulait  ;  le  Jouet  avec 
lequel  il  corrigeait  ses  disciples  ;  et 
V Antiphonaire  authentique.   Naucl. 

94- 

(P)  Dom  Denis  de  Sainte-Marthe 
ne  paraît  guère  content  de  M.  3Iaim- 
bourg.]  Il  trouve    que   Y  Histoire  du 

(*)  Vsque  hodiè  leclum  ejus  in  quo  reculant 
modulabatur  ,  et  flagellum  ejus  quo  pueris  mi- 
nabatur,  veneratione  congrud  cum  authentico 
j4niiphonario  reseriatur.  Jo.  tliac. ,  1.  2,  c.  6. 

(68)  Jértrn.  de  Pours,  Divine  Mélodie,  pag. 
1070. 


pontificat  de  saint  Grégoire-le-Grand, 
publiée  par  cet  auteur  ,  ne  comprend 
pas  toute  la  vie  du  saint  (69).  Il 
ajoute  que  M.  Maimbourg  ne  s'est 
attaché  qu'a  certains  faits  de  son 
pontificat,  qui  entraient  dans  ses  des- 
seins et  dans  ses  vues ,  négligeant 
tous  les  autres,  qui  toutefois  méritent 
d'être  connus.  Je  sais,  dit-il  ,  en  un 
autre  endroit  (70)  ,  «  qu'un  écrivain 
»  fameux ,  qui  a  donné  au  public 
»  l'Histoire  du  pontificat  de  saint 
»  Grégoire  ,  et  qui  se  pique  d'un 
»  grand  désintéressement ,  l'a  blâmé 
»  de  s'être  si  fort  échauffé  dans  une 
»  affaire  de  rien.  Cependant  je  ne 
»  doute  pas  que  si  saint  Grégoire  ou 
»  quelqu'autre  pape  avait  entrepris 
»  de  se  faire  appeler  patriarche  œcu- 
»  ménique,  et  que  Jean  ,  patriarche 
»  de  Constantinople ,  ou  quelqu'au- 
»  tre  évêque  s'y  fût  opposé  ,  le  même 
v  écrivain  n'eût  blâmé  le  pape  de 
»  cette  entreprise  ,  comme  d'une 
»  présomption  et  d'une  usurpation 
»  insupportables  ,  loué  la  générosité 
»  du  patriarche  ,  de  l'évêque  ,  et  gé- 
»  ncralement  de  tous  ceux  qui  s'y 
»  seraient  opposés.  Tant  il  est  dan- 
»  gereux  d'apporter  à  écrire  l'his- 
»  toire  un  esprit  rempli  de  préjugés, 
»  qui  cherche  autant  à  faire  entrer 
»  ses  sentimens  dans  le  récit  des 
»  faits,  qu'à  exposer  ces  faits  avec 
»  une  entière  sincérité.  »  C'est  nous 
donner  une  idée  désavantageuse  du 
cœur  de  M.  Maimbourg. 

(Q) Ce  qu  il  observe  contre  les 

cenluriateurs  de  Magdebourg  est 
mêlé  de  fausse  critique.  JYous  le 
verrons  ci-dessous .]  Tout  le  monde 
sait  que  la  dispute  sur  les  vœux  du 
célibat  est  fort  grande  entre  les  pro- 
testans  et  les  catholiques  romains ,  et 
que  l'une  des  raisons  des  protestans 
est  que  ces  vœux-là  traînent  après 
eux  beaucoup  de  désordres  et  une 
infinité  d'oeuvres  de  ténèbres  (71)  , 
infructueuses  tant  qu'on  voudra ,  se- 
lon le  sens  de  l'Evangile  ,  mais  très- 
fructueuses  en  un  autre  sens  puis- 
qu'elles donnent  la  vie  à  un  très- 
grand  nombre   de  créatures  humai- 

(69)  Denis  de   Sainte-Marthe  ,   dans  sa  pré- 
face . 

(-0)    Le    même,  Histoire  de  saint  Grégoire, 
Uv.'lII,  chap.  I,  pag.  336,  337. 

(-1)  Voyei  /'épîlre  aux  Epliisiena  ,  chap.  V ', 


228  GRÉGOIRE  Ier. 

nés.  Il  est  vrai  que  ce  sont  des  fruits     »  d'autres    ailleurs  (72).  »  Voilà   des 
qu'on  ne  laisse    pas  mûrir  :  on   les    difficultés  que  Baronius  ni  Bcllarmin 
étouffe  avant  leur   naissance  autant    ne  proposent  point ,  quand  ils   réfu- 
que  l'on  peut ,  il  faut  faire  en  sorte    tent  ce  conte  des   centuriateurs  de 
de  couvrir  le  premier  crime ,  et  on    Magdebourg.  Je   ne  sais  si  elle  n'ont 
ne  le  peut  guère  que  par  un  second    pas  été  inventées  par  dom  Denis  de 
péché   plus    énorme    encore    que   le    Sainte -Marthe.  11  trouvera  bon   que 
précédent.  Voilà  ce  que  les  contro-    je  lui  dise  qu'autant  qu'elles  peuvent 
versistes  ne  manquent  pas  d'alléguer-     paraître  spécieuses  à  ceux  qui  s'arrê- 
et  ils  disent  même  que  la  découverte    tent  aux  premières  impressions,  au- 
de  ces  désordres  a  obligé    quelque-    tant  sont-elles  destituées  de  solidité 
fois   à  révoquer  la  dure  loi  du   céli-    à  l'égard  de  ceux  qui  examinent  les 
bat.  Voici  un  assez  long  passage  de    choses  attentivement.  Tout  le  monde 
dom  Denis   de    Sainte -Marthe.  <t  Je    m'avouera  que   dans  les  matières  de 
»  n'entreprends  point  de  réfuter  ici    fait,  ceux  qui  réfutent  doivent  faire 
j»  une   fable   débitée   par  les   centu-    des    objections  qui    soient   opposées 
î)  riateurs  de  Magdebourg  (*)  ,  qui  se    au  but  de  leur  adversaire.  Voyons  si 
33  détruit  d'elle-même.  On  veut  que    les  difficultés  du  père  de  Sainte-Mar- 
»  saint    Grégoire -le -Grand  ,     après    the   ont  cette  propriété.    Je   trouve 
»  avoir  fait  un  décret  pour  ôter  aux     qu'elles  seraient  bonnes  si  Udalric  , 
»  prêtres  leurs  femmes  ,  ait  été  obli-    et    ceux    qui    allèguent  sa    lettre  , 
»  gé  de   le  révoquer,  à  cause  de  ce    avaient    prétendu    que    ces    meur- 
)>  qui  arriva   dans    la   suite.    Peu  de    triers   de  bâtards   leur  coupaient  la 
»  temps   après  ce  règlement,  le  pa-    tête,  et    ne  la  jetaient  que    dans  le 
m  pe ,  dit-on,  ayant  envoyé  pêcher    vivier  du   pape.  Cette  prétention  se- 
3>  dans  un    réservoir  qu'il  avait,    au    rait  sujette  aux  grands  inconvéniens 
»  lieu  de   poisson   l'on  tira  de  l'eau    que  l'auteur  ]  ropose,  et  il  serait très- 
»  six  mille    têtes   de    petits    enfans.    difficile     d'opposer    quelque    bonne 
3)  Grégoire  connaissant  donc  que  ces    probabilité  à  ses   questions.    Mais  il 
3>  enfans  étaient  les  fruits  de  Pinçon-    ne  faut  point  s'imaginer  que  l'on  pré- 
3>  tinence  des  prêtres  qu'il  avait  pri-    tende   cela.    On    a    voulu  seulement 
33  vés  de  leurs  femmes ,  révoqua  son    narrer   ce   qui   avait    été    découvert 
3)  décret  ,    et   fit  pénitence  du  péché    dans  le  réservoir  de  saint  Grégoire  ; 
33  qu'il    avait  commis  ,   en    donnant    et  si  l'on   n'a  point  parlé   du    Tibre 
3)  lieu   à    tant  de  crimes.   On  ajoute    Gu  des  autres  lieux  publics  ,  ce  n'est 
3>  que    saint     Udalric  ,     archevêque    pas  que   l'on    ait   cru   qu'aucun  des 
3>  d'Augsbourg  ,  a  écrit  ceci  au  pape    enfans  qui  étaient  le  fruit  de  l'incon- 
3)  Nicolas.  Tout  ce  narré  n'est  qu'un    tinence  des  ecclésiastiques  n'y  eût  été 
3>  amas   confus  de  faussetés  mal   in-    jeté  ;  c'est  parce  qu'on  ne  savait  pas 
33  ventées.   Par  quelle  raison  choisit-    que   les  mêmes  crimes  y  eussent  été 
3)  on    le   réservoir  du    pape ,  plutôt    découverts  ,  ou  bien  parce  qu'on  se 
3>  que   le  Tibre    ou    les  autres  lieux    contenta  des  conséquences  qui  pou- 
3>  publics ,  pour  y  jeter  ces  six  mille    vaient  être  tirées  de  ce  qui  avait  été 
3)  têtes  d'enfans  ?  Que  fit-on  de  leurs    vu  dans  le  réservoir.  On  supposa  qu'il 
3)  corps  dont  on  ne  parle  point?  Est-    serait  facile  de  tirer  cette  conclusion  : 
33  il  à  croire  que  ceux  qui  les  avaient    le  seul   réservoir  du  pape  a  contenu 
3)  tues,   et  qui  avaient  intérêt  de  les    six    mille   enfans;   donc    le   nombre 
3)  cacher  ,   eussent  pris  plaisir  à  les    des  enfans  qui  ont  été  étouffés  pour 
3)  décapiter,   et  à   porter  leurs  têtes    cacher  le  crime  des  pères  et  des  mè- 
3)  dans  l'enceinte  du  palais  du  pape,    res  est  presque  infini:  car  combien 
3>  pour  faire  bientôt  découvrir  leurs    en    a-t-on  jeté  dans  le  Tibre,   dans 
3>  crimes?  Ne    craignirent-ils    point    les  cloaques,  dans  les  puits?  combien 
)3  qu'elles  ne    flottassent  sur   l'eau?    en  a-t-on   enterré,   etc.?  Un  homme 
3)  Comment  étaient-ils  convenus  tous    qui  rapporte  qu'en  creusant  les  fon- 
3)  ensemble  de  porter  ces  têtes  dans    démens   d'un    tel  palais  on  a  trouvé 
3>  un  même  endroit  ?  Car  on  ne  mar-    beaucoup   de  médailles,    ou   d'osse- 
3>  que  pas    qu'il  en   ait    été   trouvé 

(72I    Denis   de   Samte-M.irtlie  ,    Histoire    de 
(*)  Centur.  G ,  c.  7.  saint  Grégoire,  liy.  Il ,  chap.  IJr,  pag.  206. 


GREGOIRE  1er 


229 


mens,  prétend-il  que  c'était  le  seul  entrer  sans  l'aveu  des  maîtres,  pré- 
endroit  où  l'on  ait  pu  rencontrer  «le  caution  qui  ne  sert  de  rien  contre 
pareilles  choses?  Et  sous  prétexte  peux  qui  veulent  y  jeter  un  petit  en- 
qu'il  ne  dit  rien  des  autres  endroits  ,  fant. 

ses  adversaires  peuvent-ils  combat-        Il  y  a  peut-être  un  assez  bon  nom- 

tre  par   ce  silence  ce   qu'il   affirme?  bre  de  controversist.es  qui,  ayant  à 

Notez  qu'il  y  a  une  raison  particuliè-  répliquer  pour   1rs   centuriateurs  au 

re  pourquoi  l'on  a  fait  mention  de  ce  bénédictin  Sainte-Marthe,  borneraient 

réservoir  plutôt  que  du  Tibre ,  etc.  :  ici  l'apologie.   J'en    connais    qui  en 

les  rivières  ne  se  vident  point  ;  mais  useraient    de  cette  façon  ,  et  qui  mê- 

de  temps  en  temps  on  vide  les  re'ser-  me,    chantant  le  triomphe  avec  des 

voirs  ,  afin  d'en  tirer  tout  le  poisson  ;  airs  insultans,  se  vanteraient  d'avoir 

et  c'est  alors  qu'on  peut  découvrir  si  mis    en   poudre  toutes   les  nouvelles 

des  enfuis  y  avaient  été  jetés.  Pour  machines  avec  quoi  l'on  avait  voulu 

en  savoir  le  nombre   on  se  contente  combattre  le  récit  de  ces  auteurs  ai- 


de compter  les  tètes  ,  parties  uniques 
en  chaque  enfant  cl  très-aisées  à  dis- 
cerner. Voilà    pourquoi   on    n'a  di\ 


lemands.  Mais  pour  moi,  qui  tiens  à 
honneur  de  n'imiter  pas  (74)  une 
conduite   si  opposée  à  la  bonne  foi, 


faire  mention  que  des  tètes  dans  l'é-   je  déclare  que  dom  Denis   de  Sainte 


pître  d'Udaliïc.  Il  ne  faut  pas  que  le 
père  de  Sainte-Marthe  trouve  mau- 
vais qu'on  n'y  dise  rien  du  corps.  Ce 
reproche  serait  bon  à  faire  à  des  com- 
missaires qui  auraient  e'té  envoyés 
sur  les  lieux  pour  examiner  l'état  du 
vivier.  Ils  seraient  blâmables,  si  leur 


Marthe  a  employé  d'autres  raisons 
infiniment  plus  solides  que  celles 
que  j'ai  réfutées  \  car  voici  ce  qu'il 
ajoute  (^5)  :  Mais  avec  quelle  impu- 
dence ose-t-on  dire  que  saint  Gré- 
goire se  relâcha  dans  la  suite  sur  la 
continence  des  prêtres  ?  Quel  pape  a 


procès  verbal  ne  contenait  pas  plus  eu  plus  de  zèle  et  de  fermeté  que  lui 

de  circonstances  que  la  lettre  d'Udal-  pour  la  faire  observer?  On  peut  con- 

ric.   Ils  auraient  été  obligés  de  mar-  naître  ses   véritables  senlimens ,  par 

quer  si  outre  les  tètes,  on  avait  aussi  la  réponse  qu'il  fit  a  saint  Augustin, 

trouvé  d'autres  ossemens  ;   si  tous  les  sur  diverses  difficultés  qu'il  lui  avait 


corps  étaient  décharnés:  si  quelques 
uns  n'étaient  pouris  qu'à  demi ,  ou 
que  mangés  à  demi  par  les  poissons, 
et  telles  autres  particularités  :  mais 
un  auteur  ,  qui  allègue  cette  décou- 
verte comme  une  chose  à  opposer  à 
la  loi  du  célibat,  n'a  que  faire  d'au- 
cun détail,  il  lui  doit  suffire  de  mar- 
quer en  gros  que  l'on  trouva  six 
mille  tètes.  Si  ce  que  dom  Sainte- 
Marthe  assure  touchant  la  situation 
du  réservoir  était  véritable  ,  ce  serait 
une  assez  bonne  difficulté  ;  mais  qui 
lui  a  dit  que  ce  réservoir  était  dans 
l'enceinte  du  palais?  Baronius  eût-il 
négligé  de  se  servir  de  cette  raison  , 
si  elle  eût  été  bien  fondée  ?  Se  fùt-il 
contenté  de  dire  que  les  viviers  n'é- 
taient pas  publics  ,  et  qu'on  les  gar- 
dait très-bien  (^3)  ?  Mauvaise  raison  • 
car    on  ne    met.    pas    de    sentinelles 

Ïiendant    la    nuit  à  l'entour    de  ces 
ieux-là  ;   on   se  contente   de  mettre 
ordre  que  des  pécheurs  n'y   puissent 

(73)  Ciim  cerlum  sit  piicinas  Mas  in  quibus 
pièces  asservari  soient ,  non  fuisse  omnibus  pu- 
blions ,  sed  oplimè  custodilas.  Baron.  ,  ad  ann. 
5ç)t ,  num.  21  ,  pag.  Ml.  29. 


proposées.  Car  répondant  au  second 
article ,  il  exclut  expressément  les 
clercs  promus  aux  ordres  sacrés,  du 
nombre  de  ceux  qui  peuvent  contrac- 
ter mariage.  Pour  confondre  davan- 
tage les  écrivains  hérétiques  qui  ont 
y oulu  donner  créance  à  ce  mensonge, 
on  a  déjà  fait  voir  que  le  pape  IVico- 
las  l'T.  était  mort  avant  que  saint 
Udalriç  fut  ai*  mande,  et  que  JYico- 
las  II  n'a  été  paye  que  fort  long- 
temps après  la  mort  de  ce  saint.  Voilà 
deux  bons  argumens  contre  ce  qu'a- 
vancent les  centuriateurs  :  Earonius 
(76)  et  Bellarmin  (77)  s'en  étaient 
servis  avec  une  grande  force.  Le  bé- 
nédictin eût  bien  fait  de  n'employer 
que  cela;  car  le  véritable  moyen  de 
multiplier  les  répliques  et  les  dupli- 
ques à  l'infini ,  est  de  mêler  les  faus- 
ses raisons  avec,   les  bonnes  :  un   ad- 

(74)  TjOngè  mea  discrepat  tslis 
El  vox  et  ratio. 

Horal.  ,  sal.  VF,  vs.  92,  lib.  1. 

(75)  Sainte-Marthe  ,  Histoire  île  saint  Grégoi- 
re, pag.  207. 

(76)  Baron.,  ad  ann.  Spi  ,  num.  ig,  20,  21. 

(77)  Bellarmin.,  àe  Clericis,  lib.  /,  c.  XXII  t 
pag.  m.    1 1  .■  i ,  1125. 


23© 


GRÉGOIRE  Ier 


versaire  trouvera  toujours  de  quoi 
nourrir  la  dispute  pendant  qu'on  lui 
donnera  de  fausses  preuves  à  re'futer  , 
et  il  persuadera  à  beaucoup  de  gens 
de  son  parti,  qui  ne  lisent  jamais  les 
ouvrages  du  parti  contraire  ,  que  sa 
cause  est  toujours  victorieuse.  De  là 
vient  qu'à  l'égard  d'une  infinité  de 
gens  rien  n'est  jamais  éclairci ,  et 
que  beaucoup  d'autres  regardent 
toujours  comme  un  problème  les 
faits  les  plus  dignes  d'être  rejetés. 
Il  me  semble  que  l'on  doit  mettre 
dans  cette  classe  de  faits  celui  que 
les  centuriateurs  de  Magdebourg ,  et 
leurUdal  rie  rapportent;  car  d'un  côté 
on  ne  voit  ailleurs  aucun  vestige 
ni  de  la  révocation  ni  du  repentir 
qu'ils  attribuent  à  saint  Grégoire  , 
etde  l'autre,  il  paraît  manifestement 
par  les  écrits  de  ce  pape,  qu'il  ne 
s'est  jamais  relâché  à  l'égard  de  l'in- 
terdiction du  mariage  des  prêtres. 
Tout  son  relâchement  consista  à  n'exi- 
ger point  que  les  sous-diacres  qui 
avaient  été  ordonnés  avant  la  décré- 
talc(78)  de  son  prédécesseur  fussent 
contraints  de  se  séparer  de  leurs 
femmes  ;  mais  il  défendit  de  les  éle- 
ver aux  autres  ordres  supérieurs,  et 
il  voulut  que  les  évêques  n'ordon- 
nassent point  de  nouveaux  sous-dia- 
cres ,  qu'après  leur  avoir  fait  pro- 
mettre de  vivre  en  continence  (79).  A 
moins  donc  que  l'on  n'apporte  de 
bonnes  preuves  ,  et  de  la  révocation 
de  la  loi  du  célibat,  et  du  repentir 
de  saint  Grégoire,  et  que  d'ailleurs 
on  ne  fasse  voir  certainement  qu'il 
y  a  eu  un  Udalric  évêque  d'Augs- 
bourg  contemporain  de  quelque  pape 
nommé  Nicolas  ,  on  ne  sera  jamais 
digne  de  foi  en  nous  alléguant  la 
lettre  d'un  Udalric ,  et  ces  six  mille 
têtes  d'en  fans  trouvées  dans  le  réser- 
voir de  saint  Grégoire. 

Faisons  encore  deux  ou  trois  ob- 
servations. i°.  Le  récit  de  cette 
affaire  n'est  pas  bien  tourné.  Voici 
les  paroles  des  auteurs  des  centuries  : 
Beatus  Gregorius  Magnus papapri- 
mus  aliquando  suo  quodam  décréta 
uxore.t  sacerdotibus  ademit.  Deindè 
paulo  post  cùm  idem  Gregorius  jus- 

(78)  Celle  par  laquelle  Pelage  II  avait  or- 
donne' que  tous  les  sous-diacres  de  Sicile  se  sépa- 
rassent de  leurs  femmes. 

(-9)  Voyez  Sàinte-Marthc,  Histoire  Je  saint 
Orégoire,  pag-  2o5,  20(1. 


sisset  ex  piscind  sud  pisces  aliquoS 
capi  ,  piscalores  pro  piscibus  sex 
millia  capilum  inj'antium  sujffbcato- 
ruin  repererunt.  Qua/ii  cœdem  inj'an- 
tium ciim  intelligeret  sanctus  Gre- 
gorius ex  occultis  fornicalionibus  vel 
adultéras  sacerdotum  natam  esse  , 
continua  revocavit  decretum  ,  et  pec- 
catum  suum  dignis  pœnitentiœ  J'ruc- 
tibus purgavit  (80). Ils  supposent  que 
le  pape  Grégoire  fit  un  décret  pour 
empêcber  que  les  prêtres  ne  se  ma- 
riassent ,  et  que  peu  après  il  donna 
ordre  que  l'on  tirât  de  son  vivier 
quelques  poissons,  mais  que  les  pê- 
cheurs, au  lieu  de  poissons,  y  trouvè- 
rent six  mille  têtes  d'enfans  ;  que  là- 
dessus  ce  pontife  cassa  son  décret  , 
et  répara  son  péché  par  des  fruits 
dignes  de  repentance  ;  il  connut  que 
le  meurtre  de  tant  d'enfans  procé- 
dait de  l'incontinence  des  prêtres. 
Cette  narration,  je  le  dis  encore  un 
coup ,  est  très-mal  tournée.  L'on  y 
suppose  que  six  mille  enfans  furent 
jetés  dans  le  réservoir  du  pape  en 
très-peu  de  temps  ,  et  que  les  pê- 
cheurs qui  trouvèrent  les  six  mille 
têtes  de  ces  pauvres  créatures  ne 
prirent  aucun  poisson.  Tout  cela  est 
absurde  :  une  si  grande  quantité  d'en- 
fans noyés  dans  le  même  lieu  de- 
mande bien  des  années  (81),  et  se- 
rait beaucoup  plus  propre  à  multi- 
plier les  poissons  qu'à  les  détruire 
tout-à-fait.  On  eût  beaucoup  mieux 
accommodé  la  narration  ,  si  l'on  eût 
dit  que  saint  Grégoire  abrogea  le  cé- 
libat des  ecclésiastiques,  établi  depuis 
fort  long-temps  ,  et  que  la  raison 
pourquoi  il  leur  permit  le  mariage 
fut  qu'ayant  voulu  faire  nettoyer  son 
réservoir ,  qui  depuis  un  fort  grand 
nombre  d'années  n'avait  été  nettoyé, 
on  y  trouva  six  mille  têtes  d'enfans. 
Un  tel  narré  donne  autant  d'années 
que  l'on  peut  en  souhaiter.  Con- 
cluons, c'est  ma  seconde  observa- 
tion ,  qu'en  arrangeant  mal  les  cir- 
constances d'un  fait  (82) ,  on  le  rend 
douteux  ,  contraire  à  la  vraisemblan- 
ce, ridicule,  absurde,  quelque  cer- 

(80)  Magdeburgcns.,  apud  Baron.,  ad  ann. 
5()i  ,  num.  içj ,  pag.  m.  i-r 

(81)  Baron.,  ad  ann.  5qi  ,  num.  31  ,  se  sert 
de  celle  raison. 

(82)  Appliquez  ici  ces  paroles,  Nihil  est,  An- 
tipho  ,  quin  maie  narrando  possit  depravarier. 
Tcrent.  ,   in  Pliorm.  ,  acl.  IV ,  se.  IV,  vs.  16. 


GRÉGOIRE  Ier. 


23l 


tain  et  véritable  qu'il  soit  en  lui-mê-  pleins  de  miracles  extraordinaires  et 

me;    car  suppose  que  la  découverte  d'histoires  presque  incroyables.  Il  est 

des  six  mille  têtes  d'enfans  fût  ve'ri-  vrai  qu'il  les  a  rapportes  sur   la  foi 

table,    Udalric    et   les  centuriateurs  à" autrui;  mais  il  ne  devait  pas  si  lé- 

lui  feraient  perdre  son  e'tat  par  la  ne-  gèremeut  y  ajouter  foi ,  ni  les  débiter 

gligence  avec  laquelle  ils  le  rappor-  ensuite  comme  des  choses  constantes. 

tient.  J'observe  en  troisième  lieu  que    Les   histoires  qui  sont  rappor- 


The'ophile  Raynaud,  dans  un  passage 
que  j'ai  allègue  ci-dessus  (83),  sup- 
pose que  les  têtes  furent  trouvées 
dans  le  puits  du  pape  Grégoire  II. 
Voilà  deux  méprises  ,  l'une  quant  au 
lieu,  l'autre  quant  au  pape.  La  de- 
mande que  fait  Bellarmin  (84)  com- 
ment on  connut  que  les  six  mille  en- 
fans  e'taient  l'ouvrage  des  ecclésias- 
tiques ,  et  non  pas  celui  des  laïques  , 
peut  passer  pour  une  objection  ,  mais 
non  pas  pour  une  diflîculté  embar- 
rassante; car  encore  que  Gre'goire 
Ier.    eût   pu   croire   que   les   laïques 


lécs  dans  ces  Dialogues  ,  ne  sont  sou- 
vent appuyées  que  sur  la  relation  de 
quelques  vieillards  ignorant ,  ou  sur 
des  bruits  communs.  (  ht  y  fait  tes  mi- 
racles si  fréquens,  si  extraordinaires, 
et  souvent  pour  des  choses  de  si  peu 
de  conséquence ,  qu'il  est  bien  difficile 
de  les  croire  tous.  Il  y  a  des  histoires 
que  l'on  aurait  bien  de  la  peine  a 
accorder  avec  la  vie  de  ceux  dont 
il  parle,  comme  la  prison  volontaire 
de  saint  Paulin  ,  en  Afrique  ,  sous 
le  roi  des  Vandales.  Les  visions  ,  les 
apparitions  ,  les  songes  y  sont  en  plus 


avaient  eu  part  à  ces  productions,  il    grand  nombre  qu'en  aucun  autre  au- 
n'eût  pas  laissé  déjuger  que  le  mal    teur-  Aussisaint  Grégoire  avoue-t-il, 
devenait    plus   grand  par  le   célibat 
que  l'on  imposait  aux   clercs.  Il  est 


certain  que  les  laïques  font  périr 
une  infinité  d'enfans ,  afin  de  cou- 
vrir leur  faute  (85).  Notez  qu'Udal- 
ric  ,  évêque  d'Augsbourg  ,  a  vécu 
au  Xe.  siècle  ,  et  que  *la  lettre  en 
question  fut  imprimée  dans  le  livre 
intitulé  Orthodoxo/ogia  Sanctorum 
patrum  ,  à  Bâle  ,  au  XVIe.  siècle. 

(R)  La  crédulité  avec  laquelle  ce 
pape  a  publié  tant  de  miracles  dans 
ses  Dialogues  A  «  Quelques  savans  ,  à 
«  qui  le  récit  de  tous  ces  miracles  ne 
»  plaît  pas,  ont  douté  que  ces  Dialo- 
»  gués  fussent  l'ouvrage  de  saint  Gré- 
goire ,  parce  qu'ils  ne  les  croient  pas 


sur  la  fin  ,  que  l'on  avait  plus  décou- 
vert de  choses  de  l'autre  monde  de 
son  temps  ,  que  dans  tous  les  siècles 


précédais.  Mais  je  ne  crois  pas  que 
personne  voulût  être  garant  de  toutes 
ces  relations.  Le  père  Denis  de  Sainte- 
Marthe  avoue  (88)  «  qu'il  ne  voudrait 
»  pas  garantir  tous  les  miracles  ni 
»  toutes  les  visions  qu'on  lit  dans  les 
»  Dialogues.  »  Néanmoins  il  ne  blâme 
pas  la  conduite  de  ce  pape.  Notre 
saint,  dit-il,  a  pu  en  rapporter  quel- 
ques-uns ,  sur  le  témoignage  de  quel- 
ques personnes  qui  étaient  un  peu  trop 
crédules.  Il  a  cru  ne  devoir  pas  les 
mépriser ,  a  cause  des  choses  édifian- 
tes qu'il  Y  rencontrait.  Il  est  de  la 
»  dignes  d'un  si  grand  docteur  (86).»  prudence  du  lecteur  d'examiner,  en 
Dom  Denis  de  Sainte- Marthe  ,  ayant  lisant,  dans  quel  degré  de  certitude 
parlé  de  la  sorte  ,  réfute ,  par  de  très- 
bonnes  raisons  ,  le  doute  de  ces  sa- 
vans, et  leur  fait  voir  que  ces  Dialo- 
gues sont  un  véritable  ouvrage  de 
saint  Grégoire.  M.  du  Pin  reconnaît 
cette  vérité  (87)  ;mais  il  avoue  en  mê- 
me temps  qu'il  semble  qu'ils  ne  soient 
pas  clignes  de  la  gravité  et  du  discer- 
nement de  ce  saint  pape  ,  tant  ils  sont 

(83)  Dans  l'article  Bellakmin,  remarque  [V.) , 
tom.  III. 

(84)  Bellannin.  Je  Heritis  ,  lib.  /,  pag.  1125. 
f  85)  Voyez  ,  tom.  XI,  la  remarque  (C)  de  l'ar- 
ticle Patin. 

(86)  Sainte-Marthe,  Histoire  de  saint  Grégoire, 
pag.  i'ji. 

(87)  Du  Pin  ,  Bibliothèque   des    auteurs    ecclé- 
siastiques, tom.  f,  pag.  >  33 ,  e'Utt.  de  Hollande. 


saint  Grégoire  les  place  ,  et  qui  sont 
ses  auteurs.  On  voit  là  manifestement 
le  langage  d'un  apologiste  ,  qui  sou- 
tient que  saint  Grégoire  n'est  aucu- 
nement blâmable.  Le  mal  est  que  les 
raisons  que  l'on  allègue  pour  montrer 
cela,  ne  sont  point  solides;  car  si, 
sous  prétexte  qu'il  y  a  des  choses  édi- 
fiantes dans  une  relation  ,  il  était 
permis  de  l'adopter  ,  combien  de  fa- 
bles ne  serait-il  point  permis  de  pro- 
poser à  ses  lecteurs  coin  me  des  his- 
toires pieuses  et  véritables  ?  S'abstenir 
de  dire  ,  en  propres  termes ,  je  vous 
donne  ceci  pour  très-certain  et  pour 

(88)  Hist-  de  saint  Grégoire,  pag.  v)5,  t-ii. 


232. 


GREGOIRE  Ier. 


très-constant:  ne  pas  citer  des  auteurs  véritables  à  l'égard  d'un  théologien 
contemporains  ,  et  tout-à-fait  graves,  qui  raconte  des  miracles  ,  dans  un 
mais  seulement  une  ancienne  tradi-  livre  de  morale  ou  dans  un  traite' 
tion,  ne  sont  pas  des  préservatifs  va-  de  dévotion,  ou  en  général  dans  un 
labiés,  ni  un  sage  ménagement  qui  écrit  tel  que  celui  de  saint  Grégoire, 
disculpe  l'écrivain.  Il  faut  qu'il  dise  on  doit  supposer  non-seulement  que 
positivement  et  formellement,  je  vous  ce  pape  n'a  rapporté  aucun  miracle 
donne  ceci  comme  une  chose  douteuse,  qu'il  crût  faux,  mais  aussi  qu'il  a 
vous  en  croirez  ce  qu'il  vous  plaira  ,  souhaité  que  tous  ses  lecteurs  recon- 
je  n'en  ai  pas  de  bons  témoins ,  si  l'on  nussent  pour  véritables  tous  les  pro- 
veut le  justifier  par  la  raison  qu'il  ne  diges  qu'il  raconte.  Il  est  donc  cou- 
place  point  les  faits  dans  un  degré  de  pable  de  trop  de  Crédulité;  il  n'a 
certitude,  à  vouloir  sérieusement  et  point  eu  de  discernement  ,  et  il  n'a 

Ïiassionnément  les  persuader  à  ses  pas  tenu  à  lui  que  ses  défauts  ne  pas- 
ecteurs.  Tout  homme  qui  narre  un  sassent  dans  l'esprit  de  tous  ses  lec- 
événement  miraculeux  ,  sans  insi-  teurs  ;  car  si  on  a  la  prudence  de 
nuer  quoi  que  ce  soit  qui  fasse  con-  rejeter  une  partie  de  ce  qu'il  narre  , 
naître  qu'il  en  doute  ,  ou  qu'il  per-  ce  n'est  point  par  les  secours  qu'il 
met  qu'on  en  doute,  déclare  dès-là  fournit.  Notez  qu'on  le  justiliera  très- 
manifestement  qu'il  le  rapporte  com-  mal ,  si  l'on  s'avise  de  répondre  qu'il 
me  une  vérité.  Qu'on  ne  me  dise  pas  n'a  pas  cru  lui-même  tout  ce  qu'il  a 
qu'un  historien  n'est  pas  en  droit  de  raconté.  A-t-il  voulu  néanmoins,  de- 
supprimer  toutes  les  choses  qui  lui  manderui-je  ,  que  ses  lecteurs  ajou- 
semblent  fausses  ,  et  que  son  devoir  tassent  foi  à  tout?  S'il  l'a  voulu  ,  c'est 
l'engagea  rapporter  celles  qu'il  trouve  un  imposteur;  s'il  ne  l'a  point  voulu  , 
bien  attestées,  quoiqu'il  ne  les  juge  pourquoi  prenait-il  la  peine  d'écrire 
pas  véritables  ;  qu'on  ne  me  fasse  pas ,  de  telles  choses  ?  Le  parti  le  moins 
dis-je  ,  cette  objection,  car  elle  n'at-  désavantageux  à  sa  mémoire,  c'est  de 
taque  point  ce  que  j'ai  posé  :  ma  dire  qu'il  a  été  trop  crédule  et  trop 
thèse  regarde  un  historien  qui  n'in^  dépourvu  de*jugement. 
sinue  quoi  que  ce  soit  qui  fasse  con-  Voilà  ce  que  l'on  peut  opposer  à 
naître  sa  défiance  ,  ou  la  liberté  qu'il  l'apologie  que  le  bénédictin  Sainte- 
accorde  de  rejeter  sa  narration.  Tout  Marthe  a  voulu  faire  par  rapport  aux 
bon  historien  qui  raconte  ce  qu'il  miracles  où  ce  grand  pape  a  pu  se 
juge  fabuleux  ,  y  joint  un  on  dit ,  ou  tromper.  L'apologiste  ne  déclare  pas 
quelque  autre  clause  qui  témoigne  s'il  «oit  que  ce  genre  de  miracles 
encore  plus  nettement  ce  qu'il  en  soient  en  grand  nombre  dans  les  Dia- 
pense  (8f))  ;  et  ainsi  quand  il  n'ajoute  logues  de  saint  Grégoire  ;  mais  il  est 
rien  de  cette  nature  à  ses  narrations  ,  facile  de  deviner  qu'il  ne  le  croit 
c'est  une  marque  qu'il  les  donne  pour  pas.  11  s'étend  beaucoup  sur  les  rai- 
véritables,  et  qu'il  souhaite  de  les  sons  qu'il  juge  capables  de  persuader 
persuader  à  ses  lecteurs.  C'est  le  but  que  les  faits  extraordinaires,  rappor- 
général  de  tous  ceux  qui  narrent  une  tés  dans  ces  Dialogues,  furent  très- 
chose  dont  ils  sont  persuadés;  ils  fréquens  en  ce  tempsdà.  L'une  de 
souhaitent  de  la  persuader  à  ceux  à  ces  raisons  est  tirée  de  ce  qu'il  y  avait 
qui  ils  s'adressent ,  et  ce  serait  les  alors  beaucoup  d'hérétiques  à  con- 
désobliger  et  leur  témoigner  du  mé-  vertir  ,  et  plusieurs  catholiques  qui 
pris  que  de  leur  répondre  ,  je  n'en  ne  croyaient  pas  l' immortalité  Je 
crois  rien.  Or,   si  ces   maximes  sont  /' dme  et  la  résurrection  des  morts  (90). 

«  C'est  une  vérité  constante  que  ,  du 
»  temps  de  saint  Grégoire  ,  on  voyait 
»  bien  des  chrétiens  cbanceler  sur  ces 
>»  points  capitaux  de  notre  doctrine 
»  et  de  notre  religion.  Il  (*)  a  l'hu- 

fgo)  Sainte-Martue ,  Histoire  de  saint  Gré- 
goire, pag.  27/1. 

(*)  Mulli  enim  de  résurrection/:  dubitantes , 
porte  divers  passages  ou  Tile  Livc  prend  ses  fient  et.  nos  altquftndo  Juimus.  Hom.  XXVI, 
précautions  en  rapportant  des  prodiges.  in  Evang. 


(89)  Equidem  plura  transcribo  quitta  credo: 
nam  nec  adfirmare  sustineo  de  quibus  ilubito  , 
nec  subducere  quœ  accepi.  Q.  Cnrtius  ,  lib.  IX, 
cap.  I.  Voyez  sur  cela  le  Comment,  de  Freins- 
hem. ,  oh  i'ohc  trouverez  plusieurs  passages  sem- 
blables d'autres  historiens.  Voyez  ainsi  Tacite  , 
Annal.,  lib.  IV,  cap.  XI;  et  Main.b.  ,  liv.  V 
de  /'Histoire  des  Croisades,  cite  dans  les  Pen- 
sées diverses  sur  les  Comètes,  pag.  293.  La 
Mntlic-lc-Vayer,  Discours  sur  l'Histoire,   rap- 


GRÉGOIRE  Ier.  233 

»  milite  d'avouer  qu'il  avait  été  lui-  tombeau  ,  c'étaient  de   pauvres  rai- 

»  même  autrefois  dans  le  doute  tou-  sonneurs  ;  car  dès  qu'on  admet  une 

»  chant  la  résurrection.    C'est  pour  fois  la  vérité  de  l'Évangile,  on  est  ri- 

»  cela  qu'en  plusieurs  de  ses  homélies  dicule  et  pitoyable  dans  les  doutes 

»  il  s'attache  fort  à  persuader  ses  au-  que  l'on  forme  sur  ces  deux  articles- 

»  diteurs  de  ces  vérités.  Comme  il  y  là.  L'autre  est,  que  jamais  peut-être 

»  a  toujours  eu   beaucoup  de  liber-  il  n'y  a  eu  autant   d'incrédules  que 

>    tins  ,  même  dans  le  sein  et  dans  la  dans    le    XVIe     et   dans   le    XVIIe. 

»  communion    extérieure    de  l'église  siècles  •   je   parle  de    ces   incrédules 

»  catholique,  il  y  a  toujours  eu  beau-  qui  ne  se  contentent  pas  de  rejeter 

»  coup  de   gens    qui  /ayant  intérêt  l'édifice,  sans  ruiner  le  fondement  , 

»  qu'il  n'y  eût  point  d'autre  vie  «pie  mais  qui  rejettent  tout  à  la  fois  et  le 

»  la  vie  présente  ,  point  de  résurrec-  fondement  et  l'édifice.  11  y  a  eu  d'ail- 

»  tion  ,  point  de  jugement,  se  le  sont  leurs  dans  ces  deux  siècles  un   très- 

»  aisément  persuadé.  Car  il  n'y  a  pas  grand   nombre    d'hérétiques    (91)    à 

»  beaucoup  de  chemin  à  faire  de  la  convertir.   Il  faudrait  donc  que   les 

»  corruption  du    cœur  aux    erreurs  miracles   eussent  été  pour  le  moins 

»  et  aux  égaiemens  de  l'esprit.    Quoi  aussi  fréquens  dans  ces  siècles-la  que 

»  qu'il  en  soit ,   il  est   très-constant  dans  le  siècle  de  saint  Grégoire.  Con- 

»  que  l'Italie,  que  Rome  particulière-  cluez  de  là  que  le  raisonnement  du 

J>  ment,  étaient  remplies  de  ces  incré-  père  Denis  de  Sainte-Marthe  ne  prou- 

»  dules  ,  du  temps  de  saint  Grégoire,  ve  rien  ,  car  il  prouve  trop. 

»  Il  est  inutile  que  j'entreprenne  de  (S)  S'il  était   vrai  qu'on  eut  brillé 

»  le  prouver,  après  ce   qu'a  dit  sur  une  partie  de  ses    livres  ,    et    qu'on 

»  ce  sujet  le  dernier  traducteur  des  n'eût  été  empêché  de  les  briller  tous 

»  Dialogues  ,    dans    une    excellente  que  par  le    moyen    d'un    incident.  ] 

»  préface.    Grégoire    de   Tours    (*')  Jean    diacre,  au    chapitre    LXIX   du 

»  rapporte  la  dispute  qu'il  eut  avec  livre  IV  de  la  Vie  de  saint  Grégoire , 

»  un  des  prêtres  de  son   église,  qui  raconte  (92)  que  l'Italie  fut  travaillée 

»  dogmatisait,  qu'il  n'y  avait  point  d'une  hoiTible  famine ,  laméme année 

»  de  résurrection  à  attendre.  Il  parle  que  ce  pape  mourut.  «  Les  pauvres  , 

»  aussi  d'un  diacre  de  l'église  de  Pa-  »  accoutumés   aux    libéralités  de  ce 

»  ris,  qui  faisait  l'habile  homme  ,  le-  »  père  commun  des  fidèles,  ne  recc- 

»  quel    était   tombé    dans    la    même  »  vant  pas  les  mêmes   secours   de  la 

»  erreur,  se  montrant  fort  ardent  à  )>  part  de  Sabinien  ,  son  successeur*, 

»  disputer  sur  cet  article  de  foi.  Nous  »  parce  qu'on  alléguait  que  Grégoire 

J>  pouvons  juger   de    là    qu'il   y    en  »  avait  dissipé  tous  les  biens  de  l'é- 

»  avait  bien  d'autres  en  France  ,  en-  »  glise  de  Rome  par  ses  prodigalités, 

M  gagés   dans    une   hérésie  si  dange-  »  il  se  trouva  des  hommes  assez  pas- 

"  reuse.   Ceux  qui  liront  les  Dialo-  »  sionnés  pour  exercer  leur  rage  sur 

"  gués,    y    apprendront    de     Pierre  »  les  ouvrages  de  ce   saint  docteur  , 

»  diacre  ,    qu'il   en   connaissait  plu-  »  ne   pouvant   se   satisfaire   sur  lui- 

»  sieurs  entre  les  chrétiens  qui  dou-  »  même,    et   ils    en    brûlèrent    une 

»  taient  que  Pâme  continuât  à  vivre  »  bonne  partie.  Mais  lorsqu'ils  se  dis- 

»  après  sa  séparation  d'avec  le  corps  »  posaient  à  brûler  le   reste  ,   Pierre 

»  (*J).  N'était-il  donc  pas  conforme  à  »  diacre,  disciple  du   saint ,  leur  re- 

»  la   miséricorde  de   Dieu  ,   qu'il  fît  »  présenta    que     c'était   inutilement 

a  éclater  en  ce  temps-là  des  miracles,  >>  qu'ils  jetaient  au    feu  ces    livres, 

,;  pour  remédier  à  la  faiblesse  de  ces  »  pour  obscurcir  la  mémoire  du   pa- 

"  pauvres  infidèles?  F.t  saint  Grégoire  »  pe  qu'ils  haïssaient,   parce    qu'ils 

J>  est -il    blâmable   de   les  avoir   re-  »  avaient  été  déjà  répandus  dans  le 
»  cueillis  ?    »  Je  fais    sur   cela   deux 

courtes  observations  :  l'une   est,  que  fo»)  C'en-a-^iro   selon  la  définition  de  dom 

.,      v                         -1     1        1        . '. "     .  Denis  He  Samtr-Martlie. 

si  cescathohquesincredules  doutaient  f9I;  Sainu-Marihc,   Histoire  de  saint  Gré- 

seulement  que  l'âme  fût  immortelle  ,  goii-e ,  Uv.  IV ,  ehap.  VII,  pa§.  6i3. 

et  que   les   corps  dussent  sortir   du  *  Jene  doute  pas.ditLecterc  (qui  n'apporte 

aucune  preuve  à  l'appui  u<-  son  opinion;  ,  que  le 
fait  de  Sabinien  et  edui  île  la  liaine  <les  Romains 

(*')  Hist.,  I.  10,  c.  i3  et  i.;.  pour  la  mémoire  de  saint  Grégoire  ne  soient  des 

(**)  L.  3,  c.  38,  et  l.  \  ,  c.  4.  fables. 


234  GRÉGOIRE  VII 

»  monde,  par  l'empressement  qu'on 
»  avait  témoigné  de  les  avoir.  Qu'au 

«•    ....    i..        ^.,^foîi-    un    crir'nlpnf*»    rt*>  f-iîvo 


»  reste ,  c'était  un  sacrilège  de  faire 
»  un  traitement  si  indigne  aux  écrits 
»  de  ce  saint  père,  sur  la  tête  duquel 
»  il  avait  vu  très-souvent  une  co- 
»  lombeO*),  qui  représentait  le  Saint- 
»  Esprit  ,  conversant  familièrement 
»  avec  lui.  Pierre ,  pour  confirmer 
m  la  vérité  de  ce  qu'il  disait ,  monta 
»  au  j  ubé,  tenant  les  saints  évangiles  , 
m  sur  lesquels  il  jura  que  ce  qu'il 
»  venait  de  dire  était  vrai  ;  ajoutant 
»  qu'il  priait  Dieu  que ,  s'il  avait  dit 
»  la  vérité ,  il  le  fît  mourir  sur-le- 
»  champ.  La  chose  arriva  comme  il 
»  l'avait  souhaitée  ;  car  il  expira  au 
»  même  moment,  sans  douleur,  et  il 
»  fut  enterré  au  pied  du  jubé  même 
»  où  ce  fait  surprenant  était  arrivé.» 
L'auteur  qui  me  fournit  ce  passage 
ne  saurait  se  persuader  qu'on  ait  pu 
commettre  un  si  grand  excès  contre 
les  ouvrages  d'un  tel  évêque  de  Rome  ; 
et  il  observe  que  le  cardinal  Baronius 
a  rejeté  ce  récit  comme  une  pure  fa- 
ble ,  appuyée  seulement  sur  une  tra- 
dition fausse  ,  parce  que  nul  auteur 
plus  ancien  que  Jean  n'en  fait  mention 
(93).  Le  jésuite  Théophile  Raynaud 
s'oppose  à  cette  opinion  du  cardi- 
nal Baronius.  Voici  de  quelle  manière 
il  la  combat.  Il  observe  en  Ier.  lieu 
que  le  silence  de  Patérius,  et  d'Isi- 
dore ,  et  d'Ildephonse  est  un  argu- 
ment négatif,  et  que  la  force  de  cette 
espèce  d'argument  est  insuffisante  et 
sans  nerf,  comme  tout  le  monde  le 
reconnaît  (g4).  En  2e.  lieu  ,  que  l'au- 
torité de  Sigebert,  alléguée  par  Baro- 
nius, ne  peut  pas  servir  de  preuve 
contre  Jean  diacre.  Ce  cardinal  dit 
que  Sigebert  a  nié  formellement 
qu'aucun  ouvrage  de  saint  Grégoire 
ait  péri  dans  cette  rencontre,  l'inter- 
cession de  Pierre  diacre  les  ayant 
préservés  tous.  Le  jésuite  affirme  que 
Sigebert  dit  tout  le  contraire  dans  les 

(*)  Saint  Ephrem,  diacre  de  l'église  d'Édesse, 
témoigna  qu'il  avait  vu  une  colombe  blanche  sur 
Ve'panle  du  grand  saint  Basile  ,  laquelle  sein- 
litait  lui  suggérer  tout  ce  qu'il  disait  nu  peuple. 
Epl>r:em.  ,  Orat.  in  Basil.  ,  apud  Coteler.  ,  loin. 
III  JVIonum.  grtei-.  ,  pag.  5t). 

(C)i)  Sainte-Marthe  ,  Histoire  île  saint  Gré- 
goire ,  pag.  614. 

(q4)  Quod  (aigumcntum  ab  autorilate  nega- 
livâj  otnnes  agnoscunt  esse  insufficiens  et  ener' 
ve.  Tlicoph.  I ... v ii-iu  !  •  ,  île  Bonis  ac  nialis  li- 
liris  ,  num.  582,  pag.  m.  Ï1-). 


chapitres  XLI  et    XLIII  du  livre  de 
Viris   illuslribus.  Il  remarque  en  3e. 
lieu  que  saint  Grégoire  avait  composé 
des   livres  dont  il  ne   reste    aucune 
trace.  Prœsertimcumidem  Johannes 
sequenti  capite  70  ex  ipsismet  sancli 
Gregorii  episl.  ad  Johannem  Ravennœ 
subdiaconum  ,   demonstret  ,  plervs- 
que  libros   a   sanclo    Gregorio  fuisse 
conscriptos ,    quorum    nullibi  exlant 
vestigia  ;  ut  expositionis  in  proverbia, 
et  in  prophetas  ,   et  in  libros  Regum  : 
neque  enim  pauca   quœ  habemus  in  I 
Regum,   et    Ezechielem ,    mensuram 
implent   titulorum   illorum    (g5).    Il 
emploie,    en  4e-  lieu,    un  argument 
ad  hominem  ,  tiré  de  ce  que  Baronius 
avoue  que  les  écrits  de  ce  grand  pape 
coururent  grand  risque,  et   que  les 
mutins  n'ayant  pu  exercer  leur  rage 
sur  Grégoire   déjà  mort ,  la  tournè- 
rent sur  ses  livres  ,  et  cela  ouverte- 
ment ,    et   au   milieu    de    la    grande 
place  de  Rome.  Il  est  certain  que  Ba- 
ronius ,  en  avouant  un  tel  fait,  ruine 
lui-même  ses  prétentions;  carde  quoi 
lui  sert  après  cela  qu'aucun  livre  de 
saint  Grégoire  n'ait  été   brûlé  ?  n'a- 
t-on   pas   d'assez    fortes  preuves    du 
mépris  ou  de  la   haine  des  Romains 
pour  ce  pontiTe,dansla  résolution  de 
briller  publiquement  tousses  écrits, 
résolution   si  animée  et    si    obstinée 
que  l'on  eut  besoin  d'un  miracle  très- 
insigne  pour  en  arrêter  l'effet  (96)  ? 

(r)5)  Theoph.  Raynaud.,  de  Bonis  ac  malis 
libris,  num.  S82  ,  pag.  m.   il-]. 

(96)  Notez  que  Jean  Rubéus  ,  dans  la  Vie  de 
Boniface  VIII  ,  pag.  246,  assure,  citant  Jean 
diacre  ,  qu'on  accusait  d'hérésie  le  pape  Gré- 
goire :  Accusatif  fuit  effusi  sangninis  et  Malchi 
episcopi  in  enstodiâ  occisi  ,  thesauri  ecclesiae  di- 
lapidai ,  doctrinœ  non  sanre  ,  contendenlibns 
œinulis  illius  libros  ,  tanquam  reos  baerelicorum 
dogmatum,  Vnlcano  debere  tradi. 

GRÉGOIRE  VII ,  nommé  au- 
paravant Hildebrand  ,  a  été  ce- 
lui de  tous  les  papes  qui  a  le 
plus  hardiment  et  le  plus  heu- 
reusement travaillé  à  l'augmen- 
tation de  la  puissance  pontificale 
(a).  Il  sera  tout  aussi  méchant 
que  l'on  voudra  ;  mais  on  ne  lui 

(a)  Car  encore  qu'il  ait  été  enfin  chassé  de 
Home  par  l'empereur,  il  a  fourni  aux  papes  , 
ses  successeurs ,  la  tablature  qui  les  a  fait 
triompher  en  tant  de  rencontres. 


GRÉGOIRE  VIT.  ?35 

saurait  contester  les  qualités  déclarait  excommunié,  tant  ceux 
d'un  grand  *  homme  (A),  non  qui  recevraient  d'un  laïque  l'in- 
plus  qu'à  certains  conquérans  vestiture  d'aucun  bénéfice ,  que 
qui  sont  d'ailleurs  tout  couverts  ceux  qui  la  donneraient.  Il  n'en 
de  crimes  (B).  Il  était  de  Soane  ,  exceptait  personne;  et  de  là  vint 
petite  ville  de  la  Toscane,  et  il  que  ses  légats  déclarèrent  à  l'em- 
se  rendit  si  considérable  dans  le  pereur,  qui  leur  était  allé  au-de- 
monastère  de  Clugni ,  qu'on  l'en  vaut  jusques  à  Nuremberg,  qu'ils 
fit  prieur.  Il  négocia  diverses  avaient  des  ordres  exprès  de  le 
affaires  auprès  des  papes,  et  pour  traiter  comme  un  excommunié, 
les  papes  ;  et  il  fut  enfin  élevé  et  de  ne  conférer  point  avec  lui 
au  pontificat  deRome  ,  l'an  io-'î.  jusques  à  ce  qu'il  eut  reçu  (Veux 
Il  résolut ,  sans  perdre  temps,  l  absolution  de  V  excommunica- 
d'arracher  aux  empereurs  ledroit  lion  qu'il  avait  encourue  pour 
dont  ils  jouissaient  de  donner  le  crime  de  simonie  dont  on  l'a- 
l'investiture  aux  évêques  :  mais  voit  accusé,  devant  le  feu  pape 
comme  il  craignit  de  trouver  (c).  Il  fit  tout  ce  qu'ils  voulu- 
d'abord  des  obstacles  invincibles  rent  ;  il  reçut  l'absolution ,  et  il 
si  on  lui  pouvait  reprocher  de  écrivit  à  Grégoire  qu'il  lui  serait 
s'être  porté  pour  pape  avant  que  toujours  très-soumis.  Néanmoins 
son  élection  eût  été  ratifiée  par  il  ne  permit  pas  aux  légats  de 
l'empereur  (b)  ,  il  écrivit  à  ce  convoquer  un  concile  ,  et  il 
prince  en  des  termes  fort  sou-  retint  auprès  de  soi  ceux  de  ses 
mis  ,  et  lui  déclara  qu'il  ne  se  fe-  ministres  que  le  pape  avait  noru- 
rait  ni  consacrer,  ni  couronner,  mément  excommuniés.  A  cause 
jusques  à  ce  qu'il  eût  appris  sa  de  ces  raisons  et  de  plusieurs  au- 
dernière  volonté.  Les  évêques  très  ,  le  pape  le  fit  citer  pour 
allemands  conseillèrent  à  l'em-  comparaître  au  synode  prochain 
pereur  de  désapprouver  cette  de  Rome  ,  à  faute  Ae  quoi  il  l'ex- 
élection  ;  mais  tout  ce  qu'ils  pu-  communierait.  L'empereur  se 
rent  obtenir  fut  qu'il  ferait  in-  moqua  de  cette  menace,  et  fit 
former  de  quelle  manière  elle  souffrir  toute  sorte  d'indignités 
s'était  faite,  et  il  l'approuva  dès  aux  légats  qui  avaient  osé  la  lui 
qu'il  eut  su  les  bonnes  réponses  faire;  et  il  convoqua  un  concile 
que  son  envoyé  reçut  d'Hilde-  à  Worms  ,  oii  le  cardinal  le  Blanc 
brand.  Il  eut  lieu  de  s'en  re-  se  porta  pour  délateur  contre 
pentir  bientôt  :  car  le  nouveau  Grégoire.  Il  l'accusa  de  tant  de 
pape ,  dans  le  premier  concile  crimes  (D) ,  que  l'assemblée  dé- 
qu'il  tint  à  Rome,  renouvela  les  clara  nulle  l'élection  de  ce  pape, 
anciens  décrets  contre  les  simo-  et  qu'elle  lui  écrivit  des  lettres 
niaques  et  contre  les  ecclésiasti-  remplies  d'injures  ,  pour  lui  ap- 
ques  concubinaires  (C);  et  en  fit  prendre  cette  décision.  Ceux  qui 
un  tout  nouveau ,  par  lequel  il  présentèrent  ces  lettres  le  firent 
*  Voltaire  {Dictionnaire  philosophique ,    avec  beaucoup  de   brutalité,  et 

au  mot  Grégoire   VII  )    n'accorde  pas  le 

titre  de  grand  homme  à  ce  pape ,   et  motive  (c)    Voye-,  Maimbourg  ,     De'cadenrc     de 

son  opinion  contre  celle  de  Bayle.  l'Empire,  liv.   XII,  pag:  228  de  l'édition  de 

(b)  C'était  l'empereur  Henri  IV.  Hollande. 


236  GRÉGOIRE  VIL 

néanmoins  ce  pontife ,  qui  non-  forma  en  sa  faveur  dans  l'Aile— 
obstant  son  naturel  prompt  et  magne  fut  si  puissante  ,  qu'a- 
ardent  savait  fort  bien  se  possé-  près  une  longue  délibération 
der,  les  prit  froidement  sans  on  déclara,  qu'il  fallait  élire 
rien  dire  {d)  ;  mais  dès  le  len-  un  autre  roi  par  l 'autorité  du 
demain,  les  ayant  communiquées  pape  ,  qui  lui  donnerait  la  cou- 
à  son  synode ,  il  prononça  (e)  ronne  de  V empire  (g).  L'empe- 
solennellement  la  sentence  d'à-  reur  ,  avec  toutes  les  bassesses 
nathème  contre  l'empereur  (E) ,  dont  il  se  servit  auprès  des  prin- 
et  déclara  excommuniés  je  ne  sais  ces  confédérés,  ne  put  obte- 
combien  de  prélats  d'Allemagne  nir  que  des  conditions  très- 
et  de  Lombardie.  Ces  derniers  dures;  ce  qui  l'obligea  d'aller 
s'en  étonnèrent  si  peu ,  qu'ils  lui-même  demander  au  pajre  son 
s'assemblèrent  à  Pavie,  et  qu'ils  absolution.  Il  fallut,  pour  î'obte- 
l'excommunièrent.  Comme  il  nir,  qu'il  se  soumît  aux  indignités 
avait  prévu  que  sa  conduite  lui  les  plus  inouïes  (I).  Ses  partisans 
attirerait  de  grands  ennemis,  il  excommuniés  éprouvèrent  près— 
n'avait  rien  négligé  pour  forti-  que  la  même  rigueur  (K).  Cela 
fier  son  parti;  et,  avant  toutes  refroidit  beaucoup  le  zèle  que 
choses,  il  avait  mis  trois  princes-  les  Lombards  avaient  pour  lui , 
ses  dans  ses  intérêts  (F) ,  dont  et  il  ne  put  se  remettre  dans 
l'une,  nommée  Mathilde,  s'atta-  leur  esprit,  qu'en  témoignant  un 
cha  à  lui  d'une  manière  qui  fit  ardent  désir  de  se  venger.  Les 
bien  causer  le  monde  (G).  De  guerres  qu'il  lui  fallut  soutenir 
plus  ,  il  excita  les  Saxons  à  la  ré-  en  Allemagne,  où  Rodolphe  duc 
volte  ;  il  se  ligua  avec  le  duc  de  de  Souabe  avait  été  créé  roi , 
Souabe(y),  et  il  répandit  plu-  l'empêchèrent  d'attaquer  le  pa- 
sieurs  lettres  circulaires  qui  fi-  pe  ;  mais  comme  il  remporta  de 
rent  un  grand  effet  ;  car  il  dé-  grands  avantages  sur  son  rival , 
clarait  excommuniés  tous  ceux  il  témoigna  très-peu  de  disposi- 
qui  communiqueraient  avec  l'em-  tion  à  exécuter  ce  que  Grégoire 
pereur  ,  il  défendait  à  tous  les  lui  demandait.  C'est  pourquoi  ce 
évêques  de  l'absoudre,  et  il  or-  pape,  dans  un  concile  tenu  à  Ra- 
tionnait aux  princes  ou  de  le  me  l'an  1080,  l'excommunia, 
contraindre  à  se  soumettre  au  et  le  déposa  tout  de  nouveau  (L). 
saint  siège ,  ou  de  procéder  à  Ce  dernier  coup  de  foudre  ache— 
l'élection  d'un  autre  empereur,  va  de  porter  les  choses  aux  der- 
Ce  qu'il  y  a  de  bien  remarqua-  nières  extrémités.  L'empereur 
ble  ,  c'est  qu'il  osa  soutenir  qu'en  convoqua  une  assemblée,  prè- 
le déposant  il  n'avait  fait  que  se  mièrement  à  Mayence,  et  puis  à 
conformer  à  l'usage  de  la  cour  Brixen  (h)  ,  où  l'on  déclara  que 
de  Rome  (H).  La  ligue  qui  se  Grégoire  était  déchu  du  ponti- 
ficat, et  l'on  élut  en   sa  place 

(d)  Maimliourg,  Décadence  del'Emp.,  liv, 

>PaS-    ■-Q.  (#)  Maimbourg,  De'cadence  de  1  Empire  , 

(e)  L'an  1076.  pag:  25 1. 

(/)  11  s'appelait  Jtodolphc  ,  et  fut  élu  cm-         (h)  Cette  ville  est  dans  le  Tyvol ,  entre  lu 
pereur  par  les  Allemands.  viUe  de  Trente  et  celle  d'Inspruck. 


GRÉGOIRE  VIL 

Guibert  de  Parme  ,    archevêque 


237 


de  Bavenne  ,  qui  prit  le  nom  de 
Clément  III.  Cette  assemblée 
imputa  entre  autres  crimes  celui 
de  magie  à  Hildebrand  (M). 
L'empereur  ayant  gagné  deux 
batailles ,  l'une  en  Allemagne 
sur  Rodolphe ,  malgré  les  pro- 
phéties du  pape  (N)  ;  l'autre  au- 
près de  Mantoue ,  sur  l'armée 
de  la  comtesse  Mathilde ,  résolut 
d'aller  établir  à  Rome  son  anti- 

Eape.  Il  en  vint  à  bout  après 
ien  des  difficultés;  et  il  eut  le 
plaisir  de  contraindre  son  enne- 
mi à  s'enfuir  cle  Rome,  pour  se  re- 
tirer à  Salerne.  Ce  fut  là  que  Gré- 
goire VII  mourut,  le  24  de  mai 
io85  (i).  Il  n'est  pas  aisé  d'arri- 
ver à  la  certitude  par  rapport  à 
un  détail  plus  particulier  de  ses 
actions;  car  outre  que  les  écri- 
vains qui  parlent  de  lui  se  réfu- 
tent les  uns  les  autres  (0) ,  on  ne 
peut  nier  que  ses  ennemis  ne 
soient  suspects  de  trop  de  pas- 
sion ,  et  que  ce  qu'ils  ont  débité 
sur  le  chapitre  de  sa  magie  n'ait 
tout  l'air  d'une  chimère  (P).  Quoi 
qu'il  en  soit ,  je  puis  assurer  qu'il 
n'y  eut  jamais  de  pape  dont  on 
ait  dit  m  plus  de  mal,  ni  plus  de 
bien  que  de  Grégoire  VII.  On 
lui  attribue  beaucoup  de  mira- 
cles ,  et  on  le  met  au  nombre  des 
saints  (k).  On  prétend  que  son 
cadavre  fut  trouvé  presque  en- 
tier cinq  cents  ans  après  sa  mort 
(Q)  ;  et  il  y  a  lieu  d'admirer  l'in- 
certitude de  l'histoire  ,  quand  on 

(i)  Consultez  les  auteurs  que  le  père 
Maimbourg  a  cités  dans  sa  Décadence  de 
l'Empire.  Je  me  suis  servi  de  sa  narra- 
tion. 

(k)  Voyez  /'Histoire  des  Ouvrages  des 
Savans  ,  mois  d'avril  1689,  pa«.  io't>,  167  , 
dans  l'extrait  des  Acta  Sanctorum  Maii,  tom, 
VI  et  VII.  ou  est  la  Vie  de  Grégoire  VU. 


lit  les  apologies  que  ses  partisans 
ont  écrites  (R). 

L'anonyme  qui  publie  tous  les 
mois  l'Esprit  des  cours  de  l'Eu- 
rope (/) ,  a  fait  une  réflexion 
qu'il  est  juste  d'examiner.  Elle 
concerne  ce  que  j'ai  dit  dans  la 
remarque  (B)  touchant  les  con- 
quêtes des  papes.  Il  prétend 
qu'elles  n'ont  pas  dû  être  aussi 
difficiles  que  je  me  le  figure  (S), 
et  qu'il  faut  plutôt  s'étonner  de  ce 
qu'elles  n'ont  pas  été  plus  gran- 
des ,  que  de  ce  qu'elles  ont  été 
si  grandes.  Je  dirai  un  mot  tou- 
chant un  livre  qui  court  depuis 
quelques  mois  sous  le  titre  de, 
Histoire  des  amours  de  Gré- 
goire VII  i^)  *. 

(I)  Depuis  le  mois  de  Juin  1699. 

*  Dans  le  Journal  littéraire  de  la  Haye  , 
tom.  XVII ,  pag.  195  .  il  est  ,  dit  Joly ,  parlé 
de  la  Vie  de  Grégoire  VII ,  composée  par  dif- 
férens  auteurs,  depuis  la  mort  de  Bayle. 

(A)  On  ne  lui  saurait  contester  les 
qualités  d'un  grand  homme.]  Voici 
le  portrait  qu'un  auteur  moderne 
nous  en  adonne'.  «  C'était  un  homme 
»  d'une  stature  beaucoup  au-dessous 
»  de  la  médiocre ,  mais  ayant  dans 
»  ce  petit  corps  une  âme  très-gran- 
»  de ,  un  esprit  extrêmement  vif  et 
»  fort  e'claire' ,  un  courage  intre'pide 
»  et  incapable  de  céder ,  quelque  dif- 
m  ficulté  qu'il  rencontrât  dans  la 
»  poursuite  de  ses  entreprises  ;  d'un. 
»  naturel  ardent,  impérieux,  prompt, 
»  hardi,  et  entreprenant;  allant  sans 
»  doute  un  peu  bien  vite  à  l'exécu- 
»  tion  ,  et  poussant  aisément  les  cho- 
»  ses  aux  dernières  extrémités  ,  sans 
»  appréhender  les  fâcheuses  suites 
)>  que  pouvaient  avoir  les  résolutions 
»  vigoureuses  à  la  vérité,  mais  aussi 
»  quelquefois  trop  violentes  qu'il 
»  prenait  :  au  reste  ,  irréprochable 
»  dans  sa  vie,  de  quelque  calomnie 
»  dont  ses  ennemis  l'aient  voulu 
»  noircir,  donnant  le  premier  aux 
»  autres  (*) l'exemple  detoutee  qu'il 

(*)  Forma  gregis  factiu,  quod  verbo  docuit, 
exemplo  demonslravit.  Ollo  Frising. 


238 


GRÉGOIRE  VII. 


w  exigeait  d'eux ,  et  très-savant  ,  sur- 
)>  tout  dans  les  sciences  divines  (+)  , 
w  et  dans  le  droit ,  les  règles  et  les 
»  coutumes  de  l'église,  comme  les 
»  historiens  ,  même  allemands  ,  qui 
»  ne  lui  doivent  pas  être  trop  favo- 
«  râbles,  en  conviennent.  Enfin,  si 
»  son  humeur  impe'tueuse  et  inflexi- 
■»  ble  lui  eût  pu  permettre  d'accom- 
»  pagner  son  zèle  de  cette  belle  mo- 
»  dèration  qu'eurent  ses  cinq  prédé- 

j)  cesseurs il  est  certain    qu'il 

»  eût  épargné  bien  des  maux  et  bien 
»  du  sang  à  la  chrétienté,  et  l'his- 
»  toire  n'eût  eu  que  de  grands  élo- 
»  ges  à  lui  donner  (i).»  Pesez  bien 
ce  qu'en  dit  le  sieur  Naudé  vous  y 
trouverez  l'idée  d'un  fort  grand  hom- 
me. //  a  été  un  des  plus  grands  pi- 
liers qui  Jut  jamais  de  l'église  ;  et  pour 
en  parler  avec  sincérité  et  sans  pas- 
sion ,  ça  été  lui  qui  l'a  mise  le  pre- 
mier en  possession  de  ses  franchises  , 
qui  a  tiré  les  souverains  pontifes  hors 
de  page,  et  de  la  servitude  des  empe- 
reurs (2).  Acquérir  la  liberté ,  secouer 
le  joug ,  se  mettre  dans  l'indépen- 
dance ,  subjuguer  ses  propres  maî- 
tres, sont  si  l'on  veut  des  actions 
très-criminelles  ,  mais  non  pas  l'ou- 
vrage d'une  personne  dépourvue  des 
plus  grands  talens  de  l'esprit  et  du 
courage. 

(B) Non  plus   qu'à  certains  con- 

quérans  qui  sont  d'ailleurs  tout  cou- 
verts de  crimes.]  Je  me  sers  d'autant 
plus  hardiment  de  cette  comparai- 
son ,  que  je  suis  persuadé  que  la  con- 
quête de  l'église  a  été  un  ouvrage  où 
il  n'a  pasfallu  moins  de  cœur  et  moins 
d'adresse ,  qu'il  en  faut  pour  la  con- 
quête d'un  empire.  L'autorité  où  les 
papes  sont  parvenus  est  plus  dign  e 
d'admiration  que  la  vaste  monarchie 
de  l'ancienne  Rome  :  de  sorte  qu'on 
peut  assurer  que  la  providence  avait 
destiné  cette  ville  à  être  en  deux  ma- 
nières   différentes  (3)  la  source  et  le 

(*)  Virum  sacris  lilleris  eruditissimum ,  et 
omnium  virlulum  génère  celeberrimum.  Lam- 
bert. Schafnab. 

(1)  Maimbouig,  Décadence  de  l'Empire  ,  liv. 
III,  pag.  220,  e'dilion  de  Hollande.  Il  elle 
VVillel.  Malmesb  ,  I.  3,  de  Cest.  reg.  Angl. 
Pctr.   Dam. 

(2)  Naudé,  Apologie  des  grands  Hommes, 
pag.  577. 

(3)  Quand  elle  perdilla  domination  temporelle  , 
elle  acquit  la  spirituelle. 

Sedes  Iioma  Pétri,  tjuce  pasloialis  honoris 


grand  mobile  des  qualités  les  plus 
relevées  qui  soient  nécessaires  pour 
fonder  un  très-grand  état.  Si  cela  ne 
prouve  pas  que  les  Romains,  en  fait 
de  vertus  morales,  aient  égalé  les  au- 
tres peuples  ,  c'est  pour  le  moins  une 
preuve  qu'ils  ont  eu  ou  plus  de  cou- 
rage, ou  plus  d'industrie.  On  ne  sau- 
rait considérer  sans  étonnement  qu'u- 
ne église  ,  qui  n^a  ,  dit-elle ,  que  les 
armes  spirituelles  de  la  parole  de 
Dieu,  et  qui  ne  peut  fonder  ses  droits 
que  sur  l'Evangile  ,  où  tout  prêche 
l'humilité  et  la  pauvreté  ,  ait  eu  la 
hardiesse  d'aspirer  à  une  domination 
absolue  sur  tous  les  rois  de  la  terre  : 
mais  il  est  encore  plus  étonnant  que 
ce  dessein  chimérique  lui  ait  si  bien 
réussi.  Que  l'ancienne  Rome,  qui  ne 
se  piquait  que  de  conquêtes  et  de  la 
vertu  militaire  (4),  ait  subjugué  tant 
d'autres  peuples ,  cela  est  beau  et 
glorieux  selon  le  monde  ;  mais  on 
n'en  est  pas  surpris  quand  on  y  fait 
un  peu  réflexion.  C'est  bien  un  autre 
sujet  de  surprise,  quand  on  voit  la 
nouvelle  Rome,  ne  se  piquant  que 
du  ministère  apostolique ,  acquérir 
une  autorité  sous  laquelle  les  plus 
grands  monarques  ont  été  contraints 
de  plier  :  car  on  peut  dire  qu'il  n'y 
a  presque  point  d'empereur  ,  qui  ait 
tenu  tête  aux  papes ,  qui  ne  se  soit 
enfin  très-mal  trouvé  de  sa  résistan- 
ce. Encore  aujourd'hui  les  démêlés 
des  plus  puissans  princes  avec  la 
cour  de  Rome  se  terminent  presque 
toujours  à  leur  confusion.  Les  exem- 
ples en  sont  si  récens  (5) ,  qu'il  n'est 
pas  nécessaire  de  les  marquer.  Selon 
le  monde  ,  cette  conquête  est  un  ou- 
vrage plus  glorieux  que  celle  des 
Alexandre  et  des  César  :  et  ainsi 
Grégoire  VII,  qui  en  a  été  le  prin- 
cipal promoteur  ,  doit  avoir  place 
parmi  les  grands  conquérans  qui  ont 
eu  les  qualités  les  plus  éminentes. 
Vous  verrez  dans  la  remarque  (S) 

Facla  caput  mundo  ,  quicquid    non  possidet 
armis 

Religion?    lenel. 
Prosper  Aquitanicus  ,  lib.  de  Ingratis,  et  lib.  II 
de  Vocationt-  Genlium  ,  cap.   VI. 

(4)  Excudenl  alii  spuantia  molli'us  ara. 

Tu  regere  iinperio  populos  Romane  memenlo> 
(  Hœ  tihi  erunl  ailes  )  paciijue  imponere  mo- 

rrm  , 
Parcere  tubieclis  et  debellare  superbos. 
Virgd.  ,  JKneid  ,  lib.  VI,  vs.  848,  85a. 

(5)  On  écrit  ceci  en  1695. 


GRÉGOIRE  VIL 


2J9 


ma  réponse  à  une  objection  qui  a  été 
publiée  contre  ceci. 

(C)   II  renouvela  les    anciens  dé- 
crets contre  les  slmoniaques  ,  et  con- 
tre les  ecclésiastiques  concubinaires.] 
Jamais  pape   ne  s'était  montré  aussi 
rigoureux    que    notre     Hildebrand  , 
contre  les  prêtres  qui  n'observaient 
point  le  célibat ,    et  cela  le   fit  fort 
haïr.  Voici  les  paroles  de  Lambert  de 
Schafnabourg ,    selon   la   version   de 
Coéfléteau.  Le  pape  Hildebrand  ,  s'é- 
tant  souvent  assemblé  en  synode  avec 
les  évéques   d  Italie ,   avait  ordonne 
que,  selon  le  règlement  des  anciens 
canons,  les  prêtres  n  eussent  point  de 
femmes  ,  et  que  ceux  qui  en  avaient 
s'en  séparassent,  ou  bien  fussent  dé- 
posés ,  ne  recevant  plus  personne  au 
sacerdoce  qui  ne  promît  de  vivre  en 
perpétuelle  continence.  Ce  décret  pu- 
blié par  toute  l'Italie,  il  envoie  ses 
lettres  aux  évéques  des  Gaules  ,  leur 
commandant  qu'ils  eussent  a  faire  le 
semblable  en  leurs   églises ,   retran- 
chant sous  peine  d'anathème  les  fem- 
mes   de   la    compagnie   des  prêtres. 
Contre  ce  décret  s' éleva  aussitôt  toute 
la  faction  du  clergé ,  criant  qu'il  était 
hérétique  ,  et  qu  il  enseignait  une  doc- 
trine insensée,  contraire  à  la  parole 
de  Dieu  ,  qui  a  dit  :  Tous  ne  prennent 
pas  cette  parole ,  qui  la  peut  prendre 
la  prenne  ;  contraire  aussi  à  l' apôtre 
qui  commande  que  celui  qui  ne  se  con- 
tient pas  ,  se  marie  ,  car  il  est  meil- 
leur de  se  marier  que  de  brûler;  ajou- 
tant encore  que  cet  homme ,  par  une 
violente  exaction,  voulait  contraindre 
les  hommes  de  vivre  à   la  façon  des 
anges ,  par  cette  voie  lâchant  la  bride 
h  toute  sorte  de  saletés  pour  vouloir 
empêcher  le  cours  de  nature.  Ces  fac- 
tionnaires conclurent  en  somme  que  , 
s'il  demeurait  obstiné  en  sa  résolu- 
tion ,  ils  aimaient  mieux  renoncer  a 
la  prêtrise  que  d' abandonner  leurs 
femmes,  et  qu'alors  il  verrait  oh  peut 
prendre  des  anges  pour*  gouverner  les 
églises ,   celui  qui   ne  se  voulait  pas 
servir  des  hommes  en  ce  ministère  (6). 
Coè'ffeteau   ajoute ,   selon  le  rapport 
de   Marianus   Scotus  ,   que  plusieurs 
du  clergé  aimèrent  mieux  demeurer 
interdits  du  pape  que  de  se  séparer 
des  femmes  ;    mais   le  pape  ordonna 

(6)  Lambertus  Schnfn.,  de  Rébus  Germanie. , 
ad  ann.  10^4 1  apud  Coëffeteau ,  Réponse  au 
Mystère  d'Iniquité  ,  pag.  677. 


en   synode  qu'aucun  chrétien  n'ouït 
ta  messe  d' un  prêtre  marié  (7). 

Je  remarquerai  une  chose  qui  me 
paraît  digne  d'attention  :  c'est  que 
les  papes  ont  eu  incomparablement 
plus  de  peine  à  réduire  sous  la  loi  du 
célibat  les  ecclésiastiques  du  septen- 
trion que  ceux  du  midi.  Lorsqu'il  y 
avait  long -temps  que  ceux  d'Italie 
et  d'Espagne  avaient  subi  ce  rude 
joug  ,  ceux  d'Allemagne  et  des  autres 

Says  froids  tenaient  ferme  encore  ,  et 
isputaient  le  terrain  pour  le  ma- 
riage ,  tanquam  pro  aris  ctjbcis  ;  et 
je  ne  sais  même  si  l'on  n'a  pas  droit 
de  dire  qu'au  temps  de  Luther  le  con- 
cubinage des  prêtres  était  plus  visi- 
ble et  plus  scandaleux  en  Allemagne 
qu'en  Italie.  Il  ne  faut  pas  pour  cela 
conclure  qu'on  soit  plus  chaste  vers 
le  midi  ;  il  semble  au  contraire  que 
les  prêtres  septentrionaux  aient  mieux 
aimé  se  fixer  à  certaines  concubines  , 
que  de  faire  disparaître  leur  incon- 
tinence par  des  amours  vagues.  Us  y 
procédaient  donc  de  meilleure  foi , 
et  tout  bonnement  ils  croyaient  peut- 
être  que  c'était  un  moindre  crime. 

(D)  Le  cardinal  le  Blanc l'ac- 
cusa de  tant  de  crimes.]  Pour  con- 
naître ses  accusations,  il  suffit  de 
voir  la  sentence  qui  fut  prononcée 
contre  le  pape,  par  l'assemblée  de 
Worms  :  je  la  rapporte  selon  la  ver- 
sion du  sieur  du  Plessis  Mornai  (8). 
Hildebrand  qui  se  nomme  Grégoire 
est  le  premier  qui  sans  nostre  con- 
sentement, contre  la  volonté  de  l'em- 
pereur romain  eslabli  de  Dieu  ,  con- 
tre la  coustume  des  majeurs  ,  contre 
les  loix ,  par  sa  seule  ambition  de 
longue  main  continuée  ,  a  envahy  la. 
papauté  ;  il  veut  faire  tout  ce  qui  lui 
vient  en  la  teste  ,  per  fas  nefasque  , 
licite  ou  illicite  qu'il  soit.  C'est  un 
moine  apostat  qui  abastardil  la  sainte 
théologie  par  nouvelle  doctrine  ,  ac- 
commode les  saintes  lettres  par  ses 
fausses  et  forcées  interprétations  à  ses 
affaires  ,  divise  la  concorde  du  col- 
lège ,  pesle  mesle  choses  sacrées  et 
profanes ,  pollue  également   l'un  et 

(7)  Voyez  la  remarque  de  l'article  Mutivs 
(Huldricu)  tom.  X. 

(8)  Du  Plessis  Mornai,  Mystère  d'Iniquité , 
pag.  24°-  licite  Avent. ,  Annal.  Boior.  ,  1.  5. 
Lambertus  .ScbalTnab.  de  Rébus  Germain*.  Ca- 
rolus  Sigonius,  de  Regno  Italiae,  I.  9.  Autor  Vils; 
Henrici. 


t2/{0 


GRÉGOIRE  VII. 


l'autre  ,  ouvre  ses  aureilles  aux  dia- 
bles ,  aux  mesdisances  des  meschans  ; 
lui-mesmes  témoin  ,  juge ,  accusa- 
teur, et  partie  ;  il  sépare  les  maris 
des  femmes  ,  préfère  les  putains  aux 
femmes  de  bien  ,  les  paillardises  ,  in- 
cestes ,  adultères  aux  chastes  ma- 
riages ;  mutine  les  peuples  contre  les 
prestres  ,  la  populace  contre  les  eves- 
ques  ,  veut  faire  croire  que  nul  n'est 
bien  consacré ,  que  qui  a  mandié  la 
prestrise  de  lui ,  ou  l'a  acheptée  ,  ab 
ejus  aurisugis  ,  de  ses  sangsues;  il 
trompe  le  vulgaire  ,  par  une  religion 
simulée  ,  le  fraude  ,  le  pipe  ;  in  sena- 
tulo  muliercularum,  en  un  cabinet 
de  femmelettes  ,  traite  les  sacrés 
mystères  de  la  religion  ,  dissoud  la 
loi  de  Dieu  ,  entreprend  et  la  papauté 
et  l'empire  ;  criminel  de  lèse  majesté 
divine  et  humaine,  qui  veut  oster  et 
la  vie,  et  V estât  a  un  sacré  empereur, 
a  un  très-bon  prince  ;  pour  ces  causes 
V empereur,  les  evesques  ,  le  sénat  et 
peuple  chreslien  ,  le  déclarent  déposé, 
et  ne  veulent  plus  laisser  les  brebis 
de  Christ  en  la  garde  d'un  tel  loup. 

(E)  77  pronotica  la  sentence  d'ana- 
thème  contre  l'empereur.]  «  Et  ce 
»  qu'aucun  pape  n'avait  encore  ja- 
»  mais  fait ,  il  le  priva  de  la  dignité 
»  d'empereur,  et  de  ses  royaumes  de 
j»  Germanie  et  d'Italie ,  déclara  que 
»  tous  ses  sujets  étaient  absous  par 
»  l'autorité  pontificale,  du  serment 
»  de  fidélité  qu'ils  lui  avaient  fait, 
»  et  écrivit  (*)  ensuite  sur  cela  des 
»  lettres  circulaires  à  tous  les  évê- 
»  ques  et  à  tous  les  princes  d'Alle- 
»  magne  ,  par  lesquelles  il  leur  per- 
»  mettait,  au  cas  que  Henri  persistât 
»  opiniâtrement  dans  sa  révolte  con- 
»  tre  le  saint  siège,  d'élire  par  la 
»  même  autorité  un  autre  roi ,  qui 
■»  pût  recevoir  la  couronne  de  l'cm- 
»  pire  ,  et  le  gouverner  justement 
»  selon  les  lois  (9).  » 

(F)  Il    avait    mis   trois  princesses 


par  ses  remontrances.  En  effet  (*), 
elle  fit  le  voyage  d'Allemagne  avec 
les  légats  que  Grégoire  y  envoya  la 
première  fois ,  et  l'empereur  lui 
promit  de  la  satisfaire  sur  tout  ce 
qu'elle  demandait  au  nom  du  pape, 
quoique  pourtant  il  n'en  fit  rien. 
Mais  pour  les  comtesses  Béatrix  et 
Mathilde,  comme  elles  étaient  très- 
puissantes  en  Italie ,  où  elles  pos- 
sédaient de  très-grands  états  ,  Gré- 
goire en  pouvait  tirer  encore  des 
secours  bien  plus  efficaces  que  celui 
des  simples  remontrances  ,  dont 
Henri  ne  faisait  pas  trop  grand  état. 
Ces  deux  princesses  ,  qui  étaient 
fort  dévotes ,  avaient  conçu  une 
très-haute  idée  de  la  vertu  de  Gré- 
goire ,  qui  en  effet  était  en  grande 
réputation  d'être  saint ,  et  de  saint 
très-austère  ,  qu'on  disait  même 
avoir  des  révélations  et  des  extases 
avec  le  don  de  prophétie  et  de  mi- 
racles ,  ce  qui  est  un  fort  grand 
attrait  pour  la  direction.  Ensuite 
elles  s'étaient  mises  entièrement 
sous  sa  conduite  ;  et  lui  aussi  de 
son  côté  correspondant  à  cette  con- 
fiance qu'elles  avaient  en  lui ,  pre- 
nait très-grand  soin  de  les  diriger 
par  ses  lettres  dans  le  chemin  de  la 
vertu ,  et  leur  témoignait  beau- 
coup d'affection  ,  et  une  confiance 
réciproque.  Ainsi  ,  quand  cette 
éclatante  rupture ,  qui  se  fit  entre 
le  pape  et  l'empereur,  eut  partagé 
l'empire  en  deux  partis,  elles  ne 
balancèrent  point  du  tout  entre  les 
deux  ,  et  se  déclarèrent  hautement 
pour  Grégoire,  qu'elles  résolurent 
d'assister  de  toutes  leurs  forces,  et 
principalement  la  comtesse  Ma- 
thilde (11).  »  Je  me  sers  tout  exprès 
des  paroles  de  ce  jésuite  ,  afin  que 
tous  mes  lecteurs  aient  l'esprit  en 
repos,  et  sans  nul  soupçon  qu'on  ait 
dessein  de  les  surprendre  par  des 
traductions     artificieuses.     Avouons 


dans  ses  intérêts.]  «  A  savoir  l'impé-  que  ce  pape  était  bien   fin ,    et  que 

»  ratrice  Agnès  sa  mère  (10)  ,  la  du-  son  tempérament  impétueux  ne  l'em- 

j>  chesse  Béatrix  sa  tante ,  et  la  com-  péchait   pas  de  se   servir  des  ruses 

»  tesse  Mathilde  sa  cousine  germaine,  les    plus    efficaces    :   il  s'assurait   du 

«  Pour  l'impératrice  ,    elle  pouvait  sexe,  et  il  choisissait  les  dames  qui 

»  servir  utilement  par  ses  prières  et  avaient  le  plus  de  pouvoir. 

(G)  Mathilde  s'attacha  a  lui  d'une 

l.  1,  ep.  85,  et  l.  a, 


(«)  Gregor. ,  t.  3  ,  ep  G ,  <-l  l.  4  .  «P-  2  Ç«  3. 
)  Mairabourg  ,    Dccaileru-e   de    1  Empire, 


(*)  Lambert.,   Gregor. 
ep.  3o. 
iol  C'eit-a-dire ,  mire  de  l'empereur  Henri        (11)   Maimbourg  ,   Décadence   de   l'Empire, 

pag.  -j38. 


f9>  , 
pag.  l'i", 


GRÉGOIRE  VII. 


24 1 


manière  qui  fit  causer  le  monde.]  Le 
pape  le  plus  pacifique  et  le  plus  uni- 
versellement aime  n'eût  pu  échapper 
les  traits  de  la  médisance,  s'il  eut 
eu  avec  une  dame  les  liaisons  très- 
étroites  qu'Hildebrand  entrée  Ma- 
thilde.  Jugez  si  un  pape  ausW  violent 
que  celui-ci,  et  qui  s'était  fait  tant 
d'ennemis,  pouvait  éviter  d'être  dif- 
fame par  l'attachement  réciproque 
qui  était  entre  lui  et  cette  comtesse. 
Servons-nous  encore  un  coup  des  pa- 
roles d'un  jésuite,  qui  ne  sauraient 
être  suspectes  en  cette  occasion.  «  La 
»  comtesse  Mathilde  se  trouvant  alors 
»  toute  seule,  et  maîtresse  absolue 
»  de  ses  états  ,  parce  que  la  duchesse 
)>  Béatrix  ,  sa  mère  ,  mourut  presque 
»  (*')  aussitôt  qu'on  eut  appris  la 
»  mort  de  Godefroy  (12),  elle  s'atta- 
»  cha  plus  fortement  encore  qu'elle 
»  n'avait  fait  auparavant ,  à  suivre 
»  les  conseils  de  Grégoire  ,  qu'elle 
»  rendit  tout-à-fait  maître  de  son 
»  esprit  ,  de  sa  conduite  ,  et  de  ses 
»  biens.  En  eflet ,  suivant  la  coutume 
»  de  ces  bonnes  dévotes,  qui  croi- 
»  raient  que  tout  fût  perdu  pour 
»  elles  si  l'on  éloignait  leur  direc- 
»  teur,  auquel  elles  ont  quelquefois 
»  un  peu  trop  d'attachement ,  elle  fit 
»  tout  ce  qu'elle  put  pour  ne  le  pas 
»  perdre  de  vue  (**).  Elle  le  suivait 
î>  assidûment  partout  ;  elle  lui  ren- 
»  dait  mille  petits  soins  et  mille 
»  services  avec  une  incroyable  af- 
»  fection.  Elle  n'agissait  que  selon 
»  ses  ordres ,  qu'elle  exécutait  avec 
»  une  merveilleuse  exactitude  ;  et 
»  quoiqu'elle  fût  la  plus  grande  prin- 
»  cesse  de  l'Italie,  elle  préférait  né- 
»  anmoins  à  cette  qualité  celle  de  sa 
»  très -humble  servante  et  de  sa 
»  chère  fille,  en  le  considérant  et  le 
»  traitant  comme  son  père,  et  com- 
»  me  son  maître  ,  avec  beaucoup  de 
»  respect  à  la  vérité  ,  de  zèle  ,  et  de 
■»  dévotion  ,  mais  peut-être  aussi  avec 
»  un  peu  moins  de  prudence   et  de 

(*')  Le  18  d'art -il  107G. 

(12)  Celait  le  mari  de  Malhildc. 

(*3)  Lambert.  SoliatTnab.  P o«  cujns  morlem 
Bomani  pontificis  lalen  pêne  cornes  individua 
adhierebat ,  eumque  miro  colebal  ajjectu.  Clini- 
que magna  pars  Italiœ  ejut  pareret  irnperto  , 
eJL  omnibus  qua>  prima  moriales  ducunt,  supra 
icœleros  lente  dlius  principes  almndarel  :  ubi- 
kumque  opéra  ejits  papa?  indigjuiiset  ocius  alté- 
rai ,  et  lauquam  palri  et  domino  seduluni  cxïii- 
bel/ai  iffîctum. 

TOME    VII. 


discrétion  qu'elle  ne  devait,  si  on 
l'ose  dire,  sans  rien  diminuer  de 
l'honneur  qu'on  doit  rendre  à  la 
mémoire  d'une  si  illustre  princesse. 
Car  enfin  ,  les  partisans  de  l'em- 
pereur, et  les  ennemis  de  Gré- 
goire ,  et  surtout  les  ecclésiasti- 
ques d'Allemagne,  auxquels  il  vou- 
lait absolument  que  l'on  ûtât  les 
femmes  ,  qu'ils  avaient  impudem- 

>  ment  épousées  contre  les  plus 
saintes  lois  de  l'église  ,  prirent  de 

•>  cela  même  occasion  de  se  déchaîner 
contre  lui  d'une  étrange  manière  , 
de  l'accuser  d'une  trop  grande  pri- 
vauté  avec  cette  comtesse  (*),  et 
d'en  publier  les  choses  du  monde 
les  plus  fâcheuses  ,  et  les  plus  indi- 
gnes  d'aucune   sorte   de  créance  , 

>  comme  étant  tout-à-fait  contraires 
à  la  vérité  ,  et  à  la  vertu  reconnue 
de  l'un  et  de  l'autre.  Aussi  l'his- 
torien allemand  *,  eteontemporain , 
qui  rapporte  ceci  ,  ajoute  qu'il 
n'y  eut  alors  aucune  personne,  tant 
soit  peu  judicieuse,  et  qu'une  in- 
juste passion  n'eût  point  préoc- 
cupée et  aveuglée,  qui  ne  vît  plus 

»  clairement  qu'on  ne  voit  la  lumière 

i)  en  plein  midi  ,  que  ce  n'étaient  là 

»  que  de  pures   et    impudentes    ca- 

»  lomnies  ,   qui ,    comme   de   faibles 

nuages  ,    se    dissipaient    tellement 

par  la  seule   manière  apostolique 

dont  le  pape   vivait  à  la   vue   de 

>  toute  la  cour  romaine  ,  qu'il  n'en 
restait  pas  même  l'ombre  du  moin- 
dre soupçon  dans  l'esprit  de  ceux, 
qui  le  connaissaient  (i3).  » 
L'équité  demande  que  je  rapporte 

ici  une  plainte  de  Coëfièteau  contre 

(*)  Vnd'c  nec  evadere  poluit  incesti  amoris 
suspicioném  ,  passim  jactanu:  us  régis  jautori- 
bus  ,  et  prœcipuè  clericis  quihus  illicita  ,  et 
contra  scila  canonum  conjugia  proh.bebat  , 
quod  die  ac  nocle  impatienter  papœ  ejut ,  etc. 
Sed  apud  omnes  sanum  aliquod  sapienles  luce  ( 

clarius  conslabat  falsa  esse  quœ  duebanlur. 
Nam  et  papa  tain  eximiè  tamque  apostolicè 
vitnm  insliluehal ,  ut  nec  minimain  smislri  ru- 
inons maculant  conversations  ejus  sublimi:as 
admilleret ,  et  illd  m  urbe  celeberiimâ ,  etc. 
Lambert  Scbaffnab. 

*  L'édilion  de  i - 34  du  Dictionnaire  de  Bayle, 
porte  ici  Allemand  ,  qui  est  le  mot  le]  qu'on  I  é- 
crirait  aujourd'hui  ;  niais  le  texte  de  Miimbourg 
que  j'ai  vériGé  >ur  l'édition  in-4°.  ,  porte  ,  paRU 
a4g,  Alleman  ,  quoiqu'il  ne  s'agisse  pas  ici  d'un 
auteur  du  nom  A' Alleman,  mais  d'un  lii-toricn 
allemand  de  nation. 

(i3)  MaiuiboiiTg  ,  Décadence  de  l'Empire, 
pag-  a'l3- 

l6 


2  fa 


GRÉGOIRE  VIL 


du  Plessis  Mornai.  Ce  moine  trouve 
fort  mauvais  que  du  Plessis  n'ait  cite 
que  la  première  partie  du  passage  de 
Lambert  de  Sehafl'nabourg,  dont  aussi 
elle  ne  se  vent  garantir  du  soupçon 
•  d'un  amour  incestueux  ;  les  fauteurs 
du  roy  senians  par  tout ,  et  sur  tout 
les  clercs  ,  ausquels  il  defendoit  le 
mariage  contracté  contre  les  canons, 
que  jour  et  nuit  il  se  veaulroit  impu- 
demment en  ses  embrassemens  ,  et 
qu'elle,  prévenue  des  amours  desr'o- 
bées  de  ce  pape ,  après  avoir  perdu 
son  mari  ne  voulut  point  venir  a  se- 
condes nopces  (i4).  Voilà  où  du  Plessis 
s'arrête  ;  et  voici  la  plainte  de  Coè'fle- 
teau.  Ma,is  ,  lecteur,  que  diras-tu  ,  si 
je  te  montre  que  cet  auteur,  ce  grave 
historien  comme  il  l'appelle ,  réfute 
en  ce  même  lieu  cette  effrontée  ca- 
lomnie?  De  quelle  foi  donc,  ains 

de  quel  front  l'alléguer,  pour  diffa- 
mer sa  vie  propre,  et  sa  conversation 
domestique  (i5)?  C'est  trop  crier 
pour  peu  de  chose  :  j'avoue  que  M.  du 
Plessis  n'eût  pas  mal  fait  de  remar- 
quer, en  passant,  que  Lambert  de 
SchaHnabourg  réfute  cela  ;  mais  enfin, 
comme  son  principal  but  n'était  que 
de  rapporter  quel  jugement  on  faisait 
du  pape  Gre'goire ,  il  ne  faut  pas 
trouver  si  étrange  qu'il  se  soit  con- 
tenté des  paroles  où  Lambert  de 
Sehafl'nabourg  apprend  au  public  les 
médisances  qui  couraient  contre  ce 
pape  *.  Notez  qu'il  donne  à  ce  Lam- 
bert la  qualité  d'abbé  de  Hirtzaw. 
Son  adversaire  l'eu  reprend,  et  dit 
qu'il  n'était  que  moine  d'Hirtzaw.  Ils 
se  trompent  tous  deux  :  il  était  moine 
d'Hirsfeld  au  diocèse  de  Mayence. 

Finissons  par  une  pensée  du  père 
Maimbourg  :  Ce  n'étaient  là  ,  dit-il 
(16)  ,  que  des  faussetés  toutes  visi- 
bles :  mais  cependant  comme  le  monde, 
j>ar  une  certaine  malignité  qui  lui  est 
naturelle  ,  a  bien  plus  de  penchant  a 
croire  le  mal  que  le  bien  ,  surtout 
dans  les  personnes  qui  ont  quelque 
réputation  île  vertu  ,  cela  ne  laissa 
]>as  de  produire  un  mauvais  effet  ,  et 
de  nuire  a  Grégoire  en  ce  temps-là  : 
ce  qui  doit  apprendre  aux  directeurs 

(i4)  Du  Plessis,  Mystère  d'Iniquité,  pag.  ï!fi. 

(i5)  Çoéffeteau  ,  Réponse  an  Mystère  d'Ini- 
quité ,  pag.  695. 

*  Joly  relève  avec  aigreur  les  excuses  alléguées 
par   Bayle  en  faveur  de  du  Plessis  Morn;.i. 

(iGJ  Décadence  de  l'Empire,  pag.  a45. 


des  consciences  ,  que  les  plus  courtes 
conversations  qu'ils  pourront  avoir 
avec  leurs  dévotes  seront  sans  doute 
toujours  les  meilleures  ;  et  qu'il  l'é- 
gard des  gens  de  leur  profession  , 
c'est  avec  beaucoup  moins  de  fruit 
que  de  Manger,  du  moins  pour  la  ré- 
putation ,  qu'on  traite  si  souvent  et 
si  long-temps  avec  les  femmes. 

(H)  Il  osa  soutenir qu'il  n'a- 
vait fait  que  se  conformer  à  l'usage 
de  la  cour  de  Rome.]  Ceci  nous  ap- 
prend qu'il  ne  faut  pas  se  fier  à  ceux 
qui  se  vantent  de  n'être  que  les  imi- 
tateurs des  anciens.  Les  plus  grands 
innovateurs  ont  eu  la  hardiesse  de  se 
vanter  de  cela.  Nous  en  avons  ici  un 
illustre  exemple.  Rapportons-le  selon 
les  paroles  d'un  jésuite  ,  afin  que 
personne  ne  prétende  que  j'use  d'exa- 
gération. «  (17)  Je  trouve  aussi  qu'Hé- 
»  riman  ,  évêque  de  Metz  ,  ayant  pro- 
»  posé  à  Grégoire  ,  par  écrit ,  ses  diili- 
»  cultes  sur  ce  sujet,  et  demandé 
»  entre  autres  choses ,  ce  qu'il  fallait 
»  dire  à  ceux  qui  soutenaient  que  le 
»  pape  ne  pouvait  déposer  le  roi ,  ni 
»  dispenser  ses  sujets  du  serment  de 
»  fidélité ,  comme  il  avait  fait  au 
»  dernier  synode  de  Rome ,  il  lui 
■»  avait  répondu  nettement  et  sans 
»  hésiter,  (*')  qu'il  l'avait  pu  faire 
»  très-justement,  selon  la  coutume 
»  et  l'usage  de  ses  prédécesseurs ,  qui 
v  avaient  excommunié  des  rois  et 
»  des  empereurs,  en  les  privant  de 
»  l'empire  et  de  leur  royaume.  Ce- 
»  pendant  Othon  de  Frisingue  ,  très- 
»  savant  et  très-saint  évêque,  tout- 
)>  à-fait  bien  intentionné  pour  les 
»  papes,  et  souvent  loué  par  le  car- 
»  ctinal  Baronius,  nous  assure  avec 
»  grande  sincérité  ,  qu'ayant  lu  (+2) 
»  fort  exactement  les  histoires  ,  il  n'a 
»  jamais  trouvé  qu'aucun  pape,  avant 
»  celui-ci,  eût  entrepris  une  pareille 
»  chose  (18).  » 

(I)  Il  fallut  que  l'empereur  se  sou- 
mît aux  indignités   les  plus  inouïes.'] 

(17)  Maimbourg  ,  Décadence  'de  l'Empire  , 
pag.  248. 

(*';  l,ïb.  4,  episl.  25. 

(*a)  Lego  et  relego  Bomanorum  regutn  et  im- 
peralorum  gesta  ,  et  nusquain  invenio  quemquanl 
eorttin  ante  hune  à  Ftomano  ponlijice  vel  excotn- 
municatum  ,  vel  regno  privalum.  Otto  Frising. 
chron.  ,  I.  6  ,  c.  35. 

(18)  Vuyez  le  père  Alexandre,  Select.  Ilist.  , 
cap.  seculi  XI  et  XII,  pari.  //,  oit  il  suppose 
que  Ore'i'uite  Vif  fut  trompe' par  son  secrétai- 
re, qui  lui  allc'guaU  île  futur   tloctwiens.. 


GRÉGOIRE  VII, 


243 


Il  était  parti  au  commencement  de 
l' laver  avec  sa  femme  ,  et  un  Je  ses 
en  fans,  et  une  très-petite  suite,  et  il 
traversa  les  Alpes,  durant  la  plus 
rude  saison  de  l'année ,  avec  d'é- 
tranges incommodités  qui  pourraient 
faire  compassion  même  dans  un  sim- 
ple voyageur,  -beaucoup  plus  dans 
un  si  grand  prince  réduit  en  un  état 
si  misérable  (19).  Son  arrivée  en  Italie 
ne   laissa  pas   d'inquiéter  le   pape  ; 


»  fort  délicat,  et  que  tout  autre  sou- 
»  verain  que  lui  n'aurait  jamais  fait. 
■»  Car  enfin  ,  c'était  là  comme  se  met- 
;>  tre  pieds  et  poings  liés  ,  entre  les 
»  mains  de  ceux  qui  en  pourraient 
»  absolument  disposer  comme  il  leur 
»  plairait ,  et  le  retenir  prisonnier 
»  dans  une  place  jugée  imprenable, 
»  et  d'où  ses  gens  ne  l'auraient  jamais 
»  pu  tirer.  De  plus  ,  quand  il  eut 
»  passé  la  première  enceinte,  on  l'ar- 


c'est  pourquoi  Mathilde  ,  afin  qu'en    »  rêta  dans  la  seconde  ,  et  là  il  fallut 


tout  événement  il  fut  en  lieu  de  sûreté, 
le  mena  dans  sa  forteresse  de  Ca- 
no&sa  (20).  Plusieurs  princes  le  sup- 
plièrent d'absoudre  cet  empereur  ; 
mais  il  demeura  long  temps  inexo- 
rable :  et  puis  se  trouvant  plutôt  im- 
portuné que  fléchi  ,  ni  même  1  branlé 
par  les  continuelles  et  ardentes  solli- 
citations de  ces  princes,  il  leur  ré- 
pondit enfin  qu'il  se  résoudrait  donc, 
puisqu'ils  le  voulaient  ainsi,  à  l'ab- 
soudre ,  à  condition  toutefois  que  , 
pour  faire  paraître  a  tout  le  monde 
qu'il  était  touché  d'un  véritable  re- 
pentir de  sa  révolte,  il  lui  enverrait 
avant  toutes  choses  sa  couronne  ,  et 
tous  ses  autres  ornemens  royaux  , 
pour  en  disposa'  à  sa  volonté  ,  et 
qu'il  confesserait  publiquement  qu'a- 
près ce  qu'il  av<zit  fait  dans  son  in- 
fime imnciliabute  de  If^orms  ,  il  était 
indigne  d'être  jamais  ni  roi  ,  ni  em- 
pereur. Les  princes  se  jetèrent  aux 
genoux  du  pape  ,  pour  le  conjurer  au 
nom  de  Dieu  de  se  contenter  de  quel- 
que chose  de  plus  supportable.  Ils 
obtinrent  avec  bien  de  la  peine  ,  qu'il 
pourrait  donc  venir  h  la  bonne  heure 
s'il  voulait  être  absous;  mais  que,  pour 
obtenir  cette  grâce  ,  il  fallait  se  ré- 
soudre à  faire  hors  de  ce  point-là  , 
tout  ce  qu'on  lui  ordonnerait  pour 
pénitence  (21).  L'empereur  passa  par- 
dessus tout  (22).  «  11  s'alla  présenter 
»  à  la  première  porte  de  la  forte- 
»  resse,  attendant  avec  une  extrême 
»  soumission  ce  qu'on  exigerait  de 
»  lui.  D'abord  il  fallut  qu'il  y  entrât 
»  seul ,  et  qu'il  laissât  tous  ses  gens 
j>  dehors  pour  l'attendre  ,  et  pour  le 
»  reconduire  quand  il  en  sortirait  ; 
»  ce  qui  était  assurément  un  point 


qu'il  mît  bas  toutes  les  marques  de 
»  la  majesté  royale  ;  que  s'étant  dé- 
»  pouillé  de  ses  habits,  il  se  revêtît 
»  d'une  simple  tunique  de  laine  , 
»  comme  d'un  cilice  (a3),  qu'il  de- 
»  meurât  là  pieds  nus,  durant  la  plus 
»  grande  rigueur  de  l'hiver,  car  c'é- 
»  tait  sur  la  fin  de  janvier,  et  à  jeun  , 
»  sans  rien  prendre  du  tout  depuis 
»  le  matin  jusqu'au  soir,  implorant 
»  avec  de  grands  gémissemens  la  mi- 
»  séricorde  de  Dieu  et  du  pape.  Ce 
»  qu'il  y  a  de  plus  étrange  ,  c'est 
)>  qu'il  fallut  encore  que  ce  pauvre 
»  prince  demeurât  en  un  si  triste  ,  si 
»  pénible  ,  et  si  pitoyable  état  trois 
»  jours  continuels,  sans  qu'on  pût 
»  jamais  obtenir  du  pape  ,  à  force  de 
»  larmes  et  de  prières  ,  qu'il  l'admît 
»  plus  tôt  à  sa  présence  pour  le  con- 
)j  soler  ;  et  la  chose  alla  si  avant  que, 
»  comme  il  l'avoue  lui-même  ,  en  se 
»  faisant  honneur  de  cette  extrême 
»  sévérité  dans  sa  lettre  aux  princes 
»  d'Allemagne  ,  tous  ceux  qui  étaient 
»  avec  lui  en  murmuraient,  ne  pou- 
»  vant  assez  s'étonner  de  cette  dureté 
»  d'âme  sans  exemple  ;  et  quelques- 
»  uns  même  disaient  hautement,  que 
«  cette  conduite  ressemblait  bien 
»  plus  à  la  barbare  cruauté  d'un 
»  tyran,  qu'à  la  juste  sévérité  d'un 
»  juge  apostolique  (*).  Ce  sont  là 
»  les  propres  termes  de  Grégoire , 
»  rapportés  par  le  cardinal  Baro- 
»  nius  (24) 11  sen    fallut  peu 


(23)  Malmesburiensis  adjuusle  des  ciseaux  , 
et  un  balay  à  la  main  ,  comme  se  soubmetlant  a 
eslre  tondu  et  fouette'.  Du  Plessis  ,  Mystère  d'i- 
niquité, pag.  it\i ,  î43- 

(*)  Ut  pro  eo  mullis  precibus  et  lacrymis  in- 

lercedenles ,    omîtes    quidem    inwUiam    noslrce 

mentis  duritiem    mirarentur,  nounulli  verb    in 

,    .   „  .    ,  n.     .  ,     m-      •  a.  nobis  non   apostolicà    teveritatis   gravitaient, 

(i0)    Manubourg,    Décadence    de    1  Enip.rA  w  ^  tyrannicce  feritalis  crud dilatent  esse 

pag.  25^.       ^  »  clamarent.  Grr;;.  ,  I.  4i  CP-  I2i  elapud  Baron., 

(201  Là  même,  pag.  a55.  ann    ,077,,!    17. 

(21)  L.à  même  ,  pag.  257.  (2^)    Maimbouig,    l'écadence    Je    l'Empire, 

(22)  L'a  même,  yag.  2.Ï8.  Png    »&■ 


^44  GRÉGOIRE  VII. 

))  que  la  patience  n'échappât  à  ce  (L)  Il  excommunia  l' empereur ,  et 
d  prince,  sur  la  fin  du  troisième  jour  le  déposa  tout  de  nouveau.]  Par  ce 
»  d'une  si  rude  pénitence  ,  et  il  était  décret  foudroyant  il  ("*")  le  [/rive  de 
)>  sur  le  point  de  tout  rompre l'empire  et  des  royaumes  de  Germa- 
it lorsque  la  comtesse  Mathilde  en-  nie  et  d'Italie ,  absout  tous  ses  sujets 
»  treprit  cette  affaire  avec  plus  d'ar-  du  serinent  de  fidélité  //u'ils  lui 
»  deur  qu'elle  n'avait  fait  :  car  alors  avaient  prêté  ;  et  ce  qu'il  n'avait  pas 
»  le  pape  Grégoire ,  qui  ne  pouvait  encore  voulu  faire  jusques  al  ors  ,  il 
»  rien  refuser  aux  instantes  prières  confirme  l'élection  de  Rodolphe ,  au- 
»  d'une  si  grande  princesse  ,  et  à  la-  quel  il  envoya  une  riche  couronne 
»  quelle  il  avait  tant  d'obligation,  d'or,  autour  de  laquelle  il  y  avait 
»  résolut  enfin  de  recevoir  Henri,  le  une  inscription  dans  un  vers  ,  qui  si- 
»  quatrième  jour  au  matin,  et  de  le  gnifie  que  Jésus-Christ ,  qui  est  la 
»  réconcilier  à  l'église ,  à  ces  condi-  pierre  mystique ,  ayant  donné  le  dia- 
3>  tions  :  Qu'il  se  soumettrait  auju-  dème  a  Pierre,  en  la  personne  de 
»  gement  que  le  pape,  au  temps  et  Grégoire,  le  donnait  a  Rodolphe  (**). 
j»  au  lieu  qu'il  serait  assigné,  rendrait  Ce  sont  les  paroles  du  père  Maim- 
)>  sur  les  accusations  qu'on  avait  in-  bourg  (27).  S'il   est  vrai   que  le  père 

»  tentées  contre  lui qu'il  n'exer-  d'Hildebrand  était  charpentier ,  nous 

»  cerait   cependant    aucun    acte    de  avons  là  une  preuve  que  les  coura- 

>>  souveraineté .  »  Je  laisse  les  autres  ges  les   plus  superbes  peuvent  naître 

conditions,  toutes  très-rudes.  parmi  la  lie  du  peuple.  Que  peut-on 

(K)    Ses    partisans     excommuniés  voir  de  plus  altier  que  notre  Hilde- 

éprouvèrent    presque     la    même    ri-  brand?   N'avait-il    pas   pris   à   tâche 

gueurJ]  «  Il  n'en  usa  guère  plus  dou-  d'abaisser  les  rois  ?  parce  ,  disait-il , 

»  cernent    envers   les    évêques    aile-  qu'ils  le  portaient  trop  haut,  et  qu'il 

»  mands  ,    et   les  autres  ,  tant  ecclé-  leur  voulait  fournir  par  sa  ligueur 

j)  siastiques  que  laïques,  qui  étaient  les  moyens  de  s'humilier  (a8).  Impe- 

»  venus  un  peu  auparavant  se  jeter  ratoribus  et  regibus ,  cœterisqueprin- 

»  à    ses  pieds    pour  être    absous  de  cipibus  ut  elationes  maris  ,  et  super- 

»  l'excommunication    qu'ils    avaient  biœ  fluctus  comprimere  valeant ,  ar- 

»  encourue.    Car,  avant  que    de  les  ma  humilitatis,  Deo  auctore  iiirovi- 

»  absoudre,  il  les  fit  enfermer  sépa-  dere  curamus  :  proindè  videtifh  utile, 

»  rément  en  de  petites  cellules  ,  com-  maxime  imperatoribus  ,  ut  ciimÊnens 

))  me  dans  des  prisons  ;  et  là  il  les  fit  illorum  se  ad  alla  erigere  ,  et  pro  sin- 

n  jeûner   fort  rigoureusement  assez  gulari  vult  g/orid  obfectare,  inveniat 

)»  long-temps  ,   contre  l'ordinaire  de  quibus  se  modis  humiliet ,  atque  undè 

»  leur  pays,    où  à  cause    du  froid  le  gaudebat  ,    senliat   plus    timendum. 

»  jeûne  est  beaucoup  plus  difficile  à  Notez  que  le  jésuite  Maimbourg  re- 

»  garder  qu'en  Italie  (25).»  Le  jeûne  jette  ce   que  l'on  a  dit    du  père    de 

est  sans  contredit  l'une  des  plus  for-  Grégoire   VII.   Voici  ses   termes.   Ce 

tes   mortifications   qu'on  puisse  îm-  que  l'on  dit  ordinairement  qu'il  était 

poser  aux  peuples  septentrionaux,  et  fils  d'un  charpentier,   et  que  ramas- 

principalement  aux  personnes  riches,  sont  des  copeaux  en  se  jouant  lors- 

qui  s'accoutument  dès  l'enfance  à  se  qu'il   était  encore  petit  enfant ,   il  en 

bien  nourrir ,  et  à  faire  de  longs  re-  avait  formé  par    hasard  des  lettres 

pas  ,  où,  si  l'on  mange  beaucoup  ,  on  disposées   en   sorte    qu'elles    compo- 

boit  encore  davantage.  Si  la  religion  saient  ce  verset  du  psalmiste  ,  Domi- 

chrétienne   avait   commencé  dans  ce  nabitur  à   mare   usque  ad   mare  ,  Il 

pays-là,    je  ne  pense  pas   qu'elle  eût  dominera  d'une  mer  à  l'autre,  n'est 

envoyé  dans  le  Levant  les  mêmes  ca-  qu'une  pure  fable  (29). 
nons  d'abstinence  et  de  vigiles,  qui 

sont  venusde  l'Orientau  Septentrion.  £■)  Conc.  Ro,».ç,  1.  io >,conCil.,  edit.  Paris., 

TT  ,  ,    .     .  ■    c  t.  C  :*    ,  ( ")  Petra  dedil  Petro  ,   Petrus  diaJema    Ko- 

Voyez    les  plaintes  qui  furent  faites       v         Aa\vho. 

contre  le  Cardinal  AlamandllS  (26).  (57)   Maimbourg,    Décadence    de    l'Empire, 

m*-  *:8- 

(î5)    Maimbourg,    Décadence    de    l'Empire ,  ^(28)  Greg.  ,    epist.  ad  Heriman.    epi<c.  Met.  , 
pag.  25q.  t'e  Excom.  Hem.  IV,  apud  Maimb.  ,  Décadence 

(ïfi)  Tom.  I,  pag.  344.  remarque  (A)  de  Vin-     de  l'Empire,  paç.  î.Tij. 
tiile  Alamanih:s.  (»D)  Rfaimboùrj.,  là  même,  paç.  21S. 


GRÉGOIRE  VII.  245 

(M)  On  imputa  entre  autres  crimes    quatrième  fois ,  antres  (lient  la  si.rie- 
eelui  de  magie  h  Hddehrand.~\  Cela    me  ,    et     non  -  seulement    la  perd  , 
paraît  par  la  sentence  que  Ton  porta    mais  la  main  droite  dont  il  avoit  preste 
contre  lui.  Du  Plessis  Montai  en  fait    le   serment  a  l' empereur,  et  en  perd 
une  ample  mention.  Lors  aussi,  dit-    la  vie.   Coè'ffeteau   répond    (33)  ,  que 
il  (3o) ,    se  rassemblent   en  l'an  1080    le  cardinal   Baronius  auoit  prévenu 
les  évéques  de  i Italie,  d' Allemagne,    cette  calomnie ,  et  montre  que  Grégoi- 
et  des   Gaules  à  Brixen   en  Bavière    re  ne  dit  jamais  qu  il  eust  eu  la  réve- 
il) ,  et  de  rechef  condamnent    l/il-    lation    que    ses   ennemis    lui    repro- 
debrand  d' ambition  ,  d' hérésie  ,  d'un-    choient  ;    mais   seulement  qu'en    ter- 
piété ,  de  sacrilège  ;  «   parce,  disent-    mes  généraux    il    avoit   asseuré ,  se 
»  ils,  qu'il  est  faux  moine,  magicien,    confiant    en   la  miséricorde  de  Dieu  , 
»  devin ,  conjecteur  de  songes  et  de    et  en  la  justice  de  la  cause  que  son 
3>  prodiges,  mal  sentant  de    la    relir    zèle   lin   faisoit  défendre  ,  que  Dieu 
'>>  gion  chrestienne,  qui  a  achepte  le    ruinerait  ses  adversaires ,  et  que  ceux 
»  pontificat  contre  la  coustume    des    de  son  parly  seroient   en   bref  victo- 
»  majeurs  maigre  tous  les  bons,  etc.    rie ti x ,  sans  toutejois  prescrire ■aucun 
»  Ennemi  jure  de  l'empereur  et  de   jour,    comme  tes  scliismatiques  l'ont. 
»  l'empire,    corrupteur  du  droit  di-     accusé.    «  De   là,    dit  Baronius,    les 
»  vin  et  humain,  enseignant  le  faux    »  ennemis  de  Grégoire  prindrent  oc- 
»  au  lieu  du  vrai,  le  mal  au  lieu  du    »  casion  de  le  calomnier,  et  de  l'ap- 
»  bien ,  etc.  Trompette  à  toutes  mes-    »  peller  faux  prophète,  comme  s'il 
»   chancetes  ,  fauteur  d'un  tyran  ,  se-    »  eust  voulu  prédire  que  Henry  mour- 
»  meur  de  discorde  entre  les  frères,    »  roit  bien  tost ,  et  plusieurs  autres 
j>  parens  et  amis  ,  de  divorces  entre     »  telles    choses   ,    comme    ainsi  soit 
»  les    marie's  ,  niant   ce   bel  homme     »  toutesfois    qu'il   ne    fist   pas   estât 
»  que    les  prestres   qui  ont   femmes     »  ny  profession  de  dire  cela  par  es- 
»  le'gitimes  soyent  vrays  prestres ,  et    »  prit    de   prophétie  ,   mais   parlant 
»  cependant   approchant    des  autels     »  selon    le   plus  commun  cours  des 
»  les  paillards,  les  adultères  ,  les  in-    »  choses  ,  arrivant  bien  souvent  que 
»  cestucux,  etc.  Nous,  en  l'authorite    »  l'homme  recueille  ce  qu'il  a  semé: 
»  de   Dieu    tout-puissant ,  le  deela-    »  et   partant   Grégoire  ,    s'appuyant 
»  rons  dépose  du  pontificat,  et  si  de    »  sur  la  justice  de  sa  cause  ,  se  pro- 
»  lui   mesmes  il  ne  s'en  départ ,  or-    »  mettoit   asseurement   que    Dieu  la 
»  donnons    qu'à  jamais  l'entrée   lui    »  rendroit  victorieuse  :  ce  qu'à  tout 
»  en  soit  fermée.  Sigonius  qui   aussi    »   prendre  on  trouvera,   dit-il,  veri- 
»  récite  cet    arrest,  au  veu  d'iceluy     »  table,    si   l'on  regarde  que  Henry 
»  y  employé   ces    termes  :   manifes-    »  et   ses    complices    eurent    une   fin 
»  tum    necrpmanticum    ,    pylhonico     »  misérable.»   Voici  ce  qu'on  répli- 
»  spiritu  laborantem,   manifeste   né-    qua  à  Coëfleteau  :  Il  devait  regarder 
»  cromantien  ,  et  possède'  d'un  esprit    (pie  Baronius  dit  cela  a  propos  d'une 
»  de  Python.»  éptlre  (*)   écrite  par  Grégoire  a  ses 

(N)  L' empereur  gagna  deux  ba-  frères  éueques  et  autres  fidèles  ,  de 
tailles maigri'  les  prophéties  du  "laquelle  il  est  vrai  que  les  termes  peu- 
pape.]  Hildcbrand,  pour  donner  cou-  vent  souffrir  son  interprétation.  Mais 
rage  à  Rodolphe  et  aux  Saxons  ,  les  cela  ne  prouve  pas  que  le  pape  /l'en 
assura  qu'il  savait  par  révélation  que  a  point  parlé  autrement  ailleurs.  Et 
cette  année-la  un  faux  roi  devait  de  fait,  ce  qu'on  lui  reproche  est  tout 
mourir,  Ce  qu'il  interprétait  de  l'em-  autre  chose  ,  dite  non  en  une  lettre  , 
pereur  Henri  IV;  et  s'il  n'est  vrai,  mais  en  an  sermon  public  ,  fait  en 
ajoute-t-il,  que  je  ne  sois  point  pape,  habits  pontificaux  ,  avec  ces  termes  . 
rnesnie  si  cela  n'advient  devant  laSaint-  Ne  me  tenés  plus  d'-oresnavant  pour 
Pierre.  Du  Plessis  Mornai(3a)  cm-  pape,  mais  dejettés  moi  de  l'autel  , 
prunte  cela  de  Sigebert,  et  remarque  si  cette  prophétie  ne  sortit  effect  à 
que  Rodolphe  soubs  la  foi  de  cest  ara-  la  feste  de  saint  Pierre.  Le  mal  fut 
de  retente  la  bataille  jus  ^ucs    a    la    que   les   assassins  gagnés  par  argent 

(3o)  Mystère  d'Iniquité  ,  wnc.  ?'|j.  ,  „      ,        ...    .      -..  c 

W)OuPl,aôi,<lL<l,>  Tu„!.  (33)  Réponse  .u  Mystère  HMii.qu.te.^.Goï. 

>:',2    Mystère  d'Iniquité,  pag.  2^.  (*)  Greg.,  Rejist.,  ht).  8  ,  cpisl.  7. 


246 


GRÉGOIRE  VII. 


ne  purent  faire  leur  coup  ,  pour  aider 
a  la  prophétie ,    tellement  que  ,  pour 
s'en  défendre,  il  éluda  son  dire ,  rap- 
portant ce  qu'il  avait  prédit  a  la  mort 
de  lame  de  l'empereur  Henri ,   pour 
ce  qu'il  n'avait  pu  tuer  le  corps  (34). 
Il  est  facile  de  voir  que  l'objection 
du  sieur   du    Plessis    demeure  dans 
toute    sa  force  ,   puisque   la  réponse 
de  Coè'fieteau,  copie'e  de  Baronius,  ne 
vaut  rien  du  toivt.  Disons  donc  qu'Hil- 
debrand  se  mêla  de  prophe'tiser   des 
choses    que    l'e've'nement     confondit 
bientôt.  Conside'rez  bien  ces  paroles 
du  père    Maimbourg  (35).    //   écrivit 
des  lettres  (*')   circulaires  a  tous  les 
fidèles ,  et  singulièrement  a  ceux  de 
la  province  de  Revenue  ,  pour  les  en- 
gager à  faire  une  ligue  avec  les  prin- 
ces normands  contre  V Anti-pape.  Il 
en  envoya    d'autres   aux  princes   de 
la  Germanie ,  pour  les  animer  à  com- 
battre contre  Henri,    et  promit  aux 
uns   et   aux  autres  qu'ils    remporte- 
raient une  glorieuse  victoire.  Mais  il 
arriva  par  malheur  pour  lui ,  que   le 
succès  fut  tout  contraire  a  ces  assu- 
rances qu'il  leur  donna  :  car  trois  se- 
maines après  la  date  de  ses  lettres  , 
qui   sont  du    il  de    septembre  ,    les 
armées    de    Henri    et     de  Rodolphe 
s' entrechoquèrent   (*2)  furieusement, 
le    l5    d'octobre  ,   sur    les    bords    de 
la  rivière  d ' Elleslre ,  auprès  de  Mer- 
sebourg  en  Saxe  (36).    Voici  un  di- 
lemme :  Ou  Hildebrand  croyait  que 
sa  pre'diction  arriverait  ,  ou  il  ne  le 
croyait  pas.   S'il  le  croyait,  il  faut 
l'appeler   faux   prophète  :    s'il  ne    le 
croyait  pas  ,  mais  s'il  avait  seulement 
en  vue  d'encourager   les  rebelles  ,  il 
faut  l'appeler  un  imposteur,  qui  par 
une  politique  détestable    sacrifiait  à 
ses  intérêts  temporels  la  sainteté  de 
la   prophétie  et   l'honneur    du  saint 
nom  de  Dieu.   Nous  avons  vu  de  nos 
jours  quelques  interprètes  de  l'Apo- 
calypse,    qui  peuvent  être  jetés  dans 
les  embarras   d'un    pareil   dilemme. 
La  ruse  d'Hildebrand  me  fait  souve- 
nir de  l'article  Dp.jotarus  (37).  Quand 
on   s'engage    à   prédire    l'avenir ,  on 

(34)   Rivet ,    Remarques   sur   la   Réponse   au 
Mystère  d'Iniquité,  IIe.  partie  ,  pag.  182. 
(3.r>)  Décadence  de  l'Empire,  pag.  a8i. 
(")  Greg.  ,  l.  S,  ep.  7. 
(")  LU,.  S,  épis  t.  9. 

(36)  Rodolphe  fut  lue  dans  cette  bataille. 
(S-])  Remarque  (K.)  ,  lom.  V,  pat;.  /|45. 


fait  provision   sur  toutes  eboses  d'un 
front  d'airain  ,   et  d'un  magasin  iné- 
puisable d'équivoques ,  afin  d'attirer 
à  soi  les  événemens  de  quelque  ma- 
nière  qu'ils  tournent    Si  les  ennemis 
sont  heureux  'selon  le  monde  ,  on  as- 
sure  que   leur  endurcissement   aug- 
mente ,    et    que   c'est  là  le  vrai  mal- 
heur   qu'on   avait  prédit.  Voyez  ici 
Hildebrand   qui   applique   à  la  mort 
de  l'âme  ce  qu'il  avait  osé  prédire  de 
la  mort  de  l'empereur.  De  quoi  pou- 
vait servir  à  Rodolphe    que    l'empe- 
reur Henri  IV  fût  damné  au  bout   de 
plusieurs  années  ,  si    avant  cela  Ro- 
dolphe devait    être  tué  dans  une    ba- 
taille   que   cet   empereur  gagnerait? 
Quel  sens  y  avait-il  à  prédire  la  dam- 
nation   de     Henri   IV  ,    prince-    qui 
devait   bientôt  triompher  de  son  ri- 
val? Ce  triomphe  eût  été  la  première 
chose  que   l'on    eût  prédite  ,  si   l'on 
eût  été  un  vrai  prophète.  Je  remar- 
que   cela,    afin  qu'on  voie   la  vanité 
du  subterfuge  du  pape  Grégoire  Vil. 
(0)  Les   écrivains    qui   parlent  de 
lui  se  réfutent  les  uns  les  autres.]  H 
est   certain   qu'ils    se  sont  jetés  dans 
les  deux  extrémités,   les  uns   contre 
le  pape  Grégoire  VII  r  les  autres  con- 
tre l'empereur  Henri  IV.  L'historien- 
moderne   que  j'ai  cité  plusieurs  fois 
décrit   cela   si  heureusement  ,    qu'il 
vaut  mieux  que  je   me  serve  de    ses 
expressions  ,  que  d'en  chercher  d'au- 
tres.  Celte   querelle  ,   dit-il  (38)    qui 
partagea  toute  i Europe  ,    et  en  arma 
une  partie  contre  l'autre  ,  a  tellement 
divisé,  et  ensuite  échauffé  les  esprits 
des  auteurs  qui  en   ont  écrit,    que  je 
puis  assurer  qu'un  ne  vit  jamais  tant 
de  chaleur,  tant  d' amertume  et  tant 
d' aigreur ,   ni  même  tant  d'emporte- 
ment ,   qu'il  en  parait    dans  les  ou- 
vrages de  ceux   qui   ont  entrepris  de 
défendre  et   de   soutenir  i un  oui au- 
tre parti,   et  qui   a  cause  de  la  pas- 
sion   et    du  sentiment   dont   ils  sont 
préoccupés  ,  sans    vouloir  seulement 
souffrir  qu'on   l'examine ,    vont  tou- 
jours aux  extrémités.  Car  outre  qu'ils 
n  épargnent  pas  les  injures  les  plus 
atroces,  dont  ils  s'accahlcnl  impitoya- 
blement  les    uns    les  autres,   contre 
toutes    les  règles  ,  je  ne  dirai  pas  du 
christianisme  ,    mais  de    l'honnêteté 
civile,   et   même  de  l'humanité;. les 

(38)  Ma'im!)  ,Décad.  de  l'Empire,  p.  216,21;. 


GREGOIRE  VII. 


2/f7 


uns  ,  apivs  le  cardinal  schémati- 
que Bennon ,  déchirent  de  la  plus 
horrible  manière  du  monde  la  mé- 
moire du  pape  Grégoire  P'II,  et  en 
font  le  plus  méchant  et  le  plus  de- 
testahle  de  tous  les  hommes;  et  les 
autres,  tout  au  contraire,  veulent  qu'il 
ait  été  l'incomparable  en  toutes  les 
perfections  qui  sont  propres  d'un 
grand  ponlije,  el  ne  peuvent  trou- 
ver à  leur  gré  d'assez  grands  éloges, 
ni  d'assez  magnifiques  louanges  , 
pour  les  lui  donner  Pour  mieux  ju- 
ger des  historiens  de  ce  siècle-là  ,  il 
est  bon  de  considérer  ce  qui  a  été 
e'crit  ou  pour  on  contre  la  ligue , 
sous  Henri  III  et  sous  Henri  IV.  Com- 
bien de  fables  et  combien  de  ca- 
lomnies ne  publia-t-on  pas  alors  ? 
Je  m'abstiens  des  exemples  plus  ré- 
cens ,  et  je  suis  persuade'  que  les  es- 
prits les  plus  pre'venus  m'accorde- 
ront que  les  siècles  à  venir  seraient 
très-injustes  ,  s'ils  jugeaient  de  nos 
principaux  acteurs  par  les  libelles 
qui  s'impriment  de  part  et  d'autre 
tous  les  jours,  où  chacun  débite  avec 
la  dernière  hardiesse ,  non  pas  ce 
qu'il  sait,  mais  tout  ce  qu'il  forge 
lui-même,  ou  qu'il  ramasse  dans  les 
rues.  J'écris  ceci  l'an   1695. 

(P) Ce   qu'ils    ont  débité  sur 

le  chapitre  de  sa  magie  a  tout  l'air 
d'une  chimère.]  Voici  ce  qu'en  dit  le 
cardinal  Bennon  (3ç>)  :  Qu'il  avait  ap- 
pris la  magie  de  Théophylacte,  qui 
fut  le  pape  Benoît  IX ,  de  Laurens 
son  compagnon  ,  de  l'archevêque  de 
Melfe,  et  de  Jean ,  archipré  tre  de  Sa  int- 
Jean-Porte-Latine  ,  qui  fut  le  pape 
Grégoire  VI  ,  qui  par  le  commerce 
des  démons ,  et  le  vol  et  chant  des 
oiseaux  (4o) ,  se  mêlait  de  dire  des 
nouvelles  des  plus  lointains  pays,  de 
V événement  des  guerres,  et  de  la  mort 
des  princes.  Que  tant  qu'ils  vécurent, 
même  au  papat ,  il  avait  été  ministre 

(3g)  Voyez  du  Plessis  Mornai ,  Mystère  d'ini- 
quité, pag.  l'fi  ,  2  19. 

(4o)  CoërTeleau  ,  Réponse  au  Mystère  d'iniqui- 
té ,  pag.  704  ,  <lil  que  Bennon  allègue  ,  touchant 
ce  Laurent ,  qu'un  jour  ,  un  passereau  cliantant 
en  préseuce  de  plusieurs  prélats,  quelques-uns 
lui  demandèrent  ce  que  disait  cet  oiseau  ,  et  qu'il 
leur  dit  :  Cet  oi>eau  dit  ans  autres  oiseaux,  qu'ils 
s'envolent  vilement  à  la  porte  Majeur  ,  oii  tout 
maintenant  se  vient  de  rompre  le  cliariot  d'un 
paysan,  qui  portail  du  mil  qui  a  élé  répan  lu  :  il 
les  invite  donc  d'en  aller  manger  leur  part.  Et 
qu'alors  plusieurs  se  transportèrent  à  cette  porte, 
et  trouvèrent  la  chose  comme  il  l'avait  dite. 


et  complice  principal  de  tous   leui's 

maléfices Que   venant   un  jour 

d' Alba  ,  il  aurait  oublié  un  sien  livre 
de  nécromancie ,  sans  lequel  rare- 
ment il  allait,  dont  s' étant  aperçu 
a  l'entrée  de  la  porte  île  Latran  ,  il 
avait  renvoyé  deux  siens  conlidtns 
serviteurs  pour  le  quérir,  leur  dé- 
fendant dprement  de  l'ouvrir;  mais 
quiceur,  emportés  de  curiosité,  l'au- 
raient lu  ,  et  qu' aussitôt  se  servaient 
présentés  ii  eux  les  anges  de  Satan  , 
en  grand  nombre  ,  dont  ils  auraient 
eu  telle  horreur,  qu'ils  en  auraient 
presque  perdu  le  sens  ,  etc.  Que  ce 
lui  était  chose  ordinaire  en  secouant 
ses  manches  d'en  faire  sortir  feu  et 
flamme,  et  chose;,  semblables.'  Coé'f- 
feteau  se  plaint  (4*1)  de  Yct  cœterà 
du  sieur  du  Plessis  ;  «  il  oublie  le 
»  meilleur,  dit-il ,  car  Bennon  ajoute 
»  que  les  malins  esprits  pressèrent 
»  ces  deux  serviteurs  de  leur  dire 
»  pourquoi  ils  les  avaient  appelés  et 
"pourquoi  ils  les  fatiguaient  ainsi. 
»  Commandez-nous  vilement  ce  que 
»  vous  voulez  que  nous  fassions  , 
»  dirent  ces  gentils  démons  aux  ser- 
»  viteurs  ,  autrement  nous  nous  pren- 
»  tirons  à  vous,  et  vous  ferons  de  là 
»  peine.  A  cela  le  plus  jeune  leur  dit, 
»  renversez  hâtivement  ces  murailles; 
»  et  en  disant  cela ,  leur  montra  les 
»  hauts  murs  de  Rome,  qui  étaient prO- 
»  ches.  ^4u  même  temps  ces  esprits 
»  abattirent  les  murailles  de  Rome , 
»  et  les  deux  jeunes  hommes  faisant 
»  le  signe  de  la  croix  ,  s'en  relour- 
»  fièrent  tous  effrayés  à  leur  maître.  » 
Coè'ftèteau  veut  que  du  Plessis  ait 
eu  honte  de  coucher  ce  dernier 
conte  dans  son  livre,  nul  auteur  dit 
siècle  n'ayant  parlé  de  ce  renverse- 
ment des  murailles  de  Rome.  Dieu 
me  garde  de  soupçonner  d'artifice 
M.  du  Plessis,  sous  prétexte  qu'il 
a  supprimé  ce  qui  est  le  plus  visi- 
blement fabulent  dans  ce  passage  de 
Bennon  ;  mais  j'ose  bien  dire  qu'il 
n'eût  pas  mal  fait  de  s'abstenir  de 
Yet  caetera  dam  cette  rencontre.  Son 
apologiste  veut  que  Coè'fièteau  soit 
ici  falsificateur  :  //  ne  fallait  point  . 
dit-il  (4^),  qu'il  mit  a  sa  marge  que 
nul  auteur  de  ce  siècle  n'a  parlé  du 
renversement  des  murailles  de  Rome. 

(40  La  même,  pag.  -]o/). 
(40  Rivet  ,    Remarques   sur    la    Réponse   au 
Mystère  d'Iniquité  ,  //e.  part.  ,  pag.  it)3. 


248 


GRÉGOIRE  VIÏ. 


Bennon  n'en  a  parle  non  plus  ;  seule- 
ment dit  il  de  ce  jeune  homme  que  , 
ostendit  illis  muros  altos  vicinos  Ro- 
mx,  quos  in  momento  maligni  spiri- 
tus  dejecerunt  ;  qu'il  leur  montra  de 
hautes  murailles  proche  de  Home , 
lesquelles  en  un  moment  ces  malins 
esprits  jetèrent  par  terre.  Ainsi  il 
n'a  point  parlé  des  murailles  de 
Rome  ,  près  de  laquelle  quelques 
vieilles  murailles  peuvent  être  tom- 
bées ,  sans  que  les  historiens  en  fissent 
mention.  La  bonne  foi  dont  je  me  pi- 
que ne  me  permet  pas  de  me  décla- 
rer ici  contre  Coè'ffeteau  ;  car  je  suis 
persuade'  qu'on  le  censure  mal  à  pro- 
pos :  muros  altos  vicinos  Komœ  sont 
les  murailles  mêmes  de  Rome  dont 
ces  gens-là  n'étaient  pas  loin  ,  et  non 
pas  des  murailles  qui  fussent  au  voi- 
sinage de  Rome.  Voyez  ce  que  c'est 
que  les  e'quivoques  de  la  langue  la- 
tine. Quelle  source  de  procès  ne  sont- 
elles  point? 

_  Je    rapporte   ici   le    j ugement    du 
sieur  Naude'  ,  touchant  les  re'cits  du 
cardinal  Bennon.  «.  Difficilement  me 
2>  pourrais  -  je    persuader    que    l'on 
»  puisse  dire  des  choses  si  e'tranges 
»  du  plus  scélérat   du  monde,    que 
»  cet   auteur  a  dites  d'un   tel  pape  , 
3)  et,  à  son  occasion,  de  Sylvestre  II, 
»  Jean  XX,  XXI,  et  Benoît  IX  ,    qui, 
>>  à  son  dire,  faisait   an  moyen  de   sa 
»  magie  courir  les   femmes  après  lui 
3>  par  les  bois  et  montagnes  ,  et  pré- 
i)  disait  assurément  les  choses  futu- 
»  res  5    combien    que    ces    fables  ne 
»  soient   rien    au    prix    de   ce   qu'il 
»  ajoute  de  l'archevêque Laurens  qui 
»  entendait    très-bien    le   chant   des 
»  oiseaux,  de  Grégoire  VII,  qui  jeta 
»  la  sainte  hostie   dans  le  feu  ,  con- 
»  jura    la    mort    de    l'empereur,    fit 
»  empoisonner  six    papes     par    son 
»  intime  confident  Gérard  Brazutus, 
»  et  avait  si  bien  appris  la  magie  de 
»  Théophylactc  et  de  Laurens  ,  dis- 
»  ciples   de    Sylvestre,    qu'il    faisait 
»  sortir  du  feu  en  secouant  ses  bras, 
»  et    pétiller    des    tonnerres    de    sa 
»  manche.  Mais  cet  auteur  en  a  trop 
3)  dit  pour  être  cru  ;  et  puisqu'il  avait 
»  envie  de  calomnier  les  papes,  il  le 
»  devait  faire  avec  plus  de  modestie 
»  et   de   jugement (43).»  Ces  derniè- 
res paroles  devraient  être  un  conti- 

(43)  Nantie ,    Apologie  des   grands   Hommes, 
pag.  553. 


nuel  sujet  de  méditation  aux  écri- 
vains satiriques.  Voulant  faire  trop 
ils  ne  font  pas  assez,  ipsa  sibi  obstat 
magniludo  (44)  :  ils  décréditent  leurs 
vérités  par  les  fables  qu'il  y  mêlent. 
Ils  agiraient  plus  sagement ,  s'ils  ai- 
maient mieux  se  retrancher  quelque 
ebose ,  que  de  se  charger  du  super- 
flu (45).  La  maxime,  dtmidium  }>lus 
toto  (4G) ,  devrait  être  la  règle  per- 
pétuelle de  leur  plume.  Le  père 
Maimbourg(4';)  remarque  que  les  ca- 
lomnies publiées  contre  Grégoire  VII 
se  sont  détruites  d'elles-mêmes  ,  pour 
avoir  été  trop  atroces  7  trop  grossière- 
ment inventées  par  une  aveugle  pas- 
sion qui  ne  dit  rien  pour  en  vouloir 
trop  dire  ,  et  infiniment  éloignées  de 
toute  vraisemblance. 

(Q)  On  prétend  que  son  cadavre  fut 
trouvé  presque  tout  entier  cinq  cents 
ans  après  sa  mort.  ]  Il  avait  été  en- 
terré à  Salerne,  dans  l'église  de  Saint- 
Matthieu  ,  qu'il  avait  consacrée  peu 
de  temps  avant  sa  mort.  On  chercha 
son  corps  Fan  1573  ,  et  on  le  trouva 
revêtu  des  ornemens  pontificaux. 
Voici  Tépitaphe  qu'on  y  ajouta  (48j  : 
Gregor.o  Vil,  Soanensi  pont,  opt., 
ma.r.  ecclesiasticœ  libertatis  viiult- 
ci  acerrimo ,  asserlori  constanlissi- 
mo ,  qui  dum  lîout.  Pontifiais  aucto- 
ritatem  adversùs  Henrici  perfidiam 
strenuè  tuetur ,  Salerni  sanctè  decu- 
buit ,  anno  Dom  io85.  8.  kal.  junii  ; 
iMurcus  Antonius  Columna ,  3Iar- 
si/ius  Bononiensis  ,  archiepiscopus 
Salernitanus  ,  ciim  illius  corpus  , 
quingentos  circiter  annos  ,  sacris 
amictum,  ne  foré  integrum  reperis- 
set  ,  ne  tanti  pontificis  sepulchrum 
diutihs  memorui  carerel.  Gregorio 
XIII  Bononiense  sedenlc  ,  anno  Do- 
mini  i5"]8  pridiè  ha/endas  Quinti/is. 
Il  fut  mis  dans  le  martyrologe  ro- 
main ,  en  i584,  et  sa  fête  fut  solcn- 
nisée  en  t5g5  (4ç^- 

(44)  Florns,  in  Proœmio.  Voyez  ,  torn.  I ,  la 
remarque  iH)  rie  l'article  AchillÉa. 

(45^  Ce  n'est  pas  ici  qu'on  doit  appliquer  la 
maxime  des  jurisconsultes  :  SuperUua  non  no- 
cent. 

(46)  Torn.  I  ,  remarque  (  II  )  de  V article 
Achillka. 

(47,  Décadence  de  l'Empire  ,  pag.  içfl. 

(48)  Voyez  le  père  Jacoli  ,  Bibliotlieca  pontifi- 
cîa  ,  tib.  /,  pag.  f|3.  Il  y  a,  ce  semble ,  bien  der 
fautes  dans  ce  passage,  bien  des  mots  oublie'» 
par  les  imprimeurs. 

(4f))  Histoire  des  Ouvrages  des  Savans,  nwis 
d'avril  i08(j.  pag.  1C6. 


GRÉGOIRE  VII. 


^49 


(R)  Les  apologies  que  ses  partisans 
ont  écrites?]  Celui  qui  s'est  le  plus 
signale'  pour  ce  pape  est  un  je'suile 
allemand  (5o)  :  il  a  produit  le  bon 
témoignage  que  cinquante  auteurs 
très-saints  et  très-doctes,  à  ce  qu'il 
prétend,  ont  rendu  à  Grégoire  VII. 
Entre  ceux-là  sont  Paulus  Bernrie- 
densis ,  et  Gerochus ,  ou  Gerhohus 
Reicherspergensis.  M.  du  Plessis  a 
cru(5i)  quece  Gerochus  avait  compo- 
se la  Vie  de  Grégoire  VII,  et  il  en  a 
cite'  quelque  chose  sur  la  foi  de  Jean 
Avenlin.  On  prétend  qu'il  s'est  dou- 
blement trompé  :  on  lui  soutint  5  •  , 
1°.  que  Gerochus  n'a  point  écrit 
cette  Vie  ,  mais  qu'il  a  seulement 
parle'  (53)  de  diverses  choses  qui  re- 
gardent les  démêlés  de  ce  pape  et  de 
l'empereur  ;  a0,  qu'il  n'a  point  dit  ce 
que  du  Plessis  a  cité.  On  le  prouve  par 
1  ouvrage  même  de  Gerochus,  publié 
à  Ingolstad  l'an  1611.  Rirot  réplique 
(54)  qu'on  n'est  pas  oblige  de  se  fier 
à  cette  édition  ,  puisqu'elle  a  été  pro- 
curée par  le  jésuite  Gretsérus ,  qui 
en  a  pu  retrancher  tout  ce  qu'il 
aura  voulu.  Ce  jésuite  soutient  (55) 
que  les  paroles  attribuées  à  Gerochus 
sont  d'Aven  tin.  On  ne  vit  jamais  des 
airs  plus  altiers  que  ceux  qu'il  se 
donne  contre  les  gens  qui  oseront 
encore  douter  de  l'innocence  de  Gré- 
goire VII  ,  après  son  apologie  ,  et 
après  les  pièces  publiées  par  Sébas- 
tien Tégnagel,  bibliothécaire  de  l'em- 
pereur. Quis  Benno  et  Sigebevlus  , 
Gregorii  VII  calumniatores  ;  si  con- 
ferantur  cum  lot  sanctissimis  et  doc- 
tissimis  scriptoribus  a  parle  Grego- 
rii T'II  stanlibus ,  quorum  in  apo- 
logid  pro  eodem  pontip.ce  ,  quinqua- 
ginla  protulimus  ,  recilatis  eorum 
t'erbis ;  ex  quibus  nonnulli  inlere'a 
integriin  lu  ce  m  vénérant,  ut  Paulus 
Bernrieden.sis  ,  et  Gerochus  seu  Ger- 
hohus Reicherspergensis  ut  taceam 
prœc/ara  Ma  antiquorum  monumenta, 
quœ in  defensionem  Gregorii  Vlljam 
olim  scripta,  nuperex  tenebris  eruit  vir 

(5o)  Jacques  Gretsérus. 

(50  Mystère  d'Iniquité  ,  pag.   ï!fi. 

(32)  Cneffeteau  ,  Réponse  au  Mystère  d'Iniqui- 
té ,  pag.  titjG.  Gretsérus,  in  Examine  My^terii 
Plessi ,  pag.  356. 

(53)  In  primo  Ubro  île  Invesligalicne  Anti- 
Cbrisli. 

(54)  Rivel  ,  Remarques  sur  la  Réponse  au 
Mystère  d'Iniqulé  ,  pag.   186. 

^55  >  In  prœto'juiis  ad  GcrocViiannm  Syntag- 
yaa.   Voyez  son  Exam.  My.st.  Plessœani  ,  p.  ÏÙ7. 


clarissimus  dominus  Sebastianus  Tég- 
nagel ,  J.  U.  D.  Cœsareus  Viennœ 
bibliolhecarius  quorum  fulgore  tant 
priscorum  ,  quant  recentium  in  Gre- 
gorium  VU  convicia  adeb  obnubi- 
lant ur,  ut  jam  non  nisi  a  noctuis  , 
ululis  ,  uespertdionibus  et  nycticora- 
cibus  ,  et  si  quœ  sunl  aliœ  hujus  ge- 
neris  caliginis  patientes  ,  lucis  impa- 
tientes aves ,  consi)icianlur(56   ? 

Serait -il  possible  qu'Aventin  eût 
fait  ce  qu'on  lui  impute?  On  pré- 
tend que,  pourmédire  des  papes  plus 
malignement ,  il  a  supposé  qu'il  trou- 
vait dans  de  vieux  livres  les  satires 
qu'il  forgeait  lui-même.  Quis  \'cl  obi- 
ter  in  Aventino  versât  us  ncscit,  Aven- 
tinumsine  fronle  inpontifices  maledic- 
ta  jacere  ,  et  ne  impudenlui  accusetur 
mentiri  talia  a  vèleribus  vel  du  ta  vel 
prodita  de  pontiûcibus ,  ciim  ipse  ex 
hœretico  suo  cerebro  omnia  hujus ge- 
neris  exsctilpserit  ,  et  quœ  olim  dicta 
vel  scripta  voluisset ,  dicta  vel  scripta 
fuisse  ,  cjnico  prursus  ore  ajjirmet 
(57).  On  prétend  l'en  convaincre  sur 
Gerochus,  qu'il  a  cité  pour  des  faits 
qui  ne  sont  pas  dans  le  manuscrit  de 
cet  auteur.  Cela  serait  fort ,  s'il  ne 
restait  pas  un  dernier  refuge  aux 
partisans  d'Aventin  ;  c'est  de  dire  que 
Gretsérus  a  falsifié  son  édition  de 
Gerochus  (58).  On  peut  dire  contre 
ce  reproche  de  Gretsérus,  qu'il  n'y  a 
pas  beaucoup  d'apparence  qu'Aven- 
tin ait  débité  ses  propres  satires  sous 
le  nom  d'un  ancien  auteur,  puisqu'il 
a  pu  trouver  un  bon  nombre  d'an- 
ciens auteurs  qui  ont  dit  de  la  cour 
de  Rome  tout  le  mal  qui  s'en  pou- 
vait dire.  On  n'avait  qu'à  produire 
ces  écrivains-là  :  les  bons  papistes 
savent  bien  se  plaindre  que  les  en- 
nemis du  saint  siège  s'occupent  tous 
les  jours  à  chercher  les  preuves  et  les 
calomnies  qui  leur  manquent  dans  /,• , 
bons  escrivains  parmy  les  sépulchres 
et  vieux  esgouts  des  schismatiques  , 
et  comme  a  fort  bien  remarqué  le  ju  - 
risconsulte  Michel  Ritius  (*)  :  Auti- 
quos  et  manuscriptos  libros  in  late- 
brosis  locis  laboriosè  evolvunt  ,  et 
ex  fœtido  pulvere  auctores  quosvis 
excitant  ,    quos   licentiosè   in    ipsos 

(5G)  Grets. ,  in  Exam.  Myster.  Plessaani, 
pag.  35p  ,  36o. 

(5;)  Gretsérus  ,  ibid   .  pag.  354- 

(58)  Rivel  l'assure,  ci-dessus,  citation  (54). 

(")  Lil).  de  Fuie  gallicâ. 


25o  GRÉGOI 

pontifices  scripsisse  deprehendunt  : 
je  m'en  rapporte  au  recueil  qu'en  a 
faict  Matthias  Flaccius  Illyricus  dans 
ce  gros  volume  qui  est  intitulé  Cata- 
logus  testium  veritatis  ,  lequel  je  ne 
puis  mieux  comparer  qu'a  celte  Po- 
neropolis  de  Philippe  de  Macédone  ; 
car  comme  celle  ville  n'estoit  habitée 
que  de  for-bannis,  vau-riens,  couppe- 
jaivels ,  essaurillez,  et  de  toute  la 
canaille  du  pays  ,  aussi  peut-on  dire 
avec  vérité  que  si  l'on  excepte  les  pas- 
sages dépravez  des  pères  et  des  con- 
ciles tout  ce  catalogue  si  ample  n'est 
grossi  que  des  vieux  fragments  et 
lopins  de  ceux  qui  ont  autrefois  re- 
gimbé contre  l'église ,  ou  qui  ont  esté 
retranchez  du  corps  d'icelle ,  comme 
membres  pouris  et  gangrenez ,  tel 
qu'a  esté  entre  une  miiliace  d'autres  le 
faux  cardinal  Beno  (5g). 

(S)  L'auteur  de  /'Esprit  des  cours 
de  l'Europe  prétend  que  les  conquê- 
tes des  papes  n'ont  pas  dd  être  aussi 
difficiles  que  je  me  figure.  ]  On  peut 
diviser  sa  réflexion  en  deux  parties  , 
et  dire  que  dans  la  première  il  raille 
agréablement  et  finement  le  pouvoir 
des  papes  ,  et  que  dans  la  seconde  il 
e'tablit  sans  détour  et  se'rieusement  la 
facilite'  de  s'agrandir  qu'il  suppose 
qu'ils  ont  eue:  Les  ironies  ingénieu- 
ses  de  la  première  partie  sont  telles 
qu'un  docteur  ultramontain  y  pour- 
rait être  attrape'  ,  et  les  employer 
tout  de  bon  comme  des  preuves. 
C'est  pourquoi  il  ne  sera  pas  bors  de 
propos  de  les  discuter.  «  N'est-il  pas 
»  dit  que  tout  genou  terrestre  fl.é- 
»  chira  au  nom  du  chef  invisible? 
»  comment  le  chef  visible  ne  terras- 
»  sera-t-il  pas  tous  ses  ennemis  ? 
»  comment  n'aurait-il  pas  confondu 
»  tous  ceux  qui  ont  ose  lui  résister? 
»  le  chef  visible  n'agit  que  par  le 
5>  pouvoir  du  chef  invisible  :  si  le 
j>  maître  est  toujours  victorieux,  il 
»  faut  bien  que  le  vicaire  le  soit  aus- 
»  si.  Ce  miracle  est  un  article  de 
«  foi  :  c'est  trop  peu  dire  ;  il  est  le 
»  grand  mobile  de  la  religion  :  la  rc- 
»  ligion  ne  doit  pas  moins  assujettir 
»  le  corps  que  l'esprit  à  son  empire  : 
»  personne  ne  le  dispute  :  elle  a  droit 
»  sur  l'homme  tout  entier  :  comme 
»  les  récompenses  sont  proposées  i 
x  la    substance    matérielle  ,    aussi- 

(5;))  "Vaudé  ,   Apologie   des    grands  Hommes  , 
pag.  55i. 


RE  VII. 

»  bien  qu'à   la  spirituelle  .  l'une    et 
»  l'autre  doivent  subir  également  le 
»  joug   des  lois  ,  et  les  menaces  re- 
»  gardent  indifféremment  toutes  les 
»  deux  :  ce  principe  une  fois  renver- 
»  se  ,  que   deviendrait  la  sainte   in- 
»  quisition  ?  ce  divin  tribunal  n'au- 
»  rait  plus  d'autre  fondement  qu'une 
»  cruauté    barbare  ;   et   cet   arsenal 
»  sacré  ne  renfermerait  pas  une  ar- 
»  me   qui  n'eût  été  forgée  au  feu  de 
>'  l'enfer.  Le  pape  est  donc  le  maître 
»  des  corps  aussi-bien  que  des  âmes  ; 
»  et  comme  son  autorité  sur  les  con- 
»  sciences  n'a  point  de  bornes  ,  son 
»  pouvoir  sur  les  corps  doit  être  in- 
»  vincible.    D'ailleurs    n'était-il    pas 
»  de    la  juste    économie    du    salut , 
»  que  la  puissance  ne  fût  pas  moins 
»  étendue  que  la   lumière?  de  quoi 
»  servirait  à  un  chef  divinement  ét.^- 
»  bli  de  connaître  tout ,  s'il  n'avait 
»  pas  le  pouvoir  de  disposer  de  tout? 
»  il  serait  fort  inutile  à  cet  Hercule 
»  d'écraser  les  monstres  de  l'erreur  , 
»  s'il  n'avait  pas  droit  d'écraser  les 
»  monstres  de  l'impiété  :  ce  droit  em- 
»  brasse  les  rois  et  les  empereurs,  qui 
»  pour  commander  à  des  peuples  ne 
»  sont  pas  moins  les  sujets  de  l'église  : 
»  les  papes  ont  tenu  tête  à  ces  premiers 
»  sujets  toutes   les  fois  qu'ils  se  sont 
»  révoltés  contre  cette  bonne  mère  :  ils 
»  leur  ont  opposé  une  puissance  inli- 
»  nie;  comment  les  papes  auraient-ils 
»  eu  le  dessous?  et  voilà  le  véritable 
»  dénoûment    des    glorieux    et    ini- 
»  maginables  succès  de  la   nouvelle 
»  monarchie  romaine  (6o).  »  Ce  dis- 
cours étant  pris  sans  ironie  formerait 
ce  raisonnement  sérieux,  que  dès  là 
que  les  évêques  de  Rome  ont  été  con- 
sidérés comme  les  vicaires  de  Jésus- 
Christ  ,   dont   la    puissance    sur    les 
corps   et   sur  les  âmes  n'a  point  de 
bornes  ,  il  a  fallu  que  leur  empire  se 
soit   établi    facilement    sur  les  peu- 
ples, et   même  sur   le  temporel  des 
souverains.    Une    distinction    suffira 
pour  résoudre  cette  difficulté.  Qu'on 
suppose  tant,  qu'on  voudra  que  Jésus- 
Cliiist  a  établi  un  vicariat  dans  son 
église  ,  le  bon  sens  ,  la  droite  raison 
ne  laisseront  pas  de  nous  apprendre 
qu'il  \\i    établi,   non  pas  en  qualité 
de  souverain  maître  ,   et  de  créateur 
de   toutes    choses,    mais   en    qualité 

(Go)   L'Espnt   des   Cours   de  l'Europe,   nov. 
ifj<)i) ,  /'«;;■  663. 


GRÉGOIRE  VII.  25j 

de  médiateur  entre  Dieu  et  les  hom-  conde  partie  de  la  re'flexion  de  l'aoo- 
mes,  ou  en  qualité'  de  fondateur  d'u-    u\  me. 

ne  religion  qui  montre  aux  hommes  ■(  Ne  volons  pas  si  haut,  et  par- 
la voie  du  salut,  qui  promet  le  pa-  »  Ions  plus  humainement  :  je  ne  vois 
radis  aux  fidèles  ,  et  qui  menace  de  »  rien  de  si  surprenant  dans  la  gran- 
la  colère  de  Dieu  les  impènitens.  »  deur  des  papes.  A  la  faveur  de 
Voilà  donc  les  bornes  de  la  puissance  »  quelques  passages  de  1  Ecriture  , 
du  vicaire  que  Je'sus-Christ  aurait  »  il-;  mil  persuade  le  monde  de  leur 
établi.  Ce  vicaire  ne  pourrait  tout  »  divinité  :  cela  est-il  nouveau  ?  jus - 
au  plus  que   de'cider  de  la  doctrine     »  qu'où  les  hommes  ne  se  laissent-ils 

pas  entraîner  en  fait  de  religion? 
Ils  aiment  surtout  à  diviniser  leur 
semblable.  Le  paganisme  en  fait 
foi  :  or,posé  une  fois  que  les  papes 
aient  pu  facilement  établir  les  di- 
vins privilèges  de  leur  charge  ,  n'é- 
tait-il pas  naturel  que  les  peuples 
se  déclarassent  pour  eux  contre 
toutes  les  autres  puissances?  Pour 
moi,  bien  loin  d'être  surpris  de 
leur  élévation,  j'admire  comment 


qui  sauve,  ou  qui  damne.  Il  faudrait 
qu'après  avoir  annoncé  les  promesses 
du  paradis  ,  et  les  menaces  de  l'enfer, 
et  après  les  instructions  ,  les  cen- 
sures, et  telles  autres  voies  de  per- 
suasion ,  et  de  direction  spirituelle  , 
il  laissât  à  Dieu  l'exécution  des  me- 
naces ,  non -seulement  à  l'égard  des 
peines  de  l'autre  vie,  mais  aussi  à 
l'égard  des  châtimens  corporels  dans 
ce  monde-ci.   Jésus-Christ   lui-même 

n'en  usait  pas  autrement.  Il  suivit  »  ils  ont  pu  manquer  la  monarchie 
dans  la  dernière  exactitude  le  véri-  »  universelle  :  le  nombre  des  princes 
table  esprit  de  la  religion  ,  qui  est  »  qui  ont  secoué  le  joug  romain  me 
d'éclairer  et  de  sanctilier  l'Ame  ,  et  »  confond  :  quand  j'en  cherche  la 
de  la  conduire  au  salut  par  les  voies  »  raison,  je  ne  puis  me  prendre 
de  la  persuasion ,  sans  empiéter  sur  »  qu'à  ces  deux  causes  si  générales 
la  politique  l'autorité  de  punir  cor-  »  et  si  connues  ,  que  l'homme  n'agit 
jDorellement  les  opiniâtres  et  les  in-  »  pas  toujours  conséquemment  à  ses 
crédules  ,  dont  il  trouvait  un  nombre  »  principes,  et  que  la  vie  présente 
infini  ;  car  il  n'est  pas  vrai  qu'à  cet  »  fait  de  plus  fortes  impressions  sur 
égard  le  chef  et  le  maître  de  l'église  »  son  cœur  que  celle  qui  est  à  venir 
soit  toujours  victorieux  (61).  Ainsi  »  (62).  «Laissons  croire  à  cet  écri- 
ceux-mêmes  qui  ontaété  le  plus  for-  vain  fin  et  subtil  que  les  papes  ont 
tement  persuadés  que  le  pape  est  le  pu  aisément  persuader  qu'ils  étaient 
ficaire  de  Jésus-Christ,  ont  dû  re-  des  dieux  en  terre,  c'est-à-dire  , 
garder  comme  un  abus  du  vicariat  qu'en  qualité  de  chefs  visibles  de  l'é- 
tant ce  qui  sentait  la  juridiction  glise  ,  ils  pouvaient  déclarer  authen- 
temporelle  ,  et  l'autorité  de  punir  le  tiquement  cela  est  hérétique  ,  cela  est 
corps.  Et  de  là  devaient  sortir  na-  orthodoxe  ,  régler  les  cérémonies,  et 
turellement  une  infinité  d'obstacles  commander  à  tous  les  évêques  du 
aux  conquêtes  de  l'é\  èque  de  Rome,  monde  chrétien.  Résultera-t-il  de  là 
Il  n'est  pas  inutile  de  connaître  tout,  qu'ils  aient  pu  aisément  établir  leur 
encore  que  l'on  n'ait  pas  le  pouvoir  autorité  sur  les  monarques  ,  et  les 
de  disposer  de  tout.  C'est  assez  que  mettre  sous  leur  joug  avec  la  der- 
la  religion  fasse  connaître  sûrement  nière  facilité  ?  C'est  ce  que  je  ne  vois 
ce  qu'il  faut  croire  ,  et  ce  qu'il  faut  point.  Je  vois  au  contraire  que,  selon 
laire  :  c'est  assez  qu'elle  puisse  claire-  les  apparences  ,  leur  autorité  spiri- 
nient  réfuter  l'erreur,  et  ce  n'est  tuelle  devait,  courir  de  grands  ris- 
qu'en  ce  sens  là  que  l'autorité  de  ter-  ques  ,  par  l'ambition  qu'ils  auraient 
rasser  les  monstres  de  l'hérésie  et  de  d'attenter  sur  le  temporel  des  n>is. 
l'impiété  lui  appartient.  Si  les  hom-  Prenez  garde,  dit-ou  un  jour  aux 
mes  résistent  à  ses  lumières,  c'est  à  Athéniens,  que  le  soin  du  ciel  ne 
Dieu  à  les  en  punir  comme  des  inex-  vous  fasse  perdre  la  terre  (63).  1  oui 
ensables.  Ce  n'est  point  l'affaire  de  la  au  rebours  ,  on  aurait  du  dire  aux 
religion,  ni  une  partie  du  ministère  papes  ,  prenez  garde  que  la  passion 
établi  par  Jésus-Christ.  Vovons  la  se-  (6,)I/Esp.  desCour*  àeVT.ar.,n.  1699,^665. 

(61)  Voyez  la  remarque  (E)  de  L'article  Xi-  (63)  Voyez  la  citation  d'Erasme  ,  dantla  re- 

kophanes  ,  loin.  XIV.  marque  (F)  de  l'article  Olijipus  ,  lom.  XI 


252 


GREGOIRE  VII. 


d'acquérir  la  terre  ne^  vous  fasse  exploits  ,  ri  est  que  quelqu'un,  par 
perdre  le  ciel  :  ou  vous  ôtera  la  puis-  force  d'armes,  le  fist  résoudre  au- 
sancc  spirituelle,  si  vous  travaillez  t rement  (65).  Nous  pouvons  ajouter 
à  usurper  la  temporelle.  On  sait  que  que  les  rois  et  les  empereurs  peu- 
les  princes  les  plus  orthodoxes  sont  vent  combler  de  tant  de  bienfaits  et 
plus  jaloux  des  intérêts  de  leur  sou-  de  si  belles  récompenses  un  grand 
verauieté  ,  que  de  ceux  de  la  reli-  nombre  de  personnes  ,  qu'il  leur  est 
gion.  Mille  exemples  anciens  et  mo-  facile  d'engager  dans  leurs  intérêts 
dernes  nous  le  font  voir.  Il  n'était  plusieurs  prélats  et  plusieurs  moines  , 
donc  point  probable  qu'ils  souilri-  et  les  obliger  à  écrire  contre  les  pré- 
raient que  l'église  s'emparât  de  leurs  tentions  de  la  cour  de  Rome.  Cette 
domaines   et   de  leurs    droits,  et   il  dispute  de  plume  doit  être  fatale  ,  se- 


l'église  au  préjudice  de  leur  puis-  l'esprit  de  l'Évangile,  et  par  l'ancienne 
sance  temporelle.  Les  princes  qui  sa-  tradition,  et  par  l'usage  des  premiers 
vent  régner  ont  presque  toujours  à  siècles,  que  les  papes  ne  sont  nulle- 
leur  dévotion  les  gentilshommes  et  ment  fondés  dans  leurs  prétentions  de 
les  soldats  ;  et  quand  cette  partie  de  disposer  des  couronnes,  et  de  partager 
leurs  sujets  leur  est  fidèle  ,  il  ne  pa-  en  tant  de  choses  les  droits  de  la  sou- 
raît  pas  qu'ils  aient  sujet  de  redouter  veraineté.  Cela  peut  même  frayer  le 
les  entreprises  du  clergé.  On  se  bat  chemin  à  rendre  problématique  leur 
pour  eux  contre  toutes  sortes  d'enne-  autorité  spirituelle;  et  en  les  mettant 
rais.  C'est  ce  que  firent  les  troupes  ainsi  sur  la  défensive  à  l'égard  de  ce 
de  Charles-Quint  contre  Clément  VII  ;  point  là,  dans  quels  embarras  les  jette- 
c'est  ce  que  les  troupes  de  France  t-on  ?  quel  péril  ne  leur  fait-on  pas 
firent  pour  Louis  XII  contre  le  pape  courir  par  rapport  même  aux  arti- 
Jules  II  ,  et    ce   qu'elles   étaient  près  cles   que  les  peuples  s'étaient  laissé 


de  faire  avec  une  ardeur  incroyable 
pour  Louis  XlVcontre  Alexandre  VII 


Ie  persuader  insensiblement  ?  Il  ne  faut 
il>  pas  compter  pour  peu  de  chose  la 
un  peu  avant  que  la  paix  de  Pise  (64)  disposition  qu'il  est  probable  qu'au- 
délivrâ-t  ce  pape  de  la  tempête  qui  ront  à  servir  W  princes  ,  les  ecclé- 
allait  fondre  sur  lui  J'étais  chez  siastiques  que  Ta  tour  de  Rome  veut 
M.  Justel,  à  Paris,  en  1675,  lorsqu'un  contraindre  à  ne  se  marier  point.  Le 
nouvelliste  assura  que  le  comte  de  nombre  de  ceux  qui  trouvent  ce  joug 
Vignori  ,  gouverneur  de  Trêves  ,  trop  rude  est  innombrable  :  les  in- 
avait fait  cette  réponse  aux  religieux  continens  honnêtes  sont  ceux  qui  ont 
qui  lui  représentaient  que  les  cou-  ]e  plus  à  cœur  le  privilège  de  se 
vens  qu'il  jetait  par  terre  afin  de  marier;  car  pour  ceux  qui  n'ont  guè- 
fortifier  la  ville  ,  avaient  été  fondés  re  Je  conscience,  ils  se  dédomma- 
par  Charlemagne  :  Je  ne  fais  qu'exé-  gent  par  le  concubinage.  Quoi  qu'il 
cuter  les  ordres  du.  roi,  et  s'il  me  en  soit ,  la  discipline  du  célibat  pa- 
comman  luit  de  dresser  une  batterie  raît  incommode  à  une  infinité  de 
contre  le  saint-Sacrement  ,  je  le  fe-  gens  :  ]c  mariage  est  pour  eux  celui 
nais.  François  MenJoce  de  Cordoue  ^e  tous  les  sacremens  dont  la  parti- 
ne  fut  pas  si  emporté  dans  la  réponse  cipation  paraît  la  plus  chère  et  la 
qu'il  fit  à  une  lettre  de  l'empereur  ,  piLIS  précieuse;  et  qui  voudrait  faire 
le  3r>  de  décembre  1  598  ;  mais  il  ne  sur  cc  Sujet-là  un  livre  semblable  A 
s'en  fallait  pas  beaucoup.  Il  lui  écri-  cc\„[  (]c  ]a  Fréquente  Communion  ,  se 
vit  que,  </  tanà  sa  majesté  impériale  rendrait  aussi  odieux  que  M.  Arnauld 
seroit  avec  sa  puissance  d'un  coté,  et  î,,  devint  quand  il  publia  sous  ce  ti- 
le  saint  père  le  pape  avec  son  excom-  tre  ^  m3i{s  sur  une  autre  matière; ,  un 
munication  de  l'autre  luy  commân-  ouvrage  qui  afaitbeaucoorpde  bruit. 
dant  encore  une  fois  de  partir  ,  qu'il  On  aurait  donc  dû  s'imaginer  que  les 
riobeïroil,  comme  ayant  un  maître  (65)  LWeur  3e  l'Apologie  jour  U  maison  de 
qui  luy  avait  commandé  de  faire  ses    Nassau,  p«g.  18 '1,  édu-  de  1OG4.  /'  cite  de  Mi- 

(G'()  Elle  fut  conclue  en  i6'3',.  «"en  ,  folio  4S6. 


GRÉGOIRE  VII. 


253 


empereurs  et  les  autres  princes  trou-  Séphora  disait  à  Moïse ,  certes  tu  m'es 
veraient  des  légions  de  prêtres,  et  un  époux  <Ie  sant*  (68);  mais  si  l'é- 
de chanoines,  et  de  moines  affection-  glise  romaine  était  l'épouse  de  Jésus- 
nés  à  leur  cause  contre  des  papes  Christ,  son  époux  lui  pourrait  dire 
ardens  promoteurs  du  célibat.  Or  avec  beaucoup  plus  de  raison,  certes 
que  ne  peuvent  point  se  promettre  tu  m'e.s  une  épouse  'le  sanç. 
ceux  qui,  outre  de  grandes  arme'es,  Cela  suffit,  ce  me  semble  ,  pour 
ontàopposerà  un  évêque  de  Rome,  justifier  les  propositions ' due  j'avais 
tant  d'ecclésiastiques  qui  ne  sauraient  mises  dans  la  première  édition  de  ce 
renoncer  à  l'autre  sexe,  et  qui  ont  Dictionnaire  à  la  remarque  (B)  de 
une  extrême  envie  d'être  pères  et  cet  article.  Je  demeure  constamment 
maris  en  même  temps?  persuade  que  la  puissance  où  les  pa- 

3Iais,  pour  connaître  si  ceux  qui  pes  sont  parvenus  est  un  des  plus 
auraient  fait  de  semblables  conjec-  grands  prodiges  de  l'histoire  humai- 
tures  touchant  les  difficultés  qui  ne  ,  et  l'une  de  ces  choses  qui  n'ar- 
s'opposeraient  au  dessein  des  papes  ,  rivent  pas  deux  fois.  Si  elle  était  à 
auraient  été  de  bons  devins,  il  faut  faire,  je  ne  crois  pas  qu'elle  se  fît. 
recourir  aux  événemens  ,  il  faut  con-  Une  singularité  de  temps  aussi  favo- 
sulter  l'histoire.  On  verra  par  ce  rable  à  cette  entreprise  ne  se  ren- 
moyen  qu'ils  auraient  très-bien  con-  contrerait  point  dans  les  siècles  à 
jecturé  quant  aux  obstacles,  et  qu'au  venir,  comme  elle  s'est  rencontrée 
pis  aller  leur  erreur  ne  consisterait  dans  les  siècles  passés  ;  et  si  ce  grand 
qu'en  ce  qu'ils  auraient  prétendu  que  édifice  se  détruisait  ,  et  que  ce  fût  à 
ces  obstacles  seraient  invincibles,  recommencer  ,  on  n'eu  viendrait  pas  à 
Lisez  le  livre  que  M  du  Plessis  a  bout.  Tout  ce  que  peut  faille  présen- 
intitulé  le  Mystère  d'Iniquité,  ou  tement  la  cour  de  Rome  ,  avec  la  plus 
l' Histoire  de  la  Papauté,  vous  y  trou-  grande  babileté  politique  qui  se  voie 
verez  à  chaque  chapitre  les  progrès  dans  l'univers ,  ne  va  qu'à  se  main- 
et  les  oppositions.  Les  papes  n'avan-  tenir.  Les  acquisitions  sont  finies  ,69). 
cent  dans  leur  chemin  ,  et  ne  ga-  Elle  se  garde  bien  d'oser  excommu- 
gnent  du  terrain  ,  qu'en  renversant  nier  une  tête  couronnée  ;  et  combien 
des  obstacles  qu'ils  rencontrent  à  de  fois  faut-il  qu'elle  dissimule  son 
ebaque  pas.  On  leur  a  opposé  des  ressentiment  contre  le  parti  catboli- 
armées  et  des  livres  :  on  les  a  com-  que  qui  dispute  aux  papes  la  supé- 
battus  et  par  des  prédications,  et  riorité  et  l'infaillibilité,  et  qui  fait 
par  des  libelles  ,  et  par  des  prophé-  brûler  les  livres  qui  leur  sont  le  plus 
ties  ;  on  a  tout  mis  en  usage  pour  favorables  ?  Si  elle  tombait  aujour- 
-arrêter  leurs  conquêtes,  et  tout  s'est  d'hui  dans  l'embarras  de  l'antipapat, 
trouvé  enfin  inutile.  Mais  pourquoi?  je  veux  dire  dans  ces  confusions  de 
c'est  à  cause  qu'ils  se  sont  servis  de  schisme  où  elle  s'est  vue  tant  de 
tous  les  moyens  imaginables.  Les  fois,  et  où  l'on  voyait  pape  contre 
armes,  les  croisades,  les   tribunaux    pape  ,  concile  contre  concile  , 

de  l'inquisition  ont   secondé  en  leur       Infesthque  obvia  signis 

faveur  les  foudres  apostoliques;  la  Signa^aresaqtsilasyetpilaminantiapilis^o), 
ruse,  la  violence,  le  courage  et  elle  n'en  sortirait  pas  à  son  honneur  , 
l'artifice  ont  concouru  à  les  protéger,  elle  en  serait  déconcertée,  elle  y 
Leurs  conquêtes  ont  coûté  la  vie  à  perdrait  son  latin.  Un  tel  contraste 
autant  de  gens,  ou  peu  s'en  faut,  que  dans  un  siècle  comme  le  nôtre  dé- 
celles  de  la  république  romaine.  On  monterait  la  macbine.  Notez  en  pas- 
voit  beaucoup  d'écrivains  qui  appli-  sant,  pour  bien  connaître  la  grandeur 
quent  à  la  nouvelle  Rome  ce  que  Vir-  etla  nature  des  obstacles  dont  j'ai  par- 
gile  a  remarqué  touchant  l'ancienne,    lé  ci-dessus,  qu'il  a  fallu  que  lespapes 

Mutin  quoqne  et   bello  passas  dum  conderet     se     rendissent     maîtres    de     plusieurs 

r  r~.".r'e'"n       r  .■    ras\  conciles  généraux.  C'était  une  affaire 

Inferreliiue   Deos  l.alio  (ou) ,  i    •     <  i 

tres-malaisee  ,   car  plus   un   concile 


TANTi    MOLIS    ERAT    KoMANOl    CONDERE 
TEM   (67). 

(06)  Virsil.  ,  ^-.nei.l.,   lib.  I ,   vt.  5. 
(ti-J  Idem,  ibidem,  us.  33. 


(68)  Ex-ode  ,  chap.  IV,  vs.  i$. 
(6q)   Entendez  cela  ,   selon  le  sent  de  la  dis- 
tinction de  l'école,  intensive  ei  non  pas  exlensivè. 
(7<>)  Lucan.  ,  Pliars.  ,  lib.  I ,  vt.  G. 


254  GRÉGOIRE. 

est  nombreux,  plus  est-il  semblable  une  nouvelle  résurrection  des  belles- 

à  un  vaisseau  agite  de  vents  contrai-  lettres.  Mille  et  mille  bons  ouvrages 

res,   et  battu   de  ces   yiolens   orages  périront  peut-être ,  pendant  que  ce- 

dont  Virgile  nous  a  laisse'  cette  des-  lui-ci  se  conservera.   Il   sera  déterré 


,  lotiirnqite  a  sedibut  imis 
JSotusque    ruunl  ,  creberque 


cription  : 

Incubuêre  mari 
Unà    Eunuque 

procelUs 

Africus  ;  et  vaitos  {•olvunt  ad  liltorafluctus. 
J'iisequilur  clamorque   virùin  ,  stridorque  ru- 

denlum. 
Eripiunl  subito  nuber  cœlumque  diemque 
Teucrorum    ex   oculis   :   ponto    rtox    incubai 

air  a. 
Intonuere    poli   .•    et    crebris    micat     ignibus 

œlher  (71). 

On  n'a  pas  trop  de  toute  l'adresse 
de  l'art  pour  gouverner  un  tel  vais- 
seau ;  et  si  la  manœuvre  la  plus  pé- 
nible et  la  plus  babile  suffit  à  le 
faire  entrer  au  port  où  l'on  tend , 
c'est  une  merveille. 

(T)  Je  dirai  un   mot  touchant  un 

livre  qui  court sous  le  titre  de 

Histoire  des  amours  de  Grégoire  VU.] 
Ce  n'est  là  qu'une  partie  du  titre  ; 
mais  le  voici  tout  entier:  Histoire  des 
yiniours  de  Grégoire  f^II ,  du  car- 
dinal de  Richelieu  ,  de  la  princesse 
de  Condé ,  et  de  la  marquise  d' Urfé, 
par  mademoiselle  D**.  si  Cologne  , 
chez  Pierre  le  jeune  ,  MDCC.  Quoi- 
que l'auteur  fasse  mention  de  roman 
aux  premières  lignes  de  la  préface  ,  il 
ne  laisse  pas  d'assurer  qu'il  n'y  a 
rien  de  fabuleux  dans  ces  historiet- 
tes ,  et  qu'elles  auraient  pu  être  beau- 
coup plus  étendues ,  s'il  avait  voulu 
se  servir  du  secours  de  l'invention. 
C'est  là  le  comble  de  la  hardiesse  ;  et 
l'on  s'en  peut  apercevoir  aujourd'hui 
facilement ,  par  la  lecture  du  livre  ; 
mais  qui  peut  répondre  que  ce  ne 
sera  point  une  chose  malaisée  dans 
les  siècles  à  venir?  Posons  le  cas  que 
quelqu'un  eut  composé  un  semblable 
livre  au  temps  de  Grégoire  VII,  n'est- 
il  pas  bien  vraisemblable  qu'Aven- 
tin  ,  ou  Flacius  Illyricus  ,  le  trouvant 
dans  quelque  coin  de  bibliothèque  , 
s'en  fussent  servis  comme  d'une  his- 
toire véritable?  Ne  le  verrait -on 
point  cité  tous  les  jours  comme  une 
pièce  légitime  dans  des  ouvrages  de 
controverse  ?  Savons-nous  ce  qui  ar- 
rivera entre  le  XVIIIe.  siècle  et  le 
XXVIIIe.?  Un  retour  peut-être  de 
l'ignorance  et  de  la  barbarie,  et  puis 

(i7)  Virgil.,  /En.  ,  lib.  I,  vt.  S4- 


peut-être  par  un  curieux,  et  passera, 
pour  des  anecdotes  inestimables  , 
monument  certain  de  la  véritable 
histoire  des  amours  du  cardinal  de 
Richelieu  ,  etc.  On  a  été  la  dupe  plus 
d'une  fois  de  pareils  ouvrages  :  on  le 
sera  apparemment  dans  les  siècles  à 
venir.  Patience. 

GRÉGOIRE  (Pœrre),  natif  de 
Toulouse,  enseigna  le  droit  pre- 
mièrement à  Cahorset  puis  dans 
la  ville  de  sa  naissance.  Il  florissait 
au  XVIe.  siècle.  C'était  un  fort 
savant  personnage ,  et  qui  a  com- 
posé des  livres  remplis  d'une 
vaste  érudition  (A);  mais  il  ne 
paraissait  pas  assez  judicieux  dans 
le  choix  des  choses  qu'il  débitait. 
On  peut  appliquer  à  tous  ses  ou- 
vrages ce  qui  a  été  dit  de  son  li- 
vre de  Republicâ  (B).  Il  fut  ap- 
pelé en  Lorraine  d'une  manière 
très-honorable ,  pour  être  pro- 
fesseur en  droit  civil  et  en  droit 
canon  à  Pont-a-Mousson(a),  oùle 
duc  Charles  venait  d'ériger  une 
académie.  Voyez  la  note  (b). 
Il  remplit  glorieusement  cette 
charge  jusques  en  l'année  i5g7  , 
qui  fut  celle  de  sa  mort  (C).  Il 
fut  enterré  aux  religieuses  de 
Sainte-Claire  (c).  Il  entendait  la 
langue  hébraïque  (D).  Si  M.  Co- 
in) Decani  tilulo  et  curn  summâ  poteslate 
accitus  est ,  alqiie  in  eâtttrumquejus  magnà 
cum  lande  professas.  Doujat.  ,  Prsen.  Canon., 
pag.  6.S8. 

(/;)  M.  Doujat  met  ceci  sous  l'an  l582; 
mais  Pierre  Gre'goire  ,  dans  l'épure  dédica- 
toire  du  Syntaxis  Arlis  mirabilis,  datée  de 
Lyon  ,  le.  (\  de  novembre  \^"l\,  se  qualifie 
professeur  en  droit  à  la  nouvelle  académie 
de  Fonl-à-Mousson.  Cette  académie  fut  créée 
l'an  107J  ,  par  le.  cardinal  Charles  de  Lor- 
raine ,  si  l'on  en  croit  M.  Baudrand,  pag. 
43 1  du  IIe.  volume  de  sa  Géographie. 

(c)  Tiré  de  Doujal  ,  Pl'ten.  Canon.  ,  pag. 
638. 


GRENAILLE. 


255 


loiniés  avait  su  cela,  il  aurait 
parlé  de  lui  dans  sa  Gallia  Or  ten- 
ta lis. 

(A)  II  a  composé  des  Hures  remplis 
d'une  vaste  érudition.]  C'est  de  quoi 
Ton  se  peut  convaincre  pour  peu 
qu'on  feuillette  l'ouvrage  qu'il  inti- 
tule ,  Syntagma  Juris  univers  i  atque 
Legum  pêne  omnium  gentium  ,  et 
rerumpublicarum  prœcipuarum  ,  in 
très  parles  digestum  ,  in  quo  divini  et 
luimani  juris  lolius  ,  naturali  ac  no  va 
melhodo  per  gradus  ,  ordineque  ,  ina- 
tcria  unii'ersalium  et  singularium  si- 
mult/ue  judicia  explicantur.  C'est  un 
gros  in-folio ,  dont  il  y  a  plusieurs 
éditions  (i).  Ses  autres  œuvres  sont: 
Sjntaxis  Artis  mirabilis  :  de  Repu- 
blicâ  libri  XK1  ;  deux  volumes  sur 
le  droit  canon  :  le  premier  volume 
contient  Parlitiones  lolius  Juris  Ca- 
nonici  ,  in  quinque  libros  digeslœ  , 
scholiis  et  annotationibus  illusXTatœ 
instar  Syntagmatis  lolius  Juris  Ec- 
clesiastici,  quœ  h  melhodo  Partitio- 
num  Ciceronis  Oratoriarum  diverses, 
Summam  potiiis  Hostiensis  imita  n- 
lur  :  l'autre  volume  comprend  ,  Com- 
menlaria  et  Annotaliones  in  Decre- 
talium  proœmium.  Ad  tit.  de  summd 
Trinilate  et  Jide  catholicd;  de  con- 
stitutionibus  ;  de  rescriplis  ;  de  Elec- 
tione  enarratio;  Ad  Cap.  conquerente 
de  (Jfficio  et  Poteslate  Judicts  Ordin. 
liei  benejiciariœ  Ecelesiaslicœ  Insti- 
tutions ;  Ad  Tit.  de  Sponsalibus  et 
iMatrimoniis  ;  de  Crsuris  libri  1res  (a). 
Il  e'erivit  contre  Charles  Dumoulin 
(*)■>  pour  prouver  que  le  concile  de 
Trente  devait  être  reçu  en  France. 

(B)  On  peut  appliquer  à  tous  ses 
ouvrages  ce  qui  a  été  dit  de  son  livre 
de  Republicâ  ]  Voici  le  jugement 
qu'en  a  fait  Gabriel  Naudê  :  Copiosior 
(Nicolao  Biesio  Meilico  Lovaniensi) 
exlilit  Ci  resoriu  s  Iholusanus,  at 
magis  ex  arle  senuens  ,  quia  jurtspe- 

(i)  Je  me  sers  de  celle  de  Francfort ,  i5fiq 
(■i)  Forez  Doujat,  Pr.-enot.  ranoi'iic.  ,  p.  638. 
(*)  Sous  le  nom  de  liœmnndut  Ru  fus  ,  si  je 
ne  me  trompe  ,  et  pour  la  réception  'du  concile 
de  Trente  en  France  ,  contre  ce  que  celui-ci  avait 
écrit  au  contraire  ,  dans  son  Consilium  supra 
facto  concilii  Tridenltni.  L/onvragc  de  Pierre 
Grégoire  fut  inséré,  en  1682  ,  dans  une  dernière 
édition  des  OEuvres  de  Charles  Dumoulin,  com- 
me pour  servir  de  passe-port  à  ce  petit  écrit,  qui 
■liait  paraître  ,  pour  la  première  fois,  dans  le 
corps  des  OF livres  de  ce  jurisconsulte.  Rem.  crit. 


rilus  :  desideranlur  tamen  in  eo  mo- 
dus  ,  quem  sibi  prœscribere  non  po- 
tuit  eruditione  vulgari  luxurians;  et 
majestas  ,  cui  non  magis  induisit 
qu'uni  judicio ,  dum  omnia  ingerit  ,  et 
pauca  digerit  :  cœteritm  valdè  utilis 
est ,  et  diversa  in  se  continel ,  propter 
quœ  thesauri  instar  haberi  possit ,  ubi 
meliorum  auclorum  gemmas  ac  pre- 
tiosatn  varice  doctrinœ  supelleclilem, 
possis  invenire  (3). 

(C)  L'année  i5q7 fut  celle  de 

sa  mon.]  M.  Doujat  (4)  m'apprend 
cela;  et  comme  il  était  compatriote 
de  cet  auteur,  j'ai  plus  de  confiance 
en  lui  qu'au  sieur  Konig,  qui  fait 
mourir  notre  Grégoire  l'an  i585.  Le 
libraire  de  Francfort  (5)  ne  parle  pas 
exactement,  lorsqu'il  dit  dans  son 
Epître  Dedicatoire,  datée  du  1er.  de 
mars  1599  ,  que  les  malheurs  du 
temps  l'avaient  empêche  de  jouir  de 
la  pre'sence  et  des  secours  de  Fau- 
teur (6),  en  réimprimant  le  cV> 71- 
lagma  Juris  universi.  Parlerait-on 
ainsi  d'un  homme  l'an  i5gg,  si  l'on 
savait  qu'il  était  mort  Fan  1097?  On 
ne  pourrait  pas  excuser  tout-à-fait 
cela ,  en  supposant  que  l'impression 
de  ce  livre  traîna  pendant  quelques 
anne'es. 

(D)  //  entendait  la  langue  hé- 
braïque, j  C'est  ce  qu'a  reconnu  le 
sieur  Feltman  ,  jurisconsulte  d'Alle- 
magne \  car  non-seulement  il  l'ap- 
pelle virum  Omni  studiorum  génère 
excultissimum  (7) ,  mais  aussi  Hebrœi 
Juris  ac  sermonis  callenlissimum  (8). 

(3)  [V'audieus  ,  Bibliograph.  politica  ,  pag. 
m.  22. 

(4)  Praenot.  Canon.  ,  pag.  G3S. 

(5)  Johnas  Rliudius.  Il  s'était  transporte' de 
France  à  Francfort,  comme  il  le  dit  dans  l'é- 
pire  dedicatoire. 

(li)  Chm  per  injuriant  temporis  ipsius  auclu- 
ris  prceienltn  et  ope  frui  non  licerct.  Joblias 
Rhodius,  Pétri  Fischert  bibliopolœ  FrancoJ'or- 
tensis  successor ,  epist.  <Uilic.il.  ad  arcliiepi'sco- 
pum  Moguntin  im.  Chin  ipsiu\  aucloris  prœseu- 
lid  in  htsce  deplurandis  Gnlltcarum  rerum  lu- 
multibus  j'rui  non  licerel.  Ideui  ,  pnelat.  ad 
lector 

(-)  Feltman.  ,  lib.  I  de  Tit.  honor.  ,  cap. 
XIII  ,  .1/1:11/   Magirum  K.ponymol  .  pag.  /|o3. 

{8;  Ibid.,  cap.  It  num.  3,  apitd  eundein 
ibidem. 

GRENAILLE  (François  de), 
né  à  Lzerche  dans  le  Limosin  , 
l'an  16 1 6,  afait  quantité  de  livres 
français  (A)  qui  ne  valent  pas 


256  GRENAILLE. 

erand'chose.  Il  s'était  fait  moine    les  autres  la  Bibliothèque  des  Dames 

-    d      j  «f  ™,,'c  il  avait  nuit      Dans  les  Plaisirs  des  Dames  ,  ce  que 

a  Bordeaux  ,  et  puis  il  av  ait  quit-    . 


té  le  froc  à  Agen  (a).  Jl  devint 
historiographe  du  duc  d'Orléans. 
Voyez  le  Sorbériana  (B).  11  fit 
mettre  sa  taille-douce  à  la  tête 
de  ses  livres  ,  avec  une  inscrip- 
tion orgueilleuse  (C).  11  nous 
apprend  dans  une  préface  (b) 
qu'il  fut  accusé  de  crime  d'état , 
et  qu'il  se  vit  en  danger  de 
mort. 

(a)  Voyez  la  Guerre  des  auteurs,  pag.  m. 
100,  ,  et  la  remarque  (G). 

(b)  Celle  du  IIe.  tome  du  Sage  re'solu  con- 
tre la  Fortune. 


je  trouvais  de  louable  était  (ju  appa- 
remment un  homme  de  cet  âge  avait 
demeuré  dans  le  cabinet  ,  et  s  était 
abstenu  de  plusieurs  débauches  pour 
composer  des  livres  :  mais  au  reste 
les  bonnes  choses  y  étaient  fort  rares, 
et  ce  qu'il y  en  avait  de  bonnes  avaient 
été  déjà  dites  si  souvent  ,  que  ce  n'é- 
tait pas  grande  gloire  de  les  répéter  : 
le  style  était  assez  jade ,  et  qui  faisait 
juger  de  l'auteur  qu'il  n'écrivait  que 
pour  écrire.  Son  livre  des  Plaisirs  des 
Dames  ,  est  divisé  en  cinq  parties  ,  du 
Bouquet  ,  du  Bal  ,  du  Cours  ,  du 
Concert,  de  la  Collation.  D'abord  il 
traite  la  question,  si  c'est  le  bouquet 
qui  orne  le  sein,  ou  si  au  contraire 
celui-ci  emprunte  de  lui  toute  sa 
grâce  ;  sur  quoi  il  juge  en  faveur  du 


(A)    Il    a  fait   quantité   délivres  %mier  est^mantJ°  de/ deux   hé- 

français^    Il  publia  coup  sur  coup  mi     hl,res  (}<une  ^c ,  il  sort  une  in- 

l' Honnête  Fille;  l  Honnête  Garçon  ;  ^           ^.^  ^  fioj              gt  /e 

V Honnête  Veuve-,  l  HonnêteManage;  -^  non[seulement  phis  beaUy  mais 

l'Honnête  Maîtresse  ;  la  Bibliothèque  dg     ,      Je  durée 

des  Dames;  le  Plaisir  des  Dames  ;  le  (C     ,,  ,,                      taille-douce  au- 


Sage  résolu  **  contre  la  Fortune  (  1)  ; 
la  Révolution  du  Portugal;  le  Théâ- 
tre du  Monde;  la  Diode  ou  le  Ca- 
ractère de  la  Religion  *s. 

(B)  Voyez  le  Sorbériana.]  Vous  y 
trouverez  ces  paroles  (2)  :  Ily  avait  a 
Paris  environ  ce  temps-la  ,  un  certain 
,Grenaille  ,  sieur  de  Chatonnières  (*), 
Limousin  ,  jeune  homme  de  vingt-six 
ans,  qui  décocha  tout  a  coup  une 
prodigieuse  quantité  de  livres,  dont 
il  nomma  les  uns  l'Honnête  Fille  , 
l'Honnête  Veuve,  l'Honnête  Garçon  ; 

**  i65o,  itt-l».  Joly  dit  qu'il  publiaen  ifi6o  le 
second  volume,  doul  Bayle  a  parlé  dans  sa  note 
(b)  sur  le  texte 


(C)  Il  fit  mettre  sa  taille- douce  au 
devant  de  ses  livres,  avec  une  in- 
scription orgueilleuse.  ]  Continuons 
d'entendre  Sorbière.  «  C'est  de  ces 
»  belles  pense'es  qu'il  espère  Tirn- 
»  mortalité,  et  qu'il  fait  interpréter 
»  la  devise  de  sa  taille-douce  ,  dont  il 
»  pare  le  frontispice  de  son  ouvrage  , 
»  hâc  mortales  evadimus  immor- 
»  laies  *.  )>  M.  Guéret  le  maltraite 
encore  plus  :  On  vous  laisse ,  lui  dit- 
il  (3),  votre  Sage  résolu  en  faveur  de 
Pétrarque  que  nous  honorons  ;  et  l'on 
veut  bien  encore  vous  laisser  votre 
Relation  de  la  Révolution  du  Por- 
tugal, a  la  charge  J'era  oter  votre 
portrait ,   dont  l'inscription  est  trop 


)  sur  le  texte.  /""  "  '     >■  ' 

(1)  C'est  une  version  de  Pétrarque.  Voyez  la  fanfaronne  pour   un   auteur  comme 


remarque  (C). 

*2  A  ces  ouvrages  Joly  ajoute,  i°.  le  Bon  Es- 
prit ,  in-4°.  ,  dédié  au  cardinal  de  Richelieu  ; 
2°.  l'Auguste  Convoi  (de  Louis  Xlli  )  ,  que 
Joly  ne  cite  que  d'après  un  catalogué;  3°.  le 
Soldai  Suédois  (IIe.  partie),  M*  .  in-S°-  ,a 
lre.  partie  est  de  Fréd.  Spanheim.  Les  auteurs 
de  l' Histoire  du  Théâtre  Français,  qui,  dans 
leur  tome  VI ,  pag.  85  et  suiv. ,  parlent  de  l'In- 
nocent malheureux  ou  la  mort  de  Crispe,  tra- 
gédie de  Grenaille  ,  disent  qu,'  J.  Hacine  parait 
y  avoii  pii*  l'idée  des  amours  d'Ilippolyte. 
Avant  Grenaille,  Stéphohius ,  auteur  italien, 
avait  l'ait  une  tragédie  de  la  Mort  de  Cris- 
pe ,  que  Grenaille  lui-même  déclare  avoir  lue 
autrefois,  et  oubliée  depuis;  mais  av.  c  laquelle 
cependant  la  sienne  a  de  grandes  ressemblances. 

(2)  Pag.  io5. 

("j  II  fallait  dire  Chaleauniires. 


vous.  Si  vous  n'y  aviez  marqué  que  le 
lieu  de  votre  naissance  ,  et  que  vous 
vous  fussiez  contenté  d'y  joindre  que 
vous  vous  êtes  fait  moine  a  Bor- 
deaux,  et  que  depuis  vous  jetâtes  le 
froc  a  Agen ,  on  l'aurait  soufferte  ; 

'  Ce  n'e«t  pas  tout  à-fait  ce  qu'on  lit  autour  de 
son  portrait.  Leclerc  rapporte  qu'il  y  a  :  Nains 
Uzerihii  in  Lemovicibus ,  Bwdigalœ  tanl'um 
non  morluus ,  renalus  Aginni,  Parisiis  tmmor- 
talis  :  né  à  Uzerches  en  Limosin,  mot  non 
entièrement  à  Bordeaux,  fou  il  avait  pris  le  'me), 
né  de  nouveau  à  Agen  (ou  il  e  quitta)  ,  immor- 
tel à  Paris  (  par  l'impression  de  ses  ouvrages  ). 

(3)  Guerre  des  auteurs ,  pag.  168  ,  îGy,  vdit. 
de  Hollande. 


GRETSERUS.  257 

mais  vous  y  ajoutez  que  vous  vous  des  louanges  (c).  Le  cardinal  du 
êtes  rendu  immortel  a  Paris  ;  c'est  un  perr0ii  lui  accordait  celle  d'avoir 
article  qui  n  a  rien  de   la   vente  des     ,     ,,  -  .... 

trois  précédens,  et  sous  le  bon  plaisir  de  1  esprit  ;  mais  il  ajoutait  une 
d'Apollon  il  sera  rayé.  clause  très  -  malhonnête ,   puis- 

qu'elle choquait  une  très-illustre 
GRETSERUS  (Jacques)  ,  et  très-savante  nation  (C).  Un 
très-savant  homme,  né  à  Marc-  moderne  a  enchéri  sur  cette  in- 
dorf  en  Allemagne  ,  se  fit  jésuite  civilité  du  cardinal ,  et  s'est  ex- 
à  l'âge  de  dix-sept  ans  ,  l'année  posé  pa,..ia  a  de  très-justes  censu- 
1577.  ^  ^ut  professeur  dans  l'a-  res  (^\ 
cadémie  d'Ingolstad  pendant  fort 
long-temps  (A).  On  prétend  que       $  V°rez  lf  '""<"<!"*  (»)• 

,,      o..         F    v,„  ,       t1  ,,       n»  (d)  Forez  la  remarque   C). 

1  application  a  1  étude  ne  1  empê- 
cha point  d'être  assidu  à  l'orai-        (A)  Il  fut  professeur  a  Ingolstad 
son  ;  et  que  son  grand  savoir  fut  pendant  fort  longtemps.']  Il  y  en- 

accompagné  d'une  modestie  ad-  f1*™  tt,ro,ls,  aus  la  P»fo8opï»e  ,  sept 

.     ,  J    °r        ,    ,  .            1     nr  ans  la  théologie  morale ,  et  quatorze 

mirable.  Les  habitans  de  Marc-  ans  la  théologie  scholastique(i). 

dorfsouhai  tèrent  d'avoir  son  por-  (B)  Le  nombre  des  livres  qu'il  a 

trait,  afin  de  le  mettre  dans  leur   composés est  prodigieux.]  Le  ca- 

maison  de  ville;  mais  dès  qu'il  \^™  ,en  a  %é  Puhlif  a  Mullich> 

.  '         ,..  i  1  an    1074,  i/j-40.  ,  par  les  soins   du 

sut  les  instances   quils  avaient  jésuite  George  Hésérus.  Ce  catalogue 

faites  pour  cela  auprès  de  ses  su-  est  fort  exact,  et  en  l'a  publié  sur 

périeurs  ,   il  en   fut  fâché  ,  et  il  l'original  de  l'auteur  (a).  Je  ne  mar- 

f         j-.  >i  1    -      .  •  qtierai  que  le  titre  de  quelques-uns 

leur  dit  que,  s  ils  voulaient  avoir  3„  .„.  1*    „c    ne      t*n   iuco       . 

*-.'..        ,        .  de  ses  livres.  JJe  oancta  Cruce,  tonu 

sonjportrait ,   ils  n  avaient  qu  a    ///;  de  Sacris  Peregrinationibus , 

peindre  un  âne  (a).  Pour  se  dé-    libri  IV ';  trois  apologies  pour  la  vie 

dommaeer  ils  achetèrent  toutes  du  fo,îda*e"r  d.es  jésuites  ;  la  Réfuta- 

nv  .   1  t  tion  de  1  Histoire  des  îésuites.  Cette 

ses  Uhuvres   et  les  consacrèrent  u;of.„;,.0  „,*  r„, ,,,„.,„„   j> 

..  .      ,  .  .  Histoire    est  1  ouvrage    d  un  nomme 

au  public.  II  n  employa  jamais  Hasenmullérus.  De  Jure  et.  More 
sa  faveur  pour  faire  obtenir  quel-  prohibendi  libres  noxios,  libri  II;  Con- 
que marque  de  distinction  à  son  [roversiarum  Roberti  Bellartnini  De- 
*  •    '.    j  •-*.   ti  x  <     jensio  ,  tomi  II  ,  în-lolio  :  Basilicon 

neveu,  qui  étudiait.  Il  mourut  a  Jdoron  >  seu  Commentarius  exegelicus 
Ingolstad,  le  29  de  janvier  1625  in  Serenissimi Magni  Britanniœ  Re- 
(b).  Sa  vie  fut  un  train  de  guerre  gi*  Jacobi  Prœfattonem  moniloriam ; 
continuel  contre  les  auteurs  pro-  f?  inApologiam  pro  juramento  fide- 
,     ,  ,r  ,  l  litatis  ;  plusieurs  livres  contre  Gol- 

testans,  et  pour  la  delense  de  son   dast  f  entre  autres  un  qui  a  pour  ti_ 

ordre.  Son  style  contre  eux  était  tre,  Arnoldi  Brixiensis  in  Melchiore 

assez  aigre ,  mais  on  lui    répon-  Goldasto    calvinistd     redivivi     vera 

dait  sur  le  même  ton.  Le  nombre  Descriptio  et  Imago  (3)  ;  des  notes 

,      ,.  ,..  ,  sur  1  Histoire    de    M.   de    lliou:    un 

des  livres  qu  il  a  composes  ou  tra-  traitd  sur  le  Compelle  intràre  ,  an 

duitsestprodigieux(B).  Quelques  heterodoxi  ad  Jidem  cogendi  un'; 
auteurs  lui  ont  donné  de  gran- 

(1)  Nathan.    Sotuel ,    Bibliotb.  script,    societ. 
(a)  Indignants  die  est  ubi  rescivit ,  monuit-    Je:,,l  ' P"S-  369- 
que  tum  demum  Ulos  suam  imaginent  habi-    ^  E*  Nalb.n.  Sotnelo;,  B.bl.oth.  scr.pl.  «oc. 

turos,  si  picliim  in  tabulée  asinum  liaberent.  L.    ,."'     ','               ,,               ,,   ,, 

c    ,      1     tî-ui-    »i             •    .           ■   .    T—  (3)    r  oyez   le    tdre   d  un  semblable  ouvrage 

Sotuel,  ciclioth.    script,  societ.  Jesu  ,  pas.  ,      ai    s.         11    .         ri        ,    /..        ,-.  ,_ 

OK                                                                          ira'  contre  M.  Arnaulil ,  loin.  I  /,  pag.  4"  >  cilalwn 

**   9*  (4o)  de  V article  Arnaeid    (Amoioe),  doclcuc 

(6)  Tiré  de  j\atbanaël  Sotuel,  ibid.  de  aorboune. 

TOME    VII.  17 


,58  GRÉVIUS. 

livre  de  M.  du  Plessis     »  un  Allemand  peut  être  bel  esprit 


une  réponse  au 

Mornai,  intitule  le  Mystère  d  lnt 
quité.  Cette  réponse  est  plus  serrée 
et  moins  instructive  que  celle  de 
Coëil'eteau  ,  mais  il  était  plus  aise  de 
répliquer  à  Coëfl'eteau  ,  qu'à  Jacques 
Gretser.  Celui-ci  a  épluche  impitoya- 
blement les  citations,  et  les  plus 
petites  fautes  de  chronologie.  J'ai 
parlé  ailleurs  de  ses  travaux  pour 
Grégoire  VII  (4)-  Quelques  auteurs 
de  sa  communion  Font  appelé  le 
marteau  des  hérétiques ,  et  la  terreur 
des  calomniateurs  des  jésuites  (5).  Il 
entendait  bien  le  grec ,  et  il  a  com 


»  Je  ne  pense  pas  qu'on  se  fût  en- 
w  core  avisé  de  douter  de  cette  pos- 
»  silnlité;  et  apparemment  l'auteur 
»  est  le  premier  qui  ait  fait  cette 
»  question.  Il  y  répond,  en  disant: 
»  Que  c'est  comme  un  prQdige,  qu'un 
■»  Allemand  fort  spirituel  ;  et,  il  cite 

»  sur  cela  le  cardinal  du  Perron 

»  Mais  de  tout  cela  il  ne  s'ensuit  point 
»  qu'il  fallût  aller  jusqu'à  mettre 
»  en  question  si  un  Allemand  peut 
)>  être  bel  esprit;  et  c'est  le  moyen 
»  de  se  faire  dire  bien  des  injures 
»  en  allemand  (7).  »   Dans  un  autre 


posé  quelques  ouvrages  de  grammaire    endroit  (8) ,  il  parle  ainsi  :  «  Cela  ne 

»  fait  pas  un  fort  grand  ornement , 


sur  cette  langue,  et  des  notes  sur  des 
auteurs  grecs,  comme  sur  George 
Codinus  Curopalata ,  sur  Jean  Canta- 
cuzène  ,  etc.  N'oublions  point  qu'il  a 
procuré  l'édition  d'un  assez  bon  nom- 
bre de  manuscrits. 

(C)  Le  cardinal  du  Perron  lui  ac- 
cordait     de    l'esprit  ;    mais   il  y 

ajoutait  une  clause  très-malhonnête , 


»  non  plus  que  cette  question  par 
»  laquelle  il  demande  ,  si  un  Alle- 
»  m  and  peut  être  bel  esprit?  Je  vous 
»  assure,  monsieur,  que  cela  a  dé- 
i>  plu  à  des  personnes  bien  sages, 
»  qui  m'ont  dit ,  que  si  l'auteur  des 
»  entretiens  était  plus  judicieux,  il 
»  traiterait  mieux  des  gens  qui  ont 


„j -  ^  ^  ....  .<•',.,* 

puisqu'elle  choquait  une nation.  |     »  une    inclination  particulière  pour 

Gretser  est  grandement  louable  ,  il  a 
bien  de  l'esprit  pour  un  Allemand  (6) 
(*).  Voilà  ce  que  disait  le  cardinal 
du  Perron.  Le  père  Bouhours  s'est 
fortifié  de  ce  témoignage  ,  quand  il  a 
révoqué  en  doute  le  bol  esprit  des 
Allemands.  Il  se  trouva  un  Français 
qui  prit  le  parti  de  la  nation  offen- 
sée :  voici  de  quel  air  il  critiqua  le 
père  Bouhours.  «  C'est  dans  ce  même  une  belle  apologie  de  sa  nation  dans 
»  discours  que  l'auteur  demande ,  si  un  livre  (  9  )  qui  parut  l'année  pas- 
sée ,  et  dont  M.  de  Beauval  a  donné 

(4)  Dans  l'article  de  ce  pape  ,  à  la  remarque     l'extrait  (  1  o). 
(R),  pag.i!,Q. 


»  les  lettres;  qui  les  allient  avec  les 
»  armes  ;  qui  ont  trouvé  des  choses 
»  admirables  dans  les  arts  et  dans 
w  les  sciences ,  l'artillerie ,  l'impri- 
»  merie ,  le  compas  de  propomon  ; 
»  qui  d'ailleurs  sont  la  plupart  nos 
»  amis,  nos  alliés,  nos  voisins.  » 
On  ne  s'est  pas  cru  assez  vengé  par 
Cléanthe  :  M.  Cramera  fait  là-dessus 


(5)  Wkgnù's  lulhrranorum  domilor ,  ac  mal- 
iens hosrelicarum  ,  et  calumniatorum  societalis 
lerror.  Nal.  Sotuel,  Bibliolh.  script,  societ.  Jesu, 
pag.  3GS. 

(G)  Perrouiana  ,  pag.  m.  ibi. 
(*)  J'oserais  presque  assurer  que  cetle  expres- 
sion du  cardinal  du  Perron  n'est  point  aussi  mal- 
honnête qu'elle  a  paru  à  M.  Bayle.  Ce  que  les 
Fiançais  appellent  île  l'esprit,  est  un  certain 
talent  pour  In  bagatelle  ,  ou  tout  au  plus  , 
une  je  ne  sais  quelle  vivacité  ,  généralement 
peu  compatible  avec  la  gravité  allemande,  et 
avec  le  caractère  sérieux  île  cette  nation.  Quand 
donc  ce  cardinal  a  dit  du  père  Gretser,  qu'il 
avait  bien  de  L'esprit  pour  un  Allemand  ,  il  sem- 
ble qu'il  ait  voulu  dire  seulement,  que  rarement 
un  Allemand  avait  autant  .le  celle  vivacité  fran- 
çaise ,  qu'en  avait  le  père  Gretser  ,  tout  Allemand 
qu'était  ce  jésuite.  J'en  dis  autant  de  la  question, 
Si  un  Allemand  peut  être  bel  esprit  ?  On  ne  dis- 
pute pas  à  la  nation  allemande  le  plus  pur  bon 
sens,  la  plus  fine  sagacité  ,  les  plus  nobles  sail- 
lies de  l'esprit;  et,  contente  de  ce  partage  ,  elle 
11c  regarde  pas  comme  une  grande  prérogative  le 
bel  esprit  français.  Hem.  crit. 


(ri  Barbier  Daucour  ,  Sentimens  de  Cléantlic 
sur  les  Entretiens  d'Ariste  et  d'Eugène  ,  pag. 
gi  ,  92  ,  ('dit.  de  Bruxelles. 

(»0  Lh  même  ,  pag .  78. 

(g)  Intitulé  :  Vindiciae  nominis  Germanici  con- 
tra quosdai '..  oblrectatores  Gallos,  à  Amsterdam, 
1694. 

(10)  Au  mois  de  juillet  I&j4,  pag.  499  et 
suiy, 

GRÉVIUS  (  Jean  ),  ministre 
arminien  ,  natif  du  pays  de  Clè- 
ves  ,  fut  déposé  et  banni  pour 
n'avoir  pas  voulu  souscrire  aux 
canons  du  synode  de  Dordrecht  ; 
et ,  comme  il  ne  garda  point  son 
ban  ,  il  fut  condamné  à  une  pri- 
son perpétuelle  (A).  On  le  sauva 
de   la  prison  ,  l'an    16?. t.    11    y 


GRÉVIUS. 


259 


avait  commencé  un  ouvrage  qu'il 
publia  dans  la  suite  (B) ,  et  dans 
lequel  il  se  déclare  contre  ceux 
qui  font  donner  la  question  aux 
personnes  accusées.  Il  prétend 
que  la  raison  est  de  son  côté  (C), 
encore  que  la  pratique  la  plus 
générale  soit  contre  lui.  Il  fait 
le  récit  de  sa  délivrance,  dans  sa 
lettre  à  Vorstius  (a). Sa  captivilé 
dura  un  an  et  demi  (b).  Il  avait 
été  reçu  ministre  le  10  de  mai 
i6o5,  et  il  lit  sa  première  pré- 
dication ce  jour  là,  dans  le  tem- 
ple d'Arnheim  C'est  ce  que  j'ai 
lu  dans  une  lettre  qu'il  écrivit , 
en  1620,  à  Balthasar  Brantius  (c) 
qui  l'avait  fort  exhorté  à  renon- 
cer au  jiarti  des  remontrans. 

(a)  C'est  la  CDVe.  dans  les  Lettres  des 
arminiens. 

{b)  Prœfat.  Dissert,  de  Tortura. 

(c)  C'est  la  CCCLXXVI'.,  parmi  celles 
des  arminiens  ,  édition  de  lb8^- 

(A)  1 1  fut  banni , et  comme  il 

ne  garda  point  son  Lan  ,  il  fut  con*- 
danyié  n  une  prison  perpétuelle. ~\  Il 
dit  qu'encore  que  son  exil  le  séparât 
de  son  troupeau ,  il  ne  laissait  pas 
d'en  avoir  soin,  et  que  ses  brebis 
ayant  souhaite'  qu'il  leur  distribuai 
la  pâture  spirituelle,  il  se  crut  plus 
oblige  à  travailler  à  leur  salut,  qu'à 
obéir  à  la  sentence  des  magistrats  qui 
lui  défendait  de  rentrer  dans  le  pays. 
Il  retourna  donc  en  Hollande  ,  et  tint 
des  assemblées  secrètes  à  Campen , 
pour  l'instruction  de  ses  ouailles.  Ou 
le  sut,  on  le  saisit,  et  on  le  con- 
damna à  une  prison  perpétuelle. 
C'est  ainsi  qu'il  narre  les  choses  (1). 
Je  n'en  sais  pas  davantage  ;  mais  je 
sais  bien  que  sur  ce  pied-là  ,  on  ne  ie 
peut  regarder  que  comme  un  parfai- 
tement honnête  homme,  qui  rem- 
plissait ses  devoirs.  J'en  prends  à 
témoin  ceux  qui  soutiennent  que  les 
ministres  qui  retourneut  en  France, 
afin  d'instruire  en  secret  les  réformés, 
malgré  les  édits  du  prince  ,  font  une 

(1)  Dans  la  préface  de  son    Traité  de  Tor- 
tura. 


tirs-belle  action.  Notez  en  passant 
que  le  principe  de  l'intolérance  est 
la  destruction  de  la  maxime,  nuod 
ttln  fieri  non  vis ,  cdteri  ne  feceris. 
Vous  punissez  un  tel ,  et  vous  blâmez 
ceux  '(ni  font  la  même  chose. 

Révius,  dans  son  histoire  de  Dé- 
renter,  remarque  que  notre  Grévius 
avait  été  ministre  à  Heusden,  et  qu'il 
\iut  a  Campen,  au  mois  de  novem- 
bre 1  f >  1 9  ,  <•(  y  prêcha  onze  fois  dans 
Les  maisons  des  remontrans  yi). 

(B)  // avait  commencé  un  ou- 
vrage qu'il  publia  dans  la  suite.]  En 
voici  le  titre  :  Tribunal  reformatum , 
in  ijiui  .Minions  et  tutioris  justitiœ  via 
judici  christiano  in  processn  crimi- 
nali  cemmonstratur,  rejectà  etfusald 
Tortura  cujus  iniquitatem,  multi- 
plicem  Jallticiam  ,  atque  iilicitttm  in- 
ter  christianos  us  uni  libéra  et  neces- 
siiriii  dissertatione  aperuit  Joannes 
Grevics  Clivens.  quam  captivus  scriit- 
sit  in  ergastulo  Atnstelodamensi. 
Cet  ouvrage  fut  publié  à  Hambourg, 
l'an  1624  (3).  11  roule  sur  une  matière 
fort  délicate ,  où  il  semble  qu'on  ne 
puisse  se  déclarer  pour  la  négative 
sans  condamner  une  pratique  auto- 
risée par  les  lois  de  l'état.  Il  n'y  a 
guère  de  pays  au  monde  où  la  ques- 
tion ne  soit  en  usage.  Mais  il  faut 
bien  remarquer  que  les  souverains 
qui  l'autorisent,  et  qui  ordonnent 
même  qu'elle  fasse  une  partie  no- 
table de  la  pratique  criminelle  ,  n'im- 
posent pas  aux  particuliers  la  néces- 
sité de  croire  qu'elle  soit  juste.  Il 
s'est  trouvé  de  tout  temps,  et  en  tout 
pays  plusieurs  savans  hommes,  qui 
se  sont  donné  la  liberté  d>n  repré- 
senter les  abus  et  les  injustices.  Notre 
Grévius  est  de  ceux-là.  Son  traité 
mérite  d'être  lu.  Ceci  doit  apprendre 
à  certains  esprits  persécuteurs,  que 
c'est  sans  raison  qu'ils  harcèlent  leurs 
ennemis,  sous  prétexte  qu'on  n'ap- 
prouve pas,  ou  tous  les  usages  de  son 
pays,  ou  tous  les  principes  de  ceux 
qui  gouvernent.  La  soumission  des 
sujets  demande  bien  que  l'on  obéisse 
aux  magistrats,  mais  non  pas  qu'on 
croie  qu'ils   agissent  toujours  juste- 

(2)  Revins,  Daventrise  illustra  tac  lib.  VI, 
pag   626. 

(3)  Konig  a  eu  tort  de  dire  :  G  revins  (  Joli.  ) 
juriseonsultus  de  TorlurS  qu%dam  nieditalus 
est  ann.  i<>?!5.  D'ailleurs,  Grévius  n'était  po.nl 
jurisconsulte.  Voyez  sa  préface. 


a6o 


GRIBAUD. 


ment,  et  qu'entre  deux  usages  ils 
n'aient  choisi  quelquefois  le  pire.  11 
est  même  permis  d'écrire  pour  re- 
présenter respectueusement  les  abus , 
afin  de  porter  le  souverain  a  les  ré- 
former. 

(C)  Il  prétend ,  en  condamnant 
l'usage  de  la  torture  ,  que  la  raison 
est  de  son  cote.]  L'auteur  du  Com- 
mentaire Philosophique  (  4  )  rap- 
porte un  très-beau  passage  de  Michel 
Montaigne ,  où  l'on  trouve  les  deux 
inconvéniens  de  la  question  :  l'un  , 
que  ceux  qui  ont  assez  de  force  pour 
résister  aux  tourmens  ,  ne  disent  pas 
la  vérité  ;  l'autre  ,  que  ceux  qui  sont 
trop  sensibles  à  la  douleur,  avouent 
des  faussetés.  Les  paroles  de  Mon- 
taigne seraient  dignes  d'être  placées 
ici  tout  du  long  :  cependant  je  me 
contente  de  les  indiquer  (5).  Le 
même  commentateur  observe  que 
Cinq-Mars  ,  décapité  à  Lyon  pour 
crime  d'état ,  l'an  1642  ,  mourut  avec 
beaucoup  de  constance  ,  et  témoigna 
un  grand  mépris  pour  la  vie  ,  mais 
en  même  temps  une  telle  peur  de  la 
question  ,  qu'il  est  très'probable  que 
si  on  la  lui  eut  donnée ,  il  eût  avoué 
tout  ce  qu'on  aurait  voulu.  11  serait 
facile  de  compiler  des  autorités  et 
des  exemples ,  pour  montrer  les  in- 
justices qui  résultent  de  la  question  ; 
car  il  y  a  bien  des  modernes  qui  ont 
publié  des  recueils  sur  ce  sujet. 
Voyez  ,  nommément  Ramirez  de  Pra- 
do ,  au  chapitre  IX  du  Penteconlar- 
clws  ;  Ségla  dans  l'annotation  XXXVI, 
sur  un  arrêt  du  parlement  de  Tou- 
louse ;  et  Fiupert ,  sur  le  chapitre 
IV  du  VIIe  livre  de  Valère  Maxime. 
Je  laisse  les  jurisconsultes  qui  ont 
traité  de  cette  matière  ex  professo. 
Personne  n'oublie  dans  ces  occasions 
le  passage  de  saint  Augustin  (6)  ,  où 
l'injustice  de  la  torture  est  tout  à  la 
fois  fortement  représentée  ,  et  faible- 
ment excusée.  Louis  Vives  ,  en  com- 
mentant ce  passage  ,  se  déclare  hau- 
tement contre  la  pratique  de  la  ques- 
tion ;  mais  Léonard  le  Cocq   *  dans 

(4)  Comment,  philosophique  sur  Contrains-les 
d'entrer  ,  loin.  II, pag.  a5l,  a5a. 

(5)  Montaigne  ,  Essais,  liv.  II,  chap.  V,pag. 
m.  61.  Voyez  aussi  le  Ménapiana,  pag.  374» 
3^5    de  la  première  édition  de  Hollande. 

(6)  Augustin.,  de  Civit.  Dei ,  lili.  XIX,  cap. 

*  Son  nom  était  Cocqueau  ,  ainsi  que  cela  a 
déjà  été  remarqué  au  mot  Ermite,  tom.  VI, 
pag.  332. 


son  Commentaire  sur  les  mêmes  pa- 
roles de  saint  Augustin ,  condamne 
cette  opinion  de  Vives,  et  dit  que  les 
pères  et  le  droit  canon  approuvent 
que  l'on  emploie  les  tourmens  pour 
faire  parler  les  accusés.   On  n'oublie 

fioint  non  plus  ces  paroles  de  Quinti- 
ien  (7)  :  Sicut  in  tormentis  quoque  , 
qui  est  locus  Jrequentissimus  ,  ciim 
pars  altéra  quœslionem  ,  verafatendi 
nécessitaient  vocet ,  altéra  sœpc  etiam, 
causant  j'ai sa  dicendi,  quod  aliis  pa- 
tientia  J'acile  mendacium  j'aciat ,  aliis 
injîrmilas  necessarium  ;  ni  celles-ci 
du  jurisconsulte  Ulpien  (8)  :  Statu- 
tum  est  non  semper  jidem  tormentis  , 
nec  tamen  nunqu'am  adhibendamfore. 
Etenim  res  est  fragilis  (quœstio)  et 
periculosa  ,  et  quœ  veritatem  f  allât  : 
nom  plerique  patientid ,  sive  duritid 
tormenlorum,  ita  lormenta  contem- 
nunt,  ut  exprimi  eis  veritas  nullo 
modo  possit  :  alii  tanld  sunt  impa- 
tientid ,  ut  quœvis  mentiri ,  quhm  pati 
tormenta  velint.  lia  fit ,  ut  etiam 
vario  modo  fateantur,  ut  non  tantùm 
se,  veriim  etiam  alios  criminentur. 
J'ai  parlé  ailleurs  (  g  )  de  la  force 
avec  laquelle  les  Cappadociens  pou- 
vaient résister  aux  tourmens  :  on  a 
dit  la  même  chose  des  Egyptiens  (10) 
et  des  Espagnols  (11).  Notez  que 
l'usage  de  la  question  n'a  point  lieu 
en  Angleterre,  non  pas  même  contre 
ceux  que  l'on  accuse  du  crime  de 
haute  trahison.  Barclai  a  fait  celte 
remarque  dans  le  IVe  chapitre  de  son 
Icon  animorum.  Je  finis  par  dire  que 
Grévius  avait  un  beau  champ  ,  et  que 
si  les  matériaux  se  sont  présentés  en. 
abondance,  il  a  su  s'en  bien  servir. 

(7)  Quinlil.,  Instit.  orat. ,  lib.  V,  cap.  IV. 

(S)  Ulpian.  ,  in  l.  1  ,  §  Quœst.  de  Quœst. 

(f))  Tom.  IV,  pag.  4ti,  citation  (19)  de  l'ar- 
ticle CiPTADOCE. 

rio)  jElian.  ,  Var.  Histor.  ,  lib.  VII,  cap. 
XVIII,  Ammian.  Marcell. ,  lib.  XXII. 

(m)  for"  Rupert.  ,  in  Valer.  Maxim.  ,  lib. 
III,  cap.  III,  pag.  îi8. 

GRIBAUD  (Matthieu),  eu 
latin  Gribaldus  ,  savant  juris- 
consulte de  Padoue  *  ,  quitta  l'I- 

*  Leclerc  dit  qu'il  était  né  à  Quiers  en 
Piémont  ;  qu  il  vint  à  Toulouse  ,  où  il  obtint 
une  chaire;  qu'il  alla  à  Valence  vers  l54l  ; 
qu'il  quitta  Valence,  y  revint  on  ne  sait  quand . 
et  y  succéda  à  Cujas,  en  l5(k>. 


GRIBAUD;  2G1 

talie  au  XVIe.  siècle ,  pour  pou-  avec  lui  (b)  quant  aux  principes 

voir    professer    ouvertement   la  delà  foi,   c'est-à-dire  quant  au 

religion  protestante;  mais,  à  l'i-  dogme  des  trois  personnes,  et  à 

mitation  de  quelques  autres  Ita-  l'article  de  la  divinité  de  Jésus- 

liensconvertisauprotestaiitisme,  Christ  (c).  On  le  fit  citer  devant 

il  donna  dans  l'hérésie  des  anti-tri-  les  magistrats,  afin  qu'il  donnât 

nitaires.  Ayant  été  professeur  en  raison  de  sa  foi  ;  et  comme  ses 

droit  à Tubinge  pendant  quelque  réponses  ne  furent  point  telles 

temps ,  il  abandonna    ce    poste  qu'on  le  souhaitait ,  il  reçut  or- 

pour  éviter  les  peines  qu'il  eût  dre  de  vider   la    ville.    C'est   ce 

encourues ,  s'il  eût  été  convain-  que  nous  pouvons  inférer  de  la 

eu  de    ses  erreurs.  On  se  saisit  lettre  que  je  cite  (d).  Il  composa 

de  sa  personne  à  Berne ,    et  on  divers    ouvrages  qui    sont  esti— 

lui  aurait  fait  un  mauvais  parti  mes  (B). 

s'il  n'eut  fait  semblant   de  re-  ...  „    .              „               ,     , 

,                       .  \J>    Ltm/er  quœ  Sylla  erga  Milliridatum, 

noncer  a  ses  sentimens  ;  et  coin-  apud  piutarchum,  in  Sylià ,  pag.tty. 

me  il  retomba  au  bourbier,    et  (c\  Voyez  la  remarque  (G). 

,.,   n           •       1         .               .,.','  (d)  C'est  la  CCXXX  VIII".   lettre  de  Cal- 

qu  il  favorisa  hautement  les  he-  vin.  EUe  est  datée  llu  3  dc  mai  ,-;,__ 

rétiques  qu'on    avait  chassés  de 

/-!„•„     nt  _,__ ,^..,„„f  r„~i;  (A)   //  aurait  été  tôt  ou  tard  puni 

Lreneve  ,  et  nommément  uenti—  , v  y                  ,.      ■.  T          ■..  r  , 

..              ' .    ..    .                       .       .  du  dernier  supplice.  \  Je  ne  dis  cela 

lis,  a  qui  il  donna  retraite  dans  qu'après    Théodore  dc   Bèze  ,   dont 

une  terre  qu'il  possédait  au  voi—  voici  les  paroles  qui  font  foi  de  plu- 

sinage  (a) ,    il  aurait   été   tôt  ou  sieurs  faits  que  j'ai   avances.  Domi 

.      j         _■    j       3        •                  î*  verà  Seri'eti  cineres  pullulare  cœpe- 

tard  puni    du  dernier    supplice  ..               ,,      ?      ■•     /■           {7 

K  .                      .  .,            rr  runt  :  cujus  blasphémas  javere    ae- 

(A) ,  si  la  peste  qui  1  emporta  au  prehensus  Matthœus  Gribaldus  ,  non 

mois     de    septembre     1 564     ne  incelebris  jurisconsulte ,   quùm  Ge- 

l'eût  garanti  de  tout  procès  d'hé-    nevam  forte  venissel deductus  ad 

•  ■       t\       ,                                   '-1     £».  Cali'inum  a  quisbusdam  Italis  ,  quos 

resie.  Dans  un  voyage  qu  il    fit  „        ..  ,      '     .                .    />  /  • 

,                    j           1                 <  Patai'ii  docuerat ,  récusante  Lalumo 

a    Genève,    pendant   le    procès  dextram  illi  porrigere,  nisi  prias  de 

de  Servet ,  il  demanda  de  confé—  primario  christianœ  fidei  articulo ,  id 

rer  avec  Calvin  ,  et  n'obtint  pas  est  de  sacrd  triade  et  dilate  Christ, 

r.   1    •                 1  inler  eos  coni'cniret  ,    nuit  uni  postea 

cet    avantage.    Calvin ,    quelque  ^^  ^  arImonitionibus  „e{argu- 

temps  après,  lui  fit  dire  qu  il  1  ad*  mentis  reliquit.  Itaque  quod  ei  jam 

mettait  à  une  conférence  à   la-  tum  preedixit  Calvinus  ,  grave  nimi- 

quelle  ses  collègues  et  trois  an-  rhm   Dei  j"dicium   pertinaci  ipsius 

1.          ,              .     &.             .            .  impie tati  immmcre  :  hoc  reipsa  postea 

ciens  du  consistoire  assisteraient.  Jpertus  est}   Tubingd  primhmpro- 

Gribaud  se  rendit  au  lieu  dési-  fugus  ,  qub  fuerat  Kergèrii  façon 

gné  ;  mais  il  en  sortit  avec  pré-  introductus  :  Bemœ  postea  captus  , 

cipitation  ,  dès  qu'il   eut  VU   que  simulatâque  abnegalione    libérants  , 

r,1i    •             1    •           1    .                      i  ad  inaenutm  postea  rediens  ,  et  Uen- 

Calvin  ne  lui  voulut  pas   tendre  tUis  TlUusdequo  mox  dicemus  fauter 

la  main.  Il  n'écouta  point  les  ex-  et  hospes ,  supervenientedemum peste 

cuses  qui  lui  furent  faites  sur  ce  correptus ,  paratum  sibi  in  terris  si*p- 

que  l'on  ne  pouvait  la  lui  tendre  pi™"™  antevertit  (1).  On  no  trouve 

*    ,        .           x,                    x     1,             i  point  dans  ces  paroles  en  quelle  an- 

qu  après   qu  on    serait   d  accord  uc;e  mourut  Gribaud ,  mais  on  sait 

(a)  Entl  Fcirgiantm  Dominus.  Beza  ,    in  (l)  pC7n-  ,„  viu",  Calvini,  ad  atm  i555,  pas. 

Vitâ  Calvini ,    ad    ann.     i  jôû  ,    et  Bihliotk.  „,.  3^8.  Voyez  au<si  la  CCXXXVIIl*.  Icllrc  Je 

auti-tiinitar.  ,  pag .  17.  Calvin  ,  pag.  m.  4i°- 


26  2 


GRILLON.  GRYNjEUS. 


qu'il  n'était  plus  au  monde  lorsque 
Valentin  Gentilis  l'alla  chercher  sur 
les  terres  du  canton  de  Berne,  Tan 
i56'6  (2),  et  l'on  a  des  preuves  qu'il 
décéda  au  mois  de  septembre  i564  (3). 
Voyez  ci-dessus  un  passage  de  Lan- 
guet,  à  la  lin  de  la  remarque  JL)  de 
l'article  Govéa. 

(B)  Gribaud  composa  divers  ouvra- 
ges.] En  voici  les  titres  :  Commen- 
tant in  legem  de  rerum  misturd  ,  et 
de  jure  fis  ci  ■■  ils  furent  imprimés  en 
Italie  (4)-  Commentarii  in  Pandectas 
Juris  ,  imprimé  à  Lyon  5  Commenta- 
rii in  aliquot  prœcipuos  Digesti ,  In- 
foniati  novi ,  et  Codicis  Justinianœi 
litulos  alque  leges  ,  utilissimis  conclu- 
sionibus  Ulustrati,  à  Francfort  1577  , 
in-folio  ;  Historia  Francisci  Sptrœ 
(  cui  anno  \5/\S  familiaris  aderat) 
secundhm  quœ  ipse  vidit  et  aud'wit , 
à  BMe,  i5oo  ;  De  omni  génère  homi- 
cidii ,  à  Spire  ,  i583,  in-8°.  ;  de  Me- 
thodo  ac  Ratione  studendi  injure  ci- 
vili  libri  1res  ,  à  Lyon,  1 544  et  •  ^56. 
C'est  apparemment  dans  ce  dernier 
livre  qu'il  a  soutenu  qu'un  juriscon- 
sulte doit  savoir  l'histoire  ,  et  qu'il  a 
montré  les  ignorances  où  quelques 
jurisconsultes  sont  tombés  (5).  11 
n'employa  que  huit  jours  à  faire  ce 
livre  (6). 

Notez  que  Sleidan  confirme  qu'il 
fut  spectateur  de  l'état  funeste  du 
malheureux  Spiéra  ,  et  qu'il  en  fit  et 
en  publia  une  relation.  Multi  prœle- 
rea  Spieram  in  eo  statu  viderunt , 
magni  nominis  viri ,  et  in  his  ,  Mat- 
thçeus  Gribaldus  ,  jureconsultus  Pa- 
lavinus ,  qui  et  rem  omnem ,  quant 
ipse  coram  vidit  et  audiril  ,  scripto 
complexus  ,  in  lucem  edidil  (7). 

(2)  Veluti  traliente  il!um  ad  pœnora  ipsius 
Chrisli  manu  in  Sabaudiam  ad  suum  Gribaldum 
venit  [Gentilis).  At  illam  pestem  altéra  jam  po- 
lis siist  ilrrat.  Idem  ,  ibid.  ,  png.  3So. 

('i)  Voyez  la  préface  de  Th.  de  Bèze  ,  au-de- 
vant du  Commentaire  de  Calvin  sur  Josué,  pag. 

'"■  *&• 

(4y  Voyez  lu  B.bliothéqne    des  auli-trinitaires, 

paç;.    i*  ,  et  le  Catalogue  d'Oxford. 

(  "il  forez  Albéric  Gentilis  ,  de  Juris  interpre- 
tibus  ,  folio  64  verso. 

(6j  ïdem,  ibidem,  folio  65. 

(7)  Sle.dan.  ,  lib.  XXI  ,  folio  m.  5rjo. 

GRILLON  ,  gentilhomme  pro- 
vençal  ,  l'un  des  plus  braves 
hommes  de  son  siècle,  sous  Hen- 
ri III  et  sous  Henri  IV.    Voyez 


son  histoire  dans  la  préface  du 
Henri  III  deVarillas.  Cet  histo- 
rien l'appelle  toujours  Grillon,  et 
c'est  la  vraie  orthographe  ,  quoi- 
cpie  inconnue  à  presque  tous  les 
autres  auteurs  (*). 

0  Ce  gentilhomme  signait  Grillon,  confor- 
mément à  l'orthographe  de»  vieux  litres  de 
sa  maison;  mais  apparemment  que  lui-même 
se  nommait  Grillon,  comme,  nonosbtant 
Fétyinologie  ,  on  prononce  g ril ,  grotte  ,  mi- 
graine. Rem.  crit. 

GRYNjEUS  (a)  (Simon),  fils 
d'un  paysan  de  Souabe  ,  naquit  à 
Véringen  dans ,  le  comté  de  Ho- 
henzollern  ,  l'an  i4g3.  Il  étudia 
a  Pfortsheimen  même  temps  que 
Mélanchthon  ,  et  cela  fit  naître 
entre  eux  une  amitié  de  longue 
durée.  Il  continua  ses  études  à 
Vienne  en  Autriche,  et  y  reçut  le 
degré  de  maître  en  philosophie, 
et  la  profession  en  langue  grec- 
que. Ayant  embrassé  la  religion 
protestante,  il  se  trouva  exposé  à 
plusieurs  périls  ,  et  surtout  dans 
Bade ,  où  il  fut  pendant  quel- 
ques années  recteur  de  l'école. 
On  l'emprisonna  à  l'instigation 
des  moines  ;  mais  par  la  recom- 
mandation de  la  noblesse  de 
Hongrie  il  fut  remis  en  liberté  , 
et  se  retira  à  Wittemberg  ,  où 
il  vil  Luther  et  Mélanchthon  ,  et 
conféra  avec  eux.  Etant  retour- 
né en  sa  patrie  ,  il  fut  appelé 
à  Heidelberg  pour  la  profession 
en  grec,  l'an  i5?3.  Il  exerça 
cette  charge  jusqu'en  iSacj,  qu'il 
fut  appelé  à  Bàle  pour  y  ensei- 
gner publiquement.  Il  y  expli- 
qua plusieurs  auteurs  ,  et  même 
l'épître  aux  Romains.  Il  fut  em- 
ployé avec  quelques  autres  en 
1 534  à  réformer  l'église  et  l'éco- 
le de  Tubinge.  Il  revint  à  Râle 

(a)  On  ne  sait  pourquoi  Mo*éri  l'a  nomme 
Griner. 


GRYNyfcUS. 


263 


l'an  i536  ,  et  il  fut  associé,  en 
1  54o,  à  Mélanchthon,  à  Capiton, 
à  Bucer,  à  Calvin  ,  etc.  ,  pour 
les  conférences  de  Worras.  11 
mourut  de  peste  à  Bâle,  le  ier. 
d'août  1  54 1  (b).  Il  avait  fait  un 
voyage  en  Angleterre,  l'an  1 53 1 , 
et  avait  reçu ,  du  chancelier  Tho- 
mas Morus  ,  à  qui  Érasme  l'avait 
recommandé  ,  toutes  les  hon- 
nêtetés imaginaires  (A).  Ce  fut 
un  homme  savant  et  laborieux, 
et  qui  rendit  heancoup  de  servi- 
ces à  la  république  des  lettres 
(B).  Voyez  son  éloge  dans  le  re- 
cueil de  Verheiden  (c),  et  dans  la 
préface  de  Joachim  Camérarius 
sur  Théophraste.  Son  fils,  Sa- 
muel Gryx.eus  ,  né  à  Baie  ,  l'an 
i539,  y  obtint  la  profession  en 
éloquence  à  l'âge  de  vingt-cinq 
ans ,  et  puis  la  profession  en 
jurisprudence.  Il  mourut  le  3 
d'avril  i5gg  (d). 

(b)  Tiré  de  Melcliior  Adam  ,  in  Vitâ  phi- 
losopli.  ,  pag.  1 18  et  suiv. 

(c)  Verheiden,  inElogiis  praestant.  aliquot 
Tlieologor. ,  pag-.  61 . 

(d)  Melch.    Adam,    m    Vitis  Juriscons. , 
pag.  338  et  seq. 

(A)  //  reçut  du  chancelier  TJwmas 

jWorus toutes    les    honnêtetés 

imaginables.  ]  Cette  particularité  ne 
se  trouve  point  dans  Melcliior  Adam; 
c'est  pourquoi  je  la  rapporte  avec 
beaucoup  plus  de  soin.  Je  la  tire  de 
l'épître  dédicatoire  des  OEuvres  de 
Platon  ,  imprimées  en  grec  à  Bâle  , 
apud  Johannem  falderum,  l'an  1 534, 
in-folio.  C'est  là  que  Grynœus  ,  pour 
te'moigner  sa  reconnaissance  ,  adresse 
ainsi  la  parole  à  Jean  Morus,  fils  du 
chancelier  (1)  :  Annns  est  (  ut  nosti) 

tertius  juin,  ciini  in  Angliam ve- 

niens  ,  ac  Erasmi  noslri  commenda- 
tione  velut  vento  secundo  ad  Mas 
musis  totas  sacras  œdes  vestras  de- 
latus  ,  humanitate  mira  acciperer  , 
majori  tractarer ,  maximâ  dimiticrer. 

(0  Simon  Grynœus,  epiuola  ad  Joan.  lUorum 
Operibus  Platonis  prrefixa. 


Non  solitm  enini  amplissimus  vît  pa- 
ter  tuus  ac  tum  cf  aident  condilione  , 
per  cœtera  vero  rébus  omnibus  egre- 
giis  facile  loto  regno  prtneeps  ,  priva- 
tum  hominem  ignotumque  me,  litte- 
rarum  tanlum  èrgb  ,  ad  colloàuium 
inter  /<</  publica  privataque  negotia 
admisit  .•  mensœ  suœ  sceptra  tegni 
gerens  ,  adftosuit  :  in  autant  abieits 
rediens  secum  traxit  :  laterîque  ad- 
junxit  suo  :  sed  omnem  meetm  de  re- 
ligione  sentcntiam  locis  non  paucis 
diversam  ah  ipsius  esse  haut/  difficul- 
ter  prœsentiens  placide  benignèaue 
cognoi'il  :  ac  ciim  ab  Mû  non  pantin 
tum  aiscreparet ,  operd  consilioque  sic 
jut'it  nos  tamen  ,  ut  omne  mihi  nego- 
lium  sumptibus  eliam  suis  conjecerit. 
Nam  ci  itineri  comitem  Harrisium 
doctum  jui'cnein  addidu  ,  et  Oxonien- 
sis  gymnasii  proceribus  sic  litteris 
insinuavit ,  ut  ad  earum  conspectum 
omnes  nobis  collegiorum  omnium  non 
solitm  btbliothecœ ,  sed  studiosorum 
etiam  aninti  velut  mercuriale  quâdam 
virguld  lacti  patescerent.  On  lui  com- 
muniqua à  Oxford  quelques  manu- 
scrits de  Proclus  ,  et  on  lui  permit  de 
les  emporter.  Thomas  Morus  ajouta 
une  autre  grâce  ;  il  lui  en  fit  un  pré- 
sent (2).  Le  passage  d'Érasme  que  j« 
vais  citer  fait  mention  de  ce  voyage 
de  Grynaeus. 

(B)   Ce  fut  un  homme  savant , 

et  qui  rendit  beaucoup  de  services  a 
la  république  des  lettres.  ]  Voici  le  bon 
témoignage  qui  lui  fut  rendu  par 
Erasme,  l'an  i53i.  Simon  Grinœus... 
est  homo  latine  groecèque  ad  ùnguem 
doctus  ,  in  philosophie  et  mathemati- 
cis  disciplina  diligenter  versants  ; 
nullo  supercilio ,  pudore  penc  immo- 
dico.  Pertraxit  hominem  isthuc  Bri- 
tanniœ  visendœ  cupidilas  ,  sed.  prœci- 
puè  bibliothecarum  vestrarum  amor 
(3).  On  lui  est  redevable  de  l'édition 
de  plusieurs  livres  des  anciens.  Jl  fut 
le  premier  qui  publia  l'Almageste  de 
Ptolome'e,  en  grec  (4):  il  y  joignit. 
une  préface  touchant  l'usage  de  la 
doctrine  de  cet  auteur.  Il  donna  aussi, 

(2)  Quibus  de  velut  thesauro  invcnlo  grain- 
tanlem  paler  tuus  donatum  liberaliler  au  béné- 
ficias suis  plané  cumulatum  in  palliant  remisit. 

S.  Grynœiis,  episl.  ad  T.  Mo,  um  Opcribus  Pla- 
tonis prcefixa. 

(3)  Erasm.»,  epi>t.  XXXIX Ubri XXVI,pac. 
m.  1464,  C. 

(4)  A  Bâle,  apudJo.  P'alderum  ,  i53S. 


264 


GRYNiEUS.  GRYPHIANDER. 


en  grec,  un  Euclyde  avec  une  pre'face 
(5) ,  et  les  OEuvres  de  Platon  ,  avec 
quelques  commentaires  de  Proclus(6). 
11  retoucha  en  quelques  endroits  la 
version  latine  de  Platon ,  faite  par 
Marsile  Ficin.  Voyez  l'édition  de  Pla- 
ton, i53g,  à  B;1le,  chez  Frohen.  Qui 
voudra  voir  un  détail  de  ses  traduc- 
tions et  de  ses  pre'faces  ,  et  de  ses  au- 
tres écrits  ,  n'aura  qu'à  jeter  les  yeux 
sur  l'Epitome  de  la  Bibliothèque  de 
Gesner  ,  aux  pages  ^55  et  ^56  de  l'édi- 
tion de  Zurich  ,  i583. 

On  lui  attribue  ,  dans  le  Catalogue 
d'Oxford  ,  quelques  ouvrages  qui  ne 
peuvent  être  de  lui.  De  Cometd  qui 
J'ulsit  annis  1577-78;  de  inusitatâ 
magnitudine  et  figura  Keneris,  annis 
1.578-79.  Nous  avons  vu  qu'il  mourut 
l'an  i54i.  Je  ne  doute  point  que  le 
Traité  de  igtiitis  31eteoris  et  de  Co- 
metarum  causis  ac  signifîcationibus  , 
que  le  même  Catalogue  lui  donne,  ne 
soit,  comme  les  deux  autres,  la  pro- 
duction de  Simon  Gryn^us  ,  médecin 
et  mathématicien  à  Heidelberg,  et 
lils  d'un  Thomas  Gryn^eus  ,  qui  était 
neveu  de  celui  dont  il  s'agit  dans  cet 
arlicle.  Les  autres  ouvrages  que  le 
Catalogue  d'Oxford  attribue  à  Simon 
Grynanis,  sont  effectivement  du  Gry- 
meus  de  cet  article. 

(5)  A  Haie  ,  apud  Hervagium  ,  i533. 

(6)  A  Baie,  chez  Jean  Valde'rus  ,  l'an  i534- 

GRYNIEUS  (Thomas),  neveu 
du  précédent ,  naquit  à  Vérin— 
gen ,  dans  la  Souabe,  environ  l'an 
i5r2.  Tl  étudia  sous  son  oncle,  à 
Heidelberg  et  à  Baie  ,  et  il  ensei- 
gna la  langue  latine  et  la  langue 
grecque  dans  la  ville  de  Berne 
pendant  onze  ans  ;  après  quoi 
l'amour  du  repos  et  le  dégoût 
des  disputes  l'engagèrent  à  se 
retirer  de  cet  emploi,  parce  qu'on 
l'enveloppait  dans  des  contro- 
verses qui  divisaient  les  minis- 
tres. Il  s'en  retourna  à  Bàle  ,  où 
on  l'agrégea  au  nombre  des 
professeurs  ,  l'an  ï54?.  H  fit 
des  leçons  puMiques  ,  et  il  prê- 
cha quelquefois  dans  les  villages. 


Le  marquis  de  Bade,  ayant  in- 
troduit la  réformation  dans  ses 
états  ,  le  fit  ministre  de  Rotelen 
(à).  Il  s'acquitta  dignement  de 
cette  charge  ,  pendant  huit  ans  , 
jusqu'à  la  mort ,  c'est-à-dire  jus- 
ques  au  2  d'août  1564.  Il  lais- 
sa quatre  fils  qui  se  distinguèrent 
par  leur  savoir,  Théophile,  Si- 
mon (b) ,  Jean -Jacques  et  To- 
bie  (c). 

(a)  Dans  le  haut  marquisat  de  Bade,  à 
un  mille  de  Bâle. 

(b)  Voyez  la  fin  de  la   remarque  (B)  de 
l'article  précédent. 

(c)  Tiré  de  Melcliior  Adam,  in  VitisTlieo- 
log- ,  VaS-  398. 

GRYPHIANDER  (Jean),  né 
au  pays  d'Oldembourg,  fut  pro- 
fesseur en  poésie  et  en  histoire 
dans  l'académie  d'Jène  ,  après 
Elie  Reusnérus  ,  décédé  l'an 
1612.  Il  fut  reçu  docteur  en 
droit  dans  la  même  académie  % 
l'an  i6i4>  et  s'en  retourna  quatre 
ans  après  en  son  pays ,  pour  y 
exercer  une  charge  de  judicatu- 
re.  Il  mourut  au  mois  de  décem- 
bre i652  (a).  On  a  quelques  ou- 
vrages de  sa  façon  (A). 

(a)  Tiré  du  Théâtre  de  Paul  Fre'her  ,  pag. 
ll3o. 

(A)  On  a  quelques  ouvrages  de  sa 
façon.]  Un  Traité  des  Iles;  en  voici 
tout  le  titre  :  Joannis  Gryphiandri 
JCii  de  Insulis  Tractaius  ,  ex  JCtis,. 
Politicis  ,  Jlistoricis  et  Philologis 
collectus  y  ut  omnibus  hisce  usui  esse 
possit ,  in  quo  plurimœ  cognatœ  quœs- 
tiones  de  mari ,  fluminibus  ,  lacubus  , 
littoribus  ,  porlubus  ,  aquœ  ductibus  , 
aggeribus,  navigationibus ,  alluvionis, 
alveique  ineremento,  etc.  excutinntur. 
Il  fut  imprimé  à  Francfort,  in-lf. , 
l'an  16a  j.  Il  n'y  a  rien  de  plus  in- 
structif qu'un  traité  particulier  sur 
une  certaine  question  ,  quand  un  sa- 
vant homme  s'en  fait  une  affaire  ,  et. 
se  propose  de  l'épuiser.  Il  y  a  un 
nombre  infini  de  citai  ions  dans  cet 
ouvrage  de  Gryphiander.  Il  en  fil  u» 


GRYPI1IUS.  265 

sur  le  phénix  ,  l'an  1618.  Celui  qu'il  pas  oublier  qu'il  était  savant  (F). 

publia   Fan  i6a5  est  fort  curieux.  11  jj    mourut    le    7   de   septembre 

traite  d'un   certain  droit  qui  a  lieu  ^           A                GR\THIUS,  son 

dans   quelques   villes   de  base.    C.  est  "**        ^"'                                           ' 

y  érige  des  statues  de  Roland  nls  ,  marcha   dignement  sur  ses 

>nt  d'une  taille    gigantesque,  traces  dans  la  même  ville.   L'un 


q 

qui  sont  d'une  taille  gigantesq 
Voici  le  titre  du  livre  :  Commenta 
rius  de  Weichbildis  Saxonicis  ,  sive 
Colossis  Rulandinis  urbium  qaarun- 
dam  Saxoniearum  Le  sieur  Konig 
donne  à  Gryphiander  un  Traite'  de 
OEconomid  lezrali,  dont  F  relier  ne 
parle  point. 

i-inx/rvrïTTTC   /C-  ->        C  (d)  Inventaire   de   l'Histoire   journalière. 

GR  Y  Pli  JUS  (  Sebastien  ) ,  la-  fait  rar  T  G  P%  folw  lgo  ^50-  Èdit_  de 
meux  imprimeur  de  Lyon,  au  Paris,  1699. 
XVIe.  siècle  ,  était  Allemand.  Il 
exerça  sa  profession  avec  tant 
d'honneur  ,  qu'il  mérita  que  de 
fort  habiles  gens  lui  en  donnas- 
sent, des  louanges  publiques. 
C'est  ceque  firent  entre  autres  Ju- 
les-César Scaliger  et  Conrad  Ges- 
ner.  Celui-ci  lui  dédia  l'un  de  ses 
livres  (A).  On  prétend  que  l'autre 
lui  dédia  son  ouvrage  de  Causis 
linguœ  latines}  mais  on  se  trom- 
pe (B).  L'une  de  ses  plus  belles 
éditions  est  une  bible  latine  :  il 
la  donna  en  deux  volumes  in-fo- 
lio, l'an  i55o,  et  se  servit  du 
plus   gros   caractère   quon  eût 


et  l'autre  ont  été  loués  par  du 
Verdier  Vau -Privas  (G).  Il  y 
avait  à  Venise,  en  1 55^,  un  im- 
primeur qui  se  nommait  Jean 
Graphics. 


(A)  Gesner  lui  dédia  l'un  de  ses  li- 
vres.] Savoir  le  XIIe.  descs  Pandcctcs. 
Voici  l'éloge  qu'il  lui  donne  :  Tu  in- 
ter  primos  ,  humanissime  Gryphi  , 
minime  prœtereundus  in  mentent  mihi 
venisti  •7roxx<»v  à-vri^ioç  etxxav  ,  cui  non 
poslremus  inter  e.rimios  œlatis  nostree 
chalcographos  locus  deberetur  :  idque 
eà  magis  ,  quoniam  non  solitm  inter 
externos  in  Gallid  innumeris  opùmis 
libris  optinid  fuie  summdque  diligen- 
tid  elegantiaque  procusis ,  maximum 
tibi  gloriam  peperisti  :  sed  nostras 
etiamnum  esse  videris  ,  qui  Germa  nus 
in.  Gallium  vencris  (1).  Il  fait  suivre 
l'Epitre  dédicatoire  par  le  catalogue 
des  livres  que  Gryphius  avait  im- 
primés. 

(B)  Mais  on  se  trompe.  ]  «  Il  n'est 

vu  jusqu'alors  (a).  Elle  ne  cède    "  fe  vrai..ci»e  3}^  Scdipr  ait 
J-  »  dédie   ses   livres  de  Causis  linguœ 

»  luiinœ  à  Sébastien  Gryphe  ,  impri- 
»  meur  de  Lyon.  Il  lui  a  seulement 
m  écrit  une  lettre  au  sujet  de  ce  livre, 
»  qu'il  devait  imprimer,  par  laquelle 
»  il  lui  dit  :  Tuam  verb,  mi  Gryphi, 
»  ueram  pielalem  ,  excellcnlem  erudi- 
»  tionem  ,  insignem  humanilatem ,  his 
»  nostris  lucubratiuncu/is  et  prœesse 
»  volai ,  et  moderari  :  si  id  tibi  ila 
»  collibuisset  :  utposteri  intelUqerent, 
»  ejus  frugis  prot-'entum  ,  si  qua  ad 
»  eorum  commoda  per  nos  exculta 
»  esset,  a  nobis  tantitm  commendari, 
»  quantum  ex  diligentid  tud,  atque 
m  auctoritate  gratin?  cônsequi  poluis- 
»  set.  Est-ce  là  une  dédicace?  Jules 
«  Scaliger  a  écrit  de  même  une  lettre 
»  à  l'imprimeur  Vascosan  ,  pour  lui 
»  recommander  l'édition  de  son  livre 

(1)  Gesner. ,  in  Pandrct's  ,  l'olio  117. 


en  beauté'  qu'à  la  seule  bible  im- 
primée au  Louvre,  V année.  1642» 
en  neuf  volumes  in-folio  (b). 
Les  éditions  qu'il  a  faites  en 
grand  nombre  sont  estimées  de 
tous  ceux  qui  savent  en  quoi  con- 
siste l'art  et  la  perfection  de 
l'imprimerie.  11  agissait  de  très- 
bonne  foi  dans  ses  errata  (C)  , 
et  avait  d'habiles correcteurs(D). 
J 1  imprimait  aussi  parfaitement 
bien  l'hébreu  (c)  (E).  Il  ne   faut 

[a)  Majoribus  et  augustioribus iypis  Gry- 
pliius  ,  in  praefat.  ,  aptttl  Chevallier  ,  Origine 
de  1  Imprimerie  de  Paris,  pag.  i5o. 

(b)  Chevillier,  Origine  de  1  imprimerie  de 
Paris,  pag.   i5t. 

(cl  Là  i/irnic. 


266 


GRYPHIUS. 


»  de  la  Subtilité.  Outre  que  Jules 
î>  Scaliger  e'tait  trop  glorieux  pour 
»  dédier  un  de  ses  livres  a  un  impri- 
j>  meur ,  il  n'avait  garde  de  dédier  à 
»  Gryphe  ses  livres  des  Causes  de  la 
»  langue  latine  ,  puisqu'il  les  avait 
»  adressés  à  son  fils  aîné  Silvius-Cé- 
sar    Scaliger  ;    auquel    il    a    aussi 


»  titre  du  livre  ,  la  masque  de  Pim- 
»  primeur  et  l'année  de  l'imprcs- 
»  sion  5  la  seconde  c'est  l'errata  5  et 
»  la  troisième  c'est  l'épi  tre  dédica- 
»  toire  (5).  » 

(D)  Et  avait  d'habiles  correc- 
teurs. ]  Voici  une  preuve  de  leur 
exactitude.  L'errata   des  Comment  ai- 


»  adressé  sa  Poétique.  Jules  Scaliger  res  sur  la  Langue  latine,  d' Etienne 

»  a   écrit  à  Sébastien  Gryphe    de  la  Dolet  ,    n'est   que    de    huit    fautes, 

»  même  façon  que  Quintilien  a  écrit  quoique  cet   ouvrage   soit    en    deux 

»  à   Tryphon   le  libraire,    pour    lui  volumes  in-folio.  Puisque  les  fautes 

»  recommander  les  Institutions  Ora-  d'impression  étaient  en  si  petit  nom- 

»  toires  qu'il  avait  dédiées  à  Marcel-  bre  ,  Grypbius  avait  raison  d'assurcr 

M  lus;  et  de  la  même  façon  que  Scé-  que  les  épreuves   avaient   été  corri- 

3)  vole  de  Sainte-Marthe  a  adressé  des  gées  avec  une  grande  exactitude  (6). 

»  hendécasyllabes  à  Mamert  Pâtisson,  L'un    de    ses    correcteurs    a   été   un 

»  pour  lui  recommander  l'édition  de  médecin  de  Cologne  ,  appelé   Adam 

»  ses   ouvrages    (2).  »  Voilà   ce    que  Knouf  (7). 

M.  Ménage   remarque  dans    un  livre         (E)  Il  imprimait  parfaitement  bien 

qui  fut  imprimé  l'an    1688.  Si  le   eu-  l'hébreu.}  M.  Chevillier  ajoute  :  On  a 

rieux  M.   Chevillier  en  avait  eu  con-  de   lui,  dans  la  bibliothèque  de  Sor- 

naissance  ,    il  n'aurait  point  dit  que  bonne  ,    le     Trésor   de     la     Langue 

Jules-César  Scaliger  dédia  à  Gryphe  Sainte  ,  par  Pagnin ,    qui    est    une 

(3)    «   son   Traité  de    Causis   linguœ  très-belle  édition  ,  faite  in-folio  l'an- 

»  latince  ,  imprimé  en    1 54"  ,  in-^° . ,  née  1529(8). 

«  où  il  lui  fait  ce  compliment  ,  que        (F)    Il    ne  faut  pas    oublier  qu  il 

»  si  ses  ouvrages  ont  été  bien  reçus  était  savant.  ]  «  (9)  Majoragius  l'ap- 

»  des  savans  ,   c'est  autant  par  la  ri-  »  pelle  vir  insisnis  ac  litteralus 


»  chesse  et  l'agrément  de  la  belle  im 
»  pression  qu'il   a  donnée ,    que  par 
»  leur  propre  mérite  :   Ciim  plerique 

»  librorum   meorum tuis  opibus 

J>  atque   apparalibus  ed  gratiâ  efficti 


»  (10),  et  Jean  Voûté  de  Reims,  dit 
»  en  latin  Vultéius  ,  a  écrit  dans  une 
»  de  ses  épigrammes,  qui  est  du  livre 
»  premier  ,  que  Robert  Etienne  cor- 
»  rigeait  fort  bien  les  livres  ,  que  Co- 


»  (4)  sint ,  ut  non  minus  tuum  ob  èe-     »  linct  (  +  )  les  imprimait  fort  bien  , 

»  neficium  quam  propter  suum  meri- 

»  tum  cos   doctissimus  quisque  exce- 

»  périt  et  probdrit.  »  Il  était   aisé  de 

tomber  dans  la  faute  que  M.  Ménage 

a  censurée  ;  car  la  lettre  de  Scaliger 

à    Gryphius   est  à   la  tète  du  livre  : 

vous  trouverez  cette  même  faute  dans 

le  Supplément  de  Moréri. 

(C)  Il  agissait  de  très-bonne  foi 
dans  ses  errata.]  «  Pour  marquer  que 
»  sa  Bible  était  correcte  ,  et  faire  pa- 
»  raître  en  même  temps  sa  bonne  foi, 
»  il  fit  une  chose  remarquable.  On 
»  mettait  ordinairement  l'errata  dans 
»  l'endroit  le  plus  caché  du  livre  : 
»  Gryphe  le  mit  à  la  plus  belle  place, 
»  où  on  ne  manque  jamais  de  jeter 
»  les  yeux.  La  première  page  c'est  le 


mais  que  Gryphe  savait  fort  bien 
»  et  les  imprimer  et  les  corriger. 

«  Inler  loi  nôrunt  libros  qui  cudere ,  très  sunl 
*   Insignes  ;  languel  cœtera  turba  famé. 

■>    Casligal    Slephanus  ,     sculpil    Colinxus  , 
utrumque 
»    Gryphius  edocld  mente  manuque  Jacit.  ■• 

(5)  Clievillier ,  Origine  de  l'Imprimerie  de 
Paris  ,  pag.  i5i. 

(6)  Erratis  et  mendis  in  opère  tam  vario  t.im- 
que  spisso  parère  omninô  non  poluimus  ,  tametsi 
omni  diligenliâ  et  cura  quanta  maximâ  poluit 
adhibitn.  Apud   Chevillier  ,   la  même. 

{•})  Jacobus  Zuinger  ,  in  Auctario  theatri  Vi- 
tae  humante  ,  pag.  1712,  edil.  1604,  apud  Che- 
viller ,  là  même. 
(8)  Là  même. 

(ç))  Ménage,  Anti-Baillct,  loin.  I,pag.  5-]. 
(10)  Pans  son  apologie    loin  liant  le  change- 
ment du  nom  J'Antonius  Maria  Cornes  en  celui 
de  Marcus  Anlonius  Majoragius  ,  citi'e  par  Mé- 
(2)  Ménage,  Anti-Haillet ,  lom.  /,  pag.  55  et     nage  ,  là  même. 
a"-  (")  Le  nom  de   cet  imprimeur  était  Simon  de 

(S)  Chevillier  ,    Origine   de    l'Imprimerie   de      Cvlines  ,  en  latin  Colinœus  S.  La  Croix  du  Maine 
Paris,  pag.  i5i.  |e  nomme  toujours  de  la  sorte  ,  et  c'est  aussi  le 

(4  I  Mou  édition,  qui  est  t'n-8°.  ,  apud    S  tint-     nom  qu'il  se  donne  dans   tous  les  livre*  français 
Andieaiiinn  ,  i5g7  ,  a  afl'ccli.  que  j'ai  vus  de  son  impression.  Hem.  crit. 


GROPPER. 


26- 


Voycz  la  lettre  que  Sadolet  lui  e'cri- 
vit  (ii). 

(G)  Sebastien  et  Antoine  Gryphius 
ont  été  loués  par  du  Perdier  Kau- 
Privas. ]  Sebastien  Gryphius,  dit-il 
(12)  ,  natif  de  Reuthlingen  ,  en  Sueve, 
près  d'Auguste,  a  restauré,  a  Lyon, 
l'art  d'imprimer  ,  auparavant  cor- 
rompu ,  l'a  restitué  en  son  entier ,  et 
décoré  de  neufs  et  fort  beaux  carac- 
tères aux  trois  langues  ,  hébraïque  , 
greque  et  latine ,  esquelles   il  estoit 

grandement  versé Les  poêles  de 

son  temps  l'ont  appelle  l'excellent 
Trrphon  de  nostreaage  duquel  Mar- 
tial fait  mémoire.  Il  a  esté  le  récep- 
tacle des  gens  scavans  ,  diligent  et 
curieux  a  chercher  par  tout  les  bons 
livres  qui  estoyent  perdus  (  au  moins 
bien  essorez  )  par  F  injure  du  temps  , 
pour  iceux  trouvez  les  restituer  et 
faire  jouir  la  postérité  d'un  tant  rare 
trésor,  dont  le  seigneur  .Antoine  Gr\  - 
phius  ,  son  fils  ,  en  a  encores  une 
bonne,  partie  a  imprimer ,  et  comme 
son  père  n'a  rien  espargné  pour  les 
recouvrer  et  après  fidèlement  mettre 
en  lumière  ,  ainsi  il  n'est  chiche  et  de 
■son  labeur  et  de  son  bien  a  les  faire 
sortir  en  publiq.  Il  mourut  l'an  1 556, 
aagé  de  soixante-trois  ans. 

(11)  C'est  la  XVI*.  du  V*.  livre,  pag.  m. 
.8/,. 

(n)  Du  Verdier  Vau-Privas  ,  Pio^opograpliie, 
P"S  407  (  '"  <e'  onde  fou  que  cette  page  est 
marquée),  e'dilion  de  i5-3  ,  1/1-4  ". 

GROPPER  f  Jean  ) ,  archidia- 
cre de  Cologne,  au  XVIe.  siècle  , 
et  promu  au  cardinalat  par  le 
pape  Paul  IV.  Voyez  son  article 
dans  le  dictionnaire  de  Moréri  , 
et  ajoutez  -  y,  qu'il  se  trouva 
extrêmement  offensé  de  ce  que 
Sleidan  l'avait  voulu  rendre  su- 
spect d'avoir  penché  quelque 
temps  au  luthéranisme  (A). 

(A)  Il  se  trouva offensé  de   ce 

que  Sleidan  l'avait  voulu  rendre  sus- 
pect d'avoir  penché'  quelque  temps  au 
luthéranisme.)  Sleidan  affirme  (1)  que 
Gropper  avait  toujours  recommande 
très-fortement  Martin  Bucer  à  l'ar- 
chevêque  de    Cologne.  Herman    de 

(1)  Sleidan    ,  lib.  XV ,  folio  m.    3C7. 


Wida  ,  qui  se  servit  du  màmstére  du 
même  Durer  pour  établir  la  informa- 
tion dans  ses  états ,  Pan  i5j3.  Mais 
comme  Gropper  y  apporta  des  obsta- 
cles, Sleidan  veut  le  faire  passer  pour 
un  transfuge,  qui ,  après  avoir  eu  des 
liaisons  aA  ce  ce  ministre ,  l'avait  com  - 
battu  fortement.  IIujus  libri  (2)  fuit 
author ,  ut  aiunt  ,  et  architectus  , 
Gropperus.  IVarn  is  ,  etsi  llucero  f  'ité- 
rât admodùm  familtaris  ante  bien- 
niuni  in  comitio  Ratisbonœ,  quamquam 
indèdomumreversus,  vehementer  eum 
non  archiepiscopo  tanluni,  sed  pas- 
sait upiid  omnes  prœdieaverat,  licet 
crebras  ad  eum  dedisset  et  amicissi- 
mas  hueras:  tamen,  quiim  rcs  in  eum 
esset  dediu  tu  casum  .  ab  ejus  amicitiâ 
se  totum  avertit ,  et  principe  reliclo  , 
cuifortunam  omnem  debebat ,  in  ad- 
versariorum  castra  transiit  (3).  Pour  ce 
qui  est  du  ressentiment  de  Gropper  , 
je   vais  citer   un  copiste   de   Surins. 

«   Sleidan nous  veut  faire  accroire 

»  que Jean  Gropper  a  este  here- 

»  tique  ,  et  qu'il  a  eu  tousjours  Bucer 
)j  en  grande  recommandation  et  es- 
■»  time.  Mais  cest  homme  tant  loua- 
»  ble  monstra  bien  que  c'estoit  une 
i.  pure  calomnie  qu'on  disoit  de  luy, 
»  en  un  livre  qu'il  dédie  à  Fempe- 
»  reur  Charles  cinquiesme,  et  en- 
»  cor1  en  un  autre  lieu  il  tesmoigne, 
»  que  Sleidan  (lequel  il  appelle  igno- 
»  rant  malicieux  des  affaires  de  Fem- 
»  pire  )  a  faucement  menty  en  son 
»  histoire  pleine  de  mensonges,  quand 
»  il  dict  telle  chose  de  luy  :  et  que 
»  Bucer  se  coula  peu  à  peu  dans  le 
»  diocèse  de  Coloigne ,  non-seulement 
»  à  son  desceu  et  de  tous  les  catholi- 
»  ques  ,  mais  encor'  en  despit  d'eux, 
»  et  en  mesme  lieu  il  appelle  expres- 
»  se'ment  Bucer  homme  détestable 
»  et  malheureux,  à  jamais.  Vraye- 
)>  ment.  Sleidan  n'eust  pas  dict  une 
»  telle  injure  sans  avoir  son  change  , 
»  s'il  n'eust  este  plustost  mort ,  que 
»  Gropper  ne  peut  le  réfuter  par 
»  escrit  ,  comme  il  s'estoit  résolu  de 
»  faire  (41.  » 

Maimbourg  ne  nie  point,  que  Grop- 
per,   qui  fut  l'un  des   trois  docteurs 

(2)  C'est-à-dire  ,  l'Anti-didagma ,  dont  j'ai 
parlé  dans  Lu  remarque  (C)  de  l'article  Wida, 
loin.  XIV. 

(3)  Sleidan.  ,  lib.  XV,  folio  367  verso. 

(4)  Du  F.é.-m.  Histoire  de  l'Église,  tom.  //, 
fol.  4^5.   Voyez  Surius  ,   ad  ami.   1 54 3  ,  m.  384. 


^68 


catholiques  qui  conférèrent  avec  Bu- 
cer  et  avec  deux  autres  protestans  au 
colloque  de  Ratisbonne,  Tau  i54'  , 
n'ait  entretenu  depuis  ce  temps-là  , 
quelque  commerce  avec  Bucer;  mais 
c'est,  ajoute-t-il  (5) ,  que  ce  prédicant 
de  Strasbourg ,  convaincu  par  les 
raisons  que  cet  excellent  homme  pro- 
duisit en  celte  conférence ,  lui  donna 
lieu  de  croire ,  par  les  lettres  qu'il  lui 
écrivit,  qu'il  était  en  termes  de  renon- 
cer a  Luther,  comme  il  avait  déjà 
fait  a  Zuingle  ,  et  de  rentrer  dans 
l'église  catholique.  Quoi  qu'il  en  soit, 
le  copiste  de  Surius  remarque  que 
Gropper,  étant  de  retour  de  ce  col- 
loque de  Ratisbonne ,  passa  les  veux 
sur  les  livres  de  Bucer ,  et  pour 
esprouver  la  constance  du  compai- 
gnon  ,  il  les  conféra  avec  les  articles 
qui  avaient  esté  accordez  audict  col- 
loque. Lors  il  trouva  une  infinité  de 
poincls  repugnans  droictement  à  ceux 
que  Bucer  avoit  reçeuz  et  approuvez 
en  ce  colloque ,  et  parlant  il  annota 
quelques  vilaines  répugnances  d'ice- 
luy  Bucer  ,  des  erreurs  ,  mensonges 
et  blasphèmes  si  grands ,  que  jamais 
les  manichéens  n'en  dirent  de  pa- 
reils. Que  s'il  y  a  quelqu'un  qui 
souhaite  de  seavoir  cecy  plus  exacte- 
ment ,  il  faut  qu'il  lise  ce  qu'a  escrit 
le  docte  Everard  de  Billy  (6) ,  a  la 
defence  des  jugemens  de  l'université 
t't  clergé  de  Coloigne  ,  contre  les  ca- 
lomnies de  Melanchlhon  ,  Bucer  et 
autres,  ou  il  trouvera  cecy  traiclé am- 
plement  (7).  Surius  et  son  copiste 
allèguent  cela  ,  afin  d'avoir  lieu  de 
dire  que  Sleidan  était  un  menteur. 
Ils  s'emportent  là  furieusement  con- 
tre lui,  et  en  cent  autres  endroits. 

(5)  Maimbourg  ,    Ilist.    <Iu    lulliér.  ,   loin.    I  , 
png.  269,  e'dit.  de  Hollande. 

(6)  Everardus    Billicus,    ou  plutôt   Billichius. 
C  était  un  canne.  r 

(7)  Du  Préau,   Hist.  de  l'Eglise  ,  tom.  II,  fol. 
4^5  verso. 

GROTIUS  (Corneille),  en 
flamand  de  Groot  ;  c'est-à-dire 
le  Grand,  naquit  le  7.5  de  juillet 
1 544? ^ Delft ,  oii  sa  famille  était 
illustre  depuis  quatre  siècles  (A). 
II  y  fit  ses  premières  études  ; 
après  quoi  il  fut  envoyé  à  Lou- 
vain ,  où  il  étudia  pendant  qua- 


GROTIUS. 

tre  ans  en  philosophie.  Il  s'atta- 
cha principalement  à  celle  de 
Platon  (B).  Il  apprit  le  grec  et 
l'hébreu,  et  même  les  mathéma- 
tiques. A  l'âge  de  vingt  ans  il 
s'en  alla  à  Paris  ,  et  y  continua 
l'étude  des  belles-lettres ,  et  celle 
de  la  philosophie.  Il  fut  très-par- 
ticulièrement aimé  de  Jean  Dau- 
rat,  professeur  royal.  Ensuite  il 
s'en  alla  à  Orléans,  pour  y  étu- 
dier la  jurisprudence  ;  et  lorsque 
les  professeurs  le  jugèrent  digne 
du  doctorat,  il  se  contenta  de 
prendre  le  degré  de  licencié,  et 
s'en  tint  là  toute  sa  vie.  Etant 
retourné  en  son  pays,  il  s'appli- 
qua au  barreau.  La  ville  de  Delft 
le  fit  conseiller  et  échevin  tout 
à  la  fois,  et  comme  il  donna  de 
belles  preuves  de  sa  vertu  et  de 
son  érudition  ,  le  prince  Guil- 
laume le  fit  maître  des  requêtes. 
Il  remplit  très-bien  les  devoirs 
de  cette  charge ,  jusques  à  ce 
qu'en  i5;5  il  fut  appelé  à  d'au- 
tres fonctions ,  c'est-à-dire  ,  à 
celles  de  professeur  dans  l'acadé- 
mie de  Leyde ,  nouvellement  éri- 
gée. 11  y  enseigna  la  philosophie 
quelques  années ,  et  puis  la  ju- 
risprudence. Il  se  plut  de  telle 
sorte  à  cet  emploi  ,  qu'il  ne  vou- 
lut pas  le  quitter  pour  la  charge 
de  conseiller  au  grand  conseil , 
qui  lui  fut  offerte  diverses  fois. 
Il  mourut  l'an  1601  ,  et  ne  lais- 
sa point  d'enfans.  Il  laissa  quel- 
ques ouvrages  de  jurisprudence  , 
qui  n'ont  pas  été  imprimés  (a) 
(C).  II  avait  un  frère  nommé 
Jean  de  Guoot  (D) ,  qui  fut  père 
de  Hugues  de  Groot  dont  je  vais 

(a)  Tiré  du  livre  int itulè  :  Tllustrium  lïol- 
laniline  el  West-Fi'isitE  Onlinum  Aima  aca- 
dernia  Lcidensis;  imprime  à  Leyde,  l'on 
161']. 


GROTIUS.  a6g 

étaient   fils    l'un   et    même  auteur.  <c  LlLros  nullos  edidit, 


parler.  Ils 
l'autre  de  Hugues  de  Groot,  le 
premier  de  sa  famille  qui  porta 
ce  nom  (E) ,  et  qui  mourut  l'an 
i56-j  {b) ,  étant  bourgmestre  de 
Delft  pour  la  cinquième  fois. 


(b)  Ibidem ,  in  Jano  Grotio. 


ou  sa  Ja- 
uatre  siè- 
e  l'auteur 


(A)  Il  naquit  a  Delft , 
mille  était  illustre  depuis 
des.  ]  Voici  les  paroles  ( 
que  j'ai  cité  dans  le  texte  de  cet  ar- 
ticle. Pâtre  m  habuit  Hugonem  Gro- 
tium  virum  antiquâ  virtute  et  opibus 
polie nleni,  ex  patrie id  Groliorum  fa 


»  sed  elaboratos  quosdam  commenta- 
it rais  ad  diuersas  juris  parles  con- 
»  scripsit.  Inter  quos  Absolutissimum 
»  Commentarium  ad  quatuor  libros 
»  Institutionum  juris  civilis  ;  ad  om- 
)>  nés  titulos  quatuor  primorum  libro- 
j»  rum  Digestorum  ;  duos  tomos  Com- 
»  moniari  ii'iun  et  Observationum  feu- 
j>  daliuni  ;singidaremTractatumcon- 
»  tinentem  quinquaginta  difleren- 
»  tias  feudorum,  à  feudis  Hollandi- 
»  cis.  »  C'est  à  quoi  Konig  n'a  pas 
pris  garde  j  car  il  donne  J.i  plupart 
de  ces  ouvrages  pour  des  écrits  pu- 
bliés par  leur  auteur  (3) ,  et  il  cite 
Swertius   et  Meursius  qui  ne  disent 


mtlid  quœ  in  repub.  Delphensi  totis  nen  moins  que  cela  (4). 

quadringentis   annis  continuis   illus-  W1'  avait  un  frère  nommé  Juta 

tris,  etiam  hucusque  consulatibus  et  DE  j.*?01;  J    Ce]»i-™,  après    avoir 

summis  reipub.    honoribus  decoralur  étudie  les  humanités  a  Delft  ,  lit   son 

(i).  Cet  auteur  n'est  point  exact,  et  il  ?°".rs  de  P»ilosophie  et  ses  études  de 

aroles  jurisprudence  à   Douai.  11  revint 


a  besoin  d'être  éclairci.  Ses  paroles 
portent  manifestement  à  croire  que 
l'ancienne  famille  de  de  Groot  fut 
continuée  de  mâle  en  mâle  jusqu'à 
notre  Cornélius  Grotius  ;  mais  cela 
est  faux  :  elle  tomba  en  quenouille 
environ  l'an  i43o.  Dideric  de  Groot, 
bourgmestre  de  Delft,  et  illustre  par 
plusieurs  députations  ,  n'eut  qu'une 
fille  ,  qui  ,  se  mariant  avec  Corneille 
Cornetz,  stipula  que  les   enfans  qui 


en 
Hollande  dès  que  l'université  de 
Leyde  eut  été  fondée  ,  et  demeura 
jusqu'en  i582  chez  son  frère  ,  Cor- 
neille de  Groot,  professeur  en  droit 
dans  cette  université.  Après  cela  il 
fut  élevé  successivement  à  la  charge 
d'écbevin  et  bourgmestre  de  Delft , 
et  à  celle  de  curateur  de  l'académie 
de  Leyde  (5),  et  il  ne  fit  point  diiii- 
cullé  de  se  faire  recevoir  docteur  en 

sortiraientdëson  mariage  prendraient   droit  depuis  qu'il  fut  curateur  (6). 

le  nom  de  de  Groot.  Ce  qui  commença     ,     . a  1ueiqufs  ouvrages  de  sa  façon  , 


à  s'exécuter  en  la  personne  de  Hugues 
,  de  Groot,  père  de  Corneille.  Les  Cor- 
netz étaient  issus  d'un  gentilhomme 
français  qui  s'établit  dans  le  Pays- 
Bas  au  temps  des  ducs  de  Bourgogne. 
Voyez  le  passage  que  je  cite  dans  la 
remarque  (E). 

(Bj  II  s'attacha h  la  philoso- 
phie de  Platon.  ]  L'auteur  de  son 
Eloge  parle  de  cela  en  ces  termes  (a)  : 
Philosophiam    Platonicam  ,    quippe 


écrits  avec  beaucoup  de  politesse,  si 
l'on  en  croit  M.  Moréri  ;  mais  il  se 
trompe;  il  a  donné  trop  d'étendue  à 
une  chose  que  Meursius  avait  déjà  un 
peu  trop  amplifiée.  Voici  les  paroles 
de  Mcursius  (7)  :  Pater  (  Hugonis  ) 
erat  Johannes  Gratins  cujus  exstant 
carmin  a,  et  Lipsii  ad  ipsum  litterœ  , 
Dousœque  versus ,  nec  pauca  alio- 
rum  monumenta  ipsius  inscripta  no- 
mini.  Cela  signifie  manifestement  que 


quant  solam  inter  humanœ  sapientiœ  J,eaP  Groti".s  avait  fait  des  vers  qui 
sectas  magis  divinam  (  ut  rêvera  est)  etaient  sortis  de  dessous  la  presse. 
judicavit ,  adeo  avide  amp/exus  est , 


ut  vmnia  Platonicorum  scripta  per- 
scrutatus  J'uerit ,  memoriœ  infixerit  , 
ac  per  tolam  vitam  manu  ac  mente 
volulaveril. 

(C)  Il  laissa  quelques  ouvrages  de 
jurisprudence  qui  n'ont  pas  été  im- 
primés.]   Continuons    d'entendre    le     avant  que  d'être  curateur  de   l'académie,  kc» 

dem.  Leid  — 


(3)  Eilulil  Comm,  ad  /(  libros  Institutionum 
juris  civilis  ,  item  2  lomus  Observationum  feu* 
daÎLum.  Konig ,  lîibliotli.  vet.  et  nova,  va?. 
336. 

(4)  Swertius  dit  expressément  :  Libros  nullos 
edidit,  sed  elaboratos...  conscripsit.  Meursius  n» 
parle  ni  île  livres  publiés ,  ni  de  livres  composés. 

(5)  Il  fut  bourgmestre  quatre  fois  de  suite, 


(1)  Academia  Leidensis,  pag 

(2)  I li idem,  pag.  r^. 


(6)  Ibidem. 

(7;  AtUen.  BatûT. 


9.7° 


GROT 


Mais  puisque  dans  la  Vie  de  Grotius 
on  a  rapporté  tout  le  passage  de 
Meursius,  hormis  ces  paroles,  cujus 
exstant  carmina  (8) ,  il  est  très-pro- 
bable que  Meursius  s'était  trompé 
sur  cet  article.  D'ailleurs  ,  il  est  très- 
certain  que  Jean  Grotius  entendait 
la  poésie  :  Lipse  le  témoigne.  Negas 
agnoscere  te  Deas ,  idque  carminé 
quod  agnoscantipsœ  Deœ —  Carmen 
totum  approbum,  ne.c  critica  Mi  h 
me  nota  (g). 

(E)  Hugues  de  Groot  fut  le  premier 
de  sa  famille  qui  porta  ce  nom.  \  C'est 
ce  que  l'on  trouve  dans  la  Vie  de 
Grotius  ,  qui  est  à  la  tête  de  ses  OEu- 
vres,  et  parmi  celles  que  Batésius  a 
recueillies.  Le  passage  mérite  d'être 
copié  tout  entier.  Avus  ei  fuit  Me 
Hugo  de  Groot ,  qui  ex  il/ustri  Cor- 
netziorum  génie  prognatus  ,  primus 
Grotianum  nomen  in  familiam  suant 
transtulit-  Quippe  ciiin  circa  annum 
trtgesimum  seculi  decimi  quinti  in 
Diderico  de  Groot  ejusdem  itidem  ci- 
idtatis  consule,  et  non  paucis  deputa- 
tionibus  satis  claro ,  defecisset  stiips 
masculina  ,  filia  ejus  Ermgarda  de 
Groot ,  domiis  satis  opulentœ  hœres , 
viro  nobdissimo  Cornelio  Cornetzio  , 
qui  genus  suum  ex  ed  Cornetziorum 
prosapid  ducebat  ,  qui  sub  ducibus 
Burgundiœ  ex  Gallid  in  Belgium 
migraverant ,  nupturu,  matrimonium 
non  iniit ,  tiisi  factd  conditione  ,  ne, 
qui  ex  eo  nascerentur  masculini  sexih 
Itberi,  alio  quant  Grotiano  /tontine 
nuncuparentur  ;  ita  natus  Hugo  de 
Groot ,  ejus  Hugonis  ,  de  quo  loqui- 
mur,  avus ,  vir  supra  quhm  ea  tem- 
pora  ferebant  ,  latinarum  ,  grœca- 
ruin  et  hebrœarum  quoque  litterarum 
sciens.  La  suite  de  ce  passage  nous 
apprend  que  ce  Hugues  fut  bourg- 
mestre de  Delft  ,  et  qu'il  épousa  El- 
selinge  Heemskerk,  fille  de  grande 
noblesse. 

(S)  Patreni  habiiit  Juhannem  de  Groot...  ad 
quem  exstanl  Lip.ùi  epi.ttolie  ,  illustris  viri  Jani 
Douzœ  versus  ,  et  non  pauca  aliorwn  monu- 
meitta  ejus  nomini  mscripla.  Vila  Grotii,  inil., 
apud  Batcsium  ,  pag.  l\io. 

(9)  Lipsius,  epist.  XVII,  cent.  1  Miscel- 
lan. 


GROTIUS  (Hugo)  ,  l'un  des 
plus  grands  hommes  de  l'Eu- 
rope, naquit  à  Delft ,  le  10  d'a- 


IUS. 

vril  i583*.  Les  progrès   de  ses 
études  furent  si  prompts ,  qu'il 
fit  des  vers  avant   l'âge  de  neuf 
ans ,  et  qu'à  l'âge  de  quinze    il 
savait  beaucoup  de  philosophie  , 
beaucoup  de  théologie  et  beau- 
coup de  jurisprudence.    Il   était 
encore  plus  habile  dans  les  belles- 
lettres,  comme  il  parut  par    le 
commentaire  qu'il  fit ,  à  cet  âge- 
là,  sur  un  auteur  très-difficile  (a). 
Il  accompagna  en   France,  l'an 
1598,  l'ambassadeur  de  Hollan- 
de {b) ,  et  y   reçut  des  marques 
de  l'estime   de  Henri-le-Grand. 
I!  y  prit  aussi  le  degré  de  docteur 
en  droit  ;  et ,  dès  qu'il  fut  de  re- 
tour en  son    pays,    il    s'attacha 
au  barreau ,  et  plaida  avant  l'âge 
de  dix-sept  ans.  Il  n'en  avait  pas 
vingt -quatre  lorsqu'il   fut  éle- 
vé à   la    charge    d'avocat  géné- 
ral.    Il    s'établit    à     Rotterdam 
en   1 6 1 3  .  et  y  fut  syndic  de  la 
ville    (c);  mais   il  n'accepta  cet 
emploi  que  sous  la  promesse  qu'il 
se  fit  faire  qu'on  ne  l'en   dépos- 
séderait pas.  Il  prit  cette  sage 
précaution ,    parce  qu'il    prévit 
que  les  querelles  des  théologiens, 
sur  les  matières  de  la  grâce  ,  qui 
formaient  déjà    mille     factions 
dans  l'état,  causeraient  un   flux 
et  reflux  de  révolutions  dans  les 
principales  villes.  Il  fut  envoyé 

*  Le  président  Bouhier,  et  après  lui  Le- 
clerc  ,  disent  que  Grotius  naquit  en  i58?.; 
mais  Burigny  ,  qui  explique  les  raisons  con- 
cluantes qui  l'ont  porte  à  adopter  la  date  de 
1583,  pense  que,  dans  la  lettre  cite'e  par 
Bouhier  et  Leclerc,  il  faut  lire  incœpi,  au 
lieu  de  implevi. 

(a)  Mavlianus  Capella.  Voyez  M.  Baillet , 
Enfans  célèbres,  pag.  2S2  et  suif.  Il  cous 
apprendra  tout  ce  qui  concerne  les  preuves  de 
l'érudition  de  Grotius  avant  l'âge  de  vingt 
ans. 

(b)  Celait  le  fameux  Barnevelt. 

(c)  Les  Hollandais  nomment  pensionnaire; 
ceux  qui  exercent  celte  charge. 


4 


GROTIUS.  271 

en  Angleterre  la  même  année ,  à    mis  eu  détournèrent  tous  les  bous 
l'occasion  des  brouilleries  qui  ré-   eflets  (E).  Il  fut  donc  contraint 
gnaient  entre  les  marchands  des    de  sortir  encore  une  fois  de  sa 
deux  nations ,  sur  quoi  il  avait    patrie.  Le  parti  qu'il  prit  fut  de 
écrit   quelque  chose  (À),    il    se    s'en   aller   à    Hambourg  ,  ou    il 
trouva  si  enveloppé  dans  les  af-   s'arrêta  jusquesà  ce  qu'il  eût  ac- 
faires  qui  firent  périr  Barnevelt ,    cepté   les  offres   de  la  couronne 
qu'il    fut    arrêté  prisonnier    au    de  Suède ,    l'an  i63/|.   La  reine 
mois  d'août  1618,  et  condamné    Christine  l'honora  de  la  dignité 
à  une  prison  perpétuelle,  le  18  de    de    son    conseiller,    et  l'envoya 
mai    1619,  et  à  la  confiscation   ambassadeur    auprès    de    Louis 
de  tous  ses  biens.    On  l'enferma  XI II.  Après  avoir  eu  cet  emploi 
au  château  de  Louvestein,  let)  de    environ  onze  ans,    il   partit   de 
juin  de  la  même  année.   Tout  le    France,  pour  aller  rendre  comp- 
monde  sait  la  manière  dont  il  se    te  de  son  ambassade  à  la  reine 
sauva  (B) ,   après  avoir  .souffert    de  Suède.  Il  passa  par  la  Hollan- 
dans  ce  château  un  traitement    de ,  et  reçut  bien  des  honneurs 
rigoureux  pendant  plus  d'un  an    à   Amsterdam.    Il    vit    la   reine 
et  demi  (d).  Il  se  retira  en  Fran-    Christine  à  Stockholm  ;  et  ,  après 
ce  ,  où  la  cour  le  reçut  très-bien    l'avoir    entretenue    des    affaires 
et  lui  assigna  une  pension.    Les    qu'elle  lui  avait  confiées,    il  la 
ambassadeurs    de   Hollande    ta-    supplia  très -humblement  de  lui 
chèrent    en   vain  de   le    mettre    donner  son  congé.  Il  ne  l'obtint 
mal  dans  l'esprit  du  roi  ;  ce  prin-    qu'avec    peine,    et    il    reçut   de 
ce  n'écouta  point  leurs  artifices  ,    cette  princesse  plusieurs  témoi- 
et  rendit  un  glorieux  témoignage    gnages  d'une  grande  estime.    Il 
à  la  vertu  de  cet  illustre  réfugié    avait  beaucoup  d'ennemis   dans 
(C).  Grotius  s'appliqua  beaucoup   cette  cour  (F).  Le  vaisseau   sur 
à  l'étude ,  et  à  composer  des  li-    lequel  il  s'embarqua  fut  si  mal- 
vres.  Le  premier  qu'il    publia,    traitépar  la  tempête,  qu'il  échoua 
depuis  qu'il  se  fut  établi  en  Fran-   sur  les  côtes  de  Poméranie.  Gro- 
ce  ,  fut  l'Apologie  des  magistrats    tius  malade  et  chagrin  continua 
de  Hollande  qui  avaient  été  dépo-    son  voyage  par  terre;  mais  son 
sés.(D)  11  sortit  de  France  après    mal  le  contraignit  de  s'arrêter  à 
y  avoir  demeuré  onze  ans  ,  et  re-   Roslock,  ou  il  mourut  dans  peu 
tourna  en  Hollande  ,  où  il  espé-    de  jours  le  28  d'août  1G45.  Son 
raitbiendes  choses  ,  fondé  sur  les    corps  fut  porté  à  Delft  au  sépul- 
marques  d'affection  que  le  prince    cre  de  ses  ancêtres  (e).  Son  am— 
Fridéric  Henri  lui  avait  données    bassade   ne   l'avait  pas  empêché 
dans  une  lettre  ;  mais  ses  enne-    de  publier  bien  des  livres  sur  di- 
vers sujets  (G).  11  s'engagea  dans 
(d)Vbi postquàm ultra sesquiannum sus-   une  dispute   désagréable,  pour 

tenlalus  bonis  uxoris ,  aspernanlis  jiidicum 

largilionem  ,  qui  vicenos  et  quatuor  in  client 

asses  caplivo  totique  ipsius familial  assigna-         (e)  Tiré  de  sa  Vie,  qui  est  a  la  tête  de  ses 

vera.nl,  stndiis  prœcipuè  impendisset,  pluri-  OEuvres  théologiques,  imprimas  à  dmster- 

masque  au  iis  qui  cùstodiœejuspfœerant  in-  dam  ,  l'an  it);y  ,  et  dans  te  Jteeueil  imprimt 

jurias  perpessus  fuisset ,  etc.   Vita  Grotii,  à  Londres ,  l'an  16&1 ,  intitulé  :  ViUeSelec- 

npiul  Buleshrti)  ,  pag.  ;'|.',J.  torum  aliquot  Virorum, 


27?  GR0T1US. 

avoir  voulu  porter  les  controver-  repartie  ,  montre  clairement  que 
ses  à  un  accommodement.  Un  l'accusateur  se  sent  convaincu 
théologien  de  Leyde  (/*),  Pran-  de  calomnie.  Or  de  là  naît  un 
cais  de  nation ,  l'entreprit  sur  double  scandale ,  puisque  d'un 
cette  affaire  ,  et  n'oublia  rien  de  côté  il  n'a  fait  aucune  démarche 
tout  ce  qui  le  pouvait  rendre  pour  la  réparation  d'une  injure 
suspect  aux  prolestans ,  et  irri-  si  atroce  ;  et  que  de  l'autre ,  ses 
ter  la  couronne  de  Suède.  On  supérieurs  ecclésiastiques  ne  l'ont 
vit  là  un  exemple  de  la  maxime  jamais  censuré  d'une  calomnie  si 
que  V esprit  est  la  dupe  du  cœur,  manifeste  ,  et  ne  lui  ont  jamais 
Grotius  ,  ayant  souhaité  la  réu-  témoigné  qu'ils  n'approuvaient 
nion  des  chrétiens,  jugea  qu'elle  pas  qu'il  publiât  des  ouvrages 
était  possible  :  son  désir  l'empê-  tels  que  l'Esprit  de  M.  Arnauld. 
cha  de  voir  les  obstacles  invinci-  On  travaille  à  une  Vie  de  Gro- 
bles  que  l'entêtement  de  quel-  tius  (h) ,  qui  sera  ample,  et  fort 
ques  particuliers  formerait  faci-  instructive  ;  et  c'est  dommage 
lement ,  quand  même  il  n'y  en  qu'on  ne  la  compose  pas  en  une 
aurait  pas  dans  les  causes  de  la  langue  plus  universellement  en- 
division.  Les  calomnies  que  ses  tendue  que  le  flamand*.  On  n'ou- 
ennemis  répandirent  maligne-  bliera  pas  à  le  louer  du  côté  de 
ment  touchant  sa  mort,  sont  ré-  la  mémoire  :  il  l'avait  si  bonne, 
futées  d'une  manière  invincible  qu'ayant  assisté  à  la  revue  de 
par  la  relation  du  ministre  qui  quelques  régimens ,  il  retint  le 
le  prépara  au  dernier  passage  nom  de  chaque  soldat  (/).  On 
(H).  On  ne  laissa  pas  en  divers  a  publié  depuis  quelques  jours 
temps  de  faire  valoir  ces  faux  une  lettre  de  Saumaise,  où  il 
bruits  :  mais  personne  n'a  outré  est  assez  maltraité  (M).  Il  lais- 
la  chose  autant  que  l'auteur  de  sa  trois  fils  et  une  fille  (N).  Le 
l'Esprit  de  M.  Arnauld  (I).  Il  a  fils  aîné  de  l'un  de  ses  fils  est 
osé  débiter  que  Grotius  était  Drossart  (k)  de  Berg-op-Zoom. 
mort    comme  athée.    Plusieurs 

Ont  trouvé  étrange     que    Ses    pe-         (h)  Je  parlais  ainsi  en    1695,  mais    Cas- 

,,.         ,    .  °      _j  A'  Par  Brand,  minisire  arminien  d'Amsterdam 

tltS-IllS  liaient  pas  demande  re-  g ui  composait  cet   ouvrage,  est    mort   de- 

paration    de    cette    injure  ,    et  puis. 

qu'ils  aient  paru  moins  Sensibles         *  Burigny  a  donné  en  français  une  Vie  de 

T.  .     -T"  Grotius  avec  t  histoire  de  ses  ouvrages ,  ca- 

sur  ce  point-la  ,  que  les  parens  riS]  i75o,  deux  vol.in-12;  et  avec  des  re- 

de  Jansénius(#)  SUr  des  Calomnies  marques  d'un  anonyme  ,  Amsterdam ,  1754  , 

,  .  ,         1  >    <  TVT    •       J  in-4°. ,  ou  deux  vol.  in-12.  Quant  à  l'ouvrage 

bien  plus  légères.  Mais  des  per-  de  5randt  sironencroitCamusattBié/.  des 

SOnneS  très— Sages  apprOUVentfort  livres  nouveaux)  ,  cité  par  Joly  ,  il  a  été  pu- 

t  •+       1    P_.£  1J    J„,.,.,„    iA„in  blié  en  1726,  in  8".  Ce  qui  est  certain,  c  est 

cm  on  ait  néglige  la-dessus  toute       >.,     .',     '    ,,        ,  n     v.    .   „  '. 

