GIFT OF
SEELEY W. MUDD
and
GEORGE I. COCHRAN MEYER ELSASSER
DR. JOHN R. HAYNES WILLIAM L. HONNOLD
JAMES R. MARTIN MRS. JOSEPH F. SARTORI
to the
UNIVERSITY OF CALIFORNIA
SOUTHERN BRANCH
JOHN FISKE
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"3Hl!
à
m
DICTIONNAIRE
HISTORIQUE ET CRITIQUE
DE PIERRE BAYLE.
TOME SEPTIÈME.
G-HEM.
DE L'IMPRIMERIE DE FAIN, PLACE DE L'ODÉON,
DICTIONNAIRE
HISTORIQUE ET CRITIQUE
DE PIERRE BAYLE.
NOUVELLE ÉDITION ,
AUGMENTEE DE NOTES EXTRAITES DE CHAUFEPIE , JOLY , LA MONNOIE ,
L.-J. LECLERC, LEDUCHAT, PROSPER MARCHAND, ETC. , ETC.
TOME SEPTIEME.
PARIS,
DESOER, LIBRAIRE, RUE CHRISTINE.
1820.
7 p 7 ^
DICTIONNAIRE
HISTORIQUE ET CRITIQUE
i/9
DE PIERRE BAYLE.
GA.
(jrABRIEL ( Gilles de ), licen-
cié de l'université de Louvain ,
prêtre , religieux du tiers ordre
de saint François , définiteur gé-
néral , et commissaire aposto-
lique dans les Pays - Bas , est
un Liégeois qui fit imprimer à
Bruxelles, en 1B75, un livre
intitulé , Specimina Moralis
Chrisiianœ et Moralis Diaboli-
cce. Ce titre fît peur à la cour de
Rome , et obligea l'auteur dj
aller pour justifier sa doctrine,
laquelle ayant été trouvée fort
saine , il crut devoir en faire de
nouveau part au public en ré-
formant un peu son titre [à) *'. Il
fit donc réimprimer son ouvra-
ge , en l'intitulant Specimina
Moralia. Cette seconde*2 édition
est de Rome 1680. Il y en a une
(a] Journal des Savans , du l^ d'avril 1681,
pag- \3g, édition de Hollande l'oyez aussi
M. Baillet, au T'T, tome des Jugemens des
Savans , pag . 5o6.
** Leclerc dit truc la congre'gation de Yln-
dex indiqua les corrections à 1 auteur, qui tit
plus que de réformer son titre
*2 Une seconde édition , faite sur la pre-
mière. avait paru à Lyon en 1679, dit Le-
clerc Celle de Rome est donc la troisième ,
et la traduction française serait la qua-
. trième. •
TOME VII.
troisième qui est en français ,
revue, corrigée et augmentée.
Elle a pour titre , les Essais de
la théologie morale , et contient
3 1 H pages in- 12. Cet auteur s'ap-
proche infiniment plus de la mo-
rale sévère que de la morale
relâchée Je ne crois pas qu'il
soit ami des jésuites , ni par con-
séquent , qu'il en soit aimé *.
Leclerc observe que Gabriel ne nomme
ni désigne aucun casuiste.
GAFFAREL ( Jacques ) , l'un
des hommes de lettres qui a fait
autant parler de lui au XVIIe.
siècle , était Provençal (a). Il sa-
vait les langues orientales et
plusieurs autres, et il se piquait
presque de tout , et principale-
ment des sciences occultes et
cabalistiques. Le cardinal de
Richelieu le choisit pour son bi-
bliothécaire (b), et l'envoya en
Italie pour ramasser les meil-
leurs livres manuscrits et im-
primés qui se pouvaient trou-
(a) Il était né à Mannes en Provence.
Merc. Galant , du mois de janvier 1682 ,
pag. 159.
(£) Là même , pag. 160.
GAFFAREL.
ver (c). M. de la Thuillerie , am-
bassadeur de France à Venise ,
le voulut avoir auprès de lui ,
connue son homme de lettres
(A). Gaffarel publia un livre in-
titulé, Curiosités moitiés, qui fit
un grand bruit , et que la Sor-
bonne censura (Bj. Il fut obligé
de donner ses rétractations ; car,
heures de récréation , par quelque
entretien île science. 11 ne croyait
pas que la politique fût au delà de sa
sphère : il s'imaginait pouvoir être
utile à M. de la Thuillerie dans les afl'ai-
res mêmes de l'ambassade ; c'est pour-
quoi il pria M. Naudé, son bon ami, de
lui envoyer une liste des auteurs qui
ont écrit sur la politique : voilà l'oc-
casion qui ht éclore la Bibliographia
polilica de Gabriel Naudé, réimprimée
avant des bénéfices (C), il ne tant de fois. Citons en preuve le de-
"J" . v ". but de cet auteur. Quœris a me , mi
pouvait pas se commettre impu- Gaffarelle eruditissime , aique eliam
nément sur le chapitre de l'or— frequentibus litteris vehemenlihs ur-
thodoxie*. Avant ce temps-là, i! ges ■> utproeâ, quam in me non se-
■>>.-. ' • u ,.„.,„ J~ mel deprehendisti , diversorum Ubro-
s était vu expose a beaucoup de * . . '
. 1 a rum ac scriptorum cognilione , eorum
mauvais soupçons (D) , et il y a nomenclaturam aut potiiis cecono-
beaucoup d'apparence qu'il avait miamad te transmittam, quos insti
des opinions fort particulières.
On prétend que le cardinal de Ri-
chelieu voulut l'employer à sa
grande affaire de la réunion des
religions , et qu'afin de sonder
le gué , il l'autorisa de prêcher
contre la doctrine du Purgatoire
(E). Gaffarel mourut à Sigonce ,
l'an 1681 , âgé de quatre-vingts
ans (d). Il avait presque achevé
l'ouvr
tuendis traclandisque cum reclâ ra-
tione etmethodo politicœ studiîs , non
inutiles fore censeo. Quandoquidem
ipsa tibi in prœsentiarum maximo-
perè esse necessaria, vel te ipso ta-
cente cœteri omnes facile intelligunt ,
quos minime fugit, le unum pr.e mul-
tis , non ut liberalibus modo discipli-
nis excullum , imbutumque sanctio-
ns linguœ facultate prœclarissimd ,
sed tanquam ad reliquas omnes dis-
ciplinas factum a naturd , et diligenti
arte expolitum , ab illuslrissimo
rage auquel il travaillait de- pientissimoque viro domino Thcill
un bon nombre d'années Rio , christ ianissimi nostri régis t
(F) : je ne sais si ses amis le don-
neront au public. Je ne donne-
rai point une liste exacte de ses
ouvrages (G).
(c) Le père Jacob, Traité des Bibliolh. ,
pag . 479' Voyez aussi pag. 70^ , oit il cite
ce que Gaffarel a dit dans la préface de
/'Histoire de la guerre de Constautiuople de
Paul Iiamnusio.
* Leclerc et Joly trouvent la re'flexion
maligne , et hasaidée sans preuve.
{d) Mercure Galant , janvier 1682 , pag.
160.
(A) M. de la Thuillerie le
voulut avoir auprès du lui, connue son
homme de lettres ] Gallàrel ne pré-
tendait pas être chez M. l'ambassa-
deur (1) sur le pied d'un homme qui
De fui. propre qu'à le délasser aux
(1) Il parait, parla Vie .IeM. ùe Peiresc, i/ue
Gaffarel était à Venue l'an itiJi.
ad
Sercnissimam liempiibltcam V^enetam
oratore excellenlissimo , seleclum
fuisse ; quoeum de rébus gravis-
simis communicare , et subeisivis ho-
ris sermones litterarios miscere pos-
set (2).
(B) Il publia un livre que la
Sorbonne ce/isura.] En voici le titre
tout entier : Curiosités inouïes su)1 la
Sctiljitttre lalismanique des Persans ,
Horoscope <Ies Patriarches , et Lectu-
re des Etoiles. L'auteur « prétendait
» montrer que les talismans ou figu-
» res constellées, avaient du pouvoir
» pour rendre mi homme riche et
» fortune , pour rendre une maison
)) et tout un pays exempts de cer-
» tains insectes et de bêtes venimeu-
» ses , et de toutes les injures de
» l'air (3). « Sorel, déguisé sousle nom
(2) NaunVus, in Bibliographie polilica, init.
(3) Voyci la Bibliothèque française de Sorel,
pag. 4» 5.
GAFFAREL.
de sieur tic Flsle, réfuta l'ouvrage de
Gaffarel : on fit assez de cas de cette
réfutation. Vous y trouverez (4) la Pa-
linodie de Gaffarel. La 1 rc. édition des
Curiosités inouïes est de Paris , 1(129.
On en fit une autre à Rouen , l'an i63i,
deux autres sans nom d'imprimeur
ni de lieu de l'impression, Fan i63^
et Tan iG5o, m-8". Celle-ci est aug-
mentée. L'ouvrage a été imprimé
en latin à Hambourg, Fan 167G, avec
les notes de Grégoire Michaè'l.
(C) -/> uni </("> bénéfices.] Je met-
trai dans cette remarque tous les ti-
tres que j'ai observé qu'on lui donne.
Il était docteur en théologie et en
droit canon , protonotaire du saint
siège apostolique, et prieur commen-
dataire de Saint-Gilles (5). Il est mort
doyen en droit, canon de l'université
de Paris, prieur du Revest de Brous-
se, au diocèse de Sisteron , et com-
mandeur de Saint-Omeil (6). Konig
Tappelle Sigonciœ apud Qallos Ab-
bas.
(D) Avant ce temps-la il s'était vu
exposé a beaucoup de mauvais soup-
çons.] Cela paraît par la préface des
Curiosités inouïes. Une personne de-
qualité, dit-il, a qui refuser ce qu'il
veut c'est un crime , les a tirées de
mon cabinet d'où elles ne fussent ja-
mais sorties , puisque j'avais fait
dessein , après tant de calomnies souf-
fertes , de n'exposer plus rten^en pu-
blic , ayant mille fois soupiré ces pa-
roles autrefois communes h un prince
romain , utinam nescîssem litteras !
Combien y a-t-il d'auteurs qui feraient
ce même souhait, s'ils n'avaient la
force de mépriser les injustices de
certaines gens?
(E) On prétend que le cardinal de
Richelieu l'autorisa de prêcher
contre la doctrine du purgatoire \
« Lorsqif en une des villes du Lan eu e-
» doc, des ministres du lieu se don-
>' nèrent l'honneur de lui (7) faire la
» révérence, et qu'étant, tombés sur
» les propos de la réunion es choses
» de la religion, qu'il témoignait
» souhaiter puisqu'elle s'était heu-
» reusement rétablie es choses de
(4) A tapage 3o5 , teste Colomesio , Gall.
Orient , pag. iî^.
(5) Vojes, le père Jacob, Traité des Biblioth.,
?"£• 704 . ïo5.
(6 Merc. Calant, janv. lOS ■ , pag. i5g.
(7) C'est-à-dire, au cardinal de Richelieu.
l'état, ils lui repartirent qu'ils y
voyaient peu d'apparence tant, que
le pape voudrait retenir son auto-
rité si tendue et toute infaillible, il
répondit doucement qu'on trou-
verait bien le moyen de mettre le
pape à la raison. Et comme les ga-
zettes publièrent alors ce que le
sieur Gaffarel , d'érudition et de
réputation connues, autorisé de son
éminence, avait publiquement prê-
ché en Dauphine contre le purga-
toire , aussi sçumes-nous en son
temps les secrètes négociations qui
se formèrent de son ordre par le
père Audebert, célèbre jésuite, avec
quelques-uns de nos ministres les
plus renommés, pour convenir des
propositions qui se pourraient ajus-
ter entre les deux partis, sur leurs
principaux différens. » C'est ce
que je tire d'une préface de Samuel
des Marets (8\ Je sais que Gaffarel
publia un livre sur la pacification
des religions.
(F) Il avait presque achevé l'ou-
vrage auquel il travaillait depuis un
bon nombre d' années.] « Il travail-
» lait depuis plusieurs années à Fhis-
» toire du monde souterrain , où il
» parlait des antres, grottes, mines,
» voûtes , et catacombes qu'il avait
;> observés pendant trente ans de
)> voyages dans toutes les parties du
» monde. Il avait presque fini cet
» ouvrage ; les planches en étaient
» déjà toutes gravées , et on Fallait
» mettre sous la presse, quand la mort
» Fa empêché d'exécuter son des-
» sein On nous fait espérer que
» ces deux savans amis (g) qui res-
» tent à M. Gaffarel , et qui ont été
» dépositaires de ses volontés , ne
» priveront pas le public d'un ou-
» vrage si rare et si curieux (10).»
(G) Je ne donnerai pas une liste
exacte de ses ouvrages.] Voici seu-
lement le titre de quelques-uns : Ab-
dita divinœ cabalœ /Uysteria contra
sophistarum logomachiam defensa ,
à Paris, 1623, in-^°. ; Ars nova et
(8) Mise au-devant delà Réponse sommaire à
la Méthode du cardinal de Richelieu. Cette Ré-
ponse fui imprime'? a Groningue, l'an irjf>4.
Un nouveau converti , cousin du père Maim-
bourt; . en était l'auteur. Il y prend le nom du
sieur P. de la Ruelle.
(9) C'est à due, l'abbé Pécoil , grand voya-
geur , et M. Chorirr , avocat à Grenoble.
(10) Merc. Galant, janv. 1683 ,pag. 161, iG3-
4 GAIGNEU
perqubm facilis legendi liabbinos sine
punctis ; de Musicâ Hebrœorum stu-
pendd libellus ; In voces derelictas
V. T. centurice duce ; de Stel/is ca-
dentibus opinio nova; Quœstio he-
braïco-philosophica, ulrum a principio
mare salsum extiterit. M. Colomies
(ni nous renvoie aux Apes Vrbanœ
d'Allatius, d'où il a tiré ces titres, et
où il en a laissé plusieurs autres. La
veuve de Sarepta, et un traité des
bons et des mauvais génies , sont
deux productions de Gaflarel(i2).
(n) Colomesii Gall. Orient, pag. 260, 261.
(12) Mère. Galant, janv. 1682 , pag. 161.
GATGNEUR (Guillaume le)
était d'Angers (a) , et vivait* au
commencement du XVIIe. siè-
cle. On a vu son nom (b) parmi
ceux qui ont excellé dans l'art
d'écrire. J'ai lu , dans une des-
cription de la France , qu'il
était le premier de tous les écri-
vains du royaume , et qu'il a
frayé le chemin à une infinité
d'hommes qui faisaient alors pro-
fession de l'art d'écriture (c).
Il y a des vers à sa louange dans
les poésies de Pierre le Loyer,
qui le qualifie secrétaire de mon-
sieur , frère du roi{d).
(a) François des Rues, Descript. de la
France, pag'. 283, e'c/i<. de Constance, 1608.
* Leclerc dit qu il fallait mettre : vivait
encore.
(//) Dans la remarque de l'article Rocco,
tome XII.
(c) François des Rues, Descript. de la
France, pag- 283.
(d) Voyez les OEuvres et Mélanges poéti-
ques de P. le Loyer, folio 2^8 verso, édit.
de Paris, 1579.
GALES ( Pierre ) , en latin
Galesius , savant Espagnol (A),
« qui ayant été mis à la gêne *
» dans Rome , pour avoir été
» soupçonné de la religion , y
Joly critique tout ce passage comme étant
de l'.ivle. Ce n est pas tout. Presque loules
les remarques qu'il donne sont de Leclerc ,
q» il nu cite pas.
R. GALES.
» perdit un œil. Depuis étant
» venu à Genève , il y enseigna
» la philosophie , et fut quelque
» temps après recteur du col-
» lége de Guyenne à Bordeaux;
» d'où étant sorti à cause de
» l'envie qu'on lui portait, il
» laissa la France poqr aller en
» Flandre , où ayant été dé-
» couvert de la religion , et mis
» entre les mains des Espagnols
» ses compatriotes , le plus doux
» traitement qu'il en reçut fut
» d'être brûlé par un décret de
» l'inquisition. Ce Gales avait de
» bons livres , et même quelques
» manuscrits (a) (B). » Ce fu-
rent les ligueurs qui le prirent,
et qui le livrèrent aux Espa-
gnols. Voyez Meursius (b).
(a) Copié de Colomies, Mélanges histori-
ques , pag. y3, ^4- "7"' sans doute avait
copié Meursius, Athen. Bat., pag. 333.
{ô} Meursius, Athcuae Balav., pag. 333.
(A) Savant Espagnol ] Florimond
de Rémond (1) le fait italien, et se
trompe.
(B) Il avait quelques manu-
scrits.] « Casaubon, qui l'avait connu
» à Genève, parle dans ses ouvrages(2)
» de quelques-uns qu'il lui avait com-
■» mimiques , et loue même ses con-
» jectures. Cujas, dans ses observa-
» tious (3), l'appelle doctissimum et
» acutissimum virum , à l'occasion
d d'un privilège de l'empereur Jus-
» tinien , qu'il lui avait fourni • et le
» père Labbe dans sa Bibliothèque de
» manuscrits cite (4) Orientii M onita
» in bibliothecâ Galesiand reper-
» ta{5). »
(1) Traite' de l'Antéchrist , chap. XV11I ,
apud Colomies, Mélanges historiques, pag. 73.
(2) Sur Tliéoorite, de l'édition de Genève;
sur Diftgène Laërce, pag. 5o, , p3 , i»5, 118 et
119, de l'édu de i5p,4 ; sur Suétone, pag. <) ;
et dans sa préface sur Athénée, apud Colo-
mies , ibid. Pans la préface sur Athénée, il faut
lire, F.jus eliam COcUccnî vidimus nos, inter alios
neutiquam vulgares Pétri Galesii Hispani libro-,
et non pas Gelasii.
(3) Liv. X , chap. XI , apud Colomies, Mé-
langes historiquei, paç. -':•.
(4) Pa^. 63, apud eumdtin, ibidem,
(5) Colomies , ibidem.
GALLARS. 5
GALLARS ( NICOLAS des) , en et mie apologie de Calvin contre Co-
, . „ ,, • • . i chiens. L abrège de la bibliothèque
latin Gallasius ministre de de Gesner qai%prend cela ne mV
Genève, fut un de ceux qui as- tnil. |m;llt en quelle année ces ouvra-
sistèrent au colloque de Poissi. ges furent imprimés : ee défaut est
On le prêta à l'église de Paris , trop fréquent dans cet abrégé de Ges-
lorsqu'elle envoya prier celle de
Genève de lui donner un minis-
tre , l'an 1 557. Le député (a) qui
l'amenait fut arrêté à Auxonne
avec lui , et ayant eu des livres
suspects dans sa valise, il fut
amené à Dijon , où il fut mar-
tyrisé. On permit à des Gallars
de continuer son chemin : on ne
trouva sur lui ni livres ni lettres
ner , et dans la plupart îles compila-
lions de celte nature. Notez que le
commentaire sur Esaïe fut revu de-
puis par Calvin, et qu'ainsi l'édition
de Nicolas des Gallars n'est point la
bonne. Je le prou\ e par Théodore de
Bèze, qui ayant dit que Calvin , quoi-
que malade l'an i5">8, n'avait pas
laisse de travailler , continue ainsi:
/■'.jus rei testes sunt ultima christiance
instititlionis eilitio thni latina tùm
eallica, et comment arii in Esaïamab
eo non tam emendati . quaies illos
qui le rendissent suspects 'b). Il Galasius ex ore prœlegentis exceptos
est auteur de quelques ouvrages edi'lerat) quant novi prorsùs emissi
,, » ,,.3 -, v (1). Quelques-uns croient .{:>.) que des
(A), et dune édition de saint Gallars composa avec Théodore de
Irénée (B). 11 était ministre de Bèze l'histoire ecclésiastique des égïi-
l'église d'Orléans, l'an 1 564 (c).
On verra ci-dessous la date de
quelques-uns de ses écrits (C).
Calvin le considérait beaucoup ,
ses réformées , et je crois qu'ils se
trompent (*).
(B) et d'une édition de saint
Irénée.} L'abrège de Gesner est ici très-
bon. On y voit non-seulement où et
et en était si considéré, qu'il en quelle année (3) le ministre des
j -i 1 - • , /j, Gallars publia cette e'dition , mais
trouvait en lui un copiste (a). yja,uy v"'J\l« '♦<, jû£.
T ,, . , ,, . ^ , ,, aussi en quoi elle est dinerente des
La ( roix du Maine parle d un autres_
(C) On verra ci-dessous la date de
autre N. des Gallars (D
serv
dres
re 1>. DLS LrALLAUS ^U;,qui (C) On verra ci-dessous la date de
ait l'église française de Lou- quelques-uns deses écrits.] L'an i545,
- l'or, ,Kf\r il traduisit en latin un petit traité
que Calvin avait publie en i5^o , sur
(«) Il s'appelait Nicolas de Rousseau.
Bèze, Histoire ecclésiastique, liv. II, pag.
i37.
(!> Bèze, là même. V oyez aussi /'Histoire
des Martyrs, Iw. VII, folio ^12 verso.
(c Bèze, préf. du Comment, de Calvin sur
Josue' , pag. m. 10.
(d) Voyez la remarque {D) , citation (i l) .
la cène du Seigneur. Des Gallars était
alors ministre de l'e'glise de Genève
(4)- Quelque temps après il fit une
traduction latine de ce que Calvin
avait publié, en 1 5-j4i eontre les ana-
baptistes etles libertins (5b II fit, en
1 548, la version latine de l'inventaire
des reliques publié par Calvin , en
i546(6). Il publia, en i55i, le com-
mentaire qu'il avait extrait des le-
çons et des sermons de Calvin sur le
(A) 77 est auteur de quelques ou-
vrages.} 11 publia à Genève, l'an 1 545,
une apologie de Farel et de ses col- prophète Esaïe (7)
lègues , contre Pierre Charles. Il tra- ^ - v;(. Ca|vini < -A ann
duisit en latin plusieurs traites de
Calvin. Son livre de la divinité de
Jésus-Christ , contre les nouveaux
ariens , fut imprimé à Orléans , l'an
1 565. Le commentaire de Calvin sur
Esaïe n'est qu'un extrait que des Gal-
lars fit des leçons et des sermons de
Calvin sur ce prophète. 11 a fait un
commentaire sur le livre de l'Exode ,
(2) Voyez Placcius , de AnODjn
pag. 102.
(*) On lui attribue les petites pr
snnt à la fin de etiaque psaume île HLi
i558.
bèze, dans plusieurs
(3) A G
pilles éditions. Hem. crit.
(4 tièze, préface du Commentaire de Calvin
r Jo-ué , pag. m 10.
(51 Là même , pag. i5.
(6) Là même.
(r) Là même, pag. 18.
6 GALLIGAI.
(D) LaCroix du M aine parle d'un drement , et la mena en France
autre Nicolas des Gallars^ Le Nico- lorsqu'elle y vint pour épouser
las des Gallars dont il fait mention
à la page 344 , et le Nicolas des Gal-
lars dont il parle à la page 363 , sont
le même ministre; et ainsi d'un seul
auteur il en fait deux. Il a écrit en
latin ( c'est ainsi qu'il parle touchant
le dernier ) et depuis traduit en fran-
çais la Forme de police ecclésiastique
inst tuée a Londres en l'église des
Français, imprimée Van i56i , auquel
Henri IV. "La Gallïgai , sous le
titre de femme de chambre de
cette reine , la gouvernait tout
comme bon lui semblait. Elle
était furieusement laide , mais
elle avait infiniment d'esprit.
Elle épousa Concino Concini ,
domestique de la même reine ,
temps d faisait sa demeure et resi- * . . _ j
dence en la vWe de Londres (8 . Si et ht avec lui une fortune prodi-
la Croix du Maine, me dira-t-on, ne gieuse. Il y avait plus de liai-
se trompe point au temps , il est sons d'intérêt entre eux que d'a-
probable qu'il y a ici deux ministres; mitié (A). Ils avaient entretenu
car JNicolas des Gallars était a Irène- v K T1 . ,,r ,
ve l'an i56oi'9), et en France , l'an la discorde entre Henri IV et la
i56i,lorsdu colloque de Poissi. Je reine (b) ; car leurs artifices et
réponds que cela ne prouve rien. Ce Jeurs rapports furent cause du
ministre fut envoyé à Londres , l'an mauyais ménage qui rendit la
i56o, pour y établir une église Iran- . . , , DTT • 1 /^ 1
çaise. Cela est certain, et n'empêche Vie Si amere a Henn-le-branc .
pas qu'un an après des Gallars n'ait Après la mort de ce prince, ils
été en France pour le colloque de eurent encore plus de facilité de
Poissi (10). Eodem tempore quùm non er jeur maîtresse , et ils
pauci pu Gain post mariœ reginœ o , . . ,
mortem singulari serenissimee reginœ se gorgerent de biens et de enar-
Elisabethœ pielate et humanitalefreti ges (B) , et se bouffirent d'un or-
in Ang'iam refiigerent, peterentque „ue{\ in0uï et monstrueux (C).
reverendi vin Edmundi Grtndalh ^^ } conclusion de tout cela
episcopi Loniltnensis assensu ut ue- A . T, -
■ mitteretur gui ecclesiam galli- fut extrêmement tragique. J ai
issus est eb dit ailleurs ce qui fut fait au
neva mitteretur q
cam if/ic constituerel ,
JYicolaus Galasius familiarissimus a niarj et ie m'en vais dire ce qui
mitltis jam annis Calvini collega , et , -'■ , '1
a la femme. Elle fut me-
cujus plurimum opéra m èxcipiendis '"u "ul " , ,
dictatis utebamr. Sed Caluino mhil née à la Bastille, et puis a la
antiquius ecclesiarum cedijicatione Conciergerie du Palais. Le par—
fuit (m).
(8) // avait dit que ZV. des Gallars e'taii mi-
nistre «le l'église des Français en la ville rie
Londres, en Angleterre
(9; JJe'pître de'dwaloire de son Commentaire
sur l'Éxode est datée de Genève , celte anne'e-tii.
(10) Bèîe, Histor. etcles., liv. IV, pag. 4yo,
le met parmi les ministres qui se trouvèrent h ce
colloque»
(\i) Beza , in Vit» Calvini , ad. ann. i56o.
GALLIGAI ( Leonora ) , fem-
me du maréchal d'Ancre , était
fille d'un menuisier, et de la
nourrice de Marie de Médicis
(a). Cette princesse l'aima ten-
(a) T,e Grain. Décade de Louis-le- Juste ,
liv. H', pag. i5^- Hilarion de Coste, tom.
//des Dames illustres, pag-fy]1] , "ie '/"''H''
ftiljïtte (le la nourrice.
lement lui fit son procès , et la
condamna à avoir la tête tran-
chée , et à être réduite en cen-
dres. Cela fut exécuté le 8 de
juillet 1617. Elle prit enfin sa
résolution , et mourut assez
constamment et chrétiennement
(c). Elle fut convaincue , entre
autres choses , d'avoir non-seu-
lement judaïsé (D) , mais aussi
(&) Voyez M. de Pe'réfixe, Histoire de
Henri-le- Grand, pai*. m. 399, ■'< Vann. 1
et Mézerai, Abrège chronologique , tom. / /,
pag. m. 3oi . ) 36*7.
(< Le Grain, Décade de Louis-le-Juste ,
liv, X, pag. /jiQ.
GALL1GAI. 7
d'avoir employé l'art magique fait, offrant Je le vérifier (5). Quand
(E) , pour parvenir à ses fins. mL Aubri et le BaillL',,1 Ja fur™fc
V-.il i, x • ■ i interroger sur ce qui ctail de ses ba-
Elle fut punie pour crime de et autres moyens , elle leur par-
lèse-majesté divine et humaine , la avec autant d'assurance comme si
?lcon-
de
tenait tout ensemble le crime de charges.] Voyez', tome V, l'article de
lèse-majesté divine et le crime Cohcihi , et considéra seulement que
J„ iu„~ „,„;«o«^i . „• ~ /■v\ r»„ Ton trouva clans les poches ilu ma-
de lese-maieste humaine (r). Un , . , , . ■ J ■ v,
„ > A ici -liai (7) en rescriptions de 1 epar-
lui ternia bientôt la bouche , «ne, en promesses de receveurs^ ou
lorsque pour prolonger sa vie en obligations, la somme dedix-neuf
elle allégua qu'elle était grosse cent quatre-vingt-cinq mille livres.
(P^ On trouva dans son petit logis , pour
2,5oo,ooo livres de bonnes rescrip-
(G).
(A) II y avait entre eux plus de
liaisons d'intérêt que d'amitié. ] La
maréchale d'Ancre apprit sans pleu-
rer qu'on venait de massacrer son
mari , et donna ses premiers soins à
sauver ses pierreries. Elle les mit
dans la paillasse de son lit , et s' étant
fait déshabiller s'y coucha dedans
(1). Les archers qui allèrent dans sa
chambre , ne trouvant point les pier-
reries , la firent (2) lever pour fouil-
ler dans son lit , oii elles jurent trou-
vées (3). Elle disait après, à ceux qui
la gardaient : Eh bien, on a tue' mon
mari : n'est-ce pas assez pour se con-
tenter? qu'on me permette de me
retirer hors du royaume (4). Quand
ils lui dirent qu'on avait pendu le
cadavre du maréchal, elle parut fort
tions(8). Sa femme dit aux commis-
saires qu'elle avait encore ses perles :
savoir un tour de cou de fo perles de
deux mille livres la ftièce, et une
chaîne de cinq tours de j/erles de 5o
livres la pièce , et qu'en tout il y avait
pour plus de 120 mille écus (cf). Elle
avait déjà envoyé au roi pour 200
mille livres de pierreries. Les archers
n'avaient pas si bien fouille qu'il ne
lui restât une layette ; car, quand on
la mena à la Bastille, on lui deman-
da avant que d'aller si elle n'a-
vait jilus de bagues ; elle montra une
layette qui lui était demeurée, oh il
n'y avait que certaines chaînes d'am-
bre ; et enquise si elle n'en avait point
sur elle , elle haussa sa cotte , et
montra jusque près des tétins ; elle
avait un caleçon de frise rouge de
Florence : on lui dit en riant , qu'il
émue, sans pleurer toutefois; mais
elle ne laissa pas de dire qu'il était fallait donc mettre les mains au cale-
un presumptuos , un orguillos ; qu'il con : elle répondit , qu'en autre temps
n'avait rien eu qu'il n'eût bien méri- elle ne l'eût pas souffert , mais lors
té : qu'il y avait trois ans tout en-
tiers qu'il n'avait couché avec elle ;
que c'était un méchant homme ; et
que, pour s'éloigner de lui , elle s'é-
tait résolue de se retire?' en Italie, h
ce printemps , et avait apprêté tout son
(1) Relation de ta mort rln maréchal d'Ancre ,
à la suite de /'Histoire des favoris, par M. du
Puy , pag. m 28.
(2) Là même, pag. 3o, 3i.
(3) C'est sans doute de ces pierreries qu'elle
parlait , lorsqu'elle dit à MM. Juhri et le
Bailleul , qu'elle avait envoyé au roi , le jour pré-
cédent, une cassette oii il y avait pour deux cent
mille livres rie pierreries. Relation de la mort du
maréchal d'Ancre, à la suite de i'Histoire des
favoris ,.par M. du Puy , pag. 61.
(il Là même, pag. 3i-
tout était permis; et du Util lier (10)
tût a un peu sur le caleçon (1 0. 11 ne
fallait point d'autres preuves de leurs
crimes que cette opulence.
(C) et se bouffirent d'un or-
gueil inouï et monstrueux.] « Elle ne
» voulait pas seulement laisser entré]
» dans sa chambre les princes , les
» princesses , ni les plus grands du
» royaume, et ne voulait seulement
(5) Là même, pag. m. 55.
(6) L.à même, pag. 61.
(^ Là même, pag. ^9.
(8) Là même , pag. 62.
(1)) Là même , pag. 6t.
(10) // était capitaine des gardes.
(11) Relation, etc. pag. 05.
g
GALLIGAI.
•» qu'on la regardât , disant qu'on
y> lui faisait peur quand on la re-
i> gardait, et qu'on la pouvait en-
d sorce'er en la regardant ; qui fut
« la cause qu'elle ne voulut plus voir
» tout plein de ses serviteurs , seule-
» ment pour l'avoir regardée ; et sur
» la fin de sa faveur , elle avait même
v banni de sa chambre, pour ce sujet,
3> M. de Lusson , et Faydeau qui
» avait été le dernier en faveur (12).»
Sa superstition pour les sortilèges et
sa laideur était cause de ceci, encore
plus que sa vanité.
(D) Elle fut convaincue d'avoir
non-seulement judaïsé.] Cette accu-
sation lui était commune avec son
mari. On la prouva :
I. Par le soin qu'ils prirent de faire
venir en France un juif renomma
pour l'intelligence des aventures. Il
s'appelait Montalto, et faisait profes-
sion de médecine. Ils employèrent à
cette négociation Vincencio Ludovici,
leur secrétaire. Cela fut vérifié « par
j> lettres escrites de Venise audit
J) Vincence , le vingt- sixième avril
■» mil six-cent-onze , par lesquelles
3> on lui donne espérance de faire ve-
» nir en France ledit Montalto (i3) ;
3) et par les lettres d'iccluy Montalto
3> mesme, escrites le sixiesme may en-
j) suivant, à ladite Leonora Galligai,
3) par lesquelles il assure qu'il est
3> prest de venir , parle moyen d'une
3> tant bénigne et singulière protec-
33 trice : IV'entendant neantmoins se
3) déguiser et contrefaire en sa pro-
3) fession , ains exercer librement sa
3) religion judaïque , veu qu'il a re-
w fusé de grands offres a luy faits
3» d'ailleurs h Bologne , h Messine ,
3> a Pise , mesmes d'estre successeur
3) du grand médecin mercurial sous
3> la très bénigne protection du grand-
3) duc Ferdinand , et qu'aussi lui
3) avoil esté offerte la première chaire
3) de Padoue, adjoustant qu'en un
s» seul acte on pourra recognoistre
» son intention , à savoir qu'il ne
3) recevra aucuns deniers le jour de
« son observance , c'est-à-dire le jour
)) du Sabath. Ces lettres ont esté venus
(12) Relation de la mort du maréchal d'Ancre ,
à la utile de <'[l^toire des favoris, par M. du
Pnj, png. 83,84.
(»3j II mourut l'an 1616, et assigna à Van-
V'"'1 la mort île la Galligai. Le Crain ,
Décade de Louis-lc-Ju>tc, Itv. X, pag. 419.
3) au procez en la production litte-
» raie contre ladite Galligai sous la
y cotte K ; et fait grandement à con-
» sidérer là-dessus , la déposition de
» la Place, escuyer de ladite Galligai
» qui luy a soustenu en la confiou-
» talion , que depuis la venue de
» Montalto , elle ne visitoit plus les
» églises , ne se confessoit plus, ains
3) s'amusoit à faire des petites boulet-
» tes de cire qu'elle mettoit en sa
» bouche (i4)-«
II. On allégua (i5) que par la fré-
quentation de ce Montalto, les accu-
sés furent désaccoutumés des obser-
vances de la religion chrétienne , et
accoutumés au judaïsme ; et que de
là vint qu'on trouva dans leur mai-
son deux livres , dont l'un qui est
une forme de catéchisme est intitulé
Cheinuc, c'est-à-dire en hébreu, ac-
coutumance ; l'autre a pour titre , Ma-
chazor , c'est-à-dire, l'évolution du
service annuel-, à l'usage des juifs
espagnols , imprimé à Venise.
III. On allégua (16) que de cette
fréquentation et catechisation est en-
suivie l'apostasie , et désertion de la
religion chreslienne , pour se trans-
porter, comme ils ont faict , au ju-
daïsme , pratiqua ns les sacrifices , les
oblalions , et exorcismes usilez entre
les juifs Cela est vérifié au procez
tant par la preuve testimoniale et vo-
cale , que par la confession de ladite
Galligai ; et entre autres dépositions,
celle de son carrossier est notable ,
par laquelle on veoit comme ils se ser-
vaient de plusieurs églises en la ville
de Paris pour y commettre de nuict
telles impietez , recogneuës par les
cris et hurlemens que l'on entendoit
en icelles , lorsque ladite Galligai sa-
crifioit un coq , qui est une oblation
accoustumée entre les juifs en la f este
de reconciliation, offrant un coq pour
les péchez, lit que celte oblation d' un
coq soit judaïque , et que les juifs
ayent accoustumé d'en user ez lieux
ou ils ont permission de demeurer ,
il en appert par deux livres qui furent
représentez par M. le procureur gê-
nerai du roy lors que l'on procédait
au jugement du procez, l'un inscrit
Baal Haturim , c'est-à'dire , le chef
(i4) T-'it même, patf. 4°4*
(i5) La même, pag. 4°5-
(16) L'a même, pag. 4o5.
GALLIGAI.
9
et patron des ordres , en la première
parut- duquel intitulé Grachehaùm
c'est-à-dire le chemin et le sentier de
vie, ou la manière de vivre que Ton
doit garder , ou la manière de passer
cette vie , estjaicl mention de celte
oblalion , et duquel livre Rabbi Jacob,
soy disant Gaulois, est auteur. Et
l'autre intitulé, la Synagogue juirVe
(*'), au vingtiesme chapitre duquel est
escrit ce qui se j'aie t en cette feste de
Reconciliation durant dix jours peni-
tentiaux , et qu'au neufteme les juifs
se /et eut de grand matin , fréquen-
tent l'escole, chantent et font plu-
sieurs prières : et soudain qu'ils re-
tournent au logis , chaque masle tant
i ieil que jeune prend en sa main un
coq , et la femelle une poule , et la
femme grosse un coq et une poule en-
semble en leurs mains, et recitent du
psaume de David ces mots (*2) : Les
fols par la voye de leur prévarica-
tion et pour leurs iniquitez sont af-
fligez en sorte que leur ame a abo-
miné toute viande , et sont parvenus
jusques aux portes de la mort. Cette
oblation du coq ne monstre pas seule-
ment le judaïsme , mais aussi le pa-
ganisme, et déclare les accusez apos-
tats , consequemment sacrilèges , car
t apostat est tenu pour sacrilège par
les constitutions impériales (*3) , qui
punissent tels crimes capitaux de con
jiscation entière. El a ce que ladite
Galligai a dit pour excuse , qu'elle
avait fait telle oblation du coq pour
la santé et guerison d'une maladie
qu'elle avait , on luy a respondu que
telle impiété est punie de mort, encore
que ce soit pour remède de guerison
IV. On donna pour preuve de leur
affection au judaïsme la diligence
quilsfaisoienl défaire venir des juifs
en France , ayant envoyé à Amster-
dam en Hollande , o'u il y en a ,
pour en faire venir à Paris '(in).
(E) mais aussi d'avoir employé
l'art magique. ] L'accusation était
encore commune au mari et à la fem-
me. On la prouva (18) :
("') Srnagoga judaîca édita Hanovite , anno
i5i/|.
(") Psal. 10S.
(*3) Tôt. til. C de Aposlatis.
(*4) Novel. Conil. T.ronis imp. G5.
(17) Le Grain , liv. X , pag. 406.
Il'*) L'a même, pag. 40G.
I. Par une lettre de la nommée
Gondy , et d'autres de ladite Galli-
gai accusée , « la dame Isabelle tenue
pour sorcière , par lesquelles elle la
prie luy mander si elle scait quelque
chose par son art qui regarde en quel-
que sorte sa personne, ou I'inleicst
de sa maison.
II Par trois livres de caractères ,
avec un autre petit caractère , trou-
1 1 ■; en la chambre de ladite Galligai,
et une bouette oit sont cinq rondeau*
de velours , desquels caractères les
accusez usoient pour avoir du pouvoù
sur les volontez des grands. Ce qui
est vérifie par les dépositions de Aie-
Ion, Charton, et Nicolas I uirt con-
j routez a ladite Galligai. Et quant
aux livres de caractères trouvez en
sa maison , il en est Jaict mention au
procès verbal de MM. de Maujieou et
jirnauld intendans des finances , con-
tenant la description des meubles, fil-
tres , et enseignement trouvez en la-
dite maison.
III. Par la déposition de Philippes
Dacquin cy-devant juif , et a présent
chrestien , qui dit , que luy estant a
Molins chez le lieutenant criminel ,
les accusez luy ont mandé , qu'ils se
sont aidez de la cabale , et des livres
des juifs , ce qui sert contre le judaïs-
me et le sortilège : estant a noter ce
que dépose Dacquin , que Conchine
en la présence de sa femme auroit
osté de sa chambre un urinai pour
l'impureté', emportéhors ladite cham-
bre l'image du crucifix, de peur d'em-
peschement à l'effet que Conchine et
sa femme prétendoient tirer de la
lecture de quelques versets du psau-
me cinquante-et-un en hebrieu , la-
quelle lecture ils vouloient leurestre
faicte par Dacquin en la forme qu'elle
leur avoit este' faicte autrefois par
Montalto.
IV. Par la raison qu'ils firent venir
des sorciei-s prétendus religieux dits
Ambrosiens , de Nancy en Lorraine ,
lesquels assïstoîentla mare'challe dans
l'oblation du coq.
V. Parce qu'on trouva chez eux
diverses estojfes, dont, ils usinent puni
les pendre au 00/(19), en la façon
des préservatifs que les juifs appellent
Kamea, les Grecs Philacteria, et Pe-
riapta , les Latins Amuleta et Liga-
(19) L'a manr , pa:
GALLONIUS.
turas , qui sont choses reprouvées par
les saints conciles , signamment par
le canon soixante et un de la sixième
synode in Trullo , et par un concile
romain sous le pape Grégoire III ,
et par un autre d'Agathe , cité par
GratianÇ*1), et par Yves évéque de
Chartres (**) rapportant un concile
d'Arles cap. 5. lequel condamne Phi-
lacteria diabolica, et characteres dia-
bolicos.
VI. On prouva contre eux qu'ils se
servoient d'images de cire, et qu'ils
les gardoient dans des cercueils.
VII. Et qu'ils consultaient des ma-
giciens , et se servoient des astrologues
faisant profession de la mathématique
judiciaire, et qu'entre autres ils se
sont aidez de la science diabolique
de Cosme Ruger, Italien.
VIII. « (20) Mais sur tous est nota-
ble le faict d'un Mathieu de Mon-
tenay , lequel ladite Galligai a
fait venir à Paris , comme plus
grand magicien et plus expérimen-
té que lesdits Ambrosiens , par le-
quel elle s'est faict exorciser en
l'église des Augustins en la cha-
pelle des Epifames * , et de nuict,
comme plusieurs religieux dudit
monastère ont déposé, dont la plus-
part lui ont esté confrontez et non
reprochez par elle. Estant à re-
marquer que l'exorcisme se fit d'au-
tre façon qu'entre les ebrerstiens :
ce qui fut fait aussi es églises de
Sainct-Sulpice au fauxbourg saint
Germain, et aupetit Sainct-Antoine
en la ville. Elle respo.ndoit à
» IX. Il faict aussi à remarquer que
» lorsque ces Ambrosiens vouloient
» faire quelque action de leur art et
» cérémonies en la maison d'icelle
» Galligai , ils en faisoient sortir tous
« les serviteurs , encensoient dans le
» jardin , et faisoient plusieurs cho-
» ses en forme de bénédictions sur la
» terre , et ladite Galligai ne man-
» geoit lors que des crestes de coq, et
» des roignons de bélier , qu'elle
» faisoit bénir , et de ce il y en a
» preuve testimoniale au proecz.
» X. Est remarquable aussi que
» tous les ans la veille de l'Epipha-
» nie, que l'on dit la feste des roys ,
» elle faisoit bénir , par le père Ko-
» ger , l'eau dont elle se servoit pour
» eau lustrale ou beniste , ce qui
» n'estoit sans mystère et dessein ,
» et interrogée pour quelle cause elle
■» faisoit cela , n'a rien voulu respon-
» dre.»
(F) Une accusation contenait tout
ensemble le crime de lèse-majesté di-
vine , et celui de lèse-majesté humai-
ne.] Car le mari et la femme s'en-
quirent de la. vie et salut du roy a
personnes faisant profession d'astro-
logie judiciaire. Cela fut prouvé par
la déposition de Jean du Chalcl , dit
Caesar . qui étoit un devineur et fai-
seur d'horoscopes , confronté aux ac-
cusez, etc. (21).
(G) Elle allégua qu'elle était gros-
se.] Ayant ouï la lecture de sa con-
damnation , elle dit : Je suis grosse ;
mais on lui remontra quelle avoitdil
estant prisonnière , et en son procez ,
ela , que ce qu'elle se faisoit qu'il y «voit plus de deux ans qu'elle
lins exorciser de nuict estoit a!in n'a voit eu la compagnie de son mary,
de sorte que cela ne pouvait estre qu'au,
dommage de son honneur, a quoi elle
ne répondit rien, et n'insista davan-
tage lit-dessus (22).
qu'on ne sçeust le mal pour lequel
elle se faisoit exorciser, disant
qu'elle estoit quelquefois possédée.
Mais ce devoit estre par gens ayans
le vrai caractère , comme par l'e-
vesque ou son vicaire , c'est-à-dire
le curé de sa paroisse, et non par
des gens incognus et affreux, les-
quels oui disparu, et n ont este
veuz depuis, comme esto'ient ces
prétendus Ambrosiens.
("') Si quis ariolos, 26, q. S.
{'^ Pari. XI, c i,e<54 W5S.
(20) Le Grain , Décade de Louis-lc-Jus(e,.ZiV.
X , pag. 407. .
* Leclerc remarque qu'au lieu de Epifames ,
il fallait écrire Spif'ames; te qui n'eut qu'une
1 impression.
(21) Le Grain , liv. X, pag. 408.
(22) La même, pag. 4l8.
GALLONIUS ( Antoine ) , prê-
tre de l'oratoire , à Rome , a
composé entre autres ouvrages ,
un traité de Marljrum cruciati-
bus, qui est fort curieux. On y voit
la figure des instrumens dont
les païens se servaient contre les
martyrs de la primitive église.
GALLONIUS.
se *. Il mourut l'an t6o5 (a). Je
donne le titre de quelques an-
tres ouvrages qu'il composa (A).
Un petit livre imprimé eu
Hollande, l'an 169g, m'apprend
une chose qui me paraît digne
d'être insérée dans ce Diction-
naire. Elle regarde la dispute où
Gallouius entra pour soutenir
Baronius contre les moines du
mont Cassin (B).
" Leclerc dit que ces figures ne se trouvent
que dans quelques éditions, entre autres,
dans celle de Cologne , 1602 , in-8'J. , et dans
(édition in-/}°. , donnc'e par Tricliet Dufrcsne
en tôjg.
(a Ludovicus Jacob, in Bibliotliecâ pon-
tifiera , pag. 263.
(A) Je donne le titre de quelques
autres ouvrages qu'il composa. J II
fit la vie de Philippe Néri, fondateur
des prêtres de l'oratoire, et une apo-
logie pm assertis in annahbus ecc/e-
siaslicis Baronianis de A/onac/iatu
sancti Gregorii papœ advershs D.
Constantinum Bellottum monaclium
Casinatem, à Rome, 160^, in-^°.px
typographid l'ralicand. Voyez la Bi-
bliothèque de Prosper Mandosio. QiP
n'a eu garde d'y oublier Gallonius, qui
était natif de Rome.
(B) Il entra en dispute pour soutenir
Baronius contre les moines du Mont
Cassin] Le petit livre qui me four-
nira ici un commentaire, est intitule
Critique du livre publie par les moi-
nes bénédictins de la congrégation de
Saint-Maur, sous le titre de Biblio-
thèque divine de saint Jérôme. Il
contient soixante-six pages in-\i. L'a-
vertissement du libraire fait savoir
que nous sommes redevables de cette
critique au neveu de M. Simon , qui
l'a écrite sui^ les mémoires latins de
sjou oncle. Ce que je m'en vais co-
f>ier de ce livret-là n'est pas l'endroit
e moins curieux (1). Les moines du
Mont-Cassin « sont si libéraux de leur
» froc , que l'ayant donné à saint
» Grégoire-le-Grand , ils ne purent
)j souffrir que ce cardinal (2) eût
(1) Critique de la Bibliothèque divine de
saint Jérôme, pag. 64 etsuiv. Voyez aussi les
Lettres critiques de M. Simon, publiées par un
Bentilhoinrrie. allemand , pag. 1 18 et suif.
(2) C'est-à-dire, Baronius.
a\ ancé dans ses annales , qu'il était
faux que saint Grégoire eût tic'
moine bénédictin; ils publièrent
aussitôt un livre sous ce titre :
( '• i vg h ri it s m a g nus instituto sanctis-
miiii palris Benedicti restitutus.
Mais Antoine Gallon, savant prêtre
de l'oratoire de Rome , prenant ht
défense de son confrère Baronius ,
leui lit une réponse fort vigou-
reuse ; et comme elle est devenue
fort rare, je vous en marquetai
quelque chose en attendant qu'on
la fasse réimprimer avec quelque!
autres pièces sur la même matière.
Elle est imprimée à Rome, in-.]".
avec ce titre : Apologeticus li-
ber Ci) Je vous avoue que sî
l'on ne connaissait d'ailleurs la piél c
du père Gallon aussi-bien que celle
de Baronius , on croirait qu il \
aurait de l'emportement dans cetti
réponse , où l'on accuse les moi-
nes de produire , pour la dé-
fense de leur cause , des pièces
dont les auteurs mériteraient le
même supplice que Ciearelle.ElKin-
ge comparaison ! Ce Cicarelle lii
t longum * pour ses faussetés ,
par l'ordre du pape Pie V. 11 esl
vrai que le même Gallon avoue
qu'il révéla des choses qui ne de-
vraient jamais venir à la connais-
sance du public ; mais il ajoute en
même temps , que l'imprudence
extrême de ces moines l'a engagé
aies écrire. Il leurobjecte un grand
nombre d'actes faux qui avaient
été fabriqués au Mont-Cassin, sous
les noms des papes et des princes.
Tous ces actes ont été imprimés
à Venise , i«-4°. , en i5t3, à la lin
de la chronique de ce monastère.
Il ne s'agit de rien moins dans ces
faux titres, que d'attribuer aux
moines du Mont-Cassin des p<>Nsr,
sions et même des villes entières. 11
est vrai que le moine Constantin
produit pour la défense de son
monastère des titres qui se trou-
vaient dans sa bibliothèque, écrits
en caractères lombards , et qui par
conséquent ne pouvaient pas avoir
(3) Voyez la suite de ce litre a la remarque
(A).
* C'est-à-dire, ce que tout lecteur n'entendrait
pas, dit Leclerc, qu'il fut pendu. Jo'y |" use
que cette manière de pirler vient de Piaule,
Aulul., BCt. 1er. , se. lr'.
I2 GALLUTIUS.
» été forgés de nouveau. Mais Gallon , tram mundi et temporis , à Venise,
3) trui connaissait à fond les pratiques 1 58g ; de The ma le érige ndo j parle
j) des moines bénédictins, répond , fortunœ , divisione Zodiaci, dignita-
tibus Planetarum et temporibus ad
medicandum accommodalis. Exstat
cum Joli. Hasfurlo de cognoscendis et
mèdendis morbis ex corporum cœles-
tiumposilione, cui argumenta et expli-
cationem inscripsit , à Venise , 1 584 •
3) que tout ce qui est écrit parmi eux
3> en ces anciens caractères, ne doit
» point faire foi , comme s'il était
)> scellé du sceau de l'Apocalypse ;
3> qu'on sait fort bien qu'ils ne raan-
33 quent point d'écrivains qui ont la
3) main assez bonne pour contrefaire
3) les caractères lombards : Acsiquid-
•» quid eo caractère ( Longobardico )
» exaratuminveniturtanquam sigillo
3> Apocalypsis sit çonsignatum in du-
■» bitalionem non liceat revocare , et
GALLUTIUS (Tarquiv), né
en Italie , l'an 1 5^4 » entra chez
les jésuites, l'an i5c)o, et y devint
très-illustre. Il enseigna la rhé-
3) desint hodiè quoque scriptores qui torique dans le collège Romain
3, eorumdem formant elementorum pendant c)jx ans j el ]a raorale
valeant imitari , ut plus ajnid le
3> probal genus caracleris , quant ve-
» ritas manifestis ralionibus conjir-
3) mata- »
Je n'ai point vu la réponse qui a
été faite à ce livret du neveu de
M. Simon , par les bénédictins de Paris.
Si je l'avais vue , j'en aurais tiré tout
ce qui pourrait servir à l'éclaircisse-
ment de cette dispute, et j'aurais été
le rapporteur fidèle de ce que les deux
partis ont allégué.
GALLUTIUS ( Jeav-Paul ), sa-
vant astronome italien , vivait
au XVIe. siècle. Il inventa un
instrument pour observer les
phénomènes célestes (à) ; et il
publia divers ouvrages d'astro-
nomie , et quelques-uns de mé-
decine (A). 11 était académicien
à Venise.
(rt) Çuo instrpnentonoveexcogitatocuncta
cœli .pkœnomena unà cum horis ornais generis
observantur ex sole , lima , ac stetlis , non
longé ab eclipticd distanlibus. Yussius, de
Scient. mal hem., pag. 386.
(A) // publia divers ouvrages. ]
Voici ceux dont j'ai connaissance :
Délia fabrica ed aso di diversi stro-
menti di Astronomia e Cosmogra-
phià, à Venise, i5q3. Spéculum Ura-
hicum , à Venise, i5g3; Cœlestium
corporum et rerum ab ipsis penden-
tium explicatio , à Venise , i(îo5. Cet
ouvrage a été mal attribué à Paulus
Galvicius, dans le catalogue de la bi-
bliothèque de M. deThou(i). Thea-
(i) l'an. Il , pag. "3.
pendant quatre ans. Il mourut à
Rome le ^Hdejuillet 1649, clans
le collège des Grecs , dont il
avait été directeur dix-huit ans
(ci). Il est auteur de divers ou-
vrages (A).
(a) Nathan. Sotuel, in Biblioth. scriptor.
societat. Jesu, pag. 753.
(A) Il est auteur de divers ouvra-
gmk] Il prononça quelques haran-
gues devant le pape, qui ont été im-
primées. Ce fut lui qui fit l'oraison
funèbre du cardinal Bellavmin , qui
fut aussi imprimée. Plusieurs autres
de ses harangues recueillies en deux
tomes , et plusieurs de ses poésies en
trois livres, ont vu le jour. On a de
lui doux commentaires sur la Morale
d'Aristote, imprimés (1) à Paris chez
Sébastien Cramoisi, in-folio. Son livre
intitulé Vindicationes Virgilianœ ,
et Commentant très de Tragoedid, de
Comœdiâ, de Elegià , imprimé à
Rome l'an 1621 (2) , est bien curieux.
Son dessein « a été de justifier Vir-
» sçile à quelque prix que ce fût.
» Pour cel effet il rapporte toutes les
» objections qu'il a cru pouvoir faire-
» sur divers endroits de ce poète.
» Mais il y en a plusieurs qu'il n'a
3) point proposées dans toute leur
» force , de peur de s'ôter la facilité
» d'y répondre. Néanmoins parmi
» quelques raisonnemens assez, fai-
(1) le premier, l'an if)3î, et l'autre , l'an
(aj Nath. Sotuel , Bibliolhec, scriptor. socie-
latis Jfsii.
GALLUTIUS. GAMACHE. GAMBARA.
» bles , il s'en trouve d'assez raison-
» nables, soutenus même de beau-
» coup d'humanités , et de beaucoup
» de belles maximes concernant l'art
» poe'tique (3).» M. Baillet indique
là une ruse qui n'est que trop ordi-
naire dans toutes sortes de dispu-
tes , et principalement parmi MM. les
controversistes. Quand ils ne se sen-
tent pas capables de répondre à une
objection , ils en ôtent la principale
difficulté ; c'est désarmer son ad-
versaire avant que île l'attaquer. Le pè-
re Gallutius publia à Rome, Tan i633,
le renouvellement de l'ancienne tra-
gédie, et la défense de Crispus. Cet
ouvrage est en italien \\
Ce j c : s u i ! < • esl sans doute le même
orateur que Balzac loue dans les pa-
roles que vous allez lire. J'avais ap-
pris en Italie, dit-il (5), que pour
écrire comme il faut, il se fallait pro-
poser les bons exemples , et que les
bons exemples étaient enfermes dans
un certain cercle d'années , hors du-
quel il n'y avait rien qui ne fut, ou
dans l' imperfection de ce qui com-
mence ou dans la corruption de ce
qui vieillit. Avec ce principe je m' é-
tais trouvé à la harangue funèbre
du cardinal Bellarmin , et j'avais
considéré ce grand et admirable jé-
suite , qin avec la dignité de ses ges-
tes , les grâces de sa prononciation
cl l'éloquence de tout son corps , qui
accompagnait celle de sa bouche ,
me transporta en esprit dans l'an-
cienne république.
(3) Baillet, Jugemens sur les Poêles, loin. I,
num lo'i1;, pag. 5i.
(4! Solucl, Biblioth. script, soc. Jesu.
(5) Balzac, OEuvres diverses, pag. m. 4o4.
GALLUTIUS (Ange), natif
de Macérata en Italie, se fit jé-
suite l'an 1606 , âgé de treize
ans. Il se fit estimer par son élo-
quence et par ses vers. Il ensei-
gna la rhétorique dans le collège
Romain pendant vingt-quatre
années , et il mourut à Rome, le
28 de février 1674? âgé de plus
de quatre-vingts ans (a). Il est
auteur de quelques ouvrages (A).
(a) Sotuel, Bibliolli. scriptor, soc. Jesu,
pag. 6t.
(A) // est auteur de quelques ou-
vrages,] De quelques harangues la-
tines r , et d'une liistoire de la guerre
des Pays-Bas , depuis l'an i5g3 îus-
ques à la trêve conclue l'an 160g.
Cette histoire est en latin : elle fut
imprimée à home, l'an 1671, en deux
volumes in-folio. On l'a réimprimée
en Allemagne, in- 4°., l'an 1677.
* Ces harangues latines sont au nomLre de
trois. Joly en donne les titres d'après Sotuel.
GAMACHE ( Philippe) en la-
tin Gumachœus * , docteur de
Sorbonne, et professeur en théo-
logie dans l'université de Paris,
a passé pour un des habiles théo-
logiens du XVIIe. siècle. Il était
né l'an i586, et il mourut le
21 de juillet 1625 (a . Ses com-
mentaires sur Thomas d'Aquin ,
intitulés Summa théologien (6),
sont fort estimés. Voyez ci-des-
sus (c) ce qu'il disait de saint
Augustin.
Joly dit que Gamache e'tait Picard el
noble, que son nom de famille était Rouault,
que le nom de Gamaches (et non Gamache)
vient d un bourg anciennement appelé Ga-
mapiœ. Leclerc s'était contenté de dire,
qu élant prieur de Sorbonne , Gamache fut,
en iSgG, nommé par Henri IV à lune des
nouvelles chaires de philosophie que ce prince
venait de fonder.
(a) Frcher , /n Théâtre p"g'- 42^
(6) Imprimes à Paris, l'an 1627 , en trois
volumes inj'otio.
(c Remari/ae (D) de l'article Adam (Jean),
lom. I , pag. 2 1 1.
GAMBARA ( Laurent ) , natif
de Bresçe, en Italie , fut un des
bons poètes latins du XVIe. siè-
cle. Il vécut long-temps à Ro-
me, chez le cardinal Alexandre
Farnèse (a). 11 publia dans la
même ville un recueil de poésies
dont le Giraldi , qui était bon
connaisseur, et qui n'avait pas
trop d'indulgence, dit beaucoup
de bien (A). Manuce a loué en-
core plus amplement les poésies
(a) Tliuan. , lib. LXXXIF, pag. m. 76.
14 GAMBARA.
de Gambara (B) ; mais il se faut lui écrivit une lettre (2) peu après la
souvenir qu'il lui donne ces mort de BasUe Zanchius , te laqueUe
. il Je suppose tres-afllige, vu la liaison
s intime qui avait été' entre eux. Il
grands éloges dans des
qu'il lui écrit. Muret passa dans remarque qu'on les regardait comme
— mue vestrûm cul poëticamfa
(b) que Gambara avait fait des cultatem naturel propensus , ac miré
vers trop libres , et un peu sa- factus , ingenio vero ita pares, ut,
les , mais que , se voyant élevé à cUl,n nem0 tam bonus Poët(! sit> 9uin
, Al • l -, , . \ p vobis primas in componendis versibus
la prêtrise , il les jeta au feu en parles tribuat ? qifam confessionem
présence de plusieurs personnes , etiam ab invitis exprima poëmatum
quoique le public eût une extrê- comparatio, uter tamen utri prœslet ,
me impatience de les voir. Il non$*™ satis Judicare $uisquamj>os-
composa un ouvrage ou il met
sit(5). Dans une autre lettre, il l'ex-
horte à continuer le poè'me dont il
les poètes sous un rude joug avait vu le commencement avec une
(D) ; car il ne veut point qu'ils extrême admiration. Patavii dum
touchent aux fables du paganis- e™s; habeb«s 'n manibus egregium
. 1 • 1 Utua poema de noms insulis a Co-
nie. Il mit en vers latins quel- iumi,0 inventis : cujus ego cùm exor-
ques idylles de Bion , et y réussit dium, multis prœsentibus , legissem,
assez mal , si l'on s'en rapporte admirants gravitatem, eteleganiuiw
- carmims,exc!amavi : Cedite, Romani:
au jugement de Barthius (c). 11
mourut à Rome vers la fin de
l'an i586 , âgé de quatre-vingt-
dix ans (d).
in quo , adhuc, qui h me dissenliret ,
inveni neminem. Quô magis lehortor,
quanquam , ut spero , cuiTentem , ut
appropercs , habeasque rationem non
expectationis modo nostrœ, verkm
(l>) Voyez M. Teissier, Élog. , lom. II, etiam gloriœ tuœ , cujus habes à na-
turd prœclarum seminarium , quod
etiam studio excolis , ingenium tuum.
TJrge igitur,nec institutum dimitte (fÇ).
M. Teissier assure que Gambara a
mis au jour cette description de la
(A) II publia un recueil de poésies découverte du nouveau inonde (5). Si
dont le Gtraldi dit beaucoup cela est ? l'exhortation de Manuce ne
de bien. ] Citons ses paroles : Vivit fut „as im,tile.
adhuc Laurentius Gambara Riulanus (q Muret passa dans une
pag. Jï : il cite /'Apparat de Possevin.
(c) Bartli., in Statium , lom. III, pag-
i635.
(d) Thuan. , lib. LXXXIV, pag. 76.
ex Brixid , cujus poemata nuper legi
Romœ excusa , non indigna illa qui
autre extrémité.] 11 y a sans doute
une exagération blâmable dans les
dem lectione bonorum, nam et numeris flatteries de Paul Mattuce , mais l'exa-
poeticis , ac Jiguris , et varia erudi-
tione habetur insignis. Romœ versa-
tur Basilico nostro Zancho carissi-
mus amicus , ut ex ejus carminé facile
cognoscimus , et Zanchi ipsius epis-
tolis (1). Nous verrons dans la re-
marque suivante la confirmation de
ce que Ton vient de lire touchant l'a-
mitié de Gambara et de Basile Zan-
chius
/T>. ' -m/r 1 t IV, paç. m. 126.
(B) Manuce a loue encore plus am- (/.) palli„s
'ération opposée où Muret s'aban-
donna est encore plus vicieuse. Il
écrivit ces deux vers a la tête de
son exemplaire des poésies de Gam-
bara :
Brixia , vestratis merdosa volumitia valis
IVon sunl nostrates tergerc digna nales (6).
(■>.) C'en la XXVI II'., lu IV. lu;;-.
(S) Paulus Manutius, epist. XXVIII , lit,.
(4) Paulus Manutius, epist. XLVIII , l,b.
pleme.nl les poésies de Gambara.] Il IV, pag. 161.
(r>) Teissier, Eloj. , lom. II, pag,
(1) Gyrnld. , de Poët. suor. tempor. dial. III , cite que la lettre <!•• Manuce.
pa;;. m. jn'i , E, (G; Ménnge, Anti-Baillet, (ont. II, pag. q.
Il ne
GAMON. GANYMÈDE.
i5
Le pèi-e Sirmond avait vu cet exem-
plaire dans la bibliothèque des jé-
suites de Rome (7). M. Ménage oppo-
se à ce jugement de Muret la louange
que M. deThou adonnée à Gambara
(8). S'il se fut souvenu du Giraldi et
de Manuce, il les eût aussi opposés
au sale et vilain distique qu'il a rap-
porté.
(D) II composa un ouvrage ou il
met les poètes sous un rude joug. ]
Lisez ces paroles de M. Baillet : 11
« a fait un traité latin de la manière
» de rendre la poésie parfaite, im-
» priméàRome, in-fy". l'année de sa
» mort. Il prétend faire voir dans cet
» ouvrage qu'il y a une obligation
» indispensable à tout poète , ou à
» tout vérificateur et rimcur se disant
)> poète , de retrancher non-seulc-
» ment tout ce qui peut être malhon-
» nète , lascif et libertin dans les vers,
» mais encore tout ce qui sent la fa-
» ble et le culte des fausses divinités
» (9).» Je vous renvoie à la réfle-
xion que M. Ménage fait là-dessus (10).
(;) Là mime.
(8) La même.
(<)) Boillet, Jugemens sur les Poètes, loin. I,
mon. ioqi , pag. 112.
(io) Ménage, Anti-Baillel, loin. II, pag. 4
et sun-.
GAMON * ( Christophle de),
ne m'est connu que par un ouvra-
ge qu'il publia l'an 1609. 11 a pour
titre , La Semaine ou Création
du monde , contre celle du sieur
du Barlas. Voyez la remarque
(A).
* Leclerc dit que Gamon était d'Annonay ,
et calviniste , et de plus cliimiste, comme le
bien de la Semaine de du Bartas ,
ajoute ceci : « Mais comme les ju-
» gemens des hommes sont divers ,
» Christophle de Gamon , personnage
» recommandable par sa doctrine ,
» prétendit de marquer des défauts
j> dans ce livre , et d'en diminuer le
» mérite par un autre qu'il compo-
» sa sur le même sujet, et qu'il mit
» en lumière quelque temps après la
» mort de du Baktas : il lui disputa
» néanmoins cette palme avec quel-
» que respect, et ne put après tout re-
» fuser à la mémoire de ce grand bom-
» me les louanges qu'il reconnaissait
» lui être dues si justement (1).»
(t) Buliart, Académie des Artsetdes Sciences,
loin. II, pag- 354.
GANYMÈDE , fils d'un roi de
Troie (A), était le plus beau
garçon du inonde. Jupiter en fut
charmé, et l'enleva, et le fit son
échanson à la place d'flébé (a) ,
et l'employa à d'autres usages
très-criminels (B). Les uns di-
sent qu'il le fit enlever par un
aigle , les autres assurent qu'il
fut lui-même le ravisseur, sous la
forme de cet oiseau (C). Il déi-
fia ce jeune garçon , et fit un
très-beau présent au père (D).
L'on n'est point d'accord sur le
lieu où se fit l'enlèvement , ni
sur l'état où était alors le garçon
qui fui enlevé (E;. Les uns disent
qu'il était sur le mont Ida , les
autres le placent ailleurs : quel-
prouve le livre intitulé : Commentaire de queS-UllS prétendent qu'il cliaS—
sait , et quelques autres qu'il gar-
dait un troupeau. Je ne m'amu-
serai point à rapporter les expli-
cations allégoriques que l'on a
Henri de Linthault , sieur de Munition, doc-
teur en médecine . sur le Trésor des trésors de
Christophle de Gamon , revu et augmente par
l'auteur 1 Linthault ). Le texte de Gamon
est en vers français. Ce livre a élé réimprimé.
Leclerc ajoute que Ion trouve des vers de
Gamon à la tête de 1 Histoire des Vaudois ,
publiée, en 1618. par P. Perrin de Lyon.
On a encore de Gamon l". le Jardinet de
poésie de C. D. G., avec la Muse divine du
même auteur, 1600, in-12; 2°. les Pêche-
ries, divisées en deux parties , Lyon, 1599,
in-iz. Ce sont des poésies.
(a) On verra dans la remarque (D) l'acci-
dent qui fut le prétexte de lu destitution
d'Hebe. Charles Etienne le rapporte et cite
Servius : Cùm Jove , dit-il, apud /Etliiopas
cœnante , Hehe pocula illi administrais,
perque lubricum minus cautè incedens , ce-
,, r/. . cidisset , revolutisque vestibus ohscœna supe-
(A) forez la remarque. \ Le sieur ris nudâsset , ab officio est amota, ejusque
Lullart , après avoir dit beaucoup de loco Ganymedes subrogatus. Hœc Servius.
i6
GANYMÈDE.
données (b) : ce sont des jeux d'es-
prit que l'on peut multiplier à
l'infini , et par lesquels on trou-
ve dans chaque chose tout ce que
l'on veut. Mais je dirai qu'il y a
des écrivains qui ont rapporté
ceci sur le pied d'un fait histori-
que. Ils prétendent que Gany-
mède fut réellement enlevé par
un prince qui en était amoureux
(F). Les peiutres qui le représen-
tent enlevé sur le dos de l'aigle,
s'abusent, et ne consultent pas
les anciens auteurs (G) On pré-
tend que Cicéron n'a pas bien
connu le père de Ganymède (c).
De temps immémorial les Phlia-
siens avaient une dévotion parti-
culière pour une divinité qu'ils
nommèrent d'abord Ganymeda ,
et ensuite Hébé. C'est ce que
Pausanias nous apprend au livre
II, page i/jo.
(b) Voyez les commentateurs du IVe.
emblème d' Alciat.
(c) Voyez la remarque (A).
(A) Fils d'un roi de Troie.] Tros ,
fils d'Érichthonius , et petit-fils de
Dardanus, fut père d'Ilus , d'Assara-
cus, et de Ganymède. Voici des vers
grecs qui nous apprennent cela, et
qui méritent d'être cités, puisqu'ils
rendent témoignage à la beauté de
ce garçon , et à son enlèvement , et
à la charge qui lui fut donnée de ver-
ser à boire à Jupiter.
a-iAÎïa. (l).
Tpa>* <T* 'Epi^Sôvioç TïXêTO "Ipâsarcnv
Tpeeoç (F a.Z Tf>i7; -mûSa ap.Cy.wit; eçt-
•VSVOVTO ,
Ihoç t', Ao-a-afsucôc tî , xo.1 ctvfiôeoç
Tctvvpnfnç,
Oç tf» jcstMiç-oc ysvi'ro Ôvjit^v ÀvQpâ-
TTUIV ,
TOV X.sÙ *V«f4l'4*VT0 ôeoi AlV otvo-
(i) Hom., II. , lib. XX, vs. 219-
KîtXXêOÇ s/véX* 010, ÎV ac9«.V«tTC5-| f/.t-
tî»'m ("i).
Dardanus rursiis genuil filium Erichthoniuni
regem.
Trocm autant Erichlhonius genuil Trojanis
regem ,
Ex True veto rursum 1res Jilii inculpait nali
uad,
Ilusque Assaracutque et divinus Ganrinedes,
Qui sanè pulchei rimas fuil monalium ho-
mituirn :
Quem eliam rapuerunl dii , Jovi ulpoctllalor
essel ,
Pulchriludinem ob suam , ut immorlalibus
intéressée.
Notez qu'Homère dans ces vers-là
ne dit point , comme il fait ailleurs
(3) , que Jupiter ait enlevé Ganymè-
de ; il dit que les dieux l'enlevèrent
pour le faire servir d'écbanson à Ju-
piter. 11 ajoute qu'Ilus , frère aîné de
Ganymède, engendra Laomédon qui
fut père de Priam. J'observe cela par-
ce qu'il est nécessaire d'examiner si
l'on censure Cicéron avec justice ,
lorsqu'on lui reproche comme un pé-
ché de niemoire, d'avoir dit que l'en-
fant qui fut enlevé était fils de Lao-
médon. Trois igiturfuit fîlius Gany-
medes , non Laomedontis , ut l'idelur
sensisse Cicero prim. Tuscul. lapsus
vide 'icet memorid ( quo nomine soient
magni viri laborare. , qui grai'ioribus
impediticuris , eu m citant velautores,
vel autorum testimonia , toto , quod
aiunt , cœlo abeiTant : id quod di/i-
gens lector sœpè in sîristotelis depre-
hendet libris , prœsertim de moribus ).
f^erba Ciceronis hœc sunt : IVec flo-
merum audio , qui Ganymedem h
Diis raptum ait propter formant, ut
Jovi pocula mirùstraret ; non justa
causa , cur Laomedonti tanta fîeret
injuria. Fingebat hœc Moments et
humana ad Deos transfère) 'al , diui-
na mallem ad nos (4 )■ M. le Fè-
vre prétend que cette censure est in-
juste, et. pour le prouver il allègue
(5) un passage du scoliaste d'Euripi-
de , où un ancien écrivain témoigne
(■>.) Idem, ibid. , vs. 23o.
(3) Dans f liymme pour Vénus. Voyez la re~
marque suivante.
(4; Commentai-, in EmMcmaia Alciali , pag.
m. a<) , cul. 1. Claude du Verdier, Cens, in
Autl'or. , pag. Io5 , a critique celle faute de
Cicéron
[5) Ilinc animadvertere pôles salis impro~
sperè Ciceronem à muttis reprehensum fuisse
qui . . . Ganymedem Laomedontis filiumjaciat.
Tan, l'aber", epist. LVIll,M. Il, pag. i53.
GANYMEDE.
que Ganymède était fils de Laomedon.
Cela veut dire que , vu le partage de
sentimens, Cicéron a pu jouir de la li-
berté de suivre Homère , ou de ne
le suivre pas: et qu'ainsi ce n'est
point par inadvertance , ou par ou-
bli, mais par choix, qu'il a dit que
Ganymède était fds de Laomedon.
N'en déplaise à l'apologiste , la cen-
sure me paraît très-bien fondée 5 car
Cice'ron en cet endroit-là rapporte
une tradition qui venait d'Homère , et
il le cite qui plus est. Il n'y a donc
aucune apparence qu'il l'ait voulu
contredire à l'égard du père du beau
garçon enlevé. Disons donc qu'il crut
qu'Homère le faisait fils de Laome-
don , et concluons que sa mémoire le
trompa.
Notez que quand je me suis servi
de l'expression vague fils d'un roi de
Troie , j'ai eu égard aux variétés que
l'on observe dans les auteurs sur ce
sujet. Hygin assure dans le chapitre
CCXXIV,que Ganymède était fils d'As-
saracus, et dans le. chapitre CCLXXI , jj
qu'il était fil
q 11 es-un s (6)
don , et par conséquent fils d'Ilus.
D'autres (7) le font fils de Dardanus.
Le sentiment d'Homère est le plus
commun.
(E) Jupiter... le fît son échanson...
et l'employa a d' autres usages très-
criminels S] Les vers d'Homère, que
l'on a vus dans la remarque précé-
dente , ne marquent point qu'au-
cun motif d'impureté ait donné lieu
à l'enlèvement de Ganymède. Ils té-
moignent seulement que la beauté de
ce jeune homme engagea les dieux à
le transporter au ciel , afin qu'il fût
l'écbanson de Jupiter , et qu'il vécût
entre les natures immortelles. C'est
comme si l'on disait qu'ils le trouvè-
rent trop beau pour ne devoir pas
servir d'ornement à la cour céleste,
et qu'ils crurent que la terre n'ayant
pas assez de mérite pour posséder un
trésor de cette importance, il lui
fallait procurer une habitation plus
*7
tenu dans les mêmes bornes, lorsqu'il
a parlé de Ganymède dans l'hymne
de Vénus. Il y change quelques autres
circonstances : car il suppose que Ju-
piter l'enleva afin de le faire l'échan-
son des dieux ; mais il n'altère point
le reste :
H toi y.h |etv6àv r*vf//j|if«a //.itrUrci
Ztùç
HpTTct^ eov oW JtsUXo?, ï» àSavÂTOia-i
/UlTitiJ ,
Ktti tî Aïoç K'XTa. ^ôùfxa. flsoîç è^rioivo-
QO.U/UO. ifch ,TavTÎ!T:n TSTI//8V0Ç àâ*-
VatTOIS*!,
Xpt/o-éoc/ tu. Kpmtipoç iqùo-o-uiv vsKTap
ipuBf.dv.
Hic quidem Jlavum Ganjmedem consulter
Jupiter
Rapuit suam propter pulchritudinem, ut cum
Diis conversarelur ,
El Joi'is in domo Diis vinum eflimderel ,
Mirabile visu , ab omnibus honoralus immor-
talibus ,
Aureo ex cratère hauriens nectar rubrum.
Apollonius ne s'écarte point de cette
lans le enapure ^laai idëe j et pon gerait soupconneil
ils d Erichthomus Quel- si Fon en jugeait autrement sous pré-
) le font frère de Laome- texte des 'derniers mots dont il s'est
servi. Rien n'empêche qu'on ne les
réduise au même sens qu'Homère
avait exprimé :
.... MeTa. kcli ra.vi//x»'JW, tov pat.
5TOT6 Zît/Ç
Ot/estvw syxat.i-ivzTcrîv è<pçç-*ov aiSav*-
T 013-1 v ,
KctAXSOÇ IJUipQltç
.... Sed cum Ganymède , quem aliquando
Jupiter
In cœlo locdral , et deorum feceral contu-
bernalem ,
Pulchriludinis cupidus (8).
Les autres poètes n'ont pas gardé tant
de mesures ; ils ont dit tout net que
Jupiter devint amoureux de Gany-
mède , et qu'il l'enleva pour conten-
ter sa pédérastie. Voyez les deux vers
de Piaule que j'ai cités ci-dessus (9) ,
et le Xe. livre (10) des Métamorphoses
d'Ovide. Si l'on en croit le grammai-
rien Servius, rapti Ganrmedis, dans
Virgile , est la même chose que in-
digne de lui , c'est-à-dire une bonne pmtl} corruption). Je laisse plusieurs
Îuare dans le pavs de 1 immortelle
)
pays
léatitude. Cela ne désigne aucune
lasciveté, Homère s'est exactement
(6) Txcties ad LycopViron. , pag. 10.
(7) T.ucian. , in Charidemo, 071er. , Coin. // ,
pag. 10 il).
TOME VII.
(8) Apoll. Rhodius, Argonaut. , lib. III, vs.
n5 , pag. m. 278.
($) Citation (8) de l'article Adonis.
(io) Vs. i55 et seq.
(il) Servius, in hac verba .'Eneid. , lib. I,
«. 28.
E; rapti Ganymedis honores.
,8 GANYMÈDE.
endroits de Martial, et nommément riim coiruptorenu/ue et cognatorum
ces cruatre vers : quidem ; quibus nihil aliud ac~
tutti est quant ut pudor hominibus
DixUidem quoties lascivo Juno Tonanli? CVedullSSeilt.. 11 est indubitable qilll
IlletamengraciLcumGanymedejacel(n). avait en VUC la fiction de l'cnlève-
i , ment de Gauymède , fiction d'autant
Je ne compte pas pour peu de chose lllsinjuriei4 à jupiter qu'il était
l'autorité de Lucien ; car quoique ce fe tAJieul de ce - * ho'„Jme. Cette
fût un impie qui ne se plaisait qu a ^ & dire à quelques-uns que
tourner en ridicule la religion, il Dardanus , bisaïeul de Ganymède ,n'é-
fallait que ses railleries eussent quel- ^ ^ de ., Uer ^ ^ ^
que fondement : il se serait rendu lui- ^ /comment est-ce que Jupiter au-
nième ridicule s il eûtplaisante sur des ^ cominettre cette infamie ? ,5'ed
opinions , ou sur des cérémonies for- alU^ores idam trddunt Dardanum
gées dans sa tête, et imputées calom- et Jasiu£ Corili fdios fuisse non
meusement aux païens. Il prenait JwU nec enim (siitaJfuisset) ad
donc dans les traditions et dans le u$us imudicos Ganrmedem prone-
culte des gentils , la matière de ses m s£um habere potuisset (iB).
satires : puis donc qu il a suppose r ^ ^ ^ ^ ^ ^ .;
que Ganymède était tout ensemble le- . Qn{ reproche' raux païens cette
chanson et le mignon de Jupiter infamie du plus grand de leurs dieux
(i3), il faut conclure que c était un ( } ()n ne gaur»u chicaner sar ce
sentiment assez commun dans le pa- int_la commc si les Clément
ganisme. Mais nous n avons que faire alexandrin, les Arnobe , les Lac-
de son autorité : celle de Platon ton- ^ avaicnt employé la superche-
Le seule serait suffisante. Ce grand • QU méme ]a calomnie contre
philosophe a condamne la fiction que ]es tils Ils ont objecté une tra-
ies Cretois avaient établie touchant ^^ bien étaWie ? et qui s'e'tendait
Ganymède, pousses a cela par 1 m- ■ au cult car le même Jupi_
teret de trouver un grand exemple 4 que pon adorait dans ies tem-
qui favorisât leur pédérastie : or, la ples y était représenté avec Gany-
fable de Jupiter et de Ganymède était mède, et avec l'aigle qui enleva ce
fort propre a leur intention, parce • ne on Lisez ces paroles de
qu'on croyait que leurs lois étaient Jactance (Î8) : Nam quod aliud ar-
venues de Jupiter (14). Ils ensci- entum habet imaqo catamiti , et
gnaicnt donc que cette divinité se e]m„iesaquiiœ cum ante peiJes J0lfis
servait de Ganymède pour les plai- ' ;mntJ in tempUs et cum ips0 pa.
sus de 1 amour. Je ne saurais m çin- ^ adorantur\ nisi ut nefandi
pécher de citer ici Seneque, qui a sceleri ac stupri mentor ta maneat in
mis cette action de Jupiter entre les œicrnum ? Consultez aussi Tatien
folies que les poètes avaient chan- ( > y,d yu dans Jurénal une chose
tees touchant ce Dieu , et qui ne- . si ifie ril y avait • Rome ou
taient propres qu a oter la honte du un temple de Ganymède , ou un
crime a tous ceux qui auraient forme ,( )1(, • ; contenait Ia statlle de cet
une telle idée de la nature divine. c:chanson de Jupiter. Les coramen-
Swuestras ha/lucinattonesfero, dit- ^^ nYclaircisscnt guere cet en-
il(i5), quemadinodum Jupiter opli- droit-l-i ■
mus maximus ineptias poëtarum .'_.". . r ...
,. l , ,/ . Nuper enim , »( repelo , fanitin Isidis et
quorum alias adultérant ipsum r Ganrmedem
induxit alias raptorem illgenilO- Pacis , et advectœ secrela palatia malris ,
,(12) Mort., epigr. XUV.M. XI. Voyez aussi (16) Lactant. , lib. I, subfin.
2'Épigraihme XXYII du même livre. (17) Voyez ci-dessus la remarque fB) de
(ij) Voyez son Dialogue de Junon et de Ju- l'article de Chrysippe, Os naturel de Pélops ;
piter, Oper., tom. /, pag. m ia8. J'en rap- el saint Augustin, de Civil. Dci , lib. VII, cap.
porte un passage dans la remarque (\i) de Par- XXVI.
1 .nous. (18) Lactant. , Divin. Instit., lib. I, cap. XI,
' ' i) l'Inio, de Legib. , lib I, pag. m. "^O, E. pag. m. 34-
(i5)Scnecn, de Vitâ bealn , cap. XXVI, (19) Voyez la remarque (G), à la cita*
1 ■• '■■ <«'» (5çi).
GANYMÈDE.
Et Cererem (nom quo non proslal famina
lemplo ? )
Notior Aufidio machus celebrare solebas(io).
Pausanias fait mention d'une sta-
tue de Jupiter et de Ganymède qu'un
certain homme de Thessalie nommé
Gnothis dédia dans le fameux temple
d'Olympe (21).
(C) Les uns disent qu'il le fit en-
lever par un aigle, les autres qu'il
fut. lui-même le ravisseur sous la for-
me de cet oiseau.] Horace et Hygin
( 22 ) sont du premier sentiment :
Ovide et Lucien sont du second.
Voici les paroles d'Horace :
Qualem minùtrum fulminis attlem,
Cui rex Peorum regnum in aveis vagas
Permisil , experlus Jidelem
Juppiler in Ganymède Jlavo (2 3).
Pour ce qui est d'Ovide , il s'est ex-
primé de cette façon :
Nulld tamen alite verli
Dignatur , nisi qmv portât sua fulmina tente.
ISec mora : percusso mendacibus aère pennis
Arripil Iliadem , qui nunc quoque pocula
iniscet ,
Invitâque Jot'i nectar Junone tninisirat (a4)*
Vous trouverez les paroles de Lucien
dans le dialogue de Jupiter et de
Ganymède (25).
(D) 77 déifia ce jeune garçon , et
fit un très-beau présent au père.]
Tros était inconsolable d'avoir perdu
ce cher fils ; mais après avoir reçu
quelque dédommagement , et la nou-
■v elle que celui qu'il pleurait vivait
toujours entre les dieux , et ne vieil-
lirait jamais , il se consola. Jupiter
lui fit pi'ésent de quelques chevaux
qui couraient fort vite , et qui étaient
du nombre de ceux qui portaient les
dieux (26). Notez queLaomédon, fils
de Tros, promit à Hercule de lui don-
ner les chevaux que Jupiter avait
fait servir de compensation ( 27 ) •
mais n'ayant pas tenu sa parole il
fut assiégé dans Troie, et y perdit la
(20) Juven. , sat. IX, vs. 22.
(21) Pausan. , lib. V, cap. XXIV, pag. m.
44°-
(22) Hygin., Poëlic. Astron., hb. II , cap.
XVI. Voyez aussi Apollodore , lib. III, pag.
m. 221.
(23) Horat. , od. IV, Ijk. IV.
(24) Ovid., Metam., lib. X, vs. i5?.
(a5) Lucian. , Oper. , lom. I, pag. 124 et seq
(26) Tiré d'Homère, Hynin. 111 Venerem.
(2-) à.ùù)£ tiioç "roiviiv rav^>i<f50Ç.
Dcdil pr» filio compensalionem Ganymède.
Homer. , Iliad. , lib. V, vs. 266.
vie. Hercule avait demandé ces che-
vaux-là en récompense du service de
délivrer Hésione, fille de Laomédon,
exposée à un monstre marin (28).
Notez aussi que sans que Laomédon
s'en aperçût , Anchise eut l'adresse
d'avoir de la race de ces chevaux
(29). Notez enfin que, selon quelques
auteurs (3o) , le présent que Jupiter
fit au père de Ganymède , fut une
vigne d'or que Vulcain avait fabri-
quée. Au reste , si les autorités qu'on
a vues ci-dessus (3 1) touchant la déi-
fication de ce jeune homme ne suffi-
saient pas, on y pourrait joindre le té-
moignage de Pindare v32^ , et celui
de Lucien (33) , et ce commentaire
de Servius. Honores dixil , vel prop-
ter ministerium poculorum , ad quod
receptus est. remotâ Hebe filidJuno-
nis , quœJoui bibere minisirabat ; vel
ob hoc quod inter sidéra collocatus ,
aquarii nomen accepit; et non ob hoc
tanlitm irasciturJuno, sed quod vio-
latus sit ut diwinos honores conseque-
reiitr (34). Vous voyez dans ces pa-
roles de Servius deux choses nota-
bles : Lune est qu'Hébé qui avait la
charge de verser à boire aux dieux ,
fut privée de cet emploi , et que Ga-
nymède fut mis à sa place ; l'autre
est qu'on le mit entre les étoiles, et
qu'il fut le signe du zodiaque , que
nous appelons Verseau , et que les
Latins appellent aquarius. Hygin
observe cela (35). Quel crève-cœur
pour la pauvre Junon de voir le mi-
gnon de son mari occuper la place
qu'on avait ôtée à sa fille Hébé ! Le
malheur qui était arrivé à Hébé fut
bien le prétexte de sa destitution -
mais non pas la vraie cause. Elle était
tombée pendant que les dieux étaient
à table , et avait montré tout ce que
la pudeur veut que l'on cache (36).
Jupiter, qui désirait ardemment que
(28) Ex Apollod. , lib. Il , pag. m. 123, 137.
(29) Homer., lib. V, vs. 26P.
(30) Votes Tanaq. Fabrum , epi>t. LVHI,
lib. If, pag. i53- licite le scoliaste d'Euripide,
in Orest.
(3i) Pans la remarque (B), et dans la pré-
sente remarque y citation (16).
(32) Pindar. , od. X. OJymp.
(33) Lucian., in Jove TiagœJo, Oper., lom.
II, pag. 2o5, et in ( ".haridemo, ibul., pag. ioifj.
(34) Servius , in Virgil., ^n. , lib. I, vs. 98.
(35) Hygin., cap. CCXXIV, et Poet. Astron ,
lib. II, cap. XVI et XXIX.
(36) Voyez ci-dessus la citation (a).
20 GANYMÈDE.
Ganymède fAt son échanson , profita tentent enlevé par un prince qui en
de cette conjoncture pour destituer était amoureux. ] Hérodien rapporte
cette pauvre tille.
(E) L'on n'est point d'accord sur le
lieu oh se fit l'enlèvement, ni sur
l'état oh était alors le garçon qui fut
enlevé.] Lucien (37) suppose que Ga-
nymède faisait la fonction de berger
sur le mont Ida, lorsque Jupiter l'en-
leva. Virgile suppose qu'il y chas-
sait :
Inlexlusque puer frondosdregius Ida
Veloces jaculo cervos, cursuque faligat ,
Acer , anhelanti similis , quein prœpes ab
Ida
Subliment pedibus" rapuil Jovis armiger un-
cis (38).
Valérius Flaccus (3g) et Staçe (4°)
ont imite cet endroit de l'Enéide.
Mais Strabon(40 assure que l'on di-
sait que Ganymède avait été enlevé'
dans un lieu qui s'appelait llarpa-
geia, et qui était situé sur les con-
fins du territoire de la ville de Pria-
que le lieu qui se nommait Pessi-
nunte, dans la Phrygie, avait été ainsi
appelé , ou parce que le simulacre
de la mère des dieux y était tombé
du ciel , ou parce que le combat qui
s'y donna entre Uns et Tantale coûta
la vie à plusieurs personnes. Ces-
deux princes , l'un Phrygien , l'autre
Lydien ,se tirent la guerre , ou par-
ce qu'ils ne purent convenir des li-
mites de leurs états (45), ou plutôt
à cause que Tantale avait enlevé Ga-
nymède. Ce dernier perdit la vie au
champ de bataille entre les mains de
son frère , et celles de son ravisseur ,
celui-ci ne voulant point le relâcher ,
et l'autre faisant tous les efforts pos-
sibles pour le lui ôter. Son corps ne
s'étant. point trouvé, on donna du
merveilleux et du divin à son aven-
ture , et l'on en tira la fable que Ju-
piter l'avait enlevé (46). Nous lisons
pe , et de la ville de Cyzique ; et que dans la chronique d'Eusèbe (47), qu'au
selon d'autres , il avait été enlevé au sujet de l'enlèvement de Ganymède
il s'éleva une guerre entre Tros, père
promontoire de Dardanie. Les Chal-
cidiens(4i) soutenaient que l'enlè-
vement se fit chez eux , c'est-à-dire ,
dans l'île d'Eubœe; et ils montraient
le lieu où Jupiter avait fait ce rapt.
C'était un lieu plein de myrtes , et
on l'appelait Harpaeium. Notez que
c'étaient des gens d'une inclination
excessive au péché contre nature.
Tltù va. TreufiKÙ Sctip.ov!a>ç swtodvt*!.
Prodigiosè in amore puerorum fia- facto, turpia , et fabulas turpiores :
gra/iÊ (43). Il y a donc bien de Fap- quorum Tantalus rex Phrjgiorum
parence qu'ils débitaient cette tradi- Ganymedem Trois Dardanwrum re
de ce jeune garçon, et Tantale. On
assure cela sur la foi d'un écrivain
nommé Panoclès. C'était un auteur
erotique (48), ou pour m'expliquer
plus clairement , un compilateur
d'aventures amoureuses. Orose a parlé
de cette action de Tantale ; voici en
quels termes (49) : JYec mihi mine enu-
vierare opus est Tantali et Pelopis
tion afin de se mieux couvrir de
l'autorité et de l'exemple du plus
grand des dieux. C'est ce que Platon
a pensé des habitansde l'île de Crète,
comme je l'ai déjà dit (44)- Suidas
nous a conservé une autre hypothèse
touchant le lieu de l'enlèvement ,
voyez la remarque suivante.
(F) Il y a des écrivains qui
prétendent que Ganymède fut réel-
(37) Lucian. , in TVial. Jovis et Ganym. ,
Oper. , loin. I, pag. \il\.
(iS) Virg. , TfCn. , tib. V, vs. a5a.
(3jj) Valor. Flarcus , Argon., lib. II, vs. 4>4-
( y, Statius, Theb. , lib. I, vs. 548.
(/|i) Sirali., lib. Mit, pag, 4°4- l'oyei aussi
Steph. llviant. Kocr'Af 57217 <a.
(43) \il,,n., lib. XIII , pag. 601.
<\ ' j Idem , ibidem.
(44; Dont ta remarque (B), citation (i4)-
gis ûliuin chm flagiliosissimè rapuis-
set , majore conserti certaminis fos-
ditate detinuit , sicut Phanocles poëta
confirmât , qui maximum hélium
excitatiim ob hoc fuisse commémorât :
sive quia hune ipsum Tanlalum , ut-
pote asseclam Deorum , videri vult
raplum puerum ad lïbidinem Jovis
familiari lenocinio préparasse, qui
ipsum quoque (ilium Pelopem epu-
lis ejus non dubitârit imj/endere. Eus-
(45) lly a dans Hérodien TTipi l&£v de viis;
mait , selon la conjecture de Méziriac , Com-
mentaires sur les Epîtres d'Ovide, pag.&Hti, il
faut corriger TTifl opeev de iinibiis.
' (46) Hcrodian., lib. I, cap. XI, Voyez
aussi le scoliaste de Lycophrorj, pag. 5o.
a*) Emeb., num. 654.
(48) Voyvs Scaliger, in Eusebium, pag. 41.
// cite Tlutarque, lib. IV, cap. V IvfMfixs:
(4g) Orosius, tib, I, cap. XII, pag. m. 4, 45.
GANYMÈDE.
tathius ( 5o ), ayant dit que , selon
quelques auteurs, Tantale avaitenle-
ve' Ganyraède , ajoute que d'autres
imputaient ce rapt à Minos. Si nous
consultons Suidas , nous apprendrons
bien des circonstances de cet attentat
de Minos. Nous y verrons que ce roi
de Crète alla voir Tros , et qu'ayant
su que les trois fils de ce prince e'taient
à la chasse , il déclara qu'il voulait
chasser avec eux. Il n'eut pas vu plus
tôt Ganymède , qu'il conçut pour lui
une passion très -ardente : il le fit
enlever , il l'embarqua dans l'un
des vaisseaux qu'il avait envoyés par
avance sur le Granique , et s'en re-
tourna en Crète. Ganymède fut si
afflige de son malheur, qu'il se perça
de sa propre e'pe'e. Minos l'enterra
dans un temple , et de là vint qu'on
divulgua que ce jeune homme con-
versait avec les dieux (5i). Eustathius
(5a) particularise la chose autrement.
Il dit que Ganymède ayant e'te' violé
se pendit, et qu'on fit accroire à son
père qu'un tourbillon et une nue
rayaient enlevé', afin qu'il futl'échan-
son de Jupiter. Vous trouverez dans
Athe'née qu'Ëcheme'nès , qui avait
fait un ouvrage touchant ce qui con-
cernait l'île de Crète, avait assure'
que Ganymède n'avait pas été' enlevé
par Jupiter, mais par le roi Minos.
Louis Vives assure que Tantale ayant
enlevé ce jeune garçon , le transporta
en l'île de Crète , et le donna à Jupi-
ter (53) : pure paraphrase d'Orose 5
mais saint Augustin (54) a reconnu
qu'il n'y avait que la fable qui convînt
à Jupiter, et que la réalité était pour
Tantale. Voici une autre tradition
qui ne donne point un motif d'impu-
dicité à la conduite de Tantale. Sui-
das , sur le mot "Iâiov , et Cédrenus
aussi racontent que le roi Tros ayant
subjugué plusieurs princes ses voi-
sins , envoya son fils Ganymède , ac-
compagné de cinquante hommes ,pour
faire un sacrifice d'action de grâces ,
en un certain temple de Jupiter ,
qui était dans les terres de Tantale.
(5o) Eustalb. , ûi lib. XX Iliad.
(5i) Tiré de Suidas , in M/vûiç.
(52) Eustathius, in lib. XX Iliad.
(53)Lud. Vives, in August., de Civit. Dei ,
lib. VU, cap. XXri, et lib. XVI II , cap.
XIII.
(54) Auguslin. , ibidem, lib. XVIII, cap.
XIII.
21
Mais Tantale , s' imaginant que Ga-
nymède venait comme espion , pour
s' informer des forces de son royau-
me, l'arrêta prisonnier; et l'a dessus
Ganymède tomba malade , et mourut
(55)/
(G) Les peintres qui le représen-
tent enlevé sur le dos de l'aigle, se
trompent, et ne consultent pas les
anciens auteurs. ] M. de Saumaise
(56) a censuré cette méprise : il dit
que, selon les anciens poètes, l'aigle
prit Ganymède par les cheveux entre
ses serres. L'auteur qu'il commente
(57) le dit aussi. Notez que Martial
suppose que l'aigle avait peur de
faire du mal à Ganymède.
jfôlherias aquild puerum portante per au-
ras ,
Illwsum timidis unguibus kœsit onus (58).
Un ancien sculpteur représenta cela
merveilleusement (5t)).Un docte An-
glais a suivi l'erreur commune des
peintres : c'est dans un ouvrage dont
la traduction française fut imprimée
à Rouen, l'an i656, sous le titre de,
Le Monde dans la lune. Voici ce
qu'il observe (60) : « S'il y a un si
» grand oiseau en Madagascar , ainsi
» que le raconte Paulus Vénétus (*) ,
» dont les plumes des ailes sont de
» douze pas de longueur, et qui peut
» enlever en l'air un cheval et son
« chevaucheur, avec autant de faci-
» lité que ferait un de nos Milans ,
» une petite souris , il ne faudrait
» donc qu'instruire un de ces oiseaux
)> à porter un homme , et l'on pour-
» rait chevaucher jusque-là sur son
i> dos , comme fait Ganymède sur
» un aigle.»
(55) Méziriac, Comment, sur les Epît. d'Ovi-
de, pag. 885.
(56) Satmas., Not. in Achillem Tatium, pag.
583.
(57) Achill. Tatius, pag. m. 144.
(58) Mart. , epigr. VII , lib. I.
(5g) Leochares aquitain sentientem quid ra-
piat in Ganymède , et cui ferai , parcenlem un-
guibus eliam per veslem. Plin. , lib. XXXIV ,
cap. VIII, pag. m. 125. On faisait grand cas
de cet ouvrage. T/voç Si XÂptv Stà Asai^at-
fo:/ç ra.vvp.rifn tov ctvSùvyvvov , ûç ri
<rwoi/(Ta.7ov ê^;ovT«ç x.r>ip.a., Tirtpnx.it.Ti.
Cur propler Leocharis sculptons arlificium Ga-
nymedem illum ejj'œminatum , lanquam exi-
inium aliquid habentes , colilis ? Tatian. , Orat.
ad Grajc. , pag. 170.
(60) Le Monde dans la Lune , 7". pan., pag.
267.
(*) Lib. III, cap. XL.
22 GARASSE.
GARASSE ( François ), natif Pasquier vengèrent leur père avec
d'Angoulême*1, se fit jésuite l'an beaucoup de hauteur (B). Mais
1601 (a). Il fit extrêmement par- celui qui écrivit le plus fortement
1er de lui , par le zèle qu'il té- contre ce jésuite fut l'abbé de
rnoigna contre les esprits liber- Saint-Cyran (C). On veut qu'à
tins et contre les ennemis de cause de cela le père Garasse ait
son ordre. Il se déchaîna princi- été l'Hélène de la guerre des jé-
palement contre Théophile et suites et des jansénistes *' (D). La
contre Pasquier. 11 ne manquait dernière action de sa vie futtrès-
ni de génie, ni de lecture; et belle. Il demanda instamment à
comme il avait beaucoup de feu, ses supérieurs la permission de
et l'imagination assez vaste , et servir les pestiférés pendant une
une bonne poitrine , il passa pour affreuse contagion qui faisait
un grand prédicateur. Il était mille ravages dans Poitiers : il
fort propre à soutenir une cause l'obtint, et ayant gagné la pes-
en chaire : son tour d'esprit et te dans cette fonction de chari-
ses manières faisaient de très-for- té , il mourut à l'hôpital au mi-
tes impressions , vu le goût de ce lieu des pestiférés (E), le 14 de
temps-là; mais il ne devait point juin i63i , à l'âge de quarante-
se mêler d'écrire , ou s'il ne pou- six ans (&). 11 s'était réconcilié
vait renoncer au titre d'auteur , de fort bonne grâce avec le
il ne devait faire que des vers la- prieur Ogier (F) , et avec M. de
tins*3, ou que s'exercer sur des su- Balzac (G). Son Rabelais Réformé
jets peu importans ; car ayant a été un titre trompeur à l'égard
voulu écrire sur les vérités les de Placcius (H),
plus sublimes que les libertins II employa contre les poètes
puissent révoquer en doute , il a une maxime qui est dans le fond
moins contribué à convertir ces Irès-bonne; mais on la tourna
gens-là, qu'à les endurcir (A) ; contre lui-même (I). Il prétend
parce qu'à tous raomens il s'éloi- que ce n'est pas une bonne excu-
gnait de la gravité qui convient se pour des pensées profanes , que
à une telle matière , et qu'il se de dire qu'on ne les a point dé-
servait de mauvaises preuves , et bitées en prose , mais en vers.
qu'il citait à faux. Il se trouva J'aurais dû. dire qu'il est l'au-
exposé à la critique de plusieurs teurd'un//£e//e diffamatoire in-
clûmes redoutables. Les fils de litulé le Banquet des sages *a,com-
, . , ** Niceron, dans le tome XXXI de ses Mé-
1 Prospcr Marchand n a point donne d ar- moires^ a donne- un article au ere Garasse.
t.cle à Garasse ; mais il en a consacre un très- Joly y a fait quelques additions b.bliographi-
long a 1 AMi-Garasse , salue contre le je- ques ( à la suite de s ,s remarques sur \ article
suite : et Prospcr Marchand prend occasion de dc Bayl(, Quant aux livrcs attribués à Ga-
parler de deux cent quatre-vingt-quatorze rasse, Joly donne des détails curieux , extraits
nnli, omis par Raillet, et sur quelques-uns des Mémoires manuscrits de Garasse, sur
desquels il donne de curieux détails hihho- les Quœstiones politicœ, 1626. *
graphiques ; .1 a Fait quelques additions, page (b) Alegambe , Biblioth. script, soc. Jesu ,
010 de son tome II. „. I2*
(a) Alegambe , in Bibliothecâ scriptor. so- *s Le titre de l'ouvrage n'est point Septem
cict. Jesu , pttg. 124. sapientes, comme le dit Alegambe , cite' dans
"a Joly reproche à Rayle de supposer que la note (d) ; mais Le Bani/uet (les sages,
te pire Garasse réussissait dans la poésie la- dresse au logis et aux' dépens de M". Louis
Une. Or rien n'est moins vrai. Servin, auquel est porté jugement tant de ses
posé contre F honneur d'un des
premiers magistrats de France
(c). Il n'y mit point son nom ,
mais on ne laissa pas de savoir
qu'il l'avait fait : Alegambe n'en
GARASSE. 23
et renversée par le père François Ga-
rassus , de la compagnie de Jésus. II
croyait avoir donne c'chec et mat à ces
libertins , et il sut en peu de temps
que, selon le jugement du public, son
livre était bien plus propre à fomen-
disconvient pas (d).~On le cen- te,r l'athe'isnf« S"** *? ruiner- °,n
*. ™ ' • i î- ' î adressa aux îesui tes le îugement et la
sura vivement d avoir publie le censure de cet ouvrage (i), et on leur
conte des Tapisseries de Jeanne dit qu'on ne saurait croire qu'étant
d'Albret, cpie j'ai rapporté dans des premiers et des plus forts cham-
l'article de cette reine (e). On P™ns de la vérité , ils eussent choisi
, ,. 't - le père Garasse pour la défendre. Cet
prétendit que ses médisances a homme étant mieux pourvu des con-
cet égard-là étaient une injure ditions nécessaires à un poète saliri
faite à Henri-le — Grand, et à
Louis XIII (/). On soutint qu'il
avait appelé cette princesse li-
bertine , profane, ridicule , che-
val échappe' ; et qu'il l'avait bla
que , et a un farceur, que nonpas des
qualités convenables a un docteur ca-
tholique , a fait depuis naguère un
livre qui porte un titre spécieux d'é-
crit contre les athées , et qui, a par-
ler sincèrement et comme devant Dieu
f i -il , j • est un cloaque d'impiété, une senline
sonnée de mille autres calomnies . „„„/-'■ F ' , , "£
, . , e ae profanations , un ramas de bon f-
(g). L accusation était mal ton- fonneries et de contes facétieux , une
dée, et il se justifia assez bien satire de malignité et de médisance
(h). On le censura aussi avec contre infinis gens de bien et de
î j i . j> • 1 mente (t.). Apres avoir dit plusieurs
beaucoup de hauteur, d avoir al- -„té..0 „i;„aM.„„ „„ tn„ m l
, , i ' A autres choses sur ce ton-la , pour ca-
legue des passages malhonnêtes racteriser cet ouvrage , on demande
(K). Nous verrons (/) comment auxje'suites, Si ce sont là les moyens
il se défendit. de défendre la vénérable vérité de
notre religion , si ce sont la les vraies
humeurs que de ses plaidoyers, pour servir
d'avant- goût à l'inventaire de quatre mille
grossières ignorances et fautes notables y
remarquées , par le sieur Charles de Lespi-
nait , gentilhomme picard, 1617, in-8°. de
soixante-quatre pages. Joly donne la descrip-
tion et l'analyse de ce volume très-rare.
(c) Ogicr, Jugement du livre de la Doc-
trine curieuse, pag. 23.
(d)Ilmet entre ses écrits , Septem sapientes.
(e) y oyez la remarque (R) de l'article^ K-
VARRE (Jeanne d'Albret , reine de).
(f) Ogier , Jugement de la Doctrine
curieuse , chap. XI, pag. llfî et suiv.
(g) Défense pour Etienne Pasquier, liv.
IV, sect. I, pag. 6^4-
armes dont il faille combattre l'a-
théisme, ou si ce ne sont pas plu-
tôt les inslrumens de la perte des
âmes , et les inventions du père du
mensonge, pour rendre la vérité ridi-
cule et méprisable davantage parmi
ses malheureux suppôts. La même
anne'e i6a3, Naudc" publia un livre
(3) où Ton trouve ces paroles (4) :
Pour le père Garasse , il est vrai qu'il
a tiré quelques-uns de leurs articles
du père Robert , lesquels il a fait si à
propos entrer en parallèle avec les
façons de faire des libertins de ce
temps, que tant pour ce sujet que
(h) Voyez le chap. XV de /'Apologie de pour V industrie de son esprit et va-
riété de sa doctrine , je suis fâché
qu'il subisse la censure que l'on don-
ne de tous ceux qui ont fait paraître
leur doctrine en même matière, savoir,
Garasse , pag. m. 177 et suiv.
(t) Dans la remarque (K).
(A) // a moins contribué a conver-
tir les libertins , qu'à les endurcir.]
Voici le titre d'un livre qu'il publia
à Paris, l'an 1G23 : La Doctrine cu-
rieuse des beaux esprits de ce temps ,
ou prétendus tels , contenant plusieurs
maximes pernicieuses à l'état, à la reli-
gion et aux bonnes mœurs, combattue
(1) Le prieur Ogier est l'auteur du livre qui
parut l'an 1623, sous le titre de Jugement et
Censure du livre de la Doctrine curieuse de
François Garasse.
(a) Dans l'e'pûre de'dicatoire.
(3) Intitulé: Instructions à la France, sur la
vérité de l'Histoire des frères de la Rosc-Croi*.
(4) Au chap. VI , pag. Go.
24
GARASSE.
que personne ri 'écrivit jamais mieux que François Garasse avait dédié sou
contre les athéisles , que les greffiers livre a feu Etienne Pasquier la part
qui ont minuté l'arrêt de leur con- oh il sera; car, (disait-il), n'ayant
damnation : si toutefois , suivant le jamais su reconnaître l'air de votre
dire de Terlullien , l'église toute mi- religion , je n'ai pas su la route et le
séricordieuse , non quœrat potius pu-
dorem sull'undere , quàm sanguinem
effundere. Il revient à la charge au
dernier chapitre de son livre , et
voici comment : j'ai quelques mons-
tres ii combattre , dit-il (5) ,.... « qui
■» tirent, par une industrie abomi-
)> nable, l'impiété' , du livre de
» la Doctrine Curieuse , lequel par
i> une témérité et impudence non-
■» pareille, ils qualifient du titre très-
3> pernicieux de l'athéisme réduit en
chemin que vous avez tenus au départ
de cette vie , et par ainsi suis-je con-
traint de vous écrire h l' aventure , et
adresser ce paquet la part où vous
serez. Afin de le payer en même
monnaie , on lui parla de cette façon
(9) : Ceci m'a fait user de votre liber-
té , et m'a forcé de vous adresser ce
paquet en quelque lieu que vous
puissiez être. Car ne sachant si vous
êtes au Cormier ( que vous appelez
cabaret d'honneui', et où vous con-
}> art. Ce qui me donne occasion de fessez d 'avoir eu maintes repues fran-
» déplorer la calamité de notre sic- ches) ou à la ville de Clama?' , au
w cle , laquelle est élevée à un tel faubourg Saint- Germain (oh votre
3) degré de malice , qu'elle nous ôte
» même la liberté de nous opposer
■» aux impiétés les plus grandes, et
» de les réfuter par les moyens les
3) plus ordinaires et. légitimes , puis-
3) que la corruption est si grande
3) que, quand les religieux zélés , et
)> jaloux de l'honneur et intégrité de
3> leur religion, voluerunt, comme
j> dit Lactance (*) , posleris etiam ap-
3> probare, quanta pietate defenderint
3> religiones , aucloritatcm religionum
3J ipsarum , testando minuerunt. »
(B) Les fils de Pasquier (6) vengè-
rent leur père avec beaucoup de hau-
teur. ] Ils attendirent à éclater que
Garasse eût lait paraître son obsti-
nation à le mordre (7). Il avait fait
un livre contre ses Recherches , l'an
i()'23(8). L'année suivante il le mal-
traita en cent endroits de la Doctri-
ne curieuse : il continua le même
train l'an 1624 > dans sa réponse au
prieur Ogier. Alors ils perdirent pa-
tience, et publièrent un livre très-
violent contre ce jésuite , et le lui
adressèrent en quelque lieu qu'il pût
être. La raison de celte adresse est
(5) Instructions à la France, sur la vérité île l'His-
toire des frères tic la Rose-Croix ,pag. n3, llA.
(*) l.ib. I de Falsâ rcligione.
(6) l'un s'appelait Nicolas Pasquier, sieur de
flîinxe, et avait été maître des requêtes; l'autre
l'appelait Guy Pasquier, sieur de Bus.ty , et était
auditeur des comptes. Voyez le privilège de
leur livre.
M Voyez Cépître dc'dicaloire du livre intitulés
Défense pour Klienne Pasquier, imprimé h
Paru , l'an i6î4-
(8) Intitulé : Las, Recherches des Recherches
«I .mires «uvres d'Etienne Pasquier.
nom est inscrit en si beaux caractères
sur tous les manteaux de cheminée )
ou en quelque autre lieu de même
espèce , je suis contraint de vous en-
voyer ce livre a V aventure , et de vous
le faire tenir en quelque lieu que
vous soyez.
(C) Celui qui écrivit le plus forte-
ment contre ce jésuite fut l'abbé, de
Saint-Cyrano] Il attaqua le volume
in-folio que Garasse avait publié l'an
i6î5, sous le titre de la Somme
ihcologique des vérités capitales de
la religioji chrétienne : sa critique
(10) est intitulée , la Somme des fau-
tes et faussetés capitales contenues
en la Somme théologique du père
François Garasse. Elle devait conte-
nir quatre volumes; je n'ai vu que
les deux premiers et un abrégé du
quatrième; et, si je ne me trompe ,
ii n'y eut que cela d'imprimé. Le
Ier. tome contient les fautes que Ga-
rasse avait commises en citant la
Saitile Ecriture , saint Augustin et
saint Basile de Séleucie. Le IIe. con-
tient ses fautes sur les citations des
autres pères et des auteurs séculiers.
Le IIIe. devait contenir les fautes de
théologie , de philosophie , de chro-
nologie , de cosmographie , etc. Le
IVe. devait contenir plusieurs héré-
sies , erreurs , impiétés , irrévérences ,
bouffonneries et vanteries insuppor-
tables. L'auteur dédie l'ouvrage au
. (9) Eptlre dc'dicaloire de la Défense pour
Klienne Pasquier.
(10) Elle est in-quarto, et imprimée à Paris,
l'an 1G2C.
cardinal de Richelieu , et marque
dans son e'pître dédicatôire qu'il ho-
nore la société des jésuites , com-
me une des plus fortes compagnies
de l'armée du fils de Dieu , et qui
surpasse en courage aux occasions,
et l'escadron invincible de la Macé-
doine, et la bande inséparable des
amoureux nui mouraient ensemble
GARASSK. ?.5
res pour l'examen de ce livre. Mais
cet éclat ayant donné l'alarme aux
jésuites, ils montrèrent bien que
ce n'est pas une entreprise facile
que celle de censurer le livre d'un
jésuite. Car ils firent tant par leur
cabale * auprès des magistrats , que
le livre de Saint-Cyran fut fort
long-temps arrêté.» L'auteur ajou-
pour le bien public en Lacédémone te que Garasse choisit lui-même
(i 1). Il se donne dans le privilège du cinquante-trois propositions dans son
roi, le non d'Alexandre de V Exclusse livre , les plus aisées h défendre qu'il
(12). Je ne crois pas qu'il soit facile put trouver, et dont il n'y en avait
de trouver une critique aussi forte pas trois qui fissent du nombre de
que celle-là. On y rencontre une celles dontlrl. de Saint-Cyran l'accu-
exacte et profonde érudition , un ju- sait dans son ouvrage , et ayant en-
gement solide, et une sagacité mer- suite formé une censure à sa fanlai-
veilleuse à découvrir les défauts sie , il la réfuta tout a son aise; et
d'un écrivain. C'est une des plus uti- par cette adresse il éblouit quelque
les lectures que l'on puisse faire, et temps le monde, et brouilla l'examen
surtout lorsqu'on a dessein de s'éri- de son livre qui se faisait en Sorbon-
ger en auteur à raisonnemens par au- ne : de sorte que « M. de Saint-Cy-
torités , par allusions , par compa-
raisons , etc.
(D) On veut que... le père Garasse
ait été H. Hélène de la guerre entre les
jésuites et les jansénistes. ] C'est la
prétention des jansénistes, car voici ce
que l'un d'eux a publié (i 3). « Ce fut
» l'an 1626, qu'elle (1 4) commença
» par le livre d'un jésuite nommé
» Garasse, intitulé : Somme des véri-
» lés capitales de la religion chré-
» tienne. Feu M. l'abbé de Saint-Cy-
» ran y ayant remarqué un nombre
j> prodigieux de falsifications de l'E-
» criture et des pères , et de propo-
» sitions hérétiques et impies , crut
» que l'honneur de l'église deman-
■» dait de lui qu'il en entreprit la
i> réfutation , quoique sa modestie le
» fît résoudre en même temps à ca-
» cher son nom , comme il a toujours
» fait dans ses autres livres. La pre-
» mière partie de cet ouvrage étant
» sous la presse , le bruit qui s'en ré-
» pandit de toutes parts donna lieu
» d'examiner avec plus de soin le li-
» vre de Garasse. Le recteur de l'u-
» niversité en fit des plaintes à la fa-
» culte, qui nomma des commissai-
(11) Je crois qu'il fallait dire Tlièbes , et non
pas Lacédémone. Voyez Plutarque , dans la
Vie de Pélopidas.
(12) Voyez Colomiés, Mélanges liUtorifjues,
pag. 26.
(lî) L'auteur des Imaginaires , lettre III ,
pa>;. m. 47.
(>4) C'est-à-dire , la guerre des jésuites et
des jansénistes.
ran eut mille peines à faire lever
l'empêchement que les jésuites ap-
portaient à la publication de sa ré-
futation ; et à détromper le monde,
qui s'était laissé surprendre à l'ar-
tifice du père Garasse. 11 en vint
néanmoins à bout, et malgré toute
la cabale de la compagnie , et les
longs délais que l'on accorda au
père Garasse. Il en vint néanmoins
à bout , et malgré toute la cabale
de la compagnie , et les longs dé-
lais que l'on accorda au père Ga-
rasse pour se rétracter , son livre
fut censuré, comme contenant plu-
sieurs propositions hérétiques , er-
ronées , scandaleuses , téméraires ;
plusieurs falsifications de passages
de l'Écriture , et des saints pères ,
cites îi faux , et détournés de leur
vrai sens , et une infinité de paro-
les indignes d'être écrites , et d'être
lues par des chrétiens et par des
théologiens . Les jésuites témoignè-
rent en cette affaire quelque
sorte de prudence Ils ne s'opi-
niiHrèrent point à soutenir leur
père Garasse ; mais ils le reléguè-
rent loin de Paris en une de leurs
maisons , où l'on n'entendit plus
parler de lui; et par-là ils termi-
nèrent cette affaire. Heureux si en
assoupissant ce différent, ils eus-
sent étouffé dans leur cœur le res-
* Cabale ! s'écrient Leclcic et Joly : terme in-
jurieux qui ne prouve rien.
26
GARASSE.
» sentiment qu'ils en conçurent con-
» tre M. l'abbé de Saint-Cyran , qui
» les a depuis engagés en tant d'hoi--
» ribles excès ! »
(E) // mourut au milieu des pesti-
férés.] Cùm Pictavii sava lues gras-
saretur , multis precibus exoravit
moderatores suos, nt sibi liceret tabe
infectis inservire ; quod cùm obti-
nuisset, in iis demùm piis oiliciis ,
in bospitalidomointer infectos , quos
verbo et exemple etiam moriens hor-
tabatur , sanctissimè et religiosissimè
consumptus est(i5).
(F) Il s'était réconcilié avec
le prieur Ogier.] Dès que l'apologie
de Garasse eut paru , le prieur se
prépara à la réplique ; mais il y eut
des médiateurs de paix qui terminè-
rent ce différent. Le jésuite prévint
son antagoniste par une lettre rem-
plie d'honnêtetés. Ogier répondit de
même. Le public fut régalé de ces
lettres * aussitôt quelles eurent été
écrites (16). Le père Alcgambe a fait
ici une faute dont M. Ogier aurait
demandé réparation , s'il avait été
aussi délicat que les parens de Jansé-
nius(i7); car il résulte manifeste-
ment de lanarration d'Alegambe (18),
que M. Ogier avait été hérétique , et
qu'il s'était converti à la communion
de Rome. Sotuel n'a point corrigé la
faute du père Alegambe.
(G) et avec M. de Balzac. ]
Le narré de leur réconciliation , et
les lettres qu'ils s'entr'écrivirent , se
Aoient à la tête de la Somme théo-
logique du père Garasse.
(H) Son Rabelais réformé a été un
titre trompeur al' égard de Placcius.]
Cet auteur a fait un livre de Scriptis
et Scriptoribus anonymis alque pseu-
donymis : il a eu raison de mettre
(i5) Alegambe,Bibliotli. scriptor. sociel. Jcsu,
pag. 124. roye% aussi Lescalopier, in Cicer.,
de Nat. Deorum , Itb. I, nuin. 6/J.
* Joly reproche à Bayle «le ne pas renvoyer à
ces lettres, qui furent publiées à la date donnée
par Bayle dans la notc(i6j ; en voici le titre :
Retire dit père Garasse à M. Ogier. louchant
leur réconciliation, etc. in-i? , de soixante-dix-
sepl pages. La lettre du père Garasse finit à la
page 47 ; la réponse de M. Ogier commence à la
page 4g.
(i6) En Van iCa4-
(17) Voyez leurs Factums contre le jésuite
Ha/art.
(18) 11 met entre les livres du père Garasse ,
Littera ad dominum Ogier, et hujus ad illum,
<i<- tud eum eeclesid reconciliatione.. Alegamb.,
liibliolli. scriptor. societ. Jesu , pag. 124.
François Garasse au nombre des écri-
vains anonymes ; car il y a divers
ouvrages de ce jésuite où l'auteur ne
mit point son nom. Tel fut le livre
qu'il intitula Le Rabelais réformé.
M. Placcius s'imagine que Garasse fit
à l'égard de Rabelais ce que plusieurs
ont pratiqué envers Martial et Ca-
tulle, qu'ils ont donnés au public
après en avoir retranché toutes les
paroles sales. Les œuvres de Rabelais ,
dit-il (19) , ut utjucunda , sic obscœ-
nis aliisque scandalosis plena, casti-
gata imo castrata, titulo Rabelasii re-
formati , Pictavii et Bruxellis in-8°.
nomine reformantis Francisci Garas-
si, scriptis aliis notissimi jesuitœ Galli,
non adjeclo prodiére , docente Ale-
gambe pag. 124. La vérité est que le
Rabelais réformé du père Garasse est
un livre de controverse , où il parle
satiriquement de plusieurs ministres,
et surtout de Pierre du Moulin , qu'il
accuse d'être imitateur de Rabelais ,
le titre *.
(I) // employa contre les poètes
une maxime qui est dans le fond très-
bonne ; mais on la tourna contre lui-
même.'] Voici comment il débute dans
la réfutation d'un sonnet de Théo-
phile. « Pour répondre à ces impié-
» tés il faut que par anticipation j'é-
» nerve une folle et faible défense
» que plusieurs ont en bouche , tou-
» chant les impiétés de cet écrivain ;
» car pourvu qu'ils puissent avoir dit
» que c'est en poésie que telles cho-
» ses sont dites , il leur semble que
» le crime est avantageusement cou-
» vert , d'autant que ce n'est point
» en prose , comme si la rime devait
» effacer toutes les impiétés et licen-
» cier les esprits à prononcer des
» blasphèmes. 11 est vrai que ces im-
» piétés et impertinences que je dois
» combattre sont en poésie , je le
» vois bien ; mais c'est pour cela que
n je les estime plus coupables que si
» seulement elles étaient en prose •
» car elles en sont d'autant plus étu-
» (liées, recherchées, pensées pro-
» fondement, et par conséquent avec
(19) Placcius, de Anonymis, cap. XIV, num.
4GH,' pag. iii.
* La première édition du Rabelais ré formé fut ,
dit Joly , laite à Bruxelles, 1619, i7i'-8°.
GARASSE.
27
» des termes plus efficaces, plus puis- aisément persuader une he're'sie de'
» sans, plus élabores , qui font plus bitéepar un poète, qu'une hérésie de
» d'empreinte dans les esprits des
» lecteurs. Cléanthe n'avait-il pas
)> coutume de dire que la voix qui
» sort d'une flûte et d'une trompet-
» te, est plus puissante que celle qui
» sort simplement par la bouche ; et
» que les pense'es qui se lancent par
» une poe'sie bien faite sont beau-
» coup plus raides , plus durables ,
» plus fortes , que celles qui s'expri-
» ment par une pe'riode de prose , où
» les paroles sont ordinairement lan-
» guissantes ? J'ai satisfait amplement
» à cette objection ridicule dans le
» XXe. chapitre de mon apologie ,
» où j'ai fait voir qu'une impiété
» faite en poésie n'est que d'autant
» plus pernicieuse (20). » Prenez
bien garde que j'ai dit que dans le
fond cette maxime est très-bonne ;
car je ne prétends pas l'adopter aussi
ge'ne'ralementque ce jésuite l'adopte,
ni par toutes les raisons qu'il allègue.
Je suis très-persuadé qu'en mille ren-
contres il y a beaucoup moins de
mal à débiter une méchante morale
en vers qu'à la débiter en prose , et
qu'il faut rabattre beaucoup de la
pesanteur d'une censure , par la rai-
son que c'est un poè'te qui parle. Un
bitée en chaire , ou dans un écrit
dogmatique. Je n'adopte donc point
les raisons du père Garasse , quoique
je convienne du gros et du fond de
son hypothèse : c'est qu'une mauvaise
maxime , ou contre les bonnes mœurs,
ou contre les dogmes spéculatifs de
la foi , est très-condamnable dans
quelque sorte de poésie qu'on la pro-
pose. Je conviens aussi que la licence
qu'un poè'te se donne d'étaler plu-
sieurs pensées contre la morale et
contre la religion , peut produire de
mauvais effets. J'avoue même que les
agrémens de la poe'sie rendent quel-
quefois plus pernicieux un venin
qu'il ne le serait en prose. On ne sau-
rait assez déplorer les maux que les
impiétés poétiques d'Homère et de
ses imitateurs introduisirent dans
le paganisme. Les personnes éclairées
connurent bien cette source , et s'en
plaignirent hautement. Ils murmu-
rèrent avec raison de ce que les poè-
tes imputaient aux dieux les mêmes
crimes qui se commettent sur la terre
(21). J'ai cité ailleurs (22) un endroit
de Platon , et voici un beau passage
de Cicéron. IVec enim mullo absw'-
iliora sunt ea quœ , poëtarum rocibus
homme qui soutiendrait dogmatique- fusa , ipsâ suauitate nocuerunt , qui
ment des propositions hérétiques, se-
rait cent fois plus criminel que s'il
les mêlait dans une pièce de poé-
sie : il y a tel poè'me où l'auteur
avance mille choses qu'il ne croit pas,
et qu'il ne voudrait jamais réduire
en thèses à soutenir contre tout ve-
nant, et que même il ne dirait pas en
vers , s'il croyait que ses lecteurs le
considérassent, non pas comme un
jeu d'esprit, mais comme des dog-
mes, ou des articles de foi. Il prend
plus de peine , je l'avoue , à les tour-
ner et à les orner , que s'il les disait
en prose; il y applique donc plus
fortement son esprit ; il y médite
plus profondément ; mais enfin ce
n'est pas toujours l'image fidèle de
ce qui se passe dans son cœur : il ne
prétend point donner , ni sa confes-
sion de foi , ni un modèle de créance
à ceux qui le lisent ; et il faut tom-
ber d'accord que les hommes ne sont
pas si dupes , qu'ils se laissent aussi
(20) Garasse, Sonrce théologique , pag. 3^0.
et ira inflammalos , et libidine j ure ri-
tes induxerunt Deos , feceruntque ut
eoruni bella, prœlia, pugnas , uul-
nera videremus : odia prœterea , dis-
sidia , discordias , ortus , interilus ,
querelas , laiuentation.es , effusas in
onini intemperantid libidines , adul-
teria , vincula , cum humano génère
concubitus , mortalesqueer immortali
procrealos (23). Les pièces de théâtre,
où les dieux étaient représentés si
indignement , excitaient mille pas-
sions déréglées. Cicéron ne le dissi-
mula point ; saint Augustin se forti-
fia de son témoignage. Quomodo
tanta animi et morum mala , bonis
prœceptis et legibus , vel imminent ta
prohibèrent , vel insita extirpanda
(21) Voyez dans Z'Anti-Baillet de M. Mina-
ge, a la page 227 du l". tome , quelques vers
de Xénopuane , rapportes par Se*tus Erapiri-
cus , pag. 57, et 34i, advers. Malhematicos.
Voyez aussi Forcatiilus, «le Gallorum Imperio
et pliilosopli. , lib. IV, pag. m. 53-r
(22) Dans la remarque (\) de l'article J DN os .
(23) Ch cio , de Nat. Deorum, lib. I , cap.
XVI.
28 GARASSE.
cuivrent Du taies ? qui etiam semi- leur autorité est douteuse , et n'a pas
nandaetaugendaflagitiacuraverunt, assez de poids pour nuire; et c'est à
talia vel sua, veî quasi suafacta per nous à choisir ce qu'ils avancent, pour
theatricas celebritates populis innotes- le bon parti. AÎ S\ to» 7twt£v V7n-
cere cupienles : ut tanquam autoritate v*vtio)3-8iç 7rpoç a.ôroùç oLvra.va.qécoi/0-at.t
divind sud sponte nequissima libido t«v ttiç'iv , oùk iwnv i<rXfpà,v pow«v yt~
accenderetur humana : frustra hoc vzrôiti 7rpoç to /2k*ttov. ottou y.h dùv
exclamante Cicérone , qui ciim de ctùroTç to tiÔsv«.i o-uvîyyt/ç è»<^>avj7ç 7ron7
poêlis ageret , ad quos chm accessis- to.ç oLvrtXoyi&ç , $n t» ^êXTiov» o-uvn-
set,inquit: Clamor et approbatio po- yopm. Poëtarumquoquecontradictio-
puli , quasi ma g ni cujusdam et sa- nés quibus fidem dictorum dubiam
pientis magistri , quas illi obducunt J'aciant , non sinunl ea ad nocenduiu
lenebras? quos invehunt metus ? quas satis momenti habere. Ubi ergojux-
inflammant cupiditates (24.) ? Cice'ron ta se posita contraria dicta apud illos
se plaint, dans l'un de ses livres, que evidenler sunt, meliori parti adstipu-
la lecture des poètes amollit le cœur, landum est (29). Cet expédient de
et affaiblit tous les nerfs de la vertu. Plutarque n'est pas un fort bon re-
Videsne poëtœ quid mali afferant ? mède ; car la corruption du cœur
Lamentantes inducunt fortissimos vi- nous porte plutôt à choisir ce que les
ros. Molliunt animos nostros , ila poètes avancent en faveur du vice ,
sunt. deindè dulces , ut non legantur qu'à choisir ce qu'il avancent en fa-
modo sed etiam ediscantur. Sic ad veur de la vertu. Outre cela , leurs
malam do/nesticam disciplinant, vi- contradictions portent à juger que
tamque umbratilem , et delicatam leurs maximes les plus graves et les
quhm accesserunt etiam poëtœ , ner- plus dévotes, ne sont que des jeux
vos omnis virlutis elidunt. Jîectè igi- d'esprit, et qu'ils n'en sont point per-
lur a Platone educuntur ex ed civi- suade's. On s'imagine qu'ils ne les
taie , quam Jinxit ille quiim mores étalent que parce qu'ils ont trouvé
optimos , et optimum reip. statum ex- là une matière susceptible d'une belle
quireret (25). Tout aussitôt après il forme, et de toute la majesté de la
observe comme un grand abus la poésie. Effectivement , il y a des
coutume qu'on avait de faire appren- poètes qui, sans avoir aucune piété
die de tels auteurs à la jeunesse ro- ni aucune foi, ont fait des vers ma-
maine (26). Plutarque n'en jugeait gnifiques et admirables sur les véri-
pas de la sorte ; il croyait que lalec- tés les plus sublimes de la religion,
ture des poètes pouvait servir de Ils choisissaient ce sujet , parce qu'il
beaucoup (27) ; mais il est pourtant leur donnait lieu d'étaler les plus
contraint d'avouer que ce n'est qu'à belles phrases , et les plus brillantes
cause qu'ils se contredisent (28). figures de l'art. Un autre jour ils
Leurs dogmes , dit-il , sont tantôt choisiraient une matière toute con-
bons et tantôt mauvais, tantôt im- traire, pourvu qu'elle favorisât les
pies et tantôt pieux. Cela fait que enthousiasmes de leur imagination ;
, ,, , , _. . „ . ,„ „ je veux dire pourvu qu'elle leur
(î4)August. , de Civil. Dei, hb. II, cap. 'V ,. 1 . j î ,.-, n
Xir,pag. m. ,88. Ce que dit ici Cicéron ne fournit des idées qu il se crussent
te trouve point dans les livres qui nous restent propres à bien exprimer. Quel poids
peut avoir la bonne doctrine que
l'on trouve dans des auteurs que l'on
croit ainsi tournés ?
Disons en passant que la poésie
JZle'rr?,"01 d°C'i 7 " %?*' hT moderne a excité beaucoup de mur-
et a pueruia legimus et discimus. Hanc erudi- T, . , ... * /0 ,
lionem liberalem et doctrinam pulamus. Idem, mures. J ai l'apporte ailleurs (Jo) les
ibidem.
(2-7) Voyez le Traite' de Plutarque , de Au-
diendis Poétis.
(28) Ceci rappellera la mémoire de ce qu'a
dit M. S. mu m dans la page in? de son Examen
de la Théologie de M. Jurieu. // n'y a rien de
quoi !H, Jurieu ait plus lieu de se féliciter , que
de tes contradictions perpétuelles , parce que
• est a la faveur de ces contradictions qu'il est
vrtlwdoxe.
poi
de lui; mais voyez ce qu'il dit contre lei pièce;
de théâtre. Tuscul. Quœst. , lib. IV , cap
XXXII.
(■25) Cicero, Tuscul. Quœsl. , lib. II, cap
XI. , .
plaintes que M. de Thou et M. de
Mézerai ont poussées contre les poè-
tes de la cour de Henri II. J'aurais
pu citer aussi le sieur de la Planche,
(2f)) Plutarque , de Audiendis Poétis , pag.
20 , C.
(3o) Dans les Pensées diverses sur les Co-
mètes, num. ia6 , pag. 56<>.
GARASSE.
car voici un bon endroit de son ou-
vrage. Ce qui aggrava en cejaict l'ire
dresse à Neptune , et à The'tis , qu'il
appelle numina , et où il apostrophe
la nature comme une déesse. On le
renvoie à sa propre maxime , et aux
rétractations de saint Augustin. Ce
grand saint se repentit (37) d'avoir
donne aux muses le nom de déesses ,
quoiqu'il ne l'ait fait que par jeu d'es-
prit. On censure le même Garasse
d'avoir réveillé des idées paganiques
et impudiques, dans le poème qu'il
avait l'ait en forme d'épithalame, du
occasion de toute meschanceté , ce qui verbe et de la nature humaine. Je ne
s'est trouvé principalement en cer- dis rien des reproches qu'on lui fait
tains grands esprits, adonnez a la touchant ses prières en prose *, où
poésie francoise , qui lors vindrent a il parla des erreurs d'Ulysse , et des
sourdre comme par troupes : les es- lauriers de Thrace et de son talent
crits desquels ords et sales , et remplis pour la poésie.
de blasphèmes , sont d'autant plus (K) On le censura d'avoir
détestables , qu'ils sont emmiellez de allégué des passages malhonnêtes. ]
tous allechemens qui peuvent faire Il ne pardonne à aucunes saletés et dé
de Dieu ,fut que la cognoissance des
bonnes lettres ( moyen singulier or-
donné de Dieu pour apprendre a le
cognoislre deuemenl , et par consé-
quent pour la conservation du genre
humain ) ayant esté ramenée en
France par le roy François , plus
anobly par cela que pour autre
chose advenue de son temps , se tour-
na aux esprits malins et curieux en
glisser, non-seulement en toute eilai
laine et puante lubricité, mais aussi
en toute horrible impiété, tous ceux
qui les ont entre mains (3i). Joignez
à tout cela les plaintes amères de
bauches , disait-on (38) , lesquelles il
ne peut savoir si exactement sans les
avoir pratiquées. Il répondit (3g) que
c'était fort mal raisonner , et le mon-
tra entre autes exemples par celui
Gabriel de Puy-Herbeau (3a) , et les des jurisconsultes j qui couchent au
raisons qui engagèrent le pape Ha- long les brigandages avenus , jugés ,
drien VI à ne point favoriser les poè- et condamnés par la cour (£0) , et ne
._ par te menu toutes les espe
le Berger extravagant (34). d'impudicité , depuis les simples pen-
Voyons à cette heure comment le sées jusqu'aux incestes et brutalités.
principe du père Garasse fut employé Lesquelles ils ne savent que par la
contre lui. On (35) le censura d'avoir théorie, et par le rapport des mé-
fait des vers qui contenaient une chans(ix). « On lui allégua (4^ ) que
chose impie . et on l'avertit de se
souvenir de ses paroles , que la rime
n efface pas les impiétés-. •• ; et qu'une
impiété faite en poésie n'en est que
d'autant plus pernicieuse. On blâme
(36") les vers latins qu'il avait faits à
la louange du Soleil, et où il s'était
servi des termes les plus idolâtres.
On n'épargne pas les vers où il s'a-
(3i) Histoire de l'état de France , tant de la
république que de la religion , sous le règne de
François II , pag. 7 , e'dit. de 1576, m-8°.
(3î) Gabriel Putberbeus , in Tbeotimo , sive
de tollen.lis et cxpnrgandis malis libris , lit, I,
pag. 77 , edit. Paris., 1 54ç) , in-8°. Voyez Voe-
uus , Députât, theoiog. , loin. II, pag. \i',t\.
^3) Voyez ta remarque \0) de l'article Ha-
drien VI.
(341 .4 la page 644 , 73? , ei alibi.
(35) L'abbe' de Saint-Cvran , Somme des faus-
setés capitales contenues en la Somme de Garasse,
loin- IV, pag. 34*
(36) L'a mente, pag. 102.
» saint Augustin ditfort élégamment,
» que de pudendis rébus cogit ne-
» cessitas loqui , honestas circumlo-
» qui. Que l'infirmité et la nécessité
» de l'homme l'obligent à parler sou-
» vent de choses sales et déshonnêtes:
» mais que l'honnêteté lui commande
» d'en parler avec circonlocution et
» périphrase. » Voici son apologie
(43) : « Pour laisser une centaine
(37) Augnst. , Rétractât. , Itb. I, cap. III.
* Joly remarque que ces prières se trouvent
dans la Somme lliéologique , a la fin de chaque
livre et de quelques ebapitres.
(38) Jugement de la Doctrine curieuse, iîan
un extrait de la lettre de L. R L.
(3g) Garasse, Apologie, chap. VIII, pag.
m. 9».
(4o) Là même , pag. 92.
(40 Là même.
(42) Jugement de la Doctrine curieuse, chap.
IV, pag. 3i), 4o.
(43} Garasse, Apologie, chap. IX, pag.
109 , 110.
3o
GARASSE.
» d'exemples de cet incomparable les livres ne pouvaient se communi-
ai docteur , auxquels il parle du dieu quer si facilement qu ils font à pré-
» Stercutius et Cloacina sa parente , sent par la commodité de l' impression
» il dit des paroles bien plus mate'- (5i) , et les chrétiens et catholiques
» rielles que celles qu'ils reprennent menaient une vie angélique Ils
» en moi , qui n'y songeai jamais eussent envisagé ces vilenies et ouï
j> aucune impureté'. Qu'ils me ré- toutes ces profanations avec une
» pondent à cette observation de saint détest ation et une aversion incroya-
» Augustin, au livre \l\ de la Cité de Mes (5a) . Aucune de ces circonstances
» Dieu, chap. i^. Nonnulliabimosine ne peut excuser Garasse. 11 ne ré-
» pudore ullo lam numerosos edunt
■» sonitus , ut etiam ex illâ parte can-
j) tare videantur ; et ceux qui rap-
)i portent les gentilles observations de
» Vives touchant cet âne qui avait
» bu la lune , pour me faire voir mes
» ânerics prétendues , qu'ils pren-
» nent la peine de voir les paroles de
» Vives sur ce chapitre , touchant ce
» jeune Allemand qui faisait des
j) merveilles de ce côté-là ». Il avait
dit dans son livre (44) <]ue publiant
ces maximes d'impiété il ne faisait
rien qui n'eiît été pratiqué par les
saints et par les pères de l'église pri-
mitive contre les gnostiques etlescar-
pocratiens (45). Son critique (4^)
trouva trois disparités dans cette
comparaison : la première est que
les gnostiques et les carpocratiens
enseignaient comme des articles de
foi ce que les pères leur attribuent.
11 était donc nécessaire de réfuter , et
pondit pas exactement : il supposa
que la première disparité consistait
en ce que les pères étaient forcés de
publier ces abominations , d'autant
qu'elles étaient publiques et comme
autorisées par le monde (53) ; et il
répondit que « jamais les impudicités
» de Carpocras ne furent si connues
» dans les villes de la Grèce que les
» impudicités de Viaud , les blas-
» phemes de Lucilio , et les impiétés
» de Charron sont connues par la
» France (54).» Vous voyez qu'il ou-
blie le principal point de la diffé-
rence ; car les impiétés et les saletés
de Théophile n'étaient soutenues de
personne comme des dogmes de reli-
gion. Cela n'empêchait pas qu'on ne
fût en droit de les réfuter : et je
m'étonne que Garasse n'ait point dit
qu'une faction de débauchés , qui
publient effrontément des maximes
de profanation et d'impureté pour
par conséquent de rapporter, ces vi- corrompre la jeunesse , ne mérite
lenies. Mais les profanations rajipor
tées par Garasse sont seulement ac-
tions et paroles d'esprits débauchés
et enragés, qui n'avoueraient jamais
de les avoir ni dites ni commises (fa).
La seconde est que les pères ne rap-
portent qu'à contre -cœur les héré-
sies impures qu'ils sont obligés de ré-
futer. Garasse au contraire a ramas-
sé gaiement une montjoie d'ordures
(48). En troisième lieu , les pères écri-
pas plus de support que des héréti-
ques dogmatisans ; qu'il faut donc
crier contre les livres de ces débau-
chés , et en citer des passages ,
aiîn de ne laisser point soupçonner
qu'on les calomnie. Il n'a rien dit
sur la seconde disparité, et il as-
sure même (55) que son censeur
n'en a allégué que deux. Il pouvait
néanmoins se défendre en deux ma-
nières : en niant que de gaieté de
vaient ponrles gens doctes (49)- Saint cœur il eut ramassé des ordures; et
Irénée , évêque de Lyon , écrivit en en soutenant que la répugnance,
grec, qui n'était ni la langue de l'em- avec laquelle les anciens pères en
grec, q
pire d'Occident, ni celle de la Gaule
en particulier (5o). En ce temps - là
(4V Voyez la Doctrine curieuse, liv. II,
sect. XV.
(45) Apologie de Garasse , chap. XII, pag.
i5x.
C46) Jugement Je la Doctrine curieuse, chap.
IX , pat;. 106 et suiv.
(47) Là même, pag. 108.
l48) I.à même, pag. lia.
(49) /." mime, pag. n4-
1 1. ciiient de la Doclrine curieuse, chap.
IX. pat; 11 5.
étalaient , ne pourrait pas les discul-
per, si, au fond, c'était une chose per-
nicieuse et criminelle. Il attaque
fortement la troisième disparité ;
c'est là qu'il triomphe. Elle est fausse
(5i) là même , p"g. 117.
(5a) /.ii même , pag. »i8.
(53) Garasse, Apologie, chap. XII , pag.
i5i.
(54) Là même, pag. i5i.
(55) Là même , pag. i5i.
GARASSE.
3i
et ridicule , dit-il (56) , car le cen-
seur « dit que les anciens pères , qui
» ont publié par leurs écrits las abo-
>: minatious et turpitudes des car-
» pocratiens , le faisaient non pas en
» langue maternelle , mais en lan-
» gage inconnu , et pratiqué de
j> peu de monde ; et que c'était seu-
» lement pour les savans : et de sa
)> raison il nous pose une merveil-
» leuse instance , d'autant que , dit-
» il , saint Irénée, évêque de Lyon ,
» n'a pas écrit en latin , qui était
•» la langue connue pour lors en
» France , mais il écrivit en grec ,
» pour n'être point entendu du vul-
» gaire et pour n'exposer le> % ile-
» nies des hérétiques à la conuais-
» sance de tout le monde. Or, que
» saint Irénée ait écrit en grec , je
» ne le veux pas révoquer en doute ,
» je le sais bien , grâces à Dieu ;
» mais je dis que ce ne fut pas pour
» la raison qu'allègue notre prieur ,
» ains pource qu'il était Grec d'ori-
» gine , comme son nom le témoigne,
m et qu'il avait cette langue plus fa-
» milière que la latine : car , à ce
» compte, si la raison alléguée par no-
» tre prieur était recevable, il faudrait
» que saint Ëpipbane et Théodoret ,
» qui étaient Grecs de nation , et qui
» écrivaient, parmi les Grecs, les im-
» piétés et turpitudes des athéistes et
» hérétiques de leur temps , eussent
» écrit en latin ou en allemand ,
» pour n'être point entendus de la
» populace ■ et cependant ils ont
» écrit en grec familier à tout le peu-
» pie de cette nation , plus d'abomi-
'> nations qu'il n'y en a dans quinze
» volumes aussi gros que le mien.
» Mais que dirait notre homme du
» docteur Cocldée , qui a fait en al-
» lemand un livre nommé Lutber à
» sept têtes , qui fut depuis traduit
» en latin, auquel il rapporte en bon
» allemand , parlant aux Allemands,
>' toutes les impuretés que Luther
» avait semées dans les Allemagnes ,
" jusqu'à produire les proverbes in-
" filmes et les horribles dictons que
" les femmes impudiques avaient en
» bouche , voir jusque-là qu'il dit
» qu'en toutes les villes d'Allemagne
" on ne parlait plus qu'un certain
8 jargon de maquerellage ; et cotte
" les particularités , que je ne pro-
(50) LU même, pag. i53 et suiv.
» duis point , quoique je ne les igno-
» re pas , pour les avoir lues dans le
» livre de ce docteur, avec quelque
» frisson d'horreur, tant elles sont
» profanes et vilaines. »
Notez qu'il nie qu'il se soit servi
du mot lavement au sens nouveau
(57). A cette parole , dit-il (58) , mes
ennemis s'écrient que j'ai des paroles
àéshonnétes en bouche, et que je suis
sans honte : a quoi je réponds
pour ma justification , qu'ils me font
l>lus savant et moins innocent que je
ne suis ; car ils s'imaginent que je
suis versé dans les façons de parler
des médecins et apothicaires , et grâ-
ces h Dieu je n'y entends rien pour
tout, que ce que le commun des hom-
mes y peut entendre. Par le mot de
Lavement^'e n'entends autre chose que
ce que j'ai appris grossièrement par
l'usage ordinaire du peuple et des
anciens livres de médecine , qui ne
sont pas si fins que les modernes ;
car dans les vieilles versions françai-
ses de Lomhardus Fuschius , je vois
que le mot de Lavement ne se prend
que pour les gargarisâtes , comme
quand il dit au cinquième , que, poul-
ie mal de dents , il faut prendre un
lavement d'eau de plantin , et en gar-
gariser la bouche. Que si les apothi-
caires modernes , pour faire les douil-
lets, ont profané ce mol, je ne suis
pas obligé de m'en servir a leur usa-
ge messéant : cai' autrement il fau-
drait que quand je parle de l'hypo-
stase en matière de théologie , je me
gardasse d'usurper ce terme , d'au-
tant que les apothicaires l'ont profané,
l'appliquant avec déshonneur aux
urines de leurs malades; et par con-
séquent , si je prends une comparai-
son de l'hrpostase , il faudra qu'on
m'accuse de parler avec impureté.
C'est faire bien le délicat et l'inno-
cent, que de nier que l'on entende
le sens moderne du mot lavement ,
mot qui n'a été inventé que pour
succéder à d'autres termes trop gros-
siers. Il a été long-temps à la mode
parmi les personnes les plus polies.
On commence à s'en dégoûter (5g).
(57) On ne trouve point lavement ait <ens de
clyslère dans Nicod . ni dans Monet , dont j'ai
l'édition de Van i635.
(58) Garasse, Apologie , chap. IX, pag. 106,
107.
(5r)ï l'oyez, tome XV, /'Eclaircissement snr
les Oh-cénilés , an paragraphe IX
32 GARDIE.
GARDIE ( Pontus de la), que les Danois , les Polonais , et
grand maréchal des armées de la ville de Lubec déclarèrent à la
Suède, sous le roi Jean III, était Suède , soit à cause de la mésin-
un gentilhomme français d'une telligence du roi avec Jean duc de
naissanceplus illustre que ne l'ont Finlandie, son frère. Ce feu, ca-
dit quelques auteurs (A). Il (a) ché au commencement, avait en-
futdestinépar son père à l'état ec- fin éclaté. Le duc et sa femme ,
clésiastique dans le monastère de sœur de Sigismond-Auguste , roi
Montoliou, au diocèse de Carcas- de Pologne, avaient été enfermés
sonne ; mais l'ardeur de son cou- dans une prison ; plusieurs per-
rage ne lui permit pas de souffrir sonnes suspectes de leur être
long-temps cette clôture ; il en favorables furent maltraitées : le
sortit bientôt pour s'en aller à roi se porta à de grands excès
la guerre. Il fit ses premières de cruauté; mais comme il sut
armes dans le Piémont, sous le que l'on commençait à dire que
maréchal de Brissac , puis il pas- de droit il était déchu du gou-
sa en Ecosse avec les troupes que vernement (d) , il affecta de don-
Henri II y envoya sous la con- ner un grand exemple de dé-
duite de Henri Clutin d'Oisel , mence , en redonnant à son
pour secourir la reine-mère con- frère son premier état , et en
tre ses sujets. Cette guerre d'E- mettant auprès de lui un sei-
cosse ayant été terminé, il passa gneur de tête et brave (B), qui
en Danemarck , et se signala pût lui rendre en toutes rencon-
dans les armées du roi Fridéric très les services nécessaires. Ce
II , contre Eric, roi de Suède, fut notre Pontus de la Gardie.
Il changea de maître quelque Quelque temps après , on crut
temps après; car ayant obtenu que le roi avait dessein de se dé-
un congé très-honorable du roi faire de tous ses frères pendant
de Danemarck , il s'attacha au la solennité de ses noces. C'est
service du roi de Suède (b). Ce pourquoi on les exhorta à n'y
fut l'an i565. On l'envoya en point aller , et à délivrer le
France l'année suivante avec un royaume de l'oppression (C). Ils
autre ambassadeur, pour deman- écoutèrent ce conseil, ils cou-
der à Charles IX la permission rurent par toutes les provinces ,
de lever des troupes dans son ils y levèrent du monde, et se
royaume : cette affaire fut si mirent en état de destituer le
bien conduite , qu'ils amenèrent
en Suède trois mille hommes de
pied, et mitant de cavaliers (c).
Ils trouvèrent à leur retour les
roi. On marcha droit à Stock-
holm : on y entra, et après quel-
ques conférences , et quelques
escarmouches où la Gardie , l'un
affaires de ce pays-là en mauvais des chefs des troupes de Jean ,
état, soit à cause de la guerre duc de Finlandie, fut blessé au
, t„. , „, ,. » , • bras , on vint à bout de l'aflàire.
<i) Mezerai, apud Glaudium Arrhenium '
QEmbielin, in Vità Ponti de la Gardie,
pag. II. {d) Cette post palvatas innneentium mul-
' Claud. Arilicniiis OErnbielm , in Vitâ torum cmdes , jam non obscùrœferebantur
Ponti de la Gardie, pag. il. coces populi, regnandi jure excidisse un-
ibidem, pag. \l\ , i5. mitem principem. Idem, ibidem, pag. 16.
GARDIE. 33
Le roi Éric fut détrôné, et mis quelques villes impériales, etc.,
eu prison, l'an i568. Jean, son et puis à la cour de Rodolphe,
frère , fut élu pour lui succéder , qui venait d'être créé empereur,
et il donna tout aussitôt à la II passa ensuite les Alpes pour
Gardie la qualité de grand-mai- aller â Rome, où il eut diverses
tre de sa maison , et lui commit audiences de Grégoire XIII,
tous les soins du couronnement, après quoi il fut à INaples pour
qui ne se fit que le 10 de juillet retirer ce qui était dû à son maî-
i56q Personne n'avait plus con- tre (h) par rapport aux biens de
tribué que la Gardie au bon succès Bonne Sforce, mère de la reine
de cette révolution. Sa vigilance, de Suède. Il revint à Rome, et
son adresse , sa fermeté y éclate- y conféra quelquefois avec le car-
rent admirablement. Le nouveau dinal Hosius; mais on ne sait
roi n'ayant pu conclure une bon- point de quelles affaires il traita
ne paix avec celui deDauemarck avec le pape (i) (D). Il ne fut de
marcha contre lui. Il se donna retour à Stockholm qu'au bout
une bataille ou la Gardie, fort de dix-neuf mois. Il épousa, au
blessé, fut fait prisonnier. Il ne mois de janvier i58o , une fille
recouvra sa liberté que par le naturelle du roi de Suède, et il
traité de paix ratifié le 16 de reçut ordre, quelques mois après,
mars iS^i. Il avait été fait che- de faire irruption sur les états
valier (e) le jour du couronne- du grand-duc de Moscovie , avec
ment , et il acquit un nouveau toutes les troupes qu'il trouve-
titre le 27 de juillet 1571. Ce rait dans la Finlandie et dans
fut celui de baron d'Eckholm , les provinces voisines. Il fit cet-
avec de grands biens attribués à te expédition en qualité de géné-
ce titre. En même temps il fut rai [kj : ses instructions porte—
en-voyé {f) en ambassade avec rent entre autres choses (/) ,
deux autres à quelques villes im- qu'on ne ferait aucun mal aux
pénales, à l'évêque de Munster, Moscovites qui se soumettraient,
au comte d'Oostfrise , au duc et qu'on laisserait aux moines et
d'Albe , au roi de France, au aux religieuses une pleine liber-
roi de JNavarre , au roi d'Espa- té de conscience, sans leur ôter
gne ; et peu après son retour, les images, ni les autres meubles
il fut employé aux affaires de de religion (E;. Il se rendit maî-
la guerre , car on l'envoya en tre de la proviuce de Carélie en
Livonie au mois d'août 1673, fort peu de temps (m). Il fut
pour arrêter les progrès du fait (n) gouverneur de Livonie
grand-duc de Moscovie [g). On et d'Ingne l'année suivante , et
le rappela trois ans après pour il continua ses conquêtes sur les
lui confier une ambassade im- Moscovites avec beaucoup de
portante dont il s'acquitta très—
bien. 11 négocia d'abord avec ^SZ\mSl\%^.
(tySummi militia prœfecti titulo. Idem ,
(fi) Etptes auratus. OErnhielm, in Vitâ P. ibid. prie i-\.
de ia Gardie, pag. 19. (f)'ld,m, ibidem, pag. 17».
{/ Idem, ibid. , pag. 23. (m) Idem, ibid , pag. 176.
(g) Idem, ibid., pag. m. [ri) Ibidem , pag, I78.
TOME VU.
3
34 GARDIE.
bonheur et de prudence. Il leur sortit, du côté des femmes , le mare-
a^ iv . *„ „li/-o An Narra chai de Bellegarde, gouverneur du
ota 1 importante place ae nerva . , g . » o
" 1 r , , marquisat de Saluées , sous Henri JII
et plusieurs autres ; et [o) les (2) Vous trouvez sur tout cela un
obligea en i5S3 à consentir à détail circonstancié dans la Vie de
une trêve de trois ans , sans Pontus de la Gardie , composée par
,i ,llt„,.i0n( ««/.un*» Aoa M. OErnhielm, historiographe deSuè-
qu ils recouviassent aucune des -. .,.', ,, » rl ,.
... j TI de, et publiée 1 an îoqo. 11 cite
villes quils avaient perdues. Il M de Thou qui a dit : Pontus Gar-
s'occupa pendant celte trêve aux dius nobili loco apud nos in Pe-
moyens les plus capables de faire trocorus natus (3) , et M. de Mézerai
a • c^,, rr^,-.„c.marr,an* Tl Tut dont il traduit les paroles en cette
fleura son gouvernement, il lut „ i . n ,. , .
. ,° il'- manière : Pater ejus ( Ponti de la
aussi (p) le second plenipoten- Gardii ) illastri domo arias propè
liaire de Suède dans les confé— Ruesium in Septimanid. 11 croit sans
rences qui se tinrent à Pernovie, raison que les Petricorii : de M. de
l'an 1 585, avec les ambassadeurs Jhou sont présentement une partie
du Languedoc (4) : il eut mieux lait
de critiquer ce fameux historien ,
qui sans doute a voulu dire que Pon-
tus de la Gardie était né dans le Pé-
rigord , ce qui n'est pas vrai. Sa faute
peut-être vient de ce qu'il avait ouï
dire que Pontus était né à Peiregoux.
C'est une seigneurie au diocèse de
Castres : elle appartenait à la famille
de la Gardie , et c'était toujours le
partage de l'aîné. M. OErnhielm le
remarque (5) , et il ajoute que la
de Pologne, pour la paix des deux
royaumes : elles furent bientôt
rompues; après quoi on négocia
avec les ambassadeurs de Mosco-
vie , ou pour la prolongation de
la trêve, ou pour un traité de
paix. Il périt, malheureusement
dans une rivière (F), pendant le
cours de ces négociations, le 5 de
novembre i585(«y). On l'enterra Gardie est située entre Castres et
à lievel , où quatre ans après ou l'albigeois. C'est une erreur pardon-
, • c. . • , l. j nahle a une personne si éloignée de
lui fit construire un tombeau de ce là £astres ^ dans8rAlbi_
marbre (r). Sa postérité est en- geois ; ainsi la situation de la Gardie
core très-florissante dans la Suède n'a pas été bien désignée : il la fallait
(G). Je dirai ailleurs (s) quelque marquer au diocèse de Carcassone.
■ i ,. . , • i„ Quoi qu il en soit, on î
chosequiadurapportacetarticle. ^ ^ mUjw ^ non
(o) OErnhielm, in Vilâ Ponti de la Gar-
die , pag. 190.
(p) Idem, ibid. , pag-. 19S.
(1/) li/cm, ibid. , pag. 2l3.
(/*) Idem , ibid. , pag . 21^.
(s) Dans l'article Typot , remarque (A.) ,
loin. xir.
(A) // était d'une naissance plus
illustre t/ue ne l'ont dit quelques au-
teurs.] On a pu prouver certaine-
ment qu'il étail issu de Robert de la
Gakdie , seigneur de Russol et de la
Gardie, qui épousa, en i3b'2, Anne de
l'Kstandart. Les successeurs de ce Ro-
Ix'il jusques à Jacques de la Gakdie,
père de notre Pontus et mari de
Catherine de Sainte - Colombe ( i )',
s'allièrent avec des familles très-no-
bles et très-anciennes , et nommé-
ment avec celle de Bellegarde , dont
{ijit l'Spoutal'an iSxt, ' ,
ne peut nier
cite deux
historiens français fort illustres , qui
témoignent que Pontus de la Gardie
était de bonne maison. 11 est encore
très-vrai qu'il censure justement le
père Maimbourg, qui a dit que la
fortune prit plaisir d'élever Pontus
de la Gardie d'une naissance assez
biis.se aux premières charges du royau-
me de Suéde. En effet, ayant quitté
le village d'où il était, près de Rieux
en Languedoc , il suivit les armes oh
son inclination te portait , et fut
(2) M. OF.rnliielm , m Vitâ Ponti de la Gar-
die, pag. S, dit qu'il l'avait déjà ''te' sous
François Ier. el Henri II, et qu'il obtint ./.-
Henri III la charge de grand-cetner dr
France. Je crois qu'il se trompe , el que . sut le
dernier t>uiut , il prend le fils pour le père.
(S) Thuanus , lib. LXXXIII. pag. m. 57.
(4) N une parlent faoienlibus Srptimaniir i-ul-
go Langueducias. Claudius Arrhenius Olîm-
ïiielm . in VilS Ponli de la Gardie, pag. 11.
(5) Idem , ibid. , pag. 10.
GARDIE.
35
comme simple soldat en Ecosse, sous ville-là, mais un lieu du diocèse de
le seigneur d'Orsel, lieutenant de Narbonnc, ou quelque autre. 11 ne
François 11(6). Il n'y a personne fallait pas dire que François II en-
qui , sur ces paroles, ne s'imagine voya des troupes en Ecosse avant la
que notre Pont us était tout au plus paix de Cateau-Cambrésis ; car Hen ■
le fils d'un marchand où d'un no- ri II, son père, surve'cutà cette paix,
taire de village. On n'y voit rien qui et ce fut lui proprement qui envoya
puisse faire juger que son père était Clutin d'Oysel a la régente d'Ecosse,
fentilhomme. Disons donc que Mai m- belle-mère du dauphin marie' à l'hé-
ourg a fait là une lourde faute. Ce ritiére d'Ecosse. En tout cas, la paix
n'est pas la seule qu'il ait commise, de Cateau-Cambrésis ne fit point ces-
Mézerai assure que Pontus comman- ser les divisions de l'Ecosse : on en-
dait quelques compagnies de cavale- voyade nouvellestroupes à la régente
rie en Ecosse : il n'y était donc point peu après la conclusion de cette paix,
en qualité de simple soldat. Son gé- Toutes les preuves de M. OErnhièlm
néral s'appelait Oisel, et non pas
Orsel; et comme Oisel fut envoyé
en Ecosse par Henri II, on eût bien
fait de ne rien dire de François II.
Cela fait perdre la vraie route chro-
nologique. Notez que toutes ces fau-
tes ont été aveuglément copiées dans
* Florimond de Rémond(7). Si M. Va-
rillas les eût copiées avec la même
ponctualité, il n'en eût pas augmen-
té le nombre ; mais , ayant voulu
faire quelques pas sans son guide, il
s'est égaré. La Gartlie , dit-il (8) ,
était ne Français , dans laprovince de
Languedoc , et dans un village de
contre le père Maimbourg ne sont
pas bonnes. Si Pontus de la Gardie ,
dit-il (9), n'eût pas été noble, et s'il
fût sorti d'un village, Charles IX et
Henri IV ne se fussent pas servis du
style qu'ils employèrent en lui écri-
vant ; les ambassadeurs de France ,
pour ne rien dire de l'empereur Ro-
dolphe, ni de Marie sa mère, ni de
Fridéric roi de Danemarck, ni des
Radziwil , ni des Zamoyski , ne lui
eussent point rendu tous les hon-
neurs qui paraissent dans leurs let-
tres, avec un empressement extrême
de cultiver son amitié. Cette raison
l'éyéché de Rieux , croche de cette est nulle; car dès qu'un homme pos-
sède les plus grandes charges de l'é-
tat et la faveur de son maître, tout
le monde le ménage ; les autres prin-
ces ne négligent rien pour le gagner :
on n'a point d'égard à son extraction ;
on ne considère que l'état présent,
et ce qu'il peut faire pour servir ou
pour nuire. Qui ne sait les flatteries
de Charles-Quint pour le cardinal de
Wolsey, fils d'un boucher ?
Finissons par dire que la plupart
des gentilshommes de France sont
d'un village. Ils naissent dans un
château situé proche de quelcpie pe-
tite seigneurie qui appartient à leur
père. Et il y a plusieurs familles sans
titre, et qui n'ont jamais paru à la
cour ni dans les charges considéra-
bles de la province, qui sont néan-
moins d'une noblesse trè-ancienne :
elles pourraient produire des filia-
tions de trois ou quatre cents ans \
elles tiennent par quelque bout d'al-
liance aux maisons les plus magnifi-
quement titrées. C'est ce que l'on
pourrait supposer de celle de notre
(9)0Ernhiclm, inYilâ P. d« la Gardie, p. i3.
ville. Il s'était attaché fort jeune a
la profession des armes , et il les
avait portées long-temps en qualité
de simple soldat. Il l'était encore,
lorsque d' Oysel, que le roiFrancois II
envoyait en Ecosse avec des troupes ,
l'y mena. Il y demeura jusqu'à la
paix de Cateau-Cambrésis, qui , le
mettant hors de service , le réduisit il
prendre parti arec vingt de ses com-
pagnons, sous un capitaine qui les
conduisit en Danemarck. C'est un
mensonge que de dire qu'il était né
dans un village proche de la ville
épiscopale de Rieux. Les historiens
qui disent qu'il était de Rieux ou
des environs n'entendent pas cette
(6) Maimbourg, Histoire <Iu Luthéranisme ,
liv. y I, pag ï5i , édition de Hollande.
* Leclerc prétend qu'au lieu de dans , il faut
lire, d'après.
(r) Puntus de la Gardie. natif d'un village
près de Pieux, en Languedoc , pauvre soldat de
fortune, désirant voir le inonde, passa en
£cosse sous la char: e du sieur d'Orsel, lieu*
tenant pour le roi François II. Florimond de
Rémond, Naissance et Proi^rès de l'Hérésie,
liv. IV , chap. XVI, pag. m. 4ç,5.
,8) Yarillas, Histoire àr. l'Hérésie, liv. XXX,
pag. 2S5 , édition de Hollande.
36 GARDIE.
Pontus. Je remarque que ni le lieu durant ce propos voyait que le duc le
ni le temps où il naquit n'ont pu nait les yeux Jîchés sur un français
être désignes par M. OEmhielm : cela qu 'il aimait , nomme Pontus de la
est bien surprenant. ' Gardie, il lui dit, poussé de son mau-
(B) En mettant auprès de lui un vais ange (car ce fut l'auteur de sa
seigneur de tête et brave. ] Voici les ruine ) : mon frère , je vous donne
paroles de M. OErnhielm(io). Hujus Pontus, servez-vous de lui, et vous
(populi) iram ut mulceret insigni reposez sur sa valeur et loyauté , de
aliquo speciminc clementiœ, fralrem laquelle j' ai fait souvent l'épreuve.
Johannem ducem , delerso carceris (Q On les exhorta-. .'a délivrer le
squalore , libertati dignitalique pris- royaume de l'oppression^] Onnepou-
lina? restitua. Eidemque , prœler cœ- vaitpaslesy porter par un motif plus
tara argumenta duraturœ in posterum pressant que celui que l'on employa ;
benivo/entiœ, POJYTUM DE LA car de toutes parts on leur écrivit que
GARDl UM concedit , virum in ne- \e roi voulait les perdre. Adferunlur
goliis pacis ac belli spectatœ indus- ad principes amicorum ab omtii parle
iriœ, ut ejus uteretur opéra , ubicun- Utterœ, monentes, cuvèrent sibi à f ti-
que rerum magnitudo posceret. Peu turis inauguranclœ reginœ, elocandœ-
après il rapporte ce passage d'une que sororis solemnibus epulis , qui-
liistoire manuscrite de Suéde (il)- bas haud aliter usurus sil rex quant
■c Le duc Jean, prince prudent et retibus , capturis eversurisque haud *
» sage, qui connaissait bien les bu- dubiè suspeclos fratres regnique pro-
ii meurs, l'esprit et les infirmités du ceres , operosd alias conquirendos in-
» roi son frère , fle'cbit enfin à ses dagine. Ad hœc adjungunt se duci-
» commandemens, et accepta le faix bus aliquot , de sud ipsorumque jant
j> de cette grande et pénible chargé, sainte sollicili, décrétant adserentes
j) C'était la charge de vice-roi , lieu- omnium necem , certumque debere
» tenant-général, et gouverneur de opprimi , ni opprimant. Frustra ad-
31 Suède et des deux Gothies. Mais il hiberi fidem promissis toliens juralis
j) lui remontra sincèrement que sa violatisque Erici , ludentis jam per-
3> longue prison lui avait fait dutout juriis , ut soient pueri astragalis (i3).