M  ,  *    O  .  O.  T  qu  il  existe  en  flamand  une  r  le  de  Grotius, 

procédure  juridique  (K).   Il  a  pa-  par  G.  Brandt  et  Adrien  Catlenburg,  1727, 

1-U  une  très-forte  réponse    à   cet  deux  vol. petit  in-folio.  Brandt  l'avait  amenée 

.     j   r.T  .  j  jusqu  a  1  ambassade  de  Urotius  en  France  : 

endroit  de  1  Esprit  de  M.  Arnauld  Cattenburg  l'a  achevée.  (Voyez  les  Mémoires 

(L)     qui,  étant  demeurée  sans  de  Paquot,  in-folio,  tom.  iil,Pag.  620.) 

*  (i)  Borremans  ,  Var.  Lect. ,  cap.  III,  apud 

(  f)  André  Rivet.  Creuium  ,   Animadvers.  philolog.  et  bist.  , 

(g)  Voyez  la  remarque  (K) ,  au  Commen-  Part-  '<  Pag>  '9- 
r.cment.  (*)  Charge  considérable  en  Hollande. 


Le  livre  de  Jure  Belli  etPacis 
étant  un  chef-d'œuvre  ,  et  ayant 
reçu  du  public  un  honneur  très- 
parti  tulier  ,  il  est  raisonnable 
d'en  parler  un  peu  amplement 
(O).  Je  dirai  quelque  chose  de 
l'ouvrage  que  Grotius  a  composé 
sur  l'histoire  du  Pays-Bas  (P). 
11  le  fit  dans  sa  jeunesse  ,  et  se- 
lon la  latinité  de  Tacite. 

(A)  Sur  quoi  il  avait  écrit  quelque 
chose.]  Je  me  sers  des  paroles  de 
Meursius.  Ciim  intelligent  naviga- 
tionem  in  Indiam  jœderaque  ej us  or- 
bis  ingentia  esseprœsidia  patriee  suœ, 
qub  niagis  populares  suos  excitaret 
ad  eus  res  magno  animo  suscipiendas, 
de  Jure  Commercii  Indicani  libellant 
composuit  (i).  Ce  traité  avait  pour 
titre,  Mare  liberum,  swe  de  Jure 
quod  Batavis  competit  ad  Indicana 
Commercia  Dissertatio ,  et  fut  im- 
primé l'an  1609.  Voyez  la  Biblio- 
thèque choisie  de  Colomiés ,  page 
157. 

(B)  Tout  le  monde  sait  la  manière 
dont  il  se  sauva]  Ce  fut  «  par  le  con- 
»  seil  e  t  par  l'industrie  de  Marie  de  Ré- 
»  gelsberg  (2)  ,  sa  femme  ,  qui  ,  ayant 
»  remarqué  que  ses  gardes  ,  après 
»  s'être  lassés  d'avoir  souvent  visité 
m  et  fouillé  un  grand  coffre  plein  de 
rr  livres  et  de  linge  qu'on  envoyait 
»  blanchir  à  Gorcum,  ville  voisine 
»  de  là ,  le  laissaient  passer  sans  l'ou- 
»  vrir  comme  ils  faisaient  d'abord  , 
»  conseilla  à  son  mari  de  se  met- 
»  tre  dans  ce  coffre,  ayant  fait  des 
»  trous  avec  un  virebrequin  à  l'en- 
»  droit  où  il  avait  le  devant  de  la 
»  tête,  afin  qu'il  pût  respirer,  et 
»  qu'il  n'étouffa"t  point.  11  la  crut, 
d  et  fut  ainsi  porté  à  Gorcum  chez 
»  un  de  ses  amis,  d'où  il  alla  à  An- 
»  vers  par  le  chariot  ordinaire  ,  ayant 
«  passé  par  la  place  publique  dé- 
»  guisé  en  menuisier,  ayant  une 
»  règle  à  la  main.  Cette  femme  adroite 
i>  feignait  que  son  mari  était  fort 
»  malade  ,  afin  de  lui  donner  le 
»  temps  de  se  sauver,  et  pour  citer  le 
»  moyen  de  le  recourre  :  mais  quand 

(1)  Meursius,  Athen.  Batav.  ,  pag.  ao6. 
(a) Son  véritable  nom  était  Marie  Reygersber- 
gen. 

TOME    VII. 


GROTIUS.  273 

>i  elle  le  crut  en  pays  de  sûreté,  elle 


»  dit  aux  gardes,  en  se  moquant 
»  d'eux,  que  les  oiseaux  s'en  étaient 
»  envolés.  D'abord  on  voulut  pro- 
»  céder  criminellement  contre  elle  , 
»  et  il  y  eut.  des  juges  qui  conclurent 
»  à  la  retenir  prisonnière  au  lieu  de 
»  son  mari  ;  mais  par  la  pluralité 
»  des  voix  elle  fut  élargie,  et  louée  de 
»  tout  le  inonde,  d'avoir  ,  par  son 
»  esprit,  redonné  la  liberté  à  son 
»  mari  (3).  »  Une  telle  femme  méri- 
tait dans  la  république  des  lettres, 
non-seulement  une  statue,  mais  aussi 
les  honneurs  de  la  canonisation  ;  car 
c'est  à  elle  qu'on  est  redevable  de 
tant  d'excellens  ouvrages  que  son 
mari  a  mis  au  jour,  et  qui  ne  seraient 
jamais  sortis  des  ténèbres  de  Lou\es- 
tein  ,  s'il  y  eût  passé  toute  sa  vie , 
comme  des  juges  choisis  par  ses  en- 
nemis l'avaient  prétendu  (4). 

(C)  Louis  XIII  rendu  un  glorieux 
témoignage  a  la  vertu  de  cet  illustre 
réfugié.]  Grotius  ne  perdit  point  le 
souvenir,  ni  l'amour  de  sa  patrie  qui 
l'avait  maltraité.  C'est  ce  que  Louis 
XIII  admirait  ;  et  ce  fut  sans  doute 
l'une  des  raisons  qui  le  portèrent  à 
rejeter  les  mauvais  conseils  des  mi- 
nistres de  la  république ,  ennemis 
particuliers  de  Grotius,  qui  tâchaient 
de  le  rendre  odieux  à  la  cour  de 
France.  Semper  intentus  patriœ  et 
popularibus  suis  ubi  quid  negotii  Mis 
apud  aulam  eam  esset,  consi/io  ,  ope- 
rd,  et  qud  pollebat  apud  nonnullos 
ministros  regios  gratid  inservire  ac 
prodesse  ;  quamfis  non  ignoraret  , 
eos ,  qui  ibi  res  fœderator.tm  cura- 
bant  ,  nihil  intentatunt  relinquere  , 
quo  l'egis  animum  ipsi  infestum  red- 
derent  ,  sed  frustra  laborabant  apud 
principem  nihil  ignorantem  eorum , 
quœ  annis  ci3  ioc  xviu  et  cid  13c  xix 
in  Hollandid  acta  eranl  :  quin  dixisse 
non  semel  jertiu;  mimrise  limitent 
hominis ,  qui  tant  malè  in  patrid  ha- 
bitas ,  non  desineret  tarnen  ei ,  subdi- 
tisque  ejas  benè  velle ,  inio  quoeun que 

(3i  Du  Maurier,  Mémoires  rie  nollande,  pag. 
m.  4°4-  Voyez  les  Lettres  ccclesiasticae  el  (néo- 
logie* ,  pag.  654  et  seq. 

(I\)  Eorumque  (  uovein  mens  uni  )  sex  elapsi 
essenl  in  conquirendo  infensissimos  quosque 
quibus  judicum  munu<  tul'o  commutèrent.  Vit» 
Grotii  ,  pas:.  423  Vojret  ci-dessus,  pag.  aoo, 
remarque  (F)  de  l'article  Gr»sdim,  ce  que  dit 
Al.  Ménage  ,  louchant  les  jugemens  par  com- 
missaires choisis. 

1$ 


274 


GROTIUS. 


ctitim  jwsset   modo    lencfacere    (5).  prince  Fridéric  Henri  écrivit  à  Gro- 

Grotius    témoignait  par    cette   con-  tins  ,  l'an  1G22,  est  pleine  d'offres  de 

duite  qu'il   n'avait   pas   mal  profite  service.  Ou  l'a  imprimée  à  la  fin  de 

de   la   lecture  des   grands    exemples  la  Vie  de    Grotius  ;  et  il  y  a  bien  de 

que  l'antiquité  romaine  nous  four-  l'apparence  que  ce  prince  se  serait 

nit   (6).  Voyez  ce  que  j'ai  remarque  fait  une  gloire  de  rétablir  un  si  grand 

touchant  Camille  (7).  homme  ,  si  on  ne  lui  avait  représenté 

(D)  Le  premier  livre  qu'il  publia  ,  qu'il  y  avait  quelque  péril  là-dedans. 
depuis  qu'il  se  fut  établi  en  France  ,  Voici  du  latin  qui  explique  tout  cela. 

fut  l'apologie  des  magistrats  de  Hol-  Mortuo  Mauritio  Arausionensium 
lande  ,  qui  avaient  été  déposés.]  Ce  principe  ,  frôler  ejus  Fredericus 
livre  déplut  extrêmement  à  ceux  du  Hcnricus  ad  gubernaculum  reipu-' 
parti  contraire.  Ils  crurent  que  Gro-  blicœ  admôtus',  non  mitioris  tant'um 
tins  les  convainquait  d'avoir  violé  regiminis ,  sed  et  pristinœ  in  admi- 
les  lois  ,  et  ils  firent  de  nouveaux  nistrandd  republicâ  libertatis  spem 
e [forts  pour  le  perdre  ;  mais  la  pro-  dederat ,  ipsique  jam  pridem  Grotio 
tection  de  la  cour  de  France  le  mit  animisuiaffecliimperlitterastestatus 
à  couvert  de  leurs  entreprises.  Je  ne  erat ,  credebaturque  à  non  paucis , 
fais  que  mettre  en  français  le  précis  quœsiturus  sihi  gloriam  ex  tanti  viri 
de  ce  latin  (8).  Primum  operum,  tam  injuste  damnati  in  inlegrum  res- 
quod posl  receptam  libertatem  edidil ,  titutio/ie  ;  sed  ut  plerumque  apud 
fuit  -Apologeticus  s'we  Defensio ,  non  animos  eorum,  qui  principum  con- 
tant sua  ,  qui  non  potuerat  peccare  in  siliis  prœsunt ,  ulilia  honestis  prœva- 
exsequendis  iis ,  quœ  sibi  a  superio-  lent ,  neque  deessent  qui  ipsi  ante 
ribus  suis  mandata  erant,  quant  eo-  oculos  portèrent,  qu'am  periculosum 
runi ,  qui  légitima  modo  créai i ,  legi-  rébus  suisjbret,  hominem,  tamper- 
timojure  Picip.  Hollandtcœ  annis  de-  tinaciter  libertatis  ac  patriœ  suce 
cimo  octa-y-o  et  no  no  pra^f itérant.  Quo  amantem  ,  iterum  ad  rempublicam 
comperto  fa-deratorum  delegati ,  ne1  admiltere ,  potentiœ  suœ  quant  existi- 
que  ignorantes  suas  in  eo  libro  artes  ,  mationi  considère  maluit ,  et  Proce- 
illatamque  Hollandice  i>im  (g)  detegi ,  ribus  super  mansione  Grotii ,  in  Hol- 
cùm  ninil  haberenl,  quo  expressam  landiam  reversi  circa  finem  anni 
in  eo  verilatem  redarguere  aut  refu-  cia  isc  xxxn.  deliberanlibus  ,  iis  ac- 
tare  passent ,  usitatd jam  diù.  t'iolentid  cessit ,  qui  inlerdicendam  illi  in  pa~ 
utentes  ,  proscriptionibus  euni  perse-  tria  habitationem  opinabantur  (10). 
cuti  sunt  :  quod  brutumfulmen  ,  cinn  (F)  Il  avait  beaucoup  d'ennemis 
per  christianissimi  régis  tulelam,  qui  dans  la  cour  de  Suède."]  La  reine  ne 
eum  in  f idem  suam  receperat,  eva-  lui  donna  point  de  réponse  positive 
nuissel,  nihil  aliud  eo  actum  est,  sur  la  demande  du  congé-  et  cela 
qu'am  quod ,  etc.  déplut  à   quelques   grands   qui  crai- 

(E)  o'eî   ennemis  en   détournèrent  gnirent  qu'elle  ne  voulût  le  retenir 
tous  les  bons  effets.]  La  lettre  que  le  dans    son    conseil.    Il    s'aperçut    de 

leur    mécontentement ,    et    fit   tant 

(5)  Vita  Groiii,  apud  Batesium,  pag.  4^3.  d'instances  pour  être  congédié,  qu'en- 

'    (6)   Voyez  la  lettre qu'U  Ar«V«l  à  Erycius  Pu-  fin  cette        Xcc   ]    j  £    t  accor(Je'c.  Ne- 
teanus.    C  esl  la    CCCLXXXVII Ie.  parmi  les  j    /  •         ■      i  >  ju  j 

Epist.  ecclesiastic.  et  iheolog.,  in-folio.  <7Me  dubitavit  hoc  unum  sujficere  ad 

(7)  Tom.  IV,  pag.  386  ,  dans  l'article  Ca-  irritandam  iiwidiam  illam  ,  quant  a 

mille,  au  texte  y  entre  les  citations  (d)  et  le),  principio    adveiltlis    Slli   ill     non/lllllis 

(8)  Vaa  Grotn,  pag.  4^4-  regni     proceribus      animadverlerat 

($  On  expHque     pag    ^      en  quoi  consis-  Quare      cum   niJul   millhs  propoutlUU 

ta  celle  violence  :  Dclegalos  îllis  judices  dare,  il-  V  '  ...  r      r 

Jrpitimo  modo   accusare,   indefVnsos    damnare  ;  ei  esset ,    quaill    in  eâ    teiTar Util  parte 

OldenbarneTeldium    septuagesimum     secundum  habilutionis     SlltV    sedem    figet'e  ,     Itbi 

a:tatis  annum  agenteni  cap.lali    supplicio  plec-  non  niinits  cum  ingeniis  hominum  tain 
tere  ,  reliquos  duos  ad  perneluos  carceres  initie-  i<       i  •        i       .■ 

re  ,  et  omnia  eorum  bonapublic.ro  :  ni.en.ibus  malc  Slhl  ™lentlUT>l  ,  quant  cum  aerts 

conlia  et  vira  auctoritati  sua;  inferri  frustra  cla-  inclemeiltld  llictandum  qilOttdtC  foret, 

mantibus  ipsis  Hollandia;  Ordinibns,  donec  opti-  non  destilit  coràm  regina  ,  quotics  ad 
mis  ^.busqué  a  muueribu,  suis  dimotis ,  „ov,s-  accedercl  ,  dimissionem  suam   et 

que  in  eorum  loca  contra  Itges  impositis  ,  omma 
prolibidine  eorum  agi  COtperc  qui  iatius  novita- 
ti«  auclorei  erant.  (10)  Vita  Grotii ,  ]>ag.  4'4« 


GROTIUS. 


vcniam  ad  suos  rcvertendi  efflagitare 
(n).  M.  du  Maurier  raconte  (la)  que 
le  chancelier  Oxenstern  eût  l'ait  ôter 
beaucoup  plus  tôt  l'ambassade  de 
Suéde  à  Grotius,  s'il  n'eût  voulu 
faire  du  de'pit  au  cardinal  de  Riche- 
lieu. Ce  cardinal  (i3)  avait  fait  rayer 
la  pension  de  trois  mille  livres  que 
Grotius  avait  touchée  pendant  dix 
ans ,  ce  qui  obligea  l'illustre  réfugié 
à   sortir  de  France.  L'auteur  de  cet 


275 


(G)  Son  ambassade  ne  l'avait  pas 
empêché  de  publier  bien  des  livres.! 
Disons  ici  quelque  chose  sur  les  ou- 
vrages de  cet  auteur,  en  quelque 
temps  qu'il  les  ait  faits  ou  qu'ils 
aient  été  publiés. 

Pendant  le  séjour  qu'il  fit  à  Paris 
avant  que  d'y  être  ambassadeur  de 
Suède  ,  il  traduisit  en  prose  latine  son 
livre    de    la    écrite  de    la    lieligion 
Chrétienne  ,  qu'il  avait  fait  en  vers 


affront,  ayant  su  que  Grotius  y  re-  flamands  ,  en  faveur  des  matelots  a 
venait  avec  un  beau  caractère  ,  en  font  %*  volages  des  Indes  ,  pour  les 
fut  très-fâché,  et  fit  cent  fois  des  in-  divertira  chanter  une  poésie  si  pieuse 
stances  pour  le  rappel  d'un  ambassa-  C'est  ainsi  qu'en  parle  M.  du  Mau- 
deur  dont  il  n'était  pas  aimé  ,  et  qu'il  lier  (17);  et  il  a  bien  tort  d'avilir 
n'aimait  pas.  Oxenstern,  qui  voulait  jusqu'à  ce  point-là  le  but  de  l'au- 
mortifier  le  cardinal ,  ne  lui  accorda     teur  :  car  Grotius  s'était  proposé  une 

fin  bien  plus  relevée  ;  il  voulut  four- 
nir aux  Hollandais  qui  vont  aux 
Indes ,  les  moyens  de  travailler  à  la 
conversion  des  infidèles.  Propositum 
enint  mini  erat  omnibus  quidem  civi- 
bus  meis  ,  sed  prœcipuè  navigantibus 
opérant  navare  utilem ,  ut  in  longo 
illo  marino  otio  impenderent  potiàs 
tempus,  quant  quod  nimium  multi 
en  Suède ,  se  retira  de  Stockholm  sans  faciunt ,  fa  lièrent .  Itaque  sumto  exor- 
prendre  congé  de  la  reine  ,  ni  aVau-  dio  a  laude  nostrœ  gentis ,  quœ  na- 
cun  de  ses  ministres  ,  et  était  déjà  aux  vigandi  solertiâ  cèleras  facile  vincat 
Dalles  pour  s'y  embarquer  :  mais  la  excitavi  eos ,  ut  hdc  arte  ,  tanquam 
reine  l'ayant  remandé,  lui  fît  pré-  divino  beneficio  ,  non  ad  suum  tan~ 
sent  de  douze  mille  risdalles.  Cela  ne  tiim  quœstunt ,  sed  et  ad  verœ  hoc 
s'accorde  point  avec  la  Vie  de  Gro-  est  christianœ  ,religionis  propwatio- 
tius.  Je  cite  quelque  chose  du  Mena-  nem.  uterentur  (18).  Cet  ouvrage  est 
giana  (i5).  M.  Arnanld  produit  une  excellent.  Les  notes  qui  l'accom- 
lettre  qui  porte  que  Grotius  étant  pagnent  sont  remplies  d'une  pro 
fort  mal  satisfait  de  la  cour  de  Suède,    fonde  érudition  :  il  a  été  traduit  ei 


jamais  cette  marque  de  complai 
sance  ;  mais  il  ne  se  soucia  plus  de 
protéger  l'ambassadeur  dès  que  le 
cardinal  fut  mort  ;  et  au  contraire  il 
lui  procura  des  chagrins  qui  l'obli- 
gèrent à  demander  la  permission  de 
se  retirer,  sur  quoi  on  le  prit  au  mot. 
Du  Maurier  ajoute  (i4)  que  Grotius  , 
ne  se  voyant  aucunement  considéré 


f 


quoique  fort  content  de  la  reine ,  il 
en  était  parti  pour  s'en  retourner  en 
France  oh  il  devait  être  ambassadeur 
de  Pologne  ;  mais  que  n'étant  encore 
guère   avant  dans  son    voyage  ,   la 


anglais  ,  en  français  ,  en  flamand  , 
en  allemand  ,  en  grec  ,  en  persan 
et  en  arabe  ;  mais  je  ne  sais  pas  si 
toutes  ces  traductions  sont  devenues 
publiques.    La    grecque     ne     Tétait 


reine  l'avait  pressé  de  retourner,  afin  point  l'an  i63^  (19).  Grotius  ,  l'année 
qu'elle  lui  pût  parler  encore  une  fois  ;  suivante  ,  ne  parle  de  la  traduction 
qu'il    le  fit;  et  qu  étant  reparti  ,  etc.     persi 


(,6) 

(11)  Ibidem,  pag.  ^ïG. 

(12)  Mémoires  pour  servir  à  l'Histoire  de  Hol- 
lande ,  pag.  t\\i  et  suif. 

(l'A)  Là  même  ,  pag.  4°<V 

(i4)  Là  même,  pag.  43o. 

(i5)  Il  est  étonnant  que  la  reine  Christine  , 
qui  s'e'lait  si  hautement  déclarr'e  la  protectrice 
des  savans  ,  ail  commence'  son  règne  par  révo- 
quer Grotius ,  pour  lors  ambassadeur  de  Suède 
en  France  ,  et  par  le  priver  de  son  emploi  :  une 
ingrate  femme  ,  la  plus  femme  qu'on  vil  jamais. 
Mén.-igiana,  pag.  m.  tfo/f. 

(1'!)  Calvinisme  convaincu  de  nouveau,  pag. 
i45. 


persane  que  comme  d'un  livre  à 
quoi  les  missionnaires  du  pape  fai- 
saient travailler  :  Liber  meus  de  Ve~ 

ritate  Religionis    Christianœ qui 

socinianus  est  V^oëtianis  adeb  hic  pro 
tali  non  habetur,  ut  studio  religioso- 
ruin  pontificiorum  vertatur  in  sermo- 
nent  persicum   ad  convertendos  ,    si 

(17)  Mémoires  ..  de  Hollande  ,  pag.  4oç. 

(18)  Grotius,  de  Verit.  Religionis  Christian.  , 
pag.  3,  edil.  Par.  ,  1640,  in-ia. 

lui)  Eliam  grœcè  versus  est,  sed  nond'um. 
éditas.  Grot.  ,  epist.  CuXl  ,  part.  Il,  pag, 
872. 


27« 


GROTIUS. 


vto  annual,  ejus  imperii  ma-  L'incomparable  ouvrage  de  Jure 
humetistas  (20).  L'an  1641,  un  An-  Belll  et  Pacis,  fut  publie  à  Paris, 
elais  qui  avait  traduit  ce  livre  en  Fan  i6a5  (24).  J'en  parlerai  ample- 
arabe  voulait  faire  en  sorte  que  sa  ment  dans  la  remarque  (0), 
version  fût  imprimée  en  Angleterre.  Pour  ce  qui  regarde  le  commen- 
Fuit  apud  me  his  diebus  Anglus  yir  taire  de  Impeiïo  summarum  Potesta- 
dociissunus  ,  qui  dik  in  turcico  vixit  tum  circa  Sacra  (a5)  ;  le  traité  de 
imperio  ,  et  nieum  librum  de  Veiitate  Satisfactione  Christi  contra  Faustum 
Religionis  Chiistianœ  in  arabicum  Socinum  (26)  ;  les  notes  sur  les  Évan- 
vertit  sermonem  ;  curabitque,  sipotest,  giles  (27)  ;  le  Pietas  Ordinum  Hol- 
tfpis  in  Anglid  edi.  Is  nullum  librum  landiœ  (28)  ;  la  dissertation  de  Cœnœ 
putat  esse  uti/iorem  aut  instrtendis  Administratione  ubi  Pastores  non 
illarum partium  christianis ,  aiifmiam  sunt ,  et  an  semper  communicandum 
converlendis  mahumetistis  ,  qui  sunt  per  Symbola  (29)  ;  les  Epistolœ  ad 
in  turcico  imperio,  autpersico,  aut  Gallos  (3o) ,  je  renvoie  mes  lecteurs 
tartarico  ,  aut  punico  ,  aut  indiano  à  un  livre  de  Colomiés  que  je  cite  en 
(21).  Cette  version  ,  faite  par  le  fa-  note,  et  qui  pourra  leur  apprendre 
meux  Edouard  Pocok,  fut  imprimée  quelques  faits  assez  curieux.  Tou- 
à  Londres,  l'an  1660,  in-S°.  Nous  chant  l'édition  des  lettres  in-folio, 
verrons  dans  l'article  Henichitjs,  consultez  le  iel. volume  de  la  Biblio- 
qu'on  accuse  Grotius  de  plagiarisme.  théque  Universelle  ,  et  le  Polyhistor 
Il  y  a  trois  traductions  allemandes  de  de  Morhofuis  (3i).  Mais  à  l'égard  de 
cet  ouvrage  (22),  deux  en  prose  ,  et  YHistoria  Belgica  ,  je  vous  renvoie  à 
l'autre  en  vers;  et  deux  traductions  la  remarque  (P).  Notez  qu'on  trouve 
françaises  en  prose.  La  dernière  a  été  au  IVe.  tome  de  la  Bibliothèque  Uni- 
faite  et  publiée  à  Utrecht ,  l'an  1692  verselle  (32)  une  ample  analyse  du 
(a3)  ;  l'autre  avait  paru  depuis  long-  traité  de  Cœnœ  Administratione  ubi 
temps.  J'en  ai  vu  deux  éditions  ,  Pastores  non  sunt  ,  etc.  ,  qui  fut  ré- 
l'une  1/1-12  ,  en  caractères  ordinaires;  imprimé  à  Londres  avec  d'autres 
l'autre  m-8°.  ,  en  caractères  qui  res-  pièces  ,  l'an  1686  *. 
semblent  à  ceux  d'un  maître  à  écrire. 
Aussi  a-t-on  mis  au  titre  qu'elle  a 
été  faite  h  Paris ,  de  l'imprimerie  des 
nouveaux  caractères,  inventés  par 
Pierre  Moreau ,  maître  écrivain  a 
Paris.  Je  n'ai  trouvé  aucune  date  , 
ni  au  titre,  ni  au  bas  de  l'épître  dé- 
dicatoire.  L'auteur  de  cette  version 
la  dédia  à  M.  Bignon  ,  conseiHer  d'é- 
tat ,  et  ne  désigna  son  nom  que  par 
un  M.  On  m'a  dit  qu'il  s'appelait 
M.  de  Courcelles  *. 


(20)  Grot.  ,  rpist.  CDXMV  ,  pag.  881. 

(21)  Idem,  ibid.,  epist.  DXXXIV,  pag.  gi4- 

(22)  Scbeffer  ,  in  Sueciâ  litleralâ  ,  pag.  3oi, 
dit  que  la  version  allemande  de  cet  ouvrage,  par 
Valentio  Musculus,  fut  imprimée  à  Stockholm  , 
l'an  i65l. 

(23)  Par  un  réfugié  de  France  nommé  le 
Jeune.     //    mourut    à    Vtrechl    quelque    temps 


privilège  du  22  mai  1G41  est  en  son  nom  ;  mais 
ce  privilège  manque  dans  beaucoup  d'exemplai- 
res ,  comme  le  remarque  M.  Barbier  (  Dicl.  des 
Anonymes ,  première  édition,  n°.  ■7278,  article 
Vérité  de  la  religion  chrétienne.  )  Piosper  Mar- 
chand ,  dans  son  Dict.  historique ,  tom.  II,  pag. 
11  ,  reproche  à  d'Olivet  de  n'avoir  pas  compris 
cette  traduction  dans  la  liste  des  ouvrages  de 
Mézcrai.  D'Olivet,  dans  l'édition  in-4°-  de  son 
Histoire  de  V Académie  française ,  parle  du  pri- 


vilège obtenu  par  Mézcrai  pour  cette  traduction  , 
en  ajoutant  :  je  ne  sais  si  elle  a  été  imprimée. 
Dans  l'édition  in-12  de  1730,  d'Olivet  a  compris 
cette  traduction  dans  la  liste  des  ouvrages  de 
Mêlerai ,  tom.  II ,  pag.  içyç).  Quant  à  la  date,  on 
n'en  lit  aucune  sur  le  frontispice;  mais  à  la  Gu 
du  privilège  on  lit  que  l'impression  fut  achevée 
le  8  juin  i644-  "  Deux  choses,  dit  P  Marchand, 
»»  rendent  ce  volume  remarquable  :  l'une,  en  ce 
»  qu'il  est  fabriqué  avec  ces  nouveaux  caraleres 
»  imitant  l'écriture,  inventés  par  Pierre  Moreau, 
•»  mais  qu'on  abandonna  bientôt,;  et  l'autre  ,  en  ce 
»  queMézerai,  assez  peu  chargé  de  littérature 
»  et  d'érudition  ,  y  traduit  bonnement  et  simple- 
-  ment  Philo  Biblius  (  Pbilon  de  Biblis  )  par 
»  Philon  le  libraire;  ce  dont  La  Mothe-le-Vayer 
m  n'a  pas  manqué  de  se  bien  divertir  avec  les 
»  autres  interlocuteurs  de  son  Hexameron  rus- 
»  tique  ,  dont  on  peut  consulter  la  page  2g.  » 
Voyez  aussi ,  sur  cet  ouvrage  de  Grotius,  la  note 
sur  la  (in  de  la  remarque  (0). 

(•24)  Voyez  la  DXXXIV  lettre  de  Crotius , 
IIe.  part.  ,  il  la  fin. 

(ï5j  Voyez  la  Bibliothèque  choisie  de  Col> 
miés ,  pag.  23. 


(26)  Là  même,  pag.  160. 

(27)  Là  même  ,  pag.  76. 

(28)  Là  même,  pag.  117. 

(2(j)  L,à  même,  pag.  182. 

(3o)  Là  même,  pag.  18G. 

(3i)  Pag.  20,4- 

(32)  Pag.  39  et  suiv. 

*  B.iyle  en   a  parlé  dans  9 

es  Nouvelle!  de  lu 

République  des  Lettres,  mai 

iGSG,  arti.le  V. 

GROTIUS. 


277 


Du  Maurier  nous  trompe  plus  qu'il  fut  trouver  Grotius  qui  l'avait 
d'une  fois  dans  les  paroles  que  l'on  fait  appeler,  et  qu'il  le  trouva  pres- 
va  lire  :  «  Pendant  cette  longue  am-  que  à  l'agonie  ,  qu'il  l'exhorta  à  se 
»  bassade  de  douze  ans  ,  M.  Grotius  disposer  à  la  mort,  pour  aller  jouir 
»  fit  divers  ouvrages,  entre  autres  d'une  vie  plus  heureuse,  à  recon- 
»  une  dissertation  latine  contre  le  naître  ses  péchés  ,  et  à  en  avoir  Je  la 
»  sieur  de  la  Perrère  (33) ,  qui  avait  douleur  ;  qu'ayant  fait  mention  du 
»  fait  un  écrit  des  Préadamites.  Cette  publicain  qui  se  reconnut  pécheur, 
»  dissertation  est  intitulée,  de  Ori-  et  qui  demandai  Dieu  miséricorde  , 
i>  gine  Gentium  Americanarum  Dis-  le  malade  répondit  :  je  suis  ce  pu- 
»  sertatio ,  où  il  enseigne  que  les  blicain-là  (3^);  qu'il  poursuivit,  et 
»  peuples  d'Amérique  ne  sont  pas  qu'il  lui  dit  qu'il  fallait  recourir  à 
»  fort  anciens ,  et  qu'ils  sont  venus  Jésus-Christ ,  hors  duquel  il  n'y  a 
»  d'Europe  ,  ou  par  la  jonction  des  point  de  salut ,  et  que  Grotius  répli- 
»  terres,  ou  par  quelque  tempête  :  qua  (38)  :  je  mets  toute  mon  éspé- 
»  JYisi ,  dit-il,  quis  Prœadamitas  ranec  en  Jésus-Christ  tout  seul  ;  qu'il 
»  esse  dixerit,  ut  nuper  quidam  in  se  mit  à  réciter  à  haute  voix,  en  alle- 
»  Gallid  somniavit.  Mais  un  certain  mand,  la  prière  qui  commence  ainsi  : 
»  docteur  nommé  Lac  tins  ,  des  Pays-  Herr  Jesu  ,  wahrer  Mensch  und 
»  Bas ,  ayant  écrit  contre  lui ,  il  fit  Gott ,  etc.  (39) ,  et  que  le  malade  le 
»  une  seconde  dissertation  ,  intitulée  suivait  tout  bas  les  mains  jointes  ; 
»  de  Origine  Gentium  Americana-  qu'ayant  fini,  il  lui  demanda  s'il 
»  rum  Dissertatio  altéra  ,  où  il  ré-  l'avait  entendu  ,  et  que  la  réponse 
»  fute  amplement  Laè'tius  (34).»  Il  fut  :  je  vous  ai  fort  kien  entendu  (4o)  ; 
n'est  pas  vrai  que  Grotius  ait  com-  qu'il  continua  à  lui  réciter  les  en- 
posé  la  dissertation  de  Origine  Gen-  droits  de  la  parole  de  Dieu  ,  que  l'on 
tium  Americanarum  ,  contre  le  sieur  a  accoutumé  de  rappeler  en  mémoire 
de  la  Peyrère ,  ni  qu'alors  l'écrit  des  aux  agonisans ,  et  à  lui  demander, 
Préadamites  eût  vu  le  jour.  Ce  n'est  m'entendez-vous?  et  que  Grotius  ré- 
point dans  cette  dissertation  que  se  pondit  :  j'entends  bien  votre  voix  , 
trouvent  les  paroles  que  du  Maurier  mais  je  ?ie  comprends  pas  tout  ce  que 
cite  ;  c'est  dans  la  réplique  à  de  Laet  vous  dites  (40  j  qu'après  cette  ré- 
qu'on   trouve    ceci ,  eut   consequens  ponse  le  malade  perdit  la  parole  ,  et 

est    ut    credantur. aut    aliquos  expira  peu  de  temps  après. 

ante  Adamum  fuisse  conditos  homi-  On   se    rendrait   ridicule  ,    si   l'on 

nés  ,  ut  nuper  quis  in  Gallid  somnia-  révoquait  en  doute   la   sincérité   de 

vit.  Je  crois  bien  que  la  Peyrère  est  Quistorpius  :  aucune  raison  d'intérêt 

désigné   dans    ces   paroles;    mais   je  n'a  pu  le  pousser  à  mentir,  et  per- 

persiste  à  maintenir  que  l'écrit  des  sonne  n'ignore  que  les  ministres  lu- 

Préadamites    n'était    pas    alors    im-  thériens  étaient  aussi  mécontens  que 

primé  (35).  Grotius  savait  les  senti-  les  calvinistes  des  opinions  particu- 

mens  de  ce  personnage;    et  c'est  ce  Hères  de    Grotius  (42).  Ainsi  le   té- 

qui  fit  qu'il  en  dit  un  mot  par  occa-  moignage  du  professeur  de  Rostock 

sion.  Ce  n'est  point  ce  qu'on  appelle  est  une  preuve   authentique;    et   si 

réfuter  l'ouvrage  d'un  homme.  dans  les  matières  de  fait  on  se  ne  con- 

(H)  Les  calomnies  de  ses  ennemis....  tente    pas    d'une    telle   preuve,    on 

touchant  sa  mort ,  sont  réfutées  d'une  ouvre  la  porte  au  pyrrhonisme  ,  et  il 
manière  invincible  parla  relation  du 

ministre   qui  le  prépara    au   dernier  (3:)  Ego  Me  sum  public/mus. 

passage.!    Ce  ministre,   nommé  Jean  (38)  In  solo  Chrislo  omnis  spei  mea  est  re- 

Quistorpius  ,  était  professeur  en  théo-  Poslla- 

logie  à  Rostock.  S.,  relation  (36)  porte  (3»)  Ç'"^-*™'  Seigneur  Jésus,  vrai  hom- 

o                                                              \       yi^.^v,  me  et  Dieu. 


(33)  Il  fallait  dire  In  Peyrère. 

(34)  Du  Maurier,  Mémoires...  de  Hollande, 
pag.   417. 

(35)  Voyez  la  Lllf.  lettre  de  Sarrau  ,  pag. 
5o  ,  e'Jit.  1(197. 

(iC>)  Ellee/L  imprime'? parmi  /Vf  Epislola;  ercle- 
siaslirn;  et  tlieologice  ,  a  la  page  828  de  l'édition 
in-folio,  1G84. 


(4o)  Probe  intellexi. 

(40  Vocem  tuam  andio,  sed  qute  singula  di- 
cas  difficulter  intetligo. 

(42)  Palin  ,  letlre  VU  ,  pag.  3i  du  Ier-  tome  , 
rapporte  qu'on  disait  que  les  luthe'riens  étaient 
soupçonnés  d'avoir  empoisonné  Grotius ,  à  cause 
de  ce*  qu'il  a  écrit  de  l'antccbrist  en  faveur  du 
pape. 


278  GR0T1US. 

n'y    aura   presque    plus    rien   qu'on  marquer  parla  que  ses  prédication» 

puisse  prouver.   Tenons  donc   pour  et  ses  avis  ne  lui  plaisaient  point ,  et 

un  fait  incontestable   :    1°.  Que  Gro-  qu'en  effet  le  ministre  se  retira  (47)  r 

tius  ,   prêt  à  mourir,  a  e'té  dans  les  5°.  qu^on  a  inse'ré  un  mensonge  dans 

dispositions  du  publicain  :  il  a  con-  un  petit  livre  anglais  (48),  lorsqu'on 


son  espe'rance  en  Je'sus-Cbrit  seul, 
3°.  que  ses  dernières  pense'es  ont  été 
celles  qui  sont  contenues  dans  la 
prière  des  agonisans ,  selon  le  rituel 
des  luthériens  (43).  Or  je  ne  crois  pas 
qu'on  puisse  trouver  une  prière  plus 
remplie  que  celle-là  des  sentimens 
que  doit  avoir  un  vrai  chrétien  ,  lors- 
qu'il se  prépare  à  comparaître  devant 
le  tribunal  de  Dieu. 

Il    résulte   de    là    manifestement  : 


rien  avancé;  6°,  que  ceux  qui  ,peu  de 
temps    après   la    mort    de    ce   grand 

homme firent  courir  le  bruit  qu'il 

était  mort  d'un  coup  de  foudre  (4o)  , 
débitèrent  une  fausseté  encore  plus 
folle  que  maligne  *. 

Je  finis  cette  remarque  par  un  pas- 
sage où  André  Pdvet  ,  l'un  des  plus 
ardens  adversaires  de  Grotius ,  est 
intéressé.  Il  publia  que  Grotius  était 
mort  ne  respirant  que  menaces,  tout 


i°.  Que  ceux  qui  disent  qu'il  est  mort    plongé  dans  le  levain  ,  et  même  dans 

le  fiel  amer  ,  sans  donner  aucune 
marque  de  repentanec.  Néanmoins  , 
ajoute-t-il ,  nous  ne  jugeons  pas  le 
serviteur  d'autrui.  Ces  dernières  pa- 
roles contiennent  un  ménagement 
qui  a  paru  ridicule  à  un  professeur 
arminien,  parce  que  le  bon  sens  ne 
souffre  pas  que  l'on  admette  un  prin- 
cipe ,  sans  admettre  les  conséquences 
qui  en  émanent  nécessairement  :  or 
la  damnation  éternelle  est  une  suite 
infaillible  de  l'impénitcnce  finale  ; 
de  sorte  que  ce  ne  peut  être  qu'un 
artifice  grossier  ,  que  de  dire  :  un 
tel  est  mort  sans  se  repentir  de  l'énor- 
mité  de  ses  crimes,  néanmoins  je  ne 
veux  rien  prononcer  sur  sa  destinée. 
C'est  ainsi  que  ce  professeur  a  pris 
la  chose  (5o) ,  et  je  n'examine  point 
s'il  a  raison.  Mais  voici  le  passage 
que  j'ai  promis.  Paulo  apertihs  egit 
A.  Rivetus  ,  de  il lus tri  vira  Hugone 
Grotio  loquens  :  i/A7rvîa>v  st?r«ix!tc,  in- 
quit  ,  et  totus  in  fermento  jacens, 
imô  in  felle  amaritudinis  ,  videtur 
ad  plures  abiisse  ,  nullo  pœniten- 
tïse,  quodsciamus,  signo  exhibito  r 
etc.  Ubi   nïhil   aliud  supeijuit,    nisi 

(4")   l'a  même  ,  pag.  1^6. 

(4$)  Il  contient  un  recueil  de  plusieurs  his- 
toires. Voyez  les  Sentimens  de  quelques  théolo- 
giens de  Hollande,  pag.  402» 

(4*))  ^r°.)'rs  là  même. 

"  Leclei-c  prétend  qu'il  n'a  manqué  à  Grotius  , 
pour  être  absolument  catholique,  que  de  faire 
extérieurement  son  abjuration. 

(5o)  Slephamis  Curcellseus ,  inprmful.  apolo. 
geticâ  prcejixti  Anaorisi  Daridis  Blonrirlti  .In 
Johannâ  papissn  ,  apud  'Marvsium  ,  in  Johanni 
papissâ  testitutrr,  /j.ig.  iiaq. 


socinten  (  44  )  seraient  traités  trop 
doucement ,  si  l'on  se  contentait  de 
leur  dire  qu'ils  sont  coupables  d'un 
jugement  téméraire;  ils  méritent 
d'être  appelés  calomniateurs  ;  2°.  que 
du  Maurier  conte  une  fable  lors- 
qu'il parle  ainsi  (45)  :  On  m'a  rap- 
porté que  ,  pendant  sa  maladie  ,  un 
prêtre  catholique  et  divers  ministres 
luthériens ,  calvinistes ,  sociniens  et 
Anabaptistes  le  vinrent  voir  ,  pour  le 
disposer  a  mourir  de  leur  opinion  ; 
mais  pendant  qu'ils  V entretenaient  de 
controverse  ,  et  que  chacun  s' efforçait, 
de  lui  prouver  que  sa  religion  était  la 
meilleure ,  il  ne  répondit  autre  chose 
sinon  ,  non  intelligo  :  et  quand  ils  ne 
disaient  plus  mot  ,  il  leur  dit ,  hor- 
tare  me  ut  christianum  morientem 
decet,  Exhortez-moi  comme  il  faut 
exhorter  un  chrétien  mourant;  3°.  que 
c'est  une  autre  fable  que  le  bruit 
qu'on  fit  courir,  aussitôt  après  sa 
mort ,  qu'il  avait  refusé  d écouter  un 
ministre  qui  lui  voulait  parler  (46)  ; 
4°.  qu'il  est  faux  qu'un  ministre 
luthérien  ayant  commencé  a  lui  vou- 
loir parler  de  sa  religion, le  ma- 
lade ne  lui  répondit  que  par  ces  deux 
mots  ,    non     intelligo  ;    lui    voulant 

(43)  Vous  In  trouverez  traduite  en  français 
dans  le  livre  qui  a  pour  titre  ;  Sentimens  de  quel- 
ques théologiens  «le  Hollande  sur  l'Histoire  criti- 
que du  pire  Simon  ,  pag.  3c)7. 

(44)  Voyez  Patin,  lettre  \Urpag.  3i  du  I". 
tome. 

(45)  Du  Maurier, 
pag.  43i. 

(46)  Voyez  le  livr 
niuisme  convaincu  d 


Mémoires... 


de    M.   Ariiauld,    1 
nouveau  ,  put;     i  j:>. 


le  Hollande,. 

Cal- 


GROTIUS. 


579 


ut  adderet ,  Actum  est  de  ejus  sainte. 
Licet  ad  emolliendam  lani  incle- 
mentem  sententiam  ,  ita  concluant  : 
Sed  tamen  non  judicamus  servum 
alienum,  qui  domino  suo  stetit  et 
cecidit.  Sed  quorsum  moderationis 
speciem  pra?  se  j'erre  circa  consequens, 
c'uni  tota  difficultas  sit  in  antécéden- 
te ?  Ego  contra  ,  si  vidii  constaret , 
vel  Grotium  ,  vel  Blondellum  ,  in 
aliquo  gravi  deliclo  sine  pœnitentid 
obiisse,  non  vercrer,  etsi  dofiens,  dkeiv, 
Damnatns  est.  IVon  enim  ipse  sen- 
tentiam ferrent  ,  sed  Dens  in  vetw 
suo ,  quod.  cœlo  et  terra  Armais  est. 
J'ai  lu  dans  M.  Arnauld  un  sembla- 
ble trait  contre  le  ménagement  de 
M.  Daille'  pour  saint  Ambroise  (5i). 
Mais  ce  n'est  pas  de  quoi  il  s'agit  ici. 
Disons  seulement  que  M.  Rivet  avan- 
ce une  chose  ,  sur  la  prétendue  im- 
pénitence de  Grotius  ,  qui  est  dé- 
mentie par  la  relation  du  ministre 
luthérien.  M.  Des  Marets  ,  en  réfu- 
tant le  passage  que  j'ai  cité,  ne  dés- 
approuve en  rien  la  conduite  de 
M.  Rivet. 

(I)  Personne  n'a  outré  la  chose 
autant  que  l'auteur  de  l'Esprit  de 
M.  Arnauld.]  Il  ne  se  contente  pas 
de  dire  que  Grotius  est  un  arminien 
emporté  ,  un  socinieu,  un  papiste 
(5?.),  qualités  qui  ne  peuvent  subsis- 
ter ensemble  dans  un  même  sujet; 
il  ajoute  (53)  que  Grotius  est  mort 
sans  avoir  voulu  faire  profession  d'au* 
cune  religion,  et  ne  répondant  à  ce- 
lui qui  V  exhortait  a  la  mort  que  par  un 
non  intelligo  ,je  ne  vous  entends  pas 
(54) ,  en  lui  tournant  T épaule.  11  cite 
pour  tout  témoin  et  pour  toute  preu- 
ve M.  Arnauld,  c'est-à-dire  un  hom- 
me dont  il  fait  dans  ce  même  ou- 
vrage un  portrait  si  monstrueux , 
qu'il  n'y  a  point  de  tribunal  équita- 
ble, où  l'on  voulut  mettre  à  l'amende 

(5i)  Voyez  le  /".  vo'time  de  la  Perpétuité 
défendue ,  pag,  m.  12S  et  ,ti«V.  M.  Arnauld 
trouve  étrange  la  civilité  extraordinaire  de 
M.  Paille' ,  el  son  exrès  de  modération  pour 
saint  Ambroise  ,  dont  il  s'est  contente  de  dire 
qu'il  avait  bon  nez,  après  avoir  posé  des  prin- 
cipes selon  lesquels  il  le  devait  appeler  fourbe  , 
imposteur  el  séducteur. 

(5ï)  Esprit  de  M.  Arnauld,  loin.  II ,  pag. 
3o7. 

(53)  là  même,  pag.  3o8. 

(54)  Ceci  ne  se  trouve  pas  dans  la  lettre  que 
M.  Arnauld  produit ,  pag.  i45  du  Calvinisme 
convaincu.  C'est  une  addition  et  une  falsifica- 
tion de  l'auteur  de  /'Esprit  de  M.  Arnauld. 


ceu\  que  vingt  témoins  semblables 
à  ce  portrait  accuseraient  d'homici- 
de. Peut-on  voir  un  aveuglement  plus 
énorme?  Ne  faut-il  pas  avouer  que 
l'envie  de  médire  est  de  toutes  les 
passions  la  plus  capable  de  faire  per- 
dre de  \  ue  le,  idées  du  sens  commun  ? 
.Mais  ne  perdons  point  de  temps  sur 
de  telles  moralités,  et  nous  conten- 
tons de  cette  remarque j  c'est  que 
l'accusation  d'être  mort  athée  est 
toute  visible  à  l'égard  de  Grotius 
dans  l'Esprit  de  M.  Arnauld.  Mourir 
en  rejetant  toute  sorte  de  religion  , 
mourir  sans  vouloir  faire  profession 
d'aucune  religion  ,  mourir  athée  , 
sont  trois  propositions  synonymes. 
De  sorte  que  si  l'on  faisait  un  procès 
à  l'accusateur  ,  il  faudrait  réduire 
l'affaire  à  cette  question  précise  , 
Grotius  est-il  mort  athée  ?  L'accu- 
sateur le  soutient  clairement  et  net- 
tement ;  il  faut  donc  qu'il  le  prouve, 
et  il  ne  lui  servirait  de  rien  de  prou- 
ver que  Grotius  n'a  été  ni  luthérien  , 
ni  calviniste ,  ni  papiste  ,  ni  armi- 
nien. Or  qui  ne  frémirait  d'horreur, 
en  songeant  qu'un  homme  qui  est 
mort  de  la  manière  que  Qtiistorpius 
l'a  témoigné  publiquement,  est  ac- 
cusé d'être  mort,  athée  ?  L'impuden- 
ce d'un  tel  calomniateur  n'est-elle 
pas  un  prodige?  Ne  faut-il  pas,  pour 
la  croire  en  lisant  son  livre  ,  se  re- 
présenter tout  de  nouveau  ce  que 
l'on  a  pu  apprendre  de  l'infinie  cor- 
ruption du  cœur  humain,  et  faire 
un  acte  de  foi  sur  ces  paroles  de  l'É- 
criture ,  le  cœur  de  l'homme  est  iles- 
espérément  malin  (55)  ?  J'ai  déjà  dit 
(56)  qu'on  n'a  aucune  raison  de  dou- 
ter de  la  bonne  foi  de  Qtiistorpius, 
et  j'ajoute  ici  que  l'affaire  dont  il 
porte  témoignage  est  d'une  telle  na- 
ture ,  qu'il  n'a  pu  y  être  trompé.  11 
a  ouï  ce  que  Grotius  lui  a  répondu  , 
il  a  vu  les  mouvëmcns  des  mains  el 
des  lèvres  de  son  pénitent  ,  pendant 
qu'il  récitait  une  excellente  prière. 
Les  oreilles  el  les  yeux  sur  de  tels 
faits  sont  des  témoins  authentiques, 
J'avoue  qu'il  n'a  point  su  si  Grotius 
disait  tout  bas  d'autres  choses  (pie 
celles  que  lui,  QuistorpiuSjjJisail  tout 
haut  :  c'est  une  objection  que  M.  Ar- 

(55)  Jérem.  ,  chap.  XVII ,  vs.  9. 

(56)  Ci-dessus,    remarque    (H),   au  premier 


28o 


GROTIUS. 


nauld  n'a  pas   eu  honte  de  proposer  c'est  là  que   ses  amis  s'épuisent  en 

(5")  :  elle  est  indigne  de  réponse;  car  ,  artifices,  pour  le    mettre  à  couvert 

sur  ce   pied-là  ,  ne    pourrait-on  pas  de  toute  censure.  L'auteur  des  Pen- 

douter  delà  foi  de  tous  les  agonisans?  se'es  sur  les  Comètes  a-t-il  pu  avoir 

(K)  Des  personnes  très-sages   ap-  aucune  raison  d'une  calomnie  toute 

prouvent  fort  qu'on  ait  négligé semblable  à  celle  dont   il    s'agit  ici 

toute  procédure  juridique.}  L'exemple  touchant  Grotius?  L'accusateur,  en- 

desparens  de  Jansénius, que  quelques-  tassant   supercheries    sur    superche- 

uus  eussent  voulu  que  la  famille  de  ries ,    n'a-t-il  pas  toujours  éludé  les 

Grotius   eût  suivi ,    est  une  des  cho-  justes   demandes   qui    ont  e'té  faites 

ses  qui  peuvent  le  mieux  justifier  la  par  l'accusé  à  leurs  juges  naturels  ? 

conduite   qu'elle   a  tenue  en  mépri-  Qu'ont  obtenu  les    ministres  qui  ont 

sant  la  calomnie.  Le  parti  janséniste  dénoncé  la  doctrine  de  cet  auteur  ? 

avait  espéré  de  mortifier  le  père  Ha-  Ne  Font-ils  pas  trouvé  supérieur  aux 

zart ,  fameux  jésuite  ,  qui  avait  dit,  lois  de  la  discipline  ,  quelque  peine 

dans  un  de  ses  livres,  que  le  père  de  qu'ils   se  soient  donnée,   et  quelque 

Jansénius   avait   été   protestant  ,    et  manifestes   qu'ils    aient   rendues  ses 

que  Jansénius  avait  vécu  jusqu'à  un  erreurs?  Par   cette   nouvelle   raison 

certain  âge  dans  la  profession  du  cal-  les   parens  de  Grotius  doivent  se   fé- 

vinisme.  On  fit  de  beaux  factums  (58)  liciter  de   s'être  abstenus  des  procé- 

pour  montrer  que  ce  jésuite  était  un  dures  juridiques, 
insigne  calomniateur;  on  le   somma        (L)    //   a  paru  une   très-forte   ré- 

dans    toutes    les   formes  de    réparer  ponse  a   cet   endroit  de  l'Esprit    de 

son  injure  par  une  rétractation  solen-  M.  Arnauld.~\  Voici  le  début  de  IV 

'  pologiste.  «  Mais  ,  monsieur,  tout  ce 


nelle  ;  on  s'adressa  aux  tribunaux 
qui  avaient  le  droit  de  juger  de  ce 
différent;  mais  après  bien  des  écri- 
tures ,  après  s'être  bien  remué  ,  on  a 
eu  le  déplaisir  de  voir  échouer  l'af- 
faire. Le  père  Hazart  a  eu  assez  de 
crédit  et  a  inventé  assez  de  chicanes 
pour  rendre  vaines  toutes  les  dé- 
marches des  complaignans.  A  la  vue 
de  cet  exemple  les  descendans  de 
Grotius  doivent  se  féliciter  de  n'avoir 
pas  sollicité  juridiquement  la  répa- 
ration de  la  calomnie  :  car  l'auteur 
de  l'Esprit  de  M.  Arnauld  n'eût  pas 
cédé  en  inventions  de  chicaneries  au 
père  Hazart  ,  et  n'eût  pas  trouvé 
moins  d'appui  que  lui  pour  s'exemp- 
ter de  la  peine  qu'il  méritait.  On 
l'eût  pu  traduire  devant  les  tribu- 
naux séculiers  ,  par  la  loi  si  quis  fa- 
mosum  ;  on  eût  pu  aussi  s'adresser 
aux  juges  ecclésiastiques  ;  mais  il  eût 
trouvé  de  si  forts  patrons ,  et  de  si 
puissantes  recommandations  à  l'égard 
des  tribunaux  séculiers ,  que  tout 
s'en  serait  allé  en  fumée.  C'eût  été 
bien  pis  si  l'on  se  fût  adressé  aux 
tribunaux  ecclésiastiques  :  c'est  là 
que  ses  chicanes  sont  un  labyrinthe 
dont  on  ne  le   saurait  jamais    tirer; 

(57)  Calvinisme  convainru  ,  pas;.  \fr. 

(r,S)  Vorrz  Us  Nouvelles  <le  la  République  <lcs 
Lettres,  i(i8(i,  p«#.fiR,  209,  5o»  et  i3i4.  Ces 
factums  ont  e'té  réimprimés  fhn.r  le  VI II".  vo- 
lume de  la  Morale  pratique  des  jésuites. 


»  que  cet  auteur  et  le  père  Simon 
»  disent  de  Grotius  n'est  rien  en 
»  comparaison  de  ce  qu'en  dit  l'au- 
»  teur  anonyme  d'un  libelle  scanda- 
»  leux  intitulé  V Esprit  de  M.  Ar- 
»  nauld.  Il  est  vrai  qu'il  médit  de 
»  tout  le  genre  humain  dans  ce  livre, 
»  et  que  les  mensonges  manifestes  que 
»  l'on  y  trouve  doivent  faire  perdre 
»  créance  à  tout  le  reste.  Mais  parce 
»  qu'il  y  a  des  gens  assez  faibles  pour 
»  se  laisser  frapper  par  la  manière 
»  hardie  dont  il  parle;  et  que  quel- 
»  ques-uns  degeeux  à  qui  vous  com- 
»  muniquez  mes  lettres  ont  conçu 
»  une  mauvaise  opinion  de  Grotius, 
»  sur  ce  qu'il  en  dit ,  vous  me  per- 
»  mettrez  bien  de  les  désabuser.  Ils 
»  ne  seront  peut-être  pas  fâchés  d'y 
»  trouver  un  exemple  de  la  plus  hor- 
»  rible  calomnie  qui  fut  jamais  , 
»  dans  un  auteur  pour  qui  ils  ont 
»  tant  d'estime.  Cela  leur  fera  com- 
»  prendre  qu'il  faut  être  sur  ses  gar- 
»  des  contreceux  quiténtoignenttant 
»  de  zèle  pour  la  vérité  ;  et  que  ce 
»  zèle  cache  quelquefois  une  mali- 
»  suite  et  une  médisance  incroya- 
»  bles,  sons  le  beau  prétexte  de  dé- 
)>  fendre  l'Eglise  de  Dieu  (5g).» 
Après  cela  l'apologiste  examine,  l'un 

(%)   Sentimens  île  quelques    ll;éolos;ieus   de 
Hollande  ,  /?«£•  3<jo. 


GROTIUS. 


28  c 


après  l'autre,  les  quatre  chefs  d'accu-  réfuté  dans  ses  derniers  livres  la  plu- 
sation.  Je  ne  m'arrête  point  aux  cho-  part  des  dogmes  qui  leur  sont  com- 
ses  qu'il  dit  sur  le  premier  chef  (60)  :  muns.  L'apologiste  dit  là-dessus  (65) 
mais  voici  ce  qu'il  dit  sur  le  second  que  ce  qui  trompe  M.  Arnauld,  et 
(61).  «  G rotin  s  ,  dit  notre  auteur  l'auteur  de  son  Esprit,  est  qu'ils  s i- 
»  satirique  ,  en  second  lieu  socinien  ,  maginent  que  c'est  ri  avoir  point  de 
■»  comme  il  paraît,  parce  qu'il  éner-  religion,  que  de  n'être  dans  aucune 
»  ve  TOUTES  les  preuves  de  la  de  ces  factions  qui  condamnent  tout 
»  divinité  de  Jésus- Chrit.  Dites  à  vos  le  genre  humain,  et  dont  chacune 
j)  amis  ,  monsieur ,  de  lire  les  anno-  prétend  d'être  toute  seule  V Eglise 
»  tations  de  Grotius  sur  les  endroits  de  Jésos-Ciirist.  G rotius  s'était  abs- 
»  de  saint  Marc  et  de  saint  Jean  ,  que  tenu  de  communiquer  avec  les  pro- 
j>  je  vous  ai.  marqués  ,  et  s'ils  ne  di-  testans  aussi-bien  qu'avec  les  catholi- 
~»  sent  pas  que  c'est  ici  une  calomnie  quesromains,  parce  que  la  communion 
»  abominable  ,  je  m'abandonne  moi-  qui  a  été  établie  par  Jésus-Christ, 
i)  même  à  passer  pour  le  plus  me-  comme  un  symbole  de  la  paix  et  de 
»  chant  de  tous  les  calomniateurs,  la  concorde ,  dans  laquelle  il  veut  que 
»  Voyez  encore  la  lettre  DXLVII1,  ses  disciples  vivent,  passe  dans  ces 
3>  dans  le  volume  des  Lettres  Ecclé-     sociétés  pour  un  signe  de  discorde  et 

»  siastiques  et  théologiques  de  quel-     de   division  (66) QuistOTpius 

»  ques  grands  hommes  (61).»  Je  se-  fit  très-sagement  de  ne  lui  démon- 
tais trop  long  ,  -si  je  rapportais  ce  der  point  dans  quelle  communion  il 
qu'il  dit  à  l'égard  du  troisième  chef,  voulait  mourir  ,  puisqu'il  le  voyait 
tant  contre  l'auteur  de  l'Esprit  de  mourir  dans  la  communion  de  Jéscs- 
M.  Arnauld  ,  que  contre  M.  Arnauld  Christ  ,  en  vertu  de  laquelle  seule  on 
même.  Je  n'en  tirerai  que  ce  mor-  est  sauvé  ;  et  non  pas  en  vertu  de 
ceau.  «  Quand  M.  Arnauld  dit  quel-  celle  que  l'on  peut  avoir  avec  l'évé- 
»  que  chose  d'injurieux  aux  réfor-  que  de  Rome  ,  ou  avec  les  diverses 
»  mes,  l'auteur  du  libelle  se  récrie  sociétés  des  protestons. 
»  d'une  façon  tragique  ;  et  M.  Ar-  Sans  examiner  si  Quistorpius  eut 
3>  nauld  n'est  rien  moins  qu'un  hom-  jort  ou  raison  de  ne  lui  pas  faire 
3>  me  sans  sincérité,  qu'un  accusa-  cette  demande,  j'observe  qu'un  hom- 
»  teur  de  mauvaise  foi,  qu'un  in-  me  persuadé  des  articles  fondamen- 
))  filme  calomniateur  ;  mais  lorsqu'il  taux  du  christianisme  ,  mais  qui 
dit  quelque    chose  qui  peut  servir    s'abstient    de     communier   ,     parce 


3>  à  l'auteur  de  l'Esprit  à  déclamer 
»  contre  quelqu'un  qui  n'a  pas  le 
3>  bonheur  de  lui  plaire  ,  tout  est 
3>  bon  ,  et  cela  sert  à  grossir  le  volu- 
3)  me  ,  et  à  l'empêcher  d'être  mis  au 
»  rang  des  petits  auteurs  (63). 


qu'il  regarde  cette  action  comme  un 
signe  que  l'on  damne  les  autres  sec- 
tes du  christianisme  ,  ne  saurait  pas- 
ser pour  athée  que  dans  l'esprit  d'un 
vieux  radoteur,  quia  oublié  et  les 
idées   des  choses ,   et  les  définitions 


N'oublions    pas    que    M.    Arnauld  des  paroles.  Je  passe  plus  avant ,  et 

blâme  le  ministre  luthérien ,   de  n'a-  je  dis  qu'on  ne  saurait  refuser  à   un 

voir    pas    demandé    à    Grotius   dans  tel   homme   la  qualité  de   chrétien. 

quelle  communion  il  voulait  mourir  Je  consens    que    l'on  traite  d'hérésie 

(64)    Cela  est  essentiel  ,    dit  M.   Ar-  l'opinion  qu'il  a,    que   la   porte  du 

nauld,  au  regard  d'un   homme  que  salut    est    ouverte    dans    toutes    les 

l'on  savait  ri  avoir  point  voulu  avoir  communions    qui    reçoivent  l'Evan- 

de  communion  depuis  long-temps  avec  gile  ;  je  consens  que  l'on  assure  que 

aucune  église  de  protestons  ,  et  avoir  c'est  un    dogme   pernicieux   et  dan- 
gereux ;  mais  cela  peut-il  empêcher 

(60)  Savoir  que  Grotius    était   arminien    ein-  que  CCUX  qui  Croient  que   JeSUS-CriSt 

Porle'-  est  le  fils  éternel  de   Dieu  ,  coéssen- 

(G.)  Sent.mens    de   quelques    théologiens    de  tj  j     t  consubslantiel    au    père  ;  qu'il 

(6,.)  Epist.  prJtam.  v.ror. ,  pag.  797.  est  mort  pour  nous  j   quil    est  res- 

(6.Î)  Sentimcns    de    quelques    théologiens   de 

Hollande,  pag.  3g5.  (fi")   Scnlimcns    de   quelques    théologiens   de 

(O'i)   Arnauld,    Calvinisme    convaincu  .  pag.  Hollande,  j>ag.  3qS. 

>4:-  (CC)  Idem,  ibid.,  paS.  ?o<). 


282 


GROTIUS. 


suscite  ;  qu'il  est  assis  à  la  main  droite 
de  Dieu  son  père;  que  c'est  par  la 
foi  en  sa  mort ,  en  son  intercession  , 
que  l'on  est  sauve' ;  qu'il  faut  obe'ir  à 
ses  pre'ceptes,  et  se  repentir  de  ses  fau- 


Grotius  ,  y  ayant  des  raisons  parti- 
culières qui  l'animaient  contre  lui  : 
ceux  qui  savent  la  carte  de  Rotter- 
dam m'entendent  bien. 

(M)   On  a  publie  une  lettre  de  i$tf fi- 


les, etc.  :  cela,  dis-je,  peut-il  empêcher  7rertt.se  où  il  est  assez  maltraité.] 
que  de  telles  gens  ne  soient  chre'-  M.  Crënius  a  publié  cette  lettre  dans 
tiens  ?  Aucun  homme  de  bon  sens  ne  la  Ire.  partie  de  ses  Animadversiones 
le  peut  prétendre;  mais  personne  ne  Philologicœ  et  Historiens  ,  imprimées 
serait  plus  insensé  dans  une  sembla-  à  Rotterdam  en  i6g5.  M.  de  Saumaise 
ble  prétention  que  celui  qui  a  com-  l'écrivit  à  M.  Sarrau,  le  20  de  novem- 
posé  l'Esprit  de  M.  Arnauld  ,  puis-  bre  i645.  Il  ne  se  contente  pas  de 
qu'il  a  fait  un  autre  ouvrage  (67)  où  il  donnera  Vossius  la  préférence  sur 
montre ,  que  tous  ceux  qui  croient  Grotius  ,  il  passe  beaucoup  plus 
les  articles  fondamentaux  appartien-  avant  ;  il  abaisse  le  plus  qu'il  peut  le 
lient  à  la  vraie  église ,  dans  quelque  mérite  de  ce  dernier  :  à  peine  le  fait- 
secte  qu'ils  vivent.  Je  ne  parle  pas  de  il  médiocre  en  philosophie;  et  il  le 
plusieurs  autres  maximes  qu'il  a  po-  met  au-dessous   de    tout  le  monde  , 


sées,  d'où  il  résulte  que  l'on  peut 
faire  son  salut  dans  toutes  sortes  de 
religions,  comme  un  anonyme  (68) 
le  lui  a  fait  voir  par  des  preuves  dé 


quant  à  la  force  du  raisonnement.  In 
Philosophicis  ,  si  elisputandi  so/erlia 
spectetur,  vix  mediocribus  par  est  : 
nec  unquam  vidi  qui  minore  cum  \>i 
rnonstratives.  Je  ne  parle  que  des  ratweinetur.  Un  professeur  de  Tran- 
dogmes  qu'il  ne  saurait  désavouer,  silvanie  ,  ajoute-t-il,  qui  écrit  contre 
et  selon  lesquels  il  doit  reconnaître  le  livre  de  Jure  Belli  et  Pacis ,  pré- 
que  Grotius  par  la  seule  foi  des  dog-    tend  y  montrer  des  fautes  grossières 


dans  chaque  page  ,  adfirmavit  se  os- 
tensurum  esse  nullam  paginant  va- 
care  insignibus  erratis.  C'est  un  pau- 
vre critique  que  Grotius  ;  plusieurs 
de  ses  notes  sur  l'Ancien  Testament 
sont  si  puériles  que  rien  plus  ;  je  ne 


mes  fondamentaux  ,  sans  approuver 

en  toutes  choses,  ni    le  calvinisme, 

ni  le  papisme,  etc.,  a  été  membre  de 

la  vraie  église. 

Au    reste,    il   serait    étrange    que 

Grotius   fût  échappé   à   un  homme, 

dont  l'ouvrage  a  été  regardé  comme    voudrais  pas  mettre   mon   nom  à   la 

la  satire  de    tout  le  genre   humain,    tète  d'un  tel   ouvrage.  Scimus  etiam 

in  crilied  quant  injelix  fuerit  et  àiça- 

Xoç  vir  alioquin  summus  Grotius 

JYol/em  meum  nomen  ad  seriptum 
esse  adnotatis  in  Vet.  Test,  nihil  lus 
in  niultis  puerilius  invenio  ,  et  taulo 
nomme  indignius.  Comment  accor- 
derons-nous cela  avec  les  lettres  que 
Saumaise  écrivait  à  Grotius  ?  Il  y  en 
a  une  ouille  traite  de  supereminen- 
tissime  ,  et  où  il  assure  qu'il  aimerait 
mieux  lui  ressembler,  que  de  jouir  de 
tous  les  honneurs  et  de  tous  les  biens 
du  sacré  collège  :  JVon  solàm  cardi- 
nalibus,  sed  etiam  mihi  rem  minime 
qratam  facis  ,  qui  me  dones  en  titu- 
lo ,  qno  tu  dignior,  superenùnentissi- 
me  Groti.  Quid  enim  te  non  sic  ap- 
pellent ,  cujus  me  multo  similem  esse 
ma/im  ,  quant  omnes  purpura  ti  il  Un  s 
gregis  dwitias  et  honores  possidere 
(72)  ?  Voyez  en  note  le  passage  de 
Justus  Pacius.  Quelqu'un  me  deman- 

à  la  préface,  pag.   fj3.  Voyez  aussi  la  Cabale 
chimérique,  pag.  i8l> 
(7'j)  Epist.  Salmas.  XXI,  Ub.  I,  pag.  45. 


geni 

Homo  iste  ptvcacissimus  in  illo  suo 
Arnaldi  Spiritu,  universum  genus 
humanum  impetit ,  nec  sacris  parcens 
nec  projanis ,  nec  ecclesiastico  ,  nec 
cwili  statui,  regem  suuni  ,  regem 
fhrislianissimum,  singula  régi œ  fa- 
milice  capita ,  familiares  ministrfisque 
régis  tant  fœdè ,  tant  imjnidenter  car- 
pit ,  ut  uel  in  suo  Hollandice  asylo 
vix  1 utus  ipse  (69)  ,  tiitunt  prœstare  id 
libri  monstrum  nequwerit{']o).  Voyez 
la  note  (71);  et  jugez  si  un  tel  au- 
teur pouvait  manquer  de  rencontrer 

(fi'})  Intitulé':  Le  vrai  système  de  l'Eglise. 

(i>8)  Carus  Larébonius  ,  in  Januâ  cœlorum  re- 
seralâ. 

(tiçi)  C'est  un  mensonge. 

(r,o)  Voyez  le  livre  intitule':  Catliolica  Queri- 
monia ,  pag.  9. 

(r  1)  Voyez  ci- dessus  ,  la  citation  (Sg) ,  oit  l'on 
assure  t/ue  cet  auteur  médit  de  tout  le  genre  hu- 
main, Un  autre  s'exprime  ainsi  :  L'abomination 
de  cette,  satire  ne  consiste  pas  principalement, 
en  ce  que  c'est  l'ouvrage  d'un  homme  <|ul  ,  à 
l'exemple  de  l'esprit  malin  ,  circuit  et  rôde  par- 
tout, cherchant  qui  il  pourra  dévorer,  mais,  etc. 
Chimère  de  la  cabale  de  Rotterdam  démontrée, 


GROTIUS. 


283 


dait  l'autre  jour  si  les  lettres  que 
les  grands  hommes  e'crivent  à  un 
auteur  ressemblent  à  celles  où  ils 
parlent  de  cet  auteur  à  d'autres  per- 
sonnes ?  Je  lui  repondis  qu'il  arrivait 
rarement  qu'ils  tinssent  le  même 
langage  dans  ces  deux  sortes  de  let- 
tres. Quand  ils  e'crivent  à  l'auteur  , 
ils  louent  son  livre  ;  quand  ils  écri- 
vent à  d'autres  ils  ne  le  louent  guère  , 
et  quelquefois  ils  le  blâment.  S'ils 
publiaient  eux-mêmes  leurs  lettres, 
ils  tâcheraient  de  supprimer  ce  dou- 
ble langage  ;  mais  la  plupart  du 
temps  elles  ne  paraissent  qu'après 
leur  mort.  Si  M.  de  Saumaisc  avait 
publie  sa  lettre  du  20  de  novembre 
iG45,  il  eût  supprime  les  autres  où 
il  donne  de  si  sublimes  éloges  à  Gro- 
tius.  Il  n'e'tait  nullement  de  ses  amis, 
et  il  le  témoigna  bien  en  se  dégui- 
sant sous  le  masque  de  Simpficius 
V^érimts  pour  e'erire  contre  lui  (73). 
(N)  //  laissa  trois  fils  et  une  fille. \ 
Celle-ci  fut  mariée  à  un  gentilhomme 
français  ,  nommé  Mombas  ,  dont  on  a 
parlé  beaucoup  à  l'occasion  d'une 
affaire  qu'on  lui  suscita,  peu  après 
que  le  roi  de  France  eut  passé  le  Rhin, 
l'an  1672.  L'aîné  des  fils  et  le  plus 
jeune  suivirent  le  parti  des  armes, 
et  moururent  sans  s'être  mariés.  Le 
second, nommé  Pifrre  de  Groot, s'est 
rendu  illustre  par  des  ambassa- 
des. L'électeur  Palatin,  rétabli  par  la 
paix  de  Munster  ,  le  fit  son  résident 
auprès  des  états  généraux.  Il  fut  fait 
pensionnaire  de  la  ville  d'Amster- 
dam, en  l'année  1660,  et  il  exerça 
habilement  cet  emploi  pendant  sept 
ans.  Il  fut  envoyé  ambassadeur  vers 
les  couronnes  du  Nord,  l'an  1668.  Au 
bout  d'un  an  il  fut  destiné  à  l'am- 
bassade de  France,  dont  il  s'acquitta 
avec  beaucoup  de  dextérité  et  de 
sagesse.  Lorsque  la  guerre  de  1672 
s'alluma  ,  il  revint  en  son  pays  *  ,  et 

(•ji)  Grotius  était  dr'j'a  mort.  Voyez  le  litre 
<jut  sert  île  réponse  à  cet  ouvrage  fie  Saumaise  ; 
«oyez  ,  dis-je  ,  Jiisti  Pacii  Revisionem  judicii  : 
on  y  reproche  a  .Saumaise  son  inconstance:  11- 
luin  phwniceni  sni  steculi  in  luis  litteris  pra;di- 
eares  ,  quiet  te  igitur  modo  impulit  viriim 
adeo  in  te  beniguum  canino  dénie  perstringere? 
pag.   3. 

*  En  quittant  la  France  ,  il  adressa  au  roi  ,  le 
»3  mars  1672  ,  une  harangue  que  l'abbé  Arcliim- 
baud  ,  ainsi  que  le  dit  Jnly  ,  trouva  digne  des  an- 
riens  Romains  ,  et  qu'il  a  insérée  an  lame  IV  de 
son  Nouveau  Recueil  de  pièces  fugitives  d'His- 
toire ,  de  Lille'/ alure ,  etc. 


fut  privé  de  la  charge  de  pensionnaire 
de  la  ville  de  Rotterdam,  qu'il  possé- 
dait depuis  son  retour  de  l'ambassade 
de  Suède;  il  en  fut,  dis-je,  prive 
pendant  les  émotions  populaires  qui 
causèrent  tant  de  changemens  dans 
les  villes  de  Hollande.  11  se  retira  à 
Anvers  ,  et  puis  à  Cologne ,  pendant 
que  l'on  y  traitait  de  la  paix,  et  il 
s'employa"  pour  le  bien  de  sa  patrie 
autant  <*|u'il  put.  Cependant  lorsqu'il 
fut  retourné  en  Hollande ,  on  l'ac- 
cusa de  crime  d'état.  La  cause  fut 
jugée  ,  et  il  fut  renvoyé  absous.  Il  se 
retira  dans  une  maison  de  campagne, 
et  y  mourut  à  l'âge  de  soixante  et  dix 
ans  (74)>  Voyez  son  éloge  dans  M.  de 
AVicquefort  (75). 

(0)  Il  est  raisonnable  de,  parler  un 
peu  amplement  du  livre  de  Jure  Bel- 
li  et  Pacis]  Il  fut  imprimé-  ;i  Paris  , 
l'an  i6j5,  et  dédié  à  Louis  XIII.  «  Le 
»  roi  Gustave  de  Suède  l'ayant  lu  et 
»  admiré  ,  il  résolut  de  se  servir  de 
»  l'auteur,  qu'il  croyait  un  grand 
»  politique  à  cause  de  cet  ouvrage  : 
»  et  le  chancelier  Oxenstern  ,  pre- 
»  mier  ministre  de  ce  conquérant, 
»  le  fortifiait  dans  ce  dessein ,  fai- 
»  sant  un  merveilleux  état  de  son 
»  ouvrage  de  Jure  Pacis  et  Belli  , 
»  qu'il  feuilletait  incessamment.  Mais 
»  ce  prince  ayant  été  emporté  à  la 
»  bataille  de  Lutzen  ,  l'an  i63a  , 
w  M.  Oxenstern  ,  suivant  son  inclina- 
»  tion  et  le  dessein  du  feu  roi  Gus- 
»  tave,  le  nomma  pour  aller  ambas- 
»  sadeur  en  France  (76).))  M.  Colo- 
miés  assure  (77)  qu'on  prétend  que 
Grotius  mit  tout  son  esprit  en  ce  li- 
vre ,  et  qu'il  en  pouvait  dire  ce  que 
Casaubon  dit  de  son  commentaire  sur 
Perse,  dans  une  lettre  a  M.  Périllau 
son  parent,  qui  n'est  pas  imprimée  : 
in  Persio  omnem  ingenii  conatum 
efl'udimus.  L'ouvrage  de  Grotius  est 
en  effet  une  excellente  pièce ,  et  je 
ne  m'étonne  pas  qu'il  ait  été  expli- 
qué en  quelques  académies  d' Alle- 
magne     Voici    le  jugement  que 

M.  Bignon  ,  ce  magistrat  sans  re- 
proche j  fait   de  ce    livre,  écrivant  a 

(:4)  Tire' de  la  Vie  de  Hugo  Grotius. 

(•;5)  Traité  de  l'Ambassadeur  ,  liv.  II ,  pag. 
454.  Voyez  aussi  pag.  /(il. 

(76)  Du  Maurier,  Mémoires...  de  Hollande, 
pag.  4.0. 

(--)    Colomiés ,    Bibliothèque    choisie,   pag. 

123. 


>84 


GROTIUS. 


M.  Grotius,  le  5  mars  iGÎ2.  J'oublie  , 
dit-il,  de  vous  remercier  de  votre 
traite  de  JureBelli,  qui  est  autant 
bien  imprime'  que  le  sujet  le  mérite. 
On  m'a  dit  qu'un  grand  roi  le  tenait 
toujours  devant  lui ,  et  suis  très-per- 
suadé  que  cela  est ,  parce  qu'il  n'en 

Ï>eut  arriver  que  du  bien  infini  :  ce 
ivre  mettant  la  raison  et  la  justice 
en  une  matière  qu'on  croit  ne  con- 
sister qu'en  confusion  et  injustice. 
<>ux  qui  se  plairont  en  cette  lecture 
y  apprendront  les  vraies  maximes 
delà  politique  cbre'tienne,  qui  sont 


erire  contre  lui.  Quelques-uns  ,  a  la 
vérité,  croient  que  Seldénus  a  fait 
par  émulation  ,  son  livre  du  Droit  de 
Nature  et  des  Gens  selon  les  lois  des 

Hébreux Le  premier  auteur  quia 

paru  sur  les  rangs  pour  critiquer 
l'ouvrage  de  Grotius,  a  été  Johannes 
à  Felden  ,  docteur  en  droit  et  profes- 
seur en  mathématiques  a  Helmstadt. 
Il  a  suivi  comme  pied  à  pied  les  trois 
livres  de  Grotius  ,  et  s'est  arrêté  sur 

les  matières  de  droit  et  de  morale 

il  le  contredit  partout.  Son  ouvrage 
a  été  mis    au  jour  en    l653  ,    et   fut 


les  fondemens  solides  de  tout  gouver-    réfuté  l'année  suivante  par  Tbéodore 


nement.  Je  l'ai  relu  avec  un  merveil- 
leux plaisir.  On  n'en  fit  pas  le  môme 
jugement  a  Rome  ,  où  il  fut  mis 
au  rang  des  livres  défendus ,  le  4 
février  1627 

Le  mémoire  que  M.  Chauvin  a  em- 
ployé (78J  sur  la  destinée  et  sur  l'im- 
portance de  cet  ouvrage  if),  est  si 
beau  et  si  curieux  que  je  ne  puis 
m'empêcher  d'en  copier  plusieurs 
choses.  On  y  apprend  que  Grotius 
entreprit  ce  livre  à  la  sollicitation  du 
fameux  Peiresc.  C'est  lui-même  qui 
l'a  déclaré  dans  la  lettre  qui  accom- 
pagnait le  présent  qu'il  lui  faisait 
d'un  exemplaire.  «  Le  sujet  qu'il 
»  traite  a  été  jugé  si  important  et 
)>  d'une  si  grande  utilité  ,  que  l'on  en 
»  a  pris  l'occasion  d'en  faire  une 
»  science  particulière  ,  pour  l'expli- 
»  cation  de  laquelle  on  a  trouvé  à 
»  propos  d'établir  exprès  des  profes- 
»  seurs  dans  les  universités.  »  L'élec- 
teur palatin  ,  Charles-Louis  ,  faisait 


Graswinckel.  On  a  vu ,  en  i663  ,  les 
«  Commentaires  de  Boeder  sur  le 
»  premier  livre  de  Grotius.  Il  les  a 
»  depuis  continués  sur  les  sept  pre- 
»  miers  chapitres  du  2e.  livre  ,  et  a 
»  encore  donné  au  public  cinq  di- 
»  verses  matières  importantes  du 
»  même  livre....  Il  ne  s'est  pas  arrêté 
»  partout  aux  sentimens  de  cet  au- 
)>  teur  ;  il  en  a  embrassé  de  tout  con- 
»  traires  sur  divers  sujets — En  1664, 
u  Jean -Philippe  Muller  ,  juriscon- 
»  suite  ,  réduisit  en  tables  les  trois 
»  livres  de  Grotius....  En  i665,  Janus 
»  Klenckius  (79)  donna  au  public  ses 
»  Institutions  du  Droit  de  Nature  et 
><  des  Gens  ,   tirées  du  livre  de  Gro- 

»  tius.  En  1666,  Gaspar  Ziégler, 

»  professeur  en  droit  à  Wittemberg, 
»  donna   au  public  ses  Notes  sur  les 

»  trois  livres  de  Grotius Il  ne  pa- 

»  raît  point  qu'il  ait  été  animé  d'un 
»  esprit  de  contradiction  ;  mais  il  n'a 
»  pas  laissé  de  s'écarter ,  en  une  in- 


une  si  grande  estime  de  ce  livre  qii'il  »  îinité  d'endroits  ,  des  sentimens  de 
trouva  a  propos  de  le  faire  servir  de  »  Grotius.  »  Le  frère  puîné  de  celui- 
texte  h  la  jurisprudence  du  droit  de  ci  (80)  publia  ,  en  1667,  un  Manuel 
nature  et  du  droit  des  gens  ,  et  que  des  Principes  du  Droit  de  Nature.  Ce 
pour  l'enseigner,  il  en  donna  la  char-  livre-là  est  proprement  une  introduc- 
ge  de  professeur  dans  son  université  tion  à  celui  du  Droit  de  la  Guerre  et 
de  Heidelherg  a  M,  de  Pufendorff ,  de  lu  Paix  ,  et  il  a  été  orné  de  notes , 
qui  a  été  le  premier  qui  en  a  fait  les  en  1675,  par  Jean-George  Simon, 
fonctions  ;  et ,  a  l' imitation  de  ce  prin-  professeur  en  droit  à  Iéna  (81).  En- 
ce,  on  a  depuis  fait  de  semblables  viron  l'an  1668,  David  Mévius  ,  vice- 
élablissemens  dans  plusieurs  autres  président  île  la  chambre    souveraine 

universités Il  ne  paraît  point  que  de  Wismar  ,    entreprit   de   faire    un 

du  vivant  de  Grbtius,  personne  ait  en-  juste  Système  de  la  Jurisprudence  du 

trepris  de  critiquer  son  livre,   ni  d'é-  droit  de  nature  et  des  gens ,   et   pu- 
blia i  Introduction  à  cette  jurispru- 

(•;8)   Dans  son  Journal   des   Savans  dressé  à 

Ferlin  ,  yag.  220  et  suiv.  de  l'an  i(kf>.  (70)  Voyez  le  Journal  des  Savans  ,  du  25  janv. 

'  Barbcyrae   a  donné  de   grandi  détails  sur  ce  i(i(i(S,  pag.  ni.  80. 

sujet  dans  la  préface  de  la  traduction  qu'il  a  fait  (80)  C'est  Guillaume  Grotius. 

imprimer  do.  Traité  de  Grotius,  15241  deux  vol.  (81)  Il  l'est  à  la  nouvelle  université  de  Sali, 

Ju-40.  ei,  ,<;,,';. 


GROTIUS. 


285 


dence  en  neuf  considérations .  11  donne 
dans  sa  préface  beaucoup  de  louan- 
ges à  Grotius  ,  et  lui  attribue  la  gloire 
d'avoir  le  premier  servi  de  guide  a 
l'élude  de  cette  jurisprudence  com- 
mune des  gens,  et  de  l'avoir  expli- 
quée avec  plus  de  solidité  et  d  érudi- 
tion qu'aucun  autre  n'avait  fait 
auparavant.  Des  trois  parties  dont 
son  grand  ouvrage  devait  être  com- 
pose', les  deux  premières  e'taient  ache- 
vées et  prêtes  a  être  mises  sons  la 
presse  ;  mais  il  ne  savait  pas  si  son 
grand  a"ge  et  ses  all'aires  lui  laisse- 
raient le  loisir  d'achever  l'autre.  Jean- 
Adam  Osiander,  professeur  en  théo- 
logie dans  l'université  de  Tubinge  , 
publia  des  Observations  sur  l'ouvrage 
de  Grotius,  l'an  1671  ,  et  affecta  de 
le  critiquer  presque  partout.  L'année 
suivante  M.  de  Pufendoril' publia  son 
livre  du  Droit  de  Nature  et  des  Gens. 
Il  y  traite  à  fond  ce  qui  en  avait  e'te' 
omis  ou  touché  légèrement  par  Gro- 
tius ,  et  il  y  en  a  qui  considèrent  son 
ouvrage  comme  un  ample  supplément 
de  Grotius  ,  et  d'autres  comme  des 
commentaires  perpétuels  sur  Grotius. 
On  a  vu ,  en  \6j'5  ,  les  Observations 
de  Henri  Héniges  sur  Grotius.  Il 
s'attache  aux  sentimens  de  cet  auteur, 
et  les  soutient  contre  ceux  qui  les  ont 
combattus.  Presqu'en  même  temps 
Jean-Georges  Simon  fit  réimprimer 
le  livre  de   Grotius  ,    avec  des  notes 

3ui  concernent  particulièrement  le 
roit  civil  et  le  droit  public.  Il  prend 
quelquefois,  contre  lui,  le  parti  de 
Jean  à  Felden.  En  1676  ,  Samuel  Ra- 
chélius  donna  au  public  son  Traité 
de  Jure  JValurœ  et  Gentium,  et  Va- 
lentin  Velthem  publia  son  Introduc- 
tion a  l'ouvrage  de  Grotius  ,  en  trois 
tomes.  Jean-Georges  Knipis  publia 
aussi  un  Collège  sur  le  même  Grotius, 
en  1682.  Gronovius  enrichit  de  sa- 
vantes notes  le  même  livre  de  Gro- 
tius,  l'an  1680.  M.  de  Courtin  le  tra- 
duisit en  français  ,  l'an  1687  *  . 
M.  Becman  le  publia,  en  1G91  ,  avec 
des  notes  variorum,  c'est-à-dire, 
qu'il  les  prit  des  plus  fameux  auteurs 
qui  avaient  travaille  sur  celui-là  ; 
comme  sont  Boeder,  Ziéglérus,  Osian- 
der ,  Pufendorn",  Simon,  Gronovius 
et  quelques  autres.  Le  Mémoire   de 

*  Leclerc  dit  que  Courtin  ,  élant  mort  en  l685, 
s»  traduction  ejt  un  ouvrage  posthume. 


M.  Chauvin  ajoute  qu'on  a  donné  , 
en  1696  ,  une  nouvelle  édition  de  ce 
livre  de  Grotius  ,  in-folio  ,  avec  des 
commentaires  de  M.  Vandemeulen 
(82).  Notez  que  ce  Mémoire  sert  d'in- 
troduction à  L'Extrait  que  M.  Chauvin 
a  publié  d'un  commentaire  de  Joli. 
Tesmarius  in  Mugonis  Grotii  de  Ju- 
re Belli  ac  Paris  libros  1 1 1  ,  publié 
à  Francfort,  in-folio,  l'an  1G96.  On 
y  a  joint  les  Notes  d'Ulric  Obrecht 
sur  le  même  ouvrage  de  Grotius, 
M  Tesraar,  décédé  l'an  i6g3,  avait 
travaillé  à  ce  commentaire  durant 
vingt  ans  (83;.  On  réimprima  à  Franc- 
fort -  sur-l'Oder  ,  en  1G99,  m-4".  , 
l'ouvrage  de  M.  Becman  dont  j'ai 
parlé.  En  voici  le  titre  :  ffugonis 
Grotii  de  Jure  Belli  et  Pacis  libri 
très,  in  quibus  Jus  naturœ  et  gen- 
tium, item  Juris publici prœcipua  ex- 
plicantur ,  cum  annotatis  autoris  ex 
postremâ  ejus  ante  obitum  cura.  Ac 
cesserunt  excerpta  annotationum  va- 
riorum virorum  insignium  in  totunt 
opus.  Edente  Joli.  Christoph.  Bec- 
mano.  Ainsi  Grotius,  cinquante  ans 
après  sa  mort,  a  obtenu  un  honneur 
que  l'on  n'a  fait  aux  anciens  qu'après 
une  longue  suite  de  siècles  :  je  veux 
dire  qu'il  a  paru  cum  commentariis 
variorum*.  Je  viens  de  lire,  dans  un 
ouvrage  de  M.  Créuius  (84),  que 
Théodore  Graswinckel  écrivit  l'origi- 
nal de  ce  livre  de  Grotius  ,  car  il 
écrivait  et  l'auteur  dictait ,  ex  ore 
dictanlis  Grotii ,  se  excepisse  ,  eosque 
in  onlinemdemum  redegisse.  Christo- 
phle  Arnoldus  apprit  de  Graswinckel 
même  cette  particularité  ,  et  l'inséra 
dans  une  lettre  qui  a  été  imprimée 
avec  celles  de  Richtérus. 

(P)  Je  parlerai  de  l'ouvrage  que 
Grotius  a  composé  sur  l'histoire  du 
Pays-Bas.  \  Il  comprend  les  choses 
qui  s'y  sont  passées  depuis  le  départ 
de  Philippe  II,  jusqu'en  1608.  Il  est 
divisé  en   annales  et  en  histoire  :  les 

.  (82)  Il  fallait  dire  Vander  M.  ulen.  Voyez 
l'extrait  de  son  livre ,  dans  "Histoire  des  Ou- 
vrages des  Savans  ,  nov.  ifx)5  ,  pag.  11'i  et  JittV. 

(83)  Chauvin,  Journal  des  Savans  de  Berlin, 
pn%.  3iG,  317. 

*  La  même  chose  a  été  faite  pour  un  autre  ou- 
vrage de  Grotius.  M.  J.  C.  Kœuherus  a  donné 
à  Magdebourg,  en  1^34,  '7^9  «'  'T'i".  une  édi- 
tion en  trois  volumes  in-8°.  ,  du  livre.De  la  Vé- 
rité de  la  Religion  chrétienne. 

(84)  Thomas  Crenius  ,  knimadv .,  part.  V  , 
pag.  204. 


286 


GROTIUS. 


annales  contiennent  V  livres  ;  l'his- 
toire en  contient  XVIII  ,  et  com- 
mence à  l'année  i588.  Casaubon  ,  qui 
en  avait  lu  quelque  chose  dès  l'an 
i6i3  ,  en  parle  avantageusement ,  écri- 


»  cre  sa  passion  et  de  parler  bien  de 
»  ses  ennemis  ,  comme  s'imaginent 
»  beaucoup  de  gens  qui  jugent  des 
»  autres  par  eux-mêmes  (91)-  "  Si 
l'auteur  cjui  parle    ainsi   s'est  plu  à 


faut  de  Londres  a  M.  de  Thou  (85).  marquer  ce  bel  endroit  de  l'ouvrage 
Il  observe  qu'il  y  avait  XXI  livres  de  Grotius ,  ce  n'est  point  par  flatte- 
dans  cet  ouvrage.  Il  n'avait  pas  bien  rie  ;  car  il  le  blâme  peu  après  dans 
compte  ;  mais  peut-être  que  les  deux  une  chose  qui  devait  être  blâmée  :  il 


vu   le  jour  qu'après  la    mort  de  son  nés  ni  à  Rome  aussi  obscurément  que 

auteur;  M.  Grotius  ayant  eu  ses  rai-  Thucydide  et  Tacite  ont  écrit.  C'est 

sons  pour  la   tenir  prisonnière  pen-  sans  doute  en    voulant    s  élever  au- 

dant  sa  vie  (86) Madame  Grotius  dessus  de  l'usage  commun  qu'ils  sont 

refusa  d' accorder  a  M.  Sarrau  le  tombés  dans  l  obscurité  que  l'on  re- 
manuscrit de  cette  histoire  pour  la  prend  avec  raison  dans  leur  style, 
somme  de  deux  mille  livrées  (87).  Elle  On  ne  saurait  nier  que  ce  style  ne 
fut  imprimée  à  Amsterdam,  chez  soit  affecté  ,  et  que  ces  auteurs  n'aient 
Jean  Blaeu,  l'an  1657,  in-folio,  et  l'an  cru  rendre  leurs  histoires  recomman- 
i658,  /rc-12  (88).  Elle  a  été  traduite  dables  par  une  éloquence  mâle,  s'il 
en  français  par  M '.  V  Héritier  (89).  On  Jaut  ainsi  dire  ,  où  il  semble  que  l'on 
fît  à  Paris  une  nouvelle  édition  de  la  exprime  beaucoup  de  choses  en  peu 
traduction  française,  l'an  1672  ,  in-  de  mots,  et  qui  est  au-dessus  de  la 
folio.  Voyez  l'extrait  cpie  M.  Denys  portée  du  vulgaire.  Je  ne  comprends 
en  donna  dans  son  septième  me-  pas  quel  goût  ont  pu  avoir  en  ceci 
moire  concernant  les  arts  et  les  scien-  d'habiles  hommes  qui  ont  entrepris 
ces  (90).  Mettons  ici  le  jugement  de  de  les  imiter,  comme  Hugues  Grotius, 
l'auteur  du  Parrhasiana.  «  On  peut  et  Denys  Vossius  dans  sa  Version  de 
»  joindre  à  Polybe  un  fameux  histo-  l'histoire  de  de  Rheide.  Car  enfin  les 
»  rien  moderne,  qui,  après  avoir  bonnes  pensées  n  ont  que  faire  a"  être 
»  souffert  beaucoup  par  l'injustice  obscures  pour  paraître  bonnes  aux 
»  d'un  grand  prince,  n'a  pas  laissé  connaisseurs;  et  le  lecteur ,  quis'ar- 
»  de  raconter  ses  belles  actions  avec  vêle  a  tous  momens  pour  chercher  le 
»  autant  de  soin  qu'aucun  autre  his-  sens  ,  ne  se  sent  nullement  obligé  a 
»  torien ,  et  de  parler  partout  de  lui  l'historien  qui  lui  donne  cette  peine. 
»  comme  ses  grandes  qualités  le  me-  Par-là,  ils  ont  fait  que  d'excellentes 
»  ritaient,  sans  laisser  rien  échapper  histoires  ,  a  l'égard  de  la  matière,  ne 
»  qui  pût  marquer  qu'il  avait  juste  sont  lues  que  de  peu  de  gens  ;  au  lieu 
»  sujet  de  s'en  plaindre.  J'entends  que ,  se  proposant  d'instruire  ceux 
»  l'incomparable  Hugues  Grotius  ,  qui  entendent  assez  la  langue  latine 
»  qui  a  parlé  ,  dans  son  Histoire  des  pour  lire  un  historien  avec  plaisir,  ils 
»  Pays-Bas  ,  du  prince  Maurice  de  devaient  tacher  de  se  faire  entendre 
»  Nassau  comme  s'il  n'avait  jamais  eu  sans  peine  à  tous  ceux  qui  ont  poussé 
n  aucun  démêlé  avec  lui.  C'est  là  un  jusque- lit  l'étude  de  cette  langue,  et 
»  exemple  remarquable  de  désinté-  -se  rendre  utiles  au  plus  grand  nom- 
»  ressèment,  et  qui  fait  voir  qu'il  bre  de  personnes  qu'il  fût  possible. 
»  n'est  nullement  impossible  de  vain-  Plus  une  histoire  est  digne  d'être  lue 

a   cause  des  événemens  qu'elle   l'en- 

(85)  Colomiés,  Bibliothèque  choisie,  pag.  24,  ferme  ,  plus  elle  mérite  d'être  répan- 

e'dit.  <le  161)9.^  due.  L'autorité  des  anciens  ,  qui  ont 

(SG)  La  même.  négligé  la  clarté  du  style ,  ne  saurait 

,j).  f,'""ne,vas'    ...           „     . mettre  a  couvert  les  modernes  qui  les 

(88)  lira  aussi  une  fditiun  m-S°.  L  édition  -  ..    •_  •.  .                ,          /         „    • 

inWesi  pleine  de  fautes  d'impretsion.  ont  mutes ,  contre  les  raisons  que  je 

(Sçj)  Colomiés  ,  Bibliothèque  choisie,  pag.  î5. 


(<,o)  Pag.  85  des  Mémoire»   de  M.    Denys, 
e'dit.  île  Paris,  1C72. 


(ç|i)  Parrhasiana  ,  pag.   160 
(ys)  L'a  même  ,  pag.  1 79. 


GRUTERUS. 


viens  île  dire-,  ou  plutôt  contre  le  bon 
sens.  Il  n'y  a  rien  en  quoi  Tacite  mé- 
rite moins  d'être  imite'  que  dans  son 
langage  trop  concis,  et  par-là  néces- 
sairement obscur.  C'est  néanmoins  en 
cela  que  l'on  trouve  plus  de  singes  de 
ce  grand  historien.  Je  suis  bien  fâché 
que  Grotius  n'ait  pas  voulu  éviter  ce 
piège.  Le  grand  Bignon,  qui  désap- 
prouvait ce  style  ,  avait  persuadé  à 
l'auteur  de  le  réformer.  Amavil  (Gro- 
tius )  ubique  orationem  pressant ,  et 
quddam  dignilale  gravent.  .7  ijud  uec 
inhistorid  sibi  temperavit.  Satis  con- 
stat ,  viruni  nostri  sœculi  summum  , 
omnisque  doctrines .  et  auctorem  et 
censorem  gravissimum  ,  Hieronymum 
Bignonium  ,  ciun  ineditas  adhuc  (îr<>- 
lii  Uislorias  et  Annales  legisset ,  non 
probdsse  brevitatent  oralionis  ,  obscu- 
ritati  obno.iiam,  in  illo  génère  scrip- 
turœ  quod  a  perspicud  venustate  po- 
tissimàm  commendationem  caperet  ; 
penèque  Grolio  persunsisse ,  ut  rescri- 
beret  (§5).  M.  de  la  Neufville  ,  dans 
la  préface  de  l'Histoire  de  Hollande  , 
assure  que  Grotius  avait  commencé 
de  refaire  son  ouvrage  *. 

(0,3)  Boeder.  .  prcefat.  Commentai-,  in  Gro- 
lium  :1e  Jure  Bclli  et  Pacis  ,  pag.  m.  3o. 

*  Le  père  Niceron  ,  dans  son  article  de  Thon , 
lom.  IX  ,  dit  qu'on  avait  promis  à  Francfjrt,  en 
iri3,  une  édition  ,  en  trois  volumes  in-folio,  de 
l'Histoire  de  ce  président;  mais  que  cette  édition 
n'a  pas  paru.  Joly  observe  que  cependant  les 
Mémoires  de  Trévoux,  février  1714,  nous  ap- 
prennent que  cette  édition  ,  accompagnée  d'ad- 
ditions ,  tirées  d'un  manuscrit  de  Grotius,  a  été 
publiée  a  Francfort  Malgré  le  journal  de  Tré- 
voux et  Joly  ,  il  est  à  croire  que  l'édition  n'existe 
pas.  Les  éditeur»  de  la  Bibliothèque  historique 
delà  France,  tom.  II,  pag.  3^5,  disent  formel- 
lement qu'elle  n'a  pas  été  exécutée.  Il  n'est  d'ail- 
leurs question  de  celte  édition  ni  dans  la  Vie  de 
Grotius  ,  par  Burignr  ,  ni  dans  le  Manuel  du 
libraire  ,  etc.  ,  de  M.  Brunet. 

GRUTÉRUS  (Pierre)  naquit 
au  Palatinat.  Son  père  Thomas 
Grutérus  ,  qui  s'y  était  réfugié 
(a)  à  cause  de  la  religion  pro- 
testante persécutée  dans  les  Pays- 
Bas  ,  fut  professeur  à  Duisbourg 
(A) ,  et  eut  trois  ou  quatre  fils 
qui  furent  hommes  de  lettres 
(B).  Pierre  Grutérus  ,  dont  il  est 
ici  question ,  pratiqua  la  méde- 

f<iï  Yaler.  Andréas  ,  Biblioth.  belg.  ,  pag-. 


287 


cine  dans  diverses  villes  de  Flan- 
dre, à  Dixmude,  à  Oslende,  etc.; 
et  ne  se  loua  pas  beaucoup  des 
Flamands  {b).  Il  fit  imprimera 
Leyde,  l'an  1609,  une  centaine 
de  lettres  latines  ,  qui  furent  fort 
maltraitées  par  l'imprimeur  et 
par  les  critiques  (C).  Il  y  affecta 
un  style  tout  plein  de  vieux  mots 
et  de  phrases  surannées.  Il  quitta 
Ostende,  l'an  1620,  et  se  retira 
à  Middelbourg.  Je  ne  sais  pas 
s'il  s'y  arrêta  long-temps,  mais 
je  crois  qu'il  busqua  fortune  en 
divers  lieux  ,  avant  que  de  se 
fixera  Amsterdam,  où  les  magis- 
trats lui  firent  du  bien  (c).  Il  y 
publia  une  nouvelle  centaine  de 
lettres  ,  l'an  162g  (D)  ;  et  y  trou- 
va la  fin  de  sa  vie,  l'an  1634  [d). 
Swertius  (e)  le  fait  natif  de  Zi- 
riczée  dans  la  Zélande ,  et  sé- 
journer en  Italie  quelques  an- 
nées *. 

{b)  Voyez  la  IIe.  centurie  de  ses  Lettres. 

(c)  Voyez  l'épître  dédicaloire  de  la  IIQ. 
centurie  de  ses  Lettres. 

(d)  Valer.  Andréas  ,  Biblioth.  belg. ,  pag. 

74!  . 

(c)  Athen.  Belg. ,  pag.  618. 

*  P.  Grutérus  eut  pour  fils  Isaac,  <jue  pa- 
raît ne  pas  avoir  connu  Bayle,  et  qui  cepen- 
dant a  publie  quelque  chose  ,  ainsi  que  le  dit 
M.  Barbier ,  dans  son  Examen  critique  et 
complément  des  Dictionnaires  historicités. 

(A)  Son  père  ,  Tliomas  Grutérus 

fut  professeur  it  Duisbourg  (1).  |  On 
apprend  cela  par  quelques  lettres 
qui  ont  été  imprimées  à  la  fin  de  la 
deuxième  centurie  de  Pierre  Gruté- 
rus,  son  fils  ,  et  dont  quelques-unes 
sont  de  ce  Thomas  Grutérus.  Il  avait 
composé  divers  ouvrages  (2I  ,  et  entre 
autres  l'Histoire  de  David  George  ,  et 
la  Réfutation  de  ses  hérésies. 

(B) Et  eut  trois  ou  quatre  Jtls 

Ci)  Il  l'était  l'an  i!6o  et  i56l.  ("entur.  H, 
epist.  Pétri  Gruteri  ,  pag.  197,  198. 

(7)  Ils  n'ont  jamais  été  imprimés  :  on  en  voit 
la  liste  dans  la  cent.  II,  epist.  Pétri  Gruteri, 
pag.  200. 


288 


GRUTÉRUS. 


qui  furenthommes de  lettres.}  Jacques 
Grutérus  ,  fils  de  Thomas,  était  pro- 
fesseur en  histoire  dans  l'école  illus- 
tre de  Middelbourg  ,  l'an  1604.  On  a 
imprimé  quelques-unes  de  ses  lettres 
à  la  fin  de  la  deuxième  centurie  de 
Pierre  Grutérus  ,  son  frère  ,  avec  la 
liste  de  quelques  livres  qu'il  avait 
composés  ,  mais  qui  n'ont  jamais  été 
imprimés.  Reinier  Grutérus,  fils  du 
même  Thomas ,  était  principal  du 
collège  de  Casimir  à  Heidelberg. 
Quelques  lettres  qu'il  avait  écrites  à 
son  frère  Pierre  se  trouvent  à  la  fin 
de  la  deuxième  centurie  dont  je  viens 
de  parler.  On  n'y  a  pas  oublié  la  liste 
de  ses  productions  manuscrites.  Jean 
Grutérus,  autre  fils  de  Thomas, 
quitta  les  études  ,  et  fit  un  voyage  en 
Italie,  qui  ne  lui  fut  pas  heureux  ;  car 
ayant  eu  l'imprudence  de  disputer 
sur  l'eucharistie ,  il  fut  obligé  de 
prendre  la  fuite  pour  ne  pas  tomber 
entre  les  mains  de  l'inquisition.  Il  se 
sauva  de  nuit  à  Naples  ,  et  peu  après 
il  se  remit  en  chemin  pour  regagner 
son  pays;  mais  il  mourut  de  maladie 
avant  que  d'achever  son  voyage  (3). 
On  a  publié  quelques-unes  de  ses  let- 
tres avec  celles  de  ses  frères. 

(C)  Ses  Lettres  latines  furent  fort 
maltraitées  par  l'imprimeur  et  par 
les  critiques.  ]  Voici  la  plainte  qu'il 
fait  au  commencement  de  sa  deuxiè- 
me centurie  (4)  :  Externa  quoque 
fata  sœpè  eas  involvunt  ;  tjpographo 
alibi  sterlente,  et  correctoris  ignavut 
vacillante  ;  quœ  sors  meas  cerle  olr.iit, 
nusquant  prœlo  magis  famœ  auloris 
incidente  ,  quibus  si  desidiam  illius 
associa  ,  cujus  fidei  typorum  curam 
adscripseram  ,  omnem  excusationis 
cumulum  confeci.  Cette  plainte  paraît 
en  cent  autres  lieux  de  l'ouvrage.  Les 
murmures  contre  les  censeurs  de  la 
première  centurie  ne  sont  ni  moins 
forts  ,  ni  moins  fréquens.  Son  fils  es- 
père que  la  deuxième  centurie  sera 
reçue  plus  favorablement.  Varia  J'ato 
prima  centuria  flu.ctua.vit ,  iniqui  su- 
bindè  censoris  aciem  experta  ,  praut 
rudi  manu  libram  hnne  vitio  creati 
judices  versdrunt.  Sed  quifelices  ado- 
lescentiœ  tua?  primitias  non  bénigne 
ventildrunt ,  fœcundœ  virilitatis  mes- 
sem  admirari  distant  (5).    La  vérité 

■  (3)  Pétri  Gruteri  Epis!.,  ceuturia  II,  pag.  a3/}. 

(4)  Pag-  4- 

(5)  P.  Gruteri  Epist.,  ceotur.  II  ,  pag.  164. 


est  qu'on  avait  raison  de  siffler  ces 
Lettres  ;  et  néanmoins  un  grand  nom- 
bre de  personnes  écrivirent  à  l'auteur 
cent  beaux  complimens  sur  cet  ou- 
vrage ,  lesquels  il  ne  manqua  pas  de 
publier  à  la  tête  de  sa  deuxième  cen- 
turie. Ce  qui  doit  apprendre  à  bien 
peser  ses  paroles ,  quand  on  écrit  à 
un  auteur  vain  ,  et  dont  les  livres  ne 
sont  pas  bons.  11  faut  toujours  crain- 
dre qu'un  tel  homme  ne  publie  les 
éloges  qu'on  lui  donne  ,  s'il  en  a  l'o- 
riginal. Pierre  Grutérus  avait  pres- 
senti qu'on  ne  goûterait  pas  l'aflécta- 
tation  de  son  vieux  langage  ;  c'est 
pourquoi  il  en  fit  une  apologie  par 
avance  ,  et  l'imprima  avec  les  pre- 
mières Lettres  (6). 

(D)  Il  publia  une  nouvelle  centaine 
de  Lettres.}  Valère  André  se  trompe, 
quand  il  dit  qu'Isaac  Grutérus ,  fils 
de  l'auteur  ,  la  publia.  Il  paraît  ma- 
nifestement ,  et  par  l'épître  dédica- 
toire  ,  et  par  la  préface  ,  et  par  une 
lettre  de  Gilles^nouck,  qui  est  en  tête 
des  autres,  que  ce  fut  Pierre  Gruté- 
rus qui  fit  imprimer  la  deuxième  cen- 
turie. Cela  même  paraît  par  une 
lettre  de  son  fils  Isaac  ,  imprimée  à 
la  fin  du  livre ,  avec  un  canuen  gra- 
tulatorium  qu'il  avait  fait  sur  cette 
e'ditiou ,  et  avec  quelques  autres  let- 
tres q  u'il  avait  écrites  à  diverses  per- 
sonnes. 

(6)  Centuria  epislolarum  et  apologia ,  pro 
eâdem  qud  instituti  sui  et  slj'li  ub  usu  et  latinis- 
mi  puritate  abhorrentis  rationetn  reddit.  Yaler. 
Andr. ,  Biblioih.  bclg.  ,  pag.  <]^i. 

GRUTÉRUS  (Janus),  savant 
humaniste ,  et  l'un  des  plus  la-* 
borieux  écrivains  de  son  siècle  , 
naquit  à  Anvers  ,  le  3  de  décem- 
bre i56o.  Il  était  encore  enfant 
lorsque  son  père  (à)  et  sa  mère  , 
proscrits  pour  la  religion  protes- 
tante, par  la  duchesse  de  Parme, 
gouvernante  des  Pays-Bas  ,  le 
transportèrent  en  Angleterre. 
Sa  mère  ,  qui  était  savante  (A)  , 
fut  son  principal  précepteur.  Il 
passa  quelques  années  dans  l'a- 
cadémie de    Cambridge  ,   après 

(aï  Je  parle  de  lui  dans  la  remarque  (B) , 
vers  In  fin. 


GRUTÉRUS.  28c) 

quoi  il  vint  à  celle  de  Leyde  (B) ,   veloppée  clans    le    saccagement 
pour  v  étudier  en  jurisprudence,    général  de  la  ville  d'Heidelberg  , 
Il  y  reçut  ledoctorat;  maisdans    l'an  1622.  Avant  que   cette  ville 
la  suite    il    ne  s'attacha  qu'aux    fût  prise  il  s'était  retiré  à  Bret- 
belles-lettres  ,  et  il  publia  bien-    ten   chez   son    gendre,    d'où    il 
tôt  des  ouvrages  de  critique  (C).    passa  a  Tubinge.    Il   retourna  à 
Quoiqu'on  sache  en  général  qu'il    Bretten   lorsque  les    affaires    du 
voyagea,    on  ne  saurait  néau-    Palalinat  furent  un  pou  moins  en 
moins  marquer  les  circonstances   désordre  ;  mais  ,  parce   qu'il   s'y 
et  l'ordre  de  ses  voyages.  Il  était    trouva  inquiété  par  les  eatholi- 
en  Prusse  lorsque  Christien  ,  duc   ques  romains   (G),    il    se    retira 
de  Saxe,  lui  fit   offrir   la  chaire    dans  une  maison  de  campagne 
de   professeur   en   histoire  dans  qu'il  acheta  proche  d'Heidelberg. 
l'académie    de    Wittemberg.    Il    II  allait  de  temps  en  temps  dans 
l'accepta  et  ne  la  garda  que  peu    cette  ville,  et  il  en  était  parti  le 
de    mois,   parce    que    Christien    jour  qu'il    tomba   malade  de  la 
mourut  bientôt ,  et  que  ceux  qui   maladie  dont  il  mourut.    Il    en 
gouvernèrent  après  lui    oblige-    partit  le  1  o  de  septembre  1627, 
rent  tous  les  professeurs  à  signer    pour  s'en  aller  à  Berhelden  (d) , 
un  formulaire  ,  ou  à  renoncer  à   où  il  trouva  la  fin  de  sa  vie   au 
leur  charge.  Grutérusaimamieux   bout  de  dix  jours.  Il  fut  enterré 
quitter  la   sienne ,  que  de  sous-   à    Heidelberg ,   dans   l'église   de 
crire    à    des   confessions   de   foi   Saint-Pierre.  Justement  lorsqu'il 
contre    sa    conscience    (D).    Je    mourut,    la    nouvelle   vint   que 
trouve  qu'il  a  fait  des  leçons  pu-    l'académie    de    Groningue    l'ap- 
bliques  dans  l'académie  de  Ros-  pelait  à  la  profession  en    histoi- 
tock(cV);  mais  je   ne  sais   point    re  et  en  langue  grecque  (e).   Il 
ni  quand  ni  comment  il  en  sor-   avait  reçu  plusieurs  vocations  de 
tit    Le  lieu  où  il  a  professé  avec    divers  endrois(H).  Comme  je  l'ai 
plus  d'éclat  est  l'académie  d'Hei-   dit  au    commencement,  c'était 
delberg,    où  il  eut  aussi    la  di-   l'homme  du  monde  le  plus  labo- 
rection  de  cette  fameuse  biblio-    rieux  (I).    Il  avait    une   qualité 
théque  (c),  qui  fut  transportée  à    fort  rare,   c'était  de  n'être  pas 
Rome  quelque  temps  après.  Cet    attaché  au  gain.  Il  ne  se  souciait 
emploi  lui  convenait  admirable-   pas  d'augmenter  son  revenu,   il 
ment,  et  l'aida  beaucoup  à  pu-    donnait  largement  l'aumône,  et 
blier  un  grand  nombre  de  com-    il  prêtait  de  l'argent  sans  s'in- 
iiieiitaires.   L'un  des  plus  utiles    former  trop  si  le  débiteur  serait 
ouvrages  qu'il  ait  donnés  au  pu-    solvable  (K).  Il  supportait  con- 
blic  est  un  gros  recueil  d'inscrip-    stamment  les  adversités  ;  et  si  on 
tions  (E).  Rien  ne  pouvait  être    ne  le   vit  point    insensible   à  la 
plus  triste   pour  un   homme   de 
son  humeur,  que  la  perte  qu'il     .  (d)/Ia"°n  de  campagne  d'Oswaidus 

~.  .               1         -H            1             1     11  Smendius ,  son  gendre,    a  une  lieue  d  Hei- 

SOUttrit  Par  le  pillage  de    Sa  belle  delberg.   Moréri   ne   devait  pas   dire  qu'il 

bibliothèque    (F).    Elle    fut   en-  mourut  à  Heidelberg. 

■*■  (e)  Tiré,  ou  de  Balthasar  Venator,  au  pa- 

(b)  y  oyez  la  remarque  (D) ,  citation  (ro\  négyrique  de  Gmte'rus ,  ou  de  Fride'ric  Her- 

(c)  Il  commença  de  l'avoir  l'an  1602.  nian  Flayder,  de  Vitâ  et  Morte  Gruteri. 

tome  vu.  •  19 


290  GRUTÉRUS. 

mort  de  ses  quatre  femmes  ,  on  que  lui  était  si  familière  qu'elle  pou  - 
remarqua  pour  le  moins  qu'il  se  vait  lhu  Gallien ,  en  grec.  Il  y  a  très- 
,    .       .  t-        -1    ,  «      j  '         peu    de     médecins    qui     en    pussent 

laissait  consoler  avec  succès  dans   {-aire  autant  u  sicut\bus  du%s  c<m. 

cette  a/ïliction    domestique   (L).  stantiœ  doctores  utrumque  parentem, 

Sa  plus   violente  querelle  de  lit—  ita   matrem  prœcipuè  studiorum  ma- 

térature   fut   avec   Philippe  Pa-  g^ram  ,  uotum  simul  Agasiclis  con- 

t,  i        -îi  /  Vv    /->   i  secutus  est,  ut  eonim  discivulus   di- 

reus.  J  en  parle  ailleurs  (/)  Cel-  ceretur,  quorum  et  fihus  JseL   Ma_ 

le  qu'il  eut  avec  Denis  Godefroi  ter  enim prœter  gallieam ,  italicam, 
fut  comme  un  torrent  (M)  :  vio-  brilannicam  linguam,  latinas  litteras 
lente,  mais  de  peu  de  durée.  Il    ^"/nè'  grcecasita  callebat ,   ut   et 

„             ~         ,           *                 ,                ,  (raleiiiim  ,    quod  mdlesimus   medicus 

fit  un  fort  bon  usage    des    mal-  Ulx  soiet,-linguâ  Galeni  legerit.  Je 

heurs  dont  les  dernières  années  crains  que  ceux  qui  ontpublié  des  ca- 

de  sa  vie  furent    traversées.    On  talogues  des  femmes  savantes  n'aient 

le  peut    connaître  par    les   ré-  ™™%t  celle"ci   un  Peu  troP   sou" 

flexions  morales  qu'il  publia  (g).  (B)  npassa  quelques  années  dans 

Sa    curiosité,     quelque    grande  C académie  de  Cambridge , après  quoi 

qu'elle  fût,  s'épuisait  toute  sur  il  vint  h  Lerle.]  Il  y  étudia  pendant 

i              •.•'           i'^      J-*: '1       ~  sept  ans ,  si  l'on  en  croit  Valere  André 

les  matières  cl  érudition  :  il    ne  ,,*          '  •.                f      A    r     .  , 

,  (3) ,  qui  cite  une  préface  de  Cruterus 

S  amusait  point  a   des    nouvelles  m£me  f  et  qui  ajoute  que  Grutérus 

de  ville  ,  comme  font  tant  d'au-  avait  demeuré  en   Angleterre  depuis 

très  savans(N),  qui  ne   se  cou-  l'âge  de  quatre  ans  *a ,  jusqu'à  l'âge 

!        .  •  •  a,  j  de    dix-neuf,    et    qu  avant  voulu    se 

chent  jamais  sans  être  repus   de  fixer  dans  sa'pîrtri^  après  avoir  été 

tous  les  contes  qui  courent.  11  ne  reçu  docteur  en   droit,  il  la  quitta 

s'amusait    point    non    plus    aux  tout  aussitôt  ,  parce   qu'on    apprit 

controverses  (h) ,  et   ce  fut  sans  qu'elle  allait  être  assiégée  par  le  duc 

t       ,     ,,  i  .•£•         ■  de  Parme.    Son    père  ,  qui   était  une 

doule  1  un  des  motifs  qui  ericou-  pcrsorme  consi<lérable,  et  qui  eut  des 

ragèrent  l'un  de   ses  antagoms-  emplois  dans  cette  ville  pendant  le 

tes  à  l'accuser  d'irréligion.  Néan-  siège  ,  ne  voulut  pas  que  son  fils  y 

moins  il  donna  de  telles  preuves  passât  un  si  fâcheux  temps  :  il  l'en- 

,  !  -      i»'    r  voya  voyager  en  rrance.  Ces  calculs 

de   son    attachement    a    I  église  n/soat  ^^tes  ;  car  ils  supposent 

protestante  ,  qu  il   y    a    bien  des  que  le  duc  de  Parme  assiégea  Anvers 

controversistes  emportés  et  in-  l'an  1 586,   ce   qui   est   très-faux  ;  il 

iurieuxqui  n'auraient  pas  assez  l'assiégea  l'an  1 584  :  de  sorte  q»«  si 

\        - '.  '  i  i  Grutérus  avait  quitte  Leytlc  ,  pour  si; 

de  pieté  pour  en  donner  de  pa-  retirrr  ..  kme£  ayant  £  sit.„(!    n  se. 

reilles  (0)  rait  faux  qu'il  eût  étudié  en  Angle- 

"    .   „         ,  _.       terre   jusqu'à  l'âge  de  dix-neuf  ans, 

(f)  Dans  laremarçtwiC)  de  l articles-    ^        -    a    L       ,  mlant    s      t  ans 
REUs  (Philippe   ,  lom.  XI.                                          .     1                   1           <  1  ,        r 

(g)  Sous  te  uire  de  B.Hiotheca  Exul.im,    Au   reste      le    p.ere   de  notre  Gruter 
.  sive   Encliiridion   divins   lmmamcque   pru-     S  appelait  Gualtlierus  :  il    lut   bourg- 

denii»'.  mestre  d'Anvers  (4)  :    u   signa   cette 

(h)  Voyez  les  remarques  ^D)  et  (G).  fameuse  requête  *3    qui    fut  présen- 

(A)    Sa     mère était  sav aritè.  ]         *i  Leclcrc  dit  que  la  inere  de  CmUr  savait  le 

Elle  était  Anglaise  (l)  ,  et  se  nommait     Rrec,   le  latin,  l'anglais,  le  français  et  l'ilalien  , 

Catherine  Tishem  (2).  La  langue  grec-    <-Rmm<\  "'  cAl  "'«»>'  Pas  dil  <lans  le  lnte  lat  " 

0         D  transi  rit  par  llayle. 

(1)  Frirlèricus  Hcrmannus  Flayderns  ,  in  Vità  (s)  7"  WbUoA.  bclg.  ,  pas;.  438. 

et  Morte  Jani  Gruteri.  *'  LecleiC  dit  que  Valèrc  André    est   ici  dans 

(a)  Balthasar  Venator,  in  Panewrico  Gruter!,  l'erreur. 

apud  Henninj.  Witte,  Memor.  ul.ilosnul.nrum,  (4)  Flayderu?  ,  m  V,tà  et  Morte  J.   Gruteri. 

«jratorum  ,  etc.  pt'g-  a,7-  *'   Leclerc  dit  que  cette  requête  est  de  i5CC. 


GKUTÉRUS. 


291 


tée   à  la  duchesse  de  Parme  ,    et  qui    examinée  (7).  Il  fut  donc  congédie' 


donna  l'origine  au  mot  de-  gueux. 
Après  sa  proscription  ,  il  essuya  bien 
des  traverses,  avant  que  d'arriver  à 
Norwich  ,  en  Angleterre  ,  où  il  s'ar- 
rêta assez  long-temps:  ensuite  il 
s'en  vint  à  Middelhourg  ,  d'où  il 
passa  à  Anvers  lorsque  les  Etats  en 
lurent  les  maîtres.  11  demanda  au  sé- 


avec  deux  autres  qui  refusèrent  île 
souscrire  ;  mais  il  leur  en  coûta  beau- 
coup moins  qu'à  lui.  Ils  furent  gra- 
tifiés des  gages  de  la  moitié  d'une 
année  ,  comme  on  le  pratique  en  ce 
pays-là  ,  envers  ceux  que  l'on  licencie 
avec  honneur.  Quant  à  lui,  bien  loin 
de  toucher  cette  gratification  ,  il  ne 


nat    exemption   de  toute  charge,   ce  fut  pas  même  remboursé  des  frais  du 

qui  lui  fut  accorde' jusqu'au   temps  voyage.  C'était  le  plus  manvais  cour- 

qu'on  se  vit  menacé  d'un  siège.  Alors  tisan  du  inonde  :  il  ne  songeait  qu'à 

non-seulement  il  fut  capitaine  de  son  ses   livres,    et  ne  s'amusait  point   à 

quartier,  mais   aussi  l'un  des  quatre  gagner  les  bonnes  grâces  des  favoris  , 


intendans  des  vivres.  Gualtherus  vici 
sui  magister  delectus  est  ;  cui  muneri 
minus  gravi  successit  deindè  gravius  , 
riun  Parmensis  obsidionem  fecisset. 
liei  namque  frumcntariœ  quatuoTvir, 
collegis  Aldegondio  ,  Lefdale  et  Rosre 
adscitus  ,  in  partem  gloriœ  illms  mil- 
tendus   est ,    quod  annonœ  conscien 


par  «les  soumissions  et  par  des  visites 
captieuses  ;  et  il  trouva  qu'à  tout 
prendre  ,  il  lui  serait  plus  avanta- 
geux de  renoncera  cette  somme  d'ar- 
gent ,  que  de  s'engager  dans  les  em- 
barras d'une  sollicitation  qui  aufeit 
tiré  en  longueur.  Causa  superiùs  in- 
dicatâ ,  quod purpuras  aulicas   ado- 


ttam    sic  inter  paucos  septam  lenuis-    rare  nescierat ,  pnncipi  vero  tormen- 


sent  ;  ut  dira  deditionem  •  nec  civi  , 
nec  hosti  constare  posset ,  tantiim 
triduijrumentum  superfuisse  (5). 

(C)  II  publia  bientôt  des  ouvra- 
ges. ]  Les  premiers  fruits  de  ses  veil- 
les qu'il  communiqua  au  public,  fu 


tum  ,  aut  supplicalionis  continuée  fi- 
diculas  adhibere  sibi  interdixerat. 
Minus  enim  molestiœ  inesse  videba- 
tur  dispendio  expedito  ,  quant  sti- 
pendia aut prœmio  intrieato  (8).  Voilà 
le  caractère  naïf  d'un  véritable  hom- 


rent    quelques  vers  latins.   Il   avait  me  d'étude.  Mais  je  ne  sais  si  l'on  ne 

environ  vingt  ans  *.  Famœ  suce  im-  doit   pas   trouver   étrange    dans    un 

morlalis  januam  circa  annum   vige-  homme  qui  avait  tant  lu  ,  qu'il  igno- 

simum  aperiebat  venibus  quos  Ocel/os  rât  absolument  ce  que  c'était  que  le 

vocabat  (6).  Ensuite  il  publia  à  Wit-  livre  de  la  Concorde.  Je  ne  crois  pas 


(6). 

tenberg,  l'an  1 5gi  ,  Sugpicionum  libri 
IX  -,  in  quibus  varia  scriptorum  loca 
emendata  et  explicata  :  et  puis  coup 
sur  coup  il  donna  des  notes  sur 
presque  tous  les  auteurs  de  l'ancienne 
Rome,  sur  les  deux  Sénèque ,  sur 
Martial ,  sur  Cicéron  .  sur  Titc  Live  , 
sur  Florus  ,  sur  Velleius  Patercu- 
lns  ,  etc. 

(D)  //  aima  mieux  quitter  sa  char- 
ge, que  de  souscrire  à  des  confessions 
de  foi  contre  sa  conscience.  }  On 
voulait   qu'il    signât   le   livre  de   la 


pas 

que  l'esprit  de  notre  Grutérus  fût 
d'une  vaste  étendue  ;  mais  son  appli- 
cation extraordinaire  ,  son  avidité 
immense  de  savoir  une  infinité  de 
choses  ,  sa  diligence  prodigieuse  à 
entasser  des  recueils ,  lui  firent  ac- 
quérir une  espèce  d'universalité  que 
la  nature  ne  lui  donnait  pas.  Pour- 
quoi donc  négligeait-il  de  s'instruire 
d'une  chose  qui  partageait  les  égli- 
ses ,  et  qui  faisait  tant  de  bruit  par- 
mi les  théologiens  ?  Apparemment 
son  inclination  le  tenait  fort  éloigné 


Concorde  :  il  répondit  qu'il  ne  savait    ^es  études  de  la  controverse.  Parlons 


ce  que  c'était  ,  qu'il  n'avait  jamais 
lu  ni  vu  ce  livre;  et  que  ce  serait 
une  extrême  témérité  ,  que  d'approu- 
ver une  chose  que  l'on  n'avait  pas 

(5)  Venator,  in  Panegyrico  Gruteri ,  pag. 
224. 

*  Il  en  avait  vingt-sept,  dit  Leclerc.  Ce  pre- 
mier fruit  <le  ses  veilles  était  intitulé  :  Périclita 
poetica.  Le  père  ÏYiceron  ne  cite  qu'une  édition 
d'Beidelbérg,  i5S7  ,  in-8°. 

(G)  Flaydeius  ,  in  Vitâ  et  Morte  Gruteri. 


plus  positivement  :  il  désapprouvait 

(-)  Grutérus  cum  librum  Concordiœ  nec  n- 
distel  ner  legivxet  unquam  ,  nbsLinuil  à  subscrip. 
tione  ,  quod  lemerarium  essel  et  fatuum  judicare 
de  re  quant  nen  viderit  ,  approbare  librum 
quem  non  legeris  ,  Jtrmare  sententiam  quam 
non  contideraveris ,  subscribere  divinis  quai 
cum  divinis  nondttm  contuleris.  Mitsionem  igi- 
tur  prœlulil.  Venator,  in  Panegyr.  Gruteri, 
pag.  244. 

(8)  Venator  ,    in    Panegjrico    Gruteri  ,   pag- 

t>44- 


292  GRUTÉRUS. 

les  disputes  des  théologiens  (g)  ;  il  ne  donc  sur  nos  gardes,  quand  nous  lui 

s'en  voulut  jamais  mêler  ;  il  ne  se  lit  entendons  dire  (12)  :  Multas  inau- 

point  de  querelles  de  religion  avec  spicatas ,  inimicas   et  arcentes   aves 

ceux  de   l'église   romaine;  et   de   là  moriales  illi  ubique  ferè  nanciscun- 

vint  qu'on  le  soupçonna  de  vouloir  tur  ,  nullas  tamen  infestiores  hodiè  , 

changer  de  religion.  Venator,  son  pa-  quant  quœ  de  suggestu  dira  omnibus 

négyriste  ,   s'emporte   un  peu  contre  régnant ,  et  populares  animos  odiis 

ceux  qui  formaient  de  tels  soupçons,  asperant,  quos   vêtus   augurum  dis- 

Voici  comment  il  les  traite  (10)  :  Hue  ciplina  ignoravit ,  nisi,  quia  de  sum- 

accedit  quœdam  alia  dementia ,  quœ  mo    vocem    miltunt  ,   Supervaganeas 

frigere  eos  dicit  in  religione,  quos  in  cum  antiquis  appelles  ,  uut  picarum 

contentiones    non    vident    ardescere.  generi  adscribas  quodam  coltegio  na- 

Pontificio  non  oblocutus  es?  Pontifï-  turœ  ,  quoniam  utrisque  par  insolen- 

cius  haberis.  Lutherano  non  relucta-  tia,   quam   illis  fabulœ  tribunt  ,  par 

tus?   Lutheranus    audis.    Calvinistae  conviciandi  et  obtrectandi  libido , 

non    ilisultdsti?    Calvinista    es.    IstlS         Raucaque  garrulitas,   sliuliumque  immane  !••- 

enim  nominibus  invicem  discedimus.  quendi. 

Novi  qui  de  GRUTERO  proplei-  Dicam  clariiis.  Sunt  nonnulli  (  absit 
liane  ipsam  causant  transilionem  spar-  enim  ut  omnes  eâdem  censura  vexem  ) 
si.'êuini  Sicut  et  David  Chytrœus  ,  et  in  ipsd  maire  nostrd  Germanid  de 
qubd  /«academiâ  Rostochianâ  G  RU-  sacra  online  homines  sacerrimi ,  qui 
TERO ,  qui  tune  ibidem  Suetonium  velut  divinarum  et  humanarum  re- 
legebat ,  conjunctior  erat ,  et  studium  rum  indices  atque  arbitri  tantâ  con- 
rixandi  aversabatur ,  Calviniani  no-  fidentid  partent  illam,  quam  nescio 
minis  invidiam  sustinuit.  Le  panégy-  'nuis  optunam  et  pessimam  dixit  , 
riste  venait  de  parler  fort  sensément  exercent,  ut  quidvis  in  quosvis  nullâ 
contre  ceux  qui  aiment  à  disputer,  cunî ,  verum  anfalsunt  intemperan- 
et  touchant  le  mauvais  effet  de  l'es-  ter  effundant  ,  auresque  et  Jidem 
prit  controversiste.  On  n'en  devient  vulgi  ignobilissimd  captivitate  dam- 
pas  meilleur ,  dit-on ,  mais  on  en  nent  et  servitute.  Aliquis  ipsis  non 
devient  plus  chagrin  contre  son  pro-  dédit  ?  avaritia  :  Non  scrupulosè  sn- 
chain.  Certamina  talia  semper  ferè  tis  honoravit.  ?  arrogantia  :  JYon  lau- 
istis  eventibus  finiuntur ,  ut  acerbius  davit?  ambilio  :  Non  rudis  est?  in- 
fîat  odium  inter  partes ,  et  nemo  per  vidia  :  Non  assentilur  ?  inimicitia  : 
illa  melior.  Mira  res  est,  qubd  com-  ntalum  morem  tangit  :  tum  verb  ca- 
missionibus  factionum  ,  argumenlo-  pitale  odium  eos  jacit  disertos  En 
rum  versutiis  ,  clamoribus  ,  convitiis ,  voilà  assez  :  il   en   dit  beaucoup  da- 


mutuis  execrationibus  Deo  nos  gra- 
tiores  lîeri  putamus ,  chm  amor  et 
pax  ,  et  mansuetudo  ,  et  prœceden- 
tium  mater  ftdes  nobis  rem  conji- 
ciant ,  quorum  tamen  po sir ema  cura 
Jiabelur,  et  inter  disceptandum  nul- 
la.  Hœreses  odisti?  Dicam  quœ  maxi 


vantage  ;  que  les  lecteurs  y  aient  re- 
cours ,  si  le  cœur  leur  en  dit. 

(E)  L'un  des  plus  utiles  ouvrages 
qu'il  ait  donnés...  est  un  gros  recueil 
d'inscriptions.  ]V oici  l'histoire  de  cet 
ouvrage  (i3).  Martin  Smétius  ,  natif 
de   Bruges  ,   employa  six  ans  à  par- 


ma  sit,  hypocrisis.  Hanc prias  exua-  courir   toute  l'Italie   pour   ramasser 

mus.  Quoties  enim  quisque  de  glorid  des  inscriptions  ,  et  les  ayant  jointes 

Dei  prius  cogitât,    quam   de   sud?  à  celles  qui  lui  furent  fournies  par 

Quolusquisque   melius    vivit  ,    quant  quelques    personnes    doctes  ,    il    les 

disputât  (1 1)?  J'avertirai  mon  lecteur  rangea  dans  un  fort  bon  ordre.  Marc 

qu'il   ne  faut  pas  croy»  légèrement  Laurinus  ,  seigneur  de   Watervliet, 

ce  que  Venator  avancWsur  ces  ma-  grand  amateur  de  l'antiquité,  le  pria 

titres;  car  il   paraît  trop  piqué   au  de  lui  en   donner  une  copie  ,  et  lui 

jeu,   et  trop  plein  de    ressentiment  promit  de  reconnaître  dignement  ce 

contre  les  théologiens  ;  il  en  fait  une  pénible  office.  Pendant  que  Smétius  y 

description   odieuse  :    tenons  -  nous  travaillait ,  le  feu  prit  à  sa  maison , 

et  consuma  tous  ses  meubles,  et  tou- 

(9)  Eral  nouer  alienut  ah  islis  velilationibus, 

ijuas  nrc  in  aliis  prubavit.  Idem,  pa%.  269.  (>2)  Ibid.  ,  pag.  111. 

(to)  Ibid.  (xî)  Je  la  Lire  de  la  Vie  de  Griller,  composée 

(11)  Ibid.  par  Flayder. 


GRUTÉRUS. 


tes  ses  inscriptions  ,  à  la  réserve  d'u- 
ne cinquantaine  de  feuilles ,  qu'il 
avait  mises  à  part  dans  un  cabinet. 
Laurinus,  par  prières  et  par  promes- 
ses l'encouragea  à  rétablir  cet  ou- 
vrage dans  sa  première  perfection  : 
cela  fut  fait  ;  et  ainsi  ce  beau  recueil 
fut  remis  entre  les  mains  de  Lauri- 
nus ,  qui ,  se  pre'parant  à  se  retirer  en 
France  à  cause  des  guerres  civiles  , 
prit  avec  lui  ces  inscriptions  ,  et  le 
tre'sor  d'anciennes  médailles  qu'Hu- 
bert Goltzius  avait  rassemble'  avec 
mille  peines,  et  avec  mille  dépenses. 
Tout  cela  lui  fut  enlevé  par  la  garni- 
son anglaise  d'Ostende.  11  ne  fut  plus 
possible  de  recourir  à  Smétius  ;  car 
comme  il  était  ministre  des  réformés 
à  Bruxelles  ,  il  y  avait  été  pendu  par 
les  soldats.  Goltzius  épousa  sa  veu- 
ve. Sur  ces  entrefaites  Janus  Douza, 
étant  allé  en  Angleterre  par  ordre  des 
Etats  ,  acbeta  d'un  soldat  anglais  le 
manuscrit  des  inscriptions  ,  et  le  mit 
entre  les  mains  de  Juste  Lipse  ,  qui 
le  fît  imprimer  avec  quelques  sup- 
plémens.  Grutérus  preuant  ces  in- 
scriptions ,  et  les  augmentant  de 
toutes  celles  qu'il  lui  fut  possible  de 
ramasser ,  avec  des  peines  inconceva- 
bles ,  les  mit  en  ordre  et  les  publia 
à  Heidelberg  ,  l'an  1601  ,  et  il  fut  as- 
sez beureux  pour  obtenir  de  Scaliger, 
vingt-quatre  indices  que  ce  grand 
homme  prit  la  peine  de  dresser  par 
un  travail  de  dix  mois.  Hoc  Gruté- 
rus tandem  noster  asinino  prorsùs 
labore  ex  laterilio  marmorciun  imo 
aureum  Jecit ,  nam  et  Mas  pauciores 
primo  servavil ,  et  omnes  quotquot 
unr/uàîn  in  toto  orbe  superf uerani 
collegit  inscriptiones ,  et  easdem  in 
ordinem  coëgit ,  et  denique  Cœsari 
Rudolpho  parenti  publico  perpetuo- 
que  slugusto  dedicatum  publicavit. 
Cui  ipsemet  Josephus  Scaliger  in  se- 
nectd  œtate ,  soto  amore  atque  studio 
quo  Gruterum  prosequcbalitr  com- 
pulsus,  viginti  quatuor  Indices  decem 
mensibus  continua  Mis  insudando 
adjecit  04)-  L'empereur  loua  beau- 
coup cet  ouvrage ,  et  mit  au  choix 
de  Grutérus  la  récompense  dont  il 
le  voulait  gratifier.  L'auteur  répon- 
dit qu'il  s'en  remettait  au  choix  de 
sa  majesté  impériale ,  pourvu  que  la 
récompense  ne  consistât  pas  en   ar- 

(i4)  Flayder.,t'n  Vitâ  Grutcri. 


293 


gent  :  et  lorsqu'il  eut  su  qu'on  son- 
geait à  lui  donner  des  armoiries  , 
pour  relever  dans  l'empire  la  no- 
blesse de  son  extraction  ,  il  témoigna 
que  bien  loin  de  souhaiter  de  nou- 
velles armoiries,  il  se  [sentait  trop 
chargé  de  celles  que  ses  ancêtres  lui 
avaient  laissées.  Là-dessus  on  con- 
seilla à  sa  majesté  impériale  de  lui 
accorder  un  privilège  pour  tous  les 
livres  qu'il  publierait  (i5j.  Ce  prince 
y  donna  les  mains,  et  voulut,  de  plus, 
que  Grutérus  eût  un  caractère  qui 
lui  donnât  droit  d'accorder  des  pri- 
vilèges (16)  :  il  lui  destina  la  dignité 
de  comte  du  sacré  palais  :  mais  com- 
me il  mourut  avant  que  d'avoir  signé 
les  lettres  patentes  ,  cette  affaire  n'a- 
boutit à  rien.  Grutérus  se  hâta  trop 
de  témoigner  sa  reconnaissance.  Dé- 
créta res  apud  principem  ,  approbata 
in  senatu  Auguslo  ,  relata  ad  prin- 
cipem itérant ,  ut  subscribendo  ftrma- 
ret,  quod  prœscripserat  communi- 
cando.  Sed  Cœsarem  occupat'it  mor- 
bus  ,  deindè  fatum  ,  quod  bonus 
acliones  plerumque  cuni  autoribus 
finit.  Litterœ  itaque  quibus  superiora 
privilégia  continebantur ,  sicut  ejus 
generis  mille  alia  ,  more  quodam  dif- 
ferendi ,  relicta  sunt  absque  manu 
imperatoris  ,  absque  signatione  ,  nec 
postea  unquam  productœ  ,  quia  nova 
potestas  faciliùs  sua  bénéficia  ordi- 
tur,  quant  aliéna  absoluit ,  et  nouis 
curis  occupala  rarb  succéda  in  obli- 
gationem  ueteris  promissi.  Itaque 
Grutérus  luculentissimum  munus 
nunquam  accepit  ,  et  laudes  Cœsatis 
oplimi  sic  celebrauit  ,  quasi  integrum 
accepisset  (17). 

(F)  Il  souffrit  par  le  pillage  de  sa 
belle  bibliothèque.  ]  Elle  lui  avait 
coûté  douze  mille  écus  (18).  Oswald 
Smendius,  son  gendre,  travailla  inuti- 
lement à  la  conserver  :  il  écrivit  pour 
cela  à  l'un  des  officiers  généraux  des 
troupes  du  duc  de  Bavière  :  mais  la 
licence  du  soldat  fut  plus  forte  que 
les  bonnes  intentions  de  cet  officier. 
Smendius  ayant  appris  que  la  mai- 

(i5)  Venator,  in  Panegyr.  Gruteri  ,  pttg.  a4l 
et  seq. 

(16)  Annuit  igilur  Ccesar  de  priiilegio  ,  et  in 
ipso  privilégia  de  privilégia  ulttù  cogilavil.  Non 
lanluin  itlis  quœ  Grutero  ,  sed  et  qutv  concede- 
ret  Groterus.  Cumilem  eniin  S.  P alalii des igna- 
vit.  Idem  ,  ibid.  ,  pag.  -ift. 

(m)  Ibid. 

(18)  Flayder.  ,  in  >it»  Gruleri. 


a94  GRUTÉRUS. 

son  de  Grutérus  était  pillée,  se  trans-  gione  sibi  molcstiam  exhiberi.   Tirai 

porta  à  Heidelderg ,  et  vit   la  dissi-  enim  noster  alienus  ab  velilationibus , 

nation  des  livres.  11  tâcha  de  sauver  quas  nec  in  aliis  probavit   (21).    Ce 

du    moins   ceux  que    le   copiste    de  n'était  pas  le  fait  d'un  critique  eom- 

Grutérus  avait  transportée  dans  la  bi-  me  lui  d'ergotiser  sur  la  controverse, 

blothe'que  électorale  ,  et  il   fut  sup-  avec  de  jeunes  jésuites  nourris  dans 

plier  le  commissaire  du  pape  de  lui  les  subtilités  de  l'école  ;  et  il  ne  vit 

permettre  de  les  retirer.  On  lui  ré-  point   d'autre   remède   contre   leurs 

pondit  qu'à  l'égard  des  manuscrits  ,  importunités ,  que  d'aller  demeurer 

le    pape   avait  donné    ordre    de  les  loin  d'eux. 

chercher  tous   avec   soin ,   et  de  les  (H)  Il  avait  reçu  plusieurs    voca- 

porter  à  Rome  ;  mais  que  ,  pour  les  lions    de   divers   endroits.  ]    La    plus 

livres  imprimés,  on  permettrait  qu'ils  mémorable  de  toutes  fut  celle  de  Pa- 

fussent  rendus  à   Grutérus,   pourvu  doue.  On  (22)  lui  offrit  la  chaire  que 

que  Tilli  l'approuvât  par  un  billet  la  mort  de  Kiccobon  venait  de  laisser 

signé  de  sa   main.    Cette   prétendue  vacante  :  les   gages  étaient  fort  con- 

courtoisie   ne  servit  de  rien  ,   parce  sidérables  ,   et   on  lui  promettait  la 

que  Tilli  fut  inaccessible  (19).  liberté  de  conscience.   11  refusa  tous 

(G)  //  se   trouva  inquiété  par  les  ces  avantages ,  malgré   les   sollicita- 

catholiques   romains.  ]  J'ai  déjà    dit  tions  de   Pinellus  et  de   Velsérus.    Il 

(•20)  qu'il  n'avait  jamais  aimé  les  con-  craignit   de  s'exposer  à  l'envie  ,  par 

troverses  ,    ou  les  disputes  de   reli-  un  emploi  si  honorable  et  si  lucratif , 

gion  ;    ainsi ,    se   voyant  importuné  et  il  ne  voulut  pas  se  priver  des  exer- 

par  quelques  jeunes  jésuites  qui  n'ai-  cices  publics  de  sa  religion.  Erat  ei 

maient  qu'à    battre  le   fer  ,    il  leur  religioni  religio  ,  sed  et  erat  religioni 

quitta  bientôt  la  partie,   en  sortant  ipsa pecuniœ  sununa ,  quee  cœteroqui 

de  Bretten.  La  première  fois,  il  leur  paucis  nimia  est,  et  multis  oporiunu 

répondit  fort  doucement,  et  les  re-  ad  impielatem  merces...  Cultds  enim 

dressa  sur  quelque  passage  de  saint  divini  libertatem  publicam  {quainvis 

Augustin  ,  qu'ils   n'avaient  pas   bien  prwatam  recepturus)  pro  quibuscun- 

rapporté  5  mais  quand  ils  revinrent  que  divitiis  sibi  negabat  esse  venaient  ; 

à  la  charge  ,  il  se  mit  un  peu  en  co-  prœterea  tant  huihanum  sciebat  esse 

1ère  ,  et  les  traita  de  jeunes  présomp-  invidere  aliénas  félicitait ,  quant  alie- 

tueux  ,    et  leur  allégua  les  honnête-  rue  virtuti  r  et  hanc  quidem  propter 

tés  qu'avaient  pour  lui  André  Schot  invidiam  non  esse  deserendam ,  illuin 

et  Jacques   Sirmond.   Ipsum  quoque  verb  feliciorem  esse,  qui  non  sit  in- 

juvenes   quidam   ex  familid   Jesuita-  fetix ,  quant  qui  cum  invidid  felicis- 

rum  disputando  sollicitabant ,  quibus  simus    (23).    Cela   est  plus  méritoire 

ille  primum  placide  respondit  ,  et  se-  dans  un  critique,  qu'il  ne  le  serait 

met    etiam    sententiam   Augustini    ,  dans    beaucoup   d'autres.   Je   trouve 

quant  non  salis  memoriter  ipsi'memi-  que   Grutérus    fut   appelé  en  Dane- 

nerant  ,  ex  libro  prœsenti  ostendit  ,  marck  ,  et  que  le  connétable  d'Esdi- 

docuitque  aliis    verbis ,    et  alio   loco  guiéres  lui  écrivit  pour  le  prier  de 

extare  ,  quod  ab  Mis  et  pro  illisfue-  venir  à   son  service  ,   et  que  Claude 

rat  allatum.    Deindè  citm   nec  dum  d'Expilli  et  Charles  Périnet ,  seigneur 

désistèrent,   quin   ipsum  talibus  ob-  de  Maugarniac ,  l'exhortèrent  à  satis- 

tenderenl ,  libertate  resumtd ,  mirari  faire   en  cola  le  désir  de  ce  conné- 

sedizit,  ubi  frontem  reliquissent  se-  table  (24).   Les  curateurs  de  l'acadé- 

mibarbatuli  juvenes,  ut  sperent  do-  mie   de   Franéker  lui  offrirent  ,  l'an 

cere  senem  sexagenarium,  qui  plurcs  '624,  la  profession  en  histoire  (a5). 

patres    in    vitil    legerit  :    quàm   ipsi  (  I  )   C'était  l'homme  du   monde  le 

.saltem   vidissent.    Jcsuitas    sencs    et  plus  laborieux.  ]  Combien  y  a-t-il  de 
primarios  (  SCHOTTUM  riomina- 

bflt  et  SIRMOJYDUM)  sibi  mutllO  («)  Venator,  in  Panegyr.  Gruteri,  pag.  268, 

honore  litterarumcrue  commercio  co-  2'9'  ,  .,        ., . , 

1-             n                                  1      •    i-       j            i-  (22)  Idem     ibul.  ,  pair.  23q. 

Il  :  nullam    tamen   ab   istis   de  reh-  ,  ..<  ,.-j 

Cir))  Tiré  de  Venator ,  in  Poncgyr.  Gruleii,  (»4J  Idem,  ibid. ,  //ag.  275. 

pag.  26S.  (j5)    Griller.  ,  epist.    al    Hofinannum  ,  inler 

(20)  Ci-dessus,  remarque  (D).  luthu-naii,,* ,  pag.  5-jg. 


G  RU  TÉ  RUS. 


?.95 


tiès-savans  hommes  qu'on  pourrait  inier ,  en  trois  volumes  in-8". ,  con- 
appeler  fainéans,  si  Ton  comparait  tient  un  grand  amas  de  proverbes  de 
leur  travail  avec  celui  de  Gruterus  ?  presque  toutes  les  nations  ,  avec  des 
Cum  quo  etiam  doclissinti  hujus  œui,  notes.  Le  second  est  une  suite  du 
si  laboris  emensi  respecta  com/taren-  PoLyanthca  de  Langius.  Le  1er.  volume 
tur,  desidiosissimi  vocabuntur  (26).  de  cette  suite  fut  imprime  à  Stras- 
Spizélius  qui  dit  cela  ,  l'avait  em-  bourg  ,  Lan  \6i\  ,  in-folio.  Compo- 
prunte  de  Flayder  qui  ajoute  :  Ciwi  suit  (3o)  qttoque  Polyanlheœ  tomum 
etiam  Mi  qui  totci  sud  vitâ  litteris  as-  tertium  et  quartum  nondum  tamen 
sident,  haie  co/lati,  quasi  soniuo  ac  editos  ,  qui  si  refera  ni  ur  ad  Langin- 
inertice  dediti  erubescere  cogantur,  ni-  num  sunt  Oceanùs  ad  guttulas.  Il 
si  Gruteri  labores  callidihs dissimula-  publia  un  Chronicon  Chronicorum 
re  velint  ,  qui/m  rant/ii/iiis  icstimare.  ecclesiasticum  et  polilicum  ,  en  qu.i- 
Le  même  Spizélius  observe  que  Gru-  tic  gros  tomes  i'/j-8°. ,  à  Francfort , 
ter  publiait  un  livre  presque  chaque  Tan  1614  ,  où  au  lieu  de  mettre  son 
mois  :  Nullusferè  author  sive  grœ-  nom,  il  mit  celui  de  Johannes  Gual- 
cus  sive  lalinus  e.rtabal  ex  antiquis ,  therus  ,  en  mémoire  de  son  père  (3i). 
quein  non  notis  ac  comme ntariis  suis  II  y  avait  un  peu  d'excès  dans  la 
aut  illustravit ,  aut  illustrare  potue-  passion  qu'il  a  eue  de  multiplier  ses 
rit ,  nciuo  plura  veterum  recensuil  livres,  et  de  là  vint  que  le  choix  et 
monumenta  et  restituit,  imô  singulos  le  jugement  ne  re'gnaient  pas  clans 
nuœ  vilœ  annos  ,  ac  propemodum  ses  ouvrages.  JYon  curât,  disait  Sca- 
menses  ,  libris  singulis  à  se  editis  liger  (3a)  ,  utr'um  charta  sit  cacata , 
distillait.  Il  étudiait  tout  le  jour  ,  et  modo  libros  muftos  excudat  .  .  .  quod 
une  bonne  partie  de  la  nuit,  et  ton-  fecit  Gruterus  in  Senecam,  c'est  la- 
jours  debout  :  Die  toto  maximdque  beur  d' écolier  ou  d'imprimeur.  M.  A- 
sœpè  noctium  parte  stans  litteris  melolde  la  Houssayc  (33)  a  parle'  avec 
opérant  navabat  .  .  .  stans  scribebat  ,  beaucoup  de  me'pris  du  travail  de  ce 
stans  legebat  ,  stans  studebat  (27).  critique  sur  Tacite,  et  il  y  avait  long- 
On  croira  facilement  cette  applica-  temps  que  Baudius  en  avait  fait 
tion  extraordinaire,  quand  ou  con-  un  semblable  jugement.  Vidi  quœ  J . 
sidérera  le  nombre  de  livres  qui  Gruterus  ad  eum  auctorem  annota- 
sont  sortis  de  sa  plume,  ou  qu'il  a  vit.  Diligentiam  ejus  in  colligendis 
réduits  en  un  corps.  Son  Thésaurus  varié  sententiis  improbare  nejas  sit. 
Criticus  (28)  est  de  cette  dernière  Sed  (  quod  libère  liceat  )  commissio- 
classe.  Il  y  a  ramasse  en  six  gros  vo-  nés  merœ  sunt,  et,  ut  flagitiosissimi 
lûmes  m-8°.  une  infinité  de  traités  Caligulœ  non  absonum  dictum  in  re 
des  plus  excellens  critiques  ,  que  l'on  simili  usurpent,  arena  sine  calce. 
aurait  mille  peines  à  trouver,  s'il  ne  **  fidetur  sibi  proposuisse  ad  imi- 
les  avait  rassemblés.  11  a  rt-mlu  le  tandum  rationem  illam ,  quant  secu- 
méme  service  à  plusieurs  poè'tes  mo-  lus  est  Lipsius  in  admirabili  et  pra- 
dernes  ,  dont  il  a  recueilli  les  œu-  stantissimo  opère  de  civili  doctrine . 
vres  sous  le  titre  de  Deliciœ  poêla-  Sed  Dii  boni  !  quant  longo  intcrval- 
ram  Gallorum  ,  Jtalorum,  Belga-  lo  ,  quant  non  passibus  œquis  vesligia 
rufn  ,  en  neuf  volumes  (29).  Il  s'est  seclatur  (34).'  On  verra  un  autre  pas- 
donné  à  la  tète  de  cette  compilation  sage  du  même  auteur  dans  la  remar- 
ie nom  de  Manutius  Gerus  ,   qui  est  que  (M). 

l'anagramme  du  sien  (*).  Nous  avons  Cette  application  excessive  aux  li- 

delui  un  double  Florilegium.  Le  pre-  vres  fut  cause  apparemment  de  je  ne 

sais  quelles  boutades  ,  qui  faisaient 

(26)  Spizélius,  in  Felice  litterato  ,  pa 

(27)  Flayder.  ,  in  Vitâ  Gruteri. 

(28)  Le  titre  est  :  Lampas  ,  sive  Fax  arlium  li- 
beralium,  hoc  est  Thésaurus  Crilicus. 

(29)  Imprime' l'an  1608  ,   1609,  i6i4- 
(*)  M.  Bayle  devait  dire   Gherus  ,    car  il  y   a 

ainsi  au  litre  des  livres  dont  il  parle.  Le  père 
Vavasseur  a  écrit  avec  un  /:,  mais  niai,  Gtu- 
therus  ,  pag.  20c)  Je  epiprammate  liber  et  epi- 
grammalum  libri  1res,    Parisiis  ,  1669,  i'n-8°. 

tvEM.  CUIT. 


I0-*2-    dire  à  Commelin  que  Gruterus  était 


(3o)  Ces  paroles  sont  dans  le  Catalogue  des 
OEuvres  de  Gruterus  ,  à  la  fin  de  sa  Vie,  par 
Flayder. 

(3i)  Flayder,  ubi  supra. 

(32)  Scaligcraoa,  pag.  m    100  ,  101. 

(35)  Préface  de  sa  version  de  Tacite. 

(34)  Baudius,    epist.  Xlll,ce;i/ur.   II,  pag. 


2Ô6  GRUTÉRUS. 

fou  etbien  fou.  En  étudiant,  quand  il  vait  là-dessus,  ne  croyant  pas  que 
n'entend  pas  quelque  chose,  il  se  de-  l'insensibilité'  fût  une  chose  honora- 
pite,  et  jette  ses  Hures  par  terre  (35).  ble.  Il  dit  que  l'une  des  quatre  fum- 
(K)  Il  prêtait  de  l'argent  sans  trop  mes  de  Grute'rus  pe'rit  d'une  mort 
s'informer  si  le  débiteur  était  solva-  très-violente  :  elle  tomba  du  haut  en 
ble.  ]  Quoiqu'il  y  eût  été  attrapé,  il  has  de  la  maison  ,  et  se  tua  ;  néan- 
ne  cessait  point  d'être  d'une  humeur  moins  son  mari  résista  courageuse- 
commode  pour  les  emprunteurs  ,  et  ment  à  une  douleur  que  les  circon- 
il  s'estimait  heureux  de  n'être  pas  stancesdecetaccidentdevaientrendre 
une  fille  ;  car ,  disait-il  en  plaisan-  plus  cuisante.  11  ne  s'impatienta  pas 
tant,  je  n'aurais  refusé  personne  :  comme  l'on  fait  ordinairement.  Do  luit 
Et  egenis  bénigne  dédit  ,  et  indigis  Me  quidem  magnopere  morte  uxoris  , 
prompte  credidit  ;  ulrumque  firtute  àoluit  ipsd  specie  mortis ,  doluit  inopi 
indolis  ,  ckm  tam  crudele  putaret  non  n<*  viduitate  ;  sed post  amissionem  la- 
dare  esurienti  ,  quam  inhumanum  nien  uxoxis  multkm  abfuil  ab  amissio- 
negare  mutuanli.  Et  quamquam  ip-  ne  sui,multkmab  impatienliduulgari, 
sius  argentum  non  semel  in  mala  quœ plerumqueckmcorrigere  nonpos- 
nomina  inciderat,  et  obliuiosam  fi-  sitmalasua,corrigerei>ultDeum(38). 
rlem  ,  facientibus  ex  commodato  do-  (M)  La  querelle  qu'il  eut  avec  De- 
num  ,  quibus  dignum  erat  ultra  sor-  ms  Godefroi  fut  comme  un  torrent.  ] 
tem  etiam  usurœ  loco  reddere gratias ;  Ce  docte  jurisconsulte  avait  autre- 
non  tamen  desistebat  Me  ,  quoties  ment  corrigé  que  lui  quelques  en- 
rogaretur,  pecunias promere  auxilia-  droits  de  Sénèque  ,  et  tout  aussitôt 
res  ,  ckm  intérim  subindè  confitere-  Grute'rus  fit  voler  sur  son  critique 
tur  damnosam  faciliîatem  suant ,  di-  un  ouvrage  qu'il  intitula  ,  Confir- 
cere  per  jocum  solitus  :  Bene  secum  matio  suspiciotium  extraordinariarum 
actum  ,  quôd  puella  non  esset  na-  contra  Dionysii  Godofredi  conjectu- 
tus  ,  haud  dubiè  enim  nemini  se  ras  et  varias  lectiones  in  Senecam 
fuisse  negaturum  (36).  L'ingratitu-  philosophum.  Il  le  publia  à  Francfort, 
de  ni  la  mauvaise  foi  de  quelques-  l'an  )5gi  :  le  feu  de  la  jeunesse  le  fit 
uns  de  ses  débiteurs  ,  ne  firent  pas  passer  au  delà  des  bornes  ,  et  il  en 
qu'il  se  rendît  plus  diflicile  envers  fut  bien  fâché  dans  la  suite ,  lorsque 
les  autres  ,  en  exigeant  des  cautions  ,  Denis  Godefroi  fut  son  collègue  (3g), 
ou  des  promesses  par-devant  notaire,  et  qu'ils  se  furent  réconciliés  ensem- 
II  négligea  même  ces  formalités  Me.  Le  panégyriste  prétend  que  cette 
quand  il  paya  le  mariage  de  ses  dispute  est  d'une  telle  nature  ,  qu'à 
filles.  In  se  itaque  potiks  facetè  lu-  cause  de  l'érudition  qu'on  y  trouve 
sit,  quam  ingralos  asperè  perstrinxit,  on  serait  fâché  que  ces  deux  criti- 
aut  propter  hos  inhumaniter  alios  ques  ne  se  fussent  pas  querellés  ,  et 
rejecit ,  aut  eosdem  sponsoribus  ,  tes-  qu'à  cause  de  l'emportement  outré 
tibus  ,  aut  scriptis  publicis  stipauit ,  qui  y  règne,  on  voudrait  que  leur 
ut  et  ipsi  in  œre  essent,  et  fides  in  querelle  ne  fût  jamais  arrivée.  Le 
custodiâ.  Quem  morem  vu/gn  recep-  tour  latin  de  Venator  est  plus  heu- 
tum  noster  ne  tune  quidem  adhibuit.  reux  que  ma  traduction,  comme  on 
ckm.  majoris  etiam  momenti  pacta  va  le  voir.  Quod.  cerlamen  inter  ipsos 
forent  condenda  ,  ckmjîliabus  gène-  cerlatum  vix  possis  nolle  quin  uelis, 
ros  daret  et  dotent,  nulld  testium  vix  uelle  quin  nolis.  j4deô  multkm 
conscientid  ,  nulld  formulariorum  excidebat  inter  disceptandum  huma- 
curiositate ,  nulld  <erd,  quant  soceri  nioris  doctrinœ,  adeb  multum  rursùs 
générique  opus  esse  censebat  (3^).  i/diumanioris  censura;.  Gruterus  ipse 
(L)  Il  se  laissait  consoler  avec  suc-  calorem  illum  juventutis  sœpè  poslea 
ces  dans  cette  affliction  domestique.  ]  delestalus  est  Ckm  enim  optimus  et 
C'est  ce  qu'on  peut  recueillir  des  pa-  doctissimus  ille  ,  quem  GRTJil'.- 
roles  de  son  panégyriste,  qui  apiia-  RUS  paulo  uehementiks  antek  teti- 
remment  n'a  pas  dit  tout  ce  qu'il  sa-  gerat  ,     Heulelbergam    ipse    quoque 

docendi  causa    venisset,  recoticiliatio 

(35)  Scnligérana,  pag.  ioi. 

(36)  Vrnalor,  in  Ponegyr.  Gruteri,  pag.  264.  (38)  Ibidem,  pag.  î56. 

(37)  Idem,  ibidem.  (3gJ  II  fut  professeur  en  droit  h  Heidelberg. 


GRUTERUS. 


prim'um  inler  ipsosfacta   est,   deindè 

secula  propior notitia ,  et  tandem  apud 

GRUTERUM  pœnitentia   scriptio- 

nis ,  ut  ila  loquar ,  piperatœ.  Nam  si 

mihi    constitisset  ,   inquiebat   nostcr  , 

Dionysium  virum  esse    tant   bonum  , 

nunquhm  quicqaam  ntihi  lantifuisset, 

ut  contra  illum  manum  tam  serià  mi- 

sissem  (<jo). 

Pour  preuve  qu'il  s'e'tait  réconcilié 

sincèrement   avec    Denis    Godcfroi  , 

j'allègue    une   chose    que    je   trouve 

clans  les  Lettres  de  Baudius.   Celui-ci 

l'avait  prie'  de   saluer  de  sa  part  ce 

jurisconsulte;  mais  Grute'rus  n'en  lit 

•  ... 

rien,  parce  qu  il  trouva  trop  maigres 

les  louanges  que  Baudius  avait  ciou- 
ne'es  à  Godefroi ,  et  il  lui  récrivit  que 
ce  n'e'tait  pas  assez  pour  un  tel  hom- 
me que  de  rappeler  laborieux,  et  de 
lui  attribuer  l'éloge  de  n'avoir  pas 
rendu  de  petits  services  à  la  juris- 
prudence ,  mais  qu'il  le  fallait  louer 
d'en  avoir  rendu  de  très-grands  à 
cette  science  ,  ou  se  servir  même  de 
quelques  termes  plus  forts.  Baudius 
s'offensa  de  cet  avis  ,  et  parla  tout-à- 
fait  de'sobligeamnient  du  bon  Grute'- 
rus ,  dans  une  lettre  qu'il  écrivit  à  un 
savant  de  Hambourg.  Quemadmo- 
dum  Grutero  non  fuit  animas  salu- 
tandi  meo  nomine  Dionysium  Godo- 
fredum  ,  quia  nimis  pared  manu 
laudes  et  virtutes  ejus  eram  persécu- 
tas :  quod  et  signifïcavit  per  lilteras 
adjuncto  nostro  elogio ,  si  forte  me 
ratio  fugisset.  Erat  aulem  taie,  vir 
lahoriosus  ,  et  non  malè  de  jure  me- 
ritus.  Dicere  débiteras,  inquit ,  opti- 
mè  ,  aut  si  qnid  aliud  ej)icacius. 
Vide  quid  onens  nobis  injungatur , 
ut  J'asces  submittamus  scilicel  iis  ,  qui- 
bus  oùx.  èç-'  voSî  dpTiqpaiv.  (Jnines  ho- 
minis  dotes  abundè  complexus  esse 
videor,  si  dicam  Sarcinatorem  esse 
probum  suere  centones  optimè.  Ego 
malim  in  œternum  ejerare  omnem 
scribendi  copiam,  quhm  iali  paclo  me 
posteritati  œstimandum  proponere  , 
etsi  hœc  via  et  ad  opes  et  ad  œstima- 
tionem  ducit ,  oih\à.  ^uctAMjv  ctiV^vo/zai 
x.a.1  ip.a.in<ji,  xa;TÀçTœv  io-oy.îvaiv  <Tôç«ç. 
Quamquam  bonum  illum  Gruterum 
(  est  enim  vir  minime  malus  ,  imb  vix 
capax  malitiœ  )  jirorshs  habeo  excu- 
satum  ,  si  id  œtatis  liomo  non  potest 
ablegare  vanissimam  illum  gloriœ  cu- 

(4«)  Venator,  in  Pancgyr.  Gruteri  ,  pag,  161. 


'97 


pidilalem  ,  quœ  nnnquàm  senescil ,  et 
(uti  incomparabilis  meus  Tacitus  ait) 
sapientiam  professis,  novissima  exui- 
tur  (4 1  ).  Personne  ,  ce  me  semble  ,  ne 
sera  fiiche  de  savoir  à  quel  propos 
Baudius  écrivit  cela.  Si  quelqu'un 
vous  demande  de  mes  nouvelles  ,  ve- 
nait-il de  dire  ,  ayez  la  bonté  de  le 
saluer  i/c  mu  part  ,  quoique  je  ne  vous 
aie  point  parlé  de  lui  ;  car  je  ne  pense 
pas  qu  on  se  de  fie  de  vous  a  un  tel 
point  ,  ou  que  les  gens  soient  si  ridi- 
cules en  votre  pays  ,  qu'ils  ne  veuil- 
lent croire  que  ce  qu'on  leur  donne  a 
lire  (4^).  Là-dessus  il  raconte  com- 
ment Grute'rus  s'était  comporte'  à 
l'e'gard  des  complimens  qu'il  l'avait 
prie  de  faire.  La  commission  fut  refu- 
sée, parce  qu'on  ne  s'en  voulait  ac- 
quitter qu'en  montrant  les  propres 
paroles  de  Baudius.  C'est  une  ser\  i- 
tude  qui  n'a  point  de  lieu  dans  le 
commerce  de  lettres  des  honnêtes 
gens. 

(N)  Il  ne  s'amusait  point  h  des 
nouvelles  de  ville,  comme  tant  d'au- 
tres savans.  ]  L'auteur  que  je  cite 
condamne  les  hommes  doctes  qui 
donnent  dans  cette  curiosité.  Selon 
lui ,  c'est  se  repaître  de  cent  médi- 
sances, c'est  vouloir  connaître  les 
mauvais  desseins  des  marâtres  et  1rs 
tentations  des  veuves  :  que  dis-je  les 
tentations  ?  le  latin  porte  les  gros- 
sesses (  43  ).  Grute'rus  était  louable 
de  n'être  point  amateur  de  ces  nou- 
velles (44)-  Quamquam  in  omni 
artium   ac   scienliarum  indasine  cu- 


(40  Baudius  ,  epist.  IX,  cent.  II  ,  pag.  m. 
164  ,  i65. 

(42)  Quœso  te  quolies in  quempiam  incident 
cui  veniat  in  mentent  nostri ,  ne  graveris  euin 
verbis  noslris  impartiri  sainte  ,  tametsi  nihil  eu 
de  re  nominalim  caveam.  Non  enim  arbilror  aut 
tilti  tam  par'um  esse  fidei ,  aut  veslros  homines 
aaeb  ineplire ,  ut  nihil  nisi  inspectis  signis  et 
tabellts  ciedere  smtineant.  Idem  ,  ibid. ,  pag. 
164. 

(43)  Nec  pri'us   in   dulcem  déclinent   lumina 

nisi    exacliasiuiè  â  sui    similibus  congerronibus 

cognôrint, 

Qnid  loto  fiai  in  orbe, 

Quid  Seres  ,  quid  Thraces  ,    agant ,  sécréta 

Etpueri,  quis  omet,  quis  decipiatur  aduller; 
Imô  quis  viduain  prœgnantem  fecerit  et  quo 
Mense 

Flayder. ,  in  Vitâ  Gruteri.  Voyez  Juvénai  ,  sat. 

VI  ,  vs.  4oo. 

(44)  fores,  tom  l ,  pag.  ^g  ,  la  remarque 
(H  )  de  V article  Alting  (  Jacquesj. 


•98 


GUADAGNOLO. 


riosissimum  semper  se  exhibuerat  , 
alienissimus  tamen  fuerit  ab  omni  re- 
liqud  curiositate  ,sive7roxw7rpa.y(Ao<rûvn, 
quœ  haud  rarb  doclissimis  quibusdam 
n'unis  est  familiaris  ac  domestica  ,  ut 
ubique  tibi  obvii ,  nil  nisi  novitates  aut 
rurnusculos  aniles  ad  innocentium  ac 
simplicium  ,  ut  vocant,  mortalium  ci- 
tant macula  inurendam  fabrefactos  , 
aucupentur,  et  impetuosorum  instar 
ventorum  atque  turbinum  ,  non  modo 
vestes  hominum  ,  sed  œdtum  quoque 
parietes  atque  facta  intima  stipulent , 
nec  pi'iùs  in  dulcem  (45)  :  la  suite  est 
à  la  note  (43). 

(0)  On  l'accusa  d'irréligion.  Néan- 
moins il  donna  de  telles  preuves  de 
son  attachement  h  V  église  protestante, 
que  peu  de  controversistes  en  donne- 
raient de  pareilles.]  On  dit  que  Plu- 
lippe  Pare'us  l'accusa  d'avoir  plus 
d'estime  pour  une  sentence  d'Apulée 
ou  de  Pétrone  ,  que  pour  tous  les 
préceptes  de  Jésus-Christ  :  son  athéis- 
me est  connu  ,  ajoute-t-il,  et  sa  froi- 
deur pour  la  religion.  Vnum  Appu- 
leii  aut  Petronii  effatum  pliais  facit 
qiùnu  infinita  Setvatoris  nostri  Trttfcty- 
'yixy.a.Ta..  IVotus  quippe  est  ejus  ÀB^nr- 
fA-oç,  et  in  sac'rd  religione  «\,uX(,o<r»ç 
frigus  (46).  Je  ne  saurais  vérifier  au- 
jourd'hui si  le  jésuite  Jacques  Gret- 
sérus  ,  que  l'on  cite  sur  cela  ,  s'attache 
scrupuleusement  aux  paroles  de  Phi- 
lippe Paréus  ;  mais  je  puis  bien  dire 
que  l'index  de  l'un  des  ouvrages  (47) 
de  ce  dernier  contient  cet  article  : 
Gruterus  scurriliter  illudit  religiosis- 
simis  Salvatoris  mysteriis;  et  cet  au- 
tre ,  Gruterus  *9soç  et  theologiœ  sa- 
crœ  ignarus.  On  est  l'envoyé  à  la 
page  334  ,  et  Ton  y  trouve  ces  paro- 
les :  Abi  Grutere  ;  et  théologie  a 
mitte ,  quœ  nihil  ad  crilicum  tuuin 
umbonem.  Tuum  est  ,  confliclari  cum 
blattis  ac  tineis  :  non  scrutari  myste- 
J'ia  sacra  ,  quœ  nunquam  didicisti  ; 
immo  quœ  adspernari solitus  es,criti- 
co plané  et  asinino  supercilio.  Ceux  qui 
saurontque  la  tendresse  de  conscience 
obligea  Gruterus  à  refuser  une  signa- 
ture (48)  dans  un  temps  où  ce  refus 

(45)  Flayder.  ,  in  Vitâ  Grutcri. 

(46)  Pliilipp.  Pareus  ,  leste  Jacobo  Gretsero. 
Voyez  la  IV'.  partie  des  Anlraadversiones  de 
M.  Crénius  ,  pag.  \lii. 

<^)  I nlitule'  Analccla  Plaulina.  Il  fut  impri- 
mé à  Francfort,  l'an  162'}. 
(48j  Vojez  la  remarque  (D). 


le  privait  de  son  emploi  ,  et  à  rejeter 
une  chaire  de  l'université  de  Padoue 
(49) ,  parce  qu'il  n'y  eût  point  trouvé 
un  exercice  public  de  sa  religion  , 
que  penseront-ils  de  l'audace  de  celui 
qui  l'accusa  d'athéisme  ?  Qu'en  pen- 
seront-ils lorsqu'ils  verront  que  ce 
prétendu  athée  répondait  à  ceux  qui 
lui  proposaient  cette  alternative,  il 
faut  sortir  du  pays  ,  ou  changer  de 
religion  ;  J'aime  mieux  le  premier 
que  le  dernier;  si  je  ne  puis  passer 
mes  jours  dans  une  ville ,  je  les  pas- 
serai aux  champs  ou  dans  les  bois  ; 
Dieu  m'y  fournira  quelques  herbes 
ou  quelques  racines  qui  entretien- 
dront le  peu  de  vie  qui  me  reste  *. 
Ciim  juberetur  ad  aliam  religionem 
trahsire  ,  aut  exire  foras  ,  hoc  malo  , 
inquil  ,  quàm  illud.  Si  non  licebit 
vivere  in  urbe  ,  licebit  in  agris  aut  in 
silvis.  Aliquid  semper  Deus  suppedi- 
tabit  radicis  aut  herbre  ,  quod  spiri- 
tum  hune  alat  ,  non  diù  moraturum 
(5o).  Sont-ce  là  des  témoignages  d'a- 
théisme ou  d'indifférence  de  religion? 
Ne  sont-cc  pas  plutôt  des  preuves 
d'un  véritable  zèle  ,  préférables  à  tout 
le  bruit  et  à  toutes  les  tempêtes  avec 
quoi  l'on  soutient  mille  disputes  et 
l'on  damne  toutes  les  autres  commu- 
nions ? 

(4çi)  Voyez  la  remarque  (H). 

*  M.  Boi^sonade  ,  dans  la  Biographie  univer- 
selle ,  XVIII  ,  56S  ,  observe  que  ce  n'est  pas  à 
Gruter  ,  mais  à  Scbed  ,  son  vieux  et  fidèle  ser- 
viteur, que  Véuator,  cité  par  Bayle,  attribue  celte 
réponse. 

(5o)  Venator,  in  Panegyr.  Gruteri,p.Tif.  272. 

GUADAGNOLO  *  (  Philippe)  , 
lecteur  en  arabe  et  en  chaldéen , 
à  Rome,  dans  le  collège  de  la  Sa- 
pience,  avi  XVIIe.  siècle,  fut  vin 
des  premiers  que  l'on  employa  à 
la  traduction  arabe  de  l'Ecriture, 
après  que  la  congrégation  de 
propagandâ  fide  eut  résolu  de 
satisfaire  en  cela  aux  désirs  de 
quelques  prélats  orientaux  qui 
avaient  présenté  une  requête  au 
pape  Urbain  VIII,  environ  l'an 

*  L'article  que  Cliaufepic'  a  consacre'  à 
Guaâagnolo  n'est  qu'un  «virait  des  Mémoires 

<lc  .\i<  ''l'on, 


GUAGNIN.  299 

1624  **.    L'archevêque  de  Da-  Yindigénat  (a),  sous  le  règne  de 

mas,  et   le  père  Guadagnolo  *a  Sigisiuoud  Auguste  ,  mais  pour- 

furent   chargés  de  composer   la  vu  aussi  du  gouvernement  de  la 

traduction;  mais  quelque  temps  forteresse  de  Witebsk.  11  y  com- 

après  il  n'y  eut  que  ce  dernier  manda  pendant  quatorze  ans.  Il 

qui  soutint  cette  fatigue.   11  fut  se  tourna  enfin  du  côté  des  let- 

fort   soulagé  sous   le    pontificat  très  ,  et  composa  une  histoire  de 

d'Innocent   X;    car  il    ne    fut  Pologne  (A).  Il  mourut  à  Craco- 

chargé  que  du  soin  de  corriger  vie,  l'an  161 4  ,  à  l'âge  de  soixante 

la  version.  Il  mourut  à  Rome  le  et  seize  ans.  11  ne  fut  jamais  ma- 

27  de  mars    i656   (a).    On   fait  rie.  Il  portait  les  titres  de  Corne* 
beaucoup  de  cas  d'un  livre  qu'il 
a  publié  contre  un  docteur  ma- 
hométan  (A). 

"'  Cliaufepie'  croit  que  la  requête  des  e'vé- 
<fues  d'Orient  est  antérieure  à  1622  ,  puisque, 
d  après  INiceron  ,  qui  cite  le  Toppi  et  Corsi- 
£nani ,  Guadagnolo  aurait  commence  sa  ver- 
sion dès  1622. 

*'2  II  était,  dit  Leclcrc,  de  Tordre  des  clercs 
mineurs  ,  et  après  y  avoir  fait  profession 
en  1612  ,  il  fut  dans  la  suite  procureur  gé- 
ne'ral. 

(a)  Tiré  du  Giornalc  de'  Letterali ,  du  29 
de  janv.  1672,  ou  V  on  fait  ment  ion  de  celle 
version  de  la  Bible,  oui  parut  enfin  à  Rome  , 
l'an  1671  ,  en  trois  volumes  injolio. 

(A)   On  fait cas  d'un  Hure  qu'il 

a  publié  contre  un  docteur  vudtomé- 
tan.  ]  C'est  une  apologie  pour  la  reli- 
gion chrétienne,  contre  les  objections 
d'Ahmed  BenZin  Alabeddin.  11  la  pu- 
blia en  latin  ,  à  Home,  Tan  i63t  ,  et 
puis  en  arabe, l'an  1637.  Le  sieur  Théo- 
dore Hackspun  (1)  déclare  qu'il  n'a 
rien  vu  de  meilleur  contre  le  maho- 
métisme  ,  que  ce  livre-là.  Notez  que 
le  père  Guadagnolo  publia  Lingute 
jtirabicœ  Institutiones ,  in-folio  l'an 
1642. 

(1)  In  Tractatu  ad  librum  Nizaclion  R.  Lip- 
manni  adjecto,  yag.  3^3  ,  apuil  Creuium  de 
Philologiâ  ,  pag.  321. 

GUAGNIN  (Alexandre),  na- 
tif de  Vérone,  et  Polonais  natu- 
ralisé, se  rendit  illustre  et  par 
son  épée  et  par  sa  plume.  Il  eut 
des  charges  considérables  dans 
les  armées  polonaises  ;  et  y  ayant 
fait  paraître  sa  valeur,  tant  aux 
guerres  de  Livonie    et  cle  Mol- 


Palatii  Laterancnsis  ,  et    eques 
aura  tus  (b). 

(a)  C'est-à-dire,  du  privilège  d'être  censé 
noble   polonais. 

{b)  Tiré  de  Starovolscius ,  pag.  101  ,  102, 
'EjcaTGVTciif&ç  Seriptorum  pwkaÉcorum. 

(A)  //  composa  une  histoire  de 
Pologne.  ]  En  voici  le  titre  ,  selon 
l'eVUtion  de  Francfort  ,  1 584  ,  «'«-8°.  , 
chez  Jean  Wechel.  Rerum  Polonica- 
nuii  tond  très  :  quorum  primus  om- 
nium  Po/oniœ  regiim,  a  Lecho  primo 
genlis  duce  ,  ad  Slephanum  Batho- 
reurn  ,  etiamnum  régent  :  tum  princi- 
pum  Lituaniœ  chronologicam  recen- 
sionem  ,  ac  singiilorum  res  gestas 
complectitur  :  adjeeld  recens  histo- 
riarunt  in  nos  tram  œtalent  inciden- 
tium  continua  narratione.  Secundus, 
provinciarum ,  quœ  uno  Sarmatiœ 
Kuropeœ  nomine  vulgo  veniunl  , 
choix) graphie tint  descriptioncm  conli- 
nel.  Terlius  res  singularitcr  a  Polo- 
nis  in  Valachià  gestas  ,  orationes 
item  et  epis/.olas  sceptri  Polonici  ne- 
golia  concernentes  habet-  jilexandvo 
Ouagnino  t  équité  aurato  peditumque 
prœfecto  authore.  Le  libraire  Sigis- 
mond  Feye'rabe'nius  ,  qui  Fit  la  dé- 
pense  de  l'impression  ,  de'dia  l'ou- 
vrage à  Marc  Fugger ,  seigneur  de 
Kirchberg  et  de  Weissenhorn  ,  et  lui 
parla  des  grands  services  qu'Antoine 
Fugger  ,  son  père  ,  et  Jean-Jacques  et 
George  Fugger  ,  ses  oncles,  avaient 
rendus  à  ia  ville  impériale  d'Angs- 
botirg  ,  lorsque  Charles-Quint  se  pré- 
parait à  châtier  la  sédition  des  habi- 
tans.  Starovolscius  observe  que  (Jua- 
gnin  composa  cette  Chronique  de  Po- 
logne l'an  \5,]&,puro  et  nitido sermone 
lalino  ,  et  la  fit  traduire  en  polonais 


clavie  ,  qu'à  celles  de  Moscovie  ,    par  Martin  Pascowski,  L'an  1611  (1) 
il  fut  honoré  non-seulement  de      (i)Siarr)vois.'Ex«.T.Script.i,oion.,A<,i;?.iu; 


GUALDRADE. 


GUALDRADE ,  dame  floren- 
tine ,  illustre  par  sa  chasteté  : 
elle  en  donna  une  preuve  si  à 
propos,  devant  l'empereur  Othon 
IV  Ça)  ,  qu'elle  obtint  sur-le- 
champ,  pour  récompense  ,  la  sa- 
tisfaction d'être  mariée  fort 
avantageusement  (A) ,  comme  on 
le  verra  ci-dessous.  Dante  a  fait 
mention  d'elle,  et  cela  d'une  fa- 
çon bien  glorieuse  ;  car ,  en  par- 
lant d'un  fameux  guerrier  (B) , 
il  le  désigne  par  le  caractère  de 
nepotede  Gualdrade. 

(a)  II  régnait  vers  le  commencement  du 
XIIIe.  sièij1 


(A)  Elle  obtint  sur-le  champ,  pour 
récompense,  la  satisfaction  d'être  ma- 
riée avantageusement.  ]  Pour  com- 
menter ceci  je  me  servirai  du  vieux 
gaulois  d'un  commentateur  de  Dante. 
Ceste  dame  ,  dit-il  (\),  en  ses  jeunes 
ans  jut  pucelle  très  belle  et  de  bonne 
grâce ,  fille  de  messire  Belnicion 
liant  des  Ravtgnans  ,  ancienne  fa- 
mille de  Florence ,  et  une  des  bran- 
dies de  celle  des  Ademares.  Un  jour 
il  advint,  comme  l'empereur  Olton  IV 
estoil  a  Florence  en  une  assemblée  de 
dames ,  qui  se  faisoit  a  cause  de  la 
jeste  de  saint  Jehan  Baptiste ,  qu'il 
Jut  esmeu  merveilleusement  de  la 
beauté  de  ceste  fille,  et  demandant  a 
qui  elle  appartenait  ,  Belincion  ,  son 
père,  se  trouvant  prés  dudict  empe- 
reur, en  présence  de  tous  respond  : 
(Ju  elle  estoit  fille  de  celuy  qui  se 
faisoit  fort  de  la  luy  faire  baiser.  La 
fille ,  oyant  les  parolles  du  père  ,  et 
picquée  d'une  honeste  vergoigne  ,  en 
se  levant  gaillardement  dict  :  Mon 
père  ,  je  vous  prye  ne  soyez  si  libéral 
d  une  chose  qui  me  touche  si  fort. 
Car  vous  me  permettrez ,  s'il  vous 
//laist  ,  que  je  vous  asseure  que  ja- 
mais aucun  ne  me  baisera  ,  s'il  n'est 
mon  espoux  légitime.  L'empereur  fut 
estonné  d'une  si  chaste  et  prudente 
responce  en  si  bas  aage  ,  et  soudaine- 
ment fit^  venir  l'un  de  ses  barons  ap- 
pelle   Guido ,    voulant    que    sur   le 

(i)  Oranger,  Commentaire  sur  le  chant  XVI 
lin  l  Knfei  de  Dante  ,  pag.  182. 


champ  elle  l'espouse ,  et  en  dot  luy 
donna  le  Cassentin  et  partye  de  la 
Romagne  ,  et  honora  son  mary  du 
tiltre  de  comte ,  duquel  tire  son  ori- 
gine la  famille  des  comtes  Guidons. 
Dudict  Guidon  et  de  Gualdrade 
nacquirent  deux  fils  ,  Guillaume  et 
Ruggier. 

(B)  Dante en  parlant  d'un  fa- 
meux guerrier. le  désigne  par.... 

nepote  de  Gualdrade.}  C'est  dans  le 
XVIe.  chant  de  son  Enfer  :  nous  y 
trouvons  ces  paroles  : 

Çuesto,  l'orme  di  cui  pestar  mi  vedi, 
Tullo  che  nudo  ,  e  dipelalo  vada 
Fu  di  grado  maggior,  che  tu  non  credi  : 

Nepote  fu  delta  ituona  Gualdrada  : 
Guidoguerra  hebbe  nome  ;  ed  in  sua  vila 
h'ece  col  senno  assai  ,  e  con  la  spada. 

C'est-à-dire  ,  selon  la  vieille  version 
de  Grangier  : 

Ceste  ombre  méprisée 

Dont  tu  me  voys  piler  les  pas,  quoy  qu'altéré 
Son    corps   soit  du   tout  nud   et  pelé,   d'une 

gloire 
Et  rang  plus  grand  il  fut,  que  tu  ne  sçaurois 

croire. 
I  celuy  fut  nepveu  de  la  bonne  Gualdrade  , 
Qui  eusl  nom  Guidomguerre  ,  et  en  ses  jours 

assez 
Par  le    glaive  et  conseil  se  maintint  en  pa- 
rade. 

Ce  traducteur  vous  dira  de  plus ,  dans 
son  Commentaire  (2)  ,  que  Ruggier 
Guidoguerra  ,  neveu  de  la  belle  Gual- 
drade ,fut  un  valeureux  chevalier  et 
homme  d'une  grande  prudence  et 
conseil,  si  bien  qu'en  la  bataille  de 
Benevento  ,  entre  Châties  premier  et 
Manfredc  ,  il  fut  réputé  le  principal 
motif  de  la  victoire  qu  emporta  ledict 
Charles ,  pource  qu'il  se  trouva  là 
colonel  de  CCCC.  chevaliers  floren- 
tins guelfes  exilez,  lesquelz  ,  quelque 
temps  aprez  ,  retournèrent  a  Floren- 
ce ,  et ,  avec  l'aydede  Charles,  chas- 
sèrent les  Ghibelins  de  ladicte  ville. 
Observons  que  Grangier  se  coupe  lui- 
même  ,  quand  il  explique,  dans  la 
page  suivante,  ce  degré  de  parente'. 
Dudict  Guidon  et  de  Gualdrade  nac- 
quirent deux  fils,  Guillaume  et  Rug- 
gier ;  et  de  Ruggier  ,  Guidoguerre 
qui  pour  ceste  cause  est  neveu  de 
Gualdrade  (3).  Comment  peut-on  se 
tromper  si  grossièrement  ?  N'est-il 
pas  visible  que  le  fils  du  fils  de  Gual- 

(r>)  T. a  même,  p(tg.  181. 
Ci)  Là  même,  pag-  18a. 


GUARIN.  Soi 

drade  est  le  petit-fils  ,  et  non  le  ne-    lie,  au  XI'e.  siècle.  ]  C'est  l'éloge  que 

veu  *  de  cette  dame.  Je  crois  que  le  lui  donne  Le'andre  Albert(i)  :  et  voici 
mot  nepote  ,   dont  Dante  se  sert ,  se   un  passage  de  Paul  Jove  qui  servira 

doit  prendre  ici  comme  nepos  dans  la  de  second  te'moin  :  Ab  hoc  insigni 
bonne  latinité  ;  le  père  Paul  (4)  et  le  vivo  ,  grœcœ  lalinœque  li'.terœ  obscu- 
cardinal  Pallavicin    (5)    s'en  servent   ris  illis  tetnporïbus  antiqui  seculi  nor- 

pourde'signerlespetits-filsdePaulIII.  niarn,  quadrutœque  structurée  ordi- 
On  peut  donc  dire  que  nepote  ou  ni-   nem  et  aiùquœsitum  decus  receperunt 

pote  signifie  quelquefois  en  italien  un  (2).  Pogge  reconnaît  que  les  Italiens 

petit  fils  ;    c'est    de    quoi   Francesco  avaient  de  grandes  obligations  à  no- 

Alunno  aurait  dû   nous  avertir  dans  tre  Guarin  :   Vir  doctissimus ,  dit -il 

son  Dictionnaire  des  termes  employés  (3)  parlant  de  lui,  atque  humanissi- 
par  Dante  ,  par  Pétrarque,  par  Boc-  mus,   cujus  sludia  et  prœstans  doc- 

cace,  etc.  (6).  trinâ   plurimàm    Italis    profuerunt. 

*  L'auteur    des    remarques   insérées    Jans   la  Laurent    Valla   (4)   appelle    Grliai'ill   et 

Bibliothèque  française ,  XXIX,  pag.  igq,  pour  Léonard  Arétin  les  plus  doctes  liom- 

excuser  Graver,  prétend  que,,,,™  est  cmdeyi  mes    Je    ]elir    si,\c|e.     p|,i]clphe    (  5  ) 

par  lui    dans   la   seconde   si,;i»li<  ation  ,    qu  il  n  a  j                  ,    ,->                   i,/i               i             .        .1 

pa.cn  français,  du  nepos  du  Laiins.  Joly   a  donne  a  Guarin  1  éloge   de   tres-elo- 

répclé   celle  observation    qui    ne  détruit  pas  la  quent. 

justesse  de  la  cr.tique  de  Bayle  Gabriel  Naudé  me  fournit  une  très- 

(4J  llistoria  dcl  concilio    1  ndentinc  ,    lib.   I.  u                    ij',-           ti     j-.     ,n.                n 

pas].  m.  -5.  bonne  addition.  Il  dit  (6)  que  Boc- 

(5)Istoria  del  concilio  di  Trento ,  lib.  III,  cace  ,    travaillant  au    rétablissement 

cap,'^y,U  '  "<"",?  •  P""-  '"  .  346-,  „  des  bonnes  lettres  ,   avança  tellement 

(6)  Il  eu  intitule  Délia  Fabrica  del  Mondo.  Il  /„     .  .,„    „'        J>  •      n                                      *     \ 

y  es, (parlé de  nepote  au  n*m.  xWt.  le    P™gres    dicelles,    que    venant    a 

/^rTADTTvr             -c    i     \- '  mourir  en  i3^5,  il  eut  pour  succes- 

LrUAKJJN  ,   natit  de    Vérone,  seur  à  celte  entreprise  un  Jean  de  Ra- 

et  disciple  d'Emanuel  Cltrysolo—  venue,    qui  commença    le  premier   h 

ras,  a  été  l'un  des  premiers  qui  out,riret  rétablir  les  écoles  h  Denise, 

'      t  „'.    iri       i     n       i    ,,           i  desquelles    sortirent  Gasparinus ,  Qui 

ont  retab h  es  belles-lettres  dans  a,  i       /•       -    iw-i          .    t^       ■ 

.,_     ..                           .,  pt   le  même  a  Milan,  et    Guannus 

1  Italie,  au  A  Y   .  siècle  (A).  Il  en-  Veronensis, 

tendait  bien    la    langue    latine    et  Qui  nisi  prostrntasrelevâsset  Uindilusartes, 

la  langue  grecque  ,  et  il  les  en-  PrisC0rum  vanus st"el  Ubor  C*1)» 

seigna  avec  beaucoup  de  succès,  car  ce  flU  lui>  '"  proprement  parler, 

»>An,;^ ^.,*   -    \r      •                      •  qui  commença   de  faire   valoir  l'élo- 

premierement  a  Venise,  et  puis  J,„„„„      ,  i'     i  r      ?■       ,     „ 

\   „                                               '  ,1  quence  et   la  plulosoplite  ,    tant  par 

a  ferrare  {a).   Le   pape   JNicolas  ses  voyages  h  Constantinople ,  où  il 

V  lui   donna   ordre  de   traduire  apprit  la  langue  grecque,  que  par 

Strabon  (b)  (B).  Cette  traduction  sesPr^eplesdeiiiétorique ,  versions, 

',    -.   i                            i                         ,.  et  autres  livres  ;  mais  encore  plus  par 

était  bonne  pour  le  temps  :  di-  le  grand  nombre  de  ses  disciples ,  qui 

sons  le  même  des  autres  versions  s'épandirent  de  Ferrare  ,  ou  il  en- 

de    Guarin  ,  qui    sont    celles    de  ceignait , par toute  l'Italie, pour dé- 

quelques  vies  et  de  quelques  opus-  cJarer  la  8uerre  au*  "}eilles  rêveries 

i         j     ni    x                 ti              L       .  'lu  temps  passe  ,  et  faire  comprendre 

cules    de  Plutarque.  Il  mourut  à  a  ia  jeunesse  ,                        P 

Ferrare,  le   I  4  de  décembre  l46o  Sensa  lot  auclorum  mille  indeprensa  per  an- 
Ce)  *.  Tous  ses  écrits  ne  sont  pas  nos  ("^- 
des  traductions  (C).  Ce  qu'il  dit  ensuite  n'est  pas  moins 

(a)  Vossius,  de  Histor.  lat   ,  pag.  58$.  (i)  In  Descript.  Italie,  pag.  m    722. 

(ù)  Gcsner. ,  in  Bildiotli. ,  folio  285.  (a)  Jovius  ,  in  Elo^iis  ,  cap.  CX. 

(c)  Vossius  .  de  Hist.  lat. ,  pag    584  <3>  PoSrt'»si  l(  in  Piiilelplmm  invectiva. 

*  Agéde  qualre-vingl-dix-aiis,  dit  Leclerc,  .  ^  ^P"d  Pogginm,  secunda  ,..  Vallam  invec- 

qui  renvoie  à  la  page  h  du  tome  I".  du  Mé-  bv^  ^°-r"  V°":us-  ^J?'";  Iat'  •  pa=-  5,8/- 

,             L    °   0*'                           ,             ,  (n)  tpist.  ad  Flavium  Blnnlum,  anno  ii5o  , 

nagianade.   171:.,  ou   sont  rapportées  quel-  „,,„,<  Voss.u m,  ibidem. 

ques  particularités  sur  Guarin.  (6)  Naudé,    Additions  à  l'Histoire   de    Louis 

(A)    Il  a   été  l'un  des  premiers  qui  ^.^am.Vpannonius,  in  élu*  PaneS. 

ont  rétabli  U's  belles  lettres  dans  l' ha-  (**)  Idem ,  ibid. 


302 


digne  de  remarque  (7)  :  Quiconque 
avait  été  h  Constantinople  ,  pour  ap- 
prendre la  langue  grecque  ,  en  reve- 
nait comme  en  triomphe  ,  et  passait 
pour  quelque  nouveau  prodige  ,  té- 
moin ce  que  dit  Joannes  Unghérétus 
ou  Pannonius ,  évéque  de  cinq  égli- 
ses ,  du  retour  en  Europe  de  ce  Gua- 
rinus  feronensis  , 

Vagns  omnia  rnmor 

Gymna-ia  Italix  centeno   murmure  complet, 
AffuUisse  virum  grrainâ  qui  Pallade  solus 
.Polleat,  etduplicem   pnestet  silientibus  haus- 
tum(*). 

(B)  Le  pape  Nicolas  V  lui  donna 
ordre  de  traduire  Strabon.}  D'autres 
disent  que  Guarin  se  porta  à  cette 
entreprise  par  un  esprit  d'émula- 
tion ;  il  ne  voulut  point  céder  à  Gré- 
goire Tiphernas  ,  qui  avait  traduit 
l'Asie  de  Strabon  ;  c'est  pourquoi  il 
traduisit  l'Europe  de  ce  même  géo- 
graphe (8). 

(C)  Tous  ses  écrits  ne  sont  pas 
des  traductions.']  Il   puhlia  quelques 


GUARINI. 

traite'  de  Sectd  Epicuri;  un  autre  ,  de 
Ordine  docendi  (1)  ;  un  autre,  de 
Ilegno  adminislrando  ;  des  notes  sur 
les  fastes  d'Ovide  ,  et  sur  Catulle  ; 
dos  harangues  ,  des  lettres,  des  vers  , 
et  la  traduction  de  quelcpjes  haran- 
gues de  Demosthène  et  de  saint 
Grégoire  de  Nazianze ,  etc.  (2). 

(B) L'endroit  oh  Gesner  nous 

apprend  cela  n'  a  pas  été  Lien  entendu 
par  Henri  Iïtienne.]  Comparons  ses 
paroles  avec  celles  de  Gesner.  Memini 
me  in  Bibliothecographid  Gesneri  lé- 
gère ,  Guarinum  palrem  {nam  fuit  et 
naptista  Guarinus  ejus  ûlius  ,  quem 
Gesnerus  ,  etiamnum  se  de  illo  scri- 
bente ,  claiiiisse  Eervariœ  ait  ,  ubi 
patris  successor  jam  per  annos  très  et 
triginta  linguam  ulramque  florentis- 
simè  docerel)  scripsisse  canonismata 
in  lingud  gra?cd  (3).  Voilà  ce  que  dit 
Henri  Etienne,  et  voici  ce  que  l'on 
trouve  dans  la  Bibliothe'que  de  Ges- 
ner. Claret  usque  hodiè  Ferrariœ ,  ubi 


"eV ««'«««""•J  ".    *" V   TV::     pain  suceedens  ,  jam  per  annos  très 

traites  de  erammaire  ,  cfuekmes  let-  t        .    .  J      ,'  si 

uaues  uc  gi,.uii  i.«        ,    i         •  -,      et  triginta  utramque  linguam  floren- 

tres,   Quelques  harangues,   et  quel-      -...»,,      ^     ,   7     .       "         ■•/.,  ... 

tissime  docet  et  varia   conscribit  (4). 

Peut-on  trouver  des  passages  plus 
conformes  que  ces  deux  -là  ,  me 
direz-vous  ?  Oui,  vous  répondrai- je  ; 
car  les  paroles  que  Gesner  rapporte  , 
sont  de  Trithème  :  ce  n'est  point 
Gesner  qui  dit  claret  usque  hodiè  ;  et 
c'est  pourtant  ce  qu'a  prétendu  Henri 
Etienne  ,  et  en  cela  il  s'est  lour- 
dement  trompe.  Il    aurait  du  rap- 


ques  vers  (9) 

(■})  Naudé,    Additions   à  l'Histoire   de   Louis 
XI,  pag.   181. 

(*)  In  Panegyrico  citalo. 

(S)  Vojreu  Vossius  ,  de  Hia.  lat. ,  pag.  585. 

(9)  Gesner,  in  Bibliolh. ,  folio  285. 

GUARINI  (Baptiste),  fils  du 
précédent,  marcha  sur  les  traces 
de   son  père,    et  se  rendit  très- 


illustre  par  l'intelligence  des  lan-   porter  le  mot  hodiè  à  l'an  i4f)4  >  que 
gués    savantes.    Il    les    enseigna    c 
long- temps  à  Ferrareavec  beau- 
coup de   réputation,    et   publia 
quelques    livres    qui    soutinrent 
assez  bien  sa  gloire  (A). 

Il  était  encore  en  vie ,  l'an 
izjoj ,  et  il  y  avait  alors  trente- 
trois  ans  qu'il  remplissait  les 
fonctions  de  la  charge  de  profes- 
seur aux  belles-lettres,  dans  la- 
quelle il  avait  succédé  à  son  père 
(a).  L'endroit  ou  Gesner  nous  ap- 
prend cela  n'a  pas  été  bien  en- 
tendu par  Henri  Etienne  (B). 

(«)  Voyez  la  remarque  (B). 

(A)    77  publia   quelques  livres   qui 
soutinrent  assez  bien  sa  gloire.]  Un 


en  cet  endroit-là.  Il  est  très-faux  que 
notre  Guarin  fût  en  vie,  l'an  1 545  , 
qui  est  la  date  de  cette  Bibliothèque 
de  Gesner. 

(  i)  Les  Mémoires  de  Trévoux ,  septer„jre 
170^,  pag.  1O4G  ,  apprennent  que  M.  Struvins 
a  fml'  réimprimer  ce  Traité,  corrigé sur  un  MS., 
avec  une  préface  sur  les  écrivains  de  semblables 
méthodes. 

(2)  Gesner.  ,  in  Bibliotli.,  folio  i3o. 

(3)  Henriciis  Stephnnus,  in  Dialogo  de  benc 
inttituendis  Gra-ca-   lingun"  Stiuliis,  pag.  116. 

(4)  Gesner.,  Bibliolh. ,  folio  i3o. 

GUARINI  ou  GUARIN  (Bap- 
tiste )  naquit  à  Ferrare ,  l'an 
i53tf  *.  11  s'est  fait  plus  con- 
naître par  sa  tragi-comédie  du 
Pastor  Fido  ,  que    par  tous  ses 

"En  1537,  dit  Glnguene,  dans  son  His- 
toire littéraire  d'Italie  ,  VI ,  38o. 


GUARINI.  ?o3 

autres  ouvrages  ,   et  que  par   les        II    était   arrière- petit-fils   de 
emplois   honorables  (A)    que  le    Guarin  le  Véronais  ,  et  il  ensei— 
duc    son  maître    lui    donna  *'.    gna  la  philosophie  morale  dans 
Cette  pièce  était  son  ouvrage  fa-    l'académie  de  Ferrare.    Quelque 
vori,  et  il  le  témoigna  clairement   grande  réputation  qu'il  eût  ac- 
par  la  colère  où  il  se  mit  contre    quise  par  le  poëme  dont  j'ai  par- 
un  critique   (B) ,   qui    ne   l'avait    lé,  il  ne  pouvait  souffrir  le  nom 
attaqué  que  d'une  manière  indi-    et  la  qualité  de  poète  ,  car  il  s'i- 
recte.  Il  y  a  exprimési  vivement   maginait  qu'un   tel  titre  ne  fait 
les  mystères  de   l'amour,  qu'on    point  d'honneur  à  ceux  qui   le 
prétend   qu'il    a  été   cause    que    portent ,  et  les  expose  au  mépris, 
l'honneur   de  plusieurs  person-    On  s'imagine,  en  lisant  ses  vers, 
nés  de  l'autresexea  fait  un  vilain    qu'il  les  composait  avec  la  der- 
naufrage.  Cela  semble  combattre    nière  facilité  :  c'est  un  abus;  ils 
fort  puissamment  une  maxime  de    lui  coûtaient  beaucoup  de    tra- 
M.    de  la   Fontaine    (C).    Je   ne    vail  (G),  bien  des  cliangemens  , 
sais  si  le  Guarini  aurait  voulu  se    et  bien  des    ratures.    11    ne   fut 
défendre  par  une  telle  maxime  ,    point  frappé  de  la  maladie  d'a- 
et  s'il  n'aurait  pas   trouvé   plus    masser  du  bien;  et  comme  il  ai- 
court  de  recourir  à  une  pensée    mait    un    peu    le    faste ,    il    ne 
beaucoup  plus  commune  (D).  Je    trouva  point ,  lorsque  la  fortune 
ne  crois  pas  qu'il  y  ait  rien  d'aus-   lui  eut  tourné  le   dos  ,  les  res- 
si  fort  dans   son  ouvrage  que  la   sources  qu'une  bonne  économie 
scène  qui  a  été  si  bien   traduite    lui  eût  fournies,  s'il  eût  ménagé 
en  français  par  la  comtesse  de  la   plus     sagement     les     libéralités 
Suze.  Il  y  touche  l'un  des   plus    d'Alfonse    II ,    son   maître.     Ce 
incompréhensibles  mystères    de   prince  cessa  de  l'aimer  ;  et  alors 
la  nature    (F).    Le  nombre   (a)   Guarini  s'attacha  successivement 
des  éditions  et   des    traductions    à  Vincent  de  Gonzague ,  à  Fer- 
du  PastorFido  *2  est  incroyable   dinand  de  Médicis  ,    grand-duc 
(b).  Le  cavalier  Guarini  mourut    de  Florence,  et  à  François  Ma- 
à  Venise  dans  une  auberge  ,  l'an    rie  de  Feltri ,  duc  d'Urbin  ,  sans 
i6r3    (F).    Sa   pompe    funèbre,   que  tous  ces  changemens  de  maî- 
par  l'académie  des   humoristes  ,    très  lui  apportassent  autre  chose 
marque  qu'il  était  fort  considé-  que   la  grande   estime   que    l'on 
ré(c).  eut  pour  sou  esprit  et  pour  ses 

"'  ciiaufcpii:,  qui  annonce  suppléer  et  cor-  muses    Use  retira  enfin  dans  sa 

riger   Baylç      reconnaît  lui-même   qu'il  est  trje       Qu  Qn  ]e  consu[ta{t  CQm_ 

■   assez  dilncile  de  marquer  au  juste  ,  par  ordre,     *  ' 

les  diffërens  emplois  dont  il  a  été'  revêtu.        me  un  oracle  touchant  les  moyens 
f")Nic.ErytkHeus,  Pinacoth.  r,  par.  96.   de  pacifier  l'Italie  (d)  ¥. 

Cliaufcpie   remarque  la  plaisante  bévue  l 

d'Aubcrt  Lemire,  qui  a  donné  place  au  Gua-  (d)  Tiré  de  Jean   Tmperialis,    in   Musœo 

rini  dans  sa  Bibliotheca ecclestastica,  a  cause  Histor. ,  pag.  t2<).  i3o. 

à\i  PastorFido,  qu'il  a  supposé  être  un  livre  "  Alexandre  Guarini,  petit-fils  de  Baptiste, 

de  piété  ,  où  les  devoirs  des  pasteurs  étaient  a  donné  la  Vie  de  son  grand-père,  dans  le  sc- 

représentés  cond  volume  du  Supplément  du  Journal  de 

{b,  Louis  Zuccolo  loue  beaucoup  le  Pastor  Venise.  \\  y  a  des  additions  dans  le  35"    vo- 

Fido,  dans  son  Traité  délia  Pastorale,  pag-.  lu  me  du  Journal  de    Venise.    Ginguerié*  en 

2J-  corrige  quelques  Fautes  dans  son  Histoire  lil- 

(c;,  Nie.  Erythr. ,  Pinacotb.  I  ,  pag.  97.  Urain-  d'Italie,  tnm    VII .  pages  3t>2  et  3go. 


3o4  GUAllINI. 

(A)  Par  les   emplois  honorables.]         (C)  Cela  semble  combattre une 

Voyez  le  Dictionnaire  de  Moréri ,  et  maxime  de  M.  de  la  Fontaine.]  Ni- 

joignez-y   que  Guarini  ,  envoyé'  par  cius  Érythréus  ayaut  dit  que  le  Pas- 

Alfonse  II ,   duc  de  Ferrare  ,   à   Ve-  tor  Fido  se  réimprime  presque  tous 

nise  ,  harangua  en  italien  devant  le  les   ans  ,   et  que  toutes  les  nations  , 

sénat ,  et  fut  admire'  ;  et  qu'après  la  quelque    barbares    qu'elles    soient , 

mort  d'Alfonse  il  fut  envoyé  par  les  l'ont   fait   traduire  en  leur  langue, 

Ferrarais   à  Paul  V,  pour  le  féliciter  ajoute  que  peut-être  ce  n'est  pas  un 

du  pontificat  (i).  livre  qui  serve  à  la  pureté  des  mœurs 

(B)  La  colère  où  il  se  mit  contre  un  (5)  ;  et  voici  la  raison  qu'il  en  allègue  : 

critique.]  Jason  Dénores  (2) ,  natif  de  Etenim  in  ejus  dulceiline  suavilateque 

l'île  de  Chypre  ,   et  originaire   d'un  tamquam  in  infesto  Sirenis  mari  in 

gentilhomme  de  Normandie  ,  et  pro-  quo  etiam  Ulysses  erravit ,    uirgines 

fesseur  en  morale  à  Ferrare  *,  fit  un  nuptœque  complures  pudiciliœnau- 

traité  de  poétique  ,  où  il   maltraita  fragiujn  fecisse  dicuntur   Voyons  la 

une  espèce  de  poésie  dramatique  qui  maxime  de  M.  de  la  Fontaine  (6). 

était  devenue  fort  à  la  mode.  Je  parle 

des  tragi-comédies  pastorales  (3).  Il 

soutint   que    c'étaient   des   monstres 

produits  par  des  gens  qui  n'avaient 

nulle  connaissance  de  l'antiquité,  et 

contre  les  règles  de  l'ancienne  poésie. 

Guarini  se  persuada   que   cette   cri-   ,r    1  <    „„„,, f  „.    „„f,„„    „„    t;„„ 

,          1    ,  ..        ,n.                   .  .,  Voua   comment  cet    auteur    se    tire 

tique  le  regardait  :  c  est  pourquoi  il    1,  .    1    i      j;/t„.,i»„'     n~    *a 


Irait-il  après  tout  s'alarmer  sans  raison 

Pour  un  peu  de  plaisanterie? 
Je  craindrais  bien  plutôt  que  la  cajolerie 

Ne  mît  le  feu  dans  la  maison. 
Chassez   les*  soupirans ,  belles,   prenez    i< 
livre, 
Je  réponds  de  vous  corps  pour  corps. 


tique  le  regardait  :  c'est  pourq 
composa  une  apologie  contre  Dé- 
nores. Celui-ci  répliqua  ,  et  mourut 
pendant  que  Guarini  travaillait  à  une 
réplique  si  sanglante  ,  qu'on  croit 
qu'elle  aurait  pu  faire  mourir  le  cen- 
seur des  Pastorales.  Voici  ce  qu'en 
dit  M.  de  Thou.  Baptista  Guarinus 


d'une  très-grande  difficulté.  On  se 
plaignait  que  ses  contes  n'étaient 
propres  qu'à  exciter  mille  désirs  im- 
pudiques dans  Pâme  de  ses  lecteurs  : 
il  répond  que  si  les  femmes  qui  lisent 
son  livre  ne  laissent  approcher  d'elles 
aucun  galant,  elles  ne  forferont  point 
.  à  leur  honneur.  Cette  réponse  sent  le 
lectissunus   eques    Ferrartensis  ,    qui  histe     car  clle  dcmande  une  con- 

sub  id  PastoremFidum  magnoplau-    (UJion  ,e  liyre  même  dont  on  se 

su  ubtque  m  Itaha  exception  edulerat,      j-^  £n<j  tres.malais(i  a  pratiquer. 
eum   sermonem    ad    injuriant    sitam    ^  yQulez  nous  lisions  votre 

pertinere     existimans       dejensionem    liyre     gt  nQus  chassions  les  sou. 

sub  nomme  Verali  pubhcavit     quam      ->    .   ^   éteg    --^    d>exi 
apologiâ    contraria    statim    Denores   ^  ■  yQs  ^  noug  ôt|nt 

refutavit.  'o  eu  aum  altérant  aefensio-  1      <•  11       *  _*~. 

J  ,.  /o        -  J  la   force    de   chasser  nos   soupirans. 

nem  meditalur  (jriiarinus ,  morte  nu-  r-i,  ■%•         .  j?  11 

.     .    ,■      ,■   r.  '      •  Elles  nous  remplissent  d  amour,  elles 

nime  fatali  Denores  concessit  ,   quœ  ,  u      a-  \     „ii»„  „„„„   „Jv^,..> 

.  .   ,■/,      .    .     .  r...      ,  1.1  nous   échauffent  ,  elles  nous  embra- 

nist  dticctissiim  lilu  caUumtate    uisset  1t  e     t l- •» »  • 

,'  Tlr        ■   ,J    ■  sent ,  elles  nous  font  souhaiter  vio- 

prœcimtata ,  altérais  I  erati  lectione  .  .1  > i „    „„„ 

1        ,'  '  ....        „    rr,     . .  lemment    la    présence   de    ces    mes- 

acce/crari  potiusse  crédita  est.  lanta  J        • „„.■!„„  ^„>i, 

.  ,        K    ,  ■       ■       1    *  sieurs  :  vous  avez  bonne  grâce  après 

siquu  em  vi  etoquentiœ  simul  et  aspe-       .     j  j*  _  „'       _„  .„„..   „..,. 

.'  ,  *  .      ,.     r.  cela  de   nous  dire   que  pourvu   que 


ritate  ac  verborum  amaritudine  in 
Jasonem  invectus  est  Guarinus  ,  ut 
Archilochum    ipsum    in   Lycambeh 

ïambos  stringentem  eo  scripto  supe- 
rdsse passim  jactaretur  (4). 

(1)  Nicius  Erytlirwus  ,  Pinacotti.  I,  pag.çfi. 


nous  les  chassions  ,  il  ne  nous  arri- 
vera rien  de  fâcheux.  On  peut  faire 
une  autre  difficulté  à  M.  de  la  Fon- 
taine ,  c'est  que  lors  même  que  l'on 
chasserait  les  soupirans,  on  se  trou- 
verait   exposé    à   plusieurs    passions 


™  7vT,V    T — •./"•e-a-     verait    expose    a    plusieurs    passions 

(2)  Tlinan.,  /.  XCIX.p.  ira,  ad  ann.  i5qo.     .  *       .     ,        x  i       1      i  1 

*  C'est  à  Pa.loi.fi  et  non  a  Ferrare  que  J.  De-    impures    excitées    par    la    lecture    de 


nores  professait  ,  dit  le  père  Niceron. 


ses  contes.   Et  n'est-ce  pas  un  assez 


(3)  Inler  alia  quœ  scripsil    cum    de   poètied  pran(J    mal?     Pour    faire    Une    bonne 

disserens  tragicomœdias  pastorales  quœ   hodie  " 

inler  Italos  usuroantur ,  lanquam  monstra  quœ-  ...  „  .      .  ,.      «r- 

dam  et  nullo  velerum  exemple  ,  contraque  poë-         (5)  Momm  fartasse  mtegrttaU  non  utUts.  Ni- 

ticte  priscœ  levés  ab  imperiùs  rci  anliquariœ  m-  ™las  Erythrœns  ,  Pinacotb.  I ,  pag.  .,(.. 
troducta  exagiltîtsel,  etc.   M.  ,  ibid.  (6)  Elle  est  dans  l'un  de  ses  Contes.  [Les  Oies 


f  4)  Idem  ,  ibid. 


le  frère  Philippe.  ] 


GUARINI.  3o5 

apologie  de  cet  auteur,  il  faudrait  l'ingegno  sagace  vi  s'abbandona  so- 
pouvoir  supposer  que  son  livre  n'est  pra.  E  quindi  è  (cred'io)  che  in  Eu- 
point  capable  de  préjudiciel-  à  la  ripide,  e  Giuvenale  (10)  leggiamo 
chasteté,  et  qu'il  n'y  a  que  la  vue  notate  d'impudiziu  le  donne  ai  lel- 
des  objets  aimables  et  la  cajolerie  levé  antiche  ,  le  quati  kggendo  libri 
de  vive  voix  qui  nuisent  à  cette  di  cose  lascive  ,  e  convenandç  sotto 
vertu.  Mais  c'est  ce  qu'on  ne  saurait  quel  prêtes to  di  lettere  più  libera- 
supposer,  s'il  est  vrai  ,  comme  on  le  mente  ton  g/i  huomini  ,  che  si  conve- 
prétend  ,  que  la  lecture  du  Pastor  niva  alla  aèbotezza  c/el  sesso  si  fe- 
Fido  ait  perdu  beaucoup  de  femmes  cero  ardite  ,  e  la  libidine  loro  s  intér- 
êt beaucoup  de  filles.  Voilà  donc  vorô  nell'ozio  ,  e  la  sagacith  de' fin- 
ition texte  suffisamment  commenté.  gegno  s'ojferse  di  ricoprire  gli  eccessi. 
Quand  ce  que  l'on  conte  des  mau-  (D)  //  aurait  peut-être  trouve  plus 
vais  effets  de  ce  poème  serait  faux  ,  court  de  recourir  à  une  pensée  beau- 
il  ne  laisserait  pas  d'être  vrai  que  la  coup  plus  commune-]  Il  aurait  pu 
lecture  de  certains  livres  est  très-  dire  que  sa  pastorale  n'apprenait 
pernicieuse  aux  jeunes  gens  de  l'un  rien  de  nouveau  à  ses  lecteurs  ou 
et  de  l'autre  sexe.  11  y  a  des  méde-  que  si  les  jeunes  gens  y  rencontraient 
cins  qui  ont  ordonné  la  lecture  des  quelque  chose  qu'ils  ne  savaient  pas 
priapées  à  ceux  qui  ont  de  la  peine  ils  l'auraient  apprise  ailleurs  •  de 
à  s'exciter  aux  combats  d'amour  (7)  ;  sorte  qu'd  n'aurait  servi  de  rien  de 
et  j'ai  observé  que  l'empereur  Mi  us  ne  pas  donner  au  public  le  Pastor 
Vérus ,  prince  qui  s'abandonnait  aux  Fido.  Un  ami  de  M.  de  la  Fontaine  a 
voluptés  impudiques  ,  avait  toujours  touché  délicatement  cette  sorte  de 
dans  son  lit  les  poésies  amoureuses  justification.  Il  est  de  la  prudence 
d'Ovide  ,  et  qu'il  faisait  un  grand  cas  des  personnes  commises  à  l'éduca- 
des  vers  de  Martial.  Idem  Ovidii  li-  tion  de  la  jeunesse  ,  dit-U  (11)  ,  non- 
bros  Amorum  in  lecto  seniper  ha-  seulement  de  leur  (12)  en  interdire  la 
buisse  :  idem  Marlialem  epigrnmma-  lecture,  mais  encore  a' empêcher  au' ils 


dicité  ,   entre    autres    raisons,   parce  prennent  ce  qu'on  ne  doit  pas  savoir. 

qu'elle    fait  connaître    mille   saletés  C'est  insinuer  fort  clairement  que,  de 

qui    sont   dans  les    livres    Par-là  il  la  manière  que  l'on  se  comporte  dans 

explique   d'où   vient    que    plusieurs  le  inonde,  ceux  qui  n'apprendraient 

femmes    savantes  ,    dont    l'antiquité  point  par  le  livre  de  M.  de  la  Fon- 

fait    mention,    ont   été   fort   impu-  taine,  ce  qu'il  serait  bon  qu'ils  igno- 

diques.   Voici  ses  paroles   (9)    :  Che  rassent  ,    l'apprendraient    par    cent 

simdmente    le    lettere   sieno   cagioni  autres   voies.    On    s'est   servi    d'une 

d'eccitar  la  libidine,   e  di  parturire  semblable  pensée  (i3),  pour  réf u ter 

molli  atti  osceni,  non  c  du  dubilarne  ;  les  injustes  plaintes  de  ceux  qui  ne 

posciache   col  leggere    accidenti  ,    e  voudraient  pas  que   l'on  retranchât 

stratagend  amorosi ,  e  libri  lascivi ,  e  de  Juvénal  et  de  Martial  les  endroits 

parlicularmenle  nelle  solitudini ,  e  ne  sales.    Cette   manière    d'apologie    est 

gli  ozi ,  che  richieggono  le  lettere  ,  plus  supportable   que  la  maxime  de 

s'appresentano  fantasmi    osceni ,    e  M.  de  la  Fontaine  ,  et  néanmoins  elle 

pensieri ,  e  voglie  di  cose  illecite  sotto  n'est  pas   bonne  ;  car  enfin  quelque 

apparenza  di  gusto  ,   e  di  dilelto  ;  e  inévitables  que  puissent  être  les  dés- 

(7)  Medici  ,  in  hit  PaulusjEgineta  disertis  (>°)  H  n'est  pat  vrai  qu'Euripide  et  Juvénal 
verbis  ad  exciiandam  longuement  Venerem  vel  les  accusent  de  ce  de' faut.  Juvénal  ne  cent  point 
prœcipuutn  remedium  prœscribunt  Priapeorum  '/ne  l'un  épouse  une  savante;  mais  il  n'en  donne 
et  similis  poeseos  infamis  nssiduam  leclionem.  point  de  raison.  Euripide  en  donne  pour  raison 
Casauhonus  ,  in  htec  verba  Persil,  sat.  I,  vs.  ici:  t/ue  Vénus  le*  rend  plus  rusées,   l'oyez  Muret  , 

Cumcarmina  lumbum     '  Variar.  lect.  lib.  VIII ,  cap.  XXI. 

1  titrant,    et   tremulo   scatpunlur  ubi    intima  (n)  Préface  des   Contes  de  l'édition  d'Atn- 

versu.  slerdam,   i685. 

(8)  Spartian.,  in  M.Y10  Vero,  cap.  V.  (12)  C'est-à-dire,  des  Contes  de  la  Fontaine. 
^  (9}  Pensieri  diversi  di  Alessaudro  Tassoui ,  (i3)  Voyez  les  Nouvelles  delà  Républiquedes 
lib.  HI,  cap.  XI ,  pag.  227.  Lettres  ,  o'etob.  îfjSJ ,  art,  V,  png.  792  ,  793. 

TOME   VII.  20 


3o6 


GUARINI. 


ordres,  lors  même  qu'on  n'y  con- 
tribuera pas  ,  chacun  doit  mieux 
aimer  qu'ils  viennent  d'ailleurs  que 
de  son  intervention.  Et  notez  que 
ceci  concerne  ceux  qui  inventent  des 
histoires  sales  ,  ou  qui  les  traduisent 
avec  de  nouveaux  ernbellissemens,  et 
non  pas  ceux  qui  citent  un  passage 
de  Martial ,  etc.  comme  la  preuve 
de  quelque  fait  dont  la  nature  de 
leur  livre  ,  ou  leur  caractère  "d'histo- 
rien ,  de  commentateur ,  etc. ,  les 
oblige  à  faire  mention.  Quant  au 
reste  ,  il  faut  convenir  que  tout  ce 
qu'on  peut  apprendre  d'impuretés 
dans  certains  livres  se  communique 
sans  l'aide  des  livres  ,  par  le  moyen 
des  conversations.  Il  n'est  pas  croyable 
combien  de  choses  savent  là-dessus 
des  personnes  qui  sont  encore  dans 
la  plus  tendre  jeunesse ,  et  qui  n'ont 
jamais  su  lire.  Les  piogrès  de  cette 
science  sont  surprenans,  et  ne  de- 
mandent pas  bon  nombre  d'années. 
Écoutons  Montaigne  (i4).  Qu'elles  se 
dispensent  un  peu  de  la  cérémonie  , 
qu'elles  entrent  en  liberté  de  dis- 
cours ,  nous  ne  sommes  qu'enfans  au 
prix  d'elles  en  cette  science.  Oyez- 
leur  représenter  nos  poursuites  et  nos 
entretiens  ,  elles  vous  font  bien  con- 
naître que  nous  ne  leur  apportons 
rien  qu'elles  n'aient  su  et  digéré 
sans  nous.  Serait-ce  ce  que  dit  Pla- 
ton ,  qu'elles  aient  été  garçons  dé- 
bauchés autrefois  ?  Mon  oreille  se 
rencontra  un  jour  en  lieu  ,  où  elle 
pouvait  dérober  aucuns  des  discours 
faits  entre  elles  sans  soupçon  :  que  ne 
puis-je  le  dire  ?  Notre-Dame  ,  dis-je , 
allons  à  celte  heure  étudier  des 
phrases  d' Amadis  ,  et  des  registres  de 
Boccace  et  de  V  Arétin  ,  pour  faire 
les  habiles  :  nous  employons  vrai- 
ment bien  notre  temps  :  il  n'est  ni 
parole ,  ni  exemple ,  ni  démarches 
qu'elles  ne  sachent  mieux  que  nos 
livres  :  c'est  une  discipline  qui  naît 
dans  leurs  veines,  et  mentem  Venus 
ipsa  dédit,  que  ces  bons  maîtres  d'é- 
cole, nature,  jeunesse  et  santé,  /<•/,;• 
soufflent  continuellement  dans  l'âme: 
elles  n'ont  nue  faire  de  V apprendre  , 
elles  l'engendrent. 

Nec  lanlum  niveo  gavisa  est  uUa  coltirnbo 
Compar  ,  vil  si  quid  tlicitur  improbius  , 


(i4)  Essais ,    lit 
iî5  ,  «îG. 


///  ,  chap     V  , 


Oscula  mordemi  seuiper  decerpere  ruaiio 
Quantum  prœcipué  itiulli vola  est  mulitr  (*). 

Elles  s'apprennent  ces  choses  les  unes 
aux  autres  :  les  vieilles  instruisent 
les  jeunes  ;  et  si  les  ignorantes  dé- 
sirent passionne'ment  la  science ,  les 
savantes  n'ont  pas  moins  d'avidité'  de 
communiquer  leurs  lumières  :  on  di- 
rait qu'elles  regardent  comme  cano- 
nique l'axiome  qu'il  ne  sert  de  rien 
de  savoir,  si  l'on  ne  fait  connaître  à 
autrui  ce  que  l'on  sait  (i5).  Ainsi 
l'éducation  italienne,  ce  grand  soin 
d'ôter  aux  filles  la  conversation  des 
garçons ,  n'ôte  point  le  mal  ;  outre 
que  dans  les  pays  de  captivité  on 
leur  permet  de  se  trouver  à  des 
noces  pêle-mêle  avec  les  hommes. 
Or  peut-on  voir  une  école  d'impu- 
reté plus  scandaleuse  que  les  assem- 
blées, les  divertissemens  ,  les  repas 
de  noces  ?  Combien  de  sottises  ,  et 
combien  d'obscénités  n'y  dit-on  pas 
(16)?  Saint  Cyprien  avait  raison  de 
ne  vouloir  point  que  les  vierges  y  as- 
sistassent :  il  leur  déclare  qu'elles 
n'en  remporteront  qu'une  virginité 
estropiée  (17).  Quasdam  non  pudet 
nubentibus  interesse ,  et  in  illd  lasci- 
vientium  libertate  sermonum  collo- 
quia  incesta  miscere;  audire  quod 
non  licet  dicere  :  observare  et  esse, 
prœsentes  inter  verba  turpia  et  temu- 
lenta  convivia  ,  quibus  libidinum 
f ornes  accenditur,  sponsa  ad  patien- 
liam  stupri ,  ad  audaciam  sponsus- 
animatur.  Quid  illic  discitur?  quid 
videtur?  Quantum  à  proposito  svo 
virgo  déficit,  quando  ,  pudica  quai 
venerat ,  impudica  discedil  ?  Corpon- 
licet  virgo  ac  mente  permaneat ,  ocu- 
lis  ,  auribus ,  lingud  ,  minuit  Ma  quœ 
habebat  (i8j.  Voyez  ce  qui  sera  dit 

(*)  Nulle  colombelle ,  ou  s'il  est  rien  dt 
plus  saffiemrnt  lascif ,  pillanl  sans  fin  les  bai- 
sers a  sua  pair  d'un  bec  tnordtllant  ,  n'est  point 
si  âpre  et  si  gloutonne  en  ses  appétits  qu'une 
femme.  Cat.   109. 

(i5) Vsque  adebne 

Scire  tuum  nilul  est  ,    nisi  le   scire  hoc  scia, 
aller? 

Pers.  ,  sat.  I ,  vs .  î5. 

(16)  Voyez  le  passage  de  saint  Cyprien  qu'or, 
va  citer. 

(17)  Cyprianus  ,  de  disciplina  et  babitu  Vii- 
ginum,  cap.  XI V. 

(18)  Bartbius  ,  in  Claudian.  ,  pag.  776  ,fail 
ici  une  note  qui  n'est  pas  mauvaise.  Ita  etiam  . 
dit-il,  ultimo  édita  suiit  sancti  viri  vciba  ;  scrip- 
sisse  tamen  arbitror,  corpore  licet  virgo  perma- 
nent :  al  mente,  oculi<  ,  auribus,  Imguâ  ,  mi- 
nuit illa  quœ  habebat.  Sanè  nisi  mens  tangere- 
tur  per  sensus ,  minime  minucrentur  possessa. 


GUARINI. 


dans  l'article  de  Lycurgue,  remarque 
(G),  et  souvenez-vous  de  la  maxime 
de  Xe'nophon  :  il  voulait  qu'une 
fiance'e  entrât  au  logis  de  son  mari 
avant  que  d'avoir  vu  ni  entendu  que 
très-peu  de  choses.  'O  Eivoqav  oiWai 

,   X"'cL    J*     dMOVTOLT'JLV    ilÇ    StVcTpOÇ  /SotJlÇfîJV. 

Xenophon  censet  sponsam  ila  debere 
in  mariti  domum  venin  ut  quant  mi- 
nimum t'iderit ,  qiùnn  minimum  audi~ 
vcrit  (19). 

(E)  // touche  un  des  plus  in- 
compréhensibles mystères  de  la  na- 
ture.] Il  introduit  une  fille  ,  qui  se 
sentant  livrée  à  la  discrétion  de  deux 
tyrans  ennemis  (20) ,  porte  envie  au 
bonheur  des  bêtes  ,  qui  dans  leurs 
amours  n'ont  point  d'autre  régie  que 
ramour  même.  Elle  ne  peut  com- 
prendre l'opposition  qu'elle  trouve 
entre  la  nature  et  la  loi.  L'une  atta- 
che un  plaisir  extrême  à  certaines 
choses,  et  l'autre  y  attache  la  ri- 
gueur du  châtiment.  Sa  conclusion 
est  celle-ci  : 

Sans  doute ,    ou  la  nature  est  imparfaite  en 

soi , 
Qui  nout  donne  un  penchant  que  condamne 

la  loi  : 
Ou  la  loi  doit  passer  pour  une  loi  trop  dure, 
Qui  condamne  un  penchant  que  donne  la  na- 

ture. 

Sans  la  révélation  de  Moïse,  il  n'est 
pas  possible  de  rien  comprendre  là- 
dedans  ,  et  je  me  suis  cent  fois  étonne' 
({lie  les  anciens  philosophes  aient 
fait  si  peu  d'attention  à  cela.  Je  ne 
parle  que  des  philosophes  qui  ont 
connu  l'unité  de  Dieu  ;  car  ceux  *[ui  , 
selon  la  religion  de  leur  pays,  admet- 
taient la  pluralité  de  dieux ,  n'ont 
dû  trouver  là  aucune  difficulté  :  ils 
n'avaient  qu'à  supposer  qu'un  dieu 
était  cause  du  penchant  de  la  nature  , 
et  que  d'autres  divinités  nous  im- 
primaient les  instincts  de  la  con- 
science ,  et  les  idées  de  l'honneur.  La 
diliiculté  ne  regardait  que  ceux  qui 
étaient  persuades  que  l'univers  est 
l'ouvrage  d'un  Dieu  infiniment  saint. 
Comment  se  peut-il  faire  que  sous  un 
principe  de  cette  nature  ,  le  genre 
humain  soit  attiré  vers  le  mal  par 
une  amorce  presque  insurmontable  , 
je    veux,    dire    par   le    sentiment  du 

(19)  Plut.  ,  de  Pylliise  Orac. ,  pag.  4o5  ,  C. 
(10)  L'Amour  et  l'Honneur.   Voyei  le  sonnet 
de  l'Avorton. 


307 

plaisir,  et  qu'il  en  soit  détourné  par- 
la crainte  des  remords  ,  ou  par  celle 
de  l'infamie  ,  et  de  plusieurs  autres 
peines  ;  et  qu'il  passe  toute  sa  vie 
dans  ce  contraste  dépassions  ;  tiraillé 
tantôt  d'un  cùté,  tantôt  de  l'autre, 
tantôt  vaincu  par  le  plaisir,  tantôt 
par  la  crainte  des  suites?  Le  mani- 
chéisme est  apparemment  sorti  d'une 
forte  méditation  sur  ce  déplorable 
état  de  l'homme. 

(F)  //  mourut  ii  Kenise  ,  dans  une 
auberge:]  Il  était  allé  à  Venise  pour 
un  procès,  et  il  mourut  de  chagrin 
et  de  vieillesse.  Il  avait  été  malheu- 
reux toute  sa  ^  ie,  parles  traverses  de 
ses  ennemis  ,  si  nous  en  croyons 
l'auteur  que  je  cite.  Semper  eu  m 
adversâ  forfunâ  iniquorum  odio  con- 
flic  ta  tus  (non  enim  malevoli  tanto 
viro  déesse poteran£)  demum  clan  Ke- 
netias  liliuin  quarundam  causa  ve- 
nisset,  et  ad  cauponem  divertisset , 
ibi  senio  curisque  confeclus  ,  excessif 
è  l'itd  (ai).  J'en  cite  un  autre  qui 
s'est  fort  trompé  quant  à  l'année  de 
la,  mort  de  notre  Guarini:  il  la  met 
à  l'an  1690  (22). 

(G)  Ses  vers  lui  coûtaient  beau- 
coup de  travail]  Voyons  d'abord  ce 
que  dit  l'Impérialis.  Insuper  miran- 
dum  etiam ,  quod  licet  expedita  Ma 
carminumpangendorum  ubertas,  illa- 
borata peniiùs  ,  et  sponlè  fusa  videa- 
tur  ;  tamen  ab  ipso  anxiè  affectatam 
ac  diutino  quœsitam  studio  ipsimet 
(  familiales  )  asserunt  , prœmonstran- 
les  extralias  quasdam  carminum  suo- 
rum.  schedulas  ,  freqtientissimis  ex- 
punctas  ac  immulatas  locis  ,  ex  qui- 
bus  hercule  peracris  quidam ,  ac  im- 
plex:  s  scribendi  arguitur  labos(i'i). 
C'est  nous  apprendre  deux  choses  , 
l'une  que  les  vers  du  Guarini  ont  été 
faits  avec  une  peine  extrême,  l'autre 
qu'il  semble  qu'ils  aient  été  compo- 
sés avec  la  dernière  facilité.  Ceux  qui 
prétendraient  que  ces  deux  choses 
sont  incompatibles  ne  connaîtraient 
guère  les  variétés  de  l'esprit  humain, 
et  se  persuaderaient  qu'il  n'y  a  point 
d'autres  compositions  qui  coûtent 
beaucoup  ,  que  celles  dont  un  lec- 
teur fait  le  même  jugement  que  l'on 
faisait  des  harangues  de  Demosthène, 

(21)  Nie.  Erytbr.  ,  Pinacotb.  I  ,pag.  97. 

(22)  Aub.  llirœus ,   in  Scrlplor.  sœc.   XVI, 
pag.  177. 

■  's<\  Imperialis,  in  Mu;;vo  bister.,  pag-  iro. 


3o8 


GUARINI. 


Oient  lucernatn ,  cela  sent  l'huile 
(24).  Mais  il  faut  savoir  que  le  ca- 
ractère des  esprits  embrasse  bien 
d'autres  diversités.  Tel  auteur  fait 
sentir  à  ceux  qui  le  lisent  toute  la 
peine  qu'il  a  eue;  et  s'il  corrige  trois 
ou  quatre  fois  un  certain  endroit 
avec  des  me'ditations  qui  le  font  pres- 
que suer ,  on  s'aperçoit  que  cet  en- 
droit-là sent  beaucoup  plus  le  tra- 
vail, qu'un  autre  endroit  qui  n'a  e'të 
corrigé  que  deux  ou  trois  fois.  Mais 
il  y  a  des  auteurs  dont  le  travail  et 
la  peine  ne  servent  qu'à  faire  dispa- 
raître tout  ce  qui  ne  sent  pas  une 
extrême  facilite' ,  et  un  air  aisé  et  na- 
turel, de  sorte  que  plus  ils  retouchent 
leur  ouvrage  ,  moins  il  semble  à  leurs 
lecteurs  qu'il  ait  été  refondu  ,  raturé, 
et  travaillé.  Voilà  quel  était  le  ca- 
ractère du  Guarini(25).  Son  goût  le 
portait  à  juger  que  la  perfection 
d'une  pièce  de  poésie  consistait  dans 
les  beautés  naturelles ,  et  d'un  tour 
aisé  et  coulant.  C'est  par -là  qu'il 
cherchait  à  mériter  l'approbation  du 
public  ,  et  il  s'apercevait  avec  beau- 
coup de  pénétration  s'il  restait  dans 
son  ouvrage  quelque  chose  de  forcé, 
et  là-dessus  ses  révisions  et  ses  cor- 
rections ne  tendaient  qu'à  effacer  ces 
petits  restes  d'embarras  et  de  con- 
trainte. Ainsi ,  il  ne  parvenait  à  faire 
paraître  coulante  sa  poésie ,  qu'à 
force  de  la  retoucher  et  de  la  polir. 
D'autres  écrivains  sont  d'un  goût 
tout  différent;  ils  mettent  la  perfec- 
tion à  penser  et  à  s'exprimer  d'une 
manière  affectée  ,  guindée  ,  et  qui 
sente  la  fatigue  d'une  profonde  mé- 
ditation. Ils  ne  croiraient  point  s'ex- 
primer heureusement  et  ingénieuse- 
ment ,  si  on  pouvait  les  entendre  sans 
avoir  besoin  de  beaucoup  d'esprit  et 
de  beaucoup  d'attention  (26)  ;  et  ils 
ne  sont  jamais  contens ,  jusqu'à  ce 
qu'ils  aient  bien  écarté  de  leur  écrit 
tout  ce  qui  pourrait  paraître  simple, 
naturel  et  ordinaire.  C'est  pourquoi 
plus  ils  corrigent  leur  ouvrage  ,  plus 
font-ils  connaître  au  lecteur  la  peine 
qu'ils  y  ont  prise.  Elle  est  sans  doute 

(2/,)  Plut.  ,  in  Demost. ,  png.  8^9. 

(a5)  C'est-a-dtre  ,  si  on  en  juge  suivant  les 
paroles  de  1  Impérial» ,  rapportées  ci-dessus. 

(sti)  Quid  ,  quod  nihil  juin  proprium  placet , 
dum  parum  creditur  diserlum  quod  et  aliut 
dixisset  ? ...  tum  demuin  ingenioti  scilicet  si  ad 
intelltgendos  nos  opus  s  il  ingénia.  Quint.  ,  lib. 
VIII ,  in  Proœm,  ,  pag.  m.  554- 


bien  grande  ,  mais  elle  n  égale  point 
quelquefois  celle  que  prennent  ceux 
qui  veulent  que  leurs  ouvrages  con- 
servent partout  un  grand  air  de  fa- 
cilité. Quelques  personnes ,  qui  di- 
saient le  tenir  de  bonne  part ,  m'ont 
assuré  ,  et  je  l'ai  lu  depuis  quelques 
jours  dans  un  ouvrage  public  (27)  , 
que  Voiture  n'a  mis  ses  vers  et  ses 
lettres  en  l'état  où  nous  les  avons  , 
qu'après  avoir  bien  sué  à  les  corri- 
ger. Son  apologiste  ne  dit  point  Cela; 
mais  il  insinue  pourtant  que  l'adresse 
avec  laquelle  ce  bel  esprit  répandait 
sur  ses  ouvrages  un  grand  air  de  fa- 
cilité lui  coûtait  beaucoup.  J'espère 
qu'on  ne  sera  pas  fâché  de  voir  ici 
un  morceau  de  cette  apologie.  La 
matière  est  assez  curieuse  pour  mé- 
riter qu'on  la  montre  ici  avec  les 
suffrages  de  quelques  bons  connais- 
seurs. Sur  toutes  choses  M.  de  Voi- 
ture a  recherché  celte  sorte  de  né- 
gligence qui  sied  si  bien  aux  belles 
personnes  ,  qui  fait  tant  valoir  les 
avantages  (te  leur  naissance  ,  et 
qui  après  avoir  charmé  les  yeux  , 
laisse  encore  à  l'imagination  le  plai- 
sir de  se  figurer  ce  que  les  grâces  de 
l'art  auraient  ajouté  à  celles  de  la 
nature.  Dans  tout  ce  qu'il  fait,  il 
paraît  je  ne  sais  quoi  de  si  facile,  de 
si  aisé,  de  si  naturel,  que  chacun 
d'abord  se  croit  capable  de  travail- 
ler avec  un  pareil  succès  ;  et  ce 
n'est  qu'après  de  longs  et  d'inutiles 
efforts  que  l'on  s'écrie  ,  Questo  facile, 
quanto  è  difficile  !  Je  me  souviens 
qu'il  ne  désapprouva  pas  autrefois 
que  je  me  servisse  pour  lui  ,  d'une 
louange  ,  que  le  Tasse  donne  à  une 
de  ses  héroïnes 

Non  sa  ben  dire  ,  s'adoi  na  ,  o  se  ncgletta  . 
Se  caso  od  arte ,  il  bel  vollo  compose; 
Di  natura,  oVamor,  del  cielo  ,  aruici 
Le  negligenze  suc  sono  artelici. 

I 

En  effet,  ce  qui  paraît  négligence  en 
lui  est  un  artifice  caché,  qui  se  déguise 
sous  la  forme  de  son  contraire ,  pour 
agir  avec  plus  d'adresse  et  avec  plus 
de  sûreté.  Et  certes  ,  comme  la  nu 
titre  n'est  jamais  plus  admirable  que 
lorsqu'il  semble  qu'elle  ait  voulu  ru 
jiier  les  ouvrages  de  l'art ,  et,  qu'élir- 
ait eu  envie  de  se  faire  la  disciple  de 

(27)  Dans  les  Mélanges  d'Histoire  et  de  Lit 
térature  de  M.  deYignewl  Manille ,  pag.  i?.''„ 
édit    de  Rouen. 


son  écolier  ,  et  l'imitatrice  de  son 
imitateur  ordinaire  ;  aussi  l'art  de 
son  coté  n'est  point  en  sa  perfection  , 
s' il  ne  contrefait  le  naturel,  et  s'il 
ne  couvre  d'une  apparence  de  facilité 
ses  soins,  ses  méditations  et  la  vio- 
lence de  ses  efforts.  Les  peintres  de 
Grèce  représentaient  les  Grâces  sans 
habillement  et  sans  coiffure  ,  et  s'ils 
leur  donnaient  quelquefois  des  robes  , 
c'étaient  des  robes  sans  ceinture,  pour 
marquer ,  sans  douten  que  les  agré- 
mens  qui  charment  le  plus  ne  vien- 
nent pas  des  artifices  déclarés  ,  ni  des 
ajustemens  qui  se  laissent  voir;  et 
surtout ,  que  quiconque  prétend  de 
plaire  doit  éviter  V image  et  l'ombre 
même  de  la  contrainte.  L'amour  d'in- 
clination que  nous  avons  tous  pour 
fa  liberté  s'étend  jusqu'aux  produc- 
tions de  l'esprit,  et  nous  naissons  si 
ennemis  de  sujétion  et  de  servitude  , 
que  rien  ne  peut  être  si  beau  qu'il  ne 
perde  tous  ses  attraits  du  moment 
qu'il  paraît  forcé.  Jamais  personne 
ne  comprit  mieux  cette  vérité  que 
M '.  de  Voilure,  et  n'employa  plus  d'in- 
dustrie h  cacher  les  machines  dont 
il  se  servait  ,  pour  tirer  du  fond  de 
son  imagination  les  belles  choses  qu'il 
nous  a  laissées.  On  dirait  que  les 
/leurs  naissent  sous  ses  pas  ,  ou 
qu'il  les  trouve  sous  sa  main  par  ha- 
sard et  sans  y  songer;  que  ce  qui 
vaut  le  mieux  dans  ses  écrits  ne  lui 
coûte  rien,  que  tout  cela  lui  tombe 
fortuitement  sur  le  papier  ,  et  lui 
vient  sans  peine  au  bout  de  la  plu- 
me ;  que  tout  cela,  dis  je  ,  sort  gaie- 
ment sans  aucun  travail,  que  tout 
cela  coule  de  source,  et  d'une  source 
vive  ,  féconde  et  inépuisable  (28). 

M.  Pelisson,  qui  se  connaissait  si 
bien  en  toutes  sortes  d'ouvrages  d'es- 
prit, e'taitfort  persuade'  qu'assez  sou- 
vent il  n'y  a  rien  qui  coûte  plus  à 
un  auteur  que  de  faire  paraître  que 
son  ouvrage  ne  lui  a  guère  coûte'  (29). 
Deux  choses,  dit-il  (3o),  «  rendent 
)>  surtout,  la  poe'sie  admirable,  l'in- 
»  vention  d'où  elle  a  aussi  pris  son 

(28)  Coitar ,  Défense  des  Ouvrages  de  M.  de 
Voiture  ,  pag.  16,  17. 

(29)  Vincta  qutedam  quasi  so'.vencla  de  in- 
duslrtd  sunl,  ilta  quidem  maximi  laboris ,  ne 
Liborala  videaiuur.  Quintil. ,  lib.  IX,  cap.  IV , 
P."g-  ">•  l&'r 

(30)  Pelisson,  préface  des  OEuvres  de  Sarra- 
sin, pag.  3o. 


GUARINI.  309 

«  nom  ,  et  la  facilité  qui  lui  est  très- 
»  nécessaire.  Je  n'entends  pas  la  fa- 
»  cilité  de  composer;  elle  peut  quel- 
»  quefois  être  heureuse ,  mais  elle 
»  doit  être  toujours  suspecte  :  j'en- 
»  tends  la  facilité  que  les  lecteurs 
»  trouventdans  les  compositions  déjà 
»  faites  ,  qui  a  été  souvent  pour  l'au- 
»  tcur  une  des  plus  difficiles  choses 
»  du  monde  ;  de  sorte  qu'on  la  pour- 
»  rait  comparer  à  ces  jardins  en 
»  terrasse ,  dont  la  dépense  est  ca- 
»  chée,  et  qui,  après  avoir  coûté  des 
»  millions  ,  semblent  n'être  que  le 
»  pur  ouvrage  du  hasard  et  de  la 
«  nature.»  Ce  qu'il  avait  déjà  dit 
touchant  la  facilité  qui  paraît  dans 
les  ouvrages  des  bons  poètes,  est  ad- 
mirable. On  croirait  qu'ils  ne  pou- 
vaient pas  dire  autrement  ce  qu'ils 
ont  dit,  quand  même  ils  l'auraient 
voulu ,  tant  les  expressions  en  sont 
faciles.  Ces  paroles  leur  sont  tom- 
bées de  la  plume  sans  dessein;  elles 
ont  pris  naturellement  chacune  leur 
place.  Jm  lyre  d! \Amuliion  ne  faisait 
pas ,  ce  semble ,  de  plus  grands  mira- 
cles ,  quand  les  pierres  attirées  par 
son  harmonie  se  venaient  ranger 
d'elles-mêmes  lune  sur  V autre,  pour 
bâtir  les  fameuses  murailles  de  Thè- 
bes  (3i). 

C'est  ainsi  que  les  lecteurs  en  ju- 
gent ;  mais  l'auteur  sait  bien  le  con- 
traire ,  et  se  souvient  que  les  vers  qui 
semblent  les  plus  aisés  et  les  plus 
coulans  sont  ceux  qui  l'ont  le  plus 
obligé  à  se  bien  gratter  la  tête  ,  et 
à  se  bien  mordre  les  ongles  (32). 
Il  se  souvient  que  c'est  là  qu'il  se 
servait  du  conseil  d'Horace  (  33  ) 
avec  le  plus  d'exactitude ,  et  qu'il 
ressemblait  le  mieux  à  ces  anciens 
philosophes  qu'une  profonde  mé- 
ditation  aliénait    de  leurs    sens. 

Obsiipo  capite,  et  figentes  lutnine  terrain 
Murmura  cutn  secuin ,  et  rabiosa  siïentia  ro- 

dunl, 
Âlque  exporrcclo  trutinantnr  verba  labcllo  , 

(3i)  La  même  ,  pag.  î8. 

(3ï) Et  in  ver  su  Jaciendo 

Sœpe  capul  scaberet,    vivos  et   roderet   un- 
gues. 
Jlorat.  ,  sat.  X,   lib.    I  ,    vs.   70.    Conjer  quee 
Persius,  sal.  I  ,  vs.  106. 

Nec  phileum  cœdil  nec  demorsos  sapil  un- 

gues. 
(33)  Ludenlis  speciem   dabit  et  torquebitur. 
Horat.,  epist.  II,  vs.  n4>  Ub.  II. 


OIO 


GUARINI. 


/Egroli  veterts  méditantes  somnia,  Gigni 
De  nihilo  nihil ,  '■>  nibilum  nil  posse  rever- 
li  (34)- 
Il  y  a  des  exceptions  dans  tout  ceci  ; 
car  quelques  poètes  ,  comme  Ovide 
entre  les  anciens ,  et  Molière  parmi 
les  modernes  ,  ont  eu  une  extrême 
facilite  à  faire  des  vers  ,  où  les  lec- 
teurs remarquaient  sans  peine  celte 
grande  facilité. 

Notez  que  M.  Pélisson  remarque 
que  cette  sorte  de  facilité  peut  quel- 
quefois être  heureuse,  mais  quelle  doit 
être  toujours  suspecte  (35).  Cela  me 
fait  souvenir  d'une  pensée  de  M.  Go- 
deau.  La  facilité  de  composer  ,  dit-il 
(36) ,  semble  être  un  avantage; .  mais 
c'est  une  espèce  de  défaut ,  à  cause 
qu'il  empêche  que  l'esprit,  qui  natu- 
rellement hait  la  peine  ,  ne  porte  les 
choses  au  point  de  la  perfection  où 
il  serait  capable  de  les  mettre.  En 
effet  la  correction  qui  purifie  les  pre- 
mières productions  est  plus  fâcheuse 
à  ceux  qui  ont  cette  facilité  qu'aux 
autres  qui  en  produisant  les  choses 
les  achèvent,  èT  en  qui  l'art  travaille 
plus  que  la  nature.  Cela  ne  s'accorde 
pas  mal  avec  les  idées  de  Quintilien. 
Ce  grand  maître  veut  que  l'on  com- 
mence par  composer  lentement.  On 
parviendra  par  ce  moyen  à  bien 
écrire  ,  d'où  l'on  passera  à  écrire 
promptement;  mais  en  se  hâtant  d'é- 
crire ,  ou  ,  ce  qui  est  la  même  chose , 
en  écrivant  avec  beaucoup  de  faci- 
lité ,  on  ne  parviendra  jamais  à  bien 
écrire.    Hanc    moram    et  solicitudi- 

nem  initiis  impero cita  scribe n- 

do  non  fit  ut  benè  scribatur  :  benè 
scribendo  ,  fit  uteitd^']).  Que  cette 
facilité  soit  un  défaut  tant  qu'il  vous 
plaira ,  il  vaut  mieux  sans  doute  y 
être  sujet ,  que  de  ne  pouvoir  enfan- 
ter ses  conceptions  qu'avec  des  tran- 
chées insupportables  ;  et  l'on  est 
bien  plus  malheureux  quaud  on  ne 
trouve  jamais  la  fin  de  ses  correc- 
tions, que  quand  on  la  trouve  un 
peu  trop  tôt.  M.  de  Balzac  a  été  mis 
dans  le  catalogue  des  auteurs  qui   se 

(34)  Pcrsius,  sat.  III,  Cf.  80. 

(35)  Redeamus  cul  judicium  et  retrrtctemits 
rwpeclam  facilitaient.  Quint. ,  lib.  X,  cap. 
II I .  pag.'txVi. 

(3G)  Godeau  ,  -préface  tle  la  traduction  des 
Psaume*.  Conferquœ  Quint. ,  lib.  X,  cap.  III, 
pag.  m.  485! 

Ci-)  Quint-,  lib.  X,  cnp.  III,  pas.  484. 
l'avez,  lom.  XI  ,    la  citation   (1)    de  l'article 

OniCELLARICS. 


rendent  malheureux  par  un  goût  trop 
difficile.  Lisez  ces  paroles  de  Costar 
(38)  :  «  Dans  les  écrits  de  M.  de  Balzac 
»  rien  ne  coule  sans  peine,  rien  ne 
»  vient  naturellement.  Le  travail  y 
»  paraît  si  à  découvert  que  les  de- 
»  licats  qui  les  lisent  en  sont  fati- 
»  gués,  comme  ce  fameux  Sybarite 
»  qui  suait  à  grosses  gouttes  des  ef- 
»  forts  qu'il  voyait  faire  à  un  misé- 
»  rable  manœuvre.  Et  certes  il  con- 
»  fessait  quelquefois  lui-même  ,  que 
»  lorsqu'il  mettait  la  main  à  la  plu 
)>  me ,  il  ne  souffrait  pas  moins  qu'un 
»  galérien  qu'on  avait  mis  à  la  rame. 
»  Ce  n'est  pas  qu'il  n'eût  une  gran- 
»  deur  et  une  beauté  d'esprit  admi- 
»  râbles;  mais  c'est  qu'il  avait  autant 
»  de  peine  à  se  contenter  ,  que  ce 
)>  rare  personnage  dont  feu  M.  de 
»  Lizieux  disait  :  Les  belles  choses 
■»  qu'il  donne  au  public  lui  coûtent 
»  si  cher  que,  si  j'étais  en  sa  place, 
»  je  choisirais  quelque  autre  em- 
»  ploi  pour  le  seivice  du  prochain , 
»  et  ne  croirais  pas  que  Dieu  désirai 
»  celui-là  de  moi.  »  On  a  quelque 
raison  de  dire  que  les  lecteurs  s'a- 
perçoivent aisément  que  les  produc- 
tions de  ce  fameux  écrivain  lui  coû- 
taient beaucoup.  Ils  n'ont  garde  de 
s'imaginer  qu'il  leur  serait  très-fa- 
cile d'écrire  comme  lui.  Ce  n  esl 
qu'en  lisant  un  auteur  dont  les  pen- 
sées et  les  paroles  ont  un  air  aisé 
que  l'on  se  figure  que  l'on  en  ferait 
bien  autant.  Mais  on  se  trouve  bien 
loin  de  son  compte  quand  on  en  vient 
à  l'essai  ;  on  apprend  alors  par  l'ex- 
périence qu'il  n'est  rien  de  plus  dif- 
ficile que  d'imiter  ce  qui  paraît  si 
facile. 

Ex  notojiclum  carmen  setjuar ,  ut  sibi  qui:it 
Sperel  idem,  sudet  mullum ,  frustraque  la- 

borel 
Ausns  idem  (39) 

Ce  jugement  d'Horace  est  conforme  à 
celui  qu'a  fait  Cicéron  ,  en  parlant 
d'une  espèce  d'orateurs.  Summissus 
estet humilis ,  consuetudinem imitans, 
ah  indisertis  re  plus  quant  opinions 
differens.  Itaque  eum    qui   audiunt, 

(38)  Costar,  Apolog. ,  pas;.  "i-r  l'oyez  aussi 
les  Pièce,  pour  In  défense  de  la  reine  mère  , 
tom.  I ,  paç.  m.  fol ,  l\~i  ,  oii  l'on  assure  que 
tout  ce  que  Balzac  pouvait  faire ,  était  «le  polir 
une  période  dans  un  jour  ,  elqu'd  perdait  un  four 
pour  logor  une  conjonction  ou  préposition, 

(3g)  Horat. ,  de  Arte  r""-'t- 1  M-  --'."< 


GUARINI. 

ouanwis  ipsi  infantes  sint  .  lumen  il/o 
modo  conftdunt  se  posse  dicere.  JVam 
orationis  subtilitas  imitabilis  quidem 
Ma  i'idetur  esse  existimanti ,  sed  >n- 
hil  est  sexperienti  minus  (fa).  Notez 
qu'il  y  eut  des  gens  qui  dirent  que 
les  orateurs  de  cette  espèce  étaient 
les  seuls  qu'on  pût  appeler  attaqués 
(40-  J'ajouterai  ici  qu'Ovide  est  un 
de  ces  poètes  inimitables  dont  l'imita- 
tion paraît  d'abord  la  plus  aisée  du 
monde  (4a). 

(4<>)  Cicer.  ,  in  Oratore,  folio  »ao,  C.  Voyez 
aussi  Isocrate,  in  Panalheiiaico. 

(40  Quem  solum  quidam  vocani  Atùcum.  Ci- 
cero  ,  ibidem. 

(4a)  Dictionern  Ovidii  qua  non  neinini  tan- 
q-.tatn  m  triviis  invenienda  vilescerel,  esse  ni- 
mir'um  ex  eo  génère  rerum  quas  omnes  inventant 
inventas.  Fam.  Slrada  ,  prolus.  VI,  lib.  II,  png. 
m.  38o. 

GUARINI  ou  GUARINIO 

(Guaeiv),  moine  théatin  ,  et 
mathématicien  du  duc  de  Savoie, 
était  de  Modène,  et  a  fleuri  au 
XVIIe.  siècle.  On  imprima  à  Pa- 
ris ses  Placita  philosophica  , 
l'an  1 666  ,  et  à  Milan ,  son  Cœ~ 
lestîs  mathematica  (  A  )  ,  l'an 
1 683.  Il  ne  vivait  plus  quand  ce 
dernier  livre  sortit  de  dessous  la 
presse  *. 

*  Une  lettre  de  Philelplie .  dont  Joly  cite 
un  fragment ,  apprend  que  Guarin  avait  en- 
seigné à  Venise 

(A)  On  imprima ses  Placita 

pbilosopbica et    son    Cœlestis 


GUÉBRIANT.  3*1 

(A) ,  et  sœur  de  René  du  Bec , 
qui  épousa  la  comtesse  de  Moret. 
maîtresse  de  Henri-le-Grand. 
Elle  avait  eu  un  frère  aîué  ,  qui 
fut  tué  en  Italie  par  des  bandits 
(B).  Elle  fut  chargée  de  mener 
au  roi  de  Pologne  la  princesse 
Marie  de  Gonzague  ,  qu'il  avait 
épousée  à  Paris  par  procureur,  et 
ou  la  revêtit  d'un  caractère  nou- 
veau (a),  ce  fut  celui  d'ambas- 
sadrice extraordinaire.  M.  le  La- 
boureur ,  dans  la  relation  de  ce 
voyage,  ne  paraît  pas  avoir  rap- 
porté sincèrement  l'issue  du  dé- 
mêlé de  l'ambassadeur  de  France 
(C)  ;  mais  d'ailleurs  M.  Wicque- 
fort  n'en  a  point  parlé  exactement 
(D),  et  y  a  mêlé  sans  raison  notre 
maréchale.  Elle  soutint  digne- 
ment son  caractère.  C'était  une 
femme  d'intrigue ,  et  douée  de 
fort  grandes  qualités  (E).  Sa  né- 
gociation de  Brisac  n'a  pas  été 
bien  narrée  par  M.  Priolo  (F). 
Ce  n'est  pas  la  seule  faute  qu'il 
ait  commise  par  rapport  à  cette 
dame.  Cela  peut  servir  à  la  pré- 
server de  quelques  mauvaissoup- 
çons  (G).  Il  ne  faut  pas  croire 
légèrement  tout  ce  que  Guy  Pa- 
tin a  dit  d'elle  (H).  Cela  nous 
fournit  une  remarque,    où  l'on 


mathematica.]  Chacun   de  ces   deux  verra  eQ  quei  temps  elle  mourut. 

ouvrages  est  in-folio.   Le  premier  est  n  j  i        »   „  ..„.„„.. 

&     i      i -,        i-      s       1,1  Un  verra  dans  une  autre  reinar- 
un  cours  de  philosophie  ,  dans  lequel  ..... 

l'auteur  s'étend   principalement   sur  que  1  erreur  d  un    e*  main  alle- 

la   physique,   et   s'écarte   beaucoup  mand  (I;  ,  qui    a    fait   des    notes 


des  sentimens  ordinaires  de  l'école. 
Vovez  le  Journal  des  Savans  du  29  de 
novembre  1666.  Quant  à  l'autre  ou- 
vràge ,  \t  renvoie  aux  A.cta  Erudi- 
torum  Lipsiensium  (1)  ceux  qui  ne 
Tout  pas. 

(1)  .1/oii  de  juin  1GS4,  pag.   a5(). 

GUÉBRIANT  (Renée  du  Bec  , 
maréchale  de)  ,  était  fille  de  Re- 
né du  Bec,   marquis  de  Yardes 


sur  Priolo.  Il  ne  faut  pas  oublier 
que  cette  dame  se  croyant  mésal- 
liée par  le  mariage  qu'on  lui  avait 
fait  contracter  avec  un  homme 
qui  avaitbeaucoupdebien  ,  tî t dé- 
clarer nul  son  engagement  (K) , 
et  se  maria  (b)  avec  le  comte  de 
Guébriant ,  cadet  d'une  ancienne 

(a)  Voyez  In  remarque  (E;  ,  citation    tb' 

(b)  L'an  lt>32. 


3i2  GUÉBRIANT. 

famille  de  Bretagne.  Elle  lui  fut  Un  gentilhomme  (c'était  apparem- 

fort  utile  pour  parvenir  au    bâ-  ment,le   consultant.)   était  aile  seul 

i              '  1     1 1  /t  \  dans  la  maison  d  un  paysan  pour  le 

ton  de  maréchal  (L).  rhâtier  .  le  paysan  ^  c^  ^  (,t 

mis  sous  lui,  et  avait  juré  de  lui  ôtef 

(A)  René  du  Bec,  marquis  de  T  ar-  la  uie  a  moins  qu>u  lld  promït  et  ju- 
des.]  Ajoutez  qu  il  était  chevalier  des  rAt  de  nes'en  ressentir  jamais  ni 
ordres  du  roi,  et  gouverneur  de  la  par  soi-même  ni  par  autrui  Cela  fut 
Capelle  et  du  pays  de  Thierache  ,  et  jnre'  par  ]e  gentilhomme,  et  il  vou- 
que  son  fils  ,  qui  épousa  la  comtesse  lait  savoir  s^i  devait  tenir  sa  paroie 
deMoret,eneutle  marquis  de  Vardes,  ail  paysan.  L'auteur  des  observations 
qui  a  ete  si  long-temps  disgracié  pour  ajoute  ,  qu'ils  allèrent  tout  d'une 
quelques  intrigues  qu'on  a  touchées  „'0,x  ;  dix  ou  douze  qu'ils  étaient ,  h 
dans  les  Amours  du  Palais-Royal,  f  affirmative  -,  avec  avertissement  pris 
Cette  disgrâce  n'a  pas  duré  jusqu'à  la  et  donné  pour  tous  ,  de  n'attaquer ja- 
mort  du  marquis  de  Vardes:  mais  mais  par  un  gentilhomme  telles  gens 
il  ne  s'en  fallut  qu'up  petit  nombre  qUe  sûrement;  et  fut  allégué,  pour- 
d'années.  Le  mari  de  la  comtesse  de  suit-il,  un  exemple  pareil  et  pire 
Moret  fut  gouverneur  de  la  Capelle ,  tout  frais  et  tout  nouveau  en  ce 
et  même  condamné  à  mort  par  con-  temps-là  d'un  certain  marquis,  etc.  . 
tumace,  comme  ayant  rendu  trop  c'est  l'aventure  que  je  viens  de  rap- 
tot  cette    place   aux  Espagnols,,  l'an  porter  concernant   le   frère  aîné   du 

i636(i).  Mais  il  fut  déclaré  innocent  marquis  de  Vardes.,  et  de  la  maré- 

par  un  arrêt  du  parlement  de  Paris,  CBale  de  Guébriant. 

après  la  mort  du  cardinal  de  Riche-  Les  circonstances  de  ce  narré  sont 

lleu-  fort  précises  ,   et  fort   propres    à  le 

(B)  Elle  avait  eu  un  frère  aîné,  faire  passer  pour  véritable  :  cepen- 
quifut  tué  en  Italie  par  des  bandits.]  dant  il  y  a  lieu  de  douter  du  fait  , 
On  l'assure  communément  dans  les  et  même  de  le  croire  faux  ,  quand 
livres  qui  contiennent  quelque  suite  on  pèse  d'autres  circonstances.  Nous 
généalogique  des  ancêtres  du  marquis  voyons  dans  le  Voyage  de  la  reine  de 
de  Vardes  (2).  Mais  dans  le  recueil  Pologne  ,  composé  par  M.  le  Labou- 
des  pièces  qui  sont  à  la  suite  du  jour-  reur  (4) ,  que  la  maréchale  de  Gué- 
ral  de  Henri III,  il  y  a  des  observa-  briant passant  par  Gênes,  fit  faire  un 
lions  sur  les  amours  de  Henri  IV,  où  tombeau  à  son  frère  ,  qui  avait  été 
l'on  assure  que  ce  frère  aîné  fut  tué  tué  parles  bandits  en  ce  pays-là.  Mais 
par  un  paysan ,  qu'il  avait  voulu  il  vaut  mieux  rapporter  tout  le  pas- 
battre  ,  et  que  son  père  ,  vénéra-  sage  de  M.  le  Laboureur;  il  contient 
hle  vieillard  riche  de  5o  ou  6n  mille  un  amas  de  circonstances  ,  qui  ôte 
livres  de  rente,  pour  cacher  cette  au  narré  de  l'assemblée  de  Saucour 
mort  fâcheuse ,  fit  partir  le  train  de  toute  sa  probabilité.  Cet  écrivain  dit 
son  fils,  après  sa  mort,  pour  prendre  donc,  après  avoir  observé  que  les 
le  chemin  de  Lyon  et  d'Italie ,  puis  princes  de  Monaco  et  les  seigneurs 
a  quelques  jours  de  la  se  fit  écrire  du  Bec-Crespin,  en  Normandie,  des- 
leltres  comme  quoi  il  était  mort  en  cendent  de  mêmes  ancêtres  ,  que 
chemin  de  mort  subite.  Celui  qui  c'est  ce  qui  invita  feu  messire  Jean 
rapporte  cela  le  fait  à  cette  occa-  du  Bec  marquis  de  la  Bosse  (5),  fils 
Mon.  11  dit  qu'un  gentilhomme  de  aîné  de  René  du  Bec  marquis  de  yar- 
Giiycmie,  nommé  Villeneuve  ,  marié  des  chevalier  des  ordres  du  roi,  pas- 
dans  le  Vexin  ,  assembla  plusieurs  saut  en  Italie  ,  l'an  1616 ,  d'aller  à 
gentilshommes  à  Saucour  (3)  près  de  Gènes  visiter  les  seigneurs  Grimaldi 
Gisors,en  l'année  1622, pour  avoir  leur  ses  parens ,  et  ayant  été  tué  en  chemin. 
avis  surle  cas  de  conscience  que  voici. 

(4)  Troisième  partie  ,  pag.  353. 

(5)  Moréri ,  article  de  Rce-Orcpin  ,  a  mis  une 
Ci)  Le  Mercure  Français r/e  l'an  iCSG  ,  ne  iap-  fol,  /„  /?,(,«<?,  au  lieu  de  ta  Bos.e.  Il  avait  tu 

f  elle  que  le  baron  du  nec.  ou  0((j  ,Jire   quelque  chose  de   l'autre  manière 

(?)  Voyez  le  père  Anselme,    font.    Il,   pag-  dont  on  conte  celte  mort,  comme  il  paraît  par 

•  '-><;.  Le  Laboureur,  Additions  aux  Mémoires  de  ces  paroles  :  D'autres  disent  <jue  des  paysans  de 

Castclnau  ,  lorn.  //,  pag.  5oo.  Normaudie  l'assommèrent  à  Bu  bvid  ;  ce  quifa^l 


(3)  Je  crois  qu'il  eûtfaUu  dire  Sanconr,  nnr  nouvelle  di<-< 


■site. 


GUÉBRIANT. 


3i3 


par  les   bandits ,  ils  eurent   soin  Je  revêtir    d'un    caractère   auquel  tous 

venger    sa    mort   par    une    justice  les   ambassadeurs  des  couronnes  cè- 

exemplaire ,  et  firent  mettre  son  corps  dent   le   haut   bout.  Mais  dans   Ver- 

en  dépôt  dans  l'église  de Saint-Frqn-  rata  ,    le  lecteur     est    averti    qu'il 

cois  ,  sépulture  cle  plusieurs  de  leur  faut   ôter  de  la  page  194  ,  oui  repré- 

maison,  oh  il  a   demeuré  jusques  en  sentait  la  personne  de  l'empereur.  Il 


l' année  1646 ,  que  madame  lu  ma 
réchale  de  Guébriant  sa  soeur,  et 
MM.  Grimaldi  l'ont  fait  transpor- 
ter a  Notre-Dame  de  la  Consola- 
tion, hors  de  Gènes,  où  l'on  lui  dressa 
un  tombeau  dont  je  fis  l'épilaphe. 

Se  pourra-t-on  bien  persuader  que 
la   comédie  ait  été  poussée  jusque 


est  étrange  qu'en  faisant  Y  errata  , 
on  ait  été  assez  négligent  pour 
ne  pas  marquer  la  faute  dans  les 
mêmes  termes  qu'elle  était  couchée. 
C'est  peu  de  chose  :  L'artifice  qu'on 
ne  peut  s'empêcher  de  voir  là-de- 
dans ,  quand  on  songe  que  presque 
personne  ne  s'informe  de  ce  qu'il  y 


là  ,    pour  cacher    1  avantage    qu'un    a  dans  un   errata  (7) ,   est  beaucoup 


paysan  aurait  remporte  sur  un  jeune 
marquis?  La  famille  aurait-elle  été 
déshonorée  parce  malheur?  et  n'y 
avait-il  point  d'autre  moyen  de  voi- 
ler la  chose  ,  que  de  recourir  aux 
bandits  de  delà  les  monts  ?  N'ac- 
coutumons point  les  gens  à  ajouter 
plus  de  foi  à  des  contes  de  conversa- 


moins  excusable.  On  fait  rayer  de  la 
même  page  194,  ce  qfu'on  y  avait  dit, 
que  le  nonce  ne  voulut  point  d'autre 
place  au  festin  nuptial,  qu'au-des- 
sous de  madame  ta  maréchale.  En 
tout  cas  ,  ces  deux  corrections  ne  pa- 
raîtront pas  bien  répondre  à  l'atten- 
te  où    l'on  avait    mis  le  lecteur  (8), 


tion  qu'à  des  monumens  historiques    par    la   censure  qu'on  avait  faite  des 


de  la  nature  de  ceux  que  M.  le  La- 
boureur rapporte  ;  cela  serait  de  mau- 
vais exemple  et  de  dangereuse  con- 
séquence. 

(C)  M.  le  Laboureur ne  pa- 
rait pas  avoir  rapporté  sincèrement 
l'issue  du  démêlé  de  l'ambassadeur 
de    France.  ]  Quelque    envie    qu'on 


gazettes  de  M.  Renaudot ,  et  d'une 
autre  relation  de  ce  festin  ,  et  par 
ces  paroles  :  l'on  s'en  croira  peut- 
être  mieux  à  moi  ,  que  la  reine  de 
Pologne  fit  appeler  pour  y  être  pré- 
sent ,  pour  les  rangs  et  pour  les  per- 
sonnes qui  mangèrent  a  la  table  de 
leurs  majestés.  Si  l'on  débita  tant  de 


ait   d'épargner  un  homme   d'autant  faussetés  parla  ville  de  Paris  ,  sur  des 

de  mérite  que  lui,  on  ne  peut  s'em-  choses  qui  concernaient  le  cérémo- 

pécher  de   dire  qu'il  n'a  point  parlé  niai,  quel  fond  pouvait-on  faire  sur 

rondement  de  la  dispute  de  l'ambas-  des   nouvelles    qui  concernaient  des 

sadeur  de  France,  et  qu'il  a  tâché  de  choses    plus    difliciles   à    connaître? 

répandre  des  ténèbres  sur  le  mauvais  La  multitude  de  ceux  qui  se  mêlent 

succès  de  ses  prétentions.  Après  avoir  d'envoyer   des   relations  produit  un 

rapporté  ,  dans  les  pages  1 37  et  i38,  chaos  épouvantable.  M.  le  Laboureur 

les  raisons  les  plus  solides  des  Polo-  dit    qu'ils   avaient  plusieurs  valets  , 

nais,   il  plante  là  son  lecteur,   sans  qui  se    mêlaient  d'en   écrire    chacun 

lui  apprendre  ni  ce  qu'on  3'  répliqua,  selon  leur  portée ,   et  que  le  boulan- 

ni  ce   qui  fut  enfin    résolu.   Dans  la  ger  en  faisait   une  ,  ou   il    était    sot- 


page  i5i,ilplaceà  table  M.  de  Brégi 
au-dessous  du  prince  Charles  (6)  , 
sans  dire  comment  ni  pourquoi  cet 


gneux  de  remarquer  particulièrement 
le  prix  et  la  bonté  des  farines  (9). 
(D)   .  .  .  M.  de  JVicquefort   n'en  a 


ambassadeur  avait  abandonné  ses  point  parlé  exactement.  \  L'ambas 
prétentions.  Dans  la  page  194  ,  il  le  sadeur,  dit-il  (10)  ,  qui  fit  difficulté 
place  encore  au-dessous ,  mais  en  de  céder  au  prince  héréditaire  de 
ajoutant  que  ce  prince  représentait  Suède  ,  frère  du  roi  de  Pologne  ,  et 
V  ambassadeur  extraordinaire  de  i  em- 
pereur. C'est  insinuer  adroitement , 
que  M.  de  Brégi  eut.  tout  l'avantage 
qu'il  pouvait  espérer  de  sa  dispute  , 
puisqu'on  recourut ,  en  faveur  du 
prince  Charles,   à   l'expédient  de  le 


(6)  Il  était  fi  ère  du  roi  de  Pologne. 


la  maréchale   de  Guébriant,  qui  pre- 

(-)  Voyez  quelque  chose  de  cette  nature  dans 
les  Nouvelles  île  la  République  des  Lettres,  mois 
de  juin.    i68(î,  article  III. 

(fi)  Pag.  ici. 

(q)  Là  même, 

(10)  Tr.iiic  Je  l'Ambassadeur ,  liv.  II ,  pag> 
nu  ?oo. 


GUÉBRIANT. 


oi4 

tendait  se  Jane  rendre  les  mêmes 
honneurs  qu'on  avait  autrefois  faits  a 
V archiduchesse  de  Tyrol ,  donnaient 
dans  une  impertinence  qui  n'est  pas 
pardonnable  ,  et  faisaient  recevoir 
un  affront  a  leur  maître.  L'ambassa- 
deur dont  il  veut  parler  est  celui 
qu'il  appelle  vicomte  de  Bre'gi,  dans 
la  page  5<p  du  Ier.  livre  ,  où  ,  après 
avoir  traite'  sa  prétention  d'assez  ex- 
travagante ,  il  ajoute,  que  celle  de  la 
maréchale  de  Guébriant  n'était  pas 
moins  ridicule ,  puis  qu'eZ/e  voulait 
qu'on  lui  donnât  le  même  7\ing  ,  et 
qu'on  lui  fit  les  mêmes  honneurs 
que  l'on  avait  faits  à  l'archiduchesse, 
lorsqu'elle  amena  la  reine  sa  fille  de 
Pologne.  Dans  la  table  on  a  mis  ,  en 
renvoyant  à  la  même  page  5g3  ,  que 
la  mare'chale  de  Guébriant  a  préten- 
du précéder  l'archiduchesse  ;  mais 
«:'est  ce  qu'on  ne  trouve  point  dans  que  le  roi  voulut  lui  dire  rendu  ,  pour 
l'endroit  cité.  témoigner   davantage   l'estime    qu'il 

Je  ne  veux  point  contredire  M.  de  faisait  de  cette  illustre  dame. 

Wicquefort  ,     sur   la    qualité   qu'il        (E)   C était  une  femme douée 

donne  à  ces  prétentions;  ce  n'est  pas  de  fort  grandes  qualités.  ]  Je  crois 
une  matière  de  fait.  Je  dis  seulement  que  pour  bien  juger  du  mérite  de  la 
qu'il  avance  sans   raison  ,  que  Brégi    maréchale    de    Gue'briant  ,    il    faut 


un  autre  endroit  (12)  l'auteur  nous 
apprend  que  le  roi  avait  déclaré  a 
tous  les  grands  du  royaume  ,  que 
son  intention  était  qu'elle  reçût  tous 
les  honneurs  qu'une  dame  de  sa  con- 
dition ,  et  de  la  qualité  présente 
qu'elle  portait,  pouvait  mériter,  et 
tout  pareils  a  ceux  qui  avaient  été 
rendus  a  l'archiduchesse  d'Inspruck  , 
sœur  du  grand- duc  de  Toscane  ,  qui 
avait  conduit  la  reine  défunte.  Il 
n'est  pas  besoin  après  cela  ,  pour  ré- 
futer M.  de  Wicquefort  ,  de  rappor- 
ter ce  passage  de  la  relation  (i3)  : 
Madame  la  maréchale  descendant 
l'escalier  du  palais  pour  aller  monter 
en  carrosse  (  1 4-)  »  l'êvéque  de  Posna- 
nie,  revêtu pontificalement ,  lui  donna 
sa  bénédiction.  C'est  un  honneur  qui 
ne  se  pratique  point  que  pour  les 
rois  ,   les   reines   et   les    souverains  , 


et  la  maréchale  de  Guébriant  firent 
recevoir  un  affront  a  leur  maître  ,  par 
les  prétentions  qu'ils  formèrent.  Ce- 
la u'est  vrai  tout  au  plus  que  par 
rapport  à  Brégi  ;  car  on  ne  voit  point 
dans  la  relation  de  M.  le  Laboureur , 
quelque  ample  qu'elle  soit ,  que  la 
maréchale  ait  rien  disputé.  On  y 
trouve  bien  (11)  que  la  contestation 
fut  très-longue  ,  et  a  deux  reprises  , 
a  l'égard  des  prétentions  de  l'am- 
bassadeur de  France;  mais  bien  loin 
qu'on  y  trouve  cette  dame  obligée  à 
disputer,  on  y  voit  au  contraire, 
que  le  jour  même  que  le  différent 
du  sieur  de  Brégi  commença  ,  la  rei- 
ne de  Pologne  pria  la  maréchale  de 
Guébriant  de  n'y  point  prendre  part , 
et  que  le  comte  cl' Honoff,  les  am- 
bassadeurs et  les  grands  de  Pologne, 
lui  témoignèrent  encore  que  l'on  lui 
garderait  les  honneurs  dus  a  sa 
charge  ,  non-seulement  d'ambassa- 
drice extraordinaire,  mais  de  sur- 
intendante  de  la  conduite  de  sa  ma- 
lesté  ,  selon  les  exemples  qu'ils  en 
avaient,  et  particulièrement  celui 
de  l'archiduchesse  d'Inspruck,  lors- 
qu'elle amena   la   reine  défunte    En 

[\t)  Pag,  1 3-;  de  la  ITC.  pari. 


prendre  le  milieu  entre  les  éloges 
que  M.  le  Laboureur  lui  donne  ,  et 
le  mal  que  d'autres  en  disent  ;  et  en 
tout  cas ,  lorsqu'on  songe  à  ses  em- 
plois ,  il  est  impossible  de  nier  qu'elle 
n'eût  beaucoup  d'esprit  ,  et  beau- 
coup de  ces  grands  talens  qui  font 
qu'une  dame  se  maintient  et  se  dis- 
tingue avec  avantage  dans  les  postes 
les  plus  érninens  de  la  cour.  Qu'on 
médise  tant  qu'on  voudra  de  ceux 
qui  donnent  les  charges,  qu'on  les 
accuse  tant  qu'on  voudra  de  consul- 
ter peu  le  mérite  ,  on  ne  persuadera 
jamais  aux  gens  de  bon  sens  ,  que  la 
reine  -  mère  et  le  cardinal  Mazarin 
eussent  choisi  cette  maréchale  ,  pour 
surintendante  de  la  conduite  de  la 
reine  de  Pologne  (1 5) ,  et  pour  ambas- 
sadrice extraordinaire  ,  si  on  ne  l'a- 
vait jugée  propre  à  faire  honneur  à 
la  France  dans  la  cour  de  Pologne  , 
et  à  soutenir  la  nouveauté  de  ce  ca- 


(12)  Pag.  2o3  de  la  /te.  part. 

(i3)  Pag.  3  île  la  IIIe.  part. 

(i4)  Celait  le  jour  quelle  pardi  de  Pologne. 

(i5)  Louise  Marie  de  Gonzague,  fille  d'un 
duc  de  Nevers  qui  le  devint  de  Mantoue,  ma- 
rir'e  avec  Uladisla*  IV ,  roi  de  Pologne,  en 
1645.   Vàyet   les  mémoires   de  Marollcs ,  pag. 


GUEBRIANT. 


3i5 


ractère  (16) ,  avec  tout  l'esprit ,  toute  par  tant  de  services  et  de  glorieux 
la  prudence,  et  toute  la  grandeur  travaux ,  que  le  roi  n'a  pas  seulement 
qu'il  demandait.  Les  lettres  qui  lui  satisfait  aux  suffrages  de  tous  ses  su- 
ffirent e'erites  par  le  roi,  par  la  reine-  jets  ,  mais  encore  aux  vœux  et  a  l'es- 
mère  et  par  le  cardinal,  lorsqu'elle  lime  de  tons  les  pays,  ou  son  méri- 
fut  nomme'e  à  cette  charge ,  et  celles  le  u  éclaté  pendant  son  ambassade 
que  le  roi  de  Pologne  e'erivit  au  roi  extraordinaire  ,  pour  la  conduite  de 
et   à  la  reine-mère,  lorsqu'elle  s'en  la  reine  de  Pologne  en  ses  étals  ,  pal 


retourna  à  Paris,  s'accordent  à  lui 
donner  de  grands  éloges  ,  et  il  est 
sur  qu'elle  s'acquitta  de  cet  emploi 
en  habile  femme.  Vous  trouverez 
ces  lettres  dans  la  relation  de  M.  le 
Laboureur. 

Je  l'ai  déjà  dit ,  il  faut  rabattre 
quelque  chose  des  louanges  qu'il  lui 
a  donne'es  :  il  lui  semble  que  leurs 
majestés  très  -  chrétiennes  suivirent 
dedans  ce  choix  les  mouvemens  et  les 
inspirations  de  tous  les  Français  ,  et 
particulièrement  encore  des  princi- 
paux de  la  cour.  Il  dit  que  la  chose 
était  publique  avant  qu'elle  fit  réso- 
lue ,  et  que  personne  ne  le  savait 
moins  que  ceux  qui  le  devaient  sa- 
voir ;  que  cette  illustre  veuve  menait 
une  vie  retirée  ;  que  tous  les  jours  son 
mari  ressuscitait  en  sa  mémoire  , 
pour  mourir  en  son  cœur  qui  en  fai- 
sait un  nouveau  deuil  ;  que  tous  les 


lu  récompense  de  la  charge  de  dame 
d'honneur  de  la  reine  future.  11  y  a 
là,  sans  doute  ,  un  peu  trop  de  rhéto- 
rique ,  et  de  pensées  poétiques,  et 
surtout  pour  un  homme  qui  ,  en 
tant  d'endroits  de  ses  Additions  à 
Castelnau  ,  a  parlé  bien  hardiment 
contre  les  abus  du  siècle,  et  dont  les 
coups  sont  fort  semblables  à  ceux  du 
comte  de  Lude ,  dont  il  dit  que , 
quoiqu'il  tirât  de  loin  sur  le  gouver- 
nement ,  tons  ses  coups  n'étaient  pas 
perdus,  qu'il  y  en  mail  qui  portaient 
quelquefois  ,  et  qui  blessaient  a  ou- 
trance. C'est  dans  la  page  767  de  ses 
Additions  qu'il  a  parlé  de  la  sorte. 
Nous  entendrons  ci-dessous  M.  Pa- 
tin, qui  ne  témoigne  pas  que  les 
vœux  de  tous  les  Français  destinas- 
sent cette  héroïne  a  de  grands  hon- 
neurs ;  et  je  viens  de  lire  dans  un 
historien  moderne  ,  qu'elle  avait  une 


jours    elle  lui   immolait    quelqu'une    ambition    déréglée   ,   et    que    ce    fut 


de  ses  passions  ;  que  celle  des  em- 
plois de  la  cour,  et  la  cour  menu; 
était  morte  en  elle;  enfin  qu'elle  n'ac- 
cepta la  charge  ,  que  parce  qu'elle  ne 
pouvait  pas  ne  pas  obéir  aux  ordres 
du  souverain  ,  après  les  obligations 
qu'elle  lui  avait  pour  tant  de  bien- 
faits ,  et  singulièrement  pour  les  hon- 
neurs funèbres  qu'il  avait  fait  ren- 


cette  passion  qui  procura  des  funé- 
railles magnifiques  au  maréchal  de 
Guébriant.  Guebriantii  exsequiœ  non 
vulgari  pompa  celebratœ .  Corpus  il- 
latum  Fano  Deiparœ  f^irginis  ,  qui 
honos  infrequens  non  tam  concessus 
viri  meritis  ,  quàm  uxoris  Renatœ 
Behiœ  flagitatione  extorlus  ;  fœminu 
impotens ,  gloriœ  potiiis  quàm  lucttîs 


dre  au  maréchal  son  mari.  C'est  ain-  immodica  justa   marito  persoluta   in 

si  qu'il  parle  dans  la  première  partie  sut  ostentationem  trahere  (17V  Fran- 

desa  relation,  à  la  page  9.  11  dit  dans  chement  ,  je  ne  crois  pas  qu'elle  ait 

le   IIe.   tome    de   ses   Additions   aux  accepté    l'ambassade    extraordinaire 


Mémoires  de  Castelnau  ,  page  499  -, 
c\u  elle  a  continué  la  réputation  et  la 
mémoire  du  maréchal  de  Guébriant , 


(16)  Bex  nique  regina  mater  renalam  Duhe- 
eam  Vardiam  midierem  viduam  génère  aiqur 
probitaie  insignem  ,  unit  cum  sponxî  in  Polo- 
niarn  ire  jussére ,  quœ  hanc  vice  sud  Vlad'ulao 
régi  Iraderel ,  Dubecam.  eii  causé  novo  ,  ut 
opinor,  exempta  alque  apud  omîtes  Renies  inau- 
ililo  legati,  se'u  si  fut  ni  ilicerc  legalie  tilnlo 
ornavére  Labardaeu's  (M.  de  la  Bardé  1  Hist  de 
Reb.  gatlic  ,  Ub.  III,  pag.  l'fi.  1. a  maréchale 
de.  Guébriant  a  été.  la  première  dame ,  e:  la- 
seule  ,  si  je  ne  me  trompe  ,  qui  ait  eu  la  qualité 
d'ambassadrice  de  son  chef,  et  elle  pourrait 
bien  cire  la  demie,-.  Wicquel'ort ,  liv.  I  de 
i'Amb. ,  pag.  j5. 


jpte 
de  Pologne  en  vertu  de  sainte  obé- 
dience, et  que  cet  emploi  ait  prévenu 
ses  désirs  et  ses  sollicitations.  Il  faut 
se  défier  de  l'art  oratoire  d'un  hom- 
me qui  loue. 