3) perdre non-seulement tous les fi- Dans ces rencontres il ne faut rien
3) dèles serviteurs , mais aussi les faire à demi : il ne faut pas que les
3) bonnes et anciennes habitudes et mécontens s'arrêtent à dire qu'il y
s. connaissances qu'il avaità la cour, a quelque danger; il faut qu'ils as-
3> et qu'il suppliait très-instamment surent positivement à un héritier pré-
)) sa majesté de lui donner quelque somptif' , qu'il est perdu sans ressour-
» fidèle conseiller et digne second, ce s'il ne perd son adversaire; que
» sur lequel elle pût se reposer as- tout consiste à primer, sans avoir
» sûrement, et pour être un illustre égard aux belles promesses ou aux
» témoin et compagnon de ses ac- soumissions que le péril extorquera
3, tionseteomportemens. Sa demande du tyran. Vous voyez que les con-
î, t:l;intjuste,Éricluidonnavolontiers ducteurs de l'intrigue de Suède em-
j, Pontus delà Gardie ou delà Garde, ployèrent cette machine. Notre Pon-
» gentilhomme Français de nation, tus , qui était le principal directeur ,
» qu'il aimait grandement pour son s'avisa d'un beau stratagème; ce fut d'a-
3) espritetson courage, etl'avait telle- nimer à cette entreprise la duchesse,
» ment avancé dans ses états , qu'il qui devait régner en cas que la chose
3> se servait de ses dignes conseils en réussît. 11 savait sans doute que l'am-
3) toutes les affaires de haute et cran- bition remue plus vivement le cœur
3> de conséquence. » Florimond de des femmes que celui des hommes.
Rémond raconte la même chose , Voici de quelle manière il lui parla :
mais avec une circonstance que Jo- Madame, toute la cour s'étonne com-
livet a omise. Le roi , dit-il (12) , qui ment monsieur votre époux n'a pas
r.,.) OErnhieim , in Viif. P. de la Gardie , pitié de ce misérable royaume , où
pag. 16 tout le monde étant infiniment ojjfen-
(it) Tdem, ibid. , jBrt.tr- '7- Il cite Jolivel ,
otilcnr d'une Histoire de Suède. ...«*. j 1 r j-
1 tari mond de Kérnond, Naissance et P10- (i3) OEmhielm , in Vita P. de la Oardie,
grci de I Hérésie, pag. t\'j$. VaS- *"i lrj'
se et lassé des insolentes cruautés et
tyrannies du roi son frère , lui seul y
peut facilement remédier. Je vous
assure que tous les grands et les pe-
tits jettent les yeux sur lui pour lui
mettre , s'il veut, la couronne royale
sur sa télé. Il l'a méritée aussi juste-
ment que ce barbare, qui en est in-
digne au jugement de tout le monde.
Si monseigneur votre mari le veut, il
est aiséde le rendre maître de cet état ,
et de le faire grand prince au heu de
duc qu'il est , qui ne pouira sans
doute éviter lu mort ou la prison
perpétuelle , de laquelle lui et vous
êtes déjà sortis, comme par un mira-
cle, lorsque vous y pensiez le moins.
Je sais pour assuré de tous 1rs capi-
taines , que les six mille Ecossais
qu'Eric tient a sa solde, sont mécon-
tens , et ne demandent rien plus qu a
changer de maître faute de payeme ni .
D'ailleurs il est certain que les ducs
DIagnus et Charles, ses fivres , avec
les plus grands du royaume , sont ex-
trémement offensés et marris qu'un si
grand roi que leur frère ait épousé
la fille <V un misérable sergent , con-
dition odieuse. Madame , prenez donc
l'occasion, qui se présente si favora-
ble , aux cheveux , pour le bien de
i état , pour le repos du peuple et des
provinces , et pour' l' avancement de
votre cher époux et de votre maison
(;4). M. OErnhielm, qui rapporte ces
paroles , avoue qu'on n'en trouve
point de traces clans l'histoire (le la
nation : il eût pu les lire dans Flori-
mond de Remond , avec la re'ponse
de la duchesse : Ce sont de beaux dis-
cours , Pontus , dit-elle , mais mal-
aises h être exécutes; sois sage et dis-
cret , j'en parlerai au. duc mon mari
(îoj. Florimond déclare (16) qu'il a
trouve' ces paroles dans les mémoires
manuscrits de l'ambassadeur de Fran-
ce , envoyé' en Suède Fan 1 566 , qui
fut témoin oculaire des étranges chan*
gemens qui. advinrent en ce pays-là
(17). N'oublions pas cette circon-
stance. Pendant les préparatifs des
(i4) Idem, ibid. , pag. 17. Il cite une His-
toire manuscrite de Suède, composée par Jo-
livct , avocat au parlement , et achetée d'un fils
de V auteur par le comte Magnus de la Gardie.
Elle est dans la bibliothèque d'Upsal.
0 5) Florimond de Remond, Naissance et Pro-
grès de l'Hérésie , pag. 497*
(tf>) LU même , pag. 4flC.
(17) LU mettre , pag. -'\<\\.
GARDIE. 37
noces , il courut un bruit parmi le
peuple . que la ruine des frères du
roi et celle des grands du royaume
était résolue. On ne savait point si
cette rumeur était chimérique ou
bien fondée ; mais elle devint vrai-
semblable quelque temps après par
les caprices du roi , et enfin les letr
très qui furent écrites de toutes parts
à sesfrères la persuadèrent (18). Dum
hœc parantur , manat in vulgus
struendarum in principes fratres pro-
ceresque regni insidiarum rumor ,
verus an vanus , ab initia non satis
sciebatur : Quem tamen simHlimurn
vero mox fecerunt , ingenium Krici
suspieax , infidum , inmodum F.uripi
œstuans , et mobile semper ad obse-
'/uiii pravè consulentium (tt))
Tôt rébus adstructd primo rumori
fide.
Ce sont la pour l'ordinaire les pré-
paratifs des révolutions : on répand
d'abord des nouvelles ; on les laisse
courir d'une rue à l'autre , d'une
ville à l'autre ; on a des raisonneurs
qui les appuient, et enfin des gens
graves qui les confirment par leurs
lettres. Je ne prétends point dire
qu'il y ait toujours de la ruse dans
ce manège : ce sont quelquefois des
nouvelles véritables , que l'on n'ap-
puie que par un bon zèle pour le bien
public ; et je remarque même que
nous avons ici l'un de ces cas. Flori-
mond de Remond avait intérêt de
disculper le roi Eric, afin de rendre
plus odieuse la conduite de Pontus de
ia Gardie, qu'il maltraite beaucoup,
le considérant comme la cause qui
empêcha la Suède de retourner sous
l'obéissance du pape : néanmoins ,
il rapporte mille crimes abominables
de ce roi, et il assure qu'il n'avance
rien qu'il ne tienne de bon lieu (0.0).
Il cite en particulier (ai) la lettre
que le nouveau roi écrivit à Char-
les IX. Après cela ne se rend-il pas
ridicule en finissant par ces paroles ?
Mais bien souvent des faux bruits
sont jetez sur les grands , pour leur
attirer sur leur chef la haine des peu-
ples qui leur obeyssent, et lesfaire ;<■-
(18) OErnhielm, in Vità P. de la Gardie,
pag. 16.
£19) LU même, pag. 17, 18.
(20) Florimond de Remond, Naissance et Pro-
grès de l'Hérésie, pag. 4fl'l-
(ïi) LU même , pag. 499-
r*, o ry a. i
l '■ : ■» J\ .....
38
GARDIE.
belles , comme on fit contre Eric qui
périt misérablement en prison (22J.
La réflexion de M. OErnhielm est
bonne. C'est qu'un prince qui n'é-
coute que ses passions , sans avoir
égard à ce qui est dû à Dieu et à ses
sujets, se ]>rive des appuis les plus
nécessaires à sa grandeur. Il ne trou-
ve point dans ses peuples une fidélité
qu'il puisse opposer à ceux qui l'at-
taquent. Prœvenit aduentum du-
cum j'ama callecti in regem exerci-
lus , ad quant Me excitus , implorât
opem civium , quorum plerique per-
tœstacerbi regiminis , surdas obver-
tunt aures precanti , hilares , advenis-
se tempus , quo jugi in dies ingra-
vescentis leventur onere , antequam
succumbanl ' penitits interituri, Itaqne
subnixus ope paucorum, in quorum
animis nondum obsoleverat majestas
sui Principis , congressusque cum
pluribus ac j'ortioribus , non poterat
non redigi ad angustias. Atque tum
prœferoci régi adparuit , et favore
cii'ium , et successufuictendœ poten-
tiœ deslituipolentet, rerum , cinn exu-
tâ reverentid Numinis , ex amplâ
potestate usurpant nil prœter trucem
quidvts in subjectos agendi licentiam.
Id Krico régi accidit. Quem solio
subliment i/idit sol ariens , eundem
occidens vidit provolutum ad aliéna
genua 23 i. Le nombre des princes
qui ont été assassinés (a4j on empri-
sonnés pour leurs tyrannies est si
grand ; le nombre de ceux qui ont pu
se maintenir dans une mauvaise ad-
ministration , et qui ri'ont pas hâté
le couronnement de leur [ils , ou de
leur frère , etc. , par leur conduite
violente , est si petit, qu'on ne peut
assez admirer qu'il y en ait qui ne '
savent pas profiter de cette leçon.
Au reste , les révolutions d'état, qui
transfèrent les couronnes d'une tête
a l'autre , ont été toujours si fréquen-
tes , qu'il y a lieu de s'étonner qu'el-
les ne l'aient pas été beaucoup plus:
car enfin le pis qu'on puisse craindre
c'est de manquer son coup : on trou-
vera toujours cent moyens de se dé-
(22) Florimond de iicmnnd , Naissance el pro-
grès <le l'Hérésie., pag. 499.
(23) OErnhielm, in Vitl P. <le la Gardie,
pag. 18,
(24) 4d generum Cnreris sine cœde el san-
guine pauci
Descendunt reger et sieed morte lyranni.
Juvcuul. , sut. X , n. 112.
fendre contre les reproches d'injus-
tice , pourvu que l'on réusisse ; et
l'on ne manquera jamais ni d'appro-
bateurs , ni d'alliances.
(D) On ne sait pas de quelles af-
faires il traita avec le pape.] M. OErn-
hielm avoue qu'il n'a pu en décou-
vrir rien. Quid régis nomine cum
pontijice egerit non perindè liquet ,
cum regiorum ma ndatorum nihil ed
de re videre conligerit (25). Il traite
de fable ce que le père Maimbourg
raconte (26) , que Pontus de la Gar-
die fut chargé de traiter avec le pape
Grégoire XIII , de la réduction de la
Suéde à l'obéissance de l'église, a cer-
taines conditions , qui étaient : i°.
(27) qu'on ne troublât point la no-
blesse dans la jouissance des biens
d' église quelle possedoit ; 1.0. qu'on
laissât aux evêques et aux prêtres les
femmes qu ils avaient épousées ; 3°.
qu'on permist aux laïques la commu-
nion sous les deux espèces ; 4}°. que le
service divin se fist en langue vul-
gaire. Cela est tiré de Florimond de
Rémond , qui ajoute (28) que la Gar-
die , à son arrivée , trouva le roy en
alarme , qu'en voulant toucher à la
religion, ceux-là lui ostassent la cou-
ronne de la teste, qui la luy avoient
mise dessus. Ce pauvre roy ne pou-
vant, ou n'osant remettre toul-a-fail
l'église catholique , il voulut compo-
ser avec les archevesques et. evesques
lutherietis , seigneurs principaux , de
leur laisser pendant leurs vies leurs
femmes , la communion sous les deux
espèces , et la messe en langue vul-
gaire. Onfust venu à bout des ecclé-
siastiques , puis qu'on ne touchoit à
leur couche ; mais ceux qui portoient
l'espée au costé ne voulurent lascher
prise. Ainsi fut rompu ce dessein ,
non sans soupçon que la Gardie mes-
mes y eust apporté du retardement
de so/i coité , pour avoir interest aux
grands biens dont il jouissoit sous la
faveur de son maistre qu'il possedoit
du tout.
(E) Sans leur ôter les images , ni
les autres meubles de religion. ] Celte
(25) OErnhielm, in Vilâ P. de la Cardié,
pag. i65.
(26) Maimbourg, Histoire du Luthéranisme,
Uv. VI, pag. î5l.
(27) La même , pag. 253.
(28) Flnrimoml de Rémnnd , Naissance el Pro-
grès de l'Hérésie , chap. XVII, pag. 5o2,
GARDIE.
défense était nécessaire; car on avait
mal observé cela auparavant. Omni-
nà uutem vis omnis ac injuria abessc
deberet a corporibus ac bonis ipso-
t'um , qui se rite huic regno submitle-
l'ent, prœcipuè l'ero ab his , qui pecu-
liari soliloque ei genli rilu , eliaiusi
a sacris pênes nos receptis nonnus-
quam recédèrent , se.ru invoque inco-
lerent monasteria , quorum ornamen-
>9
.iiiiNi que H. OF.rnliielm raconte cet
accident. 11 y a dans cet endroit de
son livre une note marginale où le
récit du père Maimbourg est censuré.
Comme Pontus delà Gardie, ce sont
les paroles de ce père (3q) , retour-
nant de su/1 ambassade <le Moscovie ,
vou/oit entrer dans le }>art de Revel ,
capitule de lu TAuonie suédoise , dont
il estait rice-roy, la patache, a la
imagines , cœleramque sacrum poupe de laquelle il estoit assis dans
suppellecti/em inlacta inviolataque eis
linqui prœcipit, secus quam factum
hactencs (29). On ne suivi! point cet
ordre du roi ; car on tira de l'église
de Carelgrod les images, Les statues,
et les habits sacerdotaux , et on les
transporta dans la Finlandie pour l'u-
un fauteuil , ayant donné d'une ex-
trême roideur contre un rocher , la
proue se haussa si fort de ce. coup ,
que deux de ses gentilshommes qui
estaient debout devant luy , estant
tombez et renversez sur sa chaise,
firent encore baisser davantage la
sage des paroisses. Le roi n'en fut pas poupe, de sorte qu'Us coulèrent en un
content, et menaça désormais du der- instant tous trois dans la mer, et ne
nier supplice ceux qui violeraient sa parurent jamais plus. Florimond ,
défense. Laissons parler encorel'histo-
rien suédois. Utcunque non probârit ,
quod , privato ausu , sculptas piclas-
que tabulas aris impositas , stolasque ,
quibus sacra peracturi sacerdotes ami-
ciuntur , templo arcis Kc.rhalmensis
qui a fourni ce narré, y a joint deux,
faussetés que Maimbourg n'a point
copiées : la première est que la Gar-
die s'aboucha avec le grand-duc ; la
deuxième, qu'ayant mis fin à sa né-
gociation, il monta sur mer avec ses
detractas, nonnulli in vicinam Fin- vaisseaux. Dans la note marginale on
landiam, ad earum , in quibus habi-
tiirunt , parœciarum templa Us exor-
nanda , avehi curaverint , quas re-
ductas in sacrario templi arcis Vi-
burgensis locari prœcepit , douée ipse
de eis aliter constituent : inlermina-
tione mortis prohibais, ne quis reg-
no se submittens ex hostibus , ulld
adûceretur injuria, aut horum de
accuse le père Maimbourg de ne sa-
voir pas la géographie. Il a supposé
qu'aux frontières de la Moscovie , il
y a une rivière qui descend à Revel.
Cela est faux. On le blâme d'avoir dit
que Revel est la capitale de Livo-
nie ; il fallait dire d'Esthonie. On le
blâme d'avoir dit que Pontus était
gouverneur de Livonie ; car, dit-on,
victotum temp/is ac monasteriis ulla cette province n'appartenait pas alors
vel minima vis fïcret (3o). a la Suède : elle n'a été conquise que
(F) Il périt malheureusement dans par Gustave-Adolphe. Cette censure
- ne me paraît pas raisonnable , puis-
que M. OKrnhielm dit expressément
que Pontus de la Gardie fut fait gou-
verneur de Livonie etd'Ingrie, l'an
1 58 1 (33). Je me serais contente de
critiquer le terme de vice-roi , que
Maimbourg a pris de Florimond de
Rémond.
Comme l'article Gardie , dans le
Supplément de Moréri, a été tiré du
père Maimbourg, vous trouverez ai-
une rivière. ] Lui et ses collègues s'é
taient séparés des ambassadeurs de
Moscovie, sans être convenus d'au-
cune autre chose que d'une trêve de
quinze jours. 11 se mit sur la rivière
pour aller à Nerva ; mais quand le
vaisseau fut arrivé à demi-lieue de
cette ville, on se mita tirer quelques
pièces de campagne. Cela fit sauter
une planche ; l'eau entra par cette
ouverture : ceux qui eurent peur se
jetèrent de l'autre coté, et renversé- sèment dans ces remarques ce qu'il a
rent le bâtiment. La Gardie fut l'un de défectueux,
de ceux qui se noyèrent (3 1) . C'est
(?çj) OEmliielm , paç.
(io) Idem , ibid. , pa
(3i) Idem.. ibid.,pai
lib. I.XXXIII , pag.
OEmliielm , fiag. n4-
. Ii3. Confrr Ttiuan.,
5; , ri Jolivet, apud
(3s) Maimbourg , Histoire ilu Luthéranisme,
tom. Il , pag. 260 , 2G1.
(33) Etiam auctus noi'O supremi per Tngriam
ac Livoniam gubemaloris Liulo ac montre laça
priera repeliit. OEmliielm , in Viti P. de la
Gardie, pag. 1-8.
4o
GARISSOLES.
(G) Sa postévité est encore très-
florissante dans la Suède- ] 11 laissa
deux filset une fille. Jean de laGar-
die , Taîne' , n'eut que des filles , qui
furent mariées très-avantageusement.
Jacques de la Gardie, le cadet, fut
fait comte (34), se'nateur, et grand
conne'table du royaume, président
du conseil de guerre , etc. Son fils
aîné, Magnus Gabriel de la Gardie,
épousa la sœur de Charles-Gustave,
roi de Suède, et fut père de Gustave-
Adolphe de la Gardie, se'nateur du
royaume , et président du conseil
suprême de Suède Les frères de Ga-
briel Magnus ont eu aussi de beaux
emplois, et ont laissé des enfans.
Voyez l'arbre généalogique de cette
maison , à la tête de la Vie de notre
Pontus. Celui-ci laissa deux frères en
France , qui se marièrent ; mais il ne
reste aucun mâle de leurs descen-
dans (35).
(34) Maimbonrg , et après lui le Supplément
rie Moréii , donnent à tort cette qualité' à Pon-
tus de la Gardie.
(35j OEmhielm , pag. 5.
GARISSOLES ( Antoine ) , pas-
teur et professeur en théologie à
me épique qu'il avait entrepris
pour chauler les grands exploits
de Gustave (T>). J'en parlerai ci-
dessous (a). Il fut modérateur au
synode national de Charenton ,
l'an i645 (b) (*).
(a) Dans la remarque (B).
{b) Tiré d'un Mémoire manuscrit.
O Là, dit-on, sur quelque mauvaise ma-
nœuvre du fameux la Milletière, Garissoles,
modérateur, avait rembarre' ce faux frère
avec ces terribles paroles du Sauveur : Fais
bientôt ce. que tu fais. Vous me prenez donc
pour un Judas? lui dit la Milletière. Non pa3
tout-à-fait encore , lui repartit Garissoles ;
car Judas leuail la bourse , et vous la cher-
chez Rem. crit. [Voyez l'article Milletiè-
re, tome X.]
(A) // composa beaucoup de lii'tvs ,
dont quelques-uns ont vu le jour. ~\
Il publia un volume de Sermons, qui
a pour titre , la Foie de salut. Ses
autres livres imprimés sont latins 5
diverses thèses de théologie , un trai-
té De imputatione primi peccati Adœ,
un autre De Christo mediatore, l'Ex-
plication du catéchisme. Ce dernier
ouvrage avait été commencé par M.
.Montauban, sa patrie, a ete un Charles, collègue de M. Garissol
très-habile homme. Il naquit
environ l'an 1Ô87, et fut reçu
ministre à l'âge de vingt-trois ou
vingt-quatre ans. Il fut donné à
l'église de Puylaurens. Il fut
Il y a ceci à considérer sur le livre De
imputatione peccati Adœ , c'est que
l'auteur le composa par l'ordre de
son synode, après avoir conféré aima-
blement sur cette matière avec M.
Amyraut , en pressée du synode
et d
ayant
établi professeur en théologie à national de Charenton. M. Amyraut
Montauban , l'année 1627, après ™ fai?ait ^ représenter M. de la
,,,',. , , '' * , Place son collègue (1)5 u ne deten-
avoir ete désigne a cet emploi dait pas ses opinions propres, mais
par plusieurs synodes de»sa pro- celles de M. de la Place , qui l'avait
vince , et chargé nommément prié de les expliquer à la compagnie ,
par un synode national de Cas-
tres, d'en aller faire les fonctions.
11 les remplit dignement jusques
en l'année i65o, qui fut celle
de sa mort. U composa beaucoup
de livres , dont quelques-uns
ont vu le jour (A) , et les autres
se sont presque tous perdus dans
la dernière persécution. Il se
plaisait extrêmement à la poésie
latine , et il eut la joie devoir
sortir de dessous la presse le poê-
les soutenir. M. Garissoles ,
dédié son livre aux quatre
cantons évangéliques, le leur fit pré-
senter par son fils aîné , qui reçut
partout de grands honneurs. Un an
après, ils firent un beau présent à
l'auteur j ils lui envoyèrent quatre
grandes coupes de vermeil d'un 011-
vrage exquis , accompagnées d'une
Lettre en latin pleine d'éloges, et si-
gnée des quatre syndics des quatre
cillions (2).
(1) Voyez l'article Amyiiact, entre les cita-
tions (g) et (h), loin. /, pag. 5og.
(2) Tire du Mémoire manuscrit.
GARN
(B) // vit sortir de dessous la presse
le poème épique qu'il m'ait entre-
pris pour. . . Gustave, ] On l'appelle
YAdolphide. L'auteur l'avait dédie à
la reine Christine et aux cinq grands
du royaume; niais il fut obligé de
changer l'épitre dédicatoire , parce
que son fils aine' lui écrivit de Stock-
holm, qu'il ne serait pas possible de
présenter cet ouvrage s'il n'était dé-
dié à la reine seule. On fit donc une
autre épître dédicatoire adressée seu-
lement à cette princesse , et l'ouvra-
ge fut présenté. La reine le reçut de
la manière du monde la /dus obli-
geante et la plus honnête , et fit
beaucoup de caresses au fils aîné île
l'auteur. Elle lui dit que certaines
gens avaient travaillé plus d'une fois
à lui décrier et le poème et le poète ;
mais que I avant lu el'e en avait été
ravie , et qu'elle était pleine de véné-
ration et d'admiration pour l'auteur.
Ce furent ses termes. On soupçonna
Grotius d'avoir voulu rendre ce mé-
chant ojjïce , encore qu'ayant été prié
de voit oir donner son avis sur cet
ouvrage, avant même qu'il fut impri-
mé , il en eut parlé très-avantageuse-
ment , et comme d'une pièce presque
accomplie. Quoi qu'il en soit , le livre
reçut de la reine de grands éloges ,
l'auteur en fut honoré d'une belle
médaille d'or, et son fils aîné fut as-
sez amplement payé des frais du
voyage (3). Notez que M. Garissoles
fit. un poè'me sur le couronnement de
cette reine.
(3) Tire du même Mémoire.
GARNACHE '( Françoise de
Rouan, Dame de la), était fille
de Rohan Ier. du nom , et d'I-
sabelle d'Albret, fille de Jean
d'Albret , roi de Navarre. Elle
était par conséquent cousine
germaine de Jeanne d'Albret,
(a) mère de Henri-le-Grand.
Une parenté aussi puissante et
aussi recommandable que celle-
là , jointe à la très - ancienne
noblesse de la maison de Rohan ,
(aï Henri d'Albret. roi de Navarre, fils
de Jean et frère d Isabelle d'Albret, fut
père de cette Jeanne d'Albret.
ACHE. 41
ne fut point capable de la ga-
rantir de la plus désagréable in-
justice qu'on puisse faire à une
personne de son sexe Le duc de
Nemours lui avait promis ma-
riage , et il avait obtenu d'elle ,
moyennant cela , toutes les fa-
veurs qu'il en pouvait espérer ;
en un mot et sans détour, il lui
avait fait un enfant. Lorsqu'il se
vit sommé de tenir parole, il s'en
moqua avec d'autant plus de
hardiesse , qu'il ne voyait pas
qu'Antoine , roi de Navarre ,
quoique premier prince du sang,
eût ou assez de vigueur , ou assez
d'autorité pour le contraindre
de réparer l'honneur de la de-
moiselle. Ce fut bien pis après
que le roi de Navarre , qui avait
eu quelque sorte de crédit pen-
dant le triumvirat , eut été tué.
Le duc de Nemours, sorti de
France au commencement des
troubles, à cause qu'on avait dé-
couvert qu'il avait voulu enlever
le duc d'Anjou , frère du roi
Charles IX (b) , avait été rap-
pelé bientôt , et avait servi utile-
ment contre ceux de la religion.
Cela et la mort du roi de Navar-
re l'encouragèrent à presser la
cour de Rome de déclarer nul
son engagement. Il obtint tout
ce qu'il voulut (c); le bon droit
de la demoiselle de Rohan fut
entièrement opprimé , à cause
qu'elle s'était déclarée pour le
parti huguenot (A); de sorte
qu'il lui fallut avaler l'affront
de se voir mère sans avoir été
mariée, et le déplaisir de voir
son infidèle galant marié avec la
(b) Le Laboureur , Additions à Castelnau,
loin. I, pag. 808, tom. II, pag. .> j.
(e Vacillas, Histoire de Charles IX, tom.
II, pag. 34 , ex Thuan. , lib. XXXIX.
42 GARN
veuve du duc de Guise , et aussi
honoré partout , et caressé des
dames, que s'il avait été le plus
honnête homme du monde. Tou-
te la consolation qui lui resta
fut le titre de prince de Gene-
vois qu'elle fit porter à son fils
(Bj : et quant à elle, on la nomma
madame de la Garnache (d), ou
la duchesse de Loudunois (e).
Elle se maintint adroitement
dans ses terres pendant les guer-
res civiles (C). C'est apparemment
de son aventure que Brantôme
parle (D). M. Varillas en a parlé
amplement , et y a fait bien des
fautes (E) , dont quelques-unes
sont si grossières , qu'on ne sau-
rait s'empêcher d'en être sur-
pris.
(d) C'est le nom d'une ville de Poitou.
(e) Celle duché fui érigée Van 1579.
(A) Elle s'était déclarée pour le
parti huguenot. ] Si l'on n'en veut
pas croire d'Aubigné, il faudra for-
tifier son témoignage par celui de
M. de Thon. On toucha encore nu
mariage clandestin entre le duc de
JYemours et Françoise de Rohan ;
mais autant qu'il fallut ]>our mettre
la complaignante vers le vent en hai-
ne de sa religion , et V autre en puis-
sance d'épouser la douairière de Gui-
se (1). Ecoutons maintenant le latin
de M. de Thon. Eodem tempore ,
c'est-à-dire en i566, lis olim agi-
tata inter Franciscain Roanam et
Jacobum Sabaudum IVemorosium ,
et superstite JVavarro qui Roanœ
cognât a' patrocinabalur inlermissu dé-
muni renovata , et prœvalente hinc
IVcm.orosii gratid , indè onio religio-
JHIS PrOTESTANTIUM eut fluu/ia ad-
dicta erat prœgrauante , interventu
pontifias decisa est , schedula JYemo-
rosii de matrimonio prœsentibus ver-
bis contracta irrita pronunciata (•>.).
(B) Toute la consolation qui lui
resta fut te litre de prince de Gêne-
nt) D'Aublgnc , loin. I, liv. IV, chap. VI, h
„■ n , Î66
(aj Tliuanus, Ub. XXXIX, ptlg. m. 79.5.
ACHE.
vois qu'elfe fit porter li son fils?] Si
j'avais suivi les idées de Virgile , j'au-
rais dit que celle dame se consola
de l'infidélité de son galant par le fils
qu'il lui laissa; mais il y a long-
temps que nos dames ne sont point
faites comme la Didon de ce grand
poète romain. Un de ses plus grands
regrets fut que son perfide amant la
quittait sans lui laisser de sa race ; et
si elle avait eu un petit poupon «le
lui , ou si du moins elle se fût sentie
enceinte de ses œuvres , elle eût été
incomparablement moins affligée (3).
Une tendresse de cette force ne serait
pas même bonne aujourd'hui poul-
ies romans, tant elle est contraire
à l'usage. Le plus grand regret de
celles à qui un galant manque de foi
n'est pas de lui avoir accordé plus
qu'on ne devait ; mais de n'avoir pu
e'viter les suites. Une grossesse, un
enfant, sont des convictions de dés-
honneur qu'aucune chicane ne peut
éluder : ce sont des preuves parlan-
tes, et Iticc meridiana clariores ; ce
sont des témoins sans reproche, et
omni e.i cejitione majores. C'est donc
la principale source de l'infortune et
de la désolation, Questo è quel che
pi'u inaspri i rhiei martiri. Aussi crois-
je . c'est Brantôme qui parle (4) tou-
chant les demoiselles qu'il avait vues
à la cour , que le meilleur temps
qu'elles ont jamais eu , et qu on leur
demande , c'est quand elles étoient
filles ; car elles avoienl leur libéral
arliitrepour être religieuses aussi-bien
de Permis que de Diane , mais qu'el-
les eussent la sagesse et l'habileté et
savoir pour se garder de l'enflure du
ventre. A certains égards il faut avouer
que le sort de madame de la Garna-
che fut assez conforme à celui de Di-
don; car son galant prétendit, aussi-
bien qu'Enée, qu'il n'avait point pensé
à se marier (5).
(C) Elle se maintint adroitement....
pendant les guerres civiles.'] D'Aubi-
(3) Satlem si quel mihi de le suscepla fuis set
Anle fit gain toboles , si quis mihi parvidus
aida
Luderet JEneas , qui te lantum ore referrel,
Nonequidem omnin'o capta ac déserta viderer.
Virgil. , /En. , Ub. IV, vs. 327.
(4) Discours de Catherine de Mcdicis, pag.
100.
(.1) Nec conjugis unquàm
Piœleiuli tiedas , nul hrec in f cédera veni.
Virgil.,Sffio, , Ub. IV, vs. 338.
GARNACI1E.
43
gné sera ici mon auteur unique. « Il
» faut ajouter ici , dit-il (6) , que la
» dame de laGarnache, sœur du duc
» de Rohan, tenoit la ville de laGar-
» nache et le chasteau de Beauvôis
» sur rrfler en neutralité , se garen-
» tissant avec les soubmissions et
» artifices qui ne peuvent estre blas-
» mez à son sexe et à sa condition,
» Son fils (nomme le prince de Ge-
» nevois pour la prétention du raa-
» riage de sa mère avec le duc de
» Nemours) s'estant saisi de la Gar-
» nache par l'intelligence desdomes-
» tiques qui esperoyent de lui, es-
» peroit en faire la guerre pour son
» parti et ses nécessitez. 11 entreprit
» aussi sur Beauvôis par intelligence;
» mais elle estant double il se trouva
» prisonnier de sa mère. La cadence
» de tout cela fut que le roi de Na-
» varre se meslant de sa liberté l'o'b-
» tint, et par mesme moyen la place,
» quand la dame du lieu, qui aussi
» s'appeloit la duchesse de Loudu-
» nois, vid les affaires du pays assez
» favorables pour la religion dont
» elle faisoit profession , pour ce que
» deslors on y pouvoit compter huit
» places partisanes des réformez ■».
11 parle au long du sie'ge delà Garna-
che (5). 11 fallut que la garnison pro-
testante se rendît enfin au duc de
Ncvits. On peut hardiment compter ,
entre tes soumissions ^t les artifices de
cette dame, les lettres qu'elle écrivit
à son frère , assiégé dans Lusignan (8) :
elle fit tout ce qu'elle put pour le
porter à se rendre aux conditions
avantageuses que le duc de Montpcn-
sier lui offrait : mais elle n'y gagna
rien.
(D) C'est apparemment île son
aventure que Brantôme parle. ] Il
dit qu'il a connu une fille de très-
grande part , laquelle vint a être
grosse du fait d'un très-brave et ga-
lant prince Le roi Henri le sut
le premier, qui en fut extrêmement
fâché , car elle, lui appartenait un
peu Le soir au bal il la voulut
mener danser le branle de la torche ,
cl puis la fit danser il un autre le
branle de la gaillarde et les autres
(6) D'Aubigné, tom. III, liv. I, chap. XIII,
à l'nnn. 1587 , pag. 65.
(") ha même, liv. II, chap. XII et XVI.
18J Thiran.} lib. LIX, ad ann. i5;4 , P<*S- 99-
branles , la ou elle montra sa dispo-
sition , et sa dextérité mieux que
jamais, avec sa taille qui était tr-ès-
belle , et quelle accommodoit si bien
ce jour- là qu'il n'y avoil aucune
apparence de grossesse ; de sorte que
le roi vint dire à un très-
grand de ses plus familiers : Ceux-
là sont bien médians et malheureux
d'être allés inventer que cette pau-
vre fille étoit grosse Ils ont
menti , et ont très-grand tort. Ainsi
ce bon prince excusa cette belle et
honnête demoiselle , cl en dit de mê-
me ii la reine le soir étant couché
avec elle : mais la reine ne se fiant
en cela la fil visiter le lendemain au
matin , elle étant présente , et se trou-
va grosse de six mois , laquelle lui
avoua et confessa le tout sous la cour-
tine de mariage. Pourtant le roi qui
étoit tout bon fit tenir le mystère le
plus secret qu'il put , sans scandali-
ser la fille , encore que la reine en
fut fort en colère ; toutefois ils l'en-
voyèrent tout coi chez ses plus pro-
ches parens , ou elle accoucha d'un
beau fis , qui pourtant fut si mal-
heureux qu'il ne put jamais être avoué
du père putatif, et la cause en traî-
na longuement , mais la mère n'y
put jamais rien gagner '9). Il n'est
pas difficile de reconnaître là-dedans
la dame de la Garnache , qui était
fille d'honneur de Catherine de Mé-
dicis au temps de cet accident (10).
Elle ne fut pas la seule qui gagna cela
au service de cette reine.
(E).... 31. Varillas.... y a fait bien
des fautes."] Voici comme il parle (1 1):
Jacques, premier duc de JYemours ,
surnommé le beau et le galant cava-
lier par excellence , avait aimé Fran-
çoise de Rohan, gui paraissait a la
c air sous le nom de mademoiselle de
Léon //lui avait donné une pro-
messe de mariage en bonne forme :
cette demoiselle ajoutait qu'il I avait
épousée par paroles de présent , et
que le mariage avait été consommé.
Il n'en était point sorti d'enfans, et
(ci) Brantôme, Dames galantes , tom. H,pag.
m. i-o.
(10) Brantôme , au Discours rie Catherine de
Mcdicis , met la demoiselle de Rohan en trie
des Jilles d'honneur qu'il avait rues chez les
reines de France.
(11) Varillas, Histoire <le Renri \ïl , lir. V,
pag. 18 et suiu, , édition de Hollande.
44
GARNACHE.
les choses étaient encore demeurées
dans l'incertitude lorsque Poltrol tua
le duc de Guise L'amour du duc
de Nemours pour la duchesse de
Guise 5e ralluma aussitôt qu'elle fut
veuve , et il l'épousa avant que la
demoiselle de Léon eût achevé de
prendre toutes les mesures dont elle
avait besoin pour y former opposi-
tion. Ses parens, qui ne l'avaient que
médiocrement assistée avant l'infidé-
lité du duc de Wemours , s'échauf-
fèrent après qu'ils le virent marié ;
et le roi de JYavarre , son cousin issu
de germain , ceux de la maison de
Rohan, et tous les autres seigneurs
du royaume qui leur étaient alliés ,
firent entendre au duc de Wemours
que , s'il ne faisait raison a la de-
moiselle de Léon , il fallait qu'il
se battit en duel contre eux tous, l'un
après l' autre. Cette extrémité était
terrible ; et quoique le duc de IVe-
mours fût un des plus vaillans hom-
mes du monde, il n'était pas possible
qu'il satisfît tant de gens sans suc-
comber enfin dans la querelle. C'est
ce qui lui fit prendre des sûretés qui
l'exemptèrent du combat durant quel-
ques années La duchesse de IVe-
mours accoucha de deux fils et
lu demoiselle de Léon s'ingéra de
prouver qu ils n'étaient pas légitimes.
Le procès en fut instruit avec beau-
coup d' appareil. On consulta les plus
célèbres professeurs de V Europe en
jurisprudence, aussi-bien que les plus
célèbres avocats des parlemens de
France; et la plupart des uns et des
autres répondirent que la question
paraissait difficile , et que le mieux
serait d'accommoder l'affaire. La
querelle de religion qui survint en-
suite de celle du mariage ne servit
qu'il l'augmenter; car d'un coté la
maison de Rohan se fit calviniste
La demoiselle de Léon était cadette
de Bretagne , et par conséquent n'a-
vail que très-peu de bien. Elle aimait
la dépense, et c'était en lui fournis-
sant les moyens de la faire, que le
duc de Wemours s'était insinué dans
son esprit. Elle fut attaquée par ce
faible; et la reine-mère lui offrit que,
pourvu qu'elle se désistât de ses pré-
imlions , on délarlicriiil du domaine
royal la ville de Loudun et sa ju-
ridiction; et si le tout ensemble ne
valait pas cinquante mille livres de
rente , on achèterait des terres voisi-
nes, et on y joindrait jusqu'à la con-
currence de celte somme ; que le tout
ensemble serait érigé en duché, et pai-
rie, et que l'expédition de la chancel-
lerie porterait en termes exprès , que
ce duché et cette pairie passeraient de
la demoisellede Léon a ses descendons
mâles et femelles jusqu'à l'infini ,
supposé qu'elle en eût ; et si elle n'en
avait pas , h tous les mâles et femel-
les de la maison de Rohan, dans le
même degré d'infini. La demoiselle
de Léon rejeta d' abord la proposi-
tion de la reine mère Elle fut
tellement persécutée par ses proches,
qu'elle n'osa plus s'opposer ouverte-
ment au dessein de s' accommoder ;
mais il naissait toujours de nouveaux
obstacles , quand oncivyait avoir sur-
monté les précédens. Le parlement
de Paris , qui devait enregistrer les
lettres de l'érection de Loudun en
duché et pairie , en fit difficulté, et
se fonda sur ce que, pour asseoir dans
les règles un duché et pairie , il fal-
lait trouver une terre dont le futur
duc et pair fût seigneur incommuta-
ble ; c est-a-dire , qu'il la possédât si
parfaitement, qu'aucun n'eût droit
de l'en priver , ce qui ne pouvait avoir
lieu à l'égard de la terre de Loudun,
puisqu'elle était du domaine royal ,
et que quelques précautions que l'on
prit pour l'en séparer, il serait tou-
jours permis au roi de l'y réunir ; et
quand sa majesté le négligerait , com-
me elle n'était qu usujruitière de son
royaume , ses successeurs seraient
toujours en état de le faire. Il était
malaisé de réfuter cette raison par
une raison opposée d'une égale force :
mais la reine-mère aurait employé au
défaut de cela tout son crédit , et
toute l'autorité du roi son fils , si le
changement qui survint en la per-
sonne du duc de Wemours ne l'en eût
empêché. Ce prince devint pa-
ralytique // languit deux ans
entiers dans un lit , et y mourut au
bout de ce temps (12). Comme son
indisposition donnait de la pitié a
tout le monde , la demoiselle de
Léon suspendit les poursuites qu'elle
faisait contre lui en justice, et les ju-
ges n'en voulurent plus ouïr parler
(12) Il mourut à Annecy, au comte Je Fau-
cigny, le 19 de Juin iMi. Hilarion de Coste,
lilo^. des Dûmes , tout. I, pas. 79-
GARONNE.
45
apri'S la mor^e celui qui en était la naissance de ces deux enfans ; car ce
cause. Le roCjiit ravi de n'avoir plus duc n'épousa la douairière de Guise
occasion d'aliéner son domaine , et de qu'après avoir vide sou procès a\ ce
créer un nouveau duché et pairie pour mademoiselle de Rohan, en l'année
un sujet qui en était si peu digne i56S, et il v avait eu déjà une très
Et comme ce ri avait été que par né-
cessité , et par complaisance pour la
reine-mère , qu'il avait consenti a l'a-
liénation de Loudun , il se réjouit
d'être dispensé d accomplir sa pro-
messe par la mort duduc de Nemours.
i°. Je remarque que la demoiselle
dont il s'agit est nommée par L'.r. in-
terne mademoiselle de Rohan (l3) ,
et non pas mademoiselle de Léon.
2°. J'ai fait voir (14) par le témoi-
gnage de M. tic Thou, que le procès
de la demoiselle fut définitivement
jugé à son préjudice l'an i566.Lapro-
messe de mariage qu'elle produisait
fut déclarée nulle. .M. Varillas le sa-
vait bien en composant son Charles
IX. Voyez les paroles que je cite en
note (i"5); elles déclarent formelle-
ment que le mariage du duc de Ne-
mours avec la duchesse de Guise fut
précédé de la sentence qui déclara
nulles les prétentions de mademoi-
selle de Rohan (16). D'où vient donc
qu'il dit ici qu'avant que cette de-
moiselle eût pris toutes les mesures
dont elle avait besoin pour y' former
opposition, le duc de Nemours avait
épousé la veuve du duc de Guise?
3°. Quelle apparence que la demoi-
selle ait renouvelé ses poursuites
après la naissance des deux garçons
du duc de Nemours et de cette veu-
ve ? Ce mariage s'était fait après la
sentence définitive qui ruina les
prétentions de la demoiselle, et par
conséquent il n'y avait plus rien à
dire contre les enfans issus de ce
mariage. 4°- Et ainsi ces consulta-
tions des professeurs et des avocats,
ce procès instruit avec beaucoup
d'appareil, touchant la qualité des
deux fils du duc de Nemours, sont
des chimères. 5". La querelle de re-
ligion ne fut point postérieure à la
(i3) Discours de Catherine de Médicis, pag.
m. 100
(i4 Dans la remarque (A).
(i5) Aoss tôt quf la rentence définitive eut e'ie'
signifiée a ia deqioîselle de Rohan . te duc de
Nemours épousa la douairière de Guise. V aril-
las. Histoire de Charles IX, loin. II, pag. 34,
« l'ann. i566.
(16; Voyez Hilarion de Coste , Eloges des
D.iine> , tom. i. pag. e(j.
sanglante guerre de religion. 6°. La
maison de Rohan ne se fit point cal-
viniste depuis la naissance des deux
enfans du duc de Nemours ; car
M. Varillas remarque (17) que dès
l'an îfifiî, le vicomte de Rohan em-
brassa le calvinisme, par l'espérance
d'épouser l'héritière de Soubise. fj°.
C'esl encore une chimère que cette
pitié qui obligea, nous dit-on , la de-
moiselle de Rohan à susprcnclre ses
poursuites contre le duc de Nemours
paralytique. 8°. Selon M. Varillas, le
roi Henri III n'érigea pas Loudun en
duché : la mort du duc de Nemours
l'en dispensa. Cependant il est cer-
tain que cette érection fut faite en fa-
veur de la demoiselle de Rohan. g0. La
plus énorme des fautes de cet auteur
est de dire qu'il n'était point sorti
d'enfans du commerce du duc de
Nemours avec cette demoiselle. Voyez
ci-dessus (18) le passage du sieur
d'Aubigné (19).
(17) Histoire de Charles IX, liv. ///, au
commencement.
(18; Dans ta remarque (C).
(19) Voyez aussi le Laboureur , Additions aux
Mémoires de Castelnau, loin. I, pag. 808.
GARONNE , en latin Ganim-
11a , l'une des quatre grandes
rivières de France. Papyre Mas-
son (a) vous fournira plusieurs
passages de poètes concernant
cette rivière. Joignez-y la jolie
et. plaisante imagination de MM.
de la Chapelle et de Rachaumont
(b) sur son flux et son reflux. Je
me borne à marquer quelques
fautes de M. Moréri (A).
(n) In Descriptione Francis per (lumina.
(6) Dans la Relation de leur voyage.
(A) Je me borne à marquer quel-
ques fautes de 31. Moréri."] i°. 11 dit
que la Garonne traverse la plaine
d'Aran, dans le pays de Comminges.
C'est n'entendre rien dans le latin
qu'on a copié, car voicicomme parle
M. Baudrand, l'original de M . .Moréri :
Orilur (Garumna i in monlibus Au-
46
rœ in Aranid talle Hispanicœ ditio-
nis in confinio Aragoniœ. M. Bau-
drand ne parle pas de la plaine d'A-
ran, mais de la vallée d'Aran, et il
dit qu'elle appartient à l'Espagne, sur
les frontières d'Aragon, et non pas
qu'elle fait partie du pays de Com-
minges. 2°. 11 ne fallait pas dire que
la Garonne passe à Rieux, mais pro-
che de Rieux. Le sieur Coulon a évite'
cette faute en disant qu'elle côtoie
l'évéché de Rieur, en la comté de toix
(i). Ces dernières paroles ne valent
rien , puisque la ville de Rieux n'est
point du comte de Foix , et que la
partie du diocèse de Rieux côtoyée
par les eaux de la Garonne , n'est
point au comte' de Foix. 3°. Il n'est
pas vrai que la Garonne reçoive à
Toulouse le petit Lers : elle le reçoit
fort au-dessous de cette ville. 4°- ^
ne fallait pas oublier qu'à une lieue
au-dessus de Toulouse, elle reçoit
une rivière tout autrement considé-
rable que le petit Lers. Je parle de
la rivière d'Ariège. 1 ndè patentes et
fertiles campos rigans iluobus înillia-
ribus a Tliolosâ in finculo (2) S.
Crucis Aurigeram (3) fiuvium exci-
piens, arenulis aureis intermicantem,
jam suis cujuis et externis ralenlior
Tholosam Tectosagum metropolim
alluit; c'est ainsi que parle Papyre
Masson (4). 5°. Dire , comme fait
M. More'ri, que la Garonne vient près
de Bordeaux, est vouloir que les lec-
teurs s'imaginent qu'elle ne touche
point les murailles de cette ville, ce
qui serait une très-fausse imagina-
tion. 6°. La Garonne et la Dordogne
forment un seul canal de la Garonne
ijui passe à Blaye. Cette expression
esl si barbare, que le plus ignorant
Wallon se serait mieux explique'.
70. 11 ne fallait pas dire qu'il y a sur
la droite de la Garonne, et sur le
rivage de Xaintonge une ville nom-
mée Marmande; il fallait dire Alor-
tagne. 8°. Au lieu de Pavillac et de
Soulac, il fallait dire Pouillac et
Siiiii/fac.Lni*. et la 5e. fautes se, trou-
vent dans le Dictionnaire géographi-
que de M. Baudrand.
(1) Trailé dis Uivicrcs de France, /rc. part.,
pag 4;5.
(2) fl faut lire viculo, petit village.
(H) /.'auteur ne traduit pa> bien ce mot par
la EViège.
(4j In Dcscriptione Francité per Flumina ,
pag. 433, edit. l'nris. l685.
GÉDICCUS.
GÉDICCUS ( Siagrr ) , docteur
en théologie , et ministre à Mag-
debourg, ne m'est connu que
par la réponse qu'il publia, l'an
i5q5 , à un petit livre dans
lequel on avait voulu prouver
que les femmes n'appartiennent
point à l'espèce humaine , ma-
tières non esse hommes ( A ).
Cela s'exprime en latin beau-
coup plus heureusement qu'en
français ; car autant il est ridi-
cule de soutenir en latin mulie-
res non esse homines , autant
est-il ridicule en notre langue
de soutenir que les femmes sont
• des hommes On a réimprimé ce
petit livre plusieurs fois (R) , et
il s'est trouvé des gens qui ont
soutenu tout de bon la thèse
qu'on voit au titre (C). Je n'ai
point trouvé que la reine Elisa-
beth y soit mise en jeu (D).
Il y a des gens qui croient que
l'auteur de l'Ecclésiastique a com-
battu le paradoxe que les fem-
mes ri ont point d'âme. S'ils
avaient raison , il faudrait con-
clure que l'auteur italien qui a
soutenu ce paradoxe a renou-
velé une chimère bien surannée
(E). Rajeunir en ce sens-là une
vieille décrépite n'est pas un
ouvrage fort malaisé. L'art de
Médée n'y est pas nécessaire.
Cependant comme ce nouvel au-
teur n'a pas été en état de se
prévaloir des raisonnemens de
ceux qui ont été réfutés dans
l'Ecclésiastique, il peut préten-
dre à la gloire de l'invention à
certains égards. Vous verrez ci-
dessous (a) un passage des Mé-
langes d'Histoire et de Littéra-
ture recueillis par M. de f^i-
g/ieul-Maiville.
(a) Omis la remarque (E).
GÉDICCUS.
47
(A) On avait voulu prouver
mulieresnon esse homines.] J'ai parle
ailleurs (i) des vacarmes et des tem-
pêtes qu'on excita contre le pauvre
Acidalius, qui avait donne à son li-
braire une copie de cette disserta-
tion , et j'ai averti là mon lecteur que
je parlerais ici de ce petit livre. Je
doute fort que le sieur Ge'diccus ait
fe'netre' la véritable intention de
auteur. 11 s'est amusé à faire dans
toutes les formes l'apologie du sexe :
il a donc cru qu'il réfutait un ou-
vrage où l'on avait eu principale-
ment en vue de dire du mal des
femmes. 11 n'a été guère fin, ce me
semble. L'auteur de la dissertation
n'en veut point principalement aux
femmes; ce n'est que par accident et
fort indirectement qu'il les maltraite :
son principal but est de tourner en
ridicule le système des sociniens, et
leur méthode de se jouer des textes
les plus formels delà parole de Dieu,
touchant la divinité du verbe. 11 y a
long-temps qu'un journaliste l'a re-
marqué. Voici ses paroles (2). « Pour-
» quoi ne pas permettre à tout le
» monde de se convaincre que les
» sociniens ne payent que de chi-
» caneries si méchantes, qu'on leur
» a fait voir qu'avec leurs gloses on
» éluderait tous les passages de l'E-
» criture qui prouvent que les fem-
» sont des créatures humaines , je
» veux dire de même espèce que les
» hommes. Ce fut le sujet d'un petit
» livre qui parut sur la tin du der-
V nier siècle , mulieres homines non
» esse , auquel un nommé Simon
» Gécliccus, ministre du pays de Bran-
» debourg, répondit fort sgrieuse-
» ment, n'ayant pas pris garde au
» but de l'auteur, qui était défaire
)> une satire violente contre les so-
)> ciniens; car, en efièt , que peut-on
» imaginer déplus propre à les tour-
» ner en ridicule, ou de plus mor-
» tifiant, que de leur montrer que
» les gloses avec lesquelles ils com-
» battent la consubstantialité du fils
» de Dieu, sont capables d'empêcher
» qu'on ne prouve, par l'Ecriture, que
» les femmes sont des créatures hu-
» maines ? » Cochleus employa la
(il Remarque (G) de l'article AciDiLius ,
tom. I , pag. 176.
(a) Nouvelles de la République des Lettres ,
mois de juillel'i6o'5 , pag. 802.
même machine , mais fort inutile-
ment, contre Luther: il lit des li-
■\ resoù, ense serrant delaméthodelu-
thérienne , il prouvait par des passages
de l'Ecriture , que Jésus-Christ n'esl
point Dieu , que Dieu doit obéir au
diable , et que la Sainte Vierge ne
garda point sa virginité. Cum Lu-
therani Scripturis ad suas nugas
aptatis luderent , Cocherus (3) in aclis
Luther ianno 1 527 .se librum ex Scrip-
inri.s malè consenti consarcinâsse tes-
tatur, ad probandum , quodChristus
non sit Deus; additque anno i52S.se
item simili arteac scopo, scripsissede
ohedienliâ diabolo débita a Deo, et de
Beatissimœ ï irginis integritate 1 iola-
tii. I Tndèliquerevolebat,nihilesse à deo
sdnetum , adquodimpugnandum non
possentoblorqueiiScripturce &). L'au-
teur dont j'emprunte ces paroles ve-
nait de donner un grand exemple du
pouvoir de la chicane : il avait mon-
tré qu'en se servant des principes de
certains censeurs , le Symbole des
apôtres ne contenait aucun article
que l'on ne put fulminer. 11 se plaint
de ce que Pétrus Aurélius avait fron-
dé depuis peu cet exemple de chica-
nerie (5) ; mais je ne saurais approu-
ver sa plainte après avoir lu, dans
M. Baillet, ce que je m'en vais copier.
« Le père Théophile Raynaud
» fait voir qu'il n'y a point de livre,
» quelque parfait et quelque saint
» qu'il puisse être, où on ne puisse
» trouver quelque chose à dire à
» droit ou à tort, quand une fois on
» s'est mis sur le pied de tout per-
» vertir, et de contrôler sur toutes
0 choses. Mais il n'était pas fort né-
» cessaire qu'il nous en donnât des
)> preuves si sensibles et si efficaces, en
)> voulant nous persuader qu'il savait
» autant qu'aucun autre l'art de lii-
» cher et de chicaner, lorsqu'il a
(31 C'est une faute d'impres<ion qui est mar-
quée dans /'errita. Il faut lire Cocleus un
Cochleus. M. Kaillet, Jugeraens des Savans ,
loin. I,pag. io3, ne s'e'tanl point aperçu dr
cette faute il' impression, a cru que Théophile
Kaynaud avait cite un nommé Cocher.
(4) Tlicnph. Kaynaudus , de bonis ac malis
Lions, part. III , erolem. III, num. 5î8 , pag.
m. agp.
(.->; Von me latet nuper Petruni Aurelium io
hanc scriptiooem romuisse pleraque virulente.
quasi id sit illudere verbo Pei. Sed bec est plané
Irivola rrimmalio, hujusmodi enim al bominera
recriminationes à viris piis m non uissimili rna-
teriâ sont tdbibilK. Sic cum lulberani , etc.
La suite est dans le corps de «elle remarque.
AS
GÉDICCUS.
„ publie une censure libertine etim-
5> pie du Symbole des apôtres, dans
» laquelle ou lui-même, ou celui à
» qui il l'attribue , et qu'il appelle
» très-catholique et très-savant hom-
3, me tire en effet tous les mots de
» ce symbole ou par les cheveux ou
» parles pieds, pour faire voir qu'il
3) n'y en a point qui ne soient sus-
„ pects, dangereux, captieux, im-
„ pies et he're'tiques en un sens.
„ Voilà , à dire le vrai , un essai de
j, ce que peut produire la maudite
« chicane. Mais je ne vois pas bien
» quel jeu cet auteur très-catholique
» a voulu jouer, en jouant ainsi no-
» tre profession de foi. Je ne sais si
» c'est pour les personnes simples et
» faciles à être scandalise'es , ou si
» c'est pour les prétendus esprits-
» forts qu'il a fait cette pièce, et s'il
si a voulu rendre quelque service aux
3) sociniens ou aux de'istes (6). » Con-
sultez l'article Poza *.
(B) On a réimprimé ce petit livre
plusieurs fois.} L'édition dont je me
sers est de la Haye i638 , in-ii , je ne
marque pas les autres. Je ne saurais
bien dire si l'ouvrage condamne par
la congrégation de Y Inde.) , à Rome le
18 de juin i65i,est une version de ce-
lui-ci. Cet ouvrage a pour titre , Che
le donne non siano délia specie
degl' huomini : Discorso piacevole, tra-
dolto da Horalio Plat a , Romano('j).
(C) Il s'est trouvé des gens qui ont
soutenu tout de bon la thèse qu'on
voit au titre.] On en verra la preuve
dans cette remarque : mais tous les
exemples que j'alléguerai ne sont
F oint propres à montrer qu'on ait pris
affirmative sérieusement. Je crois ,
avec Vossius, que Cujas la prit seule-
ment pour se divertir (8) : Eoque cùm
Cujacius conlenderet , mulieres non
esse homines , credo a seriis animum
remittens ( propè amittens in tali ne-
gotio dixerim ) pauxillum voluit nu-
gari , quod post magnum virum aliis
ciiam nugandi prœbuit occasione.m.
Cette matière fut extrêmement agitée
en Hollande pendant (pie Sorbière y
(6) Jugemens des Savans , loin. /, pag. 102
io3.
* Baylc n'a pas donné cet article.
(?) Voyez, Hndex d'Alexandre VII, num, 55,
pag. ï55.
(8) Vossius , de Origin. Idololfltr. , Ub, III ,
cap. XLVIII, pag. m. <|8;j.
demeurait : M. Béverovic , dit- il, a
fait, « un livre de i 'excellence des
» femmes, en suite d'une dispute sur
» une thèse avancée en forme de pa-
ît radoxe par un écolier qui voulait
» exercerson esprit; mulieres nonesse
» homines. Cette dispute est passée
» de l'académie dans l'entretien des
» meilleures compagnies; et il a été
» déjà écrit beaucoup pour et contre.
» Enfin M. de Béverovic s'en est mê-
» lé , et nous a donné un aussi galant
» et docte ouvrage que l'on peut
» faire sur cette matière.. Il n'a rien
» oublié à dire à l'avantage du beau
» sexe , et il a vérifié par mille exem-
» pies ce qu'il a tâché de prouver
» méthodiquement et par bonnes rai-
» sons , que les femmes n'étaient
» point inj< Heures aux hommes en
» aucunes qualités du corps et de
» l'esprit (y). » Je voudrais que Vos-
sius eût jugé aussi sainement de l'o-
pinion d Aristote , que de celle que
Cujas entreprit de soutenir : mais il
ne fallait pas attendre cela de lui;
l'autorité d'Aristote était encore trop
respectée. Ce grand philosophe a sou-
tenu un étrange sentiment : il a cru
que la nature ne formait des femmes
que lorsqu'à cause de l'imperfection
de la matière , elle ne pouvait par-
venir au sexe parfait. Vossius (10)
loue Cajetan d'avoir avoué cela à l'é-
gard de la nature particulière, mais
de l'avoir nié à l'égard de la nature
universelle. Ainsi, au dire de ces deux
docteurs, la nature humaine ne se
propose pas d'engendrer des femmes :
son but, est toujours de faire des mâ-
les; mais, parce que , si elle parve-
nait toujours à ce but-là , l'univers en
souffrirait trop, il y a une nature
universelle qui y remédie. Quel pi-
toyable jargon ! et ([lie voilà une idée
de sagesse bien bizarre, et une étran-
ge philosophie ! La nature humaine
opérerait alin de se conserver , et
néanmoins elle n'aurait pas pour but
de produire l'être sans lequel il n'est
pas possible qu'elle se conserve. C'est
la plus grande des absurdités ; et
néanmoins il y a un nombre innom-
brable de médecins et de philosophes
(ci) Sorbière , il ans une lettre à Guy Patin ,
fente de Leiden , environ l'an i65o C'est la
I.XIT1". Voyez la page 4^7 de ses Lettres,
in-4».
(10) De Origin. Idololatr. , png. 984.
GÉDICCUS.
qui ont soutenu que la nature ne
fait des femelles que quand elle s'est
de'route'e, et qu'ainsi elle n'en pro-
duit que par hasard , que par acci-
dent, que par force. Ecoutons cette
sottise en italien, Huomini sapientis-
simi hanno lasciato scritto , che la
natura , percib che sempre intende ,
e disegna far le cose piu perfette ,
se potesse , produrria continuamenle
huomini : e quando nasce iina donna ,
è difetto , o error délia natura , e
contra quello , ch'essa vorrebe Jure :
corne si vede ancor d'uno , che nasce
cieco , zoppo , o con qualche altro
mancamenlo , e ne gli arbori molti
fruit i , che non maturano mai. Cosl
la donna si puo dire animal produt-
to a sorte, e per caso {xx). Ce que je
trouve de plus e'trange est de voir
que dans un concile (12) on ait gra-
vement rais en question si les fem-
mes e'taientune créature humaine , et
qu'on n'ait décide l'affirmative qu'a-
près un long examen *.
;(D) Je n'ai point trouvé que la reine
Elisabeth y soit mise en jeu. ] Voici
ce qu'on trouve dans la vie que M. Le-
ti a publiée de cette reine. J'ai tou-
jours regardé avec horreur, dit -il
(i3), un méchant livre qui a pour
titre que les femmes sont d'une autre
espèce que les hommes , ou l'on ose
alléguer l'exemple de cette reine pour
se moquer de ceux qui ont loué sa ca-
pacité dans l'administration des af-
faires, et dire que pendant son règne
ses favoris , son conseil et le parle-
ment faisaient toutes les affaires ,
sans qu'il y eut autre chose d'elle
que son nom. Comme apparemment
il y a quelques autres dissertations
sur la thèse , mulieres non esse homi-
nes , outre le traite que le sieur Gé-
diccus s'est donne la peine de réfu-
ter , je serais fort te'me'raire si je niais
(11) I.e comte Baltbasar Castiglione , dans son
Parfait Courtisan , liv. III. pag. m. 382.
fi 2) De Maçon. Voyez la Polygamia trium-
phatrix , pag. Iî3, oi( on lit ces paroles : C'um
inter tôt sanctos patres episcopus quidam, sta-
tuerel non posse nec debere mulieres vocari ho-
mines , res taati est habita ut in timoré Dei pu-
bliée ibi venttlarelur , et tandem post militas
■vexât» lui jus qutestionïa discepiationes conclude-
retur quod mulieres sint homines.
* La Poli gaima triumphalrix est de J. Ly-
séru<, qui a place dans le Dictionnaire de Bayle.
(Voyez torn. IX.) Joly reproche à Bayle de s'ap-
puyer sur le témoignage d'un semblable auteur.
(i3) Au lom. I, pag. G.
TOME VU.
49
ce que M. Leti rapporte ; car j'avoue
que je n'ai lu sur cette matière que le
livre que le sieur Gédiccus a réfuté.
Je dirai seulement que M. Leti aurait
obligé1 ses lecteurs, s'il avait caracté-
risé le livre (i4) où il à lu cette mé-
disance contre la reine Elisabeth.
(E) Que l'auteur italien qui a sou-
tenu ce paradoxe a renouvelé une
chimère bien surannée. ] « Un Espa-
» gnol a dit que les bêtes n'ont point
» d'ihne. Un Français l'a dit aussi.
» Mais un Italien plus outré s'est
» avisé de soutenir que les femmes
» n'ont point d'ilme, et ne sont pas de
» l'espèce des hommes : Che le don-
» ne non habbiano anima , e che non
» siano délia specie de gli huomini, e
» vienne comprobato da molli luoghi
» délia Scritura Santa : ce que l'au-
» teurtiîche de prouver par plusieurs
» passages de l'Ecriture Sainte, qu'il
» ajuste à sa fantaisie. Tant que ce
» livre ne parut qu'en latin , Vln-
» quisition ne dit rien ; mais dés qu'il
» fut traduit en italien, elle le cen-
» sura, et le défendit. Les dames
» d'Italie prirent ce système bien di-
» versement : les unes étaient fâ-
» chées de n'avoir point d'ames, et
m de se voir si fort ravalées au-des-
» sous des hommes, qui les traite-
» raient dorénavant comme des gue-
» nons ; les autres , assez indifiëren-
» tes , ne se regardant plus que com-
»> me des machines, se promettaient
» de faire si bien jouer leurs ressorts,
» qu'elles feraient enrager les hom-
» mes. Il était bien juste d'arrêter le
» cours de cette hérésie qui est an-
» cienne,etsi ancienne que l'Ecclé-
» siastique paraît l'avoir combattue,
» lorsqu'il a dit que Dieu avait
» crée h Adam une compagne sem-
» blable a lui; et qu'il leur avait
» donné à tous deux une langue, des
» jeux, des oreilles, et par dessus
» tout cela, une âme pour penser et
v se conduire. L'auteur du commen-
« taire sur les épîtres de saint Paul,
» faussement attribué à saint Am-
» broise , dit nettement sur le cha-
» pitre XI de la Ire. aux Corin-
j) thiens , que les femmes ne sont
3) pas faites à l'image et ressemblance
» de Dieu : Fœminas ad imaginent
(i4) Il aurait fallu marquer en quelle langue,
en quel pays, en quel temps , ce livre fut im-
prime'.
5o GELDENHAUR.
» Dei fadas non esse (i5). » Tou- il fit son cours de philosophie à
chant cette dernière question voyez £ouvain s| heureusement, qu'il
fiisbert Voètius au IIIe. tome du Po- ,. . , ,, 7 . *
uisneu vocuiusa se rendit capable dy enseigner
tittca ecclesiastica (ioj. n piouve en . i j &
peu de mots, par trois raisons, que la cette science. Le tut dans cette îl-
femme fut faite à l'image de Dieu ; il lustre université qu'il lia une ami-
rèpond à l'objection qu'on voudrait fâ très-étroite avec plusieurs sa-
fonder sur un passage de saint Paul l
Ï171. H réfute aussi (.8) avec la même vans personnages, et nommément
brièveté la fausse thèse matières non avec Erasme. Il fit quelque séjour
cm in et par plusieurs autres sco-
lastiques avec la même modification prince (&);maiscomme il n'aimait
que nous avons vu (20) que Cajetan y pas à changer souvent de demeu-
a fourrée. An mulier sit à^^u. re , et qu'il ne trouva pas à propos
erratum naturœ etmas occasionatus , , ,, *■ 1 „ 1 x
etper accidens generetur , atqae adeo de i accompagner en Espagne ,
su monsirum ? Resp. Taie quid ex- il se détacha de lui, et se mit au
cidit Aristoteli lib. 2. de générât, service de Philippe de Bourgo-
animaliumcap. 3. et lib. ^cap. 2. gne , évêque d'Utrecht. Il futson
lecteur et son secrétaire pendant
douze ans (B), c'est-à-dire jusques
en l'année i5a4> 4ui fu* celle
de la mort de ce prélat ; après
quoi il fit les mêmes fonctions
auprès de Maximilien de Bour-
gogne. On l'envoya à Wittem-
t?o. Sed panacω distinctions , y^ ^g afin d>examiner
olhri putant crudam liane opimo- ,, , ° ' , , . 7 1 ■ j 1» '
Hanc opinionem adoptavit Thomas,
part. 1. qu. Q2, art. et lib. 3. c.
Gentes cap. g4- Ejusque sequaces ,
Viguerius Institut, cap. 11. § 2. u. 4.
Et commentatores ad Thomœ Sum-
mam Cajetanus , Medices , Alago-
na , et Ferrariensis ad. 3. c. Gentes
cap. ç/|. Insuper ex sententiariis Bo
naventura, sEgidius, Richardus ad 2
di
CIÏluilllI UUUUAU Ll HUUJll ir.di- u^imw
, quôd fœmina sit occasiona- * état des écoles et celui de 1 e—
tivè , non per se, respectu agentis glise. Il rapporta de bonne foi
particularis ... sed quôd . . . sit per ce qu'il y avait observé ; et avoua
se ex intentioue agentis universalis ,
et naturne (21).
(i5) Mélanges d'histoire et de littérature, re-
cneillis par M. de Vigneul-Mai ville , pag. 16 et
suif. , édil de Fouen, 1699.
(16) Gisb. Voètius, Politicae ecclesiast. pari.
II , Ub. I,pag. i85, 186.
(17) Au verset 7 du chap. XI de la I"\
éiiître aux <orintliieus.
(18) Voëlius, Polit, ecclesiast. , pari. II,
pag. 179 , 180.
(19) Dans la remarque (C).
(20) La même,
(u) Voetius , Polit. , part. II, pag. 181.
qu'il ne pouvait point désap-
prouver une doctrine aussi con-
forme aux prophètes et aux apô-
tres , que celle qu'il y avait en-
tendue. Ainsi il quitta le papis-
me, et se retira vers le haut
Rhin. Il se maria à Worms , et
y enseigna la jeunesse pendant
quelque temps. Ensuite il fut
appelé à Augsbousg (C) , pour le
même emploi ; et enfin , l'an
1 534, il s'en alla à Marpourg.
de Niniegue (A), a tenu un rang T, ensei notoire pendant
considérable parmi les savans «feux ans , et puis la théologie
GELDENHAUR (Gérard),
en latin Geldenhaurius , natif
hommes du XVIe. siècle. Il étu-
dia les humanités à Deventer
sous de très-bons maîtres (a) , et
Alexandre Hégius, et Jean Ostendorp,
jusques à sa mort II mourut
de peste, le iode janvier i542,
(b) Voyez la remarque (B) , à la /in.
GELDENHAUR.
à l'âge de soixante ans (c). Jl
avait été moine (d). Son chan-
gement de religion , et quelques
écrits qu'il publia contre l'église
romaine , le brouillèrent avec
Erasme (D) , qui parle très-mal
de lui , et qui, au lieu de l'assister
dans sa misère , le paya de rail-
leries (E) , et le traita d'esprit
séditieux ; reproche qui ne mé-
rite pas moins d'attention , que
le soin que prit Erasme de nier
qu'il condamnât le supplice des
hérétiques (F). M. Moréri a fait
quelques fautes considérables (G).
Paul Fréher n'a pas été aussi
exact qu'il le devait être (H). Je
donne les titres de quelques ou-
vrages de Geldenhaur (I). C'é-
tait un homme qui entendait bien
la poésie et l'art oratoire (e).
L'empereur Maximilien le ju-
gea digne de la couronne j>oéti-
que , l'an 1 5 j 7 - Ce fut après
avoir lu avec attention une ving-
taine de vers latins composés en
son honneur par Geldenhaur (f).
Notez que cet écrivain supprima
une vérité dans l'une de ses his-
toires (K). Les conditions sous
lesquelles on le chargea d'être his-
torien peuvent être quelquefois
une occasion de mentir ( L ).
Il y a dans le Théâtre de Fré-
her une petite contradiction que
j'aurais dû ne point passer sous
silence. J'ai bien dit que l'on y
trouve que Geldenhaur ne fut
(c) Tiré du Théâtre de Paul Fre'hei- ,pag.
1 14, où l'un cite les manuscrits de l'acadé-
mie de Marpourg.
{d) y oyez la remarque (B).
(e) Celebris poëta , celebrïor orator, cele-
berrimus theologus ( Lovanii ) salutatus.
Reiuli. Loricliius, Schohis in Aphthon., pag.
m. 3o2.
\f) Geldenhaur , in Tilâ Pliilippi à Bur-
gundiâ , circajin. Vous y trouverez ce petit
poème.
appelé à Marpourg que l'an
• 534 ; mais je n'ai point dit que
l'on y trouve dans un autre en-
droit qu'il enseigna à Marpourg
dès l'an i52(j(Mj.
(A) Natif de Nimègue. ] Il était
plus connu sous le nom de sa patrie
que sous celui de sa famille ; car on
l'appelait ordinairement Gerardus
Noviomagus. Erasme ne l'appelle pas
autrement dans les lettres qu'il lui
écrit. Konig (1) ne parle de lui que
sous le mot Noviomagus. Quelques
autres bibliographes ( a ), ne pre-
nant pas assez garde aux choses ,
ont trouvé deux auteurs où il n'y
en avait qu'un ; ils ont distingué
Gerardus Geldenhaurius , de Gerar-
dus Noviomagus. L'erreur de la Po-
pelinière n'est pas moindre. Gérard
de Noyon Noviomagun, dit-il (3) ,
a dressé l'histoire de Hollande, i53o.
Ne semble-t-il pas qu'il lui donne
Noviomagun pour nom de famille ?
n'est - il pas du moins certain qu'il
le croit natif de Noyon , en Pi-
cardie? On trouve une pareille mé-
prise dans le Ier. tome de la Biblio-
thèque Universelle. M. A/attheus
fait voir qu'Eligius avait déjà prêché
V Evangile aux Frisons . . . et qu'il
fut le premier évêque de Nimègue
f4')« Il y a trois fautes dans ces paro-
les. 11 fallait traduire le mot latin
Eligius , par celui cYEloi , et le ter-
me de Noviomagus , par celui de
Noron ; car c'est de Noyon que saint
Eloi a été évêque. Nimègue n'a ja-
mais été une ville épiscopale.
(B) Son lecteur et son secrétaire
pendant douze ans. ] Voici comme
parle l'auteur qui m'a fourni cet ar-
ticle (5j ; Se ad Philqipum Ultrajec-
tinum pr : sulem contutil , eique a
Secretis in latind linguâ , et in cubi-
culo h hclionibusfuit peT annos Mil .
Je m'étonne que Paul Fréher ne dise
pas que Geldenhaur était employé à
des fonctions de dévotion chez cet
évêque, comme l'assure Valcre An-
dré (6), Pht/ippo Burgundo , epi-
(1! In Bibliotheeâ veteri et nova.
(aj Les abiéviateurs de Gesner et Draurlius.
(3 Histoire .les Histoires , Un. IX, pag. 483.
(4) Bibliothèque universelle, Ivm. /, pag. 8g.
(5) Paul Fréher, t'n Thealro, pat;. 114.
(6) Valer. Aodr. in Bibhulhecâ Bclgicâ , pag.
52
GELDENHAUH.
scopo Ullrajectino a sacris. C'est l'ex-
pression de Valère André. M. Moréri
l'a traduite par aumônierde Philippe
de Bourgogne. On ne doit point dou-
ter crue Geïdenhaur, qui était moine,
ne servît aux dévotions de son prélat.
Valère André n'est point le seul qui
m'apprenne la profession monastique
de ce personnage (7). Je la trouve
dans une lettre d'Erasme. Quod si
uera prœdicas , med sententid nec
aida ai s nus es , nec cuculld(Sj ; c'est-
à-dire : S'il est vrai que vous soyez
d'un naturel si houleux (g) , vous
■li clés propre ni a la cour , ni au froc.
Notez que ce moine servit aussi d'au-
mônier à Charles d'Autriche , si l'on
en croit Vossius (10).
(C) Il fut appelé a Augshourg. ]
Melchior Adam (11) raconte qu'en
i53i, les magistrats de cette ville
avant érigé une école qu'ils nommè-
rent de Sainte- Anne , appelèrent Geï-
denhaur pour en être le recteur. Voyez
ce que je cite d'Erasme à la fin de la
remarque suivante.
(D) Son changement de religion et
quelques e'crits le brouillèrent avec
Érasme. ] Lisez la lettre d'Érasme in
Pseudevangelicos (12) : il l'écrivit à
Geïdenhaur, dont il métamorphosa
le nom en celui de I utlinius, Il le
blâme d'avoir publié des livres mo-
queurs , qui ne faisaient qu'irriter
les princes contre les sectateurs de
Luther. Par'um erat evu/gdsse episto-
lam ad Spirense concilium , non mag-
110 intervallo prosiliit nobis ridiculus
ille Comètes Carolo Csesari dicatus.
Quùm iter'um te nieis scriptis admo-
nuissem, ut a talibus jocis tempera-
res , qui et principum animos ad sœ >
vitiam irritarent , et adeo nihil juva-
renl causant, a cujus victorid vestra
pendet incolumitas , ut etiain gravis-
simè lœdant , placide quidem respon-
disl.i : sed perindè quasi te fuissent
hurla tus , ut simile quiddam iteriim
(n) Ordinis Cruciferorum monackus . Valer.
Arulr. in Bibliothecâ Belgicâ, pag. 2-3.
(81 Eraam , epist. XLII , lib. III.
(9) Erasme venait de dire : .Seil heus tu , rem
oppido novam ex luis litleris arcipio. Nesciebam
te 1 ..ru virguieo pu Joie |i]:i'ilitiiii. ut ad me non
aii^is Bcribere.
C10) Cirsari Carolo Va sacris fuit. Vossius ,
de llist. lai. , pag. G.Vj.
(11) //iVilis theologor. gennanorum , pag. rp.
C'est la XLVII". du XXXI?. livre:
elle est datée du 4 de novembre i5sy.
designares , iia rursits ad Concilium
Spirense , cui tum rex Ferdinandus
prœsidebat , missus est libellus , no-
men Erasmi litleris benè magnis prœ-
ferens (i3j. Il le blâme aussi d'avoir
mis le nom et quelques notes d'E-
rasme à la tête de quelques lettres
destinées à montrer qu'il ne faul
point châtier les hérétiques. C'était
exposer Erasme à la haine de la cour
de Rome , et à l'indignation des puis-
sances qui persécutaient le luthéra-
nisme; c'était dire qu'Erasme four-
nissait des armes aux novateurs pour
combattre leurs ennemis. Ce savant
homme n'aimait point qu'on lui ren-
dît ce mauvais office; l'âge l'avait
rendu poltron de ce côté-là. Ses plain-
tes contre la conduite de Geïdenhaur,
et contre celle des luthériens , sont
très-amères, et furent repoussées par
des écrits qu'il trouva très-violens.
Il crut que Geïdenhaur en avait été
le ressort, et il ne feint point de le
comparer au traître Judas (i4)- Sed
nondum commigrdrat Argentoratum
ille (1 5) mirabilis concitartdœ sedilio-
nis , et mox turbatis rébus , alibque
profu giendi art if ex, ille qui loca ex
omnibus epistolis meis ad calumniam
idonea enotaret , mox que fingeret si-
bi librum h fratribus clam ereptum.
Qui adeô flagrabat impotenti odio ,
ut hune librum è mendaciis et con-
viciis non aliter contextum, quant cen-
to contexitur ex pannis , non potuerit
expeclare , sedfurtim emisit insulsis-
sima scholia , et intérim nuhi scribebal
Mandas cpistolas •' Eram dominus ac
prœceptor , à quo libenter admonere-
tur , qui sine imagine met non poterat
vivere , qui proximis ad me lit I tri. \
ctiam consolatus est me, hortans ut
lœlo essem animo , contemnens rabu-
las loquaces et scribaces : denique
jamdudum édita epistold med , quod
(i3) Erflsm. , epist. XI.VII libri XXXI.
(i \) Idem , epist. ullimd libri ultimi , pag .
2137, datée du iel'. d'août i53o.
(îS) Les paroles suivantes témoignent assez
qu'il parle de Geïdenhaur , ce qui se confirme
l<ar ce passage de la lettre LIf du livre XX\.
Quidam G. N. è Brabantià profugus cl ex ami-
cisaimo subite faclus rapitalis hostis , novam tra-
gœdiam movit Argentorali , nrbulo seditioni
n;itus. Is est licto nomine Vullurins. Il parle
encore de lui dans la lettre T.f'I du même li-
vre : Jani et evangelici quidam , quorum mar-
ier scelerosiis ille Gelrius , iniris teebuis hoc
agunt ut Caisaris ac Ferdinandi animum in me
irritent.
GELDENHAUR.
me facfurum scripseram , in suis ad
aiiitinuensem meum litlcris volebat mi-
hi comme ntlari ; et intérim hœc para-
bantur, lantd arle mordacia , utma-
gis lœtlar laudatus , qu'am convittis
ajj'ectus. Et hi se cum sfposto/orum
sanctimonid conferunt , quùm hoc
Vulturii factura propiits accédât ad
exemplum Judas proditoris , qu'am
Chris ti. Ceci nous apprend que Gel-
denhaur était à Strasbourg Tan i53o,
et qu'il y faisait paraître un esprit
fort remuant. C'est de quoi Melchior
Adam ni Paul Fre'her ne parlent pas.
Erasme dit en un autre endroit, que
personne, dans Strasbourg, n'entre-
prit rien contre lui avant que Gol-
denhaur y allât. 11 écrivit cela lors-
que Geldenhaur était déjà professeur
en poétique à Augsbourg : Argenlo-
rali nemo quicquam in mea niolitus
est , priusquam eb commigrdssel No-
viomagus , qui nunc agit Augustae ,
profiteturque poëticam salaria , ut
aiunt , sexaginla Jlorenorum (16).
(E) . . . qui . . . le paya de raille-
ries. ] Après lui avoir représenté plu-
sieurs choses qui ne souffraient pas
qu'il secourût ses amis dans leur in-
digence , il lui dit que la pauvreté
n'est pas une affaire pour ceux qui se
dévouent au pur Évangile, qu'ils se
doivent soulager les uns les autres ,
et qu'en se contentant de peu , et en
se réduisant au pain et à l'eau , ils
trouveront toujours de quoi vivre.
Porrb , quod significas tibi molestant
egestatem , equidem nec tant su m
inops , ut non possim; nec tant par-
eils , ut graver amiculo aureos aliquot
imparliri : sed hœc benignitas quart-
tiilum haberet momenti adtuam eges-
tatem sublevandam? Res mihi sanè
mediocris est , minimumque superest
meis necessitalibus : multum impendii
requirit hoc corpusculum jam
bona pars mihi deciditur in famu-
los , etc. . . f^erum postqu'am , mi
Vulturi , induxisti in animum evan-
gelicam vitam projîteri , miror pau-
pertatemesse molestam , quiim beatus
Hilarion , ubi non inveniret quod pro
naulo soh'eret , gloriandum duxerit,
quod insciens ad tantam evangelii
peifectionem pervenisset. Gloriatur
et Paulus , quod sciât abundare , et
(16) F.rasia., epist. LVI , l,b. XXX, pag.
IQ41 > datée du 14 décembre i53i.
penuriampati , qubd nihil habens om-
nia possiaeat. Idem co/laudat He-
braeos quosdamevangelium amp/exos,
quod rapinam bonorum suorum cum.
gaudio suscepissent sldde si
Judéei non patiuntur inter ipsos esse
pauperes , quanto magis convenit ut
qui jactant Evangelium,fratrum ino-
piam mutuâ berùgtdtate sublevent:
prœsertim cum evangelica fragali-
tas minimo sit contenta. Si panis ci-
barius adsit et aqua, non d< sidérant
Attica bellaria qui spiritu vivant.
Nescuint lu cum , jtjnnio pascunlur.
Ipsi apostoli confrtctis manu aristis
fume m seddsse leguntur . . . Fortassis
hic tibi videbor cauillis ludere ; at aliis
non idem videtur (17).
(F) Reproche qui ne mérite pas
moins, d' attention , que le soin que
prit Erasme de nier qu'il condamnât
le supplice des hérétiques. ] La dis-
pute d'Erasme avec Geldenhaur m'a
fait prendre garde à deux choses avec
quelque sorte de surprise.
La première est que, selon Érasme,
c'était tenir des discours fort séditieux
et fort outrageans, que d'exhorter
les puissances à ôter aux moines les
grands biens qu'ils possédaient, et à
ne point résister à l'Évangile. Nisi
forte non videtur seditiosum hortari
principes , ut facilitâtes sacerdotibus
ac monachis adimant , et in bonos
vestri similes conférant ; aut non of-
fendiintur illorum anirni; quùm au-
diunt, Noli occidere innocentes ; No-
li tuo periculo recalcitrare Evange-
lio ; Sine verbum Dei in tua" ditione
praedicari. Hœc quid aliud sunt quant
atrocissima concilia nondùm persua-
sis ; imb in diversion persuasis? Quos
tu vocas innocentes , illi habent pro
seditiosis et hœreticis ; et quod tu vo-
cas Evangelium , Mis persuasum est
esse doctrinam Satanœ. Prias igitur
eral dlis persuadendum. Qubd si non
potes, aliis rationibus tractandus erat
illorum animas (18). C'est ce qu'il
représente à Geldenhaur , qui avait
publié des lettres adressées aux puis-
sances , et composées sur le ton qui
est censuré ici. Ce discours d'Érasme
est un véritable Janus ; il a deux fa-
(i7) Idem , epist. XLVII , l,b. XXXI , pag.
204g, 2o5o.
(18) Idem, epbtola io Pseudevansclioos ,
pag. 2o5i. Voyez aussi epist. LIX , Mb. XXXI.
pag. 2107.
54
GELDENHAUR.
-es : il est raisonnable à certains seigné qu'il ne faut point faire mou-
•gards, mais il paraît injuste quand rir les hérétiques. Il avoue bien qu'il
:>n l'envisage d'un certain côté. Ceux a exhorté les princes à n'écouter pas
qui croient qu'il faut convertir le
monde à une nouvelle doctrine , et
détruire le mensonge régnant, doi-
vent demander qu'on les écoute, et
légèrement les plaintes de toutes sor-
tes de théologiens et de moines (19),
et à distinguer les erreurs les unes
des autres ;
très ; mais il nie d'avoir jamais
qu'on ne leur fasse point de violence : soutenu qu'il ne fallait point punir
ils sont donc injustes s'ils demandent de mort les hérétiques, et il se plaint
que Ton violente ceux qui sont d'une (20) que ceux qui l'accusent de cette
autre opinion , qu'on les dépouille de fausse doctrine l'exposent au ressen-
leurs biens, qu'on les empêche de timent des puissances , comme s'il
parler et de se montrer. Il semble leur voulait ôter le glaive que Dieu
donc que Geldenhaur allait trop vite leur a mis en main (21). tloc atrocius
en demandant les biens des moines , est , quod nusquam id doceo, non esse
et qu'Erasme n'a pas tort de lui re- sumendum capitis supplicium de hœ
procher cette précipitation. Il faut
consentir qu'on accorde aux autres
ce que l'on demande pour soi-même ;
car chacun se vante de soutenir l'in-
térêt de la vérité. Dire aussi aux
princes qui nous persécutent qu'ils
oppriment le règne de Dieu , c'est
leur dire des injures tout-à-fait atro-
ces. Il semble donc que le mieux se-
rait d'adoucir le style , et de ne pas
supposer si fortement ce de quoi il
est question. Il faudrait avant toutes
ch
reticis, nec usquam adimo gladii jus
principibiis , quod illis non adentit
Christus nec apostoli (22) ut pec-
cant qui ob quenuns errorem périr a-
hiint homines ad ignem : ita peccanl
qui in nul/os hœreticos arbilrantur
prophano magistratui jus esse occi-
dendi.... nec ulla res erat quœ pote-
rat illos magis alienare , quant si Mis
gladium excutiam è manibus , easque
sectas défendant , quas illi velut exe-
crabiles radicitùs evulsas cupiunt, et
oses faire goûter ses maximes et ses facerent , nisi rerum motus alib vocq-
preuves ; et si l'on en venait à bout , ret il I or uni aniinos. Je m'étonne qu'E-
on qualifierait après cela selon la ri- rasme, qui avait tant lu les pères, ait
f;ueur du droit et ses opinions , et ignoré que pendant les trois premiers
es sentimens de ses adversaires. Parce siècles ils ont hautement soutenu le
côté-là les observations d'Érasme pa- dogme dont il se purge avec tant de
raissent fort judicieuses ; mais quand soin. On ne prétendait point pour
nous considéronsd'un autre côté que , cela ôter aux princes le droit du glaive
si l'on ne représente pas au monde qu'ils tiennent de Dieu ; on voulait
qu'il est perdu sans ressourceà moins seulementdireque ce droit ne s'étend
qu'il ne se réforme, à moins qu'il ne pas sur les erreurs de la conscience ,
cesse de faire la guerre à Dieu en s'op- et que les souverains n'ont pas reçu
posant aux réformateurs , on n'avance de Dieu la puissance de persécuter
pas beaucoup , on n'excite pas assez
l'attention publique ; quand, dis-je ,
nous considérons cela, il nous paraît
qu'Érasme faisait trop le philosophe ,
et qu'il ignorait le peu de pouvoir de
la raison mal secourue des passions.
Quoi qu'il en soit, il ne paraît guère
Sossible que les grandes révolutions
c religion s'exécutent sans qu'on
demande pour soi , d'abord , une to-
lérance que l'on est tout prêt de refu-
ser à son prochain dès qu'on le pourra
contraindre. Non aliter hœc sacra
constant.
La seconde chose qui m'a surpris
est de voir qu'Erasme a regardé
comme une noire et odieuse calom-
nie , qu'on lui imputât d'avoir cn-
les religions. C'est le vrai état de la
question. Tous les princes du monde
reconnaissent qu'ils n'ont pas le droit
du glaive contre les vrais serviteurs
de Dieu , ou contre l'orthodoxie ; ils
ne prétendent l'avoir que contre les
ennemis de la vérité. C'est sur ce fon-
(if)) Tanlum admoneo locis aliquot , ne sit
hic prœceps principum severitas , nec facile
prœbeanl mires quorumlibel iheologorum mit
monachorum delalionibus. Erasmus , epist.
XLVfl, l,b. XXXI, pag. 2o5i.
(in) Vl lector pttritm allenlus exiilimarel
meam e\*e sententiam , non esse fax m ntten~
qimm hœreticum pana cnpilis annnadierlere ,
eaque res Cœsarem , Ferdinandum , aliosqne
principes, alque etiam liomanum ponlificem in
meuin caput irritaret. Idem , ibidem.
(21) Idem, ibidem.
(35) Ibidem, pag. 2o5a.
GELDENHAU
dément que les empereurs païens
punissaient les anciens chrétiens ,
et qu'aujourd'hui l'inquisition fait
mourir les protestons. Il est donc
très-inutile de prouver aux persécu-
teurs qu'ils ne doivent pas faire mou-
rir les infidèles ; car ils ne prétendent
pas à cela , et ils ne sont pas assez
fous pour croire qu'en leur étant
cette puissance , on leur de'robe quel-
que chose qui leur appartienne. 11
ne s'agit donc que de savoir s'ils peu-
vent punir ceux qui servent Dieu se-
lon les lumières de leur conscience.
Les pères des trois premiers siècles
l'ont nié ; d'où vient qu'Érasme n'a
osé les imiter? Kl ce qui est bien plus
étonnant (2 3) , d'où vient que depuis
quelques années un ministre de Hol-
lande a tâché de rendre odieux les to-
lérans, par la raison qu'ils étaient aux
souverains un des plus beaux droits
de leur majesté (24)? N'est-ce pas être
plus malin et plus injuste que les
païens ne l'étaient contre les pères
de la primitive église , auxquels ils
ne reprochaient point ce prétendu
attentat sur les droits des souverains,
ou ce prétendu crime d'état? mais
pour montrer l'illusion de ce minis-
tre , il suffit de lui demander pour-
quoi il ôte aux rois catholiques le
droit du glaive par rapport aux pro-
testans? Pourquoi se croit-il permis
ce qu'il blilme dans les autres comme
un crime de lèse -majesté? Je parle
pour la vérité , dira-t-U ; mais sa pré-
tention est celle de tout le monde.
(G) M. Moréri a fait quelques fau-
tes considérables.] I. Il ne devait pas
donner à PJiiHppe de Bourgogne le
titre d'archevêque d'Utreeht , mais
celui d'évêque. Utrecht n'était pas
encore un archevêché. II. Marpourg
n'est point la première ville d'Alle-
magne où Geldenhaur enseigna. III. Il
n'enseigna jamais à Wittemberg. IV.
Et il ne fut point assassiné par des
poleurs, en \5^i. Valère André a four-
ni à M. Moréri la moitié de ces faus-
setés ; voici ce qu'il dit : Turpi apo-
stasida eatholicis Belgis ad Germanos
Marpurgenses transfugit ; ubi post-
{i¥\ 11 faut supposer qu'au temps d'Erasme
on ne connaissait pas, comme l'on a fait depuis,
la force des preuves qui combattent la persécu-
tion.
(24) Votei'le Tableau du Socinianisme , lettre
vin.
65
qu'a m annos altquot historiam expla-
ndsset , dum ïrittemhergam versus
iter institua , a latronibus fissosecun
rupiir misère periit ann. salutis cid.
îo. xlii. die x. januarii , ut refert
Reinhardus Lorichius Hadamarius ,
scholtis ad y/plttlionii progymnasma-
la. Il y a plusieurs fautes dans ces pa-
roles. i°. Geldenhaur ne se retira
Point à Marpourg lorsqu'il abjura
église romaine; il n'alla à Marpourg
qu'après avoir résidé à Worms , à
Strasbourg et à Augsbourg. Voyez
néanmoins la remarque M ; 20. iî ne
fit point un voyage à Wittemberg ,
après avoir enseigné l'histoire pen-
dant quelques années à Marpourg. Il
fit ce voyage l'an \5i6 , pendant qu'il
était catholique , et au service de
MaximiliendeBourgogne;3°. il ne mou-
rut point des blessures qu'il reçut des
assassins ; ce fut la peste qui l'emporta
seize ans après cet assassinat ; 4°- l'au-
teur que Valère André allègue mar-
que très-expressément que Gelden-
haur réchappa de ses blessures. Si l'on
avait su de quels termes il s'est servi
( 25) , on ne serait point tombé dans
ces mensonges ; et cela déclare com-
bien il importe de consulter les au-
teurs que l'on veut citer. Swertius
(26) ne débite que ce mensonge, c'est
que Geldenhaur allant de Marpourg
à Wittemberg , fut tué par des vo-
leurs le 10 de janvier 1542.
(H) Fréher n'a pas été aussi exact
qu'il le devait être.] Il ne devait pas
dire que Geldenhaur se retira de la
cour impériale , re/ictd imperatorul
au/ti , et se mit au service de Philippe
de Bourgogne, l'an i5i2; caria cour
de Charles d'Autriche qu'il quitta
n'était point encore une cour impé-
riale. C'est errer grossièrement dans
les calculs, que de dire qu'un homme
qui va à Marpourg l'an 1 534 , et qui y
rneurt le 10 de janvier 1 5 4 2 , y a en-
seigné deux ans l'histoire, et ensuite
neuf ans la théologie. Historiœ pri-
mhmbiennium , acpostmodiuu noven-
nium sacras litteras... interpretatus
est. Cela serait faux, quand même l'on
(a5j Quœnam verba Gerhardw Novio?na!;us
ex lipothymid ad sese rediens, olun potuisset
die ère , cujus JPitebergam profecturi caput la-
trones seenri diffiderant , iptum apud Brunonis
vïeum humi slralum spotiaveranl , et fugitivi
norluum credenles in sylvd rehquerant. R. Lo-
ich. Scoliis in Aplilhon., pag. m. 3oo.
(26) Athen. Belg. , pag. 179.
56
supposerait que dès la première an-
née il commença d'enseigner la théo-
logie.
(1) Je donne les titres de quelques
ouvrages de Geldenhaur.} Je les tire
de Valère André : Mistoria Batavica
GELDENHAUR.
comblés de bienfaits. Ils suppriment
ce qui n'est pas glorieux à la mémoire
de leurs maîtres. Avouons néanmoins
que Geldenhaur n'a point prétendu
que la chasteté de son Philippe ait
été de longue durée : il avoue que cet
cum appendice de vetusld Batavo- évêque d'Utrecht aima le sexe, et
mm nobilàale, à Strasbourg i533 - que les prêtres ivrognes trouvèrent
mais Vossius parle d'une édition de
l'an i520 (27)- De Batavorum insulâ.
Germaniœ inférions Historiée, à Stras-
bourg 1 5.32. Kita Philippi a Burgun-
did episcopi U/trajectini. Voyez la re-
marque suivante. Catalogua episco-
porum Ullrajectinorum. Epislola ad
Gullie'mum Geldriœ principem gra-
tulatoria de principatuum suorum
adeptione. Epistofa de Zelandid. Sa-
liras octo , imprimées à Louvain, i5i5
(28).
(K) // supprima une vérité dans
l'une de ses histoires. ] Ce fut dans
l'histoire de Philippe de Bourgogne ,
fils naturel du duc Philippe-le-Bon.
Il n'oublia point de dire que ce bâ-
tard était si beau dans sa jeunesse , et
si capable d'inspirer de l'amour aux
femmes , qu'il y en eut d'assez lascives
pour courir eil'rontément après lui ;
mais au lieu d'ajouter qu'il y en eut
qui le trouvèrent sensible , et qui eu-
rent de lui jusqu'à trois bâtards, il le
représente d'une pureté virginale qui
pensa lui coûter la vie. Moribus et
conversatione ita compositus , ut ma-
gis Parlhenius qu'am Philippus ap-
pellari potuisset. Quarè non tain ama-
bat quant amabatur : lasciviores enini
quœdam matronœ in tantitm eum , se-
positd omni verecundid , deperibant ,
ut harum causa ferè in vitœ pericu-
lutn incidisset , nisi is qui ei morlem
intentât uni s putabatur, occisus fuis-
set (29V Voici la note que M. Mat-
thaeus fait là -dessus : IVec exemp/o
destitutus, prœsertim patris Philip-
pin suscepil spurios non paucos. Très
etiam ex und , Phi/ippum , Joannem ,
et Oliverinm, ut observavi ex adver-
sariis Gisberti Lappii à IVaverenX?)^).
Apprenons de là à nous délier des his-
toires composées par des domestiques
(27) Vossius , de Hislor. lat. , pag. G^-
(a8j Tire de Val André, Bibliolh. belç. ,
pag i"/i , 374-
(29) Geldenhaur, in Ptiilippo Biirgundo, pag.
m. iio. le me sert de l'édition de M. MattWus.
(30) Antonius Mailbxus , Vetens jEv» Ana-
lcct. , pag. 243, »44-
chez lui plus de rigueur que les im-
pudiques (3i). Notez qu'il était ou-
vertement protestant lorsqu'il pu-
blia cette histoire (32), et qu'elle est
toute hérétique , si l'on s'en rap-
porte à Valère André 1,33). Notez aussi
que Sufl'ridus Pétri , qui en a tiré la
vie de Philippe de Bourgogne qu'il a
insérée dans son appendix de Béka ,
en a retranché tout ce qui n'était pas
favorable à la communion de Rome.
M. Matthœus (34) observe cela dans
les notes qu'U a jointes à la nouvelle
édition de ce petit livre de Gelden-
haur, insérée dans ses Keteris œvi
Analecta (35).
(L) Les conditions sous lesquelles
on le chargea d'être historien peuvent
être quelquefois une occasion de men-
tir. ] Philippe de Bourgogne chargea
Geldenhaur de faire un recueil de
toutes les choses mémorables qui ar-
riveraient, ou dans le diocèse d'U-
trecht, ou dans les pays voisins, et
de lui lire tous les mois ses collec-
tions, et aux personnes de son con-
seil. Geldenhaur suivit cet ordre, et
on l'avertissait de changer ce qu'il
avancerait autrement qu'il n'eût fal-
lu. Cela tombait non-seulement sur
les faussetés, mais aussi sur l'indis-
crétion ; c'est-à-dire que , s'il lui
échappaitde parler d'une manière qui
ne parût point prudente au conseil
du prince, on lui prescrivait un chan-
gement. Combien y a-t-il de vérités
enfermées dans cette classe de choses!
Il faut convenir d'ailleurs qu'un his-
torien peut rectifier beaucoup de ré-
cits quind des personnes d'état exa-
minent et corrigent son travail; mais
(3i) Ebriosos prteseriitn qui cerevisid se in-
gurgitai e soient, deleslabatur, scortationibus
minus infestus. Ipse enim in Venerem propen-
sior inque adolescenlularum amoribus ardenlior
cral. Geldenh., in Pbilippo Burguado, pag. 23o.
(32) A Strasbourg, i52(j.
(33) libellus kic lotus hœreticus est. Val.
Andr. Bibl. bi-lg. , pag. 2^3.
(34) Matilixu. Vet. X.v\ Analect. , pag. ■xli'].
(35) Imprimes à Lejde, l'an 1697 , quoique
le litre porte 1G98.
GÉLÉNIUS.
*7
enfin il y a des faits dont ils ne blâ-
ment la publication que parce qu'ils
sont véritables, folu.it Me (Philippus
Burgundus) per me notari si quid in
sud dilione aut in finitimis regtonibus
memoratu dignum actum essel , sed
ed conditione ut singulis mensibus
quœ annotdr^am , ipsi et à consiliis
prœlegerem : quod c'um j'acerem , ad-
monebant si quid perperam, si quid
parhm consideratè scriplum audls-
sent , id mutarem (36).
(M) Freher dit qu'il enseigna à
Marpourg dès l'an i5a6.] Freher ra-
conte (37) que l'ouverture de l'aca-
de'mie de Marpourg fut faite le 1er.
jour de juillet i526; que le profes-
seur Johannes Ferraruis IMonlanus
en fut cre'e' le premier recteur , et
qu'on lui donna entre autres collè-
gues François Lambert , et Gerhardas
JYouiomagus. Ce François Lambert
mourut l'an i53o, comme je l'ai dit
dans son article. Cette circonstance
suffirait seule à montrer la contra-
diction de Fre'her ; car Geldenhaur
n'aurait pu être professeur à Mar-
pourg en même temps que Lambert,
s'il n'avait commence' à l'être qu'en
1 534 : mais à quel récit de Fre'her se
fiera-t-on ? Je crois qu'il faut dire que
notre homme fut professeur à Mar-
pourg l'an i5i6, qu'il quitta sa char-
ge pour aller à Worms, qu'il passa
depuis à Strasbourg, et ensuite à Augs-
bourg, et qu'enfin par cette incon-
stance professorale dont j'ai parle' en
d'autres endroits (38) , il retourna à
Marpourg l'an i53{. Sur ce pied-là,
ma première note critique (3g) con-
tre Valère André Desse'lius n'est point
bonne; mais qui n'aurait cru qu'elle
l'était, puisque je l'avais fonde'e sur
un écrivain (4o) , qui a cité les regis-
tres manuscrits de l'académie de Mar-
pourg? Il les a cités aussi lorsqu'il a
dit dans un autre endroit , que Gel-
denhaur fut professeur à Marpourg
l'an i5a6. Est-ce savoir se servir d'un
livre ? Notez que Melchior Adam a
ignoré cette première profession de
Geldenhaur.
(36) Geldenhaur. , in prœfal. Opuscnlor. il-
lustrais Germanise, apud Vossium , de Hist.
lat , pa%. 654-
(s-) Freher., in Thealro , pag. 104.
(38) fore» la remarque (G) de l'article Al-
ciat (André), loin. I.
(3g) Voyez ia remarque (G).
(4o) C'est-à-dire , Paul Fréter.
GÉLÉNICS (Sigismoxd), né
d'une bonne famille à Prague
(A) , a été un des savans hom-
mes du XVIe. siècle. Il se mit à
voyager de fort bonne heure en
Allemagne , en France et en
Italie , et apprit facilement les
langues de ces trois pays. Il se
confirma en Italie dans la con-
naissance du latin , et il y apprit
le grec sous Marc Musurus. Re-
venant en Allemagne il passa par
Bàle , et s'y fit connaître à Eras-
me qui l'estima , et qui conseilla
à Jean Froben de lui donner
l'intendance de son imprimerie.
Gélénius accepta cette condition ,
quelque pénible qu'elle fût ; car
il eut à corriger quantité de li-
vres hébreux , grecs , et latins ,
que Froben faisait imprimer. Il
s'acquitta bien de cette charge
jusques à sa mort , c'est-à-dire
pendant trente ans , et ne secon-
tenta pas de corriger le travail
des imprimeurs , il s'érigea en
traducteur, et en critique. Peu
de savans ont traduit de grec en
latin autant d'ouvrages que lui
(B). C'était un homme de grande
taille et fort gros. Il avait la mé-
moire bonne et l'esprit prompt
et subtil , ne se mettait pres-
que jamais en colère (C) , et ne
se souciait ni d'honneurs , ni de
richesses (D). Il préféra aux char-
ges qu'on lui offrit en d'autres
lieux la condition paisible qu'il
avait à Baie (a) , où il mourut
(E) en bon chrétien , âgé de cin-
quante-sept ans. Il s'était marié
dans ce lieu-là, et il laissa deux
garçons et une fille (&) , dont je ne
(à) Voyez la remarque (D).
(b) Tire de la préface que Cselius Secunctus
Curion a mise au-devant de la version d'Ap-
pien.
58 GÉLÉNIUS
sais pas quelle a été la destinée.
1res uns placent sa mort sous
l'an 1 554 (c) , les autres sous
l'an 1 555 (d). Son édition d'Ar-
nobe a été fort condamnée (F).
(c) Thuan. Bucholcerus.
(d) Pantal. , apud Bucliolcerum , Ind.
Chron.
(A) II était d'une fort bonne fa-
mille. ] Voyons ce que Curion en dit.
Gelenia familia antiqua et honesta , a
cervis nomen traxit , quos ipsi Gele-
nos vocant, ita ut Lalind lingud Cer-
vina dici possit. Pâtre m habuit sum-
mo apud regem loco et honore, ho-
minem minime illiteratum. , nam et
Moriam Erasmi in palriam linguam
convertit, et lepidum salsumque opus
cum suis communicai'it. 3/atre ejus
fœmind primarid et nobili , propler
mulievis prudenliam , et probatos mo-
res , rcgina plurimhm et famtliariter
utebatur. Talibus parentibus ortus
Gelenius , parem quoque , hoc est
ingenuam et libéraient , habuit educa-
lionem (1).
(B) Peu de savons ont traduit de
grec en latin autant d'ouvrages que
lui.] Après avoir publie' un diction-
naire en quatre langues (2), il se mit
à faire des notes sur Pline etsurTite-
Live, et les publia. Il traduisit les An-
tiquités judaïques de Josèphe, et cor-
rigea les autres œuvres de cet auteur,
en collationnant ensemble plusieurs
manuscrits. Ensuite, il mit en latin
quelques homélies de saint Chryso-
stome, et puis l'Histoire romaine de
Denys d'Halicarnasse , l'Histoire ec-
clésiastique d'Évagrius, l'ouvrage d'O-
rigène contre Celsus, les œuvres de
Philon et celles d'Appien. Après ce-
la il entreprit la version des œuvres
de Justin Martyr, et il les avait déjà
traduites pour la plupart lorsqu'il
mourut. Voilà ce que je trouve dans
la préface de Curion sur Appien. Je
n'y trouve pas le travail de Gelenius
sur Ammien Marcellin , travail que
Henri Valois a fort loue'. Voici ce qu'il
(1) Cœlius Sccundas Curio, precfat. in Appia-
nura Alexandr.
(a) Lingunrum quatuor Symphonum Lexi-
cum , grœci.t videlicet , latinis , germanicis , et
dalmaticis vocibus online disposais concinna-
vil. Idem, ibidem.
en a dit (3) : Erat quidem in utroque
horum virorum (4) magna doctrina ,
ut scripta utriusque testantur. Sed in
Gelenio major quœdam ingenii vis ,
et judicium acrius fuit. Quod citm
multi prœclari labores illius viri tes-
tantur , titm maxime interprétatio-
ns latinœ Dionysii Halicarnassensis,
Appiani, Philonis item ac Josephi ,
Origenis et aliorum. Ex quibus ap-
paret eum excellenli ingenio et sin-
gulari doctrina prœditum fuisse. Sed
et Ammiani Marcellini historiœ ab
eo éditas id ipsum abundè testantur.
In quibus plurima aculè et ingeniosè
emendavit ; et insignem paginarum
transpositionem , quœ in mss. omni-
bus codicibus reperitur , et in editione
exstat Accursii , mira dexteritate res-
tituit. Quamobrem ejus viri nomini
libenter hoc laudis testimonium im-
pertimus , neminem adhuc exstitisse ,
qui de historid Marcellini melius me-
ritus sit. Erasme ne parle pas si avan-
tageusement du travail de Gelenius
sur Pline ; au contraire, il en donne
une très-me'chante ide'e. Sigismundus
Gelenius tun nomini (5) dicavit Anno-
tationesin Plinium;'(7/M tertio ab ipso
casligatum. Sed miré imposuit illi co-
dex manu descriptus , in quo sciolus
aliquis è suo capite mulavit quicquid
libnil , et quodam modo novum Pli-
nium nobis dédit. Admonui , nefide-
ret illi exemplari, sed auditus non
sum. Hermolaiis non ausus est mula-
re lectionem Plinianam. Gelenius se
putat rem mirificam prœstitisse , ego
censeo crimen esse inexpiabile (6).
Voici le jugement de M. Huet(y) : In
iis quoque numeratur Sigismundus
Gelenius Bohemus , quo vix quispiam
pluribus hanc artem monumenlis di-
tavit : disertus imprimis habitus est et
elegans ; audax in constringendis plu-
ribus in unum periodis , vel disjun-
gendis , senstts sibi non semper intel-
leclos ad libitum recoquit.
(C) // ne se mettait presque jamais
en colère. ] Curion exprime cela en
(3) Henricus Valesius , in prcefat. Amm.
Marcellini.
(4) C en-a-dire , Mariangelus Accursius , et
Sigismond. Gelenius.
(5) C'est-à-dire , a Damien de Goë.s.
(6) Erasmus , epist. LXIX , lib. XXX, pag.
'<)57 , datée le 21 de mai i535.
(•;) Huctius, de Claris Intcrpret. , pag. m.
32 5.
GÉLÉNIUS.
%
ces termes (8) : Erat in co animi leni-
tas mira, naturœque honitas quœdam,
ut idx irasci posset etiani irritatus
cum ncmine unquam simultatem ges-
sit : rerum alienarum minime curio-
sus , minime susjiicax : sed antiqud
non tamen stuttâ simplicitate preedi-
tus. Voilà le vrai caractère d'une
bonne âme. Cela paraîtra encore par
la remarque suivante.
(D ) Il ne se souciait ni d'honneurs
ni île richesses.] Je me sers des termes
de Curion(9). Quanta vero continen-
tiâ atque abstinentiâ fuerit , quorum
Ma in lis quœ abstint non expetendis,
altéra in Us quœ adsunt , in nostrdque
potestate sunt abstinendo , Ma décla-
rant, quod ciirn per tôt annos tanto-
pere 111 re literarid élaboraient , ex
quo magnorum t'irorum gratiam est
conseculus, nullas tamen divitias con-
gessit, nullas tamen reliquit, suppel-
lectile domeslicd , victuque contentus.
Bonis et doctis , si quos egere animad-
i>erlebat , largiebatur : Jelicibus etfor-
tunalis non invidebat : calaniilatibus
aliorum affteiebatur : neminem con-
temnebat. Jllud verb maximum con-
linentiœ signum fuit , quod in régis
Bohemiœ aulam magnis prœmiis , et
honoribus , quibusque vel cupidus et
ambitiosus aliquis contentus esse po-
test, allectus renuit, hanc quietam et
moderatam vilain ambitiosis Mis et
turbulentis dignitatibus anteponens.
Omitto provincicts bonas et lilteras et
artes profite ndi ohlatas , quas nun-
qimm ut susciperet adduci potuit ,
adeb tenax proposili , uitœque generis
semel honestœ suscepli , semper fuit.
Erasme, qui trouvait Gélénius digne
d'une meilleure fortune, n'osait pour-
tant lui souhaiter des richesses; il
craignait que cela ne lui ralentît l'ar-
deur avec laquelle il le voyait occu-
pe' au bien de la république des lettres .
Gelenius pro suddoctrind nonvulgari,
proque morum sincerilate dignus est
laulioreforlund , divilias wix ausim Mi
oplare. Quidpericitli, inquis? Ne seg-
nior fiât ad provehendam rem littera-
riam. Multos 7rtvla. ad indus tria m sti-
mulat(io). Gélénius, selon M. de Thou,
lutta contre la misère toute savie(i 1).
(8) Ciirio, in prœfal. in Appian. Alcxandr.
(9) Idem , ibidem.
('10) Erasraus , epist. XXXVIII, lib. XXVII,
pag. 1555.
(u) Cum partiale Iota vitd conjlictatus.
Thuan. , lib. XIII, pag. a-, , ad ann. i554-
(E) // mourut a Bd/e.] M. Moréri
a fait ici une insigne transposition.
Sigismondde Ghelen, fait-il dire à
M. de Thou , natif de Bdle , mourut
en Bohème. M. de Thou avait dit qu'il
était né en Bohème , et qif il était
mort à Bille (13). M. Moréri a eu tort
de dire que Gélénius a traduit quel-
ques homélies d'Origène; il ne fallait
dire cela qu'à l'égard de saint Chry-
sostome. M. Teissier a eu tort de ue
le point dire ; il s'est laissé tromper
par ceux qui ont abrégé Gesner (i3).
// a aussi corrige plusieurs homélies
de suint Chrysostome , c'est M. Teis-
sier (fui parle 04) , et c'est nier que
Gélénius en ait traduit. Mais voyez
seulement le père Labbe (iô1!, vous y
pourrez compter plusieurs homélies
de saint Chrysostome , mises en lai in
par Gélénius.
(F) Son édition d'Arnobe a été fort
condamnée. ] Voici ce qu'en a dit
Barthius (16) : Ingeniosissimus sedau-
dacissimus , et nil prorsùs sibi ne-
gans , Arnobii correctorSigismundus
Gelenius in eam editionem quant to-
tam ad suum captum reformaint , aut
transforma vit potiùs , testatus nemi-
nem sibi unquam auctorem tantitm
negotii exhibuisse. Ajoutez à ce pas-
sage celui de la préface d'Arnobe, de
l'édition de Leyde , i65i. Arno-
bium quidem hune primus Bomœ
vulgaverat Franciscus Priscianen-
sis Florentinus, sed unit cum vete-
ris manuscripti , quo usus fuerat ,
foedis admodum erroribus . Sigismun-
dus postea Gelenius editionem hanc
corruiitain solo ingenio , uti po-
tuit , restituit- Sed ingenii Me fiducie.
malo exemplo usus , conjecturas suas
textui inseruit , antiquas lectiones suo
imperio ejecit , et Arnobium nobis
effinxit , qui Arnobii speciem non re-
ferret. Hanc audaciam merilo repre-
hendit Cajiterus.
(12) InBohemiâ natus, Basileœ decessit. Idem,
ibidem.
(tï) Chrysoslomi Homilias aUqnot cum mn-
nuscriplis granit exemplaribus contulit , emen-
davil, supplevtl. Epit. Bibliotli. Gesner., pag.
753.
(i^) Teissier, É"log. , tom. /, pan- 0". P"P«
Blount , Censur. autorum , pag. 4^9 i "' dans
la même erreur.
(i5) De Scriplor. ccclesiajlic., tom. I , pag.
53l et sequent.
(16) Advcrsar. , lib. XLIK, cap. I. apud
Pope Blounl , Censur. celebr. Autor. , pag. 460..
6o GENT
GENTILIS DE BÉCHIS , na-
tif d'Urbin , et chanoine de Flo-
rence, fut promu à l'évêché d'A-
rezzole2i d'octobre 1 47 3*. Les
Florentins en eurent bien de la
joie; ils le députèrent souvent
à la cour des princes, et ce fut lui
qu'ils choisirent pour aller faire
à Charles VIII , roi de France ,
les complimens de condoléance
sur la mort du roi son père , et
les complimens de félicitation
sur son avènement à la couron-
ne {a). Il se fit estimer par son
éloquence , et la fit paraître dans
des harangues latines qu'il pro-
nonça en divers endroits de l'I-
talie. Il eut part à l'éducation
de Léon X. Il se mêla aussi de
faire des vers. Quelques criti-
ques parlent de ses productions
avec assez de mépris , et ne lui
sauraient pardonner les termes
de la mauvaise latinité qui se
glissèrent dans ses ouvrages ,
ni souffrir que la meilleure de
ses pièces contienne la phra-
se prœstore obedienliam. Nous
verrons la preuve de tout ce-
ci dans un passage d'Àlcyonius
(À). La harangue où cette phrase
se trouve est celle qu'il fit au
pape Alexandre VI , lors de
l'ambassade d'obédience. On pré-
tend que l'envie qu'il eut de
haranguer en cette rencontre ,
fut l'une des causes qui obligè-
rent Pierre de Médicis à empê-
cher que les peuples d'Italie ne
rendissent ce devoir au nouveau
pape tous ensemble et par une
seule députation (B). Gentilis fut
député à Charles VIII (0) au
* Il mourut en 1^97 , dit Lcclerc.
(a) ïm/rf'Ughelli, au /er. tome de Z'Italia
hicra, pag. ^79.
(b) Dghelli , ibidem.
ILIS.
temps de l'expédition de Naples ,
et régla les conditions que les
Florentins avaient à suivre dans
cette situation délicate des affai-
res d'Italie.
(A) Nous vendons la preuve de tout
ceci dans un passage et ' Alcyonius .]
Je le lire d'un dialogue où Jules de
Médicis, l'un desinterlocuteurs, parle
de cette façon au légat Jean de Mé-
dicis, qui fut le pape Léon X. Aie-
mini eliam opérant te dare Gentili
prœsuli Aretino , homini , ut suis
temporibus , politioris humanitatis
laude florentissimo. Sed nihil etiam
melior ille fuit quant Poltlianus , id
quod ciim ex aliis monimenlis ejus
perspici polest , thm ex orationibus
quas in diversis Italiœ locis complu-
res habuit : in il/is enim mu/la verba
ex trivio arrepta visunlur, multce
quoque elocutiones barbarœ et agres-
tes occurrunt , sententiœ aulem mul-
lœ puériles ac imprudentes sunt. Non-
nulli tamen eam in primis oralionem
honoriûcd laude prosequuntiir quant
habuit apud Alexanarum VI , pon-
tif. niax. legalus populi Florentine
paulôpost quant ille sacris chrislianis
publiée prœfectus est. Veritm hanc
quoque non satis dignam video quœ
iterunt legatur ; in ed enim miniis
eleganter expressit id quod homini
exprimendum erat elegantissimè , hoc
est causant cur Romam venissel , quœ
erat ut per illum populus Florenti-
nus se conferret ad auctorilatem pon-
tiûcis maxinii. Ille aillent in hoc sen-
su reddendo plebeiam elocutioneni
usurpavit, quœ est obedientiam prae-
stare. Quant ob rem id genus oratio-
nis tempus ut alias multorum obli-
vione obraet. Feruntur quoque ejus-
dem versiculi jaciliore quidem musa
factiy sed sine cultu et latinœ purila-
lis nitore(i ). 11 y a là une prédiction
que le temps a vérifiée ; car on ne
parle pas plus des harangues de ce
Gentilis , que si elles n'avaient ja-
mais existé.
(B) L'envie qu'il eut de haran-
guer lors de l'ambassade d! obédience
a Alexandre VI, fut l'une des
causes que ce devoir ne se rendit
(1) Pclrus Aloyonius, in Medice Legato pos-
teriore , circajin.
GENTILTS. 61
f>oiiit par une seule députatio n .] peine cédait-il a V incomparable Sa-
iOuis Sforce avait fait résoudre que vonarofe. Il avait obtenu , par son
les états d'Italie n'enverraient au pape crédit, delà république de Florence,
qu'une ambassade d'obe'dience oh les que ce serait lui qui haranguerait le
députés de chaque prince et republi- pape pour elle , et il avait ensuite
que seraient ensemble , marcheraient composé son discours avec toute l'ap-
a leur rang , n auraient qu'un ora- plication dont il était capable. Il Va-
leur et concerteraient si bien leur vait communiqué a Jean Pic de ta
conduite, que si le nouveau pape se- Mirandole ,a A nge Politien, à illar-
tait proposé de les diviser , il en per- cille ricin et aux autres beaux es-
dà l'espérance (2) JMais Pierre prits de i Italie, qui, l'ayant approu-
de IMédicis , qui n'avait osé s'opposer vé , l'avaient confirme dans le sen-
ti cette résolution, parce qu'il s'était tintent que c'était un chef-d' œuvre :
trouvé seul d'avis contraire, n'oublia ainsi l'on ne pouvait le desobliger da-
rien de ce qu'il jugeait capable d'en vantage qu'en l'empêchant de te pro-
traverser l'e.ri culio/t. Il s'était fait noncer; ce qui arriverait pourtant ,
nommer chef de la députationdes rlo- s'il n'y avait qu'un orateur pour toute
rentins ; so/i équipage était presque l'Italie , parce que le roi de JVaples,
tout dressé : et comme il n'y avait en comme le plus qualifié de tous les prin-
Italie que la république de Kenise qui ces, aurait droit de le nommer. Ce
eut plus d'argent que lui, et qu'il prince, qui avaitdans sa ville capitale
n'épargnait rien dans les occasions l'académie la plus florissante de l Eu-
d'éclat , il était assuré de paraître rope , pour les belles-lettres, dont le
plus lui seul que tous les autres am- célèbre Sannazar était directeur, n'a-
bassadeurs et députés ensemble vait gardede choisir hors de ce corps
Il comprit que , si son train marchait un sujet pour porter la parole h sa
avec celui des autres ambassadeurs , sainteté. Gentile , animé par son pro~
il serait obscurci par le grand nom- pre intérêt , échauffa de sorte Pierre
bre , et qu'il n'y aurait que les yeux de Me'dicis , qu'il lui fit solliciter le
les plus Jîns qui le distingueraient roi de Dfaples pour le rétablissement
dans la conjusion , au lieu qu'en de la coutume que chaque puissance
entrant dans Home , et en allant à d'Italie rendît en particulier ses res-
l audience seul , les connaisseurs et pecls au nouveau pape (4). Cela réus-
ceux qui ne l'étaient pas beaucoup sit. La cérémonie de l'obédience se
lui rendraient une égale justice. Il fit par chaque prince, par chaque
n'aurait pourtant pas été impossi- 'république d'Italie en particulier, et
ble de le desabuser de cette préven- les deux Florentins y trouvèrent leur
tion , si ses amis y eussent travaillé ; compte. L'équipage de Pierre de
mais celui d'entre eux , 7'" lui était Médias l'emporta sur tous les autres
le plus intime , le confirma par un pour la magnificence , et la haran-
autre caprice dans son erreur , au gue de Scipion GehtUe fut tellement
lieu de l'en tirer. Celait Scipion estimée , qu'on la mit h la tète du re-
Gentile , gentilhomme florentin (3) , cueil de cette sorte d' ouvrages (5).
et évéque d'ylrezzo , qui s'était rendu Voilà une citation trop longue,
J'ort célèbre par la science des bel/es- diront quelques-uns ; mais jene doute
lettres, et par ses agrémens dans la pas que plusieurs autres ne soient bien
conversation. Sa naissance et ses aises de trouver ici l'instruction eom-
grands biens ne le rendaient pas moins plète d'un fait aussi curieux que l'est
trailable , et son trop d' attachement celui-là.
a V éloquence était presque le seul de ,,. „ ... „. , „, , ,.,,,
, ./ ,, , r . 1 ... (à) > arillas , Histoire Je Charles MU , pas.
ses défauts. Il n était que médiocre ,53;
orateur ; cependant il avait si bonne (5) Là même, pag. j65, 166.
opinion de lui-même en ce point , qu'a „ .^ „ .,_,,.
F F l G E N T î L I S ( Jean-V alentin )
(2) Varillas, Histoire rie Charles VIII, IiV. {à) , lialif de CozeilCe (A) , dailS
";^\1^,e'dfd'Jffolla"1.''t d Ie royaume de Naples, quitta
(S) Uglielh ne lui donne point ce nom ne J I ' *
baplême ; il ne le nomme que Genlilis île Béchis:
il le fan natif d'Urbin, et non pas gentilhomme (") rores ci-apres la remarque (D) de
de Florence. l'article Gentilis (Scipion) , à lajin.
62 GENTILIS.
son pays pour la religion vers le honorable , qu'à jeter lui-mê-
milieu du XVIe. siècle, et se re- me ses écrits au feu , et qu'à
tira à Genève, où plusieurs fa- promettre de ne point sortir de
milles italiennes avaient déjà la ville sans permission. Cette
formé une église. Il se trouva sentence fut exécutée le i de
parmi ces réfugiés d'Italie quel- septembre i558. 11 fut mis hors
ques esprits qui voulurent subti- de prison peu de jours après:
liser sur le mystère de la trinité, et sur la requête qu'il présenta
sur les mots d'essence , de per- touchant l'impossibilité où il se
sonne , de co-essentiel , etc. ; trouvait de donner caution , on
George Blandrata , médecin , et le dispensa d'en donner ; mais
Jean - Paul Alciat , Milanais , on le fit jurer qu'il ne sortirait
étaient les principaux de ces no- point de Genève sans le consen-
vateurs, avec un avocat qui s'ap- tement des magistrats. Il ne
pelait Matthieu Gribaud. La laissa pas de s'enfuir bientôt , et
chose se traitait sans éclat et par de se retirera la campagne, chez
des écrits particuliers. Gentilis Matthieu Gribaud (C), son cama-
se fourra dans ces disputes , et rade d'hérésie. Il fut ensuite à
ne contribua pas peu à faire le- Lyon , et puis il erra de lieu en
ver la tête à ces nouveaux ariens, lieu dans le Dauphiné et dans la
Cela donna lieu au formulaire Savoie ; et n'étant en sûreté nul-
de foi que l'on dressa dans le le part , il s'en retourna au villa-
consistoire italien , le 18 de mai ge où il s'était retiré la première
i558 (B). Il contenait la plus fois , sur les terres du canton de
pure orthodoxie de ce mystère, Berne. 11 y fut bientôt connu,
et il faisait promettre en termes et mis en prison ; mais il fut
précis et à peine d'être réputé élargi dans quelques jours, et
parjure et perfide , de ne rien il publia une confession de foi
faire ni directement ni indirec- soutenue de quelques preuves ,
tement qui put la blesser. Gen— et de quelques invectives contre
tilis souscrivit à ce formulaire, saint Athanase. Il la dédia au
et ne laissa pas de semer clan- bailli qui l'avait emprisonné ,
destinement ses erreurs. Là-des- et le chagrina beaucoup par une
sus les magistrats prirent con- telle dédicace (D;. Environ ce
naissance de la chose , et le mi— même temps il fut emprisonné
rent en prison. Il fut convaincu à Lyon pour sa doctrine; mais
d'avoir violé sa signature , ce comme il eut l'adresse de faire
qu'il tâcha d'excuser sur les in- voir qu'il n'en voulait qu'à Cal-
stincts de sa conscience. II pré- vin , et nullement au mystè-
sen ta divers écrits, d'abord pour re de la trinité, la prison lui
tâcher de colorer et de soutenir fut ouverte. Blandrata et Alciat
ses sentimens , et puis pour qui faisaient rage en Pologne
adoucir l'esprit de Calvin , et pour établir leurs hérésies le
pour reconnaître et abjurer ses firent venir auprès d'eux, afin
erreurs : moyennant quoi les qu'il fût leur compagnon d'œu-
magistrats de Genève ne le con- vre. Ils auraient fait beaucoup
damnèrent qu'à faire amende plus de mal qu'ils ne firent , s'ils
GENT
ne se fussent divisés , et si le roi
de Pologne n'eût publié, en i5r>6,
un édit de bannissement contre
tous les étrangers qui ensei-
gnaient leurs nouveaux dogmes
(E). Gentilis se retira dans la
Moravie , d'où ayant passé à
Vienne en Autriche , il se réso-
lut de retourner en Savoie ou il
espérait de trouver encore son
ami Gribaud; outre que la mort
l'avait délivré du plus redouta-
ble adversaire qu'il eût à crain-
dre en ces quartiers-là, je veux
dire de Calvin : mais il vint s'en-
ferrer lui -même ; car le bailli
du canton de Berne , qui l'avait
autrefois emprisonné , se trouva
encore en charge , et ne manqua
pas de mettre la main sur lui ,
le 1 1 de juin i566 (F). La cause
fut portée à Berne où on l'exa-
mina depuis le 5 d'août jusques
au g de septembre. Gentilis dû-
ment convaincu d'avoir opiniâ-
trement , et contre son propre
serment , attaqué le mystère de
la trinité, fut condamné à per-
dre la tête. Il se glorifia de souf-
frir pour la gloire de Dieu le
père (G) , et taxa les autres de
sabellianisme (b). Son sentiment
était tout particulier. 11 croyait
que, dans l'étendue de l'éternité,
Dieu avait créé un esprit très-
excellent, qui s'incarna lorsque
la plénitude des temps fut ve-
nue (c). Je ne pense pas que ce
soit avoir été trithéite {d); mais
(b) Cet article a été extrait d'un livre latin
imprimé à Genève, chez François Perrin,
l'an 1567, in-40. i il contient , outre divers
Traités dogmatiques , /'Histoire de la Con-
damnation de Gentilis, par Benedictus Are-
lius , théologien de Berne.
(c) Voyez la remarque {G) , « la fin.
{d) On le qualifie ainsi dans le More'ri de
Hollande, à tarticle de Jean-Paul Alciat.
ILIS. 63
il a eu sans doute en divers temps
plusieurs opinions.
(A) // était natif de Cozence. ] Quel-
ques-uns(i) ontdit qu'il n'était point
né dans cette ville ; d'autres (2) l'ont
fait Napolitain. Le sieur Nice-démo
les réfute invinciblement par le té-
moignage de plusieurs graves auteurs,
et par la signature même de Valentin
Gentilis ; mais il se trompe quand
il attribue à Théodore de Bèze l'His-
toire du supplice de cet hérétique.
Pour avoir raison entièrement, il dé-
tail attribuer cet ouvrage à Benoît
Arétius,après avoir censuré le Quat-
tromani qui l'avait donné à Calvin.
(B) Cela donna lieu au formulaire
de foi que l'on dressa dans le consis-
toire italien le 18 de mai i558.] L'au-
teur (3) du livre que j'ai cité, et
Calvin contre Gentilis, ne parlent
que du formulaire du consistoire ita-
lien , et ne nomment que cinq per-
sonnes qui le signèrent, et disent bien
que Gentilis et cinq autres , n'ayant,
point voulu signer sur-le-champ li-
gnèrent dans la suite , lorsqu'on les
appela en particulier (4) ; mais ils ne
disent pas qu'il fut l'un des sept qui
aimèrent mieux quitter Genève que
de donner leur signature , jusqu'à ce
que les fortes sollicitations des com-
patriotes les eussent obligés à reve-
nir et à signer. C'est M. Leti (5) qui ,
sans rien dire du formulaire dressé
par le consistoire italien , en rap-
porte un beaucoup plus long qui ,
selon lui, fut proposé à signer devant
le conseil. Ce formulaire n'était au-
tre chose que la confession de foi que
Calvin avait dressée depuis peu, et
que les ministres , les syndics , le
conseil des vingt-cinq, celui des deux
cents , et l'assemblée générale du
peuple avaient approuvée. Il nomme
quantité de gens qui le signèrent. Il
nomme entre autres Galeazzo Ca-
(1) Sertorio Quattromani , in Epist. ad Cel-
sum Mollum , apud Leonarduin S'icodemum ,
Addizioni alla Bibliotheca ïVapolelana, pag. i^i.
(i) Liïiilanus , 111 Dubitantio , dial. II , pag.
1/19, et ex eo Prateolus , in Elencli. Hœret. ,
pag. 5i«, apud Nicodemuni , ibid. , pag. -j4<J.
(3) Benedictns Aretius. Vuyez, touchant son
livre , la citation (//) , en note au bas du corps
de cet article.
01) Voyez Bèze, dans la Vie de Calvin.
(5) Histor Genevrina , tom. III , pag. io4-
64
GENTILIS.
ravciolo , Celso conte Martinettgo ,
Massimûiano suo fratello ministro
délia Chiesa. Mais quant au premier,
la relation de sa vie nous apprend
qu'il fut hors de Genève depuis le
7 de mars jusqu'au 4 d'octobre i558.
Or ce fut dans cet intervalle que se
firent les signatures , et que Gentilis
fut emprisonné , etc. Pour les deux
autres, la même relation nous ap-
prend qu'il faut les réduire à un,
c'est à savoir au ministre. Or ce Mar-
tinengo était mort avant qu'on son-
geâ'tauxsignatures. Voyezla CCLXIle.
lettre de Calvin. M. Leti ajoute que
sept personnes refusèrent de signer ,
et sortirent de la ville : Che in fatti
si ritirarono délia citl'a , e tra questi
Andréa Ossel/ani , Marco Pizzi , e
falenlino Gentile: iqualivintipoi in
brei'e dalle persuasive de loro corn-
patriotti , si ridussero a sottoscrivere
(fi). Ce qu'il dit pourrait être vrai ;
mais s'il l'est, quel tort n'ont point
eu les auteurs des autres relations ,
d'avoir supprimé des choses si essen-
tielles à cette histoire ? M. Spon (7)
ne s'accorde qu'en partie avec eux :
il dit que le conseil fit souscrire la
confession générale de l'église aux
Italiens suspects ; il avoue qu'il s'en
trouva qui sortirent de la ville; mais
non pas qu'ils y rentrèrent pour si-
gner , et il ne met point Gentilis au
nombre de ceux qui sortirent, de la
ville. Pourquoi faut-il que l'histoire
soit si remplie de variations? Est-ce
qu'on se plaît à falsifier les mémoires
que l'on copie? Est-ce qu'on ne s'a-
perçoit pas du changement qu'on y
apporte ?
(C) Il se retira h la campagne chez
Matthieu Gribaud.] Arétius dit qu'il
se retira in pâgum Fargiaruih , et
que ce village est dans le pays de
Gex, in prœfecturâ Gajensi. Cela me
fait croire qu'il y a faute dans l'en-
droit de Lubiéniécius (8) , où il est
dit queMatthœus Gribaldus celeber-
rimus jurisconsultus Palavinus était
pagi Turgiarumdominus. Au lieu de
Turgiarum je voudrais dire Fargia-
rum. Le pays de Gex était alors pos-
sédé par le canton de Berne.
(D) // dédia nu bailli de Gex une
confession de foi et le chagrina
<d) Mistor. Ocncvrina , loin. III , pag. 117.
(7) llisi. de Genève , à Vann. i558.
'H; Hist. Reformât, rolonicœ , pag. 108.
beaucoup par une telle dédicace.] Ce
bailli de Gex avait demandé une
confession de foi à Gentilis, afin de
la faire examiner par les ministres,
et de l'envoyer à Berne : là-dessus
Gentilis la fit imprimer comme par
ordre du bailli, et la lui dédia (9).
La Bibliothèque des anti-trinitaires
débite (10) que ce bailli, qui avait
mis Gentilis hors de prison à la prière
de Jean-Paul Alciat, devint suspect
d'hérésie à Berne , à cause qu'on lui
avait dédié cette confession , et que
de là vint qu'il s'assura de Gentilis
dès que l'occasion s'en présenta. Il le
fit pour dissiper les soupçons. Que
cela soit vrai ou non , au moins est-
il fort certain qu'il n'y a guère de
machine qui remue plus puissam-
ment ceux qui veulent conserver ou
amplifier leurs dignités , que l'envie
de ne passer pas pour hérétiques. Si
l'on faisait l'histoire de toutes les in-
justices , et de tous les tours de co-
médien qui sortent de cette source,
que d'étranges choses ne dirait-on
pas ! La confession de Gentilis, et
les pièces qui l'accompagnaient, fu-
rent imprimées à Lyon ; cependant le
titre portait a Anvers , et l'on faisait
parler le libraire dans la préface, sous
le nom de Tlieophilus ad filios eccle-
siœ. Les mensonges furent mis en tête
des crimes de fourberie dans le procès
de Gentilis (11). On le trouva saisi
de quelques autres ouvrages de sa
façon quand on l'arrêta, mais ils n'é-
taient pas imprimés. Arétius (12) et la
Bibliothèque des anti-trinitaires (1 3)
en parlent.
(E) Le roi de Pologne publia
en i566 un édit de bannissement
contre tous les étrangers qui ensei-
gnaient de nouveaux dogmes.J Mo-
réri commet ici plusieurs fautes. i°.
Il veut que Valentin Gentilis ait été
chassé de Pologne vers l'an 1062;
a°. que l'édit publié alors par le roi
Si^ismond Auguste ait banni tous les
hérétiques. Tout cela est faux. L'édit
fut publié dans une diète convoquée
le 5 de mars i566 04) > et ne regar-
(t)) Areïuis, pag. Ç) et 46.
( 10) Pag. 27. Vide eliam Histonam Keforrn.
Polonicx ,pag, 107.
(11) Arelius, pag. 46.
(12) Ibid., pag. 11, n.
(i3) Pag. 2(5, 27.
U4) In Comitïu Pinsaviensibus anno i5(î6,
5 martii celebraùs. Arétius, pag. 10. i'Histoirc
GENTILIS.
65
fiait point les calvinistes. Are'tius pute fut qu'on emprisonna l'héréli-
n'en eût pas loué le roi de Pologne que (17).
comme il a fait , si les reformés y (0)11 se glorifia de souffrir pour la
eussent e'té compris ; et tant s'en gloire de Dieu le père.] Arétim ne lui
faut qu'ils le fussent , qu'on les ac- fait rien dire de plus particulier le
(use d'avoir pousse' à la roue pour le jourde sa mort; mais il remarque ait-
faire donner. Instigantibus adversa- leurs (18) le détail que je m'en vais
riis Romano et Lemo.no spiritu ductis, rapporter. Gentilis de se ita et scrip-
rex Augustus in Comitio Lublinensi sit et loquutus est ,qubd essel palrn-
anno ! 566 legem horrendi carminis nus summiPatris eminentiw,el asser-
in Anabaptistas , et Trideitas latam
promulgari curavit , qud ii inlra men-
sem regni finibus excedere jussi. C'est
ainsi que parle le sieur Lubiéniécius
dans la page igi de sa héformation
de Pologne. 3°. Enfin, il n'y a nulle
exactitude à dire si généralement que
Gentilis passant a Berne y eut la
tête tranchée, vers l'an i565. Le père
Maimbourg (i5) n'a pas évité entiè-
rement l'anachronisme à l'égard de
Gentilis : il le fait disputer à la con-
férence de Pétricovie en 1 566; mais
elle fut tenue en 1 565.
(F) Le bailli qui l'a-
vait autrefois emprisonné se trouva
encore en charge, et ne manqua pas
de mettre la main sur lui , le 1 1 de
juin i56G. ] Ce fut à Gex que Gen-
tilis fut arrêté, et non pas à Berne.
11 y était allé (16) trouver le bailli ,
pour lui demander qu'il permît une
dispute publique , dont on trouva le
plan et les conditions parmi les pa-
piers de ce fugitif. Il voulait que le
bailli fît savoir aux ministres et aux
consistoires du voisinage , que si
quelqu'un voulait soutenir contre
Gentilis la doctrine de Calvin , il eût à
venir à Gex dans la huitaine, pour
disputer avec lui à telle condition ,
que celui qui ne pourrait pas prou-
ver son sentiment par la pure parole
de Dieu, serait mis à mort comme
un imposteur notoire , et un défen-
seur d'une fausse religion ; et que si
personne n'acceptait le cartel , le
bailli et tout le conseil de ville pro-
nonceraient que Gentilis avait des sen-
timens orthodoxes et pieux touchant
le Dieu très-haut et son fils Jésus-
Christ. La réponse que l'on fit aux
premières ouvertures de cette dis-
<le la Réformation de Pologne, pag. 19Ï, dit
que ce fut in Comitio Lublinensi anno i566.
(l5) Histoire fie l'Arianisine , loin. II /, pag.
356, e'dil. de Hollande.
(16; Arétius, pag. 47» 4^-
Tome vu.
tor gloriœ Palris. JYec dubitavit etiam
dicere, neminem adhuc ( quod ipse
quidem sciret) pro glorid et eminen-
titi Palris mortuum esse ; prophetas ,
apostolos , piosque martyres , pro
lulii glorid persecutiones , mortem ,
et extrema quœque passos esse ; emi-
nentiam autem Deipatris nullos ad-
huc martyres habere. Mettons ici le
sentiment qu'il déclara dans un sy-
node de Pologne. S ente ni ia ejus
quant in Polonid in synodo Pinczo-
viœ ann. l562 , die 4 novembris cele-
bratd proposuerat, hœc fuit , Deum
creavisse inlatitudine œternitatis spi-
ritum quemdam excellentissimum ,
qui posteà in plenitudine temporis
incarnatus est (19).
(17) Ab prœfecto Gaiensi petit publiram di>-
putationem: respondit ille , fiât quod justum est,
et ad carerre* duci jussit. Idem, pag. 10.
(18) Pag. 27.
(iCf) Bibliotb. Anti-Trinitar. , pag. 2G. Ilistor.
Réf. Polon. , pag. 107.
GENTILIS (Albéric), pro-
fesseur en droit à Oxford , était
fils de Matthieu Gentilis , méde-
cin italien (A) , issu d'une an-
cienne et noble famille de la
Marche d'Ancône. Ce médecin
ayant trouvé des abus dans la
communion romaine , et goûté
la bonne semence de la réforma-
tion , abandonna son pays , et se
retira dans la Carniole avec Al-
béric son fils aîné , et avec Sci-
pion le pénultième de ses sept
enfans. Albéric fut envoyé en
Angleterre, où sa grande capacité
lui fit trouver un bon établisse-
ment, je veux dire une chaire
de professeur en droit dans l'uni-
versité d'Oxford, l'an i5b2. Il
5
66
GENTILIS.
optimus et cla-
avait été reçu docteur à Pérouse Matthœus Gehtilis op,
, i,a i ■ ». „♦ ,,v, anc ot rissimus, Malth. Durastanti , nied.
a âge de vinfit et un ans. et ,., »
a iagc «" ''6 é ''<••»• et philos, prœstantissimo proposuts-
peu après il avait ete tait juge set tetiu0libroeinspondit(i).lHotez
dans la ville d'Ascoli , charge en passant que le médecin qui ré-
qu'il quitta afin de s'exiler avec pondit à cette question a été mal
■ •" i nommé Durastanes par AI. Konig. Il
s'appelait Durastantes (2).
(B) II composa plusieurs ouvra-
ges. ] Il a fait trois livres Je Jure
fielli, qui n'ont pas été inutiles à
Grotius. Il en a fait aussi trois de
Legationihus. Ses disputes sur le pou-
voir absolu des rois, et sur l'union
des royaumes de la Grande-Bretagne ,
et sur l'injustice inséparable de la ré-
sistance aux rois , de vi civium in re-
gem sentper injustd , marquaient en-
core plus clairement qu'il n'était pas
pour les maximes républicaines, que
les dix disputes dont il fit présent à
son fils, afin qu'il les dédiât, en l'an
1607 > au comte de Pëtoibrock , son pa-
tron. Elles sont sur les titres du code ,
son père par un pur motif de
conscience. Il composa plusieurs
ouvrages (B) , qui lui acquirent
beaucoup de réputation. 11 y en
a quelques-uns oit il ne donne
pas tout-à-fait dans les hypo-
thèses des protestans (C) ; car
peu s'en faut que sa dispute tou-
chant le Ier. livre des Machabées
ne soit une apologie indirecte de
ceux qui le tiennent pour cano-
nique. On peut faire un semblable
jugement à peu près du traité qu'il
composa contre ceux qui blâment
le latin de la vulgate. Voyez la Si quis Imperatori maledixerit , ad
remarque (C). Il mourut à Lon- lfge'H Jl![iam de rnajeslate. Ses livres
, ,a t . . /- o < i>« de J uns lnteruretibus , et de Advo-
dres, îe 19 de pin ibotf , al âge cMione HlspJucd (3) j ne sont pas les
de cinquante-huit ans*. 11 aimait moindres de ses ouvrages. Je laisse là
de telle sorte à profiter dans les le titre de plusieurs autres "
sciences , qu'il ne cherchait pas
moins à s'instruire par les con-
versations que par la lecture :
et il a publié lui-même que ses
recueils étaient remplis de mille
choses qu'il avait ouïes , en cau-
sant familièrementavec des gens
qui ne pensaient pas que ce qu'ils
disaient dût être ainsi honoré.
L'endroit où il parle de cela mé-
rite d'avoir place dans nos re-
marques (D). Voyez la Bibliothè-
que du sieur Konig, et l'oraison
funèbre de Scipion Gentilis.
* Il avait , dit Leclerc
cru il esl mort , eu 161 1
soixante ans , lors-
il élait né en l55i
1 Castello di San Geuesio. Il n eut sa chaire
a Oxford qu'en 158^, et non eu l582.
(A) Il était fils de Matthieu Gen-
tilis , médecin italien. "\ J'ai trouvé
quelque chose qui le concerne dans
un ouvrage de Scipion Gentilis. sfn
rir<i Dcemones morborupi caussasint ,
hune iptivstionetn c'um parens meus
(C) . ..lly en a quelques-uns oh il ne
donne pas toui-a-fatl dans les hypo-
thèses des protestans. ] Voëtius s'en
est très-bien aperçu. Il raconte que
Jean Howson , théologien d'Oxford ,
soutint, dans une thèse publique, le
sentiment des catholiques romains
sur l'indissolubilité du mariage : sa-
voir, que l'adultère peut bien être
une raison légitime de se séparer
d'une femme , mais non pas une rai-
son qui donne le droit de se marier à
une autre. Un théologien anglais ,
qui se nommait Thomas Pyus, écri-
vit contre ce dogme de Jean Howson.
Celui-ci se défendit, et composa une
apologie qui fut imprimée à Oxford,
m-/i°. , l'an 1606, avec la thèse, et
avec deux lettres , l'une de Jean
(1) Scipio Gentilis, in Comment, in Apolog.
Apulcii, pag. 260.
(2) Voyez Lindenius renovatus, pag- 5o^.
('i) Pour comprendre la raison de ce titre % il
faut savoir (yu'Albéric Gentilis fut établi l'avo-
cat perpétuel de toutes les causes que les sujets
du roi d'Espagne auraient en Angleterre. Voyez
son ipitaphe dans la Hibliotliéqne de Konig.
* O11 trouve l'indication des ouvrages de Gen-
tille , dans les Mémoires de JVtceron, toiu. XV
et XX.
GENTILIS. 67
Baynoldus à Thomas Pyus , l'autre ilisti aliquando a pâtre de illustri
d'Alberic Gentilis à Jean Howson. prœceptore suo Argenterio, qui ab
Notez que ftaynoldus censura Pyus uniuscujusque ore solebat pendere si
d'avoir débite certaines choses qui forte aliud agendo excidisset homini
n'e'taient point exactes : mais il per- aliud quod ipse disceret; nam et die
sistait dans la doctrine qu'il avait la homuncionum curabat reponi in
déjà soutenue contre Bellarmin , dans sua quœdam volumina , si quœ au-
un livre anglais touchant le divorce, dîsset non inepta ? Enfin notre Gen-
Gcntilis biaisa , et fit connaître qu'il tilis rapporte qu'Alciat apprit par
ne savait que penser sur cette ques- l'action d'un paysan le sens d'un pas-
tion. Et néanmoins dans son ouvrage sage de Plaute qui lui avait e'té in-
de Nuptiis il s'était de'clare' pour la connu jusque-là. hefert Alciatus
doctrine ordinaire des protestans. {*)exfactosuicujusdaruuilliciselo-
Voé'tius ayant narré tout cela y joint cum Plauti iniellexisse queni non
une réflexion qui me'rite d'être rap- potuerat antea. Dieu nous garde de
portée. Iste ( Alb. Gentilis ) in bac tels auditeurs ! ils seraient le fléau
epislold baud obscure futetur
futetuare , quamvis antea in libro de
Nuptiis ajmrmantem sententiam tra-
diduset. Sed nescio quomodo Alberi-
cus Gentilis i>aslœ eruditionis Ray-
noldiaiiœ , et théologies ipsius tan-
qu'am nimis purœ et reformata; in dog-
matibus et in practicis , si non œntu-
lum ( de qno quidem ex singularium
faclorum gnaris , aliquid audlsse me-
mini) se ostendere , salteni snspectum
se reddidisse vtdeatur diatribis suis
de vu^gatà versione , de actortbus fa-
bulant m, de abusu mendacii , etc. ,
des compagnies s'ils y étaient recon-
nus. Tel qui avance hardiment tout
ce que sa mémoire lui fournit serait
fort gêné s'il croyait qu'au partir de
là , quelques-uns de la compagnie
écriraient dans leurs recueils ce qu'ils
lui auraient entendu dire. On trouve
bien du mécompte , et quant aux
noms propres, et quant aux circon-
stances des temps et des lieux, lors-
qu'on compare avec les livres de son
cabinet la conversation des personnes
qui ont le plus de mémoire , et qui
parlent sans dessein prémédité (6).
in quibus tam longe ac disciplina re- Chacun en a pu faire l'expérience et
formata , /'( mort'
miœ Perusinœ ,
sus erat , non abibat. S'edhœc in tan
ta omnium imperfectione miseriœ hu-
ma nœ pars non mininta (4).
(D) L'endroit oit il parle de ses re-
cueils mente d'avoir place dans nos
remarques. ] Voici ce que nous lisons
dans l'un de ses livres (5). Quid de
Oxoniensibus mets ? uel répertoria
mea testantur satis quantum ego co-
piant fruclus ex eorum virorttm et
juuenum colloquiis , nam in illts eqo
descripst non pauca quœ durit minus
id ipsi cogitant , disco tamen et as-
servo ex sermonibus familiaribus. Il
ajoute ce qu'il avait ouï dire à son
ej — j ...... ,v ........ „,.. „ i' « -«»* v. * i/A|*v.in.m,c , eu
tribus antiquis acade- doit souhaiter par conséquent qu'on
, ubi antea jus profes- n'écrive pas ce qu'il débite dans le
discours familier. Ceux qui souhai-
tent le contraire ne devraient rien
dire sans préparation.
(*) Lib. I Parerg., cap. XXI.
(6) Le Scaligéraoa , etc., pour ne rien dire
des Lettres de Guy Patin, confirme cette vérité,
GENTILIS (Scipioi»), frère
d'Alberic, et aussi célèbre juris-
consulte que lui , naquit à Caste.l-
lo di Sangenesio , en Italie, l'an
i563. Il était encore enfant lors-
que son père quitta sa patrie et sa
femme , pour aller ailleurs faire
père, qui avait étudié la jurispru- profession ouverte de la religion
dence sous le professeur Argentier, protestante ; et il ne sortit pas
Ce professeur ne laissait tomber à avec lui de la maison : mais un
terre rien «le ce qu'il apprenait en „„ > ^ i
conversion; et il avait des livres en Pfu aP«* °» trouva les expe-
blanc où il écrivait avec soin jusqu'à diens de le dérober à sa mère, et,
des choses que des personnes du com- sous prétexte d'une promenade ,
mun lui avaient dites. Tu non au- dele meneràson père , qui s'était
(4) Gisbert. Voétius, Poiitica eccies., <om. //, arrêté pour l'attendre, dès qu'il
Pag- »"J*. , , . l .. I . * ,
(5) Diai. m de juris internet. ,/oi. 36. s était vu en un lieu de surete.
68 GENTILIS.
Nous avons déjà dit qu'il se re- notre Gentilis occupa son poste
tira dans la Carniole , et qu'il de premier professeur. Il fui
envoya son fils aîué en Angle- fait aussi conseiller de la ville de
terre. Quant à Scipion, qu'il ai- Nuremberg. Il remplit toutes ces
niait fort tendrement, il l'en- charges dignement jusques à sa
voya étudier à l'académie de Tu- mort , qui arriva l'an 1616. Sa
binge. Il avait de quoi soutenir méthode d'enseigner clairement
ces frais , car il jouissait dans la et brièvement tout ensemble , et
Carniole, du titre de médecin de mêler avec les épines du droit
de la province , avec des appoin- les fleurs des belles-lettres (car
temens (a) Le jeune homme fit il était grand humaniste), cette
beaucoup de progrès à Tubinge. méthode , dis-je , ayant été re-
II apprit la langue grecque sous connue tant par ses leçons , que
le célèbre Martin Crusius ; et il se par les livres qu'il publia , le fit
trouva l'esprit tellement tourné demander par plusieurs acadé-
à la poésie, queMélissus, qui a été mies célèbres (A) ; mais il préféra
l'undesmeilleurspoëtesd'Allema- le poste qu'il avait dans l'acadé-
gne, se reconnut son inférieur. Il mie d'Altdorf à toutes les con-
allaétudierensuiteàWittemberg, ditions qu'on lui proposait. Il
et puis à Leyde, afin d'être plus avait vécu dans le célibat jus-
près de son père, qui ayant été qu'en 1612 ; mais enfin il fallut
contraint de sortir de la Carniole subir le joug conjugal. La beau-
pour la religion, s'était retiré té et le mérite d'une demoiselle
en Angleterre auprès de son fils originaire de Luques , fille de Cé-
aîné. Scipion Gentilis profita sar Calandrin , captivèrent sa
beaucoup à Leyde , sous Hugo liberté : il la demanda en ma-
Donellus et sous Juste Lipse , riage et l'obtint , et en eut un
après quoi il alla à Bâle , et y fut fils (B) et une fille (b). Je donne
reçu docteur en droit, l'an 1589. le titre de ses principaux écrits
Il s'en alla à Heidelberg quelque (C). Il est fait mention de lui
temps après , ou Julius Pacius , dans les lettres de Bongars (D).
Italien comme lui , enseignait la .
, ,. ° . (0) Tire de son Uraison lunebre , pronon-
jurisprudence. Il S éleva je ne ceé par Michel Piçcart, professeur en logi
Sais quelle émulation entre eux, que et en métaphysique àAltdorf. Elle est
. ,\ , , „ . . ,, . clans le Recueil du sieur VA itte.
qui ht prendre a bcipion 1 envie
de sortir de là pour s'en aller à (A) Sa méthode d'enseigner. . . le
Altdorf, OÙ par les soins de Do- fi* demander par plusieurs acade-
,, - '. •« r vues célèbres. On lui oJI'rit un pro-
nellus , qui y était professeur en fessm.at en FiJicc ? , Heideld 'et à
droit , il devint son collègue, 1 an Leyde ; et, ce qui estbien plus remar-
l5oo ; et lorsque Pierre Wésen- quable par la rareté du fait, le pape
bécius eut été appelé en Saxe , Clément VIII , pour lui faire accep-
1 ' ter une chaire de professeur a Lo-
(a) Province proceres... constituent il- j t j j { j libertë de CQn.
Inm Arclnnlron proposais us conddiond/us, P^ ' *
eteâerga ipsum muni/lcentid usi quam ipse science (,1).
nec aspernari vellet , nec renndiare ullô ra- . , . . _ , _..:'_. „■,„
I „ - , 'o • . r. .m Lctlcrc observe que liayle , qii ne eile a
tione posset. Oral, funeb. Scipion. Gentil. ,, - qu(! Votthon fnn|bre de Gmtilis, «urait
Voyez aussi Albcrif. Gentilis, lib. III de ()u sc rapj,eler )e proverbe : Menteur comme une
Jure belli, cap, XIII, et lib. III de Legalis, oraison funèbre.
Cap, XIV. (1 ) Pi'-cart , in Orat. funebri Scip. Gcntiti-.
GENTILIS. 69
(B) Il . . . un fils. ] On voit, dans Bonis matcrnis et secundis IVuptiis
une lettre de Vossius (2) à Guillaume libri duo ; in sipulei apologiam Com-
Laud , archevêque de Cantorbéri , mentarius ; de Jurisdictione libri très;
que la mère de ce garçon, ne se Commentarius in Pauli epistolam ad
voyant pas en état de lui faire conti- PMlemonem ; de Erroribus lesta-
mur ses e'tudes, à cause des pertes mentor um. Son oraison funèbre, avec
qu'elle avait faites durant les guerres la liste de ses ouvrages, est dans lere-
u' Allemagne , tâcha de lui obtenir cueil du sieur Witte; mais il faut
une place dans un collège d'Oxford prendre garde qu'on lui en attribue
ou de Cambridge. Ses amis devaient quelques-uns dans ce catalogue-là ,
présenter une requête pour cela , et qui appartiennent à son frère, com-
ils espéraient que la mémoire d'Al- me le traite de Jure Jielli , et celui
bèric Gentilis servirait à son neveu, de Lesationibus , et qu'on n'y dit
Vossius prépara les voies à cette rc- rien de son livre de antiquis Ita/iœ
quête : je ne sais point ce qui en Linguis , ni de ses notes sur Tacite,
avint , ni ce qu'est devenu ce fils ni de ses Quœstiones ad Ajvhoanum
unique de Scipion Gentilis. Je remar- jurisconsultum. Ce sont trois ou vra-
que qu'on a toutes les peines du mon- ges dont il fait mention dans son
de à suivre â la (race les descendans commentaire sur l'apologie d'Apulée.
de la plupart des héros de la repu- (D) // est fait mention de lui dm/s
blique des lettres. Assez souvent les les lettres de Bongars. ] Si je m'en
choses vont bien pour la première souviens bien , il y est presque tou-
génération. La seconde commence à jours désigné par les termes de Scipio
s'obscurcir ; les curieux ont besoin de noster , ou semblables. La langue la-
quclque temps pour la trouver : mais tine souffre et approuve cet usage ;
la troisième ou la quatrième se trou- mais le traducteur français a eu
vent tellement confondues dans la grand tort de mettre M. Scipion en
foule, qu'on ne les démêle plus, ces endroits-là. C'est une ignorance ;
Ainsi l'on ne pourrait pas dire de la car s'il avait su qu'il s'agissait de
postérité de ces grands hommes ce Scipion Gentilis , il eût dit M. Gen-
qu'un satirique romain a dit touchant tilis, et non pas 31. Scipion (4).
ses ancêtres , et qu'il a prétendu que Notez que cette coutume de de'si-
quantité de gens nobles disent des gner les gens en latin , aussitôt par
leurs (3). Le quatrième degré en des- leur nom de baptême que par leur
cendant est déjà dans les ténèbres, nom de famille, donne lieu à des er-
Que dirai-je de tant d'hommes il- reurs 5 et je m'imagine qu'elle a été
lustres par leur savoir, dont la fa- cause que M. Konig s'est abusé tou-
mille est aussi obscure au premier chant Gentilis l'arien. Il parle deux
degré qui les sait , qu'au premier de- fois de lui, sans s'apercevoir que c'est
gré qui les précède ? Ne dirait-on pas toujours le même hérétique. Il en
que ce sont des feux que l'on voit parle sous le mot Gentilis , et sous le
briller de loin au milieu d'une nuit mot Vdlentinus. Au premier en-
obscure, sans qu'on puisse rien dé- droit (5) il ne lui donne pour nom de
couvrir autour d'eux, tant les ténè- baptême que Johannes, et il suppose
bres les environnent de toutes parts.? que Valentinus est son surnom de
Voyez la remarque (B) de l'article patrie. Au second endroit (6) il lui
Ben ser ade ,tom. III, pag. 3i6. donne Valenlinus pour nom de fa-
(C) Je donne le titre de ses prin- mille, et Johannes pour nom de bap-
cipaux écrits. ] Le voici : De Jure téme- La première source de cette
puh/icoPopu/i Romani; de Conjura- erreur est apparemment, qu'il y a
tionibus libri duo ; de Donaùonibus des livres où l'on donne simplement
inter cirant et uxorem libri II; de et tout court à cet homme-là, le nom
Valentinus , qui était la moitié de
(2) Cest ta CCLXVI : elle fut e'erite l'an son prénom , ou de son nom de bap-
,G35- teme.
(3) Quœre ex me quis mini quartus
SU pater, haud prompte , dicamlamen : adcle (/,) Celle faute se trouve dans Vc'dil. de lu
etiamunum, /Ai. e , i6()5'.
Vnum eliam, lerrte est jam filius. (^) Konig, Biblioth. , pa$. 34i.
Pers. , sat. VI, vs. 5-]. (fi) Idem , ibid. , pag. 8i(>.
7°
GENTILLET.
GENTILLET (Innocent), na-
tif de Vienne en Dauphiné (a),
a fleuri au XVIe. siècle II pu-
blia des livres de controverse
qui le rendirent recommandable
au parti des protestans (A), car
H y déploya de l'érudition , et
beaucoup de zèle contre le papis-
me. II était jurisconsulte de pro-
fession ; et l'on dit qu'il fut avo-
cat au parlement de Toulouse
(b). J'ai vu à la tète de l'un de
ses livres, qu'il prend la quali-
té de président au parlement de
Grenoble (c). Il apprend dans
une préface (d) , qu'il se trou-
vait exilé à cause des édits que
l'on avait faits en France contre
ceux de la religion. Quelques-
uns assurent qu'il a été syndic
de la république de Genève , et
qu'il se déguisa sous le nom de
Joachimus Ursinus anti-jesuita
(B) , à la tête de divers ouvrages
dont il fit présent au public. Je
crois que M. Allard se trompe ,
lorsqu'il assure , (e) que Vincent
Gentillet (C) , sonjils , conseil-
ler, puis président en la chambre.
de l'édit de Grenoble, fit l Anti-
Machiavel , Van if)y3, une re-
montrance, au roi Henri /If,
plusieurs préceptes touchant la
police , et quil a traduit le li-
vre de la République des Suisses
de Josias Simlérus. J'admire
que l'on trouve si peu de parti-
cularités touchant la vie d'un
homme qui se distingua par ses
écrits et par ses charges; et je
ne saurais assez m'étonner que
(a) Allard, Bibliothèque de Dauphiné,
paç. 114.
{b) Voyez la remarque (B).
(i Voyez la remarque (A).
d Voyez la mente remarque,
(e) Allard, Bibliothèque de Dauphiné',
pag. 114.
ceux mêmes qui ont composé la
bibliothèque des auteurs de sa
province, n'aient pu remplir six
lignes sur son sujet, et qu'il*
y aient commis beaucoup de
fautes.
(A) Il publia des Hures de contro-
verse, qui le rendirent retommanda-
ble au parti des protestant. ] Il fit
pour eux ce que Quadratus , Aristi-
de , Justin Martyr, Mëliton, Tertul-
lien et quelques autres avaient fait
pour les chrétiens des premiers siè-
cles , je veux dire une apologie. Il la
de'dia au roi de Navarre , qui fut en-
suite roi de France. L'épître de'dica-
toire est date'e du i5 février iS^S.
L'édition qu'il fit dix ans après fut
fort augmente'e et bien corrige'e. Et
notez qu'il publia cet ouvrage en la-
tin et en français. Voici le titre latin ,
Apologia pro christianis Gallis re-
ligionis ci> angelicœ seu reformatai r
qud docetur hujus religionis funda-
menla in sacra scriplurd jacla esse ,
ipsaniqne tkm ralione , tiun antiquis
canonibus, comprobari- L'édition dont
je me sers est la seconde , et de Ge-
nève , chez Jacques Stoé'r , i588 ,
m -8°. Il y paraît sous ce titre, Au-
thore Innocentio Gentilleto Juris-
consullo clarissimo , et amplissimi
senalûs prouinciœ Delphinensis prœ-
sifîe. L'ouvrage qu'il intitula , Le
Bureau du concile de Trente : au-
quel est monstre qu en plusieurs
poincls iceluy concite est contraire
aux anciens conciles et canons , et a
l'autorité du roy , fut imprimé l'an
1 586 , i/i-Sn. Il le dédia au même roi
de Navarre , et data 1'épître dédica-
toire le 12 de juillet 1 586. Il se nomme
simplement Innocent Gentillet , ju-
risconsulte dauphinois. Il publia le
même livre en latin, la même année ,
sous le titre de, Examen concilii Tri-
dentini : in quo demonstratur , etc.
Il s'est fait plusieurs éditions de cet
ouvrage : la dernière , si je ne me
trompe , est celle de Gorchom , en
Hollande, 1678. Notez ces paroles de
l'épitrc dédicatoire ( 1 ) : Voyant,
donc , Sire , que les conltvrol/eurs de
t'oslre déclaration fondent du tout
d) Gentillet, r'pître dedicatoire du Bureau du
Concile de Trente.
GENTILLET.
7!
leur opinion sur ce concile de Tren-
te , j'ay estime que le devoir que j'ay
h vostre service , et a ma patrie , me
commandoyent assez d' employer le
loisir , dont l'edict qu'on appelle de
réunion méfait jouyr en exil, à leur
e sbra nier ce fondement . La déclara-
tion dont il parle est celle que le roi
de Navarre avait fait publier par-
tout , de vouloir demeurer à la déci-
sion d'un libre concile-, sur les diffé-
rens de religion qui étaient en Fran-
ce (2). Cette déclaration fut publiée
Tan i585 ; l'e'dit de Réunion fut
fait en la même année. Il faut donc
dire que Gentillet ne travailla point
à cet ouvrage avant cette année-là,
et que par conséquent Voé'tius se
trompe quand il dit (3) que ce livre
fut publié en latin, Tan 1 556, sous le
titre de Historien relatio et Nullitàs
concilii Trident ini. Il ajoute qu'il fut
imprimé à Amberg , Tan 161 5. Notez
qu'en i556 le concile de Trente n'é-
tait pas conclu.
(B) Quelques-uns assurent qu'il a
été syndic de la république de Ge-
nève, et qu'il se déguisa sous le nom
de Joacbimus Ursinus anti-jesuita. ]
Considérez, je vous prie, ces paroles
de M. Placcius (4): Anti-Machiavelli
nomine vulgà insigniuritur commen-
tariorum de regno.... libri très
qui cilantur sub nomine Innocentii
Gf.ntileti JCti Delphinatis,olim To-
losanœ curiœ advocati, dein Gene-
vensis reipublicœ svndici. Pour prou-
ver cela, il allègue Draudius , page
1 16g et il^î du Biblioteca classica ;
Voé'tius, page 124, 20g, 211, 218,
du Ier. volume des Tbèses Théologi-
ques ; Pellérus , page 5o5 du Politi-
cus scelertitus impugnatus ; Conrin-
gius, à la préface de son édition du
Prince de Machiavel : et Keckerman ,
au Ier. chapitre du Consilium de Lo-
cis communibus. Voilà cinq auteurs
qu'il cite : je n'ai pu consulter que
les trois premiers, et je n'y ai rien vu
qui marque que Gentillet ait plaidé
au parlement de Toulouse, ni qu'il
ait eu quelque charge dans la répu-
blique de GeneAe. Il faut même re-
marquer que Pellérus le qualifie Ju-
(2) Gentillet , r'ptlre dedicatuire du Bureau du
Concile de Trente.
(3) Voètius , Polit, eccleç. , 10m. IV , pag.
171.
(4) Placcius,, de Anonymi* , pag. 60.
risconsultus Dclphensis , e.e qui est
fort propre à faire croire que Gentil-
let était de Hollande, et non pas de
Dauphiné. M. Baillet observe (S) que
l'opinion commune veut que l'auteur
de P Anti-Machiavel soit un huguenot
duDauphiné, nommé Innocent Gentil-
let, qui fut d'abord avocat plaidant
au parlement de Toulouse , et depuis
syndic de la république de Genève (*).
A Pégard de Joackimus Ursinus
anti-jesuita , M. Placcius (6) articule
cinq ouvrages qui ont paru sous ce
faux nom-là. Le premier est intitulé
Concilii Trident ini historica relatio,
et nullitàs solide et ex fundamento
demonstrata , et fut imprimé à Am-
berg , l'an t6t 5 , j«-8°. Le seconda
pour titre Apologia pro Christianis
gallis religionis reformatas , à Genè-
ve, 1598, m-8°. Le troisième s'inli-
tule Stupenda templi jesuitici : il er.t
divisé en trois parties, et fut impri-
mé à Francfort et à Amberg, l'an
1610, in-S°. Le titre du quatrième est
Flosctdi bl asphennarum jesuilicarum,
ex tribus concionibus super beatifica-
tione Ignatii Loyola? habitis decerpli,
una cum S orbonœ Parisien sis censu-
ra. Cet ouvrage fut imprimé en 1612,
in-^°. Le cinquième fut imprimé à
Amberg, Pan 1611, m-8°. , et a pour
titre , Hispanicœ inquisitionis , et car-
nifîcinœ secretiora , ubi prœter illius
originem exemplis illustrioribus
tiim Martyrum , tiim articulorum, et
regularum inquisitoriarum in fine ad-
jectis per Joachimum Ursinum anti-
jesuitam , de jesuitis qui inquisitio-
neni hispanicam in Germanium et Bo-
hemiam vicinam introducere mo/iun-
tur , prœfantcm. Vincent Mollérus ,
bourgmestre de Hambourg, et bis-
aïeul de M. Placcius, avait marqué
de sa main le nom d'Innocent Gentil-
let au premier de ces cinq ouvrages :
cela et quelques autres raisons déter-
minèrent M. Placcius à juger que c'é-
tait le nom véritable du prétendu
Joachim Ursinus (7). M. Baillet (8) a
C5j Baillet, (obi. Il dei Anti , pag. l3l.
(*) A la pap;e 43 du Citadin de Genevre, on
trouve parmi les fameux jurisconsultes qui ont
rendu leurs oracles dan-, Genève, Innocent Gen-
tillet ; mais il n'esl point dit qu'il y ait eu de
ebarge. Kem. Crit.
(G) Placcius , de Pscudonymis , pag. 5- >.
(7) Idem, ibib. , pag. 27G.
(8) Baillet , au Ier. tome des Anti, pag. IQ7.
72 GERGENTI.
suivi ce sentiment, et il donne (9) au vu (i3),s'estqualifié àlatètede l'Apo-
même Gentillet un ouvrage qui fut logie des réformés , amplissimi Sena-
imprimé à Francfort, l'an 1612 , sous ttis provincial Delphinensis presses.
le titre tYA ' nti-Socinus , hoc estsolida Jeconjecture qu'il futfait président de
confutatio errorum quos olim Aria- la chambre de l'e'dit à Grenoble, lors-
ni etc. Je n'ai pas assez de livres qu'on accôYda aux huguenots cette es-
pour bien éclaircir tout cela. pèce de tribunaux en chaque par/e-
(C) Je crois que 31. Allard se trom- ment, l'an 1 876 (i4j)- Cela lui donnait
ne , lorsqu'il' assure que Vincent Gen- lieu de prendre la qualité deprésident
tillet, etc.] Il remarque (m) en pre- au parlement de sa province. Nous
mier lieu, que l'examen du concile avons vu ( i5) que l'édit de réunion
de Trente est un ouvrage d'Innocent fut cause de son exil; et j'ajoute ici
Gentillet, auteur, dit-il, qui vivait que Possevin (16) a observé que l'au-
suiis Henri III; et puis il ajoute que teur calviniste qui avait écrit con-
VincentGentillet, son fils fît l'An- tre Machiavel, s'était réfugié à Ge-
ti-Machiavel, l'an 1573. C'est choquer nève. Nouvelle marque que M. Al-
l'usage des chronologues; car lors- lard s'est abusé en attribuant, non
qu'ils marquent l'âge des hommes il- pas au père, mais au fils, l'ouvrage
lustres, ils mettent quelque distance contre Machiavel. La préface que le
entre les pères et les fils, les maîtres traducteur français a mise au-devant
et les disciples, quoiqu'il arrive as- de l'écrit de Josias Simler, sur la ré-
sez souvent que le temps de la repu- publique des Suisses, n'indique quoi
tation des uns concourt avec l'état que ce soit qui fasse conjecturer qu'il
florissant des autres. Le bibliothé- pourrait être notre Gentillet ; néan-
caire de Dauphiné n'a pas suivi cette moins je le croirais facilement i'au-
règle. Il met le père sous Henri III, teur de cette version. Quelques-uns
et place plus haut, sous Charles IX ,1a la lui donnaient, à ce que dit la
production du principal livre du fils. Croix du Maine. Llle fut imprimée à
Cette erreur est moindre que celle Paris, l'an 1 Sy») (17) (*), et à Anvers,
que je m'en vais indiquer. 11 fallait l'an i58o, in-8°. Simler avait publié
dire, suivant l'opinion générale, que en latin cet ouvrage , l'an 1576, et
î'Anti- Machiavel est la production était mort quelques mois après (18).
d'Innocent Gentillet, et non p^as la Je parlerai ailleurs (19) assez am-
production de son fils. Je n'ai point plement de l' Anti-Machiavel de Gcn-
t.rouvc de bibliographe qui ait fait tillet.
mention de ce Vincent Gentillet, fils ,,»,.. , „ ,..„,,.
d,F . , -« . a 1 . r> une nouvelle édition de 1 ouvrage d Allard , dit
Innocent, et il est sûr que la Croix formelleraent ,„./„„„«„, est auteur des deux
du Maine (i i) donne à Innocent Gen- ouvrages qu'Allard attribue à Vincent.
Illlet tOUS lesOUVrageS que M. Allard (i3) Dans la remarque (A).
spécifie comme des écrits de Vincent. (»4) Mézerai, Abrégé clironol. , tom. V, pag.
il est vrai que la Croix du Maine se 2I,2',* „ , /AN
1 i i a .-. . (i5) Pans la remarque (A;.
trompe au nom de baptême : il a mis (ifi) Possevfn. > Biblioth. , lift. XVI, cap. V.
François au lieu d'Innocent (12). La ^ Ponr jacque, r/„ Purs, le privilège du
charge de président en la chambre de roi est date' du 16 d'août 1577.
l'édit de Grenoble , qu'il donne à cet (*) Sur une édition in-8°. de l'année 1577 ,
écrivain, me Confirme dans la pen- «a™ ™m délie.., cbez Antoine Chupin et Fran-
, ,., ' T l çois le Preux. 1\em. crit.
see qu il a eu en vue notre Innocent (l8) Voyei la p^face du traduvteur_
Gentillet1', qui, comme nous 1 avons (,pl Dans la ,.e„iarlJue (E) de Varticie Mi.
I II I A Vh I j loin X.
(9) Baillet , tom. //", des Anti , pag. 3l>
Cxo) Aiurd, Bibiiotb. de D.uph. , pag. 1.4, GERGENÏI , ville de Sicile ,
(ni Dans la Bibliothèque française , pag. 97. autrefois Agrigeillum OU Acra-
(i2) Kcclerman, apud Ploccium de Pseudo- „ag Je n'e„ parJe que pour cor_
nym.s, pag. 60, a/au la même faute. &. I ~l l , .
*LaMonnoic, dans ses notes sur la Croix l'iger I6S fautes de M. Moren
.1., Vaine .lit: «Pour moi, je crois que tous ces /AN g p^cl^s d'omiSSlOn de-
• •«■millet sont des masques , •• c est-a-dire , de v / 1
faux noms. Le.luchat pense que Vinctnl , qu'on manderaient Ull long discours ;
lit dans Allard , n'est qu'une lantr d'impression , .. ll-'l 1 1 1
ei qu'il s'agit d'Innocent. Chalvet, quia donné Car il a Oublie les Choses les plus
GERGENTI.
curieuses qui se pouvaient dire
d'Agrigente (B).
(A) Je n'en parle que pourcorrieer
les fautes de 31.' Moréri.] i°. Il n'est
pas vrai que cette ville ait tiré son
nom du mont yleraças. Etienne de
tfyzance , qui rapporte trois autres
étymologies , ne fait aucune mention
de celle-là. Plusieurs villes de Sicile
portaient le nom de leurs rivières (i) :
celle-ci était de ce nombre, selon le
premier (2) des trois sentimens rap-
portés par cet auteur. 11 est certain
qu'elle était bâtie sur la rivière d'A-
cragas(3): mais selon la troisième
opinion , (4) et cette rivière et la ville
s'appelaient ainsi à cause de la bonté
du terroir. Je laisse la deuxième opi-
nion , selon laquelle la ville devait
son nom à Acragas, fils de Jupiter et
d'Astérope. 20. Il n'est pas vrai que
Virgile fasse mention de la montagne
d'Acragas ; les deux vers (5) cités par
Moréri signifient uniquement et visi-
blement une ville située sur une émi-
nence. 3°. Il eût été nécessaire de
nommer l'auteur qui a dit que les
Ioniens, conduits par Gelle ou Gé/on,
jetèrent les premiers fondemens d'A-
grigente ; car cet auteur doit être
bien apocryphe, puisque Cluvier ne
1 a point connu , ou ne l'a point, jugé
digne d'être cité. Il eût mieux valu
laisser ce Gelle ou Gélon , et dire
avec Thucydide que les habitans de
Gela envoyèrent une colonie à Acra-
gas, 108 ans après la fondation de
Gela (6). Or comme Gela fut bâtie
conjointement par Antiphème , chef
d'une troupe dePdiodiens, et par En-
timus. chef d'une troupe de Cretois,
el qu'ils lui donnèrent les statuts des
Doriens (7) , j'aimerais mieux prendre
(1) Dnris, apud Slepli. Byzantin.
(1) Thucydide , liv. V, et Aristarque , apud
Scliolia,ten Pindari, in od. II Olymp. , sont de ce
sentiment.
0) Voyez Polvbe , liv. IX , cap VIII ■
Elien.Var. Hist. , lib. II, cap. XXXlII;le
Scoliaste de Pindare ex Aristarcho ubi supra;
Thucydide, ibidem.
(4) Polybius , apud Stephanum Byzantinum.
(5) Arduus indè Acragas ostendat maxima
longé
Mœnia , magnaniintim quondam grneralor
equorum.
Virgil. , yEn. , lib. TU, vs. 704.
(G) Thucyd. , liv. VI, circa init.
(7) Idem, ibidem.
>3
Agrigentc pour une colonie dorique,
que pour une colonie ionienne. Thu-
cydide, qui marque le temps et le
nom des fondateurs, est ici un peu
plus croyable rjnc Strabon , qui s'est
contenté de dire, d'une façon vague,
qu'Agrigenté appartenait aux Ioniens
s . Je ne pense pas qu'il l'ait dit plus
d'une fois, et je suis sur qu'il a rare-
ment parlé de cette ville : ainsi je
compte pour la 4e- faute ces paroles
de .Moréri, c'est pour cela tjue Stra-
bon la nomme ordinairement sfgri-
genle Ionienne. Avant que de pas-
ser plus avant. , je dis que Polybe
parle d'Agrigente comme d'une colo-
nie de Bliodiens (9). Il s'est glissé une
grosse faute dans Cluvier , que son
abréviateur n'a point corrigée : on
y trouve (10) que les habitans de Gela
fondèrent Agrigentc, en la 99e olym-
piade. Il fallait mettre 49e- et non pas
99e. ; car voici le calcul de Cluvier :
il met la fondation de Syracuse à l'an
a de la ne. olympiade : quarante-
cinq ans après , selon Thucydide (1 1) ,
Gela fut fondée par les Rhodiens et
par les Cretois, et, selon le même
auteur , ceux de Gela envoyèrent
une colonie à Agrigente 108 ans
après que leur ville eut été fondée;
ils l'envoyèrent donc la 49e- olym-r
piade. 5°. Il ne fallait pas citer Éîien,
touchant le luxe des Agrigentins en
maisons et en repas, sans dire qu'il
cite Platon ; car un bon mot venant
de Platon (12) a incomparablement
plus de force que s'il venait d'Élien.
6". Il est faux que Diodore de Sicile
nous apprenne qu'Alcamon domina
dans Agrigente après Phalaris , et
qu'Alcandre , Théron et Thrasidée
furent successeurs d'Alcamon. 90.
Il n'y a rien de plus opposé aux lois
d'une bonne narration, «pie de join-
dre ensemble le temps où la ville
d'Agrigente fut prise par les Cartha-
ginois , et le temps où elle devint
une portion de la république romai-
ne ; car l'état des Agrigentins chan-
gea en plusieurs manières considéra-
is) Strabo , lib. VI, pag. 187.
(9) Polyh. , /,*. IX, cap. VII.
(10) SLcïl. Anliq. , lib. I , cap. XV, pag.
m. 108.
(11) Thucyd. , lib. VI, circa init.
(12) Diogène Laërce , lib. VIII, in Fmpe-
docle, attribue à Empe'docle ce </n'Elien attribue
à Platon.
74
GERGENTI.
blés depuis que les Carthaginois les
eurent pilles, Tan 4 de la gic. olym-
piade , jusqu'à ce que les Romains
lussent possesseurs de cette ville. Ils
le devinrent pendant la seconde
guerre punique, et ils ne Tétaient
gence (16). Si M. Moréri avait eu du
discernement par rapport aux choses
qui frappent le plus un lecteur, il
aurait ajouté une circonstance fort
singulière concernant cette statue ;
c'est qu'on lui avait, use les lèvres et
pas quand ils prirent Syracuse; car le menton à force de la baiser de'vo-
depuis même cette prise , les Cartha
ginois qui étaient maîtres d'Agrigen-
te leur taillèrent de la besognc(i3).
8°. Il ne fallait pas appliquer au
temps qu'elle fut soumise au joug
des Romains , la description magni-
fique que Diodore de Sicile nous en
\i laissée. Cette description concerne
l'état florissant, où étaient les Agri-
gentins, lorsque les Cartbaginois les
attaquèrent , en la q3e. olympiade.
La ville se releva de l'état affreux
où cette guerre l'avait réduite : on
trouve même que ses forces furent
redoutables en divers temps (i4)
depuis le saccagement qu'elle souf-
frit , quand elle tomba au pou-
voir des Carthaginois , l'année que
j'ai marquée ; mais c'est confon-
dre les temps que dire avec Mo-
reri , qu'elle était une des plus
florissantes villes de l'empire romain,
grande, belle et extrêmement peuplée.
tement. Rictus ejus acmentum paulo
sil altritius , quôd in precibus et gra-
tutalionibus non soliim id venerari ,
veritm etiam, osculari soient (17).
1 1°. Pline n'a point dit, touchant le
sel d'Agrigente, ce que M. Moréri lui
impute ; mais seulement, qu'il souffre
le feu , et qu'il saute hors de l'eau.
De ces deux propriétés M. Moréri a
oublié la dernière, et mal rapporté
la première ; car il veut que Pline
ait dit que ce sel se fondait dans
le feu. S'il voulait rapporter cela, il
fallait citer d'autres gens que Pline;
les paroles de cet écrivain (18), Agn-
gentinus (sal) ignium patiens (19)
ex aàuâ exilit, signifient seulement,
que ce sel pétillait dans l'eau , et
s'élançait bors de" l'eau , mais qu'il
soutirait le feu sans y pétiller. En
citant Solin , ou saint Augustin ,
M. Moréri n'aurait eu à craindre
nulle censure. Voici les paroles de
lorsque les Romains en chassèrent Solin : Salem Agrigentinum si igni
les Carthaginois et s'y établirent.
90. Empédocle le philosophe , et
Empédocle le poè'te , ne sont qu'un
seul homme ; il ne fallait pas en faire
deux illustres Agrigentins. io°. Ci-
céron ne parla pas du temple et de
la statue d Hercule qu'on voyait a
Agrigenle , comme d'un des plus
beaux ouvrages de V antiquité. Tout.
au plus il ne parle ainsi que de la
statue, et il se contente de dire, à
l'égard du temple, que les Agrigen-
tins le considèrent comme un lieu
bien saint : Hcrculis lemplum est
apud Agrigentinos non longe a ' Jb-
ro sane sanctum apud illos et re-
ligiosum (i5). Touchant la statue, il
dit que c'est, une des plus belles qu'il
ait vues de sa vie ; mais il reconnaît
qu'il n'était pas connaisseur, et que
sur cette matière il avait donné
beaucoup plus d'occupation à ses
yeux, qu'il n'avait acquis d'intelli-
(i3) Voyez Clavier , Sicil. Antiq. , pag. 112 ,
citant Tite-Live , liu. XXIV et XXV.
(i/)) Voyez Cltivier, ta même , citant Diodore
de Sicile, «k. XVI et XIX.
(i5) Cicero, ia Verrem , acl. VI, c. XLIII.
junxeris , dissolvitur ustione : cui si
liquor aquœ proximaverit , crépitât
veluli torreatur (20). Saint Augustin
allègue ce phénomène aux incrédules
qui rejetaient tous les miracles de
religion, dés que les théologiens ne
les pouvaient pas expliquer. Il repré-
sente à ces incrédules bien des cho-
ses naturelles dont les philosophes
ne pouvaient donner de raison , et il
commence par les singularités du sel
d'Agrigente. Agrigentinum Siciliœ
salem perhibenl cum fuerit admolus
igni velut in aqud Jlnesccre : cinn
verb aquœ feint in igné crepitare
(21). Notez contre ceux qui vou-
( 16) Ibi est ex a>re simulacrum ipsius Her-
cutis , quo non facile quicquam dixeriin me vi-
disse putchrius : tametsi non tain mulùiin in
istis relus inlelligo , qu'am mulla vidi. Iilem ,
ibidem.
(i-*) Idem , ibidem.
(,S) Plin. , lib. XXXI, cap. VU, p. m. 807.
(19) Mcursius , in Antigon. , pag. 188 , con-
jecture qu'il faut lire impatiens. I.e père Har-
donin, in hune locum Plinii , renvoie au loin
celte conjecture.
(20) Solin., cap. V.
(aij August., rlc Civitate Dci, lib. XXI, cap.
V. Voyez aussi chap. VII.
GIFANIUS.
75
d raient faire l'apologie de M. Mo-
réri , qu'il y a une extrême difle-
rence entre se fondre au feu, et souf-
frir le feu sans y pétiller. Je ne dis
rien sur les fausses citations (22). Je
dis seulement, pour finir cette remar-
que, qu'il y a une infinité' d'articles
dans le Dictionnaire de Morcri , qui
ne sont pas moins remplis de fautes
que celui-ci.
(B) Il a oublié les choses les
plus curieuses qui se pouvaient dire
d'yfgri génie.'] Je lui ai déjà repro-
che qu'il n'a rien dit, ni de ces
baisers de dévotion qui avaient ap-
plati les lèvres de l'Hercule de bron-
ze des Agrigentins, ni de l'une des
propriétés merveilleuses du sel d'A-
gi igente. Il n'est pas moins digne de
Blâme de n'avoir rien dit des pro-
priétés des lacs qui étaient proche
de la ville. L'eau en était salée com-
me celle de la mer, mais les hommes
n'y enfonçaient point : ceux mêmes
qui ne savaient pas nager y flottaient
comme le bois. Tltpt ' Axpâ.yeLV'ra. S\
>.iy.VO.i, T))V [jCll yiiïviv S^Of Ti ^StAclTTHC ,
THV Si <$l/?tv JW<£C/fOy" oùS% ysLp T0?ç
tX.X.OXuf/.Coiç ^.a.7T'xiÇi7%!L\ 0-v/u.Ça.ivii 5 £v-
xu)v TpoTTov 'emTrùxàÇounv. ylpttd slgri-
gei/tam lacus sunl gustu marino ,
naturel plane diversd : nain et na-
landi inscii in iis lignorum in mo-
rrm supernatant (23). Combien de
choses singulières ne pouvait-il pas
tirer du XIIIe. livre de Diodore de
Sicile, concernant le luxe des Agri-
gentins , leurs richesses et la dé-
pense que l'un d'eux faisait à régaler
les étrangers? 11 ne fallait pas ou-
blier que l'endroit de cette ville qui
servit de forteresse, fut bâti avant la
prise de Troie, qu'il fut, dis-jc , bâti
par Dédale, le plus habile ingénieur
de l'antiquité. Il fortifia si habile-
ment la place , que trois ou quatre
hommes la pouvaient défendre. Cela
détermina le roi Cocalus à y rési-
der, et à y mettre ses trésors (24).
Je n'aurais pas voulu omettre le zèle
ardent des Agrigentins, contre ceux
que le préteur Verres avait envoyés
au temple d'Hercule avec ordre d'en
(22) On cite Pline, l. 3i. r. Il fallait mar-
quer que c'est ou chapitre VII . Il fallait citer
Tïiui-ydide , au liv. FI , et non pas au l. 5 ; el
Cluvier , in Siciliâ Antiqiri , el non pas in Descr.
Ital.
(23)Strabo , hb. VI, pag. iSq.
(«4) Diodor. Sien!., Iib. IV.
enlever la statue. On força la garde
du temple , et l'on travailla une heu-
re entière à faire sauter cet Hercule .
à force de bras et de machines. Mais
malgré les ténèbres de la nuit , les
Agrigentins eurent le temps de s'ar-
mer, et de chasser du temple les
satellites de Verres. Dès que l'alar-
me eut été donnée, chacun se leva :
les vieillards el les infirmes trouvè-
rent assez de forces pour aller au
secours d'Hercule. Ex clamore j'ama
totd urbe percrebuit , expugnari Deos
palrios, non hoslium aaventu, neque
repenlino prœdonum inipclu : sed n
domo atque cohorte prœtorid maman
fugitivorum instructam , armatamaue
venisse. IVemo Agrigenli neque œta-
te tant affecta , neque t'iribus tant
infirmis fuit , qui non illd nocte. eo
nuncio excitalus , surrexerit , telum-
que , quod cuique sors offerebat ,
arripucrit (i5) . Ce grand zèle n'em-
pêcha point les habitans de tourner
en raillerie cette aventure : ils dirent
qu'il la fallait ajouter aux travaux
du dieu. Nunquiim lanliim viali est
Siculis quin aliqnid facetè et com-
mode dicant , velut in hâc re : aiebant
in labores Herculis non minus hum
immanissimum p'errem , qu'uni illuni
aprum lirymanlhium injerri opor-
lere (26).
(a5) Cicero, in Verr. , oral. Vf, cap. XLIII.
(26) Idem , ibidem.
GIFANIUS (Obert) a été
un savant humaniste , et un
grand jurisconsulte. II était de
Buren au pays de Gueldre. Il
fit ses étndes à Louvain et à Pa-
ris, et il fut le premier qui éta-
blit à Orléans la bibliothèque de
la nation allemande. Il reçut
dans celte ville le bonnet de
docteur en droit , l'an 1 5(S^ , et
s'en alla en Italie à la suite de
l'ambassadeur de France ; après
quoi il passa en Allemagne , où
il enseigna la jurisprudence avec
tant de capacité , qu'il s'acquit
une très-belle réputation. II
l'enseigna premièrement à Stras-
bourg oii il fut aussi professeur
seigna dans l'académie d'AIt- dire cela lui qui mourut le
j ac c - t i * j ti pinvier mon ? Je n cinix-ch
dorf et enfin a Ingolstad. Il Jq(ie , pour lever la difficulté,
GIFANIUS.
en philosophie , puis il l'en- ollé a Home (4). Scaliger pouvait-il
mourut le 21 de
: pas
, on ne
abandonna la religion protestan- suppose qu'il courut un faux bruit
te, pour embrasser la romaine, de la mort de Gifanius, sur quoi
11 fut attiré à la cour impériale Scaligerse fonda, ou que les compi-
.1 » j„ 1 1 j l lateurs du Scaligérana y ont fourre
et honore de la charge de con- „i .,...;«>„ -„ u . vi / • «. • *
,c, .0 vv" plusieurs choses qu ils n avaientpoint
seiller et référendaire de l'em- ouï dire à Scaliger. Cela se remarque
pereur Rodolphe. Il mourut à en d'autres endroits de cette com pi-
Prague , le 26 de millet ifroo, lation,- Mais le Plus sûr est de dire
/\-i"~,îJ~„i j r \ ■ . . 1l,e swcrhus et Valcre André se
(A) âge de plus de («) soixante et trompent, n'ayant pas suivi M. de
dix ans (0; , si 1 on en croit quel- Thon, qui a mis la mort de Gifanius
ques auteurs; mais quelques au- a lan l6o4-
très mieux informés mettent sa ,(B) P ét?lt *B bon économe.] Je
. . i> r- . , \ T1 . n en ai point d autre preuve que ces
mort al an 1604 (cj. Il avait amas- paroles % Scafiger (5). Il était cou-
se du bien, car il était un bon seiller de V empereur ; et parce qu'il
économe (B). On l'accuse d'une faut entretenir maison ayant femme,
insigne supercherie par rapport £™"W [a sienne h Nuremberg.
0 •. i r. • ■ l ,^,^ Il était riche de 23,000 ducats , et
aux manuscrits de Fruterms(C); demeurait en un galetas. Liberis
et on le met dans la liste des utebatur ut servis. Cela passe l'éco-
écrivains plagiaires (D). Ses dé- nomie : cest une vraie mesquinerie.
mêlés avec Lambin ont fait éclat (C) °.a Vaccuse d'u,ne ins'$ne su~
1 , > 1 1 • ■• percherie par rapport aux manu-
dans la république des lettres scrits de Fruterius.] Frutérius , l'un
(L). La cause pourquoi il se des grands esprits de son siècle, était
brouilla avec le terrible Sciop- à Paris l'an i566, avec quelques au-
„;„. .;. „. i 1 • j . i-1 très Flamands, JanusDouza, Obertus
pius tient de la peine du ta ion r;t : t t »• »„ ^
Jr. n ce ■ Gitanius , Janus Lernutius , etc., et
{t). Cette affaire est assez eu- y mourut fa même année, à l'âge de
rieuse. Vous trouverez le titre de vingt-cinq ans (6). Il avait déjà re-
la plupart de ses ouvrages dans cueilli un bon nombre d'observations
lo n,Vt,"~,,~~;..„ ï„ i\/r J. ■ de critique, qu'il recommanda en
le Uictionnaire de lVloreri , ou * > r# • r 1 ■ „; ,„., a„
,, , -ii mourant a Gifanius. Celui-ci usa de
1 on donne ridiculement comme fraude ; il les supprima autant qu'il
deux personnes Hubert Giphani lui fut possible, et cène fut qu'après
Obertus Giphanius. les plaintes de Janus Douza , qu'il se
résolut à restituer une partie de ce
et
(a) Soixante-quinze, selon Witte, in Dia-
ne- Biograpli.
(/>) Tiré de Valère André, Biblioth. belg ,
pag: 703.
(c) M. de Thou le fait, liv. CXXXI, pag:
m. îo^i.
(A) // mourut îi Prague, le 26 (1)
de juillet 160g.] Swertius (2) et Va-
lère André (3) le disent; mais je ne
sais comment l'accorder avec le Sca-
ligérana, où l'on fait, mention de la
mort de Gifanius. Un jésuite italien
s'est trouvé 'à sa mort, et a pillé
beaucoup de ses papiers , et s'en est
(1) L.e 25, salon le Diar. Biograpli. de Wiltc.
(■>) Ailicn. bel;;. , pag. 58^.
(3) Bibliolb. bc\r,-,pag. 70?.
dépôt. Lisez ces paroles de' M. de
Thou (7) : Is (Fruterius) in puriore
litteraturd ciim excellent , et jam
multa commenlatus esset, properatd
morte prœpeditus omnia ea Gijanii
judieio ac fidei commisit (8) , qui
(4) Scaligérana , pag. nu f)4»
(5) L'a même, pag. m. q4'-
(6) Tlmaii., llislor. , lib. XXXVIII , ad
ann. i5(>G.
(n) Idem , ibidem.
(8) Ad fuit ille quidem, faleor, tectique resedit
Anlepedes : sed non ulàmici impendere, verhm
Vulluris officium i-alido maVe posset amico:
Ul vrl continua paluil , c'um Fruterius jam
Dejiciens, illi manuum monumenta suarum
Subjicienda operis prtvlorum Iradcret; atque
Han- mea sinl Fanni libi, dicerel, ut tua curie.
Douza , sat. II, pag. 33çj, edil. îGor).
GIFAN1US.
pari fide minime nsus creditur, vix-
que Vite a Jano Duzd motâ exorari
]J0tuit7 ut pauciila <juœ ex tan ta jac*
turd, velut ex magna naujragio exi-
guœ tabulée s up ère vaut , si nt publi-
cata. Douza fut si en colère contre
Gifanius, à cause de cette mauvaise
foi, qu'il n'oublia rien pour le met-
tre à la raison. Il implora même le
secours de Giselinus 7 afin que de
concert ils obligeassent le voleur à
restituer les manuscrits.
Quid tamen htvc , Giseline , jurant % si Fan-
nius hœres
Se premere œlernd toi bona nocle cupit ?
Ille cupit : secl tu genio comtnunis amict
Âssertor t'entas , tnjiciasque manus.
Tune ego damnatus t'Otit de more sacrabo
Prima quidem Ncmesi dona% secunda tibi.
Sets etenim quant me mendact lœserit ore ,
Dum pia pro caris manibus arma gero (9).
Le tamen du premier vers se rapporte
à un endroit où Douza dit, que Gi-
se'linus était le premier qui avait crié
contre la mauvaise foi de Gifanius.
Al quota virtutum pars est tamen ista tnafum?
Ma jus opus Fanni non tacuissc dotos ,
Verbaque F rulericœ prima injecisse favillœ ,
Nec dubiam factis exkibuissejidein,
Non miht Fruterium reddr.ndo plura dediss0t;
Hoc quoque Fruterium reddere pœnè
fuit (10).
Il raconte dans sa IIe. satire ce qu'il
avait fait pour la mémoire du défunt ,
et contre Gifanius.
Suspectum ex tllo cœpi observare , quid esset
Demum aclurus ; al ille vafer malh dusimu-
lare ,
Nec de se qutcquam promittere , donec aperto
Spps muta ta tnelu nos exlorquere subegil
Edilionïs opus. Mirum , qua.t perfidus hic se
Vcrierit in faciès : primitm civtlia jura
Caussari : mox comme ntaria sesqmpeihrfi
Cœsaris inçeminare sono , et cui no/nen
Agelli
Ipse adeb primus vult restiluisse videri :
Postremb , ipse meas postponere tes atienis
Nec l'olo , nec possum , nec debeo , dicere,
Quid te
Longa ambage moror? cessi indè , nec ulte-
rius mî
Cessandum ralus , haud faites tamen , im-
probe , dixi.
Nec mora, et nrchctjpum exemvlar clam
nactus , et apta
Tcmpora , dum sese miralur Fannuts , et \pe
Crescentem tumidd inflat utremt vrœcunte
fideli •
Verba Srro , à capile ad calcemloc a çuœque
j» nolando
Ifàcripsi sapiens. Hinc tempêstalis origo.
Hlne Mis lachrymœ (11)
(D) On le mit dans la liste îles l-cri-
(gl Ibidem, epist. III, pag. 4".
(10) Idem, ibtd., pag. ijn.
(ii)Trfewi, sat- II, png. 33i).
11
vains plagiaires. J Voyez le recueil
du docte Thomasius, sur ces gens-là ;
vous y trouverez (12) Gifanius acca-
ble île tous les reproches qu'on vient
de lire , et de plusieurs autres : vous
y verrez ces vers de Douza :
Tu prœ'.er omnes alpha legidejorum
Burane quem inter bustuarios verres,
Plitmis adornatum et colore furtivo ,
yfutumnilat l'ontana nobdein fecit ,
Nolisque Transrhenana inusla frons Gal-
lis (l'i).
Vous les y verrez, dis-je, accompa-
gnés de cette note, Autumnitas Pouta-
aa idem est quad Fruteriana ; sume-
bat enimFruterius nomenPontani,ut
5eBrugis(Po«i, Bruche) natum signi-
Jicaret : fide reliquias ejus ,pag. 1 34-
JVotœ aillent Galla: suiit quas Dionr-
sius Lambinus Gallus Giphanio ,qàan-
quam suampotiiis qiùim Fruterii cau-
sant agens , tum initio coram audïto -
ribus suis, tum poste'a in prœfat. ad
lectorem Lucretii tertium editi inus-
sit. Vous y verrez que Giselinus se
trouva très-mal d'avoir prête son Pru-
dence à Gifanius.
Atque uttnam tan tum scires mea vulnera ,
nec le
Lusissel plagiis improbus ille suis.
Illa dies nocuit , qud le sibi credere primant
Nobile Prudenti nomine suasit opus.
Te quoque tune animas vnfrd. sub vulpe la-
tentes
Suspicor , et Geldram perdidicisse fi-
dem (i4/*
Cela signifie que Gifanius avait vole'
à Giselinus ce qu'il y avait trouvé de
meilleur. Lorsque Douza écrit en
prose, il ne s'emporte pas tant , et il
épargne même le nom de son enne-
mi ; mais il ne laisse pas de dire que
Gifanius avait orné son Lucrèce des
dépouilles de Frutérius : Nec dubium
quin de Giphanio intelligendum sit ,
quotl lego aputl Va^er. Andrœam ,
pag. 629 Bib'. Bel g. nota visse Janum
Douzam ad triumviros amoris , quœ
in Lucretium adfccta Frutérius ha-
buerit, iis non parùm adjutos fuisse,
qui post Lambinum auctorem illiun
collectaneis illustrârunt. Utique enini
in Lucretium habentur collectanea
Giphanii (i5).
(E) Ses démêlés avec Lambin ont
fait éclat dans la république îles let-
tres. ] Lambin ne se contenta pas do
(12) Numéro 4'"5 et seq.
(i3) Donza , Ode in Felles litternrias, pag. (îig.
(i4) Idem, episl III, pag. 412.
{i5j Thomasius, de Plagio Lilterario, pu g. igÇ.
78 GIFANIUS.
se plaindre dans ses leçons publiques commentaire de Lambin lui avait e'ie'
que Gifanius l'avait volé; il en te'- très-utile. Dionysio autcm Lambino
moigna son indignation dans la pre'- et Adriano Turnebo cluobus Franciœ
face de son Lucrèce, lorsqu'il le lit omamentis quantum tlebeatur prœ-
imprimer la troisième fois. Voici des jnii , quippe qui de hoc gravissimo
vers qui concernent les invectives scrtptore optimè si/it meriti, oralione
qu'il lit en chaire (16J.
meci quidem nequeam adsequi. Ne-
que sanè viri Uli prœstantissimi h me
id ut faciam e.rpectant aut volunt ,
salis inclaruit eOrum industriel et
eruditio incredibilis. Hoc tanliim ve-
reque testatum relinquere possum ac
debeo , illorum maxime laboribus et
solertiâ aajutum esse in his cujusque-
modi Emeiulalionibus ac Nolis com-
Giphanius, sans être nomme dans la parandis(ii'). Voilà bien des louan-
préface (18), y est traité comme un ges, mais elles venaient trop tard,
Nec libel antiquam plagii renovare querelam:
Qubd le , felieem quondam , Lambine, cere-
brt,
El vidi el pleno memini postasse iheatro
Parisiis , lune ciim miserandus el hoslibus
ipsis
Fannius intrursum delracld pelle paterel.
Xndignum scelus , et nuilo salis igné pian-
dum (17).
chien : les injures les plus atroces y
pleurent sur lui. P. xxvi. ipsi Gi-
phanius est quidam omnium morta-
lium, quiunquàm fuerunt, qui sunt,
qui erunt injustissimus , audacissi-
mus, impudentissimus : p. xxx , au
et ne pouvaient pas guérir la plaie
faite dans la page précédente, où
l'on avait dit que l'on donnait un
Lucrèce beaucoup meilleur que ne
l'était celui de Lambin ; et que Lam-
bin avec toute son érudition n'avait
dacem vocal, arrogantem , impuden- pu faire que le public eût le vrai
tem , ingratum, petulantem, insidio- Lrcrèce. Mettez tant qu'il vous plai-
sum , fallacem , infidum , nigrum :
p. seq. unum ex omnibus mortalibus
nulhl re magis, quàm feritate , im-
portunitate , contumaciâ" , superbiA ,
audaciâ, confidenti;!, et impudentiâ
excellentem (19). Le fondement de
ra une dorure d'éloges sur cette pi-
lule, vous n'en oterez jamais l'amer-
tume ; elle sera toujours d'un méchant
goût, et mettra en mouvement la
bile et toutes les autres mauvaises
humeurs. Voici le passage tout en-
ces horribles injures est que Gifanius tier ; à tout prendre , il est désobli
avait pillé dans le Lucrèce de Denys
Lambin , ce qui lui avait paru bon ,
et avait bla"mé le reste , sans recon-
naître de qui il tenait son bien. Om-
niajerë, quœ in eo Lucretio recta
sunt , mea sunt •' quœ tamen iste aut
silentio prœlermiltil , aut maligne
laudat , aut sibi impudenter arrogat.
Sic undè reprehendendi ansam arri
géant. Tandem Dionysius Lambi-
nus libros manu descriptos complu-
res felicissimè nactus ; adjutus etiam
dodiss. firorum , in iis prœcipuè
Adriani Turnebi, et Joli, etiam Au-
rait operd , ipse incredibdi diligenliâ
et eruditione prœditus , à pluribus us-
que turpissimis menais Lucretium li-
beravit. Sed quia tam fœdè esset
père potest, ibi mihi petulantissimè contaminatus , uli adhuc prœstantis
simus poëta nomine tantiimfuerit no-
tus ; Uli recusantibus medicinam ad-
hibere eruditis tdris , ut si desperatus
esset ac ilepositus •' ejjicere ille quam-
ins dodus et diligens ( quod pace viri
dodiss. dictum velim ) non potuit, ut
purum ac meruvi liaberemus Titum.
Nos igitur etsi id quoque prœstare
non potuimus , spero tamen id nos
consecutos , ut multis jam parldjus
melior et. emendatiorin hominumfhia-
rtibus esse possit optimus Rojnaniser-
monis auctùr(vi). Je ne sais point,
non plus que Tliomasius, si Gifanius
(21) Giplian., prof, in Lucret., fol. »t **î.
fii) Idem , ibid. , folio *" verso.
insultât, in eo me improbissimè in-
seclatur ( 20 ). 11 est pourtant vrai
qu'il reconnut dans sa préface que le
(16) Douza , sat. I , pag. 336.
(17) Voyez aussi ces vers de la IIe. satire :
Non ut ineplus
Fannius hic Fidentini genus , el plagii olitn
Convictus, lambine, tibi , c'ttm frvnle retectd
Furtivis risum movtt curnicula plumis.
Iilcm , pag. 338.
(18) Ego autem nunquam abducàr ut eum no-
minatim desertbam. Lambinus . prcef. tertiœ
edit. Liicrelii , pag. Divin, apud Thomasium ,
P"S- >97-
(i<)) Tliomasius , ibid.
(ao) Lambinas, pag. -xxix , apud Tïioma-
siuni , ibid. Notez que j'ai vérifie' les citations
de la pre'J'ace de lambin alléguées par TUoma-
iius.
G I FAIS I US.
79
se défendit contre Lambin (a3) : je
sais seulement qifil en fit ses plain-
tes à Muret (24) , et qu'il se jeta sur
la récrimination. Il prétendit que ses
corrections sur Cicéron et sur Cor-
nélius Népos avaient paru de bonne
prise à Lambin, et d'ailleurs, il l'ac-
cusa d'un vilain mensonge : Lam-
bin, dit-il, se vanta de l'amitié de
tous les Flamands qui étudiaient à
Paris , excepte: Gifanius , et jen nom-
ma une douzaine , dont il n'eût pas
même su le nom, s'il ne s'était servi
d'artifice. Voici les paroles de Gifa-
nius. De Lambino , <$iZ tâç Àvuiïia.ç !
in quem ut omnia pulchrè concernant,
accipe et aliua ejus stratagema.
Cum Lutetiœ thyrsum , non Lucre-
tiunum Miim, sed suum in me qua-
tere instiluisset , ( ego intérim do mi
uirgam lam pueriliter peccanti mini-
tabar , ) prima concione dixit , cum
Belgis omnibus familiaritalem sibi
esse , me unum sibi malè cupere ;
protulilque duodecim ferè Belgarum
nomina , qui liuu ibi agerenl studio-
rum causa , ( conferenda sunt cum
lus , qiux scribit Lambin, ad Lect.
tertiœ éd. Lucret. p. xxxi, xxxn. )
Multi ex his admirati liane publi-
cam testationem et citalionem, qubd
Muni ne salutdssent quidem , me au-
tem uterenlur familiarissunè ; imb eo
ipso tempore epigrammala in illum
parlim. proscripsissent , ad nie accur-
rerunt , et acumen Lambini, artes-
que ejus oralorias mihi exposuerunt.
3'Iirantibiis omnibus, undè eorum no-
mina collegisset, intervenu mox ejus
con\>i<lor Bruxellensis , qui scrupu-
lum illum nobis exernit : se namqne
rogalum et coactum fuisse Lambino
petenti domi aliquot Belgarum no-
mina diclare, causœ ignaram. sitque
ita l'es in risum abiit (a5). C'est une
cliose très-f;lcheuse que les belles-
lettres ne puissentpoint garantir ceux
qui les professent du désordre des
passions.
Muret ne fut pas le seid déposi-
taire des plaintes de Gifanius. On
(23) Quid Poit.tv, nuid Lambino ipsi , ad is-
las accusationes responderil Giphanius , fateor
ignorare rnr. Tbomasius, pag. 198.
(24, Tliomnsms, pag. 199» 200, rapporte
tous 1er passages des Ldlre* «le Gifanius à Mu-
ret, et ilet Réponses de Muret.
(a5)Giphan. ad Murettim epist. LXXVIII
lib. T, inler F.uistohs Mureli, apud Tliniua-
- lum . pag. 200.
\ ienl de publier une lettre que celui-
ci écrivit à Théodore Cautérus, l'an
1 5S7 , où se trouvent ces paroles (26) :
Prœlerea nosti quemadmodum mea
compildrit , me que tractdrit Lambi-
nas in /Emilium Probum, cujus rei
testes habeo epislolas Mureti , quus
et tujam devulgatas l'idere potuisti,
et Puleani cujus auclorilate Lambi-
nus abutitur inviti , etc. Gifanius écri-
vit au même Cantérus, l'an 1667, ce
qui suit (27) : Ille qui ea fulmina in
me jacit, anne ut divinavi est Ludo-
vicus Carrion , quem mihi nomen
amicissiiuum putavi ? Certè eum esse
indica\'it Dn. Bombergus. Sic Lu-
creliana mea ubique vapulant , sed
tuti et lui similium amicilid fretus
vana illa fulmina esse judico.
Je dirai en passant que Scaliger
n'est pas fort propre à faire croire
que Gifanius ne fut point un pla-
giaire. Gifanius, dit-il (28) , était
docte , son Lucrèce est très-bon. Je
lui ai envoyé depuis quelque chose
de bon siw Lucrèce, qu'il a gardé,
et dit qu'il n'a rien reçu , et s'en veut
prévaloir // avait dérobé à L.
Frutérius, son Agellius , qui était
prvt d'être imprimé.
(F) La cause pour laquelle il se
brouilla avec le terrible Scioppius
tient de la peine du talion. ] Sciop-
pius ayant obtenu de Conrad Kit-
tershusius , chez qui il logeait à
Altdorf, une lettre de recommanda-
tion auprès d'Obert Gifanius, pro-
fesseur à Ingolstad, s'insinua dans
les bonnes grilces de ce professeur ,
et après avoir eu un accès fort libre
chez lui, il trouva un jour le moyen
de visiter la bibliothèque en l'absen-
ce du maître , et d'en ôter un ma-
nuscrit de Symmaque. 11 copia aussi
tout ce qu'il voulut dans un ouvrage
manuscrit de Gifanius , et y trouva
des matériaux pour s'ériger en au-
teur critique ; et lorsque Gifanius
eut fait éclater ses plaintes, le pla-
giaire vomit sur lui cent injures. Voi-
' là ce que les amis de Scaliger con-
tent à la charge de Scioppius. In
œdes primum , mox in animum , pos-
te'a in btbliothecam absenlis penetra-
(26) Voyez les Lettres 711e M. Mattlircus ,
professeur en droit à Lcjde , ^ a publiées, l'an
iliqS , pag. 97.
(27} Ibidem.
(28) Scaligérana, p^g- ofi-
8o G I FAN IUS.
fit Giphanii , cui MS. Symmachi le public ne fût point frustre si lông-
codicem subduxit : libros verd obser- temps de ce trésor , fit mille caresses
vationum linguœ latinœ invito domi- à Gifanius, et le pria souvent à sou-
tw percurrit , et ex Us qttœ voluit fur- per; mais que tout cela fut inutile,
tim sùblegit. E quibus pariim, par- quoique ce professeur se plût beau-
tim emendationibus Plautinis , quas coup a souper chez ses amis. Sciop-
è Camerarù membranis descriptas in pius ne tiiterarum studiosis liber ejus-
sito Rittershusius codice adnotdrat , modi diutiiis deberetur, Giphanium
partim etiam reliquiis schedarum Mo- creberrimè ad cœnam vocando de-
dii , quas ab amplissimo Velsero , mulcere ( vix enim ullam diem toto
summo litterarum patrono acceperat ; anno elabisibi Gifanius sinebat , quin
duos illos, quibus primùm innotuit , foris cœnaret, ac plerumque Menelai
libellos corrasit .... Quod quidem Homerici exempta invocatus amicis
plagium cùm passim voce passim lit- condiceret)et Symmachi copiant abeo
teris testarelur Giphanius , in prœ- impetrare studuit , séd frustra (34).
t'.eptorem suutn et doctissimum homi- 5°. Que, voyant cette obstination , il
nem erupit hœc vipera ,»et quœcun- s'associa avec trois jurisconsultes ,
que undique poterat concilia in eum pour enlever secrètement ce manu-
i-ontorsit (29!. Voici ce que repond scrit, et que s'en étant servi il le re-
Scioppius. i°. Il cite deux endroits mit à sa place le lendemain. 6°. Que
de ses ouvrages (3o) , où il reconnaît la subtilité avec laquelle il devina
les obligations qu'il avait à Gifanius , où était ce manuscrit surpasse toute
pour la communication du manuscrit la iinesse des critiques qui ont com
de Symmaque. i°. Il avoue que ces mente Symmaque. Unica Ma conjec-
deux endroits n'étaient qu'une rail- tura sua qtio loco Symmachi codex
lerie (3i) ; car, ajoùte-t-il, Gifanius in Giphanii bibliothecd situs foret. ,
ne m'a laissé voir qu'une fois ce ma- omnium Criticorum quolquol ei scrip-
nuscrit , et quand je le lui de- tori operam navârunt ingenium et
mandai une autre fois , il me lit acumen longé superavit ( 35 ). r}°.
réponse : Monsieur , me demander Qu'il est faux qu'il ait dérobé ce ma-
mon Symmaque , c'eit toute la même nuscrit, puisqu'il ne le garda qu'une
chose que si l'on me demandait que nuit, afin que d'autres s'en pussent
je permisse qu'on couchât avec ma servir. Rem quoque malo furto ac-
femme -.Symmachum'a mepetereper- quisitam possessori suo nequaquam
indè est atque uxorem meam uten- subduxerit ( velut tu mentiris ) sed
dam postulare (32). 3°. Que Gifa- usum ejus unius noctis lucubratione
nius, qui avait volé ce manuscrit à cum aliis communicant ( 36). 8U.
Venise , dans la bibliothèque du car- Quant a l'autre manuscrit , il avoue
dinal Dessarion , ne voulait ni le pu- qu'il l'a eu entre les mains par le
blier , ni le laisser publier à d'autres, moyen du copiste de Gifanius, et
Erat autem liber ille Symmachi ex qu'il en a tiré le meilleur, mais non
Bessarionis bibliothecd fenetiis fur- pas pour se l'approprier, puisqu'il en
to Gifanii sublatus ( velut Jfoljgan- alaissé tirer des copies à plusieurs per-
gus Zundelinus indicium Scioppio sonnes curieuses de la belle latinité.
jecit ) quem ille neque ni ederel, ne- Cùm ei Giphanii amanuensis librum
que ut Rittershusio id pelenti eden- Muni obsei'vationrim attulisset , cum
dum daret, ullis precibus aul mime- iisdem jurisconsultis , amicis suis,
ribus induci potuit (33). 4°. Que lui , opéras pariitus intra paucos dies
Scioppius, voulant faire en sorte que quicqitid in eo minus peryulgalum
, esse videretur, descripsit , et passim
(a9) VoyezU satireKtrçtititomï&emou , m u j - studiosis ,
il y a un appenaix intitule : Vila et parentes r , "■••■ /i ?• j
Gaspar. Scioppii, pag. 145, 14G. eltam sacrilego du Guldtnasto des-
(3o) La préface rie set Verisirailia , et /a lettre cribpndi copiant fecit {3']). (f . Il pré-
XV de ses Suspects lectiones. tend avoir reconnu publiquement le
(3i) Ista Scioppitttn non serio , sed joco tan-
tiim scripsisse. Oporintis Grnbinius , Ampliot.
Scioppian. , pag. i3o. (34) Ibidem , pag. i^o.
(3s) Opminus Gruliiniu» , Ampliot. Sciop- (35) Ibidem.
pian. , pag. i3g. (3Gi Ibidem, pag. «41-
(33J Ibidem. (37) Ibidem.
GILLES. GYMNOSOPHISTES.
Si
profit qu'il avait tiré de cet ouvrage : Tun'is contra Damascum , id est
« De Observationibus Çtrummalicis , l'utela ecclesiœ romance contra cal-
» j'ateri puta Scioppium cum prœfa- vinistarum incursiones objecta consi-
» tione disputationis de injuriis ita derationibus cujusdam ministri P.
» Giphanium alloquitur : ego multa Gillio subscripti; œdiftcata cum pro-
» este quamvis inscio et invito didi- pugnaculis à Fr. Theodoro lielvede-
» ci. » Je ne m'étonne point que Gi- rensi, etc. Cet ouvrage fut imprimé
fanius se soit bien mis en colère; à Turin, Tan i63C, et réfuté peu
car qui pourrait souffrir patiemment après parle sieur Gilles, qui répon-
de telles supercheries? Scioppius en dit aussi à un autre livre que le
avoue assez pour persuader ses lec- même moine avait publié en italien
teurs qu'il n'était pas honnête hom- sous le titre de Lucerna délia Cliris-
me. Le pis fut pour Gifanius que l'on tiana Keril'a per conoscer la vera
se moqua de sa colère. Hoc ut resci- Chiesa e la falsa pretësa reformata ;
fit Giphanius , tanium non in J'uro- il y répondit , dis-je, par un ouvrage
rem reductus est, omnibusque vins intitulé Torre Evahgeliea divisé en
doctis etiam amicis suis deridteulo XLVIII chapitres , dont il donne le
fuit (38}. sommaire dans son histoire des Vau-
J'ai ouï dire à l'illustre M. Grœ- dois (3). H en fait autant à l'égard de
vins , qu'il a vu entre les mains de sa réponse à un autre livre italien que
Fridéric Grouovius une lettre de ce belvédère dédia à messieurs de la
Philippe Paréus, où l'on donnait avis à Pfopaganda pour les informer de
Gronovius que le manuscrit des Obser- l'état des églises réformées vaudoi-
vations de Gifanius sur la langue la- ses ? et de leur ordre, doctrine et Cé-
line, avait été retrouvé, et qu'il se- remanies, concluant a la jïn obli-
rait facile par-là de découvrir les quement qu'il les faudrait extermi-
larcins de Scioppius.
(38) Ibidem.
GILLES (Pierre ) , pasteur de
l'église réformée de la Tour dans
la vallée de Lucerue , composa ,
par ordre de ses supérieurs , une
ner (\)
(3) Histoire des Eglises vaudoises , pas. 54i
et suiv.
(4) LU même , pag. 545 et suiv.
* Leclerc d.t qu'il faut , à la liste de ses ou-
vrages, ajouter les Psaumes en vers itaUens .
10^4 , in-S°.
GYMNOSOPHISTES. Les
histoire ecclésiastique des eg h- r*.<>„
, . . f ,. . o • Lrrecs ont ainsi nomme les phi-
ses vaudoises , et la ht impn- w^u^ „ • n ■ , \ T,
. n . ' „ a, , ■ l „ losophes qui allaient nus (A\ Il
mer a Genève , I an ib44» m^ • v<.nm; û-uioj i>*r-
T, r. .. , ', ^? 7 y en avait de tels dans l'Afrique;
11 était alors dans sa soixante- ma;6 ioc „ilic *.„„ «^ ,An '
mais les plus renommes étaient
dans les Indes. Les g3rmnoso-
phistes d'Afrique demeuraient
sur une montagne d'Ethiopie,
assez près du Mil , sans aucune
treizième année. Il avait delà
publié d'autres ouvrages (A).
(A) Il avait déjà publié d'autres
ouvrages..} J'ai dit ailleurs (i) que
le prieur Marco Aurélio Rorenco fit maison ni cellule. Ils ne for-
imprimer en i634 l'apologie d'un maient point de communau-
écrit quil avait tait 1 au 16J2. No- t • . ■/• •
tre Pierre Gilles réfuta cette apologie te et ne sonnaient point en
par un ouvrage intitulé Considéra- commun comme ceux des In-
tio/is
siei
de
préfet des moines (2).
pliqua par un ouvrage latin, intitulé
(a) Philoslrate , qui parle ainsi dans la
(1) Dans l'article Rorenco,; lom. XII. Vie d'Apollonius, liv VI, est bien différent
(2) Voyet son Histoire des Eglises vaudoises , de Porphyre, t'oyez la remarque ^L> 1 de l'ar-
pag. 540. . ticle Brachmanes , tvm IF, pag. 96,
TOME VII. Q
32 GYMNOSOPHISTES.
que les homicides involontaires les médecins. Ceux-ci n'étaient
se présentassent à eux pour leur pas sédentaires comme lesHylo-
demander l'absolution, en se sou- biens, et se piquaient de savoir en-
dettant aux pénitences qui leur tre autres choses les remèdes de la
seraient imposées, et sans cela stérilité (C). On les logeait avec
ils ne pouvaient pas revenir à plaisir : cette science de faire
leur patrie. Ces philosophes fai- engendrer fils et filles leur don-
saient profession d'une grande naît un bon privilège d'hospita-
frugalité ; car ils ne vivaient lité. Quelques autres se mêlaient
que de fruits que la terre leur de prédictions et d'enchantemens
fournissait d'elle-même. Si l'on et paraissaient fort instruits des
en croitPhilostrate(^), ils étaient cérémonies et des traditions qui
descendus des gymnosophistes regardent l'état des morts : ils
indiens (B). Je ne saurais bien étaient un peu coureurs. D'au-
dire si c'est à eux que l'on doit très, bien plus polis que ceux-là,
attribuer les découvertes astro- ne prenaient de ce qui se dit de
nomiques dont Lucien (c)a don- l'autre monde que les choses qui
né la gloire à leur nation. Il pouvaient servir à la sainteté et
prétend que c'est dans l'Ethiopie à la piété (e). Généralement par-
que la science des astres a eu ses lant, les gymnosophistes ont fait
commencemens ; et que c'est là honneur à leur profession : les
qu'en considérant les diverses maximes que les historiens leur
phases de la lune on a com- attribuent if), et les discours
mencé de connaître qu'elle em- qu'on leur fait tenir ne sentent
pruntait toute sa lumière du point le barbare : on y voit au
soleil. Pour ce qui regarde les contraire bien des choses d'un
gymnosophistes de l'orient , ils grand sens , et d'une profonde
étaient divisés en brachmanes méditation. On ne peut pas se
{d) , dont j'ai donné un long ar- plaindre qu'ils aient mal soutenu
ticle , et en Germanes. Les plus la majesté de la philosophie ,
considérables de ceux-ci por- puisque c'était leur méthode de
taient le nom d'Hylobiens, à eau- n'aller trouver personne, mais
se qu'ils demeuraient dans les de mettre les choses sur un tel
bois. Ils s'y nourrissaient de feuil- pied à l'égard même des rois (D),
les et de fruits sauvages ; ils re- que si quelqu'un avait besoin
nonçaient au vin et à l'autre sexe ; d'eux il vînt le leur dire, ou le
ils répondaient aux questions leur envoyât dire. C'est poureela
des princes par des messagers; qu'Alexandre, qui ne crut pas
et c'était par eux que les rois hono- qu'il fût de sa dignité de les aller
raient et priaient la divinité. Le
second degré d'estime était pour (e) Oùé' a.ù'roù; <f« à;r j^o^évoc/ç t£v x*5"
dfouBf uhht.il/uh oev, sV« (ToJtEÎVpcç tv~îCaa.v
xcii omo'THTa.. Qui nec ipsi abstineant ab
{b) In Vil â Apollon., lib. VI, d'où J'ai Us ejuœ de inferis memorantur e/uœ ad pieta-
tiré ce que dessus. lem sanctitnoniamque pertinent. Strabo, lib.
(c)De Astrolog. XV. pag. 4yi.
(d) VoyesStrabon, auliv.XV, et la re- ',/] Voyez Stràbon, ibid. Phitostrat. , in
marque iFl de l'article Bka.CHMA.NES , (uni. V il â ipollon. , ///*. ///. Plutarch, , in Alexan-
tl\ pag. 97. dvo Aman. Exped. , lib. VII,
GYMNOSOPHISTES.
83
voir, leur députa quelques per- les hommes vivaient comme les
sonnes, afin de satisfaire l'envie brachmanes (H)?
qu'il avait de les connaître (g-). Il
ne se peut rien voir de plus beau
que la manière dont ils élevaient
leurs disciples (E). Ils leur de-
mandaient chaque jour , avant
(A) Les Grecs ont ainsi nomme
les philosophes qui aliment nus. j J)
serait absurde de nier qu'il y ait eu
des philosophes indiens qui ne por-
taient point d'habits j mais on pour-
qu'on se mît à table, à quoi ils rait prétendre que les brachmanes
avaient employé la matinée ; et n'ont point été de ce nombre : car ,
chacun de leurs élèves était obli- outre l,s autorités que j'ai alléguées
en un autre heu(i), on peut faire
gé de produire , ou quelque bon-
ne action morale, ou quelque
progrès dans les sciences, faute
de quoi on le renvoyait au tra-
vail sans lui donner à manger.
On a vu dans l'article des brach-
manes la grande frugalité des
gymnosophistes , et leur patience
extraordinaire à se tenir long-
temps en une même situation
(F). Il n'est pas hors d'apparence
que le dogme de la métempsyco-
se les portait à ne manger de rien
qui eût été animé, et que Py-
thagore emprunta d'eux cette
doctrine ; mais il est absurde de
faire descendre d'eux le peuple
juif, comme Aristote (h) l'en a
fait descendre. C'était une chose
honteuse parmi eux que d'être
malade ; de sorte que ceux qui
voulaient éviter cette ignominie
remarquer, i°. que l'Iarchas (2) de
Philostrate (3) se dépouille avant
que d'entrer dans une fontaine avec
Apollonius; a0, qu'un autre brach-
mane tire une lettre de dessous sa
robe (4) , une lettre, dis-je , qu'il
écrivait à un démon , pour lui com-
mander avec menaces de sortir du
corps d'un jeune homme ; 3°. qu'A-
pollonius reproche aux gymnosophis-
tes d'Ethiopie , d'avoir tout-à-fait
quitte l'habit des gymnosophistes
indiens, et d'avoir espéré par-là de
faire croire qu'ils étaient Éthiopiens
d'origine. Il y a une autre question
à proposer, savoir, si ceux qui al-
laient nus couvraient les parties na-
turelles. Saint Augustin le soutient.
Per opacas , dit-il (5), quoque Indice
solitudines quîim quidam nudi phi-
losophentur , undè gymnosophistœ
nominantur ; adhibent tanien genita-
libus tegumenta, quibus per codera
membrorum carent. Je crois qu'il a
raison , car une semblable ceinture
n'a pas dû empêcher qu'on n'imputât
la nudité à ces philosophes : elle n'em-
pêche aujourd'hui personne de dire
se brûlaient eux-mêmes (;'). C'est -
r. 1 r. ■ , et décrire que certains peuples de
ainsi que Calanus se fit mourir a la terrc von| nus Lors_ J ph^ostra.
la suite d Alexandre. Nous avons te parle des gymnosophistes d'Afri-
dit ailleurs que le dogme de la
transmigration des âmes inspi-
rait une extrême indifférence aux
brachmanes pour la vie ou pour
la mort (G). Porphyre répond
pertinemment à ceux qui leur
proposaient cette objection , que
deviendrait le monde , si tous
que , il les appelle cent fois les nus
simplement et absolument : néan-
moins il ne les représente pas comme
n'ayant rien sur le corps ; au contrai-
re , il dit (6) qu'ils sont habillés comme
(t)Plut., ibid. et alii.
(Ii) .4 pu d Clcarclium , cité par Josèphe ,
lib. I contra Appion.
(i) Strabou , "ptig, 4y3.
(1) Dans la remarque (G) de l'article
Brachmanes , tum. IV.
(2) C était en ce temps-là le président des
brachmanes.
(3) JTnVitS Apollon», lib. III.
(4) Simul epistolam è s mu delrttctam mulieri
dedtl lilem , ibid.
(M Augusl. , de CIvilatc Dci , lib, XIV, car
XVII.
(G) Lib. VI, pag- m. 1Î7.
84
GYMNOSOPHISTES.
les moissonneurs d'Athènes , et il leur
reproche d'avoir quitté l'habit indien
sous l'espérance qu'avec l'habit d'E-
thiopie ils gagneraient la réputation
d'être de véritables Ethiopiens. Je
trouve que pour appuyer le sentiment
de saint Augustin on cite (7) Nico-
las de Damas, et Diodore de Sicile.
Le premier (8) rapporte , comme té-
moin oculaire, que les présens que
le roi des Indes lit à l'empereur Au-
guste, furent portés par huit escla-
ves nus à la vérité , mais non pas
quant aux parties viriles. Louis Vives
et Pérérius rapportent cela , comme
si ces huit esclaves avaient été don-
nés à Auguste. Voilà comment les
plus doctes sont sujets à ne regarder
pas de fort près à ce qu'ils allèguent.
On (9) fait parler Diodore de Sicile
comme s'il avait assuré que les Ethio-
piens allaient nus , mais de telle
sorte qu'ils se faisaient des ceintures
ou de poil , ou de queues de renard.
C'est supprimer une partie du pas-
sage en faveur de la cause que l'on
soutient. On veut soutenir la pensée
de saint Augustin , que la honte , de-
puis le péché, est naturelle à tous les
hommes, quant aux parties qu'Adam
et Eve ne purent voir nues après avoir
mangé de la pomme. Si Diodore de
Sicile avait avancé que tous les Ethio-
piens qui vont nus cachent ces par-
ties , son autorité serait de poids ; il
a donc fallu ou ne point parler de
lui, ou supposer qu'il s'exprime de
la sorte. La vérité est qu'il ne le fait
pas , et qu'ainsi il fait plus de tort
que de bien à la cause de saint Au-
gustin. Il parle de quatre sortes d'E-
thiopiens ( 10) : les premiers vont nus ;
les seconds se couvrent de quelques
queues de bêtes les parties honteuses 5
les troisièmes s'affublent de la peau
de quelques animaux; et les derniers
se font un tissu de poils qui les cou-
vre jusqu'à la ceinture.
(B) Si Von en croit Philostrate ,
ils étaient descendus des gymnoso-
phistes indiens.] Apollonius avait vu
ceux-ci avant que d'aller en Ethiopie,
(n) Vives, in Au-ust. , Je Civitai. Dei , lib.
XIV. cup. XVII. Pcrerius, in Geneslm ,
cap. III.
(9,) Apud Strab. , lib. XV.
(q) Perer. , in Gcnesim, cnp. III
(10) DioJor. Sicul. , lib. IV, cap. I.
et il ne cessait de témoigner l'admi-
ration qu'il avait conçue pour eux.
Les gymnosophistes d'Ethiopie , ayant
eu le vent de cela , affectèrent de lui
parler avec mépris de ceux des Indes.
Il leur répondit là-dessus fort libre-
ment, qu'ils ne médisaient des In-
diens qu'afin de persuader au monde
qu'ils n'étaient point venus de ce pays-
là en Ethiopie , pour de mauvaises
raisons, comme le bruit en courait
(11). Voici quel était ce bruit. On di-
sait (12) que les Éthiopiens étaient
originaires des Indes ; qu'ils y avaient
été anciennement sujets du roi Gan-
ges , qu'ils l'avaient tué; que les au-
tres Indiens les avaient regardés de-
puis ce meurtre comme des abomi-
nables ; que la terre n'avait plus
voulu les souffrir, qu'elle ne laissait
plus mûrir leurs moissons, ni venir
à terme leurs femmes grosses, ni
croître leurs bestiaux ; et qu'elle
s'affaissait partout où ils voulaient
bâtir des maisons; que l'ombre du
roi meurtri les suivait partout, et les
effrayait ; et qu'on ne vit aucune lin
à ces misères, que lorsque les au-
teurs de ce parricide eurent été en-
gloutis par la terre. On prétend (i3)
que tous ces prodiges ûrent déserter
le pays à ce peuple , et qu'il vint
s'établir dans cette partie de l'Afri-
que qu'on a nommée l'Ethiopie. D'au-
tres ont parlé de cette transmigra-
tion , comme le docte Marsham l'a
montré (1%). Il a fait voir aussi qu'on
a reconnu deux sortes d'Ethiopiens ;
les uns en Asie, et les autres en
Afrique, et des Indiens en Afrique;
mais il prétend sans raison que dans
un passage de Virgile , on doit en-
tendre l'Ethiopie par le mot Indis.
Virgile entendait par-là les Iudcs
Orientales; il croyait que le Nil y
avait sa source, et vous voyez aussi
qu'il le fait passer par les frontières
de Perse.
Nain , quh Pellœi gensforlunata Canopi
Aceolil rffuso slagnarilemjlumine Ndum ,
El circitin piclis vehitur sua titra phase'is ,
Qttaqite pkarelralat vicinia Persidis urget,
El viraient /Egyptltm nigrd fœculldal arma,
El divers a ruens septem discurril in ora ,
(11) Pliilostrat. , in ejus VUS, lib. VI.
(ia) Idem , ibid. , lit'. III.
(i3) Idem, ibidem, lib. VI.
04) Cbron. Canon. Xgypt.', ftecul. XII!,
pag. 335 ,edil. 1/1-40.
GYMNOSOPIÏÏSTES.
H,
Vsque coloralis amnis devexus ab Indis :
Oinnis in hdc certain rcgio jacit aile salu-
tem (i5).
(C) Ils se piquaient de savoir, entre
autres choses, les remèdes de la ste'rili-
le.] Là-dessus ils se vantaient de trois
choses : de pouvoir faire que l'on eût
beaucoup d'enfans; de me'nager que
ce fussent des garçons; de procurer
que ce fussent des femelles. Strabon
marque tout cela. At/v*3-6«.i Js *a.\
5roÀt/"},ovo!/c ttoisiv , X.XI ct'f. ptvoydi/ouc KO.)
Bnxvyôvwç <fià Qa.'fy.u.x.iutix.-nç. Posse
eos et fœcundos facere , et ma nu m
enunarum procrealionrm medica-
me ntis prœstare (16) . C'était le moyen
dese rendre nécessaires ou agréables
à plusieurs sortes de personnes, car
il y en a qui souhaitent une nom-
breuse famille; d'autres, n'ayant que
des filles, souhaitent passionne'ment
un garçon; d'autres, n'ayant que des
garçons, voudraient bien aussi avoir
quelque fille. C'est principalement
la passion des mères : elle est assez
raisonnable , car une fille est une
compagne et une aide plus commo-
de à une mère qu'un garçon.
(D) A l'égard même des rois.] Ceci
ne doit point s'entendre générale-
ment de tous les gymnosophistes ;
car, selon Nèarchus , les brachmanes
étaient à la cour et à la suite des
rois, en qualité de leurs conseillers
(17)-
(E) Bien de plus beau que la
manière dont ils élevaient leurs dis-
ciples.] Tout ce qu'en dit Apulée
me paraît digne d'être copié. Est
prœterea , dit-il (18), genus apud
illos (Indos) prœstabile , gymnoso-
phistce vocantur. Ifos ego maxime
admiror : quôd homines sunt periti,
non propagandœ vitis , nec inocula n-
dœ arboris , nec proscindendi soli :
non illi nôrunt arvum colère , vel
aurum colare, vel equum domare ,
vel taurum subigere , vel ovem vel
capram tondere vel pascere. Quid
igilur est? Unum pro his omnibus
nôrunt. Sapientiam percolunt, tam
magistri senes quant discipuli mi-
nores. JYec quidquam apud illos œquè
(tS) Virgil. , Georg., lib. IV, vs. 287.
(it>) Slrab. , lib. XV, pag. 49>-
(17) Nearclius , apud Strabonem, lib. XV,
pag. 493.
(18) Apul. F^oiidor. , lib. I , circa init. , pag.
m. 343.
laudo qu'am quod torporem animi
et otium oderunt. Igitur ubi mensa
posita , priusquàm edulia apponan-
tur, omnes adolescentes ex diversis
locis et officiis ad dapem conve-
niunt. Magistri perrogant, quodfac-
tum a lucis ortu ad Mua diei bo-
num feceiit. llic alius se commémo-
rât inier duos arbilrum detectum , sa-
natâ simultate , reconcilialâ gralid ,
purgatâ suspicione , amicos ex infen-
sis reddidisse : indè alius , sese pa-
rentibus quidpiam imperantibus , obe-
disse : et alius , aliquid meditatione
.sua' reperisse , vel allerius demon-
stratione didicisse. Denique cœteri
commémorant. Qui nihil habet ad-
ferre cur prandeat , impransus ad
opus foras extruduur.
(F) On a vu leur patience a
se tenir long-temps en une même si-
tuation.] Outre ce qui a été allégué
sur ce sujet dans la remarque (A) de
l'article Brachmanes , je dirai ici
que cette dure contrainte n'a pas été
hors d'usage parmi les philosophes
grecs. Socrate se mettait quelquefois
à cette épreuve (19) , afin de faire
bonne provision de patience pour
les besoins à venir. Nous pren-
drions cela pour une bêtise : j'ai ouï
parler comme d'une grande marque
de mollesse et de pesanteur d'es-
prit , de la coutume qu'avait un mo-
narque , vers le commencement du
XVIIe. siècle, de laisser son chapeau
tout comme on le lui mettait sur la
tête en l'habillant. Mais remarquons
qu'il n'y aurait guère de supplice
plus insupportable, que d'être con-
damné à se tenir toute sa vie dans
une même posture. La situation qui
nous semble la plus commode , être
bien assis , veux-je dire , fatiguerait
à la longue cruellement (20).
(G) La transmigration des dmes
inspirait uneextremeindifférence aux
brachmanes pour la vie ou pour la
(19) Stare solitus Socrates dicilur prrlinaci
statu perdius atque pernox , h summo lucis ortu
ad solem aherum orientein inconnivens , imino-
bilis , iisdem in vestigiis, et ore atque oculit
cundem in locutn directis cogitabundus. A.
Gellius, lib. II, cap. I.
(20) Voyez les commentateurs de Virgile , sur
ces paroles du VIe. livre île l'Enéide ;
Sedet a-ternumqne sedebit
Infelix Theseus
Voyez surtout M. du Rondel, Dissert, sur le
Cuénix, pag. 96 et suiv.
86 GYMNOSOPHISTES.
mort.] A cela se rapporte ce que doit prescrire lui-même les saintes
Trajan dit des Gètes (21) , qu'ils lois que les dieux et les serviteurs
étaient les plus belliqueux de tous des dieux ont établies. Ces maximes
les hommes, non-seulement à cause de Porphyre peuvent servir à ceux
de la force de leur corps, mais aussi qui prêchent l'observation de la rao-
à cause de l'opinion que Zamolxis raie la plus sêvêre, et qui conseil-
leur avait persuadée; car comme ils lent tant le célibat. Que deviendrait
ne croyaient pas que la mort fût au- le monde, leur dit-on, si chacun
tre chose qu'un changement de de- obéissait à vos conseils? Ne soyez
meure, ils se préparaient plus aisé- pas en peine sur cela, doivent-ils
ment a mourir qu'à faire un voyage, répondre (a3) , peudegensnous pren-
Voila de quoi couvrir de honte les dront au mot. Les anabaptistes se
chrétiens, a qui, généralement par- servent avec succès d'une semblable
lant, l'espérance prochainedu paradis réponse , touchant la condamnation
ne peut arracher l'amour immense des charges de magistrature : ils sa-
qu'ils ont pour la vie. vent bien qu'on ne manquera jamais
(H) Porphyre répond pertinent- de maître , et que quand leurs cen-
nient a l'objection, que deviendait sures et leurs exhortations seraient
le monde, si tous les hommes vi- les plus pathétiques du monde, il se
valent comme les brachmanes?] Il trouvera toujours plus de postulans
n avait garde de ne pas louer ces que de charges. Cela me fait souve-
philosophes indiens, dans son livre de nir d'un théologien de l'église angli-
l'abstinence, puisqu'ils pratiquaient cane, à qui l'on voulait persuader
si bien son dogme. Il fait (22) une que le dogme de l'obéissance pas-
description très-avantageuse de leur sive devait être abandonné, comme
frugalité , de leurs bonnes mœurs tout-à-fait contraire au bien public :
et de leur mépris pour la vie. Quant N'ayez pas peur, répondit-il, que
à l'objection des mondains, il la ré- les peuples en soient plus portés à
fute de la manière que Pythagore l'a souffrir qu'on les opprime; et comme
réfutée. Si tous les hommes , dit-il, vous ne craignez pas en prêchant
devenaient rois, la vie humaine se- très-fortement contre la vengeance,
rait dans un embarras étrange; faut- d'exposer votre prochain à l'insulte;
il pour cela fuir la royauté? Et si car vous savez bien que, nonobstant
ton; les hommes suivaient la ver- tous vos sermons, il mettra bon or-
tu, on ne sortirait jamais des char- dre que son insensibilité pour un
ges publiques; car il faudrait que soufflet ne lui attire de nouvelles in-
ceux qui les administreraient ne per- jures ; ainsi, etc. Notez que la pen-
dissent jamais cette récompense de sée de Porphyre, les lois ne défendent
leur probité : personne néanmoins point au peuple , etc. se peut confir-
n est assez fou pour prétendre que mer par ce passage de Cicéron (1^) :
ce ne soit pas le devoir de tous les Aliter leges , aliter philosojdiitoll uni
hommes de marcher avec ardeur astutias : leges quatenùs le n ère manu
dans le chemin de la vertu. Il v a res possunl : phi/osophi quatenùs ra-
bien des choses que les lois permet- tione et intelligentid . Et par ce pas-
tent au peuple, qu'on ne regarderait sage de Sénèque (a5) : Quant an-
pas comme tolérables à un philoso- gusta innocenlia est ad legem bonum
phe. Les lois ne défendent point au esse ! quanta latihs qfficiorum palet
peuple les divertissemens avec les quant juris régula '. quant midla pie-
fillçs de joie, ni la vie de cabaret; tas , humanitas , liberalitas , justitia ,
mais elles jugent qu'un tel commer- fides exiguntl quœ omnia extra pu-
ce, et un tel genre de vie sont lion- blicas tabulas sunt. Voyez Grotius
feux aux personnes mêmes dont la
probité n est que médiocre. Il ne (a3) Voyez M. Baillet, dans les Nouvelles de
faut dODC pas permettre aUX Ver- la République des Lettre,, <ie'c. 1686, pag. «435.
tucux ce que l'on Souffre dans le On voit une autre réponse de saint Augustin ,
„,„_„ »»„,-— l- 1 1 1 dans V auteitr des Nouvelles Lettres contre V H is-
'"-nu peuple : un philosophe se loire dll Calvinisme ,1e Maimbourg , pag. 767.
. . _ f>4) Cicer. , <lc Offic. , Ub. III , cap.
(21) Apud Jullanum, in Ca*<rr. XVII .
'1*) I.ib. IV de Abslln. (»5j S me. , de Ira , Ub. II, cap. XXV1T.
GIOACHINO GRECO. GTRAC. GLAPHYRA.
-S'
au chapitre X du IIIe. livre de Jure
Btlh et Pacis.
Au reste, la pense'e de saint Au-
gustin, que j'indique en note (26),
me fait souvenir d'un philosophe.
Voire philosophe , dit-il (27), n'est
pas trop sage , quand il se veut ma-
rier pour laisser en France de sa race.
S'il était de la race des empereurs et
des souverains , je ne l'empêcherais
pas pour le roi. Eh quoi ! .1/. a-
t-il peur que le monde vienne a man-
quer? Quand il manquerait par-la,
il ne peut plus glorieusement finir :
qu'un courtisan , qu'un magistrat ,
se marie, un marchand et une mar-
chande, j'jr consens : mais qu'un phi-
losophe se charge de femme et d en-
fans , et un philosophe de la famille,
de Zenon, c'est , M. , une espèce de
prodige plus digne d'être expié que
celui des vaches qui ont parlé, et ont
dit autrefois effroyablement : Rome,
prends garde à toi.
(26) Citation (2i).
(27) Cotin , OEuvres galantes, lom. I , pag.
m. 2^5.
GIOACHINO GRECO , connu
sous le nom du CALABROIS,
jouait aux échecs avec tant d'ha-
bileté, qu'on ne peut trouver
étrange que je lui consacre un
petit article. Tous ceux qui ex-
cellent dans leur métier jusques
à un certain point méritent cette
distinction. Ce fut un joueur
qui ne trouva son pareil en au-
cun endroit du monde. Il voya-
gea dans toutes les cours de
l'Europe , et s'y signala au jeu
des échecs d'une manière sur-
prenante. Il trouva de fameux
joueurs à la cour de France , le
duc de Nemours , Arnaud le
Carabin , Chaumont et la Salle ;
mais quoiqu'ils se piquassent d'en
savoir plus que les autres , aucun
d'eux ne fut capable de lui résis-
ter : ils ne purent pas même lui
tenir tête tous ensemble. Celait
en fait d'échecs , un brave qui
cherchait dans tous les états quel-
que fameux chevalier avec qui
il put se battre et rompre une
lance} et il n'en trouva point
dont il ne demeurât le vainqueur.
Un bel esprit fit des vers sur ce
sujet (a) (A). Voyez , tome III r
l'article Roi*.
(a) Tiré d'uic lettre insérée dans le Mer-
cure Galant du mois de décembre i6\)3.
Le Jeu des échecs , trad. de l'italien de
Gioac/iino Greco Calabrais, fut imprime' à
Paris , en 1669, in-[2,et réimprime dans
les anciennes éditions de V Académie des jeux.
Dans les nouvelles , on lui a substitue' l'ou-
vrage de Pliilidor, qui est beaucoup meilleur.
Leje'suite Ce'rutti a composé, en français, un
poëme sur les échecs , qui a e'te' imprime' dans
['Encyclopédie méthodique (jeux) et qui fait
partie du Recueil de quelques pièces de litté-
rature en prose et en vers , Glascow et Paris,
1784 , t/z-8».
(A) Un bel espiit fit des vers sur
ce sujet.] La plupart des lecteurs me
voudraient du mal , si je leur appre-
nais cela sans leur faire voir les vers
mêmes. Il faut donc que je les rap-
porte.
A peine dans la carrière
Contre moi tu fais un pas ,
Que par la démarche fière
Tous mes projets sont à bas.
Je vois dès que tu t'avances
Céder toutes mes défpnses ,
Tomber tous mes champions :
Dans ma résistance vaine
Roi, chevalier, roc et reine
Sont moindres que des pions (i).
(1) De la lettre insérée au Mcrc. Gai. , dé-
cembre i6g3.
GIRAC (Paul-Thomas, sieur
de). Voyez Thomas , tome XIV.
GLAPHYRA , femme d'Arché-
laiis , grand-prêtre de Bellone à
Comaue dans la Cappadoce , pro-
cura des royaumes à ses deux
fils par sa beauté. Elle florissait
en même temps que Marc An-
toine. Il y a des historiens qui ne
disent pas formellement qu'elle
se gouvernât mal ; ils se con-
tentent de le donner à penser (A),
en rapportant ce que faisait Marc
88
GLAPHYRA.
Antoine pour l'amour d'elle ;
mais Dion, sans nulle sorte de
ménagement, la traite de femme
de mauvaise vie (H). 11 est effec-
tivement très-probable , vu l'hu-
lant pour ne se déclarer pas en
faveur d'un prêtre qui avait une
si belle femme. Je serais bien aise
de savoir sur quoi se fondait un
bel esprit , lorsqu'il disait (a) ,
meur de Marc Antoine , qu'il ne que la Glapbyra de l'épigram-
donnait pas des couronnes en me d'Auguste était la comédien-
considération de Glaphyra, pour ne Cythéride. Nous verrons dans
la seule satisfaction d'obliger l'article suivant que Glaphyra
une belle femme , et qu'il pre- prétendait descendre des rois de
nait d'elle tous les témoignages Perse,
de reconnaissance qu'un volup-
tueux est capable de souhaiter et
de prescrire. Le bruit de celte
galanterie vint jusques à Rome ;
et Fui vie , femme de Marc An-
toine , aurait bien voulu qu'Au-
guste la vengeât de cette in-
fidélité de son mari. Ses désirs
étaient là - dessus si ardens ,
(à) Nouveaux Dialogues des Morts , //''.
partie, dial. IV , pag. m. 28.
(A) Il y a des historiens qui ne di-
sent pas formellement quelle se
gouvernait mal ; ils se contentent de
le donner a penser.] Appien est ce-
lui que ie de'signe : voici comme il
parle quand il raconte ce que Marc
Antoine fit dans l'Asie, après la dé-
faite de Brutus et de Cassius. Discep-
qu'elle menaçait Auguste d'une tationes quoque c'witatum ac regum
déclaration de guerre , s'il ne la ex arbitrio suo composait, Sisinnœ
traitait comme son mari traitait -friarathisque in Çappadociâ , prœ-
~, , . , lato oisinna in Lrlaphyrœ mains for-
Glaphyra. Auguste méprisa celte mosœ gratiam^y* Ce fut l'an 7i3
menace , et aima mieux s'exposer de Rome que Sisinna fut établi roi
à une guerre , que d'être galaut de Cappadoce à l'exclusion d'Aria-
J» ;n„;co^^ p),0, Tr„l„;o r'oci rathes. Il ne jouit pas long-temps de
cette couronne; cariions allons voir
de jouissance chez Fulvie. C'est
au moins ce qu'il voulut qu'on
jugeât de lui; car il composa là-
dessus une épigramme , que Mar-
tial a insérée dans ses poésies (C).
Je ne sais par quelle fatalité le
inaride Glaphyra n'eut pas auprès
qu'en l'année 718 Ariarathes régnait
dans la Cappadoce.
(B) Dion la traite de fem-
me de mauvaise vie. ] C'est lorsqu'il
parle du changement de gouverne-
ment qui fut fait par Marc. Antoine
dans plusieurs provinces de l'Asie ,
de César , le même support que l'an 718. Amyntas, qui avait été se-
ses fils auprès de Marc Antoine, crétaire de Déiotarus , fuirais en pos-
t> • !'•- i- ,.i / •. 1 session de la Galatie , et de quelques
J ai déjà dit qu il était grand- partics de la Lycaonie et de la Pam-
prêtre de Rellone; c'était une di- phylic. Ariarathes fut chassé de la
gnité considérable. César la don- Cappadoce , et Archélaiis futmis en sa
na à un graud seigneur nommé Pla,Çe.> Archélaiis, dis-je, issu des Ar-
t • 1 /t\\ • r 1 •• cnelaus qui avaient tait la guerre
Lycomede (D) , qui tondait ses aux Romains , et fils de la courtisane
prétentions sur de bons titres. Glaphyra. 'O <T' 'Ap^éxaoç oZroç , npoç
Oh était alors Glaphyra? Si elle M*v w*t?«, ik vmv 'A^êxacov èxe»V»y
eût plaidé la cause de son mari ™v 7™'PT*!0,Ç ù'"*™/*?™™ »,
devant César, elle eut lait voir viT0.yIrchelalverô hujusgenus paler-
sans doute que les prétentions numdeducebatur ab Archelaïsquicon-
de Lycoinède étaient mal fon-
j < J , ■. ', r . (1) AppUn., lib. V , de Bell, civil., pag.
<lees : le juge aurait ele trop ga- ,„. sya.
GLAPIIYRA. 89
Ira Romanos belligemverant, mater mittationemque generis jure minime
autan ei erat scortum Glaphyra (2). dubio, vetuslate tameh i/itermisso,
(C) Auguste composa là-dessus une sacerdotium id repetebat (6). On en-
épigramme , que Martial a insérée trevoit dans ces paroles qu'il y eut
quelques disputes devant César, tou-
chant l,i possession de ce bénéfice :
or, comme Strabon assure que Lyco-
mède le posséda après Archëlaus , il
semble que le débat fut entre eux
deux. C'est aussi le sentiment du
père Noris; car il n'a point fait dif-
ficulté d'assurer (7) qu' Archëlaus
jouit du pontificat de Bellone jus-
ques à ce que César le lui ôta en
l'année 707 , pour le conférer à Ly-
comède. Selon cette supposition , il
Jr a lieu de demander où étaient alors
es charmes de Glaphyra, et pour-
quoi ne s'en servit-elle point contre
les demandes de Lycomede? Ils de-
vaient être plus puissans qu'en 713 :
ce n'est pas un fruit que le temps
rende meilleur. Son mari l'aurait-il
cachée ? Aurait-il mieux aimé perdre
sa prêtrise, que d'exposer sa femme
aux galanteries redoutables de César?
C'est ce que je ne sais pas.
(G) Hirtius , de Bcllo Alexandr.
(7) In Cenotaph. Pisao. , pag. iz5.
GLAPHYRA , petite-fille de la
précédente, était fille d'Arché-
îaûs , roi de Cappadoce. Elle fut
mariée en premières noces avec
Alexandre , fils d'Hérode et de
Mariamne ; et comme elle était
fière , et infatuée de sa noblesse ,
elle ne servit nullement à entre-
tenir la concorde dans la famille
où elle entra ; famille dont les
divisions rendirent Hérode le
plus malheureux et le plus cri-
i-apportons ses termes: Id (Bellonaj minel de tous les eres Glaphv-
templum ) liomini nobihssimo IMico- . , . l x -
medi Bithymo adjudwaidt , qui regio ra se vantait a tout propos que
Cappadocum génère ortus propter son père était descendu de Té—
adversamfortunam majorum suorum menus (a), que sa mère était
(2) dio , ia. xlix, PaS. 469, d. issue de D.arius ' fils d'Hystaspe ,
f3) Maniai., epigr. xxi, ni,, xi. Vovez la et qu'ainsi elle surpassait infini-
ment en noblesse toutes les da-
(a) Elle entendait apparemment celui quiful
l'un des trois chefs des Héraclides, pour ren-
trer au Peloponèse; de sorte qu'elle prétenr
dait que. son père Archëlaus descendit d'Her-
cule,
dans ses poésies.] Si je la rapporte ,
ce n'est qu'après en avoir ôté les ter-
mes trop scandaleux (3).
Cœsaris Augusti lascivos livide versus
Sex lege , qui tristis ver/. a latina legis.
QuôJ.... Glaphyram Antonius, liant milii pœ-
nam
Fulvia constituil, se qnoqtie uti. . • .
Fulviara ego ut. . . . qnid si me Manius oret
Paedicem , faciam? non puto si sapiam.
Aut . . ■ aut pugnemus , ait. Quul qua: milii
vitâ
Carior est ipsâ mentnla ? signa canant.
Absolvis lepiaos nimirum , Auemle , libellos,
Qui scis Romand simplicitale lo'/ui.
Le père Noris s'est imaginé qu'Au-
guste fit cette épigramme contre
Marc Antoine, et dans la vue de lui
reprocher ce mauvais commerce (4).
Mais ce n'est nullement sur Marc
Antoine que le coup porte, c'est sur
sa femme Fulvie, et c'est bien le plus
rude coup que la satire puisse por-
ter à une femme. Je prends avec
d'autant moins de scrupule la liberté
de relever cette petite méprise du
savant bibliothécaire du Vatican ,
qu'il serait ravi de dire qu'il n'a
point examiné ces sortes de vers , et
qu'il fait gloire de s'y tromper. Son
erreur est infiniment moindre que
celle de Farnabe , qui a trouvé dans
ces vers une protestation d'Auguste ,
que la chasteté lui était plus chère
que la vie. Nous verrons dans l'arti-
cle Lycoris, qu'il y a des gens qui
veulent qu'il s'agisse delà courtisane
Cy théris dans l'épigramme d'Auguste.
(D) César donna la dignité de son
mari a un seigneur nommé Lycomè-
de.~\ J'ai déjà dit en un autre endroit
(5) qu'Hirtius le nomme Nicomède ;
(4) H'nc (c'est-à-dire, de ce qui a été cité
d'Appien) argumifntura obscœni epigrammatis
Augustus posteà sumpsit , quod Antonio objicit
apud Martialem. Noris , Cenolaph. Pisan. ,
pag. ii5.
(5) Dans la remarque (D) de l'article Ancai-
LKiis , roi de Cappadoce, tom. II, pag. 269.
go GLAPHYRA.
mes de la cour. Elle traitait de fils qu'elle avait eus d'Alexandre,
haut en bas la sœur et les fem- son premier mari , abandonnâ-
mes d'Hérode, et reprochait à rent de bonne heure la religion
celles-ci que leur beauté seule , judaïque (e) , apparemment à
et non pas leur qualité, les avait cause qu'Archélaùs , leur aïeul
élevées au rang où elles étaient, maternel, les attira auprès de
Rien n'était plus propre que de lui , et prit soin de leur fortu-
tels discours à mettre le feu dans ne. L'un s'appelait Alexandre et
la famille d'Hérode ; et il est cer- l'autre Tigrane : nous dirons
tain que cette fierté de Glaphyra quelque chose de leurs aventu-
fut une des premières causes de res, dans les remarques (D). Si la
la mort de son mari Elle le ren- chronologie de quelques moder-
dit odieux, et augmenta l'envie nés était véritable (Ë) , il fau-
que l'on avait de le perdre, par drait mettre les deux Glaphyra
des calomnies et par des ma- au nombre des femmes qui ont
chinations(ô). Pendant le procès été belles même dans leur vieil-
criminel qu'Hérode fit faire à lesse.
Alexandre , il fit interroger Gla-
! , , , ,,& c. te) Idem, Antirr. , lib. XVIII , cap. VII.
phyra : la réponse qu elle ht me- ' *
rite d'être rapportée (A). Après (A) La réponse qu'elle fit mérite
qu'Hérodeeutfaitmourir Alexan- d'être rapportée.'] Elle subit l'inter-
dre, il renvoya Glaphyra à son rogatoire en présence de son mari,
père Archélaiis , et retint les deux 1ue r?n Tait S*"01* comme ™ fils
1 ' . conspirateur contre la vie de son
fais que le défunt avait eus de pere. Cette vue la désola , et lui lit
cette femme (c). Josèphe pré— pousser les plus tristes gémissemens.
tend qu'elle se remaria avec Ju- Son mari > Presse' de dire si sa femme
i * • j v -i » . était complice de 1 attentat, repon-
ba roi de Libye, et qu ayant dit qifil nW,it point homme à rien
perdu ce second mari elle re- cacher à une femme dont il avait des
tourna chez son père : mais il est enfans , et qui lui était plus chère
aisé de prouver que cela est faux <i"e ?a vie- Là-dessus elle protesta de
,r>N . 1 ,, i j t i. - son innocence, et déclara qu elle ne
(B) si on 1 entend de Juba, roi fcraifc point d'ifficultë de mentil.5 si
de Mauritanie. Ce qu il y a de cela pouvait contribuer quelque cho-
certain , c'est qu'Archélaus , fils se à sauver la vie de son mari, en
d'Hérode, devint si amoureux dût-elle perdre la vie, mais qu'au-
d, ,, -,, r -i ' trement elle contesserait tout. Le
elle, que pour 1 épouser il re- marf fit alors sa confesslori) et dit
pudia sa femme (d). On dit que qu'ils n'avaient eu autre dessein , lui
Glaphyra ne vécut pas fort long- et elle , que de s'en aller à la cour
temps depuis son retour en Ju- d'Archélaiis, et de là à Rome(i).
d» * •„ „ • ,„ ' (B) Il est aisé de prouver que cela
ee , pour un mariage si oppose ) L , T , , ' , A i mn
1 r. . orl est faux.] Josej)he parle de ce raa-
aux lois judaïques ; et 1 on parle riage de Glaphyra avec Juba , roi de
d'un songe qu'elle eut, qui fut le Libye, comme d'une chose certaine
présage de sa mort (C). Les deux (») : i| a.ioute que Juba était mort
1 ° quand Glaphyra fut mariée a Arche-
(b) Ex Josepho, de Bello Jud. , lib. I, laiis. Voici comment on démontre
cap. XVII.
(r) Idem, ibidem, cap, XVIII, et Anlii{. , /,) Ex j0,cpl10 Aoliquit. . lib. XVI , cap.
lib. XVII, cap. I. XVI.
(d) Ex Joscpho Antirpnt., lib. XVII, cap. f3) Idrm , ibid. , lib. XVII, cap. XV, de
XV , et de Bell. Jud. , lib. II, cap. XI. Bell. Jud. , Ub. Il, cap. XI.
GLAPHYRA
3 ne cela ne se peut entendre du roi
e Mauritanie. Juba, roi de Maurita-
nie , n'était point mort ( 3 ) quand
Strabon composa son VIe. livre ; or
Strabon le composa sous l'empire de
Tibère (4) '■ Juba n'e'tait donc point
mort quand Archelaùs, fils d'Hérode,
fut marié avec Glaphyra , puisqu'il
l'épousa pendant sa prospérité , et
par conséquent avant l'an de Rome
^5q, qui fut celui de sa disgrâce;
car ce fut alors qu'Auguste le relé-
gua à Vienne. Auguste vécut encore
sept ou huit ans. On peut prouver
que Strabon lit son VIe. livre envi-
ron l'an 5 de Tibère; car dans le
IVe. livre (5) il remarque qu'il y
avait trente-trois ans que Tibère et
Drusus avaient, subjugué les Nori-
ques (6). Il serait supcrUu de remar-
quer après cela que Dion (7) parle
du roi Juba comme d'un prince plein
de vie , sous la même année où il po-
se le bannissement d'Archélaùs. On
peut recueillir du IVe. livre des An-
nales de Tacite, que Juba mourut en-
viron l'an 10 de Tibère ; cet histo-
rien en parle (8) comme d'un homme
vivant sous l'an de Rome 776; mais
sous l'année suivante il parle du ré-
gne de Ptolomée, fils de Juba (9). Le
XVIIe. livre de Strabon fut composé
peuaprès lamortdu même Juba(io).
C'est donc une affaire vidée que Jo-
séphe se serait lourdement trompé , si
par le roi de Libye, qu'il donne pour
maginer ce divorce. Noldius (ia) sup-
posé peut-être un fait moins incer-
tain, c'est que Josèphc a entendu pal
Juba, roi de Libye, un roi qui n'a-
vait aucune relation avec les Ro-
mains, et dont Glaphyra était veine
lorsqu' Archelaùs devint son amant
Cet auteur soutient (1 3) que la Libye
se prend pour toute l'Afrique en gé-
néral , ou pour certaines parties de
l'Afrique en particulier; mais qu'en
cette dernière signification elle n'en-
ferme jamais la Mauritanie; d'où il
prend occasion de censurer (i4)
Sigismond Gélénius , qui a traduit
par liegcm Mauritaniàe les paroles
dont Josèphc s'était servi en parlant
de Juba roi de Libye, tûïv Attlaiv. Il
censure plus fortement le père Salian,
qui a cru que Juba avait été tué dans
le combat dont Dion (i5) a fait men-
tion au livre LV. C'est un combat
où les Gétules remportèrent la vic-
toire ; et ils s'étaient soulevés parce
qu'ils ne voulaient point obéir à Juba.
Ce jésuite observe, pour soutenir son
opinion , que Juba était mort en ce
temps-là ; que sa veuve était retour-
née chez son père, et qu'elle avait
épousé en troisièmes noces l'ethnar-
que de Judée, Archelaùs. Il cite Jo-
sèphc; mais il fallait, se souvenir qu'en
l'année où les Gétules remportèrent
la victoire dont Dion parle , Arche-
laùs fut relégué par Auguste. Il est
donc vrai que Juba vivait encore-
second mari à Glaphyra , il avait l'année qu'Archélaùs fut relégué au
entendu le roi de Mauritanie. Le pè- delà des Alpes : il n'est donc pas vrai
re Noris(ir) ne soulagerait Josèphe
que d'une partie de la faute , s'il
avait raison de conjecturer que Gla-
phyra fut répudiée par Juba. Ce que
Josèphe déclare touchant la mort du
second mari, antérieure au mariage
d'Archélaùs et de Glaphyra , serait père Salian a mis en jeu , suffit pour
toujours faux; mais ce n'est qu'en le convaincre de bévue
pas
que sa veuve ait été femme d'Arché-
laùs; car il serait absurde de sup-
poser qu'il ne l'épousa que peu de
jours avant sa disgrâce , arrivée l'an
9 ou 10 de son ethnarchic. De sorte
que le seul passage de Dion , que le
devinant , et en supposant, tout ce
qu'on veut, que l'on a droit de s'i-
(3)Strabo, lib. VI, pag. 198.
(4) Ibidem, pag. 199, quee tsl ullima librl
(5) Pag. 1ZJ2 , subjin.
(6) Calvisius met cette expédition a l'an de
Rome 738, et la mort d'Auguste à l'an "-oG.
(7) Dio, lib. LV, adann. 7%.
(8)Tacit, , Ann. , lib. IV, cap. V.
(9) Ibidem, cap. XXIII.
(10) Voyez Stfobon , lib. XVII, pag. S70.
(11) Cenotopb. Pisan. , pag. 238.
(C) L'on parle d'un songe qu'elle
eut , qui fui le présage de sa mort.]
Je le rapporte avec les moralités que
l'historien y a jointes (16) : je me
sers de la traduction de Génebrard ;
car, comme mon principal but est de
(1
de
et Geslis Herodum,
Noldi
pag. 190.
(i3) Pag. iS5 et seq.
(i4) Pag. i85.
(i5) Ad annum 759.
(16) Joseph. , Anllquit. , lib. XVII, cnp.
uh. Vorez aussi de Bello Jud. , lib. II, cap. XI.
93
6LAPHYRA.
compiler des faits , il me doit suffire ne, à qui Ne'n
qu'on les trouve dans ce livre : il d'Arménie. Ce Tigrane eut un fds
ron conféra le royaume
le Tigrane eut un fds
importe peu que ce soit en vieux homme Alexandre, qui épousa Jotape,
langage. Ainsi qu 'elle estoit avec son fille d'Antiochus , roi des Comagé-
dernier mary Archelaus , elle eut niens , et qui obtint de Vespasien un
un tel songe : il lui sembla qu A- royaume dans la Cilicie. Ajoutons à
lexaiulre vint a elle, et qu elle l' em- ce narre' de Josèphe le supplément que
brassa de grande joye qu'elle avoit. Tacite nous fournit. Advenit Ti-
Màis Alexandre luy fais oit reproche, granes a IVerone ad capessendum
disant •■ Glaphyra , tu as bien con- imperium delectus , Cappadocum ex
fermé le proverbe commun ; Qu'il ne hobilitate , régis Archelai nepos , sed
se faut point fer aux femmes •■ tu quod dih obses apud urbent fuerat
m'as este' donnée vierge et pucelle : usque ad servilem patienliam demis-
tu as esté faite mère d'enfans qui sus (19). Il y a lieu de croire que
nous estoient communs : et ayant du les Romains ne maintinrent pas Tigra-
iout oublié noslre amour , tu as esté ne contre les Parthes , qui voulaient
éprise de désir de voler aux secon- l'Arménie pour Tiridate. Tacite ne
des nopces. Et ne te contentant de marque pas avec pre'cision le degré
in avoir fait un tel outrage, tu as de parente de ce Tigrane, par rap-
bien osé coucher avec un iroisiesme port à Archélaiis roi de Cappadoce
mary , te fourrant vilainement et (20). Cet Archélaiis était, non pas
imprudemment dedans ma famille : son aïeul , mais son bisaïeul , puisque
et tu pourras maintenant porte?' ce Tigrane était fils d'un Alexan-
qu Archelaus mon frère soit ton dre qui avait eu pour père un au-
époux? Mais de moy , je ne mette ray tre Alexandre, et pour mère Gla-
jamais en oubly ton ancienne amitié : phyra fille d'Archélaùs.
et je te délivrerai d'un tel vilain op- (E) Si la chronologie de quelques
probre , en te faisant mienne, com- modernes était véritable.] Noldius
me tu estois. Apres qu'elle eut de- prouve, contre Tacite , qu' Archélaiis
claré ce songe a quelques femmes qui n'était point l'aïeul , mais le bisaïeul
luy estoient familières , elle mourut de ce Tigrane, à qui Néron donna
bien-tost après. Il m'a semblé qu'il l'Arménie, il le prouve (21) , dis-je ,
estoit bon de reciter cecy , d autant premièrement par le témoignage de
que mon propos est de ces roy s : et au- Josèphe, et en second lieu par l'âge
trement cecy semble eslre un exem- décrépit où ce Tigrane aurait dû,
pie digne d'estre noté,pource qu'il être s'il eût été fils d' Archélaiis ; car
contient un très-certain argument de en ce cas il aurait été fds d'Alexan-
/' immortalité des âmes , et de la pro- dre : or Hérode fit mourir son fils
vidence divine. Si ces choses semblent Alexandre peu après la bataille d'Ac-
incroyables a quelqu'un, qu'il jouysse tium ; Tigrane serait donc né vers
de son opinion : mais aussi qu'il Tan 724 ^e Rome. Il aurait donc
n empesche point les autres de le eu près de quatre-vingt-dix ans lors-
croire , qui par tels exemples sont in- qu'il fut envoyé dans l'Arménie.
citez a s'estudiera vertu. C'est la conséquence que Noldius
(D) IVous dirons quelque chose des devait tirer de son hypothèse ; il ne
aventures de ses deux fis , dans les l'a pourtant point tirée, il a mieux
remarques.] Tigrane fut roi d'Armé- aimé raisonner ainsi : puisque le
nie, et mourut sans enfans(i7). Jo- père de Tigrane fut misa mort peu
sèphe se contente de dire que les Ro- après la bataille d'Actium,il faut
mains l'accusèrent : il aurait dû aiou- , . ., , ... „,ir ywt
. „ „ rp-, , , ,. ] •', (irO Idem, ibidem, lib. XIV, cap. XXVI.
ter que Tibère le ht punir du der- ^ r • u re,Jrque (E).
nier supplice (18). Alexandre , frère (21) Eum pronepotem fuisse prœter Josephum,
de Tigrane, eut un fils appelé Tigra- Am. XIX, c. 7. ipsa rcrum séries os tendit.
Quo pacto eniui Tigranes nepos circa tempus
(17) Joseph. , Antiquit. , lib. XVIII , cap.
Vif.
(18) Aie Tigranes quidem Armenid quondam
politus , ac lune reus nomine regio supplicia
civium cjff'ugu. Tacit. , Annal., lib. VI, cap.
X.L , ad ami. 788.
médium Augusli natus ( pater non mullo post
vietoriam ad Aclium al> Ilerode interfectus) sub
Nerone agere aut pati potuit? quo profecto tera-
pore natura euni aut morte aut senio ito multa-
verat , ut rébus gerendis aptus tuni baud esse po-
tuerit, nednm ila aiduis et pcrtuibalis. Noldius,
de Vild et Geslis fferodum , pag. 36".
GLEICHEN.
1)3
1
que Tigrane soit né vers le milieu guste aurait eu là un beau champ
de l'âge d'Auguste ; il n'aurait donc pour faire des épigrammes satiriques
-uère été en e'tat d'agir sous l'empire contre Marc Antoine , et pour le
e Néron. La première conséquence tourner en ridicule. D'autre côté
ne sent point l'exacte chronologie, comme Glaphy ra, la fille d' Archélaiis'
Auguste mourut l'an 766 de Rome , ne se maria avec Archélaiis, fils d'Hé-
âgé de soixante-seize ans : le milieu
de son âge est donc l'an 728. Or un
chronologue exact peut-il dire qu'un
homme né environ l'an 7'.>.8 est iils
d'un père qui fut mis à mort peu
rode , qu'après qu'Hérode fut mort,
elle aurait pu inspirer un amour ar-
dent à l'âge de cinquante bonnes
années. Rectifions donc fa chronolo-
gie de Noldius, et disons avec le
après la bataille d'Actium? L'autre
conséquence est beaucoup meilleure:
l'Arménie fut donnée à Tigrane par
Néron, l'an 8i3; donc si Tigrane
était né en l'année 728 , il aurait
fait le voyage d'Arménie à l'âge de
quatre-vingt-cinq ans. Mais faisons
voir à Noldius qu'il a bâti sur une
fausse hypothèse. La mort d'Alexan-
dre, fils d'Hérode, ne peut pas suivre
de près la bataille d'Actium ; car
ce malheureux prince laissa deux fils, aventure bien singulière. Il fut.
On peut donc supposer que sa femme pris dans un combat contre les
père Noris (23) , qu'Alexandre, mari
de la dernière Glaphyra , ne fut mis
à mort qu'après l'an 742 de Rome.
Néanmoins, on n'en doit point tirer ries consé-
quences pour soutenir des hypothèses chronolo-
giques , qui sont d'ailleurs peu certaines,
(rt) Cenotaph. Pisaa., pag. i53 et seq.
GLEICHEN. On rapporte d'un
comte allemand de ce nom une
Turcs , et amené en Turquie. Il
y souffrit une dure et longue
captivité , on lui fit travailler la
était âgée de vingt ans lorsqu'il mou-
rut j elle serait donc née environ l'an
704 de Rome ; Archélaiis , son père ,
serait donc né environ l'an 684. Il
aurait eu donc, quatre-vingt-cinq ans terre , etc. ; mais voici quelle fut.
lorsqu'il mourut Or c'est ce qui Sa délivrance. Il fut abordé un
na nulle vraisemblance, parce que • . c , ... .
les historiens qui ont parlé de sa Jour et fort questionne par la
mort , l'ont fait d'une manière très- fille du roi son maître (a) , pen-
odieuse pour Tibère, et néanmoins dant qu'elle prenait le plaisir de
ils n'ont pas marqué la circonstance ]a promenade. Sa bonne mine et
d un âge si avance, circonstance qui l , , ... A
était si propre à rendre beaucoup s?n adresse a travailler plurent
plus affreuse la cruauté de cet em- si fort à cette princesse, qu'elle
pereur. Ajoutez que si Archélaiis lui promit de le délivrer et de le
ela>t ne-Tan 684, il faudrait que sa sui ,, yé ,
mère eut eu près de cinquante ans t> ' £ j /»
lorsque sa beauté donnait tant d'à- J ai une femme et des enlans ,
mour à Marc Antoine. La preuve en repondit-il. Cela n'y fait rien ,
est facile à donner. Archélaiis n'é-
tait pas son fils aîné, on peut donc
croire raisonnablement qu'elle l'eut
à l'âge d'environ vingt ans. Or, ce
fut en 713 que Marc Antoine donna
le royaume de Cappadoce à Sisiuna,
fils de Glaphyra. C'eût été chose rare
que de voir une grand' mère, dont
la petite-fille avait déjà neuf ou dix
ans, tenir dans ses fers par les char-
mes de sa beauté, le distributeur des
sceptres et des couronnes (22). Au-
(22) On verra dans ce Dictionnaire , remarq.
(G) de Varlicle Aragon (Jeanne o") , loin. TI,
pag. 223, et remarq. (F) de l'article C.ïrus ,
tom. V, pag. 216, quelques exemples de fem-
mes dont la beauté a duré long-temps.
répliqua-t-elle , la coutume de
Turquie est qu'un homme ait
plusieurs femmes. Le comte ne
fit point l'opiniâtre, il acquiesça
à ces raisons , il engagea sa pa-
role. La princesse s'employa si
promptement , si adroitement
à le tirer de captivité , qu'ils fu-
rent bientôt en état de s'embar-
quer. Ils arrivèrent heureuse-
ment à Venise. Le comte y trou*
(a) Filia régis sub quo serviebat cornes.
Hondorf. , Tlic-utr. Exempl. -, pag. 535.
9| GLEICHEN.
va l'un de ses gens qui rôdait Description de l'Allemagne (/").
partout pour apprendre de ses L'an i 227, dit du Val , un comte
nouvelles. Il sut de lui que sa de Gleichen obtint du pape la
femme et ses enfans se portaient permission d'avoir deux femmes
bien , et tout aussitôt il courut en même temps. Si cette histoire
à Rome , et après avoir narré est véritable , nous avons là un
ingénument ce qu'il avait fait , très-grand triomphe de l'amour
il obtint du pape une permission (C). Un abbé , qui avait commer-
solennelle de garder ces deux ce de lettres avec le comte de
épouses (b). Si la cour de Rome Bussi , avait ouï dire quelque
se montra commode en cette oc- chose de cette histoire ; mais il
casion , la femme du comte ne ignorait le vrai état de la ques-
le fut pas moins- car elle fit cent tion (D). Au reste, l'auteur des
caresses à la dame turque qui Quinze joies de mariage semble
était cause qu'elle recouvrait son supposer qu'il arrive assez sou—
cher mari , et conçut pour cette vent qu'une femme se remarie
concubine une tendresse parti- sur la fausse supposition de la
culière (c). La princesse turque mort de son époux (E).
répondit de très-bonne grâce à Le journal de Hambourg me
toutes ces honnêtetés. Elle fut fournira un bon supplément de
stérile, et néanmoins elle aima cet article (F),
beaucoup les enfans que l'autre
c b • -i > C • ri* (/") A la vaee 2o5 , édition de Paris,
femme faisait a foison. On trou- ^ Vauteir Bdu Ptfygatnia triumphatrix,
Ve encore à Erford U11 mOllU— pag.556 ,dit que ce comte de Gleichen fut
ment de ceci (d) (A). Un fort d* la croate dé friterie n. Van wp -,
u^u^uv. v^v. \ j y j ^ mais l expédition de cet empereur est dK t an
honnête homme (e) , qui m in- I228.
diqua cette histoire , l'an 1697, % -,
. -i _■„_ i~. (A) On trouve encore a Erford un
me parut surpris de ce que les *■ > 7 . -, v . . , , -^ „ 1 ,
, .r . 1 t. , monument de ceci. J Voici les paroles
écrivains protestans, obliges de d'Hondorf : Hujus rei monumentum
satisfaire aux reproches touchant Erphordice etiamnum extat -. in quo
ce que les réformateurs permi- ex utroque latere comiù uxores^ ad-
r . 1 j „ j tr^,„~ stant. Résina marmoreâ corond or-
rent a un landgrave de Hesse , °-, • /„, , 1 ,
p, , . ' nata : comitissa sculpta est muta et
n ont point allègue la permis- infantes ad ejus pedes replantes (1).
sion qui fut accordée par le pa- (B) Et voulut savoir ma pensée ta-
pe au comte de Gleichen; et dessus.] Si je m'en souviens bien,
1 , . • t ,. i ma réponse se réduisit a ceci: pre-
voulut savoir ma pensée la-des- mièrcment que c,était un fait' a*sez
sus (B). Il m avertit que du Val obscur: et secondement qu'il ne ser-
a parlé de cette aventure dans sa virait de rien de l'alléguer, à moins
qu'on ne put produire les lettres du
(l>) De ordinenarratâ, litteras à Pontifîce pape , OU le te'moignage de quelque
impetrat quitus ei concéderetur utramque auteur contemporain , ou l'aveu des
fovere conjugem. Idem, ibidem. écrivains catholiques. Hondorf est
(c) Summo amore pellicemcujusoperâea- presque le Seul auteur que l'on al-
rissimum maritum recepisset , proseqiulur. f- ,, jj it personne , c'est
Idem , ibidem. 6 -w 1
(d) Tire du Théâtre historique d'André , , _ , . _, , C3_
,T , , : . , . , , - ; (1) llondorf, Tlicalr. exeni'/i. , pas. 535,
Hondorl à la page 535 de la cinquième eai- pfu i(;,,_
lion . qui est celle de Franc/or, , t633 , Wl-8". ' {' } Sim'n Goulal.t qui „ inseWcrUt histoire
(e) M. PaUardy , ministre français a ,/„„, ,„ Traduction des Méditations historiques
Pelft. d'- Camérarius, loin. // , liv. Il , chap. XIV ,
GLEICHEN.
95
un compilateur que les gens doctes
n'ont jamais fort estimé ; et comme
il est protestant , les catholiques ro-
mains ne manqueraient pas de reje-
ter son témoignage. Ils demande-
raient les archives ou les annalistes
d'où il a tiré ce fait; et, puisqu'il ne
cite rien , ils prétendraient qu'il ne
se fonde que sur l'ouï-dire , et , sur
des traditions vagues : ils diraient
qu'un grand nombre de maisons il-
lustres font courir des traditions in-
certaines ou même très-fabuleuses ,
touchant la manière dont leurs an-
cêtres furent délivrés de la prison au
temps des Croisades. En un mot, s'ils
niaient le fait, que pourrait-on leur
répondre? Le monument d'Erford ne
peut rien prouver; une figure d'hom-
me entre deux figures de femme si-
gnifie-t-elle clairement la polygamie?
Ne peut-elle pas signifier entre autres
choses deux mariages successifs, ou
deux mariages contractés entre un
mari et deux épouses vivantes , mais
dont le dernier fut annulé ? Combien
y a-t-il de contes absurdes que l'on
tâche de prouver par des monumens
de pierre? C'est ainsi que l'on pré-
tend prouver qu'une comtesse de
Hollande accoucha tout à la fois de
365 enfans , chose dont les bons his-
toriens se moquent , et qu'ils con-
vainquent de fausseté.
(C) IVous avons la un très-grand
triomphe de V amourJ] Savoir la fille
d'un roi non-Seulement prête à re-
noncer aux avantages sublimes de
son état pour suivre un esclave au
bout du monde, mais fugitive actuel-
lement après avoir méprisé tous les
périls où son dessein exposait sa vie
et celle du prisonnier dont elle était
amoureuse. Elle ne s'engage pas peu
à peu à une fuite si environnée de
périls, si préjudiciable, si malhon-
nête ; elle y est toute résolue dès la
première fois qu'elle voit l'esclave :
Vt vidi, utperii, ut me malus abslulil errorÇi),
pouvait -elle s'écrier comme bien
d'autres. Qu'on a eu raison de dire
dans un opéra :
Bacchus revient vainqueur des climats de
l'aurore,
Il traîne après son char mille peuples vain-
cus :
Il méprisait l'Amour , mais VAmour est
encore
Un vainqueur mille fois plus puissant que
Bacchus.
Je ne sais si la dame de Ville-Dieu a
romanisé* l'histoire de notre comte
de Gleiehen. C'eût été un beau champ
pour sa plume, et quelque sec que
puisse être le narré d'Hondorf, elle
en eut fait qu< lque chose de bien joli.
Notez que le triomphe de l'amour ne
regarde ici que le beau sexe ; car sû-
rement le comte ne devint point
polygame en qualité d'amoureux ,
mais en qualité de gentilhomme qui
s'ennuyait d'être esclave, et de tra-
vailler la terre. Mais notons aussi
que l'action de cette princesse tur-
que n'est pas à beaucoup près aussi
noire que celle de la fille de Nisus ,
ou que celle de la fille de Ptérélaiis
(4). Peut-être même qu'elle est un
peu plus excusable que celle de la
tille de Minos. Aussi eut-elle un suc-
cès beaucoup plus heureux que la
trahison de ces trois princesses , et.
de plusieurs autres semblables victi-
mes de l'amour, ornemens du char
de triomphe de Vénus. N'attribuez pas
fiour cela l'avantage an sexe mascu-
in ; car sûrement il y a beaucoup plus
d'hommes qui épousent leurs servan-
tes , qu'il n'y a de femmes qui épou-
sent leurs valets *.
(D) Un abbé avait ouï dire
quelque chose de cette histoire , niais
il ignorait le vrai état de la question.]
Voici ce qu'il écrit à M. le comte de
Bussi Rabutin , le 12 de juin 1674 (5).
« Je trouvai l'autre jour madame
» de et comme on parlait de
» M. de qui avait présente une
» requête au pape , pour qu'il lui
» fût permis d'épouser une autre
» femme, on dit que le saint siège
» avait fait cette grâce une fois à un
(4) Voyez l'article ^'Amphitryon , au texte,
entre les citations (c) et (d).
* Leclerc et Joly reprochent à Ravie cette re-
marque , qui n'est que le commentaire d'une
histoire, qu'il a reconnue fausse dans la remar-
pag. m. i5a , ne cite que le Théâtre d'Hondorf.
Je sais que l'auteur du Polygamia iriumpliatrix,
pag. 556, a cite' Dresser. Milieu. 6. Z.iller.
Contin. Itineris German. Peccensti inius , in
Theatr. Saxon. Mais ces auteurs , ni cent autres _
de même trempe, ne peuvent donner aucun poids que (R) qui précède.
« ce conte-là. {5) Lettres du comte de Bussi Rabutin, loin*
IV, pag. 114. n5. e'Ju iUffollar.de.
(3j Yirgil. , edog VIII, M. 4'-
96 GLEICHEN.
» comte d'Allemagne, auquel sa fem- dit-il (7), qui a vescu avec sa femme
» me ne pouvant suffire, il fut per- en grands délits et plaisances cinq
j> mis pour le salut de son âme d'en ou six ou huit ans plus ou moins,
» prendre une seconde avec la sien- veut acquérir honneur et vaillance....
» ne. Madame de qui s'endôr- A l'advanture il va outremer en
■» mait auparavant, s'éveilla en cet quelque armée pour acquerre hon-
» endroit, et dit en soupirant : qu'il neur et chevallerie si prend con-
» ne se trouvait plus de maris faits gé de sa femme à grand regret , la-
» comme celui-là.» On voit mani- quelle fait tout le dueil que l'on
festement qu'il confond les choses , pourroit dire : mais il est homme qui
et que de deux aventures il n'en fait aime honneur, et n'est riens qui le
qu'une : il joint pêle-mêle ce qui détint Il s'en va et recommande
concerne le comte de Gleichen , et sa femme et ses enfans qu'il ayme
ce qui concerne un landgrave de plus que chose qui soit apres^ son
Hesse ; et il ne sait les circonstances honneur, h ses especiaux amis. Or
ni de l'une ni de l'autre de ces deux advient qu'il passe la mer, est pris
choses. La permission qu'on pre'tend des ennemis , ou par fortune au au-
l'on a accordée à un landgrave ne fut advient qu'elle a ouf dire qu'il est
point non plus fondée sur une telle mort, dont elle fait si grand dueil
raison (6) , quoique M. de Thou l'ait que c'est merveilles : mais elle ne
dit. Je ne voudrais pas re'pondre que peut pas tousjours pleurer, et s'ap-
cet abbe' ait mieux suivi les lois de paise dieu mercy tant qu'elle se re-
l'histoire quant au bon mot et au marie avec un autre, ou elle a pris
soupir de madame de que dans son plaisir, et a tantost oublié son
le reste. Il inventa peut-être lui-mê- mary qu'elle souloit tant aimer, et
me cette réflexion , et l'écrivit néan- V amour de ses enfans est oubliée , les
moins comme quelque chose d'histo- belles chères , les baisers, les accol-
rique, au comte dé Rabutin , pour lemens , les beaux semblans qu'elle
finir la lettre par un trait divertis- soultoit faire a son mary sont tous
sant. Quoi qu'il en soit , je me trou- passez et oubliez, et qui la verroit
vai l'autre jour avec un homme qui faire avec cestuy dernier mary, il
est marié depuis cinq ou six années , diroit qu'elle t'aime plus qu'elle ne
et je remarquai qu'après qu'on lui fst oncq l'autre qui est prisonnier,
eut fait le récit de toute cette partie ou en autre nécessité pour sa vail-
de la lettre de l'abbé, il dit presque lance : ses enfans que le bon hom-
en soupirant, que s'il ne se trouvait me aimoit sont déboutez, et leur des-
plus de maris faits comme celui-là, perd-on le leur à grand abandon,
il se trouvait encore moins de fem- ainsi jouent et gallent ensemble et se
mes faites comme celle-là. J'eusse donnent du bon temps. Mais il ad-
voulu qu'il eut fait encore une ré- vient ainsi que fortune le veut, que
flexion , c'est que la dame supposait le bon gentilhomme son mary s'en
à tort que notre siècle est inférieur vient, qui est moult envieilly et gas-
aux temps passés. Cela est faux : les té ; car il n'a pas esté a son aise deux
maris de cette trempe ont été tou- ou trois ou quatre ans qu'il a esté
jours fort rares , et aussi rares dans prisonnier , et quant il approche de
les siècles précédons que dans celui- son pays , il enquiert de sa femme et
ci. de ses enfans : car il a grand pan
(E) L'auteur des Quinze joies du qu'ils ne soyent morts, ou qu'ils
mariage semble supposer qu'il (trrnc riayent a ut iv grande nécessité. Et
assez souvent qiï une femme se marie pensez bien quanles fois le bon hom-
sur la fausse supposition de la mort me y aura songé au milieu, des on-
de son époux.] Car voici sa treizième goises de sa prison, et s'en est donné
joie de mariage. Un gentilhomme , ■ . . .
J ° [rj) Les (Quinze joies do mariage, pa^. 154 et
suiv. Edition de Rouen, 1^96 : le litre porte que
(6) forez la remarque (Q) de l'article de ce livre a Aê extrait d'un vieil exemplaire escril à
Luths», la main, passez sout quatre cens ans.
GOLDAST.
maintes malaises ou sa femme se
donnait du bon temps : et peut eslre
qu'a telle heure que le bon homme
pensoit à elle , et priait Dieu qu'il la
eonservast que celuy qu'elle a der-
nièrement pris la lenoit entre ses bras
et n'avait garde de péril. Lors il oit
dire qu'elle est mariée : or jugez
quelle aachée (*) il a d'ouyr telles
nouvelles Or arrive au pays ,
et scait la chose certainement ; s'il
est homme d'honneur jamais ne la
prendra , l'antre qui C avait prise ,
qui s'en est donné du bon temps , la
laissera. Ainsi elle est perdue a son
honneur, et par advanlure ajfollera
du tout. Le bon preud' homme en au-
ra une douleur perpétuelle que jamais
il n'oubliera , ses enfans seront au-
cunement ahontis par la faute de
leur mère, l'un ny l'autre ne se pour-
ront plus marier la vie durant l'un
de l'autre.
(F) Le journal de Hambourg me
fournira un bon supplément de cet
article.] M. Dartis, en parlant (8)
d'une historiette de M. le Noble, inti-
tule'e Zulima ou l'amour pur, ob-
serve que la première idée de ce ro-
man a été prise d'un mémoire tiré des
archives de la maison de Gleichen ,
qui descend du pîince de Westphalie
principal héros de cette nouvelle his-
torique. Il s'appelait Ebherard , et
ayant étéjtris a la bataille de Joppa,
que le sultan Noradin gagna sur les
chrétiens croisés, d fut si heureux
qu'il donna de l'amour a la fille de ce
sultan. Elle lui aida a briser les fers
de son esclavage , passa avec lui en
Europe , et fut sa seconde femme
après la mort de celle qu'il avait
épousée quelque temps avant de se
croiser. M. le Noble cite pour té-
moin irréprochable de la vérité de
celte histoire le tombeau où reposent
les cendres de ce prince et de ses
deux femmes. On le voit, dit-il, en-
core a Herford ,en JVestphalie , ou il
faisait sa résidence. C'est sur ce fon-
dement qu il a bâti les intrigues d'un
amour pieux qui aboutit première-
ment a ta conversion de la sultane ,
et ensuite à son mariage avec le prin-
(*) Aachée est mis ici pour ce qu'autrefois on a
appelé marrissoii , ce mot est formé de l'interjec-
tion Aah .' Kem. crit.
(8) Journal île Hambourg, du iGd'iiOÙt i6g5,
pag. i4»-
TOME VII.
97
ce westphalien. Il dit en un autre
lieu (9) que les faiseurs de roman
sont obligés de suivre l'histoire lors-
qu'ils donnent dans une préface le
fondement de leurs fictions. C'est
pourtant , ajoute-t-il , ce que M. le
Noble n a point fait dans l'avertisse-
ment qu'il a mis a sa Zulima , com-
me il paraîtra par l'entrait d'une
lettre que j'ai reçue de bon lieu sur ce
sujet. Le voici. « On voit bien par ce
» que vous rapportez du petit livre de
» M. le TYoble, qu'il a tout brouillé.
» Eberhard, duc de H estplialie, est
» un personnage absolument incon-
» nu a l'histoire , et s'il vivait du
» temps de Noradin, prince sarrasin
» duXlle. siècle , comment pouvait-il
» être auteur de ces comtes de Glei-
» chen qui prétendaient d'avoir reçu
» leur comté de Chartemagne , et
■» qui du moins sont plus anciens que
» les guerres d'outremer? La maison
» des comtes de Gleichen est éteinte ,
» et je crois que ce qu'on prétend,
» avoir tiré de leurs archives est aussi
» fabuleux que te reste du petit ro-
» man. Il est vrai cependant qu'il y
» a une tradition , confirmte par
» quelques chroniques modernes , qui
» porte qu un comte de Gleichen ame-
» nanl sa libératrice de delà la mer, et
» retrouvant sa première femme ,
» trouva le moyen de les ga rder toutes
» deux en bonne intelligence entre
» elles , et de l'aveu (dit- on) de l'é-
» glise , en quoi il y a peu d'appa-
)> rence. On peut tenir pour assuré
» qu' il n'y a point de monument du
» duc Eberhard de ff^eslphalie ni a
» Erford ni h Hervorde. Les comtes
» de Gleichen étaient voisins d'Er-
» ford en Turinge , et n' avaient rien
» de commun avec Hervorde en
» Westphalie.»
(g) Journal de Hambourg, dulo de septembre
iGy5 , pag. 219 , 220 ,221.
GOLDAST (a) ( Melchioh Hai-
minsfeld ) , natif de Bischoli-
<a) Par les lettres latines qu'on lui écri-
vait , «7 parait qu'on l'appelait indifférem-
ment Goldastus, ou Goldinastus, ou Guldi-
nastus Ses prénoms étaient latinises ,
Mclchior , ou Melior lleiininsfeldius , ou
Haiminsfeldius, ou Hamenveltus , ou Ha-
luenvelto, ou Hanieuevelto
9B GOLDAST.
zell(ô) au pays des Suisses, et pro- que bon établissement (F). Le
testant de la confession de Ge- recueil dont je parle finit là.
nève a été un fort savant hom- Goldast avait déjà publié beau-
rue auXVII". siècle. Sa famille coup de livres , et il continua
n'était point ricbe (A), et il ne de le faire jusques à sa mort
fit jamais fortune; de sorte qu'il (G), c'est-à-dire jusqu'au i ic.
se fit plus connaître par le grand jour du mois d'août i635 (c).
nombre de livres qu'il composa, Scioppius avait donné ordre que
ou dont il procura des éditions , l'on publiât dans son Scaliger
que par ses emplois publics. Un Hypobolimœus , que Goldast
recueil de lettres, imprimé l'an avait été roué; mais ayant con-
1688 (B), fait voir qu'en l'année nu la fausseté de ce fait, il fit
i5q8 il se tenait à BischofFzell ; en sorte que l'on corrigeât cela,
que l'année suivante il était logé Nous verrons dans les remarques
à Saint-Gai, chez un honnête comment il se tire d'affaire (H) ;
homme qui se déclara son Mé- ce n'est pas sans dire beaucoup
cène, et qui se nommait Scho- de mal de Goldast. On ne saurait
bingérus ; qu'eu la même année approuver la conduite de ce der-
il fut à Genève , et qu'il y logea nier à l'égard de Juste Lipse (I) ,
chez Lectius (C) avec les fils de sous le nom duquel il publia une
Vassau , desquels il était pré- harangue dont il était lui-même
cepteur ; qu'il était encore à Ge- l'auteur. Il paraît que l'on se plai-
nève l'an 160?. , et qu'il s'y plai- gnaitdeson humeur un peu bizar-
gnait de sa misère ; que la même re (K) , et de sa mauvaise foi {d).
année il s'en alla à Lausanne , à (c) witie , in Diario Biographico.
Cause qu'il y pouvait Subsister à U) Payez la remarque (G) , citations (18)
1 c ■ " n ' '•! et (19).
moins de frais qu a Genève ; qu il VJ
retourna peu après à Genève; (A) Sa famille n'était point ri-
,, . I x j .• j T c/ie.l Cela parait par quelques let-
qu a la recommandation de Lee- tres de Co£rad Rittershusius > chez
tius, il fut donné pour sécrétai- qUi Goldast avait été en pension ,
re au duc de Bouillon ; qu'il ne Goldast en était sorti sans payer son
garda -uère cet emploi , car il hôte; et depuis qu'il fut retourné
*? . , Y, r , 1 ■ 3 c dans sa patrie, il laissa couler bien
était a Francfort au mois de re- du temp's sans ,e satisfeire. hitter-
vrier l6o3 ; qu'il avait une con- shusius s'en plaignit (1), et représenta
dition à Forsteg l'an 1604; qu'en que les bouchers, les boulangers,
l'année l6o5 il demeurait à Bi- les brasseurs l'avaient tant pressé,
, „, ,. , ., , ■ • j ,» qu il lui avait lallu prendre de 1 ar-
schoffzell, ou il se plaignait de ne- gent - intérêtjafin de foire cesser
tre pas en sûreté (D) , à cause de b-m-s persécutions. 11 ajouta qu'il es-
s'y maria , et qu'il y demeura pensionnaires qui avaient besoin
jusques à l'année iino mal dans qu'on leur fît crédit. Sa lettre est da-
ses affaires (E) , et voyant échouer tée ?» M f.aoû* '5?8-. L;,nnc:e ^'l~
, v ' ' . J , vante, Stiickius (2) écrivit au même
les vues de ses amis pour quel-
(1) .Vrt lettre est ta III0. dans le recueil im-
'li) En latin Lpi copo-Gella. moreri se prune' Pan 16HH.
trompe en le faisant natj^d'Héminsfeldt. (a Sa lotlrr est la IXe. du même recueil.
GOLDAST.
Goldast, que Rittershusius se plai-
gnait de ne toucher pas les 52 florins
d'or qui lui e'taient dus ; c'est pour-
quoi on exhorte le débiteur à s'acquit-
ter promptement , et on lui dit que
s'il y manque les plaintes en seront
portées à sa mère. Une lettre de Rit-
tershusius (3) , en date du 8 de sep-
tembre 1 599, apprend qu'il était paye-,
et qu'il quittait les intérêts; mais
que , comme Goldast avait laissé plu-
sieurs dettes à Altorf , il courait di-
vers mauvais bruits de lui. Ce n'est
point une preuve qu'on puisse op-
poser aux prétentions de noblesse.
Nous apprenons de Sealiger que Gol-
dast prétendait être gentilhomme (4) .
On peut L'être sans a voir de quoi payer
sa pension. Scioppius remarque que
Goldast mettait dans ses noms une
particule qui n'était propre qu'à la
noblesse : Fratrlbus quidem certè
hoc uno nomme nobilior quod Mi se
tanlutu Heiminsfeld , hic autem héros
noster pro consuetiuline plerœque
nohililatis ab Heiminsfeld cognominat
(5). Mais voici une bonne marque de
la pauvreté de Goldast. Quand il fai-
sait imprimer des livres, il en en-
voyait des exemplaires aux magis-
trats des villes et aux consistoires , et
cela afin qu'on lui fît quelque présent.
On lui envoyait un pe 1 plus que le
livre ne coûtait , et ses amis s'imagi-
naient lui rendre beaucoup de servi-
ce , en lui ménageant ces petites ré-
compenses. Ce chétif trafic aidait à
le faire subsister. Un ministre , nom-
mé David Lange , lui écrivit de Mem-
minse, ciue les magistrats du lieu
lui envoyaient dans 1 incluse unum
minimum aureum, et le consistoire
un autre , pour l'exemplaire de son
livre (6).
(B) Un recueil de lettres. \ En voici
le titre : Virorum clarissimorum et
doctorum ad Melchiorem Goldastum
Kpistolce , ex Bibliothecâ llenrici
Cxuntheri Thidemarii ./.- C. editœ.
Francofurti et Spirœ 1688 in-\°.
(C) Il logea a Genève chez Lec-
tius. ] C'était un professeur de l'a-
(3) C'est ta XIe. du même recueil.
(4) Goldastus se dit être noble, et remarque
sa maison à l'entour de Saint-Gai. Scaligérana,
pag. m. g5.
(5) Oporini Grubioii Ampliot. Stioppian. ,
pag. m.
(G) Voyez /oCXXXl*. lettre du recueil.
99
eadémie. Le recueil de lettres donf
j'ai parlé en contient une (7) qui est
fort sanglante contre lui. 11 se plai-
gnait que lorsque Goldast et ses dis-
ciples étaient sortis de chez lui , ils
ne lui avaient pas fait un présent
honnête ; mais Goldast de son côté
se plaignait qu'on les avait obligés
de payer cent sortes de choses injus-
tement , fourneaux , bancs, serrures,
clefs , etc. Il faut avouer que ceux
qui tiennent des pensionnaires dans
les universités , font paraître trop
souvent une avarice sordide. Quand
ce ne sont pas des professeurs , le
mal n'est pas grand ; mais quelle
honte pour les lettres , quel déshon-
neur pour le caractère, lorsque des
professeurs s'attachent si mesquine-
ment au gain!
(D) En l6o5 il demeurait a Bi-
schojfzell, oii Use plaignait (8) de n'ê-
tre point en sûreté. J Scioppius conte
que le sieur Jodocus Mezlérus, vicaire
de l'abbé de Saint-Gai , lui avait dit
que Goldast fut mis en prison à Saint-
Gai pour cause de vol. Il ajoutait
que Goldast avait demandé permis-
sion d'acheter une petite terre pro-
che de Saint-Gai , où la femme lu-
thérienne qu'il avait dessein d'épou-
ser eût la liberté de conscience j que
quant à lui, il serait facilement ca-
tholique. Commodttm eas litleras le-
geram cum ojjicii causa visum ad
me venit D. Jodocus Mezlérus , illus-
trissimi principis et abbatis Sancti
Galli v ic arius , istiimque Melchiorem
adhtic vivum probèque sibi notum
esse ajjirmavit. Idque ut credibilius
focerel, prœter alianoc quoque de eo-
dem narrai>it , exposuisse eiim sibi
in sermone in qttanlo apud San*
gallenses periculo semel t'ersaliis fue-
rit , ciim illijurli nomine in carcerem
se compegissent : petiisse eliant ut
prœdioli cujusdam in Sanga/lensi
lerrilorio emendi ab Abbate pote;- tas
sibi fierel , ila tamen ut uxort , quant
ducere in animo haberet , lutheranœ
religionis libertas salva esset : nom
seipsum quidem catholiciaajacilèju-
lurum. Mis ego auditis ctepi de ipso
non desperare J'utunim ut juto a/i-
quando fra/rts utatur , et sublime po-
tius quàm humi putiscat, ciim prœ-
(7) C'est la LVI*.
(8) Voyez la lettre CIX du recueil.
IOo G'OLDAST.
serîim nemo , qui faciem ejus viderit , mes in-folio ; Constitutionum Impe-
non confeslim patibulo dignum judi- rialiuni tomi quatuor, in-folio ; Sue-
cet. Intérim nos velut Ciceronem vicarum Rerum Scriptores veteres ,
Vatinii morte nunciatd , cujus pariim à Francfort i6o5 in -4° ; de Juribus
certus dicebatur auctor , respondisse ac Privilegiis Regni Éohemîce , et
legimus , usurâ fruemur (9). Sciop- hœreditariâ Regiœ Familiœ Succes-
pius est ici suspect , tant parce qu'il sione libri sex cum Appendice , in-fo-
e'tait fort médisant , que parce qu'il lio ; Consultatio de officia et jure
regardait Goldast comme celui qui Electoris Bohemiœ in conventibus
avait fourni des matériaux â Scaligcr Eleclorum Romani imperii; Rationale
pour la construction de la satire Constitutionum Imperalium; Statuta
Munsterus Hypobolimœus (10). Ap- et Re script a Imperialia ; Politica Im-
pliquez ceci à la remarque (H). perialia ; Calholicon rei monelariœ ,
(E) 11 demeura jusqu'en 1610 a seu Leges Monarchicce générales
Francfort, mal dans ses affaires.^Cela de rébus nummariis et pecuniariis ;
paraît dans une lettre ( 1 1 ) qui lui Digesta regia seu Constituliones Im-
fut écrite par Ouirinus Reuterus , periales de SS. Eucliarislid ; Apo-
directeur du collège delà Sapience, logiœ Principum Germaniœ pro
à Heidelberg. 11 l'exhorte à se venir Henrico IV Imperatore contra cri-
mettre en pension dans ce collège, minaliones Gregorii VII ; Replicatio
(F) et voyant échouer les pro Cœsared et Regid Francorum
vues de ses amis pour quelque bon Majestate et Ordinibus Imperii con-
établissement.} Ils négocièrent à la tra Gretserum(\3) ; Imperialia Decre-
cour de l'électeur palatin, pour lui ta de cultu imaginum ; Paradoxon
faire avoir la charge de conseiller de de honore Medicorum , et obiter de
son altesse électorale, l'an 1608. La honore Theologorum et Jureconsul-
lettre CXCI parle de cela comme torum ; Sybilla Francien , seu de ad-
d'une chose conclue; mais dans la mirabili Puelld Joannâ Lotharingd
lettre CXCIV Lingelsheim témoigne exercitûs Francorum ductrice sub
que cette aiïaire reculait ; et dans la Carolo VII ; Dinlogi duo de quere-
CCIXe. il apprend qu'elle était entiè- lis Franciœ et Anglice , et de jure
rement échouée. L'électeur de Mayen- successionis utrorumque Regum in
ce offrait alors un emploi à notre regno Franciœ ; Centuria Epistola-
Goldast. Celui-ci demanda conseil à rumPhilologicarumdiversorumhomi-
Lingelsheim (12), qui n'osa le dé- num, à Francfort 1610, in-8°; Emen-
tourner absolument d'accepter ces dationes in Petronium Arbitrum ;
offres , vu qu'il le savait dans une Notœ ad parceneticos Scriptores ve-
grande nécessité , et qu'on n'avait leres.
rien à lui offrir. Il lui représenta seu- Ce dernier ouvrage n'était pas fort
lement la servitude qui lui était im- estimé de Scaliger. // cite de vieux
manquable dans un lieu où les je- auteurs en ses Parénétiques , dit-il,
suites étaient les maîtres. parlant de Goldast (i4)- H s'est trop
(G)' Il -continua de publier des amusé après ces vieux mots. Il n'y a
livres jusqu'à sa mort.] Donnons ici rien qui vaille dans ces Parenetici
une liste de ses principaux ouvrages. Melchioris. Cela serait bon s'il fai-
Alamannicarum Rerum Scriptores sait imprimer ces vieux instrumens :
vetusti, 3 volumes in-folio; Monar- on apprendrait toujours quelque cho-
chia Imperii Romani, seu de Juris- se pour les maisons des genti/sliom-
diclione et Polestate Impera loris et mes. Meichior a des manuscrits , sed
Papœ per vurios Autores , trois volu- inlimi œvi. Je me prostituais en écri-
, , c. . . . „ ..„,..., , vont h ûlelchior , puisqu'il est tel
(ni ncinnpius m Oiionni (.>rul>inii Ampliol. , <-. T1 , . l • jfi <■■
Sciouuian Dot', mx (!•>)• 11 n est pas besoin d avertir que
(io) Hem^R libi omninm illorum, qun de la plupart des ouvrages que Goldast
Scioppii oatatibus , vit.î , siucim , ac l'oriun» in a fait imprimer sont des productions
satyram et confutatipnem t,,,,,, conjecisti , auclor t1ont jj n\:Ult pas l'auteur : les titres
luit. Mann, ibiilem , yttg. m. / ojez ausst x
pag.iii. r 1 3 ) Jésuite allemand , qui écrivit divers livres
(,,; C'est la CCI.XXVJII'. du recueil. conlre Goldast.
(12) Voyez les Icllrcs CCXIV et CCXYII du (,/() Scaligérana, pag. i)5
recueil. (i5) Là même, pag. i53, au mol Melcliior.
/
GGLDAST. ior
montrent assez qu'il ne faisait que pour avoir commis un meurtre hoir-
ies re'duire en un corps , ou que rible. Eum vide tiret superiori anno
les tirer des bibliothe'ques où elles cum Bullionio duce , cui interpretis
n'étaient qu'en manuscrit. Il s'est opérant dederit , Genevd in Germa-
montré en cela l'un des plus infati- niant profectum , cum Argentinœ in
gables hommes du monde. Conrin- familiaritatem Centurionis cujusdam
gins lui donne de grands éloges, pervenisset, qui in contubernio suo
f^ir , dit-il (16) , editis antiquis Ger- puellam nobilem , domo paternd ab-
manice monumeniis tam benè de pa- ductam , pm secutuleid muliere et
tria meritus , ut absque dubio Athe- concubine circumducebat , audito
nienses illum in Prytanœo allassent, eum jam satietate illius captum mille
si ' quidem illud in cevum incidisset. aureosei, quiab ittd se liberaret , pol-
Cum (17) primis in Germaniâ cer- liceri , avide conditionem quod prê-
tais meliusque hoc studiorum genus tio inhiaret , arripuisse , etitadigres-
( de Jure pûblîco Imp. Germ. agit) so Centurione non procul ab urbe in
incensum fuit initio hujus seveuli ipsd via regid misellam ohtrun-
auctore AIelciiiore Goldasto cui casse (20). Il avait lie amitié, di-
nenio Germaniâ' rébus illustrandis saient-ils , avec un certain capitaine ,
par fuit , nec forte erit quispiain, et qui commençait d'être las d'une dé-
féré illius duclu paulaùm cœpit apud moiselle qu'il avait enleve'e , et qui
nos sn/ilo éxquisitior Reip.cognitio.H promettait mille éous à quiconque
ne laisse pas de le traiter d'homme l'en délivrerait. Goldast accepta le
de mauvaise foi en certaines choses parti ; mais peu après il massacra
(18) : Sunt hœc omnia (examinât cette femme au milieu du grand che-
nonnulla ex libro III Constitutio- min , proche de Strasbourg, et la dé-
uiim Imperialium) illaudabili facino- pouilla , et s'en revint à la ville. On
re perquam tamen Goldasto fami- le saisit dans son cabaret, comme il
liari effîcta , quo nomine eum ex me- de'cousait les habits de cette femme ,
rilo acerrimè increpayit Wendelinus et on le mit en prison , et. dans sept
c. 2 del.Salicd. Il n'est pas le seul qui jours il fut condamne' à être roué et
se plaigne de Goldast sur ce chapitre, brûlé. Septimo tandem post die ca-
Qtii nouerit quant militas suspectai pilis condemnatum et summo suppli-
fidei merces pix> veris erudito orbi ob- cio tanquam parricidam affectum ,
truserit Goldastu s, cui cœteroquindi- hoc est membratim pêne rold contu-
ligentiœ laudem non negamus , in re sum et comminutum, et imlè lignis
cui aliundè fides fieri non potest , vix infelicibus uslulatum conflagrdsse
ejus solius auctoritate sibi aliquid (21). Scioppius écrivit tout aussitôt
plané persuaderi patietur (19). cette histoire , afin qu'elle fût insé-
(H) IVous verrons comment rée dans l'ouvrage qu'il faisait im-
Scioppius se tire d'affaire.] Deux primer en Allemagne, contre Scaliger :
gentilshommes de Franconie , qui il ne crut point avoir besoin d'autre
avaient logé avec lui à Altorf , chez apologie, ni d'autre vengeance con-
Conrad Rittershusius , lui rendirent tre Goldast (22) par rapport au mau-
une visite pendant leur séjour à Ro- vais office qu'il croyait en avoir reçu,
me. Il leur demanda des nouvelles II prétendait que Goldast avait pu-
de leurs communs amis , et entre blié, sous le nom de Scioppius , un
autres de Goldast qui avait été en Commentaire sur les Priapées , dont
pension avec eux à Altorf : ils lui lui Scioppius n'était point l'auteur,
contèrent que ce misérable avait été La lettre qu'il écrivit touchant cette
rompu sur la roue , et puis brûlé prétendue fin tragique de Goldast ,
fut suivie d'une autre cinq mois après
(i(>) In pra-Çal. ad Tacitum de Moribus Ger- (23) , où il fit savoir à son ami , <|U<
manorum , apud Magirom Eponymolog. , pag : l'histoire que les deux gentilshom-
mes allemands lui avaient contée ,
(20) Oporinus Orubioius , in AmpUotidibus
Scioppian. , pag- <o\.
(2 1 j Idem , ibid.
(22) Ibidem , pa£. 106.
(2 3) Ibidem.
3f)3.
(17; Id. , in dedicat. Exercitationibas deRep.
Imp. Germ. prœmiss. apud eutndem Magirum,
ibidem.
(18) Idem, cap. VII de O. J. G. apud eum-
dem , ibidem , pag. 3(j4*
(if)) Er. Manrit. de raatriculâ Impcrii, num.
12 , apud euindem Magirum , ibid.
GOLDAST.
regardait un frère de Melchior Gol-
dast. Le sieur Charles Fugger , pré-
sident de la chambre impériale de
Spire , avait fait savoir à Scioppius
Faction barbare et le supplice de
ce frère de Goldast. Voici ce qu'il
lui apprit. Sebastianus JJeiminsjeld ,
dictas Guldenast , natus Cellœ épis-
de Goldast fut roué (28). Ils disaient
aussi que quand Goldast massacra la
demoiselle auprès de Strasbourg , il
faisait le voyage d'Allemagne avec le
duc de Bouillon, dont il était secré-
taire. Cela ne s'accorde point avec
une lettre que Goldast écrivit au
sieur Schobinger , son Mécène, au
copiin Turgouid , die sexlâ junii an- mois de février 1603(29). Il n'était
no i6o3 proptereh in carcerem con- plus avec le duc de Bouillon, et
jeetus fuit , quod pridiè feminam néanmoins l'assassin de la demoiselle ,
qtiandam, Dorotheamde Gries, Bam- interrogé par ses juges au mois de
bergœ aut Herbipoli, quemadmoditm juin i6r>3, dit que Melchior Goldast,
ipse retulit , natarn , quant diebus son frère , était au service du duc de
aliquot h'acillac circumduxerat , bene
mane non. longe ab hâc ch'itate prius-
qiiam palefactœ essent poitœ , Sata-
née instinctu cultro immaniter ob-
trunedsset , et omni vestitu usque ad
lineain intendant spolidsset , ac post-
qu'am aliquantum de via regid eam
provolverat , in civitatem portis com-
modum apertis ingressus in liospi-
tium publicum diuertisset , ubi et
Bouillon (3'>).
(I) On ne saurait approuver la
conduite de Goldast a l'égard de
Juste Lipse.~\ Scioppius, qui était
un grand exagérateur , n'eut point
de honte de dire dans un temps où
il croyait que Goldast avait été rom-
pu sur la roue , que le principal
crime qui lui avait attiré cette af-
freuse peine , était d'avoir supposé
captus mox , factumque quœstioni une harangue à Juste Lipse. Hujus
subjectus , et sponte etiam sud , con- ego non minus facti , quant supplicii
fessus die 10 ejusdem mensis Rotœ atrocitalem cuin aninio meo recogi-
supplicio ajfectu s fuit (i\). Scioppius tans , nullius magis sceleris , qu'uni
apprit peu après de Jodocus Mezler, quod orationem illam, de qud Lip-
vicaire de l'abbé de Saint-Gai (a5) , sius cent, iv epist. lxviii ad consti-
tue Melchior Goldast était plein de lesac senatumlmperialisoppidiFran-
vie. Il écrivit donc à son ami qu'il cofurtensis scribit , ejusdem Lipsii
ne fallait pas imprimer ce qu'il lui nontine prœscriptam minime Helve-
avait mandé touchant le supplice de tied simplicitate , sed actu plusquhm
cet homme. Hoc a te pro amicitid punico et verè Genevensi malitid Ti-
nostrd peto , ut siadhuc est integrum, guri edendam curdsset , pœnas ab eo
illa supplicii de monslro islo sumpti expeditas et sumptas esse judicaui
mentio ex Scaligero meo Hypoboly- (3i). Cette harangue avait pour titre ,
mœo circumscribatur. Sin autem , de duplici Concordiâ Litterarum et
quod vereor , bac ipsd med epistolâ Religionis, et parut l'an 1600. On
ad calcem libri illius adjunctd totius supposaitqueLipseFavaitprononc.ee
gestœ rei ordinem pal'am omnibus de- ;) Jéna , le 3i de juillet 1 5^4 - E^e ne
clnrari cnpio (-26). Cette deuxième fut pas imprimée à Leyde, comme le
lettre est datée du 3 de mars 160^
et par-là on peut convaincre les deux
gentilshommes de s'être trompés à
la circonstance du temps: car au
commencement de novembre 1606
(an) , Scioppius écrivit à son ami
qu'ils lui avaient dit que Goldast
avait sou Ile ri le dernier supplice l'an-
née précédenlc, superiori un no. Or
c'était le 10 de juin iGo3 que le frère
(a4) Oporinus Grubinius , in Ampliolidibus
Scioppian. pag. ioç| , no.
(a5) F oyez la remarque (D).
(26) Opor. Grubin., Ampliot. Sciopp., pag.
109.
(27) La II"", lettre de Scioppius fut écrite cinq
mois aj'rès lu première, [bid. , pag. 106.
titre le portait, mais à Zurich, par
Jean-Jacques Frisius (3a). On en en-
(28) Sebastianus Melchioris frairr Germamu
is fueritqtii Argentinae. anno ibo'3 a. d. 10 Jnnii,
ob crudelissimum homicidium et latrociniuni
affectlis , mine qtioque superbus et celsus in ro-
lâ , velut in railialo disco, quotidiano prandio
asso , inquam, bmè ad solem tosto corvos ncci-
piat. Ibidem , pag. 107. Voyez ci-dessus , cita-
tion (2^).
(2C|) Voyez le Recueil des Lettres écrites ;\
Goldast, imprimé en Allemagne , Van 1688.
(3o) Ampliotides Scioppian. , pag. 110.
(3i) Jlndem. pag. io5.
(3a) Voyez la lettre de StueViUS à Goldast,
dans Ir recueil cité ci-dessus, citation (?q),
c'est In XVIIIe. Voyez aussi Lipse, epist
LXVIII l.entur. ad Gcnnan. et Gallos.
GOLIUS. io3
voya cent exemplaires à la foire de trouva qui s'obstinèrent à soutenir
Francfort, que Plantin acheta tous , que Lipse avait harangue tout rum-
en niant que cette pièce fût de Lipse, me Goldast le supposait. Lisez ce qui
et en menaçant que l'imprimeur et suit (!ïc)N. Jusii Lipsii nomine ,de du-
le vrai auteur s'en repentiraient (33). plici concordiâ* lilterarum et reli-
Le libraire de Zurich fit savoir ces gionis , éditas orationes ( 4° ) , non
choses à Goldast, et le pria de jus- esse ipsius , sed Melchioris Goldasti ,
tifier que cette harangue était de Miranus in Vilâ Lipsii, pag. m. 65
celui dont elle portait le nom. Un referl. Carolus eliam Scribanius yV-
professeur de Zurich avertit Goldast suita , cap. ult. defensionis posthu-
des menaces de Juste Lipse, et lui mai , Lipsii operibus in folio prœ-
marqua que le tissu et le fil de la jixœ , aliquot jam antè mensibus
harangue faisaient connaître que qukm oraltones islçe habitœ perhiben-
Lipse en était l'auteur: Nos quidem tur , Lipsium Jenâ discessisse , au-
ex Jîlo orationis conjicimus omnino dacter scribit sed vide refutationem
ejusesse (34). C'est ainsi que les sa- hujusce mendacii factam a Sagittario
vans de Zurich jugèrent :1e goût de ira Lipsio Proteo, Franco/uni r6i4
ceux de Pans était tout autre ; ils edito. Je ne prétends pas nier l'in-
n'y trouvèrent point le style de Lip- constance de Juste Lipse sur le fait
se. Lipsii oratio noua nobis visa fuit , de la religion.
nec ira ed Lipsii styluni sine monitio- (K) On se plaignit de son humeur
ne tua unqu'am agnovissemus (35). un peu bizarre.] Lorsque son patron
Les menaces de Juste Lipse ne fuient Schobinger lui conseille de s'en aller
point vaines. Il s'adressa aux magis- à Lausanne, si la dépense y e'tait
trats de Francfort, qui ordonnèrent moindre qu'à Genève, il y ajoute
que cette harangue serait effacée du cette restriction : Modo à crebris
Catalogue de leur foire (36). Il les en migrationibus in posterum abstineas ,
remercia , et, leur montra par bien quœ neque è re neque pro existima-
des raisons l'imposture de ceux qui tione tu à morositatis nescio cujus
la lui avaient supposée. Il soutint en- suspectum te apud nonnullos fevêre ,
tre autres choses qu'il n'e'tait point à qui id mihi Tiguri nuper objecerunl
Jéna le 3i de juillet 1 574 , et qu'il (4')-
en était parti le premier de
mars
(31;). Goldast mérita toute sorte de
confusion ; il n'y eut guère de gens
équitables qui ne fussent persuadés
à cet égard de l'innocence de Lipse.
Insulsam illam et vix lalialem ora-
tionem de duplici concordiîl littera-
rum et religionis Jenœ, ut t'olunt
habitant, jam o/im falsimoniam esse
meram, édita epistolâ ipse ostendit ,
et nuper supposition istius fœtus pa-
rens Melchior Haiminsfeldus Goldas-
tus se prodidit (38). Maisil y a des gens
si entêtés , qu'ils ne veulent démor-
(3q1 Placcias , cle Pseudonymis , pag. 219.
(4o) Il ne fallait pas s'exprimer par le plu-
riel ; car il n'y avait qu'une liarangue.
(4i) Voyez la lettre LVI1I du recueil imprime
l'an 1688. Elle est datée de Saint-Gai , au
mois de février 1G02.
GOLIUS (Jacques), profes-
seur en mathématique et en
arabe dans l'académie de Leyde ,
naquit à la Haie, l'an i5c)6, d'une
famille ancienne et considérable
drede rien, et qu'ils sont à l'épreuve /^ jj eut une forte inclination
des raisons les plus évidentes. Il s'en ' , , ■ . „/„:«, A&
1 pour les lettres , et un génie de
(33) Jean-Jacques Frisi.is avertit Goldast de grande étendue ; car il ne se con-
tourcel^Sa lettre est dans k recueil. d'étudier les langues,
(S4) Waserus, epist. ad Goldnstum. C est la J . ° . »
XXXVIIIe. du remea. la philosophie, les antiquités
(3S)Ya*san< dans la \eareXX%l du recueil eg Jes antiquités l'Oinai-
écrite de Pans a Goldast, le ii de septembre gn."jin.j , *j ,
1600. nés , la théologie , la médecine ;
cifirjRSiïïfï&Jlr^^ il s'appliqua aux mathématiques
(37) idem, ibid. pag. 702. avec une extrême ardeur. A l'âge
(38) Mirsus, in Vilâ Lip.ii, circa finem, j • t j[ (,uitta l'académie
pag. m. 35. • D 1
504 GOL
de Leyde , où il avait fait de
grands progrès , et se retira dans
une maison de campagne (à) ,
avec la résolution d'y passer deux
ans sans s'occuper que de ses
études; mais à force d'étudier
il tomba bientôt malade , et il
fut obligé d'interrompre son des-
sein. Il fut si charmé des tra-
vaux et des leçons du savant Er-
pénius (b), qu'il s'attacha tout
entier à lui. Il fit un voyage en
France avec la duchesse de Tri-
mouille , ce qui lui donna lieu
d'être appelé à la Rochelle, pour
y enseigner le grec. Il n'exerça
pas long-temps (c; cette charge,
parce que les guerres civiles, qui
se terminèrent enfin par la prise
de cette ville , firent souhaiter
à Golius de retourner en Hol-
lande. Quelque temps après (d)
il suivit l'ambassadeur que les
Provinces-Unies envoyèrent au
roi de Maroc , et il profita extrê-
mement des conseils qu'Erpénius
lui donna (B) , pour acquérir la
parfaite intelligence de l'arabe.
Il parut si curieux et si bien
instruit des sciences et des ma-
nières des Arabes , qu'il se ren-
dit très -agréable aux docteurs
et aux courtisans. Il reçut même
plusieurs témoignages de bonté
de Mulei Zéidân , roi de Maroc
(C). Il s'accommoda de plusieurs
livres inconnus aux Européens ,
et entre autres des Annales de
l'ancien royaume de Fez et de
Maroc , lesquelles il résolut de
traduire. Il fit aussi beaucoup de
recueils concernant l'Histoire des
(a) Silure auprès de. Naaldwijk. Elle ap-
partenait à son pire.
(b) Il était professeur en arabe à Leyde.
(c) Un an seulement.
(d) L'an 1622.
IUS.
Shérifs. Il apporta par ce moyeu
à Erpénius mille beaux trésors
qui auraient rendu de grands
services à ce savant professeur,
si une maladie contagieuse ne
l'eût enlevé peu après. Golius,
sans considérer le péril où il
s'exposait, rendit tous les servi-
ces qu'il lui fut possible à son
cher maître pendant cette mala-
die , et ne le quitta point qu'il
ne l'eût vu expirer. Il fut élu son
successeur dans la profession de
l'arabe (e) , conformément aux
conseils que le défunt avait don-
nés peu avant sa mort; et il s'ac-
quitta si doctement de cet em-
ploi , qu'on ne trouvait pas à
redire l'incomparable Erpénius
{f). Mais pendant qu'il satisfai-
sait les autres , il n'était pas con-
tent de lui-même ; il croyait
qu'il lui manquait beaucoup de
choses , qu'il ne pourrait acqué-
rir qu'en se transportant aux
lieux les plus voisins de la source.
Il demanda donc congé à ses
supérieurs, pour faire un voyage
au Levant (g). Il s'arrêta un an
et demi à Alep; après quoi il fit
quelques courses dans l'Arabie
et vers la Mésopotamie , et s'en
vint par terre à Constantinople.
Son savoir et sa prudence lui fi-
rent trouver partout des amis ,
et les facilités nécessaires pour
(e) L'an 1624.
(f) Hcec. in Spart à ornandâ jam satisfa-
ciebat omnibus , ha.udquaqu.am sibi : nemo
non renatum in Golio Erpenium , et corpus
tantum liominis , non virtutem professons
mutalam credere -. ipse non credulus illis
omnia in sese requirere , et ticet naudquw-
quam arrogaret sibi magistri summam,
tamen ne fuir qnidem ContenlUS esse. Joli.
Fridericus Gronovius, in Orat. funelm Jac.
Golii, pag. i5.
(g) Les lettres patentes que le prince d'O-
range FridériC Henri lui accorda sont da-
te'es du Ju novembre \6zr0.
GOL
profiler d'un voyage parmi ces
nations barbares. Il trouva des
Turcs qui le laissèrent fouiller
dans de belles bibliothèques (D).
En un mot , il laissa son nom en
si bonne odeur, que cela fut très-
utile à son frère (h) , qui quel-
que temps après s'engagea au
même voyage. Notre Golius fut
de retour à Leyde au bout de
quatre ans , chargé de beaux ma-
nuscrits et de la mémoire d'une
infinité de choses rares (/). Ayant
repris le train de ses anciennes
leçons , il se vit bientôt appelé à
en faire d'une autre nature (E) ;
car il fut fait professeur en ma-
thématiques à la place Willibrord
Snellius. Il remplit très-digne-
ment les fonctions de ces deux
charges, environ quarante ans ; et
quoiqu'elles pussent épuiser tout
le loisir d'un homme laborieux ,
il ne laissa pas de trouver du
temps pour travailler à de beaux
ouvrages qui ont vu le jour (F),
et d'en entreprendre d'autres qui
ne céderaient point à ceux-là ,
s'il avait assez vécu pour y met-
tre la dernière main (G). Ce
qu'il y eut de plus louable dans
ses travaux fut qu'il s'appliqua
avec zèle à faire servir sa con-
naissance des langues à la pro-
pagation de la foi parmi les
peuples infidèles (H) , et à la
consolation des chrétiens qui gé-
missent sous la tyrannie des Ma-
hométans. Il avait commerce de
(/;) II était moine. Voyez l'article Héme-
LAR ci-après.
((') Quadriennio eiratmaclo cnm inœstima-
bili , quo bibliotheca publica superbit, ra-
rissimorum librorum thesauro , quem mente
ne peclore conctiderai , kùc regrtssus inter-
missa docendi mnnia repetiit. Gronovius ,
Orat. fun. J. Golii , pag: 19. Le catalogue
des manuscrits qu'il apporta a été imprime
plus d'une fois.
IUS. io5
lettres avec les plus savans hom-
mes de l'Europe (k) , et il fut
très-estimé de ses souverains (/).
Son tempérament était si robus-
te (I) , qu'il jouit presque tou-
jours d'une très-bonne santé. Il
mourut le 28 deseptembre 1 667 ,
après avoir passé par tous les
honneurs académiques , et après
s'être fait considérer autant par
sa vertu et par sa piété , que par
son érudition. Il jugeait saine-
ment des choses , car il déplorait
la manière dont on se gouver-
ne dans les disputes de religion
(K). Il laissa deux fils dont je
parlerai dans les remarques (L).
(à) Gronovius en nomme plusieurs , et en-
tres autres, M. Descartes. Voyez dans la
Vie de ce philosophe , par M. Baillet, l'a-
mitié de Golius pour lui.
(I) Tiré de son Oraison funèbre , pronon-
cée par Jean Fridérie Gronovius. Les dates
y manquaient partout , il a fallu les sup-
pléer à la marge.
(A) Il était d'une famille ancienne
et considérable.} Elle était originaire
de Leyde , où François Golius , tris-
aïeul de celui dont nous parlons ,
était échevin environ l'an i458. Cor-
neille et Gilbert Golids, ses petits-
fils, furent sénateurs de la même
ville. Ils étaient fils de Théodoric
Golius qui, s'étant marié deux ou
trois fois, procura à ses descendans
divers degrés de parentage avec un
grand nombre de bonnes familles.
Un autre Théodoric Golius, issu de
celui-là, fut père de notre Jacques. Il
possédait une charge considérable (1),
et il fut Fun des citoyens de Leyde
qui contribuèrent le plus à sauver
la ville pendant le siège dont les
historiens ont tant parlé. Sa femme ,
mère de notre professeur, s'appelait
Anne Hémelar (2) , et avait un frère à.
qui je destine un article (3) , où \e
parlerai de Pierre Golius, frère de
Jacques.
(1) Feiidorum ffollandup acluarius. Gro-
novius, 1/1 Orat. funebri Jacobi Golii , pag. 6.
(2) Ex Oratione fuuebri Golii , habita a
Gronovio.
(3 Cherches IK.iir.LiR (Jean.)
,o6 GOLIUS.
(B) II profita des conseils qu'Er-
pénius lui donna.] Il le chargea entre
autres choses de s'informer de l'ori-
gine de certains proverbes , et de re-
chercher sur quelle coutume , ou sur
quelle inclination des peuples e'taient
fondées plusieurs expressions , ou
termes arabes qu'il n'entendait que
par conjecture , et sur quoi il s'i-
maginait qu'il eût pu se faire donner
de bons e'claircissemens , s'il avait
e'té dans le-; pays où cette langue est
en usage. Mais servons-nous de la
description que l'on trouve de tout
ceci dans le livre que je cite. Intel-
lexerat ( Erpenius ) unum sibi déesse
quhd terras , in quibus viget atque in
usu habetur yirabismus , non inco-
luisset , non accessisset. (Juian eniin
multa in promptu haberet verba ,
proverbia , vocabula , quœ quid sig-
nificarent , divinabat inagis et sus-
picabatur quant noverat, quod de re-
rum Jbr/nis , hominum actionibus , lo-
corum habitu , undè et ubi Ma nala
essent nunquam oculis judicdssct ,
hoc prœcepit , inculcavit , infixit nos-
tro , ut quicquid ejusmodi sive natura
illic , sive ars , swe consuetwlo nobis
ignarum peperisset , aut inlroduxisset
diligentissimè observaret , accuratè
describerel , annolaretque una cum
signato cujusque nomine , et si nos-
cerentur , causis nominum (4).
(C) // reçut plusieurs témoignages
de bonté de Mulet Zéidân, roi de Ma-
roc] Il lui avait apporte' une lettre
d'Erpénius, très-bien e'crite , et ils'é-
tait lui-même recommande heureu-
sement par ses manières agre'ables (5).
Voilà tout ce que l'on trouve là-des-
sus dans son oraison funèbre. Nous
y pouvons joindre un supple'ment
très-curieux, tire d'une relation ma-
nuscrite que Colomie's avait lue, et
dont il a publie un petit morceau qui
regarde Golius. Je rapporte le passa-
ge tout entier, quoique je tombe par-
là dans l'importune nc'cessite' de ré-
péter quelque chose de ce qui se voit
dans M. Moréri. « M. Golius , que je
» vis à Leyde, où il était professeur
(4) Gronovius , inOrat. funebri Jacol>i Golii,
pag. i3, 14.
(5) iWc privatd tantum humttnitale , sed et
imperatorh ipsiui Mulei Zidani (quam et litle-,
ris Erpenii purissimo sermone scrintis , et tuo
lepore alijue honcslale promerueral ) cfetneuiut,
fiumulatissimi prmstilit. Gronov. , in Orot. fun.
J. Golii , pag. \!\.
en arabe en la place de M. Erpe-
nius , était fort intelligent dans les
langues et dans les mathématiques ;
mais il avait encore plus de génie
que d'érudition. Il acquit beau-
coup d'honneur au voyage qu'il
fit dans l'Orient, l'an 1622, et sur-
tout à Maroc , avec un ambassa-
deur des états et un écuyer du prin-
ce d'Orange. Comme ils furent
arrivés dans cette ville , ils allèrent
faire la révérence au roi, qui se
nommait Moulcy Zidam , et qui les
reçut , avec leurs présens , fort
obligeamment. 11 témoigna parti-
culièrement être fort content du
présent que lui avait envoyé M. Er-
penius , qui était un grand Atlas
et un Nouveau Testament arabe ,
dans lequel il lisait ensuite sou-
vent. L'ambassadeur des états ve-
nant à s'ennuyer de ce qu'on ne
lui donnait point son expédition ,
fut conseillé de présenter au roi
une requête , que M. Golius fit eu
écriture et en langue arabesque ,
et en style chrétien , extraordi-
naire en ce pays-là. Le roi de-
meura étonné de la beauté de cette
requête , soit pour l'écriture , soit
pour le langage , soit pour le style;
et ayant mandé les talips ou écri-
vains , il leur montra cette requê-
te , qu'ils admirèrent. Il fit aussi-
tôt venir l'ambassadeur , à qui il
demanda qui avait dressé cette
requête. L'ambassadeur lui ayant
dit que c'était M. Golius , disciple
et envoyé de M. Erpenius , il le
voulut voir, et lui parla en arabe.
M. Golius lui répondit en espagnol
qu'il entendait fort bien ce qu'il
lui disait , mais qu'il ne pouvait
lui répondre en arabe, parce ([ne
la gorge ne lui aidait point. Le roi,
qui entendait l'espagnol , reçutson
excuse , et ayant accordé à l'am-
bassadeur les fins de sa requête ,
le fit promptement expédier. Je
dois toutes ces particularités à la
relation de feu M. le Gendre, mar-
chand de Rouen, qui se trouva
alors à Maroc. M. Briot en garde
une copie , qu'il me fit la faveur
de me communiquer à Paris. Ajou-
tons encore un mot au sujet de
M. Golius. 11 était frère de Pierre
Golius , très-savant aussi dans les
1 langues orientales , qui a tourné
GOL
» de latin en arabe le livre de l'Imi-
» talion de J.-C. de Thomas à Kem-
» pis, et qui s'étant fait de l'ordre des
» «armes déchausses, prit le nom de
» père Ce'lestin de Saint-Lidwine. Ces
» deux dignes frères étaient neveux
)> d'un chanoine d'Anvers , nommé
» Hémclar , qui a fait un beau livre
» do médailles , qui ne se trouve pas
» pisément (6). » Je voudrais que
les mélanges historiques de Colomiés
fussent un in-folio.
(D) II trouva des Turcs qui le lais-
sèrent fouiller dans de belles biblio-
thèques, j Les Turcs ne sont pas aussi
dépourvus de livres que l'on pense.
Voyez ce que M. Spon a rapporté (7),
et joignez-y ce passage de Gronovius.
Simui cum Legalo 18) in Aswm tran-
sit ( Golius), prœfeclo orœ Propon-
tidos aniœnissituos horlos cum amplis-
simd bibliothecâ eis cedente : in quo
secessu in historicorum et geograj>ho-
rum Arabum scripta aul ignorata
adhuc , aut inevoluta se ingurgitai'it.
Ut recliit , et memoriam lectorum per
occasiones in sermonibus apud Megis-
tanas ostendit , ila obslupefecit au-
dienles ut purpuratorum principi di-
gnatione pro.rimus cum eoegerit, im-
peraloris diplomate ornatus ac lotus
omne imperium obiret , ac situs loco-
runi rectiiis quant vulgo fit in lahulis
depingerel : il le graliamfecit prœtex-
to sacramento quod ordinibus dixis-
sel , sed et periculi magnitudinem
cogitans (9) Ce passage méritait d'ê-
tre rapporté, puisqu'il peut appren-
dre à mes lecteurs la considération
particulière que l'on eut pour Golius
à Constantinople , et les offres qu'on
lui fit d'une commission authentique
qui l'eût érigé en géographe du grand-
seigneur. La connaissance que Golius
avait de la médecine , et les remèdes
qu'il fournissait sans en vouloir être
payé , lui procurèrent beaucoup
de présens et beaucoup d'amis. On
lui offrait de grands avantages pour
l'engager à s'arrêter dans le Levant.
Philarchi et resuli Arabum admise-
(G) Colomiés , Mélanges historiques , imprimes
a Orange, 1675, pag. 75 et suiv.
(7) Au IeT. tome de ses Voyages , pag. if)3 ,
édition de Hollande. Voyez aussi le Voyage Je
M. Wliéler , pag. 162.
(8) // entend Corneille Haga , ambassadeur
de Hollande à Constantinople.