(F)  Sa  négociation  de  Brisac  n'a 
pas  été  bien  narrée  par  M.  Priolo.  ] 
Cet  historien  (18)  raconte  une  cln>-: 
qui  n'est  pas  trop  honorable  à  cet  le 
dame.  Il  dit.  que  durant  les  derniers 
troubles  ,  Charlevois  ,  qui  avait  com- 
mandé dans  Brisac,  se  brouilla  avec 

(1-)  Benjamin.  Priolus  ,  (/.•   Rebug  goU.  Hist. 
Ub.  II,  cap.  VI .  pag.  m.  ,'ji.    | 
!i8)  De  Reb.  gall-  ,  Uh.  FUI 


3i6 


GUEBRIANT. 


le  gouverneur  que  la  cour  y  mit 
(  c'était  M.  de  Tilladet  )  ,  et  qu'il 
poussa  si  bien  sa  pointe,  que  le  gou- 
verneur fut  obligé  de  lui  quitter  la 
partie  ;  qu'alors  la  maréchale  de  Gué- 
briant,  soit  par  avarice,  soit  par 
ambition  ,  se  fit  de  fête,  et  voulant 
se  faire  à  la  cour  un  grand  mérite  de 
la  conservation  de  cette  importante 
place  ,  noua  une  intrigue  pour  per- 
dre Charlcvois  ;  qu'elle  se  rendit  à 
Brisac  ,  accompagnée  d'une  fille  qu'il 
aimait ,  et  que  comme  il  eut  l'impru- 
dence de  sortir  de  la  forteresse  pour 
voir  cette  fille  (19)  ,  il  fut  pris  et 
amené  prisonnier  à  Philipsbourg.  Que 
ce  manège  attira  sur  la  maréchale 
une  grêle  d'injures,  qui  l'obligea  à 
se  retirer  à  Bâle  le  plus  vite  qu'elle 
put  ,  et  que  Charlevois  s'entendit 
avec  le  comte  d'Harcourt ,  mécon- 
tent du  gouvernement ,  et  fit  sa  paix 
à  des  conditions  avantageuses  :  de 
sorte  que  la  dame  se  vit  haïe  des 
deux  côtés,  et  en  mourut  de  cha- 
grin (io): 

On  voit  là  un  exemple  de  ce  qui 
arrive  presque  toujours  à  ceux  qui 

donnent   des  abréeés ;    ils    omettent 

1     •  °  1 

plusieurs  circonstances  ,  sans  les- 
quelles un  fait  n'est  qu'une  petite 
niasse  brute  et  informe ,  comme  l'é- 
prouvent ceux  qui  ,  après  l'avoir  lu 
dans  une  histoire  étendue ,  compa- 
rent l'idée  qu'ils  en  ont  avec  celle 
qu'un  abrégé  leur  en  donnait.  Ceux 
qui  liront,  dans  l'histoire  de  M.  de  la 
Barde,  cette  intrigue  de  la  mai'échale 
de  Guébriant,  feront  une  épreuve  de 
ce  que  je  dis.  Mais  laissant  à  part  les 
omissions  de  Priolo ,  il  est  certain 
qu'il  y  a  deux  faussetés  dans  sa  nar- 
ration. 

La  première  consiste  à  dire  que 
Charlevois  sortit  de  Brisac  ,  pour  voir 
la  maîtresse  que  la  maréchale  lui 
amenait.  Rien  de  plus  faux  :  il  n'a- 
vait que  faire  d'en  sortir  pour  la 
voir,  puisqu'elle  y  était  à  la  suite  de 
.madame  de  Guébriant.  C'est  d'ail- 
leurs  un  embarras  pour  le  lecteur, 
que  de  voir  que  cette  dame  soit  à 
Brisac  ,   et  que  la  maîtresse  de  Char- 

r\Ç))  Imponit  hamo  escam  quam  sciebat  appe- 
tilurum  Charlovoium  :  puella  amata  illiciuin 
fuit,  cui  invisendœ  miser  arce.  exil.  Idem,  lib. 
FUI,  cap.  VI II. 

(20)  Guehrianlia  utrimque  exosa  ,  tced'.o  et 
marore  vilain  inquiétant  finivil. 


levois  ,  par  le  moyen  de  laquelle  on 
veut  le  prendre  comme  à  la  glu  ,  ne 
soit  pas  auprès  de  la  dame  qui  con- 
duit l'intrigue ,  et  qui  se  sert  si  bien 
des  ruses  de  Catherine  de  Médicis 
(21).  Il  est  certain  qu'elle  y  était ,  et 
que  l'artifice  qu'on  employa  pour 
attirer  Charlevois  dans  l'embuscade  , 
fut  de  l'accoutumer  à  s'aller  prome- 
ner en  carrosse  loin  de  la  ville  avec 
madame  de  Guébriant ,  accompagnée 
de  la  maîtresse  en  question.  Mais  le 
jour  de  la  capture ,  la  maréchale  ,  qui 
voulait  être  dans  Brisac  lorsque  la 
première  nouvelle  y  arriverait ,  sup- 
posa je  ne  sais  quelle  affaire  ,  qui 
l'empêchait  d'être  de  la  promenade  , 
et  voulut  néanmoins  que  toute  la 
troupe  qui  la  devait  suivre  s'allât 
promener.  La  seconde  fausseté  re- 
garde la  mort  de  cette  dame.  M.  Prio- 
lo la  fait  mouTir  de  chagrin  ,  dans 
un  temps  où  la  guerre  civile  n'était 
pas  encore  terminée  ;  mais  il  est  sûr 
(22)  qu'elle  ne  se  déconcerta  point 
pour  le  mauvais  succès  de  son  entre- 
prise de  Brissac  et  qu'elle  continua 
ses  intrigues  à  Bâle  même  ,  et  se 
remplit  la  tête  de  vastes  desseins  , 
pour  se  faire  valoir  auprès  de  la 
reine  -  mère  et  auprès  du  cardinal 
Mazarin  :  en  un  mot ,  qu'elle  n'est 
morte  qu'en  1659,  après  avoir  fait 
une  si  grande  figure  à  la  cour  ,  qu'elle 
devait  être  première  dame  d'honneur 
de  la  reine  Marie- Thérèse.  Com- 
ment est- ce  qu'un  historien  comme 
M.  Priolo,  qui  avait  eu  assez  d'habi- 
tudes avec  le  grand  monde  pour  en 
bien  savoir  la  carte  ,  et  qui  n'a  pu- 
blié son  livre  que  peu  d'années  après 
la  mort  de  cette  dame  ,  a  pu  si  mal 
placer  sa  mort  ,  qu'il  lui  a  ôté  cinq 
ou  six  années  d'une  éclatante  prospé- 
rité ?  C'est  peut-être  lui  avoir  rendu 
un  bon  office. 

M.  de  la  Barde  observe  que  cette 
dame ,  non  contente  de  l'emploi  d'am- 
bassadrice qu'elle  avait  eu,  souhaita 
comme  quelque  chose  d'un  plus 
grand   relief,  de  s'engager  dans  une 

(21)  L'histoire  remarque  qu'elle  se  servait  de 
la  beauté  de  ses  filles  d'honneur,  pour  faire 
donner  les  grands  dans  le  panneau  selon  ses 
besoins.  Sa  fille  l'imitait  en  cela.  VvjezMéie- 
rai ,  sous  Van  1579,  a  l'occasion  de  la  Guerre 
des  Amoureux. 

(22)  Labardreus,  Hillor.  de  Reb.  gall.,  lib 
X  ,  pag.  7^7  ,  ad  ann.  iG52. 


GUEBRIANT.  3i7 

intrigue   de  guerre  (23).    On  disait  sud  magnitudine peccandi  licentiam 

même   qu'elle   aspira    au   gouverne-  metiuntur,  Gallium  oninem  in  sum- 

ment  de  Brisac,  et  à  posséder  les  ter-  muni    discrimen  vocavêre  ,  etc.  (  26  ) 

l'es   que  le   roi  a  en  Alsace.  Elle  se  Pour    mieux    comprendre    combien 

serait  payée  des  sommes    que  le  roi  cette  maréchale  est  obligée  à  l'histo- 

lui   devait  ,    et    aurait    formé    dans  rien    qui  la  tire  de  la  bande  de    ces 

cette  frontière  un  petit  état.  Eâ  tetit-  quatre    dûmes  ,    il   faut  se   souvenir 

pestate  vulgatum.  Dubecam  non  mo-  qu'il  les  représente  comme   stériles 

do  Biisiacum  expeterc  sibi ,  cui pree-  ('27),  et  mesurant  à  leur  grandeur  la 

fecta  esset  ,  sed  et  prœdia  quœ  rex  in  licence    de    pécber  ;    se    repaissant 

Alsatid  possitht  omiiia,  quibus  bute  toujours  de  grandes  idées  5  s'attachant 

permissis    œre   se    alieno    liberaret  ,  en  secret  au  cardinal  par  l'entremise 

quo  satis  grandi   Dubecce  obstrtetus  de  leurs  galans  ,  et  se   trahissant   les 

erat   :   ita    mulier  nihil    niai  ingens  unes  les  autres;  de  sorte   que  cette 

animo    l'uh'crc    so/ita  ,    sibi   speciem  émiiicnce    n'était    point    le  juge    de 

principalûs  aliquam  in  hdc  <tb  auld  trois  ,   mais   de    quatre  déesses   co- 

remotd  regione  fingebat  (2^).  quettes.  Sic  Mazarinus  nontrium, 

(G)  Cela  peut.,  lu  priser ver  de  quel-  sed  quatuor  dearum  libidinanlium 
que  s  mauvais  soupçons.'}  Je  viens  de  judex  fuit.  Pendant  que  celles-là 
dire  que  peut-être  on  lui  a  rendu  un  étaient  dans  ses  intérêts,  d'autres 
bon  office.  Le  bon  office  ,  au  cas  qu'il  lui  étaient  fort  contraires  ,  et  ne 
fut  réduit  là,  consisterait  en  ce  que  trouvaient  rien  qui  leur  coûtât 
si  l'auteur  n'avait  point  représenté  la  trop,  pourvu  qu'elles  se  poussassent 
maréchale  de  Guébriantcomme morte  dans  le  secret  des  intrigues.  Elles  y 
avant  la  fin  des  troubles,  il  aurait  fait  payaient  de  leur  personne  (28)  ,  et 
soupçonnera  plusieurs  de  ses  lecteurs,  cela  est  presque  inévitable  à  celles 
qu'elle  était  l'une  des  quatre  femmes  qui  se  veulent  mêler  de  guerres  ci- 
dont  il  parle  très  -  désavantageuse-  viles.  Elles  ont  besoin  de  la  confi- 
ment.  Il  dit  que  ce  furent  quatre  fem-  dence  des  chefs  de  parti ,  il  leur  im- 
mes  qui  allumèrent  le  guerre  civile  porte  que  ces  messieurs  leur  prêtent 
par  toute  la  France  ;  qu'elles  avaient  le  secours  de  leur  épée  et  de  leur 
plus  d'esprit  que  de  vertu  .  et  que  ,  politique;  mais  ils  ne  font  rien  pour 
n'ayant  pas  réussi  dans  leurs  pro-  rien  ,  et  leur  galanterie  sait  bien  pro- 
jets ,  elles  firent  les  dévotes  et  se  fiter  de  l'occasion.  Les  engagemens 
mirent  en  religion  ;  ce  qui  est  ordi-  qu'elles  contractent  deviennent  tôt 
naire  ,  dit-il,  quand  le  miroir  fait  ou  tard  des  obligations  au  corps, 
connaître  qu'on  n'est  plus  en  état  de  dont  l'on  ne  s'acquitte  que  sur  ce 
bien  tenir  sa  partie  dans  le  monde,  pied-là.  On  ne  donne  point  le  chan- 
Tunc  quatuor ,  non  quidein  absurdœ  ge  aux  créanciers;  ils  exécutent  sur 
ingenio  ,  sed  quœ  plus  moribus  nu-  l'hypothèque.  Telle  est  la  condition 
cebant  qu'uni  ingenio  pivderant ,  om-  d'une  dame  qui  vent  être  directrice 

nem  Galliain  commiserunt Ipsœ  des    révolutions   d'état.    M.    de   Tu- 

posteh  improsperis  ,  ut  fit ,  rébus  se  renne ,  avec  toute  sa  sagesse  ,  ne  put 

prœdamnantes    Numini  fidem    obli-  surmonter,  dit-on  ,  l'impétuosité  du 

garant  per  religionis  mendaeem  si-  torrent  ;   il  voulut  lui   aussi   qu'on 

mnlationem  et  fucosd  superstitione  ;  reconnût  par  le  service  personnel  ce 

effœtis  vitiis  januâ  clausd,  ciim,  spe-  qu'il  faisait  pour  la  fronde.    J'avais 

culo  damnante  ,    se   putris  senectus  cru  que  c'était  peut-être  la  première 

preecisâ    ejus    sententid    leformidat  et  la  dernière  fois  que  l'on  eût  causé 

(25).  Ad  arbitrium  quatuor  fœmina-  de  ses   galanteries;   mais  j'ai    appris 

rum    nostra   diù    recta,    lllœ   neque  d'une  personne  qui  le  pouvait  bien 

regno   neque  sibi  felicis    uteri  dam  savoir,  qu'il  se  mêlait  assez  souvent 

,„„    j  „  ,■                          ,          ,           ,  de  ce   métier-là.    L'àsre   de  la  maré- 

(23)  Legali...   personam    susttnueiat  ,    quod  •      .         2        n      ,,     .          °     ,            A    . 
tametsi  ainplum  ipsi ,  magnifi^umque  visum  ,  la-  cnale     de    luicbriant    n  empêcherait 
men    magis   supra    fœminam    esse    videbatur , 

quidpiam  quod   a<ï mililiam  pertiuer  t  .  altin-  (jC>)  Idem,  lib.  /'///,  num.  10. 

gère  ,  cujus  sibi  facultalem  dan  in  Charlevosii  (27)  rnrCz  laf.n  de  cette  remarque, 

negolio  est  arbitrata.  Laba.  J.  ,  f../;r   ''  1  (»8J  Par,  <iu    copiant  facere  ut   auto;  arca- 

(24)  Idem  ,  ibidem.  num   quodlibet    rimareniur.    Prioto  ,   lib.    II . 
f?5)fno\  ,Ub   If    num    j3  num.  \  . 


3i8 


GUÉBRIANT. 


pas  tous  les  lecteurs  de  la  prendre 
pour  l'une  des  quatre  ,  si  l'on  n'y 
avait  beaucoup  mieux  remédie  de  la 
façon  que  j'ai  dit ,  que  par  les  ca- 
ractères qu'on  leur  donne  ,  dont  il 
n'y  a  que  quelques-uns  qui  ne  lui 
conviennent  pas  :  l'âge  ,  dis-je  ,  n'y 
ferait  rien  ;  car  ,  pour  ne  pas  remon- 
ter à  Aspasie  et  à  Lamie  ,  ni  même 
à  la  duchesse  de  Valentinois  ,  ne 
voyons-nous  pas  dans  le  même  temps 
à  peu  près  dont  M.  Priolo  parle,  une 
duchesse  assez  avance'e  en  âge  (29) 
qui  ne  laissait  pas  de  faire  de  gran- 
des conquêtes  en  amour?  M.  de  la 
Barde  que  je  cite  s'accorde  avec 
M.  Priolo  sur  ce  point ,  savoir  ,  que 
les  femmes  se  mêlèrent  extrêmement 
du  gouvernail  pendant  les  orages  de 
la  dernière  minorité'.  L'auteur  des 
Pensées  sur  les  Comètes  auraitpu  ajou- 
ter cette  citation  à  celles  de  son  arti- 
cle CCXXXVI  ,  et  non-seulement  cel- 
le-là ,  mais  une  infinité  d'autres  sem- 
blables que  l'on  trouve  dans  les  livres. 

Notez  ,  je  vous  prie  ,  que  quand 
j'ai  dit  que  l'historien  a  représenté 
comme  stériles  les  quatre  dames  dont 
le  crédit  était  si  grand  ,  je  n'ai  en- 
tendu cela  que  par  rapport  à  la  plu- 
part des  lecteurs  ;  car  ceux  qui  sa- 
vent que  ces  paroles  de  M.  Priolo , 
neque  regno  ,  neque  sibi  felicis  uteri, 
sont  une  allusion  à  une  chose  que 
Paterculus  a  dite  de  Julie  ,  fille  d'Au- 
guste (3o) ,  ne  les  prendront  pas  pour 
une  marque  de  stérilité. 

(H)  //  ne  faut  pas  croire  légère- 
ment tout  ce  que  Guy  Patin  a  dit 
d'elle.  \  Voici  deux  passages  de  ses 
Lettres.  Madame  la  maréchale  de 
Guébriant ,  dit-il  dans  un  lettre  du  9 
septembre  i65g,  est  morte  (3i)à  Péri- 

(29)  Iluic  irai  noverca  Maria  Avaucuria 
(d'Avaugour)  quam  Hercules  Kohanus  Momba- 
sonus  paler  dudum  uxorem  duxeral  exitnid pèi' 
adoleicciuiam  pulchritudine  ;  tanlaque  vis  boni 
in  ipsd  eral  forma  ut  ne  liane  quidem  œtas 
exlingueiel ,  i/uo  fiebal  uti  midti  domum  ejus 
freijurnlarent  inttlieris  amore  capli ,  atque  inter 
hos  I/enricus  Guisius  vire  Lolkaringtcà*  génie 
princeps.  frais  ffenricus  Aurelius  Longavdla 
apud  Ftanc  mullus  j'uerat  frequensaue.  L;ibar- 
dams,  ïtb.  II,  pag.  72,  ad  ami    »t»44 

(30)  Voici  ce  que  dit  Paterculus-,  lib.  II , 
cap.  XCIII,  Filiam  Caésariis  luliain —  IVuii- 
nam  nrque  sibi  neque  reip.  feticis  uleri, 

(3i)  £e  père  Anselme  Bistoire  des  grands  Of- 
ficiers, lom.  II,  pag.626,  et  aprèi  lui,  If  Dii 
liminaire  de  Moreri,  à  l'article  du  maréchal  de 
Guébriant  ,  mettent  la  mort  au  2  septembre 
'''•")■ 


gueux  :  elle  n'a  été  malade  que  treize 
heures  ,  et  est  morte  sans  confession. 
Elle  était  le  partisan  de  ce  pays-la  ; 
elle  y  est  fort  maudite.  Dix  jours 
après  il  en  parla  en  cette  manière  : 
Il  est  venu  des  nouvelles  que  la  ma- 
réchale de  Guébriant  est  morte  h  la 
suite  de  la  cour.  Elle  était  tante  du 
marquis  de  tardes,  et  n'a  jamais  eu 
d'enfans.  Je  pense  que  la  succession 
en  est  bonne.  Elle  est  morte  en  quatre 
jours  ,  el  sans  confession.  On  peut 
dire  d'elle  ce  que  dit  Erasme  ,  en 
raillant ,  d'un  cordelier  qui  mourut 
subitement ,  obiitsiue  crux,  sine  lux, 
sine  Deus  (*).  On  dit  qu'elle  devait 
beaucoup  ;  mais  en  récompense  la 
reine  lui  doit  ^0,000  pis  tôle  s  ,  quelle 
lui  prêta  durant  le  siège  de  Paris. 

Comme  il  y  a  dans  les  Lettres  de 
M.  Patin  beaucoup  de  nouvelles  qu'il 
ramassait  en  faisant  la  ronde  de  ses 
malades  (32) ,  je  ne  voudrais  pas  faire 
fond  sur  tout  ce  que  je  viens  d'em- 
prunter de  lui.  Je  croirais  volontiers 
que  cette  dame  se  mêlait  dans  les 
partis  ,  et  que  la  dépense  excessive 
qu'elle  se  plaisait  de  faire,  et  son  gé- 
nie qui  aimait  l'occupation  ,  la  tour- 
naient vers  cette  source  de  gain  ,  et 
qu'ainsi  elle  se  faisait  maudire  dans 
les  lieux  où  elle  exerçait  son  savoir- 
faire  ;  mais  je  ne  pense  pas  que  ce 
fût  dans  le  Périgord  (33).  Son  heure 
l'y  surprit  sans  doute  ,  lorsqu'elle  ne 
faisait  qu'y  passer,  pendant  le  voyage 
de  la  cour  en  Guyenne,  dans  le  temps 
qu'elle  espérait  de  prendre  bientôt 
possession  de  la  dignité  de  première 
dame  d'honneur  de  la  reine  ;  car  on 
ne  doutait  plus  alors  du  mariage  du 
roi  avec  l'infante  d'Espagne. 

Si  l'on  réimprime  les  Lettres  de  ce 
docteur,  on  fera  bien  d'y  ajouter  des 
notes  rectifiantes ,  et  un    bon  indice 

(*)  Ce  mot  se  trouve  dans  les  Facéties  de  Bé- 
bélius  ,  au  feuillet  56  de  l'édition  de  i542.  Et 
Luther  Ta  aussi  employé  dans  ses  Propos  de  Ta- 
ble ,  toui.  1  ,  au  feuillet  86.  Omnes  ,  dit-il  d'un 
bon  nombre  de  ses  adversaires  ,  mortui  sunt  sine 
crux,  et  sine  lux.  Rem.  ciut.  [  Leduchat  re- 
marque que  ce  mot  est  originairement  du  Jour' 
nul  de  Bttrchard  ,  année  i^q'i  ;  mais  sans  le  so- 
lécisme  qui  en  fait  la  plaisanterie] 

(32)  Voyelle  Ménagiana  ,  pag.  279  de  la  pre- 
miire  édition  de  Hollande. 

(33)  Notez  que  depuis  que  ceci  a  été  imprimé 
dans  le  Projet  ,  j'ai  vu  le  procès  verbal  des 
obsèques  du  maréchal  de  Guébriant  ,  (  cité  par 
le  I  abourïur,  dans  /'Histoire  de  ce  maréchal,) 
où  il  est  nommé  comte  de  Guébriant  et  de  Péri- 
gueux, 


GUÈBRIAM.  3i9 

alphabétique.  Mais  ne  quittons  pas  du  roi  de  Pologne  les  mêmes  lion- 
son  ouvrage  sans  tirer  de  l'une  des  neurs  que  l'archiduchesse  d'Autrii  lu- 
lettres  déjà  citées  quelque  chose  qui  y  avait  reçus,  quand  elle  y  avait 
concerne  la  famille  de  Guebriant.  11  amené  sa  fille  ,  fiancée  «n  roi.  il  cite 
dit  que  la  comtesse  de  Moret,  maî-  M.  de  Wicqnefort  ,  au  IIe.  livre  de 
tresse  de  Henri  IV,  est  célèbre  dans  V Ambassadeur  ,  sect.  VIII,  page  1 34 - 
V  Euphormion  de  Bardai,  sous  le  Mais  outre  qu'il  fallait  citer  la  page 
nom  de  Casina  ;  que  c'est  a  l'endroit  aoo,  et  non  pas  la  1 34  ,  il  fallait  citer 
oh  elle  fut  mariée  au  comte  de  Cési  aussi  la  page  5g4  du  Ier.  livre  ,  où 
Sancy ,  qui  depuis  fut  envoyé  ambas-  celte  archiduchesse  est  qualifiée  mère 
sadeur  a  Conslantinople ,  et  que  là  de  la  reine  de  Pologne  qu'elle  ame- 
5e  voit  la  description  d'un  contrai  de  nait.  Ils  se  (rompent  tous  doux  muant 
mariage  d'un  homme  qui  veut  bien  à  cette  qualité  de  l'archiduchesse  : 
être  cocu  ,  et  qui  promet  et  s'oblige  car  elle  n'était  point  la  rnèrfl  de  la 
à  le  souffrir  ;  qu'environ  l'an  1618  ,  fiancée  qu'elle  amenait  au  roi  de  Po- 
elle  se  remaria  au  marquis  de  /tir-  logne.  Cette  fiance'e  était  fille  t\<- 
des,  fils  du  bon  homme  gouverneur  l'empereur  Ferdinand  II,  et  sœur  de 
de  la  Chapelle,  etc.  Il  fallait  dire  la  l'empereur  Ferdinand  III  :  c'aurait 
Capclle  (34)  ;  ce  gouvernement  a  été'  donc  été  l'impératrice ,  et  non  Par- 
aussi  possédé  par  celui  qui  épousa  la  chiduchesse  d'Autriche  ,  qui  aurait 
comtesse  de  Moret.  On  pouvait  ajou-  conduit  la  reine  de  Pologne  ,  s'il  était 
ter  que  Henri  IV  stipula  du  comte  vrai  que  cette  reine  eût  été  conduite 
de  Cési  ,  qu'il  quitterait  cette  com-  par  sa  mère.  D'ailleurs  ,  pour  être 
tesse  dès  le  soir  des  noces ,  et  que  tout-à-fait  exact ,  il  fallait  dire  Far- 
cela  fut  exécuté  (35).  U JEuphormion  chiduchesse  d'Inspruck  ,  et  non  pas 
ne  fait  point  promettre  cela  ;  mais  il  l'archiduchesse  d'Autriche.  Enfin  iq 
fait  promettre,  par  contrat,  qu'on  remarque  que  M.  le  Laboureur  n'in- 
ne  toucherait  point  l'épouse.  Cette  sinue  point  que  la  maréchale  ait. 
particularité  ne  devait  point  être  ou-  exigé  cette  égalité  d'honneurs  :  il  dit 
bliée  par  M.  Patin.  Au  reste ,  celui  simplement  que  le  roi  de  Pologne 
qui  a  donné  la  clef  de  VEuphormion  voulut  qu'elle  l'obtînt;  mais  ceci  est 
(36)  se  trompe  ,  de  prendre  pour  le  plus  l'affaire  de  M.  de  Wicquefort 
comte  de  Moret ,  VOty.mpion  qui  se  que  celle  du  professeur  de  Leipsic. 
soumit  à  ces  conditions  de  mariage.  Voyez  ce  que  j'en  ai  dit  dans  la  re- 

(I)  On  verra —  l' erreur  d' un  écri-  marque  (D). 
vain  allemand.}  L'Histoire  de  M.  Prio-  (K)  Elle  fit  déclarer  nul  son  en- 
lo  fut  réimprimée  à  Leipsic  ,  pour  la  gagement.  ]  Rien  n'est  plus  propre 
seconde  fois,  l'an  1C86.  On  y  joignit  que  cela  à  faire  connaître  son  ambi- 
des  notes  d'un  professeur  nommé  tion.  Le  comte  de  Guebriant  promet- 
Franckenstein  ,  qui  à  la  vérité  ne  tait  beaucoup,  on  l'estimait  beau- 
sont  pas  exemptes  de  fautes  ,  mais  qui  coup  à  la  cour ,  et  son  talent  pour  la 
néanmoins  sentent  un  homme  assez  guerre  lui  répondait  des  plus  grandes 
bien  instruit  pour  un  étranger.  Ce  charges.  Notre  Renée  du  Bec  trouva 
professeur  ,  ayant  dit  que  Priolo  ac-  U  son  homme  :  elle  prévit  qu'il  s'a- 
cuse  souvent  de  trop  d'ambition  la  vancerait  (38) ,  et  qu'elle  aurait  lieu- 
maréchale  de  Guebriant  (37),  ajoute  de  s'intriguer  pendant  qu'il  cominan- 
qu'elle  en  donna  une  preuve  sigua-  derait  les  armées  ;  ainsi,  sans  avoir 
lée,    lorsqu'elle  demanda  à   la   cour  égard  qu'il   n'était  point  riche,  elle 

,,,,_.    ....  .,    _       „      .       „     .  le  voulut  épouser,  et  pour  cela   elle 

(341  IHoreri  lia  ainsi  la  Chapelle,  dans  larli-     s»  (if  r  onvu-iop    AI     Ao  1-,    P. -J 

de  de  Du  liée  uemauei .  in.  de  la  carde   nous 

(35)  Histoire  des  Amours  d'Alcandre  ,  num.  rac',T,tei'a  «-C  fait  en  bon  latin,  ffœi 
70.  Les  noies  disent  afie  ce  comte  Rappelait    muiier    animo    supra    sexum    valida 

Philippe.'   de  Harlai  ,  et   qti'd  mourut  au  mois 

de  mai  1632  ,   dçr  de  soixante-onze  ans.  roo\  r>         j  j 

(36)  Voye,  Pétition  de  Lerde,  „pud  Hackium,  ,„  Ve.uïTjZaufaZit  ''d"'"0"'',  *?*"*' 
i(W.  m-so  ,  ,?"'  c  **«""»"  rlus  de  contentement 
lb™  ;    7       ,  '  .                    .                             .            .         <l»M<-  connaissait  sa  noblesse ,    et  qd'dU  pre- 

ty)  Je  n  ai  remarque    celle   accusation  qu  en  voyait   que    ses    grandes  qualité'*    l'étèveraienl 

deux  endroits,  dont  l  Indice  des  matières  ,    fait  bientôt  aux  premières  charges  de  l'A  il    Le  I  a- 

par  le  sieur  sTraaclenmem,  quoi-jue  fort  ample,  boureur  ,    Histoire   ,l„   maréchal   de  Guebriant 

ne  marque  que  l  ur  li*.  t ,  ckap    VU,paS    .- 


320 


GUESCLIN. 


est 


„,cui  uidelicelnec  prima,  nec  mag- 
na 'usquè  fuit  ,  sicuti  vulgo  inulie- 
rum   solet  ,  rei  familiaris  cura  : 


pn- 

sicuti 


Guesclin  était  Breton,  et  il  ren- 
dit des  services  très-iinportans  à 
la  France  durant  la  prison  du 
roi  Jean  ,  et  sous  le  règne  de 
Charles  V.  Étant  passé  en  Espa- 
gne au  secours  de  Henri ,  roi  de 
,...,.«.  ,    7i~......    .„.■.„. „ — 

amplioris    rei,    cnjus    ralionem  ,     ut 

ferè  fit ,  filiam  collocando  parentes  traordinaires.  Il  repassa  en  bran- 
ce  lorsque  la  couronne  eut  été 
assurée  à  Henri ,  par  la  mort  de 
don  Pédro-le-Cruel ,  son  compé- 
titeur ,  et  il  s'employa  avec  un 
succès   admirable    à    reprendre 


if 

mas ,    quia    imparem 

rebatur,  tdrum   nacta  erat ,  nuptias 

dedignata  est  ,    atque    infirmas  esse 

contenait  ,     maluitque   se    I.     Budœ 

Guebriani     uirtutis ,    quhm^alterii^    ^^    .^  fifc   ^    ^^   ^ 


'habûerant  ,  sociam  esse.  Ex  Ma 

cum,  atque   ex   glorid    viri  postillii 

multis  rébus  prœclarè  gestis  celeber- 

rimi  cammunicatd  ita  çrevêre  mulieri 

animi,    uti    magna  ,    atque    insolita 

moliretur  (3g). 

(L)  Elle  fut  fort  utile  a  son  mari  sur  ies  Anglais  plusieurs  pays.  Il 

pour  parvenir   au    bâton    de   mare-  t    pan    l3H         à    l'âge    de 

chal.\  Nous  venons  de  voir  que  ,  se-        .  .  .    °    ... 

Ion  M.   de  la  Barde  ,    ce  n'était  pas  soixante-six   ans  ou  environ  (b). 

une   femme   qui,   à  l'imitation   des  C'était  un  petit  homme  fort  laid 

personnes  de   son  sexe ,   prît  grand  ^).  Consultez  sa  vie  publiée  par 
soin  de  son   ménage  :    elle  aimait  a  Châtelel  (B). 

négocier  a  la  cour.    M.  le  Laboureur  \    '  .. 

observe  (40),  qu'il  peut  parler  coin-         Elle  est  meilleure    que    celle 

me    témoin    des    soins    non- pareils  qui  avait  été  imprimée  l'an  161  8, 

qu'elle  a  pris  pour  solliciter  les  né-  en  très-vieux  gaulois  ,   et  de  la- 
cessités  de  l'armée  de  son  mari  au-  .  .-apporterai  un  endroit 

près  des  ministres;  et  je  puis  assurer ,  T.  .  J  rx  .  .  , 

ajoute-t-il,   que  la  dignité  de  mare-  fort  singulier ,  qui  a  servi  a  quel- 

chale    de   France    lui    appartient    a  ques     controversistes     (C)     pour 

double  titre  ,  par  participation  de  son  prouver  que  les  laïques    ont   eu 

^aH',e\P^^P^Âu^±^éntée  le    droit    d'administrer    les   sa- 

cremens  flans  certains  cas  de  né- 


dans  le  bon  succès  de  ses  armes. 


(3y)  Labardœus  ,  de  Reb.  gall.,  lib.  IX,pag. 
619  ,  ad  ann.  i65i. 

(4«)  Histoire  du  maréchal  de  Cuébriant  , 
pag.  12. 

GUESCL1N(«)  (Bertranddu), 
connétable  de  France  ,  a  été  un 
des  plus  grands  capitaines  de  son 
siècle.  Il  ne  faut  pas  néanmoins 
croire  tout  ce  que  les  vieilles  chro- 
niques disent  de  lui  ;  car  les  au- 
teurs de  cette  espèce  d'ouvrages 
n'étaient  pas  encore  guéris  de  la 
maladie  qui  a  produit  les  his- 
toires de  Roland  ,  d'Ogier-le-Da- 
nois ,  et   semblables.    Notre  du 

(a)  On  trouve  dam  les  livres  français  ce 
nom  écrit  en  quatorze  façons.  Guide»  Iiudo- 
♦icus  Longolius,  in  GeneatogiâLongoliorum, 
apud  Menagium,  in  Vitâ  Pctri  £rodii  , 
pag.  6, 


cessite. 

(b)  Le  père  Anselme,  Histoire  des  grands 
Officiers  ,  pag.  3j. 

(A)  C'était  un  petit  homme  fort 
laid.  ]  «  La  petite  taille  ,  jointe  à  la 
»  laideur  de  Bertrand  du  Guesclin  , 
»  ne  l'empêchèrent  pas  d'être  conné- 
»  table  de  France  ,  et  ne  le  firent  ja- 
j)  mais  moins  estimer.  L'on  a  dit,  au 
u  contraire  ,  en  sa  faveur ,  que  la 
»  nature  semblait  l'avoir  rendu  tel  , 
»  de  crainte  qu'il  eût  quelque  chose 
»  de  commun  avec  les  femmes.  Et, 
»  s'il  eût  consumé  toutes  ses  matinées 
i>  à  se  coiffer  d'une  perruque ,  lui 
»  qui  n'était  pas  né  coiffé,  il  n'eût 
»  jamais  mérité  la  lampe  inextingui- 
»  ble  ,  ni  la  sépulture  que  le  roi ,  son 
»  maître  ,  lui  fit  donner  à  ses  pieds 
»  dans  Saint-Denis  (1).  » 

(0  La  Motlie  U-Vaycr  ,  lcltre  CXIY  ,  tom. 
XII,  pag.  i5. 


GUÉVARA. 


321 


(B)  Consultez  sa  Vie ,  pub/ire  par  »  dirent  mainte  oroison  en  depriant 
Itf.  du  Chdtelet.]  Me'nard  publia  une  »  à  Dieu  qu'il  les  gardast  de  mort  , 
ancienne  histoire  de  ce  héros,  l'an  »  de  mahaing  et  de  prison.  »  Gro^us 
1618,  laquelle  avait  e'te'  compose'e  se  servit  du  même  passage,  dans  une 
dès  l'an  1^875  mais  ce  n'est  point  à  dissertation  qui  fut  imprimée  l'an 
celle-là  qu'il  faut  renvoyer  le  lecteur,  i638  ,  de  Cœnœ  Administratione  ubi 
c'est  à  celle  dont  le  Journal  des  Sa-  Pastores  non  sunt.  Voyez  la  Biblio- 
vans,  du  ai  juin  1666  ,  a  donné  l'ex-  théque  Universelle,  à  la  page  1 1 5  et 
trait.  Elle   avait  été   publiée    depuis  116  du  4e-  tome. 

peu    à    Paris  ,   in-folio  ,    par    mes-       ■  .    ■_■     .      j    .    •  u  •     j   n-       uu 

J.        „       !.»..'        .   J  1        />i  *      1  miche  loi-nieme  de  trou  brins  rie  ble  en  herbe, 

Sire    Paul  Ha»  ,  seigneur  du     Ulâtclet  au  nom  des  trois  personnes  rie  la  très-sainte  Tri- 

(2)  :    elle  est  rédigée  en  un  meilleur  "\té.  A  Meti ,  ou  ce  vieux  mot  s'est  conservé, 

Ordre  que  l'attire;    le    discours   en  est  q^'l  un  enfant  s'est  laissé  escroquer  sa  beurrée, 

'  ,,  ,  ,  on  dit  qu  il  s  est  laisse  eneommtchrr  sa  marande. 

incomparablement  plus  pur  et  plus  rem.  c,iT. 

élégant  ,   et  elle   est   encore  enrichie 

de  quantité  de  preuves  (3) .  GUEVARA  (ANTOINE    DE), 

(C)  Je  rapporterai  un  endroit  fort  prédicateur  et  historiographe  de 
singulier  qui  a  servi  aux  fontrow  Charles-Quint  ,  était  né  dans  la 
sistes.  Lisez  ces  paroles  de  M.  Dre-  .  j>A1  ,  1-  ,, 
lincourt  (4)  :  «  En  nos  histoires  de  province  d  Alaba,  en  Espagne.  Il 
)>  France  (*'),  nous  avons  un  exemple  fut  élevé  à  la  cour  ;  mais  ,  après 
«  bien  notable  de  cette  communion  la  mort  de  la  reine  Isabelle  de 
»  laïque,  et  une  preuve  bien  claire  Castille,il  se  fit  moine  dans  l'or- 
»  qu  elle  a  ete  longuement  en  usage.  ,        ,      '  _          .        . 

„  Car  Bertrand  du  Guesclin  ,  eonné-  dre  des    tranciscains ,    et   y    eut 

«  table  de  France,  qui  a  vécu  sous  des  emplois  fort  honorables.  En- 

»  le  règne  de  Jean  et  Charles  V  ,  rois  suite  ,  s'étant  fait  connaître  à  la 

»   de  France  ,  décrivant  la  bataille  de  cour     y  fut  j^  p^dica- 

«  rontvahn,  en  laquelle  il  remporta  j    r>i       1       r\    •  1 

»  une  célèbre  victoire  sur  les  Anglais,  teur  de  Charles-Quint ,  et  il  se  fi  t 

»  nous  apprend  que  ses  soldats,  avant  extrêmement  considérer  par  sa 

»  que  de  venir  aux  mains,  se  confes-  politesse,   par  son  éloquence  et 
»  sèrent  l'un  l'autre,  et  s'entre-don-  QQ  {t  (    }>    jj    d        { 

«  nerent  la  communion.  Mais  il  vaut  l  j       1        1    ■ 

>,  mieux  que  je  représente  cette  his-  contenter    de    la  gloire    que    sa 

»  toire  par  les  paroles  mêmes  de  l'au-  langue  lui  acquérait  ;  car,  s'étant 

»  teur,  et  au  langage  du  siècle  que  voulu  mêler  d'écrire  des  livres, 

„  cela  est  arrivé    Et  en  ic elle  place  y  ge    ren(jit  rldicule  -      des 

»  *e  desjunerent  de  pain    et   de    vin  ,  .  ci 

»  qu'ils  avoyent  apporté  avec  eux.  bons  connaisseurs,  bon  style  ani- 

»  Et   prenoyent   les  aucuns   d'iceux  poule  ,  figuré,  plein  d'antithèses 

»  du  pain  ,   et  le  seignoyent  au  nom  (A.)  ,  n'est  pas  le  plus  grand  dé- 

,,  du   sainct  sacrement.  Et    après  ce  f      t  de  se$  ouvrageS-    Un    1Dau_ 
»  qu  ils  estoyent  confessez  l  un  a  l  au-         .  .  ~  0  ,,, 

»  tre  de  leurs  péchiez,  le  usoyent  en  vais  goût ,  une  fausse  idée  d  elo- 

w  lieu  d'escommichement  (*J).  Apres  quence    l'entraînèrent    dans     ce 

Us  Uttres  précipice  ;  et  ce  fut  un  petit 
malheur  en  comparaison  de  l'ex- 
travagance avec  laquelle  il  osa 
manier  l'histoire  (B).  lien  vio- 
la les  lois  les  plus  sacréestet  1rs 
plus  fondamentales,  avec  une 
audace  qui  mérite  toute  l'indi- 
gnation des    lecteurs  ;    et    il    fit 


(7)    C'est  ainsi  qu'il  faut  expliquer 
P.  H.  et  D.  C. ,  qui  sont  au  titre. 

(3)  Journal  des  Savans  ,  du  21  de  juin  1666. 

(4)  Drelincourt,  Triomphe  de  l'Eglise  ,  II'. 
part. ,  pag.  3ao  ,  3ii. 

("')  Cette  Histoire  de  messire  Bertrand  de 
Guesclin  ,  connét.  de  France  ,  a  été  imprimée 
à  Paris  ,  chez  Sébastien  Cramoisi ,  l'an  161 8. 

(*a)  Le  vrai  mot  est  accommichemenl ,  mot 
qui,  selon  Borel  ,  se  trouve  dans  Froissard,  et 
qui  vient  à'adeommunicare.  On  trouve  des  traces 
de  ces  communions  beaucoup  plus  anciennes  en- 
core ,  dans  nos  vieux  romans,  entrr;  autres  ,  au 
cli.  3G  de  Galien  restauré,  ou  Rolland,  blessé  à 
mort  et  couché  dans  un  champ  de  blé  ,  s'esevm- 

TOME    Vil. 


(a)  Nicol     Antonius  . 
liispan  ,  loi».  I ,  pug-  j 


Bibliotli.    scri 


ptor. 


21 


322 

voir  que  jamais  homme  ne   fut 
aussi  indigne  que  lui  du  caractè- 
re de  chroniqueur  de   Charles- 
Quiut,dont  on   l'avait  revêtu 
L'excuse  qu'il  allégua  ,  quand  i 


GUEVARA. 

sil  vernaculo  sermone ,  in  quo  affec- 
tasse uimium  schemata  visus  ,  pompa 
<]wi<laiu  lumens,  et  anlitlielis  putidè 
nimiàm  iteratis  lectorem  enecat:  quiti 
et  ut  poëtœ  uerbis  utur, 

Projicil  ampullas  et  sesquipedalla  verba  (i), 

se  vit  censuré  (G) ,  est  très-mau-  Nous  allons  voir  que  le  jugement  de 
vaise  :  il  prétendit  qu'hormis  la  Matamore,  auteur  espagnol,  n'est  pas 
,,    .    x      û      •*  t       .        i  plus  avantageux  a  Guevara  que  celui 

Sainte-Ecriture  ,  toutes  les  au-  dl|  jésuite  flamand.  Je  le  rapporte 
très  histoires  sont  trop  incerlai-  après  Nicolas  Antonio ,  qui  parle  ainsi 
nes(D)  pour  mériter  que  l'on  y  (2)  :  «  Quantunwis  stylus  hominis 
ajoute  foi.  Il  vit  à  la  suite  de 
l'empereur,  son  maître,  une  bon- 
ne partie  de  l'Europe  (b)  ,  et  fut 
fait  évêque  deGuadix,  au  royau- 
me de  Grenade  ,  et  puis  évêque 
deMondonédo,  dans  la  Galice  (c). 
Il  mourut  le  10  d'avril  1 544  » 
après  avoir  possédé  quelques  an- 
nées cette  dignité  (d).  C'est  une 
chimère  que  de  dire  qu'il  a  été 
béatifié  par  la  cour  de  fiome(E). 
On  ne  saurait  assez  admirer  l'em- 
pressement que  les  étrangers  ont 
€u  de  traduire  en  diverses  lan- 
gues quelques-uns  de  ses  ouvra- 
ges (F).  Je  donnerai,  dans  une  re- 
marque, la  liste  de  ses  écrits  (G). 
J'ai  des  additions  à  faire  à 
ce  que  j'ai  dit  de  son  Horloge 
des  Princes  (H) ,  et  je  montrerai 
que  si  les  Français  sont  blâma- 
bles d'avoir  fait  beaucoup  de  cas 
d'un  pareil  livre  ,  les  Espagnols, 
qui  l'ontencore  plus  estimé,  sont 
plus  dignes  de  risée. 

(fi)  Kicol.  Antonius  ,  Bibliotk.  scriptor 
liispan  ,  iom.  I ,  pag.  g8. 

(c  Vankelius  .  prœfat.  vcrsionis  Horolog. 
Piincipuru  ,  ne  sachant  pas  que  Guévara  a 
eu  ces  deux  évêchés  ,  n'a  su  comment  accor- 
der ceux  qui  le  nomment  évêque  de  Guadix, 
et  ceux  qui  le  nomment  évêque  de  Mondo- 
nédoj 

(il)  Quà  dignitate  nfiqnat  unnis  "esta 
oliiit.  Nie.  Anton.,  Bibliotli.  hispan. ,  loin 
1 1  PaS-  9&-  Moréri  a  donc  tort  de  dire  que 
Guévara  en  jouit  peu  de  temps. 

(A)  Son  style  ampoule',  figure  , 
plein  d'antithèses...]  Voici  le  jugement 
qu'en  a  fait  un  docte  jésuiie  :  Scrip' 


»  non  usquequaque  pïaceal ,  neque 
»  in  gymnasio  rhetorum  solidam  re- 
)>  portaient  eloquentiœ  laudem.  Cuni 
»  prœcipuè  Alphonso  Garsiœ,  Mata- 
»  moro  et  Andréas  Scoto  (  qualis  ju- 
»  dicii  et  doclrinœ  vins  !  )  affeclata 
■»  nimiàm  ab  eo  anlithelorum  sihi  mu- 
»  tuo  respondentium  perpétua  cura 
»  displiceat  maxime.  Horum  etiim 
»  prior  Matamorus  in  de  academiis 
»  et  doctis  viris  Hispanise  Libella  in- 
)>  genuè  existimat  virum  fuisse  mirai 
»  facuudiae  et  incredibilis  ubertatis 
»  natune ,  sed  omnium  rerum  mo- 
«  menta  (ait)  quod  poè'tis  objecit 
)>  Persius  ,  raris  librat  in  antitnetis 
»  doctas  posuisse  figuras  laudari  con- 
»  tentus.  Fulgurat  interdum  et  tonat, 
»  sed  non  totam  (  ut  olim  Pericles 
»  Atbeniensis  )  dicendo  commovet 
m  civitatem  ,  ut  dum  nibil  vult,  nisi 
»  culte  et  splendidè  dicere  ,  sa;pè  in- 
»  cidit  in  ea  quae  derisum  effugere 
»  non  possunt.  Qui  si  illam  (  subjun- 
»  git  )  extra  ripas  effluentem  verbo- 
»  rum  copiam  artificio  dicendi  re- 
»  pressisset ,  et  gravioruni  artium 
»  instrumento  locupleUlsset ,  dubito 
»  quidem  an  parem  in  eo  eloquentia; 
»  génère  in  Hispaniâ"  esset  inventu- 
»  rus.  »  C'est  en  vain  ,  et  par  un 
aveugle  entêtement  ,  que  Waddin- 
gus  (3)  accuse  d'envie  le  père  Schot- 
tus. 

(B)  U extravagance  avec  laquelle 
il  osa  manier  l'histoire.  J  La  licence 
qu'il  se  donna  de  falsifier  tout  ce 
que  bon  lui  semblait  ,  et  de  débiter 
comme  des  faits  véritables  ,  ce  qui 
n'était  que  les  inventions  de  son  cer- 
veau creux ,    approche  de  celle  des 

(i)  Audi-.  Schottns,  fiibliotb.  liispan.,  p.  a5o. 

(a)  Nie.  Antonius ,  Bibliotli.  scriptor.  liisp. 
Iom.  I ,  pag.  t)8. 

(3)  Cordelier  irlandais  ,  dans  son  livre  de 
Seriptoribus  Ordiuis  Mioorum,  apud  Nicol.  An- 
ton,    ii/id. 


GUÉVARA. 


323 


faiseurs  de  romans.  Ceux-ci  ne  trom- 
pent personne  ;  car  ils  ne  demandent 
pas  qu'on  prenne  pour  vrai  tout  ce 
qu'ils  débitent;  ils  n'aspirent  qu'à  la 
gloire  de  faire  approuver  leurs  fic- 
tions ,  comme  des  choses  ingénieuse- 
ment forgées;  mais  pour  Guévara, 
il  prétendait  que  l'on  prît  pour  des 
narrés  historiques  ,  et  puisés  dans  de 
bonnes  sources  ,  ce  qu'il  avançait. 
C'était  donc  un  empoisonneur  public 
et  un  séducteur;  et,  dans  le  tribu- 
nal de  la  république  des  lettres,  il 
méritait  le  châtiment  des  profanes  et 
des  sacrilèges,  car  il  violait  ce  qu'il 
y  a  de  plus  sacré  dans  l'art  histori- 
que. Nicolas  Antonio  est  trop  indul- 
gent. Illud,  dit-il  (4),  commisera- 
tione  potius  quant  excusalio/ie  indiget, 
talis  famœ  uirum  putdsse  lioere  stbi 
adinventiones  proprii  ingenit  pro  an- 
tiquorum proponeve  et  commendare  , 
fœtus  suos  aliis  supponcre  ,  ac  deni- 
que de uniuersd omnium  teniporum  his- 
torid  ,  tanquam  de  JEsopi  fabulis  , 
porlentosisve  Luciani  narralionibus 
ludere.  Voyez  ,  dans  l'article  Rca  , 
tom.  XII,  toute  l'étendue  de  ses 
fourberies  :  j'en  touche  aussi  quelque 
chose  en  d'autres  endroits  (5). 

(C)  //  5e  vit  censuré.  ]  Pierre  Rua , 
professeur  à  Soria ,  ne  laissa  point 
impunie  l'audace  de  cet  auteur.  11 
écrivit  très-  fortement  contre  lui , 
comme  on  le  verra  dans  son  article. 
Voici  le  jugement  qu'a  fait  Vossius 
de  la  prétendue  Vie  de  Marc  Aurèle 
composée  par  Guévara  :  fila  Ma 
M.  Aurelii  Antonini ,  quœ  ab  An- 
tonio Guet'ard  ,  Mendonensi  episco- 
o ,  et  Cœsari  Carolo  V  à  consiliis  , 
hispanicè  édita  est  ,  edque  è  lingud 
in  allias  pcrmultas  translata  fuit  , 
nihil  Antonini  habet  ;  sed  tota  est 
supposititia  ,  ac  genuinus  Guei'arœ 
ipsius  fœtus  ;  qui  turpiter  os  oblevit 
lectori ,  plané  contra  officium  homi- 
nis  candidi,  maxime  episcopi.  Habet 
intérim  plurima  lectu  nec  inutilia 
nec  injucunda  :  imprimis  viro  prin- 
cipi  :  undè  et  Horologium  Piincipum 
insefibitur  (6) .  Je  cite  en  note  Martin 

(4)  Biblintli.  bispan.  ,  loin.  I ,  pag.  99. 

(5)  Dans  les  articles  Lais  ,  remarque  (U)  ;  et 
I.àMie,  courtisane,  remarque  (\S) ,  t.  IX.C'esttui 
qui  est  l'auteur  des  fables  que  Brantôme  de'bile 
dans  V article  de  la  seconde  Flora,  remarque 
(Y)  ,  tom.  VI,  pag.  4g3. 

{6)  Vossius  ,  de  Hist.  grœcis ,  pag.  226. 


<;, 


Schoockius  (7) ,  qui  a  bien  connu  les 
défauts  de  cet  Espagnol  ;  mais  comme 
il  se  fonde  sur  l'autorité  de  Rupert  , 
il  ne  sera  pas  inutile  de  citer  ici  un 
peu  plus  au  long  les  paroles  de  ce  sa- 
vant Allemand  (8).  Eandem  quoque 
imposturam  notdram  in  eodem  Gué- 
vara ,  quem  ob  id  tan  ta  imperatoris 
sui,  tanld  nostrorum  hominum  bene- 
volentid  prorsus  indignum  studiosœ 
juventitus  manibus  excussum  ibam. 
Hefert  lib.  I  Horologii  Principum  , 
c.  1  ,  gentem  apud  Romanos  fuisse 
Clavillam  mag/to  in  honore  quœ  se 
originem  ducere  glorietur  à  Camillo 
dueum  liomanorum  celeberrimo  ,  fi- 
ns ex  ed  Camillos  ,  Feminas  Clavil- 
las  dictas  in  memoriam  filice  Camillœ, 
quœ  abkorrens  nuptias  in  virginum 
veslalium  numerum  cooptari  uolue- 
rit.  Mortuatn  divinis  honoribus  cul- 
tam  ,  ejusque  monumento  inscriptos 
fuisse  hos  versiculos  : 

Unica  sub  tumulo  jacel  boc   Clavilla  Cauiilli 
Nala,  quater  denos  et  sex  qua:  maluit  annos 
V iveie  vestales  inler   conctusa  sorores, 
Magno  Trinacria?  quam  nubere  libéra  régi. 
Quàm  miserum  !    extincla:    nunc  artus   rodere 

vermes , 
Artus  qui  vitam  puri  effulsere  per  omnem. 

Hoc  epitaphium  addit  è  graeco  trans- 
latum  esse  ,  et  paulo  post  ,  mulia 
refertde  Camillorum  prœrogativis ,  de 
persecutionibus  eorundem  sub  Sy  lia  , 
quœ  omnia  putida  ,  vana  et  fa/sa  , 
nec  cuiqitam  historicorum  veterum 
tradita ,  quamvis  ille  Cinnam  et  Pol- 
lionem  laudet  scriptores  quos  tôt  anni 
et  profunda  seculorum  oblivio  ferè 
cogitationibus  hominum  et  memoriœ  , 
nedum  oculis  exemit.  Je  n'ai  rien 
voulu  retrancher  de  ce  long  passage  , 
parce  qu'il  fournit  un  échantillon  par 
lequel  on  pourra  juger  plus  sûrement 
de  l'effronterie  de  Guévara  ,  que  par 
tout  ce  que  j'en  ai  dit  en  général.  Le 
docte  Antonius  Augustinus  a  fort  bien 
décrit  les  défauts  du  personnage.  An- 
tonius Guévara ,  dit-il  (9)  ,  qui  scire 

(?)  Quod  speciatira  quoque  de  Guevarâ....  vo- 
cato  etiam  ad  suffragium  Keioesio....  docet  Cl. 
Ruperlus  ad  Floium  lib.  2,  cap.  17,  §  17.  quo 
loco,  ubi  spécimen  imposlurarum  ipsius  propo- 
suisset,  hftrc  subjicit  :  Taceo  innumeras  alias 
fraudes,  quibus  mendacioruin  auctori  slrenuè 
lilat,  et  id  maxime  agit ,  ne  ab  hispanied  va- 
nilate  desciscere  videalur.  Martinus  Schoockius, 
de  Fabula  Hamelensi  ,  pag.  87. 

(8)  Ruprrt.  ad  Floium,  lib.  II ,  cap.  XVII, 
§  17- 

(9)  Anton.  August. ,  diat.  X,  pag.  m.  i5a. 
Voyez  aussi  pag.  i5g. 


S24  GUÉVARA. 

a-ntiqua  Romanasque  Historias  fin-  les  principes  de  Guévara.  Cujus  rei 
git  eaque  comminiscitur  quœ  nec  etiam  nomine  doctissimus  die  theolo- 
visa  nec  audita  tnorlalibus  ,  nemo  ut  gicorum  locorum  scriptor  libri  se- 
divinave  queat  in  quos  Me  libros  inci-  candi  sexto  capite  in  Guépard  hoc  , 
derit.  Nova  itaqae  nomina  scripto-  indignant  eo  ,  ac  dignitate  ejus  ,  sive 
rum  excogitavit ,  somniaque  l'enditat  judiciam  ,  sive  ,  quod  magis  credere 
obtruiliiquequce apudnullumreperias    est,  ingenii    luxuriantis    licentiam  , 

acri ,  quod  decuit ,  oratione  invehitur. 
P rœsertim  ciim  chronographi  munus 
regio  benejicio  apud  Carolum  exer- 


auctorem. 

(D)  Il  prétendit  qae les his- 
toires sont  trop  incertaines.]  Il  se  ser- 
vit de  cette  excuse ,  quand  il  se  vit 
poussé  à  bout  par  le  docte  Pierre 
Rua .  jideb  in  lubrico  esse  omnent  ve- 
terum  faclorum  ftdent   causabalur , 


ceret ,  neutiquam  debuit  eam  qua  or- 
nabalur  historiarum  professionem  sic 
deprimere  ,  ut  proprid  confessions 
sibi  ipsi  quoque   et  monumentis    suis 


ut  non  aliis  diceret   quant  Savrorum  fident  apud  posteros   derogaret  (12) 

Bibliorum     Histoiiis    prœstamlam  :  Les  Nouvelles  de  la  République  des 

nempe  hoc    velamenti   genus    sibi   a  Lettres   (i3)   ont  parle'  d'un   certain 

tant  parant  cequo   de  prœstantissimâ  triumvirat,  auquel   Guévara  mérite- 

arte  judicio  lune  quœsivit,  vum  è  So-  rait  d'être  associé.  Ce  triumvirat  est 

riensis  Scholœ   cathedra  vir  eximiœ  composé  ,   i°.  du  père  Morin  ,  qui  , 

eruditionis   Petrus  Rua  eunt  de  fide  trois   ans  après    la   prise  de  la  Ro- 

in  historiis prœstandd  non  semel  datis  chelle  ,  soutenait  encore  qu'elle  n'a- 

admonuit  expostulatoriis  litteris  (10).  fait  pas   été  prise,    et   que  tous  les 

C'était  une  pauvre  excuse  ;  c'était  se  bruits  qui  en  avaient  été  publies  n'é- 

couvrir  de  feuilles  de  figuier  dans  sa  taienl  qu'un  roman;  2°.  d'un  fameux 

■   °    -  -  -_   _.  j__-.._i-i-  •_•__.-__   • _.._  j:_  _ 


nudité  :  car  quand  même  le  pyrrho- 
nisme  historique  serait  aussi  bien 
fondé  que  quelques-uns  le  préten- 
dent ,  il  ne  serait  pas  permis  à  un 
auteur  d'avancer  que  Cicéron  ou  Cé- 
sar ont  dit,  ont  fait  une  telle  chose  qu'il 


et  redoutable  dialecticien  ,  qui  dit  à 
un  gentilhomme  qui  venait  de  dire 
qu'il   avait   vu   le    duc   d'Epernon   à 

Plassac  ,  cela  ne  saurait  être par 

quatre  raisons  indisputables  ,  et  je 
in  en  vais  vous  prouver  qu'il  faut  de 


inventerait  lui-même.   Chacun  serait  nécessité  que  M .  d! Epernon  soit  en- 

obligé   de    ne  leur  attribuer  que  ce    core  à  Londres il  est  plus  h  croire 

qu'on  lit  d'eux  dans  les  anciens  mo-  que  les  yeux  se  trompent ,  que  la  rai- 

numens.  Un  auteur  ne   doit  point  se    son  ; la  nouvelle  dont  il  s'agit  im- 

faire  des  règles  particulières  ;  c'est  à  plique  contradiction  morale ,  et  peut- 

lui  à  se  conformer  aux  règles  publi-  être  contradiction  physique  ;  3°.  d'un 

homme  qui  déclara  à  Isaac  Vossius  , 


ques  :  or  ,  selon  les  lois  publiques  , 
en  fait  de  lecture  d'histoire  ,  on  re- 
çoit pour  bon  ce  qui  se  prouve  par  le 
témoignage  des  auteurs  graves ,  et 
l'on  rejette  comme  une  fable  tout  ce 
qu'un  moderne  débite  concernant 
l'antiquité  ,  sans  l'avoir  lu  dans    de 


qu'après  de  longues  et  de  toiles  médi- 
tations, il  avait  composé  un  livre  où  il 
montrait  ,  par  des  preuves  invinci- 
bles ,  que  tout  ce  qui  est  contenu 
dans  les  Commentaires  de  César , 
touchant   la  guerre  des  Gaules ,    est 


bons  historiens.    Ainsi,   de   quelque  faux,  et  où  il  faisait  voir  d'aillein 


façon  que  Guévara  considérât  l'an 
cienne  histoire  ;  qu'il  la  crût  vraie  , 
qu'il  la  crût  fausse ,  qu'il  la  crût  dou- 
teuse ,  il  devait  citer  ce  qu'il  y  trou- 
vait ,  et  n'alléguer  que  cela  ,  faute 
de  quoi  il  mérite  d'être  traité  comme 
un  séducteur  public.  Rua  ne  le  laissa 
point  jouir  de  ce  subterfuge'  ;  il  écri- 


amplement     que    jamais    Uesar    n'a 
été  au  deçà  des  yî/pes. 

(E)  C'est  une  chimère  que  de  dire 
qu'il  a  été  béatifié  par  la  cour  de 
Rome.  ]  Don  Nicolas  Antonio  cite  un 
auteur  qui  a  composé  le  Martyrologe 
des  franciscains  ,  et  qui  a  dit  que  le 
saint  siège  ,  après  les  enquêtes  néces- 


vit   contre   lui  pour  la  certitude  de  saires,  a  solennellement  décidé   que 

l'histoire.  Un  autre  auteur  (1 1)  se  mit  notre    Guévara    est   au    nombre   des 

aussi  sur  les  rangs ,  pour  foudroyer  .,.,... 

*  (13)  Nicol.  Antonms,  Bibliolh.  liispan.,  tom. 

(10)  Nicol.  Antonms  ,  Bihliollt.  hispan.  ,  loin.  I,  pag.  g<). 

I.    png.  Ç19.  (i3)  lHois  d'avril  i6S5,  art.  VU,  pag.  t\io  , 

(11)  Cal  Mclchior  Canus.  ij11- 


GUÉVARA. 


3*5 


beats  *,  et  qu'on  le  doit  tenir  pour  1611  est  la  troisième.  Je  la  crois  plu- 

tel.  IVescio  undè  Arcturus  a  M  omis-  tôt  de  Leipsic   que  de  Torga  :  car  le 

terio  Franciscani  Martyrologii  auctor  traducteur  l'oppose  à  celle  de  Torga, 

rem   aliis  indiclam  ,  inauditam  acce-  qui  était  la  première  (17),  et  qui  pa- 

perit.  Antonium   ut  Guevaram  octo-  rut  en  l'année  1601  ,  la  seconde  parut 

bris  die  xxiv  in  albo  eorum  colloca-  l'an  1606.  Les  Épîtres  du  même  Gué- 

ret  quos  apostolica  Pétri  sedes  bealos  vara  ont  été  traduites  en  italien  et  en 


pire  que  celle  de  Guévara  même.  Si  Nam  Principum  Horologittm  ,  dit-il 

ce  fait  avait  la   moindre  apparence  ,  dans  la  page  a5i  de  sa  bibliothèque 

n'y  aurait-il  qu'un  auteur  qui  en  par-  d'Espagne,    seu  de  fila  1M .  Aurclii 

lât  ?  Le  silence  de  tous  les  autres  est  Imperatoris   et  Faustinœ   Cenju&U  , 

démonstratif  contre  l'auteur  du  Mar-  conficta  sunt,  non  ex  historien  petit  a 


tyrologe. 

(F)  On  ne  saurait  assez  admirer 
l'empressement  que  les  étrangers  ont 
eu  de  traduire ,  en  diverses  langues  , 
quelques-uns  de  ses  ouvrages."]  L'Hor- 
loge des  Princes  fut  traduit  en  italien 


ne  quis  erret ,  ut  in  Gallid ,  ubi  cu- 
pide mnùs  in  sinu  olim  nobilium,  ma- 
nibusque  gestatum  fuisse  ,  memini  ; 
ut  et  Epistolas  ejus  nauci  plenas  et 
ineptiarum ,  Aurearum  titulo  tran- 
scribere  non   iidem  dubitdrunt  (\8)  : 


par  Mambrin  Rosséus,  l'an  i548,  et  sed  quas  illi  legant,  per  me  licet  , 

en  français,    par   un   autre  homme  ,  quibus  meliora   non  suppetunt  ,   aut 

l'an    i588  ('*).    Fridéric   Guillaume,  capere  non  possunt.  Et  voici  ce  qu'il 

duc  de  Saxe  ,  en  fit  faire  une  édition  dit  dans  la  page  567.  M.  Aurelii  An- 


latine  ,  accompagnée  de  notes  et  d'a^ 
phorismes  ,  par  Jean  Vankélius  ,  l'an 
161 1  ,  in-folio.  Cette  édition  a  été 
x'enouvelée  à  Leipsic  ,  l'an  i6i5  et  l'an 
1624,  et  à  Francfort,  l'an  1664  (1 5) 


tonini  uitd  et  Faustinœ  cjusdem  Gue- 
uarœ  %  ridicula  est  et  merœ  nugœ  , 
quant  tamen  Galli  applausu  ma  g  no 
excepçrunt ,  sœpiks  verierunt  ,  edide- 
rnntqiie   et    nobiles  plerique  manibus 


Emericus  Casaubonus  in  prologo  sic    gestant  :  sed  quidmirum  quibus  Ama 
féliciter  Guevarœ  suam  contigisse  fie-    disius   Gallicus  ,  Orlandus  ftiriosus  , 

ceteraque  œgrorum  somma  perp/a- 
cent  ,  quœ  ,  qui  sapiet ,  ne  horas  col- 
locet  malè  ,  fugiet. 

G)  Je  donnerai la  liste  de  ses 

écrits."]  J'ai  parlé  du  plus  fameux.  Il 
a  pour  titre  en  espagnol  Relox  de 
Principes  :  6  Marco  Aurelio.  On 
croit  que  la  première  édition  est  de 
l'année  i53p,  ;  elle  fut  suivie  de  quel- 
ques autres,  avant  que  l'auteur  pu- 
bliât lui-même  son  ouvrage.  Il  se 
plaignit  qu'on  le  lui  avait  arraché 
des  mains  encore1mparfa.it ,  et  qu'on 
l'avait  publié  à  son  insu.  Ses  lettres 
furent  imprimées  la  première  fois 
l'an  i53g,  et  l'ont  été  depuis  en  di- 
vers lieux  et  en  divers  temps.  Ses 
autres  ouvrages  sont  Prologo  solenne, 
en  que  el  autor  toca  muchas  hislo- 
rias  ;  Una  Decada  de  las  vidas  de 
los  X  Cesares  emperadorcs  romanos 

(1*)  Cerld  cum  spn  quanta  hœc  editio  primai 
illi  Tohgen.si  quoatl  typos  chartatque  est  simi- 
lior  ,  ianio  etiam  foie  ad  lecLioncm  frequentto- 
rem  quiim  secundo,  fuit.  Vankdius,  epist.  dedic. 

(18)  Voyez  Montaigne  ,  Essais  ,  (oui.  /,  pag. 
498. 


tionem  confirmât ,  omnium  sil  ut  hic 
liber  ubique  gentium  célébrât  i  s  simus^ 
F.uropœique  omnes  suo  uniuscujusque 
idiomate  loquentem  ihesauri  ad  instar 
habeant ,  mirifiecque  ejus  possessione 
fruantur  (16).  Voilà  ce  que  j'em- 
prunte de  don  Nicolas  Antonio  :  se- 
lon lui,  l'édition  de  Vankélius  fut 
faite  à  Torga ,  l'an  161 r  ;  mais  il  de- 
vait ajouter  que  cette  édition  de  l'an 

*  Joly  ci  oit  qu'il  fallait  dire  bienheureux ,  ter- 
nie qui  a  une  signification  bien  différente  de  béat. 

(i^)  Nicol.  Antonius  ,  Bibliolh.  bispan. ,  tom. 
'•  Pag-  99- 

(*)  Il  y  a  eu  deux  traduction*  françaises  de  ce 
livre,  publiées  à  près  de  soixante  ans  l'une  de 
l'autre.  La  première,  de  Bernard  de  la  Grise, 
in-4°-  gothique,  i53i  ,  réimprimée  in-16,  en 
très-beaux  caractères,  par  Jean  de  Tournes, 
Lyon,  l55o  ;  la  seconde,  de  Nicolas  de  Herbe- 
ray,  sieur  des  Essars,  réimprimée  plusieurs  fois. 
A  ces  deux  différentes  traductions,  desquelles, 
soit  dit  en  passant,  la  deruière  est  cbâtrée  de 
plusieurs  chapitres  ,  vise  le  stppius  verlerunlàu 
jésuite  Schottus,  vers  la  Cn  de  la  remarque  (F). 
Hem.  crit. 

(i5)  Nicol.  Antonius,  Bibliotb.  bispan.,  tom. 
-  ,  P<*g-  D9- 

(»6)  Idem,  ibidem. 


3s6 


GUEVARA. 


desde    Traiano    a   Alexandro  ;    Del  de  F  empereur  estant  malade  des  fie- 

menos  Precio  de  la  Corle  ,  y  alabanca  vres  quanes  ,  me  l'envoya  demander, 

de  la  Aldea  ;  Aviso  de  Privados ,  y  pour  passer  le  temps  ,  et  alléger  son 

Doctrina  de  Corlesanos  (19)5  De  los  mal.  Parquoy  obéissant  a  son  inlen- 

Inventores  del  Marear  y  de  muchos  tion  luy  apportay  moy  mesme  Marc 

trabaxos  que  se  passan  en  las  ga-  Aurele  ,    sans    loutesfois    qu'il  j'ust 

leras  (20)  ;  Monte  Calvario  ,  sive  de  reveu,  corrigé,  ny  parfait ,  le  sup- 

Mrsteriis  Dominicœ  Passionis  ac  de  pliant  treshumbl  entent  pour  toute  la 

verbis    Domini    in    Cruce  pendentis  recompense  de  mon  labeur,   qu'il  ne 

(21);  Oratorio  de  religiosos  y  Exer-  permist  d'estre  nullement  copie',  ns 

cicio  de  virtuosos.  Il  travaillait  à  une  transporté   de  sa  royalle  chambre  , 


autrement  sa  majesté  seroit  mal  servie 
en  mon  préjudice ,  pour  ce  qu'en pour- 
suyvant  et  parachevant  mon  entre- 
prise ,  il  cognoistroit  que  mon  inten- 
tion n'estoit  de  publier  seulement  ,  et 
mettre  en  évidence  Marc  Aurele 
ainsi  qu'il  estait ,  ains  y   adjouster 


histoire  de  Charles-Quint ,  et  Ton  dit 

qu'il    ordonna   par  son    testament , 

qu'on  rendît  (22)  à  cet  empereur  la 

pension  d'historiographe ,  qu'il  avait 

touchée    pendant   une    année  où  il 

n'avait  point  travaille  à   cette    his- 
toire (a3)  *. 

(H)  J'ai  des  additions  a  faire  a  ce    maintes  sentences  dignes  de  recom- 

mie  l'ai  dit  de  son  Horloge  des  Prin-    mandation  •  ce  non  obstant  le  mal- 

-1 — «.  _ «  r~r.\    heur  J  ut  tel,  que  le  livre  fut  desrobé , 

puis  escrit  et  doublé  par  diverses 
mains ,  et  de  main  h  main  mis  entre 
celles  des  pages  ,  pour  le  copier , 
augmentant  par  ce  moyen  les  incor- 
rections et  fautes  de  jour  en  jour  :  car 
il  n'y  avoit  qu'un  seul  original  pour 
les  corriger  :  il  est  bien  vray  qu'au- 
cuns m'en  appoi'loyent  quelques  co- 
pies ,  pour  les  revoir  et  amender  : 
mais   si  elles  pouvoyent  parler,   se 


ces.]  11  déclara  que  cet  ouvrage  (24) 
e'tait  une  traduction  de  la  vie  de 
Marc  Aurele  ,  et  que  l'original  lui 
avait  été  envoyé  de  Florence  (a5).  Il 
avoua  qu'il  ne  s'était  point  assujetti 
à  traduire  mot  pour  mot  ,  et  qu'il  y 
avait  ajouté  beaucoup  de  choses.  II 
commença  ceste  œuvre  l'an  i5i8,  et 
l'acheva,  Tan  i524  :  Et  combien  que 
durant  ces  dix  ans,  dit-il  (26),  je 
tinsse  mon  livre  bien  secret,  néant- 
moins  il  fut  divulgué  :  car  la  majesté  plaindroyent  plus  de  ceux  qui  les  ont 
J  °  copiées  ,  que  moy  des  larrons  qui  les 

(19)  lia  été  traduit  en  français,  sous  le  titre     Ont  pillées  ;  et  qui  pis  est  environ   la 
de  Réveille-matin  des  Courtisans,  par  Alexandre     saison   que  mon   labeur  avoit  en  cecy 
Hardi,  Parisien,  receveur  des  aydes  et  tailles  du 
Mans.    Je  me  sers  de  la  seconde  édition  ,  faite 
à  Paris ,  i6î3  ,  tn-8°. 

"(20)  Du  Pinet  l'a  traduit  en  français. 

(21)  Waddingus  a  fait  ici  deux  ouvrages  d'un: 
il  a  cru  que  le  livre' De  verbis  Domini  in  Cruce 
était  différent  du  Monte  Calvario.  Nie.  Anton.  , 
Biblioth.  bispan.  ,  loin.  I ,  pag.  Q(). 

(22)  ^Egid.  Goniales  Davila  affirme  ceci  ,  en 
parlant  des  évêques  de  Mondonédo  ,  dans  son 
Tbeatrum  ecclesiast.,  apud  Nicol.  Ântonium, 
pag.  100. 

(2Î)  Ex  Nie.  Antonio,  Bibliotli.  bisp.  ,  loin. 
J ,  P*g-  99 


prins  fin  ,  prest  a  le  semer,  pour  en 
dispenser  lefruict ,  Marc  Aurele  fut 
imprimé  en  Seville ,  et  peu  après  en 
Portugal  et  par  les  royaumes  d'A- 
ragon,  tellement  que  si  la  première 
impression  fut  vicieuse  ,  les  autres  le 
furent  encordes  plus.  Jugez  par-là  si 
les  Espagnols  méritent  moins  que  les 
Français,  les  railleries  d'André  Schot- 
tus  (27).  Il  ne  savait  pas  peut-être 
qu'il  y  avait  des  Français  qui  mépri- 

*  Leduchat  observe  que  Bayle  ne  parle  pas  de    sèrent   les  épîtres  de    Guévara  ,    des- 


quelles ,  disait  Montaigne  (28) ,  ceux 
qui  les  ont  appelées  dorées  ,  faisaient 


Y  Histoire  pitoyable  du  prince  Eraste ,  fils  de 
Pioclélien  ,  empereur  de  Ruine,  que  Drandiii! 
attribue  à  Guévara  ,  et  dont  il  existe  une  traduc 

tion  française,  i568 ,  in-iG,   i5;2 ,  in-16.  On   jugement    bien  autre    que    celui   que 

trouve  des  détails  assf-7.  étendus  sur  les  ouvragrs    j'en  fais.  A  VOUOnS  néanmoins  qu'elles 

d< .Guévara,  et  leurs  traductions,  dans  UBiogra-   dupèrent  une  infinité  de  Français,  et 

phie  universelle  ,  aux  mots  Glevàra,  Maïerne-  *     

Torquet  et  MoliÈres. 

(2.4)  Guévara,  dans  le  prologue  de   /'Horloge 
des  Princes. 


que    l'Horloge    des    Princes    eut    en 
France  un  sort  bien  avantageux.  Il 
y  fut  imprimé  plusieurs  fois.  Je  me 
(a5) \Il  venait de  dire  qu'on  lui  avait  envoyé    'scrs    d'une    édition     de    Lyon,     par 

de  Cologne  dix  livres  de  l  empereur  Augutte,  m-  J  r 


Silulés  :    De    la    Guerre   Ginlabriquc.    El   voilà 
deux  impostures  qu'il  avance. 
(26)  Préface  de  {'Horloge  des  rrinces. 


(27)  Rappariées  danr  la  remarque  (F). 

(28)  Montaigne,  Essais,  liv.  I,  chap.KLFIII, 
pag.  m    498. 


Benoît  fiigaud ,  t5q2  ,  in-\i;  et  je 
vois  au  titre  que  l'ouvrage  a  e'te'  tra- 
duit de  castillan  en  jra.ncois  ,  par 
R.  B.  de  Grise  ;  depuis  reveu  et  coi- 
riffé  par  N.  de  Herberay,   seigneur 


GUICCIARDIN.  3<i7 

autres  ouvrages  (a),  naquit  dans 
cette  ville,  le  6  de  mars  i/jc»?..  Il 
enseigna  le  droit  à  l'âge  de 
vingt- trois    ans;    mais   il  aima 


des  Êssars  ,  outre  les  précédentes  im^iuleux    suivre    le    barreau,    que 
pressions.^  Lettre    dédicatoiie    aJPcont;nuer    «j'être    professeur   en 


cardinal  de  Givri  n'est  point  signée. 
J'y  trouve  que  le  seigneur  des  Essars 
était  mort  pendant  qu'il  travaillait  à 
la  traduction  de  cet  ouvrage.  Nous 
n'avons  donc/Jeu  avoir,  continue-t-on, 
que  le  premier  livre  de  sa  translation, 
oh  encores  se  sont  trouvez  sur  la  Jin 
quelques  cayers  en  si  pauvre  estât , 
qu'il  a  esté  impossible  de  les  lire  ,  au 
moyen  dequoy  l'ouvrage  a  esté  con- 
tinu é  sur  l'ancienne  traduction ,  apivs 
toutesjbis  y  avoir  corrigé  infinies 
fautes  sur  l' exemplaire  espagnol ,  et 


jurisprudence.  Il  se  rendit  un 
avocat  fort  célèbre  ,  de  sorte 
qu'on  le  jugea  digne  d'être  em- 
ployé dans  les  affaires  d'état.  On 
l'envoya  ambassadeur  à  la  cour 
de  Ferdinand  ,  roi  d'Aragon ,  au 
mois  de  janvier  i5i2.  Cette  am- 
bassade dura  deux  ans ,  et  lui 
fut  fort  glorieuse  ;  car  à  son  re- 
tour à  Florence  on  lui  témoigna 


renversé  plusieurs  manières  contrains  hautement  qu'on  était  bien  satis- 
fait de  lui.  Il  se  mit  quelque 
temps  après  au  service  de  Léon 
X  ,  qui  lui  donna  le  gouverne- 
ment de  Modène  et  de  Reggio. 
Il  défendit  Parme  avec  beaucoup 
de  succès  ,  après  la  mort  de  ce 
pape.  Il  retint  sous  Hadrien  YI 
et  sous  Clément  YII  les  gouver- 
nemens  qu'il  avait  eus  sous  Léon 
X.  Il  fut  même  gouverneur  de 
la  Romagne  sous  Clément  VII, 
et  lieutenant  de  l'armée;  et  il  fit 
voir  qu'il  n'était  pas  moins  bon 
capitaine  qu'habile  négociateur. 
Il  était  gouverneur  de  Eologne 
lorsque  ce  pape  mourut ,    et   il 


h  nostre  langue,  lesquelles  souvent 
empeschoient  de  pouvoir  entendre  le 
sens  de  l autheur,  voire  quelquefois 
repugnoyent  entièrement  h  son  inten- 
tion. 

Les  Italiens  ont  aussi  traduit  plus 
d'une  fois  ce  livre-là.  J'ai  parle  de  la 
version  qui  en  fut  faite  par  Mambrin 
Piose'us ,  et  j'ajoute  que  Fausto  da 
Longiano  en  donna  une  autre ,  qui 
fut  imprimée  l'an  i546,  in-8°.  Il  y 
ajouta  des  choses  qui  n'e'taient  point 
dans  l'original  espagnol  ,  et  il  remit 
celles  que  l'autre  version  italienne 
avait  retranche'es  de  ce  même  ori- 
ginal. Il  fait  sentir,  dans  sa  préface,  la 
liardiesse  que  Gue'vara  s'e'tait  donnée 
d'avancer  des  faits  qui  ne  sont  point 
véritables.  Sa  critique  est  bonne  et 
docte.  11  promettait  une  vie  de  Marc 


Aurèle ,  composée  sur  le  témoignage    donna  bon  ordre  que  les  ennemis 
des  anciens  historiens  ,  afin  qu  on  la 
mît  en  parallèle  avec  celle  que  l'écri- 


vain espagnol  avait,  forgée.  Il  se  re- 
présente comme  un  homme  appliqué 
à  des  études  plus  graves  sur  l'hébreu, 
sur  le  grec,  sur  le  latin,  que  ne 
l'était  de  traduire  en  italien  un  livre 
espagnol ,  et  il  fait  espérer  ses  œuvres 
latines. 

GUICCIARDIN  (François)  , 
issu  d'une  des  plus  nobles  et  des 
plus  anciennes  familles  de  Flo- 
rence ,  et  auteur  d'une  histoire 
fort  estimée  (A) ,  et  de  quelques 


qu'il  s'était  faits  par  l'exacte 
observation  de  la  justice  ,  ne  se 
pi-évalussent  contre  lui  de  l'in- 
terrègne. Le  nouveau  pape  donna 
ce  gouvernement  à  un  autre  ,  ce 
qui  obligea  Guicciardin  à  s'en 
retourner  à  Florence ,  où  il  se 
fixa  jusques  à  sa  mort.  Il  rendit 
de  grands  services  à  la  maison 
de  Médicis  ,  et  ne  voulut  point 
écouter  les  offres  de  Paul  III, 
qui  le  voulut  attirer  à  son  servi- 

(a)  Voyez  la  remarque  (H). 


328  GU1CCIARDIN. 

ce.  Il  avait  une  femme  ,  mais  supposent  que  les  cinq  premiers 
non  pas  des  fils  ;  ainsi  il  considé-  furent  corrigés  par  un  habile 
ra  qu'il  ne  pourrait  point  parve-   homme  (c). 

nir  aux  prélatures ,  ni  en  procu-  Le  père  Possevin  le  blâme  d'at- 
rer  à  ses  enfans  ;  et  comme  il  Jxibuer  au  destin  et  à  la  fortune 
craignait  d'ailleurs  de  ne  pou-  les  succès  des  guerres  ,  et  les  ré- 
voir pas  servir  le  pape  sans  dés-  volutions  des  états  :  il  veut  bien 
obliger  quelquefois  le  duc  de  FIo-  lui  faire  la  grâce  de  croire  que 
rence  ,  il  aima  mieux  vivre  en  re-  ce  style  n'est  point  en  lui  un  ef- 
pos  dans  sa  maison  de  campa-  fet  de  quelque  erreur  de  l'enten- 
gne  ,  et  s'y  occuper  à  l'histoire  dément,  mais  un  simple  effet  de 
qu'il  avait  entreprise.  Il  l'avait  la  coutume;  néanmoins  il  s'ima- 
fort  avancée ,  lorsqu'une  fièvre  gine  que  cela  gâte  l'esprit  des 
maligne  le  fit  mourir  au  mois  de  lecteurs  (ci).  Il  n'est  pas  aisé  de 
mai  i54o  ,  à  l'âge  de  cinquante-  connaître  s'il  a  plus  d'inclination 
cinq  ans.  Il  ordonna  que  ses  à  le  censurer  qu'à  le  louer  (G). 
funérailles  se  fissent  sans  beau-  M.  Varil las  l'accuse  de  calomnier 
coup  de  pompe  ,  et  sans  épitaphe  François  Ier., au  sujet  des  intel- 
ni  oraison  funèbre  (b).  Son  lus-  ligences  avec  Soliman  :  j'exami— 
toire  d'Italie  est  fort  bonne  *.  nerai  tout  ce  qu'il  observe  là- 
Plusieurs  prétendent  qu'il  a  mé-  dessus  (H).  Je  rapporterai  aussi 
rite  l'éloge  d'un  historien  désin-  les  plaintes  un  peu  trop  dévotes 
téressé  ,  qui  ne  flatte  personne ,  de  Bonifacio  Vannozzi  (I),  et  je 
et  qui  ne  blâme  que  ce  qui  est  n'oublierai  pas  que  les  Vénitiens 
blâmable  :  mais  quelques-uns  se  plaignent  d'une  certaine  ha- 
trouvent  qu'il  a  été  trop  partial  rangue  que  Guicciardin  attribue 
contre  la  France  (B),  ou  qu'il  à  l'ambassadeur  qu'ils  envoyè- 
s'est  trop  arrêté  à  des  minuties  rent  à  la  cour  impériale  (K).  Ou- 
(C),  ou  qu'il  a  inséré  trop  de  ha-  tre  cela  je  dirai  qu'il  composa 
langues  diffuses  (D) ,  ou  qu'il  a  quelques  autres  livres (L) ,  et  que 
trop  attribué  les  actions  à  des  son  neveu  ,  Louis  Guicciardin  , 
motifs  illégitimes.  (E).  Le  cardi-  s'est  rendu  illustre  dans  la  répu- 
nal  Pa'avicin  ne  lui  a  pas  été  fa-    blique  des  lettres  (M). 

VOrable.  Je  rapporterai  Ce  qu'il  (c)Cuietiamilliquieidemsuntiniquissi- 
e.ïl  a  dit  (F).  Quant  au  Style  de  "«  ««  primis  quinque  Ubris  ,  quos  eruditi 
Gm'rri'ardin         *p«    nlus    iniiistps    ctlJUs1uam  virt  limâ  perpolitos  fuisse  con- 

tjuicciaram  ,   ses  plus   injustes  tendunt^  omnem  Fiorentim  set-monts  en- 
censeurs  reconnaissent   qu'il    est  gantiamconcinnitalemque  concédant:  in  cie- 
très-pur  et  très-exact  ;  mais    ils  fris  Ubris  non  ilem,  quosnulliuscensurœ, 
1                                            !•«■'  pnores  quinque,,   subjecerat.  JNic.  kry- 

mettent  une   grande  différence    thrams ,  Pinac.  III ,  pag.  220. 

entre  les  premiers  livres  et  les       MPossevin     Biblioth.  sélect. ,  tom.  il, 

*  ,  ,.,       lib.  Xf- 1 ,  cap.  XLI,  pae.iin. 

suivans  ;   et  cela  ,    parce  qu  ils 

(b)  Tiré  de  sa  Vie ,  composée  par  le  père  (A)  Il  est  auteur  d'une  histoire  fort 

Rc'rai  de  Florence.  Elle  est  à  la  tête  de  son  estimée.   ]  Elle  comprend,  en   XX  H- 

Histoire d'Italie.  vres  ,  ce  qui  se  passa  dans  l'ftalie  ,  de- 

*  Croirait-on  que  Joly  pi étend  que  Bayle  pUis  l'an  \fo\  jusques  à  l'année  i53a. 
fait  ici  peu  d'estime  de  Guicciardin;  et  trouve  Rcnfermons-la    dans    CCS    bornes   (i), 
étrange  que ,  paraissant  en  faire  si  pi n  d  es- 
time ,  il  se  soit  souvent  appuyé'  sur  son  seul  (,)  Biillart ,  Acailémie  des  Sciences ,  tom.  I , 
témoignage?  P"à''    i5'?    '««   donne  pour  bornes    l'entrée  des 


GUICCIARDIN.  829 

puisque  l'auteur  de  sa  Vie  le  veut  ;  ciardin  avait  eu  dessein  d'imiter  Ce- 
mais  observons  qu'elle  remonte  jus-  sar,  c'est-à-dire  de  composer  des 
ques  à  l'état  où  se  trouvait  l'Italie  ,  mémoires  sur  les  actions  de  sa  vie  ; 
l'an  149°»  e*  qu'elle  finit  à  la  mort  mais  Jacques  Nardi ,  qu'il  consulta, 
de  Clément  VII  et  à  l'élection  de  lui  mit  en  tête  un  travail  plus  re- 
Paul III  (2).  Il  est  vrai  qu'elle  est  levé,  savoir  l'histoire  de  son  temps, 
fort  succincte  sur  les  dernières  années  II  le  j  ugea  propre  à  cette  entreprise  , 
de  Clément  VII ,  à  commencer  prin-  le  connaissant  incapable  de  falsifier 
cipalement  par  l'an  i53o.  Elle  a  été  les  choses  ,  ou  par  la  crainte  des 
traduite  de  l'italien  en  diverses  lan-  eilèts  de  la  censure  ,   ou   par  l'cspé- 

fues.  Cselius  Sécundus  Curion  la  pu-  rance  des  effets  de  la  flatterie;  outre 

lia  en  latin,  à  Bâle,  l'an   i566.  Un  que   c'eût   été    encourir   l'envie   des 

certain  Jérôme  Chomedey,  Parisien  ,  Florentins  ,  que  de  se   borner   à    sa 

la   publia    en    français   à  Paris,   l'an  propre  histoire.  Fit  du  lui  dissuaso  , 

i568.  Les  Anglais  l'ont  en  leur  lan-  ed    esorlato   a  scriver  1,'historia    île' 

gue ,   comme  il  paraît  par  le   Cata-  suoi  tempi,   si  perche  lo   conosceva 

Jogue  d'Oxford.   Les  Espagnols  ,  les  d'ingegno  ,  atto  a  conduire  un'  im- 

Allemands    et    les     Flamands    l'ont  presacosifuttaa perfellione  ;  e percha 

aussi    traduite    en    la    leur    (3).    La  anche  sapeva  modo  bene  ,  ch'egli  cra 

meilleure  édition   italienne  est  celle  per  descriver  la  pura   venta,   sensa 

qui  est  accompagnée  des  notes  mai-  rispetto  di paura  ,  o  speranza  di  pre- 

ginales    de    Thomas    Porcacchi.    La  min,   délie  quali  due  corrutlete  pur 

première  édition  de  cette  nature  est  che  sieno  stati  ne    tempi  passali ,  e 

de  Venise  ,  i5^3  (\).   Cet  ouvrage  de  sieno  a  ne  or  hoggi  corrotli  quasi  tutti 

Guicciardin    ne    parut    qu'après    sa  gli  sèrittori  ;   si  ancora  perché  fug- 

mort  ,  et  ce  fut  Agnolo  Guicciardin  ,  gisse  l'invidia  de    suoi  cittadini ,  e  'l 

son  neveu  ,  qui  eut  soin  de  le  donner  biasimo  universelle  de  l'haver  volulo 

au  public.  Les   protestans  n'ont  pas  celebrure  solamente  se  stesso  (S). 

laissé  perdre  les  fragmens   que  l'on  (B)  Quelques-uns  trouvent  qu'il  a 

en  avait  détachés  ,   et  qui  n'étaient  été  trop  partial  contre   la  France.} 

pas  au  goût  de  la  cour  de  Rome.  Ils  Rapportons  un  long  passage  de  Claude 

les  ont  publiés  à  part  en  divers  temps  du    Verdier   (9).    Guicciardinus  tain 

(5).  M.  Heidegger,  en  dernier  lieu  ,  a  frigide  invilusque  Gallorum  victorias 

joint  à  l' Hisioria  Papatiis  (6) ,   celui  et  g/oriani    narrât,    quant    accuratè 

du  IVe  livre.   M.  Va rillas  assure  que  lubensque    adversa   quœque  ,    quan~ 

les   héritiers  de   Guicciardin  singé-  tumvis  minima  ,  a  fortunée  potentis- 

rérent ,  contre  son  intention  ,  de  don-  sinio    belli  numine   ejaculata  :  quem- 

ner   au  public    les    quatre    derniers  admodum    sarcinarum     in     alicujus 

livres  dans  ta  troisième  édition.  J'exa-  fluminis      trajectione     submersionem 

minerai    cela    ci-dessous    (7}.    Notez  persequitur,  atque  dilatât.  Duni  videt 

que  le  Sansovino  a    publié  un    épi-  Carolo  V11I  lotam  Italiam  ah  Al- 

tome  de  cette  histoire  ,  et  que  Guic-  pibus  ad  JYeapolim   nentine  penitus 

obsistente  occupanti  ,   victoriam   abs- 

Françaisen  Italie      l'an    iliçio ,  et  le  pontificat  que  SUSpicionc  falsi  adimi  non  VOSSe  , 

île  Faut  lit,  en    i5i5.   Les  français  n entre-  '      r-     il                                  i               •?•             • 

renl  en  Italie  qu'en  iLui .  ln   ^Ulloruill  quorundam  TllUttlllIl  m- 

(1)  Faite  le  i3  d'octobre  i534.  lernecione    paucorumqite  ,    qud    sine 

(3)  Bullart,  Académie  des  Sciences,  tom.  I ,  Victoria  oblineri  non  potuit  ,  tOtUS  est, 

VaS-  ,5'-  irtagnam    eam    appelions    stragem  : 

(J)  Possevjn     B.bliott)   sélect. ,  tom.  II,  liv.  Carolo    tameii    ciirri    dominium    su- 

JLVI,  cap.  ALI,  pag.  56r.  ....           i-zr.       •                                  ,     t>     , 

ik\  11  1„  ,  /;•■      ,  1       r  r     .■  -j    me  perslttisse  dinilen  non  ausus  est.  Aed 

(5)  Ils  en  publièrent  deux  (  l  unlire  du  IIIe.  r  ,  "". .  „  .  •> 
livre  ,  Vautre  tire'  du  IVe.  ),  à  liâle  ,  en  latin  ,  a"œ  "C  VlCtOnbuS  Stl'ageS  fteri potlllt  ? 
en  italien  et  en  français  ,  l'an  ift6q  ,  in-S°.  ,   et  Si    de     SUIS     SerillOIlCin     illslitllll  ,     eis 

avec  quelques  autre  t  pièces,  Van  i60a,  sans lieu  semper  plus  merilis  al  tri huit  ,   et  re- 

d  impression  ,  in-S".  ,  et  a  brancjorl  ,  m-4°.  •       •     j        j 

fan  1609.  Voyez   la   remarque  (Q)  de  l'article  g}OniS  laudes   maglS  ,  quant  SUCV  gen- 

Jules  II",  à  /'alinéa,  tom.  VIII.  Us  res  gestas persequitur,  iindé  ma.ri- 

(6)  Imprimée  à  Amsterdam,  l'an  l684-  Voyez  ma  lailS  ducenda  est.  Si  Cette  Censure 
les   Nouvelles    de    la    République    des    Lettres, 

mois  de  mai  1G84  ,  pas-  3i(>  'le  la  seconde  e'di-  (S)  L'auteur  de  la  Vie  de  Guicciardin. 

tion.  (c))  Claud.  Verderius,  in  Censiouc  Au  loi  uni  , 

(7)  Dans  la  remarque  (II).  apud  Pope  Blount ,  pag.  m.  3go. 


33o 


GUICCIARDIN. 


est  bien  fondée  ,  Guicciardin  mérite 
la  berne  ;  il  se  rend  coupable  de  la 
faute  des  gazetiers.  Ceux-ci  donnent 
tous  les  jours  la  comédie  ;  car,  par 
exemple ,  lorsque  les  Français  cam- 
pent au  delà  du  Rhin  ,  la  Gazette 
ennemie  ne  parle  que  des  partis  qu'on 
leur  bat ,  que  des  prisonniers  que 
Font  fait  sur  eux  ,  et  que  de  leurs 
déserteurs.  La  Gazette  de  France  ne 
dit  rien  de  tout  cela  ;  mais  en  ré- 
compense elle  s'e'tend  sur  les  pertes 
des  allie's  ,  et  sur  les  contributions 
qu'on  les  contraint  de  payer.  Quand 
les  Allemands  passent  sur  les  terres 
de  France,  comme  ils  firent  pendant 
l'automne  de  l'an  1694  ,  la  Gazette  de 
France  n'oublie  point  les  partis  qu'on 
leur  de'fait,  ou  qui  sont  contraints  de 
se  venir  rendre  :  elle  ne  parle  que  de 
cela.  Au  contraire,  celle  des  allie's, 
oubliant  toutes  ces  choses ,  tient  un 
registre  fort  exact  de  tous  les  villages 
pilles  parles  Allemands;  de  tous  les 
magasins  brûlés  ;  de  tous  les  partis 
français  battus,  etc.  Mille  fâcheuses 
raisons  veulent  qu'on  en  use  ainsi 
dans  ces  écrits  journaliers  (10)  ;  mais 
un  historien  qui  ose  tenir  cette  con- 
duite est  entièrement  inexcusable.  Il 
doit  rapporter  avec  la  même  exacti- 
tude les  pertes  et  les  avantages  de 
son  parti.  En  trouve-t-on  qui  le  fas- 
sent ? 

La  Popelinière  est  un  de  ceux  qui 
accusent  Guicciardin  d'avoir  été  trop 
partial  contre  la  France.  Il  est  libre , 
dit-il  (11),  et  véritable,  franc  de 
passion  s'il  l'estoit  de  haine  ,  qu'il 
n'a  su  déguiser  contre  les  François  , 

le  duc  d'Urbin  et  autres Il  ne 

s'est  même  pu  commander  de  pa- 
tienter l  injure  que  les  Italiens  disent 
et  escriment  par-tout  avoir  reçue  des 
François  ,  lors  qu'ils  Jurent  troubler 
le   vieil  et  profond  repos  de  l'Italie 

sous  le   roi   Charles    J^III mal 

propre  sujet  toutes  fois  a  Guicciardin , 
et  a  presque  tous  les  autres  auteurs 
italiens  d'y  faire  voir  V animosité  de 
leurs  esprits.  Kl  ne  puis  juger  en 
quoi  il  se  fonde ,  de  dire  que  ce  toy 
estait  de  forme  monstrueuse.  La  Po- 
pelinière réfute  cela  avec   un  babil 

(10)  Conférez  la  Critique  générale  de  l'His- 
toire du  Calvinisme,  lettre  II ,  pag.  27  de  la 
troisième  édition. 

(11)  La  Popelinière  ,  Histoire  des  Histoires, 
hv.  Vil ,  pag.  406. 


bien  ennuyeux  :  il  se  devait  contenter 
de  ces  paroles.  Je  laisse  a  penser  a 
tous  ,  si  le  roy  Charles  eust  esté  tel  y 
voire  en  eust  seulement  approché ,  si 
d'autres  Italiens  aussi  ennemis  du 
nom  francois  que  Guicciardin  (qui 
n'en  a  descrit  que  les  vertuz  qu'il  ne 
pouvoit  nier  sans  estre  accuse  de  men- 
songes et  faulseté)  n'en  eussent  pas 
devant  et  après  luy  farcy  leurs  escrits. 
Mais  un  seul  de  tous  les  peuples 
chrestiens ,  ny  estrangers  du  temps 
de  ce  roy,  ny  après  luy,  n'a  seu- 
lement mordu  de  nom  ce  roy  (12). 
Pour  n'en  faire  pas  à  deux  fois,  je 
rapporterai  ici  les  autres  défauts  dont 
cet  écrivain  blâme  Guicciardin.  Il 
sont  les  mêmes  que  d'autres  ont  ob- 
servés ,  comme  il  paraîtra  par  les  re- 
marques suivantes.  Je  n'y  trouve  , 
dit-il  (i3) ,  recommandation  aucune  , 
pour  laquelle  on  le  doive  advancer 
sur  les  autres  ,  que  pour  ceste  liberté 
de  parler  des  grands  :  et  le  soing  de 
rechercher  les  causes  et  motifs  de  plu- 
sieurs accidens  qu'il  traicte.  Au  reste 
si  prolixe  et  sur-abondant  en  haran- 
gues ,  et  infinis  petits  discours  qui  ne 
méritent  l'escrire ,  que  si  quelque  au- 
tlieur  l'eust  devancé  en  la  hardiesse 
de  descouvrir  les  fautes  des  plus 
signalez,  on  n  eust  fait  grand  conte 
de  Guicciardin.  Riais  on  scait  com- 
bien une  notable  nouveauté  affec- 
tionne les  esprits  des  hommes.  En 
laquelle  néanlmoins  ,  il  s'est  préju- 
dicié  de  ne  s'y  estre  commandé ,  et 
avoir  préféré  quelque  devoir  de  pais  , 
a  celuy  de  l'historien  ,  voire  de  chres- 
tien  et  homme  d'honneur,  qui  doit 
avoir  telles  choses  indifférentes. 

(C) ou  qu  il  s'est  trop  arrêté  a 

des  minuties.]  C'est  le  jugement  de 
Juste  Lipse  04)-  f^ilia  duo  propria 
hujus  œvi  non  effugit  ,  quod  etjusto 
longior  est ,  et  quod  minutissima  quœ- 
qne  narret ,  parum  ex  lege  aut  digni- 
tale  historiée,  quœ ,  ut  jlmmianus 
lib.  XXVI  ,  ait ,  discurrere  per  nego- 
tiorum  celsitudines  assueta  ,  non  hu- 
milium  minutias  indagare  causa- 
rum. 

(D) ou  qu'il  a  inséré  trop  de 

harangues  diffuses.]  Outre  ce  que 
vous    verrez  dans    la  remarque  sui- 

(1?)  T-'a  même,  pag.  410* 
(l3)  J.'a  même,  f-ag.  ^11. 

(\  i'  Liusius,  in  N ulis  ad  /  l,b.  Polilic.  ,cap. 
IX. 


GUICCIARDIN. 


33. 


vante  au  passage  de  Montaigne,  voici  »  qu'il  y   ayt  estime'  d'autruy  selon 

les  paroles  du  même  Lipse  (i5)  :  Sed  »  soy  (16).  » 

non  orationes  ejus  satis  vegetœ  mihi  (F)  Je  rapporterai  ce  que  le  cardi- 

aut    castigatœ  ,   languent   sce]>è    aul  nal  Palavicin  en  a  dit.]  D'abord  il  lui 

soluté  vagantur.  Deniij ne ,uno  verbo,  impute   trois  mensonges,    et  puis  il 

inter  nostros  summus  est  histoiïcus  :  juge    de  lui    en   général.  Le   1er.   de 

inter  veteres  ,  mediocris.  ces    trois    mensonges     regarde     Ha- 

(E) ou  qu'il  a  trop  attribué  les  drien  VI  On  prétend  que  Guieciardin 

actions  a  des  motifs  illégitimes.}  On  n'a  pas  dû  dire  (*'),  que  le  jour  que 


va  voir  Montaigne,  qui  se  revêt  là 
dessus  d'un  esprit  de  charité'  pour  le 
genre  humain.  Bien  d'autres  ne  croi- 
raient pas  que  Guieciardin  méritai 
de  ce  cùtë-là  quelque  censure  :  mais 
laissons  parler  Montaigne  ,  tant  sur 
ce  qui  est  propre  à  mon  texte  ,  qu'en 

Îje'ne'ral  sur  le  caractère  de  ce  fameux 
listorien.  «  Il  n'y  a  aucune  appa- 
»  rence  que  par  haine  ,  faveur,  ou 
»  vanité,  il  ayt  déguisé  les  choses 


ce  pape  fut  élu  aucun  cardinal  n'a- 
v.u'l  intention  de  l'élever  au  ponti- 
ficat ,  et  que  ceux  qui  lui  donnèrent 
leur  suffrage  au  scrutin  n'avaient  in- 
tention que  d'amuser  le  bureau  celle 
matinée  (17).  Je  ne  rapporte  point, 
les  raisons  du  cardinal  Palavicin 
confie  ce  narré.  Le  2e.  mensonge 
regarde  l'électeur  de  Saxe.  On  sou- 
tient qu'il  n'est  pas  vrai  que  Léon  X 
ait  expédié  contre  ce  prince  un  mo- 


»  de  quoy  font  foy  les  libres  juge-  nitoire  rempli  de  menaces,  qui  l'ir- 
))  mens  qu'il  donne  des  grands  :  et  rita  extrêmement.  Due  allie  abbagli 
y>  notamment  de  ceux  par  lesquels  piu  rileuanti  prende  egli  nclla  prin- 
»  il  avoit  esté  advancé,  et  employé  cipal  nostra  malaria.  Il  primo  è  l'af- 
»  aux  charges  ,  comme  du  pape  Cle-  fermai'  che  Leone  spediae  contra  l'e- 
»  ment    VIL    Quant  à  la    partie   de    leltor  di  Sassonia   un  monilorio  con 


»  quoy  il  semble  se  vouloir  prévaloir 
«  le  plus ,  qui  sont  ses  digressions  et 
»  ses  discours,  il  y  en  a  de  bons  et 
»  enrichis   de  beaux  traits  ,  mais  il 


minaccia  di  grai>ipene,  e  perd  con 
irritazion  di  quel  principe.  Il  che  è  un 
t>ano  sogno  contrario  à  quanlo  si  leg- 
ge  nelle   memorie  pienissime  di  que 


»  s'y  est  trop  pieu  :  car  pour  ne  vou-    successi  (18).    Le  3e.  mensonge   re 


>>  loir  rien  laisser  à  dire  ,  ayant  un 
»  sujet  si  plein  et  ample,  et  à  peu 
»  près  infiny,  il  en  devient  lasche , 
»  et  sentant  un  peu  le  caquet  scho- 
))  lastique.  J'ay  aussi  remarqué  cecy, 


garde  Luther,  qui ,  à  ce  que  conte 
Guieciardin  ,  fut  tellement  cilrayé  de 
se  voir  au  ban  de  l'empereur,  qu'il 
aurait  facilement  abandonné  ses  er- 
reurs, si  le  cardinal  Cajetan  ne  l'eût 


que  de  tant  d'ames  et  d'eflècts  qu  il  jeté  au  désespoir  par  ses  injures  et 
»  juge,  de  tant  de  mouvemens  et 
»  conseils ,  il  n'en  rapporte  jamais 
»  un  seul  à  la  vertu ,  religion  ,  et 
»  conscience  ,  comme  si  ces  parties- 
»  là  estoient  du  tout  esteintes  au 
»  inonde  :  et  de  toutes  les  actions  , 
>>  pour  belles  par  apparence  qu'elles 
>>  soient  d'elles-mêmes  ,  il  en  rejette 
»  la  cause  à  quelque  occasion  vi- 
>'  cicuse  ,  ou  à  quelque  profit.  Il  est 
»  impossible  d'imaginer,  que  parmy 
»  cet  infiny  nombre  d'actions  ,  de 
»  quoy  il  n'y  en  ait  eu  quelqu'une 
»  produite  parla  voye  de  la  raison. 
»  Nulle  corruption  ne  peut  avoir 
»  saisi  les  hommes  si  universelle- 
»  ment ,  que  quelqu'un  n'échappe 
»  de  la  contagion.  Cela  fait  craindre 
»  qu'il  y  aye  un  peu  du  vice  de 
»  son  goust ,  et  peut  estre  advenu , 

(»5j  Itlenijibid. 


par  ses  menaces  ,  et  s'il  lui  avait  fait 
des  ofl'rA  honnêtes.  Palavicin  sou- 
tient cjue  le  cardinal  Cajetan  était 
retourné  à  Rome  vingt  mois  avant 
que  le  ban  contre  Luther  fût  publié 
(**) ,  et  que  le  discours  qu'il  lui  tint 
avant  cela  fut  plein  de  modération 
(19).  Palavicin  dit,  à  ce  propos,  que 

(16)  Montaigne  ,  Essais,  liv.  II  ,  chap.  X  . 
png.  m.   i53  ,  1 54- 

(*')  Net  libro  XIV. 

(17)  Quasi  le  prime  voci  date  nello  squillinio 
al  cardinal  Adnano  fossero  ,  non  perche  veru- 
no  have-r*e  intentions  d'elegget lo  ,  ma  per  con- 
sumare  indarno  quel'a  malinn.  Palavic.  ,  Isior. 

del  Concilio,    lib.    II,    cap.  Il ,  nuin,    7,  ail' 

ann.  i5ai. 

(18)  Palavicin. ,  ibid.  ,  num.  8. 

(*2J  A  5  di  sellembre  i5iç)  ,  corne  negli  Ail: 
consisloriali.  Idem,  ibid. 

(ici)  E  pur  è  cerlo  che  il  cardinal  di  Gaela 
non  parla  con  Lulero  ne  allora  ,  ne  dipoi  ,  ne 
per  gran  tempo  adielro  ;  essendo  tornalo  in  Ra- 
ina venu  mesi  prima  del  br.ndo  :  E  ijuando  gli 


332 


GUICCIARDIN. 


Guicciardin  ,  à  l'égard  des  choses  qui 
ne  concernaient,  pas  directement  sa 
matière ,  s'arrêtait  à  des  connais- 
sances confuses  ,  et  croyait  plutôt  le 
mal  que  le  bien  ,  afin  de  satisfaire 
son  esprit  de  médisance.  Il  ajoute 
quelque  chose  pour  le  rendre  fort 
suspect ,  à  l'égard  des  médisances 
qui  concernent  la  cour  de  Rome. 
Voici  ses  paroles  (20)  :  Dal  che  m'av- 
veggo  ,  che  quell'  istorieo  ,  di  cio  che 
non  apparteneva  al  suo  principal  ar- 
gomento  ,prese  notizie  molto  confuse: 
E  fh  anche  sempre  inclinato  a  cre- 
dere  le  peggiori ,  corne  appare  nella 
sua  spessa  maldicenza  di  ciasche- 
duno  ;  la  quale  appresso  alla  bulgare 
malignita  gli  ha  guadagnata  estima- 
zion  di  veridico.  Ma  contro  a  pon- 
te/ici fù  anche  pih  specialmente 
amaro  ,  cosi  per  quell'  usato  rancore 
che  i  ministri  di  lungo  sei\>igio  con- 
cepiscono  contra  i  padroni  da  cul  non 
ottennero  le  mercedi  sperate  ;  corne 
torse  perch'  egli  riconosceva  da  loro 
(a  perdita  delta  liberta  nella  sua  re- 
publica. 

(G)  //  n'est  pas  aisé  de  connaître 
si  Possevin  a  plus  d'inclination  a  le 
censurer  qu'à  le  louer.]  Il  lui  attri- 
bue un  grand  jugement,  et  beaucoup 
d'expérience  dans  les  affaires  publi- 
ques (21)  :  il  rapporte  l'opinion 
avantageuse  de  Thomas  Porcacchi 
touchant  cette  histoire  (22)  ;  mais  il 
dit,  aussi  que  Jean-Baptiste  Leone  pu- 
blia (a3)  cinq  livres  de  Considéra- 
tions r  sur  cet  ouvrage,  pour  en  mar- 
quer les  faussetés  et  la  pirtialité. 
Cette  critique,  ajoute-t  il ,  eït  entre 
les  mains  de  tout  le  monde  ;  il  n'est 
donc  pas  nécessaire  que  je  ta  rap- 
porte. Au  reste  ,  il  nous  avertit  que 
Clément  VIII  venait  de  faire  mettre 
dans  l'Index  la  version  latine  de  Guic- 

parlo  ,  gli  ojferse  benignamenle  il  perdono ,  se- 
cundo che  Lulero  stesso  raconta  :  E  la  medesi- 
ma  esihizione  gli  fu  pùi  voile  fatla  in  Vormazia 
nella  dieia,  conte  lesujic'o  Cesare  net  suo  ban- 
do.  Idem  ,  il  'ni . 
( 20J  Idem ,  ibid. 

(21)  Possevin.  ,  Kibliotli.  sclect.  ,  loin.  Il, 
lib.  XVI ,  cap.  XLl  ,pag.  336. 

(22)  Idem,  ibid. ,  pag.  33^. 

(î3j  A  Venise,  i583  :  cet  ouvrage  est  en  ita- 
lien. 

Joly  observe,  i°.  que  ces  Considérations 
ont  six  livres,  et  parurent  en  i583;  20.  que  ce 
n'est  point  une  critique  générale  de  l'ouvrage  de 
''uicciardio  ,  mais  la  justilication  des  Vénitiens 
»ur  ce  qu'il  en  avait  dit. 


ciardin  ,  composée  par  l'hérétique 
Cœlius  Velcurion  (  i\  ).  Il  prétend 
que  ce  fut  à  cause  que  le  traduc- 
teur n'avait  pas  bien  expliqué  l'ori- 
ginal (25)  :  mais  nous  verrons  ci-des- 
sous que  le  Vannozzine  nous  permet 
pas  de  nous  arrêter  à  cette  raison.  Si 
Possevin  avait  eu  en  vue  d'inspirer  à 
ses  lecteurs  une  grande  estime  pour 
l'ouvrage  de  Guicciardin,  il  n'aurait 
pas  eu  moins  de  soin  de  nous  parler 
de  Piémigius,  que  de  Jean-Baptiste 
Leone.  Ce  Rémigius,  moine  de  Flo- 
rence, est  auteur  d'un  livre  qui  fut 
imprimé  à  Venise,  l'an  1 582 ,  et  qui  a 
pour  titre  :  ConsiderationiCivili  sopra 
l' Historié  di  M.  Fr.  Guicciardini ,  e 
d'altri  histoiici. 

(H)  J' examinerai  tout  ce  que  M.  Va^ 
rillas  observe  là-dessus.}  Il  assure 
(26)  que  François  Ier.  et  Henri  VIII 
s'engagèrent,  en  1 532,  à  défendre  sans 
exception  et  sans  réserve  ,  quelque 
état  de  la  chrétienté  que    les    Turcs 

attaqueraient L'original  de  cette 

convention  ,  ajoute-t-il  (27) ,  se  trou- 
ve encore  dans  la  chambre  des  comp 
tes  de  Paris  :  il  faut  que  Guichar- 
din  n'en  eut  eu  aucune  connaissance, 
puisqu'il  écrit  positivement ,  et  que 
la  plupart  des  historiens  étrangers 
ont  depuis  assuré  sur  son  témoignage, 
que  le  roi  très-chrétien,  dans  le  même 
temps,  sollicitait  le  sultan  Soliman 
d! achever  la  conquête  de  la  Hon- 
grie ,  et  offrait  de  joindre  ses  forces 
a  celles  des  Turcs  ,  pour  attaquer  la 
maison  d' Autriche.  La  calomnie  est 
si  grossière ,  que  Paul  Jove,  qui  écri- 
vait l'histoire  en  même  temps  que 
Guichardin ,  et  dans,  V Italie  aussi- 
bien  que  lui,  s'en  est  aperçu.  Mais 
on  pardonnera  plus  aisément  a  Gui- 
chardin de  V avoir  prise  pour  vérité  , 
si  l'on  considère  qu'il  ne  l'a  écrite  que 
sur  la  fin  de  son  ouvrage;  et  que  les 
quatre  derniers  livres  de  cet  auteur 
ne  sont  ni  de  la  force  ni  de  l'autori- 
té des  seize  précédens  ;  qu'ils  sont 
imparfaits  en  plusieurs  endroits  ;  que 
celui  qui  les  avait  faits  ne  les  avait 
pas  jugés  dignes  d'être  imprimés ,  et 

(24)  Il  fallait  dire  Curion. 

(s5)  Haud  omninb  rectè  conversa  est.  Posse- 
vin. ,  Bibliolh.  sélect.,  tom.  II,  lib.  XVI,  cap. 
XLI ,  pag.  337. 

I2(i)  Varillas ,  Histoire  de  François  I".  ,  liv* 
Vil ,  pag.  220. 

(27)  Là  même,  pug-  221 . 


GtlïCCIARDIN.  333 

qu'ils  ne  le  furent  qu'après  sa  mort  ,  seize  livres.  Agnolo  Guicciardini  si- 
lorsque ses  héritiers  s'ingérèrent,  con-  gna  pour  tous  l'épître  dédicatoire, 
tre  son  intention,  île  les  donner  au  datée  de  Florence  le  20  de  juillet 
public  dans  la  troisième  édition.  Cela  1 564 ■  Le  pape  ,  le  doge  de  Venise  et 
ne  me  paraît  point  exact  :  je  ne  le  duc  de  Florence  accordèrent  des 
trouve  point  que  Guicciardin  ait  dit  privilèges  au  libraire  Giolito  ,  qui 
autre  chose,  si  ce  n'est  qu'en  i53i ,  furent  mis  au-devant  de  cet  ouvrage. 
François  Ier.  entretenait  des  intelli-  Et  ce  fui  sans  doute  ce  qui  empêcha 
gences  avec  les  princes  d'Allemagne  le  libraire  Btvilaqua  d'insérer  ces 
mècontens  de  l'empereur  ,  et  avec  le  quatre  derniers  livres  dans  l'édition 
pape  ,  et  avec  Soliman  (28)  :  et  qu'en  des  seize  premiers. 
1 532,  le  même  prince  et  Henri  V1JI  Ces  mêmes  quatre  derniers  livres 
projetèrent  d'attaquer  le  Milanez  ,  furent  imprimés  a  Parme  ,  appresso 
parce  qu'ils  crurent  que  Soliman  Seth  J  totti ,  l'an  i5t>7  ,  in-$0.,  con 
passerait  l'hiver  en  Hongrie  (29).  De  l'aggiunta  de  Sommarii  a  ciascun 
plus  je  ne  trouve  point  que  Paul  Jove  libro  ,  e  di  moite  Anjiotàlioni  in  mur- 
ait réfuté  ce  que  l'on  prétend  avoir  été  gine  dette  cose  piii  nolubili,  d  1  M.  Pi- 
dit  par  Guicciardin.  11  rapporte  seu-    pibio  Picedi  *. 

lement  comme  un  bruit,  qu'il  ne  veut        (I)  Je  rapporterai les  plaintes 

pas  garantir  pour  vrai ,  que  Soliman    un  peu  trop  dévotes  de Van- 

vint  en  Hongrie  ,  l'an  i532  ,  à  la  sol-  nozzi.]  Son  histoire  ,  dit-il  (32) ,  est 
limitation  du  roi  de  France  ,  et  à  plus  agréable  aux  particuliers  qu'à 
celle  du  roi  de  Pologne  (3o).  M.  Va-  ceux  qui  commandent  ;  car  il  a  par- 
rillas  s'exprime  comme  une  personne  lé  des  princes  sans  aucune  retenue 
persuadée  que  les  seize  premiers  li-  et  il  a  traité  si  mal  les  papes ,  que 
vrcs  de  l'histoire  de  Guicciardin  fu-  son  livre  ,  traduit  en  latin  a  élé  lu 
rent  imprimés  pendant  la  vie  de  l'au-  avec  une  extrême  avidité  dans  les 
teur.  Cela  est  faux.  Ils  furent  donnés  pays  hérétiques.  D'où  l'on  peut  con- 
au  public  l'an  i56i  ,  parles  soins  de  naître,  continue-t-il ,  qu'il  est  aisé 
ses  neveux.  L'épître  dédicatoire  à  aux  écrivains  italiens  de  faire  un 
Corne  de  Médicis,  duc  de  Florence, est  grand  tort  à  la  papauté.  Vannozzi 
signée  Agnolo  Guicciardini.  On  y  prétend  qu'ils  ne  doivent  point  dé- 
promet les  quatre  derniers  ,  quoi-  couvrir  la  vergogne  *le  leur  mère  •  et 
qu'on  en  confesse  l'imperfection  (3i).  que,  s'ils  publient  une  vérité  flétris- 
lis  ne  sont  pas  à  l'édition  de  Venise  ,  saute,  ils  pèchent  contre  la  charité  ■ 
i565  ,  »rt-4 '•  appresso  JYiccolà  Be-  et  que  s'ils  publient  des  faussetés,  ils 
vilaqua.  Elle  fut  corrigée  de  plusieurs  pèchenteontre  la  justice.  Je  ne  m'at- 
fautes,  et  augmentée  de  sommaires  tache  qu'en  gros  à  son  sens;  mais  en 
et  de  notes  marginales  par  le  père  en  faveur  de  ceux  qui  souhaiteront 
Rémi  Florentin.  Ils  ne  sont  point  de  savoir  plus  précisément  ce  qu'il  a 
non  plus  dans  l'édition  que  le  même  dit,  je  rapporterai  ses  propres  ter- 
Bevilaqua  fît  l'an  1 568  ,  in-$".  On  mes.  Si  che  vegga  un  pb  chi  scrive 
nedoitdoncpasdire,  avec  M.  Varillas,  con  quanta  facilita  egli  possa  pre- 
qu'ils  parurent  dans  la  troisième  édi-  giudicare  alla  Chiesa  liomana  ,  alla 
tion.  Il  faut  plutôt  assurer  qu'on  les  sedia  apostolica,  ed  al  Sonuno  Pon- 
imprima  à  part  à  Venise,  appresso  tep.ee  :  et  che  te  penne  de  gl'  Italia- 
Gabriele  Giolito  de'  Ferrari  ,  l'an  ni,  professanti  il  christiano,  o  sco- 
i564>  »n-4°.  Jai  cette  édition.  Les  prano  le  nostre  vergogne,  se  dicono 
neveux  de  l'auteur  la  dédièrent  au  il  vero ,  che  è  conlro  alla  carith  do- 
même  Côme  de  Médicis,  duc  de  Flo- 
rence ,  à  qui  ils  avaient  dédié  les  *  Joly  détaille  les  avantages  de  l'édition  don- 
née à  Venise  en  1^38,   deux  volumes  in-folio  , 

,   o\  /-    •     •     j-          11     v-v     ri-  édition  à  laquelle  on  préfère  aujourd'hui  celle  de 

(28)Gu,cc.ard,n.,  Ub.  XX ,  folio  m.  10,.  Fribourg   (Florence)  ,   ,„5-.-:G  ,   quatre  vola- 

(29)  Idem,  ibid.,fol.  108.  mes  in-4°. ,  el  la  réimpression  de  Milan,   i8oi, 

(30)  Paulus  Jovius,  Historix  Ub.  XXX,  fui.  dix  volumes  iu-8«.  La  traduction  française,  par 
ni.  187  verso.  Favre,  revue   par  Georgeon ,    est  de  l'/iX  ,  trois 

(3i)  Lasciando    attesta   opéra    imperfella   et  volumes  in-4°-  Joly  dit   1743;  ce  qui   peut  être 

nuatlro  allri  UÏlimi  libri  d'essa  piit  presto  ahbaz-  pour  quelques  exemplaires. 

irtti  chejiniti,  i  quàli  per  taie  cagione  non  si  (3a)  Vanuozii  ,  de  gli    Avverbmenii   politici  , 

uiaiulanofuori  al  présente.  loin.  II,  pag.  367. 


334 


GUICCIARDIN. 


vuta  al  prossimo  ;  o  calunniando  per 
odio,  o  per  altra  passione ,  chi  méri- 
ta esser  onorato  ,  facciono  da  niali- 
gno,  e  da  tristo  (33).  Il  avoue  que 
l'histoire  de  Guicciardin  ne  cause 
point  tant  de  scandales  depuis  qu'el- 
le a  e'te'  corrigée  ;  mais  il  soutient 
que  la  traduction  latine  faite  sur  le 

f>remier  original  (34)  peut  scanda- 
iserle  diable  même.  Ma  lafatta  La- 
tina,  cavata  dal  primo  originale ,  e 
piena  di  maledicenze  contro  a'  papi , 
ed  altri  ecclesiastici ,  pub  scandali- 
zave  il  Diavolo  stesso  ;  parla  di  quel 
ch'io  sb  di  propria  scienza ,  e  corne 
si  dice  di  veduta-  Ed  un  moderno 
scrittore ,  parlando  di  questa  storia, 
dice  cosi  per  V appunto.  Il  Guicciar- 
dini  ha  potuto  per  se  stesso  acquis- 
tar  tanto  d'autorita  ail'  Istoiia  sua, 
die  molle  indegnita  ,  molti  errori ,  e 
moite  bugie  ,  clï  ella  contiene ,  sono 
state  non  solo  sopportate  dal  mondo; 
ma  approhate  da  molti,  per  esempi  , 
e  per  dogmi  del  vero  ,  e  perfetto  vi- 
ver  civile.  E  lasciando  il  resto  ,  si 
legge  pur  in  esso,  un'aperta,  e  fas- 
tidiosa  irreverenza,  dice  il  medesimo 
moderno  sciitloi-e  ,  verso  gli  stessi 
vicari  di  Christo ,  con  grande  inde- 
gnita délia  sedia  apostolica,  et  non 
potendosi  accusarlo  d'ignora/iza,  bi- 
sogna  necessai^mente  confessarlo , 
per  troppo  appassionato  ,  e  commise- 
rarepiu  tosto,  chebiasimare  una  cosi 
bella,  ma  cosi  dijettosa,fatica  (35).  Ce 
long  passage  n'est  pas  inutile  ici,  puis- 
qu'il appartient  à  l'histoire  des  juge- 
mens  que  l'on  a  faits  de  Guicciardin. 

(K)  Je  n'oublierai  pas    la 

harangue  que  Guicciardin  attribue  a 
l' ambassadeur  des  Vénitiens.]  Il  n'y 
a  rien  de  plus  rampant  que  cette  ha- 
rangue. Cet  historien  suppose  qu'elle 
fut  faite  par  Antoine  Justiniani  à 
l'empereur  Maximilien  ,  l'an  i5og. 
Per  ottener  da  lui  con  qualunque 
conditione  la  pace,  gli  mandarono 
con  somma  celerita  ambascialore  An- 
tonio Giustiniano  :  il  quale  ammesso 
in  publica  audientia  al  cospetlo  di 
Cesare ,  parlb  miserabihtwnle  e  con 
grandissima  sommissioneÇiG).    11  ne 

(33)  Vannozzi  ,  de  pli  Avvcrt.  pol.,  loin.  II, 
pag.  367. 

(34)  Remarquez  bien  cela  contre  Posscvm. 
(35;  Vannozzi ,    Avvei  liment!    poliliti  ,     loin. 

II.  pag.  367. 

(36;    C.uicriardin.  ,    hb.    VIII,  folio     222 
verso. 


se  contente  pas  de  cette  idée  générale 
de  l'humilité  trop  soumise  des  Vé- 
nitiens; il  ajoute  qu'il  est  à  propos 
de  rapporter  toute  la  harangue  , 
afin  qu'on  voie  la  consternation  qui 
les  saisit.  Il  rapporte  donc  tout  le  dis- 
cours de  l'ambassadeur  ,  sans  y  faire 
d'autre  changement,  que  de  traduire 
le  latin  en  italien.  Won  mi  pare  alie- 
no  dal  noslro  proposito  ,  accioche 
meglio  s'intenda  in  quanta  conster- 
natione  d'animo  Juste  ridotta  quella 
Repub.  la  quale  gih  piii  dugento 
anni  ,  non  haveva  sentito  aversita 
pari  a  questa,  inserire  la  propria 
oralione  havuta  da  lui  innanzi  a  Ce- 
sare ,  transferendo  solamente  le  pa- 
role latine  in  voci  volgari,  le  quali 
furono  in  questo  tenore  (i^) .  Les  Vé- 
nitiens soutiennent  que  cette  ha- 
rangue est  chimérique  :  et  pour  le 
prouver  ils  allèguent  que  François 
Capello  (38) ,  qu'ils  avaient  envoyé  à 
l'empereur  après  qu'ils  eurent  repris 
Padoue,  n'eut  pas  même  la  permis- 
sion de  mettre  le  pied  sur  les  terres 
de  ce  prince  ;  et  que  Louis  Mocenigo 
et  Antoine  Justiniani ,  qu'ils  lui  en- 
voyèrent quelque  temps  après,  ne 
furent  non  plus  admis  ni  ouïs  que 
François  Capello.  Ce  qu'il  y  a  de  cer- 
tain est  que  ces  ambassadeurs  étaient 
chargés  de  faire  des  offres  très-avan- 
tageuses à  sa  majestéimpériale.  L'his- 
torien de  Venise  que  j'ai  cité  n'en 
disconvient  pas.  Pierre  Bembo  autre 
historien  de  Venise  l'avoue  encore 
plus  fortement.  Latum ,   dit-il  (3g)  , 

ut  Antonius   J ustininianus ad 

Maximilianum  recta  contenderet  ;  et 
cum  illo  ,  si  posset ,  pacem  quantum- 
vis  duris  conditionibus  foceret  :  Ter- 
gesteque  oppidum,  et  porlum  JYao- 
nis,  reliquaque  municipia ,  quœ  resp. 
ex  ejus  ditione  superiore  anno  cepe- 
rat,  Senatum  ei  paratum  esse  7'esti- 
tuere  :  ac  quœ  oppida  ex  Iiomano- 
rum  imperatorum  ditione  in  Garnis  , 
et  Gallid,  et  V^eneliâresp.  possideret, 
ea  se  Otnnia  illi  tanquam  accepta  re- 
laturum  nuntiaret.  Notez  qu'il  assure 
qu'Antoine   Justiniani  fut   envoyé  à 

(37)  Idem  ,  ibid. 

(38)  Voyez  {'Histoire  de  Venise  ,  par  Pierre 
Justiniani ,  au  livre  X  Porcacchi  la  elle  dans  sa 
préface  sur  Guicciardin  ,  et  dans  ses  notes  mar- 
ginales sur  le    VIIIe.  livre,   folio    222    verso. 

(3.))  lîembus,  Histor.  Venclœ  lib.  VIII  , 
circa  'mit.  ,foUo  m.  108  verso. 


GUICCI 

l'empereur  aussitôt  que  l'on  eut  ap- 
pris la  victoire  que  les  Français 
avaient  remporte'e.  Que  sait-on  si 
Guicciardin  n'avait  point  vu  la  copie 
de  la  harangue  que  Justiniani  avait 
pre'pare'e  ?  Cela  ne  le  disculperait 
point  5  car  s'il  e'taitvrai  que  l'ambas- 
sadeur n'eût  point  eu  d'audience,  on 
ne  pourrait  point  produire  son  ma- 
nuscrit comme  un  discours  actuelle- 
ment récite'  devant  l'empereur*.  11 
re'gnait  beaucoup  d'abus  dans  les  ha- 
rangues que  les  historiens  rappor- 
taient :  ils  les  composaient  eux-mê- 
mes selon  leur  caprice  ,  et  voulaient 
bien  que  l'on  crût  qu'elles  avaient 
e'te'  prononce'es  actuellement.  Lisez 
dans  Paul  Jove  ,  la  harangue  qui  fut 
faite  par  l'ambassadeur  du  duc  de 
Milan  ,  à  Charles  VIII,  pour  le  porter 
à  l'expédition  d'Italie  :  lisez-la  aussi 
dans  Guicciardin  5  vous  trouverez 
que  ce  sont  deux  pièces  qui  ne  se 
ressemblent  pas  (4o).  Le  discours  , 
que  le  doge  Lore'dan  fit  au  sénat  pour 
faire  envoyer  deux  cents  nobles  Vé- 
nitiens à  la  de'fense  de  Padoue,  est 
rapporte'  par  Guicciardin  tout  autre- 
ment que  par  Mocénigo  et  par  Jus- 
tiniani ,  historiens  de  Venise  (40- 

(L)  Guicciardin  composa  quelques 
autres  livres.]  Je  les  réduis  à  deux  , 
dont  l'un  a  pour  titre  Consigli  au- 
rei;  et  l'autre  ,  Avvertimenti  poli- 
tici.  Le  Ghilini  ne  parle  que  de  ces 
deux-là  (4'2).  Si  l'on  se  fiait  aux  ca- 
talogues des  bibliothèques,  on  ne 
s'arrêterait  point  à  ce  nombre  :  on 
attribuerait  à  Guicciardin  outre  cela, 
Pih  Consigli  e  AvveHimenli  in  ma- 
teria  cli  re  publica  ediprivata,  im- 
primés à  Paris  ,  l'an  1576  ,  in-4°. 
/  Precetti  e  Sententie  in  materia  di 
Slato  ,  imprimés  à  Anvers,  l'an  1 585, 
««-4°.  Avvertimenti  fiohtici,  impri- 
més à  Venise,  l'an  1 583  ,  in-^°.  Hy- 
pomneses  poè'ticœ.    Voilà    les    titres 

*  Leducbat  remarque  que  Jean  Lemaire  ,  au 
prologue  de  son  Traite  de  la  différence  des 
schismes  et  des  conciles,  composé  en  i5io  ,  parle 
de  cette  harangue  comme  ayant  été  prononcée 
en  présence  de  l'empereur  Maximilien  ,  et  rap- 
porte même  en  latin  et  en  français  la  réponse 
du  prince. 

(4o)  Porcacchi ,  Notes  sur  Guicciardin  .  lib.  I, 
folio  8. 

f/,i)  Là  même,  liv.  V III,  folio  23o. 

(4'')  Si  fedono  anco  del  suo  due  componi* 
menti  cheper  tilolo  hanno  ,  etc.  Gbilini  ,  Teatr. , 
tom.  I,  pag.  5çj. 


ARDIN. 


335 


que  Ton  trouve  dans  le  Catalogue 
d'Oxford,  sans  que  l'on  soit  averti 
que  ce  ne  sont  que  diverses  éditions 
des  mêmes  livres.  Les  libraires  sont 
cause  de  tels  désordres  ,  par  la  li- 
cence qu'ils  se  donnent  d'intituler  le 
même  ouvrage  tantôt  d'une  façon,  et 
tantôt  d'une  autre.  Mais  n'allez  pas 
croire  que  Guicciardin  ait  donné  des 
règles  de  poésie,  sous  prétexte  que 
le  Catalogue  d'Oxford  lui  attribue 
ffypomneses  poèïicœ.  C'est  une  fau- 
te d'impression  :  il  fallait  dire  My- 
pomneses  politicœ  :  car  c'est  ainsi 
que  le  traducteur  latin  des  Awrr/i- 
menti  politiri  de  Guicciardin  a  inti- 
tulé sa  traduction.  Remarquons  que 
ces  ouvrages  de  Guicciardin  ,  tra- 
duits en  français  par  Charles  de 
Chantecler  (43) ,  furent  imprimés  à 
Paris,  l'an  1S77 ,  /«-8°.  sous  le  titre 
de,  Plusieurs  Avis  et  Conseils  tant 
pour  les  affaires  d'état  que  privées.  Il 
y  a  une  lourde  faute  dans  le  Catalo- 
gue delà  Bibliothèque  de  M.  de  Thou. 
On  y  donne  (44)  à  François  Guicciar- 
din deux  livres  qui  ont  été  faits  par 
Louis  Guicciardin  son  neveu  ,  et  qui 
sont  intitulés ,  l'un  Raocolta  deidetti 
e  fatti  notabili  cosi  gravi  corne  pia- 
cevoli,  et  l'autre ,  More  di  Ricrea- 
tione.  Cette  méprise  renferme  une 
absurdité  ;  car  Guicciardin  l'oncle 
avait  tant  d'éloignement  des  plaisan- 
teries, qu'il  ne  lui  en  échappa  jamais 
aucune.  Il  était  grave  et  sévère  au 
souverain  point.  Fuit  indignalioni 
proclivior,  orisque  ductu  licet  suavi , 
tamen  severo  et  gravi,  genioque  su- 
pra modum  falsce  urbanitads  dicte- 
ras répugnante,  quorum  nullum  in 
totd  vitd  ipsi  unquain  excidisse  per- 
hibent  quidam  {fô).  On  lui  attribue 
dans  l'Epitome  de  Gesner,  une  his- 
toire italienne  urbis  Malice,  impri- 
mée à  Venise,  l'an  i56g. 

(M)  Son  neveu,  Louis  Guicciardin  , 
s'est  rendu  illustre  dans  la  républi- 
que des  lettres.]  Outre  les  deux  ou- 
vrages dont  on  vient  de  voir  le  litre  . 
il  publia  Commentarii  délie  cose  più 
memorabili  seguite  in  Europa ,  spe- 
cialmente  in  questi  Paesi-Bassi  dalla 

(43)  Voyez  la  Bibliothèque  française  de  du 
Verdier,  pag.  i5i. 

(44)  A  la  pag.  4<>3  de  la  IIe.  partie. 

(45)  Impérial!» ,  in  Mnsa:o  bistorico,  pag.  Ç)Ç). 
Voyez  aussi  la  Vie  de  Guicciardin,  composée 
par  ftemislo  Florentine 


3.56  GUICCIARDIN. 

di  Cambrai  del  M.  D.  XXIX   au  même  travail  ;    il  se   contente  de 


insino  a  UUlo  l'an  no  M.  D.  L.  J'en 
ai  l'édition  de  Venise  ,  appresso  Dô- 
me nie  o  Farri,  i566,  z'/j-4°.  L'auteur 
dédia  ce  livre  au  grand-duc  de  Flo- 
rence :  son  épître  dédicatoiie  est 
datée  d'Anvers,  le  icr.  de  janvier 
i565.  Cette  histoire  a  été  traduite  en 
latin  (46) ,  et  fut  suivie  bientôt  après 
par  la  Descrizione  di  tutti  i  Paesi- 
Bassi,  allrimenti  delti  Germania  in- 
Pays- 
'auteur 


dire  qu'on  le  prima  quant  à  l'impres- 
sion (49)-  Enfin  ,  il  n'est  pas  vrai  que 
la  traduction  française  ait  servi  d'o- 
riginal à  Vitellius  et  à  Brant.  Celui- 
là  déclare  dans  le  frontispice  de  sa 
version  (5o) ,  qu'il  a  travaillé  sur  l'i- 
talien ;  et  Valère  André  assure  la 
même  chose  par  rapport  à  Brant.  J'ai 
cité  ses  expressions.  Le  Ghilini  est 
tombé  dans  toutes  ces  fautes  pour 
avoir  suivi  aveuglément  Swertius 
(5i).  Le   Pocciantio  (5a)  assure    que 


Jeriore.  Cette  description    des 
Bas  est  un    fort  bon   livre  ;  l'a 

demeura  long-temps  en  ce  pays-là,  Louis  Guicciardin  entendait  la  langue 
et  prit  une  peine  extrême  de  s'infor-  latine  et  la  langue  grecque  ,  les  ma- 
rner de  toutes  choses,  et  se  porta  sur  thématiques,  et  l'antiquariat.  M.  de 
les  lieux  autant  qu'il  lui  fut  possible,  Thou  loue  beaucoup  la  description 
pour  ne  rien  dire  dont  il  ne  fût  bien  des  Pays-Bas  ,  et  nous  apprend  un 
certain.  Il  donna  trois  éditions  de  fait  remarquable,  c'est  que  le  duc 
cet  ouvrage  ;  la  dernière  est  de  l'an  d'Albe  fit  mettre  Louis  Guicciardin 
1 587  ,  et  surpasse  autant  la  seconde  ,  en  prison  ,  pour  avoir  écrit  un  livre 
que  celle-ci  la  première.  Ce  livre  fut  sur  les  motifs  qui  devaient  porter  à 
traduit  en  français  par  Belleforest,  et  abolir  le  carême.  On  peut  connaître 
en  latin  par  Jean  Brant  ,  sénateur  par-là  l'humeur  farouche  ,  et  l'or- 
d' Anvers,  et  par  Régnier  Vitellius.  La  gueil  énorme  de  ce  duc  ;  car  ce  ne 
traduction  de  Jean  Brant  n'a  point  fut  que  par  son  ordre  que  Guicciar- 
été  publiée  ;  l'auteur  se  voyant  pré-  din  écrivit  ce  livre  ;  mais  parce  qu'il 
venu  par  d'autres  la  supprima  (47)-  ne  donna  point  lui-même  le   manu- 


ige 

ce  qu'il  dit  :  Reynero  Vilellio ,  ed  contre  l'auteur ,  et  le  fit  emprison- 
avanti  di  lui  Giovanni  Branzio  ,  se-  ner  honteusement.  Guicciardin  fut 
natore  di  Anverza  ,  che  dal  f^itellio  trahi  par  une  personne  qui,  se  vou- 
ait preuenulo  ,  la  tradussem  dalfran-  lant  faire  un  mérite  de  sa  diligence , 
cese  nel  latino  (48).  Ces  paroles  sont    présenta  le  manuscrit  qu'on  lui  avait 

'  confié.  In  carcerem  isnominiosum 
ob  id  conjectus  ,  quod  Albanus  postea 
excusawit ,  cùm  diceret ,  non  tant  ob 
consilium   optimo    viix>    succensere  , 


pleines  de  fautes  ;  en  premier  lieu 
elles  signifient  que  la  traduction  de 
Brant  a  vu  le  jour  ;  car  lorsqu'on 
parle  d'un  livre  sans  marquer  ex- 
pressément qu'il  n'a  point  été  pu- 
blié ,  on  a  dessein  de  faire  entendre 
qu'il  est  sorti  de  dessous  la  presse. 
Cette  première  fausseté  est  suivie 
d'un  galimatias  affreux.  On  nous  as-   ^ 

sure  que  la  traduction  de  Brant   fut    pantis    diligentid    illud    peivenisset 
antérieure  à  celle  de  Vitellius  et  que    (53).   Il   mourut   à    Anvers,   le    as 
Brant  fut  prévenu  par  Vitellius.  Cesont    de  mars  158g,  à  l'âge  de  soixante-six 
des  choses  incompatibles  ,  quand  on    ans. 
oublie,  comme  le  Ghilini,  de  distin- 
guer la  composition  d'avec  l'impres- 
sion. Notezmême  que  Valère  André  ne 
dit  point  que  Jean  Brant  traduisit  ce 
livre  avant  que  Vitellius  s'appliquât 


quani  quod  illud  jussu  suo  ,  namj'a- 
tebatur,  cùm  scriptis  manddsset,  non 
per  ipsum  scriptorem ,  sed  per  alias 
manus  in  suas  prœposterâ  per- 
fidi    hominis    gratiam    suam    aucu- 


(46)  Par  Pierre  Paul  Kercldiovii 
lion  fut   imprimée  à  Anvers,  i5C0,  i 
Andréas  ,  Bibl.  belg- ,  pag.  754. 

(Y,-  i   ///.-..i  ,  ibid.  ,  pag.  4C7. 
43J  Ghilini  ,  Tcalro  ,  loin.  I,  pag 


Sa  tradm- 
in-8».  Val. 


(4g)  Ex  ilalicd  lalinam  factam  quia  in  eden- 
do  ab  àliis  prœvenlus  premere  maluit.  Valer. 
Andr. ,  Biblioth.  belg.,  pag.  467. 

(5o)  Ex  idiomale  italico  ad  exemplar  tertium 
ac  postremum  ab  ipso  aulhore  recognitum...  m 
lalinum  sermonem  conversd. 

(5i)  Voyez  les  Atbenœ  belgica:  de  Swertius, 
pag.  5qo. 

(5î)  Pocciantius  ,  de  Scriptor.  Florent. ,  pag. 


(53)  Tliuan 
3i5  ,  ad  ann. 


,  lib.  XCVI ,   subjin.,pag. 
i58<j. 


GUICH 

GUICHENON  *'  (Samuel),  avo- 
cat à  Bourg  en  Bresse,  me'rite 
une  place  illustre  parmi  les  his- 
toriographes qui  ont  fleuri  au 
XVIIe.  siècle.  Il  était  né  à  Ma- 
çon. Il  publia  en  i65o  l'Histoire 
de  Bresse  ,  après  quoi  il  travailla 
à  l'Histoire  généalogique  de  la 
maison  de  Savoie ,  et  la  fit  im- 
primer à  Lyon,  en  1660  ,  en 
deux  gros  volumes  in-folio.  11 
publia  en  la  même  année  un  li- 
vre latin  intitulé  Bibliotheca  Se- 
busiana  (A).  Ces  trois  ouvrages 
sont  très-bons  en  leur  espèce  ,  et 
l'ont  rendu  digne  des  récompen- 
ses dont  il  fut  gratifié  (a).  M.  le 
Laboureur  en  convient  ,  mais 
d'une  manière  qui  semble  accu- 
ser d'ingratitude  la  cour  de  Fran- 
ce (B)  envers  ses  historiographes. 
Il  avait  été  de  la  religion  (*) ,  et 
il  mourut  dans  la  communion 
romaine  ,  le  8  de  septembre 
1664  *2.  Nous  verrons  ci-des- 
sous qu'on  l'accuse  de  plagia- 
risme  (C). 

On  m'a  accusé  d'avoir  cru  mal 
à  propos  qu'il  avait  été  hugue- 
not. La  réfutation  de  cette  cri- 
tique a  paru  dans  les  Mémoires 
de  Trévoux ,  au  mois  de  janvier 
1703  (b)  ;  mais  je  m'en  vais  di- 
re quelque  chose  de  plus  fort 
que  tout  cela  :  je  vais  citer  un 
ministre  qui  a  reproché  publi- 

**  D'après  le  père  Niceron ,  Chaufepie' 
donne  quelques  corrections  à  cet  article. 

(a)  Ses  titres  sont  :  Seigneur  de  Paines- 
stijrt,  conseiller  et  historiographe  du  roi,  et 
de  son  altesse  royale,  comte  Palatin,  che- 
valier de  l'empire ,  et  de  la  sacrée  religion 
des  saints  Maurice  et  Lazare 

(")  Il  y  a  eu  des  réfugie's  de  ce  nom  ,  et  il 
y  en  a  encore  dans  le  Brandebourg.  Ils  sont 
du  voisinage  de  Cbâtillon-les-Dombes.  Rem. 
CR1T. 

*2  II  avait  cinquante-sept  ans  ,  étant  ne'  le 
,18  août  1607. 

(b)  De  l'édition  d'Amsterdam  .  ]>a° .  5g, 

Tome  vu. 


ENON.  337 

quement  à  Guichenon  d'avoir 
abjuré  la  religion  réformée.  Il 
se  sert  de  phrases  fort  dures  (D); 
ce  qui  peut  insinuer  qu'il  était 
fort  assuré  de  son  fait. 

(A)  Il  publia un  livre  intitu- 
lé Bibliotheca  Sebusiana.  ]  C'est  un 
in-ù)°.  de  44$  pages  ,  imprime'  à  Lyon. 
Pour  faire  comprendre  suffisamment 
de  quoi  il  traite,  il  ne  faut  qu'en 
donner  ici  tout  le  titre  :  Bibliotheca 
Sebusiana  ,  sife  varianan  chartarum, 
diplomatum  ,  Jundationum  ,  privile- 
eiorum  ,  dunationum  etimmunitatum 
à  suinmis  pontificibus ,  imperalori- 
bus ,  regibus,  aucibus  ,  marchioni- 
bus,  comitibus  ,  et  proceribus ,  ec- 
elesiis ,  monasteriis  et  aliis  locis  aut 
personis  concessarum  ,  nusquàm  an- 
tea  editarum,  miscellœ  Centuriœ  II. 
Ex  archivis  regiis  ,  monastcriorum 
tabufariis  et  codicibus  manuscriptis 
ad  hisloriœ  lucetn  collegit,  et  ad  lo- 
corum  explicationem  et  Jamiliarum 
illustrium  cognitionem  notis  illustra- 
vit  S .  Guichenon  ,  Dominus  de  Pai- 
nessuyt ,  Régi  a  consiliis  ,  Franciœ, 
Sabaudiœ ,  et  Dombarum  Historio- 
graphie*, Eques  auratus  et  Cornes 
Palatinus  ,  sacrœ  Religionis  SS. 
Mauritii  et  Lazari  miles. 

(B)  M.  le  Laboureur  .  .  .  semble 
accuser  d' ingratitude  la  cour  de 
France  envers  ses  historiographes.  1 
Voici  les  paroles  de  M.  le  Laboureur: 
«  En  même  temps  qu'elle  (i)  accroît 
»  leurs  limites  par  ses  victoires  , 
»  elle  fait  travailler  à  l'histoire  ge'- 
»  ne'alogique  des  ducs  de  Savoie  ,  et 
»  c'est  tout  dire  pour  bien  louer  son 
»  choix  ,  et  le  me'rite  de  l'ouvrage 
»  qui  est  à  présent  (a)  sous  la  presse, 

*  Il  avait  fait ,  dit  Leclerc  ,  une  Histoire  de  la 
principauté  de  Dombes ,  qui  n'a  jamais  été  im- 
primée. Il  y  en  a  un  manuscrit  dans  la  Bibliothè- 
que de  Lyon  ;  ce  D'est  qu'une  copie  qui  vient  du 
président  Pianel^i  de  la  Valette.  Delandine,  dans 
les  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  de  Lyon,  tom. 
II,  pag.  (>8  ,  dit  que  pour  retirer  et  anéantir  la 
minute  de  cette  histoire,  Mademoiselle  de  Mont- 
pensier  lit  compter  à  l'auteur  la  somme  de  trois  mil- 
le livres.  Mais  il  paraît  que  la  minute  n'a  pas  été 
anéantie;  car  on  lit  dans  la  Bibliothèque  histori- 
que de  la  Fiance,  tom.  III,  num.  3t3o48 ,  que 
«  l'original  est  entre  les  mains  de  M.  de  riorsat  , 
»  gentilhomme  de  Bresse.  » 

(i)  C'est-à-dire,  la  duchesse  de  Savoie,  saur 
de  Louis  XIII. 

(i)  Le  Laboureur  écrivait  l'an  1659. 


338 


GUICHENON. 


»  d'en  nommer  l'auteur  ,  le  sieur 
»  Guichenon  ,  qui  a  ci-devant  illus- 
»  tré  la  Bresse,  sa  patrie  ,  d'un  si 
»  excellent  recueil  de  ses  Antiquités, 
)>  et  de  l'Histoire  de  ses  anciens  sei- 
«  gneurs  et  de  toute  la  noblesse  de 
»  cette  province.  Si  cette  princesse 
»  n'était  fille  du  grand  Henri  IV, 
»  j'aurais  honte  ,  pour  notre  nation, 
»  de  dire  qu'elle  lui  a  témoigné  dans 
»  le  cours  de  cette  entreprise,  par  les 
»  honneurs  qu'il  en  a  reçus  ,  que  les 
»  cœurs  des  souverains  ne  se  mesu- 
»  rent  point  selon  l'étendue  de  leurs 
»  états  ,  et  que  la  condition  d'histo- 
»  riographe  de  Savoie  est  aujour- 
»  d'hui  la  plus  glorieuse  et  la  plus 
»  heureuse  du  monde  (3).  » 

(C)  On  l'accuse  de  plagiarisme.  ] 
L'accusation  est  contenue  dans  ces 
paroles  de  Varillas.  «  Je  parle  dans  le 
»  onzième  livre  des  prétentions  du 
»  duc  de  Savoie  ,  et  de  l'évêque  de 
»  Genève ,  sur  la  ville  dont  il  porte  le 
»  nom  ,  et  j'avoue  d'avoir  profité  du 
»  travail  de  M.  Guichenon.  Ce  n'est 
»  pas  que  je  n'aie  trouvé  cet  auteur 
»  trop  attaché  à  la  maison  souveraine 
»  de  Savoie,  dont  il  était  sujet  :  mais 
»  comme  cette  inclination  ne  l'a- 
»  vait  pas  empêché  de  lire  tous  les 
»  livres  imprimés  et  manuscrits  qui 
»  servaient  à  son  ouvrage  ,  j'y  en  ai 
»  lu  des  fragmens  que  je  n'avais 
»  point  encore  vus.  La  sincérité  ne 
»  me  permet  pas  toutefois  de  dissi- 
»  muler  une  de  ses  fautes,  qui  me 
»  paraît  si  grossière  ,  qu'il  est  éton- 
»  nant  que  personne  ne  se  soit  en- 
»  core  avisé  de  la  reprendre.  Il  re- 
»  proche,  dans  sa  préface,  à  Guillau- 
»  me  Paradin  ,  d'avoir  tiré  presque 
»  toute  son  histoire  de  Savoie  de  l'an- 
»  cienne  chronique  de  cette  maison  , 
)>  et  de  l'histoire  de  Hiérôme  Cham- 
»  pier  ,  sans  avoir  jamais  cité  ni  l'un 
»  ni  l'autre  de  ces  auteurs  :  cepen- 
»  dant  j'ai  découvert  que  Guichenon 
»  est  tombé  dans  la  même  ingrati- 
»  tude  dont  il  accuse  Paradin.  On 
»  connaît  assez  l'histoire  italienne 
»  du  provéditeur  Nani ,  et  l'on  con- 
»  vient  qu'il  y  en  a  peu  de  notre 
)>  siècle  qui  approchent  de  sa  politesse 
»  et  de  son  raffinement.  Si  l'on  se 
»  donne  la  peine  de  la  confronter 
»  avec   ce  que  Guichenon  rapporte 

(3)  Le  Laboureur ,  Additions  aux  Mémoires 
de  Castcluau  ,  loin.  I,  pag.  ■"Si. 


»  des  derniers  ducs  de  Savoie  ,  on 
»  verra  qu'il  l'a  insérée  mot  à  mot*' 
«  dans  son  dernier  tome  ,  sans  s'être 
»  souvenu  de  rendre  justice  à  l'his- 
»  torien  qu'il  copiait  (4).  » 

(D)  Un  ministre  .  . .  a  reproché  pu- 
bliquement a  Guichenon  d' avoir  ab- 
juré la  religion  réformée.  Il  se  sert 
de  phrases  fort  dures.  ]  Considérez 
seulement  la  parenthèse  du  passage 
que  je  m'en  vais  copier.  «  Guiche- 
»  non .  . .  vient  de  mettre  en  lumière 
»  une  grande  histoire  en  trois  grands 
»  volumes  in-folio ,  où  il  falsifie  évi- 
»  demment ,  contre  science  et  con- 
»  science  ,  tout  ce  qui  regarde  le 
»  droit,  l'innocence  et  la  conduite 
»  de  ces  Vaudois  ,  tant  en  général 
«  qu'en  particulier  ;  et  il  ne  se  donne 
»  point  de  honte  d'employer  sa  plu- 
»  me  mercenaire  à  démentir ,  et  la 
»  vérité  des  massacres  de  l'an  i655  , 
»  et  de  tout  ce  qu'il  croit  qui  puisse 
)>  tendre  à  la  justification  de  ces  fi- 
»  dèles ,  et  à  faire  passer  la  plus 
»  grande  cruauté  et  perfidie  de  leurs 
»  ennemis  pour  des  actes  de  grand 
»  support  et  douceur (  ce  qde  je   ne 

»  TROUVE  PAS  ÉTRANGE  A  UN  RENÉGAT 
)>  QUI  A  APOSTATE  DE  LA  VÉRITÉ  CON- 
»  NUE  POUR  SE  RENDRE  AUX  INTÉRÊTS 

»  du  mensonge  (5)  ).  »  Voilà  ce  que 
Jean  Léger ,  ministre  et  modérateur 
des  églises  des  Vallées  a  observé  dans 
sa  préface  **.  Voyons  ce  qu'il  dit 
dans  le  corps  du  livre  ,  lorsqu'il  veut 
justifier  son  oncle  Antoine  Léger  , 
dont  Guichenon  parle  comme  d'un 
esprit  factieux  et  coupable  de  divers 
crimes.  «  Il  me  suffirait ,  pour  réfuter 
»  ce  Guichenon  ,  de  dire  qu'il  est  né 
»  lui-même  ,  et  a  été  nourri  dans  la 
»  religion  réformée ,  et  qu'il  a  fait 
»  partie  de  ses  études  avec  le  susdit 
»  Léger,  dont  il  s'était  montré  grand 

*'  Leclerc  fait  observer  que  l'histoire  de  Nani 
ne  parut  qu'en  1662,  environ  deux  ans  après  l'ou- 
vrage de  Guichenon  ,  qui  ne  peut  être  ici  le  pla- 
giaire Mais  il  est  à  croire,  .\joute  Leclerc  ,  que 
les  deux  auteurs  se  sont  ainsi  rencontrés  parce 
qu'ils  ont  puisé  aux  mêmes  sources. 

(4)  Varillas  ,  préface  du  IIIe.  loin,  de  {'His- 
toire de  l'Hérésie. 

(5)  Jean  Léger,  Histoire  générale  des  Eglises 
vaudoises ,  à  la  fin  de  la  préface ,  e'dit.  de 
Leyde ,    1699  ,  in-folio. 

*2  Joly  devait  excuser  et  excuse  en  effet  Gui- 
chenon sur  son  changement  de  religion  ,  et  ren- 
voie au  volume  XXXI  des  Mémoires  de  Niceron, 
et  à  la  Bibliothèque  de  Bourgogne ,  pour  la  liste 
des  ouvrages  de  Guichenon. 


GUY 

»  camarade,  comme  le  même  sieur 
»  Léger  me  l'a  dit  de  sa  propre  bou- 
>>  che  ;  mais  que  du  depuis  ,  pour  par- 
»  venir  aux  honneurs  où  il  est  maio,- 
■»  tenant  ,  il  a  tourne  casaque ,  et  re- 
»  nie'  la  vérité  connue,  pour  embras- 
»  ser  la  messe  ;  prenant  pour  sa  de- 
»  vise  le  proverbe  italien  Guelfo  io 
i>  fui  ,  e  Gibbelin  m'apello ,  à  chi  più 
»  mi  dara  volterb  il  manlello.  Car 
»  nul  ne  doute  que  qui  vend  son  unie 
»  pour  du  pain,  et  sa  primogeniture 
»  pour  un  potage  de  lentilles  ,  ne 
»  puisse  bien  louer  sa  langue  et  sa 
»  plume  à  dire  et  écrire  tout  ce  que 
»  veulent  ceux  dont  il  est  le  merce- 
»  naire.  Aussi  sais -je  de  certaine 
))  science  qu'il  n'a  pas  ose  coucher 
»  une  ligne  dans  son  livre  ,  qui  n'ait 
»  e'te'  crible'e  et  recriblée  à  Turin  , 
»  ni  pu  refuser  d'y  fourrer  tout  ce 
»  que  répondaient  les  oracles  du 
»  marquis  de  Pianesso ,  et  du  prési- 
»  dent  Truquis  (6)  :  et  j'ai  en  main 
»  de  quoi  le  prouver  (7).  » 

Il  le  réfute  ailleurs  (8)  sur  deux 
faits  ,  et  marque  encore  que  c'est  un 
homme  qui  a  fait  faux  bond  a  la  reli- 
gion ,  et  renié  la  vérité  connue  pour 
les  avantages  du  monde. 

(6)  Il  le  nomme  Truchis ,  a  la  page  164  de  la 
I".  part. 

(■j;  Léger,  Histoire  des  Églises  vaucloises, 
IIe.  pari.,  pag.  68  ,  6g. 

(8)  Là  même,  pag.  262.  Voyez  aussi  pag. 
III. 

GUYET  (François)  était  d'An- 
gers ,  et  d'une  fort  bonne  fa- 
mille (A),  et  l'un  des  meilleurs 
critiques  qui  aient  vécu  dans  le 
XVIIe.  siècle.  Il  naquit  l'an 
i5j5  (B),  et  il  était  encore  en- 
fant lorsqu'il  perdit  son  père  et 
sa  mère.  Le  peu  de  bien  qu'ils 
lui  laissèrent  fut  presque  réduit 
à  rien  par  la  mauvaise  conduite 
de  ses  tuteurs.  Cela,  bien  loin  de 
le  rebuter  de  l'étude ,  le  poussa 
à  s'y  attacher  avec  plus  d'appli- 
cation :  et  comme  il  crut  que  le 
séjour  de  Paris  lui  fournirait  les 
moyens  de  perfectionner  son  es- 
prit et  son  jugement ,  par  la  con- 
versation des  gens  doctes,  il  fit 


ET.  339 

ce  voyage  en  i5gc).  II  ne  tarda 
guère  à  s'acquérir  l'amitié  de 
Christophle  et  d'Augustin  du 
Puy  ,  les  deux  fils  aînés  de  Clau- 
de du  Puy  (a) ,  qui  avait  été  l'or- 
nement et  le  soutien  des  belles- 
lettres.  Les  liaisons  qu'il  eut  en- 
suite avec  Pierre  et  Jacques  du 
Puy,  fils  du  même  Claude  du 
Puy  ,  lui  furent  extrêmement 
avantageuses  pour  faire  de  grands 
progrès  dans  les  sciences  ;  car 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  ha- 
biles gens  à  Paris  voyaient  sou- 
vent ces  deux  frères  ,  et  il  s'en 
assemblait  tous  les  jours  bon 
nombre  chez  monsieur  le  prési- 
dent de  Thou  ,  où  MM.  du  Puy 
faisaient ,  en  quelque  manière , 
les  honneurs  de  la  maison.  Après 
la  mort  de  ce  président ,  ce  fu- 
rent eux  qui  continuèrent  de  te- 
nir ces  conférences  au  même 
lieu.  Guyet  se  trouvait  fort  rè- 
glement à  ces  assemblées.  11  fit 
un  voyage  à  Rome  ,  en  1608  ;  et 
il  s'appliqua  si  fortement  à  l'é- 
tude de  l'italien  ,  qu'il  se  rendit 
capable  de  faire  des  vers  en  cette 
langue  ,  que  les  meilleurs  poètes 
de  la  nation  n'auraient  pas  jugés 
indignes  de  leur  veine.  Il  renou- 
vela avec  Régnier  (b) ,  qui  était 
alors  chez  le  cardinal  de  Joyeuse, 
la  connaissance  qu'ils  avaient  dé- 
jà faite  à  Paris  ;  et  il  se  fit  fort 
estimer  du  cardinal  du  Perron  et 
de  Gabriel  de  l'Aubespine  ,  évê- 
que  d'Orléans  * ,  auquel  il  donna 
du  secours  plus  d'une  fois  pour 
l'explication  de  plusieurs   passa- 

(«)  //  était  mort  en  l5o,^. 

(A)  Poêle  français  ,  célèbre  par  ses  satires. 

"  Leclerc  ne  croit  pas  que  Guyet  ait  pu 
se  trouver  à  Rome  avec  G.  de  1  Aubespine 
qui, sacre  en  160^,  tint  un  synode  à  Orléans  eu 
1606  ,  et  y  fit  son  entrée  au  moi»  de  septem- 
bre 1608.' 


34o  GUYET. 

gesdifficiles,  tant  des  écrivains  sa-  à  la  Bibliothèque  du  roi  ,  ou  se 
crés  que  des  écrivains  profanes,  tinrent  ensuite  leurs  conféren- 
II  revint  à  Paris  par  l'Allemagne  ,  ces.  Sa  principale  occupation  fut 
et  entra  chez  le  duc  d'Épernon  un  ouvrage  où  il  prétendait  mon- 
pour  diriger  les  études  de  l'abbé  trer  que  la  langue  latine  était 
de  Granselve  ,  qui  fut  ensuite  si  dérivée  de  la  grecque ,  et  que 
connu  sous  le  nom  de  cardinal  tous  les  mots  primitifs  de  celle- 
de  la  Valette  (c).  Comme  il  en-  ci  n'étaient  composés  que  d'une 
tendait  à  fond  les  auteurs  grecs  syllabe.  Il  était  le  premier  à  qui 
et  latins,  il  y  choisit  ce  qu'ils  ce  dessein  fut  monté  dans  la  pen- 
avaient  de  plus  propre  à  son  dis-  sée  :  c'est  ce  qui  faisait  qu'il  vou- 
ciple,  et  le  lui  expliqua ,  non  pas  lait  être  le  seul  qui  eût  la  gloire 
en  pédant ,  mais  d'une  manière  de  l'exécution  ;  ainsi  il  ne  mon- 
proportionnéeà  l'usage  qu'en  de-  trait  à  personne  les  essais  de  son 
vait  faire  un  homme  destiné  à  de  travail.  Quelque  longue  et  con- 
grands  emplois.  Ce  disciple  pro-  tinuelle  qu'ait  été  son  applica- 
fita  beaucoup  des  leçons  d'un  si  tion  à  composer  cet  ouvrage  , 
savant  maître,  et  conçut  pour  elle  a  été  entièrement  inutile; 
lui  tant  d'estime ,  qu'il  lui  con—  car  on  n'a  trouvé  après  sa  mort 
fia  toujours  ses  affaires  les  plus  qu'une  vaste  compilation  de  ter- 
importantes.  Il  le  mena  avec  lui  mes  grecs  et  latins  (e) ,  sans  or- 
àRome,  lorsqu'il  y  alla  après  son  dre  ni  suite,  et  sans  aucune  pré- 
cardinalat, et  lui  fit  avoir  un  face  qui  expliquât  son  projet: 
bon  bénéfice  ,  outre  celui  qu'il  de  sorte  qu'il  semble  qu'il  ait  eu , 
lui  avait  déjà  conféré  (d).  Guyet  à  l'égard  même  du  papier  ,  la 
étant  de  retour  à  Paris  aima  défiance  qui  l'empêchait  d'expli- 
mieux  vivre  en  particulier ,  que  quer  à  ses  amis  son  plan  ,  sa  mé- 
chez  le  cardinal  de  la  Valette  ,  et  thode  et  ses  principes.  11  n'a 
fit  élection  de  domicile  dans  le  pas  laissé  de  travailler  à  d'autres 
collège  de  Bourgogne.  C'est  là  choses  ;  les  marges  de  son  Ho- 
qu'il  vécut  jusques  à  sa  mort  ,  ne  race,  de  son  Virgile  ,  de  son  Lu- 
songeant  qu'à  ses  études  ,  et  se  cain  *'  ,  de  son  Plaute,  de  son 
contentant  de  faire  sa  cour  pen-  Martial ,  de  son  Philoxène  ,  de 
dant  que  ce  cardinal  était  à  Pa-  son  Hésychius  *2 ,  etc.  ;  étaient 
ris  ;  car  pour  le  suivre  dans  les  toutes  pleines  de  remarques  de 
armées  et  dans  les  provinces ,  critique  (C)  ,  où  il  se  donnait 
c'est  à  quoi  il  n'aurait  su  se  ré-  beaucoup  de  licence  (D);  car  il 
soudre.  Il  avait  tous  les  jours  la 

Conversation    de  MM.    du    Puy  ,       .(*)  Elle  contenait  vingUcinç  mains  de pa- 

J    '     pier  in-folio,  dune  écriture  nette  et  fort  u- 

qui  logeaient  à  1  hôtel  de  Thou  ,    sible. 

assez    près  du    Collège    de    Bour-    T   "  Joly  dit  que  les  remarçuesde  Guyet  sur 

1  .  <       i       i  »  i        Lucain  sont    imprimées  dans  1  édition  de  la 

gOgne;  mais,  après  le  départ   de     Pharsale,  donnée  par  Oudendorp,   Leyde, 

M.  Rigaut,  ils  se  transportèrent    i728-in-4°- 

*2  Joly  dit  que  Guyet  avait  aussi  travailla 

{c)  Il  fut  fait  cardinal  en  1621.  sur   Cicéron.   Bayle   n'avait   pas   cru    devoir 

{d)  L'un  de   ces   deux   bénéfices   était    le     épuiser    la   liste    des  auteurs    sur   lesquels 

prieure'  de  Saint- Andrade ,  auprès  de  But-    Guyet   s'était  exercé.   Les  livres  de  Guyet 

deaux.  V oyez  /'Histoije  de  1  Académie  Iran-     étaient  dans  la   bibliothèque  de    la   maison 

çaise  ,  pag-,  m.  269.  professe  des  jésuites,  à  Paris. 


GUYET.  34i 

rejetait  comme  des  vers  supposés    ne  (h).  J'en  ai  tiré  ce  qu'on  vient 

tous  ceux  qui  ne  lui  paraissaient    de  lire. 

pas  sentir  le  génie  de  l'auteur. 

Ce  qu'on  a  trouvé  de  plus  entier 

a  été  ses   notes   sur   Térence  ; 

aussi  ont-elles  été  publiées  dans 

l'édition  de  Strasbourg,  eu  1657, 

ayant  été  envoyées  au  docte  Boé- 

cîérus  par  Jacques   du    Puy.   Il 

avait  eu  ce  bonheur  qu  il  s  était  jou  .  celui.d    a  com"posë   des  vers 

acquis   la   réputation  d'un  très-    français  Ci).  Voilà  ce  que  M.  Portner 


(h)  II  s'est  déguisé  sous  le  nam  de  Anto- 
nius  Périander  Rhretus.  Voyez  Place.  ,  de 
Scriptor.  Anonymis  et  Pseudon. ,  pag.  236'. 

(A)  //  était  d'une  fort  bonne  fa- 
mille. ]  Il  avait  deux  oncles,  Le'zin 
Guyct ,  et  Martial  Guyet  :  celui-là  , 
conseiller  au  prc'sidial  d'Angers  ,  a 
fait  une  carte  de  la  province  d'An- 


savant  homme  ,  encore  qu'il 
n'eût  rien  fait  imprimer  :  et  lui , 
sage  de  s'être  épargné  les  dispu- 
tes où  il  lui  eût  fallu  descendre  , 
s'il  eût  publié  des  livres  (E).  Il 
démordait  rarement  de  ce  qu'il 
avait,  avancé.  Il  s'échauffait  si  on 
lui  contestait  quelque  chose  ,  et 
lançait  alors  des  railleries  fort 
plaisamment.  Il  avait  une  mé- 
moire très  -  heureuse  :  il  était 
franc  ,  sincère  ,  et  homme  de 
bien.  Il  s'était  fait  tailler  ,  l'an 
i63(S  ,  et  avait  supporté  avec 
une  fermeté  incroyable  les  dou- 
leurs de  l'opération.  A  cela  près, 
il  n'avait  senti  presque  aucune 
incommodité  dans  une  très-lon- 
gue vie  ;  et  il  fut  assez  heureux 
pour  être  emporté  d'un  catarrhe, 
qui  sans  le  faire  souffrir  qu'envi- 
ron trois  ou  quatre  jours ,  donna 
lieu  aux  fonctions  accoutumées 
du  curé  de  la  paroisse.  Il  mou- 


dëbite.  J'y  trouve  quelque  difficulté, 
quand  je  le  compare  avec  ce  que 
M.  Ménage  m'apprend  (i),  savoir  :  que 
Lézin  Guyet,  conseiller  au  présidial 
d'Angers  ,  et  auteur  de  la  première 
carte  de  la  province  d'Anjou  ,  était 
échevin  d'Angers  ,  en  i4g3.  Mais  cette 
difficulté  s'évanouit  dès  que  je  consul- 
te la  Croix  du  Maine  (3)  ,  qui  m'ap- 
prend que  Lézin  Gnyet  naquit  l'an 
i5i5,  le  i3  de  février.  Dès  là  je  ne 
doute  plus  que  l'imprimeur  de  M.  Mé- 
nage n'ait  mis  un  chiffre  pour  un 
autre,  ou  que  M  Ménage  n'ait  pris 
quelque  Lézin  Guyet  antérieur  au 
frère  aîné  de  Martial  ,  pour  celui  qui 
a  fait  la  carte  d'Anjou  ;  car  je  vois 
qu'il  donne  à  Lézin  Guyet  un  fils 
nommé  André,  et  qu'il  parle  de  deux 
André,  dont  l'un  était  maire  d'An- 
gers, en  iS.'in  ,  et  l'autre,  échevin  de 
la  même  ville  ,  en  i5iç).  Il  n'est  pas 
possible  que  le  dernier  de  ces  deux 
André,  soit  fils  de  celui  qui  a  fait  la 
carte  d'Anjou ,  puisque  l'auteur  de 
cette  carte  est  né  en  i5i5.  Par  cette 
même  raison  ,  il  n'y  a  nulle  appa- 
rence qu'il  soit  le  père  de  l'autre 
André;  mais  ils  pouvaient  être  tous 
deux  iils  d'un  Lézin  Guyet ,  échevin 


rut  entre  les  mains  de  Jacques  du  d'An&efrsJ>n  ^?3"  Q^A  qu'ï,  en 
r»  ^1  ht  ht'  soit ,  M.  Ménage  donne  1  éloge  d  «h- 
Puy  et  de  M.  Ménage ,  son  corn-  cienne  à  cette  famiue-  et  ayant  nom- 
patriote,  le  12  d'avril  l655  (f)  ,  mé  quelques  autres  personnes  de  ce 
âgé  de  quatre-vingts  ans.  Sa  vie  nom  ,  il  vient  à  notre  François  Guyet , 
f>)  a  été  écrite  fort  sensément  et  et  !>PPeUe  le  plus  savant  des  An- 
P '           i-                      ,      .                  -,  setnns  qui  soient  venus  a  sa  connais- 

tort  poliment  en  latin  ,  par  M.  L 
Portuer  ,  sénateur  de  Ratisbon- 


(f)  Reinesius,  epist.  ad  D.iumium  ,  pag. 
170,  s'est  trompé  en  mettant  1657. 

(g)  Elle  est  à  la  tête  du  Commentaire  de 
Guyet  sur  Térence  ,  imprimé  avec  celui  de 
Boéclérus,  à  Strasbourg  ,  en  i65j. 


sance. 

(B)  Il  naquit  l'an  15^5.  ]  On  n'a 
su  cela  que  par  le  témoignage  de  ses 
héritiers  ;  car,  pour  lui,  if  a  tou- 

(1)  Voyez  la  Croix  du  Maine  ,  pn?.  3n. 

(2)  Remarques  sur  la  Vie  de  Guillaume  Me- 
nace ,    pfl.ï.    2U2. 

(s)  BiUiotuéiiue  française  ,  pttg.  289. 


342 


GUYET. 


jours  cache,  même  à  ses  amis, Tannée 
de  sa  naissance  ;  il  ne  voulait  point 
passer  pour  aussi  vieux  qu'il  l'était 
(4)  ;  et  comme  il  se  flattait  de  l'espé- 
rance  de  vivre  beaucoup  plus  qu'il 
n'a  vécu,  il  e'tait  bien  aise  que  l'on 
ne  sût  pas  son  âge.  En  toute  autre 
chose,  c'était  assez  sa  coutume  de  n'a- 
voir aucun  confident  ;  mais  peut-être 
n'y  en  avait-il  point  qu'il  cachât 
mieux  que  celle-là  ;  et  comme  il  n'a- 
vait guère  grisonne'  dans  sa  vieil- 
lesse (5) ,  et  que  ses  forces  n'e'taient 
point  diminuées  à  proportion  du 
temps  qu'il  avait  vécu  ,  il  n'était  pas 
bien  aise  de  détromper  ceux  qui  ne 
lui  donnaient  pas  tout  son  âge.  S'il 
avait  eu  dessein  de  se  marier  ,  on 
comprendrait  mieux  la  raison  de  sa 
mystérieuse  taciturnité.  Ses  yeux  si 
bons  qu'il  pouvait  lire  sans  lunettes 
les  caractères  les  plus  menus  (6)  , 
eussent  merveilleusement  secondé  sa 
tricherie.  On  croit  qu'à  cause  qu'il 
espérait  de  vivre  encore  beaucoup 
plus  (7)  ,  il  ne  donna  aucun  ordre  à 
ses  affaires,  ni  touchant  ses  ouvrages  , 
ni  touchant  son  bien  :  il  mourut  sans 
avoir  fait  son  testament.  Tous  ceux 
qui  liront  cette  remarque ,  et  qui 
auront  lu  les  lettres  du  chevalier 
d'Her  .  .  .  ,  se  souviendront  des  pa- 
roles que  j'en  cite  (8).  Elles  sont  dans 
la  XXXVIe.  lettre  de  la  Pe.  partie. 
Conférez  avec  ceci  la  remarque  (C) 
de  l'article  Gombauld. 

(C)  Les  marges  de  son  Horace  , 
fie  son  Virgile  .  .  .  ,  étaient  toutes 
pleines  de  remarques  de  critique.  1 
M.  Ménage  acheta  les  livres  dont  les 
marges  contenaient  ces  notes.  Elles 
ne  sont  pas  toutes  demeurées  dans  la 
poussière  du  cabinet.  Celles  qui  re- 
gardaient Hésiode  ont  été  communi- 
quées à  M.   Grœvius  ,  qui  les  a  insé- 


f/j)  Periander  ,  in  Vit»  Guyeti. 

(5)  Idem,  ibidem. 

(6)  Idem  ,  ibid. 

(7)  Epist.  Ismaël.  Bullialrti,  «pud  Periamlrum, 
ubi  supra. 

(8)  Le  secret  de  l'âge  est  un  secret  que  le  beau 
sexe  garde  bien  inviolablement ,  et  je  crois  que 
c'ett  le  seul.  Plusieurs  femmes  m'ont  confie'  les 
affaires  de  leur  maison,  leurs  amours  même, 
aucune  ne  m'a  confie'  son  âge.  J'en  ai  vu  d'as- 
sez raisonnables  pour  prendre  leur  parti  dans  les 
occasions  avec  beaucoup  de  fermeté'  et  de  con- 
stance ;  je.  n'en  ai  point  vu  qui  pussent  faire  un 
asseï  grand  effort  de  courage  et  de  raison  pour 
dtre  leur  âge. 


rées  dans  son  édition  (9).  Celles  qui 
concernent  Etienne  de  Byzance  ont 
été  aussi  publiées  (10).  Je  dirai  en 
passant  que  M.  Guyet  n'était  point 
de  ces  lecteurs  qui  courent  de  livre 
en  livre  ;  il  se  fixait  de  telle  sorte  à 
un  seul ,  qu'il  ne  touchait  point  à 
d'autres  avant  que  de  l'avoir  lu  tout 
entier  avec  une  attention  extrême. 
C'est  ainsi,  qu'en  dernier  lieu,  il 
travailla  sur  Térence,  sur  Hésiode  , 
sur  Horace  et  sur  Plaute.  La  lecture 
des  anciens  était  son  affaire  princi- 
pale. Quant  au  reste  ,  il  ne  se  plai- 
sait qu'à  lire  les  historiens  moder- 
nes et  les  voyageurs  (  1 1  ).  Je  remar- 
que ces  choses,  non-seulement  parce 
qu'il  y  a  des  gens  qui  en  sont  cu- 
rieux, mais  aussi  parce  qu'elles  peu- 
vent faire  préjuger  en  faveur  des 
notes  de  ce  grand  critique. 

(D) oh  il  se  donnait  beau- 
coup de  licence.  ]  Il  y  %vait  sans 
doute  de  l'excès  dans  sa  critique ,  et 
quelque  chose  de  si  outré  ,  qu'il  était 
impossible  qu'elle  ne  donnât  quel- 
quefois dans  le  faux  goût.  M.  Guyet 
avait  effacé  je  ne  sais  combien  de 
vers  dans  son  Virgile  :  il  prétendait 
que  l'on  avait  supposé  beaucoup 
d'enfans  à  ce  grand  poète  ,  et  que  ses 
poésies  étaient  semblables  à  des  trou- 
pes ,  où  quantité  de  passevolans  ont 
été  fourrés.  Il  se  donnait  donc  la 
charge  d'un  commissaire  rigide,  qui 
ne  passe  à  la  montre  que  les  vérita- 
bles soldats.  Il  traitait  d'enfans  sup- 
posés toute  la  première  ode  d'Horace 
et  toutes  les  anecdotes  de  Procope- 
et  quand  son  oreille  ou  son  goût  ne 
trouvaient  pas  ce  qu'il  cherchait 
dans  la  cadence  ou  dans  le  tour 
d'une  période  ,  il  concluait  sans  dé- 
lai la  supposition  de  part  ,  enco- 
re que  les  anciens  grammairiens  et 
les  meilleurs  manuscrits  fussent  con- 
tre lui.  Mais  afin  de  le  convaincre 
que ,  pour  le  moins  en  quelques  ren- 
contres ,  il  avait  le  goût  dépravé  (1  a) , 
et  qu'il  passait  les  bornes  du  delicali 
faslidti  qu'on  lui  imputait,  il  ne  faut 
que  voir  les  vers  qu'il  a  composés 
contre  la  bière ,  où  il  parle  avec  un  si 
grand  mépris    de  tous  les  poètes  de 

(0)  En  1667. 

(10)  Baillet,  Jugemens  des Savans,  loin.  III, 
num.  5i8. 

(11)  Portncr.  ,  in  Vitâ  Guyeli. 

(12)  Idem. 


GUYET.  GUIGNARD. 


343 


Hollande   (i3).   Grotius  lui  repondit 
fort  pertinemment  04)  : 

Dura:  mentis  iners,  merumque  rus  est, 
Si  quem  Baiia  non  movent  Secundi, 
El  quos  Dousrt  canil  parente  major 
Ccelu  sydereos  rotante  cursus, 
El  quœ  spicuta  Baudio  vibrante 
Non  unum  sibi  destinant  Lycamben, 
Et  quos  dat  numéros  nikil  vetustis 
Cedens  vatibus  Heinsii  Thalia. 

(E)  Et  lui ,  sage  de  s'être  épargné 
les  disputes  ou  U  lui  eut  fallu  des- 
cendre ,  s'il  eût  publié  des  livres.  ] 
La  hardiesse  de  sa  critique,  et  son 
intrépidité  à  dire  en  conversation  ce 
qu'il  pensait ,  ne  l'empêchèrent  pas 
d'être  timide  envers  le  public.  Il  re- 
doutait surtout  M.  de  Saumaise  (i5) , 
qui  l'avait  menacé  d'un  livre  ,  chez 
MM.  du  Puy ,  s'il  lui  arrivait  de  pu- 
blier ses  pensées  concernant  certains 
passages  des  anciens  auteurs.  Il  eût 
eu  affaire  à  une  trop  forte  partie  : 
Saumaise  avait  fait  sortir  cent  feuil- 


la  foi  dans  la  république  des  lettres  ; 
je  veux  dire  d'y  avoir  une  réputation 
d'habiles  gens  ,  fondée  sur  le  témoi- 
gnage d'autrui  (18).  Ce  témoigage  ne 
lui  manquait  point.  Balzac  entre  au- 
tres lui  avait  servi  de  trompette. 
Voyez  son  Ludus  poëticus  de  Hyper- 
critico  Galeso  ('9). 

(18)  Nulli'  quoad  vixit  libris  à  se  editis  in- 
ctaruit  ,  notitid  eorum  quibus  ntii  ingentem  sibi 
pepererutit  fumam  ac  eruditionis  suœ  quam  in 
dubium  nerno  ttnquàm  vocare  ausus  est  conscien- 
lia  contentw.    Porlner.  ,  in  VUS  Guyeti. 

(19)  Par  Galesus  il  entend  Guvet. 

GUYET  (  Charles  ) ,  jésuite 
français  ,  né  à  Tours  l'an  1601  , 
entra  dans  la  société  l'an  1621  , 
et  y  enseigna  les  belles  -  lettres 
pendant  cinq  ans ,  et  la  théolo- 
gie morale  pendant  deux  ans.  Il 
s'attacha  ensuite  aux  prédica- 
feTde  dessous  la  presse,  plutôt  que  tions  ,  ce  quî  fut  de  longue  du- 
Guyet  n'en  eût  mis  quatre  en  état  rée.  Tl  devint  consommé  dans  la 
d'être  données  à  l'imprimeur  ;  car 
Guyet  avait  toutes  les  peines  du 
monde  à  se  contenter  soi-même  (16)  : 
c'est  pourquoi  il  continua  à  ne  s'é- 
riger point  en  auteur ,  lors  même 
que  ,  par  la  mort  de  Saumaise  ,  il  se 
vit  délivré  de  sa  principale  crainte.  11 
serait  à  souhaiter  pour  le  public  ,  que 
bien  des  auteurs  eussent  eu  un  sem- 
blable épouvantail  :  ceux  mêmes  que 
cette  considération  eût  empêchés  de 
faire  imprimer  des  livres  s'en  félici- 
teraient ,  s'ils  entendaient  bien  leurs 
intérêts  ;  car  combien  voit-on  d'é- 
crivains qui  vérifient  ,  ou  en  tout, 
ou  du  moins  quant  à  la  dernière 
partie  ,  cette  pensée  d'Horace  ? 

Sed  tacitus  pasci  si  posset  corvns  ,  haberel 
Plus   dapis,   et  rixœ   mullo    minus    invidiœ- 
que  (17;. 

Heureux  les  savans  qui,  comme  notre 
Guyet ,  se  contentent  d'avoir  planté 

(i3)  ffine  Balavi  fumis  cerealibus  ebria  lurba 
Carmina  toi  musis  injicienda  vomunt. 

(•4)  Voyez  ces  deux  petits  poèmes  ,  dans  les 
Lettres  choisies  de  Balzac  ,  pag.  3iî,  e'dil.  de 
Hollande. 

(i5)  Portner.  ,  in  Vilâ  Guyeti. 

(16)  Vir  enim  aculissimi  judicii  non  huma- 
nius  de  suis  quam  de  alienis  curit  statuebat  , 
ac  proindè  ipse  sibi  nunquàm  satisfactehat  ,  in 
exprimendis  quar  meditatus  erat  supra  modum 
tardur ,  in  exigendis  qnœ  expresserat  supra  Ji- 
dem  severus.  Idem  ,  ibid. 

(17)  Horat.,  epist.  XVII ,  lib.  I,  vs.  5o. 


connaissance  des  cérémonies  de 
l'église  :  cela  paraît  par  deux  ou- 
vrages qu'on  a  de  lui  (A).  U 
mourut  à  Tours  le  3o  de  mars 
166/,  (a). 

(a)  Tiré  de  Nathan.  Sotuel,  Biblioth.  scrip- 
tor.  societat.  ,  pag.  129. 

(A)  Cela  parait  par  deux  ouvrages 

?u'on  a  de  lui.  ]  L'un  a  pour  titre  , 
)rdo  generalis  et  perpetuus  divini 
(Vfficii  recitandi  *'  ;  et  l'autre  ,  Heor- 
tologia  ,  sive  de  Eestis  propriis  lo- 
coritrn,  à  Paris  ,  chez  Sébastien  Cra- 
moisy  ,    1657,    in-folio    **.   Il  n'y   a 

fuère  de  dessein  plus  pénible ,  ni 
'un  aussi  grand  détail  que  celui 
d'expliquer  les  fêtes  de  chaque  lieu. 
C'est  ce  qu'a  fait  cet  auteur. 

*'  Paris,  i632.  in-8Q.  ,  dit  Joly. 

*a  Joly  parle  d'une  réimpression  ,  faite  à  Ur- 
bin  ,  1728,  in  folio,  et  d'une  autre,  faite  à  Ve- 
nise ,   1759,  in-folio. 

GUIGNARD  (Jean  ) ,  jésuite  , 
natif  de  Chartres  (a) ,  et  profes- 
seur en  théologie  au  collège  de 
Clermont  (b) ,  fut  puni  du  der- 

(a)  Thuan.,  lib.  CXII ,  pag.  m.  653. 
\b)  Appendix  Apologiœ  Francisa  Montant 
pro  societate  Jesu  .  pag.  35?.. 


344  GUIGNARD. 

nier  supplice,  à  Paris,  le  7  de  jan-   peut-être    qu'en    éloignant   du 


vier  i5q5,  comme  coupable  de 
lèse-majesté.  Il  fut  convaincu 
d'avoir  composé  un  livre  plein 
de  rébellion  et  de  fureur  contre 
Henri  III  et  contre  Henri  IV 
(A)  :  et  comme  les  circonstances 
du  temps  demandaient  que  l'on 


royaume  ceux  qui  passaient  pour 
les  principaux  auteurs  des  doc- 
trines dangereuses ,  on  refréne- 
rait la  hardiesse  des  autres  ec- 
clésiastiques. 


(A)  Il  fut  convaincu  d' avoir  com- 

,    posé  un  livre  plein  de  rébellion  et  de 
châtiât  avec  la  dernière  sevente  'flireur  cont/e  Henr[  JH  et   Hen_ 


une  doctrine  qui  depuis  un  jour 
avait  exposé  la  vie  du  roi  à  l'at- 
tentat de  Jean  Chastel  ,  on  ne 
trouva  pas  à  propos  d'user  d'au- 
cune indulgence  envers  ce  jé- 
suite. Il  refusa  opiniâtrement  de 
faire  amende  honorable  ;  et  il  fit 
paraître  jusques  à  la  mort  qu'il 
ne  reconnaissait  point  Henri  IV 
pour  roi  de  France» (B).  Il  a  été 
loué  comme  un  martyr,  par  l'a- 
pologiste de  Jean  Chastel  (C). 
Nous  verrons  ce  que  les  jésuites 
répondirent  quand  on  leur  re- 
procha qu'ils  lui  avaient  donné 
une  place  dans  leur  martyrologe 
(D).  Ils  nièrent  le  fait  ;  et  quant 
à  ce  qui  regarde  son  supplice,  ils 
employèrent  plusieurs  tours  d'es- 
prit, et  tâchèrent  d'exténuer  l'a- 
trocité de  ses  dogmes  (E) ,  et  de 
l'excuser  sur  le  grand  nombre  de 
personnes  qui  tenaient  alors  les 
mêmes  maximes.  Il  est  certain 
qu'en  ce  temps-là  tout  le  royau- 
me était  plein  de  prédicateurs 
séditieux  (F) ,  et  depersonnes  qui 
dans  leurs  écrits  ,  et  dans  leurs 
discours  particuliers,  insinuaient 
l'assassinat  des  princes  sembla- 
pies  à  Henri  IV ,  qu'ils  soupçon- 
naient de  favoriser  les  ennemis 
de  la  papauté.  Ce  fut  peut-être 
l'une  des  raisons  qui  obligèrent 
le  parlement  de  Paris  à  enve- 
lopper tous  les  jésuites  de  France 
dans  la  cause  de  Jean  Chastel  et 
de  Jean  Guignard  (G).  On  espéra 


n  IJS.  ]  Voici  comment  on  le  sut. 
«  Comme  messieurs  de  la  cour  tra- 
»  vailloyent  au  proce's  de  Jehan 
»  Chastel ,  aucuns  d'iceux  députez 
»  pour  ce  faire  s'estans  transportez 
»  au  collège  de  Clermont  se  saisirent 
)>  de  plusieurs  papiers  ,  entre  lesquels 
»  fut  trouve  un  livre  escrit  de  la 
»  main  dudict  Guignard  ,  je'suite  , 
w  contenant  plusieurs  propositions  et 
»  moyens  pour  prouver  qu'il  avait 
»  esté  loisible  de  tuer  le  roy  ,  avec 
»  plusieurs  inductions  pour  faire 
»  aussi  tuer  son  successeur.  En  voicy 
»  quelques  unes  extraictes  dudict  li- 
»  vre  qui  se  trouve  encores  au  greffe 
»  de  la  cour  (i).  »  L'auteur  de  l'Anti- 
Coton  rapporte  ensuite  quelques  ex- 
traits de  ce  livre-là  ;  mais  comme 
Victor  Cayet  en  a  donne'  de  plus  am- 
ples ,  j'aime  mieux  employer  ici  son 
narre.  «  Quant  à  Guignard,  il  ne  put 
«  nier  qu'il  n'eust  escrit  les  neuf 
»  propositions  suivantes,  sçavoir  : 

»  I.  Que  en  l'an  iS^i  ,  au  jour 
»  sainct  Barthélémy  ,  si  on  eust  sai- 
»  gné  la  veine  basilique  ,  nous  ne 
»  fussions  tombez  de  fièvre  en  chaud 
»  mal  comme  nous  expérimentions  : 
»  sed  quicquid  délirant  reges  ;  pour 
■»  avoir  pardonné  au  saug ,  ils  ont 
»  mis  la  France  à  feu  et  à  sang ,  et 
»  in  caput  reciderunt  ma/a. 

»  II.  Que  le  Néron  cruel  a  esté  tué 
»  par  un  Clément  ,  et  le  moine  si- 
»  mule  despesché  par  la  main  d'un 
»  vray  moine. 

»  III.  Appellerons-nous  un  Néron 
»  Sardanapale  de  France ,  un  renard 
»  de  Bearn  ,  un  lyon  de  Portugal  , 
»  une  louve  d'Angleterre  ,  un  grifon 
»  de  Suéde ,  et  un  pourceau  de 
))  Saxe  ? 

»  IV.  Pensez  qu'il  faisoit  beau 
»  veoir  trois  roys ,  si  roys'se  doivent 
»  nommer  ,   le  feu  Tyran  ,  le   Bear- 

(i)  Anli-Coton  ,  paS<  >5. 


GUIGNARD. 


345 


»  nois ,  et  ce  prétendu  monarque  de 
»  Portugal  D.  Anthonio. 

»  V.  Que  le  plus  bel  anagramme 
»  qu'on  trouva  jamais  sur  le  nom 
»  du  tyran  deffunct  ,  estoit  celuy 
»  par  lequel  on  disoit  :  0  le  vilain 
y>  Herodes  ! 

»  VI.  Que  l'acte  héroïque  faict  par 
3)  Jacques  Clément ,  comme  don  du 
v»  S.  Esprit ,  appelé'  de  ce  nom  par 
»  nos  théologiens  ,  a  este  justement 
»  loue  par  le  feu  prieur  des  jacobins, 
3)  Bourgoing ,  confesseur  et  martyr  , 
»  par  plusieurs  raisons  ,  tant  à  Paris 
■»  que  j'ay  ouy  de  mes  propres  au- 
»  reilles  ,  lorsqu'il  enseignoit  la  Ju- 
»  dith,  que  devant  ce  beau  parlement 
»  de  Tours.  Ce  que  ledit  Bourgoing 
»  qui  plus  est  a  signe'  de  son  propre 
5)  sang  ,  et  sacre'  de  sa  propre  mort  : 
»  et  ne  falloit  croire  ce  que  les  cnne- 
■»  mis  rapportoient ,  que  par  ses  der- 
»  niers  propos  il  avoit  improuve  ccst 
»  acte  comme  détestable. 

»  VII.  Que  la  couronne  de  France 
»  pouvoit  et  devoit  estre  transférée 
»  en  une  autre  famille  que  celle  de 
»  Bourbon. 

»  VIII.  Que  le  Beamois  ores  que 
»  converty  à  la  foy  catholique  seroit 
»  traicté  plus  doucement  qu'il  ne 
»  meritoit ,  si  on  hiy  donnoit  la  cou- 
)>  ronne  monachale  en  quelque  cou- 
»  vent  bien  reforme  ,  pour  illec  faire 
»  pénitence  de  tant  de  maux  qu'il 
»  a  faits  à  la  France  ,  et  remercier 
»  Dieu  de  ce  qu'il  luy  avoit  fait  la 
»  grâce  de  se  recognoistre  avant  la 
»  mort. 

»  IX.  Que  si  on  ne  le  peut  depo- 
»  ser  sans  guerre  ,  qu'on  guerroyé  : 
)>  si  on  ne  peut  faire  la  guerre  ,  la 
v  cause,  mort,  qu'on  le  face  mou- 
»  rir  (2).  » 

(B)  II  refusa  opiniâtrement  de  faire 
amende  honorable  ,  et  il  fit  paraître 
jusqu'à  la  mort  qu'il  ne  reconnaissait 
point  Henri  I y  pour  roi  de  France.] 
Donnons  la  suite  de  la  narration  de 
Cayet.  «  La  cour  ayant  veu  ces  es- 
»  cripts,  Guignard  ,  auteur ,  interro 
î>  ge'  sur  iceux  à  luy  représentez  , 
»  recogneut  les  avoir  composez  et 
-  »  escrits  de  sa  main  ,  et  pour  ce  ,  il 
»  fut  condamne'  par  la  cour  (*)  de 

(1)  Cayet,  Chronol.  novénairc  ,  h  l'ann.  îSo1}, 
folio  455  vprso. 

(*)  Arrêt  contre  Guignard. 


faire  amende  honorable  ,  nud  en 
chemise  ,  la  corde  au  col,  devant 
la  principale  porte  de  l'église  de 
Paris  ,  et  illec  estant  à  genoux ,  te- 
nant en  ses  mains  une  torche  de 
cire  ardente  du  poids  de  deux  li- 
vres ,  dire  et  déclarer  que  mes- 
chamment  et  malheureusement  et 
contre  vérité  il  avoit  escrit ,  le  feu 
roy  avoir  este'  justement  tue'  par 
Jacques  Clément ,  et  que  si  le  roy 
à  présent  régnant  ne  mouroit  à  la 
guerre  ,  il  le  falloit  faire  mourir  , 
dont  il  se  repentoit ,  et  demandoit 
pardon  à  Dieu  ,  au  roy  et  à  justice. 
Ce  faict,  estre  mené  et  conduit  en 
la  place  de  Grève  ,  pendu  et  estran- 
glé  à  une  potence  qui  y  seroit  pour 
cet  eflect  plante'e ,  et  après  le  corps 
mort  réduit  et  consumé  en  cen- 
dres en  un  feu  qui  seroit  faict  au 
pied  de  ladite  potence.  Cest  arrest 
fut  exécuté  le  7  janvier  ,  et  fut  le- 
dit Guignard  pendu  et  bruslé  en  la 
place  de  Grève.  Comme  on  l'eusl 
auparavant  mené  devant  l'église 
Nostre-Dame  pour  y  faire  amende 
honorable ,  estant  nud  en  chemise, 
et  tenant  desjà  la  torche  ,  il  de- 
manda au  sieur  Fiapin ,  lieutenant 
de  robbe  courte  ,  ce  qu'on  vouloit 
qu'il  fist  :  il  luy  dit ,  qu'il  falloit 
qu'il  demandast  pardon  à  Dieu  et 
au  roy  ,  suivant  ce  que  luy  diroit 
le  greffier.  Je  demanderay  bien 
pardon  à  Dieu  ,  luy  dit-il ,  mais  au 
roy  ,  pourquoy  ?  Je  ne  l'ay  point 
oflèncé.  Vous  l'avez  offencé ,  luy 
dit  Rapin ,  en  ce  que  vous  avez 
escrit  contre  luy.  Guignard  luy  ré- 
pliqua :  ce  que  j'en  ay  escrit  a  esté 
auparavant  que  Paris  fust  remis  en 
son  obeyssance.  Vous  le  dites  ,  luy 
dit  Rapin ,  ce  qui  n'est  point  ;  et 
quand  ainsi  seroit  ,  vous  estes  des- 
cheu  du  pardon  et  abolition  gêne- 
rai que  le  roy  a  octroyé  à  ses  sub- 
jects  de  Paris  depuis  leur  réduction, 
puisque  vous  n'avez  point  ignoré 
qu'il  a  esté  très-estroictement  en- 
joint de  brusler  telles  escritures  , 
sur  peine  de  la  vie  :  les  ayans  gar- 
dées contre  ces  edits ,  vous  l'avez 
donc  offensé  et  le  public.  Apres 
avoir  contesté  l'un  contre  l'autre 
plus  d'un  quart  d'heure  ,  quelques 
raisons  et  menaces  que  dist  et  (ist 
ledit  sieur  Rapin ,  Guignard  ne 
voulut  point  faire  amende  honno- 


346  GUIGNARD. 

»  rable,  et  sans  la  faire  il  fut  mené        (D)  Nous  verrons  ce  que  les  jésui- 
»  au  supplice  (3).  »  tes  répondirent  quand  on  leur  repro- 

II    est    visible   qu'en    disant   qu'il    cha  qu'ils  lui  avaient  donné  une  place 
n'avait  point  offensé  le  roi ,  il  suppo-    dans  leur  martyinloge.  J  Citons  d'a- 
sait  que  Henri  IV  ne  l'était  pas.  Nous    bord  un  passage  de  l'Anti-Coton  (6) 
allons  voir   qu'on  le  loue  d'avoir  eu    «  Le    lecteur    s'enquerra  ,     s'il    luj 
effectivement  cette  pensée,  et  de  n'y 
avoir  jamais  renoncé. 

(C)  lia  été  loué  comme  un  martyr, 
par  V apologiste  de  Jean  Chastel.  ] 
Le  chapitre  X  de  la  Ve.  partie  de  l'A- 
pologie de  ce  scélérat  est  intitulé  , 
Martyre  du  père  Guynard  justifié 
de  tout  poinct.  L'auteur  le  déclare 
he.uivux  pour  être  mort,  comme  un  qui 


»  plaist ,  s'il  se  trouva  jamais  jésuite 
»  qui  ait  condamné  ce  Guignard  de 
»  trahison  et  perfidie.  Au  contraire, 
»  Richeome  ,  en  son  Apologie  ,  l'ex- 
«  cuse  tant  qu'il  peut  ;  disant  que 
»  Guignard  traictoit  les  susdites  pro- 
»  positions  ,  comme  par  forme  de 
»  dispute  en  théologie.  Et  en  cela 
»  nous    sommes   d'accord  j  car  aussi 


se  lient  ferme  sur  la  base  et  solidité  »  je  dy ,  que  tuer  le  roy  a  tousjours 
de  la  pierre  evangelique  :  c'est  a  dire  »  esté  une  des  resolutions  de  la  theo- 
de  l' obéissance ,  et  pour  Pobeissance    »  logie  des  jésuites.   Si  quelque  je- 


de  Veglise  (4).  Ta  constance  du  per- 
sonnage (*')  ,  jusques  au  dernier  sou- 
pir', ajoute-t-il  (5) ,  pour  ne  vouloir 
reconnoistre  pour  roy  ,  celujr  que  l'é- 
glise a  condamné  ,  ny  pour  juges  lé- 
gitimes ,  ceux  qui  se  sont  séparez  de 
l'église,  et  jugent  contre  l'église  :  et 
pour  ne  vouloir  proférer  les   clauses 


»  suite  ,  demy  par  force  ,  demy  par 
»  honte  ,  le  condamne  ,  c'est  pour 
»  n'avoir  pas  esté  assez  discret,  ou 
»  pour  avoir  mal  pris  son  temps  ,  ou 
»  pour  quelque  semblable  raison.  Ce 
»  qu'on  peut  recognoistre ,  en  ce  que 
»  les  jésuites  ont  mis  ce  Guignard  au 
»  catalogue  de  leurs  martyrs  ,  qu'ils 


et  parolles  portées   par  leur  arrest  »  ont  fait,  imprimer  à  Rome ,  en  deux 

pour  faire  l'amende  honorable  :  per-  »  formes,  en   l'une   desquelles  Gui- 

sislant  en  la  vérité  de  ce  qu'il  avoit  »  gnard  y  est  ,   en    l'autre  il  n'y  est 

presché  et   couclié   en  ses    mémoires  »  point ,  afin  qu'il  y  eust  des  copies 

(pour  raison,  dequoy  en  fust  l'execu-  »  qu'on  peust  vendre  en  France  sans 

tion  précipitée ,   et  sur  le  champ,  et  »  danger.    Aussi    h?   jésuite     Bonar- 

en  chemise  ,  sans  remener  aux  pri-  »  scius ,  au  VIIIe.  chap.  de  son  Am- 

sons  ) ,  et  en  qui  par  ce  moyen  de  tout  »  phitheâtre  ,  exalte  jusques  au  ciel 

poinct,    a  esté  justifié  le   martyre  ,  »  ce    Guignard,    quoy   que   sans    le 

pour  n'y  avoir  aultre  subject ,  sinon  »  nommer,  de  peur  d'offenser  nostre 

d'une  pure  venté  catholique  ,  souste-  »  roy,     toirtesfois    assez   clairement 

nue  jusqu'à   la  mort   inclusivement,  »  pour  le  discerner  en  ces  mots  :   Te 


dont  le  contraire  est  hérésie  :  est  ce 
qui  servira  de  tesmoignage  ,  pour  leur 
faire  un  jour  leur  procès  ,  les  tenir 
aux  fers  pieds  et  mains  ,  leur  pro- 
noncer leur  arrest,  et  condamner  dif- 
finitivement,  et  de  jugement  irrévo- 
cable ,  comme  ceste  gloire  est  à  tous 
les  saincts  (*");  lors  que  celuy  qui 
garde   la   vérité   éternellement  (*3)  , 


»  tairay  ,  6  estoile  luisante  au  ciel 
»  et  en  terre  ,  et  dernière  expiation 
»  de  la  maison  ,  qui  après  cela  ne 
■»  devoit  plus  rien  souffrir  ?  Nul  jour 
)>  ri  effacera  les  traces  de  ta  mort  : 
»  puis  adjouste  :  Toute  la  France  se 
»  joindra  a  mes  vœux  (*)  Cela  ne 
»  peut  convenir  qu'à  Guignard  ,  qui 
»  estoit  jésuite  françois,  et  qui  est  le 


qui  tient  riere  soy  les  livrées  du  greffe  »  dernier  jésuite  qui  a  souffert  sup- 

éternel ,  oit  tout  est  escrit ,  voire  mes-  »  plice   en  France.  »  Le  père   Coton 

me  qui  en  est  le  livre  ,  fera  jugement  répondit  entre  autres  choses.(7) ,  qu'il 

à  ceux  qui  souffrent  injure  (*4).  n'y  avait  point  de  jésuite  qui  eût  re- 

(3)Cayet,  Chronol.  novénaire,  à  l'ann.  i5ç)4, 
foUo  435  verso. 

(4)  Apologie   pour    Jehan  Chastel  ,  part.   V  , 
chftp.  X  ,  pag.  238. 

[*')  Constance  du  père  Guynard. 

(5)  L'a  même,  pag.  î3q. 
'")  Psal.  i45. 
{"*)  Apoc.  20. 
(*4)  l'sal.   i4i. 


(6)  Anti-Colon,  pag.   18,  19. 

(*)  Tacebo  ego  le  clarum  cœlo  terraque  fi- 
dus  ,  et  ultimum  nil  amphitt  doliturœ  domùs  in- 
nocuurn  piamenlum.  Nullus  lui  sanguinie  vesti- 
gia  difs  exterel,  lolaque  in  heee  vota  mea  ibit 
Gallia 

(7)  Réponso  apologétique  à  l'Anti  -  Colon, 
pag.  42. 


GUIGNARD.  347 

prouvé  le  jugement  de  la  cour  ,  et  »  l'heresie  que  tu  defens  sousle  man- 
qu'un  chacun  avoit  tache  de  se  per-  »  teau  d'estat  ;  en  somme,  pour  avoir 
suader  quelle  avoit  condamne  Gui-  »  endure'  patiemment  tous  les  lour- 
gnard  pour  un  juste  suhject;  que  tout  »  mens  de  la  mort  et  la  confusion  du 
ce  que  l'on  y  adjouste  n'est  pas  esga-  »  supplice  ,  et  avoir  rendu  Famé  en 
lement  certain ,  et  quilfaut  rappor-  »  bon  et  ferme  catholique  (10).  »  Il 
ter  beaucoup  de  choses  a  la  licence  avait  parle'  ainsi,  page  181  :  Tu  te 
des  langues  et  à  l'injure  du  temps  formalises  dequoy  nous  avons  mis  au 
(8)  ;  que  si  aucun  jésuite  n'a  condam-  catalogue  des  martyrs  ledict  père  : 
né  Guignard  de  trahison  et  perfidie  ,  qui  te  l'a  dict  ,  sinon  l'esprit  de  men- 
c'est  parce  que  aucun  d'eux  n'a  veu  songe  qui  faicl  courir  ta  plume?  Car 
ni  sceu  au  vray  le  fonds  du  procez.  il  n'y  a  personne  de  tant  de  milliers  de 
.l'a  y  veu ,  continue-t-il ,  plusieurs  ca-  gens  de  bien,  quiy  ayent  trouvé  ce  que 
talogues  des  martyrs  jésuites,  et  n'en  tu  controuves  :  situ  n'a  pas  veu  ce  ca- 
ay  veu  aucun  ou  Guignard  J'ust,  et  si  talogue ,  comme  il  est  vray semblable, 
en  ay  veu  de  la  taille  de  Rome.  /Unis  paurquoy  parles  tu  si  asseurément 
quand  ainsi  seroit  qu'ailleurs  on  les  d'une  chose  à  toy  incognuë  ?  As  tu 
eusl  ejffîgiez  de  c este  façon;  qui  ne  si  peu  de  soins  de  ton  honneur  de 
scait  quelle  est  la  licence  que  se  don-  pi'endre  tous  faux  rapports  a  bon 
tient  les  poètes  et  les  peintres  ?  Il  nie  conte,  et  les  exposer  comme  veritez  , 
que  le  passage  de  Bonarscius  con-  et  te  faire  moquer  pensant  nuire  aux 
cerne  Guignard  ;  mais  c'est  nier  une  jésuites  ?  Le  jésuite  Eudaemon  Jolian- 
chose  presque  indubitable.  Un  autre  nés,  répondant  à  FAnti-Coton  ,  nia 
apologiste  ne  fut  pas  si  décisif,  il  se  que  Guignard  eut  été  mis  au  marty- 
contenta  de  biaiser.  Voici  ce  qu'il  ré-  rologe  des  jésuites,  et  remarque  que 
pondit  à  Fauteur  de  FAnti-Coton  :  les  tailles-douces  de  leurs  martyrs 
«  Tu  te  fasches  que  Clarus  Bonarscius  avaient  été  faites  et  mises  en  vente 
»  loue  en  son  Amphithéâtre  ce  père,  par  des  gens  qui  ne  cherchaient  qu'à 
»  et  qu'il  l'appelle  estoiJe  luisante  au  gagner,  et  qui  ne  dépendaient  point 
»  ciel  :  comment  sçais  tu  qu'il  parle  des  jésuites  (il),  f^erebaris  nimirum , 
»  de  ce  père,  veu  qu'il  ne  le  nomme  ne  prolatis  martyrum  nostrorum  ca- 
»  point?  Prens  tu  conjecture  dequoy  talogis,  impudentissimi  mendacii  con- 
»  il  a  esté  exécuté  le  dernier  en  vincerere,  quœ  te  causa  impulit,  ut 
»  France  ?  Il  est  aussi  le  premier,  frigidam  hanc  catalogorum  varieta- 
»  Mais  quand  ta  conjecture  seroit  tem  dignam  plané  slupore  isto  animi 
»  vraye,  dequoy  te  fasches  tu  qu'il  somniares.  JVam  neque  mendacium 
»  loue  ce  père  comme  bien  heureux    tegis  ,    et    vecordiam   luam  prodis  : 

»  (9)  ? Or  accuse  et  te  plains  de    martyrum   enim    nostrorum   effigies 

»  Clarus  tant  que  tu  voudras  ,  tu  ne  non  a  nobis  ,  sed  ab  exleris  lucri  sut 
:>  m'engarderas  pas  que  je  ne  le  loue  causa  typis  excusœ,  vénales  per  or- 
»  de  ceste  louange,  et  que  je  ne  loue  bem palhm  exposilœ  abiis  sunt ,  ut  in 
»  avec  luy  ce  père ,  par  ce  qu'il  estoit  noslrd  polestate  nullo  modo  fuerit 
»  un  grand  théologien,  etfaisoit  bon-  avis  martyrum  catalogus ,  aut  a  Gai" 
»  neur  à  la  France,  sa  patrie,  que  tu  lis  emeretur,  aut  in  Galliam  ab  emp- 
»  des-honores  ;  et  croy  ,  avec  le  mes-  toribus  importaretur.  Neque  verb  ita 
»  me  Clarus  ,  qu'il  est  au  ciel  ,  si  ce  slolidos  quisquam  jesuitas  existima- 
»  n'est  au  rang  des  martyrs,  au  moins  turus  est ,  utcùmremeam  aggrede- 
»  au  nombre  des  bien-heureux  :  non  rentur,  non  vidèrent  fieri  non  posse  , 
»  pour  avoir  esté  condamné  au  sup-  ne  Gignardus  quoque  cum  cœteris 
»  plice ,  mais  pour  avoir  quitté  la  martyribus  vel  ab  amicis ,  vel  ab  ini- 
»  vanité  du  monde  pour  servir  Dieu  micis  in  Galliam  mitteretur.  Mirum 
»  et  le  public  en  religion  avec  l'ap-  vero  est ,  si  cum  utiiusque  generis 
»  pareil  de  toutes  ses  forces  ,  pour  catalogi  venderentur  ,  non  nisi  unus 
»  avoir  vescu  en  bon  religieux  plu-  in  Galliam,  isque  ad  tuas  unius  ma- 
»  sieurs  années,  pour  avoir  enseigné  nus  venerit ,  in  quo  Gignardus  lege- 
v  la  foy   catholique  ,    et    combattu       „  ,.,„.. 

•*  (io)  Richeome  ,  Examen  catégorique  de  1  Anti- 

(8)  La  même  ,  pag.  43>  Coton,  chap.  XXI,  png.  i83. 

(qî  Richeome  ,  Examen  catégorique  dr  l'Anti-  (n)  Eurliemon  Jolianncs  ,   Confut.  Anti-Coto- 

Colon ,  chap.  XXF,png.  182,  ni,  cap    II,  pag.  5i. 


348  GUIGNARD. 

retur,  quefn  si  apud  te  habes ,  profer  »  de   calomnies   et  querelles  :  et-  de 

sodés  ,   si  non   habes  ,   indica   apud  i>  l'empereur    Constantin    le    Grand 

quem  inveniri possit.  JYain  nos  guident  »  (*'),  qui  fit  aussi  mettre  au  feu  les 

llojnœ  nunquam  Gignardumadscrip-  »   libelles  de  dissension.  Et  certes  s'il 

tum   socielalis    marlyribus    vidimus  :  »  eust  fallu  rechercher  tous  ceux  de 

nunquam  in  martyres  retulimus.  »  la  ligue  qui  avoient  escrit  et  parlé, 

(E)  Us  tâchèrent  d'exténuer  r>  on  n'eust  jamais    trouvé  la  fin  des 

l'atrocité  de  ses  dogmes ,  et  de  l'excu-  »  troubles  et  d'inimitiez  :  et  y  avoit 
ser  sur  le  grand  nombre  de  personnes  »  en  ce  temps-là  mille  et  mille  Fran- 
qui  tenaient  alors  ces  mêmes  maxi-  »  cois  qui  avoient  de  pires  escrits 
mes.  ]  Voyez  dans  la  remarque  (A)  la  »  chez  eux  ,  que  celuy  que  cest  hom- 
doctrine  de  Guignard  ;  elle  fait  hor-  »  me  feinct  icy  et  produit,  qui  neant- 
reur.  On  imprima,  en  1602,  un  petit  »  moins  vous  sont  demeurez  très- 
livre  intitulé  ,  le  Franc  et  Véritable  »  fidèles  serviteurs  et  subjects  : 
Discours  au  roi  ,  sur  le  rétablisse-  »  pourquoy  donc  alleguc-il  cest  es- 
menl  qui  lui  est  demandé  pour  les  je-  »  crit  contre  la  loy  d'oubliance  ,  et 
suites.  Nous  y  trouvons  entre  autres  »  contre  un  trespassé  ?  Que  s'il  y 
choses,  que  si  le  pape  peut  mettre  la  »  avoit  en  iceluy  faute  du  tout  pu- 
main  sur  le  sceptre  des  rois  et  sur  »  nissable  ,  n'a-elle  pas  esté  assez 
leur  temporel ,  ainsi  gue  disent  les  »  expiée  par  le  supplice  de  mort  ? 
jésuites,    il  reste   sans  difficulté  gue  »  Faut-il   huict  ans   après    remettre 


quand  sa  sainteté  fulmine  un  roi  , 
il  demeure  privé  -,  il  demeure  particu- 
lier ,  il  n'est  plus  roi  ;  et  s'il  continue 
de  vouloir  régner  ,  il  est  tyran.  Qui- 
conque demeurera  d'accord  de  la  pre- 


»  sus  le  procès  ,  et  condamner  encor 
»  une  fois  celuy  qui  a  esté  exécuté 
»  tant  d'années  devant?  Je  dis  davan- 
»  tage  que  cest  escrit  (*')  u'estoit 
»  point  de  ce  théologien ,  c'est  une 


mière  proposition  sera  ,   par  force  ,  »  feinte  de  l'adversaire.  »  Remarquez 

traîné  a  la  dernière,  ylussi  le  livret  bien  qu'ils   prétendirent  qu'il  n'était 

écrit  de  la  propre  main  de  Jean  Gui-  point   vrai  que  l'écrit  de  Jean    Gui- 

gnard,  jésuite ,   et  gu'il  reconnut  en  gnard  fût  tel  que  leurs  adversaires  le 

plein  parlement  ,  les  deux  chambres  prétendaient.    Les    observations     de 

assemblées ,  portait  ces  deux  mêmes  Richeome  (  i4)  ,  pour  prouver  cela  , 

propositions  outrageusement  écrites  ;  sont  les  plus  faibles  du  monde  ;  mais 

car,  entre  autres  choses,  il  y  avait  :  si  Henri  IV,  sur  cette  inscription  en 

Que  le  Néron,  etc Que  si  on  ne  faux,  ne  demanda  pas  qu'on  lui  mon- 

peut  DÉposERleBiarnois  sans  guerre  ,  tr;lt  l'original ,  et  s'il  ne  donna  point 

qu'on  guerroyé  :  si  on  ne  peut  faire  ordre    aux   ennemis  des  jésuites  de 

ia  guerre  ,    qu'on    le  face  mourir,  justifier  d'une  manière  incontestable 

Votre  majesté  peut  voir  l'original  :  que  les  propositions  qu'ils  attribuaient 

ceci  le  mérite  bien  (12).  Voici  ce  que  à  Guignard  étaient  effectivement  dans 

répondirent  les  jésuites,  par  la  plume  son  livre,  il  fut  coupable  d'une  ex- 

de  Richeome  (1 3).  «  Sire  ,  je  ne  veux  tréme   négligence,  ou    d'un   certain 

»  icy   accuser  personne  ,  ny  plaider  ménagement  qui  pouvait  passer  pour 

»  pour    ce   defunct ,  il    est    meshuy  timidité.  Quoi  qu'il  en  soit ,  l'auteur 

»  hors  de  cour  et  de  procès  ,  ny  de-  de    l'Anti- Coton  ,    qui    savait    sans 

»  mander  vengeance ,  non   plus  que  doute   que    les    jésuites   avaient   nié 

»  luy,  que  je  crois  prier  au  ciel  pour  hautement    ce   qu'on  débitait  sur  le 

»  ses  ennemis  :  je  dis  seulement  que  manuscrit  de  leur  confrère  ,  ne  laissa 

»  vostre  majesté  avoit  pardonné  tout  pas  de  leur  objecter  les  mêmes  pro- 

»  ce  qui  s'estoit  passé  de  semblable  ,  positions  que  le   franc  et  libre  Dis- 

»  et  ce  prudemment  et  royalement,  à  cours,  et  de  dire  qu'elles  étaient  ex- 

»  l'imitation  de  l'empereur  Octavien  traites   du   manuscrit  de  Guignard  , 

>>  (  *  ) ,  qui  fit  brûler  fous  les  papiers  gui  se  trouvoit  encore*  au  greffe  de  la 

■>  de  debtes  ,  qui  donnoient  matière  cour   (i5).  On    lui    répondit    que  ce 


(iî)  Franc  el  véritable  Discours,  pag.  3i. 

(  1 3)  Richeome  ,  Plainte  apologétique,  pag. 
i35,  i36. 

(*)  César  Octavien  fil  brûler  les  papiers  qui 
ne  servaient  t/uà  matière  tic  calomnie.  Siiet. 
ia  Octa. ,  c.  Zi. 


(*')  Constantin.  Sozom. ,  lib.  i,  c.  16. 
(*2)  Ecrit  suppose'. 

(i/|)  Richeome,    Plainte   apologétique,    p»g. 
i30  ,   137. 
(i5)  Anti-Coton  ,  pag.  |5. 


GUIGNARD. 


349 


qu^il  disait  est  une  des  choses  qu'il 
faut  rapporter  à  la  licence  des  lan- 
gues et  à  l'injure  du  temps  ,  et  qu'on 
lui  nie  que  sur  le  greffe  de  la  cour  se 
trouvent  ces  paroles,  si  on  ne  peut 
faire  la  guerre,  qu'on  le  face  mourir, 
esquel/es  neantmoins  gist  la  queue  du 
scorpion  (16).  Ces  paroles,  lui  répon- 
dit un  autre  (17)  'portent  le  suc  du 
venin  de  ta  calomnie  ;  mais  ce  sont 
paroles  et  mensonges  ,  car  il  ne  se 
trouve  rien  de  cela  au  registre  du 
greffe.  Ces  réponses  font  pitié  ;  car 
l'auteur  de  l' Anti-Coton  n'avait  point 
dit  que  ces  paroles  se  trouvassent 
dans  les  registres  du  parlement ,  mais 
dans  le  manuscrit  qu'on  gardait  au 
greffe.  Il  fallait  donc,  pour  repondre 
quelque  chose  de  solide  ,  lui  soute- 
nir qu'elles  n'étaient  point  dans  ce 
manuscrit.  Or  c'est  ce  que  les  jésui- 
tes qui  ont  réfuté  l' Anti-Coton  n'ont 
pas  osé  soutenir  ;  et  ainsi  il  est  très- 
juste  de  croire  que  cette  proposition 
se  trouvait  dans  l'écrit  du  père  Gui- 
gnard.  Plusieurs  raisons  me  le  per- 
suadent. 

I.  En    premier    lieu  ,    l'arrêt    du 
parlement  porte  (18),  que  veu  le  pro- 

cez  criminel fait  à  V encontre  de 

Jean  Guignard pour  avoir  esté 

trouvé  saisi  de  plusieurs  livres  ,  con- 
tenans  entr  autres  choses  ,  approba- 
tions de  trescruel  et  tresinhumain  par- 
ricide du  feu  roy ,  que  Dieu  absolve  , 

ET  INDUCTIONS  POUR  FAIRE  TUER   LE  ROY 

A  présent  régnant....  Il  sera  dit  que 
la  cour  a  déclaré  et  déclare  ledit  Gui- 
gnard atteint  et  convaincu  ducrime de 
leze  majesté  et  d'avoir  composé  et  escrit 
lesdits  livres  contenans  plusieursfaux 
et  séditieux  moyens  ,  pour  prouver 
qu'il  avoit  esté  loisible  de  commettre 
ledit  parricide  ,  et  estoit  permis  de 
tuer  le  roy  Henry  quatrième  a  pré- 
sent régnant.  Il  ne  faut  point  douter 
que  les  paroles  de  l'arrêt ,  qui  sont 
ici  en  grosses  lettres ,  ne  se  fondassent 
sur  celles  qui ,  selon  l'auteur  de  l'Anti- 
Coton  ,  étaient  contenues  dans  le  livre 
de  Guignard. 

II.  Outre  cela,  qui  pourrait  dou- 
ter que   M.  de  Thou  ,    président  au 

(16)  Réponse    apologétique    a    l'An ti  •  Colon  , 
pag-  m   42  ,43. 

(17)  Kicheorue  ,  Examen  catégorique  Je  l'An- 
ti-Coton ,  pag.  181. 

(18)  Pasquier  ,  Catéchisme,  des  Jésuites  ,  lit: 
ill,  chap.  XVIll,  pag.  m.  44;  ,  ft'fi. 


Sarlcment  de  Paris ,  n'eût  lu  le  livre 
e  ce  jésuite  ?  Or  ,  tout  comme  une 
infinité  d'autres  écrivains  ,  il  assure 
que  l'on  y  trouvait  les  paroles  en 
question  (19V 

III.  En  troisième  lieu  ,  les  jésuites 
n'ont  jamais  donné  de  preuve  que  les 
propositions  qui  leur  étaient  repro- 
chées, comme  prises  de  ce  manuscrit, 
ne  s'y  trouvaient  point.  Ils  ont  seule- 
ment nié  que  la  dernière  se  trouv.1t 
dans  les  registres  du  parlement  ,  de 
quoi  il  n'était  pas  question  ,  et  ils 
n'ont  allégué  ,  touchant  les  autres  , 
que  de  faibles  apparences.  Ils  ne  se 
sont  jamais  vantés  d'avoir  vu  le  livre  ; 
et  ainsi  ils  n'en  ont  parlé  qu'en  l'air  5 
ils  n'ont  point  ollért  au  roi ,  comme 
faisaient  leurs  adversaires  ,  de  lui 
montrer  ceci  ou  cela  dans  le  manu- 
scrit, qu'on  gardait  au  greffe  du  parle- 
ment. S'ils  eussent  pu  espérer  de  con- 
vaincre de  calomnie  leurs  ennemis  , 
ils  eussent  demandé  au  roi  ou  au  par- 
lement que  ce  livre-là  fût  donné  à 
examiner  en  leur  présence  à  tels  com- 
missaires qu'on  aurait  voulu  choisir. 
N'est-il  pas  bien  sûr  que  n'ayant 
point  fait  cette  démarche  ,  ils  ont 
donné  à  connaître  qu'ils  se  défiaient; 
du  livre ,  et  que  s'ils  traitaient  de 
prétendues  les  propositions  que  leurs; 
ennemis  en  alléguaient ,  ce  n'était 
qu'en  style  d'avocat  ?  On  sait  bien 
que  les  parties  qui  plaident  traitent 
toujours  de  prétendu  ,  aussi  long- 
temps qu'elles  peuvent ,  tout  ce  qui 
les  incommode.  Je  ne  sais  si  les  ad- 
versaires des  jésuites  ont  fait  la  dé- 
marche dont  j'ai  parlé  ,  qui  est  de 
prier  le  parlement  de  nommer  des 
commissaires  pour  l'examen  du  ma- 
nuscrit en  présence  des  intéressés.  Un 
bon  procès  verbal  sur  cela  eût  fermé 
la  bouche,  pour  jamais  ,  à  la  chicane 
la  plus  opiniâtre.  Mais  ,  sans  toutes 
ces  formalités  ,  on  a  d'assez  bonnes 
raisons  de  croire  que  Guignard  avait 
mis  dans  son  traité  les  propositions 
qu'on  lui  attribue. 

Cela  étant ,  on  doit  être  bien  sur- 
pris de  la  fausse  idée  que  ses  apolo- 
gistes en  donnent.  Citons  Richeome. 
«   Ce  qui  fut  trouvé  en  la  chambre  de 

(19)  Si  sine  bello  cteponi  non  possil,  brlluiK 
cum  eo  gefendwn.  Si  beltum  geri  non  pos- 
sit,  de  inedio  qudvis  ralwne  tollenditm.  Thua- 
nus,  l.b    AT//,  pag.  053,  col.  i. 


35o 


GUIGNARD. 


»  Jean  Guignard  ,  dit-il  (20) ,  et  sur-  du  contre  ;  mais  qu'il  avait  pris  l'af- 

»  quoy  il  fut  condamné  à  la  mort,  hrmative ,  et  approuvé  nommément 

v  étoit  une  question  qu'il  avoit  traitée  l'assassinat   de    Henri    III  ,    et   toute 

»  autrefois  lisant  la  Théologie,  qui  autre    action    semblable    qui    serait 

»  estoit  s'il   est  loisible  de  tuer  un  exécutée  sur  Henri  IV. 
»  tyran  ;  question  que  tous  les   ca-        Le  père  Gretser  inséra  dans  l'un  de 

»  nonistes    et    philosophes    moraux  ses  livres  (a4) ,  une  relation  du  procès 

»  mettent  en  leurs  discours  ,  et  que  de    Jean    Chastel ,    dans    laquelle    le 

j»  Bodin  entre  les  modernes  a  traitée  ' 
»  en  sa  République.  »  Richeome  nous 
apprend  ailleurs  (21)  qu'Henri  IV  fut 


satisfait  de  cette  réponse.  Il  fallait 
donc  que  ce  prince  fût  bien  facile  à 
se  contenter  :  car  elle  était  très-mau- 
vaise ,  puisqu'elle  représentait  le  plus 
infidèlement  du  monde  le  caractère 
du  livre  de  Jean  Guignard.  Nous 
avons  vu  ci-dessus  (22)  la  réflexion 
qui  fut  faite  sur  ce  passage  de  Ri- 
cheome par  l'auteur  de  l'Anti-Coton. 
Elle  ne  marque  point  le  défaut  qui 
se  rencontre  dans  les  paroles  de  ce 
jésuite  ,  et  ne  s'attache  qu'a  ménager 
une  occasion  d'invectiver  toute  la 
société  des  jésuites.  Tant  il  est  vrai 
qu'il  y  a  des  gens  qui  aiment  mieux 
avoir  le  plaisir  de  satiriser  tout  un 
corps ,  que  de  réfuter  en  forme  un 
simple  particulier. 

Le  jésuite  Euda'mon  Johannes  a 
renchéri  sur  Richeome  5  car  il  a  dit 
que  Guignard  n'avait  fait  que  dis- 
puter pour  et  contre ,  sur  la  question 
théologique ,  s'il  est  permis  d'oter  la 
vie  aux  tyrans,  et  il  ajoute  que  cela 
ne  le  rendait  pas  plus  digne  du  der- 
nier supplice  que  les  autres  théolo- 
giens, qui  s'exercent  non-seulement 
sur  cette  question ,  mais  aussi  sur 
celle  de  l'existence  de  Dieu  (23)  : 
Théologien    quœstione    in   utramque 


livre  du  père  Guignard  est  décrit 
comme  une  simple  collection  de  di- 
vers passages  concernant  la  thèse  , 
s'il  est  permis  aux  particuliers  d'ôter 
la  vie  aux  tyrans.  On  ajoute  que  pat- 
forme  de  narration  il  avait  parlé  du 
jacobin  qui  assassina  Henri  III ,  et 
qu'il  protesta  sur  l'échafaud  ,  que  c'é- 
tait le  vrai  caractère  de  son  livre ,  et 
qu'il  n'y  avait  pas  mis  un  seul  mot 
qui  pût  offenser  le  roi  (a5)  :  In  cubi- 
culo  P.  Joannis  Guignardi  theologiœ 
professons  ,  perbretns  traclalus  re- 
pentis est,  quem  ipse  ante  annos  qua- 
tuor vel  quinque  conscripserat ,  quo 
Ma  quœslio  conlinebalur  a  doctoribus 
in  scholis  passitn  tractala  et  agitata  : 
Utrùm  tyrannum  qui  se  palàm  hos- 
tem  gerit  reipublicœ  liceat  privato  oc- 
cidere  ?  De  qud  quœstione  argumen- 
ta ,  quœ  in  utramque  partent ,  ut 
solel  ,  ad  discutiendam  disquiren- 
damque  reritalem ,  a  variis  auctoribus 
adferunlur,  ibi quoque  congé staerant. 
Inter  alia  item  narralione  compre- 
hensum  fuit  quid  frater  Clemens 
dominicanus  monachus  in  Henri- 
cum  III  ausus  fuisset  (26).  Cùm 
jam  palibulum  a  longé  conspexisset 
cui  appropinquabat ,  sancti  yindreœ 
Apostoli  exemplo  et  verbis  illud  piè 
et  alacriter  consalutavit  ;  lœtd  mente 
aefronte  scalas  conscendil  ,  è  quibus 


parlent  scriptd  suppliciant  non  mugis    alloculus    circumfusam    spectantium 


meritus  est ,  quant  sanclus  Thomas 
quant  reliqui  theologi  ,  qui  non  modo 
de  lyrannorum  nece ,  sed  de  ipsu 
etiam  Dei  existenlid ,  in  utramque 
parlent  disputare  so/iti  sunt.  Dégui- 
sement horrible  de  Fétat  des  choses  , 
puisque  Guignard  ne  s'était  pas  con- 
tenté d'examiner  un  problème  en 
rapporteur    des   raisons   du   pour  et 

(20)  Réponse  de  René  de  la  Fon  ,  pour  les  Re- 
ligieux de  la  Compagnie  de  Jésus  ,ckap.  XIV, 
pag.  ',i  ,  -ji. 

(21)  Examen  catégorique  de  l'Anli-Colon  , 
pag.   i8',. 

(22)  Dans  la  remarque  (Lt)  ,  citation  (6). 

(2 s)  I-  inlxm.  Joli  ,  Confut.  Anti  Cotoni,  cap, 
fi,  pag.  5t. 


multitudineni  :  quod  supplicii  hoc  gé- 
nère enecaretur,  aliam  non  subesse 
causant  ,  quant  quia  ante  annos  qua- 
tuor uel  quinque  perbrevem  tractatunt 
conscripsisset ,  nullius  injuria,  nul- 
lius  incommodo  ,  in  quem  collegisset 
opinioncs  et  sententias  sanctorum  pa- 
trum ,  i'ariorumque  auctorum,  quos 
ipsi  antè  moitumentis  commendave- 
rant  de  hdc  quœstione  :  Utrùm  liceat 
privato  homini  occidere  manifestum 

(a4)  Version  latine  de  la  Réponse  de  Ricbeo- 
me  ,  déguisé  sous  le  nom  de  François  des  Mon- 
tagnes ,  au  plaidoyer  d'Antoine.  Ainauld. 

(a5)  Appendix  Apologia:  Francisoi  Montant  pro 
societate  Jcsu  in  (.allia  ,  pag.  352. 

(26)  Idem  ,  iiid.  ,  pag.  553. 


GUIGNARD. 


35i 


tyrannum  :  Tractatum  illum  se  ne- 
que  typis  in  lucem  editum  evulgâsse; 
qu'ai  in  aliorum  ma  nus  eum  nunquam 
pervenisse.  Regem  ibi  neque  uerbulo 
lœsum  aut  ojffensum.  Quœ  patris 
verba  omnem  circumstantem  popu- 
lum  in  magnam  commiserationem  in- 
flexerunt. 

Quels  déguisemens ,  ou  plutôt, 
quelles  impostures  !  Mais  notez  qu'à 
la  faveur  d'une  équivoque  ,  il  pouvait 
dire  qu'il  n'avait  rien  dit  rjui  put  of- 
fenser le  roi  ;  car  il  ne  prétendait  pas 
qu'Henri  IV  fût  roi. 

Citons  un  fort  long  passage  d'un 
livre  qu'on  ne  trouve  que  rarement. 
Cela  peut  servir  d'excuse  à  la  lon- 
gueur de  la  citation ,  sans  compter 
que  ce  passage  nous  apprendra,  i°. 
que  Guignard  avait  prêché  la  même 
doctrine  qu'il  soutenait  dans  son 
écrit  j  2°.  que  l'on  prétendait  que 
cette  doctrine  était  conforme  à  celle 
des  anciens  pères  ,  et  une  décision  de 
l'église,  et  le    sentiment  de   tout   le 

Sarti  catholique.  Voilà  un  mélange 
e  faussetés  et  de  vérités.  «  Mais 
»  d'autant  plus  cruel  a  esté  l'excès  , 
»  commis  en  la  personne  du  père 
«  Guygnard,  que  moindre  estoit  aus- 
»  si,  voire  du  tout  nul  le  subject, 
»  sur  lequel  ils  luy  ont  faict  perdre 
»  la  vie.  Asçavoir  pour  des  collec- 
»  tions  et  mémoires ,  tirez  tant  des 
»  pères,  que  des  décrets  ,  pour  mon- 
»  trer  qu'il  est  loisyhle  de  faire  la 
«  guerre  aux  princes  hérétiques  et 
>>  excommuniez  ,  qu'ils  ont  trouvé 
»  en  son  estude,  sur  Fad\is  spécial, 
»  qu'un  certain  ministre,  qui  avoit 
»  quelques  années  auparavant  ouy 
»  ledicl  Guygnard,  preschant  à  Bour- 
»  ges  sur  ce  subject ,  leur  donna  de 
«  le  fouiller,  et  les  servit  à  ce  be- 
»  soing.  Car  si  pour  des  collections 
»  scholastiques  ,  il  fauli  condamner 
»  à  mourir,  quel  préjugé  contre  les 
»  saincts  pères,  dont  elles  ont  esté 
»  tirées  ?  Si  tels  mémoires  sont 
»  damnables,  que  ne  le  sont  ceux 
»  dont  ils  sont,  pris  ?  et  comment 
»  sauver  S.  Hilaire  ,  la  lumière  des 
«  Françoys,  et  Lucifer  évesque  de 
»  Sardaigne  ,  qui  de  leur  temps  ont 
»  escrit  si  vivement,  sur  ce  subject, 
»  contre  l'empereur  Coustantius  ,  et 
»  luy  ont  envoyé  leurs  livres?  Et 
•>  comment  aussi  S.  Cyrille  ,  et  S. 
Grégoire  de  Nazianzc ,  contre   Ju- 


lian  l'apostat?  Si  ce  sont  choses 
débattues  ,  de  temps  immémorial  , 
digérées  par  l'accord  des  anciens  , 
ratifiés  par  le  jugement  de  l'église, 
à  qui  seulle  appartient  décider 
telles  veritez ,  et  depuis  reçeues 
et  publiées  es  escholles  des  théo- 
logiens :  depuis  quand  venus  ces 
censeurs,  qui  si  haultement  les  re- 
prouvent ?  quoi  condamnent  le 
Saint  Esprit?  et  osent  juger  des  cou- 
leurs, où  ils  sont  vrays  aveugles, 
et  conducteurs  des  aultres  aveu- 
gles? Et  si  telles  collections  con- 
damnées, et  si  sévèrement  punies, 
comment  souffertes  telles  des  here- 
t iq m-s  ?  Comment  leurs  livres  et 
pestilens  escrits,  leurs  propositions 
et  maximes,  jugées  et  condamnées 
qu'elles  sont,  tant  par  l'église,  que 
par  les  parlemens  de  France?  Pour- 
quoy  leurs  preschcs  et  blasphèmes 
tolérez ,  contre  Dieu  et  contre  l'é- 
glise, voire  approuvez  par  edict , 
et  vérifié  par  eux?  Et  s'il  n'est  loy- 
sible  de  faire  la  guerre  à  un  prince 
hérétique  ,  comment  loysible  à 
l'heretique  de  la  faire  au  prince 
catholique  ?  Et  quelle  justification 
pour  celuy  qui ,  comme  chef  des 
hérétiques,  a  fait  la  guerre  toute 
sa  vie  aux  roys  de  France  catholi- 
ques? Qui  est  tout  ce  dont  il  s'est  fait 
valoir,  et  pourquoy  il  a  été  con- 
damné ,  et  qu'ils  reconnoissent 
pour  leur  prince  ?  Pourquoy  non 
loysible  contre  luy  ,  ce  dont  oultre 
l'authorité  des  décrets,  luy  mes- 
me  a  donné  l'exemple?  Joinct  , 
que  cela  en  tout  n'estoit  condam- 
nable, pour  estre  une  proposition 
scholastique  et  générale,  et  pure- 
ment «le  la  doctrine  de  l'église.  Et 
en  tout  cas,  appartenant  au  géné- 
ral du  parti ,  et  par  conséquent 
couvert,  tant  par  l'edict  de  la  tra- 
hison de  Paris  ,  que  par  celuy 
qui  depuis  a  esté  publie.  Veu  qu'à 
en  user  ainsi  ,  il  n'y  avait  aucun  , 
non  seullement  de  ladicte  société , 
mais  n'y  aussi  ecclésiastique  bien 
zélé,  voire  ny  de  tout  le  parla  ca- 
tholique, qui  ne  deust  subir  mes- 
me  peine  (27). 
(E)  Tout  le  royaume  était  plein  de 
prédicateurs    séditieux. ~\    Le    mal  ne 

(27)  Apologie  pour  Jelian  Ctiastel  ,  pari.    V , 
chap    IX,  yag'  ?Hi  et  suW. 


352 


GUIGNARD. 


cessa  point  par  l'absolution  que  le  pape 
accorda  au  roi  Henri  IV,  le  16  de  sep- 
tembre i595.  Lisez  ces  paroles  du 
cardinal  d'Ossat  :  elles  sont  dans  une 
lettre  qu'il  écrivit  de  Rome  à  M.  de 
Villeroi,  le  14  de  mai  1601.  Je  parlai 
puis  après  au  pape  de  ce  que  le  roi 
désirait ,  que  S.  S.  ordonnât  au  nou- 
veau nonce  de  pourvoir  à  ce  que 
les  prêcheurs  en  France  préchas- 
sent avec  la  discrétion  et  modération 


»  les  oreilles  ,  n'adoroit  plus  d'au- 
»  tre  croix,  que  celle  de  Lorraine, 
»  C'est  pourquoi  il  etoit  absolument 
»  ne'cessaire  de  reprimer  cette  licence 
»  farisienne ,  et  de  rétablir  la  bonne 
»  discipline  dans  un  ministère  sacre', 
»  que  l'esprit  de  révolte  avoit  con- 
»  verti  en  ministère  d'iniquité.» 

Si  le  nonce  du  pape  s'acquitta  bien 
de  sa  commision  .  il  n'ôta  pas  néan- 
moins ce  grand  désordre.   On  conti- 


requises ,  sans  s'ingérer  aux  affaires    nua  de  prêcher  et  de  parler  séditieu- 
d' état,  dont  ils  ne  savaient  les  motifs  ;    sèment,  et  de  faire   naître  par-là  des 


ni  tenir  propos  tendant  à  sédition 
et  lui  en  laissai  aussi  un  mémoire 
par  écrit,  duquel  vous  aurez  copie 
avec  la  présente.  S.  S.  me  dit  qu'elle 
l'ordonnerait  ainsi  au  nonce  nouveau 
(28).  M.  Amelot  delà  Houssaie  a  com- 
menté admirablement  ce  passage  du 
cardinal  d'Ossat  :  «  Il  ne  sied  pas 
n  mieux  aux  prédicateurs  ,  dit-il ,  de 
»  parler  des  affaires  du  gouverne- 
»  ment  politique,  où  ils  n'entendent 
»  rien  ,  la  pluspart  ;  qu'aux  politi- 
»  ques,  de  décider  en  matière  de 
»  foi  et  de  religion.  Les  affaires  d'état 
»  sont  si  délicates  ,  et  si  chatouilleu- 
3»  ses ,  qu'il  est  toujours  dangereux 
)>  d'en  parler  devant  le  peuple  ,  qui 
»  n'est  presque  jamais  content  du 
»  gouvernement.  Omni  populo ,  dit 
»  Pluf arque,  inest  malignum  quid- 
'>  dam  et  querulum  in  imperantes. 
33  Tous  les  prédicateurs  ont  bon  zèle  , 
»  je  l'avoue  ;  mais  comme  ce  zèle 
33  n'est  pas  toujours  accompagné  de 
»  science  et  de  prudence,  il  est  de 
j)  l'interest  public  ,  que  ceux  qui  sont 
»  habiles  s'abstiennent,  par  modes- 
3>  tic  ,    de    faire    entrer  ces  matières 


conspirations  contre  la  vie  de  Hen- 
ri IV  (29).  Les  véritables  Français  , 
fauteurs  de  l'indépendance  royale , 
et  attachés  aux  maximes  monarchi- 
ques de  l'état,  imputaient  surtout 
aux  jésuites  cet  esprit  républicain , 
et  ultramontain.  Ce  n'est  pas  qu'on 
les  en  considérât  comme  les  premiers 
auteurs  (3o)  :  on  ne  les  en  regardait 
que  comme  l'appui  le  plus  ferme. 
Cela  me  fait  souvenir  d'une  remar- 
que qui  a  paru  dans  un  livre  impri- 
mé l'an  1701  ,  et  qui  a  pour  titre, 
U  état  présent  de  la  faculté  de  théo- 
logie de  Louvain ,  ou  l'on  traite  de 
la  conduite  de  quelques-uns  de  ses 
théologiens  ,  et  de  leurs  senlimens 
cotitre  la  souveraineté  et  la  sûreté 
des  rois  ,  et  contre  les  I J^  articles  du 
clergé  de  France.  Ce  sont  trois  let- 
tres d'un  chanoine  de  Tournai  à  un 
docteur  de  Sorbonne.  Elles  sont  pré- 
cédées d'une  lettre  de  ce  docteur, 
dans  laquelle  on  voit  ces  paroles 
(3i)  :  Mais  d'où  vient  qu'en  rappor- 
tant dans  vos  lettres  les  sentimens  de 
ces  théologiens  qui  enseignent  que  les 
rois  sont   sujets   de  l'obéissance,    les 


»  dans  leurs  sermons,  pour  imposer  absoudre  du  serment  de  fidélité ,  vous 

u  aux  autres  la  nécessité  de  se  tenir  n'y  parlez  que  de  quelques  docteurs 

33  dans    les    bornes    de    la    doctrine  particuliers  de  Louvain ,  de  quelques 

33  evangélique ,  qui  recommande  par-  augustins  ,  et  de  quelques  récollets, 

3)  tout   la  paix  et   l'obéissance.  Dans  et  presque  point  de  jésuites?  lgno- 

3)  les    dernières    années     du     régne  rez-vous  que  c'est  citez  eux  qu'est  la 

3)  d'Henri  III ,  et  dans   les  premières  source  de   toutes   ces  opinions  détes- 

»  d'Henri  IV  ,   les  docteurs    Aubry  ,  tables  ?  non  qu'ils  soient  les  premiers 

3)  Boucher ,  Pelletier,  Linceste ,  hosc,  qui   les   aient    soutenues  :  plusieurs 

31  Feu-Ardent  ,    et   plusieurs    autres  canonistes,  quelques  théologiens,  sur* 

»  de  celte  camarine,  avoient  telle-  tout  des  Italiens  sujets  du  pape,  les 

3)  ment    profané    le   ministère  de  la  avaient  enseignées    avant  eux;  mais 

»  parole,    que  la  chaire  de  la  vérité  c était  sipeu  de  chose  que  leurs  écrits , 
»  étoit  devenue  en  France  la  tribune 

3)  de   l'imposture  et  de  la  calomnie  ;  (59)  V°y**  le  chantre  III  de  /'Ami-Coton. 

»    et  fine  le  peuple,   empoisonné   par  ,   <3o)  Conféretja  remarque   (S)  de  larlicle, 

1                '        *■       '           l                        l  Loïol»  ,  loin.  IX. 

(îS)  D'Ossat ,  lettre  CCLXXIII  ,  pag.    36g,  (il)  Lettre  d'un  docteur  de   Sorbonne   à  ua 

3-0,  du  11°.  tome  I,  c'dit.  de  Paris,  1O98.  chanoine  de  Tournai  ,  folio  a.  4. 


GUILLEMETE. 


353 


qu'ils  tombaient  d'eux-mêmes  et  ser- 
vaient plus  ii  décrier  ces  opinions 
iju'ii  leur  donner  de  la  vogue,  (nais 
les  jésuites  les  ont  relevées  et  ont  en- 
trepris île  les  mettre  en  honneur. 

(G)    Ce  fut une  des   raisons 

qui  obligèrent  a  envelopper  tous  les 
jésuites  de  France  dans  la  cause  de 
Jean  Chaste/,  et  de  Jean  Ouignai'd.] 
Il  y  a  des  gens  qui  s'étonnèrent  que, 
n'y  ayant  eu  tout  au  plus  que  des 
présomptions  que  les  jésuites  eussent 
conseille  à  Jean  Cliastel  l'attentat 
qu'il  exécuta,  on  ne  laissa  point  de 
les  bannir  du  royaume  par  le  même 
arrêt  qui  condamna  cet  assassin. 
Mais,  pour  justifier  en  cela  la  con- 
duite du  parlement  de  Paris,  il  faut 
observer  que  l'action  de  ce  jeune 
homme  ne  fut  point  le  fondement 
de  l'exil  à  quoi  les  jésuites  furent 
condamnes  ;  ce  ne  fut  qu'une  occa- 
sion de  décider  une  cause  qui  avait 
e'té  plaide'c  quelques  mois  aupara- 
vant. Cette  cause  était  un  procès  in- 
tente' aux  jésuites  par  l'université  de 
Paris.  Antoine  Arnauld,  qui  plaida 
pour  cette  université,  avait  conclu 
h  ce  qu'il  plcusl  a  la  cour,  en  enté- 
rinant la  requesle  de  l' université  , 
ordonner  que  tous  les  jésuites  de 
France  vuideroient  et  sortiraient  le 
royaume,  terres  et  pays  de  l'obéis- 
sance de  sa  majesté  ,  dans  quinze 
jours  après  la  signification  qui  seroit 
faicte  en  chacun  de  leurs  collèges 
ou  maisons,  en  parlrtnl  a  l'un  deux 
pour  tous  les  autres.  Alias,  et  h  faute 
de  ce  faire ,  et  où  aucun  d'eux  servit 
trouvé  en  I^rance  après  le  dit  temps  , 
que  sur-le-chamj)  et  sans  forme  ne 
figure  de  procez  il  seroit  condamné  , 
comme  criminel  de  leze  -  majesté  au 
premier  chef,  et  ayant  entrepris  sur 
la  vie  du  ?*oj(32).  Le  jugement  de  la 
cause  fut  renvoyé  à  un  autre  temps; 
mais  à  l'occasion  de  l'affaire  de  Jean 
Chastel ,  on  fît  droit  sur  la  requête 
de  l'université  ,  et  sur  les*  moyens 
dont  s'était  servi  Antoine  Arnauld. 
Quelques  autres  parlcmens  imitèrent 
celui  de  Paris  :  mais  le  parlement  de 
Toulouse  et  le  parlement  de  Bor- 
deaux refusèrent  de  s'y  conformer 
(33):  et  ainsi  les  jésuites  se  maintin- 

(32)Coyet,  Chronol.  novenaire ,  à  Vann. 
1 594  ,  folio  387  verso. 

(33)'  Mézerai,  Abrégé  clironol.  ,  loin.  VI, 
}>ag.  m.  u4- 

TOME    Vit. 


rent  en  Languedoc  et  en  Guyenne 
jusqu'il  leur  rappel.  Ils  ne  l'obtinrent 
qu'au     commencement    de    l'année 

1604. 

GUILLEMÈTE  de  Bohème  , 
chef  d'une  secte  infâme  qui  pa- 
rut en  Italie  dans  le  XIIIe.  siè- 
cle, avait  si  hien  trompé  le  mon- 
de par  les  apparences  d'une  sin- 
gulière dévotion,  et  si  bien  joué 
la  comédie  jusques  au  bout  de  sa 
course,  que  non-seulement  elle 
mourut  en  odeur  de  sainteté  , 
mais  aussi  qu'elle  fut  vénérée 
comme  une  sainte  pendant  un 
assez  long  temps  après  sa  mort. 
Enfin  on  découvrit  son  impostu- 
re ,  et  les  prestiges  dont  elle  s'é- 
tait servi;  on  déterra  son  cada- 
vre, et  on  le  brûla  ,  l'an  i3oo. 
Elle  était  morte  l'an  i?.Si  ,  et  on 
l'avaitenterréedans  Milan  au  ci- 
mitière  de  Saint-Pierre-du-Jar- 
din.  Six  mois  après  on  la  trans- 
porta au  couvent  de  Caravalla 
(a) ,  où  on  lui  dressa  un  tom- 
beau dont  les  ruines  paraissent 
encore  dans  le  cimetière  des 
moines.  Deux  savans  hommes , 
Puricellus  et  Bossius  ont  écrit  de 
cette  secte  ,  et  ne  se  sont  pas  ac- 
cordés en  tout.  Bossius  a  été  le 
premier  qui  a  diffamé  celte  secte 
par  rapport  aux  souillures  de  la 
chair  (A]  ;  mais  Puricellus  a  sou- 
tenu que  le  désordre  n'avait  point 
passé  de  l'esprit  au  corps  ,  et  que 
Guillemète  et  ses  sectateurs  n'é- 
taient coupables  que  d'un  fana- 
tisme abominable  ,  ce  qu'il  prou- 
ve par  le  procès  verbal  de  l'in- 
quisition (ù)  (B).  La  fête  de  Guil- 

(«)  //  est  de  l'ordre  de  Cîteaux,  à  dena 
lieues  de  Milan.  C'est  par  abus  qu 'on  U 
nomme  Clafsevallis.  Mabillon,  MustBumilal  , 
Ie.  part. ,  pag.  19. 

{b)  Tire  du  Musaeuna  italic.  du  père  Ma- 
billon ,  f'e.  part.  ,  paç .   10,  ,  20. 


354 


GUILLKMÈTE. 


Jemète  se  célébrait  (rois  fois  l'an 
à  son  sépulcre  ,  le  jour  de  Saint- 
Barthélemi ,  qui  était  celui  de  sa 
mort  ,  le  jour  de  la  translation 
de  son  corps  à  Caravalla,  et  le 
jour  de  la  Pentecôte  (c).  Ses  vi- 
sions ne  furent  pas  extirpées  pour 
jamais  (C). 

(c)  Musienm   Ital.  Irc.    part.  pag.    19,  20. 

(A)  Bossius  a le  premier 

diffame  celle  secte  par  rapport  aux 
souillures  de  la  chair.]  On  imputait 
à  cette  secte  une  conduite  dont  plu- 
sieurs autres  conventicules  ont  été 
accusés  en  divers  temps  et  en  divers 
lieux.  On  disait  que  les  sectateurs  de 
Guillemète  s'assemblaient  de  nuit 
dans  une  caverne ,  et  qu'après  avoir 
récité  certaines  prières,  ils  éteignaient 
les  chandelles  ,  et  s'accouplaient  les 
hommes  avec  les  femmes  au  gré  du 
hasard.  Quos  ipsi  in  quddam  syna- 
gogâ  subterraned  conventibus  ante- 
lucanis  congreganles ,  cùm  ad  mo- 
dum  presbyterorum  induti  certas  ora- 
liones  ad  altare  fudissent  ,  exlincto 
aut  sub  modio  abscondilo  lumine  ad 
fortuitos  cojicubit.us  hortari  consueve- 
rant  (1).  On  ajoute  qu'un  riche  mar- 
chand, marié  avec  une  femme  qui 
allait,  souvent  à  la  dérobée  dans  cette 
caverne ,  la  suivit  une  fois  secrète- 
ment ,  et  eut  affaire  avec  elle  ,  et  l'en 
convainquit  par  une  bague  qu'il  lui 
6ta  du  doigt.  Il  se  rendit  dénoncia- 
teur contre  cette  secte  (2).  Nous  avons 
vu  ci-dessus  (3)  qu'on  débite  le  même 
conte  à  l'égard  des  fratricelli.  Je 
crois  qu'il  y  a  eu  quelquefois  de  la 
calomnie  dans  cette  espèce  d'accusa- 
tions. Mais  sans  doute  il  s'est  commis 
très-souvent  beaucoup  d'impudicités 
dans  ces  sortes  de  conventicules:  et 
je  ne  m'étonne  point  que  tant  de 
maris  désapprouvent  l'attachement 
«le  leurs  femmes  pour  certaines  as- 
semblées de  dévotion  ;  car  tôt  ou 
tard  l'amour  s'en  mêle  ,  et  l'on  ne 
saurait,  assez  admirer  la  docilité  du 
sexe  ,  à  l'égard  des  dogmes  les   plus 

(1)  Spondanus,  ubi  infrà. 

(2)  Ex  Spondano  ,  ad  ann.  i3oo,  num.  10. 
(S)  Citation    (17)    de  l'article    FntTiucELLi , 

tom.  VI,  pag.  597. 


opposés  à  la  chasteté  (4).  Que  dan-, 
l'ancien  paganisme  on  ait  [>u  lui  per- 
suader  la   prostitution  ,  je  ne   m'en 
étonne  pas  tant;   c'était,  disait-on, 
une   manière   de  culte   divin   :    c'est 
ainsi  que  l'on  honorait  la  déesse  Vé- 
nus ;  mais  il  est  étonnant  qu'au  mi- 
lieu du  christianisme  ,  après  tous  les 
devans  qui  se  prennent  contre  la  na- 
ture, et  malgré  les  sages  conseils  des 
mères ,  et  les  fortes  exhortations  des 
prédicateurs  ,  le  premier  cafard  qui 
se  présente  puisse  persuader  mille  et 
mille  abominations.  Qu'il  dise  com- 
me saint  Aldhelme  (5)  à  l'une  de  ses 
dévotes    :    Couchez-vous    auprès    de 
moi ,  je  i>eux  voir  si  vous  serez  entre 
les    mains   de  Satan  un   instrument 
assez    puissant  pour  me  faire   suc- 
comber a   la   tentation ,  elle  le  fait  • 
qu'il  lui  dise  comme  certains  héréti- 
ques, que  l'inquisition  de  Toulouse 
châtia,   mettons-nous   tout  nus   l'un 
auprès  de  l'autre,  l'un  sur  l'autre  , 
baisons-nous ,  chatouillons-nous  ;  c'est 
par-la  que  nous  donnerons  des  preu- 
ves de  notre  force  spirituelle  (6)  ,  il 
est  obéi.  Peut-on  voir  une  plus  grande 
docilité?  N'en  ferait-on  pas  davan- 
tage   s'il    le    voulait  ?    N'a-t-on    pas 
acquiescé  en  plusieurs   rencontres  ,  à 
l'ordre  de  se  souiller  avec  le  premier 
venu  ,    après  l'extinction    des  chan- 
delles ,  dans  les  conventicules  de  la 
confrérie  ? 

Parlons  d'une  autre  docilité  moins 
criminelle  ,  mais  assez  étrange  pour- 
tant. Se  trouve-t-il  des  hommes  in- 
firmes qui  aient  besoin  de  quelque 
restauration  de  la  chaleur  naturelle, 
il  se  trouvera  aussi  de  jeunes  filles 
ou  femmes ,  qui  se  coucheront  au- 
près de  lui  pour  lui  rendre  ce  bon 
office.  Un  panégyriste  du  sexe  me 
fournira  là-dessus  un  passage  bien 
notable.  «  Les  médecins  ne  peuvent 


(4)  Vofez   l'article  Frati 
(A),  h  "alinéa ,  loin.  VI. 

(5)  Koypi  l'article  île  Frs 
marque  (C),  tom.  ?'/,  pag. 

(6)  Nonne  en  ben'e  magr 
sic  stemus  oscitlando,  ampli 
et  lamen  non  consentiamu 
carnalis  peccati  ?  Pans  les 
tion  de  Toulouse  ,  imprimes 
i(x)2  ,  pag.  382.  Erat  opinu 
non  debebal  reputari  fiomo  1 
vel  virtuosu  ,  nist  se  postent 
nuda  in  uno  tecto  ,  et  tamen 
tnm  carnalcm  ,  Ibidem  ,  pag 


ucei.li,    remarque 

ncois  d'Assise  ,  re- 

544. 

titffi  meritutn  qu'od 
•xatulo  ,  tan^findo^ 
s  tn  pprpptialione 
procès  tic  l'înqtiisi- 

à  Amsterdam ,  on 
>  aliquorutn  ,  quod 
>el  mulier  virluosus 
ponere  mulus  cum 
non  pevjicvmit  ac- 
.  383. 


GUI  MÈNE.  355 

»  celer,  dit-il  (7),  que  la  mignonne  narret  amplc.ru s.  Posside  sapienltam, 

»  chaleur  de  lu  mamelle  d'une  jeune  posside  intelligentiam ,  etc.  (8). 

»  femme,  jointe   a   l'esto'mmac  d'un  (B)    Par  le  procès  verbal  de  Fin- 

»  personnage    vieil,   ne    luy    puisse  quisition.]  Cet  acte,  dresse  Fan  i3oo, 

»  viviflier  le  chaut  naturel  de  la  vie  ,  porte  qu 'André  Saramita  et  Mayfrc- 

»  et  qu'elle  ne  l'entretienne   et  aug-  da    Pirovana  ,    principaux  sectateurs 

»  mente.  Chose  aussi  qui  n'était  pas  de    Guillemets  ,    soutenaient    qu'elle 

»  incognue  au  prophète  royal  David,  était  le  Saint-Esprit  incarne  sous   le 

)>  lequel  élut  (+)  la  helle  dame  Suna-  sexe  féminin ,    et    née  de  Constance  , 

»  mite,   pour   en  cette  manière  luy  femme    du    roi  de    Bohème  ;    qu'elle 

»  èchauflçr  la  froideur  de  sa    vieil-  n'était    morte    que    selon    la    chair  ; 

»  lesse.  Et  à  l'exemple  de  quoy,  est  qu'elle  ressusciterait   avanl    la  résur- 

»  vraysemblahle  ,  le  père  grant,  du  rection  générale ,  et  monterait  au  ciel 

»  roy   de   Navarre    dernier   dècede' ,  à  la  vue  de  ses  disciples  ;  qu'elle  ai  ail 

»  nomme  monsieur  d'Albret ,  avoir  laisse  ,  pour  son  vicaire  sur  la  terre  , 

3,  en  l'âge  de  six  vingts  ans  entretenu  Mayfreda    Pirovana  ,    religieuse    de 

»  deux  belles   jeunes   femmes    à   cet  l'ordre  des  humilies;  que  celle  reli- 

„  effect  :  du  laict  desquelles  il  vécut  gieuse  dirait  la  messe  au  tombeau  de 

»  longuement   sans   autre    substance  Guillemèle  ,  et  qu'enfin  elle  occupe 

;>  quelconque  ,  luy  couchant  au  mi-  rait,  à  Rome,  le  saint  siège  apostoli- 

>,  lieu  d'elles  ,  qui   pour  cela  étaient  que  ;  qu'elle  en  chasserait  les  cardi- 

»  aussi  honorées  comme  princesses  à  naux,  et  qu'elle  aurait  quatre  docteurs 

»  sa   maison.  Vray   est  que  sus  cecy  qui  feraient  quatre  nouveaux  é\angi- 

»  ne  convient  pas  tous  hommes  facent  les.    Puricellus  traite  amplement,  de 

»  fondement,    parce  qu'il  en  pour-  toutes  ces  affreuses  impiétés.  Son  livre 

w  roit  souvent  avenir,  ce  qu'il  aveint  n'a  pas  été  imprimé  encore ,  et  l'on 

»   une  fois  d'un  notaire  au  Chastellet  ne  sait,  pas  même  s'il  sera  jamais  pu- 

»  de    Ptfis ,    qui  s'appelloit  maistre  hlié.  Il  ne  paraît  pas  que  Guillemèle 

»  Martin  Maupin,  lequel  faisant  bien  se  soit  vantée  de  cette  prétendue  in- 

)>  son  proufit  de  telles  histoires,  fai-  carnation  :  il  semble  même  que,  par 

»  sait  de    son    vivant   accroire    à  sa  une  fausse  modestie,  elle  ait  all'cclé  de 

»  femme  jalouze  ,   qu'il    se   trouvait  n'en  point  tomber  d'accord  (9). 

»  souvent  empesché  du  mal  de  David,  (C)  Ses  visions  ne  furent  pas  e.rtir- 

»  à  ce  qu'elle  luy  permeist  l'approche  pées  pour  jamais.  ]  Le  Continuateur 

»  de    sa  chambrière  ,   pour  un  peu  de  la  Chronique  de  Nangis  rapporte  , 

»  échauffer  son  estommac  ,  en  quoy  sous  l'année  i3o6,  qu'un  certain  Dul- 

»  la  pauvre  femme  se  laissoit  par  fois  cinius  de  Vcrcel  avança  des  dogmes 

»  circonvenir.  »  Je  dirai  en  passant  semblables  touchant,   le   Saint-Esprit 

que  saint  Jérôme  n'approuve   point  (10).  Postel    et   sa    mère  Jeanne  n'as 

qu'on    prenne  au    pied  de   la   lettre  vaient  point  de  moindres  extravagau- 

l'histoire  de  la  Sunamite.  Il  recourt  ces  ;  et  il  serait  aisé  de  montrer  que 

à  l'allégorie  ,  et  il  veut  que  l'on  en-  cette   sorte  de  fanatisme   regerme  de 

lende  par-là  que  David,  dans  ses  vieux  temps  en  temps.  Il  semble  qu'il  y  ait 

jours,  fut  uni  plus  intimement  à  la  un  complot  fait  parmi  les  démons  de 

sagesse.  On  ne  saurait  rejeter  le  sens  faire  tomber  la  religion  en  quenouille, 

littéral  avec  plus  d'indignation  que  et  que,   sans  se  rebuter  du  mauvais 

ce  grand  docteur  de  l'église  le  rejette,  succès  d'un  grand  nombre  de   tenta- 

IVonne  tibi  videlur,  si  necidentem  se-  tives  ,  ils  les  recommencent  de  temps 

ipiaris  litleram,  vel  figmentum  esse  en  temps  ,  in  différens  lieux. 

de  mima ,  vel  Attellanarumludicra?...  .„.,,.                 „  . 

n               '  .    .,         .   .      f,              .,.  (S)  Ilieronvm.  ,   1-  pi  st.  ad  \eiiotianum ,  pa£ ■. 

(Juœ  est  tgitur  tsta  ounamilis  ,  uxor  m    '            -           r               r 

et    virgo  ,    tam  fervens   ut  fvigidum  (ni    Mabill.,    in   Musœo   lialico  ,   pan.  I, 

calefaceret ,  tam  sancta  ut  calentem  P°g*  ?•>• 

adlibidinem  non  provocant  ?  Expo-  <»  /,/""  •   ''"'''''"■ 

nat  sauientissimus  Sa/omon  palris  sui  /irTnimW'*  /                                \ 

d.Ucias ,    et  pacifions   bellatons  vin  GUIMENL  *  (  LA  PBINCESSE  DE). 

,  .1,11       t-    .  •               1 1     i   m              i  *  Leclerc  aioutc  Qu'elle  s'appelait  Amu    U 

(7)  Billon  ,  Fort  inexpugnable  Je  llionncnr  du  ,      u            J            «,      „    .   ''    . 

<exé  féminin  ,j\jlio.  m. '  Rohan,    princesse  de   Guimene,   et  epous» 

{*)  Keg    IM,  cap,  I.  louis  Je  Pointu,  sou  coiisui    Elle  mourut  l( 


SÙ6 


GUINDANO.  GUISCARD. 


Colonnes  l'a  mise  entre  les  per- 
sonnes qui  ont  su  la  langue  hé- 
braïque (A)-  M.  Ménage  conte 
quelque  chose  d'assez  plaisant  qui 
a  du  rapport  à  cela  (B). 

i^  mars  i685,  âgée  de  quatre-vingt-deux,  ans 
au  moins. 

(A)  Colomiés  l'a  mise  entre  les 
personnes  qui  ont  su  la  langue  hé- 
braïque. ]  Voici  ses  paroles  :  Lutetiœ 
apudD.  Hardy  hujus  principis  horas 
(  ut  vacant  )  uidi  hebraïce  et  gallicè 
excusas  ,  unde  colligo  ipsarn  fuisse 
hebraïci  idiomatis  haud  ignaram.  Cla- 
ruit  circa  A.  1625  (1). 

(  B)    M.     Ménage    conte    quelque 

chose qui  a  du  rapport  a  cela.  ] 

«  M.  le  prince  de  Guimene'  ,  voyant 
»  un  homme  (c'était  M.  des  Vallées) 
»  avec  un  haut-de-chausses  tout  dé- 
»  dure'  entrer  tous  les  matins  dans 
»  la  chambre  de  madame  la  princesse 
»  de  Guimene,  lui  demanda  un  jour 
■»  ce  qu'il  y  venait  faire.  Elle  lui  dit: 
»  Il  me  montre  l'he'breu.  Il  lui  dit  : 
»  Madame  ,  il  vous  montrera  bientôt 
»  le  derrière  (2).  » 

(1)  Colomes.  ,  Gall.  Orient.,  pag.  261. 
(2J  Ménagiana  ,  pag.  189  de  la  première  e'di- 
tion  tle  Hollande. 

GUINDANO(  Sigismond  ) ,  na- 
tif de  Crémone  ,  ayant  composé 
un  poëme  sur  les  actions  de 
Charles-Quint,  le  présenta  à  ce 
prince  sous  une  influence  si  ma- 
ligne de  son  étoile  ,  qu'il  n'en  re- 
çut pas  la  valeur  d'un  sou.  Il  ne 
choisit  pas  un  temps opportun(k); 
car  il  fit  son  compliment  le  ma- 
nuscrit à  la  main  ,  lorsque 
Charles- Quint  soutenait  en  Al- 
lemagne une  grosse  guerre.  II 
fut  tellement  indigné  d'un  ac- 
cueil si  peu  profitable  ,  qu'il  jeta 
son  poëme  au  feu  :  ou  croit  que 
s'il  eût  été  assez  riche  pour  payer 
les  frais  de  l'impression  ,  il  n'eût 
point  sévi  de  cette  manière  sur 
la  production  de  sou  esprit  ;  mais 
la  pauvreté  qui  l'accablait  ne  lui 


permit  pas  de  publier  son  ou- 
vrage ,  et  se  joignant  au  dépit, 
ce  fut  une  raison  suffisante  pour 
l'obliger  à  le  détruire  («). 

(a)  Tiré  de  dom  Lancelot  de  Pe'rouse  ,  au 
disinganno  XXV II  du  /".  tom.  de  /'Hoggidi, 
pag.  273.  licite  An.  Campo,  lib.  3.  A  ug.  Ju. 
lib.  5. 

(A)  //  ne  choisit  pas  un  temps  op- 
portun. ]  Tous  ceux  qui  ont.  des  ou- 
vrages à  présenter  à  un  grand  doi- 
vent prendre  garde  au  conseil  que 
Horace  donne  dans  ces  paroles  : 

Ut  projiciscentem  docui  te  sœpc  dt'uque , 
Auguslo  reddes  signala  volumina ,   Vinni  , 
Si  validas ,  si  Itvlus  erit ,  si  denique  poscel. 
Ne  studio  nostrî  pecces,  odiumque  libellis 
Sedulus  importes    opéra1   véhémente   minis- 
ter  (1). 

C'est-à-dire  qu'il  faut  éviter  les  con- 
tre-temps ;  car  tous  les  princes  sont 
en  cela  de  l'humeur  d'Auguste  :  ils 
ne  veulent  point  être  interrompus 
mal  à  propos  (2).  Il  suffit ,  pour 
e'chouer  ,  qu'un  auteur  n'observe  pas 
le  moment  propice,  et  ce  que  ]<■-,  La- 
tins nomment  molles  aditus  ,  mollis- 
simafandi  tempora.  Notre  Guindano 
eut  ce  malheur  ;  il  prit  mal,  son 
temps  ;  il  voulut  montrer  un  poëme 
de  XII  livres  à  un  empereur  qui  avait 
sur  les  e'paules  une  guerre  très-pe- 
sante (3).  O  essendo  presentati  con 
poco  garbo  ,  b  non  a  tempo  ,  trovan- 
dosi  egli  occupatissimo  nelle  guerre 
d? Allemagna  ,  non  hebbe  mai  nien- 
te  (4). 

(1)  Horat.  ,  epist.  XIII ,  vs.  1  ,  lib.  I. 

(1) Nisi  dextro  lempore ,   Flacci 

Verha  per  attentant  non  ibunt  Cœsaris  auretn. 
Horat.  ,  sat.  I ,  lib.  II,  vs.  18. 

(3)  Havea  quesli  composlo  dodici  libri  de'  falli 
di  Carlo  V,  imperadore  ,  intitulait  Austriados. 
Lancelot  de  Pe'ruse  ,  Hoggedi,  part.  I  ,  cap. 
XXVII,  pag.  273. 

(4)  Idem ,  ibid. 

GUISCARD.  C'est  le  nom  que 
les  seigneurs  de  la  Coste  ,  de  la 
Bourlie ,  de  la  Laurie  ,  etc. ,  ont 
donné  à  leur  maison  ,  qui  est 
l'une  des  plus  nobles  et  des  plus 
anciennes  de  la  province  de  Quer- 
ci.  Us  le  choisirent  par  la  consi- 
dération qu'ils  eurent  pour  un 
de  leurs  ancêtres  ,  appelé  de  son 


GUISCARU.  35; 

nom  propre  Guiscardus.  L'usage  que  ceux  qui  ont  fait  briller  cette 
de  ces  temps-là  n'avait  pas  enco-  maison  avec  plus  d'éclat  sont  : 
re  établi  que  l'on  conservât  les  George  de  Gujscard  ,  seigneur  de 
preuves  de  l'origine  des  familles  la  Bourlie  (B) ,  et  Louis  de  Guis- 
en  faveur  de  leur  postérité  :  mais  card  son  fils  aîné  (C).  Lisez  les 
ce  défaut  n'empêche  pas  que  ces  remarques  suivantes.  Cette  mai- 
seigneurs  ne  rapportent  des  ti-  son  porte  pour  armes ,  d'argent 
très  de  près  de  cinq  cents  ans  ;  à  une  bande  de  gueule  :  pour 
car  ils  justifient ,  non-seulement  supports  deux  lions  d'or,  et  pour 
qu'ils  possèdent  des  terres  qui  ne  cimier  un  lion  naissant  de  vaê- 
sont  pas  sorties  de  leur  maison  me(i). 
depuis  tant  de  siècles  ,  mais  que      „»-....,„,.,    .    ,   , 

,     l     -,  ,                                      j   -i  t          Vi  (")  Iw«e  ,a  trenealogic  de  la  maison  de- 
là noblesse  recommandable  qu  ils  Guiscard,  dressée  sur  les  unes,  au  mois  de 
se  sont  conservée  s'est  transmise  décembre  i6y6,parM.d'Uosier. 
sans  interruption  dans  la  person-  ,»,.   D,  ...           ...            „ 

,     ,r    ,    l  j      /-.  (A)   Plusieurs  alliances    illustres  , 

ne  de  M.  le  comte  de  Guiscard  ,  et  plusieurs  personnes  d'un  mérite  da- 
mai soutient  (a)  avec  une  gloire  tingué.]  J'en  vais  marquer  quelques- 
diçnede  ses  aïeux,  tous  les^flan-   uns-  Bertrand  de  Guiscard  ,  damoi 

seau  (i) ,  troisième  fils  de  Bernard  (2) 
de  Guiscard  ,  laissa  un  fils  ,  nomme 
Gattlard  de  Guiscard,  «  duquel  le 
»  Trésor  des  Charles  conserve  un  acte 
»   qui  a  peu  de  semblables.  Comme,  ù 
»  l'exemple  de  ses  pères ,  il  avait  été 
»  fait  chevalier,  un    particulier  ap 
»  pcle'  Pierre  de  la  Tour,  qui  servail 
»  apparemment  sous  lui ,  et  qui  était 
»  prêt  de    mourir ,   l'ayant  prié    de 
»  l'honorer    du    même   titre  ,    il   lui 
»  conféra   ce    grade  d'bonneur  ,  l'an 
»   i334-  Jn   infirniitale  qud  decessit  , 
»  fecit  se  militem  jieri  per  Gaillar- 
»  dum  Guiscardum  militem  ,   et  per 
»  eundem  Guiscardum  insigma  ntili- 
»  tarin  sibi  dari.  Et  le  roi  ,   Philippe 
»  de  Valois ,  en  approuvant  cette  ac- 
»  tion    par  ses  lettres  données  à  Pa- 
»  ris,  au  mois  d'août  l'an  1 33 7,  confir- 
ai ma  cette  chevalerie,  et  voulut  que 
»  la  postérité  de  celui  qui  l'avait  ré- 
»  eue  jouît  en  conséquence   de  tous 
»  les    avantages    de    la    noblesse.   Le 
»  même  Gaillard  de  Guiscard  servail 
)>  encore  dans  les  guerres  de  Gasco- 
w  gne  ,  l'an  i33g,  avec  quatre  écuyers, 
»  sous  le  commandement  de  messire 
»  Pierre  de  Marmande  ,  sénéchal  de 
»  Périgord  ,    suivant  un    compte    de 
»  cette  année  ,   rendu  par  Barthéle- 
»  my   de  Drack  ,  trésorier  des  guer- 

(1)  Ce  titre  était  une  distinction  que  Von  don- 
nait aux  enfans  de  honne  maison  qui  n'avaient 
pas  encore  la  chevalerie. 

(2)  Celui-ci  était  fils  de  ce  Bernai  d  de  Guis- 
card ,  oit  la  généalvgir  commence. 


tages  qu'il  tire   de  la  naJKe 
qu'ils  lui   out  donnée.   Bernard 
de  Guiscard  fait  le  premier  de- 
gré   de   la   généalogie  de   cette 
maison.    Les    témoignages   qui 
restent  de  ses  actions  font  juger 
que  sa  race  avait  une  source  qui 
devait  aller  au  delà  du  siècle  ou 
il  vivait.  Il  prit  la  qualité  de  che- 
valier dans  tous  les  arrentemens 
de  ses  terres  ,   depuis  l'an   1247 
jusqu'en  1283.  C'est  une  preuve 
constante    qu'il   s'était  déjà    si- 
gnalé dans  la  guerre,  et  que  les 
services    qu'il    avait  rendus    lui 
avaient  acquis  ce  titre  ,  qui  était 
alors  ,    et   qui   plusieurs   siècles 
après  a  été  encore  la  récompense 
la  plus  honorable  que  l'on  pût 
donner  à  la  valeur  militaire.  Il  y 
a  quatorze  degrés   en  ligne  di- 
recte et  masculine,  depuis  ce  Ber- 
nard jusqu'à  M.  le  comte  de  Guis- 
card ,  et  l'on   trouve  dans  cette 
suite  de  successions  plusieurs  al- 
liances illustres  ,  et  plusieurs  per- 
sonnes d'un  mérite  distingué  (A). 
Mais  il  faut  pourtant  reconnaître 

(«)  On  écrit  ceci  au  mois  de  mars  1 700. 


;5R 


GUISCARD. 


»  res.  Mais  on  ne  sait  point  s'il  fut 
»  marie  ,  et  s'il  laissa  des  enfans 
(3).  » 

Bernard  de  Guiscard  ,  IVe.  du 
nom  ,  seigneur  de  la  Coste  et  de  la 
Laurie  ,  damoiseau ,  épousa  ,  le  28 
d'avril  i3i5  ,  He'lis  de  Montaigu  ,  fille 
et  héritière  de  Bernard  de  Montaigu, 
seigneur  de  Montcuc.  «  Comme  son 
»  château  de  la  Coste  était  alors  une 
»  forteresse  importante  ,  Galois  de 
)>  la  Baume  ,  seigneur  de  Valfin  , 
»  qui  avait  la  conduite  de  la  guerre 
»  en  Languedoc ,  et  qui  était  alors  à 
»  Cahors ,  lui  en  donna  la  capitaine- 
»  rie ,  et  le  retint  aux  gages  du  roi , 
»  Charles  V  ,  par  des  lettres  du  10  de 
«  mai  de  l'an  i348  ,  avec  six  hommes 
»  d'armes  et  douze  sergens  de  pied  , 
»  pour  veiller  à  la  sûreté  de  cette 
»  place.  Il  y  a  lieu  de  croire  qu'ex- 
»  cité  par  son  intérêt  et  par  son  zèle, 
»  il  la  conserva  comme  il  s'y  était 
»  engagé  ;  car  il  y  fit  son  testament 
»  le  27  d'avril  Tan  i353  (4)-  »    * 

Guillaume  Bertrand  de  Guiscard, 
IIe.  du  nom  ,  épousa  en  premières 
noces,  le  5  d'octobre  i^i3  ,  Margue- 
rite de  Veirac ,  iille  de  Guy  de  Vei- 
rac  ,  seigneur  de  Merle  et  de  Cossac  , 
au  diocèse  de  Tulles  ;  et  en  secondes 
noces  ,  Hélis  de  Landore  ,  sœur  de 
Bernard  de  Landore  ,  vicomte  de  Ca- 
dars  en  Rouer gue.  Antoine  de  Guis- 
card ,  seigneur  de  la  Coste  et  de 
Moncuc  ,  fut  marié  ,  le  16  d'octobre 
i4(P  ,  avec  Isabelle  de  Lomagne  ,  fille 
de  Jean  de  Lomagne  ,  seigneur  de 
Montagu  ,  en  Agénois.JEAN  de  Guis- 
card ,  Ier.  du  nom,  gentilhomme  or- 
dinaire de  la  chambre  du  roi  ,  fut 
marié  ,  l'onzième  d'août  i528  ,  avec 
Souveraine  de  Ricard  de  Genouillac , 
fille  de  Jean  de  Ricard  ,  surnommé 
•le  Genouillac  ,  chevalier ,  baron  de 
Gourdon  ,  et  seigneur  de  Genouillac, 
et  de  Vaillac  ,  et  de  Marguerite  d'Au- 
husson.  Jean  de  Guiscard  ,  son  fils  , 
l'un  des  cent  gentilshommes  de  la 
maison  du  roi  (5)  ,  épousa  ,  le  1 2  de 
novembre  i55{,  Françoise  de  la  Bar- 
the  ,  fille  de  Matthieu  de  la  Bail  lie  , 
baron  de  Montcornel  et  premier  ba- 
ron  d'Astarac ,   et  de  Catherine    de 

(3)  D'Hosier  ,    Généalogie  de   la    maison    de 
Guiscard.    Voyez  la  citation  (10). 

(4)  Idem  ,  ibid. 

(5)  Celait  alors  une  compagnie  tonte  remplie 
■  I'  personnes  qualifiées. 


Lomagne,  dame  de  Monlarac.  Jj  m 
de  Guiscard  ,  son  second  fils  ,  sei- 
gneur du  Puy  de  Sirects  ,  épousa 
Agnès  de  Témincs ,  le  5  de  janvier 
1625. 

(B)  George  de  Guiscard  ,  seigneur 
de  la  Bourlie.]  Il  se  forma  deux  nou- 
velles branches  ,  vers  la  fin  du  XVe. 
siècle  ,  celle  des  seigneurs  du  Puy  de 
Sirects  (6)  ,  et  celle  des  seigneurs  du 
Cairou  et  de  la  Bourbe .  Le  chef  de 
la  première  était  second  fils  de  Jean 
de  Guiscard  ,  IIe.  du  nom.  Le  chef 
de  l'autre  était  Gabriel  de  Guiscard, 
seigneur  de  la  Gardelle  ,  du  Cairou 
et  de  la  Bourlie ,  troisième  fils  de 
Jean  de  Guiscard,  IIe.  du  nom.  Ce 
Gabriel  de  Guiscard  ,  eut  huit  fils  , 
dont  le  sixième  est  M.  le  comte  de  la 
Bourlie  ,  dont  le  nom  paraît  au  texte 
de  cette  remarque.  II  naquit  le  9 
d'août  1606.  «  Il  a  été  successivement 
»  capitaine  d'infanterie  et  de  cavale- 
»  riP  dans  le  régiment  de  Vaillac  et 
»  de  Coalin.  Il  eut  une  jambe  cassée 
»  d'un  coup  de  mousquet  à  la  des- 
»  cente  des  îles  de  Sainte-Marguerite 
»  et  de  Saint-Honorat,  le  bras  percé 
»  d'un  coup  de  pique  à  la  bataille  de 
»  Rocroy  ;  et  s' étant  signalé  à  celle 
»  de  Lens  (7)  ,  au  siège  d'Arras  ,  et 
)>  en  plusieurs  autres  occasions  ,  il 
»  mérita  d'être  créé  l'un  des  pension- 
»  naires  du  roi,  l'an  i644-  H  fut  fait 
»  sergent  de  bataille  et  gouverneur 
»  de  Courtray  ,  l'an  1647.  L'année 
»  suivante,  la  feue  reine-mère  le  ju- 
))  gea  digne  du  choix  qu'elle  fit  de 
»  sa  personne  pour  remplir  la  place 
w  de  sous-gouverneur  du  roi.  Il  fut 
»  fait  ensuite  conseiller  d'état ,  l'an 
»  1649,  maréchal  de  camp  l'an  i65i  ; 
»  et  la  satisfaction  que  sa  majesté  eut 
»  de  ses  services  ,  qu'il  avait  rendus 
))  dans  ses  charges  ,  l'obligea  de  lui 
)>  donner,  l'an  1662,  le  commande- 
»  ment  des  villes  et  souverainetés  de 
»  Sedan,  Raucour  et  de  Saint-Mange: 
»  et  il  tut  pourvu  du  gouvernement 
»  de  cette  importante  place  ,  l'an 
»  1G71  ,  de  laquelle  il  avait  été  fait 
»  grand  bailli.  Elle  crut  qu'elle  ne 
»  pouvait  remettre  dans  des  mains 
»  plus  fidèles  le  commandement  des 
»  villes  et  citadelles  de  Dunkerque  , 

(G)  Elle  est  éteinte. 

(7)  Notez  qne  la  bataille  de  Lens  se  donna 
l'an  1648.  il  y  a  donc  ici  un  nom  pour  un  autre, 
ou  un  petit  anachronisme. 


Bergues ,  Furncs  et  Gravelines  ,  et 
des  troupes  destine'es  pour  la   dé- 
fense  de  toute  cette  frontière  ,  dont 
elle  le  chargea,    avec    le    pouvoir 
de  lieutenant    général ,   l'an  167a. 
Et  l'année  suivante  ,  il  battit ,  près 
de  Furnes ,  avec  cinq  cents  maîtres  , 
plus  de  huit  cents  hommes  des  en- 
nemis ,  dont  il  resta  une  bonne  par- 
tie sur  la  place  ,  et  il  ramena  cent 
quarante  prisonniers  à  Dunkerque. 
Enfin  ,  comblé  de  la  réputation  que 
sa  sagesse  et  sa  valeur  lui   avaient 
justement   acquise    dans  la    durée 
d'une  très-longue  vie  ,  il    mourut 
le  19  de  décembre  de  l'an   169I , 
ugé  de   quatre-vingt-sept   ans   et 
quatre  mois.  Il  avait  été  marié  dans 
le  Palais-Royal,  en  présence  du  roi 
et  de  la  feue  reine-mère,  le  28  de 
novembre  de  l'an  1648,  avec  Gene- 
viève de  Longueval ,  dame  de  Four- 
drinoy,  en  Picardie,  fille  d'Antoine 
de  Longueval,  seigneur  de  Tenelles 
et   de    Lémout ,  et  d'Elisabeth    de 
Margival  :  et  il  a  laissé  quatre  en  - 
fans  de  cette  dame.  Louis  de  Guis- 
card  ,  comte  de  Neuvy ,  »  dont  je 
arlerai  dans  la  remarque  suivante. 
Jean-George   de  Guiscard  ,  né   le 
27  de  septembre  de  l'an  1657.  Il  a 
donné  de  grandes  preuves  de  sa  va- 
leur, étant  enseigne   colonelle   du 
régiment  de  Normandie  ,  à  la  dé- 
fense  de    Grave  ,   où   il   fut  blessé 
d'un  coup  de  mousquet  à  la  tète  ; 
et ,    pendant  qu'il  a  été   capitaine 
dans    le    régiment   des   gardes,  en 
plusieurs  batailles  et  sièges  ,   il    se 
fit  distinguer  par  son  courage.  Il 
reçut  un  coup  de  mousquet  au  tra- 
vers du  corps  ,  à  celui  d'Ypres ,  et 
et  il  a  été  depuis  colonel  du   régi- 
ment de  Normandie  ,  à  la  tète  du- 
quel M.  le  comte  de  Guiscard,  son 
frère  ,  avait  servi  avec  grande  dis- 
tinction.   Antoine  de  Guiscard,  né 
le  27  de  décembre  de  l'an  i658  , 
abbé  de  Bonnecombe  ,  en  Roucrgue, 
et   prieur  de  Dieu ,  en  Souvienne. 
Geneviève-Catherine  de  Guiscard 
a  été  mariée,  le  3o  d'octobre  i683, 
avec  Camille  Savari ,  comte  de  Brè- 
ves (8).  » 

Notez  que  la  branche  aînée  est  au- 
jourd'hui dans  le  quinzième  degré  , 
en  la  personne  de  François  de  Guis- 

(8)  Généalogie  de  la  maison  >lc  GlltSCard. 


GUISCARD.  359 

card  ,  seigneur  de  Saint-Jean  et  de 
la  Coste. 

(C)  ....  Louis  de  Guiscard,  son  fils 
<riné.  ]  Il    est  né  le  27  de  septembre 
ro5i  ,  et  «  n'a  pas  cessé ,  depuis  qu'il 
»  a    entré  dans   les  troupes  ,    d'être 
»  employé  à  des    fonctions  utiles  et 
»  importantes  au  service  du  roi.  Car , 
»  poussé  par  les  mêmes  sentimens  qui 
»  avaient  procuré  à   M.  le  comte  de 
»  la  Bourlie ,  son  père  ,  toutes  les  ré- 
»  compenses  glorieuses  dont  sa  ma- 
»  jesté  avait  honoré  son  courage  ,  il 
»  commença  ses  premières  armes  par 
»  l'emploi  de  capitaine  dans  le  régi- 
»  ment  des    vaisseaux  ,    dont   il    fut 
«  pourvu  l'an  1671.  En  cette  qualité, 
»  il  servit  l'année  suivante  aux  sièges 
»  d'Orsoy  ,  Rhimberg  ,  Duisbourg  et 
>,  Zulpben,  et  à  ceux  de  Maastricht  et 
»  d'Unna  ,  dans  le  pays  de  la  Marck, 
»  en  l'année  1673.  Le  roi  le  fit  colonel 
»  du    régiment   de    Normandie ,    au 
»  mois  de  mars  de  l'an  1674,  et  in- 
»  continent  après  ,  il  entra  dans  Gra- 
»  ve  ,  qui  était  déjà  investie  ,   et  où 
»  se  trouvait  ledit  régiment.  Il  força 
»  une  garde  ,  dont  il  mena  seize  pri- 
»  sonniers  dans  la  place  ,  avec  trente 
»  maîtres  de  la  garnison  de  Mazeyck, 
»  qu'il  avait  pris  pour  son  escorte. 
»  Il  fut  blessé  dangereusement  d'un 
»  coup   de    mousquet  dans  l'aisselle 
»  sur  la  fin  du  siège ,  où  il  comman- 
»  dait  l'infanterie.  L'année  suivante  , 
»  il  fut  encore   blessé  d'un  coup  de 
»  mousquetàla  tête,  au  siège  de  Bou- 
»  chain  :    et   ayant  été   détaché  ,  la 
»  même  campagne,    pour   conduire 
»  six  bataillons   au  corps   que  com- 
■»  mandait  M.  le  maréchal  de  Créqui , 
»  près  de  Thionville  ,  il  se  trouva  à 
»  la  bataille   de  Consarbrick  ,  et  fut 
m  assez  heureux  pour  conduire  à  Metz 
m  les  débris  de  l'infanterie  ,  avec  les 
»  restes  du  régiment   de  Normandie 
»  et  de  Bourlemont.  Il  servit  les  an- 
»  nées  suivantes  en  Allemagne  ,  et  se 
»  trouva  au  siège  de  Fribourg  et.  du 
»  fort  de  Kelh  ;  comme  aussi ,  en  l'an- 
>i  née  i68^,  au  siège  de  Luxembourg. 
»  Il  se  signala  toujours  avec  tant  de 
»  bravoure  ,   dans    tous  les  endroits 
»  où  il  eut.  occasion  d'agir  à  la    tête 
»  de  ce  corps  ,  que  sa  majesté  lui  ac- 
»  corda  ,  l'an  1609,  un  brevet  de  bri- 
»  gadier   dans  son  infanterie  ,  et  lui 
»  donna  un   pouvoir  pour  comman- 
»  der  dans  Dînant,  avec  l'inspection 


36o 


GUISCAliD. 


générale  sur  les  troupes  qui  étaient 
,  en   garnison    dans    cette    place    et 
,  dans  celles  de  Charlemont  ,  de  Ro- 
,  croy,  de  Beaumontet  de  Philipp^- 
„  ville.  Les  fonctions  de  cette  charge  , 
,  qu'il  a    remplie  avec  toute  la  vi- 
gilance   et  l'attention    la   plus    ac- 
tive (9)  ,    obligèrent    le   roi  de    le 
pourvoir  l'année  suivante  de  celle 
de  maréchal  de  camp ,  et  du  com- 
mandement de  Rocroy  et  de  Char- 
,  lemont  ,  avec  l'ordre   de   se    jeter 
,.  dans   Philippeville  ,  en  cas  qu'elle 
,  fût  attaquée.  Comme  la  sagesse  de 
,  sa  conduite  et  son  application  in- 
,  fatigable  pour  les  devoirs  des  diffé- 
,  rcns  postes  auxquels   sa    valeur  le 
,  destinait,  lui  préparaient  toujours 
,  de   nouvelles    récompenses  ,  M.   le 
,  comte  de  la  Bourlie ,  s'étant  démis 
du  gouvernement  de  Sedan  ,  le  roi 
crut  qu'il  était  de  sa  justice  de  le 
rendre  à  M.  le  comte  de  Guiscard, 
son  fils.  Il  en  fut  pourvu  l'an  iGg-î, 
,  et  sa  majesté  ,  satisfaite  du  zèle  et 
,  de  l'intrépidité  qu'il  avait  marqués 
,   partout  où  il  avait  exécuté  ses  or- 
,  dres  ,  jugea  qu'elle  ne  devait  con- 
,  lier  qu'à  son  courage  la  garde  de  la 
,  ville  et  du  château  de  Namur  ,  la 
,  plus  importante  place  de  l'Europe, 
,  qu'à  la  tête  de   son  armée  elle  ve- 
„  nait  de  réduire  sous  sa  puissance. 
,  Il  avait  le  pouvoir  pour  y   com- 
,  mander  comme  gouverneur  ;  et  ce 
)  choix  ,    si  glorieux   pour   lui  ,  fut 
)  accompagné  de  la  dignité  de  lieu- 
tenant général  ,  dont  elle  l'honora 
le  3o  de  mars  i6g3.  Sa  majesté  lui 
i  donna  le  commandement  d'un  corps 
considérable,  pour  former  l'inves- 
tissement de  Huy  ,  afin  de  faire  une 

>  diversion   capable  de    favoriser   le 

>  siège    de  Fûmes  ,  que  faisait  M.  le 

>  maréchal  de  Bouflers  ;  ce  qui  réus- 

>  sit,  en  retenant  de  ce  côté-là  une 

>  parlie  des  troupes  ennemies,  com- 
mandées par  le  comte  d'Athlone. 
Il  soutint,  à  Bossu  ,  l'attaque  vigou- 
reuse que  les  ennemis  firent  d'un 
convoi  qu'il  conduisait  de  Mau- 
beuge  à  l'armée  de  M.  de  Luxem- 
bourg ,  avec  une  fermeté  d'autant 
plus  extraordinaire  ,    qu'il  n'avait 

(ci)  J'ai  suivi  l'original  que  j'ai  eu  en  main  ; 
mais  tl  est  visible  que  c'est  une  copie  fautive  en 
cet  endroit-ci ,  et  qu'il  ne  faut  pas  imputer  à 
)/.  d'Hosier  ce  qu'on  y  trouve  de  contraire  a  la 
construction  grammaticale  des  mois. 


que  treize  escadrons,  el  M.  Dupuy, 
lieutenant  général  désarmées  d'Es- 
pagne, en  ayant  dix-huit ,  et  deux 
mille  quatre  cents  hommes  de  pied 
de   la    garnison  de    Charlcroi ,  fut 
entièrement  défait  et  mis  en  fuite , 
avec  un    grand  nombre  des   siens 
tués  sur   la    place   et   prisonniers. 
Il  fut  assez  heureux  pour  se  trou- 
ver  à    la    victoire    de    Nerwinde  , 
étant  parti  de  Huy  à   la  pointe  du 
jour.  M.    de  Luxembourg  le   plaça 
à  l'aile  gauche  ,  où  il  servit  utile 
ment.  La  défense  de  Namur,  atta- 
quée par  toutes  les  forces  des  alliés, 
lui    ayant    augmenté    cette    gloire 
qu'il  a  acquise  ,  le  roi  l'a    honoré 
de  l'ordre  du  Saint-Esprit ,  auquel 
il   le  nomma  le   17  de    décembre 
l'an   i6g5  ,  et  il  fut  reçu  avec  les 
cérémonies  ordinaires  ,  le  ier.    de 
janvier    de   cette    année    1696.    11 
épousa ,    le  24   de  février  de    l'an 
1677  ,  Angélique  de  Langlée  ,  fille 
de  Claude  de   Langlée  ,  chevalier  , 
seigneur   de    l'Epichelière  ,   maré- 
chal  général  des    logis   des  camps 
et  armées  du  roi  ,  et  de  Catherine 
Roze  ;  et  il  a  de  ce  mariage,  Louis- 
Auguste  de  Guiscard  ,  né  le  20  de 
mai  de  l'an  1680,  et  colonel  du  ré- 
giment de  Guiscard  ,    etc.  Cathe- 
rine   de  Guiscard  ,    née   le  12    de 
juin  de  l'an  1688  (10).  » 
C'est  ainsi  que  parlait  M.  d'Hosier 
u  mois  de  décembre  1696. 11  ne  pou- 
vait point  encore  faire  mention,  ni 
de  l'ambassade  de  Suède  à  laquelle  M. 
le  comte  de  Guiscard  fut  nommé  l'an 
1698  (m),  ni  de  la  mort  prématurée 
du  fils  unique  de  ce  comte.  Ce  Jbune 
seigneur  avait  été  élevé  avec  tous  les 
soins  imaginables  ,  et  y  avait  répondu 
admirablement.  Il  avait  les  plus  belles 
inclinations  du  monde;  il  aimaitnon- 
seulcment  les  exercices  de  la  guerre  , 
mais  aussi  les  belles-lettres  et  la  phi- 
losophie ,  et  y  avait  déjà  fait  de  très- 
grands  progrès.  Il  avait  vu   la  cour 
«l'Angleterre  à  la  suite  de  M.  le  comte 
de  Tallard  ,  ambassadeur  de  France  , 
l'an  1698,  et  il  accompagna  monsieur 
son  père  à  Stockholm,  l'an  1699.  lise 

(10)  D'Hosier,  dans  la  Généalogie  de  la  mai- 
son de  Guiscard,  dressée  sur  les  titres  au  mois 
de  décembre  iGç)6. 

(11)  Il  en  exerce  actuellement  les  fonctions 
depuis  sept  ou  huit  mois.  On  e'erit  ceci  au  mois 
de  mars  i»oO. 


GUISE. 


36 1 


préparait  à  faire  le  voyage  de  home  , 
loi  qu'étant  arrive  à  Vienne  ,  en  Au- 
triche ,  il  y  tomba  malade  de  la  petite 
vérole,  qui  l'emporta  en  peu  de  jours, 
vers  la  fin  du  mois  de  décembre  1699, 
au  grand  regret  de  tous  ceux  qui 
avaient  l'honneur  de  le  connaître  ,  et 
qui  avaient  pu  admirer  les  grandes  et 
belles  espérances  qu'il  donnait.  Une 
âme  moins  ferme  que  celle  de  M.  le 
comte  de  Guiscard  ,  qui  aimait  ce  fils 
unique  avec  une  tendresse  toute  par- 
ticulière ,  n'eût  jamais  pu  re'sister  à 
ce  rude  coup. 

GUISE  (  Jacques  de  ) ,  reli- 
gieux de  l'ordre  de  saint  Fran- 
çois ,  naquit  à  Mons  dans  le  Hai- 
naut.  Il  fut  docteur  en  théologie  , 
et  il  enseigna  cette  science  ,  la 
philosophie  ,  et  les  mathémati- 
ques pendant  vingt-cinq  années 
plus  ou  moins  dans  les  couvens 
de  son  ordre.  Il  s'attacha  avec 
une  extrême  application  à  illus- 
trer les  antiquités  et  l'histoire 
de  son  pays  ;  mais  il  adopta  des 
traditions  fabuleuses  ;  car  il  as- 
sura que  sa  patrie  a  été  fondée 
par  les  Troyens.  Le  public  n'a  vu 
qu'un  abrégé  de  sa  Chronique  du 
Hainaut  (a)  (A) ,  et  il  n'y  a  point 
d'apparence  que  tout  l'ouvrage 
soit  jamais  mis  en  lumière. 
L'auteur  mourut  à\alenciennes, 
le  6  de  février  1899  ^)*  -^*  ^°~ 
réiï  a  fait  quelques  fautes  (B). 

(a)  Tire  de  Valèrc  André,  Bibiiolh.  belg.  , 
pag.  411. 

[b)  Valèrc  André ,  ibidem. 

(A)  Le  public  n'a  vu  qu'un  abrégé 
de  sa  Chronique  du  Hainaut.  ]  Cet 
abrège  n'est  point  en  latin  comme  la 
Chronique  même  ,  mais  en  français. 
11  fut  imprime  à  Paris  l'an  1 53 1" ,  in 
folio  (*).  En  voici  le  titre  :  Les  illus- 
trations de  la  Gaule  Belgique  ,  anti- 

(*)  La  Chronique  de  ffainault,  Paris,  i53i, 
in-fol.  gothique  ,  n'est  en  effet  qu'un  abrégé^du 
latin  de  Jacques  de  Guise.  Voyez  la  fin  de  la  la- 
bié, et  l'avertissement  de  cette  chronique.  Rem. 
crit. 


quitus  du  pays  de  Hainaut ,  et  de  la 
grand  cité  de  Belges  ,  h  présent  dite 
Bavay  ,  dont  procèdent  les  chaussées 
de  Brunehaut ,  et  de  plusieurs  princes 
qui  ont  régné  et  fondé  plusieurs  vil- 
les et  cités  audit  pays,  et  autres  choses 
singulières  et  dignes  de  mémoii'e  ,  ad- 
venues durant  leurs  règnes  ,  jusques 
au  duc  Philippe  de  Bourgogne  der- 
nier décédé.  Par  frère  Jacques  de 
Guise  ,  religieux  de  l'ordre  de  saint 
François ,  œuvre  divisée  en  six  volu- 
mes ,  desquels  il  n'y  a  que  les  tivis 
premiers  imprimés.  C'est  ainsi  qu'An- 
dré du  Chesne  rapporte  le  titre  de  cet 
ouvrage  (1).  Du  Verdier  ne  le  rapporte 
pas  si  amplement  ;  mais  il  n'a  pas 
oublie'  une  circonstance  que  du  Ches- 
ne n'a  point  marquée  ;  c'est  que  ce 
livre  a  été  translaté  en  français  (a). 
La  Croix  du  Maine  a  cru  faussement 
que  Jacques  de  Guise  était  l'auteur  de 
cette  version  (3).  Il  ajoute  que  la 
chronique  latine  de  ce  moine  se  voit 
<  1  rilejx  la  main,  au  couvent  des  frères 
mineurs  de  Valenciennes  ,  comme  té- 
moigne Jean  le  Maire  en  ses  Illustra- 
tions de  Gaule ,  qu'elle  fut  composée 
a  la  requête  du  comte  Guillaume  de 
Hainaut,  et  qu'elle  s'étend  jusques  à 
l'année  ia44-  Ce  dernier  fait  ne  s'ac- 
corde pas  avec  le  titre  de  l'abrégé  : 
car  il  n'y  a  point  de  duc  de  Bourgo- 
gne nommé  Philippe  ,  qui  soit  mort 
en  ce  temps-là.  Philippe  de  Rouvre  , 
dernier  duc  de  Bourgogne  de  la  pre- 
mière branche  ,  mourut  le  21  de  no- 
vembre i36i.  Valère  André  observe 
(4)  que  l'édition  de  Paris,  1 53 1, a  pour 
titre  ,  Extrait  des  Chroniques  de  Jac- 
ques de  Guise  ,  et  qu'il  y  avait  chez 
M.  Gévart,  à  Anvers,  un  autre  abrégé 
de  ces  Chroniques  ,  fait  par  ordre  du 
duc  de  Bourgogne,  Philippe-le-Bon.  11 
dit  aussi  que  les  franciscains  de  Mons 
avaient  en  trois  tomes  le  manuscrit 
de  cette  Chronique  de  Hainaut. 

J'appris  hier  (5)  de  M.  le  baron  le 
Roi,  homme  très-curieux  et  très-ha- 
bile ,  qu'un  peu  avant  que  sa  majesté 
très-chrétienne  assiégeât  la  ville  de 
Mons,  l'an  1691  ,  il  écrivit  une  lettre 

(1)  Du  Chesne,  Bibiiolh.  des  Historiens  de 
France  ,  pag.   m.  198. 

I2)  Du  Verdier  ,  Bibliothèque  française  ,  pag. 
608. 

(3)  La  Croix  du  Maine,  pag.  188. 

(4)  Valer.  Andréas  ,  Bibiiolh.  belg.  ,  pag.  .',11 

(5)  On  écrit  ceti  en  novembre  1697. 


362  GUISE. 

au  gardien  du  couvent  où    était  ce    (a).  Elle  éprouva  les  divers  SUC- 
manuscrit  ,  pour  le  prier  de  lui  en   c<es  fes  armes  pendant  les  guer- 


faire  copier  quelques  chapitres ,  et 
que  le  gardien  lui  répondit  qu'après 
en  avoir  copié  quelque  chose  ,  il  y 
avait  renoncé ,  ne  pouvant  déchiffrer 
les 


res  de  François  1er.  et  de  Char- 
les-Quint. Elle  fut  prise  d'assaut 
l'an  i536.  Le  château,  qui  pou- 
les caractères  et  Tes  abréviations  de    „flù  lenir    se  rendiL  lâchement ,  à 
l'auteur  ,  et  que  les  plus  capables  de  j  •  i  •,    •  *    „  A. 

son  couvent  n'avaient  pu  non  plus  en  cause  de  1U0\  les  capilainesju- 
veniràbout.  M.  le  baron  le  Roiajou-  rent  notés  d  infamie  [b).  Mais 
ta  que  pendant  le  siège  ,  un  frère  lai  l'an  l543  ,  Ferdinand  de  Gonza— 
de  ce  couvent  s'érigea  en  canonnier  ,  „ue  qm  l'assiégeait  ,  averti  de 
et  fit  paraître  qu'il  n  avait  pas  mis  en  h  J      ,  h      de 

oubli  1  expérience  qu  il  avait  acquise    "W11I,C    .     " 

autrefois  dans  cet  art-là  ;  qu'un  dé-  François  Ie  .  ,  leva  le  siège  ,  et 
serteur  ayant  rapporté  cela  au  camp  fut  chargé  si  brusquement  dans 
des  Français  ,  on  fit  tirer  plusieurs    ja  retraite ,  qu'on  lui  tua  deux 

mille   hommes  de   son   arrière- 
garde  ,  et  qu'on /?£  quantité  de 
prisonniers  (c).   L'an    1 636  ,  les 
Espagnols,  qui  avaient  fait  quel- 
ques conquêtes  dans  la  Picardie  , 
ne  trouvèrent  pas  à  propos  d'as- 
siéger Guise  ;  ils  craignirent  la 
vigoureuse  résistance  du  comte 
de    Guébriant   qui  y   comman- 
dait (d).  Ils  ne  purent  s'en  ren- 
dre   maîtres   l'an    i65o  ,   quoi- 
que tout  semblât  les  favoriser. 
Voyez  le  livre  intitulé  le  Triom- 
phe de  la  ville  de  Guise.  Il  a  été 
composé   par   Jean -Baptiste  de 
Verdun  ,  minime  ,  et  il  fut  im- 
primé à  Paris  l'an  1687  :  le  Jour- 
nal des  Savans  (e)  en  parle.  Nous 
dirons  ailleurs  (f) ,  que  le  mar- 
quis de  Bougi  fut  la  principale 
cause  qui  fit  échouer  cette  en- 
treprise des  Espagnols. 


bombes  sur  ce  couvent ,  qui  y  mirent 
tout  en  feu  ,  de  sorte  que  le  manu- 
scrit de  Jacques  de  Guise  y  fut  con- 
sumé avec  la  bibliothèque  des  moi- 
nes. * 

(B)  M.  Moréii  a  fait  quelques  fau- 
tes. J  i°.  Jacques  de  Guise  n'était  pas 
natif  de  Valenciennes ,  mais  de  Mons. 
Notez  en  passant  que  la  Croix  du  Mai- 
ne ,  qui  a  conjecturé  qu'il  était  de 
Guise  (  G  )  ,  s'est  trompé  ;  il  ignore 
d'ailleurs  que  ce  religieuxa  vécu  dans 
le  XIVe  siècle.  2°.  H  ne  fallait  pas  nous 
dire  qu'il  mourut  ou  l'an  i3o,8,  ou 
l'an  1  ;$99  ;  car  ce  n'est  pas  de  cette 
façon  que  les  écrivains  ont  varié  sur 
l'année  mortuaire  de  Jacques  de  Gui- 
se. Leurs  variations  consistent  en  ce 
que  les  uns  commencent  l'année  au 
mois  de  janvier ,  et  les  autres  après 
pâques.  Selon  ceux-ci  il  mourut  en 
i3g8,  et  selon  ceux-là  en  1399  (7). 


*  PrOsper  Marchand,  qui  a  donné  aussi  un  ar- 
ticle à  J.  de  Guise,  dans  son  Dictionnaire  kit- 
torique,  I,  38i  ,  dit  que  ses  Annales  Hannoniœ 
ne  sont  pas  entièrement  perdues.  Elles  existent , 
ajoute-t  il,  dans  la  Bibliothèque  du  roi  ,  à  Pa- 
ris, dans  celle  des  jésuites  d'Anvers  ,  dans  diver- 
ses bibliothèques  des  Pays-Bas.  P.  Marchand 
parle  même  de  traductions  françaises  qui  en  ont 
été  /aites. 

(6)  La  Croix  du  Maine,  pag.  1S8. 

Il)  rojei  Valère  André  ,  Bibliolh.  belg.  , 
pag-  4"- 

GUISE  ,  ville  de  Picardie  ,  sur 
la  rivière  d'Oise  au  diocèse  de 
Laon ,  était  l'ancien  patrimoine 
des  puînés  de  la  maison  de  Lor- 
raine ,  et  fut  érigée  en  duché- 
paîrïe  au  mois 


le  janvier   1  5?7 


(a)  Du  Chesne  ,  Anliq.  (les  villes  de  Fran- 
ce ,  pag.  m  /|38. 

(t)Mézerai,  Abrégé  chronol.,  tom.  If, 
pag.  595. 

(c)  Là  même ,  Histoire  de  France  ,  tom . 
//,  pag.  102  t. 

((/)  Le  Laboureur,  Histoire  du  maréchal 
de  Guébriant. 

(e)  Du  17  mai  1688.  Corrigez-y,  dans  l'é- 
dition de  Hollande ,  les  chiffres  l55o,  mis 
pour  l65o. 

(/)  Dans  la  remarque  (G)  de  l'article  RÉ- 
vKr.END-DF.-BouGi,  tom.  XII. 


GUISE. 


363 


GUISE  (  Claude  de  Lorraine, 
duc  de  ) ,  second  fils  de  René  duc 
de  Lorraine  ,  alla  s'établir  en 
France  ,  après  avoir  tenté  inuti- 
lement ,  dit-on  ,  d'exclure  de  la 
succession  paternelle  Antoine  , 
son  frère  aîné  (A).  Comme  il 
avait  beaucoup  de  courage  et  un 
grand  mérite,  il  se  fit  extrême- 
ment estimer.  Il  épousa  une 
princesse  du  sang  (a),  et  il  par- 
vint à  de  grands  emplois.  Ce  fut 
pour  l'amour  de  lui  qu'on  érigea 
le  comté  de  Guise  en  duché-pai- 
rie. On  n'avait  fait  encore  de 
semblables  érections  que  pour  les 
princes  du  sang.  On  prétend  que 
François  Ier.  conçut  du  chagrin 
contre  lui  en  quelques  rencon- 
tres (B)  ,  et  qu'il  ne  lui  permit 
pas  d'être  reconnu  pour  prince 
(C)  ,  ni  d'en  prendre  toutes  les 
marques.  Quoi  qu'il  en  soit  , 
Claude  de  Lorraine  devint  si 
puissant,  qu'il  fonda  une  maison 
qui  pensa  détrôner  les  succes- 
seurs légitimes.  Il  mourut  l'an 
i55o  ,  laissant  six  fils  et  quatre 
filles,  desquelles  l'aînée  épousa 
Jacques  Stuart ,  Ve.  du  nom  ,  roi 
d'Ecosse.  Il  s'était  signaléen  plu- 
sieurs grandes  occasions  ,  et  no- 
tamment à  la  bataille  de  Ma- 
rignan  (D).  Jean  son  frère  ,  que 
l'on  appelait  le  cardinal  de  Lor- 
raine ,  lui  servit  d'un  grand  ap- 
pui (6). 

(a)  Antoinette  de  Bourbon  ,  sœur  de  Char- 
les, duc  de  Vendôme,  le  18  d'avril  i5l3. 
Anselme,  Histoire  généalogique ,  pag.  285. 

(b)    Voyez  ,  remarque  (B) ,  note  (9). 

(A)  //  tenta  inutilement ,  dit-on  , 
d'exclure  de  la  succession  paternelle 
Antoine,  sonjrcre  aîné.~\  Voici  ce  que 
M.  de  Thon  nous  apprend  ,  lorsqu'il 
rapporte  la  Harangue  qu'on  suppose 
que  la  Renaudie  fit  1  ses  complices 


(1).  René  duc  de  Lorraine,  e'pousant 
Marguerite  d'Harcourt  (2)  héritière 
de  Tancarville,  l'obligea,  par  le  con- 
trat de  mariage,  à  lui  faire  une  dona- 
tion de  ses  biens.  Ensuite  ,  sous  pré- 
texte qu'elle  e'tait  laide  ,  et  puis  sous 
prétexte  qu'elle  était  stérile  ,  il  la 
répudia  cruellement ,  et  ne  lui  rendit 
pas  ses  biens ,  et  n'attendit  pas  qu'elle 
lût  morte  ,  à  se  marier  avec  la  sœur 
du  duc  de  Gueldres.  Il  eut  de  ce  se- 
cond mariage, entre  autres  enfans, An- 
toine, qui  lui  succéda,  et  notre  Claude. 
Celui-ci  ,  né  depuis  la  mort  de  Mar- 
guerite d'Harcourt ,  prétendit  qu'An- 
toine, étant  né  pendant  la  vie  de  cette 
dame  ,  devait  être  censé  bAtard  ,  et 
inhabile  à  succéder  ;  de  sorte  qu'il  ne 
feignit  point  de  déshonorer  sa  propre 
mère  ,  en  la  faisant  passer  pour  con- 
cubine ,  pourvu  qu'il  pût  devenir 
par-là  duc  de  Lorraine  au  préjudice 
de  son  frère  aîné.  Cette  tentative  ne 
lui  ayant  pas  réussi,  il  abandonna  son 
pays  et  se  retira  en  France  (3).  Je  ne 
saurais  bien  dire  si  cela  est  vrai ,  et  je 
ne  me  fie  guère  à  tout  ce  que  peuvent 
dire  des  harangueurs  dans  les  circon- 
stances où  la  Renaudie  se  trouvait  5 
mais  je  suis  sûr  qu'un  homme  fort 
ambitieux  se  met  peu  en  peine  du  dés- 
honneur de  sa  mère  ,  lorsqu'il  en  tire 
de  grands  avantages.  Je  rapporterai 
quelques  paroles  de  M.  de  Thou  ,  qui 
semblent  avoir  quelque  obscurité. 
Cum  primo  simulatis  nuptiis  Marga- 
ritam  Gulielmi  Haricuriani  Tancar- 
l'illae  comitis  Jiliam  et  aruplissimorum 
bonorum  ,  quœ  Lotaringi  hodie  in  Ca- 
lelensiagro  possident ,  lieredem  du.ris- 
set  ,  et  tabulis  dotalib.  ad  donalionem 
illorum  bonorum  adegisset  ,  poste'a 
deforinitatem  et  ex  dej'ormitate  steri- 
litatem  caussalus  miseram  feminam 
repudiavit ,  et  tamen  bona  retinuit  (4). 
Il  semble  que  M.  de  Thou  veuille  dire 
que  les  deux  prétextes  du  duc  de  Lor- 

(1)  Lors  de  la  compilation  d'Amboise ,  l'an 
i56o. 

(2)  Pille  de  Guillaume  d'Harcourt,  comte 
de  Tancarrille. 

(3)  El  Claudius  quidem...  Anloniumfratrem, 
quod  is  vh'd  Margaiilâ  ex  Plidippd  nalus  esset, 
lanquam  ex  adullerio  procrealum  Lolaringim 
successione  dejicere  voluil,  ne  communis  quidem 
matris  pudori  panent  :  quod  cum  frustra  ten- 
tâssel ,  et  in  palrid  impius  esse  non  possel ,  spes 
iniqua.r  secum  in  Gallium.. .  altulit.  Thuanus  , 
lib.  XXIV,  pag.  4<)"  .  ad  ann.  i56o. 

C4)  Thuaii  ,  lib.  XXIV,  pag.  48g  ,  ad  ann. 
|VÎ... 


364 


GUISE. 


raine  furent  fonde's  l'un  sur  l'autre  , 
c'est-à-dire  qu'on  alle'gua  première- 
ment que  Marguerite  e'tait  laide ,  et 
en  second  lieu  que  sa  laideur  la  ren- 
dait ste'rile.  Ce  serait  être  un  très- 
mauvais  physicien  que  de  raisonner 
ainsi;  car  il  n'y  a  point  d'autre  liaison 
entre  la  laideur  et  la  ste'rilite'  d'une 
femme ,  que  celle  que  la  malignité 
d'un  mari  trop  délicat  y  peut  mettre  , 
en  ne  rendant  point  à  son  épouse  ce 
qu'on  nomme  devoir  conjugal.  Peut- 
être  que  le  duc  René  donna  bon  ordre 
que  le  prétexte  de  la  stérilité  ne  lui 
manquât  pas  au  besoin  ;  mais  je  suis 
persuadé  que  la  phrase  de  M.  de  Thou 
ne  signifie  sinon  qu'après  que  le  duc 
se  fût  servi  du  prétexte  de  la  laideur , 
il  allégua  une  autre  cause  de  son  di- 
vorce ,  c'est  que  sa  femme  ne  lui  don- 
nait point  d'enfans. 

Je  ne  sais  si  M.  Varillas  a  eu  d'autre 
fondement  que  la  harangue  de  la  Re- 
naudie ,  mais  quoi  qu'il  en  soit ,  il  est 
bon  de  le  citer  (5).'  «  Lorsque  Claude 
»  de  Lorraine  avait  été  capable  de 
»  raisonner  sur  ses  propres  intérêts  , 
»  il  avait  prétendu  que  les  duchés  de 
»  Lorraine  et  de  Bar  lui  devaient  ap- 
»  partenir  ,  et  qu'Antoine  ,  son  frère 
»  aîné,  n'était  pas  légitime,  puisqu'il 
»  était  né  durant  la  vie  de  la  première 
»  femme  (6)  de  leur  père.  Le  même 
»  Claude  n'avait  pu  s'empêcher  de  le 
^  direàdesgensquii'avaientrapporté 
«  au  duc  René  ;  et  cette  considération 
»  lui  avait  fait  craindre  que  ses  deux 
»  fils  aînés  n'attentassent  sur  la  vie 
»  l'un  de  l'autre.  Il  n'avait  point  trou- 
»  vé  de  meilleur  expédient  que  d'en- 
»  voyçr  Claude  en  France  ,  et  de  l'y 
»  marier  avec  Antoinette  de  Bourbon , 
?  fille  aînée  du  comte  de  Vendôme  ; 
»  et  de  lui  donner  toutes  les  terres 
M  qu'il  possédait  dans  ce  royaume , 
»  qui  étaient  en  si  grand  nombre  , 
»  qu'elles  contiennent  deux  pages 
»  dans  le  manuscrit  du  contrat  (*)  , 
«  et  si  considérables  que  le  revenu 
»  n'en  était  pas  moins  grand  que  celui 
»  des  duchés  de  Lorraine  et  de  Bar.  » 
Béloi  dit  tout  le  contraire  ;  car  il  as- 
sure que  le  premier  duc  de  Guise 
n'avait  que  quatorze  ou  quinze  mille 

(5)  Varillas  ,  Histoire  de  Henri  III  ,  lit,.  XII, 
pag.  m.  3n  ,  3i2. 

(<>)  Varillas  la  nomme  Jeanne  de  Harccurt- 
Tancarville. 

(*)  Entre  ceux  de  Lomcnie. 


livres  de  rente  quand  il  épousa  mada- 
me Antoinette  de  Bourbon  (7). 

(B)  François  Ier  conçut  du  chagrin 
contre  lui  en  quelques  rencontres. .  ]  La 
Renaudie  l'assure  dans  sa  harangue  : 
il  dit  que  Claude  de  Lorraine  ,  ayant 
sans  l'ordre  du  roi  fait  sortir  des  trou- 
pes de  la  province  dont  il  était  gou- 
verneur ,  irrita  tellement  sa  majesté  , 
qu'on  ne  put  obtenir  sa  grâce  qu'à 
condition  qu'il  ne  paraîtrait  plus  à  la 
cour.  Le  prétexte  dont  il  se  servit 
pour  tirer  ces  troupes  de  son  gouver- 
nement de  Champagne  fut  celui-ci  : 
il  voulait  repousser  les  anabaptistes  , 
qui  faisaient  des  courses  sur  les  terres 
du  duc  de  Lorraine  (8)  :  Antonio  ab 
anabaptistis  ,  uti  aiebat ,  injestalo  , 
injussu  régis  ex  prœfecturd  sud  auxi- 
liareis  copias  adduxit.  Quod  adeo 
impatiente}'  tulil  francisais  ,  qui  his 
prœludiis patientiam  suant  tentait  in- 
terprelabatur,  ut  nisi  in  Joannis  fra- 
tris  (9)  et  Annre  Momorantii  ,  qui 
factum  excusavit  ,  gratiam  ,  nun- 
quam  eam  injuriant  condonaturus 
fuisse  credatur  :  quant  tamen  eâ  lege 
remisit,  ut  Claudiusin  posterum  aulà 
abstineret ,  nequein  suïtnt  conspeclum 
venirel.  Comme  je  l'ai  déjà  dit ,  je  ne 
me  fie  pas  trop  à  la  harangue  de  la 
Renaudie  ;  mais  une  partie  de  ce  qu'il 
avance  se  trouve  dans  un  bon  histo- 
rien :  tenons-nous-en-là.  Le  Jeu  roy 
François,  dit-il  (10),  ne  veut  avoir  en 
bonne  opinion  le  père  (11),  depuis  qu'il 
sceut  que  durant  sa  prison  il  avait 
mené  les  forces  de  ce  royaume  a  Sa- 
verne  ,  pour  appaiser  les  troubles 
d'Al/emaigne  ,  et  des  faire  ceux  qui 
alloyent  troubler  les  Païs-Bas  et  au- 
tres pats  patrimoniaux  de  la  maison 
d'Austriche  :  qui  fut  si  mal  receu  du- 
dict  sieur  roy  ,  qu'a  son  retour  de  pri- 
son h  sainct  Scver ,  il  ordonna  qu'il 
fust  mis  prisonnier  -.  et  sans  l'interces- 
sion et  remonstrance  de  monsieur  le 
conncstablc  ,  illuyenfust  mal  prins. 

(7)  Béloi  ,  Apologie  catholique  ,  folio  10 
verso  ■ 

(S)  Thuan.  ,  lib.  XXir,  pag.  490. 

(g)  M.  de  Tliou  avait  dit  peu  auparavant  que 
Claude  avait  ohtenu  le  gouvernement  de  Cham- 
pagne et  de  Brie ,  par  la  recommandation  de 
Jean,  son  frire,  cardinal  ,  qui  avait  beaucoup 
de  cre'dit  auprès  du  roi. 

(10)  Le  président  delà  Place  ,  Commentaires 
de  l'état  de  la  Religion  et  République  ,  liv.  II , 
folio  m.  54  Verso  ,  a  l'an  i56o. 

(11)  C'est-à-dire ,  Claude,  duc  de  Guise. 


GUISE. 


365 


L' entreprise  aussi  faicle  par  luy  sur 
l' estât  du  gouvernement  de  la  Bour- 
gogne du  vivant  de  Philip pes  Chabot 
admirai  et  gouverneur  dudicl  pais  , 
luy  vint  a  grand  hlasme  ,  non  seule- 
ment envers  la  noblesse  ,  mais  aussi 
envers  le  roy  mesme  •'  car  ce  sont  deux 
poincts  fort  remarquez  en  France  , 
que  de  -faire  un  desservice  h  la  cou- 
ronne ,  et  d'entreprendre  sur  l' estât 
d'un  gentilhomme  vivant.  Lesquels 
rendirent  tellement  odieux  le  pere  et 
les  enfans  au  bon  jugement  de  ce 
grand  roy  François,  qu'ils  furent  hors 
d'espoir  de  se  pouvoir*  avancer,  sans 
l'alliance  etfaveurde  madame  de  Va- 
lentinois.  Je  m'étonne  qu'il  n'ajoute 
pas  que  ce  prince ,  un  peu  avant  sa 
mort ,  recommanda  à  son  successeur 
de  ne  donner  point  de  charges  aux 
Guises.  Quelques  historiens  parlent 
de  ce  fait:  la  Renaudie  ne  l'oublie  pas. 
Voici  ses  paroles  dans  M.  de  Thou. 
Ejus  rei  memoria  cum  tenacissimè  in 
Francisci  prudentissimi  principis  ani- 
mo  ,quamdiii  vixit  ,hœsisset,  moriens 
Me  inter  salutaria  prœcepta  ,  quœ  de 
posteritate  ac  regno  solicitus  Henrico 
F.  dédit ,  imprimis  eum  inonuit ,  ut 
sibi  a  Guisianorum  ambitione  caveret, 
ac proindè  eos  publicœ  rei  gubernacu- 
lis  ne  admoveret  (12). 

(C)  ....  et  qu'il  ne  lui  permit  pas 
d'être  reconnu  pour  prince .  1  Le  pre'- 
sident  de  la  Place,  que  j'ai  de'jà  cite' , 
rapporte  un  discours  qui  fut  fait 
à  Catherine  de  Me'dicis,  par  Louis 
Régnier  ,  sieur  de  la  Planche.  Les 
gentilshommes  francois  ,  c'est  Louis 
Régnier  qui  parle  ,  honorent  les  prin- 
ces estrangers  quand  ils  se  contien- 
nent en  leurs  limites  ;  mais  autrement 
ils  ne  les  peuvent  supporter ,  et  moins 
les  recognoistre  ou  advouer  pour 
princes,  et.  autres  que  seigneurs  et 
gentilshommes.  Ce  que  fut  confirmé 
par  le  jugement  du  feu  roy  Fran- 
çois ,  quand  le  duc  d'ylumale  se  ma- 
ria; car  il  ne  voulut  permettre  que  sa 
femme  fust  habillée  en  princesse  le 
jour  de  ses  nopecs  ,  disant  qu'il  ne 
vouloit  communiquer  les  honneurs 
qui  /l'appartiennent  qu'aux  princes 
du  sang  ,  à  ceux  de  Loivaine.  Et  que 
s'ils  vouloyent  faire  des  princes  , 
qu'ils    les  allassent  faire   hors  de  ce 

(12)  Tlman.  ,  lib.   XXIV,  p«.?.  foo.   Voyez 
ci-dessous  la  citation  (2)  de  l'article  (tu  duc  de 

Ciusf  ,  pei.l-fils  de  celui-ci. 


royaume  ,  cl  a  leurs  desfjcns.  Et  feu 
M.    de    Guy  se  ,   qui   avait  fort  dili- 
gemment pourchassé  d'avoir  V estât 
de  grand   preneur  ,  lequel  aupara- 
vant   n'estait    exercé  que  par  bien 
simples  gentilshommes  ,  se   contenta 
que   sa    belle  -  fille  n'eust  point  de 
manteau    'a  Fontainebleau  le  jour  de 
ses  nopees  (i3).  Nous  allons  voir  que 
Henri  II  ne  marcha  pas  sur  les  traces 
de  son   père ,    et  que    François    Ier. 
même  se  rclilcha  quelquefois.  Ze  feu 
roy  François  ,  ce  sont  les  paroles  du 
sieur  de  la  Planche  04)  ,  à  l'entrée 
de  la  roy  ne  Alienar,feil  bien  habiller 
mademoiselle  de    Guise,  qui  depuis 
a  esté  roy  ne  d'Escosse ,  en  princesse  , 
pour  son  seul  plaisir  ;  mais  aux  nop- 
ees   de  son  frère  ,   il   monstra   bien 
qu'il  ne  vouloit  que  cela  fust  tiré  en 
conséquence.    Et  si  le  feu  roy  à   la 
persuasion  de   madame   de   Kalcnti- 
nois,  à    laquelle  sont  tenus  de  toute 
leur  grandeur  tous  ceulx  qui  aujour- 
d'hui  vivent  de  la  maison  de  Guise  , 
a  pour  l'exaltation  d'icelle  corrompu, 
l'ancien  ordre,  qui  estait  qu'en  France 
nulle  fille  es  toit  habillée  en  princesse 
le  jour  de  ses  nopees  ,  si  elle  n'estait 
fille  de  prince  du  sang  ,  ou  en  espou- 
soit  un  :  il  est  ceitain  que  ,  s'il  eust 
vescu ,    il  avoit   assez  résolu  de   les 
humilier  en  recompense.  Il  y  a  deux 
autres  faits  dans  le  discours  de  Louis 
Régnier  ,   qui    méritent   d'être    rap- 
porte's./'efi  monsieur  de  Sainct-Paul 
n'ouït  jamais  le  duc  de  Guise  ,  Claude 
de   Lorraine  s'appeler  prince  ,  qu'en 
soubzriant   il  ne   dist   a  quelcun  des 
siens ,  qu'il  parlait  vllemant  en  Fran- 
çois :    et    que  toutesfois    et   quantes 
qu'il  se  vouldroitappeller prince,  pour 
parler  proprement  francois  ,  il  devait 
adjouster ,  de  LoiTaine  (i5).  Voilà  le 
premier   fait    :    nous    allons    voir  le 
second  (16).  L' ancienne  coustume  des 
parlemens  ,   mesmement  de  celuy  de 
Paris  ,  a  tousjours  esté  d'empescher 
que   nul  ne  s'y  attribuast  le  nom  de 
prince  ,    s'il  n'est   du  sang.    Ce  que 
mesme  a  esté  confermé  es  personnes 

(i3)  La  président  de  la  Place,  Commentaires 
de  l'état  de  la  Religion  et  République,  folio  5g. 
Voyez  aussi  /'Histoire  Je  l'état  de  Fiance  ,  sous 
François  II,  composée  par  Louis  Régnier ,  sieur 
de  la  Planche  ,  p"g.  3gg. 

(i4)  Le  président  de  la  Place,  là  même,  et 
fol.  Go. 

(i5)   Là  même,  fol.  5çj  rerro. 

(iG)  Là  même,  folio  Go. 


366 


GUISE. 


de  mesdicts  sieurs  de  Guise  plaidans 
devant  le  feu  président  Lizet  ,  lequel 
dicl  en  pleine  audience  a  leur  advo- 
cat,  prenant  la  qualité  de  prince, 
que  ce  tiltre  n  appartenait  en  Fran- 
ce qu'aux  princes  du  sang  ,  et  or- 
donna sur  le  champ  qu'elle  seroit 
rayée  (17). 

(D)  //  s'était  signalé  .  .  .  notam- 
ment a  la  bataille  de  Marignan.  ] 
François  Ier.  la  gagna  l'an  i5i5  ,  sur 
les  Suisses.  «  Claude ,  duc  de  Guise  , 
»  qui  commandait  les  lansquenets  en 
»  l'absence  de  Charles  ,  duc  de  Guel- 
3)  dres ,  son  oncle  maternel ,  y  fut 
»  foule'  aux  pieds  :  un  gentilhomme 
3>  allemand,  son  e'cuyer ,  lui  sauva  la 
w  vie  aux  de'pens  de  la  sienne  ,  en  le 
m  couvrant  de  son  corps ,  et  rece- 
»  vant  les  coups  qu'on  lui  portait 
v  (  18  ).  »  Voyez  le  père  Anselme 
(19)  qui  décrit  cela  d'une  manière 
plus  avantageuse  pour  le  duc  de  Gui- 


(i"j)  Voici  les  propres  paroles  du  sieur  de  la 
Planche  ,  pag.  l\00  de  /'Histoire  sotis  François 
II.  Mesines  en  plein  parlement  un  advocat ,  en 
plaidant  pour  le  feu  sieur  de  Guise  ,  ayant 
prias  la  qualité'  de  prince,  il  fut  dit  et  ordonne' 
sur  le  champ  que  ceste  qualité  seroit  raye'e  :  ce 
qu'on  estime  avoir  este' cause  en  partie  de  démet- 
tre de  son  estât  le  feu  premier  président  Liset , 
à  la  poursuite  du  cardinal  de  Lorraine  ,  sans 
(  il  faudrait,  je  crois,  sous)  autre  prétexte  toutes- 
jfbis. 

(18I  Mczerai,  Abrégé  cbronolog.  ,  loin.  IV , 
pag.  48o. 

(19)  Anselme  ,  Palais  de  la  Gloire,  pag.  442- 

GUISE  (François  de  Lorhaine, 
duc  de  ) ,  fils  aîné  du  précédent, 
fut  un  des  plus  grands  capitaines 
<3e  son  siècle.  Il  rendit  des  ser- 
vices très-importans  à  l'état ,  par 
la  défense  de  Metz  contre  l'em- 
pereur Charles-Quint ,  et  par  la 
prise  de  Calais ,  et  en  plusieurs 
autres  rencontres  ;  mais  on  peut 
dire  que  les  maux  dont  il  fu  t  cause 
surpassent  sans  comparaison  les 
avantages  que  sa  valeur  et  sa 
conduite  procurèrent  à  la  Fran- 
ce. Son  ambition  et  celle  du 
cardinal  Charles  de  Lorraine,  son 
frère  ,  encore  plus  déréglée  que 
la  sienne,  plongèrent  le  royaume 


dans  une  affreuse  désolation  ; 
outre  que  l'esprit  sanguinaire 
dont  ils  furent  animés  contre 
ceux  qu'on  appelait  huguenots  , 
donna  lieu  aux  guerres  civiles  , 
qui  réduisirent  tant  de  fois  la 
France  aux  dernières  extrémités. 
Cette  haine  ne  fut  d'abord  qu'une 
grimace  de  politique  ;  car,  s'ils 
avaient  espéré  une  plus  haute 
fortune  dans  le  parti  de  la  ré- 
forme ,  ils  l'auraient  sans  doute 
embrassé  (A)  ;  mais  enfin  ce  fut 
tout  de  bon  une  véritable  haine. 
Les  plus  grands  panégyristes  de 
ce  duc  de  Guise  ne  sauraient  le 
disculper  d'une  très-injuste  et 
très-violente  usurpation  ;  car  ce 
n'est  pas  seulement  l'autorité 
souveraine  que  l'on  usurpe  ,  on 
peut  aussi  mériter  le  nom  odieux 
d'usurpateur ,  lorsqu'on  s'empare 
de  la  puissance  qui  n'est  due 
qu'aux  princes  du  sang ,  et  qu'on 
les  éloigne  de  la  part  qu'ils  doi- 
vent avoir  au  gouvernement  de 
l'état  sous  un  roi  mineur.  Or 
c'est  ce  que  firent  les  Guises,  sous 
le  règne  de  François  II ,  mari 
de  leur  nièce  (a)  ,  en  abusant  de 
la  faiblesse  de  ce  prince ,  sans 
garder  aucunes  mesures  de  bien- 
séance. On  veut  même  qu'ils 
aient  eu  dessein  de  faire  mourir 
les  premiers  princes  du  sang(B;. 
Cette  usurpation  ,  accompagnée 
d'une  cruauté  horrible  contre 
l'église  protestante  ,  fit  naître  la 
fameuse  conspiration  d' Amboise , 
qui  ne  servit  qu'à  augmenter  leur 
autorité.  Us  en  vinrent  jusqu'à 
faire  condamner  au  dernier  sup- 
plice le  second  prince  du  sang  ; 
et  sans  doute  l'arrêt  eût  élé  exé- 
cuté ,  avec  le  carnage  général  des 

(a)  Marie  Stuiirt  ,  fille  de  Jacques  l  ,  roi 
J'Ecosse. 


GUISE. 


36- 


protestans  du  royaume  ,  si  Fran-  ans  (e)  (E).  On  dit  qu'il  protesta 
cois  II  eût  vécu  un  peu  davan-  au  lit  de  ta  mort  qu'il  n'avait 
tage  (b).  Après  sa  mort ,  MM.  de  eu  aucune  part  au  massacre  de 
Guise  n'eurent  pas  assez  de  crédit  Vassi  (f)  ;  mais  je  ne  sais  pas  si 
pour  empêcher  que  l'on  n'accor-  une  telle  protestation  serait  ca- 
dàt  aux  huguenots  la  liberté  de  pable  de  balancer  les  preuves 
conscience,  par  l'édit  qu'on  ap-  qu'on  a  du  contraire  (F).  Les 
pela  de  janvier  (c).  Mais  n'ayant  écrivains  de  son  parti  le  louent 
pu  empêcher    cette   tolérance  ,    extrêmement      d'une     maxime 


comme  ils  avaient  fait  dans  l'as- 
semblée des  notables  (C)  ,  sous 
François  II ,  ils  trouvèrent  le 
moyen  de  rendre  nul  cet  édit  , 
par  le  massacre  de  Vassi  *.  On  a 


chrétienne ,  qu'ils  disent  qu'il 
allégua  contre  un  homme  de  la 
religion  qui  cherchait  à  le  tuer. 
Cette  maxime  n'était  pas  trop 
bien  placée  dans  sa  bouche  (G). 


beau  dire  que  ce  ne  fut  pas   une  II  serait  à  souhaiter  que  ceux  de 

affaire  préméditée  ,  les  historiens  la  religion  n'eussent  pas  fait  im- 

les    plus    flatteurs    avouent  des  primer  tant  de  libelles  et  tant  de 

faits  d'oii  il  faut  conclure  qu'elle  satires  contre  ce  duc  ,  et  contre 

le  fut  (D).  Ce  massacre  fut  suivi  le  cardinal  son  frère  (H).  En  ce- 


bientôt  après  d'une  guerre  de 
religion  ,  comme  la  maison  de 
Guise  l'avait  espéré.  Les  succès 
en  furent  funestes  aux  deux  par- 
tis, et  par  conséquent  très-per- 
nicieux à  la  France.  Il  n'y  eut 
que  cette  maison  qui  en  profitât. 
Notre  duc  de  Guise  eut  l'adresse 
de  s'attirer  toute  la  gloire  de  la 


la  ils  n'agissaient  ni  selon  les 
règles  de  l'évangile,  ni  selon 
celles  de  la  prudence ,  vu  que 
ces  sortes  d'écrits  irritaient  de 
plus  en  plus  un  ennemi  très- 
puissant  (I),  et  lui  donnaient 
des  prétextes  de  nourrir  sa  hai- 
ne ,  et  d'augmenter  la  persécu- 
tion   (  K  ).  Il  y  aurait  de  l'in- 


journée  de  Dreux;  et,  selon  tou-  justice  à  imputer  à  tout  le  corps 
tes  les  apparences ,  il  allait  se  l'impatience  de  quelques  parti- 
mettre  en  l'état,  par  la  prise  culiers ,  et  leur  trop  grande  dé- 
d'Orléans  ,  d'exterminer  la  reli-  mangeaison  d'écrire  (L).  Ce  duc 
gion  réformée,  lorsqu'il  fut  assas-  de  Guise  avait  été  fait  duc  d'Au- 
sinépar  Poltrot.  Il  mourut  de  sa  maie,  et  gouverneur  de  Dauphi- 
blessure  (d) ,   le  24  de   février  né,  l'an  1547  (§)•  ^  fut  cheva- 


i563,   âgé    de  quarante-quatre 

(b)  Voyez  Maimbourg  ,  Histoire  du  Calvi- 
nisme ,  liv.  II,  pag.  i5^  et  suie,  édil.  de 
Hollande. 

| c    II  fut  donné  le  17  de  janvier  l5Ô2. 

"  Cette  affaire  de  Vassi  est  le  sujet  do  lon- 
gues remarques  de  Leclerc  ,  qui  contredit 
Bayle  ,  et  cherche  à  justifier  le  duc  de  Guise. 
Il  n'examine  au  reste  que  ce  point  de  tout 
1  article;  mais  en  disant  que  presi/ue  tout 
l'article  est  tiré  de  mauvaises  sources  et  rem- 
pli de  faussetés. 

(</)  Poltrot  lui  tira  un  coup  de  pistolet, 
pendant  le  siège  d'Ortrans ,  le  18  de  fèvriei 
i553. 


lier  de  l'ordre,  grand-maître, 
grand-chambellan  et  grand-ve- 
neur de  France  (h).  Sa  baronnie 
de  Joinville  ,  qui  ressorlissait  de 
la  ville  de  Vassi  (i) ,   fut  érigée 

(e)  //  était  né  au  château  de  Bar,  le  17 
de  février  1 519.  Le  père  Anselme  ,  Histoin 
des  grands  Officiers,  pag.  ^2^. 

(f)  Maimbourg,  Histoire  du  Calvinisme  , 
liv.  IV,  pag.  m.  25g. 

(g)  Le  père  Anselme  ,  Histoire  des  grand 
Officiers,  pag.  424- 

(//)  Là  même  ,  pag.  q25. 
i)  Bèzc,  Mil.  eci  l.s.  .pag   721    /"■■  II'. 


368 


GUISE. 


en  principauté,  l'an  \55i  (h) , 
et  l'on  y  joignit  quelques  villages 
qui  dépendaient  de  la  même  ville 
(/).  Il  épousa  Anne  d'Est ,  fille 
d'Hercule  d'Est  ,  deuxième  du 
nom  ,  duc  de  Ferrare ,  le  4  de 
décembre  i54q  (w),  et  en  eut 
plusieurs  enfans. 

Si  ce  qu'on  lit  dans  l'Histoire 
des  églises  réformées  est  vrai,  il 
fit  connaître  ,  un  peu  avant  que 
de  mourir,  qu'il  ne  croyait  pas 
que  la  vertu  de  son  épouse  se  fût 
conservée  sans  tache  (M). 

(A)  Baudrand.  ,  in  Geograph. 

(/)  Bèze,  Histoire  ecclésiastique,  lù>.  IV  , 
pag.  721. 

(m)  Le  père  Anselme,  Histoire  des  grands 
Officiers ,  pag.  [p.5. 

(A)  Si  les  Guises  avaient  espéré 
une  plus  haute  fortune  dans  le  parti 
de  la  réforme,  ils  l'auraient  sans 
doute  embrassé.  ]  L'auteur  d'un  pe- 
tit roman  (1)  ,  qui  parut  en  France 
l'an  1675  ,  introduit  le  prince  de 
Condé  parlant  ainsi  à  l'amiral  de 
Châtillon.  La  religion  dont  vous  êtes, 
et  dont  je  ne  suis  que  parce  que  les 
Guises  n'en  sont  pas  (  car  je  ne  vous 
cèle  point ,  que  s'ils  s'avisaient  de  se 
faire  huguenots  ,  le  lendemain  je  me 
ferais  catholique  )  :  cette  religion  , 
dis-je  ,  défend -elle  h  un  honnête 
homme  d'aimer  la  plus  belle  per- 
sonne que  l'on  puisse  voir?  On  peut 
faire  tort  à  ce  prince  en  lui  prêtant 
ce  langage  ;  mais  il  est  vrai  ,  généra- 
lement parlant ,  que  les  chefs  des 
grandes  factions  ne  se  déterminent  à 
une  chose ,  que  parce  que  leurs  ri- 
vaux sont  engages  à  une  chose  oppo- 
sée. Et  il  ne  faut  point  douter  que 
les  Guises  ne  se  soient  bien  affermis 
dans  leur  religion  ,  parce  qu'ils 
voyaient  dans  l'autre  parti  leurs  plus 
redoutables  ennemis.  Si  le  prince  de 
Condé  et  les  Ch;1tillons  avaient  af- 
fecté un  grand  zèle  pour  l'extirpa- 
tion des  protestans,  et  si  cela  leur 
eût  mis  en  main  de  quoi  opprimer 
les  Guises,  ne  doutons  point  que 
ceux-ci  n'eussent  quitté  1  église  ro- 

(1)  Intitulés  Le  prince  de  Condé 


maine  ,  afin  de  se  faire  craindre  à  la 
tête  des  huguenots.  On  veut  qu'ils 
aient  été  en  halanec  pendant  quel- 
que temps  sur  cette  affaire  :  M.  Va- 
rillas  ,  qui  le  nie,  prétend  en  avoir 
de  bonnes  raisons.  Voici  ce  qu'il  dit 
(2).  «  C'est  ici  le  lieu  de  réfuter  une 
»  erreur  d'autant  plus  dangereuse , 
»  que  les  historiens  les  plus  habiles 
»  ne  l'ont  pas  toujours  évitée.  On  dit 
»  que  la  maison  de  Guise  délibéra 
»  dans  la  conjoncture  dont  il  s'agit 
»  (3)  ,  s'il  lui  était  plus  avantageux 
»  de  demeurer  catholique ,  ou  de  se 
»  mettre  à  la  tête  des  calvinistes  ;  et 
»  qu'après  une  exacte  discussion  de 
»  ses  intérêts ,  elle  préféra  l'ancienne 
:>  religion  à  la  nouvelle.  Les  deux 
»  frères,  messieurs  du  Puy,  si  célè- 
»  bres  pour  leur  suffisance  ,  insi- 
»  nuaient  ce  fait  à  l'oreille  de  tous 
»  les  doctes  qui  les  allaient  visiter  à 
»  la  Bibliothèque  du  roi,  comme  un 
»  secret  des  plus  importans  de  l'his- 
«  toire  de  France.  Ils  soutenaient 
»  que  ce  secret  était  contenu  dans  le 
»  livre  contre  la  ligue,  de  Gonzague, 
»  duc  de  Nevers.  Ils  avaient  fait 
»  relier  tout-à-fait  bien  ce  livre ,  et. 
w  le  gardaient  fort  précieusement. 
»  Cependant  ,  après  leur  mort,  on  a 
»  examiné  ce  livre  avec  d'autant 
»  plus  d'exactitude  et  de  curiosité, 
»  que  l'on  se  souvenait  de  ce  qu'on 
»  leur  en  avait  ouï  dire  plus  d'une 
»  fois  ,  et  l'on  ne  l'y  a  pas  trouvé. 
»  De  plus,  Marin  le  Roy  ,  de  Gom- 
»  berville,  s'étant  chargé  de  l'im- 
»  pression  des  mémoires  du  duc  de 
»  Nevers ,  emprunta  le  livre  ;  il  le 
w  transcrivit,  et  le  mit  dans  le  pre- 
»  mier  volume  de  ses  Mémoires  (*). 
»  Cependant  il  ne  s'y  trouve  rien  de 
»  cette  prétendue  délibération  de  ht 
w  maison  de  Guise,  quoique  Gom- 
»  berville  n'ignora"t  pas  ce  qu'en 
»  avaient  dit  messieurs  du  Puy.  En- 
»  fin    toutes   les  circonstances    d'a- 

(2)  Varillas,  Hist.  de  l'Hérésie,  liv.  XXIII  , 
pag.  m.  i3i  ,  h  l'ann.  i5Go. 

(3)  C'est-à-dire,  après  la  mort  de  Henri  II. 
(")  Non  pas  dans  le  premier  volume  ,  mais  dans 

le  second.  Ou  reste  ,  l'original  de  ce  Traité  ,  qui 
est  de  583  pages  in-80.,  ne  contient  effectivement 
pas  un  mot  de  ce  que  Varillas  débile  que  MM.  du 
Puy  se  félicitaient  d'y  avoir  trouvé.  Il  est  di  l'an- 
née îSg^,  sans  nom  île  lieu,  ni  d'imprimeur  , 
mais  vraisemblablement  de  Jainel  Métayer,  et 
imprimé  à  Tours,  oit  cet  babile  imprimeur  avait 
suivi  le  roi  Henri  III.  Kr.M.  cmt. 


»  lors  conspirent  à  persuader  que  ce 
»  fait  est  cnimérique  ;  car  la  maison 
»  de  Guise  d'un  côté  ne  gagnait 
»  rien,  et  de  l'autre  côté  perdait 
»  tout ,  en  se  faisant  calviniste.  Elle 
»  ne  gagnait  rien  ,  puisque  ce  parti , 
»  quand  elle  y  eût  entré,  n'aurait 
»  eu  garde  de  la  mettre  à  sa  tête  à 
»  l'exclusion  des  deux  premiers  prin- 
»  ces  du  sang ,  et  surtout  du  prince 


GUISE.  369 

les  querelles  particulières  et  les  li- 
belles n'avaient  pas  encore  remué 
l'intérieur  de  la  machine  ;  car  enfin 
lorsque  la  haine  de  politique  les  eut 
rendus  l'exécration  du  [uirii  qu'ils 
persécutaient,  ils  le  haïrent  ton!  de 
bon  ,  et  néanmoins  ils  dissimulaient 
finement ,  lorsque  des  raisons  de  po- 
litique le  demandaient.  J'ai  lu  dans 
l'un  des  écrits  qui  parurent  en  ce 
temps-là  (5)  ,  que  le  cardinal  Charles 


»  de   Condé  ,   trop   ambitieux  pour 

»  céder  à  des  étrangers  le  comman-  de  Lorraine  faisait  entendre  que  par 

»  dément  dans  une  faction  qu'il  avait  son  conseil  ,  le  sieur  d'Aumal/e  son 

»  formée    en    partie,  et  où   il   avait  frère  favorisoit  en  tout  ce  qu'ilpou- 

»  déjà  ses  mesures  prises  pour  faire  voit  selon  l'edict  les  églises  de  Éour- 


»  des  catholiques.  De  plus,  quand  les 
j>  princes  du  sang  auraient  eu  de  la 
)>  déférence  pour  la  maison  de  Gui- 
»  se  sur  un  point  si  délicat  ,  les 
»  trois  Châtillons  n'auraient  pas  été 
3>  de  même  humeur,  et  se  fussent 
»  dès  lors  établis  dans  la  direction 
»  générale  du  calvinisme,  qui  leur 
w  Fut  depuis  si  solennellement  défé- 
»  rée  après  la  désertion   du  roi  de 


esté  faictes  contre  ceux  de  la  religion, 
depuis  la  déclaration  de  la  paix  ;  qu'il 
scavoil  que  madame  de  Guy  se  sa 
sœur  estoit  de  la  religion  ,  et  qu'elle 
faisoit  secrètement  instruire  le  sieur 
de  Guyse  son  fils  en  la  confession 
d'Auguste  ;  et  cela  ,  disait-il  ,  ne  me 
déplaît  aucunement  (6,\  On  lui  ré- 
pond entre  autres  choses  :  Je  scay 
bien    que    vous    entretenez    quelques 


»  Navarre,  et  la  mort  du  prince  de    princes  d'Allemagne  en  ceste opinion 
;>  Condé.  »  que  vous  faites  instruire   vostre  nep- 

Je  me  rendrais  sans  beaucoup  de  veu  en  leur  confession  :  mais  c'est 
peine  à  ces  raisons  de  Varillas,  quoi-  seulement  pour  avoir  moyen  de  l'in- 
que  je  sache  que  ceux  qui  publient  vestir  des  quatre  baronnies  de  l'eves- 
des  mémoires  en  ôtent  et  y  ajoutent  ché  de  Mets  ,  pour  le  faire  prince  de 
ce  que  bon  leur  semble  (4^-  Je  ne  vois  l'empire.  Et  a  ceste  occasion  vous  lui 
point  de  temps  où  les  Guises  aient  pu  feistes  faire  a  vos  derniers  hommages 
s'imaginer  que  la  désertion  du  catho-  la  harangue  a  la  noblesse  en  alle- 
licisme  leur  pourrait  être  avanta- 
geuse, et  jamais  ils  n'ont  eu  moins 
de  sujet  de  former  cette  pensée  ,  que 
sous  le  règne  de  François  II.  D'où 
serait  donc  venue  la  délibération  que 
MM.  du  Puy  apprenaient  à  leurs  amis 
comme  un  grand  secret?  Ce  que  je 
trouve  de  fort  vraisemblable,  est  que 
si  les  Guises  avaient  vu  les  Châtil- 
lons  beaucoup  plus  accrédités  qu'eux 
dans  le  parti  catholique  ,  ils  se  se- 
raient jetés  dans  le  parti  huguenot  ; 
car  selon  toutes  les  apparences  ils  ne 
tenaient  à  la  communion  romaine 
qu'à  cause  des  biens  temporels  ,  et 
ils  ne  faisaient  paraître  de  l'aversion 
pour  l'autre  parti  ,  qu'afin  de  gagner 
les  cœurs  de  la  populace  et  l'aflèc- 
tion  du  clergé.  Je  parle  du  temps  où 


(4)  C'est  ce  qu'ont  remarque  les  Journaliste» 
de  Leipsic  contre  M.  Varillas ,  dans  leur  mois  de 
janvier  1691 ,  pag.  2g. 

TOME    VII. 


mont ,  pour  peu  à  peu  gaigner  la  fa- 
veur du  pais.  Quelques  pages  aupara- 
vant on  lui  avait  reproché  ,  d'avoir 
donné  d'une  main  des  coupes  d'ar- 
gent doré  aux  ministres  d' Allemagne, 
a  Saverne  ,  et  d'avoir  de  l'autre  maire, 
exécuté  le  massacre  de  J^assi.  Au 
massacre  de  la  Saint-Barthélemi ,  le 
duc  de  Guise  retira  dans  son  hôtel 
plus  d'une  centaine  de  huguenots, 
qu'il  crut  pouvoir  gagner  a  son  ser- 
vice (7). 

(5)  Imprime' l'an  i5G5.  Il  a  pour  titre  ,  Ré- 
ponse à  l'épitre  de  Charles  de  Vaudemont,  car- 
dinal de  Lorraine.  Celte  e'pîlre  avait  été  publiée 
sous  le  nom  d'un  gentihomme  de  Hamaul  ,  tant 
pour  e.rcuser  le  port  d'armes  que  le  cardinal 
avait  fait  au  mois  de  janvier  à  Paris,  contre 
les  ordonnances  de  sa  majesté' ,  que  pour  accu- 
ser le  mare'chal  de  Montmorenci. 

(6)  Réponse  à  l'épître  de  Charles  de  Vaude- 
mont  ,  folio  D  i  i  i  i. 

(7)  Aïéierai ,  Abrégé  chrooolog. ,  loin.  K , 
p<iS-  i57. 


24 


370 


GUISE. 


L'auteur  de  la  Réponse  à  l'épître  roi  de  Navarre.  Il  s'agissait  de  ré- 
du  cardinal  de  Lorraine  était  un  bon  pondre  aux  vacarmes  de  la  ligue  tou- 
protestant.  Or  voici  ce  qu'il  avoue    chant  cette  confédération  du-  roi  et 


touchant  la  haine  que  ceux  de  la  re 
li<ùon  avaient  conçue  contre  les  Gui- 
ses. Le  consentement  gênerai  de  toutes 
nos  églises ,  dit-il  (8)  ,  est  et  sera 
tousjours  de  faire  teste  a  toutes  les 
parties  desquelles  vous  serez  ou  di- 
rectement ou  indirectement  ,  et  de 
prendre  partf  a\>ec  tous  vos  ennemis , 
de  quelque  qualité  ou  religion  qu'ils 
soyent.    Et    m'esbahis    comme    vous 


des  huguenots.  M.  du  Plessis  allègue 
non-seulement  les  alliances  que  le  roi 
d'Espagne  entretenait  avec  les  princes 
protestans  ,  mais  aussi  ce  qui  avait 
été  fait  par  MM.  de  Guise.  «  N'allons 
»  point  plus  loin  que  nos  ligueurs. 
»  Combien  de  fois  le  duc  de  Guise  a 
»  il  tasché  de  traiter  avec  le  roi  de 
»  Navarre  et  ceux  de  son  parti?  A 
»  combien    de   gentils-hommes    hu- 


ignorez  encore  nostre  volonté ,  que  »  guenots  a  il  escrit?  Qu'ils  recon- 
le  pape  n'ignore  pas  ,  veu  qu'il  de-  »  noissent  ici  son  stile.  Je  n'en  veux , 
clara  dernièrement  hl'evesqae  d! Au-    »  l'ami,  a  ta  religion,  ni  a  ton  près 


xerre  ,  qu'il  vouldroit  qu'il  luy  eust 
cousté  cent  mille  escus  ,  et  que  vous 
fussiez  huguenot  >•  s'asseurant ,  pour 
l'inimitié  irréconciliable  que  nous 
vous  portons ,  que  nous  abandonne- 
rions nostre  religion  si  vous  en  estiez. 
Puis  donc  que  ce  consentement  gê- 
nerai qu'ont  toutes  nos  églises  de 
vous  résister,  ne peult  venir  que  de  la 


»  che  ;  si  tu  n'es  saoul  d'un  ministre, 
»  aies  en  deux.  Et  qui  ne  scait  les 
>>  allées  et  venues  du  vis-seneschal  de 
»  Montelimart  à  la  Rochelle  ,  de  la 
»  part  du  duc  de  Maïenne  ;  les  pro- 
»  pos  qu'il  lui  faisoit  tenir ,  qu'il 
»  vouloit  estre  son  serviteur,  qu'il 
j>  n'en  vouloit  point  à  sa  religion  , 
«  que  sa  mère  lui  avoit  donné  ceste 


spéciale  bonté  de  Dieu ,  nous  devons    »  première  nourriture ,  qu'on  trou 
certainement  espérer  qu'il  nous  pre-    »  veroit  un  moïen  d'accommoder  les 


servera  de  l'effect  de  vos  desseins , 
par  lesquels  vous  faites  un  appareil 
de  guerre  mortelle  contre  nos  biens , 
nos  foyers  ,  et  nos  vies. 

Notez  bien  ces  paroles  de  Bran- 
tôme. Le  cardinal  de  Lorraine  «  estoit 
»  fort  religieux ,  et  pour  ce  fort  haï 
»  des  huguenots  :  mais  pourtant  le 
»  tenoit-on  pour  fort  caché  et  hypo- 
»  critc  en  sa  religion,  de  laquelle  il 
>•  s'aidoit  pour  sa  grandeur  ;  car  je 
»  l'a  y  veu  souvent  discourir  de  la 
»  confession  d'Ausbourg ,  et  l'aprou- 
»  ver  à  demy,  voire  la  prescher,  plus 
»  pour  plaire  à  aucuns  messieurs  les 
»  Allemans,  que  pour  autre  chose  , 
')  ainsi  qu'on  disoit  ;  comme  je  vis 
»  une  fois  à  Reims  ,  pour  une  se- 
»  maine  sainte,  et  devant  madame 
»  sa  mère  publiquement,  où  il  le 
»  faisoit  beau  ouïr  (9).  »  Joignez  à 
Ceci  la  remarque  (Q)  de  l'article  Lor- 
raine 


»  choses,  que  sur  sa  parole  il  le 
»  viendroit  trouver  avec"  quatre  che- 
»  vaux ,  qu'il  lui  bailleroit  ostages 
»  de  sa  foi ,  ses  enfans  et  sa  femme  ? 
»  Au  temps  toutes  fois  ,  qu'il  retour- 
11  noit  de  Castillon.  Au  temps  qu'ils 
»  ne  sonnoient  que  dévotions ,  que 
»  zèle  de  l'église.  Aussi  ne  faisoit-il 
»  pas  scrupule  de  se  servir  des  luthe- 
»  riens  reistres  ,  qu'on  voïoit  publi- 
»  quement  faire  la  cène  en  son  ar- 
»  mée  ;  et  les  lettres  qu'il  escrit  tout 
»  fraischement  à  ses  agens  se  peuvent 
d  voir  ;  qu'il  est  armé  pour  exter- 
»  miner  les  huguenots  sacramen- 
w  taires  ,  mais  non  ceux  de  la  con- 
»  fession  d'Ausbourg  ,  qu'il  veut  au 
»  contraire  aimer  et  conserver  ;  non 
»  moins  condamnés  du  pape  que  les 
d  autres  ,  ceux  qui  premiers  ont 
«  donné  le  branle  à  l'église  10- 
»  maine   (10).   » 

(B)  On  veut  qu'ils  aient  eu  dessein 


Le  passage  que  je  vais  citer  n'est    de  faire  mourir  les  premiers  princes 
pas   moins   notable.   Je  le   tire  d'un    du  sang.]    «  On    ne    peut   lire   sans 
écrit  que  M.  du  Plessis  Mornai  com- 
posa au  mois  d'avril  1589  ,  pour  jus- 
tifier Henri  III  sur  son  union  avec  le 

(8)  Réponse  à  l'épître  île  Charles  de  Vaurle- 
mont ,  folio  C\  i  i. 

(9)  Brant.  ,  l'-loge  (lu  iliicile  Guise  ,  au  III' 
tome  de  ses  Mémoires  ,j>ag.  m.  i35. 


»  horreur  ce  qui  fut  dit  en  ce  temps- 
»  là  (11),  et  qui  a  été  écrit  depuis  ; 

(10)  Mémoires  de  Duplessis  Mornai ,  tom.  I , 
pag.  922  ,  92H. 

(11)  C est-à'dire ,  au  temps  que  les  e'ials  du 
royaume  furent  tenus  à  Orle'ans  ,  sous  François 
//,  l'an  i50'o.  Le  prince  de  Coudé  fut  arrêté  eu 


GUISE. 


3^1 


que  les  Guises ,  craignant  les  res- 
sentimens  du  roy  de  Navarre  ,  et 
jugeant  d'ailleurs  que  leur  auto- 
rite' ne  seroit  jamais  tranquille  ni 
assurée  tant  qu'il  resteroit  un 
prince  du  sang  pour  la  contester, 
ils  avoient  entrepris  de  s'en  dé- 
faire ;  mais  par  un  moyen  qui  , 
estant  suivi  du  succès  ,  n'alloit  pas 
à  moins  qu'à  faire  périr  toute  la 
maison  royale  par  elle-mesme.  Que 
le  roy,  à  qui  ils  avoient  fait  com- 
prendre combien  il  estoit  impor- 
tant de  ne  point  laisser  vivre  un 
prince  qui  pust  venger  la  mort  du 
prince  de  Condé,  devoit  faire  venir 
le  roy  de  Navarre  dans  sa  chambre  : 

Vil  1 

qu  il  luy  reprocheroit  en  termes 
fort  piquans  les  crimes  de  son 
frère ,  et  les  justes  sujets  de  plainte 
qu'il  avoit  contre  luy-mesme  ;  le 
prince  nieroit  avec  audace  ,  ou  du 
moins  se  défendroit  avec  trop  de 
chaleur  ;  et  là-dessus  il  seroit  tue' 
à  coups  de  poignard  par  des  gens 
à  qui  le  roi  feroit  signe  ,  et  qui  se- 
roient  en  embuscade.  On  ajouste 
que  ce  prince  fut  averti  du  danger 
qui  le  menaçoit ,  et  qu'après  avoir 
long-tems  hésite'  sur  ce  qu'il  devoit 
faire  ,  il  se  résolut  de  prendre  le 
hasard  de  ce  qui  pourroit  arriver  ; 
et  que  s'en  estant  expliqué  à  un  de 
ses  plus  fidelles  domestiques ,  sur 
le  point  d'entrer  dans  la  chambre 
du  roy,  s'il  arrive  ,  luy  dit-il  ,  que 
je  succombe  h  la  multitude  et  à  la 
trahison  de  mes  enne?nis  ,  prenez 
ma  chemise  toute  sanglante  ;  portez- 
la  a  ma  femme  et  a  mon  fils  :  ils 
liront  dans  mon  sang  ce  qu'ils  doi- 
vent faire  pour  me  venger.  Qu'en 
suite  il  alla  trouver  le  roy,  qui 
n'osa  ,  ou  qui  ne  voulut  point  don- 
ner le  signal  dont  on  estoit  con- 
venu ;  et  que  Guise,  chagrin  de  voir 
ainsi  manquer  cette  entreprise  , 
s'écria  à  ceux  qui  estoient  avec 
lui  :  O  le  pauvre  prince  que  nous 
avons  (12)  !  » 
(C)   Comme  ils   avaient  fait  dans 

arrivant ,  et  peu  de  jours  après  son  procès  lui 
avant  été  fait  par  ries  commissaires  que  le  roi 
avait  nommés ,  il  fut  condamné  à  avoir  la  tête 
tranchée.  L'auteur  de  la  Vie  de  François  de 
Lorraine  ,  duc  de  Guise,  imprimée  a  Paris ,  Van 
1681  ,  qui  dit  ensuite  ce  que  je  rapporte  dans 
celte  remarque. 

(11)  Vie  du  duc  de  Guise ,  imprimée  à  Paris, 
an    1681 ,  pag.  78  ,  c'dition  d»  Hollande. 


l'assemblée  des  notables .]  Elle  se  tint 
à  Fontainebleau,  au  mois  d'août  i56o 
(i3).  L'amiral  y  présenta  une  requête 
de  la  part  de  tous  les  protestans  de 
France  ,  par'daquelle  ils  demandaient 
la  permission  d'avoir  des  temples 
pour  y  exercer  publiquement  leur 
religion.  L'évêque  de  Valence,  Jean  de 
Montluc,  opina  d'une  manière  favo- 
rable à  l'amiral  ;  mais  le  duc  de 
Guise  et  le  cardinal,  son  frère,  s'op- 
posèrent avec  tant  d'emportement  à 
cette  requête,  qu'on  la  rejeta.  Peu  s'en 
fallut  qu'ils  n'établissent  en  France 
le  tribunal  de  l'inquisition  (i4)  :  ils 
y  travaillèrent  de  toute  leur  force  , 
et  il  fallut  que  ,  pour  détourner  ce 
coup,  le  chancelier  s'avisât  de  pro- 
poser au  roi  l'édit  de  Romorantin  , 
très-rigoureux  contre  ceux  de  la  re- 
ligion. C'est  donc  à  ces  deux  frères 
qu'on  peut  imputer  tous  les  mal- 
heurs des  guerres  civiles  de  ce  temps- 
là.  Ils  s'opposèrent  à  la  liberté  de 
conscience  des  protestans,  ils  fomen- 
tèrent la  persécution  ,  ils  entretinrent 
dans  le  royaume  l'esprit  sanguinaire, 
contre  le  droit  le  plus  essentiel  et  le 
plus  inaliénable  dont  l'homme  puisse 
jouir,  et  celui  que  les  souverains  doi- 
vent regarder  comme  le  plus  invio- 
lable. 

(D)  Les  historiens  les  plus  flat- 
teurs avouent  des  faits  d'où  il  faut 
conclure  que  le  massacre  de  Vassi 
fut  une  chose  préméditée.  ]  Varillas 
avoue  (i5),  i°.  que  le  duc  de  Guise 
et  le  cardinal  de  Lorraine  ,  ne  dou- 
tant pas  que  les  guerres  civiles  ne 
commençassent  bientôt ,  et  que  le  par- 
ti catholique  ne  remportât  la  vic- 
toire , pourvu  que  les  protestans  d'Al- 
lemagne n'entrassent  point  dans  la 
querelle  ,  furent  s'aboucher  secrète- 
ment à  Saverne  avec  le  duc  de  Wur- 
temberg; 20.  qu'ils  n'oublièrent  rien 
de  ce  qui  servait  h  donner  de  la  ja- 
lousie aux  luthériens  sur  le  progrès 
du  calvinisme  ,  et  h  leur  persuader 
qu'on  ne  l'allait  attaquer  en  Fran- 
ce (  remarquez  bien  ces  paroles  ,  car 
elles  font  voir  que  la  partie  était 
dressée  pour  commencer  les  actes 
d'hostilité  )  ,  qu' afin  de  travailler  en- 

(i3)  Voyez  Maimbourg,  Histoire  du  Calvinis- 
me, pag.  14?  et  tuiv 

(i4)  Là  même,  pag.  i44i- 

(i5)  Varillas,  Histoire  de  Charles  l\,tom. 
I ,  pag.  jîi  ,  e'dit.  de  Hollande-, 


372 


GUISE. 


suite,  par  de  douces  voies  ,  a  réunir 
avec  le  saint  siège  les  luthériens 
(16)  :  3°  qu'ayant  tiré  parole  du 
prince  allemand  qu'il  emploierait  ses 
offices  auprès  de  ceux  de  son  parti  , 
pour  les  disposera  consentir  que  l'on 
empêchai  en  toute  manière  le  calvi- 
nisme de  prendre  racine  en  France  , 
ils  s'en  retournèrent  à  Joinville  ,  où 
ils  avaient  dessein  de  se  divertir  du- 
rant quelques  jours  (17)  ;  4°-  clue  ^a 
douairière  de  Guise  leur  mère,  qui 
vivait  dans  une  exacte  solitude  à 
Join ville  (18)  ,  employa  tout  son  cré- 
dit auprès  d'eux  pour  les  disposer  à 
ne  plus  souffrir  si  près  d'eux  le  tem- 
ple de  f^assi ,  dont  la  contagion  pas- 
serait bientôt  a  Joinville  ;  5°.  que  le 
duc  de  Guise ,  résolu  d'accorder  ce 
qu'il  pourrait  aux  sollicitations  de  sa 
mère,  sans  violer  les  édits  ,  passa  par 
f^assi  avec  le  cardinal  de  Guise ,  son 
plus  jeune  frère  (19)5  6°.  que  50/1  in- 
tention était  bien  éloignée  de  la  vio- 
lence ,  puisqu'il  supposait  que  sa  seu- 
le présence  suffirait  pour  dissiper  les 
assemblées  des  calvinistes  partout  oh 
il  se  trouverait  ;  70.  qu'il  entra  dans 
la  ville  de  Vassi  le  premier  jour  de 
mars  i562,  et  qu'ayant  été  contraint 
d'interrompre  ses  prières  pendant 
la  messe,  à  cause  que  les  calvinistes , 
dont  le  temple  était  fort  proche  de  là, 
entonnèrent  en  même'  temps  leurs 
psaumes  .  .  .  ,  il  leur  envoya  deman- 
der un  quart  d'heure  de  silence  ,  et 
les  assura  qu'ils  pourraient  ensuite 
continuer  leurs  chants  avec  liberté, 
'.  parce  que  la  messe  qu'il  entendait 
serait  pnie. 

Deux  réflexions  sur  ces  faits  me 
suffiront.  La  première  estqu'ils  mar- 
quent très-clairement  que  le  duc  de 
Guise  travaillait  à  faire  casser  l'édit , 
et  qu'il  prenait  des  mesures  pour 
attaquer  les  huguenots  •  et  qu'outre 
cette  disposition  générale  ,  il  ne  pas- 
sa par  Vassi  qu'après  avoir  promis  a 
sa  mère  qu'il  aurait  égard  à  l'envie 
ardente  qu'elle  témoignait  que  les 
hérétiques  n'y  prêchassent  point.  11 
n'y  a  donc  nulle  apparence  qu'il  soit 
allé  à  Vassi  sans  un  dessein  prémé- 
dité d'y  user  de  violence  contre  ceux 

(1G)  Varillas,  Histoire  rie  Charles  IX,  tom. 
I ,  pag-  122  ,  édit.  de  Hollande. 

(17)  Là  même  ,pag.  iai{. 

(18)  Là  même,  yag.  123. 
(iç))  Là,  même ,  pag.  126. 


de  la  religion.  Ma  deuxième  réflexion 
est  que  M.  Varillas  n'a  pu  déguiser 
les  choses  qu'en  mêlant  ensemble 
des  faits  qui  se  contredisent.  Car  ,  eu 
premier  lieu  ,  comment  est-ce  que  le 
duc  de  Guise  eût  tenu  parole  à  sa 
mère,  s'il  eût  eu  dessein  de  laisser 
continuer  leurs  chants  aux  calvi- 
nistes avec  liberté  ,  dès  que  la  messe 
qu'il  entendait  serait  finie?  Cela  est 
contradictoire  :  de  sorte  qu'il  faut 
que  l'on  nous  avoue  ,  ou  qu'il  n'a  ja- 
mais envoyé  assurer  les  calvinistes 
qu'il  ne  voulait  pas  troubler  les  exer- 
cices de  leur  dévotion,  ou  qu'il  n'é- 
tait pas  allé  à  Vassi  pour  tâcher  de 
contenter  la  douairière  de  Guise,  ou 
qu'il  a  fait  faire  un  faux  message.  La 
dernière  de  ces  trois  choses  est  trop 
indigne  d'un  homme  d'honneur  pour 
l'attribuer  au  duc  de  Guise  ,  quand 
on  veut  le  justifier.  Il  faut  donc  que 
l'on  se  range  aux  deux  premières ,  qui 
démentent  toutes  deux  M.  Varillas  ; 
et  ainsi  l'on  ne  peut  justifier  ce  duc 
sans  démentir  les  historiens  qui  lui 
sont  les  plus  favorables.  En  second 
lieu  ,  il  paraît  très-faux  que  le  duc 
de  Guise  ait  supposé  que  sa  pré- 
sence suffirait  pour  dissiper  les  as- 
semblées de  ceux  de  la  religion.  Il 
savait  trop  bien  que  des  gens  aussi 
allâmes  de  prêches  qu'ils  l'étaient 
alors  ,  et  qui  avaient  obtenu  au  prix 
de  tant  de  persécutions  et  de  suppli- 
ces la  permission  de  prêcher,  n'é- 
taient pas  pour  renoncer  à  leur  pri- 
vilège à  cause  de  sa  présence.  En 
troisième  lieu  ,  si  ce  due  avait  sup- 
posé que  sa  présence  dissiperait  leurs 
assemblées ,  il  n'aurait  pu  s'y  pré- 
senter sans  enfreindre  les  édits  du 
roi  ^  d'où  il  s'ensuit  manifestement 
qu'il  se  contredit  lui-même  dans  Va- 
rillas, lorsqu'il  suppose  que  sa  seule 
présence  dissipera  l'assemblée  de 
Vassi ,  et  que  néanmoins  il  ne  veut 
contenter  sa  mère  qu'autant  qu'il  le 
pourra  sans  violer  les  édits.  Il  est 
impassible  qu'il  veuille  contenter  sa 
mère  sans  vouloir  dissiper  cette  as- 
semblée, et  l'on  avoue  qu'à  tout  le 
moins  il  s'est  préparé  à  la  dissiper 
par  sa  présence.  Il  est  d'ailleurs  im- 
possible qu'il  la  dissipe  sans  contre- 
venir au  dernier  édit.  On  lui  fait 
donc  avoir  des  pensées  contradic- 
toires. C'est  presque  toujours  l'extré- 
mité où  l'on  peut  réduire  les  histo- 


GUISE. 


373 


riens  qui  s'efforcent  d'obscurcir  les 
vérités  éclatantes. 

On  pourrait  marquer  beaucoup  de 
faits   (  20  )   qui  signifient  manifeste- 
ment   que    l'intention     du    duc    de 
Guise  était  d'abolir  l'édit  de  janvier  ; 
mais  il  suffit  de  faire  attention  à  son 
propre  aveu ,  tel   que  Davila  le  rap- 
porte. Après  que  le  tumulte  de  Vassi 
fut  apaisé,   le  duc  de  Guise  manda 
le  juge  du  lieu  ,  et  le  censura  forte- 
ment de    permettre    aux   bugucnols 
une  licence  si  pernicieuse  de  s'assem- 
bler. Le  juge  s'en    excusa  sur  l'édit 
du  roi,    qui  leur  permettait  les  as- 
semblées publiques.    Le   duc,    aussi 
indigné   de  cette  réponse  que  de  la 
chose  même ,  mit  la   main  sur  son 
épée  et  dit  :  le  tranchant  de  celle-ci 
coupera   bientôt   cet    édil  si    étroite- 
ment lié.    C'est  la   nature   qui  parle 
■en  cette   occasion  ,  et  ce  n'est  pas  le 
premier  exemple  d'une   émotion  de 
colère   qui  ait  trahi  les  plus  grands 
dissimulés.   Ce  mot  ne  tomba  pas  à 
terre  ;   on   s'en  servit  comme  d'une 
forte  preuve  des  desseins  violens  du 
duc  de   Guise.    C'est  Davila  qui  fait 
cette  observation.  Voici  ses  paroles. 
Finito  il  tumulto  ,  il  cluca  di  Guisa  , 
chiamato  a  se  Vufficiale  del  luogo  , 
comincio   con  gravi  parole  a  ripren- 
derlo ,  che  permettesse  in  danno  de' 
passaggieri  questa  perniciosa  licen- 
za  :  ed  iscusando  egli  di  non  poterie 
impedire perla permissione  dell'  edit- 
to  di  Gennaio  ,  che  concédera  le  ra- 
dunanze  publiche  a  gli   Ugonotli,  il 
duca  sdegnato  non  ineno  délia  rispos- 
ta  ,  che  delfatlo ,  messa  la  niano  su  la 
spada ,  replicb  pieno  di  colera,  che  l'e- 
ditto  cosi  sti^ettamente  legato  ,  presto 
si  troncarebbe  con  iljilo  di  quella  ••  dal- 
le quali  parole  dette  ne  II'  ardore  dell' 
ira  ,  e   non  trascurate  da  quelli  ch'e- 
rano  presenti  ,  molli  poi  l'arguirono 
per  autore  ,  e  per  machinatore  délie 
guerre  seguenti  (ai).   Les  historiens 
protestans  fournissent  plusieurs  au- 

(ao)  Entre  autres  la  Retraite  Jes  chefs  du  parti 
romain.  Percosse  quesl'  edillo  i  capi  délia  parle 
callolica,  ne  volendo  ,  che  il  mondo  slimasse , 
che  consenlissero  aile  cose,  che  si  facevano ,  |7 
duca  di  Guisa,  U  coneslabile ,  ed  i  cardinali , 
de*  quali  era  maucato  di   vita   il  cardinale  di 

Tornone  ,  i  marescialli  di  Brissac  ,    e   di  Sanl' 
Andréa  ,  si  partirono  dalla  Carte ,  machinando 

gia  di  dislurbare  V edillo ,  e  d'opporsi  per  ogni 

modo  alla  fallione  Ugonotla.  Davila  ,  lib.  II  , 

pag.  m.  -9. 

(ai)  Davi'.a  ,  lib.  III,  pxg.  80. 


très  circonstances  à  la  charge  du  duc 
de  Guise.  Ceux  qui  diront  que,  ve- 
nant d'où  elles  viennent ,  il  est  juste 
de  s'en  défier ,  que  diront-ils  contre 
Davila  ? 

(E)  Il  mourut le  i\   de  février 

1 563,  âgé  de  quarante-quatre  ans .]  Le 
père  du  Londel ,  malgré  son  exacti- 
tude ,  a  ignoré  la  vraie  date  de  cette 
mort  :  il  Ta  mise  au  26  de  février  (22). 
L'erreur  qui  est  demeurée  jusquesici 
dans  toutes  les  éditions  du  Moréri, 
est  tout  autrement  considérable.  On 

fmet  la  mort  de  ce  duc  de  Guise  à 
an  1 553  (23).  Je  m'étonne  que  M.  de 
Valincourt  n'ait  daigné  marquer  ni 
l'année  ni  le  jour  de  cette  mort  , 
non  plus  que  l'année  de  la  naissance, 
dans  la  Vie  qu'il  publia  de  ce  duc 
de  Guise,  l'an  1681  (24);  mais  je  m'é- 
tonne encore  plus  de  ce  qu'il  lui 
donne  cinquante  ans. 

(F)  Je  ne  sais  si  une  telle  protes- 
tation serait  capable  de  balancer  les 
preuves  qu'on  a  du  contraire.  ]  On  ne 
sait  plus  à  quel  prix  mettre  les  pro- 
testations des  mourans  :  les  auteurs 
qui  ont  écrit  pour  et  contre  la  con- 
spiration dénoncée  en  Angleterre 
par  Titus  Oates  ,  nous  produisent  des 
accusés  qui  ont  protesté  de  leur  inno- 
cence jusques  au  dernier  soupir,  et 
des  témoins  qui  ont  fait  la  même 
chose.  Il  faut  nécessairement  que  les 
accusés  ou  les  témoins  fassent  de 
fausses  protestations  au  moment  mê- 
me de  la  mort;  de  sorte  que  nous 
voilà  chassés  d'un  retranchement  que 
nous  opposions  au  pyrrhonisme ,  je 
veux  dire  de  la  déposition  des  mou- 
rans (25).  La  sentence  de  Lucrèce, 
qu'enfin  on  se  démasque  à  l'article 
delà   mort  (26),    n'est   pas  toujours 

(aa)  Du  Londel,  Fastes  des  rois  de  la  maison 
d'Orléans  ,  pag.  71. 

(a3)  Sous  le  mol  Guise  :  mais  sous  le  mot 
François,  qui  n'est  pas  le  lieu  naturel  oit  l'on 
va  chercher  l'histoire  des  ducs  de  Guise  ,  Mo- 
réri a  mis  la  vraie  année  i563- 

(i!\)  C'est  celle  que  je  cite  dans  la  remarque 
(B)- 

(ï5)  M.  le  Grand,  Défense  de  Sanderns , 
pag.  164  ,fait  valoir  le  témoignage  de  Smr'ton. 
contre  AnneBuulfn,  cl  fait  souvenir  que  M.  Bur- 
nel  s'est  prévalu  d'une  semblable  déposition' 
Cela  montre  que  les  partis  contraires  s'objectent 
le  témoignage  des  mourant  ,  et  qu'on  le  rejette 
ou  qu'on  l'adopte  selon  qu'il  nuit  ou  qu'il  favo- 
rise. 

(aG)  Nam  verœ  voces  tum  demain  pectore  ab 
imo 

Ejiciunlur ,  et  eripilur  persona  manel  res. 
Lucret.  ,  lib.  III,  vs.  5j. 


374  GUISE. 

vraie.  La  mauvaise  honte  nous  ac-  de  l'exécration  publique.  Il  se  trouva 
compagne  bien  des  fois  jusqu'au  tom-  donc  engage  à  continuer  ses  protes- 
beau  •  et  cet  amour  de  la  gloire  dont  tations  jusques  à  la  mort;  non-seu- 
les grands  font  leur  idole,  les  oblige  lement  pour  empêcher  que  sa  me 


très-souvent  à  tenir  caché  toute  leur 
vie  ce  qui  serait  capable  de  flétrir 
leur  réputation.  L'empire  d'une  pas- 
sion dominante  va  si  loin,  qu'il  n'est 


moire  ne  fût  détestée  par  tous  ceux 
qui  avaient  horreur  des  guerres  ci- 
viles ,  mais  aussi  pour  empêcher  que 
toute  l'Europe  ne  connût  qu'il  avait 


pas  toujours  arrêté  par  la  vu»  d'une    été  menteur  dans  toutes  les  protesta 
mort   prochaine.  C'est  ce   qu'on    vit     tions    qu'il   avait   faites    de    n'avoir 


dans  Tibère,  à  l'égard  de  la  dissimu 
îation  ,  sa  qualité  favorite.  Jam  Ti- 
berium  corpus ,  jam  vires ,  nondkm 
dissimulatio  deserebat.  Idem  animi 
risor ,  sermone  ac  uultu  intentus  , 
quœsitd  interdhm  comitate  ,  quamvis 


point  ordonné  la  tuerie  de  Vassi.  II 
y  a  peu  d'ambitieux  qui  soient  ca- 
pables de  se  rétracter ,  lorsqu'il  y  a 
tant  de  honte  à  se  dédire. 

Mais  ce  n'est  pas  la  seule  chose  que 
l'on  puisse  alléguer  contre  les  dépo- 


manifestam  defectianem  tegebat  (27).    sitions  des  mourans  :  on  peut,  encore 
L'histoire    du    duc    d'Epernon    nous    révoquer   en    doute    la    plupart    de 

celles  qui  se  débitent ,  parce  qu'elles 
ne  sont  fondées  que  sur  le  témoigna- 
ge de  personnes  fort  suspectes  (29). 
Qui  nous  assurera  qu'un  tel  a  fait 
en  mourant  une  telle  déclaration  , 
et  que  ce  ne  sont  pas  ses  parens  ou 
ses  amis  intéressés  à  sa  gloire ,  qui 
lui  prêtent  ces   paroles,  afin  de  per- 


fournit  une  autre  preuve.  C'était  un 
seigneur  extrêmement  fier,  etquis'é- 
tait  piqué  toute  sa  vie  d'imprimer 
une  marque  de  fierté  sur  tout  ce  qu'il 
disait  ,  et  sur  tout  ce  qu'il  faisait. 
Cet  esprit  ne  le  quitta  point  le  jour 
même  de  sa  mort,  quoiqu'une  lon- 
gue maladie  et  une  extrême  vieillesse 

l'eussent  prodigieusement  abattu.  Un  suader  au  monde  son  innocence  ?  Il 
ecclésiastique  qui  le  préparait  à  bien  n'y  a  rien  de  plus  aisé  que  de  débi- 
mourir,lui  ayant  fait  prononcer  qu'il  ter,  un  tel  en  mourant  a  déclaré  telle 
pardonnait  à  ses  ennemis  ,  et  à  tous  chose,  et  ceux  qui  ont  assisté  h  sa  mort 
ses  domestiques  qui  lui  avaient  dé-  le  disent.  Si  c'est  une  affaire  où  le 
plu  ,  s'avisa  de  lui  dire  s'il  ne  de-  public  soit  intéressé ,  une  heure  suf- 
mandait  point  aussi  pardon  à  ceux  fît  pour  faire  passer  la  nouvelle  dans 
de  ses  domestiques  qu'il  pouvait  tous  les  quartiers  d'une  grande  ville  : 
avoir  offensés  :  la  raison  de  cette  de-  chacun  l'écrit  à  ses  amis,  personne 
mande  était  que  le  duc,  peu  de  jours  n'en  examine  les  fondemens;  les  ga- 
auparavant,  avait  maltraité  une  per-  zettes  la  publient  tout  aussitôt,  et 
sonne  qui  était  à  son  service.  Mais  dès  là  vous  pouvez  être  assuré  que 
la  proposition  ne  laissa  pas  de  l'irri-  tant  que  le  monde  sera  monde ,  les 
ter:  il  répondit  d'un  ton  animé,  qu'il  apologistes  vous  allégueront  la  dé- 
sulfisait  qu'il  eût  pardonné  aux  siens  claration  de  ce  mourant ,  avec  autant 
qui  lui  avaient  déplu,  et  qu'il  n'a-  d'assurance,  que  si  elle  avait  été  avé- 
rait pas    ouï    dire  que  ,  pour   bien  rée  par  les  plus  rigoureuses  enquêtes 


mourir ,  un  maître  jût  tenu  de  faire 

amende  honorable  h  ses   domestiques 

(28).  Celui  qu'on  accuse  du  massacre 

de  Vassi  s'étant  piqué  toute  sa  vie  de 

sauver    les   apparences  ,    et    d'avoir 

plus  de  probité   et    plus  de  candeur 

que  les    autres  courtisans  ,    il    avait 

dit  et  protesté   mille  fois  qu'il  était 

innocent  de  ce  massacre  ,   et  il  avait    même  temps.  Le  premier  affirme,  sur 

dû    le    protester,    parce    qu'en    l'a-    la  foi  de  Brantôme  ,  que  le  duc  après 

vouant  il  se  serait  déclaréla  première    avoir    protesté    qu'il   n'avait  eu  au- 

cause  des  malheurs  qui  ont  allligé  la    cune  part  à  ce  désordre,  n'avait  pas 

France,  et  qu'il  serait  devenu  l'objet 

(29)  Voyez  >a  remarque  (N)  de  V article  IJen- 


des  magistrats.  Pour  faire  voir  les 
grands  abus  qui  se  glissent  dans  ces 
sortes  de  dépositions ,  nous  n'avons 
qu'à  considérer  la  manière  dont 
celle  du  duc  de  Guise  est  rapportée 
par  M.  Maimbourg  et  par  M.  Va- 
rillas ,  deux  historiens  célèbres  qui 
ont  publié  leurs  ouvrags  presque  en 


(27)  Tacit. ,  Annal.  ,  lib.  VT,  cap.  L. 

(28)  Voyez  la  Vie  du  due  d'Epernon  ,  compo- 
te par  Girard. 


ai  11,  tom.  VIII.  On  prétend  qu'il  ne  parla 
plus  depuis  sa  blessure,  et  cependant  les  auteurs 
lui  ont  fait  dire  mille  choses. 


GUISE. 


375 


laissé  d'en  demander  pardon  à  Dieu 
(3o)  ;  mais  l'autre  nous  assure  ,  qu'il 
pria  Dieu  de  lui  pardonner  toutes  ses 
fautes  ,  excepté  celle  de  P^assi (3i). 
Accordez  un  peu  ces  deux  choses,  et 
souvenez-vous  que  les  catholiques 
avaient  un  grand  intérêt  à  persuader 
que  le  duc  de  Guise  avait  protesté 
cela  dans  le  lit  de  la  mort.  Ils  re- 
poussaient par  ce  moyen  un  cruel 
reproche  dont  les  calvinistes  les  ac- 
cablaient incessamment.  Que  ne  fait- 
on  pas  pour  réfuter  de  tels  repro- 
ches ,  quand  la  haine  de  religion  les 
envenime  ? 

(G)  Cette  maxime  n'était  pas  trop 
bien  placée  dans  sa  bouche.]  Voici  la 
réflexion  d'un  des  auteurs  protestans 
qui  ont  écrit  avec  le  plus  de  chaleur  * 
contre  les  dragonneries  de  France 
(3a).  «  On  conte  qu'au  siège  de  Rouen 
»  un  gentilhomme  huguenot  lui (33  ) 
«  ayant  été  amené,  qui  avait  eu  des- 
»  sein  de  le  tuer,  et  qui  lui  avoua 
»  que  ce  n'était  point  par  la  haine 
»  qu'il  eût  contre  sa  personne,  mais 
»  qu'il  avait  cru  y  être  obligé  pour 
»  servir  sa  religion  ,  le  duc,  en  le  re- 
»  lâchant,  lui  dit  :  P^a-t'en;  si  ta 
»  religion  te  commande  d' assassiner 
»  ceux  qui  ne  t'ont  jamais  offensé, 
5>  la  mienne  m'oblige  à  te  donner  la 
»  vie  que  j'ai  droit  de  te  faire  per- 
»  dre  :  juge  par-la  quelle  est  la  meil- 
»  leure  (34).  Ce  serait  avoir  parlé 
»  sagement  et  chrétiennement  ,  si 
»  l'on  n'avait  pas  été  catholique  et 
»  à  la  tête  d'une  armée  persécutan- 
»  te  :  mais  quand  on  songe  que  ce- 
»  lui  qui  parle  ainsi  est  un  persécu- 
»  teur  de  religion,  on  ne  peut  que 
»  se  moquer  de  lui ,  comme  d'un 
»  homme  qui  agit  en  comédien  ,  et 
»  qui  fait  de  la  religion  une  raorae- 
»  rie  ;  qui  pardonne  par  faste  et  par 
»  bravade  à  un  simple  particulier 
»  digne  de  mort,  pendant  qu'il  exer- 

(So)  Maimbourg ,  Histoire  du  Calvinisme, 
pag.  25q. 

(3i)  Varillas  ,  Vie  de  Charles  IX  ,  loin.  I  , 
pag.  128. 

*  C'est  de  lui-même  que  B.iyle  parle  ainsi  ;  car 
il  est  l'auteur  du  Commentaire  philosophique, 
cité  à  la  note  (ii).  Il  est  assez  singulier  que  ni 
Leclerc,  ni  Joly  n'en  ait  fait  l'observation. 

(3a)  Commentaire  philosophique  sur  Contrains  ■ 
les  d'entrer,  à  la  préface  ,  pag.  LX1V  et  suif, 

(33)  C  est-'a-dire ,  au  duc  de  Guise. 

(34)  Voyez  Maimbourg  ,  Histoire  du  Calvinis- 
me, tiv.  IF,  pag.  m.  3x6. 


»  ce  une  cruauté  sauvage  et  abomi- 
»  nable  sur  tout   un  corps  de   gens 
»  innocens.  Ce  duc  de  Guise  n'élait- 
»  il  pas    de   la    même    religion   que 
)>  François  Ier.  et  Henri  II?  N'avail- 
»  il  pas  approuvé  et  conseillé  l'édit  de 
;,  Châteauoriant et  celui  de  Ronioran- 
»  lin,  1 1 11  ï  soumettaient  les  protestans 
»  à  la  mort?  N'avait-il    pas  travaillé 
»  de    tout  son    pouvoir  à  l'établisse- 
»  ment    de    l'inquisition  en  Fiance  , 
»  ce  qui  eût  été  proprement  établir 
»  une    houcherie    d'hommes    ,    une 
»  chambre  ardente  toujours  siégeant 
»  et  environnée  de  bourreaux?  N'a- 
»  vait-il  pas  été  le  principal  promo- 
,,  teur  du  dessein  que  la  mort  preci- 
>,  pilé»;   de  François  II  rompit ,   qui 
»  était  d'envoyer    des    troupes    par 
>,  toutes  les  provinces  ,  et  de  faire 
»  signer  un    formulaire    à   tous   les 
»  Français,  à  peine,   pour  les   refu- 
»  sans  (et  c'était  la   plus  douce  pu- 
»  nition),  d'être   chassés  du   royau- 
«  me,  et   d'être    dépouillés  de    tous 
»  leurs  biens;   mais  combien  en  au- 
»  rait-on  fait  mourir?  N'était-ce  pas 
»  encore    ce    même    duc    qui  avait 
»  souffert  que  ses  gens  massacrassent 
„  à  Vassi  plusieurs    huguenots    (fui 
>,  priaient  Dieu  dans  une  grange  ?  En 
„  un  mot ,  l'obstination  qu'il  témoi- 
»  gna  pour   que    ces    pauvres    gens 
»  fussent    toujours     punissables    du 
»  dernier  supplice  ,  ne   fut-elle  pas 
»  la    cause   des    guerres    civiles   de 
»  religion,   qu'on  n'eût  jamais  vues 
»  en  France  si  on  les  eût  laissés  prier 
))  Dieu  à  leur  manière  ?  Etnefaisait- 
»  il  pas   cela  par  zèle   de    religion? 
»  L'aurait-il    fait    s'il  eût  été  païen  ? 
»  N'aurait-il  pas  souffert   les  protes- 
»  tans  aussi-bien    que   les   papistes? 
»  Ce    qu'il   en    faisait    n'était-il  pas 
»  approuvé    par   le  pape  et    par    le 
m  clergé  ?  Comment  donc  pouvait-il 
)>  dire  que  sa  religion  lui  ordonnait 
»  de  pardonner  à  ceux  qui  l'avaient 
»  offensé ,    puisqu'elle   l'engageait  à 
»  faire    mourir   et   à   tourmenter  en 
»  mille  manières  une  infinité  de  gens 
»  qui  ne  lui  faisaient  aucun  mal ,  et 
»  qui   ne   demandaient    qu'à    servir 
»   Dieu    selon   les   lumières    de  leur 
»  conscience?  Voilà  l'énorme  turpi- 
»  tude,  et  qui  tient  d'une  espèce  de 
»  farce,  des  religions  qui    persécu- 
»  tent  et  qui  contraignent   d'entrer. 
j>  Un  homroe  d'une  telle  religion  ne 


376  GUISE. 

3,  fera  pas  difficulté  de  protester  que, 
»  pour  ce  qui  le  concerne  en  sa 
3)  personne,  il  pardonne  à  un  homme 
5)  de  différente  religion  les  offenses 
„  qu'il  en  à  reçues;  mais  il  ne  laisse 
3,  pas  de  l'envoyer  au  gibet  ou  aux 
3)  galères  sous  pre'texte  qu'il  n'a  pas 
3)  la  véritable  foi ,  et  fût-ce  une  per- 
3)  sonne  de  qui  il  aurait  reçu  du  ser- 
3)  vice.  En  bonne  foi,  ce  duc  ne  son- 
3)  geait  guère  à  ce  qu'il  disait,  puis- 
3>  qu'il  osait  comparer  les  deux  reli- 
3>  gions ,  et  donner  l'avantage  à  la 
3)  sienne  en  ce  qui  regarde  la  chari- 
3>  té.  Le  gentilhomme  qui  avait  con-r 
b)  spire  contre  lui  ,  croyant  que  sa 
s»  mort  serait,  avantageuse  à  la  reli- 
3)  gion  protestante  ,  ne  suivait  pas 
3>  la  vraie  doctrine  de  son  parti  ; 
3)  car  il  n'y  a  point  de  théologien 
3)  protestant  qui  ne  dise,  prêche  et 
3>  soutienne  qu'il  n'est  pas  permis , 
3>  afin  de  procurer  l'avantange  de  sa 
3)  religion,  d'assassiner  ;  mais  le  duc, 
3»  conformément  à  une  doctrine  ap- 
3>  prouvée  ,  et  mille  fois  commandée 
3)  dans  sa  religion ,  opinait  dans  le 
»  conseil  du  roi  à  faire  des  édits  qui 
»  condamnassent  à  mort  une  infini-, 
3)  té  de  bonnes  gens  ,  et  il  n'avait 
3>  veine  qui  ne  tendît  à  l'extirpation 
3)  de  la  secte  par  les  voies  les  plus 
j)  violentes.  Avec  ces  dispositions, 
»  u'est-ce  pas  se  moquer  du  monde, 
»  que  de  se  glorifier  qu'on  a  une  re- 
»  ligion  qui  ordonne  de  pardonner  ? 
w  C'est  à  quoi  je  prie  les  convertis- 
»  seurs  défaire  attention.  Ils  se  met- 
v  tentdansun  état  que  toutes  les  plus 
»  belles  maximes  de  la  morale  chré- 
3»  tienne  deviennentdans  leur  bouche 
3)  des  sornettes  ,  et  des  ironies  de  far- 
»  ceur ,  ou  un  vain  galimatias.» 

(H)  //  serait  h  souhaiter  que  les 
proteslans  n'eussent  point  fait  impri- 
mer tant  de  libelles  et de  sail- 
lies contre  ce  duc  et son  frère.] 

Dans  l'assemblée  des  notables ,  dont 
j'ai  parlé  ci-dessus,  le  cardinal  de 
Lorraine  dit  fièrement,  qu'il  se  fai- 
sait honneur  de  la  haine  et  des  ein- 
porlemens  des  huguenots  ;  qu'on 
m'ait  fait  courir  dans  Paris,  et  de 
Paris  dans  toutes  les  provinces ,  une 
infinité  de  libelles  remplis  d'injures 
tirs-atroces ,  et  de  furieuses  menaces 
contre  lui  et  contre  le  duc  de  Guise, 
son  frère  ;  qu'il  en  avait,  en  son  par- 
ticulier, jusqu'à,  vingt-deux  qu'il  con- 


servait soigneusement  ;  et  qu'il  pre- 
nait plaisir  h  les  montrer  comme  au- 
tant de   marques    très-cclatantes   de 
leur  zèle  pour  la  religion ,  et  de  leur 
fidélité  inviolable  au  service  du  roi , 
auquel  il  avait  plu  de  les  choisir  pour 
ses  ministres  (35).  Je  le  dis  encore  un 
coup ,  il  serait  à  souhaiter  qu'on  n'eût 
point,    mis    en  lumière   un    si  grand 
nombre   d'écrits  satiriques  ;  ils  nui- 
sent, encore  aujourd'hui  par  les  ré- 
flexions qu'ils  fournissent   aux  mis- 
sionnaires.   Par  exemple ,    le    sieur 
Maimbourg  ne  manqua  pas  de  réflé- 
chir d'une  manière  maligne  et  sati- 
rique, sur  ce  que  le  cardinal  avait  dit 
de  ces  libelles.  «  Et  certes,  il  est  tout 
évident   que  ce  fut   le  style  ordi- 
naire des   huguenots  de  ce  temps- 
là  ,  de  déchirer  impitoyablement. , 
par   mille    scandaleux  libelles,   et 
par  mille  impudentes  satires,  tous 
ceux  qui  ne  leur  étaient  pas  favo- 
rables ,  sans  respecter  ni    mérite , 
ni  qualité  ,  ni  rois,  ni   princes,  ni 
prélats  ,  ni  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
inviolable  et  de  plus  sacré  parmi 
les  hommes.  Pour  moi  je   puis  as- 
surer que  j'ai  vu  un  gros  recueil  en 
dix  volumes  in-folio ,  tout  remplis 
de  ces    méchantes  pièces  que    les 
huguenots   firent   alors   contre  les 
rois  Henri  II,  et  François  II ,  con- 
tre la  reine  Catherine  ,  quand  elle 
n'était  pas  en  humeur  de  les  favo- 
riser ,  contre  le  roi  de  Navarre  , 

>  depuis  qu'il  se  fut  joint  aux  catho- 

>  liques ,  et  surtout  contre  le  duc 
de  Guise  et  le  cardinal  de  Lorraine, 
archevêque  de  Pieims,  où  tout  ce 
que  la  médisance  et  la  malignité 
la  plus  noire  a  jamais  inventé  de 
crimes  supposés,  d'injures  atroces 
et  de  calomnies  (*)  ,  est  brutale- 
ment répandu  ,  sans  jugement  et 
sans  esprit.  En  sorte  que  pour  peu 
qu'on  ait  d'honneur  et  de  bon 
sens ,  on  ne  pourra  jamais  jeter 
les  yeux  durant  quelques  momens 
sur  ces  sots  et  insolens  écrits  , 
qu'on  n'en  ait  le  derniermépris,  mê- 
lé d'une  juste  indignation  contre 
leurs impudens  auteurs  (36).»  Voilà 

(35)  Maimbourg  ,  Histoire  du  Calvinisme,  pag. 
5i.  Voyez  ses  citations  :  Dupleix,  sous  François 

II,  pag.  619.  Spond.  ,  ad  ann.  i56o,  n.  16.  Mc- 
zerai ,  tom.  2,  pag.  «85,  tiré  de  la  Popelin.  I.  6, 
p.  104  ;  et  de  Belcar.  1.  28,  pag.  i)^6. 
(*)  Mémoires  de  Castelnau. 

(36)  Maimbourg,  Hisl.  du  Calv. ,  p.  i5i  ,  l5a. 


GUISE.  377 

les  réflexions  odieuses  de  M.  Maim-  prit  un  imprimeur  qui  avait  imprimé 
bourg.  Ceux  qui  repondirent  à  son  un  petit  Hure  intitulé  le  Tigre  ,  dont 
Histoire  du  calvinisme  ,  n'oublièrent  l'auteur  présumé,  et'un  marchand fu- 
pas  de  les  re'futer.  Il  ajoute  (37)  que  rent  pendus  pour  cette  cause.  Ce  narré 
le  cardinal  de  Lorraine,  «  qui  avait  n'est  point  exact  :  il  n'apprend  point 
»  l'âme  aussi  grande  que  l'esprit,  ne  ce  qui  fut  fait  à  l'imprimeur  ,  et  l'on 
j)  se  voulut  venger  de  ces  faiseurs  de  y  avance  faussement  que  la  personne 
3)  libelles  que  par  un  généreux  mé-  soupçonnée  d'avoir  fait  ce  livre  fut 
t>  pris  qu'il  fit  de  leur  impuissante  pendue.  Il  fallait  dire,  comme  a  fait 
3>  fureur  ;  ce  qui  pourtant  n'empè-  le  sieur  de  la  Planche  ,  que  l'on  pen- 
3>  cha  pas  que  le  magistrat,  faisant  dit  l'imprimeur  et  un  marchand  :  or 
j)  son  devoir,  n'en  prît  quelques-  ni  l'un  ni  l'autre  n'était  V  auteur  pré- 
»  uns  que  l'on  fit  passer  par  toute  la  sumé.  Rapportons  les  propres  paroles 
j)  rigueur  des  lois,  qui  ordonnent  de  cet  historien  ($o).La  cour  du  par- 
ti qu'ils  soient  traités  comme  des  lement  faisait  de  grandes  perquisi- 
s»  empoisonneurs  publics.  En  effet,  il  tions  à  V encontre  de  ceux  qui  impri- 
3)  se  trouve  qu'il  y  en  eut  deux  de  moyent  ou  erposorent  en  vente  les 
3>  pendus  (*) ,  qui  furent  l'auteur  (38)  escrits  que  l'on  semoit  contre  ceux  de 
3)  d'un  de  ces  médians  libelles,  inti-  Guise.  En  quoy  quelques  jours  se 
3)  tulé  le  Tigre,  et  celui  qui  le  débi-  passèrent  si  accortement ,  qu'ils  sceu- 
3>  tait  sous  main.   »  rent  enfin  qui  avait  imprimé  un  cer- 

(I) Ces  sortes    d'écrits    irri-    tain  livret  fort  aigre  intitulé  le  Tygre. 

taient  de  plus  en  plus  un  ennemi  très-  Un  conseiller  nommé  du  Lion  en  eut 
puissant.]  M.    Maimbourg  dit  à  tort    la  charge ,  qu'il  accepta  fort    volon- 

3ue  la  grandeur  d'âme  du  cardinal  tiers  ,  pour  la  promesse  d'un  estât  de 
e  Lorraine  le  porta  à  ne  se  venger  président  au  parlement  de  Bour- 
de ces  faiseurs  de  libelles  que  par  un  deaux ,  duquel  il  pourroit  tirer  de- 
généreux  mépris;  car  peut-on  voir  niers ,  si  bon  luy  sembloit.  Ayant 
une  vengeance  plus  outrée  et  plus  donc  mis  gens  après ,  on  trouvai 'im- 
injuste  que  celle  qu'il  employait?  primeur  nommé  Martin  L'hommel 
Il  ne  prenait  pas  la  peine  de  re-  qui  en  estoit  saisi.  Enquis  qui  le  luy 
chercher  les  auteurs  particuliers  de  avait  baillé,  il  respond  que  c'estoit 
ces  libelles,  voilà  tout  ce  que  peut  un  homme  inconnu,  et  finalement 
prétendre  le  sieur  Maimbourg  ;  mais  en  accuse  plusieurs  de  l'avoir  veu  et 
il  exterminait,  autant  qu'il  lui  était  leu,  contre  lesquels  poursuites  furent 
possible,  tout  le  corps  des  réformés  ;  faites:  mais  ils  le  guignèrent  au  pied. 
il  était  le  grand  promoteur  des  lois  Ainsi  qu  on  menoit pendre  cest  impri- 
pénales  et  des  supplices  contre  eux  ;  meur  ,  il  se  trouva  un  marchant  de 
il  travaillait  à  les  soumettre  au  cruel  Rouen  moyennement  riche  et  de  bon- 
joug  de  l'inquisition.  N'était-ce  pas  ne  apparence,  lequel  voyant  le  pen- 
se venger  plus  cruellement  que  s'il  pie  de  Paris  estre  fort  animé  contre 
eût  borné  son  indignation  à  faire  pu-  ce  patient,  leur  dit  seulement,  et 
nir  les  auteurs  de  ces  satires?  Nous  quoy ,  mes  amis,  ne  sujfit-if  pas  qu'il 
allons  voir  qu'il  n'est  pas  vrai  qu'il  meure  ?  Laissez  faire  le  bourreau. 
modérât  son  ressentiment  contre  L^e  voulez-vous  davantage  tourmen- 
cette  sorte  d'écrivains.  ter  que  sa  sentence  ne  porte  ?  (  Or  ne 

Castelnau  ,  cité  par  Maimbourg  sa  voit-il  pourquoy  on  le  faisoit  mou- 
(3c,)  ,  fait  cette  remarque  :  Contre  la  r"*>  et  descendait  encore  de  cheval  a 
maison  de  Guise  a  tous  propos  les  "««  hostellerie  prochaine.  )  A  cette 
huguenots  faisaient  imprimer  quel-  parolle  quelques  prestre s  s'attachent 
ques  libelles  injurieux.  Sur  quoi  l'on  à  lui,  l'appelans  huguenot  et  compa- 
gnon de  cest  homme  ,  et  ne  fut  ceste 
(3-)  L'a  même,  pa°.  i53.  question  plustost  esmeue  que  le peu- 

(•)  Mémoires  de  Cast. ,  l.  i ,  c.  -,.  Sur  quoi  P^e  se  jette  sur  sa  malette  et  le  bat 
Von  prit  un  imprimeur  qui  avait  imprime  un  outrageusement  .  Sur  ce  bruit  ceux 
livre  intitulé   le  Tigre,  dont  l'auteur  présumé  et    nu'on  nomme  la  justice  approchent  , 

te  marchand  furent  vendus.  '  *•      .  r         i  ■      i 

/*a\  s*  1       .  c  t  .et  pour  le  rafreschtr  le   mènent  prt- 

(38;  Cela  est  Jaux ,   voyez  la  remarque  sui-  1  J  * 


f'iq)  Il  le  cite  I.  i ,  c.  7.  Il  fallait  citer  l.  2. 


(4o)  La    Planche  ,    Histoire   de  France  sous 
François  II,  pn$.  m.  385. 


378  GUI 

sonnieren  la  Conciergerie  du  Palais, 
oh  il  ne  fut  pluslost  arrivé  que  du 
Lion  l' interroge  sommairement  sur 
le  fait  du  Tygrs  ,  et  des  propos  par 
luy  tenus  au  peuple.  Ce  pauvre  mar- 
chant jure  ne  savoir  que  c'estoit,  ne 
l' avoir  jamais  veu  ,  ny  ouy  parler  de 
Messieurs  de  Guise  :  dit  qu'il  est 
marchant  qui  se  mesle  seulement  de 
ses  affaires.  Il  proteste  que  l'homme 
que  l'on  menait  au  supplice  lui  e'toit 
entièrement  inconnu  ;  qu'il  avoit  été 
néanmoins  meu  de  pitié,  et  qu'il 
avoit  exhorté  le  peuple  a  laisser 
faire  au  bourreau  son  office.  Il  re- 
quist  qu'on  informast  de  sa  vie  et 
conversation ,  et  qu'il  se  soumettoit 
au  jugement  de  tout  le  monde.  Du 
Lion  sans  autre  forme  et  figure  de 
procès  ,  fait  son  rapport  a  la  cour  et 
aux  juges  déléguez  par  icelle  ,  qui 
le  condamnent  à  estre  pendu  et  es- 
tranglé  en  la  place  Maubert ,  et  au 
lieu  mesme  oit  avoit  esté  attaché  cest 
imprimeur.  Quelques  jours  après  du 
Lion,  se  trouvant  a  souper  en  quel- 
que grande  compagnie  ,  se  mit  à 
plaisanter  de  ce  pauvre  marchant. 
On  luy  remonstra  l'iniquité  du  juge- 
ment par  ses  propos  mesmes.  Que 
voulez-vous  ?  dit-il ,  il  fallait  bien 
contenter  Monsieur  le  cardinal  de 
quelque  chose  ,  puis  que  nous  n'a- 
vons peu  prendre  V autheur  :  car  au- 
trement il  ne  nous  eust  jamais  donné 
relasche.  Jugez  par-là  si  MM.  de  Guise 
e'taient  insensibles  à  Pe'gard  d'une 
satire.  Brantôme  nous  instruira  tout 
à  l'heure  de  leur  extrême  sensibilité'. 
«  Il  y  eut  force  libelles  diffamatoires 
»  contre  ceux  quigouvernoient  alors 
»  (4i)  le  royaume;  mais  il  n'y  eut 
»  aucun  qui  piquât  et  offensât  plus 
»  qu'une  invective  intitulée  le  Tigre  , 
»  (sur  l'imitation  de  la  première 
»  invective  de  Ciceron  contre  Catili- 
»  na,)  d'autant  qu'elle  parloit  des 
»  amours  d'une  très-grande  et  belle 
»  dame  d'un  grand,  son  proche  :  si  le 
»  galant  auteur  eut  esté  appréhendé, 
»  quandil  eùteu  cent-mil  vies  ,  ii  les 
»  eut  toutes  perdues  :  car  et  le  grand 
»  et  la  grande  en  furent  si  estoma- 
>•  quez,  qu'ils  en  cuiderentdesespérer 
»  (  l\i  ).»  J'ai  dit  ailleurs  (  43  )  que 

(4>)  C'est-à-dire ,  sons  François  II. 
(4^Br»nlôm«,  Dames  galantes,  t.  II,  p.  m.  3?4- 
(43)  Dans  lu  remarque  (N)  de  l'article  Hot- 
wan  ,  tom.   VIII. 


SE. 

François  Hotman  fut  cru  l'auteur  de 
cette  satire. 

(K) "  et  lui  donnaient  des  pré- 
textes de  nourrir  sa  haine  ,  et  d'aug- 
menter la  persécution.}  Quelque  mé- 
chans  que  vous  fassiez  MM.  de  Guise, 
il  sera  toujours  vrai  qu'on  leur  im- 
putait dans  les  libelles  cent  choses 
qu'ils  n'avaient  point  faites.  C'est 
une  fatalité  inévitable^  tous  ceux 
qui  se  mêlent  d'écrire  sans  avoir  eu 
part  aux  affaires  ,  ou  sans  avoir  con- 
sulté de  bons  papiers  ;  ce  leur  est , 
dis-jc ,  une  fatalité  inévitable  que 
d'avancer  mille  mensonges  ,  s'il  s'a- 
git d'écrire  contre  gens  dont  on  a 
été  maltraité.  On  veut  se  venger,  et 
l'on  est  bien  aise  de  rendre  infâmes 
ceux  qui  persécutent  :  dans  cette  dis- 
position ,  on  croit  tout  ce  que  l'on 
entend  dire  ;  et  quand  même  on  ne 
le  croirait  pas,  on  juge  qu'on  a  droit 
de  le  publier  ,  puisqu'on  l'a  entendu 
dire.  Or  quand  ceuxqui  sont  diffamés 
dans  ces  libelles  considèrent  qu'on 
leur  attribue  des  crimes  dont  ils  se 
sentent  très-innocens,  ils  se  repré- 
sentent les  auteurs  et  les  approba- 
teurs de  ces  libelles  comme  des  gens 
sans  honneur  et  sans  conscience  ;  ils 
les  croient  dignes  de  toute  leur  haine , 
ils  s'imaginent  qu'on  ne  fait  pas  mal 
d'exterminer  de  semblables  calomnia- 
teurs ,  ou  fauteurs  de  la  calomnie.  Il 
est  donc  certain  que  ceux  qui  pu- 
blient de  cette  espèce  de  petits  livres 
diffamatoires  dissipent  leur  mau- 
vaise humeur,  ou  donnent  carrière  à 
leur  zèle,  avec  beaucoup  d'impruden- 
ce. Cela  coûte  trop  à  tout  le  parti. 

(L)  //  y  aurait  de  l'injustice  h  im- 
puter h  tout  le  corps  V impatience  de 
quelques  particuliers  ,  et  leur  trop 
grande  démangeaison  d'écrire.  ]  Ju- 
geons du  XVIe.  siècle  par  le  temps  pré- 
sent (44)-  Nous  savons  que  ceux  qui 
publient  tous  les  jours  une  infinité  de 
libelles  anonymes  ne  font  aucune  fi- 
gure dans  le  monde.  Ils  sont  dans  une 
telle  obscurité  ,  qu'ils  échappent  aux 
plus  fins  chercheurs  ;  et  quand  on 
peut  déterrer  le  nom  de  quelqu'un 
de  ces  écrivains,  on  trouve  bien  sou- 
vent que  ce  n'est  ni  un  boa  chrétien, 
ni  un  honnête  homme.  Je  suis  persua- 
dé que  la  plupart  de  ceux  qui  firent 
ce    grand   nombre  de  libelles  ,  dont" 

(44)  On  écrit  ceci  en  «6<jï- 


GUI 

M.  Maimbourg  se  vante  d'avoir  vu  dix 
gros  volumes  ,  étaient  les  parties  les 
moins  nobles  de  l'église  réformée  de 
France.  C'étaient  presque  toutes  per- 
sonnes inconnues  et  sans  aveu  qui 
se  mêlaient  de  composer  ces  sortes 
d'écrits  ;  et  il  n'étaitpas  même  néces- 
saire que  ces  auteurs  fussent  en  grand 
nombre.  Cinq  ou  six  esprits  naturel- 
lement satiriques,  et  qui  n'ont  autre 
chose  à  faire,  et  q>ii  gagnent  quelques 
écus  à  cela  ,  sont  capables  ,  en  moins 
de  trente  ans  ,  d'inonder  de  leurs  sa- 
tires tout  un  grand  royaume.  Esl-il 
l' liste  d'imputer  à  tout  un  grand  corps 
a  faute  d'un  petit  nombre  de  telles 
gens  ?  Pour  se  bien  représenter  leur 
caractère  ,  il  ne  suffit  pas  de  dire 
qu'ils  sont  crédules  ,  il  faut  ajouter 
qu'ils  sont  fourbes  :  ils  publient  des 
choses  qu'ils  savent  être  trés-fausses  , 
car  ils  inventent  eux-mêmes.  Voici 
un  passage  de  Mézerai  touchant  les 
fraudes  de  cette  nature  (45).  «  Quel- 
»  ques-uns  ont  voulu  croire  que  ces 
»  mémoires  (46)  étaient  supposés  ;  et 
»  les  plus  équitables,  que,  s'ils  étaient 
»  vrais  ,  ils  ne  partaient  que  de  la 
»  mélancolie  noire  de  cet  avocat ,  ou- 
j>  tré  de  quelque  dommage  qu'il  avait 
»  reçu  des  huguenots.  Il  y  a  grande 
»  apparence  que  ce  furent  les  mi- 
)>  gnons  ,  ou  les  huguenots  ,  ou  la 
»  reine-mère ,  tous  ennemis  mortels 
»  des  Guises ,  qui  les  fabriquèrent , 
»  comme  il  est  certain  qu'ils  suppo- 
»  sèrent  beaucoup  d'autres  calomnies 
»  pour  les  rendre  odieux.  Et  certes 
»  les  Guises  n'oublièrent  pas  de  leur 
»  rendre  bien  la  pareille  ;  c'est,  pour- 
»  quoi  il  faut  ajouter  peu  de  foi  aux 
»  écrits  et  aux  relations  de  ce  temps- 
j>  là  ,  à  moins  que  de  les  avoir  bien 
»  examinés.  » 

(M)  //  ne  croyait  pas  que  la  vertu 
de  son  épouse  se  fût  conservée  sans 
tache.  J  «  Quant  à  la  manière  de  sa 
)>  mort,  l'évesquedePiiez'nomme'Car- 
»  les  ,  en  fit  un  discours  fort  imperti- 
»  nent ,  le  faisant  user  de  plusieurs 
»  mots  de  théologie  et  de  manières  de 
»  parler  de  la  saincte  Escriture  ,  eu  la 
»  quelle  toutefois   il  n'avoit  jamais 

(45)  Mézerai ,  Abrégé  chronol.  ,  loin.  V,  pag. 
aoo  ,  à  Vann.  1577. 

(46)  C'est-à-dire  ,  ceux  de  l'avocat  DaviJ  , 
louchant  l'exclusion  des  descendans  de  Hugues 
Capet ,  et  la  restitution  de  la  couronne  aux  Gui- 
ses descendu}  de  Charlcmagne . 


SE.  379 

»  mis  le  nez  :  mais  entre  autres  choses 
»  le  cuidant  louer  ,  il  fait  un  grand 
»  tort  à  madame  la  duchesse  sa  vefve, 
»  à  laquelle  il  lui  fait  confesser  qu'il 
»  n'a  pas  tousjours  esté  loyal  mari  :  ce 
m  qu'il  la  prioit  luy  pardonner,  com- 
»  me  aussi  il  lui  pardonne  le  sembla- 
»  ble  (47)-  »  Voilà  ce  qu'on  trouve 
dans  un  ouvrage  de  Théodore  de  Bèze. 
Il  n'est  pas  trop  vraisemblable  qu'un 
évêqueait  ratigé  ainsi  les  derniers  dis- 
cours de  son  héros ,  au  grand  déshon- 
neur de  la  veuve  et  des  enfans.  C'est 
pourquoi  je  me  tins  dans  quelque  es- 
pèce de  défiance  ,  <l  je  tâchai  de  con- 
sulter le  livre  même  de  Lancelot  Car- 
ies ;  et  n'ayant  pu  le  trouver ,  je  priai 
M.  de  Larroque  de  m'éclaircir  là-des- 
sus. 11  a  eu  la  bonté  de  me  répondre 
ce  que  l'on  va  lire  :  «  Il  y  a  trois  édi- 
»  tions  (48)  de  la  lettre  de  Caries, cvê- 
»  que  de  Riez,  à  Charles  IX,  touchant 
»  les  dernières  heures  du  duc  de 
»  Guise.  Cela  se  prouve  par  l'avis  au 
»  lecteur,  imprimé  à  la  tête  de  la  Ie . 
><  édition  française,  où  l'on  avertit 
»  que  ce  qui  a  été  imprimé  avant 
)>  celle-ci  ,  n'estoit  qu'un  double  mal 
»  correct  que  l'on  avoit  pris  du  pre- 
»  mierject,  que  le  présent  auteur  qui 
»  a  assisté  auxdits  propos  ,  en  avait 
j)  lors  sommairement  tracé  pour  luy 
»  servir  de  mémoire.  Je  n'ai  pu  déter- 
w  rer  cette  ire.  édition  :  ainsi  je  ne 
»  saurais  dire  si  ce  que  vous  avez  lu 
»  ailleurs  y  était  contenu.  La  seconde 
»  n'a  rien  de  tel  ;  car  voilà  ce  que  ce 
»  duc  y  dit ,  adressant  la  parole  à  sa 
»  femme  :  JYous  avons  longuement 
>i  esté  conjoints  ensemble  parle  sainct 
«  lien  de  foy  et  d! amitié ,  avec  une 
»  entière  communion  de  toutes  choses . 
»  f^ous  savez  que  je  vous  ay  tousjours 
»  qymée  et  estimée  autant  que  femme 
»  peut  estre  ,  sans  que  nostre  muttiel- 
»  le  amitié  ait  receu  aucune  diminu- 
»  tion  en  tout  le  tems  de  nostre  ma- 
»  riage  ,  comme  je  me  suis  tousjours 
»  mis  en  mon  debvoir  de  le  vous  faire 
»  connoistre  et  vous  h  moy ,  «01/5  don- 
»  nanstous  les  contentemens  que  nous 
»  avons  peu.  Je  ne  veux  pas  nier  que 
j>  les  conseils  et  fragi/itez  de  la  jeu- 
»  nesse  ne  m'ayent  quelquefois  con- 
»  duict  aux  choses  dont  vous  avez  peu 

(47)  Bèze  ,     Histoire  ecclésiastique  des  Eglises 
réformées  ,  li\>.   V/,  Pag-  270. 

(48)  Deux    françaises   et  une  latine  ;   toute; 
trois  furent  faites  l'an  i563. 


38o 

»  estre  offensée  ,  je  vous  prie  m'en 
»  vouloir  excuser  et  me  les  pardonner. 
»  Si  veux  je  bien  dire  que  je  ne  suis 
»  pas  en  cet  endroicl  des  plus  grands 
»  pescfieurs  ,  ni  aussi  des  moindres  , 
»  combien  qu'envers  Dieu  je  suis  dés 
3>  plus  coupables.  Mais  depuis  quel- 
ut  ques  années  vous  scavez  bien  avec 
»  quel  respect  j' ay  conversé  avecques 
»  vous ,  vous  ostant  toutes  occasions 
»  de  recevoir  le  moindre  mescontente- 
»  ment  du  monde.  Pag.  84  ,  85  ,  86  , 
»  87.  Voici  comme  Jean  le  Vieux  , 
«  traducteur  latin  ,  a  rendu  cela  : 
»  JVos  enim  arctissimo  matrimonii 
»  vinculo  conjugati  et  consociati  su- 
it mus ,  ut  individuam  non  bonorunl 
"  duntaxat ,  sed  etiam  consiliorum  et 
»  voluntatum  ,  sine  ulld  exceptione  , 
»  communitateni  ,  societatemque  ser- 
»  varemus.  Et  certè  ut  nihil  mihi  op- 
»  tabilius  ,  aut  antiquius  adhucfuit , 
»  quatn  ut  nodum  Muni  amabilissi- 
»  muni  sanctè  constrictum  tenerem  : 
a  sic  me  vicissim  invio/.abili  observan- 
te lia  et  officio  coluisli.  Pag.  3o. 

M.  de  Larroque  n'ayant  pu  trouver 
un  exemplaire  de  la  première  édition, 
je  ne  saurais  rien  prononcer  ni  pour 
ni  contre  Théodore  de  Bèze.  Je  puis 
seulement  conjecturer  qu'il  est  pro- 
bable qu'il  n'a  point  calomnié  l'é- 
vêque  de  Riez  :  car  l'avis  qu'on  voit 
au-devant  de  la  seconde  e'dition  fait 
assez  entendre  que  la  première  était 
dans  un  granddésordre  ,  et  qu'il  fallut 
en  retrancher  divers  endroits  ,  ou  les 
arranger  autrement  .  Or ,  puisque  le 
traducteur  latin  se  crut  obligé  de  re- 


GUISE. 

Eossédait  un  certain  mélange  de 
onnes  et  de  mauvaises  qualités 
(  Â  )  qui  le  rendait  propre  à 
bouleverser  un  état.  11  était  assez, 
habile  d'un  côté  pour  en  inven- 
ter les  moyens  ,  et  assez  méchant 
de  l'autre  pour  les  mettre  en 
exécution.  Il  se  laissa  tellement 
entraîner  par  son  humeur  am- 
bitieuse ,  qu'après  avoir  causé 
mille  malheurs  à  tout  le  royau- 
me ,  il  tomba  lui-même  dans  le 
précipice.  Il  porta  les  choses  à  de 
si  grandes  extrémités ,  qu'on  ne 
trouva  point  d'autre  moyen  d'ar- 
rêter ses  attentats  ,  que  de  le 
faire  mourir.  La  manière  dont 
Henri  III  se  défit  de  lui  et  du 
cardinalde  Guise,  dans  le  château 
de  Blois,  pendant  la  tenue  des 
états  (a) ,  est  si  connue  de  tout 
le  monde  ,  que  je  n'en  ferai  au- 
cune mention.  Je  dirai  seule- 
ment que  plusieurs  historiens 
ont  débité  une  fable,  quand  ils 
ont  dit  qu'un  peu  après  l'exécu- 
tion du  duc  de  Guise  ,  le  légat 
(b)  du  pape  parla  au  roi  avec  si 
peu  d'émotion  ,  ou  plutôt  d'une 
manière  si  enjouée  (B) ,  qu'on 
crut  qu'il  y  avait  eu  du  concert 
trancher  de  la  seconde  ce  qui  y  était    entre  ce  prince  et  la  cour  de  Ro- 


resté  touchant  les  galanteries  du  duc 
de  Guise  ,  il  est  apparent  que  Lance- 
lot  Caries  avait  retranché  de  la  pre- 
mière ce  qu'il  y  avait,  fourré  touchant 
les  galanteries  de  la  duchesse.  Appre- 
nons par  cet  exemple  combien  il  im- 
porte de  conserver  les  premières  édi- 
tions ,  et  de  se  défier  de  ceux  qui  tra- 
duisent. Voilà  Jean  le  Vieux  ,  ou  Jean 
e  Vieil  (4g),  qui  supprime  hardiment 
tout  ce  que  l'original  contenait  par 
rapportauxadultères  du  duc  de  Guise. 

(49)  La  Croix  du  Maine  ,  pag.  172  yfa.il  men- 
tion d'un  Jean  le  Vieil  qui  pourrait  bien  être 
celui-ci. 

GUISE  (Henri   dé  Lorraine, 
duc  de)  ,  fils  aîné  du  précédent, 


me  On  peut  dire  que  la  violente 
résolution ,  à  quoi  la  cour  de 
France  se  porta  en  cette  rencon- 
tre, fut  un  de  ces  coups  d'état  qui 
ne  peuvent  être  excusés  que  par 
la  raison  qu'ils  sont  absolument 
nécessaires  au  bien  public  ;  car 
si  l'on  eût  laissé  vivre  le  duc  de 
Guise ,  les  états  du  royaume  au- 
raient fait  sans  doute  en  sa  fa- 
veur ce  qu'ils  avaient  fait  en 
d'autres  temps  pour  Pépin  et 
pour  Hugues   Capet   (C)  :  mais 

(a)  J11  mois  de  décembre  i588. 

(b)  Il  s'appelait  Worusini. 


GUISE.  38 1 

la  translation  de  la  couronne  au-  (d).  M.  Varillas  a  rapporté  quel- 

rait  eu  des  suites  bien  plus  fu-  que  chose  de  fort  singulier  sur  ce 

nestes  à  tout   le    royaume    (D)  mariage  (L).  L'infidélité conjuga- 

dans  le XVIe.  siècle  ,  qu'elle  n'en  le  y  fut  réciproque(M)  :  et  si  l'on 

eut  au  temps  de  Pépin  et  de  Ca-  en  croit  cet  historien,  ce  ne  fut 

pet.   Le  parti  du   duc   de  Guise  point  le  mari  qui  se  vengea  du  ga- 

était  si  puissant,  que  l'exécution  lantdeson  épouse;  il  se  contenta 


de  Blois  ,  qui  lui  fit  perdre  son 
chef,  ne  l'empêcha  pas  de  se 
soutenir  de  telle  sorte  qu'il  fit 
périr  le  roi  même ,  et  qu'il  con- 
traignit Henri  IV  à  renoncer  à 
sa  religion.  La  France  ne  saurait 
se  souvenir  de  ce  temps-là  sans 
rougir  de  honte  ,  vu  que  jamais 
il  n'y  eut  de  démocratie  où  l'on 
traitât  aussi  cavalièrement  l'au- 
torité et  la  majesté  royale,  que 
l'on  fit  alors  dans  ce  royaume. 
Les  prédicateurs  se  déchaînèrent 
contre  le  roi  avec  fureur  (E) ,  et 
firent  du  duc  de  Guise  un  mar- 


de  la  jeter  dans  une  extrême 
frayeur  (N).  Il  laissa  plusieurs 
enfans(e). 

On  le  surnomma  le  Balafré 
(0) ,  à  cause  d'une  blessure  qu'il 
reçut  à  la  joue  dans  un  combat  , 
en  i5^5.  Le  duc  de  Mayenne  , 
son  frère ,  se  déclara  chef  de  la 
ligue ,  et  sous  cette  qualité  il 
exerça  un  pouvoir  qui  différait 
peu  du  royal.  Il  ne  tint  qu'à  lui 
de  prendre  le  nom  de  roi  (P)  ; 
mais  il  eut  sans  doute  ses  raisons 
pour  se  contente»  du  titre  de 
lieutenant   général   de   l'état  et 


tyr  à  canoniser  (F).  Les  peuples  couronne  de  France,    accompa- 

imitèrent  la  rage  des  prédicateurs  gné    réellement  d'une    autorité 

(G)  :  et  ce  qu'il  y   eut   de  plus  presque  despotique.    Lui    et    la 

étrange ,  et  dont  les  protestans  ligue  supposèrent  que   le  trône 

ne  manquèrent  pas  de  se  préva-  était  vacant ,  et  ainsi  ils  renver- 

Joir,futque  la  Sorbonne  ,  ap-  sèrent  les  lois  les  plus  solennelles 

plaudissant  à  la  sédition  ,  fit  des  et    les     plus    fondamentales    du 

décrets  entièrement  républicains  royaume.  Je  rapporterai  un  acte 

(H).  Le  parlement  de  Paris  reçut  que  l'on  a  ôté   des   registres  du 

les  plaintes  de  la  veuve   du   duc  parlement  de  Paris  (Q) ,  et  par 

de  Guise ,  qui  demandait  justice  lequel  nous  verrons  qu'en  ce  qui 

de  la  mort  de   son    mari   contre  concerne   la   création  des  prési- 

Henri  Iïl  (I).  Je  rapporterai  un  dens  de  ce  parlement,  il  exerça 

éloge  que  l'on   trouve  dans  les  toutes   les   fonctions   de  roi.   Il 

Entretiens  de  Balzac  (K).  Ce  duc  convoqua    les    états  du  royau- 

était  né  le  3i  de  décembre  i55o  me  (f) ,  et  les  fit  tenir  à  Paris, 

(c).  Il  se  maria  en  lôyo,  avec  Ca-  l'an  i5g3.  Il  y  créa  un  amiral , 
therine  de  Clèves  ,  seconde  fille 
de  François  de  Clèves  ,  duc  de 
ISevers ,  laquelle  mourut  à  Pa- 
ris ,  le  1 1  de  mai  i633  ,  à  l'âge 
de     quatre  -  vingt  -  cinq     ans 

(c]  Maimhourg,  Histoire  de  la  Ligue, pag. 
284  .  dit  qu'il  fut  tue  à  l'âge  de  quarante- 
deux  ans  :  il  se  trompe  de  quatre  ans. 


et  quatre  maréchaux  de  Fran- 

(d)  Hilarion  de  Coste  ,  Élog.  des  Dames  il- 
lustres, tom.  I,  pag.  301. 

(e)  Il  en  eut  quatorze,  non  pas  en  quatorze 
ans,  comme  l'assure  Varillas,  Histoire  de 
Henri  III,  lii>.  XII,  pag.  3^3  ;  car  son  ma- 
riage dura  dix-huit  ans  ,  et  il  laissa  Sajèm 
me  enceinte, 

(f)  Waimbourg.  Histoire  île  la  Liîue, 
pag.  /|56. 


38s  GUISE. 

ce  (g).  H  y  déclara  que  l'on  n  était  »  était  d'une  haute  stature,  admira- 
assemblé  que  pour  procéder  à  »  élément  proportionnée  toi.  te  sem- 
,,    ,       .        i,        '    .        •  r-*       .7         "  niable  a  celle  crue  1  on  attribue  aux 

I  élection  a  un  roi  quijut  catho- 
lique (h).  Mais  quand  il  vit  que 
l'élection  ne  pouvait  tomber  sur 
lui;  car  il  était  marié  ,  et  l'on 
voulait  choisir  un  prince  qui  pût 
épouser  l'infante  d'Espagne ,  il 
détourna  adroitement  cette  en- 
treprise ,  et  avec  d'autant  plus 
d'application  ,  qu'il  sut  que  le 
duc  de  Guise  ,  son  neveu ,  était 
celui  que  l'on  voulait  créer  roi. 

II  eut  un  chagrin  extrême  de 
cette  nomination  (  i  ).  La  du- 
chesse ,  sa  femme  ,  ne  la  pouvait 
souffrir,  et  conseilla  à  son  époux 
de  faire  plutôt  la  paix  avec  le 
roi,  que  cYétre  si  lâche  de  re- 
connaître pour  son  maître  et  pour 
son  roi  ce  petit  garçon  :  c'est 
ainsi  quelle  appelait  par  mé- 
pris son  neveu.  Ceux  qui  font 
quelque  attention  à  ces  atten- 
tats des  Guises  ,  ne  peuvent 
comprendre  à  quoi  songeait  le 
philosophe  cartésien  Jacques  Ro- 
hault  (R),  quand  il  écrivit  l'é- 
pître  dédicatoire  de  sa  Physi- 
que. 

46o. 


(g)  Maimb.,  Hist.  de  la  Ligue,  pag 
(h)  Là  même  ,  png.  4^2. 
(i)  Là  même ,  pag-  479- 


(  A)  Il  possédait  un  certain  mélange 
de  bonnes  et  de  mauvaises  qualités.  ] 
Servons-nous  des  couleurs  qu'un  au- 
teur moderne  a  employées  pour  le 
peindre.  «  Rien  ne  fui  manquait  de 
»  tout  ce  qui  pouvait,  concourir  ,  soit 
»  de  bien  ,  soit  de  mal  ,  pour  faire 
»  réussir  ce  qu'il  avait  fortement  ré- 
)>  soin....  C'était  un  prince  qui... 
»  avait  toutes  les  belles  qualités  et 
u  toutes  les  perfections  du  corps  etde 
)>  l'esprit  les  plus  capables  de  char- 
>,  nier  les  cœurs,  et  d'acquérir  sans 
»  peine  a  celui  qui  les  possède  un  em- 
»  pire  absolu  sur  l'esprit  des  peuples 
»  qui  en  furent  comme    enchantés  , 


héros  ,   ayant  tous  les  traits  du  vi- 
sage parfaitement  beaux  ,  les  yeux 
perçans  ,  et  pleins  d'un  certain  feu 
également  doux  ,   actif    et    péné- 
trant ;    le  front  large  ,   uni  et  tou- 
jours   serein  ,    accompagné    d'un 
.  agréable  sourire  à  la  bouche  ,  qui 
,  charmait  encore  plus  que  les  paro- 
les obligeantes   qu'il    disait  à  tous 
ceux  qui  s'empressaient  de  l'appro- 
cher ,  le  teint   vif ,  fort   blanc   et 
vermeil —  Sa  démarche  était  grave 
et  hautaine ,  sans  qu'il  y  parût  ni 
orgueil  ni  affectation;  et  dans  toutes 
ses  manières  il  avait  un  certain  air 
inexprimable   de  grandeur   héroï- 
,  que  ,   où  il  entrait  de  la  douceur  , 
1(  de   l'audace    et  de   la  fierté  ,   sans 
,  avoir  rien  de  rebutant  :  ce  qui  in- 
,  spirait  tout  ensemble  de  l'amour  , 
,  de  la  crainte  et    du  respect  à  tous 
,  ceux  auxquels  il  parlait.  Cet  admi- 
,  rable    extérieur   était   animé  d'un 
,  intérieur   encore  plus  merveilleux 
,  par  les  belles  qualités  qu'il  possé- 
,  dait  d'une  âme  véritablement  gran- 
i  de  ,   étant  libéral  ,    magnifique  en 
,  tout,  n'épargnantrien  pour  se  faire 
,  des  créatures  et  pour    gagner   des 
,  personnes  de  toutes  sortes  de  con- 
,  ditions  ,  surtout  la  noblesse  et  les 
,  gens  de  guerre  ;   civil ,  obligeant  , 
,  populaire  ,  toujours  prêt  à  faire  du 
,  bien  à  tous  ceux  qui  s'adressaient  à 

>  lui  ;  généreux  ,  magnanime  ,  inca- 

>  pable  de   nuire ,  même  à   ses  plus 

>  grands  ennemis  ,  autremen  t  que  par 

>  les  voies  d'houneur  ;  extrêmement 

>  persuasif ,    dissimulé  sous  l'appa- 

>  rence  d'une  grande  franchise  ;  sage 
)  et  prudent  dans  les  conseils  ,  hardi, 

>  prompt  et  vaillant  dans  l'exécution; 
)  souffrant   gaiement  toutes  les   in- 

>  commodités  de  la  guerre  comme  le 

>  moindre  des  soldats  ;   s'exposant  à 

>  tout ,    et  méprisant  tous  les   plus 
i  grands  périls  pour  venir  à  bout  de 

>  ce  qu'il  avait  une  fois  entrepris.... 

>  Mais  comme  il  n'y  a  point  de  mine 
)  d'or  où  ce  précieux  métal  se  trouve 

>  tout  pur  et  sans  mélange  de  beau- 
»  coup  de  terre  ,  aussi  ces  grandes 

vertus  naturelles  du  duc  de  Guise 
riaient  corrompues  par  le  mélange 
de  beaucoup  de  défauts  et  de  vices, 


et  en  devinrent  idolâtres.   Car  il    »  dont  le  principal  était  ce  désir  in- 


GUISE. 


383 


»  satiablc  de  grandeur  et  de  gloire  , 
»  et  cette  vaste  ambition  à  laquelle  il 
»  fit  tout  servir  ;  e'tant  au  reste  témé- 
»  raire  ,  présomptueux  ,  ne  suivant 
»  que  son  propre  sens ,  et  méprisant 
»  celui  des  autres  ,  sans  toutefois  qu'il 
)>  y  parût  ;  couvert ,  fin ,  peu  sincère, 
»  et  peu  ve'ritable  ami ,  ne  songeant 
»  qu  à  lui-même  ,  quoiqu'il  fût  le 
»  plus  caressant  et  le  plus  officieux 
»  de  tous  les  hommes  :  tout  le  bien 
»  qu'il  faisait  aux  autres  n'étant  que 
»  pour  aller  par-là  plus  facilement  à 
»  ses  fins  ,  et  couvrant  toujours  ses 
»  vastes  desseins  du  prétexte  spécieux 
»  du  bien  public  ,  et  de  la  conserva- 
»  tion  de  la  véritable  religion  ;  se 
»  fiant  trop  à  son  bonheur ,  se  per- 
»  dant  et  s'aveuglant  lui-même  dans 
»  la  prospe'rite'  qui  lui  faisait  goûter 
»  avec  tant  de  plaisir  le  bien  présent , 
j>  qu'il  ne  songeait  pas  à  prendre  ses 
»  précautions  pour  l'avenir  ;  enfin 
»  donnant  trop  à  l'amour  des  dames  , 
»  desquelles  néanmoins,  sans  qu'elles 
»  le  détournassent  du  soin  qu'il  pre- 
n  nait  de  sa  principale  affaire ,  il  se 
»  servait  adroitement  pour  avancer 
»  par  leurs  intrigues  son  grand  des- 
»  sein  sans  qu'elles  s'en  aperçussent 
»  (1).  »  L'esprit  dangereux  des  Gui- 
ses ,  que  François  Ier.  pénétra  si  bien, 
qu'il  conseilla  à  son  fils  d'y  prendre 
garde  (a),  empirait  à  chaque  généra- 
tion. On  en  peut  dire  par  excellence 
ce  qu'un  ancien  poète  disait  de  tout 
le  peuple  romain  (3). 

(B)    On  dit  que  le  légat   du   pape 

parla  au  roi d'une  manière  en- 

jouée.]1\  y  a  peu  de  faits  plus  favora 
blés  que  celui-ci  au  pvrrhonisme  his- 
torique *.  Je  le  rapporte  ,  selon  ma 

(0  Maimbonrg,  Histoire  de  la  Ligue  ,  liv.  I, 
pag.  m.  18  et  suiv. 

(2)  Hoc  adverterat  rex  Franciscus  I ,  et  levia 
licet  quee  lune  ab  iis  cœpla  ,  cavenda  nihilomi- 
lùis  tiberis  suis  rdixerat ,  ut  parva  ex  queis 
magnarum  rerum  moins  orirentur  :  nunquàm 
salis Jidam  potentiam,  ubi  nimia  est:  rebut  suis 
prospicerent ,  nec  majores  domus  eos  crearent, 
quilius  mos  erat  vim  princijns  complecli  ,  nomen 
remittere  Ulinam  Henricus  II  palrit  consilium 
haud  aspernando  libeiis  suit  consuluissel ,  nec 
Guiswnos  rebut  gerendis  prœfecissel  !  Vindic. 
secunduni  I.ibert.  Kccles.  gallic.  ,  pag   6  et  n. 

(3)  Mlas  parentum  pejor  avis  lulit 
JVos  nequiores  mox  daluros 

Progeniem  vitiosiorem 

Horat.,  ùd.   \T,  lit.  III. 

*  Bayle  ,  dans  le  texte  ,  a  traité  de  fable  le  fait 

dont  il  s'agit.  C'est  déjà  avoir  adopté  en  partie 

l'opiuion  de  Maimbourg,  dont  il  va  rapporter  un 


coutume ,  dans  les  propres  termes  de 
l'auteur  qui  le  fournil. 

X  L'bistorien  Davila  dit  qu'après 
»  cela  (4)  le  roi,  étant  descendu  dans 
»  la  cour ,  se  promena  long-temps 
»  avec  le  légat,  auquel  il  exposa  tou- 
»  tes  ses  raisons ,  que  cet  écrivain 
»  prend  la  peine  de  déduire  fort  au 
»  long  ,  comme  s'il  eût  été  présent  à 
»  cette  longue  conférence,  et  qu'il 
)j  eût  ouï,  sans  perdre  un  seul  mot  , 
»  tout  ce  que  le  roi  dit  à  ce  cardinal  , 
»  dont  il  nous  fait  aussi  savoir  les  ré- 
»  flexions  politiques,  et  la  réponse 
»  qu'il  lit  à  tout  ce  grand  discours  du 
»  roi.  Car  il  dit  que  ,  pour  ne  pas  re- 
»  froidir  l'affection  de  ce  prince  en- 
»  vers  le  saint  siège  ,  il  l'assura  que  le 

»  pape Il  ajoute  ,  que  le  roi  lui 

»  promit,  avec  serment qu'il  ne 

»  permettrait  point  qu'il  y  eût  dans 
»  son  royaume  d'autre  religion  que 
»  la  catholique  romaine  •  qu'après  ce 
»  serment ,  le  légat  ne  jugea  pas  qu'il 
»  fût  à  propos  de  passer  plus  avant 
»  dans  cette  conférence;  et,  sans  lui 
»  parler  ,  pour  le  présent ,  en  faveur 
»  des  prélats  prisonniers ,  il  se  mit 
»  à  traiter  avec  lui  aussi  confidem- 
»  ment  qu'auparavant.  Il  y  en  a 
»  même  qui  disent  (*)  que  de  la  ma- 
)>  nière  libre  et  dégagée  dont  on  le 
»  voyait  agir  avec  le  roi ,  en  lui  par- 
»  lant  quelquefois  à  l'oreille  ,  et  riant 
»  avec  lui  ,  on  crut  que  ce  prince 
»  avait  agi  de  concert  avec  Rome  ;  et 
»  ils  ajoutent,  avec  Davila  ,  que  cela 
»  donna  lieu  au  roi  de  passer  outre,  et 
»  de  faire  encore  tuer  le  cardinal  de 
)>  Guise,  voyant  qu'on  se  mettait  peu 
»  en  peine  de  l'emprisonnement  des 
»  cardinaux.  Voilà  ce  que  ces  auteurs 
»  ont  écrit  fort  sérieusement ,  comme 
»  une  vérité  dont  on  ne  peut  nulîe- 
»  ment  douter  ;  cette  conférence ,  à 

passage.  Mais  à  l'occasion  du  pyrrbonisme  bis- 
torique  que  cette  fable  peut  favoriser,  l'auteur 
des  Observations  critiques  ,  insérées  dans  la  Bi- 
bliothèque française ,  tom.  XXIX.  pag.  içjg, 
croit  fausse  la  remarque  de  Bayle.  Un  anonyme 
prit  sa  défense  dans  le  volume  XXXIII,  pag. 
34°-34S  ,  et  une  réplique  à  ente  réponse  est  dans 
le  tome  XXXVIII  ,  pag.  aofi.  Or  cette  discus- 
sion elle-même  vient,  ce  me  semble,  à  l'appui 
de  ce  que  dit  Bayle. 

(4)  C'est-à-dire,  après  qu'il  eut  r'ié porter  lui- 
même  à  Catherine  de  Me'dicis  la  nouvelle  île  ta 
mort  du  duc  de  Guise  ,  et  après  avoir  envoyé  le 
cardinal  de  Gondi  au  légal ,  pour  l'informer  de 
ce  qui  s'était  Jait ,  ei  des  raisons  qui  l'y  avaient 
engage',  et  avoir  oui  la  messe. 

(* j  D'Aubigné. 


84 


GUISE. 


ce  qu'ils  disent ,  s'elaut  faite  ,  à  la 
vue  de  tout  le  monde  ,  dans  la  cour 
du  château  de  Blois.   Cependant  il 
n'y  a  rien  de  plus  faux  ,  et  tout  ce 
que  nous  dit  là-dessus  Davila   est 
une   de  ces   fictions   que   les  seuls 
poètes  ont  droit  de  faire.  La  preuve 
en  est  toute  évidente  et  sans  répli- 
que. Nous  avons  les  Mémoires  im- 
primés de  la  vie  du  cardinal  Moro- 
sini ,   écrite    très  -  élégamment   et 
très-fortement  en  italien,  par  mon- 
signor  Stéphano  Cosmi ,  archevêque 
de  Spalato ,   qui  me   fit   l'honneur 
de  me  les  envoyer  de  Venise  ,   il  y 
a  plus  de   trois  ans  ;  et  l'on  voit, 
par  les  lettres  (*')   de  ce  cardinal 
légat  au  cardinal  Montalte  ,  neveu 
du  pape  Sixte  V,  auquel  il  rend  un 
compte  exact  de  tout  ce  qui  se  fit 
le  23  décembre  et  les  jours  suivans, 
que  quelque  instance  qu'il  eût  faite 
à  la  prière  de  madame  de  Nemours, 
pour  obtenir  audience  du   roi  ,  le 
matin  de  ce  jour  -  là  on  lui  refusa 
même  l'entrée  du  château  ,  quelque 
effort  qu'il  pût  faire  à  la  porte  pour 
y  entrer  ;   et  qu'il  ne  put  jamais 
avoir  cette  audience  que  le  vingt- 
sixième  ,   trois  jours  après  la  mort 
du  cardinal.  Que  deviendront,  après 
cela,   tous  ces  beaux  discours,  et 
toutes  ces  particularités  de  la  pré- 
tendue  conférence  du   vingt-troi- 
sième ,  et  cette  manière  si  douce  et 
si  tranquille  ,  ou  plutôt  si    enjouée 
du  cardinal ,  parlant  au  roi  à  l'o- 
reille ,  et  riant  de  tout  son  cœur  ; 
ce   qui    donna    lieu    aux    gens    de 
croire  que ,  selon  les  ordres  de  Ro- 
me ,   il  était  d'intelligence  avec  le 
roi ,  qui  ,  le  voyant  agir  de  la  sorte  , 
résolut    de  passer   outre  et  de  se 
défaire  encore  du  cardinal  de  Guise? 
Cela  s'appelle  faire  une  histoire  de 
son   invention,  c'est-à-dire,   une 
fable  ,  comme  l'ont  fait  en  cet  en- 
droit deux  écrivains  protestans  (*'), 
d'Aubigné  et  l'auteur  du  Discours 
de  ce  qui  s'est  passe  h  Blois  jusqu'à 
)  la  mort  du  duc  de    Guise  ;   et   nos 
)  historiens  catholiques  qui  les   ont 
»  suivis ,   s'étant  laissé  tromper  par 
ces   huguenots,   ont  aussi  trompé 


(*')  Memor.   délia  vit.  del  Card.  Moros. ,  lib. 
111  ,  cap.  XVI,   XVII,  XVIII. 
(**)  D'Aubigné,  loin.  II,liv.  11,  chap.  XV. 

Mémoires  de  la  Ligue  ,  torn.  III,  pag    il;i 


»  leur  lecteur  (5).  »  Si  l'on  s'est 
trompé  si  grossièrement  sur  des  faits 
de  cette  nature  ,  quel  fond  y  a-t-i)  à 
faire  sur  mille  choses  plus  malaisées 
à  découvrir  ,  dont  les  historiens  nous 
parlent  avec  tant  de  confiance  ?  No- 
tez que  l'on  continue  à  débiter  le 
mensonge  que  M.  Maimbourg  a  ré- 
futé :  je  viens  de  le  lire  dans  une 
histoire  romanesque  du  duc  de  Gui- 
se (6). 

(C)  Les  états auraient  fait 

en  sa  faveur  ce  qui  fut  fait  pour 

Hugues  Capet.}  Le  dessein  de  la  li- 
gue était  sans  doute  de  dégrader 
Henri  III  et  de  l'enfermer  dans  un 
monastère  (7)  ,  et  de  mettre  sur  le 
trône  le  duc  de  Guise.  La  duchesse 
de  Montpensier  ,  sœur  de  ce  duc,  ne 
s'en  cachait  pas.  Elle  (8)  dit  un  jour 
a  plusieurs  personnes,  en  montrant 
ses  ciseaux  d'or(*'),  qu  ils  serviraient 
bientôt  a  tondre  le  roi,  afin  qu'étant 
relégué  dans  le  fond  d'un  cloître  il 
laissât  le  trône  ,  dont  il  était  indigne, 
en  état  de  pouvoir  être  occupé  par 
un  homme  plus  capable  de  régner, 
et  d' exterminer  les  huguenots.  Cet 
homme,  c' était  son  frère .  M.  Maim- 
bourg ne  disconvient  pas  que  ce  duc 
n'ait  aspiré  a  la  couronne  ,  du  moins 
pour  après  la  mort  des  Valois.  Il  en- 
tra, dit-il  C1),  dans  la  ligue,  pour  se 
faire  chef  d'un  parti  qui ,  après  la 
mort  des  Valois ,  le  pourrait  encore 
élever  plus  haut.  Entre  autres  prépa- 
ratifs, on  avait  publié  une  généalogie 
qui  faisait  descendre  de  Charlemagne 
la  maison  de  Lorraine  (9).  Le  but 
était  d'insinuer  qu'on  ne  ferait  que 
restituer  la  couronne  aux  descendans 
de  celui  que  Hugues,  Capet  en  avait 

(5)  Maimbourg  ,  Histoire  de  la  Ligue  ,  pag. 
271)  et  suiv. 

(G)  Imprimée  l'an  161/1. 

(7)  On  l'en  menaça  par  ce  distique  affiché 
publiquement  : 

Qui  dédit  anlè  duas,  unam  abstulit ,  altéra  nu- 
tat; 
Tertia  tonsoris  mine  facienda  manu. 
C'était  pour  répondre   à    l'inscription  de  l'hor~ 
loge  du  Palais  : 

Qui  dédit  anlè  duas  ,  triplicem  dabit  ille  coro- 
nam. 

(8)  Critique  générale  du  Calvinisme  de  Maim- 
bourg ,  lettre  III ,  pag.  4°-  Voyez  aussi  pag. 
44,   vît  l'on  cite  Mézerai. 

(*■)  M.  de  Tliou,  lib.  XCV. 
(*a)  Histoire  du  Calvinisme  ,  pag.  4fli- 
(c»)  Voyez  Varillas,  Histoire  de  Heuri  III,  tiv. 
VII,  pag.  21  G. 


GUISE. 


385 


frustré.  Les  décrets  de  la  providence 
se  font  jour  partout  ,  fata  viam  in- 
venient;  mais  ,  humainement  parlant, 
on  peut  dire  que  Henri  111  leur  abré- 
gea et  leur  aplanit  le  chemin  en 
faisant  tuer  le  duc  de  Guise  ;  car  si 
d'un  côté  la  situation  du  roi  de  Na- 
varre le  mettait  en  état  de  s'opposer 
fortement  à  l'usurpation  ,  il  est  cer- 
tain de  l'autre  ,  que  jamais  on  ne  vit 
un  concours  plus  favorable  de  dispo- 
sitions que  celui  qui  frayait  au  duc 
de  Guise  le  chemin  du  trône.  Un  au- 
teur moderne  a  raison  de  dire  ,  qu'il 
n'y  avait  que  la  force  du  destin  qui 
pût  arrêter  ce  duc.  La  suite  des  évé- 
nemens  a  fait  voir,  dit-il  (10)  ,  que 
cette  providence  ,  qui  dispose  souve- 
rainement des  empires  ,  voulait  ôter 
celui  de  la  France  aux  f^alois  pour 
le  transpoiler  aux  Bourbons  ;  et  il 
fallait  que  tout  ce  qui  s'y  pouvait 
opposer  succombât  enfin  par  son 
malheur  inévitable  sous  la  force  in- 
vincible de  ce  décret  (il),  auquel  il 
ni  avait  ni  conspiration ,  ni  ligue  ,  ni 
fortune  ,  ni  aucune  puissance  sur 
la  terre  qui  pût  résister*.  La  bonne 
fortune  du  roi  de  Navarre  voulut 
que  celui  qui  était  si  résolu  n'eût 
pas  au  besoin  assez  de  résolution , 
et  que  celui  qui  était  si  faible  , 
devînt  hardi  au  besoin.  Ces  deux 
choses  lui  sauvèrent  la  couronne. 
Henri  III  revenant  de  sa  léthargie  fit 
un  grand  coup  ;  mais  le  duc  de  Guise 
n'avait  pas  été  assez  hardi  pour  s'a- 
bandonner au  torrent  de  sa  fortune. 
La  ligue  l'eût  en  effet  couronné  ,  s'il 
eût  osé  consommer  le  crime  dont  il 
fut  justement  puni,  comme  le  sont 
d'ordinaire  les  grands  criminels  qui 
manquent  de  résolution.  C'est  ce  qu'on 
a  dit  dans  l'histoire  romanesque  de 
ce  duc.  Il  est  sûr,  et  l'expérience  le 

(10)  Maimbourg ,  Histoire  de  la  Ligue  ,  p.  284. 

(11)  appliquez  ici 'ce  qu'Horace  ,  od.  XXXV, 
lib.  I  ,  dit  si  bien  de  la  Fortune  : 

Te  semper  anteit  sœva  nécessitas 
Clavos  trabales  et  cuneus  manu 
Gestans  anenâ  :  uec  severus 
TJncus  abest,  liquidumque  plumbum. 
*  L'apologiste  de  Bayle,  dans  le  tome  XXXIII 
de  la  Bibliothèque  française ,  pag.  i'io  ,  trouve 
qu'il  y  a  contradiction  entre  celle  dernière  phrase 
de  Maimbourg  et  ce  qu'il  avait  dit  un  peu  plus 
liaut,  mais  que  Bayle  n'a  pas  cité  :  «  C'est  une 
n  ebose  étrange  que  les  bommes  les  plus  éclairés, 
••  qui  pourraient  éviter,  s'ils  voulaient  prendre 
<•   les   moyens  qu'ils    en   ont  ,  ce  qu'on  appelle 
«  leur  destinée  ,    quand   le  malheur   est  arrivé 
•>  s'y  laissent  entraîner  comme  par  force  ,  etc.   » 

TOME    VII. 


confirme  ,  que  le  vrai  moyen  de  réus- 
sir dans  de  semblables  desseins  est  de 
ne  se  pas  arrêter  sous  prétexte  que 
le  crime  serait  trop  grand  (12). 

(D)  La  translation  aurait  eu  des 
suites  bien  /dus  funestes  a  tout  le 
royaume.]  Car  comme  le  prince  qui 
devait  être  le  successeur  légitime  de 
Henri  III  était  d'un  mérite  extraordi- 
naire, brave  tout  ce  qui  se  pouvait, 
et  soutenu  non-seulement  de  ceux 
de  la  religion,  mais  aussi  d'un  nom- 
bre considérable  de  catholiques  :  il 
aurait  fallu  que  l'usurpateur  eût  don- 
né cent  combats  afin  de  se  maintenir , 
et  les  deux  partis  se  seraient  presque 
battus  jusqu'au  dernier  homme.  Ju- 
gez ce  que  la  France  serait  devenue 
pendant  ce  furieux  contraste  :  elle 
eût  été  le  théâtre  des  plus  horribles 
tragédies  ;  et,  pour  comble  de  scan- 
dale ,  la  religion  aurait  été  non-seu- 
lement le  prétexte ,  mais  aussi  la 
plus  puissante  machine  de  ces  san- 
glantes opérations  ;  et  l'on  aurait  pu 
dire  plus  que  jamais , 

Tanlum  religio  potuil  suadere  malorum  (i3W 

Lorsque  Pépin  et  Hugues  Capet  usur- 
pèrent la  couronne  ,  les  circonstances 
étaient  autrement  disposées.  Le  parti 
légitime  était  si  faible  ,  que  personne 
n'osa  branler  en  sa  faveur  ;  ainsi  la 
révolution  ne  fut  point  funeste  aux 
particuliers.  D'où  l'on  peut  conclure 
qu'il  y  a  des  temps  aussi-bien  que 
des  pays  ,  où  les  entreprises  de  cette 
nature  sont  moins  criminelles  ,  parce 
que  les  entrepreneurs  peuvent  être 
moralement  assurés  qu'il  n'y  aura 
guère  de  sang  répandu  ,  puisque  le 
possesseur  légitime  sera  bientôt  aban- 
donné de  tous  ses  amis  ,  ou  qu'il  lui 
en  restera  si  peu  ,  qu'il  ne  sera  pas 
capable  de  résister,  chacun  se  ran- 
geant sous  les  enseignes  de  celui  qui 
paraîtra  le  plus  fort.  Je  l'ai  dit  plus 
d'une  fois  (ii)  ,  tout  a  ses  usages 
dans  un  état  :  l'ingratitude  des  grands 
seigneurs  ,  leur  peu  de  fidélité  ,  leur 
mollesse  ,  cent  autres  défauts  sont 
quelquefois  plus  utiles  au  public  , 
que  les  vertus  opposées. 

(E)  Les  prédicateurs  se  déchaînèrent 

(12)  Voyez, loin.  VI,  pag.  89,  la  remarque  (A) 
de  Valide  Edouard  IV,  à  /'alinéa. 

(la)  Lucretius,  lib.  I,  vs.  102. 

(t4)  Voyez,  loin.  V.  pag.  5fa,  le  texte  de 
t  article  Dolabelli  (Publius),  entre  les  citations 


W  <*  W- 


?5 


386 


GUISE. 


contre  le  roi  avec  fureur.]  «  Ils  (i5)  de  la  foi.  Joignez  à  cela  que  les  (18) 

»  changèrent  leurs  sermons    en   in-  ciwés  et  les  confesseurs  de  la  /action 

»  vectives  contre  la  personne  sacre'e  des  Seize  ,  abusant  sacrilégement  du. 

du  roi,   et  décrivirent  si  pathéti-  pouvoir  que  leur  sacré  ministère  leur 

quement  la  mort  tragique  des  deux  donne  de  lier  et  de  délier,  refusaient 

frères,   lesquels   ils  élevaient  jus-  l' absolution  à  ceux  qui  leur  avouaient 

qu'au    ciel  comme   des    martyrs  ,  en    confession    qu'ils     ne   pouvaient 


qu'ils  faisaient  fondre  en  larmes , 
et  éclater  en  soupirs  tout  leur  au- 
ditoire, auquel  (**)  ,  au  lieu  de  lui 
proposer  l'exemple  de  saint  Etienne, 
ils  inspiraient  un  ardent  désir  de 
vengeance.  De  sorte  que  ceux  même 
qui  n'avaient  pas  envie  de  pleurer 
ni  de  soupirer,  et  qui  étaient  scan- 
dalises de  ces  manières  tout-à-fait 
indignes  d'un  aussi  saint  ministère 
que  celui  de  la  parole  de  Dieu  , 
étaient  contraints  de  contrefaire 
les  pleureurs  ,  de  peur  d'être  as- 
somme's Le  cure'  de  Saint-Ni- 


se  résoudre  h  ne  plus  reconnaître 
Henri  III  pour  leur  roi. 

(F) et  firent  du  duc  de   Cuise 

un  martyr.']  La  duchesse  de  Nemours 
était  révérée  dans  Paris  «  (19)  comme 
»  la  mère  de  deux  saints  martyrs  ,  et 
»  le  Petit  Feuillant  prêchant  un  jour 
»  en  sa  présence  ,  s'emporta  jusqu'à 
»  faire  ,  en  se  tournant  vers  elle , 
»  une  apostrophe  au  feu  duc  de 
»  Guise  ,  en  ces  termes  :  O  saint  et 
»  glorieux  martyr  de  Dieu  ,  béni 
»  est  le  ventre  qui  t'a  porté ,  et  les 
»  mamelles   qui  t'ont   allaité  (*')  !  » 


colas-des-Champs  ,    François   Pige-    M.  de  Thou  rapporte  que  cette  du 


nat faisant  l'oraison  funèbre  du 

duc  de  Guise en  (*2)  vint  jus- 
qu'à cet  excès  de  fureur,  que  de 
demander  à  ses  auditeurs  s'il  ne  se 
trouverait  pas  quelqu'un  qui  en- 
treprît de  venger  le  meurtre  du 
duc  en  donnant  la  mort  au  tyran. 
Et  pour  émouvoir  le  peuple  ,  il  fit 
parler  en  sa  place  la  duchesse , 
veuve  du  défunt ,  qui  était  prête 
d'accoucher,  et  lui  lit  dire  ces  ter- 
»  ribles  paroles ,  imitées  de  Virgile  : 

»  Exonère  aliquis  nottris  ex  ossibus  ullor  , 
»   Qui   face   Valesios  Jerroque  sequare    Ty- 
rànnos.  » 

(16)  Le  furieux  Guincestre  montrant 
en  plein  sermon  certains  petits  chan- 
deliers d'argent  (17) ,  travaillés  déli- 
catement ,  il  y  avait  plus  de  cent  ans, 
en  forme    de   satyres  ,  portant    des 


chesse  (20)  ayant  fait  prier  Henri  III 
de  lui  rendre  le  corps  de  ses  fils  ,  on 
représenta  au  roi  qu'il  s'en  fallait 
bien  garder,  parce  que,  dans  la  pré- 
occupation où  étaient  les  peuples  , 
on  ne  manquerait  pas  de  le  leur  faire 
adorer  comme  des  reliques  des  saints, 
ce  qui  rendrait  (*2)  la  personne  du 
roi  plus  odieuse  ;  de  sorte  que  l'on  fit 
consumer  ces  cadavres  dans  de  la 
chaux  ,  par  une  précaution  presque 
semblable  h  celle  qui  fut  cause  que 
Dieu  ne  voulut  pas  permettre  que  les 
Juifs  sussent  où  était  le  corps  de 
Moïse.  U  événement  fit  voir  que  ceux 
qui  donnèrent  cet  avis  au  roi  avaient 
raison;  car  entre  les  autres  extrava- 
gances qui  se  firent  dans  Paris  après 
la  mort  de  ces  deux  frères  ,  M.  de 
Thou  remarque  que  l'on  portait  tous 
les  jours  au  pied  des  autels  leur  ef- 
flambeaux  ,  accusait  le  roi  d  être  sor-     n„ie  „ran(Je  comme  nature  ,   et  toute 


cier,  disant  que  c'étaient  la  les  idoles 
et  les  fgures  des  démons  auxquels 
Henri  de  P^alois  avait  coutume  de 
sacrifier  dans  ses  retraites  de  P'in- 
cennes ,  et  qui  lui  avaient  ordonné  le 
massacre  du  duc  de  Guise ,  défenseur 

(i5)  Maimbourg,  Histoire  de  la  Ligue,  liv. 
III ,  pag.   '«•  2<j5  et  suiv. 

("')  Cayèt,  Cbion.,  riov.  Lcttcre  di  Moros. 
Mem.  rlella  vit.  del  cletto  ,  lib.  III,  cap.  XVI. 

(*'')  Journal  ,  manuscrit  d'Autoyne  Loysel. 

(16J  Maimbourg,  Histoire  de  la  Ligue,  pag. 
3n,  3i2. 

(17)  On  les  avait  trouvés  dans  les  oratoires  de 
Henri  III  ,  au  bois  de  Vinccnnci ,  quand  la 
populace  les  pilla, 


sanglante ,    et    niarquee    des    signes 
affreux  de  ^assassinat  (*3).   Voyez 

(18)  M.  de  Nevers  ,  Traité  de  la  prise  des 
Arm.  ,  pag.  /J67  ,  cite  par  Maimbourg,  Histoire 
de  la  Ligue,  pag.  3oi. 

(19)  Maimbourg  ,  là  même,  pag.  3o5. 
(*')  Journal  de  Henri   III. 

(20}  Criliquegt'néraledu  Calviuismede  Maim- 
bourg ,   lettre  III ,  pag.  3"j. 

(*2J  In  régis  invidiam  etiam  tanquam  bealo- 
rumjelices  exuvias  ad  adorulionem  vulgo  expv- 
situros . 

(*3)  His  accedebant  libelli  ineptissimi  de 
martjrio  Jratrtim  cum  imaginibus  eorum  tnscilè 
pirlis  ;  nec  contenu  Ubris ,  eorundetn  effigies 
juslàhommis  mensurâ  ad  pulvinaria  lemplorum 
quotidiè  sislebant,  sanguinolcnias  ,  et  pallore 
violenta'  morlis  hvi ridas. 


GUISE. 


le  premier  passage  que  je  cite  dans 
la  remarque  suivante. 

(G)  Les  peuples  imitèrent  la  rage 
des  prédicateurs.]  <c  Au  même  temps 
»  qu'en  vertu  de  ce  malheureux  dé- 
»  cret  (21)  on  lui  ôta  le  nom  de  roi , 
»  pour  ne  lui  donner  que  celui  de 
»  Henri  de  Valois  ,  il  n'y  a  sorte 
»  d'outrages  qu'on  ne  lui  fît  en  toutes 
»  les  manières  que  la  rage  impuis- 
j)  santé  d'un  peuple  furieux  put  in- 
«  venter,  pour  se  répandre  en  sa- 
»  tires  ,  en  invectives ,  en  libelles  , 
»  en  calomnies ,  en  toutes  sortes  d'in- 
j)  jures  atroces,  dont  la  moindre  était 
»  celle  de  tyran  et  d'apostat  ;  et  pour 
»  se  décharger ,  par  le  plus  brutal 
»  de  tous  les  emportemens ,  sur  ses 
j>  armes  ,  sur  ses  statues ,  sur  ses 
»  portraits  ,  sur  ses  tableaux  qui 
j)  furent  rompus  ,  déchirés  ,  foulés 
m  aux  pieds  ,  traînés  par  les  boues  , 
»  brûlés  ,  jetés  dans  la  rivière  ,  en  le 
m  chargeant  de  mille  malédictions , 
»  tandis  qu'on  révérait  le  duc  de 
)>  Guise  et  son  frère  comme  des 
»  martyrs,  jusques  à  mettre  leurs 
»  images  sur  les  autels  (22).  »  Prenez 
bien  garde  à  ce  que  M.  Maimbourg 
venait  de  dire  ;  aussitôt  que  le  dé- 
cret de  la  Sorbonne  fut  publié  dans 
Paris,  dit-il,  l'on  passa  tout  h  coup 
a  de  si  honibles  extrémités  ,  et  à  de 
si  exécrables  excès  de  fureur  contre 
ce  que  des  sujets  doivent  a  leur  prince 
légitime,  qu'encore  que  nos  écrivains 
les  aient  rendus  publics  ,je  crois  pour- 
tant qu'il  vaut  mieux  les  supprimer, 
que  de  profaner  mon  histoire  par  un 
7-écit  qui  la  rendrait  désagréable  et 
odieuse-  Un  acte  (23)  du  prétendu 
parlement ,  envoyé  a  toutes  les  villes 
qui  tenaient  pour  la  ligue,  augmenta 
la  fureur  des  peuples  ,  qui  firent  en- 
core pis  qu'auparavant  :  jusque  -la 
même  qu'il  y  en  eut  qui  ,  par  un 
abominable  mélange  du  parricide ,  du 
sacrilège  et  des  enchantemens  de  la 
magie  ,  mettaient  des  images  de  cire 

(21)  C'est-à-dire,  le  décret  de  la  Sorbonne. 

(22)  Maimbourg,  Histoire  de  la  Ligue  ,  pag. 
3oo. 

(23)  Par  lequel  tous  les  membres  de  ce  parle- 
ment, au  nombre  de  six  vingt-six,  y  compris  les 
princes  et  les  prélats ,  jurèrent  sur  le  crucifix 
Qu'ils  ne  se  de'pariiraient  jamais  de  leur  ligue  , 
et  qu'ils  poursuivraient  par  toutes  sortes  de 
voies  la  juste  vengeance  de  la  mort  des  deux 
Guises  ,  contre  tous  ceux  qui  en  étaient  ou  les  au- 
teurs ou  les  complices.  La  même,  pag.  3n. 


387 


à  la  ressemblance  du  roi  sur  les  au- 
tels ,  et  les  piquaient  en  divers  en- 
droits ,  en  prononçant  certaines  pa- 
roles diaboliques  <t  chacune  des  qua- 
rante messes  qu'ils  faisaient  dire  en 
plusieurs  églises,  pour  donner  plus 
de  force  h  leur  charme  ,  et  a  la  qua- 
rantième ils  les  perçaient  à  l'endroit 
du  cœur,  comme  pour  lui  donner  le 
coup  de  la  mort  {i\). 

(H)  La  Sorbonne fit  des  dé- 
crets entièrement  républicains .]  J'ai 
dit  ailleurs  (25)  pourquoi  je  me  sers 
des  propres  termes  de  M.  iMaimbourg, 
je  n'en  ferai  plus  d'excuses  :  citons- 
le  donc  encore  ici  sans  répugnance  , 
et  sans  diminution  ,  ni  addition  (26). 
Ceux  qui  composaient  le  corps  de 

ville. s'avisèrent  de  proposer  à 

messieurs  de  Sorbonne  ,  non-seu- 
lement de  vive  voix  ,  mais  aussi 
par  un  acte  authentique  ,  signé  du 
magistrat  et  scellé  du  sceau  de  la 
ville  ,  ces  deux  grands  cas  de  con- 
science (*')  :  l'un  ,  si  les  Français 
étaient  effectivement  déliés  du  ser- 
ment de  fidélité  et  d'obéissance  que 
l'on  avait  prêté  au  roi;  l'autre, 
s'ils  se  pouvaient  armer  et  unir,  et 
s' ils  pouvaient  lever  de  l'argent,  et 
contribuer  pour  la  défense  et  con- 
servation de  la  religion  catholique  , 
apostolique  et  romaine  en  France  , 
(**)  pour  s' opposer  aux  détestables 
desseins,  et  aux  efforts  du  roi  et  de 
tous  ses  adhérais  ,  depuis  qu'il 
avait  violé  la  foi  publique  h  Blois, 
au  préjudice  de  la  religion  catho- 
lique ,  de  l'édit  de  la  sainte  union  , 
et  de  la  libellé  naturelle  des  états. 
Sur  quoi  la  faculté  s'étant  assem- 
blée le  sept  de  janvier,  au  nombre 
de  soixante-dix  docteurs ,  après  une 
procession  solennelle,  et  la  messe 
du  Saint-Esprit ,  conclut  pour  l 'af- 
firmative sur  ces  deux  points  ,  d'un 
commun  consentement,  et  sans  que 
persotme  s'y  opposât,  ce  sont  les 
propres  termes  du  décret  ;  et  qu'on 

(24)  Maimbourg,  Histoire  de  la  Ligue,  pag. 
3oo. 

(25)  Dans  l'article  de  Grégoire  Ier.,  entre  tes 
citations  (fô)et(^'j'}.  pag.iïi.  fuyez  aussi  Gré- 
goire VII,  à  lafin  de  la  remarque  (F),  p.  240. 

(26)  Maimbouig  ,  Histoire  de  la  Ligue,  pag. 
297  ,  298,  à  l'ai.n.   1589. 

(")  Mémoires  de  la  Ligue,  loin.  III ;  M.  de 
Nevers,  Traité  de  la  prise  des  armes. 

(")  Mem.  délia  vit.  di  Moros.,  lib.  III ,  cap. 
XXIII. 


388  GUISE. 

»  enverrait    au   pape    cette    résolu-    raie  du  Calvinisme  de  iVJ.  Maimbourg1' 
»  tion,afin  qu'il  l'approuvât  et  con-    a  rapporté  (28)  ,  touchant  le  procès 
»  firmdt  de  son  autorité,  et  qu'il  eût    que  l'on  intenta  à  ce  monarque  ,  est 
)>  la  bonté  de  secourir  l'église  galli-    assez  curieux  ;  mais  voici  une  chose 
»  cane  qui  souffrait  beaucoup,  et   se    qui   l'est   beaucoup   davantage.    Elle 
j>  trouvait  fort  opprimée-  »  Le  5  d'à-    m'a  été  communiquée  par  un  très- 
vril    de    'a    même  année    158g,    la    habile  homme   (29),  qui  a  ramassé 
Sorbonne  fit  un   autre  décret ,    par    une  infinité  de  raretés  littéraires ,  et 
lequel   elle    déclare  ,   qu'on  ne  peut    qui  se  connaît  merveilleusement  en 
prier  pour  Henri  de  Valois  ,  en  au-    toutes  sortes  de  livres  ,  quelque  peu 
cune  oraison  ecclésiastique ,  beaucoup    connus  et  quelque  malaisés  à  trouver 
moins  au  canon  de  la  messe,  a  cause    qu'ils  puissent  être.  Il  a  eu  la  bonté 
de  V excommunication  qu'il  a  encou-    de  m'écrire  qu'il  a  un  livret ,  conte- 
rue;   et  qu'on  doit  ôter  du  canon  ces    nant  seize  pages  in-8°.  dont  voici  le 
paroles  ,   pro  rege  nostro  ,    de  peur    titre    :   Advertissement  et  premières 
qu'on  ne  croie  que  l'on  plie  pour  lui ,    escritures  du  procès  pour  messrs.  les 
quoique  le  prêtre  ,  dirigeant  ailleurs    députez  du  royaume  de  France  ,  aux 
son    intention ,    la  fasse  tomber  sur  prétendus  estats  qui  se  dévoient  tenir 
ceux  qui  gouvernent ,  ou  sut*  celui  à    en   la   ville    de   Blois  ,    demandeurs 
nui  Dieu   réserve  le  royaume.  Elle    d'une  part;  le  peuple  et  les  héritiers 
veut  qu'au  lieu  de  cela  on  dise  h  la    des  défunts  duc  et  cardinal  de  Guise , 
messe    hors  du  canon  ,  trois  oraisons,    aussi  demandeurs  et  joints  d'une  part  : 
prochristianis  principibus  nostris(*),    contre  Henry  de    V~alois  ,    troisième 
qui  furent  imprimées  ,  et  qu'on  voit    de  ce  nom  ,  jadis  ix>y  de  France  et  de 
encore  aujourd'hui.  Elle  ajoute  enfin    Pologne  ,    autrement  dit    Tnessalo- 
que  ceux  qui  ne  voudront  pas  se  con-    nien  ,  au  nom  et  en  la  qualité  qu'il 
former  a  ce  sentiment  ,  seront  privés  procède  ,    défendeur    d  autre    part, 
des  prières  et  des  droits  de  la  faculté  ,    Avec  l'approbation  des  docteurs.  Et 
de  laquelle  ils  seront  chassés  comme    se  vendent  chez  Denis  Binet  ,   avec 
des  excommuniés  ;ce  qui  fut  approuvé  peivnission.  i58g.  Le  livre  commence 
d'un  commun  accord  de  tous  les  doc-    ainsi  : 
leurs.  Ces  principes  républicains  se 


répandirent  de  telle  sorte  parmi  les 
théologiens  français ,  que  Génebrard, 
l'un  des  principaux  députés  du  clergé 


horterpar  la  parole  de  Dieu ,  les  dé 
pûtes  h  n'avoir  dans  leurs  délibéra- 
tions devant  les  yeux  que  la  conser- 


Advertissement  du  Procès. 

«  Messieurs  les  députez  du  royaume 
»  de  France ,  demandeurs  selon  l'ex- 
»  ploit  et  libelle  de  M.  Pierre  du 
»  Four  l'Evesque  en  date  du  12 jan- 
»  vier  i58g ,  d'une  part ,  et  le  peuple 
»  et  consorts  ,  aussi  joints  deman- 
»  deurs  d'une  part  :  contre  Henry  de 
»  Valois  ,  au  nom  et  en  la  qualité 
nation  de  l'état  et  de  la  religion  qui  u  qu'il  procède  ,  défendeur  d'autre. 
en  est  le  plus  ferme  appui ,  il  s'efforça  „  part  :  disent  par-devant  vous  mes- 
de  prouver,  par  de  très-méchantes  „  sieurs  les  officiers  et  conseillers  de 
raisons  ,  que  leur  assemblée  pouvait  ,,  la  couronne  de  France  ,  tenans  la 
changer  et  abolir  la  loi  salique  ,  qui  „  Cour  de  parlement  à  Paris  ,  que 
est  la  loi  fondamentale  de  l'état,  »  pour  les  causes,  raisons  ,  et  moyens 
qu'on  a  toujours  inviolab/ement  ob-  »  ci-après  déduits , 
servée  depuis  l'établissement  de  la  »  Ledit  Henry  de  Valois  pour  raison 
monarchie  française,  jusqu'à  main-  »  du  meurtre  et  assassinat,  commis 
tenant  (27). 

(I)  Le  parlement  de  Paris  reçut 
les  plaintes  de  la  veuve  du  duc  de 
Guise,  qui  demandait  justice  de  la 
mort  de  son  mari,  contre  Henri  III.] 
Ce  que  l'auteur  de  la  Critique  géné- 

(")  Mémoires  de  la  Lij;»e  ,  loin.  III. 
(vi)  Maimbourg,    Histoire  (le  I*  Ligue  ,  pag. 
458. 


*  C'est  Bayle  qui  est  l'auteur  de  la  Critique 
générale  de  l'Histoire  du  Calvinisme  du  père 
Maimbourg  ,  ce  que  n'ont  remarqué  ni  Leclerc  , 
ni  Joly. 

(28,)  Lettre  XIII  ,  pag.  228  de  la  troisième 
e'dilion.  Il  cite  un  passage  fort  notable  de  M.  de 
Pérélixe  ,    Histoire  de  Heriri-lc-Grand. 

(2q)  M.  Bourdelot,  médecin  de  M.  Bouche- 
rai ,' chancelier  de  France.  Il  l'est  devenu  de- 
puis de  madame  la  duchesie  de  Bourgogne. 


es  illustrissimes  personnes  de  mes- 
sieurs le  duc  et  cardinal  de  Guise  , 
sera  condamne'  pour  réparation 
dudit  assassinat,  à  faire  amende 
honorable  nud  en  chemise ,  la  teste 
nue  et  pieds  nuds  ,  la  corde  au 
col  ,  assiste  de  l'exécuteur  de  la 
haute  justice  ,  tenant  en  sa  main 
une  torche  ardente  de  trente  livres, 
lequel  dira  et  déclarera  en  rassem- 
blée des  estats ,  les  deux  genoux  en 
terre  ,  qu'à  tort  et  sans  cause  il  a 
commis  ou  fait  commettre  ledit 
assassinat  aux  dessusdits  duc  et 
cardinal  de  Guise ,  duquel  il  de- 
mandera pardon  à  Dieu  ,  à  la  jus- 
tice ,  et  aux  estats  :  que  des  à  pré- 
sent comme  criminel  et  tel  dé- 
claré ,  il  sera  demis  et  déclaré  in- 
digne de  la  couronne  de  France  , 
renonçant  à  tout  tel  droit  qu'il  y 
pourrait  prétendre  ;  et  ce  pour  les 
cas  plus  à  plein  mentionez  et  dé- 
clarez au  procès  ,  dont  il  se  trou- 
vera bien  et  deuè'ment  atteint  et 
convaincu  ;  oultre  qu'il  sera  banny 
et  confiné  à  perpétuité  au  couvent 
et  monastère  des  Hieronymites  assis 
prés  du  bois  de  Vincennes  ,  pour  là 
y  jeusner  au  pain  et  à  l'eau  le  reste 
de  ses  jours  ;  ensemble  condamné 
aux  dépens,  et  à  ces  fins  disent,  etc. 
Par  ces  moyens  et  autres  que  la 
cour  de  grâce  pourra  trop  mieux 
suppléer ,  concluent  les  deman- 
deurs avec  despens.  Pour  l'ab- 
sence de  l'advocat  signé     Chicot. 

Arrest  de  la  cour  souveraine  des 
»  pairs  de  France ,  contre  les  meur- 
»  triers  et  assassinateurs  de  mes- 
■»  sieurs  les  cardinal  et  duc  de 
»  Guise.  A  Paris  chez  Nicolas 
»  Nivelle  î58g.  8.  avec  privilège. 
»  Veu  par  la  cour,  toutes  les  cham- 
bres assemblées  ,  la  requeste  à  elle 
Eresentée  par  dame  Catherine  de 
levés  duchesse  douairière  de  Guise 
etc.  Ouï  sur  ce  le  procureur  gê- 
nerai qui  l'auroit  requis  ,  et  tout 
considéré  ,  ladite  cour  a  ordonné 
et  ordonne  commission  d'icelle  estre 
délivrée  à  ladite  suppliante  addres- 
sée  à  deux  conseillers  d'icelle  , 
pour  informer  du  contenu  en  ladite 
requeste  ,  circonstances  et  dépen- 
dances ,  pour  l'information  faite  , 
>  rapportée  par  devers  ladite  cour, 
»  et  communiquée  audit  procureur 


GUISE.  389 

»  gênerai ,  ordonner  ce  que  de  raison . 
»  Fait  en  parlement  le  dernier  jour 
»  de  janvier   1589.  signé. 

Boucher. 

»  Sur  la  requeste  ce  jourd'huy 
présentée  par  dame  Catherine  de 
Cleves  ,  etc.  ,  la  cour,  toutes  les 
chambres  assemblées,  a  commis  et 
commet  messieurs  Pierre  Michon 
et  Jean  Courtin  conseillers  en 
icelle ,  pour  informer  du  contenu 
en  ladite  requeste ,  circonstances 
et  dépendances  ,  et  sera  l'exécution 
du  présent  arrest  faite  par  vertu 
de  l'extrait  d'iceluy.  Fait  en  par- 
lement le  dernier  de  janvier  i58g. 

BoDCHER. 

»  Extrait  des  registres  du  parlement. 

«  Veu  par  la  cour,  toutes  les  cham- 
bres assemblées  ,  la  requeste  à  elle 
présentée  par  dame  Catherine  de 
Cleves,  etc .  ;  contenant  que  sur  autre 
requeste  présentée  parelle,  etc.;  ouï 
sur  ce  le  procureur  gênerai ,  et  tout 
considéré ,  ladite  cour  a  reçu  et 
reçoit  ladite  de  Cleves  appcllante 
de  l'octroy  de  ladite  commission  , 
exécution  d'icelle ,  et  de  tout  ce 
qui  s'en  est  ensuivi  et  pourroit 
ensuivre  :  ordonne  commission 
d'icelle  cour  luy  estre  délivrée  , 
pour  faire  intimer  en  icelle  tous 
ceux  qu'il  appartiendra  sur  ledit 
appel  ,  et  cependant  fait  inhibi- 
tions et  défenses  ,  particulièrement 
aux  commissaires  et  tous  autres  , 
de  passer  outre  ny  entreprendre 
aucune  cour  ,  jurisdiction  ou  cog- 
noissance  du  fait  contenu  en  la- 
dite requeste  ,  circonstances  et  dé- 
pendances ,  sur  peine  de  nullité 
des  procédures.  Ordonne  en  outre 
ladite  cour  que  tous  exploits  qui 
seront  faits  en  gênerai  ,  et  à  cry 
public  aux  prochains  lieux  de  seur 
accès ,  vaudront  et  seront  de  tel 
effet ,  que  s'ils  estoient  faits  aux 
personnes  ou  domiciles  de  ceux 
contre  lesquels  il  sera  besoin  d'ex- 
ploiter; Wait  en  parlement  le  pre- 
mier  jour  de  février   1589,   ainsi 

signé  DU   Ï1LLEI. 

(K)  Je  rapporterai  un  éloge  que 
l'on  trouve  dans  les  Entretiens  de 
Balzac.}  Je  ne  doute  point  que  Bal- 
zac n'en  soit  l'auteur,  et  qu'il  n'y  ait 


39o  GUISE. 

mis  une  bonne  dose  d'hyperbole ,  sa 
ligure  favorite.  Quoi  qu'il  en  soit  , 
voici  ses  paroles  : 

•»  La  France  estoit  folle  de  cet 
homme-là  ;  car  c'est  trop  peu  de 
dire  amoureuse.  Il  ne  faut  pas  s'cs- 
tonner  si  elle  s'éloigna  de  son  de- 
voir, comme  elle  fit.  Une  telle  pas- 
sion alloit  bien  près  de  l'idolâtrie  : 
il  y  avoit  des  gens  qui  l'invoquoient 
dans  leurs  prières  ;  d'autres  met- 
taient sa  taille-douce  dans  leurs 
heures.  Pour  son  portrait ,  il  estoit 
par-tout  :  quelques-uns  couroient 
après  luy  dans  les  rues ,  pour  faire 
toucher  leur  chapellet  à  son  man- 
teau 5  et  un  jour  qu'il  revenoit 
d'un  voyage  de  Champagne,  en- 
trant à  Paris  par  la  porte  Saint- 
Antoine  ,  non-seulement  on  luy 
cria ,  vive  Guise  ;  mais  plusieurs 
personnes  luy  chante'rent  ,  Ho- 
sanna  filio  David.  On  a  veu  des 
assemblées  ,  qui  n'estoient  pas  pe- 
tites ,  se  rendre  en  un  instant  à  sa 
bonne  mine.  Il  n'y  avoit  point  de 
cœur  qui  pust  tenir  contre  ce  vi- 
sage ;  il  persuadoit  avant  que  d'ou- 
vrir la  bouche  :  il  estoit  impossible 
de  luy  vouloir  mal  en  sa  présence. 
Le  premier  regard  qu'il  jettoit  sur 
ses  ennemis,  ostoit  d'abord  de  leur 
esprit  toute  l'aigreur  qu'ils  avoient 
apportée  contre  luy,  et  faisoit  une 
telle  esmotion  en  leur  sang  ,  et  un 
si  estrange  changement  en  leurs 
humeurs  ,  qu'apre's  cela  ils  avoient 
besoin  de  s'exciter  long-temps  eux- 
mesmes ,  pour  reprendre  la  haine 
qu'ils  n'avoient  plus.  De  sorte  que 
ce  que  j'ay  ouï  dire  à  un  courtisan 
de  ce  regne-là ,  ne  me  semble  pas 
mal  dit;  que  les  huguenots  estaient 
de  la  ligue  ,  quand  ils  regardaient 
le  duc  de  Guise.  Je  laisse  à  l'his- 
toire à  conter  les  choses  qu'il  a 
faites  ,  et  à  porter  mesme  sa  curio- 
sité' sur  celles  qu'il  a  pense'es.  Je 
ne  me  bazarde  point  de  derhillYor 
ces  énigmes  de  la  cour,  et  ne  suis 
pas  spéculatif  jusques-Jà.  Il  me 
suffit  de  croire  ,  sans  dewner,  qu'il 
falloit  bien  que  ce  fust  un  homme 
fort  extraordinaire  ,  puisque  son 
seul  nom  ,  après  sa  mort ,  a  esté 
capable  de  continuer  la  guerre  à 
deux  puissans  rois ,  et  que  le  pre- 
mier capitaine  de  l'Europe  ,  le  se- 
cond fondateur  de  cet  état ,  Henry 


»  le  Grand,  de  glorieuse  mémoire, 
»  n'a  pris  des  villes ,  ni  n'a  gagné  des 
»  batailles  ,  que  pour  faire  perdre  le 
»  crédit  à  un  homme  qui  n'estoit 
»  plus.  Je  ne  veux  pas  oublier  un 
»  mot ,  que  vous  ne  serez  pas  fasché 
»  de  sçavoir.  Il  est  détaché  de  l'é- 
»  loge  ,  et  on  l'attribue  à  madame  la 
»  maréchalle  de  Rais.  Ils  avoient  si 
»  bonne  mine,  disoit-elle,  ces  princes 
»  lorrains ,  qu'auprès  d'eux  les  autres 
»  princes  paroissoient  peuple.  Cette 
»  façon  de  parler  est  un  peu  hardie  , 
»  et  un  grammairien  scrupuleux  di- 
»  roit ,  paroissoient  bourgeois.  Mais 
»  la  cour  est  au  dessus  de  l'eschole , 
»  et  ne  reconnoist  point ,  non  plus 
»  que  l'église  ,  la  jurisdiction  de  la 
«  grammaire  (3o).  » 

(L)  M.  f^arillas  a  rapporté  quel- 
que chose  de  fort  singulier  sur  ce 
mariage.']  Il  dit  (3i)  que  le  duc  de 
Guise  ,  ayant  su  que  Charles  IX  le 
voulait  faire  assassiner,  consulta  la 
duchesse  de  Nemours  sa  mère  ,  qui 
lui  rejiariit  qu'il  ne  pouvait  éviter  le 
malheur  qui  le  menaçait  qu'en  se 
mariant  la  même  nuit  (3s)  ;  et  qu'elle 
se  chargea  de  lui  trouver  une  femme. 
Elle  manda  la  princesse  de  Porcien  , 
qui  ne  jugea  pas  a  propos  de  refuser 
le  parti  qui  se  présentait.  Ainsi  le 
mariage  fut  proposé  ,  négocié,  con- 
clu ,  consommé ,  et  la  duchesse  se 
trouva  grosse  d'un  fils  qui  fut  depuis 
le  quatrième  duc  de  Guise  ;  et  le  tout 
arriva  dans  l'espace  de  quatre  heures. 
Le  roi  l'ayant  appris  a  son  réveil , 
révoqua  l'ordre  qu'il  avait  donné  à  la 
Tour-Gondy.  Je  m'étonnerais  ,  si  ce 
fait  était  véritable  ,  qu'il  n'eût  pas 
été  connu  à  M.  le  Laboureur.  Il  a  su 
des  choses  bien  particulières  con- 
cernant cette  duchesse  de  Guise.  Il 
nous  conte   (  33  )   que   le  prince  de 

(3o)  Balzac  ,  entretien  XXIV,  pag.  m.  260. 

(3i)  Varillas  ,  Histoire  de  Henri  III  ,  liv. 
XIII,  pag.    342. 

(3î)  //  faut  savoir  que  Charles  IX  le  foulait 
faire  mourir,  à  cause  quil  le  croyait  amoureux 
de  la  princesse  Marguerite.  Voyez  l'Histoire 
romanesque  du  duc  de  Guise  ,  imprimée  à  Pa- 
ris ,  l'an  1694  ,  où  cette  princesse  est  représentée 
si  amoureuse  du  duc  de  Guise ,  que  cela  passe 
toutes  les  bienséances  du  roman,  mais  non  pas 
la  vraisemblance,  si  ce  n'est  en  ce  qu'on  suppose 
que  dans  les  plus  favorables  occasions  de  la 
jouissance ,  les  amans  se  séparèrent  toujours 
sans ,  etc. 

(33)  Le  Laboureur,  AMItons  aux  Mémoires 
de  Castelnau  ,  tout.  I  tpag.  3çjo. 


GUISE. 


*9« 


Porcien ,  peu  avant  que  de  mourir,    »  ner  un  beau  gentilhomme  ,  nommé 
pria  sa  femme,  qu'il  soupçonnait  de    »  Saint-Mégrin  ,  l'un  des  mignons  du 


quelque  affection  pour  le  duc  de 
Guise  ,  de  ne  le  point  épouser1.  Vous 
êtes  jeune  ,  lui  dit-il ,  vous  êtes  belle, 
et  vous  êtes  riche ,  toutes  ces  qua- 
lités jointes  ensemble  avec  celle  d'une 
illustre  extraction,  vous  feront  réciter- 
cher  de  beaucoup  de  gens.  J'ap- 
prouve que  vous  soyez  remariée,  je 


»  roi ,  à  cause  de  certains  bruits  qui 
»  couraient  de  lui  et  de  madame  de 
»  Guise  (*').  N'en  déplaise  au  roi  de 
»  Navarre  ,  qui  avait  ses  raisons  pour 
»  approuver  le  châtiment  de  Saint- 
»  Btégrtu  (3^),  cette  action  du  duc 
»  de  Guise  était  un  très-grand  pé- 
»  ché  (35).  »  Nous  entendrons  bien- 


vous  laisse  le  choix  des  partis  ,  et  de  tôt   un  auteur  qui  nous  dira  que  le 

tout  le  royaume  je  n'en  excepte  qu'un  duc  de  Guise  n'eut  point  de   part  à 

seul  homme,  c'est  le  duc  de  Guise,  l'assassinat   de  Saint-Mégrin.  On  l'en 

c'est  l'homme  du  monde  que  je  hais  le  crut   pourtant  l'auteur  a  la  cour  de 

plus  ;   et  je  vous  demande  en  grâce  France  (36);  et  le  roi  en  fut  si  per- 

que  mon  plus  grand  ennemi  ne   soit  suadé  ,  qu'il  ditj:  Je  sais  bon  gré  au 

pas  héritier  de  ce  que  j'ai  le  plus  aimé  duc  de  Guise  ,  mo?i  cousin  ,  de   n'a- 
de   tous 
fièvre  chaude 
six  ans  aprè 

balancé  la  mémoire  d'un  mari  mort  trer  tous  les  autres  petits  galans  de 

avec  la  présence  d'un  objet  si  consi-  cour  qui  se   mêlent  d'approcher   les 

dérable  ,  qu'était  Henri  de  Lorraine ,  princesses  pour  bzurfaireC amour (3^). 

duc   de   Guise,   se  laissa   vaincre  a  Mais  l'auteur  que  je  vais  citerne  nie 

son  mérite  ,   et  l'épousa.  Ce  récit  et  point  les  amourettes  de  la  duchesse 

celui  de  Varillas  ne  sont  guère  corn-  de  Guise.   Il   est  vrai  aussi  qu'il    les 


patibles  ensemble. 

(M)  L'infidélité  conjugale  y 

fut  réciproque.  ]  Les  galanteries  du 
duc  de  Guise  sont  assez  connues:  elles 
entreut  dans  le  portrait  que  M.  Maim- 
bourg  a  fait  de  lui ,  comme  on  l'a  vu 
ci-dessus.  «  Il  avait  passé  la  nuit  qui 
»  précéda  son  assassinat  avec  une 
»  dame  de  la  maison  de  la  reine ,  ce 
»  qui  fut  cause  qu'il  se  rendit  plus 
»  tard  que  les  autres  au  conseil ,  et 
»  l'on  crut  même  que  le  saignement 
»  de  nez  qui  lui  prit  dans  la  salle  du 
»  conseil  ,  et  qui  l'obligea  à  deman- 
»  der  quelques  confitures  ,  vint  de  ce 
»  qu'il  avait  épuisé  ses  forces  avec 
»  cette  femme.  Si  vous  ne  voulez  pas 
»  m'en  croire  ,  croyez-en  ,  à  tout  le 
»  moins  ,  M.  de  Thou  ,  dont  je  vous 
»  rapporte  les  paroles  ci-dessous  (*)  , 
»  et  admirez  l'injustice  de  ce  duc. 
»  Parmi  toutes  les  infidélités  qu'il 
»  faisait  à  son  épouse,  il  ne  voulait 
»  pas  souffrir  qu'elle  lui  en  fît  à  son 
»  tour  ;  car  il  fit  cruellement  assassi- 

(*)  Vltimtu  comparuit  Guisiur ,  quem  ed  noc- 
te  seenrum  Vcneri  furtivœ  cum  quitdam  Gynœ- 
cei  tnatrond ,  quatn  perditè  deperibat  ,  indui- 
sisse, coque  tardais  surrexisse  constant  rumor 
fuit...  DuUiaria  quâdam  cubiculariis  ngiis  ad 
refocillandas  vires  peliil ,  quod  lam°n  ab  altis 
non  tain  pavori  quam  lassiludini  ex  contuber- 
niofeminie  illius  cum  quâ concubuerat,  contrac- 
ta assignatum  est.  Thuauus  ,  Ub.  XCIII. 


F. 

rapporte  sans  les  garantir  véritables. 

(  N  )  Il  se  contenta  de  jeter  son 
épouse  dans  une  extrême  frayeur.  ] 
«  Caussade  Saint-Mégrin,  gentilhom- 
»  me  bordelais  ,  était  devenu  favori 
»  du  roi  Henri  III,  par  le  seul  avan- 
»  tage  de  sa  beauté....  Il  eut  l'impu- 
»  dence  de  dire  que  la  duchesse  de 
»  Guise  s'était  prostituée  à  lui  (*2). 
»  Comme  le  duc  de  Guise  était  l'hom- 
»  me  le  moins  susceptible  de  jalousie 
»  à  l'égard  des  femmes ,  on  ne  s'a- 
»  dressa  pas  d'abord  à  lui  pour  lui 
»  faire  confidence  de  la  sotte  vanité 
»  de  Saint-Mégrin.  On  en  parla  à  ses 
»  plus  proches  parens  et  à  ses  meil- 
»  leurs  amis  ;  et  les  uns  ctles  autres  le 
»  sollicitèrent  avec  tant  d'instance  , 
»  que,  pour  se' délivrer  de  leurs  im- 
»  portunités  ,  il  leur  promit  de  se 
»  venger,  premièrement  de  sa  femme, 
)>  et  ensuite  de  son  prétendu  galant. 
»  Et  de  fait,  il  s'abstint,  coutre  sa 
»  coutume ,  de  coucher  avec  elle  la 

(*')  Journal  <le  Henri  IN,  îi  juUlet  157». 

(34)  Voyez  ci  dessous  la  citation  ($',)■ 

(35)  Critique  générale  de  l'Histoire  du  Calvi- 
nisme, lettre  III.  pag.  t\\. 

(36)  Voyez   le    Journal   rie    Henri    111,   pag. 
m.  3i. 

(3>;)  L'a  même. 

(*')  Dans  les  Mémoires  de  M.  rie  Boissj.  Ils 
sont  dans  la.  bibliothèque  de  M.  de  Mes  mes. 


392  GUISE. 

7>  nuit  suivante;  et  le  lendemain  ,  il  duc  de  Guise  ,  dit-il  (4o) ,  gouverneur 

»  entra  dans    sa   chambre  ,    dès    les  de  Champagne  ,  chargea  les  reîtres, 

j>  quatre  heures  du  matin,  avec  un  et  les  défit  près  de  Château-Thierry. 

■»  poignard  à  la  main  droite  ,  et  une  II  y  fut.  blessé  a  la  joue  gauche  d'un 

a  e'cuclle  d'argent,  remplie  d'une  li-  coup  d'arquebuse,  dont  la  balafre  (*) 

»  queur  noirâtre,  à  la  gauche.  lire'-  lui  demeura  toute  sa  vie,    très-glo- 

»  veilla  la  duchesse  qui  dormait  pro-  lieuse  envers  les  catholiques  ,  et  fort 

}>  fondement;  il  lui  reprocha,  en  peu  avantageuse   a    l'égard  des    dames  , 

»  de  mots,   son  infidélité' ,    et  il  lui  qui  croient  que  ceux  qui  sont  braves 

»  dit,  avec  un  visage  et  d'un  ton  de  le  sont  partout.  Il  a  quelque  raison 

»  voix  où  elle  pouvait  découvrir  tous  de  dire  que  les  marques  de  bravoure 

»  les  symptômes  de  la  fureur  et  du  servent  d'une  puissante  recommanda- 

)>  désespoir,  qu'il  lui  donnait  le  choix  tion  auprès  du  sexe.  Mademoiselle  de 

3>  de  mourir  du  poignard  ou  du  poi-  Scudéri  dit  quelque  part  (40  ,   que 

)>  son  préparé  dans  l'écuelle  qu'il  te-  bien  que  la  valeur  ne  soit  pas  la  ver- 

»  nait  (38).  »   La  duchesse  ,   n'ayant  tu  des  femmes  ,  il  est  pourtant  cons- 

pu  rien  obtenir  par  ses  prières,  prit  tamment    vrai  qu'elles  l'aiment  ,   et 

le  prétendu  poison  et  l'avala  ,   et   se  qu'elles  font  même  quelquefois  injus- 

mit  a  genoux  devant  son  oratoire,  en  tice  a  d'autres  bonnes  qualités  a  l'a- 

attendant   le  moment  qu'elle  devait  vantage    de    celle-là ,    en  préférant 

expirer  :  mais  comme    ce    prétendu  des  gens  qui  ne  sont  simplement  que 

poison    était   le    meilleur  consomme  braves,  a  d'autres  qui  ont  plusieurs 

que  l'on  eut  pu  préparer ,  elle  ne  sen-  vertus  au  lieu  d'une.    Il    est  certain 

fit  aucun  mal  ,  et,  dans  une  heure  ,  qu'un  cavalier  suspect  de  poltronnerie 

son  mari  lui  vint  apprendre  la  ma-  devient  le  mépris  des  dames  (4^) ,  et 

nière  dont  on  l'avait  pressé  de  se  dé-  que  plusieurs  d'entre  elles  mettent  à 


du  duc,  qui  n'espéraient  plus  de  lui  s'ils  sont  capables  de  s'en  bien  tirer. 

tourner   L'esprit   contre   sa  femme,  Quelles  actions  de  témérité  ne  faisait- 

après  l'expérience  qu'ils  venaient  d'en  on  pas  dans  les  armées  de  France  ,  au 

faire,  s' attachèrent  uniquement  a  tuer  XVIe.    siècle,    pour    l'amour    d'une 

Saint-Mégrin.  Ils  l' attendirent  ,  au  maîtresse  ,  et  afin  de  mériter  ses  bon- 

nombre  de  vingt  cavaliers  ,  au  sortir  nés  grâces  (43)  ?  On  ne  peut  donc  pas 

du  Louvre,  a  minuit,  et  ils  lui  don-  critiquer,  à  tous  égards,  la  remar- 

nèrent  trente-trois  coups  d'épée  ou  de  que  de  M.  de  Mézerai  ;  mais  on  peut 

pistolet ,  presque  tous  mortels.  Le  roi  soutenir  que  la  raison  sur  quoi  il  la 

n'en  témoigna  rien  ,  parce  qu'on  lui  fonde   n'est  pas  solide.  Les  dames  ai- 

rapporta  que  l'on  croyait  avoir  re-  ment  les  hommes  vaillans ,  les  cava- 

marqué  parmi  les  assassins  un  homme  liers  courageux  ,   d'accord;  mais  ce 

qui ,  a  sa   taille  extraordinairement  n'est  pas  à  cause  qu'elles  s'imaginent 

haute  et  a  ses  mains  faites  en  épaule  qu'ils  sont  braves  partout ,  c'est  plu- 

de  mouton  ,  paraissait  être  le  duc  de  tôt  à  cause  du  grand  éclat  qui  accom- 

Mayenne.  pagne  la  réputation  de  bravoure,  et 

Notez  que  cette  duchesse  de  Guise  qui  rejaillit  sur  les  maîtresses  de  ceux 

avait  été  delà  religion  ,  pendant  la  vie  qui  se  sont  acquis  cette  brillante  ré- 

de  son  premier  mari  ;  mais,  quand  il  putation.  Il  y  a  donc   plus  de  faste 

fut  mort ,  elle  se  fit  catholique  dans  la  que  d'impudicité  dans  la  préférence 

chapclledu châteaude Saint-Germain-  que  les  femmes  donnent  aux  gens  de 

en-Lare,  a  l'instance  de  lareine  Calhe-  guerre  sur  les  bourgeois,  et  aux  guer- 

rine  de  Médicis ,  sa  maiTaine  (3çj).  riers  d'une  valeur  distinguée  sur  les 

(0)   On  le  surnomma  le  Balafré.  ] 

Un  historien  célèbre  fait  une  remar-  (W  Mézerai ,  Abrégé  chrou. ,  tom.  V,  pag. 

que  qui  ne  me  paraît  point  iuste.  Le  *°,ll  ''  ''"""•  ,575;                      ,„,/•• 

1          *                         *               j.j  (  )  •"  couf  de  cela  on  le  nomme  le  balafre. 

(38)  Varillas,    Histoire   de    Henri  II!  ,    liv.  (40  Dans  l'un  des  volumes  de  la  Clélie. 

XII,  pag.  343.  (4î)  Voyez  loin.  V,  p.  11  ,   la  remarque  (Bj 

(3q)  Hilarion  de  Cosic,  Vies  des  Dames  illus-  de  Varlicle  Ckrisantes. 

très,  lom.  I,  pag.  ?g5.  (4.3)  Prantômc  en  parle  en  divers  endroits. 


GUISE. 


393 


guerriers  du  commun.  Elles  croient 
qu'il  y  a  bien  plus  de  gloire  à  capti- 
ver un  grand  courage  ,  qu'a  captiver 
des  cœurs  pacifiques.  L'avantage  est 
tout  certain  de  ce  côte-là  :  le  reste 
est  fort  casuel.  Il  y  a  des  braves  qui , 
dans  les  combats  d'amour  ,  n'égalent 
pas  l'homme  casanier.  Tel  Romain 
qui  avait  fait  vingt  campagnes  glo- 
rieuses,  et  fécondes  pour  lui  en  ré- 
compenses militaires  ,  n'avait  jamais 
été  comparable  sur  l'autre  chef  de 
vigueur,  à  un  Ovide  et  à  un  Horace 
(44),  et  à  cent  petits  muguets  très-mal 
propres  à  se  servir  d'une  épée.  Je  ne 
pense  pas  que  le  plus  brave  homme 
de  France  eût  pu  disputer  sur  ce 
point-là  avec  Zacachrist,  ni  que  le 
maréchal  de  Rantzaw  ,  qui  portait 
tant  de  glorieuses  marques  de  sa  va- 
leur ,  et  qui  était  bien  plus  balafré 
que  le  duc  de  Guise,  ait  approché  de 
la  force  du  tendre  Voiture. 

Si  nous  remontons  plus  haut ,  nous 
trouverons  que  le  ravisseur  d'Hélène 
n'est  pas  le  vaillant  Hector  ,  mais  le 
lâche  et  efleminé  Paris  ;  et  nous  ver- 
rons que  le  grand  Homère  ,  qui  pei- 
gnait si  heureusement  et  si  naïvement 
toutes  les  passions,  se  sert  de  l'exem- 
ple de  ce  pagnote  pour  décrier  l'im- 
patience déréglée  de  ceux  qui  s'ap- 
prochent de  leurs  femmes  pendant  le 
jour.  Il  n'y  a  clans  ses  poèmes  que  le 
seul  Paris  qui  en  use  de  la  sorte.  No- 
tez qu'il  est  embrasé  de  cette  impa- 
tience au  milieu  même  de  la  honte 
qu'il  devait  avoir  de  s'être  sauvé  tout 
fraîchement  d'un  combat.  Le  poète 
n'a-t-il  point  voulu  désigner  par -là 
les  forces  vénériennes  des  poltrons  ? 
Plutarquenele  dit  point;  mais  peut- 
être  l'eût-il  pu  dire  avec  autant  de 
raison  qu'il  en  a  eu  dans  les  paroles 
suivantes  (45)  :  A  quoi  servira  d'exem- 
ple ce  que  fait  Paris  en  Homère,  qui 
s'enfuyant  de  la  bataille  ,  s'en  va 
coucher  dedans  le  lict  avec  la  belle 
Hélène  :  car  n'ayant  le  poète  nulle 
part  ailleurs  introduit  homme  qui  aille 
de  plein  jour  coucher  avec  s a  femme , 
il  monstre  assez  clairement  qu'il  juge 
et  repute  telle  incontinence  reprocha- 

(44177  avoue,  od.  VIT,  lib.  II,  qu'il  prit  la 
fuite  dans  un  combat,  et  Suétone,  in  Vitâ  tlo- 
ratii,  atsure  que  ce  p.tële  ad  res  venereas  intem- 
peranlior  traditnr,  nam  et  speculato,   etc. 

(45)  Plut.  ,  de  audiendis  Poetis,  pag.  18,  F  ; 
version  d'Amyot. 


hle  et  honteuse  (46).  Voyez  dans  le 
III».  livre  de  l'Iliade  les  reproches  que 
faisait  Hector  à  ce  fuyard ,  et  voici 
ce  qu'Hélène  lui  représenta  : 

Quod  bene  le  jaclat ,  et  fortia  facta  recenses; 

A  verbis  faciès  dissidel  ista  suis. 
Apla  magis   Veneri ,   quàtn  suit  tua  corpora 
Marti. 
Bella  gérant  fortes  :  tu  ,  Pari ,  semper  ama. 
Heclora  ,  quem  laudas  ,  pro  te  pugnare  ju- 
beto  ; 
Mililia  est  operis  altéra  digna  luis  (4/)- 

(P)  Le  duc  de  Mayenne...  exerça 
un  pouvoir  quidiffera  peu  du  ■  oyal.  Il 
ne  tint  qu'à  lui  de  prendre  le  nom  de 
ivi.  ]  Il  apprit  à  Lyon  la  mort  du 
duc  et  du  cardinal  de  Guise,  ses  frè- 
res ,  et  tout  aussitôt  il  se  retira  en 
Bourgogne  ,  dont  il  était  gouverneur 
(48).  Il  y  assembla  des  troupes  ,  et 
puis  il  marcha  vers  Paris.  Il  fut  re- 
çu à  Troyes  avec  les  mêmes  honneurs 
que  l'on  rend  aux  rois.  Il  y  agit  en 
souverain  ,  envoyant  de  Va  des  com- 
missions aux  créatures  du  duc  de 
Guise  ,  et  surtout  h  Rosne  et  a  Sainl- 
Pol  ,  auxquels  il  fit  expédier  des 
ordres  pour  commander  en  Champa- 
gne et  en  Brie  (4g).  Il  entra  ,  le  12  de 
février  i58(),  à  Paris  (*') ,  «  où ,  com- 
me si  l'on  eût  vu  le  duc  de  Guise 
ressuscité  en  sa  personne  ,  on  fit 
éclater  la  joie  publique  avec  tant 
de  transports  et  d'excès  ,  qu'on  en 
vint  même  jusqu'à  exposer  son  ta- 
bleau avec  la  couronne  fermée  ,  et 
à  lui  dresser  un  trône  royal  (*')  j 
et  s'il  eût  eu  assez  d'ambition  et 

>  d'audace   pour  s'y   placer ,    il  eût 

>  trouvé  peut-être  assez  de  gens  qui 
l'eussent  reconnu ,  pour  tenir  sous 
lui  des  gouvernemens  qu'il  leur  eût 
donnés  en  titre  de  duchés  et  de 
comtés  avec  hommage  ,  comme  fit 

(46)  OùS'évct  yà.0  àihKiev  dvBpâi7ra>v  tip-î- 
pcLt;  0-uyx.oijuâfjiivov  yuvMKi  TomVa.ç,  »  tov 

£Ç-|  KO.)  ^,oy(f)  TlQsftiVOÇ  TJlV  TOiaj/TMV  à.Kfet- 
0-13.V,  JVam  qutim  neininein  alititn  interdih  cttin 
uxore  rem  habere  commemoret ,  extra  inteuipe- 
ranlem  hune  et  adullerum  :  satis  evidenler  do~ 
cet ,  se  hoc  de  eo  opprobrii  cl  reprehensionis 
causd  re  ferre.  Idem  ,  ibid. 

(47)  Ovid.,  rpi?t.  Helcn.  ad  Parid.,  VS.  l5l, 
pag.  m.  74. 

(48)  Maimbourg,  Histoire  de  la  Ligue  ,  pag. 
294. 

(4o*  L'a  même  ,  pag,  3i5. 

(*")  Journal  MS.  de  M.  Loyse/. 

(*2)  Journal  de  Henri  III. 


394  GUISE. 

s  Hugues  Capet  (5o).  »  Mais  il  refusa  l'église  romaine.  Il  ne  se  soumit  qu'a- 

d'accepter  cet  honneur  ,  et  ne  voulut  près  avoir  e'té  pre'venu  par  des  offres 

pas ,    dans   la  suite ,  qu'un  autre  le  si  avantageuses  qui  lui  furent  faites 

possédât.  Il  se  contenta  d'établir  d'à-  de  la  part  du  roi  ,  qu'il  aurait  eu  de 

bord  son  autorité ,  en   se  rendant  le  la  peine  à  se  promettre  de  tels  biens 

plus  fort  dans  le  conseil  de  la  ligue  d'un   prince  qui    lui    aurait    eu    les 

(5i).  Il  y  faisait  passer ,  malgré  les  dernières  obligations  (5/{).  L'e'dit  qui 

Seize,  tout  ce  qu 'il  voulait ,  et  il  s'y  fut  fait  en    sa    faveur    est    daté    de 

fit   donner ,    en  effet,   une    autorité  Folembrai  ,    le    1 1    de  janvier   i5p,6 

fort  approchante  du  souverain  pou-  (55). 

voir  des  rois.   Car  la  première  chose  (Q)  Je  rapporterai  un  acte  que  Von 

qui  fut  arrêtée  dans  ce  nouveau  con-  a  oté  des  registres  du  parlement  de 

seil  fut  que ,  pour  marquer  ce  pou-  Paris.  ]  J'en  ai  une  copie   qui  a  été 

voir  presque  absolu  et  souverain  qu  on  faite  sur  l'original,  signé  du  Tillet. 

lui  laissa  prendre,  ou  qu'on  lui  don-  Voici  la  teneur  de  cet  acte. 


na,  il  aurait  dé  sonnais  ,  jusqu'il  la 
tenue  des  états  ,  la  qualité  tout  ex- 
traordinaire ,  et  de  laquelle  il  n'y  a 
nul  exemple,  de  lieutenant  général , 
non  pas  du  roi ,  car  la  ligue  n'en 
connaissait  point  encore  ,  înais  de  l'é- 
tat et  couronne  de  France  (5i) // 

prêta  le  serment  de  celte  nouvelle  et 
bizarre  dignité  ,  le  (*')  i3  de  mars  ,  au 
parlement  ,  qui  en  vérifia  les  lettres , 
scellées  des  nouveaux  sceaux  Ou  on 
fit  au  lieu  de  ceux  du  roi,  qui  furent 
rompus  ;  et ,  pour  commencer  V exer- 
cice de  sa  charge  par  un  acte  de  sou- 
verain  (*a) ,  il  fit  aussitôt  publier  de 
nouvelles  lois ,  contenues  en  vingt- 
un  articles ,  pour  unir ,  sous  une 
même  forme  de  gouvernement ,  toutes 
les  villes  qui  étaient  entrées  dans  la 
ligue ,  et  celles  qui  y  entreraient  en- 
core ,  dont  le  nombre  ,  en  fort  peu  de 
temps,  se  trouva  très-grand  (53).  Il 
se  mit  en  campagne,  et  attaqua  plus 
d'une  fois  l'armée  du  roi  ;  il  amena 
dans  le  royaume  les  troupes  d'Espa- 
gne ;  et ,  s'il  traversa  le  dessein  qu'a- 
vait la  ligue  de  créer  un  roi  qui  se 
mariât  avec  l'infante  ,  ce  ne  fut.  qu'à 
cause  que  cette  nomination  ne  pou- 
vait le  regarder  ,  lui  qui  était  marié, 
et  qu'elle  n'était  destinée  qu'au  duc 
de  Guise,  son  neveu.  Il  fut  si  obstiné 
dans  sa  rébellion  ,  qu'il  continua  de 
faire  la  guerre  à  Henri  IV  ,  après 
même  que  la  ville  de  Paris  se  fut  sou- 
mise à  ce  prince ,  réuni  au  giron  de 

(5o)  Maimbourg  ,  Histoire  de  la  Ligue  ,  pag. 
ii  5. 

(5i)  Ti'a  même  ,  pag.  3i6. 

(5a)  Là  même  ,  pag.  3i7- 

(*')  Journal  MS.  de  M.  Loysel. 

(*')  Cayet ,  loin.  I. 

CS3)  Maimbourg  ,  Histoire  Je  la  Li^ue  ,  pag. 
3iS. 


«  Extrait  des  registres  du  parlement. 

»  Ce  jour,  le  sieur  duc  de  Mayenne, 
lieutenant  général  de  l'estat  royal 
et  couronne  de  France  ,  les  cham- 
bres assemblées ,  et  les  gens  du  roy 
presens,  aprez  avoir  remontré  à  la 
cour  les  causes  qui  l'avoient  fait 
acheminer  en  cette  ville ,  et  laisser 
une  grosse  armée ,  et  que  depuis  le 
quatorzième  jour  du  mois  passé 
ladite  cour  n'estoit  entrée  (56)  ,  et 
que  à  présent  n'y  ayant  aucun  pré- 
sident ,  luy  avoit  semblé  nécessaire 
d'en  venir  communiquer  et  aviser 
avec  elle  pour  y  en  remettre  jus- 
qu'à quatre,  afin  que  cette  grand'- 
chambre  et  celle  de  la  Tournelle 
ne  demeure  sans  chefs ,  et  qu'à 
ceux  qui  seront  esleus  il  en  fasse 
expédier  les  provisions  ,  n'ayant 
voulu  entreprendre  d'en  nommer 
aucuns  de  sa  part ,  ains  le  tout  re- 
mis à  ladite  cour  :  sur  ce  ayant 
interpellé  plusieurs  fois  la  cour 
de  les  nommer  ,  et  les  gens  du  roy 
ouïs ,  aprez  qu'il  luy  a  esté  re- 
moustré  par  Mc.  Mathieu  Chartier, 
doyen  et  plus  ancien  conseiller  , 
que  advenant  vacation  desdits  es- 
tats  la  cour  avoit  accoutumé  d'en 
nommer  aucuns  aux  rois  dont  il 
choisissoit  l'un  ou  deux  qui  en  es- 
toient  pourveus  :  mais  qu'à  pre- 
»  sent  n'y  ayant  aucun  roy ,  et  veu 
Testât  de  la  ville  ,  icelle  cour  s'en 

(5/j)  Voyez  Maimbourg ,  Histoire  de  la  Ligue, 
pag.  5i8  et  suiv. 

(55)  L'a  même,  pag.  5 19. 

(5G)  Il  faut  ravoir  qu'après  que  les  Seize  eu- 
rent fait  pendre  le  pre'sidenl  Brisson  ,  le  parle- 
ment ne  voulut  plus  rentrer.  C'est  ce  qui  obligea 
le  duc  de  Mayenne  a  se  transporter  à  Paru 
pour  l'affaire  dont  il  est  ici  question. 


iUI 


SE. 


)>  remettoit  â  luy   et  le  prioit  d'en 
»  vouloir  nommer;  et  enfin,   aprez 
»  plusieurs  excuses ,  a  dit  puisqu'il 
»  plaisoit  à  ladite  cour  ,  et  suivant 
»  la  prière  qu'il  avoit  faite  le  matin 
»  à    Dieu  et  à  son  Saint-Esprit ,  que 
»  cette   affaire  se  conduisist  en  toute 
»  sincérité  ,  il  se  resolvoitde  nommer 
»  pour  premier  président   le   sieur 
»  Chartier  ,   plus   ancien    conseiller 
»  déjà  nomme'  par  la  cour  pour  pre- 
»  sident  en  icelle  ;  les  vertus ,  inte- 
»  gritez ,  et  suffisances  duquel  estoient 
»  très-notoires  à  un  chacun  ;  et  pour 
»  second,  le  sieur  Hacqueville ,  pre- 
»   sident  au  grand  conseil  ;  le  tiers  , 
»  le  sieur  de  Nully  ,  premier  presi- 
»  dent  en  la  cour  des  aydes ,  et  de- 
»  vant   pourveu  de   l'un  desdits  es- 
»  tats;  et  pour  le  quatrième,  le  sieur 
»  le  Maistre ,  advocat  du  roy  ;  n'ayant 
»  jamais  veu  qu'il  sache  lesdits  sieurs 
»  Chartier  et  le  Maistre  :  ou  hien  tels 
»  autres  que  ladite  cour  avisera  :  la- 
»  quelle  nomination  approuve'e  par 
»  ladite  cour ,  la  matière  mise  en  de- 
»  libération  ;  et  nonobstant  les  excu- 
)>  ses    et  remonstrances  dudit    sieur 
»  Chartier  de  son  aage  de  soixante  et 
»  dix-neuf  ans  ,  indisposition  notoire 
)>  de  sa  personne,  et  qu'il  estoit  nou- 
»  vellement  relevé  et  sorti  d'une  gros- 
»  se  maladie,  et  que  cet  aage  desiroit 
»  plustost  un  repos  que  le  travail  re- 
»  quis  en  un  tel  estât ,  a  este'  arreste' 
»  qu'il  feroit  le  serment  de  premier 
»  président  en  ladite  cour.  A  tant  a 
»  passé  au  barreau  ,  et ,  aprez  avoir 
»  juré  que  pour  y  parvenir  il  n'a  bail- 
»  léne  promis  de  donner  ou  faire  don- 
»  ner  par  luy  ou  par  d'autres,  or  ,  ar- 
»  gent ,  ne  chose   equipollente  ,   en 
■»  outre  de  bien  et  deuement  exercer 
»  ledit  estât  et  office  de  premier  pre- 
»  sident ,   il  y   a  esté  receu  et  fait 
»  profession  de  sa  foy   ez   mains   de 
»  Me.  Estienne  Fleury,   plus   ancien 
»  conseiller.  Fait  en  parlement  ,    le 
»  second  jour  de  décembre  mil  cinq 
»  cent  quatre-vingt-onze.    Collation 
.»  faite.  Signé    du  Tillet. 

)>  Charles  de  Lorraine ,  duc  de 
»  Mayenne ,  lieutenant  gênerai  de 
»  l'estatet  couronne  de  France,  à  tous 
»  ceux  qui  ces  présentes  lettres  ver- 
»  ront,  salut.  La  principale  marque  de 
/)  l'aufhorité  et  sainte  volonté  de  ceux 
»  qui  ont  gouverné  les  estats,  et  ce 


395 


»  qui  les  a  fait  plus  estimer  par  les 
»  peuples  qui  leur  ont  esté  soumis  , 
)»  et  admirer  par  les  étrangers,  a  esté 
«  quand  ils  ont  eu  soin  de  relever  et 
»  maintenir  les  deux  colomnes  sur 
»  lesquelles  est  fondée  la   conserva- 
»  tion  de  toutes   les  monarchies ,    la 
m  pieté  et  la  justice.  C'est  pourquoy 
m  depuis  qu'il  a  pieu  à  Dieu  nous  ap- 
»  peler  à   la  direction  des  affaires  de 
»  ce  royaume,  aprez  avoir  regardé  le 
»  mieux    qu'il  nous  a   esté  possible 
»  aux  rcglemens  et  provisions  neces- 
»  saires  pour  avancer   la   gloire  de 
»  Dieu ,  nostre  principale   intention 
»  a  esté   de   remplir   les   places   des 
»  principaux  officiers  de  la  justice  , 
)■  de  personnes   de  probité  et  de  vie 
»  et  intégrité  de  mœurs  convenables 
m  au  rang  que  nous  avons  désiré  leur 
»  faire  tenir.  Et  sur  ce  qu'il  nous  a 
»  esté  remontré  et   avons  reconneu 
»  qu'il  estoit  très-nécessaire  de  pour- 
i)  voir  aux  estats  et  offices  des  presi- 
»  dens  de  la  cour  de  parlement  de 
«  Paris,  afin  que  par  faute  d'iceux  le 
»  cours  de  la  justice  ne  soit  intérims 
»  ou  interrompu  comme  il  a  esté  de- 
)>  puis  quelque  temps  ,  ayant  résolu 
»  d'y  en  mettre  et  establir  jusqu'au 
»  nombre  de   quatre,  afin  que  tant 
»  la  grand' chambre  du  plaidoyé  que 
»  la    Tournelle    ne   demeurent   sans 
»  chefs  ;    sçavoir    faisons  ,    qu'aprez 
»  avoir  cejourd'huy  communiqué  à 
»  messieurs  de  ladite  cour,  les  cham- 
»  bres     assemblées  ,    nos    désirs    et 
»  intentions  ,    et  nommé  les   quatre 
»  personnes  que  nous  avons  estimées 
»  propres,  dignes  et  capables  de  ces 
»  charges  ,    lesquels   ils  auroient  eu 
»  très-agreables  ,   comme    il    appert 
»  par  l'acte  et  arrest   de   cedit  jour 
»  cy  attaché  sous  le  contresecl;  nous 
»  considérant  les  bons   et   agréables 
»  services  que  MM.  etc.  Car  ainsi  le 
»  desirons.  En  tesmoin  de  quoy  nous 
»  avons  à  ces  présentes  fait  mettre  le 
»  scel  du  royaume  de  France.  Donne 
»  à  Paris,  le  3  décembre  i5jji.  Signé 
»   Charles  de  Loii'aine  ,  et  sur  le  re- 
»  ply  ,  par  monseigneur ,  Pericard.  » 
M.  Marais ,  avocat  au  parlement  de 
Paris  ,  a  eu  la  bonté  de  m'envoyer  la 
copie  qu'il  avait  faite  de  cet  acte.  Il 
m'a  communiqué  aussi  des  observa- 
tions sur  mon  Dictionnaire ,  qui  me 
donnent  une  haute  idée  de  son  esprit 
et  de  son  érudition. 


GUISE 


396 

(R)  Ceux  qui  font  attention  aux 
attentats  des  Guises  ne  peuvent  com- 
prendre h  quoi  songeait  le  philosophe, 
cartésien,  Jacques  Rohault.  ]  Il  pu- 
blia sa  Physique,  l'an  1671,  et  la 
dédia  au  duc  de  Guise ,  qu'il  re'gala 
de  ce  compliment.  «  Quand  il  m'au- 
3)  rait  e'té  libre  de  délibe'rer  sur  le 
»  choix ,  quelle  autre  protection  au- 
~»  rais-je  pu  me'nager  aux  vérités  na- 
»  turelles  que  je  donne  au  public  , 
»  que  celle  d'un  nom  qui  de  tout 
>>  temps  a  été  destiné  à  soutenir  les 
»  plus  grandes  vérités  du  monde  ? 
»  Vos  ancêtres  ont  défendu ,  avec  une 
3>  piété  digne  d'être  à  jamais  propo- 
"  sée  pour  exemple  ,  les  vérités  divi- 
»  nés  de  la  foi ,  contre  ceux  qui  s'en 
»  sont  déclarés  les  ennemis  :  ces  il- 
»  lustres  héros  ont  maintenu  ,  aux 
»  dépens  de  leur  sang  et  de  leur  vie, 
»  les  vérités  politiques  ,  je  veux  dire, 
»  les  lois  fondamentales  de  l'état ,  et 
"»  les  droits  immuables  de  nossouve- 
»  rains  (*) ,  contre  les  attaques  du  de- 
»  hors  ,  et  contre  les  fureurs  intesti- 
»  nés  de  la  rébellion  ;  et  il  était 
»  réservé,  pour  surcroît  de  partage  , 
»  à  VOTRE  ALTESSE  ,  d'être  encore 
»  le  protecteur  des  vérités  de  la  na- 
»  ture ,  après  avoir  succédé  dans  le 
»  reste,  à  tous  les  nobles  sentimens  de 
»  ses  aïeux.  Nous  verrions  même  ,  à 
»  leur  exemple  ,  éclater  encore  au- 
»  jourd'hui  ce  même  zèle  en  la  per- 
»  sonne  de  V.  A.  avec  la  même  fer- 
»  veur  ,  si  le  défaut  d'occasion  n'en 
»  suspendait  l'exercice  ,  sous  le  règne 
»  glorieux  du  plus  grand  et  du  plus 
»  sage  monarque  du  monde  (57).  »  Si 
un  poète  débitait  de  telles  choses  , 
même  en  très-beaux  vers  ,  on  aurait 

(*)  Baptiste  le  Grain  ,1.  6  de  sa  Décade  du 
roi  Itenri-le-Grand  ,  pag  635  de  L'édition  de 
Rouen,  i633,  parlant  du  duc  de  Mayenne,  dit 
en  propres  termes  que  tout  chef  de  la  Ligur  qu'é- 
tait ce  duc,  il  ne  souffrit  jamais  qu'il  fui  fait 
brèche  aux  lois  fondamentales  de  l'état;  et 
l'édit  de  Folembrai,  du  n  janvier  i5q6  (  Mena, 
de  la  Ligue,  loin.  6,  pag.  376,  e'dil.  lie  i.frjg) 
loue  le  même  duc  de  l'affection  qu'il  avait  mon- 
trée h  conserver  le  royaume  en  son  entier  y  du- 
quel il  n'a  fait  ,  ni  souffert  le  démembrement  , 
lorsque  la  prospérité'  de  ses  affaires  semblait 
lui  en  donner  quelque  moyen;  comme  il  n'a  fait 
encore  depuis  qu'e'tant  affaibli...  Apparem- 
ment M.  Rohault ,  meilleur  philosophe  que  gé- 
néalogiste ,  prenait  pour  l'un  des  descen.laos  de 
celui-ci,  ce  duc  de  (iuise,  à  qui  il  dédia  sa  Phy- 
sique ,  en  l'année  1671.  Rem.  crit. 

(07)  Rohault,  e'pitre  dc'dicaloire  de  sa  Phy- 
sique. 


ISI 


Heu  de  prétendre  qu'il  le  ferait  pour 
ses  péchés  et  pour  expier  quelque 
grand  crime.  On  lui  pourrait  appli- 
quer cette  pensée  d'Horace  : 

Nec  salis  apparel  car  versus  Jaclilel  ,  ulruin 
Minxerit  in  patrios  cineres  ,  an  triste  bidenlal 
Moveril  inceslus  :  cerlè  fttril  (58). 

Que  doit-on  donc  penser  d'un  célè- 
bre philosophe  ,  et  d'un  bon  mathé- 
maticien à  qui  des  folies  de  cette 
nature  sont  échappées  ?  N'avait  -  il 
point  commis  quelque  forfait  abomi- 
nable qui  méritait  qu'on  l'abandon- 
nât à  un  sens  si  réprouvé?  Parlons 
plus  doucement  :  n'a-t-il  point  dés- 
honoré son  caractère  par  l'affirma- 
tion d'un  mensonge  si  palpable  ?  Dis- 
culpons son  cartésianisme  autant  que 
nous  le  pourrons.  Il  faut  supposer 
pour  cela  ,  que  M.  Rohault  ne  com- 
posa point  son  épître  dédicatoire  en 
qualité  de  philosophe  ;  il  s'était  dé- 
pouillé de  ce  personnage  jusqu'à  la 
chemise  ,  et  il  s'était  revêtu  de  celui 
de  panégyriste  par  le  malheureux 
engagement  que  contractent  les  au- 
teurs d'une  épître  dédicatoire.  Relie 
leçon  pour  détourner  d'un  tel  des- 
sein tout  bon  philosophe  !  Passons 
fdus  avant,  et  disons  que  celui-ci, 
ors  même  qu'il  fut  couvert  de  la  li- 
vrée d'un  personnage  étranger,  ne 
perdit  pas  toutes  les  idées  de  l'office 
de  philosophe  ,  et  que ,  s'il  débita 
un  mensonge  tout-à-fait  grossier,  ce 
ne  fut  point  par  une  lâche  flatterie, 
mais  par  un  péché  d'ignorance.  Il 
était  apparemment  de  ces  philoso- 
phes ,  et  de  ces  mathématiciens  qui 
n'ont  du  goût  que  pour  la  science  na- 
turelle ,  et  pour  Euclide  ,  et  qui ,  mé- 
prisant tout  le  reste  ,  ne  daignent  pas 
même  s'informer  de  l'histoire  de  leur 
pays.  Peut-être  aussi  que  l'applica- 
tion à  faire  des  expériences  contre  le 
vide ,  et  sur  les  propriétés  de  l'ai- 
mant ,  et  sur  les  diverses  réfractions 
de  la  lumière,  etc.  ne  lui  laissait 
point  assez  de  loisir  pour  lire  M.  de 
Thou  ,  ou  M.  de  Mézerai  ;  et  qu'ainsi 
il  ne  connaissait  l'histoire  de  mes- 
sieurs de  Guise  que  sous  cette  idée 
générale ,  qu'ils  s'étaient  fort  oppo- 
sés à  la  rébellion  des  huguenots.  Il 
était  donc  en  quelque  manière  dans 
la  bonne  foi.  Mais  gardons-nous  bien 
d'assurer  que  son  ignorance  le  dis- 

(58)  Horat. ,  de  Arte  poët.  ,  vs.  470. 


GUISE. 


397 


culpe,  elle  n'était  point  invincible  •  en  ont  parle'  sur  le  même  ton.  Lisez 

il  pouvait  au  contraire  s'en  délivrer  un    écrit  que    l'on  attribue    à  Louis 

aisément.    Il  n'avait  point  d'écolier  Servin  ,  avocat  au  parlement  de  Pa- 

qui  ne  lui  pût  faire  le  récit  des  ac-  ris  (59). 

tions  de  messieurs  de   Guise  contre  ,R  .  ,  , ,  ,.    v-  j-              .>•      n.    . 

Henri  111  et  contre  Henri  IV  ;  et  il  n  y  Eccùsia  gallican*  et  KeSii  siatùs  Gallo-Franco- 

avait  si  petit  légiste,  OU  si  petit  pra-      ""».  Je  me  sers  de  l'édition  de  i5g3,  in-8*. 

ticien  ,  qui  ne  lui  pût  dire  que  c'é-         p..   c„ 

taient  des  attentats  diamétralement         CrUJàb  (CHARLES  DE  LORRAINE  , 

opposés  aux  lois  du  royaume,  et  un  DUC  DE),  fils  aîné  du  précédent, 

renversement  total  des  principes  les  naqUit    le    20   d'août    i57l.    On 

plus   essentiels  à  la  monarchie  fran-  ,»        ».,  i      ■  i 

«„;..«    of  .,„„  ,„;f„ ,„  1QiiQ   i„„  1  arrêta  avec  plusieurs  autres  le 

caise,   et   une   suite  continuelle   des  .  j      i>      »        •         j 

plus  grands  crimes  de  félonie  et  de  jour  de  1  exécution  de  Blois  ,  et 
lèse-majesté  qui  puissent  être  corn-  il  demeura  prisonnier  jusques  au 
mis.  S'il  n'a  donc  pas  été  coupable  mojs  d'août  i5qi.  U  se  sauva 
d'avoir  parlé  contre  sa  conscience  ,il       ,  j         v.  «  *  j     t  /    \ 

mérite  pour  le  moins  que  nous  le  arlor7S.  du  château  de  Tours  (a). 
blâmions  d'avoir  négligé  de  s'instrui-    La  ligue  en  fit  des  feux  de  joie 

idit 
Ce 


re  sur  les  faits  dont  il  parlait.  Je  pense   partout ,    et    le  pape   en   rendi 
que  c'est  là  toute  sa   faute:  et  je  ne         ice  a  Dleu  publiquement    Cf 


saurais  me  persuader  qu'il  ait  trahi 


grai 


ses   lumières"  pour  s'ériger  en  flat-  Jeune  Prince  ^  reÇu  dans  Paris 

teurj  car,  s'il  avait  eu  quelque  tein-  avec    de    grandes     acclamations 

ture  de  l'histoire  du  XVIe.  siècle ,  et  (b) ,  et  vit  accourir  en  foule  vers 

du  système  politique  des  Français  ]ui     n0n-seulement    le   peuple  , 
eût-il  ose   se  servir  de  1  encens  qu  il  •  -,  -,  ■  j    i     i- 

employa  pour  le   héros  de  son  ou-  mais  aussi  la  noblesse  de  la  ligue, 

vrage?  Eût-il  osé  le  louer  d'être  tout  H  se  lia  très-etroitement  avec  la 

prêta  imiter  ses  ancêtres  si  l'occa-  faction  des  Seize;  mais  toutes  ses 

sion  lui  en  était  présentée?  N'e'tait-  „randes  prospérités  ne  servirent 

ce  pas  dire  réellement,  en  cas  ae  be-  °    ,,   ,       l  ■     1  ,  ■  ,     . 

soin,  votre  altesse  sera  toujours  dis-  <lu  a  la  rmne  du  parti ,  par  la  ja- 

posée   à  exciter  une   sédition   dans  lousie  qu'elles  donnèrent  au  duc 

Paris,  à  y  faire  pousser  les  barri-  de  Mayenne.  J'en  ai   parlé  dans 

cades jusques  au  Louvre  ,  a  contrain-  yarl[c\e  précédent.  On  dit  que  la 

are  le  roi  de  prendre  la  fuite,  a  le  -,      -,         ',     ,,  .        7     ■ 

faire  déchirer  par  les  invectives   les  duchesse  de  Montpçusier  devint 

plus  violentes  des  prédicateurs ,    a  amoureuse  de   ce   jeune  duc  de 

lui  intenter  un  procès  au  parlement  Guise,  son   neveu  (A).    Celui-ci 

de   Parus,  à  le  déposer  ,   à  le  faire  «ta  a  ,a  ,■  pun  de  seg 

assassiner  par  un  moine  ,  a  exclure  °j  r    .      .  ' 

de  la  succession  monsieur  le  dauphin  en  tuant  de  sa  propre   main  le 

et  tous  les  princes  du  sang  ,  à  mener  brave   Saint-Pol  (B).  Il  obtint  le 

dans  le  royaume  l'armée  espagnole  gouvernement  de  Provence  lors- 

pour  les  empêcher  de  soutenir  leur  „    >-i „       •-   .    tj ■   \\t    i» 

i       ,i    ■.     K    d  r      î  ht  <4U  !»  se  soumit  a  Henri  IV,  1  an 

bon  droit,  etc.  f  Concluons   que    M.  t-  .    -rlTT¥ 

Rohault  n'aurait  pas  tenu  un  langa-     l5Cj4(c).  Il  eut ,  sous  Louis  A11I, 

ge  significatif  de  toutes  ces  proposi-    quelques  emplois  par  mer  et  par 

tions,  s'il  avait  connu  que  ses  paro-    terre  (d);  mais  on  l'empêcha  de 

les  signifiaient  effectivement  cela.  S'il 

faut  donc  lui  pardonner  cette  faute  , 

c'est   parce  qu'il  ne    savait   ce  qu'il 

disait. 

Au  reste  ,  ce  ne  sont  pas  seulement 
les  écrivains  protestans  qui  ont  fait 
une  description  désavantageuse  des 
actions  et  des  desseins  de  M  M .  de  Gui- 
se :  il  y  a  eu  de  bons  catholiques  qui 


(a)  Mézerai,  Abrégé  clironol.  ,  lom.  VI, 
pag.  m.  5g.  Voyez  dans  le  XIVe.  livre  des 
Lettres  de  Pasquier  ,  pag.  173  et  suivantes  , 
la  manière  dont  il  se  sauva. 

(//  Maimbourg,  Histoire  de  la  Ligue  ,  pag. 
435  ,  à  l'ann.  l5gi. 

te)  Anselme ,  Histoire  des  grands  Officiers, 
pag.  427» 

(d)  Là  même. 


398  GU 

voler  trop  haut,  et  on  l'obligea 
même  de  sortir   de  France.  Ce 
fut  l'effet   d'une  sage  politique 
du  cardinal   de  Richelieu  (C).  Il 
se  retira  à  Florence  (e) ,  et  mou- 
rut à  Cuna  ,  dans  le  Siennois,  le 
3o  de  septembre  1640.   Il  avait 
épousé,  en  161 1  ,  Henriette-Ca- 
therine de  Joyeuse,  fille  unique 
de  Henri  de  Joyeuse ,  maréchal 
de  France ,  et  veuve  de  Henri  de 
Bourbon ,   duc  de  Montpensier 
(f).  Il  en  eut  plusieurs  enfans 
(D).  Le  maréchal  de  Bassompierre 
le  loue   beaucoup  (g).   Je    ferai 
une  remarque  concernant  le  duc 
de  Chevreuse ,  frère  de   ce  duc 
de  Guise  (E).  J'en  ferai  une  autre 
sur  le  chevalier  de  Guise  (F) ,  qui 
était  aussi  son  frère  ,  et  qui  tua 
en  très-peu  de  temps  les  barons 
de  Lux  ,  père  et  fils ,  sans  se  voir 
exposé  pour  ce  sujet  au  moindre 
embarras  (G).     Il    signala     son 
adresse  dans  le  carrousel  de   l'an 
1612  ,  et  il  s'en  fallut  bien  peu 
qu'il    ne  renrportât  le  prix  de  la 
course  de  la  bague  (H). 

(e)  Anselme  ,  Hist.  des  grands  Officiers  , 
pag.  427. 

(_/")  La  fille  qu'elle  eut  de  ce  Henri  de 
Bourbon  fut  mariée  à  Gaston  de  France, 
frère  de  Louis  XIII.  Cette  Henriette  Catheri- 
ne de  Joyeuse  mourut  l'an  l656. 

(g)  Dans  la  dernière  page  de  son  Journal. 

(A)  On  dit  que  la  duchesse  de 
Montpensier  devint  amoureuse  de  ce 
jeune  duc  de  Guise,  son  neveu.]  Voi- 
ci ce  que  disait  M.  Ménage  (  1  ). 
<t  Madame  de  Montpensier  aimait 
»  fort  son  neveu  le  duc  de  Guise , 
«  fils  de  Henri  le  Balafré.  J'ai  vu 
»  autrefois  des  lettres  fort  passion- 
»  nées  qu'elle  lui  avait  écrites.  C'est 
»  pour  cela  que  dans  la  satire 
jk  Ménippée  ,  quand  on  place  tout 
»  le  monde  ,  le  héraut  crie  :  Ma- 
li dame  de  Montpensier  ,  mettez- 
»  vous  sous  votre  neveu.  »  M.  Mé- 
nage ne  se  souvenait  pas  bien  de  tout 

(1)  Ménagiana  ,  IIe.  part  ,  pag.  m.  57. 


ISE. 

ce  que  dit  le  héraut";  il  en  oubliait 
une  clause  très-notable  :  il  y  a  dans 
le  Catholicon  ,  madame  la  douai- 
rière de  Montpensier  ,  comme  prin- 
cesse de  voire  chef  y  mettez-vous  sous 
votre  neveu.  Voyez  la  réflexion  que 
fait ,  sur  cela,  l'auteur  des  nouvelles 
remarques  sur  cette  satire  Ménip- 
pée (2). 

(B)  Il  ôta  a  la  ligue  l'un  de    ses 
preux ,   en  tuant   de  sa  propre  main 
le  brave   Saint-  Pol.  ]    «  Saint-Pol  , 
»  soldat  de  fortune  qui,  par  sa  va- 
»  leur  et  par  sa  conduite  au  métier 
»  des  armes,   avait  acquis  son  titre 
»  de  noblesse  (3),  »  fut  l'un  des  qua- 
tre maréchaux  de  France  que  le  duc 
de  Mayenne  créa  en    i5g3.  Ce  duc, 
après    la    mort  du  duc    de    Guise , 
dont  ce  capitaine   était   la   créature  , 
l'avait   commis   au  gouvernement  de 
Champagne  ,  où  après  s'être   rendu 
maître  de  Reims ,  de  Mezières  et  de 
Vitri ,  il  eut  l'audace  de  s'emparer 
par  force  du  duché  de  Relhélois  ,  et 
d'en  prendre  possession  en    qualité 
de  duc  ,  en  vertu  du  don  qu'il  disait 
en  avoir  eu  du  pape  ,  comme  le    roi 
l'écrivit    du    camp  ,     devant    Char- 
tres, au  duc  de  JVevers  ;  et  enfin  son 
orgueil  insupportable ,  joint  à  la  ty- 
rannie qu'il  exerçait  dans  la  provin- 
ce ,  lui  fit  perdre  la  vie  par  la  main 
du  jeune    duc  de     Guise   qui  le  fit 
tomber  à  ses  pieds  d'un  coup  d'épée 
qu'il  lui  donna  droit  dans  le  cœur, 
parce  que  ce  prince  l'ayant  prié  fort 
civilement  de  retirer  de  Reims  les  gens 
de  guerre  qu'il  y  avait  mis  pour  s'en 
assurer,  ce  prétendu  maréchal ,    qui 
voulait ,  malgré  qu'il  en  eut ,  y  être 
le  maître  absolu ,  lui  avait  dit  fière- 
ment ,  mettant  la  main  sur  la  garde 
de  son  épée ,  qu'il    n'en  ferait    rien 
(4)-  C'est  assez  la  coutume  que  ,  dans 
une  rébellion,  les  braves  qui   aban- 
donnent le   service    de  leur   prince 
légitime  ,  aspirent  un  peu  à   l'indé- 
pendance. Mais  ils  éprouvèrent  très- 
souvent  que  le  chef  de  la  révolte  de- 
mande plus  de  soumission  que  le  vrai 
maître.  Je  crois  qu'Henri IV  eût  été 
plus  indulgent  pour  les  brusqueries 
de  Saint-Pol,  que  ne  le  fut   le  duc 
de  Guise.  Notez   que  M.  de  Mézerai 

(2)  A  la  page  3go  ,  3gi  ,   de  l'e'dil.  de  169g. 

(3)  Maimbourg  ,  Histoire   de  la   Ligue,  pag. 
46o. 

(4)  Là  même. 


GUISE.  399 

donne  tout  le  tort  au  duc,  qui  vou-  che  d'Arras  (8).  Son  fils,  Louis-Joseph 

laut,  dit-il  (5),  avoir  la  dépouille  de  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  de Joyeu- 

ce  brave,  pour  en  faire  son  accom-  se  et  d'Angoulême,  ne'  le  7  août  i65o, 

motlement ,  lui  fît  un  jour  une  que-  épousa,  en  1667  Elisabeth  d'Orléans 


relie  sur  le  pavé  de  Reims  ,  et  lui 
donna  de  l'cpée  dans  le  ventre.  Le 
même  historien  observe  que  Saint- 
Pol  avait  sauvé  la  vie,  le  jour  de  de- 
vant les  barricades  ,  au  duc  de  Guise 
père  de  celui-ci.  Admirez  la  recon 


fille  puînée  de  Gaston  de  France,  duc 
d'Orléans  ,  et  mourut  de  la  petite  vé- 
role,  à  Paris,  le  3o  de  juillet  1671  (9), 
laissant  un  fils  ,  François-Josei'h  de 
Lorraine,  duc  d'Alençon  ,  de  Guise, 
de  Joyeuse  et  d'Angoulême  ,  qui 
naissance  que  l'on  eut  de  ce  grand  e'tait  né  le  28  d'août  1670  (10),  et  qui 
service.  mourut  le  16  de  mars  1675  (1 1).  Alors 

(C)  On  l'obligea  de  sortir  de  Fran-  ^  ne  resta  plus  de  mâle  de  cette 
ce.  Ce  fut  V effet  d'une  sage  politi-  fameuse  branche  de  la  maison  de  Lor- 
que  du  cardinal  de  Richelieu  ]  On  raine.  Il  en  reste  plusieurs  des  autres 
avait  fait  une  triste  expérience  du  branches  cadettes  de  celle  de  Guise, 
grand  pouvoir  du  nom  de  Guise  ,  Consultez  la  dernière  remarque  de 
après  même  que  la  ligue  ne  subsis-  l'article  suivant ,  et  notez  que  Roger 
tait  point.  Cette  maison  était  en  quel-  de  Lorraine  ,  cinquième  fils  de  notre 
que  manière  un  état  dans   l'état ,  et    Charles,  duc  de  Guise,  mourut  cheva- 


il  était  à  craindre  que  la  sottise  et  le 
faux  zèle  des  peuples  n'en  fit  une 
idole,  toutes  les  fois  qu'il  s'élèverait 
des  guerres  de  religion.  La  prudence 


lier  de  Malte  ,  à  Cambrai ,  le  6  de  sep- 
tembre i653,  en   sa  trentième  année 

(12). 

(E)  Je  ferai  une  remarque  concer- 


demandaitdonc  quelque  abaissement  nantie  duc  de  Chevreuse  ,  frère    de 

de  ce  crédit  :  le  premier  ministre  y  ce  duc  de    Guise.]  11  s'appelait  Clau- 

pourvut  sous   le   régne  de  Louis-le-  de  de  Lorraine  ,  et  il  était  le  second 

Juste.  fils  de  Henri,  duc  de  Guise.  Il  naquit 

(D)  // eut  plusieurs  enfans.]  le  5  de  Juin  l578,  et   P°rta  premiè- 

fils.  Vous  rement  'e  titre  de  prince  de  Join ville 


Je  ne  veux  parler  ici  que  des  fils 
verrez  ailleurs  (6)  ce  qui  concerne 
les  filles.  Le  prince  de  Joinville  ,  son 
fils  aîné  ,  mourut  à  Florence ,  le  7  de 
novembre  i63g  ,  en  sa  vingt -hui- 
tième année,  sans  avoir  été  marié 
(7).  Son  second  fils   s'appelait  Henri 


Il  se  signala,  en  i5o,6,  au  siège  de  la 
Fère  ,  et  en  1597,  à  celui  d'Amiens. 
Quelques  intrigues  de  cour,  qui  le 
brouillèrent  avec  le  roi ,  l'obligèrent 
d'aller  chercher  la  guerre  en  Hon- 
grie. Il  fut  créé  duc  de  Chevreuse  et 
J'en  parle  dans   l'article* suivant.    Le    Pair  de  France  au  mois  de  mars  1612, 


troisième  s'appelait  Charles-Louis  , 
et  porta  le  nom  de  duc  de  Joyeuse  , 
et  mourut  en  Italie,  sans  alliance,  le 
i5  de  mars  1637. Louis,  leur  frère,  prit 
alors  la  qualité  de  duc  de  Joyeuse  : 
il  était  né  l'an  1622.  Il  fut  grand 
chambellan  de  France ,  et  il  épousa 
à  Toulon,  au  mois  de  novembre  1649, 
Françoise-Marie  de  Valois,  fille  uni- 
que et  héritière    de  Louis  Emmanuel 


et  fait  chevalier  du  Saint-Esprit  le 
premier  de  janvier  1620.  Il  servit 
en  1621,  aux  sièges  de  Saint-Jean- 
d'Angeli  ,  de  Montauban  ,  etc.,  et 
lut  honoré  de  la  charge  de  grand 
chambellan  de  France  et  de  celle 
de  grand  fauconnier.  11  fut  successi- 
vement gouverneur  de  la  haute  et 
basse  Marche ,  et  d'Auvergne  ,  et  de 
Bourbonnais,  et  de  Picardie.  Il  épou- 
sa comme    procureur   du   roi   de   la 


e  Valois,  duc  d'Angoulême.  Il  mou- 
rut à  Paris  ,  le  27  de  septembre  1 654,  (Trande-Bretagne,  la   princesse   Hen- 
d'une  blessure  qu'il  avait  reçue  {en  riette-Mane  de  France,  l'an  1625,  et 
chargeant  un  parti  des  ennemis,  pro-  la  conduisit  en   Angleterre  avec  un 


(5)  Mczerai  ,  Abrégé  cliron.  ,  tom.  VI ,  pag. 
124.  Voyez  ci-dessous ,  dans  la  remarque  (G), 
ce  que  Marie  de  Médicis  disait  de  celle  action 
du  duc  de  Guise. 

(6)  Dans  la  remarque  (H)  de  Varticle  sui- 
vant. 

(7)  Anselme  ,  Histoire  des  grands  Officiers  , 
pag.  428. 


train  magnifique.    Il  se  trouva    au 

(8)  La  même. 

(9)  Là  même,  pag.  45ç),  460. 

(10)  Là  même  ,  pag,   460. 

(11)  Etat  de  la  France,    1680,  loin.   I ,  pag. 
m.  544. 

(121  Anselme,  Histoire  des   grands   Officiers  , 
pag.  428. 


4^ 


GUISE. 


siège  de  la  Rochelle,  en  1628.  Il  mou- 
rut d'apoplexie  à  Paris  ,  le  24  de 
janvier  1667,  sans  laisser  de  garçons. 

II  n'avait  eu  que  des  filles  (i3).  Il 
avait  épouse',  en  1622, Marie  de  Rohan, 
veuve  du  connétable  de  Luines  ,  et 
fille  aînée  d'Hercule  de  Rohan  ,  duc 
de  Mombazon  (1^).  C'est  cette  du- 
chesse de  Chevreuse  qui  fit  tant  par- 
ler d'elle  pendant  les  brouilleries  de 
la  cour  de  Louis-le-Juste ,  et  pen- 
dant la  guerre  civile  de  Paris,  sous 
Louis  XIV.  Le  cardinal  de  Richelieu 
la  fit  reléguer  ;  elle  se  sauva  en  Lor- 
raine ,  d'où  elle  passa  à  Bruxelles. 
Elle  eut  permission  de  rentrer  en 
France  après  la  mort  de  Louis  XIII , 
et  tarda  fort  peu  à  s'intriguer  ,  se- 
condée de  la  duchesse  de  Mombazon 
sa  belle-mère.  Nous  en  verrons  ci- 
dessous  (i5)  des  preuves.  Elle  avait 
stipulé  pendant  la  prison  des  prin- 
ces, que  sa  fille  serait  mariée  avec  le 
prince  de  Conti  (16).  Il  ne  s'en  fit 
rien. 

(F) et  une  autre  sur  le  cheva- 
lier de  Guise.  ]  Il  était  fils  de  ce  duc 
de  Guise  que  l'on  massacra  à  Blois,  en 
i588  ,  et  il  naquit  posthume  ,  et  fut 
nommé  François-Alexandre  Paris 
(17).  Il  tua  dans  les  rues  de  Paris  le 
baron  de  Lux,  le  5  de  janvier  i6i3  , 
et  au  bout  d'un  mois  il  tua  le  fils  du 
même  baron  ,  et  n'en  fut  aucunement 
inquiété  ni  par  la  cour  ,  ni  par  les 
juges  :  tant  était  grande  l'autorité  de 
cette  maison  !  L'écrivain  que  je  vais 
citer  nous  le  fera  bien  sentir  (18). 
«  Le  chevalier  de  Guise  et  le  baron 
j)  de  Lux  se  rencontrèrent  un  matin 
»  à  la  grande  rue  de  Saint-Honoré  , 
»  le  baron  à  pied  (19),  et  le  cheva- 
»  lier  à  cheval  ;  qui  mit  pied  à  terre, 
j>  et  dit  au  baron  qu'il  mît  la  main 
«  à  l'épée ,  en  tirant  la  sienne.  Le 
»  baron  ne  pensait  à  rien  moins ,  et 
»  ne  se  pouvait  imaginer  que  ce  fût 

(i3)    Tiré  dit  père    Anselme,    Histoire    des 
grands  Officiers  ,  pag.  458,  4%- 
04)  Là  même, 
(i5)  Dam  la  remarq.  (D)  de  l'article  suivant. 

(16)  Voyez  Priolo,  lib.  V,  cap.  XL;  et  lib. 
VI,  cap.  IV. 

(17)  Anselme,  Histoire  des  grands  Officiers, 
pag.  427. 

(18)  D'Audiguier,  vrai  et  ancien  usage  des 
duels  ,  pa«.  538. 

f  19)  I.e  continuateur  de  M.  de  Thou  ,  lib.  VI, 
init.     pag.  317  ,  et  le  Mercure   Français  ,   loin. 

III  ,  pag.  48,  disent  qu'il  était  en  carro>se. 


il    mit   toutefois 


bon    escient 
main  à  l'épée ,    mais  avec  peu 


d'effet  j  il  était  déjà  vieux,  et  hors 
d'escrime  depuis  long-temps,  pour 
se  battre  contre  un  jeune  prince 
qui  ne  faisait  que  sortir  des  exer- 
cices. Aussi  ne  lui  donna  le  cheva- 
lier qu'un  seul  coup  au  travers  du 
corps ,  dont  il  alla  tomber  dans 
la  boutique  d'un  cordonnier. Quant 
à  lui ,  il  remonta  froidement  à 
cheval ,  et  se  retira  le  pas  en  la 
grande  écuyerie  du  roi,  comme  s'il 
n'eût  rien  vu.  Ainsi  mourut  le  ba- 
ron de  Lux  ,  pour  s'être  vanté  , 
disait-on  ,  d'avoir  été  du  conseil 
de  Blois  contre  la  vie  du  duc  de 

Guise Il  avait  un  fils  de  même 

âge  que  le  chevalier  de  Guise  ,  qui 
reçut  la  nouvelle  de  cet  accident 
avec  la  juste  douleur  qu'un  fils 
unique  peut  ressentir  de  la  mort 
d'un  père Chacun  parlait  di- 
versement de  ce  qu'il  ferait ,  s'il 
était  en  sa  place ,  et  chacun  s'y 
fut  trouvé  bien  empêché.  Il  avait 
affaire  avec  un  prince  qu'il  fallait 
qu'il  tuât ,  ou  qu'il  en  fût  tué.  De 
le  tuer  ,  il  n'y  avait  pied  de  terre 
en  la  chrétienté  qui  lui  pût  être 
assuré  après  sa  mort  ;  et  d'être 
tué  aussi  par  celui  qui  avait  tué 
son  père  ,  ce  n'était  pas  satisfaire  à 
sa  passion.  D'en  tirer  plutôt  raison 

J»ar  justice  que  par  l'épée  ,  il  ne  le 
allait   pas    seulement   penser.   Le 
chevalier  était  en  l'hôtel  de  Guise, 
dont  il  n'avait  point  découché  ,  et 
où  personne  n'eût  osé  seulement 
l'aller  demander.  C'est  le  malheur 
des   gentilshommes  d'avoir  affaire 
contre  des   princes  ;  ce    sont    des 
vaisseaux    d'airain   contre   un  pot 
de  terre  ,   qui  ne  les  peut  choquer 
sans  se  rompre.  Le  roi  doit  pour- 
tant la  justice  à  tous  ses  sujets ,  et 
n'y    a   prince   qui    en   soit  exempt 
(20).»  Le  parti  que  prit  le  jeune 
aron  de  Lux  fut   d'appeler  en  duel 
le   chevalier  de  Guise.    Ce  cartel  fut 
porté  par  son  écuyer ,  qui  s'acquitta 
dignement  de  la  charge  que  son  maî- 
tre   lui  avait  commise.  L'action  était 
périlleuse  ;  car  s'il  eût  été  reconnu  , 
et,  qu'on  se  fût  tant  soit  peu  douté  du 
dessein  qui  le  menait ,  les  plus  hau- 
tes fenêtres  de  L'hôtel  de  Guise,  eus- 

(20}  D  Audiguier  ,  Usage  des  Duel? ,  pag.  5^o 


GUISE. 


401 


sent  été  trop  basses  pour  lui  ;  mais  il  toutes  ses  leçons  d'escrime ,  et  qui  en 
y  fut  si  matin,  que  tout  le  monder  un  mot  a  les  bras  et  les  jambes  fai- 
dormait  cncoiv.  Il  entra  dans  la  blés  ,  n'est-ce  pas  presque  la  même 
chambre  du  chevalier  plus  tôt  que  le  chose  que  si  deux  hommes  en  atta- 
jour ,  et  l'éveillant  de  la  part  du  ba-  quaient  un ,  ou  si  un  garçon  de  seize 
ronde  Lux,  le  supplia  très-humble-  ans  se  ruait  sur  un  garçon  de  dix 
ment,  etc.  (21).  Le  chevalier  se  ren-  ans?  L'autre  réflexion  serait  que 
dit  au  lieu  de  l'assignation,  et  tua  MAI.  de  Guise  étaient  bien  injustes 
son  ennemi ,  et  retourna  a  l'hôtel  de  sous  le  règne  de  Henri  IV  et  de  Louis 
Guise  oh  il  fut  visité  des  braves  de  XIII,  de  poursuivre  si  chaudement 
la  cour.  Plusieurs  vers  furent  faits  la  vengeance  de  l'exécution  de  Blois 
sur  ce  combat,  sous  le  nom  de  combat    sur  ceux   qui  y  avaient   eu  quelque 

part.  Ces  messieurs  avaient  obtenu 
une  amnistie  générale  de  toutes  leurs 
rébellions  ,et  tout  autant  de  bienfaits 
que  si  elles  eussent  été  de  grands 
services  rendus  à  leur  monarque.  Ne 
devaient-ils  pas  user  du  même  sup- 
port à  l'égard  de  ceux  qui  n'avaient 
fait  qu'exécuter  les  ordres  de  Hen- 
ri III,  ou  qui  ne  l'avaient  pas  dé- 
tourné d'une  entreprise  qu'il  jugeait 
très-nécessaire  à  la  conservation  de 
sa  couronne?  Ne  devaient-ils  pas  en- 
velopper   tout   cela    sous   l'amnîstî 


de  Paris  et  de  Lucidor,  pource  que 
le  chevalier  de  Guise  se  nommait 
Paris  (22).  Notez  que  les  poètes  se 
déclarèrent  pour  celui  qui  avait  vain- 
cu. Us  écrivirent  que  ce  prince  che- 
valier, 

Poussé  d'un  vif  ressentiment 
Avait  fait  passer  vaillamment 
Au  jil  d'une  juste  colère 
Celui-là  qui  s'éloil  vanté 
D'avoir  pu  (chère  vanité!  ) 
Empocher  la  mort  de  son  père  (a3). 


On  n'oublia  point  de  remarquer  l'in- 
égalité du  succès  dans  des  combats 

ou  la  justice  paraissait  semblable.  Si    §enerflc  T"  leiu'  «M*  *?  «tde?  Il  y 
le     chevalier   devait    vaincre    dans    aurait  encore  une  reflexion  a  faire  , 


le  premier  ,  parce  qu'il  cherchait 
la  vengeance  du  sang  de  son  père  , 
il  devait  être  vaincu  dans  le  se- 
cond ,  parce  qu'il  s'y  agissait  de 
faire  raison  au  fils  d'un  homme  qu'il 
avait  tué.  Et  néanmoins  le  sort  lui 
fut  aussi  favorable  dans  le  second 
que  dans  le  premier.  Ce  fut  une 
chose  qui  surprit  beaucoup  de  gens  , 
et  sur  laquelle  on  fit  beaucoup  d'at- 
tention. Alais  ,  communément  par- 
lant, ces  sortes  d'affaires  se  décident 
selon  le  plus  ou  le  moins  d'adresse 
et  de  courage  et  de  force  des  com- 
baltans ,  ou  par  le  concours  de  quel- 
ques causes  fortuites ,  et  non  pas  se- 
lon le  plus  ou  le  moins  de  droit.  Je 
ne  sais  si  l'on  s'avisa  de  faire  deux 
autres  réflexions  qui  se  présentaient 
naturellement.  L'une  est  qu'à  pren- 
dre les  choses  à  la  rigueur  ,  le  pre- 
mier combat  ne  fut  point  conforme 
aux  lois  de  la  bonne  chevalerie  :  car, 
qu'un  jeune  homme  frais  émoulu  de 
la  salle  d'armes,  et  préparé  au  duel  , 
attaque  un  vieillard  qui  ne  s'attend 
point  à  cela ,  et  qui  n'a  tiré  l'épée 
depuis   long-temps ,  et  qui  a  oublié 


(21)  Là  même,  pag.  5^2. 

(22)  Mercure  Français  ,  le 
(i'i)  Là  même,  pag.  4$. 

TOME  vi  r. 


III,  png.  5o. 


et  qui  regarderait  ceux  qui  déplo- 
rent si  amèrement  la  perte  qu'ils  di- 
sent que  les  princes,  et  les  grands 
seigneurs  de  France  ont  faite  de  leur 
autorité.  Le  pouvoir,  disent-ils,  est 
trop  réuni,  il  faudrait  qu'il  fût  par- 
tagé comme  autrefois.  Mais  pourquoi 
oublient-ils  donc  les  désordres  épou- 
vantables à  quoi  le  royaume  était 
exposé  lorsque  la  cour  était  faible 
sous  la  minorité  de  Louis  XIII  ? 
Souhaitent-ils  donc  le  retour  de  ces 
temps  prétendus  heureux  où  un  che- 
valier de  Guise  tuait  impunément 
dans  les  rues  de  Paris  un  homme  de 
qualité ,  et  n'avait  pas  seulement  be- 
soin d'en  faire  excuse  à  son  prince, 
ou  à  la  justice  du  royaume  ? 

Ce  chevalier  mourut  à  Baux  ,  en 
Provence  {i\) ,  un  an  ou  environ 
après  (25).  Il  mettait  le  feu  lui-même 
a  un  canon  qui  creva,  et  lui  emporta 

d'un  éclat  la    moitié  du  corps 

Etant  porté  dans  la  ville  il  Arles  le 
lendemain  de  sa  mort  ,  le  peuple  , 
crïant  et  gémissant  d'une  Jaçon. 
étrange  ,    arracha    les  clous   de    sa 

(24)  D'Audignier  ,  Usage  des  Duels  ,  pag. 
552. 

(26)  Ijà  même  ,  pag-  55o«  Le  père  Anselme  , 
Histoire  des  grands  Officiers  ,  pag.  427  ,  met  sa 
mort  au  Ier.  de  juin  i6i4- 

26 


4o2  GU 

bière  ,  décousit  le  drap  où  il  était 
enseveli ,  et  ne  trouvant  aucun  chan- 
gement en  son  visage  ,  en  fit  faire  un 
portrait  qui  fut  mis  en  leur  maison 
de  ville  ,  comme  un  avertissement 
aux  vivans  de  le  regretter ,  et  une  ex- 
hortation h  la  postérité  d'en  garder 
éternellement  la  mémoire.  Mais  ce 
qui  est  encore  plus  admirable  ,  les 
deux  premières  villes  delà  province  , 
Aix  et  Arles  ,  étant  entrées  en  jalou- 
sie de  ses  cendres ,  et  contestant  h  qui 
les  aurait  pour  avoir  l'honneur  de 
leur  donner  sépulture ,  ne  purent  être 
accordées  que  par  l'expédient  qu'on 
prit ,  de  donner  le  cœur  h  l'une  ,  et 
laisser  le  corps  a  l'autre.  Il  fut  regret- 
té pareillement  à  la  cour,  non-seule- 
ment de  ses  parens ,  mais  aussi  du  roi 
et  de  la  reine  sa  mère  ,  qui  furent 
visiter  monsieur  de  Guise,  et  le  con- 
soler jusqu'en  son  hôtel.  Mais  surtout 
madame  la  princesse  de  Conli ,  sa 
sœur  ,  en  fut  tellement  affligée  ,  que 
les  plus  belles  plumes  de  ce  temps 
s'employèrent  à  la  consoler  (26).  Vous 
voyez  là  un  grand  reste  de  l'idolâtrie 
où  les  catholiques  de  France  étaient 
tombés  pour  le  nom  île  Guise.  S'il  n'y 
avait  eu  que  les  personnes  qui  tra- 
vaillaient avec  une  vigilance  conti- 
nuelle à  vivre  chrétiennement ,  qui 
eussent  aimé  ce  nom -là ,  ce  grand 
fléau  des  huguenots,  la  surprise  d'un 
philosophe  serait  moindre  ,  mais  les 
plus  grands  idolâtres  en  ce  genre-là 
quelles  gens  étaient-ce  ?  Ceux  qui 
étaient  les  plus  adonnés  au  train  com- 
mun de  la  vie  ,  à  l'impudicité  ,  au 
vin  ,  au  jeu  ,  à  l'avarice ,  au  menson- 
ge ,  à  la  méfiance ,  à  l'envie.  Voilà 
les  gens  qui  pour  maintenir  la  pro- 
spérité temporelle  de  leur  religion  , 
et  pour  extirper  ce  qu'ils  appellent 
hérésie ,  poussent  le  zèle  au  delà  de 
toutes  bornes. 

(G)...  Sans  se  voir  exposé  pour  ce 
sujet  au  moindre  embarras.  ]  Cela  ré- 
sulte manifestement  de  la  narration 
que  j'ai  tirée  du  livre  du  vrai  et  an- 
cien Usage  des  Duels.  Mais  je  ne  veux 
point  abuser  de  ce  témoignage  sans 
examiner  ce  que  l'on  trouve  dans  Bas- 
sompierre  (27).  La  reyne  fut  extrê- 
mement courroucée  de  ce  que  le  che- 
valier de  Guise  avait  tué  le  baron  de 


ISE. 

Lux.  J  allay  au  niesme  temps  au  Lou- 
vre ,  ouje  la  trouvay pleurant,  ayant 
envoyé  quérir  les  princes  et  les  mi- 
nistres ,  pour  tenir  conseil  sur  cette 
affaire ,  qu'elle  avoit  infiniment  a 
cœur.  Elle  me  dit  lors  :  f^ous  voyez  , 
Bassompierre  ,  en  quelle  façon  on 
s'adresse  a  moy  ,  et  le  brave  procédé 
de  tuer  un  vieil  gentilhomme ,  sans 
deffense  ny  sans  dire  gare.  Mais  ce 
sont  des  tom^s  de  la  maison.  C'est  une 
copie  de  St.-Pol  (28)....  Le  conseil 
fut  assemblé  dans  l'autre  salle  oàj'ai- 
day  à  descendre  la  reyne ,  me  rencon- 
trant prez  d'elle.  On  murmura  fort 
de  cette  action  ,  et  chacun  fut  scan- 
dalisé de  ce  que  l'on  vint  dire  ,  qu'il 
y  avoit  grand  nombre  de  noblesse  as- 
semblée h  l'hostel  de  Guise,  et  que  M. 
de  Guise  devait  venir  trouver  la  reyne 
bien  accompagné.  Sur  cela  on  conseil- 
la a  la  reyne  d'envoyer  M.  de  Chas- 
teau-  Vieux  trouver  mondit  sieur  de 
Guise  ,  luy  défendre  de  venir  trouver 
la  reyne  ,  jusques  a  ce  qu'elle  luy 
mandast,  et  commander  de  la  part  de 
sa  majesté  h    toute   la    noblesse  ,  qui 

estait  allée  chez  luy ,  de  se  retirer 

(29)  M.  de  Chaste  au- Vieux  fit  ce  qui 
luy  estait  ordonné  ,  et  dit  au  retour  , 
que  quelques-uns  avaient  un  peu  fait 
les  difficiles  de  se  retirer ,  que  M.  de 
Guise  leur  avoit  fait  instance  de  soi'- 
tir,  puisque  la  reyne  le  commandoil. 
Et  comme  on  luy  demanda  ,  qui  es- 
taient ces  difficiles  ,  il  en  nomma  trois 
ou  quatre  ,  et  entre  autres  M.  de  la 
Rochefoucaut.  Alors  on  anima  la 
reyne  contre  luy ,  qui  moins  que  les 
autres ,  estant  maislre de  la garderob- 
be  du  roy ,  devoit  avoir  fait  refus  d'o- 
béir; et  sur  cela  il  fut  résolu  de  le 
chasser  de  la  cour.  Il  fut  aussi  résolu, 
que  le  parlement  scroit  saisi  de  celte 
affaire  ,  et  que  l'on  l'en  informerait. 
La  reyne  fut  aucunement  rappaisée 
par  la  prompte  obéissance  de  M.  de 
Guise  ,  et  de  ce  que  le  chevalier  estant 
venu  ,  après  avoit  tué  le  baron ,  a 
l'hostel  de  Guise  ,  M.  de  Guise  l'en 
avait  fait  sortir,  ette?iirla  campagne. 
Le  maréchal  de  Bassompierre  ajoute, 
que  M.  de  Guise  parla  h  la  reyne  avec 
tant  de  sousmissian  et  de  respect  , 
qu'il  la  remit  un  peu  ;  mais  que  ma- 
dame de  Guise  sa  mère parla  si  haut 


(16)  D'Audiguicr,  Usage  des  Duels,  pttg.  Soi. 
(27)  i:.i-si)iii|i    ,  (0/11,  /,  pag.  m.  27/},  275. 


(28)   Vuyez  ci-dessus  la  citation  (5). 
lao)  Bassoinp.,   Méra.  ,  loin.  I,pag.  27(1. 


GUISE. 


4o3 


i  la  reine  qu'elle  lafaschade  nouveau, 

que  M.  de  la  Rochefoucaut  eut  com- 
mandement de  s'en  aller  (3o)  ;  que  M  . 
de  Guise  se  jeta  clans  la  cabale  du 
prince  de  Condé ,  et  dit  en  parlant  de 
la  Rochefoucaut  :  «  Ouy  par  Dieu  il 
»  reviendra  ,  et  si  je  n'en  aurai  pas 
)>  obligation  à  la  reyne  (3i)  ;  m  que 
la  reine  fut  si  alarme'e  de  l'union  «lu 
duc  de  Guise  avec  le  prince  de  Condé, 
qu'elle  chargea  Bassompierre  d'offrir 
à  ce  duc  la  somme  de  cent  mille  es~ 
eus  comptant  ,  la  Ueutenanee  géné- 
rale de  Provence  pour  son  frère  le 
chevalier ,  la  réserve  de  l'abbaye  île 
Saint-Germain  pour  la  princesse  de 
Conti,  sa  sœur,  et  le  retour  de  la  Ro- 
cJiefoucaut  (3a)  ;  que  le  duc  de  Guise 
accepta  ces  offres  ,  et  promit  de  se 
détacher  de  la  cabale  (33).  Concluons 
par  ces  paroles  du  maréchal  de  Bas- 
sompierre (34)  :  «  Peu  de  jours  après 
»  le  jeune  baron  de  Luz  fit  appeller 
»  le  chevalier  de  Guise,  qui  le  tua. 
»  Je  vis  encore  une  chose  bien  estran- 
»  ge  des  changemens  de  la  cour  ; 
»  que  M.  le  chevalier  de  Guise  ,  qui 
»  pour  avoir  tue  le  père ,  la  reyne 
»  commanda  au  parlement  d'en  con- 
»  noistre  ,  d'en  informer  ,  et  de  luy 
»  faire  et  parfaire  son  procès,  à  moins 
■»  de  huit  jours  de  là  ,  après  avoir 
»  encore  de  surcroît  tue  le  (ils  du  dit 
»  baron  de  Lux  ,  la  reyne  l'envoya 
v  visiter  ,  et  sçavoir  comme  il  se 
»  portoitde  ses  blessures,  après  qu'il 
»  fut  de  retour  de  ce  dernier  com- 
>.  bat  (35)  «. 

Le  récit  de  ce  maréchal  semble 
contraire  à  ce  que  j'ai  dit  dans  la  re- 
marque précédente  ,  me  fondant  sur 
la  narration  du  sieur  d'Audiguicr  , 
dans  laquelle  on  ne  voit  rien  qui  in- 
sinue que  la  justice  se  soit  remuée  , 
ni  que  le  chevalier  de  Guise  ait  eu 
quelque  sujet  d'inquiétude  ;  mais  au 
fond,  on  peut  accorder  facilement  ces 
deux  récits.  Tout  ce  qu'on  peut  con- 
clure de  la  narration  de  Bassompierre 
est,  i°.  que  le  conseil  delà  reine  or- 
donna que  le  parlement  se  saisirait 
de  cette  cause  ;  20.  que  cet  ordre  sub- 
sista jusqu'à  ce   que  le  duc  de  Guise 

(3o)  Là  même  ,  pag.  2*7. 

(3i)  L'a  même,  pag.  281  ,  2S2. 

(32)  Là  même  ,  pag.  284. 

(33)  Là  même  ,  pag.  292. 

(34)  Là  même  ,  ya  ■; 

(35)  Là  même 


se  fût  agrège  a  la  cabale  de  M.  le  prin- 
ce. Mais  cet  intervalle  de  temps  fut  si 
Court ,  qu'il  y  a  beaucoup  d'apparen- 
ce que  les  procédures  du  parlement  ne 
fui  eut  point  commencées,  ou  qu'elles 
avancèrent  si  peu  que  presque  per- 
sonne n'en  ouït  parler;  de  sorte  que 
d'Audiguier  est  fort  excusable  de  n'en 
avoir  fait  aucune  mention.  Il  suppose 
que  le  chevalier  coucha  toujours  à 
l hôtel  de  Guise;  néanmoins  iJassom- 
pierre  assure  que  le  duc  l'envoya  à  la 
campagne.  Je  crois  que  le  duc  assura 
la  reine  qu'il  avait  tenu  cette  condui- 
te à  l'égard  du  chevalier  ;  mais  je 
m'imagine  pourtant  que  d'Audiguier 
ne  se  trompe  pas.  Le  duc  savait  bien 
qu'on  n'en  venait  pas  des  commissai- 
res chez  lui  pour  vérifier  si  le  cheva- 
lier y  était  encore.  Et  notez  que  tous 
les  auteurs  conviennent  que  le  cartel 
du  jeune  baron  de  Lux  fut  porte  à 
l'hôtel  de  Guise  au  lit  du  chevalier 
Celui-ci  donc  y  couchait;  et  par  con 
séquentson  absence  eût  été  bien  cour- 
te ,  posé  le  cas  qu'on  l'eût  effective 
ment  envoyé  à  la  campagne  ,  comme 
le  duc  l'assura.  Mais  ce  qu'il  y  a  de 
plus  digne  d'attention  ,  est  que  les 
récits  de  Bassompierre  témoignent 
encore  plus  clairement  que  ceux  du 
sieur  d'Audiguier  ,  les  horribles  con- 
fusions, et  les  désordres  épouvanta- 
bles à  quoi  la  France  se  voit  réduite 
lorsque  la  cour  n'a  pas  la  force  de  se 
faire  craindre.  C'est  le  vrai  moyen  de 
réfuter  ces  auteurs  démocratiques  , 
qui  dogmatisent  à  tout  propos  que  ces 
heureux  temps  sont  passés  où  la  puis- 
sance était  partagée  entre  le  monar- 
que et  les  grands  seigneurs.  0  le  beau 
siècle  d'or  que  celui  où  le  chevalier 
de  Guise  tuait  dans  un  mois  le  père  et 
le  fils  ,  et  ne  laissait  pas  d'obtenir 
des  lieutenances  générales  ;  et  où  Ton 
n'avait  qu'à  se  joindre  à  la  cabale 
d'un  prince  ,  pour  arrêter  tout  court 
les  procédures  de  la  justice  royale, 
et  se  faire  bien  payer  par-dessus  cela  ! 
Notez  qu'encore  que  Bassompierre  fût 
à  la  source  des  événemens ,  ce  n'est 
pas  à  dire  qu'il  rapporte  mieux  les 
petites  circonstances  des  faits  ,  que 
ne  les  rapportent  les  historiens  ordi 
naires.  Il  s'y  trompe  quelquefois  gros- 
sièrement. En  voici  un  exemple  :  il  ai 
met  (36)  ({ne  huit  jours  entre  la  mort 

(30)  Là  même 


4o4 


du  baron  do  Lux  le  père ,  cl  la  mort 
du  baron  de  Lux  le  fils.  Il  est  néan- 
moins certain  que  l'intervalle  fut  d'un 
mois. 

(H)  //  signala  son  adjvsse  dans  le 
carrousel....  ,  et  il  s'en  fallut  bien 
peu  qu'il  ne  remportât  le  prix  de  la 
course  de  la  bague.  ]  Je  commente 
ceci 


GUISE. 

Je 


était  celle  tics  chevaliers  du  so- 
eil  ,  et  avait  le  prince  de  Conti  pour 
chef  (38). 


(38)  Tiré  du  Mcrcuro   Françnis  ,  tum.   II, 
pag.  m.  536  ,  h  l'ann.  i6ia. 

GUISE   (Henri  de  Lorraine, 


non  pas  tant  pour  donner  des  DUC   DE  ) ,  fils  du  précédent ,  na- 

preuvesdece  que  j'avance,  que  pour  quit  le  4  d'avril  i6i4  (a) ,  et  fut 

avoir  lieu  de  rapporter  une  loi  qui  ]>un  des     ]us  Ra]ans      et  Vun  des 
s  observe  dans  cette  espèce  cl  exercices.       ,  1      ,.°     .  ,    „ 

»  Quand  il  y  a  dans  les  courses  de  plus  accomplis  seigneurs  de  Fran- 

3)  bagues  pareil  nombre  de  dedans  ,  ce  ,    bien   fait    de    sa  personne  , 

»  et  d'atteintes  ,  entre  quelques-uns  adroit  en  toutes  sortes   d'exerci- 

»  des  cavaliers,  ils  se  disputent  le  ces,  plein  d'esprit  et  de  courage. 

»  prix  entre  eux  en  recommençant  TI    1  lc      ,     .   *  .  ,     o 

,,  les  courses  iuscfu'à  ce  qu'un  seul  Jl  ne  faudrait  pas  ajouter  beau- 


courses  jusqu  a  ce  qu  un 
»  ait  l'avantage  ;   et  si  dans  le  même 
»  jour  l'égalité'  de  leur  adresse   les 
»  empêche  de  décider  l'honneur  des 
i>  courses  ,  toute  la  troupe  a  droit  de 
»  les   recommencer  une  autre  fois  , 
»)  comme  on  fit  au  grand  carrousel 
jj  du  feu   roi  ,   auquel  messieurs  le 
3>  duc  de  Vendôme  ,    les  comtes  de 
j,  Saint-Agnan  et  de  Montrevel,  et  les 
3>  barons  de  la  Chastaigneraye  et  de 
»  Fontaines  Chalandray  furent  égaux, 
3)  ayant  chacun  de  trois  courses  deux 
»  dedans  :  ce  qui  les  obligea  à  recou- 
3>  rir  trois  fois ,  et  se  trouvant  encore 
j,  égaux  ,  comme  par  leur   avantage 
j)  ils  avaient  fait  perdre  aux  autres  la 
3)  prétention  du  prix,  par  leur  éga- 
3)  lité   propre  ils   la  perdirent   eux- 
3>  mêmes  ,  f^lon  les  lois  de  ces  cour- 
«  ses ,  qui  en  pareil  cas  en  remettent 
3)  tout  le  droit  à  la  dame  qui  donne 
3>  le  prix.  Ainsi  les  courses  ayant  été 
j)  remises  à  une  autre  fois  ,  la  bague 
3)  demeura  en  dispute  entre  monsieur 
3>  le  chevalier  de  Guise  ,  le   marquis 
)>  de  la  Valette  ,   et   le  marquis  de 
»  Rouillac,  qui  tous  trois  mirent  de- 
»  dans  en  toutes  leurs  courses  ,  telle- 
3)  ment qu'illeurfallut recommencer, 
)>  et  le   chevalier  de    Guise  avec  le 
»  marquis  de  la  Valette  n'ayant  fait 
»  que  deux  dedans  ,  lc  prix  demeura 
j)  au  marquis  de  Rouillac,  qui  fit  des 
»  dedans  en  toutes  ses  courses  (87).  » 
Le  chevalier  de   Guise  fut  de  la  pre- 
mière troupe  des  assaillans  dans  ce 
carrousel  ,   et   il   se    donna  le  nom 
d' Olivanle    de     Loro.     Cette    trou- 


(37)  Ménestrier 
carrousels  et  antre: 


Traité  ries  tournois  ,  jofites  . 

spectacles  |>iiMics  ,  /<«£.  3o/|. 


coup  d'inventions  à  son  histoire 
pour  la  faire  ressembler  à  un 
roman.  Il  fut  destiné  à  l'église, 
et  pourvu  d'un  très-grand  nom- 
bre d'abbayes  (A) ,  eu  nommé  mê- 
me à  V archevêché  de  Reims  {b)  : 
«  mais  s'étant  engagé  par  pro- 
»  messe  de  mariage  avec  la  prin- 
»   cesse  Anne  de   Mantoue  (B), 

»   le cardinal  de  Richelieu 

»  trouva  moyen  de  le  priver  de 
»  tous  ses  bénéfices  :  ce  qui 
»  l'occasiona  de  se  retirer  à 
»  Bruxelles,  où  il  épousa  la  com- 
»  lesse  de  Bossu  (C) ,  qu'il  laissa 
»  peu  après  ,  et  revint  en  Fran- 
»  ce.  Etant  tombé  en  une  se- 
»  conde  disgrâce,  il  se  retira 
»  à  Rome,  où  il  fit  travailler  à  la 
»  dissolution  de  son  mariage.  Ce 
»  fut  de  là  qu'il  se  transporta  à 
»  Naples  pour  y  commander  les 
»  années  du  peuple  ,  où  peu 
»  après  il  fut  fait  prisonnier  et 
»  mené  en  Espagne  (c).  »  Voilà 
ce  qu'on  dit  de  lui  dans  un  livre 
quifut  imprimé  à  Paris,  l'ani65^. 
Celte  narration  a  besoin  de  sup- 

(a)  Anselme  ,  Histoire  des  grands  Officiers, 
pag.  A6o. 