(1)) Gronovius , in Orat. funebri, pag. 18.
IUS; Ï07
runl eum familiariler , et ob medici-
nœ expérimenta suspexerunt , quod-
que mercedes recusaret donis p/uri-
mis et pretiosis affecerunt ', majoribus,
utsecum maneret, sollicildrunt (10).
Voilà des choses bien glorieuses à un
chrétien.
(E) Il se vit bientôt appelé a en
faire d'une autre nature, j Tout ex-
près, j'ai suivi la narration de Gro-
no\ lus, afin de donner à mes lecteurs
un exemple qui les convainque com-
bien il faut regarder de près aux cho-
ses , si l'on veut attraper tout ce qui
est nécessaire à développer un fait.
Ceci est raconté de telle sorte dans
l'oraison funèbre , qu'il n'y a per-
sonne qui n'en conclue que Snellius
décéda après le retour de Golius, et
que celui-ci ne fut créé professeur •
aux mathématiques qu'après avoir
fait pendant quelque temps les fonc-
tions de son autre charge , depuis
qu'il fut revenu à Lcyde. Ceux qui
croiraient cela se tromperaient. Snel-
lius mourut Fan 1626, et Golius re-
vint du Levant l'an 1629 , et fut créé
successeur de Snellius pendant son
voyage. Il apprit à Constantinople
qu'on l'avait élu professeur à la place
de Snellius.
(F) Il travailla a de beaux ou-
vrages qui ont vu le jour. ] Il publia
l'histoire des Sarrasins, composée par
Elmacin. Ce travail est dû en partie
à Erpénius , qui avait commencé la
version de cette histoire. Golius a-
cheva ce qui manquait. Il publia la
Vie de Tamerlan , composée en ara-
be par un écrivain de grand nom. II
publia aussi les Élémens astronomi-
ques d'Alferganus , et y joignit une
nouvelle version et de savans com-
mentaires. Son Lexicon Aràbicum es l
un ouvrage tout-à-fait exact (11). II
enrichit de notes et d'additions la
grammaire arabe d'Erpénius , et y
joignit plusieurs pièces de poésie, ti-
rées des auteurs arabes, et principa-
lement de Tograi et d'Ababolla. Quoi-
qu'il n'eût commencé à étudier tout
de bon la langue persane qu'à Fïige
de cinquante-quatre ans , il s'y per-
fectionna de telle sorte qu'il en com-
posa un très-ample dictionnaire qui
fio) Idem , ibid , pag. 17.
(11) Non parvw molis , sed immensm alque
infinilw cura; et indus triât. Gronovii Oral. fim.
J. Golii , pag. 20.
!03
GOLIUS.
a été imprimé à Londres (12). Il au-
rait pu en faire autant de la langue
turque. Il avait tant de naissance
pour l'étude des langues , que s'étant
mis sur le tard à apprendre celle des
Chinois, il s'y avança jusqu'au point
de pouvoir lire leurs livres et les en-
tendre. Ce n'est pas peu de chose que
de savoir seulement connaître les fi-
gures dont ils se servent en écrivant.
Ils en ont jusqu'à huit mille ( j3 ).
L'atlas de la Chine , à quoi il a joint
quelque chose , témoigne les progrès
qu'il avait faits dans cette langue.
(G) et en entreprit d'autres
qui ne céderaient point a ceux-là s'il
■y avait mis la dernière main.] Il vou-
lait donner une seconde édition de
la Vie de Tamerlan : le teste aurait
. été imprimé avec les voyelles 5 il y
aurait joint une traduction, et un com-
mentaire tout plein d'éclaircissemens
sur l'histoire orientale. Peu s'en fal-
lut que cet ouvrage ne fût en état
d'être donné à l'imprimeur. Il avait
commencé un dictionnaire géogra-
phique et historique qu'il destinait à
l'explication du Levant , in quo om-
nia locorum et hominum per Orien-
tent nomina explicarentur. Il faisait
espérer depuis long-temps une nou-
velle édition de l'Alcoran , avec une
traduction et une réfutation. Il vou-
lait donner un catalogue de tous les
livres persans qui sont dans l'Euro-
pe , et un traité des dialectes de la
langue persane. Il eût principalement
examiné la dialecte qui passe pour
la meilleure , et qui a obtenu cette
qualité par un des arrêts les plus au-
thentiques que l'on puisse demander
dans ce genre de privilèges. Voyez la
note (i4) : vous y trouverez un fait
singulier : jamais les Grecs , jamais
les Romains ni aucun des peuples
(12) // est inséré dans le Lexicon Hcptaglot-
too de Caslellus.
(i3) Quod rarissimum, annis jam vergenlibus
Sinensi etiam Imguœ difficillimat , et msi quis
inler ipsos tPlatem exigat , ingénia humano in-
exsuperabili atlenderat , et ad octo mitlibus
signorum quihus pro vocibus utuntitr salis as-
suerat , ut libros illorum non aigri légère atijuc
intelligere possel. Gronovii Oral. fun. J. Golii ,
pag. 20.
(l'i) Et libellus de variis linguie Versicœ dia-
leclis , prceserlim de omnium purissimi! , quam
jussu tnagnorwn regum omnibut ex parlibus
regni concilia coaclo sapientes moroso verborum
delcctu. probdrunl , el aulti tecepit. Ibidem ,
/<«,','. 21.
qui ont le plus cultivé les lettres et
l'éloquence , n'ont fait pour leur lan-
gue ce qu'ont fait les rois de Perse.
L'académie delta Crusca et ses sem-
blables , ni celle dont le cardinal de
Richelieu fut le fondateur , n'appro-
chent pas de cette assemblée de sa-
ges que les rois de Perse convoquè-
rent pour l'admission ou pour l'ex-
clusion des mots.
(H) // s' appliqua a faire servir sa
connaissance des langues a la propa-
gation de la. foi parmi les infi-
dèles. ] On peut compter pour une
marque de son zèle le soin particu-
lier qu'il prit de faire imprimer en
grec littéral et en grec vulgaire le
Nouveau Testament. Messieurs les é-
tats voulurent bien faire cette dépense
en faveur des Grecs. IVemo tanto stu-
dio , labore , gratin ob consulalus et
prœturas et imperia contendit om-
nemque lapident movit , quàm ille ut
IVovi Fœderis sacratissimœ tabulas ,
simul uti screptee sunt , simul ut in
fuifA.a.ix.01 ( ut appellant ) seu Grœcatn
linguam vulgarem traductœ , formis
vulgarenlur : alque id magnifïcum
atque divinum niunus potenlissimo-
rum liberi Be/gii ordinum beneficio ,
gemens sub barbariœ intolerabili jugo
gens libertatis et elegantiœ iiwentrix
acciperet fi5). Il eut soin de répan-
dre, parmi les chrétiens du Levant ,
une traduction arabe de la confession
des réformés , de leur catéchisme et
de leur liturgie ; car il y a des chré-
tiens en ce pays-là qui se servent de
la langue arabe dans le service divin.
Il employa à cette version un Armé-
nien qui entendait l'arabe vulgaire
et les phrases consacrées à la reli-
gion , et qui pouvait accommoder à
la portée de tout le monde le style
de Golius : car si Golius avait tra-
vaillé tout seul à cela , il eût été à
craindre que ses expressions n'eussent
été trop relevées et trop savantes. Il
garda chez lui cet Arménien deux
ans et demi , et lui promit la même
pension que les états avaient accor-
dée à l'archimandrite qui mit le
Nouveau Testament en grec vulgaire.
Cependant il ne savait pas si les états
voudraient faire cette dépense. Il ne
leur proposa la chose que quand le
travail fut achevé , et ils n'eurent
(i5) Ibidem.
GOLIUS.
[09
garde de le dédire. Ils lui firent mê-
me un beau présent à lui en particu-
lier (16). Je ne renverrai point ail-
leurs ce que j'ai à dire touchant un
autre présent. Il était leur interprète
ordinaire pour les langues arabe, tur-
que , persane , etc. , et cela lui valait
une pension annuelle. Je crois que les
fonctions de cette charge n'interrom-
paient guère ses autres travaux ;
mais tontes les fois qu'on avait be-
soin de lui pour des affaires de cette
nature , il recevait mille honnêtetés,
et on lui fit même présent d'une
chaîne d'or avec une fort belle mé-
daille (17).
(I) Son tempérament était ro-
buste. ] Il en avait conservé la bonne
trempe par une perpétuelle fruga-
lité , et par la fuite des voluptés (18).
A 1 ;lge de soixante-dix ans il fit à
pied tout le chemin qui est entre la
Meuse et le Wahal , à un endroit où
il lui fallut marcher pendant quatorze
heures (19).
(K) // déplorait la manière dont
on se gouverne dans les disputes de
religion. ] Voici comment s'est ex-
primé l'auteur de son oraison funè-
bre : Religionem , perindè ut rempu-
blicam ,jacltonibus geri dolebat. <Spe-
ciem quandam externam sibi circum-
dedisse multis sujfficere , quant vita
et actiones confutarent. Inter dissen-
tientes , de mediis quoque rébus atque
indijferentibus , nullam turpem ra-
lionem vincendi . calumnias , arles
matas, pias fraudes figere. Nusquam
moderata consilia , zelum , qui fupor
sit , uoeari. Partim scripturam S .
traclare , potiùs ut ingenium indè
qu'uni salulis curant nulriant. Theo-
îogicen prœferre', ut nomen scientiœ
atque auctoritatis. Ergb missâ in dis-
crimen veritate , quannns satis excel-
le nter doclos esse constet, tant securè
de illâ transigere. Hos in theo'ogid
philosophari , ad disputandum modo,
atque ut magni et conspecti sint, theo-
logos (20). C'est une des cinq ou six
réflexions que Gronovius a choisies
(16) Gronovius, in Orat. funebri Colii, pag.
22 , 23.
(17J Idem y ibidem.
(iS) Idem, pat;. 28.
(19) Sepiuaginta nains annos conlinenti qua-
tuordreitn horaruin Vàhalim inter et Mosam
umbulaiione iler pedes confecit. Ibidem.
(20) Gronorius, ibid. , pag. 3o.
parmi plusieurs autres que l'on avait
OUÏ faire à Golius pendant sa dernière
maladie ( 21 ). Toutes les personnes
de bon sens conviendront que ce
chois est judicieux, car il n'y a point
de choses qui méritent d'être déplo-
rées , si les abus dont il est ici ques-
tion ne méritent pas de l'être : et
néanmoins on voit le monde si en-
durci à cela , et si peu touché de ce
désordre , qu'il faut conclure qu'il
n'appartient qu'aux personnes d'un
jugement très-exquis de penser sur
celte affaire comme faisait notre pro*
fesseur. L'église divisée en factions
et en cabales tout comme les répu-
bliques ; en factions , dis -je , qui
triomphent ou qui succombent tout
comme dans les républiques , non
pas à proportion que les causes sont
bonnes ou ne le sont pas , mais à pro-
portion que l'on peut mieux , ou que
l'on peut moins se servir de toutes
sortes de machines ( 22 ) ; une telle
église est sans doute un objet de com-
passion , un sujet de gémissement.
Une autre chose que Gronovius a re-
cueillie est de très-bon sens , ce me
semble. Golius, qui avait tant vécu,
tant vu , tant voyagé , n'avait trouvé
rien de plus rare qu'un chrétien di-
gne de ce nom. Le genre humain lui
avait paru partout plongé dans le
vice, partout masqué (23). Les voya-
geurs remarquent une diversité infi-
nie parmi les hommes : d'un jour à
l'autre ils se trouvent transportés
dans un pays tout nouveau; nouvelle
langue , nouvelle vêture , nouvelles
manières ; mais nonobstant cette in-
finité de variations, tous les peuples
se ressemblent et se réunissent en ce
point-ci , c'est qu'il y a partout peu
d'honnêtes gens , et que les plaisirs
défendus sont l'exercice ordinaire.
(L) // laissa deux fils dont je par-
lerai dans les remarques. ] Us étu-
dièrent tous deux en droit , et furent
reçus avocats. L'aîné s'appelait Tin 0-
dore : il entra dans le conseil de
Leyde , l'an 1(169. Il fut bourgmes-
tre de la même ville trois fois , et il
(21 ) Ibidem , pag. 28.
(22) Nullam turpem rationem vincendi : ca-
lumnias, arles matas, piaf fraudes vigere.
Gronov. , Oral fuueb. J. Colii , pag io.
(2?) Vana esse omnia , et fucala , lolumque
orbem inundaUtm et iinmersum iitio. Ibidem ,
pag. 29.
,,o G0L1US. GOMARUS.
y exerça une fois la charge de grand- tinuer ses éludes à Neustad , oii
bailli • ^st la première charge des ]es professeurs d'Heidelberç s'é-
villes de Hollande. Il fut aussi députe -1 . , TI _ &
au collège de l'amirauté d'Amster- taient retires (a). Il fit un voyage
dam. Il mourut Fan 1679 , dans la en Angleterre sur la fin de l'an
charge de bourgmestre. Son frère i582 , et ouït à Oxford les le-
Matthieu Golius , tres-honnete hom- _„_* j„ .1,' 1 • j t t> ■
\ < 1 1 -i 1 ™ j cons de tneo oeie de Jean Kai-
me et très - habile homme, doyen - .. , & .
des conseillers de la cour de Hollande, "Oldus, et a Cambridge, celles de
est mort à la Haye au mois de sep- Guillaume Witaker. Il y reçut le
tembre 1702^. Leur mère était d'une degré de bachelier au mois de
juin i584 H passa les deux an-
nées suivantes à Heidelberg (b) ,
où l'académie avait été rétablie
L'église flamande de Francfort
le demanda pour ministre , l'an
1587, e* jouit de son ministère
depuis ce temps -là jusques ce
qu'en l'année i5g3 elle fut toute
dissipée par la persécution. 11 fut
ï'an 1600 (b). Il composa en la- aPPelé à Leyde pour la profes-
tin un abrégé de morale tirée des slon en théologie, l'an 1594. Il
dix livres d'Aristote ad Nicoma- l'accepta; et avant que d'en aller
chum, et un Abrégé de politique prendre possession, il fut pren-
tirée du même Aristote. Il dédia dre à Heidelberg le doctorat. Il
le premier de ces deux ouvrages exerca tranquillement cette pro-
au baron de Tanberg, le premier fesslon jaques à ce qu'il eut pour
de septembre i5c,2. L'édition collègue Jacques Armunus , l'an
que j'ai de l'un et de l'autre est de 1 60 J, homme qui ne tarda pas
long-temps à répandre ses doc-
trines pélagiennes (A), et à se
rendre chef de parti dans l'aca-
démie. Gomarus s'éleva contre
lui avec un grand zèle , non-
seulement dans les auditoires de
Leyde, mais aussi en présence
des états de la province. Ils dis-
GOMARUS ( François ), pro- pUtèrent deux fois tête à tête
très-bonne famille et très-bien ap
parente'e (24) : elle ve'cut vingt-quatre
ans avec son mari daus une grande
concorde (25).
(24' Gronovius , Orat. fun. J. Golii , pag. i^
et seq.
(i5) Idem, pag. 26.
GOLIUS ( Théophile ) , profes-
seur en morale à Strasbourg où
il était né l'an i528 (a) , mourut
Strasbourg, tj-pis Josiœ Richelii
hœredum.) 1621 in-S°. Je n'ai
point vu sa Grammaire grecque.
M. Konig en fait mention (c).
(a) Konig. , Bihlioth. , pag. 352.
(b) Idem, ibidem.
(c) Idem , ibidem.
fesseur en théologie , naquit à
Bruges, le 3o de janvier i563.
Son père et sa mère , qui avaient
embrassé la religion réformée,
se retirèrent au Palatinat , l'an
1578, afin de la professer tran-
quillement, et le firent étudier
à Strasbourg, sous le célèbre Jean
dans l'assemblée des états de Hol-
lande, l'an i()o8, et cinq contre
cinq l'année suivante. Le succès
de ces disputes ne fut pas tel que
les églises le souhaitaient ( c ) ;
(a) L'électeur palatin les avait chasses , à
cause (/ii'ils n'étaient pas luthériens.
(b) L'électeur Louis, persécuteur d<-s ré-
SlurmiuS. 11 fut SOUS la dlSCipll- formes , étant mort l'an i583, le prince Ca
ne de 'Ce bon vieillard environ ')["'"'■ son frère eut l'administration de
, . / et, -clorai, et rétablit les réformes
I rois ans , après quoi il alla con- (c) Voyez la remarque (A) , citation (1).
GOMARUS. m
mais néanmoins il servit de quel- saurait le disculper de beaucoup
que chose , il fit connaître le pé- d'entêtement (D). Il est facile de
lagianisme d'Arminius. Ce pro- s'en convaincre à ceux qui savent
fesseur,qui était déjà malade, juger des choses. Meursius a
se servit de cette excuse pour trompé Moréri en quelques faits
discontinuer les conférences, et (E); mais les fautes que Moréri
mourut quelque temps après. Ses a commises de son chef sont pi-
adversaires employaient toute toyables (F). On les a marquées
leurindustrieafind'empêcherque presque toutes dans l'édition de
Vorstius ne lui succédât; et , n'y ce pays. J'oubliais de dire que
pouvant réussir, il arriva que Go- Scaliger n'estimait guère notre
marus , pour n'avoir pas un tel
collègue, quitta la partie et se re-
tira à Middelbourg, l'an 1G1 i. Il
y fut ministre, et y fit aussi des
leçons publiques. Cela dura jus-
ques à ce qu'eu l'an 1614 il fut
appelé par l'académie de Saumur
pour la chaire de théologie. Il
exerça cette charge pendant qua-
tre ans ; après quoi il se retira à
Groningue , pour y être premier
professeur en théologie, et en
hébreu. Il y trouva une assiette
fixe, où il se tint fermement
collé jusques à sa mort , c'est-à-
dire jusques au 1 1 de janvier
164 1. S'il s'absenta deux fois,
ce ne fut pas pour se donner du
relâche; ce fut pour aller être
l'un des juges de la cause d'Ar-
minius au synode de Dordrecht
(d), et pour revoir la traduction
du Vieux Testament (e). Il se
maria trois fois , et n'eut des
Gomarus (G).
(A) Arminius ne tarda pas long-
temps a répandre ses doctrines pé-
lagiennes. J J'avance cela en qualité
de traducteur de celui qui a compo-
sé la Vie de Gomarus (1) : mais du
reste je ne prétends pas garantir qu'il
ait raison; car je sais qu'Arminiu-
ne demeurait point d'accord que ses
sentimens fussent semblables à ceux
de Pelage, ni même à ceux des semi-
pélagiens. Voyez le traité de Gro.tius
qui a pour titre : Disquisitio an Pe-
lagiana sint ea dogmata quœ nunc
sub eo nomine traducuntur ? Il est
dans le troisième volume de ses œu-
vres théologiques. Voyez aussi l'une
de ses lettres (2). Quand donc vous
lisez dans la Vie de Gomarus , que
pour le moins on retira cette utilité
des conférences que l'on eut avec les
arminiens , qu'ils furent manifeste-
ment convaincus d'enseigner les dog-
mes de Pelage (3) , n'allez pas croire
qu'on les contraignit d'avouer cela ,
et que les juges de la conférence
prononcèrent qu'ils en avaient été
suffisamment convaincus. Les termes
de cet auteur ne doivent signifier
enfaus que de sa seconde femme autre chose si ce n'est que Gomarus
(B). C'était un fort habile hom- Prétendit avoir avancé de bonnes
preuves de 1 accusation qu'il intentait
à Arminius.
(Bj II n'eut des enj'ans que de su
(B).
me et principalement aux lan-
gues orientales. On imprima ses
oeuvres à Amsterdam , in-folio ,
l'an i645 (/) (C). S'd est vrai
qu'il ait fait à Barnevelt la ré-
ponse dont Grotius parle, on ne
(d) fan 1618.
(e) A Leyde , l'an i633.
(f) Tire de sa Vie , dans le recueil de cel-
les des professeurs de. Groningue,
(1) Dogmata Pflagiana clam, pal'am , eoce,
scripto spargere cœpit , ne familiam in l< a
muî ducere. Vila Gomari , inler Profes». Gio-
ningen.s. Vitas, png. -6.
(2) La XIXe. de la IIe. partie.
(3) Successu quide.m non eu uuem ecclesiic
optabant, ut profligattt erroribus ac schismdte
orlhodoxa veritas et concordia in arce colloea-
retnr : non tamen nullo , citm d< tiacta tarva
advertarn Pelagianismus pal.tm evicltis Jueril.
Vita Gomari , pag. "■
1,2 GOMARUS.
seconde femme.] Elle s'appelait Ma- dans lequel il déclara qu'il rendait
rie Leremite , et était demoiselle grâce à Dieu de ce que ces contrô-
lant du coté paternel que du mater- verses ne regardaient point les doc-
nel. Il l'épousa à Francfort (4). Il en trines fondamentales de la religion
eut un fils et deux filles : le fils mou- chrétienne. Sur quoi Gomarus , ayant
rut avant son père , et laissa des en
fans. La fille puînée se maria avec
David de la Haye , ministre d'une
église wallone. Cette remarque , et
plusieurs autres semblables que l'on
trouvera répandues dans ce Diction-
naire , sont faites en faveur de quan-
tité de bonnes dmes que l'on connaît
fort curieuses de nouvelles concer-
obtenu la permission de parler, pro-
testa qu'il ne voudrait point compa-
raître devant le trône de Dieu avec
les erreurs d'Arminius. C'est dans les
lettres de Grotius que l'on trouve
cette particularité (6). On la trouve
aussi dans la préface qui a été mise
au-devant des actes du synode de
Dordrecht. Je doute qu'il y ait au-
nant la famille des pasteurs et des jourd'hui des partisans de Gomarus
savans. S'il y a des lecteurs qui se assez passionnés pour soutenir qu'il
soucient peu de cela , comme sans ait eu raison de dire cela. La chaleur
doute il n'y en a que trop , on les
prie de se souvenir qu'un auteur
n'est pas obligé à ne rien dire que ce
qui est de leur goût. Dans ira ou-
vrage comme, celui-ci , il faut tra
de la dispute , et les influences mali-
gnes de l'émulation professorale , lui
faisaient outrer les choses , et lui
troublaient le jugement ; car aujour-
d'hui les calvinistes les plus rigides
vailler tantôt pour une sorte de gens, ne font point difficulé d'avouer que
tantôt pour une autre. Ceci soit dit les cinq articles des remontrans ne
une fois pour toutes. sont point des hérésies fondamenta-
(C) On imprima ses œuvres a Am- les \ et ils font assez entendre que le
sterdam, in folio, l'an i645.] Cela veut schisme serait facile à lever, si la
dire qu'on rassembla en un corps secte d'Arminius n'était point tom-
plusieurs traités qui avaient paru en
divers temps. Son Anti-Costérus fut
imprimé l'an i5tjç) et l'an 1600. Sa
Lyra Davidis fat publiée long-temps
avant sa mort : Louis Capel écrivit
contre cet ouvrage. IVon ita pridem
vir Cl. et Doctis. c'est Rivet qui dit
cela (5), Franciscus Gomarus edidit
Lyram Davidis , in qud putavit se ad
metra Horaliana et similia Davidis
psalmorum versus ita exegisse , ut
veram poè'seos Hebraïcœ ralionem
invenerit. Sed Ludovicus Capellus
animadversionum libello totum illud
D. Gomari opus obelo transjigere
conatus est , ut indè lector discat vix
inler doctos de eo posse convenire ,
neque labore parùm ulili se ultra J'a-
tiget. ^ .,..-..
(D) S'il est vrai qu'il ait fait a
Bamevelt la réponse dont Grotius
parle , on ne saurait le disculper de
beaucoup d'entêtement.} Barnevelt lit
un petit discours à ces deux antago-
nistes devant les états de Hollande ,
(4) II avait aussi épousé la première dans la
même ville. Il épousa la troisième a MiddeU
bourg : ainsi on n'a pas ilù due dans le I" .
tome des Anti , pag- 128, qu'il s'était marié a
' , de avant que d'aller a Middelbourg.
(5) Proltgom. io Psaluios.
bée dans de nouvelles erreurs mille
fois plus pernicieuses que celles
que commirent Gomarus et Armi-
nius. Ainsi ceux qui n'ont point eu
la tête échauttee par les démêlés per-
sonnels qui avaient aigri Gomarus ,
ne croient pas comme lui que l'on
soit damné éternellement lorsque l'on
croit les cinq articles des arminiens.
C'est donc à l'animosité personnelle
3u'il faut imputer l'opinion bourrue
e cet adversaire d'Arminius.
Afin qu'on ne me conteste point
les faits que j'avance , je m'en vais
produire une preuve qui , bien que
fondée seidement sur un témoin , a
toute la force d'une bonne démon-
stration ; puisque ce témoin n'est
autre que M. Jurieu, l'homme du
monde le plus intraitable par rap-
port aux arminiens. M. Arnauld
croyait avoir fait un livre tout-à-fait
(6) Cum D. Oldenbarneveldius , /irevi, quam
ad professores habebal, oralione inler alia grn-
tias se habere deu diceret, <juo<i de Christian te
religionis capitibus nulla esset disputatio; res-
pondit Gomarus, poslulalddiccnaiveniâ, ejus-
tnodi esse collegœ sui opiuiones in arliculis m-
ter ipsos controverses, ul ipse , ita senliens , nolit
coràm dco judice gonsistere. Grolius, epist.
Xi , part. I, pag. 3.
GOMARUS.
ri3
embarrassant contre les ministres*, anglais de quelques lettres publiées
lorsqu'il publia son Renversement de par les arminiens, Gomarus était un
la Morale. 11 fonda toutes ses preuves nomme très emporté. Voyez les let-
sur les dogmes du synode de Dor- très de ces messieurs, à la page 5_j8,
drecbt, et il supposa qu'une assem- 565, etc. Cela me rend plus bardi à
blée de cette importance n'eût point rejeter la téméraire et maligne con-
obligé à la profession de ces dogmes jecture de ceux qui voudraient pré-
sous peine d'excommunication , si tendre qu'il ne croyait pas que les
elle ne les avait jugés fondamentaux.
M. Jurieu lui répondit cent bonnes
cboses , et le rendit tout confus , en
lui soutenant que ce synode n'avait
jamais regardé comme des articles
doctrines d'Arminius conduisissent
à l'enfer, mais qu'il l'assura pour-
tant afin de justifier les oppositions
qu'il formait contre ces doctrines :
car il avait lien de craindre que les
nécessaires au salut les dogmes dont états de Hollande ne lui dissent tpie
il s'agissait dans les disputes des re
montrans (-). Il dit en particulier
touchant celui de la grâce inamissi-
ble , l'un des principaux chefs de la
dispute, que , depuis la décision du
synode, il est libre aux luthériens et
ce n'était pas la peine de tant crier
si les opinions d'Arminius n'empê-
chaient pas qu'on ne se sauvât. La
meilleure réponse qu'on pouvait fai-
re à cette objection était de dire
que l'on ne pouvait pas se remuer
à toute autre communion de défendre avec trop de force , ni implorer avec*
ce dogme ou de ne le revoir pas. Je dis
que cela est libre ; non pas qu'on ne
pèche toujours quand on rejette une
vérité sainte, importante, et claire-
ment établie par la parole de Dieu ,
comme est celle - là ; mais ce n'est
]>as un péché , selon nous , qui exclue
de la grâce et qui ruine la foi (S). Il
dit même que ceux qui vivent dans
la communion des contre-remontrans
ont la liberté de ne se soumettre point
à la décision du synode de Dordrecht ,
a cet égard , et d'avoir là-dessus des
trop d'ardeur l'autorité des tribu-
naux contre ces doctrines , puis-
qu'elles étaient capables de précipi-
ter dans les enfers tous ceux qui
s'en laisseraient infecter. Grotius re-
marque que Gomarus , dans une con-
versation qu'ils eurent sur les con-
troverses arminiennes , appela pro-
fanes et impies les opinions d'Ar-
minius , et s'emporta contre lui ,
mais sans presque rien dire sur. la
prédestination. Citm multa acriter
in jlrnunium diceret , impiasque et
sentimens particuliers , pourvu qu'ils profanas vocaret ipsius opiniones ,
ne s'amusent point à dogmatiser et à lamen de prœdeslinalione vix quic-
faire des disciples , et que si on ne quant locutus est. Sed primiun in
souffre pas dans la chaire des pas- lllam maxime senlentiam invectus
leurs qui enlreprenncntde combattre la est, quœ justificationis objecium aut
persévérance des vrais saints , et si materiam statuit fidem , justiliam
autem Christi causant meritoriamjus-
tificationis ejus quœ est ex fuie (io).
Il insistait principalement sur la ma-
tière de la justification ; et néan-
moins la plupart des membres des
états de la province avaient jugé
que sur ce point la dispute de Go-
marus et d'Arminius n'était presque
qu'une dispute de mots(ii). S'il y
avait de l'artifice à n'insister pas
beaucoup sur la matière de la pic-
destination , c'était aussi un artifice
que d'y insister, et ce second artifice
était celui d'Arminius. Il remarquait
(10) Orotius, epist. XI , pari. I, pag. 3.
( 1 1) Ylerique ex senatu judicaverant hoc non
mullo plus esse ,/uiitn M") OfAtt >;'stv ( verborum
pugnam ) . . . . illr contra rein magnam agi pu-
labal. Grotius , ibidem.
8
on les chasse de la communion , on
ne prétend pas pour cela les bannir
du corps de Jésus-Christ (9).
Au reste , s'il en faut croire l'auteur
* Voyez In note sur la remarque (D) de l'article
Beaulieo , III , 223 , et la note sur la remarque
(D) «le l'article rie G. Forbes , toui. VI, page
524.
("t ) J'ai dit Ips raisons pourquoi le synode
de Dordrecht a fait entrer cela dans ses déci-
sions : c'est .. en troisième lieu, pour apaiser
des differens en terminant une controverse sur
laquelle les esprits se partageaient. Mais je nie
encore une fois </ue le srnvtle ait eu dessein de
faire un article fondamental de notre foi par
celte nouvelle décision. Jurieu, Justification de
la Morale tics Réformés, IIe. par'.., tir. VI,
chap III , pag 216
(8, Juncu, Justification .le la morale des Ré-
formés, IIe. partie, liv. VI, chap. Il , pag.
207.
(g) Là même»
TOME VII.
»4
GOMARUS.
que le dogme de la réprobation ab- sance de Gomarus à Tan i562(i5),
solue pouvait être aisément tourne et l'a fait aller en Angleterre avant
d'un sens odieux, et qui soulève l'es- qu'en Allemagne. On connaît ces
prit , et que sa doctrine sur ce point deux fautes quand on lit la narration
était plus plausible et plus populai- que j'ai rapportée, qui est sans com-
re • c'est pourquoi il se faisait voir de paraison meilleure que celle que
ce côté-là (i a). C'est la coutume gé- M. Morëri a suivie, puisqu'elle est
ne'rale des plaideurs : ils montrent tirée d'un livre fait à Groningue, où
toujours leur cause par son bel en- Gomarus a professé vingt-deux ans ,
droit. Remarquez bien ce que Gro- d'un livre dis-je , composé après la
tius rapporte à la fin de cette lettre, mort de Gomarus , et sur des mé-
Uyttenhogard avait prévu , dés l'an moires beaucoup plus amples que
1608, le succès de ces disputes 5 c'est ceux qui avaient servi à Jean Meur-
que la doctrine de Calvin triomphe- sius.
rail en Hollande , comme elle triom- (F) Les fautes que Moréri a coin-
pha à Genève au temps de Castalion , mises de son chef sont pitoyables.} 11
homme * qu'on persécuta de telle a dit que le père de Gomarus le me-
sorte , et qu'on réduisit à un tel état, na en Angleterre. Meursius ne dit
qu'il fut obligé de gagner sa vie au point cela; et l'auteur des Vies des
métier de bûcheron. Cùm tantis prœ- professeurs de Groningue dit formel-
fUdiciis res àg'atur , et singulares lement le contraire. II dit que le père
doclorunt opiniones , in mentes dis- de Gomarus se retira au Palatinat ,
cipulorum sensbii irrepentes , atque et envoya son fils à Strasbourg.
auctu temporis , et altiiis inquirendi M. Moréri prétend qu'Arminius en-
negfigentid aespecie, tacito ecclesia- seignait une doctrine particulière à
rum consensu receptœ , libérant mag- Lcyde , lorsque Gomarus y fut appelé.
norum ingenioruiu sedulilatem au- C'est un grand anachronisme. Il y
loritate sud jugulent , neque minus avait dix ans que Gomarus professait
in ecclesiis , quam in aliis consessibus à Leyde , lorsqu'Arminius commença
t'incat major pars meliorem ; non d'y enseigner. Mais la plus étrange
alium se eventum rerum Arjninii bévue de notre auteur, et la plus
sperare, quam Castellionis fuerit , inexcusable dans un piètre français ,
qui pressus impotentid adversariorum qui se devait croire appelé à la con-
eo redactus sit ut uir non indoctus et version des huguenots , est d'avoir
pcrpetuœfamœ lignando sibi l'ictum cru que le dogme de la grâce irré-
quicreret'(i3). sistible et inamissible était une erreur
(E) Meursius a trompé Moréri en où Gomarus tomba , pour avoir été
quelques faits.] Il a mis (i/f) la nais- poussé un peu trop loin par sa pas-
sion. Quelle ignorance ! N'est-ce pas
(12) Ai Aiminius dicebat, non ita graves esse une doctrine qui a toujours dominé
conlroversias , sed maxime circaprœdeslinalio-
nem arntugi, quod ideb in conventu dixisse vi-
debalur aut credebalur quia in isto argumenlo,
popidaris ac pUiustbilis est novilas Idem , ibid.
* Dans la première édition de son Dictionnai-
re . en parlant ici de Castalion, Bayle avait dit :
Homme qu'on chas ta de Genève, et qui se vit
réduit à un tri étal , etc ; mais lorsqu'en i(>i|8
Bayle composa pour la seconde édition l'article nait(lo).
Castalion , il eut occasion de se convaincre que /Q\ ScaliseT II' ,
Caslaliou n'avait lias été chassé de la ville; et /-. -,'""1 •
en effet il ne parle' pas de cette orcons.ance dans GomatUS .] Lisez
dans la communion de Genève, de-
puis Calvin jusqu'à présent? Ce que
Gomarus pouvait avoir de moins
commun est de s'expliquer durement
selon l'hypothèse des supralapsaires.
Voyez les avis que Vossius lui don-
parte pa
son article (tome IV, pag. 5a6). Cependant dans
cette seconde édition il laissa encore (par iné-
garde) a l'article C.omarus , la phrase que je
viens de rapporter. Ces) Bayle lui-même qni
donne ces détails dans son Mémoire sur quelques
endroits qui le concernent . dans les nouvelle*
additions <!<■ (f. Teissier aux Eloges des hom-
me savan<; mémoire qui lait partit du tome
IV de ses OEuvres diverse* . in-fol. La version
qu'on lit aujourd'hui est celle de 1730.
(l3) ('.rotins , epitt, XI , pn,l. I , pag, 4<
(i4) Alhen. Balav., pa:;. l'fi.
estimait guère notre
ce passage du Sca-
ligérana. Qui demandera a Gomarus
et a Snellius si ce siècle portera de
(i5) M Baillet, loin. Ides Anli , pag. 127,
ayant en cela suivi Meursius, a dû dire par une
conséquence nécessaire , que Gomarus mourut
âgé de soixante-dix-neuf ans, puisqu'il mou-
rut Van ifi.ii. la vérité est qu'il s'en /allait de
quelques jours qu'il neùl soixante-dix-huit ans
Ir jour itc ta mort.
(16) Vossius, epist. CCCXCVI , pag. JCa,
edit. Londinensis , ifig3.
GOMBAULD. n5
élevé , moins fécond que ju-
dicieux , l'humeur ardente et
prompte ,fort portée à la colère,
quoiqu'il eut l'air grave et con-
certé ; qu'après avoir achevé à
Bordeaux toutes ses éludes en la
plus grands hommes que les précc-
dens; Us répondront sans doute qu'oui,
parce qu'ils pensent être les plus sa-
faris. Gomarus est de Bruges , voilà
pourquoi il est docte : il a une belle
librairie , il a force ramistes ; car il
est grand analytique qui est la mar-
que d'un ramiste. II. pense être le plus
savant théologien de tous. Il s'en- plupart des sciences, sous les
tend à la chronologie comme moi h plus CXCelletlS maîtres de son
faire de la fausse monnaie (17).
(«") P"S- "'• 95-
GOMBAULD (Jean-Ogifi. de),
l'un des bons poètes français du
XV
longe ,
près de Brouage (a). On a pu monarque (c). Il fut fort consi-
voir dans le Moréri , que non- aéré de Marie de Médicis , et il
temps, il vint à Paris , sur la fin
du règne du roi Henri-le-Grand,
ou il ne tarda guère à être connu
et estimé (b). Il ne fut ni des der-
VIIe. siècle, naquit en Xain- niers ni des moindres qui firent
nge , à Saint- Just de Lussac , des vers sur la mort * de ce grand
seulement il fut agrégé à l'aca
demie française dès le com-
mencement de l'institution de
cette compagnie , mais aussi
qu'il fut de la petite assemblée une pension de^ douze cents écus
de beaux esprits qui précéda
n'j- avait point d'homme de sa
condition qui eût Ventrée plus
libre chez elle, ni qui en fût vu
de meilleur œil Elle lui donna
« Et comme il était autant en—
» nemi des dépenses superflues ,
>» qu'exact à faire honnêtement
» les nécessaires, il fit un fonds as-
» sez considérablede l'épargne de
>r ces années d'abondance, ce qui
» lui vint bien à propos pour pas-
» ser celles de stérilité qui succé-
» dèrer.t, quand les guerres civi-
» les et étrangères eurent dimi—
» nué et enfin tari les sources
» d'où les premières avaient
» coulé. On le réduisit d'abord
(b) Préface des Traites et Lettres de
M. Gombauld sur la Religion. M. Colomiés,
dans sa Bibliothèque choisie, pag. l55 de
la seconde édition , observe que M. Conrart
grand 'bien fait , de bonne mine est. l'au\eur dt ceite Préf%e-
0 13 7- Leclerc observe que Ion ne trouve au-
et sentant son homme de qualité; cune pièce de Gombauld dans le Recueil de
que Sa piété était sincère , Sa diverses poésies sur le trépas de Henvi-h-
x , . , * , , Grand, 101 1, in-li°. , et que, dans le re-
probile a toute épreuve , ses cueil des poâieS Jc Gombauld, donné par
mœurs Sages et bien réglées; lui-même eu 1646', il n'y a aucune pièce sur ce
> •/ •. 7 • 7 / suiet : d'où Leclerc et Joly concluent que
au il avait le cœur aussi noble ], . , . r> .„, ..,,_ .1'
2 cette circonstance est laussc; au reste, uaus
que le corps , l'âme droite et
naturellement vertueuse , l'esprit
(a) Pellisson , Histoire de l'Académie fran-
çaise , pag, nr. 33g.
cette institution , et qui donna
lieu à la fondation de cette illus-
tre académie. On a pu voir dans
le même dictionnaire quelques
autres choses curieuses touchant
M. de Gombauld : je ne le répé-
terai point; je m'attacherai seu-
lement aux faits qu'on n'y trouve
pas. Je dirai donc qu'il était de
la religion (A) , et gentilhomme,
et cadet d'un quatrième maria-
ge , comme il avait accoutumé
de le dire lui-même, par raille-
rie, pour s'excuser de ce qu'il
n était pas riche ; qu'il était
le passage transcrit par Bayle . deux mots ont
ètè suppriine's ou oublies. Conrart a dit :
■ M GamhMÙl., quoique jeune, ne fut ui des
derniers, etc. >■.
(c) Là même.
n6 GOMB
» de douze cents écus, à huit
» cents , et ensuite de huit cents
» à quatre cents , où il est de-
» meure jusqu'à sa mort, sans
» être payé néanmoins, depuis
» la guerre de Paris , que par les
» offices de quelques personnes
» puissantes et généreuses (15),
» dont il avait l'honneur d'être
» connu et protégé, entre les-
» quelles M. le duc et madame
» la duchessede Montausier doi-
» vent tenir le premier rang.
>» Durant quelcjues années il fut
» aussi gratifié d'une pension sur
» le sceau , par M. Séguier ,
« chancelier de France. Il avait
» toujours vécu fort sain ; à
» quoi sa frugalité et son éco-
» noniie avaient extrêmement
» contribué. Mais un jour qu'il
» se promenait dans sa chambre,
» ce qui lui était fort ordinai-
» re , le pied lui ayant tourné,
u il tomba, et se blessa de telle
» sorte à une hanche qu'il fut
» obligé de garder presque tou-
» jours le lit depuis cet acci-
» dent jusques à la fin de sa vie,
» qui a duré près d'un siècle , si
» une date écrite de sa main,
» dans un des livres de son cabi-
» net , était le temps véritable
» de sa naissance , comme il l'a
» dit en confidence (Ç) à quel-
» qu'un qui n'en a parlé qu'a-
» près sa mort. » Il avait été
des plus assidus à se trouver aux
cercles de Marie de Médicis et
d'Anne d'Autriche , pendant les
régences de ces deux princesses.
Mais il se rendait encore avec
plus de soin et de plaisir à V hôtel
de l\ambouillel{d) (D,. 1 1 mourut
l'an i66i>. Je mettrai (K) dans une
(il Tirette ht préface des Traites et Lel-
Ires de GomLauld,
AULD.
seule remarque ce que j'ai à dire
sur ses écrits , et sur ce que les
connaisseurs en ont jugé.
(A) Il était de la religion.] C'est
ce que les continuateurs de More'ri
n'ont, point dit : ils l'ignoraient peut-
être ; mais peut-être aussi qu'ils n'en
eussent point parlé encore qu'ils
l'eussent su. Quoi qu'il en soit , cette
omission est vicieuse ; car à moins
que l'on ne voie dans un dic-
tionnaire historique imprimé en
France , et composé par des catholi-
ques romains , qu'un auteur ne pro-
fessait pas la religion dominante ,
l'on suppose ordinairement qu'il la
professait ; on le suppose , dis-je , si
Ton trouve d'ailleurs ( 1 ) qu'il est
dans des postes honorahles , comme
dans une académie de beaux esprits,
fondée par un cardinal premier mi-
nistre d'état : qu'il est chargé delà
commission d'examiner les statuts de
cette nouvelle compagnie ; et qu'il
donne des mémoires là-dessus. Afin
donc de ne porter pas les lecteurs à
se figurer que Gombauld était ca-
tholique romain , il fallait dire
nommément et expressément qu'il
ne l'était pas, et qu'il était huguenot,
sauf à joindre à cela des réflexions
sur le malheur qui l'accompagnait à
cet égard. Les livres que cet auteur
donna au public n étaient guère pro-
pres à faire connaître qu'il était bon
protestant; mais tout le monde a pu
connaître cela par quelques traités
posthumes qui furent imprimés en
Hollande, l'an 1678*. Ce sont des dis-
cours de religion , et c'étaient de tous
ses ouvrages ceux que Gombauld es-
tiniaii le plus. Il les avait composés
par un pur motif de charité , dans le
dessein de faire connaîre la vérité h
ceux qui étaient dans l'erreur, et d'af-
fermir dans la bonne créance ceux
qui y 1 taie ni nés , ou qui l'avaient
embrassée. Il se plaignait ordinaire-
ment de deux choses, l'une que la
plupart de ceux qui écrivaient sur
ces matières faisaient de trop gros li-
vres , ou ils entassaient preuves sur
preuves , et autorités sur autorités,
(1) On trouve cria dans le Moréri.
* Lrclerc remarque qu'ils forent imprimé.'
d<:- 1669, par le» «oins de l'onrarl; el il ajoute
que ré'liiion citée par Bayle est une srcondc# ou
la première, rajeunie par un frontispice.
GOMBAULD.
117
sans se soucier beaucoup , ni de l'or-
dre , ni de la clarté; et l'autre qu'ils
se persuadaient que la doctrine et l'é-
léganee étaient incompatibles. Pour
faire voir qu'ils se trompaient en
libérales pendant leur vie , si elles \c
pouvaient être sans s'incommoder;
c'est qu'elles jugent que ta jouissance
de tous leurs efiets leur est nécessaire.
On serait zélé peut-être au delà des
cela , il composa ses Considérations justes bornes, si l'on condamnait cette
sur la religion chrétienne , lors- conduite de Gombauld. 11 ne subsis-
qu' il était encore dans la vigueur de lait que par le moyen d'une pension
l'âge., et il fit voir véritablement, de la cour de France; et il n'en était
qu'on peut être tout ensemble vigou- payé qu'en opposant à mille diflicul-
reu.r et clair ; concis et plein ; solide
et élégant. Ayant communiqué cette
pièce a plusieurs de ses amis , et mê-
me à quelques-uns de la communion
te's le crédit d'un grand seigneur.
Ce crédit eût e'te' trop faible , s'il eût
eu à surmonter les objections prises
de ce que Gombauld aurait publie'
romaine, elle fut estimée de tous, dos ouvrages de controverse ; et ainsi
et cela lui donna courage de faire
ensuite le Traité de V Eucharistie , et
un autre qu'il adresse à un de ses amis,
sous le nom d'uirislandre. Pour les
lettres , il les a faites en un dge beau-
coup j>his avancé, excepté celle a
un proposant, qui est presque de
même date que les Considérations sur
la religion chrétienne Sa plus
grande passion était de publier ces
écrits , parce qu'il était persuadé
qu' ils seraient utiles ; et peut-être n'a-
l-o n guère vu d'homme séculier avoir
autant de zèle pour la gloire de Dieu,
et autant d'amour pour le prochain ,
qu'il en avait. Mais quand on aura
remarqué dans ses ouvrages la fer-
veur de ce zèle , et quand on saura
tl ailleurs , que sa subsistance dépen-
dait presque indispensablement de la
cour , on ne trouvera plus étrange
qu il ne les ait pas fait paraître du-
rant sa vie. Pour empêcher que le
public 11 en fit prive après sa mort ,
s'ils fussent tombés entre les mains
de quelques personnes d'autre reli-
gion que de la sienne , il les mit , sur
ses dernières années, en celles d'un
de ses anciens amis , dont il avait
éprouvé la fidélité et V affection , et
lui fit promettre de ne s'en point des-
saisir, et de les mettre au jour dès
que la commodité s'en présenterait
(2). On peut aisément connaître par
la lecturedeces traités-là, que Gom-
bauld était aussi éloigné de la com-
munion romaine qu'un ministre ;
mais d'ailleurs il doit être comparé à
ces personnes qui ne font du bien à
leurs héritiers qu'après leur mort.
Ce n'est pas qu'elles manquent d'af-
fection, et qu'elles ne voulussent être
^ (2) Préface des Traites et Lettres de M, de
Gombauld. •
la publication de celte espèce d'é-
crits eût ùlé le pain des mains à son
auteur. Ne serait-on dune pas trop
rigide si l'on condamnait son ména-
gement, et si l'on trouvait étrange
qu il eut renvoyé au temps qu il ne
serait plus le profit de ses lecteurs?
Combien y a-t-il de gens qui se fus-
sent moqués de lui , s'il eût perdu sa
pension pour avoir mis en lumière
ses traités de controverse? ils eussent
dit qu'il outrait la charité; et qu'ayant
plus de besoin de sa pension que
ses frères n'avaient besoin de ses li-
vres , il avait dû prendre ses mesu-
res sur cette règle , et remédier au
plus pressé, tempérer son zèle par
la prudence , et se contenter d'être
auteur posthume. La naïveté du
poè'te Gomès était fort sensée dans
cette épigramme.
Plaise au roi me donner cent livres ,
Pour acheter livres et vivres :
Dr livres je m'en passerais ,
Mats de vivres je ne saurais (3),
(B) On le réduisit.. . de huit cents
a quatre cents sans être payé
que par les offices de quelques per-
sonnes généreuses. \ Il y avait là
deux choses lâcheuses ; car cette des-
cente successive de la pension est fort
capable d'incommoder les affaires
d'un bel esprit , et de le bien cha-
griner ; mais outre cela il fallait faire
bien des visites, et se rendre impor-
tun aux autres , en se fatiguant soi-
même , pour pouvoir toucher la por-
tion à quoi l'on était réduit. Combien
de fois fallait-il avoir recours à l'in-
tercession des muses, et leur extor-
quer des vers , soit pour fléchir les
intendans des finances , soit pour
(3) Voyez Guéret , pag. m, 171 de la Guerre
des auteurs.
u8 GOMBAULD
mendier de fortes recommandations,
soit pour remercier de ce qu'enfin
on avait été' exauce , et que la des-
cription pathétique de ses grandes
nécessités avait attendri les coeurs !
Lisez les œuvres des plus grands
poètes , vous y trouverez beaucoup
de vers de cette nature. Mais quelque
fâcheux que pût être le destin de
M. Gombauld, il était incomparable-
ment moins déplorable que celui de
beaucoup d'autres beaux esprits, qui
étaient toujours renvoyés à vide. Ja-
mais homme n'avait été plus libéral
envers eux que le cardinal de Riche-
lieu : son ministère fut un siècle d'or
pour les muses de la France. Mais sa
mort fut une terrible grêle sur leur
moi ;son , non pas tant par la diver-
sité de génie de ceux qui lui succédè-
rent , qu'à cause des confusions où le
royaume tomba. Les pensions furent
supprimées ou diminuées , ou en
tout cas mal payées , et cela fit mur-
murer et soupirer bien des gens. Je
ne citerai que les complaintes de
M. de Scudéri. Elles furent étalées
dans les vers qu'il composa sur l'E-
néide burlesque de Scarron :
Quand tu souffres qu'on le voye ,
Tu ressuscites majore;
'Tu rétablis ma raison:
De l'humeur qui m assassine ,
Ton livre est la médecine
Et le seul contre-poison.
Je te jure par Hercule ,
( Serment de l'antiquité)
Que ton héros ridicule
IWa presque ressuscité.
Aussi pour ses assistances ,
Tappends comme des potences,
El mes chagrins et mes soins :
Et tout ce qu'un misérable ,
De l'épargne inexorable ,
Endure et souffre le moins.
Tappends (dis-je) dans le temple
De VIRGILE TRAVESTI
Mille chagrins sans exemple,
Dont je me trouve investi:
Ouy , par ce grotesque Enée ,
J'incague la Destinée
Qui me met à l'abandon :
El f offre mon ordonnance ,
Et mes brevets sans finance ,
A la burlesque Didon (Vj).
Concluons que notre Gombauld ne
fut pas des moins bien traités : il ne
perdit que les deux tiers de sa pen-
sion ; et à force d'implorer * les as-
(41 Scudéri , ode à Scarron, au-devant du
I ii ;ile travesti,
* D'une épiçr.immc qui se trouve à la paye
' - > du recueil .le Gombauld Leclerc conclut
1 rt loin d'avoir L'humeur solliciteuse.
ï
sistances de ses protecteurs , il fut
payé du tiers pendant une longue
suite d'années. Il mourut pension-
naire jubilé , et plus que jubilé (5) ;
car les gratifications qu'on lui fit an-
nuellement durèrent plus d'un demi-
siècle *. Circonstance bien insigne ;
puisqu'autant la cour de France ac-
corde facilement des pensions , et
est ponctuelle à les payer pendant les
j>remières années, autant est -elle
prompte à s'en décharger , et à con-
vertir en d'autres usages plus pres-
sans, les fonds sur quoi on les avait
assignées. Il se présente incessam-
ment de nouveaux venus , et l'on est
bien aise de les contenter sans une
nouvelle dépense , c'est-à-dire en
leur appliquant ce qui a déjà servi
pour d'autres, que l'on suppose avoir
oui du bénéfice assez long-temps.
es vieux pensionnaires sont les plus
odieux , et ceux qui sont obligés de
postuler avec la plus grande et la
plus humble patience , et qui sont
rebutés avec le moins de scrupule.
(C) Sa vie a duré près d'un
siècle comme il l'avait dit en con-
fidence.] Qu'est-ce que ceci? Un
homme de bonnes mœurs , et zélé
pour sa religion ■ un tel homme ,
dis je, qui fait mystère de l'année de
sa naissance, et qui , ayant pu se ré-
soudre à révéler ce grand cecret à un
bon ami , lui recommande si forte-
ment la discrétion , que cet ami se
croit obligé à ne rien dire qu'après la
mort du confident! A peine pardon-
nèrait-on cela à une fille ou à une
veuve , quoique d'ailleurs on ait l'in-
dulgence de ne pas trouver mau-
vais qu'elles soient bien aises que la
véritable date de leur naissance soit
inconnue (6). Mais nous pouvons voir
ici, comme en cent autres occasions,
que ce qui semble n'être «pie bizarre-
rie , que faiblesse extravagante , que
puérilité de vieille, ne laisse pas d'a-
voir pour son fondement une raison
(■/>) Voyez tu remarque (O) de l'article Ben-
sebade (loin. 111).
" Bayle raisonne dans la supposition que Gom-
Daniel avait olnenu une pension , îles i(iio , pour
une pièce sur la mort de Henri IV. . e <pi>' .lit
Gombauld sur sa pauvreté autorise à penser
qu'il ne fut pas renié comme on pourrait le
croire d'épris le texte de Bayle.
((il Voyez les Nouvelles Lettres contre Maim-
bnurs , pag. 762 , 763 , oit l'on cite un passage
fort joli des Lettres du chevalier d'Her**.
GOMBAULD.
spécieuse , et d'un certain genre de
solidité. Gombauld n'était point un
rimailleur , ou un versificateur , c'é-
tait un poète excellent , et qui s'était
fait estimer dans le grand inonde (7).
11 avait été fort assidu aux ruelles et
aux cercles , et par conséquent il
avait acquis l'habitude des conversa-
tions galantes. S'il se trouvait avec
des femmes , il se souvenait du style
de sa jeunesse , il les louait, il les en-
censait. Le rôle de bel esprit et de
galant homme était encore son par-
tage. Mais pour le soutenir avec plus
de bienséance , il avait besoin que
l'on ignorât. s,i vieillesse. 11 lit impri-
mer un gros recueil d'épigrammes,
l'an 1657. N'avait-il pas à craindre
que, si l'on venait à savoir qu'il était
;îgé de quatre-vingt-dix ans * , l'on
ne trouvât, fort étrange qu'il deman-
dât un privilège pour un tel li\ re ,
et qu'il fît ses présens d'auteur? N'a-
vait-il pas à craindre que M. Daillé
et les autres ministres de Paris ne le
censurassent de vaquer encore à de
semblables productions dans un âge
si avancé ? En tout cas il n'est pas le
tf)
n'approchait de ce temple de l'hon-
neur , ou la vertu était référée sous
le nom de V incomparable Arténiec ,
qui ne fut digne de son approbation
et de son estime.
(E) Je mettrai dans une seule re-
marque ce que j'ai a dire sur ses
<;crits et sur ce nue les connaisseurs
en ont jugé. J L'Histoire de l'Acadé-
mie française (10) nous apprend ([n'en
i65a Gombauld n'avait point encore
publié ni la tragédie des Danaïdes,
ni la tragi-comédie de Cydippe , ni
(mis livres d'épigrammes, ni plu-
sieurs autres poésies et lettres et
discours de prose ; mais que son En-
dymion *, et sa pastorale d'Amarante,
et un volume de poésies , et un vo-
lume de lettres étaient imprimés.
M. l'abbé de Marolles , dans un livre
qu'il publia en 1 6.^7 , observe que
31. Gombaùlt venait de donner un
excellent recueil d'épigrammes (il),
et (12) que son Acoiue (i3) cl ses
immortelles Danaïdes , oh se lisent de
si beaux vers , n'étaient pas encore
imprimés. La préface des Traités
posthumes nous apprend que la tra-
seul qui ait eu cette faiblesse , nous la ge'c|ie des Danaïdes a été imprimée ,
verrons ci-dessous (8) dans un gram- cL (I(le l'auteur a laissé non-seulemen t
mairien hérissé de grec, et qui aurait
du s'en affranchir beaucoup mieux
qu'un poète de cour.
(D) // se rendait avec soin a l'hô-
tel de Rambouillet. ] L'auteur de la
préface le nomme le délicieux réduit
de toutes les personnes de qualité et
<le mérite qui fussent alors (9). C'é-
tait , ajoute-t-il , comme une cour
abrégée et choisie ; moins nombreuse,
mais , si je l'ose dire , plus exquise
que celle du Louvre , parce que rien
(7) Voyez la citation (17) et 1er remarques de
M Ménage, sur les h'oésies de Malherbe, en di-
vers endroits oh Gombauld est loue' et cite.
" Pour que Gombauld eût quatre-vingt-dix
ans, en 1637, comme le dit Baj e, il faudrait
qu'il en eût eu quarante-trois en 1C10. Leclerc
et Joly demandent si Conrart eût pu alors em-
ployer les mots quoique jeune. Voyez, pag. n5,
ma note sur le texte. Leclerc et Jo!y pensent
avec raison qu'en 1610 Gombauld devait avoir
environ vingt ans. Il en avait donc environ
soixante-dix, et non quatre-vingt-dix, lors de la
publication de son Recueil intitulé ■ Les Épi-
grammes de Gombauld, divisées en trois livres,
in-12 de cent quatre-vingts pages. Voyez ci-après
ma note sur la remarque (E).
(8) Voyez la remarque (B) de l'article Gdvet
(François).
(ç)l Préface des Traités et Lettres de M. de
Gombauld. *
['
une tragi-comédie de Cydippe , mais
aussi de quoi faire un nouveau recueil
de vers , particulièrement de sonnets
et d'épigrammes , qui, pour être en-
tre les mains de personnes peu intel-
ligentes en ces soi'les de choses-la ,
n'ont pu encore être mis en lumiè-
res. Notez que l'Endymion est en
prose: il fut imprimé en 162J, et
réimprime en 1626. C'est une espèce
de roman.
Les sentimens sont partagés sur le
mérite de ses poésies. Quelques au-
teurs prétendent que son fort était le
sonnet; que c'était pour ainsi dire
son lot , et la portion du Parnasse
qui lui était échue. Suivons toujours
notre naturel , c'est ainsi que parle
(10) Pag. 33ç) , e'dil. de Paris , 1(172 , in-ia.
* VEndymion ne fut imprimé qu'en i6ï4î
mais il courait en manuscrit dès 1619 , comme
on le voit dans la Satyre du temps , imprimée cette
année , à la suite de l'Espadon satjrique de Dcs-
ternod.
fil) Marolles , Suite .les Mémoires , pag.
246.
(13) Là même] j"'g. it\i.
(i3) C'en la même pièce que M. Pellisson
nomme Cidippe.
I20 GONET.
M. Guéret (\/i) , ne sortons jamais du Voyons le jugement d'un autre criti-
senre qui nous est propre , et n'en- que ; je le rapporte dans les mêmes
vions point aux autres la gloire que termes que M. Baillet a employés (18).
nous ne saurions acquérir comme « M. Rosteau dit (*) qu'il y a peu
eux. Laissons l'élégie a Desportes,
les stances a Théophile , le sonnet a
Gombauld, V épigramme a Mainard.
D'autres étendent plus loin la domi-
nation de Gombauld ; ils veulent que
non-seulement il ait re'gne' sur le son-
net , mais qu'il ait aussi conquis sur
Mainard l'empire de l'épigramme.
«. De l'île Sonnante , ou terre des
j) Sonnets , Gombauld le grand ca-
v suiste et législateur Au pays en fit
» venir de bien propres et de bien
» lestes. Il tira aussi des montagnes
» épigrammatiques trois compagnies
« de chevfiu-légers de petite taille*',
» mais qui combattaient avec une mer-
» veilleuse vivacité , et qui avaient
33 des traits fort dangereux qu'ils lan
d'exemples de poètes qui aient
» fini leurs travaux par des épi-
» grammes , qui pour l'ordinaire sont
» forme'es de pointes d'esprit , et
» d'un feu qui convient mieux à un
» jeune homme qu'à des poètes usés
)) et avancés en âge. Mais il ajoute
» qu'on peut excuser M. de Gom-
» bauld de s'être appliqué à ce genre
» d'écrire clans la dernière partie de
» sa vie , sur ce que la plupart de ses
)> épigrammes sont plutôt des cen-
» sures des vies et des mœurs cor-
■» rompues de son temps , que de ces
» galanteries qui se font ordinaire-
» ment pour les dames. » M. Rosteau
suppose , ce qui n'est guère certain ,
que les épigrammes de Gombauld
» caient avec une adresse non-pa- furent le dernier travail à quoi l'au-
» reille. 11 s'en était servi à démem- teur s'occupa. C'est un fait douteux ,
v brer la principauté qu'y avait pour ne rien dire de pis 5 car , encore
» auparavant usurpée le président qu'elles soient le dernier livre de
3j Mainard (1 5). » L'abbé de Marolles poésie que Gombauld ait publié (19),
se contente de mettre M. Mainard , il ne s'ensuit pas qu'il ne les eût
M. de Baulru et M. Gombauld, composées dans sa jeunesse (20).
(18) Baillet , Jugemens sur les poètes, tom. V,
pag. 2S , 26.
(*, Rosteau, Senlim. sur quelques livres qu'il
a lus, pag. 74-
(19) Je parle ainù , ne tachant pas bien en
entre les poètes français a qui nos
voisins ne sauraient contester les avan-
tages de la primauté à l'égard de l'e-
pigramme , et qui tien doivent guère
aux anciens (16). M. Despréaux ne
fait aucun cas des sonnets de notre quelle année les ^i\e, furent publiées
j«i^ 1» ^20^ jg veux rfu.e qU ti commença btei
poète. en faire, et qu'il y en joignit d'autres toits les
Un sonnet sans défaut vaut seul un long ans , selon l'occasion.
poème.
Mais en vain mille auteurs j pensent arriver, flONFT ( Tf AX-BaPTISTF 1 re-
Et cet heureux phénix est encore a trouver. Wi1Cil *.J. . -DAFllSl t. ; , I e
A peine dans Gombauld, Mainard , et IjorieUX dominicain , natif de Be-
Malleville, P ,L , j . i i,
En peut-on admirer** deux outrais entre mille. ZierS , a ete dOCleUF de 1 UlllVer-
J.e reste , aussi peu lu que ceux de Pelletier , ^ j Bordeaux , fit V a régenté
N'a fait de ch"i Sercy qu un saut chez le- i 1 ' 1 ■ ti
picier (17). publiquement la théologie. 11 y
04) Guéret, Guerre des auteurs, P.i38, t39. fit approuver * les fameuses let-
*' La plupart des épigramems de Gombauld tj.es provmcialeS de Montalte
n'ont que quatre ou six vers. J • 1 • • îv T
(i5) Furetière, Nouvelle allégorique, pag . (a) , Ce f[Ul llil attira 1 indigna—
56(V6>z^L^M«rolie»fslurj«kêmoire5, lion et l'aversion des jésuites. Il
pag. 246. ,. a publié plusieurs ouvrages (A),
** La première édition de l Art poétique porte: II A 11
Enpeui-on supporter, etc. ou il lait paraître que la scolas-
II est probable que c'est ce texte que Bayle tiqUC était S011 fort, et Clll'il ll'avait
avait présent à la mémoire , quand il a cent la 1 ^ ^ jK^, J„„„
plirasc qui précède sa citation, Jusqu'à ce jour
aucune des réimpressions de Boileau ne donne
celte variante, dont je dois l'indication à M. lier-
,,. il Sa'n t-Prix.
(il) Ucsprcaux, Art poétique, chant // , vs.
.,', Il dit dans le chant lf\ VS. 48, que Gom-
bauld , tant loue', garde rncor la boutique.
pas une grande érudition dans
" Ce fait, {lit Leclerc, n'a pour toute
preuve qu'un témoin inconnu à Baylo lui-
même.
(a) C'est-à-dire, de M. Paschal,
GONTAUT. 121
ce qu'on appelle théologie posi- chai de France, l'an 1577. Il
tive. Il se retira à Béziers sur la était grand-maître de l'artillerie
fin de ses jours , et y mourut le depuis le 5 de novembre i56<),
de janvier 1681 (b). M. de
Rocolles , qui l'avait loué dans
quelques-uns de ses ouvrages (c),
publia au-devant d'une nouvelle
édition la lettre de remercîment
qu'il avait reçue de ce religieux ,
où on l'assurait de lui rendre la
pareille dès que l'occasion s'en
présenterait.
(b) Tiré d'un Mémoire reçu de Paris.
(c) Je crois que c'était /'Introduction à
1 Histoire.
(A) // a publié plusieurs ouvra-
ges.] Sa théologie, intitulée Clypeus
JJoclrinœ Thomisticœ , fut imprimée
premièrement à Bordeaux , en seize
volumes in- 12, l'an 1666 • et puisa
Paris , en cinq volumes in-folio , l'an
1669. Cette dernière édition fut aug-
mentée de plusieurs préfaces et de
plusieurs dissertations , et est beau.,
coup plus correcte que la première.
Les Espagnols la trouvent trop courte,
et ils Tappellent un fort joli compen-
dium de théologie. Il fit imprimer à
Bordeaux, en 1664, l,n petit livre in-
titulé Dissertatio théologien de Pro-
hahilitate{\). Son dernier ouvrage est
l\I annale Thomistarum , imprimé à
Béziers, l'an 1680, en six volumes
in-\ï. Il a laissé un cours de philo-
sophie à imprimer; mais on le trouve
trop diffus , et peu conforme au gé-
nie de notre siècle (2).
(1) Le Journal des Savans, du 3o mars i665 ,
en donna un fort bon extrait.
(2) Tire' d'un Mémoire reçu de Paris.
et avant cela il avait passé par
toutes les charges de la guerre
(a). Parmi tant de belles actions
qui le rendirent illustre , il n'y
en a point qui mérite plus de
louanges que la fidélité qu'il
garda au roi Henri III , dont il
n'était point aimé (A) , et à Hen-
ri IV, qui était ouvertement sé-
paré de la communion romaine.
Il n'y eut personne qui contri-
buât autant que lui , après la
mort de Henri III , à con-
server la couronne à Henri IV
(B). Aussi fut-il extrêmement
regretté de ce dernier prince,
lorsqu'il fut tué au siège d'une
ville de Champagne (b) , avant
que la ligue eût été domptée.
Quand il n'aurait fait qu'empê-
cher que Henri IV ne se confor-
mât à l'avis de ceux qui lui con-
seillaient de chercher par mer
un lieu de sûreté (C) , il mérite-
rait de grandes louanges. Il n'a-
vait guère de religion , et pour
le peu qu'il en avait, il était
plutôt protestant , que catholi-
que (D). Il était si suspect aux
inquisiteurs , qu'il fut mis par-
mi les proscrits au massacre de
la Saint-Barthélenii (E) : mais
comme il logeait à la Bastille en
GONTAUT ( Armand de), ba- qualité de grand-maître de l'ar-
ron de Biron (*) , fut fait mare- tillerie , il sut bien rendre inu-
tiles les mauvais desseins des
(*) M. Bayle aurait pu ajouter que Biron le massacreurs. La raison pourquoi
père suivit le duc d'Anjou dans les Pays-Bas ,
qu'il était à Anvers lorsque ce prince tenta '
de subjuguer la ville, et que d'abord on l'y
soupçonna d'avoir e'té l'un des principaux au-
teurs du complot : mais que, dans la suile,
après la retraile du duc d' Vnjou , une lettre
de Biron au duc , où il dissuadait et même
détestait l'entreprise, ayant e'te' trouvée dans
les babils de ce duc , fit succéder à la haine
des bourgeois 'd'Anvers pour Biron, toute
leur estime et toute leur bienveillance.
C'est ce que dit Busbeck , dans la XIXe.
lettre de son ambassade de France. Rem.
CRIT.
(a) Voyez-en le détail dans Brantôme,
Mémoires . tom. III , paff. 32Ô et suiv. Le
père Anselme, copié par le sieur Moréri ,
ad fait qu'abréger Brantôme.
(b, A Épernay, lu 26 de juillet i5g3.
v%% GONTAUT.
on le soupçonna de favoriser les pendant plusieurs mois , et ne trou-
huguenotslui est infiniment glo- vajt Point d'autre expédient de se
'. o _, T . , j° retirer avec honneur que celui d un
rieuse (F). Jamais homme de sa traite' cle paii car la continuation
qualité ne fut plus universel (G), du sieste était hasardeuse, et s'oppo-
II était propre non-seulement à sait à l'envie que la reine-mère avait
tous les emplois de la guerre, de revoir le duc d'Anjou et au des-
. 1, , , °. ' sein qu il avait lui-même d aller pren-
mais aussi tres-bon négociateur, are possession du royaume de Polo-
II aimait les livres et la conver- gne. De sorte que sa mère et lui
sation des savans , et il écrivait étaient bien aises qu'on portât les as-
sur ses tablettes tout ce qui lui f& s ,à UQ accommodement. Biron
,. . * fit tout ce nu il put pour divertir le
paraissait digne de remarque. roy et la reynea n'entendre a aucune
Il était trop emporté; et il aimait composition, et que sur sa vie on lui
un peu trop le vin (H). Il avait laissast faire, qu'il aurait la ville la
i iV i'l- i i corde au col dans un mois , ou pour
un autre deraut bien pus grand > ; „ u • r
1. \ o le plus tard dans cinq sepmaines, sans
que ces deux-là , et qui très-sou- rien perdre ni hazarder sinon a faire
vent fait beaucoup de tort aux de bons blocus. Cet avis et ces lettres
princes, c'est qu'il négligeait les n'apportèrent nul coup pour cette
1 ■ ' 3 p i> fois IM. de Biron quanti il vit
occasions de frapper sur 1 enne- •> ,a ne peut venir aude'ssus du roy,
mi un coup décisif (I). Il crai- de la rerne, et du roy de Pologne
gnait que cela ne fit cesser les sur ce fait , s'avise de brouiller d' ail-
désordres de la guerre, et qu'a- £«"• ^ escrire a M. le cardinal
-. , y> ai de Lorraine et aucuns principaux
lors la cour ne le renvoyât chez du conseii, qu>as empeschassent ce
lui sans aucun emploi. On dit levement de siège et cette paix, et
qu'après s'être bien moqué des <7"'°" lllï laissast faire seulement,
P..ÔJ."^#:„„<- J„ ■ *• * qu'un temporisement de six sepmai-
rediclious de ceux qui tirent " 7 *.. , ,, , , R„
, i-i nes rendroit au roy la ville de la no-
ies horoscopes, de quoi la cour dielle plus sujette a luy , quelle ne
de France était alors infatuée , fut jamais , comme certes il estoit
il devint tout-à-fait crédule par »ray> M- le cardinal, qui estoit un
_„ . i .. j l vray brouillon d'affaires, se met a
rapport au genre de mort dont J -J ,• -,•" ' «
il b "" " *" faire menées la-dessus , et a gagner
ces gens-la le menacèrent (K). Ceux du conseil, pour divertir le roy
Les fatigues , les blessures , les et la reyne de cette capitulation et
années n'empêchaient pas qu'il ne Paix> 1ui importunèrent tant leurs
C«. , • • ' fit maiestez, et principalement la reyne,
tut tres-vigoureux ; et 1 on con- JMe n'e Jeut t^uver remedeJpour
te une chose considérable de la s'en depestrer, sinon d'escrire et man-
bontéde son estomac (L) Il laissa der par l'abbé de Gadagne, en qui
plusieurs enfans. Je vais parler elle se fwit du tout au roy de Po-
Ji i, a r l logne son bon fus , les belles menées
ae 1 aine. et manigances' que n-aitoit M. de Bi-
ron contre luy , et qu il parlast bien
(A) Henri fil dont il n'était point à lui , comme il faloit , et des grosses
aime. ] Il avait encouru son indigna- dents , comme l'on dit , et de mesme
tion fi), pour s'être opposé à la |>aiv en escrivist audit cardinal et autres
qui fut faite devant la Rochelle l'an messieurs les beaux conseillers de ce
1 5^3. Henri III , qui n'était alors que fait, des lettres bien hautaines et
duc d'Anjou, avait assiégé cette place menaçantes ; ce qu'il sceut très -bien.
faire , car de sa propre main il en fit
(i) Notez que Brantôme avait déjà dit, que
ce prince s'emporta furieusement contre Biron ,
cl le menaça de la dague h la troisième guerre
civile , et avant la bataille de MoncoiUour.
Voyez ci-dessous , remarque (t)).
les lettres , comme je scay , et si bra-
ves et si rigoureuses , qu'ils jurent
tous eslonnez et demeurèrent court ,
si bien qu'ils n'osèrent plus en son-
GONTAUT. 123
ner un seul petit mot. Quant à M. de dit qu'il aurait embrasse la ligue , si
Biron , estant, sans y penser, un les trente mille écus qui lui furent
matin allé trouver le roy , et flans sa presentezlui eussent été mis en main,
garde-robe , ou le conseil tenoit celle il est probable qu'il rejeta toutes ces
fois , esloit fort étroit et garny de peu propositions (7). Tant y a, que le
de gens ; le roy de Pologne le vous roy après ne trouva point en cette
entreprend d'une façon qui ne tomba guerre meilleur ne plus loyal servi-
pas hterre , comme on dit, car d'à- teur M. de Guise mort, il alla
bordade il luy donna ce mot : Venez trouver son roy bien h propos , et du-
ca, petit gaillard, j'ay sceu de vos quel il avait très-grand besoin, qui
nouvelles; vous vous meslez défaire récent aussi une grande joye , secou-
des menées contre moy et d'escrire a rut son maistre en très-grande ne.ces-
la cour; je ne scay qui me lient que site , car quasi toute la France esloit
je ne vous donne "de l'espée dans le bandée contre luy , a cause de ce mas-
corps et vous estende mort par terre; sacre de M. de Guise (8).
on pour mieux faire , que je ne vous (B) Il n'y eut personne qui conlri-
fasse donner des commissaires pour huât autant que lui a conserver la
examiner et s' informer de vostre vie couronne à Henri // '.] Ecoutons en-
et des traitez qu'avez faits contre core Brantôme (9). « Son roy mort ,
moy, le roy, et son estât, et ]>uis ■» luy ayant pris de longue main
vous trancher la teste. Et vous appar- » créance parmy les gens de guerre,
tient-il aller contre mes volonlez et
desseins ? Vous que je scay bien qui
vous estes ? Sans le roy et moy que
seriez- vous ? et vous vous oubliez;
vous voulez faire du galand, vous
voulez prendre la Rochelle, et , dites-
vous , dans un mois ou six sepmai-
nes , et voulez en avoir l'honneur et
m'en priver ; vous m'avez trop inté-
ressé le mien , petit galand que vous
» tant François qu'estrangers , que
» tous l'aymoient et adoroient, il les
» assura et gagna si bien, que voicy
» un grand coup celuy-cy, voire le
» plus bea u qu'il ay t fait de son temps,
» pour matière d'état, que voicy le
» roy de Navarre , sans contradic-
» tion de la voix et du consentement
3) de tous mis en la place du feu
roy si bien que tout le monde
estes Vous m'avez fait demeurer » tient et est aisé à présumer, que
cinq mois ; h celle heure que j'en puis 1, M. le mareschal le fit roy , comme
sortir a mon honneur , vous me le » il luy sceut , à ce que j'ai ouï
voulez traverser , et proposez d'y de- » dire, depuis une fois bien dire
meurer et l'emporter, et triompher » et reprocher ; car les catholiques
de cet honneur par dessus moy. Je » le voyant huguenot l'eussent aban-
voùs apprendra}- à vouloir faire du » donné, et les huguenots n'étaient
grand capitaine ii mes dépens , et ne » assez forts pour le mettre en ce
testes pas aux vostres (2). Biron fit » siège ; mais par l'industrie dudit
tout doucement ses excuses le mieux >, sieur maréchal ils furent réduits
qu'il put. (3) , et du depuis le roy de » et convertis d'obéir à ce nouveau
Pologne lui fit toujours froide mine , » roy , tout huguenot qu'il estoil ,
et même à son retour de Pologne (4)*
Mais il lui fit assez bonne chère (5) ,
quand Biron lui fit la révérence au
mois d'août i5~5, ayant été mandé
par la reine-mère à la prière du duc
de Guise, qui ne voulait avec luy que
1\I. de Biron et M. de Strozze, pour
bien estriller M. de Thoré (6) et
tous ses retires. Biron fit très -bien
dans cette guerre , et quoiqu'on ait
(3) Brantôme, Eloge du maréchal rie Hiron,
au IIIe. tome de ses Mémoires, pag- 3.jo.
(3) La même , pag. 3^4-
(If) L.à même, pas;. 34-^»-
(5) Là même, pag. 3/|6.
(G) Fils du conne'laile de Monlmorenci .
)) sinon par bon vouloir , au moins
)) pour venger la mort du pauvre
» trépassé , injustement massacré ,
» qu'il donnoit ainsi à entendre. Ce
» ne fut pas tout , car il le falloit
» maintenir et conquérir les places
» où il n'estoit roy qu'à demy ; à
» quoy ledit sieur mareschal assista
(7) Vautrer, la plus saine pari , disent que
certainement il se trouva en ce festin , entendit
leurs paroles et desseins qu'il de'prouva ; et
mesme de quoy ils les fondaient sur la religion
et d'exterminer l'hére'sic , dont il s'en mocqua.
Brantôme, Mémoires , loin. III, pag. 353,354-
(8) Là même , pag. 354 -
(y) Là même.
124 GONTAUT.
» si bien à son roy , qu'avant mou- sa personne sacrée , et qu'il s'embar-
» rir il luy aida à en recouvrir de quât au plus tôt pour prendre la route
» belles et bonnes , gagner la ba- a Angleterre ou de la Rochelle , de
» taille d'Yvry , et sortir d'Arqués peur que s'il tardoit davantage , il ne
i> et de Dieppe, comme j'espère dire se trouvât investi par mer aussi-bien
j) en la vie de nostre roy • et puis en que parterre Jls appuyoient cet
» reconnoissant la ville d'Espernay il avis de tant de fortes considérations,
3) vint à avoir la teste emportée d'une que le roi même commençait à s ' é-
3> canonnade. » Il y eut une tache qui branler quand le maréchal de Biron,
ne fut pas de longue dure'e dans sa qui avait entendu ce discours avec
fidélité pour Henri IV. Il se jugeait dédain, fâché qu'il fît plus d'impres-
le plus ne'cessaire , et il l'e'tait aussi sion qu'il ne devait , prit la parole ,
après la mort de Henri III , et croyant et d'une voix animée de colère dit au
que dans cette confusion le royaume roi , etc. Je ne rapporte pas sa ha-
s'en irait en lambeaux , il s'imagi- rangue , on la trouvera dans Me'ze-
na qu'il en pourrait avoir quel qu un ; rai: elle est si bien tourne'e , et si
et étant entré dans le cabinet sans se remplie de fortes raisons qu'il ne
faire de fêle , après qu'il eut quelque faut pas être surpris de son effet.
temps entendu gronder les uns et les Henri IV, l'ayant ouïe, ne songea plus
autres, il tira Sancy h part , et lui qu'à tenir ferme dans son poste. Il
déclara qu'il désirait avoir le comté y fut attaque' , et il repoussa glorieu-
se Périgord en souveraineté , pour le sèment l'ennemi ï iron eut raison de
prix des services qu'il rendrait. San- dire qu'en l'état où étaient les choses,
cy , pour ne le pas rebuter, en alla sortir de France seulement pour vingt-
parler au roi tout h l'heure; le roy quatre heures, c'était s' en bannir pour
le chargea de lui donner toutes sortes jamais. Ce n'est pas le moyen de re'us-
de belles espérances ; et Sancy gou- sir dans cette sorte de concurrence
verna cet esprit avec tant d'adresse que de dire à ses ge'ne'raux : slyez.
et de force, que l'ayant piqué de gé- soin de ma couronne , j'aurai soin de
nérosité, il l'obligea non-seulement de ma personne , etc.
renoncer à cette prétention , mais- en- (D) // était plutôt protestant que
core de protester qu'il ne souffrirait catholique. J Les soupçons qu'on eut
jamais qu aucune pièce de l'état fût de lui à cet e'gard furent cause qu'on
démembrée en faveur de qui que ce ne le fit point chevalier de l'ordre au
f lit (10). commencement des guerres civiles.
(C) // empêcha que Henri IV ne Notez, dit Brantôme ( i3 ) , que la
se conformât à l'avis de ceux qui lui principale occasion pourquoy il n'eut
conseillaient de chercher par mer un cet honneur, et ne faisoit-on pas
lieu de sûreté. ] Le duc de Mayenne grand cas de liiy , c'est qu'il estoit
ayant oblige' ce prince à lever le sie'- tenu pour fort huguenot , et même
se de Rouen , et à se retirer du côté qu'il avoit fait baptizer deux de ses
de Dieppe, tâcha de le serrer de si enfans ( ce disoiton à la cour) à la
près que toute autre voie de s'échap- huguenotte , ce que les grands capi-
per lui fût fermée que celle de la taines. d'alors , comme le roy de JYa-
mer. Les capitaines de Henri IV , les varre , messieurs de Guise, le con-
religionnaires mêmes ( il) ne nestable , et le mareschal de Saint-
voyaient pas bien quel expédient les André , abhotroienl comme la peste,
pourrait tirer de ce péril , et appré- et les religieux , le monde et tout,
hendaient extrêmement pour 'e salut P'oila pourquoy mondit sieur de Bi-
du roi , duquel dépendait celui de ron estoit regardé de fort mauvais
tout l'état. De sorte que dans un con- osil , si bien qu'il résolut de partir de
seil qu'il tint le 5 de septembre (la) , la cour et se retirer en sa maison. Il
la plupart concluaient que , laissant aurait exécuté ce dessein si du Per-
ses troupes a terre , fortifiées dans ron , qui fut ensuite le maréchal de
de bons postes , il mît en sûreté Rets, n'eût parlé pour lui à la reine.
On le retint , il suivit l'armée sans
(io) Mé«rai, Histoire de France, tom. III, aucunc charge: mais ayant fait bien-
(1 1) Méterai, là même , pag. 8^2. (i3) Brantôme, Mémoires, tom. III, pag.
(12) i53g. 3îS.
GONTAUT. i25
tôt connaître son mérite , il fut don- de tout ce qui se faisoit au dehors .-
ne pour assister les grands maréchaux ce qui est le plus grand abus du
de camp. Monsieur de Guise le com- monde ; car s'il eust pris cette ville,
menca a gousler. bien qu'il Jist tous- il en estoit gouverneur , et posses-
jours quelque signe et dist quelque seur de la plus importante place de
petit mot huguenot , et ne s'en pou- la trance : et luy , qui estoit un
voit garder , mais secrètement et capitaine ambitieux , je vous laisse
montrant une secrète affection à ce a penser s'il eust voulu eschapper
party. Il se Jil enfin si capable en ce bon morceau s'il l'eus! peu pren-
sa charge , qu'il fallait qu'on se ser- dre ; et , si on /'eust voulu croij-e , et
vistdeluy (t^- A la troisième guerre monsieur de Strozze,la ville eust esté
civile \\ fut malheureux par deux prise en la gagnant pied h pied, com-
fois , et fort blâme de Monsieur, qui me nous avons fait a la fin (18 . Ne
était le général , et tenions nous en doutons point que les soupçons qu'on'
l'armée ( c'est Brantôme qui parle forma qu'il y avait des intelligences
(i5) ) qu'il l'avoit menuet de luy don- entre lui et les habitans de la Ro-
ner des coups de dague : mais ce fut chelle , n'eussent pour principe le
a monsieur de Biron de dire ses e.> eu- penchant qu'on lui croyait vers les
ses le plus bellement qu'il peut ; car, huguenots. C'est pourquoi j'ai joint
s'il eust parlé le moins du monde ce dernier passage de Brantôme aux
haut , Monsieur lui en eust donné , précédens. Je m'en vais les confh—
tant qu'il estoit en colère contre luy : mer Par ces paroles de Mézerai , ti-
et luy reprochant qu'il estoit hugue- rées de l'éloge de notre Biron (19).
not , et en favorisoit le party , et « Pour la religion , ses sentiment
avoit fait ces fautes exprès pour luy » penchaient un peu vers la nou-
faire recevoir une honte , et luy faire
couper la gorge et h toute son armée.
Monsieur de Tavannes , qui estoit
haut h la main et fort impérieux ,
parla aussi bien h luy , jusques à luy
dire qu il appris t bien sa leçon , et
qu'il vouloit se mesler de tout et
d'un mestier qu'il ne savoit pas en-
» velle réforme. Un précepteur qu'il
» avait eu dans ses jeunes années
» lui en avait donné la première
» teinture , et sa femme , qui la pro-
» fessait ouvertement, l'entretenait
» dans ces opinions (20) : de sorte
w qu'il favorisait sous main les reli-
» gionnaires , sinon quand il s'agis-
core , et qu'il, luy feroit bien appren- » sait purement du service du roi ;
dre , et qu'il estoit huguenot , et » et l'abondance de son cœur se dé-
qu il 11 oyoit jamais la messe , et
quand il y allait c estoit par forme
d'acquit. Tout cela luy fut reproché
au conseil , et ce fut a monsieur de
Biron à cal 1er et h se taire. Après le
massacre de la Saint-Barthélemi le
roi l'envoya en Xaintonge (16) pour
réduire la Rochelle à l'obéissance ou
de gré ou de force. 11 fallut assié-
ger la ville : Biron fut (17) malheu-
reux en ce siège , car il s'y travailla
et peina , fit tous les devoirs d'un
grand capitaine et d'un bon grand
maître d'artillerie, et , qui pis est ,
y receul une grande arquebusade ;
toutefois la plus grand part des as-
siégeons avaient opinion qu'il s'en-
tendoit avec ceux de dedans , et que
luy et les siens leur donnoient avis
(i4) fa. même, pag. 33o.
(i?l Tj'a même y pag. 33a.
(16) Bu on en e'tail gouverneur et du pays
itAnnis.
(17) Brantôme , Mémoires, pag. 338.
» gorgeant par sa bouche , il laissait
» souvent échapper des traits de rail-
» lerie contre les cérémonies de l'é-
» glise romaine. On soupçonna à
» cause de cela qu'il rétardait la
» conversion du roi ; lequel , pour
» la même raison, et pour les signa-
» lés services qu'il lui avait rendus
» après la mort de Henri 111 , en lui
■» assurant les gens de guerre , avait
» pris grande confiance en lui , et
» déférait entièrement à ses avis, non
(18) Joignez aux malheurs qu'il eut dans ce
sié<:e la tTiil/le réprimande que lui fit le roi
de Pologne, ci-dessus , remarque (A), cita*
lion (2).
(19) Mézerai, Histoire de France, loin. III,
pag. 102G.
(20) Je m'étonne qu\l ne due rien de sa
mère, qui, selon IH. de Thon . donna retraite
aux réformés. Denique in Âgînnensi ;i£io apud
Annam Bonvalliam , Armani Bironi tamosi illias
ducis matrem, toto eo tenipore tutus receptus
fuit. Thuan., lib. XXMII , pag. 671, ad
ann. j5t>2.
!2G GONTAUT
î) toutefois sans se piquer souvent de
» sa manière impérieuse. »
(E) Il fui mis parmi les proscrits
au massacre de la S 'aint-Barthélemi*.']
On s'était servi île Biron pour faire prières de la belle Chdteauneuf ,
l'aient été couchés sur le rôle; main
l'absence du maréchal de Montmo-
renci , qui était à Chantilly., mit en
sûreté la vie de ses trois frères : les
venir la reine de Navarre à la cour
de France , avec le prince son fils ,
que l'on mariait à la sœur de Char-
les IX. Biron amena ce prince, accom-
pagné de toute la fleur des hugue-
nots , qui pensant tous braver et
gouverner tout le monde prirent l'a
maîtresse de Monsieur , sauvèrent
Cossé son allié : et Biron , grand
maître de l' artillerie, ayant fait poin-
ter quelques coulevrines sur la porte
de l'arsenal , arrêta la fougue des
massacreurs , et recueillit quelques-
uns de ses amis , entre autres Lac-
une fin misérable. Ceux qui en es- ques , second fils du seigneur de la
chaperent en bi 'usinèrent mondit sieur Force, lequel n'étant âgé pour lors
de Biron , et luy en donnèrent toute que de dix a douze ans , s'était adroi-
la coulpe , disant qu'il les estoit allé temenl caché entre les corps de sort
tous amadouer et apaster pour les père et de son frère aîné , qu on avait
mener tous au marché de la bou- tués dans un lit où ils étaient couchés
chérie , et pour ce commencèrent a tous ttvis.
debagouler contre lui et si ne (F) La raison pour laquelle on le
laissa-t il pour toutes ces calomnies , soupçonna de favoriser les hugue-
soupçons et causeries, qu'il ne fust nots lui est glorieuse. ] Je me
en grande peine à. cette feste ; et servirai des paroles d'un de nos meil-
bien luy prit d'estre brave , vaillant leurs historiens ( 23 ). « Biron sem
et assuré , car il se retira aussi-tost
en son arcenal , braqua force artil-
lerie a la porte et autres avenues,
fit si belle et si assurée contenance
de guerre , qu'aucunes troupes de
Parisiens , qui n'avoient eu jamais
affaire a un tel homme de guerre ,
i'aprochanl à sa porte , il parla h
eux si bravement , les menaça de leur
tirer force canonnades s'ils ne se re-
tiraient , ce qu'ils firent aussi-tost et
n'osèrent plus s'y approcher , ny rien
faire a lui de ce qu'ils vouloient et
qui leur avoit esté commandé ; car
pour le seur il estoit proscrit ainsi
que les autres que je scay , comme
il me dit luy-mesme a son retour
de Brouage , car il m' estoit bon pa-
rent et amy , et me discourut fort
de ce massacre. On disoit que mon-
sieur de Tavannes , qui fie l' aimait
trop , et le comte de Bets non plus ,
luy jtresterent celte charité de pro-
scription (21). M. de Mézerai nous
apprend que Biron donna retraite
dans la Bastille à quelques-uns de
ses amis. Citons ses paroles (22). Les
Montmorenci
» blait avoir toujours garde' quelque
» inclination pour les nouvelles opi-
» nions depuis qu'il avait, été en es-
» time auprès du feu roi de Navarre. Il
» témoigna néanmoins tout le reste
» de sa vie qu'il était fort bon ca-
» tholique ; et toutes les fois qu'il
» y eut guerre contre les huguenots,
» il s'y comporta avec autant de
■» courage et de fidélité qu'aucun
» autre. Mais ce qui donnait lieu
» de croire qu'il ne les haïssait pas ,
» c'est qu'il ne pouvait consentir
» qu'on leur violât la foi quand on
» la leur avait donnée , et que par
» plusieurs fois , lorsque l'on plâtra
» le dernier édit de pacification , il
» fit entendre à la reine-mère qu'il
« eût été plus convenable à la ma-
» jesté du roi de les pousser jus-
» qu'au bout (24) , que de faire un
» traité qu'il prévoyait bien de ne
y devoir pas être observé. A raison
» de quoi , et parce qu'il avait une
» trop libre et trop sincère probi^
(a3) Mézerai, Histoire <le France, tom. II,
Cossé et Biron a- P"g. 367 , à l'ann. 157a.
(a4) On s'est étonné qu'aucun ministre d'état
lie Louis XIV ne lut ait osé dire la même chose ,
quand il s'amusait à publier tant d'arrêts contre
ceux de la religion. Il en fallut venir enfin à
ta force ouverte : à quoi servirent donc tant de
procédures du palan ? Voyez les Nouvelles
de la Képublique îles Lettres, mois de novembre
|<J85, pag. i2(J3, sur la manière de persécuter
dont Marie , reine d' Angleterre , se servit.
* Leclcrc et Joly récusent ici le témoignage île
Brantôme parce qu'il ne mérite pas le nom
d'Iiistorien ; et celui île Mézerai, parce qu'il n'a
pu être témoin île ce qu'il avance.
(ail Brantôme, Mémoires, tome III, pag.
335.
(22) Mézerai , Abrégé chronologique, loin.
V , pag. 1S7, i58.
GONTAUT. 127
i> té, la reine -mère et les Guises que M. de Mc'zerai a fait de Biron.
j> l'avaient mis sur le rôle de la 11 avait l'esprit vif et perçant , le
» Saint-Bartbélemi : au moins il eut discours facile , fort et persuasif, le
» cette croyance , et toute sa vie il cœur haut et guerrier , était alerte
» en garda dans son ame un très vif et agile Je sa personne , laborieux
» ressouvenir.» et hardi, Iris-curieux d'apprendre ,
(G) Jamais homme de sa qualité et très-exact , aussi adroit dans les
ne fut plus universel. ] « Lorsqu'il intrigues de la cour et parmi les </,,-
est mort, il est mort un très-uni- mes que vaillant à la guerre Il
vcrscl , fust pour la guerre, fust faisait gloire d être universel, et d'en-
pour les affaires d'estat, lesquelles tendre aussi bien les négociations que
il a traitées autant et les a secues l'art militaire. Il se mêlait de tout ,
aussi bien que seigneur de France, et se donnait de l'emploi même , si
Aussi la reine-mére , quand elle on ne lui en donnait pas ; se pi-
avoit quelque grande affaire sur quaii de savoir parfaitement la geô-
les bras, lenvoyoit quérir tous- graphie et l'histoire, dessinait les car-
I'ours , fust en sa maison ou ail- tes de sa propr-e main, disant que c'é-
eurs , et avoit son grand recours tait une des parties d'un grand copi-
er! luy. Luy-mesme, en goguenar- taine de savoir faire voir sur le pa-
dant, il disoit qu'il estoit un mais- pier ce qu'il savait exécuter à la cam-
trcaliboron qu'on employoit à tout pagne (26).
faire , comme il estoit vray , et (H) // aimait un peu trop le vin. ]
s'entendoit avec elle très-bien en Me'zerai dit seulement (27) qu'il se
(ont , fust pour affaire de paix , plaisait aux bons mets et h faire
fust des guerres, ausquelles il es- grande chère; qu'il demeurait peu
toit très-universel , et pour com- au lit , et long-temps h la table , oii
mander et pour exécuter. Il avoit il buvait jusqu'à se rendre gai/lard.
fort aymé la lecture , et la con- Mais une repartie que l'on attribue
tinua fort bien dès son jeune âge. à Henri IV porte la ebose plus loin.
Il avoit été curieux de s'enquérir « Le duc de Savoie lui louant un
et sçavoir tout , si bien qu'ordi- » jour les belles actions et les ser-
nairement il portoit dans sa po- » vices des Biron père et fils , le roi
che des tablettes , et tout ce qu'il » lui répondit qu'il était vrai qu'ils
voyoit et oyoit de bien, aussi-tost » l'avaient bien servi ; mais qu'il
il le mettent et escrivoit sur lesdi- » avait eu beaucoup de peine à mo-
tos tablettes; si bien que cela cou- » dérer l'ivrognerie du père, et à re-
roit à la cour en forme de pro- » tenir les boutades du fils (28). »
verbe, quand quelqu'un disoit (l) Il négligeait de frapper sur
quelque ebose, on lui disoit : Tu l'ennemi un coup décisif] Brantôme
as trouvé cela ou appris dans les rapporte (29) qu'on disait que si Bi-
tablettes de Biron : mesme le gref- ron eut voulu aller a la rigueur il
fier Fol du roy Henry , il jmoit eût fait beaucoup plus de mal au roi
quelquefois par les divines tablet- de Navarre * Je parle du temps que
tes de Biron et j'ay veu plu- Biron commandait en Guienne sous
sieurs s'estonner de luy, que luy , Henri III. Dans une autre rencontre
qui n'avoit jamais traité grandes c'est-à-dire , quand le duc de Parme
affaires avec pais estrangers , ny était à Caudebec , le maréchal de
mieux esté ambassadeur , pour le Biron relança son fils , qui repré-
mieux entendre , comme un mon- sentait au roi que si on lui voulait
sieur deLansac, de Rambouillet, donner quatre mille arquebusiers et
et le marescbal de Rets , et au-
tres chevauclieurs de coussinets , (a6) Mezerai .Histoire de France ton,. 111,
il en savoit plus que tous eux, et p«g- 1026.
) leur en eust fait leçon , tant de (v]) Là même.
celles de dehors que dedans du (a8) Péréflze, Histoire de Henri-le-Grand,
royaume (a5). » Joignons à ce pas- " '*""• ,.6o°.' pag- '"???■
J \ r ° 1 11 -/ (20) Mémoires, loin 111 , pair. 35o.
saee quelques fragmens de reloge *V i T . . . , .
& l / , b 5 * Lederc et Joly o\5ont que les (ails rapportés
fa5) Brautûuic, Mémoires, loin. 111, pag. dans celte remarque ex. .lan.i la suivante , auraient
35G. • besoin de meilleures preuves.
158
deux mille chevaux il empêcherait
le passage aux ennemis. Servons-
nous des paroles de Brantôme. Mon-
sieur le maréchal sur cela rabroua
fort son fils devant le roy , et luy
GONTAUT.
» à consulter les diseurs de bonne
» aventure. Un de ces gens - là lui
« ayant prédit six mois auparavant
»' ce sie'ge qu'il serait tué d'un coup
» de canon , il s'imprima tellement
dit que c'estoit un habile homme pour » l'effet de cette prédiction dans l'es-
le faire , et s'en montra si drfficul- » prit , que toutes les fois qu'il en-
tueux qu'il en rompit le coup. Le soir » tendait tirer , comme il l'avouait
après il luy dit etrenwnstraqu' il savait » à ses amis, il ne pouvait s'em-
bienqu'ilauroitfait ce coup,ou ilfust » pêcher de tressaillir de peur , et
mort : mais il ne fal oit jamais tout a » de baisser la tête. Cette fois-là (33),
coup voir la ruine d'un tel ennemy » ayant entendu fifïïer le boulet ,
des François, car si tels sont une fois » comme il se jetait à quartier pour
du tout vaincus et ruinez , les roys » éviter le coup , le malheur voulut
ne font jamais plus cas de leurs ca- » qu'il le rencontra , si bien qu'il
pitaines et gens de guerre, et ne s'en » alla au-devant de sa mort , et ac-
soucient plus quand ils en ont fait , » complit lui-même une prédiction
et qu'il faut tousjours labourer et » qui peut-être ne fût pas arrivée
cultiver la guerre , comme on fait » s'il s'en fût moqué (34). » Cet his-
un beau champ de terre ; autrement torien est plus exact que je n'aurais
ceux qui l'ont labourée, et puis la cru à rapporter de semblables choses.
laissent en friche , ils meurent de (L) On conte une chose considé-
faim (3o). Voici un style plus ner- rable de la bonté de son estomac. ]
veux et plus poli tout ensemble : Le Continuons d'entendre M. de Méze-
maréchal de Biron était accusé de rai (35). « Il s'était trouvé à une
susciter diverses factions afin d'avoir >> infinité de sièges de grandes villes
matière d'exercer son adresse et son » et de sanglantes mêlées , et avait
crédit , et de prolonger la guerre , )> commande en chef dans sept ba-
non pour le désir de butiner , mais » tailles ou grands combats , où il
pour demeurer toujours le maître et » avait reçu autant de blessures. Et
» quoiqu'il fût tout rompu de tra-
» vaux et de coups , et qu'il eût
» soixante-huit aus passés (36), néan-
■» moins il était d'une si vigoureuse
» santé, que les chirurgiens quil'ou-
» vrirent pour l'embaumer ne lui
» trouvèrent aucune viande dans l'es-
bien qu'il n'eût été tué
le conducteur des affaires (3i). On
voit régner quelquefois une pareil-
le ambition parmi les théologiens.
Voyez (3a) comment on applique à
un docteur de parmi le monde ces
maximes du maréchal de Biron.
(K) // devint crédule par rap-
port au genre de mort dont les ti- » tomac
.».._*■ !' I ............ . / _-«_ — _ 1.~._ — 4 ~\ Xt .lit tllli
reurs d'horoscopes le menacèrent. ]
Voici ce qu'on trouve dans la grande
histoire de Mézerai. « J'ai oui ra-
» conter à qui avait bien connu ce
j> maréchal une chose digne de mé-
3) moire. Il s'était toute sa vie mo-
» que de la divination , que néan-
i> moins la curiosité de la reine Ca-
i> thcrine de Médicis avait mise fort
» en vogue à la cour ; mais peu
3) avant sa mort , pour en avoir vu
3> quelque efièt apparent, , il y ajou-
» tait, foi avec autant de supersti-
» tion qu'il avait eu d'incrédulité dit que a
» pour ces choses-là , et s'était mis el '>"■ a
» qu'une heure après souper , mar-
» que d'une grande chaleur naturelle
3> qui avait pu faire digestion en si
» peu de temps (3^). »
poi
(3o) Brantôme, Mémoires, tom. III. pag. 308.
(il) MétiT.ii, Histoire de France, tom. lit ,
pag ;oïC>. Voyci aussi Davila, liv. XIII,
pag. m. 8o(>.
(32) Dans let Entretiens sur la Cabale cliimc-
îiquc, pag. 191.
(33) C'est-à-dire, quand il fut tué d'un coup
de fauconneau, devant Epernai.
(34) Histoire de France, tom. III, pag.
1024.
(35) La même.
(3(i) Davila, liv. XIII , pag. 806, dit qu'il
entrait dans ta \oixanle-cinquième anne'e D'Au-
bisné, tom. III , pag- 3fi8, ne lui donne que
soixante-cinq ans.
(3^ Oupleix, Histoire de Henri IV , pag çi'i,
fut une heure après avoir bien dîné ,
vail cinquante-huit ans.
GONTAUT ( Charles de ) , duc
de Biron , fils du précédent , fut
vin des plus grands capitaines de
son siècle; mais il avait le défaut
GONTAUT. 129
de parler lui-même de ses exploits sée , qu'un guerrier doit éloigner
avec un orgueil insupportable, le plus qu'il peut le traité de
il avait appris de bonne beure le paix , parce qu'en temps de paix
métier des armes sous le inaré- on peut se passer de lui , et qu'où
chai de Biron son père, qui n'a- le laisse dans sa maison de cam-
vait rien oublié ni pour l'avan- pagne (b). Ce fut par ce principe
cer, ni pour le faire paraître bien qu'il ne donna pas tous les ordres
digne d'être avancé (A). Il obtint nécessaires pendant le siège d'A-
la charge d'amiral de France, l'an miens, pour empêcher le secours
i5c)2 , et s'en étant démis, l'an que l'archiduc voulait faire en-
i5q4, il fut fait maréchal de trer dans la place. Il n'eût pas
France et gouverneur de Rpur— été fâché qu'on l'eût secourue,
gogne. Le roi érigea la banJhnie parce que cela aurait retardé la
de Riron en duché-pairie, l'an paix. A peine pouvait-il souffrir
iSqS, et envoya tout aussitôt que l'on fit part de la gloire des
le nouveau duc à Bruxelles, chef bons succès à Henri-le-Grand ,
d'une ambassade magnifique. Ce et il menaçait les historiens qui
fut pour faire jurer à l'archiduc ne s'accommodaient pas assez à
la paix de Vervins. Il fut envoyé sa vanité (H). J'ai de la peine à
en Suisse au mois de janvier croire ce que l'on débite touchant
îGoa(B), pour un renouvelle- son érudition (I) Ce que l'on
ment d'alliance avec les cantons, conte de sa réminiscence mérite
Il était passé en Angleterre l'an- d'être rapporté (K). On l'éleva
née précédente ,§ pour faire des d'abord à la protestante (c). C'é—
complimens de la part du roi à tait un grand joueur (d) ; mais
la reine Elisabeth. Cette grande il ne se plongeait point dans la
reine lui fit des honneurs ex— débauche des femmes , ni dans
traordinaires. On a mêlé quelques les autres voluptés du corps (e).
fables dans la relation de ce qu'elle Henri IV le voulut faire son gen-
fit en cette rencontre (C). Chacun dre (L) , et se vantait, dit-on,
sait la fin tragique du maréchal de lui avoir sauvé la vie (M). Je
#duc de Biron : il eut la têtetran- ne marquerai que deux fautes de
chée, le3i de juillet 1602, pour M. Moréri (N).
une horrible conspiration qu'il ,,, v „„, „„ n •„„„„ „, , f
1 *■ \b) y oyez un JJiscours sur les lavons, in-
avait tramée contre l'état avec le séré dans les Additions de le Laboureur
duc de Savoie (D). II donna sur Jjg Ménioires de Castelnau , tom. il, pag.
l'échafaud mille marques d'em- (ê) Voyez, la remarque (*•).
portement (F). Il n'avait pas en- (rf> H perdit en un an plus de cinq cent
_„__ , / \ c ï_" mille ecus. Mézerai , Abrégé cbronolosjique ,
core quarante ans (a). Son ambi- tonu IV % pag ^ ; à Ua*n. ltjo2_ » q
tioil n'avait point de bornes; (e) Cayet , Cbronol. septénaire , fol. 3i7.
et , quoiqu'il n'eût point de reli- , « \ •'■«• < >
1.r,. *., , . l if- (A) Aon père n avait rien ou-
gion (b ), il ne laissa pas de faire blte nipouv v avancer ni pour le faire
le superstitieux , afin de ressus- paraître bien digne d'être avancé. }
citer la ligue (G). Il profita de la En l58° (0 une ciluU' ,lr cheval lui
leçon que son père lui avait lais- cassa en deux endroits Ia cuisse> dont
... TT. . . (1) // menait son année vers V Iste-en-Jour-
(«) Matthieu, Histoiredc la Paix, liv. IV, dain , h quatre lieues de Toulouse. Dupleix ,
pag. 218. Hist. de Henri III, pag. 82.
TOME VII. Q
i3o GONTAUT.
il était boiteux , de sorte qu'il fut se voyant dans une grande autorité
obligé de laissera d'autres la conduite après la mort de Henri III , ne songea
de son armée; et pour ne point faire plus qu'a élever le baron de Biron :
de jaloux , il pria ceux qui avaient et quoiqu'il fût jeune et sans expé-
droit au commandement de choisir rience , néanmoins il fit une querelle
eux-mêmes un chef. Ils choisirent d'Allemand a M. de Dampierré ,
son lils -, qui n'était âgé que de maréchal de camp ; lui fit quitter sa
quinze ans (2). D'autres historiens (3) charge , et en Jît pourvoir ledit baron
assurent qu'à quatorze ans ce même de Biron , en qualité de maréchal
ûhful colonel des Suisses en Flan- de camp général ; et parce qu'il ne
dre , tôt après maréchal de camp , savait pas la charge , il travaillait
cl puis maréchal général. Mais on ne nuit et jour pour lui, et lui en lais-
saurait accorder cela avec ce que sait tout l'honneur : ce qui mit ledit
d'autres content, que son père, après baron de Biron en telle réputation et
la mort de son fils aîné, le fit appeler créat&e parmi les gens de guerre ,
baron de Biron , et le mena en la que tè maréchal son père , ayant été
cour, ou incontinent il eut une que- tué d'un coup de canon devant Eper-
relle avec le sieur de Carency ,fils nai, le roi le fit amiral; et M. de
aîné du comte de la Kauguyon, la- fillars venant au service du roi, il
quelle se termina par un combat de lui remit l'amirauté , et fut fait ma-
trois contre trois, l'an 1 585. Biron , réchal de France (10). Il est difficile
Loignac et Janissac d'un côté , tuè- d'écrire plus mal en français que
renl Carency , d' Estissac et la Bas- l'auteur dont j'emprunte ces paroles;
lie I.e duc d' Espernon obtint sa car il faut perpétuellement deviner ,
grâce (4)' H l'avait mené à Pau , lors- soit en raisonnant, soit en consultant
qu'il y alla trouver le roi de Navar- l'histoire , à qui se rapportent ses il.
re (5). Depuis , le père du jeune Bi- Finissons cette remarque par un pas-
ron fut lieutenant gênerai en l'armée sage de Mézerai (1 1 j : Les catholiques
de Poitou au siège de Marans , le- ne regrettèrent pas tant le maréchal
quel le faisait commander h toute sa de Biron que fit IjÈroi, qui en témoi-
maison , et h toute sa compagnie de gna une plus grande affliction que de
gendarmes ; même il l'appelait M. le toutes autres perles qu'il mail jamais
baron , et dès lors il devint si impé- reçues , et eut eu plus de peine a s'en
vieux et si libre en paroles , que rien consoler , s'il n'eilt cru que le baron
plus (6). Notez, que , selon Victor de Biron son fils , étant façonné de
Cayet , il avait seize ans lorsque le sa main , pouvait lui rendre d'aussi
maréchal de Biron, son père, le tira grands services; d'autant plus qu'il
d'auprès de son précepteur (7). Notez avait toute l'expérience du père ; mais
aussi que ce maréchal perdit un fils , il n'en avait pas encore la finesse et
l'an 1 583, au massacre d'Anvers. C'é- les mauvaises maximes.
tait sans doute son fils aîné , puisqu'il (B) Il fut envoyé en Suisse en
avait déjà des enfans (8), et que le 1602.] De Vie et Silleri avaient eu
duc de Biron n'avait pas quarante beaucoup de peine à régler le renou-
ans (9), lorsqu'il fut décapité en 1602. vellement d'alliance, et lorsqu'ils
Il v a beaucoup d'apparence que Du- croyaient avoir surmonté toutes les
plêix et Pierre Matthieu donnent à difficultés, ils virent que tout s'en
Charles de Gontaut ce qui convient allait rompu par les émissaires d' Es-
à son frère. pagne et de Savoie ; mais le maré-
Ce qui suit me fournira une plus chai de Biron, qui arriva à Soleure
soliile preuve. Le maréchal de Biron, avec une grande suite ei un pompeux
, „ . ... B équipage, termina heureusement le
li) Dupleix , liist. de Henri III, pag. 8a. ' ./, », ' .„ , ,
(S) Plene Matthieu, His« de la Paix ,. i«v. V, traité. A a magnifique dépense, son
pag. m. 218. discours tout martial , et l'éclat de ses
(A) Cayct , Chronologie septénaire , folio 3 1 1) ... , , , ,.
KHJo 3 ' 01 yj (io) Discours historique de la fortune et dis-
"e(5) La mfme, folio 32o verso. grâce de. , Favoris , depuis François I»r. jusque*
Va Là mimé: ; Vou,s xm •™'"'re !'\ " *rU"",ns d",';
7 L'a mfme, folio 3,c, Laboureur aux Mémoire, de «.astelnau , lom. II,
(k) le pire Anselme, pag. .«,7. P«fi- ^4- II « '£ imprima depuis sous le turc
fo) Matthieu , Histoire de 1» Paix, Uy. F, de Mémoires de Beauvau-Nang.s.
pag m 218 («0 Histoire de France, lom. III, pag. 102<..
GONTAUT.
i3i
beaux faits dont les Suisses avaient je parle même des relations que les
été si souvent témoins , purent beau- principaux historiens de ce temps-là
coup envers ces peuples guerriers ; publièrent , soient remplies de tant
puis les voitures d'argent oui le sui- de fables. Camden se moque juste-
i aient de près achevèrent (le les com- ment de ce qu'ils ont dit que la reine
hier Il couronna cette fête par la montra au maréchal de Biron la tète
magnificence d'un somptueux ban- du comte d'Essex. Cette tête avait été
quet, où il fit merveilles de prêcher les enterrée avec le corps. Quod quidam
grandeurs du roi. et les forces de la gallui scriptores prodiderunt , eam
France. Ce ne fut pas la le moindre cranium Easexii inter p'ura damna-
de ses services (ia). torum , in intima larario, vel (ut
(C) On a mêlé quelques fables alii scribunt ) polo affitum , Bironio
dans la relation de ce que la reine et Gallis ostentdsse , ridicule vanum
ai Mludemm unà cum corpore con-
sepmtiim (tB). Il remarque que cette
reine était alors dans une maison de
campagne qu'il nomme Basingum.
M. de Bassompierre (19), qui avait
Elisabeth/// en cette rencontre."] Une
infinité d historiens disent qu'elle af-
fecta de lui faire voir la tète du
comte d'Essex , afin d'avoir occasion
de lui apprendre les motifs qui l'a*
% nient portée à châtier si sévèrement accompagné le maréchal de Biron , la
la rébellion de cet ingrat. On ajoute nomme Basing. Corrigez donc Sci-
qu'ellc lui dit que le roi de France pion Dupleix qui la nomme Joignes.
ferait fort bien de punir ainsi les II a fait bien d'autres fautes que
traîtres (i3). Les uns disent que ce M. de Bassompierre ne lui pardonne
fut des fenêtres de son palais qu'elle pas. En voici une : La reine fit un
lui montra la tête de ce rebelle ; les festin royal a nos Français , joua de
autres que ce fut en passant sur le l'épinette en leur présence, et maria
pont de Londres. Rien de tout cela
ne peut être vrai , puisque la reine
passa à Vignes tout le temps que le
maréchal de Biron fut en Angleterre.
Dupleix (i4) a réfuté, par cette re-
marque , ce que tant d'autres histo-
riens avaient débité. M. Leti les réfute
par la même observation (i5). Il se
trompe quand il dit que Henri IV
n'envoya Biron à Londres qu'après
son retour à Paris (16). Ce fut de Ca-
lais qu'il l'envoya.
Je ne prétends pas nier que cette
reine n'ait tenu ces discours-là sur le
►•sujet, du comte d'Essex; mais au lieu
de dire qu'elle les tint en montrant
au duc de Biron la tête du comte ;
il fallait dire , comme a fait le
Grain (17) , qu'elle lui parla ainsi
dans son cabinet. , en lui montrant
le portrait de ce seigneur. C'est une
honte que les relations des Français,
(12) Mêlerai , Abrégé chroiiol. , loin. VI,
pag. î57, à Vann. itioi.
(i3) Pierre Matthieu, Cayet , elc. Méîerai,
Abrégé chronnl. , loin. /'/, pag. ?.4|t. dilqu'elle
lui montra peut-être à dessein la tête du comte
d'Esse*. M. de Tbou , liv. CXXVI , pag. 943,
dit qu'elle lui Uni ce discours comme ils regar-
daient les tries fichée t sur la tour de Londres.
(■4) Histoire de.Henri IV , pag. 3oo.
(i5 Histoire d'Elisabeth , font; //, pag. 4g5.
( 16) La même , pag. 485.
(17I Le Grain , Décade de Henri-le-Grand ,
pag. m. 782.
sa voix avec l'instrument. La réfuta-
tion de cela contient ces termes (20) :
« Elle ne fit aucun festin royal aux
» Français, hormis qu'elle défraya
» M. de Biron et sa troupe tant qu'il
» fut à Laning (21) ■ et un jour que
» M. de Biron était à Basing , le mi-
» lord Corbain le fit entrer avec qua-
» tre ou cinq de nous, par une porte
» dérobée dans sa chambre, pour la
« surprendre lorsqu'elle chantait. »
(D) Il eut la tête tranchée pour
une conspiration tramée cuntre
fêtât avec le duc de Savoie. ] Ce n'é-
taient pas de ces petites conspirations
qui ne tendent qu'à occuper un mo-
narque, afin qu'il n'ait pas les mains
libres pour troubler le repos de ses
voisins. On prétend que le duc de Sa-
voie et Biron étaient convenus de dé-
membrer le royaume, y faire autant
de souverainetés que de provinces , et
mettre tous ces petits princes sous la
protection d' Espagne. Le duc de Sa-
voie eût pris pour sa part , s'il eut vu,
le Lyonnais , le Dauphiné et la Pro-
vence ; et Biron la duché de Bourgo-
(18) Camden, Hist. Elisabeth., pari. IV ,
pag. rn. 820. ad ann. 1601.
(19) Bassompierre, Observations su/ Dupleix,
pag' Sa.
20) Là même , pag. 83.
(21) Maison proche de Basing. On la nomme
Latting dans la page précédente.
132
GONTAUT.
gne, a laquelle les Espagnols eussent
joint la Franche- Comté , pour îlot
d'une fille de leur roi , ou d'une fille
de Savoie , qu'Us promettaient de lui
donner en mariage (22). Cela me
donne occasion de marquer une
grande diflerence entre les passions
des souverains et celles des particu-
liers. Il n'y a point de gentilhomme
qui ne prît pour le fondement d'une
très-grosse querelle, si quelqu'un de
ses voisins lui débauchait ses valets ,
et les engageait à un coup de trahison
contre leur maître. Les cartels de défi
suivraient bientôt, ou du moins on
chercherait bientôt l'occasion de vi-
der ce différent l'épée à la main.
Pour ce qui est des princes, ils se
contentent de punir les traîtres, et
ils continuent de vivre comme aupa-
ravant avec le séducteur. Henri IV
avala tout doucement cette hostilité
du duc de Savoie. Il n'en sortit au-
cune rupture, ni aucune interrup-
tion de la bonne intelligence quant YOrlando furioso :
aux dehors. Voyez ci-dessous (23) un . ,, , ,
dui ucuu' J " . 1*1 Beslemnuando fuggilalma sdegnosa,
passage de brantome , touchant les Che fu si altéra al mondo,e slorgoglio-
querelles des grands (a4). sa (26).
(E)Il donna sur l'echajiaud mille mar- Qum^ [\ eut su qu'il n'y avait
ques d'emportement. ] Tous les nisto- -t de don à eSpérer , il s'em-
riens du temps sont remplis de ce qu il a d,une manière si vi0lente con-
fitetdece qu'il ditpendantson procès, *re ]a onne de Henri IV , que
jusqu'au moment de 1 exécution. Je ne rhistoire n*a pas osé si
» mesmes de son mouchouer, puis se
» débanda et se releva, jurant et
» blasphémant que l'on ne le mist
» pas en furie : et qu'il gasteroit la
» moitié de tous tant qu'ils estoient-
» là ; priant des soldats mousquctai-
» res arrengez dans la cour de le
3> tirer, en ces mots : y a il point
» quelque bon compagnon qui veuille
» tirer le maréchal de Biron, que ces
» coquins ne le facent pas mourir ?
» Se pleignant du chancelier à Iny
» mesmes delà rigueur de ce juge-
» ment. Enfin vous pouvez croire
» que sa mort estoit très-nécessaire à
33 la France. Je vous puis encores as-
» seurer qu'il est mort comme celuy
» dont l'Italien dit :
» Biaslemmiando se ne fuge l'aima con gran
cordoglio ,
» Cotne nel mondo fisse piena d'ira et d'or-
goglio ...
Ces deux vers ressemblent beaucoup
à ceux qui se trouvent à la fin de
rapporterai que ce que je trouve dans
une lettre du sieur Gillot à Scali-
ger (a5). « Vous aurez entendu de la
j) mort du mareschal , auquel le roy
» remit la rigueur de l'exécution en
w Grève , pour la convertir dans la
3) cour de la Bastille : lequel ne vou-
« lut onc rien confesser pour les
x complices . ne dire autre chose que
m ce qui estoit en son procès. Mourut
m fort mal affectionné vers son roy
»> et sa patrie. Et le tesmoigna ainsi :
33 Priant, dit-il , Dieu qu'il eust pitié
3> de son ame et de celle du roy.
3) Puis dist : Boute , boute , viste : ne
s; voulut jamais souffrir que l'on le
3> liast : jurant qu'avec les dents il
3) cstrangleroit l'exécuteur, qui n'ap-
■» procha point de luy , se banda lny -
(22) Mézerai , Abrégé chronologique , tom.
VI, pag. 2Ï7.
(23; Dans la remarque (1) de l'article Poi-
tiers , torp. XII.
(24) Il est tiré de la page 3ag du II'. tome
des Dames galantes.
(25) EpîU'ÉS françaises à Sc.iligcr, pag. j/|8.
pas osé se charger d'un
tel dépôt. « Le duc de Biron.... ayant
3> abandonné toutes les puissances de
33 son ;ime à la douleur et à la pas-
3> sion , prend l'advantage de parler
3> le premier , et de dire tout ce
3> qu'une langue maistrisée par la
3) douleur peut proférer, reprochant i
3) au chancelier qu'il n'avoit eu au-
3) tant d'affection à le sauver comme
3> à le condamner. Il adjousta en cest
3> endroit des paroles dont la me-
33 moire est défendue , et punissable
» le rapport. Mais les princes ne se
3) soucient des traits qui estant lan-
3) cez par leurs sujets contre leur
» majesté retombent tousjours en la
3> poictrine d'où ils sont sortis (27). »
(F) Quoiqu'il n'eut point de reli-
gion ] J'alléguerai là -dessus ce
(2I)) Conférezavcc ceci ers paroles île Virgile :
.... IIU solvuhlur frigore membra
Vitar/ue cum geinitufugit indignata sub tim-
bras.
.fëneiil. , lib. ultimo , M. f)5i.
(27) Matthieu, Histoire de la Paix, liv. V ,
pag. 34«
GONTAUT.
i33
passage de Victor Cayet (28) : « Il
» s'est mocqué plusieurs fois de toute
» religion : mesmes son confident le
» baron de Lux , luy disant, qu'un
» capucin remonstrant à son oncle
» l'archevêque de Lyon à l'article de
» sa mort, luy avoit dit : Quand
J) Dieu void qu'il n'y a point d'amen-
)> dément au mcscliant. , et qu'il re-
w jette sa grâce, il luy donne des
» prosperitez", toutes choses luy arri-
» vent à souhait, il le saoule des
» contentions (29) du monde. Le raa-
» reschal luy lit response : Je vou-
" drois bien estre abandonne comme
porte que le maréchal de Bfron se
moqua des dispositions chrétiennes
avec quoi le comte d'Essex alla à la
moii , comme si de telles résigna-
tions n'eussent été dignes cpie d'un
pre'dicant ; et non pas d'un homme
de guerre (3i).
(G) // ne laissa pas défaire le
superstitieux (*), afin de ressusciter la
ligue. ] Mezerai remarque (3a) qu'a-
près la perte de Dourlens et de Cam-
brai , la noblesse et les gens de guerre
avaient jeté les yeux sur lui seul ,
connue sur le libérateur de l'état. Au
retour du siège d" Amiens , il s' riait
» cela. 11 se raconte une infinité enivré de l'amour du peuple île Pa-
» d'autres traicts, de son peu de re- ris ; et quand il alla en Flandre
» ligion, tels que cestuv-cy : mais ce faire jurer la paix îi l'archiduc, les
» n'est de nostre intention d'en ta- Espagnols , connaissant sa vanité et
» cher sa mémoire. » Cet historien sa mauvaise disposition , luj^dnnnc-
avaif. dit dans la page précédente, une rent de si hauts éloges, rfti'ils lui
chose d'autant plus digne d'être rap- remplirent la télé de vent , et le cœur
portée ici, qu'elle nous apprend que de fort mauvais senlimens. Dès lors ,
Biron fut élevé à la religion réformée, et même dès auparavant, il recher-
Voici les paroles de Victor Cayet: chait la faveur des peuples , affectait
« Onl'aveusouventcsfoisse mocquer pour la religion catholique un zèle
» de la messe , et se rire de ceux de qui allait jusqu'au chapelet et aux
» la religion prétendue reformée ,
» avec lesquels il avoit esté nourry
» dès ses jeunes ans : car en son en-
» fance , et ce à l'aage de huict ans ,
» madame de Brisambourg (3o)
confréries , comme s'il eût voulu re-
lever la ligue que son épée avait
abattue. Il n'avait pas oublié jusqu'où,
l'entêtement de la ville de Paris pour
le duc de Guise avait poussé et sou-
» tante paternelle , qui estoit de la tenu l'ambition de ce seigneur; et il
» religion prétendue reformée , le savait bien que la principale cause
ti prit en telle affection pour une de ce grand entêtement était que le
» gaillardise et naifveté qu'il avoit duc de Guise travaillait à l'extinction
» en luy, qu'elle le demanda à sa des réformés. Il crut donc qu'afin
)> mère, sa belle-sœur, ce qu'elle que les Parisiens ne jurassent que
» luy accorda (car elles estoient ton- par lui , il fallait fortifier par les
■» tes deux de ladite religion ). La grimaces de la bigoterie les impres-
» mère donc le luy bailla volontiers sions que sa valeur avait faites sur
» poux le faire nourrir et Êslever en l'esprit de ce grand peuple. C'est
» ceste religion , ce qui fut faict , et dans celte vue qu'il affecta de haïr les
» deslors sa tante de Brisambourg le huguenots. Voici la suite de ce que
» déclara son unique héritier. Or
» avoit-elle de grands biens , à cause
» des trois marys qu'elle avoit espou-
» sez , et desquels elle n'avoit eu au-
j'ai cité de la lettre du sieur Gil-
lot (33) : Je vous dirai que c'était
pure ligue et pur catholicon. // y
avait promis et juré de ne voir ,
» cuns enfans, mais bien en avoit eu parler, ni hanter, ni admettre aucun
» de grands douaires et de grandes huguenot, et pour tenir son serment
» donations , lesquelles luy furent
» toutes adjugées à son profit , et en
» pleine disposition. » Camden rap-
(28) Chronologie septénaire, folio 3ip.
(29) Ou plutôt contentemens , comme il y a
data Pierre Matlhieu , qui rapporte le même
fuit dans le IIe. livre , pag . 7/1. 9.-1.
(30) Brisambourg est proche de Saint-Jean'
d'Angeljr.
(3i) Licel hanc pielalem. ut minhéello qu'an
viro bellicoso digniorem Bironus et alii prophani
subsannrtrent. Camdenus , in Annal., part. IV ',
pag. 8o5.
(*) Le facétieux récit touchant Ht. saint Bi-
ron. I. 2. cliap. 8 de la Confession de Sancy , au-
rait bien ici trouvé sa place. Rem. crit.
(32) Abrégé chronologique, loin. VI , pag.
209, à l'ann. i5gç).
(33) Épître* françaises à Scaliger , pag. 249-
f<
,3', GONTAUT.
ne voulut point voir sa mère lorsqu'il d'Homère ne voulait pas qu'aucun
fut au pays , chassa tous les vieux autre Grec tirât sur Hector , il vou-
ojfficiers de son feu père et les siens , lait avoir en propre toute la gloire
sacramento îllo obligatus vers le de l'avoir tué :
comte île Fuentès.
(H) A peine pouvait-il souffrir que
l'on fît part de la gloire des bons suc-
cès a Henri le-Grand , et il menaçait
les historiens qui ne s' accommodaient
as h sa vanité. | Il y avait de la ja-
ousie entre ce monarque et le maré-
chal de Biron. Le roi ne convenait
pas toujours de la gloire que le ma-
réchal s'attribuait , et en disait fort
librement sa pensée au duc de Sa-
voie (34) , qui, par une finesse très- L'autorité d'Homère n'empêcha point
maligne, le mettait sur ces discours, que l'antiquité ne juge.1t que ce ca-
afin de pouvoir rapporter des choses ractére d'Achille n'était point bon.
qui outrassent le maréchal (35). Ce- Voici ce que Plutarque nous ap-
îui-ci, apprenant ces choses , se lais- prend (40 : A bon droit reprend-on
soit 11 lier mit pires puretés que sa mesme .lchdles, et dit-on qu il ne fit
eho' 'ère pouvoit former contre le res- point en homme sage , ains en jeune
pect et le service du roy ilfaisoit fol estourdy , et transporté par con-
des reparties fort brusques et légères, voilise d'honneur , en ce qu'il faisoit
car il estait fort sensible aux coups signe aux autres Grecs au fort de la
lancez contre la réputation de sa va- bataille, et ' leur defendoit de tirer
leur , au prix de laquelle il 11 estimoit coup a Hector, ainsi que dit Ho-
rien ; et quand il entroit en l'histoire mère :
de sa vie , il adjoustoit de mauvais ^ . , . 1 ., ■ . „„,
Que eest honneur autre ne luy levast,
XIV ç ,
Ot/ef t'ict 'tp.tva.i \tti "ExTOfi -nrix-pa. 0 -
XifAVCt.
MhTIÇ Xvi'tjç «tpOITO /Î&KWV , 0 &t $IV
Têpoç ê'xSol.
Populis aulem innuebal capile nobilis Âchilles,
Neque sinebal miUere in Hectorem acerba
tela ,
Ne quis gloriam auferrel jaculatus, ipse vero
poslerior veniret (4o).
contes de tout le monde , et n esp ar-
guait pas mesmes le roy (36). Auquel
il disait quelquefois (3j) , qu'il ne
voulait point qu'on disl en l'histoire
de France qu'autre que luy eust
faict telle et telle chose (38ï. Ayant vu
un discours de Pierre Matthieu sur
les causes et sur les effets des lan-
gues guerres entre la maison de
France et d' Auslriche ; et croyant
qu'on n'y parlait pas de lui ni si sou-
vent, ni si hautement qu'il vouloit ,
il s'en plaignit au chancelier de Bel-
lievre , et découvrit plus ouvertement
sa cholere à de Vie, ambassadeur en
Suisse , adjoustant aux mauvaises
paroles des cruelles menaces contre
Fauteur (39).
Notez qu'il y avait dans son carac-
tère une manière d'ambition toute
semblable à celle d'Achille. Ce héros
(34) Pendant le séjour que ce duc fil à la
cour de France , l'an 1600.
(35) Pierre Matthieu , Histoire de la Paix, lie
lTl,pag. m. 449.
(3G) Là même.
(il) La même, pag. t,fr.
(38) Ces paroles furent ditet et entendues au
siège d' Juliens. Matthieu, Histoire «le la Paix ,
liv. III , pag. 45î.
(39) La même, fcV. IV ', pag. 388.
lit que trop tard puis il n'y arrivas!.
(I) J'ai de la peine a croire ce que
l'on débite louchant son érudition.]
Balzac nous apprend une chose très-
curieuse (42); la voici. «J'ajoute
» hors d'œuvre aux deux Français
■» que j'ai allégués (43) , un troisiè-
» me que j'avais oublié, et dont vous
» ne vous douteriez jamais : t'est le
» maréchal de Biron, dernier mort;
» cet homme qui ne respirait que
» feu et que sang, et de qui Tor-
» quato Tasso a dit , en la personne
» d'Argante :
»* Impatiente , inesorahil , fîero ,
» Ne Vanne infaticabdeed invitlo, etc.
» Un de nos amis, qui le connaissait,
>; a écrit de lui ce qui s'ensuit : Le
» roi envoya le maréchal de Biron à
» la reine Elisabeth , l'appelant par
(4o) Homer. , Hiad. , lit. XXII, vs. to5,pag.
m. 63p.
(4i) Plut., in Pompeio, pag. 634, version
«i'Amyot.
(4?) Balzac, entretien IV, vers la fin, pag.
m. 7», -;3.
(43) Il avait parle', pag. 71 , de M. de Gi-
vry et de M. d'Urfe', qui ont M éloquent et sa-
unas , et ont su écrire en prose et en sers.
GONTAUT.
i3!
» ses lettres d'envoi , le plus tran- se trowa nullement enclin aux l,<i-
» chant instrument de ses victoires, très , mais toujours aux armes ; ce
» Le maréchal s'acquitta dignement qui fut cause que son père , le nia-
it de sa charge , n'étant point de'- récital de Biron , homme martial et
» pourvu des dons de l'esprit , non qui était catholique , le retira d'avec
» plus que de ceux du courage. Il a sa tante , et le mena un temps avec
» été dit ailleurs que, pour s'accom- lui par les provinces de Saintonge ,
» moder à la bêtise du siècle, il vou- Aunis et ytngoumois , et le fit in-
» lait se faire estimer brutal. Mais il struire en la religion catholique
» est certain qu'avec le naturel il Charles de Biron donc , jusqu'à
» avait l'acquis. Comme il parut un l'"ge de seize ans, en son adolescen-
» jour à Fresne , où le roi se prome- ce , étant incapable aux lettres , se
» nant dans une galerie , et ayant de- rendit si capable aux armes qu'il m:
u mandé à quelques maîtres des re- trouvait rien impossible ; son pire
» quêtes, l'interprétation d'un vers aussi y prenait plaisir ; et c'est une
» grec gravé sur une pierre de mar- chose merveilleuse qu'on a observée
» hre , le maréchal à leur défaut la en fui , qu'ayant été nourri aui his-
» jeta par-dessus l'épaule , et puis toires dans Brisam bourg , sous un
» passa la porte, étant honteux d'en nommé Afanduca, docte personnage
» avoir plus su que les maîtres des et Maltais de nation ( comb.'en que
» requêtes de ce temps-là. » Je suis lors il n'y profitait nullement), néan-
presque persuadé qu'on a pris le fils moins du depuis il en a rapporté des
pour le père ; car comme le père ai- exemples, et récité toutes sortes d'his-
mait la lecture et les entretiens sa- toires avec une façon admirable, corn-
vans , et qu'il mettait sur ses tablettes bien que de son naturel il ne fût point
tout ce qu'il entendait dire de remar- parleur [!\-)).
quable , ce fut apparemment lui qui (L) Henri IV le voulut faire son
trouva dans ses tablettes l'explica- gendre. ] J'ai lu cela dans les Addi-
tion du vers grec, et qui la fournit, tions aux Mémoires de Castelnau , et
Je n'ai garde néanmoins de rien dé- je ne pense pas que mes lecteurs
cider : on verra dans la remarque soient f;îchés d'en trouver ici un bon
suivante un fait qui cause mon in-
certitude. M. dePéréfixe (^\) déclare
que Biron le fils était fort, ignorant;
imiis extrêmement curieux des pré-
dictions des astrologues , devins ,
géomanciens et autres affronteurs
morceau tout plein de choses cu-
rieuses (48). « Si le duc de Biron ne
» conspira contre sa personne (4g) ,
» on ne peut nier qu'il n'eût con-
>' juré contre son état , et qu'il ne
» fût d'intelligence pour le mettre
Au reste, M. de Balzac n'agit point » en pièces, et l'abandonner en proie
ici avec assez de rondeur; il se sert s au roi d'Espagne et au duc de Sa-
un peu des ruses des auteurs glo- » voie , son prétendu beau-père. Le
lieux; il n'ose nommer celui qu'il » roi fut d'autant plus irrité de sa
cite ; il espère que ce silence fera » défection , qu'il l'aimait jusqu'au
soupçonner aux lecteurs qu'il a puisé » point d'avoir jeté les yeux sur lui
dans une source inconnue au reste
du monde ; et cependant ce qu'il rap-
porte est tiré d'un livre commun; je
veux dire de l'Histoire de d'Aubi-
gné (45). J'ai fait ailleurs (46) une
pareille remarque.
(K) Ce que l'on conte de sa ré-
» pour le faire son gendre , et pour
» lui faire épouser Cathcrinc-Hen-
» riette , sa fille , depuis duchesse
» d'Elbœuf , afin de mieux assurer
» sa couronne au duc de Vendôme ,
» qu'il prétendait rendre légitime
» par son mariage avec la duchesse
miniscence mérite d'être rapporté. ] " de Beaufort. Il découvrit ce d
T cil 1 1 1 1 r*l_rl facile *-r»i*,il fnf Â\ n-mr ™ .. Il C*"»in n KAnt iinonldiu ,,,,,* A** -i/m
J'ai dit ci-dessus qu'il fut élevé au
près de sa tante paternelle , la dame
de Brisambourg. J'ajoute ici qu'i7 ne
(44) Histoire de Henri-le-Grand , pai>. m. 3"4-
(45) Aulome III, liv. V,chap. XII, vae.
G68 , 669.
(46) Dans la remarque (C.) de l'article Ck-
vitciMTE, à la fin, tom. IV, pag. 6o3.
»> sein à Fontainebleau, peu de jours
» après la mort de cette dame , sa
» maîtresse, au sieur du Vair , lors
(47) Cayet, Chronologie septénaire, fol. iiç).
(48) Le Laboureur, Additions aux Mémoires
de Castelnau, loin. Il, pag. «3a.
(4p.) C'est-à-dire , contre la personne île
Henri IV.
i36
GONTAUT.
conseiller d'état , dans une con-
férence particulière , après lui a-
voir conlie ses regrets ; et l'ayant
oblige' de ne lui point celer ce
qu'il en pensait : Si votre majesté,
sire , lui dit-il , était un duc de
Toscane, de Manloue ou d' Urbin
( c'est que l'Italie est toute pleine
d'exemples de cruauté' , particu-
lièrement dans l'e'tablissement des
souverainetés , qui ont e'té presque
toutes tyranniques dans leurs com-
mencemens),7'e croirais qu en fai-
sant exterminer ses parens et amis
d'iceux , elle pourrait avoir établi
des enj'ans non légitimes ; mais
étant un roi de France si débon-
naire et soigneux de vivre comme
ses prédécesseurs , elle eût couru
grande fortune de perdre tout-a-
fait l'état et peut-être la vie. Vous
vous trompez , lui répondit le roi,
en France on s'accoutume à tout.
Le roi ayant perdu le moyen de
faire régner le duc de Vendôme ,
songea à le rendre le plus grand
du royaume , et continuait son
dessein de lui donner le duc de
Biron pour beau-frère ; mais soit
qu'il n'y trouvât pas le même a-
vantagc , ou qu'il fût fâché de
se voir engagé par autorité à un
parti qui ne pouvait comme au-
paravant satisfaire son ambition ,
il se laissa follement flatter de
l'espérance de pouvoir épouser la
fille du duc de Savoie , descen-
due par ses père et mère du roi
François 1er. et de l'empereur
Charles V Le même sieur du
Vair , retournant de la cour en
Provence , par Dijon , eut un long
entretien avec le secrétaire du duc
de Biron : et comme il lui eut té-
moigné quelque étonnement qu'un
seigneur de son âge , si grand et
si établi , ne se mariât point , il
lui donna quelque lumière de ses
desseins par cette réponse : Ces
grands se laissent mettre à la tète
de si hautes entreprises qu'ils ont
peine à se connaître. En effet , ce
duc de Biron , qui était d'un es-
prit fier et hautain, et presque in-
gouvernable, ne se plaisait qu'aux
choses difficiles et presque impos-
sibles ; il enviait toute la gran-
di -m d'autrui ; et la jalousie qu'il
portait au duc de Montmorenci ,
» à cause de sa charge de connéta-
» ble , s'étendit jusqu'à Louise de
" Budos , sa femme II lui fît par-
» 1er de mariage , son mari vivant ,
« comme celui qui croyait devoir
» être son successeur (5o) , et la par-
» tie était faite entre eux , si leur
w destinée y eût consenti ; mais tous
» deux moururent dans la fleur de
» leurs années et de leurs grands
» desseins , et le connétable leur
» survécut. »
(M) et se vantait de lui avoir
sauvé la vie. ] J'ai lu cela dans une
Histoire de Henri-le- Grand composée
par Q. Sossi. Cet auteur (5i) intro-
duit ce prince disant : Tout roi que
je suis , j'ai sauvé un mien soldat
de la mort ; sans moi il eût été tué
devant mes yeux ; j'ai vu ce vail-
lant guerrier tourner le dos à l'en-
nemi. Il est hors de doute que ce
que le roi disait était assez notoire :
sur la frontière , poursuivant Far~
nèse qui faisait sa retraite , il y eut
une rencontre de combat a cheval ,
auquel l'ennemi ayant repi-is ses for-
ces attaqua Biron , et perça d'un
coup de lance son cheval. Tout na-
vré de coups d'épées en la rencontre
de Fontaine-Française , il reçut un
coup sur la tête , dont il eut les yeux
tout éblouis du sang qui coulait de
sa plaie. Le roi le retira de ces deux
dangers. Pierre Matthieu rapporte
ceci avec plus de netteté. Il m'a
bien servi , disait le roi , mais il ne
peut dire que je ne lui aye sau-
vé la vie trois fois. Je le tirai des
mains de l'ennemi à Fontaine- Fran-
çaise , si blessé et si estourdy de
coups , que comme j' avois fait le sol-
dat pour le sauver, je fis encores le
mareschal pour la retraicte ; car il
me dict qu'il n estait pas en estât d'y
penser ni de me servir (5a). Voici
ce qu'il y a dans la marge de cet
historien : « Au combat de Fontaine-
» Françoise le roi dégagea le mares-
(5o) L'auteur du Discours historique de la
fortune el disgrâce des favoris, insère dans les
Additions aux Mémoires de Castelnau , parle
ainsi , pag. 1 35 : Le roi , pour récompenser les
services dudit maréchal , le fit duc et pair , lui
donna de grands appnintemens, et n'attendait
que la mort du connétable, déjà fort vieux, pour
lui en donner la charge.
(5i) /.i>'. IV, pag. m. Ifii.
(5a) Matthieu, Histoire de la Paix, liv. IF,
pag. m. 386.
» chai de Biron du milieu des arque-
» busades. Un des serviteurs de sa
» majesté' lui dit qu'il y avoit trop
» de Lazard à se jetter aveugle'ment
» au milieu de ses ennemis. Il est
» vray , dit le roi , mais si je ne
» le fais , et que je ne m'advance ,
» le mareschal de Biron s'en pre'vau-
» dra toute sa vie. »
(N) Je ne marquerai que deux fau-
tes de M. MorériJ] Il dit que là ba-
ronnie de Biron fut érigée en du-
ché et pairie après que le maréchal
fut retourné de son ambassade d'An-
gleterre. Cela est faux (53) : l'érec-
tion pre'ce'da d'environ trois ans
cette ambassade. Il ajoute que le
sieur de Biron, ayant perdu la charge
d'amiral , et eu quelques petits su-
jets de mécontentement , machina
contre l'état. Cela aussi est faux : il
s'était démis volontairement de l'a-
mirauté , l'an i5g4 , et avait été lar-
gement récompensé de sa démission.
(53) Celte faute e<t dans le père Anselme,
Histoire des grands officiers , pag. 211.
GONZAGUE (Cécile dé)
doit être comptée parmi les plus
vertueuses et les plus savantes
filles qui aient vécu au XVe. siè-
cle. Elle fut instruite aux belles-
lettres par Victorin de Feltri ,
avec des progrès admirables ; car
c'est d'elle , si je ne me trompe ,
qu'il faut entendre ce que l'on
trouve dans l'un des livres d'Am-
broisedeCamaldoli(A). Sa mère ,
Paule Malateste , dame très-illus-
tre par sa vertu , par son savoir
et par sa bonté, lui inspira le
mépris du monde (B) , et la por-
ta à vouloir être religieuse. Ce
désir fut ferme , et ne céda point
aux oppositions. Cécile harangua
son père , qui ne voulait point
qu'elle renonçât au mariage , et
lui montra par de très-bonnes
raisons la justice de son dessein
(a). J'ai marqué ailleurs {b) la
(a) Voyez In remarque (B) , citation (7).
(_!/) Dans l'article ConkaîiVS, tom. F.
GONZAGUE. 337
lecture qu'on lui conseilla lors-
qu'elle fui engagée à la vie reli-
gieuse. M. Joly a fait quelques
fautes (C).
(A) C'est d'elle qu'il faut ew
tendre ce que l'on trouve dans. ...
Ambroise de Camaldoli. ] Lisez son
Hodœporicon , vous y trouverez (1)
que VictorinusFeltrius enseignait les
belles-lettres à Mantoue, avec beau-
coup de réputation, et qu'il instrui-
sait les enfans du seigneur du lieu :
c'était Jean-François de Gonzague. II
avait une fille d'environ huit ans
qui savait déjà les déclinaisons et
les conjugaisons de la langue grec-
que , de quoi elle fit preuve en
présence du très -docte Ambroise ,
général des Camaldoli , lorsqu'il passa
par la ville de Mantoue , l'an i43a.
Principis filiam octo fermé annorum
ita imbuerat ( Victorinus Feltrius )
ut legeret jam et scriberet , greeca-
que et nomina et verba inoffense de-
clinaret non sine admiralione noslrâ.
Voilà les paroles dont Ambroise s'est
servi dans la relation de son voyage,
c'est-à-dire de la visite qu'il fit de
plusieurs maisons de l'ordre dont il
était général. Je m'en vais dire une
chose qui doit être rapportée , ce
me semble , à un voyage postérieur.
Je la copie de M. Joly (2) : Ce qui
est rapporté d'une autre fille dans
la Vie d' Ambroise (*') , général de
l'ordre des Camaldoli , est tout au-
trement remarquable. Ambroise étant
envoyé par le pape Eugène IF au
concile de Baie , il passa h un châ-
teau appelé Gorda , dans le territoire
de Mantoue , où il trouva deux en-
fans , dont l'un était un garçon de
quatorze ans , qui récita devant lui
deux cents vers qu'il avait composés ,
avec tant de grâce ( *I ) , qu'il ne
croyait pas que Virgile eut mieux pro-
noncé devant Auguste son sixième
livre de V Enéide : il n'est point fait
mention qui était ce garçon. Mais
(1) A tapage 34.
(2) Joly , Avis chrétiens et moraux pour l'in-
stitution ries enfans , pas. 347, ^48-
(*') Lib. 3 historiar. Camaldulens. cap. 24-
autore Augustino Florenùno monacho Camal-
dulensi, edit. Florenlia: , i57?, in-4°.
(*2) L'auteur de celle histoire dit qu Ambroise
avait rapporté cela dans la trente-cir,quième dt
ses épttres.
i38
GONZAGUE.
gîtant à la fille il y a ce qui suit ( ).
Il se présenta aussi la fille du prince
(c'est-h duc du <luc (3j de Mantoue) ,
ayant environ l'âge de dix ans , qui
écrivait en grec avec tant d'élé-
gance qu'Ambroise n'en eût pas dé-
biioux ni en parures , elle dépen-
sait beaucoup à bâtir ou à réparer
des églises , à nourrir les pauvres ,
à marier de jeunes filles, etc. Elle
inspira le même esprit à notre Cé-
cile, comme Matthieu Bossus va nous
iré davantage dans tout homme sa- l'apprendre (7). Habuit Mantua Pau-
vant.
Je crois sans peine qu'il s'agit de
la même fille dans ces deux voyages,
et que cette fille est celle qui l'ait le
sujet de cet article.
Notez que Victorin de Feltri fut
un homme très-célèbre. Voici ce que
Léandre Albert en a dit dans sa Des-
cription de l'Italie (4) : Illuslrdrunt
Feltrium ingénia qtiœdam nobilia ,
nominatim J^ictorinus memorid nos-
trorurn avoruni linguœ latinœ , quœ
tam dm perierat , reductor ac instau-
ralor.
(B) P aule Malateste... illustre par
sa vertu lui inspira le mépris du
monde.] Léandre Albertla loue beau-
coup , et déclare qu'elle fut com-
blée d'éloges par tous les auteurs du
temps. Paula Francisci primi Gon-
zagœ Mantuani marchionis conjux ,
non solhm excellenti formœ pulchri-
tudine ( yenuslissima quippe totius
Italiœ habebalur ) sed etiam mu/lis
virtulibus , lilteris , prudéntid , sanc
lam Gonzagam illustre m fosminam
universd llalid celeberrimam , quant
si dixero corporis cultum contemp-
sisse , omnem suam rem in œdiji-
candis instaiirandisque delubris , in
pauperum Chrisli necessitalibus , in
locandis nuptuiqtte tradendis virgini-
bus , quœ quidem maxima sunt, ero-
gdsse , si nihil unquam illam, omi-
sisse , quod ad l'eram luimililatem ,
culmenqiie virtutis conducat , si orn-
ais denique ingenioli mei vires in ejus
laudibus expendam , paritm dixisse
me profectô semper agnoscam. Pri-
mant Paulam , cujus modo mentio-
nem fecimus (8) imilala , Cucilmm
virginem suant Jiliam lillerarum peri-
tissimam suo educalu , sud que imi-
tations ad tantam scecularium orna-
mentorum, ut ita dixerim, nauseam
perduxit , et ad religionem inflam-
mavit , ut apud pairem primum
DJantuœ marchionem vincere ejus
propositnm cupientem , causam con-
Ces
stantissimè agere non sit venta
paroles sont tirées d'un discours que
tilateque decorata (5). Ailleurs, en Matthieu Bossus ^ adressa au car-
parlant du même François de bon- dinal Begsarion ? pour l'exhorter à
zague , élevé a la qualité de mar- ng point permettre que ies femmes
de Bologne reprissent leurs orne-
mens.
(C) M. Joly a fait quelques fau-
tes. ] N'abrégeons pas son discours ;
une infinité de gens apprendront
avec plaisir ce que j'en retranche-
rais. A bien considérer ces temps-là,
dit-il (10) , on peut dire qu'ils fu-
rent plus féconds en femmes savan-
tes que d'autres , quoique l'igno-
rance fut grande alors parmi les
hommes ; car il est fait mention dans
la fin du siècle de i5oo, d'une Paule
de Gonzague , fille du marquis de
Mantoue, religieuse; d'une Baplista,
quis de Mantoue , par l'empereur Si
gismond, le 22 septembre i4-33 , il
dit : Uxorem habuit lectissimam fee-
minam , religione , sapientid , pudi-
ciïid , litterisque decoratam Paulam
Malateslam, ab omnibus illorum tem-
porum scriploribus ob singulares vir-
tutes miripeè laudatam (6). Qui n'au-
rait loue une femme si incompara-
ble ? Elle passait pour la plus belle
de toute 1 Italie , et néanmoins elle
méprisait tous les ornemens du corps;
et, ne faisant point de dépenses en
(*) Adfuit puella quoque principis filia.de-
cpnnis fermé, Grwcè ad. o scribens el.gnntcr, ut
tanlundem in quolibet à se crudilo homine A111-
brosius desideravrrit.
(3) Les seigneur* de Mantoue n'étaient point
encore ducs : Us n'ont celle qualité que depuis
l'an i53o.
(4) Pag- m. 74(V
(',) Lcand.r Albertu», Dcsrnptio Ilalirc , pag.
45G.
(G) Idem , ibiil. prrg Co8.
(7) Matlliœiis Bossus , de Immoderato mulie-
rum Culta , pag. m. 327.
(8) Un peu auparavant , il avait parle de
Paula, mire de Blesilla et d'Etutochium, si
célèbres dans les 1 crits de saint Jérôme.
(i)) Il était de Vérone , et chanoine re'guliei :
j'ai donné son article.
(luj Joly, Voyage de Hollande, pag. i63, 1G4.
veuve du sieur d' Arimini ; des fit/ es
de Jean Férujfini , jurisconsulte mi-
lanais, à qui Marguerite, leur mère,
eut autant de soin de faire appren-
dre les langues grecque et latine ,
que depuis , Thomas .Monts eut de
les faire apprendre aux siennes ; d'I-
sota JVogarola , de Vérone , oii le
cardinal Bessarion l'ayant été visi-
ter exprès , dit que. c'était une vierge
plus divine qu'humaine (*') \ de Vio-
lante , veuve du prince de Céséne ,
et par après religieuse de l'ordre
de saint François , toutes rapportées
par Matthieu Bossus (*') , aussi / V-
ronais , chanoine régulier de saint
4ugus1in. C'est commettre plus d'une
faute que de dire que la docte fem-
me nomme'e Paule , dont Matthieu
Bossus a fait mention, a ve'cu dans
la fin du XVe. siècle , et qu'elle
e'tait fdle du marquis de Mantoue ,
et religieuse. Elle e'tait de la maison
de Malateste, et puisqu'elle eut pour
mari le premier marquis de Man-
toue (n) , il ne la faut point placer
à la fin du XVe. siècle ; car ce mar-
quis mourut l'an i4$4 02) > après
avoir eu d'elle plusieurs enfans. S'il
était vrai qu'il l'épousa l'an i4<° ,
comme l'assure M. de Marolles (i3),
l'erreur de M. Joly serait plus vi-
sible. Joignez à cela que Matthieu
Bossus ohserve qu'elle prépara sa
fille Cécile à la vie religieuse : il ne
dit point que se voyant veuve elle
GONZAGUE. i3g
Je sais de plus qu'elle (tait de la
maison de Malateste , qui dominait
à Arimini (i.'j) : et en tout cas je
suis bien sûr que cette dame avait
beaucoup de crédit dans toute la
ville ; car son exemple , ses exhor-
tations et ses ordres obligèrent les
femmes d'Arimini à s'habiller mo-
destement , et à renoncer aux lon-
gues queues de jupe. Une telle ré-
formation n'est point l'ouvrage d'une
dame médiocre en autorité et en mé-
rite. C'est l'une des plus difficiles en-
treprises qu'on se puisse mettre dans
la tète. Quoi qu'il en soit , voyons
tout du long le bel éloge que Mat-
thieu Bossus adonné à cette héroïne
chrétienne. Bajjtistani insignern Ari-
minense solum habuit siizgulari hu-
mditate , pariter et litlerarum stu-
diis preedilam , quœ adeo animi or-
namenla corporalibus prœtulit , ut
nihil unquant prœtermisisse visa sit,
quod ad principis aut pixesentis mit
futurœ decus , et ornamenlum ullo
pacio poluerit attinerc. At cceteris
suis rébus gestis omissis , invenio il-
lam etiain vivente viro nedum humili
habilu incessisse , verum cœtcras con-
cives et populares hortatu suo im-
perioque temperalissimis ornamen-
tis , brevissiinisque veslitim candis
usas fuisse ( i5). Volaterran ( 16) a
parlé de l'érudition de cette femme ,
et ohserve que Léonard Arétin et
plusieurs autres savans lui dédièrent
embrassa l'état monastique. Je n'ai des livres. Prenez bien garde que je
point les lettres de cet auteur ; ainsi ne prétends pas nier qu'il n'y ait
je ne saurais dire si l'on y trouve eu une religieuse nommée Paule de
que la savante Baptista avait été ma- Gonzague : je dis seulement que ce
riée au seigneur d'Arimini. Je sais n'est point d'elle que Matthieu Bos-
seulement qu'il ne le dit point dans sus a parle* ; il était mort avant
qu'elle entrât en religion : elle n'a
vécu qu'au XVIe. siècle • et je n'ai
vu aucun auteur qui la loue que
sur le pied d'une religieuse très-dé-
vote. Voyez Hilarion de Coste, à la
page 707 du Ier. tome des Éloges des
dames illustres , où il dit qu'on a
voulu la canoniser.
(i4) Fuit et Baptista singularit Çormœ , sa-
pientiœ , honesiaiis ac eruditionis millier.
Leand. Alberlus . De^cripl. Italire. pag. 456.
(i5) Matlljx'us Rossas, de Iramotlcra'o Gui ta
fœminarum, pag. iz-.
(îG) Volaterr. , Commentai-. Urban. , lilt. V I ,
pag. 2o3.
GONZAGUE (Éléonore de) ,
fille de François II , marquis de-
l'autre ouvrage que M. Joly a cité.
("') V- aux Dames illustres de la Coste , pag.
721.
( 5) In Recuperationib. Fœsnlanis , ad Bessa-
rion. Csrd. de lione^to Cultu fœminarum. /(. ,
ep. 3 et 102.
(1 1} Bossus Voiture dans les paroles que j'ai
citées ci-dessus, citation (7).
(12) Volaterr., lit. IV, pag. It3. Leand.
Albertns, Descr. Ital. , pag. 608. // v a erreur
dans tet calculs de ce dernier: il rapporte une
inscription qui témoigne que ce marquis riait
âge' d'environ douze ans au mois de mars 1407.
(Volaterran , Uv. IV, pag. n3, lui en donne
quatorze, ) et puis il place sa mort au =3 d'oc-
tobre 1-144 . et lui donne cinquanle-qualre ans
de vie. L'abbé de Marolles, Mémoires, loin. I,
P"S 427i s'accorde avec lui sur ces deux
nombre*.
(i3) Marolles, Mémoires , tom. I , pag. txi~.
140 GONZAGUE.
Mantoue, et femme de François- ce* duché François-Marie de la Ro-
Marie de la Bovère, duc d'Urbin ^,re- Voilà le tem-Ps de disgrâce où
(A), au XVIe. siècle, se rendit frZT'B ""T* "T *?"** C°'l~
:,,'' r. h i- - stance aux adversités et aux coups
illustre par ses belles qualités, injurieux de la Fortune que reçut
Elle fit paraître beaucoup de son mari, quand il fut privé pour
constance dans sa mauvaise for- (Iuel(lll« temps de son état , ce qui
tune, et beaucoup de modéra- Zt$ JT" lUmordp de sf S^
i X^r, nerosite ordinaire, m de carder a
tion dans les temps heureux. Elle son mari une entière fidélité , lui
aima toujours son mari , et lui faire bonne compagnie , et le conso-
tint une fidèle compagnie dans ler en ses djsSr»ces » auxquelles ,
„.,„ i- a ,r>\ ht • comme une femme d'honneur . elle
ses disgrâces (B) Mais sur toutes uoulut toujours a.oir part (2) Ils ren-
les vertus elle chérit la chasteté; trèrent en possession du duché d'Ur-
ce qu'elle fit hautement paraître bin après la mort de Laurent de
par la rigueur qu'elle exerçait *itdQic*s/v( V' H marï ™>"™t l'an
ooS (4). raid Jove le loue beau-
pa
contre les femmes de mauvaise
coup (5).
vie (C). Elle eut cinq enfans , (C) Elle fit paraître son amour
deux fils et trois filles. Guy- Pour ^a chasteté par la rigueur'qu elle
Ubalde de la Bovère , son fils exercaU ™nt™ lesjemmes de mau
aîné, fut duc d'Urbin ; le puîné
futducde Sore, et cardinal ; Hip-
polyte, l'aînée des filles, fut fem-
me d'Antoine d'Aragon , duc de
deMontalte ; Julie, la seconde ,
épousa Alfonse d'Est , marquis
Montecchio ; Isabelle , la plus
jeune de toutes , fut mariée avec
Alberic Cibo , prince de Malespi-
ne et marquis de Massa (a).
(«) Tiré cl'Hilarion de Coste , Éloges des
Dames illustres, tout. 1 , pag . 5^4 et suiv.
(A) Elle était femme de François-
Marie de la Rovère, duc d' Urbin.]
Il était neveu de Jules II , et (Ils
de ce Jean «le la Rovère à qui Sixte IV
donna la principauté de Sore et de
Sénégaille , et qui épousa Jeanne de
Montefeltro, fille de Frédéric de Mon-
tefeltro , duc d'Urbin. Notre Fran-
çois-Marie , issu de ce mariage, de-
vint duc d'Urbin après la mort de
Guy-Ubalde de Montefeltro , son on
vaise vie.] « Car elle ne voulut voir
» chez elle , ni avoir aucune fami-
» liarité avec les dames de maison
>> et de qualité qui avaient eu le
» bruit et soupçon d'avoir souillé
» l'honneur de leur sexe par le désor-
» dre de leur conduite, et fut mor-
» telle ennemie de toutes celles qui
» s'étaient laissées aller aux infâmes
» plaisirs de l'impudicité , en ayant
» banni et fait chasser plusieurs de
» ses terres , et fait punir avec sé-
» vérité ces vieilles misérables qui ,
» après avoir perdu en leur jeunesse
» la honte, l'honneur, la conscience
» et la réputation , ne pensent jour
» et nuit , étant sur la fin de leurs
» jours , qu'aux moyens de rui-
» ner et de perdre les jeunes filles
» simples et peu avisées. Aussi elle
» est encore digne d'une éternelle
» mémoire pour n'avoir jamais épar-
» gné ses biens pour enlever toutes
» les innocentes colombes abusées
» des grillés des éperviers , et les
» consacrer aux autels , où depuis
» elles ont fait des merveilles en
)> matière de vertu (6). » C'était là
cle maternel , qui ne laissa point de remplir les devoirs d'une princesse
postérité (i).
(B) et lui tint une fidèle com- (i).Hilarion de Coste, Éloges des Dames,
■ j j -«ii'-v loin. I . pas. 54^.
pasme dans ses ifiscraces. Léon A «vT ■ ... „ . , , ,,,
a . // j j,i, °i . ¥ J . ■■ (31 Leaiul. Alliert., Desciipt. Itali», pas;. 445.
ayant crée duc d Urbin Laurent de }An u j
.;,,.. , , i,i l'i) Hem, ibidem.
Médias, son neveu, dépouilla de (5; Paulus Jovius , Elog. beUicî virt. illustr...
Iib. ri, pag. m. /J97.
(1) Vuyez. Lcand. Albert, Desciipt. Mal. , (G) Hilorion de Coste, Eloges des Dames illus-
pas. m. \\ i. très , (oui. /, pag. 546, 547.
GONZAGUE.
Hi
vertueuse ; car on peut dire qu'elle d'être comptée parmi les dames
ne les aurait point remplis si elle les plus illustres. L'un de ses pa-
se fût contentée de garder exacte
ment la foi conjugale. Cela peut suf-
fire à une femme du commun , mais
non pas à celles qui occupent les
premières places. Elles sont indis-
pensablement obligées à imprimer ,
Î)ar des te'moignages manifestes de
cur indignation , une note d'infa-
mie aux femmes galantes. Cette fle'-
trissure est une leçon plus efficace
de bonne conduite que les sermons
les plus éloquens d'un prédicateur
pieux ; et il est certain que les de'sor
neg\ listes la nomme femme pour
sa boMé ■ son intégrité , son cou-
rage et sa noblesse , plus divine
qu'humaine (b). Elle eut une
chasteté qui mérite de l'admira-
tion : mais on en raconte des
circonstances qui paraissent fa-
buleuses ; car on dit qu'ayant
couché deux années avec sou
époux , sans qu'il eût rien fait de
dres qui procèdent de la galanterie ce qu'on nomme devoir conju-
des femmes sont une tache à la vie ] elle demeura très-persuadée
il une souveraine , quelque vertueuse ° ,., ■ -1
qu'elle soit de sa personne; car enfin qu il ne manquait rien a son
si elle excluait de sa familiarité les mariage (A) , et que tous les au-
femmes de mauvais renom , si elle
leur défendait l'entrée de son pa-
lais , si pour le moins elle les mor-
tiiiait par des marques de froideur ,
et par des censures , pendant qu'elle
ferait éclater son estime et son ami-
tié' pour les femmes chastes , elle
produirait infailliblement la refor-
mation des mœurs. D'où l'on peut
conclure que si la galanterie marche
la tête levée , c'est un signe que la
principale dame ne met guère de
distinction extérieurement entre cel-
les qui donnent lieu à la médisance ,
très maris ressemblaient au sien.
Enfin elle fut désabusée de cette
erreur , et son mari même lui
avoua son infirmité , lorsqu'il se
fut aperçu qu'elle en savait la
nature (B) ; mais elle ne cessa
point d'avoir pour lui beaucoup
de tendresse : elle le consola, et
ne se plaignit jamais , et ne révé-
la à personne l'état de son maria-
ge. Ce secret ne laissa pas d'être
et celles qui se conduisent très-bien, connu au public (C) ; et alors
Voyez ce qui a été dit en un autre elle se vit puissamment sollicitée
heu (7). Je veux que l'on attribue « „ „ < i> . 1 ■
, t. '' ■ M i f . a sonsrer a d autres noces ; on lui
cette connivence , non pas au défaut _ v , . . , »
de zèle pour la propagation de la ht voir qu " lxa serait tres-lacile
pureté, mais à une certaine douceur de faire déclarer nul son mariage ,
de naturel qui ne permet pas que et ou lui mit devant les yeux plu-
Ion s oppose au torrent avec les hau- „• „ „ . -j' .- . •
, Kl . ,, - . . sieurs autres considérations très-
leurs nécessaires : alléguez cette ex-
cuse tant qu'il vous plaira , je vous
soutiendrai que la mollesse , ou si
vous voulez la douceur de naturel ,
est un grand défaut eu de pareilles
rencontres.
(7) Dam la remarque (M) de V article de
Lot'is XII, loin. IX.
GONZAGUE (Isabelle de),
femme de Guy-Ubakle de Mou-
tefeltro (a), ducd'Urbin , mérite
(a^ Et non pas de la Rovère, comme llila-
riou.de Goste le dit, pag. 697 du /' ', tome
tics Eloges des Dames illustres.
fortes. Rien ne l'ébranla(D) ; elle
fut très-fâchée que l'impuissance
de son mari fût connue , et il n'y
eut que la mort du duc qui la sé-
parât de lui. Cette mort la jeta
presque dans le désespoir , et il
s'en fallut bien peu que son af-
fliction ne fût mortelle au pied
de la lettre (E). Notez que son
h Joseph Betussi , délie Donne illustre,
cite par Hilarion de Coste, tom. /, pag. b'97.
Vojrez aussi Crist0fanoBron7.ini . delladigni-
tà e nobillà délie Donne, Civrnata quinta ,
pag, I i(j.
,^2 G01SZAGUE.
mariage dura vingt ans (c). Les
exclamations d'un minime qui
l'a louée sont pardonnables, vu
la rareté du fait : néanmoÉb , il
aurait pu se modérer un peu plus,
sans sortir des règles d'un bon
rhéteur. Notre Isabelle passa le
reste de sa vie dans un veuvage
glorieux. Elle était tante d'Éléo-
nore de Gonzague , qu'elle maria
avec un neveu de Jules II , je
veux dire avec François-Marie de
la Rovère, successeur de son mari
au duché d'Urbin. Vous ver-
rez par -là en quel temps elle
a vécu , et si vous lisez le Courti-
san de Balthasar Castillon , vous
l'y verrez fort louée , et vous
comprendrez que la cour d'Ur-
bin était alors tout-à-fait polie.
Je rapporterai ce que Pierre Bem-
bus disait de cette duchesse (F).
(c) Tiré d'Hilarion de Coste , Éloges des
Dames illustres , tom. /, pag. 697 et suiv.
(A) Avant couché deux ans areeson
époux, "sans qu'il eût rien fait de ce
qu'on nomme devoir conjugal, elle de-
meura très-persuadée qu'il ne man-
quait rien a son mariage.] Servons-
nous des phrases du minime Hilanon
de Coste ; car la traduction que je vou-
drais faire de son français déplairait
peut-être aux lecteurs prudes. « Elle
« fut du nombre de celles dont parle
» l'apôtre , qui sont mariées comme
» ne l'étant point, car ou par la fai-
» blesse de son âge,ou parla simplicité
» de son naturel , elle fut les deux
» premières années de son mariage
» dans une si profonde ignorance du
» sacrement où elle était engagée ,
» qu'elle estimait qu'il en^ fût des
» autres mariées comme d'ellc-me-
j, me : semblable en cela à la femme
» de l'ancien lliéron , qui ne se plai-
M gnait point de la mauvaise halei-
» ne de son mari, estimanl que Ions
» les autres hommes l'eussent ainsi
» forte : mais L'âge par une secrète
» et non insensible leçon , lui ayant
v enseigne ce qui n'est pas ignoré
» des nations les plus barbares, ni
» des complexions les plus endor-
» mies , notre nature corrompue
» n'étant que trop encline aux plai-
» sirs sensuels , soit que la libre fré-
» quentation qu'elle avait comme
» mariée avec les dames qui l'étaient,
» lui apprît des choses qu'elle ne sa-
» vait pas , les taies de son ignorance
» tombèrent de ses yeux (1).» Il n'est
point vraisemblable qu'elle ait été si
long-temps aveugle dans une affaire
comme celle-là. La plupart de ceux
qui ont lu le livre de ce minime
ont dit sans doute que pour trouver
une fille d'une si grande innocence à
l'égard de la théorie , il la faudrait
prendre à l'âge de cinq ou six ans.
En effet , il règne une très-mauvaise
coutume dans les familles , soit qu'on
ne la puisse empêcher , soit qu'on es-
père qu'elle sera de quelque usage ,
soit qu'une secrète providence souf-
fre cela pour le bien temporel de
l'univers. Dès que les enfans ont un
certain âge , on ne leur parle que de
maîtresses et que de galans ; on dé-
clare aux petites filles qu'on veut
corriger de quelque chose, que si
elles ne s'en corrigent , elles n'auront
jamais de mari ; on leur promet la
conquête d'un galant, pourvu qu'elles
fassent ceci ou cela (2). Cent promes-
ses , autant de menaces , sont éter-
nellement en campagne sur ce ton-
là. Les servantes du logis, les blan-
chisseuses , les lingères , les femmes
de chambre , etc., vont beaucoup
plus loin , elles expliquent à l'oreille
tout ce que cela veut dire. Mille oc-
casions s'en présentent naturellement.
Il se fait des mariages de temps en
temps dans le voisinage , dans la pa-
renté : on est curieux d'aller aux
temples pendant la cérémonie des
bénédictions nuptiales, ce qui arrive
souvent ; et voilà une ample matière
de conversation , non-seulement à
haute voix , mais même à voix basse,
pour l'instruction mystérieuse des
petites novices. Celte instruction se
donne surtout dans le temps qui
court entre les préliminaires des
fiançailles, ou plutôt entre les fian-
çailles, et le jour des noces. Par ce
(11 Ililarion de Coste, Éloges des Dames
illustres , tum. I.pag- 69- , 698.
fa) Voyez les Nouvelles Letlres contre le
Calvinisme de Maimbourg , pag. 663, 664.
GONZAGUE. 143
moyen la théorie du mariage est nés tes /lambeaux et les ruines de leurs
très-bien connue avant l'âge de pu- maisons , des états et des républiques,
berté. Mais posons le cas qu'on eût et des pères qui les onWengehdrés.
mettre une fille à couvert des Que pour son regard il ne s'en mit
prévenir la curiosité de la nature ; jusqu'au tombeau , afin que lui ne
posons , dis-je , le cas qu'une fille fût pouvant pas , par défaut dénature,
donnée à son époux aussi ignorante jouir de ce qui lui était destiné, un
dans la théorie que dans la pratique, autre ne vint h la posséder, et que
pourrait-elle demeurer long -temps personne n'en saurait jamais rien.
dans cette ignorance? N'y a-t-il pas (C) Ce secret ne laissa pas
encore une antre coutume qui règne d'être connu au public] Hilarion de
partout? Ne fait-on pas cent questions Coste (4) , ayant fait une exclamation
aux nouvelles mariées, le lendemain contre ceux qui disent que les fem-
de leurs noces? Si leurs mères par mes ne sont pas capables de secret ,
bienséance s'abstiennent de ques- ajoute que la duchesse d'Urbin a plus
tionner , nVmploient-elles pas d'au- fidèlement gardé son secret et sa pro-
tres femmes? Lestantes et les cou- messe h son mari que ce prince ne
sines , les amies , etc. se peuvent-elles l'a gardée , ayant vécu plus de qua-
empéehei de faire subir l'interroga- torze ans avec lui, en sorte que par au-
toire ? On ne saurait donc s'imaginer cune plainte elle n'a fait paraître 'e
que notre duchesse d'Urbin ait été défaut de son mariage; aux preinii-
deux ans, depuis ses noces, dans l'igno- res années elle le cela par jeunesse et
rance (pie le minime lui attribue. par ignorance , depuis par honneur ,
(B) Son mari même lui avoua son in- Par la force de sa vertu, et parl'o-
firmité, lorsqu'il se fut aperçu qu'elle bligation du secret. Non- seulement
en savait la nature.'] Employons en- ies peuples du duché d'Urbin, les
core les expressions du minime. (3). habitons de la belle ville de Pésaro,
Le duc son mari ayant aperçu que la ma's encore les plus secrets et f ami-
duchesse Isabelle avait reconnu son ^ers domestiques, et principaux sei-
in/irmité, fut contraint lui-même de gneurs de leur cour, ne surent que
lui déclarer en termes et paroles fort ce défaut et cette stérilité procédaient
honnêtes son impuissance, témoignant du duc; au contraire, ils V attribuè-
par ses discours l'affliction qu il avait rent plutôt h la duchesse. Jamais on
de se voir en état de ne pouvoir lais- n'en eût rien su si le duc même ne
Ser des enfuis pour succéder à son l'eut dit, lorsque, chassé de son état
état , et que si cela était reconnu de Par César Borgia , duc de Valenti-
ses sujets , qu'il en serait moins aime. n°is , il vint saluer notre roi Louis
A ces tristes paroles , la sage et ver- XII , qui était lors en sa ville de
tueuse Isabelle, avec unvisage joyeux Milan, et dans son duché de Mila-
et serein , commença a le consoler , na's > auquel il eut recours pour être
l'exhortant de vouloir supporter cette remis et rétabli dans ses terres, du-
disgrdce avec une résignation par- <J"e^ n'ayant pu obtenir ce qu'il de-
faite a la volonté de Dieu; que beau- mandait, a cause que le roi était li-
coup de rois et de grands princes gué avec le pape Alex amlre f^I , père
avaient été, et étaient encore en celle du duc de P'alenlinois , et craignait
affliction , et que souvent il est med- la haine de ceux de la maison de
leur de n'avoir point d'enfans, que Borgia contre lui et sa maison, il
d'en avoir de médians et de vicieux , leur' donna espérance de se séparer
d'autant que pour /'ordinaire, corn- d'avec sa femme , et de se faire d' r -
médit le vieux proverbe latin , Filii glise , assurant que jamais il n avait
Heroiim noxœ, c'est-à-dire que les consommé le mariage au sujet de
héros n'engendrent que des monstres, son impuissance; et étant interrogé
enfans ingrats et dénaturés, les fu- par le roi, il affirma qu'il était véri-
table. Ainsi ce secret ayant été ré-
(3) flilarion de Coste , Eloges des Dames
illustres , loin. I, pa:;. (j.,3. (4) Idem, ibitl, pas- 699
,44 GONZAGUE.
vêlé par le mari , il fut divulgué par parlât au contraire, et se fâcha fort
tout l'état d'Urbin, et par l'Italie , quand la vérité de l'histoire vint en
où les moiMres du peuple surent que évidence ? O très- fidèle et très-chaste
Guy-Ulxdde de la Rovère(5) , duc princesse', que celles 'Va jettent les
d'Urbin, n'était homme que par le yeux sur toi, qui, poussées de l'esprit
visage, ou, s'il était homme , il ne de sensualité , sans sujet , ou sur le
l'était pas pour prendre rang au moindre prétexte et raison frivole ,
nombre des maris; et tout le monde défont des mariages concertés par
admira la constance et la pudicité avis de parens , et faits en face d'e-
lle la sage et chaste princesse Isa- glise , procurant des dispenses, je ne
belle de Gonzague ; sa constance , sais quelles , sous des faux-enlendre
puisque pouvant faire déclarer ce qui ne leur serviront que de lien
mariage nul par une déclaration pour les traîner a la damnation :
qu'elle eût pu obtenir facilement , puisque vous étant encore jeune , belle
elle ne le voulut pas, aimant mieux et noble , qui pouviez légitimement
se taire que de polluer ses lèvres ; sa procurer une séparation, avez voulu
pudicité, par cet acte héroïque de montrer que vous étiez mariée plus de
pudeur , ayant vécu plus de vingt ans l'esprit que du corps. Après cela il
sans avoir assez de front pour rougir observe quatre grands sujets d'ad-
de la honte de celui que le monde ré- miration dans la victoire qu'elle
putait pour son époux. remporta sur soi (7). i°. Par abon-
(D) Elle se vit puissamment solli- dance de courage et de vertu , elle ne
citée de songer h a' autres noces se sépara point de son mari, quoi-
Rien ne l'ébranla.~\ C'est ici qu'Hi- qu'elle le pût légitimement faire.
larion de Coste crie à plein gosier, 20. L'amour qu'elle portait a son
et qu'il élève sa voix comme un cor- mari lui fit déposer le désir commun
net. O chasteté merveilleuse d'une et raisonnable qu'ont tous ceux qui
femme! s'e'crie-t-il (6), o constance se marient de laisser des en-
incroyable ! 6 vertu parfaite et sans fans ce qui doit être plus ad-
exemple ! vivre ainsi vingt ans avec miré en cette grande princesse, qui
un mari en une même maison, et voyait finir en son mari la ligne di-
dans un même palais : c'est vrai- jecte d'une maison souveraine. 3°.
ment un parangon de pudicité, et Elle eut la prudence d'accompagner
une vraie preuve que l'esprit et la partout son mari , pour ne point ma-
vertu ont plus de pouvoir que la nifesler le défaut de ce prince. La
chair et la sensualité , et que la foi et ^e. merveille est que, parmi la li-
! amour conjugal sont plus puissans berté de sa condition, parmilaquan-
que l'appétit inférieur , et la déshon- tité d'hommes qui traitaient avec elle,
nêteté. Combien y en aurait-il eu elle ait conservé entière sa virginité,
d'autres qui eussent voulu demeurer Les circonstances du quatrième point
sans publier un secret , je ne dis pas sont confirme'es par Balthasar Castil-
quatorze ans , mais quatorze mois , Ion ; car il dit que la cour d'Urbin
que celle-ci garda , non pas vingt était remplie de gentilshommes bien
mois , mais vingt a?is , et jusqu'à la faits de corps et d'esprit, qui s'occu-
m.ort de son mari, sans défaire le paient toute la journée à des exerci-
mariage ; puisque priée , importunée, ces convenables à leur condition, et
et presque forcée par toute sorte de qui se rendaient après souper à la
personnes puissantes , et qui lui chambre de la duchesse , pendant
étaient parentes, de se vouloir séparer que le duc , qui s'allait coucher de
de son mari, pour mille considéra- bonne heure à cause de ses mala~
lions très-fortes qu'ils lui mettaient dics, était au lit. Erano adunque lutte
en avant, jamais elle n'y voulut en- l'hore del giorno divise in honore-
tendre ; au contraire, elle soutint voli et piacevo/i essercilii , cosi del
toujours que ce défaut ne venait point corpo , corne dell' animo : ma per-
de lui , ains trouva mauvais qu'on en che il S. Duca conlinuamente per
la infirmita , dopo cenu assai per
Ci} Il n'était pas de la maison de la novere, , J > 7 j_ , •„ . nn
■ ', \ï 1 v 1, m 1 r i, „ tempo se n andava a dormtre , og-
mais de celle de teltri oh nlonlcjcllro. r ' o
(')) Jiloges des Dames illustres, loin. 1 , pag,
-no. (7) H'idem , pag. 701.
GONZAGUE. ,45
mino pet ordtnario, dove era la si- qu'on était prêt d'étaler tout le mé-
gnora duchés sa ElisabettaGonzaga a rite de sa continence.
quelS hora si riduceva(8). Rappor- Notez que Cristôforo Bronzini , qui
tons ce qu'il observe de l'infirmité Au a fail l'éloge de cette dame , dit les
duc : cela donne lieu de croire mêmes choses , et avec les mêmes
qu'Hilarion de Coste a suivi des écri- exclamations que le minime. Voyez
vains qui ont trop exagère. Prenez la Giornata quinta de ses dialogues
l>icn garde à ce que je m'en vais dire, délia dignita e nobilta délie Donne
Le duc e'tait très-bien l'ait de sa per- (12).
sonne, vigoureux, dispos (o) ; mais (E) Il s en fallut peu que son af-
à l'âge de vingt ans (10) il devint fliction ne fit mortelle au pied de la
goutteux d'une manière si étrange lettre. Le père Hilarion de Coste 5e
qu'il ne pouvait se remuer. Il se ma- trouve -fort empêché a donner des
ria sans doute avant que d'être ré- preuves de l' amour et de la prudence
duit en cet état : il y a donc beau- quelle eut dans le deuil de la mort
coup d'apparence qu'il consomma de son mari : car — tant qu'il fut en
son mariage. Il est vrai que le même vie , jamais elle ne se laissa aller aux
auteur va nous apprendre que la du- pleurs afin que son affliction
chesse fut sollicitée à se séparer de exprimée extérieurement par les lar-
son mari , puisque son mariage était mes, ne lui en causât une autre ; mais
un état de viduité. C'est une marque sitôt qu'il eut rendu l'esprit, a l'heu-
qu'on la prenait pour une iîlle ; car re même elle lâcha la bonde a la
une impuissance, qui survient depuis douleur qui la jit tomber sur lui
l'accomplissement du mariage , n'est criant h haute voix .- Ah ! mon cher
point un juste sujet de divorce. Won mari, pourquoi me laissez-vous ainsi
posso piu tacere una parola délia et où allez-vous ? Ces paroles dites
signora duchessa nostra , la quale es- elle tomba en faiblesse , sans pouvoir
sendo vivuta xv an ni in compagnia jamais dire autre chose , et demeura
del marilo , corne vedoa , non sola- comme demi- morte. Il y en eut qui
mente e stata constante di non pale- la crurent vraiment morte , se voyant
sar mai questo a persona del mondo, empêchés h lui faire revenir lés es-
ma essendo da suoi proprii slimulata prits ; si bien qu'ils pleuraient tout
da uscirdi questa viduith, elessie piu ensemble la mort de l'un et de l'autre,
presto pâlir essilio , po vertu , ed ogni Mais Dieu , ne les voulant pas tant
al Ira sorte d' infelicita , che accettar affliger tout a la fois , permit qu'elle
quello, che a tutti gli altriparea gran revînt peu a peu, ouvrant les Yeux ,
gratta , e prospérait di fortuna : e et les tournant vers le ciel : puis elle
seguilando pur Messer Cesarc circa se mit a les jeter sur ceux qui étaient
questo , disse la signora duchessa : autour d'elle , et les regardant leur
Parlate d'altro , e non intrate piu in dit, comme par plainte et reproche :
tal proposito , che assai d'altre cose Quelle importunité est-ce que vous
havete che dire (i 1). Vous voyez dans me faites? Pourquoi usez-vous avec
ces paroles italiennes un trait admi- moi de cette cruauté, que de m'em-
rable de la modestie de cette dame : pêcher de suivre mon très-honoré
elle ne voulait point qu'on la louât : seigneur et mari? Pourquoi ne vou-
elle détournait la conversation lors- lez-vous pas que j'accompagne en la
mort celui avec qui j'ai passé le meil-
(8) Le comte Balthasar Castillon, dans son leur de ma vie? 0 moi , misérable
Courtisan. liv. /, vas. m. 10. „ vi t _ •. 11/ ,«i .. .,, ?
- »•-, ' , " ., j n . , . , qu il s en soit aile , et qu'il faille
(q) JSon essendo aiwora d duca Guido gntnlo ' • 1 ■ ' . .
«//in anni , s'infermb di podagre , le %uaU (lue Je demeure ! non , non , je ne puis
cou atrocissimi àolori procedendo , in poco m'y résoudre , et il faut que j'aille
spatio di tempo lalm.nle tutti imembri gli im- après lui. Si tôt qu'elle eut (lillSL
pedtrono che ne tiare in piedi ne tnover si r>o- /• / 1 ■ .. 2
tea.eeosi resio un deipmbeUi, e dispasti J°rme *« plaintes , ses yeux com-
corpi del mondo deformato e guasto nella sua mencèrent a ruisseler comme deux
verde elà. Bah. Cakiglione , il Cortegiano, lib. sources de larmes , et il ne fut jamais
Vo?'oLins , dans Toison fnnibr, de ce Posslble fendant deux jours d'avoir
prince , dit que ce fut à l'dge de vingt-un ans. "M"'e raison d elle , ne voulant pren-
(u) Balt. Castil., il Cort«g. , lib. III, pag. (,2) Ce livre fut imprimé à Florence, en,
46o. m 1625, jn-4°,
TOME VII. IO
i46
GONZ
dre ni repos ni repas ; disant toujours
quelle ne pouvait survivre a son ma-
(F) Je rapporterai ce que Pierre
Bembus disait de cette duchesse. ]
L'auteur du traité qui a pour titre
de Matrimonio Litlerati , an cœlibem
esse an vero nubere conveniat (i4) ,
allègue le grand mérite de quelques
femmes , et n'oublie point celle-ci.
Quid de Elizabethâ Gonzagâ? dit-
il, quant Bembus ita laudat , ut la-
pideum eum esse dicat qui non unam
ejus sessiunculam omnibus philoso-
phorum ambulationibus et disputa-
tionibus anteponat.
(i3) Hilar. de Cosle , Eloges des Daines illus-
tres, loin. I, pag. "joi, 7o4-
(i4) Il & élé imprimé plusieurs fois : il est
dans un recueil de semblables pièces imprime'
TJrsellis,/'«rc 1606. Vous le trouvera aussi dans
le livre intitule', Baudii Amures.
GONZAGUE { Julie de ) , du-
chesse de Traiette , et comtesse
de Fondi , fut femme de Vespa-
sien Colonne. Après la mort de
son mari elle prit pour sa de-
vise « une amaranthe , que les
» herboristes appellent fleurd'a-
» mour, avec ce mot , non mori-
» tura. Elle voulut témoigner
» par-là que sa première amour
» serait immortelle. La mer-
» veille est que son mari était
» vieux ; qu'elle était en la fleur
» de son âge , et dans une si
» grande réputation de beauté ,
» que Soliman , empereur des
» Turcs, eut envie de la voir. Il
» envoya pour cela Barberousse,
» roi d'Alger (a) , et son lieute-
» nan t général, avec une puissan-
» te armée jusqu'à Fondi , où elle
» faisait son séjour ordinaire :
» mais il ne réussit pas dans son
» dessein ; car quoique Barbe-
» rousse arrivât la nuit , et prît
» la ville d'assaut, la belle et
» chaste Julie ne tomba pas en-
(«) Cela me dispense de marquer i/ti'elle a
vécu an XV !' . siècle*
AGUE.
» tre les mains du barbare. Soit
» qu'elle fût avertie du malheur
» qui la menaçait, ou qu'elle
» fût inspirée de Dieu , elle s'en-
» fuit les pieds nus au premier
» bruit qu'elle entendit ; et pour
» sauver son honneur elle expo-
» sa sa vie à mille dangers (b). »
Cette dame fut suspecte de luthé-
ranisme (c). Monsieur de Thott ,
François Billon et autres au-
teurs la louent pour son savoir ,
qui lajit estimer parles plus ha-
biles hommes de V Italie (d). La
raison pourquoi elle ne se rema-
ria pas est considérable (A). Il y
a lieu de douter qu'elle ait joué
le personnage de belle-mère ,
sans en retenir quelques défauts
(B). Nous verrons comment
Brantôme a rapporté l'aventure
de Barberousse (C).
(b) Tiré des Entretiens cTAriste et d'Eu-
gène, petg. ?n. 458 , 45g. Voyez aussi Hila-
rion de Cosle , loin. II des Dames illustres,
pag. 96" , 97.
(c) Convictusaue t/uôd cum sectariis in
Germaniâ, et in Italidcam Victoria Colnm-
nd marchîonis Piscarii viduâ , etJuliâ Gon-
zagâ, lectissimis alioquifeminis , depravi-
tate sectariâ suspeclis , amiciliam coluisset.
Thuanus , lib. XXXIX, circa init.
(d) Hilar. de Coste , Vies des Dames illus-
tres , toin. II, pag. 97.
(A) La raison pourquoi elle jie se
remaria pas est considérable.~\ « Après
» la mort de son mari , elle fut re-
w cherchée des plus grands seigneurs
» d'Italie, qui ne purent pas pour
» tant la faire résoudre à de secondes
» noces, parce que, disait-elle, si le
» mari qu'elle épouserait était bon ,
» cela la mettrait en perpétuelle ap-
» préhension de le perdre : s'il était
)> mauvais , cela lui serait fort fà-
-» cheux et pénible à supporter 5 et
» qu'après en avoir eu un bon , jar
» mais elle ne voulait bannir de son
» cœur l'affection qu'elle lui avait
» portée (1). » Elle fut bien heureuse
(1) Ililarion ùe Coste, Vies des Dames illus-
tres , (oh». Il , pag- 97.
GONZAGUE.
"47
de ne rencontrer pas sous ses yeux
quelque objet qui la touchât ; car en
ce cas-là son dilemme eût été bien-
tôt renverse. Didon eut beau dire :
Sed rniki vcl lellus oplem pri'us imn dehiscat,
Vel palet omntpolens adigal mefulmine ml
timbras ,
Pallenles timbras Erebi , noclemque proftiti-
dam ;
Anle , ptidor, quàin te violo , aut tua jura
resoh'O.
file meos , primat qui me sibi jutixit , amorti
Abstutit ; ille habeal secum, servelque sepul-
chro (2).
La bonne mine (3) et le mérite d'Enée
avaient déjà fait impression., et re-
nouvelé les vieilles traies (4); il fal-
lut succomber aux secondes noces ,
et oublier toutes les belles résolu-
tions. Généralement parlant , le di-
lemme de Julie de Gonzague est une
médaille que Ton peut tourner; car
on peut dire : si mon second mari est
méchant , je ne craindrai pas_ de le
perdre; s'il est bon, il me rendra
très-heureuse. D'ailleurs, celles qui
ont perdu un bon mari peuvent allé-
guer celte raison : Je me suis si bien
trouvée du mariage , que je veux ren-
trer dans un état dont j'ai eu sujet de
me louer. Celles qui ont perdu un
mauvais mari peuvent dire : // est
juste que j' essaie si je serai plus heu-
reuse la seconde fois que la première :
il ne faut pas que je meure sans cher-
cher quelque dédommagement .
(B) Il y a lieu de douter qu'elle
ait joué le personnage de belle-mère
sans en retenir quelques défauts. ]
C'est nu rôle bien difficile : les plus
sages têtes ont de la peine à s'en bien
tirer; il y a je ne sais quelle fatalité
qui inspire beaucoup de mauvaise
humeur aux marâtres. Quoi qu'il en
soit, le minime que j'ai déjà cité
m'apprend (5) que Vespasien Colonne
ai'ait eu de sa première femme (6)
une fille nommée Isabelle, laquelle
notre Julie , sa belle-mère , ayant ré-
solu de donner en mariage a Louis
de Gonzague son frère , résista pour
(2) Virgil., JEneiJ., lib. IV, vs. i\.
(3) Quàm sete ore ferras ! qitàm Jorli péclore
et armis '.
11.1.1 , vs. II.
(4) Agnosco vetPris vesligia Jlammœ .
Ibid. , vs. 1 <
(5) Hilarion rie Coste , Vies tles Dames illus-
tres , tom. II, pag. (jo.
1,6) Be'atrix , fille du seigneur de Piombin.
Sansovino , Uelle case d'Iulia,/ofio g3.
ce sujet au pape Clément l'II ( qui
la voulait faire épouser à don Ilip-
polyte, son neveu, qui fut depuis car-
dinal), et a l'empereur Charles V,
qui s'en était saisi pour la marier à
don Ferdinand de Gonzague , et
pallie par son courage, partie par
son indus/ne , vint à hmit de son des-
sein. Mais consultait-elle les inclina-
tions de la jeune fille ? c'est la ques-
tion : Isabelle Colonne aurait mieux
aimé peut-être le parti que Clé-
ment VII lui offrait , ou celui que
l'empereur lui voulait donner , que
celui <|iii plaisait à sa belle-mère.
N'est-ce pas agir en marâtre , que de
gêner le penchant du cœur dans un
point comme celui-là ?
(C; Nous verrons comment Bran-
ténue a rapporté- l'aventure de Jlar-
beroussc. ] « Nous avons un conte
» pareil qui me fut fait en la vdle
» de Fondy auprès de Naples , et qui
» est tout commun de par de là, vray
» et frais encore, de la signora Li-
» via (7) Gonzaga, qui avoit espousé
» Ascanio (8) Colonne; elle fut esti-
» mée de son temps la plus belle
» femme de toute l'Italie, et dételle
» sorte, dis -je, estimée, que sa
» beauté vola jusqu'au Levant ( j'en
» ay veu le portrait en femme veufve
» plusieurs fois qui le confirme ain-
» si ) et en Constantinople , dont
» Ariadan Barberousse, lors qu'il eut
» le baston de gênerai de l'armée de
» mer du graud-seigneur , la pre-
» miere fois avec une trés-solemnelle
» pompe (comme il est escrit) ayant
» passé par le Far de Messine , et
» costoyé la Calabre , et y fait de
» grands ravages, et vers Naples, lit
» entreprise sur la ville de Fondy ,
» et y arriva de nuit, et si à propos,
» et si à l'improviste , qu'ayant mis
» deux mille Turcs en terre , prin-
» drent la ville d'assaut et d'escalade,
« donnèrent au chasteau où estoit
» ladite Livia Gonzaga endormie et
» couchée en son lit, laquelle oyant
» l'alarme fut tellement surprise
)> qu'elle se leva en sursaut , et tout
» le loisir qu'elle eut, ce fut de se
» jetter en chemise par une fenestre,
» et se sauver par les montagnes si à
» propos, que les Turcs entrèrent
(7) Il fallait dire Julie.
(8) Je l'ai appelé' Vespasien dans le corps
de cet article, et c'était son vrai nom.
i48
GONZ
» en sa chambre ainsi qu'elle n'es-
w toit que quasi sortie. On dit que
v Barberousse en vouloit faire un
» présent au grand-seigneur , et que
» ladite entreprise ne fut faite que
» pour cela , et quand il sceut qu'elle
3> avoit este faillie , il s'en cuida
» désespérer ; mais le malheur de la
» dame voulut que tombant de Scille
j) en Caribde , vînt à tomber en se
3> sauvant parmy les bandoliers et
3) foruscis du royaume , laquelle fut
3) recogncue d'aucuns , d'autres non :
3) je vous laisse donc à penser si ce
3> bon et friand boucon tombe entre
3) les mains et puissance de ces afià
3> mez ne fut pas gouslé et taste' à
33 bon escient, ainsi que plusieurs
3) n'en doutoient point, d'autres si :
)) mais quelque serment et ex/ecra-
33 tion qu'elle peut faire , n'en peut
• 33 estre creue ; car volontiers une si
3) belle et bonne viande ne scauroit
3) eschapper impolluë de telles gens.
3) Les plus clairvoyans , et qui s'en-
3> tendent en ces choses , et qui en
33 ont tasté , n'en sçauroient que bien
3> dire ; et qu'aucuns du pays le di-
»3 sent par ainsi : voilà comme hom-
33 mes et femmes se damnent aise-
3) ment par leurs sermens, mesmes
3> que les plus belles reynes et prin-
>3 cesses , quand elles tomberoient en
3> tels hazards , ne seroient espar-
33 gnées non plus que les autres ;
33 puis qu'une grande beauté ne porte
3) aucune règle ny sauvegarde avec
» soy qu'elle ne soit par tout des-
33 prise'e , et que l'amour en cela
3) n'use de son droit et autorite' sans
33 aucun respect: au partir de là sont
33 quittes pour dire et jurer, que
33 leur grandeur a fait perdre l'har-
3) diesse à ceux qui l'ont voulu en-
>i treprendre , et Dieu sçait (9). »
M. Varillas (10) a tire' de ce livre
de Brantôme tout ce qu'il a dit de
l'aventure de Julie de Gonzague.
Il s'est trompé quairt au temps: il
a mis cela sous l'année i53^, et il
aurait dû suivre Paul .love (11) qui
en parle sous l'an i53zj.
(g) Brantôme , Vies des Dames illustres ,
pag. 2H2.
(m; Varillas, Histoire de François Ier., liv.
Vil!, !">{;■ '"■ 347> " l'ann. 15^7.
(iij Paul. Jovius, llisl., lib. XXXIII, fol.
m. 255.
ÀGUE.
GONZAGUE ( Lucrèce 'de )
est une des plus illustres femmes
qui aient vécu au XVIe. siècle.
Elle releva la noblesse de sa nais-
sance par l'éclat de son esprit,
par son savoir (A) , et par la dé-
licatesse de sa plume. Les beaux
esprits de ce temps-là ne man-
quèrent pas de la louer (B). Elle
écrivaitdesi belles lettres*, qu'on
les ramassa avec un extrême em-
pressement pour les donner au
public. J'ai vu le recueil qui en
parut à Venise l'an i552. On y
apprend que son mariage avec
Jean- Paul Manfrone fut fort
malheureux. C'était un homme
qui n'était pas digne d'elle par
ses richesses , et qu'elle épousa à
regret n'étant âgée que de qua-
torze ans (a). Elle se consola ai-
sément de ne vivre pas chez lui
avec tout l'éclat que sa qualité
demandait. On ne saurait voir
une plus belle morale que celle
qu'elle étaladansunelet Ire qu'elle
écrivit à un moine {b) qui la
plaignait d'avoir été mariée à un
si petit campagnard (Cj ; mais
elle fut fort chagrine et fort dé-
solée de la conduite de son mari.
Il était fort brave et altier (c) ,
et il fit certaines actions qui
ne demeurèrent pas impunies.
Le duc de Ferrare le fit enlever ,
et le retint plusieurs années dans
unedure prison (d). Parleprocès
* Ces lettres , en italien , pulilie'es en l552,
in-8". , à Venise, sous le nom de L. de Gon-
zague, ne sont point louvrage de cette dame.
Fontanini , Apostolo Zeuo et Tiraboscki
s'accordent à dire qu elles sont de Laudo , ou
Landi dont Bayle parle dans sa remar(|iie (B) .
(a) Voyez ses Lettres, pag. i5i , 21/j.
{/') Elle, fut écrite au père, Bandel , et se
troupe à la page 61.
(c) Voyez les Lettres de Lucrèce de Gon-
zague , pag, 57 , lo5.
{cl) l'oyez la page 59 des mêmes Lettres.
GONZAGUE. 149
qu'il lui fit faire, il le trouva pourquoi elle remua ciel et terre
digne du dernier supplice ; niais pour obtenir l'élargissement de
il usa de clémence , et ne voulut son mari : toutes ses peines furent
pas le faire mourir (e). Notre Lu- inutiles. Il mourut dans la pri-
crèce travailla autant qu'elle put son (n) , après avoir témoigné
à lui procurer la liberté. Elle ta- dans sa disgrâce une impatience
cha d'attendrir le duc de Ferrare, qui fit juger qu'il avait perdu
par une lettre fort toucbante(y): l'esprit (0). La réponse que fit sa
elle implora l'intercession de veuve à ceux qui lui proposèrent
Paul III (g-), celle de Jules III de se remarier mérite notre ad-
(7?) , celle du sacré collège, celle miration (E). De quatre enfans
de l'empereur, celle du roi de qu'elle avait eus (p) il ne lui res-
France, celle de tous les autres ta que deux filles {q) qu'elle mit
potentats de la chrétienté. Elle dans des couvens (r). On eut
recourut à l'assistance de la cour tant d'estime pour toutes les pro-
céleste par ses oraisons , et par ductions de sa plume , que l'on
celles qu'elle fit faire dans tous ramassa jusqu'aux billets qu'elle
les couvens et dans les autres écrivait à ses domestiques (F);
églises ; et quand elle vit que ce- vous en trouverez plusieurs dans
la ne servait de rien , elle forma l'édition de ses lettres. Vous y
Ja résolution de s'adresser au trouverez aussi beaucoup de mar-
grand-turc (i) , et lui écrivit ques de sa vertu et de sa piété,
une lettre flatteuse et respec— Les censures qu'elle fit à quelques
tueuse (A), pour le supplier personnes impudiques , ou ava—
de s'emparer de la forteresse où res , ou arrogantes , sont très-
son mari était prisonnier, et de belles (G) et ne méritent pas
ne faire point d'autre mal aux moins d'être lues que celles
états chrétiens. Elle avait re- qu'elle adressa à un prêtre qui
mercié très -humblement (Z) le s'adonnait aux plaisirs vénériens
duc de Ferrare d'avoir épargné la (H). On peut lire aussi avec édi-
vie d'un prisonnier (D) que les fication ce qu'elle écrivit à une
juges avaient trouvé digne de mère qui avait besoin d'être con-
mort : mais elle eût voulu que la solée pour n'avoir pu persuader
clémence eût été portée plus loin, à sa fille d'aimer mieux le cloître
On ne mettait point son époux que le mariage (s). Elle lui débi-
en liberté : elle n'avait pas la ta en peu de mots les plus excel—
permission de l'aller voir: ils lens lieux communs dont les pro-
pouvaient seulement s'écrire (m), testans se servent pour exalter la
et cela ne la contentait pas : c'est noblesse et la sainteté du maria-
ge. N'oublions pas qu'elle était
(e) Là même, pag. 58. H1|e de pyrrhus de GoilZagUC ,
if) Elle est a la page 16. J °
(g) P"ff- 99-
(h) Pag. loi. (n) Là même , pag . 221 et suw.
(i) Vojez ses Lettres , pag-. 10!}. (») Là même , pag. 208.
(k) Elle est à la page 25? de ses Let- (p) Là même, pag. 100 et l5l.
très. (7) Là même, pag. l5i.
/ là même, pag. i58 , l5g. (r) Là même , pag. i^i.
{m) Là même , pag. i56. (s) Là même , pag. 3^ . 35,
,5o GONZAGUE.
et qu'elle eut des frères et des
sœurs (/).
(t) Lettres de Lucrèce de Gonzague ,
pag. 87.
(A) Elle releva la noblesse de sa
naissance par..... son savoir. ] Il n'y
a point d'érudition clans ses lettres ,
mais on ne laisse pas d'y apprendre
qu'°!le e'tait docte ; car en écrivant
.1 . ibortel, elle déclara qu'il lui
fait entendre par ses commen-
taires plusieurs passages obscurs d'A-
ristote et du poète Eschyle. Egli è
gi an tempo , che vi sono affezionata
per i beneficii che mi senlo haver ri-
cevulodai vostri divint componipiénti,
i quali m'hanno illuminato /' intel/etto
in molti oscuri luoghi , e di Aristo-
tile , e di Eschilo , doue il vostro
nobil ingegno s'è moîto affaticato (1).
Elle s'était moquée de ce que le doc-
teur Louis Picco, son cousin, ensei-
gnait l'astrologie à sa fille ; mais
ayant su le grand service que Sulpi-
tius Gallus et Pétioles avaient ren-
du , l'un aux Romains, l'autre aux
Grecs , par la connaissance de l'astro-
logie , elle voulut l'étudier , et pria
Louis Picco de l'instruire dans cette
science (2). L'une des choses qu'elle
étudia le plus fut la rhétorique (3).
Il paraît aussi qu'elle apprit beau-
coup de logique de Bandel , son
maître (4) , et qu'il lui expliqua Eu-
ripide (5;.
(B; Les beaux espj-its de ce temps-
la ne manquèrent pas de la louer. ]
lïortcnsio Lando fut celui qui s'y em-
ploya avec le plus d'empressement.
Il lit un très-beau panégyrique de
cette dame. Voyez la lettre {6) où
elle l'en remercie modestement , et
où elle lui représente (7) qu'il aurait
mieux fait de garder ses conceptions
ingénieuses, et ses beaux termes pour
(1) Lettere délia signera Lncrelia Goniaga da
Gazuolo . pa^. 7*«
(?'i I.a lettre qu'elle lui écrivit est à la page 5o.
(3) Litière di Lucretia Gonzaga, pag. 53.
(/j) Ibidem, pag. 5a.
(5) Ibidem ■ pag. 61.
(fi) Elle est à la page 3o. Voyez aussi la page
161.
(-) MoltO meglio havreUe voi fatto traspor-
lando nel paneginco délia sic. marchesana
tutti ' bel conceUi, e tulle le scelle parole che
destinaste àlpartegirico composta per illustrare
1 ,„ .1 nome orcuro, Lettere di Lucr. Goniaga,
pag. 3o.
le panégyrique délia signora Mar-
chesana (8). Je dis ceci afin de faire
connaître le nom d'une autre dame
très-illustre en ce siècle-là. Le même
auteur dédia à notre Lucrèce son
Dialogue del temperar gli affetti dell'
animo (9). Il y eut un grand com-
merce de lettres entre elle et lui :
elle lui en écrivit plus de trente, qui
ont été imprimées. Disons un mot de
celle qui est à la page 21 5. On y
trouve Hortensio Lando un peu cen-
suré de ce qu'il se chagrinait excessi-
vement de se voir pauvre. On le
blâme de s'affliger d'une chose dont
on lui étala les commodités. Essendo
voi persona dolla , e taulo bene es-
perta nei mondani casi, mi maravi-
glio che di si strana maniera vi at-
tristiate per la poverta ; quasi non
sappiate la vila dei poveriesser simile
ad una navigatione presso il lito ; e
quella de ricchi , non esser différente
da coloro che si rilrovano in alto
mare : a gli uni è facile giltarlafune
in terra , e condur la nave a sicuro
luogo , ed a gli altri è sommamente
difficile , etc. (10). Jérôme Ruscelli
fut l'un des panégyristes de cette da-
me. Cela paraît, par une lettre qu'elle
lui écrivit, et dont voici le commen-
cement: Insieme col panegirico Jatlo
da non so cui , in mia commendatio-
ne , ho anche letto la bella , e pro-
lissa lettera che per voi vi si è ag-
giunta ; nella quale , m havetertiratla
col penello délia vostra facondia ,
taie, quale io doverei essere per haver
quella perfettione che non ho (11).
Lisez aussi l'autre lettre qu'elle lui
écrivit (12). Un mémoire qui vient
de bon lieu m'apprend , « que le Ban-
» del lui a dédié une de ses Nouvel-
» les -c'est la XXIe. de la 2e. partie.
» C'est là qu'il lui dit sur la fin :
» Spero ben tosto darvi del mia il H-
» bro de le mie stanze tutto composta
» in vostra Iode , ove vederete corne
» io mi sforzo a farvi immorlale ; et
)) c'est sûr ces stances que Jules-César
» Scaliger , grand ami du Bandel , a
» fait une assez, mauvaise épigramme,
» qu'il intitule de Bandelli amoribus
(8 C'était la marquise de P adula , de la mai-
son de Car donne. Ibiil. , pag. 3i.
(r,) Ibidem, pag. i/(o.
(10) Ilnd., pag. ai5.
fu) Lelteredi Lucr. Gonzaga, pag. 76.
(ia) llnd. , pag. l3i.
GONZAGUE.
i5i
» thuscd lingttâ decantatis (i3).» On
sera peut-être bien aise de lavoir ici :
Maxime Phœbigenùm , cui Thutco œqualis
f/omero
lydia lUœonio neclare vena fluil :
Umlè libi œlherios iminensi nummis hauttus
Largut opum pleno peciore spiral atnor ?
Tanlus erai voies, tanta est Lucrecia. An
ipsum
Hoc illi délieras : an dedil illa libi ?
Dum cœlo impunis , transcendent sidéra. Sic
le
Dal Dea, lamrari carminis esse Deum (i4)-
Voyez dans les Nymphes du même
auteur, la pièce qui a pour titre : Pro
Diva Lucrelid Gonzagâ Pyrr/ii filià
canit Talarisla (i5) : et dans les Hé-
roïnes, Têpigramme intitulée: Lu-
cretia Pyrrhi Gonzagœ F. (i G). Mais
surtout voyez les Rime di diversiau-
tori in Iode di donna Lucretin Gonza-
gâ, imprimées à Bologue, l'an i565,
in-^°. Mettons encore ici un passage
de Mattheo Bandel (17); il nous ap-
prendra le nom de la mère de notre
Lucrèce et quelques autres particula-
rités. Voici comme il parle a la mol-
to illust. e vertuosa heroina la S. Isa-
bella Gonzaga di Poccino , en lui
dédiant la LVIIe. nouvelle de la
ire. partie. Essendo troppo al mondo
manifeste) il débita e obligo che io ho
a la felice ed honorala memoria del
valoroso S. Pwro Gonzaga , e de la
gentifissima S. Camilla fientivoglia ,
foslri honoralissimi padre e madré
che tanto m amavano , e tut/o il di
con nuovi bcnejicii m'obligavano , e
menlre vissero , furono da me (secon-
da le debo/iss'me Jbrze mie ) sempre
tenuti in quella riverenza che io seppi
la maggiore , corne fie le stanze mie
si veder'a che io in Iode ho composte
de la voslra nobilissima sorella , dal
mondo riverita e da me santissima-
mente amata , la signora Lucretia , le
quali in brève saranno publicate , ove
ancora vederete il nome vostro essere
celebrato.
(C) On la plaignait d'avoir été ma-
riée a an si petit campagnard. J C'est
ainsi qu'il me semble que je puis tra-
(i3) Mémoire communique' par M. de la
Monnoie.
(i4) Jul. Cœsar Scaliger, in Farra;ine , pag.
174 prima- partis poematum , edil. i5qi.
(i5) Elle esta tapage 278 de la /re. partie.
(16) Elle esta la page Z-tn de la même partie.
(17) II m'a été communique' par M. de la
Monnaie. •
duire ces paroles italiennes : Ho in-
teso che la riverenza voslra molto si
c maravigliata che i miei maggiori mi
maritassero mai in huomo di si poche
facilita , il quale , m'havesse à con-
durre in una poco amena villuccia, et
farmihabitare in unatorrepoco de.gna
degli avoli onde ne sono secondo la
carne discesa ; e per quanto appare
dalle vostre scrilte a mia sorella ,
assai vene doleste (18). Mais afin
qu'on ne se fasse pas de fausses idées,
je dois dire ici que Jean-Paul Man-
frone était beaucoup plus considéra-
ble que ce moine ne croyait. Une
lettre de son épouse nous apprend
qu'il avait eu de belles charges dans
l'armée vénitienne , et qu'il avait
ba"ti de magnifiques palais. Qu'on lise
ce qui suit, on y trouvera quelques
autres circonstances de sa vie. Vene
supplica tullo il territorio f^icentino,
donde egli ne trahe l'origine ; vene
priega la citta di P ado va , dove egli
fanciullo essendo diligentemente stu-
dio : vene priega il Polesino , dove
molli a uni praltico , e palazzi, e
gianlini con grande arte edifieb ; ve-
ne priega tutto il distretto Manlova-
no, dove sposandomi benfanciulla, si
imparento : vene priega finalmenle
tutto il senalo Vinitiano , il quai ha
sin dalle fascie per condottiere e fe-
delmente , ed honoratamenle sempre
servito (19). Voilà les raisons que sa
femme emploie pour engager Paul III
à intercéder pour lui.
(D) Elle remercia le duc de Fer-
rare d' avoir épargné la vie d'un pri-
sonnier que les juges avaient trouvé
digne de mort.] Pour bien connaître
les circonstances de ce procès , il faut
voir l'histoire qu'Antoine Brasavolus
(10) en a publiée. Nous apprenons
dans l'Epitorae de la Bibliothèque de
Gesncr , que les trois premiers livres
d'un volume de médecine , composé
par Brasavolus , contenaient Histo-
riam oapli et supplicia afjiciendi
Pauli IManfroni propter insidias ad-
versùs ducem , et quomado dux ei
vilam donaverit, sed incarcère reli-
nueril (21).
(E) La réponse qu'elle fit à ceur
qui lui proposèrent de se remarier
(18) Lettres de Lucrèce de Goniagiie,pa£. 61.
(19) La même, pag. ioo, 101.
(20) Médecin illustre de Ferrare.
(21) Fpitome BiWiotli. Gesneri , pag. 65.
i52 GONZAGUE.
mérite notre admiration. ] J'avoue mirées. Nous venons de voir ce que
qu'ils ne gardèrent pas le décorum : notre veuve répondit au sieur Orsola
ils se pressèrent trop; ils tirent la Pellégrini, qui lui avait conseille de-
proposition avant qu'un mois se fût convoler en secondes noces ; qui lui
écoule depuis Tenteri-ement du mari, avait, dis-je, conseillé cela le mois
Les veuves les plus coquettes et les même de l'enterrement du premier
plus avides de mariage feraient pa- mari. Voyons à cette heure comment
formulaire du style des conversa- né que vers la fin du premier an du
lions , demandent que l'on paraisse veuvage. Lucrèce lui déclara qu'elle
fort affligée pendant quelque temps , avait été si malheureuse avec son
et fort éloignée du dessein matrimo- mari, qu'elle trouvait fort étrange
niai; et, comme ceux qui croiraient qu'on lui propos.1t de se remettre
se rendre agréables par les conseils sous le joug conjugal dont Dieu l'a-
trop hâtifs de mariage, témoigne- vait délivrée. Sachez, dit-elle, que
raient quelque mauvaise opinion de je ne m'y remettrais pas , quand
la continence d'une veuve, l'ordre même je pourrais trouver un mari
veut qu'on les repousse avec des airs plus sage que Lélius , plus beau que
de colère. J'avoue donc que les per- Nirée , et aussi riche que Crassus. Il
sonnes qui furent si promptes à pro- vaut mieux entendre ses propres pa-
poser un second maria notre Lucrèce rôles (24) : Won mi posso veramenle
de Gonzague, observèrent mal le ce- pensare che fantasia t*i sia \>enuta in
rémonial. Mais je trouve dans sa ré- capo , di procacciarmi marito , non
ponse je ne sais quoi qui lui fait essendo ancora consunto il cadavero
beaucoup d'honneur, et qui ne res- di chi già prima a se di legitlimo no-
semble pas au langage artificieux de do mi lego , il quale mi ha fatto sen-
la jeune veuve (22) de La Fontaine, tire tanti affanni, che se divina farza
ytppena ho rasciutto le lagrime che non mi haresse aiutata , non havrei
giorno e notte mi sono con larghissi- potuto mai resistere a tanti guai ;
ma i>ena piovuieda gliocchi : a fatica Iddio finalmente mi ha restituilo
ho posta termine ai singhiozzt ed ai quel/a liberta , che m'era slata occu-
sospiri : ne anche è compiuto il mese pata dalla f rater na volunïa , dando-
che l'infelice mio consorte è slato se- mi matvto contra mia woglia ; e \>oi ,
polto, e i'oi gia mi parlate di rima- non so da quai spirito guidata , cer-
ritare ! Non sapele voi casta non cale di condurmi unaltra fiata sotto'l
esser mai stata istimata , chi due fiate marital giogo : ponete pur il vostix>
si è maritata ? Didone ancora presso core in pace , e pensale ad a/tro ;
di Virgilio , chiama sotto nome di che non ritoglierei marito s'egli fusse
colpa le seconde nozze , e voi con pik savio di quel Lelio , che hebhe
tanta instanza mi ci invitale ? ]Yo no; il titulo del savio , s'egli fusse
io non voglio piii sentire de si falti niù hetlo di Nireo , e s'egli posse-
cordogli ; ne altro marito intendo pih desse lefacii/tit di Crasso. Voilà donc
di v'olere che Giesu Christo (ï3). une veuve bien différente de celle de
Tout le reste de la lettre roule sur le La Fontaine. Elle parle au bout de
dessein de se consacrer désormais l'an tout comme le premier jour : on
uniquement à Jésus-Christ comme à ne peut donc pas lui appliquer ces
son époux. Il y a de Fexcès«dans ce quatre vers :
que noire Lucrèce assure, qu'on n'a
jamais estimé chaste une femme qui
se remarie : mais il est sl\r que celles
qui n'ont jamais voulu se reniai ici' ,
et qui oui \éen sans reproche dans
le veuvage , ont été toujours plus ad- Je me crois oblige' «radoucir un peu
la critique que j'ai faite des pense'es
(22) C'eit te titre que M. de la Fontaine a ,JC cotte daine , lorsque j'ai dit qu'il
donné h la fable XXI du livre VI, pa$. 226 du * J '
IIe. tome , édit. de Paris, 1678. (2/)) Ijucretia Gomaga , lcltcrr , pdf;. 2i4-
(23y Lucielia Gotuaga , lellcre, pai;. 2i3. (25) La Fontaine , fable XXI du livre VI.
Entre la veuve d'une anne'e
Et la veuve d'une journe'e
La différence est grande. On ne croirait Ja-
mais
Que ce fut la même personne (î5).
GONZAGUE. i53
y avait de l'excès dans ses exprès- Ajoutons que la vertueuse Lucrèce
sions. On peut excuser cet excès en de Gonzague a\ ;ùt. été éblouie <lu
supposant que notre Lucrèce avait grand éclat de réputation qui envi-
adopté avec; un peu trop de respect ronnait jusque clans le paganisme les
les maximes de saint Jérôme. Les femmes qui ne se remariaient point.
plus. sages critiques observent que ce Etant ainsi éblouie , elle conclu!
grand saint a outré un peu cette ma- qu'on ne croyait pas bien ebastes
tière. Voici un passage de M. Dail- celles qui prenaient un second mari.
lé (26). Je passe ce qu'il dit h tout Elle avait lu sans cloute les paroles
propos de contumélieux , et contre le que je citerai bientôt d'un auteur
mariage en général, et contre les se- païen , où nous apprenons que l'on
condes -noces particulièrement, usant décernait une couronne de pudicité
quelquefois d'expressions si crues , aux femmes qui n'avaient eu qu'un
au' après avoir employé pour les expli- mari, et que par-là l'on faisait con-
quer toutes les ouvertures dont il nous naître que l'on regardait la réitéra-
avise lui-même en l'épître qu'il écrit tion du mariage comme une espèce
h Pammachius sur ce sujet , il sem- de dérèglement. Quœ uno contentas
/•le néanmoins impossible de leuroter mtilrimonio fueranl , cOTOnâ pudici-
le sens de Tertutlien , condamné- pur tiiv konorabantur. Ea islimabant cnini
l'Église comme contraire h l'honné- eum prœcipuè matronœ sincerâ fuie
tête du mariage , et a l'autorité de incorruptum esse animum , qui post
l' Ecriture. Par exemple , avec quel depositœ virginilatis cubile in jnthli-
miel , et avec quel sucre saurait-on cum egredi nesciret : mu/torum ma-
adoucir ce qu'il dit, écrivant a une trimoniorum experienliam, quasi ille-
dame nommée Furia (*') : Qu'elle ne gitimœ (28) cujusdam intempérant au
sera pas tant louable de demeurer signum esse credentes (29). Je crois
veuve , qu'elle sera exécrable si elle aussi qu'elle avait lu dans Tertullien,
se remarie, ne pouvant se conserver, les privilèges que le paganisme ac-
chrétienne, ce que plusieurs femmes cordait aux femmes qui n'avaient été
de sa famille avaient observé , païen- mariéesqu'imefois.Â/o«0£wmVirt/H«Z
nés j conception qu'il répète encore Ethnicos in summo honore est : ut et
en l'épître suivante, exhortant -Age- virginibus nubentibus univira pronu-
ruckia au même dessein (*2), et aine- ba adhibeatur , et sic auspicii initium
ne sur ce sujet des comparaisons peu est. Item in quibusdam solemnibus
bonnes, appliquant il celles qui se et auspiciis, ut prior sit univirœ locus.
remarient le proverbe dont use saint Celle Flaminia non nisi univira est.
Pierre sur un autre propos , un chien Lipse allègue ce passage de Tertul-
retournant à son vomissement , et lien , lorsqu'il commente l'endroit
une truie lavée à se vautrer dans les où Tacite observe que la fille de
boues. N'est- ce pas la clairement Pollion fut préférée à la fille de Fon-
ranger les seconds mariages entre teins Agrippa , par cette seule raison
les choses sales et pollues ? Si vous qu'elle avait pour mère une femme
voulez mieux connaître ce qui con- qui n'avait eu qu'un mari. Il s'agis-
cerne la pudicité que saint Jérôme sait de l'élection d'une vestale, l'r.r-
attribue aux ancêtres féminins 1 de lata est Pollionis filia non ob aliud
Furia, lisez l'article Camille (27). quant quôd mater ejus in eodem con-
jugio manebat. Dfam Agrippa disci-
(a6) Daillé, de l'Emploi des pires , liv. II , dio domum imminuerat (3o). Lipse
chap. IF, Pag. m. 38i. „ „ ne rapporte point tous les privilèges
(*') Id., Ep. 10 ad Furiam, t. I , p. 8q, D. i . £.' . nf /•-. . • r -i &
et Soi, C. Ut non tnm laudanda >is , si v'dua «ont Tertullien fait mention : il ne
persévères, quàm execranda , si id christiana non dit point qu'il II y avait C[lie les fem-
serves , quod per lanta swcula gentiles fœminœ mes monogames (3f) qui pUSSeOt
custodierant. Mox p. 90, G. Canis revertens „ , couronne s„r ]a tête de la
ad vomitnni ; et sus Iota ad volutabruiu luti.
(*7) Id. Ep. 11. ad Asmich. , loin. 1 , pas. , . . .
101, C. tôt. Haecbvevi sermone perstrinxi , ul (?8) Les meilleurs manttscritsporlentlegihaite
ostendam adolescentulam meam non pirestare ('o) Valerius Maximits, lib. II, cap. I,
nionogamiain generi suo , sed reddere , nec tain num. 3. r ,vm
laudandam esse si tribuat , quàm omnibus exe- 0°) Tacit., Annal., lib. II, cap. LXXXrl.
crandam si negare lentaveiit. {il) C'est-à-dire, qui n'avaient, eu qu'un
(a-) Tcmç IV ', pag. 3S(j, remarque (F). mait.
ï54 GONZ
Fortrtue féminine (3a). Je ne dis rien
des épitaphes où l'on marquait soi-
gneusement. Fépithéte cVUnivira en
riionncur des femmes qui ne s'e'taient
point remariées. C'est une preuve que
l'on regardait cette conduite comme
une chose qui méritait l'immortalité'.
L'exclamation de Libanius nous peut
apprendre que cette conduite était
admire'e entre autres raisons à cau-
se qu'on n'en voyait pas beaucoup
d'exemples. Ce sophiste ayant appris
que la mère de saint Chrysostome
était Agée de quarante ans, et veuve
depuis vingt années , s'écria : Bon
Dieu ! quelles femmes trouve-t-on
dans le christianisme (33) !
L'auteur des Nouvelles de la Piépu-
blique des Lettres a dit quelque part
qu'un certain éloge qu'on venait de
faire du mariage était appuyé sur
des raisons qui prouvent trop, et qui
ruinent une notion qui a été fort com-
mune , même parmi ceux qui , pour
des raisons politiques , attachaient
une espèce de déshonneur au célibat.
Cette notion est, qu'une veuve qui ne
se remarie point est plus estimée , les
autres choses étant égales , qu'une
veuve qui se remarie. Quand nous
n'auiions pas une foule d'autorités
sur cela , les seules paroles que Vir-
gile met en la bouche de Didon nous
apprendraient quel a été là-dessus le
goût des anciens :
Me meos primus qui me sibi jnnxit, amores
Abstulit. llle babeal secum servetque sepul-
cro.
JEneid. , IV, 28.
Les idées d'honnêteté sont plus favo-
rables aux secondes noces des hom-
mes , il enfant demeurer d' accord ;
mais il est pourtant certain que ces
noces ont été sujettes autrefois , et le
sont encore, a des peines canoniques;
et si l'on en croit le savant, juriscon-
sulte qui a fait les Droits de la reine,
la dévolution qui a eu. lieu en cer-
tain pays n'y a été établie que pour
refréner l'incontinence des veufs ,
et pour les empêcher de convoler en
secondes noces, au grand préjudice
des enfans de leur premier mariage
(3î) ForiuriB muliebri coronam non imponc-
nal nisi univira, Tertull.
C3) Zet0xi, Ê'q>» , o(*i m.pk Xtiç-i^voTç
yvva.tx.ic itTt. Cbrysost. Orat. ad viduam ju-
uiorcui , loin. IV, pag. Sïi 0.
AGUE.
(34). Ce qu'il dit de Didon n'a pas
été inconnu à l'illustre dame qui sert
de matière à cet article. Je ne sais si
elle avait lu le passage de Pausanias,
que j'ai rapporté dans l'article Gor-
gophone , ou les raisons que Plutar-
que allègue pourquoi les noces des
filles ne se célébraient jamais dans
Rome les jours de fêtes , ni celles des
veuves un jour ouvrier. Selon Var-
ron , le fondement de cette coutume
était , qu'il ne faut rien faire contre
son gré les jours de fête (35) : or ,
ajoutait-il , une veuve se remarie
avec plaisir , mais une fille ne se
marie qu'avec douleur (36). Cette
pensée serait indigne de ce savant
homme , si nous la prenions à la let-
tre : il faut donc dire qu'il n'a parlé
que des apparences. Son sens est sans
doute que les jours de fête étant
destinés aux réjouissances publiques,
il faut que la joie soit répandue sur
tous les visages pendant ces solen-
nités. Puis donc que les lois de la
bienséance engagent les filles à faire
paraître un air sombre et morne le
jour de leurs noces (37) , et que les
veuves sont dispensées de cette gri-
mace , on ne marie point les filles
un jour de fête , etc. Parlons d'une
autre raison alléguée par Plutarque.
11 dit que le mariage étant hono-
rable aux filles et honteux aux veu-
ves , il faut célébrer les noces des
filles en présence de beaucoup de
gens , cela est glorieux à la mariée ;
mais au contraire les veuves doi-
vent souhaiter que leurs noces soient
célébrées en présence de peu de
gens , et c'est pour cela qu'elles choi-
sissent un jour où chacun est attiré à
d'autres spectacles : "H p.SL\MV oTijaîi
pàv Trctp&hoiç, x.clkov p.» hxiycev , ra.iç Se
X*pcLU Ct'lTXfOV 7T0KXUV ovtûjv ya.piÎTfta.1 ;
£h\ù>tÔç yà.p 0 TTfciôroç yapoç, 0 <Ts ê'iv-
(34' Nouvelles de la République des Lettres,
sept. i685 , art. III, pag. 968 , 9G9.
(Wh.oprt) Si //»âsv Mffoupivovç woiem
p.y\SsT(hçà.va.yx.y\. Feslo die n ihil cum molestid
etcoactione agendum. Plut., in Qurest. Roman.,
pag. 289, A.
(36) Ai/7roôy.iva.t ph <*' tta^îvoi yct-
y.oûvToti, XeLh^'J<TeL> ^ eùyuvAMiÇ. Virgi-
nr< nubere tristes, mulieres autem cum lauilid.
Idem, ibidem.
Ci-]) Sans doute c'était l'usage de Rome, et
c'est, encore l'usage de plusieurs pays.
GONZAGUE.
£û)VTû>V TffiV TrpOTÎpWV ITtpOVÇ XH/aCoLVU)-
o-iv , oifi/fOVTati <fs «tv à^•oâs<.v&VTCev• G^êV
«3-H^l'tl XtthWC'1 f*^MV * ëopuCoiÇ KdLl
7rto7rti/ui7ra.7ç' «tt «Ts êopT<*< wepi^Trws-» tokç
^/;/t fluia Jecori est (drginibus nup-
tins earum multis prœsentibus pera-
gi , idemque viduis dedecori ? primée
enim nupliœ optamlœ sunt et in pre-
cio : sccuntlœ votis recusandœ , quôd
vel cum turpitudine nubunt wivente
priore marito , vel cum luctu , si is
sit mortuus. I laque vidu.ce ad suas
nuptias quiète magis gaudent quant
j'requentiâ hominum et tumultu; fes-
tiritates porrà multitudinem ad se
trahunt , nequc nuptiis vacare pa-
tiuntur (38). J'ai cru qu'il fallait ci-
ter toutes les paroles de Plutarque,
parce que dans le précis que j'en ai
donne en français , je n'ai pas repré-
senté toute la force des expressions
et des circonstances par lesquelles il
a témoigné le peu d'estime que l'on
avait pour les seconds mariages d'une
femme. Si vous joignez à cela les ré-
ponses qui furent faites par quel-
ques dames illustres, lorsqu'on leur
parla d'épouser un second mari (3g),
vous excuserez ce qu'il y a d'ex-
cessif dans les paroles de notre Lu-
crèce.
Souvenez-vous de la réponse d'une
autre dame de la maison de Gonza-
gue (4o).
(F) On ramassa jusqu'aux billets
qu'elle écrivait h ses domestiques. ]
On n'oublia pas même ce qu'elle écri-
vit à son estafier , pour le gronder
de ce qu'il n'obéissait pas prompte-
ment à dame Lucie , qui avait soin
de la dépense (40- ^n n'oublia point
non plus ce qu'elle écrivit à cette
Lucie pour lui défendre d'être si mé-
nagère , et pour lui donner ordre de
fouetter jusqu'au sang une servante
désobéissante. Se Livia non vi è obe-
diente , alzatele in capo i drappi et
dale/ene tante che le carni si faccia-
no livide ed il sangue le scorra fino
aile calcagna ( !\i ). Je ne sais si
(38) Plut. , in Qiiœst. Roman. , pag. 289, A.
(3q) Voyez la remarque (F) de l'article
Porcie, tom. XIT.
(4o) Voyez l'article Gonzacue (Julie) , cita-
tion (1).
(40 Cette Icltre est a la page 22G. Voyez
aussi ce qu'elle écrivit à son sommelier , pag.
«22.
(40 La mciue ,pag. 227.
M. Montreuil s'est réglé suvcet exem-
ple lorsqu'il a mis dans le recueil
de ses lettres ce qu'il écrivait à son
bouclier ( 43 ) ; mais je m'imagine
qu'on aurait pu supprimer cette es-
fièce de billets de notre Lucrèce sans
ui faire tort. Je fais un autre juge-
ment des billets qui nous appren-
nent qu'elle s'appliquait avec un
grand soin à marier ses domestiques.
Cela fait beaucoup d'honneur à sa
mémoire. C'est une des bonnes qua-
lités qu'une grande dame doit pos-
séder , et en même temps c'est une
vertu qu'on ne trouve guère dans le
grand monde ; car si une dame est
mal servie , elle se défait de ses ser-
vantes et de ses femmes de chambre,
etc. , sans les récompenser; et si elle
en est bien servie , elle les garde
aussi long-temps qu'elle peut , sans
leur procurer un mariage qui la pri-
verait des bons services qu'elles lui
rendent. Il n'y a point de personnes
qui soient plus inexcusables dans
cette conduite que les dames à grand
train , à grand équipage ; car elles
Îieuvent connaître très-aisément par
a familiarité qui se noue entre leurs
domestiques de différent sexe, qu'el-
les leur feraient un grand plaisir en
les mariant. La vigilance la plus exac-
te des maîtresses, leur sévérité, leurs
exhortations , leurs censures , n'em-
pêchent point les liaisons et les tête-
à-tête des domestiques , ni d'autres
commerces encore plus forts , dont
les suites scandaleuses éclatent assez
souvent. Cela découvre avec la der-
nière évidence ce qu'il faudrait faire
pour récompenser les services que
l'on a reçus. Blâmons donc les dames
qui n'imitrîii pas notre Lucrèce ,
louons-la de son affection et de son
honnêteté pour les personnes de son
sexe qui la servaient. Elle eut la bonté
d'écrire elle-même à Cornélia Gian-
notti qu'elle lui avait trouvé un mari
jeune , riche et bien fait. Elle lui en
décrivit exactement les perfections ;
qu'il avait beaucoup d'esprit , qu'il
était honnête dans ses discours (44) >
poli dans ses manières , industrieux ,
grave , civil , etc. Voilà pour ce qui
regarde l'âme. Elle noublia point ce
(43) Vorez l'article Pats, remarque (B), t. XI.
(44) Dalla sua hocca non usci mai parola,
( non dico vergognosa ) ma ne pur leggiera «
licenliosa. Lctlerc di L. Goiuaga. , pag. 221.
i56
GONZAGUE.
qui concernait le corps 5 elle entra Les tentations de la chair sont sem-
même dans un détail bien particu- blables aux sirènes : il faut s'en
lier. Venso hora aile qualita corpa? éloigner si l'on veut s'en garantir (4g):
rali , dit-elle , le quai sonomi parute Non ti i>ego porre alcuna di/igenza
degne di conlemplatione , percioche per schivar quelle cose che alla libi-
eeli è piu tosto robusto , che delicato, dine incitar ti possono , ed è ben ra-
tion molto grande , ma ihoroso, d'oc- gione che cm ama il pericolo pe-
chio vwacissimo ; di largo petto ; di risca nel pericolo. Sono le lenla-
fianco rotundo ; di gamba svelta , di tioni carnali simili aile sirène , dalli
fronte ampia ; di capo londo , e rie- quali pochi ne scampano , se non si
~ciuto , ne aggiugne al ventesimo an- allontanano (5o). Voilà , pour le dire
no ( per quanto si dice ) (45). Tout en passant , une illusion très-com-
cela montre qu'elle avait choisi en mune. On se plaint de ne pouvoir
bonne maîtresse et en bonne amie, résister à certaines tentations , quoi-
Une autre fois , ayant trouvé un qu'on les combatte de toutes ses for-
parti avantageux à quelqu'une de ses ces , dit-on. Mais est-ce les combat-
femmes , elle lui en écrivit prompte- tre de cette manière, que de se uour-
ment l'heureuse nouvelle , et l'exhor- rir des meilleures viandes , que de
ta d'un côté à rendre grâces à Dieu, faire toutes sortes de visites, que
et de l'autre à se tenir propre, afin de chercher les conversations les plus
que le galant qui devait la venir agréables , etc. ? Il est si facile de
voir ne la prît pas pour la cuisinière : franchir les bornes qui séparent les
Rallegrali, Giulia , ed alza le mani plaisirs permis des plaisirs défendus,
al cielo , poi che menlre son stata qu'on ne saurait croire qu'une per-
alla fera di Rovigo , ti ho tivt'ato sonne travaille sincèrement à bien
un marito di tal qualita che ogn'uno vivre , lorsqu'elle ne renonce pas à
che lo conosce lo giudica laborioso... plusieurs commodités innocentes.
ponli adunqne in ordine , percioche Raffrenati eziandio dai leciti pia-
io penso ch'cgli se ne \>ei~ra con noi ceri (5i), faut-il dire aux voluptueux,
alla Fratta ; fa che non ti ritroui con comme on le disait à la débauchée
i capegli scarmigliati ; col uiso tin- dont je parle ici. Cette impudique
10 , o con le mani impastricciate co- avait une sœur qui menait la même
me se tufussi la cuoea (46). Elle ren- vie : Lucrèce lui écrivit une longue
dit un pareil service à l'une des fem- lettre (5a) qu'elle remplit des rai-
snes de sa sœur (47 )■ sons les plus capables de convertir
(G) Les censures qu'elle fit a quel- cette créature. On ne peut pas s'ex-
ques personnes impudiques , ou ai>a- primer plus éloquemment ni plus vi-
res , ou arrogantes , sont très-belles.] vement qu'elle fait contre la bru-
11 faut lire ce qu'elle écrivit à une talité de ce vice. Elle n'est pas moins
personne de son sexe , laquelle, pour éloquente lorsqu'elle censure un
s'excuser de ses impudicités , allé- vieux pécheur, et 'qu'elle le tourne
guait l'inutilité de sa résistance (48). en ridicule : Oh bella cosa, che per
Notre Lucrèce lui donna entre au- tutta la citta rosira si dica , che non
très conseils celui de manger fort ui possate per vecchiezza che i-i hab-
peu , de ne dormir guère , de chas- bia sovragiunto dislogliere dalle li-
ser l'oisiveté, de fuir les conversa- bidinose schifezze Fra tutti i
tions lascives, de s'abstenir des plai- mostri , niuna cosa è piu mostruosa
sirs permis, d'étudier les saintes let- di un vecchio libidinoso. Conlem-
tres , et de vaquer à l'oraison. Je ne plate àlmeho allô specchio i canuti
m'étonne pas , lui dit-elle , .que vous capegli, la canuta barba , la fronte
n'ayez pas la force de vous priver rugosa , e la faccia simiglianle ad
des plaisirs grossiers ; car je ne vois un cadauero (53). Ce qu'elle écrivit
pas que vous vous teniez sur vos
gardes pour vous éloigner des cho-
ses qui vous excitent à la luxure.
(45) I.etterc di L, Gon/.aga , pag. 221.
(,',(!) Ibidem, pag. i43.
(/,-) Ibid.
(.j8) Ibid., pag. 292, 2g3.
(ijf)) Conférez ce qui est dit dans l'article
FoNTEVRACD, remarques (M) et (fi), tout. VI.
(5o) Lcltcre di L. Gonzaga, pag. 2C)3.
(5i) Ibid.
(5i) Ibid. , pag. 294 et suiv. Voyez ce qu'elle
écrivit h d'autres débauchées , pag. 128, i(JG.
(53) Letlcre di L. Gonzaga, pag. 29S.
GORGOPHONE.
à un homme qui , bien loin d'avoir
trouve dans le mariage la guérison
île ses désordres , y était devenu
plus lascif, n'est pas moins fort (54).
Si elle avait voulu censurer toutes
les personnes que ni la vieillesse ni
le mariage ne retirent pas de cet
abîme , elle aurait écrit plus de let-
tres qu'il n'en faudrait pour deux
volumes in-folio. Quant aux person-
nes avares ou superbes qu'elle a t;1-
ché de corriger, voyez les pages que
je cotte (55j.
(H) et ne méritent pas moins
d'être lues que celles qu'elle adressa
ii un prêtre qui s'adonnait aux plai-
sirs vénériens. ] Voici de quelle ma-
nière elle lui parle (5G) : Egli è pur
forza che posposto og/ii rispetto , io
ri ammonisca , e vi faccia ravve-
derc dei rostri sporchi j'alli , voi sa-
cerdole d'inmo, tutto consacrato aile
cose divine , non vi vergognerete toc-
care la putrida carne di una mere-
trice , con quella bocca , con laquale
ricevete il corpo del nostro Signore ;
et non vi vergognerete trattare si
odiose brutlui'e con quelle istesse ma-
ni, con lequali celebrale que/lo inef-
Jabile misterio ministrandovi gliagno-
li ? Oh corne non si patono insieme ,
farsi quel medesimo corpo , e spirito
con Iddio, ed un medesimo corpo con
la malvagia jemina!
(54) 1° "" ereàevo , rhe voi vi foste mariialo,
perche il malrimonio vi havesse ad essere il ri-
fuggio delta voalra incontinenza : ma per quan-
ta s' intende. , gli vi è pm losto .slalo un sprone,
ed uno incilamenlo alla lussuria. Ibidem, pag.
^99-
(55) Ibid. , pag. 29, 129, 174 , 2^2, 304.
(5C) Ibid. , pag. 297.
GORGOPHONE , fille de Per-
sée et d'Andromède , fut femme
de Périères fils d'Éole , et roi
des Messéniens au Péloponnèse.
Ayant vécu plus que son mari ,
elle se remaria avec OEbalus, et
fut la première femme qui con-
vola en secondes noces ; car avant
elle les personnes de son sexe
s'étaient fait une religion de ne se
remarier jamais (a). Celte inno-
(a) rifûTê'pov cfê x.ct.diçrix.it ntiç yi/vst,i^iv
iiti «vcTf/ à/ToS«vovTi %Hpîùuv. cùm unit
i57
vation ne peut pas flétrir sa mé-
moire, autant que Lamecli a été
flétri par l'innovation qu'il ap-
porta au mariage , en épousant
deux femmes qui vivaient en mê-
me temps. Mais c'est toujours
une flétrissure , quand l'histoire
marque qu'on a été le premier
qui a relâché la pratique de la
morale sévère. Le relâchement
des en fans de Gorgophone fut
infiniment plus condamnable ;
car ils donnèrent dans l'inceste.
Elle eut deux fils de son premier
mariage, savoir Apharéus etLeu-
cippus. Du second lit elle eut
une fille nommée Arène qui fut
femme d' Apharéus. Cet Apha-
réus laissa bien régner son fils
avec lui à Messène , mais il rete-
nait la principale autorité. Il
bâtit une ville qu'il nomma Arè-
ne , à cause de sa femme {b).
Gorgophone fut enterrée à Ar-
gos sa patrie (c). Elle eut de son
second mariage un fils qui eut
nom Tyndare, et qui fut père
d'Hélène (d). Je crois que Plaute
l'a prise pour la grand'mère
d'Amphitryon (A) , et non pour
la tante.
sanctum et solemne Jœminis fuisse! , priore
viro mortuo , secondis nupliis abstiiiere.
Pausanias , ex versiorw Romuli Amasaù , lib.
Il, pag. 64.
(Ii) Pausanias, lib. IV, pag. 112.
(c) Idem , lib. II, pag. 64.
(d) Idem , ibidem , pag. 81.
(A) Plante l' a prise pour la grand'-
mère d'amphitryon. ] Voici ses pa-
roles (t). Ego idem ille sum Amphi-
Iryo , Gorgophones nepos , impera-
tor Thebanorum. Mademoiselle le
Fèvre fait là-dessus cette note : « Je
» n'ai jamais remarqué dans les an -
« ciens le mot nepos pour ce que
« nous appelons neveu : il signifie
» toujours petit-fils , je crois pour-
(1) Ampliitr. , act. IV , se. IV, vi. 49.
i58
GORLJEUS.
3) tant qu'Ovide s'en est servi dans
)> le même sens , comme le fait ici
w Plante , car Gorgophone était fille
i> de Perse'e , sœur d'Alcée , et par
3> conse'quent tante d'Amphitryon. »
Pour moi , je ne saurais me persua-
der que Plaute se soit servi du mot
nepos qu'au sens de petit- fils. Ou ne
trouve point certainement que ce
mot ait eu d'autre signification avant
la décadence du latin : ainsi tous
les spectateurs et tous les lecteurs
de l'Amphitryon allaient tout droit
à petil-pils par le mot nepos. Quelle
apparence que le poète les eût voulu
ainsi tromper en leur donnant pour
le petit-fils de Gorgophone celui qui
n'aurait été que le neveu de cette
■dame ? Je sais bien que selon la gé-
néalogie qu'Apollodore a rapportée
(2) , Amphitryon n'est que le neveu
de Gorgophone ; mais je sais aussi
que toutes ces généalogies du temps
fabuleux ont été disposées en plu-
sieurs manières, et qu'il est fort ap-
parent que Plaute avait lu quelques
auteurs qui faisaient Amphitryon pe-
tit-fils de Gorgophone. Souvenons-
nous qu'elle eut deux maris , et des
enfans de chacun d'eux : on aura pu
lui faire présent d'une fille qui ait
été femme d'Alcée , et mère d'Am-
phitryon. Cela ne serait pas plus
étrange que ce qu'on lit dans Apol-
lodore (3), savoir qu'Electryon épou-
sa Anaxo , sa nièce , fille d'Alcée. Si
Electryon a épousé la fille de son
frère Alcéc , celui-ci aurait bien pu
épouser la fille de Gorgophone , sa
sœur. Joignez à cela que les auteurs
qui nous restent ne sont point d'ac-
cord touchant la femme d'Alcée qui
fut mère d'Amphitryon. Les uns (4)
veulent qu'elle ait été fille de Mé-
nœcéus , et qu'elle ait eu nom Hip-
ponome. D'autres (5) disent qu'elle
s'appelait Lysidice , et qu'elle était
fille de Pélops. D'autres (6) enfin la
font fille de Gunéus , qui était de
Phc'néum, dans l'Arcadie, et la nom-
ment Laonome. Qui empêche que
d'autre écrivains, qui n'étaient point
encore perdus au temps de l'iaute ,
n'aient dit qu'elle était fille de Gor-
(1) T.ib. II . pag. m. 97.
Ci) Idem , ibidem.
(4) Idem, ibidem.
(5) Pausan. , lib. VIII, pag. aQH.
tj*/ Idem , ibidem.
gophone (7) ? Au reste , il ne faut pas
s'étonner qu'Amphitryon ait voulu
se faire valoir sur le théâtre , par cette
généalogie ; car le nom seul de Gor-
gophone faisait songer à Persée , le
dompteur des Gorgones. C'est de cette
action que sa fille eut le nom qu'elle
porta (8).
(7) Confer quie infra dans la remarque (F)
de l'article Téléboes , tom. HIV.
(8) Pausan., lib. II, pag. 64.
GORLjEUS (Abraham), né à
Anvers, l'an i5/|.q, se rendit cé-
lèbre par la curiosité de ramasser
un grand nombre de médailles
et d'autres semblables monu—
mens. Les anneaux et les cachets
des anciens ne furent pas sa
moindre passion. Il en rassem-
bla une quantité prodigieuse ,
comme il paraît par l'ouvrage
qu'il publia, l'an 1601 (A). Sept
ans après il publia un recueil
de plusieurs médailles. Il avait
choisi la ville de Delft pour le
lieu de son séjour, et il y mou-
rut le i5 d'avril r6og. Il n'est
pas vrai qu'il y fut pourvu d'u-
ne charge dans la monnaie (B).
Quelques-uns disent qu'il n'avait
jamais étudié la langue latine
(C) , et que la docte préface qui
est à la tête de sa Dactyliollieca
fut composée par un autre (D).
Ses héritiers vendirent son cabi-
net au prince de Galles {a). Il ne
serait pas toujours sûr de se fier
à ses médailles , si l'on s'arrêtait
au Scaligérana (E).
(a) V oyez Swerlius, Atlien. Be\g.,pag . 87.
(A) L'ouvrage qu'il publia , l'an
1601. ] En voici le titre : Dactylio-
theca , seu slnmdorum sigillarium
quorum apud priscos tam Grœcos
quant Romanos usus ex j'erro , œre ,
argento , etauvo Promptuarium. Ce
fut la première partie de l'ouvrage :
la deuxième eut pour titre : P^aria-
rum Gemmarum quitus Antiquitasin
signando utisolita Sculptoviv. Ce qui
me fait dire que cet ouvrage fut
imprime l'an 1601 , quoique je sa-
che <{iie Swertius (1) et Valère An-
dré' (a) assurent qu'il fut imprime
à Nuremberg Tan 1600 , est la date
de l'Epî tre dédicatoire. L'auteur dé-
dia son livre à l'électeur de Cologne,
le premier d'octobre 1601. Déplus,
la taille-douce de l'auteur, à la tète
de l'ouvrage , est de la même an-
née (3). Enfin , M. Gronovius, qui a
publié une nouvelle édition de cet
ouvrage (4) , observe (5) qu'il fut
imprimé la' première année de ce
siècle. L'édition de ce livre , dans la
bibliothèque de M. de Thon , est de
Leyde , >6o5 ; dans celle de AI. le
Tellier , archevêque de Reims , elle
est d'Anvers iGog. Le père Labbe (6)
marque l'édition de Leyde, i65o :
peut-être ses imprimeurs ont fait de
i6o5, i65o , par la seule transposi-
tion d'un chiffre. Quoi qu'il en soit ,
l'édition de Leyde , i6g5 , surpasse
toutes les autres ; car non-seulement
elle contient un plus grand nombre
de figures , mais aussi une courte et
très-docte explication que M. Grono-
vius y a jointe.
(B) II n'est pas vrai qu'il fut pour-
vu d'une charge dans la monnaie de
Delft.J Valèrc André a fait ici une
très-insigne bévue : Abrahamus Gor-
Itvus , dit-il (7) . Antuerpiœ nalus ,
eclebri emporio , Delphis Batavorum
vixit in collegio III vh-orum moneta-
lium. C'est assurer deux choses , l'une
qu'il y a à Delft un corps composé
de trois personnes préposées à la mon-
naie , l'autre que Gorheus était l'un
de ces trois hommes. Or ni l'une ni
l'autre de ces choses n'est véritable.
Cette erreur est venue de ces paroles
de Gorheus (8) : JYescio quojato in
antiquorum numismatum ôiceplctv de-
ta/iMis , reùjue du/cedine allectus , to-
tum me trado liuic conlemplationi :
et tanquam in Colle gium III viro-
(1) Swert., Atlien. Belgic. , pag. 87.
(2) Val. André, Bibliolli. Belg., pag. I.
(3) F.Ue marque qu'il était alors dans sa cin-
quante-deuxième année.
(4) A Leyde, chez fonder /ta, 1695.
(;"i) In prtefal.
(ti) Fiililiolh. Biblietliecar., in Mantij&âantiqna-
ric supellectilis , pag. m. 34 1.
(7) Biblioth. Belg., pag. 1.
t8) In Alloquio ad Leclorem.
GORLEUS. iS9
ruin monelalium cooptatus , nthil
prœtcr nummos velercs somnio. Swer-
tius <) a fort bien compris ce que
ces paroles veulent dire, et il les a
rapportées selon le sens de l'auteur ;
mais Valère André les a perverties :
il ne dit pas que Gorheus s'appliquait
à la recherche des anciennes mon-
naies, comme un homme qui aurait
été l'un des triumvirs de la monnaie ;
il le représente actuellement revêtu
de cette fonction. M. Gronovius s'est
informé des raisons qui avaient porté
cet antiquaire à sortir de son pays ,
afin de se retirer en Hollande poul-
ie reste de ses jours, et quels em-
plois MM. de Delft lui donnèrent:
mais il n'a pu en rien découvrir. Ip-
sum Gor/œum cognoscere familia-
rihs cupivi, et quœ causa illum in-
dttxisset palriam Batavia mutare
prœsertim quùm dissona de eo me-
ntor are ntur , sic ut ibi quoque mori
et sepelire novem annis post volueril.
Ipse in prœfatione poslremb videtur
se describere eum qui publias quoti-
diè distringeretur muneribus, et qua-
lia ista fuerint resciscere non magis
potui, quant id ipsum quod modo
dixi (10). Ce qu'il y a de certain ,
c'est que Gorlœus lui-même se re-
présente comme un homme à qui
des emplois publics ôtent le temps
d'étudier autant qu'il voudrait. Ccc-
ter'um , dit-il (ri), citm illud pree-
stare quod a nobis ipsi exigimus , ejus
sit verius qui in umbralicâ rerum con-
templalione et desidie litterarum tor-
pescit, qttàm qui publias quotidiè
dislringitur muneribus , aliis relin-
quemus quod optari possit , 710/us
quod ad nominis nostri existimatio-
nem pubîicamque utilitatem sufficiet
reservabimus ,
(C) Quelques-uns disent qu'il n'a-
vait j/imais étudie la langue latine. ]
M. de Peiresc contait cela, lorsqu'il
parlait des conversations qu'il avait
eues avec Gorheus, à Delft. Les paro-
les de son historien méritent d'être
rapportées. Quo loco narrant solebat
remmeinoralu non indignant , nempç
Gorlœttm , chut alias îatinœ linguœ
non stûduisset , intellexisse tamen
libros omîtes circa rem nammariam
(9) Atben. Belg. , pag. 87.
(10) Gronovius, 1» prtefat.
(11) In secundo Monilo ad leclorem.
i6o
GORLŒUS.
latine conscriptos , eodem modo , quo
Forcatulus omnes circa rem mathe-
maticam : tantùm valet improbus la-
bor ex desidei'io quidpiam noscendi
vehementissimo profectus (12). Cela
serait assez singulier*, et donnerait
l>. ut-être plus de relief à la gloire de
Gorlœus, qu'il ne lui serait honteux
de n'avoir pas étudié. K'est-ce pas
une marque de bon esprit, que d'en
un bon homme. Cela et toute la suite
du passage témoigne que Scaliger
rangeait Gorlaeus au nombre des fa-
bricateurs de fausses médailles.
GORLŒUS (David), natif
d'Utrecht , a vécu dans le XVIIe.
siècle. Il publia quelques livres
de philosophie (a) , où il s'écarta
tendre un livre latin par la seule de l'opinion ordinaire des écoles,
connaissance que 1 on a de la matière p ' • „ j- - 1 , -«»• t-.
dont il traite? Plutarque dit quel- KeSlus> disc.ple de M. Descartes,
que part, qu'ayant étudié l'Histoire se voyant harcelé pour une thèse
Fiomaine dans les livres grecs , cela qui concernait l'union de l'â-
me et du corps , allégua qu'il
s'était servi des propres termes
de Gorlœus. Cela ne lui servit de
rien , et fut cause que Voëtius,
professeur en théologie , flétrit
' * 1 VI 1 • r i "111
de M. Peiresc avec ce qu'on lit dans autant <lu l} lul fut possible les
Swertius, qui avait connu familière- Sentimens de Gorlaeus (A).
était cause qu'il entendait la langue
des historiens latins. Gorlaeus aurait
pu dire que la science des médailles,
qu'il s'était acquise , lui faisait com-
prendre la pensée des auteurs latins
qui avaient écrit sur cette science.
Mais on ne saurait accorder ce conte
ment Gorlaeus ( i3). Un camarade
d'école d'André Schottus allait sans
doute au collège. M. Gronovius (i4)
emploie cette raison contre ce que
dit Gassendi.
(D) et que la docte préface,
qui est a la tête de sa Dactyliotheca ,
fut composée par un autre. ] Cunaeus
assure qu'TElius Everbard Vorstius en
était l'auteur ; il l'assure , dis-ie ,
dans l'oraison funèbre de Vorstius.
(a) Exercilationes philosophicœ , anno
1620, in -8°. Item Idea physices. Konig, Bi-
bliotheca vet. et nov. , pag . 355. Voyez So-
rel , à la page 2^8 de la Perfection de
r homme.
(A) Voëtius flétrit autant
qu il lui fut possible les sentimens de
Gorlœus.] Vous trouverez l'histoire
de tout ceci dans M. Baillet(i). Il
nous apprend que Régius avait sou-
Un docte Allemand (i5) qui a écrit tenu entre autres choses (*) : que de
touchant les anneaux, assure la même
chose.
(E) 77 ne serait pas sûr de se
fier a ses médailles , si l'on s' ari'élait
au Scaligérana.~\ On y trouve ces
paroles (16) : Gorlœus fond des mé-
dailles; il m'en a quelquefois mon-
tre , mais j ai découvert quelles n e-
taient pas anciennes ; il ne m'en a
montré depuis que de vraies. C'est
(fi) Gassendus , in Vita Peireslûi, hb. II,
ad ann. 1606, pag. m. 265.
* I.cclerc et Joly reprochent à Bayle de ne rien
dire de ce que , dans le passage transcrit, le mê-
me PeyrescditdeForcadel(rn latin Forcalelius);
les réflexions sur ce qui regarde Gorlfleus peuvent
aussi s'appliquer à ce qui concerne Forcadel.
(i3) Mihi familiaris s liberalibus sludiis à
primis adoLeseentice annis delectatus , candis-
1 ipulum habuil Andream Scholtum .toc. Jesu
Presbyt. Swerlius , Atlien. lîelgic, pag. S'r
(i4) In prafat.
(i5j Kirclimannus, cap. III de Aamûk, pag.
j3 , éd. Lugd. Bat., 1632.
(16) A la page 97.
l'union de l'âme et du corps il ne se
faisait pas un être de soi , mais seu-
lement par accident Il suffit a
31. Voëtius que cela ne fût pas con-
forme au langage ordinaire de l'éco-
le , pour déclarer 31. Jiégius héré-
tique , et faire procéder it sa déposi-
tion. 31. Régius eut beau s'excuser
sur ce que cette manière de parler
n'était pas de lui, mais de Gorlœus,
dans les écrits duquel il l' avait prise,
telle qu'elle se trouvait insérée dans
la dispute. Voëtius fit ordonner au
nom de la faculté de théologie
que les étudions en théologie s'abs-
tiendraient des leçons de A/. Régius
comme de dogmes pernicieux it ta
religion. Peu de jours après, le mê-
me Voëtius fit imprimer des ilièses
(1) Vie de Descartcs , loin. II, pag. i45, itfi,
à Vann. 1641.
(*) Ex mente c\ corpore non fit iinuin per se,
sed per accident.
GOSÉLINI.
auxquelles il ajouta trois corollaires ,
dont voici le Ier. L'opinion de l'athée
TaureUus et de David Gorlœus qui
enseignent que l'homme composé de
l'a' me et du corps est un être par ac-
cident, et non de soi-même , est ab-
surde et erronée. Voici le IIIe. La
philosophie qui rejette les formes
substantielles des choses avec leurs
Jacullés propres et spécifiques , ou
leurs qualités actives , et conséquem-
ment les natures distinctes et spéci-
fiques des choses , telle que Taurel-
ius , Gorlœus et Basson ont tâché
de l' introduire de nos jours, ne peut
point s'accorder avec la physique de
Moïse , ni arec tout ce que nous en-
seigne V Ecriture. Cette philosophie
est dangereuse , favorable au scepti-
cisme , propre a détruire notre créan-
ce touchant l'âme raisonnable , la
procession des personnes divines dans
la Trinité, l'incarnation de Jésus-
Christ, le péché originel, les mira-
cles , les prophéties , la grâce de no-
tre régénération et la possession
réelle des démons.
On voit là manifestement de quoi
sont capables les impressions de la
coutume et les préjuge's. C'est un
Soids qui nous entraîne où l'intérêt
e notre cause demande que nous
n'allions pas; car que peut-on dire
de plus contraire aux intérêts de ces
dogmes fondamentaux de la religion
(2) , que de soutenir qu'ils ont un be-
soin extrême ae la doctrine des sco-
lastiques sur la distinction de Yens
per se , et de Yens per accidens , et
sur la nature des formes qui consti-
tuent les espèces des corps? Eus per
se , Eus per accidens , sont des phra-
ses inexplicables, un virai jargon des
logiciens espagnols , qui ne signifie
rien ; et quant aux formes substan-
tielles , ce que l'on dit de leur nature,
et de la manière de leur production et
de leur destruction , est si absurde, et
si incompréhensible, qu'on ne peut le
faire passer pour une doctrine né-
cessaire à la religion , sans commet-
tre dangereusement les vérités les
plus sublimes de l'Evangile , et sans
remplir de tant de mystères le cours
général de la nature , que la religion
n'aura plus aucune prérogative sur
la nature. Il est sûr que les plus pro-
fs) On entend ceux qui sont Spécifiés dans le
troisième corollaire.
TOME" VII.
l6l
fonds mystères de l'Évangile sont
pour le moins aussi aisés à compren-
dre que la doctrine des formes, et
que la nature de YEns per se des
scolastiques.
Cette réflexion ne regarde Voè'tius
que d'une façon éloignée et indirec-
te ; car , quand on consulte son co-
rollaire tout entier , on voit que la
raison pour laquelle il trouve tant de
péril pour les dogmes évangéliques
dans la rejection des formes, n'est
pas la rejection même des formes,
mais le motif de leur rejection (3). Il
observe que la raison principale de
ceux qui les nient est que la manière
dont elles sont produites est inex-
plicable, et puis il montre que sur
un semblable fondement, il est à
craindre que l'esprit humain ne se
porte à la négation des mystères , etc.
Cela change l'état de la question , et
met la dispute en état d'être plus fa-
cilement terminée. On n'a qu'à expli-
quer le malentendu , et à donner la
disparité. Mais pour ceux qui con-
damnent en elle-même la rejection
des formes , comme préjudiciable à la
religion , je le répète , ils méritent
qu'on leur représente ce que j'ai dit
ci-dessus.
Vous trouverez dans la remarque
(E) de l'article, Heidanus , quelque
chose qui concerne les difficultés in-
explicables de la doctrine des péri-
patéticiens , touchant les formes sub-
stantielles : mais, pourvoir cela dans
toute son étendue, vous n'avez qu'à
voir le Ier. volume des thèses d'Ha-
drien Heereboord depuis la page ia5
jusqu'à la page 148, où il fait valoir
les raisonnemens profonds et subtils
de Guillaume Pemhélius, qui a écrit
en anglais sur cette matière.
(31 Quidquid sit de summtZ rei , quant philo-
sophorum disqtn-itioni reltnqutmus , hoc unum
saltem hyponema studiosis noslris subjicimus :
Jchillei argumenli istiut , quo formas explo-
dere cunantur, consrquenliam suspectant ha-
béant ; quœ est hœc , negatur essentia et exis-
triUia 'ormarum , quia earum origo seu modus
originis incerlus est , aut explicari non potest ,
sic ut palroni formai um et sibi et aliis in eo
satisfactant Hoc venculoso axiomale semel
hau..to proclive et il vanUalt , sceplicismo et pe-
tulanliœ humain ingenii, disputare, non daii
animant rationalem , etc.
GOSFLIM ( Julie»), né à
Rome , l'an i525, fut dès l'âge
de dix-sept ans secrétaire de
11
162
GOSÉLINI. GOSSELIN.
lier
La chose était digne d'être
marquée dans son épitaphe , titu-
lo res digna scpulcri : aussi ne
l'y a-t-on pas oubliée (a). Les
affaires du secrétariat , qui l'oc-
cupèrent plus de quarante ans ,
ne l'empêchèrent pas de publier
divers ouvrages (A). Il mourut
à Milan le 1 2 de février 1 587 ,
âgé de près de soixante -deux
Ferdinand de Gonzague, vice-
roi de Sicile. Il continua de l'ê-
tre lorsque le vice-roi passa au
gouvernement de Milan. Il eut
la même fonction sous le duc
d'Albe , et sous le duc de Sesse ,
qui furent successivement gou-
verneurs de cet état après la
mort de Gonzague. Le duc de
Sesse l'amena avec lui à la cour
d'Espagne , ou Gosélini se rendit ans (b)
si agréable par son adresse et par (a) Compomndis discordas nato
sa prudence , qu'on témoigna à
ce duc qu'il ferait bien de n'em-
ployer que ce négociateur dans
les affaires qu'il aurait auprès
du roi. Gosélini fut gratiné en
même temps d'une pension via-
gère de deux cents écus par an.
Le marquis de Pescaire , succes-
seur du duc de Sesse , eut pour
Gosélini les mêmes égards et la
même confiance que ses prédé-
cesseurs ; mais les choses chan-
gèrent étrangement sous celui
qui succéda à ce marquis : ce fut
le duc d'Albuquerque. Il en usa
d'une manière si bizarre et si fa-
rouche envers Gosélini , que peu
> c 11 ,■ ''i „ 1 ■ C S* „-J„« doute uue Gosélini eût écrit la con-
s en tallut qu il ne lui ht perdre . .. * -, . -, v-
^ .„ 1 „ iuration du comte de riesque, vu
et la vie et 1 honneur en même qu'en donnant la raison pourquoi il
temps. La fin de cette persécu-
tion fut néanmoins honorable à
ce secrétaire. 11 esquiva le coup
adroitement , et se gouverna avec
une telle prudence, pendant cette de Rets. Il avoue qu'ils sont incom-
rude tempête, qu'il s'en tira à parables, chacunen son espèce; mais
u il 1- ftue les deux premiers donnent trop
son honneur. 11 ne rentra en ^e part à la France dans ce projet,
charge que sous le marquis d Ai- et que les deux derniers ne lui en
monte et sous le duc de Terra- donnent pas assez.
nOVa, qui furent gOUVemeursdll (0 Préface de son François Ier.
Milanais , et dont il fut sécrétai- GOSSELIN. Je connais trois
re à leur grande satisfaction, auteurs normands qui ont eu ce
Entre plusieurs bonnes qualités , nom. Guillaume Gosselin , natif
011 lui donne cellede pacificateur deCaen , vivait au XV 1e. siècle, et
des querelles. On dit qu'il avait se mêla de mathématiques (A).
pour cela un talent tout particu- Jean Gosselin vivait aussi en ce
(b) Tiré du Ghilini, Tealro d Huomini
Letterati , part. I, pag: i3^. Voyez aussi
Prosp. Mandosio , Biblioth. roman. ,pag- 26.
(A) II publia divers ouvrages.]
Voici le titre de quelques-uns : Rime;
Discorsi ; Letlere ; Ragionamento
sopra i Componimenti del Borghesi ;
Dichiarazione di alcuni Componi-
menti ; f^ita di Don Ferdinando
Gonzaga ; Tre Congiure , cioè de'
Pazzi e Salviati contra i Medici ,
del Conte Giovan Luigi de' Fieschi
contra la republica de Genova , e
d' alcuni Piacentini contra il loro
Duca Pielro Luigi Farnese. Il a fait
aussi des vers et des lettres en latin ,
et il traduisit en italien un livre fran-
çais intitule', Récit véritable des choses
qui se sont passées aux Pays - Bas
depuis E arrivée de Don Juan d' Au-
triche , etc. M. Varillas ignorait sans
traite de cette conjuration , il ne
nomme (1) que quatre auteurs qui
en aient publie' l'histoire , Hubertus
Folietta , Agostino Mascardi , made-
moiselle de Scude'ri et le cardinal
GOUD
siècle-là. Il était de Vire , et fut
garde de la Bibliothèque du roi.
11 s'attacha beaucoup à l'astrolo-
gie (B). Il mourut fort vieux ,
d'une manière assez singulière.
Nous verrons ce que Scaliger a
dit de lui (C). Antoine Gosseli.v
était de Caen *, et y fut profes-
seur royal en histoire et en élo-
quence , et principal du collège
du Bois. Il publia, en latin, l'his-
toire des anciens Gaulois, l'an
i636. Il se trompa en bien des
choses , comme M. Bochart le
fit voir dans quelques observa-
tions qu'il composa sur cet ou-
vrage, et qu'il ne voulut point
rendre publiques ; car il craignit
de déplaire aux amis et aux pa-
rens de l'auteur. Elles ont été
insérées dans la dernière édition
de ses OEuvres.
* Antoine était d'Amiens , ainsi que le dit
la Biographie universelle , qui parle aussi, de
Guillaume et de Jean.
(A) Guillaume Gosselin i... se
mêla de mathématiques .] Cela paraît
par l'ouvrage qu'il publia à Paris, en
1 577 , sous ie titre de Arte magna ,
seu de occulta parte numerorum quœ
et Algebra et Almucabala vulgo di-
citur,ltbri quatuor, in quibus expli-
cantur œqualiones Diophantis , et
regu/œ quantitalis simplicis et quan-
titatis surdœ. Il joignit des démon-
strations , et des inventions à la tra-
duction française qu'il fit de l'arith-
mc'tique de Nicolas Tartaglia, auteur
italien. Cette version fut imprimée à
Paris, l'an 1577 (1), et à Anvers, chez
Plantin , l'année suivante (2).
(B) Jean Gosselin s'attacha beau-
coup a l'astrologie.] Témoin le livre
qu'il publia à Paris, en 1 577, et qu'il
intitula Historin imaginum cœles-
lium nostro sœculo accommodata , in
quâ earum vicinitates seu habitudines
inter se atque stellarum fixaruiu si-
tus et magnitudines explicantur. Six
fi) Tiré de du Verdier Vau-Privas, Biblio-
tliéque française, pag. 4"".
(?) La Croi* cîu Maine , pag. »47*
IMEL.
i63
ans auparavant il avait donné au pu-
blic , la Main harmonique , ou les
principes de musique antique et mo-
derne , et les propriétés que la mo-
derne reçoit des sept planètes, com-
me aussi Ejdiémérides, ou almanach
du jour et de la nuit pour cent ans
commençant en l'an 15^1 (3). Il fit
imprimer à Paris, en i58a, une table
de la réformation de l'an, et une
version française du calendrier Gré-
gorien (4). Notez que Vossius (5) n'a
fait aucune mention de ces deux
auteurs. C'est une marque qu'il n'en
avait point ouï parler.
(C) Il mourut fort vieux
nous verrons ce que Scaliger a dit de
lui.] a Gosselin, gardien de la Biblio-
» chèque du roi, est mort tout brûlé,
» étant tombé dans son feu ; et à
» cause de son âge, étant seul, ne s'est
» pu relever,, ce qui advient ordir
» nairementaux vieilles gens. M. Ca-
» saubon le sera maintenant. Ce feu
» bibliothécaire Gosselin ne laissait
g. entrer personne en la bibliothèque,
» tellement que M. Casaubon trouve
» des trésors qu'on ne savait point
» qui y fussent (6).»
Concluez deux choses de ce passa-
ge, l'une que Jean Gosselin mourut
vers le commencement du XVIIe.
siècle ; l'autre, que sa charge fut don-
née à Casaubon.
(i) Tire de du Verdier Vau-Privas , Bibliotb.
française, pag. 708.
(4) La Croix du Maine , pag. a3o.
(5) Dans son livre de Scieotiis inaihematici.?
(6) Scaligérana , pag. m. 97.
GOUDIMEL (Claude), l'un
des plus excellens musiciens du
XVIe. siècle * , fut massacré à
Lyon , l'an i5y2 , à cause qu'il
était de la religion. Le Marty-
rologe des protestans fait men-
tion de lui (A). D'Aubigné se
trompe quand il le met parmi
ceux qui périrent à Paris , le jour
de la Saint-Barthélemi (B). M.
Varillas n'a point commis cette
faute ; mais il a eu tort de croire
que Goudimel et Claudin le jeu-
* Bayle en reparle dans la remarque (N) de
son article Marot. ton) X.
t64 GOUDIMEL.
ne aient été la même chose (C).
Il fait une observation curieuse
contre ceux qui n'exceptèrent
pas du massacre un aussi habile
musicien (D). Si l'on avait su
prendre garde à la signature de
Goudimel , on n'aurait pas dé-
figuré son nom comme l'on a
fait (E). Il y a de ses lettres (a)
imprimées parmi les poésies de
Mélissus , son intime ami. 11 y
signe Goudimel. Mélissus ne
mancpia pas d'exercer sa muse
sur la triste destinée de son ami.
Je rapporterai l'épigramme où
l'on observe que Goudimel aurait
trouvé plus d'humanité sur les
flots de la mer Egée , comme
autrefois Arion , qu'il n'en trou-
va dans sa patrie (F). Je crois
que ce musicien était Franc-Com-
tois (G).
(a) Elles sont en latin , et bien écrites.
(A) Le Martyrologe des protes-
tons fait mention de lui.~\ En ces ter-
mes (i) : « Claude Goudimel, excel-
» lent musicien , et la mémoire du-
» quel sera perpétuelle , pour avoir
» heureusement besogné sur les psau-
}> mes de David en français , la plu-
3) part, desquels il a mis en musique,
» en forme de motets à quatre, cinq,
» six et huit parties , et sans la mort
» eut tôt après rendu cet œuvre ac-
■» compli. Mais les ennemis de la
3) gloire de Dieu et quelques mé-
)> chans envieux de l'honneur que
» ce personnage avait acquis, ont
» privé d'un tel bien ceux qui ai-
» ment une musique chrétienne.»
(B) D ' Aubigne se trompe quand il
le met parmi ceux qui périrent a Pa-
ris , le jour de la Saint- Iiarlhé/emi.~\
Après avoir nommé plusieurs person-
nes notables que les massacreurs de
Paris tuèrent, il ajoute: Goudimel,
excellent musicien, et Perrot , juris-
consulte, tout cela jeté par les fenê-
tres , et traîné par les rues , fut porte'
en la rivière a la sollicitation du duc
de Montpensier , qui s'était joint a
(j) Liv. X , folio 727 , à l'ann. 1572.
ceux que nous auons dit pour crier
qu'on tuât, et qu'ils avaient entrepris
sur la fie du roi (2). S'il avait con-
sulté M. de Thou, comme il a fait
sur d'autres choses , il aurait évité
cette méprise ; car voici ce qu'on
trouve dans M. de Thou , à l'endroit
qui concerne le massacre de Lyon.
Eamdem fortunam expertus est Clau-
dius Gaudimelus , excellens nostrd
œtate musicus , qui psalmos Davidi-
cos uernaculis l'ersibus a Clémente
Maroto et Tlieodoro Bezd expressos
ad varios et jucundissimos modula-
tionum numéros aptavit, quitus et
fiodiè publiée in concionibus protes-
tantium ac pr'watim décanta ntur (3).
(C) M. Varillas a eu tort
de croire que Goudimel et Claudin
le jeune aient été la même chose.]
On verra dans la remarque suivante
qu'il les réduit à une seule et même
personne. Il faut, pourle réfuter, que
j'allègue ici un fait notable qui con-
cerne ce Claudin , et qui nous ap-
prend qu'il était encore en vie neuf
ans après le massacre de la Saint-
Barthélemi. J'ai trouvé ce fait dans
le commentaire qui a été imprimé
avec la vie d'Apollonius de Tjane ,
traduite en français. Je me servirai
des termes du commentateur, quoi-
qu'ils ne soient pas fort élégans (4) ■'
« Ce fut aussi par ces deux chants
» phrygiens et sous -phrygiens que
» Timothée fit preuve de son savoir
» en la personne d'Alexandre, lui
» faisant par un chant phrygien
» courir aux armes étant à table , et
» soudain par un sous -phrygien le
» faisant retourner à sa première tran-
» quillité. J'ai quelquefois oui dire
» au sieur Claudin le jeune (5) , qui
» a, sans faire tort à aucun , devancé
» de bien loin tous les musiciens des
» siècles précédens, dans l'intelli-
» gence de ces modes , qu'il fut chau-
» té un air (qu'il avait composé
» avec les parties) aux magnificen-
» ces qui furent faites aux noces
» du feu duc de Joyeuse (6) du
(1) Histoire universelle, loin. II, liv. I, chap .
iV ', a Faim. 1572.
(3) Thuanus, llistor., lib.LII,pag. m. 1084.
(4) Anus Thomas, sieur d' Embrr , Comment,
sur la Vie d'Apollon., liv. I, chap. XVI, p 282.
5) L'auteur met ici ce sommaire : Louange
du sieur Claudin le jeune , l'honneur de tous les
musiciens.
(G_) /( se maria en i58i.
GOUDIMEL.
«65
» temps d'heureuse mémoire d'Henri
» III roi de France et de Pologne ,
» que Dieu absolve, lequel, comme
■» on l'essayait en un concert qui se
» tenait particulièrement, fit mettre
» la main aux armes à un gentil-
» homme qui était là pre'sent , et
» qu'il commença à jurer tout liant
» qu'il lui était impossible de s'em-
» pêcher de s'en aller battre contre
» quelqu'un ; et qu'alors on com-
» menca à chanter un autre air du
» grand crime fut d'avoir invente' les
h beaux airs des psaumes de Ma-
» rot et de Bèzc , qui se chantaient
» au prêche , et pour l'en punir on
» n'eut point d'égard à la loi ro-
» mainc , indulgente aux personnes
» singulières en leur profession , à
» cause que le public en s'en dé-
» fesant perdait sans comparaison
» davantage , qu'il ne profitait par
» l'exemple de leur supplice (io). »
L'indulgence de la loi romaine
» mode sous-phrygien qui le rendit dont parle M. Varillas, excitera la cu-
)> tranquille comme auparavant
» qui m'a été confirmé encore de-
3) puis par quelques-uns qui y assis-
» tèrent , tant la modulation , le
» mouvement, et la conduite de la
» voix , conjoints ensemble , ont de
)> force et de puissance sur les es-
» prits ( 7 ) Pour clore cette
» longue annotation, si on veut voir
» une excellente pratique de ces
» douze modes , qu'il chante ou oye
w chanter le Dodécacorde du sieur
» Claudin le jeune , dont j'ai parlé
» ci-dessus ; et je m'assure qu'il y
» trouvera toutes ces figures et va-
» riations maniées avec tant d'art ,
» tant d'harmonie et tant de savoir ,
» qu'il confessera qu'on ne peut rien
)» ajouter à ce chef-d'œuvre que la
» louange que tous les amateurs de
» cette science doivent rendre à ce
» rare et excellent personnage , le-
» quel était capable de pousser la
» musique jusqu'au dernier degré de
» sa perfection , si la mort n'eût
w devancé l'exécution de ses hauts
» et profonds desseins sur ce sujet. »
(D) Il fait une observation cu-
rieuse contre ceux qui n'ea copièrent
pas du massacre un si habile musi-
cien. ] Voici ses paroles : « Mandelot
» (8) se mit inutilement en devoir
» d'empêcher , à Lyon , le massacre
» de treize cents calvinistes , et sur-
)> tout de l'incomparable musicien
)) Gaudinel (9) , connu sous le nom
» de Claudin le jeune. Son plus
(7) Commentaire sur la Vie d'Apollonius ,
pag. 286.
(8) II commandait dans Lyon. Voyez M. de
Tbou , Un. LU , pai;. io83, 17111 Iraile de hon-
teuse come'die le semblant que fit Mandelot, de
désapprouver le massacre , et d'en vouloir punir
les auteurs.
(9) On défie M. Varillas de citer aucun au-
teur qui ait dit que Mandelot ail souhaite
principalement de sauver ce musicien.
riosité d'un grand nombre de lec-
teurs : ils trouveront là une singula-
rité bien remarquable ; mais comme
ils savent qu'il en a donné bien à
garder , en matière même d'histoire ,
i'objet principal de ses études, ils ne
le croiront pas trop digne de foi sur
un arlicle de jurisprudence , matière
qui n'était pas de son ressort. Afin
donc de les tirer d'inquiétude , je
leur donnerai une meilleure caution,
c'est-à-dire , le témoignage d'un hom-
me beaucoup plus docte que lui , et
qui a cité deux auteurs très-graves.
Voici ce que Girac remarqua contre
Costar (11). « Notre docteur pèche
» encore contre les règles de la ju-
» risprudence , lui qui se mêle quel-
)> quefois d'agiter des questions de
» droit : il est très-faux qu'un 011-
» vrier mérite d'autant plus d'être
» puni , que son ouvrage sera admi-
» rable , et qu'il saisira l'imagination
» des regardans : tous les interprètes
» du droit soutiennent le contraire 5
» et c'est une pratique qui a été
» souvent observée par les princes
» et les cours souveraines , que de
» donner la vie à ceux qui excellent
» en quelque art, bien qu'ils méritas-
» sent de la perdre pour les crimes
» qu'ils avaient commis (*). »
(E) Si l'on avait pris garde il la
signature de Goudimel , on n'aurait
(10) Varillas, Histoire de Charles IX , liv.
IX, pag. 4?1 > 472 1 e'd'1- de l'ara , in-\n ,
1684.
(11) Girac , Réplique à Coslar, sect. XXVI ,
pag. m. 235.
(") Hinc apparet ratio ejns quod pasùm jurit
ulriusque interprètes adnolnrunt , sciheel , pœ-
nam esse vel remillendam vel minuendam </<•-
linqtienù oh insignem ejns peritiam , seu ex eo
quod artifex sit celebris magnique nominis, etc.
Covarr. , lib. II \ Var. Resol.. cap. IX; mini .
6. Vide Ji.li. Clar. Sent. , lib. V,%Jin.qu.
Go , num. 26 et alios.
[66
GOVEA.
pas défiguré son nom comme l'on a GOVÉA ( ANDRÉ J (a) , en batin
fait.-] M. de Thou le nomme Gaudi- Goveanus , natif de Beia dans le
melus ■ Gisbert Voetius(i2), Uaiuli- n , '- • • 1 j u '
SEt'.M. VariUas, G«Jmel.-Ié- Portugal , fut principal du colle-
de Pours, Guidomet. « Le ge de Sainte-Barbe (A) , à Paris ,
Guidomel a composé les au XVIe. siècle , et y éleva trois
me
re'mie
» même
» Psaumes de David , imprimés à
v Paris par Adrian le Roi et Robert
» Balaard , Pan i565. 11 avait aussi
» composé dix-neuf chansons spiri-
» tuelles , imprimées à Paris par Ni-
)) colas du Chemin , Pan 1 555 (i3). »
(F) Je rapporterai V épigramme où
l'on observe qu'A aurait trouvé plus
neveux T* qui se rendirent illus-
tres par leur savoir. Le roi de
Portugal leur fournissait de quoi
s'entretenir à Paris. Martial *a
Govéa , l'aîné des trois frères ,
devint bon poète latin , et publia
d'humanité sur les flots que a Paris une grammaire latine.
dans sa patrie. ] Elle est à la page 79 ANDRÉ GovÉA *3 , son puîné , en-
seigna premièrement la gram-
maire , et puis la philosophie ,
dans le collège de Sainte-Barbe ,
et enfin il fut établi principal de
ce collège à la place de son on—
abexlerno si, Goudimel, hoste fuisses cle *f , et COmilie il s'acquittait
bien de cette charge, il fut ap-
pelé à Bordeaux pour exercer
un pareil emploi dans le collège
de Guyenne. Il y alla l'an i534 ,
et y remplit ses devoirs avec une
exactitude qui fut très-utile à la
jeunesse (B). C'est ce qui porta
Jean III , roi de Portugal , à le
Je pardonnerais aux poètes latins ce fajre revenir dans ses états , pour
qui n'est point pardonnable aux his-
toriens, d'avoir été, ou change', ou
aiouté quelques lettres à Goudimel;
car c'est un mot un peu bien rude
dans la poésie latine
d'un livre qui a pour titre, Me'issi
Schediasmatum Reliquiœ , et qui fut
imprimé l'an 1 575 , in-8°. Il con-
tient plusieurs pièces de poésie sur
Goudimel, qui ne sont pas de Mé-
lissus.
Pren
Veilor in Tomo , musice cïare , ma
Ille tibi vitam vel non volui<sel ademplatn ,
Lenilus cilhard carmimbusque luis ;
In tutos aliquis vel , sicut Ariona , Delphin
Tergore portas s et le quasi uave locos.
Audhere luos Galli modulosque probdrunt
Indigence , decori queis tua musa fuit :
At datus es lelko , iicet insons , inque cruenli
Stagnanleis Araris prœcipitalus aquas.
Prohsceljts indigenùm! nain barbants hostis
in hostem
Barbaricum laniis mitior esse solei.
{a) C'est ainsi que. M. de Thou le nomme ,
liv. XXXVIII, pag-. 769 ; mais André Schot-
tus, Bibliolli. h.sp. , pag. 3oo , et Ribadé-
neira, Vila Ignatii, lib. I , cap. III, l'appel-
le) Je crois que ce musicien était &** Jacques. Ce fut lui gui voulut fouetter
Franc-Comtois.} Je le conjecture de Vacc L°Y"la; l ^']e ' aPPell« /*,",'," da'.is
» ,. V • u -t la noie (3o^ de la remarque (b 1 de 1 article
ce que le heu de sa naissance était LoYOLA\ tom ,X-]
situé sur le Doubs , nviere qui passe
à Besancon.
*' Leclerc et Joîy disent qu il fallait dire
au inoins quatre; ce que prouvent des vers
d Antoine , l'un deux. La Monnoie croit que
ce quatrième s'appelait André. Leclerc et
Joly pensent qu'il s appelait Jacques, comme
son oncle.
"3 Leclerc et Joîy croient qu'aucun deg
frères Govéa ne s'appelait Martial. Ils pré-
tendent que Antonio ne parle que d'un seul
Govéa. Antonio , dans sa ftibl. Itispan. ,
J'ai trouvé ces Vers à la page 79 du paile ne trois Govéa ; mais il a latinisé les
Melissi Schediasmatum Reliquiœ. noms de deux-
Goudimel Ule meus, meus (eheu>) Goudi-
mel ille est
Occisus. Testes vos Arar el Rhodane ,
Semineces, vivosque simul violenter ulrts qe
Absorplos visi plangere gurgitihus.
Sequana cmn Ligeri Jlevit , flrvilque Garum-
na ;
Prœcipuè palriusfl entamant Duhis.
(11) Polit, ccclesiast. , tom. I, pag. 534-
(i3) Jérémie de Pours, Divine Mélodie 1)11
saint Psalmistt;, lit. il, ehap, XL! , pag.
58i.
*3 Leclerc croit qu'André était l'aîné des
quatre frères.
*/' Ce ne fut pas à la place de son oncle ,
mais conjointement avec lui, disent Leclerc-
et Joly.
GOVÉA. 167
l'établissement d'un collège à avait déjà régenté à Bordeaux,
Conimbre , qui fût semblable à dans le collège dont son frère
celui de Guyenne. Govéa partit était principal; qu'en \5/\% ¥l il
de Pordeaux l'an 1 547 ' et prit enseignait à Paris, sous son oncle
avec lui quelques savans person- (G); qu'au bout d'un certain
nages propres à instruire la jeu- temps il retourna à Pordeaux
nesse (C). Il exerça à Conimbre auprès de son frère ; qu'il cou-
la même cbarge qu'il avait eue tinua de demeurer dans cette
à Bordeaux (b). Il avait dessein ville après que son frère s'en fut
de retourner dans cette dernière allé à Conimbre (//) ; qu'il a pas-
yille , après avoir donné deux se pour athée ** dans l'esprit
ans à mettre en bon train le col- de quelques-uns (H); et qu'il n'y
lége de Conimbre ; mais il mou- a point d'apparence qu'il soit
rut avant ce terme (c), au mois de mort l'an i665 *3 , comme M.
juin 1548 , âgé de cinquante ans de Thou l'assure (£); ni l'an
ou plus (d). Il était prêtre et pré- i5c)5, comme Nicolas Antonio
dicateur (D) , et ne fit rien impri- le dit. Ce dernier auteur n'a pas
mer (e). Antoine Govéa, le plus été tout-à-fait exact (I). On ne
jeune des trois frères , fut le plus peut rien dire déplus glorieux
illustre de tous. Voyez dans Mo- pour Antoine Govéa , que ce
réri ce qu'en a dit M. de Thou
{f) : il serait inutile de le répé-
ter. Je remarquerai seulement
que s'il est vrai , comme l'assure
M . de Thou , que Govéa ait en-
seigné la jurisprudence à Greno-
ble {g) (E) à un fort grand nom-
bre d'auditeurs, on a très-mal
fait de dire dans la Bibliothèque
de Dauphiné , qu'j/ a consulté
dans Grenoble et lu dans l'uni-
versité de faïence- H y a une
autre réflexion à faire sur le
narré de M. de Thou (F). Par
forme de supplément àMoréri,
je dirai qu'en 1 53c) Govéa étu-
diait en droit à Toulouse * ; qu'il
(6> Ex Eliâ Vineto, epist. ad Scliottum ,
in Bihlioth. liispan. , pag. tflS.
(cLSchottus , in Bihlioth. hispan. , pag
618. 'Voyez aussi M. de Thou, lib. XV il,
subfin.
(d) "Vinetus, epist. ad Scliottum , in Bi-
hlioth. hispan. , pag. !\"]5.
(e) Idem , ibidem.
(/) Lib. XXXVIII, pag. 769 , 770 , ad
ttnn. i565.
(g) Gralianopoli jus civile magnâ audilo-
rum freq uenlià professas est.
Joly dit que Govéa avait quitté Tou-
que Ronsard en disait (k). Le
public a vu divers écrits de Go-
véa , tant sur la philologie que
sur le droit *4. Il y a des gens
qui soutiennent qu'il surpassait
en esprit le grand Cujas (K). Je
dirai quelque chose de Mainfkoi
Govéa , son fils (L).
louse dès la fin de t538, et, qu'en l53g , il
fit imprimer à Lyon ses poésies latines.
"' Leclerc reproche à Ba\lc de n'avoir
point renvoyé à 1 article Bamus (tom. XII),
où il parle de la dispute que ce dernier eut
avec Govéa , en i5^2.
(h) Ex Epist. Elise Vineti, apad Schott. ,
BiMioth. hispan. , pag. I\j5.
*2 Leclerc , dans sa Lettre critique, justifie
longuement Govéa du reproche d'athéisme.
La Monnoie, plus juste, dit, dans le Mena-
giana , que Bayle a rassemblé tout ce qu il
a trouvé pour et contre
*3 Leclerc croit cette date honne.
(r) Voyez la remarque (I).
(k) Voyez aux remarques la citation '26) .
"4 Pour la liste de ces écrits, Leclerc se
contente de renvoyer à la Bibliothèque de
Gesner, en ajoutant que le commentaire sur
Térence, promis dès i544. •"'> suivant Fa-
hricius, imprimé à Paris, l552 , in-folio.
(A) Il fut principal du collège de
Sainte-Barbe.] C'est ainsi qu'il faut
traduire le collegii Barbarani prœ-
i68
GOVÉA.
fectus , d'André Schottus (i)>et non
pas principal, du collège Barbarini ,
comme a fait M. Teissier (2).
(B) André Govéa remplit ses
devoirs avec une exactitude qui fut
très-utile h lajeunesse.~\Cest ce qu'on
peut voir dans la préface de Businus,
au-devant des Lettres de Gélida, im-
primées à la Rochelle , l'an 1 57 1 . Ubi
quamdiù egerit, quem se gesserit
(Andréas Goveanus ), et quomodo ab
rege suo in patriam sit revocatus ,
Conbnbricensis scholœ instituendœ
gratiâ quœ similis esset Burdigalensi,
in prœfatione Busini in Epistolas
Gelidœ cognosci potest (3).
(C; Il prit avec lui quelques savans
personnages propres a instruire la
jeunesse.] George Buchanan , et Pa-
trice Buchanan , son frère , furent de
ce nombre : Nicolas Grouchi , Guil-
laume Guérente , Elie Vinet , Arnoul
Fabrice , Jean la Coste , Jacques Té-
vius et Antoine Mendez en furent
aussi (4).
(D) Il était prêtre et prédicateur. ]
Je ne sais si Bèze est. digne de foi
quand il le fait docteur deSorbonne ;
pne le crois point **. Cependant il
est bon de rapporter ce qu'il en dit.
Ce ne fut rien a la pin , dit-il (5) ,
hormis qu'un pauvre serviteur fut
baillé entre les mains du principal
du collège , oindre de Govea, Portu-
gais , docteur de la Sorbonne ( sur-
nommé communément Sinapivorus ,
c'est-h-dire , Avalemoutarde ) pour
estre chastié , et avoir comme on dit
la Sa'e. Bèze venait de parler d'Ay-
mon de la Voye, martyr protestant ,
brûlé à Bordeaux, l'an i54i +2 , et
de quelques écoliers qui furent pris
le lendemain , estant soupçonnez d'a-
voir fait un placart qui fut trouvé at-
taché au posteau.
(E) S'il est vrai y/t'ANToiNE
Govéa ait enseigné h Grenoble.]
N'ayant point les livres que je vou-
drais , je laisse une infinité de choses
(1) Biblinth. hispan. , pag. 3oo.
(2) Teissier , Eloges, loin. I, pag. 291.
(3) Elias Vmelus , epist.ad Schottum , in Bi-
bliotli. hispan., pag. ^5.
(4) Scliniius , lîibl. hispan. , pag. 617.
*' Leclerc dit qu'en effet Covéa n'était que
maître es arts.
(5} Histoire ecclésiastique des églises, liv. I,
pag. 18.
** Joly remarque que Bèze date le supplice
d'Ayraon de la Voye, du 21 d'août 1542.
dans l'incertitude. Ceux qui les y ont
laissées , ayant toutes sortes de biblio-
thèques à la main , sont plus blâma-
bles que moi. En tout cas , mes in-
certitudes détermineront quelques
lecteurs à chercher la décision *.
Je répète ici cette remarque avec
d'autant moins de scrupule , que je
suis persuadé qu'on ne lira ce Dic-
tionnaire que par morceaux. Ainsi ,
un avertissement qui ne serait donné
qu'une fois courrait risque de demeu-
rer inconnu.
André Schot serait bien capable de
m'assurer de ce que je lis dans M. de
Thou , concernant la profession de
Grenoble , si je ne voyais qu'au lieu
même où il déclare que Govéa ensei-
gnait en cette ville , il écrit sans exac-
titude. Voici le passage tout entier
(6). Cadurcijus annos aliquot magno
concursu docuit , et Valentiœ Del-
phinatus anno à Christo nato i555
ad tit. de vulgari et pupillari substi-
ttttione dictabat. Tolosœ 6 anteii an-
no Andréas naturd atque anima fra-
tri, beneficiis vero parenti , librum
de jure accrescendi inscripsit. Gra-
tiariopoli ad legem Falcidiam quœ
perdifficilis est dictabat anno 1566(7).
Quarto post anno uxorem ibi domum
duxit , ex edque liberos sustulit Pe-
trum et Manfredum , quorum illum
Petrus Bertrandus Cadurcorum epi-
scopus in baplismutis fonte suscepe-
ral. Le sens naturel de ce récit est :
i°. que Govéa enseigna le droit à
Cahors, avant que de l'enseigner à
Valence , c'est-à-dire , avant l'année
1 555 ^ 20. qu'il l'enseignait à Grenoble
l'an i566, et qu'il s'y maria l'an
1570 ; 3°. qu'il fit présenter au bap-
tême l'aîné de ses fils par l'évèquede
Cahors. Ces trois choses paraissent si
* Voici comment Joly la donne , toutefois
d'après Leclerc. Antoine Govéa eut une chaire
à Toulouse, en ifi4^; et, Tannée suivante, il
dédia son Traité de Jure accrescendi, à son frère
André , qu'il croyait vivant. A la fin d'août i54<>,
Antoine passa à Cahors, ou il se maria, en sep-
tembre. Il y enseigna pendant cinq ans. En i554
il accepta une chaire à Valence, qu'il ne garda
qu'un an. Vers la fin du mois d'août i558, il se
transporta à Grenoble. En i56z, il fit imprimer
à Eyon un in-folio de 3zz pages, sous ce titre :
Antonii Goveani jurisconsulli opéra juris civi-
(6) Andr. Schottus , Biblioth. hispan., pag.
4oi.
(7) Paul Eréher , copiant ceci danr son Théâ-
tre , pag. 849, a mi,f anno i555 , cl Va mis même
eu alinéa. Ce sont deux grosses fautes.
GO^V
dérangées , qu'elles choquent un lec-
teur exact. Le bon sens dicte que Go-
ve'a était professeur à Cahors, quand
il pria l'évêque du lieu de lui faire
Thonneur d'être son compère. Or ,
suivant le récit que j'ai rapporté, il
professait à Cahors avant l'année 1 555.
Que veut-on donc dire quand on as-
sure qu'il professait à Grenoble, l'an
i566 , et qu'il s'y maria l'an 1570, et
que son fils aîné fut présenté au bap-
tême par l'évêque de Cahors ? N'ai-
je pas raison de me défier du père
Schottus ? un jurisconsulte allemand,
qui a fait réimprimer à Leipsic les
vies de quelques jurisconsultes, aug-
mente mes défiances ; car il fait une
objection très-solide à ce jésuite, par
rapport à ces paroles Gratianopoli ad
legem Falcidiam dictabat i566.
Voici l'objection. Videtur hic Schot-
tus temporis rationem miniis rectè
observasse , fieri enim non potnit ut
prœlectiones suas ad L. Falcidiam
anno demhm 1 566 habuerit Goi'eanus
Gratianopoli , qui easdem jam an.
i56o Michaëli Hospitalio Franciœ
cancellario inscripserat (8).
Notez qu'Etienne Pasquier assure
(9) q\\Antonius Go^eanus enseigna
le droit à Grenoble et y mourut. Il
se trompe pour le moins quant au
dernier fait. Je viens d'apprendre ,
dans la XIIe. lettre du IIe. livre de
Languet , datée du i3 de février i56o,
que Govéa était professeur à Greno-
ble. Ei ( Cujacio ) Valentiœ succedet
Gribaldus , pulchrum sane par, ubi
ipse et Loriotus conjuncti fuerint , et
habucrint Gratianopoli vicinum Go-
veanum , qui utroque est longé scele-
ratior.
(F) Il r a une autre réflexion a
faire sur le narré de 31. de Thou.~\
Voici ses paroles (10) : Ab jEmilio
Ferrelo qui Avenione jus civile doce-
bat , cùm Lugduni privatis studiis
intentus desideret ( Antonius Govea-
nus) ad illius perplexœ scientiœ pro-
j'e.ssionem evocatus est. La suite du
discours témoigne que Ferretn'exhor-
ta point Govéa à étudier en droit ,
mais à enseigner cette science ; et
(8) Frider. Jac. Leic herus, in not. ad Vitas
clariss. Jurisconsultorum, pag. 202, 20'i , edil.
Lips. , 1686.
(ci) Fasquier, Heclierel!es , liv. IX, chap.
XXXVII, pag. m. 8c,8.
(10) Thuanus , Ub. XXXFIII , pag. 769.
ÉA. 169
cela même est assez clair par les pa-
roles que j'ai rapportées , et que du
hier a ainsi traduites : Emile Ferret,
qui enseignait le droit civil a Avi-
gnon , l'invita d Y venir faire profes-
sion *' de cette science laborieuse et
difficile , voyant qu'il passait son
tenijis à Lyon en des études privées.
Disons donc que ces paroles de M. de
Thon affirment que Govéa fut attiré
à Avignon par Ferret *a , afin d y
enseigner la jurisprudence. On peut
former là -dessus deux difficultés:
l'une est prise de ce que M. de 1 hou,
ayant dit que Govéa connut bientôt
la vraie manière d'expliquer le droit,
et s'y fit admirer de telle solrte que
Cujas en fut alarmé, ajoute : Igitur
Goveanus Tolosœ primhm , dein Di-
vione Cadurcorum , post J^alentiœ et
Gratianopoli jus civile magna audito-
rum frequentid pi-ofessus est. Voici
donc l'analyse de ce narré. Govéa ,
attiré par Ferret à Avignon afin d'y
enseigner la jurisprudence, devint,
bientôt un excellent interprète du
droit civil , jusqu'à donner de la ja-
lousie au grand Cujas. Il enseigna donc
le droit premièrement à Toulouse ,
puis à Cahors , ensuite à Valence et
à Grenoble à un grand nombre d'au-
diteurs. Ne peut-on pas demander à
ce grand historien où il a laissé Avi-
gnon ? Ne s'est-il pas visiblement con-
tredit ? N'a-t-il pas dû dire que Govéa
enseigna premièrement dans cette
ville ? La seconde difficulté est prise
de ce que dans la Bibliothèque d'Es-
pagne , où l'on donne un abrégé de
la vie de Govéa , tiré de ses propres
écrits , on dit qu'il enseigna la juris-
prudence à Cahors , à Valence et à
Grenoble; mais quant à Avignon età
Toulouse , on dit. seulement qu'il y
étudia le droit avec une extrême ap-
plication. Juvcnis natu grandiortres
ferè anno in juris civilis studio ope-
ram dédit JEmilio Feretto Avenione
profitent! , suœ memoriœ facile prin-
cipi ; quemque parentem alterum ap-
pellarc lib. 1 de juris dictione non
*I Lcrlerc pense que , par le? mois ad illius
professionem , de Tliou n'a pas entendu parler
de profession , comme traduit Bayle , ou de ré-
gence , mais seulement d'application à l'étude du
droit.
*J F. Ferret était retiré à Lyon et sans emploi,
lorsqu'il y connut Govéa : ce ne fut que plus
tard qu'il obtint une chaire à Avignon, ainsi que
le dit Lcclerc.
I70
GOVÉA.
dubitat : neque ex eo tempore ajuris- » ouvrages (î6). » Si l'ouvrage dont
consultoriim libris longius unquam j'emprunte ces paroles contenait deux
ou trois gros in-folio , on pardonne-
rait à l'auteur une citation si vague ;
mais c'est un in-ii de rn\ pages.
L'auteur pouvait donc se donner la
peine de chercher l'endroit où Calvin
a si mal parle de Govéa , et il aurait
fait beaucoup de plaisir aux lecteurs
oculos dimoi'it. Tolosœ mox tantd tn
studio assidttitate , tanteique est usus
contentione , ut majore non posset ( i i ) .
Un fameux historiographe de Savoie
(12) renverserait la narration de bien
des gens , s'il avait dit avec raison
qu'en l'année 1 55g le duc de Savoie
érigea une académie à Mondevis , et en le citant ; car il leur eut épargné
y établit pour professeur, entre au- le soin de feuilleter huit ou neuf vô-
tres savans personnages, Antoine lumes in-folio Je ne ferai point cette
Govéa.
(G) En 1 542 , il enseignait à Paris
sous son onde ] Lorqu' André Govéa,
le neveu , alla à Bordeaux , l'an 1 534,
il avait été principal du collège de
Sainte-Barbe, à Paris , pendant quel-
que temps , à la place d'André Go-
véa , l'oncle (i3). Puis donc que
celui-ci était principal à Paris , Tan
faute , quelque gros que soit mon
ouvrage ; je rapporterai les paroles
de Calvin , etje marquerai la page où
elles se trouvent. Agrippam , ViUa-
novanûm , Dolêtum , et similes vulgb
notum est lanquam Cyclopas quos-
piain Evangelium semper fastuosè
sprevisse Tandem eb prolapsi sunt
amentiœ et furoris , ut non modo in
i542 (14^ , il faut conclure qu'il re- Jilium Dei erecrabiles blasphemias
prit sa charge lorsque son neveu alla écornèrent , sed quantum ad anima;
à Bordeaux; c'est ce qu'Elie Vinet tdtam attinet , nihil a canibus et por-
eût dù observer expressément, afin cis putarent se diffeme . Alii (ut liabe-
de donner un récit plus intelligible, lœsus, Deperius , et Goveanus) gus-
(Hj // a passé pour atheedans l'esprit tato Evangelio , eddem cœcilale sunt
de quelques-uns] « 11 a consulté dans percussi. Cur islud ? nisi quia sacrum
» Grenoble, lu dans l'université de Va- illud t'itœ ceternœ pignus , sacrilegii
» lence, et a composé quelques ouvra- ludeiidi aut ridendi audacid antè pro-
» ges dans ces deux villes. Ily (1 5) fut famirant (17)? Nous apprenons de
» même accusé d'avoir mal parlé delà ces paroles que Govéa était un mo-
» Divinité , et il fallut qu'il s'en justi- queur , et qu'il avait approuvé au
» fiât; ce qu'il fit par un excellent commencement le parti de la réfor-
» discours , qu'on a vu autrefois ma- me. Ce fait n'est guère connu. Voici
» nuscrit dans la bibliothèque d'En-
» nemont de Rabot d'Ilins , premier
» président en ce parlement , sur le-
» quel de Gordes, lieutenant de roi
» en cette province , trouva lieu de
» se faire son protecteur. Cette li-
» berté de parler a obligé Calvin de
» l'appeler athée dans l'un de ses
(11) Bibliotb. bispan, Scholti , pag. 3oo.
(12) Guichenon, Histoire de Savoie, lom. I,
pag 678.
(i3) Andréas aputl patruum grammalicam
prim'um , mox philotophiam professus , ah eo-
dem tchotœ itli tandem prie f ex lus fuit. Vinet. ,
in Biblioth. hispan., pag. 4 7 S.
(i4) Illie (Lutetiœ) Anlonium Goveanum vidi
prim'um an. a Christo nato i5.|2 qu'uni doceret
apud palruum. Idem , ibid.
(i$) Cela signifie clairement qu'il fut accuse"
à Grenoble et a Valence; mais il n'y a nulle
apparence que l'accusation ait été réitérée dans
un autre lieu. L'auteur s'est mal exprimé appa-
remment. Il a voulu dire que Govéa fut accusé
dans l'une de ces deux villes. Il rut bienfait de
s' exprimer sans équivoque. , et de marquer si ce
fut à Grenoble ou à Faïence que le pruces fut
intenté.
deux vers contre Govéa , par rapport
à sa mécréance.
Anloni Goveane , tua hœc Marrana propago,
In cœlo et cellis non putal esse Deum.
Ils servaient de réponse à ce disti-
que qu'il avait fait contre un con-
seiller (18) :
Dum tonal , in cellas propero pede Vallius
Confugil : in cellis non putal esse Deum * .
(16) Allard , Bibliothèque de Daupbiné , pag.
118, 119.
(1-) C.alvinus , in Tractatu de Scandalis , in
volumine Traciatuum tbcologicorum , pag. 90 ,
col. 1 , edil. Genev., 1611.
(18) Au parlement de Bordeaux, et non de
Toulouse , comme on l'assure dans le prima
Sealigerana, pag. 96- l'oyez Ht. Ménage, Anti-
Ba llet , lom. I , pag. 262 , 011 il montre que ce
conseiller s'appelait Briand de Valle'e.
* Joly, qui transcrit aussi ces vers, met dans le
premier , trepido , au lieu de propero ; et , dans
le second an, au lieu de non. Il ajoute que la
réponse a
st de Briand de la Vallée
lui-même. (Voyei la note 18. )
GOVÉA.
'71
Vous trouverez ces quatre vers dans
le premier Sca/igcrana , avec quel-
ques autres choses qui font honneur à
Govéa. Goveanus dodus erat vir , et
valens dialecticus , optimus poëta gai-
licus , nec enim Hispanum judicave-
ris , adeb bené gallic'c loi/uebatur.
Dans le second Scaligérana , l'athéis-
me dont Calvin accuse Govéa est traite'
de calomnie ; Goveanus fuit doctus
Lusitanus. Calvinus vocal illum
atheum, citm non fuerit ; debebai il-
lum meliùs nosse.
(I) Nicolas Antonio n'a pas été ici
toul-h-j'ait exact. ] Il assure ( 19 )
qu'Antoine Govéa enseignait le droit
à Toulouse, environ Tan i53ç); mais
Elie Vinet me'rite plus de croyance ,
lui qui avait connu très-particuliè-
rement André et Antoine Govéa, et
qui fut prié par André Schottus de
lui en écrire l'histoire. Il dit sim-
plement qu'en l'année i53g, Antoine
Govéa étudiait déjà en droit à Tou-
louse (20). Chacun voit la différence
entre enseigner le droit et l'étudier.
Nicolas Antoine ajoute que Govéa
fut professeur un peu après, à Paris
et à Bordeaux , et qu'enfin il s'ar-
rêta à Cahors , où il professa la ju-
risprudence avec une extrême répu-
tation , qui , volant jusqu'à Turin ,
fit résoudre le doc de Savoie à l'atti-
rer à son service , par la charge de
son maître des requêtes et de son
conseiller. Cadurci deruùm suhstitit
juris ciiilis anleccssor in swnmo tau-
dis atque^xistimaiionis loco positus.
Quod ciim prospexisset ab ipsd Au-
guste Tauri.noru.rn SabaudUe dux ,
etc. (21). 11 y a bien du mécompte
là-dedans. Govéa s'était fait entendre
de plus près depuis qu'il fut sorti
de Cahors ; il avait lu dans le voi-
sinage du duc de Savoie , à Valence
en Dauphiné , et ct^ne fut point dans
le Querci que les offres de ce prince
l'allerent trouver : il leur était allé
au-devant à plus des deux tiers du
chemin. Outre que la princesse Mar-
guerite (22) , sœur de Henri II , et
(19) Nicol. Anton. , Biblintb. bispnn. , loin, I,
pag. 97.
(20J Lilleras anlè professas est quàm ego
qui veni an. Chri.\t. 1 53tj , quo trmpore Tolosœ
jam operain juri dabai. V inclus , in epist. ad
Schotl., in Bibl. hisp , pag 47Ï.
(ai) Nicol. Anton., Bibl. hispan. , loin. /,
p.-ig 117.
(22) Thuanus, U>. XXXÎUI , pag. 770.
femme du duc de Savoie, le recom-
manda à son époux. Or, comme elle
était savante, elle avait été toujours
curieuse de s'informer qui étaient
ceux qui se distinguaient en France
par leur esprit et par leur érudition.
Nicolas Antonio prétend que Govéa
vivait encore l'an '5g5; car, dit-il ,
Tésauro le jeune fait mention de lui
avec éloge sous cette année, dans la
XIX''. Question forense. Si j'avais cet
ouvrage , j'y reconnaîtrais peut-être
que cet éloge ne s'adressa pas au
Govéa dont nous parlons , mais à
son fils *' ; et quand même je ne
pourrais pas y reconnaître cela , je
no laisserais pas de croire que Go-
véa n'a point vécu jusqu'en ï5ç)5 ;
car Vinet parle de lui comme d'un
homme qui ne vivait pas (a3) ; Vinet ,
dis-je , qui est mort l'an 1 687 (24).
Nicolas Antonio , ayant présupposé
faussement que Govéa était plein de
vie l'an i5g5, censure Elie Vinet (25)
qui a cru que Govéa était mort à
l'âge de soixante ans. Le censeur se
fonde sur ce que Govéa enseignait
le droit à Toulouse l'an 1509. Il a
raison d'en inférer que Govéa , vi-
vant encore Tan i5g5 , est mort plus
âgé que ne l'a cru Elie Vinet. Cette
conséquence n'est pas si forte quand
on suppose que Govéa étudiait en
droit l'an 1 539 ^ mais eHe l'est pour-
tant beaucoup , parce que Vinet ob-
serve que Govéa avait régenté à
Bordeaux avant que d'étudier en
droit à Toulouse. Un régent de classe,
pour l'ordinaire , a plus de vingt
ans , et ainsi Govéa aurait eu pour
le moins soixante -dix -sept ans en
1 5g5. Qu'avez-vous donc à dire con-
tre Nicolas Antonio ? me demande-
ra-t-on. Vinet n'est-il point juste-
ment battu de ses propres armes ?
Je réponds que non ; car puisqu'il
est mort l'an 1 58^ +ï , il n'a point
pu supposer que Govéa vivait en-
core l'an i5g5 , et ce n'est que sur
cette supposition que la censure de
*' Leclerc reconnaît que la réflexion <\c Baylc
est juste.
(*3) Qui Taurinis decessisse feilur liliello-
ruin suppttcuni magister. Vinet. , apud Schott.,
Bibliotb. bisp. , pag. :rS.
(24) Thuanus, t,b. LXXXriII , pag. 137.
(25) Il le nomme mal Klias Vénétus : la Bi-
bliotlieca bispaoïci de Schottua a la même Joute.
*2 Leclerc observe que Vinet est mort en i58a,
et non en 1JS7.
172 GOVÉA.
Nicolas Antonio peut avoir un bon genii est ( cœterorum pace dixerim ),
fondement. Il est bien certain qu'il triton. Goveanum et Jac. Cujacium.
a ignoré en quel temps Vinet est Il/uni, ut mihi quidem videtur, mullo
mort ; sa censure est un témoignage feliciore ingenio ad jurisprudentiam
incontestable de cette petite igno- natum : sed qui natures viribus tant
rance. Il a ignoré aussi que M. de confideret, ut diligenliœ laudem sibi
Tbou ait fait Téloge de Govéa ; car, non necessariam , minus eliam for-
s'il l'avait su , il aurait cité cet en- tassé honorificam putare vider etur.
droit , et ne se serait pas contenté Hune contra minus lucido prœstantt-
d'un autre où ce grand historien ne que ingenii acumine , sed qui assiduo
parle de Govéa que par occasion (26). labore ea quoque se adsequi posse cre-
D'ailleurs, comme M. de Thou a deret , quœ solis ingenii nervis para ri
mis la mort de Govéa sous l'an i565, queunt (27). Cujas lui-même ne s'é-
Kicolas Antonio n'eût pas manqué loignait pas de cette pensée ; il aurait
d'indiquer cette méprise, qui selon cédé la carrière à Govéa s'il l'avait
lui est énorme. Bien des gens , et connu aussi studieux que spirituel,
entre autres M. Allard, à la page 119 Adolescens (Cujacius) Anlonii Go-
de la Bibliothèque de Dauphiné , et veanijurisconsuïtiingeniumadmira-
M. Konig , à la page 356 du Biblio- batur, sed indiligenliâ hominis nota-
theca vêtus et noua , suivent en cela ta, nihil detenitus est , deterritum iri
M. cle Thou ; mais André Schot n'est 5e dicens a jure traclando, sihomo Lu-
pas de ce nombre , puisqu'il aflîr- sitanus tanto ingenio , tamque sub-
me, à la page 3oi du Bibliotheca Mis- tili, labores civilium studiorum séria
panica, que Govéa dictait à Greno- suscipere ne subire voluisset (28).
ble l'an i566, et y faisait des enfans Pasquier donne la prééminence à
après l'année 15^0 *'. Cujas sur Antoine Govéa. Repassant ,
(K) Des gens soutiennent qu il dit-il (29) , sur les trois chambrées
surpassait en esprit le grand Cujas.] de ceux qui ont écrit sur le droit ;
Antoine Faure *' prétend que Govéa en la première je fais grand état
et Cujas ont été les deux plus ex- d Accurse entre les glossateurs ; en
cellens jurisconsultes de leur siècle ; la seconde , de Barthole Et en-
mais avec cette différence que Go- tre ceux de la troùième , qu'il me
véa avait l'esprit plus heureux, et plaît de nommer humanistes, je donne
que , se fiant trop à son naturel , il le premier lieu a notre Cujas , qui
ne croyait pas que le travail lui fût n'eut , selon mon jugement , n'a et
nécessaire ni honorable; au lieu que n'aura par aventure jamais son pa-
Cujas , d'un génie moins pénétrant , reil ; et. au milieu de ces derniers ,
travaillait en homme qui était per- je n'en vois aucuns qui aient écrit
suadé qu'à force de s'appliquer on en langage plus élégant que Govéa
découvraitles choses mêmes que l'on et Duaren , au peu que l'un et l au-
ne peut conquérir qu'à la pointe de tre nous ont laissé de leurs ouvra-
l'esprit. Ceux qui entendent le latin ges ; et de ces deux je donne le pre-
seront bien aises de voir de quelle nuer lieu a Govéa. Je ne comprends
manière Antoine Faure a prononcé pas qu'on puisse dire que Duaren ait
ce jugement. Tulit œtas nostra maxi- peu écrit, car ses œuvres font un
77105 in jurisprudentid viros non pau- gros in-folio (*). .
cos , sed prœcipuos , si quid mei in- (h) Je dirai quelque chose de M ain-
froi Govéa , fils. ] Il naquit à Tu-
(26) J'avoue que la, par occasion , il lui
donne /tes louanges plus exquises que quand il (17) Antonius Faber , in prςat. , lib. VII et
en parle ex professo , car il le met an. petit seqq. Conjcctur. ad Petrum Fabrum apucl Leic-
nomhre de ces savans de collège qui, par un Mierum in not. ad Vitas clariss. Jurisconsulto-
honheur très-rare , n'ont aucune pédanterie. Ru- rum , pag. 200.
ebauan, Tnmèbe et Muret sont les trois autres (28) Pnpyr. Masso , in Vitâ Cnjacii , pag.
qu'il met de ce nombre , suivant le goût, de Ron- 3oo , Soi.
sard. Voyez, loin. IV, pag. 221, lacitalion (29) (29) Pasquier, Recliercbes , liv.IX, ckap.
deV article lîccniNAN. X , pag. 902.
*' Leclerc, qui donne la série chronologique (*) Duaren n'a pas, à beaucoup près , autant
des principaux événemens de la vie de Govéa , écrit que Cujas. C'est ce qu'a voulu dire Pas-
Ie fait naître en i5o5 , ou environ. quier, non pas 1. 9, ebap. 10 , pag. 902 , mais
*2 Leclerc observe qu'il fallait éciirc h'atre. 1 f), chap. 39, pag. 902, de l'édition de iG4'a,
Ce Favre est le père de Yaugelas. s'entend. Rem. cr.it.
GOULART.
et se rendit fort capable d'é- tions aux catholi
i73
ques , corurrie
aurait fait le nom de Genève. 11
avait une connaissance fort éten-
due de tout ce qui se passait en
matière de librairie , et c'est
pour cela qu'Henri IJ[I , voulant
connaître l'auteur qui se déguisa
sous le nom de Stephanus Ju-
mus Brutus , pour débiter une
doctrine lout-à-fait républicaine,
envoya un homme exprès à Si-
mon Goulart, afin de s'en in-
former; mais Goulart, qui sa-
GOULART (Simon), natif de "j* to«* le mystère , ne le vou-
t pas découvrir , de peur *
crire en vers et en prose. 11 entendit
bien les belles-lettres et le droit ci-
vil et canonique , et se fit considé-
rer du duc de Savoie , son maître ,
qui l'honora de la charge de con-
seiller dans le se'nat de Turin , et
dans le conseil d'état. Il mourut L'an
i6i3. On a de lui: Consilia; No-
tes et animadrersiones in Opéra Ju-
in Clari ; Carmina ; Orazione fu-
nèbre nella morte di FUippo II , rè
di Spagna (3o).
* Leclerc dit que Mainfroi naquit , vers i55o ,
à Cahots , oii son père s'était marié en i54g.
(io) Tiré du Gliiliui Teatro , pari. II , pag.
l8<J
Senlis et ministre de Genève, a
été un des plus infatigables écri-
vains de ces derniers temps (A).
Quand il ne mettait pas son nom
à un livre, il le désignait par ces
trois lettres initiales : S. G. S. ,
qui voulaient dire , Simon Gou-
lart , Setilisien (a). C'est à cette
marque que le père Labbe (b)
croit avec raison l'avoir reconnu
pour l'auteur des notes margina-
les et des sommaires qui ac-
compagnent les Annales de Nicé-
tas Chômâtes, dans l'édition de
Geuève 1 5^3. Goulart mourut à
Genève , fort âgé, l'an 1G28 (B).
La date ordinaire de ses épîtres
dédicatoires est de Saint-Gervais,
qui est le nom que l'on donne à
une partie de la ville de Genève.
Si l'on ne savait pas qu'il datait
de même les lettres qu'il ne des-
tinait pas au public (c) , on croi-
rait sans doute qu'il se servait de
cette date , parce qu'elle ne ren-
dait point suspectes ses composi-
(a) On le nomme dans le Catalogne d'Ox-
ford, Simon Gouldrtius Sanlisiensis Sylva-
riectinus. Il fallait mettre un sive entre les
deux derniers mots.
(b) De Script, eccles. , tom. II , pag. ^65.
(c) l'oyez les lettres qu'il écrivait à Sca-
liger, dans le Recueil publie pur Jacques de
Rives, à Hardenvick , 162/j.
d'exposer les intéressés (d). Sca-
liger l'estimait beaucoup (C). Un
fils de Simon Goulart fut minis-
tre de l'église wallonne d'Amster-
dam, et embrassa avec ardeur
le parti des arminiens (D).
* Tronchin ne dit pas que Goulart garda
le silence de peur d'exposer les intéressés ;
Voici le texte : ne sanctissimiwiri mânes im-
menlo sol/icitarentur. Languet , en effet
était mort avant la puLlication de son livre ■
et celait ses mânes seuls
quon pouvait in-
quiéter. Leclerc et Joly reviennent, au reste,
sur ce sujet, dans leur Critique ou notes sur
la Dissertation de Bayle sur le livre d'Etien-
ne Junius Brutus, qui sera ci -après, tome
(d) Voyez son Oraison funèbre , prononcée
par M. ïroncliin, professeur en théologie.
(A) Il a été un des plus infatiga-
bles écrivains de ces derniers temps.]
Cela paraît par le grand nombre de
livres qu'il a ou ornés de notes et
de sommaires (1) , ou commentés,
ou mis en français , ou composés de
son cru. Les Semaines de du Bartas-
sont un des livres sur lesquels il a
fait des commentaires. Il ne se con-
tenta pas de traduire en notre lan-
gue les Méditations historiques de
Camerarius , il y joignit beaucoup
d'additions. Il a fait un gros recueil
d histoires admirables et mémora-
bles. La Croix du Maine vous indi-
quera plusieurs traductions françai-
ses composées par Simon Goulart ,
(1) C'est ce qu'il a fait a toutes les OEuvrrs
Je Plutarque, traduites par Amiot.
i74
GOULART.
celle de l'Histoire de Portugal (2) , vit à Scaliger, le 17 d'octobre 1606
celle de la Chronique de Carion , (5) , nous apprenons qu'il était alors
celle de quelques traités de The'o- au bout de sa soixante-troisième an-
doret, celle des livres de Jean Wier,
touchant l'imposture des diables.
Ajoutez-y celle de toutes les œuvres
de Sénèque, publiée à Paris en deux
volumes in-^%, l'an jSgo*. Ce même
auteur composa divers traités de dé-
II y a peu de gens qui aient
exercé le ministère aussi long-temps
qu'il l'exerça 5 car il succéda à Calvin
Pan i564 (6).
(C) Scaliger l'estimait beaucoup.]
« M. Goulart.... a bien travaillé sur
votion et de morale , et sur les af- » son Cyprien. C'est un gentil per-
faires du temps. D'Aubigné parle » sonnage qui a tout appris de soi-
avec éloge de ces derniers ; car a
près avoir donné le titre de quel-
ques livres de cette nature , il con-
tinue en cette manière : A quoi je
joindrai les divers écrits doctes , pa-
thétiques et puissans en raisons, les-
quels a fournis a diverses occasions
Simon Goulart , Senlisien , plume
digne d'écrire l'histoire , si sa pro-
fession lui eût permis d'écrire sans
'juger (3).
J'ai marqué en note que Simon
Goulart mit des notes et des som-
maires au Plutarque d'Amiot. Il faut
dire aussi qu'il y joignit quelqu
» même , et a commencé tard au
» latin *a , lorsque j'étais à Genève.
» On dit que son fils contente bien
» son église. Monsieur Goulart a si
» bien et si joliment travaillé sur son
» Cyprien ! je l'ai lu tout du long *3.
» Il faisait ses prêches bien clairs.
» Il a fait châtrer les oeuvres de
» Montaigne 5 quœ audacia in scripta
» aliéna ! JYon putdssem Goulartium,
» quod serius incoepit , tambenè posse
» scribere ,ut fecit{rj). » Nous allons
parler de ce fils de Simon Goulart.
(D) Un de ses fils embrassa
avec ardeur le parti des arminiens. ]
parallèles dont M. Varillas ne porte Provoqué par un jeune ministre, son
point un jugement favorable. Quel-
que habile , dit-il (4) , que fût du
temps de nos pères, Simon Goulart,
de Senlis , ministre de Genève , et
quelque soin qu'il eut pris d'ajou-
ter au Plutarque français les com-
paraisons qui manquent dans le grec,
il n'y en a pourtant qu'une debonne
collègue , il prêcha un jour contre
ceux qui disent qu'en vertu des dé-
crets de réprobation , certains en-
fans qui meurent à la mamelle ou
dans le ventre de leurs mères , sont
damnés éternellement. On le suspen-
dit pour cela, l'an iG 1 5 (8). Il fut un
des ministres remontrans qui, pour
lie d'Alexandre-le- Grand n'avoir pas voulu souscrire au sy-
qui est ce
avec Jules César.
(B) Il mourut fort dgé l'an
1628 (*). ] Par une lettre qu'il écri-
ra) Composée par Osorius.
* Joly donne à entendre que l'édition ne peut
être que de i5ç5, et qu'elle doit avoir trois vo-
lumes. Voici quelques explications : le privilège
du roi, pour l'impression, est du 20 février l5g5 ;
l'édition a trois volumes, mais le second et le
troisième, étant très-minces , sont ordinairement
relié* en un seul. De là l'erreur de Bayle, qui
n'indique que deux volumes. Le privilège du 20
février i5<|5 est imprimé dans chacun des trois
volumes. C'est donc par faute typographique
que le second est date de MDXC , au lieu de
MDXCV. Le V a été oublié sur le frontispice
de ce volume; et c'est le seul que Rayle ail con-
sulté , ce qui explique encore son erreur. En ren
voyant , pour les ouvrages de C.oulart, au tome
XXIX des Mémoires deNiceron , Leclcrc et Joly
Indiquent quelques corrections à ce que dit
Niceron.
(S) D'Aubigné, Histoire universelle, tom.III,
Uv. III, <ha,>. XXÎII,pag. m. 401.
(4) Varillas, Histoire de Louis XI, Uv. XI,
<iu commencement , pag ■ '»• ^58 » ^5q-
(*) Simon Goulart mourut âgé de quatre vingt-
six ans , et avait prêché sept jours avant sa
mort. C'est ce que dit d'Aubigné , à la page der-
nière de ses petites OEuvres mêlées , ou l'on
trouve l'éloge de ce ministre. Rem crit. [Leclerc
dit que S. Goulart, né le 20 novembre i543,
mourut le i février 1628 , dans sa quatre-vingt-
cinquième année.]
(5) C'en la IIIe. du IIIe. livre, au recueil
de Jacq. de Rêves.
** Voyez la note à la suite de la remarque cri»
tique.
(fi) Spon , Histoire de Genève, pag. m. 263.
*' Leclerc et Joly trouvent que ce passage
donne un démenti à te que Bayle a rapporté dans
sa note (6) sur la remarque (Bj, qui- Goulart
succéda à Calvin, en 1.Ï64. D'ailleurs, Tb. Tron-
chin ne le lait recevoir mnistre que ie 20 octo-
bre l566, ce qui réduit un peu la durée de son
ministère. Sur tous les autres points , Leclerc
préfère le témoignage de Scaliger à celui de
Troncliin.
*3 Malgré cet éloge de Scaliger, Leclerc dit
que l'édition du saint Cyprien de Goulart est peu
de chose.
(7) In Scaligeranis, pag. m. cjn , cfi.
(8j Voyei les Epistokc ecclcsiastica: et théolo-
gies:, pag. 4'4i edit. in-folio.
GOU
node de Dordrecht, furent déposes
de leurs charges, et chassés du pays.
Il se retira à Anvers , d'où il écri-
vit quelques lettres qui ont été in-
sérées dans le recueil que je cite
en note. 11 en écrivit une à son
père , au mois de mars 1620 (9), où
il fait mention d'un livre qu'il avait
fait imprimer depuis deux ans, sous
ce titre : Examen des opinions de
M. E. Bassecourt ( 10) , contenues
en son livre de disputes , intitulé :
Election éternelle et ses dépendan-
ces. Il se retira en France après la
fin de la trêve des Hollandais et des
"Espagnols, et séjourna quelques an-
nées à Calais , d où il passa dans le
pays de Holstein. Il y a une de ses
lettres (nj qui ne rend pas bon té-
moignage aux ministres à l'égard des
guerres de religion qui régnaient
alors en France. Selon M. Witte ,
il était né à Senlis (12) , et il mou-
rut à Frédéricstad , en 1628, à l'iîge
de cinquante-deux ans. M. Mollé-
rus, qui l'avait cru de Genève avant
que de lire le IIe. tome du Diarium
Biographiçwm , changea de pensée
quand il eut su que M. de Witte le
faisait Senlisien , Senlisiensem Sil-
vanectinnm esse rectihs forte tradit
rir clatissimns Henn. Mittenius (i3).
Je trouve plus vraisemblable le pre-
mier sentiment de M. Mollérus que
l'autre; et comme il observe que
M. AVitte donne à Goulart le fils les
ouvrages qu'il fallait donner à Gou-
lart le père , il aurait pu dire aussi
qu'apparemment on a confondu le
temps de la mort de l'un avec le
temps de la mort de l'autre (i^)-
Voyez ce qu'il a observé depuis, dans
son livre de Scriptoribus Homonymis
à la page 678 et 67g.
(9) C'est In CCCtXXlV. des mimes Epis-
tola: ecclf.iiasiîcaï , etc.
(10) C'était un ministre qui avait été moine.
(m) Cest la CDXXIV. Voyez la page 696.
(12; Senlisiensis, Sdvanectinu*. Wiite, Diar.
Biogr.iph., loin II, pag. 35. Il fallait mettre un
aive entre ces deux mots. M. Mollérus, ubi infrà,
les rapporte sans virgule.
(l3) Mollérus, l«agoge ad Ilistor. Chers.
Cimbr. , part. II , pag. 223.
(i4) Witte , met au 19 de mars 1628 la mort
île Goulart le fils.
GOULU (Nicolas), en latin
Gulonius , fils d'un vigneron
auprès de Chartres (A) , fut fait
LU. 175
professeur royal en langue grec-
que dans l'université de Paris ,
l'an i5t>7 [a] , à la place de Jean
Daurat dont il avait épousé une
fille. 11 a traduit de grec en latin
la dispute de Grégentius contre
le juif Herbanus {b) , laquelle
Gilles de Noailles , ambassadeur
de France en Turquie , avait ap-
portée de Constantinople : cette
version , accompagnée de quel-
ques notes de Nicolas Goulu , fut
imprimée avec le texte grec à
Paris , l'an 1 586. On avait déjà
imprimé, dans la même ville , en
i58o un recueil de diverses piè-
ces*1 de ce professeur (B). Il eut
deux fils , Jean et Jérôme, dont
il sera parlé ci-après. Madeleine
Daurat, sa femme, était savan-
te. Son épitaphe nous apprend
qu'elle savait la langue grecque,
la latine , l'italienne et l'espa-
gnole. J'emprunte de M. Ména-
ge (c) toutes ces particularités.
On verra dans les articles des
fils de Nicolas Goulu, ou dans
les remarques ci-jointes , ce qui
me reste à marquer de ses ou-
vrages. Il y a quelque apparence
que c'est de lui dont d'Aubigné
voulait parler dans le chapitre
VIII du premier livre de son
Baron de Faeneste *2. L'endroit
est fort satirique (G). On s'éton-
ne que Daurat n'ait pas fait quit-
ter à son gendre le nom de Goui
lu (D).
(a) Du Breul, Antiquité'* de Paris, p. 566.
(//) Ménage .Remarques sur la Vie d Ay-
rault , pag-. 252 et âoi .
" Goulu lut en son temps , dit Leclerc, un
poêle bannal comme son beau-père Daurat.
(ri Ménage. Remarques sur la Vie d'Ay-
rault , pag. 252, 5oi.
*2 Leclerc observe que le personnage dont
parle d'Aubigné s'appelait Legoutu . il était
jurisconsulte . et Louduuois. Le nom, la pro-
fession, la patrie sont des différences dont
Bayle aurait dû être frappé
[^6
GOULU.
(A) Il était fils d'un vigneron d'au-
près de Chartres. ] Guillaume Du-
rai , qui a écrit dans son Catalogue
des professeurs du roi , que Nicolas
Goulu était Limousin , a fait une
faute , et peut-être l'a-t-il faite en
considérant que Daurat , qui avait
donné Tune de ses filles et sa charge
à Nicolas Goulu , était de ce pays-
là. Goulu témoigne lui-même, à la
tête de quelques poésies latines qu'il
a publiées , qu'il était Chartrain (i).
(B) On avait publié un recueil
de diverses pièces de ce professeur. ]
Savoir, la traduction de la paraphrase
grecque d'Apollinaris sur les psau-
mes ; une paraphrase en vers grecs
du Magnificat , du JYunc dimittis ,
du cantique de Zacharie ; une hymne
de Jésus-Christ , et une préface en
vers grecs sur la paraphrase d'Apol-
linaris. Ce livre a été inconnu au
dernier continuateur de l'Epitorne
de Gesncr, et à Du VercHer Vau-Pri-
vas , qui a fait des supplémens à
cet Epitome ; et il ne paraît ni dans
les Catalogues de Draudius, ni dans
celui d'Oxford, ni dans celui de M. de
Thou , ni dans celui de l'archevêque
de Reims.
(C) L'endroit est fort satirique. ]
Pour l'honueur de la savante Made-
leine Daurat , je voudrais ou que
Nicolas Goulu eût été marié deux
fois , et que le quatrain qu'on va
voir concernât son autre femme ,
ou que d'Aubigné ne se trompât
pas sur la patrie de celui dont il
fait mention ; car cela prouverait
que cette satire ne regarde point
Nicolas Goulu. Quoi qu'il en soit ,
c'est ainsi qu'il parle : Il y avait h
Paris un loudunois , savant homme,
nommé le Goulu; il enrageait quand
sa femme prenait en pension ceux
qui étudiaient aux lois ; il ne voulait
que les petits grimaux , dont il fut
fait un quatrain duquel le sens vaut
bien la rime ; le voici :
Du Goulu savant ne prend guires
Les barbus pour pensionnaires ;
Il choisit 1rs petits en fans ;
Mais la Goulue les veut grands.
Ce qui pourrait faire naître quelque
soupçon qu'il ne s'agit point ici du
gendre de Jean Daurat , est de voir
(1) Ménage, Remarques sur la Vie d'Avrault,
pag. î5l, 2Ï2.
qu'il n'est point qualifié professeur
ou lecteur des lettres grecques , ce
que d'Aubigné n'ignorait pas appa-
remment ; et il n'était pas homme à
vouloir fuir en semblables occasions
ce qui pouvait désigner les person-
nages. Laissons donc la chose indé-
cise , si on la veut telle. Du Verdier
Vau-Privas n'a point su le nom de
baptême de notre homme. Daurat ,
dit-il (2) , avait une fille qu'il maria
a G. Goulu , lecteur public es let-
tres grecques , avec lequel il avait
quelque débat, et parlant de lui l'ap-
pelait mon Goulu.
(D) On s'étonne que Daurat n'ait
pas fait quitter à son gendre le nom.
de Goulu. ] J'emprunte cette remar-
3ue de M. Baillet. Ce même Daurat,
it-il (3) , qui paraissait honteux et
dégoûté du nom de Disnemandi * ,
ne fit point de difficulté de don-
ner sa fille, a un autre savant
du nom de Goulu , qui marque en-
core quelque chose de moins hon-
nête que celui de Disnemandi , et
qui ne vaut guère mieux que le lurco
des Latins. Après ce qu'il avait fait
pour son nom , il y a lieu de s'éton-
ner qu'il n eut point, fait insérer dans
le contrat de mariage de sa fille ,
qu'on changerait le nom de Goulu ,
et qu'il ait bien voulu que non-seu-
lement son gendre , mais encore ses
petits-fils aient conservé ce nom , et
l'aient rendu même immortel dans
la postérité , sans avoir pris d'autre
liberté que celle de le tourner assez
mal en latin par le mot de Gulo-
nius. Sans doute il y a lieu de s'en
étonner ; car d'un côté la pratique
de métamorphoser son nom était
commune en ce temps-là parmi les
savans ; et de l'autre il doit être un
peu fâcheux de porter un nom qui
réveille certaines idées , et qui ou-
vre le champ à mille fades allusions.
Il est fort probable que quand les
familles ont commencé à se distin-
guer par des noms propres , on a
affecté à quelques personnes le nom
qui leur convenait pour certains dé-
(a) Prosopograpliie , tom. III, pag. 15*6.
Ci) Auteurs dégui-és, pag. i56.
" Comme le dit Leclerc, l'étonneirtent dont
parle Bayle part de la .supposition que Dorât
avait changé son nom de Disne-malin pour pren-
dre celui sous lequel il est connu. Y. Uadràt ,
toui VI , pag. 420.
GOULU.
i77
fauts. Voilà vraisemblablement d'où une apologie des œuvres de ce
viennent, en tous pays les familles saJnt Denis j, ; { j
qui portent le nom à" Aveugle , de , . <««ai i«
Bossu , de Noir. Sur ce pied-là , version latine que son père avait
faite des traités de saint Gré-
Daurat se devait déplaire à un nom
qui faisait penser qu'il était issu d'un
alfamé , et que son gendre n'avait
f>as une meilleure origine. Je laisse
es mauvaises plaisanteries que les
goire de Nysse contre Euno-
mius , et la donna au public.
Elle est dans l'édition de saint
poètes du parti de Balzac tirèrent Grégoire de Nysse (b) , procurée
du nom de son adversaire , le père par Fronton du Duc (c). Le père
Goulu. Vovez le V^aticinium data- p_„i„ „„ 1 . . ,
; j v n < j \,*Ala woulu ne se voulut pas borner à
teœ de exitio Pantophaçt, a la tête „ . , , r »*".»«.
taire des traductions ; il se mêla
aussi de controverse , et fit un
livre contre celui que Dumoulin
avait publié , de la Vocation des
pasteurs (D). On a de plus de sa
façon, la vie de Françoisde Sales,
évêque de Genève, et l'oraison
funèbre de Nicolas Lefèvre, pré-
cepteur de Louis XIII ; mais on
prétend qu'il ne la récita jamais
de la réponse du sieur de la Motte-
Aigron (4).
(4) Conférez avec ceci ce qu'on trouve , tom.
VI , remarque (A) de l'article Feuardknt.
GOULU ( Jean ) , fils de celui
dont je viens de faire mention ,
n'avait pas peut-être plus de
mérite que son père , quoiqu'il
ait fait plus de bruit que lui. Il
était né à Paris, le 25 d'août 1 676 (E). A dire le vrai, ses écrits*
(a) : et ayant été reçu avocat , il ne lui acquirent pas une grande
se proposait d'en exercer la pro-
fession au parlement de cette
ville; mais il eut le malheur de
demeure
réputation; mais il lui survint
une affaire, l'an 1627, qui fit
extrêmement parler de lui (F).
er court a la première Un feuillant , qu'on n'appelait
cause qu'il plaida (A) ; et l'on que frère André {d) , avait fait
croit que cette disgrâce lui fit
venir la pensée de quitter le
monde , et de se mettre en reli-
gion. 11 choisit l'ordre des feuil
lans , et y fut reçu l'an 1604.
1 s'y fit tellement considérer
un petit recueil des pensées dont
il croyait que Balzac n'avait été
que le copiste. Les envieux de la
gloire de Balzac prônèrent si
fort cette pièce , qui ne courait
que manuscrite , que cela donna
fut celui de dom Jean de Saint-
François. Comme il entendait
la langue grecque , il s'appliqua
à traduire en notre langue le
qu'il y fut toujours en charge, Heu à l'apologie qu'Ogier , son
et qu'enfin il en obtint le gêné- bon ami , publia , ou frère André
ralat (B). Son nom de religion fut traité fort durement. L'exem-
plaire qu'on en fit porter au père
(b) Labbe , d«£eript. eccl. , t. I,p. 382.
(c) A Paris , 161 5.
" Outre ceux dont parle Bavle , il paraît
Manuel d'Epictète , les Disserta- 1uil avait fait une fie du chancelier de su-
.• j> a 1 i •, • leri , que le commandeur brûla nnr une
tions d Arrien , quelques traites .
de saint Basile , et les œuvres de
saint Denis l'aréopagite (C). Il
joignit à cette dernière version
(a) Saint -Romuald , Trésor chronologi-
que , à l'ann. l6?.g.
TOM F. Vit.
saillie de dévotion , dit l'auteur des Mémoi-
res historiques, politiques , critiques et lit-
téraires.
(J) C'est celui que Balzac appelle dom
André de Saint-Denis, dans les lettres qu'il
lui écrivit après leur réconciliation Voyez
la rem. (C) de l'article Balzac (Jean etc )
tom. III. '
12
I78 GOULU.