(I>    Idem  ,  ibid  ,  pag.  !\(>o. 

(<■)  L  Kini  de  la  France  ,  pag.  -r>3  ,  e'dit  de 
Pans  ,  i6ï)7. 


GUISE.  4o5 

plément  :  il  y  faut  joindre  que  le  vèrent  et  le  demandèrent  pour 
duc  de  Guise  eut  part  au  traité  chef.  Il  accepta  leurs  proposi- 
que  le  comte  de  Soissons ,  le  duc  tions,  et  partit  le  1 3  de  novembre 
de  Bouillon  ,  et  quelques  autres  1647  ('*)•  Ijes  obstacles  qu'il  lui 
mécontens  conclurent  avec  l'Es-  fallut  vaincre  pour  entrer  dans 
pagne  (d)  ;  qu'il  fit  un  voyage  Naples  (1) ,  furent  de  telle  na- 
public  à  Bruxelles  pour  plus  ture,  que  la  Calprenède  ni  Scu- 
grande  sûreté  de  ce  traité;  qu'il  déri  n'ont  jamais  peut-être  rien 
fut  mis  en  justice  comme  crimi-  inventé  qui  fût  plus  digne  d'un 
nel  ;  qu'il  fut  condamné  par  con-  aventurier  de  roman.  Ce  duc  fut 
tumace,  le  6  de  septembre  164 1,  reçu  du  peuple  de  Naples  avec 
et  qu'il  fit  son  accommodement  au  une  joie  extraordinaire  ;  et  l'on 
mois  d'août  i6/(3  (e)  ;  qu'au  bout  ordonna,  le  17  de  novembre, 
de  quelque  mois  il  se  battit  en  qu'il  serait  appelé  généralissi- 
duel  avec  le  comte  de  Coligni(D);  me  des  armes,  et  défenseur  de 
et  que  cette  querelle  vint  d'un  la  liberté,  avec  les  mêmes  hon- 
différent  où  madame  de  Longue-  neurs  dont  jouissait  le  prince 
ville,  fille  du  prince  deCondé,  se  d'Orange  en  Hollande,  sous  la 
trouva  mêlée.  Il  sortit  victo-  protection  du  roi  très-chrétien(k). 
rieux  de  ce  combat ,  et  n'en  crai-  Il  trouva  beaucoup  de  difficultés 
gnit  pas  beaucoup  les  suites  ,  dans  l'exercice  de  celte  nouvelle 
quoique  cette  action  fût  un  duel  dignité  ,  et  il  donna  beaucoup 
dans  toutes  les  formes  ,  et  qu'elle  de  jireuves  de  son  esprit  et  de 
se  fût  passée  au  milieu  de  la  pla-  son  courage  ;  mais  la  fortune  lui 
ce  Royale  ,  et  qu'il  eût  contre  lui  fut  contraire  :  la  cour  de  France 
une  partie  des  princes  du  sang,  ne  pouvant ,  ou  ne  voulant  l'as- 
Ces  circonstances  et  plusieurs  sister,  il  ne  put  se  maintenir;  et 
autres,  et  les  informations  que  il  se  vit  obligé  à  faire  des  tenta- 
le  parlement  de  Paris  commen-  tives  périlleuses  où  il  succomba, 
ça  de  faire  faire  à  la  requête  du  et  perdit  sa  liberté.  Il  tomba  en- 
procureur  général  du  roi  (  f) ,  tre  les  mains  des  ennemis  qui  le 
n'empêchèrent  point  que  le  duc  transportèrent  en  Espagne  ,  où  il 
de  Guise  ne  se  montrât  en  public  ,  fut  détenu  prisonnier  assezlong- 
et  n'allât  faire  la  campagne  de  temps.  Il  fut  mis  en  liberté  au 
l'année  suivante  (g)  au  siège  de  mois  d'août  i652  (/),  à  la  solli- 
Gravelines  ,  sous  M.  le  duc  d'Or-  citation  du  prince  de  Condé  (m), 
léans.  Il  ne  faut  pas  néanmoins  et  l'on  croit  que  la  cour  d'Espa— 
douter  que  cette  aventure  ne  fût  gne  y  consentit  d'autant  plus  fa- 
la  principale  cause  du  voyage  cilement ,  qu'elle  espéra  que  le 
qu'il  fit  quelque  temps  après  au  ducde  Guise,  retournant  en  Fran- 
delà  des  monts.  Il  était  à  Rome  ce  ,  y  exciterait  desbrouilleries  et 
lorsque  les  Napolitains  se  soûle-  (/|)  Galeazzo  Gualdo  Priorato>  Histoire 

des  révolutions  de  Naples,  liv.  Il,  pag.  m.  72. 

(il)  Me'moires  de  Montresor  ,  pag.  36f).  (j)  Là  même ,  pag.  73  et  suif. 

(f)  Le  père  Anselme  ,  Histoire  des  grands  (k)  Là  même,  pag.  74. 

Officiers,  pag.  460.  (/)  Le  père  Anselme,  Histoire  des  grands 

{/)  Sarravius  ,  epist,  T.V  ,  pag,  m   53.  Officiers  ,  pag.  !\Qo. 

(g)  En  1644.  [m)  Voyez  la  remarque  (E), 


406  ^  GUISE. 

des  factions  (n).  Tout  le  monde  femmes.  On  dit  que  celles  qui 
a  cru  que  la  cour  de  France  né-  l'aimaient  pouvaient  connaître  à 
gligea  de  l'assister,  parce  qu'elle  l'émotion  de  leur  cœur,  et  sans 
ne  souhaitait  pas  qu'il  affermît  le  voir,  s'il  était  présent  (F).  11 
son  autorité  dans  le  royaume  de  mourut  de  maladie  à  Paris,  le  2 
Naples,  et  qu'elle  jugeait  qu'il  de  juin  1664  (p) ,  et  fut  porté  à 
était  plus  de  son  intérêt  que  les  Joinville ,  pour  y  être  mis  au 
liabitans  de  ce  pays-là  fussent  tombeau  de  ses  ancêtres  (G).  Il 
au  pouvoir  des  Espagnols,  que  ne  laissa  point  d'enfans  :  tous  ses 
s'ils  devenaient  sujets  de  la  mai-  frères  étaient  morts;  ses  deux 
son  de  Lorraine.  Le  duc  de  Guise,  sœurs  sont  mortes  depuis  sans 
étant  de  retour  en  France,  ne  avoir  été  mariées  (H).  On  publia 
songea  point  à  des  cabales  qui  ses  mémoires  l'an  1668.  M.  l'ab- 
pussent  accommoder  les  affaires  bé  de  Gallois  en  fit  l'éloge  (q). 
du  prince  de  Condé  :  il  s'occupa  Voyez ,  tome  V,  l'article  de  Cé- 
beaucoup  plus  de  galanteries;  et   risantes. 

s'il  entreprit  Une  expédition  pour        (p)  Anselme>  Histoire  des  grands  Officiers  , 

tâcher  de  se  rétablir  dans  Naples   pag.  460. 

(E),  ce  fut  plutôt  Une  affaire  W  f"** Journal  des  Sa  vans,  du  12.de 
,,  '  '  .         l      ,  1  .  ,.       novembre  iOOo. 

d  ostentation  qu  un  dessein  soli- 
de. Cela  n'aboutit  à  rien.  On  lui  (A)  Il fut... pourvu  d'un  très-grand 

1 1      ,i.__„  j„  „„„„A  M,„„,  nombre  d'abbayes.   1  De  celles    «    de 

donna  la  charge  de  grand  cnani-  c  •  ,.  r»     •    '  -a  J       j   c  •  f  k„ 

.     ,°  .         o  ))  àaint-Denis  en  franco,  de  saint-ne- 

bellan,  qui   était  vacante  depuis  „  my  je  Reims,  de  Saint -Nicaise  , 

la  mort  du  duc  de  Joyeuse  ,  son  •»  de  Saint-Pierre  de  Corbie  ,  de   Fé- 

frère  (o).  Il  fut  choisi,  en  i656  ,  »  camP>  du  Mor\t  Saint-Michel    de 

11  j  *  J~  i„    -„-„~  >'  Saint-Martin  de   Pontoise  ,   dur- 

pour  aller  au-devant  de  la  reine  ^  camp  ?  de  Chambon?  et  d;  Mon_ 

de  buede,  qui  venait  en  France  :  „  tirandé    (  1  ).   »   Il  possédait  cinq 

on  ne  pouvait  pas  faire  un  choix  cent  mille  livres  de  rente  en  bénefî- 

pïus  judicieux  ;  car  jamais  hom-  ces ,  si  l'on  en  croit  l'auteur  de  l'État 

1  r   .       1  „  „   1    •  de  la  France  (2) ,  imprime'  Fan  1607. 

me  ne  lut  plus  propre  que  lui  w  .  „      ,-,  <,.■/  t    *i„™„.,„ 

r  r     r        t.    .  JNotez  qu  il  était  encore  entant  lorsque 

pour  de  semblables  commissions,  cet  immense  revenu  ,  la  dépouille  de 
et  pour  toutes  les  choses  où  il  deux  riches  cardinaux,  commença  de 
fallait  de  la  pompe  et  de  la  ma-  ]ui  appartenir   II  recueillit  en  ji6i5 

a  ti  j.      '  x.     J*      la  succession  du  cardinal  de  Joyeuse  , 

gmficence.    Il   parut   extraordi-  onde  desamèrej  eten  l6ar>  c^le  du 

nairement  dans  le  fameux  car-  cardinal  de  Guise  son  oncle.  C'est  ce 
rousel  de  l'an  1662.  Il  y  fut  chef  que  j'ai  lu  dans  le  président  de  Gra- 
de la  quadrille  des  Mores.  Il  mond  (3) ,  qui  observe  que  le  cardi- 
f.  ...  t  j  nal  tle  triusc  jouissait  de  cent  mille 
était  ne  pour  cette  espèce  de  écus  de  rente ,  qui  furent  donnés  par 
journées  et  de  spectacles,  et  il  le  roi,  au  jeune  abbé  de  Fécamp. 
méritai  t  plus  qu'homme  du  mon-  (B)  Iljut  engagé  par  promesse  de 
de  d'avoir  vécu  au  temps  des  mariage  avec  la  princesse  Anne  de 
...  ,  x  ,  Manloite.  JNous  allons  citer  un  au- 
tournois  ,  et  au  siècle  des  pala-  tem.  qui  j  \iien  loin  de  dirc  que  cet 

dins.  On  conte  une  particularité  engagement  fut  cause  qu'on  ôta  au 
bien  singulière   touchant  le  don      ,  .  .     .        .....      ,  ,   nat . 

q  .  .  (1)  Anselme,    Histoire    des  grands   Olhciers  , 

qu  il  avait  de  se  faire  aimer  clés  vnz-  4fi°- 

(2)  A  la  iiaçr  53. 
n    I  oyez  la  même  remarqueÇS).  (3)  Gramond.,  Hisior.  Gall.,  lib.  f  III 

e     trrtvée  Pan  l65!j  „,.  /,,>-  ,  ad  ann,  1621 


duc  ses  bénéfices ,  assure   qu'il  s'en 

était  défait  avant  que  de  s'engager  à 

ce  mariage.  «  Ce  prince  ,  étant  le ca- 

»  det  de  sa  maison  ,  fut  destiné  à  l'é- 

»  glise  et  fait  archevêque  de  Reims  : 
.    r__i_  i <.  j /•„.'. :i ur.i 


GUISE.  407 

riage  :  le  duc  lui  jura  qu'il  ne  sou- 
haitait tien  avec  tant  de  passion  ,  que 
de  passeï'  le  reste  de  sa  vie  avec  une  si 
aimable  personne  ,  et  qu'il  ne  tiertdrail 
qu'a  elle  de  le  mettre  a  l'épreuve.  La 


»  après  la  mort  de  son  frère  il  se  délit  comtesse  le  prenant  au  mol  lui  repai 

»  de  ses  bénéfices,  et  voulut  se  marier  lit  qu'elle  verrait  bientôt   si  ses  ]>>•<>- 

»  avec  Anne  de  Gonzague  ,  sœur  de  testations  étaient  sincères,  puisqu'elle 

»  la  princesse  Marie,  dont  nous  avons  avait  dans  sa  maison  un  notaire  et  un 

»  parlé.  Le  cardinal  de  Richelieu  ,  prêtre  pour  les  jnarier.   Le  duc  foi 

»  voyant  cette  alliance  contraire  au  surpris  de  ce  discours  ;   mais  il  n'en 

»  bien   de  l'état  ,  employa  l'autorité  fit  pas  semblant ,  et  crut  pouvoir pas- 

»  du  roi  pour  l'empêcher ,  et  fit  met-  ser  carrière  sans  rien  hasarder,el  ren 


dre  la  comtesse  la  dupe  de  son  propre 
artifice  ,  puisqu'un  mariage  de  cette 
nature,  dépourvu  des  formalités  pres- 
crites par  les  canons,  et  fait  sans  le 
consentement  du  roi  ,  ne  pouvait  sub- 
sister. Lacomlesse,  voyant  le  dite  dis 
-,  et  passa  à  Bruxelles,  où  posé  a  faire  ce  qu'elle  désirait ,  fil 
les  autres  exilés  (4)  »•  entrer  Mansèle  ,    aumônier  de  l'ar- 

mée ,  qui  leur  donna  la  bénédiction 
nuptiale  ,  et  les  dispensa  de  la  publi- 
cation des  bans  ,  comme  s'il  avait  eu 
la  même  autorité  que  V archevêque  de 
Malines.  Le  duc  passa  la  nuit  dans 
cette  superbe  maison  avec  sa  nouvelle 
épouse,  a  qui  il  témoigna  tant  d'amour 
qu'elle  demeura  contente  de  l'Jieureux 
succès  de  ses  desseins.  Le  lendemain  il 
s'en  retourna  chez  lui  après  avoirprié 


»  tre  cette  princesse  dans  uucouvent. 
»  Le  duc  de  Guise  ,  au  désespoir  de 
>>  voir  sa  passion  traversée  ,  sortit  du 
»  royaume  et  se  retira  à  Cologne  ,  où 
»  sa  maîtresse  levinttrouveren  habit 
»  d'homme;  mais  il  l'obligea  à  s'en 
»  retourner, 
»  il  trouva 

(C)  Il  épousa  la  comtesse  de  Bossu.  ] 
La  duchesse  de  Chevreuse  ,  qui  était 
alors  à  Bruxelles,  fit  connaître  au  duc 
de  Guise  cette  comtesse  (5)  ,  qui  était 
une  jeune  veuve ,  d'une  humeur  douce 

et  enjouée On  la  mit  d'une  partie 

où  le  duc  de  Guise  se  trouva  ,  et  elle 
lui  fit  tant  d  avances  ,  qu'il  ne  put 
s' empêcher  d'y  répondre.  Il  est  vrai 
que  de  peur  quelle  (6)  ne  jugeât  mal 


de  sa  conduite ,  elle  luiparla  d'abord  la  nouvelle  duchesse  de  trouver  bon 
de  mariage ,  et.  le  duc  lui  témoigna 
ne  désirer  lien  tant  que  d'unir  sa  des- 
tinée a  la  sienne  ,  jnais  en  des  termes 
qui  marquaient  assez  qu'il  ne  songeait 
qu'à  se  divertir  pendant  'son  exil. 
Quoique  la  comtesse  eût  pénétré  ses 
intentions  ,  elle  ne  fit  pas  semblant  de 
s'en  être  aperçue  ,  espérant  de  l'en- 
gager plus  facilement  par  sa  feinte 
ingénuité.  Un  jour  elle  le  mena  à  une 


que  leur  mariage  demeurât  secret , 
jusqu'à  ce  qu'il  eut  obtenu  l'agrément 
de  la  cour  et  de  sa  famille.  Quelque 
soin  qu'on  eilt  pris  de  déroberait  pu- 
blic la  connaissance  de  cette  aventure, 
elle  ne  laissa  pas  de  venir  aux  oreilles 
du  duc  d!  Elbeuf  et  de  la  duchesse  de 
Chevreuse  ,  qui  la  reprochèrent  au 
duc  de  Guise  comme  la  dernière  lâ- 
cheté. Le  respect  qu'il  avait  pour  les 


belle  maison  qu'elle  avait  a  une  lieue    dames  l'empêcha  de  s  emporter  contre 

la  duchesse  ;  mais  il  se  brouilla  sijor- 
tement  avec  le  duc  d' Elbeuf ,  qu'ils 
auraient  tiré  l'épée  ,  si  l'archiduc  ne 
les  avait  accommodés.  Lorsque  le  duc 
de  Guise  eut  perdu  l' espérance  de  se 
venger  par  les  armes  ,  il  chercha 
d'autres  moyens  pour  donner  du  cha- 
grin aux  deux  personnes  qui  l'avaient 
offensé  ,  et  crut  n'en  pouvoir  tixiuver 
de  meilleur  que  de  mener  la  comtesse 
chez  lui  et  la  traiter  publiquement 
comme  sa  femme.  Ce  fut  aussi  le  parti 
qu'il  prit  ,  et  il  vécut  toujours  depuis 
en  bonne  intelligence  avec  elle,  tant 
qu'il  demeura  à  Bruxelles.  L'auteur 
qui  raconte  tout  ceci  suppose  que  1< 


de  Bruxelles  ,  et  lui  donna  tous  les 
divertissemens  qu'on  pouvait  prendre 
dans  cette  saison  ,  qui  était  la  plus 
agréable  de  l'année.  Le  duc  ne  put 
s' empêcher  de  lui  en  témoigner  sa  re- 
connaissance ,  et  de  lui  parler  d'amour 
h  son  ordinaire.  La  comtesse  lui  dit 
que  s'il  était  aussi  amoureux  qu'il 
voulait  le  lui  persuader ,  il  montrerait 
plus  d' empressement  pour  leur  ma- 

(4)  Intrigues  galantes  de  la  Cour  rie  France  , 
loin.  II,  pag.  inçj  ,  édil.  de  i6ç)5. 

(5)  La  même,  pag.  180. 
(G)  Il  y  a  qu'elle  comme  ici,  dans  V  édition  dr 

16Ô4  ;  mai'  je  ne  ilvate  point  qu'il  rtr  faille  lii  e 
qu'il. 


4o8 


GUISE. 


duc  de  Guise  ne  travailla  à  faire  casser 
son  mariage  qu'alin  d'avoir  la  liberté' 
d'épouser  la  demoiselle  de  Pons.  Ser- 
vons«ous  encore  de  ses  termes  (7). 
«  Comme  le  duc  de  Guise  ne  pouvait 
3)  épouser  mademoiselle  de  Pons  qu'il 
),  n'eût  fait  casser  son  mariage  avec 
3)  la  comtesse  de  Bossu ,  il  résolut 
33  d'aller  à  Rome  pour  en  poursuivre 
»  la  dissolution  devant  le  tribunal  de 
»  la  Rote.  L'action étaitdéjà  intentée, 
»  et  la  duchesse  de  Guise,  sa  mère,  y 
«  avait  envoyé  un  gentilhomme  pour 
3>  cet  eilet  :  mais  lorsqu'elle  eut  appris 
»  l'amour  de  sou  fils  pour  mademoi- 
m  selle  de  Pons  ,  elle  avait  mandé  à 
m  son  agent  de  ne  plus  poursuivre. 
3)  Le  duc  partit  enfin  ,  et,  après  avoir 
j)  essuyé  plusieurs  périls  sur  mer  , 
»  arriva  heureusement  à  Florence  , 
3>  et  obligea  le  grand-duc  à  écrire  en 
»  sa  faveur  à  Innocent  X  ,  qui  venait 
»  d'être  élevé  au  pontificat  :  lorsque 
3>  ce  prince  fut  arrivé  à  Rome  ,  il  fut 
»  fort  bien  reçu  du  pape  ,  qui  même, 
»  à  sa  prière  ,  accorda  le  chapeau  au 
»  frère  du  cardinal  Mazarin.  Le  duc 
3)  de  Guise  avait  espéré  que  ce  service 
3)  c  ngagerait  ce  premier  ministre  à 
3>  favoriser  son  dessein  ;  mais  ,  bien 
3)  loin  de  cela  ,  l'ambassadeur  de 
3)  France  eut  ordre  de  le  traverser.  » 
Notez  qu'il  n'y  a  pas  fort  long- 
temps qu'on  a  remué  tout  de  nouveau 
la  question  de  la  validité  de  ce  maria- 
ge du  duc  de  Guise  et  de  la  comtesse 
de  Bossu.  Les  nouvelles  publiques 
ont  débité  qu'à  Fiome,  la  Rote  l'a  dé- 
claré valable  (8)  ;  mais  que  le  parle- 
ment de  Paris  a  décidé  le  contraire. 
C'est  donc  encore  une  matière  de 
procès,  yidhuc  sub  judice  lis  est. Sou- 
venons-nous que  le  maréchal  de  Bas- 
sompierre  rapporte  que  le  duc  de 
Guise,  qui  mourut  en  1640,  avait  fort 
pdty  dans  sa  famille  par   la  perte 

de  ses  deux   enfans et  par  la 

mauvaise  conduite  du  troisième  qui 
ne  vivait  pas  selon  sa  profession  (g). 
Celui  que  ce  maréchal  nomme  le 
troisième  fils  de  ce  duc  de  Guise, 
était  le  second,  et  l'amant  de  la  com- 

(7)  Intrigues  galantes  de  la  Cour  de  France  , 
loin.  //,  pag.  234. 

(8)  Voyez  le  Mercure  liistor.,  defe'vrier  1700, 
pag.  i83  ;  mais  surtout,  voyez  la  remarque  (C) 
de  V article  suivant. 

(f))  Basssompierje ,  Journal  de  sa  Vie,  page 
dernière. 


tessc  de  Bossu,  et  ce  jeune  galant 
chargé  de  tant  d'abbayes  qui  vivait 
d'une  manière  si  éloignée  de  celle  que 
doivent  tenir  ceux,  que  l'on  destine 
ù  la  prélature. 

(D)  Il  se  battit  en  duel  avec  le 
comte  de  Coligni.]  Cette  affaire  fit 
beaucoup  de  bruit;  et  je  suis  per- 
suadé que  mes  lecteurs  seront  bien 
aises  d'en  trouver  ici  le  détail.  C'est 
un  des  grands  exemples  du  désordre 
que  les  jalousies  et  les  galanteries 
du  sexe  ont  accoutumé  de  produire. 
On  peut  se  fier  au  récit  que  je  rap- 

Ï)orte  ;  car  ,  quoiqu'il  soit  pris  d'un 
ivre  dont  l'auteur  ne  se  nomme 
pas  ,  et  qui  se  trompe  quelquefois , 
et  qui  brouille  souvent  les  aventu- 
res ,  sans  se  soucier  guère  d'éviter 
les  anachronismes  ,  il  a  été  bien  in- 
struit du  fait  dans  cette  occasion  ,  et 
il  le  donne  presque  tout  tel  que  l'a 
donné  M.  de  la  Barde,  historien  très- 
exact  (10).  «  (i  1)  La  duchesse  de  Che- 
3)  vreuse  s'imaginant  que  M.  le  prince 
3;  était  la  principale  cause  de  la 
3)  détention  du  duc  de  Beaufort  et 
3)  de  la  disgrâce  de  Châteauneuf ,  ré- 
3)  solut  de  s'en  venger.  Quoique  les 
3)  dames  se  flattent  toujours  en  ma- 
33  tière  de  beauté,  son  miroir  lui 
33  avait  dit  déjà  plusieurs  fois  que 
3)  ses  charmes  à  demi  effacés  avaient 
3>  besoin  d'une  personne  plus  jeune 
33  qui  fortifiât  son  parti,  et  elle  ne  fut 
3>  pas  obligée  d'en  chercher  hors  de 
»  sa  famille.  La  fille  de  la  comtesse 
3)  de  Vertus,  que  le  duc  de  Mont- 
3>  bason  ,  son  père,  avait  épousée  , 
3»  était ,  comme  nous  avons  déjà  dit, 
»  la  plus  belle  personne  de  France  ; 
3)  d'ailleurs  elle  avait  un  secret  dé- 
3j  pit  contre  la  sœur  de  monsieur  le 
33  prince ,  qui  ayant  épousé  le  duc 
3)  de  Longueville  ,  lui  avait  enlevé 
3>  un  amant  ;  et  ainsi  il  ne  lui  fut  pas 
3>  malaisé  de  la  faire  entrer  dans 
3)  son  sentiment.  Le  duc  de  Guise, 
»  qui  depuis  son  retour  s'était  dé- 
«  claré  pour  cette  belle  duchesse  , 
»  engagea  tous  les  princes  lorrains  à 
»  embrasser  son  parti  ;  outre  qu'ils 
»  y  semblaient  déjàportés  parla  con- 
»  sidération  du    duc  de  Chevreuse  , 


(10)  Voyez  le  IIe.  livre  de  Rébus  gallicis  His- 
toriarum  Joannis  Labardaù  ,  pag.  71  et  sequent. 

(11)  Intrigues  galantes  de  la  Cour  de  France, 
loin.  If,  pag.  ?.zti  et  ruM'. 


GUISE. 


4°9 


quittait  de  la  même  maison (12). 
Ces  deux  dames,    s 'étant  étroite- 
ment unies  ,   résolurent   de  com- 
)  mencer  leur    vengeance  en  atta- 

>  quant  la  re'putation  de  madame  de 

>  Longuevdle.    Elles  publièrent  les 
»  lettres   que  cette    princesse   avait 

>  e'erites  au  duc  de  Beaufort,  et  qu'il 

>  avait  sacrifiées  à  la  duchesse  de 

>  Montbason  ;   elles  en    supposèrent 
9  même    d'autres     qu'elles    disaient 

avoir  e'té  e'erites  par  madame  de 
Longueville  à  Coligni.  La  princes- 
se de  Conde',  ayant  su  que  la  du- 
chesse de  Montbason  avait  semé 
ce  bruit,  en  témoigna  beaucoup  de 
ressentiment  ,  et  engagea  tous  ses 
amis  à  lui  aider  à. en  tirer  raison. 
Cette  querelle  partagea  toute  la 
cour  ,  et  fit  craindre  à  la  reine 
qu'elle  ne  renouvelât  les  anciennes 
haines  des  maisons  de  Bourbon  et 
de  Guise.  Ces  deux  partis  étaient 
assez  égaux  ,  parce  que  le  duc 
d'Orléans ,  qui  avait  épousé  une 
femme  de  la  maison  de  Lorraine  , 
s'était  déclaré  pour  madame  de 
Montbason  ,  et  ainsi  ce  différent 
pouvait  avoir  des  suites  fâcheuses. 
Quoique  la  reine  eut  intérêt  d'em- 
pêcher que  le  duc  d'Orléans  ne 
demeurât  trop  uni  avec  le  prince 
de  Condé,  de  peur  que  leur  auto- 
rité ne  fît  préjudice  à  la  sienne  ; 
néanmoins,  comme  il  y  avait  encore 
plus  de  danger  à  leur  laisser  pousser 
leur  ressentiment  jusques  à  la  der- 
nière extrémité  ,  elle  travailla  à 
les   accommoder.  Elle   obligea    la 

Srincesse  de  Condé  et  la  duchesse 
e  Longueville  à  recevoir  la  satis- 
faction de  madame  de  Montbason  , 
et  cette  duchesse  alla  déclarer  aux 
deux  princesses  ,  en  sa  présence , 
qu'elle  n'avait  point  eu  de  part  à 
ces  bruits,  et  qu'elle  les  désavouait. 
Les  deux  princesses  témoignèrent 
aussi,  comme  il  avait  été  convenu, 
qu'elles  voulaient  bien  le  croire , 
puisque  madame  de  Montbason  le 
disait  :  il  fut  stipulé  par  le  même 
accommodement  ,  que  cette  du- 
chesse éviterait  toutes  les  occasions 
de  se  rencontrer  avec  les  deux 
princesses  ,  ce  qu'elle  n'observa 
pas  dans  la  suite.   La  duchesse  de 


C11)  Voyet  la  remarque  (F)  de  l'article  prt 
'dent. 


»  Chevreuse  ayant  convié  la  reine  à 
»  une  collation  qu'elle  lui  avait  fait 
»  préparer  dans  la  maison  de  Renard, 
»  auprès  de  la  porte  de  la  Conférence, 
»  mena  sa  belle-mère  pour  lui  aider 
»  à  en  faire  les  honneurs.  La  reine 
»  s'était  fait  accompagner  par  la 
»  princesse  de  Condé,  qui,  voyant  la 
»  duchesse  de  Montbason  ,  voulut  se 
»  retirer  ;  mais  la  reine  la  retint,  et 
»  pria  cette  duchesse  de  s'aller  pro- 
»  mener  ailleurs  pour  l'amour  d'elle, 
»  ce  qu'elle  fit  de  si  mauvaise  grâce 
»  qiielareineendcmeurafortirritée  j 
»  même  lorsqu'elle  fut  de  refour  au 
»  Palais-Royal,  elle  lui  fit  porter  par 
»  Guénégaud  ,  secrétaire  d'état ,  un 
J>  ordre  de  se  retirer  incessamment  à 
»  sa  maison  de  Rochefort.  Cette  que- 
»  relie  sembla  être  terminée  par  l'é- 
»  loignement  de  la  duchesse  ;  mais 
»  Coligni,  qui  ne  se  croyait  pas  ven- 
u  gé  de  ce  qu'on  l'avait  voulu  com- 
»  mettre  avec  la  maison  de  Bourbon, 
»  dont  il  avaitThonueiir  d'être  allié , 
■»  fit  appeler  le  duc  de  Guise  par  le 
)>  marquis  d'Estrades.  Le  duc  ac- 
»  cepta  le  défi  ,  et  prit  pour  son 
»  second  le  marquis  de  Bridieu.  Ce 
»  combat  fut  à  la  place  Royale  ,  et 
»  l'avantage  demeura  tout  entier  au 
»  duc  de  Guise,  qui  désarma  son 
m  ennemi  après  l'avoir  blessé  dan- 
»  gereusement  ,  et  alla  ensuite  sépa- 
»  rer  les  seconds,  qui  s'étaient  battus 
»  avec  beaucoup  de  courage ,  sans  ' 
»  avoir  eu  aucun  avantage  l'un  sur 
»  l'autre.  Ce  combat  donna  beaucoup 
j>  de  réputation  au  duc  de  Guise  et 
»  aurait  augmenté  la  considération 
m  que  sa  maîtresse  avait  déjà  pour 
»  lui  ,  s'il  avait  persisté  dans  cet  en- 
»  gagement  ,  mais  son  cœur  prit 
»  d'autres  impressions  peu  de  temps 
»  après  (i3).» 

Notez  que  M.  de  la  Barde  met  ce 
duel  à  l'an  1644  >  ct  qu'il  assure  que 
les  deux  seconds  s'cutre-blessèrcnt 
considérablement  (i4).  Mais  M.  Sar- 
rau, dans  une  lettre  qu'il  écrivit  peu 
de  jours  après  cette  action  ,  assure 
que  M.  d'Estrades  ne  fut  point  bles- 

(i3)  77  veut  dire  que.  le  duc  de  Guis»  devint 
amoureux  de  mademoiselle  de  Pons  ,Jilte  d'hon- 
neur de  la  reine. 

(i4)  Estrada  alque  Brideus  qui  unà  cum  his 
aller  alteri  social  aecertabant ,  ambo  vulnerali 
graviter,  eorum  qui  his  intervenir»  operâ  quo- 
min'us  aller  aliénait  necaret,  prohibiti  snnt. 
Labardxus,  'le  Rcbus  g»  11.  ,pag<  r^. 


410  GUISE. 

se  (1 5),  et  que  le  combat  se  lit  le  12  Coligni  ,  le  congédiât  5  et  411e  ce 
de  décembre  i643.  Groti us  s'accorde  pauvre  comte  s'était  retiré  chez  un 
à  cela  quant  au  temps  ;car,  dans  une  ministre  (17).  Il  mourut  de  chagrin 
lettre  (16)  ,  qu'il  écrivit  de  Paris  le  (18)  cinq  mois  après  le  combat  (19)  *. 
19  de  décembre  1643  ,  il  raconte  On  ne  saurait  faire  de  solides  ré- 
qu'il  y  avait  huit  jours  que  le  duc  de  flexions  sur  ce  duel,  sans  donner 
Guise  et  le  comte  de  Coligni  s'étaient  beaucoup  d'éloges  à  la  prudence  avec 
battus  en  duel.  Il  observe  une  cir-  laquelle  le  grand  cardinal  de  Riche- 
constance  que  M.  Sarrau  a  omise  ,  lieu  mit  hors  du  royaume  la  duchesse 
c'est  que  le  comte  fut  désarmé.  Il  de  Chevreuse.  Les  dames  qui  abusent 
est  surprenant  que  M.  Sarrau  ait  de  leur  beauté  et  de  leur  esprit  pour 
omis  cela  :  une  nouvelle  de  cette  na-  se  fourrer  dans  les  intrigues  d'état 
ture  et  d'un  tel  éclat  peut-elle  être  sont  la  peste  d'une  cour  ;  on  ne  sau- 
eçrite  sans  qu'on  l'accompagne  d'une  rait  s'en  délivrer  avec  trop  de  promp- 
circonstance  aussi  essentielle  que  l'est  titude  :  il  faut  le  plus  tôt  qu'on  peut 
de  marquer  si  l'un  des  combattans  les  faire  servir  d'ornement  dans  les 
vainquit  l'autre ,  ou  s'ils  furent  se-  pays  étrangers.  Si  la  duchesse  dont  je 
parés  sans  qu'aucun  d'eux  eût  eu  du  parle  eût  continué  de  demeurer  à 
pire?  Il  faut  reconnaître  ici  l'effet  Paris  après  la  conjuration  de  Chalais, 
des  passions.  M.  Sarrau ,  en  qualité  de  son  amant  favorisé  (20) ,  elle  eût  fait 
bon  protestant ,  avait  beaucoup  de  souvent  des  siennes.  Nous  voyons 
chagrin  de  la  victoire  du  duc  de  qu'elle  fut  à  peine  revenue  en  France  , 
Guise.  Le  comte  de  Coligni,  iils  aîné  qu'elle  jeta  les  fondemens  de  ce  mal- 
du  maréchal  de  ChiUillon  ,  descen-  heureux  combat  qui  fit  périr  le  comte 
dait  de  l'amiral  de  Coligni  en  ligne  de  Coligni  ,  jeune  seigneur  qui  eut 
directe  :  il  était  de  la  religion  ,  et  il  pu  rendre  bien  des  services  à  la  cou- 
semblait  que  sa  querelle  fût  comme  ronne  :  combat  encore  où  M.  d'Es- 
un  renouvellement  de  l'ancienne  ini-  trades  pouvait  être  tué  ,  lui  dont 
mitié  des  Guises  et  des  Chatillons.  l'esprit  et  l'épée  étaient  capables  de 
Tout  cela  faisait  que  M.  Sarrau  eût  s'employer  très-utilement  au  bien  pu- 
souhaité  de  tout  son  cœur  l'avantage  blic  du  royaume  ,  comme  il  a  paru 
de  ce  comte  dans  ce  combat.  Il  ne  dans  la  suite  ,  et  à  l'armée  ,  et  au  ca- 
voyait  son  désavantage  qu'avec  cha-  binet ,  par  des  actions  militaires  , 
grin  :  il  aurait  voulu  se  le  cacher  à  par  des  ambassades  importantes, 
soi-même ,  et  ,  ne  le  pouvant ,  il  le  Suivez  à  la  trace  le  duel  du  duc  de 
cachait  pour  le  moins  aux  autres.  Guise  et  du  comte  de  Coligni ,  vous 
Voilà  pourquoi  il  n'en  parla  point  en  trouverez  la  source  dans  l'ambi- 
dans  la  lettre  qu'il  écrivit  à  Sau-  tion  de  la  duchesse  de  Chevreuse, 
maise.  C'est  ainsi  que  le  cœur  de  qui  employa  comme  un  instrument 
1  homme  se  tourne  dans  les  nouvelles  la  jalousie  d'une  autre  duchesse.  Ces 
désagréables.  On  fait  ce  qu'on  peut  deux  dames,  parfaitement  d'intelli- 
pour  ne  les  pas  croire,  et  si  l'on  n'a  gence  quoique  l'une  fût  la  belle- 
pas  la  force  de  se  tromper,  ni  celle  mère  (21)  de  l'autre  ,  concertèrent  un 
de  soutenir  qu'elles  sont  fausses  ,  on  récit  qui  flétrissait  la  réputation 
s'épargne  à  tout  le  moins  la  violence  d'une  princesse  du  sang.  Voilà  l'ori- 
qu'il  faudrait  se  faire  au  cas  qu'on 

les  avouât  nettement,   ou   qu'on  les  (ll)  Sarravius,  epist.  LVII,  pag.  55. 

apprît  à  ceux  à  qui  elles  ne  sont  pas  (,8)  C<>""'"'I  mmroreti  twdio  vitamJinivU. 

connues.  M.  Sarrau,  que  lcrues  jours  Pr;°'"V  hh,'  "' Ï"P'     rv   a      .        hw 

,        ,      .    .     x             »     1           1       »j_«'o  (j„\  burlafin  de  mai  il>44-  Anselme,  Histoire 

après,  écrivit  a  son  ami  que  le  prince  cies  grands  Officiers,  VaS.  244. 

de  Condé avait  VOlllu  absolument  que  *  Joly  dit  que  la  Barde  et  l'auteur  de  la  Pe- 
lé duc  d'Enghien  ,  qui  avait  donné  ritable  Vie  d' Anne  Geneviève  de Bourbon ,  du- 
retraite  dans  sa  maison  au  comte  de  fi^ZXlA'fàÏÏ™^ 

dont  il  mourut  trois  jours  après. 

(  i">)  S.olus  S /radius  invulneratus  recessit.  Sar-  (20)  Voyez  le  Ministère  du    cardinal   de   Ri- 

ravius,  epist.  LV,   pag.  53,  edit.    Ukraj.  Sa  clielicu ,  tom.  I,  pag.  3io  et  $i<] ,  et  l'Histoire 

lettre  est  dalc'e   de   Paris,  le  18   de  décembre  du    même    cardinal,    imprimée  h  Amsterdam  , 

ii>43-  ''w)4>  tum-  '1  PaS-  3°3. 

(16)  Grotius  ,   c|iist,    MDCXXX,    fan    II,  (ai)  Novcrca  ,  marâtre  ,  titre   d'inimitié  en- 

pag.  7'Ç).  core  plus  grand  que  celui            - 


GUISE.  /,n 

gine  de  ce  duel.  Un  complot  qui  eut  la  manière  dont,  la  cour  de  France 
une  telle  suite  ferait  horreur  quand  témoigna  son  ressentiment  à  la  du- 
meme  on  n'y  considérerait  que  cela,  chesse  de  Chevreuse,  au  temps  del'af- 
Mais  si  l'on  vient  à  découvrir  par  faire  de  Chalais.  Les  uns  disent  qu'on 
quels  motifs  de  vengeance  cette  ma-  relégua  en  Lorraine  cette  duchesse, 
chine  fut  faite  ,  on  se  trouve  beau-  C'est  l'expression  dont  se  sert  l'au- 
coup  plus  saisi  de  fre'missement.  Fut-  teur  de  l'Histoire  du  cardinal  de  Ri- 
co par  tendresse  pour  son  mari ,  fut-  ehclieu ,  imprimée  à  Amsterdam  ,  l'an 
ce  pour  le  venger  d'une  injure  qu'il  i6g4  (23).  Le  président  de  Gramond 
eût  soufferte  en  son  honneur,  que  dit  simplement  que  cette  dame  pour- 
l'on  répandit  un  conte  désavantageux  vut  à  sa  sûreté  par  la  fuite  ,  et  que 
à  la  duchesse  de  Longueville? Hélas!  la  considération  de  son  sexe  avait 
non  :  ce  fut  par  un  tout  autre  désir  empêché  qu'on  ne  la  mît  en  prison, 
de  vengeance;  l'honneur  du  mari  en  II  ajoute  que,  si  on  l'eût  emprisonnée, 
soutirait  de  plus  en  plus ,  bien  loin  l'on  eût  rendu  un  très-grand  service 
d'être  réparé.  Une  dame  mariée  se  au  public ,  soit  au  dedans  ,  soit  au 
voulait  venger  de  ce  que  cette  du-  dehors  du  royaume  ,  vu  qu'elle  de- 
chesse  ,  ayant  épousé  M.  le  duc  de  vint  la  perturbatrice  de  presque 
Longueville  ,  l'avait  privée  de  son  toutes  les  cours  de  l'Europe.  Fugd 
galant.  Pour  tirer  raison  de  cette  of-  item  consulit  sibi  ducissa  Caprusii 
fense,  on  tint  des  discours  qui  eurent  muhis  rea  nominibus  :  sexiîs  jragi- 
entre  autres  suites  un  fameux  duel  litas  ,  et  veneratio  ihhibuerant  nuper 
dont  l'histoire  s'est  chargée  :  et  voilà  quominus  et  ipsa  in  carcerem  trahe- 
par  quel  endroit  la  belle-mère  et  la  retur  :  certè  magnum  erat  Galliœ  , 
belle-fille  ont  acquis  l'immortalité  j  magnum  principibus  externis  ab  eu 
car  on  lira  leur  conduite  autant  que  detenlione  beneficium  ,  auctrice  pas- 
dureront  les  écrits  des  historiens  sim  in  res  novas  intra  et  extra  Gal- 
français  du  règne  de  Louis  XIV.  Il  y  liant  cd  fœmind  ,  aularumque  ferme 
a  des  gens  qui  croient  que  le  véri-  totd  Europd  omnium  perturbatrice  , 
table  mérite  d'une  femme  est  de  cou-  quod  suo  infr'a  loco  reddemus  (24). 
vrir  si  sagement  sous  le  voile  de  la  Le  véritable  détail  est  de  dire  que 
modestie  ses  plus  grandes  qualités  ,  d'abord  on  lui  commanda  de  se  re- 
qu'elles  ne  puissent  servir  de  ma-  tirer  de  la  cour,  qu'ensuite  on  la  fit 
tière ,  ni  aux  auteurs  ,  ni  même  aux  garder,  mais  non  pas  si  exactement 
conversations  (22).  Cette  morale  est  qu'elle  ne  trouvât  le  moyen  de  sortir 
bien  rigide  ,  trop  peut-être  ,  et  il  n'y  hors  du  royaume.  Per  dijficilia  re- 
a  point  d'inconvénient  à  la  mitiger,  ginœ  tempora  hanc  diligentissimè  co- 
et  à  soutlrir  qu'une  dame  ait  l'ambi-  luerat  ,  atque  obseiv avérât  (Rohana 
tion  d'être  placée  dans  le  temple  de  Mombasona)  atque  ed  causa  et  Ludo- 
mémoire  ,  et  dans  les  écrits  d'un  his-  vico  XIII  et  hichelio  incisa  ,  auld 
torien.  Mais  il  faudrait  qu'elle  n'eût  puisa  ,  in  custodiam  conjecta  .  pos- 
ai vue  que  les  auteurs  qui,  comme  tremb  fugd  sibi  considère  ,  atque  in 
Valère  Maxime  ,  font  un  catalogue  des  Hispanid,  et  Belgio  exulare  coacta 
plus  grands  exemples  de  piété  ,  de  fuerat  (25).  M.  de  la  Barde  qui  dit 
chasteté  ,  d'amour  conjugal,  de  cha-  cela  a  raison  de  remarquer  qu'elle 
rite,  de  constance,  etc.  C'est  là  qu'on  devint  odieuse  à  Louis  XIII  ;  car  on 
pourrait  légitimement  briguer  une  lit  dans  les  Mémoires  de  M.  de  la 
place  :  mais  de  tenir  une  conduite  Rochefoucaut  (26) ,  que  les  raisons 
qui  ne  peut  que  procurer  éternelle-  qui  rendaient  irrésolue  la  reine  sur 
ment  un  mauvais  renom  dans  quel-  le  retour  de  madame  de  Chevreuse  . 
que  coin  de  l'histoire  ,  ou  dans  les  était  une  clause  particulière  de  la  de  - 
plus  longs  chapitres  de  la  chronique 
scandaleuse,  c'est  en  vérité  un  dés-  (23)  A  la  pa.e  3o3  da  /e.-.  tome  t  a  /'„„„. 

ordre     qui  mérite  toute  l'indignation      »6a6.    Voyez  aussi  le  Ministère  du   cardinal  de 

que  le  cœur  de  l'homme  puisse  con-    Richelieu,  10m.  T,pas.  3xg. 

cevoir.  (54)  Gramond  ,   Hist.   gall. ,   lib.    XVI,  pag. 

Au  reste,  il  y  a  des  variations  sur  '"^  Lab"  rd«us,  '  Hisl    de  Rébus  gall.  ,  lib 

(12)  Voyez  la  remarque  (0)  de  l'article  Jo-  '!<  init.,pag.  -1 

riTH  ,  tom.  f'UT.  (î6)  /'«."   "'•  '  t 


412  GU 

claration  ,  et  une  aversion  étrange 
que  le  roi  avait  témoignée  contre  elle 
en  mourant. 

Cette  dame  mourut  au  mois  d'août 
1679,  dans  sa  soixante  et  dix-neu- 
vième année  (27). 

(E)  II  s'occupa  beaucoup  plus  de 
galanteries  ,  et  il  entreprit  une  expé- 
dition pour  tâcher  de  se  rétablir  dans 
IVaples.]  Cette  expe'dition  fut  faite 
l'an  i65^.  Le  duc  se  rendit  maître  de 
Castel  -  à  -  Mare  ,  et  la  perdit  peu 
après  (28).  Rapportons  un  passage  de 
Priolo,  où  nous  apprendrons  que  la 
liberté  du  duc  de  Guise  ne  servit  de 
rien  aux  Espagnols ,  ni  au  prince  de 
Conde.  Gidsius  ante  paucos  annos 
dux  eleclus  reipublicœ  IVeapolitanœ, 
et  inler  sœvos  tumultus  captus  ac  de- 
ductus  in  Hispaniam  ,  nunc  libertate 
donatur,  id  maxime  procurante  Con- 
dœo.  Iberica  fuit  vafrities  ,  Guisium 
Galliœ  redonare ,  et  Condœo  conce- 
dere  ;  ut ,  qui  avorum  non  immemor, 
posset  rursiis  moliri  nova  ,  et  ciere 
turbas.  At  oblilus  donatœ  libertatis  , 
et  Condœi  négligeas  ,  choreas  et  has- 
tiludia  cogitavit.  Rursiis  ah  eo  tenta- 
tum  iler  IVeapolilanum  ostentuifuit , 
renovaturum  in  animo  levi  spes  acci- 
sas  per  vanum  ludibrium.  IVullus 
mortalium  tant  vana  concepit ,  éditas 
atavis  ,  qui  tant  grandia  ,  tant  solida 
captabant  (29).  M.  de  la  Barde  rap- 
porte i[ue  la  reine-mère  avait  con- 
senti à  l'e'change  que  les  Espagnols 
avaient  propose  :  ils  avaient  offert  de 
relâcher  le  duc  de  Guise  ,  pourvu 
que  la  France  leur  rendît  tous  les 
prisonniers  de  leur  parti.  Us  se  ravi- 
sèrent peu  après,  et,  dans  l'espérance 
que  le  duc  de  Guise  serait  un  puis- 
sant instrument  entre  les  mains  de 
M.  le  prince  de  Conde ,  pour  fo- 
menter bien  des  troubles  dans  le 
royaume ,  ils  le  relâchèrent  à  la 
prière  de  ce  prince.  Mais  ,  dès  que 
le  duc  se  vit  en  Fiance ,  il  déclara 
qu'ayant  reçu  des  Espagnols  un  si 
rude  traitement ,  il  ne  ferait  rien  en 
leur  faveur,  ni  pour  te'moigner  sa 
reconnaissance  au  prince  ,  pendant 
qu'il  le  verrait  dans  leurs  intérêts  ; 

(27)  Mercure  Gaiant ,  août  1G79  1  PaS-  I21  » 
édition  de  Hollande. 

(28)  Anselme  ,  Histoire  de»  grands  Officiers, 
pag.  461. 

(•.•())  l'riolus,  lib.   VIII,   cap.   V, pag.  m, 

3|2." 


1SE. 

que  s'il  l'en  voyait  séparé ,  il  n'y 
avait  rien  qu'il  ne  voulût  faire  pour 
son  service.  Il  trouva  d'ailleurs  qu'il 
était  fort  redevable  à  la  reine-mère 
qui  lui  avait  fait  l'honneur  de  con- 
sentir que ,  pour  le  ravoir,  on  ren- 
voyât aux  Espagnols  quatre  mille 
Srisonniers  dont  quelques-uns  étaient 
es  gens  d'importance  (3o).  Quoiqu'il 
en  soit ,  il  s'attacha  plus  à  faire  l'a- 
mour qu'a  faire  la  guerre.  Il  revint 
a  Paris  ,  plus  amoureux  de  made- 
moiselle de  Pons  qu'il  ne  l'avait  été 
avant  sa  prison  ,  et  il  résolut  de  l'é- 
pouser (3i)  ;  mais  ,  ayant  su  qu'elle 
lui  était  infidèle  ,  il  la  traita  fort  in- 
dignement :  il  lui  fil  même  un  procès 
et  lui  demanda  en  justice  des  pen- 
dans  d'oreilles  estimés  cinquante  mil- 
le écus  ,  et  une  riche  tapisserie  qu'il 
lui  avait  donnée  ;  mais  il  n'en  eut 
pas  le  succès  qu'il  s'en  était  pro- 
mis ••  la  perte  de  son  procès  redoubla 
sa  colère  ,  et  il  résolut  de  l'aller  in- 
sulter dans  sa  maison  (32).  Elle  en  fut 
avertie,  et  se  garantit  de  l'insulte. 
Elle  se  retira  quelque  temps  après 
hors  du  royaume.  Le  duc  de  Guise 
ayant  appris  son  départ  (33),  s'em- 
barqua sur  la  flotte  du  roi ,  pour 
faire  un  second  voyage  a  IVaples  (34). 
Etant  revenu  en  France  ,  il  fut  amou- 
reux de  mademoiselle  de  Gorce ,  qui 
l'aima  de  meilleure  foi ,  et  qui  après 
sa  mort  se  relira  dans  le  couvent  des 
Carmélites',  où  elle  prit  l'habit  (35). 
Tout  ceci  nous  montre  ,  que  s'il  a  été 
un  héros  ,  ce  n'a  pas  été  selon  les 
idées  de  Corneille  ,  mais  selon  celles 
de  Racine  et  de  Quinaut.  C'était,  un 
héros  toujours  amoureux  (36)  ,  et  qui 
ressembla  quelquefois  à  celui  de  l'E- 
néide :  il  jouit  de  tous  les  privilèges 
de  mari,  il  laissa  croire  à  sa  maîtresse 
qu'elle  était  sa  femme  ,  et  il  ne  pré- 

(3o)  Tire  de  M.  de  la  Barde ,  lib.  X ,  pag. 
■;5G  ,  ad.  ami    i652. 

(3i)  Intrigues  galantes  de  ta  Cour  de  France  , 
pag.  i5i. 

(32)  Im  même  ,  pag.  ï53. 

(33)  Lii  mente  ,  pag.  254. 

(34)  Notez  qu'il  publia  ,  pour  se  disculper  , 
une  relation  de  cette  chétive  expe'dition.  Vous  lu 
trouverez  dans  un  Recueil  historique  de  diverses 
pièces,  imprime'  en  Hollande,  in -12,  l'an 
1CG6. 

(35)  Intrigues  galantes  de  la  Cour  de  France  , 
paç;.  ?5S. 

(36)  Voyez  la  Vie  de  Henriette  Sylvie  de  Mo- 
lière ,  part,  I,  pa:;.  m,  55,  56,  et  part  II,  p"J- 

16a  ,  iC3. 


GUISE. 


4i3 


tendait  pas  néanmoins  qu'elle  le  fût. 
La  voilà  semblable  à  Diclon  (37)  ;  le 
voilà  semblable  à  Enée  (38).  Ne  disons 
pas  pour  cela  que  ses  aventures  soient 
héroïques  :  il  n'y  a  rien  là  qui  ne  se 
voie  souvent  parmi  les  bourgeois  ,  et 
parmi  les  gentilshommes  ordinaires. 
(F)  On  dit  que  les  femmes  qui  l'ai- 
maient pouvaient  connaître sans 

le  voir  s'il  était  présent.}  Je  ne  don- 
ne pas  cela  pour  une  chose  cer- 
taine ,  je  me  contente  de  rapporter 
ce  que  j'ai  lu.  Ces  deux  amans, 
c'est-à-dire  le  duc  de  Guise  et  la  com- 
tesse de  Bossu  ,  devaient  bien  s'aimer, 
et  je  suis  surprise  que  leur  amour 
ait  fini  plus  tôt  que  leur  vie-  Ils 
avaient  un  pressentiment  secret  , 
qui  les  avertissait  de  leur  arrivée  , 
long-temps  avant  qu'ils  se  vissent  ; 
et  jugez,  s'il  vous  plaît ,  madame  ,  si 
ce  pressentiment  était  juste.  Le  duc 
était  devenu  jaloux  du  comte  de  ***, 
qui  en  effet  était  fort  amoureux  de  la 
comtesse,  et  qu  on  sait  avoir  été  un 
des  hommes  du  monde  le  mieux  faits . 
Elle  ne  l'aimait  point;  et  quoiqu'on 
ait  voulu  en  dire  ,  Angélique  m  a 
juré  que  madame  de  ***  aimait  uni- 
quement le  duc  de  ***.  Mais  il  n'é- 
tait pas  aussi  persuadé  de  son  bon- 
heur qu'il  aurait  dû  l'être;  et  rece- 
vant tous  les  jours  des  avis  que  son 
rival  était  fort  assidu  et  fort  passion- 
né ,  il  résolut  de  l'examiner  sans  en 
être  aperçu,  et  vint  pour  cela  incog- 
nito à  Bruxelles.  (  hi  >  faisait  alors 
de  grandes  réjouissances  pour  la 
naissance  d'u:i  prince  qui  était  né 
en  Espagne  ,  qui  fut  nommé  Balla- 

zarÇiC)) «  Le  duc  e'tant  arrive' 

»  sut  que  plusieurs  jeunes  seigneurs 

(87)  Nec  jam  furlivum  Dido  med.iUU.ur  timo- 
ré m  : 

Conjugùim  vocat ,  hoc  prtetexil  notnine  cul- 
pam. 

Virgil. ,  Mn. ,  lib.  IV,  vs.  17!. 

(38) Nec  conjugis  unquiim 

Prœlcndi  tœdas  ,  aul  hœc  in  fœlera  veni. 
Id.  ,  ib.,  m.  338. 
Voyez  ci-dessus  ,  remarque  (B)  de  l'article  de 
Gir.nACUE,  un  duc  de  Nemours  et  une  demoi- 
selle de  Rohan  ,  flans  un  cas  pareil  à  celui  du 
duc  de  Guise  et  de  la  comtesse  de  Bossu. 

(3rj)  Cette  chronologie  est  fausse  ;  cardon 
Baltazar  naquit  en  îfog  :  le  duc  de  Guise  n'a- 
vail  alors  que  quinze  ans  ;  et  mitez  que  le  père 
Anselme,  à  la  page  ^i  de  ton  livre  du  Palais 
de  l'Honneur,  dit  qu'il  épousa,  au  mois  de  dé- 
cembre iGJi,  Honorine  .le  Bcr^lics,  fille  du 
comte  de  Giiinbcrglie ,  veuve  d'Albert  Maximi- 
li.in  île  Hennin  ,  comte  (le  Bossu. 


du  pays  faisaient  une  mascarade 
d'Indiens,  et  allaient  déguises  de 
cette  sorte  chez  madame  de  Cante- 
croix ,  où  il  devait  y  avoir  une 
très-grande  assemblée  :  il  se  fait 
apporter  un  de  ces  habits  ,  et  n'eut 
pas  beaucoup  de  peine  à  les  voir  ; 
car  il  n'y  avait  point  d'ordre  de 
les  cacher.  Il  en  commande  un 
tout  semblable  ;  et  se  mêlant  par- 
mi la  troupe  de  ces  gens  masques, 
il  entre  avec  eux  dans  la  salle  où 
on  dansait.  Il  vit  madame  de  *** 
plus  belle  à  ses  yeux  qu'il  ne  l'a- 
vait jamais  vue,  et  monsieur  le 
comte  de  ***  auprès  d'elle;  car  il 
y  était  toujours  dans  les  assemblées, 
et  elle  ne  pouvait  l'en  empêcher', 
à  cause  du  respect  qu'on  devait  à 

sa  qualité Sitôt  que    le  duc 

entra  ,  la  comtesse  sentit  cette  cer- 
taine émotion  que  sa  présence  avait 
accoutumé  de  lui  donner.    Elle  ne 
put    la  croire  trompeuse  ;  et  mal- 
gré que  son  amant  lui  avait  écrit 
d'un  voyage  supposé  ,  elle  le  cher- 
cha curieusement  parmi   les   mas- 
ques ,    et  fit  si   bien  qu'elle  le   dé- 
couvrit. Cela  fit  fort  éclater   leurs 
affaires;  car  l'amante,  dans  la  pre- 
1  mière  joie  de  le  revoir,  ne  put  dis- 
,  simuler  ses  sentimens  ;   et  l'amant 
1  fut  aussi  si  transporté,  qu'il   011- 
!  blia  les  raisons  qu'il  avait   de  ca- 

1  cher    encore  son  amour J'ai 

,  vu  une  lettre  originale  du  duc  , 
,  sur  cet  effet  de  la  sympathie,  qui 
.  était  à  mon  gré  une  des  plus  belles 

>  lettres  qu'on  puisse  écrire.   Il  s'y 

>  plaignait  de  l'excès  de  son  bonheur  : 
)  car  il  avouait  bien  que  c'en  était 
i  un  fort   grand,    que   d'être    ainsi 

deviné  par  sa  maîtresse.  .Mais  il 
disait  que  cela  lui  ôtait  le  plaisir 
de  voir  ce  qui  |e  passait  dans  son 
cœur,  sans  qu'elle  eût  cnvii  de 
le  lui  montrer.  Ces  sortes  Se  de'- 
«  couvertes  étaient  à  son  gré  une 
des  plus  parfaites  joies  qu'un 
amant  pût  sentir;    et  rien   ne    lui 

paraissait  plus   touchant  pour  

âme  délicate,  que  ces  épanchemens 
de  tendresse  et  de  sincérité  ,  où 
l'art  et  la  précaution  ne  peuvent 
être  soupçonnés  d'avoir  aucune 
part  (4o).   )• 

(4o)  Vie    de    Henriette   Sylvie  de  Molière, 
VI*.  pari  ,  pag.    i5i   et   tuiv. ,   e'dil.  de  Hol- 

lande  ,  rG-/f. 


4.4 


GUISE. 


(G)  Il  fut  pointé  a  Joinville  pour  y  né.  Ils  sont  encore  en  bon  nombre, 
être  mis  au  tombeau  de  ses  ancêtres.  ]  et  dans  un  état  florissant.  Si  l'on  fait 
J'ai  dit  ailleurs  (4>)  que  la  baronnie  porter  à  quelqu'un  le  titre  de  duc  de 
de  Joinville  fut  érigée  en  principauté  Guise  ,  ce  sera  une  charge  bien  pe- 
l'an  i552.  Elle  entra  dans  la  maison  santé.  Au  reste  ,  j'ignore  à  qui  appar- 
de  Lorraine  par  le  mariage  de  Ferri  tient  présentement  ce  duché-là  :  je 
de  Lorraine,  Ier.  du  nom,  avec  Mar-  n'ai  pu  recevoir  assez  tôt  les  mémoi- 
guerite  de  Joinville  ,  fille  aînée  de  res  que  j'avais  demandés  touchant  les 
Henri,  Ve.  du  nom,  comte  de  Vaude-  suites  du  testament  de  mademoi- 
mont  et  seigneur  de  Joinville ,  lequel  selle  de  Guise.  Elle  était  duchesse  de 
Ferri  fut  tué  à  la  bataille  d'Azin-  ce  nom  depuis  un  assez  long  temps  , 
court,  l'an  1 41 5  (42).  René  II,  duc  lorsqu'elle  mourut  au  mois  de  mars 
de  Lorraine,  laissa,  par  son  testa-  1688.  Elle  laissa,  par  son  testament, 
ment,  daté  du  25  de  mai  i5o6,  à  la  duché  de  Guise,  qui  vaut  cent 
Claude  ,  son  fils  puîné ,  les  terres  de  mille  livres  de  rente  ,  au  fils  puîné  du 
Guise,  Elbeuf,  Aumale  ,  Mayenne,  duc  de  Lorraine  ,  avec  la  principauté 
Joinville  et  autres  qu'il  avait  en  de  Joinville  ,  qui  n'en  vaut  guère 
France  (43).  C'est  dans  l'église  de  moins ,  et  son  bel  hôtel  de  Paris,  a 
Saint-Laurent  de  Joinville  ,  que  se  condition  quil  porterait  ce  nom  in  , 
voient  les    tombeaux    des    ducs    de   et  viendrait  demeurer  en  France  sous 


Guise.  Voyez  ,  dans  Rémi  Belleau 
(  44  )  •>  la  description  de  celui  de 
Claude. 

(H)  Ses  deux  sœurs  sont  mortes 
sans  avoir  été  mariées.  ]  L'une  s'ap- 
pelait Marie,  et  était  née  le  i5  d'août 
iGi5  ,  et  a  vécu  dans  le  monde  ,  sous 
le   nom    de    mademoiselle   de    Guise 


le  bon  plaisir  du  roi  (48).  Le  nouvel- 
liste qui  publia  ces  choses  ajoute 
ceci  :  «  Mais  outre  que  cette  dona- 
»  tion  n'agrée  pas  au  roi ,  le  duc 
»  d'Elbeuf  prétend  que  c'est  lui  faire 
»  tort,  lui  qui  est  le  plus  proche  hé- 
»  ritier  du  côté  des  mâles.  Ainsi,  il 
»  a  déjà  intenté  action  pour  la  faire 


(45).  J'ai  lu  quelque  part  (46) ,  qu'elle  »  casser,  surtout  à  l'égard  de  la  du- 

Îiensa  épouser  Uladislas  ,  roi  de    Po-  »  ché  de  Guise  ,  soutenant  que  la  dé- 

ogne.  L'autre  se  nommait  Françoise  »  funte  n'en  a  pu  disposer  à  son  pré- 

Reuée  ,  et  naquit    le    10   de  janvier  »  judice  (4g) On  soupçonne  la 

1621  ,  et  fut  mise  en  religion.  Elle  fut  »  défunte   d'avoir  eu  un  mariage  de 

abbesse  de  Saint- Pierre  de  Reims ,  et  »  conscience  avec  feu  M.  de  Montré- 

puis   de   Montmartre   (47)-  Après  la  »  sor,   gentilhomme  de  qualité  et  de 

mort  de  ces  deux  filles-,   il   ne   resta  »  mérite.     On    disait    même     qu'ils 


plus  de  m;1le  ni  de  femelle  de  la 
branche  de  Guise  ,  et  il  est  à  remar- 
quer qu'encore  que  les  quatre  pre- 
miers ducs  de  ce  nom  aient  eu  cha- 
cun beaucoup  de  fils ,  toute  leur 
postérité  est  éteinte ,  hormis  celle  de 
René  de  Lorraine  ,  marquis  d'Elbeuf, 
huitième  fils  de  Claude  Ier. ,  duc  de 
Guise.  Tous  les  princes  de  la  mai- 
son de  Lorraine ,  qui  sont  aujour- 
d'hui en  France  ,  sont  issus  de  ce  Re- 

(4i)  Ci-dessus ,  cUation(k),  article  de  (Fran- 
çois ,  duc  de)  Cuise. 

(1\ï)  Anselme,  Histoire  des  grands  Officiers, 
pag.  455. 

(43)  Voyez  le  Ministère  du  cardinal  dr  Ri- 
chelieu ,  foin.  /,  pag.  in.  237. 

(44)  Au  feuillet  •  34  de  la  /'».  part,  dr-  ses 
Œuvres,  r'dit.  de  Lyon,  i5ç)2. 

(45)  Anselme,  Histoire  des  grands  Officiers, 
pag.  428. 

(4C)  Dam  un  livre  intitulé  :  l'Étal  «le  France. 
(47)  Anselme,  Histoire  des   grands  Officiers  , 

p«e  4,s 


»  avaient  eu  plusieurs  enfans  ensem- 
»  ble  ,  dont  il  restait  deux  filles.  Ce 
»  bruit  se  répandit  principalement  il 
»  y  a  quatre  ans ,  lorsque  cette  prin- 
»  cesse  fit  une  donation  en  faveur  du 
»  prince  de  Harcourt ,  laquelle  n'a 
»  pourtant  point  eu  d'effet.  L'on 
»  voulait  que  l'argent  qu'il  lui  de- 
»  vait  donner  était  pour  marier  ces 
»  deux  filles;  mais  soit  qu'elles  soient 
»  mortes  depuis  ,  ou  que  tout  cela 
»  n'ait  été  inventé  qu'à  plaisir  ,  il  est 
»  constant  qu'il  n'en  est  fait  nulle 
»  mention  dans  son  testament  (5o).  » 

(48)  Mercure  historique  et  politique,  Mois  île 
mars  1688,  pag.  27c) 

(49)  Là  même  ,   pag.   7S0. 

(50)  Là  même,  pag.  281. 

GUISE  (Louis  de  Lorraine, 
cardinal  de).  Il  y  a  eu  trois  car- 
dinaux de  ce  nom.    Le  premier 


GU 

était  frère  de  François  de  Lor- 
raine ,  duc  de  Guise.  Le  second 
était  fils  de  ce  même  duc.  M.  Mo- 
réri  a  parlé  de  l'un  et  de  l'autre 
(a),  et  n'a  rien  dit  du  troisième  : 
c'est  ce  qui  fait  que  je  ne.  parle 
que  de  celui-ci.  Il  était  fils  de 
Henri  de  Lorraine ,  duc  de  Gui- 
se ,  tué  à  Blois ,  et  naquit  l'an 
i5y5.  Il  avait  l'humeur  si  guer- 
rière, qu'il  ne  respirait  que  les 
combats  ,  quoiqu'il  fût  homme 
d'église  ,  cardinal ,  et  archevêque 
de  Reims.  Il  suivit  le  roi  dans 
l'expédition  de  Poitou,  l'an  162  r , 
et  se  signala  entre  les  plus  braves 
et  les  plus  déterminés  gentils- 
hommes de  l'armée  à  l'attaque 
d'un  faubourg  au  siège  de  Saint- 
Jean  d'Angéli  (b).  Etant  tombé 
malade  quelque  jours  après,  il  se 
fitporter  à  Saintes,  et  y  mourut  le 
21  juin  162 1.  Le  procès  qu'il  eut 
avec  le  duc  de  Nevers  ,  au  sujet 
d'un  prieuré ,  dégénéra  en  que- 
relle de  bravoure  ,  et  il  s'y  mon- 
tra fort  disposé  à  le  vider  l'épée  à 
la  main.  On  verra  ci-dessous 
quelques  circonstances  de  cette 
affaire  (A).  Il  témoigna  au  lit  de 
la  mort  qu'il  se  repentait  de  la 
vie  licencieuse  qu'il  avait  menée 
(c) ,  et  de  l'offense  qu'il  avait  faite 
au  duc  de  Nevers  (d).  Le  prési- 
dent de  Gramond  le  condamne  à 
l'égard  de  ces  actions  belliqueuses 
ou  il  fallait  mettre  la  main  au 
sang;  mais  il  l'épargne  par  rap- 
port au  concubinage  (B) ,  qui , 
pour  être  infiniment  plus   com- 

(à)  Sous  le  mot  Louis. 

(b)  Voyez  Malingre ,  Histoire  de  la  Ke'- 
iicllion  ,  tom.  I,  pag.  m.  297,  298,  et  h 
VIIe.  tome  du  Mercure  Français,  png.  5i5. 

(c)  Aulico  luxu  et  militari  licenliâ  tra- 
duxerat  vitam.  Gramond.,  Hist.,  lib.  VIII . 
pa™.  ;n.  407. 

d)  Tdem  ,  ibidem. 


ISE.  4x5 

mun  parmi  les  ecclésiastiques 
que  les  fonctions  militaires,  ne 
laisse  pas  d'être  une  infraction 
de  la  discipline  canonique. 

Au  reste  je  crois  qu'on  a  fait 
des  réflexions  sur  ce  que  les  des- 
cendans  du  même  prince  de 
Condé  ,  que  le  duc  de  Guise  , 
François  de  Lorraine,  tâcha  de 
faire  périr,  sont  devenus  héri- 
tiers des  descendans  de  ce  duc 
(C)  ,  et  qu'un  intervalle  d'envi- 
ron cent  trente  années  a  suffi 
pour  cela. 

(A)  Le  procès  qiCileut....  dégénéra 
en  querelle  de  bravoure.  On  verra 
ci-dessous  quelques  circonstances  de 
celle  affaire.  J  «  Durant  le  siège  de 
Sainct  Jean  d'Angely,  le  cardinal 
de  Guise  deceda  à  Xaintes  ,  d'une 
fiebvre,  laquelle  luy  vint  du  tra- 
vail qu'il  avoit  prins.  Il  estoit  car- 
dinal ,  mais  seulement  diacre  ,  et 
n'avoit  jamais  chante  messe  :  c'es- 
toit  un  prince  tout  martial ,  et  du- 
quel l'esprit  estoit  plus  porte'  à 
l'exercice  des  armes  ,  qu'à  celuy 
des  lettres  :  plusieurs  ont  escrit  de 
la  querelle  que  M.  le  duc  de  Ne- 
vers et  luy  eurent  ensemble  ,  poul- 
ies provisions  du  prieure  de  la  Cha- 
rité' ,  et  de  ce  qui  se  passa  au  logis 
de  leur  rapporteur.  Ceux  qui  par 
leurs  escritures  produites  au  pro- 
cez  mirent  ces  deux  princes  en  que- 
relle ,  furent  la  cause  qu'ils  vinrent 
jusques  aux  prises,  et  qu'ils  sorti- 
rent hors  de  Paris ,  chacun  avec 
leurs  amis  ,  pour  se  rencontrer  et 
terminer  leur  querelle  au  prix  de 
leurs  vies.  Mais  sa  majesté'  ayant 
envoyé  sa  cavalerie  légère  pour  se 
saisir  de  leurs  personnes ,  celuy  qui 
les  conduisoit ,  et  qui  avoit  charge 
expresse  de  faire  l'arrest  sur  la  per- 
sonne dudit  sieur  cardinal  ,  exe'- 
cuta  le  commandement  de  sa  ma- 
jesté' ,  et  l'amena  à  Paris ,  où  depuis, 
crainte  d'une  seconde  sortie  ,  à 
cause  ([ne  M.  de  Nevers  estoit  tous- 
jours  aux  champs,  il  fut  conduicl 
un  soir  à    la   Bastille  ,  et  de  là  au 

(0  Mercure  Français  ,  (Ont.    lit.  /"*»•  ^7° 


4i6  GUISE. 

5)  bois  de  Vincennes  (2).  »  Le  prési-  nis.  Perinjuriam  Joinvillius  percus- 
dent  de  Gramond  rapporte  quelques  serat  magistralum ,  et  ait  dolere  se  ex 
autres  faits  curieux  ;  savoir,  que  le  personâ  Niverni  ,  quod  perçussent; 
cardinal  de  Guise  ,  rencontrant  le  quasi  adeo  injra  posilus  in  quem  col- 
duc  de  Nevers  chez  le  rapporteur  du  lata  offensa  ,  ut  gratis  cœdi  posset. 
procès  ,  lui  dit  d'abord  quelques  pa-  Erat  hœc  labes  ejus  œlalis ,  quâ  a 
rôles  choquantes  ,  qui  furent  verte-  principibus  rex  parum  dislingueba- 
ment  repousse'cs  ,  et  que  là-dessus  il  tur  :  quo  jure  utimur  hodiè  ,  nempè 
lui  donna  un  coup  de  poing  en  pré-  anno  m.  dc.  xlii.  quo  hœc  scribo  , 
sence  du  rapporteur.  Le  prince  de  externi  principes  parum  h  regni  pri- 
Joinville  ,  frère  de  ce  cardinal,  mit  moribus ,  parum  ni  h  nobilibus  diff'e- 
aussitôt  l'e'pée  à  la  main,  et  en  donna  runt,  uno ferme  ordine  habemur  om- 
quelques  coups  de  plat  à  Marescot  ,  nés  ;  eoque  ventum  ut  nemo  publia- , 
maître  des  requêtes  ,  qui  ,  avec  la  nemo  privatim  peccare  possit  sine  ul- 
permission  de  sa  majesté' ,  avait  soin  tore ,  quod  ejus  sapientiœ  et  œquitati 
des  affaires  du  duc  de  Nevers.  Le  roi,  debitum  ,  qui  œtate  nostrd  summam 
sachant  que  ce  duc  voulait  se  battre  rerum  tenet  in  Gallid  (3). 
en  duel  avec  le  prince  de  Joinville  ,  M.  l'abbé  de  Marolles  nous  four- 
interposa  son  autorite'  pour  les  accor-  nira  quelques  autres  circonstances, 
der,  et  obligea  le  cardinal  à  deman-  Sur  le  commencement  de  l'hiver  1G10, 
der  pardon  au  duc.  Pour  ce  qui  est  dit-il  (4)  ,  M.  de  Nevers  eut  un 
de  l'injure  que  le  maître  des  requêtes  grand  démêlé  avec  le  cardinal  de 
avait  soufferte  ,  voici  comment  on  la  Guise  ,  pour  le  prieuré  de  la  Charité, 
répara  :  le  prince  de  Joinville  fut  dépendant  de  l'abbaye  de  Cluni  ;  car 
obligé  de  se  servir  de  ces  paroles  de-  en  ayant  fait  pourvoir  en  cour  de 
vant  les  arbitres  :  MonsieurMarescot,  Rome  le  prince  de  Tymeraye  ,  son 
en  considération  de  M.  le  duc  de  second  fils ,  sur  une  lettre  ou  pro- 
Nevers  ,  je  suis  fâché  de  vous  avoir  messe  du  cardinal  de  Guise  ,  abbé  de 
battu  ,  je  vous  prie  d^oublier  cela  ,  et  Cluni:  et  ce  cardinal,  s'en  étant  vou- 
de  croire  que  je  serai  votre  ami  pour  lu  dédire  en  faveur  de  l'un  des  enfuis 
Vautour  de  M.  le  duc  de  Nevers.  Le  qu'il  avait  eus  de  la  dame  des  Essars, 
président  de  Gramond  fait  une  re-  fut  le  sujet  d'un  grand  procès,  et  de 
marque  très-solide  sur  le  désordre  dc  partager  dans  la  cour  toutes  les  per- 
ces  temps-là,  où  un   maître  des  re-    sonnes  de  condition Ces  troubles 

quêtes  pouvait  être  battu  impuné-  furent  difficilement  apaisés  ,  parce 
ment.  Ce  désordre  ne  venait  que  de  qu'il  y  eut  des  coups  donnés  de  part 
la  diminution  de  l'autorité  royale,  et  et  d'autre  ,  sans  que  M.  de  Nevers  , 
cessa  dès  que  le  cardinal  de  Richelieu  qui  fut  offensé  le  premier,  ne  se 
eut  abaissé  ,  aux  pieds  du  trône  de  défaut  de  rien  ,  eut  eu  loisir  de 
Louis- le -Juste ,  les  princes  et  les  mettre  l'épée  à  la  main,  que  Fou- 
grauds  seigneurs  qui  usurpaient  une  ques ,  son  écuyer ,  tenait  hors  de  la 
très-considérable  partie  de  la  puis-  chambre  du  rapporteur ,  ou  il  était 
sance  souveraine.    N'est-ce  pas   une    seul. 

chose  qui  sent  l'anarchie,  que  dans  (B)  Le  président  de  Gramond  le 
un  pays  qui  a  le  titre  de  royaume ,    condamne  a  l'égard  des  actions  bel- 

ceux  qui  ont  battu  un  grand  magis-    liqueuses  ; mais  il  l'épargne  par 

trat  ne  soient  pas  obligés  de  recon-  rapport  au  concubinage.  ]  Voici  l'an- 
naître  qu'ils  en  sont  marris  ,  à  cause  tithèse  dont  il  se  sert  (5):  Militiamaf- 
de  la  qualité  de  ce  magistrat,  mais  feclabat  impatiens  sut;  non  miles,  quia 
seulement  pour  l'amour  du  grand  sei-    cardinalis  ;  non  item  cardinalis  ,  quia 

gneur  qu'il  servait?  Considérez  bien    miles  erat Indebitum  cerlè  clia- 

ces  paroles  du  président  de  Gramond.  racteri ,  quod  in  Engeriacd  obsidione 
Principum  per  ea  lempora  summa  sœpè  ferrum  in  hostem  strinxit,  int- 
erné ratio,  affectabantque  distingui  mentor  ecclesiam  nescire  sanguinem, 
abomni  ordine,  prœrogativd  sangui- 

,r            °  (3)  Gramomlus,  Histor-  ,  hh.    1111,    in  fuie 

(9.)  Notez  qu'il  n'y  demeura  guhrr  ;  car  peu  P*g ■  »•  4°8. 

après,  le  roi  voulant  partir  pour  faire  son  voyage  (4)  Marolles  ,  Memo.res,  pag.  ^  et  /fi. 

.le  Poiclou,  il  le  fil  venir  à  Fontainebleau   pour  (5)  Gramomlus  ,   Ilistor. ,    hb     FUI,    pag. 

l'accompagner.  LU  même  ,  ptlg.  S71.  4°7' 


GUISE.  4i7 

S'il  ne  parla  point  des  amourettes  de  tenta  des  vestes  d'un  cardinal.  Le  pu- 
ce cardinal ,  ce  fut  parce  qu'il  les  blic  ne  manqua  point  de  faire  atten- 
ignorait ,  me  dira  peut-être  quel-  tion  à  cette  grande  délicatesse  : 
qu'un.  Mais  je  ne  saurais  m'imaginer  l'occasion  de  citer  de  tels  exemples 
qu'il  les  ignorât  ;  elles  étaient  trop  vient  si  souvent ,  que  ces  sortes  d'a- 
publiques  ,  et  avaient  été  accompa-  rentures  ne  tombent  guère  dans  Pou- 
gne'es  de  géne'ration.  La  Chronique  bli.  Mais  lorsque  l'on  commençait 
des  Favoris  ,  imprimée  l'an  16:22  ,  peut-être  à  n'en  parler  plus  ,  il  s'é- 
suppose  (6)  qu'il  survint  une  dispute  leva  des  prétendans  à  la  succession 
entre  le  cardinal  de  Guise  et  le  duc  de  mademoiselle  de  Guise,  qui  rani- 
du  Maine  ,    à  qui    entrerait  le  pre-  mèrent  les  idées  de  cet  objet- là.  Li- 


mier dans  la  barque   de  Caron.   Le 
cardinal  disait  qu'il  était  mort  le  pre- 
mier ,  et  par  conséquent  qu'il  devait 
passer.   Le  duc  ne  débattait  au  con- 
traire ,    mais    remontrait    qu'il    était 
préférable  ,    attendu   qu'il  avait   été 
tué  pour  le  service  du  roi,  et  que  l'au- 
tre était  mort  seulement  de  maladie. 
Le  cardinal  répliquait  que  ,  pour  la 
querelle    de    Dieu  ,    il    avait    quitté 
femme  et  enfans  ,  dont  il  ne  voulait 
que  M.  de  Nevers  a  témoin  ,  et    que 
lui  n'avait  rien   laissé  de  tout  cela. 
Tout  le  monde  savait ,  en  ce  temps- 
là  ,   que  ce  cardinal  avait  entretenu 
l'une   des  maîtresses   d'Henri  IV  ,  je 
veux  dire  ,  Charlotte  des  Essars.  La 
mémoire  s'en  était  conservée  d'autant 
plus    facilement^  que    cette    femme 
avait  été  assez  heureuse  pour  épouser 
un  grand  seigneur ,  nonobstant  la  flé- 
trissure publique  dont  elle  était  char- 
gée ,  après  avoir  donné  des  enfans  à 
un  roi  de  France  ,  et  puis  à  un  arche- 
vêque de  Reims  (7).  M.  du  Hallier  , 
qui  eut  pris  peut-être  pour  une  més- 
alliance  d'épouser  Charlotte  des  Es- 
sars ,  parfaitement  bien  famée  ,  ne  se 
fit  aucun  scrupule  de  l'épouser  toute 
perdue  de  réputation.  Il  était  de  qua- 
lité, et  frère  d'un  maréchal  de  France 
(8).   Il   était  chevalier  de  l'ordre  du 
Saint-Esprit  et  capitaine  des  gardes- 
du-corps  ,  et  il  avait  donné  des  preu- 
ves de  cette  vertu  militaire  qui  l'éle- 
va   dans    la   suite    à    la    dignité    de 
maréchal    de    France.    Néanmoins  , 
dans  un  mariage  légitime  ,  il  se  con- 

(6)  Chronique  des  Favoris  ,  pag.  i4- 

(7)  Le  père  Anselme  ,  fila  page  44 1  au  Palais 
de  l'Honneur ,  dit  que  le  cardinal  de  Guise 
laissa  ÙV  Charlotte  des  Essars  trois  fils  et  deux 
filles  ;  que  l'aine'  des  fils  fui  e'iéque  de  Condom  , 
que  le  second  fut  comte  de  Romorantin ,  et  tue 
en  Candie  au  service  des  Ve'nitiens,  et  père  de 
la  marquise  d' Acy.  Je  laisse  ce  qu'il  dit  du  troi- 
sième ,  et  des  filles. 

(8)  De  Nicolas  de  l'Hospital ,  marquis  elpuis 
duc  de  Vari. 

TOME    VII. 


sez  ce  qui  suit  ;  je  le  tire  du  Mercure 
Historique  et  Politique  du  mois  d'a- 
vril 1688.  «  Madame  la  marquise  d' A-  * 
»  cv  ,  femme  du  cadet  du  comte  de 
»   Gamache  ,  chevalier  des  ordres  du 
»  roi  ,  dispute  aujourd'hui  la  succes- 
»  sion  de  la  maison  de  Guise  ,  et  ce  en 
n  vertu  d'une  certaine  boîte  qui   lui 
»  a  été  apportée  par  une  personne  in- 
»  connue  ,  dans  laquelle  elle  a  trou- 
»  vé  un  contrat  de  mariage  du  car- 
»   dinal  de  Guise  ,  avec  mademoiselle 
»  des  Essars  ,  mère  du  comte  de  Ro- 
«  morantin  ,  son  père,  qui  a  toujours 
»  passé  pour   bâtard  de  ce  cardinal. 
»  Ce  contrat  est  assaisonné  de  la  bé- 
»  nédiction  nuptiale  ,  faite  en  forme  ; 
»  qui  plus   est,    d'une    dispense    du 
»  pape  ,  portant  permission  à  ce  car- 
»  dinal    de   posséder   ses    bénéfices , 
»  nonobstant  son  mariage  :  enfin,  rien 
»  n'y  manque  en  apparence ,  qu'un 
«  support  assez  puissant  pour  pouvoir 
»  disputer  une  si  grande  succession 
»  contre  ceux  qui  y  ont  intérêt.  Ce- 
»  pendant ,   de  quelque  endroit  que 
»  puisse  sortir  cette  boîte ,   elle  est 
»  pour  faire  du  bruit  au  Palais,  d'au- 
»  taut  plus  qu'elle  est  entre  les  mains 
n  d'une   dame  qui  y  a  fait  un  long 
»  apprentissage  de  chicane  ,  comme 
»  si  elle    eût  su  le  besoin  qu'elle  en 
»  aurait  un  jour.  Depuis  cette  heu- 
n  reuse  découverte,  elle  a  fait  ùter  la 
)>  barre  qu'elle  portait  sur  ses  armes, 
»  pour  marque  de  sa  bâtardise.  Mais 
j>  il  est  à  craindre  pour  elle,   qu'elle 
»  ne  soit  obligée  de  l'y  remettre  bien- 
»  tôt  :   elle  a   affaire  au   prince   de 
»  Condé  ,  qui  prétend  être  le  princi- 
»  pal   héritier  de   cette    maison  ,   à 
»  cause  de  madame  la  princesse  de 
»  Condé  ,  sa  femme  ;  et ,  comme  il  y 
»  a  bien  peu  de  proportion  de  l'un  à 
»  l'autre ,  la  boîte  pourrait  bien  se 
»  trouver  supposée  avec  le  temps  (9). « 

(ç)  Mercure    Historique    el    Politique,    avril 
t688,  pag.  373  ,  376. 


4i8 


GUISE. 


Notez  que  l'auteur  du  Mercure  a  sup- 
pose (10)  que  ce  cardinal  de  Guise 
était  celui  qu'on  tua  à  Blois.  C'est 
une  erreur. 

(C)  Les  descendons  du  même  prince 
de  Condé  ,  que  François  ,  duc  de 
Guise,  coulait  faire  périr,  sont  deve- 
nus héritiers  des  descendons  de  ce 
duc  de  Guise.]  C'est  ici  qu'il  me  faut 
placer  le  mémoire  que  je  n'ai  reçu 
qu'après  l'impression  de  la  page  où  il 
eût  pu  être  plus  commodément  (n). 
C'est  un  mémoire  qui  nous  apprendra 
les  procédures  dontle  mariage  du  duc 
de  Guise  et  de  la  comtesse  de  Bossu 
ont  été  la  cause  ,  et  quel  est  le  fonde- 
ment des  prétentions  de  M.  le  prince 
de  Condé ,  qui  a  gagné  le  procès. 
«  («a)  Le  16  de  novembre  1641 ,  il 
»  se  passa  un  mariage  entre  M.  le  duc 
»  de  Guise  et  Honorée  de  Berghes,  lors 
«  veuve  en  premières  noces  de  M.  le 
»  comte  de  Bossu. 

»  Le  9  juin  1666,  il  y  eut  sentence 
»  définitive  ,  rendue  contradictoire- 
»  ment  à  la  Rote ,  qui  déclare  le  ma- 
»  riage  valable  ad  quoscunque  ejfec- 
»  tus  ,  et  dictant  comitissam  veram  et 
»  légitimant  cohjugem.  Nota  :  que  le 
»  duc  de  Guise  était  mort  ;  mais  il 
j>  avait  produit  à  Rome  pendant  sa 
»  vie.  Nota  encore  :  que  pendant  ce 
»  temps-là  mademoiselle  de  Guise 
»  obtenait  des  arrêts,  au  Palais,  qui 
»  annulaient  la  procédure  de  la  Rote , 
»  faisaient  défense  d'y  plaider,  et  à 
»  tous  huissiers,  en  France,  d'y  dou- 
»  ner  des  assignations  et  d'en  exécu- 
»  ter  les  jugemens.  Madame  la  com- 
»  tesse  de  Bossu  a  agi  tout  le  reste  de 
»  sa  vie  comme  duchesse  de  Guise. 
»  Elle  a  soutenu  avec  constance  la 
»  validité  de  son  mariage  ,  et  en  a 
)•  toujours  poursuivi  l'exécution.  Elle 
»  espérait  le  faire  reconnaître  en 
i)  France  par  la  recommandation  ou 
»  l'autorité  de  la  ligue  ou  du  roi  d'Es- 
»  pagne,  au  traité  de  Nimègue,  en 
»  1678.  Mais  le  parti  français  y  était 
»  trop  puissant  ,  les  ministres  de 
»  France  refusèrent  absolument  d'é- 
»  coûter  aucune  proposition  sur  les 
»  intérêts  des  particuliers.  La  com- 

(10)  Mercure  Hist.   et  Polit,  avril  1688,  pae. 
380,  387. 

(11)  A  la  fin  de  la  remarque  (H)  de  l'article 
précédent. 

(11)  Mémoire  qui  m'a  été  communiqué  par  les 
soins  de  M.  DaLncé. 


tesse  de  Bossu  fit  des  efforts  inuti- 
les, et  mourut  en  1679,  ayant  in- 
stitué héritier  le  comte  de  Berghes, 
l'un  de  ses  neveux.  Le  comte  de 
Berghes  mit  ordre  aux  affaires  de 
la  succession ,  et  rassembla  tous  les 
titres  du  mariage,  qui  étaient  dis- 
persés à  Rome,  à  Paris,  à  Madrid  , 
à  Vienne,  aux  Pays-Bas  et  ailleurs. 
A  la  faveur  de  la  trêve  de  Luxem- 
bourg, il  vint  à  Paris,  et  y  forma 
sa  demande  au  châtelet  ,  le  3  août 
1687,  contre  mademoiselle  de  Guise, 
comme  héritière  de  feu  M.  son  frè- 
re ,  à  ce  que  le  contrat  de  mariage 
du  16  novembre  164 1  fût  déclaré 
contre  elle  exécutoire  :  ce  faisant  , 
que  les  conventions  et  autres  droits 
en  résultans  lui  fussent  adjugés. 
Mademoiselle  de  Guise,  atissitot  , 
obtint  un  arrêt  du  parlement ,  par 
lequel  défense  fut  faite  de  procéder 
au  châtelet,  de  qualifier  la  com- 
tesse de  Bossu  duchesse  de  Guise  , 
de  faire  aucune  demande  sur  ce 
prétendu  mariage  ,  et  à  tous  huis- 
siers de  donner ,  à  cet  effet,  aucune 
assignation.  Le  8  mars  1688,  made- 
moiselle de  Guise  mourut,  après 
avoir  fait  plusieurs  testamens  et 
codicilles  ,  dont  le  dernier  est  du  2 
mars  1688.  La  guerre  survint  là- 
dessus,  qui  servit  à  tenir  les  choses 
en  suspens.  Enfin ,  la  paix  ayant  été 
faite  à  Ryswick  ,  le  comte  de  Ber- 
ghes revint  en  France ,  honoré  du 
titre  de  prince  et  de  chevalier  de  la 
toison  d'or.  Il  renouvela  sa  deman- 
de, le  25  octobre  1698,  non  pas  au 
châtelet,  mais  droit  au  parlement. 
Il  demanda,  en  vertu  d'une  com- 
mission du  grand  sceau  ,  à  être  re- 
çu opposant  à  l'exécution  de  l'arrêt 
de  1687,  e^  aux  deux  autres  rendus 
long-temps  auparavant  contre  la 
dame  sa  tante,  faisant  droit  sur 
son  opposition ,  ensemble  sur  l'ap- 
pel comme  d'abus  interjeté  par 
mademoiselle  de  Guise  et  messei- 
gneurs  ses  héritiers,  de  la  célébra- 
tion de  mariage,  et  de  la  sentence 
de  la  Rote  ,  évoquant  sa  première 
demande  faite  au  châtelet  ,  qu'il 
fût  dit  n'y  avoir  abus  ,  et  que  les 
conventions  et  autres  droits  du  ma- 
riage lui  fussent  totalement  adju- 
gés. Sur  cette  illustre  contestation  , 
intervint  arrêt  ,  le  mardi  matin  5 
janvier  1 700 ,  en  la  grand'  chambre. 


HACKER.  HACKET. 


»  suivant  les  conclusions  de  M.  d'A- 
»  guesseau  ,  avocat  général ,  plaidant 
»  Me.  Robert  et  Me.  Nouet,  avocats 
»  des  parties,  président  M.  deHarlay, 
»  après  quinze  audiences  ,  dont  sept 
»  furent  consumées  par  Me.  Robert  , 
»  six  par  Me.  Nouet ,  et  deux  par 
»  M.  d'Aguesseau  ,  par  lequel  ayant 
»  égard  à  la  requête  du  prince  de 
»  Berghes,  la  cour  ordonne  que  l'in- 
»  formation  faite  contre  Honorée  de 
»  Berghes ,  comtesse  de  Bossu ,  sera 
»  rejetée  :  sans  s'arrêter  aux  opposi- 
»  tions  du  prince  de  Berghes  à  l'exé- 
»  cution  des  arrêts  de  65,  66  et  87, 
»  faisant  droit  sur  les  appellations 
»  comme  d'abus,  tant  de  la  célébra- 
»  tion  ,  que  de  la  procédure  faite  à  la 
»  Rote ,  et  sentences  y  intervenues , 
»  dit  qu'il  a  été  mal ,  nullement  et 


4'9 

»  abusivement  célébré,  procédé  et 
»  ordonné.  En  conséquence,  déboute 
»  le  prince  de  Berghes  des  demandes 
»  dépendantes  de  la  question  du  ma- 
»  riage ,  le  condamne  aux  dépens  : 
«  et,  sur  les  autres  demandes  ,  or- 
»  donne  qu'il  se  pourvoira.  » 

La  table  généalogique  ,  qui  fut 
imprimée  pendant  ce  procès,  fait 
voir  à  l'œil  qu'Anne,  palatine  de  Ba- 
vière ,  épouse  de  M.  le  prince  de 
Condé ,  a  dû  être  l'héritière  de  made- 
moiselle de  Guise  ;  car  elle  descend 
du  duc  de  Mayenne,  fils  de  François 
de  Lorraine  ,  duc  de  Guise.  Ce  duc 
do  Mayenne  eut  une  fille  qui  épousa 
Charles  de  Gonzague,  duc  de  Nevers; 
et  de  ce  mariage  sortit  Anne  de  Gon- 
zague ,  mère  de  la  princesse  de 
Coudé. 


H. 


H  A  C  K  E  R  (a)  (  Jacques  ) ,  pro- 
fesseur en  théologie  à  Fribourg 
dans  le  Brisgaw,  vers  le  commen- 
cement du  XVIIe.  siècle.  Je  n'en 
parle  que  pour  avoir  lieu  de  dé- 
terrer un  écrivain  pseudonyme 
(A)  ,  qui  n'a  point  encore  paru  , 
que  je  sache  ,  dans  les  catalogues 
de  cette  espèce  d'auteurs. 

(a)  Et  non  pas  Hacher  ,  comme  dans  Ko- 
nig. 

(A)  Je  n'en  parle  que  pour.  .  .  dé- 
terrer un  écrivain  pseudonyme.  ] 
Hacker  ayant  publié  (1)  une  dispute 
sur  la  prédestination  *  ,  fut  réfuté 
par  un  moine  de  Mantoue ,  sous  le 
faux  nom  de  Daniel  Neidinger.  Il  se 
défendit,  et  voici  le  titre  de  sa  ré- 
plique :  Disputationis  de  Prœdesti- 
nationis  causa  falso  et  ementito  au- 
tore  Dan.  Neidingero ,  uerb  autem 
et  germa  no  ejus  fabro  Fr.  Andr. 
Urciano  Ord.  min.  Obs.  reg.  in  urbe 
Hlantiiand  nuper  editœ ,  et  ibidem  a 
tredecim  diversorum  ord.  fralribus  et 
patribus    suspecta;  ,    in    quatuor  ex 

(1)  Van  160g  ,  selon  If  Catalogue  d'Oxford. 

*  Lcclerc  dit ,  d'après  d'Argentré  ,  que  "acier 
était  pour  la  prédestination  fondée  sur  la  prévi- 
sion des  mérites. 


quibus  coaluit  ,  elementa  ,  menda- 
cia  ,  hœreses  ,  antilogias  ,  sordes  ser- 
monis  ,  analysis.  Autore  J .  Hac- 
kero.  Dorschéus  ,  professeur  en  théo- 
logie à  Strasbourg  (2)  s'est  servi  de 
cet  exemple  pour  faire  voir  que  les 
catholiques  romains  s'entre-accusent 
d'hérésie.  Il  dit  que  cette  réplique 
d'Hacker  fut  imprimée  Tan  1618  ; 
mais  puisqu'on  la  marque  dans  le 
Catalogue  d'Oxford  ,  comme  impri- 
mée à  Fribourg  ,  l'an  1614  ,  je  ne 
f>ense  pas  que  la  première  édition  lui 
ût  connue.  On  marque  dans  le  même 
Catalogue  deux  volumes  de  Jacques 
Hacker  ,  sur  Thomas  d'Aquin.  Ils 
furent  imprimés  à  Fribourg ,  le  pre- 
mier l'an  161g  ,  et  le  secondl'an  1621. 
M.  Konig  ne  distingue  point  cela  ,  et 
indique  mal  le  titre. 

(2)  Dorschéus,  in  Hodegetico  catholico,  cap. 
X,  pag.  868 ,  869. 

HACKET  *  (Guillaume),  fa- 
natique anglais  ,  au  XVIe.  siècle  , 
fut  d'abord  valet  d'un  gentil- 
homme nommé  Hussei,  et  lui  ter 
moigna  sa  fidélité  par  une  action 
tout-à-fait  brutale  (A).  Il  épousa 

*  Un  autre  Guillaume  Hacket  a  place 
dans  le  Dictionnaire  de  Chaufepié.  C  est 
un  historien  anglais,  ne'  en  novembre  l6o5. 
mort  en  l654 


42o  HACKET. 

ensuite  une  veuve  qui  étaitriche,  traire,  il  ne  pleuvrait  point, 
et  la  ruina  en  peu  de  temps  par  ses  Edmond  Coppinger  et  Henri 
dépenses  voluptueuses.  Il  n'avait  Arthington  ,  deux  personnages 
point  étudié  ,  mais  il  avait  beau-  assez  doctes ,  s'associèrent  avec 
coup  de  mémoire,  et  en  abusait  lui,  le  premier  sous  le  titre  de 
à  répéter  entre  les  verres  et  les  prophète  de  miséricorde  ,  et  le 
pots  les  prédications  des  minis-  second  sous  le  titre  de  prophète 
très.  Il  ne  faisait  cela  que  pour  de  jugement.  Arthington  publia 
s'en  moquer  ,  et  il  n'allait  au  qu'ils  avaient  une  mission  ex- 
sermon qu'afin  d'avoir  lieu  de  traordinaire,  et  qu'après  Jésus- 
donner  à  sa  mémoire  cet  exer-  Christ  personne  au  monde  n'a- 
cice  ridicule.  Il  aimait  prodigieu-  vait  un  pouvoir  plus  grand  que 
sèment  le  vin  et  les  femmes,  et  Guillaume  Hacket.  L'autre,  je 
il  corrompit  une  fille  qui  était  veux  dire  Coppinger  ,  déclara 
allée  chez  lui  pour  lui  deman-  qu'Hacket  était  le  seul  roi  de  tou- 
der  conseil  (a).  Il  vola  même  te  l'Europe.  Ils  allèrent  ensuite 
sur  les  grands  chemins.  Enfin  il  plus  loin  ,  il  l'égalèrent  en  toutes 
s'érigea  en  prophète ,  et  annon-  choses  à  Jésus -Christ ,  et  cela 
ça,  i°.  que  l'Angleterre  senti-  sans  qu'Hacket  s'y  opposât  ;  car 
rait  les  fléaux  de  la  faim  et  de  il  disait  dans  ses  oraisons  ,  Père, 
la  peste  et  de  la  guerre  ,  si  elle  je  sais  que  tu  m'aimes  autant  que 
n'établissait  la  discipline  consis-  tu  t'aimes  (b).  Ils  voulurent  pro- 
tox'iale  ;  2°.  qu'à  l'avenir  il  n'y  céder  à  la  cérémonie  de  l'onction 
aurait  plus  de  papes.  Il  marquait  ou  du  sacre  ;  mais  il  ne  le  permit 
le  temps  de  cette  désolation  de  pas,  et  sa  raison  fut  que  le  Saint- 
l'Angîeterre.  C'était ,  selon  lui  ,  Esprit  l'avait  déjà  oint  dans  le 
l'année  même  qu'il  la  menaçait,  paradis.  Ils  lui  demandèrent  en- 
Ce  fut  dans  Yorck  et  dans  Lin-  fin  ce  qu'il  avait  à  leur  comman- 
coln  qu'il  commença  de  prophé-  der ,  et  lui  protestèrent  qu'ils  au- 
tiser,  et  qu'en  punition  de  son  raient  pour  lui  une  obéissance 
audace  il  fut  fouetté  publique-  sans  bornes.  Il  leur  ordonna  d'al- 
ment  et  condamné  à  l'exil.  Il  1er  crier  par  toutes  les  rues  de 
avait  une  facilité  merveilleuse  à  Londres  ,  que  Jésus-Christ  était 
prier  Dieu  sur-le-champ  et  avec  venu  pour  juger  le  monde,  et 
des  phrases  choisies  et  fort  pom-  logeait  dans  une  telle  hôtellerie, 
peuses  ,  et  cela  fit  croire  au  peu—  et  que  personne  ne  le  pourrait 
pie  que  c'était  un  don  extraor-  faire  mourir.  Ils  obéirent  avec 
dinaire  du  Saint-Esprit.  Il  avait  tant  de  hâte  ,  qu'Arthington  ne 
une  extrême  confiance  en  ses  se  donna  pas  le  loisir  de  prendre 
prières  (B)  ;  car  il  disait  que  si  ses  gants.  Ils  ajoutèrent  ceci  au 
toute  l'Angleterre  faisait  des  formulaire  de  leur  maître  ,  re- 
vœux pour  obtenir  de  la  pluie,  pens-loi,  Angleterre,  repens-toi. 
et  qu'il  fit  des  vœux  pour  le  con-  Us  attirèrent  par  leurs  cris  un  si 
(a)  Potator  scortatorçw fuit  enormis ,  grand  concours  de  peuple,  qu'é-. 
virginisquc  quce  ad  eum  consiiu  causa  ac-   tant  parvenus  à  la  grande  place x 

cessil  consluprator.  FiU  Simon,   in  Britan- 

nomachià  Ministrorum  ,  etc.  Voyez  la  cita-        {b)  Pater,  scio  te  non  minus  teips»  me  da- 
tion [e\.  ligere.  Idem,  iliid. 


HACKET.  4*i 

ils  ne  purent  aller  plus  loin  ,    ni   lui  et  le  gentilhomme  qui  avait  Hac- 
se  faire   entendre  :    mais    avant   ketà.son  service.  Voyons  de  quelle 


mais  ayant 
trouvé  un  chariot  vide  ils  y 
montèrent,  et  discoururent  de 
la  commission  importante  de 
Guillaume  Hacket  (G).  Ils  fu- 
rent le  retrouver,  et ,  dès  qu'ils 
le  virent  ,  Arthington  se  mit 
à  crier  devant  tout  le  mon- 
de :  voici  le  roi  de  la  terre.  Ce- 


manière  ce  valet  vengea  son  maître. 
Il  aborda  familièrement  et  en  termes 
d'amitié  le  fils  (t)  de  cet  artisan  ,  et 
en  fut  reçu  de    la  même   manière , 

f>uis  tout  d'un  coup  il  le  colleta  ,  et 
e  renversa ,  et  lui  coupa  le  nez  à 
belles  dents;  et  au  lieu  de  le  rendre 
au  chirurgien  ,  qui  se  faisait  fort 
de  le  remettre  ,  il  le  mangea  :  Eique 
nasum  dentibus  evulsit  ,  nec  chirurgo 
uolenti   restituere   iradidit ,    sed  (  ut 


ci  se  passa  le  1 6  de  juillet  1592  fertur)  barbard  immanitate  dévora 
(c).  On  les  Cita  devant  les  juges  ,  vit  (a).  Camden  ne  rapporte  point  ce 
et  on  leur  fit  leur  procès.  La  sen*  f?'lt  avec  le,s  mêmef  circonstances.  II 
.  r>    -ii  tt  dit  «u'Hacket     embrassant  le  maître 

tence  porta  que  Guillaume  Hac-   d,e^le  en  sign'e  de  récoriciUation  ,  ie 

ket    serait    pendu  ,    et    mis    en  mordit  au  nez  jusqu'à  emporter  la 

quartiers  le  28  de  juillet,   et   la  pièce,  et  que  ce  fut  le  maître  d'éco- 

chose  fut  ainsi    exécutée.    Cop-  le  ?lli  demanda  la    restitution  ,  afin 

i    •  •      i     r  -  au  on  put  coudre  la  partie  pendant 

pinger  se  laissa  mourir  de  faim  ^ue  la  ^^  e-tait  toJe  fraî<5,e>  Ad 

dans  la   prison  ,    mais  Arthing-  uindictarn  adeb  efferus  (Hacquetus)  ut 

ton  obtint    grâce   (d).  Les  blas—  ingenuo   ludimagistro ,  dum  redinle- 

phènies  contenus  dans  la  prière  8mti  ^moris  */>e«e   amplectentur  , 

A     ,rT     -,     .  11  »  1  nasum  mordicus  abscideiit  ,  et  coram 

qu  Hacket   prononça  sur  1  echa-  misem  deformi  SUpp/icante  ut  red- 

faud  sont  si  horribles,  que  je  ne  deret ,    quo    vulnere    adhuc    récente 

les    rapporterai    qu'en    latin    (e)  assueretur,  canine  utferunt  (3)  de- 

(D).  On  verra  dans  les  remarques  gravent  (4).  La  variété  de  ces  cir- 

v       ,  ,     .    ,      ,     *■  constances  n  est  pas  telle  que  1  on  en 

quelques    particularités  de    son  puisse  conclure  que  ic  fait  est  faux  : 

fanatisme    compliqué  de    rébel—    on  peut  seulement  y  rencontrer  une 
lion.   C'était  un  homme   rempli    marque  de  la  paresse,  ou  de  la  fai- 
de  haine  pour  la  reine  Elisabeth    blesse  de  la  mémoire   de  l'homme 
_,      _       *    ,    .  ,  Ceux  a  qui  Ion  conte  une  chose  ont 

(L).  On  ne  doit  pas  révoquer  en    accolltumé  d'être  attentifs  prineipa- 

"  lement  au  fond  et  à  l'essence  du  fait. 
C'est  aussi  ce  qu'ils  retiennent  le 
mieux.  Mais  comme  ils  n'ont  pas  eu 
la  même  attention  à  toutes  les  cir- 
constances ,  car  cela  eût  été  trop 
pénible  ,  ils  en  oublient  plusieurs  : 
ils  n'ont  pas  pris  la  peine  d'en  char- 
ger leur  mémoire  ,  qui  d'ailleurs 
n'est  pas  assez  forte  pour  soutenir 
toutes  les  parties  d'un  fardeau  ;  et 
ainsi  ,  au  bout  de  quelques  heures  , 
ou  de  quelques  jours  ,  s'ils  veulent 
faire  le  même  récit  ,  ils  sont  obligés 
d'y  suppléer  les  circonstances  qu'ils 


doute  ceci ,  sous  prétexte  que  je 
le  tire  de  l'ouvrage  d'un  jésuite; 
car  les  Annales  de  Camden  con- 
tiennent la  plupart  de  ces  mêmes 
faits  avec  encore  plus  de  force. 

(c)  Camden  raconte  ceci  sous  l'an  i5gi. 

(d)  Voyez  la  remarque  (D)  ,  à  la  fin. 
[è)  Tiré  du  chapitre  VI  du  IIe.  livre  du 

Britannomachia  Ministrorum  de  Henri  Fitz 
Simon  ,  qui  cite  la  relation  que  Bancroft 
(qui  fut  depuis  archevêque  de  Caniorbéri) 
publia  de  cette  affaire  ,  à  Londres,  en  1692  , 
sous  le  titre  de  Conspiratio  pro  praetensâ 
Disciplina. 

(A)  //  témoigna  sa  fidélité  a  son 
maître  par  une  action  tout-à-fait  bru- 
tale. ]  Un  artisan  d'Oundel,  dans  le 
comté  de  Northampton  ,  fit  quelque 
chose  qui   excita  de  l'inimitié  entre 


(t)  Il  était  le  maître  d'école  du  lieu. 

(2)  Henrims  Fitz  Simon,  Brilannom.  minis- 
Iror.  ,  cap.  VI,  lib.  II,  pag.  202,  2o3. 

(3)  Notez  que  Fitz  Simon  emploie  la  même 
re'serfe,  on  dit,  ut  fertur. 

(4)  Camrlenus,  Annal   ,  part.  IV.  ad  annv 
j.'gi ,  pn:j.  G18. 


422  HACKET. 

n'ont  point  retenues.  Chacun  fait  ce  éternelle  ,  et  avec  les  imprécations 
supplément  selon  le  caractère  parti-  les  plus  exécrables  ,  il  séduisit  Cop- 
culier  de  son  génie ,  et  de  là  naissent  pinger  et  Arthington  ,  et  leur  fit  ac- 
une  infinité  de  variations  qui  passent  croire  qu'il  s'entretenait  souvent  avec 
jusqu'aux  écrits  des  historiens.  Dieu  ,  et  que  le  diable  l'avait  stigma- 

(B)  Il  avait  une  extrême  confiance  tisé.  Les  prières  fréquentes  et  très- 
en  ses  prières.  ]  Tu  as  la  puissance,  ferventes,  les  dehors  d'une  sainte  vie , 
disait-il  à  Dieu,  et  moi  j'ai  la  foi;  et  la  coutume  déjeuner  tous  les  di- 
donc  la  chose  sera  faite.  Ii  se  servait  manches  ,  l'aidèrent  à  persuader  ces 
d'imprécations  contre  soi-même  en  mêmes  choses  (8).  Pauvre  esprit  hu- 
priant  Dieu,  et  il  prétendait  que  main,  quels  sont  tes  égaremens  ,  et 
l'efficace  de  ses  imprécations  était  su-  quelle  est  leur  efficace  ! 
re.  Il  se  vantait  qu'en  disputant  avec  (C)  Coppinger  et  Arthington  dis- 
un  papiste  ,  il  lui  avait  proposé  cette  coururent  de  la  commission  importan- 
condition  :  Je  me  soumets  à  la  dam-  te  de  Guillaume  Hacftet.  ]  Ils  dirent 
nation  éternelle  ,  et  à  la  subir  tout  a  qu'il  était  participant  de  la  nature 
l'heure  (5)  :  faites-en  autant ,  et  nous  des  corps  glorifiés,  et  qu'il  devait  con- 
changerons  de  religion,  vous  ou  moi,  vertir  toute  l'Europe  à  la  discipline 
selon  le  succès  malheureux  ou  favo-  consistoriale  ,  et  que  la  charge  de 
rable  qui  suivra  notre  imprécation,  juger  lui  avait  été  donnée.  Ceux  qui 
Cela  était  bien  absurde:  car  l'effet  de  le  voudront  voir,  ajoutaient-ils  ,  le 
l'imprécation  devait  être  la  mort  trouveront  dans  un  tel  logis  ,  et  nous 
subite  de  l'un  ou  de  l'autre ,  et  par  vous  prédisons  que  tous  ceux  qui 
conséquent  ,  aucun  d'eux  ne  pouvait  n'obéiront  pas  à  ce  roi  de  toute  l'Eu- 
changer  de  parti.  Le  mort  ne  le  pou-  rope  ,  se  tueront  les  uns  les  autres  , 
vait  faire  ,  et  le  survivant  n'aurait  eu  et  que  la  reine  sera  détrônée  (9). 
garde  d'abandonner  la  religion  à  Avant  que  de  faire  cette  équipée  ils 
laquelle  le  mauvais  succès  de  l'im-  avaient  été  trouver  un  ministre  puri- 
précation  de  son  adversaire  aurait  tain  nommé  Wiggington  ,  et  lui 
rendu  un  témoignage  si  authentique,  avaient  protesté  que  ,  la  nuit  derniè- 
Mais  il  ne  faut  point  attendre  que  re,  Jésus-Christ  s'était  apparu  à  eux  , 
des  visionnaires  si  extra vagans  évitent  non  pas  en  corps  ,  mais  selon  l'esprit 
les  contradictions.  Hacket  ayant  ac-  principal  par  lequel  il  habitait  dans 
cusé  du  crime  de  félonie  deux  grands  Guillaume  Hacket  avec  plus  de  plé- 
seigneurs,  leur  proposa  un  sembla-  nitude  que  dans  aucun  autre  ,  et 
ble  formulaire  de  prier  (  6  ).  C'est  qn'Hacket  était  l'ange  même  qui  de- 
ainsi  qu'il  appelait  son  serment  exé-  vait  venir  avant  la  fin  du  monde  ,  le 
eratoire.  Si  après  l'avoir  fait,  leur  van  et  la  houlette  à  la  main,  pour  sé- 
dit-il,  vous  ne  mourez  pas  ,  je  me  parer  les  boucs  d'avec  les  brebis;  qu'il 
soumettrai  à  la  peine  du  talion.  Mais  foulerait  Satan  sous  ses  pieds,  et  qu'il 
si  vous  refusez  de  le  faire  ,  et  si  je  le  renverserait  de  fond  en  comble  le  re- 
fais sans  qu'il  m'en  arrive  du  mal,  gne  de  l'antechrist  (10).  Le  jour  qu'ils 
vous  serez  condamnés  à  perdre  la  allèrent  prêcher  ce  nouveau  règne 
tête.  Les  juges  le  renvoyèrent  comme  par  les  rues  de  Londres  ,  Hacket  leur 
un  fou.  commanda  de  dire  ,  que  Jésus-Christ 

Il  imposa  à  beaucoup  de  gens  par  était  venu  le  van  à  la  main  pour  juger 
cette  sorte  de  prière  ,  et  il  leur  per-  le  monde  ,  et  que  cela  n'était  pas 
suada  que  pour  les  péchés  des  hom-  moins  véritable  qu'il  est  véritable 
mes  ,  les  diables  et  les  sorcières  lui  que  Dieu  est  au  ciel.  Ils  s'acquittèrent 
avaient  fait  souffrir  pendant  deux  ponctuellement  de  la  commission ,  et 
mois  les  peines  mêmes  de  l'enfer  ,  ou  lorsqu'ils  furent  sur  le  chariot  ils 
peu  s'en  était  fallu  (7).  Camden  rap-  déclarèrent  qu'Hacket,  déjà  glorifié 
porte  qu'en  jurant  sur  sa  damnation  quant  au  corps  ,  participait  à  Jésus- 
Christ  par   son  esprit  principal ,  et 

(5)  JEternœ  damnalioni  è  vpsligio  mbeundœ. 
Fitz  Simon,  lîritannom.  ministror. ,  pag.  aoï.  (8)  Canulen.  ,    Annal, ,   part.    IV,  pag.  m. 

(fi)  Ad  similrm  quoque  (  ni  âicebal  )    orandi  6l9i  atl  ann-  l59l- 
modum  dunr  procerum  quibus  noxam  perduel-         (9)  Fil?.   Simon  ,  Britannomacbia    rainistior., 

lionis  objecil  provocavit.  Idcui.,  ibitl.,  pag.  204.  P"g'  2°5. 

(7)  Idem,  ibidem.  (10)  Camden. ,  Annal.,  part.  IV,  pag.  6ïO. 


HADRIEN. 


qu'il  était  là  arec   le  van  pour  e'tablir 
l'Evangile  dans  l'Europe. 

(D)  Il  prononça  des  blasphèmes 

Îue  je  ne  rapporterai  qu'en  latin.  ] 
ls  surpassent  ceux  de  Caligula  (i  i)  , 
et  néanmoins  ils  servaient  de  conclu- 
sion à  une  prière  très-dévote  ;  et  de 
là  l'on  peut  infe'rer  qu'il  n'y  a  point 
de  folie  dont  l'esprit  de  l'homme  ne 
soit  capable.  «  H<cc  fuit,  ultima  ejus 
i>  oratio.  Deus  cœli  ,  potentissime 
»  Jehovad,  Alpha  et  Oméga,  Domine 
»  Dominorum  ,  Rex  Regum  ,  aeterne 
»  Deus.  Tu  me  nôsti  verum  istum 
»  Jehovah  quem  misisli.  Miraculum 
»  aliquod  ex  minibus  ostende  his  in- 
w  fidelibus  ,  et  libéra  me  ab  his  ini- 
»  micis  meis.  Sin  minus  ,  cœlos  suc- 
«  cendam  ,  et  te  è  throno  detractum 
»  manibus  meislacerabo  (12).  >■  Cam- 
den  ,  ayant  rapporté  les  mêmes  blas- 
phèmes presque  en  mêmes  mots  , 
ajoute  qu'Hacket  en  prononça  d'au- 
tres encore  plus  exécrables.  Aliaque 
inagis  infanda.  Conversus  ad  carni- 
ficeni  laqueum  admoventem.  Tune 
spurie  ,  inquit  ,  Hackettum  regem 
tuum  suspendes  ?  Laqueo  innodatus 
oculis  in  cœlum  sublatis  ,  Hoccine  , 
inquit  frendens  ,  pro  regno  collato 
rependis?  venio  ulturus  (,i3).  Cet  his- 
torien observe  que  ce  fanatique  et  ses 
deux  adjoints  n'ùtérent  point  leur 
chapeau  quand  ils  furent  amenés 
devant  leurs  juges ,  et  qu'ils  répondi- 
rent impudemment  qu'ils  étaientau- 
dessus  des  magistrats  ;  qu'ensuite 
Hacket  se  reconnut,  accusé  (i4)  5  mais 
qu'il  répondit  d'une  manière  si  blas- 
phématoire, que  tous  les  auditeurs 
en  frémirent.  Il  y  avait  là-dedans 
peut-être  bien  de  la  fraude  ;  car  que 
sait-on  s'il  ne  voulait  pas  insinuer  à 
ses  juges  qu'il  avait  perdu  l'esprit. 
Quoi  qu'il  en  soit,  ses  autres  gestes  , 
et  sa  gravité  affectée  ne  marquaient 
aucune  folie  (i5).  C'est  Camden  qui 
dit  tout  cela.  Notez  qu'Arthington  se 
repentit  ,  et  qu'il  publia  même  un 
livre  qui  témoigna  sa  repentance  (16). 
(E)  //  était  rempli  de  haine  pour  la 

(11)  Voyez  à-dessus  ,  remarque  (F)  de  l'art. 
C.AL1011L1,  tom.  IV,  pag.  317- 

(12)  Fitz  Simon,  Britannumachia    roinUtror.  , 
pag.  2o5  ,  20G. 

(i3)  Camden. ,  Annal. ,  part.  TV,  pag.  6aî. 

(i4)  Se  reum  agnovd.  Idem  ,  ibid. 

(i5)  Idem,  ibid. 

(16)  Idem,  ibid.,  pag.  6s3. 


423 


reine  Elisabeth.  ]  Il  ne  voulut  jamais 
prier  Dieu  pour  elle  ,  et  son  dessein 
fut  de  lui  ôter  et  la  couronne  et  la 
vie  ,  et  de  changer  toute  la  forme  du 
gouvernement.  Il  entendait  tête  nue 
la  prédication  ;  mais  il  mettait  son 
chapeau  dés  qu'il  s'apercevait  que 
Ls  prières  de  la  compagnie  faisaient 
mention  de  la  reine  (17).  Il  avoua 
devant  les  juges  qui  lui  firent  son 
procès ,  qu'il  avait  percé  au  cœur 
avec  un  stylet  de  fer  l'effigie  de  cette 
princesse  ,  et  qu'il  ne  l'avait  jamais 
reconnue  pour  reine.  Julii  30  et  a3 
pal'am  confessas  est  Hacketus  résina* 
imaginent  se  transfixisse  ad  cor  stylo 
ferreo  ,  eamque  pro  regind  non  ha- 
buisse  (18).  Un  peu  avant  que  d'être 
étranglé  il  lui  soubaita  toutes  sortes 
de  malédictions  (19). 

(17)  Fitz   Simon,  Britannoniackia  ministror., 
pag.  204. 

(18)  Idem  ,  ibid.  ,  pag.  2o5. 

(19)  Dirit  omnibus  reginam  devovil.   Idem  , 
ibidem. 

HADRIEN  (Publius  JEtws) , 
empereur  romain  ,  fournirait  un 
très-long  article  ,  si  l'on  ne  vou- 
lait rien  oublier  de  ses  principa- 
les qualités  et  de  ses  principa- 
les actions.  Il  se  faudra  conten- 
ter de  quelques-unes  ;  et  l'on  ré- 
pétera le  moins  qu'on  pourra  ce 
qui  s'en  voit  dans  le  Dictionnaire 
de  Moréri  ,  où  cet  article  n'est 
pas  trop  rempli  de  fautes  (A). 
Hadrien  ,  né  à  Rome  ,  le  24  de 
janvier  76  (R),  perdit  son  père 
dix  ans  après  (C) ,  et  eut  pour 
tuteurs  Trajan,  son  parent  (D), 
et  Caelius  Tatianus ,  chevalier  ro- 
main. L'étude  du  grec  fut  telle- 
ment de  son  goût,  qu'il  fut  ex- 
posé par-là  aux  atteintes  des  rail- 
leurs (a).  Il  servit  de  bonne  heure 
dans  les  armées ,  et  il  était  tri- 
bun d'une  légion  avant  la  mort 
de  Domitien.  L'armée  de  labasse 

(a)  Imhutusque  impensius  grœcis  Studiis, 
ingenio  ejus  sic  ad  ea  déclinante  ut  à  non- 
nullis  Grœculusdkercliir.  Sparlian.,  in  ejus 
Viti. 


4?4  HADRIEN. 

Mésie  le  choisit  (b)  pour  com-  sapourTrajan  augmentèrent  son 
pliruenter  Trajan  ,  adopté  par  crédit  (F).  Après  la  levée  du  sié- 
l'empereur  Nerva  ;  et  ce  fut  lui  ge  d'Atra  en  Arabie,  Trajan  ma- 
qui  apporta  à  Trajan  la  première  lade  et  résolu  de  s'en  retourner 
nouvelle  de  la  mort  de  Nerva.  Il  à  Rome  ,  lui  laissa  le  commande- 
regagna  les  bonnes  grâces  de  cet  ment  de  l'armée.  Il  lui  avait  dé- 
empereur, qu'il  avait  presque  jà  donné  le  gouvernement  de  Sy- 
perdues  par  les  dépenses  excessi-  rie  ;  et  se  sentant  proche  de  sa  fin  , 
ves  qui  l'avaient  contraint  des'en-  il  l'adopta  (Z).  Nous  examinons 
detter.  Il  épousa  (c)  une  petite-  dans  l'article  de  Plotine  (m)  si 
nièce  (d)  de  ce  prince  (E)  ;  et  il  cette  adoption  fut  supposée.  Ce 
euten  la  personne  de  l'impératri-  qu'il  y  a  de  bien  sûr,  est  qu'Ha- 
ce(e)  un  patron  d'une  grande  for-  drien,  ayant  reçu  à  Antioche 
ce.  On  le  trouva  si  grossier  dans  presque  en  même  temps  la  nou- 
la  harangue  qu'il  récita  devant  velle  de  son  adoption  et  celle 
le  sénat,  pendant  qu'il  était  ques-  de  la  mort  de  Trajan  ,  se  fit  dé- 
teur  (f)  ,  qu'on  le  siffla  ;  ce  qui  clarer  empereur  le  1 1  d'août  1 1 7. 
fut  cause  que  s'appliquant  beau-  Une  des  premières  choses  qu'il 
coup  au  latin ,  il  y  devint  très-  fit  fut  d'abandonner  presque  tou- 
habile  et  très-éloquent.  Il  ac-  tes  les  conquêtes  de  Trajan ,  et 
compagna  Trajan  dans  l'expédi-  de  se  contenter  que  l'Euphrate 
tion  contre  les  Daces(g-)  ;  et  pour  servît  de  bornes  à  l'empire  (G). 
lui  faire  bien  sa  cour  il  but  d'im-  Il  ne  fut  de  retour  à  Rome  qu'en 
portance ,  et  en  fut  magnifique-  l'année  1 18.  Le  sénat  lui  décer- 
ment  récompensé.  Il  avait  exer-  na  le  triomphe,  et  le  titre  de 
ce  la  charge  de  tribun  du  peuple  père  de  la  patrie  (n)  ;  mais  il  re- 
(h) ,  lorsqu'il  alla  avec  Trajan  à  fusa  le  tout ,  et  voulut  que  l'on 
la  seconde  guerre  des  Daces.  Il  y  donnât  le  triomphe  à  l'image  de 
fit  de  belles  actions ,  et  y  reçut  Trajan.  Les  libéralités  qu'il  fit  au 
un  présent  qui  lui  donna  quel-  peuple  sont  des  plus  extraordi- 
que  espérance  de  succéder  à  l'em-  naires  (H).  L'année  suivante  il 
pire  (i).  Il  fut  fait  préteur  quel-  alla  dans  la  Mésie  pour  repousser 
que  temps  après  ;  ensuite  de  quoi  les  Sarmates  (o).  On  fit  mourir  à 
il  commanda  dans  la  basse  Pan-  Rome,  pendant  son  absence,  plu- 
non  ie  ,  avec  une  si  bonne  con-  sieurs  personnes  du  premier  mé- 
duite  qu'elle  lui  valut  le  consulat  rite  (p);  et  il  eut  beau  protester 
(k).  Les  harangues  qu'il  compo-   qu'il  n'en  avait  point  donné  les 

ordres ,   il   ne   laissa  pas   d'être 
(!'\  £"  ?7'  chargé  de  toute  la  haine  de  ces 

(<•)  En  l  an  ioo.  .    ,  °  T  .  . 

(d)  Sabine.  Voyez  son  article.  [  Cet  ai-    violences.  Jamais  prince  ne  voya- 

licle  n'existe  pas,  mais  voyez   la   remarque  gea    autant    que    lui  ;    il    nV    eut 

(F)  de  l'article  Suétone,  tom.XIII.]  D  1  J 

(e)  Voyez  l'art,  de  Plotine,  tom.  XII.  (r)  Ex  spartiano  ,  in  Hadriano. 
(/)  En  l'an  loi .  (    .  Fe  ue  (G). 

(s-)  En  loi   ou  102.  ;  ■■',  '      ,        .         ...        T,  _.. 

(l\  En  io*)  (")       accepta  depuis  ce  litre.  Voyez  1  il- 

(i), Marnante  eemmâ  auam  Traianus  à     le<"ont  '  note  F"*fcw  *ur  l'Histoire  d'Ha- 


drien. 


Neivd  acceperat  donatus  ad  spem  successio- 

nis  erectus  est.  SparUan. ,  in  Hadriaao.  (<0  sPart-  •  in  Hadriano. 

(/•)  En  109.  (p)  Idem  ,  ibid,  Dion.  ,  lib.  LXIX. 


HADRIEN.  4^5 
presque  point  de  province  dans  donna  à  la  mollesse,  et  puis  à  la 
l'empire  qu'il  n'honorât  de  sa  cruauté  ;  car  il  fit  mourir  plu- 
présence  :  et  comme  il  était  ma-  sieurs  personnes  ,  ou  par  une 
gnifique ,  et  qu'il  voulait  tout  violence  ouverte  ,  ou  par  des 
connaître  par  lui-même,  il  lais-  voies  occultes  ;  et  n'épargna  pas 
sait  partout  des  marques  de  sa  même  son  beau-frère  Servien  , 
libéralité  ,  et  de  son  exactitude  qui  était  âgé  de  quatre-vingt-dix 
à  examiner  la  conduite  des  gou-  ans.  Lucius  Vérus  étant  mort  le 
verneurs.  On  croit  qu'il  com-  ier.  de  janvier  1 38  ,  Hadrien 
mença  ses  voyages  en  l'année  120.  adopta  Titus  Antonin ,  et  le  char- 
II  alla  voir  les  Gaules ,  la  Ger-  gea  d'adopter  Marc  Annius  Vé- 
manie  et  l'Angleterre ,  où  il  fit  rus  ,  et  le  fils  de  Lucius  Vérus. 
construire  une*  muraille  pour  L'hydropisie  de  cet  empereur 
empêcher  que  les  insulaires  sou-  l'accabla  et  le  chagrina  tellement, 
mis  à  son  obéissance  ne  fussent  qu'il  en  devint  comme  furieux 
ravagés  par  ceux  qui  avaient  se-  (K).  Ou  employa  tous  les  remè- 
coué  le  joug  romain.  Il  repassa  des  imagiuables  pour  le  guérir, 
dans  les  Gaules,  l'an  121  ,  d'où  Le  soulagement  que  l'art  magi— 
il  alla  en  Espagne.  On  croit  que  que  lui  procura  ne  fut  point  de 
ce  fut  alors  qu'il  alla  voir  la  Mau-  longue  durée  (/■).  On  manda  un 
ritanie.  Son  premier  voyage  dans  grand  nombre  de  médecins  ,  et 
l'Orient  fut  assez  long  ;  car  il  ne  c'est  à  quoi  quelques-uns  disent 
fut  de  retour  en  Grèce  qu'en  qu'il  attribua  sa  mort  (L).  Pour 
l'année  125.  Il  passa  l'hiver  à  le  tirer  de  son  désespoir,  on  fei- 
Athènes,  et  s'y  fit  initier  aux  gnit  qu'il  avait  fait  des  guérisons 
mystères  de  Cérès.  Il  était  à  miraculeuses  (M)  :  mais  malgré 
Rome  au  commencement  de  l'an-  tant  d'artifices  il  se  serait  tué 
née  1 29  (q) ,  et  l'on  croit  qu'il  lui-même ,  si  on  ne  l'en  avait  em- 
alla  en  Afrique  la  même  année;  péché  (s).  Il  cherchait  la  mort 
et  qu'après  être  revenu  à  Rome  ,  et  ne  la  pouvait  trouver  (N).  Elle 
il  commença  son  autre  voyage  vint  enfin  le  10  de  juillet  i38. 
d'Orient ,  en  l'année  i3o.  Après  II  mourut  ce  jour-là  à  Baies,  cou- 
avoir  parcouru  l'Asie,  où  plu-  rant sa  soixante-troisième  année, 
sieurs  rois  lui  vinrent  faire  la  ayant  régné  vingt  et  un  ans  à 
révérence,  il  s'en  alla  en  Egypte,  trente  jours  près.  Les  vers  latins 
l'an  i32.  Il  passa  l'hiver  à  Athè-  qu'il  adressa  à  son  âme  (/)  nous 
nés  ,  l'an  1 35  ,  et  au  printemps  apprennent  l'incertitude  où  il 
suivant  il  fut  de  retour  à  Rome,  était  sur  l'autre  monde.  C'était 
Il  adopta  Lucius  Aurélius  Annius  un  prince  qui  avait  et  de  grandes 
Ceionius  Commodus  Vérus  ,  qui  vertus  et  de  grands  vices.  Il  était 
quoique  chargé  d'assez  de  noms  libéral  ,  laborieux  («)  ,  civil  , 
prit  encore  celui  d'iElius.  Après  exact  ;  maintenait  l'ordre  et  la 
cette  adoption  ,  Hadrien  se  retira  discipline  ;  soulageait  les  peuples, 
à  Tibur,  où  il  fit  faire  de  super-  (r)  xi^uin. ,  m  Hadriano. 

bes  bâtimens  (I)  ,  et  OÙ  il  s'abail-         (s)  Idem  ,    ibid.   Spartian.  ,     in    Hadria- 
no. 
(q)   Digeslor.  5,  Ht.  3,  /.  20  ,  png.  17^.         (t)  Spartian. ,  ibid. 
Apud  TiilemoBt ,  Histoire  d'Hadrien,  {u)  Voyez  la  remarque  (P) ,  à  la  fin. 


426  HADRIEN. 

rendait  justice  avec  une  applica-  nés  intéressées  à  ces  faits.  La  ta- 
tion  singulière  ,  et  punissait  ri-  ble  alphabétique  indiquera  cha- 
goureusement  ceux  qui  ne  s'ac-  que  chose.  Le  sénat  ne  donna 
quittaient  pas  bien  de  leurs  char-  qu'aux  larmes  et  aux  prières 
ges.  Il  avait  infiniment  de  l'es-  d'Antonin  que  les  actes  d'Hadrien 
prit ,  beaucoup  de  mémoire  (x),  subsistassent  {bb)\  car  on  avait 
et  en  tendait  parfaitement  les  arts  résolu  de  les  casser  :  mais  quand 
et  les  sciences,  et  composa  plu-  une  fois  la  résolution  fut  éludée, 
sieurs  livres  (0).  Il  a  été  d'ail-  Antonin  obtint  tout  ce  qu'il  vou- 
leurs  cruel,  envieux,  impudique,  lut,  savoir  l'apothéose  d'Hadrien, 
superstitieux  ,  et  adonné  à  la  II  lui  fit  bâtir  un  temple  à  Pou- 
magie.  Quoi  de  plus  abominable  zoles  ,  et  y  établit  des  jeux,  avec 
que  sa  passion  pour  Antinous  (j-)?  des  communautés  de  prêtres,  et 
Je  laisse  là  son  excessive  curiosité  les  autres  assortimens  de  la  déifi- 
(P).  Il  ne  publia  point  d'éditcon-  cation  (ce).  Hadrien  n'avait  pas 
tre  les  chrétiens,  mais  on  ne  attendu  jusqu'à  ce  temps-là  à 
laisse  pas  de  croire  que  sa  super-  goûter  des  honneurs  divins  ,  il 
stition  excessive  fut  cause  qu'ils  s'était  emparé  lui-même  de  la 
furent  persécutés.  Il  eut  égard  couronne  céleste.  Il  se  consacra 
aux  apologies  que  Quadrat  et  à  lui-même  un  autel  dans  Athè- 
Aristide  lui  présentèrent  pour  nés,  au  temple  de  Jupiler  Olym- 
eux.  Les  Juifs ,  s'étant  soulevés  pien  ;  et ,  à  mesure  qu'il  passait 
tout  de  nouveau  sous  son  règne,  par  plusieurs  ville  d'Asie  ,  il  mul- 
se  défendirent  pendant  trois  ans  tipliait  les  temples  qu'il  se  bâtis- 
contre  les  troupes  qu'il  envoya  sait  (dd).  Il  n'y  a  nulle  apparence 
dans  leur  pays;  après  quoi  ils  qu'il  les  destinât  à  Jésus-Christ  ; 
succombèrent,  et  furent  traités  et  l'on  ne  sait  d'où  Lampridius 
avec  la  dernière  sévérité  (z).  Ils  avait  tiré  ce  qu'il  conte  là-dessus 
content  une  fable  ridicule ,  con-  (Q).  Il  ne  paraît  pas  qu'autre 
cernant  une  question  qu'ils  sup-  que  lui  ait  eu  connaissance  de 
posent  avoir  été  faite  par  cet  em-  cette  source, 
pereur  à  un  rabbin,  sur  le  chapi- 
tre  de  la  résurrection.  J'en  parle  ESpi^.^779-  SpMt"  ■*■* 

dans  l'article    BaRCOCHÉBAS   {aa)  ,         (CC) Spart.,  ibid.  rirfee*ia7ttCapitolinum, 

comme  aussi  des  choses  qui  fu-  »'«  Antonino,  pag.  m.  249. 

rent  faites  alors  en   Judée.  Plu-  W>  «*»*■.  *w-  »•  ««■ 

sieurs  faits  particuliers  qui  ser-  (A)  ])ansMorérL...  cet  article  n'est 

vent  à  faire  connaître  le  caractère  pas  tvop  rempli  de  fautes.  ]  C'est  un 

d'Hadrien  ,    sa    jalousie    contre  des  meilleurs.  J'ai  remarqué  pourtant, 

ceux  qui     excellaient     dans    les  sans  eJ?fer  dans  un  examen  univer- 

*                                          j-  sel ,   dix  ou  douze  choses  dont  ]e  ne 

arts, etc.,  se  trouveront  en  divers  crois  pas  qu,Qn  puigse  donner  des 

endroits  de  ce  Dictionnaire  ,  se-  preuves  :  i°.  qu'il  y  avait  en  Italie  une 

Ion  que  l'on  parlera  des  person-  ville  nommée  Italica  ;  20.  qu'Hadrien 

fit  rétablir  Adria  ;  3°.  qu'à  son  retour 

(x)  Voyez  la  remarque  (A) ,  à  lajin.  d'Angleterre  il  apprit  dans  le  Langue- 

(.r)  Voyez  l'article  Antinous  ,  tom.  1T.  doc  la  mort  de  Plotine  ;  4'\  qu'il  lui 

(z)  Voyez Tillemont ,  Histoire  d'Hadrien,  fit  bâtir  un  temple  à  Nîmes;  5°.  que 

{aa)  Remarque  (K) ,  tom,  III,  pag  119.  Quadrat   et  Aristide  étaient  assistés 


«3e  Sévérus  ,  Tan  des  lieutenans  de 
l'empereur  ,  lorsqu't'/s  présentèrent 
îles  livres  en  faveur  de  la  religion 
chrétienne  ;  6°.  que  la  ville  de  Jéru- 
salem et  la  ville  d'iElia  étaient  deux 
\illes  différentes  dans  la  Judée  :  n°. 
que  Plutarque  fut  précepteur  d'Ha- 
drien ;  8°.  qu'Hadrien  rappella  à  Ro- 
me Epictète  ,  Numénius  ,  et  d'autres 
savans  ;  90.  qu'il  en  envoya  d'autres 
à  Alexandrie  pour  y  enseigner  toutes 
les  sciences,  avant  qu'H  allât  lui- 
même  danscette  ville  ;  io°.  qu'il  savait 
les  mathématiques  ,  et  qu'il  en  a  fait 
des  traités  ;  u°.  qu'il  mourut  le  12 
juillet  de  l'an  1 38  ,  en  ayant  régné 
vingt,  10  mois  et  29  jours;  ia°.  que 
Phavorin  fut  son  secrétaire.  On  a  vu 
dans  mon  article  qu'Hadrien  mourut 
le  10  de  juillet. ,  et  qu'il  commen- 
ça de  régner  le  1 1  d'août.  S'il  était 
mort  le  12  de  juillet,  il  eût  fallu  dire 
qu'il  régna  vingt  ans  ,  onze  mois  et 
un  jour.  Prenez  bien  garde  que  je  ne 
veux  pas  nier  qu'il  n'ait  reçu  une  let- 
tre de  Sérénius  Granius,  proconsul 
d'Asie  .  qui  l'exhortait  à  l'équité  en- 
vers les  chrétiens,  et  qu'il  n'ait  étu- 
dié la  géométrie.  Spartien  le  dit  nom- 
mément (1),  et  M.  Moréri  a  bien  fait 
de  le  dire  aussi  5  mais  outre  cela  il  fait 
mention  des  mathématiques.  Ceux 
qui  l'ont  trompé  n'ont  pas  su  que 
Mathesis  ,  dans  Spartien ,  ne  signifie 
que  l'astrologie.  Mathesin  sic  scire 
sibi  l'isus  est ,  ut  sern  Calendis  janua- 
riis  scripserit  quid  et  toto  anno  pos- 
set  evenire.  Je  passe  à  M.  Moréri  ce 
qu'il  dit  de  la  mémoire  d'Hadrien  ;  il 
outre  la  chose.  Il  avait,  dit-il,  une 
mémoire  si  heureuse  ,  qu'il  savait  le 
nom  des  lieux ,  des  places  et  des  ri- 
vières où  il  avait  passé  ,  et  même  de 
tous  les  soldats  de  ses  armées.  Cette 
idée  va  plus  loin  que  celle  qu'Auré- 
lius  Victor  nous  donne  par  ces  paro- 
les :  Memor  supra  quant  cuiquam  cre- 
dibi/e  est ,  tocos  ,  negotia  ,  milites  ab- 
sentes quoque  nominibus  recensere. 
Spartien  particularise  encore  plus  (2), 

(1)  Ceci  ne  se  doit  entendre  que  de  l'étude  de 
la  géométrie. 

(1)  Nomina  plurimis  xine  nomenclalore  red- 
didït  quœ  semel  et  congesta  simul  aud'werat  ; 
nomenclatures  scepius  errantes  emendaverit. 
Dixit  et  veleranorum  notnina  nuos  aliquatido 
duniserat  :  libros  statim  lectos  et  ignotos  qui- 
detn  plurimis  memoriter  redâidit  :  uno  tempore 
scripsit ,  dictavit ,  audit  a  ,  et  eu  m  amicis  fabu- 
lants est.  Spartian. ,  in  HadriaDO. 


HADRIEN.  427 

et  néanmoins  il  demeure  fort  au  deçà 
de  Moréri. 

(B)  Hit'lrien  ne  a  Rome  le  l\  de 
janvier  7G...]  Ce  qui  me  fait  croire 
qu'Eutrope  n'a  pas  dû  dire  qu'Ha- 
drien naquit  à  Italica  ,  est  le  détail 
Sue  Spartien  nous  donne  de  la  famille 
e  cet  empereur.  Il  remarque  que  les 
ancêtres  d'Hadrien  ,  originaires  d'A- 
dria  en  Italie,  s'établirent  à  Italica  en 
Espagne  ,  au  temps  des  Scipions  ,  etc. 
Il  cite  Hadrien  même,  qui  l'avait  ainsi 
écrit  dans  l'histoire  de  sa  vie.  Sans 
doute  Spartien  avait  lu  dans  le  même 
ouvrage  ce  qu'il  ajoute  en  même 
temps,  qu'Hadrien  naquit  à  Rome  ix 
Ki/.  feb.  sous  le  septième  consulat  de 
Vespasien  et  le  cinquième  de  Titus. 
(C). . .  perdit  .son  père  dix  ans  après.~\ 
Il  s'appelait  jElius  Hadrianus  Afer. 
On  conjecture  que  le  gouvernement 
d'Afrique  lui  lit  porter  le  surnom 
iïAfer ,  et  qu'il  ne  faut  pas  le  distin- 
guer de  ce  président  Hadrianus ,  qui 
fit  mourir  ,à  Tripoli,  le  saint  martyr 
Léontius,  sous  l'empire  de  Vespasien. 
Les  actes  de  ce  martyre,  insérés  dans 
la  collection  de  Métaphraste ,  portent 
que  le  président  Hadrianus, qui  jugea 
lui-même  Léontius  ,  était  sénateur. 
Or  Suidas  remarque  que  le  père  de 
l'empereur  Hadrien  était  sénateur , 
et  qu'il  avait  été  préteur.  Voilà  les 
fondemens  assez  raisonnables  de  la 
conjecture  du  sieur  Tristan  (3).  Je  ne 
sais  pourquoi  Casaubon  (4)  a  censuré 
ces  paroles  de  Xiphilin  ,  Av  Si  'AJfiat.- 
voç  yîvoç  /j.sv  ' AtTpiatvot/  "Açpou  t/ioc  ;  car 
après  avoir  bien  crié ,  il  a  fallu  de- 
meurer d'accord  que  ces  paroles  peu- 
vent signifier  qu'Hadrien  était  fds 
d'Hadrien  Afer.  C'est  sans  doute  leur 
véritable  et  naturelle  signification  , 
comme  Saumaise  (5)  le  déclare.  Ainsi 
on  aurait  grand  tort  de  censurer 
Xiphilin  ,  comme  si  ,  en  abrégeant 
Dion  ,  il  avait  gâté  ce  qui  concernait 
la  généalogie  d'Hadrien  ,  et  fait  d'une 
famille  espagnole  une  famille  afri- 
caine. Il  est  vrai  que  Cédrénus  ,  n'en- 
trant pas  bien  dans  le  sens  de  Xiphi- 
lin ,  y  a  trouvé  l'occasion  d'un  gros 
mensonge  ;  car  il  a  dit  que  l'empereur 
Hadrien  était  Africain  d'extraction. 
N'oublions  pas    que  Domitia  Pauli- 

(3)  Commentaires  historiques  ,  loin.   I ,  pag. 
456. 

(4)  In  Spartian.,  pag.  m.  •). 

(5)  In  Spartian. ,  pag.  7. 


428 


HADRIEN. 


ua,  mère  d'Hadrien,  e'tait  née  à  Ca-  pro  imperalore  dictaverat.  Casaubon 

dix  (6).  applique  ce  dictaverat  à  Sura,  ce  qui 

(D)    Trajan  son  parent.~\  Le  père  paraît  d'abord  rendre   pitoyable   le, 

d'Hadrien   était  cousin    germain    de  raisonnement  de  l'historien  :  car  est- 

Trajan  ;  car  il  était  fils  d'Ulpia  ,  sœur  ce  raisonner  que  de  dire  ,   après  la 

de  Marc  us   Ulpius  Trajan,  père  de  mort  de  Sura,  la  familiarité  d' Ha- 

l'empereur  Trajan.  Voyez  Casaubon,  drien  auprès  de  Trajan  devint  plus 

dans  son  commentaire  sur  Spartien.  grande  ,  surtout  a  cause  des  haran- 

La  parente  était  moindre  selon  Eu-  gués  que  Sura  avait  faites  pour  l ' em- 

trope  ,  qui  dit  que  la  mère  d'Hadrien  pereur  ?  Mais  quand  on  y  regarde  de 

était  cousine  de  Trajan  (7).  près  ,  on  trouve  que,  selon  le  sens  de 

(E) Il  épousa  une  petite-nièce  Casaubon,    il    n'y   a  que  défaut   de 

de  ce  princei~\  Nous  dirons  ailleurs  netteté  dans  les  termes  de  Spartien. 

qui  elle  était ,    et  comment  elle  se  Celui-ci  n'a  pas  voulu  dire  que  les 

trouva  de  son  mariage.  Il  suffit  de  mêmes  harangues  ,  je  dis  les  mêmes 

dire  ici  que  ceux  qui  assurent  (8),  en  nombre  que  Sura  avait   compo- 

qu'IIadrien  fut  marié   à    la  fille  de  sées  ,  augmentèrent  la  faveur  d'Ha- 

Trajan  se  trompent.  Il  ne  paraît  point  drien  5  il  n'a  parlé  que  des  harangues 

que    Trajan  ait  eu   des  enfans ,   ni  semblables    à   celles  de  Sura.    Ainsi 

qu'Hadrien  ait  eu  d'autre  femme  que  l'interprétation  de  Casaubon  ne  dif- 

Sabine ,  fille  d'une  nièce  de  Trajan.  fère    point    réellement   de    celle    de 

L'auteur  de  la  Chronique  d'Alexan-  M.  de  Saumaise ,  qui  est  très-bonne, 

drie   a    débité    une    plaisante    chi-  En  voici  le  sens.  Hadrien  s'insinua 

mère  ;  c'est  que  l'empereur  Hadrien  davantage  dans  l'amitié  de  Trajan  , 

épousa  la  fille  de  cet  Aquila  qui  fit  à  cause  qu'il  lui   rendit  les   mêmes 

une  version  de  la  Bible.   Saint  Épi-  services  que  Sura  lui   avait  rendus 

phane    semble    avoir    dit   la    même  dans  la  composition  des  harangues. 

chose    (9).   Tristan   (10)   accuse  ce"  Je  ne  voudrais  pas  changer  le  text< 

chroniqueur   d'Alexandrie,    d'avoir  comme  Saumaise  le  change,  ni  sup- 

dit  que, selon  saint  Epiphane,  Hadrien  poser  avec  lui  que  la  faveur  de  Plo- 

était  Grec  de  nation,  et  originaire  de  tine  fut  nécessaire   à   Hadrien,  afin 

Sinope.  Il  est  très-faux  que  saint  Epi-  d'obtenir  que  l'empereur  lui  donnât 

phane  le  dise  ;  il  ne  le  dit  que  d'A-  à  faire  ses  harangues.  Ce  n'était  pas 

quila.  une  dignité  assez  relevée  par  rapport 

(F)   Les  harangues  qu'il  composa  à  Hadrien  ,   pour  qu'il  n'y  pût  par- 

pour  Trajan  augmentèrent  son  cré-  venir  qu'avec  une  telle  intercession. 

dit.]  Je  veux  rapporter  les  paroles  de  H  y  a  eu  de  simples  maîtres  de  rhé- 

Spartien.    Defunclo    guident    Sura,  torique  que  l'on  a  employés  à  cela  , 

Trajani  ei  (Adriano)  familiaritas  cre-  témoin  ce  passage  de  Spartien  (11): 

vit,  causa  prœcipuè  oralionum  quas  JElius  Orationem pulcherrimam  quœ 

hodièque  legilur,  sive  per  se  ,  siveper 

(6)  Gadibul  orla.  Spartian.,  m  VitâHa.lriani.  scriniorum      Mit     DICENDI     MagISTROS 

(7)  Eum   Trajanus  quamquam  consobrinœ  pardssel.    Domitien    faisait    faire    à 
>/"/"/,  pirr's'"'  "d°Ptare-  Eutr°P-'  *»■  d'autres    ses  lettres,    ses  harangues 

(8;  Censtàntiniiskanasses,  Glycas,  J.  Tzet-  et  ses  e'd,lts  ('?)•  Néron  n'avait  point 

les,   cites  par  Trstari ,  Comment,  histor.  ,  tom.  composé   l'oraison   funèbre    de   Clau- 

*'F\S^54-    ...  .  dius,  qu'il  récita:  c'était  Sénèque  qui 

(9)  De  Ponder.b.  ««  Mens.  ,  cap.  XIV,  ou  il  V^fyfa   (l3)  '.   H  est  vrai  H„ue  les 

du  ttu^^vB^fm  sur  g„oi  le  père  Vètau  vieillards     ^ds  faiseurs  de  coin- 

fait  celte  remarque  :  Quœ  vox  cum  alibi  a  me  »        I  i        m.     i  1 

,  ».,_.«.<  paraisons  entre  le  présent  et  le  passe , 

lecta   non   fuent  ,  vel  TîVaspov    signifient,  vel  j  <         j.    «      1  i  j.  i\t  ■ 

»r«„fl<:«r~  m-  *  s'amusèrent  a  observer  qu  avant  Ne- 

7riVV(ftJU  filmni,    alhnem  certè.   Nos    socerum  •  i         •»  u 

.....  .       „    «  »t*ww»  ron  aucun   prince  n  avait  eu  besoin 

redtlulimii.s,  «nnsi  TTiVOifiQV  le^erctui"     auomorîn  n  '1  ■.  '        T*       'l 

.,        ,     .   ,  . r     •ro'rl""'.qu<""""o  dune   éloquence  empruntée.    lacite 

Alexancinni  cliromci  seriptorem  hic  lecissc  siispi-  j        1  i_       -i        rir    1 

„ ._  _.     Kr0      îui        i      l-  nous  apprend  cela  au  chapitre  111  du 

cor:  nam  pag.  5fj8  ex  hoc    •*  Jipliann  loco  histo-  VITI.    ,'.'  ,  ,  ,     r        A  , 

riamAquikePonticirefercns  :  'A*^*c,  inoui,,  }Ul   '  llVre  d°  ^  ^nales    :  yldnota- 

iyvupp™  ,  oç  h  rtritphç  •AifwoîiToS  hant  semores  >  dlt-ll>  1Uibns  obosum 
fca.<rihîa>;.  ( ,,)  /„  Vitfi  jElii  Veri. 

(io)  Coannrr.rniTî  historiques  ,  tom,  ! .  pas.         (12)  SiiPton.',  in  ejus  Vitû  .  cap  XX. 
455.  (iî;  Tarit  ,  Annal   ,  U,   XII I,  cap.  III. 


HADRIEN. 


4'-*9 


est  vetera  et  prœsentia  contendere  , 
primum  ex  Us  qui  rerum  potili  essent 
IVei'onem  alienœ  facundiœ  eguisse. 
M.  Spanheim  observe  que  les  empe- 
reurs romains  donnaient  quelquefois 
à  leurs  questeurs  la  charge  ,  non- 
seulement  de  composer,  mais  de  plus 
de  réciter  pour  eux  leurs  harangues  , 
ainsi  que  Suétone,  entre  autres,  le 
remarque  de  IVéron  et  même  d! Au- 
guste (  i4).  Au  reste,  si  nous  en 
croyons  l'empereur  Julien  (  i5)  ,  ce 
n'était  point  par  ignorance  ,  mais  par 
belle  paresse  que  Trajan  se  servait 
de  Sura. 

(G)  //  se  contenta  que  V Euphrate 
servît  de  \bornes  a  l'empire.  J  Saint 
Augustin  s'est  servi  de  cette  action 
d'Hadrien  pour  railler  les  idolâtres  , 
qui  disaient  que  le  dieu  Terme  n'a- 
vait point  voulu  ce'der  à  Jupiter 
même  ,  lors  de  la  construction  du 
Capitole,  et  que  c'avait  été  un  présage 
que  les  bornes  de  l'empire  romain 
ne  reculeraient  jamais.  Votre  dieu 
Terme  ,  leur  dit  agréablement  saint 
Augustin  (16)  ,  a  plus  redouté  Ha- 
drien le  roi  des  hommes  ,  que  Ju- 
piter le  roi  des  dieux.  Postea  in 
orientations  partibus  Hadriani  volun- 
tate  mutati  sunt  lermini  imperii  Ro- 
mani. Ille  namque  très piwincias  no- 
biles  Armeniam  ,  Mesopotamiam  , 
Assyriam  ,  Persarum  concessit  im- 
perio  ,  ut  Deus  ille  Terminus  qui  Ro- 
manos  terminos  secundum  illos  tue- 
batur,  et  per  illud pulcherrimum  aus- 
picium  loco  non  cesserat  Joui  ,  plus 
Hadrianum  regem  hominum  quant 
regem  deorum  timuisse  videatur.  Il 
n'y  a  nulle  apparence  que  l'abandon 
de  ces  conquêtes  ait  été  l'etlét  de 
l'envie  qu'Hadrien  portait  à  Trajan 
(17)  ;  car  que  pouvait-on  faire  de 
plus  glorieux  à  la  mémoire  du  dé- 
funt ,  que  de  montrer  qu'on  ne  pou- 
vait pas  maintenir  les  choses  au  point 
où  il  les  avait  portées  ?  Disons  donc 
que  l'impossibilité  de  garder  le  pays 
conquis  porta  Hadrien  à  ce  sacriiîce. 
Omnia  trans  Euphralem  ac   Tigrivi 

(14)  Spanb. ,  Noies  sur  les  Césars  de  Julien, 
pag.  232. 

(i5)  In  Cœsarib.  Voyet,  tes  Notes  de  M.  Span- 
heim . 

dfi)  Augustin.,  de  Civit.  Dei ,  lib.  IV,  cap. 
XXIX. 

(17)  Eutrope  ,  lib  VIII,  pag.  go,  l'a  dit 
pourtant  .Trajaui  gloriaîinvidens,  statiin  provin- 
cias  très  rciinuit  quas  Trojmus  addideiat. 


reliquit  exemplo ,  ut  dicebat ,  Catonis, 
qui  Macedonas  liberos  pronunciapit 
quia  leneri  non  poterant  (i8j.  Il  aima 
mieux  perdre  dans  la  comparaison 
qu'on  ferait  entre  son  prédécesseur 
et  lui ,  que  d'exposer  son  empire  aux 
désordres  qui  le  menaçaient  de  toutes 
parts.  Ammien  Marcelliu  a  dit  qu'a- 
vant Jovien ,  aucun  empereur,  ni 
aucun  consul  ,  n'avait  cédé  aux  en- 
nemis un  pouce  de  terre.  M.  Valois 
(19)  prétend  qu'il  a  pu  le  dire  ,  et 
que  Casaubon  n'a  pas  eu  droit  de  l'en 
critiquer  (20). 

(H)  Ses  libéralités sont  des  plus 

extraordinaires.]  «  Il  semble  qu'il  ait 
remis  généralement  tout  ce  qui  était 
dû  par  les  particuliers  de  Rome  et 
de  l'Italie;  et  clans  les  provinces, 
tout  ce  qui  était  dû  depuis  seize 
ans  ;  au  moins  dans  les  provinces 
impériales ,  car  Spartien  et  une 
inscription  de  cette  année  (118) 
semblent  se  restreindre  à  celles- 
ci Il   brûla   dans   la  place  de 

Trajan ,  les  obligations  et  les  mé- 
moires de  toutes  les  choses  dont  ii 
accordait  la  remise  ,  afin  qu'on  ne 
craignît  point  d'en  être  recherche 
à  l'avenir Cette  remise  se  mon- 
tait à  des  sommes  immenses  ,  et  de* 
personnes  habiles,  qui  ont  réduit  à 
la  valeur  des  monnaies  de  notre 
temps  ce  qui  en  est  marqué  dans 
les  bistoriens  ,  le  fout  aller  à' vingt- 
deux  millions  cinq  cent  mille  écus 
d'or.  Cette  libéralité  n'avait  point 
eu  d'exemples  jusques  à  lui  :  h 
mémoire  ne  s'en  est  pas  seulement 
conservée  dans  les  historiens ,  mais 
encore  dans  des  inscriptions  célè- 
bres de  cette  année  et  de  la  sui- 
vante ,  où  elle  peut  avoir  été  ache- 
vée ,  et  dans  des  médailles  qui 
nous  représentent  Hadrien  le  flam- 
beau à  la  main  ,  pour  mettre  le 
feu  aux  obligations  qu'il  avait  re- 
mises. »  Je  copie  ceci  de  M.  de  Til- 
lemont  (21)   :  on  peut  voir  dans  ses 

(18)  Spariian.  ,  in  Hadriano. 

(19)  In  Ammian.  Marcellin. ,  lib.  XXV,  cap. 
IX,  pag.  43g. 

(20)  Voyez  la  remarque  (D)  de  l'article  Jo* 
tiek  ,  loin.  FUI. 

(21;  Histoire  des  Empereurs ,  tom.  //,  pag. 
4o8  ,  4°9i  de  Bruxelles.  Il  cite  Dion,  lib. 
LXIX,  pag.  791  ;  Spartien  ,  in  Vilâ  Hadriani  ; 
les  Analecta  du  père  Wabillon  ,  loin.  IV,  pag. 
484,  48G;  Onufre,  in  Fastis ,  pag.  a»o  ;  Span- 
heim ,  «le  Numismat.  ,  pag.  8n. 


43o  HADRIEN. 

remarques  l'examen  de  plusieurs  dif-  bulas  piclas.  Joignons  à  cela  un  pas- 
fîculte's  touchant  cela.  Je  n'y  entre  sage  de  Spartien  (a5)  :  Tiburtinam 
point-  i'aime  mieux  faire  cette  re'-  vâlam  miré  exœdijicavil ,  ita  ut  in  ed 
flexion  qu'il  n'y  a  point  de  feu  de  et  provinciarum  et  locnrum  celeber- 
ioie  pour  quelque  ville  conquise,  ou  rima  nomina  inscriberet  :  velut  Ly- 
pour  quelque  bataille  gagnée  ,  qui  ceum,  Academiam,  Prytaneum,  Ca- 
puisse  avoir,  à  l'égard  des  peuples,  le  nopum,  Pœcilen,  Tempe  vocaret.  Et 
même  agrément  qu'ils  trouveraient  à  ut  nihil  prœtermitteret  ,  etiam  inj'eros 
un  feu  tel  que  celui  d'Hadrien.  J'ai  Jinxit. 

lu  quelque   part  que  l'ambassadeur        (K)  Son  hydropisie le  chagrina 

de  Venise  ayantbrûlé  devant  Henri  IV,    tellement ,  qu'il  en  devint  comme  fu- 
ies papiers  où  il  se  reconnaissait  re-    rieux.]  C'est  à  ce  temps-ci  qu'il  faut 
devable  de  plusieurs  sommes  à  cette    rapporter   ce  que   dit  Lampridius  , 
république  ,   ce   prince,    qui  aimait    qu'Hadrien   imposa  son  nom   à  une 
les  bons  mots  ,  se  mit  à  dire  ,   qu'il   ville  qui   s'appelait  Oresta  ,   et  que 
n' avait  jamais  vu  un  plus  beau  feu.    par  ce  moyen  sa  folie  se  passa  un  peu. 
Agésilas  ,  éphore   de    Lacédémone  ,    |Jn  oracle  lui  avait  donné   ce  con- 
s'était  servi  de  cette   pensée  ,    dans    seil.  Et  Orestam  quidem  urbem  Ha- 
une  occasion  semblable.  K«u  va.  7rctpa.   drianus  suo  nomini  vindicari jussit  eo 
cav  ^pêcoç-œv  ypct^/mctTiHa. c-uvtio-tviyx.ct.v-    tempore  quo  furore  cœperit  laborare , 
Têc  tk  cLyopàv ,   a.  KKctfia.  Kctxcucri ,   x.a.1    ui  ex  responso  quurn  ei  dictum  esset 
vivra.    o-uvQivrtç     tk    h  ,     ivi7rpr\ca.v.     ut  in  furiosi  alicujus  domum  vel  no- 
ipQûo-Mi   o%  <t>w>}èî,  oï  y-h  ntoûo-vA  khi    men  irreperet.  Nam  ex  eo  emollitam 
J'ctvtiç'tKoi  ,    ■7rtpi7ra.Touvrti    «t7r»xâov,    o    insaniam  ferunt ,   per  quam  multos 
Si    'Aytic-ihctoç  ,    a>o7rtp   tquCpiÇm  ,    eux-    senatores  occidi jusserat  ,  quibus  ser- 
ê<fM  Kctfji7rpQTipov  îcepa.xiva.1  qâîs  oùS~i  Ttup    Uatis  Antoninus  PU  nomen  menât  , 
ixtivou  Ka.BctpcéTtpov.   Ita  congestas   in    qubd  eos  pbst  ad  senatum  adduxit  , 
forum  debitorum  syngraphas  ,  quas    qU0S  omnes jussu  principis  interfectos 
claria  appellant ,  omnes  coacervatas    credebant  (26).  Le  sieur  Tristan  (27) 
concremaverunt.  Sublatâflammâ  pe-    a  bronché  deux   fois  sur  ce  passage 
cuniosi  et  fœneralores  ,  qui  ibi  deam-    assez  lourdement.  Il  attribue  à  Lam- 
bulabant,  digressi  sunt.  At  Agesi-    pridius    d'avoir    assuré    qu'Hadrien 
laus  ,   quasi   illudens    Mis  ,   negavit    guérit    de    la    frénésie    après    avoir 
clarius  se  lumen  vel  ignem  lucuhorem    visité   la  ville   d'Oresta  ;   et  il  veut 
vidisse  (2-2).  que  cela  soit  arrivé  au  commence- 

(I)  Après  l'adoption  de  L.  Vérus  ,  ment  de  l'empire  d'Hadrien.  Il  était 
il  se  retira  a  Tibur  ou  il  fil  faire  de  facile  de  connaître  que  Lampridius 
superbes  bdtimens.]  Aurélius  Victor  ne  parle  point  d'un  voyage  de  cet 
(2.3)  décrit  assez  vivement  la  vie  empereur,  et  que  ce  qu'il  dit  se  doit 
molle  que  cet  empereur  menait  dans  rapporter  au  temps  qu'Antonin  était 
cette  retraite  ,  pendant  que  Lucius  déjà  adopté.  Or  il  ne  le  fut  que  peu 
JElius  César  gouvernait  à  Rome  ;  mais  de  mois  avant  la  mort  de  ce  prince, 
il  fait  une  lourde  faute  de  chrono-  ,j^  Quelques-uns  disent  qu'il  tit- 
logie.  Il  fait  entendre  qu'Hadrien  se  trivua  sa  mort  au  grand  nombre  de 
plongea  alors  dans  les  infamies  de  inL:(lecins.\  Xiphilin  rapporte  (28) 
l'amour  d'Antinous  :  c'est  ignorer  qu'Hadrien  rendit  l'âme  en  s' écriant, 
que  la  mort  d'Antinous  ait  précédé  fa  muitiUl(le  des  médecins  a  fait  périr 
l'adoption  d'jElius  Vérus.  Quant  aux  ^  monarque  ,  tto^Xo»  î*Tpoj  ^.mo-ihia. 
bûtimens ,  voici  ses  paroles  (24):  à.7râ,hio-ctv .  Cet  historien  ajoute  que 
Rus  proprium  Tibur  secessit  ,  per-  ces  parolRS  étaient  une  espèce  de  pro- 
missâ  urbe  Lucio  JElio  Cœsari  ,  ipse  verDe  Pline  assure  qu'il  y  avait  une 
uti  beatis  locupletibus  mos  ,  palatia  ^pitaphe  qui  contenait  une  pareille 
extruere  ,  curare  epulas  ,  signa  ,  ta- 

/     \  m  .  »i      „„,«„,     R    K/,v«ri.       (25)Spartian.,  in    Hadriano  ,   cap.  XXVI, 

(1.1)  Plut.,  m  Aguie  ,  pag.  Bol  ,  D    rojeza-        v   "'     r  » 

%Z:t™P^PdeVarUCteCa^''    7^1-5*.*™   He.i0gab.,  paS.    m. 

dî)    Aurel.    Victor,    in   Ciesanlus  ,  pa$.  m.     8o9- 

Kio)    nue.  ,  fQ-,)  Comment,  historiques,  pa#f,  453. 

"?",.',.  , .,  (2i)  /„  Epit   Dion.,  Vit.  Hadriani. 

(p^)  Idem,  ibidem.  '"''"     r  ' 


HADRIEN. 


43i 


proposition  (ig)  :  Hinc  Ma  infelicis 
monumenli  inscriptio  turba  se  medi- 
çorum  périsse.  Je  m'étonne  que  saint 
Epiphane  n'ait  point  touche'  cette  cir- 
constance des  dernières  heures  d'Ha- 
drien ,  dans  l'endroit  où  il  a  dit  que 


d'un  temple,  vit  comme  auparavant. 
Autre  miracle.  Un  homme  ne'  aveu- 
gle vint  du  fond  de  la  Pannonie  ,  et 
toucha  Hadrien  qui  avait  la  fièvre  : 
cela  fait,  cet  homme  ne  fut  plus 
aveugle,    et    Hadrien  n'eut   plus  la 


ce  prince  fit  venir  tous  les  médecins  fièvre  (32).  Spartien  a  eu  la  prudence 
de  son  empire  ,  et  se  moqua  d'eux  d'ajouter  que ,  selon  le  te'moignage 
après    avoir    éprouve    l'inutilité    de    de  Marins  Maxim  us,  il  n'y  avait  eu 


leurs  remèdes  ,  et  composa  même 
une  lettre  satirique  contre  leur  art  et 
contre  leur  profession  (3oï.  Si  cet 
ancien  père  n'a  pas  été  mieux  in- 
struit sur  le  fait  même  ,  que  sur  la 
circonstance  du  temps  ,  nous  ne  te- 
nons rien  ;  car  il  dit  qu'après  avoir 


que  feinte  dans  tout  cela.  Nous  le 
devinerions  bien,  quand  même  nous 
ne  saurions  pas  ce  que  Marins  Maxi- 
mus  en  a  dit.  Il  est  bien  aisé  de  con- 
naître qu'Antonin,  tils  adoptif  d'Ha- 
drien ,  se  servit  de  cette  ruse  pour 
lui    donner   quelque    espérance  ,    et 


composé  cette  satire  ,  l'empereur  pour  chasser  la  mélancolie  qui  l'op 
partit  de  Rome  pour  s'en  aller  en  primait.  Combien  de  fois  a-t-on  re- 
Egypte ;  c'est  un  mensonge.  Il  est  sur  nouvelé  ces  artifices  depuis  ce  temps- 
que  depuis  que  les  médecins  eurent  là    pour  fomenter   les  superstitions  , 


tenté  inutilement  tous  les  moyens 
de  guérir  son  hydropisie  ,  il  ne  fit 
que  le  voyage  de  Baies.  On  ne  peut 
pas  douter  qu'il  n'eût  conçu  beau- 
coup de  mépris  ,  ou  beaucoup  de 
dépit  contre  eux  ,  puisqu'enfin  il  ne 
garda  plus  de  régime ,  et  qu'il  mangea 
de  tout  ce  que  sa  fantaisie  lui  dic- 
tait (3i). 

(M)  On  feignit  qu'il  avait  fait  des 
gue'risons  mii-aculeuses.]  Voici  ce  que 
Spartien  raconte.  Une  femme  vint 
dire  à  Hadrien  qu'elle  avait  été  aver- 
tie en  songe  de  lui  représenter  que , 
puisqu'il  devait  guérir,  il  se  gardât 
bien  de  s'ôter  la  vie:  qu'elle  avait, 
perdu  la  vue   pour  n  avoir   pas   fait 


et  même  les  cabales  d'état?  Les  trom- 
peries,  dit-on ,  sont  permises  envers 
les  enfans  et  les  malades.  Cela  tire  à 
conséquence  sur  les  peuples  :  ils  sont 
toujours  dans  l'enfance  ,  toujours 
malades  à  certains  égards.  Mais  ,  lais- 
sant ces  réflexions  où  trop  de  gens 
redoutables  se  reconnaîtraient,  di- 
sons un  mot  de  critique  grammaticale 
au  grand  Saumaise.  Il  ne  veut  point 
que  l'homme  venu  de  Pannonie  fût 
aveugle  de  naissance,  mais  seulement 
depuis  long-temps  :  ainsi ,  au  lieu  de 
lire ,  natus  cœcus ,  il  dit  :  vêtus  cœ- 
cus.  Sa  raison  est  qu'on  ne  saurait 
croire  que  des  aveugles  nés  aient 
recouvré   la  vue ,  et  qu'il  est   moins 


ce  que   son  songe  lui  avait  prescrit  ;    incroyable  que  cela  soit  arrivé  à  des 


qu'elle  avait  reçu  un  second  ordre 
de  lui  venir  dire  les  mêmes  choses  , 
et  qu'on  lui  promettait  qu'elle  recou- 
vrerait la  vue  si  elle  lui  baisait  les 
genoux.  Cette  femme  ayant  exécuté 
cet  ordre  ,  et  lavé  ses  yeux  avec  l'eau 

(29)  Plin.,fti.  XXtX,  cap.  I,  pag.  m.  667. 
Le  pèr*  Hardouin  dit  sur  cela:  Senarius  est,  ut 
putant,  Menandri  Comici  ,  TTOXhâv  ISLT/iSv 
fij-oJoç  pî  à.7rùùhltriV . 

(30)  O»  ft  Trohkx.  x.ix.fjMx.Lriç,  Ktti  y.nàiv 
à.vôc-a,VTiÇ  ,i<rK(iq6>\c-(jt.v  liir  ott/Tct/.  dç  x.eti 

T»V  TS^.VHV  CtÙTcèv  a.lTiûi|(/5VitV  ,  cèç  jUiliit 
ïiJWctV  TMÇ  7riptX.ilfAtVU<;  OLÙTO)  vôo-ot/  tVtKO.. 
C'um  omnem  operani  sine  utlo  fructu  posuissenl, 
ab  imperalore  risu  ac  Utdibrio  habiti  sunt ,  us- 
que  adeb  ut  mordaci  in  tllos  epistotd professio- 
nem  ipsam  artetnque  damnant .  ul  qitœ  nihil  de 
œgritudine  sud  extricare  potuisset.  Epiphan.  , 
de  Ponder.  et  Mens.  ,cap.  XIV,  pag.  170. 
(3i)  Xipliilin. ,  in  Fpit.  DioQ.  Vit.  Adriani. 


gens  qui  étaient  aveugles  depuis  plu- 
sieurs années.  Remarquez  bien  que 
dans  la  note  suivante,  il  réfute  Casau- 
bon,  qui  avait  entendu  par  le  mot 
simulationem  un  charme  magique, 
un  sortilège.  Ce  sens  est  indigne  de 
Casaubon.  Simulutio  ,  en  cet  endroit- 
là  ,  ne  signifie  que  feinte.  Saumaise 
L'explique  de  la  sorte  et  rencontre 
bien  :  mais  dans  cette  hypothèse ,  que 
veut-il  dire  avec  la  différence  qu'il 
trouve  entre  un  aveugle  né,  et.  un 
aveugle  depuis  long-temps?  Ne  voit- 
il  pas  bien  qu'il  a  été  aussi  fa- 
cile à  Antonin  d'aposter  un  prétendu 
aveugle  de  naissance,  qu'un  préten- 
du aveugle  de  trois  jours,  et.  qu'il 
n'est  pas  plus  facile  à  un  aveugle  de 
trois  jours  qu'à  un  aveugle   de  nais- 

C$i)  Gaspar  à  Reids  ,  quœst    XXIV  ,  num.  *f , 
allègue  Tacite  pour  ce  fait>  Grande  bévue. 


432 


HADRIEN. 


sance  de  recouvrer  la  vue,  en  tou- 
chant un  prince  qui  a  la  fièvre,  et 
de  le  guérir  de  cette  fièvre  en  même 
temps?  Mais  que  faire  à  cela?  On 
avait  lu   vettts  cœcus  dans  le   manu- 


convenait  pas  de  la  justice  de  ses  de'- 
fiances ,  il  dit  que  les  princes  étaient 
bien  à  plaindre  :  on  ne  croit  jamais 
qu'il  se  fasse  des  attentats  sur  leur 
vie,  que  lorsqu'ils  ont  été  tués.  Scia 


scrit  d'Heidelberg,  on  savait  qu'il  y  a    ipse  quid  avus  tuirs  Hadrianus  dixe- 
dans   Juvénal    veteres  cceci,   et  dans 
Marcellus  antiqua  cœcitas  ;  aurait-on 
perdu   ces   découvertes  de  peur   de 
mal  raisonner? 

(N)  //  cherchait  la  mort  et  ne  la 
pouvait  trouver.  ]  Ainsi  fut  exaucée 
la  prière  que  Sévérien  fit  en  mou- 
rant (33)  :  Dieux  immortels  ,  s'écria- 
t-il ,  témoins  de  mon  innocence ,  je 
n'ai  qu'une  grâce  à  vous  demander , 
c'est  qu'Hadrien  souhaite  passionné- 
ment de  mourir,  et  ne  puisse  mourir 
pourtant.  Ce  vœu  sentait  une  âme 
excessivement  vindicative  :  jamais 
imprécation  ne  fut  plus  dure  que 
celle-là  ;  témoin  ces  paroles  du  ver- 
set 6  du  chapitre  IX  de  l'Apocalypse  : 
Et  en  ces  jours- Va  les  hommes  cher- 
cheront la  mort,  et  ne  la  trouveront 
point  ;  et  désireront  de  mourir,  et  la 
mort  s'enfuira  d'eux.  Si  nous  avions 
la  lettre  où  Hadrien  représentait 
combien  était  déplorable  la  condi- 
tion d'un  homme  qui  ne  peut  mou- 
rir, quoiqu'il  le  souhaite  (34)  ,  nous 
verrions  quelque  chose  de  bien  tris- 
te ;  car,  avec  une  plume  éloquente 
et  savante  comme  la  sienne  ,  on 
réussit  fort  bien  à  décrire  les  mal- 
heurs que  l'on  ressent.  Il  promettait 
l'impunité  et  même  une  récompense 
à  qui  voudrait  le  tuer  ;  et  ne  trou- 
vant personne  qui  pût  lui  rendre  ce 
bon  oflice  ,  il  pleurait  comme  un  en- 
fant (35)  de  ce  ,  que  pouvant  encore 
faire  mourir  d'autres  hommes  ,  il  ne 
pouvait  se  tuer  lui-même  (36).  Ses 
chagrins  et  ses  soupçons  ie  portèrent 
à  se  défaire  de  plusieurs  personnes  , 
et  c'est  peut-être  dans  cette  occasion 
que  s'apercevant  que  le   public  ne 

(33)"Of»^csv  oùSh  àfmâ) ,  ssf>»  ,  ùjui7ç  à 

6eCJ  ïçri.  Tifl  Sï   'AjpiStVOt/  TûimS'TOV  y.ôvov 

tiïxtfjteu,  «va.  imBu/i/.na-a.;  *3ro8*v»v,  fJth 

ovVMotl.  Vos  ,  inquit  ,  DU  immortales ,  quos 
habeo  innocentitE  meœ  testas  ,  hoc  unum  rogo  , 
ut  Adrianus  quanwis  mortem  obire  percupial  , 
tamen  non  possit.  Xiptiil.,  in  Hadriaiio  ,  pag. 
m.  265. 

(34)  Xiphilin.,  ibid. 

(35 1  Conférez  avec  ceci  les  plaintes  de  Néron, 
dans  Suétone  ,  chap.  XLVII  et  suiv. 

|   6    Xiphilin.  ,  in  Hadriaao. 


rit ,  misera  condilio  imperatorum  , 
quibus  de  affectatd  tyrannide  nisi 
occisis  non  potest  crecli.  Ejus  aulem 
exemplum  ponere  quant  Domiliani , 
qui  hoc  primus  dixisse  fertur  {Z-j  •  . 
malui  ;  tyrannorum  enim  eliam  hona 
dicta  non  habent  tantum  auctoritatis 
quantum  debent  (38). 

(0)  //  composa  plusieurs  livres.  ] 
Il  a  écrit  en  vers  et  en  prose.  Il  nous 
reste  quelques  fragmensde  ses  poésies 
latines  (3g)  ,  et  il  y  a  de  ses  vers 
grecs  dans  l'Anthologie.  Vous  trou- 
verez dans  Casaubon  et  dans  Sau- 
maise  (4o)  l'épitaphe  de  son  cheval 
de  chasse  (40  :  e^e  es*;  en  vers  la- 
tins. Cet  empereur  aimait  si  fort  ce 
cheval ,  qu'il  lui  fit  bâtir  un  tom- 
beau (4^).  Etienne  de  Byzance  cite 
deux  fois  un  poème  intitulé  Alexan- 
dreis  ,  dont  l'auteur  a  nom  Hadrien  5 
tout  le  monde  ne  convient  pas  que  ce 
soit  un  ouvrage  de  notre  empereur. 
Il  avait  fait  quantité  de  vers  sur  ses 
amours  (43).  Il  en  avait  fait  aussi  à  la 
louange  de  Plotine ,  sa  bienfaitrice 
(44)-  On  ne  saurait  bien  dire  s'il  pa- 
rut un  recueil  de  ses  bons  mots  ;  car- 
ies termes  de  Spartien  (45)  pourraient 
n'avoir  que  ce  sens ,  qu'on  se  souve- 
nait de  plusieurs  de  ses  bons  mots  : 
mais  il  est  sûr  qu'il  publia  quelques 
discours  et  quelques  harangues  (46)  : 
on  en  trouve  encore  des  citations. 
On  trouve  dans  Sosipater  ,  qu'il  avait 
dit  dans  le  premier  livre  de  ses  dis- 
cours,  qu'Auguste  n'était  pas   très- 

(3^)  Condilionem  principum  miserrimam  aje- 
bat,  quibus  de  conjuratione  comperld.  non  cre* 
deretur  nisi  occisis.  Sueton.  ,  in  Doinit.  ,  cap, 
XXI. 

(38)  Marc.  Aurelius  arl  Verum,  apud  Vulcat- 
Gallicanum,  in  Vitâ  Avidii  Cassii. 

(3q)  Dans  les  Catalecta  Virgilii  et  aliorum , 
et  dans  Spartien. 

(4<>)  Comment.  ,  in  Sparlian.  Hadriao.,  pag . 
,89. 

(40  II  s'appelait  Borytthknes. 

(42)  Dio  ,  in  ejus  VilS. 

(43)  De  suis  dilectis  rnulta  versibus  compo- 
stât. Spartian.,  pag.  i45.  Apuleius ,  Apolog. 

(44)  Xiphilin.,  in  Hadrian. 

(45)  Joca  ejus  plurima  exlant ,  nain  fuit  eiiam 
dicaculus  ,  Spart.,  pag.  187. 

(4Cy  Pliotius  en  parle,  pag.  aj6. 


Il  ADRIEN. 


433 


savant  .  Tametsi  Auguslus  non  per- 
eruditus  homo  fueril ,  ut  id  aaver- 
bium  (  obiter  )  ex  usu  potiùs  quant 
ralione  protulerit.  Disons  en  passant 
•  que  voilà  une  autorité  pour  ceux 
qui,  en  fait  de  langues ,  ne  voudront 
pas  que  l'usage  l'emporte  sur  la  rai- 
son. Voilà  aussi  un  grand  exemple 
pour  ceux  dont  les  études  les  plus 
sérieuses  sont  l'examen  rigoureux  de 
leur  langue  naturelle 5  car  il  paraît, 
parle  passage  de  Sosipater,  que  no- 
tre empereur  avait  été  dans  le  latin 
ce  que  Vaugelas  a  été  dans  le  fran- 
çais (47)-  Aulu-Gclle  (48)  cite  la  ha- 
rangue qu'Hadrien  prononça  devant 
le  sénat  pour  les  habitans  d'Italique, 
la  patrie  de  son  père.  Mais  le  princi- 
palouvrage  de  cet  empereur  est  sans 
doute  l'histoire  de  sa  vie.  Il  aima 
mieux  qu'elle  parut  sous  le  nom 
d'un  autre  ,  et  apparemment  il  n'en 
usa  de  la  sorte  qu'afîn  d'avoir  plus 
de  liberté  de  se  louer.  Phlégon ,  l'un 
de  ses  affranchis  ,  homme  docte  ,  mit 
son  nom  à  cet  ouvrage  de  son  maî- 
tre (49).  Hadrien  composa  des  livres 
à  l'imitation  d'Antimachus  ,  poète 
grec ,  dont  il  fut  grand  admirateur 
(5o).  Ces  livres  étaient  fort  obscurs. 
Spartien  en  avait  conservé  le  titre  ; 
mais  on  ne  sait  pas  si  les  manuscrits 
l'ont  conservé  comme  il  fallait  ;  de 
sorte  que  le  titre  même  de  cet  ou- 
vrage est  un  chaos  et  une  croix  pour 
les  critiques.  Saumaise  s'est  tourné  de 
cent  cotés  atin  d'en  tirer  parti  ;  et 
après  avoir  fixé  la  leçon  qu'il  juge  la 
bonne,  il  se  trouve  au  bout  de  son 
latin  comme  auparavant  Solenn 
eam  esse  ueram  (  lectionem  )  mihi 
persuadée  :  quomodo  tamen  expli- 
canda  sit  juxta  cum  ignarissimis  scio 
(5i).  Si  cet  ouvrage  d'Hadrien  eût  dû 
parvenir  jusques  à  nous ,  on  aurait 
bien  eu  raison  de  dire  à  l'auteur,  lors- 
qu'il y  travaillait,  Vous  allez 

Aux  Saumaises  futurs  préparer  des  tortures; 

Le  seul  titre  les  fera  bouquer,  les 
fera  rendre  les  armes.  Ce  n'est  pas 
une  chose  bien  décidée  ,  si   Hadrien 

(4?)  Considérez  sa  dispute  avec  Favorin  , 
dans  Spartien  ,  pag.   i5o. 

(48)  Lib.  XVI,  cap.  XIII. 

(4g)  Spart.  ,  pag.  i5o. 

(5o)  Catacrianos  libros  obscurissimos  sfntima- 
chum  imitando  scripsit.  Spartian.  ,  pag.  i52. 

(Si)Salmas.  ,  in  Spartian,  Iladrian.  ,  pag,  m. 

l5?. 

TOMF    VII. 


a  écrit  de  l'art  militaire.  On  ne  doute 
pas  qu'il  n'ait  fait  de  beaux;  règle- 
mens  (5a)  ,  et  qu'il  n'ait  établi  dans 
ses  troupes  une  merveilleuse  disci- 
pline. Végècc  reconnaît  qu'il  s'est 
servi  des  reglemcns  d'Hadrien  ,  mais 
comme  il  avoue  la  même  chose  par 
rapport  à  ceux  de  Trajan  et  à  ceux 
d'Auguste  ,  sans  que  pour  cela  on 
soil  en  droit  de  prétendre  ijuc  ces 
deux  empereurs  ont  fait  des  livres 
sur  cette  matière,  chacun  voit  que 
Gcsner  n'a  pas  eu  raison  de  dire  ,  en 
vertu  de  ce  passage  «le  Vegèce,  qu'Ha- 
drien a  écrit  de  l'art  militaire (53). 
Quelques- uns  (54)  veulent  qu'il  ail 
écrit  sur  la  tactique,  et  que  l'ou- 
vrage d'Urbicius  sur  ce  sujet  soit  d'Ha- 
drien ,  hormis  les  additions  d'Urbi- 
cius. M.  Pdgaut  en  a  publié  un  frag- 
ment. 

(P)  Je    laisse son    excessive 

curiosité.]  Je  la  pourrais  qualifier 
de  la  sorte,  quand  même  il  n'aurait 
pas  souhaité  de  pénétrer  l'avenir  au- 
tant qu'il  tâchait  de  faire ,  soit  par 
l'astrologie  ,  soit  par  la  magie.  Il  pou- 
vait sans  cela  passer  pour  esprit  trop 
curieux.  Il  est  appelé  par  Tertullien, 
(55)  curiosit aluni  omnium  explorator  ; 
et  parAmmien  Marcellin,  futurorum 
sciscitationi  nimiœ  deditus.  Je  n'exa- 
minerai point  s'il  seyait  bien  à  un 
prince  de  vouloir  connaître,  comme 
spectateur,  les  choses  qu'il  rencon- 
trait dans  les  livres,  concernant  les 
divers  pays  du  monde.  Peregrina- 
tionis  ila  cupidus ,  ut  omnia ,  quœ 
legeral  de  locis  orbis  terrarum,  pres- 
sens wellet  addisecre  (56).  Les  voya- 
ges qu'il  entreprenait  pour  se  con- 
tenter là-dessus  ,  n'étaient  pas  inuti 
les  aux  provinces;  ainsi  ne  le  chi- 
canons pas  à  ce  sujet  :  souffrons  qu'il 
aille  voir  sur  le  mont  Etna  ,  si  le  so- 
leil ,  quand  il  se  lève  ,  a  les  mêmes 
couleurs  que  l'arc-en-cjpl  (57)  ;  souf- 

(5-ï)  Dion  dit  qu'ils  avaient  encore  force  de 
loi.  Voyez  la  lettre  de  Valérien  apud  Vopiscnm, 
in  Probo.  Casaub.  Comment,  in  Spart.,  pag.  83. 

(53)  C'est  Vossius,  de  liist.  grsec,  pag.  >i3, 
qui  relève  cette  faute  de  Gesner. 

(54)  Salmasiiis  ,  in  Spartian.,  pag.  83. 

(55)  In  Apologet. ,  cap.  V. 
(5G_)  Spart.,  pag.  m.  iG3. 

(57)  /Etnam  montem  conscendit  ut  solis  or- 
tum  videret  areds  specie,  ut  dicitur,  variwn. 
Idem,  pag.  124.  C'est-à-dire ,  selon  M.  Ae 
Tillcmont,  pag.  m.  4>3  ,  pour  y  voir,  dit-on  . 
lever  le  soleil  en  l'orme  d'are.  //  fallait  dit  ' 
d'arc-cn-cicl. 

28 


m 


HADRIEN. 


fions  qu'il  monte  sur  la  montagne 
de  Cassius,  afin  de  voir  lever  ce 
même  astre  (58)  :  mais  qui  pourrait 
lui  pardonner  d'avoir  entretenu  une 
infinité  d'espions  qui  lui  apprenaient 
tous  les  secrets  des  familles  •  ce  qu'une 
femme  écrivait  à  son  mari  ;  ce  qu'un 
mari  disait  à  sa  femme?  Erat  curiosùs 
non  solhm  domus  suce ,  sed  etiarn 
amicorum  ,  ita  ut  per  frumentarios 
occulta  oiunia  exploraret ,  nec  ad- 
verterent  amici  sciri  ab  imperatore 
suani  vitam  priusquàm  ipse  hoc  im- 
perator  ostenderet  (5o).  Il  ne  faut  pas 
douter  que  les  lumières  que  les  es- 
pions lui  fournissaient  ne  facilitassent 
ses  entreprises  de  galanterie  j  car  il 
ne  faisait  pas  plus  de  quartier  à  ses 
amis  là-dessus ,  qu'à  des  gens  indif- 
férens.  C'est  ainsi  que  j'entendrais 
volontiers  les  paroles  de  Spartien 
(60)  :  Et  hoc  quidem  uitiosissimum 
putant  (il  parle  de  l'espionnage)  at- 
que  huic  adjungunl  quœ  de  adulto- 
rum  amore  ac  nuptarum  adulteriis  , 
quibus  Hadiianus  labordsse  dicitur  , 
asserunt  ,  jungentes  qubd  ne  amicis 
quidem  sei'vaverit  fidem.  Les  souve- 
verains  ont  tant,  d'autres  voies  de  se 
rendre  redoutables  ,  qu'ils  devraient 
laisser  celle-là  aux  parasites  : 

Scire  volunl  tecrela  domus,  alque  incle  limer- 
ri  (61)  ; 
et  ne'anmoins  vous  en  voyez  dans 
tous  les  siècles  qui  n'épargnent  rien 
pour  être  exactement  informes  de 
ce  qui  se  dit  dans  les  maisons.  La 
curiosité'  d'Hadrien  fut  sans  doute 
cause  que  presque  tous  ses  plus  grands 
amis,  et  ceux  qu'il  avait  élevés  aux 
plus  grandes  dignite's,  encoururent 
son  inimitié'.  Il  avalait  avidement 
tout  ce  qu'on  lui  venait  rapporter  de 
ses  amis,  Facile  de  amicis  quidquid 
insusurrabatur  audivit  (61) .  Au  reste, 
puisque  je  l'ai  considère' dans  cette  re- 
marque comme  un  voyageur  curieux, 
je  la  veux  finir  par  dire  qu'il  marchait 
à  pied  tout  comme  un  soldat  (63) , 
et  qu'il  ne  se  couvrait  jamais  la  tète 
qudque  temps  qu'il  fît  (6|).  Il  s'en 
trouva  mal  enfin  (65). 

(58)  filent  Spartian.  ,  pag    i3s. 
(5f))  Idem,  pag.   102. 

(60)  Pag.  loçj. 

(61)  Juvea.  ,'  sat.  III,  vs.  n3. 
(Gi)  Spart. ,  pag.  146. 

(63)  Tdem,p    8/|.Aur.  Victor.  ,Kpit.,  Mb.    V. 
(fi'l)  Spartian.,  pag-  i(>3,  200. 
(t>r>)  Idrm,  pag.  soi . 


(Q)  Il  n'y  a  nulle  apparence  qu'il 
destinât  à  Jésus-Christ  les  temples 
qu'il  se  bâtissait  ;  et  l'on  ne  sait  d'où 
Lampridius  avait  tiré  ce  qu'il  conte 
là-dessus.]  Quoi  qu'il  en  soit,  voici 
les  paroles  de  Lampridius  (66)  :  Chris- 
to  templumfacere  voluit  (Alexander 
Severus  )  eumque  inter  Deos  recipere, 
quod  et  Hadiianus  cogitasse  fertur , 
qui  templa  in  omnibus  civitatibus  sine 
simulacris  jusserat  fieri ,  qui  hodiè 
ideirca  quia  non  habent  numina  ,  di- 
cuntur  Hadriani  ,  quœ  Me  ad  hoc 
parasse  dicebatur ,  sed prohibitus  est 
ab  iis  qui  consulentes  sacra  repere- 
rant  omnes  Christianos  futuros ,  si 
id  optato  evenisset,  et  templa  reli- 
qua  deserenda.  Casaubon  sans  doute 
n'a  point  de  tort  de  rejeter  cela 
comme  fabuleux.  Ce  que  j'y  trouve 
de  vraisemblable  est  cette  crainte 
des  païens,  que  leur  religion  en  fût 
déserte'e,  si  l'on  eûttole'ré  publique- 
ment le  christianisme.  Voilà  qui  fait 
plus  d'honneur  à  la  foi  chre'tienne 
que  les  alarmes  qui  ont  paru  dans 
les  écrits  d'un  ministre  réfugié  (67)  , 
qui,  en  combattant  la  tolérance  des 
religions  ,  a  dit  entre  autres  choses  : 
Qu'on  mette  un  prédicateur  mahomé- 
tan ,  un  socinien,  un  papiste  et  un 
réformé  dans  une  ville  ,  sans  que  le 
magistrat  y  intervienne  par  son  au- 
torité ,  ni  Dieu  par  son  esprit  et  ses 
miracles  ,  et  vous  veiTez  bientôt  la 
vérité  succomber  entièrement.  Voilà 
des  gens  qui  craignent  de  n'avoir 
à  prêcher  qu'aux  murailles  et  aux 
bancs ,  vox  clamantis  in  deserlo  , 
à  moins  qu'ils  ne  soient  seuls  dans 
une  ville.  Je  ne  m'étonne  donc  pas 
qu'ils  soient  si  opposés  à  la  toléran- 
ce (68). 

(6'ï)  Lamprirl. ,  in  Alexandro  Severo  ,  pag. 
m.  993. 

(67)  Tableau  du  Socinian. ,  pag.  5i<j  ,  imprime' 
en  îfigo. 

(68  J  Conférez  ce  qui  e<l  dit  dans  la  remarque 
(F.)  de  l'article  Lubienietzki  ,  loin.  IX. 

HADRIEN  ,  cardinal  prêtre 
du  titre  de  saint  Chrysogone 
(à),  était  natif  de  Cornetto  dans 
la  Toscane  (A).  Il  fut  nonce  d'In- 
nocent VIII,  en  Ecosse  (B),  et 
puis  en  France  ;  et  ,  après  avoir 

(n)  Pier.  V.ilcrian.  ,  Ae  Litterat.  Infelicit. 


JlADKlEiN.  435 

été  clerc  et  trésorier  de  la  cliani-    pu  ,  quand  il  travailla  à  cela  ,  un 


bre  apostolique ,  il  tut  honoré 
du  chapeau  de  cardinal  ,  par  le 
pape  Alexandre  VI  (b) ,  dont  il 
avait  été  secrétaire  (c).  La  vie  de 
ce  cardinal  fut  un  théâtre  de 
changemens  bizarres,  dont  la  fin 
nefut  rien  moins  qu'honorable.  Il 
l'échappa  belle  le  jour  qu'Alexan- 
dre VI  s'empoisonna  par  rnégar- 
de  (C).  Ensuite  il  encourut  de 
telle  sorte  l'inimitié  de  Jules  II, 
qu'il  fut  contraint  de  s'aller 
cacher  dans  les  montagnes  de 
Trente  ,  foudroyé  par  les  arrêts 
sévères  de  ce  pontife  (d).  Ayant 
été  rappelé  par  Léon  X ,  il  fut  si 
peu  reconnaissant  de  ce  bienfait , 
qu'il  s'engagea  dans  une  conspi- 
ration  contre  lui  (D).  Ce  pape 
lui  pardonna  cette  faute  ,  et  lui 
en  fit  expédier  des  lettres  d'abo- 
lition (e)  ;  mais  le  cardinal  Ha- 
drien ne  s'y  fia  pas  (E),  ou  n'eut 
point  la  force  de  'résister  à  des 
remords  que  la  présence  des 
objets  pouvait  rendre  plus  im- 
portuns ;  il  se  sauva  de  nuit ,  et 
l'on  n'a  jamais  pu  savoir  au  vrai 
ce  qu'il  était  devenu  (F).  Il  fut 
un  des  premiers  qui  mirent  de 
la  bonne  manière  la  main  à  la 
réformation  du  style  latin.  Il 
étudia  Cicéron  avec  un  très- 
grand  succès  ,  et  fit  quantité 
d'excellentes  découvertes  con- 
cernant 

gue.  Le  traité  qu'il  composa  , 
de  Sermone  latino  ,  pendant 
sa  retraite  des  Alpes  ,  en  est 
une  preuve.  Il  avait  interrom- 


ouvrage  très-considérable  ;  ce- 
lait une  traduction  latine  du 
Vieux  Testament  (G).  Quelques- 
uns  la  mettent  parmi  les  ouvra- 
ges qu'il  a  composés  {/).  On  pré- 
tend aussi  que  son  traité  de  Poè- 
tis  subsiste.  Pour  ce  qui  est  du 
traité  de  verâ  Philcsophiâ,  il 
n'y  a  point  de  doute  qu'il  n'ait 
été  imprimé  à  Cologne  ,  l'an 
i548.  Il  se  mêlait  de  faire  des 
vers  (H). 

{/)  Oldoïnus,  Vtlicn.  Roman,    pag.  ioi. 

_  (A)  Dans    la    Toscane.  ]  Je   parie 
ainsi  eu  égard  à  l'ancienne   division 
de  l'Italie  ;  car  présentement  Coriiel 
to  est  dans  ce  qu'on  appelle  le  J'ai  11 
moine  de  Saint-Pierre. 

(B)  Il  fut   nonce en  Ecosse.  \ 

Je  ne  trouve  point  qu'il  ait  e'té  nonce 
en  Angleterre  ;  mais  il  est  pourtant 
vrai  qu'il  se  fit  très-particulièrement 
aimer  du  roi  Henri  VII.  De  là  vint 
qu'il  fut  évêque  d'Herford,  de  Butli 
et  de  Wels(i). 

(C)  Ill'échappa  belle  le  jour  qu'A- 
lexandre P^I s 'empoisonna  parmégar- 
cle.]  Il  y  eut  quelque  chose  de  fort  sin- 
gulier dans  cette  aventure.  Voici 
comme  un  de  nos  historiens  la  rap- 
porte (2).  Le  bâtard  d'Alexandre  VI  , 
ayant  envie  d'avoir  la  dépouille  du 
cardinal  Hadrien  Cornet  (3)  ,    avait 

fait  partie  avec  le  pape,  d'aller  sou- 
per avec  lui  dans  sa  vigne ,  et.  > 
avait  fait  porter  quelques  bouteilles 
d'excellent  vin  ,  mais  qui  étaient 
mixtionnees  pour  empoisonner  leur 
hôte.  Or  il  advint  que  le  père    et  le 

ureté  de  cette  lan-  Als  étltnt  *****  de,  h°nne  h,eure  >  el 

Jort  altères  de  la  chaleur  de  la  sai- 
son ,  demandèrent  a  boire  ;  et  que 
tandis  que  le  valet  qui  savait  le  secret 
était  allé  quelque  part  ,  un  autre 
leur  donna  de  ce  vin.  Le  père,  qui  le 


(b)  Oldoïnus,  Atlien.  Roman.  ,  pag.  3o3. 

(c)  Pier.  Valer.  ,  de  Lilterat.  Infelicit. 

(d)  Acerbissimis  peraissus  edictis  annos 
alit/uot  in  Germanicis  Rhœlorum  Alpibus 
obscurâ  et  sordidà  peregrinatione  délitait . 
Pier.  Valerian.,  de  Litterat.  Infelicit. 

(c)  Idem  .  iliiil 


(1)  Episcopus  Erfortliensis,  Balboaiensis  el 
Vuellensis  ,  du  le  père  Oldoïni,  peu  correct 
dans  son  orthographe  ,  Atlien.  Roman. ,  pag. 
3o3. 

(2)  Mézerai,  Abrégé  chronolog.  ,  loin.  / P ', 
pag.  m.  434. 

(3)  C'est  celui  qui  J\nt  le  mjri  d,  cet  article. 
On  l'appelait  ainsi,  ou  plutôt  de  O.orui'tto  à 
came  de  sa  patrie- 


436 


HADRIEN. 


but  pur,  en  mourut  le  jour  même,  qui 
était  le  17  aoiît  i5o3.  Le  fils  qui  était 
plus  vigoureux ,  et  y  avait  mis  de 
l'eau,  eut  loisir  de  courir  aux  remèdes, 
et,  s' étant  fait  envelopper  dans  le  ven- 
tre d'une  mule,  en  réchappa  ;  mais 
il  lui  en  demeura  une  langueur  qui 
ne  lui  permit  pas  d'agir  dans  son 
plus  grand  besoin.  Il  n'y  avait  que 
deux  ou  trois  mois  qu'Hadrien  avait 
été  promu  au  cardinalat.  Guicciar- 
din  (/j)  mérite  d'être  lu  touchant  cette 
mort  du  pape. 

(D)  Il  s'engagea  dans  une  con- 
spiration contre  Léon  X.]  Ce  fut  celle 
dont  le  cardinal  Alfonse  Pétrucci  se 
rendit  le  chef.  On  en  voulait  à  la 
vie  de  Léon  X.  Quelques-uns  (5)  di- 
sent ([ne  notre  Hadrien  y  entra  par 
l'espérance  de  devenir  pape  ,  et  que 
cette  espérance  était  fondée  sur  je 
ne  sais  quelle  prédiction  ,  qui  pro- 
mettait le  papat  à  un  certain  Hadrien 
de  hasse  naissance  ,  mais  illustre  par 
sa  doctrine.  Comme  tout  cela  conve- 
nait à  Hadrien  de  Cornetto  ,  il  s'en 
lit  l'application  ,  et  en  perdit  tout 
son  honneur ,  et  le  repos  de  sa  vie. 
Disons  hardiment  qu'il  n'y  a  point 
de  plus  grandes  pestes  du  genre  hu- 
main que  ceux  qui  se  mêlent  de 
prédire  l'avenir  ;  car  ils  ne  trou- 
vent que  trop  d'esprits  faihlcs  ou  re- 
muans  ,  qu'ils  engagent  à  des  entre- 
prises funestes.  Un  état  bien  policé 
ne  devrait  pas  souffrir  de  telles  gens  , 
de  quelque  manière  qu'ils  se  vantas- 
sent d'avoir  consulté  le  ciel ,  soit  par 
les  étoiles,  soit  par  l'Apocalypse.  La 
plupart  sont  des  imposteurs,  qui  n'ont 
pour  but  que  de  troubler  le  repos 
public.  Celui  qui  trompa  le  cardinal 
de  Cornetto  était  un  magicien  dans 
les  montagnes  de  l'Apennin  ,  à  ce 
que  dit  M.  Varillas,  qui  rapporte  au 
long  celte  aventure.  Voyez  la  page 
276  de  ses  Anecdotes  de  Florence. 
Mais  Paul  Jovc  dit  que  c'était  une 
sorcière  :  Certain  speni  adipiscendi 
ponlifîcatds  conceperat  ex  oraculo 
f'atidicœ  mulieris.  C'est  ainsi  qn'il 
parle  vers  le  commencement  du  iVe. 
livre  de  l'histoire  de  Léon  X. 


(E)  Léon  X  lui  fit  expédier  des 
lettres  d'abolition  ;  mais  il  ne  s'y  fin 
pas.]  M.  Varillas  a  observé  que  deux 
choses  donnèrent  de  la  défiance  au 
cardinal  Hadrien  :  l'une  ,  que  le 
cardinal  Sodérin  et  lui  furent  con- 
damnés à  une  amende  de  dix  mille 
écus  chacun ,  quoiqu'ils  se  fussent 
prosternés  aux  pieds  du  pape  ,  et 
que  le  pape  eût  déclaré  en  plein  con- 
sistoire, qu'il  pardonnerait  aux  cardi- 
naux complices  de  la  conjuration,  s'ils 
avouaient  leur  crime  sur  -  le  -  champ, 
et  lui  demandaient  pardon  en  pré- 
sence de  leurs  confrères  :  l'autre  fut 
les  marques  d'indignation  qui  pa- 
raissaient malgré  qu'il  en  eût  sur  le 
visage  de  Léon  X.  Voyez  la  page  283 
et  284  des  Anecdotes  de  Florence. 

(F)  On  n'a  jamais  pu  savoir  ce 
qu'il  était  devenu.]  Il  est  bon  d'ouïr 
là-dessus  Piérius  Valérianus  ,  qui  met 
notre  cardinal  presque  en  tête  de  son 
catalogue  des  savans malheureux.  Wo- 
ctu  clamfugam  arripuit ,  neque  qub 
abierit,  neque  ubi  sit ,  qualuordecim 
jam  annorum  spatio  quispiam  poluit 
explorare.  Ilajoute  qu'on  crutqueson 
valet  le  tua,  pour  profiter  dcspistoles 
que  ce  cardinal  avait  cousues  dans  sa 
chemisette.  Constans  lamenopinio  est 
eum  i?isuto  in  interiorem  thoracem  au- 
ro  oneratum  cotnitis  famuli  perfidiâ 
oppressum ,  aureoque  surrepto  cada- 
ver  in  solitafium  aliquem  locum  ab- 

jectum  occultari.  Le  père  Oldoïni  re- 
marque qu'on  le  dégrada  de  la  pour- 
pre et  de  ses  bénéfices  ;  qu'il  s'en- 
fuit en  Turquie  ;  et  qu'il  mourut 
clandestinement ,  sans  qu'on  sache 
en  quel  jour  ni  en  quelle  année  (6). 
A  cela  s'accorde  Léandre  Alberti  , 
dans  sa  Description  de  l'Italie.  Wosird 
insuper  œtate,  dit-il,  magna  illustrait- 
dœ  patries  principia  jecerat  Hadria- 
nus  cardinalis exhdcurbe  (Cornetto) 
ciim  lilterarum  studio,  tùm  cœremo- 
niarum  ,  sed  qui  me  lu  Lconis  X  pon- 
tif  Max.  clam  Borna  profeclus , 
exindè  nunquam  appariât.  L'auteur 
des  Anecdotes  de  Florence  dit  (7)  que 
le  cardinal  Hadrien  sortit  de  Rome 
travesti  en    moissonneur  ;    qu'tZ  ne 


(4)  Lib.  Vl,pag.  m.  161.  (6)  Sub  Leone  contumax  spolia  tus  esl  purpura 

(5)  Foyez  Moréii,  h  l'article  Gastellési  :  c'est  rt  sacerdotiis,  quare  necis  metu  perterritus  in 
ainsi  qu'il  nomme  notre  cardinal.  Au  mot  Ha-  Thraciam  fugit ,  ibique  obscurus  et  lalens  diem 
tliicn  Je  Cornetto  il  mail  renvoyé  à  Casicllcs.  clausil  exlremum  ,  incerlum  quo  mense  vel  an- 
11  eût  mieux  fait  de   t'en  Unir  là.  OIJoïni  dit  no.  Oldoïn. ,  in  Ailicn.  Kom. ,  pag.  3o3-. 
ITadrianos  Casttlknsb.  (7)  Pag.  584. 


II  ADR  I 

marcha  que  la  nuit  jusqu'il  ce  qu'il 
fit  dans  son  pays  ,  ouil  passa  le  reste 
de  sa  fie  en  changeant  de  cachette  , 
tant  il  était  encore  persuade  de  la 
prédiction  du  magicien.  Il  y  a  deux 
choses  empruntées  de  Paul  Jove 
(8).  Le  reste  est  peut-être  de  l'inven- 
tion de  l'auteur.  Guicciardin  parti- 
cularisa encore  moins  que  Paul  Jove. 
Adriano partilosi  occultamente  ;  quel- 
lo  che  s'avenisse  di  lui ,  non  j u  mai 
pin  ,  che  si  sapesse  ,  ne  trovalo  ne 
veduto  in  luogo  alcuno  (9)  Il  dit  cela 
sous  Pan  1 5i 7 ,  d'où  l'on  peut  con- 
clure que  les  Dialogues  de  Pierius 
Valerianus  de  Infelicitate  Litterato- 
rum  ,  furent  composes  Pan  1 53 1 . 
More'ri  a  mis  la  fuite  de  noire  Ha- 
drien à  Pan  1 5 1 8.  Que  ne  suivait-il 
la  chronologie  de  Guicciardin  ?  Il 
envoie  ce  fugitif  à  Venise,  et  à  Riva 
dans  le  diocèse  de  Trente.  J'ai  bien 
peur  qu'il  ne  confonde  l'exil  sous 
Jules  II ,  avec  l'exil  sous  Léon  X. 

(G)  //  avait  entreplis une  tra- 
duction latine  du  J-^icux  Testament.} 
Erat  in  animo  prosequi  cœptum  jam 
pridem  opus  sacros  veteris  instru- 
menti  libros  ex  hebrœo  ad  verhum  in 
latinum  sermonem  verlendi  :  sed 
cùm  me  procclla  temporis  in  Tridcn- 
tinas  rupes  ,  quô  Judrei  ob  Simonis 
credem  ne  aspirarc  quidem  audent  , 
delruserit  ,  atque  animus  inquies  ni- 
hil  agerc  non  posset ,  hœc  sum  ad- 
gressus  (10). 

(II)  Il  se  mêlait  de  faire  des  vers.} 
Nous  avons  son  petit  poème  de  Ke- 
nalione  ,  et  celui  qui  a  pour  titre  , 
/ter  Julii  II ,  pontifîcis  romani ,  sans 
compter  les  vers  à  la  louange  de  la 
sainte  Vierge,  et  la  description  du  pa- 
lais qu'il  fit  bâtir  assez  près  du  Vati- 
can ,  et  qui  est  aujourd'hui  posse'dè 
par  la  maison  Colonna.  On  le  nomme 
le  palais  Anglais,  à  cause  que  le  car- 
dinal Hadrien  le  légua  au  roi  d'An- 
gleterre (11). 

(8)  Hadrianus ,  trepido  tuspicacique  ingenio 
vir,  Leonis  clemenlià  dijpdens,  ab  urbe  messo- 
ris  habilu  profeelus  ,  usque  ad  ville  exilum  nullo 
persequenle  l'atebrar  mutant.  Jovius  ,  lib.  IV 
Vitœ  Lcon.  X. 

(9)  Guicc.  ,  lib.  XIII,  folio  m.  384  verso. 

(10)  Kadrian.  ,  in  prœf.  ad  Carolum  princi- 
pe™, ffispaniœ  ,  de  Serin,  latino. 

(m)  Voyez  Oldoïnus  Alhen.  Roman.,  pas. 
3o3. 

HADRIEN    VI    naquit    à 


EN  VI.  437 

Utrecht  l'an  i/\5y  (a)  (A).  L'es- 
prit que  l'on  reconnut  eu  lui  dès 
l'enfance ,  obligea  son  père  (R) 
à  le  destiner  aux  études  ,  quoi- 
qu'il n'eût  pas  le  moyen  de  l'en- 
tretenir dans  les  écoles.  Mais 
l'université  de  Louvain  suppléa 
à  cette  indigence  domestique. 
Le  jeune  homme  y  trouva  place 
dans  un  collège  oii  l'on  nourrit 
gratuitement  un  certain  nombre 
d'écoliers.  On  conte  qu'il  allait 
lire  la  nuit  à  la  lumière  des 
lampes  (C)  qui  étaient  allumées 
dans  les  églises  ,  ou  aux  coins  des 
rues  *.  C'était  tout  ensemble  un 
signe  de  son  indigence  et  de 
son  esprit  studieux.  11  lit  de 
très -bons  progrès  dans  toutes 
sortes  de  sciences  ;  et  s'il  ne  de- 
vint pas  poète  (D),  ni  bonne 
plume,  c'est  qu'il  ne  s'en  soucia 
pas.  Ses  mœurs  étaient  exem- 
plaires ;  et  l'on  ne  vit  jamais 
homme  qui  s'intriguât  moins  que 
lui.  La  cure  qu'on  lui  donna  en 
Hollande  (E),  l'alla  chercher 
sans  qu'il  s'y  fût  attendu.  La 
seule  réputation  de  sa  probité  et 
de  sa  science  brigua  pour  lui  au- 
près de  ceux  qui  l'élevèrent  (ù). 
Il  reçut  le  bonnet  de  docteur  eu 
théologie  à  Louvain,  le  21  de 
juin  1491  •  Un  peu  après  il  fut 
chanoine  de  Saint -Pierre  ,  et 
professeur  en  théologie  dans  la 
même  ville;  et  puis  doyen  de 
Saint-Pierre ,  et  vice-chancelier 
de  l'université.  On  le  lira  de 
cette  vie  collégiale  pour  le  faut 
venir  à  la  cour,  en  1507  ;  et  cela 
afin  qu'il  fût  précepteur  de  l'ar- 
chiduc Charles  ,  âgé  alors  du  sept 

a)  Valer.  Andr. ,  Bibliotli    bclg    ,  /<     [Q. 
*  Leclcrc  cl  Jol)    récusent  le  lémoi 
de  Naudé. 

il>)  Paulus  Jovius  ,  in  Vilâ  Hailiiaiu  VI. 


138 


HADRIEN   VI 


ans  (c).  H  ne  lui  lit  pas  faire  «3e 
grands  prpgrès  dans  le  latin  (F)  ; 
<>l  l'on  a  voulu  dire  que  Chièvres, 
gouverneur  de  ce  jeune  prince  , 
en  fut  la  cause  (d).  Il  n'y  a  rien 
pour  l'ordinaire  de  plus  désa- 
gréable aux  enfans  que  l'étude  : 
les  exercices  du  corps  sont  tout 
autrement  leur  fait.  On  a  donc 
dit  que  Chièvres ,  voulant  s'ern- 
parer  de  son  pupille ,  et  avoir 
tonte  la  gloire  de  ses  progrès  ,  le 
cultiva  du  côté  de  l'inclination 
et  de  son  fort,  et  ne  se  soucia 
guère  qu'il  profitât  des  leçons  du 
professeur  de  Louvain.  Quoiqu'il 
en  soit ,  le  professeur  eut  des  ré- 
compenses si  magnifiques ,  que 
jamais  homme  de  cet  emploi  n^n 
a  eu  de  plus  considérables  ;  car 
ce  fut  le  crédit  de  Charles-Quint 
qui  l'éleva  au  papat  (G).  Avant 
cela  il  fut  envoyé  ambassadeur 
cn  Espagne  ,  auprès  du  roi  Fer- 
dinand ;  et  quelques-uns  disent 
qu'il  ménagea  les  choses  avec 
beaucoup  plus  d'adresse  (H)  que 
l'on  n'en  devait  attendre  d'un 
homme  qui  avait  humé  si  long- 
temps l'air  de  l'université.  Il  ra- 
mena  ce  monarque  ,  qui  était 
fort  mécontent  de  la  manière 
dont  son  gendre  en  avait  usé  en- 
vers lui,  et  de  l'attachement  que 
la  noblesse  avait  témoigné  poul- 
ies princes  autrichiens.  Hadrien 
effaça  ces  mauvaises  impressions 
dont  les  suites  étaient  à  craindre, 
et  fut  honoré  peu  après  de  l'é- 
vêché  de  Tortose  (I) ,  sans  cesser 
pour  cela  d'être  ambassadeur.  Il 

(<■)  Valer.    Andr.  ,  Biblioth.    Jjel^.  ,    pag. 
19  ;  et  in  Fast.  acad.  Lovan.,  pag-.  96. 

iil)  Feruiil  Carolum  Cevrium...  ut  intégra 
ado/escentis   possessione  fruerelur ,  alurn- 
num,  militari-:;  joins  sœpiîis  qfferendo,  sen- 
im  avertisse  à  litleris,  Jovius  ,  iri  Vitâ  Ha 
li  Mm  \  I 


en  exerça  les  fonctions  jusques  à 
la  mort  de  Ferdinand  (e) ,  après 
quoi  il  partagea  la  régence  avec 
le  cardinal  Ximénès  (f)  (K).  Il 
est  vrai  que  sa  part  fut  la  plus 
petite,  pour  ne  rien  dire  de  pis 
(g)  :  mais  il  arriva  un  temps  où 
son  autorité  fut  beaucoup  plus 
grande.  Ximénès  avait  voulu 
trop  faire  le  maître  :  c'est  pour- 
quoi l'archiduc  Charles  le  ren- 
voya chez  lui ,  lorsqu'il  alla  en 
personne  prendre  possession  de 
ses  royaumes  d'Espagne  ;  et  quel- 
que temps  après  il  en  donna  le 
gouvernement  à  Hadrien  d'une 
manière  fort  honorable,  je  veux 
dire  lorsqu'il  en  partit  pour  aller 
en  Allemagne ,  où  la  couronne 
impériale  l'appelait  (h).  Hadrien 
se  trouva  fort  embarrassé  du 
gouvernement  de  tant  de  royau- 
mes ,  parce  qu'il  s'y  forma  une 
dangereuse  sédition  ,  qu'il  n'au- 
rait pas  été  capable  de  surmon- 
ter, si  l'on  ne  lui  eût  associé 
deux  collègues,  savoir  le  con- 
nétable et  l'amirante  de  Castille. 
L'invasion  de  la  Navarre  par  les 
Français  fut  un  autre  grand 
embarras  pendant  son  gouver- 
nement. Il  s'en  tira  avec  hon- 
neur; et  il  jouissait  du  plaisir 
d'avoir  recouvré  la  Navarre,  lors- 
qu'il reçut  la  nouvelle  de  son 
élection  à  la  papauté  (/).  Je  n'ai 
pas  encore  dit  que  Léon  X  lui 

(e)  Arrivée  le  23  janvier  l5l6. 

(/")  Jovius  ,  in  Vitâ  Hadriani  VI. 

(g)  y oyez  Varillas,  Pratique  de  l'éduca- 
tion du  Prince,  pag.  186,  édition  de  Hol- 
lande. 

[h)  Hadrianus  cttm  itnperio  toti  Ifispaniœ 
prteficitur  tantâ  cum  dignilate ,  ut  Cresar  re 
cusantem  et  prœoptantem  seipii  humanissi 
mis  precibus  ut  manere  vellel  exorare  coge- 
retur,  quandb  rege  absente  in  Hispanite 
prœside  opus  foret  prœclarœ  dignitatis  et 
famts,  //ni  ,  etc.  Jovius,  pag.  23l. 
/)  Idrm  ,  pag     •  '•  1 


HADRI 

avait  donné  le  chapeau  de  car- 
dinal en  l'année  i5i^.  Après 
sa  mort  les  diverses  brigues  du 
conclave  aboutirent  à  l'élection 
d'Hadrien  (&),  ce  qui  déplut  fort 
au  peuple  de  Rome  (L).  Le  nou- 
veau pape  ,  s'étant  embarqué  en 
Catalogne ,  arriva  à  Rome  le  3o 
d'août  (M).  Il  ne  voulut  point 
changer  son  nom;  et  il  témoigna 
en  toutes  choses  un  éloignement 
du  faste  et  des  voluptés,  contre 
lequel  la  prescription  était  déjà 
surannée.  Son  pontificat  ne  dura 
que  jusques  au  14  de  septembre 
i523.  Il  eut  une  grande  partia- 
lité pour  l'empereur  Charles- 
Quint,  et  très-peu  de  satisfaction 
de  sa  tiare  (N).  C'est  peut-être 
son  mécontentement  qui  donna 
lieu  à  ces  manières  d'agir,  qui 
l'ont  fait  passer  pour  un  misan- 
thrope (0).  Les  Italiens  ont  pu- 
blié des  médisances  atroces  con- 
tre lui  (P)  :  et  ceux  même  qui , 
au  lieu  de  le  diffamer  du  côlé 
des  mœurs,  sont  convenus  de  sa 
probité  et  de  son  zèle ,  ne  lais- 
sent pas  de  dire  qu'il  n'était 
point  propre  à  être  pape  (Q).  Il 
n'est  pas  jusques  à  sa  sobriété 
dont  on  n'ait  fait  des  railleries 
(R).  La  joie  qu'on  fit  paraître  de 
sa  mort  est  au  fond  un  grand 
éloge  pour  lui  (S).  Je  ne  saurais 
bien  dire  si  ce  sont  les  catholi- 
ques ou  les  protestans,  qui  ont 
débité  les  premiers  qu'il  permit 
de  sacrifier  aux  divinités  du  pa- 
ganisme ,  afin  de  faire  cesser  la 
peste  (T).  Guicciardin  n'est  pas 
celui  qui  l'a  le  plus  épargné;  car 
il  prétend  (/)  que  ceux  qui  con- 
férèrent la  papauté  à  ce  barbare, 
se  portèrent  à  cela  plutôt  par  une 

/.  )  Le  9  janvier  i522. 

/i  Lib.  XII'.  folio  m    pi. 


EN  VI.  /,39 

impétuosité  aveugle ,  que  par 
choix  et  par  délibération  (m);  et 
que  ne  sachant  donner  aucune 
raison  de  leur  extravagante  con- 
duite ,  ils  s'en  déchargeaient  sur 
le  Saint-Esprit  ,  qui  avait  de 
coutume,  à  ce  qu'ils  disaient, 
d'inspirer  les  cardinaux  pendant 
l'élection  des  papes  (n).  Le  corps 
d'Hadrien  fut  déposé  dans  l'église 
du  Vatican  ,  entre  celui  de  Pie  1 1 
et  celui  de  Pie  III ,  et  transporté 
ensuite  dans  l'église  de  Sainte- 
Marie  delV  anima.  Guillaume 
Enckevort ,  le  seul  cardinal  qu'il 
eût  fait,  prit  tous  ces  soins-là, 
et  lui  fit  dresser  un  superbe  mau- 
solée (<?).  N'oublions  pas  que  ce 
pape  a  été  auteur  (U).  Il  est  un 
peu  étrange  qu'un  homme  qui 
devait  aux  lettres  son  avainc- 
ment ,  ait  si  peu  favorisé  les 
beaux  esprits  (X).  Le  recueil  des 
lettres  des  princes  contient  (p) 
quelques  particularités  sur  l'hu- 
meur de  ce  pontife.  Sa  Vie  a  été 
amplement  décrite  par  Gérard 
Moringus ,  théologien  de  Lou- 
vain. 

Il  nedissimulapoint  lesgraml^ 
abus  qu'il  remarquait  dans  l'é- 
glise :  il  les  avoua  publiquement 
et  d'une  manière  très-forte  dans 
l'instruction  qu'il  donna  au  non- 
ce qui  devait  parler  de  sa  part  à 
la  diète  de  Nuremberg  (Y).  Il  y 
déplora  la  mauvaise  vie  du  cler- 

(m)  Le  cardinal  Pallavicin  réfuie  cela, 
lib. Il,  cap,  II.  Voyez  l'article  GuiCClkR- 
din,  remarque  (F),  pag.  33 1. 

(n)  Délia  quale  estravaganza  non  potendo 
con  ragione  alcuna  escusarsi  ,  transferivano 
la  causa  nello  Spirito  Santo ,  solito  secundo 
dicevano  a  inspirai  e  nella  elellione  de'  pon- 
lefici  i  cnori  de  cardinali. 

(o)Jovius,  in  Vitâ  Hadriani,  pag.  ZJ2I  , 
Val.  Andr.  ,  Bibliotb.  belg.  Aub.  Miraeus  . 
Elog.  belg. 

(/))  Dans  deux  lettres  de  Jérôme  Niger  i 
Marc   Vntoinc  Micheli    folio  m,  8l ,  85. 


44  o 


HADRIEN  Vf. 


ce,  cl  la  corruption  des  mœurs 
<rui  avait  paru  dans  la  personne 
de  quelques  papes.  Il  y  avait 
long-temps  qu'il  souhaitait  d'in- 
troduire parmi  les  ecclésiastiques 
la  réformation  des  mœurs.  Il 
avait  travaillé  à  cela  pendant 
qu'il  avait  été  doyen  de  Saint- 
Pierre  à  Louvain  ;  mais  l'inutili- 
té de  ses  peines  l'avait  obligé  à 
renoncer  à  son  entreprise  (Z). 
L'un  des  plus  justes  reproches 
qu'on  lui  puisse  faire  est  d'avoir 
contrevenu  aux  belles  leçons  qvii 
étaient  sortiesde  sa  plume  contre 
la  pluralité  des  bénéfices  (AA). 
Notez  que  quand  il  canonisa  An- 
tonin  et  Bennon ,  il  ne  souffrit 
pas  les  dépenses  qu'on  a  coutu- 
me de  faire  dans  ces  sortes  de 
cérémonies  :  il  les  défendit  com- 
me une  chose  contraire  à  la  sain- 
teté de  la  canonisation  (q).  Un 
savant  jésuite  s'est  trouvé  dans 
l'embarras  pour  avoir  cité  ce  fait 
(BB).  Les  successeurs  de  ce  pape 
n'ont  pas  été  de  son  goût  ;  ils  ont 
toléré  dans  les  canonisations  la 
pompe  mondaine  jusqu'à  des  ex- 
cès qui  ont  choqué  le  menu  peu- 
ple (CC). 

(//)  Talcs  sumplus  quasi  aliénas  à  sancti- 
moniâ  el  puritate  canonisationisjleri  vetuit. 
151asius  Ortisius,  apud  Papehrocliium  ,  loin. 
Vil  maii ,  pag.  555. 

(A)  //  naquit  a  Utrechl.  ]  Cette 
ville  s'appelle  en  latin  Trajectum  ad 
Jihcnum ,  comme  Maè'stricht  s'ajjpelle 
Trajectum  ad  Mosam.  Quelques-uns 
(i)  s'étant  contentes  de  dire  qu'Ha- 
drien était  Trajectcnsis  ,  ont  été 
cause  que  d'autres  (2)  l'ont  fait  nalif 
de  Maè'stricht  :  tant  il  est  vrai  que 
pour  peu  qu'on  s'éloigne  de  l'exacti- 
tude,  on  fait  broncher  quelque  au- 

(1)  Bcllarmin  est.  de  ceux-là,  dans  le  livre  de 
Scriptor.  ecclesiast. 
(••;  /,  jésuite  Forcsti  eslde  ceux-là,  dam  le 
nomlo  istorico 


tcur.  Apparemment  le  père  Labbi 

s'était  aperçu  de  la  négligence  de 
Cellarmin  •  car  dans  son  Commentaire 
sur  les  Ecrivains  ecclésiastiques  de  ce 
jésuite ,  il  ne  s'est  point  servi  du  mot 
Trajéctensis ,  mais  de  celui  (YUltra- 
jecteusis.  Il  est  si  vrai  que  Trajectum 
tout  seul  se  prend  plutôt  pour  Maè's- 
tricht que  pour  Utrecht ,  que  M.  de 
Marolles  n'est  point  excusable  d'avoir 
pris  (3) ,  au  IIe.  livre  de  Grégoire 
de  Tours  ,  Trajectensem  urbem  pour 
Utrecht.  Il  s'agissait  de  la  retraite  de 
saint  Servais ,  évêque  deTongres;  et 
c'était  une  nouvelle  raison  de  ne  mé- 
connaître pas  Maè'stricht.  Je  ne  doute 
point  que  le  docte  Onuphre  Panvini 
n'ait  pris  ici  Trajéctensis  pour  un  hom- 
me né  à  Maè'stricht.  Hadrianus  VI, 
dit-il  (4) ,  Trajéctensis  ,  Flander  vcl 
Brabantinus  :  erreur  mille  fois  plus 
supportable  que  celle  d'un  écrivain 
allemand ,  qui  a  dit  (5) ,  Adrianus  VI 
palriâ  Derthusiensis  Germanus.  Quel- 
ques-uns l'ont  fait  naître  en  Italie 
(6)  :  Ut  plané  ridiculi  sunt  qui  in  suis 
ad  Alphonsi  Cîacconii  historiam  ad- 
dilionibus  natales  Hadriani  majorcsve 
Italiœ  vindicant.  Jérôme  Niger  ,  au- 
teur italien ,  disait  de  ce  pape  :  Il 
parle  toujours  latin  assez  passable  - 
ment  pour  un  Espagnol  (7). 

(B)  Son  père.  ]  Il  s'appelait  Florent 
Doyens ,  et  gagnait  sa  vie  à  faire  des 
barques  ,  IVaupegus  (8).  D'autres  le 
font  tisserand  ,  et  d'autres  brasseur 
de  bière.  Je  crois  qu'il  s'en  faut  te- 
nir à  la  première  opinion  ,  puisque 
Valère  André ,  qui  a  fait  bien  des  re- 
cherches touchant  le  pape  Hadrien  VI, 
ne  dit  pas  un  mot  des  autres  métiers 
qu'on  donne  à  son  père.  Quant  au 
fils  ,  il  ne  s'appela  qu' Hadrianus 
Florentins ,  c'est-à-dire  ,  Hadrien  , 
fils  de  Florent  :  c'était  la  coutume  du 
pays  ;  elle  y  subsiste  encore  dans  le 
petit  peuple. 

(C)  On  conte  qu'il  allait  lire  la 
nuit  ii  la  lumière  des  lampes.  ]  C'est 
Gabriel  Naudé  qui  m'apprend  cela. 

(3)  Voyez  ses  Notes  sur  Grégoire  de  Tours, 
lom.  I,  pag.  75. 

(4)  In  Chronico  10m.  Pontif.  ,  ail  ami.  i522. 

(5)  In  Continualione  Chronici  Eusebiani,  ex- 
cusa' Basilets  anno  i53(i,  ad  ann.  i522.  Voyez 
SchoocVius,  de  Fabula  Hamelensi  ,  pag.  83. 

(6)  Valer.  Amlr.  ,  Bibliotli.  brlg.,  pag.  iq. 

(7)  Voyez  /.(  Lettres  des  Priuces,  recueillit* 
pat  Ruscelli,  folio  m-  KG. 

(S)  Valer.  Amlr.  ,  Bibl  !>clg. ,  pag.  iQ 


HADRIEN  VI. 


44' 


JYon  secus  omnino  ,  dit-il  (9)  ,  ac 
olim  fecére  maximi  illi  viri ,  Euclides 

dum  noctu  Megaris  Alhenas  proji- 
cisccretur  ad  audiendum  Socratem.... 
Hadrianusque  prceterea  ejus  nominis 
pontifex  sextus  ,  et  Auguslinus  Steu- 
chus  Eugubinus  ,  quoi  inler  luctan- 
dum  cum  studlis  et  angustiorïs  vitœ 
miseiiis  ,  sœpè  videre  juil  ad  ellych- 
nios  noctu  in  templis  aut  compitis 
collucenles  légende  desiderio  acces- 
sisse. 

(D)  S'il  ne  devint  pas  poëte.  ]  Une 
des  choses  qui  le  firent  décrier  par 
les  Italiens  fut  qu'il  ne  faisait  aucun 
cas  ni  de  la  poésie ,  ni  de  la  délica- 
tesse du  style ,  deux  choses  qui  avaient 
fait  faire  fortune  à  bien  des  gens ,  sous 
Léon  X ,  et  dont  on  se  piquait  le  plus 
en  ce  pays-là  depuis  cinquante  ou 
soixante  ans.  Hadrien  avait  ses  rai- 
sons ;  car  les  poètes  avaient  produit 
les  mêmes  mauvais  effets  qu'ils  pro- 
duisirent depuis  en  France  (10).  Quod 
union  ei  viri  élégantes  defuisse prœdi- 
cant ,  eloquentiœ  cultioris  flores  ,  et 
poè'tarum  amosnitates  contemnere  erat 
solitus,  swe  quod putaret  eas  sibi  ali- 
quid  de  gravissimorum  studiorum  au- 
loritate  detrahere ,  sive  quod  castis  et 
piis  ingeniis  poè'tarum  lusus  prawos 
mores  itnportare  et  religionibus  ojfi- 
cere  arbitraretur  (11).  Il  était  si  peu 
disj>osé  à  leur  faire  du  bien  ,  qu'une 
des  raisons  pour  lesquelles  Paul  Jove 
se  ressentit  de  ses  faveurs  ,  fut  qu'il 
n'avait  pas  joint  la  poésie  à  l'étude 
des  belles-lettres.  Jovium  omnino  eo... 
sacerdolio  esse  perornandum  ,  quem 
audivisset  oplimis  disciplinis  libérali- 
té!' eruditum  ,  et  scriptorem  annalium 
valdè  elegantem ,  nec  tainen  esse  poë- 
tam  ,  ut  cœleri  qui  cultiores  lilteras 
seclarentur  (12).  Le  paganisme,  que 
les  poètes  répandaient  dans  leurs  ou- 
vrages ,  ne  contribua  pas  peu  à  la 
froideur  que  ce  pape  leur  témoigna  ; 
car  il  n'entendait  point  raillerie  là- 
dessus.  Ce  n'était  point  un  homme 
d'accommodement  sur  ces  matières 
(i3);  il  détourna  ses  yeux  lorsqu'on 

(9)  Naudœus ,  in  Pentadc,  Qujest.  iatropliilol ., 
pag.  m.  pi. 

(10)  Thuanus,  lib.  XXII,  ail  ann.  i55f). 
Voyez  ci-dessus ,  pag.  28  ,  la  remarque  (I)  de 
Varticle  Gar.vsse,  au  premier  alinéa. 

(11)  Jovius  ,  in  ejus  VUS,  pag.  m.  2î3. 

(12)  Jovius,  ùt  ejus  Vilâ,  pag.  277. 

(|3)  Suspecta  habebalpoclarum  ingénia,  ui- 
.'■■'.c  jui  minus  sinecru  animo  de  christiiiwt  rcli- 


lui  voulut  faire  voir  la  statue  de  Lao- 
coon  ,  et  dit  que  c'étaient  des  simula- 
cres de  l'impiété  :  Ornamenta  insig- 
nispiclurtc  et  staluarum  priscœ  artis 
nequaquam  magnifecit ,  adeo  ut  Kia- 
nesio  jBononiensium  legato  commen- 
dunte  statuant  Laocoontis  ,  quam  in 
Belvederii  viridariis  Julius  ingenti 
pretio  coëmptam  ad  loci  dignitalem 
collocârat ,  aversis  statim  oculis  tan- 
quam  impiœ  gentis  simulacra  vitupe- 
raret.  C'estPaul  Jove  (i4) i  quinousap- 
prend  cette  particularité.  Jugez  si  les 
amateurs  des  beaux-arts ,  si  les  Ita- 
liens qui  admiraient  ce  chef-d'œuvre 
de  sculpture ,  pouvaient  concevoir  de 
l'estime  pour  un  tel  pape.  Les  poètes 
lui  firent  voir  qu'on  n'avait  pas  dit 
sans  raison ,  genus  irritabde  valum. 
Voici  une  épigramme  dont  Sannazar 
le  régala  : 

Classe,  virisque  potens  ,  domiloque  Oriente 
superbus 

Tlarbarus  in  Latias  dux  qualil  arma  domos  : 
In  Valicano  noster  lalet  ;  hune  lamcn  alto  , 

Christe ,  vides  ccelo  ,  (prok  dolor)  et  palcris  ! 

Nous  rapporterons  ci-dessous  l'invec- 
tive de  Piérius  Valérianus.  La  statue 
de  Pasquin  était  continuellement  bi- 
garrée de  vers  satiriques  contre  Ha- 
drien :  nous  dirons  ailleurs  (i5)  pour- 
quoi il  ne  la  fit  pas  détruire ,  comme 
il  l'avait  résolu. 

(E)  La  cure  qu'on  lui  donna  en 
Hollande.  ]  Paul  Jove  dit  que  (16) 
Marguerite ,  fille  de  l'empereur  Maxi- 
milien  ,  gouvernante  des  Pays-Bas  , 
lui  fit  avoir  cette  cure ,  et  que  peu 
après  on  lui  conféra  le  doyenné  de 
Louvain.  Il  a  tort  de  donner  ,  en  ce 
temps-là  ,  le  gouvernement  des  Pays- 
Bas  à  cette  princesse  ;  car  elle  ne  le 
posséda  qu'après  la  mort  du  duc  de 
Savoie ,  son  second  mari  effectif.  Je 
me  sers  de  ce  mot,  parce  que  le  pre- 
mier prince  (17)  auquel  on  l'avait 
fiancée ,  la  renvoya  avant  la  consom- 
mation du  mai^tgc ,  et  parce  que  je 
n'ajoute  nulle#>i  à  ceux  qui  disent 
que  le  duc    de  Savoie   ne  la  connut 

gione  sentire  et  damnala  falsissimorum  dcorum 
noinina  ad  veterum  imitnlionem  sludiosc  cele- 
brare  dicerentur.  Id.  ,  Ibid. 

(i4)  In  ejus  Vitâ,  pag.  283. 

(iS)  Au  loin.  XV ,  dans  la  Dissertation  sur 
les  libelles  dtflâmatoires ,  num.  XII. 

(16)  Margarita  Maximiliani  Ciesaris  filia , 
qua-  tum  Belgis  imperabat ,  sacerdolio  paro- 
chiati  m  Uollandid  libéralité,-  honeslavtl. 

(n)  Charles  VIII    roi  de  France. 


442 


HADRIEN  VI. 


point  (18).  En  tout  cas,  puisqu'il 
mourut  l'an  î5o4  ,  il  est  clair  que 
Marguerite  d'Autriche  n'était  point 
gouvernante  des  Pays  -  Bas  lorsque 
Hadrien  monta  au  doyenne  de  Lou- 
vain;  car  il  y  monta  en  l'anne'e  i^97 
(19).  Paul  Jove  aura  confondu  cette 
Marguerite  avec  la  veuve  de  Charles- 
le-Hardi ,  dernier  duc  de  Bourgogne, 
sœur  d'Edouard  IV,  roi  d'Angleterre. 
Elle  se  nommait  aussi  Marguerite, ,  et 
lit  les  frais  de  la  promotion  d'Hadrien 
au  doctorat  en  the'ologie  (20).  Ceux 
qui  nous  l'apprennent  disent  bien  que 
ce  docteur  eut  le  doyenne  de  Saint- 
Pierre  à  Louvain ,  celui  de  Notre- 
Dame  à  Anvers ,  un  canonicat  et  la 
charge  de  tre'sorier  à  Notrc-Dame-la- 
Grande  d'TJtrecht ,  et  la  prévôté  de 
Saint-Sauveur  dans  la  même  ville  : 
mais  ils  ne  parlent  point  d'aucun  bé- 
néfice  à  charge  d'âmes  ,  ou  d'aucune 
e'glise  paroissiale.  C'est  peut-être  une 
nouvelle  confusion  de  Paul  Jove,  que 
cette  paroisse-là.  Le  cardinal  Palla- 
vicini  (21)  n'a  rien  corrigé  sur  ceci 
dans  la  narration  de  cet  écrivain. 

(F)  77  ne  fil  point  faire  a  Charles- 
Quint  de  grands  progrès  dans  le  la- 
lin.  ]  Tout  le  monde  a  ouï  dire  que 
cet  empereur,  ayant  été  harangué  en 
latin  ,  et  n'ayantpu  entendre  ce  qu'on 
lui  disait,  s'écria  en  sotipirant  •  Ha- 
drien nie  l'avait  bien  dit.  Paul  Jove 
en  parle  (22)  comme  d'une  chose  qui 
arriva  en  sa  présence.  Audivi  ego 
Cœsarem  quiim  Genuœ  lalinam  ora- 
tionem  a  quodam.  recitalam  ,  nequa- 
quam  prœclarc  intelligent  ,  suspi- 
rantem  hœc  verba  ore  protulisse  ; 
agnosco  ,  inquit,  mine  maxime  et  eum 
dolore  quidem  magistri  mei  divina 
monita  ,  quùm  hos  flores  et  elegantias 
latini  sermonis  percipere  nequeam,  et 
nu  niinerim  eum  sœpè  prœdixisse  ,  me 
aliquanâo puerilis  incuriœ pœnas  da- 
liirum.  Cet  historien  venait  de  dire 
qu'Hadrien  ,  n'ayaaÉ  pas  été  en  état 
de  tenir  bon  contre  xlhièvrcs  ,  s'était 
contenté  d'avertir  son  jeune  disciple 
qu'il  se  repentirait  un  jour  de  sa  né- 
gligence. Hadrianum  authoritate  im- 

(18)  Fabert,  Histoire  des  ducs  de  Bourgogne, 
pag.  44^-  Heiss,  Histoire  de  l'Empire,  loin. 
I ,  pag.  372. 

(içj)  Val.  Andr.  ,  Fasl.  Academ.  ,  pag.  60. 

(20)  Idem,  pag.  C)5,  et  Bibl.  bclg. ,  pag.  19. 

(21)  Istor.  dcl  Concil.  ,  lil>.  II,  cap.  II. 
(■>")  fn  Vitâ  Iladriani  VI,  /'fig.  m.  227. 


parcm,  et  natnrd  lenissimum  ,  ojficio 
facile  decessisse  ,  ila  tamen  ut  disci- 
pulo  perblandè  diceret ,  fulurum  ali- 
quando  ut  eum  prœscntis  negligenliœ 
pœnileret.  Charles- Quint  en  sentit 
l'épreuve  à  Gênes  ,  et  l'avoua  de 
bonne  foi.  Camérarius  (23)  voudrait 
rendre  responsable  Hadrien  ,  de  ce 
que  cet  empereur  était  obligé  de  se 
servir  de  trucheman  quand  on  le  ha- 
ranguait en  latin;  comme  si  Hadrien 
avait  été  .plus  soigneux  de  l'instruire 
dans  le  catholicisme  ,  que  dans  les 
belles-lettres  :  mais  il  ne  faut  que  se 
souvenir  de  l'aveu  de  Charles  -Quint 
pour  disculper  son  précepteur.  M.  Va- 
rillas  (2^)  est  entré  dans  une  longue 
dispute  contre  les  historiens  espa- 
gnols ,  où  il  prétend  qu'il  n'est  pas 
vrai,  ni  que  Chièvres  soit  coupable 
de  ce  de  quoi  on  l'accuse  par  rapport 
au  latin  de  son  élève  ,  ni  que  Charles- 
Quint  ait  ignoré  cette  langue ,  ni  qu'il 
ait  fait  une  expérience  fâcheuse  de 
cette  ignorance ,  un  jour  qu'on  le  ha- 
rangua. A  l'égard  de  ce  dernier  fait, 
que  les  Espagnols  ,  dit-il ,  supposent 
être  arrivé  en  Allemagne  ,  il  soutient 
qu'il  n'est  rapporté  dans  aucun  au- 
teur des  autres  nations.  Aurait-il 
parlé  de  la  sorte  ,  s'il  avait  su  l'aven- 
ture de  la  harangue  de  Gênes,  dont 
Paul  Jove  a  fait  mention  ? 

(G)  Ce  fut  le  crédit  de  Charles- 
Quint  qui  l' éleva  aupapat.]  Paul  Jove 
remarque  qu'Hadrien  eut  part  à  la 
nombreuse  promotion  de  l'année  i5i7 
(25)  ,  en  vertu  des  lettres  de  l'empe- 
reur Maximilien  (26).  Il  y  ajoute 
quelques  autres  raisons.  A  l'égard  de 
la  papauté  ,  c'est  une  opinion  fort 
commune  qu'Hadrien  y  arriva  par  les 
fortes  brigues  de  l'empereur  Charles- 
Ouint.  Cœsare  urgente  Leoni  demor- 
tuo  absens  (  raro  et  inusitato  sanè 
exemplo  )  pontifex  Max.  undequa- 
draginta  patrum  purpuratorum  suf- 
fragîis  creatur  (27).  On  prétend  qu'A- 
myot  fut  redevable  de  la  grande 
aumônerie  de  France  à  une  conver- 
ti) Méditât,  hist  ,  IIIe-  vol.,  liv.  lV,chap. 
VU  ,  pag.  m.  282. 

(î4)  Pratique  de  l'éducation  des  princes,  pag. 
?6  et  suiv. 

(25)  On  fit  trente  et  un  cardinaux  loul  a  la 
j'ois. 

(26)  Tuinprœserlim  Maximiliani  Cœsaris  lil- 
leris.  Joviu»,  pag-  a3o. 

(27I  Swerlius  ,  Atbi-n.  bclg  ,  /">£■  ç>5. 


HADRIEN  VI. 


443 


salion  qui  tomba  sur  le  sujet  fit  Char- 
les-Quint,  a  ta  table  de  Charles  IX. 
«  On  loua  cet.  empereur  de  plusieurs 
»  choses  ,  mais  surtout  d'avoir  fait 

»  son  précepteur  pape On  exagéra 

»  si  fortement  le  mérite  de  cette  ac- 
»  tion  ,  que  cela  fit  impression  sur 
»  l'esprit  de  Charles  IX  ,  jusque-là 
)>  même  qu'il  dit  que,  si  l'occasion 
»  s'en  présentait ,  il  en  ferait  bien 
»  autant  pour  le  sien  (28).  »  C'est 
donc  une  opinion  assez  générale  ([iu- 
le pape  Hadrien  VI  était  la  créature 
de  Charles-Quint.  Il  semble  néan- 
moins que  cet  empereur  ne  lui  pro- 
cura le  papat  qu'indirectement ,  et 
par  accident.  Paul  Jove  ,  qui  est  en- 
tré assez  bien  dans  les  intrigues  de  ce 
conclave  ,  nous  apprend  que  Julien 
de  Médicis ,  chef  de  la  plus  puissante 
faction  ,  ne  travailla  pour  Hadrien 
qu'après  avoir  vu  qu'il  ne  pouvait 
rien  obtenir  pour  lui-même  (29).  Il 
est  vrai  que  l'attachement  d'Hadrien 
aux  intérêts  de  Charles- Quint  lui 
rendit  très-favorable  ,  dans  ce  pis- 
aller  ,  la  cabale  de  Julien  de  Médicis. 
On  parle  d'une  inscription  où  Hadrien 
se  reconnaissait  obligé  de  toutes  ses 
grandeurs  à  sa  majesté  impériale  (3o). 
Cette  inscription  était  composée  ,  dit- 
on  ,  de  ces  paroles  :  Ultrajectum 
plantavit ,  Lovanium  rieavit  ,  Cœsar 
vero  merementum  dédit  ;  c  est-a-dire , 
Utrecht  a  planté ,  Lointain  a  anvsé , 
et  l'empereur  a  donné  l'accroissement. 
Sur  quoi  quelqu'un  dit  :  Il  n'y  a  eu 
rien  ici  a  faire  pour  Dieu  ,  Deo  isthic 
nec  seiilur  ,  rtec  metitur.  Cela  n'em- 
pêche pas  que  la  création  de  ce  pape 
n'ait  été  un  coup  de  hasard  et  de  dé- 
pit. Lisez  ces  vers  de  Piérius  Valéria- 
nus  ,  qui  sont  aussi  beaux  que  satiri- 
ques (3l)  : 

Cinnjlucluarel  cymba  ,  quœ  magnos  deos , 

ilomie  pennies  quie  vehil, 
Leone  adempto  :  providum  ,  vigilem  ,  parem 

(a8)  L'abbé  de  Saint-Réal,  .le  l'Usage  de 
i'Ilistoire.  Wojeu  la  remarque  (E)  de  l'article 
'i'Amyot.  [Bayle  y  réfute  ce  conte,  tom.  I,  pae. 
5o3.] 

(29)  Itaque  Medices  desperalo  vel  neglecto 
ponlijicatu  Hadrianum  nominal.  Jovius  ,  pag. 
249. 

(30)  Wolfius  ,  Lect.  memorabil.,  tom.  II, 
pag.  192,  dit  que  celle  inscription  parut  sur 
une  tapisserie  ,  à  Louvain  ,  lorsqu'on  y  fil  des 
réjouissances  pour  la  création  de  ce  pape. 

\i\)  L'auteurdes  Notes  sur  les  poésies  de  Son- 
naxar  ,  imprimées  ii  Amsterdam  .  l'un  1680.  les 
1  insérées  à  ta  pa^e  yjCy,  237. 


Oplabal  infelix  duce.m. 
Durn  lolà  is  orâ  quœrilur  Ligusticd , 

Totoque  Tyrrheno  mari , 
Per  Iladrialici  omne  liltus  ,  per  Padi 

Ripa f ,  Lemani  per  juga  ; 
Per  Celtiberos ,  Gaditanos  ,  Gallici 

Vaslos  per  Oceani  sinus, 
Quaque  cestuosum  Sarmalas  lambit  salum , 

Qua  circuit  Britannias  ; 
Repente  nobis  hune  dédit  vecors  Juror 

Fegioni  Fheni  ab  ultimd ; 
J\ril  laie  palribus  facere  se  pulantibin  ; 

Pfihil  minus  volenlibus 
Quant  quem  eligebanl,  nil  minus  poscentibus 

Quant  quem  vocabant  :  ô  mare'. 
O  terra  !  votis  Hadrianus  omnium 

Fit  ponlifex  ;  sed  omnibus  , 
Quis  credàt  ?  invilis.  Deùm  vis  hœc ,  DeCim , 

Deùm  abditum  hoc  arbitrium  est. 
Ut  qui  natantis  despuunt  regnum  trahis  , 

Parère  discant  viperœ  : 
Ut  invicem  qui  se  oderanl  patres ,  dticem 

Invisum  haberenl  omnibus  , 
Malarum  ut  essel  sœvus  ultor  menlium  , 

Acri  ipse  mente  in  singulos. 

Naudé  rapporte  (  3a  )  que  Pierre 
Martyr  ,  non  l'hérétique  de  Florence, 
mais  le  protonotaire  apostolique  ,  na- 
tif d'une  petite  bourgade  du  duché  de 
Milan  ,  a  dit ,  en  parlant  de  l'élec- 
tion rf'Hadrien  VI  :  Cardinalibus  hoc 
loco  accidit  quod  in  fabula  de  par  do 
ac  leone  super  agno  raptando  scribi- 
tur  ;  fortibus  Mis  strenuè  sedilaceran- 
libus  ,  quodeumque  quadrupes  iners 
aliud  prœdœ  se  dominum  fecit.  C'est- 
à-dire  ,  selon  la  version  de  Louis  de 
Mai ,  auteur  des  Notes  sur  les  Coups 
d'état ,  il  arriva  en  celte  rencontre  , 
aux  cardinaux,  ce  que  la  fable  raconte 
du  léopard  et  du  lion  ,  sur  l'enlève- 
ment d'un  agneau  ;  que  pendant  que 
ces  deux  généreux  animaux  se  dé- 
chiraient ,  en  disputant  vaillamment 
a  qui  aurait  la  proie ,  une  autre  bête 
a  quatre  pieds  ,  des  plus  brutes  et  lâ- 
ches ,  s'en  rendit  la  maîtresse. 

(H)    Dans   son   ambassade il 

ménagea  les  choses  avec  adresse.  ] 
M.  Varillas  n'est  pas  de  ce  sentiment 
Selon  lui  (33)  Hadrien  n'était  bon  que 
pour  enseigner  dans  un  collège  ;  il 
n'entendait  pas  la  politique  ;  il  ne 
savait  pas  la  science  du  cabinet.  On 
en  donne  entre  autres  preuves  celle- 
ci  :  c'est  que  dans  son  ambassade 
d'Aragon  il  ne  répondit  pas  à  l'espé- 
rance de  Chièvres.  Mais  qui  a  dit  à 
Varillas  que  ce  soit,  une  marque  d< 
peu  d'habileté  ?  Hadrien  lins-, ni 
Chièvres  pour  plusieurs  raisons  (34); 

(3a)  Naudé,  Coups  d'état,  pas.  m.  a3. 
(33)  Voie:  la  préface   <h    la  Pratique  df  I  i 
Vacation. 

(340  Jovius    pag 


444 


HADKIEJN    VI. 


et  au  lieu  de  négocier  selon  les  vues 
de  Chièvres,  il  lui  rendait  sous  main 
de  mauvais  ollîces  *.  C'était  sans  dou- 
te mal  répondre  aux  espérances  de 
ce  seigneur  ;  mais  ce  n'était  pas  être 
mal  habile. 

(I)  Il  fut  honoré de  l'évéché  de 

Tortose.  ]  Plusieurs  auteurs  (35)  que 
j'ai  consultés  conviennent  que  Ferdi- 
nand conféra  cet  évêché  à  Hadrien  ; 
mais  M.  Varillas  dit  (36)  qu'on  le  lui 
donna  après  la  mort  de  ce  prince , 
comme  un  dédommagement  du  pou- 
voir qu'on  lui  ôtait/C'est  qu'il  faut 
savoir  que  le  cardinal  Ximénès  ,  nom- 
mé régent  du  royaume  par  le  testa- 
ment de  Ferdinand  (37),  voulut  oc- 
cuper ce  poste  malgré  le  brevetqu'Ha- 
drien  avait  apporté  de  Flandres,  pour 
être  régent  de  la  Castille  et  de  l' Ara- 
gon ,  en  cas  que  Ferdinand  mourût. 
Le  cardinal  fut  plus  ferme  qu'Hadrien 
dans  ses  prétentions  •  car  on  porta 
celui-ci  à  se  contenter  d'avoir  part 
à  la  régence  :  et  M.  Varillas  suppose 
qu'on  le  fit  évêque  (38)  afin  de  le  dé- 
dommager. Je  viens  de  jeter  les  yeux 
sur  un  ouvrage  (3g)  plus  moderne 
que  celui  de  Varillas,  et  j'y  ai  vu  que 
l'auteur  suppose  que  notre  Hadrien 
n'était  point  évêque  lors  de  la  dis- 
pute sur  la  régence.  En  racontant  les 
circonstances  de  cette  dispute ,  il  ne 
l'appelle  que  le  doyen  de  Louvain, 
et  il  dit  (4o)  que  Ximénès  supposa 
que  ce  doyen  ayant  consenti  de  ne 
l'avoir  qu'en  second,  la  dignité  et  le 
rang  qu'il  avait  dans  la  Castille  ne 
permettant  pas  a  un  simple  Prêtre, 
comme  était  le  doyen  ,  de  prétendre 
le  pas  sur  un  archevêque  cardinal, 
il  ne  lui  en  ferait  part  qu'autant  qu'il 
lui  plairait.  M.  l'évêque  de  Nîmes  dit 
formellement  (40  que  le  doyen  ne 
parvint  à  l'évêclié  de  Tortose  ,  que 
par  la  recommandation  de  Ximénès 

*  Réflexion  hasardée  et  sans  preuve,  disent  Le- 
clerc  et  Joly. 

(35)  Jovius  ,  ibid.  ,  pag.  228.  Swert,  Athen. 
beig. ,  pag.  f)5.  Val.   Andr.  ,  lîibl.  belg.  ,  p.  20. 

(36)  Préfaça  de  la  Pratique.  Voyez  aussi 
pag,  irjo. 

(37)  Pratique  de  l'éducation  ,  pag.    i83. 
(38)  Notez  que  depuis    la  promotion  d'Ha- 
drien au  cardinalat ,  on  l'appelait  le  cardinal 
de  Tortose. 

(3rj)  L'Histoire  du  Ministère  du  cardinal  Xi- 
ménès, par  M.  Marsolier. 

(4°)  Pat;.  372  ,  édition  de  Hollande. 

(40  Fléchier,  Histoire  du  cardinal  Ximénès  , 
liv-  IV,  pag-  633,  édition  île  Hollande. 


après  la  mort  de  Ferdinand;  et  com- 
me il  cite  Alvare  Gomez  (f\ ■>.) ,  et 
Pierre  Martyr  (43)  ;   il  est   apparent 

Sue  Paul  Jove  et  les  bibliothécaires 
u  Pays-Bas  se  sont  trompés.  La  ma- 
nière dont  Ferdinand  avait  reçu  le 
doyen,  n'insinue  pas  qu'il  l'ait  fait 
évêque.  Il  avait  pénétré  le  véritable 
sujet  de  son  ambassade  -,  il  l'avait  re- 
gardé comme  un  espion;  et  lorsque 
Hadrien  sollicitait  une  seconde  au- 
dience ,  il  répondit  avec  chagrin  : 
Que  veut-il?  Vient-il  savoir  si  je  me 
meurs?  Dites  lui  qu'on  ne  me  voit 
point  aujourd'hui.  Il  le  vil  pourtant 
peu  de  jours  après  ,  par  le  conseil  de 
ses  ministres  ,  et  lui  dit  qu'il  ne  se 
portait  pas  assez  bien  pour  traiter 
d'affaires  avec  lui ,  qu'il  se  retirât  a 
Guadalupe  dans  le  couvent  des  reli- 
gieux de  saint  Jérôme //  lui  don- 
na des  officiers  en  apparence  pour  le 
servir ,  mais  en  effet  pour  le  garder, 
et  pour  empêcher  que  des  gens  qui 
lui  étaient  suspects  n'eussent  commer- 
ce avec  lui  (44)- 

(K)  Il  partagea  la  régence  avec  le 
cardinal  Ximénès.  ]  Il  y  a  beaucoup 
de  probabilité  dans  l'une  des  circon- 
stances que  M.  Varillas  rapporte.  Il 
dit  (45)  qu'une  des  raisons  qu'on  al- 
légua au  doyen  d'Utrecht  (46) ,  pen- 
dant sa  dispute  avec  Ximénès,  tou- 
chant la  régence ,  fut  de  lui  repré- 
senter «  que ,  s'il  s'ingérait  de  faire 
»  valoir  les  provisions  qu'il  avait 
»  apportées  de  Flandres,  il  exciterait 
»  dans  l'Espagne  une  guerre  civUc , 
■»  et  répondrait  devant  Dieu  de  tous 
»  les  homicides  et  des  autres  crimes 
»  qui  s'y  commettraient,  comme  il 
»  en  était  lui-même  demeuré  d'ac- 
)>  cord  par  avance,  dans  son  excellent 
»  Commentaire  surle  Maître  dessen- 
»  tences ,  où  il  avait  enseigné  qu'un 
»  homme  excitant  du  trouble  dans 
»  un  état  ,  lorsqu'il  s'en  pouvait 
»  exempter  sans  hasarder  sa  con- 
»  science  ni  son  honneur  pétait  res- 
»  ponsalile  de  tous  les  maux  qui  en 
»  arrivaient.  On  a  vu  ci-dessus  que 
»  le  doyen  était  homme  de  bien ,  et 

(42)  De  RcbusgestisXimen.  ,  lib.  FI. 
(43;  Epist.  DLXXVI,  lib.  XXIX. 

(44)  Fléchier,  Histoire  du  cardinal  Ximénès, 
{(V.  IIF,  p&g-  4o2  1  a  l'ann.  i5i5. 

(45)  Pag.  .85. 

C4'0  ^-'(-ï^  ainsi  que  Von  nommait  en  E*pa- 
;>!•   U  <!vclair  ITaifricn  Florent. 


HADRIEN  VI. 


»  qu'il  n'entendait  pas  assez  le  raé- 
»  lier  dont  il  se  mêlait.  Il  fut  si 
»  charme  de  la  déférence  que  l'on 
»  témoignait  pour  lui ,  en  se  rappor- 
»  tant  à  lui  d'une  affaire  où  il  était 
«  partie ,  et  de  l'honneur  qu'on  lui 
»  faisait  de  citer  des  écrits  qu'il 
»  avait  autrefois  dictes  dans  l'uni- 
»  versite'  de  Louvain ,  et  depuis  fait 
»  imprimer  ,  qu'il  promit  de  se  sou- 
»  mettre  à  ce  que  le  conseil  d'Espa- 
«  gne  déterminerait  ,  pourvu  que 
»  l'on  trouvât  un  expédient  qui  mît 


/j/f5 


que  le  cardinal  Ursin  qui  résista  à 
cette  inspi ration  de  conclave.  Julien 
de  Médicis  nageait  dans  la  joie  ;  mais 
les  autres  tombèrent  dans  un  morne 
abattement  ;  et  le  peuple  fut  si  fâché 
de  leur  choix  ,  qu'il  vomit  mille  in- 
jures contre  eux  ,  quand  ils  sortirent 
du  conclave  (48).  L'un  d'eux  en  re- 
mercia le  peuple  ,  parce  qu'il  trou- 
vait qu'ils  en  étaient  quittes  à  bon 
marché,  puisqu'on  se  contentait  de 
leur  dire  des  injures  ,  et  qu'on  ne  les 
lapidait  pas  selon  leur  mérite.  Ada- 


«  à  couvert   sa    réputation,    et   qui    perto  conclavi  quiim  globtts  cardina- 
»  n'exposât  pas  les  provisions  de  l'ar-    lium  Hadriani  pontem  esset  prater- 

vectus,  et  ojiijiccs puerique  minacibus 
oculis  voeeque  et  manibus  obslrcpe- 
rent ,  nec  a  fœdissimis  probris  absti- 


»  chiduc  à  être  tournées  en  ridicu 
»  le.  »  Voilà  justement  la  fable  du 
corbeau  et    du    renard  ,   avec   cette 
différence  que  le   corbeau  perdit  sa 
proie  pour  des  louanges  à  venir  ,  au 

lieu    que    le  bon    Hadrien    perdit  la    quod  adversus  extrema  supplicia  me- 
sienne   pour  des  louanges  que  l'on    ritos  contumeliis  essent  contenli ,  nec 
donnait  à  son  chant  du   temps  jadis. 
(L)  Son  élection déplut  fort  au 


nerent ,  Sigismundus  Gonzaga  car- 
dinalis  renidenli  vu/lu  his  egit  grattas, 


peuple  de  Rome.  \  Ce  qu'on  appelle 
dans  les  conclaves  ,  être  élu  par  in- 
spiration ,  eut  beaucoup  de  part  à  la 
fortune  d'Hadrien.  Le  cardinal  de 
Médicis  à  la  tête  de  tous  les  jeunes 
cardinaux  ,  faction  encore  plus  puis- 
sante que  celle  qu'on  a  quelquefois 
nommée  l'Escadron  volant  ,  n'eut 
pas  plus  tôt  résolu  de  faire  élire  le  car- 
dinal de  Tortose ,  qu'il  fit  promettre 


lapidibus  publicam  injuriant  rindi<  ti- 
rent (4q).  L'indignation  du  peuple 
était  fondée  sur  ce  qu'on  n'avait  eu 
aucun  égard  à  la  tache  du  péché  ori- 
ginel,  et  qu'il  craignait  que  le  nou- 
veau pape  ne  siégeât  ailleurs  qu'à 
Rome. 

(M)  Il  arriva  a  Rome  le  3o  d'août  ) 
François  Swert  (5o)  dit  que  Didacus 
Stunica  a  fait  une  relation  de  ce 
voyage.  J'en  doute  fort  5  car  Nicolas 
Antonio  n'en  parle   point,  quoiqu'il 


à  ses  partisans   de  lui  donner   leur  parle  d'une  autre  relation  de  voyage- 
suffrage  tous  à  la  fois.  Cela   fut  exé-  composée   par    cet   auteur  ,    et    de 
outé.    L'ouverture   des  billets   ayant  moindre  conséquence  que  ne  le  serait 
donc  fait  connaître  que  l'on  mettait  celle-ci.  Swert  apparemment  a  con 
papable ,  sur  fondu  l'une  avec  1  autre.  La  relatioi 


sur  les  rangs  un  sujet  papab 
lequel  il  ne  semblait  pas  que  per- 
sonne eût  encore  jeté  les  yeux,  causa 
beaucoup  de  surprise.  Le  cardinal 
Cajetan  donna  un  nouveau  branle  , 


ation 

mentionnée  par  Nicolas  Antonio  est 

celle  du  voyage  que    Stunica    fit   à 

Rome,  l'an  1 5io  ,  laquelle  Schottus  a 

insérée  à  la   fin    de   sa   Bibliothèque 
jtr 4—  il j_t\-i  o.  *   • 


par  l'exhortation  qu'il  fit  à  ceux  qui  d'Espagne.  Au  lieu  de  Didacus  Stuni- 
étaient  plus  près  de  lui  de  se  ranger  ca>  ^  fallait  nommer  Biaise  Ortiz  ; 
à  ce  parti-là ,  puisque  c'était ,  disait-  car  c'est  celui-ci  qui  composa  une 
il ,  celui  de  Dieu  et  celui  des  hom-  relation  du  voyage  d'Hadrien  VI.  Elle 
mes  (47).  Tout  aussitôt  plusieurs  s'y  ^l,t  imprimée  à  Tolède ,  Tan  i548. 
rangèrent  de  bonne  grâce,  par  je  ne  L'auteur  était  passé  d'Espagne  à  Ro- 
sais  quel  sentiment  de  religion  ;  me  avec  ce  pontife  (5i). 
d'autres ,  qui  ne  connaissaient  pas 
même  de  nom  le  cardinal  de  Tortose  , 
hésitèrent  et  furent  néanmoins  de 
l'avis  qui  prévalait  5  le  torrent  de 
l'inspiration  les  entraîna,  et  leur  fit 
oublier  tous  leurs  intérêts.  Il  n'y  eut 


(4?)    Poslquhm    Dits   ac  hominibus   placel. 
Jov. ,  pag.  25o. 


(48)  /(/  populus  adeb  indignanter  tulil  t  ut 
qu'um  pale  facto  conclavi  cardinales  dvnium  re- 
dirent, passim  matedictis  incesserentur,  quod 
infamibus  comitiis  non  modo  urbein  Romain  suo 
anlistite  orbatam  piodidtssent,  sed  quod  insa- 
nité proximum  viderelur,  Italiam  etiatn  ponli- 
Jicatds  honore  spoliassent.  Ibid. 

(4<j)  Jovius,  pag.  a5i.  | 

(5o)  Atlien.  Bclg.,  pag.  g5. 

(5i)  Nie.  Antonio,  Bibliotb.  bisp. ,  loin,  /, 
pag.  i-,| 


U6 

(N)  //  eut très-peu  de  satisfac- 
tion de  sa  tiare.]  C'est  ce  que  témoi- 
gne l'inscription  qu'il  voulut  que 
l'on  gravât  sur  son  tombeau  :  tladria- 
nus  Kl  hic  situs  est  ,  qui  nihil  sibi 
infelicius  in  vità  duxil  quant  qubd  im- 
peraret.  Le  père  Labbe  (52)   dit  que 


HADRIEN    VI. 


tu  l'erù  panier  cunctando  rem  Roma 
nain  simnlqiie  Europani  perdure  cun- 
lendis.  Ce  début  déconcerta  tellenicn  I 
le  pape ,  que  comme  les  cardinaux, 
ne  l'aimaient  pas ,  il  pensèrent  écla- 
ter de  rire  (54). 

(0)  Ses  manières  d'agir l'ont 


cette  épitapbe  fut  mise  sur  son  tom-  fait  passer  pour  un  misanthrope. 
beau  dans  l'église  de  Sainte-Marie  Piérius  Valérianus  (55)  en  fait  ui 
deW  anima  ;  mais  il  se  trompe  :  le  homme  qui  fuyait  la  société  humai- 
cardinal  qui  lui  fit  faire  un  mausolée  ne ,  et  qui  dans  les  cavalcades  s'éloi- 
dans  cette  église  ,  y  fit.  mettre  une  gnait  le  plus  qu'il  pouvait  des  cour- 
inscription  beaucoup  plus  longue  et  tisans  ;  il  donnait  de  l'éperon  à  son 
plus   pompeuse  que   celle-là.    On    la  cheval  dès  qu'il  se  voyait  joint  par 


peut  voir  dans  une  infinité  d'auteurs. 
Pour  l'antre  ,  elle  ne  fut  gravée  que 
sur  le  tombeau  où  il  fut  mis  par  pro- 
vision  et  en   dépôt  dans  l'église  de 
Saint-Pierre.  Voyez  Paul  Jove,  sur  la 
fin  de  la  vie  de  ce  pape.   Il  ne   faut 
pas  s'étonner  que  la  couronne  papale 
ait   été  trouvée  pesante  par  Hadrien 
VI  ;  car  les  affaires  générales  de  la 
chrétienté  furent  dans  un  grand  dés- 
ordre sous  son  règne ,  et  il  ne  con- 
naissait pas    assez  le  génie  des  Ita- 
liens ,  pour  ne  leur  déplaire  pas  en 
mille  choses.  Les  nouvelles  qu'il  ap- 
prenait tous  les  jours  des  progrès  et 
des  menaces  des   Ottomans ,    et   son 
peu  d'expérience  dans  les  affaires  d'I- 
talie ,  lui  brouillaient  tellement  la 
tète ,  qu'il  lui  échappa  de  dire  qu'il 
avait  eu  plus  de  plaisir  à  gouverner 
un  collège  de  Louvain ,  qu'à  gouver- 
ner toute  l'église  chrétienne.  IVecesse 
erat  pontiûcem  rerum  Italie  arum  pe- 
ndus  ignarum  ,    et  tum  primùm  ur- 
Ihhiii   suarum  et  provinciarum  regu- 
lor unique  nomina  perdiscentem  ,   in 
omnibus  consiliis  vehementissimè  con- 
turbari,    adeb  ut  quùm  his  curarum 
fluctibus  jactaretur,  aliquando  dice- 
ret  ,    sibi  fuisse  jucundius   Lovanii 
gymnasium  cum  studiorum  laude  mo- 
derari,  quant  Romœ pontificid  in  sede 
christianam  rempublicam  administra- 
ii:  (53).  S'il  n'avait  pas  été  capable  de 
connaître  par  lui-même  que  ses  ir- 
résolutions et  sa  lenteur  causaient  du 
mal  et  des  murmures ,  il  l'aurait  su 
par  les  reproches  que  lui  fit  en  face 
l'ambassadeur    de    Ferdinand  ,    qui 
^commença  ainsi  sa  harangue  :  Fa- 
bius  Maximus  ,  sanctissime  pater, 
■■'■m.  Romanam  cunctando  restitua  , 


(5a)  De  Script,  ccclcs. 
(!ii)  Joviiis  ,  pag.  i6a. 


/,  pet;;-  4«5. 


d'autres.  Pour  voir  la  satire  de  cet 
auteur  dans  toute  son  étendue,  il  faut 
faire  choix  de  certaines  éditions  ;  car 
il  y  en  a  qui  ont  passé  un  peu  l'é- 
ponge sur  cet  endroit.  Celle  de  Baie 
de  i575  n'est  pas  de  ce  nombre,  ainsi 
que  l'a  remarqué  le  père  Théophile 
Raynaud  (56) ,  qui  a  pris  le  parti  de 
ce  pape  contre  les  humanistes  de  ce 
temps-là. 

Je  ne  parle  point  du  Capitolo  du 
Bernia,  contre  ce  pape  ;  je  dirai  seu- 
lement qu'il  n'y  faut  point  prendre 
au  pied  de  la  lettre  cet  endroit  : 

Basta  cli    egH  hanno  Jalto  un  papa  santé 
Che  dice  ogni  mallina  la  sua  inessa , 
El  non  s'el  tocca  mai  se  non  col  guanto. 

C'est  une  hyperbole  burlesque,  fami- 
lière, et  même  proverbiale  parmi  les 
Italiens.  Gli  hipocriti ,  dit  l'Arétin  , 
Giorn.  I*.  délia  IIa.  parte,  che  non  sel 
loccano  niaise  non  col  guanto.  Je  dois 
cette  observation  à  M.  de  la  Mon- 
noie. 

(P)  Les  Italiens  ont  publié  des  mé- 
disances atroces  contre  lui.]  On  ne  se 
contenta  pas  de  l'accuser  d'une  ava- 
rice prodigieuse  ,  on  divulgua  (5y) 
qu'on  avait  enfin  découvert  pourquoi 
il  se  retirait  tous  les  jours  dans  un 
réduit  du  Vatican  ,  où  il  ne  laissait 
entrer  personne  ;  et  que  ce  n'était 
point  comme  Nuraa  ,  afin  d'appren- 
dre d'en  haut  la  manière  de  bien 
gouverner ,  mais  afin  d'y  caresser 
une  belle  femme  :  c'était  sa  nymphe 
Egérie.  On  ajoutait  que  la   maladie 

(54)  Idem ,  pag.  256. 

(55)  Hierog!yph.,Ziè.  XIX. 
(5(i)  Hoplotheca  ,  pag.  ïtfî. 

(57)  Poste'a  comperlum  esl  illic  mulierem  for- 
ma egreèid  clam  habuisse  ,  cujus  amoris  causa 
ru  tant  fréquenter  ildsse  credilur  cjus  amplexu 
fruisolitum    Battus,  apud  Wolfium  ,  Lect,  m< 
moral).  ,  loin.  //,  pat;-  if)î. 


HADRIEN  VI.  447 

dont  il  mourut  procédait  d'un   trop  gnation  contre  l'auteur  de  la  lettiv 

fre'quent  usage   du   plaisir  vénérien  dont  j'ai  cite  quelque  chose  ,   et  qu< 

(58),  et  qu'il  ne  se  contentait  pas  de  Wollius  a  insérée  dans  le  second  vo- 

se  divertir  avec  les  femmes,  qu'il  lui  lurne  de  ses  Leçons.  Battus  quidam 

fallait  de  beaux  garçons  (59).  Ce  ne  Parmensis  quandam  de  ejus  defuncti 

fut   pas  tout  ;    on  publia  qu'il  avait  relictd  J'amd  epistolam  edidit ,  lati- 

e'te'  magicien ,  et   que  ses  amis  vou-  nam  quidem  illam  ac  tersam  ,    sed 

lant  éluder  les  preuves  que  l'on  tirait  adeo   impatienter  mendacem  ut  ipsa 

de  je  ne  sais  combien   d'instrumens  mentiendi  impudentia  ,  dioam  au  in- 

magiques  ,    qui  avaient  été   trouvés  scitia ,  vel  apud  malevolos  /idem  sibi 

dans  sa  chambre  ,  après  sa  mort,  di-  abroget.  Quid  os  impurum  eo  impu- 

saient  qu'il  avait  travaillé  à  la  pierre  lent,   nihil  esse   aliud  reor,  qu'uni 

philosophale.  Comme  on  ne    pouvait  id  quod  comicus  habct ,   mala  mens, 

nier  qu'il  n'eût  l'extérieur  d'un  hom-  malus  animus  (62). 

me  de  bien ,  amateur  de  la  réforme        (Q)    Ceux    qui sont   convenus 

et  de  la  justice,   on  se  retranchait  à  de  son  zèle    ne  laissent  pas  de  dire 

dire  que  ce  n'était  qu'un  tartuffe  ,  et  qu'il    n'était    point    propre     a    être 

que   ce    défaut  est  plus  commun  en  pape.]  Peu  de  gens  liront  cet  endroit 

Allemagne  que  l'on  ne  pense.  Voyez  sans    s'apercevoir   qu'il  s'adresse   au 

sur  tout  ceci  une   lettre  de  Christo-  cardijud  Pallavicin ,  et  sans  songer  à 

phle  Battus  à  Jérôme  Saulius,dans  le  l'Eva^ple  nouveau,  où  l'on  a  censuré 

second  volume  de  Wolfius.  On  a  mis  si  cruellement  plusieurs  maximes  de 

dans  le  supplément  de  la  Chronique  son  Histoire  du   concile  de  Trente, 

de  l'abbé  d'Ursperg  (60),  qu'on  trou-  Hadrien  VI   était   un   très-bon  ecclé- 

va  parmi  les   papiers  secrets   de   ce  siastique  au  jugement  de  ce  cardinal, 

pape  quelques  livres  de  magie,    et  mais  un  pape  médiocre,  Fu  ecclesias- 

qu'il  y  a  des  gens  qui  prétendent  qu'il  lico  otlimo ,  pontefice  in    uerit'a  me- 

parvint  au  papat  par  ce  mauvais  art.  diocre  (63).  Il  descendit  même  plus  bas 

Notez  que  Gérard  Moringus  obser-  dans  l'esprit  du  peuple,  qui  ne  juge 
ve  que  ce  bon  pape  ayant  su  que  les  des  choses  que  par  l'événement  ;  car 
Italiens  formaient  de  mauvais  soup-  en  conséquence  des  mauvais  succès 
çons  sur  ce  qu'il  avait  amené  d'Espa-  de  son  règne  ,  il  passa  pour  un  pape 
gne  quelques  jeunes  gens ,  les  ren-  qui'était  moins  que  médiocre  (64). 
voya  tout  aussitôt  en  leur  pays.  Si  Ce  bon  Flamand ,  n'ayant  pas  trouvé 
quando  antea  ,  tum  maxime  speciem  en  Italie  la  candeur  et  la  sincérité  où 
omnem  impudicitiœ  amouit.  Eoque  il  avait  été  nourri ,  entra  dans  une 
ciim  adolescentes  aliquot  honestœ  défiance  générale  ;  il  croyait  qu'on 
tum  indolis  tum  stirpis  in  gratiam  lui  tendait  des  pièges  partout  ;  il 
parentum  in  familiam  ascilos  ,  ex  n'osa  se  fier  qu'à  des  gens  de  son  pays  : 
Hispaniis  secum  in  urbem  duxisset ,  et  ceux-ci  ,  avec  leur  franchise  sans 
inlellexissetque  halos  ex  convictu  il-  expérience,  lui  firent  plus  de  tort  que- 
forum  ,  nescio  quœ  abominanda  ,  nos-  n'auraient  fait  les  Italiens  avec  leur 
tratibus  inusitata  suspicari ,  statim  dissimulation.  Le  janséniste  qui  a 
in  Hispanias  remisit,  in  academid  fait  l'Évangile  nouveau  ,  a  profité 
Salmanticensipleniuslitteris  imbuen-  fort  malignement  de  tout  ce  que  le 
dos  ,  quibus  anlea  domi  ipsius  a  pio  cardinal  Pallavicin  avoue  sur  les 
simul  et  erudito  viro  TTieodorico  He-  bonnes  qualités  de  ce  pontife  5  mais 
zio  secretario  ipsius  ulcumque  imbuti  au  fond  ce  cardinal  n'a  pas  tout  le 
fuerant  eo  jubente  (61).  Le  même  tort  que  l'on  dirait  bien.  Il  est  vrai 
écrivain  témoigne  une  extrême  indi-  que    si  l'église    chrétienne   était    <■< 

(58)  Labowit  permuhum  antequam  è  vitd  qu'elle  devrait  être  ,  les  mêmes  vei 

excederet  et  siranguriâ  et  lorminibus ,    in  i/uas    tus  qui  Suffiraient  à  un  bon  CCclésiaS- 
legriludines  ylerumque  ineidere soient  qui  coïtu    tique  Suffiraient  aux  papCS  •  mais  (65) 

^^aZTi-kttuper^ini^dpue.  *■  1'**   °«  **&"   romaine   se- 

rorum  amonbus  deleclaretur  .  quia  inier  cœteros 

ministros    nonnullos    tencllœ    œlalis  et  eximiœ         (Ga)  Idem,  ibid.  ,  in  prtvfationr. 
formée  habebai.  Ibidem.  .  (63)  Pallavic.  ,  lib.  II,  cap.  IX. 

(6o)  Voyez  Jean  Crespin,  Etal  île  l'Eglise  ,  à        (64)  Idem,  ibid. 
Vann.  i5î3.  (65)  Voyez  Pallavicin  ,  liv.  //,  chap.   VII 

(Gi)Ger.  Moringus,  in  VUS  Hndriani  VI.  pàg.  m.  ->o(î 


448 


HADRTEN  VI. 


trouve  depuis  long-temps  ,  sous  un 
chef  dont  la  puissance  spirituelle 
est  tellement  incorporée  avec  la  puis- 
sance temporelle,  que  la  conservation 
de  l'une  dépend  de  la  conservation 
de  l'autre ,  c'est  une  folie  que  de 
prétendre  qu'un  pape  qui  n'entend 
point  le  manège  de  la  cour  ,  et  les 
souplesses  de  la  politique ,  puisse 
remplir  ses  devoirs.  Voyez  la  remar- 
que (U)  de  l'article  Bellarmin,  à  la 
fin.  Il  ne  faudrait,  pour  accomplir 
les  prophéties  des  protestans  ,  que 
quatre  ou  cinq  papes  de  suite  tels 
que  quelques-uns  ont  été  ,  qui  d'ail- 
leurs étaient  des  moralistes  rigides. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  il  est  bon  de  voir 
la  lettre  de  M.  de  Launoi  (66) ,  où  il 
fait  l'apologie  de  notre  Hadrien,  con- 
tre le  cardinal  Pallavicin. 

(B)  Il  n'est  pas  jusqu'à  sa  affriété 
dont  on  n'ait  fait  des  railleries.]  Il 
était  si  peu  accoutumé  aux  friandi- 
ses de  Rome  ,  qu'il  n'y  avait  point 
de  poisson  qu'il  préférât  au  merlus  ; 
de  sorte  que  le  prix  de  ce  poisson 
haussa  considérablement  sous  sa  pa- 
pauté ,  non  sans  faire  rire  toute  la 
poissonnerie.  Au  lieu  de  le  louer  de 
cela  ,  Paul  .love  a  eu  la  hardiesse  de 
dire  qu'il  n'avait  pas  plus  de  goût  à 
l'égard  des  viandes,  que  de  juge- 
ment pour  l'administration  des  affai- 
res. J'affaiblis  tellement  le  latin  de 
cet  auteur  ,  qu'il  est  nécessaire  de  le 
rapporter  mot  à  mot.  Modo  mer- 
lucciœ  plebeio  admodùm  pisci  Ha- 
drianus  pontifex ,  siculi  in  adminis- 
trandd  republied  hebelis  ingenii  vel 
dépravait  judicii ,  ita  in  esculentis 
insulsissimi  guslûs  supra  médiocre 
pretium  ridente  tolo  foro  piscariojam 
fecerat  (67).  La  cour  de  Piome  était 
passée  d'une  extrémité  à  l'autre  ; 
car  il  n'y  eut  jamais  de  pape  dont  la 
table  fût  aussi  délicate  que  celle  de 
Léon  X.  On  s'insinuait  dans  ses  bon- 
nes grâces  par  l'invention  des  ragoûts  ; 
et  il  y  eut  quatre  grands  maîtres  en 
bons  morceaux  qui  devinrent  ses  mi- 
gnons. Ils  inventèrent  une  sorte  de 
saucisses  qui  jeta  dans  l'étonnement 
Hadrien  VI  ,  lorsqu'il  examina  la 
dépense  de  son    prédécesseur  (  68  ) . 

(66)  Epist.  IV,  7. 

(67)  Jovius,  tic  Piscibus  romanis,  cap.  I. 
(G8)  Miré  favil  Pogio  seni  Pogii  hislorici  fi- 

lio  ,  itemtjuè  Moro  nobili  h  gulœ   intemperan- 

,  11/..    el  Piiiiulino  rquiii ,  Marianoque  Sannioni 


Pour  lui,  il  n'entretenait  point  d'ofli 
ciers  aussi  inutiles  que  ceux-là  ,  et 
il  prit  tellement  le  contre-pied  de 
Léon  X ,  qu'il  ne  dépensait  pas  plus 
de  douze  écus  par  jour.  Les  Romains 
satirisèrent  cette  grande  frugalité , 
et  dirent  que  le  Vatican  était  devenu 
semblable  aux  maisons  que  le  retour 
des  esprits  fait  déserter.  Familiam 
adeo  sordidam  et  exiguam  alebal  ,  ut 
sumptus  quolidianus  duodecim  aureos 
non  e.rcederet.  Quid  plura  ?  fati- 
cana  domus  nonjam  domus  illa  pon- 
tiûcia  ,  et  ocellus  urbis,  ut  quondam , 
sed  domus  aliqua  ,  ut  poëtœ  tradunl, 
quœ  propler  lemurum  formidinem. 
vacua  et  déserta  sit ,  pro  solitudine 
l'idebalur.  C'est  ainsi  qu'en  parle 
Christophle  Battus  que  j'ai  cité  ci- 
dessus.  Inférons  des  paroles  de  Paul 
Jove  ,  qu'il  ne  laissa  pas  d'y  avoir  des 
gens  à  Rome  qui  ,  par  complaisance 
pour  le  pape ,  firent  cas  de  son  pois- 
son. On  verra  dans  l'article  du  chan- 
celier du  Prat  ,  que  ce  ne  fut  pas  la 
première  fois  que  les  grands  du  mon- 
de mirent  à  la  mode  certaines  vian- 
des qui  étaient  méprisées  aupara- 
vant. Je  crois,  au  reste,  qu'on  ne  se 
moqua  pas  moins  de  la  préférence 
qu'Hadrien  donnait  à  la  bière  sur  le 
vin  ,  qu'à  celle  qu'il  donnait  au  mer- 
lus sur  tous  les  autres  poissons.  Sa 
boisson  ordinaire  était  la  bière ,  et 
on  attribua  à  cela  sa  dernière  mala- 
die. Il  avait  grand  soin  de  sa  santé  , 
et  il  se  mettait  à  table  à  une  heure 
si  réglée  ,  qu'il  quittait  brusque- 
ment les  affaires  les  plus  importan- 
tes dès  qu'on  l'avertissait  que  le  re- 
pas était  prêt  ;  mais  il  mangeait  peu. 
Ferunt  Hadrianum  alioqui  végéta- 
viridisque   senectœ   contraxisse  mor~ 

buni  assiduo  cervisiœ  polu IVam 

per  se  cibi  parcissimus  erat ,  et  in 
tuendd  valetudine  opprimé  diligens 
et  morosus  ,  lantâ  horarum  defini- 
tione,  ut  denunciante  Architriclino 
paralas  esse  epulas,  vel  maximarum 

cncullalo  facelissimis  helluonibus ,  et  in  omni 
génère  popinalium  delUiarum  erudilissimis. 
Nain  inter  alia  portenta  insanienlis  eorum  gulœ 
lucanicas  concisis  pavonum  pulpis  farclas 
commenti  fuerant ,  quod  ohsonii  genus  mox 
successor  Hadrianus  ,  vir  Balaviv  frugalitatis  , 
mirabundus  expai-it,  qu'uni  swnptuarias  ratio- 
nes Lconis  inspiceret.  Jovius,  in  Vitii  Lconis  X, 
pag.  igi.  Varillas  ,  Anecd.  de  Florence,  pag. 
?-()7  ,  dit  que  ces  saucisses  n'étaient  farcies  que 
de  ce  qu'il  y  avait  île  plus  délicat  en  la  chair  1I1  : 
faisans.  Il  prend  un  paon  pour  un  faisan. 


HADRIEN  VI. 


terum  colloquia  protinhs  abrumpe- 
îvt  (69). 

(S)  La  joie  qu'on  fit  paraître  de  sa 
mort  est  au  fond  un  grand  éloge 
pour  lui.]  C'est  que  rien  ne  le  rendait 
plus  odieux  que  l'envie  qu'il  avait  de 
faire  cesser  les  péchés  crians  ,  et 
d'employer  pour  cela  des  peines  sé- 
vères.  Le  bruit  courait  qu'il  allait 
publier  de  terribles  bulles  contre  les 
judaïsans  ,  contre  les  moqueurs  des 
choses  saintes  ,  contre  les  simonia- 
qucs,  contre  les  usuriers  et  contre 
les  sodomites.  Ce  dernier  point  jeta 
l'alarme  à  la  cour  et  à  la  ville  ;  et  il 
y  eut  des  jeunes  gens  qui  ,  après  sa 
mort,  mirent  des  festons  sur  la  porte 
de  son  médecin  ,  avec  cette  inscrip- 
tion en  grosses  lettres,  ad  Libéra- 
teur de  la  Patrie  (70).  Pouvait-on 
se  réjouir  de  la  mort  d'un  tel  souve- 
rain ,  sans  que  ce  fût  une  preuve  de 
sa  vertu  ?  Paul  Jove  raconte  qu'on 
s'en  réjouit  excessivement.  Morte  ejus 
plerique  et  prcesertim  ueteris  aulœ 
sectatores  effusissimè  sunt  lœtati  ,  et 
secundhm  eos  nonnulli  Romanorum 
qui  dettimenta  rerum  suarum  sense- 
rant. 

(T)  Je  ne  saurais  dire qui  sont 

ceux  qui  ont  débité  les  premiers  qu'il 
permit  de  sacrifier  aux  divinités  du 
paganisme,  afin  de  faire  cesser  la 
peste.  ]  Je  n'ai  pas  eu  encore  le  temps 
d'aller  bien  loin  ,  en  remontant  vers 
la  source  de  ce  mensonge.  J'en  suis 
encore  à  un  livre  imprimé  à  Amster- 
dam, en  l'année  1661  (71)  ,  où  j'ai  lu 
ces  paroles  :  Is  (  Hadrianus  VI  )  ad 
avertendam  pestem  quœ  grauissimè 
in  urbe  sœviebat  ,  Ma  go  Demetrio 
Grœco  concessit  sylvestrem  taurum 
diis  gentilium  ad  placandam  eorum 
iram  mactare,  cessafitque  lues.  L'au- 
teur cite  Paul  Jove  ,  au  XXIe.  livre 
de  son  Histoire  ;  mais  il  faut  croire 

(69)  Jovius  ,  in  Vitâ  Hadriani ,  pag.  î83. 

(70)  Vllimo  inquirere  punireque  decreverat 
juventulis  comtptores,  ejus  enim  criminis  non 
omnin'o  falsd  suspicione  urbs  ipsa  connivenlibus 
legibus  infecta  credebalur.  Qud  inopinald  et 
gravi  severissimœ  legis  menlione,  maculosos 
quosdam  cwn  aula  t'um  civilatii  veluli  despera- 
td  publicd  secnvilale  terruernty  adeb  ut  non  de' 
fnerinl  petulanlissimi  juvenes,  qui  Joanni  An- 

Iracino  pontificis  medico  postes  fesld  0  onde  per 
intempestam  noclem  protiniis  exornarenl  ,  cum 
titulo  uncialibus  littetis  inscnpto  in  hœc  verba  t 
Liberatori  Patria:  S.  P.  Q.  R.  Jovius,  pag.  281. 

(71)  Compend.  Historiée,  par  Jean  La:tus , 
professeur  a  Franeher. 

TOME    Vif. 


449 


pour  son  honneur  et  par  cbarité,  qu'il 
n'avait  point  lu  cet  historien.  Voyons 
ce  que  dit  Paul  Jove  •  l'endroit  méri- 
te d'être  rapporté.  On  n'y  parle  du 
pape  que  pour  dire  qu'il  ne  faisait 
point  défendre  sévèrement  la  com- 
munication des  maisons  pestiférées  , 
et  que  cette  méthode,  très-éloignée 
des  usages  de  l'Italie,  avait  causé  la 
mort  d  une  iufînité  de  gens.  On  ne 
le  fait  point  accorder  au  magicien  la 
permission  de  faire  ce  sacrifice  :  on 
dit  en  général  que  personne  n'osa 
s'opposer  à  la  populace  qui  favorisait 
ce  Démétrius  ;  et  de  plus  ,  on  ne  dit 
pas  que  cet  homme  prétendît  sacri- 
fier le  taureau  aux  divinités  païen- 
nes :  et  quant  au  succès ,  l'on  se  con- 
tente de  dire  que  la  peste  diminua.  A 
quoi  songent  donc  ceux  qui  nous  ci- 
tent Paul  Jove  ,  lorsqu'ils  débitent 
tant  de  circonstances  qu'il  ne  dit  pas? 
Exorta  est  in  urbe  pestilentice  lues  , 
quœ  qu'uni  severis  legibus  more  nos- 
tro  pontifici  minime  coêrcenda  vide- 
retur,  contaclu  œgrorum  ita  exarsit , 
ut  multa  funera  in  compitis  viseren- 
tur  appareretque  vastari  urbem,  haud 
multo  dierum  spatio ,  nisi  Grœculus 
quidam  nomme  uemetrius  Spartanus 
sedandœ  pestilentice  ,faventi  ei  turbd 
hominum,  negotium  suscepisset,  nemi- 
ne  superstitionem  t/etare  auso.  JYutii 
feruni  taurum  cui  dimidium  coiviu  dis- 
seedrat  ,  magico  carminé  dextram  in. 
aurem  prolato  repente  ita  mansue- 
faclum  reddiderat  ,  ut  injecta  tenue 
flo  ad  integrum  cornu  ,  quo  vellet 
perducens  pestilentice  pi acando  numi- 
ni  ad  amphitheatrum  immolaret.  JVec 
credulœ  multitudinis  spem  ex  totofe- 
fellit  ,  quùm  ab  eâ  inanis  sacrificii 
prospéra  litatione,  mitescere  morbus 
cœpiscet  (72). 