Goulu, qui était alors général de sa charge, et ou ils pouvaient
l'ordre fut pris pour un cartel mettre le pied , débitaient en
de défi , qui le mit dans une co- conversation mille choses désa-
lère furieuse. Il publia deux vo- vantageuses contre M. de Balzac
lûmes de lettres contre Balzac, (G), selon la coutume des dévots
qui sont remplies d'un emporte- (H) , était bien plus dangereux,
ment horrible. Il s'y donna le Ce fut alors que le père Goulu
nom de Phjllarque , c'est-à-dire
de prince des feuilles, comme
l'ont traduit ses adversaires; et il
ne faut point douter qu'il n'ait
eu en vue sa qualité de général
des feuillans, en se masquant
sous ce faux nom. Pour se faire
une juste idée de son animosité ,
il suffit de considérer qu'autant
qu'il le put il intéressa "toute
la terre à la ruine de Balzac , et
qu'il le livra à toute la rigueur
du bras séculier. 11 tâcha même
d'engager les femmes à la puni-
tion de cet adversaire. Il les
apostropha par l'éloge flatteur de
belles dames (e) , et leur déclara
que, si elles avaient tant soit peu
de courage , elles étaient obli-
devint très-célèbre (1). Il eut
pour partisans , d'un côté pres-
que tous les moines (K) , parce
que Balzac avait parlé de leur
littérature avec un peu trop de
mépris; et de l'autre, tous ceux
qui portaient envie à la grande
réputation de ce jeune auteur.
On publia quantité d'écrits pour
et contre (/"), et l'on en vint
même jusques à l'épée et au pis-
tolet, ce qui apparemment fit
taire quelques écrivains, qui n'ai-
maient pas que l'on usât ainsi de
main - mise. Le père Goulu ne
posséda pas long-temps le plaisir
d'avoir excité un si grand dés-
ordre dans la république des
lettres ; car il mourut le 5 de
gées de crever les jeux à Balzac janvier 1629 (g) (L). Il fut en-
avec la pointe de leurs aiguilles, terré dans le choeur des Feuillans
ou, en cas de miséricorde, de lui de Paris. L'on marqua entre au-
faire endurer la peine que les
dames de la cour voulurent faire
souffrir à Jean de Meun. C'é-
tait la peine du fouet. Le zèle du
père Goulu , qui soulevait ainsi
le monde , dans un livre, contre
un auteur dont toute la faute
consistait à s'être servi de quel-
ques pensées froides, trop libres
et trop immodestes , et à n'avoir
pas réprimé la fougue et les
hyperboles de son imagination
naissante; ce zèle, dis-je, qui
était sorti de dessous la presse ,
n'était pas le plus malfaisant.
Celui de ses émissaires, qui, par-
tout où s'étendait l'autorité de
(e) Lettre XV du /cr. lame.
très choses dans son épitaphe,
qu'il avait rétabli, par ses écrits,
la pureté de notre langue Qi).
M. de Balzac en fit sonner haut
ses plaintes (M). L'un de ses te-
nans , nommé la Motte-Aigron ,
publia des choses , touchant le
père Goulu, qui ont quelque sin-
gularité (Nj.
{/) Voyez la Bibliothèque française de
Sorel, chap. VU.
(g) Ménage , Remarques sur la Vie d'Ay-
rault , pag . 252. Saint-Romuald , Journal
chronologique, tom. I, pag. 2.1\.
{h) Script is suis mirum quantum adulte*
ratant eloz/uentiie puritalem revocaverit ,
conservaient , illustraverit.
(A) 77 eut le malheur de demeurer
court a la première cause qu'il plai-
GOULU.
<la.] Je vous donne pour mon garant
un des ennemis du père Goulu , sa-
voir le sieur de la Motte-Aigron (i) ,
qui raconte de telle sorte l'aventure ,
qu'il paraît manifestement , par un
grand nombre de circonstances dont
il la revêt , que le malheur de ne
savoir plus que dire arriva à l'avocat
Jean Goulu , la première fois qu'il
plaida. On n'ose pas assurer qu'ayant
risqué une seconde tentative, il ait
été accueilli du même accident ; mais
on avance (a) que quelques-uns l'ont
dit; et l'on insinue (3) qu'il ne se
mêla jamais de prêcher depuis qu'il
se fut fait feuillant. Mais Balzac nous
fait entendre le contraire dans ces
paroles. Son portrait, dit-il (j) , se
montre par rareté dans une maison
des galeries du Louvre : il est de la
main du peintre des héros et des lié-
roines, et fait si au naturel qu'il ne
lui manque que la parole. Encore
quelques-uns disent que ce silence
n'est pas tant un défaut de l'art,
qu'une des propriétés de mon adver-
saire , et que , lorsqu'il plaidait au
parlement, ou qu'il prêchait dans
le chapitre , car il a été avocat et
prédicateur , il avait de coutume de
tenir ainsi sa gravité , et de conclure
souvent sans avoir rien dit. Les mé-
disons prennent plaisir de s'égayer
là-dessus, et allèguent entre autres
exemples ce rhétoricien muet si mal-
traité par le poète Ausone (5; , sur
la peinture duquel il se joue ainsi a
la un d'une épigvamme : Qu'est-ce
que fait Rufus dans sa chaire? la
même chose que dans son portrait.
Je m'en vais citer un autre passa-
ge, non pas à cause qu'il fait mention
de l'aventure, mais parce qu'il peut
servir à désabuser ceux qui croient
que ce n'est pas un grand crime de
rapporter de mauvaise foi les paroles
d'un auteur, afin de le rendre odieux.
Je soutiens que cette méchanceté n'est
point différente de celle des notaires
qui falsifient un contrat : écoutons
là-dessus un homme dont l'éloquence
a beaucoup de majesté. Avouez-moi,
(1) Réponse à PlivM.irque, page 74 " ■"""
vantes.
(a) Là même, pag. «5.
(3) Là même, pag. 80 , S3.
(4) Relation à Ménandre, ITt. pallie, pag.
m 3n9.
(5; Dans ['épigramme XLV1I.
'79
dit-il (6) , que ce n'est pas un petit
effet de la providence de Dieu de
s'être visiblement opposé au premier
genre de vie qu'avait choisi un hom-
me si dangereux , et de l'avoir chassé
du ban-eau par cette célèbre disgrâ-
ce qui lui arriva en pleine audience.
Le coup fatal dont sa langue fut
frappée a < u salutaire a une infini-
té de familles : c'a été la bonne for-
tune des veuves et des pupilles qui
fussent tombés entre ses mains ; et ce
jour-la apparemment Dieu garantit
ce pauvre royaume de plusieurs vo-
lumes de faux contrats, et de tes-
tamens de même nature , dont son
bel esprit le menaçait (7). Au reste
l'Eloge du père Goulu , que je citerai
dans la remarque suivante , en parle
comme d'un homme qui aurait pu
se signaler parmi les plus fameux
avocats. Foro jam assuetus , ubi ce-
leberrimus inler jurisconsultes lune
temporis eminere posset. Il ne faut
pas disputer à un éloge le privilège
d'être subreptice , mais on ne de-
vrait point le faire passer jusqu'à
celui d'être obreptice.
( B ) // choisit l'ordre des feuil-
lans ; et il en obtint le genr râ-
lât.} Ceux qui ont dit qu'il l'eut
deux fois (8) n'avaient pas consulté
son Eloge , dans la seconde édition
de son saint Denis l'aréopagite (9).
Cet Éloge nous apprend que , depuis
son noviciat , il eut toujours quelque
charge dans l'ordre, et qu'enfin il
fut élevé à la première , qu'il exerça
pendant six ans; après quoi il fut
donné pour conseiller et pour asses-
seur à celui qui lui succéda. D'où
paraît que la Motte-Aigron se trom-
pe, lorsqu'il dit (10) que dont Jean
Goulu est depuis trois ans général
de sa compagnie. Il écrivait cela en
1637, ou en 1628 : le père Goulu
mourut au commencement de 1629 ,
(6) Balzac, OEuvres diverses , dise. XIV,
pag. m 377.
(-) Ceci est fondé sur ce qu'on pre'lend que
Goulu falsifia et sophistiqua ce qu'il citait de
Balzac. Voyez , touchant ce crime, tes Avis iu
petit auteur des petits livrets, qui parurent pen~
dam la guerre de la caba'e chimérique tic Rot-
terdam , t'anne'e l(iqi et iù, a
(8) M. Ménage est de ceux-là, Remarques
sur la Vie d'Ayrault , pag. ?5i.
(9) Elle est de l'an 1629 , in-4°. Le pire de
Viscb n inséré cet éloge dans sa Bibliotb. Script,
sacri ordinis Cisterciens)» , vas. 220.
(>o.) Vag 72.
i8o GOULU
n'étant plus dans la charge de géné-
ral, laquelle il avait exercée six ans * :
chacun voit la conclusion. Un au-
teur de Livonie(n) dit que ce père
fut général de la congrégation de
l'ordre de Cîleaux. Il fallait dire
de la congrégation des Jéuillans ,
gui est une branche de l'ordre de Cî-
teaux.
(C) // s'appliqua a traduire en
notre langue le Manuel d! Kpictète...,
et les œuvres de saint Denis V aréo-
pagite.] Je n'ai pas nommé chaque
traduction suivant son âge ; mais les
voici en meilleur ordre. La première
fut celle de saint Denis l'aréopagite ,
qui fut imprimée en 1608, et réim-
primée en 1629, et l'an 1642. La se-
conde fut celle d'Épictète : elle parut
en 1609, et l'on voit par le privilège,
eus contre Dumoulin. François de
Sales est mort quelques mois avant
Coè'flèteau ; il n'a donc point vu la
réponse du père Goulu , si elle n'a
été entreprise qu'au temps marqué
par la Motte- Aigron. Mais afin qu'on
sache de quel côté est la méprise , je
dois avertir que l'ouvrage du père
Goulu contre Dumoulin parut en
1620, et que Coè'flèteau ne mourut
qu'en 162Î.
(E) On a... son oraison funèbre
de IVico/as Lefèvre . . . ; mais on pré-
tend qu'il nela récita jamais.] La Mot-
te-Aigron le soutient positivement;
ainsi l'on doit lire avec quelque cir-
conspection ce qui est dit dans le Dic-
tionnaire de Moréri, à l'article de Ni-
colas Lefèvre , que Jean de Saint-
François , feuillant , fit son oraison
3u'il l'entreprit pour la reine Marie funèbre. M. de Balzac (i5) en cite un
e Médicis. La troisième fut celle des passage qui est d'un style bien guin-
homélies de saint Basile sur l'Hexamé- dé et un peu dur. Elle fut imprimée la
ron , qui fut imprimée en 1616(12). première fois en 1612 : l'auteur ne
(D) Il fit un livre contre celui de mit son nom qu'à la seconde édition,
Dumoulin de la location des en 1616. La troisième édition fut
pasteurs.] Je trouve une grande dif- augmentée de deux traités (16).
férence entre le moine de Saint-Ro- (F) // lui survint une affaire, l 'an
muald, et le sieur de la Motte-Ai- 1627, qui fit extrêmement parler de
gron ; non-seulement par rapport à
la qualité de cette réponse, laquelle
celui-ci méprise autant que l'autre
la loue , mais aussi à l'égard du temps
où elle fut faite. Ce fut du vivant de
François de Sales , si nous en croyons
le moine , qui nous conte (i3) que ce
prélat , ayant lu le livre de la Voca-
tion des pasteurs, contre Dumoulin ,
jugea que le père Goulu était seul
digne de succéder aux travaux du
cardinal du Perron contre l'hérésie.
Mais la Motte- Aigron prétend (i4)
que ce père s'ingéra à faire cette ré-
ponse après la mort de Coèflèteau;
et il s'élonne qu'il ait osé se prendre
pour celui qui devait succéder aux
grands combats que Coè'flèteau avait
* Leclerc observe que le généralat n'était que
de trois ans ; mais on pouvait être réélu pour
trois autres années; et c'est ce qui arrivait pres-
que toujours. Bayle ignorait cette particularité
quaml il soutint que Goulu ne fut pas deux fois
général. Ce qui a pu l'induire en erreur, c'est
que lorsqu'un général était continué, on comp-
tait tantôt par Tannée de chaque généralat , tau-
tût par l'année des fouctions.
(11) Witle, Diar. Biographie, in Append.
(iaj Ex Bitdiolh. Cisterciens. C.aroli de Viscb.
(i'6) Trésor chronologique, à l'ami. iGfj.
04) P"S S1 1 S)»-
lui.] C'est là l'époque des diflërens
de Balzac avec le père Goulu ; car
ce qui fit mettre celui-ci aux champs
fut l'apologie publiée pour celui-là,
et achevée d'imprimer le 8 d'avril
1627. Le premier volume des. Lettres
de Phyllarque , qui parut dès la mê-
me année, attaque principalement
M. de Balzac , je l'avoue 5 mais l'apo-
logiste y est attaqué aussi de temps
en temps. Cela montre que M. Mé-
nage et. le sieur Pierre Borel se sont
tromjiés, quand ils ont dit, l'un (17),
que le prieur Ogier répondit aux li-
vres du père Goulu contre M . de Bal-
zac _, par un livre qu'il intitula , l'Apo-
logie de M. Balzac; l'autre (18) , que
M. Descartes servit fort à propos
M. de Balzac contre le père Goulu ,
l'an 1625, auprès du cardinal Barbe-
rin, légat en France. Il est certain que
le livre du prieur Ogier vit le jour
avant les Lettres de Phyllarque, et
qu'en 1625, M. de Balzac n'avait rien
à démêler avec le p*ëre Goulu.
(i5) Rclat. à Ménandre, IÎI*. part.
(16) Biblioth. Cisterciens. Caroli de Viscb.
(17) Remarques sur la Vie d'Ayraull, pag.
a5a.
(18) Vit* Cartesii CompcnJ.
GOULU.
Le sieur Richelet a commis la me- tes bonnes compagnies (22)
181
me faute que M. Ménage. Le père
Goulu, dit-il (19), se déchaîna da-
vantage contre Balzac ; car il com-
posa une sanglante critique contre
ses écrits, et cela aurait pu causer
quelque chagrin a cet éloquent hom-
me , si .'7/. Ogier, jeune ecclésiastique ,
n'eût montré par une apologie que
le bon père avait tort. Il faudrait en
quelque façon , dans les matières de
fait , suivre le conseil que M. Des-
cartes donne à l'e'gard des spécula-
tions parler des pratiques qui se sont
faites hors Je ce royaume , et du por-
trait monstrueux qui a été publié de
moi en toutes les cours de ta chré-
tienté , il suffit que vous sachiez ce
qui s'est passé a Paris dans la pre-
mière ardeur de la guerre. On a vu
trois mois durant certain nombre de
ceux de la faction sortir tous les ma-
tins de leur quartier et prendre leur
département de deux en deux avec
ordre de m aller rendre de mauvais
tions philosophiques, examiner cha- offices en toutes les contrées du petit
que chose tout de nouveau sans avoir monde , et de semer partout leur
aucun égard à ce que d'autres en doctrine médisante avec intention de
ont c'erit +. Mais il est infiniment soulever contre moi le peuple et le
plus commode de s'arrêter au témoi- porter à faire de ma personne ce que
gnage (Tallinn, et c'est ce qui mul- leur supérieur a fait de mon livre
tiplie prodigieusement les témoins Ils ont été rechercher , pour grossir
des faussete's. leur troupe , des hommes condamnés
(G) Ses émissaires débitaient par la voix publique, fameux par
en conversation mille choses désa- leurs débauches et par le scandale
vantageuses contre 31. de Balzac] de leur vie , connus de toute la Fran-
La preuve de ceci se trouve dans les
Relations à Me'nandre. Vous y voyez
(20) que dans tous les lieux de l'o-
héissance du général des feuillans ,
M. de Balzac ne s'appelait plus que
le monstre 5 et que ce n'était que
sous ce nom-là qu'il e'tait connu des
novices et des frères lais. Vous y
voyez les plaintes de M. de Balzac
contre les inventions et contre les ar
ce par les mauvais senlimens qu'ils
ont de la foi, et le mépris qu'ils font
de la sainteté de nos mystères. Ils
ont offert à ces gens-là (qui pourra
se l'imaginer? mais il est vrai pour-
tant qu'ils leur ont offert) protection
contre les jésuites : qu'ils les ont as-
surés dans les alarmes de la con-
science , et contre les menaces des
lois : il est vrai qu'ils leur ont pro-
tificos de la calomnie. Bien n'a été niis leur faveur et leur témoignage ,
oublié, dit-il (21), pour donner du en cas qu'ils fussent accusés d'impie-
crédit ii mon adversaire, et pour me té, ou de quelque autre crime capi-
perdre de réputation On a fait une ta) ', pourvu qu'ils voulussent se join-
affaire d'état d'un différent de col- dre à eux en cette occasion, et me dé-
lége , et une guerre générale des es- clarer la guerre sous les enseignes de
mon adversaire.
(H) selon la coutume des dé-
vots.] Voilà leurs manières. Les uns
écrivent des libelles, que d'autres
font valoir dans les compagnies ; et
il i\y a point de chicanes qu'ils
ne convertissent par ce moyen en
bonnes raisons auprès d'une infinité
de gens. C'est une scène qui se joue
en toutes sortes de pays. Ces gens-
là se font connaître par des traits si
marqués , qu'il n'a pas été diflicile de
les peindre naïvement. C'est ce qu'ont
fait depuis peu quelques beaux es-
prits de Paris (a3j : mais que gagne-
t-onà les peindre? leurs artifices et
(12) la même , pag. 33g.
(î3^) Madame Desboulières , M. Je la Bruyère,
l'ab le de Villiers , etc.
prits , d'un petit jeu de syllabes et de
mots. Il s'est débité plusieurs fables
à mon préjudice , et beaucoup plus a
l'avantage du mon ennemi. On a
brigué toutes les voix , on a remué
tous les corps , on a sollicité toute
la France pour lui. Il n'a manqué
ni d'orateurs , ni de poètes , ni de
parasites , qui l'ont prêché, qui l'ont
chanté , qui ont bu a sa victoire dans
(19) Richelet, Vie des auteurs français, au
devant d'un recueil de lettres , pag. xlij.
* Lcclerc trouve excellente cette leçon de Bayle;
mais lui reproche de n'en avoir pas fait son pro-
fit. Voyez la note sur la remarque (C) de l'article
M. Blroalde, tom. III, pag. 366.
(20) Balzac, OKuvres diverses, pag. 3io
e'dit. de Rouen , itï58 , in-8°.
(21) Là même, pag. 33C.
i8î GOULU.
leurs complots n'en sont pas moins souffrir les autres. Il a ses plaies et
redoutables. vénérable corps , et ses incommodités
(I) Ce fut alors que le père cachées. Et si j'étais homme a me
Goulu devint très-célèbre.] Outre ce prévaloir de fa division que j'aidé-
que je viens de citer de la Relation couverte , et a ménager les mécon-
à Me'nandre , en voici un autre ex- tenlemens des esprits malades , je
trait qui prouve admirablement que pourrais faire une notable diversion ;
cette querelle fit voler de toutes et il est certain qu'on s' est offert a moi
parts le nom du père Goulu (24)- jusqu'en Italie, et qu'on m'a voulu
Quelques-uns de ses partisans ont fournir des mémoires dont je n'ai pas
assuré qu'il avait reçu un bref de voulu me servir. 11 fait connaître en
notre saint père le pape D'au- un autre endroit (27) que s'il n'a pas
très ont dit que l'assemblée du clergé employé toutes ses forces contre un
lui avait envoyé des députés pour religieux , c'est qu'il n'a point voulu
se réjouir avec lui de la prospérité de donner aux huguenots le plaisir de
ses armes Il n'y a point de rire. C'est peut-être par le même
prince ni de princesse , de seigneur motif que son second , le sieur de la
ni de dame de condition , a qui il n ait Motte-Aigron , n'a point publié le
fait porter de ses livres en cérémonie, livre latin dont il avait menacé (28)
la plupart relies en forme d'heures le père Goulu , et où il devait révé-
ou de prières dévotes. Ils ont passé 1er bien des mystères. Voilà ce que
le Rhin , le Danube et l'Océan; ils c'est que d'être engagé au service de
ont volé au delà des Alpes et des l'église : on n'ose vous pousser à
Pyrénées : ils interviennent dans bout: et malgré que l'on en ait, on
toutes les conversations, et se four- vous laisse dans l'impunité, de peur
rent dans tous les cabinets. On en a d'apprêter à rire aux autres reli-
chargé des chariots pour envoyer au gions. J'ai parlé (29) d'un homme qui
siège de la Rochelle (25) Son voulant détourner son fils de la pro-
portrait se montre par rareté dans fession d'avocat, afin de l'engager
une maison des galeries du Lou- aux ordres sacrés, lui allégua une
vre il faut n être pas de la cour, fort bonne raison ; mais il en oublia
et n'avoir point de belle curiosité, une autre qui est encore meilleure,
pour n'avoir point vu la figure de ce c'est l'impunité qu'on vient de tou-
redoutable prince. cher.
(K) // eut pour partisans (L) Il mourut le 5 janvier 162g. J
presque tous les moines."] C'est à bon L'auteur de l'Eloge du père Goulu ,
droit que j'ai usé d'exception , puis- et Pierre de Saint-Romuald, desquels
que M. de Balzac déclare (26) que j'emprunte cette date, ajoutent que
quantité de bons religieux avaient le père Goulu mourut âgé de cin-
bldmé publiquement la faute du père quante-quatre ans : je n'ai pu adop-
Goulu. Des ordres entiers , poursuit- ter cela , après avoir adopté la date
il, c'est-à-dire, comme il nous l'ap- du jour natal que j'ai trouvée dans
prend lui-même un peu plus bas , les Saint-Romuald , savoir le 25 d'août
principaux de leurs compagnies, ont i5"]6. Je ne sais pas bien si j'ai suivi
rendu témoignage a mon innocence , un bon guide ; car , quoiqu'en quali-
et ont protesté contre la mauvaise foi té de feuillant, il semble ne devoir
de mon ennemi Parmi les pas s'être trompé sur un tel fait , on
siens mêmes il s'en est trouvé qui ne peul nier d'ailleurs qu'il ne se soit
n'ont pas été extrêmement satisfaits réfuté lui-même , puisqu'il a dit dans
de son action // n'a pas reçu l'abrégé de son Trésor, et dans son
des vieux et des sévères , les éloges Journal Chronologique, que le père
que lui ont donnés les jeunes et les Goulu est mort âgé de cinquante-
gaillards Tout n'est pas d'ail- quatre ans. C'est une chose pitoyable,
leurs si bien joint ni si bien d'accord «jUe d'être obligé à se servir d'au-
en son étal , qu'il n'y ait quelque tours peu exacts : il vaudrait mieux
partie désunie qui souffre ou qui fait
(27) Ut même, png. 3i6.
(2/1) Balzac, OF.uvres diverses . pag. 337, 338. (2K) Réponse à Pliyllarquc , pag. 71 , 322.
(a5) La mime, pag. 3oq. Ca9) Tom. I, pag. lai , remarque (L) de
(a6J Là même, pag. 34a, 343. l'article Ace lus.
GOULU.
î83
avoir à faire à des gens dont les fau-
tes ont quelque justesse entre elles.
Au moins devrait-on avertir, lorsque
Ton se sert tantôt d'un calcul , tan-
tôt d'un autre , quel est celui où
l'on a été trompe'. Quoi qu'il en soit ,
on peut accuser de beaucoup de né-
gligence le sieur de la Motte-Aigron ,
qui, en e'crivant contre le père Gou-
lu, l'an «628, lui donnait soixante tant
d'ans (3o) , et le faisait plus vieux
environ de quarante que n'est la Sa-
maritaine (3i).
(M) M. de Balzac en fit sonner haut
ses plaintes. ] Voyez son poème latin
intitule' Crudelis Umbra , et la lettre
(32) où il appliqua si ingénieuse-
ment à son ennemi ces deux vers
d'Ovide :
Ergà et adhuc meluendus eral? Cinis ipse
sepulti
In caput hoc sievil : turuulo quoque sensimus
hoslem (33).
Pierre de Saint-Romuald dit, dans
son Tre'sor Chronologique (34) , que
l'e'pitaphe du père Goulu est de la
façon de M. Corneille. Notez que le
duc de Vendôme, fils naturel de
Henri IV , et Françoise de Lorraine ,
sa femme , firent mettre sur le tom-
beau du père Goulu l'e'pitaphe qu'on
y voit. M. Ménage l'assure dans la
page q52 de ses Remarques sur la vie
de Pierre Ayrault.
(N) La Motte-Aigron en publia
des choses qui ont quelque singulari-
té] Le père Goulu (35) , n'étant en-
core que précepteur chez un homme
qui demeurait à Paris , alla avec lui
dans le pays d'Angoumois , et logea
avec lui chez le père du sieur de
la Motte-Aigron. Il y fut persécuté
d'une soif si violente, qu'il fallait lui
donner à boire en toutes sortes de
compagnies , et que la nuit même il
était contraint de boire. D'ailleurs il
se portait très-bien. Par bonheur il
se rencontra dans un pays où il croît
beaucoup de vin : mais, au milieu de
cette abondance , la médiocrité des
(3o) Pag. 101.
(3i) Pag. 72.
(3a) Elle est pag. 2/ti <*e l'édition de Paris ,
i65i , i'n-12.
(33) C'eil d'Achille, demandant le sacrifice
de Polyxène, çu'Oviile, Mélamorphos. , lib.
XIII, vs. 5o3, fait parler Hécube.
(34) A l'ann. 1629.
(35) Réponse à Phyllarquc, pag. 3 18.
verres ne servait qu'à irriter cette
soif. On en chercha dans le logis et
chez les amis ; et comme il ne s'en
trouva point d'assez grand , on en fit
faire un exprès que l'on garde dans
la famille, en mémoire de Phyllarque
dont il porta toujours le nom. // était
grand i> entablement , mais non pas à
comparaison de la coupe de JVestor ;
car il ne fallait pas trois hommes
pour lui faire perdre terre , chacun
le pouvait lei'er aisément avec les
deux mains. Cette incommodité du
père Goulu (36l est phis singulière
que celle qui l'obligea long-temps
après , en logeant chez le même hôte
pendant son généralat, à ne manger
que de la viande, quoiqu'il (37)
eût le teint si frais , et l'embonpoint
si excellent , qu'on ne croyait pas
qu'd eût besoin d'être dispensé de sa
règle.
Je ne sais point d'où la Motte-
Aigron avait pris que la coupe de
Nestor demandât les forces de trois
hommes pour être portée : Homère
ne dit point cela ; il ne dit sinon que,
quand on l'avait remplie , un autre
eût eu de la peine à l'ôter de dessus
la table, mais que Nestor le faisait
facilement.
"Axxoç /xsv /utoyicev à.7rox.ivnTtt.7x.t rpct-
7rîÇnÇ
IlÀfîov «oV tiîçaif cT' 0 yipoov d/utoyyiri
Àttptv'
AUus quidem non sine labore subtnovisset à
mensd
Plénum existent : Nestor verb senex sine la-
bore lollebal (38).
On trouve dans le onzième livre d'A-
thénée utw longue explication de tous
les vers d'Homère qui regardent cette
coupe ; mais, bien loin d'y rencontrer
quelque chose qui favorisât le sieur
de la Motte-Aigron , j'y ai lu qu'il ne
faut pas entendre qu'aucun Grec n'au-
rait pu soulever la coupe , mais qu'au-
cun vieillard comme Nestor ne l'au-
rait pu faire. Hercule , qui était un
grand buveur (3q) , avait une coupe
bien grande • mais je ne remarque
pas qu'il fallût trois hommes pour la
porter. Stace n'y en met que deux •■
(36) Là même, pag. 322 , 3a4.
(37) Là même, pag. 33o.
(38) Horaer. , lliad., lib. XI, vt. G3.ï.
(3q) Macrobius , Saturn. , lib. V, cap.
XXI.
184
GOULU. GOURNAI.
ffuie pretium pabna gemini croîtra ferebant
Uerculeum juvenes. Illvm Tyrinlhius Héros
Ferre manu sold, spumanlemque tire supino
Verlere seu monstri victor , seu Marie, sole-
bat (4«)
On pourrait alléguer bien des choses
touchant la coupe d'Hercule , qui
e'tait d'une grandeur si e'norme , selon
(B) Le général des feuilletas
céda a son cadet la succession au pro-
fessorat de la langue grecque. ] Voici
les premières paroles de cet éloge (2).
Inter Gallos doctrind illustres Joan-
nes Gulonius annumerari merelur ,
quent IVicolaûs pater ( Joannis Au-
quelques-uns , qu'ils disaient qu'elle ™ H gêner ac m regia grœcœ linguœ
lui avait servi de vaisseau sur la profession successor) singulari na-
mer (40; mais tout cela serait ici turœ bomiale prœdaum adolescentem
hors de sa place (4a). non vulgariler cl adeojelici successu
r " institua , ut ab Academiœ F arisiensis
(4o) Sut., Theb. , Ub. VI. curatoribus dignissimus sit judicatus,
(4i) Macrobiusf Saturn. , Ub. V, cap. XXI. nui sublato è vii>is parente lilter art am
(At) Ten parle dans la remarque (D) de Var- ■ professionem SUSciperet : Sed in
ticle Hercule, lom. f III, J r J r
jratrem se mi/iorem muneris istius
GOULU (Jérôme), frère puî- f™fonem paternd pietale tram~
né du précédent , a été profes-
r , , 1 , (2 Wpui Carol. de Viscb , Bibliolh. Cisterc. ,
seur royal en langue grecque a p„g' 210.
la place de son père auquel il G0URNAI (Marie de Jars t
succéda a 1 âge de dix-huit ans DEM0ISELLE DE)7 fine d'alliance
(a), 1 année i595^).Il a ete en- de Michel de Monta;gne (A), et
suite médecin de la faculté de cëlëbre son savoir- Voyez
Paris. Je parle de ses enfans dans Morëri de lle famille
dans une remarque (A). On a d]e ëtait et lusieurs autres
publie dans 1 éloge du gênerai circonstances de son histoire. Je
des feuillans, epu il céda a son ^ beau de choses a y
cadet la succession au professo- .{er * Qn trouve dans le
rat de la langue grecque (B). Perroniana un trait fort déso-
(a) Ménage , Remarques sur la Vie d'Ay- bligeant Contre Cette demoiselle
rault.paç. 254. (B) : c'est au sujet d'une satire
(b) Dubreul , Antiquités de Paris, pag. v , , „, ' • r .
565. ou on la mêla , et qui tut une
.. ' T , , c . des suites de l'Anti-Coton (C).
(A) Je parle de ses enfans dans T1 . ,., ,. • .
une remarque. } Il eut pour femme J1 y eut ausSl un llbelle <ÎU1 eut
Charlotte de Monantheuil, fdle de pour titre l'Anti-Gournai (a).
Henri de Monantheuil , doyen de la La raillerie piquante du cardi-
facultedemédecinedeParis,etpro- nal du perron n'empêchait pas
tesseur du roi, en mathématiques. ,-i ? a, i ., .• x ..
De ce mariage sont sortis , entre au- 4U ll n eut de/ est,me Pour cette
très enfans, Nicolas Gould , qui a savante demoiselle. Il est dans le
fait un livre des éloges des Goulu; catalogue de ceux qui lui ont
Jacques maître d'hôtel du roi con- domlë des louanges (D). Elle
nu sous le nom de M. de Monantheuil: <•/-■•< " * \ 1
et Marthe, femme de René Labitte , fut régulièrement payée de la pe-
avocat au parlement, petit-neveu de tite pension que la cour lui ac-
ce Jacques Labitte , juge de Mayenne, corda {b) , et vécut toujours dans
qui a fait l'indice des livres des juris-
consultes , et que Cujas a cité avec * Leclerc cite les Advis ou présens de In
éloge au chap. 1er. du livre IV, et au demoiselle de Gournai , troisième e'dition ,
V de ses Observa- ,,64'> »«*4'- de 99-5 pages , où l'on trouve
Lien des particularités sur cette savante
fille.
(a) Voyez la remarque (Ci , à la fin.
chap. XV du livre
tions (1).
(1) M<nagc, Rem,.rcjnes sur la Vie il'Ayrault,
t'as ^k
(b) Voyez la remarque D;.
GOURNAI.
le célibat. Elle était fort bien
reçue chez les princesses (E).
r85
Elle eût bien fait de ne pas
écrire contre les partisans de
l'Anti-Coton. Une personne de
son sexe doit éviter soigneuse-
ment cette sorte de querelles.
Les écrivains satiriques sont des
rustres qui ne gardent point de
mesures (c) : ils attaquent les
femmes par l'endroit le plus
sensible. Celle-ci fut représen-
tée , non-seulement plus vieille
qu'elle n'était (F) , mais aussi
comme une fille de mauvaise vie
moignait pas moins de respect et de
zèle pour ce père d'alliance que
pour son véritable père. Vous en tom-
berez d'accord , si vous conside'rez
bien tout ce qu'elle dit dans la pré-
face des Essais. Elle fit imprimer ce
livre l'an i635, et le dédia au cardi-
nal de Richelieu. La préface qu'elle
y ajouta vaut la peine d'être lue , et
peut surtout être agréable à ceux qui
aiment l'histoire des livres et des édi-
tions. Le jugement qu'elle fit des
premiers Essais de Montaigne , et la
bienveillance qu elle lui t'oua sur la
seule estime qu'elle en prit de lui,
long -temps avant qu'elle l'eut vu,
firent faire bien des réflexions à cet
auteur, et donnèrent lieu à l'alliance.
Il l'estima dès lors , et pre'dit qu'elle
(d) On a publié presque en même serait capable des plus belles cho
temps deux contes * qui ne se
ressemblent guère touchantM. de
Racan et mademoiselle de Gour-
nai (G). Je trouve étrange que
M. Moréri débite que les livres
de cette fille ne parurent qu'a-
près sa mort (e).
Quand M. Ménage suppose
dans sa Requête des Dictionnai-
res, que la demoiselle deGournai
s'intéressa très-particulièremen t
ses (i).
Pasquier nous apprend quelques
circonstances de cette espèce d'adop-
tion. Michel de Montaigne, dit-il (2) T
laissa deux fies; l'une qui naquit
de son mariage , héritière de tous et
chacun de ses biens , qui est mariée
en bon lieu ; l'autre , sa Jille par al-
liance, héritière de ses études. Tou-
tes deux demoiselles très-vertueuses .
Mais surtout je ne puis clore ma
lettre sans vous parler de la seconde.
Celle-ci est la demoiselle de Jars ,
qui appartient a plusieurs grandes et
a la disgrâce des vieux mots que nobles familles de Paris; laquelle ne
MM. de l'académie française s'est. proposé d'avoir jamais autre
. -i , 1 * ■ . mari que son honneur, enrichie par fa
proscrivaient , il n employa point lectJe des bons /jm/5 ^ et > SJ tous
la fiction ; car il est très-vrai que les autres , des Essais du seigneur de
cette fille se fâcha beaucoup de
ce changement de langage (H).
Je ne sais si l'on fit des vers à la
louange de son chat; mais je suis
persuadé que les beaux esprits
auraient fait plusieurs poèmes
sur ce sujet , si elle eût été jeune
et belle. C'était un chat dont
M. l'abbé de Marolles a immorta-
lisé la fidélité (I).
(c) Rusticu prog-eniesnescit habere moditm.
(d) Voyez ta remarque (C).
* Leclerc est ici de l'avis du Bayle.
(e) Voyez la remarque (D).
(A) Elle était Jille d'alliance de
Michel de Montaigne. ] Elle ne te-
Monlaigne ; lequel faisant , en l'an
i588, un long séjour* en la ville
de Paris , elle te vint exprès visiter ,
pour le connaître de face ; même que
la demoiselle de Gournai , sa mère ;
et elles le menèrent en leur maison de
Gournai, oh il séjourna trois mois ,
en deux ou trois voyages, avec tous
les honnêtes aceueils que l'on pour-
rait souhaiter. Enfin cette vertueuse
(1) Voyez 1rs Fssais de Montaigne, liv. II,
ckap. XVI 1 , à la fin , pag. m. 606.
{2) Pasquier , au //e. volume de ses Lettres,
liv. XVIII, pag. m. 384 , 385.
* Les détails dans lesquels entre Pasquier,
sont , comme le remarque Leclerc , contredits
par l'auteur de la Vie de Mademoiselle de
Gournai , qui est à la tête des Advis ou prr'sen «.
Montaigne ne resta que neuf mois à Paris.
Mademoiselle de Gournai envoya le saluer, et
Montaigne vint la visiter des le lendemain.
[86
GOURNAI.
demoiselle, avertie de sa mort *', tra-
versa presr/ue toute la France, sous
la faveur des passe-ports , tant par
son propre dessein, que par celui de
la veuve et de la fille , qui la conviè-
rent d'aller mêler ses pleurs et re-
grets, qui furent, infinis, avec les
leurs. L'histoire en est vraiment mé-
morable.
(B) On trouve dans le Perroniana ,
un trait fort désobligeant contre celte
demoiselle.] Je rapporte le passage
tout du long. Comme M. Pelletier
lui (3) disait un jour , qu'il avait
rencontré mademoiselle de Gournai ,
qui allait présenter requête au lieu-
tenant criminel (4) , pour faire dé-
fendre la Défense des Beurrières, par-
ce que là dedans elle est appelée cou-
reuse, et qui a servi le public ; il dit:
je crois que le lieutenant n'ordonnera
pas qu'on la prenne au corps , il
s'en trouverait fort peu qui vou-
draient prendre cette peine ; et pour
ce qui est dit qu'elle a servi le pu-
blic, ça été si particulièrement qu'on
n'en parle que par conjecture , il
faut seulement que pour faire croire
le contraire , elle se fasse peindre de-
vant son livre : c'est ce que je dis une
fois a mademoiselle de Surgères , qui
mepriait, chez M. de Rets, que je fisse
une épitre devant les œuvres de Ron-
sard, pour montrer qu'il ne l'aimait
pas d'amour impudique. Je lui dis :
au lieu de cette épitre , il y faut seu-
lement mettre votre portrait *%. Je suis
sûr que la demoiselle de Gournai
aurait pris pour une mortelle offen-
se cette raillerie ; car, encore que la
nature eût hautement réparé en
elle les défauts du visage par les
perfections de l'esprit, et qu'ainsi ,
au cas qu'on la méprisât du coté du
corps, elle eût une consolation toute
prête, et même une grande ressour-
ce de gloire , il n'y a nulle apparence
qu'elle ait été jamais assez humble ,
' Les mois avertie île ta mort pourraient faire
croire que mademoiselle de Gournai partit sur-
le-champ; mais Leclerc ilit qtic le voyaçe de
Bordeaux n'ent lieu qu'environ deux ans après.
(3, C'est-à-dire, au cardinal , lu Perron.
(4) " "le semble que c'est nu lieutenant civil
il interJir.? les livres.
*2 Leclerc révoque en doute le propos attribué
au cardinal du Perron ; car , longtemps avant
l'époque à laquelle il l'aurait tenu , le portrait
de mademoiselle de Gournai était au-devant de
ses ouvrages. Le portrait porte : jElalis 3o. 11
e.st donc de iSçfi.
pour renoncer à l'estime de ses agré-
mens corporels autant que la raison
le demandait. Je doute que la vertu
des plus grandes saintes fût à l'épreu-
ve d'un aussi sanglant outrage que
le serait celui-ci : Pour faire taire la
calomnie de ces esprits satiriques ,
qui disent que vous n'avez pas gardé
une exacte continence , vous n'avez
qu'à vous montrer, ou en personne,
ou en effigie II est certain que le
cardinal du Perron poussait l'insulte
au delà de toutes sortes de limites ;
et je crois que la demoiselle aurait
mieux aime ne savoir rien , et n'avoir
que très-peu d'eprit , que de passer
pour une personne aussi dépour-
vue d'agrémens , que le serait une
fille qui aurait conservé son pucela-
ge , faute de trouver qui le voulût.
(C) Au sujet d'une satire
oh on la mêla , et qui fut une des
suites de V Anti-Coton.] On appelle
cette satire dans le Perroniana la
Défense des Beurrières. Je croirais
volontiers que ce n'est point là le
vrai titre , et qu'il aurait fallu dire
Le Remerctntent des Beurrières. Car
j'ai lu une satire (5) qui a pour titre >
Le Remercîment des Beurrières de
Paris , au sieur de Courbouzon
Montgommery , dans laquelle on voit
d'abord (6) ces paroles : Et singuliè-
rement par la défense magnifique
dçs pères jésuites qui , suivant la tra-
ce et les mémoires de la demoiselle
de Gournai , qui a toujours bien ser-
vi au public , vous avez fait publier
depuis huitjoursen ci. Quelques pages
après on lit ceci (7) : Depuis naguè-
res , c'est une beurrière qui parle au
sieur de Courbouzon , ils se sont
présentés quelques mal habiles gens
qui ont voulu entreprendre sur vos
marchés , et vous dérober votre chan-
landise , comme un certain Pelletier ,
et la demoiselle Gournai pucelle de
cinquante-cinq ans , qui s'y sont mê-
lés de publier des défenses pour les
jésuites , comme ayant intérêt en
cause , sous prétexte qu'ils ont été
rappelés et rétablis a la poursuite ,
briève (*) , et sollicitude du postillon
(5) Imprime' h Niort, l'an 1610.
{61 PaS. 3.
(7) Pag. 8. ^
(*) (.'est prière et non pas briève, qu'on doit
lire dans ces paroles d'une satire, où d'ailleurs
fourmillent les fautes d'impression. Uem. crit.
| Lclucliat dit qu'il faut lire brigue , ainsi que le
GOUR
général de Vénus. A quoi si nous
ajoutons le passage que je mets en
note (8), il sera manifeste , je m'as-
sure, que toutes les plaintes que la
demoiselle de Gournai voulait por-
ter devant les juges, concernaient
le Remercîment des Beurrières. Au
reste , ce que j'ai cite' de cette satire
fait connaître que la demoiselle de
Gournai (9) publia quelques écrits
pour les jésuites , et contre l'Anti-
Coton.- Voici le titre de l'imprime
dont on se moque dans le Remercî-
ment des Beurrières : Le Fléau d'A-
ristogiton, ou contre le calomniateur
des pères jésuites, sous le titre d' Anti-
Coton , par Louis de Montgommery,
sieur de Courbouzon. On peut assurer
une chose que M. Bailiet n'assure
pas (10), c'est que l'auteur du Fléau
d'Aristogiton a paru sous son ve'ri-
table nom **. M. Bailiet croit que
l'e'crit de Courbouzon a paru après le
Fléau d'Aristogiton (1 i) ; mais l'un
n'est point différent de l'autre. Les
adversaires des jésuites ne se con-
tentèrent pas d'avoir insulté notre
pucelle dans le Remercîment des
Beurrières , ils firent un livre contre
elle , qu'ils intitulèrent Anli-Gour-
nai : M. Bailiet en parle , mais non
pas en donnant la liste des pièces
qui parurent à l'occasion de l'Anti-
Coton(i2). Il semble même n'avoir
point su que la demoiselle de Gour-
nai fût intéressée à cet Anti +a.
(D) Lje cardinal du Perron
est dans le catalogue de ceux qui lui
ont donné des louanges.} Pour prou-
ver cela , je rapporterai un fort long
porte le Remerciaient des Beurrières, Niort,
1610.]
(8) Le père Colon... s'est premièrement adrei-
sé a une demoiselle Carabine , qui, pour ta dé-
fense de ce vénérable , a eu bientôt nié la
poudre de son fourniment , et puis ayant en-
seigné au sieur de Courbouzon le marchand
chez lequel on prend celle munition, lui ont
fait jouer Venfant perdu. Là même , pag.
II , 17.
(9) C'est elle que le père Richeome nomme
amazone. Voyez les ADti de M. Bailiet, loin. I,
pag. 1.I6.
(10) Tom. I des Anti, pag. i/j6.
*' C'est ce que confirme Loclerc.
(11) Tom. I des Anti , pag. i45.
(12) ha même , pag. i-r>.
*2 Joly rlit qu'on attribue l'Anti-Coton à Au-
gustin Casanbon , fils d'Isaac ; mais M. Tabaraud
{Biograph. univers. , VII, 262 ) rlit qu'on n'en
a aucune preuve. M. A. A. Barbier croit que
l'Anti-Coton est de César Duplei.x , avocat,
NAI. 187
passage qui la concerne dans les mé-
moires de l'abbé de Villeloin. Ceux
qui trouveront qu'il n'aurait fallu
qu'en copier une partie seront des
gens qui ne se soucient pas de con-
naître beaucoup de particularités de
la vie des hommes illustres. Ce n'est
pas pour ceux qui ont ce goût-là
que je travaille; j'en fais ma décla-
ration une fois pour toutes. Celte
bunnc fille , c'est ainsi que parle le
bon abbé de Marolles, touchant notre
demoiselle de Gournai, que j'ai tou-
jours beaucoup estimée, et que je vi-
sitais souvent en mon particulier ,
avait l'âme candide et généreuse. Sa
beauté était plus de l'esprit que du
corps , et savait force choses qui ne
sont pas ordinaires aux personnes
de son sexe. JYous avons plusieurs
ouvrages de sa façon, en prose et en
vers, qui sont recueillis en un seul
volume , qu'elle fit imprimer de son
temps , et l'a intitulé : Présens de la
demoiselle de Gournai. Ceux qui
l'ont voulu railler n'ont pas trouvé
sujet de s'en glorifier, et plusieurs
grands personnages lui ont donné
des louanges pendant sa vie , et après
sa mort , et entre autres Michel de
Montaigne , Juste Lipse , les cardi-
naux du Perron et de Richelieu ,
M . Cospéan , évéque de Nantes ,
M. de Rocheposai , évéque de Poi-
tiers , 31. Séguier, chancelier de
France, et MM. les surintendans ,
qui ont toujours eu soin de lui payer
une pension assez médiocre que le
roi lui donnait , et n'en a jamais vou-
lu avoir davantage , a la charge de
se sen'ird'un catTOsse , comme je sais
qu'il lui fut offert de la part de M. le
cardinal de Richelieu. Plusieurs sa-
vons hommes la visitaient aussi fort
souvent , et la bonne demoiselle comp-
tait au nombre de ses meilleurs amis,
M. de la Mothe-le-Vayer, M. le
prieur Oger*, et monsieur son frère ;
MM. les Haberts , Cerisai , Lestoi-
le , Roisrobert, de Révol , Colletet ,
Malleville , tous assez connus dans
la république des lettres; et , si je ne
* Il faut écrire Ogier , dit Leclerc. C'est le
même Ogier dont Bayle parle, soit dans le tcite,
soit dans la remarque (F) de l'article Garasse,
ci-dessus, page a6. A la liste des personnes qui
estimaient mademoiselle de Gournai , on peut,
dit Leclerc', ajouter Louis Savot , C.rotius , Jac-
ques, roi d'Angleterre, Henri IV , etc.
,88 GOURNAT.
me trompe, elle me faisait l'honneur cette visite ; mais quanti il eut su ïe
de me mettre en ce nombre-là (i3). jour et l'heure, il eut la malice d'en-
(E) Elle était fort bien reçue chez voyer chez la demoiselle , quelque
les princesses.] Le même abbé de Ma- temps auparavant , un homme delà
rolles nous apprend cela en parlant cour, qui feignit d'être le marquis de
du duc de Rhe'telois , fils aine du duc Racan. Quand cette visite fut faite ,
de Nevers. Mademoiselle de Gour- il alla lui-même chez mademoiselle de
nai , dit-il (i 4) ■> était un de ses grands Gournai , et se dit M. de Racan. 11
divtrlissemens , et quoiqu'il fut d'une fut reçu , et témoigna à la dame beau-
humeur assez galante , si est-ce qu il coup de surprise de la hardiesse
n'y avait point de dame qu'il n'eût qu'on avait eue d'emprunter son nom
quittée pour entretenir celle-ci, soit pour lui rendre une visite. Dès qu'il
qu'il la vît chez mademoiselle sa fut sorti, le véritable Racan arriva.
sœur, soit qu'il la trouvât chez ma- « On alla aussitôt avertir mademoi-
damede Longueville, sa tante, ou chez » selle de Gournai: elle était Gas-
madame la comtesse de Soissons , où » conne (17) , et un peu bilieuse de
elle allait quelquefois. » son naturel ; elle s'emporta à la
(F) Elle fut représentée plus vieille ■» vue de ce troisième Racan , et , sans
qu'elle n'était.} Voyez dans la remar- «attendre qu'il lui parlât, est-ce
que (C) , le passage du Remercîment » que je ne verrai toute ma vie que
des Beurrières , où on lui donne » des Racans ? dit-elle avec fureur;
cinquante-cinq ans , lorsqu'elle n'é- ■» et s'armant d'une de ses pantoufles,
tait âgée que de quarante-cinq. Elle » elle le chargea vigoureusement , et
mourut l'an 164e» , à l'âge de quatre- » le poussa hors de sa chambre sans
vingts ans * , elle n'en avait donc » vouloir l'écouter, en lui disant
que quarante-cinq l'an 1610. » toutes les injures que sa colère lui
(G) On a publié.... deux contes qui » dictait, dont le pauvre marquis de
ne se ressemblent guère touchant » Racan fut si surpris , qu'il ne sut
M. de Racan et mademoiselle de » que lui répondre , et sortit promp-
Gournai-] Le premier se trouve dans » tement , avec l'opinion que la de-
le M énagiana (i5) , et l'autre dans le ■>, moiselle savante était devenue fol-
Recucil des bons mots (16). Le pre- » le (18). » Je croirais sans peine que
mier nous» représente M. de Racan et c'est une fable , et je juge principa-
mademoiselle de Gournai comme lement cela à l'égard des coups de
deux personnes qui se voyaient très- pantoufle. Apparemment ce fut, ou
souvent, et qui se parlaient à cœur une invention toute pure, ou une
ouvert quand l'un méprisait les vers broderie de Boisrobert, pour plaisan-
de l'autre. C'est , entre auteurs qui ter tout à la fois, et de Racan , et de
sont amis, le comble de la familiarité, la savante. Mais en tout cas cette
Mais au contraire le second récit est aventure met entièrement hors du
tout-à-fait propre à persuader que vraisemblable la liaison que M. Mé-
ces deux personnes furent mal en- nage supposait entre cette docte fille
semble. On nous débite ce second ré- etle marquis de Racan. Voici ce qu'on
cit sur le pied d'un des bons contes trouve dans le Ménagiana ( 19).
de Boisrobert, et on lui donne pour « M. de Racan alla voir un jour ma-
titre , les trois Racans. On suppose » demoiselle de Gournai, qui lui fit
que la demoiselle ayant envie de con- » voir des épigrammes qu'elle avait
demoiselle ayant envie de
naître le marquis de Racan , il y eut
un bel esprit qui le disposa à faire
(1 3) Mémoires de l'abbé de Marolles, pag.
58 , à l'ann. i6î3. Voyez aussi ce qu'il ilil ,
pa%. 100 , à l'ann. f03G : il dit qu'il alla loger
à la rup Saint- Honoré ', au voisinage de cette
demoiselle, qui faisait alors imprimer la première
édition de ses Ouvrages.
(i4) Là méine,pag. 58.
* File ne les avait pas , dit Lerlerc ; car , née
i la lin de i566, elle est morte le |3 juillet iG|î.
(i5) Imprime' à Paris , Van i6g3.
(16; Idem.
» faites , et lui eu demanda son sen-
(l'f) Je ne croit pas que cela soit frai. Je
m'étonne 711'Flilarion de ("osle, qui a tant parle'
d'elle. Vies des Dames illustres, loin. Il, pag.
6(18 et suivantes , n'ait point dit d'où elle e'tait.
Le passage de Pasquier , ci-dessus , remarque
(A), prouve, ce me semble, qu'elle n' e'tait pas
Gasconne. [ Elle était de Paris , comme le re-
marque Leclerc. ]
(18) Recueil des bons contes el des bons mots,
pai;. i58, édition de Hollande.
(ii)) Pag. i38 de la première édition de Hol-
lande.
GOURNAI.
y timent. M. de Racan lui dit qu'il
» n'y avait rien de bon , et qu'elles
» n'avaient pas de pointe. Mademoi-
» selle de Gournai lui dit qu'il ne
» fallait pas prendre garde à cela ,
» que c'e'tait des e'pigrammes à la
» grecque. Ils allèrent ensuite dîner
» ensemble chez M. de Lorme , mé-
» decin des eaux de Bourbon. M. de
» Lorme leur ayant fait servir un
» potage qui n'était pas fort bon ,
» mademoiselle de Gournai se tour-
» na du côte de M. de Racan , et lui
» dit: Monsieur , voilà une méchante
)> soupe. Mademoiselle, repartit M. de
» Racan , c'est une soupe à la grec-
» que. » Je dirai , en passant, que ce
petit conte a souflèrt ce qui arrive
presque toujours aux récits de cette
nature: on en varie prodigieusement
les circonstances. Lisez ce passage de
la Défense de Voiture (20). On tra-
duisit une fois, pour un de nos
poètes (21) « qui n'entendait pas
» le grec , quelques rjiigrammes de
» V Jï lithologie 11 les trouva si
» fades, et d'un goût si plat, que dî-
» nant le lendemain à la table d'un
» prince , où l'on servit devant lui
» un potage qui ne sentait que l'eau,
» se tournant vers un de ses amis
)) qui avait vu ces èpigrammes avec
)> lui, J^oiia , dit-il , un vrai potage
• I lis- r ■ °
» a la grecque , s il en jut jamais. »
Notez qu'on a insère' dans la suite
du A/cnagiana (22) le conte des trois
Racans^ et ainsi l'on suppose que les
conversations de M. Ménage se con-
tredisaient quelquefois.
(H) Elle se jdcha beaucoup de ce
changement de langage.] Citons l'en-
droit où Sorel relève un péché d'o-
mission du père Bouhours. « Pour
>> parler d'une personne qui s'est
» mise fort en colère en ce temps-
» là contre ces retranchemens de
» mots, il fallait parler de la bonne
» demoiselle de Gournai, qu'Ariste ,
» l'un des personnages des fcntre-
»> tiens dont il est question , a mise
» au rang des illustres et des filles
« d'esprit. Certainement elle a bien
» mérité ceci. Au-dessus de son sa-
»> voir je voudrais mettre encore sa
» générosité , sa bonté et ses autres
,89
(20) Costar, Défende Je Voiture, pa$
(ai) C'était Rncan.
(il) Imprimé à Paris , Van iGy5.
»74-
vertus , qui n'avaient point leurs
pareilles. 11 faut avouer pourtant
qu'elle gardait toujours quelque
animosite contre les nouveaux au-
teurs de son siècle ; mais c'était
avec raison , puisqu'il y en avait
entre eux qui ne prenaient plai-
sir qu'à lui faire pièce. Ceux qui
l'ont rue autrefois savent qu'elle
avait des emportemens horribles
quand elle parlait des gens de la
nouvelle bande ou de la nouvelle
cabale , et que c'était là son fai-
ble. Elle pourrait donner grande
matière de discourir touchant la
langue , autant pour ce qu'on lui
en a oui dire , que pour ce qu'elle
en a écrit. Ceux qui ne sont pas
assez vieux pour avoir eu sa con-
versation , doivent avoir recours
à son livre appelé , Les A fis et
les Présens de la demoiselle de
Gournai. Ils y trouveront plu-
sieurs chapitres du Langage Fran-
çais , entre autres le chapitre
des Diminutifs , et quelques-uns
touchant la poésie , où elle veut
remettre en crédit les mots com-
posés à l'imitation des Grecs , et
faire toujours subsister , sans au-
cune exception, le langage de Ron-
sard ( 23 ). » Voyons comment
M. Ménage a mis en œuvre cette pas-
on de la demoiselle. Il étala d'abord
la proscription de
Ces nobles mois : moult , ains , jacoil,
Ores , aeionc , maint, ainsi-soil ,
A-lanl , 11 que , piteux , icelle,
Trop plus , trop mieux , l/landice, isnelle,
Pie'ca , tollir , illec , ainçois ,
Comme étant de mauvais (Yançois.
Et puis il feint que les dictionnaires
exposent dans leur requête que ,
. . . Bien que telle outrecuidance
( Suit dit sauf votre révérence )
Fît préjudice aux supplians
Vos bons ei fidèles clients ;
Et que tle Gournai la pucelle ,
Cette savante demoiselle ,
En faveur de l'antiquité
Elit notre corps sollicité
De faire ses plaintes publiques
Du ilécri de ces mots antiques :
Toutefois , etc.
Plusieurs dirent sans doute que la
demoiselle de Gournai , atteinte de
la maladie des vieillards , ne con-
damnait la réforme du langage que
(î3) Sorel, de la Connaissance des bons livres,
pa>;. m. 418 , 419.
[9°
GOURNAI.
parce que c'était la production des en jour. La source du mal n'est pas
îeunes auteurs, ou qu'à cause qu'elle toute entière dans cette inconstance
n'eut pu l'approuver sans convenir des langues vivantes , que les an-
qu'à son grand âge elle avait be- ciens ont éprouvée et très-bien dc-
soin de retourner à l'école. On lui crite (27). Il s'y fourre je ne sais quel
appliqua sans doute ce qu'Horace dit complot , et cette machination ne
si bien de certaines gens, qui s'i- vient pas tant des lecteurs qui sont
maginent que leur goût est la seule auteurs que de ceux qui ne le sont
règle du bon , ou qu'il leur serait pas. Ceux-ci se donnent tout le plai-
honteux de céder le pas aux nouveaux sir de critiquer sans sentir la peine
venus , et d'avouer dans leur vieil- de composer. Ceux qui sentent cette
lesse l'inutilité des études de leur peine sont plus indulgens envers les
jeunesse (^4) • Mais , tout bien consi- mots. J'excepte deux sorta* d'au-
déré , cette demoiselle n'avait pas teurs : les jeunes , et ceux qui ne
autant de tort que l'on s'imagine , font qu'un petit écrit en deux ou
et il serait à souhaiter que les au- trois ans. Un jeune auteur, qui ne
teurs les plus illustres de ce temps- lit guère que les livres les plus nou-
là se fussent vigoureusement oppo- veaux , ne traite de beau langage
ses à la proscription de plusieurs que les termes et les expressions
mots qui n'ont rien de rude , et qu'ils lui fournissent. Malheur au-
qui serviraient à varier l'expression , près de lui à tout mot et à toute au-
à éviter les consonnances , les vers tre phrase qu'il trouve ailleurs : cela
et les équivoques. La fausse délica- est de la vieille cour , dit-il , cela
tesse , à qui on lâcha trop la bride , commence à sentir le vieux gaulois,
a fort appauvri la langue. Les meil- Pour ce qui est d'un écrivain de
leurs écrivains s'en plaignent ; je dis demi-page par jour , il n'a pas le
les auteurs qui sont le moins in- temps de sentir la peine que cause
commodes de cette indigence , et qui le retranchement d'une infinité d'ex-
trouvent dans le fonds fertile de leur pressions qui étaient bonnes sous le
génie de quoi la réparer. Voyez les règne de Henri IV et de Louis-le-
réfiexions de M. de la Bruyère (25). Juste. C'est pourquoi il se pique de
Quelques-uns d'entre eux donnent dégoûts à l'égard de tous les mots
mille bénédictions à M. l'évèque de qui sont suspects de vieillesse. Mais
Meaux , à M. l'évèque de Nîmes, et s'il avait à composer un ouvrage de
à telles autres plumes du premier longue haleine , et sans beaucoup
étage , lorsqu'ils les voient se servir de lenteur , il ne ferait pas tant le
de quelque terme vieillissant. Cela dégoûté: les difficultés du travail,
le réhabilite et le rajeunit ; c'est au l'embarras des répétitions , la né-
moins une barrière qui prévient la cessité presque inévitable de rimer
proscription , et qu'on peut opposer en prose , etc. , lui feraient connaî-
aux chicaneries des puristes. Notre tre le tort qu'on fait aux auteurs en
lan°ue doit beaucoup aux écrivains appauvrissant la langue dont ils se
qui disent certes en prose , et qui servent.
(I) Elle avait un chat dont M. l'ab-
bé de Marolles a immortalisé la fi'
délité. ] Il a rendu le même service
à la linote de son hôtesse. Une li-
ante , dit-il (28) , que j'ai vue a la
prits , ou le caprice de l'usage nous très-honnéle et très-vertueuse made-
ont privés et nous privent de jour
se commettent pour lui dans leurs
ouvrages (26J. On pourrait faire la
même observation par rapport à
d'autres mots très-commodes , dont
la fausse délicatesse de quelques es
(l4) Vel quia, nil rectum , nisi r/uod placuit
sibi , ducu.nl :
Vel quia lurpe pillant parère minoribus , et ,
qum
Imberbes didicére , senes perdenda fateri.
Horat. , epist l, in. 83 ,hb. II.
(i5) La Bruyère, Caractères de ce siècle, au
chapitre de Quelques Usages , pag. 635 et suiv.
Me la huitième édition de Paris.
(26; La Bruyère , ta même.
(2-) Morialia facta peribunt :
Neduin sermonumstel honos, et gratin vivax.
fllutta rena.'cealur , quœ jam cecidêfe, ca-
deillque
Quœ nunc sunt in honore voc.ibula , si volet
u\us ,
Quem pênes arhitrium est , et /ur , et norma
loquendi.
Bor»t. , de Ane |ioét. , vs. 68.
(28) Marolles, Suite des Mémoires , pag. 9?,
GRAIN.
riioiseHe de Belleville , chez qui je
loge a Paris , a duré entre ses mains
plus de quatorze ans : et pour quel-
que beau temps que c'eût été , ce
petit oiseau n'eut eu garde de /> ren-
dre l'essor quand sa bonne maîtresse
le mettait hors de sa cage sur la
fenêtre de sa chambre. Le piaillon
de mademoiselle de Gournai ( c'é-
tait son chat ) , en douze années qu'il
a vécu auprès d'elle, ne se fdt pas
délogé une seule nuit de sa chambre
pour courir dans les gouttières ou sur
les tuiles comme les autres chats. Si
la demoiselle eût eu des galans tels
que Catulle , son chat fût devenu
aussi célèbre que le moineau de
Lesbie. Notez que M. l'abbé de Ma-
rolles n'oublie point ce moineau ,
ni le perroquet de Melior (29) , ni
la colombe de Stella (3o). On pourra
joindre à ces exemples , quand on
voudra, l'épagneul de madame Des-
houlières (3i).
(at,) Voyez Stace, silv. IV, lib. II.
(3o) Voyez Martial, epigr. VIII, lib. I.
(3i) Voyez le Ier. tome du Mercure Galant,
1672 , pag. m. 83, io3.
GRAIN * ( Baptiste le ) , maî-
tre des requêtes ordinaire de
l'hôtel de Marie de Médicis, reine
191
» et Ton juge que cette histoire a
» été écrite de bonne foi comme par
» un vrai Français. » C'est Sorel(i)
qui dit cola touchant la première
décade ; à l'égard de la seconde , il
dit (2) que, comme c'était une histoi-
re publiée dans le temps et le cré-
dit de ceux dont elle parlait , les
affaires d'auparavant y sont fort dé-
criées. Le maréchal cV Ancre et ceux
de son parti y sont très-maltraités .
Les bons serviteurs de la reine-mère
n'y sont pas même épargnés , telle-
ment qu'autrefois cela faisait fort re-
chercher ce livre , que les uns vou-
laient garder par curiosité, et les au-
tres avaient dessein de le supprimer.
On remarque principalement, qu'en
ce qui touche l'evéque de Lucon ,
qui depuis a été le cardinal de Ri-
chelieu , cet auteur rapporte de lui
une lettre adressée au maréchal à" . lu-
cre , laquelle on prétend être en ter-
mes fort soumis. On a raison de le
prétendre (3).
(B) Il se déclara fortement pour
l'édit qu'on avait accordé aux
protestans. ] Voyez le livre VIIe.
(4) de la décade de Henri IV, vous
y trouverez une belle apologie d<*
ce prince , au sujet, de l'édit de
Nantes ; une apologie , dis-je, sou-
tenue et d'exemples et de raisons.
de France , a composé quelques D'Aubigné n'oublia point d'en insé
histoires qui sont assez bonnes
( A ). Il était né environ l'an
i563 (a). Il ne témoigne point
d'aigreur contre ceux de la re-
ligion j au contraire , il se décla-
ra fortement pour l'édit qu'on
leur avait accordé (B).
* L'abbé Goujet a donné un Irès-Lon arti-
cle sur le Grain , dans le Moréri de 17.^9.
(a) Voyez sa Décade de Henri-le-Grand ,
lie. I, pag. 80, édition de Rouen, i633 ,
in- te0.
(A) // a composé quelques histoi-
res qui sont assez bonnes. | On a de
lui deux décades : la première est
l'Histoire de Henri-le-Grand ; la se-
conde est l'Histoire de Louis XIII ,
depuis le commencement de son rè-
gne jusqu'à la mort du maréchal
d'Ancre, en 1617. « En quelques tn-
» droits il a mis des particularités
» qui ne se voient point ailleurs ,
rer le précis dans son histoire (5).
Le Grain n'avait point changé de
principes lorsqu'il écrivait sa décade
de Lotus XIII ; car il y lit (6) l'apo-
logie des lettres patentes (7) par les-
quelles sa majesté avait déclaré ,
qu'elle n'a entendu comprendre ses
sujets de la religion prétendue ré-
formée , au serment et protestation
faite en son sacre (7'employer son
ÉPÉE ET MOYENS POUR l'exTIRP ATION
des hérésies. Ces deux beaux passa-
ges, en faveur de la tolérance de re-
ligion , se trouvent dans un ouvrage
du sieur Colomiés (8).
(1) Bibliothèque française, pag. m. 35a.
(2) Là même, paii. 35X , 354-'
(H) Voyez le Grain, liv. X, pag. 4"i <*
Vann. .617.
(4) Pag. m. 704.
(5) Tom. III, liv. V, chap. II, pag. m.
63i.
(6) Au livre VI II , pag. agg.
(•}) Elles furent rrgistre'es au parlement le ■}
d'août iGi().
(8) Intitulé : Home proie.-. la» te , pag. G5 fl
I92 GRAMMONT. GRAMOND.
GRAMMONT (Gabriel de),
cardinal français au XVIe. siècle.
Je n'en parle que pour corriger
quelques fautes de M. Moréri
(A).
(A) Je n'en parle que pour corri-
ger quelques fautes de M. Moréri. ]
i°. L'entrevue de Clément VII et de
François Ier. , à Marseille , ne se fît
point Tan i552 , mais Fan i53a *.
2°. Ce ne fut pas pour avoir per-
suadé au pape le dessein de cette
entrevue que le cardinal de Gram-
mont fut récompensé de Févêché de
Poitiei's ; car il possédait cette mitre
lorsqu'il partit de France pour aller
négocier avec Clément VII. 3°- Ces
paroles , le roi lui donna V archevê-
ché de Bordeaux et de Toulouse : il
en allait prendre possession , doi-
vent être censurées , puisque , selon
le sens le plus naturel , elles signi-
fient que l'on donna ces deux mé-
tropoles en même temps et tout à
la fois à ce cardinal. Or cela est
faux. De plus , on ignore si c'est de
l'archevêché de Bordeaux ou de ce-
lui de Toulouse qu'il allait pren-
dre possession : la phrase de M. Mo-
réri ne nous détermine à rien. 4°- H
n'est pas vrai que ce cardinal soit
mort avant que de prendre posses-
sion de l'archevêché de Toulouse.
11 en prit possession par procureur,
le 27 d'octobre i533, et en personne,
le i5 de mars suivant. 5°. Le châ-
teau de Balura est une chimère ; il
fallait dire le cMteau de Balma : le
cardinal y mourut le 26 de mars (1)
i534 , selon du Bouchet. Ce château
appartient aux archevêques de Tou-
louse, et n'est éloigné de la ville que
d'une petite demi-lieue. 6°. Si le car-
dinal fut attaqué d'une fièvre lente,
ce ne fut pas lorsqu'il alla prendre
possession de l'archevêché; il fallait
dire que son voyage de nome lui
causa une longue maladie dont il
mourut onze jours après la prise de
possession. Meurt- on d'une fièvre
* Jean Boncliet, à qui Bayle a donné un ar-
ticle (toin. IV, pag. 2-J ) , et que, suivant la
remarque de I.eclerc , il a tort d'appeller ici du
Bouchet , a , dans la nouvelle édition de ses An-
nales d' Aquitaine , donnée à Poitiers , en 1 535,
porté ortie entrevue au mois d'octobre i533.
(1) Moréri dit la it\ de mars.
lente en si peu de jours ? Ce qu'il
y a d'étonnant est que Catel (2) ,
l'un des auteurs que M. Moréri cite,
me fournit la correction de toutes
les fautes qui viennent d'être mar-
quées. A quoi songe cet homme, de
nous citer des auteurs qu'il n'a point
vus ? Catel relève une faute de Jean
du Bouchet touchant le nom du châ-
teau (3) ; ainsi M. Moréri pouvait
connaître certainement le vrai nom
de cet édifice.
(2) Mémoires de l'Histoire du Languedoc, liy.
(3) Du Boucliet dit que le cardinal mourut
au lieu de Abalme , étant des appartenances de
l'archevêché , h deux lieues près de 'Toulouse,
GRAMOND ( Gabriel Barthé-
lemi * de), en latin Gramondus,
président au parlement de Tou-
louse , et fils du doyen de ce mê-
me parlement (A), a composé une
histoire qui est estimée (B). J'ai
lu , dans un auteur allemand , un
fait singulier dont je doute fort
(C), et qui, étant véritable, serait
très-glorieux au président de
Gramond. Les lettres de Patin ne
confirment guère ce que l'auteur
allemand débite (D).
* Leclerc remarque que Barthélemi n'est
point le nom de baptême , mais le nom de
famille de Gramond.
(A) // était fils du doyen du par-
lement de Toulouse. ] Ce doyen des
conseillers s'appelait Barthélemi de
Gramond. C'était un homme d'une
grande probité et d'une intégrité
achevée. Son Fils lui donne cet éloge
en rapportant une action plus digne
d'un courtisan que d'un sénateur zélé
pour la bonne discipline. Il dit (1)
que M. de Montmorenci , gouver-
neur de Languedoc , voulut que sa
femme fût reçue dans toutes les vil-
les de son gouvernement avec des
honneurs inusités jusqu'alors. Il
souhaita en particulier que les ma-
gistrats de Toulouse envoyassent des
gens armés au-devant d'elle pour la
recevoir. On rejeta plusieurs fois sa
(1) Gramond , Ilistor. Gallix , lib. III,
yag. m. »i3 , ad ann. 161g.
GRAMOND.
i93
proposition, el on luk représenta que le président de Gramond pos-
que les jeux , les danses , la musi- séduit bien la langue latine. 11 avait
publié à Toulouse, l'an 1623, l'His-
que , étaient le véritable appareil de
la réception d'une femme; mais que
les bonneurs militaires devaient être
réservés pour ceux qui ont de la ju-
ridiction sur les armes. Bartbélemi
de Gramond fut d'un autre senti-
ment • car il fut d'avis que l'on re-
çût la duchesse de Montmorenci de
la manière que son mari le souhai-
tait; il fut député aux capitouls (2)
de la part du parlement , et leur
persuada d'acquiescer aux désirs du
gouverneur de la province. Ceci se
passa l'an 1619. On ne trouve là au-
cune trace de l'ancienne gravité ro-
maine. Notre historien eût beaucoup
mieux travaillé à la gloire de son
père s'il eût pu dire que le député
du parlement confirma les capitouls
dans le dessein de rejeter les nou-
veautés que M. de Montmorenci exi-
geait d'eux pour son épouse. Cette
conduite eût senti son homme qui
avait très-bien profité du sage con-
seil de Tibère moderandos fœmina-
rum honores (3) , et de la harangue
de Sévérus Caecina , sénateur romain
sous cet empereur. Elle fut rejetée ;
mais s'en faut-il étonner ? Rome a-
vait perdu toutes ses belles maxi-
mes. Notez que ce sénateur opina
qu'il ne fallait point permettre à
ceux qui avaient du commandement
dans î«s provinces d'y amener leurs
femmes (4). Il allégua de très-solides
raisons.
(B) II a composé une histoire qui
est estimée.} Elle comprend, en XVIII
livres , ce qui s'est passé en France
depuis la mort de Henri IV jusqu'à
l'année 1629 (.*>). Elle fut imprimée
à Toulouse, l'an i6f3. Les étrangers
l'ont jugée digne de leurs presses ,
tant en Hollande qu'en Allemagne (6).
Je me sers de l'édition de Mayence,
i6n3 , in-8°. Le style de cet auteur
est un peu trop concis , et n'est
pas assez naturel ; mais il témoigne
(a) C'est ainsi qu'on nomme ceux qui prési-
dent a la maison de fille de Toulouse.
(3) Tacit., Annal. , hb. I, cap. XIV.
(4) Idem, ibidem , lib. VI , cap. XXXIII.
(5) Et non pas jusquen 16'ig , comme dit
Moréri.
(0) Notez que les auteurs allemands la citent
beaucoup. I oyei entre autres, Pellerus , dans
son Polilicus sceleratus impugnalus.
TOME VU.
toire particulière de la guerre que
Louis-le-Juste avait faite à ses sujets
de la religion.
(C) J'ai lu dans un auteur alle-
mand un fait singulier dont je doute
fort. ] Christien Funccius débite que
le président de Gramond ayant suivi
les traces de M. de Thou dans la
hardiesse de dire la vérité , et de
découvrir les fautes du gouverne-
ment, et celles des grands seigneurs
se lit beaucoup d'ennemis , et n'était
pas même en sûreté au milieu de sa
patrie *. In eo l'huano par quôd in-
trépide dtcat quidsentiat, non dissi-
mulans grauissima aulœ et magria-
tum peccata , indèque idem quod
Uiuanus , fatum expertus. Simul
enim ac prima pars historiœ prodiit
multorum iucurrit odia : ita ut vix
Tholosœ tuto uivere potuerit. Quare
non prodiit , tenus hac , nisi pars
prima : si altéra succederet , opus
esset incomparabile , t>el non nisi
cum ipsd antiquilate comparandum.
Arcanissima enim reipublicœ Gallicœ
autor penetraueratd). M. Graverol ,
avocat de Nîmes qui avait de gran-
des habitudes à Toulouse , et que
j'avais consulté sur ce fait , me ré-
pondit plusieurs choses, mais rien
qui me fît connaître qu'il eût jamais
ouï parler d'une telle chose.
(D) Les lettres de Patin ne confir-
ment guère ce que l'auteur atlenitmd
débite.} Tant s'en faut que Guy Pa-
tin nous représente M. de Gramond
comme un martyr de la vérité, qu'il
le traite de lâche flatteur. Je crois
qu'il outre les choses, et qu'au pis
aller , l'extrémité de l'écrivain alle-
mand serait moins vicieuse que celle
de Guy Patin. Quoi qu'il en soit ,
voici les paroles de ce dernier. « J'ai
» l'histoire de M. de Gramond , pré-
» sident de Toulouse , dont vous me
» parlez. Je l'ai souvent entretenu
» pendant qu'il était en cette ville.
» C'était un bon vieillard , mais d'une
» âme faible et bigote. Il se faisait
» de fête pour obtenir des mémoi-
* Bayle ne fait qu'en douter. Leclerc assure
que ce fait est indubitablement faux.
(7) Cbr. Funccius, Ivm. /, Oibis Imper.,
pag. 443, apud Konig. , Bibliotli. , pag. 358.
i3
GRAMONT. GRANDIER.
»94
» res , et pousser son histoire jusqu'à
» la mort du feu roi : mais le car-
» tlinal Mazarin ne lui a pas voulu
» donner cet emploi. 11 est mort
« depuis peu à Toulouse (8). Son li-
„ vre est peu de chose, et infiniment
» au dessous de l'Histoire du pre'si-
» dent de Tliou. Il est rempli de
» faussetés et de flatteries indignes
» d'un homme d'honneur. Quand il
« fut achevé d'imprimer , et près
» d'être mis en vente , M. de Gra-
a mondfit refaire quinze demi-fettil-
» les , pour y flatter plus fortement
» le cardinal de Richelieu , qui était
» alors au plus haut point de sa fa-
» veur. Ce hon homme crut qu'il
» n'y avait point de termes assez
» forts pour le louer : mais il n'y
» gagna rien ; car le cardinal vint à
» mourir (9) *.»
(8) Concluez de là , que Konig , qui met sa
mort a Van 16^2 , se trompe; car cette lettre de
Patin e.U dale'e du i5 septembre i654-
(q\ Patio , lettre XC , loin. I, pag. 365.
* Le président de Gramond eut des démêlés
avec R. Amauld. Voyez lome II, page3y8 , et la
note qui a été ajoutée.
GRAMONT*(Scipionde),
sieur de Saint-Germain , et se-
crétaire de la chambre du roi ,
était provençal. J'ai dit ailleurs
(a) qu'il vit à Rome les honneurs
funèbres de M. de Peiresc, et
qu'il mourut à Venise quelque
temps après. Il composa quel—
qfres livres (A) , et entre autres
un qui est intitulé le Denier
royal : traité curieux de l'or et
de l'argent. Naudé parle de cet
ouvrage avec éloge (B). C'est un
in-8°. qui fut imprimé à Paris ,
l'an 1620.
* Joly dit qu'il écrivait indifféremment son
nom Grandmont ou Grammont , et en latin
Grandi Monte. Il était poète latin et fran-
çais ; et Leclerc donne les litres de quelques-
uns de ses opuscules.
(à) Dans la remarque (C) de l'article Pei-
resc , loin. XI.
(A) // composa quelques livres.]
Il puhlia à Paris , l'Art d< s •consé-
quences, in-S". , l'an 1 6 1 4 j de la Na-
ture , Qualité , et Prérogativtï ad-
mirables du^Point, in-S''. l'an 1G19;
son abrégé des Artifices, traitant de
plusieurs inventions nouvelles , et
surtout d'un secret et moyen exquis
pour entendre et comprendre quelle
langue que ce soit dans un an, mê-
me la latine et la grecque , fut im-
primé à Aix , en Provence , l'an ]6{o,
in-S°.
(B) Naudé parle Je son Denier
Royal avec éloge.] Voici ses termes :
Quoniam res ipsa ( vectigalium im-
positiones) plerumque a necessitale
dependet , aut principum volunlate ,
quœ leges non admittunt, indè est,
qttod pauci admodùm reperd sunt ,
qui de Mis politicum quidquam moi 1è-
re voluerint. Quare unicum lanlum-
modo proférant Scipionem Gramon-
tium ; ex cujtis JVttmmo Regio , gal-
licè quideni edito , plurima depromi
possunt , quœ rem ipsam prœclarè
illustrent , simulque legentium ani-
inos rejiciunl dulci pabulo varice lec-
ttonis , et gravissimd diversarum ob-
servationum varielale (1).
(1) Naud. , Bibliogr. politic. , cap. XIII,
pag. 543, edit. Creniana.
GRANDIER (Urbain), curé
et chanoine de Loudun , brûlé
vif comme magicien , était fils
d'un notaire royal de Sablé, et
naquit à Bovère proche de Sablé.
Il prêchait bien , et cela fu,t cau-
se que les moines de Loudun
conçurent d'abord contre lui
beaucoup d'envie, et enfin beau-
coup de haine , lorsqu'il eut
prêché fortement sur l'obligation
de se confesser à son curé aux
fêtes de Pâques. Il était bel hom-
me , agréable dans la conversa-
tion , propre en ses habits et en
sa personne, ce qui le fit soup-
çonner d'être aimé des femmes ,
et de les aimer (A). On l'accusa ,
en 1 (i? q, d'avoir eu affaire avec
des femmes dans l'église dont il
était curé. L'official de Poitiers
le condamna à se défaire de ses
bénéfices, et à vivre en pénitence.
Il en appela comme d'abus, et
GRANDIER. i95
par arrêt du parlement de Paris de s'informer soigneusement de
il fut renvoyé au présidial de l'affaire des religieuses; et il lui
Poitiers , qui le déclara innocent, fit assez paraître qu'il souhaitait
Trois ans après, quelques reli- de perdre Grandier. M. de Lau-
gieuses ursulines de Loudun pas- bardemont le fit prendre prison-
sèrent, dans la commune opinion nier, au mois de décembre i633,
du peuple, pour possédées (P>). et , après avoir informé ample-
Les ennemis de Grandier firent ment de cette affaire, il alla
aussitôt courir le bruit que cette trouver le cardinal pour concer-
possession était arrivée par son ter avec lui. On expédia des let-
fait, et ils l'accusèrent de magie: très patentes, le 8 de juillet i634,
ce qui paraît assez bizarre, car, pour faire le procès à Grandier.
s'ils le croyaient capable d'en- Ces lettres furent adressées à M.
voyer le démon dans le corps £e Laubardemont , et à douze
des gens, ils devaient craindre juges des sièges voisins de Lou-
de l'irriter (C) ; ils devaient le dun , tous véritablement gens de
ménager, de peur qu'il ne les bien, mais tous personnes cré-
soumît à une légion de diables, dules, et par cette raison de
Quoi qu'il en soit, ils l'accusèrent crédulité tous choisis par les
de magie. Les capucins de Lou- ennemis de Grandier (F). Le i8
dun, ses grands ennemis, trou- (a) d'août 1 634 , sur la déposition
vèrent fort à propos pour faire d'Astaroth (G), diable de l'ordre
réussir l'accusation, de se mu- des séraphins , et le chef des dia-
nir de l'autorité toute-puissante blés possédans ; d'Easas , de Cel-
du cardinal de Richelieu. Pour sus, d'Acaos ,de Cédon ,d'Asmo-
cet effet, ils écrivirent au père dée, de l'ordre des trônes; et
Joseph , leur confrère , qui avait d'Alex , de Zabulon , de Neph-
beaucoup de crédit auprès de talim , de Cham , d'Uriel , et d'A-
cette éminence, que Grandier chas, de Fordredes principautés ;
était l'auteur d'un libelle inti- c'est-à-dire , sur la déposition des
lulé la Cordonnière de Loudun religieuses qui se disaient possé-
(D), très - injurieux et à la déespar ces démons, les commis-
personne et à la naissance du saires rendirent leur jugement,
cardinal de Richelieu. Ce grand par lequel maître Urbain Gran-
ministre , parmi beaucoup de dier , prêtre , curé de l'église
perfections, avait le défaut de Saint-Pierre du marché de Lou-
poursuivre à toute outrance les dun , et chanoine de l'église
auteurs des libelles qui s'im- Sainte-Croix , fut déclaré du-
primaient contre lui : de sorte ment atteint et convaincu du cri-
que s'étant laissé persuader (E) me de magie , maléfice , et pos-
au père Joseph que Grandier session arrivée par son fait es
était l'auteur de la Cordonnière personnes d'aucunes des reli—
de Loudun , il écrivit aussitôt à gieuses ursulines de Loudun,
M. de Laubardemont, conseiller et autres séculières mentionnées
d'état, sa créature, qui faisait
démolir à Loudun , de la part du „ ^ M- *&*%* . Remarques sur la Vie de
. , „ .~ . , f A Guillaume qlenage , pcg. J42 ■ s est trompe
roi, les fortifications du château , en mettant le 8.
196 GRANDIER.
au procès ; pour la réparation zébut qui volait autour de Gran-
desquels crimes il fut condamné dier, pour emporter son âme en
à faire amende honorable età être enfer; et là-dessus on fit une
brûlé vif avec les pactes et carac- chanson très-plaisante. La dia-
teres magiques étant au greffe , bleriede Loudun dura encore un
ensemble le livre manuscrit, par an après la mort de Grandier.
lui composé, contre le célibat des ïhéophraste Renaudot , médecin
jyrétres(H), et les cendres jetées au célèbre , et l'inventeur de la Ga-
vent(b). Grandier, ayant ouïsans zette de France, a fait un éloge
émotion cette terrible sentence , de ce Grandier , qui a été impri-
demauda pour confesseur le gar- mé à Paris en feuilles volantes,
dien des cordeliers de Loudun , Ceci est tiré de M. Ménage (e) ,
docteur en théologie de la fa- qui prend hautement le parti de
culte de Paris. On le lui refusa* ce curé de Loudun, et traite
et on lui présenta un récollet , de chimérique la possession de
dont il ne voulut point se servir ces religieuses (I). On dirait mé-
disant que c'était son ennemi , me qu'il a voulu combattre en
et l'un de ceux qui avaient le général tout ce qui se dit des
plus contribué à sa perte. On magiciens (K). Ce serait se tirer
persista à ne lui vouloir donner d'un embarras par un autre (L).
d'autre confesseur que ce récol- Depuis la composition de cet ar-
let : il persista de son côté à le ticle, on a imprimé en Hollande,
refuser; et ainsi il ne fit qu'une (f) V Histoire des Diables de
confession mentale à Dieu : après Loudun; et il paraît manifeste-
quoi il alla au supplice , et le ment par cet ouvrage , que la
souffrit très - constamment et prétendue possession de ces ur-
très-chrétiennement. Comme il sulines fut une horrible machi-
était sur le bûcher, il arriva nation contre la vie de Grandier.
qu'une grosse mouche du genre Cette relation est très-curieuse ,
de celles qu'on appelle bourdons, et munie de toutes les pièces
vola en bourdonnant autour de qui concernent ce procès. J'y
sa tête. Un moine présenta l'exé- ai trouvé une chose qui m'a
cution, qui avait lu dans le con- donné quelque surprise , par
cile de Quières(c), que les diables rapport aux grands vacarmes
se trouvaient toujours à la mort que l'on fit contre le père Co-
des hommes pour les tenter (d) , ton (M).
et qui avait ouï dire que Belzé- On trouve dans la vie d'un jé-
but signifiait eu hébreu le suite , qui fut l'un des exorcis-
dieu des mouches , cria tout tes des religieuses de Loudun ,
aussitôt que c'était le diable Bel- beaucoup de particularités sur
cette affaire. J'en rapporterai
(b) Voyez le XXe. tome du Mercure Fran-
çais , pag. 771.
(c) Jpud Carisiacum.
(d) Cerlum est quia ad omnes hominrs
quando egrediuntur de cofpore veniuul dia-
deux choses , dont l'une est fort
surprenante (IN).
Loliet adjustosel ad peccaiu.es Lettre des Remarques sur celte Vie.
pères de ce concile à Louis, roi de Germa- (/) ,1 Amsterdam , 1693, in-Uk
nie. été traduite en flamand.
(e) In Vitâ Guillelmi Menagii , et dans les
elle a
GRANDIER. 797
(A) Il fut soupçonné d'être aimé naturelles. Il cite deux livres qui fu-
des femmes , et de les aimer.] Le r en t faits contre cette prétendue pos-
Mercure Français (i) dit (\\\> Urbain session , Pun par Duncan , Ecossais
Grandier était homme majestueux et célèbre , médecin de Saumur : l'autre
fastueux, qui avait quelque lecture par Jacques Boutreux sieur d'Etiau ,
et assez bon esprit , d'ailleurs avan- homme docte de la ville d'Angers j et
tagé de quelques perfections naturel- il rapporte ce que Claude Ménard ,
les et acquises; mais qui , par une ré- lieutenant de la prévôté' d'Angers, a
duplication de vices extraordinaires , dit de ce livre de Jacques Boutreux ,
nommément de paillardise et impure- dans son Catalogue des écrivains an-
té , avait prostitue l'honneur de gevins. Laudunensis theatri scenam
son caractère ; et que son intention aggressus , parochi Granderii tepi-
était , en briguant la place de direc- datas stlentio longo favillas mémo-
teur des ursulines , de faire un dés- riamque scriplo vindicare ausus, du-
honnête sérail de leur couvent , et biœ quœstionis theina renovavil , ut
autant de sales concubines qu'il y tristes virginum ma là traclarum pœ-
aurait de belles vierges. La lettre du nas , vel exercitœ potihs trophœa vir-
sieur Séguin , me'deein de Tours , dit tutis ad scurrilia planorum ludibria ,
(2) que les //artisans mêmes de Gran- vindicandique et suppositi in Grande-
dier reconnaissaient qu'il vivait dans rium , ut credi vult, maleficii minis-
une débauche qu'on ne peut autre- teria personala traduceret , grandi
ment qualifier que du nom d'impiété, certè mentis fiducid , calami scripti-
profanant les choses les plus saintes, que libertate , nescio an cessura fefi-
et abusant hautement de la religion citer. Voyez ci-dessous la remarque
qu'il prêchait avec assez de réputa- (I). Or, quant à ce que M. Ménage
tion. On a pu voir dans l'article, l'ac- observe que l'intelligence des lan-
cusation qu'on lui intenta d'avoir gués , qui est l'une des trois marques
connu des femmes dans l'église même d'une véritable possession , ne se trou-
dont il était, curé. M. Ménage, qui le vait point dans ces religieuses, il est
rapporte , se contente de dire dans bon de remarquer que le sieur Sé-
les notes, qu'il fut accusé d'adultère \ guin , médecin de Tours, rapporte
il ne dit pas que ce fût avec la femme qu'elles répondirent en langage tau-
d'un magistrat de Loudun CVstM.de pinamboux queleurparlaM.de Lau-
Monconis (3) qui le dit, sur la foi naiRazilli, que je crois , dit-il , plus
de la supérieure des ursulines. La re- que moi-même , et que je vous allègue
lation qu'on a publiée en Hollande , a cause que vous le connaissez pour
l'an 1693, ne nous permet pas de homme de créance (5). Mais puisque
douter que ce prêtre ne fût impudi- M. Ménage, qui n'ignorait point le
que et orgueilleux. contenu de cette lettre, ni les autres
(B) Quelques religieuses de Loudun contes que l'on avait publiés touchant
passèrent , dans la commune opinion l'intelligence des langues attribuée à
du peuple , pour possédées. J M. Me- ces nonnes, ne laisse pas d'affirmer
nage (4) ne se contente pas de cette qu'elles ne témoignaient point par-là
clause ; il ajoute tout de suite : Car , qu'elles fussent véritablement possé-
a l'égard des savans , la plupart d'en- dées , on voit qu'il ne faut guère se
tre eux soutenaient que ces religieuses fier aux relations en cette sorte de
n'étaient que malades , ne se. trouvant choses. Ce que M. de Balzac a dit, dans
en elles , quelque chose qu'on ait dit ses Entretiens , mérite d'avoir ici sa
au contraire , aucune des trois mar- place. Si pour avoir deviné , dit-il (6),
ques que le rituel romain, demande on l'accusait d'être magicien il.
pour la marque d'une véritable pos- faudrait que les diables avec lesquels
session , qui sont : la divination , V in- il aurait eu communication ne fus-
telligence des langues qu'on n'a point sent que goujats des troupes de Luci-
ap prises , et les forces de corps sur- fer. Il faudrait qu'ils fussent moins
, , _ „_ ,„ savans que ceux de foudun , qui n'a-
(1) Tome XX, pas. rfô. . V ,. ,- , • ••}.'•
, ( _, .. r " ' valent pas étudie iiisqu a lu troisième,
(2) l.a me-iie,paa.n".r. . ' yi . J ', . ,
iaw„ ife .' „„,. ainsi que disait un des courtisans de
>,S) Voy.iges, 7re. partie , pag. f). /
(41 Remarques surla Vie de Guillaume Mé- (5) Mercure Français , tom. XX, pas- 777.
nage, pag. l\o. (6) Entrelien XVII.
198 GRANDIEK.
31. le cardinal de Richelieu. Ilfau- » entre ceux de la justice , si les dia-
drait enfin qu'ils fussent de l'ordre » blés étaient ternis d'aller à l'école.
de ces diables écoliers qui , dans les >, Les jurisconsultes maintinrent que
Oraisons de 1 heodore , font des fau- „ c'était le proprium in quarto modo
tes au nombre et au langage , pèchent » des démoniaques , de parler toutes
et , tenant le sacrement dans sa main,
il lui parla en ces termes : Adora
Deum tuum , creatorem tuum ; adore
ton Dieu , ton créateur. Etant pres-
sée , elle répondit : Adoro te , je t'a-
dore. Quem adoras ? qui adores-tu ?
lui dit l'exorciste diverses fois. Jésus
Christus , répliquà-t-elle en faisant
des mouvemens comme si elle eût souf-
fert de la violence. Daniel Drouin ,
assesseur a la prévôté , ne put s'em-
pêcher de dire assez haut : Voilà un
diable qui n'est pas congru. Barré,
changeant la phrase , demanda h l'é-
nergu
» Commando libi ut e.reas Belzelmt
» et Astaroth , aut ego augmentabo
» vestras peenas , et vobis dabo acrio-
» res. A la seconde fois , il redoubla :
« Jnbeo exeatis super pœnam es com-
» municationis màjoris et minnris.
» Enfin , tout en colère , il ajouta :
» flTisi vos exeatis , vos relego et con-
» plno in infernum centum annos
» magis quant Deus ordinavit (g1. »
Je ne doute point que ceci ne soit de
l'invention de l'auteur.
(C) S'ils le croyaient capable d'en-
voyer le démon dans le corps des
tumene ■ Quis est iste quem ado- ens . i/s devaient craindre de l'irri-
rasr qui est celui que tu adores? Il ?er] M Ménagea trouvé si belle cette
espérait quelle dirait encore, Jésus pensée , qu'après s'en être servi dans
Umstus : mais elle répondit , Jesu ja Vie <je Guillaume Ménage (10I , il
Curiste. On entendit alors plusieurs en a enrichi ses notes sur cette Vie.
voix des assistons qui crièrent : Voilà jj est bon je l'entendre en français ;
de mauvais latin. Barré soutint hardi- sotl latin est en note- jts accusèrent
mentqu elle avait du Adoro te, Jesu Grandier , dit-il , de magie, le crime
Lhriste ; je t adore , ÔJesns Christ (8)! ortjinaire de ceux qui n'en ont point ,
et lequel , selon la pensée excellente
Voici une raillerie bien acérée con-
tre le capucin conducteur de la pie- d'Apulée , accusé autrefois du même
tendue possédée Marthe. On disait
qu'elle avait deux diables dans le
corps , l'un appelé Belzébut , l'au-
tre Astaroth. Les juges d'Angers les
examinèrent et en grec et en latin
Belzébut en colère répondit , « que
:» s'il voulait il répondrait aussi-bien
3> au grec qu'au latin. Le capucin,
j) pour lui fournir une excuse, dit :
crime , n'est pas même cru par ceux
qui en accusent les autres ; car si un
homme était bien persuadé qu'un au-
tre homme le pût faire mourir par
magie , il appréhenderait de l'irriter
en l'accusant de ce crime abominable.
Mais quelque solide que paraisse cette
manière de raisonner, je crois néan-
moins qu'il y a eu toujours des gens
Belzébut , mon ami , il y a ici des qni ont cru coupables ceux qu'Us ac
j) hérétiques , c est pourquoi vous
» ne voulez pas parler. On se mit à
» latiner avec Astaroth , qui s'excusa
» sur sa jeunesse (M. Belzébut s'ex-
3) cusa , disant qu'il était pauvre dia-
» ble. Là il y eut grande dispute
(•;) Voyez 1rs Nouvelles de la République des
Lettres , mars 1G84 , pag. 10 de la seconde édi-
tion.
(8) Histoire des Diables deLoudun , imprimée
ii Amsterdam » i(xj3 , pag. 57.
(*) Allusion sur ces paroles de Lucifer
Astaroth , au feuillet ^5 touroé de la Concep-
tion à personnages :
Aslarolh , ne parle jamais .•
Tu es encore trop novice. Rem. crit.
(9) Confession catholique de Sancy , liv. t ,
chap. VI.
(10) De malejicio Jingit se a'sentiri (Arman-
dus Richelius ) , nu ul verc Appuleius et ipse
malefiçii reus po.Unlattis , id genus criminis non
est ejus accusare qui crédit, accusare entm eo
crimine is eum timerel. quem vi canlamtnum
poste tanlum faiereiur. Menag. , in Vilâ Guil-
lcl. m lVIcnagiï, pag. 83.
GRANDIER. irjg
casaient de magie ; car , en premier très, peuvent, produire. Il ne faut
lieu , il ne faut pas trop s'attendre donc pas toujours raisonner ainsi :
que l'homme agisse conséquemment : Une telle chose est si absurde, si
de plus on s'imagine, pour l'ordi- basse, si extravagante, qu'un homme
naire , que dès que la justice est sai- d'esprit et de jugement ne voudrait
sie de la cause d'un magicien , il ne pas y faire attention ; et par consé-
peut plus faire de mal. Flnfin , on croit quent il est faux qu'un tel ministre
qu'un magicien n'osera rien entre- d'état s'en soit servi , qu'il l'ait in-
prendre contre ses accusateurs, puis- ventée , qu'il l'ait appuyée. L'auteur
que ce serait fournir des preuves de l'Histoire de l'Édit de Nantes ob-
contre soi-même. serve (i5), qu'il y eut bien des gens
(D) On écrivit au père Joseph qui prirent pour une affaire de religion
que Grandier était auteur d'un libelle In comédie qui fut joute durant plu-
intitulé la Cordonnière de Loudun. ] sieurs années aux ursulihes de Lou-
La raison de ce titre e'tait prise de ce dun. Je crois qu'il veut dire que ces
qu'on faisait parler dans ce libelle la gens-là s'imaginèrent qu'on lit jouer
femme d'un cordonnier. M. Ménage cette pièce , afin de travailler à la
a pris les fadaises dont cette satire est sape de l'edit de Nantes. Il raconte
remplie, pour une forte preuve que agréablement le ridicule des réponses
Grandier ne l'avait point faite (i 1) • que faisaient ces posse'dées. Notez
et il avait ouï dire à M. Bouillaud , qu d dit que Grandier gouvernait
qu'il e'tait constant que Grandier n'e'- le couvent des nrsulines ; mais dans
tait point l'auteur de ce libelle (12). l'errata il avertit qu'il faut dire
M. Bouillaud , natif de Loudun , avait que Grandier visitait quelquefois ces
connu familièrement cet homme (t3). religieuses. Ce dernier fait n'est pas
Voyez dans la Relation imprimée à plus conforme que l'autre à la re-
Amsterdam d 4) , avec quelle adresse lation qu'on a publiée l'an i6g3.
on se servit de cette satire pour per- Voyez-y la page a5 , vous y trouve-
drc Grandier. rez ces paroles : Il est du moins con-
(E) Le cardinal de Riche- stant que ces filles avaient demeuré
lieu s' étant laissé persua<ler.~\ J'ai lu sept ou huit ans à. Loudun , sans qu'il
quelque part qu'il fomenta cette leur eut rendu aucune visite; et, en
farce, afin de faire peur à Louis XIII, Van i63/f, lorsqu'elles lui furent con-
et de le tenir plus soumis à ses des- frontées, il parut qu'elles ne l'avaient
seins, par les contes de sorcellerie jamais vu. Le père Tranquille Vu
dont on lui battait les oreilles. Cela aussi soutenu dans un de ses livres ,
n'est point vraisemblable , quoiqu'il et que le curé ne s'était jamais mêlé
faille convenir que les génies les plus de leurs affaires.
sublimes sont, pour l'ordinaire, ceux Tout à ce moment je me ressou ■
qui négligent le moins les occasions viens que c'est dans le Sorbériana que
qui semblent les plus ridicules et j'ai lu ce que j'ai dit au commence-
les plus absurdes. Je parle de ces n|ent de cette remarque. L'endroit
ids ~
- 7* -
qu'ils connaissent mieux que ne font hardemont (r6) s'en scandalisa, et
les autres hommes tous les usages décréta contre Quillet , qui, voyant
que l'on peut faire d'une vétille ; que toute la momerie était un jeu que
c'est que la faiblesse du genre hu- le cardinal de Richelieu faisait jouer
main leur est plus connue: ils savent pour intimider le feu roi (17) , qui
mieux ce que l'ignorance et la fai- naturellement craignait fort le dia-
blesse des uns , et la malice des au- Me , jugea qu'il ne faisait pas bon
fn) Granderii non ece toi inepties quibus (i5) Tom. II, Iw. X, paç. 538, à Vann.
scalet arguant [item, ibid. i634.
(12) Ménage, Remarques sur la Vie de Guil- (16) Il fallait dire Laubardemont.
laume Ménage , pag. 343. (l,) CeUe expreftion esl mauvaUt . el[e si.
,,( Da ""■"""• pas 34'- *?'»>> Henri IV, et l'intention de l'auteur est
(h; faS. iJ9. de parler de louil XJII
2oo GRANDIER.
pour lui a Louitun , ni en France , nelle rend au démon (ï\) ? Je trouve
et s'en alla en Italie (18). tout-à-fait rares les pensées dû sieur
Naude' confirme ce qui concerne la Séguin.// semble, dit-il ("25), que
disgrâce de ce faiseur de défi. Rap- ce ne soit pas tant un jugement des
portons ses termes. « Duncanet Quil- hommes que de Dieu, qui ait fait
» let s'étant opposés aux fourberies sortir les diables d'enfer pour la con-
» des religieuses de Loudun , celui-là fusion de ce misérable , car c est une
y> en fut réprimandé et menacé de chose admirable comme les démons se
» belle sorte par le cardinal de Ri- sont élevés contre lui , et l'ont ccn-
x chelieu , et celui-ci fut contraint traint de reconnaître qu ils étaient ses
» d'aller servir le marquis de Cœuvre accusateurs. Je laisse à jugera la
» à Rome (19). » Sorbonne si l'on a dû recevoir les
(F) Les juges furent tous choi- causes de récusation contre eux , par-
sis par les ennemis de Grandier.] La tant de la part de Dieu , et donnant
remarque que M. Ménage fait sur cela des marques évidentes de la vérité
me paraît digne d'être copiée : // est qu'ils étaient forcés de dire. On alior-
a remarquer , dit-il (ao) , qu'il n'f a reur quand on pense que des juges
point d'innocence h l'épreuve du choix chrétiens trouvèrent nulles les causes
des juges: qu'on donne le choix des de récusation fournies contre de sem-
juges a un accusateur, il fera briller, blables témoins : car il est de foi
par des juges molinisles, tous les qu'ils sont les pères du mensonge. Il
évéques jansénistes , et par des juges ne servirait de rien d'alléguer que la
jansénistes , tous les évéques moli- force des exorcismes les empêchait
nistes. Voilà matière à réflexion (21). de mentir : on avait fait depuis peu
Le procureur delà commission, nom- l'expérience du contraire. Le second
mé Deniau , conseiller au présidial procès verbal porte (26) , que tant
de la Flèche, a fait un traité delà aurait été, et si continu ement pro-
possession des religieuses de Loudun cédé aux exorcismes , tant auraient
(22), pour soutenir le jugement des été faits de jeûnes , d'oraisons et de
commissaires. pj-ières , que le maître diable et ses
(G) Sur la déposition d'Astaroth.'] associés , après avoir promis de f rap-
Cela se recueille du second procès per le magicien si violemment et en
verbal des exorcistes (a3). Il y eut telle partie de son corps, que la place
trois possessions : durant la première serait aussi visible que sensible, et
les diables , hormis un , refusèrent de encore après avoir reconnu qu il ce-
se nommer ; ils se contentèrent de dait a la toute-puissance de Dieu , et
répondre qu'ils étaient ennemis de déclaré qu'il se retirerait de ce mo-
Dieu. Durant la seconde et la troisiè- nastère pour toujours; enfin serait
me, ils se firent connaître parleurs sorti, le i3 octobre 1682, du corps
noms et dignités, et ils accusèrent de ladite supérieure, et signifié sa
nommément Grandier. Il est à remar- sortie par sept flegmes qu'elle aurait
quer qu'ils répondaient en français^, jetés fort loin par sa bouche : serait
encore que les exorcistes leur parlU- aussi soiUi du corps de sœur Claire ,
sent en latin. Mais il est incompara- le démon qui la possédait , et ensuite
blement plus digne d'observation, les religieuses se seraient trouvées
que leur témoignage ait été reçu en sans inquiétudes , leurs lieux sans in-
iustice, et qu'il ait servi de preuve festation, et tout le monastère en
dans un procès où l'on condamna sainte paix. Mais ils ne tinrent point
l'accusé à être brûlé tout vif. Ignorait- leur promesse , ils puèrent les exor-
onle témoignage que la vérité éter- cistes ; dès le 20 de novembre de la
même année i632, la plupart des re-
(18) Sorbenana , Vocr Qm\\et, pag. m. 17a. ligieuses se trouvèrent inquiétées et
(ki) Naudé , Dial. de Mascurat, png. 3m. infestées des malins esprits (27).
(ao) Ménage , Remarques sur la Vie de Guil-
Jaunie Ménage, pa$. 34a. fj/> Évangile de saint Jean , chap. VIII ,
(31) Voyez quelque chote d approchant dans ,',
la remarque (B) de Varliçle Montàicu (Jean), ',?.'„ r. • vr „„»■ „~~
y ( ) Mercure Français, loin. AA , pag. 777,
(ai) Ménage, Remarques, etc., pa-;. 34a- ",« r- - c
(a3) Dan, le XXe. volume du Mercure Fran- ('6) La même, pag. 7b!.
çais , pag. 760, 76a. (■>',) La même, pag. 76a.
201
(H) Le manuscrit par lui com-
posé contre le célibat des prêtres.]
GRANDIER.
Il avoue néanmoins (34), qu'il a ouï
dire à La supérieure des ursulines «le
Loudun, que lorsqu'elle fut délivrée
des démons qui la tourmentaient, un
M. Ménage, qui a oui dire a M. Bouil-
lautl au il n'y avait point de preuve «
nue Grandier eût fait ce livre (a8,i , ne ange grava sur sa main Jésus Maria,
disconvient pas qu'il n'eût été trouvé Joseph , F. de Salles, et quelle lui
parmi ses papiers (09). Il ajoute que montra sa main sur laquelle ces mots
ce livre n'était pas mal fait; qu'il étaient en effet graves, mais lege-
' renient , et de la façon que sont gra-
vées ces croix (*) qu'on voit aux bras
des pèlerins de la Terre-Sainte. Il
lui a ouï dire de plus , que cet ange
grava premièrement au haut du dessus
de sa main le nom de François de
Salles, que ce mot se baissa pour faire
place par honneur a celui Je Joseph
et. il celui de Maria , et qu'ils se bais-
sèrent ensuite tons trois pour faire
place a celui de Jésus II a bien fait
de ne dire pas en propres fermes,
médecin n'a pas tort de dire (3o), que ^ji prenait cela pour des impos-
ée livret donne soupçon que Grandier tures . son lecteur le comprend assez.
était marié. Notez , poursuit-il , qu'il jyja^s jyj de Monconis (35) ne laisse
est adressé à sa plus chère conçu- aucunlieu de douter de la foui herie ;
bine , le nom de laquelle partout est c'esj pourquoi il ne sera pas hors de
supprimé, aussi-bien qu'au titre.... Je prop0s de rapporter ici ce qu'il on
ne puis vous dissimuler, continue-t- jjt jj avia volr cette supérieure des
il, que ce traité m'a semblé très-bien urSulines le 8 de mai i64?>, et comme
fait, et bien suivi jusqu'à la conclu- ej]e se fa attendre au parloir plus
d'une grosse demi-heure, il soup-
çonna quelque artifice. 11 la pria de
lui montrer les caractères que le dé-
mon qui la possédait avait marqués
sur sa main lorsqu'on l'exorcisait (36):
elle le fit; il vit en lettres de couleur
de sang, surledosdelu main gauche,
commençant du poignet jusqu'au petit
pas
était adressé à une femme, et qu'il
finissait par ces vers :
Si ton gentil esprit prend bien celte rcience,
Tu mettras en repos ta bonne conscience.
Il avait sans doute appris cela de la
lettre du sieur Séguin , médecin de
Tours , insérée dans le Mercure Fran-
çais ; mais peut-être n'aurait-il pas
dû supprimer ce qu'on y trouve , que
Grandier avoua à la question qu'il
avait composé ce petit ouvrage. Ce
sion qui cloche véritablement et qui
découvre le venin. Il n'y a rien qui
tende a la magie; et semble plutôt
que V on en pourrait induire le con-
traire , s'il n'y en avait d'ailleurs des
preuves suffisantes. 11 s'était servi
peu auparavant de ces termes : C'é-
tait au reste un esprit fort résolu , et
qu'on peut dire fort , et tel que M. le "J^'f„t j Je'sus, au-dessous , tirant' vers
président m'a dit avoir admiré sur la l'épaule, Maria, plus bas Joseph, et
plus bas a la quatrième ligne , F. de
Salles. Flic lui dit toutes les méchan-
cetés du prêtre Grandier, qui avait
été brillé pour avoir donné le malé-
fice au couvent ; et comme un magis-
trat de la ville, duquel il débauchait
la femme , s'en était plaint a elle , et
que de concert ils l'avaient dénoncé,
nonobstant les fortes inclinations que
ce malheureux* lui causait par ses sor-
tilèges , dont la miséricorde de Dieu
Mette , et regrettait sa perte. L'o-
raison funèbre de Scévole de Sainte-
Marthe, faite à Loudun, par Gran-
dier, est imprimée parmi les OEuvres
de Sainte-Marthe (3i).
(I) M. Ménage.... traite de chimé-
rique la possession de ces religieuses.]
Il trouve fort vraisemblable (32) qu'el-
les n'étaient tourmentées que de suffo-
cations de matrice, et il dit (33) que
Grandier mérite d'être ajouté au cata-
logue de Gabriel IVaudé, des grands la préservait . Enfin M. de Monconis
hommes accusés de magie injustement. pril conoé d'elle, et souhaita de re-
(18) Remarques , pag. 34?.
(29) Dans {'Histoire rie l'Kdit île Nantes , loin.
Il , pag. 538 , on insinue que Grandier avait
publie' cet écrit.
(30) Mercure Français, loin. XX , pag. ^9.
(3i) Ménage , Remarques, pag. 34<">-
(3îi In Vita Guill. Menagïi , pag. 81.
(33) Remarques, pag. 3<9-
(34) La même , pag. 344-
(*) Voyez Thévenot , chap. XLVI de soi)
Voyage du Levant.
(35) Voyage* , lTC partie , pag. 8 et 9.
(36) Selon IU. Ménage, ce fut un ange qui
grava ces caractères , lorsque la possestion
cessa.
202 GRANDIER.
voir sa main, quelle lui donna fort comme la première fois, qu'on ne
civilement au travers de la grille : il pouvait plus traiter avec lui sans le
.lui fit remarquer que le rouge des su de la supérieure. Alors ce spectre
lettres n'était plus si vermeil que devint tout-à-fait semblable à Gran-
?uand elle était venue; et comme il dier : Il parla d'amourettes à la reli-
ui semblait que ces lettres s'écail- gieuse , la sollicita par des caresses
laient, et que toute la peau de la aussi insolentes qu'impudiques :
main semblait s'élever, comme si c'eut elle se débat, personne ne l'assiste;
été une pellicule d'eau d'empois des- elle se tourmente , rien ne la console ;
séchée, avec le bout de son ongle il elle appelle , nul ne répond ; elle crie,
emporta, par un léger attouchement , personne ne vient ; elle tremble , elle
une partie de la jambe de V Al , dont sue , elle, pâme, elle invoque le saint
elle fut fort surprise , quoique la place nom de Jésus , enfin le spectre s\:va-
restdt aussi belle que les autres en- nouit. J'avoue à M. Me'nage que cela
droits de la main. Il fui satisfait de est assez propre à disculper son Ur-
cela. Je n'en doute point : c'était un bain Grandier quant à la magie, mais
tre'sor inestimable pour un homme non pas à le justifier à d'au très égards,
comme lui , que la découverte d'une N'aurait-il pas pu , sans que le diable
si grande forfanterie, qui avaitinfatue' Cédonlui ouvrît la porte (4; 0, gagner
tant de gens. La nouvelle Histoire la portière, et s'introduire dans la
des Diables de Loudun vous appren- chambre de la religieuse en faisant
dra que, lorsque les rides de la vieil- l'esprit, et en se couvrant d'un mas-
lesse eurent rendu la main sèche et que qui ressemblât le feu directeur.
décharnée , les drogues qu'on em- Le narre' de la religieuse sent fort
ployait pour refaire ces noms ne pou- l'accomplissement de l'acte vénérien.
vant plus les imprimer , la bonne M. Ménage dit aussi (4-3) qu'aucune
mère dit alors que Dieu avait accordé personne de bon sens ne pourra croire
a ses prières, de laisser effacer ces que Grandier ait eu le pouvoir de dis-
noms , qui étaient cause de ce que poser des démons h sa volonté , pour
quantité de gens venaient la troubler, les envoyer tourmenter des filles in-
V importuner, et la distraire souvent nocentes et consacrées h Dieu Enfin
de ses actes de dévotion (3^). Vous y il loue la prudence et la justice de
trouverez aussi que Cérisantes avait Louis XIV, « qui a arrêté le cours
l'industrie de marquer un nom sur sa » des procès criminels contre ceux
main (38) , et que les filles de la reine » qu'on accuse de magie et de sorti-
se moquèrent , l'an i65a, des gravures » lége , ayant commué la peine de
des insulines (3g). » mort en bannissement, à l'égard
(K).... On dirait même qu'il a voulu » de plusieurs particuliers condam-
combattre en général tout ce qui se » nés par arrêt du parlement de
dit des magiciens.) En effet, il se » Rouen à être brûlés, comme cou-
moque de là première scène de cette » pables de ce crime, et ayant ensuite,
horrible tragédie , et il en tire des » par arrêt de son conseil d'état du
preuves pour la justification de Gran- » 26 avril 1672, ordonné que par
dier. Cette première scène consiste » toute la province de Normandie,
en ce que l'une des religieuses , repo- » les prisons seraient ouvertes à toutes
sant durant la nuit sur son petit, mais » personnes qui y seraient détenues
très-chaste grabat (40), aperçut un » pour raison des mêmes crimes, et
spectre qui ressemblait à leur défunt » qu'à l'avenir celles qui en seraient
confesseur, et qui avoua que c'était » accusées seraient jugées selon la
lui, et qu'il revenait pour commu- -> déclaration que sa majesté promet
niquer des lumières fort singulières. » par cet arrêt d'envoyer dans toutes
La partie fut renvoyée au lendemain » les juridictions de France , pour
à pareille heure : le spectre ne man- >» régler les procédures qui doivent
quapas de revenir ; on lui répondit, » être tenues par les juges dans l'in-
/•> \ vi* » - i r\- ui j t j ic (40 On prétend qu'a la troisième pos.teç-
(3") Histoire cle-. Ihahles de l.oiiiliin.ofle. ûfH). ■ .1 ■. ' ,
y' ' <r s 1 j siun ,1 entra nuitamment rar une porte ,/ue ce
(i8) La même , pag. 3g4- ,/„./-(<• lui avait ouverte. Mercure Français-, lo,n,
(3o) Va même. XX. pag. 'fil .
(4o) M( rcure Français, loin. XX, pag. 749. (4'0 Remarques, pag. 34>>
GRA1NDIER.
203
» struction des procès de magie et taré : on y explique les passions par-
» de sortile'ge. » ticulières et personnelles qui inspirè-
(L) Ce serait se tirer d'un em- rent cette étrange momerie ; et , >i
barras par un autre.] Il est certain l'on en croit Fauteur de la relation ,
que les philosophes les plus incré- la supérieure n'a pas été un seul mo-
dules et les plus subtils ne peuvent ment dans la bonne foi.
n'être pas embarrasses des phéno- (M) Les grands vacarmes que l on
mènes qui regardent la sorcellerie, fit contre le père Coton. \ Il marqua
Mais à L'égard de Grandier, je ne sais sur un morceau de papier diverses
pas si l'on ne pourrait point dire ce choses sur quoi il voulait questionner
que dit Olympias, en voyant une une possédée. Entre autres questions ,
maîtresse de son mari qu'elle trouva
extrêmement belle et spirituelle ,
qu'on ne l'accuse plus de sorcellerie ,
tous ses enchanlemens sont dans sa
personne (43). Le cure' de Loudun
était bel homme , propre , beau par-
leur ; c'était apparemment la magie
avec laquelle il mettait en tentation
la supérieure des ursulines (44) , et
faisait souffrir des ardeurs violentes
et sales aux religieuses (45). Le vœu
de continence et la dévotion ne pou-
vant pas chasser ce désordre , on
s'imagina qu'il était surnaturel. Cette
pensée épargnait à l'amour-propre la
confusion de garder long-temps une
mauvaise passion naturelle : on se
crut donc ensorcelé , toute la machine
se détraqua, et il fallut, pour l'hon-
neur de cette communauté que les
premières avances ne fussent pas ré-
tractées. Il n'y a rien de plus dan-
gereux pour les personnes qui croient tare (4g) ? s'il y avait en enfer
que leur bonne réputation est néces- des personnes qui eussent fort goûte
saire à l'église , que de s'engager dans l'amour divin sur terre ? Le démon
il proposait,celle-ci : Quel est le pas-
sage de ^Ecriture le plus propre à
prouver le purgatoire (46). Ceux de la
religion s'accordèrent avec un grand
nombre de catholiques à crier contre
cette impie curiosité, et. â insulter
tant le père confesseur de Henri IV,
que tout l'ordre des jésuites. Il est
pourtant vrai que ce confesseur ne
faisait que suivre l'usage ne. son église,
si vous exceptez quelques questions,
qu'il voulait qu'on fît touchant des
faits politiques. L'exorciste de Lou-
dun ne demandait-il pas au diable
(47), quelle était la meilleure voie par
laquelle la créature qui s'est égarée
de. Dieu peut retourner a lui ? Ne lui
demandait-il pas (48), si, depuis sa
chute , il n'avait jamais goûté les dou-
ceurs de V amour divin , et quel
est le plus fort de tous les liens qui
tiennent l'homme attaché a la créa-
îgage
une fausse démarche. Cette supérieure
des ursulines a pu être dans la bonne
foi au commencement ; mais elle n'y
était plus quand elle reçut la visite
de Monconis : cependant il fallait
continuer la comédie afin de sauver
le passé. Ceux à qui la carte de la
petite ville de Loudun eût été parfai-
tement connue , au temps que ces
diableries commencèrent , eussent pu
les expliquer beaucoup mieux qu'on
ne pourrait faire présentement.
Peu de mois après avoir composé
ce qu'on vient de lire , j'appris qu'un
homme de ce pays-là faisait imprimer,
à Amsterdam , une relation exacte de
cette aventure. J'y ai trouvé la con-
firmation de ce que j'avais conjec-
(43) Voyez la remarque {Y) de l'article Apu-
ItK, ou \eci(e les paroles grecques de Plutarquc,
loin II . pag 21H.
(44) Monconis, Voyages , lre. partie, pag. g.
(4">) Mercure Français , loin. X Y, pag. 7G1.
répondait amplement à ces demandes,
et découvrait même plusieurs secrets
de sa politique , et les moyens de la
renverser. Ce n'est pas seulement à
Loudun que de telles choses se sont
pratiquées : elles sont du style cou-
rant des exorcistes , comme les théo-
logiens protestans le reprochent aux
catholiques romains (5o). Ainsi la
(46) Thuan , Hist. , lib. CXXXIT, pag.
io53 , ad ann. i6o4>
(47) Hist. ries Diables de Loudun, pag. 371.
(48) Là même , pag. î-]2.
(4g) Là même, pag. 3-j3.
(5o) Si qui* attente legerit nupera exorcista-
rnm scripla , ul monacki Michaèlis , historiam
Ludovici Gaufridicl obsessarum mulierum, non
salis uni an poicrit impietalem et stolidilaleia
hominum , qui judicium conlrovertiarumfidei à
dannonibus exposcunt , eos finçunl panilenliœ
prœduatores , eos adigunt , ul pièces ad Peum
fundanl, el onuua religionis et pietatis exlerna
munia obranl Hcideggeros , Dissertât, selectar.
Tt iacade, pa;;. qS Voyez ausii Voclius, Disput.,
tout III, pag. Ù21, Ga3.
5>.04
GRAPALDUS.
haine particulière que l'on avait » posse'de' ou obsédé presque tout lu
contre les jésuites fut cause que l'on » reste de sa vie. »
déclama contre une conduite du père
Coton , laquelle on laisse en repos GRAPALDUS ( FraW0IS-Ma-
quand d'autres s'en servent Je ne Ru;s) savant homme, a vécu au
parle point des protestans. Un ne yç.y ., . T) , . '
guérira jamais le vice de l'acception ■&■* * ■ siècle. Il était de Panne ;
des personnes. et lorsque sa patrie , après avoir
(N) Je rapporterai deux choses, dont été délivrée du ioup- des Fran-
l' une est fort surprenante.] Je ne les „ • „„ f„» _„ ■ 1» v •■
■ J ' i i Ju a~ m Çais5 se tut remise sous I obeis-
connais que par les extraits de M. ° i t 1
Cousin. Voici ce que j'ai lu dans son sance de Jules II, il fut choisi
Journal des Savans , à l'endroit où il chef de l'ambassade qui fut en-
fait mention de la vie du père Seu- voyée à ce pape (a). Son éloquen-
rin (5i). A l'occasion des combats Ce et sa belle taille le firent choi-
donnes par ce père aux démons, 1 au- . , . .
leur de sa vie (5a) prouve fort au sir Pour cet emploi {b). Il ha-
long la vérité de la possession des rangua très-bien Jules II , et il
religieuses de Loudun, surtout par le publia des vers sur la matière
témoignages deux des plus grands ■ avak été jfi • de ga h
esprits de ^siècle. L, un est te cardi- L T >
nul de Richelieu , qui envoya a Lou- gue- Le PaPe le couronna de sa
dun des exorcistes entretenus aux dé- main avec beaucoup de solenni—
pens du roi, et l'autre le milord de té dans le Vatican *. Grapaldus,
Montaigu qui , avant vu sortir les
démons du corps de la Mère des An-
encourage par cette couronne
poétique, se mit à faire beaucoup
de vers , qui ont été imprimés
(c). L'ouvrage qui a fait le plus
ges , en fut parfaitement convaincu ,
et en entretint Urbain f^IU , lors-
qu'il abjura l'hérésie , et fil profes-
sion de la foi catholique entre ses ». * i •
,„„• r„ J. • m->a ,r~- j;,„ „<.f paraître son érudition est celui
mains. Le que je m en vais dire est i ,
beaucoup plus singulier. On y verra OU il explique toutes les parties
un homme qui a été la rançon de d'une maison (A). Il mourut d'u-
Jésus-Christ corps pour corps, c'est- ne rétention d'urine , à l'âge de
a-dire qui , pour le tirer des mains • „ i_ • , , ■. °
du diable
plus de cinquante ans (d).
(a) Jovius , in Elogiis , cap. LXTI.
(b) A pnvstanti facundiâ et insigni corpo-
ris proceritate legationis princeps. Idem ,
ibidem.
* On peut voir les détails de cette céré-
monie , dans le Journal de Paris de Grassis,
dont Bréquigni a publié un extrait dans le
>> pour obtenir la délivrance du corps tome II des Notices des manuscrits de la
» de son maître , et consentit que le Bibliothèque du Roi.
s'est livré lui-même au
démon. Lisez ces paroles du journa-
liste (53). « Au temps auquel le père
» Seurin exorcisait les possédés de
» Loudun , les démons déclarèrent
3> que deux magiciens s'étaient saisis
}> de trois hosties pour les profaner.
» Le père Seurin se mit en prières
w sien propre fût mis au pouvoir des
3) démons pour le racheter. Les offres
m furent acceptées , et l'échange exé-
» cuté. Les démons tirèrent les trois
» hosties d'entre les mains de leurs
(c) Ex Jovii Elogiis , cap LX11.
(d) Idem , ibidem.
(A) L'ouvrage qui a fait le plus
paraître son érudition est celui où il
» suppôts , et les mirent au pied du parle de toutes les parties d'une mai-
» soleil du saint sacrement qui était son.] Paul Jove en juge ainsi fort
» alors exposé , et l'un d'eux entra sainement. Sed multo uberilis , dit-il
» dans le corps du père, qui demeura (i) , et latius ingenii famam propa-
gavil , edito libro de partibus œdium ,
(5t) Journal des Savans, <lu 9 mai 168g, pag. (,n0 per nptimas disciplinas perorna-
Jl/t,wM"''Ifi','"'"'M ■ n i„ tum dilisenti culture, ingenium de-
(5ï) il .» apprlle Henri-Marie Konrlon. 9 o
(53) Journal drs Savans , duinoisde mai 1G89,
pas- 3'0- (') J0V1US > <" E'ogiis, cap. LXIl.
G 11 ASSIS. ao5
monstravit. Cet ouvrage a été' impri- que celui qui, au commencement
mé plusieurs fois. La première édi- du seizième siècle, fut maître des
tion est celle de Parme, chez Antoine , ,. ,
Quinlianus. Je n'en sais point l'année ; cérémonies .sous plusieurs papes,
je sais seulement que l'auteur en fit et eveque de Pesaro , et frère du
faire une seconde sept ans après : elle cardinal Achille de GrASSIS. On
était plus ample que la première (a). cita son Journal * Jans les écrits
Gesner n indique que les éditions de . « c . , ,•..
Bâle,i533 et .54i,L-4°. Celle dont je 4U1 furent faits sur la dispute
me sersestde Dordrecht, 1618, in-é°. de la préséance entre la républi-
que de Venise et le duc de Sa-
{,) Voyez l'avis au lecteur. ^ ( ^ g^ Cérémonia] est
GRASSIS ( Paris de ) mérite imprimé , et l'on en fait cas
beaucoup de blâme * pour l'im- (c)- U témoigna un grand zèle
posture qu'il fit au public. Il contre un plagiaire , car c'est de
composa l'épitaphe d'une mule lui Hue M- le président Cousin
(A), et la fil graver sur une pièce Parle dans le passage que l'on
de marbre , qu'il cacha ensuite verra ci-dessous (D).
sous la terre, dans sa vigne. Au «r r , , „•,• « ,
' o * Ce Journal , le plus important des ou-
bout de quelque temps il donna vrages de Grassis, n est point irapr
irime ; mais
Ordre qu'on plantât des arbres on en trouve de longs passages dans les ^u-
■ . * , * , r . nales ecclésiastiques de Odéric Rainaldi ; et
au lieu OU Ce marbre était en- Bre'quigni en a donne' des extraits dans le
terré ; et quand on lui vint dire tome II des Notices des manuscrits de la Bi-
la découverte qu'on avait faite de bllf'é9ue d"™i.
.T. . (b) Voyez G-raswinckel , de Jure Fraece-
cette inscription, il la donna pour dentiœ, paS. 263, 320, 329.
une chose qui avait été prédite (c) y°Jez Naude'- Bibliographie polit. ,
touchant sa mule. Un ne ht qu en
rire pendant quelque temps , (A) II composa l'épitaphe d'une
et l'on ne tint pas grand compte mule.] Il supposa qu'un Publius Gras-
de cette pièce de inarbre; mais sus avait dressé ce monument à sa
,1 . 'ni mule. Dis pedibus saxum est le com-
après plusieurs années elle de- raencement de cette inscription.
vint considérable , et passa pour (B) Cette épitaphe passa pour
une antique dans l'esprit de une antique dans l'esprit de bien des
bien des gens (B) : de sorte que «*»/ \ U,. Ve™ MaHUon assure
„, ,? v i . t , j1 Vins eruditts nonnitlUs fucum jectt,
1 bornas Porcacchi a insère dans dit_u (l) ? opinantibus id esse anti-
un livre cette épitaphe, comme quum Thomas Porcacchius inter
une pièce légitime et venue de alios hoc epitaphium pro genuino et
l'antiquité (a). Paris de Grassis antiquohabuitinlibrofunerahum:
, 1 , 1 • ■ t t anmo Alexander vil in ad\ersarus
n est pas le seul qui ait tendu de suis nntat id repertum fuisse prope
cette sorte de pièges aux anti— Sanctum-Petrum. Il nous apprend
quaires(C). Je crois, pour le dire que Sébastien Maccius a rapporté
en passant, qu'il est le même £histoîfe,î}e cet^P^™ ' Ti
* ' ^ Recueil d Inscriptions antiques, qui
se trouve en manuscrit dans la hi-
*Ce ne serait tout au plus qu'une plai- hliothéque du cardinal Chigi. Mac-
sauterie, dit Leclerc, qui soutient ensuite • . •. „ i„ ji a„„;i,„i II,,.
p. ... -. •. r l • - t 1 cius tenait cela d Annibal ne Orassis,
que 1 inscription n était pas fabriquée. Joly, , „ , T ,. . . *
tout en rapportant les raisonnemens de Le- eveque de Jaccentia (2).
clerc , dit que tout est plein de fausses in-
scriptions et défausses médailles. (0 Mabillon , in Mus.-eo Ital.co, tom. I, pag.
(a) Ex Musaeo Italico Mabillonii , tom. I, * '(jj jjt Maccius refert ex Annibalc ,1e Grassi*
pag- 170. Bononieint Jaccentia episcopo. Idem, ibid.
2o6
GRASSIS.
(C) Il n'est pas le seul qui ait tendu bendos tradit , ipsa vero marmora ,
de cette sorte de pièges aux anti- tanquam sanctiora KupÛKt* , in gazo-
quaires.~\ Je ne rapporterai qu'un phylacio religiosè servat (5) . H y en
exemple de pareilles impostures , a qui disent que Cajado par cette
quoiqu'il soit facile d'en compiler fourbe espéra de s'insinuer dans les
un grand nombre. Le 9 d'août i5o5, bonnes grâces du roi, et d'en ex-
on trouva trois pierres , proche le croquer quelque argent. Posteh ta-
cap de Roco de Sintra , dans le Por- men compertum eosdem conjictos et
tugal. Il y avait sur ces pierres une impositos fuisse à quodam Hermo
inscription latine en vieux carac-
tères , qui contenait une prophétie
La voici :
Sibylla valicinium occiduis decretum ,
Volvenlur .taxa litteris , et ordine redis,
Chm videas Occidens Orientis opes.
Ganges, Indus , Tagus , eril mirabile visu ,
Merces commutabit suas , ulerque sibi.
Soli œlerno, ac Lunœ decretum.
Cajado Lusitano , qui illos marmo-
ri inscripserat , dejoderalque ut situ
hùmoreque terrœ aliquantulum de-
formati , l'etustatis indicium exhibè-
rent ; rursùsque per mercenarias ope-
ras refoderat , ut hoc tam nobili alque
peregregio anliquttalis monumento ,
régis (Lusitaniœ , Emmanuelis) gra-
tiam , avide in Orientis opes intenti
On prit cela pour un oracle de si- pecuniamque aucuparetur : ut testan-
bylle (3) , et il y eut des savans qui tur Cœsar Orlandius et Gaspar Bar-
s'exercèrent à l'explication de ces reiius , quos refert Ortelius in Thea-
vers ; mais enfin on découvrit que tro magno , tab. 5 novi Orbis , et ab
Cajado, poète portugais, en était l'au- eomutuatus Malvenda,lib. 3 de An-
teur, et que c'était lui qui avait en- tichristo , cap. 16. Torniellus in An-
terré ces pierres, et qui avait pris son nalibus , 2 tom. anno mundi 3o43 ,
temps pour les faire déterrer. Frau- nu m. 7, pag. 48 {6).
devi detexit Caspar Varrerius : Sci- (D) C'est de lui que M Cou-
licet , quo tempore Emmanuel Lusi- sin parle dans le passage que l'on
laniœ rex , per Vascum Gamam , na- verra ci-dessous.] « Christophe Mai-
vigationes in Indiam Orientaient fe- » cel , nommé à l'archevêché de Cor-
liciter tentdsset : Ulyssepone vixit » fou , ayant recouvré une copie du
Hermicus Cajadus , poêla celebris , » livre qu'Augustin Patrice avait
Angeli Politiani discipulus (4) : hic » composé sous le pontificat d'inno-
tria marmora litteris anliquis , hoc va- » cent VIII, des Rites de l'église ro-
ticinium continenlibus , incidi , et clam » maine , le fit imprimer à Venise,
circa oppidum Syntra, leviter terra » l'an i5i6, et le dédia à Léon X,
tesi curavit. Postquam vero , tractu » sans faire mention d'Augustin Pa-
temporis , aliquani antiquitatis spe- » trice, son véritable auteur, qui avait
ciem conlraxissent , amicos quosdam, » été maître des cérémonies à Rome,
in villa sud, circa quam hœc mar- » depuis le pontificat de Pie II, son
mora occultala erant, convivio ex- » oncle, qui lui avait donné le sur-
cipit ; quibus strenuè epulantibus „ nom de Picolomini, jusqu'à celui
nunciat villicus, fossoi'es marmora
ignotis litteris inscripta, invenisse,
procul dubio thesaurum eo loco de-
Jbssum esse. Advolanl ovines , inve-
niunt lapides , miranlur valicinium ,
non sanefoliis in>criptum ■■ Rex , hu-
jus fraudis con.scius , stuporem ta-
it d'Innocent VIII , sous lequel il
» corrigea le Pontifical romain , et
» composa ce Cérémonial. Paris de
» Grassis , qui exerçait la charge de
» maître des cérémonies sous Léon
» X, n'eut pas sitôt vu l'édition de
» Venise , qu'il s'en plaignit à sa
jnen simulât , versus aulicis descri- » sainteté comme d'un attentat qui
» ne pouvait être expié que par le
(3) Hos versus Sibrllinos esse Valenlinus
Moranus , Jacobus Navarck , Ferdirtandus
Lopez in suis historiis Induv OtiriKalis , sibi
et aliis persuaseranl. Jo. Eiuebins Nicrrmber-
gim, de Origine Sacra: Scripturte, lib. III, cap.
III, apud Voetiuni , Disputât., tom. IV,
pag. <'x/,.
(4) Nicolas Antonio , Bibliotli. Iiispan. , tom.
7, pag. 433 , dit que Cajadus , a son arrivée en
Italie , trouva que Politicn était mort.
» feu qui consumerait les exemplai-
« res et l'auteur. Le pape , qui avait
» donné son privilège pour cette édi-
(5) Montaniis , Légat, belg. si) Japan. , pag.
i5, apud Lomeierum de Bibliotb., pag. 360, 367.
(6) Nicrrmhrrgius , de Orip. S. Script., lib m
II f, cap. III, apud Voetium, Disput. , tom.
IV , pag. 6(J6.
GRASSIS.
x> tion , fit semblant de prendre feu
» sur ce que lui remontra ce zélé
» maître des cérémonies, et ordon-
» na une congrégation pour cxami-
» ner l'affaire. Mais, quelque dili-
» gence que fît Paris de Grassis, il
» ne put empêcher qu'on ne vît
» bientôt plusieurs nouvelles édi-
« tions de ce livre à Cologne et ail-
» leurs (7).»
Voilà ce qu'on trouve dans l'ex-
trait que M. Cousin a donné du se-
cond volume du Musœum Italicum.
Pai consulté ce second volume de-
puis la première édition de mon Dic-
tionnaire , et cela m'a fait sentir
qu'Ovide assure avec beaucoup de
raison que l'on boit plus agréable-
ment à la foutaine.
Gratais ex ipso fonte bibuntur ar/uœ (S).
J'ai trouvé que la passion de Pilris de
Grassis contre l'archevêque de Corfou
ne venait pas tant de ce qu'on s'attri-
buait un livre qu'un autre avait com-
posé , que de ce qu'on divulguait des
cérémonies qui devaient demeurer ca-
chées, et qu'on les divulguait même
avec des altérations. Il expose dans
une lettre adressée à LéonX (9) , qu'il
est maître des cérémonies depuis
près de seize ans , et qu'il se croirait
blâmable , s'il souffrait tranquille-
ment qu'elles fussent corrompues et
publiées, et que l'on ôtât à ses pré-
décesseurs la louange qui leur con-
venait. Il ne dissimule point que
l'un de ses griefs consiste en ce que
la publication de ces choses en di-
minue la vénération , et fait mépri-
ser ce que le voile du secret et du
mystère rendait vénérable. Quemad-
modùm justi. cujusque principis est
curare, ne quisquam suo jure frau-
dai nr : ita , si diligenter inspexeri-
mus , ad quempiam alium non magis
spécial quant ad romanum pontifi-
cem , ne sacrœ suœ ceremoniœ nuicu-
lentur, neve aliqud in parte alteren-
tur, ac prœsertim ne corrumpantur :
sed. et quod omnium principum est ,
ne prolatœ in vulgus velut prostitu-
tœ pontifzcalium sacrorum e.ristima-
tio/iem minuanl, Jlocci J'aciant, et
(7) Journal des Savans, du 7 de mars 1689,
pag. 141, 142, e'dit de Hollande.
Ifi) Ovidius , in Epist. ex Ponlo epist. V
9S. 8.
(£),) Ecrite Can i5i-).
207
co nie m nantur (10). Il allègue l'exem-
ple des anciens païens , qui ne vou-
laient point permettre que les mys-
tères des dieux vinssent à la con-
naissance des profanes. Il cite en
Rarticulier la conduite des anciens
omains, et le roi Tarquin qui lit
jeter dans la mer Marc us Tullius,
fiour le punir d'avoir donné à copier
e livre des Cérémonies Sacrées. Notre
de Grassis demanda que le livre de
l'archevêque de Corfou fût brûlé
avec son auteur , ou que pour le
moins l'auteur fût puni comme on le
trouverait à propos. Le pape trouva
raisonnable cette demande, et pro-
mit de la faire examiner dans le con-
sistoire suivant. Hanc epistolam clim
in manibus papee dedissem, legisset-
que libenter et avide , et acceptdsset
rationes et argumenta in eu per me
allegata ; versus ad cardinales ali-
quos , qui sibi forte adhœrebant ,
dixit me ralionem liabere super petilio-
nibus mets , et librum ceremoniarum
nuper impressum omnino comburi
simul cumfaho auclore , sicul postu-
lassent, aut saltem ipsum auctorem
corrigi et castigari omnino debere
prout prœsenlibus videretur. Itaque
ad primuni consislorium rem et cau-
sant diffeiTe (1 1) . On ne sait point
quelle fut l'issue de cette affaire ;
car il manque quelques cahiers dans
le Cérémonial de Grassis, à l'endroit
où devait être la suite de la narra-
tion (13). Il s'en faut bien peu que
le père Mabillon ne se moque du
grand zèle de Paris de Grassis, et ce
n'est pas sans quelque plaisir qu'il
observe fi3) que le livre de l'archevê-
que de Corfou ne fut point brûlé. Il
dit que les catholiques de bon sens
ne règlent pointleur vénération pour
le pape sur ces cérémonies occultes ,
mais sur sa qualité de chef de l'église.
Il faut pourtant convenir que ce
zélateur du secret ne disait pas sans
raison qu'il était à craindre qu'en
divulguant tout le mystère du céré-
monial de Rome, on ne diminuât l'i-
dée qu'en ont les peuples (î^; car
(10) lVIusaium Italie. . tom. II in Appendice ,
pag. 58S
(.i) rbid.pag.5g->.
(12) Ibidem, m Commenter. , pag. vj.
(i3) Ibidem , pag. vij.
(i4) Quod si sacrorum arcana pandanlur , et
Sacra1 pitblicrittur ceremonia; , illuojuturum est
208
GRASWINCKEL.
c'est la coutume d'admirer bien plus ]a Haye , où l'on voit son épita-
ce que l'on ne connaît pas^que ce pj^ ^ jui <jonne <Je très-grands
éloges.
(A) II l'a témoigné par plusieurs
qu'on connaît. Il paraît même fâché
de ce que le Pontifical était devenu
public ; ce qui , dit-il , est cause qu'au
mépris du sacerdoce, les ce'rémonies
que cet ouvrage contient tombent
tous les jours entre les mains des pro-
fanes , et que les sectaires en ti-
rent de grands sujets de se moquer
de notre religion. Sed utindm etiam
et Ma quœ dixi , secretiora forent et
magis recondita ! Won enim ea quo-
tidiè ad profanas manus in sacerdo-
tii contemptum , nec ad aliénas sectas
in noslrœ religionis irrisionem deveni-
re videremus (i5). Quoi qu'il en soit ,
nous devons dire qu'il s'est trop mis
en colère contre le prélat de Corfou.
Il le charge d'injures; et je ne sais
s'il ne conçut point pour lui autant
d'horreur qu'on en concevait ancien-
nement pour ceux qui avaient divul-
gué les cérémonies des mystères de
Cérès ; gens avec qui l'on n'eût point
voulu s'embarquer , crainte d'être
enveloppé dans la peine qu'ils mé-
ritaient.
Est et fidfli tuta silentio
Mèrces. Velabo , qui Cereris sacrum
Vulgarit arcanœ , sub tisdem
Sit trabibus, fragilemque meciini
Sulval phaselum : stepè Diespiler '
Negleclus , incesto addutd integrum (16).
ul omnis opinio minualur, ul pontificia auclo-
rilas elanguescat necesse est. Muséum italicum,
loin. III , in Append. , png. 589.
(15) Ibidem, pag. 588.
(16) Horat. , od. II , Ub. III.
GRASWINCKEL (Théodore),
natif de Delft , a été un fort sa-
vant jurisconsulte dans le XVIIe.
siècle , et il l'a témoigné par
plusieurs ouvrages (A). 11 était
non-seulement bien versé dans
les matières de droit , mais aussi
dans les belles-lettres et dans la
poésie latine. Son mérite fut re-
connu ; car il eut de belles char-
ges à la Haye (B). La république
de Venise le fit chevalier de Saint-
Marc. 11 mourut d'une apoplexie
à Malines , le 1 1 d'octobre 1666,
âgé de soixante-six ans, et fut
enterré dans la grande église de
«es.] Il publia à la Haye, l'an
un livr
ouvrages.
1642, un livre de Jure Majestatis,
qu'il dédia à la reine de Suède. Il y
établit les principes les plus favora-
bles aux monarques , et les plus op-
posées aux maximes républicaines de
Buchanan. Il prit le parti de la ré-
publique de Venise, contre le duc de
Savoie, dans la dispute de la pré-
séance ; car il publia un livre , l'an
16.^4 ? de Jure prœcedentiœ inter se-
renissimam Venetam Rempublicam
et serenissimum Sabaudiœ ducem ,
où il réfute la dissertation qui avait
paru là-dessus en faveur du duc de
Savoie. Il y avait long-temps qu'il
avait donné des marques de son zèle
pour la république de Venise. Dès
l'an i634, il avait faitune réponse au
Squitlinio , laquelle il intitula, Li-
bertas Veneta , seu Venetorum in se
ac suos imperandi jus. L'an 1662, il
écrivit contre un Génois, nommé Bur-
gus , qui prétendait la même chose
que Seldénus, c'est-à-dire, que la
mer fût soumise non moins que la
terre à l'empire de certains états.
Maris liberi Vindiciœ adversus Pe-
trum Baptistam Burguiu Ligustici
maritimi dominii assert or em , est le
titre de l'ouvrage ( 1 ) de Graswinckel ,
qui l'année suivante publia un pareil
traitécontre Velvodus. J'aivuausside
lui un traité de Prœludiis Justiliœ et
Juris, imprimé l'an 1660, où il réfute
un jésuite portugais (2). Il y joint
une dissertation de Fide Hœreticis
et Rebellibus seruandd. Je n'oublie
point ses Stricturœ aduershs Felden,
ni son commentaire sur Salluste , et
sur un auteur espagnol de Kitâ et
Nece Cassii et Êruii(i), ni sa tra-
duction des Psaumes de David , en
vers héroïques , ni sa version de Tho-
mas à Kempis(4), en vers élégiaques ,
(1) Le Soprani , dans son Recueil des Ecri-
vains de la Ligurie , en parlant de Burgus , dit
que Tliomaso Graseninckelio écrivit contre lui,
l'an 1552. Oldoini a copié celle faute dans son
Atlienieum Ligusticum. C est falsifier le nom et
le surnom de notre Grasvviiicl.il
(2) Nommé Ferdinand Rébullus.
(3) Voyez, tom. IF, pag. iç)4, la citation (5i)
de l'article Brutos (Marc Junius. )
,.|1 De Imilaliuac Jcsu Clirisù.
GRATAROLUS.
ni le poème en vers hexamètres où
il décrit la vie d'André Cantèrus, na-
tif de Groningue, qui fut un prodi-
ge de savoir dans ses plus tendres
années. Il a fait, aussi quelques livres
en flamand : l'Art de bien vivre ;
un Commentaire sur les édits de An-
no nis , et deux volumes in-^°. (5)
de la souveraineté des États de Hol-
lande.
(B) II eut de belles charges h la
Haye.] Il était avocat fiscal des do-
maines des états de Hollande, et
greffier et secrétaire de la chambre
mi-partie , de la part des États géné-
raux.
(5) Ils ont étp imprimés après sa mort , l'un
en 1667, Vautre en 1674.
GRATAROLUS (Guillaume),
savant médecin , a vécu au XVIe.
siècle. Il était né à Bergarne en
Italie, et il quitta son pays pour
s'en aller en Allemagne faire
profession de la religion protes-
tante. Après s'être arrêté quel-
que temps à Bâle, il fut appelé
à Marpourg , pour y être pro-
fesseur en médecine ; mais il n'y
demeura qu'un an , soit que l'air
du pays de Hesse ne lui convînt
pas , soit qu'il eût laissé à Bâle
des agrémens qu'il regrettait
(a). Il retourna en cette dernière
ville, et y mourut quelque temps
après (A) , à l'âge de cinquante-
deux ans. 11 est auteur de plu-
sieurs bons livres (B). On dit
qu'il excellait dans la science
physionomique (b). Bèze lui écri-
vit quelques lettres qui sont im-
primées (c).
(a) Nobilis hune misit Cattis Basilea, sed
anno
Vix semel exaclo rursits eu rediil
Sive qubd Hassiaco non posset vivere
cœlo ,
Sive qubd in volis urbs Basilea foret.
Pelr. Nigid. , apud Frelier. Tlieatr. , 1252.
(b) Tiré de Paul Fréher , Theatr. Vir.
illustr. , pag. 1252.
(c) La XL II'. et la XLVI*.
(A) Il mourut à Bille quelque temps
TOME VU.
209
après.} On assure dans le Théâtre de
Paul Fréher, que ce fut le 6 de mai
i56i , et l'on cite la IVe. partie des
Hommes doctes de Jean-Jacques Bois-
sard *. On eût pu citer aussi le Dia-
rium Hisloricum de Reusnérus. La
nouvelle édition de Vander-Linden
(1) met aussi la mort de ce médecin
à Fan i56î. Konig Fa mise à Fan
1666 , et M. de Thou (2) et Buchol-
cer (3) au 16 d'avril 1 568. Deux pré-
faces (4) , avec quelques opuscules
que G rata roi us , étant à Marpourg, dé-
dia, le 25 d'août i562, au landgrave
de Hesse, prouvent qu'il ne mourut
pas à Bâle le 6 de mai de la même
année. 11 est fâcheux de trouver tant
de différences entre les auteurs à l'é-
gard d'un fait de cette nature, qu'il
serait si facile de savoir exactement.
J'ai^emarqué les mêmes variations à
l'égard de Gifanius. Voyez la remar-
que (A) de son article.
(B) // est auteur de plusieurs bons
livres. ] Voici le titre de quelques-
uns. De Memoriâ reparandd , au-
gendd , conservandd , ac de Remi-
niscentid. La première édition , qui
est de l'an i554 , a été suivie de plu-
sieurs autres (5). De Prœdictione mo-
rum , naturarumque hominum facili ,
exlnspeclionepartium corporis.Prog-
nostica naturalia de temporum mu-
talione perpetud , ordine litlerarum;
de Litleratorum et eorum qui magis-
tralibus funguntur conservandd prœ-
servanddque valetudine ; de uini na-
turd , artificio, et usu , deque omni re
potabili ; de Regimine iter agentium ,
vel equitum , uelpeditum , uel navi, veL
curru seu rhedd, etc., viatoribus qui-
busqué utilissimi libri duo. Il publia
quelques livres d'autres auteurs , et y
joignit quelque chose de sa façon.
Pétri Pomponatii liber de causis oc-
cultorum affectuum , seu de Incan-
tatione , cum prcefatione et glossu-
lis ; Pétri Aponensis libellus de Ke-
nenis ad manuscriptum exemplar
correctus , cui adjecit multa ejus ar-
* Leclerc remarque que , bien que le texte de
Boissard dise : 6 mai i5r>2, le portrait qui ac-
compagne le texte , et qui est sur la même feuille,
dit : obiit anno i5t>6.
(i) De Script. Medic. , pag 3^6.
(Y)Thuan., Ub. XLIII , sub.fin.
(3) Bucholcer. , in Indice chron., p. m. 632.
(4) Imprimées a Strasbourg, l'an 1Ô63, in-S°.
(5J Vide Lindcnium renovatum , pag. 3^6,
377.
'4
GRAWÉRUS.
210
gumenti ut il "ui ; Correctiones et Ad-
ditinnes in Librum Ilalicumfalsb at-
tribut uni Gabrieli Fallopio, cui titil-
las est Sécréta Fallopii. Il fit un re-
cueil de divers traités touchant la
sueur anglaise , et touchant les bains,
et une compilation de plusieurs ou-
vrages d'alchimie (6). On ne lui sau-
rait refuser l'éloge d'avoir eu à cœur
le bien public , puisqu'il a cherché
non-seulement les remèdes qui peu-
vent servir aux. magistrats, mais aussi
ceux qui sont propres à toutes sortes
de voyageurs. Il n'a pas oublié les
hommes d'étude ; il a tâché de leur
fournir des secours et pour la con-
servation de la santé , et pour la con-
servation et l'augmentation de la
mémoire. Un homme qui leur four-
nirait là-dessus ce de quoi ils ont
après il y exerça la charge de
professeur en la même faculté.
Enfin , l'an 1616 il obtint la sur-
intendance du pays de Weimar
(e). Il mourut le 3o de novembre
16 1 7 {f). C'était le plus chaud *
théologien qui se puisse voir ; et
jamais homme n'a écrit avec plus
d'emportemeut que lui contre
ceux de la confession de Genève.
C'est à lui principalement que
les missionnaires recourent (B) ,
quand ils veulent faire voir l'ani-
mosité qui règne entre les deux
communions protestantes. Il
était fougueux non-seulement
besoin mériterait les honneur* di- daus ]es disputes de vive voix
vins dans la république des lettres. „,.,;,. aiisei tfans m ^rr;ts (C
La mémoire y est presque aussi ne
cessaire que la vie
(6) L'mdenius renovatus , pag. 377 , et Paul.
Frelier. , in Theatro , pag. I25î.
* Niceron , qui a donné dans le tome XXXI
de ses Mémoires un article à Gratarole, a omis,
dit Joly, un Trailé De notis Anli-Christi , cité
par Gesner et quelques autres bibliographes.
GRAWÉRUS ( Albert), né à
Mésécow , dans la marche de
Brandebourg, l'an i5y5, a été
fort estimé parmi les théolo-
giens de la confession d'Augs-
bourg. On peut le comparer à
ces soldats de fortune qui , pas-
sant par tous les degrés de la
milice , parviennent enfin aux
premières charges. D'abord il ne
fit que régenter dans la Hongrie
(a) (A); mais lorsqu'Agriaeut été
prise (b) par les Ottomans , il se
retira à Wittenberg , d'où il pas-
sa à Islèbe pour y diriger l'école;
ensuite de quoi il devint doyen
de Mansfeld (c) ; puis il fut reçu
docteur en théologie dans l'aca-
démie de Iène (d), et deux ans
(a) Premièrement à Scépuz , et puis , l'un
i5o,7 , à dissocie.
(b) L'an i5on.
(fi) L'an 1607.
(d) L'an 1609.
mais aussi dans ses écrits (C).
Il sont en grand nombre (D), la
plupart contre ceux de la reli-
gion. Il a aussi écrit contre les
sociniens , et contre l'église ro-
maine.
(e) Ex Spizclio , in Templo Honoris rese-
rato, pag: 3g. Voyez aussi le Théâtre do
Paul Fre'her , pag. 3ç>4 , 395.
(f) Freùer. , Theatr. , pag-. 3g5. Spizé-
lius met l'an 161 6.
* A l'occasion de ce superlatif, Leclerc re-
proche à Bayle d'employer trop fréquemment
ces expressions outrées et , généralement
parlant, toujours fausses , et dit que 1 hy-
perbole est la figure favorite de Bayle.
(A) D'abord il ne fit que régen-
ter dans la Hongrie.] Voilà l'idée
qu'on se formerait , si l'on ne con-
sultait que le sieur Spizélius; mais
quand on recourt au sermon funèbre
(i),l'on trouve que le baron Gré-
goire Horwath ayant érigé un nou-
veau collège à Scépuz (2) , en fit rec-
teur le sieur Grawérus à la recom-
mandation de Gilles Hunnius, et que
Grawérus y enseigna la philosophie
et la théologie.
(B) C'est à lui... que les missionnai-
res recourent. ] Le père Adam , lors-
qu'il fit un livre contre M. Daillé, pro-
d tiisit je ne sais combien d' Allemands,
(1) Apud Frcberura, in Tlieatro , pag. 3g4 r
395.
(2) L'an i5rj5.
un Gilles Hunmus, un Zéphirius, un
Gibelin, un Philippe Nicolas , et un
Granvértts(3) , qui répètent et qui
exagèrent un grand nombre d'invecti-
ves contre ceux de la religion. 11 ap-
puya principalement sur un traité de
Grawérus, qui a pour titre, dit-il, Les
Absurdités très-absurdes des Absur-
dités Calviniennes (4). Voici la sage
réponse de M. Daillé , mais un peu
tropdésobligeantc pour l'auteur dont
je parle dans cet article. « Ce sont
» des frères qui sont en colère. 11 faut
» pardonner à leur passion , et nous
» consoler par le témoignage que
GRAWÉRUS. 2ii
Notez que M. Daillé eût pu accuser
le jésuite Adam de n'avoir pas bien
traduit le titre du livre de notre Gra-
wérus. Voici la vraie traduction ■
Les Absurdités Calviniennes plus ab-
surdes que toute autre absurdité.
(C) Il était fougueux dans les
disputes de vive voix, et dans
ses écrits.] Il eut une conférence
avec Amlingo l'an 1604 > dans le châ-
teau de Schochwiz, et il la fit im-
primer avec des notes qui ne respi-
raient que son zèle pour le luthéra-
nisme , P'eritatis Lutheranœ amore
notulis (juibusdam asperis evulgatum
" WU.1U1\.1 i'tlj 11. lV.lll<Jl^NllteV ^|..~ ,(•',,.,, . yiiM.dJUM,,, «Ol/C (J ' 1 lit ^ tl L It IIL
» leur violence même rend à la bon- (Colloquium cum Amlingo. ) jamais
» té de notre cause , dans le diffé-
» rent que nous avons avec eux.
« S'ils n'avaient tort, ils n'en vien-
» draient pas aux injures. C'est as-
» sûrement l'erreur qui les trouble.
» La vérité a plus de douceur et de
» retenue , et n'a pas acecoutumé de
>' s'emporter ainsi. Car que Lutber
» et ses disciples fussent en colère
» quand ils écrivaient les vilenies et les
» borreurs que vous en avez ramas-
» sées , le désordre et l'extravagance
» de leurs propres paroles le mon-
» trent assez ; comme , pour laisser là
» le reste , ce titre ridicule du livre
» de l'un deux, que vous ne manquez
» pas de représenter , les Absurdités
)) très-absurdes des Absurdités Cal-
» viniennes. Un homme savant ne
» parlerait pas si sottement , s'il était
» en son sens rassis.» Il finit son
chapitre par ces paroles : Grâces a
Dieu , ils ne sont pas tous dans les
emporleme.ns de vos Gibelins et de
vos Granvères. // y en a de plus
doux et de plus traitables ; et le Jeu
docteur Calixte, théologien de JJelm- ranisme (8)
il n'avait fait tant d'eflbrts en faveur
de son parti , qu'il en fit en cette
rencontre. Singulari zelo et Jervore
spiritus sancti motus strenuè et mas-
culè advershs hostium quorumvis co-
hortes depugnavit , nec quicquam
omisit quo veritatis cœlestis doctrina
asseri propugnarique queat , ccm pri-
mis in gravissimo illo colloquio cum
Amlingo habito (6). Jugez combien
il s'échauffa contre Sébastien Lamius,
qu'il convainquit de calvinisme dans
un synode. Quemadmodum eliam in
synodo Hungarico - Kersmarcensi
anno g5 habita Sebastianum Lamium
heterodoxice calvinianœ convicit(j).
Sans doute il l'avait dénoncé comme
un faux frère, qui sous le nom de
ministre luthérien couvait les er-
reurs des calvinistes • et cela seul
pouvait échauffer un esprit froid.
D'ailleurs il disputa contre lui dans
un synode : la circonstance du lieu
était toute seule capable de lui émou-
voir la bile. N'oublions pas qu'on l'a
appelé le bouclier et l'épée du lulhé-
stat , le plus savant de tous les luthé-
riens de son temps , fa assez témoi-
gné par deux ou trois livres (*) ,
qu'il a publiés sur ce sujet (5).
(3) C'est ainsi qu'il j a dans la Réplique de
M. Daillé , 77e. part , pag. 36 ; mais il fallait
dire Grawérus.
(4) Le litre latin est : Absurda absurdorum ab-
surdissima , Calvinistica abMir>la, hoc est invic-
ta Demonslraliu logica et tbeologica aliquot hor-
rendorum paradoxoruui Calviniani dogmatis in
articnlis de personà Cliristi , cœnâ dommi , Bap-
tisino , et praedestinnlione , Jenœ , 1612 , jn-4°.,
cesl la seconde édition.
(*) Judiriuin de Controv. Luther, et Réf. ,
ann. i65o. Desideriuin et Studium concord. éc-
oles , ann. i65i.
(5) D.nllé, Réplique à Adam, 77e. part ,
thap. XI F, pag. m. 86.
(D) Ses écrits sont en grand nom-
bre.] Les titres seuls feront connaître
l'excès de son zèle. Bellum Calvini
etJesu Christi, àMagdebourg, i6o5.
Harmonia prœcipuorum Calviniano-
rumctPhotinianorum, àlène 1612, in-
4°. J'ai déjà rapporté YAbsurda absur-
dorum, etc. Son Anti-lAibinus , hoc
est Elenchus paradoxorum et emble-
matum Calvinisticorutn D. Eilhardi
Lubini , de prima causa et naturâ
mali, à Magdebourg , 1606, i/1-4".,
(6) Spizelius
pag. 4S.
(7J Idem , ibid.
(8) Idem , pag. ^0
Templo honoris reseralo ,
2I2 GREBAN. GRÉGOIRE I".
ne laisse pas d'être un ouvrage contre l'envoya nonce àConstantinople ,
•e qu fcilhard Lu- p0ur demander du secours con-
u luthérien , a ce 4 , T , -, T, • . ,
raW. „„„ \a„„ tre les Lombards. Jl revint a
Rome * après la mort de l'em-
pereur (B) , et servit quelque
temps de secrétaire au pape Pe-
lage; ensuite il obtint permis-
sion de se retirer dans son mo-
nastère (c). Lorsqu'il croyait y
jouir du repos de la solitude, il
fut élu pape par le clergé , par
le sénat et par le peuple romain ;
et , après s'être servi de tous les
moyens imaginables pour n'a-
voir pas cette charge (C), il fut
obligé de l'accepter (d). Il parut
par sa conduite qu'on ne pouvait
pas choisir un homme qui fût
plus digne que lui de ce grand
poste; car , outre qu'il était sa-
vant, et qu'il travaillait par lui-
même à l'instruction de l'église
soit en écrivant , soit en prê-
chant , il savait fort bien ména-
ger l'esprit des princes en faveur
des intérêts temporels et spiri-
tuels de la religion. Le détail de
les calvinistes , encore
bin ait toujours ve'c
que M. Baillct assure (9); car sans
doute Grawérusle soupçonnait d'être
du sentiment de Calvin en certaines
choses. Je laisse le titre de ses au-
tres livres. Vous le trouverez dans
Spizêlius (10), et dans Paul Fre'-
her (11).
(9) Au Ie' '. lome des Anti , pag. 35i.
(10) In Templo Hon. reserato , pag. 'o.
(HJ Theatr. Viror. illustr. , pag. 3o,5.
GREBAN *.
* Bavle n'a jamais donné d'article à Gre-
ban. Mais Leclerc , dans ses remarques , à
l'occasion de la remarque (A) de l'article
Chocquet, ton». V , pag. 148, renvoie au
mot Greban , et en effet, au mot Greban , il
dit : •< Deux poètes français de ce nom , ne's
». à Compiégne , et frères, ont fleuri au XVe.
»> siècle... l'un d'eux, chanoine du Mans, se
» nommait Arnoul, et vivait vers iA5o. 11
»• mit les Actes des apôtres en vers français
» et en personnages , c'est-à-dire qu'il en fit
» des pièces à être repre'sente'es sur le théâ-
» tre. N'ayant pu mettre la dernière main à
•» cet ouvrage , son frère, nommé Simon ,
». l'acheva, et mourut après îlfii. Simon
» était secrétaire du comte du Maine. •>
Prosper Marchand , dans son Dictionnaire
historique , a donné un long et curieux ar-
ticle aux frères Greban.
GRÉGOIRE Ier.. surnommé le
Grand , né à Rome d'une famille cette conduite me mènerait trop
patricienne , fit paraître tant loin , et je me dispense d'autant
d'habileté dans l'exercice de la plus raisonnablement de m'y
charge de sénateur, que Tempe- étendre, que chacun s'en peut
reur Justin le jeune le créa pré- instruire dans un écrivain mo-
fet de Rome *1 (a). Il quitta cet- derne (e) Mais je marquerai que
te dignité dès qu'il eut compris notre pape entreprit la conver-
qu'elle l'attachait à la terre, et sion des Anglais (D). et qu'il en
s'enferma *2 dans un couvent vint à bout fort heureusement
(A) , sous la discipline de l'abbé par les secours d'une femme (y),
Valentius(i^). Il en fut tiré bien- selon le train ordinaire des ré-
tôt par le pape Pelage II , qui le volutions de religion. Ses maxi-
fit son septième diacre *3, et qui mes touchant la contrainte de la
conscience n'ont pas été unifor-
* ' Ce fut environ l'an 537 , dit Leclerc.
(a) Maimbourg , Histoire du pontificat de
saint Grégoire
*a Vers l'an 5?5 , dit Leclerc.
(b) D'autres le nomment Valenlin.
*3 C'est-à-dire , l'un des sent archidiacres
de Rome , dit Leclerc , qui ajoute que , sui-
vant Fleuri , ce fut Benoît Ier. qui lui confé-
ra cette dignité.
* En 583 , dit Leclerc.
(c)Maimb. , Hist. du pontificat de saint
Grégoire , pag 7 et 8.
(rf) Il fut installé le 3 de septembre 5go.
(e) M. Maimb. , dans /'Histoire du ponti-
ficat de saint Grégoire-le-Grand.
(/') Voyez la remarque (D).
GRÉGOIRE Ier. 2i3
mes , et il donnait quelquefois che de Constantinople était mal
dans un grand relâchement (E). réglé (K). Il n'est pas certain
Aussi est-il bien difficile d'avoir qu'il ait fait détruire les beaux
des règles pour une chose si monumens de l'ancienne ma—
contraire à la raison. En récom- gnificence des Romains (L), afin
pense, sa morale par rapport à la d'empêcher que ceux qui venaient
chasteté des ecclésiastiques était à Rome ne fissent plus d'atten-
très-rigide (F) ; car il prétendait tion aux arcs de triomphe, etc.
qu'un homme qui avait perdu sa qu'aux choses saintes. Faisons le
virginité ne devait point être même jugement de l'accusation
admis au sacerdoce, et il faisait qu'on lui intente, d'avoir fait
interroger là-dessus les postu- brûler une infinité de livres
lans. Il exceptait de cette néces- païens (M), et nommément Tite
site les veufs , pourvu qu'ils eus- Live (N). Il mourut le 10 de
sent été réglés dans leur mariage mars 60 j. Je ne ferai point de
et que depuis fort long-temps remarque concernant ses OEu-
ils eussentvécu dans la continen- vres ; je renvoie mon lecteur à
ce. Il fut aussi fort sévère à l'é- M. du Pin , dont l'ouvrage est
gard de la calomnie (G). Tout plus commun que ne sera ce
bien compté , il mérite le sur- Dictionnaire. J'ai pensé oublier
nom de grand : mais on ne sau- l'attachement de ce pape pour la
rait excuser la prostitution de psalmodie de l'église (0).
louanges avec laquelle il s'insi- L'ouvrage , que dom Denis de
nua dans l'amitié d'un usurpa- Sainte-Marthe (g) a fait impri—
teur (H), tout dégouttant encore mer (h) sous le titre d'Histoire
d'un des plus exécrables parri- de saint Grégoire-le-Grand ,
cides que l'on puisse voir dans n'avait point encore paru lors-
l'histoire. C'est uu exemple très- que je fis cet article. Je viens de
insigne de la servitude ou l'on parcourir cette histoire , et il
tombe , dès qu'on veut se soute- me semble que ce serait un pa-
nir dans les grands postes. Quaud négyrique continuel de ce grand
on compare ses flatteries pour pape , si l'auteur n'avait souvent
l'empereur Phocas, avec celles entrecoupé les éloges par plu—
dont il régalait une très-mé- sieurs observations qui expli-
citante reine de France (1), on quent les matières, et qui éclair-
doitconvenirqueceux qui leçon- cissent les faits , ou qui sont la
traignirent à être pape le con- réfutation de quelques autres
naissaient mieux qu'il ne se con— écrivains. Il donne dans sa pré-
naissait lui-même. Ils voyaient face une liste de ceux qui ont
en lui le fonds de toutes les ruses composé la vie de saintGrégoire,
et de toutes les souplesses dont et c'est là qu'il censure quelques
on a besoin pour se faire de fautes du ministre Pierre Du-
grands protecteurs , et pour at- moulin , outre celle que l'on a
tirer sur l'église les bénédictions vue dans la remarque (C). 11 ne
de la terre. 1 1 y a beaucoup d'ap-
1 < 1 »-i \ ' • ttA Bénédictin de la congrégation de
parence que le zèle qu il temoi- .. 5 ,, ° s
gna contre 1 ambition du patnar- (/<> a Rouen . i6q; . in-\°.
2ï4 GRÉGOIRE I".
paraît guère content de M. Maim- néralement parlant, que les ob-
bourg(P). Il réfute le cardinal jets de la mémoire sont dune
Baronius en ce qui concerne le nature très-différente de celle
monacat de saint Grégoire , et des objets de la vue. Ceux-ci di-
il combat quelques sentimens de minûent à proportion de^ leur
M. de Goussainville (£). Ce qu'il distancent ceux-là, pour l'ordi-
observe contre les centuriateurs naire, grossissent à mesure qu'on
deMagdebourg estmêléde faus- est éloigné de leur temps et de
se critique. Nous le verrons ci- leur lieu (m).
dessous (Q). Je n'ai point trou-
vé qu'il blâme de rien le pape
Grégoire : il prend le parti d'a-
pologiste sur toutes choses , sur v
les louanges données à Phocas et l'avait fondé à Rome , dans sa maison
à Brunehaud , sur la crédulité paternelle (i), et il en avait donne la
in r r ' direction à Valentnis , cru il tira d un
avec laquelle ce pape a publie ZlTstL de province (»). H fonda
tant de miracles dans ses dialo-
gues (R) , et sur l'inconstance de
ses principes à l'égard des persé-
cutions de religion , etc. 11 se
(m) Omnia post obitumfingil majora t>e-
tustas,
(A) 77 s'enferma dans un coûtent.]
Ce fut dans celui de Saint-André : il
six autres couvens dans la Sicile T
et il fendit tout le reste de ses biens
dont il donna le prix aux pauvres (3).