(U)  N'oublions  pas  que  ce  pape  a 
été  auteur.  ]  Ses  Qucestiones  et  expo- 
siliones  sur  le  quatrième  livre  du 
Maître  des  Sentences,  furent  impri- 
mées à  Paris  ,  in-folio,  l'an  i5ia  ,  et 
l'an  i5i6  (73)  j  et  ses  Qucestiones 
quodltbeticœ  duodecim  ,  à  Louvain  , 
z/z-8°. ,  l'an  i5i5,  et  à  Paris  ,  in-folio, 
l'année  suivante.  Pendant  son  séjour 
en  Espagne,  il  composa  Computum 
hominis  agonizantis  ,  et  Sermonem 
de  Sacculo  pertuso.  Depuis  son  pon- 

(72)  Jovius,  HisU  ,  libi  XXI , folio  m.  II. 
(7Î)  Hy  a  eu  encore  d'autres  e'ditions. 

29 


45o 


HADRIEN  VI. 


tificat ,  il  publia  Régulas  cancellariœ 
apostolicœ  ,  et  il  écrivit  plusieurs 
lettres  aux  princes  d'Allemagne,  etc. 
qui  ont  été  imprimées  avec  les  con- 
ciles ,  ou  ailleurs. 

J'ai  quelque  chose  à  observer  tou- 
chant son  ouvrage  sur  le  Maître  des 
Sentences.  Le  sieur  Konig(74),  trom- 
pé par  l'équivoque  de  ceux  qui  ont 
dit  in  Ilf  sententiarum  quœstiones  et 
expositiones   (y5) ,  assure  que  notre 
Hadrien  a  publié  des  Questions  sur  les 
IV   livres  des  Sentences.   Voilà    une 
nouvelle  preuve  de  ce  que  j'ai  dit 
dans  la  Ire.  remarque  de  cet  article , 
qu'on  ne  saurait  s'écarter  si  peu  de 
l'exactitude  ,  qu'on  ne  fasse  mentir 
quelque  auteur.  N'aurait-il  pas  mieux 
valu  dire  in  quartum  Sententiarum  , 
ou  in  lf^  librum  Sententiarum  ,  que 
de  se  servir  du  nombre  IV,  qui  signi- 
fie aussitôt  quatuor  que  quartus  ?  Le 
père  Oldoïni  (76)  a  fait  la  même  faute 
que  le  sieur  Konig.   Il  est  bon  d'en- 
tendre M.  Varillas  sur  cet   ouvrage 
d'Hadrien  :  On  admirait ,  dit-il  (77), 
son  Commentaire  sur  le  Maître  des 
Sentences  ;  et  certes  si  ce  livre  n  était 
pas  le  plus  subtil  des  trois  cents  de 
même  nature  qui  se  trouvaient  alors 
dans  les  bibliothèques,  il  était  du  moins 
le  plus  clair et  le  plus  méthodique.  L'au- 
teur avait  soutenu  (78)  de  la  manière 
du  monde  la  plus  décisive,  qu'il  est  cer- 
tain que  le  pape  peut  errer,  même  dans 
les  choses  qui  appartiennent  a  la  foi, 
et  l'on  prétend  qu'il  ne  changea  point 
d'opinion  quand  il  fut  pape  ,  comme 
fît  Pie  II 5  car  il  ne  changea  rien  à  cet 
endroit  de  son  livre,  dans  l'édition  qui 
s'en  fit  à  Rome  durant  son  pontificat. 
(X)  Il  est  étrange....  qu'il  ait  si  peu 
favorisé  les  beaux  esprits.]  On  a  vu 
dans  la  remarque  (D)  ses  sentimens 
pour  les  poètes.  On  lui  pardonnerait 
mieux  cela  que  l'amortissement  des 
fonds  qui  avaient  servi  à  l'entretien 
des  hommes  doctes  qui  passèrent  de 
Grèce  en  Italie  ,  et  auxquels  l'Occi- 
dent est  redevable  de  la  résurrection 
des  belles-lettres.  Le  cardinal  Bessa- 
rion  fit  subsister  a  Rome  une  partie 


de  ces  grands  génies  ,  et  établit  pour 
eux  une  académie  dans  le  Vatican. 
Mais   le  plus  grand  nombre   vivait 

des  libéralités  du  pape  Nicolas  V 

(  79).  De  tous  ses  successeurs  ,  il  n'y 
eut  qu  Hadrien  VL  qui  supprima  ces 
gratifications  ,  par  une  économie  peu 
glorieuse  a  sa  mémoire  (80).  Voici  ce 
qu'un  autre  écrivain  a  remarqué  (81)  : 
«  Tous  les  savans  de  son  temps  se 
»  promirent  de  l'avancement  à  son 
»  avènement  au  pontificat ,   à  cause 
>»  qu'il  devait  aux  lettres  son  exalta- 
»  tion  ,  et  ce    qu'il   avait  de  bonne 
»  fortune.   Cependant  ils   demeurè- 
»  rent    fort   étonnés  ,  voyant    qu'il 
»  était    plein   de   mauvaise   volonté 
»  contre  tous  ceux  qui  se  plaisaient 
»  à  la  belle  littérature  ,  les  appelant 
»  terentianos  ,  et  les  traitant  de  telle 
»  sorte  qu'on  croit  qu'il  eût  rendu 
»  les  lettres  tout-à-fait  barbares  ,  s'il 
»  ne  fût  mort  dans  la  deuxième  an- 
»  née  de  sa  suprême    dignité.    Paul 
»  Jove  dit  gentiment  (*)  qu'il  usait 
»  de  ce  mauvais  traitement  contre 
»  les  plus  beaux  esprits  de  son  siècle, 
»  avec  le  même  sens  et  le  même  ju- 
»  gement  dont  il  préférait  la  merlu- 
)■  che  de  ses  Pays-Bas  à  toute  autre 
»  viande  ,  et  aux  meilleurs  poissons 
»  qui  se  mangeassent  en   Italie.  »    Il 
n'est  pas  vrai  que  Paul  Jove  dise  cela; 
voyez  son  texte  dans  la  remarque  (R). 
On  sera  bien  aise  de  savoir  d'où  la 
Mothe  -  le  -  Vayer  avait  pris  ce  qu'il 
rapporte.    C'est   pourquoi   je     mets 
ici  un  beau  passage  de  Piérius  Valé- 
rianus.  fuit  et  sub  Hadria.no  VI par 
bonarum  omnium  litterarum  injbrtu- 
nium.    Nain    cùm   is  Leoni  Decimo 
sujfectus  esset ,  ad  quem  utpote  litte- 
rarum principem  magnus    litterato- 
rum  numerus  confluxerat ,  dum  non 
minora  de  Hadriano  sibi  quisque  pol- 
licetur,  ecce  adest  musarum  et   elo- 
quentiœ  ,  totiusque  nitoris  hostis  acer- 
rimus  ,    qui  litleratis  omnibus  inimi- 
cilias  minitaretur ,  quoniam  ,  ut  ipse 
dictitabat ,    Terentiani  essent ,    quos 
ciim    odisse  ,    atque    etiam  persequi 
cœpisset ,   voluntarium  alii  exilium , 


(•;4)  Bibliotlieca  vet.  et  nova.  (?g)  Not!e  in  phranzam.,  pag.  273  ,  Platina, 

(t5)  Swertius,  Atlienre  belg. ;   Valère  André,  cités  par  Guillet,  Histoire  de  Mahomet  II,  tom. 

Bibl.  belg.  /,  pag.  255. 

(76)  Athen.  roman. ,  pag.  3o6  (80)  Théodor.    Spandug. ,  cité  par   te  même 

(77)  Vréfacede  la  Pratique  de  l'Education.  Guillet,  l'a  même. 

(78)  Maimbourg  ,  Traité  de  l'Église  de  Rome ,  (80  I'a  Mothe-le- Vayer,  tom.  XI ,  pag.  436. 
pag.  l'id.  (*)  7  île  Pisc.  Rom.  Il  fallait  1 ,  et  non  pas  7. 


HADRIEN  VI.  45i 

ùlias   atque  alias  alii  latebrus  quœ-  tion    des  mœurs  pendant  qu'il  avait 

rentes  tamdiu  latuére,  quoad  Deibe-  été  doyen  ; mais  l'inutilité  de  ses 

nejicio  altero  imperii  anno  decessit  ;  peines  l'avait  obligé  à  renoncer  à  son 

qui  si  aliquanto  diutiàs  vixisset,  Got-  entreprise.  ]  Dès  qu'il  se  vit  élevé  au 

tica  illa  tempora  adversus  bonas  lit-  doyenne'  de  Saint-Pierre  de  Louvain 

teras  videbatur  suscitaturus  (82).  qui  est  une  dignité'  fort  conside'rable 

(Y)   Il  avoua  les  abus d'une  et  annexée  à  de  belles  pre'rogatives  , 

manière  très-forte,  dans  l'instruction  il  s'attacha  plus  que  jamais  à  prêcher 
qu'il  donna  au  nonce  qui  devait  pai^  d'exemples  ;  car  il  savait  bien  que  les 
1er....  a  la  diète  de  Nuremberg.]  Ce  efforts  qu'il  voulait  faire  ,  pour  ra- 
nonce  s'appelait  François  Chc're'gat.  mener  ses  collègues  au  bon  chemin  , 
Voici  un  morceau  de  son  instruc-  seraient  plus  efficaces ,  s'il  pratiquait 
tion  :  Dices  nos  ingénue  fateri ,  qubd  lui-même  les  devoirs  de  la  tempé- 
Deus  hanc  perseculionem  h  Luthe-  rance.  Il  continua  de  vivre  frugale- 
ranis  illatam  ,  ecclesiœ  suœ  inferri  ment  ;  il  y  eut  plus  de  propreté  que 
permittit  ,  propler  peccata  hominum  d'abondance  à  sa  table  ;  et,  quand  il 
sacerdotum  maxime  ,  et  ecclesiœ prœ-  donnait  des  repas,  il  ne  pressait  per- 
latorum.  Clamant  scripturœ  peccata  sonne  à  boire,  et  ne  portait  jamais 
populi  derivari  a  peccatis  sacerdo-  cetle  espèce  de  santé  qui  oblige  tous 
tum,  propterehque  ,  ut  ait  Chryso-  les  conviés  à  vider  le  même  verre.  Il 
stomus ,  salvalor noster  curaturus  in-  ne  souffrait  point  non  plus  qu'on  la 
firmam  civitatem  Jérusalem ,  ingres-  lui  portât;  il  se  mettait  au-dessus 
sus  est  prias  templum  ,  ut  peccata  de  cette  prétendue  civilité  germani- 
sacerdolum  primo  casligaret ,  instar  que.  Ses  festins  ne  duraient  qu'une 
boni  medici  qui  morbum  à  radice  eu-  heure  ,  et  il  faisait  lire  quelque  en- 
rat.  Scimus  in  hdcsanctd  sede  aliquot  droit  de  la  parole  de  Dieu  pendant 
jam  annis  multa  abominanda  fuisse ,  une  partie  de  ce  temps-là.  Il  aurait 
abusus  in  spiritualibus  ,  excessus  in  fait  lire  pendant  tout  le  repas,  s'il 
mandalis,  et  omnia  denique  in  perver-  n'avait  craint  de  déplaire  à  quelqu'un 
sum  mutata  :  nec  mirum ,  si  œgritudo  des  conviés.  IVeque  temere  ultra  ho- 
a  capite  in  membra ,  h  summis  ponti-  ram  accumbebat  ,  etiamsi  convivas 
ficibus  in  alios  inferiores  prœlatos  magnos  haberet ,  atque  intérim  ferè 
descendit.  Omnes  nos  prœlati  ,  vide-  adhibito  lectore  ,  qui  aliquid  è  litteris 
licet  ecclésiastici  declinavimus,  unus-  sacris  recitaret ,  ut  non  minus  mente 
quisque  in  vias  suas  ,  nec  fuit  jam  quam  ventre  convivœ  delectarenlur , 
diù  qui  faceret  bonum ,  non  fuit  us-  sed  id  tantiim  ad  tempus  ,  ne  lectio 
que  ad  unum.  Un  écrivain  protestant  longior  cuiquam  fortassis  molestiœ 
suppose  que  les  cardinaux  conçurent  esset  (8/j.)-  H  continua  aussi  de  vivre 
un  si  vif  ressentiment  de  ce  que  le  fort  chastement  :  on  ne  remarquait 
pape  avait  ainsi  déshonoré  la  cour  de  rien  de  lascif,  ni  dans  ses  gestes  ,  ni 
Rome  dans  la  diète  de  l'empire,  et  de  dans  ses  discours  ;  et  il  ne  souffrait 
ce  qu'il  avait  fait  brûler  un  homme  pas  que  l'on  proférât  des  obscénités 
pour  le  crime  de  bestialité ,  qu'ils  en  sa  présence ,  quoique  d'ailleurs  il 
abrégèrent  la  vie  de  ce  pontife.  JYec  se  plût  à  dire  et.  à  entendre  des  plai- 
tamen  tam  felicibus  ad  perfectuni  santeries  honnêtes.  Il  ne  se  contentait 
papalum  rudimentis  projecit ,  quo-  pas  de  s'éloigner  actuellement  de 
minus  dli  purpuratœ  parcœ  offensas  ,  l'impureté,  il  en  évitait  avec  soin 
qubd  comitiis  IVoribergensibus  dede-  les  apparences  et  les  soupçons.  Il  se 
cordsset  rem  Romanam  ,  et  qubd  fit  un  devoir  tout  particulier  d'inspi- 
quendam  jumento  suo  pro  suo  aj'bi-  rer  à  ses  collègues  la  même  morale 
tratu  usum  ,  homo  Batavus  et  ad  pa-  pratique.  Il  les  y  exhortait  fortement 
palem  venerem  frigidus  cremdsset  :  dans  les  discours  qu'il  faisait  aux  as- 
fîlum  illud  dià  regnandi  et  vivendi  ,  semblées  capitulaires  ,  et  il  censurait 
abrumperent  (83).  âprement  ceux  qu'il  connaissait  adon 

(Z)  //  avait  travaillé  à  la  réforma-  nés  au  vin  et  au  jeu  ,  et  surtout  ceux 

qui  entretenaient  une  concubine  (85). 

(Si)  Pier.  Valerianns,  de  Litterat.  Infelicitate, 
lib.  II,  pag.  m.  90.  ;8'l)   Gérai  Jus   Jloringus  ,   in    Vilâ     Harlrian 

(83)  Novor.  ep'iscop.  belg.  Divisio  ,  pag.   79,  VI. 
édition  15^0.  ('■')  Arguebal  graviter,  si  quoi  ma\<sfcugit% 


45a 


HADRIEN  VI. 


Il  n'oubliait  rien  pour  les  obliger  à 
rompre  ce  mauvais  commerce.  Mais 
il  trouva  tant  d'obstacles  à  cause  que 
quelques-uns  des  plus  âgés  et  des  plus 
puissans  s'opposaient  à  son  dessein  , 
qu'il  y  renonça.  Peu  s'en  fallut  que 
son  zèle  ne  lui  coûtât  la  vie  ;  il  serait 
mort  empoisonne'  ,  si  son  médecin 
n'eût  trouvé  un  bon  remède  contre 
l'arsenic.  On  crut  que  la  concubine 
d'un  chanoine  qui  l'avait  prié  à  dî- 
ner avait  fait  le  coup.  Sedin  t-e  longé 
honestissimd  tantiim  difficultatis  ha- 
buit ,  obnitentibus  quibusdam  è  se- 
nioribus  ac  polenlioribus  ,  et  presser- 
tint  non  suppetente  auxilio  ,  sine  quo 
hujusmodi  non  temerè  confici  queunt, 
ut  negotium  magna  ex  parte  infec- 
tum  relinquere  debuerit.  Quinimo 
parhm  abfuit  ,  quin  per  eam  ipsam 
causant  ,  t>eneno  perierit.  Id  concu- 
bina  unius  è  canonicis  ,  à  quo  ad 
prandium  vocatus  eral  holusculoejus, 
quod  primum  omnium  mensœ  inferri 
solenne  est,  indidisse  putabatur  (86). 
Quand  il  vit  que  l'amendement  des 
mœurs  n'était  point  à  espérer,  et  que 
ses  efforts  lui  attiraient  beaucoup 
d'ennemis  ,  il  désista  tout-à-fait ,  et 
déclara  que  les  doyens  des  chapitres 
étaient  beaucoup  moins  responsables 
de  ces  désordres  que  les  évêques  ; 
car  il  fallait  que  les  doyens  reçussent 
des  gens  dont  la  corruption  était  une 
maladie  invétérée  ;  mais  rien  n'obli- 
geait les  évêques ,  ou  leurs  vicaires,  à 
donner  les  ordres  et  à  conférer  des 
bénéfices  ,  comme  ils  faisaient,  à  des 
infâmes  débauchés.  Dum  spem  nul- 
lani  fructds  conspiceret  ,  nihilque 
aliud  sibi  quant  odium  et  malevo- 
lentiam  quœri  intelligent ,  in  totum 
conalu  supersedit,  salis  habens ,  si- 
gniûcdsse  sibi  displicere  ,  postquàm 
aliud  prœlereh  non  posset  ,prœdicans 
tamen  ,  culpam  eam  non  tant  deca- 
nis  collegiorum  ,  qui  jatn  obstinatos 
et  in  sordibus  illis  inveteratos  excipe- 
rent  ,  quant  episcopis  ,  eorumque  \>i- 
cariis  preestandant  qui  quoscunque 
sine  delectu,  quantumvis  probrosos  et 
infâmes  ,  ad  ordines  et  bénéficia  ad- 
mitterenl  nulld ,  aut  exiguâ  in  retro- 
actant  citant  inquisitione  j'acld  (87). 

bibaces  ,  aleones  scirel ,  et  prtvsertim ,  qui  arni- 
cas domi  propè  uxorum  loco  haberent,  quos 
dirimere  yiribus  omnibus  conlendebal.  Idem, 
ibidem. 

C86)  Idem,  ibid. 

(87;  Idem ,  ibid. 


Tout  ceci  est  tiré  d'un  livre  fait  par 
un  prêtre.  Qu'on  ne  vienne  donc 
point  objecter  que  ce  sont  des  mé- 
disances des  protestans. 

Il  est  sûr  que  notre  doyen  mar- 
quait la  cause  du  mal  :  la  négligence 
des  évêques  ou  de  leurs  vicaires 
était  la  source  du  désordre.  Ils  ne 
s'informaient  point  si  ceux  qui 
étaient  admis  aux  bénéfices  avaient 
bien  vécu  ,  avaient  donné  de  bonnes 
preuves  d'un  tempérament  flexible 
vers  l'abstinence  des  plaisirs  du 
corps.  Ce  défaut  d'examen  était  une 
porte  par  où  entraient  dans  l'église 
une  infinité  de  gens  qui  s'étaient 
déjà  plies  du  côté  de  la  sensualité. 
C'est  un  pli  que  l'on  défait  mal- 
aisément ,  et  qui  se  fortifie  de  jour 
en  jour  :  il  se  convertit  en  habitude, 
maladie  presque  incurable.  Voilà 
pourquoi  les  exhortations  de  notre 
Hadrien  n'eurent  aucune  vertu  sur 
des  chanoines  engagés  depuis  long- 
temps à  la  crapule  et  aux  voluptés 
du  concubinage.  Ils  s'étaient  telle- 
ment accoquinés  à  ce  train  de  vie  . 
qu'ils  ne  comprenaient  pas  comment 
il  serait  possible  qu'ils  vécussent, 
sans  cela.  On  a  infiniment  plus  de 
peine  à  résoudre  au  mariage  un  gar- 
çon de  quarante -cinq  ou  de  cin- 
quante ans  ,  qu'un  veuf  de  soixante 
qui  vient  de  perdre  sa  femme.  Tant 
est  grande  la  force  de  la  coutume  ! 
La  concubine  de  son  côté  n'a  pas 
moins  de  peine  à  se  séparer  de  son 
chanoine  ,  après  avoir  été  plusieurs 
années  à  pot  et  à  feu  chez  lui.  Où 
irais-je  ?  dit-elle,  que  ferais-je?  Où 
trouverais  -je  un  si  bon  lit ,  une  si 
bonne  table  ,  un  si  bon  feu  ?  La  voilà 
donc,  avec  ses  compagnes,  très-dispo- 
sée à  s'opposer  aux  desseins  d'un  ré- 
formateur. Un  courage  plus  intrépide 
eût  été  fort  nécessaire  au  doyen  de 
Saint-Pierre  de  Louvain  ;  car  le  poi- 
son de  ces  concubines-là  n'était  guère 
moins  redoutable  que  le  poignard 
des  bandits.  Ne  se  sentant  point  de 
vocation  au  martyre  ,  il  aima  mieux 
laisser  les  choses  où  elles  étaient  que 
de  s'exposer  à  la  haine  et  même  à  la 
mort  ,  en  les  voulant  réformer.  In 
magnis  voluisse  sat  est ,  dit-il  sans 
doute. 

(A  A)  On  peut  lui  reprocher  d'at>oir 
contrevenu  aux  belles  leçons  qui 
étaient  sorties  de  sa  plume contre 


HADRIEN  VI. 


453 


la  pluralité  des  bénéfices .]  N'étant 
encore  que  professeur  de  Louvain,  il 
soutenait  que  cette  pluralité  était 
mauvaise  ,  et  qu'un  nomme  qui  est 
une  fois  parvenu  à  un  bénéfice  capa- 
ble de  l'entretenir  honnêtement,  s'en 
doit  contenter,  et  s'y  borner.  Mais 
on  vit  qu'étant  à  la  cour  de  Char- 
les d'Autriche ,  il  accepta  plusieurs 
dignités  ,  et  se  souvint  peu  de  son 
dogme.  Cette  inconstance  fut  un  scan- 
dale pour  quelques  personnes.  Ho- 
nores et  sacenlolia  quœduiu  mag- 
nifiai accessere  ,  non  sine  admira- 
tione ,  et  Jbrtassis  offensione  aliquo- 
rum  ,  qui  eum  diversum  facere  incu- 
sabant ,  atque  aliquando  docuisset. 
Docuisse  quippe ,  non  esse  Jus  cui- 
quam  multa  habere  bénéficia  ,  sed 
uno  aliquo  ad  honeslam  mundamque 
sustentationem  uitœ  sufficiente  ,  quie- 
tum  ac  conlentum  esse  debere  (88). 
L'auteur  dont  j'emprunte  ces  pa- 
roles déclare  qu'il  ne  veut  pas  exa- 
miner si  l'on  eut  tort  ou  raison  de 
blâmer  cette  conduite  (89)  ;  mais  il 
ne  laisse  pas  d'en  entreprendre  la  jus- 
tification ,  et  de  se  servir  des  moyens 
les  plus  spécieux  qu'on  puisse  met- 
tre en  avant  sur  une  telle  matière. 
11  dit,  entre  autres  choses,  qu'il  ne 
faudrait  pas  trouver  étrange  qu'Ha- 
drien eût  cru  légitime  en  sa  per- 
sonne ,  ce  qui  eût  été  illégitime  à 
des  gens  qui  n'avaient  pas ,  comme 
lui,  des  qualités  excellentes  ,  ni  des 
emplois  à  la  cour.  Les  grands  dons 
que  Dieu  a  communiqués  à  un  prêtre, 
sont  bien  plus  utiles  à  l'église  quand 
ils  sont  accompagnés  d'un  gros  re- 
venu ;  et  l'on  ne  saurait  nier  qu'un 
ecclésiastique  qui  a  des  charges  au- 
près d'un  roi  ,  ne  fasse  nécessai- 
rement plus  de  dépenses.  L'auteur 
ajoute  à  cela  bien  d'autres  raisons  de 
même  nature  ,  et  qui  ont  toutes  le 
défaut  d'être  fort  propres  à  servir  à 
une  apologie  des  casuistes,  semblable 
à  celle  du  père  Pirot  ;  je  veux  dire 
qu'elles  peuvent  être  toutes  em- 
ployées à  la  justification  de  ceux  qui, 
se  trouvant  situés  dans  les  grands 
postes  ,  accumulent  sur  leur  tête  tou- 
tes les  charges  vacantes.  Ne  peut-on 
pas  dire,  pour    leur  justification  , 

(88)  Moriagus  ,  in  Vilâ  Hadriani  VI. 

(8g)  In  quo  merilb  ne  eum  an  immeril'o  cul- 
piîrint  equiAem  non  habeo  dicere,  eum  historici 
personam  hic  poti'us  quàm  çensoris  agam.  IJ.,  il). 


qu'ils  en  sauront  faire  un  meilleur 
usage  que  ne  feraient  d'autres  gens  , 
et  qu'elles  leur  sont  nécessaires  afin 
que  leurs  grandes  qualités  se  fassent 
valoir  selon  toute  leur  étendue,  au 
profit  et  à  l'avantage  de  l'état  ?  L'au- 
teur ajoute  que  c'est  une  fausseté 
que  de  soutenir  qu'Hadrien  ait  com- 
battu, ou  dans  ses  leçons  ,  ou  dans  ses 
ouvrages,  la  pluralité  des  bénéfices. 
Il  l'a  plutôt  favorisée,  continue-t-il; 
et  cela  paraît  par  son  commentaire 
sur  Lombard.  Neque  vero  ipse  Ha- 
drianus  usâuàm  diversum  aut  docuit, 
aut  scripsit ,  ut  ei  j'also  inlcndunt , 
sed  potiùs  contra.  Légat  eum  qui 
velit ,  in  quartum  Pétri  Lombardi 
scribenlem ,  ubi  de  restitutione  agens  , 
quœstionem  illani  ex  professo  dis- 
sent (go.)  Tout  ce  que  l'auteur  rap- 
porte ensuite  ,  tiré  de  ce  commen- 
taire ,  ne  sert  pas  beaucoup  à  son 
but.  Si  l'on  en  pouvait  inférer  ce  qu'il 
prétend ,  ce  ne  serait  que  par  une 
conséquence  bien  oblique  et  bien  in- 
directe :  et  il  ne  dit  rien  de  la  ha- 
rangue quodlibetale  ,  que  l'on  assure 
qu'Hadrien  fit  imprimer  contre  la 
pluralité  des  bénéfices.  Citons  un 
écrivain  protestant  qui  rapporte  une 
réponse  que  fit  ce  pape  à  ceux  qui 
lui  demandèrent  pourquoi  il  n'ôtait 
pas  un  abus  qu'il  avait  si  bien  con- 
damné. Imo  cùm  Lovanii  olim  edi- 
disset  Quodlibelicam  orationem  con- 
tra pluralitateiu  beneficiorum  ,  mo- 
nentibus  cur  ipse  qui  jam  polestatem 
tollendi  haberet  ,  quod  antè  repre- 
hendere  tantiim  potuisset ,  omnia  bé- 
néficia ,  maxime  ex  Inferiore  Ger- 
manid  supplicantibus  interciperet  , 
respondit  :  cùm  paruuli  essemus  , 
loquebamur,  sapiebamus  ,J~aciebamus 
ut  parvuli  ;  nunc  auteni  postquam 
viri  facti  sumus  ,  reliquimus  ea  quœ 
sunt  parvuli.  Sic  homo  Trajecti  non 
solùm  ex  vilissimis  parentibus  ortus  , 
verum  etiam  usque  adipsum  magiste- 
rium  ,  mentheilate ,  et  e/eemosinariis 
sumptibits  educalus  ,  ad  insuetœ  for- 
tunœ  prurit  uni  e.xiliit ,  sic  in  Ma  sede 
promovit ,  liane  rejbrntationem  pro- 
misit  (91).  Je  m'imagine  que  le  mi- 
nistre Wallon  que  je  vais  citer  avait 
pris  dans  ce  latin  là  cette  remarque 


(go)  Idem,  ibid. 

(91)  Novor.    Episcop.    Belg.    Divisio  ,    pag. 

:8,  79. 


454 


HADRIEN  VI. 


(93)  :  «  Le  pape  Adrian  VI  l'avoit 
3>  précédé.  Il  y  en  avoit  qui  s'esmer- 
»  veilloyent  le  voir  faire  contre  cer- 
»  taine  harangue  qu'il  avoit  faite  à 
m  Louvain  y  estant  magister  noster, 
»  improuvant  la  multiplication  de 
v  plusieurs  bénéfices  ,  et  l'entas- 
j)  sèment  d'iceux  sous  un  seul  cha- 
«  peau  :  qu'alors  ,  estantvpape  ,  il  le 
jj  faisoit  et  notamment  des  bénéfices 
»  e's  Pais-Bas.  Il  leur  respondit  ce 
3>  que  saint  Paul  avoit  dit  ,  quand 
■»  j'estoy  enfant ,  je  parloy  comme 
»  enfant  ,  etc.  1  Cor.  i3.  3>  On  fit 
mention  de  ceci  dans  les  Nouvelles 
de  la  République  des  Lettres ,  en 
1684  (93). 

(BB)  II  défendit  les  dépenses....  de 
la  canonisation.  Un  savant  jésuite 
s'est  trouvé  dans  l'embarras  pour 
avoir  cité  ce  fait. .]  Il  s'est  vu  accuser 
publiquement  de  soutenir  que  les 
frais  de  la  canonisation  sont  con- 
traires à  la  pureté  et  à  la  sainteté 
de  cet  acte.  Son  accusateur  se  nomme 
Sébastien  de  Saint-Paul  :  il  a  été 
professeur  en  théologie  à  Louvain  , 
et  deux  fois  provincial  des  Carmes 
dans  le  Pays-Bas.  Voici  de  quelle  ma- 
nière le  jésuite  s'est  défendu.  Il  a  dit 
(q4)  :  1°.  Qu'il  n'a  fait  que  rapporter 
ce  qu'il  avait  lu  dans  Biaise  Ortizius, 
chanoine  de  Tolède  ,  et  domestique 
d'Hadrien  VI  ;  20.  qu'ayant  cité  cela 
en  lettres  italiques  ,  et  en  nommant 
son  auteur,  il  a  sujet  de  se  plaindre 
d'avoir  été  calomnié  par  son  critique, 
qui  a  supprimé  ces  circonstances  ; 
car  non-seulement  une  accusation  est 
injuste  quand  on  impose  des  faus- 
setés ,  mais  aussi  quand  on  passe 
sous  silence  les  vérités.  An  ignoras 
certam  esse  apud  theologos  senlen- 
tiam  ,  qubd  accusatio  esse  possit  gra~ 
i'iter  injusta  ,  non  tantum  ex  falsi 
impositione  ,  sed  etiam  ex  reticentid 
veri  (95)  ?  3°.  Que  pour  avoir  allégué 
que  telle  chose  comme  glorieuse  au 
pape  Hadrien  VI  ,  il  ne  s'ensuit  pas 
qu'il  taxe  d'erreur  les  autres  papes 
qui  approuvent ,  ou  qui  ordonnent 
les  grandes  dépenses  de  la  canonisa- 

(gî)  Jérémie  de  Pours,  Mélodie  du  saint  Psal- 
miste  ,  pag.  85p. 

(<ji)  Au  mois  de  novembre ,  art.  FI,  pag. 
(j3i. 

(04)  Daniel  Papebrncbius,  Respons.  ad  Kxlii- 
bitioncm  errorum  ,  pag.  62. 

(q5)  Idem,  ibidem. 


tion;  4°-  qu'il  a  loué  Hadrien  cornmr 
un  pontife  mu  d'un  bon  zèle ,  et  qui 
agissait  selon  les  instincts  de  la  con- 
science ,  dont  on  peut  louablement , 
et  dont  on  doit  même  suivre  en  plu- 
sieurs rencontres  l'erreur  innocente 
(96)  ;  5°.  qu'il  n'a  point  donné  son 
approbation  à  ce  motif  d'Hadrien  , 
c'est  que  les  dépenses  sont  éloignées 
de  la  pureté  et  de  la  sainteté  de  la 
canonisation  ;  6°.  qu'il  ne  doute  point 
qu'elles  n'aient  pour  fondement  plu- 
sieurs raisons  graves  ;  70.  qu'Ha- 
drien VI  a  pu  se  tromper  là-dessus 
en  qualité  de  docteur  particulier, 
sans  préjudice  de  l'infaillibilité  des 
papes  prononçant  ex  cathedra  ;  8°. 
que  Baronius  rapporte  des  erreurs 
bien  plus  notables  de  quelques  pa- 
pes ,  sans  qu'on  puisse  l'accuser 
d'avoir  fait  injure  au  saint  siège  apos- 
tolique. 

Qui  ne  voit  là  les  marques  funestes 
de  l'engagement  ?  Un  catholique  ro- 
main est  un  vrai  esclave  d'esprit.  Il 
y  a  mille  rencontres  où  il  ne  saurait 
louer  les  belles  actions.  N'est-il  pas 
de  la  dernière  évidence  qu'Hadrien 
VI  mérite  d'être  approuvé  ,  et  à  Pé- 
gard  de  ce  qu'il  fit ,  et  à  l'égard  de  la 
raison  pourquoi  il  le  fit?  Voilà  néan- 
moins un  jésuite  ,  qui  n'ayant  pu  le 
louer  sans  que  ses  éloges  fussent  la 
censure  indirecte  des  autres  papes  , 
se  voit  contraint  de  marcher  sur  des 
épines  en  voulant  se  justifier  ;  et  il 
ne  peut  se  tirer  d'affaire  qu'en  sup- 
posant que  notre  Hadrien  se  trompa  ; 
mais  que  ses  erreurs  accompagnées 
de  bonne  intention  le  disculpent. 
C'est  toute  la  gloire  que  se  peut  pro- 
mettre un  pape  réformateur  des  abus. 
On  l'excusera  sur  les  erreurs  de  sa 
conscience  ,  et  l'on  dira  qu'il  n'erre 
point  comme  pape ,  mais  comme  doc- 
teur particulier.  Grand  merci. 

(CC)...  Ses  successeurs  les  ont  tolé- 
rées ,  jusqu'à  des  excès  qui  ont  choqué 
le  menu  peuple.  ]  Tout  le  monde  fut 
scandalisé  dans  Paris  ,  l'an  162a  ,  de 
voir  la  pompe  avec  laquelle  les  Car- 
mes déchaussés  y  célébrèrent  la  ca- 
nonisation de  sainte  Thérèse.  Il  parut 
la  même  année  un  petit  livre  où  l'on 

ff)fi)  Laudo  Hadrianum  VI ,  quia  id  fecit 
zelo  bono  et  secundiim  conscienliam  quam  in- 
culpabditer  erranlem  sei/ui  cum  laude  possu- 
mus,  et  sœpè  debemus.  Daniel  Papebrocliius  , 
pag.  63. 


HADRIEN. 


suppose  que   les  bonnes  femmes  en 
murmuraient  tout  de  bon.  L'une  se 
plaignait  d'y  avoir  été  brûlée.  Com- 
ment !  ma  cousine,  répondit  une  jeune 
mariée ,  étiez-vous  a  ce.  feu?  Je  ne  vis 
jamais  un   tel  désordre  ,    ni  tant  de 
dégâts  ;  un  de  mes  frères  y  a  eu  aussi 
toute  la  face  emportée  ,  et  il  n'y  a 
encore  aucune  apparence  de  guérison. 
Mais  a  quoi  bon  toutes  ces  super/lui- 
tés  ?  dit  alors  une  vieille  édentée  ;  de 
mon  jeune  tems  je  n'ouïs  jamais  parler 
de  canoniser  les  saints  de  la  façon  : 
c'est  plutôt  les  canonner  que  les  ca- 
noniser. Tout  beau,  ma  tante,  dit  une 
marchande  de  la  rue  Saint-Denis  ,  on 
en  a  bienfait  davantage  a  Rome  :  ce 
sont  des  réjouissances  publiques.  Il 
n'y  a  point  de  danger  de  faire  quelque- 
fois ces  superfluités  quand  on  y  est 
porté  d' une  pure  et  sincère  affection; 
et  puis,  ce  que  les  Carmes  déchaussés 
en  ont  fait ,  ce  n'a  été  que  par  le  com- 
mandement de  la  reine,  qui  a  fourni 
cette  dépense  ,   h   cause   que   sainte 
Thérèse  était  d'Espagne.  Il  n'impor- 
te, ony  a  plus  offense  Dieu  mille  fois 
que  de  ne  lui  faire  aucun  honneur,  dit 
une  bourgeoise  d'auprès  Saint-Leu  ; 
je  vous  promets, pour  moi, que  je  n'ap- 
prouve aucunement  ces  choses.  Com- 
bien pensez-vous  qu'il  y   ait  eu  de 
filles  enlevées  ?  tous  les  blés  des  en- 
virons sont  renversés  et   brûlés  ,   ils 
ont  trouvé  le  mois  d'août  plutôt  que 
celui  de  juillet.  Pour  moi ,  dit  la  fem- 
me  d'un  avocat   du  grand  conseil  , 
j'eusse  été  d'avis  de  mettre  toutes  ces 
superfluités  a  la  décoration  de   leur 
église  ;    à  tout  le  moins  cela  leur  fût 
demeuré ,  et  les  eût-on  estimés  davan- 
tage :    sans  faire   évaporer  tant    de 
richesses  enfumée  ,  cela  eût  allumé  le 
feu  de  dévotion  dans  le  coeur  de  ceux 
qui  les  eussent  visités,  oh  au  contraire 
tout  l'air  voisin  et  les  champs  des  en- 
virons ont  été  embrasés  de  leurs  fu- 
sées. J' ai  encore  uncollet  monté  à  cinq 
étages  qui  est  entièrement  gdlé.  En- 
core si  on  eût  allumé  le  feu  h  huit  heu- 
res, on  n'y  eut  pas  perdu  tant  de  man- 
teaux ;  tous  les  écoliers  y  étaient  en 
armes  (97 j.  Après  tout,  il  faut  dire  ici 
comme  en   plusieurs  autres  rencon- 
tres ,  il  n'y  a  rien  qui  ne  serve  à  quel- 
que chose  •  les  plus  grands  abus  ont 
un  beau  côté.  Si  les  canonisations  se 

(9l)    f^oyez   le  livre  intitule  :  Le  Caquet   de 
l'Accouchée  ,  pag.  5  Je  la  IIe.  journc'e. 


455 


pouvaient  faire  sans  de  très-grandes 
dépenses  ,  elles  seraient  plus  ordinai- 
res :  il  est  bon  que  l'impossiblité  de 
fournir  aux  frais  serve  de  barrière  à 
l'avidité  des  ordres.  Les  sujets  de  ca- 
noniser ne  manqueraient  pas  :  chaque 
communauté  en  voudraitavoir  autant 
que  les  autres  j  et,  s'il  n'en  coûtait 
guère ,  on  préparerait  aisément  les 
autres  machines. 

HADRIEN  (Corneille  d'  ) ,  en 
flamand  Hadriansen  (à) ,  fameux 
prédicateur  flamand  ,  au  XVIe. 
siècle,  était  de  Dordrecht.  Il  se 
fit  cordelier,  et  fut  gardien  d'un 
couvent  et  lecteur  en  théologie 
{b).  Il  entendait  bien  le  latin, 
le  grec  et  l'hébreu  ,  et  il  enseigna 
publiquement  ces  trois  langues 
(c).  Il  prêcha  trente  ans  à  Bru- 
ges ,  et  ne  s'étonna  jamais  des 
médisances  qu'on  publia  contre 
lui.  Il  mourut  à  Bruges  à  l'âge 
de  soixante  ans,  le  14  de  juillet 
i58r.  Il  composa  un  traité  des 
sept  sacremens.  Jean  Lernutius 
avait  vu  en  manuscrit  plusieurs 
très-doctes  sermons  de  ce  corde- 
lier (d).  Les  ouvrages  qui  ont 
paru  sous  son  nom  après  sa  mort 
sont  parsemés  de  bouffonneries 
et  de  quolibets  malhonnêtes. 
Sandérus  prétend  que  les  héréti- 
ques y  ont  fourré  cela  ,  pour  dif- 
famer la  mémoire  de  ce  bon  et 
innocent  religieux(e).  Il  faudrait 
en  avoir  des  preuves ,  ou  ne  le 
dire  pas.  Les  protestans  parlent 
de  ce  cordelier  comme  d'un  vio- 
lent déclamateur  (f);  et  il  a  pa- 

(a)  Cela  veut  direjih  d'Hadrien. 

(b)  Swert. ,  Athen.  belg. 

(c)  "Valer.  Andr.,  Biblioth.  belg. 
{d)  Swert.  ,  Athen.  belg. 

(e)  Apud  Val.  Andr. ,  Biblioth.  belg. 

(f)  Tempore  quo  caninam  suam  eloquen- 
tittm  cetebratissimi  nominis  Franciscanus  , 
Cornélius  Adriani...  exercebat.  Schoockius, 
Exercitat,  sacr.  ,  pag.  538. 


456 


HADRIEN. 


ru  des  livres  qui  apprennent  qu'il 
avait  introduit  parmi  les  per- 
sonnes de  l'autre  sexe  une  nou- 
velle manière  de  dévotion  ;  c'est 
qu'il  leur  marquait  certains  jours 
où  elles  devaient  se  dépouiller 
toutes  nues*  devant  lui  (A),  afin 
qu'il  leur  donnât  doucement  la 
discipline  pour  l'expiation  de 
leurs  fautes  (g).  Il  n'y  a  rien 
que  ces  gens-là  ne  soient  capa- 
bles de  persuader  aux  femmes  , 
sous  le  beau  prétexte  de  dévotion 
(B),  lorsqu'ils  ont  le  talent  de 
bien  jaser,  et  que  leurs  prédica- 
tions les  rendent  célèbres. 


On  est  si  porté  à  donner  un  mauvais 
tour  aux  choses ,  que  peu  de  gens  sont 
capables  d'attribuer  la  conduite  de  ce 
cordelier  à  un  autre  principe ,  qu'à 
celui  que  quelqu'un  appelle  la  curio- 
sité' des  plaisirs  d'autrui  (2).  S'il  e'tait 
vrai  ,  comme  quelques  savans  l'ont 
soutenu  (3) ,  que  dans  la  primitive 
église  les  personnes  que  l'on  bapti- 
sait, de  quelque  âge  et  de  quelque 
sexe  qu'elles  fussent ,  e'taient  aussi 
nues  qu'en  sortant  du  ventre  de  leur 
mère  ,  on  comprendrait  mieux  com- 
ment cet  homme,  par  son  beaucaquet 
et  par  de  grands  airs  de  pie'té ,  aurait 
fait  venir  ses  de'votes  à  son  but.  Le 
sacrement  de  pe'nitence  ,  leur  disait- 
il  peut-être  ,  doit  s'administrer  com- 


me autrefois  le  baptême  :  la  peine  du 

fouet,  à  laquelle  je  vous  condamne  , 

J'ai  lu  quelque  part  que  Geor-    fait  partie  de  ce  sacrement  :  il  faut 

fle  Cassander ,  qui  enseignait  les    donc,  '   etc.  Météren  (4)   raconte   si 

V  ,,        ,   .  .     t>  1  amplement  et  avec   tant  de  circon- 

belles-lettr.es  a._?ruges  pendant   stances  ce  qui  concerne  les  dévotes  de 

ce  cordelier  ,    qu'on  peut  croire  que 
cela  est  véritable. 

Henri  Etienne  fait  un  conte  qui  a 
du  rapport  à  celui-là.  On  est  venu  , 
:lit— il  (5)  ,   jusques  a  requérir  (  ainsi 


que  Corneille  d'Hadrien  y  ensei 
gnait  la  théologie,  se  vit  obligé, 
l'an  i555  ,  à  s'exiler  volontaire- 
ment (C) ,  pour  céder  aux  calom- 
nies de  ce  collègue. 

*  Leduchat  (qui  cite  le  Tableau  de  la  dif- 
férence entre  la  religion  chrétienne  et  le  pa- 
pisme^ par  Marnix  de  S  ainle-dldegonde ,  t. 
II,  pag.  87  de  l'édition  de  l6o5),  dit  que 
"  frère  Corneille  fut  banni  à  cette  occasion 
>•  par  le  magistrat  de  Bruges.  Mais  à  quelque 
»  temps  de  là  il  fut  rappelé  ,  et  rentra  en 
»  crédit  plus  que  jamais.  Quelques  cordeliers 
»  de  Bruges,  convaincus  de  sodomie,  y  fu- 
y  rent  brûlés.  Le  même  frère  Corneille  avait 
•  voulu  les  excuser ,  et  avait  pris  leur  parti 
-   devant  les  juges.   » 

(§■)  Voyez  Voëtius,  Polit,  eccles. ,  tom.  I, 
pag.  686. 

(A)  Ses  dévotes  devaient  se  dépouil- 
ler toutes  nues  devant  lui.  ]  Si  la  maxi- 
me de  Gygès  était  véritable  ,  qu'en  se 
dépouillant  de  ses  habits  une  femme 
se  dépouille  de  sa  pudeur  (t)  ,  les 
affaires  de  notre  Hadrien  n'auraient 
pas  été  en  trop  médians  termes  ,  sup- 
posé qu'il  ne  fut  pas  assez  visionnaire 
pour  s'imaginer  que  ,  tout  de  bon  , 
quelques  coups  de  fouet  de  sa  main 
sur  le  corps  nu  de  ses  pénitentes  , 
auraient  une  vertu  singulière  par 
rapport  à  l'expiation  de  leurs  péchés. 

(1)  ilcrodot.,  lib.  I,  çap,  VI II. 


que  quelcun  escrit  )  qu'es  conj'essions 
auriculaires  il  leur  fust  permis  de 
manier  les  parties  qui  auiwyent  esté 
instrumens  du  mal  duquel  on  se  con- 
fesseroit.  Et  estant  re monstre  par  un 
evesque ,  à  l'un  de  ceux  quifaisoient 
ceste  requeste  ,  la  grande  ordure  que 
ce  seroit  s'ilfalloil  qu'hommes  et  fem- 
mes leur  monstrassent  leurs  parties 
honteuses  :  il  fit  response  que  si  on  ne 
trouvoit  point  deshonnesle  que  ceux 
qui  oyoyent  les  confessions  contem- 
plassent quand  et  quand  des  yeux  de 
l'esprit  (  qui  sont  trop  plus  précieux 
que  ceux  de  la  chair  )  non  seulement 
les  membres  qui  ont  commis  les  actes 
vilains  ,  mais  aussi  les  vilanies  par 
iceux  commises  ,  qui  leur  sont  decou- 

(2)  "Eomi  yà\p  »  tî  y-oifoia,  7roM7rpa.yfj1.o- 
truvn  t»ç  dhXoTpla.;  »<fbv«c  ilv&i,  net)  £n'- 
TH3-JÇ  no.)  ïptuva.  Toëv  Qu\-j.Tro/uîvu>v  xxi 
^ct-vQctvôvrcev  T0l)ç  7T0\K0VÇ.  Videlur  adulle- 
rium  curiosa  in  alterius  voluplalem  esse  inquisr- 
t'o  ,  eorumque  indagalio  quœ  absconduntur  et 
pterosque  latent.   Plut. ,  de  Cuvios.  ,  pag.  5ig. 

(3)  Joseph.  Vicecomcs,  de  Ritibus  Baptisai». 
Vossius  ,  in  Tliesib.  de  liaptismo. 

(4)  Météren,  Hist.  d.-.s  Pays-Bas,  liv.  VIII  , 
folio  i53  ,  e'dit.  de  la  Haye  ,  1G1S. 

(5)  Apologie  pour  Hérodote,  fiV,  /,  cap.  XXI, 
ya%.  m.  '54 .  a55, 


HAY. 


457 


vertes  en  la  confession  :  moins  devroit- 
on  trouver  deshoneste  qu'ils   regar- 
dassent ces  membres  des  yeux  corpo- 
rels.  Et  allégua  en   outre  ,    que   le 
confesseur,  en  tant  qu'il  représente  le 
médecin  spirituel ,   doit   toucher  son 
malade ,  ainsi  que  le  médecin  du  corps 
touche  et  manie  celuy  qu'il  visite.  Et 
entremeslant  parmi  sa  gosserie   du 
blasphème  et  de  la  proplianation  du 
texte  formel  de  i Evangile ,  amena 
aussi  ces  mots  de  nostre  seigneur  Jesus- 
Christ:  va  et  te  monstre  au  prestre  ; 
comme    estant  leur  coustume  de  se 
despouilleret  monstrer  nus  au  prestre . 
M.   Boileau  le  docteur  a  rapporté 
ce  qui  concerne  notre  Hadrien  :  inter 
exempta  ,    dit-il    (6) ,    tam  infaustœ 
notitiœ    recensere  non  pertimescam  , 
historiam  hominis  cucullati  et  cordi- 
geri  conventûs  Brugensis  anno  circi- 
citer  mdlxvi  cui  nomen  erat  Cornelio 
Adriasem  (7)  origine  Dordracensis  , 
adversus  hœreticos  Guezios  stomacho- 
sissimi  concionatoris  ;  qui  puellas  seu 
Jeminas  quasdam  sacramenlo  ûdeli- 
tatis  et  obedientiœ  sibi  adstriclas   et 
specie  pietatis  devotas  non  quidem  as- 
peratis  el  nodosisfunibus  verberabat, 
sed  nudata  earum  femora  et  nates 
inhonestis  vibicibus  rorantes  virgis  be- 
tuleis  aut  vimineis  iclibus  molliterin- 
fiietis  perfricabat ,   uli  referl  Emma- 
nuel Meteren  Historiœ  Belgicœ  fol. 
cliij   et   cliv.  edit.   Amstelodamensis 
anni  1570  (8).   C'est  dans  sa  curieuse 
histoire  des  Flagellans  qu'il   se  sert 
de  ces  paroles.   L'interprète  français 
ne  les  a  pas  bien  entendues  :  car  voici 
comment  il  les  a  traduites  :  «  Parmi 
}>  tous    ces    tristes    exemples    d'une 
j)  piété   rigide ,  je  ne  craindrai  pas 
»  de  rapporter  ici,  sur  le  témoignage 
j)  de  Météren  (*),  l'histoire-d'un  cer- 
3)  tain    Corneille   Adriasem ,   origi- 
■»  naire  de   Dordrecht ,    cordelier  à 
»  Bruges ,  vers  l'année  i566  ,  et  pré- 
»  dicateur  fort  violent  contre  les  hé- 
»  rétiques  nommé  gueux  ■■  ce  moine 
))  avait   quelques    filles    ou    femmes 
i>  qui ,  sous  apparence  de  religion  , 
»  et  sous  le  serment  de   fidélité   et 

(6)  Historia  Flngellantium,  par;.  218,  21;). 

(7)  //  fallait  dire  HaJriaDsea  ,  comme  a  fait 
le  traducteur  de  Météren. 

(8)  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  aucune  telle  édi- 
tion de  Météren. 

(*)  Historia:  Belgicœ ,  folio   clih    et    cliv, 
edit.  Amstelodamensis  anni  \5~,o. 


)>  d'obéissance ,  lui  étaient  si  bien 
»  dévouées ,  qu'il  ne  se  contentait 
»  pas  de  les  battre  avec  des  cordes  , 
»  où  il  y  avait  de  gros  nœuds  ;  mais 
»  outre  cela  il  leur  frappait  douce- 
»  meut  les  cuisses  et  les  fesses  toutes 
»  nues  avec  des  verges  d'osier  ou  de 
»  bouleau  ».  Il  est  si  peu  vrai  que  le 
latin  signifie  que  ce  moine  se  servait 
de  cordes  à  gros  nœuds  ,  qu'on  y  voit  * 
tout  le  contraire. 

(B)  //  n'y  a  rien  que  ces  gens-la  ne 
soient  capables  de  persuader  aux 
femmes  sous...  prétexte  de  dévotion.^ 
J'ai  parlé  ailleurs  de  la  grande  doci- 
lité du  sexe.  Voyez  les  remarques  des 
articles  Fratricelli  et  Goilleméte. 

(C)  George    Cassander se    vit 

obligé à  s'exiler  volontairement.  ] 

Le  passage  que  je  vais  donner  en 
preuve  contient  une  parenthèse  qui 
regarde  la  fouetterie  dont  j'ai  parlé 
ci-dessus  :  quum  ante  annos  circiter 
XL  (  c'est  Vulcanius  qui  parle  ,  dans 
une  épître  dédicatoire  datée  de  Leyde 
le  Ier.  de  l'an  i5g5  (9)  ) ,  Georgius 
Cassander  vir  doctissimus  Brugis 
Flandrorum  communi  ulriusque  nos- 
trdm  patrid  publicum  bonarum  lite- 
rarum  professorem  agens,  ut  collegœ 
cujusdam  sui  qui  sacras  ibidem  litteras 
docebat ,  (  illius  inquamfuriosi  theo- 
logi  ,  a  quo  postea  cùm  se  in  Sera- 
phicarn  familiam  dedisset  ,  famosa 
Ma  Gynopygica  disciplina  Corne- 
lianœ  nomen  invenit  )  calomniis  ce- 
deret ,  voluntarium  sibi  ipsi  exilium 
indixisset. 

(9)  Celle  du  Traité  de  Nilus,  de  Primalu 
pape. 

HAY,  famille  d'Ecosse.  Elle 
doit  le  commencement  de  sa  no- 
blesse à  une  action  très-illustre. 
On  prétend  que  les  Danois  ayant 
envahi  l'Ecosse  sous  le  règne  de 
Kenneth  III ,  environ  l'an  980  , 
il  se  donna  une  bataille  entre  eux 
et  les  Écossais  (a) ,  dans  laquelle 
ces  derniers  ,  ayant  été  d'abord 
mis  en  fuite ,  se  retirèrent  du 
côté  de  Perth.  Ils  furent  obligés 
de  passer  par  un  chemin  très- 

(rt)  Le  lieu  où  elle  se  do.ma  se  nomme  Li- 
curtic. 


458  H  AI. 

étroit ,  entre  les  montagnes  et  la   le  plus  haut  grade  de  noblesse.  Le  roi 

rivière  de  Tay.   Un  paysan  qui   \u'}  don,na  «««partie  considérable  des 

,,    J  1  j  r\        dépouilles  de  1  ennemi,  et  en  bonnes 

se  trouva  la  avec  ses  deux  hls,   terres  tout  le  vol  d>un  faucon.  C'est- 

trois    personnes    intrépides  ,    se  à-dire   qu'on  lâcha  un  faucon  ,    et 

rendit  maître  du  défilé  ,  exhorta  qu'on  prit  garde  où  il  se  reposerait , 

les  fuyards  à  tourner  tête  contre  e.fc  1u'OH  d°nnaàHay  toutes  les  terres 

„         J    .  ,  situées  entre  le  lieu   ou   ce   taucon 

1  ennemi ,  et  s  opposa  au  passage  avait  commencé  de  voler,  et.  le  lieu 

de  ceux  qui  voulurent  continuer  où  il  s'était  reposé.   Ce  dernier  lieu 

leur  fuite.  Il  fit  plus,  il  s'arma  s'appelle  encore  la  Pierre  du  Faucon. 

j„  .~„*  „»  ,„,;    î    •  *„™i „„    „  i  Parce  moyen  ,  Hay  se  trouva  pourvu 

de  tout  ce  qui   lui  tomba  sous  la  j       i      s  .-, '      J         j     m* 

t-  ,  ,  du  plus  tertile  terroir  de  1  hcosse  , 

main  ,  et  accompagne  de  ses  deux  sltué  où  la  bataille  s'était  donnée ,  le 

fils    armés  d'une   pièce   de  leur  long   de  la   rivière  du   Tay.   Le  roi 

charrue  ,    il    fondit     avec     tant  Kenneth  lui  donna  des  armoiries  qui 

J':m„«K,„„'i^  „        i„„  n        ■         i    étaient   d'argent  à  trois  écussons  de 
a  impétuosité  sur  les  Danois,  et  i  &  ,      .    _„_ 

..        K  j  ii  gueules,  pour  marquer  que  le  cou- 

il  anima   de   telle   sorte  par  son  rage  de  trois  hommes  avait  sauvé  le 

exemple  les  fuyards,  que  la  vie-  royaume  (i). 

toire  se  déclara  pour  les  Écossais.  (B)  Cette  famille...  a  produit  plu- 

L'ennemi  à  son    tour  fut  mis  en  Turs  Rancîtes,]  qui  se  sont  répan- 

r   •*         i  i»T7                  ■          'il  dues  non-seulement  en  Lcosse  et  en 

tuite,  et  1  Ecosse  préservée  de  la  Angleterre  ,  mais  aussi  en  France,  et 

servitude    sous   laquelle  les    Da-  principalement   dans  la  Normandie 

dois  avaient  eu  dessein  de  la  ré-  (2).  Je  ne  fais  mention  que  de  la  bran- 

duire.  Ce  paysan  ,  connu  depuis  che  de  comtes  deTweedale  etde  Kin- 

,           r    i     rt             '    '  i     h  nouel,  qui  subsiste  encore  (3). 

sous  le  nom  de  Hay,  a  ete  le  fon-  (C)       Et     lusieurs  personnes  de 

dateur  de  la  famille  dont  je  par-  grand  mérite.  ]  On  ne  peut  rien  dire 

le.  Lui  et  ses  fils  se  signalèrent  de  l'état  où  se  trouva  cette  maison 

d'une  façon  extraordinaire  dans  depuis  le  règne  de  Kenneth  III ,  jus- 

1               t  0  .       -i      .    .,          .1  nues  au   règne  de  nobert Bruse :    car 

le  combat;    ils   jetèrent  la  con-  Edouard  I«'.,  roi  d'Angleterre,  s'étant 

sternation  et  firent  un  grand  car-  prévalu  des  divisions  de  l'Ecosse,  au 

nage    partout    ou     ils    combat—  tems  que  Robert  Bruse  et  Jean  Balliol 

tirent.  Cette  belle  action,  qui  fut  ?e  disputaient  la  couronne  ,  fît  une 

i~  „   1    i   j     1          *  •                 .  irruption  dans  le  royaume,  et  enleva 

le  salut  de  la  patrie  ,  reçut   une  non4eulement  les  actes  publics,  mais 

digne  recompense  (A)  ;  et  depuis  aussi  les  papiers  et  les  documens  des 

ce   temps-là    cette    famille  a  été  maisons  particulières.  Ceux  de  la  fa- 

l'une  des  plus  illustres  du  rovau-  mille  ^7  furent  enlevés  comme  beau- 

„,,  l                ï    ■.        1      •  coup  d  autres.  Fendant  cette  guerre 

me.     Elle    a    produit     plusieurs  civile  ,  Robert  Hay  s'attacha  aux  in- 

branches  (B) ,  et   plusieurs    per-  térêts  de  Robert  Bruse  avec  une  en- 

sonnes  de  grand  mérite  (C).  Le  tière  fidélité  ,    et  lui  rendit  de   si 

comte  d'Erroll  en  eit  aujourd'hui  grands  services  ,  qu'il  en  fut  récom- 

1       ,     p   ti                     •  '  pense  de  la  charge  de  grand  conne- 

lechel.  11  est  marie   avec  Anne  table  héréditaire  d'Ecosse,  l'an  1 3 10  ; 

Drummond,  sœur  du  comte  de  et  afin  qu'il  put  soutenir  cette  dignité 

Perth  {b).  avec  l'éclat  convenable  ,  il  reçut  de 

(ù)  Tiré  d'un  Mémoire   communiqué   au         (1)  Tiré  du  même  Mémoire. 
libraire.  (a)  M.  Pélisson,  pag.  m.  246  de  /'Histoire  de 

l'Académie  française,  dit  ceci:  Paul  Hay  ,  sieur 
(A)  Cette  belle  action ,  reçut  une     'lu  Châtelet ,  était  de  l'ancienne  maison  de  Hay 

disne  récompense.  \  Hay  fut  mené  par    ea  V™lW™  -  <\"<  f  vante d'êt"  a°tl{',il7'  si% 

.    °  .      1,  F  i-i  •         .    -i      cents  ans  de  celle  des  comtes  de   Lailile ,   lune 

toute  1  armée  au  palais  du  roi  ,  et  il    des  plus  illustres  d'Ecosse. 
reçut  dans  l'assemblée  du  parlement       (s)  Tiré  du  même  Mémoire. 


HAY.  459 

ce  même  prince  plusieurs  terres  dans  (a),  et  fit  à  Rome  son  noviciat, 
la  province  «TAberdeen.  Cette  charge  t  {  profession  du  quatrième 
est  toujours  demeurée  dans  la  fa-  '.  .  "{. 
mille  ;  elle  est  possédée  présentement  vœu.  11  enseigna  en  divers  en- 
par  M.  le  comte  d'Erroll ,  que  Ton  droits  ,  en  Pologne  ,  en  France  , 
compte  pour  le  dix-neuvième  de  sa  dans  le  Pays-Bas.  Son  principal 
qui  en  ajoui.  Nicolas  my-  théâtre   fut  le  collë       de  T( 


lord  Hay  fut  tue',  l'an  i332,  avec  280 


legf 


gentilshommes  de  sa  famille ,  à  la  ba-  nou  >  ou  l]  enseigna  la  théologie, 
taille  de  Duplin,  soutenant  le  parti  les  mathématiques,  et  la  langue 
du  roi  David  Bruse ,  contre  Edouard  sainte.  Il  mourut  le  21  de  mai 
Balliol.  David  milord  Hay,  son  suc- 
cesseur ,  accompagna   le   roi    David 


1607,  à  Pont-à-Mousson ,  où  il 
était  chancelier  de  l'université. 
Il  s'attacha  fort  aux  controver- 
ses ,  et  composa  divers  livres 
contre  ceux  de  la  religion  (A).  Il 
eut  aussi  une  dispute  verbale 
dans  Strasbourg  avec  Pappus  et 
Guillaume  milord  Hay    fut  député   avec  Jean  Sturmius  (b).  Le  père 

1  an  liaS,  avec  quelques  autres  gen-     »  1  1  „ '_:+„  „^  „,„„  Aa  „an 

»;i  i,„„    '  j  11  '       &  i      Alegambe  mente  un  peu  de  cen- 

tilsnommes    ,    pour     délibérer     des  &  1 

moyens  de  remettre  en  liberté  le  roi   sure  (c).   Il    ne    laut  point  con- 

Jacques  Ier.  qu'on  gardait  en  Angleter-  fondre  Jean  Hay  avec  le  jésuite 

re.  Il  fit  réussir  cette  affaire ,  et  peu   <}e  ce  norn  qiu  fut  banni  par  ar- 

apres  il  fut  créé  comte  d'Erroll.  Guil-      *.    j  1  ..    j      r>     •„   iv>\ 

laumeHay  comte  de  Erroll,  grand-    *?  du  Paiement   de   Pans  (B) 


Bruse  dans  la  guerre  contre  les  An- 
glais ,  et  fut  tué  l'an  i344,  à  la  ba- 
taille de  Durham.  Thomas  milord 
Hay  fut  marié  avec  la  fille  du  roi 
Robert  II,  laquelle  lui  apporta  en  dot 
la  baronnie  de  Inchtuthill ,  dans  la 
province  de  Perth,  environ  l'an  1376 


connétable  d'Ecosse  et  shériff  de  la 
province  d'Aberdeen  ,  accompagna 
Jacques  IV  à  la  bataille  de  Floudon, 
l'an  i5i3,  et  y  fut  tué  avec  son  prince, 
lui  et  quatre-vingt-sept  gentilshom- 
mes de  son  nom.  François  Hay  , 
comte  d'Erroll ,  ayant  suivi  constam- 
ment la  reine  Marie  et  la  religion 
romaine ,  se  vit  exposé  à  des  grands 
malheurs  :  on  démolit  ses  maisons  , 
on  pilla  ses  terres ,  on  l'emprisonna  ; 
mais  sous  le  roi  Jacques  VI ,  fils  de  la 
reine  Marie  ,  il  se  trouva  en  faveur. 
Il  fut  l'un  des  seigneurs  d'Ecosse  que 
l'on  envoya  en  Angleterre,  l'an  i6oij, 
pour  régler  l'union  des  deux  couron- 
nes. Son  fils  assista  au  couronnement 
de  Charles  Ier. ,  en  Ecosse  ,  l'an  i633. 
Gilbert  Hay  ,  comte  d'Erroll ,  eut 
beaucoup  de  part  à  l'amitié  de  Char- 


Ils  prétendaient  être  l'un  et  l'au- 
tre de  la  famille  Hay  (d)  dont 
j'ai  parlé  dans  l'article  précé- 
dent. 

(a)  Selon  Sotuel,  BiMiotheca  Script,  so- 
ciet.  3esu  ,  pag.  4^9  ;  car  le  père  Alegambe 
met  i562,  et  non  i5b6. 

(b)  Tire f/'Alcgambe ,  Biblioth.  Script,  so- 
ciet.  Jesu  ,  pag.  248. 

(c)  Voyez  la  remarque  (D). 

(d)  Voyez  la  Défense  des  Demandes  de 
Jean  Hay. 

(A)  Il  composa  divers  livres  con- 
tre ceux  de  la  religion.}  Un  Jîecueil 
de  Demandes  aux  Ministres.  Il  le 
composa  en  écossais  ,  selon  le  père 
Alegambe  ,  qui  ajoute  que  la  traduc- 
tion française  en  fut  faite  par  Michel 
Coyssard.  L' Apologie  de  ces  démun- 


ies Ier.  ,  et  parut  beaucoup  au  parle- 

.j'dj:™i i-_-  j  .._     des.  Il  la  composa  en  français  sefon 

le  père  Alegambe  :  mais  c'est  une  er- 
reur ;  car  Jean  Hay  assure  ,  dans  sa 
préface,  qu'il  l'avait  écrite  en  latin,  et 
qu'elle  fut  traduite  en  français  par 
quelques-uns  de  leurs  écoliers.  Cette 
Apologie  fut  faite  contre  le  libelle  de 


ment  d'Edimbourg,  lors  du  rétablisse 
ment  de  Charles  II.  Jean  Hay  ,  comte 
d'Erroll  ,  aujourd'hui  grand-conné- 
table d'Ecosse,  est  son  fils  (4). 

(4)   Tiré  du  susdit  Mémoire. 


n,v/i        s-'-.       '  •        Jacques  Pinelon  de  Chambrun,  pre- 

HAY  (Jean),  jésuite  écossais,   diJnt  h  mmes, ct imprimée  à  Lyon , 
entra  dans  la  société,  l'an  t566   l'an  i586.  L'épître  dédicatoire,  da- 


46o 


HAILLAft. 


tée  du  2  de  juillet  1 585,  témoigne 
que  depuis  cinq  ans  Fauteur  lisait 
publiquement  la  théologie  à  Tour- 
non,  jintimonium  ad  Responsa  Be- 
zœ.  Ditputatio  contra  ministrum  ano- 
nymuni  JYemausensem.  Son  Helle- 
borum  Joanni  Serrano ,  trouve  parmi 
ses  papiers,  est  garde  à  Rome  dans 
les  archives  de  la  société' (i).  Voilà 
tout  ce  que  nous  apprennent  les  deux 
bibliothécaires  des  jésuites.  Ils  ont 
ignore'  que  Jean  Hay  avait  actuelle- 
ment publie'  un  livre  contre  de  Ser- 
res, savoir  une  réponse  au  IIe.  Anti- 
jésuite de  ce  ministre  (2).  Les  autres 
ouvrages  de  Jean  Hay  sont  :  Scholia 
brevia  in  JBiblioihecam  Sanctam  Sixti 
Senensis,  et  une  traduction  latine  de 
quelques  lettres  jésuitiques  écrites  du 
Japon  et  du  Pérou.  Elle  fut  imprimée 
à  Anvers  ,  Fan  i6o5,  in-S°.  Voyez  le 
père  Alegambe. 

(B)  Lejesuite  de  ce  nom  qui  fut  banni 
par  arrêt  du  parlement  de  Paris*] 
«  Il  s'appelait  Alexandre  Hay  :  il 
»  fut  convaincu  d'avoir  tenu  souvent 
»  des  discours  séditieux  contre  le  roi, 
»  depuis  la  réduction  de  Paris,  jus» 
»  qu'à  dire  que  ,  s'il  passait  quelque 
»  jour  devant  leur  collège,  il  se  je- 
3)  terait  volontairement  sur  lui  de  la 
»  fenêtre  en  bas  la  tête  la  première, 
»  pour  lui  rompre  le  cou  par  ce 
»  moyen.  »  C'est  ce  qu'on  lit  dans 
la  grande  histoire  de  Mézerai  (3). 
L'auteur  de  FAnti  -  Coton  nous  va 
dire  la  date  de  l'arrêt  du  parlement. 
//  y  eut  informations  faites  contre 
Alexandre  Hay  us  ,  jésuite  ecossois  , 
lequel  auoit  enseigné  publiquement 
qu'il  fallait  dissimuler  et  obéir  au 
roy  pour  un  temps  par  feintise  ,  di- 
sant fort  souvent  ces  mots  :  Jesuita 
est  omnis  horao.  Estoit  davantage  ce 
jésuite  chargé  d'avoir  dit  souvent  qu'il 
désirerait',  si  le  roy  passoit  devant 
leur  collège,  tomber  de  la  fenestre 
sur  luy  pour  luy  rompre  le  col.  Pour 
laquelle  cause  par  arrest  de  la  cour 
prononcé  le  10  de  janvier  i5g5,  fut 
ledit  Hayus  banni  à  perpétuité ,  h 
luy  enjoint  de  garder  son  ban  à  pei- 
ne d'estre  pendu  et  eslranglé  ,  sans 
autre  forme  ne  figure  de  procès  (4). 

(1)  Sotuel,  Biblioth.  Script,  societ.  Jesu,  pag. 
459. 

(1)  Voyez  la  Défense  des  Demandes  ,  h  la  fin 
<le  la  réponse  à  la  préface. 

(3;  Tom.  II I,  pag'.  n35,  u36, 

('j)  Ami-Coton,  ;mg.  m,  3S. 


L'auteur  du  hemercîment  des  Beur- 
rières,  après  avoir  dit  la  même  chose, 
ajoute  (5)  que  ce  jésuite  ayant  de- 
puis répété  et  confirmé  ces  mêmes 
paroles ,  en  la  ville  de  Prague  ,  sur  ce 
que  les  plus  grands  du  royaume  sol- 
licitèrent de  le  faire  amener  en  Fran- 
ce, on  répondit  qu'il  avait  avaléun  or- 
ge mondé  qui  n  était  pas  bien  cuit,  et 
se  trouva  mort  aussi  soudain  que  le 
prevot  des  maréchaux  de  Pluviers... 
étranglé  au  chdtelet  d'un  lacet  de 
soncalecon,  qui  n'était  assez  fort  pour 
brider  une  mouche.  Alexandre  Hayus, 
si  nous  en  croyons  Pasquier  (6),  ré- 
gentait pendant  les  troubles  la  pre- 
mière classe  du  collège  des  jésuites  a 
Paiis. 

(5)  Pag.  19.  Ce  Remercîment  fui  imprimé 
Van  1610. 

(6)  Catéchisme  des  jésuites,  liv.  II ,  chap- 
XX,  pag.  m.  472. 

HAILLAN  *  (Bernard  de  Gi- 
rard ,  seicneur  du  ) ,  historio- 
graj>he  de  France  ,  issu  d'une 
ancienne  et  noble  famille  (A)  , 
naquit  à  Bordeaux  environ  l'an 
i535.  Il  s'érigea  d'assez  bonne 
heure  en  auteur,  et  ,  après  avoir 
paru  dans  la  république  des  let- 
tres sous  la  qualité  de  poète,  et 
sous  celle  de  traducteur  (B) ,  il 
s'appliqua  à  faire  des  livres  d'his- 
toire ,  et  y  réussit  de  telle  sorte 
que,  par  ses  premiers  ouvrages 
de  cette  nature,  il  obtint  de 
Charles  IX  le  titre  d'historio- 
graphe de  France,  l'an  1571  (C). 
Il  publia,  en  i5^6,  une  histoire 
qui  s'étend  depuis  Pharamond 
jusques  à  la  mort  de  Charles  VII 
(a).  On  n'avait  point  vu  encore 
un  corps  d'histoire  de  France 
composé    en    langue    française. 

*  La  Monnoye,  dans  ses  notes  sur  la  Crois 
du  Maine  ,  I ,  j3  ,  fait  un  grand  éloge  de 
cet  article. 

(a)  Elle  fut  imprimée  à  Paris ,  chez  Pierre 
l'ffuillier,  in-folio  et  in-8°.  ,  l'an  1576: 
l'année  suivante  elle  fut  imprimée  par 
Pierre  de  Saint-André  (  à  Genève  ,  si  je  ne 
me  trompe)  en  deux  volumes  in-8". 


HAIL 

Henri  III  fut  très-content  de 
celui-là,  et  fit  paraître  son  con- 
tentement par  des  gratifications 
utiles  et  honorables  qu'il  fit  à 
l'auteur  (D).  Il  l'avait  eu  à  son 
service  avant  que  de  monter  sur 
le  trône  (b)  Les  raisons  qui 
portèrent  du  Haillan  à  terminer 
son  ouvrage  à  la  mort  de  Char- 
les VII  sont  belles  et  bonnes,  et 
marquent  qu'il  entendait  les  de- 
voirs d'un  historien  (Ej.  Cepen- 
dant il  promit  depuis  à  Henri  IV 
de  continuer  cette  histoire  jus- 
ques  à  son  temps  (F).  Il  n'a  point 
exécuté  cette  promesse.  Ce  qui 
l'avait  engagé  à  continuer  n'est 
pas  glorieux  à  Philippe  deCoini- 
nes  (c).  Il  eut  le  courage  de  ré- 
futer plusieurs  traditions  qu'un 
zèle  indiscret  pour  la  gloire  de  la 
France  avait  fomentées  ,  et  de 
parler  librement  sur  les  matiè- 
res délicates  ,  comme  par  exem- 
ple sur  ce  qui  concerne  la  pucel  le 
d'Orléans  (Gj.  Cette  liberté  fut 
désagréable  aux  petits  esprits  ,  et 
à  ceux  qui  veulent  que  tout  soit 
sacrifié  à  la  politique.  Je  ne  sais 
s'il  faisait  bien  de  publier  certai- 
nes choses  qu'il  ne  savait  que  par 
ouï-dire(H).  On  le  critiqua  beau- 
coup ,  et  il  en  témoigna  du  cha- 
grin par  la  fierté  avec  laquelle  il 
repoussa  ses  censeurs  (I).  On  n'a 
pas  tort  dans  toutes  les  choses 
qu'on  lui  critique  :  je  le  mon- 
trerai par  un  passage  du  sieur 
Sorel  (K).  La  manière  dont  il 
parle  de  soi-même  est  un  témoi- 
gnage qu'il  n'était  pas  assez  dés- 
intéressé ,  ni  par  rapport  à  la 
gloire ,  ni  par  rapport  à  la  fortu- 
ne. Il  étale  trop  ses  travaux  et  le 
succès  de  ses  livres ,  leurs  diver- 

(Jb)  Voyez  la  remarque  (C). 
(c)  Voyez  la  remarque  F) 


LAN.  461 

ses  éditions ,  traductions ,  etc  ; 
et  il  témoigne  trop  visiblement 
qu'il  voudrait  être  récompensé 
(L).  J'ignore  si  l'on  doit  croire 
qu'il  fit  des  menaces  de  sa  plume 
de  fer  à  ceux  qui  méconnaîtraient 
ses  travaux  [d),  et  qu'il  la  jugea 
aussi  propre  à  les  flétrir  ,  qu'il 
prétendait  que  sa  plume  d'or 
était  capable  d'éterniser  le  mérite 
de  ses  bienfaiteurs.  Il  mourut  à 
Paris  le  23  de  novembre  1610, 
dans  soixante  et  seizième  année  , 
et  fut  enterré  à  Saint-Eustache 
(e).  Il  ne  faut  pas  oublier  qu'il 
avait  suivi  François  de  Noailles, 
évêque  d'Acqs  ,  à  l'ambassade 
d'Angleterre  et  à  celle  de  Ve- 
nise (f)  On  verra  dans  les  re- 
marques plusieurs  morceaux  de 
ses  épîtres  dédicatoires  et  de 
ses  préfaces.  Ils  déplairont  à  ceux 
qui  ne  cherchent  qu'une  con- 
noissance  superficielle  des  hom- 
mes illustres ,  mais  non  pas  à 
ceux  qui  souhaitent  de  les  con- 
naître exactement,  intus  et  in 
cule.  C'est  en  faveur  de  ceux-ci 
que  je  travaille  ,  et  je  suis  certain 
qu'ils  me  sauront  gré  de  la  peine 
que  je  prends  de  faire  voir  le 
portrait  du  cœur  selon  les  linéa- 
mens  que  j'en  trouve  dans  les 
livres  où  les  auteurs  se  sont 
peints  eux-mêmes.  Ceci  soit  dit 
une  fois  pour  toutes.  On  pour- 
rait faire  sur  ce  portrait  de  du 
Haillan  un  si  grand  nombre  de 
réflexions  ,  que  je  m'imagine  que 
personne  ne  trouvera  mauvais 
que  j'en  fasse  quelques-unes  (M). 
Ce  me  sera  une  occasion  de  louer 
la  modestie  de  M.  Descartes. 

(d)  Voyez  la  remarque  (L)  à  lajin, 
{e.  Mercure  Français,  tom.  II.  J'ag.  m.  6l . 
(y)  Du  Haillau ,  préface  de  l'Histoire  de 
France. 


462  HAILLAN. 

(A)  //  était  issu  d'une  ancienne  et  née  ,  à  Paris  (5)  l'Histoire  romaine 
nob'e  famille.  ]  Quand  il  parle  des  d'Eutropius  ,  comprenant  en  dix  li- 
matériaux  qu'il  rassembla  pour  com-    vres  ,  tout  ce   qui.  s'est  fait  tant  en 

Eoser  l'Histoire  de  France  ,  il  n'ou-  paix  qu'en  guerre  depuis  le  commen- 
lie  point  les  secours  de  sa  parenté,  cernent  de  Rome  jusque»  a  l'an 
François  de  Girard ,  mon  frère  ,  sei-  M.  C.  XIX.  de  ladite  ville,  tra- 
gneur  du  Haillan,  dit-il  (1),  m'a  duitede  latin.  Huit  ans  après  il  fît  im- 
envoyé  de  Bordeaux  plusieurs  pa-  primer  (6)  les  Vies  des  plus  grands, 
piers  concernans  les  affaires  de  la  plus  vertueux  ,  et  plus  exceîlens  ca- 
Guyenne  recueillis  par  jeu  Loys  de  pitaines  et  personnages  Grecs  et  bar- 
Girard  noslre  père  ,  et  par  Gilles  ,  bares  faictes  par  JÈmilius  Probus , 
Marc,  et  Richard  de  Girard,  nostre  et  traduites  de  latin  (7). 
grand-pere ,  afeul  et  bisayeul ,  les  (C)  77  obtint  de  Charles  IX  le 
deux  derniers  desquels  vivaient  en  titre  d'historiographe  de  France  , 
Bourdelois  en  charges  honorables,  l'an  i5^  1 .  ]  Il  nous  l'apprend  lui- 
du  temps  que  la  ville  de  Bordeaux  même  dans  une  épître  dédicatoire  , 
et  le  pays  de  Guyenne  furent  ré-  datée  de  Paris  au  mois  de  juillet 
duits  en  l'obéissance  des  François  en  1576.  Car  voici  comme  il  parle  à 
l'an  i45i  .  H  nous  apprend  en  un  au-  Henri  III  (8)  :  Il  y  a  maintenant  cinq 
tre  endroit  (2)  que  son  père  avait  été  ans  ,  qu'après  que  le  feu  roy  vostre 
homme  cui'ieux  de  l'antiquité  de  sa  frère  ,  vous  (  sire  )  ,  et  la  roy  ne  vostre 
patrie  ,  par  l'espace  de  plus  de  qua-  mère  eusles  veu  mon  œuvre  de  i Estât 
rante-cinq  ans  lieutenant  en  l  admi-  et  succez  des  affaires  de  France  im- 
rauté  de  Guyenne  ;  et  depuis,  ajou-  primé  ,  et  les  deux  premiers  livres  de 
te-t-il ,  François  de  Girairl ,  seigneur  l'Histoire  de  France  non  imprimez, 
du  Haillan ,  mon  frère ,  a  esté  par  ains  seulement  escrits  a  la  main  ,  il 
l'espace  de  plus  de  dix  ans  en  l'a-  pleut  audit  feu  roy,  à  la  prière  que 
dicte  admirauté ,  souz  les  feuz  roy  s  vous,  et  la  roy  ne  vostre  mère,  luy  en 
de  Navarre  ,  Henry ,  et  Antoine.  fistes  ,  me  commander ,  et  vous  aussi 

(B)  Après  avoir  paru  sous  la  qua-  (  sire)  me  le  commandastes  ,  d'escrire 
lité  de  poète  et  sous  celle  de  traduc-  en  langage  francois  l'histoire  des  rois 
teur.  ]  Il  publia  à  Paris  ,  en  155c),  de  France  vos  prédécesseurs  cy  de- 
un  poème  intitulé  V  Union  des  prin-  vant  assez  mal  escrite  par  nos  Fran- 
ces  par  les  mariages  de  Philippes  ,  cois ,  et  assez  négligemment  ou  en- 
roi  d'Espagne  ,  et  madame  Eliza-  vieusement  traictée  par  les  estran- 
beth  de  France  ,  et  encores  de  Phi-  gers.  Et  pour  me  donner  moyen  et 
lebert  Emmanuel  duc  de  Savoie ,  et  courage  d'entreprendre  cest  œuvre  , 
madame  Margueritte  de  France  (3).  à  la  remonstrance  et  requeste  de 
Il  publia  dans  la  même  ville  ,  en  la  M.  de  Villequier  qui  a  tousjours  ai- 
même  année  ,  un  autre  poème  inti-  mé  mes  escripts  et  moy ,  et  qui  est 
tulé  le  Tombeau  du  roi  très-chres-  presque  aujourd'huy  le  seul  digne 
tien  Henri  II  de  ce  nom  ,  et  un  ou-  tesmoing  des  longs  services  qu'en  plus 
vrage  latin  qui  a  pour  titre  :  Regum  d'une  sorte  je  vous  ay  faits  dès  vostre 
Gallorum  Icônes  a  Faramundo  us-  enfance,  il  pleut  au  feu  roy  vostre 
que  ad  Franciscum  II ,  item  Ducum  frère  me  donner  l 'estât  d'historio- 
Lotharingorumà  Carolo  primo  usque  graphe  de  France  ,  et  me  promettre 
ad  Carolum  tertium  ,  versibus  lad-  beaucoup  de  bien  et  d'advancement  , 
nis  expressœ  (4)-  Je  puis  prendre  comme  aussi  (sire  )  vous  me  don- 
pour  une  version  le  Traité  des  De-  nastes  asseurance  de  m'en  faire  de 
voir»  des  hommes  ,  en  trois  livres,  vostre  coste ,  et  de  me  faire  cognoistre 
qu'il  fit  imprimer  à  Blois,  l'an  i56o,  que  mes  longs  et  Jidelles  services  et 
in-8°;  car  il  les  tira  des  Offices  de  mes  labeurs  ordinaires  recueilliroient 
Cicéron.  Il  publia  en  la  même  an-    leur  semence.  Comme  ce  passage  peut 

(1)  Du  Haillan  ,  préface    de    ^'Histoire     de  ,  . ' 

P  v    '  1  r    j  rçj)  Chfz  rrederic  Morcl ,  m-8°. 

(2)  La  même  ,  de  l'État  et  succès  des  affaires         (6)  A  Paris,  chez  Pierre  l'Huillier,  in-ft°. 
de  France,  liv.  IV,  folio  m.  321  verso.  (7)  Du  Verdier,   Bibliothèque  française  ,  pag. 

(3)  La  Croix  du  Maine,  pag.  il.  IifJ. 

(4)  Du  Verdier,  Bibliothèque  française,  pag.         (S)    Du  Haillan,  e'ptlre  de'dicaloire  de  l'IUs- 
jjij,  toire  de  France. 


HAILLAN.  463 

servir  de  preuve  à  une  chose  que  j'ai  vas,  qui  m'apprend  cela  ,  ne  parle 
avancée  dans  le  corps  de  cet  article  point  d'un  ouvrage  que  du  Haillan 
(9),  je  n'en  ai  voulu  rien  retran-  avait  publié  en  1570,  et  qui  a  pour 
cher.  Mais,  pour  n'en  pas  faire  à  deux  titre  :  de  la  Fortune  et  Vertu,  de 
fois,  mettons  ici  une  preuve  encore  France,  avec  un  sommaire  discours 
plus  forte.  Cet  historien  ayant  dit  sur  le  dessein  de  l'histoire  de  France 
que  Henri  III  avoil  toujours  aimé  h  (i5).  Il  publia  en  la  même  anne'e  un 
ouïr  et  diœ  la  vente  ,  donné  espe-  livre  (16),  qui  a  été  remis  sous  la 
rance  aux  gens  de  lettres  qu'il  seroit  presse  une  infinité  de  fois  (17),  et 
leur  support,  et  quelquefois  voulu  qu'il  dédia  au  duc  d'Anjou.  Voici 
lire  et  ouyr  les  histoires  (10)  ,  ajoute  :  ce  qu'il  en  apprend  à  ses  lecteurs 
«  Ce  que" je  puis  dire  véritablement,  (18)  :  «  Cest  œuvre  de  l'Estat  et  Suc- 
»  pour  l'avoir  cognu  dès  vostre  en-  »  cez  des  affaires  de  France  que  je 
»  fance,  au  temps  auquel  j'avois  cest  »  vous  présente  vestu  d'un  accous- 
»  honneur  d'approcher  de  vostre  per-  »  #einent  nouveau  ,  et  beaucoup 
»  sonne ,  de  vous  faire  service ,  de  ne  »  plus  long  et  plus  beau  que  ceux 
»  tenir  pas  le  dernier  rang  en  ma  »  qu'il  a  par  cy  devant  portez  ,  nas- 
»  qualité  ,  et  de  vous  avoir  quelque-  »  quit  il  y  a  dix  ans,  et  vous  fut  dès 
»  fois  discouru  plusieurs  belles  histoi-  »  sa  naissance  présenté  et  donné  bien 
»  res  tant  des  roys  vos  ancestres  que  »  pelit.  Deux  ans  après  je  le  ti- 
»  des  autres  royaumes  et  estats.  »  »  rai  hors  de  l'enfance  qu'il  avoit , 
Le  passage  que  je  tire  de  l'epître  dé-  »  et  l'habillant  plus  long  je  le  don- 
dicatoire  de  son  Etat  et  Succès  des  »  nai  par  vostre  commandement  au 
affaires  de  France,  est  encore  plus  »  feu  roy  Charles  vostre  frère.  «C'est 
formel.  J'ay  appris  ,  sire,  dit-il,  en  ainsi  qu'il  parle  dans  l'epître  dédi- 
s'adressant  à  Henri  III,  en  la  nourri-  catoire  d'une  édition  qui  fit  paraître 
ture  que  j'ay  prise  ,  et  en  la  commu-  cet  ouvrage  sous  un  habit  tout  nou- 
nication  des  affaires  que  j'ay  veues  veau  ,  plus  grand ,  plus  beau  ,  et  plus 
près  de  vous  par  l'espace  de  douze  riche  qu'il  n'estoit  (19).  L'auteur  le 
ans  devant  vostre  advenement  a  la  revit  et  l'augmenta  encore  l'an  1094, 
couronne  ,  et  en  plusieurs  affaires  que  et  le  dédia  à  Henri  IV.  Zeiller  assure 
j'ay  maniez  et  veus  pour  le  service  que  cet  ouvrage  est  souvent  cité  et 
des  roys  vos  prédécesseurs  ,  et  pour  loué  ,  et  qu'il  a  dit  dans  sa  lettre 
le  vostre  ,  dehors  et  dedans  vostre  CXC  ce  que  d'Aubigné  en  juge  (20). 
royaume  ,  comment  il  faut  parler  et  Je  n'ai  pas  vu  cette  lettre  :  mais  je 
escrire  des  roys  et  de  leurs  affaires  suis  sûr  qu'on  y  débite  une  bévue  ; 
(n).  Voyez  aussi  ce  qui  sera  rappor-  car  d'Aubigné,  dans  la  préface  que 
té  dans  la  remarque  (L)  (12).  Zeiller  cite  (21),  ne  porte  aucun  ju- 
Notez  qu'il  publia  à  Paris  ,  en  gemeut  des  écrits  de  du  Haillan  ;  il 
i§rj\  , Y  Histoire  sommaire  des  comtes  se  contente  de  le  nommer.  Sa  cri- 
ez ducs  d'Anjou  ,  depuis  Geoffroy  tique  ne  regarde  que  la  Popelinière 
Grisegonnelle  jusques  a  monseigneur  et  M.  de  Thou.  Voilà  donc  un  grand 
Henri  ,  fils  et  frère  de  roys  de  péché  de  commission  de  Martin  Zeil- 
France ,  et  duc  d'Anjou  ,  de  Bour-  1er.  Celui  d'omission  n'est  pas  petit  ■ 
bonnois  ,  et  d'Auvergne  (i3).  Il  y  car  cet  auteur  a  ignoré  que  du  Hail- 
publia  aussi,  en  la  même  année,  Pro-  lan  ait  écrit  l'histoire  de  France. 
messe  et  Dessein  de  l'histoire  de  Konig  ne  l'ignore  pas  moins. 
France  (i4)-    Du   Verdier   Vau-Pri-  (D)  He  mi  III...  fit  paraître  son  con- 

(i5)  La  Croix  du  Maine  ,  pag.  3o. 

(16)  De  l'Etat  et  Succès  îles  affaires  de 
France. 

(17)  Voye  1  ci-dessous  ,  In  citation  (58). 

(18)  Du  Haillan,  épître  dédicaloire  de  /'Etat 
et  succès  des  affaires  de  Fiance,  à  Henri  III,  à 
l'édition  de  i58o. 

(19)  L'a  même. 

(20)  Martinus  Zeillrrus,  de  Hist.  cliron.,  etc., 
part.  II,  pag.  71. 

(21)  Aubiguaeus  prceÇalione  in  hitlvriantm 
suai  um  partent  prioiam  ,  Idem  ,    ibid. 


(g)  Savoir  que  Du  Haillan  fui  au  service  du 
duc  d'Anjou. 

(10)  Du  Haillan,  e'pltre  dédicaloire  de  /'His- 
toire de  France. 

(11)  Du  Haillan,  e'pitre  de'dicaloire  de  l'État 
et  Succès  des  affaires  de  France,  à  Henri  III,  à 
l'édition  de  i58o. 

(12)  C est-a-dire  ,  le  passage  oit  il  se  plaint 
d'être  le  seul  que  Henri   III  n'ait  pas  avancé. 

d  3)  Du  Verdier,  Bibliothèque  frjuçaise,  pag, 
116. 

(i4)  Là  même. 


464  HA1LLAN. 

lentement  par  des  gratifications  utiles 
et  honorables  qu'il  fit  h  l'auteur  ]  La 
Popelinière  ,  sans  parler  du  titre 
d'historiographe  de  France,  conféré 
à  du  Haillan  par  Charles  IX,  touche 
seulement  les  récompenses  de  Hen- 
ri III.  On  peut  excuser  cette  omis- 
sion ,  vu  la  différence  qui  se  trouve 
entre  un  simple  titre,  et  une  charge 
érigée  en  titre  d'office  avec  une  attri- 
bution de  gages.  Or ,  ce  fut  d'une 
telle  charge  que  du  Haillan  fut  ho- 
noré par  Henri  III.  Quoi  qu'il  en 
soit,  voici  les  paroles  de  la  Pope- 
linière (aa)  :  Henri  III  ,  prertéer 
des  princes  ,  vieux  ,  et  nouveaux ,  ne 
gratifia  seulement  le  sieur  du  Hail- 
lan Bourdelois  ,  l'un  des  secrétaires 
de  ses  finances,  de  divers  moyens 
qu'il  luy  donna  pour  le  recognoistre 
de  la  peine  prise  au  premier  corps  de 
son  Histoire  Françoise.  Ains  aussi 
l'honora  depuis  du  premier  estât  d'his- 
toriographe de  France  ,  qu'il  fit 
ériger  en  tiltre  d'office  formé  ;  avec 
appoinctement  an'esté  de  douze  cens 
escus  par  an ,  et  de  conseiller  en  so?i 
privé  conseil  et  d'estat ,  aux  persua- 
sions de  monsieur  le  chancelier  Chi- 
verny ,  pour  y  estre  mieux  instruict 
en  la  cognoissance  et  narré  des  plus 
importans  affaires  du  royaume.  Ain- 
si Henry  III  esleva  le  premier  la 
qualité  pure  ,  simple  ,  et  franche  de 
l'historien  ,  au  grade  et  tiltre  honora- 
ble d'historiographe  de  France  en  la 
personne  de  Bernard  de  Girard  , 
sieur  du  Haillan ,  après  qu'il  luy  eust 
offert  et  dédié  son  Histoire  de  France 
par  luy  recueillie  des  precedens  au- 
theurs,  comme  le  premier  corps  d'his- 
toire habillé  a  la  francoise.  Nous 
lisons  dans  le  Mercure  Français  (a3), 
qu'Henri  III  ,  pour  recognoistre  du 
Haillan  de  la  peine  qu'il  avoit  prise 
au  premier  livre  de  son  Histoire  Fran- 
çoise, le  gratifia  d'un  estât  de  secré- 
taire de  ses  finances.  Je  ne  sais  point 
ce  que  c'est  que  ce  premier  livre  de 
l'Histoire  Française  qui  fut  récom- 
pensé de  la  sorte  ;  car  du  Haillan 
publia  tout  à  la  fois  l'Histoire  de 
France  ;  et  il  ne  dit  point  dans  son 
épître  dédicatoire  qu'il  eût  déjà  ob- 
tenu quelque  gratification.  Il  se  con- 


(32I  La  Popelinière,  ZiV.  /  de  /'Histoire  nou- 
velle Jes  Fiançais  ,  pag.  Z^S. 

(ïi)  Mercure  Français,  lom.  II,  pat;,  "i.  Ci. 


tente  de  dire  04)  que  Charles  IX  lui 
avait  donné  l'état  d'historiographe 
avec  de  belles  promesses  ;  et  que 
Henri  III  ,  alors  duc  d'Anjou  ,  lui 
avait  aussi  promis  quelques  bienfaits. 
Je  m'imagine  que  le  compilateur  du 
Mercure  craignit  le  blâme  d'avoir 
volé  mot  à  mot  les  paroles  de  la  Po- 
pelinière ,  et  qu'ayant  voulu  s'en  ga- 
rantir ,  il  les  rapporta  avec  quel- 
ques changemens  ;  mais  il  n'y  fut 
pas  heureux.  Il  changea  en  premier 
livre  de  son  Histoire  Françoise  le  pre- 
mier corps  de  son  Histoire  Francoise. 
Ces  deux  phrases  sont  très-différen- 
tes :  la  dernière  signifie  que  du  Hail- 
lan est  le  premier  qui  ait  publié  un 
corps  d'histoire  française  :  l'autre 
signifie  que  le  premier  livre  de  l'Hi- 
stoire Française  composée  par  du 
Haillan,  fut  imprimé  seul  avant  tous 
les  autres.  L'auteur  du  Mercure  sup- 
pose d'ailleurs  que  ce  premier  livre 
fit  obtenir  à  du  Haillan  l'état  de  se- 
crétaire des  finances  de  Henri  III  ; 
mais  la  Popelinière  ,  l'original  du 
Mercure ,  ne  dit  point  cela  :   il  sup- 

Sose  que  du  Haillan  était  secrétaire 
es  finances  avant  que  de  publier 
l'Histoire  de  France.  Avouons  néan- 
moins que  son  narré  est  un  peu  con- 
fus :  il  y  a  fourré  un  depuis  qui  est 
une  brouillerie  ;  c'est  un  terme  qui 
s'accorde  mal  avec  les  paroles  qui  le 
suivent.  Le  Mercure  ajoute,  1°.  qu'a- 
près la  récompense  du  premier  livre , 
cet  historien  en  obtint  une  meilleure 
lorsqu'il  eut  dédié  son  Histoire  de 
France  à  Henri  III 5  car  il  fut  honoré 
de  l'estat  de  conseiller  et  historio- 
graphe de  France  ;  a0.  qu'tZ  a  fait 
depuis  V Estât  et  Succez  des  affaires 
de  France  ;  cela  est  faux  :  ce  livre  fut 
imprimé  avant  la  mort  de  Char- 
les IX  (a5)  j  3°.  qu'iZ  fut  pourvu  de 
l'estat  des  généalogistes  des  cheva- 
liers de  l'ordre  du  Saint-Esprit  a  la 
création  de  cest  ordre.  On  aurait  pu 
dire  qu'il  eut  en  commande  une  ab- 
baye que  le  fameux  Abélard  avait 
possédée  (26).  Notez  que  dans  la  pre- 
mière édition  de  son  histoire ,  il  ne  se 

(24)  Voyez  ses  paroles  ,  ci-dessus  ,  citation 
(8). 

(î5i  Voyez  ci-dessus,  citation  fi8),  les  paro- 
les de  V  épître  dédicatoire  de  Du  Haillan. 

(2G)  Celle  de  Rujs  en  Bretagne.  Forez  Fran- 
çois d'Amboise ,  dans  la  préface  apologétique 
des  OEuvres  cVAbélard. 


HAILLAN. 


ilonnc  que  le  litre  d'historiographe 
Je  France  ;  mais  il  est  qualifié  dans 
les  dernières  ,  conseiller  du  roi,  se- 
cr>  luire,  de  ses  finances  et  île  su 
chambre  ,  et  historiographe  de  Fran- 
ce. Notez  aussi  qu'en  1 584  '1  n'était 
pas  encore  récompense'.  On  verra  sa 
plainte  ci-dessous  (2,). 

(E)  Les  raisons  qui  le  portèrent  a 
terminer  ses  ouvrages  a  Charles 
V^ll ,  marquent  qu'il  entenrlait  les 
devoirs  d'un  historien.  ]  J'entends 
principalement  la  réflexion  qu'il  a 
Faite  ,  qu'on  s'expose  à  une  fâcheuse 
alternative  quand  on  travaille  à  l'his- 
toire des  monarques  qui  sont  morts 
depuis  peu  de  temps  *.  Il  faut  ,  ou 
dissimuler  la  vérité  ,  ou  irriter  des 
personnes  de  qui  l'on  a  tout  à  crain- 
dre. Le  premier  de  ces  ineonvéniens 
choque  l'honneur  et  la  conscience 
de  l'historien  ;  l'autre  choque  sa 
prudence  :  il  vaut  donc  mieux  ne 
rien  dire.  Voilà  l'une  des  raisons  de 
du  Haillan  par  rapport  aux  règnes 
qui  ont  suivi  Louis  XII  (28).  Il  ajoute 
(29)  une  raison  générale  qui  est  de 
grand  poids  ;  c'est  que  l'on  avait  dé- 
jà des  histoires  particulières  de  tous 
les  règnes  postérieurs  à  Charles  Vil  : 
et  que  ,  selon  l'opinion  commune  ,  il 
était  presque  impossible  d'égaler  les 
écrivains  qui  avaient  fait  quelques- 
uns  de  ces  ouvrages.  Cette  considé- 
ration doit  toucher  un  honnête  hom- 
me et  un  historien  célèbre  :  il  doit 
épargner  aux  lecteurs  le  déplaisir 
d'acheter  deux  fois  une  même  chose  : 
le  respect  qu'il  doit  au  public  exige 
cela  :  la  justice  ne  permet  pas  qu'il 
copie  les  histoires  que  d'autres  ont 
faites;  c'est  voler  le  bien  d'autrui. 
Sa  propre  réputation  et  sa  prudence 
l'engagent  à  chercher  un  chemin  de 
gloire  plus  malaisé  et  plus  sur.  Co- 
pier ou  transformer  ce  que  d'autres 
ont  écrit  est  un  travail  trop  facile 
pour  être  glorieux ,  et  qui  même 
vous  expose  à  l'infamie  des  plagiaires. 
Vous  passerez  pour  vain  ,  si  vous 
prétendez    égaler   la  gloire   de  ceux 

(27)  Dans  lu  remarque  (L),  citation  (61). 

Le  père  Lelong  trouve  la  remarque  bonne  , 
mais  déplacée,  puisque  de  l'aveu  de  B.iyle  ,  du 
Haillan  avait  formé  la  résolution  de  continuel 
son  travail. 

(28)  Voyez    la    préface  île  son    Histoire    de 
France. 


465 


(ag)  Là  même 


TOBir     VII 


qu'on  estime  incomparables  ,  et  vou 
risquez  de  passer  toujours  pour  infé- 
rieur quand  même   tous  les  attein- 
driez, ou  que  vous  les  surmonteriez. 
Un  homme  sage  doit-il  se  commettre 
avec  les  préventions  du  public?  Plut 
à  Dieu  que  de  tels  objets  lissent  au- 
tant d'impression  sur  tout  le  monde 
qu'ils  en  firent  sur  du   Haillan  (3o)  ! 
les    bibliothèques  ne  seraient   pas  si 
chargées  de  tant  de   livres   qui  con- 
tiennent les  mêmes  choses.    Donnons 
ici  la  description  qu'il  H  faite  îles  in- 
eonvéniens à  quoi  les  auteurs  del'bis- 
toira  de  leur  siècle  s'engagent.  «  Pour 
»  ce  que  toutes  ces  histoires  qui  par- 
»  lent    dudit    roy   François  Ier.    onl 
„  été  faites  de  son  temps  ou  de  celuj 
„  du   roy  Henry,  son  fils,  ceux  qiii 
„  les  ontescritessesonl  plus  «s tendus 
„  en  la  louange  dudit   roy,  qu'il  ne 
»  convenoit   possible   à   son   mérite 
„   (combien    qu'il  fust    un    grand  cl 
»  excellent  roy),    ny  au    devoir    de 
„  l'histoire,  ny  à  la   vérité.  Ce  qui  e  1 
„  un  vice  de  tous  ceux  quiescrivent 
„  l'histoire    de    leur   temps    et    des 
»  princes   souhs  lesquels  ils  vivent. 
„  Car    qui    scroit   celuy   qui  oseroit 
»  toucher  aux  vices  de  son    prince, 
„  ny  à  blasmer  ses  actions   ny  celles 
„  de  ses  ministres,  ny  à  racomptev 
»  les  menées,  tromperies  et  desloyau- 
a  tez    qui   se  sont  commises    durant 
»  son  régne,  ny  à  dire  que  son  prin- 
»  ce  lit.  une  telle  injustice,   commit 
»  une  telle  paillardise,  ny    que   ces 
»  tuy-ci  fuit  en  une  bataille,  que  ces 
»  tuy-là  fit  une    telle    trahison,  que 
,,  tel  commit  un  larcin,  tel  une  per- 
»  ûdie,ettel  un  autre  semblable  mes 
»  chant  acte?  Il  ne  se  trouvera  aucun 
»  si  hardi  qui  face  cela.  Voilà  pourquoi 
»  ceux  qui  escriyent  l'histoire  de  leur 
»  temps  sont  agités  de   diverses  pa« 
»  sions  ,     et   sont   contraints   ou    de 
»  mentir   apcrtemenl  s'ils  louent  en 
«  tout  et.  par  tout  leurs  princes,  ou 
»  s'ils  favorisent  leur  nation,  ou    si 
»  en  tout  ils  blasment   leurs  enne- 
«  mis;  ou  de  dissimuler  ou  de  pallier 
»  la  vérité,  ou  de  bigarrer  les  cho 
»  ses,  ou  de  farder  et  dorer  de  bel 
»  les  parolles  leurs  escrits  el   les  ac 
»  tions    de    leurs    dits    prince:  ,    ou 
»  (s'ils  veullent  dire  la    vérité)   sont 

(3o)  Pour  le  moins  quelques  années   Voyez  la 
remarque  suivante 

3o 


466 


HAILLAN. 


»  contraints  de  celler  leur  nom,  et  l'histoire,  que  de  lire  les  auteurs  qui 
»  faire  imprimer  leurs  œuvres  sans  la  composèrent  au  XVe.  ou  au  XVIe. 
»  le  mettre.  Ceux  qui  escrivent  l'his-    siècle.  Ainsi,  quand  même  un  histo- 


»  toire  de  leurs  devanciers  ne  peu 
»  vent  (s'ils  ne  veulent)  tomber  en 
»  ce  vice,  ains  peuvent  hardiment 
»  courir  en  la  campaigne  de  la  ve'rite' 
»  et  de  la  hardiesse  et  liberté  de  leur 
»  langage   (3i)  ».    Bien    des   gens    se 


rien  n'aurait  à  dire  que  ce  qui  a  été 
imprime',  il  serait  louable  île  publier 
une  histoire,  pourvu  que  le  tour  et 
le  style  attirassent  les  lecteurs,  et 
c[ue  Ton  trouvât  le  public  absolu- 
ment   dégoûte    des  autres  histoires. 


souviendront  ici  de  la  pensée  de  l'em-  D'où  paraît  que  s'il  y  a  tant  de  livres 
pereur  Pescennius  Niger:  Louez  Ma*  qui  contiennent  les  mêmes  choses,  ce 
rius ,  ou  Annibal,  ou  quelque   autre    n'est   pas   toujours    par   la  faute  des 


grand  capitaine  qui  ne  t'ii'e  plus, 
dit-il  à  un  orateur  qui  se  présentait 
pour  lui  réciter  un  panégyrique  , 
car  c'est  se  moquer  que  de  louer  les 
vivans ,  et  surtout  s'ils  sont  empe- 
reurs :  on  attend  d'eux  des  récom- 
penses ;  on  les  craint  ;  ils  peuvent 
tuer,  ils  peuvent  bannir.  Quum  im- 
peratori  facto  quidam  panegyricum 
recitare  vellet,  dixit  ei,  Scribe  lau- 
des 3/arii  vel  ylnnibalis  ,  \>el  alicu- 
jus  ducis  optimi  vitâ.  juncli;  et  die 
quidille  fecerit ,  ut  eum  nos  imilemur. 
JVam  viventes  laudane  irrisio  est  , 
maxime  imperatores  ,  a  quibus  spe- 
ratur,  qui  timentur,  qui  prœslare  pu- 
bliée possunt ,  qui  possunt  necare , 
qui proscribere  •'  se  autem  vivum pla- 
cere    velle ,   mortuum    etiam  laudari 

(32). 

Disons  en  passant  qu'il  ne  faut  pas 
faire  une  règle  générale  de  la  seconde 
raison  de  du  Haillau  (33)  :  car  il  y  a 
bien  des  cas  où  il  est  très-juste  de 
faire  l'histoire  des  mêmes  règnes  qui 
ont  déjà  servi  de  sujet  aux  histo- 
riens. Cela  est  très-juste  ,  i°.  lors- 
qu'on a  quantité  da  nouvelles  choses 


auteurs  ;  c'est  assez  souvent  par  la 
faute  des  lecteurs,  qui  ne  veulent 
pas  prendre  la  peine  de  chercher 
séparément  les  faits  historiques,  ni  de 
feuilleter  ce  qui  est  écrit  en  vieux 
gaulois.  C'est  donc  pour  leur  com- 
modité et  pour  leur  utilité  ,  que 
l'on  publie  des  histoires  qui  n'ap- 
prennent rien  de  nouveau  ,  et  qui  ne 
font  qu'ajuster  ensemble,  et  en  meil- 
leur style,  diverses  pièces  des  autres 
auteurs.  Si  vous  avez  découvert  quel- 
que nouveau  fait,  vous  dira-t-on,  ne 
publiez  que  cela  5  pourquoi  en  pre- 
nez-vous occasion  de  faire  un  gros 
livre  où  vous  fourrez  tant  de  vieilles 
choses  ?  Cette  censure  est  légitime  en 
bien  des  rencontres ,  mais  non  pas 
lorsque  les  nouvelles  découvertes  se 
peuvent  répaudre  sur  une  très-lon- 
gue suite  d'événemens.  Elles  doivent 
être  incorporées  alors  avec  les  vieil- 
les relations  ;  l'intérêt  et  la  commo- 
dité des  lecteurs  demande  cela.  Nous 
verrons  bientôt  que  sur  ce  principe 
notre  du  Haillan  changea  de  réso- 
lution. 

Ce  qu'on  vient   de  dire  quant   aux 


à  dire  ,  ou  quand  on  peut  éclaircir  et    livres  historiques  ,  se  peut  appliquer 


rectifier  "en  plusieurs  endroits  les  his- 
toires précédentes  5  i°.  lorsqu'il  s'a- 
git de  réunir  en  un  corps  tous  les 
faits  qui  appartiennent  à  une  histoi- 
re, et  dont  les  uns  se  rencontrent 
dans   quelques  livres,    et   les  autres 


à  d'autres  ouvrages.  On  en  fait  trop 
il  faut  l'avouer,  qui  ne  contiennent 
que  ce  qui  se  trouve  dans  cent  autres  ■ 
mais  ce  serait  d'ailleurs  une  con- 
duite préjudiciable  à  la  république 
des  lettres  ,    que    de   n'oser    mettre 


dans  quelques  autres  ;   3°.  lorsque  le  dans  aucun  ouvrage  ce  que   d'autres 

goût  des  lecteurs   demande   un   non-  livres   ont    déjà    rendu  public    (34). 

veau  langage  et  un  nouveau  tour.  An-  Un     théologien     de    Leyde    prétend 

jourd'hui ,  par  exemple,   la    plupart  qu'il  est  très-utile  de  publier  divers 


des  gens   aimeraient  mieux    ignorer 

(3i)  Du  Haillan,  préface  de  /'Histoire  Je 
France  ,  folio  a  i  verso  ,  édit.  de  i5']']. 

(32)  Alius  Spartian.  ,  in  Pescennio  Nigro, 
cap.  XI ,  pag.  m.  672  ,  totn.  !• 

(33)  Elle  est  la  seconde,  non  pas  dans  son 
livre  ,  mais  selon  le  pre'cis  que  j'ai  donné  ci-des- 
sus de  son  narre. 


ouvrages  sur  les  mêmes  matières 
quand  elles  sont  importantes  ;  il  as- 
sure même  que  c'est  un  très-bon 
moyen  de  diminuer  la  multitude  des 
livres,  qui  accable  et  qui  fait  gémir 

(34)  f^oyez  la  préface  de  la  première  édition 
des  Pensées  diverses  sur  les  Comètes. 


II  AI  LL  AN.  467 

tant  de  gens.  La  raison  do  ce  para-  faicte  et  finie  a  la  mort  de  Charles  sep- 
doxe  est  qu'un  nombre  considérable    tieme ,   sera  bien  tost  suivie  de  celles 
d'ouvrages  sur  certaines  matières  oc-    des  autres  rois   suivans  ,  jusques  a 
cuperait  le  public,  et  alors  une  infi-    vostre  majesté;  puis  viendra  la  vostre, 
nite'  d'autres  livres  seraient,  négligés,    si  vous  voulez  qu'elle  soit  veue.  Voilà 
feraient  un   saut  de  la   boutique  da    ce  que  du  Haillan  disait  au  roi  Hen- 
libraire  à  celle  de  l'épicier.  Voyons    ri   IV ,    dans  une  e'pître  dedicatoire 
les  paroles  de  cet  auteur;  nous  y  trou-    qui  est  date'c  du  mois  d'octobre  i5g{. 
verons  une  excellente  pensée  de  saint    11  y  avait  dix  ans  qu'il  avait  appris 
Augustin.   Id  (  scribendi  cacoètbes  )    aux  lecteurs  son  ebangement  de  re'so- 
nuuc  his  temporibus  iu  immensum  est    lution  ;  car  lorsqu'il  de'dia  à  Henri  III, 
auctum,  ut  omnem  medclam  saperas-    en  iSS*}  ,  la  seconde  édition  de  son 
se    videatur ,   nec   alio    modo  possit    Histoire   de  France ,  corrigée  et  aug  - 
coërceri,  quant  si  plures  divulges  li-    mentée,  il  lui  parla  de  cette  façon  : 
bros.    Quant  ralionem    agendi  forte    «  Bien  qu'en  mon  épître  liminaire  et 
paradoxam  aliquis  dixevit  ,  optimum    »  dedicatoire  à  vostre  majesté,  et  en 
tamen  nemo  jure  negaverit.  De  mal-     »  la  préface   de   la  première  édition 
titudine    librorum    ulilium    immenso     »  j'eusse  dict  que  je  ne  voulois  passer 
numéro  non  est  quod jure  conquera-     »  outre,  ni  escrire  l'histoire  du  roy 
mur,  qui  non  facile  nimis  augentur.     »  Louys  unziesme,  pour  ce  que  Plu- 
Quamvis  enim  de  rébus  iisdem  scri-     ,>  lippe  de  Comines  ,  sieur  d'Argen- 
bunt  plures  ,  modo  illce  sint  cognitu     »  ton,  l'avoit  escritc  :  si  estee  qu'ayant 
dignœ  ,  nullum  id  nocumentum  veri-    »  depuis  changé  d'advis,  je  l'ay  com- 
tati  videlur  inferre  ,  quœ  sic  ad  plu-    »  mencée  en  espérance  de  l'achever 
res  sibiviam pandit,  cùm  lectorum  alii    >,  cest  hyver  prochain  ,   si  je  cognois 
hispolihs  quant  Mis  scriploribus  de-    »  que  ce  mien  labeur  vous  soitagréa- 
leclenlur  ,  quamvis  de  eodem  argu-    ,,  ble.  »  Il  est  bon  de  voir  la  cause 
mento  commentatis.    Quod  rectè  ob-    de  son  changement;  car ,  outre  qu'on 
servavil  Augustinus,  lib.  I  de  Tri  ni-    y  verrra  ce  qu'il  jugeait  de  Philippe 
taie,  cap.  3.  Neque  enim  omnia  fjuae    de  Comines  ,    on   y   trouvera  qu'il   a 
ab  omnibus  conscribimtur in  omnium    été  dans  l'un  des  cas  où  il  est  permis 
manus  veniunt.   Et   fieri   potest ,   ut    de  travailler  à  une  histoire  après  que 
nonnulli  ,  qui  ctiam  haec  nostra  in-    d'autres  l'ont  publiée.  Ce  qui  m'a,  dit- 
telligere  valent,  illos  planiores  non    i\  (3j),faict  changer  de  délibération, 
inveniant  libros  ,   et  in  istos  salten»    ci  mettre  la  main  audict  roy  Lors  ,  a 
incidant.   Ideôque   utile    est ,  plures    esté  que  ledict  sieur  d'sirgenton  n'a 
à  pluribus  iieri  diverso   stylo,    non    commencé  son  histoire,  appellée  M é- 
diversà"  fide  ,  etiam  de   qu.cstionibus    moires  ,  qu'au  cinquiesme  an  du  régne 
cisdem  ,  ut  ad  plurimos  res  ipsa  per-    d'iceluy ,  et  que  toutes  les  causes  des 
veniat ,   ad  illos  sic  ,    ad  alios  autem    guerres ,  et  des  grands  affaires  que  ce 
sic.  Qud  ratione  inutiles  libri  sensim    roy  eut,    sont   comprises   depuis   le 
eliminantur,   ut   alii  postai  non  sint    commencement  de  son  dict  régne  ,jus- 
usui,  quant  ut  piperi  et  lliuri  invol-    ques  il  l'endroict  la  où  ledict  seigneur 
vendo  inseiviant  (35).  d! Argentan  a  commencé  d 'escrire  :  et 

(F)  Il  promit  a  Henri  IV^  de  con-  qu'au  reste  de  sa  dicte  histoire  ,  il  a 
tinuer  celtehistoirejusqu  "a  sonlemps.]  celé  plu  sieurs  choses  que  j'ai  descou- 
Je  le  prouve  par  ces  paroles  (36):  J'af  vertes  et  tirées  de  plusieurs  livres, 
faict  aussi  un  OEuvre  de  ta  Monar-  mémoires  et  depesches  faites  de  ce 
chie  de  France  ,  qui  se  présentera  temps-la  ,  et  de  plusieurs  discours  se- 
bien  tost  a  vostre  majesté,  avec  Ici  crets  escrits  ou  durant  son  régne,  ou 
description  de  tous  les  secrets  et  aj-  peu  après  sa  mort,  exempts  de  la 
faires  de  l'establissentenl ,  grandeur  crainte,  delà  haine ,  de  la  flatterie  , 
et  force  de  vostre  estai,  et  des  roys  vos  et  de  la  louange  et  passions  ausqucl- 
prédécesseurs.  Lear  histoire ,  quej'ay    les  souvent  tombent  ceux  qui  escrivent 

de  leurs  temps  ,  et  aux  deux  dernières 

(35)  Cliristopliorus  Wiitlcbjns ,   in   prcefai.    desquelles  lediclde  Commines  se  laisse 
Consensus  ««ritatis  secunda  edtU  prœjixé  ' 

('66)  Du  Haillan  ,  epîire  dedicatoire  de  i'Elal 
et  Succès  des  affaires  de  France  ,  à  l'edUioti  de  Ci-])   Là    même,     retire    dedicatoire    de   son 

i5g4.  Histoire  de  France,  al'e'dilion  de  i584- 


4<i8 


HAILLAN. 


transporter,  pousse  ou  d'une  grande 
affection  envers  son  maistre  ,  ou  des 
biens  nu  il  avoit  receus  de  luy ,  ou  de 
ta  crainte  de  son  successeur.  Aussi 
n'a  il  dicl  ce  que  les  autres  pourroient 
dire  ,  et  que  d'autres  histoires  ont  dict 
des  actions  ,  des  vices  et  des  cautelles 
(38)  dudict  roy  ,  et  le  louant  plus 
qu'il  ne  devoit,fait  en  plusieurs  en- 
droits l'orateur  et  le panegyricq ,  non 
l'historien  ,  et  en  ses  longues  digres- 
sions sur  les  affaires  des  potentats  es- 
trangers  ,  passe  les  bornes  de  l'his- 
toire et  d'un  historien.  Au  reste ,  toutes 
les  promesses  que  du  Haillan  fit  de 
continuer  l'Histoire  de  France  *  ,  fu- 
rent nulles.  On  ne  trouva  rien  là- 
dessus  ,  après  sa  mort ,  parmi  ses  pa- 
piers (3cy)  :  les  libraires  qui  joignirent 
à  son  ouvrage  une  Continuation  jus- 
qu'en Tannée  i6i5  (4»),  et  puis  jus- 
qu'en l'année  1627  ,  la  prirent  de 
Paul  Emile ,  de  Philippe  de  Commi- 
ncs  ,  d'Arnoul  Ferron ,  du  sieur  du 
Bellay  ,  etc. 

(G)  //  eut   le   courage   de  réfuter 

plusieurs  traditions, et  de  parler 

librement  sur la  pucelle  d'Or- 
léans.] Qu'on  ne  s'étonne  pas  de  la 
longueur  du  passage  que  je  vais  citer; 
elle  est  instructive  ,  elle  montre  le 
vrai  caractère  d'un  historien  ,  et  le 
scandale  ridicule  que  les  esprits  mal 
tournés  prennent  de  la  hardiesse  qu'il 
a  de  préférer  la  ve'rite'  à  toutes  choses. 
Ce  mauvais  tour  d'esprit  règne  par- 
tout ,  et  dans  tous  les  siècles.  Il  est 
utile  de  marquer  comment  les  auteurs 
illustres  l'ont  méprise  et  combattu. 
Voici  les  paroles  de  du  Haillan  (40- 
«  Je  n'ay  voulu  faire  le  flatteur  ny  le 
»  courtisan  ,  ains  l'historien ,  et  dire 

(38)  Il  avait  ajouté  dans  l'édition  de  i5^6  , 
et  tics  cruautés. 

*  La  Bibliothèque  historique  de  la  France 
mentionne  une  Viede  Louis  XI,  par  du  Hail- 
lan ,  manuscrit  qui  ,  de  la  bibliothèque  de  Sé- 
guier,  est  passé  dans  celle  de  Saint-Germain- 
des-Hrés. 

(3g)  Voyez  l'avis  îles  libraires  aux  lecteurs  , 
dans  les  éditions  qui  furent  faites  de  son  Histoi- 
re de  France .  après  sa  mort.  Je  me  sers  de  celle 
de  Par. s ,  1627,  en  deux  volumes  in-folio. 

(/,o)  Du  Chesne,  Ribliolliéque  des  Historiens 
de  France,  pag.  55  de  l'édition  de  1G18  ,  ne 
parle  que  de  cette  édition  ,  qui  est  en  tleux  vo- 
lumes in-folio.  Appliquez  a  cela  la  critique 
qu'on  a  vue  contre  lui ,  en  pareil  cas ,  dans  l'ar- 
ticle Kmile,  remarque  (C)  ,  citation  (1 5) ,  loin. 
VI  ,pag.   l/,3. 

([{t)  Du  Haillan,  épitre  dédicatoire  de  son 
Histoire  de  France  ,  à  l'édition  de  i5rM. 


la  ve'rite  ,  et  n'ay  l'ait  ce  qu<  I, 
paintres  flatteurs  qui  paignan;, 
le  visage  d'un  homme  ou  d'une 
femme,  si  d'adventure  il  s'y  trouve 
quelque  imperfection  ou  quelque 
chose  de  laid,  la  laissent  du  tout, 
ou  la  paignent  flattcusemcnt.  Mais 
j'ay  voulu  paindre  les  traicts  les  plus 
difformes  aussi  bien  que  les  plus 
beaux  ,  et  parler  hardiment  et  li- 
brement de  tout  avec  hardiesse  non 
accoustume'e,  et  qui  sera  louable  et 
louée  de  tous  bons  lecteurs,  comme 
par  cy  devant  j'ay  fait  en  mon  œu- 
vre de  l'Estat  et  Succcz  des  affaires 
de  France,  auquel  j'ay  librement 
dit  plusieurs  choses  que  devant  moy 
aucun  n'avoit  voulu  ny  osé  dire  , 
et  que  possible  on  n'avoit  scènes. 
Car  tant  au  dit  œuvre  de  l'Estat 
qu'en  cestuy-cy ,  j'ay  impugné  plu- 
sieurs choses  qui  sont  de  la  com- 
mune opinion  des  hommes  ,  comme 
la  venue  de  Pharamond  en  Gaule, 
l'institution  de  la  loy  salique  qu'on 
luy  attribue,  la  création  des  pairs 
de  France  attribuée  à  Charlemai- 
gne  ,  et  autres  points  particuliers  , 
ayant  esté  si  hardi  et  si  véritable 
néantmoins  de  dire  que  jamais  Pha- 
ramond ne  passa  le  Pihin  pour  en- 
trer en  Gaule,  et  qu'il  ne  fit  ja- 
mais la  loy  salique  pour  exclure 
les  filles  de  la  succession  de  ceste 
couronne  ,  vett  qu'il  ne  passa  ja- 
mais en  nostre  France.  Sur  quoy 
quelques-uns  ,  qui  se  meslent  de 
parler  de  tout  et  ne  sçavent  rien  , 
et  qui  pensent  de  leurs  opinions 
mal  fondées  renverser  celles  qui 
sont  assises  sur  le  jugement  de  la 
raison  ,  ont  voulu  dire  que  je  vou- 
lois  exterminer  les  principes  de 
nostre  histoire  quand  je  ne  veux 
attribuer  l'institution  de  ladite  loy 
à  Pharamond.  Mais  (sire)  ce  n'est 
cela  ,  ains  je  veux  purger  une  an- 
cienne erreur  ,  me  semblant  que  la 
loy  salique  est  assez  ancienne  et  ap- 
prouvée puis  qu'elle  a  esté  practi- 
quée  comme  loy  dès  l'institution 
de  nos  premiers  rois  (comme  vous 
pourrez  plus  amplement  voir  au 
commencement  du  premier  livre 
de  ceste  histoire  en  la  vie  de  Pha- 
ramond )  ;  et  ne  peut  sur  cela 
mon  opinion  donner  aucun  advan- 
tage  aux  estrangers  ny  scandaliser 
les  nostres ,  sinon  ceux  qui  se  seau- 


H  AILLA  N.  469 

(Misent  de  tout  hormis  de  ce  qu'ils  clc  de  ceste  fille ,  soit  que  ce  fust  un 
pensent  et  font.  Quelques-uns  en  miracle  composé,  aoosté  ou  véritable, 
ce  point  ,  en  celui  des  pairs  de  esleva  les  cœurs  des  seigneurs  ,  du 
France  ,  et  en  d'autres,  ont  trouve  peuple  et  du  roy  ,  qui  les  avaient 
mauvaise  ma  liberté  de  langage,  perdus  :  (elle  est  la  force  de  la  re li- 
aisons que  je  fais  contre  le  devoir  gion  ,  et  bien  souvent  de  la  supersli- 
d'un  historien  de  vouloir  oster  lion.  Car  les  uns  disent  que  ceste 
à  la  France  et  aux  François  l'an-  Jeanne  esloit  la  garse  de  Jean  Bas- 
cienne  opinion  qu'elle  a  eue  de  la  tard  d' Orléans ,  les  autres  du  sieur  de 
venue  de  Pharamond  en  Gaule  ,  Baudricourt  ,  les  autres  de  Pothon  ■ 
de  ladite  loy  salique  faite  par  luy  ,  lesquels  estant  fins  et  advisez  ,  et 
et  de  1  institution  des  pairs  de  voyant  le  roy  si  estonné  qu'il  ne  sca- 
»  France;  et  que  c'est  uu  crime  d'à-  voit  plus  que  faire  ny  que  dire,  elle 
>  broger  les  choses  desquelles  l'opi-  peuple  pour  les  continuelles  guéries 
nion  est  invétérée  et  escrite  par  des  tant  abbatlu  ,  qu'il  ne  pauvoil  relever 
ignorans  qui  n'avoient  feuilleté  les  son  cœurny  son  espérance,  s'advisè- 
bons  livres,  et  crue  par  d'au  1res  rent  de  se  servir  d'un  miracle  com- 
ignorans  qui  n'ont  ny  le  sçavoir  ny  posé  d'une  fausse  religion  ,  qui  est  la 
l'entendement  de  lire  ny  d'enten-  chose  du  monde  qui  plus  es/eve  et 
dre  les  bons  et  anciens  aul heurs  ,  anime  les  cœurs,  et  qui  plus  fait 
ams  s'amusent  à  de  vieils  fatras  croire  aux  hommes ,  mesmement  aux 
aussi  malpolis  que  leurs  esprits,  simples ,  ce  qui  n'est  pas.  lit  le  peu- 
Les  bons  historiens  (sire)  ne  «loi-  pie  estoit  fort  propre  à  recevoir  telles 
vent  en  leurs  escrits  ny  en  leurs  superstitions.  Ceux  qui  croyait  que 
parolles  suivre  les  opinions  du  c'estoit  une  pucelle  envoyée  de  Dieu 
vulgayj^  mais  seulement  les  vc'ri-  ne  sont  pas  damnez  ,  ne  sont  pas  ceux 
tablc^^Rpelles  qui  sont  approu-  qui  ne  le  croyent  point.  Plusieurs  es 
\ees  par  véritables  autheurs  ,  ou  liment,  cest  article  dernier  estre  une 
par  bonnes  conjectures  et  preuves,  hérésie,  mais  nous  ne  voulons  pas 
lesquelles  en  multitude  bien  discou-  tresbucher  en  elle  ,  ny  trop  en  l'autre 
rues  servent  de  tesmoignage  vt:ri-  créance.  Adonc  ces  seigneurs  ,  par 
table  cl  asseure' ,  quand  par  la  ma-  l'espace  de  quelques  jours  ,  l'instrui- 
liee  du  temps  la  preuve  de  la  vérité'  sirent  de  tout  ce  qu'elle  devoil  respon- 
nous  défaut  par  escrits.  Je  n'ayvou-  dre  aux  demandes  qui  par  le  roy  et 
lu  doneques  suivre  (sire)  en  ces  eux  luy  seraient  faictes  en  la  pré- 
choses  là  ny  en  plusieurs  autres  ,  sence  au  roy  (  car  ils  dévoient  eux 
l'opinion  commune,  ains  seulement  mesmes  faire  les  interrogatoires)  et 
la  vraye.  En  quoy  je  pense  avoir  afin  qu'elle  peustrecognaislre  le  roy, 
fait  un  grand  bien  à  l'histoire  de  lors  qu'elle  serait  menée  vers  luy  (  le- 
de  France ,  la  desbrouillant  de  plu-  quel  elle  n'avoit  jamais  veu)  ils  luy 
sieurs  meuteries  et  fables  qui  la  faisaient  tous  les  jours  voir,  par  plu- 
rendent  mal  plaisante  et  quelque-  sieurs  j'ois  ,  son  porlraict.  Le  jour  de- 
fois  discordante,  oslant  les  lecteurs  signé  auquel  elle  devait  venir  vers  luy 
du  double  de  beaucoup  de  points  en  sa  chambre,  et  eux  ayans  dressé 
desquels  ils  ne  tronvoient  en  elle  la  ceste  partie,  ils  ne  faillirent  de  s'y 
vraye  intelligence.  En  quoy  je  m'as-  trouver.  Estant  entrée  ,  les  premiers 
seure  estre  agréable  aux  hommes  de  qui  luy  demandèrent  ce  qu'elle  vou- 
bon  jugement  ;  car  c'est  à  eux  à  qui  loit ,  furent  le  Baslard  d'Orléans  et 
je  veux  plaire,  non  à  ceux  à  qui  Baudricourt,  lesquels  luy  deman- 
mes  opinions  et  mes  escrits  desplai-  dans  ce  qu'elle  demandait  ,  elle  rei- 
ront. »   Si  vous   dc'sirez  savoir  ce 

qu'il  a    dit    de    la    pucelle  d'Orle'ans  ,     la  France,  il  fut  nécessaire,  sons  Charles  VIT, 

lisez  cet  autre  passage  (\i)  :  Le  mira-    d'av?ir  recours  ?  1"e'l'";  coup  d'état  pour  Us 

1  °     v"    '  en  chasser  :  ce  fui  donc   a    celui  de  Jeanne   lu 

pucelle  ,    lequel  est    avoue'  pour   tel  par  Juste 

(42)  Du  Haillan,    au    IIe    livre  de   l'Elal  et  Lipse  ,   en  ses  Politiques,  et  par  quelques  au- 

.Succès  <les  affaires  île  France,  pag.  i38c(  unV.  très  historiens  étrangers  ,  mais  particulièrement 

de  l'édition  de  Paris ,   iGic).  NoTti  i|uc  Gabriel  par  deux  des  nôtres  ,  savoir  du  Bellay  Langey, 

Naudé   est  «lu  même  sentiment.   Les    4nnlais,  en  son   Arl  militaire,    et  par  du  Haillan ,  en 

dit-il   dans  le  IIIe.   chapitre  des   Coups   d'étal,  son  Histoire  ,  pour  ne  nier  ici  beaucoup  d'au- 

jiag,  m.  32S  ,  c'umt  presque  devenu*  maîtres  de  très  écrivains  d<-  moindre  considération 


47° 


IIAILLAN. 


pondit  quelle  vouloit  parler  au  roy.    toire  de  France  ne  peut  plaire  a  tous, 
Ils    luy  présentèrent  un  des   autres    comme  je  sçai  bien  qu'elle  ne  pourra 
seigneurs  qui  estoient-la  ,  luy  disant    plaire  aux  délicats ,  aux  ignorans  , 
que    c  estoit    le    roy;    mais  elle   in-    aux   envieux   (ausquels  aussi  je   ne 
struite  de  tout  ce  qui  luy  seroit  faict    veux  plaire  )  qui  donneront  leur  sot  , 
et  dict ,  et  de  ce  qu'elle  devoil  faire  et    leur  ignorant ,  et  leur  envieux  juge- 
dire  ,  dit  que  ce  n'estoit  pas  le  roy ,    ment   sur  elle ,  je  m'asseure  qu'elle 
et  qu'il  estoit  caché  en  la  ruelle  du   plaira  a  ceux  la  d'entre  vous  qui  tra- 
lict  (  la  où  de  vray  il  estoit  ) ,  et  al-    vaillez,  qui  scavez  ce  que  vaut  l'aune 
tant  l'y  trouver,  luy  dit  ce  qui  a  esté    du  labeur,  qui  avez  le  jugement  pur- 
dict  cy-dessus.  Ceste  invention  de  re-    gé  de  toute  passion,    et  qui  excusez 
ligion  fainle    et  simulée  profita  tant    honnestement  les  fautes  et  inadver- 
a  ce  royaume ,  qu'elle  releva  les  cou-    lances  qui  se  pourraient   trouver  en 
rages  perdus  et  abbatlus  du  desespoir,    un  si  grand  œuvre.  La  dernière  par- 
linjin  elle  fut  prinse  parles  ylnglois    tie  de  ce  passage  est  considérable,  et 
devant  Compiegne ,  et  menée  a  Rouen,    très-vraie  à  certains  e'gards  :  il  n'y  a 
là  ou  sonprocez  luy  estant  faict ,  elle    point  de  lecteurs  qui  soient  plus  ar- 
fut  bruslée.  Quelques-uns  ont  trouvé    dens  à  critiquer  ,  ni  plus  téméraires 
et  trouveront  mauvais  que  je  die  cela,    et  injustes  dans  leurs  censures  ,  que 
et    que  j'oste    a   nos  François    une    ceux  qui  n'écrivent  rien.  Un  auteur 
opinion  qu'ils  ont  si  longuement  eue    a  plus  de  sujet  de  se  promettre  quel- 
d'une  chose  saincte  et  d'un  miracle  ,    que  support,  et  quelque  équité  par- 


pour  la  vouloir  maintenant  convertir 
en  fable.  Mais  je  l'ay  voulu  dire  , 
pour  ce  qu'il  a  esté  ainsi  descouverl 
par  le  temps  oui  descouvre  toutes 
choses;  et  puis  ce  n'est  chose  si  impor- 
tante ,  qu'on  la  doive  croire  comme 
article  de  foy. 

(H)  Il  publia  certaines  choses  qu'il 
ne  savait  que  par  ouï-dire.]  C'est  sur 
un  tel  fondement  qu'il  publia  que 
Charles  VIII  avait  été  supposé.  Voyez 
les  Nouvelles  de  la  République  des 
Lettres  (43).  Varillas  réfute  ce  con- 
te (44) 


mi  les  auteurs  ,  que  parmi  les  autres 
gens  qui  ne  savent  pas  par  expérience 
les  difficultés  du  métier.  Bien  enten- 
du que  la  jalousie  ne  s'enjaèle  pas  ; 
et  quelquefois  elle  ne  s'et^^ftc  point, 
car  on  ne  marche  pas  VBurs  sur 
la  même  route  ;  la  réputation  des 
uns  n'est  pas  toujours  de  la  même  es- 
pèce que  celle  des  autres.  En  ce  cas- 
là  ,  il  vaut  mieux  être  jugé  par  un 
auteur  laborieux,  que  par  des  lec- 
teurs fainéans.  Dans  l'autre  cas,  ceux- 
ci  sont  encore  plus  équitables.  Mais 
revenons  à  du  Haillan.  Il  parle  ainsi 


(I)  //   témoigna  du  chagrin  de  se    vers  la  fin  de  sa  préface.  «  Cependant 

»  je  regarderay  mes  envieux  et  ca- 
»  lomniateurs  qui  portent  envie  et 
)>  haine  à  mon  labeur  ,  et  qui  contre 
»  luy  et  contre  moy  jecteront  les 
»  dards  de  leur  malice.  Pouvant  bien 
»  dire  véritablement ,  lecteurs ,  qu'en 
»  ma  fortune ,  en  mes  actions ,  et 
m  mes  escrits  ,  je  n'ay  esté  envié  ny 
»  hay  que  des  ignorans,  des  mes- 
»  cbans  ,  et  de  ceux  qui  ont  leur 
»  nom,  la  santé  de  leur  corps  ,  et 
»  leur  réputation  souillée  de  quel- 
»  que  vice.  «Les  tempêtes  de  critique 
qu'il  avait  prévues  arrivèrent  effecti- 
vement (45)-  Voici  ce  qu'il  marque 
dons  l'épître  dédicatoire  (46)  de  la 
seconde  édition  (4^).  Cest  œuvre 

(45)  Partout  ou,  parlant  de  srs  censeurs,  il 
s'était  servi  du  futur  dans  la  préface  de  la  pre- 
mière édition  ,  il  .se  sert  du  prétérit  dans  la  se- 
conde. 

(46)  A  Henri  III. 

(47)  Celle  de  l'an  1 5R'(. 


voir  critiqué  ,  par  la  fierté  avec  la 
quelle  il  repoussa  ses  censeurs .]  Com- 
me les  ouvrages  qu'il  avait  donnés  au 
public  avant  l'Histoire  de  France 
avaient  été  critiqués  ,  il  ne  douta 
point  que  cette  Histoire  n'eut  le  même 
sort  :  c'est  pourquoi  il  fit  le  lier  par 
avance  ;  il  mit  au  revers  du  titre  un 
sonnet  qui  sent  un  peu  le  Gascon  ;  en 
voici  les  six  derniers  vers  : 

Mille  et  mille  ignorans  ,  superbes  envieux  , 
Mesdisans,  estourdis,  vains  et  présomptueux, 
Te  voudront  attaquer  une  indigne  querelle. 
Mais  ne  crains  tout  cela,  nuis  passe  hardi- 
ment, 
Car  leur  presumption  ,  ny  leur  sol  jugement, 
Ne  pourront  empêcher  ta  carrière  immortelle. 

Dès  le  commencement  de  sa   préface 
il  fait  cette  observation  :  Si  cette  His- 

(43)  Mois  de  juillet  iGSU,  article  IX  ,  pas. 
825. 

(44)  Varillas,  Histoire  de  Louis   XI,    liv.  V, 
pag,  328,  édition  de  Hollande. 


HAILLAN.  47 1 

ne  fui  si  tost  né ,  qu il  fut  abbaye  et  bon    goût,    ni    autant  de  jugement 

mordu  par  l'envie  et  par  la  mesdi-  qu'un  autre  ,  généralement  parlant  ; 

sance  de  toutes  sortes  et  conditions  de  mais,  puisqu'il  a  étudie  de  certains 

gens,  les  uns  ouvertement  mes  enne-  sujets,   et  qu'il  s'y  est  exercé   avec 

mis,  et  les  autres  dissimulés  amis  ;  une    longue   application,    l'on    doit 

mesmes  il  y  en  eut  qui  faisans  bonne  croire    qu'il  juge  mieux  de  leur  na- 

mine ,   comme  en  toutes  leurs  actions  tare  et  îles  onicmcns    qui  leur  con- 

ils  la  faisoient ,  et  qui  cherchons  par  viennent ,  que  ceux  qui  n'en  ont  pas 

voyes  obliques  et  indirectes  vostre  fa-  fait    une    étude     particulière.     C'est 

veur  de  laquelle  ils  s'estoient  ajfir-  pourquoi  nous  ne   devons  pas  nous 

mez,  la  voulurent  acheter  par  l'un-  imaginer  que   certains  auteurs  agis- 

poslure  et  par  la  calomnie,  aux  des-  sent  imprudemment,  lorsqu'en  di- 

pens  de  ma  réputation  ,  et  de  celle  de  verses  rencontres  ils  préférèrent  leurs 

mon  histoire  ,  en  lui  donnant  en  vos-  lumières  à  celles  de  leurs  amis  ,  ou  à 

tre  présence  (Sire)  le  blasme  de  ce  celles  de  leurs  ennemis,  gens  au  reste 

dont  depuis  elle  a  esté  le  plus  esti-  plus    habiles   qu'eux.    In   écrivain  , 

niée,   et    qui    luy   donnera    jilus   de  moins   éclairé   généralement  parlant 

grâce  et  de  faveur  envers  la  postérité,  que  ceux  qui  ie  lisent,  aura  néan- 

qui  est  la  pure  vérité,  et  la  hardiesse  moins  plus  de  vues  qu'eux  sur  les  su- 

au  langage.  Il  témoigne  encore  plus  jets  dont  il  traite;  et  pendant  qu'ils 

de  colère  et  plus  de  fierté  ,  en   finis-  ignoreront,  s'il  a  eu   quelque  raison 

sant  sa  préface.  Ceux-là,  dit-il,  usans  de  dire  telles  et  telles  choses  ,  il  sau- 

de  leur  malice  accoutumée ,  ont  esté  ra  que  plusieurs  motifs  raisonnables 

du  nombre  de  ceux  qui  se  sont  atta-  et  fondés  sur  le  caractère  de  son  ou- 

quez  a  moi  ;  mais  je  me  suis  proposé  vrage  l'y  auront  porté.  De  là  naissent 

de    regarder   si    attentivement    leur  une   infinité    de   censures    très -mal 

ignorance  que  je  n'en  fais  que   rire,  fondées  5  de  la  vient  encore  qu'il  se- 

et  me  couvrirai  du  voile  de  la  vérité,  et  rait  juste    d'étudier    bien  les   règles 

de  la  bienreud/ance  de  ceux-là  d'en-  avant  que  de  prononcer  si  un  ouvra- 

tre  vous ,  lecteurs,  qui  avez  leu  et  qui  ge  est  bon  ou  mauvais.  Par  exemple, 

lirez  mon  œuvre   avec  jugement,  et  pour  bien  juger  de  l'histoire   com- 

quil'  avez  pris  et  le  prendrez  en  bonne  mentée  que  je  nomme  Dictionnaire 

part;   car  c'est  pour  vous  pour  qui  historique  et  critique,  il  faudrait  avoir 

il  est  faict ,    non  pour  les  envieux,  étudié  les  droits  et  les  privilèges  d'un 

ignorons  et  malicieux  qui  ne  peuvent  historien  commentateur  ;  et  là-dessus 

rien  voir  de  bon  ,  et  qui  ne  sçavent  ni  je  pourrais  dire  comme  du  liai  11. m  , 

juger,  7ii  estimer  ce  qui  est  digne  de  Je  sais  mieux  ce  que  j'écris  qu'un  tel 

quelque  louange.    Parmi    les    choses  ne  sait  juger  de  mes  écrits.  J'ai  étu- 

qn  il   a    dites   à  ses  censeurs  ,  j'en  ai  die  la  nature  et  les  attributs  des  com- 

trouvé  une  qui  rtiérite  d'être  pesée,  pilations  ;  si  elles  plaisaient  partout 

«  Si  quelquefois  je  nomme  des  hom-  aux  mêmes  gens,    elles  ne  seraient 

»  mes,  le  nom   desquels  le  lecteur  pas  bonnes  5  ceux  qui  n'en  connais- 

»  trop  chatouilleux  dira  n'estre  pas  sent  pas  le  caractère  n'y  voudraient 

3)  une  aflàire  d'estat ,  je  luy  respon-  trouver  que  ce  qui  est  de  leur  goût. 
)>  drayqu'ilm'asembléainsi,quej'ay        Encore  deux  passages  de  du  Hail- 

»  aussi  bien  mon  jugement  que  lui  lan  ,  qui  nous  apprendront  qu'il  fut 

»  le  sien,  et  que  (  tel  pourra  il  estre)  critiqué,   et   qu'il  s'en    fâcha.   Mes 

»  je  sçay  mieux  ce  que  j'eseris  qu'il  œuvres  ,  sire ,  n'ont  peu  éviter  les 

j)  ne  sçait  juger  de  mes  escrits  (48).  »  abois  et  les  morsures  de  la  calumnie, 

Voilà   ce    que   bien   d'autres  auteurs  et  de  l'envie ,  et  des  mesdisans  et  ca- 

peuvent    et    doivent    représenter   à  lumniateurs  ,  des  aiguillons  desquels 

leurs  critiques.  Un  homme  qui  s'est  non-seulement  mes  ccrits  ont  esté  pi- 

occupé  plusieurs  années  à  une  espèce  quez  ,  mais  aussi  le  cours  de  ma  jor- 

d'ouvrage  connaît  mieux  qu'un  au-  tune  en  a  esté  blessé  ,  ulcéré  et  anvs- 

tre  quelles  en  sont  les  propriétés.  Il  té  :  semble   que    quelques  l'ayons  de 

n'aura  pas  ,  si  vous  voulez,  autant  de  vertu  et  et  capacité ,    que  mes  enne- 

r/o\  n     ti   11  </•       j    ira-  .  •      j  "***  cognoissoient  en  moy ,  faisoient 

(48)    Du   Haillan ,   préface   de  {Histoire  de  ,      "  ,      ■  T    *  J 

France,  PaS.  m.  18.  Je  me  sers  ici  de  ledit,  de  mal  aux  yeux  de  leur  ignorance  et 

i577,i/!-80.  malice,  et   que  ma  lumière  leur  es- 


JIAILLAN. 


toit  insupportable.  Maine,  sire,  en. 
vostre  présence  )' ay  este  calumnié  et 
si  mal  aecoustré ,  qu'il  n'a  pas  tenu  a 
tues  ennemis  que  je  n'aye  esté  arra- 
ché  de  vostre  faveur  et  bonne  grâce  , 
en  laquelle  seulle  j'ay  tous  jours  semé 
l'espérance  de  tout  mou  bien ,  et  les 
graines  de  ma  très-humble  et  très- 
devote  servitude;  mais  vostre  bonté 
et  sage  jugement  ,  sire  ,  les  a  fait 
trouver  imposteurs  ,  et  ma  délivré  de 
la  crainte  du  mal  qu'ils  me  procu- 
raient (4q)-  C'est  ce  qu'il  dit  à  Hen- 
ri III ,  l'an  i58o,  en  lui  dédiant  une 
nouvelle  édition  de  l'un  de  ses  livres. 
La  préface  du  même  livre  est  fou- 
droyante contre  les  censeurs  de  du 
Huillan  ;  j'en  ai  tiré  ce  qui  suit.  «  11 
»  y  a  bien  eu  quelques  esprits  bizar- 
»  res  (le  nombre  desquels  est  efl're- 
»  né  )  ,  accoustumez  à  mesdire  de 
»  tout  ,  et  à   blasmer  tout ,  pour  ce 


■)  l'Histoire  de  France  el  onl  fat) 
»  seulement  ce  que  fait  le  charbon 
»  mort,  qui  noircit  sans  pouvoir 
»  brasier  :  car  maigre  leurs  envies  , 
»  chiquaneries  ,  pédanteries  ,  mes- 
»  dissons  et  presumptions ,  mes  o'ii- 
»  vres  courent  par  le  monde  ,  ont 
»  emporté  une  grande  et  bonne  repu- 
»  tation  ,  et  sont  traduits  en  diverses 

»  langues Quant   aux  courtisans 

»  mesmes  qui  ont  mesdit  de  mes 
»  œuvres  ,  et  qui  les  ont  voulu  ren- 
»  dre  odieuses ,  ce  sont  des  hommes 
»  accoustumez  à  dcsrober  l'honneur 
»  d'autruy  ,  quand  les  moyens  de 
»  desrober  autre  chose  leur  defail- 
»  lent  (5o).  » 

(K)  On  n'a  pas  tort  dans  toutes  les 
choses  qu'on  lui  critique  :  je  le  mon- 
trerai par  un  passage  du  sieur  Sorcl.} 
Il  contient  une  critique  raisonnable 
le  quelques  défauts  de  du  Haillan 


qu'ils  sont  morfondus  du  catarrhe    et  quelques  petits  éloges  aussi.  Il  a 


de  l'ignorance  et  de  la  presump- 
tion,  qui  ne  l'ont  voulu  gouster. 
De  ceux-là  ,  les  uns  sont  courtisans 
ordinaires  ,  les  autres  sont  du  pa- 
lais ,  les  autres  du  collège ,  les  au- 
tres sont  quelques  mignons  crestez 
venans  nouvellement  des  universi 
tezavec  trois  bandes  de  1 
robe,  et  un  eschantillon 


voulu  même  imiter  l'élégance  des 
meilleurs  historiens  ;  mais  pour  y 
avoir  moins  de  peine  ,  il  a  presque 
traduit  mot  à  mot  toutes  les  haran- 
gues de  Paul  Emile,  el  il  l'a  encore 
suivi  dans  ses  narrations.  Il  est  vrai. 


les  universi-  qu'ily  a  ajouté  beaucoup  de  remar- 

atin  sur  leur  ques  curieuses  qu'il  a  tires  d'ailleurs. 

n  d'honneur  On  lui  peut  reprocher  d'avoir  donné 

»  acheté,  qui  furctans  tous  les  livres  un    commencement  fabuleux  a   son 

»  font  profession  de  les  mespriser  et  histoire ,   qui  est  entièrement  de  son 

»  rejetter  ,    s'ils    y  voyent   quelque  invention  ,  ayant  fait  tenir  un  conseil 

»  lettre   mal  couchée  ,   ou    s'ils  n'y  entre  Pharamond  et  ses  plus  fidèles 


trouvent  ce  qu'ils  n'y  sçavent  pas 
chercher.  Les  autres  sont  quelques- 
uns  qui  font  profession  d'escrire  , 
lesquels  ,  entiez  et  gros  de  livres, 


conseillers  ,  pour  savoir  si,  ayant  la 
puissance  en  main,  il  devait  réduire 
les  Français  au  gouvernement  aristo- 
cratique ou  monarchique  ;  et  faisant 
»  toutes  les  sepmaines  en  engendrent  faire  une  harangue  à  chacun  d'eux 
»  un,  en  remplissent  les  boutiques  pour  soutenir  son  opinion.  On  y  voit 
»  des  libraires,  parlent  hardiment  les  noms  de  Charamondet.de  Qua- 
»  d'un  chascun,  mesprisent  les  œu-  drek ,  personnages  imaginaires  :  c'est 
»  vres  d'autruy  ,  et  n'approuvent  une  chose  fort  surprenante.  On  est 
»  que  les  leurs.  De  ceste  dernière  es-  fort  peu  assuré  si  Pharamond  fut  ja- 
»  pece  d'hommes  ,  il  y  en  a  qui  sont  mais  au  monde  ,  et  quoiqu'on  sache 
>}  comme  singes;  car  s'ils  voyent  qu il  y  ait  été  ,  c est  une  terrible  har- 
»  qu'un    autre    fasse    un    œuvré,    à    diesse  d'en  raconter  des  choses  qui 


»  trente  pas  delà  ils  en  enfantent  un 
»  autre  tout  avorton  ,  auquel  ils  font 
»  porter  un  semblable  nom.  Toutes 
))  ces  sortes  de  gens  m'ont  attaqué  , 
»  pincé  et  abbaye  ,  non  toutefois 
»  mordu  ,  et  n'ont  fait  aucun  mal  à 
»  mon  œuvre  présent ,  ni  à  celuy  de 

(4n)  Ou  Haillan  ,  éptlre  dédioatoire  du  l'Étal 
el  Succès  des  olïai  es  de  l;r.incc  ,  a  V  édition  de 
i58o. 


n'ont  aucun  appui.  Du  Haillan  en 
est  repris  par  le  sieur  Dupleix  ,  qui 
lui  reproche  qu'il  a  tiré  ses  harangues 
d' Amadis  de  Gaule;  mais  l'jfma- 
dis  ne  contient  point  de  ces  sortes  de 
discours  politiques.  Il  faut  croire  que 
Dupleix  ne  l'a  allégué  en  celle  ren- 
contre ,  qu'afin  défaire  entendre  qui 

(5o)  I.c  même ,  a  la  préface  du  même  litre  , 
ii  la  même  édition. 


HAILLAN.  473 

du  Haillan  avait  invente  cela  comme  bienfaits  de  fy  .  .47.,  qu'à  faire  ou  lire 
pour  composer  une  manière  de  roman,  des  livres  ,  pour  me  donner  tout  et 
Il  est  vrai  que  si  cela  ne  se  trouve  du  tout  a  i accomplissement  de  cet 
dans  l '  Amadis  ,  cela  se  trouve  en  œuvre  ,  duquel  je  sortis  après  quatre 
beaucoup  d'autres  endroits  ;  ce  sont  années  employées  à  son  basliment  , 
des  lieux  communs  qu'on  voit  ordi-  après  plusieui's  journées  passées  en 
nairement  dans  les  livres ,  qui  parlent  estude,  en  solitude ,  et  en  grand  rom- 
d' un  sujet  si  trivial  comme  sont  les  peinent  de  teste  ,  après  plusieurs  veil- 
diverses  formes  de  gouvernement.  Du  les,  après  plusieurs  nuits  à  detny 
Haillan  est  accusé,  d'un  autre  coté ,  veillées  ,  et  après  une  grande  lec- 
d' avoir  eu  des  discours  un  peu  libres  tui^e  ,  feuillelement ,  remuement  et 
louchant  quelques  ecclésiastiques  ;  accord  de  plusieurs  livres  latins  , 
mais  ill '  a  fait  possible  pour  se  montrer  français  et  italiens,  tant  anciens  que 
bon  serviteur  de  nos  rois ,  et  soutenir  modernes,  et  de  plusieurs  monu- 
leur  autorité.  Cela  n'empêche  pas  que  mens,  papiers,  filtres,  paperasses 
ses  écrits  ne  soient  plus  judicieux  et  et  panchartes  feuilletées  et  tournées, 
plus  méthodiques  que  ceux  qu'on  J'y  ay  tant  eu  de  peine  (  sii'e  )  que 
avait  vus  auparavant.  On  s'instruit  si  lors  que  j'entrepiïns  cest  œuvre 
dans  son  Histoire  de  beaucoup  de  j'eusse  sceu  ou  pensé  le  travail  qu'il 
parliculai'ités  du  gouvernement  fran-  yfalloit  prendre,  et  que  j'y  ay  prins, 
cuis  ,  qu'il  entendait  assez  bien ,  com-  je  me  fusse  excusé  envers  vos  3/ajes- 
me  il 'a  fait  connaître  encore  dans  son  tez  ,  et  n'y  eust  eu  ni  don  ,  ni  pro- 
•  livre  de  l'Etat  et  succès  des  affaires  messe,  ni  désir  ou  espérance  d'hon- 
de  France.  Enfin  il  est  louable  d'à-  neur ,  de  gloire  ou  d'avantage ,  qui 
voir  entrepris  le  premier  de  mettre  ni  eust  peu  induire  a  l'entreprendre, 
notre  histoire  en  une  belle  et  agréable  H  montre  ensuite  fort  amplement  les 
forme  ,  de  quoi  il  s'est  acquitté  selon  imperfections  des  historiens  (54)  qu'il 
les  connaissances  qu'on  avait  de  son  lui  a  fallu  consulter  ;  et  puis  il  ajou- 
temps  (5i).  te  :  De  toutes  ces  confusions ,  diver- 

(L)  Il  étale  trop  ses  travaux  et  le  sitez  >  prolixitez,  et  labyrinthes  (  si- 
succès  de  ses  livres....  et  il  témoigne  re)  Je  •$"«  sorii ,  et  ay  fait  l'His- 
trop  visiblement  qu'il  voulait  être  ré-  toire  de  France  et  des  roys  vos  an- 
compensé.}  Commençons  par  ces  pa-  eestres  le  mieux  qu'il  m'a  esté possi- 
roles  de  son  Épître"  dèdicatoire  de  Me- Je  n  ay  pas  peu  la  faire  si  bien 
l'Histoire  de  France  (52).  Depuis  qu'elle  le  mérite ,  je  n  ay  peu  luy 
lors  (53)  jusques  en  l' an  \5-~6 ,  qu'il  donner  sa  perjection  ,  et  ne  veux 
fut  premièrement  imprimé ,  je  tra-  Masmer  les  morts  ny  leur  ouvrage 
vaillai,  nuit  et  jour  ,  a  ceste  his-  pour  donner  louange  et  advantage  au 
loire  ,  h  la  sueur  et  peine  de  mon  mien.  Mais  seulement,  sans  presump- 
corps  ,  aux  despens  de  mes  années,  au  Ûon  et  vanlcrie  ,  je  dtray  que  j' ay 
grand  travail  de  mon  esprit,  et  h  fait  chose  qui  n'a  encore  esté  faite  par 
ta  despence  de  ma  bourse,  au  re-  autre,  ny  veue  de  nos  François  ,  et 
couvrement  des  livres  ,  tiltres  ,  me-  af  donné  a  l'Histoire  de  France  une 
moires,  encharlemens ,  et  autres  mo-  robbe  dont  elle  n'avoit  encores esté 
mtmens  qu'il  m'a  convenu  avoir  pour  parée Il  y  en  a  qui  Jeronl  l  /lis- 
te basùnient  d'un  si  grand  ouvrage  ,  toire  de  France  aussi  bien  et  mieux 
etay  abandonné  mes  affaires  et  les  nue  moi ,  et  d'autre  pis  ;  mais  si  je 
moïens  de  les  accommoder  au  temps  '/e  Xaig"e  le  pi-emier  rang  entre  eux, 
que. chacun  h  ma  veue  accommodoit  je  m'asseure  de  n'estre  mis  au  det- 
tes siens  ,  et  que  plus  qu'aux  autres  nier.  J'ai  trouvé  moyen  de  tirer  l,i 
siècles  chacun  s  esludioit  plus  'a  gai-  Quinte  essence  de  ces  grosses  masses 
gner  et  profiler,  et  attirer  des  dons  et    d'histoires  antiques  ,  île  réduire  leur 

superabondance  ,   super/luité  et  lon- 

(5t)  Sorel,  Biblioili.  française  ,  pag.  m.  >ti  ,    gueur  en  choses    nécessaires  cl   non 
3:4-  superflues  ,   et  outre  cela  ,  ne  m'es- 

(52)  Dm  Haillan  ,  fpUre  dèdicatoire  de  l'édi-    fant  voulu  lier  à  nos  histoires  et  chro- 

tzi\  n>   .-  i-        i  -       r       i  niques,  i  av  tin  des  cslrangcrs  et  des 

(5j)  C  esla-duc ,   dijmis   <ju  en  1S71  ,  le  roi  I         '  J     ./  a 

lui   donna   ordre   de    composer   /'Histoire     de 
France.  (54*  Il  les  montre  aussi  dans  la  préface. 


474 


IIAILLAN. 


registres  des  courts  de  parlemens,  des  v  par  dedans  mon  histoire,  l'ayant  en 
chambres  des  comptes  ,  des  charlres  »  quelques  endroits  enflée  de  deux  et 
des  églises  ,  et  de  quelques  livres  qui  »  trois  feuilles  ,  d'autres  de  moins  , 
m'ont  esté  prestez  par  quelques  miens  »  il  attend  ceste  impression  pour  ad- 
amrs  ce  que  je  cognoissois  pouvoir  »  jouster  à  sa  version  latine  ce  que 
servir  a  ma  matière.  Mon  seul  but  a  »  j'ay  adjousté  à  ma  composition 
esté  la  vérité,  qui  est  l'œil  de  l'his-  »  françoise  :  de  façon  que  bien  tost 
toire  ,  etc.  Il  répète  dans  sa  pre'face  »  vous  (  sire  ) ,  les  vostres  et  les  es- 
une  bonne  partie  de  ces  choses  :  J'y  »  trangers  verront  cest*  histoire  en 
ai  travaillé,  dit-il,  par  l'espace  de  »  langage  latin.  »  Joignez  à  cela  ce 
cinq  années  ;  j'y  ai  despendu  plu-  commencement  de  sa  préface  (5j). 
sieurs  journées  et  deminuictées  •  plu-  Je    desirois    que    mon    Histoire    de 


tes ,  papiers  et  paperasses  ,  y  ont  es- 
té leues,  J'euilleltées,  tournées  et  ren- 
versées. J'ay  eu  plusieurs  livres  la- 
tins ,  français  et  italiens  ,  traitans 
les  Histoues  de.  France ,  d' Angle- 
terre ,  d'Allemaigne,  d'Italie,  d-JEs- 


esté  du  tout  vain  ;  car  elle  a  telle- 
ment pieu  a  ceux  qui  ont  du  juge- 
ment ,  que  depuis  ce  tems  l'a  elle  a 
esté  imprimée  souvent  et  en  divers  vo- 
lumes ,  tant  en  ce  royaume  que  de- 
hors ,   et  leue  et  relene  par  tous  les 


paigne  ,  de  Flandres  ,  d'Escosse  ,  de  habiles  hommes  de  la  France,  et  par 

Bourgogne ,  de  Bretagne,  d'Anjou,    beaucoup   d'estrangers Or,  lec- 

de  Berry ,  d'Aquitaine  ,  des  guerres  teurs  ,  ayant  veu  mon  labeur  si  bien 
saintes  en  Asie  et  en  Europe  ,  des  reuscir ,  et  eslre  si  bien  receu  ,  tant 
vies  des  papes  et  des  empereurs  ,  et  Par  ^es  eslrangers  que  par  les  nos- 
une  infinité  d'autres  ,  avec  infinité  tres  >  e*  tant  de  j'ois  reimprimé  et 
de  panchartes  et  anciens  monumens.  souhattté  ,  je  l'ai  corrige  et  de  beau- 
De   tout   cda  j'ay  tire   la   quinte  es-  coup  augmenté  par  le  dedans  ,  et  en- 


sence  ,  je  l '  ay  distillée  a  l  alambicq 
de  mon  jugement,  et  de  mon  travail , 
je  vous  en  fay  voir  la  distillation  par 
ce  mien  œuvre. 

Si  vous  voulez  savoir  ce  qu'il  ra- 
conte du  succès  de  son  ouvrage,  li- 
sez ce  qui  suit  (55)  :  «  Mon  bistoire  , 
33  qui  a  vaincu  leur  envie  ,  et  celle 
i>  de  tous  ceux  qui  en  ont  mesdit  , 
»  vivra  tant  que  le  langage  françois 
»  aura  vie  et  cours  en  vostre  France. 
■»  Depuis  sa  première  e'dition  ,  elle  a 
»  esté  plusieurs  fois  imprimée  ,  tant 
»  en  vostre  dit  royaume,  que  dehors 
j)  icelui ,  en  divers  volumes  et  ca- 
3>  racteres  ,  et  mise  en  langue  latine 
»  par  Pierre  Boulanger  (56),  instruc- 
)>  teur  de  la  jeunesse  au  collège  de 
»  Loudun  ,  homme  de  bonne  vie  et 
»  de  grande  érudition  ,  et  qui  en  ses 
«  escrits  latins  représente  autant 
)>  qu'homme  de  l'Europe  la  pureté'  et 
3)  la  douceur  de  Ciceron.  Mais  d'au- 
»  tant  (  sire  )  que  de  nouveau  j'ay 
»  de  beaucoup  augmente  et  engrossi 

(55)  Du  Haillan,  épîire  dédicaloire  de  /l'His- 
toire de  France  ,  a  l'édition  de  i534. 

(56)  Voyez  son  éloge  dans  Sainte-Martlie  , 
tiv.  I,  pat;,  m.  44  :  Hy  est  parlé  de  cette  version. 
Il  fui  pire  de  Jules  tiœsar  Bullengérus. 


richy  de  plusieurs  curieuses  recher- 
ches. En  dédiant  à  Henri  III  son  ou- 
vrage de  l'Etat  et  Succès  des  aflai- 
res  de  France ,  l'an  1 58o ,  il  s'expri- 
me de  cette  façon  (58)  :  «  Je  suis 
3»  (  sire  )  le  premier  d'entre  les  Fran- 
3)  cois  qui  ay  fait  l'Histoire  de  Fran- 
»  ce  ,  et  qui  ay  ,  par  beaux  escrits , 
»  monstre  la  grandeur  et  l'honneur 
»  de  nos  roys  :  car  auparavant  il  n'y 
»  avoitque  des  vieux  fatras  de  chro- 
33  niques  qui  en  parlassent.  Mes  œu- 
»  vres  sont  veues  et  leues  par  toute 
»  la  ebrestienté ,  et  mises  en  diver- 
33  ses  langues  ,  et  en  vostre  royaume 
»  y  a  un  tressçavant  homme  qui  a 
»  mis  l'Histoire  de  France  en  latin  , 
33  preste  à  sortir  en  lumière ,  et  à  se 
3)  présenter  à  vostre  Majesté  vestue 
»  d'une  robe  latine.  Je  ne  suis  de  ces 
')  hardis  et  ignorans  escrivains  qui 
»  enfantent  tous  les  jours  des  livres, 
33  qui  en  font  de  grosses  forests,   et 

(57)  Du  Haillan,  a  la  préface  de  la  même 
édition. 

(58)  Le  même,  épîlre  dédicaloire  de  {'Etat  et 
Succès  des  affaires  de  Fiance ,  il  l'édition  de 
l58o  :  il  avait  déjà  dit  ;  J'ai  satifait  à  tous  ces 
poincts  au  grand  corps  de  mon  œuvre  de  l'Histoire 
de  France  que  je  vous  ay  dédie,  sire,  et  qui 
court  par  toute  la  ehrestienté. 


)>  qui ,  en  leurs  estucks  obscures  , 
»  esquelles  ils  ne  voient  pas  la  lu- 
»  miere  des  affaires  du  monde  ,  par- 
»  lent  et  escrivent  hardiment  et  à 
»  tort  et  à  travers  des  affaires  d'estat 
»  de  ce  temps ,  des  plus  secrets  et 
»  importans  de  vos  conseils,  jugent 
»  de  tout ,  se  passionnent  pour  l'un 
»  et  contre  l'autre  ,  louent  ceux  qui 
»  leur  donnent  de  l'argent  ,  font 
»  d'un  grand  capitaine  et  d'un  chef 
»  d'armée  un  simple  ergoulet ,  et  ne 
»  vivent  que  de  la  vente  de  leurs 
»  presumptueux  escrits.  Aussi  tels 
»  escrivains  les  verront  mourir  de- 
»  vant  eux  ,  et  assisteront  honteuse- 
»  ment  à  leurs  funérailles.  J'ay  ap- 

»  pris  ,    sire   (09) »   Voyons  le 

commencement  de  la  préface  de  ce 
même  livre.  Plusieurs  d'entre  vous 
(  lecteurs  )  qui  verrez  ce  présent  œu- 
vre ,  que  j'ay  de  nouveau  reueu  ,  et 
de  beaucoup  augmenté  et  enrichy  , 
V auront  cy  devant  veu  imprimé  en 
plusieurs  sortes  de  volumes  et  de  ca- 
ractères depuis  sa  pi'emiere  édition 
de  l'an  mil  cinq  cens  soixante  et  dix. 
Car  despuis  ce  temps-là ,  il  n'y  a  eu 
année  qu'il  n'ait  esté  reimprimé  (60)  , 
ayant  donné  contentement  a  ceux  qui 
l'on  veu,  et  qui  trouvent  bon  ce  qui 
est  bon.  Quand  il  dédia  ce  même  li- 
vre à  Henri  IV,  l'an  i5g4,  voici  ce 
qu'd  en  dit  à  ce  prince  :  Il  a  couru  et 
veu  le  monde  ,  il  a  esté  bien  receu 
dedans  et  dehors  vostre  royaume,  et 
les  eslrangers  lui  ont  jaict  parler  leur 
langue. 

Pour  ce  qui  concerne  le  désir  des 
récompenses  ,  on  l'a  pu  voir  assez 
clairement  dans  les  passages  que  j'ai 
déjà  rapportés  ;  mais  on  le  verra  en- 
core plus  clairement  dans  celui-ci 
(61):  J'ay  Jaict  cet  œuvre  en  quatre 
hyvers  ,  saisons  propres  pour  esc.rire 
et  estudier ,  et  y  ay  employé  peu  de 
jours  des  estes  ,  qui  ne  me  semblent 
pas  pouvoir  endurer  le  travail  de 
l'escriture  et.  de  l'estude ,  comme  sont 
les  jours  courts  et  froids  ,  que  j'ai 
employez  h   ce   labeur.  Aussi   ay-je 

(5ct)  Vous  trouverez  la  suite  de  ce  passage  ci- 
dessus  ,  remarque  (C)  ,  citation  (n). 

(Go)  Plus  bas  il  parle  ainsi  :  Je  vous  dirai  que 
comme  l'imprimeur  qui  depuis  dix  ans  l'a 
reimprimé  tous  les  ans,  l'a  voulu  faire  réimpri- 
mer de  nouveau.  Nota  que  cette  préface  Jut 
écrite  en  i5So. 

(61)  Du  Haillan  ,  éptlre  de'dicaloire  de  ï'His» 
toire  de  France,  à  l'édition  de  i584- 


HAILLAN.  475 

peur  de  m'y  estre  morfondu  ,  si  le 
soleil  de  vostre  Majesté  ,  par  les 
rayons  deses  liberalitez  et  bien-faicls, 
ne  lui  donne  quelque  chaleur.  Il  n'y 
a  en  vostre  royaume  aucun  homme 
de  lettres  qui  excelle  en  quelque 
science  ,  ou  qui  ait  fait  quelque  bel 
œuvre  ,  qui  n'ait  receu  du  bien  de 
vous  ,  et  tous  vos  anciens  serviteurs 
sont  colloquez  en  honneurs  et  di^ni- 
tez  ,  et  pleins  et  riches  de  vos  bien' 
faicls  et  dons  Je  suis  le  premier  qui 
ait  escrit  l'histoire  tics  /•<>>-/  vos  an- 
ceslres  ,  cl  (  possible  )  le  seul  qui 
l  ayefaicte  en  bel  ordre  et  beau  lan- 
gage,  et  entre  vos  serviteurs  je  suis 
des  premiers  et  des  plus  anciens  ,  et 
toutes-fois  je  suis  le  seul  et  dernier  a 
pourvoir  ,  et  non  le  dernier  en  mé- 
rite. J'ay  travaille  et  travaille  ordi- 
nairement pour  le  public  ,  plus  que 
pour  moi,  et  me  suis  seulement  mes  lé 
défaire  des  livres  ,  mais  aussi  j'ay 
esté  quelquefois  employé  en  voïages 
aux  pays  estrangers ,  et  parmi  les 
affaires  que  j'ay  veu  depuis  vingt- 
neuf  ans  (62)  que  je  suis  courtisan  , 
j'ay  apprtns  comment  il  faloil  escrire 
les  histoires  ,  parler  des  roys,  et  trai- 
ter et  escrire  des  affaires  (Testât.  Voi- 
là le  langage  d'un  auteur  qui  n'est 
pas  content ,  qui  se  plaint  de  ne  s'ê- 
tre pas  enrichi  ni  avancé  aux  hon- 
neurs par  les  productions  de  sa  plu- 
me ,  et  qui  demande  qu'elle  vienne 
enfin  cette  récompense  de  ses  tra- 
vaux si  souhaitée ,  si  bien  méritée. 
On  trouve  la  même  plainte  à  la  fin 
d'une  préface  qu'il  publia  l'an  i58o. 
J'ay  pris  ceste  peine,  dit-il  [63),  pour 
servirait  public  ,  auquel  je  pense  pro- 
filer et  avoir  profité  par  mes  la- 
beurs. Dequoy  je  recois  un  singulier 
contentement  ,  car  j'ay  travaille  a 
ceste  intention,  ylussi  est-ce  presque 
toute  la  recompense  que  j'en  ay  ,  et 
je  me  sentiray  bien  satisfait  de  ce  der- 
nier labeur,  quand  je  sauray  que  vous 
l'aurez  eu  agréable. 

On  croira  ce  qu'on  voudra  de  ce 
que  je  vais  rapporter  ,  je  cite  mon  au- 
teur  (c<4)  :  (t    Henri-le-Grand lit 

»  un  jour  un  repart  au  sieur  du  Hail- 

(Gi)  Son  épîlre  de'dicaloire  est  datée  du  i'r. 
d'août  i584- 

(63)  Du  Haillan  ,  préface  de  l'Etal  et  Succès 
des  affaires  de  France  ,  a  l'édition  de  i58o. 

(64)  Garasse ,  Recherches  des  Rcchcrhcs , 
pag.  g4l  ,  r,',-. 


476  HAILLAN. 

»  lan Car  comme  du    Haillan  ,  se  plaindre  de    la  petitesse    des    ré 

»  homme vain et  sujet  à    sa  compenses,  à  étaler  leurs  services  ,  à 

»  bouche parloit  un  jour  au  feu  murmurer  si  on  les   oublie   pendant 

»  roy  trop  librement,    se   plaignant  que  l'on  songe  à  d'autres,  à  menacer 

»  du  peu  de  gages   qu'il   recevoit  de  de  se  retirer,    à    faire   paraître    leur 

»  sa   libéralité,    osa  luy    dire,    sire  mécontentement  par  des  démarches 

»  vous   savez  que  j'ay  deux  plumes  brusques  ,  audacieuses,  etc.  Ces  mes- 

»  en  qualité  d'historien  public ,  til-  sieurs-là  se  croient  d'autant  plus  per- 

»  tre  dont  il  a  pieu  à  votre  majesté  mis  d'exiger  des  récompenses  magni- 

»  m'honorcr ,    la   première   d'or,  la  fiques  ,  qu'ils  se  persuadent,  que  leur 

»  seconde    de   fer  ;  avec  ma    plume  maître,   un    roi,   ou  un    souverain, 

>'  d'or  je    rends  immortels  ceux  qui  le  public  en  un  mot,  ne  tombera  point. 

»  me  font  du  bien  et  de  l'honneur,  dans  l'indigence,  quoiqu'on  soit  une 

»  et  par  ma  plume  de  fer  je  ternis  la  sangsue  bien  affamée  sur  sa  peau,  et 

»  réputation    de   ceux  qui    ne  con-  qui  suce  fortement  (65).  Ne  me  citez 

»  gnoissent  pas    les   mérites  de   mes  point  un  tel  et  un  tel  qui  se  sont  rui- 

»  travaux.  A  cestc  harangue  le  roy  ,  nés  au  service  de  leur  prince;  et  tel 

»  qui  cognoissoit  le  défaut  de  l'hom-  grand  seigneur  dont  'toutes  les  terres 

»  me,  lequel  estoit  au  gorgerin,  non  et  l'hôtel  même  sont  en  décret.  Ce  ne 

»  pas  au  gantelet  ou  à   la    cuirasse,  sont  point  là  des  exemples  de  désin- 

»  luy  ditavec  une  promptitude  royal-  téressement.  Le  zèle  pour  la   patrie 

»  le   et  merveilleuse  :  Monsieur   du  n'est  point  la  cause  d'une  telle  pau- 

J)  Haillan  ,  je  ne  pense  pas  que  vous  vreté  :  l'esprit  mercenaire,  ouïe  luxe 

»  ayez  une  plume  d'or  ;  car  il  y  a  long-  et  la  débauche   l'ont  produite.  On   a 

»  temps  que  vous  vous  l'eussiez  pas-  cru   qu'en  paraissant  à  la   cour  ou  à 

>•  sée  par  le  bec  ».  l'armée  avec   de  grands    équipages  , 

(M)  On  pourrait  faire   sur  le  por-  inutiles  au  fond   à    l'égard  du  bien 

trait  de  du  Haillan  un  si  grand  nom-  public,  on  parviendrait  plus  facile- 

bre  de   réflexions ,    que  personne    ne  ment  aux   récompenses  :  et  enfin    si 

trouvera  mauvais  que  j'en  fasse  quel-  l'on  s'est  ruiné,  ce  n'est  pas  pour  le 

ques-unes.~\  Il  n'est  pas  aisé  délais-  profit  de  l'état,  c'est  pour  satisfaire 

ser  passer  ceci  sans  y  ajouter  quelque  son  faste ,  et  d'autres  passions  particu- 

réflexion.  Une  personne  qui  deman-  Hères.  Les  Aristides    et  les  Fabrices, 

derait  si  ceux  qui  exercent  les  charges  qui ,  après  avoir  joui  des  plus  grandes 

publiq ucs  sont,  aussi  mercenaires  que  charges  et  passé  toute  leur   vie  dans 

les  valets  d'un  petit  particulier,  pa-  une  frugalité  merveilleuse,  n'avaient 

raîtrait    d'abord   faire   une   question  presque  rien  à  laisser  à  leurs  enfans  , 

absurde;  mais  après  un  bon  examen  sont  de  bons  exemples  de  l'esprit  non- 

on  trouverait   là    un  juste    sujet   de  mercenaire:  mais    où    trouve -t-on 

problème,  et  l'on  se  déclarerait  même  de  telles  gens? 

pour  l'affirmative.  Considérez  un  peu  Ce  qu'il  y  a  de  plus  fâcheux  est  de 
les  récits  des  nouvellistes,  imprimés  voir  queles  gens  de  lettres  ne  se  puis- 
ou  non  imprimés ,  et  les  conversations  sent  point  guérir  de  la  maladie  com- 
des  personnes  qui  ont  vu  long-temps  mime.  La  cour  et  l'armée  étant  des 
le  grand  monde  ;  consultez  les  his-  écoles  d'ambition  et  de  luxe  ,  et  par 
forions  qui  entrent  le  plus  dans  le  conséquent  de  faim  et  de  soif  des  ri- 
détail;  lisez  bien  surtout  ceux  qui  chesses ,  il  ne  faut  pas  trop  s'étonner 
donnent  des  mémoires;  si  vous  faites  que  l'on  y  apprenne  à  ne  rien  faire 
bien  tout  cela,  je  ne  doute  point  que  pour  rien,  mais  à  vouloir  être  large- 
vous  ne  tombiez  d'accord  qu'un  pan-  ment  récompensé  de  ses  services.  Et 
vre  laquais  est  à  proportion  moins  comme  c'est  une  passion  qu'il  n'est 
mercenaire,  et  plus  désintéressé,  que  pas  aisé  de  contenter  si  l'on  ne  vante 
la  plupart  des  personnes  qui  possè-  beaucoup  ce  que  l'on  a  fait,  et  si  l'on 
dent  les  grandes  charges,  soit  dans  la  ne  pousse  des  plaintes  de  n'avoir  pas 
maison  des  princes,  soit  dans  l'état,  encore  touché  une  juste  récompense, 
Ce  sont  des  personnes  qu'on  ne  con-  il  n'y  a  pas  lieu  de  se  tant  formaliser 
tente  presque  jamais ,  toujours  prêtes  „                                ...              .   , 

■      1       '         1           1                                 1  (t!5)  JVrc  misstua  <  ulein  nui  ulrna  f  ruons  ni- 

1  demander  de  nouveaux  honneurs,  l       rudo 

'I  de   plus  grands   appointemens  ,    à  Horat. ,  de  Arte  poël. ,  versu  uli. 


HAILLAN.  477 

de  celte  conduite.   Mais   il    scia  Ion-  de  dire  que  vous  n'avez   épargne  ni 
jours    raisonnable    de    déplorer   que  soin  ni  peine  pour  rendre  bon  votre 
l'étude   et    la    profession   des  lettres  ouvrage  :  votre  devoir  vous  engageait 
n'aient  point  produit  dans  le  creur  de  à    de  très-grandes  fatigues,  et  c'est 
du  Haillan  une  sagesse    qui  l'empè-  une    civilité  envers   le   public,    que 
chat  de  faire  tant   de  parade  de   ses  d'exposer  dans  une  préface,  qu'on  a 
travaux,  et  de  se  plaindre  de  la  me-  fait  tout  ce  qu'on  a  pu  pour  mériter 
diocrité    de    sa   fortune.  S'il  était   le  son  approbation.    Vous    deviez  vous 
seul  auteur  qui  en  eût  usé  de  la  sor-  arrêter-là,  et  ne  point  représenter  la 
te,  il  ne  faudrait  pas  s'en  soucier  :  le  grandeur  et  le  prix   de  vos   travaux 
mal  est  qu'il  copiait  en  cela  un  très-  comme  un  sujet  légitime  de  deman- 
grand   nombre   d'écrivains,    et    que  der  de  plus  grandes  récompenses,  et 
cent  autres  l'ont  copié ,  et.  le  copient  de  vous  plaindre  de  n'avoir  pas  été 
encore.  C'est  ce  qui  fait  un  grand  tort  assez  bien  payé.  Avez-vnus  peur  que 
aux  muses,  c'est  ce  qui  les  prive  delà  les  siècles  à  venir  ne  sachent  que  vos 
gloire  dont  elles  devraient  jouir  d'in-  veilles  et  vos  recherches  ont  mis  dans 
pirer  à  leurs  sectateurs  un  véritable  un  très-beau  joui  l'Histoire  de  Fran- 
dé.sintéressement  ,     et   un    généreux  ce  ,  mais  qu'elles  ne  vous  ont  pas  en- 
mépris  des  richesses  et  des   récom-  richi?  Quel  tort  cela  peut-il   faire  à 
penses  publiques.  Ils  ressemblent  aux  votre  mémoire?  Si  l'on  dit  que  vous 
autres  hommes,  dit-on,   ils  ne   sont  n'avez  pas   eu   l'industrie   d'amasser 
pas  moins  sujets  que  les  autres  à  l'am-  du    bien,  on    supposera    que    vous 
bilion  et  à  l'avarice,  les  deux  mala-  manquiez   d'une    qualité    qui    n'est 
dies  populaires  du  cœur   humain.   Il  guère  bonne.  Votre  gloire  n'en  souf- 
est  sur  que  le  désir  de  vivre  à  son  aise  frira  pas  ;  dormez  en   repos.  Si  l'on 
par  le  moyen  d'un  bon  revenu  n'est  dit  que  cette  industrie  ne  surpassait 
point  l'unique  raison  des    vanterics  point  vos  forces,   mais  que  vous  ne 
et  des  plaintes  de  du  Haillan  ,  et  de  vous  êtes  pas  soucié  de  vous  en   ser- 
ses  semblables  :  l'orgueil  y   a    bonne  vir,  content  de  vos  livres  et  de  vos 
part.    Ils  s'imaginent  que    le  public  études,  et  de  consacrer  votre  temps 
aura  une  grande  estime  et  pour  leur  à  l'instruction  du  public,  ne  sera-ce 
personne  et  pour  leurs  ouvrages,    si  point  vous  donner    un  très-bel    élo- 
l'on    apprend   qu'ils    ont  touché   de  ge?  Ne  sera-ce  point  un   préjugé  en 
grosses  pensions  (66)  :  il  y  a  bien  du  faveur  de  vos  ouvrages  ?  Si  le  mépris 
mécompte  là-dedans  :  quelques  par-  des  richesses,  et  si  votre  application 
ticuliers,  je  l'avoue,   se  laissent  sur-  continuelle  à  composer  de   bons    li- 
prendre  à  cet  extérieur,  et  font  ce  vres   vous    exposaient    au    péril    de 
raisonnement    sophistique    :    un    tel  mourir  pauvre ,  vous  devriez  souhai- 
auleur  a  obtenu  de  beaux  emplois  ,  et  ter  que  cela  fût  mis  dans  votre  épi- 
va  en  carrosse;  donc  il'a    un  grand  taphe  (67).  Cela  vous  vaudrait  un  bon 
mérite,    et  ses  ouvrages   sont   bons;  titre  de  noblesse  dans  la  république 
mais  le  public  donne  rarement  dans  des  sciences  :  ce  chemin  de  l'immor- 
ce  panneau ,   et  en   tout   cas   un   tel  talité  (68)  serait  très-beau  ;  ne  crai- 
charme  ne  dure   point.  La  postérité  gnez   point  là-dessus  le  jugement  de 
juge  des  livres  par  les  livres  mêmes  ;  la  postérité.  Si  l'on  blâme  l'ingratilu- 
s'ils   sont  bons,   elle  ne  les  méprise  de  et  l'injustice  de  ceux  qui  n'ont  pas 
point  ,   quand    même   elle  lirait    au  eu  soin  de  récompenser  vos  peines 
commencement  de   la    préface     que  que  vous  importe?   C'est    un    blâme 
l'auteur  est   mort  de  faim  :  s'ils  sont  qui  ne  tombe  point  sur  vous, 
mauvais,  elle  les  méprise,  quand  mê-        Il  faut  dire  ici  à  la  gloire  de  Des- 
me  elle  verrait  aux  premières  pages    cartes,  qu'il  se    conserva    pur  et    nel 
que   l'auteur  a    été    fait    comte    ou  de  cette  honteuse  maladie,   quoique 
marquis ,  et  qu'il  a  laissé  un  million,    l'un  de  ses  amis   eût    employé   pour 
Que  craignez-vous?    pourquoi   vous    l'en  infecter  les  voies   les   plus  dan- 
tourmentez-vous?  eût-on  pu  deman-    gereuses.    Voici    «le    quelle    manière 
<lir  à  du  Haillan  :  il  vous  est  permis    cet  ami  zélé  l'animait  à  se  vanter  ,  et 

(66)    Voyez    ci  dessus,    la   remarque  (C)  de  (G-,)  Tiliilo  res  cligna  scpulchri, 

l'article  Ai.ciiT  (André),  tom.  /,  png.  38 J.  (G8    Itac  ilur  ad  astra. 


4;8  H  AIL 

à  demander  hautement  des  récom- 
penses (69).  «  Sachez  que  ce  n'est  pas 
assez,  pour  obtenir  quelque  chose 
du  public,  que  d'en  avoir  touche 
un  mot  en  passant ,  en  la  pre'face 
d'un  livre ,  sans  dire  expresse'ment 
que  vous  la  de'sirez  et  l'attendez  , 
ni  expliquer  les  raisons  qui  peu- 
vent prouver,  non-seulement  que 
vous  lame'ritez  ,  mais  aussi  qu'on  a 
très-grand  intérêt  de  vous  l'accor- 
der, et  qu'on  en  doit  attendre  beau- 
coup de  profit.  On  est  accoutume' 
de  voir  que  tous  ceux  qui  s'ima- 
ginent qu'ils  valent  quelque  chose  , 
en  font  tant  de  bruit,  et  deman- 
dent avec  tant  d'importunité  ce 
qu'ils  pre'tendcnt,  et  promettent 
tant  au-delà  de  ce  qu'ils  peuvent, 
que  lorsque  quelqu'un  ne  parle  de 
soi  qu'avec  modestie,  et  qu'il  ne 
requiert  rien  de  personne,  ni  ne 
promet  rien  avec  assurance,  quel- 
que preuve  qu'il  donne  d'ailleurs 
de  ce  qu'il  peut,  on  n'y  fait  pas  de 
réflexion  ,  et  on  ne  pense  aucune- 
ment à  lui.  Vous  direz  peut-être 
que  votre  humeur  ne  vous  porte 
pas  à  rien  demander  ,  ni  à  parler 
avantageusement  de  vous-même  , 
pource  que  l'un  semble  être  une 
marque  de  bassesse  et  l'autre  d'or- 
gueil. Mais  je  prétends  que  cette 
humeur  se  doit  corriger,  et  qu'elle 
vient  d'erreur  et  de  faiblesse  ,  plu- 
tôt que  d'une  honnête  pudeur  et 

modestie Vous    pouvez     dire 

aussi  que  vos  œuvres  parlent  assez, 
sans  qu'il  soit  besoin  que  vous  y 
ajoutiez  les  promesses  et  les  van- 
teries  ,  lesquelles  ,  étant  ordinaires 
aux  charlatans  qui  veulent  trom- 
per, semblentne  pouvoir  être  bien- 
séantes à  un  homme  d'honneur  qui 
cherche  seulement  la  vérité.  Mais 
ce  qui  fait  que  les  charlatans  sont 
blâmables  ,  n'est  pas  que  les  choses 
qu'ils  disent  d'eux-mêmes  sont 
grandes  et  bonnes  ;  c'est  seulement 
qu'elles  sont  fausses,  et  qu'ils  ne 
les  peuvent  prouver  :  au  lieu  que 
celles  que  je  prétends  que  vous 
devez  dire  de  vous  sont  si  vraies, 
et  si  évidemment  prouvées  par  vos 
écrits,  que  toutes  les  règles  de  la 
bienséance  vous  permettent  de  les 


(60)  Lettre  I,  écrite  à  M.  Descartes,  Elle  est 
nu-devant  de  son  Traite  des  Passons. 


LAN. 

assurer,  et  celles  de  la  charité  tous 
y  obligent,  à  cause  qu'il  importe 
aux  autres  de  les  savoir.  Car  en- 
core que  vos  écrits  parlent  assez 
au  regard  de  ceux  qui  les  exami- 
nent avec  soin  ,  et  qui  sont  capa- 
bles de  les  entendre  :  toutefois  cela 
ne  suffit  pas  pour  le  dessein  que  je 
veux  que  vous  ayez  ,  à  cause  qu'un 
chacun  ne  les  peut  pas  lire,  et  que 
ceux  qui  manient  les  aflàires  pu- 
bliques n'en  peuvent  guères  avoir 
le  loisir.  Il  arrive  peut-être  bien 
que  quelqu'un  de  ceux  qui  les  ont 
lus  leur  en  parle;  mais,  quoi  qu'on 
leur  en  puisse  dire,  le  peu  de  bruit 
qu'ils  savent  que  vous  faites ,  et  la 
trop  grande  modestie  que  vous  avez 
toujours  observée  en  parlant  de 
vous,  ne  permet  pas  qu'il  y  fassent 
beaucoup  de  réflexion.  Même  à  cause 
qu'on  use  souvent  auprès  d'eux  de 
tous  les  termes  les  plus  avantageux 
qu'on  puisse  imaginer,  pour  louer 
plus  fort  des  personnes  qui  ne  sont 
que  médiocres  ,  ils  n'ont  pas  sujet 
de  prendre  les  louanges  immenses 
qui  vous  sont  données  par  ceux 
qui  vous  connaissent,  pour  des 
vérités  bien  exactes.  Au  lieu  ,  que 
lorsque  quelqu'un  parle  de  soi- 
même,  et  qu'il  en  dit  des  choses 
très-extraordinaires  ,  on  l'écoute 
avec  plus  d'attention  ;  principale- 
ment lorsque  c'est  un  homme  de 
bonne  naissance  ,  et  qu'on  sait  n'ê- 
tre point  d'humeur  ni  de  condition 
à  vouloir  faire  le  charlatan.  Et 
pource  qu'il  se  rendrait  ridicule  s'il 
usait  d'hyperboles  en  telle  occa- 
sion ,  ses  paroles  sontjjrises  en  leur 
<>  vrai  sens  ;  et  ceux  qui  ne  les 
veulent  pas  croire  ,  sont  au  moins 
incités  par  leur  curiosité  ou  par 
leur  jaloulie  à  examiner  si  elles 
sont  vraies Cela  étant  très- 
certain  ,  et  pouvant  assez  être 
prouvé  par  les  écrits  que  vous  avez 
déjà  fait  imprimer,  vous  le  de- 
vriez dire  si  haut,  le  publier  avec 
tant  <le  soin  ,  et  le  mettre  si  ex- 
pressément dans  tous  les  titres  de 
vos  li\res  ,  qu'il  ne  pût  doréna- 
vant y  avoir  personne  qui  l'igno- 
rai )>.  Pouvait-on  attaquer  par  des 
raisons  plus  spécieuses  et  plus  fortes 
la  modestie  de  M.  Descartes?  On  n'ou- 
blia rien  ,  on  prévint  toutes  ses  excu- 
ses, et  néanmoins  ce  fut  inutilement 


IIALI-BEIGH.  47tj 

(70).  Notez  qu'on  eut   beaucoup   de  Bobovins  ;  mais  la  plupart  des  au- 

raison  de   l'avertir  que  le  public  est  teurs   s'y    sont    trompes.    Bf,   Ricanl 

accoutume  de  voir  que  ceux  qui  de-  appelle    ce    Polonais    Albert   Bobo 

mandent  quelque  chose  le  foui  avec  ri  tus  (1).  Bespier,  son  traducteur,   le 

importunite',  et  en  se  vantant  beau-  corrige,  et  met  (a)  Bohonius  ,  parce 

coup.  C'est  qu'ils  savent  que  sans  ce-  que   Thomas   Smith  l'écrit  ainsi  pa- 

la   ils  n'obtiendraient  rien.  Malheur  ge  .'ïo,   de  son  Epist.  de  i\Ioril).  Turc, 

à    ceux  qui  se  rebutent  du   premier  //  est  vrai  '/n'en  ce  l'eu    il   y  a   Bo- 

refus ,   et   qui  ignorent   le   haut  ton  zonius ,    mais   /'errata    marque  qu'il 

dans  leurs  requêtes.   Du  Baillas  sa-  faut  lire  Bohonius.   Le  premier  tra- 

vait  sou  monde  quand  il  agissait  de  la  ducteur  (3)  de  M.  Ricaut  a  mis  Robo- 

manière   qu'on    a    vue   ci-dessus.    Il  \in^. 

faut  se  plaindre  souvent ,  et  supplier  (h)  Il  acquit  la  connaissance  d'un 
souvent  pour  être  exauce  une  fois  très-grand  nombre  de  langues.]  Qu'il 
dans  une  cour.  Si  le  cardinal  de  Ri-  me  soit  permis  de  citer  ici  un  peu  au 
chelieu  était  tel  qu'on  le  représente  long  l'auteur  de  Lacédémone  ancien- 
dans  l'Histoire  de  l'académie  Iran-  ne  et  nouvelle  :  Voyez,  dit-il  (!f)  , 
çaise  (71) ,  c'était  un  Phc'nix.  comment  Fometti,  Panagiotti,  La 
,       '                  ,            ,       „      _    .  ,    ,  Fontaine  ,  et   tous    les  autres    droç- 

("o)  Voyez  au-devant   au  même   Traile   des  j     »       j-j                      .       ■                       ° 

P.VsioDS,  ta  Réponse  de  M.  Descartes  aux  lettres  mont  de  la  Porte   sont  circonspects, 

de  cet  ami.  quand  ils    trottent  avec  les  ministres 

(ni)  Le  cardinal  de  Richelieu  ne  fit  jamais  des  prtllces  (  bréticilS,  Ou  ai'ec  les  Sens 

de  bien  à  Kqjrnard.et  ce  fut  enpartie...  parce  Jc,  /eiir  suite.  Ic  fameux  renégat  DO- 

qu  il  auna.il  au  on  ne  lui  demandai  rien,  et  nu  on  ,           ■       II     1       i                      •       '     i<                '■ 

lui  laissai  la  gloire   de  donner  de  son  propre  lon%als    Haljr-bejr   ,    qui   ,   il  I  apostasie 

mouvement.    Pelliss.  ,    Histoire   de  l'Académie  près  ,  et  moralement  parlant  ,  est  un 

française  ,  pag.  m.  278.  des  plus  honnêtes  hommes  du  monde, 

TTiTTT.n/-TT                •        1  ne    s'explique    Pas    mieux   avec    les 

HALl-bhKjrli  , premier  drog-  Francs,  quoiqu'il  soit  leur  grand  ami; 

mail    à    la   Cour    du    grand -sei-  et  il  le  pourrait  pourtant  bien  faire, 

gneur  au  XVIIe  siècle,  était  né  lui  <I!" P"r/e  dix-huit  langues  diffé- 

chrétien  dans  la  Pologne;  mais  ^q!".-  Et  devint  assez  habile  pour 

ayant  ete  pris  fort  jeune   par  les  faire  des  Hures.}  A  la  prière  de  Tho- 

Tarfares  ,  il  fut  vendu  aux  Turcs  ,  ™»s  Smith  ,  il  composa   un  traité  de 

qui  relevèrent  dans  leur  religion  Turcarum    lilurgid  ,  peregrinatione 

1            -,    T1    ,          »   •.   .  n       ,7>  tneccand ,  circumciswne,  œgrotorum 

au  sérail.  Il  s  appelait  Albert  Bo-  visitatione  ,  etc.  (  que  M.  Hy£e  (  à  qui 

bowski  (A)  en   son  pays.  Il  ac-  Thomas  Smith  le  donna,  a  publié  (5). 

quit  la  connaissance   d'un    très-  Hali-Beigh  traduisit  en  langue  tur- 

erand  nombre  de  langues  (B)  ,  'j1'".;  T  -ron  ï'VÎ^iî.*  b  ?rif,r.e 

6t   ,      .    t              i    i  -i     b          ).  /  '  de  M.  Basire  ,  le   Catéchisme  de  l'é- 

et  devint  assez  habile  pour  faire  -lise  anglicane.  Il  traduisit  en  la  même 

des  livres  (C).    11   eut  beaucoup  langue  toute  la  Bible,  à  la  prière  de 

de  commerce  avec   des    Anglais  Levin  Warnérus ,  qui  envoya  cette 

qui   lWaiïèrent  à   traduire   en  traduction  â  Levde  afin  qu'elle  y  fut 

/                D   °                ,  imprimée.  On  n  a  point  exécute  cela, 

langue  turque  quelques  ouvrages  mais  1(.  manascrit  se  garde  dans  là 

(a).    Il  avait  envie  de  retourner  bibliothèque  de  Leyde.  Je  ne  parle 

au  giron  du  christianisme;  mais  point  d'une  grammaire   turque,  et 

il   mourut  avant  que  d'exécuter  ?*n  dictionnaire  turc  composés  pai 

,           -,         .      ,,?,,           ,  le  même  drngman.  M.  nicaut   avoue 

ce  beau  dessein  (b).  Voyez  le  sup-  (|,ril  tenail  fe  lm  beaucoup  de  cho- 

plément  de  Morén.  (l)  R^^at  présent  de  l'Empire  ottoman, 

liv.  Jf,  pag   m   ijo5- 

(a)  Voyez  la  remarque  (C).  (V,  Remarques  curieuses  ,  pag.  C67. 

(b)  Journal  de  Leipsic,   1691  ,    pag.  226.  (3)  Il  s'appelle  Briot. 

(4)  P"g-  81  de  l'édition  de  Hullande. 

/  A\    Tl     '              1    ••      411      .,  P„l,^.,,.cl.;  "1  (5)  Dans  les  Appendix    de   /'Itincra    mundi 

(A)  Il  s  appelait  Albert  Bobowskl.J  ,rAbraham  Péritsolfi  Oxford,  «6qi.  Forez  le 

Nom    quon    a    latinise    par    CCllU  de  Journal  de  Leipsic,  mots  de  mat :  1691  ,  p."  526. 


48o 


HAL1CARNASSE. 


ses  qu'il  a  rapportées  dans  son  livre    une:  colonie  des  Argieiis  (a)  (\ 
de  l'État  présent  de  l'Empire  otto-    E|)e  se    rendit  fameuse  sous    le 
man.  S'il  l'avait  consulte  sur  tout  ce 


<■ . 


'Il  dit,  iln'a.iraitpas  avancé  que  les  deux  Artémises ,  et  sous  Mausole, 
femmes  mahométanes  n'espèrent  pas  le  mari  de  la  dernière.  Le  lom- 
l'cntréc  du  paradis.  Hali-Beigh  sou-  beau  de  ce  prince  y  fut  un  très- 
tient  le  contraire  dans  l'ouvrage  que  nd  ornement,  car  il  futeomp- 

M.  Hvde  a  mis  au  mur.    lifcautum    ?,  ,  -ni 

refellit  ,  docuitque  mulieres turcicas  te  entre  les  sePl  merveilles  du 
ûhinino  sperare  se  aliquando  œquè  ac  monde.  La  fontaine  £almacis 
uiros  in  Paradisum  veceptum  iri  ,  était  une  autre  singularité  d'Ha- 
quodistepag.iTinegaveral^M.^i-  l{carnasse.  \\  „  eut  peu  de  villes 
caut  entre  autres  choses  rapporte  (7)  <>.     j 

qu'il  apprit  de  ce  drogman  qu'il  y  sur  cette  cote  de  mer  qui  resis- 
a  des  Turcs  qui  croient  que  les  âmes  tassent  à  Alexandre  autant  que 
des  hommes  qui  meurent  entveiU  dans  n{  celle-là  (b).  C'est  qu'on  avait 
les  corps  des  bêles  dont  le  tempéra-  eu  soin.  de  la  bien  fortifier.  Vi- 
ment   approche  le  plus   de    celui   au 


même  métier  (8  )  ,  que  leurs  âmes  ■  rde  ses  ts  MeursiilS, 
missent  avoir  l  honneur ,  après  leur  /  o  ,.}  ,  .  .. 
mort ,  d'entrer  dans  le  corps  de  quel-  tout  habile  qu  il  était ,  a  appli- 
ques chameaux, parce  que  ce  sont  des  que  aux  deux  ports  de  Rhodes 
animaux  sobres  ,  laborieux,  paliens  ,  (jj  ?  ce  „ue  Vitruve  n'a  dit  que 
doux,  et  qui  leur apportent leurs  dro-  ^  ceu%  d'HaHcarnasse.  Alexan- 
gues  des  pays  les  plus  éloignes  de  ,  3  ».  .  ... 
l'Orient.  Qu'il  ne  doutait  point  qu'a-  dre  fut  oblige  de  brûler  la  ville 
près  la  révolution  de  trois  mille  trois  pendant  que  la  garnison  se  de- 
cenl  soixante-cinq  ans ,  pendant  la-  fendait  encor  vigoureusement 
quelle  son  ame  aurait  voyagé  par  d  ,  forteresses.  Hérodote  cl 
tout  le  monde,  et  aura  t passe  succès- 

sivement  de  chameauen  chameau,  elle  DenyS     d  HallCarnasse    soutins 

ne  ddt  retourner  encore  une  fois  dans  dans  cette  ville. 

un  corps  humain,  beaucoup  plus»™  {a)  strab  ,  lib.  XIV,  pag.  q5..  Pomp. 

et  plus  parfaite    qu  elle   n  était    au  ^    ^     -          ^ 

commencement.  Ce  fut  la  le  Credo  du  ^  Freinsbem.  ,  Supplem.  in   Curtiim. 

droguiste.  On  dit  que  la  plupart  des  ub  u  cnf)m  TX  et  x. 

Chinois  sont  fort  attachés  a  cette  opi-  (c)  Lib.  II,  cap.  VIII. 

nion.  On  a  parmi  les  œuvres  posthu-  ((/)  In  Rhodo ,  pag.  36. 

mes  de  M.  Barrow   une  relation  an-  (A)    CàaU   une  colo)ûe   Jes     y, 

glaise  d  une  conspiration  qui  fut  faite  J    ,  Le  conducleur  de  la  coionie 

dansle  sérail,  contre  Kiosen   grand-  5         ^   Antheg       ef         ti(.   de    ,., 

mère  de  Mahomet  IV.  Albert  bobo-  ^{^  Thrëzène  (l).  Pausanias  (a)  |,. 

vius  ,  musicien  du  sérail ,    et  temom  nommc  Antha  et  le  faitfiis  de  Ncptu 
oculaire  de  cet  événement,  a  compose 
cette  relation  (9). 

1691, 


(G)  Journal  de  Leipsic,  mois  de  mai 
pag.  î?G. 

(7)  Eut  présent  de   l'Empire    ottoman  ,  pag. 

4oG  ,  4°7- 

(S)  C'est  que  tout  ceux  que  ce  droguiste  con- 
naissait à  Conslantinople  ,  imbus  de  la  métem- 
psycose, étaient  droguistes. 

Ci))  Voyez  la  Bibliothèque  universelle,  tom. 
X,  pag.  (12. 


P    . 

ne  ,  et  ne  lui  attribue  point  d'avoir 
mené  lui-même  la  colonie  ;  il  attri- 
bue cela  à  ses  descendans.  Quoi  qu'il 
en  soit ,  ceux  d'Halicarnasse  étaient 
surnommés  'Av9«<itJki  (3). 

(1)  Strnbo,  M.  XIV.  Callimacbns ,  apud  Sie- 
pliannm. 

(2)  Lib.  II,  pag.  »3. 

(3)  Stepli.  ,  in  'A&ï)Vcti. 


HALICARNASSE  ,  ville  capi-        HALL  (  Joseph  ) ,  l'un  de»  pin-, 
laie  du  royaume  de  Carie,  était     illustres  prélats  qui  aient   clé  eu 


HÀ 

Angleterre  au  XVIIe.  siècle  *", 
fut  premièrement  professeur  en 
rhétorique  dans  l'académie  de 
Cambridge  ,  et  puis  successive- 
ment ministreà  Halstède ,  doyen 
de  Worcester  ,  évêque  d'Exceter  , 
et  enfin  évêque  de  Norwich  [a). 
Jl  fut  député  au  synode  de  Dor- 
drecht ,  et  y  assista  pendant  quel  - 
que  temps  ;  mais  ,  étant  tombé 
malade ,  il  se  vit  contraint  de 
se  retirer  de  cette  fameuse  as- 
semblée (A).  Il  publia  beaucoup 
de  livres,  dont  plusieurs  ont  été 
traduits  d'anglais  en  français , 
par  Théodore  Jacquemot.  On  y 
trouve  de  belles  pensées ,  une 
très -bonne  morale  ,  et  même 
beaucoup  d'onction.  Il  mourut 
l'an  i65o,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
deux  ans  (b).  Il  aimait  si  fort  l'é- 
tude ,  qu'il  eût  souhaité  passion- 
nément que  sa  santé  lui  eût  per- 
mis de  faire  en  cela  des  excès 
(B).  Ses  écrits  ,  quand  l'occasion 
s'en  présente  ,  témoignent  qu'il 
était  bien  chaud  contre  le  papis- 
me (C).  Il  ne  désapprouvait  guère 
moins  ceux  qui  se  séparent  du 
gros  de  l'arbre  *2  sans  une  extrê- 
me nécessité.  Ce  qu'il  disait  d'Ar- 
minius  en  est  une  preuve  (D).  Il 
déplorait  les  divisions  des  protes- 
tans,  et  il  composa  quelque  cho- 
se sur  les  moyens  de  les  termi- 
ner. Cela  fit  beaucoup  de  plaisir 
au  grand  pacificateur  Duraeus 
(E).  Il  traita  entre  autres  con- 
troverses celle  du   vœu  du  céli- 

*'  Il  naquit,  dit  Chaufepié,  dansBristow 
Park  ,  le  Ier.  juillet  l5y4- 

(a)  Witte  ,  in  Diario  Biographe 

(b)  Idem  ,  ibid 

*a  Lecleic  trouve  très-bonnes  les  preuves 
donne'es  par  Bayle  ;  mais  il  ajoute  :  «  L'église 
•  romaine  était  certainement  le  gros  de  l'ar- 
>.  bre  quand  Luther  s'en  détacha.  •■  Ne  peut- 
on  pas  alors  demander  à  Lecleic  quel  était  le 
gros  de  l'arbre  du  temps  de  saint  Jean-Baptiste. 

TOME   YU. 


LL.  481 

bat  (F)  ;  et  lorsqu'il  eut  su  que 
Marc-Antoine  de  Dominis  avait 
dessein  de  s'en  retourner  d'An- 
gleterre en  Italie,  il  lui  écrivit 
une  lettre  pour  lui  représenter 
la  nécessité  de  se  tenir  séparé  de 
la  communion  de  Rome.  Cette 
lettre  a  été  insérée  toute  entière 
dans  la  réponse  de  Marc  Antoine 
de  Dominis  (c).  Ses  Épitres  mê- 
lées sont  un  bon  ouvrage  :  elles 
sont  sans  date;  mais  puisqu'il  les 
dédia  au  prince  Henri  (d) ,  fils  aî- 
né de  Jacques  Ier.,  il  faut  con- 
clure qu'elles  furent  écritesavant 
l'année  161 3.  Il  remarque  dans 
son  épître  dédicatoire,  que  ce 
n'était  point  encore  la  coutume 
des  Anglais  de  publier  des  dis- 
cours en  forme  de  lettres  ,  com- 
me on  le  faisait  parmi  les  autres 
nations.  On  lui  attribue  dans  le 
Catalogue  de  la  bibliothèque  d'Ox- 
ford le  livre  intitulé  Mundus  al- 
ter  et  idem  (G),  sive  terra  aus- 
tralis  antehac  semper  incognito, 
longis  itineribus  peregrini  taca~ 
demici  nuperrimè  lustrata  ,  au- 
thore  Mercurio  Britannico.  II 
n'approuvait  point  que  les  gen- 
tilshommes d'Angleterre  voya- 
geassent dans  les  pays  étrangers; 
et  il  fit  un  livre  là-dessus ,  qu'il 
dédia  à  la  noblesse  (H).  Son  Sé- 
nèque  chrétien  a  été  traduit  en 
diverses  langues.  C'est  un  traité 
fort  solide  *. 

(c)  Voyez  le  Journal  des  Savans ,  du  q 
d'avril  1667. 

(d)  Qui  mourut  le  6  de  novembre  1612. 

*  Beaucoup  d  ouvrages  de  Hall  ont  été  tra- 
duits eu  français.  Sénebier  [Genève  littéraire 
Il  ,  222  )  ,  en  cite  quatorze  qui  l'on!  été  par 
Théodore  Jacomot.  M.  Barbier  (  dans  sou 
Examen  critique,  etc.)  reproche  à  Séne- 
bier d  avoir  oublié  six  traductions.  Joly  ob- 
serve que,  dès  1610,  un  sieur  de  Tourval 
avait  donné  un  volume  ,  petit  in-12,  de  109 
pages,  intitulé,  Caractères  de  vertus  et  de 
vices  tirés  de  l'anglais  de  M.  Joseph  HalU 

3i 


482  HALL. 

(A)  lise  vit  contraintde  se  retirer  du 
synode  de  Dordrecht.]  Un  prêtre  qui 
écrivit  contre  lui  ne  manqua  pas  de 
l'insulter  sur  cette  de'putation  ;  mais 
voici  ce  que  Joseph  Hall  lui  répon- 
dit (i)  :  «  Que  luy  mesme  ,  ou  autre 
}>  de  ses  téméraires  et  volages  com- 

»  pagnons dient  en  quoy  c'est 

:>  que  j'ay  fait  honte  à  ceux  qui  m'ont 
3)  envoyé'.  C'a  esté  à  mon  juste  regret 
3>  que  la  nécessité  de  ma  santé,  voire 
»  de  ma  vie,  m'en  a  appelle  prematu- 
»  rément  ;  mais  puis  qu'il  m'a  fallu 
j)  céder  à  la  nécessité  de  la  mort  ,  ou 
j)  de  ce  départ ,  les  autres  jugeront  si 
3>  j'en  partis  avec  plus  d'infirmité  que 
3)  d'approbation  ,  quelque  indigne 
3>  que  j'en  fusse   (*).  33 

(B)  11  aimait,  si  fort  l'étude  ,  qu'il 

eût  souhaité que  sa  santé  lui  eût 

permis en  cela  des  excès.]  Cette 

circonstance    de   sa    vie    se    trouve 
dans  une  de  ses  lettres.  N'ayez  point 
peur ,   écrit-il  à   un  ami  (2)  ,  que  je 
travaille  par  trop  a  estudier.  J'ay  un 
corps  qui  me  conlrerole  assez  en  cela; 
de  sorte  qu'il  n'est  pas  de  besoin  que 
mes  amis  s'en  tourmentent.  Il  n'y  a 
rien  en  quoy  je  peusse  plustost  excé- 
der si  j '  osoye  seulement  négliger  la 
santé  de  mon  corps  pour  assouvir  le 
désir  de  mon  esprit.  Mais  cependant 
que  j' affecte  et  recherche  les  thresors 
de  science  ,  ma  joiblesse  me  tance  en 
.se  «lisant  :  Il  se  vaut  mieux  contenter 
d'un  petit  savoir ,  que  de  se  priver 
de  santé.   J' acquiesce  et  souffre  pa- 
tiemment d'estre  frustré  de  la  félicité 
que  j' avoye  choisie.  Que  l'on  est  heu- 
reux lorsqu'avec  une  âme  si  studieuse 
l'on  a  un  corps  qui  peut  résister  aux 
suites  d'une  forte  et  continuelle  ap- 
plication de  l'esprit  !  Joseph  Hall , 
n'ayant  pas  eu   ce  partage ,  se  gou- 
verna comme  doivent  faire  en  pareil 
cas  les  hommes  prudens  :  il  refrénait 
son  inclination  dès  que  son  corps  l'a- 
vertissait que  cela  était  nécessaire  à 
sa   santé.  Ceux  qui  veulent  forcer  la 
riaturej  et  se  clouer  sur  les  livres  lors 

(1)  Joseph  Hall,  Apologie  pour  l'honneur  du 
mariage  des  personnes  ecclésiastiques,  folio  B.  3 
verso.  Je  me  sers  de  la  version  de  Jaqueraot , 
imprimée  a  Genève.  Van  ii>65. 

(*)  Necessilole  propellenle  prodilio  est  ea  la- 
cère quee  (juis  sludiose  peifeceril.  Ghrysosl. ,  in 
illii  :  Utinarn  tolerasselis  ,  etc. 

(?)  Hall,  Epîlres  mêlées,  11e.  décade,  pag. 
K|5  de  l'édition  de  Genève,  1G27  ,  suivant  la 
torsion  de  Juquemot. 


même  qu'ils  sentent  que  l'étude  leui 
échauflè  trop  le  sang  ,  ou  leur  épuise 
la  tête  ,  s'éloignent  plus  qu'ils  ne 
doivent  de  la  maxime  que  la  vie  ne 
consiste  pas  à  vivre  ,  mais  à  se  bien 
porter.        , 

Al  noslri  henè  computenlur  anni; 
Et  quantum  letricœ  lulëre  fehres  , 
Aul  languor  gravis  ,  aut'mali  dolores , 
A  vitcî  meliore  separenlur  ; 
Infantes  sumus ,  et  senes  videmur. 
/Etalent  Priamique ,  JSestorisque 
Longam  qui  putal  esse  ,  Marliane  , 
Multum  decipiturque,  fallilurque. 
Non  est  vivere ,  sed  valere  vitd(3). 

Et  si  le  zèle  pour  le  service  du  public 
les  encourageait  à  négliger  leur 
santé  ,  ce  serait  un  zèle  mal  entendu; 
car  ils  peuvent  être  plus  utiles  à  la 
république  des  lettres  en  ménageant 
leurs  forces  ,  qu'en  ne  les  ménageant, 
pas  :  on  va  bien  plus  loin  en  travail- 
lant un  peu  chaque  jour,  qu'en  s'ap- 
pliquant  quelques  semaines  de  suite 
à  un  travail  opiniâtre  qui  vous  attire 
de  fort  longues  incommodités.  Heu- 
reux ,  je  le  dis  encore  un  coup,  celui 
qui  est  si  robuste  qu'il  peut  étudier 
quatorze  ou  quinze  heures  chaque 
jour  ,  sans  être  jamais  malade.  Une 
infinité  de  gens  de  lettres  sont  privés 
de  cette  félicité  :  quelques  -  uns  en 
petit  nombre,  pauci  quos  œquus  ama- 
vit  Jupiter,  la  possèdent c 

Unus  et  aller 

Forsilan  htec   sperant   juvenes,  quitus  arlç, 

benignâ 
El  meliore  lutofinxil  prœcordia  Titan  (4)- 

(C)  77  était  bien  chaud,  contre  le  pa- 
pisme. ]  Ses  Epîtres  mêlées  (5)  peu- 
vent suffire  à  donner  des  preuves  de 
ce  fait-là.  Je  n'en  tirerai  qu'un  pas- 
sage ;  et  je  le  choisirai  de  telle  sorte 
qu'il  fera  voir  que  l'auteur  haïssait 
bien  les  jésuites  ;  et  notez  que  je  le  ti- 
re d'une  lettre  qui  contient  les  obser- 
vations que  fit  Joseph  Hall  ,  environ 
l'an  1610  ,  dans  son  voyage  du  Pays- 
Bas  espagnol.  Les  relations  des  voya- 
geurs nous  font  ordinairement  con- 
naître quel  est  leur  goût  dominant, 
s'ils  sont  antiquaires  ,  physiciens  , 
géographes  ,  ingénieurs  ,  dévots  ,  ou 
bigots  ,  etc.  :  celle  de  Joseph  Hall  ne 
respire  qi»!e  la  controverse.  Aussi  a- 
t-il  avoué  qu'il   ne  voulait  rapporter 

(3)  Marïial.  ,  epigr.  LXX  ,  lib.  FI. 

(4)  Juven. ,  sat.  XIV,  vs.  33. 
(51  Forez  surtout  la  Ire.  de  la  lre.  décade  , 

et  la  IF',  de  la  H'.  ,  et  la  /".  de  la  F'. 


HALL. 


483 


que  ce  qu'il  avait  remarqué  comme 
théologien  (6)  :  mais  venons  au  fait  , 
citons  ce  que  nous  avons  promis. 
Nous  vismes  en  nostre  chemin  beau- 
coup d'églises  démolies  ,  sans  qu'il  y 
7'estast  autre  chose  que  des  tristes 
monumens,  pour  donner  a  cognoistre 
au  passant  qu'il  y  a   eu  de  la  devo- 


effet  :  la  puissance  des  jésuites  s'est 
fort  augmentée  depuis  ce  temps-là  en 
dépit  de  tous  les  efforts  de  leurs  ad- 
versaires j  mais  ceux-ci  sont  encore 
bien  formidables  ,  et  leur  donnent 
beaucoup  d'exercice.  Ceux  qui  liront 
le  traité  que  Josepb  Hall  a  intitulé  , 
Nulle  paix  avec  Rome  ,  seront  con- 


tion  et  de  l'hostilité  en  ces  lieux.  O    vaincus  de  son  zèle  contre  le  papis 


misérables  traces  de  la  guerre  !  outre 
le  sang  es  pendu  ,  la  ruine  et  la  déso- 
lation !  La  furie  a  fait  en  ces  lieux 
ce  que  l'avarice  et  l'ambition  nous 
voudroyent  faire,  mais  ne  feront  pas  : 
car  cependant  que  la  vérité  régnera 
au  dedans  elle  garentira  les  murail- 
les au  dehors.  Et  de  fait  (  quoi  que 
die  le  vulgaire  )  ,  l'idolâtrie  a  abbatu 
ces  murailles  (7),  et  non  la  rage.  S'il 
n'y  eust  point  eu  d' Hollandais  pour 


me.  11  fut  imprimé  à  Genève ,  selon 
la  version  française  de  Jaquemot , 
Fan  1629  ,  t'n-ia.  Qu'on  voie  aussi 
sa  Sérieuse  dissuasion  d'adhérer  à  la 
papauté  ,  à  W.  D.  Révolté  ,  etc.  (9). 
(D)....  //  ne  désapprouvait  guère 
moins  ceux  qui  se  séparent  du  gros 
de  l'arbre....  Ce  qu'il  disait  d '  Arnu- 
nius  en  est  une  preuve.  ]  La  Irc.  épî- 
tre  de  la  IIIe.  décade  fut  écrite  à 
M.  Smith  et  à  M.Rob  ,  chefs  de  la  sé- 


les  raser,  elles  fussent  tombées  d'elles  parution  qui  s'était  faite  depuis  peu 

mesmes  pluslost  que  de  receler  tant  à  Amsterdam.  Il  leur  représente  vi 

d! impietez    sous   leur  loict.    Ce  sont 

des  spectacles  ,  non  tant  de  crua 

comme  de  justice  :  cruauté  de  l'hom-  l'église    anglicane  ,    que   de   s'enfi 

me  ,  justice  de  Dieu.  Mais  je  m'esba-  d'elle  ;  que  si  tant  estoit  qu'elle  fust 


er  lani  a  simsieraam.  m  leur  représente  vi- 

?e  sont  vement  (10)  qu'ils  ne  pouvaient  faire 

•uauté  ,  un  plus  grand  outrage  à  leur  mire  , 

l'hom-  l'église    anglicane  ,    que   de   s'enfuir 


his  que  les  églises  tombent ,  et  que  les 
collèges  des  jésuites  se  dressent  par 
tout.  H  11  y  a  point  de  villes  où  il  ne 
s'en  bastisse  ,  ou  en  laquelle  il  i{y  en 
ait  de  construits.  D'où  vient  cela  ? 
est-ce  que  la  dévotion  ne  soit  pas  tant 


vilieuse ,  elle  estoit  néanmoins  leur 
mère  ,  ce  qui  leur  devrait  servir  de 
cause  suffisante  ,  pour  déplorer  sa 
condition  ,  pour  prier  pour  elle ,  pour 
tascher  de  la  redresser,  et  non  pour 
la  fuir.    Ceste  procédure  dénaturée 


nécessaire  en  la  police  ?  Ces  gens-la  est  honteuse.  Ils  alléguaient  le  pré- 
(  de  mesmes  que  l'on  dit  du  renard)  cepte  sortez  de  Babylonne  (11)  •  mais 
font  mieux  leurs  affaires    lors  qu'ils    il  leur  répondit  que  l'église  dont  ils 


sont  plus  maudits  des  hommes.  Nulle 
secte  n'est  tant  détesté  par  ceux  de 
leur  parti  mesme  ,  ni  tant  haye  de 
tous  ,  ni  tant  contrequarrée  par  les 
nostres  ,  et  neantmoins  ces  mauvaises 
plantes  ne  laissent  pas  de  croislre 
abondamment  :  Quiconque  vivra  long- 
temps les  verra  craints  et  redoutez  des 
leurs  propres  ,  qui  maintenant  les 
haïssent  ;  verra  dis-je  ,  dévorer  par 
ces  sept  vaches  maigres  toutes  les  bes- 
tes  grasses  qui  paissent  dans  les  pas- 
turages  autour  du  Tybre.  Je  prophé- 
tise ce  que  Pharao  a  songé.  L'esvene- 


s'étaient  séparés  en  était  sortie.  «  Ba- 
»  bylonne  ,  continue -t- il  (  12  ) ,  le 
»  sent  elle  mesme,  et  voit  bien  qu'elle 
»  est  abandonnée  et  se  plaint  à  tout 
»  le  monde ,  que  non  seulement  nous 
»  l'avons  délaissée  ,  mais  aussi  que 
»  nous  l'avons  despouillée  :  ....Et, 
»  sinon  que  vous  vouliez  estre  aveu- 
»  gles  de  vostre  gré ,  vous  pouvez 
»  encor  voir  les  monceaux  de  ses  au- 
»  tels  démolis  ,  les  cendres  de  ses 
»  idoles  ,  les  ruines  de  ses  monu- 
»  ments  ,  la  condamnation  de  ses 
»  erreurs  ,   et  la   vengeance    de  ses 


ment  justifiera  ma  croyance  (8).  Cette    »  abominations...  Où  sont  les  grands 
prophétie  n'a  point  eu   encore  son    »  bastimens  de  cette  maudite  cité?... 

»  Où  sont   ces  tas   pourris  (  pourris 
»  non  par  la  succession  du  temps  , 


(6)  Hall ,  Épîtres  mêlées,  décade  I ,  p.  62. 

(7)  Fausse  -pensée;  car  celle  idolâtrie  n'a  été 
la  cause  de  la  ruine  d'aucune  église  dans  les 
pars  ou  les  guerres  de  religion  n'ont  pas  Jait 
sentir  leurs  rnuages. 

(8)  Hall  ,  Epîtres  mêlées,  décade  I ,  pag.  63 
et  suiv.  Notez  que  j'ai  cité,  dans  la  remarque 
(N)  de  l'article  Litse  ,  loin.  IX,  un  nuire  pas- 
sage tiré  de  la  même  lettre  de  Joseph  Hall. 


(9)  La  traduction  française  ,  qu'en  fit  Jaque- 
mot,  fut  imprimée  h  Genève,  l'an  1629. 

(10)  Hall,  Epîtres  mêlées,  décade  III   lettre 
I,  pag.  15. 

(11)  Là  même  ,  pag.  16. 

(12)  Là  même  ,pag.  i<]. 


HALL. 


484 

j)  ains  par  la  corruption  )  de  trans- 
w  substantiations  de  pain  ,  d'adora- 
»  tions  d'images  ,  cette  multitude 
3)  de  sacremens,  ce  pouvoir  des  in- 
»  dulgences,  cette  ne'cessité  des  con- 
w  fessions  ,  ce  profit  des  pèlerinages, 
j)  cette  ignorance  contrainte  et  ap- 
»  prouvée  ,  et  ces  dévotions  incog- 
»  nues  ?  Où  sont  ces  voultes  ,  ou  mi- 
»  nés  profondes  de  peines  et  de  pur- 
3)  gatoires  ,  et  tout  ce  qui  a  este' 
3»  inventé  par  ces  papelards  ,  soit 
3)  pour  le  proffit ,  soit  pour  la  gloire , 
3)  contre  Dieu  et  son  Christ  ?  Tout 
3)  cela  n'est-il  pas  exstirpé  du  milieu 
3)  de  nous,  et  enseveli  dans  la  pous- 
3)  sière  ?  La  majesté  de  ces  dieux  n'a 
3)  elle  pas  desja  depuis  un  long  temps 
3)  esté  exposée  à  la  risée  publique  du 
3>  commun  ,  de  mesme  que  l'on  a  fait 
3>  de  Mithra  ,  et  de  Serapis  (  1 3)  ?  » 
Ils  alléguaient  que  par  le  consente- 
ment aux  cérémonies  l'église  anglica- 
ne demeurait  toujours  aux  faubourgs 
de  Babylone  (i4)-  H  leur  répond 
entre  autres  choses,  qu'en  raisonnant 
de  cette  manière  ils  trouveraient  par- 
tout Babylone.  Voudriez  -  vous  fuir 
de  Genève  ,  leur  demande-t-il  (i5)  , 
h  cause  du  pain  sans  levain  qu'on  y 
reçoit  au  sacremetit  de  la  cène  (16)?... 
«  Faites  un  peu  comparaison  du  lieu 
»  que  vous  avez  quitté  avec  celuy 
3>  que  vous  avez  choisi  ,  et  que  la 
j)  crainte  de  sembler   vous  repentir 


3)  sterdam  (17)...  Qui  gagne  par  cette 
»  séquestration  sinon  Rome  et  l'en- 
»  fer?  Quelles  bravades  font-ils  pour 
»  cest  advantage  qu'ils  ont  de  voir 
»  que  les  propres  enfans  de  notre 
3>  mère  la  condamnent  d'impureté  , 
))  que  nous  sommes  tous  les  jours  af- 
3)  foiblis  par  nos  divisions  ,  que  la 
»  populace  ignorante  a  un  motif  si 
3)  palpable  pour  se  défiler  de  nous.... 
»  Dieu  vous  vueille  par  sa  grâce  desil- 
»  1er  les  yeux  ,  afin  que  puissiez  voir 
»  l'injustice  de  ce  zèle  qui  vous  a 
»  transporté,...  autrement  vostreame 
3)  trouvera  trop  tard  qu'il  eust  mille 
»  fois  mieux  valu  supporter  une  cere- 
3)  monie,  que  de  démembrer  une  egli- 
)>  se  :  et  mesme  que  les  paillardises  et 
>3  lesmeurtres  seronttraittezplusdou- 
»  cernent  que  telle  séparation  (18).  3) 
On  peut  joindre  à  tout  ceci  les 
raisons  qu'il  donne  dans  la  Ve.  lettre 
de  la  VIe.  décade  (19)  ,  et  les  éloges 
qu'il  répand  sur  la  mémoire  de  Ju- 
nius  ,  dans  une  autre  lettre  (30).  C'est 
dans  la  lettre  où  il  déplore  les  divi- 
sions des  théologiens  de  Leyde  ,  et 
où  il  décrit  pathétiquement  les  maux 
que  l'église  souffre  par  cette  espèce 
de  guerres  civiles.  Voici  l'exhorta- 
tion qu'il  adresse  au  professeur  qui 
donna  lieu  à  ces  divisions.  «  Si  je 
3>  pouvais  avoir  quelque  crédit  en- 
3)  vers  ce  docte  et  subtil  Arminius  , 
»  je  le  voudrais  solliciter  et  conjurer 


i>  trop  tostne  vous  rende  point  par-    3>  en  telle  sorte.    Hélas  qu'un  si  sage 


3)  tial  en  cest  affaire.  Là  où  vous  es- 
33  tes  y  a  un  commun  refuge  de  tou- 
33  tes  sectes  ,  de  toutes  hérésies  ,  si 
3)  plustost  il  n'y  en  a  un  meslange  ; 
))  au  lieu  qu'icy  vous  respiriez  soubs 
3>  un  air  libre  et  serain  de  l'Evangile 
3)  sans  estre  troublé  de  cette  odieuse 
i>  composition  du  judaïsme  ,  arianis- 
»  me  et  anabaptisme ,  et  là  vous  vi- 
33  viez  comme  en  la  pépinière  de  tel- 
3)  les  sectes,  voire  de  davantage.  Vous 
3)  estes  indignes  qu'on  ait  pitié  de 
33  vous  ,  si  vous  voulez  approuver 
33  vostre  misère.  Vous  ne  scauriez  di- 
3)  re  que  l'église  anglicane  (  si  elle 
»  n'estoit  pas  vostre  )  ne  soit  comme 
33  un  paradis  en  comparaison  *S!Am- 

(i3)  Hall,  Épîtres  mêlées,  clec.  II I,  lettre  I, 
pag.  »8i  H)-  „ 

(i4)  La.  même  ,  pag.  20. 

(i5)  La  même,  pag.  21. 

(16)  Celle  coutume  fut  abolie,  l'an  1G23. 
Voyez  M.  Spoo,  Hist.de  Genève,  p.  m.  $1"$. 


3)  personnage  ne  sache  quelle  est  la 
»  valeur  de  la  paix  :  qu'un  si  noble 
»  fils  de  l'église  soit  venu  en  lumière 
33  en  déchirant  et  lacérant  le  ventre 
>3  de  sa  mère  !  A  quoi  tendent  ces 
3)  subtiles  nouveautés  ?  Si  elles  le 
3)  rendent  fameux,  et  rendent  l'église 
3)  misérable ,  qui  en  aura  du  gain  et 
3>  du  profit?  La  singularité  est-elle 
3)  si  précieuse  ,  qu'elle  doive  tant 
33  coûter  ,  que  pour  icelle  il  faille 
3)  perdre  la  sûreté  et  le  repos  de  no- 
3)  tre  commune  mère  ?  Si  ce  que  tu 

(17)  Hall,  Epîtres  mêlées,  décade  1 II,  lettre 
I,  pag.  22  et  suiv. 

(18)  Là  même,  pag.  it\  ,  a5. 

(ig)  Elle  fut  e'crUe  à  M.  J.  W.  ,  pour  le  dis- 
suader de  là  séparation. 

(20)  Votre  fameux  Junius  n'avait  rien  déplus 
admirable  que  V amour  de  la.  paix  :  lorsque  nos 
séparatistes  le  provoquèrent,  avec  combien  de 
tranquillité' d'esprit  les  rejela-l-il?  et  avec  com- 
bien de  grave  importunité  les  invitait- il  à  modé- 
ration? Que  son  dme  sainte ,  etc.  Hall  ,  lettre 
VU  de  la  VIe.  décade,  pag.  499- 


HALL. 


affectes  est  vérité,  pourquoi  se- 
rais-tu Tunique?  Penses-tu  qu'il 
n'y  ait  point  eu  d'yeux  piscines 
aux  tiens,  qui  aient  pu  être  bien- 
heureux par  cet  objet  ?  Où  s'est  si 
long-temps  tenue  cache'e  cette  vé- 
rité sacre'e  des  soigneux  inquisi- 
teurs d'icelle  ,  que  maintenant  elle 
se  de'couvre  premièrement  à  toi , 
non  recherchée  ?  L'Évangile  a-t-il  si 
long-temps  resplendi  et  éclairé  au 
monde  ,  et  laissé  quelques  recoins 
sans  les  visiter?  Arrière  toutes  nou- 
velles vérités  ;  elles  peuvent  bien 
être  belles  et  plausibles,  mais  non 
saines  et  solides  :  aucuns  te  pour- 
ront admirer  pour  icelles  ;  mais 
nul  ne  te  bénira.  Toutesfois  posons 
le  cas  que  quelques-uns  de  ces 
points  ne  soient  pas  moins  véri- 
tables que  curieux  ;  pourquoi  est- 
ce  que  les  plains-chants  de  l'har- 
monie de  notre  paix  seraient  trou- 
blés et  interrompus  par  ces  fugues 
et  fredons  inutiles  ?  Quelque  er- 
reur plausible  peut  être  meilleure 
que  quelque  vérité  déréglée.  Qui 
nous  oblige  de  dire  tout  ce  que 
nous  pensons  ?  Pourvu  que  l'église 
subsistât  toujours  ,  plût  à  Dieu  que 
tu  fusses  seul  sage  !  Nos  adversai- 
res ne  querellaient-ils  pas  assez  sur 
nos  querelles  auparavant  ?  N'é- 
taient-ils pas  assez  enrichis  de  nos 
dépouilles?  Par  le  cher  nom  de 
nos  communs  pères,  que  penses- 
tu  faire  ,  toi  Arminius  ?  où  butent 
ces  dissensions  nouvellement  sus- 
citées ?  qui  en  aura  du  profit  sinon 
ceux  qui  insultent  contre  nous  ,  et 
s'établissent  par  la  chute  de  la  vé- 
rité ?  qui  sera  perdu  et  ruiné  sinon 
tes  frères  ?  Par  cette  précieuse  et 
sanglante  rançon  de  notre  Sauveur , 
et  par  cette  épouvantable  compa- 
raissance  que  nous  ferons  un  joui- 
devant  le  tribunal  glorieux  du  fils 
de  Dieu,  je  te  conjure  d'avoir  souve- 
venance  de  toi-même  ,  et  des  pau- 
vres membres  de  l'église  distraits 
et  séparés  :  ne  permets  point  que 
ces  qualités  excellentes  ,  desquel- 
les Dieu  t'a  doué ,  soient  en  achop- 
pement au  faible  pour  le  faire  tré- 
bucher ou  choppcr  ,  ou  errer.  Pour 
l'amour  de  Dieu  ,  ou  bien  ne  dis 
rien  ,  ou  bien  dis  le  même.  Com- 
bien de  grands  esprits  y  a-t-il  qui 
n'ont  point  cherché  de  détours ,  et 


485 


»  maintenant  sont  heureux  avec  leurs 
»  compagnons?  Que  ce  ne  soit  point 
»  mépris  d'aller  au  ciel  avec  plusieurs. 
»  Que  pourrait-il  répliquer  à  un  com- 
»  mandement  si  exprés  (  21  ).»  Il  ne 
faut  pas  oublier  qu'il  insinue  que  les 
adversaires  d' Arminius  se  donnaient 
trop  de  mouvemens.  Gomarus,  ajou- 
te-t-il  (22)  ,  ni  les  autres  de  la  véné- 
rable fraternité  des  révérends  théolo- 
giens ,  n'ont  pas  été  muets  en  une 
cause  si  importante.  Je  crains  plutôt 
qu'il  ne  se  fasse  trop  de  bruit  en  quel- 
ques-uns de  ces  tumultes.  Il  y  peut 
bien  avoir  trop  de  gens  pour  débattre, 
mais  non  pour  prier.  La  multitude 
des  requérans  est  ordinairement  puis- 
sante ;  et  combien  plus  en   des  justes 

mouvemens? La  sagesse  et    la 

charité  nous  pourraient  apprendre  a 
éviter  le  préjudice  des  différends.  Si 
nous  avions  seulement  ces  deux  ver- 
tus ,  les  querelles  ne  nous  nuiraient 
point,  nia  l'église  par  nous  -.maishé- 
las  !  l'amour  de  nous-mêmes  est  trop 
fort  pour  toutes  deux  :  celui-ci  seu- 
lement ouvre  les  bondes  et  les  digues 
de  dissension ,  et  submerge  la  plaisante 
mais  basse  vallée  de  l'églLe.  Les  hom- 
mes estiment  les  opinions  ,  pource 
qu'elles  sont  leurs ,  et  veulent  que  la 
vérité  soit  la  servante,  non  la  gouver- 
nante d'icel/es.  Ils  veulent  que  ce 
qu'ils  ont  entrepris  soit  tenu  pour 
vrai  :  la  victoire  est  recherchée  ,  non 
la  satisfaction  :  la  victoire  de  l'auteur, 
non  de  la  cause.  Rare  est  celui  qui 
sait  céder  aussi  bien  que  reprendre  et 
arguer  (23).  Voilà  d'excellentes  pen- 
sées, et  qui  servent  d'un  beau  sup- 
plément à  mes  articles  d'Arminius  et 
de  Gomarus  (24).  Notez  que  le  ser- 
mon qui  fut  prononcé  par  Joseph 
Hall  en  présence  du  synode  de  Dor- 
drecht  ,  roula  sur  cette  maxime  , 
qu'il  ne  faut  point  faire  le  subtil 
dans  les  matières  de  la  religion  :  il 
soutint  ([ne  les  remontrans ,  pour 
avoir  voulu  tant  subtiliser  ,  avaient 
été  cause  des  désordres  qui  brouil- 
laient alors  l'église  (25). 

La  lettre  qu'il  écrivit  à  un  homme 

(21)  Là  même,  pag.  5oi  etsuiv. 

(22)  Là  même  ,  pag.  5o5- 

(23)  T. a  même  ,  pag.  5o6 ,    "n-, 

(a4)  Voyez  ta  remarque  (K)  rte  l'article  Ar- 
minius, tom.  II,  pag.  387,  et  la  remarque  (D} 
de  l'article  Gomarus,    pat;.  112. 

(»5)  Voyez  EuUtol»  ecclesiaslica;  et  tlieologi- 
cse  praesUoiium  Yirorum,  pag.  5i5,  edil.  i684- 


486  HALL. 

très-inconstant  sur  la  religion  ,  nous  »  férences,  la  leur  vous  doit  déplaire 
peut  convaincre  qu'il  eût  souhaité  »  beaucoup  davatitage  ;  si  non  que 
passionnément   qu'une  parfaite  con-     »  vous   vouliez   être   volontairement 

»  incrédule  ,  ou  volontairement  par- 
»  tial  5  si  non  qu'un  mal  vous  désa- 
»  grée  le  moins  pour  ce  qu'il  est 
»  secret  (3o).  Que  voulez-vous  donc 
»  faire  ?  voulez-vous  être  une  église 
»  vous  seul?  Hélas,  de  combien  de 
»  contradictions  à  vous-même   êtes 


passionneme 

corde  eût  pu  régner  dans  l'église. 
Vous  êtes  ,  disait-il  à  ce  personnage 
(26) ,  tantôt  du  parti  des  romanistes  , 
tantôt  du  notre  ,  tantôt  entre  deux  , 
contre  l'un  et  l'autre.  Nos  adversaires 
estiment  que  soyez  du  notre ,  et  nous 
vous  jugeons  être  du  leur Qu'est- 


ce  qui  cous  empêche  ?  Sont-ce  nos  dici-  »  vous  plein  !   de  combien   de   déli- 

sions  ?  Je  cois  que  cous  hochez  la  tête  »  bérations  contraires  !  combien  de 

h  ceci,  et  montrez  tacitement  par  cos  »  fois  êtes  vous  en  dispute  et  querelle 

gestes  que  ceci  est  la  cause  de  cotre  »   contre  vous-même  !  » 

dégoutement.    Plût  a   Dieu    que  je  Observons    par    occasion    que    ce 

puisse  nier  ce  point  en  cérité  ,  ou  bien  qu'il  dit  là  de  Bellarmin  lui  fut  con- 

/  effacer  par  des  larmes  !  mais  je  l'ac-  teste   :    un  prêtre   anglais   prétendit 

corde  acec  non  moins  de  regret   que  que  c'était  une  assertion  très-effrontée 

vous  d'offense.  Une  se  coit  rien  h  la  (3i).  Joseph  Hall  répondit  (3a)  entre 

vérité  de  plus  lamentable  et  déplora-  autres  choses  ,  qu'il  avait  compté  les 

ble  en  cette  terre ,  que  les  ciciles  dis-  237  contrariétés  selon  V énumération 

sensions  d'une  seule  foi  (27).   Après  qu'en  a  faite  Pappus,  etque  sa  Paix 

cela  il  réfute  le  prétexte  que  l'on  pou-  de  Rome  en  compte  io3.  Cette  Paix  de 

vait  prendre  de  ces  discordes  ,  pour  Rome  est  un   livre  de  Joseph    Hall. 

ne  se  ranger  à  aucun  parti  ;  et  il  sou-  On  aurait  pu  le  questionner  de  cette 

tient  que  non-seulement  les  commu-  manière  :  Si  vous  avez  trouvé  juste  la 

nautés  ne  sont  point  exemptes  de  di-  supputation    de    Pappus  ,    pourquoi 

visions  ,  mais  aussi  que  chaque  par-  vous  contentez-vous  dans  ce  livre-là 

ticulier  y  est   exposé.  Montrez  -  moi  d'objecter    io3    contrariétés?    Et    si 

quelque  église  qui  ne  se  soit  plainte  vous    ne   l'avez    pas    trouvée   juste, 

de  quelque  distraction  ;    ou   que/que  pourquoi  dans  votre  lettre  objectez- 

famille ,   coire    quelque  fraternité,  vous  237  disputes? 

aincois  quelque  homme  qui  soit  ton-  (E)  Cela  fit  beaucoup  de  plaisir  au 

jours  d'accord  acec  soi-même,  ployez  grand  pacificicateur Durœus.  ]  Il  pu- 

si  l'épouse  de  Christ  en    ce    céleste  blia  ,  en  i634  ,  les  avis  de    quelques 

épithalame  ou  cantique  nuptial ,    ne  théologiens  français  ,  et  ceux  de  trois 

l'appelle  pas  un  jeune  faon  de  bi-  évêques  anglais  ,  touchant  la  manière 

che   sur  les  montagnes  de  division,  de  réunir  les  protestans.  Notre  Joseph 

Dites-moi  donc  :  ou  coulez-cous  aller  Hall  était  l'un  de  ces  irois  évêques. 

pour  troucer  la  cérité,  si   cous  ne  Davenant  et  Morton  étaient  les  deux 

coulez  point  acouer  de  cérité  que  l'a  autres.     L' [renicorum      Traclatuum 

où  il  n'y  a  point  de  division  ?  Peut-  Prodromus  ,    que  Duraeus  fit  impri- 

être  a  Rome  ,  cille  fameuse  pour  Vu-  mer  l'an    1662,  contient  deux  écrits 

nité  qu'il  y  a  ,  fameuse  pour  la  paix  ?  de  Joseph  Hall.  L'un  a  pour  titre  Co- 

l^oyez  donc  maintenant  comme  cous  lumba  Noœ  olicam  adferens  jactatis- 

acez     heureusement    choisi ,    comme  simœ    Christi  Arcœ,  prœsertim  ad- 

vous  acez  bien  profité  !  Le  cardinal  cersùs  machinationes  Pontificiorum. 

Bellarmin  lui-même ,  témoin  irrépro-  C'est  un  sermon  qu'il  prêcha  devant 

chable  et  sans  exception  ,    reconnaît  un   synode  de   Londres.  L'autre    est 

en  ses  propres  écrits  publiquement  et  intitulé  Par  terris  ,    cotilinens  caria 

compte  237   contrariétés  de  doctrine  ad  Concordtam  inler  Christianos  hoc 
entre   les   théologiens    romains  (1" 


<i  Si  notre  église  vous  déplaît,   con- 
tinue-t-il    (29) ,    à  cause  de  ses  dif- 

(26)  Joseph  Hall ,  lettre  V  de  la  III',  déca- 
de ,  pag.  82. 

(27)  Là  même,  pag.  84. 

(28)  Là  même,  pag.  86,  87. 
(2;))  Là  même,  pag.  89. 


(3o)  Il  avait  dit  dans  la  page  88  que  les  papis- 
tes n'ont  pas  moins  de  dissensions,  mais  ils  en 
étouffent  et  suppriment  davantage.  Ils  se  bat- 
tent secrètement  et  sans  bruit,  an  lieu  que  tous 
nos  combats  se  font  en  pleine  campagne. 

(3i)  Voyez  Joseph  Hall ,  dans  ^'Apologie  pour 
le  Mariage  des  Ecclésiastiques  ,  re'ponseà  l'aver- 
tit  sèment. 

(ii)  Là  même. 


tempore  suadendam  Consilia  et  Ar- 
gumenta. 

(F)  //  traita  entre  antres  contro- 
verses celle  du  vœu  de  célibat.  ]  Sa 
IIIe.  lettre  de  la  IIe.  décade  est  mti- 
tuléc, Discours  apologétique  touchant 
le  mariage  des  personnes  ecclésiasti- 
ques. Elle  ne  coûta  que  trois  heures 
à  l'auteur  ,  et  que  trois  feuillets 
(33).  Elle  est  de  23  pages  in- 11  dans 
la  traduction  française  de  Jaquemot. 
Douze  ans  après  qu'elle  eut  paru  , 
un  prêtre  anglais  la  réfuta  par  un 
écrit  de  38o  pages  (34).  Joseph  Hall 
lui  répliqua  avec  une  extrême  promp- 
titude par  un  livre  qu'il  intitula  : 
Apologie  pour  l'honneur  du  mariage 
des  personnes  ecclésiastiques  ,  contre 
les  malicieuses  calomnies  de  C.  K. 
prêtre  pseudo-catholique-  Il  le  publia 
en  anglais  ,  l'an  1620.  La  traduction 
française  de  Jaquemot  fut  imprimée 
à  Genève  ,  l'an  iG65  ,  et  contient  36s 
pages  in-in.  L'auteur  fut  bien  aise  de 
prouver  sa  diligence  ,  afin  que  son 
outrecuidé  adversaire  ,  et  ses  parti- 
sans séduits  ,  pussent  voir  comment 
un  mariage  bien  ordonné  n'est  point 
cause  de  la  fétardise  et  stupidité  de 
nos  esprits ,  ni  de  la  lâcheté  de  nos 
mains  (35).  Tout  marié  qu'il  était ,  il 
acheva  cette  réponse  ,  et  il  écrivit 
par  <Ieux  J'ois  de  sa  propre  main  en 
fort  peu  de  temps  ,  quoiqu'il  travail- 
lât à  cela  comme  par  récréation  et 
divertissement  des  plus  importantes 
affaires  de  sa  vocation ,  lesquelles  le 
pressaient  alors  plus  qu'à  V ordinaire 
(36).  Ceci  nous  donne  sujet  de  con- 
jecturer que  le  prêtre  anglais  s'était 
servi  du  lieu  commun  que  le  mariage 
détourne  trop  de  l'étude  (3^)  11  était 
échappé  à  M.  Hall  quelques  expres- 
sions qui  semblent  signifier  que  la 
continence  est  impossible  ;  et  on 
l'embarrassa  un  peu  par  les  consé- 
quences que  l'on  tira  de  cette  thèse. 
Voici  l'une  des  objections  du  prêtre 
anglais  (38).  M.  Hall  a  esté  absent 
en  France  ;  la  chair  est  fragile  ,   les 

(iî)  Joseph  Hall ,  préface  de  l'Apologie  pour 
lMionneur  du  mariage  des  ecclésiastiques. 

(34)  Là  même. 

(35)  La  même. 

(36)  L'a  même. 

(37)  Voyez  la  remarque  (B)  de  l'article  Usst- 
p.ids  (Henri),  ton.  XIV. 

(38)  Voyez  ('Apologie  de  M.  Hall ,  pour  le 
mariage  des  ecclésiastiques  ,  pag.  71  ,  72.  Con- 
férez la  XXfe.  lettre  de  laSuhe  de  la  Critique 
générale  de  Maimljourg,  pag.  G88. 


HALL.  487 

tentations  sont  fréquentes ,  si  est  ce 
qu'il  auroit  pris  a  grand  desdain  et 
mespris  d'estre  soupçonné  de  quelque. 
deshonnesteté  tant  alors  que  avant 
son  mariage  :  si  M.  Hall  a  bien  pu 
vivre  si  long  temps  chastement  ,  pour- 
quoy n'aurait  pu  vivre  ainsi  plus  lon- 
guement ?  Il  répond  que  cette  con- 
clusion ne  vaut  rien,  et  il  la  compare 
à  c(')lrs-ri"*<  Un  bon  nageur  peut 
»  retenir  son  souffle  sous  l'eau  pour 
»  quelques  minutes  de  temps,  pour- 
»  quoy  ne  le  pourroit  il  pas  aussi 
»  retenir  pour  une  heure?  pourquoy 
»  non  pour  plus  long  temps  ?  Un  pa- 
»  piste  dévot  peut  bien  jeusner  après 
»  avoir  desjeusné,  jusques  à  son  dis- 
»  ncr  après  midi  ,  pourquoy  donc, 
)<  ne  pourroit-il  pas  jeusner  une  se- 
»  maine  entière  ?  pourquoy  non  un 
»  mois  ?  pourquoy  non  autant  de 
»  temps  que  Eve  ,  la  fille  de  Meurs 
»  (39)  ?  »  Après  cela  il  répond  entre 
autres  choses,  que  saint  Panl  '*)  ayant 
permis  aux  mariés  de  se  séparer  pour 
un  temps  par  consentement  mutuel 
afin  qu'ils  vaquent  ajeusne  et  a  orai- 
son ,  leur  commande  de  retourner 
ensemble  ,  afin  que  Satan  ne  les  tente 
a  cause  de  leur  incontinence.  Ce  qui 
suppose  que  de  ce  qu'on  peut  se  con- 
tenir quelques  jours,  il  ne  s'ensuit 
pas  qu'on  le  puisse  faire  toute  sa  vie. 
L'a  où  il  y  a  de  l'impossibilité ,  ob- 
jecte-t-on  à  M.  Hall  (4o)  ,  ou  de  la 
nécessité  ,  il  n'y  a  point  de  péché  , 
point  de  conseil;  comme  nul  homme 
ne  pèche  en  ce  qu'il  ne  fait  pas  des 
nouvelles  estoiles  ,  ou  en  ce  qu'il  ne 
fait  pas  des  miracles.  Il  répond  (40 
que  c'est  un  «  vieux  argument  qui  à 
»  souvent  été  sonné  aux  oreilles 
»  d'Augustin  et  de  Prosper  de  la  part. 
»  des  pelagiens  ».  On  lui  objecte 
encore  ceci  (42)  :  Le  père  ne  peut 
blasmer  son  enfant  d'incontinence;  se 
contenir  implique  de  l'impossibilité  : 
se  pourvoir  d'un  mari  ou  d'une  jemme 
(^3)  n'est  pas  une  oeuvre  qui  se  face 
seulement  en  une  heure ,  et  cependan  t. 
que    feront-ils  ?   Certainement  ,    ré- 

(3çj)  Hall,  Apologie  pour  le  Mariage  des  Ecclé- 
siastiques, pag.  72. 

(*)  ICor.,  VU,  5. 

(4o)  Là  même,  pag.  76. 

(4i)  Là  même  ,  pag.   77. 

(4^)  Là  même,  pag.  78. 

C43)  Conférez  la  XXIe.  lettre  de  la  critique 
générale  du  Calvinisme  Je  Mairubourg  ,  pag. 
707. 


488  HALL. 

pond-il  (44) >  "  ce  personnage  entend  jeune  que  lorsqu'il  a  pris  une  femme- 

)>  parler  de  ces  chaudes  régions  de  sa  Car  si,  pour  se  justifier   quant  à  ce 

»  religion,   où  ils  sont  si  bouillans  ,  temps-là  ,  il  alléguait  qu'il  avait  vécu 

»  qu'il  faut  qu'on  leur  permette  des  sans  amour  ,  mais   qu'enfin  une  cer- 

»  bordeaux    au    moins    de    l'un    des  taine  femme  l'ayant  touche'  par  cer- 

»  sexes    :   autrement  quelle   étrange  taines  sympathies  qui  se  trouvent  dans 

v  violence  est  celle-cy  qu'il  conçoit  ?  la  nature  et  par  certaines  proportions 

»  Comme   notre  Junius  a  répondu  à  machinales    entre    les    objets    et  les 


»  son  Bellarmïn  ,  en  cas  semblable  , 
j>  hic  homo  sibi  videtur  qfi&re  de  equis 
3>  admissariis  ruentibus  in  venerem , 
»  et  dehippomane ,  non  de  hominibus 
»  ratione  prœditis.  Il  parle  comme 
w  s'il  avoit  à  faire  avec  des  estalons  , 
j)  non  avec  des  hommes  ,  non  avec 
}>  des  chrestiens  ,  entre  lesquels  l'on 
»  doit  présupposer  qu'il  y  ait  un  or~ 
j)  dre  décent  et  convenable,  et  undeu 
)»  esgard  au  temps  et  aux  choses  qui 
«  sont  de  saison  et  expe'dientes.  »  En- 
fin on  lui  objecte  les  cas  de  divorce  : 
Le  mari  et  la  femme  sont  séparez 
sur  quelque  discord  ,  ou  maladie  : 
Que  feront-ils  ?  Il  est  impossible  de 
vivre  en  continence  a  cest  homme  l'a. 


facultés  (46  ,  il  s'était  senti  privé  de 
la  force  de  se  contenir  qu'il  avait  eue 
apparavant  ;  si  ,  dis-je  ,  il  se  servait 
d'une  telle  apologie  ,  il  s'exposerait 
à  des  questions  fort  importunes  et 
embarrassantes.  Comment  avez-vous 
fait  ,  lui  dirait -on  ,  depuis  cette 
fatale  rencontre  qui  vous  a  rendu 
amoureux  ?  Vous  avez  été  occupé 
cinq  ou  six  mois  ,  un  an  peut-être  , 
à  la  recherche  de  l'objet  aimé,  et 
à  régler  avec  les  parens  les  condi- 
tions. Votre  amour  vous  ôtait  la  con- 
tinence, il  fallait  donc  que  vous 
tombassiez  dans  le  désordre.  Mais 
qu'eussiez-vous  fait  si  une  femme 
mariée  vous  eût  frappé  par  ces  sym- 


Je  respons  que  si  c'est  seulement  leur  pathies ,  ou  par  ces  proportions  dont 
volonté  qui  les  sépare ,  il  faut  qu'elle  vous  parlez  ?  Eussiez-vous  pu  vous 
cède  h  la  nécessité.  La  dissension  ne 
les  doit  pas  dispenser  ou  distraire  du 
remeile  nécessaire  du  péché  ;  Owe  si 
c'est  la  nécessité ,  elle  trouve  du  sou- 
lagement en  leurs  prières.  S'ils  invo- 
quent et  réclament  celuy  qui  les  ap- 
pelle a  continence  par  ceste  sienne 
main ,  il  les  exaucera  ,  et  leur-  don- 


contenir  ?  Si  cela  est,  l'amour  et  la 
continence  ne  sont  point  incompati- 
bles ,  et  vous  tombez  en  contradic- 
tion. Si  vous  n'eussiez  pas  pu  vous 
contenir  ,  vous  fussiez  tombé  dans 
l'adultère  ou  réellement  ou  de  vo- 
lonté. Mais  si  après  votre  mariage 
votre  servante  ,  qui  sera  peut-être  et 


nera  moyen  de  persévérer.  Et  pour-    plus  jolie  et  plus  jeune    que    votre 


quoy  non  doriques  en  la  nécessité  de 
nos  vœux  ?  Ceste  ci  est  une  nécessité 
qui  procède  de  nostre  invention,  celle 
là  procède  d&  luy.  Il  s'est  obligé  a 
tenir  ses  propres  promesses  ,  et.  non 
les  nostres  (45). 

Quiconque  examinera  sans  préven- 
tion ces  réponses  de  M.  Hall ,  les  trou- 
vera un  peu  bien  faibles.  C'est  envérité 
un  combat  semblable  à  celui  d'un  eé- 
neralu  armée, qui, s  étant  trop  avance 
dans  le  pays  ennemi  ne  s'en  retire 
qu'avec  la  perte  de  l'arrière-  garde. 


épouse ,  se  trouve  placée  à  votre 
égard  dans  ces  proportions  machina- 
les ,  vous  voilà  amoureux  d'elle ,  et 
par  conséquent  incapable  de  vous 
contenir.  La  même  chose  arrivera  si 
une  femme  mariée  se  rencontre  dans 
les  mêmes  proportions  ;  et  ainsi  l'on 
ne  peut  compter  sur  votre  vertu  : 
on  peut  craindre  tous  les  jours  quel- 
que scandale  de  votre  conduite  ,  ou 
pour  le  moins  vous  considérer  com- 
me une  personne  dont  la  vertu  est 
appuyée  sur  un  mauvais  fondement. 


Tout  ecclésiastique  qui  avouera  que    II  est  sûr  qu'un   homme  que  sa  pro- 


la  continence  surpasse  les  forces  hu- 
maines ,  et  qui  donnera  cette  raison 
pourquoi  il  s'est  marié  ,  rendra  fort 
suspect  le  temps  qui  a  précédé  ses 
noces  ,  temps  où  il  était  encore  plus 

(44)  ï'a"i  Apolnçie    ponr  le  Mariage  des  Ec- 
clésiastiques ,  pag.  nij. 

(45)  Là  même,  pag.  '■ft,  8o. 


fession  engage,  non-seulement  à  bien 
vivre,  mais  aussi  à  passer  pour  chas- 
te ,  ne  peut  bonnement  et  honnête- 
ment reconnaître  qu'il  s'est  marié 
parce  qu'il  lui  était  impossible  de  se 
contenir.    Il  doit   dire  qu'il  l'aurai! 

(46)  Voya  la  remarque  (I)  de  l'article  Farei, 
mm.  f^I,  pag.  4"». 


HALL. 


pu ,  et  qu'il.n'a  pris  une  femme  qu'a- 
îin  d'avoir  des  enfans  ,  et  une  société 
domestique  et  de  confiance  ,  etc. 
Concluons  que  la  controverse  du  cé- 
libat  ne  peut  être  bien  traitée  ,  si  on 
ne  prend  garde  à  ne  se  pas  trop  expo- 
ser au  canon  de  l'ennemi.  M.  Hall 
est  beaucoup  plus  fort  quand  il  allè- 
gue les  mauvais  effets  des  vœux  mo- 
nastiques :  les  citations  ne  lui  man- 
quent point.  En  voici  une  (47)-  IVos 
Histoires  ne  nous  disent-elles  pas 
qu'au  règne  d'Henri  III ,  Robert 
Grosse-Tête,  le  fameux  evéque  de 
Lincoln,  en  sa  visite, fut  contraint 
de  rechercher  la  virginité  de  leurs 
nonnains ,  en  pressant  leurs  mamelles, 
indignum  scribi ,  comme  écrit  Mat- 
thieu Paris  (*)  ? 

Au  reste ,  ce  n'est  pas  seulement 
dans  les  communions  protestantes 
qu'on  a  cru  l'impossibilité'  de  se  con- 
tenir :  il  y  a  eu  des  catholiques  ro- 
mains qui  ont  eu  même  pensée;  car 
ils  se  moquaient  des  eccîe'siastiques 
qui  s'abstenaient  de  l'adultère  et  de 
la  fornication  ,  et  ils  les  prenaient 
ou  pour  des  eunuques  ,  ou  pour  des 
sodomites ,  et  il  y  avait  des  paroisses 
où  l'on  exigeait  du^ure'  qu'il  eût  une 
concubine  :  on  nPcroyait  pas  sans 
cela  que  l'honneur  des  femmes  fût 
à  couvert ,  et  cela  même  ne  les  met- 
tait pas  hors  du  pe'ril.  C'est  Nicolas 
de  Cle'mangis  qui  nous  raconte  ces 
choses.  Taceo  de  fornicationibus  et 
adultéras  (  Clericorum  )  a  quibus  qui 
alieni  sunt ,  probro  cœteris  ac  lurli- 
brio  esse  soient ,  spadonesque  aut  so- 
domitœ  appellantur  ;  denique  Laici 
risque  adeo  persuasum  hahent  nullos 
coslibes  esse  ut  in  plerisque  paroehiis 
non  aliter  velint  presbrterum  tolera- 
re  ,  nisi  concubinam  habeat  quo  vel 
sic  suis  sit  consultum  uxoribus ,  quœ 
nec  sic  quidem  usque  quaque  sunt  ex- 
tra periculwn  (fô)- 

(G)   On  lui  attribue le  livre 

intitulé  Mundus  alter  et  idem.]  C'est 
une  fiction  ingénieuse  et  savante  où 
il  décrit  les  mauvaises  mœurs  de  di- 


(4p)  Hall,  Apologie  pour  le  Mariage  des  Ecclé- 
siastiques, pag.  94. 

(*)  Malt.  Paris.  ,  Hist.  Anglic.  Henri  Ht,  pas;. 
ïo85.  El  quod  indignum  est  scribi,  ad  domos 
religiosarum  vemens  facit  exprimi  mammillas 
earundem  ,  ut  sic  physicè  ,  etc. 

(4S)  Nicol.  de  Clemangis,  de  Prxstilibus  Si- 
mouheis,  pag-  m.  i65  ,  col.  1. 


489 


vers  peuples ,  l'ivrognerie  des  uns  , 
l'impudicité  des  autres  ,  etc  ;  la  coiir 
de  Rome  n'y  est  pas  épargnée.  L'au- 
teur composa  ce  livre  pendant  qu'il 
cultivait  la  littérature  ;  et  s'étant  de- 
puis attaché  à  la  théologie  ,  il  le  né- 
gligea et  le  traita  de  bagatelle;  mais 
Guillaume  Knight ,  son  ami ,  n'en  ju- 
gea pas  de  la  sorte  ;  il  le  crut  si  di- 
gne de  voir  le  jour  ,  qu'il  le  publia  , 
quoiqu'il  craignît  de  déplaire  à  ce- 
lui qui  l'avait  composé,  et  qui  lui 
en  avait  confié  le  manuscrit.  C'est 
ce  qu'il  expose  amplement  dans  sa 
préface.  Je  ne  saurais  dire  en  quelle 
année  il  le  donna  au  public.  Je  n'en 
ai  que  l'édition  d'Utrecht ,  164  î,  in- 
\-y.  ,  à  laquelle  on  joignit,  à  cause  de 
la  conformité  des  matières,  la  Cité  du 
Soleil,  de  Campanella ,  et  la  nouvelle 
Atlantide  du  chancelier  Bacon.  L'ou- 
vrage de  Joseph  Hall  est  divisé  en 
quatre  livres  ,  et  accompagné  de  car- 
tes ,  et  contient  2i3  pages  dans  cette, 
édition  d'Utrecht.  On  verra  peut- 
être  avec  plaisir  le  jugement  de  Nau- 
dé.  Voici  donc  comment  il  parle  , 
après  avoir  fait  mention  de  l'Utopie 
de  Thomas  Morus ,  et  de  la  Cité  du 
Soleil.  Ultimum  vero  Angli,  nescio 
cujus,  Mundus  alter  et  idem,  non 
ita  dudum  prodiit  ;  aut  veriùs  salira 
advershs  depravatos  prœsentis  seculi 
mores  ;  in  quo  dum  sinsulas  stationes 
singuas  vitus  adstgnat  ,  gentesque 
illas  incolentes  ac  loca  ipsa ,  contor- 
ticulatis  ingeniosè  ,  jrctisque  ex  cu- 
jusque  rei  natura  vocibus  adpellat , 
non  inepte  meo  judicio  Poneropolim 
institua,  quœ  ad  hilarilatem.  non  mi- 
nus homines  excitare  ,  quant  ad  vir- 
tutem  inflammare  possit  (4°<)- 

(H)  Il  rî  approuvait  point  que  les  gen- 
tilshommes d! .Angleterre  voyageas- 
sent dans  les  pays  étrangers ,  et  il  fit 
un  livre  la  -  dessus  qu'il  dédia  à  la 
nob'esse.l  Ce  livre  ,  dans  la  traduction 
de  Jaqucmot,  imprimée  à  Genève  , 
l'an  1628,  est  intitulé  ainsi  :  Quo 
vadis  ?  ou  Censure  des.  Voyages  , 
ainsi  qu'ordinairement  ils  sont  entre- 
pris par  les  seigneurs  et  gentils- 
hommes. Il  est  dédié  à  Edouard  Denny, 
baron  de  Waltham  ,  père  de  mylord 
Hay  +,   qui  avait  été  ambassadeur  en 

(fa)  Naudreus,  Bibliograpb.  Pollue.  ,  p.  5i7, 
edil.  Crenii ,  1(192. 

*  Ctiaufeplé,  d'après  les  traducteurs  anglais 
de  Bayle,  remarque  que  Denny  était  beau-père 


49o  HALL. 

France,  et  qui  avait  eu  à  sa  suite  Gïovanus, de  Schismate  seu  ecclesias- 
dans  cette  ambassade  ,  entre  autres  ticœ  Unionis  divisione,  imprimée  à 
personnes  ,  notre  Joseph  Hall.  11  y  a  Louvain ,  l'an  i573  ,  in  8".  ;  de  Tri- 
An  pour  et  du  contre  dans  cette  ma-  bus  primariis  causis  tumultuum  Bel- 
tière  :  Fauteur  n'est  pas  le  seul  qui  gicorum,  et  contra  coalitionem  mul- 
se  soit  plaint  du  mal  que  produisent  tarum  reiigionum  ,  quam  liberam  re~ 
les  voyages.  Thomas  Lansius  (5o)  a  ligionem  vacant,  à  Douai,  i58i  , 
déclame  quelquefois  sur  ce  sujet.  in-8°.;  pro  Defensione  rcgiie  et  epis- 
Juste  Lipse  ,  au  contraire  ,  approuve  copalis  auctoritatis  contra  rebelles  9 
que  l'on  voyage  (5i)  ;  et  il  a  donne'  à  Douai  ,  l'an  i584  ,  m  8°.  ;de  Quin- 
de  fort  bonnes  instructions  là-dessus,  que  partitd  conscienûd  ttbri  très, 
Voyez  sa  XXIIe.  lettre  delà  Ire.  cen-  là  même,  i5q8,  in-S°.  ;  de  Proprié- 
taire, tate  et  Vestiario  Monachorunt  ,  a/us 

que  ad  hoc  viiium  extirpandum  ne- 

el   non   pj-re  de  Hay  :  .  Le  nom  fils,    employé  cessari[s      la  même  ,    )  585  ,  ill-8". 

»    par  Hall,  signilie  seulement  gendre.   »  /T),    r,   ï.                 ,         ,                          , 

te  \  n             i.                 j    d  ■    •     .    ■  .  (tî)  Il  Ht  paraître  heaucoup  de  pas- 

(5o)  Dans  ses  harangues  de  Principatu  inter  .            ,     '       '                                 2;    „'            " 

provinciasEurop».  sion  dans  cet  ouvrage.  }  ht   surtout 

(5i)  Voyez  ses  Lettres ,  aux  endroits  marqués  contre  le  prince  d'Orange  ;  car  il  ht 

dans  la  table  des  matières  ,  sous  le  mot  Père-  des    chapitres    entiers    pour    le    COn- 

8nna  10'  vaincre  d'être  tyran  ;  d'avoir  affecté 

tt  »  t  t    /  t»               \     ii    '   i      ■  la  royauté'  par  des  voies  tyranniques, 

HALL  (  Richard  ) ,  théologien  comme  Ab/aloil .  d>avoir  jes  dit  qua- 

anglais  de  la  communion  de  Ro-  lités  qui,  selon  Bartole,  font  le  carac- 

me,  fut ,  je  pense,  l'un   de  ceux  1ère  du  tyran,  etc.  Il  le  compara  à 

qui  sortirentd' Angleterre àcause  Juliea  postât    et  il  n'y  eut  point 

j      ,    .        '      i           °    i          •       W  d  invectives    qu  il   ne   versât    sur   le 

des  lois  pénales  que  la  reine  Eli-  papier  contre  ce  prince  ?  et  contre 

sabeth  fit  établir  contre    les  pa-  ses  adhérons  (i)  ,  et  pour  animer  les 

pistes.  Il  se  retira  aux  Pays-Bas  catholiques  à  n'accorder  point  la  li- 

espagnols,  et  fut  professeur  en  J>erté  de  conscient  que  les  protes- 

^1    '    i       •      -   t\         •              i          •  tans  demandaient  ç»;.  Un  homme  qui 

théologie  a  Douai ,    et  chanoine  avait   tant   de   raisons   personnelles 

de  Saint-Omer.  II  publia  ,  entre  d'être  partial  pour  le  roi  d'Espagne  , 

autres  ouvrages    (A) ,    un    traité  et  chagrin  contre    la   Hollande ,    ne 

de  l'origine  des  troubles  de  ce  devait  %oint™  mê,er  d'écrire  sur  les 
i-  ti  >  '  -t  •  *.  causes  de  cette  guerre  civile.  Un  his- 
pays-la.  Il  n  était  point  propre  torien  doit  être'  parfaitement  désin- 
à  manier  cette  matière  ;  car  d'un  téressé  ;  et,  dès  qu'un  homme  a  quel- 
côté  sa  reconnaissance    pour    le  <ïue  ressentiment  contre  une  nation  , 

roi  d'Espagne,  qui  lui  fournissait  \l  doit  s>b?tenir  d'«m  ^ire  l'histoire  , 

..   r   °    ,  '.}             .  lors  principalement  qu  il  ne  saurait 

un  asile  ,  et  de  1  autre  le  ressen-  consulter  tant  soit  peu  sa  mauvaise 

timent  de  son  exil,  qui  l'aigrissait  humeur,  sans  plaire  beaucoup  à   un 

contre  tous  les  protestans ,  l'em-  autre  peuple  pour  qui  il  doit  avoir 

-~,^L„"„    *     J„     „       ,'JÂ  de  la  complaisance   et  de  la  recon- 

pecnaient    de    considérer    avec  •             VT    .  ,  ,               j.    ■ 

r,  .   .    ,,             î-i                 •  naissance.  Un  tel  homme,  dis-ie  ,  se 

équité  la  conduite  des  provinces  doit  récuser  lui-même  ,  comme  font 

qui  se  soulevèrent  contrePhilip-  les  juges  honnêtes  gens ,   lorsqu'ils 

pe  II.  Aussi  est-il  certain    qu'il  sont  intéressés  dans   quelque  cause 

r ,  ,,„     ».       i  „                 j             -  (3).   L'histoire  ne  doit  être  touchée 

lit  paraître  beaucoup  de  passion  x             j          •                  -i  .    c    . 

1     l                                    t            i    «  w  *  qUe  par  ^  mams   pures  .  d  Ja  fai,t 

dans  cet  ouvrage  (t>).  II  mourut  laisser  écrire  à  ceux  qui  ne  les  ont 

1  an  1604  [à).  point  ensanglantées  du  combat,  ni  au 

(a)  Witte,  in  Diar.  Biograpli.  (i)  Consultez  Schultingius ,  Bibl.  catti. ,  lom. 

IV,  paç.  254. 

(A)    Il  publia   divers   ouvrages.  ]  (3)  r°Je*  le"*ême,  là  même,  pag.  aS5. 

Voici  tout  ce   que  je   sais  qu'il  ait  ,J*> \rf?  ,cp RV'e  ''ai  du  *™  Tla  ™m*»l»" 

.               ..',•>..              '  (U)  de  i  article  RiîMond  ,  loin.  XII  ,  et  dans  la 

écrit  :  la  prclacc  du  livre  de  Jean  remarque  (L)  de  l'article  Timûe,  tom.  XIV. 


HALLE. 


49  » 


figure  ,  ni  au  propre  ;  il  faut  pour  le  en  droit  en  présence  du  grand- 
conseil ,  le  18  de  mars  1640, 
après  avoir  soutenu  des  thèses 
dans  cette  illustre  assemblée  (b). 
Il  suivit  à  Paris  M.  Séguier  ,  et 
se  fil  connaître  si  avantageuse- 
ment par  quelques  pièces  qu'il 
publia  ,  qu'on  lui  offrit  des  ré- 
gulées dans  cinq  différens  collè- 
ges ,  et  qu'on  l'agrégea  extraor- 
dinairement  au  corps  de  l'uni- 
versité (c) ,  le  i/\  d'août   164 1  • 


moins  attendre  que  le  temps  ait  pu- 
rifié les  taches  et  consolide  les  bles- 
sures. Elle  mérite  d'être  respectée 
comme  les  pénates  des  anciens  : 

Tu,  genitor,  cape  sacra  ,  patriosque  pénales. 
Me  bello  è  tanlo  digressmn  ,  et  ca-de  recenti , 
Allreclare  nef  as  ;  donsc  mejlumine  vivo 
Abluero  (4) 

(4)  Virg. ,  iEn. ,  lib.  II,  vs.  717. 

HALLE  (Pierre),  professeur 
en  droit  canonique  dans  l'uni- 
versité deParis ,  était  né  à  Bayeux 

en  Normandie,  le  8  de  septembre    U  aima   mieux    enseigner   dans 
n.  Il  étudia  en  philosophie  ,    ]e  collège  d'IIarcourt   que  dans 

aucun  autre  ;  et  il  eut  là  une 
grande  foule  d'auditeurs.  Il  pu- 
bliait de  temps  en  temps  quel- 
ques poésies  latines  qui  augmen- 
tèrent sa  réputation  ,  et  qui  don- 
nèrent lieu  à  son  Mécène  de  le 
faire  installer  poète  du  roi  ,  et 
lecteur  en  langue  latine  et  en 
langue  grecque  dans  le  collège 
royal,  le  18  de  décembre  i64^>. 
La  trop  forte  application  à  l'étu- 


en  droit  et  en    théologie  ,    dans 
l'université   de   Caen  ,   pendant 


per 
cinq  ans.  Il  faut  ajouter  qu'il  y 
cultiva  aussi  avec  un  grand  soin 
la  poésie  ;  sur  quoi  Antoine  Hal- 
le, son  parent,  et  l'un  des  grands 
poètes  de  son  siècle ,  lui  donna 
de  bonnes  leçons.  Il  s'était  insi- 
nué dans  ses  bonnes  grâces  en 
publiant  quelques  poèmes;  et  il 
profita  si  bien  des  lumières  de 

cet  illustre  parent ,  qu'il  rem-  de  ayant  ruiné  "a  santé,  il  fut 
porta  le  prix  à  Caen  et  à  Rouen ,  contraint  de  se  reposer  pendant 
dans  les  combats  poétiques  que  deux  ans  pour  la  rétablir.  Lors- 
l'on  y  fait  toutes  les  années  (a),  qu'il  fut  guéri ,  il  se  mit  en  tête 
II  s'acquit  par-là  une  telle  repu-  de  redonner  quelque  lustre  à  la 
tation  ,  qu'encore  qu'il  fût  fort  faculté  de  droit,  qui  était  tom- 
jeune,  on  lui  donna  la  régence  bée  dans  un  état  pitoyable,  n'y 
de  la  rhétorique  dans  l'université 
de  Caen.  Quelque  temps  après  , 
étant  recteur  de  l'académie,  il 
harangua  à  la  tête  des  quatre 
facultés  M.  Séguier  ,  chancelier 
de  France  (A).  Sa  harangue  fut 
fort  goûtée  ,  et  lui  acquit  l'esti- 
me et  la  protection  de  ce  chef 
de  la  justice;  jusque-là  qu'il  re- 
çut de  lui  *  le  bonnet  de  docteur 

(a)  C'est  à  l'honneur  de  la  conception  im- 
maculée de  la  Sainte  Vierge. 

*  Leclerc ,  d'après  le  père  Niceron  ,  dit 
que  ce  ne  fut  pas  des  mains  de  Se'guier ,  mais 
en  sa  présence  ,  que  Halle  reçut  le  bonnet  de 
docteur» 


restant  plus  qu'un  professeur 
(B).  Il  obtint  le  grade  de  pro- 
fesseur royal  en  droit  canonique 
l'an  i655,  et  il  donna  tous  se» 
soins  à  relever  les  études  de  cette 
science  ,  dont  il  soutint  les  pri- 
vilèges avec  vigueur  (C) ,  et  sans 
être    rebuté  par    les   obstacles. 

(b)  Propugnatis  ulriusque  /mis  ihesibus 
laureâ  doctorali  in  amplissimo  comitunt 
consistorianorum  consessu  die  18  martii 
1640,  ab  ipsomet  canccllario  deenrari  me- 
ruit.  Vita  Pétri  Halbei  de  quâ  infreï  ,  citai. 
M). 

(c)  Absens  ab  universitale  extra  ordinem... 
evoptalur.  Ibidem. 


HALLE. 

C'est  à  lui  principalement   que       (C)   Il  soutint   les  privilèges  de 


49* 


l'on     doit    attribuer     l'avantage  cette  faculté  avec  vigue.tr. ]U.  Pinsson 

i  ou     uu"                                              o  ajoute  tout  aussitôt  :  Ouam  quidem 

dont    les    professeurs     de    Fans  p0stek  restitui ,  exornari ,  ac  ampli- 

jouissent  depuis    l'an    1679    (D).  Jicari  magis  ac  magis....  procuravit. 

Il    composa  de  fort   bons   livres  L'auteur  de  l'éloge  descend  dans  le 

/t?\       v\        t  i~  ,„+:„f„„+:~„  J'„  détail,  et  dit  que  Halle,  par  ses  solh- 

f L)  ;  et  il  eut  la  satisfaction  d  a-  ..  ..  '        -,.-1 .         D     *          i„r„i 

V    '  '                        .  citations,  obtint  que  Pompone  de  Kel- 

voir    pour  amis    les  savans    les  lièvre,  premier  président  au  parle- 
plus  illustres  ,  qui  étaient  encore  ment  de  Paris ,  restituât  aux  écoliers 
ns  charmés  de  sa  vertu  quede    en   tlroit    canonique    la    faculté  de 


Pi 

son  érudition.    Il   mourut  très- 

bienpréparé(F) ,  le  27  de  décem- 
bre 1689  (rf)  • 

Depuis  la  première  édition  de 
ce  Dictionnaire ,   j'ai  lu   l'éloge 


postuler  (2).  De  là  naquirent  bien 
des  procès.  Hinc  obortœ  lites  :  vicina 
Juris  Collegia  in  eos  acriter  insur- 
rexerunt ,  et  eos  tum  ad  senatum  , 
tum  ad  régis  consistorium  traduxe- 
runt.  Ut  tôt  malis  succurreret  Hal- 
lœus,  viginti  quatuor  viros  pietate  et 


latin   qu'un  (e)  des  disciples  de  ce    doctrine,  commendatissimos,  tanquam 
professeur  lui  a  consacré.   C'est    adjutores,  in  facilitaient,  recum  suis 

collegis  prias  communicatd  ,  adsci- 
vit  :  facultate  vix  ab  externo  hoste 
quietd ,  non  iiulli  ex  doctoribus  hono- 
rariis  ,  collegarum  discordias  in  suum 
commodum  a/entes ,  plurima  anle- 
cessorum  jura  sibi  arrogare  lenta- 
bant.  In  hdc  temporum  difficultate 
qud  Jacultas  in  partes  scindi  videba- 
tur animumtantisper  sustinuit ,  donec 
Ma  invidiœ  tempestale  féliciter  pa- 
catd  ,  concordid  facultati  restitutd  , 
animum  a  negotio  omni  alieno  revo- 
cans  ,  sedulà  summdque  diligentid  ad 
restauranda  juris  studia  tolus  incu- 
buit  (3). 

(D)  On  doit  lui  attribuer  l'avan- 
tage dont  les  professeurs   de   Paris 

jouissent  depuis  l'an  1679.]  Avant 
cela  ils  n'enseignaient  point  le  droit 
civil.  Ab  eo  prœcipuè  docendi  rec- 
tam  rationem  inchoalam  a  rege  pro- 
balain  et  confirmatam  fuisse  ajffirma- 
ver'tm.  Studiis  enim  latiùs  efflores- 
centibus  ab  im'ictissimo  rege  Ludo- 
vicoMagno,  promovente  illusirissimo 
viro  Michaële  le  Tellier  ,  Franciœ 
cancel'ario  ,  publica  civilis  Juris- 
prudentiœ  professio  Parisiensi  scho- 
lœ  ,  qud  superiori  sœculo  malè  exci- 
derat  ,  restituta  est ,  et  asserta  anle- 
cessoribus  juris  civilis  interpretandi 
autoritas  mense  aprili  1679  (4)- 

(E)  Il  composa  de  fort  bons  livres-] 
Voici  les  paroles  de   son  éloge  :  In 

(2)  Jurh  canonici  auditoribus  poslulandi  mu- 
nus...  Hallceo  potitsimum  procurante  reslituium 
est.  [bid. 

(3)  Vila  Hall*,. 

(4)  Ibidem. 


une  pièce  bien  écrite,  et  impri- 
mée à  Amsterdam ,  chez  Henri 
Boom,  169».  :  les  lecteurs  y 
trouveront  un  détail  qui  leur 
plaira. 

{d)  Tiré  d'un  Éloge  composé  en  latin  , 
par  Jean  Halle' ,  secrétaire  du  roi ,  duquel 
Eloge  M.  Pinsson  des  Riolles  m'a  communi- 
qué une  copie  manuscrite. 

(e)  Daniel  Laét ,  Batavus. 

(A)  M.  Séguier,  chancelier  de 
France.]  Il  était  allé  en  Normandie 
pour  apaiser  les  émotions  popu- 
laires ,  qui  causaient  de  grands  dés- 
ordres dans  plusieurs  endroits  de  la 
province. 

(B)  La  faculté  de  droit était 

tombée  dans  un  état  pitoyable  ,  n'y 
restant  plus  qu'un  professeur.  ]  Qui 
était  M.  Doujat.  La  faculté  avait 
perdu  en  peu  de  temps  François  Flo- 
rent ,  et  Jean  Dards.  In  juridicam 
deindè  scholam  geminato  Francisa 
Florentis  ,  et  Joannis  Dartisiifunere 
afjliclam  ac  propè  désertant  cum 
Joanne  Doujalio  collège  primario 
extra  ordinem  accitus  (1)  anno  i655. 
C'est  ainsi  que  parle  M.  Pinsson-des- 
Riolles  ,  dans  une  inscription  qu'il  a 
publiée  en  l'honneur  de  notre  Halle. 

(1)  Notez  aussi  qu'il  obtint  le  professorat  sons 
l'avoir  disputé,  ce  qui  fut  une  dispense.  Ab  eo 
(sno  Miecenate)  regii  consistorii  placilum  ,  quo 
regitB  conslituiionis  anlecessuras  ad  publici  cer- 
tttminis  airain  ordinantïs  remisso  rigore  ,  ad 
munw  anlecessoriwn  promovebalur  ,  oblmuit. 
Vila  Halla-i. 


HAMADRYADËS. 


493 


auditorum  favorem  prœter  Institu- 
tiones  Canonicas  quas  in  lucem  anno 
l635  uelul  in  famœ  testament  uni  emi- 
serat ,  varios  ad  jus  canonicum  et 
civile  tractatus  de  conciliis  ,  de  summi 
pontifieis  autoritnte  ,  de  regalià  ,  de 
simonid  ,  de  usuris  ,  de  censuris ,  de 
regularibus  ,  de  beneficiis  ecclesias- 
ticis  ,  de  matrimonio ,  de  testamen- 
tis  ,  et  alia  plura  reconditœ  doctrinœ 
monimenta  exarauit.  Il  publia  un 
recueil  de  poe'sies  et  de  harangues 
latines,  l'an  i655  ,  in-8n. 

(F)  Il  mourut  tris-bien  préparé.] 
Je  rapporte  à  cela  le  legs  qu'il  fit  ;'i 
la  faculté  de  droit.  Il  est  destiné  à 
faire  dire  quatre  fois  l'an  une  messe, 
où  tous  les  professeurs  et  tous  les 
docteurs  présens  reçoivent  une  cer- 
taine somme  (5). 

(5)  Legata  prius  juris  ulriusque  Jhcultati  ad 
sacros  ancturn  missm  sacrificiutn  slatis  diebus 
qualer  in  anno  celebrandum  summâ,  ab  anle- 
cessoribus  et  doctoribus  uriusque  ordinis  prce- 
sentibus  percipienda.  Vita  Hallsei. 


(A)  Leur  destin  dépendait  de  cer- 
tains arbres  avec  lesquels  elles  nais- 
saient et  elles  mouraient.]  Voyons 
la  note  du  grammairien  Servius  sur 
le  vers  62  de  la  Xe.  Ëclogue  de 
Virgile.  Hamadry ades ,  dit-il  ,  Nym- 
jihie  quœ  cum  arboribus  et  nascun- 
tur  et  pereunt  ,  dm)  toS  âi/ux  xxt  t»; 
«Tpt/àç ,  qualis  fuit  Ma  ,  quant  Kry- 
sichlhon  occidit  :  qui  cum  arborent 
inciderel  ,  et  cox  indc  erupit  ,  et 
sanguis  ,  sicut  docet  Ouidius.  Ovide, 
cité  par  ce  grammairien,  a  décrit  élé- 
gamment les  complaintes  et  l'infor- 
tune de  l'Hamachyade  que  l'impie 
Érysichthon  lit  périr.  Elle  vivait  dans 
un  vieux  chêne  d'une  grandeur  pro- 
digieuse ,  et  que  tout  le  monde  res- 
pectait (1).  Les  valets  d'Érysichthon 
n'osaient  obéir  à  l'ordre  qu'il  leur 
donnait  de  couper  cet  arbre  :  il  fal- 
lut qu'il  mît  lui-même  la  main  à 
l'œuvre. 

Dixit  ,  et  obtiquos  dum  telum  librat  in  ictus, 
Conlremuit,  geinilumque  dedu  Dodonia  quer- 
cus  : 


HAMADRYADËS.     C'est  ainsi         El  pariterf, ondes  .pariterpallescere  glandes 
nnp    l'nn      annplait     lp«      nvmr>hp«  Cœpere ,  ac  Ivngi  palloiem  ducere  rami. 

que  t  on   appelait  tes    nympne»       Cu-us  ul  ,„  lrunco  fecit  manus  impia  vu{nu^ 

dont  le  destin  dépendait   de  Cer-        Baud  aliter  JliixU  discusso  eortice  sanguis-, 

.     .  1  x     ,  1  11  Quam   solel,    ante   aras   ingens  ubi  viclima 

tains  arbres  avec   lesquels  elles  taums 

naissaient  et  elles  mouraient  (A).       .C°"c,*î\fl.6??rt? .c™r.  \  c""ice  Profundi 

C'était  principalement  avec   les      , 

1    a  »    11  •  Edilus  è  medio  sonw  est  cum  robore  talcs: 

chênes  qu  elles  avaient  cette  gran-      jyjm,,ha  sub  hoc  ego  sum ,  Ceren  graiissima, 
de  union  (a).  On  dit  qu'elles  té-       ~    'fl"'*,  , 

\     '  "1.  Vœ   l'<"   factorum   pçenas  inslare    tuurum 

mOlglierent  quelquefois  Une  ex—  Vaticinor'moriens,  nostri  solatia  lethi  (2;. 

trême  reconnaissance  à  ceux  qui  II  y  a  des  grammairiens  qui  divisent 

les  garantirent  de  la  mort  (B)  ,  ce  que  Servius  unit.  Ils  veulent  que 

et  que  ceux  qui  n'eurent  aucun  les,  Hamadryades  aient  été  ainsi  ap- 

,      *  ,  111  •-  >  1  pelées  ,  ou  parce  qu  elles  naissaient , 

égard  aux  humbles  prières  qu  el-  lou   parce   J^vaieS   mouraient    avec 

les  leur  firent  d'épargnerles  ar-  des  chênes.  'hyxSpviixc  vûpqxç  Mv«- 

bres  dont  elles  dépendaient,  en  riy.*-X°s  <$»<rt,  Six  to  xy.x  r&ï;  SpuTt 

furent  punis  (C).  11  n'y  avait  rien  >'v!*i*''  "  *?"  ^"^  T^l**  ff0ei 

,  L  .    x     '  ,*'..  -,  qbitpis-titti  ,   vuy.âxi    xy.xàs.-jxSic    Xs-yov- 

entre  les  naturesmortelles  qui  ve-  Tst(  (3),  1}  faut  rejeter  ce  parta£e  f 

eût  autant  que  cette  sorte  de  nym-  puisque  le  sentiment  général  est  que 

phes  (D).  Les  poètes  ont  quelque-  ]a  vie  de  ces  nymphes  avait  préci- 

fois  plis  les  HamadryadeS  pour  leS         (»)  Stabat  in  his  ingens  annoso  robore  quer- 

Naïades  (E)  :  ils   ne  s'assujetis-       Vna"nemtu 

saient  point  si  exactement  aux  dé-      •„■ ;•••,•• 

..!■-        .  ,  Mensuraque  robons  ulnas 

finitions  de  chaque  espèce  ,  qu  ils       Quinqw  ter  imputai 

1  c        J*  m  11  Ovid.,  dletam.  ,  lib.    VI II.  vs.  '•^u. 

ne   les    confondissent   ensemble      (*)  idem,  ibidem,  vs.  163. 

quand  ils  le  iugeaient  à  propos.      (3)  Scholiast.  Apollon   ui.oaii,  in  va.  11, 

1  '     °  l         l  W.  4T9.    VS-  '"•  "!32-   Vojez  aussi  Plularque, 

A  de  Oràculor.  defertu  ,  pag .  4i5  ,  ou  il  rapporte 

[a)  Voyez  la  remarque  \K).  citation  (O ,.  ces  parties  de  Piudare. 


494 


IIAMADRYADES. 


sèment  la  même  durée  que  la  vie  de 
leurs  arbres.  De  là  vient  que  Pindare, 
dans  un  poème  qui  s'est  perdu  ,  avait 
dit  IroSîvfpov  Tt>i/j.u,p  a.tâ>vbç  X&X,ouo-a. , 
finem  cevi  œqualis  arbori  nacta.  Cal- 
limaque  s'est  servi  de  cette  expres- 
sion , 

"Hàiko;  ds-ëfAOLivovc-a,  Ttipt  iïpuoç  , 
coœtancam  ingemiscens  propterquer- 
cum  (4^,  en  parlant  de  l'Hamadryade 
Me'lie.  Apollonius  l'a  imite'  ,  lors- 
qu'il a  introduit  une  Hamadryade 
qui  priait  qu'on  ne  coupât  point  un 
certain  arbre. 

"H  fi/.IV    Ôeft/fO^USV»    à<flVû>  [AU'hlTTiTCl  (A\J- 

M»   Tet/J.SilV  TTfê^MVOV    eTptlOÇ    MMXOÇ   M    i7tl 
TTOVXÙV 

Aiceva.  TpiCicnii  cTimvsksç. 
Çuœ  ipsiflens  blandiebalur  voce  miserabili , 
Ne  cowvam  extirparel  arborera,  in  qud  mulla 
Usque  sœcula  degissel  (5). 

Joignons  à  ces  témoignages  encore 
une  autorite  ;  c'est  celle  d'Homère. 
Nous  lisons  dans  l'une  de  ses  Hymnes, 
qu'il  y  a  des  arbres  qui  naissent  en 
même  temps  que  les  nymphes  ,  et 
que  celles-ci  meurent  lorsque  ces 
arbres  se  sèchent. 

Tmo-kT'  cîju   h  ixireti  m  S'pvic  {/■\\KU,pt\- 

voi 
Têivo^lviiiriv  6<|>v3"«.v  ki    X,Qovi  (Ioùth/l- 

•ttlpy. 

'Axâ   ot£  mv   <Tà   p'jTpet,   7ra.piçv\x.y  6a.- 

VstTCllO, 

'AÇotv4Ta,i  y.iv  wpœ-Tov   in)   ^,âov<  éiv- 

<fp£sl  KO.KO,  , 

4>xoioç  <T'  dfAqiTripiqQtvi/Bu,    m7tTwo-\ 

«T'  à.TT    VCfil  , 

Tœv  cTà  x!  ôfjiw  4"^*1   ^i'7ri'  <$*&£  Ht" 

m'oio. 
Simul  aulem  cum  hit  nymphis  nul  abieles ,  (lut 

quercus  altis  capitibus  prccdilœ 
Ifascentibus    nascuntur  super  terrain  alen- 

tem-viros , 

Sed  quando  jam  parca  asliterit  mortis, 
Siccanlur   qziidem  primum  super  terrain  ar' 

bores  pulchrœ. 
Cortex  aulem   circum-circa  corrumpilur,  ca- 

dunt  ver'o  ab  ipsis  rami. 
H  arum  aulem  simul  anima  relinquil  luccmso- 

lis  (C). 

Stace  fait  mention  d'un  bois  dont  la 
dure'e  avait  surpasse  celle  de»  nym- 

(4)  Callimacb-,  Hymn    in  Delum  ,  w.  8i. 

(5)  Apollon.  Rbod.,  lib.  II,  vs.  480,  p. m.  jg3. 

(6)  Homrr.,  IJymn.  in  Yeuer. ,  pag.  m.  852. 
v.  2C5.  ssqq. 


plies  et  des  faunes;  mais  cela  ne 
choque  point  la  tradition  qui  regar- 
dait en  particulier  les  Hamadryades. 
Outre  cela  ,  qui  ne  sait  que  les  saillies 
de  ce  poète  ne  respectaient  rien  ?  Il 
ne  serait  donc  pas  raisonnable  d'y 
faire  attention  ,  comme  à  des  choses 
qui  pussent  être  opposées  à  l'opinion 
générale.  Vous  trouverez  ses  paroles 
dans  la  remarque  (D).  Ausone  ,  plus 
éloigné  que  lui  de  la  source  ,  s'est 
pourtant  mieux  conformé  à  la  vieille 
tradition.  IVon  sine  Hamadryadis 
Jato  ,  dit-il  (7)  ,  cadit  arborea  trabs. 