(B) // revint a Rome après la mort
' de l'empereur.] Cet empereur s'ap-
range du parti de ceux qui nient pe]ait Tibère : il mourut le i^ d'août
que saint Grégoire ait délivré 582 (4) ; et cela fait voir une grosse
des enfers l'âme de Traian (k). faute de M. Maimbourg. Il dit (S)
S'il était vrai nu'anrès la mort que Grégoire , qui ne put obtenir au-
5il était vrai qu après la mort cuq secours . ne faissa pas de servir
de ce pape on eût brûle une par- trei-utilement l'église, puisqu'il cora-
tie de ses écrits , et qu'on n'eût posa à Constantinople son excellent
, , a 1 ' 1 1 1 A 1 '' T *'' '"- --'— '■"'■ of «-ni il
ete empêche de les brûler tous ,
que par le moyen d*un incident
(S) fort semblable à celui qui avait
anciennement détourné le peuple
romain de faire mourir les sé-
nateurs comme meurtriers de
Roniulus(«?) , quelques personnes
en concluraient que la gloire
de ce pape , aussi-bien que celle
de quelques autres anciens pères,
ressemble aux neuves , qui de
très-petits qu'ils sont à leur sour-
ce deviennent très-grands lors-
qu'ils en sont fort éloignés. Il y
aurait à redire dans cette com-
paraison ; mais il est certain, gé-
(i } /tuteur de l'édition des Œuvres de saint
Grégoire, 1675.
(k) Voyez la remarque ( V) de l'article
Tb'ajan, tom. XIV.
(/) Voyez Plutarque, dans la Vie de Ro-
mulus , pag. 35.
livre des Morales sur Job , et qu il
obligea , par ses doctes conférences ,
le patriarche Euifchius a rétracter
ses erreurs touchant la résurrection.
Après quoi , continue-t-il , sa non-
ciature étant finie par le décès de
l'empereur Tibère qui mourut sur ces
entrefaites , il retourna a Rome.
Il met ces conférences à l'an 586 : il
faut donc qu'il croie que Tibère ne
mourut pas avant cette année, et
c'est là une grosse erreur de chrono-
logie. M. Cave met les mêmes confé-
(0 Maimbourg , Histoire du pontificat (le saint
Grégoire-le -Grand, pag. 7, édition de Hol-
lande.
(1) Monaslerio suo urbano Valeiitium ex mo-
naUerio i'. Equitii m provincid Valerid acci-
tumprafecit. Cave, Hist. litterar. Scriplor. ec-
clesiast.', pag. 43o.
(s) Maimbourg , Histoire du pontificat de saint
Grégoire, pag. 7.
(4) Clironio.. Alcxandr. Voyez le père P.igi ,
Oiss. Ilypalica, pag. 336, et Denis de Sainte-
Marthe, f"g- '00 1 i01 ^e /'Histoire de saint
Grégoire.
(5) Histoire du pontificat de saint Grégoire,
pan- 8-
GRÉGOIRE Ier.
2l5
renées , et la mort de cet empereur
à Fan 586 (6). 11 a donc commis la
même faute. Baronius (7) , lui aussi ,
met la mort de cet empereur à la
même année* 5 sa fausse chronologie
n'a pas e'te' connue de M. du Pin (8).
(C) // se servit de tous les moyens
imaginables pour n'avoir pas cette
charge. "\ Il e'erivit à l'empereur une
lettre très-pressante , où il le conjure
de ne pas confirmer son élection , et
d'ordonner qu'on en fus; e prompte-
ment une antre d'un sujet qui eût p/'is
de capacité , de force et de saute qu'il
n'en avait (9) ; et quand il eut su que
sa lettre avait été interceptée par
le gouverneur de Rome , et qu'il se
fut persuade que son e'iection serait
confirmée à la cour impériale, il prit
la fuite , et s'alla cacher au fond
dune foret , dans une caverne , ré-
solu d'y vivre jusqu'à ce que, dés-
espérant de le trouver, on eût fait une
nouvelle élection (10). Il fallut que par
des signes célestes il apprît manifes-
tement que Dieu voulait qu'il fût
pape; il fallut , dis-je, qu'Ai apprît
cela par cette voie surnaturelle, avant
que de se résoudre à accepter le pa-
pat. On prétend (1 1) qu'une colombe
volant devant ceux qui le cherchaient,
leur montrent le chemin qu'ils devaient
suivre ; ou qu'une lumière miraculeuse
leur marquait l'endroit de sa retraite.
Voilà qui ressemble fort à l'aventure
des mages qui allèrent adorer le .Mes-
sie nouveau -ne. L'exclamation de
M. Maimbourg, sur la résistance de
saint Grégoire, est fort juste. Grand
exemple , s'écrie-t-il (ia) , qui doit
confondre la furieuse ambition de
ceux qui, n'ayant rien d'approchant
de la sainteté, de la doctrine et de la
suffisance de ce grand homme , qui
s'ensevelit tout vivant sous terre pour
se garantir du pontificat comme d'un
coup de foudre , font par leurs brigues
(6) Histor. lilterar. Scriptoc ecclesiast. , pag.
43o.
(7) In Annal.
* Il est très-vrai, dit Leclcrc , que Baronius
avait d'abord mis 5^6 : il se corrigea depuis,
mais imparfaitement , en mettant 583.
(8) Noliv. bibliolb. des Auteurs ecc)é»iast. ,
tom. V , pag. 102 , édition de Hollande.
(9) Maimbonrg , Histoire du pontificat de saint
Grégoire , pag. 10.
(10) La même , pag. i3.
(il) T.'a même.
<"> p«s- »4-
scandaleuses une espèce de violence
au Saint-Esprit pour s'élever contre
ses ordres par des voies purement hu-
maines et très-peu canoniques , jus-
qu'il la première place de l'église.
Voyez lc> Ni nivelles de la République
des Lettres (1 3) dans l'extrait d'un li-
vre intitule' de Clerico renilenle. Je
ne dois pas oublier un autre endroit
de M. Maimbourg, touchant les ré-
ponses de suint Grégoire aux lettres
dont on l'accabla de tous côte's (i4) ,
pour lui témoigner la part qu'on
prenait dans la joie que tout le momie
avait de son exaltation // n'y fit
réponse que par des expressions très-
vives de l'extrême douleur qu'il res-
sentait d'avoir été tiré de sa solitude ,
pour être replongé dans l'abîme des
affaires. Mais parce que l'expérience
a fait voir dans tous les siècles , c'est
la réflexion de M. Maimbourg , que
les belles choses qu'un homme d'es-
prit peut dire et peut écrire , ne sont
pas toujours une bonne preuve de sa
droite intention et de sa vertu , et
qu'il s'en voit assez qui pensent et font
tout le contraire de ce qu'ils prê-
chent et de ce qu'ils écrivent : je ne
copierai point ici ce que ce grand,
pontife a dit de lui-même sur ce sujet
dans ses écrits. Mais il y a une chose
que l'équité ne souffre pas que j'ou-
blie ; c'est une faute du célèbre Pierre
Dumoulin , relevée par M. Maim-
bourg *. Afin que personne ne se
plaigne que j'exténue ou que j'am-
plifie la chose , je me servirai des pro-
pres termes du censeur (i5).
Le minisire Dumoulin, dans un
Jielit écrit qu'il a fait sous le faux ti-
tre de Vie de saint, Grégoire Ier. ,
surnommé le Grand veut faire
accroire que ce pontife romain.
était d'une religion contraire à la
notre. Mais sans qu'il faille se don-
ner la peine de réfuter un si miséra-
ble libelle , c'est assez que je mon're ,
pour faire voir quelle créance il mé-
rite, qu'il commence parla plus hor-
rible et la plus grossière imposture
qui fut jamais. Car voici comme il
(iî)Ju moir de février iC>85,pag. 1-9.
(i4) Maimbourg. Histoire du pontificat de saint
Grégoire, pag. i^.
* Ce que Raylc appelle une Caute , est , dit
Joly , appelé par Maimbourg lapins horrible et
la plus grossière imposture qui fut jamais.
(\5) Maimbourg , pre'f. de /'Histoire du l'onti-
ln.it de saint Grégoire.
2i6 GRÉGOIRE Ier.
parle au chapitre II page g, pour bonnes lettres , et fort zélée pour la
prouver contre le témoignage de Gré- foi catho/icjiic (19). Elle le disposa à
écrit la Vie de Grégoire , notamment .se/orc u«e </es vieilles superstitions du
Grégoire de Tours, disent qu'il lit peuple, afin que s'ils voulaient user
quelque résistance ; mais cela est mal de quelque charme et de quelque se-
fùt établi évéque , et il cite a la mai^- paisiblement , il leur dit que tout ce
ge ces paroles '• sibi ut imponeretur qu'il venait d'entendre lui plaisait in-
episcopatus non restitisse, qu'il n'a Jîniment ; que néanmoins ces belles
point résisté à ce qu'on le chargeât de choses , et surtout ces magnifiques
l'épiscopat. Qu'on lise maintenant ptvmesses qu'ils lui faisaient d une
cette épître , on y trouvera justement vie étemelle , ne lui paraissant pas
tout le contraire. En effet, saint trop assurées , il ne trouvait pas qu il
Grégoire se plaint à son ami Jean , fût à propos d' abandonner ce qu'il
patriarche de Constantinople , de ce tenait de ses ancêtres, pour courir
qu'il n'a pas empêché , par les bons après l'incertain (10). Il leur permit
offices qu'il lui devait rendre auprès de prêcber dans son royaume ; il per-
de l'empereur , qu'on ne confirmât mit aussi à tous ceux qui goûteraient
son élection ; et voici comme il parle : leur doctrine de l'embrasser. Il se
Si l'on nous commande d'aimer no- convertit lui-même (ai) : et comme
tre prochain comme nous-mêmes , l'exemple des rois est ordinairement
d'où vient que votre béatitude ne très-efficace, soit pour le bien, soit
m'aime pas comme soi-même ? Car je pour le mal , la plupart des cinglais
sais avec quelle ardeur elle a voulu embrassèrent après lui la foi cliré-
fuir l'épiscopat ; et néanmoins elle ne tienne. Et ce qui acheva de les gagner,
s'est pas opposée à ce qu'on m'impo- fut celte manière également douce et
sât cette même charge. Saint Gré- efficace dont il les sut prendre. Car il.
goire se plaint ici, en termes formels , ne violenta et ne contraignit par force
de ce qu'on ne s'est point opposé h ce personne h renoncer à leurs anciennes
qu'on le fît évéque de Rome ; et le superstitions, ayant appris de ses
ministre Dumoulin veut que saint docteurs , que le service qu'on rend a
Grégoire avoue en cet endroit même , Jésus-Christ , doit être volontaire (22).
qu'il n'y a fait aucune résistance , at~ La reine contribua extrêmement à ces
tribuant ainsi a ce saint pape ce que conversions 5 car non-seulement elle
lui-même dit du patriarche de Con- disposa le roi , son époux , à traiter
stantinople , en se plaignant de lui. favorablementles missionnaires, mais
(D) // entreprit la conversion des aussi à se convertir. Il n'y a eu guère
Anglais.} Il envoya en Angleterre de révolution de religion en bien ou
quelques moines de son monastère en mal, à quoi les femmes n'aient
(16) sous la conduite d'Augustin, donné le grand branle. M. Maimbourg
leur abbé (17) , que les évéques de nous en va donner quelques exem-
JFrtince consacrèrent premier évéque pies (a3). « On peut dire que , comme
de la nation, des Anglais, selon le » le diable se servit, autrefois des ar-
pouvoir qu'ils en avaient de saint » tifices de trois impératrices (*) ,
Grégoire (18). Ethelrède régnait alors
en Angleterre, et avait épousé Aide- fo) £««»«»*. P"S- »°7-
bi> .1 .111 1 /-il -L (aoJ ''" même, pag. 208 . a l ann. S07.
erge ou Derme , hlle de Chanbert , ; > T- - ■ v a
. ", _, '. » (21; La mente, pag. 312 , a l ann. hoo.
roi de France , jeune princesse de („} Vm.ez les Nouveiics a« i. République
beaucoup d'esprit, instruite dans les .les Lettres , mois de février 1686, j>ag. ujï,
aoi , contre la comparaison ijue Mfumbmirg a
(ifi) C'esl-à-dirr, de celui qu'il avait fondé il /'"'««/>«'« '" méthode convértisseuse d'Elhelrède
Home dans >a maison. et celle <le Lotus Xl* ■
(17) Mainibourç, Histoire «lu pontificat Je saint ''2'> Histoire du pontificat île saint Grégoire ,
Grégoire, pag. 2ui. p°g- G9
(18) Là même, pag. 206. (*) Conslanlia , Eusebia, Vomiitica.
GRÉGOIRE I", 2r7
» qui furent femmes , Tune de Lici- Cet exemple/;^, bientôt après , suivi
•» nius, l'autre de Constantius , et la en Espagne et en Italie , et principa-
)) troisième de Valens , pour e'tahlir tentent en Provence, ou l'on fit en-
» l'hérésie arienne en Orient, Dieu, core plus qu il ri avait fait. Car, sans
» pour renverser sur son ennemi ses 5e mettre en peine de les attirer a la
» machines, et le combattre de ses foi par de saintes instructions et par
» propres armes , se voulut aussi sep- de bons exemples , on les contraignait
» vir de trois illustres reines, Clo- de recevoir le saitit baptême maigre
» tilde, femme de Clovis, Ingonde , qu'ils en eussent : ce qui causait au-
» épouse de saint Erménieilde , et tant de profanations d'une chose si
» Theodelinde , femme d'Agilulphc , sainte , et de sacrilèges qu'il y avait
» pour sanctifier l'Occident, en con- de baptisés parmi les juifs. Saint
y vertissant les Français du paganis- Grégoire , pour empêcher un si grand
» me, et en exterminant l'arianisme mal, en écrivit^*') à Virgilius , arche-
» de l'Espagne et de l'Italie, par la vêque d! Arles , et a Tliéodore , évé-
» conversion des Visigoths et des Loin que de Marseille , deux grands hom-
» bards. » Dans un autre ouvrage, il mes de bien, leur ordonnant de faire
n'avait parle que des services rendus en sorte qu'on ne contraignit pas les
par des femmes aux mauvaises causes, juifs de se faire baptiser , de peur que
Comme s'il était de la destinée de les sacrés fonts où l'on renaît à une
chaque hérésie , dit-il (24) , selon qu'il vie divine parle baptême, ne leur
a paru par cent exemples , de trouver soient occasion d' une seconde mort plus
toujours sa protection , et, si je m'ose funeste que la première par l'aposta-
exprimer ainsi, de trouver son fort sie- Il avait écrit, un peu auparavant,
dans le faible de quelque princesse , la même chose a l' évéque de Terracine
qui, ou par vanité pour s'en faire (26). Il lui ordonna de laisser aux
honneur, ou par illusion, pensant juifs l'entière liberté de s'assembler
peut-être s'en faire un mérite , veut au lieu qui leur a été accordé pour y
devenir le chef d' un parti , qui, ne se célébrer leurs fêtes (27). C'est ce qu'il
pouvant soutenir , tombe, et l'accable e'erivit encore quelque temps après
enfin misérablement sous ses ruines, à l'évêque de Cagliari , en Sardaigne.
(E) Il donnait quelquefois dans un « Les lois , lui dit-il , défendent bien
grand relâchement.) Le peu d'uni- » aux juifs de bâtir de nouvelles sy-
formité de ses maximes paraît mani- •' nagogues : mais aussi elles leur
festement , en ce qu'il n'approuvait " permettent de posse'der les ancien-
pas que l'on contraignît les juifs à se " nés , sans qu'on puisse les inquiéter
faire baptiser, et qu'il approuvait " là-dessus (*'). Et il ajoute ce qu'il
que l'on contraignît les hérétiques à " dit aussi au sujet des juifs de Mar-
revenir à l'église. Saint A vil, évêque " seille , que c'est par la prédication
de Clermont en Auvergne allant » qu'il les faut attirer à lafoi, et non
après son clergé en procession par la » Pas Par la violence : que Dieu veut
ville , tout le peuple qui le suivait » que le sacrifice qu'on lui fait de
se jeta tout a coup sur la synagogue » l'esprit et du cœur soit volontaire ;
des juifs , et la renversa tellement de » et «1 ajoute, que ceux qui se con-
fond en comble , qu'il rien resta plus » vertissent par contrainte et par
que la place tout aplanie , et sans » nécessité retournent à leur vomis-
qu'il y restât pierres sur pierres (a5). » sèment , quand ils le peuvent (28). »
Le prélat , voulant profiter d'une oc- Cela va le mieux du monde 5 mais
casion si favorable, fit dire aux juifs
qu'ils eussent à se convertir, ou à
(*') Dum quispiam ad Baptismatis fontem
non prredicalione , sed necessilate pervenerïl ,
sortir de Son dlOCeSC 1 rois Cents „d prislinam superstitionem remeans , ind'e de-
d'entre eUX Se Convertirent , Ct les terius moritur , undè renalus esse videbalur. L.
autres furent contraints de se retirer, "'/j?;!5- , „• . ■ j ,-r .j
(26) Maimboui», Histoire du pontificat desamt
Grégoire , pag. 1^0.
(24; Histoire du grand Scliisme d'Occident, {**•) L'a même , pag. il^i.
5*/' ft'"**" '"' ,R3' *" '"*'" ''" '° Pr'"ces'e (**) Quia siiul legalts definitio Jitdœos notai
.Ç™! protectrice de Wiclef. V-orez aussi ce non palitur erixerr rynagoga* , ila quoque eo<
q" il du dans le même ouvrage, Iw. IV, pag. 7g. sjne inquietudine veteres liabere permuta.
(ï5) Maimbourg, Histoire du pontificat de saint (28) Maiml oiirg, Histoire du pontificat de .'aint
Grcjgoire, pag. 3;iC). Grégoire , pag. 242.
2l8
GREGOIRE I".
voici une étrange distinction , et qui
fait une monstrueuse bigarrure dans
in système. « (29) Ce n'est pas nean-
> moins que , selon lui-même , il n'y
> ait en ceci grande différence entre
j les infidèles et les hérétiques ,
> principalement au commencement
> des- he're'sies. Car ceux-ci doivent
, être traités comme des rebelles ,
> des perfides et des parjures qui ont
1 fausse' la foi qu'ils avaient donne'e
, à Dieu et à l'église catholique, de
> laquelle ils sont sortis , en se ré-
1 voltant contre elle , et s'eflbrçant ,
> autant qu'ils peuvent , de l'anéan-
1 tir. On peut les contraindre de
rentrer dans l'obéissance qu'ils lui
doivent, et dans leur devoir ; et ,
s'ils- ne le font , les punir comme
le veulent les lois impériales , les
saints pères , et Calvin même , qui
a fait un écrit sur ce sujet pour
justifier sa conduite à l'égard de
Servet, qu'il fit condamner au feu
à Genève. Il n'en est pas ainsi des
païens, des juifs et des mahomé-
tans , ni même de ces hérétiques
qui, étant nés dans l'hérésie qu'ils
ont reçue de leurs ancêtres , n'ont
jamais été élevés dans l'église non
plus que tous ces infidèles. On ne
doit pas les- contraindre directe-
ment , et à vive force, de se con-
vertir , surtout quand on les a to-
lérés quelque temps. Mais saint
Grégoire nous apprend, et par sa
doctrine , et par son exemple, qu'il
est bon de les y contraindre indi-
rectement, selon l'Évangile, qui
dit : Compelle intrare. » Ce qui se.
veut faire en ces deux manières : l'une
en traitant à la rigueur les obstinés ;
autre en faisant du bien à ceux qui
e convertissent. « C'est ainsi que
1 saint Grégoire veut qu'on persécute
> les manichéens, obstinés dans leur
) hérésie ; qu'il ordonne à l'évêque
) de Cagliari de surcharger les pay-
> sans , et ceux d'entre les païens
> qui appartiennent à l'église , et
tiennent ses terres , et qui refusent
toujours opiniâtrement d'embras-
ser'le christianisme ; et qu'au con-
traire il veut qu'on décharge les
juifs qui se convertiront du tiers
qu'ils sont obligés de rendre à IV-
(aç)ï MainibonrR, Histoire du Pontificat de saint
Grégoire, png. 2:'(3 , il\t\.
» glise romaine , pour les terres de
w son patrimoine qu'ils cultivent
» dans la Sicile, afin que les autres ,
» attirés par l'espérance d'une pa-
» reille remise , se rendent plus faci-
» lement chrétiens ; et cependant, à
» ceux qui pourraient tenir ces sor-
» tes de conversions intéressées pour
» fort suspectes, il dit (*) , que si
» ces gens-là trompent , et ne sont
» pas bien convertis , on gagnera tou-
» jours beaucoup , en ce que du
» moins leurs enfans deviendront
» bons catholiques. »
Ceci pourrait fournir la matière
d'un long discours; je me contente
de quelques notes. i°. Il est certain
que l'alternative de la conversion ou
de l'exil est très-dure et très-propre
à faire des hypocrites; car que ne
font pas les gens d'une médiocre pié-
té , pour ne pas perdre les douceurs
du pays natal? Et, en un mot, tous
ceux qui proposent cette alternative
la condamnent comme une action de
tyran partout où ils y sont exposés
eux-mêmes ; marque évidente qu'ils
ne jugent de la justice d'une action
que par la règle de leur intérêt, quod
volumus sancium est. a0. C'est attri-
buer à l'église un pouvoir qu'elle n'a
pas , que de prétendre qu'elle peut
traiter tous ceux qui la quittent
comme les états humains traitent les
rebelles. L'église ne peut avoir que
des sujets volontaires , et ae peut ja-
mais exiger un serment dérogatoire
à la loi de l'ordre , qui veut que l'on
suive en tout temps et en tout lieu
les lumières de la conscience : et par
conséquent ceux qui pour obéir à ces
lumières rompent la foi qu'ils lui
ont donnée doivent être comparés
à ceux qui préfèrent les sermens pri-
mitifs et absolus aux sermens posté-
rieurs et conditionnels ; car ce serait
une impiété que de s'engager à un
formulaire de croyance , sans pré-
supposer qu'il est bon : et ainsi tous
les sermens par où l'on s'engage à
l'église sont conditionnels ; mais l'en-
gagement aux lumières de la con-
science est naturel , essentiel et ab-
solu. Ce que l'on peut dire de ceux
qui, pour obéir à leur conscience ,
(*) Elsi ipsi minus fi déliter ventant : hi lamen
qui de Ht nati furrint jam'Jtdelius baplisantur.
Aut ip.iosergo, nui eorumjilios hurumur. L.
4, ei>- 0
GREGOIRE Ier. 21g
faussent le serment qu'ils avaient risent ne soient entraîne'* par les
prête à l'église est, que d'éclairés , ils promoteurs de l'affaire à des démar-
sont devenus ignorans. Mais où sont clics , où non-seulement il y ait beau-
tés états bien policés qui établissent coup d'injustice, mais aussi beaucoup
des peines contre ceux qui oublient de bassesse (33 . 6°. La raison pour-
leur érudition, et contre ceux qui
acquièrent des idées qui leur persua-
dent que ce qu'ils prenaient pour
l'erreur est la vérité ? Disons donc
que si l'église pouvait punir comme
quoi saint Grégoire ne voulait pas
que Ton convertît les juifs par con-
trainte est fort bonne 5 c'est, disait-
il, que ceux que l'on convertit de
cette sorte retournent à leur vomis-
des rebelles ceux qui la quittent 4pement quand ils le peuvent. Mais il
elle aurait plus de pouvoir que les avait donc grand tort de vouloir
princes les plus despotiques (3o; n'en qu'on les convertît en surchargeant
exercent. Elle pourrait cbÉtier com- les opiniâtres , et en déchargeant du
me un crime capital le changement tiers de la taille ceux qui se feraient
de quelques idées. 3°. Il n'est pas chrétiens; car il est visible que ceux
difficile de comprendre la chimère de
la distinction ; car un homme qui a
été élevé dans une église , n'a jamais
pu renoncer à la faculté d'en sortir ,
dès que sa conscience le pousserait
dans une autre communion : et ainsi,
il a autant de droit de suivre cette
que l'on convertit de cette façon
retournent quand ils le peuvent à
leur vomissement. rj°. Et si la raison
pourquoi il veut que l'on convertisse
les juifs en aggravant les charges des
opiniâtres, et en soulageant les con-
vertis , est bonne , il a tort de désap-
communion que ceux qui y ont été prouver qu'on les contraigne à rece-
nourris; car tout le droit de ceux-ci
consiste en ce qu'ils sont persuadés
que leur religion est bonne. u\°. Mes
maximes sont si certaines , que cha-
que parti en tombe d'accord quand
il ne suppose pas son propre principe.
voir le baptême ; car voici quelle est
sa raison : si ces convertis trompent ,
on gagnera toujours beaucoup , en ce
que du moins leurs enfans deviendront
bons catholiques. Ne peut-on pas dire
la même chose par rapport à ceux
Un juif , bien loin d'appeler perfide qu'on baptise par contrainte? On ne
et rebelle celui qui renonce au chris- peut donc pas le sauver d'une pitoya-
tianisme pour embrasser la religion ble contradiction.
judaïque , le nomme fidèle à Dieu , à
la vérité, à la vraie église: il n'ap-
pelle perfides que ceux qui renon-
cent au judaïsme. Chaque religion en
use ainsi. 5°. Quant aux deux ma-
nières du Compelle intrare , soit
renvoyé au Commentaire philosophi-
que. Je dis seulement que l'épithète
(F) Sa morale, par rapport a la
chasteté ecclésiastique , était très-
rigide. } Quand il s'agissait d'élire un
évèque , il recommandait principale-
ment aux électeurs de s'informer si
celui que l'on proposait était coupa-
ble d'adultère , ou de simple forni-
cation. <t II voulait même qu'on l'in-
de maquignons de la parole de Dieu » terroge;ît en particulier et en secret
(3i1, doit convenir par excellence à
ceux qui emploient ces deux maniè-
res dans le métier de convertisseur
(3î) , et qu'il est moralement impos-
sible que les souverains qui les âuto-
(3o) C'est-à-dire , considères seulement com-
me souverain* ; car notez que ter souverains qui
punissent ce qu'ils appellent hérésie ne le font
qu'en vertu de leur religion , et ainsi , propre-
ment , c'est leur religion qui punit : Quod no-
TANDUM.
(3i) IIe. éuître aux Corinthiens, chap. II,
vs. i-j.
(3î) Cela me fait souvenir de ces deux vers
d'Enoius :
Nec mi aurum posco , nec mi prelium dede-
rilis .
Nec
ituponantet bellui
n . sed belligérante
Cicero.de Offic.
, lib. f, cap. XII.
» s'il n'était pas tombé dans ce désor-
» dre , l'avertissant que s'il était cou-
» pable de ce crime, quoique per-
» sonne n'en sût rien , et qu'on n'eût
» point de preuve pour l'en convain-
» cre , il ne pourrait eu conscience
» recevoir les ordres ; qu'on les lui
« donnerait néanmoins , s'il protes-
» tait qu'il en était exempt ; mais s'il
» le confessait, qu'on lui remontrât
» doucement qu'il devait bien plutôt
(33) Voyez les Nouvelles Lettres cnnlre le
Calvinisme, de M. Maimbourg, loin. /, pag.
2o5 et suiv. et ce qui est dit des manières de
convertir employées par la reine Marie , en
Angleterre Nouvelles de In République ries Let-
tres , mois de novembre iGS5 , pag. 1283.
22o GRÉGOIRE Ier.
» songer an cloître pour y faire péni- pris que l'abbé Sécondin , qui était un
» tence , qu'au sacerdoce, dont son fort méchant homme, avait, commis
« crime, quoique secret, le rendait d'horribles crimes, il dit que sans se
» incapable (34). » Ce grand pontife, mettre en peine d'en chercher des
ayant su (35) que quelques ecclésiasti- preuves pour l'en convaincre juridi-
ques de Sardaigne étaient tombés dans quement , il suffisait que lui-même ,
ce péché d'impureté après avoir reçu peut-être en se vantant de ce que ces
les ordres , il ordonna non-seulement sortes de débauchés appellent leurs
qu'ils fussent déposés , sans espérance bonnes fortunes , eût ( ) avoué qu'il
de pouvoir jamais être rétablis dans s'était diverti avec des femmes , ce qui
les fonctions de leur ministèiv ; m.aijjfi n'avait pas empêché qu'il ne fit par-
aussi que , pour prévenir un si grand venu a être abbé; sur quoi il le /il dé-
mal, on (*') n'admît plus de sujets poser (38). Il traita de la même sorte
aux ordres sacrés , et surtout a l'épi- l'évéque de Docléatine , ville de i II-
scopat , qu'on ne fût assuré qu'ils lyrie , que l'on appelle maintenant
avaient toujours vécu chastement , et Catlaro , et il ordonna à son metro-
qu'ils avaient même gardé la conti- politain que si ce méchant homme,
nence plusieurs années après s'être qu'on avait justement déposé pour
séparés de leurs femmes , afin de avoir souillé son caractère par ce vice
pouvoir être admis au sacerdoce. Les infâme, osait jamais prétendre et
suffrages ayant e'te partage's à Naples même témoigner par un seul mol qu'il
dans l'élection d'un évéque , ce pape songeât encore a l' épiscopat , on le
de'clara tout net qu'il ne voulait poiut confinât dans un monastère pour y
du diacre Jean (36), (37) parce qu'il faire pénitence toute sa vie , privé de
était bien informé qu'il avait une fort la communion jusqu'à la mort (+I).
petite fille ; et quelle présomption , Ce qu'il -y a de très-remarquable en
ajoute -t-il , d'oser prétendre h être ceci, c'est que l'évéque de Tarente
évéque , h lui qui est manifestement ayant été non pas accusé , mais seu-
convaincu , par ce petit enfant qu'il lement soupçonné d'avoir entretenu
a, du peu de temps qu'il y a qu'il une concubine depuis qu'il était évé-
garde continence (*') ? Il faisait in- que , il l'avertit fort sérieusement que
violablement observer, selon les ca- s'il se sent coupable de ce crime , quoi-
nons, que tout ecclésiastique et bé- qu'il soit secret, et qu'il le nie, et
néficier, soit sous-diacre , soit diacre , qu'on n'en ait aucune preuve con-
prêtre , abbé ou évéque , qui serait vaincante, il est néanmoins obligé en
tombé dans un péché d impureté , s'il conscience de se déposer lui-même , et
y avait des preuves de son crime , fit de s' abstenir de toute fonction sacer-
déposé , et mis en pénitence dans un dotale- Cela paraîtra d'autant plus
monastère , sans qu il put jamais pré- étrange que ce même évéque ayant
tendre d'être rétabli dans son ordre commis un autre crime qui, selon le
et dans sa dignité Ayant (*3) ap- monde semble plus grand , il le punit
d'une peine incomparablement plus
(34) Maimbourg, Histoire du pontificat de saint douce. Car ce prélat trop emporté ,
Grégoire, pag. 35i. ayant reçu quelque mécontentement
(35) La même. j> j J • 11
;_,,/ „ , ....... d une de ces pauvres vieilles qui
(* t Sed ne unquain il que orilinttli suiit pe- , . ' , , , J, ,
reant, protide, -i débet quales ordmantur , ut étaient nourries aux dépens de l e-
pri'us aspicialur si fila illorum continent in an- glise , lui avait fait donner tant de
nis plarimis fuent . etc. h. 3, ep. 26. coups de bâton qu'elle en était de-
{l6l «"" i" 'ie",f q"'°" f ■"""' e'-es' 1 ■ meurée demi-morte. Il est certain que
isn) Maimbourc, Histoire du pontificat de saint • 11 /-._ 1 ■ „'
Grégoire, pa". 353. sl e"e Jl" morte peu de jours après
(*2) Nain qud prtv snmplionc ad episcopalum
audel accedere , qui adhuc longam corporis mi (*') Hoc solum ad ejus damnauonem potes t
continentiam, filiold teste, confine Uur non ha- suffi cere, quod eliam ipse de se dtedurjuisse
hère? L. 8, ep. 11. confessus quod à statu habitut sut m lapsv.m
(*3) Qui posl acceplum sacrum ordinem lap- corporis ceciderit. L. 1 , ep. 23 , md , , .
SUS in peccatum carnis fuent, sacro ordine ita ('■}«) Maimbourg, Histoire du pont.Ccat de saint
careal ut ad altaris miilisterium ulleri'ui non ac- Grégoire, pag. 354-
cedal. L. 3 , ep. 26. Si Clericus fuerit h suo re- (*2) Si forte posl depositionem suàm infere-
mnlus officio , pro mit continua lugendis excès- cundè ac mente perfersd aliquid de episcopalu
gibus in monaileriumdetrudatur. L. 3 , ep. 9 ; loqui , alque. ruriits ad hoc qudlibel aspirait
L. 1 , ep. 18 , /|2. prœsuinplione tentaverit. L. 10, ep. 3 î .
GRÉGOIRE P
221
avoir été si cruellement battue , on
l'eût puni comme coupable d'homi-
cide très-sévèrement , selon toute la
rigueur des canons : toutefois comme
elle ne mourut que huit mois après ,
saint Grégoire ne crut pas qu'on dût
attribuer sa mort a ces coups de bâton
qu elle avait reçus , et se contenta de
le suspendre pour deux mois. iWats
pour le péché d' incontinence , qui
selon les lois de la justice humaine
serait puni beaucoup moins rigoureu-
sement que cette autre action , si in-
digne d'un évêque*, il lui déclare que
s'il l'a commis , quoiqu'on ne le puisse
prouver, il faut absolument, pour sa-
tisfaire à sa conscience, qu'il renonce
u son évéché (3g) .
M. Maimbourg ne quitte point cette
matière, sans dire « que la rigueur
» des canons sur ce point-là n'est
» plus maintenant eR usage , et que
» Ton n'est pas oblige' de suivre sur
» ce cas de conscience le sentiment
» de saint Grégoire (4<>). »
(G) Il fut fort sévère à l'égard de
la calomnie.^ Tout ce que M. Maim-
bourg rapporte surce sujet m'a semble'
si bon que , ne voyant pas qu'il y eût
rien d'inutile , je ne me suis pas
amuse à l'abréger. Il remarque (40
premièrement qu'il y a une oppres-
sion très-subtile , (*') et il' autant ]>lus
dangereuse qu'elle est très-difficile a
découvrir, savoir la calomnie que les
plus sages , et ceux-là même qui font
gloire de souffrir avec joie la première
(4a), trouvent si rude et si peu sup-
portable , qu'ils ne peuvent empê-
cher, quelque force d'esprit qu'ils
aient , que leur constance n'en soit
ébranlée. Ensuite voici ce qu'il ex-
pose : « Je sais que les C*1) lois civiles
» et canoniques ordonnent des peines
» pour punir ce crime , dont on se
» plaint fort dans le monde; mais
» elles ne sont pas toujours bien ob-
» serve'es à l'égard des ecclésiasti-
» ques, comme saint Grégoire le té-
« moigne, et surtout dans les corn-
et)) Maimbourg, Histoire du pontifical de saint
Grégoire, pag. 355 et suiv.
(4o) Là même.
(7|i) l.à même i pag. 46o.
(*') Calurunia conlurbat sautentem. Eccl., c.
(4i) C'est-à-dire , le malheur d' être opprime
par la violence de ceux qui gouvern'tit.
{•') D.gest. , l. 1 , Ut. 2 , Grat. , e. 5,9-6,
caus. G , q. i.
» munautés , où l'on ne fait guère
» justice de la calomnie, sous pré-
» texte qu'en punissant une fausse
» accusation , on ôterait la liberté'
» qu'on doit avoir d'en former de
» véritables, et de découvrir aux
» supérieurs les fautes de ceux qui
» méritent d'être châtiés. Or c'est
» cela que saint Grégoire ne pouvait
» nullement souffrir, comme il est
» aisé de le voir en plusieurs de ses
» lettres. En (+,)efletEpiphane, prêtre
m de l'église de Cagliari , ayant été
» fanssementaccusédequelque grand
» crime , par d'autres ecclésiastiques
» sardiots qui avaient même porté
» jusqu'au pape cette accusation , il
» voulut lui-même connaître à fond
» de cette cause. Et comme il eut
» trouvé que ce n'était là qu'une
» pure calomnie dont on voulait op-
» primer l'innocence de ce prêtre ,
» il le renvoya pleinement absous à
» son évêque, auquel il enjoignit de
» le rétablir dans son ordre , et de
» retrancher de la communion celui
» qui l'avait accusé, s'il n'était prêt
» de montrer par des preuves cano-
)> niques et très - évidentes la vérité
» de ce qu'il avait avancé contre ce
» prêtre. C'est (**) ce que veut la loi ,
» qui ajoute que celui qui accuse
» faussement son frère doit être
» puni de la même peine que méri-
» terait l'accusé s'il se trouvait cou-
» pable. Voici quelque chose de plus.
» Hilaire, sous-diacre de l'église de Na-
» pies, ayantinventé contre Jean, dia-
» cre de la même église , une fausse
» accusation, qu'il ne put soutenir
» contre plusieurs témoins qui at-
» testaient de l'innocence du diacre ,
» le saint trouva très-mauvais que
» Paschasius, leur évêque , n'eût pas
» encore puni le calomniateur. Sur
;> quoi il ordonne au défenseur, An-
» thémius, de l'avertir de sa part,
)> qu'il veut premièrement qu'on le
» prive de son (*3) office de sous-diacre
» dont il est indigne ; secondement
» qu'on le fasse fouetter publique-
(*') L. 3, ind. 12, ep. »4-
(**) Cod. I. 4 et i| , lit. de (in.l-.it leg. finali.
Ciiin calumniantps ad vindictara po.-cat siruiiitu-
do snpplicii. Caus. i , q- 8 , c. 3.
t*3) L p, ind. 4, eP' 66. L't eundem Hrfa-
num prt'us subdiaconatds quo indignus f'ungttur,
privet ojftcio , atque verberibus publiée camga-
lum facial in exilium déportait , ut iinmr pirna^
mullorum point esse coi rectio.
GRÉGOIRE 1er.
222
). ment; car on usait encore en ce
» temps-là de cette sorte de correc-
}> tion pour châtier les clercs , com-
« me on peut voir dans saint (*') Au-
» gustin , quoiqu'on ait depuis aboli
«cette coutume 5 et enfin qu'après
)> avoir été châtie' de la sorte on
» l'envoie ou dans un monastère pour
» y faire pénitence , ou en exil ,
» bien entendu , par l'ordre du ma-
» gistrat, auquel seul il appartenait
j) de punir de l'exil, selon la loi du
» prince, un criminel. Et comme il
3; faisait paraître l'horreur qu'il avait
» de la calomnie en la punissant si
» sévèrement , il se tenait aussi avec
)) très-grand soin sur ses gardes, pour
j> ne s'y pas laisser surprendre, et ne
» croyait point du tout au délateur,
j) jusqu'à ce qu'ayant examine' jus-
)> ques aux moindres circonstances
» de l'accusation , et bien ouï les
33 deux parties, il ne pût nullement
>3 douter que l'accusé ne fût cou-
3) palile Encore craignait-il si fort
33 d'être trompé , quoique innocem-
33 ment , par l'artifice de la calomnie,
33 que, quand il le pouvait, il se
33 dispensait déjuger de l'accusation,
» en s'en rapportant à quelque autre
33 de la suffisance et de la probité du-
33 quel il se tenait fort assuré. >3
(H) On ne saurait excuser la pro-
stitution de louanges avec laquelle il
s'insinua dans V amitié d'un usurpa-
teur.) L'armée de l'empereur Mau-
rice s'étant soulevée contre lui à l'in-
stigation de Pbocas , marcha vers
Constantinople et s'en empara sans
aucune peine. L'empereur fut livré à
Pbocas , qui par une effroyable cruau-
té fit égorger en sa présence et aux
yeux de Maurice cinq petits princes ,
ses enfans , que leur malheureux
père n'avait pu sauver (43). La nour-
rice du plus jeune l'avait retiré adroi-
te ment du massacre, et avait substi-
tué en sa place le sien propre ; mais
Maurice , qui s'en aperçut. , fit re-
donner le sien aux bourreaux (44)-
« Après cela le tyran, plus cruel que
33 les bêtes les plus féroces, n'étant
(*') Qui modus coërchionis , rt à magistris
liberalium artium et ah ipsis parciilibus , ri sre-
pi etîtini in judiciii ait episcopis *vlet usurpari.
Au;;. , «p. i5g.
(4<) Voyet Maimbourg, Histoire du pontifi-
cal tic saint Grégoire, pag. î^rj.
(44J £" même y pag. 180.
33 nullement touché d'une si belle et
3) si généreuse action , qui faisait
)3 fondre en larmes tous les assistans ,
)3 commanda qu'on tuât ce pauvre
33 petit innocent, et que l'on achevât
33 ce sanglant sacrifice de sa cruauté ,
33 en étendant Maurice sur les corps
33 de ses cinq enfans , comme sur un
33 autel, où il le fît encore inhumai-
3) nement égorger. 3> L'aîné des lîls
de Maurice avait été peu auparavant
envoyé au roi de Perse ; mais il fut
pris à Nicée, et décapité. « Le cruel
33 Pbocas fît aussi mourir presque
3> tous les parens et les amis de l'em-
33 pereur Maurice , et même l'impé-
33 ratrice Constantine , et ses trois
)) fdles , contre la parole qu'il avait
33 donnée au patriarche Cyriaque ,
33 qu'il les laisserait vivre en repos
33 dans un monastère où elles s'é-
33 taient renfermées. Enfin il n'y eut
33 jamais tant de sang innocent ré-
3) pandu , ni tant de misères et de
33 malheurs, que sous son règne
33 (45). Aussi n'y eut-il jamais de plus
33 infâme tyran que ce malheureux
33 homme , sans vertu , sans nais-
33 sance , sans honneur, sans mérite ,
» très-mal fait de sa personne , fu-
33 rieusement laid , d'un regard af-
33 freux, paraissant toujours en furie
33 quand il parlait, ivrogne, lascif,
33 brutal, sanguinaire, n'ayant nul
33 sentiment d'humanité , tenant tout
33 de la bête féroce dans ia physiono-
33 mie et dans l'humeur, et ne rete-
33 nant rien de l'homme, que la fi-
33 gure horriblement difforme ; en un
33 mot , ayant toutes les méchantes
33 qualités qu'on peut opposer à celles
33 que les historiens ont extrêmement
3) louées dans Maurice (46). » Je me
"suis servi des paroles du sieur Maim-
bourg, afin que personne ne put dire
que pour flétrir davantage saint Gré-
goire j'exagérais les crimes de Pbo-
cas ; et je m'en vais encore me servir
des expressions du même auteur à
l'égard des flatteries de ce pape , afin
qu'on ne m'accuse pas d'y répandre
quelque sorte de malignité. J'avoue,
dit l'historien (47)) 1"e iout ce que je
viens de dire peut faire quelque peine
ii <rn.i qui après cela liront les trois
tt5)Làm?,ne,pag.
(46) Va même , pug.
(47. Pag.. «Si.
Ceilreno.
GRÉGOIRE P
épîlres que le (*) saint pontife écrivit
a Phocas et a Léontia sa femme ,
quand on sut à Home ce qui s'était
fait h Constantinop/e , lorsqu'il y fut
couronné empereur. Car il semble
que ilans toutes les trois il se réjouit ,
et rend grâces à Dieu de son avène-
ment a la couronne , comme du plus
grand bien qui pouvait arrivera l'em-
pire , et qu il en parle dans les termes
du monde les plus avantageux , com-
me d'un admirable prince, qui le va
faire refleurir, et le rendre très- heu-
reux, en le délivrant de toutes les
misères dont il a été affligé jusqu' alors.
Et il loue Dieu de ce qu'après avoir
été sous un rude et fâcheux joug , on
commence a rentrer dans la jouis-
sance d'une douce liberté sous son
empire. M. Maimbourg colore le
mieux qu'il peut cette étrange flat-
terie (4*5) : il en cherche plusieurs
raisons ; mais il ne dit rien de la vé-
ritable , qui est que Maurice s'était
déclaré pour le patriarche de Con-
stantinople contre le pape Grégoire
(49), dans des disputes très-délicates,
comme le sont toujours les diflérens
sur l'autorité , ou sur la supériorité.
Le pape , ravi d'être délivré d'un
empereur qui favorisait le patriarche
de Constantinople , combla de louan-
ges le nouveau prince , afin d'ob-
tenir de lui ce qu'il souhaitait contre
son rival ^5o1. On n'a presque point
d'exemples d'une vertu qui ait t-té à
l'épreuve de la jalousie d'autorité,
ou de l'intérêt de parti. Qu'un prince
possède les plus grandes quahh-s ,
mais qu'avec cela il soit contraire à
une certaine église , qu'on le chasse ,
qu'on le tue , elle regarde cela comme
une faveur du ciel , elle baise res-
pectueusement la main humaine qui
(*) L. il , ep. 38 , ind. 6 et 45 et 46.
(48) Voici comme M. Cave, Hist. litter.
Scriptor. eccles. , pag. liii , s'exprime : Anno
6o3 datis ad Ptaocam tyrannum lilteris imperium
illi pessimis flagitiis arreptum eraluiatus est : qinn
et si verum l'ateri las si t , aileo lurpiter iu liâc re
lapsus est Gregorius, ut scelestissimo parricida;
excogltatissimis adulandi artibus blandiri , et in
piis-mii principes Mauricii mânes acerviuiè de-
Daccliari non erubesceret.
(4"}) Maimbonrg en convient , pag. \i'\.
(5o) Phocas favorisa la cour île Fome , elfil
une loi par laquelle il défendit a l'évéque de
Constantinople de s'intituler patriarche œcu-
ménique , déclarant que ce n'était qu'au seul
e'vcque di- l'ancienne Ilvme que ce titre apparte-
nait. I l^cl Maimbourg, pag. 126.
2 2J
procure cette faveur, et surtout lors-
3ue cette main prend le contre-pied
e l'autre prince. On voit alors dans
la bouche du clergé deux proposi-
tions contradictoires : le parti qui
perd son patron ne considère cette
perte que comme un malheureux
complot des puissances infernales; il
cite les lois divines et les lois hu-
maines contre la révolution. Mais
l'autre parti ne parle que des voies
merveilleuses de la providence, que
des soins paternels du ciel , et se jette
à corps perdu sur les dogmes de la
politique. Mais je ne sais si jamais
l'on a porté cette prévention à des
infamies semblables à celles de saint
Grégoire. Quelle chute! quel aveu-
glement ! quelle lâcheté ! Un pape
qui est si sévère contre un pauvre
clerc fornicateur, et qui donne là-
dessus des sentences si terribles , écrit
à Phocas sans lui témoigner qu'il eût
bien voidu que Maurice et ses enfans
n'eussent pas soull'ert le dernier sup-
plice. Il n'y a point de gens qui crient
plus contre les pyrrhoniens que mes-
sieurs les gens d'église , et personne
n'est plus accoutumé qu'eux à tour-
ner, comme un nez de cire , toutes les
règles de morale , selon l'intérêt ré-
ciproque de leur cause , ce qui dans
le fond est un pyrrhonisme très-dan-
gereux.
(I) Une très-méchante reine de
France.} C'était la rtine Brunebaud.
Dans toutes les lettres que ce pape
lui écrivit, il lui donna (5i) toutes
les louanges qu on peut donnera une
des plus parfaites princesses du monde,
jusque-là qu'il n'a point fait de dif-
ficulté de dire fort affirmativement
que la nation française est la plus
heureuse de toutes , puisqu'elle a mé-
rite d'avoir une semblable reine ,
douée de toutes sortes de vertus et de
belles quali.és {*)■ Voici ce qu'on
trouve sur ce sujet dans les Nou-
velles de la République des Lettres
(52) : On doit tenir à ce pape un plus
grand compte de ses bonnes inten-
tions , que de la complaisance exces-
(5i) Maimbourg, Histoire du pontificat de saint
Grégoire , pag. 3i3.
(*) Piyp aliis gentibus gentem Francorum
asierimvs feticetn, qum sic bonis omnibus vrœ-
il.iam méruit habere reginam. L. 11 , ep 8.
(52) Nouv. de la République dei Lettres,
mois ((février [686, pag- ijjfri
224
GRÉGOIRE Ier
sive au il avait pour la reine Brune- pour empêcher qu'on ne V élevât sur
haud , la plus méchante femme de la le trône patriarcal (56). Le pape
terre, a ce que disent presque tous les Grégoire lui en rendit ce témoigna-
histoiiens , mais en même temps la ge , quo ardore , qup studio beatitudo
plus adroite a s'acquérir le clergé , vestra episcopatds pondus fugere
parce qu'au milieu de ses crimes les voluerit scio (5'j). Mais lorsque ce
jjlus atroces , elle conservait un esprit grand jeûneur eut été assis pendant
de magnificence extraordinaire envers quelque temps sur ce beau trône , il
les gens d'église (53), et en fonda-
tions de temples et de couvens , sans
oublier de demander bien dévotement
des reliques au saint père — M. Maim-
bourg convainc de supposition les
exemptions qu'on prétend avoir été
accordées par ce pape a la pieuse
reine Brunehaud , car c'est de celte
vertu que saint Grégoire la loue , et
qu'on louera toujours quiconque sera
ne fut plus le maître de son orgueil.
Peut-êre était-il atteint de cette mau-
vaise qualité' avant son patriarcat ;
car il est assez ordinaire que si la
nature corrompue ne peut pas pous-
ser les gens à la volupté , elle se dé-
dommage par d'autres défauts, et
principalement par l'esprit d'orgueil.
Peut-être aussi que la dignité pa-
triarcale , par je ne sais quelle fata-
ibéral envers l'église , la dupe née de lité contagieuse , fit naître dans l'â-
ces gens-la , qui quelquefois sont les nie de Jean le jeûneur les sentimens
dupes h leur tour. Cela me fait sou- de l'ambition. Quoi qu'il en soit , il
venir de la réponse qui fut faite par lui fut facile sous cette grande di-
un chartreux à Philippe de Comines. gnité de se mettre au large : il pou-
« Le corps de Jehan Galeas, un grand vait se couvrir du beau prétexte des
» et mauvais tyran est aux char- droits du patriarcat qu'il occupait.
» treux à Pavie , près du parc, plus Ceux qui se piquent d'une austère
» haut que le grand autel, et le m'ont dévotion tiennent plus facilement à
j) monstre les chartreux , au moins la chaîne leurs défauts lorsqu'ils ne
sont pas dans un poste où ils peuvent
alléguer les intérêts de l'église, ceux
de la gloire de Dieu , la charité du
prochain , etc. ; mais lorsqu'ils occu-
pent de tels postes , ils peuvent met-
tre en liberté plusieurs passions , et
les faire voguer à pleines voiles sous
les auspices sacrés qu'on vient de
toucher. Revenons à Jean le jeûneur.
11 se donna le titre de patriarche
œcuménique : le pape le trouva si
mauvais, qu'il lui défendit sur pei-
ne d'excommunication de plus pren-
dre cette qualité. Jean le jeûneur
s'étonna si peu de ces menaces , qu'il
retint toujours son titre d'oecumé-
nique. Et il le fit avec tant de hau-
teur, ou plutôt avec tant d'affecta-
tion , que dans les actes d'un synode
qu'il envoya il Rome. . . il se nomme
» ses os (et y monte-1'on par une
>» eschelle) lesquels sentent comme la
» nature ordonne : et un natif de
» Bourges le m'appela sainct : et je
« lui demanday en l'oreille , pour-
» quoy il l'appeloit sainct , et qu'il
» pouvoit voir peintes à l'entour de
« luy les armes de plusieurs cités
» qu'il avoit usurpées , où il n'avoit
» nul droit Il me respondit tout
» bas : IVous appelions , dit-il , en ce
» pays icy, saincts, tous ceux qui nous
» font du bien (54)- » La maxime de
ces bons moines est de tous les temps,
et de tout pays.
(K) Le zèle qu'il témoigna contre
l' ambition du patriarche de Constan-
tinople était mal réglé. J Ce patri-
arche est honoré comme un saint
dans l'église grecque : il s'appelait
Jean le jeûneur. On lui donna le sur- presque il chaque ligne patriarche
nom de jeûneur, à cause que c'était
un homme d'une incroyable absti-
nence, et d'une très-grande au sterité
œcume/uque (58). Ce fut la source
d'une très-grosse querelle entre saint
Grégoire et lui. Bien des gens préten-
de vie (55j Il fit tout ce qu'il put dent qu'il n'y avait entre eux qu'une
dispute de mot , et il semble que
(53) V oyn Maimbourg, Histoire du pontificat
rie saint Grégoire , pag. 23fi.
(54) l'Iiilipp. deComims, Mémoires, liv. y II,
pag. m. 45 1.
(55) Maimbourg, HUloivc du pontificat de saint
Ciégoire , pag. io3.
(5(i) Là même, pag. 106.
(57) Gregor. , lit). I , epist. IV ( ind. 9, apud
Maimbourg , pag. 106.
(58) Maimbourg, Histoire du pontificat de saint
G "y lire j pag 109.
GRÉGOIRE Ier. 225
M. Maimbourg le prouve assez bien, que dans Johannes Sarisheriensis ;
Mais il ne saurait le faire sans que , ainsi je n'y ajoute pas beaucoup de
bon gré mal gré qu'il en ait, on ne foi ; mais je rapporte ses paroles : Si
trouve là une furieuse satire contre vero ma i/iematicorum via es set tisane-
Us deux principaux prélats de ce quaque laudabilis , non tant opère pœ-
temps-là , l'évoque de Rome et le pa- nituisset magnum Au gustinum se eo-
triarche de Constantinople ; car quoi rum consultait nibus inclinasse. Ad
de plus ridicule que les tempêtes hœc doctor sanctissimus ille Grego-
qu'ils excitèrent, s'il est vrai que rius qui melleo prœdicalionis inibre
leur dispute ne fut qu'une vaine totam rigavit et inebriavit ecclesiam
question de nom (5g) ? non modo mathesin jussit ab auld \
(L) // n'est pas certain qu'd ait sed ut traditur a majoriùus , incendia
fait détruire les beaux monumens des dédit probalœ lectionis scripta Pa-
Romains. ] Il est certain qu'il en a lalinus
été accusé ; car voici ce que dit Pla- Quiecnnqoe tenebat Apollo ,
Une en rejetant cette accusation. Ne-
que est cùrpatiamur Gregorium hdc l,n 1utblls erant prœcipna , quœ cos-
in re à ffibusdam litterarum ignaris lest,ium "tentent , et superiorum ora-
IISIUH t>C C*lf ►'O/Clt ^ «*». IpSl îlîl£l<.tt.t, f p -* j -- s w" 9
ad urbem religionis causa venientes a!in .de rendre Ph,s recommanda-
posthabitis locis sacris , arcus trium- ^les les hvres sacrés. Ferlur beatus
phales et monumenta velerum cum L"'t:g°rius bibliothtcam combussisse
admiratione inspicerent. Absit hœc gentllf>1 , ?"° divtnœ paginas gratior
calumnia h tanto pontifïce Romano eJs.et {ocus > e\ maJor autorilas , et
prœsertim : oui cerlè p6st Deum pa- dl'igentta studiosior (63) . Ce qu'il y
tria quant fila car ior fuit (6o). Le a d.e tort certain , c'est que le pape
même historien remarque que Sabi- avait C0.I!ÇU beaucoup d'aversion
nien qui succéda à Grégoire témoi- Pol,r les hyres du paganisme. On en
gna une extrême animosité contre Jn§era P". ce morceau de son bis-
son prédécesseur, dont il ne s'en toire/( Didier, archevêque de Vienne,
» était un homme d'un très-grand
» mérite , d'un rare savoir et d'une
» vertu fort éclatante , à qui saint
» Grégoire a écrit plus d'une fois
» avec éloge ; et néanmoins il trou-
w va à redire à sa conduite , et le
» reprit aigrement , comme d'un
» grand crime , de ce qu'il s'em-
» ployait à enseigner à quelques-uns
» de ses amis la grammaire et les
» lettres humaines , et à leur expli-
» quer les poètes. Il assure que cette
fallut guère qu'il ne fît brûler les
livres. Quelques habitans de Rome
poussaient à cela le nouveau pape ,
à cause , dit-on , que saint Grégoire
avait mutilé ou renversé les statues
des anciens Romains. Platine rejette
aussi cette accusation. Paululàm
etiam abfuit quin libri ejus combure-
rentur , adeo in Gregorium ira et in-
vidiaexarserat homo malevoltts. Sunt
qui scribanl Sabinianum insligantibus
quibusdam Romanis hoc in Gregorium
molitumesse, qubd velerum statuas " ^cheuse nouvelle lui a donné tant
totd urbe dam vivent, et obtruncave- " de chagrin que toute la joie qu'il
rit et disjecerit : quod quidem ita vero " avalt, el'e d apprendre le succès de
dissonum est, ut illud quod de abo- * ses, et"des, et de sa grande capa-
lendis œdificiis majorum in vitd ejus " clîe ' s était changée tout à coup en
diximus (6i). " tristesse , Parce que, lui dit-il (*),
(M) On l'accusa d'avoir fait brûler (6a, joban.SariBl.erieniîs, de Nugis Curialium,
une infinité de livres païens. ] La bi- Ub. II , cap. XXVI , pag. m. 104.
bliothéque palatine qu'Auguste avait (&*) Idem, ibidem, Ub. VIII , cap. XIX ,
fondée fut réduite en cendres par pflA\sA'7 ■- • 7 ■ 1 ,-,
n , ,, T , . « r -, {*) \tuiit m uno le ore cum Jovis laudibus
Saint Grégoire , dit-on. Je n ai lu cela Chrùti laudes non capiunt. Et quàm grave ne-
fandumque sit episcopis canere quod nec lateo
(5g) Voyez les Nouvelles de la République 'religtoso coiwenial.ipse considéra. Quanlb exe-
des Lettres , mois de février 1686 , pag, 189. crabile est hoc de sacerdole enarrari, lantà
(60) Platina , in Grrgorio I. utrum ita neene sil dislricld et veraci oporlet
(61) Idem, in Vitâ Sabiniani. salisj'actione cognosci.
Tome vu. i5
22Ô
GRÉGOIRE I".
« les louanges de Jupiter et celles
» de Jésus-Christ ne peuvent être
» dans la même bouche. Songez un
» peu combien c'est une chose indi-
» "ne et détestable a un évéque , de
» chanter des vers que même un laï-
» que dévot et religieux ne pourrait
» réciter avec bienséance , et sans
» faire tort à sa profession. Il ajoute
» qu'encore que d'ailleurs ou l'ait
» assure qu'il n'en e'tait rien, cela
» pourtantlui tienttoujours bien fort
j> au cœur, et qu'il veut s'informer
» d'autant plus exactement de la vé-
» rite' , qu'il est plus horrible , et mê-
j) me exe'crable d'entendre dire une
3» pareUle chose d'un prêtre, et d'un
3> évêque. Que(*), si néanmoins , lui
3> dit-il enfin, pour le consoler, je puis
3> connaître évidemment que le rap-
3> pon qu'on m'a fait contre vous est
3) faux , et que vous ne vous amusez
3> point a ces bagatelles de lettres
3> humaines et de sciences mondaines
» et séculières , j'en rendrai grâces h
3> Dieu , qui n'aura pas permis que
» votre cœur soit souillé des louan-
3> ges pleines de blasphèmes que ces
3) auteurs profanes donnent aux plus
3> scélérats de tous les hommes (6/f). »
M. Maimbourg ne manqua pas de
réfléchir sur soi-même après avoir
rapporté cela. Voyez ses paroles dans
les nouvelles de la République des
Lettres , mois de septembre 1686,
pag. io34, et dans M. Seckendorf ,
page 4 du Ier. livre de l'Histoire du
luthéranisme.
(N) et nommément Tile Live.}
Antonin , archevêque de Florence, est
le plus ancien auteur qui soit cité
pour cela par Vossius. On prétend
queTite Live fut ainsi traité, à cause
qu'il insiste trop sur les cultes su-
perstitieux du paganisme. Al miri-
Jicus zelus fuit sancti Gregorii , qui
ut sanctus Antoninus , et ex eo Jo.
Hesselius ex uiroque Raderus ad
Marlialem tradit , Livium propte-
rea combussit , quôd in supersti-
tionibus et sacris Romanorum per-
petuô versetur (65).
(*) Si posthac evidenter ea quar ad nos per-
lala sunt falsa esse claruerint , nec vos nugis et
sœcularibus lilteris sludere constilerit , Deo nos-
Iro grattas agunus, qui cor vestrutn maculari
bla<phemis nefandorum laudibus non permisit-
(64) Mtairabourg, Histoiredu pontilica» de saint
Grégoire, png. 263, 264.
(65) Vossim, de Hiet. Ut., pag. 98.
(0) J'ai pensé oublier V attachè-
rent de ce pape pour la psalmodie de
■glise. ] « (66) Il s'appliqua prin-
cipalement à régler l'office et le
chant de l'église. Pour cet effet il
composa son Antiphonairc (67)
Il n'y a rien de plus admirable que
ce qu'il lit en cette occasion. Quoi-
qu'il eût sur les bras toutes les
affaires de l'église universelle , plus
encore accablé de maladies que de
cette multitude infinie de tant de
différentes choses , auxquelles il
fallait nécessairement pourvoir
dans toutes les parties du monde :
il prenait néanmoins le temps
d'examiner lui-même d auquel air
on devait chanter les psaRmes , les
hymnes , les oraisons , les versets ,
les répons, les cantiques , les le-
çons , les épîtres , l'évangile , les
préfaces et l'oraison dominicale ;
quels étaient lestons, les mesures ,
les notes , les modes les plus con-
venables à la majesté de l'église ,
et les plus propres à inspirer de la
dévotion ; et il en forma ce chant
ecclésiastique qui n'a rien que de
grave et d'édifiant , qu'on appelle
encore aujourd'hui le chant gré-
gorien. Il institua de plus une aca-
démie de chantres (*') , pour tous
les clercs jusqu'au diaconat exclu-
sivement , parce que les diacres ne
doivent s'employer qu'à prêcher
l'évangile, et à distribuer les au-
mônes de l'église aux pauvres , et
qu'il voulait que les chantres s'ap-
pliquassent à se rendre parfaits
dans l'art de chanter juste , selon
les notes de son chant , et à se bien
former la voix pour chanter agréa-
blement et d'un air dévot, ce que ,
selon saint Isidore (*') on n'obtient
que par le jeûne et l'abstinence.
Car , dit-il , les anciens jeûnaient
la veille qu'ils devaient chanter ,
et n'usaient dans leur vivre or-
dinaire que de légumes pour avoir
(66) Maimbourg, Histoire du pontificat de saint
Grégoire , png 327.
(6-) Là même , pag. 33o et suiv.
(*') Scholamquoque Cantorum, quœ haclen'us
eisdem instttulionibus in S. R. eccl. modulalur,
construit. L. 4 , ep. 44-
(*2) Isid. , de eccl. Offic. L. 2, c. 12. Pridii
quàiu cantandum eral cibis abslinebanl psal-
tentes, legumine in causa vocis assidue uleban-
lur, unde et canlores apud gentiles faborii die-
ti sunt.
GRÉGOIRE Ier.
227
» la voix plus nette et plus clai-
» re,d'où vient que les gentils ap-
» pelaient les chantres mangeurs de
» fèves. Je ne sais pas aujourd'hui
» si les chantres voudraient bien s'ac-
» commoder de cette me'thode , à la-
» quelle ils ne sont pas trop accou-
» tume's. Quoi qu'il en soit , saint
» Grégoire prenait grand soin de les
» instruire, et leur faire des leçons
» lui-même, tout pape qu'il était ,
» pour leur apprendre à bien chan-
» ter. Jean (*) le diacre nous assure
j> que , de son temps , on gardait avec
» grande vénération , dans le palais
» de Saint-Jean-de-Latran , le lit où
» étant malade il ne laissait pas de
» chanter , pour enseigner les ehan-
» très , et le fouet avec lequel il me-
o> naçait les jeunes clercs et les en-
» fans de chœur , quand ils ne pre-
» naient pas bien le ton , et qu'ils
» manquaient aux notes de son
» chant. » Il faut faire ici une obser-
vation contre ceux qui citent sans
examiner les circonstances. Le mi-
nistre wallon , qui publia un gros
livre de la divine mélodie du saint
psalmiste, l'an 1644, ne s'est pas mis
en peine si les choses avaient changé
depuis Jean le diacre auteur de l'his-
toire de saint Grégoire. Jean le dia-
cre a vécu au IXe. siècle. Il a dit
qu'on gardait encore le fouet avec
lequel ce grand pape menaçait les
écoliers de musique. Mais il ne s'ensuit
pas que nous puissions user comme
lui du temps présent, lorsque nous
rapportons ce fait : et ainsi le minis-
tre wallon est très-digne de censu-
re. Voici ce qu'il a dit (68) : Gré-
goire-le-Grand , auparavant cité , in-
stitua une école de chantres , et leur
bâtit des collèges avec un revenu
convenable. On montre encore h Ro-
me , aujourd'hui , son lit sur lequel se
reposant il modulait ; le Jouet avec
lequel il corrigeait ses disciples ; et
V Antiphonaire authentique. Naucl.
94-
(P) Dom Denis de Sainte-Marthe
ne paraît guère content de M. 3Iaim-
bourg.] Il trouve que Y Histoire du
(*) Vsque hodiè leclum ejus in quo reculant
modulabatur , et flagellum ejus quo pueris mi-
nabatur, veneratione congrud cum authentico
j4niiphonario reseriatur. Jo. tliac. , 1. 2, c. 6.
(68) Jértrn. de Pours, Divine Mélodie, pag.
1070.
pontificat de saint Grégoire-le-Grand,
publiée par cet auteur , ne comprend
pas toute la vie du saint (69). Il
ajoute que M. Maimbourg ne s'est
attaché qu'a certains faits de son
pontificat, qui entraient dans ses des-
seins et dans ses vues , négligeant
tous les autres, qui toutefois méritent
d'être connus. Je sais, dit-il , en un
autre endroit (70) , « qu'un écrivain
» fameux , qui a donné au public
» l'Histoire du pontificat de saint
» Grégoire , et qui se pique d'un
» grand désintéressement , l'a blâmé
» de s'être si fort échauffé dans une
» affaire de rien. Cependant je ne
» doute pas que si saint Grégoire ou
» quelqu'autre pape avait entrepris
» de se faire appeler patriarche œcu-
» ménique, et que Jean , patriarche
» de Constantinople , ou quelqu'au-
» tre évêque s'y fût opposé , le même
v écrivain n'eût blâmé le pape de
» cette entreprise , comme d'une
» présomption et d'une usurpation
» insupportables , loué la générosité
» du patriarche , de l'évêque , et gé-
» ncralement de tous ceux qui s'y
» seraient opposés. Tant il est dan-
» gereux d'apporter à écrire l'his-
» toire un esprit rempli de préjugés,
» qui cherche autant à faire entrer
» ses sentimens dans le récit des
» faits, qu'à exposer ces faits avec
» une entière sincérité. » C'est nous
donner une idée désavantageuse du
cœur de M. Maimbourg.
(Q) Ce qu il observe contre les
cenluriateurs de Magdebourg est
mêlé de fausse critique. JYous le
verrons ci-dessous .] Tout le monde
sait que la dispute sur les vœux du
célibat est fort grande entre les pro-
testans et les catholiques romains , et
que l'une des raisons des protestans
est que ces vœux-là traînent après
eux beaucoup de désordres et une
infinité d'oeuvres de ténèbres (71) ,
infructueuses tant qu'on voudra , se-
lon le sens de l'Evangile , mais très-
fructueuses en un autre sens puis-
qu'elles donnent la vie à un très-
grand nombre de créatures humai-
(69) Denis de Sainte-Marthe , dans sa pré-
face .
(-0) Le même, Histoire de saint Grégoire,
Uv.'lII, chap. I, pag. 336, 337.
(-1) Voyei /'épîlre aux Epliisiena , chap. V ',
228 GRÉGOIRE Ier.
nés. Il est vrai que ce sont des fruits » d'autres ailleurs (72). » Voilà des
qu'on ne laisse pas mûrir : on les difficultés que Baronius ni Bcllarmin
étouffe avant leur naissance autant ne proposent point , quand ils réfu-
que l'on peut , il faut faire en sorte tent ce conte des centuriateurs de
de couvrir le premier crime , et on Magdebourg. Je ne sais si elle n'ont
ne le peut guère que par un second pas été inventées par dom Denis de
péché plus énorme encore que le Sainte -Marthe. 11 trouvera bon que
précédent. Voilà ce que les contro- je lui dise qu'autant qu'elles peuvent
versistes ne manquent pas d'alléguer- paraître spécieuses à ceux qui s'arrê-
et ils disent même que la découverte tent aux premières impressions, au-
de ces désordres a obligé quelque- tant sont-elles destituées de solidité
fois à révoquer la dure loi du céli- à l'égard de ceux qui examinent les
bat. Voici un assez long passage de choses attentivement. Tout le monde
dom Denis de Sainte -Marthe. <t Je m'avouera que dans les matières de
» n'entreprends point de réfuter ici fait, ceux qui réfutent doivent faire
j» une fable débitée par les centu- des objections qui soient opposées
î) riateurs de Magdebourg (*) , qui se au but de leur adversaire. Voyons si
33 détruit d'elle-même. On veut que les difficultés du père de Sainte-Mar-
» saint Grégoire -le -Grand , après the ont cette propriété. Je trouve
» avoir fait un décret pour ôter aux qu'elles seraient bonnes si Udalric ,
» prêtres leurs femmes , ait été obli- et ceux qui allèguent sa lettre ,
» gé de le révoquer, à cause de ce avaient prétendu que ces meur-
)> qui arriva dans la suite. Peu de triers de bâtards leur coupaient la
» temps après ce règlement, le pa- tête, et ne la jetaient que dans le
m pe , dit-on, ayant envoyé pêcher vivier du pape. Cette prétention se-
3> dans un réservoir qu'il avait, au rait sujette aux grands inconvéniens
» lieu de poisson l'on tira de l'eau que l'auteur ] ropose, et il serait très-
» six mille têtes de petits enfans. difficile d'opposer quelque bonne
3) Grégoire connaissant donc que ces probabilité à ses questions. Mais il
3> enfans étaient les fruits de Pinçon- ne faut point s'imaginer que l'on pré-
3> tinence des prêtres qu'il avait pri- tende cela. On a voulu seulement
33 vés de leurs femmes , révoqua son narrer ce qui avait été découvert
3) décret , et fit pénitence du péché dans le réservoir de saint Grégoire ;
33 qu'il avait commis , en donnant et si l'on n'a point parlé du Tibre
3) lieu à tant de crimes. On ajoute Gu des autres lieux publics , ce n'est
3> que saint Udalric , archevêque pas que l'on ait cru qu'aucun des
3> d'Augsbourg , a écrit ceci au pape enfans qui étaient le fruit de l'incon-
3) Nicolas. Tout ce narré n'est qu'un tinence des ecclésiastiques n'y eût été
3> amas confus de faussetés mal in- jeté ; c'est parce qu'on ne savait pas
33 ventées. Par quelle raison choisit- que les mêmes crimes y eussent été
3) on le réservoir du pape , plutôt découverts , ou bien parce qu'on se
3> que le Tibre ou les autres lieux contenta des conséquences qui pou-
3> publics , pour y jeter ces six mille vaient être tirées de ce qui avait été
3) têtes d'enfans ? Que fit-on de leurs vu dans le réservoir. On supposa qu'il
3) corps dont on ne parle point? Est- serait facile de tirer cette conclusion :
33 il à croire que ceux qui les avaient le seul réservoir du pape a contenu
3) tues, et qui avaient intérêt de les six mille enfans; donc le nombre
3) cacher , eussent pris plaisir à les des enfans qui ont été étouffés pour
3) décapiter, et à porter leurs têtes cacher le crime des pères et des mè-
3) dans l'enceinte du palais du pape, res est presque infini: car combien
3> pour faire bientôt découvrir leurs en a-t-on jeté dans le Tibre, dans
3> crimes? Ne craignirent-ils point les cloaques, dans les puits? combien
)3 qu'elles ne flottassent sur l'eau? en a-t-on enterré, etc.? Un homme
3) Comment étaient-ils convenus tous qui rapporte qu'en creusant les fon-
3) ensemble de porter ces têtes dans démens d'un tel palais on a trouvé
3> un même endroit ? Car on ne mar- beaucoup de médailles, ou d'osse-
3> que pas qu'il en ait été trouvé
(72I Denis de Samte-M.irtlie , Histoire de
(*) Centur. G , c. 7. saint Grégoire, liy. Il , chap. IJr, pag. 206.
GREGOIRE 1er
229
mens, prétend-il que c'était le seul entrer sans l'aveu des maîtres, pré-
endroit où l'on ait pu rencontrer «le caution qui ne sert de rien contre
pareilles choses? Et sous prétexte peux qui veulent y jeter un petit en-
qu'il ne dit rien des autres endroits , fant.
ses adversaires peuvent-ils combat- Il y a peut-être un assez bon nom-
tre par ce silence ce qu'il affirme? bre de controversist.es qui, ayant à
Notez qu'il y a une raison particuliè- répliquer pour 1rs centuriateurs au
re pourquoi l'on a fait mention de ce bénédictin Sainte-Marthe, borneraient
réservoir plutôt que du Tibre , etc. : ici l'apologie. J'en connais qui en
les rivières ne se vident point ; mais useraient de cette façon , et qui mê-
de temps en temps on vide les re'ser- me, chantant le triomphe avec des
voirs , afin d'en tirer tout le poisson ; airs insultans, se vanteraient d'avoir
et c'est alors qu'on peut découvrir si mis en poudre toutes les nouvelles
des enfuis y avaient été jetés. Pour machines avec quoi l'on avait voulu
en savoir le nombre on se contente combattre le récit de ces auteurs ai-
de compter les tètes , parties uniques
en chaque enfant cl très-aisées à dis-
cerner. Voilà pourquoi on n'a di\
lemands. Mais pour moi, qui tiens à
honneur de n'imiter pas (74) une
conduite si opposée à la bonne foi,
faire mention que des tètes dans l'é- je déclare que dom Denis de Sainte
pître d'Udaliïc. Il ne faut pas que le
père de Sainte-Marthe trouve mau-
vais qu'on n'y dise rien du corps. Ce
reproche serait bon à faire à des com-
missaires qui auraient e'té envoyés
sur les lieux pour examiner l'état du
vivier. Ils seraient blâmables, si leur
Marthe a employé d'autres raisons
infiniment plus solides que celles
que j'ai réfutées \ car voici ce qu'il
ajoute (^5) : Mais avec quelle impu-
dence ose-t-on dire que saint Gré-
goire se relâcha dans la suite sur la
continence des prêtres ? Quel pape a
procès verbal ne contenait pas plus eu plus de zèle et de fermeté que lui
de circonstances que la lettre d'Udal- pour la faire observer? On peut con-
ric. Ils auraient été obligés de mar- naître ses véritables senlimens , par
quer si outre les tètes, on avait aussi la réponse qu'il fit a saint Augustin,
trouvé d'autres ossemens ; si tous les sur diverses difficultés qu'il lui avait
corps étaient décharnés: si quelques
uns n'étaient pouris qu'à demi , ou
que mangés à demi par les poissons,
et telles autres particularités : mais
un auteur , qui allègue cette décou-
verte comme une chose à opposer à
la loi du célibat, n'a que faire d'au-
cun détail, il lui doit suffire de mar-
quer en gros que l'on trouva six
mille tètes. Si ce que dom Sainte-
Marthe assure touchant la situation
du réservoir était véritable , ce serait
une assez bonne difficulté ; mais qui
lui a dit que ce réservoir était dans
l'enceinte du palais? Baronius eût-il
négligé de se servir de cette raison ,
si elle eût été bien fondée ? Se fùt-il
contenté de dire que les viviers n'é-
taient pas publics , et qu'on les gar-
dait très-bien (^3) ? Mauvaise raison •
car on ne met. pas de sentinelles
Ïiendant la nuit à l'entour de ces
ieux-là ; on se contente de mettre
ordre que des pécheurs n'y puissent
(73) Ciim cerlum sit piicinas Mas in quibus
pièces asservari soient , non fuisse omnibus pu-
blions , sed oplimè custodilas. Baron. , ad ann.
5ç)t , num. 21 , pag. Ml. 29.
proposées. Car répondant au second
article , il exclut expressément les
clercs promus aux ordres sacrés, du
nombre de ceux qui peuvent contrac-
ter mariage. Pour confondre davan-
tage les écrivains hérétiques qui ont
y oulu donner créance à ce mensonge,
on a déjà fait voir que le pape IVico-
las l'T. était mort avant que saint
Udalriç fut ai* mande, et que JYico-
las II n'a été paye que fort long-
temps après la mort de ce saint. Voilà
deux bons argumens contre ce qu'a-
vancent les centuriateurs : Earonius
(76) et Bellarmin (77) s'en étaient
servis avec une grande force. Le bé-
nédictin eût bien fait de n'employer
que cela; car le véritable moyen de
multiplier les répliques et les dupli-
ques à l'infini , est de mêler les faus-
ses raisons avec, les bonnes : un ad-
(74) TjOngè mea discrepat tslis
El vox et ratio.
Horal. , sal. VF, vs. 92, lib. 1.
(75) Sainte-Marthe , Histoire île saint Grégoi-
re, pag. 207.
(76) Baron., ad ann. Spi , num. ig, 20, 21.
(77) Bellarmin., àe Clericis, lib. /, c. XXII t
pag. m. 1 1 .■ i , 1125.
23©
GRÉGOIRE Ier
versaire trouvera toujours de quoi
nourrir la dispute pendant qu'on lui
donnera de fausses preuves à re'futer ,
et il persuadera à beaucoup de gens
de son parti, qui ne lisent jamais les
ouvrages du parti contraire , que sa
cause est toujours victorieuse. De là
vient qu'à l'égard d'une infinité de
gens rien n'est jamais éclairci , et
que beaucoup d'autres regardent
toujours comme un problème les
faits les plus dignes d'être rejetés.
Il me semble que l'on doit mettre
dans cette classe de faits celui que
les centuriateurs de Magdebourg , et
leurUdal rie rapportent; car d'un côté
on ne voit ailleurs aucun vestige
ni de la révocation ni du repentir
qu'ils attribuent à saint Grégoire ,
etde l'autre, il paraît manifestement
par les écrits de ce pape, qu'il ne
s'est jamais relâché à l'égard de l'in-
terdiction du mariage des prêtres.
Tout son relâchement consista à n'exi-
ger point que les sous-diacres qui
avaient été ordonnés avant la décré-
talc(78) de son prédécesseur fussent
contraints de se séparer de leurs
femmes ; mais il défendit de les éle-
ver aux autres ordres supérieurs, et
il voulut que les évêques n'ordon-
nassent point de nouveaux sous-dia-
cres , qu'après leur avoir fait pro-
mettre de vivre en continence (79). A
moins donc que l'on n'apporte de
bonnes preuves , et de la révocation
de la loi du célibat, et du repentir
de saint Grégoire, et que d'ailleurs
on ne fasse voir certainement qu'il
y a eu un Udalric évêque d'Augs-
bourg contemporain de quelque pape
nommé Nicolas , on ne sera jamais
digne de foi en nous alléguant la
lettre d'un Udalric , et ces six mille
têtes d'en fans trouvées dans le réser-
voir de saint Grégoire.
Faisons encore deux ou trois ob-
servations. i°. Le récit de cette
affaire n'est pas bien tourné. Voici
les paroles des auteurs des centuries :
Beatus Gregorius Magnus papapri-
mus aliquando suo quodam décréta
uxore.t sacerdotibus ademit. Deindè
paulo post cùm idem Gregorius jus-
(78) Celle par laquelle Pelage II avait or-
donne' que tous les sous-diacres de Sicile se sépa-
rassent de leurs femmes.
(-9) Voyez Sàinte-Marthc, Histoire Je saint
Orégoire, pag- 2o5, 20(1.
sisset ex piscind sud pisces aliquoS
capi , piscalores pro piscibus sex
millia capilum inj'antium sujffbcato-
ruin repererunt. Qua/ii cœdem inj'an-
tium ciim intelligeret sanctus Gre-
gorius ex occultis fornicalionibus vel
adultéras sacerdotum natam esse ,
continua revocavit decretum , et pec-
catum suum dignis pœnitentiœ J'ruc-
tibus purgavit (80). Ils supposent que
le pape Grégoire fit un décret pour
empêcber que les prêtres ne se ma-
riassent , et que peu après il donna
ordre que l'on tirât de son vivier
quelques poissons, mais que les pê-
cheurs, au lieu de poissons, y trouvè-
rent six mille têtes d'enfans ; que là-
dessus ce pontife cassa son décret ,
et répara son péché par des fruits
dignes de repentance ; il connut que
le meurtre de tant d'enfans procé-
dait de l'incontinence des prêtres.
Cette narration, je le dis encore un
coup , est très-mal tournée. L'on y
suppose que six mille enfans furent
jetés dans le réservoir du pape en
très-peu de temps , et que les pê-
cheurs qui trouvèrent les six mille
têtes de ces pauvres créatures ne
prirent aucun poisson. Tout cela est
absurde : une si grande quantité d'en-
fans noyés dans le même lieu de-
mande bien des années (81), et se-
rait beaucoup plus propre à multi-
plier les poissons qu'à les détruire
tout-à-fait. On eût beaucoup mieux
accommodé la narration , si l'on eût
dit que saint Grégoire abrogea le cé-
libat des ecclésiastiques, établi depuis
fort long-temps , et que la raison
pourquoi il leur permit le mariage
fut qu'ayant voulu faire nettoyer son
réservoir , qui depuis un fort grand
nombre d'années n'avait été nettoyé,
on y trouva six mille têtes d'enfans.
Un tel narré donne autant d'années
que l'on peut en souhaiter. Con-
cluons, c'est ma seconde observa-
tion , qu'en arrangeant mal les cir-
constances d'un fait (82) , on le rend
douteux , contraire à la vraisemblan-
ce, ridicule, absurde, quelque cer-
(80) Magdeburgcns., apud Baron., ad ann.
5()i , num. içj , pag. m. i-r
(81) Baron., ad ann. 5qi , num. 31 , se sert
de celle raison.
(82) Appliquez ici ces paroles, Nihil est, An-
tipho , quin maie narrando possit depravarier.
Tcrent. , in Pliorm. , acl. IV , se. IV, vs. 16.
GRÉGOIRE Ier.
23l
tain et véritable qu'il soit en lui-mê- pleins de miracles extraordinaires et
me; car suppose que la découverte d'histoires presque incroyables. Il est
des six mille têtes d'enfans fût ve'ri- vrai qu'il les a rapportes sur la foi
table, Udalric et les centuriateurs à" autrui; mais il ne devait pas si lé-
lui feraient perdre son e'tat par la ne- gèremeut y ajouter foi , ni les débiter
gligence avec laquelle ils le rappor- ensuite comme des choses constantes.
tient. J'observe en troisième lieu que Les histoires qui sont rappor-
The'ophile Raynaud, dans un passage
que j'ai allègue ci-dessus (83), sup-
pose que les têtes furent trouvées
dans le puits du pape Grégoire II.
Voilà deux méprises , l'une quant au
lieu, l'autre quant au pape. La de-
mande que fait Bellarmin (84) com-
ment on connut que les six mille en-
fans e'taient l'ouvrage des ecclésias-
tiques , et non pas celui des laïques ,
peut passer pour une objection , mais
non pas pour une diflîculté embar-
rassante; car encore que Gre'goire
Ier. eût pu croire que les laïques
lécs dans ces Dialogues , ne sont sou-
vent appuyées que sur la relation de
quelques vieillards ignorant , ou sur
des bruits communs. ( ht y fait tes mi-
racles si fréquens, si extraordinaires,
et souvent pour des choses de si peu
de conséquence , qu'il est bien difficile
de les croire tous. Il y a des histoires
que l'on aurait bien de la peine a
accorder avec la vie de ceux dont
il parle, comme la prison volontaire
de saint Paulin , en Afrique , sous
le roi des Vandales. Les visions , les
apparitions , les songes y sont en plus
avaient eu part à ces productions, il grand nombre qu'en aucun autre au-
n'eût pas laissé déjuger que le mal teur- Aussisaint Grégoire avoue-t-il,
devenait plus grand par le célibat
que l'on imposait aux clercs. Il est
certain que les laïques font périr
une infinité d'enfans , afin de cou-
vrir leur faute (85). Notez qu'Udal-
ric , évêque d'Augsbourg , a vécu
au Xe. siècle , et que *la lettre en
question fut imprimée dans le livre
intitulé Orthodoxo/ogia Sanctorum
patrum , à Bâle , au XVIe. siècle.
(R) La crédulité avec laquelle ce
pape a publié tant de miracles dans
ses Dialogues A « Quelques savans , à
« qui le récit de tous ces miracles ne
» plaît pas, ont douté que ces Dialo-
» gués fussent l'ouvrage de saint Gré-
goire , parce qu'ils ne les croient pas
sur la fin , que l'on avait plus décou-
vert de choses de l'autre monde de
son temps , que dans tous les siècles
précédais. Mais je ne crois pas que
personne voulût être garant de toutes
ces relations. Le père Denis de Sainte-
Marthe avoue (88) « qu'il ne voudrait
» pas garantir tous les miracles ni
» toutes les visions qu'on lit dans les
» Dialogues. » Néanmoins il ne blâme
pas la conduite de ce pape. Notre
saint, dit-il, a pu en rapporter quel-
ques-uns , sur le témoignage de quel-
ques personnes qui étaient un peu trop
crédules. Il a cru ne devoir pas les
mépriser , a cause des choses édifian-
tes qu'il Y rencontrait. Il est de la
» dignes d'un si grand docteur (86).» prudence du lecteur d'examiner, en
Dom Denis de Sainte- Marthe , ayant lisant, dans quel degré de certitude
parlé de la sorte , réfute , par de très-
bonnes raisons , le doute de ces sa-
vans, et leur fait voir que ces Dialo-
gues sont un véritable ouvrage de
saint Grégoire. M. du Pin reconnaît
cette vérité (87) ;mais il avoue en mê-
me temps qu'il semble qu'ils ne soient
pas clignes de la gravité et du discer-
nement de ce saint pape , tant ils sont
(83) Dans l'article Bellakmin, remarque [V.) ,
tom. III.
(84) Bellannin. Je Heritis , lib. /, pag. 1125.
f 85) Voyez , tom. XI, la remarque (C) de l'ar-
ticle Patin.
(86) Sainte-Marthe, Histoire de saint Grégoire,
pag. i'ji.
(87) Du Pin , Bibliothèque des auteurs ecclé-
siastiques, tom. f, pag. > 33 , e'Utt. de Hollande.
saint Grégoire les place , et qui sont
ses auteurs. On voit là manifestement
le langage d'un apologiste , qui sou-
tient que saint Grégoire n'est aucu-
nement blâmable. Le mal est que les
raisons que l'on allègue pour montrer
cela, ne sont point solides; car si,
sous prétexte qu'il y a des choses édi-
fiantes dans une relation , il était
permis de l'adopter , combien de fa-
bles ne serait-il point permis de pro-
poser à ses lecteurs coin me des his-
toires pieuses et véritables ? S'abstenir
de dire , en propres termes , je vous
donne ceci pour très-certain et pour
(88) Hist- de saint Grégoire, pag. v)5, t-ii.
232.
GREGOIRE Ier.
très-constant: ne pas citer des auteurs véritables à l'égard d'un théologien
contemporains , et tout-à-fait graves, qui raconte des miracles , dans un
mais seulement une ancienne tradi- livre de morale ou dans un traite'
tion, ne sont pas des préservatifs va- de dévotion, ou en général dans un
labiés, ni un sage ménagement qui écrit tel que celui de saint Grégoire,
disculpe l'écrivain. Il faut qu'il dise on doit supposer non-seulement que
positivement et formellement, je vous ce pape n'a rapporté aucun miracle
donne ceci comme une chose douteuse, qu'il crût faux, mais aussi qu'il a
vous en croirez ce qu'il vous plaira , souhaité que tous ses lecteurs recon-
je n'en ai pas de bons témoins , si l'on nussent pour véritables tous les pro-
veut le justifier par la raison qu'il ne diges qu'il raconte. Il est donc cou-
place point les faits dans un degré de pable de trop de Crédulité; il n'a
certitude, à vouloir sérieusement et point eu de discernement , et il n'a
Ïiassionnément les persuader à ses pas tenu à lui que ses défauts ne pas-
ecteurs. Tout homme qui narre un sassent dans l'esprit de tous ses lec-
événement miraculeux , sans insi- teurs ; car si on a la prudence de
nuer quoi que ce soit qui fasse con- rejeter une partie de ce qu'il narre ,
naître qu'il en doute , ou qu'il per- ce n'est point par les secours qu'il
met qu'on en doute, déclare dès-là fournit. Notez qu'on le justiliera très-
manifestement qu'il le rapporte com- mal , si l'on s'avise de répondre qu'il
me une vérité. Qu'on ne me dise pas n'a pas cru lui-même tout ce qu'il a
qu'un historien n'est pas en droit de raconté. A-t-il voulu néanmoins, de-
supprimer toutes les choses qui lui manderui-je , que ses lecteurs ajou-
semblent fausses , et que son devoir tassent foi à tout? S'il l'a voulu , c'est
l'engagea rapporter celles qu'il trouve un imposteur; s'il ne l'a point voulu ,
bien attestées, quoiqu'il ne les juge pourquoi prenait-il la peine d'écrire
pas véritables ; qu'on ne me fasse pas , de telles choses ? Le parti le moins
dis-je , cette objection, car elle n'at- désavantageux à sa mémoire, c'est de
taque point ce que j'ai posé : ma dire qu'il a été trop crédule et trop
thèse regarde un historien qui n'in^ dépourvu de*jugement.
sinue quoi que ce soit qui fasse con- Voilà ce que l'on peut opposer à
naître sa défiance , ou la liberté qu'il l'apologie que le bénédictin Sainte-
accorde de rejeter sa narration. Tout Marthe a voulu faire par rapport aux
bon historien qui raconte ce qu'il miracles où ce grand pape a pu se
juge fabuleux , y joint un on dit , ou tromper. L'apologiste ne déclare pas
quelque autre clause qui témoigne s'il «oit que ce genre de miracles
encore plus nettement ce qu'il en soient en grand nombre dans les Dia-
pense (8f)) ; et ainsi quand il n'ajoute logues de saint Grégoire ; mais il est
rien de cette nature à ses narrations , facile de deviner qu'il ne le croit
c'est une marque qu'il les donne pour pas. 11 s'étend beaucoup sur les rai-
véritables, et qu'il souhaite de les sons qu'il juge capables de persuader
persuader à ses lecteurs. C'est le but que les faits extraordinaires, rappor-
général de tous ceux qui narrent une tés dans ces Dialogues, furent très-
chose dont ils sont persuadés; ils fréquens en ce tempsdà. L'une de
souhaitent de la persuader à ceux à ces raisons est tirée de ce qu'il y avait
qui ils s'adressent , et ce serait les alors beaucoup d'hérétiques à con-
désobliger et leur témoigner du mé- vertir , et plusieurs catholiques qui
pris que de leur répondre , je n'en ne croyaient pas l' immortalité Je
crois rien. Or, si ces maximes sont /' dme et la résurrection des morts (90).
« C'est une vérité constante que , du
» temps de saint Grégoire , on voyait
» bien des chrétiens cbanceler sur ces
>» points capitaux de notre doctrine
» et de notre religion. Il (*) a l'hu-
fgo) Sainte-Martue , Histoire de saint Gré-
goire, pag. 27/1.
(*) Mulli enim de résurrection/: dubitantes ,
porte divers passages ou Tile Livc prend ses fient et. nos altquftndo Juimus. Hom. XXVI,
précautions en rapportant des prodiges. in Evang.
(89) Equidem plura transcribo quitta credo:
nam nec adfirmare sustineo de quibus ilubito ,
nec subducere quœ accepi. Q. Cnrtius , lib. IX,
cap. I. Voyez sur cela le Comment, de Freins-
hem. , oh i'ohc trouverez plusieurs passages sem-
blables d'autres historiens. Voyez ainsi Tacite ,
Annal., lib. IV, cap. XI; et Main.b. , liv. V
de /'Histoire des Croisades, cite dans les Pen-
sées diverses sur les Comètes, pag. 293. La
Mntlic-lc-Vayer, Discours sur l'Histoire, rap-
GRÉGOIRE Ier. 233
» milite d'avouer qu'il avait été lui- tombeau , c'étaient de pauvres rai-
» même autrefois dans le doute tou- sonneurs ; car dès qu'on admet une
» chant la résurrection. C'est pour fois la vérité de l'Évangile, on est ri-
» cela qu'en plusieurs de ses homélies dicule et pitoyable dans les doutes
» il s'attache fort à persuader ses au- que l'on forme sur ces deux articles-
» diteurs de ces vérités. Comme il y là. L'autre est, que jamais peut-être
» a toujours eu beaucoup de liber- il n'y a eu autant d'incrédules que
> tins , même dans le sein et dans la dans le XVIe et dans le XVIIe.
» communion extérieure de l'église siècles • je parle de ces incrédules
» catholique, il y a toujours eu beau- qui ne se contentent pas de rejeter
» coup de gens qui /ayant intérêt l'édifice, sans ruiner le fondement ,
» qu'il n'y eût point d'autre vie «pie mais qui rejettent tout à la fois et le
» la vie présente , point de résurrec- fondement et l'édifice. 11 y a eu d'ail-
» tion , point de jugement, se le sont leurs dans ces deux siècles un très-
» aisément persuadé. Car il n'y a pas grand nombre d'hérétiques (91) à
» beaucoup de chemin à faire de la convertir. Il faudrait donc que les
» corruption du cœur aux erreurs miracles eussent été pour le moins
» et aux égaiemens de l'esprit. Quoi aussi fréquens dans ces siècles-la que
» qu'il en soit , il est très-constant dans le siècle de saint Grégoire. Con-
» que l'Italie, que Rome particulière- cluez de là que le raisonnement du
J> ment, étaient remplies de ces incré- père Denis de Sainte-Marthe ne prou-
» dules , du temps de saint Grégoire, ve rien , car il prouve trop.
» Il est inutile que j'entreprenne de (S) S'il était vrai qu'on eut brillé
» le prouver, après ce qu'a dit sur une partie de ses livres , et qu'on
» ce sujet le dernier traducteur des n'eût été empêché de les briller tous
» Dialogues , dans une excellente que par le moyen d'un incident. ]
» préface. Grégoire de Tours (*') Jean diacre, au chapitre LXIX du
» rapporte la dispute qu'il eut avec livre IV de la Vie de saint Grégoire ,
» un des prêtres de son église, qui raconte (92) que l'Italie fut travaillée
» dogmatisait, qu'il n'y avait point d'une hoiTible famine , laméme année
» de résurrection à attendre. Il parle que ce pape mourut. « Les pauvres ,
» aussi d'un diacre de l'église de Pa- » accoutumés aux libéralités de ce
» ris, qui faisait l'habile homme , le- » père commun des fidèles, ne recc-
» quel était tombé dans la même » vant pas les mêmes secours de la
» erreur, se montrant fort ardent à )> part de Sabinien , son successeur*,
» disputer sur cet article de foi. Nous » parce qu'on alléguait que Grégoire
J> pouvons juger de là qu'il y en » avait dissipé tous les biens de l'é-
» avait bien d'autres en France , en- » glise de Rome par ses prodigalités,
M gagés dans une hérésie si dange- » il se trouva des hommes assez pas-
" reuse. Ceux qui liront les Dialo- » sionnés pour exercer leur rage sur
" gués, y apprendront de Pierre » les ouvrages de ce saint docteur ,
» diacre , qu'il en connaissait plu- » ne pouvant se satisfaire sur lui-
» sieurs entre les chrétiens qui dou- » même, et ils en brûlèrent une
» taient que Pâme continuât à vivre » bonne partie. Mais lorsqu'ils se dis-
» après sa séparation d'avec le corps » posaient à brûler le reste , Pierre
» (*J). N'était-il donc pas conforme à » diacre, disciple du saint , leur re-
» la miséricorde de Dieu , qu'il fît » présenta que c'était inutilement
a éclater en ce temps-là des miracles, >> qu'ils jetaient au feu ces livres,
,; pour remédier à la faiblesse de ces » pour obscurcir la mémoire du pa-
" pauvres infidèles? F.t saint Grégoire » pe qu'ils haïssaient, parce qu'ils
J> est -il blâmable de les avoir re- » avaient été déjà répandus dans le
» cueillis ? » Je fais sur cela deux
courtes observations : l'une est, que fo») C'en-a-^iro selon la définition de dom
., v -1 1 1 . '. " . Denis He Samtr-Martlie.
si cescathohquesincredules doutaient f9I; Sainu-Marihc, Histoire de saint Gré-
seulement que l'âme fût immortelle , goii-e , Uv. IV , ehap. VII, pa§. 6i3.
et que les corps dussent sortir du * Jene doute pas.ditLecterc (qui n'apporte
aucune preuve à l'appui u<- son opinion; , que le
fait de Sabinien et edui île la liaine <les Romains
(*') Hist., I. 10, c. i3 et i.;. pour la mémoire de saint Grégoire ne soient des
(**) L. 3, c. 38, et l. \ , c. 4. fables.
234 GRÉGOIRE VII
» monde, par l'empressement qu'on
» avait témoigné de les avoir. Qu'au
«• .... i.. ^.,^foîi- un crir'nlpnf*» rt*> f-iîvo
» reste , c'était un sacrilège de faire
» un traitement si indigne aux écrits
» de ce saint père, sur la tête duquel
» il avait vu très-souvent une co-
» lombeO*), qui représentait le Saint-
» Esprit , conversant familièrement
» avec lui. Pierre , pour confirmer
m la vérité de ce qu'il disait , monta
» au j ubé, tenant les saints évangiles ,
m sur lesquels il jura que ce qu'il
» venait de dire était vrai ; ajoutant
» qu'il priait Dieu que , s'il avait dit
» la vérité , il le fît mourir sur-le-
» champ. La chose arriva comme il
» l'avait souhaitée ; car il expira au
» même moment, sans douleur, et il
» fut enterré au pied du jubé même
» où ce fait surprenant était arrivé.»
L'auteur qui me fournit ce passage
ne saurait se persuader qu'on ait pu
commettre un si grand excès contre
les ouvrages d'un tel évêque de Rome ;
et il observe que le cardinal Baronius
a rejeté ce récit comme une pure fa-
ble , appuyée seulement sur une tra-
dition fausse , parce que nul auteur
plus ancien que Jean n'en fait mention
(93). Le jésuite Théophile Raynaud
s'oppose à cette opinion du cardi-
nal Baronius. Voici de quelle manière
il la combat. Il observe en Ier. lieu
que le silence de Patérius, et d'Isi-
dore , et d'Ildephonse est un argu-
ment négatif, et que la force de cette
espèce d'argument est insuffisante et
sans nerf, comme tout le monde le
reconnaît (g4). En 2e. lieu , que l'au-
torité de Sigebert, alléguée par Baro-
nius, ne peut pas servir de preuve
contre Jean diacre. Ce cardinal dit
que Sigebert a nié formellement
qu'aucun ouvrage de saint Grégoire
ait péri dans cette rencontre, l'inter-
cession de Pierre diacre les ayant
préservés tous. Le jésuite affirme que
Sigebert dit tout le contraire dans les
(*) Saint Ephrem, diacre de l'église d'Édesse,
témoigna qu'il avait vu une colombe blanche sur
Ve'panle du grand saint Basile , laquelle sein-
litait lui suggérer tout ce qu'il disait nu peuple.
Epl>r:em. , Orat. in Basil. , apud Coteler. , loin.
III JVIonum. grtei-. , pag. 5t).
(C)i) Sainte-Marthe , Histoire île saint Gré-
goire , pag. 614.
(q4) Quod (aigumcntum ab autorilate nega-
livâj otnnes agnoscunt esse insufficiens et ener'
ve. Tlicoph. I ... v ii-iu ! • , île Bonis ac nialis li-
liris , num. 582, pag. m. Ï1-).
chapitres XLI et XLIII du livre de
Viris illuslribus. Il remarque en 3e.
lieu que saint Grégoire avait composé
des livres dont il ne reste aucune
trace. Prœsertimcumidem Johannes
sequenti capite 70 ex ipsismet sancli
Gregorii episl. ad Johannem Ravennœ
subdiaconum , demonstret , plervs-
que libros a sanclo Gregorio fuisse
conscriptos , quorum nullibi exlant
vestigia ; ut expositionis in proverbia,
et in prophetas , et in libros Regum :
neque enim pauca quœ habemus in I
Regum, et Ezechielem , mensuram
implent titulorum illorum (g5). Il
emploie, en 4e- lieu, un argument
ad hominem , tiré de ce que Baronius
avoue que les écrits de ce grand pape
coururent grand risque, et que les
mutins n'ayant pu exercer leur rage
sur Grégoire déjà mort , la tournè-
rent sur ses livres , et cela ouverte-
ment , et au milieu de la grande
place de Rome. Il est certain que Ba-
ronius , en avouant un tel fait, ruine
lui-même ses prétentions; carde quoi
lui sert après cela qu'aucun livre de
saint Grégoire n'ait été brûlé ? n'a-
t-on pas d'assez fortes preuves du
mépris ou de la haine des Romains
pour ce pontiTe,dansla résolution de
briller publiquement tousses écrits,
résolution si animée et si obstinée
que l'on eut besoin d'un miracle très-
insigne pour en arrêter l'effet (96) ?
(r)5) Theoph. Raynaud., de Bonis ac malis
libris, num. S82 , pag. m. il-].
(96) Notez que Jean Rubéus , dans la Vie de
Boniface VIII , pag. 246, assure, citant Jean
diacre , qu'on accusait d'hérésie le pape Gré-
goire : Accusatif fuit effusi sangninis et Malchi
episcopi in enstodiâ occisi , thesauri ecclesiae di-
lapidai , doctrinœ non sanre , contendenlibns
œinulis illius libros , tanquam reos baerelicorum
dogmatum, Vnlcano debere tradi.
GRÉGOIRE VII , nommé au-
paravant Hildebrand , a été ce-
lui de tous les papes qui a le
plus hardiment et le plus heu-
reusement travaillé à l'augmen-
tation de la puissance pontificale
(a). Il sera tout aussi méchant
que l'on voudra ; mais on ne lui
(a) Car encore qu'il ait été enfin chassé de
Home par l'empereur, il a fourni aux papes ,
ses successeurs , la tablature qui les a fait
triompher en tant de rencontres.
GRÉGOIRE VIT. ?35
saurait contester les qualités déclarait excommunié, tant ceux
d'un grand * homme (A), non qui recevraient d'un laïque l'in-
plus qu'à certains conquérans vestiture d'aucun bénéfice , que
qui sont d'ailleurs tout couverts ceux qui la donneraient. Il n'en
de crimes (B). Il était de Soane , exceptait personne; et de là vint
petite ville de la Toscane, et il que ses légats déclarèrent à l'em-
se rendit si considérable dans le pereur, qui leur était allé au-de-
monastère de Clugni , qu'on l'en vaut jusques à Nuremberg, qu'ils
fit prieur. Il négocia diverses avaient des ordres exprès de le
affaires auprès des papes, et pour traiter comme un excommunié,
les papes ; et il fut enfin élevé et de ne conférer point avec lui
au pontificat deRome , l'an io-'î. jusques à ce qu'il eut reçu (Veux
Il résolut , sans perdre temps, l absolution de V excommunica-
d'arracher aux empereurs ledroit lion qu'il avait encourue pour
dont ils jouissaient de donner le crime de simonie dont on l'a-
l'investiture aux évêques : mais voit accusé, devant le feu pape
comme il craignit de trouver (c). Il fit tout ce qu'ils voulu-
d'abord des obstacles invincibles rent ; il reçut l'absolution , et il
si on lui pouvait reprocher de écrivit à Grégoire qu'il lui serait
s'être porté pour pape avant que toujours très-soumis. Néanmoins
son élection eût été ratifiée par il ne permit pas aux légats de
l'empereur (b) , il écrivit à ce convoquer un concile , et il
prince en des termes fort sou- retint auprès de soi ceux de ses
mis , et lui déclara qu'il ne se fe- ministres que le pape avait noru-
rait ni consacrer, ni couronner, mément excommuniés. A cause
jusques à ce qu'il eût appris sa de ces raisons et de plusieurs au-
dernière volonté. Les évêques très , le pape le fit citer pour
allemands conseillèrent à l'em- comparaître au synode prochain
pereur de désapprouver cette de Rome , à faute Ae quoi il l'ex-
élection ; mais tout ce qu'ils pu- communierait. L'empereur se
rent obtenir fut qu'il ferait in- moqua de cette menace, et fit
former de quelle manière elle souffrir toute sorte d'indignités
s'était faite, et il l'approuva dès aux légats qui avaient osé la lui
qu'il eut su les bonnes réponses faire; et il convoqua un concile
que son envoyé reçut d'Hilde- à Worms , oii le cardinal le Blanc
brand. Il eut lieu de s'en re- se porta pour délateur contre
pentir bientôt : car le nouveau Grégoire. Il l'accusa de tant de
pape , dans le premier concile crimes (D) , que l'assemblée dé-
qu'il tint à Rome, renouvela les clara nulle l'élection de ce pape,
anciens décrets contre les simo- et qu'elle lui écrivit des lettres
niaques et contre les ecclésiasti- remplies d'injures , pour lui ap-
ques concubinaires (C); et en fit prendre cette décision. Ceux qui
un tout nouveau , par lequel il présentèrent ces lettres le firent
* Voltaire {Dictionnaire philosophique , avec beaucoup de brutalité, et
au mot Grégoire VII ) n'accorde pas le
titre de grand homme à ce pape , et motive (c) Voye-, Maimbourg , De'cadenrc de
son opinion contre celle de Bayle. l'Empire, liv. XII, pag: 228 de l'édition de
(b) C'était l'empereur Henri IV. Hollande.
236 GRÉGOIRE VIL
néanmoins ce pontife , qui non- forma en sa faveur dans l'Aile—
obstant son naturel prompt et magne fut si puissante , qu'a-
ardent savait fort bien se possé- près une longue délibération
der, les prit froidement sans on déclara, qu'il fallait élire
rien dire {d) ; mais dès le len- un autre roi par l 'autorité du
demain, les ayant communiquées pape , qui lui donnerait la cou-
à son synode , il prononça (e) ronne de V empire (g). L'empe-
solennellement la sentence d'à- reur , avec toutes les bassesses
nathème contre l'empereur (E) , dont il se servit auprès des prin-
et déclara excommuniés je ne sais ces confédérés, ne put obte-
combien de prélats d'Allemagne nir que des conditions très-
et de Lombardie. Ces derniers dures; ce qui l'obligea d'aller
s'en étonnèrent si peu , qu'ils lui-même demander au pajre son
s'assemblèrent à Pavie, et qu'ils absolution. Il fallut, pour î'obte-
l'excommunièrent. Comme il nir, qu'il se soumît aux indignités
avait prévu que sa conduite lui les plus inouïes (I). Ses partisans
attirerait de grands ennemis, il excommuniés éprouvèrent près—
n'avait rien négligé pour forti- que la même rigueur (K). Cela
fier son parti; et, avant toutes refroidit beaucoup le zèle que
choses, il avait mis trois princes- les Lombards avaient pour lui ,
ses dans ses intérêts (F) , dont et il ne put se remettre dans
l'une, nommée Mathilde, s'atta- leur esprit, qu'en témoignant un
cha à lui d'une manière qui fit ardent désir de se venger. Les
bien causer le monde (G). De guerres qu'il lui fallut soutenir
plus , il excita les Saxons à la ré- en Allemagne, où Rodolphe duc
volte ; il se ligua avec le duc de de Souabe avait été créé roi ,
Souabe(y), et il répandit plu- l'empêchèrent d'attaquer le pa-
sieurs lettres circulaires qui fi- pe ; mais comme il remporta de
rent un grand effet ; car il dé- grands avantages sur son rival ,
clarait excommuniés tous ceux il témoigna très-peu de disposi-
qui communiqueraient avec l'em- tion à exécuter ce que Grégoire
pereur , il défendait à tous les lui demandait. C'est pourquoi ce
évêques de l'absoudre, et il or- pape, dans un concile tenu à Ra-
tionnait aux princes ou de le me l'an 1080, l'excommunia,
contraindre à se soumettre au et le déposa tout de nouveau (L).
saint siège , ou de procéder à Ce dernier coup de foudre ache—
l'élection d'un autre empereur, va de porter les choses aux der-
Ce qu'il y a de bien remarqua- nières extrémités. L'empereur
ble , c'est qu'il osa soutenir qu'en convoqua une assemblée, prè-
le déposant il n'avait fait que se mièrement à Mayence, et puis à
conformer à l'usage de la cour Brixen (h) , où l'on déclara que
de Rome (H). La ligue qui se Grégoire était déchu du ponti-
ficat, et l'on élut en sa place
(d) Maimliourg, Décadence del'Emp., liv,
>PaS- ■-Q. (#) Maimbourg, De'cadence de 1 Empire ,
(e) L'an 1076. pag: 25 1.
(/) 11 s'appelait Jtodolphc , et fut élu cm- (h) Cette ville est dans le Tyvol , entre lu
pereur par les Allemands. viUe de Trente et celle d'Inspruck.
GRÉGOIRE VIL
Guibert de Parme , archevêque
237
de Bavenne , qui prit le nom de
Clément III. Cette assemblée
imputa entre autres crimes celui
de magie à Hildebrand (M).
L'empereur ayant gagné deux
batailles , l'une en Allemagne
sur Rodolphe , malgré les pro-
phéties du pape (N) ; l'autre au-
près de Mantoue , sur l'armée
de la comtesse Mathilde , résolut
d'aller établir à Rome son anti-
Eape. Il en vint à bout après
ien des difficultés; et il eut le
plaisir de contraindre son enne-
mi à s'enfuir cle Rome, pour se re-
tirer à Salerne. Ce fut là que Gré-
goire VII mourut, le 24 de mai
io85 (i). Il n'est pas aisé d'arri-
ver à la certitude par rapport à
un détail plus particulier de ses
actions; car outre que les écri-
vains qui parlent de lui se réfu-
tent les uns les autres (0) , on ne
peut nier que ses ennemis ne
soient suspects de trop de pas-
sion , et que ce qu'ils ont débité
sur le chapitre de sa magie n'ait
tout l'air d'une chimère (P). Quoi
qu'il en soit , je puis assurer qu'il
n'y eut jamais de pape dont on
ait dit m plus de mal, ni plus de
bien que de Grégoire VII. On
lui attribue beaucoup de mira-
cles , et on le met au nombre des
saints (k). On prétend que son
cadavre fut trouvé presque en-
tier cinq cents ans après sa mort
(Q) ; et il y a lieu d'admirer l'in-
certitude de l'histoire , quand on
(i) Consultez les auteurs que le père
Maimbourg a cités dans sa Décadence de
l'Empire. Je me suis servi de sa narra-
tion.
(k) Voyez /'Histoire des Ouvrages des
Savans , mois d'avril 1689, pa«. io't>, 167 ,
dans l'extrait des Acta Sanctorum Maii, tom,
VI et VII. ou est la Vie de Grégoire VU.
lit les apologies que ses partisans
ont écrites (R).
L'anonyme qui publie tous les
mois l'Esprit des cours de l'Eu-
rope (/) , a fait une réflexion
qu'il est juste d'examiner. Elle
concerne ce que j'ai dit dans la
remarque (B) touchant les con-
quêtes des papes. Il prétend
qu'elles n'ont pas dû être aussi
difficiles que je me le figure (S),
et qu'il faut plutôt s'étonner de ce
qu'elles n'ont pas été plus gran-
des , que de ce qu'elles ont été
si grandes. Je dirai un mot tou-
chant un livre qui court depuis
quelques mois sous le titre de,
Histoire des amours de Gré-
goire VII i^) *.
(I) Depuis le mois de Juin 1699.
* Dans le Journal littéraire de la Haye ,
tom. XVII , pag. 195 . il est , dit Joly , parlé
de la Vie de Grégoire VII , composée par dif-
férens auteurs, depuis la mort de Bayle.
(A) On ne lui saurait contester les
qualités d'un grand homme.] Voici
le portrait qu'un auteur moderne
nous en adonne'. « C'était un homme
» d'une stature beaucoup au-dessous
» de la médiocre , mais ayant dans
» ce petit corps une âme très-gran-
» de , un esprit extrêmement vif et
» fort e'claire' , un courage intre'pide
» et incapable de céder , quelque dif-
m ficulté qu'il rencontrât dans la
» poursuite de ses entreprises ; d'un.
» naturel ardent, impérieux, prompt,
» hardi, et entreprenant; allant sans
» doute un peu bien vite à l'exécu-
» tion , et poussant aisément les cho-
» ses aux dernières extrémités , sans
» appréhender les fâcheuses suites
)> que pouvaient avoir les résolutions
» vigoureuses à la vérité, mais aussi
» quelquefois trop violentes qu'il
» prenait : au reste , irréprochable
» dans sa vie, de quelque calomnie
» dont ses ennemis l'aient voulu
» noircir, donnant le premier aux
» autres (*) l'exemple detoutee qu'il
(*) Forma gregis factiu, quod verbo docuit,
exemplo demonslravit. Ollo Frising.
238
GRÉGOIRE VII.
w exigeait d'eux , et très-savant , sur-
)> tout dans les sciences divines (+) ,
w et dans le droit , les règles et les
» coutumes de l'église, comme les
» historiens , même allemands , qui
» ne lui doivent pas être trop favo-
« râbles, en conviennent. Enfin, si
» son humeur impe'tueuse et inflexi-
■» ble lui eût pu permettre d'accom-
» pagner son zèle de cette belle mo-
» dèration qu'eurent ses cinq prédé-
j) cesseurs il est certain qu'il
» eût épargné bien des maux et bien
» du sang à la chrétienté, et l'his-
» toire n'eût eu que de grands élo-
» ges à lui donner (i).» Pesez bien
ce qu'en dit le sieur Naudé vous y
trouverez l'idée d'un fort grand hom-
me. // a été un des plus grands pi-
liers qui Jut jamais de l'église ; et pour
en parler avec sincérité et sans pas-
sion , ça été lui qui l'a mise le pre-
mier en possession de ses franchises ,
qui a tiré les souverains pontifes hors
de page, et de la servitude des empe-
reurs (2). Acquérir la liberté , secouer
le joug , se mettre dans l'indépen-
dance , subjuguer ses propres maî-
tres, sont si l'on veut des actions
très-criminelles , mais non pas l'ou-
vrage d'une personne dépourvue des
plus grands talens de l'esprit et du
courage.
(B) Non plus qu'à certains con-
quérans qui sont d'ailleurs tout cou-
verts de crimes.] Je me sers d'autant
plus hardiment de cette comparai-
son , que je suis persuadé que la con-
quête de l'église a été un ouvrage où
il n'a pasfallu moins de cœur et moins
d'adresse , qu'il en faut pour la con-
quête d'un empire. L'autorité où les
papes sont parvenus est plus dign e
d'admiration que la vaste monarchie
de l'ancienne Rome : de sorte qu'on
peut assurer que la providence avait
destiné cette ville à être en deux ma-
nières différentes (3) la source et le
(*) Virum sacris lilleris eruditissimum , et
omnium virlulum génère celeberrimum. Lam-
bert. Schafnab.
(1) Maimbouig, Décadence de l'Empire , liv.
III, pag. 220, e'dilion de Hollande. Il elle
VVillel. Malmesb , I. 3, de Cest. reg. Angl.
Pctr. Dam.
(2) Naudé, Apologie des grands Hommes,
pag. 577.
(3) Quand elle perdilla domination temporelle ,
elle acquit la spirituelle.
Sedes Iioma Pétri, tjuce pasloialis honoris
grand mobile des qualités les plus
relevées qui soient nécessaires pour
fonder un très-grand état. Si cela ne
prouve pas que les Romains, en fait
de vertus morales, aient égalé les au-
tres peuples , c'est pour le moins une
preuve qu'ils ont eu ou plus de cou-
rage, ou plus d'industrie. On ne sau-
rait considérer sans étonnement qu'u-
ne église , qui n^a , dit-elle , que les
armes spirituelles de la parole de
Dieu, et qui ne peut fonder ses droits
que sur l'Evangile , où tout prêche
l'humilité et la pauvreté , ait eu la
hardiesse d'aspirer à une domination
absolue sur tous les rois de la terre :
mais il est encore plus étonnant que
ce dessein chimérique lui ait si bien
réussi. Que l'ancienne Rome, qui ne
se piquait que de conquêtes et de la
vertu militaire (4), ait subjugué tant
d'autres peuples , cela est beau et
glorieux selon le monde ; mais on
n'en est pas surpris quand on y fait
un peu réflexion. C'est bien un autre
sujet de surprise, quand on voit la
nouvelle Rome, ne se piquant que
du ministère apostolique , acquérir
une autorité sous laquelle les plus
grands monarques ont été contraints
de plier : car on peut dire qu'il n'y
a presque point d'empereur , qui ait
tenu tête aux papes , qui ne se soit
enfin très-mal trouvé de sa résistan-
ce. Encore aujourd'hui les démêlés
des plus puissans princes avec la
cour de Rome se terminent presque
toujours à leur confusion. Les exem-
ples en sont si récens (5) , qu'il n'est
pas nécessaire de les marquer. Selon
le monde , cette conquête est un ou-
vrage plus glorieux que celle des
Alexandre et des César : et ainsi
Grégoire VII, qui en a été le prin-
cipal promoteur , doit avoir place
parmi les grands conquérans qui ont
eu les qualités les plus éminentes.
Vous verrez dans la remarque (S)
Facla caput mundo , quicquid non possidet
armis
Religion? lenel.
Prosper Aquitanicus , lib. de Ingratis, et lib. II
de Vocationt- Genlium , cap. VI.
(4) Excudenl alii spuantia molli'us ara.
Tu regere iinperio populos Romane memenlo>
( Hœ tihi erunl ailes ) paciijue imponere mo-
rrm ,
Parcere tubieclis et debellare superbos.
Virgd. , JKneid , lib. VI, vs. 848, 85a.
(5) On écrit ceci en 1695.
GRÉGOIRE VIL
2J9
ma réponse à une objection qui a été
publiée contre ceci.
(C) II renouvela les anciens dé-
crets contre les slmoniaques , et con-
tre les ecclésiastiques concubinaires.]
Jamais pape ne s'était montré aussi
rigoureux que notre Hildebrand ,
contre les prêtres qui n'observaient
point le célibat , et cela le fit fort
haïr. Voici les paroles de Lambert de
Schafnabourg , selon la version de
Coéfléteau. Le pape Hildebrand , s'é-
tant souvent assemblé en synode avec
les évéques d Italie , avait ordonne
que, selon le règlement des anciens
canons, les prêtres n eussent point de
femmes , et que ceux qui en avaient
s'en séparassent, ou bien fussent dé-
posés , ne recevant plus personne au
sacerdoce qui ne promît de vivre en
perpétuelle continence. Ce décret pu-
blié par toute l'Italie, il envoie ses
lettres aux évéques des Gaules , leur
commandant qu'ils eussent a faire le
semblable en leurs églises , retran-
chant sous peine d'anathème les fem-
mes de la compagnie des prêtres.
Contre ce décret s' éleva aussitôt toute
la faction du clergé , criant qu'il était
hérétique , et qu il enseignait une doc-
trine insensée, contraire à la parole
de Dieu , qui a dit : Tous ne prennent
pas cette parole , qui la peut prendre
la prenne ; contraire aussi à l' apôtre
qui commande que celui qui ne se con-
tient pas , se marie , car il est meil-
leur de se marier que de brûler; ajou-
tant encore que cet homme , par une
violente exaction, voulait contraindre
les hommes de vivre à la façon des
anges , par cette voie lâchant la bride
h toute sorte de saletés pour vouloir
empêcher le cours de nature. Ces fac-
tionnaires conclurent en somme que ,
s'il demeurait obstiné en sa résolu-
tion , ils aimaient mieux renoncer a
la prêtrise que d' abandonner leurs
femmes, et qu'alors il verrait oh peut
prendre des anges pour* gouverner les
églises , celui qui ne se voulait pas
servir des hommes en ce ministère (6).
Coè'ffeteau ajoute , selon le rapport
de Marianus Scotus , que plusieurs
du clergé aimèrent mieux demeurer
interdits du pape que de se séparer
des femmes ; mais le pape ordonna
(6) Lambertus Schnfn., de Rébus Germanie. ,
ad ann. 10^4 1 apud Coëffeteau , Réponse au
Mystère d'Iniquité , pag. 677.
en synode qu'aucun chrétien n'ouït
ta messe d' un prêtre marié (7).
Je remarquerai une chose qui me
paraît digne d'attention : c'est que
les papes ont eu incomparablement
plus de peine à réduire sous la loi du
célibat les ecclésiastiques du septen-
trion que ceux du midi. Lorsqu'il y
avait long -temps que ceux d'Italie
et d'Espagne avaient subi ce rude
joug , ceux d'Allemagne et des autres
Says froids tenaient ferme encore , et
isputaient le terrain pour le ma-
riage , tanquam pro aris ctjbcis ; et
je ne sais même si l'on n'a pas droit
de dire qu'au temps de Luther le con-
cubinage des prêtres était plus visi-
ble et plus scandaleux en Allemagne
qu'en Italie. Il ne faut pas pour cela
conclure qu'on soit plus chaste vers
le midi ; il semble au contraire que
les prêtres septentrionaux aient mieux
aimé se fixer à certaines concubines ,
que de faire disparaître leur incon-
tinence par des amours vagues. Us y
procédaient donc de meilleure foi ,
et tout bonnement ils croyaient peut-
être que c'était un moindre crime.
(D) Le cardinal le Blanc l'ac-
cusa de tant de crimes.] Pour con-
naître ses accusations, il suffit de
voir la sentence qui fut prononcée
contre le pape, par l'assemblée de
Worms : je la rapporte selon la ver-
sion du sieur du Plessis Mornai (8).
Hildebrand qui se nomme Grégoire
est le premier qui sans nostre con-
sentement, contre la volonté de l'em-
pereur romain eslabli de Dieu , con-
tre la coustume des majeurs , contre
les loix , par sa seule ambition de
longue main continuée , a envahy la.
papauté ; il veut faire tout ce qui lui
vient en la teste , per fas nefasque ,
licite ou illicite qu'il soit. C'est un
moine apostat qui abastardil la sainte
théologie par nouvelle doctrine , ac-
commode les saintes lettres par ses
fausses et forcées interprétations à ses
affaires , divise la concorde du col-
lège , pesle mesle choses sacrées et
profanes , pollue également l'un et
(7) Voyez la remarque de l'article Mutivs
(Huldricu) tom. X.
(8) Du Plessis Mornai, Mystère d'Iniquité ,
pag. 24°- licite Avent. , Annal. Boior. , 1. 5.
Lambertus .ScbalTnab. de Rébus Germain*. Ca-
rolus Sigonius, de Regno Italiae, I. 9. Autor Vils;
Henrici.
t2/{0
GRÉGOIRE VII.
l'autre , ouvre ses aureilles aux dia-
bles , aux mesdisances des meschans ;
lui-mesmes témoin , juge , accusa-
teur, et partie ; il sépare les maris
des femmes , préfère les putains aux
femmes de bien , les paillardises , in-
cestes , adultères aux chastes ma-
riages ; mutine les peuples contre les
prestres , la populace contre les eves-
ques , veut faire croire que nul n'est
bien consacré , que qui a mandié la
prestrise de lui , ou l'a acheptée , ab
ejus aurisugis , de ses sangsues; il
trompe le vulgaire , par une religion
simulée , le fraude , le pipe ; in sena-
tulo muliercularum, en un cabinet
de femmelettes , traite les sacrés
mystères de la religion , dissoud la
loi de Dieu , entreprend et la papauté
et l'empire ; criminel de lèse majesté
divine et humaine, qui veut oster et
la vie, et V estât a un sacré empereur,
a un très-bon prince ; pour ces causes
V empereur, les evesques , le sénat et
peuple chreslien , le déclarent déposé,
et ne veulent plus laisser les brebis
de Christ en la garde d'un tel loup.
(E) 77 pronotica la sentence d'ana-
thème contre l'empereur.] « Et ce
» qu'aucun pape n'avait encore ja-
» mais fait , il le priva de la dignité
» d'empereur, et de ses royaumes de
j» Germanie et d'Italie , déclara que
» tous ses sujets étaient absous par
» l'autorité pontificale, du serment
» de fidélité qu'ils lui avaient fait,
» et écrivit (*) ensuite sur cela des
» lettres circulaires à tous les évê-
» ques et à tous les princes d'Alle-
» magne , par lesquelles il leur per-
» mettait, au cas que Henri persistât
» opiniâtrement dans sa révolte con-
» tre le saint siège, d'élire par la
» même autorité un autre roi , qui
■» pût recevoir la couronne de l'cm-
» pire , et le gouverner justement
» selon les lois (9). »
(F) Il avait mis trois princesses
par ses remontrances. En effet (*),
elle fit le voyage d'Allemagne avec
les légats que Grégoire y envoya la
première fois , et l'empereur lui
promit de la satisfaire sur tout ce
qu'elle demandait au nom du pape,
quoique pourtant il n'en fit rien.
Mais pour les comtesses Béatrix et
Mathilde, comme elles étaient très-
puissantes en Italie , où elles pos-
sédaient de très-grands états , Gré-
goire en pouvait tirer encore des
secours bien plus efficaces que celui
des simples remontrances , dont
Henri ne faisait pas trop grand état.
Ces deux princesses , qui étaient
fort dévotes , avaient conçu une
très-haute idée de la vertu de Gré-
goire , qui en effet était en grande
réputation d'être saint , et de saint
très-austère , qu'on disait même
avoir des révélations et des extases
avec le don de prophétie et de mi-
racles , ce qui est un fort grand
attrait pour la direction. Ensuite
elles s'étaient mises entièrement
sous sa conduite ; et lui aussi de
son côté correspondant à cette con-
fiance qu'elles avaient en lui , pre-
nait très-grand soin de les diriger
par ses lettres dans le chemin de la
vertu , et leur témoignait beau-
coup d'affection , et une confiance
réciproque. Ainsi , quand cette
éclatante rupture , qui se fit entre
le pape et l'empereur, eut partagé
l'empire en deux partis, elles ne
balancèrent point du tout entre les
deux , et se déclarèrent hautement
pour Grégoire, qu'elles résolurent
d'assister de toutes leurs forces, et
principalement la comtesse Ma-
thilde (11). » Je me sers tout exprès
des paroles de ce jésuite , afin que
tous mes lecteurs aient l'esprit en
repos, et sans nul soupçon qu'on ait
dessein de les surprendre par des
traductions artificieuses. Avouons
dans ses intérêts.] « A savoir l'impé- que ce pape était bien fin , et que
» ratrice Agnès sa mère (10) , la du- son tempérament impétueux ne l'em-
j> chesse Béatrix sa tante , et la com- péchait pas de se servir des ruses
» tesse Mathilde sa cousine germaine, les plus efficaces : il s'assurait du
« Pour l'impératrice , elle pouvait sexe, et il choisissait les dames qui
» servir utilement par ses prières et avaient le plus de pouvoir.
(G) Mathilde s'attacha a lui d'une
l. 1, ep. 85, et l. a,
(«) Gregor. , t. 3 , ep G , <-l l. 4 . «P- 2 Ç« 3.
) Mairabourg , Dccaileru-e de 1 Empire,
(*) Lambert., Gregor.
ep. 3o.
iol C'eit-a-dire , mire de l'empereur Henri (11) Maimbourg , Décadence de l'Empire,
pag. -j38.
f9> ,
pag. l'i",
GRÉGOIRE VII.
24 1
manière qui fit causer le monde.] Le
pape le plus pacifique et le plus uni-
versellement aime n'eût pu échapper
les traits de la médisance, s'il eut
eu avec une dame les liaisons très-
étroites qu'Hildebrand entrée Ma-
thilde. Jugez si un pape ausW violent
que celui-ci, et qui s'était fait tant
d'ennemis, pouvait éviter d'être dif-
fame par l'attachement réciproque
qui était entre lui et cette comtesse.
Servons-nous encore un coup des pa-
roles d'un jésuite, qui ne sauraient
être suspectes en cette occasion. « La
» comtesse Mathilde se trouvant alors
» toute seule, et maîtresse absolue
» de ses états , parce que la duchesse
)> Béatrix , sa mère , mourut presque
» (*') aussitôt qu'on eut appris la
» mort de Godefroy (12), elle s'atta-
» cha plus fortement encore qu'elle
» n'avait fait auparavant , à suivre
» les conseils de Grégoire , qu'elle
» rendit tout-à-fait maître de son
» esprit , de sa conduite , et de ses
» biens. En eflet , suivant la coutume
» de ces bonnes dévotes, qui croi-
» raient que tout fût perdu pour
» elles si l'on éloignait leur direc-
» teur, auquel elles ont quelquefois
» un peu trop d'attachement , elle fit
» tout ce qu'elle put pour ne le pas
» perdre de vue (**). Elle le suivait
î> assidûment partout ; elle lui ren-
» dait mille petits soins et mille
» services avec une incroyable af-
» fection. Elle n'agissait que selon
» ses ordres , qu'elle exécutait avec
» une merveilleuse exactitude ; et
» quoiqu'elle fût la plus grande prin-
» cesse de l'Italie, elle préférait né-
» anmoins à cette qualité celle de sa
» très -humble servante et de sa
» chère fille, en le considérant et le
» traitant comme son père, et com-
» me son maître , avec beaucoup de
» respect à la vérité , de zèle , et de
■» dévotion , mais peut-être aussi avec
» un peu moins de prudence et de
(*') Le 18 d'art -il 107G.
(12) Celait le mari de Malhildc.
(*3) Lambert. SoliatTnab. P o« cujns morlem
Bomani pontificis lalen pêne cornes individua
adhierebat , eumque miro colebal ajjectu. Clini-
que magna pars Italiœ ejut pareret irnperto ,
eJL omnibus qua> prima moriales ducunt, supra
icœleros lente dlius principes almndarel : ubi-
kumque opéra ejits papa? indigjuiiset ocius alté-
rai , et lauquam palri et domino seduluni cxïii-
bel/ai iffîctum.
TOME VII.
discrétion qu'elle ne devait, si on
l'ose dire, sans rien diminuer de
l'honneur qu'on doit rendre à la
mémoire d'une si illustre princesse.
Car enfin , les partisans de l'em-
pereur, et les ennemis de Gré-
goire , et surtout les ecclésiasti-
ques d'Allemagne, auxquels il vou-
lait absolument que l'on ûtât les
femmes , qu'ils avaient impudem-
> ment épousées contre les plus
saintes lois de l'église , prirent de
•> cela même occasion de se déchaîner
contre lui d'une étrange manière ,
de l'accuser d'une trop grande pri-
vauté avec cette comtesse (*), et
d'en publier les choses du monde
les plus fâcheuses , et les plus indi-
gnes d'aucune sorte de créance ,
> comme étant tout-à-fait contraires
à la vérité , et à la vertu reconnue
de l'un et de l'autre. Aussi l'his-
torien allemand *, eteontemporain ,
qui rapporte ceci , ajoute qu'il
n'y eut alors aucune personne, tant
soit peu judicieuse, et qu'une in-
juste passion n'eût point préoc-
cupée et aveuglée, qui ne vît plus
» clairement qu'on ne voit la lumière
i) en plein midi , que ce n'étaient là
» que de pures et impudentes ca-
» lomnies , qui , comme de faibles
nuages , se dissipaient tellement
par la seule manière apostolique
dont le pape vivait à la vue de
> toute la cour romaine , qu'il n'en
restait pas même l'ombre du moin-
dre soupçon dans l'esprit de ceux,
qui le connaissaient (i3). »
L'équité demande que je rapporte
ici une plainte de Coëfièteau contre
(*) Vnd'c nec evadere poluit incesti amoris
suspicioném , passim jactanu: us régis jautori-
bus , et prœcipuè clericis quihus illicita , et
contra scila canonum conjugia proh.bebat ,
quod die ac nocle impatienter papœ ejut , etc.
Sed apud omnes sanum aliquod sapienles luce (
clarius conslabat falsa esse quœ duebanlur.
Nam et papa tain eximiè tamque apostolicè
vitnm insliluehal , ut nec minimain smislri ru-
inons maculant conversations ejus sublimi:as
admilleret , et illd m urbe celeberiimâ , etc.
Lambert Scbaffnab.
* L'édilion de i - 34 du Dictionnaire de Bayle,
porte ici Allemand , qui est le mot le] qu'on I é-
crirait aujourd'hui ; niais le texte de Miimbourg
que j'ai vériGé >ur l'édition in-4°. , porte , paRU
a4g, Alleman , quoiqu'il ne s'agisse pas ici d'un
auteur du nom A' Alleman, mais d'un lii-toricn
allemand de nation.
(i3) MaiuiboiiTg , Décadence de l'Empire,
pag- a'l3-
l6
2 fa
GRÉGOIRE VIL
du Plessis Mornai. Ce moine trouve
fort mauvais que du Plessis n'ait cite
que la première partie du passage de
Lambert de Sehafl'nabourg, dont aussi
elle ne se vent garantir du soupçon
• d'un amour incestueux ; les fauteurs
du roy senians par tout , et sur tout
les clercs , ausquels il defendoit le
mariage contracté contre les canons,
que jour et nuit il se veaulroit impu-
demment en ses embrassemens , et
qu'elle, prévenue des amours desr'o-
bées de ce pape , après avoir perdu
son mari ne voulut point venir a se-
condes nopces (i4). Voilà où du Plessis
s'arrête ; et voici la plainte de Coè'fle-
teau. Ma,is , lecteur, que diras-tu , si
je te montre que cet auteur, ce grave
historien comme il l'appelle , réfute
en ce même lieu cette effrontée ca-
lomnie? De quelle foi donc, ains
de quel front l'alléguer, pour diffa-
mer sa vie propre, et sa conversation
domestique (i5)? C'est trop crier
pour peu de chose : j'avoue que M. du
Plessis n'eût pas mal fait de remar-
quer, en passant, que Lambert de
SchaHnabourg réfute cela ; mais enfin,
comme son principal but n'était que
de rapporter quel jugement on faisait
du pape Gre'goire , il ne faut pas
trouver si étrange qu'il se soit con-
tenté des paroles où Lambert de
Sehafl'nabourg apprend au public les
médisances qui couraient contre ce
pape *. Notez qu'il donne à ce Lam-
bert la qualité d'abbé de Hirtzaw.
Son adversaire l'eu reprend, et dit
qu'il n'était que moine d'Hirtzaw. Ils
se trompent tous deux : il était moine
d'Hirsfeld au diocèse de Mayence.
Finissons par une pensée du père
Maimbourg : Ce n'étaient là , dit-il
(16) , que des faussetés toutes visi-
bles : mais cependant comme le monde,
j>ar une certaine malignité qui lui est
naturelle , a bien plus de penchant a
croire le mal que le bien , surtout
dans les personnes qui ont quelque
réputation île vertu , cela ne laissa
]>as de produire un mauvais effet , et
de nuire a Grégoire en ce temps-là :
ce qui doit apprendre aux directeurs
(i4) Du Plessis, Mystère d'Iniquité, pag. ï!fi.
(i5) Çoéffeteau , Réponse an Mystère d'Ini-
quité , pag. 695.
* Joly relève avec aigreur les excuses alléguées
par Bayle en faveur de du Plessis Morn;.i.
(iGJ Décadence de l'Empire, pag. a45.
des consciences , que les plus courtes
conversations qu'ils pourront avoir
avec leurs dévotes seront sans doute
toujours les meilleures ; et qu'il l'é-
gard des gens de leur profession ,
c'est avec beaucoup moins de fruit
que de Manger, du moins pour la ré-
putation , qu'on traite si souvent et
si long-temps avec les femmes.
(H) Il osa soutenir qu'il n'a-
vait fait que se conformer à l'usage
de la cour de Rome.] Ceci nous ap-
prend qu'il ne faut pas se fier à ceux
qui se vantent de n'être que les imi-
tateurs des anciens. Les plus grands
innovateurs ont eu la hardiesse de se
vanter de cela. Nous en avons ici un
illustre exemple. Rapportons-le selon
les paroles d'un jésuite , afin que
personne ne prétende que j'use d'exa-
gération. « (17) Je trouve aussi qu'Hé-
» riman , évêque de Metz , ayant pro-
» posé à Grégoire , par écrit , ses diili-
» cultes sur ce sujet, et demandé
» entre autres choses , ce qu'il fallait
» dire à ceux qui soutenaient que le
» pape ne pouvait déposer le roi , ni
» dispenser ses sujets du serment de
» fidélité , comme il avait fait au
» dernier synode de Rome , il lui
■» avait répondu nettement et sans
» hésiter, (*') qu'il l'avait pu faire
» très-justement, selon la coutume
» et l'usage de ses prédécesseurs , qui
v avaient excommunié des rois et
» des empereurs, en les privant de
» l'empire et de leur royaume. Ce-
» pendant Othon de Frisingue , très-
» savant et très-saint évêque, tout-
)> à-fait bien intentionné pour les
» papes, et souvent loué par le car-
» ctinal Baronius, nous assure avec
» grande sincérité , qu'ayant lu (+2)
» fort exactement les histoires , il n'a
» jamais trouvé qu'aucun pape, avant
» celui-ci, eût entrepris une pareille
» chose (18). »
(I) Il fallut que l'empereur se sou-
mît aux indignités les plus inouïes.']
(17) Maimbourg , Décadence 'de l'Empire ,
pag. 248.
(*'; l,ïb. 4, episl. 25.
(*a) Lego et relego Bomanorum regutn et im-
peralorum gesta , et nusquain invenio quemquanl
eorttin ante hune à Ftomano ponlijice vel excotn-
municatum , vel regno privalum. Otto Frising.
chron. , I. 6 , c. 35.
(18) Vuyez le père Alexandre, Select. Ilist. ,
cap. seculi XI et XII, pari. //, oit il suppose
que Ore'i'uite Vif fut trompe' par son secrétai-
re, qui lui allc'guaU île futur tloctwiens..
GRÉGOIRE VII,
243
Il était parti au commencement de
l' laver avec sa femme , et un Je ses
en fans, et une très-petite suite, et il
traversa les Alpes, durant la plus
rude saison de l'année , avec d'é-
tranges incommodités qui pourraient
faire compassion même dans un sim-
ple voyageur, -beaucoup plus dans
un si grand prince réduit en un état
si misérable (19). Son arrivée en Italie
ne laissa pas d'inquiéter le pape ;
» fort délicat, et que tout autre sou-
» verain que lui n'aurait jamais fait.
■» Car enfin , c'était là comme se met-
;> tre pieds et poings liés , entre les
» mains de ceux qui en pourraient
» absolument disposer comme il leur
» plairait , et le retenir prisonnier
» dans une place jugée imprenable,
» et d'où ses gens ne l'auraient jamais
» pu tirer. De plus , quand il eut
» passé la première enceinte, on l'ar-
c'est pourquoi Mathilde , afin qu'en » rêta dans la seconde , et là il fallut
tout événement il fut en lieu de sûreté,
le mena dans sa forteresse de Ca-
no&sa (20). Plusieurs princes le sup-
plièrent d'absoudre cet empereur ;
mais il demeura long temps inexo-
rable : et puis se trouvant plutôt im-
portuné que fléchi , ni même 1 branlé
par les continuelles et ardentes solli-
citations de ces princes, il leur ré-
pondit enfin qu'il se résoudrait donc,
puisqu'ils le voulaient ainsi, à l'ab-
soudre , à condition toutefois que ,
pour faire paraître a tout le monde
qu'il était touché d'un véritable re-
pentir de sa révolte, il lui enverrait
avant toutes choses sa couronne , et
tous ses autres ornemens royaux ,
pour en disposa' à sa volonté , et
qu'il confesserait publiquement qu'a-
près ce qu'il av<zit fait dans son in-
fime imnciliabute de If^orms , il était
indigne d'être jamais ni roi , ni em-
pereur. Les princes se jetèrent aux
genoux du pape , pour le conjurer au
nom de Dieu de se contenter de quel-
que chose de plus supportable. Ils
obtinrent avec bien de la peine , qu'il
pourrait donc venir h la bonne heure
s'il voulait être absous; mais que, pour
obtenir cette grâce , il fallait se ré-
soudre à faire hors de ce point-là ,
tout ce qu'on lui ordonnerait pour
pénitence (21). L'empereur passa par-
dessus tout (22). « 11 s'alla présenter
» à la première porte de la forte-
» resse, attendant avec une extrême
» soumission ce qu'on exigerait de
» lui. D'abord il fallut qu'il y entrât
» seul , et qu'il laissât tous ses gens
j> dehors pour l'attendre , et pour le
» reconduire quand il en sortirait ;
» ce qui était assurément un point
qu'il mît bas toutes les marques de
» la majesté royale ; que s'étant dé-
» pouillé de ses habits, il se revêtît
» d'une simple tunique de laine ,
» comme d'un cilice (a3), qu'il de-
» meurât là pieds nus, durant la plus
» grande rigueur de l'hiver, car c'é-
» tait sur la fin de janvier, et à jeun ,
» sans rien prendre du tout depuis
» le matin jusqu'au soir, implorant
» avec de grands gémissemens la mi-
» séricorde de Dieu et du pape. Ce
» qu'il y a de plus étrange , c'est
)> qu'il fallut encore que ce pauvre
» prince demeurât en un si triste , si
» pénible , et si pitoyable état trois
» jours continuels, sans qu'on pût
» jamais obtenir du pape , à force de
» larmes et de prières , qu'il l'admît
» plus tôt à sa présence pour le con-
)j soler ; et la chose alla si avant que,
» comme il l'avoue lui-même , en se
» faisant honneur de cette extrême
» sévérité dans sa lettre aux princes
» d'Allemagne , tous ceux qui étaient
» avec lui en murmuraient, ne pou-
» vant assez s'étonner de cette dureté
» d'âme sans exemple ; et quelques-
» uns même disaient hautement, que
« cette conduite ressemblait bien
» plus à la barbare cruauté d'un
» tyran, qu'à la juste sévérité d'un
» juge apostolique (*). Ce sont là
» les propres termes de Grégoire ,
» rapportés par le cardinal Baro-
» nius (24) 11 sen fallut peu
(23) Malmesburiensis adjuusle des ciseaux ,
et un balay à la main , comme se soubmetlant a
eslre tondu et fouette'. Du Plessis , Mystère d'i-
niquité, pag. it\i , î43-
(*) Ut pro eo mullis precibus et lacrymis in-
lercedenles , omîtes quidem inwUiam noslrce
mentis duritiem mirarentur, nounulli verb in
, . „ . , n. . , m- • a. nobis non apostolicà teveritatis gravitaient,
(i0) Manubourg, Décadence de 1 Enip.rA w ^ tyrannicce feritalis crud dilatent esse
pag. 25^. ^ » clamarent. Grr;;. , I. 4i CP- I2i elapud Baron.,
(201 Là même, pag. a55. ann ,077,,! 17.
(21) L.à même , pag. 257. (2^) Maimbouig, l'écadence Je l'Empire,
(22) L'a même, yag. 2.Ï8. Png »&■
^44 GRÉGOIRE VII.
)) que la patience n'échappât à ce (L) Il excommunia l' empereur , et
d prince, sur la fin du troisième jour le déposa tout de nouveau.] Par ce
» d'une si rude pénitence , et il était décret foudroyant il ("*") le [/rive de
)> sur le point de tout rompre l'empire et des royaumes de Germa-
it lorsque la comtesse Mathilde en- nie et d'Italie , absout tous ses sujets
» treprit cette affaire avec plus d'ar- du serinent de fidélité //u'ils lui
» deur qu'elle n'avait fait : car alors avaient prêté ; et ce qu'il n'avait pas
» le pape Grégoire , qui ne pouvait encore voulu faire jusques al ors , il
» rien refuser aux instantes prières confirme l'élection de Rodolphe , au-
» d'une si grande princesse , et à la- quel il envoya une riche couronne
» quelle il avait tant d'obligation, d'or, autour de laquelle il y avait
» résolut enfin de recevoir Henri, le une inscription dans un vers , qui si-
» quatrième jour au matin, et de le gnifie que Jésus-Christ , qui est la
» réconcilier à l'église , à ces condi- pierre mystique , ayant donné le dia-
3> tions : Qu'il se soumettrait auju- dème a Pierre, en la personne de
» gement que le pape, au temps et Grégoire, le donnait a Rodolphe (**).
j» au lieu qu'il serait assigné, rendrait Ce sont les paroles du père Maim-
)> sur les accusations qu'on avait in- bourg (27). S'il est vrai que le père
» tentées contre lui qu'il n'exer- d'Hildebrand était charpentier , nous
» cerait cependant aucun acte de avons là une preuve que les coura-
>> souveraineté . » Je laisse les autres ges les plus superbes peuvent naître
conditions, toutes très-rudes. parmi la lie du peuple. Que peut-on
(K) Ses partisans excommuniés voir de plus altier que notre Hilde-
éprouvèrent presque la même ri- brand? N'avait-il pas pris à tâche
gueurJ] « Il n'en usa guère plus dou- d'abaisser les rois ? parce , disait-il ,
» cernent envers les évêques aile- qu'ils le portaient trop haut, et qu'il
» mands , et les autres , tant ecclé- leur voulait fournir par sa ligueur
j) siastiques que laïques, qui étaient les moyens de s'humilier (a8). Impe-
» venus un peu auparavant se jeter ratoribus et regibus , cœterisqueprin-
» à ses pieds pour être absous de cipibus ut elationes maris , et super-
» l'excommunication qu'ils avaient biœ fluctus comprimere valeant , ar-
» encourue. Car, avant que de les ma humilitatis, Deo auctore iiirovi-
» absoudre, il les fit enfermer sépa- dere curamus : proindè videtifh utile,
» rément en de petites cellules , com- maxime imperatoribus , ut ciimÊnens
)) me dans des prisons ; et là il les fit illorum se ad alla erigere , et pro sin-
n jeûner fort rigoureusement assez gulari vult g/orid obfectare, inveniat
)» long-temps , contre l'ordinaire de quibus se modis humiliet , atque undè
» leur pays, où à cause du froid le gaudebat , senliat plus timendum.
» jeûne est beaucoup plus difficile à Notez que le jésuite Maimbourg re-
» garder qu'en Italie (25).» Le jeûne jette ce que l'on a dit du père de
est sans contredit l'une des plus for- Grégoire VII. Voici ses termes. Ce
tes mortifications qu'on puisse îm- que l'on dit ordinairement qu'il était
poser aux peuples septentrionaux, et fils d'un charpentier, et que ramas-
principalement aux personnes riches, sont des copeaux en se jouant lors-
qui s'accoutument dès l'enfance à se qu'il était encore petit enfant , il en
bien nourrir , et à faire de longs re- avait formé par hasard des lettres
pas , où, si l'on mange beaucoup , on disposées en sorte qu'elles compo-
boit encore davantage. Si la religion saient ce verset du psalmiste , Domi-
chrétienne avait commencé dans ce nabitur à mare usque ad mare , Il
pays-là, je ne pense pas qu'elle eût dominera d'une mer à l'autre, n'est
envoyé dans le Levant les mêmes ca- qu'une pure fable (29).
nons d'abstinence et de vigiles, qui
sont venusde l'Orientau Septentrion. £■) Conc. Ro,».ç, 1. io >,conCil., edit. Paris.,
TT , , . . ■ c t. C :* , ( ") Petra dedil Petro , Petrus diaJema Ko-
Voyez les plaintes qui furent faites v Aa\vho.
contre le Cardinal AlamandllS (26). (57) Maimbourg, Décadence de l'Empire,
m*- *:8-
(î5) Maimbourg, Décadence de l'Empire , ^(28) Greg. , epist. ad Heriman. epi<c. Met. ,
pag. 25q. t'e Excom. Hem. IV, apud Maimb. , Décadence
(ïfi) Tom. I, pag. 344. remarque (A) de Vin- de l'Empire, paç. î.Tij.
tiile Alamanih:s. (»D) Rfaimboùrj., là même, paç. 21S.
GRÉGOIRE VII. 245
(M) On imputa entre autres crimes quatrième fois , antres (lient la si.rie-
eelui de magie h Hddehrand.~\ Cela me , et non - seulement la perd ,
paraît par la sentence que Ton porta mais la main droite dont il avoit preste
contre lui. Du Plessis Montai en fait le serment a l' empereur, et en perd
une ample mention. Lors aussi, dit- la vie. Coè'ffeteau répond (33) , que
il (3o) , se rassemblent en l'an 1080 le cardinal Baronius auoit prévenu
les évéques de i Italie, d' Allemagne, cette calomnie , et montre que Grégoi-
et des Gaules à Brixen en Bavière re ne dit jamais qu il eust eu la réve-
il) , et de rechef condamnent l/il- lation que ses ennemis lui repro-
debrand d' ambition , d' hérésie , d'un- choient ; mais seulement qu'en ter-
piété , de sacrilège ; « parce, disent- mes généraux il avoit asseuré , se
» ils, qu'il est faux moine, magicien, confiant en la miséricorde de Dieu ,
» devin , conjecteur de songes et de et en la justice de la cause que son
3> prodiges, mal sentant de la relir zèle lin faisoit défendre , que Dieu
'>> gion chrestienne, qui a achepte le ruinerait ses adversaires , et que ceux
» pontificat contre la coustume des de son parly seroient en bref victo-
» majeurs maigre tous les bons, etc. rie ti x , sans toutejois prescrire ■aucun
» Ennemi jure de l'empereur et de jour, comme tes scliismatiques l'ont.
» l'empire, corrupteur du droit di- accusé. « De là, dit Baronius, les
» vin et humain, enseignant le faux » ennemis de Grégoire prindrent oc-
» au lieu du vrai, le mal au lieu du » casion de le calomnier, et de l'ap-
» bien , etc. Trompette à toutes mes- » peller faux prophète, comme s'il
» chancetes , fauteur d'un tyran , se- » eust voulu prédire que Henry mour-
» meur de discorde entre les frères, » roit bien tost , et plusieurs autres
j> parens et amis , de divorces entre » telles choses , comme ainsi soit
» les marie's , niant ce bel homme » toutesfois qu'il ne fist pas estât
» que les prestres qui ont femmes » ny profession de dire cela par es-
» le'gitimes soyent vrays prestres , et » prit de prophétie , mais parlant
» cependant approchant des autels » selon le plus commun cours des
» les paillards, les adultères , les in- » choses , arrivant bien souvent que
» cestucux, etc. Nous, en l'authorite » l'homme recueille ce qu'il a semé:
» de Dieu tout-puissant , le deela- » et partant Grégoire , s'appuyant
» rons dépose du pontificat, et si de » sur la justice de sa cause , se pro-
» lui mesmes il ne s'en départ , or- » mettoit asseurement que Dieu la
» donnons qu'à jamais l'entrée lui » rendroit victorieuse : ce qu'à tout
» en soit fermée. Sigonius qui aussi » prendre on trouvera, dit-il, veri-
» récite cet arrest, au veu d'iceluy » table, si l'on regarde que Henry
» y employé ces termes : manifes- » et ses complices eurent une fin
» tum necrpmanticum , pylhonico » misérable.» Voici ce qu'on répli-
» spiritu laborantem, manifeste né- qua à Coëfleteau : Il devait regarder
» cromantien , et possède' d'un esprit (pie Baronius dit cela a propos d'une
» de Python.» éptlre (*) écrite par Grégoire a ses
(N) L' empereur gagna deux ba- frères éueques et autres fidèles , de
tailles maigri' les prophéties du "laquelle il est vrai que les termes peu-
pape.] Hildcbrand, pour donner cou- vent souffrir son interprétation. Mais
rage à Rodolphe et aux Saxons , les cela ne prouve pas que le pape /l'en
assura qu'il savait par révélation que a point parlé autrement ailleurs. Et
cette année-la un faux roi devait de fait, ce qu'on lui reproche est tout
mourir, Ce qu'il interprétait de l'em- autre chose , dite non en une lettre ,
pereur Henri IV; et s'il n'est vrai, mais en an sermon public , fait en
ajoute-t-il, que je ne sois point pape, habits pontificaux , avec ces termes .
rnesnie si cela n'advient devant laSaint- Ne me tenés plus d'-oresnavant pour
Pierre. Du Plessis Mornai(3a) cm- pape, mais dejettés moi de l'autel ,
prunte cela de Sigebert, et remarque si cette prophétie ne sortit effect à
que Rodolphe soubs la foi de cest ara- la feste de saint Pierre. Le mal fut
de retente la bataille jus ^ucs a la que les assassins gagnés par argent
(3o) Mystère d'Iniquité , wnc. ?'|j. , „ , ... . -.. c
W)OuPl,aôi,<lL<l,> Tu„!. (33) Réponse .u Mystère HMii.qu.te.^.Goï.
>:',2 Mystère d'Iniquité, pag. 2^. (*) Greg., Rejist., ht). 8 , cpisl. 7.
246
GRÉGOIRE VII.
ne purent faire leur coup , pour aider
a la prophétie , tellement que , pour
s'en défendre, il éluda son dire , rap-
portant ce qu'il avait prédit a la mort
de lame de l'empereur Henri , pour
ce qu'il n'avait pu tuer le corps (34).
Il est facile de voir que l'objection
du sieur du Plessis demeure dans
toute sa force , puisque la réponse
de Coè'fieteau, copie'e de Baronius, ne
vaut rien du toivt. Disons donc qu'Hil-
debrand se mêla de prophe'tiser des
choses que l'e've'nement confondit
bientôt. Conside'rez bien ces paroles
du père Maimbourg (35). // écrivit
des lettres (*') circulaires a tous les
fidèles , et singulièrement a ceux de
la province de Revenue , pour les en-
gager à faire une ligue avec les prin-
ces normands contre V Anti-pape. Il
en envoya d'autres aux princes de
la Germanie , pour les animer à com-
battre contre Henri, et promit aux
uns et aux autres qu'ils remporte-
raient une glorieuse victoire. Mais il
arriva par malheur pour lui , que le
succès fut tout contraire a ces assu-
rances qu'il leur donna : car trois se-
maines après la date de ses lettres ,
qui sont du il de septembre , les
armées de Henri et de Rodolphe
s' entrechoquèrent (*2) furieusement,
le l5 d'octobre , sur les bords de
la rivière d ' Elleslre , auprès de Mer-
sebourg en Saxe (36). Voici un di-
lemme : Ou Hildebrand croyait que
sa pre'diction arriverait , ou il ne le
croyait pas. S'il le croyait, il faut
l'appeler faux prophète : s'il ne le
croyait pas , mais s'il avait seulement
en vue d'encourager les rebelles , il
faut l'appeler un imposteur, qui par
une politique détestable sacrifiait à
ses intérêts temporels la sainteté de
la prophétie et l'honneur du saint
nom de Dieu. Nous avons vu de nos
jours quelques interprètes de l'Apo-
calypse, qui peuvent être jetés dans
les embarras d'un pareil dilemme.
La ruse d'Hildebrand me fait souve-
nir de l'article Dp.jotarus (37). Quand
on s'engage à prédire l'avenir , on
(34) Rivet , Remarques sur la Réponse au
Mystère d'Iniquité, IIe. partie , pag. 182.
(3.r>) Décadence de l'Empire, pag. a8i.
(") Greg. , l. S, ep. 7.
(") LU,. S, épis t. 9.
(36) Rodolphe fut lue dans cette bataille.
(S-]) Remarque (K.) , lom. V, pat;. /|45.
fait provision sur toutes eboses d'un
front d'airain , et d'un magasin iné-
puisable d'équivoques , afin d'attirer
à soi les événemens de quelque ma-
nière qu'ils tournent Si les ennemis
sont heureux 'selon le monde , on as-
sure que leur endurcissement aug-
mente , et que c'est là le vrai mal-
heur qu'on avait prédit. Voyez ici
Hildebrand qui applique à la mort
de l'âme ce qu'il avait osé prédire de
la mort de l'empereur. De quoi pou-
vait servir à Rodolphe que l'empe-
reur Henri IV fût damné au bout de
plusieurs années , si avant cela Ro-
dolphe devait être tué dans une ba-
taille que cet empereur gagnerait?
Quel sens y avait-il à prédire la dam-
nation de Henri IV , prince- qui
devait bientôt triompher de son ri-
val? Ce triomphe eût été la première
chose que l'on eût prédite , si l'on
eût été un vrai prophète. Je remar-
que cela, afin qu'on voie la vanité
du subterfuge du pape Grégoire Vil.
(0) Les écrivains qui parlent de
lui se réfutent les uns les autres.] H
est certain qu'ils se sont jetés dans
les deux extrémités, les uns contre
le pape Grégoire VII r les autres con-
tre l'empereur Henri IV. L'historien-
moderne que j'ai cité plusieurs fois
décrit cela si heureusement , qu'il
vaut mieux que je me serve de ses
expressions , que d'en chercher d'au-
tres. Celte querelle , dit-il (38) qui
partagea toute i Europe , et en arma
une partie contre l'autre , a tellement
divisé, et ensuite échauffé les esprits
des auteurs qui en ont écrit, que je
puis assurer qu'un ne vit jamais tant
de chaleur, tant d' amertume et tant
d' aigreur , ni même tant d'emporte-
ment , qu'il en parait dans les ou-
vrages de ceux qui ont entrepris de
défendre et de soutenir i un oui au-
tre parti, et qui a cause de la pas-
sion et du sentiment dont ils sont
préoccupés , sans vouloir seulement
souffrir qu'on l'examine , vont tou-
jours aux extrémités. Car outre qu'ils
n épargnent pas les injures les plus
atroces, dont ils s'accahlcnl impitoya-
blement les uns les autres, contre
toutes les règles , je ne dirai pas du
christianisme , mais de l'honnêteté
civile, et même de l'humanité;. les
(38) Ma'im!) ,Décad. de l'Empire, p. 216,21;.
GREGOIRE VII.
2/f7
uns , apivs le cardinal schémati-
que Bennon , déchirent de la plus
horrible manière du monde la mé-
moire du pape Grégoire P'II, et en
font le plus méchant et le plus de-
testahle de tous les hommes; et les
autres, tout au contraire, veulent qu'il
ait été l'incomparable en toutes les
perfections qui sont propres d'un
grand ponlije, el ne peuvent trou-
ver à leur gré d'assez grands éloges,
ni d'assez magnifiques louanges ,
pour les lui donner Pour mieux ju-
ger des historiens de ce siècle-là , il
est bon de considérer ce qui a été
e'crit ou pour on contre la ligue ,
sous Henri III et sous Henri IV. Com-
bien de fables et combien de ca-
lomnies ne publia-t-on pas alors ?
Je m'abstiens des exemples plus ré-
cens , et je suis persuade' que les es-
prits les plus pre'venus m'accorde-
ront que les siècles à venir seraient
très-injustes , s'ils jugeaient de nos
principaux acteurs par les libelles
qui s'impriment de part et d'autre
tous les jours, où chacun débite avec
la dernière hardiesse , non pas ce
qu'il sait, mais tout ce qu'il forge
lui-même, ou qu'il ramasse dans les
rues. J'écris ceci l'an 1695.
(P) Ce qu'ils ont débité sur
le chapitre de sa magie a tout l'air
d'une chimère.] Voici ce qu'en dit le
cardinal Bennon (3ç>) : Qu'il avait ap-
pris la magie de Théophylacte, qui
fut le pape Benoît IX , de Laurens
son compagnon , de l'archevêque de
Melfe, et de Jean , archipré tre de Sa int-
Jean-Porte-Latine , qui fut le pape
Grégoire VI , qui par le commerce
des démons , et le vol et chant des
oiseaux (4o) , se mêlait de dire des
nouvelles des plus lointains pays, de
V événement des guerres, et de la mort
des princes. Que tant qu'ils vécurent,
même au papat , il avait été ministre
(3g) Voyez du Plessis Mornai , Mystère d'ini-
quité, pag. l'fi , 2 19.
(4o) CoërTeleau , Réponse au Mystère d'iniqui-
té , pag. 704 , <lil que Bennon allègue , touchant
ce Laurent , qu'un jour , un passereau cliantant
en préseuce de plusieurs prélats, quelques-uns
lui demandèrent ce que disait cet oiseau , et qu'il
leur dit : Cet oi>eau dit ans autres oiseaux, qu'ils
s'envolent vilement à la porte Majeur , oii tout
maintenant se vient de rompre le cliariot d'un
paysan, qui portail du mil qui a élé répan lu : il
les invite donc d'en aller manger leur part. Et
qu'alors plusieurs se transportèrent à cette porte,
et trouvèrent la chose comme il l'avait dite.
et complice principal de tous leui's
maléfices Que venant un jour
d' Alba , il aurait oublié un sien livre
de nécromancie , sans lequel rare-
ment il allait, dont s' étant aperçu
a l'entrée de la porte île Latran , il
avait renvoyé deux siens conlidtns
serviteurs pour le quérir, leur dé-
fendant dprement de l'ouvrir; mais
quiceur, emportés de curiosité, l'au-
raient lu , et qu' aussitôt se servaient
présentés ii eux les anges de Satan ,
en grand nombre , dont ils auraient
eu telle horreur, qu'ils en auraient
presque perdu le sens , etc. Que ce
lui était chose ordinaire en secouant
ses manches d'en faire sortir feu et
flamme, et chose;, semblables.' Coé'f-
feteau se plaint (4*1) de Yct cœterà
du sieur du Plessis ; « il oublie le
» meilleur, dit-il , car Bennon ajoute
» que les malins esprits pressèrent
» ces deux serviteurs de leur dire
» pourquoi ils les avaient appelés et
"pourquoi ils les fatiguaient ainsi.
» Commandez-nous vilement ce que
» vous voulez que nous fassions ,
» dirent ces gentils démons aux ser-
» viteurs , autrement nous nous pren-
» tirons à vous, et vous ferons de là
» peine. A cela le plus jeune leur dit,
» renversez hâtivement ces murailles;
» et en disant cela , leur montra les
» hauts murs de Rome, qui étaient prO-
» ches. ^4u même temps ces esprits
» abattirent les murailles de Rome ,
» et les deux jeunes hommes faisant
» le signe de la croix , s'en relour-
» fièrent tous effrayés à leur maître. »
Coè'ftèteau veut que du Plessis ait
eu honte de coucher ce dernier
conte dans son livre, nul auteur dit
siècle n'ayant parlé de ce renverse-
ment des murailles de Rome. Dieu
me garde de soupçonner d'artifice
M. du Plessis, sous prétexte qu'il
a supprimé ce qui est le plus visi-
blement fabulent dans ce passage de
Bennon ; mais j'ose bien dire qu'il
n'eût pas mal fait de s'abstenir de
Yet caetera dam cette rencontre. Son
apologiste veut que Coè'fièteau soit
ici falsificateur : // ne fallait point .
dit-il (4^), qu'il mit a sa marge que
nul auteur de ce siècle n'a parlé du
renversement des murailles de Rome.
(40 La même, pag. -]o/).
(40 Rivet , Remarques sur la Réponse au
Mystère d'Iniquité , //e. part. , pag. it)3.
248
GRÉGOIRE VIÏ.
Bennon n'en a parle non plus ; seule-
ment dit il de ce jeune homme que ,
ostendit illis muros altos vicinos Ro-
mx, quos in momento maligni spiri-
tus dejecerunt ; qu'il leur montra de
hautes murailles proche de Home ,
lesquelles en un moment ces malins
esprits jetèrent par terre. Ainsi il
n'a point parlé des murailles de
Rome , près de laquelle quelques
vieilles murailles peuvent être tom-
bées , sans que les historiens en fissent
mention. La bonne foi dont je me pi-
que ne me permet pas de me décla-
rer ici contre Coè'ffeteau ; car je suis
persuade' qu'on le censure mal à pro-
pos : muros altos vicinos Komœ sont
les murailles mêmes de Rome dont
ces gens-là n'étaient pas loin , et non
pas des murailles qui fussent au voi-
sinage de Rome. Voyez ce que c'est
que les e'quivoques de la langue la-
tine. Quelle source de procès ne sont-
elles point?
_ Je rapporte ici le j ugement du
sieur Naude' , touchant les re'cits du
cardinal Bennon. «. Difficilement me
2> pourrais - je persuader que l'on
» puisse dire des choses si e'tranges
» du plus scélérat du monde, que
» cet auteur a dites d'un tel pape ,
3) et, à son occasion, de Sylvestre II,
» Jean XX, XXI, et Benoît IX , qui,
>> à son dire, faisait an moyen de sa
» magie courir les femmes après lui
3> par les bois et montagnes , et pré-
i) disait assurément les choses futu-
» res 5 combien que ces fables ne
» soient rien au prix de ce qu'il
» ajoute de l'archevêque Laurens qui
» entendait très-bien le chant des
» oiseaux, de Grégoire VII, qui jeta
» la sainte hostie dans le feu , con-
» jura la mort de l'empereur, fit
» empoisonner six papes par son
» intime confident Gérard Brazutus,
» et avait si bien appris la magie de
» Théophylactc et de Laurens , dis-
» ciples de Sylvestre, qu'il faisait
» sortir du feu en secouant ses bras,
» et pétiller des tonnerres de sa
» manche. Mais cet auteur en a trop
3) dit pour être cru ; et puisqu'il avait
» envie de calomnier les papes, il le
» devait faire avec plus de modestie
» et de jugement (43).» Ces derniè-
res paroles devraient être un conti-
(43) Nantie , Apologie des grands Hommes,
pag. 553.
nuel sujet de méditation aux écri-
vains satiriques. Voulant faire trop
ils ne font pas assez, ipsa sibi obstat
magniludo (44) : ils décréditent leurs
vérités par les fables qu'il y mêlent.
Ils agiraient plus sagement , s'ils ai-
maient mieux se retrancher quelque
ebose , que de se charger du super-
flu (45). La maxime, dtmidium }>lus
toto (4G) , devrait être la règle per-
pétuelle de leur plume. Le père
Maimbourg(4';) remarque que les ca-
lomnies publiées contre Grégoire VII
se sont détruites d'elles-mêmes , pour
avoir été trop atroces 7 trop grossière-
ment inventées par une aveugle pas-
sion qui ne dit rien pour en vouloir
trop dire , et infiniment éloignées de
toute vraisemblance.
(Q) On prétend que son cadavre fut
trouvé presque tout entier cinq cents
ans après sa mort. ] Il avait été en-
terré à Salerne, dans l'église de Saint-
Matthieu , qu'il avait consacrée peu
de temps avant sa mort. On chercha
son corps Fan 1573 , et on le trouva
revêtu des ornemens pontificaux.
Voici Tépitaphe qu'on y ajouta (48j :
Gregor.o Vil, Soanensi pont, opt.,
ma.r. ecclesiasticœ libertatis viiult-
ci acerrimo , asserlori constanlissi-
mo , qui dum lîout. Pontifiais aucto-
ritatem adversùs Henrici perfidiam
strenuè tuetur , Salerni sanctè decu-
buit , anno Dom io85. 8. kal. junii ;
iMurcus Antonius Columna , 3Iar-
si/ius Bononiensis , archiepiscopus
Salernitanus , ciim illius corpus ,
quingentos circiter annos , sacris
amictum, ne foré integrum reperis-
set , ne tanti pontificis sepulchrum
diutihs memorui carerel. Gregorio
XIII Bononiense sedenlc , anno Do-
mini i5"]8 pridiè ha/endas Quinti/is.
Il fut mis dans le martyrologe ro-
main , en i584, et sa fête fut solcn-
nisée en t5g5 (4ç^-
(44) Florns, in Proœmio. Voyez , torn. I , la
remarque iH) rie l'article AchillÉa.
(45^ Ce n'est pas ici qu'on doit appliquer la
maxime des jurisconsultes : SuperUua non no-
cent.
(46) Torn. I , remarque ( II ) de V article
Achillka.
(47, Décadence de l'Empire , pag. içfl.
(48) Voyez le père Jacoli , Bibliotlieca pontifi-
cîa , tib. /, pag. f|3. Il y a, ce semble , bien der
fautes dans ce passage, bien des mots oublie'»
par les imprimeurs.
(4f)) Histoire des Ouvrages des Savans, nwis
d'avril i08(j. pag. 1C6.
GRÉGOIRE VII.
^49
(R) Les apologies que ses partisans
ont écrites?] Celui qui s'est le plus
signale' pour ce pape est un je'suile
allemand (5o) : il a produit le bon
témoignage que cinquante auteurs
très-saints et très-doctes, à ce qu'il
prétend, ont rendu à Grégoire VII.