Notez  que  Pausanias  s'exprime 
d'une  manière  qui  semble  prouver 
que  les  Hamadryades  étaient  plus 
jeunes  que  leurs  arbres.  TiÔopsav  Si  , 
dit-il  (8)  en  parlant  d'une  ville  qui 
s'appelait  Tithoréa  ,  o«  «Tn^aipio»  jcxh- 
Ënvctt  <fct<riv  À7to  TtOopta,';  vû/jt^»(t  oiati 
tÙ  àpXa.'ta>    'Koyie    tu!    7romrâ)v    ê<pt»0VT0 

À7T0    Tê    d.XXceV   <fêV<ff&)V,    X.O.I    ^tctÀIÇ"*  d7T0 

tuv  Jpi/âv.  Tithoream  incolœ  vocatam. 
esse  dicunt  h  Tithoreâ  nymphâ  ,  de 
iis  una  quas  priscipoëlarum  sermones, 
qu'uni  ex  cœteris  arboribus  ,  tum  uerb 
è  quercubus  maxime  genitas  prodi- 
derunt.  C'est  nous  représenter  les 
arbres  comme  les  mères  des  Hama- 
dryades :  il  n'est  donc  pas  vrai 
qu'elles  naquissent  en  même  temps 
qu'eux.  Mais  je  ne  crois  point  qu'il 
faille  insister  beaucoup  sur  les  expres- 
sions de  Pausanias:  ce  n'était  pas 
son  affaire  que  de  décrire  avec  pré- 
cision la  nature  de  ces  vieilles  fables. 
Tenons-nous-en  donc  à  ceci  ;  c'est 
que  les  poètes  ont  assuré  que  ces 
nymphes  et  les  arbres  naissaient  en 
même  temps.  Prenez  garde  que  Pau* 
sanias  remarque  qu'elles  naissaient 
principalement  du  chêne.  Je  ne  vois 
point  qu'on  puisse  combattre  cela 
par  l'autorité  de  Phérénicus  ;  car  il 
me  semble  que  ce  qu'il  raconte  ne 
concerne  point  les  Hamadryades  pro- 
prement dites.  Il  rapporte  (9)  que  le 
figuier  fut  appelé  a-ux.li  du  nom  d'une 
fille  d'Oxylus  ,  et  que  cet  Oxylus 
ayant  couché  avec  Hamadryade ,  sa 
sœur,  engendra  huit  filles  ,  qui  furent 
toutes     nommées    nymphes     Hama- 

(7)  Auson.,  Edyll.  XII,  pag.  m.  483.  Con- 
férez les  vers  de  Halzac  ,  rapportés  dans  la  re- 
marque (K)  de  Varlicte  Thomas  (Paul},    loin. 

ki  y. 

(8)  Pausan.,  lib.  X,  cap.  XXXII,  pag.  879. 
(g)  Apud  Atlicnœum,  lib.  III,  pag.  78. 


HAMADRYADES. 


dryades  ;  mais  elles  avaient  chacune 
un  nom  particulier,  que  l'on  imposa 
ensuite  à  des  arbres.  Celle  d'entre 
elles  qui  avait  nom  o-ux» ,  Syce,  fut 
l'étymologie  du  nom  du  figuier.  11 
me    semble    qu'Hamadryade ,    sœur 


49^ 

pelait  Prospeléa  (12).  On  ne  trouve 
dans  Pausanias  ,  sinon  qu'Arcas  fut 
marie  avec  une  nymphe  Dryade  qui 
se  Dommail  Erato  ,  et  qui  lui  donna 
trois  garçons  (i3).  On  pourrait  con- 
clure de  ceci  qu'encore  «un-  les  Ha- 


d'Oxylus  ,  n'était  point  de  la  même    madryades  ne  pussent  survivre  à  leur 
espèce  que  les  nymphes  dont  il  s'agit    chêne,  ou   à  leur  sapin  ,    elc.  ,  elles 


dans  cet  article.  Cela  soit  dit  avec  la 
permission  d'un  illustre  auteur  (10). 
(B)  On  dit  qu'elles  témoignèrent 
quelquefois  une  extrême  reconnais- 
sance a  ceux  qui  les  garantirent  de 
la  mort.]  Un  certain  homme  nommé 
Khœcus  ,  s'étant  aperçu  qu'un  chêne 


pouvaient  quelquefois  s'en  détacher  ; 
et  si  cette  conséquence  était  dou- 
teuse, il  la  faudrait  fortifier  par  un 
passage  d'Homère  ,  où  Fou  apprend 
que  les  mêmes  nymphes  qui  nais- 
saient et  qui  mouraient  avec  des 
arbres  ,    goûtaient    les     plaisirs    de 


était  topt  prêt  à  tomber,  commanda    l'amour  dans  les   cavernes     avec  les 
à  ses  enfans  de  prévenir  cette  chute ,    Silènes, 
en  affermissant  la  terre   autour   de 


l'arbre,  ou  en  y  mettant  des  appuis. 
La  nymphe  ,  qui  serait  périe  si  ce 
chêne  fût  tombé ,  se  fit  voir  à  Khœ- 
cus ,  et  le  remercia  de  ce  qu'il  lui 
avait  sauvé  la  vie  ,  et  lui  permit  de 
demander  telle  récompense  qu'il  sou- 
haiterait. Il  répondit  qu'il  souhaitait 
de  jouir  d'elle.  La  nymphe  lui  pro- 
mit là-dessus  toute  sorte  de  conten- 
tement ,  et  lui  commanda  de  s'ab- 
stenir de  toute  autre  femme.  Elle 
ajouta  qu'une  abeille  leur  servirait 
de  messager.  Mais  l'abeille  étant  ve- 


A,- 


Tjis-i  S-  SlXMVO»   té    xai    sirVxoîTOS 

MjV^ovt    sv    9iX'jtmt(    y-uX<?    ovrttœv 

epoêVTœv. 
Cum  his  aulem  Silenique  et  bonus  explorator 

Argicida , 
Miscentur    in  amore  in  recessu  speluncarum 

amabilium  (i4). 

(C)  Ceux  qui  ri  eurent  point  d'égard 

ii  leurs....  prières...  en  furent  punis. ] 
Apollonius  raconte  que  le  père  de 
Péribée  attira  sur  soi ,  et  sur  ses 
enfans ,  une  très-dure  malédiction  , 
parce   qu'il   avait    coupé   un    arbr 


fut  mutilé  (11).  Voilà  cequeCharon    avons  vu  ci_dessus   sa  supplication. 

de  Lampsaque  racontait ,  si  nous  en    £a  voici  Ja  suite  : 

croyons    le    scoliaste    d'Apollonius. 

Il    faisait   un  autre  récit,    et  d'une        ;••••••"■  ;  A</T-àp  ô  th'v  je 

meilleure  conclusion.  Le  voici  tel  'A<ty*<fêa>c  trpngtv  ,  iynvoflv  vsÔth- 
que  je  le  trouve  dans  Katalis  Cornes  , 
qui  ne  cite  point  l'auteur  qui  lui  a 
fourni  cela.  Arcas  ,  fils  de  Jupiter  et 
de  Callisto  ,  chassait  dans  un  bois  , 
lorsqu'il  rencontra  une  Hamadryade 
qui  courait  grand  risque  de  périr  ; 
car  l'arbre  avec  lequel  elle  était  née  , 
avait  été  fort  endommagé  dans  ses 
racines  par  les  eaux  d'un  fleuve.  Elle 
supplia  Arcas  de  le  sauver  :  il  lui  ac- 
corda cette  grâce  en  détournant  le 
cours  de  cette  rivière  ,  et  en  le  fai- 
sant rechausser.  La  nymphe  ne  fut 
point  ingrate  5  elle  lui  accorda  ce 
que  l'on  nomme  la  dernière  faveur, 
et  eut  deux  enfans  de  lui.  Elle  s'ap- 

(10)  Vide  Sumliem,  ,  in  Callim.  Ilynino  in 
Drlum,  vs.  83fPb^.  3^8. 

(n)"fîç-ê  w»fû)6Jiv ai  «t/fèv.  Scbol.  Apol- 
lon. ,  in  lib.  //,  vs.  479. 


TOC 
Tû)    ef    àfCL    V»Kêf<f»    tlûf/.q»   7T0fiV     ClITOV 

Al/Tf»    X.0.1  TêXêSO-ÉTIV. 

Eam  tatnen  ille 

Incogitale  fuccidilperjuvenilem  petulantiam. 
Quamobrem  inutile  deindè  manupretium  nym- 

pha 
Et  ip.u  persolvit  et  generi  (i5) 

(D)  Il  n'y  avait  rien qui  vécût 

autant  que  cette  sorte  de  nymphes.'] 
Ausone  nous   apprend  cela  dans  les 

(12)  Tiré  de  Natalis  Cornes ,  Mytbol  ,  lib.  V, 

cnp  XI.  pag.  m.  4G5  ,  4' 6-  liait  </w  l  liaron 
<\e  Lampsaque  a  e'cril  cela;  mais  tous  les  écrits 
de  cet  auteur  étant  péris,  il  fallait  que  Natalis 
Cornes  citât  celui  qui  aie  Charon  île  Lampsaque. 

(13)  Pansan.,  lib.  VIII,  cap.  IV,  pag.  604. 
(i4)Homer. ,  Hynin.  in  Vener. ,  pag.  m.  852, 

v.   a63. 

(i5)  Apollon.   RI10J.,  lib.  II ,  vs.  481,  pag. 
193. 


HAMADRYADES. 


496 

vers  que  je  m'en  vais  copier ,  et  qui 
sont  une  version  du  grec  d'Hésiode  ■ 

Ter  binos  deciesque  notent  super  exit  in  an- 
nos  , 
Jusla  senescenlum  quos  implet  fila  virorum. 
ffos  novies  superal  vivendo  garrula  cornix  : 
Et  qualer  egredilur  cornicis  secula  cervus. 
AUpedem  cervum  1er  vincil  corvus  •'  et  illum 
Mulliphcal  novies  Phœnix  ,  reparahilis  aies. 
Quatn  vos  perpétua  decies  prœverùtis  œvo , 
Nymphœ  Hamadryades  :  quorum  longissima 

vita  est. 
Hi  cohibent  fines  vivacia  fala  animantûm. 
Cœlera  secreli  novil  deus  arbiter  œvi 
Tempora  (16) 

Le  poème  d'He'siode  où  se  trouvait 
cette  doctrine  ne  subsiste  plus  ;  mais 
on  en  peut  voir  un  fragment  dans  un 
traite'  de  Plutarque  ;  un  fragment  , 
dis-je,  qui  ne  contient  que  cinq  vers. 
Rapportons  cet  endroit-là  de  Plutar- 
que, selon  la  version  d'Amyot  ;  nous 
y  apprendrons  qu'il  y  avait  des  païens 
qui  soutenaient  la  mortalité'  des  di- 
vinités du  second  rang.  «  He'siode  a 
3>  le  premier  purement  et  distincte- 
«  ment  mis  quatre  genres  de  natures 
»  raisonnables  :  les  dieux  ,  les  dae- 
»  mons,  plusieurs  en  nombre  et  bons, 

»  les  demi-dieux  et  les  hommes 

»  11  estime  que  les  dœmons  mesmes  , 
«  après  certaines  révolutions  de 
»  temps  ,  viennent  à  mourir  :  car , 
»  parlant  en  la  personne  d'une  Nai- 
»  de ,  il  désigne  le  tempe  auquel  ils 
»  viennent  à  définir, 

»  Neuf  hommes  vil  la  corneille  criarde  ; 

»  Le  cerf  autant  quatre  fois  vif  se  garde  ; 

»  Le  corbeau  noir  si  longuement  vieillit , 

»  Que  de  trois  cerfs  les  vies  il  emplit  ; 

»  Et  le  phénix  de' neuf  corbeaux  égale 

»  Les  jours  :  mais  vous,  prugenie  royale 

<•  De  Jupiter,  nymphes  aux  chefs  plaisans , 

»  De  dix  phénix  vous  fournisse.!,  les  ans. 

»  Or,  ceux  qui  ne  prenent  pas  bien 
»  ce  que  le  poè'te  a  voulu  entendre 
}>  par  ce  mot  Genean  ,  c'est-à-dire 
»  l'âge  de  l'homme  ,  font  monter  ces- 
j)  te  somme  de  temps  à  un  grand 
3>  nombre  d'années,  car  ce  n'est  seu- 
3>  lement  qu'un  an  ,  de  manière  que 
v  la  somme  totale  ne  vient  à  faire 
»  que  neuf-mille-sept-cens  et  vingt 
3)  ans  ,  qui  est  la  durée  de  la  vie  des 
3)  dœmons.  Et  y  a  plusieurs  des  ma- 
»  tbematiciens  qui  la  font  plus  cour- 
»  te  que  cela.  Pindare  mesme  ne  la 
3)  fait  pas  plus  grande  quand  il  dit 
3>  que  les  nymphes  ont  la  destinée 
3>  de  leur  vie  égale  aux  arbres  ,   et 

(16)  Anson. ,  edyll.  XVIII,  pag-  m.  533. 


»  que  c'est  pour  cela  qu'on  les  ap  ■ 
»  pelle  Amadryades  ,  pource  qu'elles 
j)  naissent  et  meurent  avec  les  ches- 
»  nés  (17).  »  Plutarque  mérite  quel- 
que censure  pour  n'avoir  pas  rap- 
porté le  vers  où  Hésiode  marquait  la 
durée  de  la  vie  humaine  ,  car  c'était 
la  base  de  tous  les  calculs  suivans. 
Je  puis  supposer  qu'Hésiode  avait 
marqué  cette  durée  ,  puisque  son 
traducteur  commence  par  dire  que 
l'âge  de  l'homme  comprend  quatre- 
vingt-seize  ans.  Cette  mesure  étant 
une  fois  posée ,  on  peut  supposer 
combien  vivent  les  cerfs  ,  les  cor- 
beaux ,  etc.  ;  et  l'on  trouve  que  la 
corneille  vit  huit  cent  soixante-qua- 
tre ans  ;  le  cerf  trois  mille  quatre 
cent  cinquante-six  ,  le  corbeau  dix 
mille  trois  cent  soixante-huit  ,  le 
phénix  quatre-vingt  treize  mille  trois 
cent  douze  ,  et  l'Hamadryade  neuf 
cent  trente -trois  mille  cent  vingt. 
Tout  cela  est  ridicule  ,  et  Pline  a 
raison  de  le  rejeter  comme  fabuleux. 
De  spatio  atque  longinquitate  uitœ 
hominum  ,  non  locorum  modo  situs , 
verhm  exempta  ,  ac  sua  cuique  sors 
nascendi  incertum  Jiecére.  Hesiodus  , 
qui  primus  aliqua  de  hoc  prodidit  , 
fabulosè  (  ut  reor  )  mu/la  de  homi- 
num, œvo  referens,  cornici  novem  nos- 
tras  attribuit  œtates ,  quadruplum 
ejus  cervis  ,  id  Irijilicatum  corvis.  Et 
reliqua  fabulosiùs  in  phœnice  ,  ac 
nymphis  (18).  Quand  on  réduirait  la 
chose  à  la  plus  petite  supputation  , 
qui  est  celle  de  ne  donner  qu'une 
année  à  l'âge  de  l'homme  (19)  ,  on 
trouverait  fausse  la  doctrine  d'Hé- 
siode à  l'égard  des  Hamadryades  : 
elles  ne  peuvent  vivie  qu'autant  que 
les  arbres  ;  or  il  n'y  a  point  d'arbre 
qui  puisse  vivre  neuf  mille  sept  cent 
vingt  ans.  Ce  que  Pline  rapporte  de  la 
longue  vie  de  quelques  arbres  (20)  , 
ce  que  d'autres  disent  du  chêne  de 
Mamré  (21),  cent  contes  de  même  na- 
ture ,  quand  ils  seraient  aussi  vérita- 

(i-j)  Plutarcli. ,  de  Oraculor.  defectu  ,  pag. 
4i5. 

(t8)Plin.  ,  lib.  VII,  cap.  XLV1II  ,pag. 
m.  73. 

(19)  C'est-à-dire ,  de  supposer,  comme  dans 
le  passage  de  Plutarque,  qu'Hésiode ,  par  le 
mol  genea  ,  entendait  un  an. 

(20)  Plin.  ,  lib.  XVI,  ca^LI.IV. 

(21)  Voyez  la  remarque^QJ)  des  articles 
Abraham  et  Barcochébas  ,  !»m.  /,  pag.  gi  ,  et 
III ,  pag,  117. 


H  A  M  A  DRYADES. 


497 


blés  qu'ils  sont  douteux,  ne  prouve- 
raient rien  contre  moi. 

Notez  que  le  poè'te  Stace  suppose 
que  les  demi-dieux  sujets  à  la  mort 
ne  vivent  pas  aussi  long-temps  que 
les  arbres.  11  fait  mention  d'un  bois 
qui  avait  vu  renouveler  ses  Dryades 
et  ses  Faunes ,  et  que  Ton  pourrait 
comparer  à  ces  vieux  châteaux  qui 
ont  servi  de  demeure  aux  pères  ,  aux 
fils ,  aux  petits-fils.  etc. 

Stat  sacra  seneclœ 

Numine,  nec  solos  hominum  transgressa  ve- 

terno 
Ferlur  avos,  nymphas  ctiam  mutasse  super- 

stes, 
Faunorumque  reges  (22) 

11  parle  ailleurs  un  peu  autrement  ; 
car  il  suppose  que  l'arbre  mourrait  si 
l'IIamadryade  cessait  de  vivre. 

Çuid  te  ,  quœ  mediis  servala  penatibus  ,  ar- 
bor , 

Tecta  per  et  postes  liquidas  emergis  in  auras? 

Quo  non  sub  domino  sœvas  passura  bipennes? 

El  nunc  ignaro  Jorsan  vel  lubrica  Nais , 

Vel  non  abruplos  libi  démet  Hamadryas  an- 
nos  (aâ,1 . 

Au  reste,  il  n'a  pas  été  malaise'  aux  gen- 
tils de  s'imaginer  qu'il  y  avait  de  cette 
espèce  de  nymphes;  car  ils  concevaient 
des  sentimens  de  vénération  et  de  re- 
ligion pour  les  arbres  qu'ils  croyaient 
être  fort  vieux,  et  dont  la  grandeur 
extraordinaire  était  un  signe  d'une 
longue  vie  (24).  Il  n'était  pas  mal- 
aisé de  passer  de  là  jusqu'à  croire 
qu'ils  étaient  la  demeure  d'une  di- 
vinité. On  en  fit  une  idole  naturelle; 
je  veux  dire  que  l'on  se  persuada  que 
sans  le  secours  des  consécrations,  qui 
faisaient  descendre  dans  les  statues 
la  divinité  à  laquelle  on  les  dédiait  , 
une  nymphe ^  une  divinité  ,  s'était 
concentrée  dans  ces  arbres.  Le  chêne 
qu'Érysichthon  coupa  était  vénéré 
pour  sa  grandeur  et  pour  sa  vieilles- 
se :  on  l'ornait  comme  un  lieu  sacré  ; 
on  y  appendait  les  témoignages  du 
bon  succès  de  sa  dévotion  ,  et  les  mo- 
numens  d'un  vœu  exaucé. 

Stabal  in  his  ingens  annoso  robore  quercus 
Una,  nemus  :  villa;  m-diam  memoresque  la- 

bellœ  , 
Sertaque  cingebanl ,    voti  argumenta  polei;- 

tis  (25). 

(25)  Statius,  Tbeb.  ,  lib.  VI,  vs.cfi. 

(23)  Idem,  Silva  III  ,  lib.  I,  vs.  5y,  pag.  m. 
i'l  ,  i5. 

(24)  Ennium  sicut  sacros  velustale  lucos  ado- 
remus  in  quibus  grandia  et  antiqua  robora  jam 
non  tanlam  ha/ient  speciem  ,  quanlam  religio- 
neni.  Quîntîl. ,  lib.  X  ,  cap.  I,  jnt^    m    471 

■>.?•)  Ov'ul.,  Metam.  ,  lib.  FI  11    Vi    -i'> 

TOMF    VII. 


Se  faut-il  étonner  qu'il  ait  été  pris 
pour  la  demeure  d'une  Ilainadryadc  ? 
(E)  Les  poêles  ont  quelquefois  pris 
les  Hamadryades  pour  les  Naïades.  | 
C'est  ce  qu'a  fait  Properce  en  par- 
lant des  nymphes  qui  enlevèrent  le 
mignon  d'Hercule  (26)  :  il  les  appelle 
tantôt  Hamadryades,  tantôt  Dryades  : 
c'étaient  néanmoins  les  nymphes 
d'une  fontaine.  Ovide  ,  tout  au  re- 
bours,  appelle  Naïades  les  nymphes 
dont  le  destin  dépendait  d'un  arbre 

Naida  vulneribiu  succidil  in  arbore  faclis , 

Illa  périt  :  fatum  naiados  arbor  eral  (27) 

Par  occasion  ,  je  remarquerai  qu'il 
était  encore  plus  ordinaire  de  con- 
fondre réciproquement  les  Hama 
dryades  et  les  Dryades.  Il  y  a  dan; 
Y  Hercules  Oeteus  une  scène  où  l'on 
a  décrit  les  efléts  du  chant  d'Orphée 
On  y  dit,  entre  autres  choses,  que  les 
Dryades  quittant  leurs  arbres  accou- 
raient vers  lui  : 

Et  quercum  fugiens  suam 

Ad  valem  properal  Dry  as  (28). 

Il  y  a  quelque  apparence  qu'il  s'agit 
là  de  ces  mêmes  nymphes  qui  nais 
saient  et  [qui  mouraient  avec  un  ar- 
bre ,  et  qu'à  proprement  parler  on 
nommait  Hamadryades  ,  et  non  pas 
Dryades.  La  tradition  ne  portait  pas 
constamment  que  ces  nymphes-là  ne 
se  pussent  détacher  jamais  de  leurs 
arbres,  non  pas  même  pour  quelques 
momens.  Ainsi  Sénéque  a  pu  suppo- 
ser qu'elles  les  quittèrent  pour  aller 
entendre  le  chant  d'Orphée.  Notez 
que  Servius  s'est  trompé  lorsqu'il  a 
cru  que  le  poète  Stace  a  parlé  des  Ha- 
madryades dans  ces  vers  du  VIe.  li- 
vre de  la  Thébaïde  : 

Linqunnl  fientes  dilecta  locomni 

Olia  cana  Pales,  Silvanusque arbiter  umbrie, 
Semideiimque   pecus  ,    inigranlibiis    atlgenut 

iWt 

Silva,  nec   amplexœ  dimillunl  robora  nym- 
phœ  (29). 

Il   est  sûr  que    les   nymphes  dont  il 
s'agit  là  étaient,  celles  que  l'on  appe 
lait  proprement  Dryades  ,  et  qu'ainsi 
Servius  a  eu  tort  d'appliquer  le  nec 
amplexœ  dimitlunt  robora   nymphes 

(26)  Propert.  ,  eleg.  XX  ,  lib.  I 

(27)  Ovidius ,  Fast. ,  lib.  IV,  vs.  î3i. 

(28)  Scneca  ,  1»  Herc,  OFtco  ,  vs.  io5i  ,  pag. 
m.  322. 

(29)  Statius,  Tlirb      lib.  VI ,  n.   no,  pag. 
m.  234. 

32 


498  H  AN  NON. 

aux  Hamadryades  ,  dont  il  venait  de 
donner  le  caractère  par  ces  paroles  : 
Hamadryades  cum  arboribus  et  nas- 
cuntur  et  pereunt ,  undè  plerumque  , 
cœsâ  arbore  ,  sanguis  émanât  (3o). 
Barthius  n'a  point  aperçu  l'erreur  de 
ce  grammairien  ,  quoiqu'il  allègue 
un  passage  qui  était  fort  propre  à  la 
lui  faire  connaître  :  Pulchra  notatio 
in  Commentario  antiquo ,  dit-il  (3i)  , 
Dimittunt.  ]  Non  cum  effectu  intel- 
lige ,  dimittunt  enim  omninô,  quam- 
vis  serô  dimittant.  Sed  diuturnitatem 
manifestât  amoris  ,  non  abscessisse 
nymphas  ,  nisi  penitùs  prostratis  ar- 
boribus. Sic  solemus  dicere  :  ille  mo- 
dum  non  facit  plorandi  ,  non  facit 
alius  finem  ridendi ,  cùm  diutiùs  ri- 
deat  aut  flcat.  Ces  paroles  ne  mon- 
trent-elles pas  clairement  que  Stace 
ne  parle  point  de  la  même  espèce  de 
nymphes  que  Servius  a  définie  ,  et 
qui  mouraient  nécessairement  lors- 
que leurs  arbres  e'taient  coupe's  ? 

(3o)  Servius ,  in  .fëneid.  ,  lib.  III,  9S.  34- 
(3i)  Barth.  ,    ia   Stalii    Theb.,    lib.    VI,  vs. 
n3,  pag.  38g,  tom.  III. 

HANNON ,  général  des  Car- 
thaginois ,  fut  chargé  de  fai- 
re le  tour  de  l'Afrique  (a).  Il 
entra  dans  l'Océan  par  le  dé- 
troit que  nous  appelons  de  Gi- 
braltar, et  découvrit  plusieurs 
pays  (b)-  Il  eût  continué  sa  navi- 
gation si  les  vivres  ne  lui  eus- 
sent manqué.  Quelques-uns  as- 
surent qu'il  l'acheva  (A) ,  je  veux 
dire  qu'il  parvint  jusques  à  l'ex- 
trémité de  l'Arabie.  Il  composa 
une  relation  de  son  voyage  ,  qui 
fut  souvent  alléguée  :  mais  on  n'y 
ajoutait  pas  beaucoup  de  foi  (B). 
Il  en  reste  quelque  chose  (C). 
On  n'est  point  d'accord  sur  le 
temps  oii  il  a  vécu  (D) ,  et  l'on 
n'a  aucune  preuve  que  les  Car- 
thaginois l'aient  fait  mourir.  Il 
appendit  au  temple  de  Junon  la 
peau  de  quelques  femmes  Sauva- 
fa)  Voyez  la  remarque  (B). 
(b)  Pline  et  Pomponius  Mêla ,  cités  dans  la 
remarque  (A). 


ges  qui  avaient  été  écorchées 
par  son  ordre.  Voyez  la  dernière 
remarque  (c). 

(c)  Citation  (21). 

(A)  //  eût  continué  sa  navigation 
si  les  vivres  ne  lui  eussent  manqué. 
Quelques-uns  assurent  qu'il  l'ache- 
va.] Deux  passages  ,  l'un  de  Pompo- 
nius Mêla  ,  l'autre  de  Pline  ,  feront 
ici  notre  commentaire.  Hanno  Car- 
thaginensis  explèratum  missus  a  suis, 
cum  per  Oceani  oslium  exlsset,  mag- 
nam  partent  ejus  circumvectus  ,  non 
se  mare  sed  commeatum  dejecisse 
moralu  retulerat  (1).  Voyons  les  pa- 
roles de  Pline  (a)  :  Et  Hanno,  Car- 
thaginis  potentid  florente  ,  circum- 
vectus à  Gadibus  ad  Jinem  Arabiœ  , 
navigationem  eam  prodidit  scripto. 
Saumaise  suppose  que  Pline  s'est  abu- 
se' ,  et  qu'Hannon  ne  poussa  pas  ses 
découvertes  jusqu'à  la  mer  Rouge  , 
mais  seulement  jusqu'aux  îles  Gor- 
gades  (3).  Isaac  Vossius  ne  s'éloigne 
pas  de  ce  sentiment  ;  il  croit  que 
l'île  qu'on  nomme  aujourd'hui  de 
Sainte- Anne,  borna  la  navigation  de 
ce  général  carthaginois  (4). 

(B)  Il  composa  une  relation ; 

mais  on  n'y  ajoutait  pas  beaucoup  de 
foi.  ]  Pline  ,  assez  indulgent  d'ail- 
leurs ,  comme  tout  le  monde  le  sait, 
n'a  pu  s'abstenir  de  dire  que  cet  au- 
teur avait  débité  beaucoup  de  fables. 
Fuérc  ,  dit-il  (5)  ,  et  Hannonis  Car- 
thaginensium  ducis  Comme ntarii,Pu- 
fiicis  rébus  florentissimis  explorare 
ambitum  Africœ  jussi±  quem  seculi 
plerique  è  Grœcis  noslrisque ,  et  alia 
quœdamfabulosa ,  et  urbes  multas  ab 
eo  conditas  ibi  prodidére  ,  quarum 
nec  memoria  ulla  nec  vesligium  ex- 
stat.  Voyez  aussi  Athénée  (o). 

(C)   Il  en  reste  quelque  chose.] 

Sigismond  Gélénius  le  fit  imprimer 
en  grec  ,  à  Bâle  ,  chez  Froben  ,  l'an 
1 533.  On  en  fit  une  seconde  édition 


(i)  Pomponius  Mêla,  lib.  III,  cap.  IX,  pag. 
G3  ,  edit.  Isaaci  Vossii. 

(2)  Plinius,  Ub.  Il,  cap.  LXFII,pag.  m. 
220  ,  221. 

(3)  Salmas.,     Exercit.    Plin. ,   pag.     J242 , 
1244. 

(4)  Isaac.  Vossius,  in  Melam,  lib.  III,  cap. 
IX,  png.  3o5. 

(5)  Plinius,  lib.  V,  cap.  I,pag.  m.  523,  524. 
(G)  Athen.  ,  lib.  III,  pag.  83,  de  cujus  ver- 

bis  vide  Yossium,  de  Histor.  graxis,  pag.  5i4< 


HANNON. 


dans  la  même  ville,  l'an  i55g  ,  avec 
la  version  latine  et  quelques  notes 
de  Conrad  Gesner.  Cependant  M.  de 
Saumaise  a  dit  qu'il  semble  que  cet 
ouvrage  n'a  jamais  e'té  connu  aux 
Grecs.  Scriptum  illud  non  videtur  in- 
notuisse.  Etenim  si  venisset  in  no- 
titiam  ac  marias  Grœcovum  ,  lotam 
eam  meridiani  Oceani  oram  minime 
reliquissent  intactam  (7).  Il  ignorait 
donc  les  paroles  de  Pline  que  j'ai  ci- 
te'es  dans  la  remarque  précédente  , 
et  le  passage  du  livre  irtpi  6d.uf/.suria)v 
cIkout/uÂtciùv  ,  de  auditionibus  admi- 
randis  ,  où  Hannon  est  allégué.  On 
en  fait  aussi  mention  dans  l'Epitomc 
d'Artémidore  d'Éphèse.  Voilà  des 
exemples  qui  nous  montrent  qu'il  y 
a  des  choses  très-faciles  à  savoir,  qui 
sont  inconnues  à  ceux  qui  ont  le  plus 
de  lecture ,  et  la  mémoire  la  plus 
vaste.  Isaac  Vossius  n'a  point  par- 
donné à  Saumaise  cette  méprise  (8). 
Le  père  Hardouin  ne  l'a  point  non 
plus  oubliée  (9).  Notez  que  l'on  pu- 
blia à  Leyde ,  en  1674,  ce  que  Ges- 
ner avait  publié  à  Bâle,  en  i55g  :  je 
veux  dire  le  -PenpZwid'Hannon,  avec 
sa  version  latine  et  ses  notes,  et  avec 
l'Afrique  de  Jean  de  Léon.  Mais  Ber- 
kélius  joignit  à  cela  quelques  remar- 
ques extraites  de  la  seconde  partie  du 
Gêographia  Saci'a  de  M.  Bocbart  *. 
Le  même  opuscule  (10)  d'Hannon  a 
été  publié  à  Oxford,  en  1698  ,  par 
les  soins  de  M.  Hudson  ,  avec  plu- 
sieurs autres  écrits  de  même  nature  , 
dans  le  Ier.  tome  du  Gêographia;  ve- 
teris  Scriplores  Grœci  minores.  Les 
Dissertations  de  M.  Dodwel ,  qui  ont 
été  mises  à  la  tête  de  ce  volume  ,  et 
qui  traitent  amplement  de  ces  an- 
ciens auteurs  grecs  ,  sont  remplies 
de  savoir.  Celle  qui  concerne  Han- 
non n'est  pas  la  moins  importante. 
M.  Dodwel  ne  croit  pas  que  ce  capi- 
taine carthaginois  ait  fait  le  Periplus 
que  l'on  avait  sous  son  nom.  Il  l'at- 
tribue à  quelque  Grec  de  Sicile  , 
grand  fauteur  de   la  gloire  de  Car- 

(7)  Salmas.  ,  ïïxercitat.  Plinian.T  ,  p.    1242. 

(8)  Isaac.  Vossius,  in  Melam ,  pag.  3o2. 

(q)  Harduinus,  in   Ind.  autor.  Phnii  ,  /).  n3. 

*  On  trouve  une  traduction  du  Périple  tVHan- 
non,  dans  les  diverses  éditions  de  VEssai  histo- 
tique,  politique  et  moral  sur  les  Révolutions  , 
par  M.  de  Chateaubriand. 

(10)  On  le  peut  bien  nommer  ainsi  ,  car  il  ne 
remplit  pas  six  demi-pages  ,  liant  l'édition 
in-8°.  d'Oxford,  1698. 


499 


thage.  Il  croit  aussi  que  le  Periplus 
(fui  porte  aujourd'hui  le  nom  d'Han- 
non est  fort  différent  de  celui  qu'a- 
vaient les  anciens.  Voyez  la  note  (i  i). 
(D)  On  n'est  point  d'accord  sur  le 
temps  où  il  a  vécu.  ]  C'était  ,  selon 
Pline ,  lorsque  les  affaires  des  Car- 
thaginois florissaient  le  plus.  Cela  est 
vague  ;  néanmoins  Vossius  (  12)  y 
trouve  un  juste  sujet  de  conclure 
que  notre  Hannon  n'était  ni  celui 
dont  Justin  parle  dans  le  livre  XX  , 
ni  celui  dont  Pline  fait  mention  au 
chapitre  seize  du  VIIIe.  livre  ,  ni  ce- 
lui qui  était  chef  de  faction  dans 
Carthage,  pendant  la  seconde  guerre 
punique  (i3)j  mais  celui  qui  fut  en- 
voyé contre  Agathoclès,  comme  nous 
l'apprend  Justin  au  livre  XXII.  Han- 
non ,  au  XXe.  livre  de  Justin ,  fut  en- 
voyé en  Sicile  contre  le  tyran  Denys. 
Les  Gaulois  avaient  déjà  pris  la  ville 
de  Rome  (i4)  ,  et  ils  la  prirent  l'an 
366  de  sa  fondation.  Ce  même  Han- 
non fut  tué  quelque  temps  après  , 
avec  toute  sa  famille  ,  pour  avoir  tâ- 
ché de  se  rendre  maître  de  Cartha- 
ge (i5).  Je  ne  sais  si  cette  ville  n'était 
tait  pas  alors  aussi  florissante  qu'au 
temps  qu'un  autre  Hannon  fut  envoyé 
contre  Agathoclès  (16).  Il  perdit  la 
vie  dans  un  combat ,  l'an  de  Rome 
443  Je  ne  vois  donc  point  de  certi- 
tude dans  la  pensée  de  Vossius.  No- 
tez que  le  passage  de  Pline  qu'il  al- 
lègue regarde  un  Hannon  qui  fut  con- 
damné pour  avoir  eu  l'industrie  d'ap- 
privoiser un  lion  ;  car  on  se  persuada 
que  la  liberté  de  la  patrie  n'était 
point  sûre  entre  les  mains  d'un  gé- 
néral qui  était  venu  à  bout  de  la 
cruauté  des  bêtes  féroces.  Primus  ho- 
minum  leanem  manu  tractare  ausus  , 
et  ostendere  mansuefactum,  Hanno  è 
clarissimis  Pcenorum  traditur  :  dam- 
natusque  illo  argumenlo  ,  quoniam 
nihil  non  persuasurus  vir  tam  arii/i- 
cis  ingenii  cidebatur  :  et  maie  credi 

(11)  Notez  que  dans  la  préface  de  V édition 
d'Oxford  on  n'a  point  dit  que  Boéclérus  publia 
Hannon  ,  avec  des  notes,  l'an  1661. 

(12)  Vossius,  de  Hist.  grsecis,  pag.  5i3. 
(i3)  Neque  istum  factionis  Barcliina; ,    de  quo 

Livius  libro  île  bello  punico  secundo.  Idem  , 
ibid.  Il  y  a  bien  du  désordre  dans  ces  paroles 
de  Vo>sius  :  après  Barcliinte,  il  fallait  mettre. 
inimicum  ,  et  après  libro  il  faut  21  dura  de  ,  ou 
quelque  chose  de  semblable. 
(i4)  Justinus,  lib.  XX,  cap.  ult. 

(l'i)  rie,,,,  lib.  xxi,  <-,(,-..  rr. 

(.6.)  Idem,  lib   X$.I1   1  tp.  /',' 


HANNON. 


libellas  ei  ,  cui  in  tanlùm  cessisset 
etiam  feritas  (17)-  Vossius  observe 
que  Plutarque  a  parle  du  même 
Hannon.  En  effet  ,  il  dit  que  les 
Carthaginois  le  bannirent  parce  que, 
le  voyant  faire  porter  son  bagage  à  un 
lion  ,  ils  le  soupçonnèrent  d'aspirer  à 
la  royauté  (18).  Pline  ni  Plutarque 
ne  disent  rien  qui  fasse  connaître  en 
quel  temps  cela  se  fit,  et  il  est  malaisé 
de  comprendre  par  quelle  raison 
Vossius  s'est  imaginé  qu'ils  parlent 
d'un  Hannon  différent  du  nôtre.  Le 
père  Hardouin  est  d'un  autre  senti- 
ment ;  car  il  croit  que  le  voyageur  ne 
diffère  pas  de  celui  que  l'on  condam- 
na pour  avoir  apprivoisé  un  lion.  Il 
n'en  saurait  alléguer  aucune  preuve, 
et  l'on  peut  même  conjecturer  qu'il 
s'est  trompé  5  car  il  y  a  quelque  ap- 
parence que  si  le  même  Hannon 
qui  navigua  autour  de  l'Afrique  , 
était  celui  qui  apprivoisa  un  lion  , 
Pline  eût  touché  cette  circonstance. 
Le  plus  sur  est  de  ne  prendre  point 
de  parti  :  ne  nions  point  ce  que  Vos- 
sius a  nié  :  n'affirmons  point  ce  que 
le  père  Hardouin  affirme.  Notez  qu'il 
suppose  que  Pline  assure  qu'on  fît 
mourir  Hannon  (ig)  ;  mais  il  vaut 
mieux  donner  une  explication  plus 
vague  au  mot  damnatus  ,  puisque 
Plutarque  spécifie  la  peine  du  ban- 
nissement. On  peut  faire  à  Vossius 
cette  objection  :  Aristote,  au  livre  de 
Adndraiidis  Audilionibus,  a  cité  Han- 


Lampsacenus  Hannonem  Puenoruiu 
regem  in  eas  permeavisse ,  repertas- 
que  ibi  Jœminas  alili  pernicilate  ,  Cli- 
que ex  omnibus  quœ  apparuerant , 
duas  captas  tam  hirtà  nique  aspero 
corpore  ,  ut  ad  argumentum  spectan- 
dœ  rei  duarurn  eûtes  miraculi  gratid 
inter  donaria  Junonis  suspendent  : 
quœ  durat'i're  usque  in  lempora  exci- 
dii  Carlhaginensis.  Il  est  visible  que 
ce  passage  est  une  copie  de  celui-ci  : 
Contra  hoc  quoque  promontorium 
Gorgades  insulœ  narranlur,  Gorgo- 
num  quondam  domus  ,  bidui  naviga- 
tione  distantes  a  Continente,  ut  tradit 
Xenophon  Lampsacenus.  Penetravil 
in  eas  HannoPœnorum  imperator , 
prodiditque  hirta  fœminarum  corpo- 
ra  ,  viros  pernicilate  evasisse  :  du- 
rumque  Govgonum  eûtes  argumenti 
et  miraculi  gratid  in  Junonis  templo 
posuit,  spectalas  usque  ad  Carlhagi- 
nem  captant  (22).  La  copie  diffère  de 
l'original  en  ce  que  Pline  n'attribue 
point  à  Xenophon  ,  comme  fait  So- 
lin ,  d'avoir  rapporté  qu'Hannon  pé- 
nétra jusqu'aux  îles  Gorgades  ,  etc. 
M.  de  Saumaise  suppose  que  Solin  a 
brouillé  cela  afin  de  prouver  que  Xe- 
nophon de  Lampsaque  avait  vécu 
après  Hannon.  Hoc  obtinere  vult  So- 
linus  uljinis  Mi  respondeal  princi- 
piis  ,  et  loto  in  cursu  sibi  constel . 
Hanno  vetustior  Xenophonle  Lamp- 
saceno.  Quomodà  igilur  hic  de  Mo 
prodere  potuit  (23)?  J'avoue  que  c'est 
une  énigme  impénétrable  pour  moi  5 


non  :  il  faut  donc  que  ce  général  car 

ll.aginois  ait  vécu  avant  Agathoclès.  car  3e  ne  puis  comprendre  que  Solin 

Mais  Vossius  répond  (  20  )   qu'Aris-  ait   eu   aucun  intérêt   à    faire   voir 

tote  n'est  point  l'auteur  de  ce  livre.  qu'Hannon    précéda    ce   Xenophon 


Solin  ne  nous  sert  de  rien  quand  il 
avance  que  Xenophon  de  Lampsa- 
que a  cité  Hannon  ;  car  outre  que 
l'on  ignore  en  quel  temps  ce  Xéno- 
phon  a  vécu  ,  on  a  lieu  de  croire  que 
Solin  nous  trompe.  Voici  ses  paroles 
(21)  :  lias  (Gorgades  insulas)  inc.o- 
luerunt  gorgones  monstra  ,  et  sanè 
usque  adhuc  monstrosa  gens  habitat. 
Distant  à  Continente  bidui  navigatio- 
ne.     Prodidit     denique     Xenophon 

(in)  Pliniu- ,  lib.  VIII,  cap.  XVI,  pag.  161. 

(18)  Plutarchus,  m  Pracept.  de  gerend.  Re- 
publ. ,  cirai  inil. ,  pag.  >jgg. 

(19)  De  eo  m  11  lia  passim  Plinius  :  de  ejus 
phsserlim  obUu,  lib.  8,  sert.  ai.  liai-Juin.,  in 
Indice  au torum  Plinii,  pag.  ii3. 

(îo)  Vossius  ,  de  Ilit    grtecis  ,  pag-  5i4- 
(21)  Solinns ,  cap.  nltimo. 


Encore  moins  puis-je  comprendre 
que  si  Xenophon  est  postérieur  au 
Carthaginois ,  il  lui  ait  été  impossible 
de  le  citer  ,  comme  le  suppose  l'in- 
terrogation de  Saumaise.  Je  trouve 
assez  apparent  que  Solin  a  réduit  à 
une  les  deux  citations  de  Pline  ,  par 
l'esprit  de  brouilleriequilui  est  pro- 
pre ;  mais  je  n'oserais  assurer  que 
Xenophon  de  Lampsaque  n'a  point 
dit  tout  ce  qu'il  lui  attribue  :  si  cela 
était,  me  direz-vous,  Pline  n'aurait 
pas  cité  deux  écrivains ,  il  se  serait 
contenté  du  témoignage  de  Xéno- 
)hon.  Vous  vous  trompez  ,  répon- 
'ordre  veut  qu'à  l'égard  des 


phon.    vou 
drai-je;  l'o 


(22)  Plinius,  lib.  VI,  cap.  XXXI,  p.  746. 
(■>.'})  Snlmas. ,  Rxercit.  Plinianse  ,  pag.  1^97. 


HARCHIUS. 


5oi 


choses  que  Ton  sait  qu'llannon  a  di- 
tes lui-mêmes  ,  on  le  cite  préférablc- 
ment  à  ceux  qui  témoignent  qu'il  les 
rapporte. 

Isaac  Vossi  us  s'est  bien  éloigne  «lu 
sentiment  de  son  père  ;  car  au  lieu 
de  dire  que  notre  Hannon  a  vécu  au 
temps  d'Agathoclès  (a4) ,  il  le  fait  an- 
te'rieur  à  Homère  et  à  Hésiode.  Il  ne 
se  contenta  pas  de  le  faire  chef  de 
l'expédition  que  firent  les  Phéniciens 
un  peu  après  la  ruine  de  Troie  (25) , 
il  trouva  dans  la  suite  que  ce  ne  se- 
rait pas  lui  donner  assez  d'antiquité. 
Il  supposa  donc  dans  un  autre  ou- 
vrage (26)  ,  qu'llannon  et  Persée  vé- 
curent en  même  temps.  M.  Dodwel 
a  réfuté  savamment  et  solidement 
cette  prétention  ,  et  toutes  les  preu- 
ves sur  quoi  l'on  avait  tâché  de  l'éta- 
blir. Il  fait  bien  valoir  le  passage  du 
IIe.  livre  de  Pline,  où  il  est  marqué 
qu'Himilcon  et  Hannon  entreprirent 
de  longs  voyages.  Et  Hanno ,  Car- 
thaginis potentiâ  florente,  circuntvec- 
t:is  a  Gadibus  ad  fine  m  slrabiœ ,  ria- 
vigationem  eam  prodidit  scripto  : 
sicut  ad  extern  Europœ  noscenda 
niissus  eodeiu  lempore  Himilco  (27). 
On  trouve  que  pendant  la  guerre 
d'Agathoclès  et  des  Carthaginois  , 
ceux-ci  avaient  deux  généraux,  dont 
l'un  s'appelait  Hannon  ,  et  l'autre  Hi- 
milcon  (28).  On  peut  d'ailleurs  suppo- 
ser avec  beaucoup  de  vraisemblance 
que  cet  état  florissant  des  Carthagi- 
nois ,  dont  parle  Pline  ,  précéda  la 
première  guerre  qu'ils  eurent  avec  los 
Romains  ;  car  pendant  cette  guerre  , 
il  n'y  a  pas  d'apparence  qu'ils  aient 
songé  à  découvrir  de  nouveaux  pays, 
et  l'on  sait  assez  qu'ils  ne  terminèrent 
cette  guerre-là  qu'à  leur  grand  dom- 
mage. C'estpourquoices  deux  grands 
caractères  chronologiques  de  Pline 
nous  mènent  à  supposer  qu'il  parle 
•  l'un  Hannon  qui  florissait  au  temps 
d'Agathoclès.  Vous  trouverez  dans 
M.  Dodwel  (29)  un  beau  détail  d'ob- 
servations qui  pourra  persuader  que 

(î4)  Isaac.  Vossius,  tnMelaru,  pag.  3o2,  3o3. 
(î5)  Slrabon  en  parle  dans  son  let.  livre. 

(26)  De  Magnitudine  Carlliaçinis  ,  pag.  52. 

(27)  Plin.  ,  M.  II,  cap.  LXyiI. 

(28)  Voyez  DioJoic  de  Sicile,  ad  olympiad. 
118. 

(29)  Dodwell.,  Dissertai,  de  Pciipli  Ilnmionis 
getate,  in  [imine  Geographiœ  veteris  Scriplorum 
grecorum  minorum  ,  (om.  /,  edil.  Oxon  ,    ,;ms 


l'on  doit  mettre  notre   Hannon  entre 
la  92e.  olympiade  et  la  129e. 

HARCHIUS  (Jodocus  (a)), 
natif  de  Mons  en  Hainaut ,  a  vécu 
au  XVIe.  siècle.  Il  exerça  la  mé- 
decine dans  le  lieu  de  sa  nais- 
sance ,  et  publia  quelques  écrits 
qui  convenaient  à  sa  profession 
(ô)  (A).  Après  quoi  il  sortit  de 
sa  sphère  ,  et  se  mêla  de  théolo- 
gie ,  et  n'y  fit  rien  qui  vaille.  Il 
voulut  chercher  un  milieu  dans 
la  doctrine  de  l'eucharistie  entre 
les  catholiques  romains  et  lespro- 
lestans,  pour  pacifier  leurs  con- 
troverses ;  mais  il  se  rendit  ridi- 
cule aux  uns  et  aux  autres.  Le 
livre  qu'il  publia  sur  ce  sujel 
fut  réfuté  par  Théodore  de  Bèze  , 
qui  assure  que  c'est  un  ouvrage 
si  confus  ,  si  obscur  et  si  desti- 
tué de  méthode,  qu'on  avait 
bien  de  la  peine  à  déterrer  ce 
que  l'auteur  avait  voulu  dire 
(B).  Nous  donnerons  une  idée 
générale  de  son  sentiment  (C). 

(rt)  Et  non  pas  Lodocus ,  comme  clans  Ko- 
nig. 

(b)  Valçr.  Andréas  ,  Bihlioth.  belg. ,  pair. 
5g3. 

(A)  II  publia  quelques  écrits  qui 
convenaient  a  sa  profession.  ]  Il  fil 
imprimer  à  Liège,  en  1 563  ,  un  livre 
de  Caussis  contemptœ  Mèdicince,  in-8°. 
Son  Enchiridion  Pharmacorum  sim- 
plicium  quœ  in  usu  surit  est  en  vers, 
et  fut  imprimé  à  Baie  ,  l'an  15^3  ,  in- 
8°.  (1).  On  aurait  donc  pu  mettre  cet 
auteur  dans  la  Liste  des  Médecins 
Poètes  ,  publiée  par  Bartholin.  Ce 
n'est  pas  le  seul  qui  y  manque, 

(B)  Bèze assure  que l'ou- 
vrage J'Harchius  estsi  confus qu'on 

a  peine  a  deterrer  ce  qu'il  a  voulu 
dire.]  Ce  qu'il  composa  contre  cet  au- 
teur est  intitulé  de  Cœnâ  Domini  ad- 
venus Jodoci  Marchii  Montensis  (2) 

(1)  Valer.  Andréas  ,  Bibliotli.  belg.  ,  pag.  5ip. 

(2)  On  le  nomme  mal  Modérais  ,  dan'  Il  \i 
Inmc  de  la  Biblioth,  de  Gcsner,  pâg.  ru.  5i5. 


502 


HARCHIUS. 


tlogmata,  et  se  trouve  au  IIIe.  tome 
de  ses  Traetationes  Theologicœ  ,  de- 
puis la  page  148  jusqu'à  la  page  1 86 
de  l'édition  de  Genève ,  i582  ,  in-folio. 
Hospinien  (3)  dit  que  cet  ouvrage  de 
Théodore  de  Bèze  fut  imprime'  l'an 
i58o,etque  celui  de  Jodocus  Har- 
chius  avait  été  imprimé  à  Baie  ,  l'an 
i573  ,  sous  ce  titre-ci:  de  Eucharistiœ 
myslerio  ad  sedandas  Controversias 
in  Cœnd  Domini  libri  très.  Théodore 
de  Bèze  assure  que  cet  écrit  de  Jodo- 
cus Harchius  avait  été  imprimé  à 
Worms  ,  depuis  sept  ans,  lorsqu'il  se 
mit  à  le  lire.  Il  ajoute  qu'il  ne  sait 
pas  si  le  lieu  de  l'impression  avait  été 
bien  marqué,  mais  qu'il  jugea  qu'il 
n'était  point  nécessaire  de  le  réfuter, 
parce  que  personne  n'approuverait 
des  sentimens  si  étranges  ;  qu'ayant 
vu  pourtant  le  contraire  de  ce  qu'il 
avait  espéré  ,  il  déféra  au  conseil  de 
ses  amis  qui  voulaient  qu'il  écrivît 
contre  cet  auteur.  Licet  urgentibus 
nonnullis  ut  falsissimo  sanè  ipsius 
dogmati ,  utpote  quo  novœ  potihs  con- 
troversiœ  excitarentur  ,  quant  veteres 
tollerentur ,  refutationem  opponerem , 
silentio  potihs  ejusmodi  scripla  esse 
obruenda  respondi.  Wullum  enintfore 
arbitrabar ,  qui  lam  absurdis  senten- 
tiis  assentivetur  :  quœ  spes  quhm  me 
fefellerit ,  cogor  amicorum  precibus  , 
qiùim  hœc  vana  sint  demonstrare ,  id 
est,  penè  ciim  ratione  insanire.  Ad- 
scribam  autem  primo  loco  ipsius  Jo- 
doci  verba  ex  uariis  ejus  libri  paginis 
optimd  fide  descripta  ,  ut  quœ  spar- 
sim  ,  et  prorsiis  perturbatè  sciipsit , 
adeb  denique  àjuî%£a>ç  et  obscure  ,  ut 
de  industriel  texisse  potihs  quhm  aper- 
tè  suum  dogma  spectandum  propo- 
suisse  uideatur ,  melihs  appareant  : 
et  ne  quant  etiam  ,  homini  prœsertim, 
ut  audio  ,  jam  ntortuo  ,  injuriant  in 
ipsius  erratis  annotandis  ,  et  refulan- 
dis  ,  fecisse  me  quisquam  suspicetur 
(4).  Notez  ,  en  passant,  qu'Harchius 
n'était  point  en  vie  au  temps  que  Bèze 
le  réfuta.  Les  extraits  qu'on  donne  de 
son  ouvrage  le  rendent  plus  intelligi- 
ble qu'il  ne  le  serait  par  la  lecture  de 
l'ouvrage  même.  Voici  ce  que  Bèze 
remarque,  après  avoir  donné  ces  ex- 
traits :  Et.  hœc  quittent  Harchius  non 
minus  obscure  quant  perturbatè  ,    ut 

(3)  Ho.spin.,  Ilistor.  Sacrament.,  part,  alteià. 

(4)  Theod.  Bcm  ,  Opcr.,  loin.  TU,  pag.  i/,8. 


qui  ah  und  quœsûone  ad  altérant  de- 
siliat ,  et  plurimis  ambiguis  vocibus  ac 
formulés  utatur,  adeb  ut  mihi  sœpis- 
sime  hœc  omnia  relegenda  ,  conside- 
randa ,  perscrutanda  fuerint ,  prius- 
quam  quid  homo  isle  sibi  vellet  , 
inlelligere ,  et  in  suos  locos  distincte 
singula  referre  potuerim  (5).  L'Epi- 
tome  de  la  Bibliothèque  de  Gesner 
(6)  fait  mention  de  deux  autres  livres 
théologiques  de  Harchius  ,  de  Causis 
Hœresis  ,  proque  ejus  exilio  et  concor- 
did  Conlroversiarum  in  Religione  , 
Hœreticorum ,  Pontificiorum ,  et  pee- 
nitentium,  oratio  ad  Deum  patrent  , 
à  Bâle,  i573,  m-4°.  Orthodoxorum 
Patrum  Irenœi  ,  Cyrilli ,  Hilarii  , 
Augustini ,  et  reliquorum ,  de  Eucha- 
rislid  et  Sacrificio  universalis  Eccle- 
siœ  Fides  ,  in-8°.  Ce  dernier  livre  fut 
imprimé  l'an  1577  >  ^  ce  cIue  *^  H°s~ 
pinien  (7). 

(C)  Nous  donnerons  une  idée  géné- 
rale de  son  sentiment^]  Je  la  tire  d'une 
lettre  qu'André  Rivet  écrivit  à  la 
Milletière  ,  le  29  de  juillet  1641.  «  Vos 
»  distinctions  de  matière  et  de  mys- 
»  tere,  de  suVQmtov  et  vohtov  sensible 
»  et  intelligible  ,  ruinent  tout  ce  que 
)>  vous  voulez  bastir,  sans  monstrer 
»  comment  on  peut  manger  de  la 
»  bouche  du  corps  un  mystère  qui 
»  n'a  point  de  matière  ;  et  comment 
»  la  matière  d'un  corps  n'estant  plus , 
»  la  substance  demeure  ;  ce  que  je  ne 
))  trouve  point  expliqué  dans  vostre 
»  Thresor  des  Riches  Conceptions.  Il 
»  y  a  plus  de  trente  ans  que  j'ay  leu 
»  quelque  chose  de  semblable  en  l'es- 
»  crit  d'un  certain  médecin  du  pays 
»  de  Julliers  ,  nommé  Tsarchius  (8), 
)>  avec  la  vache  duquel  il  semble  que 
»  vous  avez  labouré.  Il  vouloit  que  le 
»  corps,  que  l'église  donne  dans  le 
»  pain,  fust  le  corps  du  verbe  éter- 
■»  nel ,  lequel  estant  venu  dedans  le 
»  pain  par  une  manière  admirable  , 
»  le  faisoit  passer  en  la  substance  de 
»  ceste  chair  qui  l'avoit   eslevé    au 

(5)  Idem,  ibid.  ,  pag.  161. 

(6)  À  la  page  5i5  de  l'édition  de  Zurich,  i583. 

(7)  Hospin. ,  Hist.  Sacrament.,  part,  altéra. 

(8)  C'est  une  faute  d'impression  pour  Har- 
cbiu*.  Je  ne  sais,  au  reste,  pourquoi  on  le  fait  ici 
du  pars  de  Juliers  ;  car  il  était  de  Rions  en  Hai- 
naut  :  peut-être  pratiqua-t-il  la  médecine  dans 
le  pays  de  Juliers;  peut-être  aussi  que  Rivet  s'i- 
magina que  Monterais  signifiait  du  duché  de 
Berg  ,  qu'il  confondit  avec  celui  de  Juliers  ,  à 
cause  de  leur  voisinage  et  de  leur  continu  1. 
maître. 


HARDENBERG.  5o3 

»ciel,    que   c'estoit    une    chair   de         HARDENBERG  (  Albert)  , 

»  mesme  genre  ,    de   lacruelle   estoit  „•    :„  t »     .„    t  •  i>  • 

»  nourrie  la  substance  de  nostre  chair,  ™™trï  Votant  a  Brerne  ,  au 

»  Il  l'appelloit,  comme  vous,  chair  ÀV*  •  siècle ,  suivit  la  confession 

3)  spirituelle  et  intelligible.  Il  disoit  d'Augsbourg   pendant   dix-huit 

3,  que  la  chair   laquelle  tous  les  jours  ans,  et  se  déclara  ensuite  pour 

•»  estoit  créée  du  pain  et  du  vin  ,  et  i„ 1    -    •  *     j 

»  prise   de  l'autel  par  les  fidelles ,  le  «flvinisme  ,  et  avec  tant  de 

33  estoit  semblable  quant  à  la  nature,  Succès  qu'il  l'introduisit  dans  la 

«  à  la  chair  qu'a  Christ  au  ciel  vivi-  ville  ,  malgré   les  oppositions  de 

3)  fiante    à  cause  de  la  divinité  ,  qui  ses  collègues  ,  et  celles  des  ma- 
3)  se  mesloit  au  pain  par  nue  manière       -.     *      ti    ''»•**  n  *  •      - 

3,  qui  ne  se  pouvoit  exprimer.  Il  vou-  gist™ts-  «s  était  tellement  insi- 

w  loit  que  les  calvinistes  recogneus-  nue  dans  l'esprit  du  peuple  (A), 

33  sent,  par  les  enseignemensde  saint  qu'il  le  fît  déclarer  pour  lui  con- 

3.  Augustin,  que  les  sacremens  ont  tre  Je  luthéranisme  ;  de  sorte  que 


33  re'ellement  en  eux  la  ve'rite'  de  1 
33  chair  de  Christ ,  combien  que  spi- 
33  rituelle  ,  laquelle  en  sa  manière  cs- 
3)  toit  mangée  par  la  bouche  avec  le 
33  pain  ,  et ,  en  quelque  façon ,  estoit 
33  digérée  dans  le  cœur.  Qu'elle  est 
3)  appelle'e  chair  de  Christ  en  mystère, 
3)  quoy  qu'elle  ne  soit  ny  nerveuse  , 
33  ny  musculeusc  ,  ny  anime'e.  Sur  les 
33  mesmes  fondemens,  il  a  voulu  aussi 
33  bastir  avec  vous  un  sacrifice  réel  et 
33  propitiatoire  du  corps  et  du  sang 
33  de  Christ ,  et  l'adoration  du  sacre- 
3»  ment.  Et  quoy  que  par  ce  moyen  il 
)>  pre'tendist  pouvoir  accorder  toutes 
33  les  parties  contendantes  ,  il  ne  fut 


les  magistrats  qui  refusèrent  de 
renoncer  à  la  confession  d'Augs- 
bourg furent  déposés  et  exilés. 
Ils  moururent  tous  dans  leur 
exil  (a).  L'auteur  qui  m'apprend 
ces  choses  renvoie  ces  lecteurs  à 
un  ouvrage  que  Dithmar  Ken- 
chélius ,  bourgmestre  de  Brème, 
composa  depuis  son  bannisse- 
ment, et  qui  est  intitulé  :  Bre- 
vis,  dilucida  ,  ac  ver  a  narratio, 
de  initiis  et  progressu  contro- 
versiœ ,  Bremœ  à  doc  tore  Al- 


■»  escoute  ny  par  les  papistes  ,  ny  par 
)3  les  luthériens  ,  ny  par  les  nostres  ;  berlo  Hardenbergio  motœ  ,  op- 
»  personne  ne  voulant  recognoistre  posita  recenti  scripto  ejusdem 
3,  ses  chimères  pour  choses  solides,  Hardenbergii  de  Ubiquitate  et 
33  et  ses  spéculations  s  esvanouirent ,  .-,  ^  n  •  •  tt  ii 
3,  comme  feront  les  vostres  (9).  »  La  yœ!la  Domua.  Hardenberg  ne 
Milletière  ayant  répondu  qu'il  ne  jouit  pas  fort  long-temps  de  son 
connaissait  point  cet  auteurdà,  voici  triomphe  :  il  fut  chassé  de  Brè- 
me comme  un  séditieux  sacra- 
mentaire  par  le  parti  luthérien 
qui  redevint  supérieur  (b).  Il  a 
fait  une  vie  de  Wessélus  qui  a  été 
imprimée. 

(a)  Tiré  de  George  Braun,  in  Catliolicorum 
Tremouensium  Defensione  ,  pag.  ^6 ,  4°- 

(b)  Ex  eodem  ,  ibid.,  }>ag.  164. 

(A)  Il  s'était  tellement  insinué  dans 
l'espiït  du  peuple.~\  C'est  le  véritable 
moyen  de  changer  les  choses  :  un  pré- 
dicateur, soutenu  du  peuple,  est  ca- 
pable d'introduire  toutes  sortes  de  ré- 
volutions. On  prétend  que  celui-ci 
s'était  rendu  si  populaire,  qu'il  n'a- 
vait pas  même  négligé  de  s'acquérir 


quelle  fut  la  réplique  de  Rivet.  «  Ce 
3>  Harchius  duquel  je  luy  ay  parlé  , 
j)  et  en  l'escrit  duquel  je  trouvois  des 
33  grotesques  semblables  aux  siennes, 
33  ne  luy  devoitestre  non  plus  incog- 
33  nu  que  le  Diallavticon  (10),  re- 
33  commandé  par  M.  Grotius  ,  et  ac- 
33  couplé  avec  les  livres  du  sieur  de  la 
3)  Milletière.  Ce  sont  deux  pièces  im- 
>3  primées  ensemble  l'an  1576,  sans 
)>  le  nom  du  lieu  ny  de  l'imprimeur, 
33  combien  que  la  première  édition 
3)  du  livre  de  Harchius  porte  le  nom 
•»  de  la  ville  de  AVorms  (11).  33 

(q)  Rivet,  Responses  à  trois  lettres  du  sieur  de 
la  Milletière,  pag.  62  et  suiv. 

(10)  Touchant  ce  livre  ,    voyez  ,  loin.  XII  , 
article  Poinet. 

(11)  Rivet,  Responses  à  trois  lettres  de  la  Mil- 
letière ,  pag.  143  ,  i44- 


5o  \ 


HARPALYCE. 


souffertes  de  son  père  ;  et  pour 
en  tirer  raison  elle  tua  son  jeune 
(A)  frère  et  le  lui  don  na  à  manger; 
après  quoi  ayant  demandé  aux 
dieux  d'être  tirée  de  ce  monde  , 
elle  fut  convertie  en  oiseau  (R). 
Clyménus  fut  si  accablé  de  ces 
accidens  qu'il  se  tua  (a).  On  ver- 
ra d'autres  Harpalices  dans  l'ar- 
ticle d'HARPALlCUS. 

(a)  TWY/'Eupliorion,,  cite  par  Parthénius, 
au  ckap.  XIII  de  ses  Erotiques  ou  Histoires 
amoureuses. 

(A)  Elle  tua  son  jeune  frère.  ]  Hy- 
gin  (i)  rapporte  qu'elle  tua  le  propre 
fils  qu'elle  avait  eu  de  Clymënus,  et 
il  ajoute  qu'elle  le  fit  manger  à  son 
père ,  et  que  celui-ci  l'ayant  su  la  tua. 
On  doit  corriger ,  au  chapitre  CCVI 
de  cet  auteur,  filiam,  et  mettre  fi- 
lium,  conformément  à  ce  qu'il  dit  dans 
les  chapitres  CCXXXVIII,  CCXXXIX  , 
CCXLVI.  Outre  cette  diversité,  j'en 
trouve  une  autre  entre  lui  et  Par- 
thenius. Celui-ci  dit  que  le  père 
dllarpalyce  était  fils  de  Télée ,  et 
qu'il  demeurait  à  Argos  ;  celui-là  le 
fait  fils  de   Schœnéus,  et  roi  d'Arca- 

passion  ne  servaient  qu  a  1  aug-    die  (  a  }    Mais  ^  comme  au  chapitre 

menter,  il  ne  songea  plus  qu'aux  CCXXXVIII  il  le  fait  fds  d'OEnéus , 
moyens  de  la  satisfaire.  Il  prati-  on  doit  être  très-certain  qu'au  lieu 
qua  donc  la  nourrice  de  sa  fille  ,  ,de  Schœnéus ,  il  faut  lire  partout  ail- 
1  •!••.'        leurs   Ubneus  :    car   nous   apprenons 

et  par  son  moyen  il  jouit  secre-    d'APollodorc  (3)  et  d'AntoninusLibé- 

ralis  (4)  qu'OEnéus  avait  un  fils  , 
nommé  Clyménus. 

(B)  Elle  fut  convertie  en  oiseau.  ] 
Il  règne  deux  grands  défauts  dans  les 
inventions  fabuleuses  des  anciens 
Grecs  :  l'un  est  qu'ils  n'ont  pas  assez 
diversifié  les  incidens  capitaux  5  l'au- 
tre est  qu'ils  n'ont  su  garder  aucune 
sorte  d'uniformité  dans  les  circon- 
stances. A  peine  trouvez-vous  deux 
auteurs  qui ,  s'agissant  d'un  même 
fait,  s'accordent  sur  les  qualités  et 
sur  les  noms  des  personnes ,  sur  les 
temps  et  sur  les  lieux.  Si  l'on  a  voulu 
par  ce  moyen  faire  montre  d'abon- 


l'afiection  des  valets  et  des  servantes; 
après  quoi  il  ne  faisait  nul  scrupule 
rie  censurer  les  sénateurs  et  les  bourg- 
mestres ,  nommément  dans  ses  ser- 
mons ,  et  d'affaiblir  leur  autorité  au- 
près du  peuple.  Calvini  hœresim  , 
senatu,  et  reliquis  suis  Lutheranis 
collegis  invitis  ,  Bremam  introduxit. 
Quod  ut  commodiùs  facerel  (  ut  scri- 
bit  Dithmarus  Kenchelius ,  ejusdem 
civitatis  consul,  libello  contra  Har- 
deitbergium  edito  )  ,  in  intimant  po- 
puli ,  hospitum  ,  plebeioruni ,  mulier- 
cularum  ,  puellarum  ,  famulorum 
denique  et  ancillarum  familiaritalem 
se  insinuans  ,  aurarn  popularem  cap- 
(ai'it ,  adebque  ut  ex  publico  suggestu 
non  modo  prœdicantes  colle gas  jocu- 
lariter  irridere  ,  sed  ipsos  etiam  se- 
natores  et  constdes  nominatim  laxa- 
re  ,  eorumque  auctoritatem  apud 
plebcm  unminuere  non  uererelur  (1). 

(1)   Georg.    Braunius,  in  Calholicor.  Tremo- 
nensium  Defetisione,  pug.  4(J,  4T- 

HARPALYCE  ,  la  plus  belle 
fille  d' Argos.  Clyménus  son  père 
en  devint  si  amoureux  ,  qu'après 
avoir  éprouvé  que  les  efforts 
qu'il  faisait  pour   vaincre  cette 


tement  de  l'objet  aimé.  Quelque 
temps  après  voici  venir  le  gen- 
dre ,  auquel  il  avait  promis  Har- 
palyce.  D'abord  tout  fut  préparé 
magnifiquement  pour  les  noces  ; 
le  mariage  fut  consommé;  l'é- 
poux partit  avec  son  épouse  pour 
s'en  retourner  cbez  lui.  Ce  fut 
alors  que  Clyménus  se  repentit 
d'avoir  consenti  à  ce  mariage. 
Son  amour  le  rendit  tellement 
furieux  ,  qu'avant  la  fin  du  voya- 
ge il  se  défit  de  son  gendre,  et  dance,  on  s'y  est  mal  pris  ;  la  stéri 
qu'il  ramena  sa  fille  à  Argos    où       ,  ,  „    .  „„,,» 

i  »       '  (1)  Hygin.,  cap.  CCVI. 

il  se  porta  publiquement  pour      (*)  id. ,  ibid. , ei caP.  ccxlvi.  iiy  a  a» 
son  mari.  Elle  fit  enfin  réflexion    ehav-  CXL*l  Cœneus,  etnonpcu  Schœncus. 

,         .      ,.        .     ,  ,   ,,  .  (3)  Lib.  I. 

sur  les  indignités  quelle    avait      a^cn,,  11 


HARPALICUS 

lité  du  principal  se  répare  malaisé- 
ment par  des  accessoires  diversifies. 
11  semble  d'abord  que  l'Euphorion 
de  Parthe'nius  nous  donne  ici  quel- 
que chose  de  nouveau;  mais,  prenez-y 
garde ,  ce  n'est  que  Térée  transporté 
sur  une  autre  scène,  avec  quelques 
changemens  d'acteurs. 

HARPALICUS,  roi  des  Amym- 
néens  (a),  dans  la  Thrace,  eut 
une  fille  nommée  Harpalice  , 
qui  fut  nourrie  de  lait  de  vache 
et  de  jument  (A) ,  et  qu'il  accou- 
tuma de  bonne  heure  au  manie- 
ment des  armes.  Il  en  fit  par-là 
une  fort  bonne  guerrière ,  et 
s'en  trouva  bien  ;  car  si  sa  fille 
ne  fût  venue  à  son  secours  lors- 
que Néoptolènie,  fils  d'Achille, 
l'attaqua  (B)  et  le  blessa ,  il  eût 
été  perdu  sans  ressource;  mais 
Harpalice  chargea  si  à  propos 
l'ennemi ,  qu'elle  le  mit  en  fuite. 
Son  père  ,  qu'elle  avait  si  heu- 
reusement délivré  de  cette  guerre 
étrangère  (b),  périt  quelque 
temps  après  dans  une  guerre  ci- 
vile :  ses  sujets  le  chassèrent ,  et 
enfin  le  tuèrent  (c).  Harpalice  se 
retira  dans  les  bois  ,  et  se  mit  à 
brigander.  Elle  allait  comme  la 
foudre;  et  ,  quand  on  courait  à 
cheval  après  elle  pour  recouvrer 
les  bestiaux  qu'elle  venait  d'enle- 
ver, on  ne  pouvait  point  l'attein- 
dre. Elle  ne  fut  prise  que  dans 
les  filets  qu'on  lui  tendit ,  com- 
me pour  prendre  des  cerfs.  On  la 
tua  ;  mais  il  en  coûta  bon  à  ceux 
qui  le  firent  :  car  aussitôt  il  s'é- 
leva une  dispute  dans  le  voisina- 
ge ,  pour  savoir  à  qui  était  le 
bétail  qu'elle  avait  volé.  On   se 

(«)  Hygin.  ,  chap.  CXCIII ,  Scrvius  in 
./En. ,  lib.  I,  us.  3l7,  les  nomme  Amymo- 
niens. 

(Ii)  Hygin. ,   ibidem 

(c)  Scrvius,  ibidem. 


HARPALUS.  5o5 

battit,  et  il  en  demeura  de  part 
et  d'autre  sur  la  place.  Depuis  ce 
temps-là  on  établit  pour  coutu- 
me qu'on  s'assemblerait  au  tom- 
beau de  cette  fille,  et  qu'on  y 
ferait  des  tournois  en  expiation 
de  sa  mort.  Il  y  eut  une  Harpa- 
lice qui  aima  éperdument  Iphi- 
clus  (d) ,  et  qui  mourut  du  cha- 
grin de  s'en  trouver  méprisée. 
C'est  d'elle  qu'un  certain  canti- 
que fut  appelé  Harpaljce. 

(d)  Turneb. ,  Adversar. ,  lib,  X,  cap.  XI. 

(A)  Sa  fille fut  nourrie  de  lait 

de  vache  et  de  jument.]  Servais  (1) 
lui  appliquant  cesparoles du  Ier.  livre 
de  l'Enéide  : 

Qualis  equos  Threïssa  faligat , 

Harpalyce ,    volucremque   fugd    pnevertitur 
Hebrwn , 

dit  qu'elle  fut  nourrie  de  la  même 
manière  que  Virgile  fait  nourrir  Ca- 
mille par  son  père  Métabus  (2). 

(B)  Lorsque  Néoptolème l'atta- 
qua.] Le  père  de  cette  fille  était  déjà 
son  prisonnier,  selon  Servius.  D'au- 
tres disent  que  ce  fut  des  mains  des 
Gètcs  qu'Harpalice  le  retira.  Quidam 
hujus  palrem  h  Getis  ,  ut  alii  volunl 
a  Myrmidonibus  captant  ,  collecta 
multitudine  asscrunt  libérasse celeriàs 
quant  de  fœminis  credi  potest  (3).  Je 
ne  sais  point  où  Charles  Etienne ,  suivi 
par  MM.  Lloyd  et  Hofman  ,  avait  lu 
que  le  père  de  notre  Harpalice  s'ap- 
pelait Lycurgus  ,  et  qu'il  était  vieux 
quand  il  devint  prisonnier  des  Gètes. 

(1)  In  jEneid. ,  lib.  I ,  vs.  317. 

(2)  Hic  nalam  in  dumis   inUrque  horrentia 

lustra 
Armenlalis  equœ  mammis ,  et  lacle  ferino 
Nutribat ,  teneris  immulgens  ubera  labris. 
Virg.  ,  TEneid. ,  lib.  XI,  vs.  5:o. 

(3)  Servius  in  Virgil. ,  iEneid. ,  lib.  I,  vs.  ii^. 

HARPALUS ,  astronome  grec, 
corrigea  le  cycle  de  Cléostrate  , 
par  un  autre  cycle  qui  eut  besoin 
d'être  corrigé  (A).  Ce  fut  Méton 
qui  corrigea  le  nouveau  cycle 
d'Harpalus,  l'an  4  de  la  86e. 
olympiade   (a).    Cléostrate  dé- 

a    Diodor.  Siculus,  lib.  XII,  num.3&. 


5o6 


Il  A  R  PAL  US. 


couvrit  les  signes  du  zodiaque  ,    logie  5  mais  il  est  sur  qu'il  place  le 

après   qu'Anaximander  eut   dé-   cyclf  ^  P™"*  ans  .à  ,la  ierJ?ié.™ 

r  1     roc        1  ■    j         année  de  la  00e.  olympiade.  2  .  11  cite 

couvert  ,  en  la  5b  .    olympiade,    Pline?  au  livre  n  chapitre  XII ,  tou- 

l'obliquité  de   ce  cercle  {b).  Ju-  chant  Cléostratus;  il  fallait  citer  le 

gez  par-là  du  temps  d'Harpalus.  chapitre  VIII.  3°.  Il  dit  que  VOctaë- 

II  n'est  pas  vrai ,  comme  l'assure  ^Hde'M  Cléostratus  comprenait  2090 

•ht    i»r       '   •  t\-    1  i    c-  ans  et  22.  Un  voit  bien  que  limpn- 

M.  Moreri ,  que   Diodore  de  Si-  Ineur  a  brouillé  les  nombres  ;  mais  le 

cile   fasse   mention    d'Harpalus.  mot  annorum  est  sans  doute  une  mé- 

II  y  a  bien  des  brouilleries  dans  prise  de  l'auteur.  Changez  donc  ces 
Vossius  sur  tout  ceci  (B). 

(b)  Plinius  ,  lib.  II,  cap.  VIII ,  pag.  m. 
148. 

(A)  II  con'igea  le  cycle  de  Cleo- 
strate  par  un  autre  cycle  qui  eut 
besoin  d'être  corrigé.  ]  Le  cycle  de 
Cléostrate  se  nommait  Octaëteris.  Il 
comprenait  huit  anne'es ,  au  bout  des- 
quelles il  prétendait  que  le  soleil  et  la 
lune  revenaient  au  même  point.  Har- 
palus ,  trouvant  que  cela  n'arrivait 
pas  ,  inventa  le  cycle  de  neuf  ans  : 

Nain  quee  solem  hiberna  novem  pulal  esthète 
volvi 

Vl  lunes  spcitium  reclecU,  velul  Harpalus  ,  ip' 
sain 

Oci'us  in  sedem  tnomenlaque  prisca  reducit.j 

lllius  ad  numéros  proli.ra  decennia  rurswn 

Adjecisse  Melon  Cecropiei  elicilur  arte. 

Inseditque  animis  :  tenuit  rem  Grescia  solers 

Protinus,  et  longos  inventum  misit  in  an- 
nos  (1). 

Méton,  ne  trouvant  pas  que  le  cycle 
de  neuf  ans  eût  mieux  réussi  que  les 
autres  ,  inventa  le  cycle  de  dix-neuf 
ans.  On  s'en  est  tenu  là,  comme  Fes- 
tus  Aviénus  le  remarque  dans  les  vers 
que  je  viens  de  citer.  Ce  cycle  est  en- 
core en  vogue ,  et  s'appelle  le  Nom- 
bre d'or. 

(B)  Il  y  a  bien  des  brouilleries  dans 
J^ossius  sur  tout  ceci.}  i°.  Après  avoir 
dit  (2) ,  dans  sa  Thèse ,  que  Méton    pendant  les  démêlés  qui  s'élève— 
imUmYEnnéaddcatéride,  la  i'e.  an-   rent  entre  ce  prince   et   le  roi 


paroles  ,  introduxit  octaëlerida  quœ 
erat  annorum  cio  cio  xc  xxn ,  en 
celles-ci,  introduxit  octaëlerida  quœ 
erat  dierum  cio  cio  cm  xxii  ;  car  ce  cy- 
cle comprenait  2922  jours.  4°-  H  cite 
le  XIIe.  livre  de  Diodore  de  Sicile 
touchantY  Oc  taëtéride  :  je  n'yai  point 
trouvé  ce  mot.  5°.  Cette  phrase ,  in 
hâc  octaëteride  deprehensum  est  vi- 
tium  ab  Harpalo  commissum  ,  est 
mauvaise  5  elle  signifie  tout  le  con- 
traire de  ce  qu'elle  devrait  signifier. 
Il  n'y  a  point  de  lecteur  qui  ne  croie 
qu'Harpalus  se  trompa  en  faisant  ce 
cycle  ;  et  néanmoins  l'intention  de 
Vossius  est  de  nous  apprendre  qu'Har- 
palus découvrit  la  faute  que  l'auteur 
du  cycle  avait  faite.  6°.  Il  ne  fallait 
pas  dire  qu'au  lieu  de  Y  Octaëteride 
de  Cléostrate  on  employa  Y  Octaëte- 
ride d'Harpalus  ;  car  les  vers  d' Avié- 
nus ,  que  Vossius  cite  tout  aussitôt, 
marquent  clairement  que  l'invention 
d'Harpalus  était  un  cycle  de  neuf 
années. 

HARPALUS  ,  seigneur  macé- 
donien ,  et  l'un  des  capitaines  * 
d'Alexandre ,  se  perdit  par  ses 
dépenses  énormes  (a).  Il  s'atta- 
cha aux   intérêts    d'Alexandre , 


née  de  la  87e.  olympiade,  ou  l'année 
précédente  ,  il  dit ,  dans  le  Commen- 
taire sur  sa  Thèse,  que  Diodore  de  Si- 
cile parle  de  cela  sous  l'an  3  de  la 
86e.  olympiade.  N'est-ce  point  pro- 
duire un  témoin  célèbre  contre  son 
propre  calcul?  Cela  est-il  fort  pru- 
dent ?  C'est  être  de  honne  foi,  dira- 
t-on  :  j'en  conviendrai ,  pourvu  que 
Diodore  se  soit  servi  de  cette  chrono- 

(0  Fcstus   Avienus ,  in  Arateis  prognosticis , 
pag.  m.  65. 

(2)  De  Scient,  mathem. ,  pag.  i5o,  i5i. 


prince 

*  Chaufepié  s'étonne  que  pour  ce  person- 
nage Baylc  n'ait  pas  consulte'  Arricn.  Il  y  au- 
rait vu  que  la  délicatesse  du  tempérament 
d'Harpalus  le  rendant  peu  propre  à  la  guerre, 
Alexandre  l'établit  son  trésorier.  Harpalus 
s'enfuit  (  emportant  probablement  une  par- 
tie des  trésors  qu'il  avait  à  sa  garde),  et  se 
retira  à  Mégare.  Cela  arriva  avant  la  bataille 
d'Issus.  Alexandre  eut  si  peu  de  ressentiment 
de  cette  conduite  que  .  l'ayant  engagé  sur  pa- 
role à  revenir ,  il  le  rétablit  dans  sa  charge  de 
trésorier. 

{a)  Athenseus  ,  lib.  XIII,  pag.  5()!\.  Pausa- 
nias ,  lib,  I ,  pag .  35. 


HARPALUS.  5o7 

Philippe,  et  il  fui  disgracié  pour  vait  bien  qu'il  n'y  a  pas  de  plus 
ce  sujet  (b)  :  mais  ,  dès  que  Phi-  puissant  instrument  que  la  lan- 
gue de  ces  gens-là  pour  troubler 
le  repos  public  ,  et  pour  pousser 
les  peuples  à  prendre  les  armes. 
Mais  s'il  savait  d'un  côté  le  grand 
pouvoir  qu'ils  ont  sur  le  peuple  , 
il  n'ignorait  point  de  l'autre  le 
grand  pouvoir  qu'a  sur  eux  une 
bonne  somme.  Se  voyant  donc 
muni  de  beaucoup  d'argent,  il 
espéra  de  mettre  la  ville  d'Athè- 
nes dans  ses  intérêts.  Il  se  trom- 
pa ,  Phocion  fut  incorruptible 
(C);  et  d'ailleurs  les  lettres  d'An- 
tipater ,  gouverneur  de  Macé- 
doine, et  celles  d'Olympias  ,  mè- 
re d'Alexandre ,  continrent  les 
Athéniens  dans  le  respect  (y). 
Ce  fut  à  Harpalus  à  chercher 
une  autre  retraite  (D)  ;  il  s'en 
retourna  à  Ténare ,  où  il  avait 
laissé  ses  soldats ,  et  passa  de  là 
en  Crète  ;  mais  il  ne  la  fit  pas 
longue  :  un  de  ses  amis  le  tua  en 
trahison  (g)  (E).  Le  Supplément 
de  Morén  est  fautif  sur  ce  point- 
là  ,  comme  je  le  ferai  voir  (h). 
Alexandre  croyait  si  fermement 
qu'Harpalus  était  honnête  hom- 
me ,  qu'il  fit  mettre  aux  fers , 
comme  de  faux  délateurs  ,  ceux 
qui  lui  portèrent  la  première 
nouvelle  de  la  fuite  de  ce  per- 
sonnage (/).  La  nouvelle  qu'il 
reçut  que  ce  perfide  chassé  d'A- 
thènes avait  été   tué ,  rompit  le 

(f)  Diodorus  Siculus ,    liù.   XVII,   cap. 

cvm. 

(g)  Idem,  ibid. 
(h)  Dans  la  remarque  (D). 
(i)  Toùç  Si  7rpciTouç  t»v  'Ap7ra.krju  quynv 

y.tù  a.Trifya.s-iv  à.ira.yyiî\sLvra.ç  sJWsi 
'E<p i'siXthv  X.O.)  KiVs-ov  a>ç  KH.Ta.\iV$<j[J.ï\W, 
toc/  àveTpoç.  Illos  i/ui  Harpali  fugatn  ///-/- 
mi  nuntiaverunt  m  vincula  conjei  il.  Ephial- 
tem  et  Cissum  ,  lanquam  mendacia  de 
eu  nuncianlcs.    Plut,  .     in    Alexamli    ,    paj 

689  ,  B. 


lippe  fut  mort ,  Alexandre  rap> 
pela  Harpalus  ,  et  lui  témoigna 
une  amitié  très-étroite.  Je  crois 
qu'il  lui  donna  le  gouvernement 
de  Cilicie  (A).  Pour  celui  de  Ba- 
bylone  ,  il  est  très-constant  qu'il 
le  lui  donna  ,  avec  la  charge  de 
grand  trésorier  (c).  Harpalus  , 
s'étant  imaginé  que  le  roi  son 
maître  ne  reviendrait  jamais  de 
l'expédition  des  Indes  ,  commit 
une  infinité  de  malversations  , 
afin  de  soutenir  les  dépenses  ex- 
cessives de  son  lit  et  de  sa  table. 
Il  se  plongeait  dans  toutes  sortes 
de  voluptés  ,  et  il  ne  refusait  rien 
à  ses  maîtresses  (B).  Plusieurs 
autres  gouverneurs  ,  se  figurant 
comme  lui  qu'Alexandre  ne  se- 
rait jamais  en  état  de  leur  faire 
rendre  compte  de  leurs  extor- 
sions ,  avaient  commis  mille  in- 
justices. La  première  chose  que 
fit  Alexandre  en  revenant  des 
Indes  fut  de  faire  châtier  très- 
sévèrement  quelques-uns  de  ces 
gouverneurs.  Cela  fit  craindre 
un  semblable  traitement  à  Har- 
palus ;  de  sorte  que  pour  le  pré- 
venir il  s'enfuit  en  Grèce  avec 
des  sommes  immenses  ,  qu'il  prit 
au  trésor  royal  qu'on  lui  avait 
confié.  Il  leva  aussi  six  mille 
hommes ,  qu'il  débarqua  à  Té- 
nare sur  les  terres  des  Lacédé- 
moniens  ,  et  s'en  alla  à  Athènes, 
pour  tâcher  d'y  faire  entrepren- 
dre la  guerre  contre  Alexandre 
(d).  Il  gagna  à  force  d'argent 
quelques  orateurs  (e)  ;  car  il  sa- 

(b)  Plularc. ,  in  Alexatul. ,  pag.  669,  E. 

(c)  Diodor.  Siculus,  lib.  XFIly  c.  CVlll. 
\d)  Idem  ,  ibid. 

(<ï  Plutarc  ,  in  Phocione ,  /?«,r    ^5o;  >n 

1>ernnstliçnc  ,  pag,  85j. 


5o8  HARP 

dessein  où  il  était  de  revenir  en 
Europe ,  pour  mettre  les  Athé- 
niens à  la  raison  (F).  Il  s'était 
servi  d'Harpalus  pour  faire  venir 
des  livres  (G) ,  lorsqu'il  vit  qu'on 
n'en  trouvait  point  dans  les  pro- 
vinces éloignées  du  pays  grec. 
Le  tombeau qu'Harpal us  fit  faire 
à  l'une  de  ses  maîtresses  fut  fort 
somptueux  (H).  Je  ne  pense  pas 
qu'un  certain  murmure  contre 
la  providence,  que  Cicéron  nous 
a  conservé ,  regarde  notre  Har- 
palus  (I).  Si  j'ai  raison ,  les  mo- 
ralités du  père  Lescalopier  ne 
sont  pas  bien  appliquées.  Il  y  a 
dans  Eusèbe  une  faute  que  je 
marquerai  (K). 

(A)  Je  crois  ^«'Alexandre  lui  don- 
na le  gouvernement  de  Oilicie.  ]  Je 
fonde  ma  conjecture  sur  ce  que  dit 
Athénée  (i) ,  qu'Harpalus ,  ayant  per- 
du sa  maîtresse ,  en  lit  venir  d'Athè- 
nes une  autre  ,  et  la  logea  au  palais 
royal  de  Tarsis.  Elle  y  fut  adorée 
d'un  chacun  ,  et  qualifie'e  reine  ;  et 
tous  ceux  qui  couronnaient  Harpalus 
avaient  ordre  de  la  couronner  aussi. 
Cela  suppose  qu'Harpalus  demeurait 
à  Tarsis  avec  toute  sorte  d'autorité. 
Or  Tarsis  était  la  principale  ville  de 
la  Cilicie  (2).  Je  ne  m'arrête  point  au 
passage  d'Athénée  (  3  )  ,  où  on  lit 
qu'Harpalus  érigea  une  statue  de 
bronze  à  sa  maîtresse  Glycéra  ,  dans 
Tarsis,  ville  de  Syrie  (  h  Ta.po-£>  )  t*k 
2vpia.ç.  Je  ne  doute  point  que  ce  pas- 
sage ne  soit  corrompu;  car  outre  qu'il 
n'y  avait  en  Syrie  aucune  ville  roya- 
le ni  considérable  qui  eût  nom  Tar- 
sus  ,  nous  voyons  à  la  page  586  d'A- 
thénée ,  que  cette  statue  de  Glycéra 
fut  érigée  dans  Rosse  ,  ïv'Puaréë.  Nous 
voyons  à  la  marge  de  la  page  5g5,  vis- 
à  vis  de  l'endroit  du  texte  où  l'on  a 
imprimé  (èv  Taprâ)  que  d'autres  por- 
tent h  'Paxrtrâ}.  Athénée  cite  dans  l'un 
et  dans  l'autre  de  ces  deux  passages 

(1)  Lib.  XIII,  pag.  586. 

(-)  Tàv  t«ç  //HTpoTrciAsaiç  sfl-é^oi/trjt  xô- 
yr'V  ,  metropolis  rationcm  obtinel.  Stiabo  ,  lib. 
XIV,  pag.  4fi<. 

Ci)  Lib.  XI II,  pag.  595, 


ALUS. 

le  même  auteur  ,  savoir  Théopompe 
Il  faut  donc   que    les  copistes  aient 
bouleversé  le  nom  de  la  ville  où  étail 
cette  statue  *. 

(B)  //  ne  refusait  rien  a   ses  mai- 
tresses.]  Si    quelque   chose  pouvait 
détruire  la  conjecture  que  j'ai  avan- 
cée dans  la  remarque  précédente  ,  ce 
serait  la  description  que  Diodore  de 
Sicile  nous  a  laissée  du  luxe  où  Har- 
palus se  plongea  pendant  qu'Alexan- 
dre était   aux  Indes  ;  car  elle   porte 
qu'Harpalus  s'abandonna  à  la  débau- 
che des  femmes  ,  et  à  des  impuretés 
encore  plus  odieuses  ;  qu'il  faisait  ve- 
nir de  lamer  Rouge  une  grande  quan- 
tité de  poisson  5  que  ses  dépenses  or- 
dinaires étaient  excessives  ;  et  qu'ou- 
tre cela  il  fit  venir  une  célèbre  cour- 
tisane  d'Athènes,  qui  s'appelait  Py- 
thionicej   qu'il    lui   fit    des    présens 
d'un  prix  immense  ;  que  quand  elle 
fut  morte  il  lui  fit  bâtir  un  tombeau 
superbe  ,    et  manda  du  même  pays 
une  autre  fameuse  courtisane  ,  nom- 
mée  Glycéra  ,   avec   laquelle    il  vé- 
cut dans    une  mollesse  si  prodigieu- 
se ,  qu'on  ne  la  saurait  représenter. 
Tout  cela  se  fit,  selon  Diodore  de  Si- 
cile ,  pendant  qu'Harpalus  était  gou- 
verneur de    Babylone ,  et    surinten- 
dant des  finances  ,   et  depuis  qu'A- 
lexandre se  fut  engagé  à  l'expédition 
des  Indes.  J'ai  donc  eu  tort  de  parler 
du   gouvernement  de  Cilicie,  me  di- 
ra t-on.  L'objection  serait  forte,   s'il 
n'y  avait  lieu  de  croire  que  Diodore 
de  Sicile  ,   à  l'imitation  de    ceux  qui 
composent    une  histoire  générale  ,  a 
trop  entassé   les  événemens  particu- 
liers ,    et  trop   négligé   le  détail  du 
temps.  Les  auteurs   qu'Athénée    cite 
sont  plus  croyables  que  Diodore  ;  car 
ils  se  sont  fait  une  matière  particuliè- 
re des  débauches  d'Harpalus  :  la  pré- 
somption    est     donc    qu'ils    en    ont 
mieux   développé  les    circonstances 
que  Diodore  ne  l'a  pu  faire,  lui  qui  n'a 
parlé  d'Harpalus   qu'en  gros,    et  qui 
ne  passait  sur   les  incidens  particu- 
liers que  le  plus  vite  qu'il  pouvait. 
C'est  la  méthode  de  l'histoire  géné- 
rale. Or  que  disent  les  auteurs  d'A- 

*  La  circonstance  du  gouvernement  de  Cilicie 
est  contestée  par  Chaufepié,  qui  regarde  comme 
douteuse  la  leçon  d'Atliénée  ,  et  objecte  en  outre 
le  silence  d'Arrien,  dont  l'ensemble  du  récit  prou- 
ve le  contraire.  Baylc  au  reste  n'assure  rien;  il 
dit  simplement  :  Je  crois,  mots  qui  ici  équiva- 
lent presque  à  je  doute. 


HARPALUS.  509 

thénée  ?   Le  voici.  Après  la  mort  de  cela  que  par  ordre  d'Alexandre.    Si 

Pythionice  qu'Harpalus  avait  aimée  Scaliger  avait  conclu  de  cela  qu'Har 

passionnément ,  il  fit  venir  Glycera ,  palus  avait  l'intendance  des  jardins 

et  l'introduisit  au    palais  royal  qui  et  des  vergers   royaux  à  Babylone  , 

était  à  Tarsis  ,    et  la    fit  adorer  du  il  ne  pourrait  être  censure  que  d'une 

peuple,  et  traiter  de  reine.  "Hv    **<  chose  ;    mais   il   dit    que  Plutarque 

îxâoj/o-stv  oÏkÛv   h  toÎc  jia.a-ihtiaii  toÎç  «v  attribue  cet   emploi  à   Harpalus  (8)  ; 

Tctpo-â)  x.sù  frpoo-KuviTrfjxt  ôro  tou  ttxm-  il  a  donc   bronche   deux   fois.    i°.  il 

Bouc  (èa.o-ixto-3-a.v  7rpotrai.yopiuo/u.îvr)v  ,  jLc  ne   s'est  point   souvenu  qu'Harpalus 

Mo  prqfectam  in  regid  quœ    Tarsis  e'tait  gouverneur  de  la   province    de 

fuit  collocâsse  ,  ut  adorarent  omnes  Babylone,  et  qu'ainsi  l'intendance  des 

ac    reginam   salutaivnt  jussisse  (4)-  jardins  n'e'tait  pas  sa  principale  char- 

S'il  eût  e'te'  gouverneur  de  Babylone  gc,  mais  une  petite   dépendance  de 

lorsqu'il  fit  venir   Glycera,   il  l'eût  son  emploi,  a0.  Il  est  faux  que  Plu- 

introduite  dans  le  palais  de  Babylo-  tarque  dise  ce  qu'il  lui  impute. 

ne  :  c'est  à  Babylone  qu'il  lui  eut  fait         (C)    Phocion  fut  incorruptible.']  Ce 

.;*  1.,;  „.,'H.,..„~i..„  *a„u„ :__:i.i_ 


rendre  les  honneurs  de  l'adoration  , 
et  donner  le  titre  de  reine.  Il  a  fait 
cela  dans  Tarsis ,  donc  il  était  gou- 
verneur de  la  Cilicie  lorsque  Pythio- 
nice mourut  et  lorsque  Glycera  rem- 
plit la  place  de  Pythionice;  donc  Dio- 
dore  de  Sicile  s'est  trompe  aux  cir- 
constances du  temps,  puisqu'il   sup- 


tait  lui  qu'Harpalus  tâcha  principale- 
ment de  gagner  :  il  voyait  venir  à 
lui  les  autres  dëclamateurs  ,  et  ne 
leur  donnait  que  des  sommes  très- 
modiques  ;  mais  il  fit  offrir  a  Phocion 
700  talens  ,  et  le  voulut  rendre  l'ar- 
bitre absolu  de  ses  affaires.  Tœv  ùa>- 
Bûtû'v  stTro   tou  fïHjua.'roç  Xptifjtct.r!Çi<rÇ)a.t 


pose  que  les  amours  d'Harpalus  pour  «fyô//oç  »iv  ko.)  ctjuixxct  ^Bupofjiivuv  irpbç 
Pythionice  ,  et  ensuite  pour  Glyce'-  «.t/i-ôv,  toutok  /asv  àtto  ttoxkSv  juiitp à.  Si~ 
ra  ,  ont  suivi  le  temps  auquel  Harpa-  \«o£àtv  ,  7rpoi\na.To  x,cù  hippi&t ,  tû  Ss 
lus  fut  pourvu  du  gouvernement  de  <pa>ju'a>v»  irponTrif/^i  «TuTot/ç  IsrTctxôa-j* 
Babylone ,  et  auquel  Alexandre  s'en  rcLha.vra..  Concionalium  hirudinum 
alla  aux  Indes.  Qu'on  ne  m'objecte  fuit  certatim  concursatio  opéras  suas 
point  le  sépulcre  qu'Harpalus  fit  M-  ei  vendilantium  :  modicam  his  Me  ex 
tir  à  Pythionice  dans  Babylone  (5)  ;  mullis  obtulit  et  objecil  escam ,  Pho- 
car  cela  ne  prouve  point  que  cette  cioni  vero  per  internuncios  septin- 
femme  soit  morte  depuis  qu'il  fut  genta  talenta  obtulit  (g).  Phocion  le 
pourvu  du  gouvernement  de  Babylo-  rebuta,  et  lui  fit  signifier  qu'il  le  fe- 
ne.  Je  ne  sais  si  l'on  pourrait  mettre    rait  repentir  de  ses  complots  ,  s'il  le 

voyait  continuer  à  corromjire  les  ha- 
bitons. Cela  fut  cause  qu'Harpalus 
agit  avec  plus  de  retenue  :  il  éprou- 
va que  toutes  ces  langues  vénales 
qu'il  avait  gagnées  le  traversaient 
ouvertement  ,  afin  de  dissiper  les 
soupçons,  et  que  Phocion,  qui  n'a- 
vait rien  pris,  lui  était  le  moins  con- 
traire. Cela  lui  fit  faire  de  nouvelles 
tentatives  pour  le  gagner  ;  mais  il  le 
trouva  de  toutes  parts  imprenable. 
Chariclès, gendre  de  Phocion, n'imita 
point  cette  intégrité ,  et  se  rendit  si 
suspect  que  son  beau  -  père  refusa 
de  Passister  ,  quand  il  le  vit  accusé 
juridiquement  d'intelligence  avec 
Harpalus  (to).   Pour  ce   qui   esl    de 

(8)  Plularchus  in  Symposiacis ,  qui  inter  alla 
scribit  eum  hortis  regiis  et  viridariii  Bafylv- 
niacis  prœpositum  fuisse.  Scalig.  ,  Animadrcrs. 
in  Eusebium  ,  num.  1691  ,  pet-:     I  "■ 

(y)  Plut.  ,  in  Phocionr  ,  pag    7J1  ,  B. 

(10)  Idem  ,  ibid. 


entre  les  marques  du  luxe  de  ce  gou 
verneur  la  peine  qu'il  prit  de  faire  ve- 
nir de  Grèce  toutes  sortes  de  plantes 
pour  l'ornement  des  jardins  et  des 
allées  de  Babylone  (6)  :  car  si  l'on 
en  croit  Théophraste  (7) ,   il    ne   fit 

(4)  Tlieopompus  et  Cleitarchus,  apud  Athen,, 
lib.  XI II,  pag.  586. 

(5)  Theopompus ,  apud  Athen.,  lib.  XIII, 
pag.  SçS. 

(6)  "Ap vclxoç  Si  thç  ,£û>ptf.ç  à.7ro\iiq ôeic 

£TI//.SX»TJ)Ç  ,  KO.I  <$lXOKCl\S)v'lLkXï)VUia.lÇ  <$u- 

Tiia.it  £ittx.oa-f/.îi?a.t  ts  /2«.3-/xsia.  kcli  tous 
7ripi7ra.Touç,   Tcèv   juïv   a.hha>v   iKpa.TitTîvy 

TOV  tfs  KITTOV  OÙx.  iÇi'Çvi  M  "J,  îï  /XOVOV  ,  «AA 
dil  flîqBtiptl)  ,  OU  (pépOVTCL  TMV  KpSiTIV. 
Harpalo  ,  qui  regionis  hujus  relictus  prœfectus 
fuit ,  studenti  Grœcis  plantis  regiam  et  ambula- 
tiunes  excolere .  cœteva  rrsjioitdrnmt,  unaiu 
respuit  tellus  hederam  ,  quant  tremper  corrupit 
impatientent  ejus  temperiei.  Plut.  ,  in  Alexan- 
dre ,  pag.  G86,  E. 

(7)  Apud  Plut.,  Syinposi»»-.  ,  lib,    III  ,  cap. 
II,  pag    fi  (S 


5io 


HARPALUS. 


Démosthène ,  il  en  usa  le  plus  mal- 
honnêtement du  monde  :  il  toucha  de 
grosses  sommes  ,  afin  de  parler  pour 
Harpalus  ;  mais ,  quand  il  fut  question 
de  haranguer,  il  parut  dans  l'assem- 
hlée  le  cou  tout  couvert  de  linges  , 
et  se  plaignit  d'un  mal  de  gorge  qui 
lui  était  l'usage  de  la  parole  (i  i).  Ce 
fut  alors  qu'on  débita  le  bon  mot 
où  l'on  faisait  allusion  à  l'esquinan- 
cie.  OÏ  «Tê  itiifui7ç  ^X4t/Ç<ivTêc  oôx  Ù7ro 
cuvaiyKnç  l'^pct^ov  ,  ÀK\  clv  eLpyvpctyX>iç 
iiK»^>èa.t  vCx.Twp  tov  S'Yif/.a.ya>yov.  Ibi  ho- 
mmes faceti  cavillantes  non  angind 
dixerunt,  sed  argenlangind  oralorem 
nocte  correptum(ii).  Il  n'en  fut  pas 
quitte  pour  être   raillé  ;  car  ses  en 


qu'il  eut  été'  résolu  dans  Athènes 
qu'on  ferait  sortir  Harpalus  ,  on  in- 
forma contre  ceux  qui  s'étaient  lais- 
sés corrompre  par  ses  présens.  S'il 
n'eût  point  trouvé  de  gens  à  cor- 
rompre ,  il  aurait  été  livré  à  Alexan- 
dre (20).  Un  des  amis  (21)  de  ce 
prince  sollicita  puissamment  les 
Athéniens  de  lui  livrer  Harpalus  5  et, 
ne  l'ayant  pu  obtenir,  il  leur  mar- 
qua quelque  temps  après  à  qui  cet 
homme  avait  donné  de  l'argent ,  et 
combien.  Il  trouva  cela  dans  les  pa- 
piers de  l'intendant  d'Harpalus  (22). 
Mettons  ici  la  critique  du  Philoxè- 
ne  de  Moréri.  Celui  qui  a  donné  cet 
article  (23)  assure  que  Philoxène,  ca- 


agemens  avec  Harpalus  furent  cause    pitaine  macédonien  ,  prit  en    Candie 


de  son  exil  (i3).  Notez  que  Pausa- 
nias  le  croit  innocent  (i/f)-  Harpalus 
et  sa  concubine  Glycéra  firent  dis- 
tribuer dans  Anthènes  une  grande 
quantité  de  blé.  Ce  fut  une  des  cho- 
ses pour  lesquelles  on  le  berna  dans 


Harpalus,  qui  avait  enlevé  les  riches- 
ses d'Alexandre  ; qu'il  dé- 
couvrit tous  ceux  a  qui  Harpalus 
avait  confié  ce  trésor  dans  Athènes  ; 
qu'il  en  envoya  la  liste  aux  magis- 
trats, pour  retirer  cet  argent ,  et  les 


une  pièce  comique  qui  fut  jouée  sur  faire  punir,  mais  qu'il  ne  voulut 
les  bords  de  l'Hydaspe ,  et  dont  quel-  point  nommer  Démosthène  ,  quoi- 
ques-uns  ont  dit  qu'Alexandre  même  qu'il  eût  quelque  différent  avec  ce 
était  l'auteur  (i5).  Il  est  remarquable  fameux  orateur,  préférant  en  cette 
qu'après  la  mort  d'Harpalus  ,  une  occasion  l'estime  qu'il  faisait  de  son 
fille  qu'il  avait  eue  de  Pytliionice  éloquence  a  son  propre  ressentiment. 
fut  reçue  chez  Phocion  ,  et  élevée  On  cite  Pausanias.  Je  trouve  là  six 
avec  toute  sorte  de  soin  ,  tant  par  lui  fautes.  i°.  Il  est  faux  que  Philoxène 
que  par  son  gendre  Chariclès  (16).  ait  pris  Harpalus  ni  en  Crète  ,  ni  en 
(D)  Ce  fut  à  Haipalus  a  chercher  aucun  autre  lieu.  20.  Il  ne  prit  que  son 
une  autre  retraite.}  11  reçut  ordre  intendant  qui  s'était  sauvé  à  l'île  de 
de  sortir  d'Athènes,  comme  nous  Rhodes  (24).  L'auteur  que  je  criti- 
l'apprenons  de  Plutarque  (17)  et  de  que  n'en  parle  point  ;  cette  omission 
Quinte-Curce  (18).  Je  crois  que  la  sera  sa  2e.  faute.  3°.  Harpalus  ne  con- 
cause  fut  plaidée  avec  apparat  ;    car    fia  point   ce    trésor   dans  Athènes  ; 


Pollux  cite  une  harangue  d'Hypéri- 
des  v7rip  'Ap7râ.Kou.  Je  ne  parle  point 
de  la  harangue  de  Dinarchus ,  qui  a 
pour  titre  îiTrïp  <rot/  [m  'tufauvcu  Kpira.- 
xov  'Axs£*vJp&>-  elle  passe  pour  sup- 
posée. Il  ne  laisse  pas  d'être  vrai  que 
cet  orateur  plaida  effectivement  dans 
cette  cause  5  on  avait  cinq  de  ses  ha- 
rangnes  7npi  'Ap?ra.Aê/&>v  (19).  Ce  pi*o 


il  y  donna  des  sommes  pour  gagner 
des  gens  qui  lui  fussent  favorables. 
4°.  La  liste  que  Philoxène  envoya 
aux  magistrats  ne  contenait  point 
les  noms  des  prétendus  dépositaires 
de  ce  trésor ,  mais  le  nom  de  ceux  à 
qui  Harpalus  donna  de  l'argent  poul- 
ies corrompre.  5°.  Pausanias  (25)  ne 
dit  point  que  Philoxène  ait  eu  envie 


ces  eut  de  grandes  suites  ;  car  après    de  retirer  cet  argent.  6°.  Et  bien  loin 

de    dire    que    ce    Macédonien   sup- 


(11)  Plut.  ,  in  Démosthène  ,  pag.  857. 

(12)  Idem ,  ibid. 

(i3)  Justin.,  lib.  XII ,  cap.  V. 
(i4)  Voyez  la  remarque  (D),  à  la  fin. 
(i5)  Atben.  ,  lib.  XIII,  pag.  586  et  595. 
(iC)  Plut.,  in  Phocione,  pag.  751. 

(17)  Plutarclius  ,  in  Demoslli.  ,  pag.  Sn5,  F.. 

(18)  Lib.  X,cap.  II. 

(19)  Voyez  Scaliger ,   Animadvers.    in  Euse- 
liiuru  ,  num.   1691  ,pat;.  m.  127. 


prima  son  ressentiment  par  l'estime 

(20)  Pausanias  ,  lib.  I,  pag.  35. 
(11)  Philoxène,  Macédonien.  Pausanias  ,  lib. 
II,  pag.  76. 

(22)  Idem,   ibidem. 

(23)  Il  est  dans  te  Supplément  du  Dictionnaire 
de  Moréri. 

(i!\)  Pausanias,  lib.  Il,  pag.  76. 
(■•ï)  Idem  ,  ibidem. 


HARPALUS. 


5n 


de  l'éloquence  de  Demosthène  ,  il  C'est  Quinte-Curce  qui  nous  l'apprend, 
suppose  manifestement  que  cet  ora-  His  cognais  ,  dit-il  ,  rex  Haipalo 
teur  aurait  paru  dans  le  catalogue  Atheniensibusquejuxlainfestus,  clas- 
de  Philoxène,  si  l'on  eût  trouvé  son  sein  pararijubet;  Athcnas  protinùs 
nom  dans  les  papiers  de  l'intendant  petiturus.  Quod  consilitim  dum  aisi- 
d'Harpalus.  Voici  le  raisonnement  de  tai  ,  clam  litlerœ  ei  redduntur ,  Har- 
Pausanias.  Si  Harpalus  avait  donne  palumintrâsse  qui'lem  Athcnas, pecu- 
de  l'argent  à  Demosthène  ,  on  l'eût  nid  conciliasse  sihi principum  animos, 
découvert  par  les  papiers  de  son  in-  mox  concilio  plebis  luibito  ,  jussum 
tendant  :  et  si  on  l'eût  découvert,  urbe  excedere ,  ad  Grœcos  milites 
Philoxène  l'eût  marque  dans  le  ca-  pervertisse ,  a  quitus  interceptum,  et 
talogue  qu'il  envoya  aux  Athéniens  ;  trucidatum  <i  quodam  viatore  per 
car  il  avait  eu  des  querelles  particu-  insidias.  /lis  lœtus  in  Europam 
Hères  avec  Demosthène  ,  et  il  savait  trajiciendi  consilium  omisil  (3o  ).  11 
qu'Alexandre  était  furieusement  ir-  faudrait  être  stupide  pour  ne  pas 
rite'  contre  ce  fameux  orateur.  Or  il  apercevoir  qu'il  y  a  une  assez  grosse 
ne  fit  aucune  mention  de  Dèmosthé-  lacune  entre  le  Ier.  et  le  2e.  chapi- 
ne  en  faisant  savoir  aux  Athéniens  tre  du  Xe.  livre  de  Quinte-Curce  : 
le  nom  de  ceux  à  qui  Harpalus  avait  car  où  est  l'historien  si  vide  de  sens 
donne'  de  l'argent,  et  comhien  cha-  commun,  qu'il  soit  capable  de  par- 
cun  d'eux  avait  touche'.  Il  faut  donc  Ici'  d'un  Harpalus  de  la  manière  que 
penser  que  Demosthène  n'en  toucha  Quinte-Curcc  en  a  parle  dans  le  pas- 
pas.  Fiez-vous  après   cela  à  de  tels  sage  qu'on  vient  de  lire;  qu'il  soit, 


dis-je  ,  capable  de  parler  de  cette 
manière  ,  sans  avoir  préalablement 
explique'  qui  était  ce  personnage,  et 
quelle  entreprise  il  avait  formée?  Il 
n'estpas besoin  quej'insiste là-dessus  : 
si  quelqu'un  ne  sent  point  cela,  il 
n'est  pas  capable  de  comprendre  les 
raisons  que  j'alléguerais. 

(G)  Alexandre  s'était  servi  d'îtar- 


faiseurs     de     dictionnaire.  Déplorez 

plutôt  le   sort  d'une   infinité  de  lec- 
teurs  qui   ont   cru   fort   bonnement 

que    Pausanias    nous    donne   là    un 

exemple   d'une   insigne    générosité  , 

un  homme  si   rempli  d'admiration 

pour  Demosthène   son  ennemi  ,  qu'il 

étouffe  en  sa  faveur  son  ressentiment 

lorsqu'il  a  une  occasion   très-favora- 
le  de  se  venger  :  Tant  est   grand  le    palus  pour  jaire    venir  des    livres.] 
ouvoir  de  l'éloquence  !    s'écrieront    Plutarque  nous  apprend  ce  fait  :  lisez 


bk 

pouvoir  de  l'éloquence  !    s'écrieront  Plutarque  nous  apprent 

les  jeunes    déclamateurs  qui   auront  ce  qul  suit,   vous  y  trouverez  qu'on 

cherché  des  matériaux  dans  ce  nou-  ue  croyait  pas   déplaire  à    ce  prin- 


veau  Polyanthea  (26). 

(E)  Un  de  ses  amis  le  tua  en  tra- 
hison.] Il  s'appelait  Thimbron  ,  à  ce 
que  dit  Diodore  de  Sicile,  et  il  était  de 
Lacédémone ,  à  ce  que  dit  Arrien.  Il 
s'empara  de  tous  les  effets  d'Harpalus. 
D'autres  disent  qu'un  voyageur  fit  ce 
meurtre  (  27  )  ;  d'autres  l'attribuent 
aux  domestiques  d'Harpalus  (28);  et 
d'autres  à  un  Macédonien  qui  se 
nommait  Pausanias  (29).  Ces  varia- 
tions font  perdre  patience  ,  et  désho- 
norent les  historiens. 

(F)  La  nouvelle,  qu'il  avait  été 
chassé  ci  Athènes  ,    rompit  le  dessein 


ce  en  lui  envoyant  des  poésies.  Tcèv 
<fî  AkXeev  fïi@}jaiv  OtJK  iÙ7roùSiv  lv  TOIÇ 
a.va>  twoiç,  "Af,7r&\ov  èxÉXst/a-e  7ré/u«\,a.i. 
KoîttêJVOÇ  'Î7ri/u^iv  ÙutZ  TO.Ç  Ti  <E>fX<Vof 
0i£\ouç,  ko.)  tot  EvptTrlS'iu  xzi  2o<po- 
xhiavç  kai  Air^ôxon  Tpu.yaJ'téèv  o-t/^vàc, 
kcli  Tihiçuv  xa.t  QimÇîvou  fSvpâ.y.Çwç. 
AliorUm  lïbrorum  quùm  in  superio- 
ribus  provinciis  non  esset  ei  facultas, 
mandavil  Harpalo  ut  mitteret.  Ille 
misit  ei  Philisti  libros  ,  Kuripidisquc 
et  Sophoclis ,  et  JEscnyli  tragœaia- 
rum  magnant  vim ,  Teleslis  quoque 
Philoxenique  dithyrambos  (3i). 

(H)    Le  tombeau    qu  Harpalus    fit 


oh  Alexandre  était  de  revenir fairea  l'une  de  ses  maîtresses  fut  fort 


mettre  les  Athéniens   a   la    raison.] 

(26)  C'est-à-dire,    dans   le   Dictionnaire   de 
Moi-éri. 

(27)  Quint.  Curlius,  lib.  X,  cnp.  II. 

(28)  Pausanias,  lib.  Il,  pag.  76. 
(2f|)  Idem  ,  ibidem , 


somptueux.]  Il  avait  fait  des  dépenses 
incroyables  pour  Pythionicc  pendant, 
qu'elle  vécut  ;  il  n'en  fit  pas  moins 
pour  l'enterrer.  Les  funérailles  se  fi- 

(3o)  Quint.  Curlius  ,  lib.  X,  cap.  II. 
(3t)  Plut.  ,  in  Alexandre)  ,pag.  G68  ,  D. 


5l2 


HARPALUS. 


rent  avec  la  plus  magnifique  sympho- 
nie du  monde  :  tout  ce  que  la  musi- 
que pouvait  donner  de  plus  beau  et 
en  voix  et  en  instrumens  fut  assemble 
(32).  H  lui  fit  élever  deux  superbes 
monumens,  l'un  à  Babylone,  et  l'au- 
tre proche  d'Athènes.  Il  y  dépensa 
plus  de  deux  cents  talens  :  il  consacra 
un  temple  et  un  bois  à  cette  femme  , 
sous  le  nom  de  Vénus  Pythionice  (33). 
Le  tombeau  qu'il  fit  faire  dans  l'Atti- 
que,  sur  le  chemin  d'Eleusis,  surpas- 
sait tous  ceux  qui  étaient  proche  de  là. 
On  l'aurait  pris  pour  celui  d'un  des 
plus  grands  hommes  qui  fussent  sor- 
tis d'Athènes.  Quelle  devait  donc  être 
la  surprise  des  étrangers ,  lorsqu'ils 
apprenaient  que  c'était  celui  d'une 
garce?  Quel  jugement  devaient-ils 
faire  des  Athéniens  ?  Cette  réflexion 
est  de  Dicéarchus  (34).  Un  auteur  , 
qui  se  connaissait  parfaitement  en  ces 
matières ,  assure  que  le  tombeau  de 
Pythionice  ,  sur  le  chemin  d'Eleusis  , 
était  le  plus  beau  de  tous  les  anciens 
monumens  que  l'on  pût  voir  dans  la 
Grèce,  'fîç  x.0.)  pvïipia,  à.7roB*,voùcrviç 
7toîy\cra,i,  7râ.vra>v,  OTrocra.' Exxvirlv  sç*iv  dp- 
Xtiia,  bîctç  p.â\xKa.  «£iov.  Ut  mortuce 
moiùmentumposueritomnium in  Gros- 
ciâ  velerum  operum  quod  spectetur 
dignissimum  (35).  Il  est  même  vrai 
qu'on  ne  suivit  pas  fidèlement  les  in- 
tentions d'Harpalus  ;  on  ne  dépensa 
pas  toutes  les  sommes  qu'il  destina  à 
ce  monument.  Chariclès  ,  gendre  de 
Phocion  ,  se  chargea  de  l'intendance 
de  cet  ouvrage  ,  à  la  prière  d'Harpa- 
lus ,  et  n'y  dépensa  pas  les  trente  ta- 
lens qu'on  lui  mit  en  main.  Il  se  dif- 
fama en  deux  manières  :  i°.  en  se 
chargeant  de  la  direction  d'un  monu- 
ment destiné  à  une  garce  ;  2°.  en 
s'appropriant  une  partie  des  sommes 
qu'on  lui  avait  confiées.  Mvn//sîov  àiro 
Xpvjuâ.Ta>v    çroxxSv     \7mixicra,\    9«àmV«ç 

(32)  Posidonius,  lib.  XXII  Historiar.  ,  apud 
Alhen. ,  lib.  XIII,  pag.  5g/J. 

(33J  Tmt»{  WoXpwiv  o  qixoç  iïva.i  croîs 
qsicrxaiv  lîpov  «.ai  fl/«voç  't$pvcra.<T%a.\ ,  xai 
'rpocra.'^opivcrat  nov  vaov  nai  tûv  fiuip.lv  ITf- 
ÙiovIkvi;  'A^pocTiTMC.  Ausus  hic  esl  qui  de  ami- 
*  ititt  tua  gloiïarelur ,  illi  et  lucum  cl  templum 
consecrare,  œdemque  illatn  et  aram  PjrikioTiices 
I  eneris  nuncupare,  Theopompus  ,  in  Epist,  nJ 
Alexandrum,  apud  Atlicn.  ,  iliid.  ,  pag.  5q5. 

(34)  In  librit  de  Descens»  in  nntriim  Tioplm- 
nium  ,  apud  Atlicnsrum ,  pag.  .r><i4' 

(35)  Patisanias ,  lib.  I,  pur     6 


Trpocr'i'Tct.^i  tço  Xapix-XÙ  tmv  Î7rip.i).iiav  ■ 
oùcr&v  Si  t»v  ÙTroupyiav  tuCtyiv  ,  âymîi 
7rpoTH.ct,<ri)!r%u\/iv  ô  Tct^oç  crvvrihto-QtU' 
JtcifAzvu  yatp  6TI  vt/v  iv  'Epjuiiq>,  »  (ia,- 
iïïÇopïv    \'Ç,    dç-io;   çîç   'Exivcntva,  ,    pnSiv 

lX,a>V     Ttèv     TflCiKOVTa.     TaxâvlClùV      tt^l&V  , 

ocra.  Tm  'Ap7ra,xu>  xoytcrônvai  tycicnv  aç  to 
ïpyov  Ù7ro  <roû  Xa.piKXiovç.  Qi/ùm  Har- 
palus  moniwienlum  sumptuosum  lo- 
care  vellet  faciendum ,  ejus  rei  de- 
mandavit  Charicli  curam.  Hoc  mi- 
nisterium per se  turpefœdavit  insuper 
sepulcrum  absolulum.  lixtat  enim  et 
hdc  œtale  in  Hermio  ,  qua  Alhenis 
Eleusina  itur ,  neque  in  eo  triginta 
talenta  ,  quantum  summam  expensum 
tulisse  in  id  opus  Harpalo  uutumanl 
Chariclem ,  comparent  (36).  Pausa- 
nias  avoue  qu'il  ne  sait  rien,  ni  de  la 
patrie,  ni  de  la  famille  de  Pytbionice, 
mais  seulement  qu'elle  avait  exercé  le 
métier  de  fille  de  joie  dans  Athènes 
et  à  Corinthe.  Athénée  en  savait  un 
peu  davantage.  Il  dit  qu'elle  avait  été 
servante  de  Bacchis  la  flûteuse  ,  et 
qu'ensuite  elle  s'enrôla  sous  une  ma- 
querelle  de  Thrace  qui  demeurait 
à  Egine,  et  qu'elle  la  suivit  à  Athènes , 
où  elle  transporta  son  bordel  ;  de 
sorte  que  Pythionice  était  une  triple 
esclave  ,  et  une  triple  prostituée  : 
Sç't  yivicrba.ip.tip.ovov  TpiJ'ovXov  dxxa  x.at 
rp'nropvov  at/Tiïv  ,  ut  non  solùm  ter 
mancipium,  sed  etiam  ter  scortum 
fuerit  (3^). 

(I)  Je  ne  pense  pas  qu'un  certain 
murmure  contre  la  providence re- 
garde notre  Harpalus.~\  Voici  les  pa- 
roles de  Cicéron  (38)  :  Diogenes  qui- 
dem  Oynicus  dicere  solebat ,  Harpa- 
lum  ,  quitemporibus  Mis prœdo  j'elix 
habebatur,  contra  deos  teslimonium 
dicere  ,  quod  in  illd  fortund  tamdiù 
viveret.  Je  suis  de  l'opinion  de  M.  Mé- 
nage :  l'Harpalus  de  Cicéron  ,  le  Scir- 
palus  de  Diogène  Laè'rcc  (3ç)),  et  h' 
Scirtalus  de  Suidas  (4o) ,  me  semblent 
être  un  seul  et.  même  homme.  Or  le 
Scirpalus  de  Diogène  Laè'rce  ,  et  le 
Scirtalus  de  Suidas  ,  était  un  fameux 
pirate  qui  prit  Diogène  le  Cynicfue  , 
et  le  vendit  :  je  crois  donc  que  l'Har- 

(3fi)  Plut. ,  in  Phocionc  ,  pag.  'jSi  ,  I). 

(37)  Alhen. ,  lib.  XII I,  pag.  595  ,    ex    1  lieo 
pompo  ,  in  epist.  ad  Alexaudriim. 

(38)  De    Naturâ     Deorum ,    lib.     III      cap 
XXXI V. 

(3g)  Lib.  VI,  in  Diogcn.  ,  num.  74. 
(40)  In  Aio-jjvhç. 


HÀRRAVAD. 


palus  de  Cicëron  était  un  pirate  ,  et 
non  pas  un  capitaine  d'Alexandre-le- 
Grand.  Le  caractère  que  Cice'ron  a 
donne'  à  Harpalus  ne  convient  nulle- 
mentau  capitaine  d'Alexandre.  L'Har- 
palus  de  Cice'ron  e'tait  un  fameux 
brigand  ,  aussi  connu  par  le  bon- 
heur qui  l'accompagnait  dans  ses  bri- 
gandages ,  que  par  ses  brigandages 
mêmes  :  sa  longue  prospérité'  était 
connue,  comme  il  paraît  par  la  con- 
séquence que  Diogène  en  tira  ;  vu 
qu'on  se  rendrait  très-ridicule  à  cré- 
dit ,    si  l'on    raisonnait   de   la   sorte 


5 les  ;  c'est  un  scandale  pour  eux  que 
e  voir  que  l'ou  répond  à  un  pro- 
fane ,  en  bouleversant  tout  l'état  de 
la  question.  Et  puis  cette  conclusion 
du  père  jésuite  n'est -elle  pas  édi- 
fiante ?  Omitte  Harpalum,  sume  Dio- 
genem  ,  ne  querere  quod  regiœ  pe- 
cunice  prceao  unum  annum  vivat  in 
sud  Jortund  :  querere  quod  prœdo 
divinœ  piwidentiœ  in  sud  impietate 
longam  citant  vivat  :  sed  neque  id 
cerlè  conquerendum  est  ,  nam  longa 
vila  misetTimi  canis  omnibus  infesti  , 
omnibus  exosi ,    longum   suppîicium 


dans   une  ville  où  les  bonnes  prises  fuit,  longioris  tamen  suppliai  brève 
d'un  corsaire   ne   feraient   du   bruit    preeludium  (43). 


que  depuis  quatre  ou  cinq  ans. 
Joignez  à  cela  qu'il  n'y  a  rien  qui 
applique  davantage  à  faire  des  ré- 
flexions de  murmure  sur  la  prospérité 
des  médians  ,  que  de  se  voir  mal- 
heureux à  cause  de  cette  prospérité 
(4i).  S'il  y  a  donc  quelque  voleur 
dont  la  longue  impunité  ait  pu  ar- 
racher de  la  bouche  de  Diogène  la 
plainte  qu£  Cice'ron  a  rapportée,  c'est 
sans  doute  celui  dont  Diogène  devint 
esclave  ;  or,  comme  il  devint  l'es- 
clave d'un  pirate ,  et  non  pas  du  gou- 
verneur de  Babylone ,  il  faut  con- 
clure que  le  témoin  qu'il  croyait 
qu'on  pouvait  produire  contre  l'exis- 
tence des  dieux  ,  était  le  pirate  qui 
l'avait  pris. 

C'est  donc  en  vain  que  le  père  Les- 
calopier  (4 2)  représente  à  ses  lec- 
teurs, qu'Harpalus,  gouverneur  de 
Babylone ,  ne  demeura  point  long- 
temps impuni  ,  après  avoir  enlevé 
les  trésors  du  roi  son  maître.  C'est 
en  vain  qu'il  montre  que  ce  voleur 
ne  lit  que  passer  d'infortune  en  infor- 
tune ,  et  qu'il  fut  misérablement  tué 
au  bout  d'un  an  :  il  ne  fait  que  rai- 
sonner contre  lui-même  ;  plus  il 
avance  vers  son  but ,  plus  il  s'écarte 
de  son  sujet  ;  car  il  s'agit  d'un  voleur 
qui  avait  été  long-temps  heureux  : 
voilà  l'objection  ;  et  vous  nous  allé- 
guez un  voleur  qui  fut  puni  presque 
sur-le-champ  :  ce  n'est  pas  répon- 
dre ;  c'est  plutôt  travailler,  sans  y 
prendre  garde  ,  à  faire  d'une  diffi- 
culté qui  n'est  presque  rien  ,  une 
pierre  d'achoppement  pour  les  sim- 


(40  Voyez  tom.    V,  pag     49^  ,  la  remarque 
(C)  de  l'article  Diagoras  l'atliee. 

(4^)  Lescalop    ,  Commentai-,  in  Ciceron.,  de 
ftaturâ  Deorum,  /iA.  ///,  pag.  683. 

TOME    VU. 


(K)  //  y  a  dans  Eusèbe  une  faute 
que  je  marquerai.}  Il  dit,  sous  la  troi- 
sième année  de  la  i  i3e.  olympiade  , 
qu'Harpalus  s'enfuit  en  Asie,  Har- 
palus fugit  in  Asiam.  Scaliger  ap- 
prouve cette  cbronologie  ;  mais  il 
corrige  Asiam,  par  Atticam  ;  el  il 
est  certain  que  si  Eusèbe  n'a  pas  dit 
Atticam,  il  l'a  dû  dire.  Bongars  (44) 
avait  corrigé  fugit  ex  Asid. 

(43)  Là  même  ,  pag.  682. 

(44)  In  Justin. ,  lib.  XII,  cap.  V. 

HARRAVAD  (Isaac-Ben),  rab- 
bin célèbre  vers  la  fin  du  XIIe. 
siècle.  Il  a  écrit  quelque  chose , 
mais  on  ne  sait  pas  au  vrai  ce 
que  c'est.  On  lui  attribue  deux 
propriétés  admirables  ;  car  on 
dit  qu'il  pouvait  connaître  au 
visage  des  gens  s'ils  avaient  une 
âme  qui  fût  venue  d'un  autre 
corps ,  ou  qui  eût  commencé 
d'exister  au  moment  qu'elle  avait 
été  unie  au  leur  ;  et  encore  qu'il 
fût  aveugle,  il  discernait  sûre- 
ment par  l'odorat  si  quelqu'un 
était  en  vie  ou  non  (a).  La  cri- 
tique du  père  Bartolocci  est  un 
peu  grossière  en  cette  rencon- 
tre (A). 

(a)  Tiré  de  la  Bibliotheca  Rahbinica  de 
Bartolocci  ,  loin.  III,  pag.  888,  88j. 

(A)  La  critique  du  père  Bartolocci 
est  un  peu  grossière  en  cette  ren- 
contre.] Ayant  cité  ces  paroles  du 
rabbin  Rékanati ,  et  licetfuisset  cœcus, 

33 


5i4 


HARTUNGUS. 


sensibiltler  percipiebat  ex  aère  an 
iste  fuisset  vivus  an  uerb  morluus  , 
il  ajoute  (i)  ,  cognoscere  cadaver ex 
olfàctu.  mira  res  apud  Judœos  :  quia 
cum  Jiulœi  malè  olentes  inler  se  con- 
tinua versentur ,  itlorum  olfaciendi 
sensus  videtur  deprawalus ,  ut  inter 
cadaveris  et  latrinarum  malum  odo- 
rem  dislinguere  nesciant,  nisi  prodi- 
sium  fiât.  C'est  une  mauvaise  rail- 
lerie, et  si  l'on  veut  se  défaire  de 
tout  esprit  de  chicane  ,  Ton  recon- 
naîtra que  l'odorat  de  ce  rabbin  avait 
quelque  chose  de  fort  particulier,  en 
cas  qu'il  fît  le  discernement  dont  il 
est  question.  Car  il  ne  faut  pas  pré- 
tendre qu'on  ait  voulu  dire  qu'il 
discernait  si  un  homme  mort  depuis 
quelques  jours  ne  vivait  plus  ;  tous 
les  aveugles  feraient  sans  peine  cela. 
On  a  voulu  dire  que  le  changement 
qu'il  sentait  dans  l'air,  aussitôt  qu'un 
homme  était  expire ,  lui  faisait  con- 
naître certainement  la  mort  de  cet 
homme.  Ne  m'avouera-t-on  pas  que 
ce  changement  est  imperceptible  ?  Le 
père  Baxtolocci  a  censure'  une  autre 
chose.  Il  demande  comment  ce  rabbin 
aveugle  pouvait  connaître  l'âge  de 
l'âme  en  regardant  au  visage.  Afin 
que  cette  censure  fût  juste  ,  il  fau- 
drait que  les  mêmes  gens  qui  ont 
parle  de  cette  vertu  de  notre  rabbin  , 
eussent  nettement  de'claré  qu'il  était 
alors  aveugle  ,  et  qu'il  se  servait  de 
l'inspection  du  visage.  Or  il  ne  paraît 
point  qu'ils  aient  fait  une  pareille 
déclaration.  Pius  iste  Ben  Harravad 
cognoscebat  ex  vultu  ,  utrùm  anima 
creata  in  ipso  actu  infusionis  infor- 
marelnr  hoino  ;  an  verb  aliunde  ex 
traits  mi gratio  ne  animant  haberet  ad- 
uenticiam  (2).  Ces  paroles  du  rabbin 
Rëkanati  (  3  )  te'moignent  bien  que 
l'autre  rabbin  connaissait  par  le  vi- 
sage ,  si  l'âme  des  gens  était  toute 
neuve  ou  non  ;  mais  non  pas  s'il  le 
connaissait  en  regardant  le  visage, 
ou  en  le  touchant.  Or  ces  deux 
moyens  ne  sont  pas  moins  merveil- 
leux l'un  que  l'autre  ,  et  il  semble 
même  que  le  dernier  soit  plus  difli- 
cile  que  le  premier.  On  m'objectera, 

(1)  Bartoloccius  ,  Bibliotlieca  Rabbinica  ,  loin. 
III,  pag.  889. 

(i)  R.  Rëkanati  ,  apud  Barlolocc.  Biblioll). 
Rabbinica,  Iwi,  III,  pag-  888. 

(3)  Elles  ont  été  insérées,  par  Griitéius,  au 
II'.  tome  du  Tlitiaui'ui  Criticus. 


en  faveur  de  P.artolocci  ,  que  Rëka- 
nati faisant  mention  de  l'autre  pro- 
priété ,  observe  que  le  rabbin  Har- 
ravad  était  aveugle  ;  mais  je  deman- 
derai toujours  ,1e  fait-il  être  ,  quant 
à  ce  temps-là  ,  ce  merveilleux  physio- 
nomiste qui  discernait  si  les  âmes 
étaient  dans  le  lieu  de  leur  nais- 
sance ?  Car  s'il  a  seulement  voulu 
direqu'Harravad  discernait  cela  avant 
que  de  devenir  aveugle  ,  que  devien- 
dront les  railleries  de  Éartolocci  , 
ses  exclamations ,  ses  invectives  ?  Il 
avait  sujet  de  se  moquer  de  tous  ces 
contes  ;  mais  il  fallait  se  servir  d'au- 
tres raisons.  La  justesse  est  néces- 
saire, qui  que  ce  soit  que  l'on  veuille 
réfuter. 

HARTUNGUS  (Jean),  né  à 
Miltemberg  (a),  l'an  i5o5,  fit 
ses  études  dans  sa  patrie  ,  et  puis 
dans  l'université  d'Heidelberg. 
Il  prit  ensuite  les  armes,  et  les 
porta  en  Hongrie  contre  les 
Turcs  ;  mais  il  se  remit  quelque 
temps  après  au  doux  service  des 
muses  ,  et  fut  professeur  en 
langue  grecque  dans  l'académie 
d'Heidelberg.  Il  s'acquitta  glo- 
rieusement de  cette  charge  pen- 
dant quinze  ans  ;  et  il  ne  l'aurait 
point  quittée  si  l'on  n'avait  éta- 
bli la  religion  protestante  au  Pa- 
latinat,  l'an  1546.  Ce  change- 
ment l'obligea  à  chercher  un  au- 
tre poste  ;  il  en  trouva  un  à 
Fribourg,  dans  le  Brisgaw,  et  il 
en  fut  si  content  qu'il  ne  le  quit- 
ta qu'avec  la  vie.  Il  tint  un  rang 
honorable  parmi  les  professeurs 
de  Fribourg,  et  il  eut  beaucoup 
de  disciples.  Il  fit  des  leçons  sur 
Homère ,  et  sur  quelques  autres 
poètes  ,  et  il  composa  d'assez 
bons  livres  (A).  Il  mourut  dans 
la  îiiême  ville,  le  16  de  juillet 
1 579 ,  après  y  avoir  professé  les 
belles -lettres    trente -trois   ans. 

(a)  Pille  d'Allemagne  sur  le  Mein. 


(b)  Tiré  de  Melchior  Adam  ,  in  Vitis  Phi 
losoph.  Germanoruni,  pag.  3oo,  3oi. 


HÉBEDJÉSU.  5i5 

L'épitaphe   qu'il  se  fit  témoigne    Italien  me  fait  souvenir  que  M.  Bail- 
qu'en  instruisant  la  jeunesse   il    }et  n'a, point  mis  Hartungus  parmi 

•4.         ce    *-  1,  ,-  -les  critiques, 

avait  sounert  beaucoup  et  appris  l 

beaucoup  (b)  (B).  HÉBEDJÉSU  ,  patriarche  des 

nestoriens  ,  réunis  à  l'église  ro- 
maine sous  Pie  IV,  en  1662.  J'ai 
déjà  parlé  de  lui  sous  un  autre 
(K)Ilcomposa  d'assez  bons  livres.]    nom  (a)     qui  Jui  a  éU  d         é 
Des  Prolégomènes  et  des   notes  sur    j-  ■  ■      K 

les  trois  premiers  livres  de  l'Odyssée.    dlVerS  auteurs  >  mj»S  Ce  qui  m'en 
ri>ti:~j-.    1 „.     u :  reste  à    dire  m'a  semblé  digne 

d'être  rapporté  en   cet  endroit. 
Depuis  l'impression   de  l'article 
d'ABDissi ,  j'ai  remarqué  dans  un 
ouvrage  bien  curieux  (6),  qu'a- 
près la  mort  de  Simon  Julacha 
(A) ,  moine  de  l'ordre  de  Saint- 
Pacôme ,  qui  avait  été  créé    pa- 
triarche des  nestoriens  par  Ju- 
les III ,  «  Abdjésu  ou  Hébedjésu, 
pour  prononcer  à  la  manière 
des   Chaldéens ,   fut   mis   pa- 
triarche en    sa  place.    Abra- 
ham Ecchellensis,    qui  a   fait 
imprimer  un  petit  traité  sy- 
riaque d'Abdjésu  (B) ,  lui  don- 
ne la  qualité  de  métropolitain 
de  Soba ,  dans  la  préface  qu'il 
a  mise  à  la  tète  de  cet  ouvrage. 
Il  remarque  que  cet  Hébedjé- 
su a  composé  plusieurs  livres 
en   faveur  de  la  religion  des 
nestoriens;  mais  qu'étant  ve- 
nu à  Rome  sous  Jules  III,  il 
fit  abjuration  du  nestorianis- 
me.    C'est  de   lui   dont   il  est 
parlé  dans  Vie  de  Pie  IV,  sous 
lequel  il  fit  un  second  voyage 
à  Rome  (C) ,  pour  obtenir  la 
confirmation  de  son  patriar- 
cat;  et  il    assista  au   concile 


Chiliades  locorum  Homericorum  , 
Decuriœ  locorum  quorundam  memo- 
rabilium  (1).  Il  traduisit  en  latin  le 
poème  d'Apollonius,  sur  les  Argo- 
nautes. Cette  version  n'est  point  esti- 
me'e.  Voici  le  jugement  qu'en  a  fait 
un  bon  critique  (2).  31iratus  sum 
hominem  et  eruditum  ,  et  in  greeed 
prœserlim  lingud  cum  laude  rersatuni 
ita  transtulisse  [Apollonium]  ut  non 
paulo  facilius  sit  Apollonium  sud  , 
hoc  est  greeed ,  lingud  assequi ,  quant 
ed  qud  eum  Hartungus  loquentem 
fecit,  latind.  Il  marque  tout  aussitôt 
quelques  erreurs  de  cette  version  , 
et  il  fait  entendre  qu'il  en  pourrait 
indiquer  quantité'  d'autres  (3). 

(B)  L'épitaphe  qu'il  se  fit  témoigne 

Çu il  avait  souffert....   et  appris 

beaucoup.]  Elle  est  digne  d'être  rap- 
portée. 

HoXKa.    v&Qùv,    Ksù  TrtthKÀ  /uctQaiv    èv 

EvQcL   S\    yî/V     KilfJ.HH    B-l/V     QiCû    M9U- 

La  version  latine ,  que  l'on  en  trouve 
dans  Melchior  Adam  (4)  ,  est  très- 
mauvaise  :  elle  ne  répond  nullement 
à  l'intention  de  l'auteur,  qui  était  de 
faire  savoir  que  sa  charge  de  profes- 
seur avait  été  fort  pesante.  Je  ne 
rapporte  point  l'autre  épitaphe  qu'Har- 
tungus  se  fit  en  grec  :  cherchez-la 
dans  Melchior  Adam.  Je  suis  sûr  que 
Lorenzo  Crasso  l'eût  mis  dans  sa  liste 
des  poètes  grecs  ,  s'il  eût  su  ce  qu'on 
vient  de  rapporter.    L'oubli   de  cet 


(1)  Melch.  Adam.  ,  in  Vitis  Philosoph. ,  pag. 
3oi. 

(2)  Janus  Rutgersius  ,  Variarum  Lection., 
lib.  VI,  cap.  VI,  pag.  56i. 

(3)  Infinilum  errer  ea  persequi  in  qttibus  lorr- 
gissimè  à  sententici  Apollonii  aberrant.  Idem  , 
ibid. ,  pag.  566. 

(4)  La  voici  : 

Multa  tuli,  didici,  docui  Juin  fata  sinebant  , 
Mortuus  in  summo  nunc  rfpiiesco  Oeo. 


(a)  C'est  celui  c/'Abdissi.  Voyez  cet  arti- 
cle ,  tom.  I,  pag.  (p., 

(b)  En  voici  le  titre  .•  Histoire  critique  de 
la  créance  et  des  coutumes  des  nations  du 
Levant  ,  publiée  par  le  sieur  de  Moni ,  à 
Francfort,  chez  Frédéric  Arnaud,  (ou  plu- 
tôt, à  Rotterdam  ,  chez  Beinier  Leers,)  1684* 
On  croit  que  le  père  Simon  est  l'auteur  de, 
cette  Histoire. 


5,6  HÉBEDJÉSU 

»  de  Trente  (D).  Comme  il  était 

»  habile    homme  ,    aussi    eut-il 

»  l'adresse  d'attirer  à  l'église  ro- 

»  maine  vin  grand    nombre  de 

»»  nestoriens.  Mais  ceux  qui  lui 

»  succédèrent  ne  purent  pas  les 

»  conserver,  n'ayant  ni  son  adres- 

»  se  ni  sa  capacité.  Ahathalla  , 


de   Moiii    nomme    Carcmit  la   ville 

de  Mésopotamie   qu'Aubert  le  Mire 

nomme    Charémet.   Celui-ci   nomme 

Donha    Simon  ,     celui    que    l'autre 

nomme  Denha  Simon.   L'un  se  sert 

du  mot  de  Zeinalbach  ,  l'autre  aime 

mieux  Zeinalbech.  Ils  ont  tous  deux 

puisé  à  la  même  source ,  savoir  au 

livre  de  Pierre  Strozza  de  Chaldœo- 

rum  Dogmatibus  ;  pourquoi  donc  ne 

qui  était  aussi  moine  de  Saint-  sont-ils  pas  uniformes?  Est-il   plus 

ParnmP  snrréda  à  Héhedié-  alsé  d'ecrire  Sulacha  que  Julacha  , 
Facome  ,  succéda  a   HeDeoje     Donha  que  Denha  ?  M  Arnauid  pin_ 

su ,  et,  ayant  vécu  tort  peu  de   sant  a  ia  même  source  dit  (2)  que 

Simon  Sulacha  établit  son  siège  à  Ca- 
ramit.  M.  Claude  (3)  se  sert  du  nom 
de  Sulak.  Le  père  Paul,  au  commen- 
cement du  Ve  livre  (4) ,   dit,  un  cer- 
tain Simon  Sullaham.  M.  Amelot  ne 
corrige  rien  à  cela.  Ce  sont  des  vé- 
tilles ,  je  l'avoue  ;  mais  c'est  de  sem- 
blables vétilles   que   sont  nées   bien 
souvent  des  disputes  très  -  réelles  et 
Perse  ,  ayant  ete  oblige  de  ce-    très-considérables   :   Hœ  nugœ  séria 
der  à  la  puissance  du  patriar-    ducunt  in  mala.  La  république  des 
che  de  Babylone.  Son  succès-   lett,res  n'en  "ait  que  mieux,  si  l'on 
.  J  ...  -se  taisait  un  devoir  de  iuir  îusqu  aux 

seur ,   qui   se   nommait  aussi   plus  petites  fauteg 

Simon,  résida  au  même  heu,  ce  {h)  Abraham  Ecchellensis  a  fait  im- 
am diminua  beaucoup  l'auto-  primer  un  petit  traité  syriaque  d'Abd 
rite  de  ce  second  patriarche.  »   Jés»'  3  Je  croi!  9Pe  Vest 


temps ,  il  eut  pour  successeur 
Denha  Simon ,  qui  était  au- 
paravant archevêque  de  Gélu. 
Mais  celui-ci  fut  contraint 
d'abandonner  Carémit  (E) ,  et 
de  se  retirer  en  la  province  de 
Zeinalbech  à  l'extrémité  de  la 


crois  que  c  est  le  même 
traité  dont  parle  M.  Arnauld,  quand 
il  cite  (5)  les  notes  d'Abraham  Ec- 
chellensis ,  maronite,  sur  un  cata- 
logue de  Hures  chaldéens  ,  fait  par 
Abdjésu  ou  Hébedjésu  ,  évoque  nes- 
torien  qui  se  réunit  à  l'église  romaine- 
Quelques  pages  après  (  6  ) ,  il  en 
touche  des  circonstances  qui  méri- 


Voilà  ce  que  j'ai  trouvé  dans  ce 
livre  (c).  J'avais  cru  ,  en  faisant 
l'article  d'Abdissi ,  qu'on  pou- 
vait s'en  rapporter  au  narré  du 
père  Paul  ;  mais  je  ne  dois  point 
passer   sous   silence  ce  que  j'ai 

observé  depuis  dans  le  père  Pal-    tent  d'être  ici  ;  car  elles  font  mieux 
kvicin:  c'eft  qu'il  n'est  pas  vrai    connaître    quel   homme   c'était   que 
.•*■■.-,  ^     > l    ■.     j        notre  Hebediesu.  //  avait  ete  autre- 

que  ce  patriarche  ait  écrit  des  fois  des  plus  emportés  nestoriens ,  dit 
lettres  au  concile.  Les  notes  qui    M.  Arnauld  ,  et  avait  fait  plusieurs 

livres  pendant  qu'il  était  lui-même 
dans  l'erreur,  dont  il  fait  le  dénom- 
brement a  la  un  du  catalogue  des 
livres  chaldéens  qu'il  a  faits  ,  et  qui  a 
été  traduit  par  Ecchellensis.  Il  paraît 
par  ce  catalogue  que  le  livre  intitulé 
Margaritarum ,  a  été  composé  par  lui 
lorsqu'il    était    encore  nestorien.    Le 

(2)  Perpétuité  défendue,  liv.  V,  chap.  X. 
(3i)  Réponse   à   la   Perpétuité  défendue,    liv. 
IV,  chap    r. 

(4)  De  ^'Histoire  du  concile  de  Trente. 

(5)  Perpétuité  de   la  Foi  défendue,   liv.   V , 
chap.  V. 

(6)  Au.  chap.  X. 


suivent  rendront  compte  de  ce 
qui  a  été  critiqué  dans  la  narra- 
tion du  père  Paul  (F). 

(c)  Pag .  85. 

(A)  Simon  Julacha.]  Il  fallait  dire 
Sulacha,  comme  a  fait  Aubert  le 
Mire  (i).  Il  ne  faut  pas  s'étonner  si 
les  critiques  peuvent  recueillir  dans 
les  manuscrits  une  infinité  de  variœ 
lectiones  ,  puisque  les  livres  im- 
primés n'en  sont  pas  exempts.  Le  sieur 

(ij  Polit,  ecclesiast.  ,  pag.  216. 


HÉGÉSILOCHUS. 


517 


Supplément  de  Moréri  remarque  (7)  l'État  des  Chre'tiens  orientaux,  dont 

que  le  catalogue  des  écrivains  syriens  Aubert  le  Mire  ,  de  qui  je  copie  toute 

(c'est  sans  doute  celui  dont  Hébed-  cette  remarque ,    avoue   qu'il  a  tiré 

jésu  est  l'auteur)  ae'té  publié  à  Rome  beaucoup  de  choses  qui  se  lisent  dans 

en  syriaque  ,  Pan  i653  ,  avec  la  ver-  sa.yIVotitia  Episcopâtâum.   Il  ajoute 

sion   latine  et  les  notes  d'Abraham  que  cet  ouvrage  de  Léonard  Abel  est 

Ecchellensis  ;   que   ce  catalogue  fait  en  manuscrit  dans  la  bibliothèque  du 

mention  de  plusieurs  ouvrages  com-  feu  cardinal  Ascagne  Colomne  ,  pro- 


posés en  syriaque  ,  par  Hébedjésu  ; 
qu*on  garde  dans  la  bibliothèque  du 
Vatican  deux  poèmes  composés  en 
syriaque  ,  et  écrits  de  sa  main  ,  où  il 
rend  raison  de  sa  réunion  ,  etc.  Au- 
bert le  Mire  (8)  rapporte  que  le  por- 
trait de  ce  patriarche  a  été  mis  ,  au 
palais  du  Vatican  ,  parmi  les  cardi- 
naux et  les  prélats  qui  accompa- 
gnèrent Alexandre  III,  lorsqu'il  reçut, 
à  Venise,  les  soumissions  de  l'em- 
pereur Frideric 


tecteur  des  églises  du  Levant,  et  que 
cette  bibliothèque  avait  été  merveil- 
leusement augmentée  ,  par  l'adjonc- 
tion des  livres  du  cardinal  Guillaume 
Sirlet. 

(F)  Les  notes  qui  suivent  rendront 
compte  de  ce  qui  a  été  critiqué  dans 
la  narration  du  père  Paul.  |  Cet  au- 
teur raconte  qu'on  lut  les  lettres  du 
cardinal  Amulius,  qui,  en  qualité  de 
protecteur  des  chrétiens  orientaux , 
mandait  au   concile    la    nouvelle  de 


(C)  77  fil  un  second  voyage  a  Rome. ,]    l'arrivée   d'Abdissi 77   racontait 

Je   suis    surpris    que  ni    Fra  -  Paolo ,    que    les  peuples  sujets   a  ce  prélat 

avaient  été  instruits  dans  fa  foi  par 
les  apôtres  saint  Thomas  et  saint 
Tadée  ,  etc.  (11).  L'historien  ajoute 
qu'on  lut  ensuite  la  confession  de  foi 
de  ce  patriarche  ,  et  enfin  les  lettres 
qu'il  adressait  au  concile ,  pour  s'ex- 
cuser de  ce  qu'il  n'y  pouvait  pas 
aller,  etc.  (12).  Le  cardinal  Paila- 
vicin  (i3)  raconte  cela  plus  ample- 
ment et  avec  plus  d'exactitude  ,  ne 
confondant  point  ce  qu' Amulius  di- 
sait par  ordre  du  pape ,  avec  les 
conséquences  qu'il  tirait  lui-même 
des  narrations  du  prélat  nestorien. 
Il  ne  paraît  pas  que  le  père  Paul  ait 


ni  son  censeur  ,  le  cardinal  Palla 
vicin  ,  ni  aucun  de  plusieurs  autres 
auteurs  que  j'ai  consultés  touchant 
Hébedjésu  ,  n'aient  parlé  du  voyage 
qu'il  lit  à  Rome  ,  sous  Jules  III.  Ce 
n'eût  pas  été  une  circonstance  super- 
flue ou  inutile  ,  et  je  suis  persuadé 
qu'ils  ne  l'auraient  pas  omise  s'ils 
l'avaient  sue. 

(D)  Il  assista  au  concile  de  Trente.} 
J'ai  réfuté  ailleurs  ce  mensonge.  Il 
suffit  d'ajouter  ici  qu'il  n'y  a  si  petit 
écrivain  ,  qui  ne  fasse  quelquefois 
broncher  les  plus  grands  auteurs. 
Pierre  Strozza  ,  secrétaire  de  Paul  V, 


fut  trompé  apparemment  par  quel-    fait  cette  distinction.  Mais  sa  princi 


que  mauvais  chroniqueur  ;  et  c'est 
sans  doute  sur  la  foi  de  ce  secrétaire 
que  le  sieur  de  Moni ,  et  avant  lui 
M.  Arnauld  (q\  ont  débité  qu'Hébed- 
jesu  assista  a  ce  concile. 

(E)  Denha  Simon fut  contraint 

d'abandonner  Carémit.~\  Ceci  arriva 
dans  le  temps  que  Léonard  Abel ,  évê- 
que  de  Sidon,  alla  au  Levant,  avec  le 
caractère  de  nonce  apostolique  (10). 
Il  était  natif  de  Malte,  et  entendait 
parfaitement  la  langue  arabe  ,  qui 
est  comme  naturelle  dans  cette  île.  Il 
mourut  à  Rome,  l'an  i6o5  ,  ou  l'an 
1606.    Il  a  composé  un  ouvrage  de 

(l)  A  V article  EbeJ-Jésu. 

(8)  Polit,  eccleiast. ,  pag.  ?i-. 

("9)  Pr-rpétuité  déOndue,    liv.   V ,  chap.  X. 

(10)  Voyez  Aubert  le  Mire,  pag.  218  et  suiv. 
de  son  Status  Politia;  ecclesiatticœ  ,  imprimé  a 
Lyon  ,  l'an   1620. 


pale  faute  consiste  en  ce  qu'il  assure 
qu'on  lut  la  lettre  qu'Abdissi  avait 
écrite  au  concile.  Pallavicin  soutient 
que  cette  lettre  n'exista  jamais  que 
dans  l'imagination  du  père  Paul  (i4)- 

(11)  Fra-Paolo  ,  Hist.  du  concile  de  Trente, 
liv.  VI ,  pag.  55^  de  la  version  li'Ainelot. 

(12)  Voyez  l'article  iVAbdissi  ,  tom.  I  , 
pag.  l\i. 

(i3)  Histor.  concil.  Trident.  ,  lib.  XVIII, 
cap.    IX,  num.  5. 

(1^)  Sed  hcec  epi^lola  non  in  aUd  pagina, 
nisi  in  Suaviand  imagination»  fuit  exarala. 
Idem  ,  ibidem  ,  num,  8. 

HÉGÉSILOCHUS  fut  un  de 
ceux  qui  exercèrent  mille  vio- 
lences dans  l'île  de  Rhodes  ,  lors- 
que l'état  démocratique  y  eut 
été  changé    en    aristocratique  , 


5l8  HÈGÉSILOCHUS. 

par  le  crédit  de  Mausole  ,  roi  de  Celui-ci  vivait  au  temps  de  Per- 
Carie  (a).  Athénée  nous  a  con-  sée  ,  roi  de  Macédoine,  et  l'au- 
servé  un  échantillon  du  débor-  tre  au  temps  de  Philippe,  père 
dément  de   ces    nouveaux  mai-   d'Alexandre-le-Grand. 


(A)  Il  fut  un  de  ces  Jihodiens 

qui  portèrent  la  licence  jusqu'il  jouer 
h  trois  des  l'honneur  des  femmes.} 
L'abbe  Lancelot  de  Pêrouse  avait  ici 
un  beau  moyen  de  pousser  les  Hog- 


tres  {b).  Ils  commirent  adultère 
avec  les  femmes  des  plus  nota- 
bles bourgeois  ,  et  violèrent  plu- 
sieurs garçons.  Enfin  ils  portè- 
rent leur  licence  jusques  à  jouer  d{ani .  cai;  -e  ne  pensc  p 
à  trois    des   l'honneur  des  fem-    aucun  pays  de  l'Europe ,  notre  siècle 

jmblable  à 

dire 

îinistre 

bien 

qui  aurait  gagné  ,  et  qu'il  em-  des  anne'es  ,  jouaient  aux  des  ou  aux 
ploierait  toutes  sortes  de  ma—  cartes  les  commissions  de  capitaine  ; 
chines  pour  la  lui  mettre  entre  mais>  outr_e  1ue  cela  est  fort  incer- 
,      ,        r  --.  rc     •.         ■    .    tain  ,   on  le   peut  réduire  a  peu  de 

les  bras.  On  ne  sourirait  point  chose  .  c'est  que  chacun  de  ces  laquais 
de  tricheries  :  les  persuasions  et  obtenait  pour  ses  etrennes,  au  com- 
les  violences  devaient   se  succé-    mencement    de    l'an  ,    la    promesse 

qu'on  donnerait  à  sa  recommandation 
un  certain  nombre  de  compagnies  , 
après  quoi  ils  jouaient  entre  eux  ce 
fonds;  et  quand  quelqu'un  perdait 
une  compagnie  ,  ce  n'était  plus  lui , 
mais  le  gagnant  qui  la  faisait  con- 
fe'rer.  Parmi  tout  ce  desordre  il  e'tait 
facile  d'empêcher  que  les  commis- 
sions ne  fussent  expe'die'es  qu'à  des 
gens  propres  à  servir.  Ainsi  cela  n'est 


der  les  unes  aux  autres  ,  se  pré- 
céder ou  se  suivre  selon  l'exi- 
gence des  cas  ,  jusques  au  paie- 
ment actuel  de  ce  qui  avait  été 
mis  en  jeu.  Celui  qui  mit  en 
pratique  le  plus  souvent  et  le 
plus  effrontément  cette  nouvelle 
manière    de  jeu  de    hasard  fut    „ 

Hégésilochus  Ce).  Son  ivrognerie    nullement  comparable  a  la  débauche 
o  ,V  ,   -,  P  de  ces  petits  tyrans  de  Khodes  ,  qui 

et  ses  autres  deregiemens  le  ren- 


dirent si  incapable  des  affaires  , 
qu'il  perdit  sa  dignité ,  et  que 
ses  amis  mêmes  le  regardèrent 
comme  un  infâme.  Il  ne  le  faut 
point  confondre  avec  cet  Hégé— 
silochus  qui  fut  ambassadeur  à 
Rome  de  la  part  des  Rhodiens 
(B) ,    après  avoir  eu  parmi  eux 


jouaient  des  pucelages  et  des  co- 
cuages  d'élite  ,  et  qui  ne  donnaient 
aucun  repos  au  perdant,  jusqu'à  ce 
qu'il  eût  livre'  la  proie.  Us  ne  se  con- 
tentaient pas  de  risquer  l'honneur 
des  plus  belles  femmes  ,  inséparable, 
puis  qu'on  l'a  ainsi  voulu  ,  de  celui 
de  leurs  maris  :  ils  risquaient  aussi 
le  leur  propre  ;  car  il  fallait  que  le 
perdant  fît  l'office  de  maquereau. 
C'était  bien  de  quoi  s'écrier,  6  tem- 


la  principale  dignité  de  l'état  (C).    pora  !  6  mores  ! 

(B)    Un   autre    Hégésilochus  fut 


(a)  Voyez  Libanius ,  in  Argum.  Oral.  De- 
mosth.  pro  Rhod.  libertate. 

(b)  A.tlien.,  lib.  X,  cap.  Xir,  pag.  m.  444' 
ex  Thenpompo. 

(c)  TclÙthv  tmv  xuCticLV  vffcuÇw  x&i  toù'i 

i'KKUlV  'PùcT/ftlV   TlVêC   £7ri<t>*V8Ç'*T(*   (fi  KO.) 

TrKuç&Kiç  clÛt'oç  Ô'H'j.hti'xo^oç.  Tesserissic 
hiserwit  Ithodiorum  quidam,  se.cl  aperlissi- 
mc  et  sœpissimè  i  il  y  a  dans  l'édition  de  Lyon, 
1657  ,  sœvissimè)  Hégésilochus  ipse.  Aihen., 
lib,  X,  c/ip.  XII ,  ex  Tlieopompo ,  pag.  44-*' 


ambassadeur  h  Rome  de  la  part  des 
Rhodiens.  ]  C'est  Polybe  qui  nous 
l'apprend  (1).  Il  y  avait  Ge'silochus 
dans  les  manuscrits  5  mais  Fulvius 
Ursinus  (1)  ayant  remarque' dantTitc 
Live  (3),  que  ce  même  Rhodien  avait 
nom  Hegesilus  ,  a  corrige'   ces  deux 

(1)  Excerpt.  ex  Légat. ,  cap.  LXTV. 

(2)  ^otis  in  en  F.xcerpta. 

(3)  Titus  Livius ,  lib.  XLII. 


auteurs  l'un  par  l'autre  ;  il  leur  a  re- 
donne' HégésilocJtus  à  tous  deux. 

(C)  //  eut  la  principale  dignité  de 
l'état.  ]  Elle  s'appelait  x-purcnuia.  (4) , 
et  on  en  exprimait  la  fonction  par  le 
verbe  7rpuTa,viôav.  Les  Latins  ont  nom- 
mé Prytanes  ceux  qui   l'exerçaient 


HEIDANUS.  5r9 

rustre  d'Amsterdam  laissa  son 
fils  auprès  de  Colonius,  son  an- 
cien ami,  dont  il  connaissait  l'or- 
thodoxie ;  il  l'y  laissa ,  dis-je , 
afin  de  donner  à  cet  ami  un  té- 
moigage  authentique  de  la  con- 
formité de  leurs  sentimens.  Le 


Quadmgiiiia  navibus  autore  Hege- 
silocho  comparatis  ,  dit  Tite  Live  (5) , 
qui  cùm  in  summo    magistratu   esset    disciple  profita  beaucoup  auprès 


(  Prytaniii  ipsi  vocant  ). 

(4)  Voyez  Meursius ,  de  Rbodo,  pag.  65. 
(5)  Lib.  XL1I. 


de  Colonius  ,  et  ne  fit  pas  comme 
la  plupart  des  autres  ,  qui  ne  se 
remplissaient  la  tête  que  de  la 
dispute  sur  les  cinq  articles  des 
remontrans  (a).  Il  apprit  cela 
et  le  reste.   Il  fut  reçu  proposant 


au  synode  des  églises  wallonnes 


HEIDANUS*  (Abraham), 
professeur  en  théologie  à  Leyde  , 
était  né  à  Franckenthal  au  Pa- 
latinat,  le  10  d'août  1597.  Il  fit 

ses  premières  études  à  Amster-  l'an  1618,  et  il  prêcha  dans  plu- 
dam  ,  où  Gaspar  Heidanus ,  son  sieurs  églises  françaises  avec  l'ap- 
père ,  fut  appelé  pour  la  charge  plaudissement  des  auditeurs.  Il 
de  ministre,  l'an  1608.  Un  An-  prêcha  aussi  dans  quelques  égli- 
glais  nommé  Matthieu  Sladus ,  ses  flamandes  avec  le  même  suc- 
qui  était  alors  recteur  du  collé-  ces.  Il  voyagea  pendant  deux  ans 
ge  d'Amsterdam  ,  prit  un  soin  et  vit  une  partie  de  l'Allemagne, 
particulier  d'Abraham  Heida-  la  Suisse,  la  France,  l' Angle- 
nus^  qu'il  voyait  promettre  beau-  terre.  Un  peu  apjès  son  retour, 
coup.  Daniel  Colonius  ne  s'atta-  il  fut  promu  au  ministère  de  l'é- 
cha  pas  avec  moins  de  zèle  aux  vangile  ,  et  l'exerça  à  Naerden  , 
progrès  de  ce  disciple  ,  lorsqu'on  jusques  en  l'année    1627  ,   qu'il 

accepta  la  vocation  du  consistoi- 
re de  Leyde.  Il  était  fiancé  avec 


progrès  de  ce  discif 
l'eut  mis  sous  sa  direction  à 
Leyde  ,  dans  le  collège  wallon. 
Colonius  n'étant  pas  de  ces  es- 
prits chauds  qui  voulaient  qu'on 
portât  les  choses  aux  dernières 
extrémités,  lorsque  les  disputes 
arminiennes  commencèrent  à  s'é- 
lever, se  fit  soupçonner  de  quel- 


la  fille  d'un  des  principaux  mar- 
chands d'Amsterdam  ,  lorsqu'il 
prit  possession  de  cette  nouvelle 
église ,  et  un  peu  après  il  passa 
à  la  célébration  des  noces.  Il 
prêchait  bien ,  et  cela  joint  avec 
que  penchant  vers  ce  côté-là^  A);    plusieurs  autres  bonnes  qualités 


de  sorte  qu'il  y  eut  plusieurs 
personnes  qui  trouvèrent  fort 
mauvais  que  Gaspar  Heidanus 
laissât  étudier  son  fils  sous  un 
tel  maître.  Mais  la  témérité  de 
ces  sortes  de  médisances  produi- 
sit un  effet  contraire  à  celui  que 
les  zélateurs  attendaient  :  le  mi- 

*  Article  tiré  purement  d'iiue  source  plus 
que  suspecte  ,  c'est-à-dire  ,  d'une  oraison  fu- 
nèbre ,  dit  Leclerc. 


de  cœur  et  d'esprit  lui  procura 
une  belle  réputation.  Il  était 
âgé   de   cinquante  ans  ,    lorsque 

(a)  Sludiosi  juvcnes  in  partes  distracti  , 
et  quœstionibus  il/is  quotidianis  agitati,  sœ- 
pè  qub  se  (>erterent  nescirent,  et  neglectopie- 
latis  studio  Me  doctissimus  habei-etur,  qui 
de  çui.tque  istis  articulis  argutè  disserere 
et  adversàrium  argumenlis  irrelire  posset , 
securi  de  reliquisfidei  articulis  coçnoscen- 
dis,  quasi  in  hoc  solo  omnis  eruditionis  cul- 
rnen  position  esset.  Willicliius ,  in  Oiat.  fan 
Heidani. 


5ao  HEIDANUS. 

la  province  de  Gueldre,  ayant  ré-  qu'il  avait  commencée  sous  Ja- 

solu    d'ériger   une    académie    à  chaeus  ,  professeur  en  philosophie 

Harderwick,  lui  fit    offrir  une  à   Leyde ,  l'un  des    plus  subtils 

profession   de     théologie   à   des  péripatéticiens  qui  fussent  alors, 

conditions    très  -  avantageuses.  Ce  Jachaeus  rendit  célèbre  ,  dans 

L'église  de  Leyde,  pour  le  rete-  l'académie,  la  question  des   for- 

nir,  l«i  accorda  ou  desemblables  mes  substantielles  (E).  Le  jeune 

avantages   ,   ou  en    général    de  Heidanus ,  attiré   par    le   bruit 

quoi  être  bien  dédommagé  de  ce  qu'elle  faisait ,  examina  profon- 

qu'il  refuserait.  Les  curateurs  de  dément   les    objections  ,    et    les 

l'académie  trouvèrent  encore  un  compara  avec  les  réponses  de  Ja- 

meilleur  expédient   pour  l'em-  chaeus.    Il   trouva   que  pendant 

pêcher    d'aller  en  Gueldre  ;   ils  qu'on    philosopherait   selon    ces 

lui  conférèrent  la  profession  de  principes  ,  on  ne  ferait  que  per- 

théologie  ,    qui   se   trouvait  va-  dre  son  temps  ;  et  il  espéra  qu'il 

cante  par  la  mort  de  Constantin  se  présenterait  un  jour  une  route 

l'Empereur.  Il  se  trouva  si  bien  plus  assurée  (b).   Il  prétendit  la 

à    Leyde  ,    qu'il  n'écouta  point  trouver  dans  les  écrits  et  dans  la 

les  offres   que  l'électeur  palatin  conversation    de   M.    Descartes, 

lui  fit  faire  avec  le  dernier  em-  Mais  si  elle  fut  plus  propre  à  le 

pressement.  Ce  refus  n'empêcha  conduire   à   la  vérité ,   elle    ne 

point  qu'il  ne   reçût  mille  ca-  fut  pas  plus  commode  par   rap- 

resses  honorables  de   ce  prince  port  à  sa  fortune,  car  elle  l'ex- 

(B) ,  lorsqu'il  passa  par  Heidel-  posa  à  mille  traverses  ,  et  à  mille 

berg  ,   l'an    f656  ,   pendant    le  persécutions  (F)  ,  sur  lesquelles 

voyage   qu'il    fit    à    Strasbourg  son  panégyriste  Wittichius  ,  dont 

avec  sa  famille.    Le   professeur  j'emprunte  cet  article  ,  crut  de- 

Smidius,  qui  l'invita  à  une  dis-  voir  fermer  le  rideau.    Heidanus 

pute    publique  ,  et  qui  le   pria  était  de  bonne   famille   (G).    Je 

d'argumenter,  ne  se  tira  pas  ho-  parlerai  ci-dessous  de  ses  écrits 

norablement  de  l'objection  (C)  :  (H). 
mais  la  victoire  d'Heidanus   en       {b)  Tiré de  POTAison  funèbre  aneidanus, 

Cette  rencontre  ne  fut  pas     aussi  prononcée  à   Leyde,  le  20  d'octobre  1678, 

sensible  que  dans  le  collège  des  P«rle  professeur  Wttichius. 
jésuites,  à  Cologne  (D).  Ce  savant       (A)  Colonius  n'étant  pas  de  ces  es- 
homme   mourut    à    Leyde    fort  prits  chauds....  se fit  soupçonner  dç 

„„ ,.   iA1f;JV^^.fi-Q  penchant  vers  l'arminianisme.l  Voilà 

pieusement,  le  1  Dd  octobre  1070,  ç,  j  1  £A  ,  J,  • 
1  ,'  /  '  l'un  des  plus  fâcheux  inconveniens 
ayant  passe  sa  quatre-vingt  et  qUj  accompagnent  les  disputes  de 
unième  année,  qui  de  toutes  les  religion.  Ceux  qui,  par tempe'rament 
années  climatériques  passe  pour  ou  par  une  connaissance  exacte  des 
la  plus  dangereuse,  et  avec  rai-  verital.les  intérêts  de  l'église  ,  cher- 
1  °  '  c  ,  client  a  réunir  les  esprits  ,  et  ne  par- 
son.  Il  laissa  quatre  enlans,  deux  lent  pas  de  couper  \es  memhres  mal- 
fils et  deux  filles;   treize  petits-  sains,  deviennent  suspects  d'héte'ro- 


acheva    par   ce    moyen    l'œuvre    le  mal  dans  le  berceau  ,  de'crient  le 


HEIDANUS.  52i 

gens  modères  ,  et  les  rendent  odieux  ce  que  firent  en  France  plusieurs  ca- 

auxpeuples;  etcelafaitque plusieurs,  tholiques   qui    avaient    desapprouvé 

ne  pouvant  pas  se  mettre  en  colère  ,  la  rigueur  que  l'on  exerçait   sur  les 

abandonnent  ne'anmoins  l'extérieur,  protestans  sous  François  Ier.  et  Hen- 

de  la  modération  :  ils  aiment  mieux  ri  II. 

faire  un  peu  de  violence  à  leur  natu-         (B)  //  reçut  mille  caresses  honora- 

re   et  à  leur  conscience  ,   que  de  pas-  blés  de  l'électeur  palatin.  ]  Ceux  qui 

ser  pour  de  lâches  prévaricateurs.  Les  trouveront  étrange  que  j'en  donne  le 

esprits  chauds  savent  que  leurs  médi-  détail    feront   tomber  leur    censure 

sances    produiront    cet    effet-là  ,    et  sur  M.    Wittichius    plutôt    que    sur 

ainsi  ils  les  sèment  à  tour  de  bras  ,  moi  ;   car  il  doit  être  plus  permis  de 

et  parles  maisons,  et  en  chaire ,  sans  rapporter   de    telles   choses  dans  un 

nul  scrupule.  C'est  ce  qui  arriva  au  Dictionnaire  de  deux  volumes  in  folio, 

commencement    des  disputes   armi-  quand    on    le*    rencontre   dans    une 

niennes  ,  si  nous  en  croyons  Witti-  oraison   funèbre ,    que   de  les  étaler 

chius.  Vigcbat  Mo  tempore   ob   dis-  dans  une  oraison  funèbre  ,  quand  on 

crêpantes  de  prœdestinalione  senlen-  ne  les  tire  que  d'un  manuscrit.  Quoi 

lias   non   tantkm   inler  dissentientes  qu'il    en  soit ,    M.    Wittichius   nous 

magna  contentio  ,    quœ  animos  a  se  apprend  qu'Abraham  Hcidanus  était 

iiwicem  a'ienabat  etdisjungebat  ,  sed  invité  à  dîner   chaque   jour    par  un 

ctiam  inter  ô,cco,£»'<î>C(t/ç  et  idem  de  con-  nouveau  messager,  et  il  n'oublie  pas 

traversin  il I à  sentientes  obscura  quœ-  les  présens  que  l'on  reçut.  Dum  Hei- 

dam   diffidentia  ,    quâ  locus  dabatur  delbergam   appulit  ,  nihil  omisit  se- 

suspicionibus  quibus   alii   alios    tan-  renissimus  elector  quod  non  ferven- 

quam    bonœ    causœ    minus   addictos  tissimum  erga   ipsum  spiraret  affec~ 

dijferebant.     Qui    enim  ferventioris  tum.  Ad  mensam  quotidiè ,  novis  sem- 

erant  ingenii  ,    et  omnia  summa  ten-  per  missis  nunciis  ,  invitabat,   in  col- 

ianda  in  initiis putabant  ,  ut  inherbd  loquiis  bénévole  complectebatur,  do- 

opprimeretur    malum  ,    quoscunqne  nabatmediocervoet  aliquot  leporibus, 

ridebant  moderatiùs  et  lenliiis  agere  ,  nunciato  hanc  omnem  esse  prœdam 

ne  de  reconciliatione  animorum  potiiis  quant  Mo   die   cepisset  ;   quœcunque 

laborare  si  vu) 'nus  forte  posset  conso-  in  diversorio  cum  familid  consumpse 

lidari ,  ac  schisma  ,   quod  ad  opéra  rat  liberalissirnè   solvit ,    et  cùm  Ba- 

carnis  pertinet ,  evitari ,  eos  tanquam  cheracumrediisset ,  adsuos  Leidenses 

prœvaricatoresbonœ  causœapud  pie-  reversurus  ,    magno   dolio   optimi   et 

bem  criminabantur  (i).    Ce   portrait  generosissimi  fini  Bacheracensis  uo- 

semble  très-fidèle  :  ces  sortes  de  dis-  luit  donatum. 

putes  causent  au  dehors  une  guerre  (C)  Le  professeur  Smidius ,  ...  qui 
violente  ,  et  jettent  au  dedans  un  le  pria  d' argumenter  ,  ne  se  tira  pas 
mauvais  germe  de  soupçons  ,  qui  est  honorablement  de  l'objection.  ~\  Après 
d'une  merveilleuse  fécondité.  Il  pro-  s'être  défendu  plusieurs  fois  d'entrer 
duisit  entre  autres  choses  ,  comme  je  en  lice ,  on  céda  enfin  à  ses  honnête- 
le  disais  tout  à  l'heure  ,  un  grand  tés  redoublées  ,  et  on  l'attaqua  sur 
changement  parmi  ceux  à  qui  la  rai-  l'universalité  de  la  grâce  que  les  lu- 
son  inspire  l'esprit  de  modération.  On  thériens  enseignent.  L'attention  des 
les  décrie  comme  des  traîtres  cachés  auditeurs  fut  très-grande,  et  le  succès 
(2)  ;  et  il  s'en  trouve  qui  ne  veulent  fort  glorieux  â  l'opposant  Smidius 
pas  être  raisonnables  à  ce  prix-là  ,  ipsum  palam  non  semel ,  sed  quia 
et  qui  croient  que  la  justice  leur  coû-  declinabat  noster  ,  iteratis  vicibus  ad 
terait  trop  chère ,  si  elle  leur  faisait  opponendum  invitavit  ,  quod  ,  cùm 
perdre  leur  bonne  réputation  ;  ils  non  videretur  sibi  salvo  honore  suo 
s'érigent  donc  en  persécuteurs  ,  afin  posse  detrectare  ,  eâ  soliditate  ,  eâ 
de  réfuter  la  médisance  :  Tanth  major  efficaciâ  gratiam  quam  lutherani  ur- 
fimœ  sitis  est,  quant  virtutis  Ç.i).  C'est  gent  ,  universalem  ita    oppugnavit , 

ut  omnium  oculos  in  se  converlerit  , 


(1)  Wittich.,  in  Oratione  funebri  FTeidani. 

^2)  Voyez  l'article  Fermer  (Jércmie),  loin. 
ri,  pai.-.  4*5n  ,  remarque  (D)  ,  a  la  fin  ,  et 
pag.  4t>-l>  remarque  (h). 

Ç3)  Juvénal  ,  sat.  X,  ys.  i/jo. 


et  apud  omnes  prœsentes  magnam 
admirationem  suœ  consummatœ  eru- 
ditionis  excitaverit ,  disputationis  verb 
prœses  mullorum judicio parùm  hono- 


522  HEIDANUS. 

rifîcè  ex  Ma  disputalione  discesserit  nomine  gratins  solennes  Mi  egerit  , 

(A).  qund  sic  suos  hostes  (  ila  vocabat  je- 

(D)   La  victoire  d' Heidanus ne  suilas  )  ad  incitas  ex  improuiso  rede- 

fut  pas  aussi  sensible  que  dans  le  col-  gisset.  J'avoue  que  jusqu'ici  j'ai  cher- 

lége  des  jésuites  ,  h  Cologne.]  Si  cette  ché  inutilement  le  mot  pour  rire  dans 

dernière  victoire  fut  plus  aisée  à  re-  la    conséquence   d'Heidanus    :   je   ne 

marquer  que  la  précédente  ,  elle  fut  saurais  deviner  à  quoi  il  faisait  allu- 

d'ailleurs  moins   glorieuse  ;   car  elle  sion  ,  ou  de  quelles  règles  de  logique 

consista   à  faire  une  raillerie  ,  à  la-  il  se  servait. 

quelle  le  jésuite  qui  avait  montré  tout  (E)  Jachœus  rendit  célèbre...  la 
ce  qu'il  y  avait  à  voir  dans  le  collège  question  des  formes  substantielles.  ] 
de  Cologne ,  et  qui  était  peut-être  un  11  n'y  a  point  de  question  dans  la 
frère  lai  ,  ne  sut  répondre  un  seul  physique  qui  fasse  voir  plus  claire- 
mot.  Heidanus  demanda  à  ce  jésuite  ,  ment  que  celle-là  le  pouvoir  des  pré- 
si  Jésus-Christ  avait  fait  et  avait  souf-  jugés.  Il  faut  qu'ils  offusquent  l'esprit 
fert  tout  ce  qu'il  fallait  pour  notre  par  rapport  aux  notions  les  plus  évi- 
salut?  Oui  ,  répondit-on  :  vous  n'êtes  dentés  ,  puisqu'il  y  a  tant  de  gens 
donc  pas  ses  compagnons  (*) ,  reprit-  qui  ne  voient  pas  que  l'on  ne  peut 
il.  Le  jésuite  couvert  de  honte  et  point  tirer  une  substance  du  sein  de 
d'étonnementne  répliqua  rien. Malin-  la  matière,  à  moins  qu'elle  n'y  fût 
orot,  doyen  de  Munster  ,  qui  enten- 
dit ce  discours  ,  et  qui  avait  fait  con- 
naissance avec  Heidanus  (5)  ,  le  féli- 
cita de  cette  victoire  ,  remportée  , 
disait-il ,  sur  mes  ennemis.  Witti- 
chius,  qui  entendit  aussi  la  conversa- 
tion ,   la   raconte   de  cette  manière  : 


auparavant  ,  ou  a  moins  qu  on  ne  la 
produise  par  une  véritable  création. 
Les  péripatéticiens  vous  disent  fort 
froidement  ,  ou  plutôt  ils  vous  sou- 
tiennent en  colère  ,  que  les  formes 
n'existent  point  dans  leur  sujet,  et 
que  néanmoins  on  les  en  tire  par  une 
Accidit  ut  postqttam  collegium  lus-  action  qu'il  ne  faut  point  nommer 
traveramus  jesuilarum,  etjaminared  création,  mais  éduction  (6).  Ce  dog- 
eramus  constitua  ut  patribus  valere  me  serait  le  plus  grand  de  tous  les 
diceremus  ,  conversus  Heidanus  ad  monstres  ,  si  ce  n'était  un  prodige 
jesuitam  qui  nos  ducebat ,  ex  ipso  ro-  encore  plus  étonnant ,  de  voir  une 
gaverit  annon  Jésus  omnia  Ma  quœ  infinité  des  personnes  doctes  et  très- 
ad  salutem  essent  necessaria  egisset  habiles  soutenir  encore  aujourd'hui 
et  passas  fuisset  ?  Ac  jesuita  nihil 
sinistri  meluens  ,  respondisset ,  Om- 
ninô  :  Heidanus  regesserit  ;  Ergo 
i'os  non  estis  socii  Jesu  •  atque  sic  Mo 
in  ruborem  dato  et  attonito  ut  ne  ve.r- 
bum  quidem  respondere  posset ,  dis- 
cessit  noster  et  nos  cuni  ipso  ,  atque 
patribus  va/ere  dixit.  Quod  Malin- 
crotium  lanto  ajfecit  gaudio  ,  ut  hoc 

(4)  Witticliins,   in  Oratione  funebri  Heidani. 

(")  A  la  rigueur,  se  dire  le  compagnon  de 
quelqu'un,  c'est  vouloir  l'être  à  tous  égards.  Or 
le  jésuite  avouait  que  ceux  de  sa  société  n'étaient 
pas  les  compagnons  de  Jésus,  dans  l'ouvrage  de 
la  Rédemption.  Donc,  mal-à-propos  les  jésuites 
se  disaient-ils  les  compagnons  de  Jésus.  Voilà  le 
raisonnement  d'Heidanus  ,  à  quoi  le  jésuite 
n'ayant  pas  répliqué  ,  Malincrot  regarde  cela 
comme  une  victoire  pour  Heidanus  ,  son  ami. 
Kem.  crit. 

(5l  Dum  Colonits  initio  ilineris  aliquot  (lies 
subsistent  ,  in  diversario  inciderit  in  familiari- 
talein  Malincroùi...  viri  eleganlissimi  ingettii 
qui  inter  lilteratos  primalum  jure  merebalur  , 
hominis  pontificiœ  quidem  religioni  addicli, 
seti  moderati ,  qui  etictm  nunquam  cum  Herda- 
no  de  religiorte  sermontm  vuluil  ccedere.  Idem, 
ibidem. 


la  doctrine  des  formes  substantielles. 
Wittichius  ne  pouvait  pas  mieux 
préparer  ses  auditeurs  à  voir  dans 
Heidanus  un  disciple  de  Descartes  , 
qu'en  leur  disant  ce  qu'Hcidanus  , 
n'étant  encore  qu'écolier  ,  jugea  des 
principes  de  l'école  ,  par  les  embar- 
ras inexplicables  où  Jachœus  se  je- 
tait. Fervebat  in  academid  quœstio 
de  formis  substantialïbus  ,  earumque 
ex  potentiel  materiœ  produrtione  , 
quœ  miri/icè  non  tanthm  auditores  , 
sed  et  ipsum  defensorem  earum  acer- 
rimum  Jachœum  uexabatettorquebat. 
Quant  càm  universâ  distinctionum 
suarum  panoplid  expedire  non  posset, 
et  ad  liquidum  ostendere  qûœnam 
illœ  formœ  substantiales   essent   ,   a 

(G)  Un  jésuite  nomme'  Jean  Guilleminot, 
docteur  en  théologie,  dans  l'université"  du  Pont 
à  Moiksoii  ,Jil  imprimera  Paris,  l'an  1679, 
deux  dissertations  de  principes  intrinsecis  re- 
runi  coiporearum  ,  ou  il  se  donne  mille  fois  la 
grue  pour  montrer,  contre  le  père  Maignan  ,  que 
la  production  des  formes  n'est  pas  une  vraie 
création.  Efforts  inutiles. 


HEID 

materiâ  realiter  distinctes  et  tamen 
matérielles  ,  quœnam  i/la  potentia 
materiœ  ,  an  pars  ejus  quœdam  con- 
versa informant,  an  vero  ejus  cùm 
proditeitur  tantuni  sustentaculum  , 
an  autem  ut  ex  assere  figura  scamni 
e(fi,citur,  ita  eoclem  modo  prœexis- 
teret  in  materiâ  forma  ;  cùmque  aliœ 
pluri'nœ  superessent  difficultates  , 
nec  ulfum  suppeditaretur  filum  ex 
hoc  labyrintho  emergendi  ,  factum 
est  ut  auditores  et  perspicaciores  dis- 
cipuli,  i'tter  quos  Heidanus  primas 
obtinebat ,  de  iota  hdc  philosopha ndi 
ratione  quam  intelligendo  assequi  se 
non  posse  videbant  ,  plané  despera- 
rent  (7). 

(F)  La  méthode  de  Descartes  l'ex- 
posa a  mille  traverses  et  a  nulle  per- 
sécutions.,]  Je  n'en  sais  pas  le  détail  ; 
mais  je  me  souviens  d'un  passage  de 
ses  Considérations  ,  où  il  rapporte 
qu'il  s'e'taitfait  beaucoup  d'ennemis, 
et  qu'il  avait  e'te'  exposé  à  d'horri- 
bles me'disances,  pour  s'être  toujours 
e'loigné  des  maximes  trop  rigides.  Il 
n'avait  point  déclare'  la  guerre  aux 
chanoines  protestans  ;  il  n'avait  pas 
tonné  en  chaire  contre  les  perru- 
ques ;  il  n'avait  pas  été  d'avis  qu'on 
examinât  à  la  rigueur  les  remon- 
trans  qui  revenaient  au  giron  de 
l'ancienne  mère.  Là  dessus  on  le  fit 
passer  pour  ennemi  de  la  nouvelle 
réforme  qu'on  voulait  introduire  ; 
on  éplucha  tous  ses  autres  sentimens  ; 
on  l'accusa  d'être  attaché  aux  opi- 
nions de  Descartes  ,  et  de  mépriser 
le  jour  du  dimanche.  Il  vaut  mieux 
l'entendre  lui-même.  JElatem  illam 
meam  ancipitem  du  ri ,  modo  tempes- 
tates  ,  hinc  exportas  halcyonia,  in- 
tra  et  extra  nos  passas  adversarios  , 
lune  hostes  ,  inde  fratres ,  nec  nun- 
quam  mordacis  linguœ  exceptas  fla- 
gellis.  Fuit  ,  cùm  scissam  in  partes 
eharissimam  hanc  nostram  Ecclesiam 
metuprœi'idimns  :  tant  nobis  sed  eam 
sapientiam  simul  largitus  est  Deus  , 
ut  quidvis  pati  potiùs,  quam  idipsum 
permittere  ,  maluerimus  ■  Hinc  jam 
Maderatores  ,  per  contemptum  (  ac 
si  probrosum  hoc  nomen  foret  )  audi- 
t'tirms  ;  jam  ut  Carlesii  ,  plus  satis 
addicti  philosophiœ  ;  hinc  sabbathi 
contemptores  ;  indè  novœ   quam   ur- 

(<})  Voyez  l'article    Gorl.ïts   (David)  ,  tom. 
Vil,  pag.  ooo,   remarque  (h). 


ANUS. 


523 


gehant  quidam  reformationis  hostes 
traducti  suntus  :  quod  fœneratoribus 
trapezilicis  plusculum  illis  concedere 
visi  ,  nec  canonicis  bellum  indicere  , 
neque  de  suggestis  in  comas  detonare, 
neque  ecclesiœ  disciplinum  strictiits 
exercere  ,  nec  remonstrantes  ad  nos 
tra/iseuntes  riguUUs  examinare  ,  et 
quœ  sunt  id  genus  alia  f8).  Les  cho- 
ses furent  poussées  si  loin  ,  qu'on  le 
déposa  de  la  charge  de  professeur 
en  théologie.  Voici  pourquoi.  Les  cu- 
rateurs de  l'académie  de  Leyde  fi- 
rent.un  décret,  le  16  de  janvier  1676, 
par  lequel  ils  défendirent  aux  pro- 
fesseurs de  traiter  ,  de  quelque  ma- 
nière que  ce  pût  être  ,  de  certaines 
propositions  (9)  que  l'on  agitait  de- 
puis quelque  temps  ,  et  de  la  méta- 
physique de  Descartes.  Heidanus  fit 
à  peu  prés  contre  ce  décret  ce  que 
firent  les  jansénistes  contre  le  man- 
dement de  l'archevêque  de  Paris  qui 
défendait  la  lecture  du  Nouveau  Tes- 
tament de  Mons.  Il  le  critiqua  ;  il 
prétendit  y  trouver  des  nullités  ou 
des  irrégularités  ;  il  soutint  que  les 
vingt  propositions  qui  avaient  été 
proscrites  ,  n'avaient  pas  été  agitées 
dans  l'académie  de  Leyde,  comme  les 
curateurs  l'assuraient  ;  il  se  plaignit 
que  ces  messieurs  se  fussent  laissé 
imposer  par  des  extraits  infidèles,  et 
il  fit  des  comparaisons  odieuses  entre 
les  jésuites  et  ceux  qui  avaient  donné 
ces  extraits  ;  les  jésuites,  dis-je,  qui 
avaient  fait  condamner  à  Rome  , 
comme  des  propositions  de  Jansé- 
nius,  ce  qui  ne  se  trouvait  point  dans 
les  écrits  de  Jansénius.  Il  se  servit 
d'une  autre  comparaison  ;  car  il  al- 
légua le  luthérien  Gilles  Hunnius  , 
qui,  par  des  extraits  artificieux  des 
ouvrages  de  Jean  Calvin  ,  a  prétendu 
le  convaincre  de  judaïsme.  Enfin,  il 
éclaircit  les  propositions  condam- 
nées ,  et  tâcha  de  faire  voir  que  ,  se- 
lon le  sens  des  auteurs  d'où  on  les 
tirait  ,  elles  étaient  orthodoxes.  Cet 
ouvrage  de  M.  Heidanus  fut  imprimé 
on  flamand,  et  puis  en  latin  (10). 
Les  curateurs  en  furent  si  offensés  , 
qu'ils  déposèrent  ce  professeur.  Les 

(8)  Heidanus,  Considerationr*  ad  res  qua.sdam 
nuper  geslas  in  Acadeiuin  Hatavn,  pag.  4<>. 

(ç)'i  Ils  en  marquèrent  vingt:  les  unei  riaient 
théologùsues ,  elle*  attirer  philosophiques. 

(10)  Je  me  sers  de  la  traduction  lutine  , 
imprimée  à  Hambourg,  1C7S  ,  (/i-8°. 


5s4  HÉLÈNE. 

amis  d'Heidanus  prétendent  que  rien 
ne  pouvait  lui  arriver  de  plus  à  pro- 
pos ,  puisque  son  grand  âge  ne  lui 
pouvait  pas  permettre  de  lui  acqué- 
rir une  nouvelle  réputation  par  ses 
leçons  ,  ni  même  de  soutenir  celle 
qu'il  avait  acquise  ;  et  que  d'ailleurs 
sa  déposition  le  rendait  plus  cher  et 
plus  vénérable  à  son  parti  (u)  ,  et 
qu'elle  pouvait  rendre  odieuse  la  par- 
tie adverse. 

(G)  Heidanus  était  de  bonne  fa- 
mille.} Son  bisaïeul  Gerhard  van  der 
Heyden  était    de   Malines   (12)  ,   son 


troupeau  ,  à  Anvers.  Lorsque  cette 
ville  eut  été  prise  par  les  Espagnols  , 
il  s'en  retourna  au  Palatinat ,  et  fut 
fait  surintendant  des  églises  qui  é- 
taient  autour  de  Bacharac.  Il  était 
prêt  de  se  défaire  de  cet  emploi,  pour 
satisfaire  aux  désirs  de  l'église  de 
Franckenthal ,  qui  redemandait  son 
ministre  ,  lorsqu'il  mourut ,  laissant 
un  fds  unique  ,  nommé  comme  lui 
Gaspar  ,  qui  était  né  l'an  i566.  Ce- 
lui-ci fut  premièrement  ministre  à 
Wolmersheim  ,  puis  à  Franckenthal, 
et  puis  à  Amsterdam  ,  où  il  mourut 
aïeul  Gaspar  van  der  Heyden  en  était    l'an  1626.  11  avait  épousé  Claire  van 


aussi ,  et  fut  chassé  delà  maison  de 
son  père  parce  qu'il  s'était  fait  de  la 
religion.  11  fut  ministre  à  Anvers  , 
d'où  il  se  retira  à  Francfort  à  cause 
de  la  persécution.  Il  trouva  plusieurs 
réfugiés  à  Francfort  ,    que  les  luthé 


den  Borne  ,  fille  du  bailli  de  Fran- 
kenthal ,  et  il  en  eut  six  fils  et  huit 
filles.  Notre  Abraham  Heidanus  fut 
l'un  de  ses  fils  (i3). 

(H)  Je  parlerai  ci-dessous  de  ses 
écrits.  ]  Il  publia  des  harangues  sur 


riens  rigides  ne  voulaient  point  souf-  divers  sujets  ;  l'Examen  du  catéchis- 
frir  ,  ce  qui  les  obligea  à  demander  me  des  remontrans;  un  in-quarto  de 
à  l'électeur  palatin,  Fridéric  II,  un  Origine  errons,  et  un  livre  fia- 
lieu  de  retraite.  Pierre  Dathénus  était  mand ,  où  il  soutint  la  cause  de  Dieu 
à  leur  tête.  L'électeur  leur  accorda  le  contre  les  pélagiens  et  les  semi-pé- 
monastère  de  Franckenthal  ,  d'où  les  lagiens  avec  une  telle  force  que  per- 
moines  reçurent  ordre  de  déloger,  sonne  n'a  pu  lui  répondre.  Evolue 
Ces  réfugiés  firent  là  leurs  exercices  solidissimum  et  nunquam  satis  lau- 
de  religion  en  langue  flamande  ,  et  dandum  Commentarium  de  causa  Dei 
convertirent  peu  à  peu  ce  monas-  Belgicè  ante  plures  annos  conscrip- 
tère  en  une  ville.  Dathénus  ayant  été  tum  (  qui  dignissimus  videtur  ut  in 
appelé  à  Heidelberg  ,  notre  Gaspar  latinam  linguam  transferatur ,  ut  ab 
van  der  Heyden  remplit  sa  place  de  exteris  legi  possit  )  ira  quo  adeb  ner- 
pasteur  de  cette  église.  Il  fut  prié  vosè  ,  adeb  eloquenter partes  Dei  de- 
de  se  trouver  au  synode  national  fendit  contra  hominum  ,  ut  pelagiani 
d'Embden  ,   l'an  1571  ,  et  il  fut  me-    nihil  in  hune  usque  diem  potuerint 

repaire  quo  vires  suas  plane  allritas 
et  fractas  queant  restaurare  (  i4  )• 
Quant  au  Corpus  theologiœ  christia- 
nœ  in  quindecim  locos  digestum  ,  il 
fut  publié  après  sa  mort,  en  deux  vo- 
lumes in-quarto  ,  par  les  soins  de 
M.  Crucius,  son  petit- fils,  l'an  1686. 
Voyez  les  Nouvelles  de  la  République 
des  Lettres  (i5). 

(i3)  Tiré  de  son  Oraison  funèbre  ,  pronon- 
cée par  Wiltichius. 

(i4)  Wilticliius,  ibid. 

(i5)  Mois  de  juin  1686,  au  Catalogue  des  li- 
vres nouveaux,  num.   Vîll^  pag.  72g. 

HÉLÈNE,  fille  de  Tyndare  , 
roi  de  Lacédémone,  était  la  plus 
belle  femme  de  son  siècle  (A)  ; 
mais  d'ailleurs  sans  honneur  et 
sans  vertu  ,  et  d'une  vie   toute 


me  choisi  pour  le  président  de  l'as- 
semblée. On  y  dressa  les  canons  de 
la  discipline.  Peu  après,  étant  de  re- 
tour au  Palatinat ,  l'électeur  le  mit 
auprès  de  son  fils  ,  qu'il  envoyait 
avec  des  troupes  au  secours  de  ceux 
de  la  religion  dans  les  Pays-Bas.  Ces 
troupes  furent  battues  Van  der  Hey- 
den se  retira  en  Hollande  ,  et  présida 
au  synode  national  qui  fut  assemblé 
à  Dordrecht  l'an  1 574-  M  servit  quel- 
que temps  l'église  de  Middelbourg  ; 
puis  se  croyant  en  sûreté  sous  le  bé- 
néfice de  la  pacification  de  Gand  ,  il 
retourna  au  service  de  son  premier 

(it)  Florus  ,  lib.  IV,  cap.  IV,  exprime  cela 
par  injuria  favor.ibilis  ;  et  Tacit.  ,  Annal  ,  lib. 
III,  cap.  LXXV,  par  Comraen  latio  ex  injuria, 

(il)  Proavus  illi  fuit  Gerhardu*  van  der 
Heyden ,  anliquà  et  honestd  familiif  nains 
Mechliniœ.  Wiltichius,  ui  Oratione  funebri 
Heidanii 


HÉLÈNE.  5i5 

pleine  de  mauvaises  aventures,  voue  ,  soit  qu'elle  le  désavoue  : 
Il  y  a  eu  des  auteurs  qui  ont  plus  elle  est  belle ,  plus  est-il 
donné  un  si  grand  détail  des  croyable  qu'elle  subit  cette  loi; 
perfections  de  son  corps  (B)  ,  nos  faiseurs  de  roman  n'ont  pas 
que  l'on  ne  pourrait  pas  même  pris  garde  à  cela  (E) ,  ou  bien 
les  excuser  quand  ils  diraient  en  ils  ont  mieux  aimé  le  fracas  des 
propres  termes  qu'ils  n'ont  fait  aventures,  que  le  vraisemblable, 
cela  qu'en  badinant.  Elle  fut  re-  Tout  le  monde  sait  qu'Hélène 
cherchée  en  mariage  par  un  fut  enlevée  par  Paris  ,  fils  de 
grand  nombre  de  princes  ,  et  Priam  ,  et  que  tous  les  Grecs 
comme  son  père  ne  savait  quel  s'intéressèrent  à  l'injure  que 
parti  prendre,  parce  qu'il  crai-  Ménélas  avait  reçue.  De  là  sor- 
gnait  d'irriter  ceux  à  qui  il  ne  tit  la  guerre  de  Troie  dont  les 
la  donnerait  pas  ,  il  apprit  d'U-  poètes  ont  tant  parlé.  Paris 
lysse  un  fort  bon  expédient  (tf).  ayant  perdu  la  vie  la  deruiè- 
Ce  fut  de  faire  jurer  à  tous  ces  re  année  de  cette  guerre,  son 
rivaux  qu'ils  approuveraient  le  frère  Déiphobus  remplit  sa  pla- 
choix  qu'il  ferait  d'un  gendre,  ce  auprès  d'Hélène.  Les  Grecs 
et  qu'ils  seraient  toujours  prêts  à  le  massacrèrent  vilainement  la 
l'assister  contre  tous  ceux  qui  nuit  que  Troie  fut  prise  :  ils 
voudraient  troubler  le  mariage  furent  en  cela  favorisés  par  Hé- 
d'Hélène.  Alors  Tyndare  la  ma-  lène  autant  qu'ils  eussent  pu  le 
ria  avec  Ménélas  (C).  Elle  avait  souhaiter  (F).  Ménélas  se  com- 
déjà  été  enlevée  par  Thésée  ;  porta  en  bon  homme  :  il  se  ré- 
mais on  crut  bonnement ,  sur  sa  concilia  sans  beaucoup  de  peine 
parole ,  qu'elle  était  sortie  de  avec  sa  femme ,  et  la  ramena 
cette  affaire  sans  y  laisser  son  chez  lui  fort  'îumainement  (G). 
pucelage (D).  Cependant,  il  n'en  Après  qu'il  fut  mort  elle  fut 
était  rien  :  Thésée  ne  l'avait  contrainte  de  prendre  la  fuite, 
rendue  qu'après  s'en  être  si  bien  et  de  se  retirer  dans  l'île  de 
servi ,  qu'il  lui  avait  fait  un  en-  Rhodes  ,  où  elle  périt  malheu- 
fant,  dont  elle  accoucha  chez  sa  reusement  (H);  car  on  la  pendit 
sœur  (b).  La  chose  demeura  ca-  à  un  arbre.  Les  déréglemens 
chée,  parce  que  cette  sœur  fit  ignominieux  de  sa  vie(I)  n'era- 
passer  l'enfant  (c)  pour  le  sien  péchèrent  pas  qu'on  ne  lui  ren- 
(d).  Le  sort  ordinaire  des  enlève-  dit  les  honneurs  divins  après  sa 
rnens  est  qu'une  fille  y  change  mort,  et  qu'on  ne  lui  attribuât 
de   condition ,    soit   qu'elle  l'a-    des  miracles  (K).   Il    n'est  point 

vraisemblable  que  Paris  ait  at- 

(a)  Apollodorus    m.  m   Voyez  aussi    tendu  à  jouir  d'elle   qu'ils  fus- 

Pausamas  ,  Ub.  III,  pag.  io3,  qui  remarque  1         j  '       1  »i       ,  r 

qu'ils  jurèrent  sur  les  entrailles  (  selon  la  sent  abordes   dans    une    lie    (L). 

version  d' Amasœus  sur  les  testicules)  d'un  On  dit  néanmoins   qu'il    fit  bâtir 

cheval  que  l'on  venait  d'immoler,  et  qui  fut  j  ai  .      t 

ensuite  enseveli,  là  même.   Voyez  aussi  ho-  dailS  Cet^    l\e  UU  monument    de 

crate  ,  in  Eocomio  Heienae.  sa  première  jouissance.  On  ajoute 

(b)  Clytemneslre  ,  femme  d'Agamemnon.     queMéllélaS    ne  détruisit    point 

(c)  L'enfant  dont  Hélène  accoucha  fut  la  .    /n»,T.  .  ,'., 

fameuse iplugenie.  ce  monument  (M),  et  qu'il    se 

{d)  Voyez  la  remarque  (D).  contenta  d'y  marquer  qu'il  avait 


5^6 


HÉLÈNE. 


tiré  raison  de  l'injure.  Un  auteur  rir.    Le   père   voulait    qu'on    la 

moderne  ne  paraît  pas  avoir  bien  nommât  Alexandra;  et ,  sur  l'op- 

compris   la   pensée   de  Ménélas  position  de  la  mère(i),  il  fallut 

(e).  Quelques  auteurs  disent  que  jouer  à  qui   donnerait  le  nom  : 

Paris  ne  garda  guère  sa  proie  (N).  Hélène  gagna,  et  fit  porter  son 


On  a  débile  bien  des  fables  sur 
la  naissance  d'Hélène  (0)  ,  je 
veux  dire  sur  l'œuf  dont  on  pré- 
tend qu'elle  fut  éclose.  Les  in- 
ventions que  l'on  attribue  à  sa 
plus  fidèle  servante  sont  un  titre 
d'infamie  (P).  Si  les  auteurs  qui 
ont  parlé  d'elle  avaient  été  bons 
cbronologues  ,  la  durée  de  sa 
beauté  serait  prodigieuse  (Q)  , 
et  il  faudrait  dire  que  les  Grecs 
et  les  Troyens  se  seraient  battus 
dix  ans  pour  la  possession  d'une 
vieille.  Cela  les  rendrait  bien  ri- 
dicules ;  mais  ils  ne  laissent  pas 
de  l'être  ,  quoiqu'on  suppose 
qu'elle  avait  la  beauté  que  les 
poètes  lui  ont  donnée  *.  Voyez 
dans  Hérodote  le  cas  qu'il  faut 
faire  d'une  femme  qui  se  laisse 
enlever  (R).  Les  opinions  sont 
assez  diverses  touchant  les  en- 
fans  d'Hélène  :  les  uns  disent 
qu'elle  n'eut  que  des  filles  (f)  ; 


nom  à  sa  fille  (k).  On  a  fort  par- 
lé du  collier  d'Hélène  (S) ,  et  de 
son  Crater  ,  et  du  Nepenthes 
qu'elle  fit  boire  à  Télémaque , 
fils  d'Ulysse  (T).  Ou  a  dit  aussi 
qu'étant  sur  le  point  d'être  im- 
molée ,  un  miracle  la  sauva  (U)  : 
et  l'on  a  tâché  d'excuser  ses  adul- 
tères ,  en  disant  que  les  dieux  l'y 
avaient  poussée  (X).  Les  païens 
ont  employé  de  semblables  sup- 
positions en  tant  de  rencontres, 
qu'il  ne  sera  pas  hors  de  propos 
de  rechercher  ce  qui  leur  a  pu 
servir  de  motif  pour  raisonner 
de  la  sorte.  C'est  à  quoi  je  destine 
une  remarque  (Y). 

Quelques  -  uns  ont  dit  que 
quand  elle  se  coupa  les  cheveux 
dans  une  occasion  de  deuil  (Z), 
cela  ne  fit  point  que  ses  charmes 
diminuassent.  Un  auteur  fran- 
çais prétend  qu'elle  avait  beau- 
coup d'esprit  et  d'éloquence,  et 


d'autres   assurent   que   Ménélas   qu'elle  se  fit  aimer  par-là  autant 

eut   d'elle   quatre   garçons    (g),    que  par  sa  beauté  (!)  (AA) 

On  parlait  aussi  d'un  fils  qu'elle 

eut  d'Achille  (h).    Elle    eut    de 

Ménélas  la  belle  Hermione  ;   et 

de  Paris  une  fille ,  qui  eut  nom 

Hélène  ,  et  qu'Hécube  fit  mou- 


Ce)  Voyez  la  remarque  (M)  ,  citât.  (71). 

*  Joly  pense  que  ,  bien  que  tant  d'auteurs 
aient  dit  que  ce  fut  la  beauté  d  Hélène  qui 
arma  les  Grecs  et  les  Troyens  ,  il  ne  faut  pas 
tellement  interpréter  leurs  paroles  qu'on  ne 
puisse  croire  que  le  point  d'honneur  et  le  dé- 
sir d  éviter  l'infamie  n'aient  mis  les  armes 
à  la  main  à  Ménélas  et  aux  autres  Grecs  pour 
arracher  Hélène  des  bras  de  son  ravisseur. 

(/)  Stephanus,  Voce  Aiyuç. 

(1;)  Scholiast.  Homeri ,  et  Eustalliius  ,  in 
Iliad. ,  lib.  III. 

(h)  Voyez  l'article  AcHILLÉA  ,  citation 
(e)  ,  tom,  I,  pag.  167. 


(j)  Ptolem.  He]>hiest.,apudF\>.oth\m,pag. 
48o. 

(k)  Idem ,  ibidem. 

(I)  Voyez  la  citation  (l5o). 

(A)  Elle  était  la  plus  belle  femme 
de  son  siècle.  ]  Il  y  a  des   auteurs  (1) 

3ui  ont  de'crit  en  de'tail  la  beauté 
'Hélène  :  celui  qui  s'y  est  le  plus 
étendu  est  Constantin  Manassès  :  il  a 
renfermé  dans  onze  vers  grecs  un 
bon  nombre  d'épithètes  qui  repré- 
sentent les  perfections  naturelles  de 
cette  femme.  On  n'oublie  pas  de  dire 
que  sa  beauté  ne  devait  rien  à  l'arti- 
fice ,  et  que  son  teint,  sans  avoir  be- 
soin d'être  lavé  ,  avait  un  très-grand 

(1)  Darcs  Plnygius,  Cedrenus. 


HÉLÈNE. 


éclat  (2).  On  lui  a  donne  des  jambes 
bien  faites  ,  une  petite  bouche  (3)  , 
le  cou  fort  long  et  fort  blanc  (4),  de 
grands  yeux,  et  de  beaux  tétons  (5). 
Brantôme  me  fournit  un  passage  sur 
cette  dernière  partie.  Hélène ,  dit- 
il  (6),  voulant  un  jour  présenter  au 
temple  de  Diane  une  coupe  gentille 
par  certain  vœu  ,  employant  l'orfe- 


527 


Revenant  à  Hélène ,  je  dis  que  les 
descriptions  qui  ont  été  faites  de  sa 
beauté  ,  n'en  donnent  pas  une  idée 
qui  égale  celle  qu'on  s'en  forme  en 
lisant  un  endroit  de  l'Iliade  qui  ne 
tient  rien  du  portrait.  Homère  se  con- 
tente de  faire  dire  aux  conseillers  de 
Priam  ,  qui  virent  venir  Hélène  pen- 
dant qu'ils  délibéraient  sur  les  aflai- 


vre  pour  la  luy  faire,  luy  en  fit  pr en-  res  d'état  avec  leur  prince,  qu'il  ne 
tire  le  modèle  sur  un  de  ses  beaux  te- 
tins  ,  et  en  fit  la  coupe  d'or  blanc  , 
qu'on  ne  scauroit  qu'admirer  le  plus, 
ou  la  coupe  ou  lu  ressemblance  du 
telin,  surquoy  il  avait  pris  le  patron, 
qui  se  montrait  si  gentil  et  si  poupin, 
que  l'art  en  pouvait  faire  désirer  le 
naturel.  Pline  dit  cecy  par  grande 
admiration  et  speciauté  ,  ou  il  traite 
qu'il  y  a  de  l'or  blanc  ,  ce  qui  est 
fort  estrange  ,  et  que  cette  coupe  fut 

faite  d'or  blanc Qui  voudr  oit  faire 

des  coupes  d'or  sur  les  grandes  té- 
tasses de  certaines  femmes  qu'il  y  a  , 
il  faudrait  bien  fournir  de  l'or  a  mon- 
sieur l' orfèvre,  et  ne  seroit  après  sans 


fallait  pas  bliîmer  ni  les  Grecs  ni 
les  Troyens  de  ce  qu'ils  enduraient 
tant  de  peines  pour  une  beauté  si  di- 
vine. 

OJ    viftiTiç,     Tpâ&ç    M.aÀ     fùx.vJluiSa.ç 

'A%ctioùç 
ToiàtT  ip.qi  yiD/onKi  ttoXÔv  Ravoir    àih- 

yta.  7ris-Xl,v' 
Aivcèç  àSavirois-i  9ê»ç  tlç  àvx  soixsf. 
Ifon  est  iridigtA  ferendum  ,   Trojanos  et  béni 

ocrealos  Achivos 
Tali  de  muliere  tongum  lempus  dolores  pati: 
Omninb    immorlalibus    deabus    vullu   similis 
esl(i  . 

(B)  Des  auteurs ont  donne  un 

grand  détail   des   perfections  île  son 


coup  a  grande  risée,  quand  on  dirait  corps.']  Un  religieux  espagnol  remar- 
voila  des  coupes  faites  sur  les  tetins  ^e.  ^ue  lil  beauté  de  cette  femme 
,;.  , j/„  „»  Ln„rJ„m„c    r-~e^.no*    etait   un  prodige   de   la  nature,   et 


pr( 
que  ,  depuis  un  fort  grand  nombre 
de  siècles  ,  on  a  coutume  de  dire  , 
quand  on  veut  louer  extrêmement 
une  beauté,  c'est  une  Hélène.  Il  ajou- 
te que  Jean  Névizan  a  dit  que  de 
trente  choses  qui  sont  nécessaires 
pour  rendre  une  femme  parfaitement 
belle  {*)  ,  il  n'y  en  avait  aucune  qui 
manquât  à  celle-ci.  JVacio  esta  tan 
avenlajada ,  y  enrequecida  de  her- 
mosura  ,  que  fue  un  portento  ,  un 
prodigio  ,  y  mi/agro  de  naturaleza  , 
quedando  desde  aquel  tiempo  a  este, 
y  aun  para  muchos  siglos ,  en  pro- 
verbio  ,  su  be/leza  ,  y  gallardia  :  de 
tal  suerte,  que  quando  queremos  jion- 
derar ,  y  encarecer  la  hermosura  de 
,  „  v  ',,        '  '  r  »/»'  una  muser,  dezimos  que  es  uiia  He- 

-,viv iena  •"  Y  en  tai  lugarta  pone  ,  el  JVt- 

vertueuse  (o)  ,  IVatal  <  anute  ,  Bar- 
tolome  Casaneo,  Juan  JYemizano  (9)  ; 
el  qna  pane  las  treynla  cosas  ,  que  se 
requieren  pava  que  una  muser  sea 
perfectissima    en    su    hermosura  :    > 


de  telles  et  telles  dames.  Ces  coupes 
7-essembleroient  non  pas  coupes,  mais 
de  vrayes  auges  qu'on  voit  de  bois 
toutes  rondes  dont  on  donne  a  man- 
ger aux  pourceaux  ,  et  d'autres  y  a- 
t-il  que  le  bout  de  leur  telin  ressem- 
ble h  une  vraye guigne  pourrie.  Bran- 
tôme se  trompe  en  deux  choses  ;  car 
Hélène  ne  consacra  point  cette  tasse 
au  temple  de  Diane  ,  et  il  n'est  pas 
vrai  que  Pline  assure  qu'elle  fût  faite 
d'or  blanc.  JMinervœ  templum  habet 
Litidos  insulœ  RhoJiorum  in  quo  He- 
lena  sacravit  calicem  ex  electro.  Ad- 
jicit  historia  mammœ  suœ  mensurâ. 
Voilà  ce  que  Pline  dit  dans  le  chapi- 
tre IV  du  livre  XXXIII. 


o.utqXF0'jv  ■ 
Constantin   Manassès,    cite'  par    Méziriac,    sur 
Ovide ,  pag.  gin. 

(3)  Cruribus  oplimis  ,  ore  pusillo.  Dares 
Phrygius. 

(4)  Asipà  pcutpà.  X.<LTÔ.XSVKOÇ.  Constantin 
Manassès.  Il  ajoute  qu'à  cause  de  cela  Ifs  poêles 
feignirent  qu'elle  élan  née  d'un  cygne.  Méziriac 
a  ignoré  que  cette  pensée  vient  de  Lucien.  Voyez 
la  remarque  (Q). 

(5)  'Oq>QcL\/uoùç  É^ot/c-d.  {AiycLkouç  ,  tiï- 
p.U.<?aç.  Cedrenus. 

(6)  Mémoires  des  Dames  galantes,  loin  I, 
pag.  m.  373. 


(7)  Horaer.,  Jliad.,  lib.  III ,  vs.  i56.  Voye* 
AtViénée  ,  lib.  V,  pag.  188;  et  Quiutil.  ,  'lib. 
VIII,  cap.  IV,  pag.  m.  378. 

(*)  Voyez  Brantôme,  tom.  II,  pag.  33o  de  ses 
Dames  galantes.  Kem.  crit. 

(8)  C'est-à-dire,  Ravisius  Textor. 
(y)  Il  fallait  dire  Nevizano, 


528  HÉLÈNE. 

dize  que   las   ténia   todas   sin  faltar    salis ,  et  ultra  quant  dtcens  sit  ,  po- 


que  sur  la  foi  de  Chassaneuve  *',  qui  exacts  ,  puisqu'il  est  lui-même  le  co 
non-seulement  le  cite,  mais  qui  rap-  piste  de  quelques  autres  écrivains  , 
porte  même  les  vers  latins  où  sont  et  qu'il  les  cite  par  leur  nom.  La 
enfermées  les  trentes  choses  qui  com-  source  jusqu'à  laquelle  il  remonte 
posent,  dit-on,  la  perfection  de  la  est  un  e'crivain  français ,  dont  le  li- 
beauté  ,  et  qui  se  rencontraient  tou-  vre  s'intitule  de  la  Louange  et  Beauté 
tes  dans  le  corps  d'Hélène.  Difficile  des  dames.  Les  dix-huit  vers  latins 
est  custodire  quant  plurimi  amant  ,  qu'il  rapporte  ,  et  que  Chassaneuve 
c'est  Chassaneuve  qui  parle  (n) ,  ut  a  rapportés  après  lui  ,  étaient  une 
salis  colligitur  ex  dictis  Jo.  IVevizani  traduction  du  français,  faite  par  Fran- 
Astensis  in  suâ  Sylva  nuptiali  ,  in  cois  Corniger.  Il  dit  qu'elle  n'était 
ampliatione  7,  in  verb.  quserojuxta    pas  encore  imprimée,  mais  qu'il  y 

en  avait  une  version  italienne  dans 
un  ouvrage  public  de  Vincent  Cal- 
méta.  Et  triginta  requisita,  dit-il  (i3), 
enumerantur  per  Gallicum  in  libr. 
de  la  louange  et  beauté  des  dames 
circa  fin.  quas  latinas  fecit  Francise. 
Corniger  ,  quem  nunc  refero  ,  quia 
non  est  impressus  :  sed  benè  T^incen- 
tius  Calmeta  idem  ponens  in  carm. 
vulgari.  incip.  dolce  Flaminia,  et  e- 
cloga  proxima  seq.  incip.  per  d are 
risposta.Lege  ergb  versus  Cornigeri  : 

Triginta  hœc  habet ,  etc. 

Si  vous  consultez  le  livre  intitulé  : 
Les  neuf  Matinées  du  seigneur  de 
Cholières,  vous  y  trouverez  (14)  un 
sonnet  qui  commence  par 

Celle  qui  veut  paroir  des  belles  la  plus  belle. 
Ces  dix  J'ois  trois  beautés,  trois  longs,  trois 

courts  ,  trois  blancs , 
Trois  rouges  et  trois  noirs ,  trois  petits  et 
trois  grands , 
Trois  eslroils  et  trois  gros  ,  trois  menus  soient 
en  elle. 

et  qui  finit  par  lèvres  ,  doigts  et  che- 
veux menus  ,  telle  fut  Hélène.  La 
conclusion  n'est  pas  moins  imperti- 
nente que  tous  les  vers  précédens  ; 
car  pour  savoir  qu'Hélène  était  ainsi 
faite  ,  il  n'eût  point  suffi  de  l'avoir 
vue  pendant  qu'elle  faisait  ses  exer- 
cices à  Lacédémone  (i5)  j  il  eût  fallu 
être  ou  Paris,  ou  Ménélas,  ou  quel- 
qu'un des  autres  hommes  qui  avaient 
été  ses  maris  ou  ses  adultères . 

(i3)  Joaun.  Ncvizanus,  in  Sylva  nuptiali ,  art. 
XCIII ,   pag.  182,  edit.  Lugd.  ,  1X72  ,  in-8». 
(i4)    Pag.  169   de    l'e'dilion  de    Paris,   chez 
Jean  Ri.her,  ;585,  in-8". 

(i5)  Inler  quos  Hélène  nudis  capere  arma  pa- 
piltis 
fertur,  nec  fratres  erubuisse  deos. 

Propérl.  ,  eleg.  XIII,  lib.  III. 
VoyezV  article  Lïcbrgvi,  remarque  (B),  t. IX. 


pra'dicta  si  sint  duo,  ubi  ponit ,  quid 
operetur  pulchritudo  mulieris.  Ltibi 
dicit ,  quod  débet  habere  triginta  qua- 
tuor,  ad  hoc  ,  ut  sit  pulcnra  ,  quœ 
his  versibus  ibi  positis  continenlur- 

Triginta  h;ec  habeat ,  qnse  vnlt  formosa  vocari 

Fœmina ,  sic  Helenam  fama  fuisse  refert. 
Alba    tria,    et    totidem    nigra,    et  tria    rubra 
puella  : 
Très  habeat  longas  res ,  totiilemque  brèves. 
Très  crassas ,  totidem  graciles  :  tria  stricta,  tôt 
ampla 
Sint  itidem  huic  forma:  :  sint  quoque  parva 
tria. 
Alba  cutis,  nivei  dentés,  albique  capilli , 

Nigri  oculi  *2,  [cunnus,  nigra  supercilia  ; 
Labra,  gêna:,  atque  ungues  rubri.  Sit  corpore 
Ionga , 
Et  longi  crines  ,  sit  quoque  longa  marins. 
Sintque  brèves  dentés,  au, es,  pes   ;    pectora 
lata 
Et  dunes  ;  distent  ipsa  superciila. 
Cunnus  et  os  strictum ,  stringunt  ubi  cingula 
stricta  ; 
Sit  coxa  et  cullus  vulvaque  turgidula. 
Subtiles  digiti ,  crines  et  labra  puellis; 

Parvus  sit  nasus,  parva  mamilla,  caput. 

Ciim  nuili  aut  rara:  sint  haec  ,  formosa  vocari 

iNulla  puella  potest,  rara  puella  potest.  ] 

Je  supprime  le  reste  de  ce  petit 
poème  latin  (12)  ,  quoique  Chassa- 
neuve ,  qui  était  premier  président 
au  parlement  d'Aix  ,  n'ait  pas  fait 
scrupule  de  l'insérer  tout  entier  dans 
son  ouvrage.  Il  y  joint  cette  queue, 
IVon  aliter  hic  insisto  circa  talia,  ciim 

(10)  Baltasar  de  Victoria  ,  predicador  de  san 
Francesco  de  Salamanca,  Tlieatro  de  los  Dioses 
de  la  Gentilidad,  lib.  II,  cap.  XIX,  pag.  181, 
edil.  de  Salamanca  ,  1620. 

"'  Ou  plutôtCbasseneuz.  Bayle  l'appelle  ailleurs 
Cbassanée.  Voyez  les  articles  Quellenïc,  tom. 
XII  ,  et  Tiraqueao  ,  tom.  XIV. 

(11  )  Bartholomsus  Qiassansus  ,  in  Catalogo 
gloria:  Mundi  ,  part.  II,  considérât.  XXII, 
pag.  m.  i(J8. 

*2  Bayle  avait  supprimé  ,  et  j'ai  cru  devoir  ré- 
tablir ce  qui  est  entre  deux  crochets. 

(u)  Il  comprend  dix-huit  vers. 


HÉLÈNE.  529 

(C)  Tyndare  la  maria  avec  Mené-        Hellanicus  donne  cinquante  ans  â 

las.  ]  Il  y  en  a  cf ni  disent  (16)  tjiTil  Thésée  (a5)  ,   et  sept  à   Hélène  (26)  , 

ne  le  choisit  pas  lui-même  pour  gen-  au  temps  de  l'enlèvement,  et  ne  laisse 

dre  ,   mais  qu'il  permit  à  Hélène  de  pas  de  dire  que  Thésée  la  dépucela 

choisir  parmi  ses  amans  celui  qu'elle  Duris   Samicn   (27)  assure   qu'Hélène 

voudrait  épouser  ,  et  qu'elle  préféra  était  enceinte  d'Iphigcnîe  quand  on 

Ménélas  à  tous  les  autres.  Apollodo-  la  tira  des   mains  de  son  ravisseur, 

re    (17)   prétend   que  Tyndare   céda  Pausanias  dit   la  même  chose  ,   et  a- 

son    royaume   à   son   gendre  ;   mais  joute  qu'elle  accoucha  à  Argos ,  chez 

d'autres  disent  (18)  qu'il  se  contenta  sa  soin-  Clytemnestre  ,  femme  d'A- 

de  le  désigner  pour  son  successeur,  gamemnon,  el  quelle  lui  commitFé- 

C'était  donc  un  grand  parti  qu'Hélè-  ducal  ion  de  sa  (illc  (28).  11  dit  qu'Eu- 

nc  ,  puisqu'avec  une  beauté  si  accom-  phorion  ,    Alexandre    Pleuronius    et 


plie  clic  apportait  une  couronne  à  ce 
lui  qu'elle  épousait. 

(D)    Thésée  l'avait  enlevée on 

crut qu'elle  était  sortie  île  cette 

affaire  sans  y  laisser  son  pucelage.  ] 
Selon  Plutarque  ,  elle  n'avait  pas  en- 
core atteint  l'âge  nubile  quand  Thé- 
sée l'enleva  du  temple  de  Diane  ,  où 
elle    dansait   (  19  ).  Il  la  mit  sous  la 


Stésichore  avaient  témoigné  dans 
leurs  poésies  qu'Iphigénie  était  fille 
de  Thésée  et  d'Hélène.  Les  Argiens  en 
étaient  si  persuadés  qu'ils  croyaient 

qu'Hélène  fit  bâtir  ,  après  ses  cou- 
ches, le  temple  de  Lucine  que  l'on 
voyait  dans  leur  ville  (29).  11  y  eut 
bien  des  gens  trompés  dans  cette  ren- 
contre. Agamemnon  crut  qu'Iphigé 


conduite  de  sa  mère  (20) ,  et  les  don-  nie  était  sa  fille  ,  car  sa  femme  le  lui 
na  toutes  deux  en  garde  à  l'un  de  assurait.  Castor  et  Pollux se  persuadé- 
ses  bons  amis  dans  Aphidnes ,  et  s'en    rent  que  leur  sœur  revenait  pucelle, 


alla  travailler  à  un  autre  enlève- 
ment (21)  avec  son  ami  Pirithoiis.  Les 
frères  d'Hélène  ,  Castor  et  Pollux.  , 
ne  perdirent  point  de  temps  :  ils  en- 
trèrent dans  l'Attique  à  main  armée 
pour    redemander     leur     sœur.   Les 


car  lorsqu'ils  l'interrogèrent  sur  ce 
point  si  délicat,  elle  répondit  qu'on 
ne  l'avait  pas  touchée  (3o).  Que  di- 
rons-nous de  Ménélas ,  qui  l'épousa 
quelque  temps  après?  11  crut  bon- 
nement être   le  premier   qui   fit   la 


Athéniens  leur  protestèrent  qu'ils  ne  brèche  ,  et  cependant  il  épousait  une 

savaient  où  elle  était.  On  ne  se  paya  mère. 

pas  de  cette  réponse,  on  se  prépara  Quand  j'ai  dit  qu'Hélène  fut  inter- 
à  faire  des  hostilités  ;  mais  un  cer-  rogée  par  ses  frères,  j'ai  suivi  le  doc- 
tain  Académus  ayant  fait  savoir  aux  te  M.  Méziriac  (3i)  ,  qui  a  entendu 
frères  d'Hélène  qu'elle  était  à  Aphid-  de  cette  façon  le  grec  que  je  cite  : 
nés  (22)  ,  ils   allèrent  attaquer  cette  mais   d'autres  ,  avec  plus  de    raison 


ville  ,  et  l'emportèrent  d'assaut.  Les 
portes  d'Athènes  leur  furent  ouver- 
tes :  ils  entrèrent  dans  la  ville  sans 
y  faire  aucun  désordre  ;  ils  ne  de- 
mandèrent qu'à  être  initiés  aux  mys- 
tères. Ils  ramenèrent  Hélène  à  Lacé- 
démone  :  on  dit  aussi  qu'ils  y  ame- 
nèrent la  mère  de  Thésée,  et  que  cette 
bonne  femme  suivit  Hélène  (23)  jus- 
que dans  Troie  (24'. 

(16)  Hygiaus,  cap.  LXXVIIl. 
(1-)  Bjbliotb. ,  Ub.  III. 
f!8;  Tlyginus,  cap.  LXXVIIl. 
(lÇ|)  Plularcli.,  in  Thcseo ,  pag.   là. 

(20)  Elle  te  nommait  JEihra. 

(21)  A  celui  de  Proserpine , /ille  d' Aidone'us , 
roi  des  Molosses. 

(22)  Hérodole,  liv.  IX,  chap.  LXXII,  attri- 
bue cela  aux  Décéliéns,  tribu  d' Athènes ,  ou 
même  au  seul  De'ce'le'us. 

(2Î)  Voyez  l'article  Acimas  ,  remarque  (A)  , 
tom.  I,  pag.  io5. 

(24)  Plutarrli.,  in  Theseo,  pag.  i5. 

TOME   vir. 


peut-être  ,    disent  que  Castor  et  l'"l 
lux  conseillèrent   à  leur  sœur  de  se 

(i5)  Apud  Plularcli. ,  ibid  ,  pag.  t.}. 
(2G)  Apud  Tzelzen  ,  in  l.ycnphroncm. 

(27)  Cité  par  Méziriac,  sur  les  Epines  d'Ovi- 
de ,  pag.  482. 

(28)  Pausanias  ,  lib.  II,  pag.  65. 

(29)  Idem,  ibidem. 

(3o;  ©hs-jûjç    k-ù  'Ehivnç  fne  Aiôç    \yi- 

VêTO  fjUyaTHp  'l$»}SVêl*,  XcLI  CLÙT»\I  V^'i- 
T0ê<|)5V    M    THÇ    'EXSVHÇ   àtTsX^M    KM/T£ll//V>i- 

■Tpa."  TTtoç  $\  tov  'AyA/néfAVOvct  tiint  cLuth 

TSJCSÎV  'EASVH  yi?  7TVvùcLV0fAhi\  râv  ÙSlX- 
^»V,    14/n     JtOfM     7T*fCt     0i!7Sa>Ç      ctTTi'/SîlV. 

Thesei  et  Helenœ  Jovc  nalœ filiafuit  Iphige- 
nia  ,  eamque soror  llelena  Chlemneslia  rduca- 
vil ,  Agamemnoni  dicens  se  eam  peperisse  :  nam 
Helenœ  fralribus  atucultans  virginem  te  <i  Thc- 
seo discessisse  aiebal.  Nicander,  lib.  IV  Alie- 
ratorum  ,  apud  Anton.  Liberalcm  ,  narrai. 
XXV  II. 

(3i)  Sur  les  Épîtrei d'Ovide,  pag.  483. 

34 


53o 


HÉLÈNE 


vanter  d'avoir  encore  sa  virginité. 
C'était  un  conseil  fort  sage  ,  et  dont 
Hélène,  toute  jeune  qu'elle  était,  au- 
rait bien  pu  se  passer  :  elle  se  fût 
bien  vantée  de  cet  avantage  sans  la 
suggestion  de  personne.  Elle  assure  , 
dans  Ovide,  que  Thésée  ne  remporta 
que  quelques  baisers  pris  par  force  , 
et  qu'elle  en  fut  quitte  pour  la  peur  : 

Non  tamen  è  facto  fructum  lulil  ille  petitum, 
Excepto  redii  passa  timoré  nihil  : 

Oscula  luctanti  tanlummodb  pauca  protervus 
Abslulil  :  ulterius  nil  habet  ille  meî  (3î). 

Elle  avoue  cependant  que  Thésée  é- 
tait  fort  jeune  (33).  Ovide  a  observé 
le  décorum  en  la  faisant  parler  de 
cette  manière  ;  mais  il  ne  l'observe 
pas  moins  quand  il  introduit  une 
autre  femme  qui  croit  qu'Hélène  men- 
tait : 

Illam  de  patrià  Theseus  (nisi  nomine  fallor)  , 
Nescio  quis  Theseus ,  abslulil  anlè  sud. 

À  juvene  et  cupido  credalur  reddila  virgo  ? 
Undè  hoc  cotnpereritn  tam  benè ,   quœris  ? 
anio. 

Vim  licel  appelles,  et  culpani  nomine  vêles, 
Quœ  loties  rapta  est,  prœbuil  ipsa  rapi  (34). 

La  remarque  suivante  servira  de 
supplément  à  celle-ci. 

(E)  IVos  faiseurs  de  romans  n'ont 
pas  pris  garde  a  cela.]  Il  est  certain 
que  monsieur  ou  mademoiselle  de 
Scudéri,  et  les  autres  faiseurs  de  ro- 
mans,leurs contemporains, ont  choqué 
fortement  la  vraisemblance  ,  quand  ils 
ont  fait  enlever  leurs  héroïnes  ,  sans 
vouloir  qu'on  crût  qu'elles  accor- 
dassent de  gré  ou  de  force  aucune 
faveur  à  leurs  amans.  Je  sais  bien 
qu'ils  seraient  infiniment  plus  inexcu- 
sables ,  s'ils  ne  supposaient  pas  , 
comme  ils  font ,  qu'elles  étaient  en- 
levées sans  y  consentir  en  aucune 
sorte.  Il  y  a  certains  pays  où  l'on  ne 
châtie-  point  ceux  qui  enlèvent  des 
filles  qui  le  veulent  bien  :  cette  im- 

S unité  est  cause  que  les  enlévemens 
e  cette  nature  sont  très-fréquens  ; 
et  il  n'y  a  personne  qui  croie  que  les 
ravisseurs  usent  de  délai  par  rapport 
à  la  jouissance.  Jusqu'au  premier 
gîte  ,  tout  au  plus  :  et  même  la  plu- 
part des  gens  soupçonnent  que  la 
jouissance  a  précédé  l'évasion.  Quoi 

(3s)  Ovidius,  epist.    Helenœ  ad   Parid.  ,   vs. 
25  et  seqq. 

(33)  Et  juvenem  Jacti  pœnituisse  patel. 

Ibidem,  vs.  32. 

(34)  Ovid.,  in  epist.  OEnoncs  ad  Parid.  ,  cf. 
127  et  seqq. 


qu'il  en  soit ,  cette  espèce  d'enlève- 
ment est  presque  toujours  suivie  du 
mariage ,  parce  que  si  les  parens  ne 
consentaient  pas  aux  noces  ,  ils  se 
verraient  chargés  d'une  fille  désho- 
norée selon  l'opinion  de  tout  le 
monde  ,  et  qui  ne  trouverait  de  mari 
qu'au  cas  que  quelqu'un  se  voulût 
bien  contenter  des  restes  d'un  autre. 
Avouons  donc  que  les  faiseurs  de  ro- 
mans se  garantissent  du  plus  gros  du 
ridicule  ,  par  le  soin  qu'ils  prennent 
de  supposer  que  l'héroïne  s'oppose 
autant  qu'elle  peut  à  l'enlèvement  ; 
mais  néanmoins  ils  ne  sauraient  se 
tirer  d'affaire  :  ils  renversent  les  no- 
tions communes ,  et  ils  se  font  un 
système  diamétralement  opposé  au 
jugement  du  public,  et  au  bon  sens. 
Quel  motif  ont  leurs  héros  quand  ils 
enlèvent  une  maîtresse  ?  Lui  veulent- 
ils  déclarer  qu'ils  meurent  d'amour 
pour  elle  ,  et  que  ses  rigueurs  les 
mettent  au  désespoir?  Ils  lui  ont  déjà 
déclaré  cela  ,  je  ne  sais  combien  de 
fois ,  et  ils  ne  recourent  à  l'enlève- 
ment que  lorsqu'ils  la  savent  déter- 
minée à  rendre  heureux  un  autre 
homme  ,  et  à  n'avoir  de  sa  vie  que 
de  la  froideur  pour  eux.  Espèrent-ils 
que  leurs  soupirs  si  inutiles  ,  avant 
qu'ils  l'eussent  irritée  ,  la  toucheront 
dans  le  vif  ressentiment  où  elle  est 
contre  un  ravisseur?  La  vraisem- 
blance répugne  à  cela.  Il  faut  donc 
qu'ils  se  proposent  de  seprévaloir  de 
l'état  qui  la  réduit  à  leur  discrétion, 
et  de  la  mettre  dans  les  termes 
qu'elle  soit  intéressée  toute  la  pre- 
mière à  parler  de  mariage.  C'est,  dans 
le  vrai  ,  l'une  des  vues  de  ceux  qui 
enlèvent  quelque  fille  contre  son  gré  : 
ils  se  persuadent  qu'après  avoir  été 
quelques  mois  en  leur  puissance  ,  sa 
réputation  pour  le  moins  ira  fort 
mal  ,  et  ne  pourra  être  rétablie  que 
par  la  bénédiction  nuptiale.  Aussi 
voit-on  que  si  d'autres  se  marient  à 
de  telles  filles  ,  ils  deviennent  fort 
suspects  d'avoir  recueilli  les  restes 
du  ravisseur  \  ils  en  sont  railles  ,  et 
ne  passent  point  pour  délicats.  Nou- 
veau trait  contre  messieurs  les  roma- 
nistes ,  dont  les  héros  aspirent  de 
toute  leur  âme  à  épouser  des  maî- 
tresses que  leurs  rivaux  avaient  en- 
levées plus  d'une  fois.  Vous  trou- 
verez la  critique  de  tout  ceci  dans  le 
Parnasse  reforme.  Cyrus  y  murmure 


HÉLÈNE.  53i 

de  ce  qu'on  ne  Lui  avait  point  donné  De  ''«"'»  la  fève  trouver. 

une  héroïne  a   qui  ion  ne   pût  faire  %"!%"?  eslf°l  ''."'  ne  s',.avi,ie 

j'          ry            •                i  ■  Vu  "  "  e't  rien  tel  que  d  enlever. 

aucuns   reproches,  fous  jugez  bien  v  Je  sais  hien  que  \es  premiers  jours 

Sans     (toute   par    ce    discours,     dit-il  Que  Bécasse  est  bridée  et  prise, 

(35),    que  je   ne    Suis  pas   COIllent    de  F-lle  invoque  Dieu  au  secours 

Mandane  ;  et  certes  que  voulez-vous  m  '£%%?!  à lharhe.Srise  •  . 

'      j,    ,.          ■*  ,  mais  si  l  amant  qui  la  conquise 

que  je  pense  d  elle  après  tous  les  en-  Sçait  bien  la  rose  cultiver  , 

lèvemens  qui  lui   aiTivent  ?    Dois-je  ^le  chante  en  face  iT église 

penser  quelle  sort  bien  pure  des  mains  Qu'il  "'"'  rien  let  que  d'enlever  (38)- 

de  quatre  ravisseurs  ?  et   les    moins  (F)  Les  Grecs  massacrèrent  . 

clairvoyans  dans  ces  mystères  peu-  Déiphobus  .  .  .  favorisés  par  Hélène 

vent-ds  douter  que  vous  ne  me  don-  autant  qu'ils  l'eussent  pu  souhaiter.] 

niez  le  reste  des  autres  ?  f  ous  deviez,  Voyez  ,  dans  Virgile  ,  l'état  pitoyable 

ce  me  semble  ,    mettre  sa  pudeur  à  ou  pon  mit  lc  corps   <]e  Déiphobus  , 

d  autres  épreuves  ?  Celles-là  sont  un  ct  la  manière  dont  sa  femme  le  tra- 

peu  trop  fortes  pour  une    chose    si  jjjj.  . 
frêle  ,   et  Mandane  n'était  pas  une 

place    qui    pût    résister  a    tant   d'as-  Alque  hic  Priamiden  laniatum  corpore  toto 

sauts  :  peut-être  se  fût-elle  bien  tirée  ^"P1'01"""  •** .  '"cerum  crudeliter  ora  : 

j,            r         .              ,y                       .  Ura  manusque  ambas    populataque   lempora 

a  un  premier  enlèvement  ;   je   veux  rapiis 

croire  qu'elle  aurait  eu  assez  de  vertu  Âurihus  ,   et  truncas    inhonesto    vulnere   na- 

pour  ne  se  pas  rendre  tout  d'un  coup,  res  (39'" 

et    SOU     honneur    Se    pouvait    sauver  [Cl  me'fal'a   mea'.èt'scelui  exit'iale' La'cœ- 

sans  miracle  de  ce  mauvais  pas.  Mais  na>, 

les  rechutes  sont    mortelles  dans   ces  His  mersérema!is  :  Ma  kœc  monumenla  reli- 

matières  :  un  second  enlèvement  ra-  '""  ^°'- 

cage   tout,  et   une    héroïne    qui   n'a         Flammam  média  ipsatenebat 

plus     que    les    restes    d'une  fermeté  Ingénient ,  et  sunund  Danaos  ex  arce  voca- 

ébranlée,  ou  peut-être  moins  encore ,  -r-                 r   , 

j.   .        '          f         yr.             .          .,                  '  Turn    me  confectum  curis ,  somnoque  grava- 
lie  fait  que  îles  ejjorts  inutiles  pour  tum, 

sa  défense.  Apollon  eut  e'gard  à  cette  Tnfelix habuit  thalamus ,  pressitque  jacentem 

plainte  ,  et  prononça  cet  arrêt  :  «  De-  Dulcis  el  ?lta  luies'  vl^^œque  simillima 

1       ,                   l                                              .  morli. 

»    Clarons  que   nous  ne  reconnaissons  Egregia  intereà  conjux  arma  omnia  tectis 

»    point    pour     lie'rOS     tous    ceux    qui  Fmovet;  elfidum  capiti  subduxerat  ensem  ; 

»    Seront    COCUS,     ni     pour    héroïnes  Intralecla  vocal  Menelaum,  et  liminapan- 

»   toutes  les    femmes    qui   auront    été  Sciliceï  id    magnum    sperans  fore    munus 

)>  enlevées  plus  d'une  fois  (36).  »  La  amanti, 

ballade  de  Sarrasin  ,  sur  l  enlèvement  Eifamam  exstingui  veterum  sic  posse  mala- 
de  mademoiselle   de  Bouteville  ,  par  rtan'Qi). 

monsieur  de   Coligni   Çi-j)  ,    est  un  Elle   crut   que   ce    barbare   sacrifice 

autre   arrêt  de  condamnation;    car  ctait  nécessaire  pour  apaiser  le  cour- 

voici  le  dogme  de  ce  bel  esprit  :  roux  de  Menelas  :  elle  eût  mieux  ju- 

Ce  gentil  joli  jeu  d'amours  gé  des  eboses ,  si  elle  avait  fait  moins 

Chacun  le  pratique  à  sa  guise  :  d'allenliou  sur  l'e'normite  de  sa  fau- 

Qui  par  rondeaux  et  beaux  discours,  te                           j      debomiairete  du  prit!- 

Chapeau  de Jleurs,  génie  comtise,  7     »                                                                    l 

Tournoy  ,  bal ,  festin,   ou  devise  Ce  gl'CC. 

Pense  les  belles  captiver;  (G)  Ménélas...  se   réconcilia  sans 

Mais  je  pense ,  quoy  qu'on,  en  dise ,  beaucoup  de  peine  avec  sa  femme  ,  et 

Uu  il  n  est  rien  tel  que  d  enlever.  7                  J            J,            i     •    _r          i              ■ 

C'est  bien  des  plus  merveilleux  tours  [n     "in/Clia     chez     lui  fort    flumaine- 

Lapasseroule  et  la  mnistrise  .•  nient.  ]    Ce    pauvre    COCU    fut    si    sim- 

Au  mal  d'aimer,  c'est  bien  tous  jours  pjc     qU'jj  s'imagina   que  sa  femme 

Une  prompte  el  souëfve  crise  :  'U'tlJlJl              ■            J 

C'est  au  gasteau  de  friandise  séchaii  de  douleur  dans  la  maison  de 

Priam  ;  et  c  était  le  principal  motif 

(35)  Parnasse  réformé  ,  pag.  i65  ,  e'dition  de  qui     le     poussait    à    la     Conquête     de 
Hollande.  l 

(36)  La  même,  pag.  iS".  ,_„,  „                        ,  .                     _        _ 
m   \    A7                  i    ■       ■        i    ..-.            ;     j  (38)  sarrasin.  Poésies,  pas.  5q ,  oo. 

(37)  Non  pas  celui  qui  se  haltit  avec  le  duc  y  \  _..  '  ,  ,  ,-,  ,  , 
de  Guise  ,  comme  le  veut  l'auteur  des  Galante-  '39)  ^  ,rK-,  -^ne.d.  ,  /,/,.  r  I ,  vs.  t^. 
ries  des  rois  de  France,  loin,  II,  pag   2?3,  trais  (4°)   Ibidem,  vs.  5n. 

son  frère  puîné'.  (4'J  Ibidem,  vs.  5i8. 


53a  HÉLÈNE. 

Troie  (4»).  On  a  eu  fort  bonne  grâce  contre    l'infidélité     d'Hélène*     Dan 

de  lui  reprocher  que  sa  flamme  con-  les   Troades  d'Euripide  ,   il    la    me- 

jugale  prescfue  e'teinte  se  ralluma  dès  nace  de  la  tuer  ;  et  c'est  à  elle  à  se 

qu'Hélène    l'eut  quitté  pour  s'atta-  servir  de  toutes  sortes  d'excuses  pour 


cher  à  un  autre  homme 

Acrius  Hermionen  ideb  dilexit  Orestes  , 

Esse  qubd  allerius  cœperat  Ma  viri. 
Çuid  ,    Menelaé  ,  doles  ?   ibas  sine  conjuge 
Creten  , 
Et  paieras  nupld  Icetus  abesse  tua  ; 
Ut  Paris  hanc  rapuit ,  tum  démuni  uxore  ca- 
rere 
Non  potes  ,  allerius  créait  amore  tuus. 

Il  fallait  que  l'antiquité  fût  forte- 
ment persuadée  de  la  débonnaireté 
des  maris  cocus  ,  puisqu'elle  nous  a 
représenté  le  dieu  Vulcain  si  facile 
envers  sa  femme.  «  Le  dieu  de  nostre 
»  poète ,  quand  il  surprint  avec  sa 
«  femme  l'un  de  ses  compaignons, 
»  se  contenta  de  leur  en  faire  honte... 
»  et  ne  laisse  pourtant  de  s'échauffer 
»  des  molles  caresses  qu'elle  luy  of- 
»  fre  ,  se  plaignant  qu'elle  soit  pour 
w  ce  entrée  en  défiance  de  son  affec- 
»  tion  : 

"   (*')    Qui't  causas  pelis  ex  alto?  fiducia 

cessii 
»   Quo  tibi ,  diva  ,  mei  ? 

)>  Voire  elle    lui  fait    requeste    pour 

«  un    sien   bastard  (*a).   Arma  rogo 

»  genitrix  nato ,  qui  luy  est  libera- 

»  ïcment  accordée  .  et  parle  Vulcan 

»  d'vEueas  avec  honneur  (*3)  :  Arma 

■»  acri  faciencla  viro  ;   d'une   huma- 

)>  nité  ,  à  la  vérité  plus  qu'humaine. 

»  Et  cet  excez  de   bonté  ,  je  consens 

»  qu'on   le   quitte   aux    dieux  :    (*4) 

<•  Nec    divis     homines    componier    a/juum, 
»  est  ({[$)•  » 

Ces  paroles  de  Montaigne  sont  trop 
ingénieuses ,  pour  déplaire  ici  aux. 
connaisseurs.  Mais  ,  pour  ne  rien 
dissimuler,  il  faut  que  je  dise  qu'il 
s'est  trouvé  des  personnes  assez  offi- 
cieuses pour  faire  l'honneur  à  Mé- 
nélas    de    l'armer   de    ressentiment 


(4-) 


Mâ.hiç-0.  Si  isto  èujut) 


obtenir  son  pardon.  Elle  dit  entre 
autres  choses  qu'après  la  mort  de 
Paris ,  elle  tâcha  plusieurs  fois  de 
sortir  de  Troie  pour  se  retirer  au 
camp  des  Grecs,  et  que  les  sentinel- 
les la  surprirent ,  lorsqu'elle  voulut 
descendre  des  murailles  par  une  cor- 
de. Elle  ajoute  que  Déiphobus  l'é- 
pousa par  force.  Pausanias  fait  men- 
tion d'une  statue  de  Ménélas  pour- 
suivant Hélène  l'épée  à  la  main , 
pour  la  tuer ,  quand  Troie  fut  prise 
(44)-  Mais  d'autres  supposent  qu'il 
jeta  son  épée  dès  qu'il  eut  vu  la  gor- 
ge d'Hélène,  et  qu'il  se  laissa  baiser 
par  cette  chienne  traîtresse  ,  et  la  ca- 
ressa : 

'Exa>v   il   Tpc.(a.v ,    ii^v  ydip    xa.vxa.Ztyi. 

(T'A  , 
Ol/JC    ÏKTCÏtiÇ   yw 0.7x4.,   ^êl^ISlV   kO.€âv' 

' Ahh  coç  uTité'tç  y.a.ç'iv  ,  ix.Ca.han/  |ï<|>oc 
<biKr\/jC  iSé^a>,  Kpoiorn  a.ixa,Ahaov  xùva.. 
Capta  aulem  Trou  (  nain  et  hitc   tua  causa. 

veniain  ) 
Non  inlerfecisli  uxorein  redaclam  in  luam  po- 

lestalem  : 
Sed  poslquam  vidisti  ubera  ,  abjecto  gladio 
Osculuin   accepisti   adulans  canem   proditri- 

cent  (/)5 j. 

(H)  Elle  périt  malheureusement.  1 
Nicostrate  et  Mégapenthe,  bâtards  de 
Ménélas  ,  l'avaient  chassée  de  Lacé- 
démone.  Elle  se  retira  chez  Polyxo ,  sa 
parente  ,  veuve  de  Tlépolème  ,  roi  de 
Rhodes  ,  et  régente  du  royaume  pen- 
dant la  minorité  de  son  fils.  Polyxo 
se  souvenant  que  son  mari  était  mort 
au  siège  de  Troie  ,  et  qu'ainsi  elle  ne 
pouvait  regarder  Hélène  que  comme 
la  cause  de  son  veuvage  ,  résolut  de 
se  venger,  et  pour  cet eflèt ,  pendant 
qu'Hélène  était  au  bain  ,  elle  y  en- 
voya des  femmes  habillées  en  furies  , 
qui    la    pendirent  à    un    arbre.    Les 


Rhodiens  ,  voulant  immortaliser  cet 
Tttra.crBa.i  E\sv»sop/*»/u*'r*T«<r<>v*;t*s    accident,  bâtirent  un  temple  qu'ils 

appelèrent  le  temple  à' Hélène  Den- 
dritis.  C'est  Pausanias  qui  m'apprend 
cela  (4^)-  L'auteur  d'Athènes  an- 
cienne et  nouvelle  ,  a  raison  de  dire 
(47)  que   mille  gens  parlent   de  la 


....    Maxime  verb  eupiebal  animo 
Ulcisci  Helcnœ  raptumque  gemitusque. 
floraer. ,  lliad.  ,  tib.  Il,  vs.  58f).  Descript. 
Voyez  les  Pensées  sur  les  Comètes  ,  num.  2in, 
pat;.  717. 

(*')  Virgil.  ,  JEne\n.,  lib.  VII  t ,  „,.  3<>5. 

(*2)  Ibidem,  vs.  383. 

(*3)  Ibidem,  vs.  44t. 

(*4)  Cat.  ad  Mal. 

(43)  Montaigne  ,  Essais  ,  liv.  III,  cliap.  V  , 
pag.  m.  i38. 


(44)  Pausan.  ,  lib.  V,  pag.  166. 

(45)  Eurip.  ,  in  Androm.,  vs.  627  ,  p.  m.  520. 

(46)  Pausan.,   lib.   lit,  pag.   102. 

(47)  Pag.  m.  63. 


HÉLÈNE. 


533 


belle  Hélène  ,  qui  ne  savent  pas 
mi' elle  fut  pendue.  On  a  tort  de  dire 
dans  le  Dictionnaire  de  Moréri  ,  que 
l'une  des  compagnes  d'Hélène  la  fit 
mourir.  Vous  trouverez  dans  Photius 
qu'elle  s'étrangla  elle  -  même  ,  et 
qu'auprès  du  chêne  ,  auquel  elle  se 
pendit  ,  il  croissait,  une  herbe  qu'on 
nomme  Hélé/u'ion ,  qui  rendait  que- 
relleux  ceux  qui  en  mangeaient  (^8). 
Pline  attribue  de  toutes  autres  quali- 
tés à  cette  herbe  :  elle  embellissait  les 
femmes  ,  et  rendait  gais  ceux  qui  en 
mettaient  dans  leur  vin  (49).  Il  re- 
marque (5o)  qu'on  disait  qu'elle  était 
née  des  larmes  d'Hélène.  Vous  trou- 
verez dans  le  même  Photius  (5i),  que 
Thétis  fit  mourir  Hélène  pendant 
le  retour  des  Grecs;  et  selon  d'au- 
tres ,  qu'elle  alla  avec  Ménélas  dans 
la  Chersonnèse  Taurique  pour  cher- 
cher Oreste  ,  et  qu'ils  y  lurent  im- 
molés tous  deux  par  Iphigénic.  J'ai 
lu  dans  Vigénère  (5a)  ,  qu'Hérodote 
raconte  que  Nicostrate  et  Mégapen- 
thus  chassèrent  Hélène  ,  et  qu'elle  se 
retira  à  Pdiodes ,  chez  Polypo  ,  veuve 
du  roiTlépolèmus,  et  que  les  demoi- 
selles de  Polypo  ,  haïssant  Hélène  ,  de 
ce  qu'elle  avait  esté  cause  de  la  mort 
de  leur  feu  seigneur  ,  un  jour  qu'elle 
s'estait  allée  esbatre  en  un  verger 
sa/is  leur  J7iaislressc ,  la  pendirent  et 
estranglèrent  à  un  des  arbres.  Je 
n'ai  rien  trouvé  de  cela  dans  Héro- 
dote. 

Le  moine  espagnol  que  j'ai  cité 
ci  -  dessus  s'est  abusé  lourdement 
sur  les  causes  de  la  mort  d'Hélène. 
Il  dit  (53)  ques'étant  retirée  à  Pdiodes 
chez  Polyxène  ,  femme  de  Ptétolémo, 
roi  de  cette  île  ,  elle  se  gouverna 
mal,  comme  elle  avait  toujours  fait 
depuis  sa  tendre  jeunesse  ;  elle  de- 
vint amoureuse  de  son  hôte,  et  s'a- 
handonna  à  lui.  Polyxène  en  enragea 
de  jalousie ,  et  la  fit  pendre  à  un 
arbre.  Pausanias ,  poursuit-il,  assure 
qu'à  cause  qu'elle  avait  commis  adul- 
tère avec  Ptétolémo  pendant  la  guer- 

(48)  Photius,  pag.  4^0 1  ex  P'o'em.  Hephxs- 
tione. 

(4o)  Plin.  ,  lib.  XXI,  cap.  XXI. 
(Soi  Ibidem  ,  cap.  X. 
(5i)  Photius  ,  pag.  4"Q. 

(52)  Sur  le  Prot'ésilas  ,1e  Philostrate  ,  folio 
s'5  i'f"o  ,  e'dil.  i'n-4". 

(53)  Baltazar  de  Victoria,  Théâtre  de  los  Dio- 
ses  de  la  Genlîlîdad  ,  lib.  II ,  cap  XIX  ,  pag. 
189. 


re  de  Troie  ,  Polyxène  la  fit  mourir. 
Jugez  par-là  si  cet  auteur  espagnol 
est  fidèle  ou  habile  dans  ses  citations. 

(  I  )  Les  déréglemens  de  sa  vie.  ] 
Plusieurs  auteurs  (5^)  l'ont  blâmée 
de  lubricité  ;  mais  surtout  Lyco- 
phron,  en  sa  Cassandre,  ait  il  l'appelle 
?rivrit/.tx.Tpov  ,  c'est-à-dtre  ,  femme  de 
cinq  maris  (55)  .  ..  Euripide,  en  la 
tragédie  <l  .d ndromaque  ,  fait  ainsi 
reprocher  à  Hermione,  fille  d'Hélè- 
ne, le  vice  de  sa  mère. 

M»  thv  Ttx.oûs-eLV  tÏÏ  QiXclvJ'pla.,  yùvat.1, 

Z»ITêl  7rcLptX§lïV 

Amlrom.,    l>.  228. 
JVe  tache  point  de  surpasser  la  mère 
En  cri  amour  par  trop  désordonné' , 
Qu'  la  J~aisait  courir  après  tes  hommes. 

....  Ptoléméus  Hepha'stion  ,  dans 
Photius  ,  rapporte  une  histoire  fort 
particulière  ,  qui  fait  foi  de  l'impu- 
dicité  d'Hélène.  Le  fait  est  qu'un 
certain  Arcadien  ,  nommé  Perita- 
nus,  rencontrant  Hélène  avec  Paris 
Alexandre ,  au  pays  d'Arcadie,  eut 
affaire  avec  elle.  Mais  Paris ,  poul- 
ie châtier  de  cet  adultère,  lui  coupa 
les  parties  destinées  pour  la  généra- 
tion. De  l'a  vient  qu'en  Arcadie ,  ceux 
qui  sont  ainsi  châtrés ,  s'appellent 
perita?ies.  Lycophron  a  fait  bien  pis 
que  de  la  nommer  la  femme  à  cinq 
maris  ;  on  prétend  qu'il  l'a  nommée 
colombe,  à  cause  de  sa  lasciveté  ,  et 
chienne,  à  cause  de  son  impudence  , 
ou  à  cause  qu'indifféremment  elle  se 
donnait  à  plusieurs  (56).  Je  ne  vois 
point  que  ceux  qui  tilchent  d'excuser 
Hélène  allèguent  d'autre  raison  que 
celle-ci  5  c'est  (5^)  que  les  dieux  la 
poussèrent  à  suivre  Paris  (58).  Il  n'y 
a  point  de  crime  qu'une  telle  apolo- 
gie ne  fut  capable  de  justifier  ;  mais 
j'avoue  qu'en  prenant  le  tour  du  sco- 
liaste  d'Homère ,  on  pourrait  faire 
une  bonne  apologie.  Voici  ce  qu'il 
dit  (59).  «  Alexandre  ,  fils  de  Priant, 
»  partant  d' Asie  alfa  en  Lacedemone , 
»  où  il  fît  dessein  de  ravir  Hélène  qui 

(54)  MéYiriac,  sur  les  Epilres  d'Ovide,  pag. 
485  et  suiv. 

(55)  Alexand. ,  v.  148.  S avoir  :'  Thésée  ,  Mé- 
nélas, Pdris  ,  Deïphobus  et  Achille. 

(56)  Voyez  Canlérus  et  Meursius,  sur  le  vers 
87  de  Lycophron. 

(57)  Voyez  Homère,  au  XXIIT'.  de  l'Odys- 
sée ,  et  Enripide,  dans  les  Troadcs  ,  et  dans 
l'Andromaque  ,  cités  par  Mé/iriae ,  sur  les  Epî- 
tres  d'Ovide,  pag.  486,  487. 

(58)  Voyez  la  remarque  (X). 

(5ç))  In  XMII  lib.  Odyss.,  cité  par  McYirinc  , 
sur  les  Epitres  d'Ovide,  pag.  487. 


534 


HÉLÈNE. 


j>  l'avoit  logé  dans  son  palais.  Mais 
j,  elle  qui  estoit  bien  nourrie  ,  et  qui 
3)  airnoit  fort  son  mary ,  n'y  voulut 
3)  jamais  consentir ,  disant  qu  elle  pre- 
j)  feroit  un  mariage  légitime  a  un  hon- 
3)  teux  adultère  ,  et  qu'elle  aimoit 
3)  mieux  demeurer  avec  Menelaiis. 
3)  Ainsi,  Paris  ne  pouvant  rien  avan- 
»  cer,  on  dit  que  Venus  s'avisa  d'une 
»  ruze  ,  qui  fut  de  changer  la  figure 
3)  d' Alexandre  en  la  semblance  de 
3)  Menelaiis ,  et  trompa  Hélène  par 
3>  ce  moyen  ;  car,  croyant  que  cej'ust 
>»  le  vray  Menelaiis  ,  elle  ne  fit  point 
■)■>  de  difficulté  de  le  suivre ,  et  d'aller 
3>  jusques  vers  ses  navires  ,  où  Paris 
33  l'ayant  fait  entrer ,  mit  incontinent 
3)  les  voiles  au  vent.  Eustathius  aussi, 
j)  sur  le  même  livre  d'Homère  ,  tou- 
j)  checeste  histoire,  et  remarque  que 
3>  Pénélope  se  gouverna  bien  plus  pru- 
3)  demment;  car  encor  qu'il  luy  sem- 
3>  blast  qu'elle  reconnoissoit  Ulysse  , 
3>  si  est-ce  néantmoins  qu'elle  ne  luy 
3>  fit  aucune  caresse,  et  ne  voulut 
3)  point  coucher  avec  luy  ,  jusques  à 
3>  ce  qu'il  luy  eust  dit  beaucoup  de 
3)  particularitez ,  qu'il  lui  eust  donne' 
3)  plusieurs  marques  pour  l'asseurer 
3)  qu'il  estoit  vrayement  son  mary  , 
»  et  qu'elle  ne  pouvoit  estre  trom- 
»  pée  (6o).  » 

(K) IV' empêchèrent  pas  qu'on 

ne  lui  rendit  les  honneurs  divins, 

et  qu'on  ne  lui  attribuât  des  miracles .] 
J'ai  déjà  parlé  du  temple  que  les  Rho- 
diens  lui  consacrèrent.  Pausanias  fait 
mention  de  celui  qu'on  lui  fit  bâtir 
au  pays  de  Lacédémone  (6i).  Quant  à 
ses  miracles,  il  suffit  de  remarquer 
qu'elle  aveugla  Stésichore,  qui  avait 
osé  médire  d'elle  dans  ses  poèmes  (62), 
et  qu'elle  lui  rendit  la  vue  dès  qu'il 
eut  chanté  la  palinodie  (63).  Elle 
donna  une  beauté  extraordinaire  à 
une  fille  très-laide  ,  que  l'on  portait 
dans  son  temple  chaque  jour  (6\). 
Voyez  l'article  Achilléa,  où  nous 
avons  dit  qu'elle  était  femme  d'A- 
chille dans  l'autre  monde  ,  et  qu'elle 

(Go)  Voyez  les  réflexion*  du  Critique  de 
Wlaimbourg  ,  sur  l'aventure  d'Alcmène.  Nouvel- 
les Lettres,  pag.  284.  Voyez  aussi  pag.  277, 
378. 

(fii)  Pausan.  ,  lib.  III,  pas.  96. 

(62)  Idem  ,  ibid.  ,  pag.  102. 

(63)  Suidas  ,  in  2T»iri'^opoc,  et  anle  ipsum 
Isocrates  ,  in  Helena:  Encomio. 

(f,4)  Hcrodot.  ,  lib.  FI,  cap.  LXI. 


s'y  savait  faire  valoir.  Voyez  aussi  Iso- 
crate  au  panégyrique  d'Hélène  ;  vous 
y  trouverez  qu'elle  acquit  non-seule- 
ment l'immortalité  ,  mais  aussi  une 
puissance  divine  ,  dont  elle  se  servit 
pour  mettre  ses  frères  et  son  mari  au 
nombre  des  dieux  :  de  sorte  que  si 
Castor  et  Pollux  étaient  capables  de 
secourir  ceux  qui  pendant  les  tempê- 
tes leur  adressaient  des  prières,  c'était 
parce  que  leur  sœur  les  orna  de  cette 
puissance  ,  afin  de  prouver  à  toute  la 
terre  la  métamorphose  qu'elle  avait 
faite  sur  eux.  Ils  étaient  dans  le  sé- 
pulcre ,  et  elle  leur  conféra  la  divini- 
té. Ce  qu'il  y  a  de  louable ,  c'est 
qu'ayant  conféré  la  même  grâce  à  Mé- 
nélas ,  elle  voulut  demeurer  avec  lui 
éternellement.  Tot/ç  â.i'txqaùi  m'Jh  hol- 

Tê^OjC-lévOUÇ   Ô7T0  T«Ç  7ti7C$U>[Ai1M  ,    i>Ç  èlOUÇ 

âvnyctyi'  fiouMp.hr)  Si  wiçnv  7roitiTa.i  t»v 
/UiTO.CoXHV  ,     o'utcoç      ctùioi;     to,ç     Tiy.stç 

tVApyUÇ  'iS'OùX.iV  ,    oItS'    Opo»p.'iVOVÇ    V7T0   TCDV 

h    t»   Buxâ.T'rn  jiiv<fi/V£fovTa>v  a-céÇtiv ,   OJ 

TlViÇ  2tV  tÙo-iCÔùi  CLUTOllÇ  e7njCtf.?iSî"û>VT*l. 
MêTX  Si  TOLtlTO.  MiViKO.Ce    T02rtf.!/T»V  X<*-flv 

âsrriSoùKiv éiçi où  p.ôvoii âhXcf. 

KCt)    6iOV     Ô.VTI     6v<lTÛ!/     /TOIW0-AO"*    Ct/VOiXGV 

aùrî}  ko.)  7râ.piSpov  ik  a.7ra.MT(t  tov  a.iâvtt 
nctTiç-Yia-cLTo.  Fratres ,  quifatojam  con- 
cesserant,  inter  Deos  retulit.  Cui  niu- 
talioni  chm  autoritatem  et  fidem  af- 
ferre  vellet ,  honores  ita  manifestos 
eis  dédit ,  ut  in  mari  conspecti ,  péri- 
clitantes servent ,  auicumque  ipsospiè 
invocdrint.  Deindè  Menelao  tantam 

gratiam  retulit,  ut non  tanlum — 

sed  mortalem  ejus  sortent  divinitate 
mutârit ,  eumque  conlubernalem  sibi 
et  assessorem  in  omne  œvum constitue- 
nt (65).  Isocrate  allègue  en  preuve  la 
pratique  des  Lacédémoniens  ,  qui  of- 
fraient des  sacrifices  à  Ménélas  et  à 
Hélène  ,  non  pas  comme  à  des  héros  , 
mais  comme  à  des  dieux.  C'était  à 
Thérapne  qu'ils  leur  rendaient  les 
honneurs  divins ,  comme  l'observe  le 
même  auteur.  Mais  Pausanias  ne  dit 
point  qu'il  y  eût  un  temple  d'Hélène 
dans  cette  ville  :  il  dit  seulement  que 
celui  de  Ménélas  y  était ,  et  qu'on 
croyait  que  Ménélas  et  Hélène  y  étaient 
ensevelis  {66). 

Je  voudrais  que   Théodoret  se  fût 
fondé  sur  Isocrate ,  et  non  pas  sur 


(65)  Isocrates ,  in  Helena:  Encomio  ,  pag.  m. 
3  20. 

(66)  Pausan. ,  lib.  III,  pag.  102. 


HÉLÈNE. 


535 


Euripide,  pour  insulter  les  païens 
sur  ce  qu'Hélène  ,  si  fameuse  par  ses 
adultères ,  e'tait  au  nombre  des  dieux  , 
car  encore  qu'Euripide  ait  feint  que 
cette  femme  ne  mourut  pas ,  mais 
qu'elle  fut  e'ieve'e  au  ciel  par  une  fa- 
veur des  dieux  ,  et  gratifiée  de  l'im- 
mortalité ,  il  ne  s'ensuit  pas  que  c'ait 
été  le  sentiment  des  païens.  Les  épiso- 
des d'une  tragédie  étaient  tellement 
en  la  main  du  poète ,  qu'à  moins  d'en 
savoir  d'ailleurs  la  vérité  ,  on  ne  les 

Iirenait  que  pour  la  fiction  particu- 
ière  de  l'auteur  de  la  tragédie.  Je 
rapporte  les   paroles  de   Tnéodorct. 

K*/  T»V  'EXêVHV  <Tê,  /J-tTOl  THV  ÎT0Xt/âf!/X- 
MTOV  KCti  Tst/«rixXHV  jMOI^eïstV  ,  TOt/  Me- 
VêXsa)  ^a)piV*VTsç ,  tiç  tov  oôpetvlv,  H  <pn- 
triv   Ei/piTr/tTuc,  à.v»ya.yov  (67). 

(L)  II  n'est  point  vraisemblable  que 
Paris  ait  attendu  a  jouir  d'elle  qu'ils 

fussent dans  une  Ue.~\  Homère  qui 

lui  donne  cette  patience  ne  lui  faisait 
guère  d'honneur ,  selon  les  principes 
des  gens  galans  (68).  Or  voici  à  quel 

Î>ropos  il  conte  cette  circonstance  de 
ieu.  Paris,  vaincu  par  Ménélas,  es- 
suyait mille  durs  reproches  de  la  part 
d'Hélène.  11  la  pria  de  ne  le  pas  insul- 
ter ,  et  de  venir  au  lit  avec  lui ,  sous 
prétexte  que  jamais  il  n'avait  senti  un 
tel  feu  d'amour  ,  non  pas  même  lors- 
qu'il jouit  d'elle,  la  première  fois, 
dans  l'île  de  Cranaè'.  Là-dessus  ,  il  se 
leva  de  son  siège  pour  s'aller  coucher, 
et  fut  suivi  de  la  belle  Hélène  sans  au- 
cune répugnance. 

Où  yup  Trou    tots  y.   icTe   hpuç  <£psv*ç 

elju.Qtx.x}.u*\.tv  y 
Ot/cT'  ots  <n  TrpoTepov  Aci.x.iS'ztp.ovoç  sf 

ê/Jtf/TêlVJK. 

"Ettasov  âpirâ.£&ç  il  7rovro-7ri>ponrf  vitrtn, 
NitVœ  <P'  èv  Kpctva»  ipiynv  <fi\0T»Ti  x«J 

iùvîj  , 

"iîç   aio   vt/v    'épAy.xt ,    x.m.1  y.t  y\vx.ùç 

'IjUipOÇ   UipiT. 

'H  pat, ,  Kaù  otpXi    Xê^o?    Js    xiàv,  a.p.0, 

<f'  ÉlVêT'    ixOlTIÇ. 
Non  enim  unquhm  me  sic  amor  mentent  com- 

plexus  est , 
Ne  tune  quidem  quando  te  pridem  Lacedœ- 

mone  ex  amabili 
Navigabam    rapliî  in  Iranseuntibus  pontum 

navibus  , 
Insuld  verb  in  Cranae  mistus  sum  amore  et 

concubilu  , 

(C7)  TVieodor. ,  Tlierapeut. ,  serin.  III. 
(68)  Voyei  les  Nouvelles  de  la  République 
des  Lettre? ,  ]anv.  1GS7  ,  pag.  68. 


Sicul  te  nunc   amo  ,  et  me   dulec  detiderium 

capit. 
Dixil,  elprœibat  in  lectwn ascendens ,  simu 

autem  sequebatur  uxor  (6g). 

On  a  donné  à  Jason  une  patience  ent 
core  plus  admirable  que  ne  le  serait 
celle  de  Paris  ;  et  cela  fait  qu'on  ne 
saurait  voir  à  quoi  les  romanistes  em- 
ploient leur  jugement.  Ne  devaient- 
ils  pas  ,  sur  toutes  choses  ,  s'attacher 
à  la  vraisemblance?  Et  ne  la  violent- 
ils  pas,  lorsqu'ils  supposent,  d'un 
côté ,  que  Médée  est  si  amoureuse  de 
Jason  ,  qu'elle  se  porte  pour  l'amour 
de  lui  aux  plus  grands  crimes  ■  et  de 
l'autre  ,  qu'elle  passe  plusieurs  mois 
auprès  de  lui  sans  consommer  le  ma- 
riage ?  Remarquez  même  qu'il  n'au- 
rait pas  été  consommé  sitôt  sans  l'avis 
qu'on  donna  à  Jason.  Quem  cum  in- 
teiTogaret  Arête  ,  quidnam  esset  ju- 
dicaturus  ,  respondit  sllcinoiïs  ,  si 
virgo  jueril  Medea  ,  parenti  reddilu- 
rum  :  sin  autem  mulier ,  conjugi. 
Hoc  cum  audiuit  Arête  a  conjuge^, 
mittit  nuntium  ad  Jasonem  ;  et  is 
Medeam  noctu  in  anlro  devirgina- 
vit  (70). 

(  M  )  Ménélas  ne  détruisit  pas  ce 
monument.~\  Voici  une  chose  qui  dis- 
culperait Homère,  si  elle  était  vérita- 
ble. On  prétend  que  sur  le  rivage  de 
la  terre  ferme  qui  est  ris-à-vis  de  l'île 
de  Cranaè' ,  il  y  avait  un  temple  de 
Vénus  que  Paris  avait  fait  bâtir  après 
cette  agréable  conquête....  pour  mar- 
quer les  transports  de  sa  joie  et  de  sa 
reconnaissance .  Il  donna  a  cette  V^é- 
nus  l'attribut  de  Migonitis  ,  et  nomma 
ce  territoire  Migonion ,  d'un  mot  qui 
signifiait  l' amoureux  mystère  qui  s'y 
était  passé.  Ménélas ,  le  malheweux 
époux  de  cette  princesse ,  dix-huit  ans 
après  qu'on  la  lui  eut  enlevée,  vint 
visiter  ce  temple,  dont  le  terrain  avait 
été  le  témoin  de  son  malheur ,  et  de 
l'infidélité  de  sa  femme.  Il  ne  le  ruina 
point ,  il  y  fit  mettre  seulement ,  aux 
deux  cotés  de  la  statue  de  Vénus ,  les 
images  de  deux  autivs  déesses  ,  celle 
de  Thélis ,  et  celle  de  la  déesse  Praxi- 
dice ,  comme  qui  dirait  la  déesse  des 
chiîtimens ,  pour  montrer  qu'il  ne  lais- 
serait pas  L'affront  impuni.  Mais  il 
n'eut  pas  le  bien  de  se    voir   vengé 

(69)  Homer.,  Iliad. ,  lib.  III,  vs.  /fil.  VoyeS 
pag.  3ç)3  ,  la  citation  (45)  de  l'article  du  troisiè- 
me duc  de  Guise. 

(70)  Hjgin.,  cap.  XXIII,  pag.  m.  60. 


ï3ô 


HÉLÈNE. 


d'Hélène  :  elle  lui  survécut  (71). 
L'auteur  des  Nouvelles  de  la  Républi- 
que des  Lettres,  ayant  cite  ce  passage, 
y  joignit  la  réflexion  que  voici  (72)  : 
Ces  dernières  paroles  Jour/tiraient  une 
occasion  de  critique  h  qui  la  voudrait 
chercher  ;  car  il  est  indubitable  que 
dix-huit  ans  après  qu  Hélène  eut  été 
enlevée ,  Ménélas  s' était   vengé  aussi 


Il  n'était  point  timide  auprès  des  da- 
mes :  Hélène  avoue  qu'il  n'eût  pas  <;i<. 
retenu  comme  Thése'e,  qui  n'avait 
fait  autre  chose  que  la  baiser  : 

Quœ^  tua  nequilia  est,  non  lus  contenta  fuisset. 

Di  melius  !  similis  non  fuit  Me  lui, 
Reddidit  inlactam  (?5j. 

Paris  la   pressa  un  jour  si  vivement 


venge  aussi  ?elle  ifc  ,a  Mte  -  ^  ,.  a|()),s 
amplement  qu  il  avait  voulu  parla  Yyxn  de  ses  souliers':  le  geu  QU  fl]lc 
ruine  du  royaume  de  F  nain  ,  le  père 
duravisseur.  Il  est  donc  fort  apparent 
que  cette  image  de  la  déesse  Pra.ri- 
dice  ne  se  rapportait  pas  a  une  ven- 
geance a  venir ,  mais  a  une  vengeance 
déjà  prise,  et  il  n 'est point  apparent 
qu'elle  eût  relation  a  quelque  dessein 
de  punir  Hélène;  cal'  si  Ménélas  ne 


le  perdit  était  à  Sparte  ,  et  fut  nom* 
me  Sandalion  ,  à  cause  de  ce  sou- 
lier (76). 

(N)  Quelques  auteurs  disent  que 
Paris  ne  garda  guère  sa  proie.  ]  On 
prétend  qu'il  fit  voile  vers  l'Egypte  , 
et   qu'il  aborda  à  l'embouchure   du 


se  fût  point  réconcilié  de   bonne  foi 


Nil ,  nommée  Canopc  ,    où  il  y  avait 
un  temple  d'Hercule  qui  servait  d'à- 


avec  sa  femme,  il  naîtrait  pas  allen-  gile  aux    esclaves  f     îtifg     Quelques 

du  st  long-temps  a  la  châtier.  L  lus-  esclayes  de  p^     ,    b.^  V       H  s 

toire  de  ce  siecle-la  porte  que  cette  ar-  firenf   savoir  aux  pJrêlres   pactiofen  c^ 

Ufîcieuse  femme  fit  sa  paix  avec  son  leur  ma{tre  ?  dVj  \{  ^^  ^  ^  ro[ 

Prote'e  le  fit  arrêter  ,   et  lui  dit  bien 


,  la  nuit  même  que  les  Gre<,„ 
s'emparèrent  de  la  ville  ,  et  cela  est 
fort  vraisemblable ,  après  le  caractère 
que  l'on  a  donné  au  bon  Ménélas 
dans  l'Iliade.  Quoiqu'il  en  soit,  je 
ne  veux  ni  soutenir  d'un  côte'  qu'il 
n'y  avait  point,  proche  de  l'île  de  Cra- 
naë,  un  temple  de  Vénus  Migonitis  , 
ni  avouer  de  l'autre  que  Paris  l'ait 
fait  bâtir  pour  la  raison  qu'on  en 
donne.  Je  m'en  tiens  à  la  vraisem- 
blance :  elle  porte  violemment  à  s'i- 
maginer que  Paris  jouit  d'Hélène 
avant  qu'il  sortît  de  Lacèdèmone.  Qui 
l'en  aurait  empêche'?  Me'ne'Ias  e'tait 
dans  l'île  de  Crète  (73)  :  sa  pre'sence 
n'eut  pas  empêché  Hélène  de  favoriser 
le  bel  hôte  qui  lui  en  contait;  son  ab- 
sence était  encore  plus  incapable  de 
l'en  empêcher.  Voyez  un  peu  com- 
ment Paris  se  servait  et  se  moquait 
de  cette  absence  : 

Sed  libi  et  hoc  suadel  rébus  ,  non  voce  ,  ma- 
rilus  : 
Neve  sut   furtis  hospilis  obslet  ,  abesl. 
Non  habuil  lempus  ,  «7110  Cressia  régna  vide- 

rel  , 
/Iplius,  o  mira  calliditate  viruin  !  etc.  (74)* 

(71)  Guillet ,  Athènes  ancienne  et  nouvelle  , 
png.  G3.  Notez  qu'on  se  sert  de  ses  paroles  ,  tant 
parce  qu'il  e'crit  bien  ,  que  parce  qu'elles  four- 
nissent une  occasion  de  critique  Les  faits  qu'il 
rapporte  sont  lires  de  Pausauias,  lib.  III,  pag . 
in!t. 

(7a)  Nouvelles  de  la  République  des  Lettres , 
jrtnv.  îfîR';  ,  pag.  O7. 

(73)  Ovid.,  Epist.  llelena-.nl  Paridem.  Coln- 
iluis ,  de  Raplu  Hclcnae. 

<-\  I  Ovidius,  Epist.  Parid.  ad  Ilelcn.,  vs.  397. 


des  injures  ,  et  puis  lui  commanda 
de  se  retirer  incessamment  ;  mais  il 
garda  Hélène  avec  toutes  les  autres 
choses  qui  avaient  été  volées  à  Méné- 
las (77).  On  ajoute  que  Paris  n'avait 
joui  de  cette  femme  que  depuis  son 
arrivée  en  Egypte  (78).  C'est  un  conte 
déjà  réfuté.  Je  ne  sais  pas  bien  com- 
ment Protée  en  usa  ,  et  si  en  atten- 
dant qu'il  restituât  Hélène  à  qui  elle 
appartenait,  il  en  tira  les  faveurs  les 
plus  exquises  (79)  :  je  sais  seulement 
qu'Hérodote  trouve  fort  probable 
qu'elle  ne  fut  point  amenée  à  Troie  ■ 
car  il  ne  saurait  se  persuader  que 
Priam  eût  été  assez  aveugle  pour 
aimer  mieux  garder  cette  femme  , 
qu'éviter  les  funestes  suites  d'un  refus 
(80).  Il  croit  donc  que  les  Troyens 
répondirent  sincèrement  aux  ambas- 
sadeurs des  Grecs  ,  qu'Hélène  n'était 
point  à  Troie  ,  et  qu'il  la  fallait  cher- 
cher en  Egypte  où  le  roi  Protée  la 
gardait  (81).  Les  Grecs,   ayant  pris 

(7?!)  Idem,  in  Epist.  llelena;  ad  Paridem,  vs.  2Ç). 

(■76)  Ploleui  Hephœst.,  apud  Pliotium ,  p.  480. 

17-)  Tores  Natalis  Cornes,  Mylliol.  ,  lib.  VI, 
cap  XXIII,  pag.  m.  658.  Il  eût  dû  citer  Héro- 
dote ,  et  remarquer  que  la  tempête  contraignit 
Paris  à  relâcher  en  Egypte. 

(78)  Quam  ilcporlavit  in  JEgrptum,  atqnc  ihi 
primum  cum  illa  congretiut  sil.   Idem,    ibid. 

('".))  Hélène  le  nie  dans  le  prologue  de  la  tra- 
gédie li'Euripide  ,  intitulée  Hélène;  mais  son 
témoignage  là-dessus  est  nul. 

(80)   Ilérod'H.,  lib.  II,  cap.  CXX. 

(8iJ  Idem,  ibid.  ,  cap,  CXVllï. 


HÉLÈNE. 


537 


cette  réponse  pour  une  piquante  mo- 
querie ,  s'attachèrent  à  la  guerre 
contre  les  Troyens  :  mais  quand  ils 
eurent  pris  la  ville  sans  trouver  Hé- 
lène  nulle  part  ,  ils  crurent  qu'elle 
était  chez  le  roi  Prote'e  ;  (Je  sorte  que 
Ménélas  fît  voile  de  ce  côte-là  ,  et  y 
recouvra  sa  femme  (82).  11  y  a  une  si 
énorme  bigarrure  de  variations  dans 
les  auteurs  mythologiques  ,  que  je 
ne  m'étonne  pas  que  Servi  11  s  ait  rap- 
porté (83)  i°.  ,  que  Thésée  ayant  en- 
levé Hélène  la  remit  à  Protéus  ,  roi 
d'Egypte ,  et  que  Ménélas  la  retira 
d'entre  les  mains  de  Protéus  après  la 
guerre  de  Troie  ,  de  sorte  que  cette 
guerre  ne  vint  point  de  l'enlèvement 
d'Hélène  par  Pilris  ;  mais  de  l'injure 
que  les  Troyens  firent  à  Hercule  ,  en 
ne  le  voulant  pas  recevoir  lorsqu'il 
cherchait  Hylas  ;  2°.  qu'Hélène  fut 
retirée  d'entre  les  mains  de  Protéus , 
à  qui  Thésée  l'avait  remise ,  et  qu'elle 
passa  au  pouvoir  de  Ménélas  ,  à  qui 
P;lris  l'enleva. 

J'ai  oublié  d'observer  que  Protée 
ne  renvoya  point  Paris  sans  lui 
laisser  quelque  sorte  de  consolation; 
car  il  lui  rendit  le  portrait  d'Hélène 
(84).  L'un  des  commentateurs  de  Ly- 
cophron  applique  très-mal  à  cela  ce 
que  dit  Hélène  dans  Euripide  ,  que 
Junon  ,  pour  punir  Paris  qui  ne  lui 
avait  point  donné  le  triomphe  de  la 
beauté  ,  fît  qu'au  lieu  d'Hélène  il 
n'eut  qu'une  image  vivante  de  cette 
belle,  laquelle  image  fut  formée  dans 
les  airs. 

HpsL  £î  [/.tfJt^t.'tT  ,  tiiïviK     CÙ  VIKcL  Ôê«, 

AiJW<  ef'  oÔk   t/À,  cthK  0/WJtâs-u.T    îy.'j) 

'ElJ'aShûV   êjUCTVGt/V  ,  oJs*vo«7  çuvQht'  U7T0, 
TlpietUiU    Tl/CCtWOll    TtAtii'     X.&I    tS'OK.il  fX 

KêVflV  JWits-iv ,  OÙll.  S^ftJV. 
Sed  Juno   molette  ferens  ,   qubd  non  vicisset 

Beat-, 
Irritum  fecil  meum  conjttgium  AUxandro  : 
Dédit  enim  non  me  ,  sed  assimilalam  miki 
Imaginent  vivant,  sub  cœlo  compaclam , 
Ftlio  régit  Priami  :  pulavil  aulern  se   habere 

nie  , 
Falsd  Ofiinione    deceptus  ,    cum    non    habe- 

rel'SS). 

(82)  Idem,  ibid.;el  cap.  CXIX. 

(83)  Servius  in  hœc  verba  Virgilii      /Eneid. 
Itb.  XI  ,  ts.    26a. 

Atrides  Proici   Menelaiis  adusque  columnas. 
(8/j)  foyez    Canténis  et  Meinsiiu  sur  Lyco- 
phron,  vers  n3. 
(85,)    Eurip.  ,    in   prologo    Helcna:  ,    fs.  3i 

r«s-  3o8. 


Chacun  voit  que  la  différence  entre 
ces  deux  choses  ne  consiste  pas  , 
comme  veut  Cantérus  ,  en  ce  que 
Protée  est  l'acteur  dans  l'une  ,  et  Ju- 
non dans  l'autre.  On  peut  voir  aussi 
que  Junon  oublia  l'esprit  de  vengean- 
ce dans  cette  rencontre  :  Paris  était 
aussi  heureux  avec  une  image  vivante 
d'Hélène  ,  qu'il  l'aurait  été  avec  Hé- 
lène. Je  me  souviens  d'avoir  lu  que 
le  poè'te  Stésichorc  disait  ,  que  les 
Troyens  ne  connaissant  point  la  vraie 
Hélène  disputaient  entre  eux  touchant 
son  portrait. "CL?7rip'roT>iç'Exî'vnçiioto:>.ov 
Ctto  w  év  Tfoiot.  2<ro?i,£opo{  <$yi?i  ytvîv- 

Quemadmodum  Stesichonis  Troja- 
nos ,  inquït ,  verœ  ignaros  Helcnœ 
de  imagine  ipsius  invicem  decertdsse 
(86).  C'est  selon  la  pensée  de  quelques 
libertins  une  image  des  disputes  de 
religion. 

(0)  On  a  débité  bien  des  fables  sur 
la  naissance  d'Hélène."]  On  ne  se  con- 
tenta pas  de  dire  qu'elle  était  née 
d'un  œuf;  on  ajouta  que  cet  œuf  était 
tombé  du  ciel ,  de  la  lune  ,  et  que 
les  femmes  de  ce  pays-là  font  des 
œufs  d'où  il  naît  des  hommes  quinze 
fois  plus  grands  que  ceux  qui  habi- 
tent la  terre.  Nous  savons  cela  par 
Athénée  (87)  qui  dit,  sur  la  foi  d'Hé- 
rodore  d'Héraclée  ,  que  Néoclès  de 
Crotone  l'avait  publié  dans  quelqu'un 
de  ses  ouvrages.  Voici  quelques  faus- 
ses citations  touchant  cette  chimère. 
Cœlius  Rhodiginus  (88) ,  au  lieu  d'//<  - 
rodore  ,  a  dit  Hérodote.  Cette  faute 
a  été  copiée  par  Salmuth  (8g).  Qui  ne 
rirait  en  considérant  ces  paroles  d'un 
médecin  espagnol  ?  IVonne  admira- 
//Unis  adhuc  in  totâ  naturœ  majestate 
rarissimum  ,  quod  mulieres  quasdam 
produxerit,  qttœ  non  more  aliarum 
J'cetus  ,  sed  ova  edant  ac  incubent  , 
ex  quibus  homines  nascantur,  qui  ad 
giganleam  proceritatem  e.rcrescant  ? 
J:t  lumen  hoc  in  Selenitidis  mulieri- 
bus  accidere  référant  ex  LycostJwne 
Ravisais  Tcxtor  ,  el  ex  Herodoto  Hc- 
racleotes  ,  ut  quoque  testatur  Rhodi- 
ginus  lih.  27,  cap.  17,  licei  pro  merâ 
fabula  hoc  habeat  yldrianus  Junius  , 

(Sfi)  Plato ,  de  Republicà ,  lib.  IX  ,  pag. 
m.  738. 

(87)  Atticn.  ,  hb.  II ,  cap.  XVI,  pag.  5j. 

(8  8jAntiq.  Le;.,  Itb.  XXVII,  cap.  XVII, 
injine. 

(8i|)  Salmulli.  ,  Comment.  ,  in  Pancirolnm  de 
novis  repertis  ,  pag.  çj3. 


►38 


HÉLÈNE. 


]ib.  1  animad.,cap.  i5,  citatus  apud  sorte  sur  la  base  de  la  statue  de  Né- 

Pancirolum  part.  2  memorab.  titido  mésis,  qu'elle  semblait   amener  Hé- 

2   histor.    tamen   cum    icône   exhibet  lène  à  cette  de'esse.   Il  y  en  a  qui  di- 

(90).   N'est-ce  pas    bien    commencer  sent  (93)  que   Némésis  engrossée  par 

sescitations,  que  de  produire  d'abord  Jupiter  pondit  un  œuf,  et  que  Le'da 

Lycosthène  ,  qui  vivait  au  XVI  siècle  ?  ayant  trouvé  cet  œuf  le  couva ,  et  en 

N'est-ce  pas  une  étrange  bévue  ,  que  fit  éclore  Castor  et  Pollux  et  Hélène, 

de  mettre  Ravisius  Textor  après  Ly-  D'autres  disent  (94)  que  Jupiter  ,  ne 

costhène  ;    celui  ci   plus  jeune    que  pouvant  venir    à    bout  de  Némésis  , 

l'autre  ,  et  l'abréviateur  de  l'autre  ?  fit  prendre    à   Vénus  la  forme  d'un 

Quel  saut  de  remonter  tout  d'un  coup  aigle  ,    et    se    métamorphosa  en  un 

à  Hérodote?  Quelle  confusion  de  pren-  cygne  qui  fuyait  devant  cet  aigle.  Il 

dre  Hérodore  pour  Hérodote  ?  Quelle  s  alla  poser  sur  le  giron  de  Némésis , 

fiction  de  nous  donner  un  Héracléo-  et  y  fut  très-bien  reçu  :  la  belle  l'em- 

tès   qui   ait  cité  Hérodote  ?    N'est-ce  brassa  ,   et  s'endormit.  Le  prétendu 

pas  trouver  deux  auteurs   où  celui  cygne  profitant  de  ce  sommeil  jouit 

qu'on    cite  n'en    donne    qu'un  ?  car  d'elle;   et,  parce  qu'il   le  fit  sous  la 

Cœlius  Rhodiginus  a  dit  nettement,  forme    d'un   oiseau,    l'ordre    voulut 

Hevodotus  Hevacleoles.    Quelle   ma-  que  Némésis  pondît  un  œuf.  Mercu- 

nière  de  raisonner  est  celle-ci  :  encore  re  prit  cet  œuf,  et  le  porta  à  Lacédé- 

qu'Hadrien  Junius  traite  cela  de  pure  mone  ,  où  il  le  jeta  au  sein  de  Léda. 

fable  ,  Lycosthène  ,  Ravisius  Textor ,  Ainsi  fut    produite  la  belle  Hélène  : 

Hérodote  ,  Héracléotès  ,  Rhodiginus  ,  ce  fut  la   raison  pourquoi   Léda  la 

n'ont  pas  laissé  de  le  rapporter?  Com-  prit  pour  sa  fille.  JYemesis  autem  ut 

ment  est-ce  que  l'autorité  de  ce  Ju-  quœ    avium  generi  esset  juncla  men- 

nius  aurait  arrêté  les  autres ,  lui  qui  sibus    actis   ovum  procreavit  ,    quod 

a  vécu  après  tous  les  autres  ,   si  l'on  Mercurius  auferens  detulit  Spartam, 

en  excepte  Lycosthène?   Mais   rêve-  et  Ledœ  sedenti  in  gremium  projecit  , 

nons  à  Hélène.  ex    quo    nascitur  Helena  ,    cœleras 

Quelques   anciens   poètes    ont    dit  coiporis  specie  prœstans ,  quam  Leda 

qu'elle    était   fille   de  Jupiter  et  de  suam  fi  liant    nominavit  ($5)  Auso- 

Némésis  ,  et  que  Némésis ,  pour  sega-  ne  (96)  a  suivi  la  distinction  que  l'on 

rantir  des  recherches  importunes  de  mettait  entre  Némésis  et  Léda. 
Jupiter,  s'enfuit  par  mer  etpar  terre ,  Jstos  te  -n0  {Q1)  nasci  quOS cernis ah  ovo, 
et  se  déguisa  en  toutes  sortes  de  for- 
mes 5  mais  enfin  par  une  force  ma- 
jeure Jupiter  la  rendit  enceinte  ,  pre- 
mièrement de  Castor  et  de  Pollux  , 
et  puis  d'Hélène. 


Palribus  ambiguis  et  malribus  assere  nalos. 
Hos  genuit    Nemesis  :  sed    Leda  puerpera 

fovit  : 
Tyndareus  pater  his ,  et  Jupiter.  Hic  pulat , 

hic  scil. 

Voilà  bien  des  auteurs  pour  ce  sen- 

Tm'v  7ron  kakkIko/^o!  tiif/.zriç  <î>iAotmti    tinrent  :    mais   il  n'y   en  pas   moins 

fjtiyuTct. 

Zîïvi  Ôtwv  y2*a-ixî)i,  TêJcsv  x.pa.'rtpn;  V7T 

etva.yx.iic. 
Auricoma.    hanc  Nemesis  peperit  compressa 

tonante 
Ab  Jove  vi  (91) 


qui  disent  que  Léda  fut  la  vraie  mère 
d'Hélène.  Le  même  Hygin  que  j'ai 
cité,  ayant  dit  qu'il  y  avait  aussi  une 
tradition ,  que  Jupiter  converti  en 
cygne  eut  affaire  avec  Léda  ,  ajoute 
qu'il  n'a  rien  à  répondre  là-dessus  , 

Nous  lisons  dans  Pausanias  (92)  que  ,     de    qu0    in   me(jio    reHnquimus  (98). 

selon    l'opinion    commune  ,    Hélène    c'est  cru'il  voyait   autant  de  raisons 

était  fille  de  Jupiter  et  de  Némésis  ; 

et  quant  à  Léda  ,  elle  n'était  que  sa 

nourrice.  Phidias  ,  se    conformant  à 

la  tradition ,  représenta  Léda  de  telle 

(go)  Caspar  à  Reies  ,  in  Elysio  jucuiularum, 
Quajst.  Carapo  ,  Quœst.  XLVII  ,  nitm.  i4  , 
paç.  m.  58 1. 


ju  il  voyait 
d'un  côté   que  d'autre.  Théon  d'A- 

(q3)  Interpres  Callimaclii,  apud  Hadrian.  Ju- 
niura  ,  Animadv.  ,  lib.  I ,  cap.  XV. 

(f)/|)  Hygin.  Astronom.  ,  lib.  II,  cap.  VIII. 
(gf>)  Hygin. ,  ibidem. 
(<)6)  Auson. ,  epigram.  LVI. 
(97)  Ce  mut  fait  noir  qii'Aasone  parle  aussi 
d'Hélène  ,  et  qu'il  ne  fallait  pas  dire,  comme  a 
(91)  Tarasinus  rive  Stasinns  in  Carminé  de  fait  Hadrien  Junius,  Ànimadv.,  hb.  I,  cap.  XV, 
Rcbus  Cypiiacis  ,  apud  Hadrianuin  Juniuin  ,  Consentit  et  Ausouius  poëta  de  Castore  el  Pol- 
Animadv;  ,  /,/,.  1  ,  cap.  XV.  liiee  loquens. 

(9-)  Pausanias,  lib.  I  ,  pas-  32.  fi|s)  Hygin.  Astronom.  ,  lib.  II ,  cap.  VIII ■ 


HÉLÈNE. 


53g 


lexandrie  remarque  que  Jupiter  con- 
verti en  cygne  coucha  avec  Némésis , 
selon  quelques-uns ,  et  avec  Léda  , 
selon  quelques  autres;  et  qu'Hélène, 
Castor  et  Pollux  naquirent  de  l'œuf 


vait  citer  Lucien  (io5),  et  le  scoliaste 
d'Homère (106).  Ce  scoliaste  dit  une 
chose  que  hien  d'autres  ne  disent 
pas  ;  c'est  que  l'œuf  que  Léda  pon- 
dit,   et  qu'elle    mit  dans  un   coffre, 


que  Léda  pondit  (99).  Pausanias,  qui  ,    y  produisit  Castor ,  Pollux  et  Hélène 
comme  on  l'a  vu  ,  rapporte  la  tradi-    sans  être  couvé 


tionqui  concerne  Némésis  ,  rapporte 
en  un  autre  endroit  (100)  la  tradition 
qui  concerne  Léda  ,  et  il  remarque 
même  qu'on  en  voyait  un  monu- 
ment dans  un  temple  de  Lacédémo- 


Pour  conedier  ces  deux  opinions  , 
Junius  suppose  que  Némésis  et  Léda 
sont  une  même  personne  ,  et  il  cite 
sur  ce  sujet  Lactance  (107)  ,  et  le 
scoliaste   d'Euripide  et   Germanieus. 


[s  pi 
is  de 


ne  (101);  car  on  y  voyait  à  la  voûte  Les  paroles  du  dernier  sont  très-clai- 
u n  œuf  suspendu  et  attaché  à  des  ru-  res.  Cygnttm  dicuni  inter  astra  con- 
bans  ,  lequel  passaitpour  celui  de  Lé-  stitutum  eo  quod  Jupiter  in  Cygnttm 
da.Isocrateparlepluspositivement.il  transfiguratus  evolaverit  in  /{hum- 
reconnaît  deux  métamorphoses  de  Ju-    nuntem  Atiicœ  regionis ,  ibique  com- 

Siter  en  cygne  ,  l'une  par  rapport  a  prvsserit  Nemesin  quœ  et  Leda  dici- 
émésis,  l'autre  par  rapport  à  Léda.  tur,  ut  refert  Crûtes  tragœdiarum 
Kt/xvoç  ^êvi^ïvoçêiçTowçNÉjWSîrsûiçxôxîrot/ç  scriplor,  quœ  enira  est  ovum  ,  undc 
x.a.r'iqv'ii'  Tot/TûxTs  7râ\tv  ô/zoïaiSêiç,  An'-  natn  est  Helenn  (108). 
<T*v  ht/fAQtu<rtv.  O loris  figura  in  si-  Je  ne  finirai  point  cette  remarque , 
num  JYemeseos  confugit,  atque  ite-  sans  dire  que  Jupiter  ,  qui  avouait 
rum  ejusdem  avis  speciem  chm  liabe-  pour  ses  fils  plusieurs  garçons  qui 
ret  Ledam  sibi  despondit  (102).  Cela 
étant ,  il  n'y  a  nul  doute  qu'il  n'ait 
prétendu  qu'Hélène  naquit  de  la  se- 
conde métamorphose.  Euripide,  dans 
la  tragédie  d'Oreste,  assure  très-net- 
tement que  Léda  était  la  mère  d'Hé- 
lène ;  et  il  donne  à  celle-ci  les  épi- 
thètes  d'ôpviâô^ovoc  et  de  x.uKvu7rrtpoç , 
qui  marquent  la  métamorphose  de 
Jupiter  en  cygne.  Je  ne  me  sers  pas 
de  l'autorité  de  Plutarque  ;  car  par 
l'œuf  de  Tyndare  il  peut  avoir  en- 
tendu celui  que  Mercure  fut  jeter  au 
sein  de  Léda.  En  effet  il  remarque 
que  cet  œuf  tomba  du  ciel  (io3)  : 
ainsi  Hadrien  Junius  ne  devait  pas 
alléguer  Plutarque  en  faveur  de  la 
seconde  opinion.  Ovide  a  été  hien 
allégué  ,  puisqu'il  introduit  Léda 
couchée  sous  les  ailes  d'un  cygne. 
Ovidius  quoque  Ledam  recubantem 
facit  sub  olorinis  alis (10^).  On  pou- 

(99)  Tlieon  Alexandrinus  ,  in  Aratcis  Com- 
mentai-lis ,  apud  Hadr.  Junium  ,  Animadv.  , 
lib.  I,cap.  XV. 

(100)  Lib.  III,  pag.  97- 

(101)  Hadr.  Junius  croit  sans  raison  que 
Pausanias  met  ce  temple  dans  la  ville  d'Amj- 
clès. 

(101)  Isocrat. ,  in  Helenae  Encomio. 

(lo3)    XÔ   TwS'ct.pitOV    01   TTOMTCti   XS^OUCTIV 

oJpstvo7r«Têç  stv«.<|>t/v«.i.  Plutarch. ,  Sympos. , 
lib.  II,  cap.  III,  pag.  637. 

(io4)  Hadr.  Junius,  Auimadv.  ,  lib.  I,  cap. 
XV.  Voici  les  paroles  «/'Ovide  : 

Fecil  olorinis  Ledam  recubare  sub  alit. 
Mctam. ,  lib.  VI,  M.  10g. 


étaient  sortis  de  son  commerce  avec 
les  femmes  ,  ne  reconnut  pour  sa  fille 
que  la  seule  Hélène.  Je  parle  des  fil- 
les issues  de  ses  amours  pour  des 
femmes.  C'est Isocrate  qui  ledit  (109). 
Je  laisse  là  ceux  qui  prétendent 
qu'Hélène  était  fille  de  Vénus  ,  ou  du 
Soleil  et  de  Léda  (110). 

(P)  Les  inventions  que  l'on  attri- 
bue a  sa  plus  Jîdèle  servante  sont 
un  litre  d  infamie .]  On  prétend  qu'elle 
inventa  je  ne  sais  quelles  postures, 
et  qu'elle  écrivit  même  sur  cette  ma- 
tière. Je  m'expliquerai  plus  claire- 
ment en  latin  par  les  termes  de  Léo- 
nicus  Thomacus.  Astyanassa  quœ- 
damnomine,  dit-il  (m),  inter  He- 
lenœ  ministras  et  famulas  fiasse 
commemoratur ,  quœ  dominant  a  The- 
seo  pnmùm,  posteit  a  Paride  raptam 
semper  prosequuta  est  :  hanc  in  Ve- 
nereâ pal œstrd  primant  complures  re- 
périsse  figurarum  modos  omnis  per- 
hibet  antiquitas.  J^oluminibus  (juin- 
eliam  quibusdam  editis  de  vanis  con- 

(io5)  In  Dearum  Judicio  ,  pag.  170,  tom.I. 
(io6)  luOdyss.,  lib.  VII, 

(107)  Instit.  ,  lib.  I ,  cap   XXI. 

(108)  Germanieus  Cœsar  ,  m  Arat.-cis  Phwno- 
menis,  pag.  m.  116. 

(109)  In  Encomio  Hclena;. 

(110)  Plol.  Hepbœsl.  ,  apud  Pliolium  ,  pag. 
48o. 

(m)  Nicolaiis  Leonicus  Tliomrrus,  de  variî 
Historié  ,  lib.  III,  ca,,.  XXXI  II  devait  citer 
Suidas. 


54  < 


HELENE. 


cubitds  generibus  perscripstsse   nnr-  santés  nations  s'entre-désoleiU    pen- 

ratur,  quam  postmodkm  Philenis  et  dant  dix  ans  pour  l'amour  d'elle.  Cela 

Elephantis  pervidgalissimœ  mulieres  n'est-il   pas   bien  merveilleux?  Paris 

surit  insequutœ,  qucehujusmodide  re-  ayant  été  tué  quelque  temps  après 

bus  non  minus  accuratc  ,    quam  tur-  il  s'éleva  une  dispute  très-chaude  en- 

piter  conscripta  commentaria relique-  tre  ses  deuxfrères  ,  à  qui  se^marierait 

re.  Si   cela  est  vrai,  il  en   rejaillit  avec  sa  veuve.    Priam  leur  ordonna 

une   extrême    ignominie  sur  la   mé-  le  combat,  et  la  promit  à  celui  qui 

moire  d'Hélène  :  car  il  est  probable  remporterait  la  victoire.    Déiphobe 

que  si  la  servante  donnait  des  leçons  se  battit  le  mieux  de  tous ,  et   eut 

.1   sa  maîtresse,    celle-ci    lui   faisait  Hélène  (n4).   L'un  de  ses  frères  (i  i5) 

confidence  de  leur  eflet,  et  que  par-  fut  si  outré  de  l'exclusion,  qu'il  sor- 

là  Hélène  et  Astyanasse   avaient  tra-  tit   de   Troie ,   et  qu'il  contribua   de 

vaille  de  concert  à  perfectionner  ces  toutes  ses  forces  à  la  ruine  de  sa  pa- 

maudites  inventions.    J'ai    lu     dans  trie.  Cela  ne  prouve-t-il  point  qu'Hé- 

Photius  (na)   qu'Astyanasse    déroba  lène,âgée  de  soixante  ans, était  encore 

une  ceinture  brodée  queJunon  avait  .un  prodige  de  beauté?  Lucien  prou- 

obtenue  de  Vénus ,  pour  la  donner  à  ve  qu'au  temps  du  siège    de   Troie, 

Hélène  ;  mais  que  Vénus  l'ôta  à  cette  c'était    une  vieille  femme,    et  pres- 

servante.  que    aussi   vieille   qu'Hécube.    EÏSov 

(Q)  Si   les   auteurs avaient  yà.p   àsi/hmv  juzv   tiv*  naù    sTri/Anx»   tgv 

été  bons   chronologues ,    la   durée  de  Tpcî^HX&v  ,    âç    ùx.â.Çtiv    rÔmov     Bi/ya.- 

sa    beauté   serait  prodigieuse.  ]    On  Ttpa.   i7va.r    t«!m*   Si  ttÔmv  irpi^ÙTtv, 

prétend  qu'Hélène  et  Castor   furent  mmkicÙtiv  o-XtSov  r'tiç  'EkÔlC»;.  Siquidem 

éclos  d'un  même  œuf.  On  peut  donc  vidi   quandam    candidd    et   procerd 

supposer  raisonnablement  qu'Hélène  ceivice  ,  ut  crg/io  prognalam  illam 

était  une  fille  faite  quand  les   Argo-  hinc  conjicerent.  Cœlerum  anum  Ile- 

nautes  allèrent  à  Colchos*  ■  car    ses  cubœ  propemodiim  œquœvam  (116). 

deux  frères  se  signalèrent  dans  cette  Elle  aurait  été  beaucoup  plus  vieille 

lameuse     expédition.    Donnons    lui  qu'Hécube  ,  s'il  était  vrai ,  comme  on 


vingt  ans  pour  le  moins,  ce  n'est  pas 
trop.  N'abusons  point  de  l'erreur 
d'Eusèbe  :  j'en  parlerai  ci-dessous. 
Prenons  la  chronologie  la  plus  exacte. 
On  compte  environ  trente  ans  entre 
cette   expédition  ,  et  celle  de  Troie 


le  disait  (117),  qu'Hercule  était  le 
dernier  enfant  de  Jupiter.  Notre  éton- 
nement  sur  une  beauté  si  âgée  cesse- 
rait ,  si  nous  pouvions  croire  ce  qu'on 
conte  ,  qu'Hélène  par  une  insigne 
prérogative  était  exempte  de  la  dure 


Hélène  avait  donc  cinquante  ans  plus  nécessité  de  vieillir  (1 18)  ;  mais  tout, 
ou  moins  lorsque  Paris  l'enleva.  Le 
siège  de  Troie  dura  dix  ans ,  et  ce 
fut  l'année  dernière  de  ce  siège  qu'A- 
gamemnon  et  Acbillese  querellèrent. 
Or  il  faut  rapporter  au  temps  qui 
suivit  cette  querelle  l'admiration  des 
conseillers  de  Priam  (u3)  pour  la 
divine  beauté  de  cette  femme.  Voilà 
donc  Hélène  qui  ,  à  l'âge  de  soixante 
ans  ,  oblige  par  l'éclat  extraordinaire 
de  sa  beauté  tout  un  sénat  à  confes- 
ser qu'elle  est  digne   que  deux  puis- 

(112)  Pliotius  ,  ex  Ptolem.  Heplizest.,  p.  480. 

*  Joly  ,  d'après  une  leltre  insérée  pag.  172  et 
suivantes  du  tome  XI  des  Jugemens  sur  quel- 
ques ouvrages  nouveaux  ,  remarque  qu'il  n'y 
a  jamais  eu  ni  ville  ni  province  qui  s'appelât 
Colclios.  La  capitale  de  la  Colcliidc  se  nommait 
3Ea  O'i  Fa.  Joly  ajoute,  au  reste,  que  celte  faute 
est  'commune'à  un  grand    nombre  d'écrivains  du 

Suemier  ordre.   Klle  se  trouve  entre  autres  dans 
lacbel  de  Méziriac. 

1 1 1  3)  J'ai  rapporté  ci-dessus  ce  qu'il*  dirent, 
remarques  (\) ,  citation  (7). 


le  monde  n'en  demeure  pas  d'accord. 
«  L'on  dit  d'Hélène  que ,  sur  la  fin  de 
»  sa  vie ,  toutes  les  fois  qu'elle  se 
»  voyait  dans  son  miroir,  elle  cber- 
')  chait  avec  étonnement  ce  qu'elle 
»  était  devenue ,  et   se  plaignait  du 

("4)    'A\i£&.vSpOV    TO^êt/SêVTOÇ    V7T0     <Sfl- 

XoKrnTOv ,  Tlpla-jucç  tgv  cE\êvwç  •j.ctywov 
IVatOxov  'îQYix.i  rcè  à.ptçtvirtt.v'n  xat/rà,  f»v 
/J.Ô.XVIV.  Ahi^oCoç  Si  yivvsùoç  àyUVIVol/ULi- 
voç  'îytifA.iv  at/TMv.'H  içopiai  vetpat  Auxo- 
typovi  Scholiastes  Homeri  ,  in  Iliados  lib.  ulli- 
tnum,  vs.  25i. 

(n5)  II  se  nommait  Hele'nus.  Voyez  la  Tii— 
blioth.  de  Pliotius  ,  aux  Extraits  de  Conon  , 
pag.  44i. 

(11G)  Lucian.,  in  Gallo,  Operum  loin.  II, 
VaS-  m     25«- 

(117)  Diodor.  Siculus ,  lib.  IV,  cap.  XIV. 

(,i8)  •  •   •  Tnv  ph  4>a.rK  ipy-iv  à,yipw. 

Nam  et  teneclœ  haud  obnoxiam  esse   faina 
perhibe.lur. 

Quintus  Calaber,  lib.  X,  vs.  3i2. 


HÉLÈNE. 


54, 


)>  temps  qui  avait  été  son  troisième  pressa  non  sit,  opininô  ridicula  sen- 
»  ravisseur,  et  avait  enlève  Hélène  tentia  efficitur.  A  uni  quo  remotior 
>;  à  Hélène  même.»  J'ai  lu  cela  dans  fuerit  raptus  Helertœ  ,  eb  credïbilior 
le  livre  d'un  jésuite  dont  le  style  est  erit.  Contra  quo  propior  liis  tempo- 
fort  guindé  (1 19).  Un  autre  moderne  ribus  ,  eb  remotior  a  Trojee  excidio  , 
nous  va  raconter  ce  fait  presque  de  idebque  minus  credibile  Helenœ  tem- 
la  même  manière  (120)  :  Celle  dont  pus  in  hujus  sœculi  tfactum  inilicissc. 
vous  parlez  mérite  d'être  regardée  Cette  critique  me  paraît  très-fausse  , 
d'un  œil  tel  qui;  le  vôtre,  f^ous  y  et  plus  je  l'examine  ,  plus  j'en  suis 
veiTez  bientôt  un  autre  changement  surpris.  Je  ne  nie  point  que  la  parti- 
fort  opposé  h  celui  (in)  qui  vous  a  cule  négative,  dont  la  suppression 
donné  tant  d'étonnement.  C'est  celui  est  une  faute  de  saint  Jérôme  ,  selon 
qu'un  peu  d'années  vous  feront  ne-  Scaliger,  ne  puisse  faire  un  bon  sens , 
marquer;  celui  qui  faisait  pleurer  niais  je  ne  saurais  comprendre  que  le 
Hélène  a  son  miroir  ;  et  le  même  qui  sens  soit  ridicule  quand  on  supprime 
l'obligeait  a  nommer  le  temps  son  la  négation  ;  et  au  contraire  l'objec- 
troisième  ou  quatrième  ravisseur,  car  tion  d'Eusébe  me  semble  plus  intel- 
ie  nombre  n'en  est  pas  bien  constant,  ligible  à  toutes  sortes  de  lecteurs  sans 
Etrange  sorte  de  rapt,  ou  l'on  voit  la  particule  négative,  qu'avec  cette 
Hélène  enlevée  à  Hélène  même  ;  et  particule.  Le  but  d'Eusébe  est  de 
celle  que  les  trois  parties  du  mon/le  ,  prouver  que  ceux  (fui  ont  tlit  que 
<///<  faisaient  son  tout  alors,  recon-  Castor  et  Pollux  ,  frères  d'Hélène, 
nurent  pour  la  plus  belle  de  son  siè-  avaientété  du  voyage  des  Argonautes, 
cle  ,  chercher  son  visage  dans  une  et  que  Thésée  enleva  Hélène  jeune 
glace  de  miroir  qui  ne  lai  représente  fdle  encore  ,  ont  mal  accorde  les 
plus  rien  que  daffreux.  Cette  pen-  temps. 'Si  Castor  et  Pollux,  dit-il  ,  ont 
sée  est  assez  conforme  à  deux  vers  été  du  nombre  des  Argonautes  ,  com- 
d'Ovide  (122).  ment  se    peut-on    persuader    qu'ils 

Je  dois  avertir  que  si  nous  suivions  soient  les  frères  d'Hélène,  qui  fut 
la  chronologie  d'Eusébe,  nous  trou-  enlevée  fille  par  Thésée  plusieurs 
verions  qu'Hélène  avait  vécu  plus  années  après  ?  Les  lecteurs  les  plus 
d'un  siècle  lorsque  Paris  l'enleva  ;  stupides  sentent  la  force  de  i'obiec- 
car  ,  selon  Eusèhe  ,  l'expédition  des  tion  sans  avoir  besoin  de  raisonner 
Argonautes  précéda  de  quatre-vingt-  sans  recourir  ailleurs  qu'aux  seules 
neuf  ans  la  prise  de  Troie.  Il  a  bien  paroles  d'Eusébe  •  mais  si  l'on  sup- 
vu  le  mécompte  des  auteurs  grecs  ,  pose  avec  Scaliger  qu'Eusèbe  s'est 
c'est  pourquoi  il  leur  fait  celte  ob-  exprimé  de  cette  façon  :  Si  Castor  et 
jeetion  :  Siinler  ylrgonautasfuerunt  Pollux  ont  été  du  nombre  des  .-4rgo- 
Castor  et  Pollux  ,  quomodo  potest  nautes  ,  comment  se  peut-on  persua- 
eorum  soror  Helena  credi  quœ  post  der  qu'ils  soient  les  frères  d'Hélène 
mullos  annos  virgo  rapilur  a  Theseo  qui  fut  enlevée  fille  par  Thésée,  peu 
(i23)  ?  Considérez  bien  la  remarque  d'années  après?  chacun  voit  que 
de  Scaliger  sur  ce  latin  :  In  Grœcis  ,  pour  sentir  que  ce  soit  une  objection, 
dit-il  (124),  »  //«Tu)  /utTciL  7ro\\x.  stm  il  faut  ôter  de  devant  ses  yeux  les 
■7raf9êvoç  â.pn ■âZ,îrx su ,  qure  non  mullis  paroles  qui  la  contiennent ,  et  recou- 
post  annis  virgo  capitur.  Sive  culpâ  rir  à  des  raisons  et  à  des  calculs  que 
lihrariorum ,  sive ,  quod.  verosimilius,  l'on  trouve  dans  les  pages  suivantes  ■ 
Hieronymi  properantiâ  accidit  ,  ut  " 
negatio  in  latiiui  interpretatione  ex- 

(119)  Dans  les  Peintures  morales  du  père  le 
Moine. 

(120)  La  Mothe-le-Voyer  ,    Lellre    CXIV  , 
pag.  14  du  tome  XII. 

(121)  Il  parle  d'une  laide  devenue  belle. 

(122)  Fiel  quoque   ut  in  spécula    rugas  con- 
spexil  aniles 

Tyndaris,  et  secum  cur  sit  bis  rapla  ,  réouvrit. 

Ovicl.,  Melamorpb.  ,  lib.  XV,  ij.33î. 
("i23)Euseb.  in  Chrome.  ,  num.  -5ti. 
(124)  Animadv.  in  Eiisebinm,  num.  nS6,  pag. 
m.  4-. 


car  si  l'on  ne  considérait  que  les  ex- 
pressions d'Eusébe  ,  on  s'imaginer,  il 
qu'il  raisonne  mal  ,  et  que  ce  qu'il 
donne  pour  preuve  porte  le  contraire 
de  sa  prétention. 

Voici  d'autres  paroles  de  Scaliger 
qui  ne  me  paraissent  pas  justes.  Il, 
hoc  tempore  (ia5)  ,  dit-il  (126),  ad 

[  '5)  C'est-à-dire,  depuis  le  nombre  -5<ï 
(i'Eusebe  :  mais  je  m'e'tonne  que  Scaliger  nail 
/mua  pnt  garde  fu'Eusèbe  avait  déjà  parlé  de 
l'expédition  ,/pi  argonautes,  sous  te  nom/ , 

(126)  Aninia.l    /;,  I  usebium  ,  pag,  ]ti. 


54^ 


TiÉLÈNE. 


excidium  I/ii ,  anni  su/it  LXXIX  , 
ut  Helenam  admodian  anum  fuisse 
oportuerit,  si  Argonautica  hoc  tem- 
pore  contigerunt.  Nam  adidtis  Cas- 
toribus  ,  Helenam  quoque  maturam 
viro  fuisse  necesse  est.  Quod  si  Ar- 
sonaulica  hic  collocentur  ,  tempore 
e-rcidii  Iliaci  Helena  fuerit  major 
annorum  CXX.  Hoc  est  quod  objicit 
Eusebius  et  merilô.  C'est-à-dire  ,  s'il 
y  a  soixante  et  dix-neuf  ans  entre  le 
voyage  des  Argonautes  et  la  prise 
de  Troie  ,  il  faut  qu'Hélène  ait  eu 
plus  de  cent  vingt  ans  lors  de  la  prise 
de  Troie.  Quelle  conséquence  !  Est- 
elle digne  du  grand  Scaliger?  Est-il 
nécessaire  qu'une  fille  ait  plus  de 
quarante  ans,  afin  que  l'on  puisse  dire 
qu'elle  est  prête  à  marier  ,  matura 
viro  ?  C'est  l'expression  de  l'auteur 
que  je  réfute. 

Il  a  beaucoup  mieux  réussi  dans  la 
critique  des  calculs  d'Eusébe  ;  car  il 
n'est  pas  vrai  que  l'expédition  des 
Argonautes  et  celle  de  Troie  soient 
éloignées  l'une  de  l'autre  autant 
qu'Eusèbe  se  l'imagine.  Mais  il  est 
sûr  qu'Eusèbe  a  suivi  de  très-fameux 
écrivains  ;  et  par  conséquent  je  puis 
soutenir  que  si  les  anciens  auteurs 
qui  parlent  d'Hélène  avaient  été  de 
bons  cbronologues  ,  la  durée  de  sa 
beauté  serait  prodigieuse  ,  car  elle 
passerait  un  siècle.  Voyons  un  peu 
les  calculs  que  Clément  d'Alexandrie 
a  empruntés  d'Apollodôre,  et  de  quel- 
ques autres  célèbres  historiens.  Dans 
un  endroit  (127)  il  nous  dit  qu'il  se 
passa  trente-huit,  ans  depuis  qu'Her- 
cule eut  commencé  de  régner  dans 
Argos  ,  après  l'expédition  des  Argo- 
nautes ,  jusqu'à  sa  déification  ,  et 
que  Castor  et  Pollux  furent  déifiés 
cinquante-trois  ans  après  Hercule , 
environ  le  temps  que  Troie  fut  prise. 
C'est  mettre  quatre-vingt-onze  ans 
entre  le  voyage  des  Argonautes  et  la 
prise  de  Troie  ,  et  donner  à  Hélène 
cent  ans  plus  ou  moins,  au  temps  que 
Paris  l'enleva  sur  le  pied  d'une  beauté 
accomplie.  Dans  un  autre  lieu  (128) 
ce  même  père  fait  une  supputation 
qui  met  soixante-huit  ans  entre  l'en- 
lèvement d'Hélène  par  Paris,  et  l'ex- 
pédition des  Argonautes. 

(R)  Voyez   dans   Hérodote    le  cas 

(127)  Clemrns  Alexandr.  ,   lib,  T  ,  Stromat.  , 
pag.  3aa,  ex  Apollodoio. 
(i28)  Ibidem,  pag.336. 


qu'il  fiiut  faire  d'une  femme  qui  sr 
laisse  enlever.]  Hérodote  ,  remontant 
jusqu'à  la  première  origine  des  guer- 
res qui  ont  tant  duré  entre  l'Europe 
et  l'Asie  ,  reconnaît  les  Asiatiques 
pour  les  agresseurs  ,  en  tant  qu'ils 
enlevèrent  lo  ,  fille  d'Inachus  ,  roi 
d'Argos  (129).  Les  Européens  (i3o)  , 
qui  enlevèrent  la  fille  du  roi  de  Tyr  , 
ne  le  firent  que  par  droit  de  repré- 
sailles. Ils  n'en  demeurèrent  point  là, 
ils  entreprirent  un  second  enlève- 
ment, savoir  celui  de  Médée,  fille  du 
roi  de  Colchos.  Ce  prince  leur  fit 
demander  satisfaction  de  cette  injure  : 
on  lui  répondit  qu'ils  n'en  feraient 
point,  puisqu'ils  n'en  avaient  jamais 
reçu  au  sujet  d'Io.  L'enlèvement  d'Hé- 
lène fut  entrepris  en  représailles  ;  et 
quand  les  Grecs  la  redemandèrent,  on 
leur  répondit  qu'on  userait  envers 
eux  ,  comme  ils  en  avaient  usé  envers 
les  Asiatiques  qui  redemandaient 
Médée.  Us  ne  s'arrêtèrent  pas  à  cette 
réponse  5  ils  levèrent  une  grande  ar- 
mée ,  et  allèrent  ruiner  le  royaume 
de  Priam.  Voilà  ce  que  les  Perses 
faisaient  valoir  pour  justifier  leurs 
guerres  :  ils  prétendaient  que  l'expé- 
dition de  Troie  leur  donnait  droit  de 
tenir  les  Européens  pour  ennemis  , 
et  de  les  traiter  sur  ce  pied-là.  Ils 
désapprouvaient  la  violence  de  ceux 
qui  enlèvent  une  femme  ,  mais  ils 
prenaient  pour  des  sots  ceux  qui  s'a- 
musent à  la  recouvrer  ,  et  pour  des 
gens  sages  ceux  qui  la  méprisent , 
attendu  qu'on  n'enlève  que  celles  qui 
le  veulent  bien.  Quant  à  nous  ,  di- 
saient-ils ,  nous  n'avons  jamais  eu 
d'égard  aux  femmes  que  l'on  enlevait 
d'Asie  ;  ce  sont  les  Grecs  qui  ont 
commencé  de  faire  la  guerre  pour  les 
intérêts  d'une  femme  de  Lacédémone. 
Ta  y.év    vt/v    dLp7ra.Çuv  yuvctÏKctç,  etvJ'pûv 

cLS'lKUi))    loVOV    VOyWlÇêlV    ÙVttl,TQ   <fê    tt/>W*!T» 

ôeio-saiv  (T7rové'iiv  7Tbiï\o-a.p$a.i  <rif/.aiptitv , 
àvoiÎTffiv ,  to  cfs  /nit^i/mlnv  cïipnv  ê^êlV  Ùp- 
vrttcrQtiïîcev  ,  craxÇpovaiV  JîiXa.  yetp  S»  ot» 
il  fjiïi  ctùrcti  èCovxéttTO,  oÙk  aîv  àpTrêiÇov- 
Tu'  erqiitç  f/.ev  <fw  toc/ç  ik  t»ç  'Aa-înç  xs- 
yovtn  Wipo-cLi  â.p7ra.Ço/uivîa>v  Tœv  yuvstutSv 
xôyov  oùé'ivet  7r0wa-at.ro cLt.  Se  quidem 
sentire injuriorum  virorumfactum  esse 
raperefeminas  :  ametitium  fiera  ,  rap- 
tis  ulciscendis  opérant  dare  :  pruden- 
tium  autem  ,  pro  nullâ  habere   rap- 

(tai))  Herodot.  ,  lib.  I ,  init. 
(i'iô)  C'étaient  les  Créléens. 


HÉLÈNE. 


543 


tarum  pulehritudinem  ■.  quippe  quœ  , 
nisi  voilassent  ,  haud  diîbiè  raptœ 
non  fuissent.  Eoque  suarum.fem.ina~ 
rumex  Asidraptarum  Persœ  negant 
ullam  se  habuisse  rationem  (1 3 1) .  Il 
faut  placer  ici  cette  observation  d'I- 
socrate  :  la  guerre  de  Troie  ,  dit-il  , 
fut  très-utile  à  la  Grèce  ;  on  y  inven- 
ta bien  des  choses,  on  commença  de 
rendre  l'Europe  supérieure  à  l'Asie. 
Avant  cette  guerre  les  barbares  fai- 
saient des  conquêtes  sur  les  Grecs. 
Hélène  fut  cause  que  les  choses  pri- 
rent un  tout  autre  tour  ,  car  depuis 
cette  guerre  les  Grecs  enlevèrent  des 
villes  et  des  provinces  aux  barbares 
(i3a). 

Il  ne  faut  pas  "oublier  le  passage 
d'Euripide  ,  où  Péléus  dit  si  bien 
ses  vérités  à  Ménélas.  Il  lui  repro 
che  principalement  deux  grosses  tan- 
tes :  la  première  d'avoir  agi  avec  sa 
femme  comme  si  elle  eût  été  hon- 
nête ;  la  seconde,  d'avoir  levé  beau- 
coup de  troupes  pour  la  recouvrer. 
Vous  la  laissâtes  sur  sa  bonne  foi  , 
lui  dit-il  :  et  sans  donner  ordre  que 
votre  maison  demeurât  fermée  ,  et 
qu'il  y  restât  des  valets  ,  vous  en  sor- 
tîtes tout  comme  si  Hélène  ,  la  plus 
méchante  de  toutes  les  femmes  ,  eût 
été  bien  chaste. 

"AkXÙç   ct<foi/X*  fli/Axt?  îç-icLÇ  ÀlVàv, 

'flç  cTii  y uv aux*.  o-céqpov'  èv  <fc/-coiç  ïXm> 
Tla.Tœv  kclk'içw. 

Linquent    itomum     non     clausam   ,    et    sine 

servis , 
Quasi  haberes  ca<tam  inulieremin  œlibus, 
Quœ  omnium  est  pessima  (lis) 

Elle  prit  la  fuite  avec  nn  jeune 
étranger,  et  vous  ,  pour  l'amour 
d'elle  ,  vous  avez  fait  prendre  les 
armes  à  toute  la  Grèce  :  vous  eussiez 
du  au  contraire  ,  après  avoir  éprouvé 
l'infidélité  de  cette  épouse,  la  laisser 
où  elle  était  ,  et  payer  même  un 
tribut  pour  éviter  qu'elle  ne  remît 
jamais  le  pied  dans  votre  maison. 

"Hï  ^f«v    a-    à.TroTTUTa.vTsL ,  y.h    mvttv 

Sôpu, 
Kajtwv    iqtvùôvT',  d\\    taLv  clÙtov  y.î- 

VêlV, 

(i3i)  Heroiîot.  ,  lib.  I ,  cap.  IV. 
(i32)    Isociat.  ,    in   Eucoraio     Helen»  ,     sub 
Jinem. 

(i33)  Eurip.  ,  in  Anjroraacliâ  ,  rs.  5><>3  ,  pag. 
m.  5i8. 


MirSôv  Tl  éivrtt,  fjtn  irvr'  t<(  Wit'.ue  >.x- 

Quam  oporlebal  le  conspuenlem  non  movere 

hastain  , 
C'um  invertisses   malam,  sed  sinere    ibi   mc- 

nere , 
Mercedemque  dare  praetereà  ,  ne  unqueun  in 

œdes  eam  reciperes  (i34?. 

Ménélas  répondit  fort  mollement  que 
les  aventures  de  sa  femme  avaient 
été  involontaires ,  et  un  coup  du 
ciel  (1 35) ,  et  que  de  là  était  sorti  un 
grand  avantage  pour  les  Grecs  (i36) , 
qui  avaient  commencé  d'apprendre 
l'art  militaire  au  siège  de  Troie.  Cela 
confirme  l'observation  d'Isocrate. 

(S)  On  a  fort  parle  du  collier  d' Hé- 
lène.] Ménélas  se  préparant  à  l'expé- 
dition de  Troie  ,  fut  à  Delphes  avec 
Ulysse  pour  y  consulter  l'Oracle  ,  et 
y  consacra  le  collier  d'Hélène.  Tôté 
(fi)  MivsXcLoç  {Jtrtv  t«  zraovoitf  (  1 3^)  'A5n- 
VoT  TOV  T>iç  'EaÉvhç  op/utov  «tvs9«xêv  «V 
Aixqcïç.  l'une  sanè  A/enclaiis  Pro- 
duire Irlinervce  morale  Ilelenœ  Del- 
phis  dedlcavit  (i38).  L'oracle  lui  or- 
donna de  le  faire,  et  lui  promit  par 
ce  moyen  la  punition  du  ravisseur. 
Athénée  (i3g)  nous  a  conservé  la  ré- 
ponse de  l'oracle  :  elle  ne  contient 
que  trois  vers  ,  et  nous  apprend  que 
ce  collier  était  d'or  massif,  et  que 
Vénus  l'avait  donné  à  Hélène.  Lorsque 
les  Phocéens  pillèrent  le  temple  de 
Delphes,  en  la  106e.  olympiade,  ce 
collier  fut  une  partie  de  leur  butin  ; 
mais  il  produisit  un  étrange  effet  :  la 
dame  qui  s'en  para  devint  une  infâme 
prostituée  (i4o).  Elle  quitta  sa  maison 
pour  courir  le  monde  avec  uu jeune 
Épirote  qu'elle  aimait  ( t 4 1  )-  Ce  fut 

(i34)  Idem  ,  ibid.  ,  vs.  G07. 
(i3S)  Voyez  la  remarque  \Y)  au  commence- 
ment. 

(i36)  Eurip. ,  m  Andromaclià ,  vs.  GSi ,  pag. 

522. 

(137)  Meursius  veut  qu'au  lieu  de  7Tp OVOict  , 
onlise  7TpOVX.nl  ,  protemplari.  Voyez  ton  Trai- 
té de  Regno  Laconico  ,  pag.  22  ,  oit  il  renvoie  à 
ses  Leçons  altiques  ,  liv.  II  ,  chttp  XVIF  , 
louchant  les  deux  r'pithèles  de  Minerve,  7rp CV01* 
et   rc.V'JJX. 

(i38)  Eustathius,  al  OJyss.,  lib.  III. 

(1^91  Atlien,  lib.   VI ,  pag.  a3s. 

(1401  Quin  et  principum  tn  Pkocide  urores 
quœ  aurea  ex  Delphis  monilia  s  ibi  circumdede- 
ranl ,  méritas  impietatis  panât  incurrerunt. 
Nain  quœ  Ifelenes  torquem  geslabat  in  turpitu- 
dinem  meretriciam  prolapsa  ,  forma  elegan- 
tiam  prolervœ  scorlaloriim  libidini  prostituil. 
Diodor.Sicul.,ft*.  XVI,  cap.  tXV. 

(141)  ithen  ,  lib.  VI,  pag   ?'ii. 


544  HÉLÈNE. 

ou  une   contagion   bien  active  ,   ou  lVpître  dédicatoirc  de  la  Vie  di 

une    manière  de   punition  fort   peu  phistes.   Té<T«    «ppivris/za.  i-ot/To',    ifiifi 

digne    de    la  ile'esse    à    qui    Ménélas  ùnktur} ,  x.où  va.  *^9h   o-ct   hovQiu    m 

l'avait  consacré.    Il   eût  fallu  punir  yvd/mnç,  memp  a  npa-rlp  t»s  'ETiévhs  to« 

par  un  mal  physique  ,  et  non  par  un  Aiyu^-TÎoiç  qa.ppa.xaic.  11  ne  me  semble 

mal  moral,  la  hardiesse  qu'eut  cette  pas    que   ni   lui,  ni  Apulée   parlent 

femme  de  s'approprier  les  de'pouilles  d'un  vase   particulier  qui  ait  appai- 

d'un  lieu  si  saint.  Voyez  la  remarque  tenu  à  Hélène   comme   quelque  ou- 

(C)  de  l'article  d'ÉûiALÉE.  •  vrage  exquis.  Il  est  visible  qu'ils  font 

Notez  qu'il  y  a  des  gens  qui  con-  allusion  à  ce  qu'Homère  raconte  dans 

tent  que  la  dame  qui  eut  ce  collier,  le  IVe.  livre  de  l'Odyssée  ,  touchant 

était  déjà  impudique.  On  dit  que  les  le  népenthès;  c'est  qu'Hélène,  pour 

femmes  de  ceux  qui  pillèrent  le  tem-  réjouir  Télémaque,  fds  d'Ulysse,  et 

pic  disputèrent  à  qui  aurait  le  çol-  les  autres  conviés  ,  et  pour  les  em- 

lier    d'Hélène    et    le     collier    d'Eri-  pécher  de  faire  attention  à  leurs  mal- 

phyle  ,  et  qu'il  fallut  en  venir  à  la  heurs ,  mêla  dans  leur  vin  un  peu  de 

décision   du    sort.    Celui   d'Ériphyle  népenthès,    qui  était  un  je  ne  sais 

échut  à  une  femme  sévère,  farouche,  quoi  d'une  excellente  vertu. 

"Ev8'  aZnr  £xk  Ww?  'Exlvit  Aiàç  \xyi~ 

•X'JLVlcL. 

Aùrix!  èip    lU  cTvov  fiâ.Ki  qâpy.ax'jV,  vt- 

9îv  êjrivcv  , 
N«7rêvS6ç  <r   a^oxôv  ts  ,  xazcëv  étixh- 

9cv  â,7ra.VTUiv. 

*OÇ  TO   HiLTCtCpO^itiV,   S7THV    X-ptlTtipt    ,ui- 

y  lin. 

Ibi  luin  alia  excogilavit  Helena  h  Jove  nata. 
Proiiiùts  sane  in    vinum    misil    pkarmacum 

undè  bibeba.nl , 
Absque   dolore  et   ira  ,   inalorum  oplivionem 

inducens  omnium 
Qui  illud   deglulierit  poslquhm  crateri  m  x- 
:  erit  (147). 


qui  depuis  tua  son  mari  :  l'autre 
échut  à  une  femme  fort  belle  ,  mais 
fort  lascive  (i42)- 

(T) et  de  son  Crater,  et  du  né- 
penthès qu'elle  fit  boire  a  Télémaque, 
fils  d'Ulysse.]  Le  Crater  était  un 
ouvrage  de  Vulcain  :  c'était  un  pré- 
sent de  noces  ;  car  lorsque  Pélops  se 
maria  ,  Vulcain  lui  fit  ce  présent.  Mé- 
nélas  ,  issu  de  Pélops  ,  recueillit  cette 
partie  de  la  succession  ,  et  la  perdit 
lorsque  Paris  enleva  Hélène,  avec 
les  bijoux  et  les  meubles  de  son  hôte. 
Mais  on  prétend  qu'Hélène  jeta  dans 


la  mer  ce  beau  présent,  auprès  de  jjtci^nc  avait  apporté  d'Egypte  ce 
l'île  de  Cosj  et  que  s'étant  trouve  remc(ie  merveilleux  :  Polydamna  , 
dans  le  filet  de  quelques  pécheurs,  femme  de  Théon,  le  lui  avait  en- 
il  s'éleva  une  dispute  dont  le  dernier  sc;gnt:  Homère  ne  dit  quoi  que  ce  soit 
dénoûment  fut  qu'on  le  consacra  a  touchant  le  vase  qui  contenait  le  vin 
Apollon.  Selon  l'auteur  qui  m'ap-  m;xti0nné  ,  et  ainsi  Apulée  et  Pin- 
te n'y  considèrent  que  la  vertu 
„„pcnthès  ;  et  par  conséquent  ils 
ne  parlent  point  de  ce  beau  vase  dont 
Diogène  Laè'rce  a  fait  mention  ,  je 
veux  dire  du  présent  de  noces  que 
Pélops  reçut  de  Vulcain  1,  etc.  Sou- 
,  et  voici  les  paroles  d  Apulée  venez_Vous  ici  de  ce  que  j'ai  dit  dans 
(i46)  :  Nunquam  apud  eum  (Home-    . 


prend  ceci ,  c'était  un  trépied  (14.J)  ;    iostl.ate  n'y 
néanmoins  les  interprètes  (i/f4)  pre'-    ^n  népenthè 
tendent   que    Lycophron  ,    Diogène 
Laè'rce  ,  Apulée  ,  et  Philostrate  ont 
entendu  la   même  chose.    Or  Lyco- 
phron l'a  nommé  045)  t^aotov  x-p* 


rum)  maHno  aliquo  et  pisculenlo  me- 
dicavit  nec  Proleus  faciem  ,  nec 
Ulysses  scrobem  ,  nec  Molus  follem  , 
nec  Helena  Craterem  ,  nec  Circe 
poculum,  nec  Venus  cingulum.  Quant 
à  Philostrate  ,  voici  ce  qu'il  dit  dans 


lib.  I, 


(i/|2)  Allien.  ,   lib.    Vl,pag.  233. 

(i43)    Diog.   Laërlius  ,    1»    Tlialele, 
num.  32. 

(i44)   Mcnag.  ,  in   Laërt.  ,    ibid.    Meursius 
1»  Lycopbr.  ,  pag.  272. 

I  i/|5)  In  Cassandrâ,  vs.  854- 

(i.'|(i;   Apolog.  ,  pag.  m.   294. 


la  première  remarque,  en  faisant 
mention  d'une  coupe  qu'Hélène  offrit 
à  Minerve  :  et  si  vous  voulez  savoir 
pourquoi  je  me  suis  servi  du  terme 
barbare  de  Crater,  je  vous  dirai  que 
c'est  à  cause  que  les  mots  verre  , 
coupe  ,  tasse  ,  gobelet ,  n'expriment 
point  ce  qu'on  entendait  par  Crater, 
au  temps  d'Homère.  Crater  estoil  nu 
grand  vaisseau  dont  ou  ne  se  servoit 
point  pour  boire  dedans  ,  mais  seu- 
lement pour  y  mesler  l'eau  avec  le 

(147)  Homcr. ,  OJyss.  ,  lib.  IV,  01.  2iq. 


HELENE. 


pin et  de  ce  (-■aisseau  on  puisoit 

le  vin  ainsi  meslé  avec  des  coupes  , 
ou  premièrement  ils  en  versoient 
dans  des  pots  ,  et  dans  des  chopines  , 
et  de  là  dans  les  tasses  (i^8).  Notez 
que  le  vase  dont  parle  Diogéne  Laérce 
fut  jeté' dans  la  mer,  avanl  la  guerre 
de  Troie,  et  que  celui  dont  les  autres 
parlent  e'tait  chez  Me'nélas  depuis 
cette  guerre. 

Je  ne  dois  pas  oublier  qu'il  y  a  eu 
des  savans  qui  ont  choisi  le  népen- 
thès  de  l'Odyssée  pour  le  sujet  de 
leurs  veilles  et  de  leurs  me'dita- 
tions.  Ils  ont  fait  bien  des  conjec- 
tures ;  ils  ont  bâti  beaucoup  d'hj  po- 
thèses.  Voyez  la  dissertation  de  Pierre 
Petit,  intitulée  Homeri  ]\epentltes  , 
et  imprimée  à  Utrecht  ,  Pan  1689, 
^/^-8°.  On  y  trouve  du  ge'nie  et  de 
la  science.  L'auteur  parle  d'un  juris- 
consulte napolitain  ,  qui  a  traite  la 
même  matière  ,  et  qui  s'est  aban- 
donne' à  tous  les  excès  de  l'esprit  de 
digression.  Je  rapporte  cette  peinture 
parce  qu'elle  représente  fort  naïve- 
ment le  caractère  de  l'affectation  d'é- 
taler  tout  ce  qu'on  a  lu  ,  et  parce 
aussi  que  l'on  y  peut  voir  plusieurs 
imaginations  creuses  touchant  le  né- 
penthès.  lYon  morabor  hic  studiosos 
variis  quœstionibus ,  ut  Pelrus  la 
Sena  ,  an  nepenthes  ex  eorum  nu- 
méro esset  medicamentorum  quœ  chi- 
mied  arte  parant ur,  an  simple*  quid 
et  solins  naturœ  proprietate  ejjicax. 
Ut  scilicet  habeat  occasionem  ,  quœ 
de  arlis  ejus  origine  et  antiquilate 
legeret  ,  effundendi  :  qud  in  dispu- 
tatione  plures  oneiat  paginas  ,  abuti- 
turque  patientid  leclorum.  IVec  mi- 
nus inanis  et  superjluœ  operœ  ar- 
guendus  ,  chm  tant  sollicité  de  gem- 
marum  viribus  disserit ,  ceu  non  satis 
ex  Homeri  descriptione  constaret  ne- 
penthes plantis  esse  annumerandum , 
quod  ipse  posle'a  fatetur.  Citni  etiam 
professas  non  esse  hominis  frugi  , 
tempus  terere  iiwestigando  ,  an  forte 
hœc  Helenœ  potio  (verba  ejus  refero) 
pa.yix.Zc ,  hujusmodi  curationis  effi- 
caciam  retinuerit ,  multa  nikilo  serins 
subjungit  tic  Magiâ  JEgjrptiorum  , 
veterumque  medicorum  incantatio- 
nibus  ,  locaque  Homeri  proferl  et 
Odyssed  ,  quœ  ad  magiam  perlinere 

(i48)  Méziriac,  sur  Ovide,  pag,  28f>,  oit  il 
prouve  cela  .  el  censure  Amyol  et  Vigénère,  qui 
ont  traduit  Crater  par  tasse  ou  coupe. 

TOME    Vit. 


545 


f.ilimantur,  eorum  scilicet  teslimo- 
1110  ,  qui  ,  ut  Plinius  lib.  3o  ,  cap.  5o 
refert,  Prolea  et  Sireraim  cantus 
apud  Homerum  non  aliter  intelligi 
voluerunt.  Tum  milita  inlerponit  de 
cratère  Helenœ  ,  captatâ  occasi,  ne 
sermonis  <-.<  guodam  Cœlii  Bhodigini 
loco.  Et  quid  magis  iirpvrilMvm , 
'/"'"»  de  Clemat  tiddicere, 

■/no   scommate    Zenonem    Cittiœum 
solitum   peti ,    quod  procero  graci- 
lique  etj'usco  corpore  esset ,  iradit 
Laërtius  ?  JJis  igitur  (inquam)  quœ 
nihil  ad  rem  altinent  ,  prœtermissis  , 
au)   Nepenthes  fuisse  unum  ,'■  terni 
nascentibus  ;  quoddam  scilicet  ! 
aut  idrgulti  genus  (îfo)  M.   le  che- 
valier de  Meré  s'imagine  que  le  ne- 
penthes   n'est    autre    chose    que    les 
charmes  de  la  conversation  d'Hélène. 
Voici  comment  il  s'exprime  dans  un 
traité  où  il  adresse  la   parole  à  une 
dame.  «  Quoique  Homère  ne  sVtende 
w  pas  sur  l'éloquence  d'Hélène  ,  lui 
»  uni  parle  tant  de  celle  d'Ulysse  et 
»  de  Nestor;   il  ne  laisse  pis  de  faire 
»  sentir  par  un   mystère   de   poésie 
»  qu'on  avait  du  plaisir  à  l'entendre  \ 
»  et  voici  en  peu  de  mots  ce  qui  me 
y,  le  donne  à  penser.  Ulysse  fut  long- 
»  temps,  après  la  prise  de  Troie  ,  sans 
»  pouvoir  revenir  en  son  île  d'Ilha- 
»  que  :  son  fils  Tèlèmaque  en  était 
»  en  peine  ,  et  ,  pour  savoir  s'il  était 
»  mort  ou  vivant  ,  il  alla  voir  Nestor 
»  qui  ne  lui  put  apprendre  ce  qu'il 
»  était  devenu.  De  là  ce  jeune  homme, 
»  continuant  son  voyage,   se  rendit 
»  chez  Me'nélas  ,  où  il  vil   Hélène  et 
»  soupa  avec  elle.  Il  était  fut  triste, 
»  et  parce  que  cette  princesse  en  eut. 
»   pitié  ,  elle   usa  d'un  charme   pour 
»  lui  faire  oublier  tous  ses  déplaisirs. 
»  Ce  charme,  dit  Homère,  était  une 
»  liqueur   qu'elle  versa   dans    le  vin 
»  a\ant  que   de  se  mettre  à   table, 
»  et    ce    breuvage    était   si   puissant 
»  qu'après  en  avoir  goûté,  il  était 
x  impossible  de  répandre  une  larme 
»  de  tout  ce  jour-là.  Elle  avait  en- 
»  core  un  beau  secret  qu'elle  tenait 
h  de  la  déesse  dés  grâces.  Vous  savez 
»  qu'il  n'y  a  point  de  dame  qui  puisse 
»  imiter  le  son  de  vos  paroles  :  mais 
»  si  elle  vous  eût  observée  ,  elle  eût 
»  si  parfaitement  pris  vos  tons  et  vos 

(i4fl)  Pelrm   Pelitiis,  in  Homeri    Nepentlie  , 
cap,  III,  init.  ,  pag.  6. 

35 


546 


HÉLÈNE. 


»  manières  ,   qu'on  l'eût  prise  pour 
j)  vous  (i5o).  » 

(U)  Un  miracle  la  sauva.]  Voici  ce 
que  c'est.  Une  grande  peste  ravageait 
la  ville  de  Lacedémone  ;  les  dieux  fi- 
rent savoir  que  la  santé  reviendrait, 
pourvu  qu'on  sacrifiât  tous  les  ans 
une  fille  de  qualité'.  Le  sort  tomba 
une  fois  sur  la  belle  Hélène  ;  mais 
comme  on  la  menait  à  l'aute} ,  un 
aigle  survint  qui  enleva  le  couteau  , 
et  l'alla  mettre  sur  une  génisse.  Cela 
fut  cause  qu'on  épargna  la  vie  d'Hé- 
lène (i5i). 

(X)  On  a  tâché  d' excuser  ses  adul- 
tères,   en  disant    que  les  dieux    l'y 
avaient  pousse  e.]  J'ai  déjà  touché  ce 
point  (i5a)  ,  mais  il  y  manque  quel- 
que chose.  Si  les  uns  disent  que  Vé- 
nus ménagea   l'enlèvement  de   cette 
femme  ,  pour  témoigner  sa  reconnais- 
sance au  juge  qui  lui  avait  fait  ga- 
gner sa   cause  dans  une   dispute  de 
beauté,  d'autres  assurent  qu'elle  le 
fit  pour  se  venger  d'une  offense.  Mé- 
nélas  lui  avait  promis  une  hécatom- 
be en  cas  qu'il  obtînt  Hélène  ;  mais 
ayant  obtenu  ce  qu'il  souhaitait ,   il 
n'accomplit    point  son   vœu.    Vénus 
en  fut  indignée  ;  et ,  pour  le  punir  , 
elle  fit  en  sorte  qu'on  lui  enlevât  sa 
femme   (i53).    D'autres  prennent  la 
chose  d'un  peu  plus  haut  :  ils  préten- 
dent (i  54)  que  Tyndare  oublia  Vénus 
dans   un  sacrifice  qu'il  offrit  à  tous 
les  dieux ,  et  qu'en  punition   de   ce 
mépris ,  Vénus  fit  en    sorte    que    les 
filles  de  ce  prince  fussent  bigames  , 
trigames ,  et  désertrices  de  leurs  ma- 
ris. Ce  qu'il  y  eut  de  plaisant ,  c'est 
que  la  même  déesse  ,  qui  avait  préci- 
pité   dans   le   désordre  les   filles  de 
Tyndare ,  lui  reprocha  leurs  adultè- 
res. On  prétend  que  ces  reproches  le 
touchèrent   si   vivement  que  ,  pour 
s'en  venger  ,  il  lui  mit  les  fers  aux 
pieds.    Pausanias   ne    saurait    croire 
que  Tyndare  ait  été  assez  ridicule  , 
pour  s'imaginer  qu'il  se  vengerait  de 
Vénus  en    faisant    une    statue   qu'il 
nommerait  Vénus  ,  et  qu'il  attache- 
rait par  les  pieds.    Mais   en   cela  cet 

(i5o)  Chevalier  de  Méré  ,  Discours  des  Agrc- 
mens  ,  pag.  ii\o  ,  éâit.  de  Hollande. 
(i5i)  Plutarch.  ,  in  Parallelis  ,  pag.  3i4- 

(i5î)  Pans  la  remarque  (I). 

(i53    l'tol.  HepViœst.,  npudPhotinm,p.  480. 

(iht\)  Voyei  l'article  liciALtE,  citation  (10), 
loin.  )  I,  fiag.    lui. 


(i55)  Voyez  les  Pensées  sur  les  Comètes  , 
num.  i3a. 

(i56)  À  la  page  34i ,  34a;  à  l'anne'e  387, 
c'dit.  de  Hollande. 

(iS^)  Ces  paroles  équivoques  ,  mais  qui  si- 
gnifient plus  nettement  des  reproches  faits  par 
Venus  ,  que  des  reproches  faits  a  Vénus  ,  ont 
trompé  quelques  auteurs. 

(i58)  Voici  de  quelle  manière  il  fallait  tra- 
duire ceci ,  selon  Sylburgius  :  Nain  profeclù 
stolidum  omnino  foret  ,  facto  è  cedro  simulacro, 
etVeneris  nomiue  ei  indito,  putare  se  liâc  ralione 
ulcisci.  Pausau.  lit/.  III t  cap  XVI,  ad  fin. 


historien  ignore  sa  religion.  11  ne 
sait  pas  qu'en  plusieurs  rencontres  lis 
païens  ont  déchargé  leur  colère  sur 
les  temples  et  sur  les  statues  des 
dieux  qu'ils  croyaient  être  les  au- 
teurs d'un  mauvais  succès  (  1 55).  Et 
au  fond ,  n'est-ce  pas  affronter  un 
prince ,  que  de  maltraiter  ses  por- 
traits et  ses  statues?  Songez  à  l'indi- 
gnation de  Théodose  contre  la  ville 
d'Antioclie.  Rien  ne  lui  fut  plus  sen- 
sible que  les  outrages  qui  furent  faits 
à  la  statue  de  l'impératrice  pendant 
la  sédition.  Voyez  son  Histoire  écrite 
par  M.  Fléchier  (i56).  Au  reste,  je 
vous  avertis  que  ,  quand  j'ai  parlé  des 
reproches  faits  à  Tyndare  par  Vé- 
nus, je  n'ai  fait  que  rapporter  le 
sentiment  de  quelques  modernes  qui 
ont  été  achoppes  à  la  traduction  de 
Pausanias  :  il  est  sûr  que  le  texte  grec 
ne  porte  point  que  cette  déesse  ait 
fait  à  Tyndare  de  tels  reproches. 
Ceux  qui  entendent  la  langue  grecque 
vont  voir  que  je  ne  me  trompe  pas. 
Tov  yap  Su  %<ripuv  Xciyov ,  a>ç  thv  &tov  Tri- 
Scliç  iTi(Au>piï<T<j  0  Tt/vcTapaaiç ,  yivio-8a.t  <ra.it 
6uya.Tpa.iriv    iç  'AcfpoJiT»?   Hytiô/u-ivoç  ni. 

OVuSyi  ,  Tût/TGV    <fê    OJ/tTê    TWV    àp^JW   TTfuCm- 

y.a,f  »  yap  J«  7ra.vra.7ra.0-1v  tutibiç,  KtSpou 
7roi>i<raïi«vov   'Cûs&w  x.a.1   ovc/ao,  'A^podVriiv 

èt/U.iVCV,     êXTTl'ÇsiV      à/utuvîo-Ùat     TfcV     060V. 

C'est-à-dire  ,  selon  la  traduction  d'A- 
masaeus  :  Nam  deam  ulcisci  voluisse 
compedibus  (  sunt  enim  qui  hoc  etutm 
memoriœ  prodiderint  )  e.y^robran- 
tem  (i5y)  illi  Jiliarum  adulleria  ,  ut 
credam  adduci  non  possum.  Qul/m 
enim  ridiculum,  siputdssel  ab  effigie, 
quant  è  cedro Jecisset  feneris  /tonti- 
ne ,  injectis  compedibus  pœnas  expeli 
posse  (1 58)  ! 

(Y)  C'est  à  quoi  je  destine  une  re- 
marque. ]  Ménélas  ,  répondant  aux 
durs  reproches  de  Péléus  ,  déclara 
que  la  volonté  d'Hélène  n'avait  point 
été  la  cause  des  aventures  qui  avaient 


HÉLÈNE. 


547 


traversé  sa  vie  ,  mais  qu'il  fallait  s'en    si  leur  volonté'  se  porte  au  mal ,  c'est 

leur  faute  ,  c'est  par  un  choix  dont 
ils  sont  les  maîtres.  Ceux  qui  font  un 
autre  jugement  sont  des  personnes  qui 
ont  étudié  avec  soin  les  ressorts el  les 
circonstance  de  Leurs  actions  ,  et  qui 
ont  bien  réfléchi  sur  le,  prog 


prendre  à  la  volonté  des  dieux. 

©sa>v. 
Helence   verb    venit  in  œrwnnas  non  volens, 
sed  diviniùts  (i5<)). 


iours  prête  ;  on  y  recourait  d'abord. 
Plutarque  nous  apprend  cela  en  rap- 
portant quelque.-. \  ers  qui  contiennent 
une  chose  qu'un  père  disait  à  son  fils, 
et  la  réponse  du  fils  : 

Souvent,  mon  fils  ,  les  halnlans  des  cieujc 
Font  trébucher  les  hommes  soucieux. 

La  réponse  fut, 

Il  n'y  a  rien  pour  sa  faute  excuser 
Si  h  la  main  que  les  dieux  accuser. 

Je  me  sers  de  la  version  d' A myot ,  et 
j'observerai  en  passant  que  l'épithète 
soucieux-,  qu'il  a  mise  au  second  vers, 
est  une  cheville  que  la  nécessité  de 
rimer  lui  a  extorquée  ,  et  qui  n'a  nul 
fondement  dans  l'original.  Compa- 
rez un  peu  le   grec  avec   la  version 


peuvent  résister  à  la  force  qui  les 
entraîne  où  ils  ne  voudraient  pas  al- 
ler.  Or  c'était   principalement  cette 

sorte  de  personnes  qui  attribuaient 
aux  dieux  la  cause  de  leurs  mauvai- 
ses actions.  Files  se  souvenaient  d'a- 
voir bien  considéré  qu'elles  tenaient 
un  chemin  pernicieux  à  leur  fortune. 
et  honteux  à  leur  renommée,  >  I 
voir  fait  bien  des  efforts  pour  effacer 
la  passion  qui  le  leur  faisait  tenir  - 
mais  elles  sentaient  encore  mieux 
que  tous  ces  efforts  avaient  été  inu- 
tiles ,  et  que  la  raison  iu\  oquée  mille 
fois ,  que  les  vœux  et  que  les  pi  i 
avaient  été  un  secours  très-impuis- 
sant. Elles  concluaient  donc  qu'une 
cause   occulte  ,   et  qu'une   force  ma- 


française  ,  vous  trouverez   que  i'ai  Je«"'e  les  poussait,  et  les  entraînait  ■ 

raison-  que      s  dleux  j  en  un  m°t,  étaient  la 

„,',    g  ,  .,..  .  «   /  cause,   et  des  passions   qu'elles  sen- 

„    /  r  raient ,  et  des  suites  pernicieuses  et 


~v®l01'      <?  _,     ,        criminelles  de  ces  passions.  Voilà  le 

To  p^s-ov  .,«■«,  *.t.*t^ô«,  0«o«f.      dénoûment  de   l'intrigue  :  il  y  a  ici 

MulUs  homines  in  rébus  decipiunl  DU  , 
Mea  proies,  atque  dura  conciliant  mata. 
FIL.  Dixli  id,    nihil   quo    facilius  dictu  est, 

Deos 
Incusant  (160) 

Vous  vous  imaginerez  peut-être  que 
la  grande  facilite  que  l'on  trouvait  à 
former  des  plaintes  contre  les  dieux 
porta  les  hommes   à  se  servir  de  ce 
subterfuge  sans  examen  et  sans   ré- 
flexion ,  et  que  c'était  un  de  ces  pre-    dieux.  C'est  à   Jupiter  que  le  poè'te 
miers  mouvemens  qui  s'élèvent  dans    Perse  s'adresse  pour  lui  demander  la 
notre  âme  avant  que  nous  ayons  eu    grâce  de  faire  en  sorte  que  les  tyrans 
le  temps  de  nous  préparer  à  juger  des    reconnaissent  la  vertu  ,  et  sentent  un 
choses  ;  mais  il  est  certain  qu'en  plu-    noir  chagrin  de  ne  l'avoir  pas  su  h  ie 
sieurs    rencontres    on    parlait    ainsi 
après  y  avoir  mûrement  pensé.  Ceux 
qui  n'examinent  pas  à  fond  ce  qui  se 

Î>asse  en    eux-mêmes  se   persuadent 
acilement  qu'ils  sont  libres  ,   et  que    Plutarquerapporte  une  sentence poé 
(i59)Euripid.,in  Androm.,  m.  63 > ,  pag.    tique  qui  témoigne  que  l'on   raison- 
522.  naît  de  cette  manière  :  ceux  qui  cou- 

(160)   Plutarcli.  ,   de   audieodis   Poëtis  ,  pag. 
ao  ,  D.  (161)  Persins ,  sat.  III ,  vs    35. 


jj"c  .  11  y  a  ICI 
quelque  chose  de  divin  ,  disait-on  , 
tout  comme  dans  certaines  maladies 
du  corps,  qui  mettaient;!  bout  la  scien- 
ce et  l'expérience  des  médecins  les 
plus  éclairés.  Nous  connaissons  ce 
qu'il  faut  faire  ,  ce  qui  nous  serait  le 
plus  utile  ,  le  plus  commode,  le  plus 
honorable  ;  et  néanmoins  non,  pre- 
nons  l'autre    parti.    Cela    vient    des 


Magne  paler  divum  ,  sœvos  punire  trrannot 
Haud  alid  raiionr  velii  ,  c'um  dira  libido 
Moveril  ingenium  fervenli  tincta  vmenos 
Virtulem  videant, inlabescantque  reliclâ  (161). 


548 


HÉLËNK. 


naissent  le  bien  ne  le  font  pas  ,  clone 
les  dieux  en  sont  la  cause.  Je  mets 
son  grec  en  note  (  162  )  ,  et  voici 
la  traduction  d'Amyot 

Las  !  c'est  un  mal  envoyé  des  hauts  dieux, 
Quand  l'homme  sait  tet  void  devant  ses  jeux 
Le  bien,  et  fait  néanlmoins  le  contraire. 


Une  infinité  de  personnes  de  l'un  et 
de  l'autre  sexe ,  dont  l'histoire  n'a 
rien  dit,  se  sont  trouvées  dans  le 
même  cas.  L'amour  leur  a  fait  com- 
mettre mille  fautes  dont  elles  voyaient 
si  clairement  et  la  honte  etle  domma- 
ge ,  qu'elles  ont  tâche'  de  les  prévenir 


Méde'e  raisonna  de  cette  façon  quand    en  appelant  la  raison  à  leur  secours  , 
elle  eut  compris  qu'elle    ne  pouvait    et  en  faisant  bien  des  souhaits  de  ne 


ment  les  suites  honteuses  et  crimi-  tant  qu'elles  avaient  un  entendement 

uelles  de  sa  conduite,  et  que  sa  rai-  raisonnable  ,   et   une  âme  libre    et 

son  les  condamnât.  maîtresse  de  ses  volonte's.  Cette  pre- 

Concipil  inlerea  validas  JEelias  ignés,  mière  Conclusion  les  Conduisità  Celle- 

Et  luctata  dïu,postquam  ratione furorem  Cl    qu'une causeexterne  et supe'rieure 

FmCernasT  >'oterat,f'wira  Medea  repus-  à  toutes  leurs  forces  les  poussait  :  la 

Nescio  qùis  deus  obstat,  ait  (if>3).  seconde   conclusion    leur  en   faisait 

faire  une  troisième  ,  qu'un  dieu  e'tait 

V  '  '.  '  '■  ' .'■■■,'  '  a'  '  '  '  cette  cause  externe  et  ne'cessitante. 

Excule  virgweo  conceptas  peclore  flammas  ,  ..  ,  .,       .     .  ,       .  ..  ,.    . 

Si  potes,  infelix.  Sipossem,  sanior  essem;  Voila  1  origine  de  la  prétendue  divi- 

Sed  trahit  invitam  nova  vis  :  aiiudque  Cupido,  nité  de  Ve'nus  et  de  Cupidon  \  et  parce 

Mensaliud  suadet.  Video  meliora  ,  proboque,  pQn    eprOUVe    que    la    jalousie  , 

Détériora  sequor  (ioi) î,         •       ii  •  iv  •        1     j  • 

-,,  t,.  ,     „         a  •  1  envie,  1  avarice ,  1  ivrognerie,  le  de- 

Me  se  dit  a  elle-même  tout  ce   qui  sirde  v'  nce   et  pleurs  autres 

pouvait  la  guérir  de   cette  passion  :  ions    j?ont  comm*ttre  mille  cho- 

elle   se   représenta   1  enornute   de   la  *  e  la   raison  condamne ,  et  qui 

faute  qu  elle  ferait ,    et  il  y  eut  des  son{mème  contraires  aux  véritables 

momens   ou   ces   images   du    devoir  j^êts  de  ramour  propre     et   que 

étaient  prêtes  a  remporter  la  victoire;  Pon  voudrait  ne  paS%o„1iaiter,  on  a 

mais  la  vue  de  Jason  défit  aisément  cru  les  dieux  étaient  les  instiga. 

tout  ce  qu  elles  avaient  fait.  teurs  de  ces  choses.  On  ne  les  en  a 

Conjugiumne  pulas  ?  Speciosamque  nomma  donc  point  accusés  ,    parce   que    l'on 

Imponis',  Medea,  tuœ  ?  Quin  aspice  quantum  ne  faisait  nulle  réflexion  ,  mais  plutôt 

Aggrediare  nefas;  et,  dum  licet,  effuge  cri-  à  cause    que    l'on    réfléchissait  beau- 

„.  .  "ien-  ,  coup  sur  ce  qui  se  passe  dans  notre 

Dixil ,  et  anle   oculos    rectum  pielasnue  pu-  a  c-    i  •■  •  i     t\- 

dorque  ame.  bi  les  païens  avaient  eu  de  Dieu 

Conslilerant,  et  vicia  dabaljamterga  Cupido.  la  juste   idée  que  nous  en  avons  ,  qui 

ibat  ad  amiquas  Hecates  Perseïdos  aras ,  110us  \e  représente  comme  un  être 
Ç"aSg7bat:  "mbrosum  '  "crete?»e  **■  te-  parfaitement  saint ,  ils  se  fussent  ga- 
ge jamfractus  erat,  pulsusque  resederat  ar-  rantis  de  ce  jugement  téméraire  ;  mais 
dori  attribuant  aux  dieux  les  mêmes  dé- 
C"m  lf^lfi^iJen'exlincia'JueJlamma  re-  fauts  à  quoi  les  hommes  sont  sujets  , 

rien  n'empêchait   qu'ils  ne  crussent 

que  les  dieux  poussaient  les  hommes 

S'C  'a,mUnis  am0'  '  que"1  '"'"  lanS»'repu-  au  mai  f  et  rendaient  inefficaces  tou- 

Vt    vide"  juvenem  ,    specie  prœsenlis    inar-  tes  *es  lumières  de    la   raison  ,  tantôt 

<it(i66).  par  une  délectation  prévenante  qui 

(ifo)   Aï,   ct'UW  SA  â£?ov   àtScmtoic  ^«ssita.it  la  volonté ,  tantôt  par  un 

Xstx(v  chagrin  importun  qui  avait  la  même 

'Orav   tichVS  T*>*9i» ,  rf™  suite.  P,îris  plaisait  à   Hélène:  Jason 

ft     >m  plaisait   a   JVledee.  Elles  ne  pensaient 

Eheu,  malum  morialibus  divinitus  point  à  leur   union  avec  ces  objets  , 

Venit  ut  bonum  videant ,  non  utantur  tamen.  sans  pressentir  un  contentement  in- 

/  rh"?T-'J'  d< Lîudiend'  f^iP"^  yi>  E  croyable  :  elles  ne  pouvaient  se  consi- 

(\bi)  Ovid.  ,  Metain.  ,  lib.   I II,  vs.  o.  -,  ,  J  ,v      ,         ,, 

(164)  Id-m,  ibid.,  vs.  17.  aérer    comme    séparées  deux,  sans 

fi65)  Idem,  ibid.',  vs.  69.  pressentir   un   cruel    tourment.    Ces 

(iG6;  Idem  ,  ibid. ,  vs  82.  impressions   ne   dépendaient  pas  de 


HÉLÈNE. 


549 


leur  liberté  ,  et  ne  lui  étaient  pas 
plus  soumises  que  le  sentiment  agréa- 
ble ou  désagréable  que  Ton  a  en  goû- 
tant du  miel  ou  du  fiel.  Ce  que  pou- 
vaient faire  ces  deux  femmes  était 
d'opposer  à  ces  deux  pressentimens 
la  raison  et  le  devoir,  faibles  armes 
si  Paris  et  Jason  continuent  d'exciter 
les  mêmes  idées  et  les  mêmes  impres- 
sions, puisqu'en  ce  cas-là  ils  captive- 
ront tôt  ou  tard  la  volonté,  et  lui 
extorqueront  son  consentement,  quel- 
que désir  qu'elle  puisse  avoir  de  n  êl  re 
pas  subjuguée  ,  et  de  passer  de  l'a- 
mour à  l'indifférence.  Vœux  inutiles, 
velléités  frivoles  ,  en  présence  des 
pressentimens  dont  j'ai  parlé ,  et  dont 
la  cause  ne  vient  point  de  nous.  D'où 
vient-elle  donc  ?  Les  païens  avaient 
beau  la  chercher  à  droite  et  à  gau- 
che, ils  ne  la  trouvaient  point  sur  la 
terre,  et  c'est  pourquoi  ils  la  donnè- 
rent aux  dieux.  Ils  le  pouvaient  faire 
en  deux  manières  ,  ou  en  supposant 
un  Cupidon  qui  blessait  le  cœur ,  ou 
en  supposant  que  l'auteur  des  corps 
humains  en  avait  monté  les  pièces 
avec  un  tel  artifice  que ,  par  exemple, 
celui  de  Jason  pouvait  exciter  dans 
le  cœur  et  dans  la  tête  de  Médéc  les 
mouvemens  des  esprits  ,  d'où  dépend 
l'amour  machinalement  et  inévitable- 
ment. Selon  ce  dernier  principe,  si 
Hélène,  si  Médéc  devient,  amoureuse, 
il  s'en  faut  prendre  à  celui  qui  a  for- 
mé et  arrangé  les  parties  de  leur 
corps  ;  tout  de  même  que  s'il  fume 
dans  une  chambre  quand  le  vent 
souffle  ,  il  faut  imputer  cela  ,  non  pas 
au  vent,  mais  au  maçon  qui  a  fait  la 
cheminée. 

C'était  un  abîme  dont  les  païens  ne 
pouvaient  sortir,  et  il  fallait  qu'ils  y 
tombassent  toutes  les  fois  qu'ils  vou- 
laient donner  la  raison  de  la  contra- 
riété qui  se  rencontre  entre  ce  que 
nous  faisons ,  et  ce  que  nous  connais- 
sons,  et  par  conséquent  ils  y  torn» 
baient  très-souvent  5  car  la  vie  hu- 
maine n'est  presque  autre  chose  qu'un 
combat  continuel  des  passions  avec  la 
conscience ,  dans  lequel  celle-ci  est 
presque  toujours  vaincue.  Ce  qu'il  y  a 
de  plus  étrange etde  plus  bizarre  dans 
ce  combat,  est  que  la  victoire  se  dé- 
clare très-souvent  pour  le  parti  qui 
choque  tout  à  la  fois  les  idées  qu'on  a 
de  l'honnête  ,  et  la  connaissance  que 
l'on  a  de  son  intérêt  temporel.  Je 


veux  croire  qu'il  y  a  des  gens  d'une 
si  brutale  stupidité,  qu'ils  ne  voient 
point  que  leur  vie  sciait  plus  heu- 
reuse s'ils  ne  nourrissaient  pas  dans 
leur  sein  les  passions  qu'ils  y  nourris- 
sent ;  mais  je  ne  saurais  comprendre 
que  la  plupart  des  jaloux  et  des  en- 
vieux ne  soient  bien  persuadés  que 
l'exemption  de  la  jalousie  et  de  l'en- 
vie serait  pour  eux  un  avantage  tem- 
porel incomparable,  et  digne  d'être 
acheté  au  poids  de  l'or.  Une  femme 
jalouse  de  son  mari  ou  de  son  galant, 
un  mari  jaloux  de  sa  femme  ou  de  sa 
maîtresse,  sont  des  personnes  qui 
seutent  très-\  ivement  leur  malheur  , 
et  qui  souhaitent  passionnément  d'ê- 
tre délivrées  de  ce  bourreau.  Elles 
font  tout  ce  qu'elles  peuvent  pour 
chasser  cette  furie  qui  les  persécute; 
elles  emploient  pour  se  détromper  ou 
pour  se  tromper  toutes  les  raisons 
qu'elles  sont  capables  de  tirer  de  leur 
esprit  ;  mais  malgré  tous  ces  efforts 
la  jalousie  subsiste  :  elles  se  trouvent, 
à  leur  grand  regret,  plus  ingénieuses 
à  inventer  ce  qui  la  fomente,  qu'à 
inventer  ce  qui  la  peut  affaiblir.  Di- 
sons à  peu  près  la  même  chose  des 
envieux.  Ils  savent  fort  bien  que  l'a- 
mour-propre  trouverait  incompara- 
blement mieux  son  compte  à  se  con- 
tenter de  leur  condition  ,  et  à  voir 
avec  plaisir  la  prospérité  d'autrui  , 
qu'il  ne  le  trouve  à  s'affliger  de  ce 
qu'un  voisin  s'avance  et  s'enrichit 
beaucoup  plus  qu'eux;  et  néanmoins, 
en  dépit  de  ces  lumières ,  ils  se  cha- 
grinent,  ils  sèchent  sur  pied,  quand 
ils  voient  la  bonne  fortune  des  autres 
(167);  et,  au  lieu  de  s'en'réjouir  comme 
ils  devraient  faire  pour  leur  propre 
commodité,  ils  sont  réduits  à  cher- 
cher quelque  remède  dans  des  lâche- 
tés perfides.  Ils  traversent,  par  des 
médisances  et  par  des  coups  de  trahi- 
son ,  les  affaires  de  leur  prochain  ; 
c'est  par-là  qu'ils  tachent  de  diminuer 
la  fièvre  maligne  qui  les  ronge.  Que 
pouvait  dire  là-dessus  un  philosophe 
païen  ?  Ne  devait-il  pas  reconnaître 
là-dedans  une  cause  supérieure  ,  et 
ranger  tous  ces  gens-là  au  nombre  des 
fanatiques  ,    des    énergumènes  ,    des 

rii>)  Vides  ingraloi  ,  intabescitque  viâenda 
Successus   hominum  ;    carpùi/ue   et   carpilur 

unit  ; 

Suppliciumqut?  stium  est 

Ovid.us,  Metam.  ,  lib.  II,  vs.  78a.  Il  parle  ds 

i  Envie. 


55o 


HÉLÈNE. 


enthousiastes ,  et  de  tous  ceux  en  gé- 
ne'ral  que  l'on  croyait  agites  d'une  di- 
vine fureur  (ifi8)?  Notez  qu'Ovide 
suppose  que  la  jalousie  qu'Aglaure  , 
fille  de  Cécrops  ,  roi  d'Athènes,  con- 
çut contre  sa  sœur,  lui  fut  inspirée 
par  une  divinité  (169).  Le  vraisystème 
des  chrétiens  est  le  seul  qui  puisse  ré- 
soudre ces  difficultés.  11  nous  apprend 
que  depuis  que  le  premier  homme 
fut  déchu  de  son  état  d'innocence  , 
tous  ses  descendans  ont  été  assujettis 
à  une  telle  corruption  ,  qu'à  moins 
d'une  grâce  surnaturelle  ils  sont  né- 
cessairement esclaves  de  l'iniquité  , 
enclins  a  mal  faire  ,  inutiles  h  tout 
bien  (170).  La  raison  ,  la  philosophie, 
les  idées  de  l'honnête  ,  la  connais- 
sance du  vrai  intérêt  de  l'amour- 
propre  ,  tout  cela  est  incapable  de  ré- 
sister aux  passions.  L'empire  qui 
avait  été  donné  à  la  partie  supérieure 
de  l'âme  sur  l'inférieure  ,  a  été  ôté  à 
l'homme  depuis  le  péché  d'Adam. 
C'est  ainsi  que  les  théologiens  expli- 
quent le  changement  que  ce  péché  a 
produit  :  mais  comme  la  plupart  des 
métaphores  ne  doivent  être  pressées 
que  jusqu'à  un  certain  point,  il  ne 
faut  pas  abuser  de  celle-ci  ;  car  il  ne 
serait  point  raisonnable  de  dire  que 
dans  l'état  d'innocence  la  partie  infé- 
rieure était  conditionnée  comme  elle 
l'est  présentement,  mais  qu'il  n'en 
pouvait  arriver  aucun  désordre  ,  parce 
que  la  partie  supérieure  la  pouvait 
toujours  réprimer  bien  à  propos.  Ce 
serait  supposer  que  la  machine  de 
l'homme  ,  en  sortant  des  mains  de 
son  créateur,  aurait  été  actuellement 
tournée  vers  les  sensualités  et  vers 
les  passions  condamnables;  et  ce  se- 
rait faire  tort  aux  perfections  du  sou- 
verain Etre. 

(Z)  Elle  se  coupa  les  cheveux  dans 
une  occasion  de  deuil. ]  Ce  que  j'ai  à 
dire  sur  ce  texte  m'a  été  communiqué 
par  un  professeur  de  Genève  (171). 
Je   me  servirai  de  ses  paroles.  «  Le 

(168)  Est  Deus  in  nobis ;  agilanle  calescimus 
Mo. 

Tmpetus  lue  sacra"  fetnina  mentis  habel. 
n vi.lius  ,  Faslor.    lib.    V I ,  circa  init.    Il  parle 
des  poètes. 

(jfig)  Ovi,l.  ,  M.t.im.,   lib.   II,    fab.  XII. 

(170)  Voyez  les  Prières  de  la  liturgie  de  Ge- 
nève. 

(171)  M.  Minutoli,  dont  on  a  déjà  parle' dans 
les  remarques  (I.)  et  CM)  de  l'article  ^'Épicure, 
om    VI,pag.   .,l84  tt  suiv. 


»  sujet  de  la  première  lettre  du  Re- 
»  cueil  de  Jean-Michel  Brutus  est  di- 
»  vertissant.  Victorius ,  qui  écrit  à 
»  Jean  délia  Casa  ,  prétend  qu'Hélène 
»  pour  témoigner  son  deuil  sur  la 
»  mort  de  Clytemnestre  ,  sa  sœur  , 
»  se  coupa  les  cheveux  jusqu'à  la  ra- 
»  cine  ,  sans  que  cela  l'empêchât  d'ê- 
»  tre  encore  belle  ;  et  monsignor  délia 
»  Casa  est  d'opinion  qu'elle  n'en  cou- 
»  pa  que  les  bouts  ,  comme  l'on  fait 
»  quelquefois  pour  les  empêcher  de 
»  fourcher;  et  on  produit  là -dessus 
»  un  bout  de  poème  fort  ingénieux 
»  de  cet  archevêque  ,  adressé  au 
»  comte  Galéace  de  Florimont ,  où  le 
»  prélat  fait  une  confession  ingénue 
»  de  n'avoir  encore  quitté  le  monde 
»  qu'à  fleur  de  peau  ,  et  ainsi  d'avoir 
»  imité  Hélène,  qui  ne  sacrifia  au 
»  deuil  pour  sa  sœur  que  les  extré- 
»  mités  de  sa  chevelure.  La  poésie  en 
»  est  noble. 

»    V t  capta  rediens  Ilelena  cum  confuge  Trojtî 
»   Lento  homine ,  alque  aniaii  lenis ,  nimium- 

que  remissi , 
»  Incidd  in  ccedem  ipsum  et  funus  prope  so- 

roris  , 
»>    Quain     prœceps    miseri    virtus   jugularal 

Orestis  , 
»   Succisam  de  more  comam  mis  sur  a  sepullo 
»    Germants  cine ri ,  ferlur  dempsisse  capillo 
»   Vix  tandem  è  summo  paulum,  ne  forte  pla~ 

ceret 
*>    Tonsa   minus   metuens  Spartanis  improba 

mœchis. 
»  Haud  aliter  Galatcœ  malis  erroribus  ac- 

lus 
•>   Nuper  ego,  et  Phrygios  naulas  Paridem- 

que  secutus 
»  Aufugi  longé,    atque  idem:   rediil  tamen 

ut  mens 
»   Ad  sese ,  peregrè  nimiîtm  remorata  proten'te 
«   Ornamenta    fugts    sensim    lenlèque    repo- 

no  ,  etc. 

Les  modes  des  coiffures  peuvent  être 
tellement  diversifiées  ,  qu'il  s'en  peut, 
trouver  où  les  agrémens  du  visage  ne 
souffrent  aucune  diminution  par  la 
perte  des  cheveux  ;  mais  en  général 
il  est  certain  que  cette  perte  passe 
pour  un  accident  formidable  à  la 
beauté.  Voyez  la  remarque  (G)  de  l'ar* 
ticle  d'ANACBÉoi* ,  tome  II,  page  iG. 

(A  A)  Un  auteur  français  prétend 
quelle  avait  beaucoup  d'esprit  et  d'é- 
loquence ,  et  quelle  se  fit  aimer  par- 
la autant  que  par  sa  beauté.\  Cet  au- 
teur français  est  le  chevalier  de  More. 
Il  prouve  par  deux  grands  exemples 
qu'il  ne  faut  pus  que  les  femmes  pren- 
nent trop  de  confiance  en  leur  beau- 
té, ni  les  hommes  en  leur  bonne  mine  ; 


HÉLÈNE.  55i 

et  que  c'est  l'adresse  et  le  tour  de  l'es-  maxime  est  véritable  (176).  La  beauté', 
prit  qui  font  presque  /ont  ,  pourvu  sans  les  agrémens  de  l'esprit  et  de  la 
que  la  personne  n'ait  rien  de  cho-  langue,  n'est  pas  d'une  grande  force  ; 
quant  (172).  Cléopâtre  lui  fournit  le  el  51  eue  fail  des  conquêtes,  elle  les 
premier  exemple.  Elle  avait  peu  d'é-  fait  à  la  manière  de  ces  braves  géné- 
c/at,  dit-il  (173),  «  et  de  la  sorte  que  raux  qui  subjuguent  promptement 
»  le  monde  en  parlait,  elle  n'était  une  province,  et  qui  ne  savent  pas  la 
»  pas  si  belle  que  d'abord  on  en  fût  garder.  L'empire  des  belles  se  con- 
»  surpris:  mais  quand  on  venait  à  la  serve  pour  le  moins  autant  par  les 
»  conside'rer',  c'était  un  charme  ;  et  charmes  de  l'esprit  que  par  les  char- 
»  ce  fut  par  ses  manières  délicates  mes  du  visage.  Cesonl  deux  sortes  de 
»  qu'elle  tint  César  trois  ou  quatre    grâces  qui  ont  besoin  l'une  de  l'autre , 

»  ans  enchanté Pour  une  preuve    et  qui  se  rendent  mutuellement    de 

»  bien  sûre  que  c'était  l'esprit  qui 
»  faisait  tant  souhaiter  cette  prin- 
»  cesse,  c'est  qu'Antoine,  qui  pou- 
»  vait  choisir  aussi-bien  que  César  , 
»  ne  la  vit  que  dans  un  âge  où  peu 
»  de  femmes  sont  encore  belles  ,  et 
»  qu'il  en  devint  siéperdumentamou- 
»  reux  ,  qu'il  aima  mieux  renoncer  à 
»  l'empire  du  monde  que  de  la  per- 
»  dre  de  vue.  »  Voici  son  second 
exemple  : 


Hélène  par  même  voie 
Aux  rares  beautés  de  son  corps 
ajoutant  de  l'esprit  les  aimables  trésors  , 
Causa  l'embrasement  de  Troie, 
Si  son  esprit  n'eût  eu  des  charmes  , 
Ce  peuple   n'eiit  jamais  voulu  , 
Contre  le  droit  des  gens,  d'un  pouvoir  abso- 
lu , 
Pour  la  garder  prendre  les  armes. 
La  Grèce  ainsi  l'eût  oubliée 
Entre  les  bras  de  son  amant  ; 
Mais  elle  se  souvint  de  son  esprit  charmant, 
Et  la  guerre  fut  publiée. 


bons  offices.  Certains  discours  fades 
el  ridicules  dégoûteraient  extrême- 
ment ,  si  la  beauté  de  la  personne  ne 
leur  prêtait  un  je  ne  sais  quoi  qui  les 
farde.  Certaines  beautés  du  corps  ne 
feraient  aucune  impression  ,  si  les 
agrémens  de  l'esprit  ne  se  répandaient 
sur  elles.  Voilà  des  secours  récipro- 
quement donnés.  Mais  comme  l'esprit 
est  presque  toujours  le  principal  in- 
strumentpour  conserver  la  conquête, 
et  assez  souvent  pour  la  faire  ,  on  peut 
prétendre  que  c'est  lui  qui  contribue 
le  plus  à  établir  la  domination  de  la 
beauté.  Le  poète  qui  assure  qu'il  ne 
faut  pas  moins  de  forces  pour  conser- 
ver que  pour  acquérir  , 

Non  minor  est  virtus,  quant  quœrere  ,  parla 
tueri  : 
Casus  inesl  Mis;  hic  erit  arlis  opus  (177), 

est  un  des  plus  grands  législateurs  de 
l'empire  de  l'Amour,  et  il  applique 
cette  sentence  à  l'affaire  dont  il  s'agit 
en  cet  endroit-ci.  Il  passe  même  plus 
avant  :  il  fait  entendre  que  l'acqui- 
sition est  moins  difficile  que  la  con- 
servation : 


»  Il  y  a  beaucoup  d'apparence,  ma- 

»  dame  ,  que  sa    beauté  n'était   pas 

»  seule,    puisque   i<>:is  les   dieux  se 

»  partagèrent  pour  la  donner  à  ceux 

)>  qu'ils  favorisaient ,  et  si  elle  n'eût 

»  eu  que  son  visage  et  sa  taille,  c'eût 

»  été  leur  faire  un  médiocre  présent. 

»  Je    m'imagine    que   ce   qu'ils   esti- 

»  maient  en  elle  de    plus  haut  prix  , 

»  était  l'adresse  qu'elle  avait  de  plai- 

»  re  et  de  se  faire  aimer  par  ses  en- 

»  (retiens  ('74)-  "  Joignez   à  ceci  les    C'est  aussi  la  pensée  de  plusieurs  his- 

parolcsdu  même  auteur,  quej'airap-    toriens,  touchant  les  progrès  des  ar- 

portées  en  faisant  mention  du  népen-    mes  (179). 

thés  (175}. 

Je  n'examine  point  s'il  a  raison  dans 
le  fait  particulier  de  la  belle  Hélène  ; 
mais  il  me  semble   qu'en   général   sa 

(172)  Chevalier  de  Meré  ,  Oi^cours  des  Agré- 
mens ,  pag.  1  38  ,  édition  de  Hollande. 

(173)  L'a  mé>ne.  Voyez,  ci-dessus  ,  la  remar- 
que (\.)  de  l'article  Dellius  ,  tom.  V,  p.  45o. 

(174)  Chevalier  de  Meré  ,  Disours  des  Agré- 
mens ,  pag.    i3g. 

(175)  Vans  la  remarque  (T) ,  a  la  fin. 


Nunc    mihi,  si  quando  ,    puer  el  Cylheréa  , 

favete: 

Nunc  Eralo  ,  nam  tu  nomen  amoris  habes. 

Magna paro ;  qiias  possil  Amor  retnanere  per 

artes 

Dicere;  tant  vaslopervagus  orbe  puer  (178). 


(17G)  Voyez,  tom.  V,pag.  4"><>,  '"  remarque 
(A)  de  l'article  Deilids  ,  et  les  nouvelle!  Let- 
tres contre  l'Histoire  du  Calvinisme  de  Maira- 
bo:irs  ,  pag.   Soi   el  77.4- 

(,--)  Ovin*.,  de  Aitearaandi,   lib.  II,  vs.  i3. 

(1-8)  Idem  ,  ibid.,  vs.  i5. 

(1-0)  Plu'  est  provincial»  re'inere  .  quhm  fa- 
cere  "Flor.  ,  lib.  H.  cap.  XVII.  FaciWus  est 
qitœdam  vîneere  qu'am  tueri.  Quint.  Curlillt,  lih, 
IV,  cap  Kl.  Voyei  les  '  ommenUirej  de 
Freinsliémius  sur  ces  deux  passages. 


552  HÉLIODORE. 

HÉLIODORE ,  nalif  d'Émèse  réfuter  ceux  qui  le  diraient.  Si 

dans  la   Phénicie    (a),    est   plus  la   déposition    d'Héliodore   était 

connu  par  le  roman  qu'il    corn-  véritable,    nous   aurions   là    un 

posa  pendant  sa   jeunesse   (A;  ,  grand  exemple  de  la  tendresse 

que  par  l'évêché  de  Trica  (b)  où  d'auteur.  Un  écrivain  moderne 

il  fut  ensuite  élevé.  Il  n'y  a  guè-  connaissait  desgeus  qui  auraient 

re  de  gens  qui  croient  qu'il   ait  fait  ce  qu'on   attribue  au  prélat 

été  déposé  par  un  synode  ,  pour  de  Trica  (F). 
n'avoir  pas  voulu  consentir  à   la 

suppression  de  ce  roman  (B).  Ni-  (A,}  Par  le   roman  qu'il  composa 

f1,1               .   ■             ,          .       '         .  pendant  sa  jeunesse.     11  a  pour  titre 

cephore  est  le    seul    auteur   qui  aIW,**  ,  et  contient  les  Amours  de 

dise    cela.    Socrate    (c)   raconte  Théagène   et  de    Chariclée.    On   en 

qu'Héliodore  introduisit  la  cou-  trouve  un  extrait  dans  Photius  (i). 

tume  de  déposer  les  ecclésiasti-  ?;  H",è'  Ju§e  qu'H^odore  a  été    à 

1    ,                             ,  1  égard  des  romanciers,  ce  cm  Homère 

ques  qui  coucheraient  avec  leurs  à  regard  des   poètes,    c'est-à-dire 

femmes  depuis  leur  ordination,  que  l'ouvrage  d'Héliodore  a  servi  de 

C'est  un  préjugé  favorable  pour  source  et  de  modèle  à  une  infinité  de 

la  chasteté  de  ce  prélat.  Il  paraît  ron™ns-  f  '"»  sibi  sequendum  tempo- 

A                                l                    f.,      .  rum  fabulatoves  romanenses  tanguant 

même  par  son    roman    qu  il  ai-  exemplum  proposuerunt  ad  imitan- 

mait  cette  vertu;    car   le    héros  dum,  et  tant  verh  omne.s  dici  possunt 

de  la  pièce  est  d'une  sagesse  qui  ex  hoc  fonte,  quant  poëtœ  ex  Home- 

a  donné  lieu  à  des  railleries  as-  nc0  sua?>sic  ut  dicam    aquashau- 

_,     T             ,  sisse  (2).  La   première  édition  de  ce- 

sez  piquantes  (C).  Le  traducteur  ]ui_ci  est,   ce   me  semble,  celle  de 

de  Photius   n'exprime    pas    bien  Baie,  1 534   *'•  Opsopœus,  qui  la  dé- 

l'éloge  qui  est  donné  aux  chastes  dia,  au  sénat  de  Nuremberg  ,  assure 

„  j„  rrii    '     •            .    j     /-ii  qu  un   soldat  en   sauva  le  manuscrit 

amours  de  Iheasrene  et  de  Lha-  ■'             ,     ,  .,,.  ...         i    d  j    r  < 

,                          o               ,        .  lorsque   la  bibliothèque  de  Bude  tut 

riclee;  car,  selon  la  traduction  ,  saccagée  (3).  Stanislaus  Warszéwiczki, 

il  faudrait  croire  qu'Héliodore  a  chevalier  polonais  ,  est  l'auteur  de  la 

fait  un  roman   sur   les    amours  traduction  latine  qui  fut  imprimée  à 

d'un  mari  et  d'une  femme  (D) ,  Bâle  '  avec  le  £ec  '.  Pa"  ,55'  ■  .Amyot 

v  ''  commença  ses  Versions  rrancaises  par- 
ce qui  serait  tres-absurcle.  Quel-  cellede  cet  ouvrage  *\  Mélin  de  Saint- 
qu'un  a  prétendu  qu'Héliodore  Gelais,  évêque  d'Angoulême  (*)  ,  en 
n'était  point  chrétien  ;  mais  il  se  fl)  Num  ?3  f  w  l5,  et  teq, 
iondesur  des  raisons  assez  faibles  (2)  Huet..  de  Ongin.  Fabui.  Roman. ,  p.  38. 
(E).  M.  Huet  (d)  ne  doute  point  ne*|  gj",1^'' ™  ^t*1"^"1"0 et  J°,y  fepren" 
que  l'auteur  de  ce  roman  ne  soit  f3)  Voyez  u  Ribiiotiiéq.  de  Ge.»er  ,fol.  3oi. 
l'évêque  de  Trica  ,  sous  l'empire  ."  Lecl"c  °};"ve  i"e  ce  ne  fut  Pa,s  le  rre" 

n           l.    ,     -                        ;                           1  mier  ouvrage  d  Amyot.  Voyez  son  article,  loin. 

de    lheodose;  mais    il   ne  croit  i,pag.  498. 

point   qu'on   puisse  prouver     que  H  «i  Sorel  a  dit  ce  que  IVrRayk  semble  lui 

i    f              1           f     V                  I                          Tl  taire  dire,  savoir  que  le  poète  Melm  de  àaint-Oe- 

l'evêque  Heliodore  ,     à    qui    Saint  lais  a  été  éyêque  d'Angoulême  ,   il  n'avait   con- 

-r  »                          »       -.      1          1     ,  .                        ..  suite  ni  les  éloees  de  Samte-Marihe,  ni  la  Gallia 

.ferOltie   a   écrit   des    lettres,    SOlt  christiana.  C'est  Octavien  de  Saiot-Gelais  ,  père 

l'évêque  de    Trica.     Il  Croit    aussi  »<"»rrfde  Mélin,  qui ., tété  évêque  de  cette  ville. 

,      i                               .  Il  vivait  sous  les  rois  Charles  VIII  et  Louis  XII. 

qil  On  ne  pourrait  paS  Solidement  El  plusieurs  poésie  de  ce  prélat  sont  entrées  dans 

le   Kecueil  ,    i/t-40.  ,   golbique  ,    imprimé  suus  le 

(a)  Heliod.,  JEthiop.  ,  lib.  X.subjnem.  ia™  ,le,  VerSer  d'H™n"tr;     .  ,  . 

(/.•■  Dans  la  Tkessalie.  ll  «•'  *«f»«»tq««  M.  Bayle  a, t  laisse  échapper 

..                ,            ...                              ,  une  telle  faute  :  ce  ne  peut  être  que  pur  une   ne 

(C    HlSt.  eccles.  ,  lib    V,  cap.  XXII.  ces  attractions   auxquelles  les  plus  habiles  gens 

(dj  Me  Origine  Fr.bulartim  Romanensium,  SOnt  sujets.  En  copiant  Sorel  (Remarques  sur  le 

}"g.  00.  Berger  extravagant,  liv.  XI II,  pag.  477)  ,  d'où 


HELIODORE. 


553 


a  mis  une  bonne  partie  en  vers  fran- 
çais (4).  Les  notes  de  Jean  Bourdelot, 
sur  ce  roman  ,  sont  très-doctes  ;  elles 
furent  imprimées  à  Paris,  l'an  1619, 
avec  le  grec  d'Heliodore  et  la  traduc- 
tion du  chevalier  polonais. 

(B)  II  n'y  a  guère  de  gens  qui 
croient  qu'il  ail  été  déposé  par  un  sy- 
node pour  n'avoir  pus  voulu  consentir 
a  la  suppression  de  ce  roman.]  Nicé- 
phore  conte  qu'un  synode  ayant  don- 
ne' à  opter  à  Heliodore  ,  ou  de  brûler 
son  roman,  ou  de  renoncera  son  évê- 
che' ,  l'auteur  aima  mieux  cesser  d'être 
e'vêque  que  de  jeter  au  feu  son  ou- 
vrage (5).  Cela  paraît  fabuleux  :  une 
chose  aussi  singulière  que  celle-là  au- 
rait e'të  rapportée  par  plusieurs  his- 
toriens ,  et  ce  ne  serait  pas  Nice'phore 
seul  ,  homme  crédule  et  de  peu  de  ju- 
gement, qui  nous  l'aurait  conservée. 
Quœ  omnia  eo  me  facile  reducnnt ,  ut 
dijffidam  iis  maxime  quœ  addit  Nice- 
phorus  ,  scriptor  credulus  ,  sapientiœ 
et  fi  lei  non  satis  spectatœ  ,  synodum 
scilicet provincialem  cognito  periculo, 
in  quod  lectio  fabulœ  hujus  ,  cui  au- 
toris  sui  dignitas  tantkm  ponderis  et 
autoritatis  dabat  ,juvenes,  suapte  na- 
turâ  ad  id propensos  et  quasi  mitan- 
tes impelleret ,  eam  ipsi  conditionem 
obtulisse  ,  ut  aut  opus  suum  flammis 
abolerel,  aut  sud  dignitate  cederet  ; 
rumque  ,  quod  ultimum  erat ,  prœtu- 
lisse  (6).  Socrate aurait-il  pu  s'en  taire 

il  a  tiré  cela  ,  il  n'a  point  pris  garde  que  cet 
auteur  s'était  trompé;  car  autrement  il  en  aurait 
averti,  selon  sa  coutume-  Sorel  ne  l'a  peut-être 
lait  non  plus  que  par  inadvertance;  mais  c'est 
toujours  un  grand  défaut,  puis  ue,  outre  M.  Bay- 
le  ,  cela  a  fait  tomber  dans  la  mêm<>  erreur  , 
nor.-seuleraent  l'auteur  des  Essais  de  Littérature 
(tom.  If,  pag.  3o4,  3o5,  édition  de  HAlande), 
mais  même  le  célèbre  M.  Fabricins  (Biblioth. 
Grsecjs  tom.  VI,  pag.  787).  Au  lieu  de  Mélin 
de  Saint-Gelais  ,  il  fallait  dire  Octavien  de  Snint- 
Gelais  ,  son  père  ,  qui  a  été  en  effet  évêque  d'An- 
goulême(  Sammarth. ,  Elo^ior.  pag.  3gl,  et  qui 
est  celui  dont  on  a  voulu  parler.  Au  reste,  ni 
Du  Verdier  (Bibliothèque  française,  pag  928), 
ni  la  Croix  du  Maine  (  Bibliothèque  française  , 
pag-  364  )  ,  ni  aucun  autre  auteur  ,  que  je  sache, 
ne  fait  aucune  mention  de  CPtte  traduction  en 
vers  d'une  partie  des  amours  de  Théagène  et  de 
Chariclée,  et  Sorel  e»t  peut-être  le  ;-eul  qui  en 
ait  parlé. 

Par  occasion,  je  remarquerai  que,  dans  les  In- 
cunabula  typographie  de  heughem.  pag.  i~fi  , 
on  a  métamorphosé  cet  Octavien  de  Saint-Gelais 
en  Oclavuus  de  Saint  -  Gervait.  C'est  étrange- 
ment défigurer  les  noms.  Rem.  cb  1  r. 

(41  Sorel ,  Remarques  s  ir  le  XIIIe.  livre  du 
Berger  extravagant,  pag.  <>S5 

(5)  Nicepbor.  ,  llist . ,'  l.b.  XI l,    c.   XXXIV. 

tfi)  Huetius,  de  Orig.  Fabul.  Roman.  ,  p.  30. 


dans  l'endroit  où  il  remarque  qu'Hé- 
liodore  avait  compose'  des  livres  d'a- 
mour pendant  sa  jeunesse  ?  Ou  >.!■)  îtsli 
t'jVïi/j.o.'tx  ipmTHUL  jéiGxiài ,  a.  véoc»v  =tï>'s 
x.a.1  AiSiotix*  Tf'iTnyhpturt  :  Cujus  no- 
mine  circumferuntur  amalorii  libri 
(/nos  Me  dum  juvenis  esset  composuit: 
et  Ethiopicos  inscripsit  (7).  M.  Valois, 
tmn  content  de  rejeter  comme  une 
fable  ce  que  Nicéphore  débite ,  ne 
croit  pas  même  que  ce  roman  ait  été 
fait  par  Heliodore  lYvèque.  Voyez 
ses  notes  sur  cet  endroit  de  Socrate. 
Voyons  ce  qu'a  dit  l<  sieur  Sorel.  Je 
ne  saurais  croire  au? Heliodore  fût 
évêque  ,  et  qu'il  au  été  si  sut  que  d'ai- 
mer mieux  perdre  son  évéche  que  de 
brûler  son  livre,  selon  le  choix  q  ne 
l'on  lui  donnait.  Ce  sont  de  petits 
contes  faits  a  plaisir  ;  car  si  son  livre 
était  si  scandaleux  que  l'on  ne  lui 
voulût  pas  donner  la  licence  de  le 
mettre  au  jour,  l  on  n'eût  pas  laissé 
de  le  d<  fendre  ,  quand  il  eût  quitté  sa 
charge  ,  tellement  qu'il  eût  été  frus- 
tré de  son  attente  (8).  Cet  auteur  au- 
rait mieux  fait  d  ■  donner  son  juge- 
ment non  raisonné  ;  car  la  raison  qu'il 
avance  ne  vaut  rien  :  la  condamna- 
tion d'un  livre  par  un  synode  n'em- 
pêche  pas  qu'il  ne  soit  lu  ,  qu'il  ne 
soit  connu  ,  et  qu'il  ne  reçoive  les 
éloges  qu'il  mérite  ;  et  par  conséquent 
Heliodore  n'aurait  pas  été  frustré  de 
son  attente  ,  quand  même  les  évoques 
qui  lui  proposèrent  l'alternative  au- 
raient condamné  son  roman.  Le  père 
Vavasscur  a  raisonné  d'une  fanon  plus 
solide  ,  quand  il  a  dit  qu'il  n'était 
plus  au  pouvoir  d'Heliodore  de  sup- 
primer  son  ouvrage;  d'où  il  faut  con- 
clure que  les  évèques  ne  lui  proposè- 
rent point  le  choix  dont  on  parle. 
Qu'en  pouvait-il  résulter  «à  l'avantage 
des  bonnes  mœurs?  Neutrum  ,  quan- 
tum opinio  mea  est ,  verè  dicitur. 
JYeque  lata  episcopo  conditio  tant 
pvœpostera  ,  tamque  gravis  :  neque 
ab  illo  accepta  ,  aut  repudiata  quoquo 
modo:  quod  ipse  ,  qui  narrai ,  abundè 
narratione  sud  refellit.  An  verù  fuit 
in  polestate  Heliodori  ,  ut  abolerel 
igni ,  ne  perderet  opus  suum  ,  aut 
omninb  suppressum  teneret ,  quod 
juin  exîsset  in  vulgus ,  et  manibus 
omnium  evolveretur,  quodque juven- 

(7)  Socrat.,   llist.  eccl.  ,  Ub.  V,  cap.  XXII. 
(S)  Sorel  ,  Remarques   sur  le  Berger  extrava- 
gant,  Ub.  XII  f .  y:< . 


55[  HÉLIODORE. 

tus  periculo   aliquo ,  damnoque  mo-  baiser  son  amant ,  et  qui  rcçoif  un 

rum ,  ut    vult   JVicephorus  ,   legendo  soufllet  de   lui   pour  récompense  de 

contrivisset  (9)  ?  Il  ajoute  que  le  père  cette  faveur,  n'csl-elle  pas  un  person- 

Pétau  ne  trouvait  point  digne  de  foi  nage  ridicule  en  ce  pays-là  ? 

cette  narration  de   Nicéphore.  Voilà  comment  je  finis  cette  remar- 

(C)  Le  héros  de  la  pièce  est  d'une  que  dans  la  première  e'dition  de  ce 

sagesse  quia  donné  lieu  a  des  raille-  Dictionnaire.  Je  supposai  que  M.  Gué- 

ries  assez  piquantes.]  Lisez  un  peu  ret,  ayant  fait  paraître  beaucoup  d'es- 

cet  endroit  du   Parnasse  Réformé  5  prit  et  de  bon  goût  dans  son  Parnasse 

c'est  Théagène  qui  parle:  «  Si  l'on  Réformé,n'avait  point  pris  pour  le  fon- 

»  avait  rapporté  fidèlement  les  ebo-  dément  de  ses  railleries  un  mensonge 

»  ses  comme  elles  ont  été  faites  ,  je  de  son  invention  ;  car    rien  n'eût  été 

»  n'aurais   pas   sujet  de  m'en  plain-  plus  contraire  que  cela  aux  lois  de  la 

»  dre  ,  je  laisserais  mon  romaniste  critique  et  de  la  satire  (1 1).  Le  croyant 

»  en  repos  ;  mais  on  me  dépeint  com-  donc  incapable  de  cette  faute  ,  je  ne 

»  me   un   insensible;   on  m'attribue  doutai  point  que  le  fait  ne  fût  tout 

■»  cette  sotte  pudeur  qui  s'offense  des  tel  qu'il  le  rapportait  ;  et  de  là  vint 

»  moindres   libertés  ,    et   l'on    aime  que  je  ne  pris  pas  la  peine  d'exami- 

»  mieux  que  je   donne  un  soufflet  à  ner  l'original.  Mais  M.  du  Rondel  n'eut 

»  ma  maîtresse,    que   de   permettre  pas  plus  tôt  lu  la  remarque  (C)  de  cet 

»  quelle  me  baise.  C'est  à  moi  ,  in-  article  ,  qu'il  m'écrivit  que  la  chose 

»  terrompit  Chariclée ,  à  me  plain-  ne  s'était  point  passée  comme  le  dé- 

»  dre   du   soufflet  dont  vous  parlez  :  bite   M.    Guéret  ;   il   me   marqua  les 

»  s'il  y  a  de  la  honte  à  l'avoir  donné,  circonstance   de    l'action  ,  et  me   fit 

»  il  y  en  a  plus  encore  à  l'avoir  rc-  voir  que  Tbéagène  ne  méritait  aucun 

»  eu  ;  etla  réparation  que  vous  pour  ■  blâme.  Je  viens   de  lire  l'endroit  où 

»  riez    prétendre    contre     Hc'liodore  Héiiodore  récite  cette  aventure  ,  et  je 

»  me  regarde  toute  seule.  »  Voici  la  me  suis  convaincu  par  mes  propres 

réponse  d'Héliodore  :  Le  soufflet  qui  yeux,  que  M.  du  Rondel  a  raison  ,  et 

vous  est  sensible  est  la  preuve  de  vo-  que   l'auteur    du    Parnasse    Réformé 

tre  pudeur,  dit-il  en,  regardant  Théa-  trompa  le  public,  et  s'émancipa  à 

gène  ,  c'est  l'effet  d'une  sagesse  qui  des  railleries  qui  méritent  beaucoup 

vous  est  avantageuse  ;  et  par-là  j'ai  mieux  d'être  appelées  des  impostures. 

conservé  celte  bienséance  ou  m'enga-  Théagène  et  Chariclée  ,  séparés  l'un 

geait  la  dignité  de  mon  caractère.  Il  de  l'autre  par  ces  coups  bizarres  de 

est  vrai  ,   reprit  Théagène,  que  pour  la  fortune  qui  sont  si  fréquens  dans 

un  évéque  (ïo)  vous  avez  bienfait  vo-  les  livres  romanesques  ,  s'étaient  ap- 

tre  personnage  en  cet  endroit  ;    mais  proches  de  Memphis  en  même  temps. 

vous  l'auriez  encore  mieux  représen-  Ils   n'avaient   rien    concerté   ensem- 

té  ,    si  vous  aviez  brillé  votre  roman  ,  ble  ,  ils  n'avaient  point  tenu  une  mê- 

ou  si  vous  n'aviez  jamais  eu  la  peu-  me  route  :  le  hasard  fit  que  Chariclée 

sée  de  le  composer.  Les  amans    n'ont  arriva   proche   de    la    ville    lorsque 

que  faire  des  vertus  épiscopales  ,  et  Théagène  marchait  autour  des  mu- 

les  évéques   ne  s'accordent  pas  bien  railles  ,  pour  une  occasion  qui  four- 

avec  les  libertés  des  amans    Une  chas-  nissait  un  grand  spectacle  aux  habi- 

telé  vesta'e   sied  mal  aux  héros  ,  et  tans.  Elle  le  reconnut  de    fort  loin  ; 

leur  amour  doit  être  détaché  de  lou-  car  ,  comme  l'observe  Héiiodore  ,  les 

tes  ces  formalités  scrupuleuses  qui  en  yeux  des  amans  sont  fort  subtils  (12). 

arrêtent  les  nobles  transports  et  les  Elle  sentit  tant  d'émotion  à  la  vue  de 

emporlemens  agréables.  Il  est  remar-  ,    ,  „    c                 ■                  rr\  1   n 

'.,              ,0                                   .,  (il)  Confer  quœ  supra,  remarque  (L)  de  l  ar- 

quable  qu  on   suppose  que   rauteur  ticle  Coiosués,  tom.  V,  pag.  242. 
n'eut  rien  à  répondre  à  la  plainte  de  (I3)'0|«5  yâ-p  ti  npo;  imyvtDriv  tpurt- 
Chariclée.  Et  en  effet ,   que  peut-on  K$v  £i,,{j  Ktt-,  w'VV(ti  ^kkIkh  x.ù  «re- 
dire contre  un  reproche  si   bien  ('on-  ^A  pivor  x-h  Trôppœâêv  »  x.h   Ix.  vàraiv 
dé  ?  Une  héroïne  de  roman  qui  veut  Tj?  S^oiothtoç  tjiv  Qttvr*<r!a.v  ?ra.piçY\a-M. 

Acrïs  est   enim  in    cognoteendo    amiinlium  as- 

(ty)  Vavassor,  rie  Indicrâ  Dictione,  pag.    i5o.  peeltis  ,    sœpihsque     moins  tanlum    et  lialntus, 

(10)  Il  n'est  pas  vrai  çu'Héliotlore  fût  évéque  quamvis  e  longinquo,  aul  eliam  a  tergo  ,  suni- 

lorsqu'il  composa  ce  roman.  Il  le  composa  dans  liludinis    oplnionem    prtebuil.    Il  cliojor.  ,    lib. 

ta  jeunesse,  comme  Socr.ite  l'assure.  Vil  ,  paç.  3 1 1  ,  edit,  Paris.  ,  iGmj. 


HÉL10D0RE.  555 

cet  objet,  que,  comme  si  elle  eut  été  roman  sur  les  amours   d'un   mari  et 

piquée  du  taon  ,  elle  courut  avec  lu-  d'une  femme.  ]  Voici  les  paroles  du 

reur   vers   Theagène  ,   et   se  jeta    à  traducteur  :   Uramatis    hujus  argu- 

son  cou    sans   dire   mot.    Elle    était  mentum  auctori  prœbuére  Tluagenes 

fort  mal  habille'e ,  et  avait  le  visage  et  Chariclea  caste  inter  se  ac  pudicè 

tout  barbouillé,  de  sorte  qu'il  la  prit  amantes  ,  citm  ullro  citroque  jactati 

pour  une  coureuse  ,  et  la  repoussa  ,  errârunt,  et  capti  etiam  iilemtidem , 

et  ne  pouvant  néanmoins  s'en  débar-  fidem  tamen  conjdgalem  constanter 

rasscr,  il  lui  donna  enfin  un  soufflet,  servârunt.  11  y  a  là  un  tamen  qui  ne 

XcLplicKtia.....  wôffcoôsv  àvxyvufirsLTu.  rov  vaut    rieu  ,  et    qui    est  une  addition 

©ïci^êviiv aia-Tê/)  o»Vf»94Îî-£i  ùtto  tÏç  du  traducteur.  Pbotius  n'a  pas  assez 

o4«û>c,  £//jU*vi)c  \ir  olÙtov  Ura.r  xai  m-  mal   raisonne    pour    dire    qu'encore 

fi^t/s-A  toû  «.v^êvoç    ÀTrfi'^  fixera  ko.)  que  la  mauvaise  fortune  ait  fait  errer 

iÇriprMTù,  xst/ j/oeooK  Tis-i  xstT«T5ra.^6To  Theagène    et     Chariclée     en     divers 

ôp'vsi;'  c  S%,  oiov  ukïç,  o^iv  Te  pv-rÛTsiv  lieux  ,  et  qu'elle  les  ait  rendus  cap- 

xcl'i  Trfoç  ro  a.irXp't>Ttpw  ïvnir»S'tv/AiY»v  tifs  ,   ils  n"onl  pas  laissé  de  s'abstenir 

[iVa'v]    acti   ia-'inra.    rt'Tf.iiX.u/utvriv ,  nati  d'un    nou\<i     engagement    d'amour. 

Mtrfppa)-)  .Zislv  ,  ôcTTrtp  Ttvct  w   à.yîifju-  Chacun  coin  prend  que  cette  vie  agi- 

a-ôùv  Kcti  ÀA»6âf  àxMTiv,  <fiœô«ÎTo  xa*  Ta.-  tee  ,  et  quelquefois  prisonnière  ,  que 

pnyKaiviÇi'ro'  Ktti  t'imç  l^raS»  où  jutSiii,  ces  deux  amans  ont  menée,  est  plu- 

cèç  hoXxoûs-itv  Keù  th  hitL  t»v  ay.<f>î  Ka-  tôt  une  raison  pourquoi  le  héros  n'a 

xiripiv  ij.'.Tr^S'mi  lça./w.év»v ,  nxi  Snppin-i-  pas  changé  de  maîtresse  ,  ni  L'héroïne 

o-êv.   Chartclia citm  è  longinquo  de   galant,   qu'une   raison  pourquoi 

cognoinsset  Theagenem lanquam  ils  aient  conçu  de   l'amour  pour  un 

icta  illius  aspectu  ,  furibttnda  ad  ip-  autre  objet.  L'infidélité  est  moins  sur- 

sum  fertur,  et  hœrens  in  amplexu,  è  prenante  dans  la  mollesse  d'une  vie 

collo  nulld  voce  édita pendebat,  lugu-  tout-à-fait  tranquille  et  comblée  de 

bribusque    quibusdam  lamentis    eum  prospérités.  Mais  la  principale  faute 

salutabat-  ïlle  autem  ,  ut  est  verisi-  du  traducteur  est  de  dire  qu'ils  gar- 

mile  ,  fiiltum  squalidum  ,   et  ex  in-  dèrent  exactement  la  foi  conjugale. 

dustriâ  contaminatum  et  pollution  ui-  Comment,  cela,  puisqu'ils  n'étaient 

dens ,    et  western   l'i/em  ac  lacérant  ,  pas  mariés?  Ils  ne  se  marient  selon 

veluti  aliquam  ex  circulatricibus  ,   et  la  coutume  qu'à  la  fin  du  livre.  C'est 

refera    vagabundam    rejiellebat  ,    ac  la  queue  du  roman  d'Héliodore. Voyez 

rejiciebat  :  et  ad  extremum,  cùm  non  en  note    la  vraie  version  des  paro- 

desisteret  ,    tanquam  sibi  moleslœ  et  les  de  Photius  (i5).  Il  y  avait  long- 

spectaculum    illud    Calasiris    impe-  temps  qu'Opsopœus  avait  fait  la  faute 

dienti ,   etiam  alapam  infli.rit   (i3).  que  je  censure.  Conjdgalis  amoris  ac 

Mais  dès  qu'il  eut  reconnu  que  c'était  fidei    et    constantiœ    pulcherrimum 

sa  chère  Chariclée ,  il  l'embrassa  ten-  exemplarin  Theagène  et  Chariclea 

drement  (i4)-  H  est  aisé  de  conclure  adumbravit  (16). 

de  ce    récit  que  le  réformateur   du  (E)   Quelqu'un  a  prétendu  qu'Hé- 

Parnasse  a  changé  toute  l'espèce  du  liodore  net, ut  point  chrétien;   mais 

fait ,  et  que  toutes  ses  railleries  de-  il  se  fonde  sur  des  raisons  assez  fai- 

viennent  par  là  insipides  et  absurdes,  blés.  ]  La  première  est  qu'Amyot  a 

Chariclée  ,  je  l'avoue,  reçut  un  souf-  dit  que  Phi/os/rate  fait  mention  d'un 

flet  ;  mais  on  ne  peut  pas  prétendre  sophiste  appelle   Heliodore  ,    et  que 

en  bonne  justice  que  Theagène  don-  l'on   a   cru  que  c  estait  de  cettuy-cy 

na  un  soufflet  à  Chariclée  ;  il  croyait  qu'il  parloit.  La  seconde  que  cet  au- 

frapper  une  de  ces  femmes  que  nous  .,.          ,    ~  .      -  .  .             ,    ,„ 

nommons  Bohémiennes.  Appliquez  à  v  (lV  hr'v  uu™  *  ™  tf*/*?™  "™9^ 

tout  ceci  ce  que  les  jurisconsultes  et  X*/,?M'*  **'  ©«>?w  >  ™*f»*t  ***»- 

les  casuistes   observent   touchant  IV  r  ,                 r                »      '       „    /s 

gnorance  qui  disculpe.  '                                                  T 

(D)    Selon    la  traduction  ,    il  fan-  T££genes  eL  CharJea  pud.ee  inter  sr  aman- 

ffrait   croire    qil  Heliodore    a  fait    un  tes  ,  et  eorum  errores ,  ac  caplh-ilas  omnimoda, 

et  custodia  castttatis.    Pholius,  ninti.    "3,  pnc. 

(i3)  Heliodor.,  lib.  Vit,  paS.  3n,  ed.t.  Pa-  i5j. 

ris.  ,  1619.  (16)  Obsopsus  ,   episl.    dedicat.  ,   apud  Ges» 

(■4J  Idem,  ibid.,  pag.  3ia.  ner.  ,  Bibliolh. ,  folio  3oi. 


556 


HÉLOÏSE. 


theur  mettant  a  la  fin  de  son  livre  de  leurs  ouvrages  ,  qu'ils  aimeraient 
qu'il  est  Phœmcien,  natif  de  la  ville  miens  perdre  les  meilleurs  bénéfices 
d'Emessa  ,  et  de  la  race  du  Soleil  ,  du  royaume  ,  que  de  renoncer  à  la 
nous  oste  l'opinion  qu'il  soit  dires-  louange  qu'ils  croient  avoir  méritée 
tien;  car  il  n'y  a  point  de  doute  par  leurs  romans.  Cujus  tamen  fac- 
qu'un  chrestien  ,  et  un  evesque  de  tum  ne  magnoperè  viluperetur ,  aut 
surplus  ,  seroit  insensé  s'il  alloit  dire  ne  reprehendatur  ex  toto  ,  nonnulli 
qu'il  seroit  des  descendans  de  l'astre  obstanl  ,  quos  ego  scio  ,  si  islo  loco 
qui  nous  donne  le  jour  (17).  Il  n'est  essent ,  fieretque  potestas  eligendi  , 
pas  besoin  que  je  dise  que  la  pre-  hoc  idem  et  ampliùs  facturos  ;  tales- 
mière  raison  ne  prouve  rien  :  la  se-  que  parlas  ingenii ,  qualia  Heltodon 
conde  a  plus  de  force  ;  mais  elle  n'en  jEthiopica  sunt ,  non  Thraciœ  modo, 
a  pas  assez  pour  établir  une  bonne  sed  opimis  Galliœ  sacerdotiis  omni- 
preuve.  Il  est  sur  que  plusieurs  chre-  bus  anteposituros  ,  et  loco  graduque, 
tiens  du  IVe.  siècle  faisaient  men-  et  qudvis  dignitate  cessuros  potiks  , 
tion  de  l'antiquité  de  leur  noblesse  quàm  laboris  ,  et  industriœ ,  et  bonas 
(18)  Pourquoi  donc  ne  croirions-  existimationis  fructum  hune  qualem- 
nous  pas  qu'He'liodore  a  fait  mention  cumque  amitterenl  (20). 
de  la  sieune?  Il  n'a  point  cru  qu'elle  .  .  ,,  ,,■,-»„■• 
dût  son  origine  au  soleil ,  mais  il  a  (2o)  Vavassor>  de  ludic'a  D,c,lone>  W  >5°. 
pu  croire  qu'il  la  devait  caractériser  HÉLOÏSE  ,  concubine  et  puis 
par  la  :  c  était  un  titre  qui  la  distin-  r  j  rr  al'i  J  i- 
guait  depuis  long-temps,  et  qui  lui  femmede  Pierre  Abelard  ,  reh- 
faisait  honneur;  et  quoique  le  prin-  gieuse  et  puis  prieure  d  Argen- 
cipe  fût  faux  ,  on  en  pouvait  tirer  teuil ,  et  enfin  abbesse  du  Para- 
des conséquences  avantageuses  à-  sa  c]et  a  trop  faJ;t  parIer  d'elle 
famille  ,  par  rapport  à  1  ancienneté'.  .  •  1 
Cela  pouvait  faire  qu'un  cLrétien  dé-  pour  ne  mériter  pas  un  article 
siguât  ainsi  la  noblesse  de  son  extrac-  un  peu  étendu  dans  cet  ouvrage, 
tion.  Joignez  à  cela  qu'Héliodore  n'é-  Elle  avait  un  oncle  maternel 
tait  point  e'vêque  quand  il  composa  nomnié  Fulbert  (A) ,  qui  était 
son  roman.  11  était  dans  les  premiers  1  •  j  n  •  *  ■  1»  • 
fu„„  j„  o„  •  .-  ™™  1  chanoine  de  Fans ,  et  qui  1  ai- 
teux  de  sa  ]eunessc  ;  et  comme  il  ne  .  .  li- 
se nomma  point,  il  pouvait  plus  li-  mait  tendrement.  Il  prit  un  soin 
hrement  désigner  sa  race  suivant  la  extrême  de  la  faire  bien  élever; 
vieille  tradition  de  sa  famille.  et  comme  eHe  avait  beaucoup 
(r)    Un  écrivain  moderne  connais-  u          -.         11       1      •    .  j 

sait  des  gens  qui  auraient  fait  ce   d  esprit     elle  devint  en  peu  de 

qu'on  attribue  au  prélat  de  Trica.  ]  temps  Si  habile  ,  que  sa  réputation 
L'écrivain  moderne  dont  je  parle  est  vola  par  tout  le  royaume  (B). 
le  père  Vavasseur.  Il  ne  croit  point  Elle  était  d'ailleurs  assez  belle 
ce  que  JNicephore  raconte  :   cela  lui    ,n\     n  i«     < 

paraît  badin  ,  soit  qu'on  le  rapporte  (C)'  J1  ï  avait  en  C?  temps-la  a 
à  ceux  qui  proposent  une  telle  alter-  Paris  un  fameux  docteur  ,  qui 
native  ,  soit  qu'on  le  rapporte  au  faisait  des  leçons  publiques  avec 
parti  choisi  (19).  Néanmoins  il  assure  une  réputation  surprenante  ;  c'é- 
tait Pierre  Abélard  ,  le  plus  sub- 
til dialecticien  de  son  siècle  ,  et 
celui  qui  a  commencé  à  mettre 
en  vogue  la  philosophie  et  la 
théologie  scolastiques.  Il  jouis- 
sait de  tout  l'éclat  qu'un  homme 
de  sa  profession  pouvait  souhai- 
ter :  il  avait  un  nombre  infini 
de  disciples  ;  il  passait  pour  un 
très-grand    maître  ;   il    gagnait 


qu'il  connaît  des  gens  si  amoureux 

(il)  Sorel ,  Remarque  sur  le  livre  XIII  du 
Berger  extravagant,  pag.  C85. 

(iH)  Voyez  une  Dissertation  de  Balzac,  a  la 
.suite  du  Sociale  chrétien.  Vous  y  trouverez  entre 
autres  choses  que  saint  Jérôme  fait  descendre 
tf  Agamemnon  sainte  Punie,  et  que  Synésius  se 
glorifie  d'être  descendu  d'Hercule. 

(19)  Lepida  ver'o  oplio  data  prœsuli ,  utr'um 
salvum  vellety  jocularemne  librum  ,quetn  scrip- 
sissel  o/au,  an  amplissitnuin  sacertlolium.  cui 
tum  preeesset.  Lepidius  eltam  judiciutn  et  elec- 
10  episcopi ,  sacra  dignilaiis  facturé  commune 
elpervagatum  tcriploris  nomenredimentis.  Va- 
vassor,  do  ludicrû  Dictiouc  ,  pag.  i$g. 


i 


HÉLOÏSE.  557 

beaucoup  d'argent  ;  mais  il    ne   l'oncle(G),  et  le  trouva  d'abord  in- 
faisait  point   l'amour  :    il    crut    crédule,  tant  il  avait  compté  sur 
cjue  cela  faisait  une  brèche  con-   la  sagesse  d'Abélard  et  sur  celle 
sidérable  à  sa  fortune.  Afin  donc    d'Héloïse  ;  niais  à  force  de  revenir 
que  rien  ne  manquât  à  son  bon-  àla  charge  on  dissipa  l'incrédulité, 
heur,  il  conclut  qu'il  deviendrait    Le  prétendu  précepteur  sortit  de 
amoureux,  et  il  choisit  Héloïse   chez  le  chanoine.   Il  en  fit  aussi 
pour  sa   maîtresse.    Nous  avons    sortirHéloïse  quand  il  sut  qu'elle 
dit  ailleurs  (a)  les  raisons  qui  le    était  grosse;  et  ,  la  déguisant  en 
portèrent  à   faire  ce  choix  ,    et    nonne  (ù)  ,  il  l'envoya  en  Breta- 
cominent  il   se   fourra   chez   le   gne  chez  unedeses sœurs,  où  elle 
chanoine  ,  sur  le  pied  de  précep-    accoucha  d'un    garçon      Fulbert 
teur  domestique.  Le  bon  homme   conçut  une  furieuse  colère  con- 
Fulbert   avait  espéré  que,   sous    tre  Abélard ,  qui  se  tint  sur  ses 
un  tel  maître,  Héloïse  s'avance-   gardes,  non  sans  espérer  qu'on 
rait  dans   les  sciences    avec  une   n'oserait  ni  le  tuer ,  ni  lui  cou- 
merveilleuse  rapidité,  mais  il  se    per  quelque   membre,   pendant 
trouva  qu'elle  n'apprit  qu'à  faire    qu'on  craindrait  les  représailles 
l'amour.  Sa  docilité  sur  ce  cha-   sur  Héloïse.    Pour   se    tirer    de 
pitre  fut    incomparable;  on  lui    tout  embarras,  il  promit  à  i'on- 
fit  faire  tant  de  chemin  en  peu   cle  d'épouser  celle  qu'il  avait  dé- 
de  temps,  que  son  maître  passa    bauchée  ,  pourvu  que  le  mariage 
bientôt  de  la  première  faveur  à    demeurât   secret.    Il  eut   toutes 
la  dernière;   et  cela  sans   qu'on    les  peines  du   monde   à  y  faire 
s'avisât  de  lui  demander  aucune    consentir  Héloïse,  qui  lui   allé- 
promesse   de   mariage.    Abélard    gua  mille  raisons  pour  le  dégoû- 
s'en  donna  de  telle  sorte  au  cœur    ter    du  lien   conjugal  (H).    Elle 
joie  (D) ,  qu'il  se  négligea  dans   avait  conçu  un  amour  si  chaud 
ses  leçons.    Il    avoue    lui-même    et  si    effréné ,  qu'il  étouffa  dans 
qu'il   ne  gardait  aucune  mesure    son  âme  tous  les  sentimens  de 
et   qu'il  se   plongeait    dans   ces    l'honneur(I)  ;  etil  jeta  de  si  pro- 
plaisirs sans  distinction  de  temps    fondes  racines,  et  démonta  de 
et  de  lieux  (E) ,  sans  distinction    telle  sorte   son   esprit  ,    qu'elle 
de  jours  de  fête  et  de  jours  ou-    n'en  guérit  jamais  (K).  On  eut 
vriers  ,  de  lieux  saints  et  de  lieux    beau  mutiler  le  pauvre  Abélard 
profanes;  qu'il  n'inventait  plus   (L)  ,    elle  eut    beau   prendre  le 
rien  en  philosophie ,  et  que  lou-    voile  ,  il   lui  resta    toujours    un 
tes  les  productions  de  son  esprit    grain  de  cette   folie  (M)  :   et  ce 
se  réduisaientà  des  vers  d'amour    n'est  point  par  les  Lettres  Portu- 
(F).  Ses  écoliers  allèrent  bientôt   gaises   qu'on     a    commencé    de 
au  fait,  en   cherchant  la    cause    connaître  qu'il  n'appartient  qu'à 
du   relâchement  de   ses    leçons,    des  religieuses  de  parler  d'amour 
La  médisance  courut  prompte- 
menl  nar  tnntP  In  villp     pI  enfin        {b)  N6sti  etia'"  '/"a'"l°  te  gra»idam  in 

mem  pai  toute  la  wue,  et  ennn    meam  transmisi  patriam,  sacro  te  habiiu 

elle  parvint  jusqu'aux  oreilles  de     intlutam  montalem  tefnxisse  ,  et  tali  simu- 

latione  tuce  quam  mine  habes  religioni  ir- 
(a)  Dans  l'article  AnÉLARD     lom,  ■'    pag,     reverenter  Ulusisse.  .-Vbwl.  ,  epist.   ad   Hel. 
49-  Pa3-  10. 


558  HELOÏSE. 

ïl  y  avait  long-temps  que  les  encore  plus  de  lamentations  que 
lettres  d'Héloïse  étaient  une  les  autres.  Les  femmes  se  distin- 
preuve  de  cette  vérité.  Quoi  guèrent  par  leurs  plaintes  très- 
qu'il  en  soit,  cette  amoureuse  amères  (0).  On  lui  écrivit  des 
créature  employa  vainement  tout  lettres  de  consolation  très-cu- 
son  esprit ,  et  toute  son  éloquen-  rieuses  (P).  La  justice  punit  sé- 
ce ,  à  déconseiller  le  mariage  à  vèrement  cette  action  (  Q  )  ; 
Abélard.  On  les  épousa  en  secret;  mais  tout  cela  n'empêcha  point 
mais  elle  nia  toujours  avec  ser-  qu'Abélard,  accablé  de  honte  et 
ment  qu'elle  fût  sa  femme  (c),  inconsolable  ,  ne  s'allât  confiner 
Cette  conduite  la  fit  maltraiter  dans  le  monastère  de  Saint-Denis, 
par  son  oncle,  qui,  pour  couvrir  après  avoir  donné  ordre  qu'Hé- 
le  déshonneur  de  sa  famille  ,  pu-  loïse  se  fît  religieuse  à  Argen- 
bliait  en  tous  lieux  le  mariage,  teuil.  Nous  avons  dit  ailleurs  ce 
encore  qu'il  eût  promis  à  Abé-  qu'il  devint  depuis  qu'il  se  fut 
lard  de  n'en  rien  dire.  Les  mau-  fait  moine  ,  et  comment  il  fut 
vais  traitemens  ,  à  quoi  Héloïse  condamné  à  jeter  lui-même  au 
était  exposée  chez  le  chanoine  feu  un  livre  qu'il  avait  écrit,  etc. 
Fulbert,  firent  prendre  la  réso-  La  perte  de  cet  ouvrage  l'affligea 
lution  à  son  mari  de  la  tirer  de  encore  plus  que  n'avait  fait  la 
ce  logis  ,  et  de  l'envoyer  chez  les  perte  de  sa  virilité  (R);  et  néan- 
religieuses  d'Argenteuil  où  elle  moins  quand  on  perd  un  livre 
avait  été  élevée.  A  ce  second  en-  on  en  peut  recouvrer  un  au- 
lèvement  toute  patience  échappa  tre  ,  ce  qui  n'a  point  lieu  dans 
aux  parens  de  cette  femme  :  ils  l'autre  cas  (S).  Pour  ce  qui  est 
conçurent  une  manière  de  ven-  d'Héloïse,  elle  devint  prieure 
geance  fort  exquise ,  et  l'exécu-  des  religieuses  d'Argenteuil  : 
tèrent  en  gagnant  le  valet  de  mais  comme  on  se  gouvernait 
Pierre  Abélard.  Ce  scélérat  fit  très-mal  dans  ce  monastère  (T) , 
entrer  de  nuit ,  dans  la  chambre  l'abbé  de  Saint-Denis,  qui  préten- 
de son  maître,  ceux  qui  devaient  dait  en  être  le  maître,  chassa  les 
faire  le  coup.  Ils  le  surprirent  religieuses ,  et  alors  Héloïse  eut 
endormi  ,  et  lui  coupèrent  les  bon  besoin  de  son  mari.  Il  avait 
parties  qu'on  ne  nomme  pas  (d).  bâti  un  oratoire  auprès  deTroyes, 
Cette  action  fit  un  grand  bruit  auquel  il  avait  donné  le  nom  de 
(N)  :  on  alla  le  lendemain  matin  Paraclet  (e),  et  puis  il  avait  ac- 
comme  en  procession  à  la  cham-  cepté  une  abbaye  en  Bretagne, 
bre  d'Abélard.  Les  écoliers  firent  Ayant  appris  que  son  Héloïse  n'a- 
vait ni  feu  ni  lieu  depuis  qu'on 
l'avait  chassée  d'Argenteuil  , 
il  lui  donna  cet  oratoire  avec 
toutes  ses  dépendances;  dona- 
tion qui  fut  confirmée  par  le  pa- 
pe Innocent  II.  La  voilà  donc 
première  abbesse  du  Paraclet. 
Elle  trouva  tellement  grâce  de- 
{e)  Voyez  l'article  Paraclet  ,  tom.  XI. 


(c)  Avunculus  ipsius  ati/uv  domestici  ejus 
ignominice  suœ  solatium  quœr entes ,  inititm 
matrimonium  divulgare  etjîdem  mihi  super 
hoc  dalum  violare  cœperunt.  ILln  autem  è 
contra  anatltematizare  et  jurare  i/uia  falsis- 
simum  esset.  Akelard.  ,  Histor.  Caiamita- 
tum ,  pag.  17. 

{d)  Crudelissimâ  et  pudentissimâ  ultione 
punierunt ,  et  quant  summâ  admiratione 
mundus  excepit  ,  eis  videllcel  cor/ions  mai 
partibus  amputatis ,  quibus  idquod  p  lange- 
bant  commiseram.  Ibidem. 


HÉLOÏSE. 

vant  tout  le  monde  ,  qu'on  la 
combla  de  biens  en  peu  de  temps. 
Les  évêques  l'aimèrent  comme 
leur  fille,  les  abbés  connue  leur 
sœur  ,  et  les  gens  du  monde 
comme  leur  mère  (f)*  Cepen- 
dant elle  était  très-mal  satisfaite 


559 


ren  avance  n  est  pas  vrai  ;  savoir, 
qu'André  Duchêne  a  fait  des  re- 
marques sur  ces  lettres ,  et  sur 
les  réponses  d'Abélard.  Il  n'en  a 
fait  que  sur  la  lettre  oii  Abélard 
fait  l'histoire  de  ses  malheurs  à 
un  ami.  Jean  de  Meun  avait  tra- 


de  la  providence  de  Dieu  (g) ,  et   duit  en  français  les  lettres  qu'A— 


murmurait  beaucoup  plus  que 
Job.  Elle  entretint  commerce 
de  lettres  avec  Abélard  (U) ,  et 
lui  demanda  des  règles  pour  ses 
religieuses  ,  et  la  solution  de  di- 
vers problèmes.  11  satisfit  à  tout 


bélard  et  Héloïse  s'étaient  écrites 
(i).  11  paraît  depuis  quelque 
temps  un  petit  livre  (k)  intitu- 
lé :  Histoire  d'Héloïse  et  d'A- 
bélard, avec  la  lettre  passionnée 
quelle  lui  écrivit ,  traduite   du 


cela.  Je  ne  trouvepoint  que  l'es-    latin.  Cette  prétendue  traduction 


perance  de  le  voir  élevé  à  la 
prélature  ait  été  la  cause  de  l'en- 
vie qu'elle  avait  de  ne  le  pas 
épouser  (X).  Lorsqu'il  fut  mort 
moine  de  Clugni ,  elle  demanda 
son  corps  à  l'abbé  ,  et  l'ayant  ob- 


n'est  autre  chose  qu'un  petit 
nombre  d'endroits  choisis  com- 
me on  a  voulu  dans  les  lettres 
de  cette  femme ,  auxquels  on  a 
donné  telle  forme  qu'on  a  jugé 
à  propos  ,  en  supprimant  ce  qui 


tenu,  elle  le  fit  enterrer  au  Para-   n'accommodait  pas  ,  et  en  ajou-  , 


clet ,  et  voulut  être  enterrée 
dans  le  même  tombeau  (h).  On 
conte  un  miracle  des  plus  sur- 
prenans  arrivé  ,  dit-on  ,  lorsque 
l'on  ouvrit  le  sépulcre  pour  y 
mettre  le  corps  d'Héloïse;  c'est 
qu'Abélard  lui  tendit  les  bras 
pour  la  recevoir  ,  et  qu'il  l'em- 
brassa étroitement  (Y).  Il  y  avait 
néanmoins  plus  de  vingt  bonnes 
années  qu'il  était  mort;  mais  ce 
n'est  pas  une  affaire  :  on  prétend 
avoir  des  exemples  de  pareilles 
choses  (Z).  Elle  mourut  le  17  de 


tant  ce  que  l'on  trouvait  de  plus 
commode. 

Le  comte  de  Bussi  Rabutiu 
avait  traduit  en  français  quel- 
ques lettres  d'Abélard  et  d'Hé- 
loïse. On  a  inséré  cette  traduc- 
tion au  IIe.  volume  de  ses  let- 
tres ,  publié  après  sa  mort.  Je 
n'ai  jamais  vu  un  plus  beau 
latin  ,  dit-il  (/),  surtout  celui  de 
la  religieuse ,  ni  plus  d'amour 
et  d'esprit  quelle  en  a.  S'il  se 
fût  aussi  bien  connu  en  style  la- 
tin qu'en  style  français  ,  il  n'eût 


mai    ii63.    Les    lettres   qu'elle   pas  donné  cet  éloge  à  la  latinité 
avait  écrites  à  son  mari  se  trou-  d'Héloïse. 
vent  dans  l'édition  des  ouvrages 
d'Abélard.  Mais  ce  que  M.   Mo- 

(/*)  Tout  ceci  est  tiré  de  la  lettre  d'Abé- 
lard ,  intitulée  Historia  Calamitatum ,  ù  lu 
réserve  d'un  petit  nombre  de  choses,  dont  je 
cite  les  preuves  à  part. 

(g)  Voyez  l'article  FoULQVES,  uni.  (K) , 
loin.   VI,  pag.  535. 

(h)  Voyez  la  rem.  (,Y)  de  l'article  ABÉ- 
LARD, tom.  I.  pag.  63 


(i)  Voyez  le  nrésident  Faucliet ,  au  chap, 
CXXVIaes  anciens  poêles  français. 

/,  Imprimé  à  lu  Haye,  chez  Jean  Alberls, 
1693. 

(7)  Bussi ,  lettre  XV  du  11',  tom.,  pag. 
49,  édit.  de  Hollunde ,  1697. 

(A)  Elle  avait  mi  oncle  maternel 
nommé  Fulbert.  ]  Je  n'ai  trouvé  que 
cela  de  bien  certain  touchant  la 
généalogie  d'Héloïse  ;  ainsi  je  n'ai 
point  ilit  qu'elle  appartenait  légiti- 


56o 


HÉLOÏSE. 


mement  à  l'ancienne  maison  de  Mont- 
morenci.  Je  l'ai  bien  lu  dans  la  pré- 
face apologétique  de  François  d'Am- 
boise  (1)  ;  mais  comme  il  ne  cite  rien, 
et  qu'André'  du  Chêne  (2)  n'en  fait 
aucune  mention  ,  je  tiens  cela  pour 
suspect  de  fausseté  ;  et  d'autant  plus 
qu'Heloïse  reconnaît  dans  ses  lettres 
que  sa  famille  avait  reçu  un  grand 
honneur  par  son  mariage  avec  Abé- 
lard  ,  et  que  celui-ci  s'était  fort  més- 
allie' (3).  Papyre  Masson  (4)  avance 
qu'Heloïse  était  fille  naturelle  d'un 
certain  Jean ,  chanoine  de  Paris  *. 
André  du  Chêne  a  raison  de  ne  s'ar- 
rêter pas  à  cela  ,  puisqu'on  ne  dit 
pas  d'où  l'on  puise  cette  circonstance 
curieuse  ;  mais  il  n'a  pas  raison  d'op- 
poser à  cet  annaliste  le  Calendrier 
du  Paraclet ,  où  l'on  trouve  ces  pa- 
roles :  vu  Cal.  Januar.  obiit  Huber- 
tus  (  5  )  canonicus  Dominœ  Ileloïsœ 
avunculus  ;  car  qu'y  a-t-il  de  plus 
facile  que  de  mettre  d'accord  ensem- 
ble Papyre  Masson  et  ce  Calendrier  ? 
Une  même  fille  ne  peut-elle  pas  être 
bâtarde  d'un  chanoine  ,  et  nièce  d'un 
autre  chanoine?  Mais,  encore  un  coup, 
pendant  qu'on  ne  citera  personne  , 
on  ne  méritera  point  d'être  écouté 
si  l'on  dit  qu'Heloïse  était  fille  natu- 
relle d'un  chanoine  nommé  Jean.  Si 
l'on  avait  à  soupçonner  quelque  cha- 
noine là-dessus  ,  ce  devrait  être  plu- 
tôt Fulbert  qu'aucun  autre  ;  car  la 
tendresse  qu' Abélard  lui  donne  pour 
Héloïse  est  si  peu  commune  parmi 
les  oncles  (6)  ,  et  ressemble  si  naïve- 
ment à  l'affection  des  meilleurs  pè- 
res ,  qu'il  y  aurait  lieu  de  s'imaginer 
que  Fulbert  fit  comme  une  infinité 
d'autres  qui  ne  peuvent  pas  être  pères 
selon  les  canons  :  ils  cachent  cette 
qualité  sous  celle  d'oncle ,  ils  élèvent 

(1)  Ad  Oper.  Abœlardi. 

(î>  Nolis  ad  Histor.  Calamitat.  Abnelardi. 

(3;  Quanta  ampldts  le  pro  nie  humdiando  sa. 
tisfeceras  ,  et  me  pariler  et  iotutn  genus  inenin 
sublimaveras ,  lantb  te  munis  iam  apud  Dewn  , 
quàm  apud  illos  prodilores  obnoxiuni  pœnee  red~ 
dideras.  Pag.  57. 

(4;  Annal.  ,  lib.  III. 

*  Joly  ,  dans  sa  noie  sur  la  remarque  (BB)  de 
l'article  Abelakd,  tom.  !,  pag.  (!') ,  tâche  de 
prouver  qu'il  est  impossiblequ'Héloïse  fût  la  fille 
d'un  chanoine,  et  qu'elle  n'en  était  réellement 
que  la  nièce. 

(5i  II  faut  Fubertus. 

(6)  y  oyez  les  témoignage*  cile'i  par  Lambin  , 
sur  ces  paroles  de  Toile  Xll  du  III".  livre 
d'Horace, 

Metueates  patruœ  verbera  linsjua:. 


leurs  enfans  sous  le  titre  de  neveux. 
Voilà  ce  qu'on  pourrait  soupçonner j 
mais  cela  ne  doit  point  régler  le  sty- 
le ,  ni  empêcher  qu'on  ne  donne  aux 
gens  les  qualités  sous  lesquelles  le 
public  les  a  connus.  Fulbert,  dans  un 
livre ,  ne  doit  jamais  être  qu'oncle. 
Notez  que ,  selon  Papyre  Masson  ,  le 
chanoine  qui  fit  élever  Héioïse  ,  et 
châtrer  Pierre  Abélard  ,  s'appelait 
Jean.  Cet  historien  ne  prétend  donc 
pas  que  cette  fille  ait  été  nièce  d'un 
chanoine  ,  et  fille  naturelle  d'un  au- 
tre chanoine.  Il  prétend  que  le  cha- 
noine que  tous  les  auteurs  nom- 
ment Fulbert  ,  et  qu'ils  considèrent 
comme  l'oncle  d'Héloise  ,  était  père 
d'Héloïse,  et  se  nommait  Jean  (7). 

(B)  Elle    devint si    habile, 

que  sa  réputation  vola  par  tout  le 
royaume.]  Ecoutons  maître  Abélard. 
Qui  (  Fulbert  us  )  eam  quanta  ampliùs 
diligebal  ,  tanlo  dihgenlius  in  omneni 
quampoteral  scie  ntiam  litterarum  pw 
moveri  stwluerat.  Quœ  camper  Ja- 
ciem  non  esset  injiina  ,  per  abun- 
dantiam  litterarum  erat  suprema. 
IVam  quo  bonum  hoc  ,  litteratoi'iœ 
scilicet  scientiœ  ,  in  mulieribus  est  ra- 
rius  ,  eb  ampliùs puellam  commenda- 
bat,  et  in  toto  regno  nominatissimam 
fecerat  (8).  Dans  ce  siècle-là  une 
jeune  fille  pouvait  passer  pour  un 
miracle  avec  une  très-médiocre  éru- 
dition. C'est  à  quoi  il  faut  prendre 
garde  ,  si  l'on  ne  veut  pas  outrer  les 
idées  qu'on  se  fait  de  notre  Héloïse  : 
et  néanmoins  il  faut  tenir  pour  cer- 
tain qu'elle  mérite  une  place  glo- 
rieuse parmi  les  femmes  bien  savan- 
tes. Elle  savait  non-seulement  la 
langue  latine,  mais  aussi  le  grec  et 
l'hébreu  ;  c'est  encore  Abélard  qui 
le  témoigne  dans  la  lettre  qu'il  écrivit 
aux  religieuses  du  Paraclet.  Magis- 
terium  habetis  in  maire,  quod ad  om- 
nia  vobis  sttjfficere  lam  ad  exemplum 
scilicet  virtutum  ,  quàm  ad  doctiinam 
litterarum  potest,  quœ  non  solùm  la- 
tince  ,  verum  etiam  tant  hebraïcœ 
quàm  grœcœ  non  expers  litteraturœ, 
sola  hoc  tempore  illam  trium  lingua- 
rum  adepta  periliam  videtur ,  quœ 
ab  omnibus  in  beato  Hieronymo  tan' 

(7)  Joannes  Canonicus  Parisinus  Heloissam 
naluralem  filiam  habebal  prœstanli  ingenio 
formdque.  Papyi.  Masso,  Annal.  ,  lib.  III,  pag. 
m .    25(>. 

'8)  Abœl.  Oper.,  pag.  10. 


HÉLOÏSE.  56i 

quamsingularis gratta prœdicatur(o).  et  première  abbesse  de  céans  ,  de  doc- 
La  sieur  François  d'Amboise  raconte  trine  et  religion  tris-resplendissante 
(10)  qu'Héloïsc  contenta  subtilement  (i3). 

saintBernard,  quilui  demandait  pour-  (C)  Elle  était  assez  belle.]  Je  vois 
quoionnedisaitpasdanslemonastère  quantité  d'auteurs  qui  lui  donnent 
du  Paraclet  ,  en  recitant  l'oraison  une  beauté  ravissante ,  mais  sont-ils 
dominicale  ,panem  nostrum  quolidia-  plus  dignes  de  foi  qu'Abelard,  qui 
num,  mais  panent  nostrum  supersub-  ayant  plus  d'intérêt  à  grossir  les  cho- 
stnntialem. Elleliii  en  donna  une  rai-  ses  qu'à  les  diminuer,  se  contente  de 
son  tirée  des  originaux,  et  lui  dit  dire  qu'elle  n'était  pas  la  dernière  de 
qu'il  fallait  suivre  la  version  grecque  son  sexe  en  beauté,  mais  qu'elle  était 
de  l'évangile  que  saint  Matthieu  avait  la  première  en  e'rudition  ,  camper 
écrit  en  hébreu.  Je  ne  sais  pas  si  une  faciem  non  esset  injima  ,  per  abun- 
telle  réponse  aurait  plu  à  saint  Ber-  dantiam  litterarum  crut  suprema  ? 
nard,  mais  je  ne  doute  point  qu'elle  Est-ce  ainsi  que  l'on  parle  d'une  fille 
n'eût  pu  le  dépayser,  et  lui  faire  parfaitement  belle?  Un  amant,  inté- 
quitterla  partie  ;  et  je  voudrais  de  ressé  à  justifier  son  choix  et  la  for- 
bon  cœur  que  ce  conte  fût  véritable  :  ce  de  sa  passion  ,  se  sert-il  d'une 
il  nous  apprendrait  qu'une  femme  semblable  figure  de  rhétorique  ? 
aurait  bien  embarrassé  un  grand  au-  Quelques  -  uns  (i4)  marquent  qu'Hé- 
teur  sur  un  point  de  controverse  ,  en  loïse  était  Agée  de  dix-huit  ans  lors- 
faisant  apporter  le  texte  grec.  J'ai  qu'Abelard  la  débaucha  :  je  n'ai  point 
été  donc  bien  fâché  ,  je  l'avoue  ,  lors-  trouvé  cette  circonstance  dans  aucun 
qu'ayant  consulté  la  lettre  (n)  citée  ancien  auteur.  Il  est  vrai  que  le  ter- 
par  François  d'Amboise ,  j'ai  trouvé  me  ado/escentula  ,  dont  Abélard 
qu'Héloïse  n'y  a  rien  à  voir,  et  que  s'est  servi  (i  5),  est  fort  compatible 
toute  la  remarque  est d'Abélard,  qui  avec  l'âge  de  dix-huit  ans.  Celui  de 
écrivit  là-dessus  à  saint  Bernard  ,  jucencula  dont  elle  se  sert(i6)  s'ac- 
après  qu'il  eut  su  d'Héloïse  ce  que  corde  aussi  avec  le  même  à"ge  ;  mais 
l'on  avait  trouvé  à  reprendre  au  pa-  une  telle  preuve  ne    conclut  rien. 


gurcr  qu'elle  ne  devint  savante  qu'a-  nom  de  Beaulé{\']).  Ce  roman  n'est 
près  sa  clôture,  je  le  renverrais  à  venu  au  monde  qu'après  leur  mort, 
une  lettre  de  Pierre  le  vénérable  ,  (D)yibélard  s' endonna  de  telle  sorte 
abbé  de  Clugni ,  laquelle  témoigne  au  cœur  joie,  ]  Il  faut  l'entendre  lui- 
qu'avant  ce  temps-là  elle  avait,  ac-  même  ,  pour  ne  rien  perdre  de  la 
quis  de  grandes  lumières.  Wecdiim ,  force  de  ses  expressions  :  JVullus  a 
lui  dit-il  (12),  mêlas  adolescentice  cupidis  intermissusest '  gradus  amoris, 
excesseram ,  necduni  in  juvéniles  an-  et  si  quia  insolitum  amor  excogilare 
nos  evaseram,  quando  nomen  non  potuit ,  est  additum.  Et  quà  minus 
quidem  adhuc  religionis  tuœ,  sed  ho-  Ma  fueramus  experli  gandin  ,  urden- 
nestorum  tamen  et  laudabilium  stu-  tiiis  Mis  insistebamus  ,  et  minus  in 
diorummihi  fuma  innotuit.  Audiebam  fastidium  certebantur  (18).  Il  se  com- 
lunc  temporis  mulierem,licet  necdiim  parc  à  ceux  qui  ont  souffert  une  lon- 
sœculi  nexibus  expeditam ,  lilterato-  gue  faim  ,  et  qui  trouvent  ensuite  de 
riœ  scientice  et  studio  sœcularis  sa-  quoi  repaître  largement.  Un  homme 
pientiœ  summum  operam  dure,  quo  qui  a  été  sage  se  jette  plutôt  dans 
efferendo  studio  tuo  et  mulieres  om-  l'excès  avec  son  épouse  ,  qu'un  dé- 
nes  evicisli,  et  penè  viros  universos  bauché. 
superasti.  Le  moine  d'Auxerre  as  su-  fl3j  Voyet  les  Nctes  tVAo,irè  du  Chesne,  sur 


re  qu'elle  savait  bien  le  latin  et  l'hé» 
breu  ,  et  voici  ce  que  dit  d'elle  le  Ca- 
lendrier du  Paraclet ,  Héloïse,  mère 

(V))  Abœl.  Oper. ,  pag.  260. 
(iol  Prœfal.  apologet. 

(11)  C'est  U  Ve.  du.  IIe.  livre. 

(12)  Vide  Oper.  Abœlardi ,  pag.Ji'b-. 

TOME    Vit. 


la  lettre  d'Abélard,  de  Histor.  Calamitat.,  pag. 
11S7. 

(14)  Histoire  abrégée  d'Héloïse  cl  d'Abélard, 
a  la  Haye,  i6g3. 

(i5)  Opcrura  pag.  10. 

(16)  Ibidem  ,  pag.  47- 

(17)  On  le  du  dans  /'Histoire  abrégée  qu'on 
vient  de  citer. 

(•S)  Pas.  ,,. 

36 


56. 


HÉLOÏSE. 


(E) Sans  distinction    de  temps 

et  de  lieux.  1  II  faut  encore  l'entendre 
lui-même ,  dans  une  lettre  qu'il  écri- 
vit  à  Héloïse,  long-temps  après  leur 
profession  monastique.   Il  la  fait  un 
peu   ressouvenir    de    leur  conduite 
passe'e,  et  comment  il  la  caressa  dans 
un  coin  du  re'fectoire  des  religieuses 
d'Argenteuil,  ne  trouvant  point  d'au- 
tre endroit  commode  ,  et  n'ayant  au- 
cun respect  pour  la  Sainte  Vierge  à 
qui  ce   lieu    était    consacré,    jyàsli 
post  nostri  confœderationem  conjugii 
cum  jlrgenteoli  cum  sanctimoniali- 
bus  in  claustro  conversabaris  ,  me  die 
quâdam  privalim    ad  te   visitandum 
i'enisse ,  et  quid  ibi  tecum  rneœ  libi- 
dinis  egerit  inlemperantia  in  quâdam 
etiam parte  ipsius  refeclorii ,  cum  quo 
allas    diverleremus    non  haberemus. 
JYosli  ,  inquam ,    id  impude/itissimè 
tune  actum  esse  ,   in  tam  reverendo 
loco  et  summœ  V^irgini  consecrato.... 
Quid  pristinas  fornicationes  et  impu- 
dentissimas   referam  polluliones  quee 
conjugium  pvœcesserunt  (19)?  Un  peu 
après  il  lui  dit  qu'elle  sait  bien  que 
les  fêtes   les  plus   solennelles,  ni   le 
jour  même  de  la  Passion  ne  le   dé- 
tournaient pas  de  se  plonger  dans  ce 
bourbier ,  et  que  si  elle  en  voulait 
faire  quelque  scrupule,  il  employait 
les  menaces  et  le  fouet  pour  la  por- 
tera y  consentir  (20).  Voilà  un  homme 
bien  dégagé  des  superstitions  de  ceux 
qui  observaient  les  jours  et  les  fêtes, 
les  nouvelles  lunes  et  les  sabbats  (21). 
(  F  )    Les  productions    de  l'esprit 
d' Abélurd  se  réduisaient  h  des  vers 
d'amour.  ]  C'est  lui  -même  qui  nous 
l'apprend  ■  Ita  negligentem  et  tepi- 
dam  leclio  tune  habebat  ut  jam  nihil 
ex  ingenio ,  sed  ex  usu  cuncta  pro- 
ferrem  ,  nec  jam  nisi  recitator  pristi- 
norum  essem  inventorum  ,  et  si  qua 
invenire  liceret ,  carnùna  essent  ama- 
toria  ,  non  philosophiœ  sécréta  (22). 
Il  ajoute  que  ces  vers  étaient  encore 

(19)  Pag.  69. 

(20)  Nôsli  quantis  turpiludinibus  immode- 
rata  tnea  libido  corpora  noslra  addixeral ,  ut 
imita  honestatis  vel  Dei  reverenlia  in  ipsis 
etiam  diebus  Dominicœ  passionis ,  vel  quanta- 
ruincunque  solcmnilatiun  ,  ab  hujus  luit  volu- 
tabro  me  revocarel.  Sed  et  te  nolenlem  et  proul 
paieras  reluctantem  et  dissuadenlem  quœ  na- 
ture infirmior  eras  ,  sa'pius  minU  ac  Jlagellis 
ad  cunsensum  trahebam. 

(21)  Voyci  Z'Ëpitre  de  saint  Paul  aux  Coloss, , 
rhap.  Il,  vs.  16 

(12)  Pag   la. 


chantés    eu    plusieurs    provinces,  et 
principalement  parmi  les  personnel 

qui  faisaient  l'amour  :  Quorum  etiam 
carminum  pleraque  adhuc  in  multis  , 
sicut  et  ipsa  nôsti ,  frequentaniuv  et 
decanlanlur  regionibus ,  ab  his  maxi- 
me quos  vila  similis  oblectat.  Héloïse 
nous  en  apprend  davantage.  Elle  dit 
que  son  Abélard  avait  deux  choses 
que  les  autre  philosophes  n'avaient 
pas,  par  où  il  pouvait  gagner  promp- 
tement  le  cœur  de  toutes  les  femmes, 
c'est  qu'il  écrivait  bien  et  qu'il  chan- 
tait bien  ;  il  faisait  des  vers  d'amour 
si  jolis,  et  des  chansons  si  agréables, 
tant  pour  les  paroles  que  pour  les 
airs  ,  que  tout  le  monde  en  était 
charmé  ,  et  ne  parlait  que  de  leur 
auteur.  Les  femmes  ne  se  conten- 
tèrent pas  d'être  charmées  des  vers 
et  des  chansons  d'Abclard ,  elles  le 
furent  aussi  de  sa  personne  ,  et  l'ai- 
mèrent passionnément  :  et  comme  la 
plupart  de  ses  vers  ne  parlaient  que 
de  ses  amours  pour  Héloïse  ,  le  nom 
de  cette  maîtresse  vola  bientôt  dans 
les  provinces  ,  et  rendit  jalouses  de 
son  bonheur  une  infinité  de  femmes. 
J'affaiblis  beaucoup  les  expressions 
d'Héloïse,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  faille 
les  prendre  à  la  lettre.  Comme  elle 
aimait  Abélard  jusqu'à  la  fureur  , 
elle  s'imaginait  qu'aucune  femme  ne 
le  pouvait  voir  sans  en  devenir  pas- 
sionnée ;  et  c'est  ce  qui  lui  faisait  dire 
qu'il  n'y  avait  ni  femme  ni  fille  ,  qui 
en  l'absence  d'Abélard  ne  format 
des  désirs  pour  lui ,  et  qui  en  sa  pré- 
sence ne  fût  tout  embrasée  d'amour  ; 
et  que  les  reines  mêmes  ou  les  gran- 
des dames  portaient  envie  aux  plai- 
sirs qu'elle  goûtait  auprès  d'un  tel 
homme.  Voici  le  latin  qui  en  dit  plus 
que  mon  français.  Quœ  conjugata  , 
quœ  l'irgo  nonconcupiscebat  absenlem 
et  non  e.rardcbat  inprœsentém  ?  Quœ 
regina  vel prœpotens fentina  gaudiis 
meis  non  invidebat  vel  thalamis  ? 
Duo  aulem  ,  fateor  ,  libi  specialiler 
inerant  quibus  jeminarum  quarum- 
libet  animas  slatim  allicere  poteras  , 
dictandi  videlicet  et  cantandi  gralid, 
quœ  cœteivs  minime  philosop/ios  as- 
secutos  esse  novimus.  Quibus  quittent 
quasi  ludo  quodam  labovem  exercilu 
j'ecreans  philosophici  pleraque  ama- 
torio  métro  vel  rilhmo  eomposita  reli- 
quisti  carmina  ,  queepree  nimiâ  sua- 

(■>.'$)  Oper.  Auttlartli  ,  jiag.  ffi. 


HELOÏSE.  563 

vitate  tara  dietaminis  quant  canttls  sions  Les  plus  intéresses  à  une  non 
tœpiùs  frequentata  tuum  in  ore  <>m-  velle  sont  les  derniers  à  rapprendre. 
riium  nomen  incessanler tenebant ,  ut  Abélard  cite  là-dessus  un  bon  pas- 
etiam  illiteratos  mçlodiœ  dulcedo  lui  page  d'une  lettre  de  saint  Jérôme  à 
non  sineret  imntemores  esse,  //>/uc  Sabinien  (î8).  Solemus  mala  dormis 
bine  maxime  in  amorem  tut  feminœ  nostrœ  scire  novissimi,  ac  liberorum 
suspirabant.  El  ciim  horum  pars  ac  conjugum  vitia  vieillis  canentibus 
maxima  carminum  nostros  décanta-  ignorare.  Qa  chante  dans  le  voisinage 
ret  amores  ,  multis  me  regionibus  Les  désordres  de  nos  femmes  et  de  nos 
brevi  lempore  nunciavit  (24) ,  et  mul-  enfans  lorsque  nous  ne  savons  rien 
tarum  in  me  feminarum  accendit  in-  encore  de  ces  déréglemens;  niais  nous 
vidiam.  Si  le  roman  de  la  Rose  eût  les  apprenons  enfin,  et  il  n'esl  pas 
été  l'ouvrage  d' Abélard  ,  et  s'il  y  possible;  qu'un  seul  ignore  ce  que  tous 
eût  fait  le  portrait  de  son  Heloïsc  tes  autres  savent  :  Sedquodnôv issimè 
sous  le  nom  de  Beauté,  elle  n'eût  eu  scitur,  inique  sciri  (29)  quandoque 
garde  de  s'en  taire  ,  et  c'était  ici  le  contingit  ,  et  quod  omnes  deprehen- 
lieu  de  le  dire  :  ainsi,  quand  nous  dunt  non  est  facile  unumlatere.  Sain! 
ne  saurions  pas  que  ce  roman  fut  Jérôme,  dans  un  autre  lien,  a  confirmé 
composé  cent  ans  après  Abélard ,  nous   sa  maxime  par  deux  grands  exemples  : 

Î tournons  apprendre  du  silence  d'Ile-  le  premier  est  celui  de  Sylla  ,  et  Je 
oïse,  que  l'on  n'a  point  eu  raison  d'at-  second  celui  de  Pompée.  On  chaulait 
tribuer  ce  roman  à  Abélard  dans  le  dans  Athènes  les  galanteries  de  Me 
petit  livre  que  j'ai  cite  plusieurs  fois  tella  ,  femme  de  Sylla,  avant  que  li 
(25).  Encore  moins  a-t-on  eu  raison  mari  eût  rien  su  de  ces  désordres.  Les 
de  faire  débiter  cela  par Héloïse,  dans  injures  des  Athéniens  à  qui  il  faisait 
la  traduction  de  sa  lettre.  Mais  repre-  la  guerre  lui  en  apprirent  le  premiei 
nons  notre  sujet.  On  ne  croirait  pas  ,  bruit.  Les  galanteries  de  Mucia  ,  fem 
sil'on  en  jugeait  sans  l'expérience, que  me  de  Pompée  ,  étaient  si  publiques , 
des  vers  ,  des  lettres  ,  des  chansons  ,  que  chacun  s'imaginait  qu'il  ne  les 
(lissent  la  vertu  de  tant  avancer  les  ignorait  pas.  Il  n'en  savait  rien  néan- 
aftaires  d'un  amant  (26)  ;  mais  voici  moins,  lorsqu'un  homme  qui  servait 
un  témoin  là-dessus  qui  en  vaut  mille,  dans  son  armée  lui  en  parla.  L.  Syllœ 
Aujourd'hui  les  beaux  esprits  se  piai-  (felicis  si  non  habuisset  uxorem  j 
gnent  que  leurs  drogues  ne  font  plus  Metella  conjux  pal'am  erat  impudica 
le  même  effet  que  du  temps  de  nos  et  (  quia  novissimi  mala  nostra  disci- 
ancêtres.  Les  temps  sont  changés  ,  je  mus  )  id  Athenis  cantabaturet  Sylla 
l'avoue,  mais  non  pas  entièrement,  ignorabât ,  secretaque  dormis  suai  pri- 
Voyez  les  nouvelles  lettres  contre  le  muni  hostium  convicio  didicil.  Cn. 
Calvinisme  de  Mai  m  bourg  (27).  Au  Pomjieio  Mucip.ni  uxorem.  impudi- 
restc ,  ce  qu'Héloïse  témoigne  tou-  corn  quant  Pontiçi  spadones  et  Mi- 
chant  la  faiblesse  des  personnes  de  thridaticœ  ambiebant  catervœ,  cùm 
son  sexe  envers  Abélard  ,  est  confir-  eum  putarent  cœteri  scientem  pati , 
mé  par  un  certain  prieur  ,  nommé  indicavit  in  expeditione  commilito ,  et 
Foulques  ,  dont  il  faut  voir  l'article,  victorem  totius  orbis  tristi  nuncio 
(G)La  médisance...  enfin... parvint  consternauit  (3o).  On  pouvait  ajoute] 
jusqu'aux  oreilles  de  l'oncle.  ]  Cet  pour  troisième  exemple  l'empereur 
enfin  paraît  d'abord  un  peu  étrange;  Claude  ,  qui  ne  savait  rien  des  infir- 
mais ceux  qui  savent  le  monde  n'i-  mies  de  Messalinc  (3i),  lorsque  tout 
gnorent  pas  qu'en  ces  sortes  d'occa-  le  monde  savait  qu'elle  s'était  prosti- 
tuée dans  les  lieux  publics,  et  qu'elle 
(24)  Voici  ce  qu'elle  dit  dans  la  page  48.    y  avait  mené  plusieurs  dames,  et  que, 

Ciim  me  ad  temporales  olini  voluplates  expete- 

res  crebris  me  epistolis  visilabas ,  frequenti  car-  (28)  Ex  loin.  I,  epist.  XLVI1I. 
liane  luam  in  ore  omnium  Helois<am  ponebas  .-  (2g)  Ces  paro(es  wnl  cUe-es  ,inns  Védidon  d'A- 
me plateœ  omnes,  me  domus  stngulcv  resonar  bélard  y  comme  la  suite  de  ce  que  j'ai  ,i,  j, 
vint.  de  la  lettre  de  saint  Jérôme  à  Sabinien;    mais 

(v5)  Histoire  d'IIéloïsc  et  d'Abélard ,  imprimée  elles  ne  se  trouvent  pu. m  dam  cette  lettre. 

à  la  Haye,  en  ifii|3.  (3o)  D.  Hierouym. ,  advers,  Jovidhd 

(2G)  Voyez  Ovide,  de  Arte  amandi,  lib.  III,  (3t)  Dio  Cassius ,  lib.  LX.  Ju  vénal       il     \ 

pag.  2o5.  Mi  342  1  a  Hit  là- des  sus, 

(27)  Pag   5ij'i  el  tuiv   .  et  pag.  74O  el  tuiv.  Dcdecus  illc  Jonius  scit-t  ultinias 


564 


HÉ  LOI  SE. 


pour  comble  d'impudence  elle  avait 
épousé  un  autre  homme.  Notre  siè- 
cle a  fourni  un  (le  ces  exemples  en  la 
personne  du  maréchal  de  la...  On 
assure  (  j'ai  encore  quelque  peine 
à  le  croire  )  ,  qu'il  ne  savait  point  le 
commerce  de  sa  femme  avec  le  comte 
de...  lorsque  le  fils  qui  en  était  pro- 
venu avait  déjà  été  naturalisé  en  plein 
parlement.  Les  conditions  médiocres 
ne  sont  pas  exemptes  de  cette  irrégu- 
larité :  combien  voyons-nous  de  gens 
qui  savent  toujours  toutes  les  nou- 
velles de  la  ville  ,  excepté  celles  qui 
blessent  leur  domestique  ?  Ils  ressem- 
blent à  celui  dont  Martial  se  moque 
si  plaisamment  (32)  ,  et  ils  profitent 
peu  de  l'ancien  proverbe  , 

jEdibus  in   noslris   quœ  prava  aut  recta  ge- 
rantur  (33). 

Les  gens  d'étude,  je  parle  de  ceux 
qui  se  renferment  trop  dans  leur  ca- 
binet ,  la  tête  toujours  remplie  de 
quelque  composition  ,  se  trouvent 
quelquefois  dans  le  cas  dont  il  s'agit 
présentement.  Instruits  autant  qu'on 
le  peut  être  du  malheur  domestique 
de  Sylla  et  de  Pompée  ,  qui  sont  morts 
depuis  tant  de  siècles,  ils  ne  savent  pas 
qu'on  leur  joue  le  même  tour  assez  près 
de  leur  cabinet.  Ainsi  va  le  monde. 

Un  écrivain  du  XVIe.  siècle  se  sert 
d'un  fameux  exemple  pour  confirmer 
la  maxime  qu'il  avait  posée  ,  que  ceux 
qui  ont  le  plus  d'intérêt  à  être  avertis 
d'une  infortune  domestique  sont  les 
derniers  qui  la  savent,  au  lieu  qu'ils 
sont  les  premiers  qui  apprennent  les 
nouvelles  de  ce  qui  leur  doit  être  le 
plus  indifférent.  Solet  uswenire  , 
dit-il  (34) ,  ut  domeslica  mala  ullimi 
si/it  qui  nôrint ,  quorum  maxime  in- 
terest  en  non  ignorare  ,  iidem  prin- 
cipes nôrint  aliéna  ,  et  quorum  rad- 
ius ad  eos  pertineat  sensus.  Après 
avoir  allégué  quelques  raisons  de 
cette  bizarrerie ,  il  rapporte  qu'il  n'y 
avait  pas  long-temps  qu'un  fort  grand 
roi  avait  puni  du  dernier  supplice 
ceux  qui  avaient  déshonoré  sa  couche 
nuptiale  ,  et  que  la  promptitude  de 
la  punition  ayant  été  telle  ,  qu'il  ne 
se  passa  point  une  heure  entre  l'accu- 

(32)  Epigr.  IX,  lib.VII. 

(33)  "Otti  toi  h  MiyipoHTt  xcikcHv 
t*  â.yetùwv  TS  T£TI/jct«,i.  Homcr. .  Odvss.. 
lit.  IF. 

(34)  Jo.  Micliacl  Uni  lus,  in  Prjeccplis  conju- 
galibus ,  pag.  798,  edil.  1698. 


sation  des  coupables  et  leur  mort  > 
c'est  une  preuve  que  le  prince  n'a- 
vait point  oui  parler  un  peu  plus  tôt 
de  ce  désordre  ,  dont  néanmoins  la 
nouvelle  avait  couru  au  long  et  au 
large  dans  les  pays  étrangers.  Accidit 
hoc  quidem ,  me  puero  ,  in  magna 
atque  illustri  Europœ  regid  ,  quomi- 
nùs  diù  obscura  res  esse  posset ,  ut 
in  regind  ,  lœsi  pudoris  fama  prius 
apud  exteras  gentes  longé  latèque 
ewagata  emanaret ,  quant  is  ,  cujus  in 
eo  eratlœsa  majestas ,  maculam  regio 
nomini  impositam  ,  eorum  sanguine 
quorum  erat  scelere  uiolata  ,  elueret. 
Satis  quidem  potuil  indicio  esse,  pos- 
tremum  omnium  rescisse  ,  ita  sump- 
tum  de  reis  suppliciu/n,  ut  inter  ici , 
et  delatum  sontium  nomen  ,  ne  horœ 
quidem  momentum  intercedere  sit 
passus  (35). 

(H)  lUlle  allégua  mille  raisons  à 
Abélard  pour  le  dégoûter  du  lien 
conjugal.]  Ces  raisons  se  réduisaient 
à  deux  chefs  ,  au  péril  et  au  déshon- 
neur à  quoi  le  mariage  exposerait 
Abélard.  Je  connais  mon  oncle  ,  lui 
disait-elle  ;  rien  n'apaisera  son  res- 
sentiment ;  et  puis  ,  quelle  gloire 
tirerai-je  d'être  votre  femme ,  puis- 
que je  vous  ruinerai  de  réputation  ? 
Quelles  malédictions  n'ai-je  pas  à 
craindre  ,  si  je  dérobe  au  monde  une 
aussi  grande  lumière  que  vous  êtes  ? 
Quel  tort  ne  ferai-je  point  à  l'église? 
Quels  regrets  ne  causerai-je  point  aux 
philosophes  ?  Quelle  honte  et  quel 
dommage  ne  sera-ce  point ,  si  vous  , 
que  la  nature  a  créé  pour  le  bien 
public  ,  vous  consacrez  tout  entier  à 
une  femme  ?  Songez  à  ces  paroles  de 
saint  Paul ,  Es-tu  délivré  de  femme  , 
n'en  cherche  point  ;  et  si  le  conseil  de 
ce  grand  apôtre  ,  ni  les  exhortations 
des  saints  pères  ,  ne  peuvent  pas 
vous  dégoûter  de  ce  grand  fardeau  , 
considérez  au  moins  ce  qu'en  ont  dit 
les  philosophes  5  un  Théophraste  , 
qui  a  prouvé  par  tant  de  raisons  que 
le  sage  ne  doit  point  se  marier  ;  un 
Cicéron  ,  qui  ayant  répudie  Térentia 
répondit  à  Hircius  qui  lui  offrait  en 
mariage  sa  sœur ,  qu'il  ne  pouvait 
pas  accepter  cette  offre  ,  parce  qu'il 
ne  pouvait  pas  partager  ses  soins  entre 
la  philosophie  et  une  femme.  D'ail- 
leurs,    quelle   convenance  y  a-t-il 

(35)  Jo.  Micliaël  Brutns ,  in  Pisccptis  conju- 
galibns,  pag.  798,  edU.  1698. 


HÉLOÏSE. 


565 


entre  des  servantes  et  des  e'coliers  ,    de  sentences  persuasives  pour  parve- 
entre  des  écritoires  et  des  berceaux  ,     nir  à  son  intention ,  que  celles  qu'elle 
entre  des  livres  et  des  quenouilles  ,    y  apporta.  J'avertis  mon  lecteur  que 
entre  des  plumes  et  des  fuseaux  ?  Cora-    j'ai  extrêmement  abrc'ge'  la  remon- 
ment  supporter  au  milieu  des  medi-    trance  de   cette  fille  ,  et  que  j'ai  été 
tations   théologiques    et   philosophi-    surpris   qu'elle    n'ait    pas    emprunté 
ques  les  pleurs  des  enfans  ,  les  chan-    quelque   raison  de  ce  que  son  amant 
sons  des  nourrices ,  et  le  tracas  d'un    était  dans  les   ordres   (38).  €ela  ne 
ménage  ?  Je  ne  dis  rien  des  ordures    semble-t-il    pas    prouver    qu'on    ne 
et    des    puanteurs    continuelles    des     croyait  point  encore   que  la   loi  du 
petits  enfans  (36).  Les  gens  riebes  se    célibat  rat  d'obligation  pour  les  per- 
peuvent  mettre  à  couvert  de  ces  in-    sonnes  ecclésiastiques  *  ? 
commodités  dans  leurs  maisons  à  di-         (I)  Son  amour...  étouffa  dans  son 
vers  appartemens  ;  la  dépense  et  les    dîne  tous  les  sentitnens  de  l'honneur. ~\ 
soucis  de  chaque  jour  ne  sauraient  les    II  arrive  très-souvent  qu'une  passion 
inquiéter  ;  mais  il  n'en   est  pas   de    amoureuse   étouffe  ou  surmonte    les 
même  des  philosophes  ;  et  quiconque    sentimens  de  la  conscience  ;    mais  il 
veut  amasser  du  bien,  et  s'embarras-    arrive  très-rarement  qu'elle  suppri- 
ser  des  occupations  mondaines  ,  se    me  la  sensibilité  pour  l'honneur  :  et 
rend  incapable  des  fonctions  de  théo-    à   la   réserve    d'un   petit  nombre  de 
logien  et  de  philosophe.  Prenez  garde    personnes  de   basse   naissance  ,    qui 
à  la  conduite  des  anciens  sages ,  tant    la    plupart  du    temps   n'ont   pas  eu 
sous    le    paganisme ,    que   parmi    les    même   l'éducation   ordinaire  ,  toutes 
juifs  ;  et  si  des  païens  et  des  laïques    les  filles    qui    succombent    mettent 
ont   préféré   le   célibat  au  mariage,    l'une  ou  l'autre  de  ces  quatre  cordes  à 
quelle  honte  ne   serait-ce   pas   à    un    leur  arc.  Elles  espèrent  ,  ou  de  ne  pas 
clerc  et  à  un  chanoine  comme  vous,    concevoir  ,    ou  de   faire  sauter  leur 
de    préférer   les   voluptés    sensuelles    fruit  par  quelque   drogue  ,   ou  d'ac- 
aux  divins  offices  ?  Que  si  vous  vous    coucher  à  l'insu   de  tout  le   monde  , 
mettez  peu  en  peine  de  la  prérogative    ou  de  se  faire  épouser  par  le  galant  j 
de  votre  cléricature   ,    soutenez   du    et  cela    montre  que   si    l'amour  est 
moins  le  caractère  et  la  dignité   de    quelquefois  le  plus  fort  tyran  qui  les 
philosophe.    La    conclusion    de    son    domine  ,    c'est   un  tyran   qui  laisse 
sermon  fut  qu'il  y  aurait  plus  d'hon-    l'honneur  en  possession  de  ses  droits, 
neur  pour  lui ,  et  plus  de   charmes    Voyez  le  fameux  sonnet  de  VAvor- 
pour  elle  ,   dans  la  qualité  de  galant    ton  ,   où  l'on  a  si  bien  représenté  la 
que  dans  celle  de  mari  :  qu'elle  vou-    force   de  l'honneur ,    et  la  force    de 
lait  lui  demeurer  attachée,  non  par    l'amour  alternativement  vaincues  et 
la  nécessité  du  lien  conjugal  ,  mais    victorieuses.  Notre  Héloïse  aimait  si 
par  la  seule  tendresse  de  son  cœur  ;    furieusement ,   qu'elle  ne  se  souciait 
et  que  leurs  plaisirs  seraient  infini-    plus  ni  d'honneur,  ni  de  réputation  ; 
ment    plus    sensibles   ,    s'ils    ne    se    car  en  premier  lieu  elle  fut  ravie  de 
voyaient  que  de  temps  en  temps.  Nous    se  sentir  grosse    (3g),  et  en  second 
parlerons    de    cette   dernière    raison    lieu   elle  fit  tout  ce  qu'elle  put  pour 
dans  la  remarque  (U).  En  attendant,    n'être  pas  mariée  avec  celui  qui  lui 
voici  la  pensée  de  Pasquier  sur  le    avait  fait  l'enfant ,  deux   choses  qui 
discours  d'Héloïse  :  Je  ne  vous  repré-    non-seulement  sont   plus   rares  que 
senterai  point  ,  dit-il  (37) ,  toutes  les    les  monstres  les  plus  affreux  ,  quand 
raisons   dont  elle   le  voulut  gagner ,    elles    sont    jointes    ensemble  ,    mais 
bien  vous  dirai-je  que  je  ne  lus  jamais    aussi  dont  la  première  toute  seule  ne 
en  orateur  tant  de  belles  paroles  et 


(36)  Quis  sacris  vel  philosophicis  medilalioni- 
bus  intenlus  puériles  vagitus  ,  nulricum  qua>  hos 
miligant  nœnias  ,  tumultuosam  familice  tam  in 
t'iris  quàm  in  feminis  turbarn  sustinere  poterit? 
Quis  etiam  inhonestas  ill  i  <  parvulorum  sordes 
assiduas  tolerare  valebil  ?  Oper.  Abadardi  , 
pag.  14. 

v'3*7)  Recherches  de  la  France  ,  bV.  V I,  chap. 

xvir. 


(38)  Je  veux  dire  qu'elle  n'ait  pas  alle'g ne' que 
le  mariage  est  interdit  à  ceux  qui  ont  pris  les 
ordres. 

*  Leclerc  trouve  la  conclusion  mal  tirée  ,  parce 
que  Abclard  n'était  pas  dans  les  ordres ,  et  n'é- 
tait que  clerc. 

(3g)  Num  mullo  autem  pbsl  puella  se  conce- 
pisse  comperit ,  et  cum  summa  exultatione  mihi 
super  hoc  illico  scripsit ,  consutens  quid  de  hoc 
ipse  faciendum  dcliberarcm.  AbadarJ.,  pag,  l3i 


HÉLOiSE. 


se  voit  jamais  que  dans  des  cas  où 
l'amour  a  peu  de  part  ,  et  où  Ton  ne 
cherche  qu'à  attraper  un  grand  parti, 
«rue  l'on  désespérerait  d  avoir  si  le 
fracas  d'une  grossesse  ne  s'en  mêlait. 
Combien  y  a-t-il  de  filles  qui  aiment 
mieux  se  faire  donner  un  mari  contre 
son  gré  par  arrêt  du  parlement ,  que 
de  demeurer  flétries  ?  Elles  sont  trés- 
persuadées  qu'il  se  vengera  avec 
usure  ,  et  que  l'arrêt  leur  coûtera 
lion  ;  mais  n'importe  ,  pourvu  que 
le  titre  d'épouse  répare  la  brèche  faite 
à  l'honneur.  Notre  Héloïse  n'avait  pas 
de  cette  sorte  de  délicatesse.  Voyez 
la  remarque  suivante  et  surtout  la 
remarque  (U). 

(K) Elle  n'en  guérit  jamais.  ] 

Est-ce  être  guérie  ,  que  de  dire  plu- 
sieurs années  après  qu'on   a  renoncé 
au  monde  par  la  profession  de  la  vie 
monastique   ,  qu'on  aimerait  mieux 
être   la  putain   de    PieiTe  Abélard , 
que  la  femme  légitime  de  V empereur 
de  toute  la  terre  ?   Or  c'est   ce  qu'a 
dit  notre  Héloïse    étant  abbesse    du 
Paraclet    -c'est    de    quoi   elle  a  bien 
voulu  pre  idre  Dieu  à  témoin.  De  uni 
testent  invoco  ,  si  me  Augustus  uni- 
verso   prœsidens   mundo   matrimonii 
honore   dignarelur  ,   totumque    mihi 
orbem  conûrmaret  in  perpetuo  prœ- 
sidendum  ,  carius  mihi  et  dignius  mihi 
videretur  tua  dici  meretrix  ,  quant 
illius  imperatrix  (4o).  Comment  pour- 
rait-on dire   que  sa   passion   l'avait 
quittée  dans   l'abbaye  du   Paraclet , 
puisqu'elle  y  écrit  une  confession  in- 
génue du  mauvais  état  de  son  âme  , 
qui  fait  voir   que  le  feu  d'amour  la 
rongeait  jusques  aux  os  ?  Je  n'oserais 
dire  en  français  tont  ce  de  quoi  elle 
s'accuse.  Elle  confesse  que  les  plaisirs 
qu'elle    avait  goûtés   entre  les  bras 
d'Abélard  lui   avaient  paru  si  doux 
qu'elle  y  songeait  nuit  et  jour,  éveil- 
lée  et  endormie,  et  durant  même  la 
célébration  de  la  messe.  Elle  les  re- 
grettait éternellement,    et  en  faisait 
répétition  en   idée,  faute  de   mieux. 
Ceux  qui  entendent  le  latin  vont  voir 
avec  quelle  force  d'éloquence  elle  sa- 
vait exprimer  ce   qu'elle  sentait.  In 
l.nntum  vero  illœ  quas  parilcr  exer- 
cuimus  amaritium  foluptates  ,  dulces 
mihijïierunt,  ut  nec  displicere  mihi, 
nec  vix  a  memoriâ  labi  possîht.  Quo- 

1  V'1  -Abtelarcliis  ,  put 


cunque  loco  me  vcrUim ,  semper  se 
ocidis  mets  cum  suis  ingérant  deside- 
riis.  Bfec  etiam  dormienti  suis  illusio- 
nibus  parcunt.  Inter  ipsa  missarum 
solemnia  ubi  purior  esse  débet  oralio, 
obsecena  earum  voluplalum  fantas- 
mata  ila  sibi  penitùs  miserrimam  cap- 
tivant animam  ,  ut  turpitudinibus  illis 
magis  quam  orationi  vacem.  Quœ 
cum  ingemiscere  debeam  de  commis- 
sis  ,  suspiro  potihs  de  amissis.  JVec 
soliim  quœ  egimus ,  sed  loca  pariter 
et  tempora  in  quibus  hœc  egimus  ita 
tecum  nostro  infixa  sunt  animo,  ut  in 
ipsis  omnia  tecum  agam  ,  nec  dor- 
miens  etiam  ab  his  quiescam.  IVon- 
nunquam  et  ipso  motu  corporis  animi 
mei  cogitationes  deprehendunlur,  nec 
à  verbis  tempérant  improvisis  (41)- 
Cela  l'obligea  à  s'écrier  avec  saint 
Paul  (4'î)  :  Ah  misérable  que  je  suis, 
qui  me  délivrera  de  ce  corps  de  mort? 
Plût  à  Dieu  ,  poursuit-elle  ,  que  je 
pusse  véritablement  ajouter,  Ingrate 
de  Dieu,  par  Jésus-Christ  notre  sei- 
gneur! Cette  grâce  ,  dit-elle  à  son 
Abélard  ,  vous  a  prévenu ,  mon  cher , 
en  vous  délivrant  de  tous  les  aiguil- 
lons de  la  sensualité,  par  ce  seul  coup 

de  couteau  qui  vous  fit  eunuque 

Mais  ma  jeunesse  et  l'expérience  du 
plaisir  passé  allument  extrêmement 
ces  feux  dans  mon  âme  ,  et  plus  ma 
nature  est  infirme  ,  plus  je  succombe 
à  ces  violentes  attaques.  Hœctegratia, 
carissime, prœvenit,el  ab  his  libistiniu- 
lis  una  corporis plaga  medendo  mu/tas 

in  anima  sanavit hos  autem  in  me 

stimulos  carnis  ,  hœc  incentiva  libidi- 
nis  ,  ipse  juvenilis  fervor  œtatis  etju- 
cundissimarum  experienlia  volupta- 
tum pluriminn  accendunt  ,  et  tantb 
ampliiis  sud  me  impugnalione  oppri- 
mant ,  quantb  infirmior  est  riâtura 
quam  oppugnant  (43).  Enfin  elle  se 
recommande  à  ses  prières  avec  d'au- 
tant plus  de  soin  ,  que  c'est  le  seul 
remède  que  son  incontinence  peut 
trouver  en  lui.  Time,  obsecro,  semper 
de  me  potihs  quant  confidas  ,  ut  tua 
semper  sollicitudine  adjuver.  Dfunc 
verb  prœcipuè  timendum  est,  ubi  nu l- 
lum  inconlincnliœ  meœ  superestin  te 
remedium  (44)-  Ceux  qui  médirent 
des  fréquens  voyages  d'Abélard  au 

(4>)  r«s-  ^o. 

f  ^2)  Aux  Romains.  i7irt/>.  I  II. 
{fc)Fag  d,.. 
(44}  Png   6.. 


HÉLOÏSE. 


Paraclet  (45) ,  furcul  sans  cloute  té- 
méraires ,  puisqu'ils  ignoraient  les 
dispositions  intérieures  d'Héloïsc  : 
niais,  s'ils  les  avaient  sues,  ils  au- 
raient dû  solliciter  l'interdiction  de 
ces  visites;  car  ils  auraient  dû  crain- 
dre qu'il  ne  fût  inévitable  ,  humaine- 
ment parlant ,  que  celle  femme  ne  se 
portât  à  des  actes  d'impureté'  avec 
cet  homme.  Les  saints  pères  ne  se 
fiaient  point  aux  mutilations  :  ils 
comparaient  un  eunuque  à  un  bœuf 
auquel  on  coupe  les  cornes,  qui  ne 
laisse  pas  de  donner  des  coups  de 
tête.  Voyez  là-dessus  un  beau  passa- 
ge de  saint  Basile  ,  dans  nos  remar- 
ques sur  l'article  Combabus  (4^).  Mais 
comme  les  apparences  sont  quelque- 
fois trompeuses  ,  je  n'approuverais 
pas  que  ceux  qui  savent  ce  qu'He'loïsc 
avait  dans  le  cœur,  s'imaginassent 
qu'elle  sortait  hors  des  règles,  quand 
elle  se  retrouvait  avec  son  mari  ,  et. 
qu'elle  ait  eu  quelquefois  sujet  de  lui 
écrire.  Si  libiilinosa  essem  ,  quererer 
accepta  ,  niinc  etiam  languoii  tuo 
gratias  ago  :  in  timbra  voluptatis 
(liutiùs  lusi  (47)- 

(L)  On  eut  beau  mutiler  le  pauvre 
Abélard.  ]  C'était  un  remède  d'a- 
mour très-capable  d'opérer,  s'il  en 
faut  croire  certains  vers  de  Cyrano 
Bergerac  (48).  Ils  s'adressent  à  un 
homme  qu'il  avait  apostrophe'  en 
cette  manière  : 

J'entends  que  le  diminutif 
Qu'on  fil  de  vrai  trop  excessif, 
Sur  votreJla<que  génitif 
Vous  prohibe  le  conjonclif. 

Puis  il  ajoute  , 

O  visage  '.   S  portrait  naïf'. 
O  souverain  expéditif 
Pour  guérir  tout  sexe  lascif 
D'amour  naissant ,   ou  effectif  \ 
Genre  neutre  ,  genre  metif, 

Qui  n'êtes  homme  qu'ttbs'traclif ' , 

Grâce  «  votre  copulalif, 

Qu'a  rendu  fort  imperfeclif 

Le  cruel  tranchant  d'un  canif. 

Mais  comme  il  n'y  a  point  de  règle 
si  générale  qui  ne  souffre  quelque  ex- 
ception ,  l'amour  .d'Héloïsc  fut  à  l'é- 
preuve de  ce  violent  remède.  Elle  eut 
cela  de  commun  avec  la  reine  Strato- 
nicc  ,  dont  j'ai  parlé  ci-dessus  (4çj)- 

(45)  Foyes,  l'article  Abélard,  remarque  (T), 
(orn.  /,  pag.  G2. 

(46)  CUation  (fi),  loin.  V,  pag.  2*'<î. 
(fa)  Circe  PolyanoÇapud  Petionium. 
(48)  Voyez  la  comédie  du  Pé.lant  joué. 
(4ol  Dans  l'article  Combabus  ,  loin    t\  r"'-' 

253. 


56-j 


(M)  //  lui  resta  toujours  un  grain 
de  celte  folie.  ]  Cela  paraît  par  les 
passages  que  j'ai  cités  dans  la  remar- 
que (K).  Ils  prouvent,  non-seulement 
que  l'amour  de  concupiscence  domi- 
nait la  pauvre  Héloïse ,  mais  aussi 
qu'elle  était  un  peu  démontée  ;  car 
nue  personne  bien  sage  n'aurait  ja- 
mais parlé  de  la  sorte.  Il  est  appa- 
rent que  l'étude  avait  commencé  de 
l.i  détraquer,  et  que  l'amour  fut  un 
grand  surcroît  de  désordre.  On  voit 
dans  aes  écrits  beaucoup  de  marques 
d'une  imagination  déréglée  ,  quel- 
que chose  de  si  outré  ,  et  tant  de  dis- 
Ï tarâtes  ,  qu'elle  est  une  preuve  de 
a  maxime  de  Sénèque  :  Nullum 
magnum  ingenium  sine  mixturâ  de- 
mentice  (5o). 

(N)  Cette  action  fit  un  grand  bruit.} 
Voyons  ce  qu'Àbélard  en  raconte 
(5i)  :  Mane  autem  facto  Iota  ad  me 
civitas  congregata  quanta  stuperet 
admiralione  ,  quanta  se  qffligeret  la- 
mentalione,  quanlo  me  clamore  vexa- 
rent ,  quanto  jdanciu  perturbarent  , 
difficile  imo  impossibi/e  est  exprimi. 
Maxime  vero  clerici ,  ac  prœcipuè 
scholarcs  nostri  ,  intolerabilibus  me 
lamcnlis  et  ejulalibus  cruciabant. 
Voyez  l'article  auquel  je  renvoie  dans 
la  remarque  suivante. 

(Q)  Les  femmes  se  distinguèrent  par 
leurs  plaintes  très-amères .]  C'est  de 
quoi  Abélard  ne  parle  pas  ;  mais 
nous  l'apprenons  d'un  de  ses  amis  , 
qui  lui  écrivit  une  lettre  de  consola- 
tion. Voyez  l'article  Foulques  (5a). 

(P)  On  écrivit  a  Abclai  d  des  let- 
tres de  consolation  très-curieuses.'] 
Foulques,  prieur  de  Deuil  ,  lui  en 
écrivit  une  qui  a'été  insérée  dans  l'é- 
dition d'Abélard.  Nous  en  parlons 
dans  l'article  de  ce  prieur  ,  et  nous 
renvoyons  là  plusieurs  choses  qui 
appartiennent  à  Héloïse  et  à  son  ma- 
ri, et  qui  rendraient  trop  longs  leurs 
articles  ,  si  elles  n'en  étaient  pas  dé- 
tachées pour  être  mises  ailleurs.  Ceux 
qui  disent  qu'ils  aimeraient  mieux 
trouver  tout  au  même  lieu  ne  se 
sont  pas  bien  consultés. 

(Q)  La  justice  punit  sévèrement 
cette  action.]  Voyez  l'article  de  Foul- 

(5o)  Voyez,  tom.  IV,  pag.  !\tfi ,  la  citation 
(•jR)  de  l'article  Cardan. 
(5i)  Opernmpag.  17. 
(S?)    I  la  remarque  (I),  tom,  VI,  pag    S 


568 


HELOÏSE. 


ques  (53),   auquel  je   renvoie  pour  eonne  pas  de  grossir  les  choses  pour 

les  deux  remarques  précédentes.  divertir  les  lecteurs.  Deus  quijudicas 

(R)  La  perte  'Je  cet  ouvrage  l'af-  eequilatem  ,  quanlo  tune  animi  felle  , 

fligea  encore  plus  que  la  perte  de  sa  quanta    mentis  amaritudine  leipsum 

virilité.]  On  a  bien  raillé  les  auteurs  infamis  arguebam ,  te  furibundus  ac- 

sur  la  tendresse  excessive  qu'ils  con-  cusabam  ,  sœpiùs  repetens  illam  beau 

çoivent  pour  leurs  ouvrages  ,   et  l'on  Antonii    (56)    conquestionem ,    Jesu 

a  cité  entre  autres  exemples  celui  de  bone  ,   ubi  eras  ?  Quanto  autem  do- 

l'évêque  Héliodore  ,  qui  aima  mieux  l°re  œstuarem  ,  quanta  erubescentid 

renoncer  à  son  évêché,  que  de  con-  confunderer,  quanta  desperatione  per- 

damner  son  roman  de  Théagène  (54);  turbarer  sentire  tune  potui ,  proferre 

On  a  cité  ce  que  Sarasin  fait  dire   à  nonpossum.  Conferebamcumhis  quœ 

Voiture    (55);  mais  je   ne  sache  pas  in corporepassusolimfueram,  quanta 

qu'on  ait  cité  Abélard  sur  une  telle  mine  suslinerem,  et  omnium  me  œsti- 

matière  :  cependant  il  y  a  dans   son  niabam   miserrimum.    Parvam  illam 

exemple  quelque  chose  de  plus  fort  ;  ducebam   proditionem    in    compara- 

car  enfin  Job  recouvra  son  bon  état,  tione  hujus  injuria?  ,    et  longé  ani- 

et  engendra  fils  et  filles  ;  et  il  est  sûr  pliùs  famœ  quant  corjtoris  delrimen- 

que  Voiture  aurait  mieux  aimé  être  tum  plangebam  (5^). 


comme  Job  pour  quelque  temps  ,  que 
comme  Abélard  jusqu'au  tombeau  , 
et  qu'il  eût  jeté  tous  ses  livres  et 
toutes  ses  muses  à  la  voirie ,  s'il 
l'avait  fallu  ,  afin  de  conserver  son 
fonds  d'amourettes.  Où  sont  les  prélats 
à  qui  l'on  ne  fît  signer  la  résignation 
de  leur  évêché  ,  si  on  les  menaçait  le 

rasoir  en  main  de en  cas  qu'ils 

ne  la  signassent.  On  aurait  sans  doute 
obtenu  d'Héliodore  la  condamnation 
du  roman  ,  si  on  l'eût  mis  dans  cette 
fAcheuse  alternative.  Mais  voici  un 
homme    qui    déclare    qu'il    compte 


(S)  Ce  qui  n'a  point  lieu  dans 
l'autre  cas.']  Voyez  encore  l'article 
Foulques,  à  la  remarque  (F). 

(T)  On  se  gouvernait  très-mal  dans 
ce  monastère.]  Suger,  abbé  de  Saint- 
Denis  ,  se  prévalut  de  la  vie  déréglée 
des  religieuses  d'Argenteuil  ,  pour 
rentrer  en  la  possession  de  ce  mo- 
nastère. Il  envoya  ses  pancartes  à 
Rome  ,  et_  en  reçut  une  réponse  fa- 
vorable. Ecoutons  ce  qu'il  en  dit 
dans  l'histoire  de  sa  vie  ,  sous  l'an 
1127.  Dfuntios  nostros  et  chartas  an- 
tiquas  fundationis  et  donationis  ,  et 


pour  peu  de  chose  la  perte  de  ses  confirmationum  privilégia  bonœ  me 
parties  naturelles ,  en  comparaison 
de  la  perte  d'un  écrit  qu'on  l'obligea 
de  jeter  au  feu.  Afin  d'être  parfai- 
tement équitable ,  il  ne  faut  pas  at- 
tribuer toute  la  douleur  d'Abélard 
aux  sentimens  paternels  que  son 
caractère  d'auteur  lui  inspirait  pour 
son  livre.  Il  y  avait  là  une  autre 
chose  qui  le  chagrinait  encore  plus  ; 
c'est  qu'en  l'obligeant  de  jeter  son 
livre  au  feu ,  on  lui  imprimait  une 
note  d'hérésie ,  peine  qui  répond  à 
la  marque  du  fer  chaud.  Ses  mur- 
mures contre  la  providence  de  Dieu 
sont  une  autre  marque  de  sa  ten- 
dresse. Voici  ses  paroles;  je  dois  les 
rapporter,  afin  qu'on  ne  me  soup- 

(53)  Remarque  (M)  ,  loin.  VI,  pag.   53-J. 

(54)  Voyez,   dans  ce   vol.  ,  remarque  (B)  de 
l'article  Héliodore  ,  ce  qu'il  en  faut  croire. 

(55)  Un  auteur,  qui  dans  son  écrit , 
Comme  moi  reçoit  une  offense, 
Soujfre  plus  que  Job  ne  souffrit. 
Bien  qiCil  eût  d'extrêmes  souffrances. 

Sarasin,  Poésies,  pag.  m.  37. 


moriœ  papas  Honorio  Romani  dele- 
gavimus  ,  postulantes  ut  justitiam 
noslram  canonico  investigaret  et  res- 
titueret  scrutinio.  Qui,  ut  erat  vir 
consilii  et  justitiœ  tulor,  tam  pro  nos- 
trd  justitiâ ,  quant  pro  enormitate 
monacharum  ibidem  malè  viventium  , 
eundem  nobis  locum  cum  appendiciis 
suis,  ut  reformaretur  ibi  religionis 
ordo ,  restitua.  Il  dit  la  même  chose 
dans  la  vie  de  Louis-le-Gros  (58). 
Ceux  qui  sont  enclins  à  mal  juger  de 
leur  prochain  ,  ne  liront  pas  cet  en- 
droit sans  entrer  dans  de  violens 
soupçons  sur  la  vie  d'Héloïse.  Elle 
avoue  qu'elle  sentait  vivement  les 
brûlures  de  l'incontinence  (5g)  ;  et  il 
est  assez  ordinaire  que  la  supérieure 

(5G)  Apud  sanctura  Ilieronym. ,  in  ejus  Vitâ. 

(57)  Abâtardi  Oper.  ,  pag.  25. 

(53)  Papa  Honorius  ,  vir  gravis  et  severus  , 
justitiam  noslram  de  monaslerio  Argenloilen- 
si  puellarum  miserrimd  conversalione  injama- 
lo  ,  etc. 

(5c))  Voyez  ci-dessus  la  remarque  (K) ,  cita- 
lions  (4i)  cl  (43). 


HÉLOÏSE. 


5G9 


d'un  couvent  ne  se  gouverne  pas 
bien  ,  lorsque  la  débauche  fait  du 
ravage  dans  la  communauté  (60).  De 
ces  deux  principes  on  tire  aisément 
cette  conséquence  ,  lorsqu'on  se  plaît 
à  médire  ,  que  la  prieure  d'Argcn- 
teuil  ne  valait  pas  mieux  que  ses  re- 
ligieuses. Mais  pour  moi  ,  qui  n'ai 
point  lu  qu'elle  ait  été  nommément 
comprise  dans  le  scandale  que  son 
monastère  donna  ,  je  me  garderai 
bien  de  lui  porter  la  moindre  atteinte. 
Il  faut  imiter  Notre-Seigneur,  et  se 
servir  de  sa  maxime  (Gt),  personne 
ne  vous  a-t-il  condamnée  ou  accusée? 
Je  ne  vous  condamne  point  ,  ni  ne 
vous  accuse  point  aussi.  Et  il  est 
bien  vrai  que  les  inférieurs  imitent 
la  mauvaise  vie  de  leurs  supérieurs  , 
mais  non  pas  la  bonne  vie.  La  cour 
de  France  sous  Louis  XIII  n'était  pas 
plus  chaste  que  sous  Henri  IV. 

(  U  )  Elle  entretint  commerce  de 
lettres  avec  Abélard.~\  Ce  commerce 
ne  commença  que  sur  le  tard  ,  et  ce 
fut  une  rencontre  fortuite  qui  en 
fournit  l'ouverture.  Abélard  avait 
écrit  à  un  ami  une  longue  relation 
de  ses  malheurs  ,  qui  tomba  entre 
les  mains  d'Héloïse  ,  déjà  abbesse  du 
Paraclet.  L'ayant  lue  ,  elle  écrivit 
tout  aussitôt  à  Abélard  les  réflexions 
qu'elle  y  avait  faites  ;  et  le  supplia 
très-ardemment  de  lui  écrire,  afin 
qu'elle  ne  fût  plus  privée  de  la  conso- 
lation que  ses  lettres  lui  pouvaient 
donner  en  son  absence.  Elle  lui  re- 
présenta le  désintéressement  de  son 
amour,  et  comment  elle  n'avait  cher- 
ché ni  l'honneur  du  mariage  ,  ni  les 
avantages  du  douaire ,  ni  son  plaisir  , 
mais  la  seule  satisfaction  de  lui,  Abé- 
lard. Elle  lui  dit  qu'encore  que  le 
nom  de  femme  semble  plus  saint  et 
de  plus  grand  poids  ,  elle  avait  tou- 
jours trouvé  plus  doux  celui  de  sa 
maîtresse ,  ou  de  sa  concubine ,  ou 
de  sa  garce  :  Etsi  uxoris  nomen  sanc- 
tius  ac  validius  videtur,  dulcius  mihi 
semper  extitit  arnica?  vocabulum,  aut 
si  non  indigneris  ,  concubinœ  vel 
scorti  (62).  Elle  ajoute  qu'il  n'avail 
rapporté    qu'une  partie   des   raisons 

(60)  On   aime  a  citer  sur  cela    le 

Régis  ad  exemplum    totus  coroponitur  orbis  ; 
et  le 

.  .  .    Sequitur  leviter  filia  matris  iter. 

(61)  Evang.  de  saint  Jean  ,  chap.  VIII  , 
vs.  10. 

(62)  Abâtardi  Opcra,  pag.  45, 


qu'elle  lui  avait  représentées  pour  le 
détourner  du  mariage  ;  mais  qu'il 
avait  supprimé  presque  toutes  celles 
qui  étaient  prises  de  la  préférence 
qu'elle  donnait,  et  à  l'amour  par- 
dessus le  lien  conjugal ,  et  à  la  liberté 
par-dessus  la  nécessité  (63).  Je  ne 
Bais  comment  cette  fille  l'entendait  5 
mais  il  y  alà  un  des  plus  mystérieux 
ralfinemcns  de  l'amour.  On  croit 
depuis  plusieurs  siècles  que  le  ma- 
riage fait  perdre  à  cette  sorte  de  sel 
sa  principale  saveur,  et  que  depuis 
qu'on  fait  une  chose  par  engagement  , 
par  devoir,  par  nécessité,  comme 
une  tâche  et  une  corvée,  on  n'y 
trouve  plus  les  agrémens  naturels  5 
de  sorte  qu'au  dire  des  fins  connais- 
seurs, on  prend  une  femme  ad  ho- 
nores ,  et  non  pas  ad  delicias.  «  Le 
»  mariage  a  pour  sa  part  l'utilité  ,  la 
»  justice  ,  l'honneur,  et  la  constance, 
»  un  plaisir  plat ,  mais  plus  uni- 
»  versel.  L'amour  se  fonde  au  seul 
»  plaisir,  et  l'a  de  vrai  plus  cha- 
»  touilleux  ,  plus  vif  et  plus  aigu  : 
»  un  plaisir  attisé  par  la  difficulté  , 
»  il  y  faut  de  la  piqûre  et  de  la 
»  cuisson  :  ce  n'est  plus  amour,  s'il 
»  est  sans  flèches  et  sans  feu.  La  li- 
»  béralité  des  dames  est  trop  profuse 
«  au  mariage  ,  et  émousse  la  pointe 
))  de  l'affection  et  du  désir  (64).  » 
Patere  me ,  disait  un  empereur  ro- 
main (65)  à  sa  femme  ,  per  alias 
exercere  cupiditates  meas  ,  nam  uxor 
nomen  est  dignitatis  ,  non  voluplatis 
(66).  On  pourrait  donc  donner  un 
fort  mauvais  tour  au  dessein  qu'avait 
Héloïse  de  n'être  jamais  la  femme  de 
Pierre  Abélard ,  mais  toujours  sa 
chère  maîtresse  ;  on  pourrait  la  soup- 
çonner d'avoir  eu  peur  que  le  ma- 
riage ne  fût  le  tombeau  de  l'amour, 
et  ne  l'empêchât  de  goûter  aussi  dé- 
licieusement que  de  coutume  les  ca- 
resses de  son  ami.  L'auteur  qui  a 
paraphrasé   quelques  morceaux  des 

(63)  Rnliones  nonnullas  quibus  te  a  conjugio 
nostro  infauslis  lhalamis  revocare  conabar  ex- 
ponerc  non  es  dedignalus  ,  ted  plerisque  tacitis 
quibus  amorem  conjugio ,  Itbertatem  vinculo 
praferebam. 

(t>4)  Montaigne,  Essais  ,  liv.  III,  chap.  V  , 
pag.  m.  no. 

(65)  JElius  Vents,  apud  Spartian.  ,  in  ejus 
Vitâ  .  pag.  m.  235. 

(66)  forez  plusieurs  remarques  de  celle  na- 
ture ,  dans  la  IXe.  lettre  de  la  Critique  du 
Calvinisme  de  Maimbourg,  cl  dans  /«lettres 
XXI  cl  XXII  de  la  suite  de  cette  Critique. 


570 


IIÉLOÏSE. 

d'un  plaisir  aussi  délicieux  que  les 
embrassemens  illégitimes  (  73  )  5  20. 
qu'il  faut  croire,  non  pas  qu'Héloïse 
ait  profère  la  licence  du  concubinage 
à  la  condition  d'épouse  ,  mais  que 
son  amour  et  son  respect  pour  son 
galant  la  portaient  à  aimer  mieux  se 
faire  nonnain  ,  que  d'empêcher  pat 
son  mariage  qu'Abélard  ne  reçût  les 
récompenses  qui  étaient  dues  à  son 
esprit  et  à  son  érudition,  comme  vous 
diriez  le  chapeau  de  cardinal  (73).  Je 
n'ai  aperçu  aucune  trace  de  cela  dans 
les  lettres  d'Héloïse  5  c'est  pourquoi 
j'en  ai  fait  la  6e.  faute  de  M.  Moréri 
ni  qu'on  sente  ces  émotions  secrètes  dans  l'article  d'ABÉLARD.  Ce  qui  donne 
et  charmantes  de  deux  cœurs  qui  se  lieu  à  ces  sortes  de  mensonges  est 
sont  long-temps  cherchés  pour  s' unir;  qu'un  auteur  se  donne  la  liberté  de 
et  qu'elle  (70)  est  persuadée  que  s'il  prêter  aux  gens  les  pensées  qui  lui 
y  a  quelque  apparence  de  félicité  ici-    paraissent  conformes  à  leurs  intérêts. 


lettres  de  notre  Héloise  (67)  ,  lui  at- 
tribue dans  le  fond  cet  esprit  et  cette 
vue,  quoique  les  termes  soient  déli- 
catement ménagés.  On  lui  fait  dire 
(68)  qu'elle  ne  trouvait  rien  que  d'in- 
sipide dans  tous  ces  engagemens  pu- 
blics ,  qui  forment  des  nœuds  que  la 
mort  seule  peut  rompre  ,  et  qui  font 
une  triste  nécessité  de  la  vie  et  de 
V amour  ;  que  ce  (69)  n'est  pas  aimer 
que  de  vouloir  trouver  du  bien  et  des 
dignités ,  dans  les  tièdes  emhrasse- 
mens d'un  mari  indolent  ;  quelle  ne 
croira  jamais  que  l'on  goûte  ainsi  les 
plaisirs  sensibles  d'une  douce  union, 


bas  ,  on  ne  la  trouve  que  dans  l'as 
semblage  de  deux  personnes  qui  s'ai 
ment  avec  liberté,  qu'un  secret  pen- 
chant a  jointes  ,  et  qu'un  mérite  réci- 
proque   a   rendues  satisfaites.   Nous 


11  y  a  souvent  plus  de  profit  pour 
une  femme  à  laisser  courir  son  jeune 
galant  aux  dignités  de  l'église,  qu'à 
lui  en  boucher  le  chemin  en  l'épou- 
sant. Mais  est-il  permis  pour  cela  de 


allons    voir    qu'on    a    supposé    une    supposer  qu'Héloïse  a  eu   de  sembla- 
autre  cause  au  dessein  qu'avait  Hé 
loïse  de  n'épouser  par  Abélard 


(X)  Je  ne  trouve  point  que  l'espé- 
rance de  le  voir  élevé  a  la  prclalure 
ait  été  la  cause  de  l'envie  qu'elle 
avait  de  ne  le  pas  épouser.]  Le  sieur 
d'Amboise  (71)  fait  mention  d'un  an- 
cien poè'te  français  ,  qui  après  avoir 
exhorté  les  hommes  à  ne  se  point  as- 
sujettir à  la  servitude  du  mariage  , 
confirme  son  sentiment  par  celui  de 
notre  Héloïse  ,  laquelle  ,  dit-il ,  em- 
ploya les  prières  les  plus  ardentes 
auprès  de  son  amant ,  afin  d'empê- 
cher qu'il  ne  l'épousât  ;  elle  trouvait 
mieux  son  compte  à  être  aimc'e  d'un 
homme  à  qui  elle  verrait  un  jour  un 
bon  évêché  entre  les  mains  :  Satis 
esse  dictitans  si  Ma  intimo  pectoris 
amorem  niutuum  servans  ,  illum  vi- 
deret  mitrd  et  infulis  pontifcalibus 
quibus  dignus  erat  ornatum.  Le  sieur 
d'Amboise  remarque  ,  i°.  que  ce 
poète  donne  un  autre  tour  à  cela  , 
savoir  qu'Héloïse  faisait  connaître 
({ue  les  embrassemens  des  personnes 
mariées  ne    sont   pas    accompagnés 

(67)  Voyez  le  livre  intitulé  :  Histoire  d'Héloïse 
rt  d'Abélard  ,  imprime' à  la  Haye,  en  i6n3. 
(f.S)  Pag.  5i. 
(Cç>)  Pag.  &. 
I70)  Pag.  54. 
■    Pra>fal.  apologel.  ,  ad  Oper,  Abâtardi 


bles  vues  ?  Voici  un  conte  assez  con- 
nu :  un  homme  qui  avait  une  pré- 
bende la  quitta  pour  se  marier  ;  le 
lendemain  des  noces  il  dit  à  sa  fem- 
me :  Vois ,  m' amie  ,  comme  je  t'aime, 
d'avoir  laissé  ma  prébende  pour  l'a- 
voir. T^ous  avez  fait  une  grande  folie, 
lui  répondit-elle,  vous  deviez  garder 
votre  prébende  ,  vous  n'eussiez  pas 
laissé  de  m  avoir  (74)- 

(Y)    On     conte qu'Abélard  lui 

lendit  les  bras  et  l'embrassa  étroite- 
ment.] Une  chronique  manuscrite  de 
Tours  (7 5)  rapporte  ce  joli  miracle. 
Hœc  (  Heloissa  )  sicut  dicitur  in  agi i- 
tudine  ultimd  posita  prœcepitut  mor- 
tua  intra  mariti  tumulum  poneretur, 
et  sic  eddem  defunctd  ad  tumulum 
aperlum  deportald  ,  marilus  ejus  qui 


(72)  Sedpoëtain  alium  sensum  hoc  detorquet, 
quasi  illa  innurre  voluerit  suaviores  esse  aman- 
tium  ,  quant  legibus  connubiaUbus  nexorum  am- 
plexus.  Ibid. 

(■;3)  Potiiis  qu'am  obice  et  interventu  suarum 
nuptiarurn}  impediinento  esse  ne  Abœlardus  fac- 
lus  uxorius  frus traretur  prœmio  excellente  in- 
genii  admirabilisque  doctrines  ,  putà  purpura  et 
galero.  Ibidem. 

(?4)  Voyez  le  livre  intitulé  :  le  Moyen  de 
parvenir  ,  fait  par  un  chanoine  de  Tours  ,  à  ce 
que  dit  le  Ménagiana  ,  pag.  366  de  la  seconde 
édition  de  Hollande. 

(■j5)  Apud  Andreain  Qiicrcctanum ,  Notis  ad 
Histor.  Oalaniitat.  Abœl.,  et  npud  Franc.  Am- 
bosium  !  Prœfat.  apologet, 


HELVICUS.  5V 

multii  diebus  an  le  eam  defunctus  ché  au  sépulcre  depuis  un  an  ,  leva 
fuerat ,  elevatis  brachiis  illam  rece-  la  main  afin  d'embrasser  sa  femme 
pit ,  et  ita  eam  amplexatus  brachia  au  cou ,  lorsqu'on  la  mettait  au  même 
sua  strinxit.  Mais  d'où  vient  donc  tombeau, 
qu'ils  ne  sont  pas  dans  le  même  mo- 
nument? François  d'Amboisc ,  qui  HELVICUS  (ChIUSTOPHLE), 
nous  conte  qu'il  a  vu  au  Paraclet  le  professeur  en  théologie,  en  grec 
tombeau  du  fondateur  et  celui  de  la      t  ,  orientales  ,  dans 

fondatrice   1  un   auprès   de   1  autre  ,    .. 
conligua  jundatoris  et  fundatricis  se- 
pulcra,    devait   soudre  cette    petite 
difficulté. 

(Z) On  a  des  exemples  de  pa- 
reilles choses. .]  Voyez  ce  que  Gré- 
goire de  Tours  rapporte  (76)  de  deux 


l'académie  de  Giessen  ,  était  né 
le  26  de  décembre  1 58 1  à  Sprend- 
lingen  (a),  oit   son   père  était 
ministre  (A).   Ce  ne   fut  pas   un 
de  ces  esprits   tardifs  qui  ne  se 
personnes  mariées  qui  demeurèrent   produisent  que  sur  l'arrière-sai- 
toujours  vierges ,  et  que  les  habitons    son  :  il  fut  capable   avant  l'âge 
du   pays    (77)    nommèrent  les   deux 
amans.  La  femme  mourut  la  premiè- 
re; le  mari  en  l'enterrant  se  sen  it  de 
cette  oraison  :  Je  vous  remercie  ,  6 
mon  Seigneur  et  mon    Dieu  ,    de    ce 
//ne  je  vous  rends   ce  trésor  dans   la 
même  pureté  au  il  vous   avait  j> tu  de 
me  le  confier.  La  femme  se  mit  à  sou- 
rire ,  et  pourquoi  ,  lui  dit-elle  ,  par- 
lez-vous  d'une   chose   Qu'on  ne  vous 
demande  pas  ?  Le    mari  mourut  peu 
après  ,  et  on  l'enterra  vis-à-vis  de  son 
épouse  ;  mais  le  lendemain  on  trou- 
va les  deux  corps  ensemble  au  même 
tombeau.   Cette   brusque  interroga- 


de  vingt  ans  d'enseigner  le  grec 
et  l'hébreu ,  et  même  la  philo- 
sophie j  et  il  avait  fait  une  infi- 
nité devers  grecs  à  l'âge  de  quin- 
ze ou  seize  ans.  Ce  fut  à  Mar- 
pourg  qu'il  fit  ses  études.  Il  y 
reçut  le  degré  de  maître  es  arts 
l'an  1599.  Il  aurait  pu  l'obtenir 
plus  tôt ,  s'il  avait  voulu  ;  car  il 
fut  reçu  bachelier  à  l'âge  de  qua- 
torze ans  {b).  Il  se  rendit  si  fa- 
milière la  langue  hébraïque,  qu'il 
tion  pourrait  taire  croire  a  quelque     ,  ,    -  °  1      *         * 

profane,  que  l'épouse  vierge  n'aimait  Ia  parlait  comme  sa  langue  nia- 
pas  que  le  monde  sût  que  son  mari  ternelle.  Il  lut  à  fond  une  infini- 
eûi  ète'  si  froid.  Elle  se  borna  au  mè-  té  d'auteurs  grecs  ;  il  étudia  mé- 
rite de  sa  continence  ,  sans  vouloir  me  queique  temps  en  médecine  , 
être    exposée    aux     opinions    qu  on  .L     ,.?       ru.  •  ■ 

pourrait  former  au  préjudice  de  ses  quoupi  il  se  fut  consacre  au  mi- 
agrémens.  Ce  n'est  pas  ainsi  qu'on 
doit  garder  ce  dépôt  :  ce  n'est  pas  bien 
le  restituer  ,  que  de  le  rendre  tout 
tel  qu'on  l'a  reçu  ;  ce  n'est  pas  pour 
cela  que  Dieu  a  institué  le  mariage  , 

non  hos  queesilu 


munus  m  unis. 


nistère.  Enfin   il  donna  tant  de 
témoignages  de  sa  capacité ,  qu'il 
fut  choisi,  l'an   i6o5  ,  pour  en- 
seigner le  grec  et  l'hébreu  dans 
le  collège  que  le  landgrave   ve— 
On   peut  donc  n'être  pas  bien    aise    nait  d'ériger  à  Giessen  (c).  L'an- 
q ue  le  public  puisse   penser  qu'on    née  suivante  l'empereur  conféra 
n'a  pas    assez  plu   au    dépositaire. 
Mais    l'historien   remédiera  à  cet  in- 
convénient, si  vous  consultez  le  cha- 
pitre XXXiï  de    la    Gloire    des  Con- 
fesseurs, où  le  discours  de  la  défunte 
est  un  peu  mieux  tourné.  Dix  chapi- 
tres  après  il  raconte  qu'un  sénateur 
de  Dijon  ,  nommé  Hilaire  (78) ,  cou- 

(-G)  Histoire  des  Français,  liv.  I,  ck.  XLII. 

(77)  Clermont  en  Auvergne. 

(78)  Voyei  le.  Notes  de  it.  Vabbé  àc  Marol- 
<'ir  Grégoire  de  Tours  ,  ton.  IF,  pag.  283. 


à  ce  collège  le  titre  d'université, 
avec  les  privilèges  qui  en  dépen- 

(a)  C'est  un  bourg,  à  une  demi •  lieue  dt 
Francfort. 

(b)  Quarto  decimo  œlatis  anno  ,  perraro 
exemple  baccalaureatdsg  radian  consecutu  s 
Christoph.  Scheiblerus,  in  Programmait  d( 
funeic  Helvici.  Il  faut  que  le  baccalauréat,  en 
Allemagne ,  ne  soit  point  a  qu'il  est  ailleurs, 

(c)  Konig  se  trompt  -Il  fait  professeur 
à  Varpourg 


572  HELVICUS. 

dent.  Helvicus  ,  ayant  rempli  nologiques  (D) ,  quoiqu'elles  ne 
pendant  cinq  ans  toutes  les  fonc-  soient  point  exemptes  de  tout 
tions  de  sa  charge  avec  beaucoup  défaut  (E).  On  peut  connaître  par 
de  réputation  ,  fut  avancé  à  la  les  livres  qu'on  a  de  lui  (F),  que 
profession  en  théologie  ,  l'année    s'il  eût  vécu  soixante    ans ,  ses 

1610.  Il  se  maria  la  même  an-  œuvres  pourraient  faire  plusieurs 
née  :  je  ne  sais  point  s'il  attendit  tomes  in-folio.  Au  reste  ,  c'était 
à  le  faire,  qu'il  se  vît  élevé  dans  un  homme  dontlesmœursétaient 
un  poste  qui  lui  pût  faire  trou-  irrépréhensibles  ;  il  aimait  la 
ver  un  meilleur  parti ,  ou  si  paix  avec  tout  le  monde ,  et  il 
d'autres  raisons  l'engagèrent  à  ne  fut  jamais  brouillé,  ni  avec 
demeurer  garçon  jusqu'à  ce  aucun  de  ses  collègues ,  ni  avec 
temps-là,  car  l'auteur  que  je  ci-  d'autres  gens  (f)  :  Rara  avis  in 
terai  n'en  dit  rien  ;  mais  il  ob-  terris.  Il  fut  fort  considéré  de 
serve  que  le  mariage  ne  rendit  plusieurs  princes  d'Allemagne , 
point  Helvicus  moins  assidu  à  et  il  en  reçut  des  lettres  rem- 
ses  devoirs  (d).  On  lui  offrit  une  plies  d'honnêtetés.  Anne  Doro- 
église   dans    la     Moravie,     l'an    thée,  duchesse  de  Saxe,   lui   fit 

161 1 ,  et  une  profession  à  Ham-  l'honneur  de  lui  écrire  assez  sou- 
bourg,  avec  des  gages  considé—  vent.  Il  fut  regretté  d'une  façon 
râbles.  Il  ne  laissa  point  de  re-  particulière  :  tous  les  poètes 
fuser  ces  deux  vocations.  Il  prit  d'Allemagne,  de  la  confession 
le  degré  de  docteur  en  théolo-  d'A.ugsbourg  ,  se  mirent  en  frais 
gie, l'an  161 3  :  le  landgrave  vou-  de  chants  lugubres,  pour  plain- 
lut  cela,  et  qu'il  allât  voir,  à  dre  la  prématurité  de  sa  mort. 
Francfort,  les  bibliothèques  des  On  fit  un  recueil  de  ces  poésies 
juifs,  qui  avaient  été  chassés  de-  qui  fut  imprimé  avec  l'oraison 
puis  peu  par  des  émotions  po-  funèbre,  et  avec  quelques  au— 
pulaires.  Helvicus  ,  qui  aimait  très  pièces ,  sous  le  titre  de  Cip- 
beaucoup  la  lecture  des  rabbins ,  pus  memorialis  ,  par  les  soins  de 
acheta  làplusieurs de  leurs  livres.  Wynckelman  ,  collègue  du  dé- 
II  mourut  à  la  fleur  de  son  âge  funt.  Le  fils  de  ce  Wynckelnian 
le  10  de  septembre  1617,  ayant  fit  réimprimer  le  Cippus ,  l'an 
plusieurs  desseins  de  livres  en  i65o. 
tête  (B)  ,   et  passant    pour   l'un 


{f)  Concordiam  colebat  cum  omnibus  : 
nullo  enùn  iinquàm  tempore  cum  ullo  sive 
Collée  â  ,  sive  extraneo  in  discordiâ  vixit. 
Wyuckclm.  ,  in  Orat.  fun.  Helvici. 

(A)  Son  père  était  ministre.]  Il  s'ap- 
pelait Christophle  comme  son  fils  : 
il  avait  été  dans  sa  jeunesse,  pendant 
deux  ans,  le  directeur  du  collège  de 
Géraw  ,  après  quoi  il  étudia  en  théo- 
logie à  Tubinge  ,  et  fut  donné  pour 
ministre  à  l'église  de  Grisheim  :  mais 
pu fw  fuit,  et  in  officia  remissior.  Jo.  Wync    k       ince  G  landgrave  de  Hesse, 

kelmannus,  ulu  infra.  -,     l     ..  °      .      \    o  ji- 

le   mit    peu    après  a  aprendlingen. 

Helvicus  servit  cette    église  jusqu'à 


des  hommes  du  monde  qui  avait 
le  plus  d'adresse  et  de  métho- 
de à  enseigner  une  langue  (e) 
(C).  Il  était  non-seulement  bon 
grammairien  ,  mais  aussi  bon 
chronologue.  L'on  a  fait  beau- 
coup de  cas  de  ses  Tables  Chro- 

(</)  Ner/ue  verb  inilo  malrimonio  TO.  ùtix. 


(e)  Tiré  de  son  Oraison  funèbre  ,  pronon- 
cée par  Jean  Wynckelmannus,  professeur  en 
théologie  .  à  Giessen, 


sa  mort ,  et  souffrit  bien  des  traver- 


ses.  Multa  propter  sinceram  confes- 
sionem  perpessus  ,  tandem  ibidem 
vitam  liane  terrestrem  cum  cœlesti 
commutavit.  Il  était  fils  de  Quirinus 
Helvicus  ,  qui  se  signala  à  la  défense 
de  Darmstadt ,  durant  la  guerre  de 
Smalkald.  On  peut  voir  dans  Slci- 
dan  et  dans  de  Thou  le  jugement  que 
le  comte  de  Buren  fît  de  lui.  Ne 
voyant  aucune  apparence  de  secours, 
il  se  mit  sur  les  remparts  pour  capi- 
tuler, mais  il  reçut  un  coup  qui  lui 
perça  le  bras  droit,  après  quoi  la 
place  fut  prise  d'assaut.  On  le  voulut 
faire  pendre,  et  on  l'aurait  fait  peut- 
être,  si  la  rançon  qui  fut  promise 
pour  lui  ne  l'eût  empêché.  Il  avait  ac- 
compagné le  landgrave  Philippe  dans 
presque  toutes  ses  expéditions  (i). 

(B)  Il  mourut ayant  plusieurs 

desseins  de  livres  en  léte.]  Il  avait 
publié  plusieurs  grammaires  ,  une 
latine,  une  grecque  ,  une  hébraïque, 
une  chaldaïque  ,  une  syriaque  (2)  ; 
mais  ce  n'étaient  que  des  abrégés. 
Son  lexicon  hébreu,  et  son  lexicon 
latin  n'étaient  qu'une  manière  d'essai 
en  faveur  de  la  jeunesse.  Il  souhaitait 
de  perfectionner  toutes  ces  grammai- 
res, et  de  faire  des  lexicons  à  l'usage 
des  savans  ;  et  il  demandait  à  Dieu 
assez  de  vie  pour  achever  ces  ouvra- 
ges. De  plus  il  en  demandait  assez 
pour  réduire  en  ordre  les  histoires 
ecclésiastiques  ,  et  pour  critiquer  la 
traduction  du  Vieux  et  du  Nouveau 
Testament ,  faite  par  Piscator  ,  et  les 
Commentaires  du  même  auteur  sur 
l'Ecriture.  Il  croyait  aussi  qu'il  im- 
portait de  faire  une  nouvelle  édition 
de  la  Bible  de  Luther,  avec  une  bonne 
apologie,  et  avec  les  explications  né- 
cessaires. L'édition  de  cette  Bible  que 
Paul  Tossan  avait  procurée  depuis 
peu  ,  avec  des  notes  marginales  qui 
contenaient  les  opinions  de  Calvin  , 
fit  naître  cette  pensée  à  Helvicus  ,  et 
en  même  temps  un  ardent  désir  d'exé- 
cuter ce  projet  (3).  Cum  ante  bien- 
nium  Paulus  Tossanus  Heidelber- 
gensis  doctor,  versionem  Bihlicam  B. 
Lutheri  germanicam   in   lucem   edi- 

(i)  Ex  Oratione  funebri  Clirisloph.  Helvici, 
habita  a  Joanoe  Wynckelmanno. 

(1)  Il  publia  premièrement  une  grammaire 
Çe'ne'rale  :  Grammatica  universalis,  conlinens  ea 
quœ  omnibus  linguis  sunt  communia.  Ceux  qui 
l'auront  feront  bien  de  la  comparer  avec  celle 
de  M.  Arnauld. 

(3)  Wynckclm.  ,  in  Oral.  fun.  Helvici. 


HELVICUS.  573 

disset ,  non  solum  variis  notalionibus 


marginalibus  (quœ  quales  hinc  indè 
sint  viri  cordati  j udicabunt  )  consper- 
sam ,  sed  etiam  erroribus  Calviniano- 
rum  contra  ipsius  lutheri  mcnlein  et 
voluntatem  pr-otervd  temeritate  et  im- 
pudenliâ  contaminatam  ,  judicabat 
operœ  pretium  esse  ,  si  opus  illud  Bi- 
blicum  Jjiitheri  cum  solidd  ubi  opus 
e^set  apologid ,  necessariis  erplica- 
tionibus  ,  et  macularum  quas  Ponti- 
jîcii  et  Calviniani  tlli  asperserunt , 
abstersione  in  lucem  prodiret.  Ubi 
animadverti  in  ipso  singulare  hoc  ip- 
sum prœstandi  desiderium,  si  Domino 
ila  visum  esset  (4). 

(C)....  et  passant  pour  un  des  hom- 
mes... qui  avait  le  plus  d'adresse  et  de 
uirt/iode  h  enseigner  une  langue.)  Il 
chercha  une  route  plus  facile  que 
celle  dont  on  se  servait  dans  les  éco- 
les, pour  mener  la  jeunesse  à  l'érudi- 
tion. Il  ne  se  rebuta  point  par  les 
obstacles  qu'on  forma  contre  sa  nou- 
velle méthode,  persuadé  qu'il  était 
qu'elle  épargnerait  bien  du  temps  et 
beaucoup  de  peine  aux  écoliers;  et, 
poussé  par  la  tendresse  que  l'on  a 
pour  ses  inventions ,  il  se  donna  plu- 
sieurs mouvemens  afin  d'introduire 
sa  méthode  dans  les  collèges.  Il  mit 
l'allaire  en  bon  train  :  on  tâcha  de  le 
tourner  en  ridicule ,  on  le  chicana  , 
on  le  calomnia  ;  il  fallut  se  défendre, 
il  fallut  réfuter  ces  rudes  attaques 
(5).  Je  crois  que  sa  mort,  étant  venue 
avant  que  ses  inventions  eussent  pré- 
valu ,  donna  moyen  aux  partisans  de 
la  vieille  gamine  de  se  maintenir  ,  ou 
de  se  remettre  sur  pied.  Quoi  qu'il  en 
soit,  on  fit  mettre  dans  son  épitaphe 
qu'il  avait  été  l'inventeur  d'un  nou- 
vel art  d'enseigner,  novœ  didaclicœ 
auclor  et  injormator  felicissimus.  La 
chose  en  valait  la  peine ,  titulo  res 
digna  sepu/chri ,  et  méritait  d'être 
copiée  plus  exactement  qu'elle  ne  le 
fut  par  le  sieur  Fréher  ,  qui  au  lieu 
de  didaclicœ  a  mis  dialecticœ.  On 
croirait  qu'Helvicus  avait  quelque 
idée  d'un  projet  auquel  on  dit  qu'un 
fort  savant  homme  travaille,  qui  est 
de  réduire  les  langues  à  des  principes 
communs  qui  puissent  servir  à  les 
apprendre  toutes  ensemble  fort  aisé- 
ment j  on  croirait ,  dis-je,   cela,   si 

(4)  WyncWlm.,  in  Oratione  funebri  Helvici. 

(5)  Voyez  Spuélius,  in  Templo  Honoris  rese- 
rato  ,  p«à>.  5o. 


574  HELVICUS. 

l'on  se  fiait  à  ce  litre  de  l'un  de  ses 
livres  :  Ltbri  didactici  Grammaticœ 
universalis  latinœ,  greeece  ,  hebraï- 
cœ,  chaldaïcœ  (G)  ■  mais  il  est  visible, 
par  son  oraison  funèbre,  qu'il  faut  là 
une  virgule  après  universalis .  Voyez 
ci-dessus  la  citation  (2). 

(D)  On  a  fait  beaucoup  de  cas  de 
ses  Tables  Chronologiques .~]  Je  parle 
de  l'ouvrage  qu'il  intitula  Theatrum 
Historicum,  sii'e  Chronologia?  Syste- 
ma  novum.  Il  le  publia  l'an  1609.  Sé- 
thus  Calvisius ,  qui  était  si  consomme 
dans  l'histoire  et  dans  la  chronolo- 
gie ,  approuva  beaucoup  cet  ouvrage, 
et  le  trouva  d'une  invention  et  d'une 
commodité     toute    nouvelle  ,   puis- 
qu'on y  voyait  les  choses  tout  à  la 
fois  et  d'un  coup   d'œil  :    Utpote  in 
quibus    exemplo    arilehac    non    viso 
omnia    uno   intuitu   lectorum  oculis 
subjiciantur.    Wynckelman    obsei-ve 
que  cette  approbation  se  trouve  dans 
la  lettre  que  Se'thus  Calvisius  e'erivit 
à  Helvicus,  le  7  de  septembre  160g.  Il 
ajoute:  L'ouvrage  se  réimprime  pré- 
sentement ,  corrigé  et  augmenté  par' 
l'auteur.  Jam  secundum  emendatius 
et  ex  ipsius  a.ùrrjypâ.tya>  auctius  editur. 
Il   fout  donc    dire   que  la  première 
édition  de  cet  Ouvrage  est  de  l'an  1609, 
et  que  la  seconde  est  de  l'an  161 8. 
Jean  Steuber  ,  professeur  à  Giesscn  , 
eut  soin  de  celle-ci ,  et  la  dédia  à  un 
seigneur  danois  (7)  ,  protecteur  des 
gens  de  lettres ,  et  qui  avait  honoré 
Helvicus  de  son  affection.  Vingt  ans 
après  on  fit  une  nouvelle  édition  de 
cet  ouvrage,  par  les  soins  de  Jean  Bal- 
thasarSchuppius,  gendre  de  l'auteur, 
et  professeur  en  éloquence  à  Mar- 
pourg.il  avertit,  dans  sa  préface  qu'il 
ne  veut  rien  dire  de  l'édition  d'An- 
gleterre. Depuis  ce  temps-là  ce  Théâ- 
tre Chronologique  a  été  réimprimé 
plusieurs  fois.  Vossius   n'a  pas   bien 
marqué  la  date  de  la  première  édi- 
tion,  et  a  donné   pour  la  seconde 
celle  qui  ne  l'était  pas.  Anno  cio  10 
ex n,  dit-il  (8),    Christophorus  Hel- 
vicus edidit  Syslema  Chronologicum, 
œqualibus  denariorum ,  quinquage-  , 
nariorum,  et  centenariorum,  inteival- 
lis.  ld  postea  continuant  et  recen- 

(G)  Spizélius,  ibid.,  pag.  52  ,  rapporte  ainsi 
cr-  litre. 

-)  Oliger  lioseciantz.  Vépîlre  dédicaloire  dr 
Steuber  est  datée  du  îS  de  mars  1G18. 

(8)  Df  scient,  matlicm.  ,  pag.  4°4- 


suit  Joannes  Balthasar  Scoppius 

Emisit  anno  cio  id  cxxxviii.  On  ne 
peut  pas  m'objecter,    en    faveur   de 
Vossius  ,  qu'il'est  très-vrai  qu'Helvi- 
cus   fit  un  livre  de  chronologie ,  l'an 
1612  ,   qui  fut  augmenté  par  Schup- 
pius  ,  l'an  i638  ;  car  ce   livre  n'est 
point  celui  dont  Vossius  parle  :  il  a 
pour  titre  :  Chronologia  Universalis 
ah  origine  mundi per  quatuor  summa 
imperia,  quas  monarchias  appellant, 
ad  annum   usque    mdcxii  ,  deducta  , 
cum  pirœcipuis    synchronismis    viro- 
rum  illustrium,  eventorum  et  politia- 
rum  cœterarum  (9).  Tout  y  est  ac- 
commodé à  la  prophétie  du  IIe.  et  du 
VIIe.  chapitre   de   Daniel.   Voilà   un 
caractère    qui    ne   convient    pas   au 
TJieatrum  Historicum.  D'autre  côté , 
le  titre  et  le  caractère  par  lesquels 
Vossius  désigne  le  livre  dont  il  a  par- 
lé, conviennentparfaitement  au  Thea- 
trum Historicum,  sive   Chronologia? 
Systema  tiointm ,  où  l'on  ne  voit  que 
compartimens  de  dizaines ,  de  cin- 
quantaines  et    de    centaines  ,    dont 
l'une  ne  passe  pas  l'autre.  Enfin  Jean 
Justus  Wynckclmannus ,  fils  de  celui 
qui  prononça  l'oraison  funèbre  ,   re- 
marque très-expressément  (10) ,  que 
Schuppius  a  publié,  avec   les  conti- 
nuations jusqu'à  l'année  i63g,  deux 
ouvrages  de  son  beau-père  Helvicus  ; 
l'un  est  le  Theatrum  Historicum  in- 
folio ;  l'autre  la  Chronologia  univer- 
salis -in-quarto.  Jclaisse  à  dire  qu'Hel- 
vicus  ne  publia  point  lui-même  la 
Chronologie    qu'il    avait    continuée 
jusqu'à  l'an  1G11  :  ce  fut  Steuber,  son 
collègue,  qui  la  publia,  l'an  1618. 

(E) quoiqu'elles  ne  soient  point 

exemptes  de  tout  défaut.]  M.  le  Fè- 
vre  de  Saumur  ne  les  trouve  point 
exactes  à  l'égard  du  temps  que  les 
poètes  ,  les  philosophes  ,  et  autres 
personnes  savantes  ont  fleuri.   Pri- 

mum  hocmihi credas  velim,  Hel- 

uicum  non  salis  locupletis  esse  fulei 
in  hdc  Chronologia?  parte  quœ  viro- 
rum  scriptis  illustrium  œtalem  signal: 
dein  hoc quoquehabet  Helvicus,  quod 
ferè  plemmque  recentiores  script  ores 
sequalur ,  ut  eclogarios  ,  bibliothe- 
carios  ,  etc.  ;  qualc  aliquid  qttoqite  in 

(9)  Vide  M.  Eusebium  Bohemum,  in  epitome 
Historiœ  ecclesiasticœ  Novi  Teslameuti  ,  pag. 
'12  etseq.  ,  apud  Joli.  Jiislum  Winckelmannum, 
in  Ciupo  memoriali  Christopbofo  Helvico  rc»- 
taurato,  pag.  10. 

(10J  Wynckelm.  ,  ibid. 


HEMELAR. 

Calvisio  improbdrat  Scaliger,  quem- 
admodum  ex  epistolis  ejus  apparet  s 
quamvis  Calvisii  opus ,  ex  quo  lotus 
est  Helvicus  ,  mirijicè  laudaret.  Sert 
quod  dico  ,  allalis  infiù  ci  emplis 
planiiis  constahit  (il).  Les  exemples 
qu'il  promet  là ,  et  qu'il  donne  en- 
suite ,  regardent  les  fautes  qu'Helvi- 
cus  a  faites  sur  Athénée,  sur  Lucien, 
sur  Justin  et  sur  Hermogène. 

(F)  Les  livres  qu'on  a  de  lui.]  J'en 
ai  déjà  marqué  quelques-uns  ,  en 
voici  d'autres.  Il  publia  des  Disser- 
tations Chronologiques  sur  les  IV  Mo 


575 


Théâtre  de  Paul  Fréhérus  (i5)  .  et  h- 
Templum  Honoi'is  de  Spizélius  ;  vous 
y  verrez  un  long  catalogue  ,  qui  me 
semble  assez  exact  ,  des  ouvrages 
dllclvicus.  La  plupart  sont  en  latin, 
les  autres  en  allemand.  Corrigez  dans 
Fréhérus  à  i'épitaphe  XXXVI  (16)  et 
IX  ;  et  mettez  XXXV  et  IIX.  Il  est 
bien  étrange  que  ceux  qui  ont  corri- 
ge1 ce  gros  livre  n'aientpasvu  qu'un 
homme  né  le  26  de  décembre  i58i 
(17),  et  mort  le  10  de  septembre 
1G17  (18) ,  n'a  pas  vécu  trent-six  ans 
neuf  mois  et  demi.  Il  y  a  XXXV  ans 


narchies,  sur  les  LXX  Semaines  de  Da-  et  IIX  mois  dans  I'épitaphe  rappor- 
nicl,  sur  Cyrus  ,  sur  les  autres  rois  de  tée  par  Wynckelmau  (in) ,  qui  d'ail- 
Perse,  etc.  Il  réfuta  si  solidement  les  leurs  a  fait  la  faute  de  dire  dans  l'o- 
opinions  d'Angélocrator ,  qu'on  n'eut  raison  funèbre,  qu'Helvicus  étaitmort 
rien  à  lui  répliquer  (la).  Cependant  dans  la  trente-septième  année  de  sa 


Angélocrator  se  piquait  d'inspiration: 

il  déclare  à  la  tête  de  son  livre  qu'il 
l'a  composé  Deo  illuminante  (i3). 
Cela  diminue  de  beaucoup  la  gloire 
de  ceux  qui  l'ont  réfuté  ;  car  il  ne 
peut  point  être  diflicile  de  trouver 
mille  chimères  dans  les  écrits  de  ces 
prétendus  inspirés.  Quand  même  ils 
ne  seraient  pas  actuellement  fanati- 
ques ,  et  qu'ils  n'auraient  en  vue  que 
d'exciter  les  passions,  ils  témoigne- 
ront en  se  vantant  d'une  telle  chose 
contre  leur  conscience  un  égarement 
d'esprit ,  qui  ne  leur  permettrait  pas 
d'échapper  au  moindre  critique.  Hel- 
vicus  fit  des  traité»  de  Dialeclis  grœ- 
cis  ;  de  Ratio  ne  carmina  grœca  con- 
sevibendi  ;  de  Paraphrasi  liibliorum 
chaldaïcd  ;  une  Poétique  latine  ; 
Desiderium  Evœ ,  cum  aliorum  dic- 
torum  Biblicorum  h  deprawationibus 
Judœorum,  Cah'inianovum  ,  et  Pho- 
tinianorum  erroribus  annexa  vindi- 


vic  ,  anno  œtatis  suce  trigesimo  septi- 

mo:  il  écrit  cela  tout  du  long,  et  non 
pas  en  chiffres.  Il  écrit  de  la  même 
manière  le  jour  de  la  naissance  et  le 
jour  de  la  mort  ;  celui-là  est ,  selon 
lui  ,  le  26  de  décembre  i58i  ;  l'autre 
est  le  10  de  septembre  161 7  :  d'où 
lui  viennent  donc  les  trente-sept 
ans  ?  Plus  il  est  facile  d'éviter  ces 
fautes,  plus  faudrait-il  les  éviter. 
(iS)  Pag.  394. 

(iol  Magirus,  in  Eponyra.,  met  aussi  XXXVI. 

(17)  C'est  ce  que  Paul  Fréher  assure,  p.  3i)'i. 

(18)  C'est   ce  que   porte    /'épitapbe  ,    apud 
Freherum,  pag.  eâdem  et  3g4- 

(19)  In  Cippo  mémorial),  pag.  m.  16. 

HÉMELAR  (Jean),  chanoine 
d'Anvers  ,  natif  de  la  Haye  (a) , 
a  été  un  fort  savant  homme  *. 
Il  s'appliqua  beaucoup  plus  à 
l'étude  des  belles-lettres ,  et  à  la 
science  des  médailles  (A) ,  qu'aux 
disputes  des  théologiens.  Il  était 


catione  ;  Synopsis   Histoviœ   iiniver- 
salis.  Il  avait  mis  6ous  la  presse  la 

Poétique  hébraïque,  et  en  avait  dé-  P°ete  e}  orateur  11  fit  a  Rome 
jà  fait,  l'épître  dédicatoire  ;  mais  il  un  panégyrique  de  Clément  VI II, 
la  supprima  et  pour  cause  (i  4).  Voyez  avec  un  si  grand  succès,  qu'on 
le  sieur  Witte  dans  son  DiariumÉio-   iu[  donna  a  choisir  ou  la  garde 

de  la  Bibliothèque  du  Vatican, 
ou  un  très-bon  bénéfice  (b).  Il 
se  contenta  d'être  chanoine  à  la 

(a)  Valère  André  ,  Biblioth.  belg.,  p.  5i4- 
*  Leclercdit  que  liémolar  vivait  cucuiecn 

i63<).  11  ne  mourui  que  le  6  novembre  io"55, 

suivant  Paquot,  qui  lui  a  consacré  un  articli 

dans  ses  Mémoires. 

{b)  Joli.  Fridcricus  Gronovius     in  Oral. 

fun.  Jacobi  Golii ,  pag.  7. 


graphicum  ;  mais  surtout  voyez  le 

(11)  T.  Faber,  Epiatolar.   Ub.  /,  pag.  an. 

(13)  Contra  absurdas  Danielis  Angelocralo- 
ris  opinaliones ,  ut  ras  insignis  chronologus  Se- 
lhu<  Calvisius  in  liiteris  ad  Helvicum  datis  in- 
digilat ,  quem  ita  errorum  con vieil ,  ul  ne  contra 
quidem  kiscere  potueril.  WyncUlm. ,  in  Orat. 
funebri. 

(i3)  Apud  Vossium  ,  de  scient,  malberaat. , 
pag.  402. 

(14)  Quam  iamen  puit  certis  de  cau.ù'  prttlo 
\uxil.  Wynclielm.  ,  in  Orat.  fumbri. 


576  HÉMELAR. 

cathédrale  d'Anvers  (c).  Il  avait  dailles.]  Il  composa  un  livre  sur  celte 
eu  beaucoup  de  part  à  l'estime  science  et  le  donna  à  publier  .mais 
eu  ucdutuui7  ,  j1  T  T  -  a  condition  qu'on  n'y  mettrait  pas 
et  à  lamitie  de  Juste  Lipse  son  nom  Auctor  est  Expositionis  Nu- 
son  professeur  :  cela  paraît  par  mismatum  imperatorum  romanorum 
les  lettres  que  Lipse  lui  a  écrites  à  Jul.  Cœsare  Heraclium  ,  quant  operi 

(d) ,  et  par  le  témoignage  qu'il  lui  su°  Jac-  *"M  adJecit  >Jaf°  >  ut  '*' 

\"-J  5  v    1  /n    tt'        i  puLatus  erat,  nomme,  Anluerp.  iipud 

donna,  1  an  iboo  (e).  Hemelar  se  Verdus.\6\\.  4  (i).  Voilà  ce  qu'on 

préparait  alors  au  voyage  d'Ita—  trouve   dans  Valère   André.  On   va 

lie.  Il  passa  six  ans  à  Rome  chez  voir  quelque  chose  de  plus  précis, 

i  j-      i  r  '  •  t  r\     Ti    f.,+    „™,'  In  IVumismata   regum  et  imvu.  rô- 

le cardinal  Lesi  (/  ).  11   lut  ami  ,   n    T  s.     n        *r 

c  ^  v-/  ',..      j  manorum  a  C  Julio    Cœsare  usque 

de  Grotius,  et  il  publia  des  vers  ad  FI.  Jusûnianum  ex  Caroli  Ars- 
où  il  le  félicita  de  la  sortie  de  chotani  reguli  et  IVic.  Rocoxd  con- 
nrison  (g~)  Il  était  frère  de  la  SUI<^S  viri  armariis  deprompta  com- 
"  ,  1  ?  /->  i  •  4.  menlarios  edidit  honœ  f  rugis  plenos  , 
mère  de  Jacques  Golius,  ce  savant  inquibus  quicquidiniurZ,  argento, 
professeur  de  Leyde  qui  s  est  ac-  œre,  flato  percusso  in  urbe  œternâ  , 
quis  une  si  belle  réputation  par  exquisitum, elegans,  historiée  tempo- 
la  connaissance  profonde  des  rum  et  8enion  principumconveniens  , 
.  .  ,  1Ti  ..  per  notas ,  figuras,  ambages  brèves 
langues  orientales.  Il  aurait  vou-  ^  sirpos  Jrb°orum  \ignij£atu.Tt  acu. 

lu  sans  doute  gagner  ce  neveu  à  tissimè  paucis  et  planissimè  explicat, 

la  communion  romaine,  comme  penu  quoddam  nummariœ  antiquita- 

il  y  gagna  Pierre  Golius,  frère  de  tis  :  et  7M0  °Pere.  alicluis  arrogantior 

T  J  °   °  .    .,      ,  :  ,    ,  supens  se  misceri  posset  arbilrari ,  in 

Jacques  ;  mais  il  n  aurait  pas  ete  e0  nomen  suum  dissimidai,it  (2).  Les 

capable  d'y  réussir.  Jacques  Go-  paroles  qui  précèdent  celles-ci  dans 

lius  était  un  bon  protestant ,  qui  *a  harangue  de  Gronovius  sont  trop 

„„_„„  i„„*^   <.»   .,;^    K«o„^«„T^  belles   pour   n'être    pas    rapportées. 

conserva  toute  sa  vie  beaucoup  , ,       f„  ...  .  *    .  j11, 

.       \  Mater  (  (joln)  omm  sexds  laude  prœ- 

de  rancune  contre  son  oncle,  a  dita t>elunicaJohannis Hemelarii 

cause  du  changement  de  religion  fratris  imagine  sat  nobilis  est,  viri  et 
de  son  frère  (h).  Moréri ,  qui  dans  in  eeterum  Utterarum  tractatione  cam 
l'article  de  Golius  avertit  qu'il  PHrnis  exercitati,etpoëtœ  diserUtet 
....  -,  t  tt  '  probitate  ac  tranqmltitate  uttce  fugd- 
parle  ailleurs  de  notre  Jean  He-  que  nonorum  et  negotiorum  T.  ali- 
melar,  ne  donne  qu'un  faux  avis,  quem  Pomponium  Atticum  référen- 
ce ne  l'imiterai  point  à  l'égard  tis.  Panegfricum  dixit  votis  tertiorum 
de  la  promesse  que  j'ai  faite  dans  f^nquennalium Clementù  VIII , 
J-  •  i  j  v  i  tam  illustri  gratta  exceptum  ,  ut  y  a- 
le  même  article  de  dire  quelque  ticanœ  biblioihecœ  prœfecturam  ,  aut 
chose  touchant  PlERKE  GOLIUS  (B).  optimum  sacerdotium(   canonicatum 

vocant)  optare  jussus  sit  :  sacerdolio 

(0  Job.  Frideriçus  Gronovius,  in  Orat.  Antuerpiœ  contentus   fuit.  M.  Colo- 

funehri  Jacobi  Goln ,  pag.  7.  ^^  (Sf  assure  leqivre  dlIe<me_ 

(cl)  Idem,  pag.  o.  i  t  ji    ^^^ 

(e)  Il  est  plein  d'éloges.  Vous  le  trouverez  lar  sur  les  médailles  ne  se  trouve  pas 

d«ns  Swcriius ,  Athen.  he\ç>.,pag.  l\66.  aisément.  Il  s  en  est  fait  néanmoins 

(/)  Idem ,  Swert. ,  ibid.  trois  éditions  (4).  Les  autres  ouvra- 

(g)  Grotio  arcam  et  nngelum  custodem  ges  de  ce    chanoine  d'Anvers   sont , 

luculento  carminé  gralulalus  est.  Gronov. ,  Gratulatio  in  inaugurationem  D. 
in  Orat.  funebri  Jac.  Golii. 

(//)    Unum  in  eo  non  sine  gemitu  solebat        (i)  Valer.  Andr. ,  Bibliolh.  belg.,  pag.  5i4- 
accusare  noster ,  r/uôdfratrem  Petrum  revo-        (2)  Gronovius  ,  m  Orat.   funebri   Jac.   Golii, 

câsset   ad  religiones  parenîibus   ejuratas.  paf\ '/,,    ' 
Idem,  ibid.  W  Mélanges  lnstoriques,  pag.  78. 

(4J  La  seconde  est  de  l  an  1027  ,   in-^°. ,    et 

l  A\    Tl  ^...r.'«,.  3.   r  't..,l~  J  .„  1  .1  'a  troisième,  de  l'an  i654,  in-folio,  toutes  deux 

(A)  Il  s  appliqua  a  l  clittle  <lrs  bel-  ■    . i)-„  .     1      -     1   1 1.     nVr  .1 

.    v    '  •      1  j  -  a  envers,  royez  le  père  Labbe ,  Bibuotli.  num- 

les-leUres  ,   et  a   la  science  des  trie-  mar. ,  pag.  2O2. 


HEMMINGIUS. 


Cltristïani  Michaëlii ,  D.  Michaëlis 
apuil  Antuerpienses  Prœmonstraten- 
sis  ccenobii  abbatis  ;  Poëruata  limita 
sparsim  édita  ;  Oratio  infunere  Joan- 
nis  Malderi  f^,  Antveipiensis  episco- 
pi ,  habita- 

(B)  Je  dirai  quelque  chose  touchant 
Pierre  Golius.  ]  Il  eut  la  même  in- 
clination que  son  frère  pour  les  voya- 
ges du  Levant,  et  pour  les  langues 
orientales.  Il  se  fit  carme  déchaussé, 
et  prit  le  nom  de  célestin  de  Sainte- 
Liduïne.  Il  séjourna  plusieurs  années 
sur  le  mont  Liban  ,  et  il  fut  profes- 
seur à  Rome,  aux  langues  orientales, 
ïl  traduisit  en  arabe  Thfcmas  à  Kem- 
pis  ,  et  il  entreprit  à  l'âge  de  soixante 
et  quatorze  ans  le  voyage  des  côtes 
de  Malabar,  pour  y  travailler  à  la 
conversion  des  infidèles.  La  diversité 
de  religion  et  de  profession  n'empêcha 
pas  les  deux  frères  de  s'aimer  bien 
tendrement.  Pierre  écrivit  à  Jacques 
qu'il  lui  était  redevable  du  bon  trai- 
tement qu'il  recevait  en  Asie.  Frater 
ascètes  è  familid  discalceatorum  cùm 
per  vestigia  jratris  in  Oriente  decur- 
reret  ,  scripsit  ad  nostrum  diit  jam 
reducem  omnia  sibi  evenire  prœter 
expectationent  ;  parasse  se  ad  vincu- 
la,  carceres  ,  verbera  ,  emees  ;  inve- 
nire  amplexus,  gratulationes,  studia, 
gratias  polentium  ob  nomen  Golium  : 
eam  memoriam  id  desiderium  sut  re- 
liquerat  :  ita  gratiam  absenti  refere- 
bant  (5).  Cela  veut  dire  que  le  nom 
de  Golius  y  était  si  estimé  depuis  les 
voyages  de  Jacques  ,  qu'on  lui  faisait 
beaucoup  d'honneur  en  la  personne 
de  Pierre.  Au  reste  ,  il  ne  faut  pas 
s'imaginer  qu'Hémelar  ait  eu  besoin 
de  beaucoup  d'esprit  et  d'industrie  , 
pour  attirer  son  neveu  à  la  commu- 
nion romaine  ;  car  il  le  gagna  dans 
l'enfance  ;  Pierre  Golius  était  élevé 
chez  lui  dès  l'a"ge  de  huit  ans.  Je  rap- 
porterai les  paroles  de  Gronovius,  sur 
lesquelles  je  me  fonde.  On  y  verra 
que  cet  enfant  eut  l'esprit  fort  avan- 
cé. Unum  in  eo  (  Hemelario)  non  si- 
ne gemitu  solebat  accusare  noster  , 
quhd  fratrem  Petrum  revoccisset  ad 
religiones  parentibus  ejuratas  ,  lirum 
alioquin  egregium  ,  etfraterno  secum 
animo  ,  nec  minus  gnarum  rerum  et 
linguarum  Orientis  ,  diùque  in  parti- 
bus  iisdem  versatum  et  arabicœ  lin- 

(5)  Gronovius  ,  in  Orat.  funebri  Golii ,  p.  19. 
TOME    VU. 


>77 


guœ  Jîomœ  projessorem  -.  qui  quant 
prœcocifuerit  indole ,  testis  est  ora- 
tio ,  quant  Christiano  Michaelio  ab- 
bali  Prœmonstratensi  ab  Hemelario 
scriptam  gratulandi  causa ,  puer  oclo 
annorum  constanter  ,  et  quasi  Jecisset 
memoriter  pronuntiaiil. 

HEMMINGIUS  (  Nicolas  ) , 
professeur  en  théologie  à  Co- 
penhague ,  naquit  l'an  i5i3  , 
dans  l'île  de  Laland  (a).  Sa  pre- 
mière éducation  ne  put  pas  lui 
être  fort  avantageuse ,  puisqu'elle 
fut  dirigée  par  un  forgeron  , 
frère  de  son  père.  Jl  fit  néan- 
moins quelques  progrès  dans  les 
bonnes  lettres,  etpuis  il  al  la  à  Wît- 
temberg  où  ,  pendant  cinq  ans  , 
il  fut  l'un  des  auditeurs  les  plus 
assidus  de  Mélancthon.  Comme 
il  fallait  qu'il  gagnât  sa  vie,  soit  à 
instruire  des  écoliers,  soit  à  écrire 
pour  eux  ,  il  faut  admirer  davan- 
tage l'érudition  qu'il  acquit.  II 
s'en  retourna  en  Danemarck  ; 
et  ,  par  la  recommandation  de 
Mélanchthon  ,  il  entra  chez  un 
gentilhomme  dont  il  instruisit 
les  filles.  Ensuite  il  fut  fait  mi- 
nistre de  l'église  du  Saint-Esprit, 
à  Copenhague ,  et  puis  profes- 
seur en  langue  hébraïque.  Il  prit 
le  degré  de  docteur  en  théologie, 
l'an  i55y  ,  et  tout  aussitôt  il  ob- 
tint une  profession  en  la  même 
faculté  à  Copenhague.  Il  en  fit 
très-bien  les  fonctions  jusques 
eu  l'année  i5"ji),  qu'il  fut  dé- 
claré emeritus ,  et  pourvu  d'un 
canonicat  dans  l'église  de  Ro- 
schild.  Il  jouit  tranquillement  de 
ce  bénéfice  jusques  à  sa  mort, 
c'est-à-dire  jusques  au  ?.3de  mai 
1600.  Il  fut  aveugle  les  derniè- 
res années  de  sa  vie  {b)  ,  et  cela 

(à)  Elle  appartient  au  roi  de  Danemarck. 
{b)  Tiré  de  Paul   Ficher,  ïheatr.  Viror. 
illustr.  .  pag.  3i2  ,  il'5. 

37 


5-78 


HEMMINGIUS. 


doit  moins  surprendre  quand  on 
songe  qu'il  fut  toujours  fort  stu- 
dieux ,  et  qu'il  vécut  quatre- 
vingt-sept  ans.  Remarquons  que 
non-seulement  il  ne  fut  pas  un 
luthérien  fort  rigide  (A),  mais 
qu'il  y  a  quelque  apparence  que, 
si  l'on  n'y  eût  mis  ordre  ,  il  au- 
rait paru  bon  calviniste.  On  s'a- 
perçut de  son  penchant  pour  les 
opinions  de  Genève ,  et  on  l'o- 
bligea à  s'expliquer  ,  et  même  à 
se  rétracter  (B).  Il  donna  une 
confession  de  foi  luthérienne  ,  et 
néanmoins  il  s'est  trouvé  depuis 
peu  un  théologien  qui  a  tâché 
de  montrer  qu'elle  s'accorde  avec 
celle  des  réformés  (C).  Hemmin- 
gius  publia  beavicoup  de  livres. 
Ses  opuscules  de  théologie  paru- 
rent si  bons  à  Simon  Goulart 
qu'il  les  fit  réimprimer  à  Genève  , 
l'an  i586(D). 

Ajoutez  qu'à  l'âge  de  soixante 
et  dix  ans,  il  fit  un  livre  intitulé 
Immanuel  ,  qui  semble  destiné 
principalement  à  combattre  Jac- 
ques André,  le  grand  promoteur 
de  l'ubiquitisme  (c).  Cet  ouvra- 
ge ,  qu'on  loue  beaucoup  (d),  n'a 
été  imprimé  qu'après  la  mort  de 
l'auteur.  On  le  publia  à  Franc- 
fort, l'an  if)i5  (e),  avec  une  pré- 
face qui  nous  fournira  un  supplé- 
ment sur  ce  que  nous  avons  dit  de 
la  vigueur  avec  laquelle  le  livre 
de  la  Concorde  fut  rejeté  par  le 
roi  de  Danemarck(E). 

(c)  Lud.  Gérard.;  à  Renesse  ,  Wot.  in 
Apolog.  belg.  eccl. ,  pag.  Il/p 

(d)  Idem  ,  ibidem. 

(e)  Idem  ,  ibid. ,  pag.  III. 

(A)  Il  ne  fut  pas  un  luthérien  fort 
rigide.  ]  Il  me  suffira  d'en  alléguer 
cette  preuve.  La  formule  de  concor- 
de ,  que  les  théologiens  de  Saxe  et 
leurs  adhérons  tâchèrent  de  faire  ré- 
gner par  tout  le  monde  luthérien  , 


fut  rejetée  avec  beaucoup  d'indigna- 
tion dans  le  Danemarck.  Le  roiFridé- 
ric  II  défendit  à  tous  ses  sujets  de 
la  signer,  et  menaça  du  bannissement 
tous  ceux  qui  contreviendraient  à 
cette  défense  ,  ou  qui  apporteraient 
des  exemplaires  de  ce  livre  dans  ses 
états  (i).  Voyez  la  remarque  (E).  Or 
Hemmingius  fut  le  principal  promo- 
teur de  cette  aii'aire  (2)  ,  comme  le 
remarque  Hospinien  ,  qui  sur  ce  fait- 
là  n'a  point  été  contredit  par  Hutter. 

(B)  On  l'obligea....  a  se  rétracter.} 
Hospinien  (3)  rapporte  qu'Hemmin- 
gius  ,  dans  son  Syntagma  institutio- 
nu?n  christianarum,  publié  l'an  \5n/\  , 
s'expliqua  sur  la  présence  réelle  com- 
me aurait  fait  un  calviniste.  M.  Ma- 
sius  n'en  disconvient  point  ;  mais 
il  ajoute  qu'Hemmingius  ,  averti  de 
son  erreur  ,  la  rétracta  solennelle- 
ment (/j).  «  Non  dissimulandum  esse 
»  ait  (  Masius  )  Calvini  sententiœ  de 
»  sanctâ  Ccenâ"  aliquandiù  indulsis- 
»  se  (  Hemmingium  )  sed  monitum  à 
»  caeteris  theologis  ad  meliorem  men- 
»  tem  reversum  deposito  errore  pa- 
»  linodiam  cecinisse.  Quant  in  rem 
■»  ejus  confessionem  ,  ipsius  manu 
»  scriptam  (5)  sibique  a  viro  illus- 
»  tri  D.  Engberg  consiliario  régis  et 
»  judice  provinciali  Seelandiœ  dono 
»  datant  subjungit.  »  L'auteur  dont 
j'emprunte  ces  paroles  fait  voir  par 
quelques  passages  du  Syntagma 
qu'Hemmingius  combattit  l'ubiqui- 
té ,  et  donna  des  louanges  à  Calvin 
pour  l'accusation  de  Servet ,  et  aux 
magistrats  de  Genève  pour  le  sup- 
plice de  l'accusé.  Cum  lus  hœresi- 
archis  damnamus  etiani  impium  ne- 
bulonent  Michaëlem  Servetum  ,  qui 
rabiosè  contemtis  sanctorum  patrum 
conciliis,  Arii  et  aliorum  fanaticorum 
hominum  damnatas  hœreses  reuoeare 
conatus  est,  quem  justo  accusatum  ît 
D.  Johanne  Caluino  ,  mérita  Géné- 
râtes ajfecêre  supplicio  (6). 

(C)  Un  théologien....   a    taché  de 

(1)  Tiré  ^/'Hospinien  ,  de  Origine  et  Progressa 
libri  Concordise,  cap.  XXXK ,  pag.  307. 

(2)  Piomoventibus  cautatn  hanc  D.  Hemmin. 
gio  ,  et  aulico  concionatore ,  etc.  Idem  ,  ibid. 

(3)  1(1.  ,  ÏJist.  Sacraroent. ,  parte  II  ,  p.  5g5. 

(4)  Samuel  Andréas,  in  epislolà  ad  Anloniuin 
Horneck  quâ  Danix  orthodoxa;  fîdelis  et  pacifie» 
Autori  respondetur,  p   O2,  edit.  Hlarpurg.,  îGqo. 

(5i  Le  6  d'avril  1576. 

(6)  Hemmingius,  in  Syntagm.  Institutionum 
Cbrislianarum,  Loto  de  Deo,  num.  38,  apud 
SainueleiB  Audr.  ,  uiii  supià,  pnç.  63. 


HEMMI 

montrer  que  la  confession...  d'Hem- 
mingius  s accorde  avec  celle  des  ré- 
formés.} M.  Masins ,  professeur  en 
the'ologie  à  Copenhague  ,  a  communi- 
que' au  public  la  confession  que  l'on 
exigea  d'Hemmingius.  Elle  porte  qu'il 
croit  fermement  que  Jésus-Christ  tout 
entier  Dieu  et  homme  ,  est  substan- 
tiellement pre'scnl  à  la  cène,  partout 
où  on  la  célèbre  selon  son  institution: 
et  que  Je'sus-Christ  apporte  et  livre  à 
tous  les  communians,  dignes  et  indi- 
gnes ,  son  corps  véritable  ,  et  le  vrai 
sang  qu'il  a  répandu  pour  nous  en 
re'mission  des  péchés  ;  et  que  ce  corps 
et  ce  sang  sont  pris  véritablement  et 
réellement  avec  le  pain  et  le  vin  par 
les  communians  ;  en  sorte  que  c'est 
une  vraie  viande  et  un  vrai  breuvage 
dont  l'homme  est  nourri  ,  recrée  ,  el 
vivifié  à  la  vie  éternelle.  Se  slaluere 
et  firmiter  credere  totum  Christum 
Deum  ethominem substantialiter  ad- 
esse  prœsenlem  in  cœnd  siui  ubicun- 
que  celebratur  jn.rta  ipsius  ordinatio- 
nem  ,  ip  s  unique  adferre  et  exhibere 
omnibus  communicantibus  dignis  et 
indignis  suum  vefum  corpus  et  veruni 
sanguinentquetn  effudiipro  nobis  in  re- 
missionem  peccatorum  ,  et  hoc  corpus 
et  hune  sanguinem  verè  et  realiter 
cum  pane  et  vino  a  communicantibus 
sumi ,  ita  ut  verus  sit  cibus  et  potus 
quo  homo  pascitur ,  reficitur  et  vivifir 
catur  ad  vilam  œternam  (7).  Au  reste, 
Hemmingius  reconnaît  que  sa  confes- 
sion s'accorde  avec  celle  d'Augsbourg 
avec  le  petit  Catéchisme  de  Luther  , 
et  avec  le  système  de  la  doctrine  des 
églises  saxonnes  ;  et.  il  déclare  qu'il 
révoque  tout  ce  qu'il  a  dit  dans  son 
Syntagma  qui  a  offensé  les  églises  , 
et  qui  est  conforme  au  sentiment  de 
Calvin  sur  la  sainte  cène  ,  ou  qui  ne 
s'accorde  pas  avec  la  présente  con- 
fession. Cunijam  aliter  in  Syntag- 
mate  suo  scripserit  juxta  sententiam 
Caluini  de  re  sacramentariâ  quo  ec- 
clesiœ  offensœ  sint ,  et  quod  cum  ha'c 
sud  prœsenti  confessione  pugnet ,  id 
quicquid  sit  in  universum  reuoeare  , 
et  hoc  suo  scripto  revocatnm  velle  (8). 
Il  demande  pardon  au  roi  et  à  tous 
ceux  à  qui  son  Synlagma  avait  donné 
du  scandale  (9).  Il  est  visible  que  sa 
confession  contient  le  luthéranisme, 

(7)  Voyez  Samuel  André  ,  pag.  65  ,  66. 

(8)  Âptul  Samuelem  Andream,  ibid.,  pas,.  6". 

(9)  Ibidem. 


NGIUS.  579 

et  l'on  doit  être  persuadé  que  les 
dur  leurs  qui  l'obligèrent  à  se  rétrac- 
ter ,  lui  prescrivirent  les  expressions 
qu'ils  crurent  les  plus  capables  de 
lever  les  équivoques  ,  et  de  marquer 
précisément  et  formellement  son  or- 
thodoxie et  l'abjuration  de  son  er- 
reur. Néanmoins ,  vous  ne  sauriez 
croire  avec  quels  efforts  le  théologien 
que  je  cite  prétend  montrer  cru  Hem 
mingius  ne  chanta  point  la  palinodie. 
Les  parenthèses  et  les  nota  behe  donl 
il  entrecoupe  les  paroles  de  la  con- 
fession ,  afin  d'éluder  les  conséquen- 
ces et  les  prétentions  de  M.  Masius  , 
lui  paraissent  si  solides  ,  qu'il  ne 
craint  point  d'assurer  qu'llcmmingius 
ne  rétracta  que  fort  peu  de  chose  , 
et  que  les  bons  calvinistes  pourrait  ni 
en  conscience  signer  cette  confession 
expliquée  et  entendue  selon  son  vrai 
sens.  Kidet  itaque  rurs'um  vir  claris- 
sirnus  ,  quanti/hnn  id  sit  quod  hue 
confessione  sud  Hemmingius  rei'oca- 
vit ,  cui  et  nos,  dummodo  dextre  in- 
telliganturet  rectè  explicentur possu- 
mus  adstipulari ;  et  quitmprocul  ille 
adhuc  abfuerit  tum  cum  collegis  a 
fide  ^v»3-('a)ç  lutheranâ  (  io  ).  Con- 
cluons de  là  qu'il  est  malaisé  de 
dresser  un  formulaire  qui  coupe  che- 
min à  toute  dispute.  On  croit  avoir 
prévenu  toute  sorte  d'équivoques  ; 
mais  dans  la  suite  on  s'aperçoit  qu'un 
adversaire  invente  mille  détours  ,  et 
nous  veut,  persuader  que  nous  avons 
eu  d'autres  pensées  que  celles  que 
nous  savons  bien  que  nous  avons 
eues.  En  certains  cas  c'est  entrepren- 
dre ce  que  Périclès  entreprenait,  et 
dont,  il  venait  à  bout.  Jeté  par  terre 
en  luttant  ,  il  persuadait  aux  specta- 
teurs qu'il  n'était  pas  vrai  qu'il  fut 
tombé  (n).  On  se  souviendra  peut- 
être  ici  d'une  observation  maligne 
que  l'on  aura  lue  dans  l'Histoire  des 
Variations  (ia).  «  Les  luthériens  nous 
»  assurent,  dans  leur  livre  de  la  Con- 
»  corde,  que  Luther  fut  porté  à  cette 
»  expression  (i3)  par  les  subtilités 
»  des  sacramentaires,  qui  trouvaient. 
»   moyen  d'accommoder  à   leur  pré- 

(io)  Samuel  Andréas  ,  epist.  ad  Anton.  ITor- 
neck  ,  pag.  67. 

(n;  Voyez,  lom.  XT,  V article  PÉmeiks,  h 
ta  remarque  (D)  ,  avant  le  premier  alinéa. 

(isO  M.  deMeaux,  Histoire  des  Variations  , 
liv.  IV,  num.  37  ,  pas.  m.  1S1. 

(i3)  Savoir  que  le  pain  était  le  vrai  corps. 


58o 


HEMMI 


-»  sence  morale  ,  ce  que  Luther  disait 
>,  de  plus  fort  et  de  plus  précis  pour 
)>  la  pre'sence  réelle  et  substantielle  5 
»  par  où  ,  en  passant,  on  voit  enco- 
»  re  une  fois  qu'il  ne  faut  pas  s'éton- 
)>  ner  si  les  défenseurs  du  sens  figuré 
»  trouvent  moyen  de  tirer  à  eux  les 
»  saints  pères,  puisque  Luther  même 
3)  vivant  et  parlant,  lui  qui  connais- 
■»  sait  leurs  subtilités ,  et  qui  entre- 
»  prenait    de    les  combattre  ,   avait 
3)  peine  à  trouver  des  termes  qu'ils 
w  ne  fissent  venir    à   leur   sens  avec 
3>  leurs  interprétations    :    fatigué  de 
»  leurs  subtilités  ,  il  voulut  chercher 
3)  quelque  expression  qu'ils  ne  pus- 
3>  sent   plus  détourner  ,  et   il  dressa 
33  l'article  de  Smalcalde  en  la  forme 
))  que  nous  avons  vue.  33  M.  de  Meaux 
aurait  pu  trouver  dans  son  église  un 
grand  exemple  de  tout  cela.  La  bulle 
d'Innocent  X  contre  les   dogmes  de 
Jansénius  n'ôta  point  aux  jansénistes 
les  moyens  de  disputer.  Ils  se  retran- 
chèrent dans  plusieurs  subtilités  ,  et 
dans  mille  distinctions.  Pour  les  for- 
cer là-dedans  on  fit  parler   Alexan- 
dre VII  d'une  façon  plus  précise  ;  on 
fit  entrer  dans  sa  bulle  tout  ce  qui 
paraissait  propre  à  renverser  les  dis- 
tinctions et  les  subterfuges  de  Port- 
Pioyal.  Cela   ne   servit  de  rien.    Les 
jansénistes   continuèrent    à   soutenir 
que  la  doctrine  de  Jansénius  n'avait 
pas  été  condamnée.  M.  Arnauld  étala 
cent   observations  empruntées  de  la 
plus    fine    logique    (i/j)-    La  lecture 
d'un  tel  écrit  "eut  bien  étonné  le  pape  : 
il  eut    vu  la  vanité  de  ses    précau- 
tions ;  il  eût  aperçu  qu'on  lui  prou- 
vait ,   qu'il  n'avait  pas    voulu   dire 
ce   qu'il   savait    bien  qu'il   avait   eu 
dans  l'esprit.  Ace  que  je  vois,  aurait- 
il   pu  dire  ,   vous  savez  mieux   que 
moi-même  ce  que  je  pense.  La  belle 
chose  que  c'est  que  le  connotatum  du 
cardinal   Lauréa  (i5)  !  Et    quand  on 
songe  aux  distinctions   infinies  qu'il 
faut  faire  pour  bien  démêler  ce  que 
les  bulles   ordonnent,  et  ce  qu'elles 
n'ordonnent  pas   (16),   on   sent  bien 
que   l'infaillibilité    de   la    chaire  de 

(i4)  Voyez  les  écrit'  qui  ont  e' le  publiés  ,  pag . 
ifo  et  suivantes  du  IVe.  tome  tle  la  Tradition 
de  l'Eglise  romaine  sur  la  Grâce,  h  Liép;e,  ifigfj. 

(iSJ  Voyez  le  IVe.  tome  de  la  Tradition  de 
I'Kglise  romaine  sur  la  Grâce  ,  png.  i38  et  suiv, 

(16)  Voyez  ce  nu  on  cite  de  Melcliior  Canus, 
dans  ce  même  IVe.  tome  de  la  Tradition  ,  paç. 
120  et  suiv. 


IsGIUS. 

Saint-Pierre  n'est  d'aucun  usage  ,  si 
l'on  ne  suppose  ,  ou  que  chaque  par- 
ticulier connaît  à  fond  toutes  les  plus 
fines  règles  de  la  dialectique,  ou  que 
chaque  curé  est  infaillible. 

(D)  Ses  opuscules...,  parurent  si 
bons   h  Simon  Goularl ,  qu'il  les  fit 

réimprimer l'an    t586.  ]    Voyez 

l'épître  dédicatoire  de  l'édition  qu'il 
en  procura.  Au  reste  ,  il  avertit  les 
lecteurs  qu'il  a  éclairci  certaines  cho- 
ses qu'Hemmingius  n'avait  pas  dé- 
veloppées suffisamment ,  et  qui  cho- 
quaient plusieurs  personnes. 

(E)  V^oici  un  supplément  sur  ce  que 
nous  avons  dit  {\  7)  de  la  vigueur  avec 
laquelle  le  livre  de  la  Concorde  fut 
rejeté  par  le  roi  de  Danemarck.  ] 
Un  Anglais  (18)  qui  fit  la  préface  de 
cet  ouvrage  posthume  d'Hemmingius 
nous  apprend  (19)  ,  que  la  reine  Eli- 
sabeth travailla  de  toutes  ses  forces 
à  faire  que  le  roi  de  Danemarck  en 
usât  ainsi.  Il  raconte  bien  des  parti- 
cularités de  l'indignation  de  ce  prin- 
ce ,  et  entre  autres  celle-ci ,  que  le 
livre  de  la  Concorde  qu'on  lui  avait 
envoyé  couvert  de  soie  et  orné  de  pier- 
reries, fut  néanmoins  jeté  au  feu,  itnô 
quod  memorabde  imprimis  est  a  pien- 
tissimo  Danorum  rege  Frederico  II , 
ab  auld  efectorali  Saxoniâ  ,  ut  ut 
mis  sus,  holoserico  obductus  auro  gem- 
misque  preliosis  affabrè  ornatus  mag- 
no  et  pio  zelo  p^ulcano  tradilus 
est ,  annexa  gravissimd  peenâ  et  in- 
spectione  ejus  rei  universi  regni  epi- 
scopis  demandatd  sub  conjiscatione , 
m  regnum  ne  importaretur ,  ibidemve 
distraheretur  neve  sub  exitio  certissi- 
mo  ab  ullo  possideretur ,  eo  quod  in 
illo  nova  ,  et  in  istis  regionibus  antè 
inaudita ,  ac  {prout  habet  ipsum  di- 
ploma  regium  in  librum  Concordiœ 
vibralum  ,  a  doctis  viris  mini  non 
semel  in  Darda  explicatum)  inusitata 
comprehenderenturdogmata  :  recepta 
eero  ibi  ex  adverso  sunt  cum  Lutheri, 
Philippi  quor/ue  scnpta  ,  inter  hœc 
cum  primis  Corpus  doctrine  ,  tribu- 
niticvque  illœ  ,  ac  declamaloriœ  con- 

(17)  Dans  la  remarque  (A). 

(if?)  On  le  nomme  d'abord  Robertus  Alenso- 
nios  ,  dans  les  notes  que  je  citerai  ci-dessous , 
mais  ensuite  on  le  nomme  toujours  Robiosonius. 

(ig)  Prarfatio  libri  Hemmingii ,  cui  tituhis 
Immantiel ,  apud  Ludovicum  Gerardum  à  Re- 
nesse  ,  Not.  in  apologeticam  reformatarum  in 
Btlgio  ecrlesiarum  epistolam,  ad  ,  et  contra  Auc- 
toies  libri  Bergcnsis,  dicti  ,  Concordiïï  ,  p.  m. 


HEMMINGIUS. 


58. 


clones  S.  Caihedris  puhœ  (20).  Il  re- 
marque qu'Huttérus  a  fort  condamne' 
cette  conduite  de  sa  majesté  danoise. 
Heroïcum  istud  régis  'Frederici  fac- 
tum  vocat   (  Hutterus  in  libro  quem 
appellat  Concordia  concors  )  durum 
nimis  et  Rhadamantheum  plané  ,   re- 
gemque  et  quidem  Christianum  haud 
decens  ,   sed  cum  enormi  ,    tantoque 
rege  indigna  prorsùs  animi  impoten- 
tid ,    et   nimiâ  affectuum   vehementiâ 
conjunetum  ,   quod  tanti  régis  digni- 
talem  ,  prudentiam  et  existimationes 
haud  let'iter,  omnibus  ,  qui  sallem  ali- 
quid  judicare  possunt ,  suspectas  red- 
dit.    Mais   qu'elle    a    été    amplement 
loue'e  par  Ohristophle  Knobius ,  dans 
l'oraison  funèbre   de  ce    monarque. 
Citons  l'endroit  ;  il  nous  fera   voir  le 
zèle  ardent  de  ce  prince  ,  qui  disait 
souvent  que  cette  dispute  des  luthé- 
riens avait  cause'  plus  de  maux  que 
les  Turcs  n'en  eussent  cause'  par  le 
saccagement   des  provinces   où    elle 
avait    pris   naissance.   Christophorus 
Knobius    aulicus   illius  (  régis  )   con- 
cionator  in  concione  funebri  in  exe- 
quiis  regiis  habita  anno  i588  ,  5  junii 
sic  de  illo  loquilur  :  Sollicitus  erat  ne 
sui  quoque  doctores  in  abyssum  hu- 
jus    periculosœ  et  nocentissima  dis- 
putationis  abriperentur,  ideôque  no- 
luit    isti  negocio  immisccri    :   etiam 
querebatur   damnum  quod  christia- 
11a  ecclesia  ex  hâc  disputatione  sen- 
tiebat ,  non  posse  tali  concordiœ  Ber- 
gensis  formula  sanari  :  et  sciunt  com- 
plures  bonestissimi  viri ,  quanto  cum 
aflectu  in  factum  doleret  ,  quin   imô 
illum  sœpiùs  dixisse  ,  si  Turca  illas 
regiones ,   in  quibus  haec   certamina 
nata  sunt  et  adoleverunt,  depopul  1- 
tus  fuisset ,  non   tantùm  damni  po- 
tuisse  inferri  ,  quantum  hœc  dispu- 
ta t  io  intulit ,  nec  finem  posse  videri 
hujus  certaminis  (21).  La  reine  Elisa- 
beth se  servit  de  la  même  comparai- 
son dans  sa  lettre  à  l'électeur  de  Saxe. 
Votre  pays,  lui  écrivit-elle  {0.1)  ,   a 
souffert  jdus  de  dommages  par  cette 

(io)Prœf.   eadem  ex  L.  G. ,  à  Renesse,  p.  1  ti. 

(ai)  Lurl.  Gerardus ,  â  Renesse  ,  Not.  in  epist. 
apolog.  eccles.  reform.  in  lîelgio,  pag.  n3. 

(22)  Scribens  ad  Aucîu'lum  eleetnrem  sic  inter 
alia  ,  si  Turca  totam  tuam  ditionem  ferro  ilam- 
màque  vastâsset,  tan  ta  non  dedisset  damna  quanta 
ex  concordia;  discordis  ne^otio  accepit.  Idem, 
i.tùd, ,  pag.  114  ,  ex  Joli.  LampaJii  episl.  dedic. 
Censura:  Ubiquilatis. 


prétendue  concorde,  que  si  les  Turcs 
y  avaient  tout  mis  à  feu  et  à  sang. 
L'auteur  (23)  qui  rapporte  cette  par- 
ticularité  observe   que  les  ministres 
de  Hollande  obtinrent  de  cette  reine 
qu'elle  engageât  Fride'ric  II,  roi  de 
Danemarck,  à  rejeter  le  livre  de  la 
Concorde.  On  voit  dans  la  préface  du 
livre  d'Hemmingius  ,  que  le  succes- 
seur de  ce  roi  de  Danemarck  conti- 
nua de  rejeter  le  même  livre,  de  quoi 
l'auteur  de  la  préface  le  loue  beau- 
coup. Robinsonus  pag.  loejusdem  ad 
lectorem    prœfationis  sic    concluait 
Deus    qui   nunqu'am    deest    ecclesia' 
suœ  ,  iiTequtt storum  talium  hominum 
conatus  ut  olini  per pios  magistratus 
in  Daniâ  prœsertun  ,  miré  impedivit  : 
iia  etiam  nunc  per  optimi  patris  opti- 
mumûliiini  ,  re  et  nontine  veré  chris- 
tianum, paternis  vesti^iis  severè  in- 
sislenteni  ,  pictate  et  justitid  régna 
sua  firmantem  pontiûciorum ,  ubiqui- 
tariorum  ,  et  aliorum  schismaticorum 
ac    turbulentorum    hominum    stuaia 
mature  et  prudenter  in  ipsâ  herbâ 
reprimenteni,  bénigne  retardauit  (s/}). 
J'avoue  de  bonne  foi   qu'ici  je  ne 
puise  point  à  la  source  ,    et  que  je 
n'ai  point    d'autre    original   que  les 
notes  de  Louis  Gérard  de  Renesse  sur 
une  lettre  qu'il  fit  réimprimer  à  Bré- 
da,  l'an    iG5i   (25),  et  qui  avait  été 
publiée  la  première  fois  l'an   1 5^9  , 
en  latin  ,  en  flamand  et  en  allemand. 
Elle  est  intitulée  :  Apologetica  rejor- 
matarum  in  Belgio  ecclesiarum  epi- 
stola ,   ad ,   et   contra    auctores  libri 
Bergensis,  dicti,  Concordiœ.  Le  sieur 
de  Renesse  n'en  connaît  point  l'au- 
teur ;  mais  je   sais  qu'on  l'a  donnée 
à  Pierre   de  Villiers   (26)  ,  ministre 
français    et    prédicateur    du    prince 
d'Orange.  Anno  »  5^9  ,  Peints  Vil- 
lerius  gallus  concionalor  aulicn s  prin- 
cipis  Auriaci,  polypragmonicus,  sub 
ministrorum  Belgicormii  nomine  epi- 
stolnni  criminatoriam  contra  autores 
libri  Concordiœ  publicavil  (27). 

(2^)  Jo'i.   Lampad.  ,    ibidem. 

(24)  Lui).  Gérard.,    à  Renesse,  ibidem. 

(l5)  Ily  eïaitminislre  et  professeur  enthe'ologie. 

(iG)  Voyez  dans  la  remarque  (S)  du  l'article 
C11  iri.fs-Quiî.t  ,  tom.  y,  pag-  74  .  '«  passage 
drr  Annales  de  Crotius  ,  ou  ion  attribue  «  ce 
Pierre  de  Villiers  l'Apologie  du  prince  d*Orange. 

(27)  Sclivsselburg. ,  lib.  II  Tlieol.  Calvimanrr, 
cap.  VII,  apud  Schulting  BiLliolVi.  Catliol.  , 
tom.  I,  pag.  23. 


FIN  DU  SEPTIEME  VOLl^IF. 


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