Entre ceux-là sont Paulus Bernrie-
densis , et Gerochus , ou Gerhohus
Reicherspergensis. M. du Plessis a
cru(5i) quece Gerochus avait compo-
se la Vie de Grégoire VII, et il en a
cite' quelque chose sur la foi de Jean
Avenlin. On prétend qu'il s'est dou-
blement trompé : on lui soutint 5 • ,
1°. que Gerochus n'a point écrit
cette Vie , mais qu'il a seulement
parle' (53) de diverses choses qui re-
gardent les démêlés de ce pape et de
l'empereur ; a0, qu'il n'a point dit ce
que du Plessis a cité. On le prouve par
1 ouvrage même de Gerochus, publié
à Ingolstad l'an 1611. Rirot réplique
(54) qu'on n'est pas oblige de se fier
à cette édition , puisqu'elle a été pro-
curée par le jésuite Gretsérus , qui
en a pu retrancher tout ce qu'il
aura voulu. Ce jésuite soutient (55)
que les paroles attribuées à Gerochus
sont d'Aven tin. On ne vit jamais des
airs plus altiers que ceux qu'il se
donne contre les gens qui oseront
encore douter de l'innocence de Gré-
goire VII , après son apologie , et
après les pièces publiées par Sébas-
tien Tégnagel, bibliothécaire de l'em-
pereur. Quis Benno et Sigebevlus ,
Gregorii VII calumniatores ; si con-
ferantur cum lot sanctissimis et doc-
tissimis scriptoribus a parle Grego-
rii T'II stanlibus , quorum in apo-
logid pro eodem pontip.ce , quinqua-
ginla protulimus , recilatis eorum
t'erbis ; ex quibus nonnulli inlere'a
integriin lu ce m vénérant, ut Paulus
Bernrieden.sis , et Gerochus seu Ger-
hohus Reicherspergensis ut taceam
prœc/ara Ma antiquorum monumenta,
quœ in defensionem Gregorii Vlljam
olim scripta, nuperex tenebris eruit vir
(5o) Jacques Gretsérus.
(50 Mystère d'Iniquité , pag. ï!fi.
(32) Cneffeteau , Réponse au Mystère d'Iniqui-
té , pag. titjG. Gretsérus, in Examine My^terii
Plessi , pag. 356.
(53) In primo Ubro île Invesligalicne Anti-
Cbrisli.
(54) Rivel , Remarques sur la Réponse au
Mystère d'Iniqulé , pag. 186.
^55 > In prœto'juiis ad GcrocViiannm Syntag-
yaa. Voyez son Exam. My.st. Plessœani , p. ÏÙ7.
clarissimus dominus Sebastianus Tég-
nagel , J. U. D. Cœsareus Viennœ
bibliolhecarius quorum fulgore tant
priscorum , quant recentium in Gre-
gorium VU convicia adeb obnubi-
lant ur, ut jam non nisi a noctuis ,
ululis , uespertdionibus et nycticora-
cibus , et si quœ sunl aliœ hujus ge-
neris caliginis patientes , lucis impa-
tientes aves , consi)icianlur(56 ?
Serait -il possible qu'Aventin eût
fait ce qu'on lui impute? On pré-
tend que, pourmédire des papes plus
malignement , il a supposé qu'il trou-
vait dans de vieux livres les satires
qu'il forgeait lui-même. Quis \'cl obi-
ter in Aventino versât us ncscit, Aven-
tinumsine fronle inpontifices maledic-
ta jacere , et ne impudenlui accusetur
mentiri talia a vèleribus vel du ta vel
prodita de pontiûcibus , ciim ipse ex
hœretico suo cerebro omnia hujus ge-
neris exsctilpserit , et quœ olim dicta
vel scripta voluisset , dicta vel scripta
fuisse , cjnico prursus ore ajjirmet
(57). On prétend l'en convaincre sur
Gerochus, qu'il a cité pour des faits
qui ne sont pas dans le manuscrit de
cet auteur. Cela serait fort , s'il ne
restait pas un dernier refuge aux
partisans d'Aventin ; c'est de dire que
Gretsérus a falsifié son édition de
Gerochus (58). On peut dire contre
ce reproche de Gretsérus, qu'il n'y a
pas beaucoup d'apparence qu'Aven-
tin ait débité ses propres satires sous
le nom d'un ancien auteur, puisqu'il
a pu trouver un bon nombre d'an-
ciens auteurs qui ont dit de la cour
de Rome tout le mal qui s'en pou-
vait dire. On n'avait qu'à produire
ces écrivains-là : les bons papistes
savent bien se plaindre que les en-
nemis du saint siège s'occupent tous
les jours à chercher les preuves et les
calomnies qui leur manquent dans /,• ,
bons escrivains parmy les sépulchres
et vieux esgouts des schismatiques ,
et comme a fort bien remarqué le ju -
risconsulte Michel Ritius (*) : Auti-
quos et manuscriptos libros in late-
brosis locis laboriosè evolvunt , et
ex fœtido pulvere auctores quosvis
excitant , quos licentiosè in ipsos
(5G) Grets. , in Exam. Myster. Plessaani,
pag. 35p , 36o.
(5;) Gretsérus , ibid . pag. 354-
(58) Rivel l'assure, ci-dessus, citation (54).
(") Lil). de Fuie gallicâ.
25o GRÉGOI
pontifices scripsisse deprehendunt :
je m'en rapporte au recueil qu'en a
faict Matthias Flaccius Illyricus dans
ce gros volume qui est intitulé Cata-
logus testium veritatis , lequel je ne
puis mieux comparer qu'a celte Po-
neropolis de Philippe de Macédone ;
car comme celle ville n'estoit habitée
que de for-bannis, vau-riens, couppe-
jaivels , essaurillez, et de toute la
canaille du pays , aussi peut-on dire
avec vérité que si l'on excepte les pas-
sages dépravez des pères et des con-
ciles tout ce catalogue si ample n'est
grossi que des vieux fragments et
lopins de ceux qui ont autrefois re-
gimbé contre l'église , ou qui ont esté
retranchez du corps d'icelle , comme
membres pouris et gangrenez , tel
qu'a esté entre une miiliace d'autres le
faux cardinal Beno (5g).
(S) L'auteur de /'Esprit des cours
de l'Europe prétend que les conquê-
tes des papes n'ont pas dd être aussi
difficiles que je me figure. ] On peut
diviser sa réflexion en deux parties ,
et dire que dans la première il raille
agréablement et finement le pouvoir
des papes , et que dans la seconde il
e'tablit sans détour et se'rieusement la
facilite' de s'agrandir qu'il suppose
qu'ils ont eue: Les ironies ingénieu-
ses de la première partie sont telles
qu'un docteur ultramontain y pour-
rait être attrape' , et les employer
tout de bon comme des preuves.
C'est pourquoi il ne sera pas bors de
propos de les discuter. « N'est-il pas
» dit que tout genou terrestre fl.é-
» chira au nom du chef invisible?
» comment le chef visible ne terras-
» sera-t-il pas tous ses ennemis ?
» comment n'aurait-il pas confondu
» tous ceux qui ont ose lui résister?
» le chef visible n'agit que par le
5> pouvoir du chef invisible : si le
j> maître est toujours victorieux, il
» faut bien que le vicaire le soit aus-
» si. Ce miracle est un article de
« foi : c'est trop peu dire ; il est le
» grand mobile de la religion : la rc-
» ligion ne doit pas moins assujettir
» le corps que l'esprit à son empire :
» personne ne le dispute : elle a droit
» sur l'homme tout entier : comme
» les récompenses sont proposées i
x la substance matérielle , aussi-
(5;)) "Vaudé , Apologie des grands Hommes ,
pag. 55i.
RE VII.
» bien qu'à la spirituelle . l'une et
» l'autre doivent subir également le
» joug des lois , et les menaces re-
» gardent indifféremment toutes les
» deux : ce principe une fois renver-
» se , que deviendrait la sainte in-
» quisition ? ce divin tribunal n'au-
» rait plus d'autre fondement qu'une
» cruauté barbare ; et cet arsenal
» sacré ne renfermerait pas une ar-
» me qui n'eût été forgée au feu de
>' l'enfer. Le pape est donc le maître
» des corps aussi-bien que des âmes ;
» et comme son autorité sur les con-
» sciences n'a point de bornes , son
» pouvoir sur les corps doit être in-
» vincible. D'ailleurs n'était-il pas
» de la juste économie du salut ,
» que la puissance ne fût pas moins
» étendue que la lumière? de quoi
» servirait à un chef divinement ét.^-
» bli de connaître tout , s'il n'avait
» pas le pouvoir de disposer de tout?
» il serait fort inutile à cet Hercule
» d'écraser les monstres de l'erreur ,
» s'il n'avait pas droit d'écraser les
» monstres de l'impiété : ce droit em-
» brasse les rois et les empereurs, qui
» pour commander à des peuples ne
» sont pas moins les sujets de l'église :
» les papes ont tenu tête à ces premiers
» sujets toutes les fois qu'ils se sont
» révoltés contre cette bonne mère : ils
» leur ont opposé une puissance inli-
» nie; comment les papes auraient-ils
» eu le dessous? et voilà le véritable
» dénoûment des glorieux et ini-
» maginables succès de la nouvelle
» monarchie romaine (6o). » Ce dis-
cours étant pris sans ironie formerait
ce raisonnement sérieux, que dès là
que les évêques de Rome ont été con-
sidérés comme les vicaires de Jésus-
Christ , dont la puissance sur les
corps et sur les âmes n'a point de
bornes , il a fallu que leur empire se
soit établi facilement sur les peu-
ples, et même sur le temporel des
souverains. Une distinction suffira
pour résoudre cette difficulté. Qu'on
suppose tant, qu'on voudra que Jésus-
Cliiist a établi un vicariat dans son
église , le bon sens , la droite raison
ne laisseront pas de nous apprendre
qu'il \\i établi, non pas en qualité
de souverain maître , et de créateur
de toutes choses, mais en qualité
(Go) L'Espnt des Cours de l'Europe, nov.
ifj<)i) , /'«;;■ 663.
GRÉGOIRE VII. 25j
de médiateur entre Dieu et les hom- conde partie de la re'flexion de l'aoo-
mes, ou en qualité' de fondateur d'u- u\ me.
ne religion qui montre aux hommes ■( Ne volons pas si haut, et par-
la voie du salut, qui promet le pa- » Ions plus humainement : je ne vois
radis aux fidèles , et qui menace de » rien de si surprenant dans la gran-
la colère de Dieu les impènitens. » deur des papes. A la faveur de
Voilà donc les bornes de la puissance » quelques passages de 1 Ecriture ,
du vicaire que Je'sus-Christ aurait » il-; mil persuade le monde de leur
établi. Ce vicaire ne pourrait tout » divinité : cela est-il nouveau ? jus -
au plus que de'cider de la doctrine » qu'où les hommes ne se laissent-ils
pas entraîner en fait de religion?
Ils aiment surtout à diviniser leur
semblable. Le paganisme en fait
foi : or,posé une fois que les papes
aient pu facilement établir les di-
vins privilèges de leur charge , n'é-
tait-il pas naturel que les peuples
se déclarassent pour eux contre
toutes les autres puissances? Pour
moi, bien loin d'être surpris de
leur élévation, j'admire comment
qui sauve, ou qui damne. Il faudrait
qu'après avoir annoncé les promesses
du paradis , et les menaces de l'enfer,
et après les instructions , les cen-
sures, et telles autres voies de per-
suasion , et de direction spirituelle ,
il laissât à Dieu l'exécution des me-
naces , non -seulement à l'égard des
peines de l'autre vie, mais aussi à
l'égard des châtimens corporels dans
ce monde-ci. Jésus-Christ lui-même
n'en usait pas autrement. Il suivit » ils ont pu manquer la monarchie
dans la dernière exactitude le véri- » universelle : le nombre des princes
table esprit de la religion , qui est » qui ont secoué le joug romain me
d'éclairer et de sanctilier l'Ame , et » confond : quand j'en cherche la
de la conduire au salut par les voies » raison, je ne puis me prendre
de la persuasion , sans empiéter sur » qu'à ces deux causes si générales
la politique l'autorité de punir cor- » et si connues , que l'homme n'agit
jDorellement les opiniâtres et les in- » pas toujours conséquemment à ses
crédules , dont il trouvait un nombre » principes, et que la vie présente
infini ; car il n'est pas vrai qu'à cet » fait de plus fortes impressions sur
égard le chef et le maître de l'église » son cœur que celle qui est à venir
soit toujours victorieux (61). Ainsi » (62). «Laissons croire à cet écri-
ceux-mêmes qui ontaété le plus for- vain fin et subtil que les papes ont
tement persuadés que le pape est le pu aisément persuader qu'ils étaient
ficaire de Jésus-Christ, ont dû re- des dieux en terre, c'est-à-dire ,
garder comme un abus du vicariat qu'en qualité de chefs visibles de l'é-
tant ce qui sentait la juridiction glise , ils pouvaient déclarer authen-
temporelle , et l'autorité de punir le tiquement cela est hérétique , cela est
corps. Et de là devaient sortir na- orthodoxe , régler les cérémonies, et
turellement une infinité d'obstacles commander à tous les évêques du
aux conquêtes de l'é\ èque de Rome, monde chrétien. Résultera-t-il de là
Il n'est pas inutile de connaître tout, qu'ils aient pu aisément établir leur
encore que l'on n'ait pas le pouvoir autorité sur les monarques , et les
de disposer de tout. C'est assez que mettre sous leur joug avec la der-
la religion fasse connaître sûrement nière facilité ? C'est ce que je ne vois
ce qu'il faut croire , et ce qu'il faut point. Je vois au contraire que, selon
laire : c'est assez qu'elle puisse claire- les apparences , leur autorité spiri-
nient réfuter l'erreur, et ce n'est tuelle devait, courir de grands ris-
qu'en ce sens là que l'autorité de ter- ques , par l'ambition qu'ils auraient
rasser les monstres de l'hérésie et de d'attenter sur le temporel des n>is.
l'impiété lui appartient. Si les hom- Prenez garde, dit-ou un jour aux
mes résistent à ses lumières, c'est à Athéniens, que le soin du ciel ne
Dieu à les en punir comme des inex- vous fasse perdre la terre (63). 1 oui
ensables. Ce n'est point l'affaire de la au rebours , on aurait du dire aux
religion, ni une partie du ministère papes , prenez garde que la passion
établi par Jésus-Christ. Vovons la se- (6,)I/Esp. desCour* àeVT.ar.,n. 1699,^665.
(61) Voyez la remarque (E) de L'article Xi- (63) Voyez la citation d'Erasme , dantla re-
kophanes , loin. XIV. marque (F) de l'article Olijipus , lom. XI
252
GREGOIRE VII.
d'acquérir la terre ne^ vous fasse exploits , ri est que quelqu'un, par
perdre le ciel : ou vous ôtera la puis- force d'armes, le fist résoudre au-
sancc spirituelle, si vous travaillez t rement (65). Nous pouvons ajouter
à usurper la temporelle. On sait que que les rois et les empereurs peu-
les princes les plus orthodoxes sont vent combler de tant de bienfaits et
plus jaloux des intérêts de leur sou- de si belles récompenses un grand
verauieté , que de ceux de la reli- nombre de personnes , qu'il leur est
gion. Mille exemples anciens et mo- facile d'engager dans leurs intérêts
dernes nous le font voir. Il n'était plusieurs prélats et plusieurs moines ,
donc point probable qu'ils souilri- et les obliger à écrire contre les pré-
raient que l'église s'emparât de leurs tentions de la cour de Rome. Cette
domaines et de leurs droits, et il dispute de plume doit être fatale , se-
l'église au préjudice de leur puis- l'esprit de l'Évangile, et par l'ancienne
sance temporelle. Les princes qui sa- tradition, et par l'usage des premiers
vent régner ont presque toujours à siècles, que les papes ne sont nulle-
leur dévotion les gentilshommes et ment fondés dans leurs prétentions de
les soldats ; et quand cette partie de disposer des couronnes, et de partager
leurs sujets leur est fidèle , il ne pa- en tant de choses les droits de la sou-
raît pas qu'ils aient sujet de redouter veraineté. Cela peut même frayer le
les entreprises du clergé. On se bat chemin à rendre problématique leur
pour eux contre toutes sortes d'enne- autorité spirituelle; et en les mettant
rais. C'est ce que firent les troupes ainsi sur la défensive à l'égard de ce
de Charles-Quint contre Clément VII ; point là, dans quels embarras les jette-
c'est ce que les troupes de France t-on ? quel péril ne leur fait-on pas
firent pour Louis XII contre le pape courir par rapport même aux arti-
Jules II , et ce qu'elles étaient près cles que les peuples s'étaient laissé
de faire avec une ardeur incroyable
pour Louis XlVcontre Alexandre VII
Ie persuader insensiblement ? Il ne faut
il> pas compter pour peu de chose la
un peu avant que la paix de Pise (64) disposition qu'il est probable qu'au-
délivrâ-t ce pape de la tempête qui ront à servir W princes , les ecclé-
allait fondre sur lui J'étais chez siastiques que Ta tour de Rome veut
M. Justel, à Paris, en 1675, lorsqu'un contraindre à ne se marier point. Le
nouvelliste assura que le comte de nombre de ceux qui trouvent ce joug
Vignori , gouverneur de Trêves , trop rude est innombrable : les in-
avait fait cette réponse aux religieux continens honnêtes sont ceux qui ont
qui lui représentaient que les cou- ]e plus à cœur le privilège de se
vens qu'il jetait par terre afin de marier; car pour ceux qui n'ont guè-
fortifier la ville , avaient été fondés re Je conscience, ils se dédomma-
par Charlemagne : Je ne fais qu'exé- gent par le concubinage. Quoi qu'il
cuter les ordres du. roi, et s'il me en soit , la discipline du célibat pa-
comman luit de dresser une batterie raît incommode à une infinité de
contre le saint-Sacrement , je le fe- gens : ]c mariage est pour eux celui
nais. François MenJoce de Cordoue ^e tous les sacremens dont la parti-
ne fut pas si emporté dans la réponse cipation paraît la plus chère et la
qu'il fit à une lettre de l'empereur , piLIS précieuse; et qui voudrait faire
le 3r> de décembre 1 598 ; mais il ne sur cc Sujet-là un livre semblable A
s'en fallait pas beaucoup. Il lui écri- cc\„[ (]c ]a Fréquente Communion , se
vit que, </ tanà sa majesté impériale rendrait aussi odieux que M. Arnauld
seroit avec sa puissance d'un coté, et î,, devint quand il publia sous ce ti-
le saint père le pape avec son excom- tre ^ m3i{s sur une autre matière; , un
munication de l'autre luy commân- ouvrage qui afaitbeaucoorpde bruit.
dant encore une fois de partir , qu'il On aurait donc dû s'imaginer que les
riobeïroil, comme ayant un maître (65) LWeur 3e l'Apologie jour U maison de
qui luy avait commandé de faire ses Nassau, p«g. 18 '1, édu- de 1OG4. /' cite de Mi-
(G'() Elle fut conclue en i6'3',. «"en , folio 4S6.
GRÉGOIRE VII.
253
empereurs et les autres princes trou- Séphora disait à Moïse , certes tu m'es
veraient des légions de prêtres, et un époux <Ie sant* (68); mais si l'é-
de chanoines, et de moines affection- glise romaine était l'épouse de Jésus-
nés à leur cause contre des papes Christ, son époux lui pourrait dire
ardens promoteurs du célibat. Or avec beaucoup plus de raison, certes
que ne peuvent point se promettre tu m'e.s une épouse 'le sanç.
ceux qui, outre de grandes arme'es, Cela suffit, ce me semble , pour
ontàopposerà un évêque de Rome, justifier les propositions ' due j'avais
tant d'ecclésiastiques qui ne sauraient mises dans la première édition de ce
renoncer à l'autre sexe, et qui ont Dictionnaire à la remarque (B) de
une extrême envie d'être pères et cet article. Je demeure constamment
maris en même temps? persuade que la puissance où les pa-
3Iais, pour connaître si ceux qui pes sont parvenus est un des plus
auraient fait de semblables conjec- grands prodiges de l'histoire humai-
tures touchant les difficultés qui ne , et l'une de ces choses qui n'ar-
s'opposeraient au dessein des papes , rivent pas deux fois. Si elle était à
auraient été de bons devins, il faut faire, je ne crois pas qu'elle se fît.
recourir aux événemens , il faut con- Une singularité de temps aussi favo-
sulter l'histoire. On verra par ce rable à cette entreprise ne se ren-
moyen qu'ils auraient très-bien con- contrerait point dans les siècles à
jecturé quant aux obstacles, et qu'au venir, comme elle s'est rencontrée
pis aller leur erreur ne consisterait dans les siècles passés ; et si ce grand
qu'en ce qu'ils auraient prétendu que édifice se détruisait , et que ce fût à
ces obstacles seraient invincibles, recommencer , on n'eu viendrait pas à
Lisez le livre que M du Plessis a bout. Tout ce que peut faille présen-
intitulé le Mystère d'Iniquité, ou tement la cour de Rome , avec la plus
l' Histoire de la Papauté, vous y trou- grande babileté politique qui se voie
verez à chaque chapitre les progrès dans l'univers , ne va qu'à se main-
et les oppositions. Les papes n'avan- tenir. Les acquisitions sont finies ,69).
cent dans leur chemin , et ne ga- Elle se garde bien d'oser excommu-
gnent du terrain , qu'en renversant nier une tête couronnée ; et combien
des obstacles qu'ils rencontrent à de fois faut-il qu'elle dissimule son
ebaque pas. On leur a opposé des ressentiment contre le parti catboli-
armées et des livres : on les a com- que qui dispute aux papes la supé-
battus et par des prédications, et riorité et l'infaillibilité, et qui fait
par des libelles , et par des prophé- brûler les livres qui leur sont le plus
ties ; on a tout mis en usage pour favorables ? Si elle tombait aujour-
-arrêter leurs conquêtes, et tout s'est d'hui dans l'embarras de l'antipapat,
trouvé enfin inutile. Mais pourquoi? je veux dire dans ces confusions de
c'est à cause qu'ils se sont servis de schisme où elle s'est vue tant de
tous les moyens imaginables. Les fois, et où l'on voyait pape contre
armes, les croisades, les tribunaux pape , concile contre concile ,
de l'inquisition ont secondé en leur Infesthque obvia signis
faveur les foudres apostoliques; la Signa^aresaqtsilasyetpilaminantiapilis^o),
ruse, la violence, le courage et elle n'en sortirait pas à son honneur ,
l'artifice ont concouru à les protéger, elle en serait déconcertée, elle y
Leurs conquêtes ont coûté la vie à perdrait son latin. Un tel contraste
autant de gens, ou peu s'en faut, que dans un siècle comme le nôtre dé-
celles de la république romaine. On monterait la macbine. Notez en pas-
voit beaucoup d'écrivains qui appli- sant, pour bien connaître la grandeur
quent à la nouvelle Rome ce que Vir- etla nature des obstacles dont j'ai par-
gile a remarqué touchant l'ancienne, lé ci-dessus, qu'il a fallu que lespapes
Mutin quoqne et bello passas dum conderet se rendissent maîtres de plusieurs
r r~.".r'e'"n r .■ ras\ conciles généraux. C'était une affaire
Inferreliiue Deos l.alio (ou) , i • < i
tres-malaisee , car plus un concile
TANTi MOLIS ERAT KoMANOl CONDERE
TEM (67).
(06) Virsil. , ^-.nei.l., lib. I , vt. 5.
(ti-J Idem, ibidem, us. 33.
(68) Ex-ode , chap. IV, vs. i$.
(6q) Entendez cela , selon le sent de la dis-
tinction de l'école, intensive ei non pas exlensivè.
(7<>) Lucan. , Pliars. , lib. I , vt. G.
254 GRÉGOIRE.
est nombreux, plus est-il semblable une nouvelle résurrection des belles-
à un vaisseau agite de vents contrai- lettres. Mille et mille bons ouvrages
res, et battu de ces yiolens orages périront peut-être , pendant que ce-
dont Virgile nous a laisse' cette des- lui-ci se conservera. Il sera déterré
, lotiirnqite a sedibut imis
JSotusque ruunl , creberque
cription :
Incubuêre mari
Unà Eunuque
procelUs
Africus ; et vaitos {•olvunt ad liltorafluctus.
J'iisequilur clamorque virùin , stridorque ru-
denlum.
Eripiunl subito nuber cœlumque diemque
Teucrorum ex oculis : ponto rtox incubai
air a.
Intonuere poli .• et crebris micat ignibus
œlher (71).
On n'a pas trop de toute l'adresse
de l'art pour gouverner un tel vais-
seau ; et si la manœuvre la plus pé-
nible et la plus babile suffit à le
faire entrer au port où l'on tend ,
c'est une merveille.
(T) Je dirai un mot touchant un
livre qui court sous le titre de
Histoire des amours de Grégoire VU.]
Ce n'est là qu'une partie du titre ;
mais le voici tout entier: Histoire des
yiniours de Grégoire f^II , du car-
dinal de Richelieu , de la princesse
de Condé , et de la marquise d' Urfé,
par mademoiselle D**. si Cologne ,
chez Pierre le jeune , MDCC. Quoi-
que l'auteur fasse mention de roman
aux premières lignes de la préface , il
ne laisse pas d'assurer qu'il n'y a
rien de fabuleux dans ces historiet-
tes , et qu'elles auraient pu être beau-
coup plus étendues , s'il avait voulu
se servir du secours de l'invention.
C'est là le comble de la hardiesse ; et
l'on s'en peut apercevoir aujourd'hui
facilement , par la lecture du livre ;
mais qui peut répondre que ce ne
sera point une chose malaisée dans
les siècles à venir? Posons le cas que
quelqu'un eut composé un semblable
livre au temps de Grégoire VII, n'est-
il pas bien vraisemblable qu'Aven-
tin , ou Flacius Illyricus , le trouvant
dans quelque coin de bibliothèque ,
s'en fussent servis comme d'une his-
toire véritable? Ne le verrait -on
point cité tous les jours comme une
pièce légitime dans des ouvrages de
controverse ? Savons-nous ce qui ar-
rivera entre le XVIIIe. siècle et le
XXVIIIe.? Un retour peut-être de
l'ignorance et de la barbarie, et puis
(i7) Virgil., /En. , lib. I, vt. S4-
peut-être par un curieux, et passera,
pour des anecdotes inestimables ,
monument certain de la véritable
histoire des amours du cardinal de
Richelieu , etc. On a été la dupe plus
d'une fois de pareils ouvrages : on le
sera apparemment dans les siècles à
venir. Patience.
GRÉGOIRE (Pœrre), natif de
Toulouse, enseigna le droit pre-
mièrement à Cahorset puis dans
la ville de sa naissance. Il florissait
au XVIe. siècle. C'était un fort
savant personnage , et qui a com-
posé des livres remplis d'une
vaste érudition (A); mais il ne
paraissait pas assez judicieux dans
le choix des choses qu'il débitait.
On peut appliquer à tous ses ou-
vrages ce qui a été dit de son li-
vre de Republicâ (B). Il fut ap-
pelé en Lorraine d'une manière
très-honorable , pour être pro-
fesseur en droit civil et en droit
canon à Pont-a-Mousson(a), oùle
duc Charles venait d'ériger une
académie. Voyez la note (b).
Il remplit glorieusement cette
charge jusques en l'année i5g7 ,
qui fut celle de sa mort (C). Il
fut enterré aux religieuses de
Sainte-Claire (c). Il entendait la
langue hébraïque (D). Si M. Co-
in) Decani tilulo et curn summâ poteslate
accitus est , alqiie in eâtttrumquejus magnà
cum lande professas. Doujat. , Prsen. Canon.,
pag. 6.S8.
(/;) M. Doujat met ceci sous l'an l582;
mais Pierre Gre'goire , dans l'épure dédica-
toire du Syntaxis Arlis mirabilis, datée de
Lyon , le. (\ de novembre \^"l\, se qualifie
professeur en droit à la nouvelle académie
de Fonl-à-Mousson. Cette académie fut créée
l'an 107J , par le. cardinal Charles de Lor-
raine , si l'on en croit M. Baudrand, pag.
43 1 du IIe. volume de sa Géographie.
(c) Tiré de Doujal , Pl'ten. Canon. , pag.
638.
GRENAILLE.
255
loiniés avait su cela, il aurait
parlé de lui dans sa Gallia Or ten-
ta lis.
(A) II a composé des Hures remplis
d'une vaste érudition.] C'est de quoi
Ton se peut convaincre pour peu
qu'on feuillette l'ouvrage qu'il inti-
tule , Syntagma Juris univers i atque
Legum pêne omnium gentium , et
rerumpublicarum prœcipuarum , in
très parles digestum , in quo divini et
luimani juris lolius , naturali ac no va
melhodo per gradus , ordineque , ina-
tcria unii'ersalium et singularium si-
mult/ue judicia explicantur. C'est un
gros in-folio , dont il y a plusieurs
éditions (i). Ses autres œuvres sont:
Sjntaxis Artis mirabilis : de Repu-
blicâ libri XK1 ; deux volumes sur
le droit canon : le premier volume
contient Parlitiones lolius Juris Ca-
nonici , in quinque libros digeslœ ,
scholiis et annotationibus illusXTatœ
instar Syntagmatis lolius Juris Ec-
clesiastici, quœ h melhodo Partitio-
num Ciceronis Oratoriarum diverses,
Summam potiiis Hostiensis imita n-
lur : l'autre volume comprend , Com-
menlaria et Annotaliones in Decre-
talium proœmium. Ad tit. de summd
Trinilate et Jide catholicd; de con-
stitutionibus ; de rescriplis ; de Elec-
tione enarratio; Ad Cap. conquerente
de (Jfficio et Poteslate Judicts Ordin.
liei benejiciariœ Ecelesiaslicœ Insti-
tutions ; Ad Tit. de Sponsalibus et
iMatrimoniis ; de Crsuris libri 1res (a).
Il e'erivit contre Charles Dumoulin
(*)■> pour prouver que le concile de
Trente devait être reçu en France.
(B) On peut appliquer à tous ses
ouvrages ce qui a été dit de son livre
de Republicâ ] Voici le jugement
qu'en a fait Gabriel Naudê : Copiosior
(Nicolao Biesio Meilico Lovaniensi)
exlilit Ci resoriu s Iholusanus, at
magis ex arle senuens , quia jurtspe-
(i) Je me sers de celle de Francfort , i5fiq
(■i) Forez Doujat, Pr.-enot. ranoi'iic. , p. 638.
(*) Sous le nom de liœmnndut Ru fus , si je
ne me trompe , et pour la réception 'du concile
de Trente en France , contre ce que celui-ci avait
écrit au contraire , dans son Consilium supra
facto concilii Tridenltni. L/onvragc de Pierre
Grégoire fut inséré, en 1682 , dans une dernière
édition des OEuvres de Charles Dumoulin, com-
me pour servir de passe-port à ce petit écrit, qui
■liait paraître , pour la première fois, dans le
corps des OF livres de ce jurisconsulte. Rem. crit.
rilus : desideranlur tamen in eo mo-
dus , quem sibi prœscribere non po-
tuit eruditione vulgari luxurians; et
majestas , cui non magis induisit
qu'uni judicio , dum omnia ingerit , et
pauca digerit : cœteritm valdè utilis
est , et diversa in se continel , propter
quœ thesauri instar haberi possit , ubi
meliorum auclorum gemmas ac pre-
tiosatn varice doctrinœ supelleclilem,
possis invenire (3).
(C) L'année i5q7 fut celle de
sa mon.] M. Doujat (4) m'apprend
cela; et comme il était compatriote
de cet auteur, j'ai plus de confiance
en lui qu'au sieur Konig, qui fait
mourir notre Grégoire l'an i585. Le
libraire de Francfort (5) ne parle pas
exactement, lorsqu'il dit dans son
Epître Dedicatoire, datée du 1er. de
mars 1599 , que les malheurs du
temps l'avaient empêche de jouir de
la pre'sence et des secours de Fau-
teur (6), en réimprimant le cV> 71-
lagma Juris universi. Parlerait-on
ainsi d'un homme l'an i5gg, si l'on
savait qu'il était mort Fan 1097? On
ne pourrait pas excuser tout-à-fait
cela , en supposant que l'impression
de ce livre traîna pendant quelques
anne'es.
(D) // entendait la langue hé-
braïque, j C'est ce qu'a reconnu le
sieur Feltman , jurisconsulte d'Alle-
magne \ car non-seulement il l'ap-
pelle virum Omni studiorum génère
excultissimum (7) , mais aussi Hebrœi
Juris ac sermonis callenlissimum (8).
(3) [V'audieus , Bibliograph. politica , pag.
m. 22.
(4) Praenot. Canon. , pag. G3S.
(5) Johnas Rliudius. Il s'était transporte' de
France à Francfort, comme il le dit dans l'é-
pire dedicatoire.
(li) Chm per injuriant temporis ipsius auclu-
ris prceienltn et ope frui non licerct. Joblias
Rhodius, Pétri Fischert bibliopolœ FrancoJ'or-
tensis successor , epist. <Uilic.il. ad arcliiepi'sco-
pum Moguntin im. Chin ipsiu\ aucloris prœseu-
lid in htsce deplurandis Gnlltcarum rerum lu-
multibus j'rui non licerel. Ideui , pnelat. ad
lector
(-) Feltman. , lib. I de Tit. honor. , cap.
XIII , .1/1:11/ Magirum K.ponymol . pag. /|o3.
{8; Ibid., cap. It num. 3, apitd eundein
ibidem.
GRENAILLE (François de),
né à Lzerche dans le Limosin ,
l'an 16 1 6, afait quantité de livres
français (A) qui ne valent pas
256 GRENAILLE.
erand'chose. Il s'était fait moine les autres la Bibliothèque des Dames
- d j «f ™,,'c il avait nuit Dans les Plaisirs des Dames , ce que
a Bordeaux , et puis il av ait quit- .
té le froc à Agen (a). Jl devint
historiographe du duc d'Orléans.
Voyez le Sorbériana (B). 11 fit
mettre sa taille-douce à la tête
de ses livres , avec une inscrip-
tion orgueilleuse (C). 11 nous
apprend dans une préface (b)
qu'il fut accusé de crime d'état ,
et qu'il se vit en danger de
mort.
(a) Voyez la Guerre des auteurs, pag. m.
100, , et la remarque (G).
(b) Celle du IIe. tome du Sage re'solu con-
tre la Fortune.
je trouvais de louable était (ju appa-
remment un homme de cet âge avait
demeuré dans le cabinet , et s était
abstenu de plusieurs débauches pour
composer des livres : mais au reste
les bonnes choses y étaient fort rares,
et ce qu'il y en avait de bonnes avaient
été déjà dites si souvent , que ce n'é-
tait pas grande gloire de les répéter :
le style était assez jade , et qui faisait
juger de l'auteur qu'il n'écrivait que
pour écrire. Son livre des Plaisirs des
Dames , est divisé en cinq parties , du
Bouquet , du Bal , du Cours , du
Concert, de la Collation. D'abord il
traite la question, si c'est le bouquet
qui orne le sein, ou si au contraire
celui-ci emprunte de lui toute sa
grâce ; sur quoi il juge en faveur du
(A) Il a fait quantité délivres %mier est^mantJ° de/ deux hé-
français^ Il publia coup sur coup mi hl,res (}<une ^c , il sort une in-
l' Honnête Fille; l Honnête Garçon ; ^ ^.^ ^ fioj gt /e
V Honnête Veuve-, l HonnêteManage; -^ non[seulement phis beaUy mais
l'Honnête Maîtresse ; la Bibliothèque dg , Je durée
des Dames; le Plaisir des Dames ; le (C ,, ,, taille-douce au-
Sage résolu ** contre la Fortune ( 1) ;
la Révolution du Portugal; le Théâ-
tre du Monde; la Diode ou le Ca-
ractère de la Religion *s.
(B) Voyez le Sorbériana.] Vous y
trouverez ces paroles (2) : Ily avait a
Paris environ ce temps-la , un certain
,Grenaille , sieur de Chatonnières (*),
Limousin , jeune homme de vingt-six
ans, qui décocha tout a coup une
prodigieuse quantité de livres, dont
il nomma les uns l'Honnête Fille ,
l'Honnête Veuve, l'Honnête Garçon ;
** i65o, itt-l». Joly dit qu'il publiaen ifi6o le
second volume, doul Bayle a parlé dans sa note
(b) sur le texte
(C) Il fit mettre sa taille- douce au
devant de ses livres, avec une in-
scription orgueilleuse. ] Continuons
d'entendre Sorbière. « C'est de ces
» belles pense'es qu'il espère Tirn-
» mortalité, et qu'il fait interpréter
» la devise de sa taille-douce , dont il
» pare le frontispice de son ouvrage ,
» hâc mortales evadimus immor-
» laies *. )> M. Guéret le maltraite
encore plus : On vous laisse , lui dit-
il (3), votre Sage résolu en faveur de
Pétrarque que nous honorons ; et l'on
veut bien encore vous laisser votre
Relation de la Révolution du Por-
tugal, a la charge J'era oter votre
portrait , dont l'inscription est trop
) sur le texte. /"" " ' >■ '
(1) C'est une version de Pétrarque. Voyez la fanfaronne pour un auteur comme
remarque (C).
*2 A ces ouvrages Joly ajoute, i°. le Bon Es-
prit , in-4°. , dédié au cardinal de Richelieu ;
2°. l'Auguste Convoi (de Louis Xlli ) , que
Joly ne cite que d'après un catalogué; 3°. le
Soldai Suédois (IIe. partie), M* . in-S°- ,a
lre. partie est de Fréd. Spanheim. Les auteurs
de l' Histoire du Théâtre Français, qui, dans
leur tome VI , pag. 85 et suiv. , parlent de l'In-
nocent malheureux ou la mort de Crispe, tra-
gédie de Grenaille , disent qu,' J. Hacine parait
y avoii pii* l'idée des amours d'Ilippolyte.
Avant Grenaille, Stéphohius , auteur italien,
avait l'ait une tragédie de la Mort de Cris-
pe , que Grenaille lui-même déclare avoir lue
autrefois, et oubliée depuis; mais av. c laquelle
cependant la sienne a de grandes ressemblances.
(2) Pag. io5.
("j II fallait dire Chaleauniires.
vous. Si vous n'y aviez marqué que le
lieu de votre naissance , et que vous
vous fussiez contenté d'y joindre que
vous vous êtes fait moine a Bor-
deaux, et que depuis vous jetâtes le
froc a Agen , on l'aurait soufferte ;
' Ce n'e«t pas tout à-fait ce qu'on lit autour de
son portrait. Leclerc rapporte qu'il y a : Nains
Uzerihii in Lemovicibus , Bwdigalœ tanl'um
non morluus , renalus Aginni, Parisiis tmmor-
talis : né à Uzerches en Limosin, mot non
entièrement à Bordeaux, fou il avait pris le 'me),
né de nouveau à Agen (ou il e quitta) , immor-
tel à Paris ( par l'impression de ses ouvrages ).
(3) Guerre des auteurs , pag. 168 , îGy, vdit.
de Hollande.
GRETSERUS. 257
mais vous y ajoutez que vous vous des louanges (c). Le cardinal du
êtes rendu immortel a Paris ; c'est un perr0ii lui accordait celle d'avoir
article qui n a rien de la vente des , ,, - ....
trois précédens, et sous le bon plaisir de 1 esprit ; mais il ajoutait une
d'Apollon il sera rayé. clause très - malhonnête , puis-
qu'elle choquait une très-illustre
GRETSERUS (Jacques) , et très-savante nation (C). Un
très-savant homme, né à Marc- moderne a enchéri sur cette in-
dorf en Allemagne , se fit jésuite civilité du cardinal , et s'est ex-
à l'âge de dix-sept ans , l'année posé pa,..ia a de très-justes censu-
1577. ^ ^ut professeur dans l'a- res (^\
cadémie d'Ingolstad pendant fort
long-temps (A). On prétend que $ V°rez lf '""<"<!"* (»)•
,, o.. F v,„ , t1 ,, n» (d) Forez la remarque C).
1 application a 1 étude ne 1 empê-
cha point d'être assidu à l'orai- (A) Il fut professeur a Ingolstad
son ; et que son grand savoir fut pendant fort longtemps.'] Il y en-
accompagné d'une modestie ad- f1*™ tt,ro,ls, aus la P»fo8opï»e , sept
. , J °r , , . 1 nr ans la théologie morale , et quatorze
mirable. Les habitans de Marc- ans la théologie scholastique(i).
dorfsouhai tèrent d'avoir son por- (B) Le nombre des livres qu'il a
trait, afin de le mettre dans leur composés est prodigieux.] Le ca-
maison de ville; mais dès qu'il \^™ ,en a %é Puhlif a Mullich>
. ' ,.. i 1 an 1074, i/j-40. , par les soins du
sut les instances quils avaient jésuite George Hésérus. Ce catalogue
faites pour cela auprès de ses su- est fort exact, et en l'a publié sur
périeurs , il en fut fâché , et il l'original de l'auteur (a). Je ne mar-
f j-. >i 1 - . • qtierai que le titre de quelques-uns
leur dit que, s ils voulaient avoir 3„ .„. 1* „c ne t*n iuco .
*-.'.. , . de ses livres. JJe oancta Cruce, tonu
sonjportrait , ils n avaient qu a ///; de Sacris Peregrinationibus ,
peindre un âne (a). Pour se dé- libri IV '; trois apologies pour la vie
dommaeer ils achetèrent toutes du fo,îda*e"r d.es jésuites ; la Réfuta-
nv . 1 t tion de 1 Histoire des îésuites. Cette
ses Uhuvres et les consacrèrent u;of.„;,.0 „,* r„, ,,,„.,„„ j>
.. . , . . Histoire est 1 ouvrage d un nomme
au public. II n employa jamais Hasenmullérus. De Jure et. More
sa faveur pour faire obtenir quel- prohibendi libres noxios, libri II; Con-
que marque de distinction à son [roversiarum Roberti Bellartnini De-
* • '. j •-*. ti x < jensio , tomi II , în-lolio : Basilicon
neveu, qui étudiait. Il mourut a Jdoron > seu Commentarius exegelicus
Ingolstad, le 29 de janvier 1625 in Serenissimi Magni Britanniœ Re-
(b). Sa vie fut un train de guerre gi* Jacobi Prœfattonem moniloriam ;
continuel contre les auteurs pro- f? inApologiam pro juramento fide-
, , ,r , l litatis ; plusieurs livres contre Gol-
testans, et pour la delense de son dast f entre autres un qui a pour ti_
ordre. Son style contre eux était tre, Arnoldi Brixiensis in Melchiore
assez aigre , mais on lui répon- Goldasto calvinistd redivivi vera
dait sur le même ton. Le nombre Descriptio et Imago (3) ; des notes
, ,. ,.. , sur 1 Histoire de M. de lliou: un
des livres qu il a composes ou tra- traitd sur le Compelle intràre , an
duitsestprodigieux(B). Quelques heterodoxi ad Jidem cogendi un';
auteurs lui ont donné de gran-
(1) Nathan. Sotuel , Bibliotb. script, societ.
(a) Indignants die est ubi rescivit , monuit- Je:,,l ' P"S- 369-
que tum demum Ulos suam imaginent habi- ^ E* Nalb.n. Sotnelo;, B.bl.oth. scr.pl. «oc.
turos, si picliim in tabulée asinum liaberent. L. ,."' ',' ,, ,, ,,
c , 1 tî-ui- »i • . ■ . T— (3) r oyez le tdre d un semblable ouvrage
Sotuel, ciclioth. script, societ. Jesu , pas. , ai s. 11 . ri , /.. ,-. ,_
OK ira' contre M. Arnaulil , loin. I /, pag. 4" > cilalwn
** 9* (4o) de V article Arnaeid (Amoioe), doclcuc
(6) Tiré de j\atbanaël Sotuel, ibid. de aorboune.
TOME VII. 17
,58 GRÉVIUS.
livre de M. du Plessis » un Allemand peut être bel esprit
une réponse au
Mornai, intitule le Mystère d lnt
quité. Cette réponse est plus serrée
et moins instructive que celle de
Coëil'eteau , mais il était plus aise de
répliquer à Coëfl'eteau , qu'à Jacques
Gretser. Celui-ci a épluche impitoya-
blement les citations, et les plus
petites fautes de chronologie. J'ai
parlé ailleurs de ses travaux pour
Grégoire VII (4)- Quelques auteurs
de sa communion Font appelé le
marteau des hérétiques , et la terreur
des calomniateurs des jésuites (5). Il
entendait bien le grec , et il a com
» Je ne pense pas qu'on se fût en-
w core avisé de douter de cette pos-
» silnlité; et apparemment l'auteur
» est le premier qui ait fait cette
» question. Il y répond, en disant:
» Que c'est comme un prQdige, qu'un
■» Allemand fort spirituel ; et, il cite
» sur cela le cardinal du Perron
» Mais de tout cela il ne s'ensuit point
» qu'il fallût aller jusqu'à mettre
» en question si un Allemand peut
)> être bel esprit; et c'est le moyen
» de se faire dire bien des injures
» en allemand (7). » Dans un autre
posé quelques ouvrages de grammaire endroit (8) , il parle ainsi : « Cela ne
» fait pas un fort grand ornement ,
sur cette langue, et des notes sur des
auteurs grecs, comme sur George
Codinus Curopalata , sur Jean Canta-
cuzène , etc. N'oublions point qu'il a
procuré l'édition d'un assez bon nom-
bre de manuscrits.
(C) Le cardinal du Perron lui ac-
cordait de l'esprit ; mais il y
ajoutait une clause très-malhonnête ,
» non plus que cette question par
» laquelle il demande , si un Alle-
» m and peut être bel esprit? Je vous
» assure, monsieur, que cela a dé-
i> plu à des personnes bien sages,
» qui m'ont dit , que si l'auteur des
» entretiens était plus judicieux, il
» traiterait mieux des gens qui ont
„j - ^ ^ .... .<•',.,*
puisqu'elle choquait une nation. | » une inclination particulière pour
Gretser est grandement louable , il a
bien de l'esprit pour un Allemand (6)
(*). Voilà ce que disait le cardinal
du Perron. Le père Bouhours s'est
fortifié de ce témoignage , quand il a
révoqué en doute le bol esprit des
Allemands. Il se trouva un Français
qui prit le parti de la nation offen-
sée : voici de quel air il critiqua le
père Bouhours. « C'est dans ce même une belle apologie de sa nation dans
» discours que l'auteur demande , si un livre ( 9 ) qui parut l'année pas-
sée , et dont M. de Beauval a donné
(4) Dans l'article de ce pape , à la remarque l'extrait ( 1 o).
(R), pag.i!,Q.
» les lettres; qui les allient avec les
» armes ; qui ont trouvé des choses
» admirables dans les arts et dans
w les sciences , l'artillerie , l'impri-
» merie , le compas de propomon ;
» qui d'ailleurs sont la plupart nos
» amis, nos alliés, nos voisins. »
On ne s'est pas cru assez vengé par
Cléanthe : M. Cramera fait là-dessus
(5) Wkgnù's lulhrranorum domilor , ac mal-
iens hosrelicarum , et calumniatorum societalis
lerror. Nal. Sotuel, Bibliolh. script, societ. Jesu,
pag. 3GS.
(G) Perrouiana , pag. m. ibi.
(*) J'oserais presque assurer que cetle expres-
sion du cardinal du Perron n'est point aussi mal-
honnête qu'elle a paru à M. Bayle. Ce que les
Fiançais appellent île l'esprit, est un certain
talent pour In bagatelle , ou tout au plus ,
une je ne sais quelle vivacité , généralement
peu compatible avec la gravité allemande, et
avec le caractère sérieux île cette nation. Quand
donc ce cardinal a dit du père Gretser, qu'il
avait bien de L'esprit pour un Allemand , il sem-
ble qu'il ait voulu dire seulement, que rarement
un Allemand avait autant .le celle vivacité fran-
çaise , qu'en avait le père Gretser , tout Allemand
qu'était ce jésuite. J'en dis autant de la question,
Si un Allemand peut être bel esprit ? On ne dis-
pute pas à la nation allemande le plus pur bon
sens, la plus fine sagacité , les plus nobles sail-
lies de l'esprit; et, contente de ce partage , elle
11c regarde pas comme une grande prérogative le
bel esprit français. Hem. crit.
(ri Barbier Daucour , Sentimens de Cléantlic
sur les Entretiens d'Ariste et d'Eugène , pag.
gi , 92 , ('dit. de Bruxelles.
(»0 Lh même , pag . 78.
(g) Intitulé : Vindiciae nominis Germanici con-
tra quosdai '.. oblrectatores Gallos, à Amsterdam,
1694.
(10) Au mois de juillet I&j4, pag. 499 et
suiy,
GRÉVIUS ( Jean ), ministre
arminien , natif du pays de Clè-
ves , fut déposé et banni pour
n'avoir pas voulu souscrire aux
canons du synode de Dordrecht ;
et , comme il ne garda point son
ban , il fut condamné à une pri-
son perpétuelle (A). On le sauva
de la prison , l'an 16?. t. 11 y
GRÉVIUS.
259
avait commencé un ouvrage qu'il
publia dans la suite (B) , et dans
lequel il se déclare contre ceux
qui font donner la question aux
personnes accusées. Il prétend
que la raison est de son côté (C),
encore que la pratique la plus
générale soit contre lui. Il fait
le récit de sa délivrance, dans sa
lettre à Vorstius (a). Sa captivilé
dura un an et demi (b). Il avait
été reçu ministre le 10 de mai
i6o5, et il lit sa première pré-
dication ce jour là, dans le tem-
ple d'Arnheim C'est ce que j'ai
lu dans une lettre qu'il écrivit ,
en 1620, à Balthasar Brantius (c)
qui l'avait fort exhorté à renon-
cer au jiarti des remontrans.
(a) C'est la CDVe. dans les Lettres des
arminiens.
{b) Prœfat. Dissert, de Tortura.
(c) C'est la CCCLXXVI'., parmi celles
des arminiens , édition de lb8^-
(A) 1 1 fut banni , et comme il
ne garda point son Lan , il fut con*-
danyié n une prison perpétuelle. ~\ Il
dit qu'encore que son exil le séparât
de son troupeau , il ne laissait pas
d'en avoir soin, et que ses brebis
ayant souhaite' qu'il leur distribuai
la pâture spirituelle, il se crut plus
oblige à travailler à leur salut, qu'à
obéir à la sentence des magistrats qui
lui défendait de rentrer dans le pays.
Il retourna donc en Hollande , et tint
des assemblées secrètes à Campen ,
pour l'instruction de ses ouailles. Ou
le sut, on le saisit, et on le con-
damna à une prison perpétuelle.
C'est ainsi qu'il narre les choses (1).
Je n'en sais pas davantage ; mais je
sais bien que sur ce pied-là , on ne ie
peut regarder que comme un parfai-
tement honnête homme, qui rem-
plissait ses devoirs. J'en prends à
témoin ceux qui soutiennent que les
ministres qui retourneut en France,
afin d'instruire en secret les réformés,
malgré les édits du prince , font une
(1) Dans la préface de son Traité de Tor-
tura.
tirs-belle action. Notez en passant
que le principe de l'intolérance est
la destruction de la maxime, nuod
ttln fieri non vis , cdteri ne feceris.
Vous punissez un tel , et vous blâmez
ceux '(ni font la même chose.
Révius, dans son histoire de Dé-
renter, remarque que notre Grévius
avait été ministre à Heusden, et qu'il
\iut a Campen, au mois de novem-
bre 1 f > 1 9 , <•( y prêcha onze fois dans
Les maisons des remontrans yi).
(B) // avait commencé un ou-
vrage qu'il publia dans la suite.] En
voici le titre : Tribunal reformatum ,
in ijiui .Minions et tutioris justitiœ via
judici christiano in processn crimi-
nali cemmonstratur, rejectà etfusald
Tortura cujus iniquitatem, multi-
plicem Jallticiam , atque iilicitttm in-
ter christianos us uni libéra et neces-
siiriii dissertatione aperuit Joannes
Grevics Clivens. quam captivus scriit-
sit in ergastulo Atnstelodamensi.
Cet ouvrage fut publié à Hambourg,
l'an 1624 (3). 11 roule sur une matière
fort délicate , où il semble qu'on ne
puisse se déclarer pour la négative
sans condamner une pratique auto-
risée par les lois de l'état. Il n'y a
guère de pays au monde où la ques-
tion ne soit en usage. Mais il faut
bien remarquer que les souverains
qui l'autorisent, et qui ordonnent
même qu'elle fasse une partie no-
table de la pratique criminelle , n'im-
posent pas aux particuliers la néces-
sité de croire qu'elle soit juste. Il
s'est trouvé de tout temps, et en tout
pays plusieurs savans hommes, qui
se sont donné la liberté d>n repré-
senter les abus et les injustices. Notre
Grévius est de ceux-là. Son traité
mérite d'être lu. Ceci doit apprendre
à certains esprits persécuteurs, que
c'est sans raison qu'ils harcèlent leurs
ennemis, sous prétexte qu'on n'ap-
prouve pas, ou tous les usages de son
pays, ou tous les principes de ceux
qui gouvernent. La soumission des
sujets demande bien que l'on obéisse
aux magistrats, mais non pas qu'on
croie qu'ils agissent toujours juste-
(2) Revins, Daventrise illustra tac lib. VI,
pag 626.
(3) Konig a eu tort de dire : G revins ( Joli. )
juriseonsultus de TorlurS qu%dam nieditalus
est ann. i<>?!5. D'ailleurs, Grévius n'était po.nl
jurisconsulte. Voyez sa préface.
a6o
GRIBAUD.
ment, et qu'entre deux usages ils
n'aient choisi quelquefois le pire. 11
est même permis d'écrire pour re-
présenter respectueusement les abus ,
afin de porter le souverain a les ré-
former.
(C) Il prétend , en condamnant
l'usage de la torture , que la raison
est de son cote.] L'auteur du Com-
mentaire Philosophique ( 4 ) rap-
porte un très-beau passage de Michel
Montaigne , où l'on trouve les deux
inconvéniens de la question : l'un ,
que ceux qui ont assez de force pour
résister aux tourmens , ne disent pas
la vérité ; l'autre , que ceux qui sont
trop sensibles à la douleur, avouent
des faussetés. Les paroles de Mon-
taigne seraient dignes d'être placées
ici tout du long : cependant je me
contente de les indiquer (5). Le
même commentateur observe que
Cinq-Mars , décapité à Lyon pour
crime d'état , l'an 1642 , mourut avec
beaucoup de constance , et témoigna
un grand mépris pour la vie , mais
en même temps une telle peur de la
question , qu'il est très'probable que
si on la lui eut donnée , il eût avoué
tout ce qu'on aurait voulu. 11 serait
facile de compiler des autorités et
des exemples , pour montrer les in-
justices qui résultent de la question ;
car il y a bien des modernes qui ont
publié des recueils sur ce sujet.
Voyez , nommément Ramirez de Pra-
do , au chapitre IX du Penteconlar-
clws ; Ségla dans l'annotation XXXVI,
sur un arrêt du parlement de Tou-
louse ; et Fiupert , sur le chapitre
IV du VIIe livre de Valère Maxime.
Je laisse les jurisconsultes qui ont
traité de cette matière ex professo.
Personne n'oublie dans ces occasions
le passage de saint Augustin (6) , où
l'injustice de la torture est tout à la
fois fortement représentée , et faible-
ment excusée. Louis Vives , en com-
mentant ce passage , se déclare hau-
tement contre la pratique de la ques-
tion ; mais Léonard le Cocq * dans
(4) Comment, philosophique sur Contrains-les
d'entrer , loin. II, pag. a5l, a5a.
(5) Montaigne , Essais, liv. II, chap. V,pag.
m. 61. Voyez aussi le Ménapiana, pag. 374»
3^5 de la première édition de Hollande.
(6) Augustin., de Civit. Dei , lili. XIX, cap.
* Son nom était Cocqueau , ainsi que cela a
déjà été remarqué au mot Ermite, tom. VI,
pag. 332.
son Commentaire sur les mêmes pa-
roles de saint Augustin , condamne
cette opinion de Vives, et dit que les
pères et le droit canon approuvent
que l'on emploie les tourmens pour
faire parler les accusés. On n'oublie
fioint non plus ces paroles de Quinti-
ien (7) : Sicut in tormentis quoque ,
qui est locus Jrequentissimus , ciim
pars altéra quœslionem , verafatendi
nécessitaient vocet , altéra sœpc etiam,
causant j'ai sa dicendi, quod aliis pa-
tientia J'acile mendacium j'aciat , aliis
injîrmilas necessarium ; ni celles-ci
du jurisconsulte Ulpien (8) : Statu-
tum est non semper jidem tormentis ,
nec tamen nunqu'am adhibendamfore.
Etenim res est fragilis (quœstio) et
periculosa , et quœ veritatem f allât :
nom plerique patientid , sive duritid
tormenlorum, ita lormenta contem-
nunt, ut exprimi eis veritas nullo
modo possit : alii tanld sunt impa-
tientid , ut quœvis mentiri , quhm pati
tormenta velint. lia fit , ut etiam
vario modo fateantur, ut non tantùm
se, veriim etiam alios criminentur.
J'ai parlé ailleurs ( g ) de la force
avec laquelle les Cappadociens pou-
vaient résister aux tourmens : on a
dit la même chose des Egyptiens (10)
et des Espagnols (11). Notez que
l'usage de la question n'a point lieu
en Angleterre, non pas même contre
ceux que l'on accuse du crime de
haute trahison. Barclai a fait celte
remarque dans le IVe chapitre de son
Icon animorum. Je finis par dire que
Grévius avait un beau champ , et que
si les matériaux se sont présentés en.
abondance, il a su s'en bien servir.
(7) Quinlil., Instit. orat. , lib. V, cap. IV.
(S) Ulpian. , in l. 1 , § Quœst. de Quœst.
(f)) Tom. IV, pag. 4ti, citation (19) de l'ar-
ticle CiPTADOCE.
rio) jElian. , Var. Histor. , lib. VII, cap.
XVIII, Ammian. Marcell. , lib. XXII.
(m) for" Rupert. , in Valer. Maxim. , lib.
III, cap. III, pag. îi8.
GRIBAUD (Matthieu), eu
latin Gribaldus , savant juris-
consulte de Padoue * , quitta l'I-
* Leclerc dit qu'il était né à Quiers en
Piémont ; qu il vint à Toulouse , où il obtint
une chaire; qu'il alla à Valence vers l54l ;
qu'il quitta Valence, y revint on ne sait quand .
et y succéda à Cujas, en l5(k>.
GRIBAUD; 2G1
talie au XVIe. siècle , pour pou- avec lui (b) quant aux principes
voir professer ouvertement la delà foi, c'est-à-dire quant au
religion protestante; mais, à l'i- dogme des trois personnes, et à
mitation de quelques autres Ita- l'article de la divinité de Jésus-
liensconvertisauprotestaiitisme, Christ (c). On le fit citer devant
il donna dans l'hérésie des anti-tri- les magistrats, afin qu'il donnât
nitaires. Ayant été professeur en raison de sa foi ; et comme ses
droit à Tubinge pendant quelque réponses ne furent point telles
temps , il abandonna ce poste qu'on le souhaitait , il reçut or-
pour éviter les peines qu'il eût dre de vider la ville. C'est ce
encourues , s'il eût été convain- que nous pouvons inférer de la
eu de ses erreurs. On se saisit lettre que je cite (d). Il composa
de sa personne à Berne , et on divers ouvrages qui sont esti—
lui aurait fait un mauvais parti mes (B).
s'il n'eut fait semblant de re- ... „ . „ , ,
, . \J> Ltm/er quœ Sylla erga Milliridatum,
noncer a ses sentimens ; et coin- apud piutarchum, in Sylià , pag.tty.
me il retomba au bourbier, et (c\ Voyez la remarque (G).
,., n • 1 . .,.',' (d) C'est la CCXXX VIII". lettre de Cal-
qu il favorisa hautement les he- vin. EUe est datée llu 3 dc mai ,-;,__
rétiques qu'on avait chassés de
/-!„•„ nt _,__ ,^..,„„f r„~i; (A) // aurait été tôt ou tard puni
Lreneve , et nommément uenti— , v y ,. ■. T ■.. r ,
.. ' . .. . . . du dernier supplice. \ Je ne dis cela
lis, a qui il donna retraite dans qu'après Théodore dc Bèze , dont
une terre qu'il possédait au voi— voici les paroles qui font foi de plu-
sinage (a) , il aurait été tôt ou sieurs faits que j'ai avances. Domi
. j _■ j 3 • î* verà Seri'eti cineres pullulare cœpe-
tard puni du dernier supplice .. ,, ? ■• /■ {7
K . . ., rr runt : cujus blasphémas javere ae-
(A) , si la peste qui 1 emporta au prehensus Matthœus Gribaldus , non
mois de septembre 1 564 ne incelebris jurisconsulte , quùm Ge-
l'eût garanti de tout procès d'hé- nevam forte venissel deductus ad
• ■ t\ , '-1 £». Cali'inum a quisbusdam Italis , quos
resie. Dans un voyage qu il fit „ .. , ' . . /> / •
, j 1 < Patai'ii docuerat , récusante Lalumo
a Genève, pendant le procès dextram illi porrigere, nisi prias de
de Servet , il demanda de confé— primario christianœ fidei articulo , id
rer avec Calvin , et n'obtint pas est de sacrd triade et dilate Christ,
r. 1 • 1 inler eos coni'cniret , nuit uni postea
cet avantage. Calvin , quelque ^^ ^ arImonitionibus „e{argu-
temps après, lui fit dire qu il 1 ad* mentis reliquit. Itaque quod ei jam
mettait à une conférence à la- tum preedixit Calvinus , grave nimi-
quelle ses collègues et trois an- rhm Dei j"dicium pertinaci ipsius
1. , . &. . . impie tati immmcre : hoc reipsa postea
ciens du consistoire assisteraient. Jpertus est} Tubingd primhmpro-
Gribaud se rendit au lieu dési- fugus , qub fuerat Kergèrii façon
gné ; mais il en sortit avec pré- introductus : Bemœ postea captus ,
cipitation , dès qu'il eut VU que simulatâque abnegalione libérants ,
r,1i • 1 • 1 . i ad inaenutm postea rediens , et Uen-
Calvin ne lui voulut pas tendre tUis TlUusdequo mox dicemus fauter
la main. Il n'écouta point les ex- et hospes , supervenientedemum peste
cuses qui lui furent faites sur ce correptus , paratum sibi in terris si*p-
que l'on ne pouvait la lui tendre pi™"™ antevertit (1). On no trouve
* , . x, x 1, i point dans ces paroles en quelle an-
qu après qu on serait d accord uc;e mourut Gribaud , mais on sait
(a) Entl Fcirgiantm Dominus. Beza , in (l) pC7n- ,„ viu", Calvini, ad atm i555, pas.
Vitâ Calvini , ad ann. i jôû , et Bihliotk. „,. 3^8. Voyez au<si la CCXXXVIIl*. Icllrc Je
auti-tiinitar. , pag . 17. Calvin , pag. m. 4i°-
26 2
GRILLON. GRYNjEUS.
qu'il n'était plus au monde lorsque
Valentin Gentilis l'alla chercher sur
les terres du canton de Berne, Tan
i56'6 (2), et l'on a des preuves qu'il
décéda au mois de septembre i564 (3).
Voyez ci-dessus un passage de Lan-
guet, à la lin de la remarque JL) de
l'article Govéa.
(B) Gribaud composa divers ouvra-
ges.] En voici les titres : Commen-
tant in legem de rerum misturd , et
de jure fis ci ■■ ils furent imprimés en
Italie (4)- Commentarii in Pandectas
Juris , imprimé à Lyon 5 Commenta-
rii in aliquot prœcipuos Digesti , In-
foniati novi , et Codicis Justinianœi
litulos alque leges , utilissimis conclu-
sionibus Ulustrati, à Francfort 1577 ,
in-folio ; Historia Francisci Sptrœ
( cui anno \5/\S familiaris aderat)
secundhm quœ ipse vidit et aud'wit ,
à BMe, i5oo ; De omni génère homi-
cidii , à Spire , i583, in-8°. ; de Me-
thodo ac Ratione studendi injure ci-
vili libri 1res , à Lyon, 1 544 et • ^56.
C'est apparemment dans ce dernier
livre qu'il a soutenu qu'un juriscon-
sulte doit savoir l'histoire , et qu'il a
montré les ignorances où quelques
jurisconsultes sont tombés (5). 11
n'employa que huit jours à faire ce
livre (6).
Notez que Sleidan confirme qu'il
fut spectateur de l'état funeste du
malheureux Spiéra , et qu'il en fit et
en publia une relation. Multi prœle-
rea Spieram in eo statu viderunt ,
magni nominis viri , et in his , Mat-
thçeus Gribaldus , jureconsultus Pa-
lavinus , qui et rem omnem , quant
ipse coram vidit et audiril , scripto
complexus , in lucem edidil (7).
(2) Veluti traliente il!um ad pœnora ipsius
Chrisli manu in Sabaudiam ad suum Gribaldum
venit [Gentilis). At illam pestem altéra jam po-
lis siist ilrrat. Idem , ibid. , png. 3So.
('i) Voyez la préface de Th. de Bèze , au-de-
vant du Commentaire de Calvin sur Josué, pag.
'"■ *&•
(4y Voyez lu B.bliothéqne des auli-trinitaires,
paç;. i* , et le Catalogue d'Oxford.
( "il forez Albéric Gentilis , de Juris interpre-
tibus , folio 64 verso.
(6j ïdem, ibidem, folio 65.
(7) Sle.dan. , lib. XXI , folio m. 5rjo.
GRILLON , gentilhomme pro-
vençal , l'un des plus braves
hommes de son siècle, sous Hen-
ri III et sous Henri IV. Voyez
son histoire dans la préface du
Henri III deVarillas. Cet histo-
rien l'appelle toujours Grillon, et
c'est la vraie orthographe , quoi-
cpie inconnue à presque tous les
autres auteurs (*).
0 Ce gentilhomme signait Grillon, confor-
mément à l'orthographe de» vieux litres de
sa maison; mais apparemment que lui-même
se nommait Grillon, comme, nonosbtant
Fétyinologie , on prononce g ril , grotte , mi-
graine. Rem. crit.
GRYNjEUS (a) (Simon), fils
d'un paysan de Souabe , naquit à
Véringen dans , le comté de Ho-
henzollern , l'an i4g3. Il étudia
a Pfortsheimen même temps que
Mélanchthon , et cela fit naître
entre eux une amitié de longue
durée. Il continua ses études à
Vienne en Autriche, et y reçut le
degré de maître en philosophie,
et la profession en langue grec-
que. Ayant embrassé la religion
protestante, il se trouva exposé à
plusieurs périls , et surtout dans
Bade , où il fut pendant quel-
ques années recteur de l'école.
On l'emprisonna à l'instigation
des moines ; mais par la recom-
mandation de la noblesse de
Hongrie il fut remis en liberté ,
et se retira à Wittemberg , où
il vil Luther et Mélanchthon , et
conféra avec eux. Etant retour-
né en sa patrie , il fut appelé
à Heidelberg pour la profession
en grec, l'an i5?3. Il exerça
cette charge jusqu'en iSacj, qu'il
fut appelé à Bàle pour y ensei-
gner publiquement. Il y expli-
qua plusieurs auteurs , et même
l'épître aux Romains. Il fut em-
ployé avec quelques autres en
1 534 à réformer l'église et l'éco-
le de Tubinge. Il revint à Râle
(a) On ne sait pourquoi Mo*éri l'a nomme
Griner.
GRYNyfcUS.
263
l'an i536 , et il fut associé, en
1 54o, à Mélanchthon, à Capiton,
à Bucer, à Calvin , etc. , pour
les conférences de Worras. 11
mourut de peste à Bâle, le ier.
d'août 1 54 1 (b). Il avait fait un
voyage en Angleterre, l'an 1 53 1 ,
et avait reçu , du chancelier Tho-
mas Morus , à qui Érasme l'avait
recommandé , toutes les hon-
nêtetés imaginaires (A). Ce fut
un homme savant et laborieux,
et qui rendit heancoup de servi-
ces à la république des lettres
(B). Voyez son éloge dans le re-
cueil de Verheiden (c), et dans la
préface de Joachim Camérarius
sur Théophraste. Son fils, Sa-
muel Gryx.eus , né à Baie , l'an
i539, y obtint la profession en
éloquence à l'âge de vingt-cinq
ans , et puis la profession en
jurisprudence. Il mourut le 3
d'avril i5gg (d).
(b) Tiré de Melcliior Adam , in Vitâ phi-
losopli. , pag. 1 18 et suiv.
(c) Verheiden, inElogiis praestant. aliquot
Tlieologor. , pag-. 61 .
(d) Melch. Adam, m Vitis Juriscons. ,
pag. 338 et seq.
(A) // reçut du chancelier TJwmas
jWorus toutes les honnêtetés
imaginables. ] Cette particularité ne
se trouve point dans Melcliior Adam;
c'est pourquoi je la rapporte avec
beaucoup plus de soin. Je la tire de
l'épître dédicatoire des OEuvres de
Platon , imprimées en grec à Bâle ,
apud Johannem falderum, l'an 1 534,
in-folio. C'est là que Grynœus , pour
te'moigner sa reconnaissance , adresse
ainsi la parole à Jean Morus, fils du
chancelier (1) : Annns est ( ut nosti)
tertius juin, ciini in Angliam ve-
niens , ac Erasmi noslri commenda-
tione velut vento secundo ad Mas
musis totas sacras œdes vestras de-
latus , humanitate mira acciperer ,
majori tractarer , maximâ dimiticrer.
(0 Simon Grynœus, epiuola ad Joan. lUorum
Operibus Platonis prrefixa.
Non solitm enini amplissimus vît pa-
ter tuus ac tum cf aident condilione ,
per cœtera vero rébus omnibus egre-
giis facile loto regno prtneeps , priva-
tum hominem ignotumque me, litte-
rarum tanlum èrgb , ad colloàuium
inter /<</ publica privataque negotia
admisit .• mensœ suœ sceptra tegni
gerens , adftosuit : in autant abieits
rediens secum traxit : laterîque ad-
junxit suo : sed omnem meetm de re-
ligione sentcntiam locis non paucis
diversam ah ipsius esse haut/ difficul-
ter prœsentiens placide benignèaue
cognoi'il : ac ciim ab Mû non pantin
tum aiscreparet , operd consilioque sic
jut'it nos tamen , ut omne mihi nego-
lium sumptibus eliam suis conjecerit.
Nam ci itineri comitem Harrisium
doctum jui'cnein addidu , et Oxonien-
sis gymnasii proceribus sic litteris
insinuavit , ut ad earum conspectum
omnes nobis collegiorum omnium non
solitm btbliothecœ , sed studiosorum
etiam aninti velut mercuriale quâdam
virguld lacti patescerent. On lui com-
muniqua à Oxford quelques manu-
scrits de Proclus , et on lui permit de
les emporter. Thomas Morus ajouta
une autre grâce ; il lui en fit un pré-
sent (2). Le passage d'Érasme que j«
vais citer fait mention de ce voyage
de Grynaeus.
(B) Ce fut un homme savant ,
et qui rendit beaucoup de services a
la république des lettres. ] Voici le bon
témoignage qui lui fut rendu par
Erasme, l'an i53i. Simon Grinœus...
est homo latine groecèque ad ùnguem
doctus , in philosophie et mathemati-
cis disciplina diligenter versants ;
nullo supercilio , pudore penc immo-
dico. Pertraxit hominem isthuc Bri-
tanniœ visendœ cupidilas , sed. prœci-
puè bibliothecarum vestrarum amor
(3). On lui est redevable de l'édition
de plusieurs livres des anciens. Jl fut
le premier qui publia l'Almageste de
Ptolome'e, en grec (4): il y joignit.
une préface touchant l'usage de la
doctrine de cet auteur. Il donna aussi,
(2) Quibus de velut thesauro invcnlo grain-
tanlem paler tuus donatum liberaliler au béné-
ficias suis plané cumulatum in palliant remisit.
S. Grynœiis, episl. ad T. Mo, um Opcribus Pla-
tonis prcefixa.
(3) Erasm.», epi>t. XXXIX Ubri XXVI,pac.
m. 1464, C.
(4) A Bâle, apudJo. P'alderum , i53S.
264
GRYNiEUS. GRYPHIANDER.
en grec, un Euclyde avec une pre'face
(5) , et les OEuvres de Platon , avec
quelques commentaires de Proclus(6).
11 retoucha en quelques endroits la
version latine de Platon , faite par
Marsile Ficin. Voyez l'édition de Pla-
ton, i53g, à B;1le, chez Frohen. Qui
voudra voir un détail de ses traduc-
tions et de ses pre'faces , et de ses au-
tres écrits , n'aura qu'à jeter les yeux
sur l'Epitome de la Bibliothèque de
Gesner , aux pages ^55 et ^56 de l'édi-
tion de Zurich , i583.
On lui attribue , dans le Catalogue
d'Oxford , quelques ouvrages qui ne
peuvent être de lui. De Cometd qui
J'ulsit annis 1577-78; de inusitatâ
magnitudine et figura Keneris, annis
1.578-79. Nous avons vu qu'il mourut
l'an i54i. Je ne doute point que le
Traité de igtiitis 31eteoris et de Co-
metarum causis ac signifîcationibus ,
que le même Catalogue lui donne, ne
soit, comme les deux autres, la pro-
duction de Simon Gryn^us , médecin
et mathématicien à Heidelberg, et
lils d'un Thomas Gryn^eus , qui était
neveu de celui dont il s'agit dans cet
arlicle. Les autres ouvrages que le
Catalogue d'Oxford attribue à Simon
Grynanis, sont effectivement du Gry-
meus de cet article.
(5) A Haie , apud Hervagium , i533.
(6) A Baie, chez Jean Valde'rus , l'an i534-
GRYNIEUS (Thomas), neveu
du précédent , naquit à Vérin—
gen , dans la Souabe, environ l'an
i5r2. Tl étudia sous son oncle, à
Heidelberg et à Baie , et il ensei-
gna la langue latine et la langue
grecque dans la ville de Berne
pendant onze ans ; après quoi
l'amour du repos et le dégoût
des disputes l'engagèrent à se
retirer de cet emploi, parce qu'on
l'enveloppait dans des contro-
verses qui divisaient les minis-
tres. Il s'en retourna à Bàle , où
on l'agrégea au nombre des
professeurs , l'an ï54?. H fit
des leçons puMiques , et il prê-
cha quelquefois dans les villages.
Le marquis de Bade, ayant in-
troduit la réformation dans ses
états , le fit ministre de Rotelen
(à). Il s'acquitta dignement de
cette charge , pendant huit ans ,
jusqu'à la mort , c'est-à-dire jus-
ques au 2 d'août 1564. Il lais-
sa quatre fils qui se distinguèrent
par leur savoir, Théophile, Si-
mon (b) , Jean -Jacques et To-
bie (c).
(a) Dans le haut marquisat de Bade, à
un mille de Bâle.
(b) Voyez la fin de la remarque (B) de
l'article précédent.
(c) Tiré de Melcliior Adam, in VitisTlieo-
log- , VaS- 398.
GRYPHIANDER (Jean), né
au pays d'Oldembourg, fut pro-
fesseur en poésie et en histoire
dans l'académie d'Jène , après
Elie Reusnérus , décédé l'an
1612. Il fut reçu docteur en
droit dans la même académie %
l'an i6i4> et s'en retourna quatre
ans après en son pays , pour y
exercer une charge de judicatu-
re. Il mourut au mois de décem-
bre i652 (a). On a quelques ou-
vrages de sa façon (A).
(a) Tiré du Théâtre de Paul Fre'her , pag.
ll3o.
(A) On a quelques ouvrages de sa
façon.] Un Traité des Iles; en voici
tout le titre : Joannis Gryphiandri
JCii de Insulis Tractaius , ex JCtis,.
Politicis , Jlistoricis et Philologis
collectus y ut omnibus hisce usui esse
possit , in quo plurimœ cognatœ quœs-
tiones de mari , fluminibus , lacubus ,
littoribus , porlubus , aquœ ductibus ,
aggeribus, navigationibus , alluvionis,
alveique ineremento, etc. excutinntur.
Il fut imprimé à Francfort, in-lf. ,
l'an 16a j. Il n'y a rien de plus in-
structif qu'un traité particulier sur
une certaine question , quand un sa-
vant homme s'en fait une affaire , et.
se propose de l'épuiser. Il y a un
nombre infini de citai ions dans cet
ouvrage de Gryphiander. Il en fil u»
GRYPI1IUS. 265
sur le phénix , l'an 1618. Celui qu'il pas oublier qu'il était savant (F).
publia Fan i6a5 est fort curieux. 11 jj mourut le 7 de septembre
traite d'un certain droit qui a lieu ^ A GR\THIUS, son
dans quelques villes de base. C. est "** ^"' '
y érige des statues de Roland nls , marcha dignement sur ses
>nt d'une taille gigantesque, traces dans la même ville. L'un
q
qui sont d'une taille gigantesq
Voici le titre du livre : Commenta
rius de Weichbildis Saxonicis , sive
Colossis Rulandinis urbium qaarun-
dam Saxoniearum Le sieur Konig
donne à Gryphiander un Traite' de
OEconomid lezrali, dont F relier ne
parle point.
i-inx/rvrïTTTC /C- -> C (d) Inventaire de l'Histoire journalière.
GR Y Pli JUS ( Sebastien ) , la- fait rar T G P% folw lgo ^50- Èdit_ de
meux imprimeur de Lyon, au Paris, 1699.
XVIe. siècle , était Allemand. Il
exerça sa profession avec tant
d'honneur , qu'il mérita que de
fort habiles gens lui en donnas-
sent, des louanges publiques.
C'est ceque firent entre autres Ju-
les-César Scaliger et Conrad Ges-
ner. Celui-ci lui dédia l'un de ses
livres (A). On prétend que l'autre
lui dédia son ouvrage de Causis
linguœ latines} mais on se trom-
pe (B). L'une de ses plus belles
éditions est une bible latine : il
la donna en deux volumes in-fo-
lio, l'an i55o, et se servit du
plus gros caractère quon eût
et l'autre ont été loués par du
Verdier Vau -Privas (G). Il y
avait à Venise, en 1 55^, un im-
primeur qui se nommait Jean
Graphics.
(A) Gesner lui dédia l'un de ses li-
vres.] Savoir le XIIe. descs Pandcctcs.
Voici l'éloge qu'il lui donne : Tu in-
ter primos , humanissime Gryphi ,
minime prœtereundus in mentent mihi
venisti •7roxx<»v à-vri^ioç etxxav , cui non
poslremus inter e.rimios œlatis nostree
chalcographos locus deberetur : idque
eà magis , quoniam non solitm inter
externos in Gallid innumeris opùmis
libris optinid fuie summdque diligen-
tid elegantiaque procusis , maximum
tibi gloriam peperisti : sed nostras
etiamnum esse videris , qui Germa nus
in. Gallium vencris (1). Il fait suivre
l'Epitre dédicatoire par le catalogue
des livres que Gryphius avait im-
primés.
(B) Mais on se trompe. ] « Il n'est
vu jusqu'alors (a). Elle ne cède " fe vrai..ci»e 3}^ Scdipr ait
J- » dédie ses livres de Causis linguœ
» luiinœ à Sébastien Gryphe , impri-
» meur de Lyon. Il lui a seulement
m écrit une lettre au sujet de ce livre,
» qu'il devait imprimer, par laquelle
» il lui dit : Tuam verb, mi Gryphi,
» ueram pielalem , excellcnlem erudi-
» tionem , insignem humanilatem , his
» nostris lucubratiuncu/is et prœesse
» volai , et moderari : si id tibi ila
» collibuisset : utposteri intelUqerent,
» ejus frugis prot-'entum , si qua ad
» eorum commoda per nos exculta
» esset, a nobis tantitm commendari,
» quantum ex diligentid tud, atque
m auctoritate gratin? cônsequi poluis-
» set. Est-ce là une dédicace? Jules
« Scaliger a écrit de même une lettre
» à l'imprimeur Vascosan , pour lui
» recommander l'édition de son livre
(1) Gesner. , in Pandrct's , l'olio 117.
en beauté' qu'à la seule bible im-
primée au Louvre, V année. 1642»
en neuf volumes in-folio (b).
Les éditions qu'il a faites en
grand nombre sont estimées de
tous ceux qui savent en quoi con-
siste l'art et la perfection de
l'imprimerie. 11 agissait de très-
bonne foi dans ses errata (C) ,
et avait d'habiles correcteurs(D).
J 1 imprimait aussi parfaitement
bien l'hébreu (c) (E). Il ne faut
[a) Majoribus et augustioribus iypis Gry-
pliius , in praefat. , aptttl Chevallier , Origine
de 1 Imprimerie de Paris, pag. i5o.
(b) Chevillier, Origine de 1 imprimerie de
Paris, pag. i5t.
(cl Là i/irnic.
266
GRYPHIUS.
» de la Subtilité. Outre que Jules
î> Scaliger e'tait trop glorieux pour
» dédier un de ses livres a un impri-
j> meur , il n'avait garde de dédier à
» Gryphe ses livres des Causes de la
» langue latine , puisqu'il les avait
» adressés à son fils aîné Silvius-Cé-
sar Scaliger ; auquel il a aussi
» titre du livre , la masque de Pim-
» primeur et l'année de l'imprcs-
» sion 5 la seconde c'est l'errata 5 et
» la troisième c'est l'épi tre dédica-
» toire (5). »
(D) Et avait d'habiles correc-
teurs. ] Voici une preuve de leur
exactitude. L'errata des Comment ai-
» adressé sa Poétique. Jules Scaliger res sur la Langue latine, d' Etienne
» a écrit à Sébastien Gryphe de la Dolet , n'est que de huit fautes,
» même façon que Quintilien a écrit quoique cet ouvrage soit en deux
» à Tryphon le libraire, pour lui volumes in-folio. Puisque les fautes
» recommander les Institutions Ora- d'impression étaient en si petit nom-
» toires qu'il avait dédiées à Marcel- bre , Grypbius avait raison d'assurcr
M lus; et de la même façon que Scé- que les épreuves avaient été corri-
3) vole de Sainte-Marthe a adressé des gées avec une grande exactitude (6).
» hendécasyllabes à Mamert Pâtisson, L'un de ses correcteurs a été un
» pour lui recommander l'édition de médecin de Cologne , appelé Adam
» ses ouvrages (2). » Voilà ce que Knouf (7).
M. Ménage remarque dans un livre (E) Il imprimait parfaitement bien
qui fut imprimé l'an 1688. Si le eu- l'hébreu.} M. Chevillier ajoute : On a
rieux M. Chevillier en avait eu con- de lui, dans la bibliothèque de Sor-
naissance , il n'aurait point dit que bonne , le Trésor de la Langue
Jules-César Scaliger dédia à Gryphe Sainte , par Pagnin , qui est une
(3) « son Traité de Causis linguœ très-belle édition , faite in-folio l'an-
» latince , imprimé en 1 54" , in-^° . , née 1529(8).
« où il lui fait ce compliment , que (F) Il ne faut pas oublier qu il
» si ses ouvrages ont été bien reçus était savant. ] « (9) Majoragius l'ap-
» des savans , c'est autant par la ri- » pelle vir insisnis ac litteralus
» chesse et l'agrément de la belle im
» pression qu'il a donnée , que par
» leur propre mérite : Ciim plerique
» librorum meorum tuis opibus
J> atque apparalibus ed gratiâ efficti
» (10), et Jean Voûté de Reims, dit
» en latin Vultéius , a écrit dans une
» de ses épigrammes, qui est du livre
» premier , que Robert Etienne cor-
» rigeait fort bien les livres , que Co-
» (4) sint , ut non minus tuum ob èe- » linct ( + ) les imprimait fort bien ,
» neficium quam propter suum meri-
» tum cos doctissimus quisque exce-
» périt et probdrit. » Il était aisé de
tomber dans la faute que M. Ménage
a censurée ; car la lettre de Scaliger
à Gryphius est à la tète du livre :
vous trouverez cette même faute dans
le Supplément de Moréri.
(C) Il agissait de très-bonne foi
dans ses errata.] « Pour marquer que
» sa Bible était correcte , et faire pa-
» raître en même temps sa bonne foi,
» il fit une chose remarquable. On
» mettait ordinairement l'errata dans
» l'endroit le plus caché du livre :
» Gryphe le mit à la plus belle place,
» où on ne manque jamais de jeter
» les yeux. La première page c'est le
mais que Gryphe savait fort bien
» et les imprimer et les corriger.
« Inler loi nôrunt libros qui cudere , très sunl
* Insignes ; languel cœtera turba famé.
■> Casligal Slephanus , sculpil Colinxus ,
utrumque
» Gryphius edocld mente manuque Jacit. ■•
(5) Clievillier , Origine de l'Imprimerie de
Paris , pag. i5i.
(6) Erratis et mendis in opère tam vario t.im-
que spisso parère omninô non poluimus , tametsi
omni diligenliâ et cura quanta maximâ poluit
adhibitn. Apud Chevillier , la même.
{•}) Jacobus Zuinger , in Auctario theatri Vi-
tae humante , pag. 1712, edil. 1604, apud Che-
viller , là même.
(8) Là même.
(ç)) Ménage, Anti-Baillct, loin. I,pag. 5-].
(10) Pans son apologie loin liant le change-
ment du nom J'Antonius Maria Cornes en celui
de Marcus Anlonius Majoragius , citi'e par Mé-
(2) Ménage, Anti-Haillet , lom. /, pag. 55 et nage , là même.
a"- (") Le nom de cet imprimeur était Simon de
(S) Chevillier , Origine de l'Imprimerie de Cvlines , en latin Colinœus S. La Croix du Maine
Paris, pag. i5i. |e nomme toujours de la sorte , et c'est aussi le
(4 I Mou édition, qui est t'n-8°. , apud S tint- nom qu'il se donne dans tous les livre* français
Andieaiiinn , i5g7 , a afl'ccli. que j'ai vus de son impression. Hem. crit.
GROPPER.
26-
Voycz la lettre que Sadolet lui e'cri-
vit (ii).
(G) Sebastien et Antoine Gryphius
ont été loués par du Perdier Kau-
Privas. ] Sebastien Gryphius, dit-il
(12) , natif de Reuthlingen , en Sueve,
près d'Auguste, a restauré, a Lyon,
l'art d'imprimer , auparavant cor-
rompu , l'a restitué en son entier , et
décoré de neufs et fort beaux carac-
tères aux trois langues , hébraïque ,
greque et latine , esquelles il estoit
grandement versé Les poêles de
son temps l'ont appelle l'excellent
Trrphon de nostreaage duquel Mar-
tial fait mémoire. Il a esté le récep-
tacle des gens scavans , diligent et
curieux a chercher par tout les bons
livres qui estoyent perdus ( au moins
bien essorez ) par F injure du temps ,
pour iceux trouvez les restituer et
faire jouir la postérité d'un tant rare
trésor, dont le seigneur .Antoine Gr\ -
phius , son fils , en a encores une
bonne, partie a imprimer , et comme
son père n'a rien espargné pour les
recouvrer et après fidèlement mettre
en lumière , ainsi il n'est chiche et de
■son labeur et de son bien a les faire
sortir en publiq. Il mourut l'an 1 556,
aagé de soixante-trois ans.
(11) C'est la XVI*. du V*. livre, pag. m.
.8/,.
(n) Du Verdier Vau-Privas , Pio^opograpliie,
P"S 407 ( '" <e' onde fou que cette page est
marquée), e'dilion de i5-3 , 1/1-4 ".
GROPPER f Jean ) , archidia-
cre de Cologne, au XVIe. siècle ,
et promu au cardinalat par le
pape Paul IV. Voyez son article
dans le dictionnaire de Moréri ,
et ajoutez - y, qu'il se trouva
extrêmement offensé de ce que
Sleidan l'avait voulu rendre su-
spect d'avoir penché quelque
temps au luthéranisme (A).
(A) Il se trouva offensé de ce
que Sleidan l'avait voulu rendre sus-
pect d'avoir penché' quelque temps au
luthéranisme.) Sleidan affirme (1) que
Gropper avait toujours recommande
très-fortement Martin Bucer à l'ar-
chevêque de Cologne. Herman de
(1) Sleidan , lib. XV , folio m. 3C7.
Wida , qui se servit du màmstére du
même Durer pour établir la informa-
tion dans ses états , Pan i5j3. Mais
comme Gropper y apporta des obsta-
cles, Sleidan veut le faire passer pour
un transfuge, qui , après avoir eu des
liaisons aA ce ce ministre , l'avait com -
battu fortement. IIujus libri (2) fuit
author , ut aiunt , et architectus ,
Gropperus. IVarn is , etsi llucero f 'ité-
rât admodùm familtaris ante bien-
niuni in comitio Ratisbonœ, quamquam
indèdomumreversus, vehementer eum
non archiepiscopo tanluni, sed pas-
sait upiid omnes prœdieaverat, licet
crebras ad eum dedisset et amicissi-
mas hueras: tamen, quiim rcs in eum
esset dediu tu casum . ab ejus amicitiâ
se totum avertit , et principe reliclo ,
cuifortunam omnem debebat , in ad-
versariorum castra transiit (3). Pour ce
qui est du ressentiment de Gropper ,
je vais citer un copiste de Surins.
« Sleidan nous veut faire accroire
» que Jean Gropper a este here-
» tique , et qu'il a eu tousjours Bucer
)j en grande recommandation et es-
■» time. Mais cest homme tant loua-
» ble monstra bien que c'estoit une
i. pure calomnie qu'on disoit de luy,
» en un livre qu'il dédie à Fempe-
» reur Charles cinquiesme, et en-
» cor1 en un autre lieu il tesmoigne,
» que Sleidan (lequel il appelle igno-
» rant malicieux des affaires de Fem-
» pire ) a faucement menty en son
» histoire pleine de mensonges, quand
» il dict telle chose de luy : et que
» Bucer se coula peu à peu dans le
» diocèse de Coloigne , non-seulement
» à son desceu et de tous les catholi-
» ques , mais encor' en despit d'eux,
» et en mesme lieu il appelle expres-
» se'ment Bucer homme détestable
» et malheureux, à jamais. Vraye-
)> ment. Sleidan n'eust pas dict une
» telle injure sans avoir son change ,
» s'il n'eust este plustost mort , que
» Gropper ne peut le réfuter par
» escrit , comme il s'estoit résolu de
» faire (41. »
Maimbourg ne nie point, que Grop-
per, qui fut l'un des trois docteurs
(2) C'est-à-dire , l'Anti-didagma , dont j'ai
parlé dans Lu remarque (C) de l'article Wida,
loin. XIV.
(3) Sleidan. , lib. XV, folio 367 verso.
(4) Du F.é.-m. Histoire de l'Église, tom. //,
fol. 4^5. Voyez Surius , ad ami. 1 54 3 , m. 384.
^68
catholiques qui conférèrent avec Bu-
cer et avec deux autres protestans au
colloque de Ratisbonne, Tau i54' ,
n'ait entretenu depuis ce temps-là ,
quelque commerce avec Bucer; mais
c'est, ajoute-t-il (5) , que ce prédicant
de Strasbourg , convaincu par les
raisons que cet excellent homme pro-
duisit en celte conférence , lui donna
lieu de croire , par les lettres qu'il lui
écrivit, qu'il était en termes de renon-
cer a Luther, comme il avait déjà
fait a Zuingle , et de rentrer dans
l'église catholique. Quoi qu'il en soit,
le copiste de Surius remarque que
Gropper, étant de retour de ce col-
loque de Ratisbonne , passa les veux
sur les livres de Bucer , et pour
esprouver la constance du compai-
gnon , il les conféra avec les articles
qui avaient esté accordez audict col-
loque. Lors il trouva une infinité de
poincls repugnans droictement à ceux
que Bucer avoit reçeuz et approuvez
en ce colloque , et parlant il annota
quelques vilaines répugnances d'ice-
luy Bucer , des erreurs , mensonges
et blasphèmes si grands , que jamais
les manichéens n'en dirent de pa-
reils. Que s'il y a quelqu'un qui
souhaite de seavoir cecy plus exacte-
ment , il faut qu'il lise ce qu'a escrit
le docte Everard de Billy (6) , a la
defence des jugemens de l'université
t't clergé de Coloigne , contre les ca-
lomnies de Melanchlhon , Bucer et
autres, ou il trouvera cecy traiclé am-
plement (7). Surius et son copiste
allèguent cela , afin d'avoir lieu de
dire que Sleidan était un menteur.
Ils s'emportent là furieusement con-
tre lui, et en cent autres endroits.
(5) Maimbourg , Ilist. <Iu lulliér. , loin. I ,
png. 269, e'dit. de Hollande.
(6) Everardus Billicus, ou plutôt Billichius.
C était un canne. r
(7) Du Préau, Hist. de l'Eglise , tom. II, fol.
4^5 verso.
GROTIUS (Corneille), en
flamand de Groot ; c'est-à-dire
le Grand, naquit le 7.5 de juillet
1 544? ^ Delft , oii sa famille était
illustre depuis quatre siècles (A).
II y fit ses premières études ;
après quoi il fut envoyé à Lou-
vain , où il étudia pendant qua-
GROTIUS.
tre ans en philosophie. Il s'atta-
cha principalement à celle de
Platon (B). Il apprit le grec et
l'hébreu, et même les mathéma-
tiques. A l'âge de vingt ans il
s'en alla à Paris , et y continua
l'étude des belles-lettres , et celle
de la philosophie. Il fut très-par-
ticulièrement aimé de Jean Dau-
rat, professeur royal. Ensuite il
s'en alla à Orléans, pour y étu-
dier la jurisprudence ; et lorsque
les professeurs le jugèrent digne
du doctorat, il se contenta de
prendre le degré de licencié, et
s'en tint là toute sa vie. Etant
retourné en son pays, il s'appli-
qua au barreau. La ville de Delft
le fit conseiller et échevin tout
à la fois, et comme il donna de
belles preuves de sa vertu et de
son érudition , le prince Guil-
laume le fit maître des requêtes.
Il remplit très-bien les devoirs
de cette charge , jusques à ce
qu'en i5;5 il fut appelé à d'au-
tres fonctions , c'est-à-dire , à
celles de professeur dans l'acadé-
mie de Leyde , nouvellement éri-
gée. 11 y enseigna la philosophie
quelques années , et puis la ju-
risprudence. Il se plut de telle
sorte à cet emploi , qu'il ne vou-
lut pas le quitter pour la charge
de conseiller au grand conseil ,
qui lui fut offerte diverses fois.
Il mourut l'an 1601 , et ne lais-
sa point d'enfans. Il laissa quel-
ques ouvrages de jurisprudence ,
qui n'ont pas été imprimés (a)
(C). II avait un frère nommé
Jean de Guoot (D) , qui fut père
de Hugues de Groot dont je vais
(a) Tiré du livre int itulè : Tllustrium lïol-
laniline el West-Fi'isitE Onlinum Aima aca-
dernia Lcidensis; imprime à Leyde, l'on
161'].
GROTIUS. a6g
étaient fils l'un et même auteur. <c LlLros nullos edidit,
parler. Ils
l'autre de Hugues de Groot, le
premier de sa famille qui porta
ce nom (E) , et qui mourut l'an
i56-j {b) , étant bourgmestre de
Delft pour la cinquième fois.
(b) Ibidem , in Jano Grotio.
ou sa Ja-
uatre siè-
e l'auteur
(A) Il naquit a Delft ,
mille était illustre depuis
des. ] Voici les paroles (
que j'ai cité dans le texte de cet ar-
ticle. Pâtre m habuit Hugonem Gro-
tium virum antiquâ virtute et opibus
polie nleni, ex patrie id Groliorum fa
» sed elaboratos quosdam commenta-
it rais ad diuersas juris parles con-
» scripsit. Inter quos Absolutissimum
» Commentarium ad quatuor libros
» Institutionum juris civilis ; ad om-
)> nés titulos quatuor primorum libro-
j» rum Digestorum ; duos tomos Com-
» moniari ii'iun et Observationum feu-
j> daliuni ;singidaremTractatumcon-
» tinentem quinquaginta difleren-
» tias feudorum, à feudis Hollandi-
» cis. » C'est à quoi Konig n'a pas
pris garde j car il donne J.i plupart
de ces ouvrages pour des écrits pu-
bliés par leur auteur (3) , et il cite
Swertius et Meursius qui ne disent
mtlid quœ in repub. Delphensi totis nen moins que cela (4).
quadringentis annis continuis illus- W1' avait un frère nommé Juta
tris, etiam hucusque consulatibus et DE j.*?01; J Ce]»i-™, après avoir
summis reipub. honoribus decoralur étudie les humanités a Delft , lit son
(i). Cet auteur n'est point exact, et il ?°".rs de P»ilosophie et ses études de
aroles jurisprudence à Douai. 11 revint
a besoin d'être éclairci. Ses paroles
portent manifestement à croire que
l'ancienne famille de de Groot fut
continuée de mâle en mâle jusqu'à
notre Cornélius Grotius ; mais cela
est faux : elle tomba en quenouille
environ l'an i43o. Dideric de Groot,
bourgmestre de Delft, et illustre par
plusieurs députations , n'eut qu'une
fille , qui , se mariant avec Corneille
Cornetz, stipula que les enfans qui
en
Hollande dès que l'université de
Leyde eut été fondée , et demeura
jusqu'en i582 chez son frère , Cor-
neille de Groot, professeur en droit
dans cette université. Après cela il
fut élevé successivement à la charge
d'écbevin et bourgmestre de Delft ,
et à celle de curateur de l'académie
de Leyde (5), et il ne fit point diiii-
cullé de se faire recevoir docteur en
sortiraientdëson mariage prendraient droit depuis qu'il fut curateur (6).
le nom de de Groot. Ce qui commença , . a 1ueiqufs ouvrages de sa façon ,
à s'exécuter en la personne de Hugues
, de Groot, père de Corneille. Les Cor-
netz étaient issus d'un gentilhomme
français qui s'établit dans le Pays-
Bas au temps des ducs de Bourgogne.
Voyez le passage que je cite dans la
remarque (E).
(Bj II s'attacha h la philoso-
phie de Platon. ] L'auteur de son
Eloge parle de cela en ces termes (a) :
Philosophiam Platonicam , quippe
écrits avec beaucoup de politesse, si
l'on en croit M. Moréri ; mais il se
trompe; il a donné trop d'étendue à
une chose que Meursius avait déjà un
peu trop amplifiée. Voici les paroles
de Mcursius (7) : Pater ( Hugonis )
erat Johannes Gratins cujus exstant
carmin a, et Lipsii ad ipsum litterœ ,
Dousœque versus , nec pauca alio-
rum monumenta ipsius inscripta no-
mini. Cela signifie manifestement que
quant solam inter humanœ sapientiœ J,eaP Groti".s avait fait des vers qui
sectas magis divinam ( ut rêvera est) etaient sortis de dessous la presse.
judicavit , adeo avide amp/exus est ,
ut vmnia Platonicorum scripta per-
scrutatus J'uerit , memoriœ infixerit ,
ac per tolam vitam manu ac mente
volulaveril.
(C) Il laissa quelques ouvrages de
jurisprudence qui n'ont pas été im-
primés.] Continuons d'entendre le avant que d'être curateur de l'académie, kc»
dem. Leid —
(3) Eilulil Comm, ad /( libros Institutionum
juris civilis , item 2 lomus Observationum feu*
daÎLum. Konig , lîibliotli. vet. et nova, va?.
336.
(4) Swertius dit expressément : Libros nullos
edidit, sed elaboratos... conscripsit. Meursius n»
parle ni île livres publiés , ni de livres composés.
(5) Il fut bourgmestre quatre fois de suite,
(1) Academia Leidensis, pag
(2) I li idem, pag. r^.
(6) Ibidem.
(7; AtUen. BatûT.
9.7°
GROT
Mais puisque dans la Vie de Grotius
on a rapporté tout le passage de
Meursius, hormis ces paroles, cujus
exstant carmina (8) , il est très-pro-
bable que Meursius s'était trompé
sur cet article. D'ailleurs , il est très-
certain que Jean Grotius entendait
la poésie : Lipse le témoigne. Negas
agnoscere te Deas , idque carminé
quod agnoscantipsœ Deœ — Carmen
totum approbum, ne.c critica Mi h
me nota (g).
(E) Hugues de Groot fut le premier
de sa famille qui porta ce nom. \ C'est
ce que l'on trouve dans la Vie de
Grotius , qui est à la tête de ses OEu-
vres, et parmi celles que Batésius a
recueillies. Le passage mérite d'être
copié tout entier. Avus ei fuit Me
Hugo de Groot , qui ex il/ustri Cor-
netziorum génie prognatus , primus
Grotianum nomen in familiam suant
transtulit- Quippe ciiin circa annum
trtgesimum seculi decimi quinti in
Diderico de Groot ejusdem itidem ci-
idtatis consule, et non paucis deputa-
tionibus satis claro , defecisset stiips
masculina , filia ejus Ermgarda de
Groot , domiis satis opulentœ hœres ,
viro nobdissimo Cornelio Cornetzio ,
qui genus suum ex ed Cornetziorum
prosapid ducebat , qui sub ducibus
Burgundiœ ex Gallid in Belgium
migraverant , nupturu, matrimonium
non iniit , tiisi factd conditione , ne,
qui ex eo nascerentur masculini sexih
Itberi, alio quant Grotiano /tontine
nuncuparentur ; ita natus Hugo de
Groot , ejus Hugonis , de quo loqui-
mur, avus , vir supra quhm ea tem-
pora ferebant , latinarum , grœca-
ruin et hebrœarum quoque litterarum
sciens. La suite de ce passage nous
apprend que ce Hugues fut bourg-
mestre de Delft , et qu'il épousa El-
selinge Heemskerk, fille de grande
noblesse.
(S) Patreni habiiit Juhannem de Groot... ad
quem exstanl Lip.ùi epi.ttolie , illustris viri Jani
Douzœ versus , et non pauca aliorwn monu-
meitta ejus nomini mscripla. Vila Grotii, inil.,
apud Batcsium , pag. l\io.
(9) Lipsius, epist. XVII, cent. 1 Miscel-
lan.
GROTIUS (Hugo) , l'un des
plus grands hommes de l'Eu-
rope, naquit à Delft , le 10 d'a-
IUS.
vril i583*. Les progrès de ses
études furent si prompts , qu'il
fit des vers avant l'âge de neuf
ans , et qu'à l'âge de quinze il
savait beaucoup de philosophie ,
beaucoup de théologie et beau-
coup de jurisprudence. Il était
encore plus habile dans les belles-
lettres, comme il parut par le
commentaire qu'il fit , à cet âge-
là, sur un auteur très-difficile (a).
Il accompagna en France, l'an
1598, l'ambassadeur de Hollan-
de {b) , et y reçut des marques
de l'estime de Henri-le-Grand.
I! y prit aussi le degré de docteur
en droit ; et , dès qu'il fut de re-
tour en son pays, il s'attacha
au barreau , et plaida avant l'âge
de dix-sept ans. Il n'en avait pas
vingt -quatre lorsqu'il fut éle-
vé à la charge d'avocat géné-
ral. Il s'établit à Rotterdam
en 1 6 1 3 . et y fut syndic de la
ville (c); mais il n'accepta cet
emploi que sous la promesse qu'il
se fit faire qu'on ne l'en dépos-
séderait pas. Il prit cette sage
précaution , parce qu'il prévit
que les querelles des théologiens,
sur les matières de la grâce , qui
formaient déjà mille factions
dans l'état, causeraient un flux
et reflux de révolutions dans les
principales villes. Il fut envoyé
* Le président Bouhier, et après lui Le-
clerc , disent que Grotius naquit en i58?.;
mais Burigny , qui explique les raisons con-
cluantes qui l'ont porte à adopter la date de
1583, pense que, dans la lettre cite'e par
Bouhier et Leclerc, il faut lire incœpi, au
lieu de implevi.
(a) Mavlianus Capella. Voyez M. Baillet ,
Enfans célèbres, pag. 2S2 et suif. Il cous
apprendra tout ce qui concerne les preuves de
l'érudition de Grotius avant l'âge de vingt
ans.
(b) Celait le fameux Barnevelt.
(c) Les Hollandais nomment pensionnaire;
ceux qui exercent celte charge.
4
GROTIUS. 271
en Angleterre la même année , à mis eu détournèrent tous les bous
l'occasion des brouilleries qui ré- eflets (E). Il fut donc contraint
gnaient entre les marchands des de sortir encore une fois de sa
deux nations , sur quoi il avait patrie. Le parti qu'il prit fut de
écrit quelque chose (À), il se s'en aller à Hambourg , ou il
trouva si enveloppé dans les af- s'arrêta jusquesà ce qu'il eût ac-
faires qui firent périr Barnevelt , cepté les offres de la couronne
qu'il fut arrêté prisonnier au de Suède , l'an i63/|. La reine
mois d'août 1618, et condamné Christine l'honora de la dignité
à une prison perpétuelle, le 18 de de son conseiller, et l'envoya
mai 1619, et à la confiscation ambassadeur auprès de Louis
de tous ses biens. On l'enferma XI II. Après avoir eu cet emploi
au château de Louvestein, let) de environ onze ans, il partit de
juin de la même année. Tout le France, pour aller rendre comp-
monde sait la manière dont il se te de son ambassade à la reine
sauva (B) , après avoir .souffert de Suède. Il passa par la Hollan-
dans ce château un traitement de , et reçut bien des honneurs
rigoureux pendant plus d'un an à Amsterdam. Il vit la reine
et demi (d). Il se retira en Fran- Christine à Stockholm ; et , après
ce , où la cour le reçut très-bien l'avoir entretenue des affaires
et lui assigna une pension. Les qu'elle lui avait confiées, il la
ambassadeurs de Hollande ta- supplia très -humblement de lui
chèrent en vain de le mettre donner son congé. Il ne l'obtint
mal dans l'esprit du roi ; ce prin- qu'avec peine, et il reçut de
ce n'écouta point leurs artifices , cette princesse plusieurs témoi-
et rendit un glorieux témoignage gnages d'une grande estime. Il
à la vertu de cet illustre réfugié avait beaucoup d'ennemis dans
(C). Grotius s'appliqua beaucoup cette cour (F). Le vaisseau sur
à l'étude , et à composer des li- lequel il s'embarqua fut si mal-
vres. Le premier qu'il publia, traitépar la tempête, qu'il échoua
depuis qu'il se fut établi en Fran- sur les côtes de Poméranie. Gro-
ce , fut l'Apologie des magistrats tius malade et chagrin continua
de Hollande qui avaient été dépo- son voyage par terre; mais son
sés.(D) 11 sortit de France après mal le contraignit de s'arrêter à
y avoir demeuré onze ans , et re- Roslock, ou il mourut dans peu
tourna en Hollande , où il espé- de jours le 28 d'août 1G45. Son
raitbiendes choses , fondé sur les corps fut porté à Delft au sépul-
marques d'affection que le prince cre de ses ancêtres (e). Son am—
Fridéric Henri lui avait données bassade ne l'avait pas empêché
dans une lettre ; mais ses enne- de publier bien des livres sur di-
vers sujets (G). 11 s'engagea dans
(d)Vbi postquàm ultra sesquiannum sus- une dispute désagréable, pour
tenlalus bonis uxoris , aspernanlis jiidicum
largilionem , qui vicenos et quatuor in client
asses caplivo totique ipsius familial assigna- (e) Tiré de sa Vie, qui est a la tête de ses
vera.nl, stndiis prœcipuè impendisset, pluri- OEuvres théologiques, imprimas à dmster-
masque au iis qui cùstodiœejuspfœerant in- dam , l'an it);y , et dans te Jteeueil imprimt
jurias perpessus fuisset , etc. Vita Grotii, à Londres , l'an 16&1 , intitulé : ViUeSelec-
npiul Buleshrti) , pag. ;'|.',J. torum aliquot Virorum,
27? GR0T1US.
avoir voulu porter les controver- repartie , montre clairement que
ses à un accommodement. Un l'accusateur se sent convaincu
théologien de Leyde (/*), Pran- de calomnie. Or de là naît un
cais de nation , l'entreprit sur double scandale , puisque d'un
cette affaire , et n'oublia rien de côté il n'a fait aucune démarche
tout ce qui le pouvait rendre pour la réparation d'une injure
suspect aux prolestans , et irri- si atroce ; et que de l'autre , ses
ter la couronne de Suède. On supérieurs ecclésiastiques ne l'ont
vit là un exemple de la maxime jamais censuré d'une calomnie si
que V esprit est la dupe du cœur, manifeste , et ne lui ont jamais
Grotius , ayant souhaité la réu- témoigné qu'ils n'approuvaient
nion des chrétiens, jugea qu'elle pas qu'il publiât des ouvrages
était possible : son désir l'empê- tels que l'Esprit de M. Arnauld.
cha de voir les obstacles invinci- On travaille à une Vie de Gro-
bles que l'entêtement de quel- tius (h) , qui sera ample, et fort
ques particuliers formerait faci- instructive ; et c'est dommage
lement , quand même il n'y en qu'on ne la compose pas en une
aurait pas dans les causes de la langue plus universellement en-
division. Les calomnies que ses tendue que le flamand*. On n'ou-
ennemis répandirent maligne- bliera pas à le louer du côté de
ment touchant sa mort, sont ré- la mémoire : il l'avait si bonne,
futées d'une manière invincible qu'ayant assisté à la revue de
par la relation du ministre qui quelques régimens , il retint le
le prépara au dernier passage nom de chaque soldat (/). On
(H). On ne laissa pas en divers a publié depuis quelques jours
temps de faire valoir ces faux une lettre de Saumaise, où il
bruits : mais personne n'a outré est assez maltraité (M). Il lais-
la chose autant que l'auteur de sa trois fils et une fille (N). Le
l'Esprit de M. Arnauld (I). Il a fils aîné de l'un de ses fils est
osé débiter que Grotius était Drossart (k) de Berg-op-Zoom.
mort comme athée. Plusieurs
Ont trouvé étrange que Ses pe- (h) Je parlais ainsi en 1695, mais Cas-
,,. , . ° _j A' Par Brand, minisire arminien d'Amsterdam
tltS-IllS liaient pas demande re- g ui composait cet ouvrage, est mort de-
paration de cette injure , et puis.
qu'ils aient paru moins Sensibles * Burigny a donné en français une Vie de
T. . -T" Grotius avec t histoire de ses ouvrages , ca-
sur ce point-la , que les parens riS] i75o, deux vol.in-12; et avec des re-
de Jansénius(#) SUr des Calomnies marques d'un anonyme , Amsterdam , 1754 ,
, . , 1 > < TVT • J in-4°. , ou deux vol. in-12. Quant à l'ouvrage
bien plus légères. Mais des per- de 5randt sironencroitCamusattBié/. des
SOnneS très— Sages apprOUVentfort livres nouveaux) , cité par Joly , il a été pu-
t •+ 1 P_.£ 1J J„,.,.,„ iA„in blié en 1726, in 8". Ce qui est certain, c est
cm on ait néglige la-dessus toute >., .', ' ,, , n v. . „ '.
M , * O . O. T qu il existe en flamand une r le de Grotius,
procédure juridique (K). Il a pa- par G. Brandt et Adrien Catlenburg, 1727,
1-U une très-forte réponse à cet deux vol. petit in-folio. Brandt l'avait amenée
. j r.T . j jusqu a 1 ambassade de Urotius en France :
endroit de 1 Esprit de M. Arnauld Cattenburg l'a achevée. (Voyez les Mémoires
(L) qui, étant demeurée sans de Paquot, in-folio, tom. iil,Pag. 620.)
* (i) Borremans , Var. Lect. , cap. III, apud
( f) André Rivet. Creuium , Animadvers. philolog. et bist. ,
(g) Voyez la remarque (K) , au Commen- Part- '< Pag> '9-
r.cment. (*) Charge considérable en Hollande.
Le livre de Jure Belli etPacis
étant un chef-d'œuvre , et ayant
reçu du public un honneur très-
parti tulier , il est raisonnable
d'en parler un peu amplement
(O). Je dirai quelque chose de
l'ouvrage que Grotius a composé
sur l'histoire du Pays-Bas (P).
11 le fit dans sa jeunesse , et se-
lon la latinité de Tacite.
(A) Sur quoi il avait écrit quelque
chose.] Je me sers des paroles de
Meursius. Ciim intelligent naviga-
tionem in Indiam jœderaque ej us or-
bis ingentia esseprœsidia patriee suœ,
qub niagis populares suos excitaret
ad eus res magno animo suscipiendas,
de Jure Commercii Indicani libellant
composuit (i). Ce traité avait pour
titre, Mare liberum, swe de Jure
quod Batavis competit ad Indicana
Commercia Dissertatio , et fut im-
primé l'an 1609. Voyez la Biblio-
thèque choisie de Colomiés , page
157.
(B) Tout le monde sait la manière
dont il se sauva] Ce fut « par le con-
» seil e t par l'industrie de Marie de Ré-
» gelsberg (2) , sa femme , qui , ayant
» remarqué que ses gardes , après
» s'être lassés d'avoir souvent visité
m et fouillé un grand coffre plein de
rr livres et de linge qu'on envoyait
» blanchir à Gorcum, ville voisine
» de là , le laissaient passer sans l'ou-
» vrir comme ils faisaient d'abord ,
» conseilla à son mari de se met-
» tre dans ce coffre, ayant fait des
» trous avec un virebrequin à l'en-
» droit où il avait le devant de la
» tête, afin qu'il pût respirer, et
» qu'il n'étouffa"t point. 11 la crut,
d et fut ainsi porté à Gorcum chez
» un de ses amis, d'où il alla à An-
» vers par le chariot ordinaire , ayant
« passé par la place publique dé-
» guisé en menuisier, ayant une
» règle à la main. Cette femme adroite
i> feignait que son mari était fort
» malade , afin de lui donner le
» temps de se sauver, et pour citer le
» moyen de le recourre : mais quand
(1) Meursius, Athen. Batav. , pag. ao6.
(a) Son véritable nom était Marie Reygersber-
gen.
TOME VII.
GROTIUS. 273
>i elle le crut en pays de sûreté, elle
» dit aux gardes, en se moquant
» d'eux, que les oiseaux s'en étaient
» envolés. D'abord on voulut pro-
» céder criminellement contre elle ,
» et il y eut. des juges qui conclurent
» à la retenir prisonnière au lieu de
» son mari ; mais par la pluralité
» des voix elle fut élargie, et louée de
» tout le inonde, d'avoir , par son
» esprit, redonné la liberté à son
» mari (3). » Une telle femme méri-
tait dans la république des lettres,
non-seulement une statue, mais aussi
les honneurs de la canonisation ; car
c'est à elle qu'on est redevable de
tant d'excellens ouvrages que son
mari a mis au jour, et qui ne seraient
jamais sortis des ténèbres de Lou\es-
tein , s'il y eût passé toute sa vie ,
comme des juges choisis par ses en-
nemis l'avaient prétendu (4).
(C) Louis XIII rendu un glorieux
témoignage a la vertu de cet illustre
réfugié.] Grotius ne perdit point le
souvenir, ni l'amour de sa patrie qui
l'avait maltraité. C'est ce que Louis
XIII admirait ; et ce fut sans doute
l'une des raisons qui le portèrent à
rejeter les mauvais conseils des mi-
nistres de la république , ennemis
particuliers de Grotius, qui tâchaient
de le rendre odieux à la cour de
France. Semper intentus patriœ et
popularibus suis ubi quid negotii Mis
apud aulam eam esset, consi/io , ope-
rd, et qud pollebat apud nonnullos
ministros regios gratid inservire ac
prodesse ; quamfis non ignoraret ,
eos , qui ibi res fœderator.tm cura-
bant , nihil intentatunt relinquere ,
quo l'egis animum ipsi infestum red-
derent , sed frustra laborabant apud
principem nihil ignorantem eorum ,
quœ annis ci3 ioc xviu et cid 13c xix
in Hollandid acta eranl : quin dixisse
non semel jertiu; mimrise limitent
hominis , qui tant malè in patrid ha-
bitas , non desineret tarnen ei , subdi-
tisque ejas benè velle , inio quoeun que
(3i Du Maurier, Mémoires rie nollande, pag.
m. 4°4- Voyez les Lettres ccclesiasticae el (néo-
logie* , pag. 654 et seq.
(I\) Eorumque ( uovein mens uni ) sex elapsi
essenl in conquirendo infensissimos quosque
quibus judicum munu< tul'o commutèrent. Vit»
Grotii , pas:. 423 Vojret ci-dessus, pag. aoo,
remarque (F) de l'article Gr»sdim, ce que dit
Al. Ménage , louchant les jugemens par com-
missaires choisis.
1$
274
GROTIUS.
ctitim jwsset modo lencfacere (5). prince Fridéric Henri écrivit à Gro-
Grotius témoignait par cette con- tins , l'an 1G22, est pleine d'offres de
duite qu'il n'avait pas mal profite service. Ou l'a imprimée à la fin de
de la lecture des grands exemples la Vie de Grotius ; et il y a bien de
que l'antiquité romaine nous four- l'apparence que ce prince se serait
nit (6). Voyez ce que j'ai remarque fait une gloire de rétablir un si grand
touchant Camille (7). homme , si on ne lui avait représenté
(D) Le premier livre qu'il publia , qu'il y avait quelque péril là-dedans.
depuis qu'il se fut établi en France , Voici du latin qui explique tout cela.
fut l'apologie des magistrats de Hol- Mortuo Mauritio Arausionensium
lande , qui avaient été déposés.] Ce principe , frôler ejus Fredericus
livre déplut extrêmement à ceux du Hcnricus ad gubernaculum reipu-'
parti contraire. Ils crurent que Gro- blicœ admôtus', non mitioris tant'um
tins les convainquait d'avoir violé regiminis , sed et pristinœ in admi-
les lois , et ils firent de nouveaux nistrandd republicâ libertatis spem
e [forts pour le perdre ; mais la pro- dederat , ipsique jam pridem Grotio
tection de la cour de France le mit animisuiaffecliimperlitterastestatus
à couvert de leurs entreprises. Je ne erat , credebaturque à non paucis ,
fais que mettre en français le précis quœsiturus sihi gloriam ex tanti viri
de ce latin (8). Primum operum, tam injuste damnati in inlegrum res-
quod posl receptam libertatem edidil , titutio/ie ; sed ut plerumque apud
fuit -Apologeticus s'we Defensio , non animos eorum, qui principum con-
tant sua , qui non potuerat peccare in siliis prœsunt , ulilia honestis prœva-
exsequendis iis , quœ sibi a superio- lent , neque deessent qui ipsi ante
ribus suis mandata erant, quant eo- oculos portèrent, qu'am periculosum
runi , qui légitima modo créai i , legi- rébus suisjbret, hominem, tamper-
timojure Picip. Hollandtcœ annis de- tinaciter libertatis ac patriœ suce
cimo octa-y-o et no no pra^f itérant. Quo amantem , iterum ad rempublicam
comperto fa-deratorum delegati , ne1 admiltere , potentiœ suœ quant existi-
que ignorantes suas in eo libro artes , mationi considère maluit , et Proce-
illatamque Hollandice i>im (g) detegi , ribus super mansione Grotii , in Hol-
cùm ninil haberenl, quo expressam landiam reversi circa finem anni
in eo verilatem redarguere aut refu- cia isc xxxn. deliberanlibus , iis ac-
tare passent , usitatd jam diù. t'iolentid cessit , qui inlerdicendam illi in pa~
utentes , proscriptionibus euni perse- tria habitationem opinabantur (10).
cuti sunt : quod brutumfulmen , cinn (F) Il avait beaucoup d'ennemis
per christianissimi régis tulelam, qui dans la cour de Suède."] La reine ne
eum in f idem suam receperat, eva- lui donna point de réponse positive
nuissel, nihil aliud eo actum est, sur la demande du congé- et cela
qu'am quod , etc. déplut à quelques grands qui crai-
(E) o'eî ennemis en détournèrent gnirent qu'elle ne voulût le retenir
tous les bons effets.] La lettre que le dans son conseil. Il s'aperçut de
leur mécontentement , et fit tant
(5) Vita Groiii, apud Batesium, pag. 4^3. d'instances pour être congédié, qu'en-
' (6) Voyez la lettre qu'U Ar«V«l à Erycius Pu- fin cette Xcc ] j £ t accor(Je'c. Ne-
teanus. C esl la CCCLXXXVII Ie. parmi les j / • ■ i > ju j
Epist. ecclesiastic. et iheolog., in-folio. <7Me dubitavit hoc unum sujficere ad
(7) Tom. IV, pag. 386 , dans l'article Ca- irritandam iiwidiam illam , quant a
mille, au texte y entre les citations (d) et le), principio adveiltlis Slli ill non/lllllis
(8) Vaa Grotn, pag. 4^4- regni proceribus animadverlerat
($ On expHque pag ^ en quoi consis- Quare cum niJul millhs propoutlUU
ta celle violence : Dclegalos îllis judices dare, il- V ' ... r r
Jrpitimo modo accusare, indefVnsos damnare ; ei esset , quaill in eâ teiTar Util parte
OldenbarneTeldium septuagesimum secundum habilutionis SlltV sedem figet'e , Itbi
a:tatis annum agenteni cap.lali supplicio plec- non niinits cum ingeniis hominum tain
tere , reliquos duos ad perneluos carceres initie- i< i • i .■
re , et omnia eorum bonapublic.ro : ni.en.ibus malc Slhl ™lentlUT>l , quant cum aerts
conlia et vira auctoritati sua; inferri frustra cla- inclemeiltld llictandum qilOttdtC foret,
mantibus ipsis Hollandia; Ordinibns, donec opti- non destilit coràm regina , quotics ad
mis ^.busqué a muueribu, suis dimotis , „ov,s- accedercl , dimissionem suam et
que in eorum loca contra Itges impositis , omma
prolibidine eorum agi COtperc qui iatius novita-
ti« auclorei erant. (10) Vita Grotii , ]>ag. 4'4«
GROTIUS.
vcniam ad suos rcvertendi efflagitare
(n). M. du Maurier raconte (la) que
le chancelier Oxenstern eût l'ait ôter
beaucoup plus tôt l'ambassade de
Suéde à Grotius, s'il n'eût voulu
faire du de'pit au cardinal de Riche-
lieu. Ce cardinal (i3) avait fait rayer
la pension de trois mille livres que
Grotius avait touchée pendant dix
ans , ce qui obligea l'illustre réfugié
à sortir de France. L'auteur de cet
275
(G) Son ambassade ne l'avait pas
empêché de publier bien des livres.!
Disons ici quelque chose sur les ou-
vrages de cet auteur, en quelque
temps qu'il les ait faits ou qu'ils
aient été publiés.
Pendant le séjour qu'il fit à Paris
avant que d'y être ambassadeur de
Suède , il traduisit en prose latine son
livre de la écrite de la lieligion
Chrétienne , qu'il avait fait en vers
affront, ayant su que Grotius y re- flamands , en faveur des matelots a
venait avec un beau caractère , en font %* volages des Indes , pour les
fut très-fâché, et fit cent fois des in- divertira chanter une poésie si pieuse
stances pour le rappel d'un ambassa- C'est ainsi qu'en parle M. du Mau-
deur dont il n'était pas aimé , et qu'il lier (17); et il a bien tort d'avilir
n'aimait pas. Oxenstern, qui voulait jusqu'à ce point-là le but de l'au-
mortifier le cardinal , ne lui accorda teur : car Grotius s'était proposé une
fin bien plus relevée ; il voulut four-
nir aux Hollandais qui vont aux
Indes , les moyens de travailler à la
conversion des infidèles. Propositum
enint mini erat omnibus quidem civi-
bus meis , sed prœcipuè navigantibus
opérant navare utilem , ut in longo
illo marino otio impenderent potiàs
tempus, quant quod nimium multi
en Suède , se retira de Stockholm sans faciunt , fa lièrent . Itaque sumto exor-
prendre congé de la reine , ni aVau- dio a laude nostrœ gentis , quœ na-
cun de ses ministres , et était déjà aux vigandi solertiâ cèleras facile vincat
Dalles pour s'y embarquer : mais la excitavi eos , ut hdc arte , tanquam
reine l'ayant remandé, lui fît pré- divino beneficio , non ad suum tan~
sent de douze mille risdalles. Cela ne tiim quœstunt , sed et ad verœ hoc
s'accorde point avec la Vie de Gro- est christianœ ,religionis propwatio-
tius. Je cite quelque chose du Mena- nem. uterentur (18). Cet ouvrage est
giana (i5). M. Arnanld produit une excellent. Les notes qui l'accom-
lettre qui porte que Grotius étant pagnent sont remplies d'une pro
fort mal satisfait de la cour de Suède, fonde érudition : il a été traduit ei
jamais cette marque de complai
sance ; mais il ne se soucia plus de
protéger l'ambassadeur dès que le
cardinal fut mort ; et au contraire il
lui procura des chagrins qui l'obli-
gèrent à demander la permission de
se retirer, sur quoi on le prit au mot.
Du Maurier ajoute (i4) que Grotius ,
ne se voyant aucunement considéré
f
quoique fort content de la reine , il
en était parti pour s'en retourner en
France oh il devait être ambassadeur
de Pologne ; mais que n'étant encore
guère avant dans son voyage , la
anglais , en français , en flamand ,
en allemand , en grec , en persan
et en arabe ; mais je ne sais pas si
toutes ces traductions sont devenues
publiques. La grecque ne Tétait
reine l'avait pressé de retourner, afin point l'an i63^ (19). Grotius , l'année
qu'elle lui pût parler encore une fois ; suivante , ne parle de la traduction
qu'il le fit; et qu étant reparti , etc. persi
(,6)
(11) Ibidem, pag. ^ïG.
(12) Mémoires pour servir à l'Histoire de Hol-
lande , pag. t\\i et suif.
(l'A) Là même , pag. 4°<V
(i4) Là même, pag. 43o.
(i5) Il est étonnant que la reine Christine ,
qui s'e'lait si hautement déclarr'e la protectrice
des savans , ail commence' son règne par révo-
quer Grotius , pour lors ambassadeur de Suède
en France , et par le priver de son emploi : une
ingrate femme , la plus femme qu'on vil jamais.
Mén.-igiana, pag. m. tfo/f.
(1'!) Calvinisme convaincu de nouveau, pag.
i45.
persane que comme d'un livre à
quoi les missionnaires du pape fai-
saient travailler : Liber meus de Ve~
ritate Religionis Christianœ qui
socinianus est V^oëtianis adeb hic pro
tali non habetur, ut studio religioso-
ruin pontificiorum vertatur in sermo-
nent persicum ad convertendos , si
(17) Mémoires .. de Hollande , pag. 4oç.
(18) Grotius, de Verit. Religionis Christian. ,
pag. 3, edil. Par. , 1640, in-ia.
lui) Eliam grœcè versus est, sed nond'um.
éditas. Grot. , epist. CuXl , part. Il, pag,
872.
27«
GROTIUS.
vto annual, ejus imperii ma- L'incomparable ouvrage de Jure
humetistas (20). L'an 1641, un An- Belll et Pacis, fut publie à Paris,
elais qui avait traduit ce livre en Fan i6a5 (24). J'en parlerai ample-
arabe voulait faire en sorte que sa ment dans la remarque (0),
version fût imprimée en Angleterre. Pour ce qui regarde le commen-
Fuit apud me his diebus Anglus yir taire de Impeiïo summarum Potesta-
dociissunus , qui dik in turcico vixit tum circa Sacra (a5) ; le traité de
imperio , et nieum librum de Veiitate Satisfactione Christi contra Faustum
Religionis Chiistianœ in arabicum Socinum (26) ; les notes sur les Évan-
vertit sermonem ; curabitque, sipotest, giles (27) ; le Pietas Ordinum Hol-
tfpis in Anglid edi. Is nullum librum landiœ (28) ; la dissertation de Cœnœ
putat esse uti/iorem aut instrtendis Administratione ubi Pastores non
illarum partium christianis , aiifmiam sunt , et an semper communicandum
converlendis mahumetistis , qui sunt per Symbola (29) ; les Epistolœ ad
in turcico imperio, autpersico, aut Gallos (3o) , je renvoie mes lecteurs
tartarico , aut punico , aut indiano à un livre de Colomiés que je cite en
(21). Cette version , faite par le fa- note, et qui pourra leur apprendre
meux Edouard Pocok, fut imprimée quelques faits assez curieux. Tou-
à Londres, l'an 1660, in-S°. Nous chant l'édition des lettres in-folio,
verrons dans l'article Henichitjs, consultez le iel. volume de la Biblio-
qu'on accuse Grotius de plagiarisme. théque Universelle , et le Polyhistor
Il y a trois traductions allemandes de de Morhofuis (3i). Mais à l'égard de
cet ouvrage (22), deux en prose , et YHistoria Belgica , je vous renvoie à
l'autre en vers; et deux traductions la remarque (P). Notez qu'on trouve
françaises en prose. La dernière a été au IVe. tome de la Bibliothèque Uni-
faite et publiée à Utrecht , l'an 1692 verselle (32) une ample analyse du
(a3) ; l'autre avait paru depuis long- traité de Cœnœ Administratione ubi
temps. J'en ai vu deux éditions , Pastores non sunt , etc. , qui fut ré-
l'une 1/1-12 , en caractères ordinaires; imprimé à Londres avec d'autres
l'autre m-8°. , en caractères qui res- pièces , l'an 1686 *.
semblent à ceux d'un maître à écrire.
Aussi a-t-on mis au titre qu'elle a
été faite h Paris , de l'imprimerie des
nouveaux caractères, inventés par
Pierre Moreau , maître écrivain a
Paris. Je n'ai trouvé aucune date ,
ni au titre, ni au bas de l'épître dé-
dicatoire. L'auteur de cette version
la dédia à M. Bignon , conseiHer d'é-
tat , et ne désigna son nom que par
un M. On m'a dit qu'il s'appelait
M. de Courcelles *.
(20) Grot. , rpist. CDXMV , pag. 881.
(21) Idem, ibid., epist. DXXXIV, pag. gi4-
(22) Scbeffer , in Sueciâ litleralâ , pag. 3oi,
dit que la version allemande de cet ouvrage, par
Valentio Musculus, fut imprimée à Stockholm ,
l'an i65l.
(23) Par un réfugié de France nommé le
Jeune. // mourut à Vtrechl quelque temps
privilège du 22 mai 1G41 est en son nom ; mais
ce privilège manque dans beaucoup d'exemplai-
res , comme le remarque M. Barbier ( Dicl. des
Anonymes , première édition, n°. ■7278, article
Vérité de la religion chrétienne. ) Piosper Mar-
chand , dans son Dict. historique , tom. II, pag.
11 , reproche à d'Olivet de n'avoir pas compris
cette traduction dans la liste des ouvrages de
Mézcrai. D'Olivet, dans l'édition in-4°- de son
Histoire de V Académie française , parle du pri-
vilège obtenu par Mézcrai pour cette traduction ,
en ajoutant : je ne sais si elle a été imprimée.
Dans l'édition in-12 de 1730, d'Olivet a compris
cette traduction dans la liste des ouvrages de
Mêlerai , tom. II , pag. içyç). Quant à la date, on
n'en lit aucune sur le frontispice; mais à la Gu
du privilège on lit que l'impression fut achevée
le 8 juin i644- " Deux choses, dit P Marchand,
»» rendent ce volume remarquable : l'une, en ce
» qu'il est fabriqué avec ces nouveaux caraleres
» imitant l'écriture, inventés par Pierre Moreau,
•» mais qu'on abandonna bientôt,; et l'autre , en ce
» queMézerai, assez peu chargé de littérature
» et d'érudition , y traduit bonnement et simple-
- ment Philo Biblius ( Pbilon de Biblis ) par
» Philon le libraire; ce dont La Mothe-le-Vayer
m n'a pas manqué de se bien divertir avec les
» autres interlocuteurs de son Hexameron rus-
» tique , dont on peut consulter la page 2g. »
Voyez aussi , sur cet ouvrage de Grotius, la note
sur la (in de la remarque (0).
(•24) Voyez la DXXXIV lettre de Crotius ,
IIe. part. , il la fin.
(ï5j Voyez la Bibliothèque choisie de Col>
miés , pag. 23.
(26) Là même, pag. 160.
(27) Là même , pag. 76.
(28) Là même, pag. 117.
(2(j) L,à même, pag. 182.
(3o) Là même, pag. 18G.
(3i) Pag. 20,4-
(32) Pag. 39 et suiv.
* B.iyle en a parlé dans 9
es Nouvelle! de lu
République des Lettres, mai
iGSG, arti.le V.
GROTIUS.
277
Du Maurier nous trompe plus qu'il fut trouver Grotius qui l'avait
d'une fois dans les paroles que l'on fait appeler, et qu'il le trouva pres-
va lire : « Pendant cette longue am- que à l'agonie , qu'il l'exhorta à se
» bassade de douze ans , M. Grotius disposer à la mort, pour aller jouir
» fit divers ouvrages, entre autres d'une vie plus heureuse, à recon-
» une dissertation latine contre le naître ses péchés , et à en avoir Je la
» sieur de la Perrère (33) , qui avait douleur ; qu'ayant fait mention du
» fait un écrit des Préadamites. Cette publicain qui se reconnut pécheur,
» dissertation est intitulée, de Ori- et qui demandai Dieu miséricorde ,
i> gine Gentium Americanarum Dis- le malade répondit : je suis ce pu-
» sertatio , où il enseigne que les blicain-là (3^); qu'il poursuivit, et
» peuples d'Amérique ne sont pas qu'il lui dit qu'il fallait recourir à
» fort anciens , et qu'ils sont venus Jésus-Christ , hors duquel il n'y a
» d'Europe , ou par la jonction des point de salut , et que Grotius répli-
» terres, ou par quelque tempête : qua (38) : je mets toute mon éspé-
» JYisi , dit-il, quis Prœadamitas ranec en Jésus-Christ tout seul ; qu'il
» esse dixerit, ut nuper quidam in se mit à réciter à haute voix, en alle-
» Gallid somniavit. Mais un certain mand, la prière qui commence ainsi :
» docteur nommé Lac tins , des Pays- Herr Jesu , wahrer Mensch und
» Bas , ayant écrit contre lui , il fit Gott , etc. (39) , et que le malade le
» une seconde dissertation , intitulée suivait tout bas les mains jointes ;
» de Origine Gentium Americana- qu'ayant fini, il lui demanda s'il
» rum Dissertatio altéra , où il ré- l'avait entendu , et que la réponse
» fute amplement Laè'tius (34).» Il fut : je vous ai fort kien entendu (4o) ;
n'est pas vrai que Grotius ait com- qu'il continua à lui réciter les en-
posé la dissertation de Origine Gen- droits de la parole de Dieu , que l'on
tium Americanarum , contre le sieur a accoutumé de rappeler en mémoire
de la Peyrère , ni qu'alors l'écrit des aux agonisans , et à lui demander,
Préadamites eût vu le jour. Ce n'est m'entendez-vous? et que Grotius ré-
point dans cette dissertation que se pondit : j'entends bien votre voix ,
trouvent les paroles que du Maurier mais je ?ie comprends pas tout ce que
cite ; c'est dans la réplique à de Laet vous dites (40 j qu'après cette ré-
qu'on trouve ceci , eut consequens ponse le malade perdit la parole , et
est ut credantur. aut aliquos expira peu de temps après.
ante Adamum fuisse conditos homi- On se rendrait ridicule , si l'on
nés , ut nuper quis in Gallid somnia- révoquait en doute la sincérité de
vit. Je crois bien que la Peyrère est Quistorpius : aucune raison d'intérêt
désigné dans ces paroles; mais je n'a pu le pousser à mentir, et per-
persiste à maintenir que l'écrit des sonne n'ignore que les ministres lu-
Préadamites n'était pas alors im- thériens étaient aussi mécontens que
primé (35). Grotius savait les senti- les calvinistes des opinions particu-
mens de ce personnage; et c'est ce Hères de Grotius (42). Ainsi le té-
qui fit qu'il en dit un mot par occa- moignage du professeur de Rostock
sion. Ce n'est point ce qu'on appelle est une preuve authentique; et si
réfuter l'ouvrage d'un homme. dans les matières de fait on se ne con-
(H) Les calomnies de ses ennemis.... tente pas d'une telle preuve, on
touchant sa mort , sont réfutées d'une ouvre la porte au pyrrhonisme , et il
manière invincible parla relation du
ministre qui le prépara au dernier (3:) Ego Me sum public/mus.
passage.! Ce ministre, nommé Jean (38) In solo Chrislo omnis spei mea est re-
Quistorpius , était professeur en théo- Poslla-
logie à Rostock. S., relation (36) porte (3») Ç'"^-*™' Seigneur Jésus, vrai hom-
o \ yi^.^v, me et Dieu.
(33) Il fallait dire In Peyrère.
(34) Du Maurier, Mémoires... de Hollande,
pag. 417.
(35) Voyez la Lllf. lettre de Sarrau , pag.
5o , e'Jit. 1(197.
(iC>) Ellee/L imprime'? parmi /Vf Epislola; ercle-
siaslirn; et tlieologice , a la page 828 de l'édition
in-folio, 1G84.
(4o) Probe intellexi.
(40 Vocem tuam andio, sed qute singula di-
cas difficulter intetligo.
(42) Palin , letlre VU , pag. 3i du Ier- tome ,
rapporte qu'on disait que les luthe'riens étaient
soupçonnés d'avoir empoisonné Grotius , à cause
de ce* qu'il a écrit de l'antccbrist en faveur du
pape.
278 GR0T1US.
n'y aura presque plus rien qu'on marquer parla que ses prédication»
puisse prouver. Tenons donc pour et ses avis ne lui plaisaient point , et
un fait incontestable : 1°. Que Gro- qu'en effet le ministre se retira (47) r
tius , prêt à mourir, a e'té dans les 5°. qu^on a inse'ré un mensonge dans
dispositions du publicain : il a con- un petit livre anglais (48), lorsqu'on
son espe'rance en Je'sus-Cbrit seul,
3°. que ses dernières pense'es ont été
celles qui sont contenues dans la
prière des agonisans , selon le rituel
des luthériens (43). Or je ne crois pas
qu'on puisse trouver une prière plus
remplie que celle-là des sentimens
que doit avoir un vrai chrétien , lors-
qu'il se prépare à comparaître devant
le tribunal de Dieu.
Il résulte de là manifestement :
rien avancé; 6°, que ceux qui ,peu de
temps après la mort de ce grand
homme firent courir le bruit qu'il
était mort d'un coup de foudre (4o) ,
débitèrent une fausseté encore plus
folle que maligne *.
Je finis cette remarque par un pas-
sage où André Pdvet , l'un des plus
ardens adversaires de Grotius , est
intéressé. Il publia que Grotius était
mort ne respirant que menaces, tout
i°. Que ceux qui disent qu'il est mort plongé dans le levain , et même dans
le fiel amer , sans donner aucune
marque de repentanec. Néanmoins ,
ajoute-t-il , nous ne jugeons pas le
serviteur d'autrui. Ces dernières pa-
roles contiennent un ménagement
qui a paru ridicule à un professeur
arminien, parce que le bon sens ne
souffre pas que l'on admette un prin-
cipe , sans admettre les conséquences
qui en émanent nécessairement : or
la damnation éternelle est une suite
infaillible de l'impénitcnce finale ;
de sorte que ce ne peut être qu'un
artifice grossier , que de dire : un
tel est mort sans se repentir de l'énor-
mité de ses crimes, néanmoins je ne
veux rien prononcer sur sa destinée.
C'est ainsi que ce professeur a pris
la chose (5o) , et je n'examine point
s'il a raison. Mais voici le passage
que j'ai promis. Paulo apertihs egit
A. Rivetus , de il lus tri vira Hugone
Grotio loquens : i/A7rvîa>v st?r«ix!tc, in-
quit , et totus in fermento jacens,
imô in felle amaritudinis , videtur
ad plures abiisse , nullo pœniten-
tïse, quodsciamus, signo exhibito r
etc. Ubi nïhil aliud supeijuit, nisi
(4") l'a même , pag. 1^6.
(4$) Il contient un recueil de plusieurs his-
toires. Voyez les Sentimens de quelques théolo-
giens de Hollande, pag. 402»
(4*)) ^r°.)'rs là même.
" Leclei-c prétend qu'il n'a manqué à Grotius ,
pour être absolument catholique, que de faire
extérieurement son abjuration.
(5o) Slephamis Curcellseus , inprmful. apolo.
geticâ prcejixti Anaorisi Daridis Blonrirlti .In
Johannâ papissn , apud 'Marvsium , in Johanni
papissâ testitutrr, /j.ig. iiaq.
socinten ( 44 ) seraient traités trop
doucement , si l'on se contentait de
leur dire qu'ils sont coupables d'un
jugement téméraire; ils méritent
d'être appelés calomniateurs ; 2°. que
du Maurier conte une fable lors-
qu'il parle ainsi (45) : On m'a rap-
porté que , pendant sa maladie , un
prêtre catholique et divers ministres
luthériens , calvinistes , sociniens et
Anabaptistes le vinrent voir , pour le
disposer a mourir de leur opinion ;
mais pendant qu'ils V entretenaient de
controverse , et que chacun s' efforçait,
de lui prouver que sa religion était la
meilleure , il ne répondit autre chose
sinon , non intelligo : et quand ils ne
disaient plus mot , il leur dit , hor-
tare me ut christianum morientem
decet, Exhortez-moi comme il faut
exhorter un chrétien mourant; 3°. que
c'est une autre fable que le bruit
qu'on fit courir, aussitôt après sa
mort , qu'il avait refusé d écouter un
ministre qui lui voulait parler (46) ;
4°. qu'il est faux qu'un ministre
luthérien ayant commencé a lui vou-
loir parler de sa religion, le ma-
lade ne lui répondit que par ces deux
mots , non intelligo ; lui voulant
(43) Vous In trouverez traduite en français
dans le livre qui a pour titre ; Sentimens de quel-
ques théologiens «le Hollande sur l'Histoire criti-
que du pire Simon , pag. 3c)7.
(44) Voyez Patin, lettre \Urpag. 3i du I".
tome.
(45) Du Maurier,
pag. 43i.
(46) Voyez le livr
niuisme convaincu d
Mémoires...
de M. Ariiauld, 1
nouveau , put; i j:>.
le Hollande,.
Cal-
GROTIUS.
579
ut adderet , Actum est de ejus sainte.
Licet ad emolliendam lani incle-
mentem sententiam , ita concluant :
Sed tamen non judicamus servum
alienum, qui domino suo stetit et
cecidit. Sed quorsum moderationis
speciem pra? se j'erre circa consequens,
c'uni tota difficultas sit in antécéden-
te ? Ego contra , si vidii constaret ,
vel Grotium , vel Blondellum , in
aliquo gravi deliclo sine pœnitentid
obiisse, non vercrer, etsi dofiens, dkeiv,
Damnatns est. IVon enim ipse sen-
tentiam ferrent , sed Dens in vetw
suo , quod. cœlo et terra Armais est.
J'ai lu dans M. Arnauld un sembla-
ble trait contre le ménagement de
M. Daille' pour saint Ambroise (5i).
Mais ce n'est pas de quoi il s'agit ici.
Disons seulement que M. Rivet avan-
ce une chose , sur la prétendue im-
pénitence de Grotius , qui est dé-
mentie par la relation du ministre
luthérien. M. Des Marets , en réfu-
tant le passage que j'ai cité, ne dés-
approuve en rien la conduite de
M. Rivet.
(I) Personne n'a outré la chose
autant que l'auteur de l'Esprit de
M. Arnauld.] Il ne se contente pas
de dire que Grotius est un arminien
emporté , un socinieu, un papiste
(5?.), qualités qui ne peuvent subsis-
ter ensemble dans un même sujet;
il ajoute (53) que Grotius est mort
sans avoir voulu faire profession d'au*
cune religion, et ne répondant à ce-
lui qui V exhortait a la mort que par un
non intelligo ,je ne vous entends pas
(54) , en lui tournant T épaule. 11 cite
pour tout témoin et pour toute preu-
ve M. Arnauld, c'est-à-dire un hom-
me dont il fait dans ce même ou-
vrage un portrait si monstrueux ,
qu'il n'y a point de tribunal équita-
ble, où l'on voulut mettre à l'amende
(5i) Voyez le /". vo'time de la Perpétuité
défendue , pag, m. 12S et ,ti«V. M. Arnauld
trouve étrange la civilité extraordinaire de
M. Paille' , el son exrès de modération pour
saint Ambroise , dont il s'est contente de dire
qu'il avait bon nez, après avoir posé des prin-
cipes selon lesquels il le devait appeler fourbe ,
imposteur el séducteur.
(5ï) Esprit de M. Arnauld, loin. II , pag.
3o7.
(53) là même, pag. 3o8.
(54) Ceci ne se trouve pas dans la lettre que
M. Arnauld produit , pag. i45 du Calvinisme
convaincu. C'est une addition et une falsifica-
tion de l'auteur de /'Esprit de M. Arnauld.
ceu\ que vingt témoins semblables
à ce portrait accuseraient d'homici-
de. Peut-on voir un aveuglement plus
énorme? Ne faut-il pas avouer que
l'envie de médire est de toutes les
passions la plus capable de faire per-
dre de \ ue le, idées du sens commun ?
.Mais ne perdons point de temps sur
de telles moralités, et nous conten-
tons de cette remarque j c'est que
l'accusation d'être mort athée est
toute visible à l'égard de Grotius
dans l'Esprit de M. Arnauld. Mourir
en rejetant toute sorte de religion ,
mourir sans vouloir faire profession
d'aucune religion , mourir athée ,
sont trois propositions synonymes.
De sorte que si l'on faisait un procès
à l'accusateur , il faudrait réduire
l'affaire à cette question précise ,
Grotius est-il mort athée ? L'accu-
sateur le soutient clairement et net-
tement ; il faut donc qu'il le prouve,
et il ne lui servirait de rien de prou-
ver que Grotius n'a été ni luthérien ,
ni calviniste , ni papiste , ni armi-
nien. Or qui ne frémirait d'horreur,
en songeant qu'un homme qui est
mort de la manière que Qtiistorpius
l'a témoigné publiquement, est ac-
cusé d'être mort, athée ? L'impuden-
ce d'un tel calomniateur n'est-elle
pas un prodige? Ne faut-il pas, pour
la croire en lisant son livre , se re-
présenter tout de nouveau ce que
l'on a pu apprendre de l'infinie cor-
ruption du cœur humain, et faire
un acte de foi sur ces paroles de l'É-
criture , le cœur de l'homme est iles-
espérément malin (55) ? J'ai déjà dit
(56) qu'on n'a aucune raison de dou-
ter de la bonne foi de Qtiistorpius,
et j'ajoute ici que l'affaire dont il
porte témoignage est d'une telle na-
ture , qu'il n'a pu y être trompé. 11
a ouï ce que Grotius lui a répondu ,
il a vu les mouvëmcns des mains el
des lèvres de son pénitent , pendant
qu'il récitait une excellente prière.
Les oreilles el les yeux sur de tels
faits sont des témoins authentiques,
J'avoue qu'il n'a point su si Grotius
disait tout bas d'autres choses (pie
celles que lui, QuistorpiuSjjJisail tout
haut : c'est une objection que M. Ar-
(55) Jérem. , chap. XVII , vs. 9.
(56) Ci-dessus, remarque (H), au premier
28o
GROTIUS.
nauld n'a pas eu honte de proposer c'est là que ses amis s'épuisent en
(5") : elle est indigne de réponse; car , artifices, pour le mettre à couvert
sur ce pied-là , ne pourrait-on pas de toute censure. L'auteur des Pen-
douter delà foi de tous les agonisans? se'es sur les Comètes a-t-il pu avoir
(K) Des personnes très-sages ap- aucune raison d'une calomnie toute
prouvent fort qu'on ait négligé semblable à celle dont il s'agit ici
toute procédure juridique.} L'exemple touchant Grotius? L'accusateur, en-
desparens de Jansénius, que quelques- tassant supercheries sur superche-
uus eussent voulu que la famille de ries , n'a-t-il pas toujours éludé les
Grotius eût suivi , est une des cho- justes demandes qui ont e'té faites
ses qui peuvent le mieux justifier la par l'accusé à leurs juges naturels ?
conduite qu'elle a tenue en mépri- Qu'ont obtenu les ministres qui ont
sant la calomnie. Le parti janséniste dénoncé la doctrine de cet auteur ?
avait espéré de mortifier le père Ha- Ne Font-ils pas trouvé supérieur aux
zart , fameux jésuite , qui avait dit, lois de la discipline , quelque peine
dans un de ses livres, que le père de qu'ils se soient donnée, et quelque
Jansénius avait été protestant , et manifestes qu'ils aient rendues ses
que Jansénius avait vécu jusqu'à un erreurs? Par cette nouvelle raison
certain âge dans la profession du cal- les parens de Grotius doivent se fé-
vinisme. On fit de beaux factums (58) liciter de s'être abstenus des procé-
pour montrer que ce jésuite était un dures juridiques,
insigne calomniateur; on le somma (L) // a paru une très-forte ré-
dans toutes les formes de réparer ponse a cet endroit de l'Esprit de
son injure par une rétractation solen- M. Arnauld.~\ Voici le début de IV
' pologiste. « Mais , monsieur, tout ce
nelle ; on s'adressa aux tribunaux
qui avaient le droit de juger de ce
différent; mais après bien des écri-
tures , après s'être bien remué , on a
eu le déplaisir de voir échouer l'af-
faire. Le père Hazart a eu assez de
crédit et a inventé assez de chicanes
pour rendre vaines toutes les dé-
marches des complaignans. A la vue
de cet exemple les descendans de
Grotius doivent se féliciter de n'avoir
pas sollicité juridiquement la répa-
ration de la calomnie : car l'auteur
de l'Esprit de M. Arnauld n'eût pas
cédé en inventions de chicaneries au
père Hazart , et n'eût pas trouvé
moins d'appui que lui pour s'exemp-
ter de la peine qu'il méritait. On
l'eût pu traduire devant les tribu-
naux séculiers , par la loi si quis fa-
mosum ; on eût pu aussi s'adresser
aux juges ecclésiastiques ; mais il eût
trouvé de si forts patrons , et de si
puissantes recommandations à l'égard
des tribunaux séculiers , que tout
s'en serait allé en fumée. C'eût été
bien pis si l'on se fût adressé aux
tribunaux ecclésiastiques : c'est là
que ses chicanes sont un labyrinthe
dont on ne le saurait jamais tirer;
(57) Calvinisme convainru , pas;. \fr.
(r,S) Vorrz Us Nouvelles <le la République <lcs
Lettres, i(i8(i, p«#.fiR, 209, 5o» et i3i4. Ces
factums ont e'té réimprimés fhn.r le VI II". vo-
lume de la Morale pratique des jésuites.
» que cet auteur et le père Simon
» disent de Grotius n'est rien en
» comparaison de ce qu'en dit l'au-
» teur anonyme d'un libelle scanda-
» leux intitulé V Esprit de M. Ar-
» nauld. Il est vrai qu'il médit de
» tout le genre humain dans ce livre,
» et que les mensonges manifestes que
» l'on y trouve doivent faire perdre
» créance à tout le reste. Mais parce
» qu'il y a des gens assez faibles pour
» se laisser frapper par la manière
» hardie dont il parle; et que quel-
» ques-uns degeeux à qui vous com-
» muniquez mes lettres ont conçu
» une mauvaise opinion de Grotius,
» sur ce qu'il en dit , vous me per-
» mettrez bien de les désabuser. Ils
» ne seront peut-être pas fâchés d'y
» trouver un exemple de la plus hor-
» rible calomnie qui fut jamais ,
» dans un auteur pour qui ils ont
» tant d'estime. Cela leur fera com-
» prendre qu'il faut être sur ses gar-
» des contreceux quiténtoignenttant
» de zèle pour la vérité ; et que ce
» zèle cache quelquefois une mali-
» suite et une médisance incroya-
» bles, sons le beau prétexte de dé-
)> fendre l'Eglise de Dieu (5g).»
Après cela l'apologiste examine, l'un
(%) Sentimens île quelques ll;éolos;ieus de
Hollande , /?«£• 3<jo.
GROTIUS.
28 c
après l'autre, les quatre chefs d'accu- réfuté dans ses derniers livres la plu-
sation. Je ne m'arrête point aux cho- part des dogmes qui leur sont com-
ses qu'il dit sur le premier chef (60) : muns. L'apologiste dit là-dessus (65)
mais voici ce qu'il dit sur le second que ce qui trompe M. Arnauld, et
(61). « G rotin s , dit notre auteur l'auteur de son Esprit, est qu'ils s i-
» satirique , en second lieu socinien , maginent que c'est ri avoir point de
■» comme il paraît, parce qu'il éner- religion, que de n'être dans aucune
» ve TOUTES les preuves de la de ces factions qui condamnent tout
» divinité de Jésus- Chrit. Dites à vos le genre humain, et dont chacune
j) amis , monsieur , de lire les anno- prétend d'être toute seule V Eglise
» tations de Grotius sur les endroits de Jésos-Ciirist. G rotius s'était abs-
» de saint Marc et de saint Jean , que tenu de communiquer avec les pro-
j> je vous ai. marqués , et s'ils ne di- testans aussi-bien qu'avec les catholi-
~» sent pas que c'est ici une calomnie quesromains, parce que la communion
» abominable , je m'abandonne moi- qui a été établie par Jésus-Christ,
i) même à passer pour le plus me- comme un symbole de la paix et de
» chant de tous les calomniateurs, la concorde , dans laquelle il veut que
» Voyez encore la lettre DXLVII1, ses disciples vivent, passe dans ces
3> dans le volume des Lettres Ecclé- sociétés pour un signe de discorde et
» siastiques et théologiques de quel- de division (66) QuistOTpius
» ques grands hommes (61).» Je se- fit très-sagement de ne lui démon-
tais trop long , -si je rapportais ce der point dans quelle communion il
qu'il dit à l'égard du troisième chef, voulait mourir , puisqu'il le voyait
tant contre l'auteur de l'Esprit de mourir dans la communion de Jéscs-
M. Arnauld , que contre M. Arnauld Christ , en vertu de laquelle seule on
même. Je n'en tirerai que ce mor- est sauvé ; et non pas en vertu de
ceau. « Quand M. Arnauld dit quel- celle que l'on peut avoir avec l'évé-
» que chose d'injurieux aux réfor- que de Rome , ou avec les diverses
» mes, l'auteur du libelle se récrie sociétés des protestons.
» d'une façon tragique ; et M. Ar- Sans examiner si Quistorpius eut
3> nauld n'est rien moins qu'un hom- jort ou raison de ne lui pas faire
3> me sans sincérité, qu'un accusa- cette demande, j'observe qu'un hom-
» teur de mauvaise foi, qu'un in- me persuadé des articles fondamen-
)) filme calomniateur ; mais lorsqu'il taux du christianisme , mais qui
dit quelque chose qui peut servir s'abstient de communier , parce
3> à l'auteur de l'Esprit à déclamer
» contre quelqu'un qui n'a pas le
3> bonheur de lui plaire , tout est
3> bon , et cela sert à grossir le volu-
3) me , et à l'empêcher d'être mis au
» rang des petits auteurs (63).
qu'il regarde cette action comme un
signe que l'on damne les autres sec-
tes du christianisme , ne saurait pas-
ser pour athée que dans l'esprit d'un
vieux radoteur, quia oublié et les
idées des choses , et les définitions
N'oublions pas que M. Arnauld des paroles. Je passe plus avant , et
blâme le ministre luthérien , de n'a- je dis qu'on ne saurait refuser à un
voir pas demandé à Grotius dans tel homme la qualité de chrétien.
quelle communion il voulait mourir Je consens que l'on traite d'hérésie
(64) Cela est essentiel , dit M. Ar- l'opinion qu'il a, que la porte du
nauld, au regard d'un homme que salut est ouverte dans toutes les
l'on savait ri avoir point voulu avoir communions qui reçoivent l'Evan-
de communion depuis long-temps avec gile ; je consens que l'on assure que
aucune église de protestons , et avoir c'est un dogme pernicieux et dan-
gereux ; mais cela peut-il empêcher
(60) Savoir que Grotius était arminien ein- que CCUX qui Croient que JeSUS-CriSt
Porle'- est le fils éternel de Dieu , coéssen-
(G.) Sent.mens de quelques théologiens de tj j t consubslantiel au père ; qu'il
(6,.) Epist. prJtam. v.ror. , pag. 797. est mort pour nous j quil est res-
(6.Î) Sentimcns de quelques théologiens de
Hollande, pag. 3g5. (fi") Scnlimcns de quelques théologiens de
(O'i) Arnauld, Calvinisme convaincu . pag. Hollande, j>ag. 3qS.
>4:- (CC) Idem, ibid., paS. ?o<).
282
GROTIUS.
suscite ; qu'il est assis à la main droite
de Dieu son père; que c'est par la
foi en sa mort , en son intercession ,
que l'on est sauve' ; qu'il faut obe'ir à
ses pre'ceptes, et se repentir de ses fau-
Grotius , y ayant des raisons parti-
culières qui l'animaient contre lui :
ceux qui savent la carte de Rotter-
dam m'entendent bien.
(M) On a publie une lettre de i$tf fi-
les, etc. : cela, dis-je, peut-il empêcher 7rertt.se où il est assez maltraité.]
que de telles gens ne soient chre'- M. Crënius a publié cette lettre dans
tiens ? Aucun homme de bon sens ne la Ire. partie de ses Animadversiones
le peut prétendre; mais personne ne Philologicœ et Historiens , imprimées
serait plus insensé dans une sembla- à Rotterdam en i6g5. M. de Saumaise
ble prétention que celui qui a com- l'écrivit à M. Sarrau, le 20 de novem-
posé l'Esprit de M. Arnauld , puis- bre i645. Il ne se contente pas de
qu'il a fait un autre ouvrage (67) où il donnera Vossius la préférence sur
montre , que tous ceux qui croient Grotius , il passe beaucoup plus
les articles fondamentaux appartien- avant ; il abaisse le plus qu'il peut le
lient à la vraie église , dans quelque mérite de ce dernier : à peine le fait-
secte qu'ils vivent. Je ne parle pas de il médiocre en philosophie; et il le
plusieurs autres maximes qu'il a po- met au-dessous de tout le monde ,
sées, d'où il résulte que l'on peut
faire son salut dans toutes sortes de
religions, comme un anonyme (68)
le lui a fait voir par des preuves dé
quant à la force du raisonnement. In
Philosophicis , si elisputandi so/erlia
spectetur, vix mediocribus par est :
nec unquam vidi qui minore cum \>i
rnonstratives. Je ne parle que des ratweinetur. Un professeur de Tran-
dogmes qu'il ne saurait désavouer, silvanie , ajoute-t-il, qui écrit contre
et selon lesquels il doit reconnaître le livre de Jure Belli et Pacis , pré-
que Grotius par la seule foi des dog- tend y montrer des fautes grossières
dans chaque page , adfirmavit se os-
tensurum esse nullam paginant va-
care insignibus erratis. C'est un pau-
vre critique que Grotius ; plusieurs
de ses notes sur l'Ancien Testament
sont si puériles que rien plus ; je ne
mes fondamentaux , sans approuver
en toutes choses, ni le calvinisme,
ni le papisme, etc., a été membre de
la vraie église.
Au reste, il serait étrange que
Grotius fût échappé à un homme,
dont l'ouvrage a été regardé comme voudrais pas mettre mon nom à la
la satire de tout le genre humain, tète d'un tel ouvrage. Scimus etiam
in crilied quant injelix fuerit et àiça-
Xoç vir alioquin summus Grotius
JYol/em meum nomen ad seriptum
esse adnotatis in Vet. Test, nihil lus
in niultis puerilius invenio , et taulo
nomme indignius. Comment accor-
derons-nous cela avec les lettres que
Saumaise écrivait à Grotius ? Il y en
a une ouille traite de supereminen-
tissime , et où il assure qu'il aimerait
mieux lui ressembler, que de jouir de
tous les honneurs et de tous les biens
du sacré collège : JVon solàm cardi-
nalibus, sed etiam mihi rem minime
qratam facis , qui me dones en titu-
lo , qno tu dignior, superenùnentissi-
me Groti. Quid enim te non sic ap-
pellent , cujus me multo similem esse
ma/im , quant omnes purpura ti il Un s
gregis dwitias et honores possidere
(72) ? Voyez en note le passage de
Justus Pacius. Quelqu'un me deman-
à la préface, pag. fj3. Voyez aussi la Cabale
chimérique, pag. i8l>
(7'j) Epist. Salmas. XXI, Ub. I, pag. 45.
geni
Homo iste ptvcacissimus in illo suo
Arnaldi Spiritu, universum genus
humanum impetit , nec sacris parcens
nec projanis , nec ecclesiastico , nec
cwili statui, regem suuni , regem
fhrislianissimum, singula régi œ fa-
milice capita , familiares ministrfisque
régis tant fœdè , tant imjnidenter car-
pit , ut uel in suo Hollandice asylo
vix 1 utus ipse (69) , tiitunt prœstare id
libri monstrum nequwerit{']o). Voyez
la note (71); et jugez si un tel au-
teur pouvait manquer de rencontrer
(fi'}) Intitulé': Le vrai système de l'Eglise.
(i>8) Carus Larébonius , in Januâ cœlorum re-
seralâ.
(tiçi) C'est un mensonge.
(r,o) Voyez le livre intitule': Catliolica Queri-
monia , pag. 9.
(r 1) Voyez ci- dessus , la citation (Sg) , oit l'on
assure t/ue cet auteur médit de tout le genre hu-
main, Un autre s'exprime ainsi : L'abomination
de cette, satire ne consiste pas principalement,
en ce que c'est l'ouvrage d'un homme <|ul , à
l'exemple de l'esprit malin , circuit et rôde par-
tout, cherchant qui il pourra dévorer, mais, etc.
Chimère de la cabale de Rotterdam démontrée,
GROTIUS.
283
dait l'autre jour si les lettres que
les grands hommes e'crivent à un
auteur ressemblent à celles où ils
parlent de cet auteur à d'autres per-
sonnes ? Je lui repondis qu'il arrivait
rarement qu'ils tinssent le même
langage dans ces deux sortes de let-
tres. Quand ils e'crivent à l'auteur ,
ils louent son livre ; quand ils écri-
vent à d'autres ils ne le louent guère ,
et quelquefois ils le blâment. S'ils
publiaient eux-mêmes leurs lettres,
ils tâcheraient de supprimer ce dou-
ble langage ; mais la plupart du
temps elles ne paraissent qu'après
leur mort. Si M. de Saumaisc avait
publie sa lettre du 20 de novembre
iG45, il eût supprime les autres où
il donne de si sublimes éloges à Gro-
tius. Il n'e'tait nullement de ses amis,
et il le témoigna bien en se dégui-
sant sous le masque de Simpficius
V^érimts pour e'erire contre lui (73).
(N) // laissa trois fils et une fille. \
Celle-ci fut mariée à un gentilhomme
français , nommé Mombas , dont on a
parlé beaucoup à l'occasion d'une
affaire qu'on lui suscita, peu après
que le roi de France eut passé le Rhin,
l'an 1672. L'aîné des fils et le plus
jeune suivirent le parti des armes,
et moururent sans s'être mariés. Le
second, nommé Pifrre de Groot, s'est
rendu illustre par des ambassa-
des. L'électeur Palatin, rétabli par la
paix de Munster , le fit son résident
auprès des états généraux. Il fut fait
pensionnaire de la ville d'Amster-
dam, en l'année 1660, et il exerça
habilement cet emploi pendant sept
ans. Il fut envoyé ambassadeur vers
les couronnes du Nord, l'an 1668. Au
bout d'un an il fut destiné à l'am-
bassade de France, dont il s'acquitta
avec beaucoup de dextérité et de
sagesse. Lorsque la guerre de 1672
s'alluma , il revint en son pays * , et
(•ji) Grotius était dr'j'a mort. Voyez le litre
<jut sert île réponse à cet ouvrage fie Saumaise ;
«oyez , dis-je , Jiisti Pacii Revisionem judicii :
on y reproche a .Saumaise son inconstance: 11-
luin phwniceni sni steculi in luis litteris pra;di-
eares , quiet te igitur modo impulit viriim
adeo in te beniguum canino dénie perstringere?
pag. 3.
* En quittant la France , il adressa au roi , le
»3 mars 1672 , une harangue que l'abbé Arcliim-
baud , ainsi que le dit Jnly , trouva digne des an-
riens Romains , et qu'il a insérée an lame IV de
son Nouveau Recueil de pièces fugitives d'His-
toire , de Lille'/ alure , etc.
fut privé de la charge de pensionnaire
de la ville de Rotterdam, qu'il possé-
dait depuis son retour de l'ambassade
de Suède; il en fut, dis-je, prive
pendant les émotions populaires qui
causèrent tant de changemens dans
les villes de Hollande. 11 se retira à
Anvers , et puis à Cologne , pendant
que l'on y traitait de la paix, et il
s'employa" pour le bien de sa patrie
autant <*|u'il put. Cependant lorsqu'il
fut retourné en Hollande , on l'ac-
cusa de crime d'état. La cause fut
jugée , et il fut renvoyé absous. Il se
retira dans une maison de campagne,
et y mourut à l'âge de soixante et dix
ans (74)> Voyez son éloge dans M. de
AVicquefort (75).
(0) Il est raisonnable de, parler un
peu amplement du livre de Jure Bel-
li et Pacis] Il fut imprimé- ;i Paris ,
l'an i6j5, et dédié à Louis XIII. « Le
» roi Gustave de Suède l'ayant lu et
» admiré , il résolut de se servir de
» l'auteur, qu'il croyait un grand
» politique à cause de cet ouvrage :
» et le chancelier Oxenstern , pre-
» mier ministre de ce conquérant,
» le fortifiait dans ce dessein , fai-
» sant un merveilleux état de son
» ouvrage de Jure Pacis et Belli ,
» qu'il feuilletait incessamment. Mais
» ce prince ayant été emporté à la
» bataille de Lutzen , l'an i63a ,
w M. Oxenstern , suivant son inclina-
» tion et le dessein du feu roi Gus-
» tave, le nomma pour aller ambas-
» sadeur en France (76).)) M. Colo-
miés assure (77) qu'on prétend que
Grotius mit tout son esprit en ce li-
vre , et qu'il en pouvait dire ce que
Casaubon dit de son commentaire sur
Perse, dans une lettre a M. Périllau
son parent, qui n'est pas imprimée :
in Persio omnem ingenii conatum
efl'udimus. L'ouvrage de Grotius est
en effet une excellente pièce , et je
ne m'étonne pas qu'il ait été expli-
qué en quelques académies d' Alle-
magne Voici le jugement que
M. Bignon , ce magistrat sans re-
proche j fait de ce livre, écrivant a
(:4) Tire' de la Vie de Hugo Grotius.
(•;5) Traité de l'Ambassadeur , liv. II , pag.
454. Voyez aussi pag. /(il.
(76) Du Maurier, Mémoires... de Hollande,
pag. 4.0.
(--) Colomiés , Bibliothèque choisie, pag.
123.
>84
GROTIUS.
M. Grotius, le 5 mars iGÎ2. J'oublie ,
dit-il, de vous remercier de votre
traite de JureBelli, qui est autant
bien imprime' que le sujet le mérite.
On m'a dit qu'un grand roi le tenait
toujours devant lui , et suis très-per-
suadé que cela est , parce qu'il n'en
Ï>eut arriver que du bien infini : ce
ivre mettant la raison et la justice
en une matière qu'on croit ne con-
sister qu'en confusion et injustice.
<>ux qui se plairont en cette lecture
y apprendront les vraies maximes
delà politique cbre'tienne, qui sont
erire contre lui. Quelques-uns , a la
vérité, croient que Seldénus a fait
par émulation , son livre du Droit de
Nature et des Gens selon les lois des
Hébreux Le premier auteur quia
paru sur les rangs pour critiquer
l'ouvrage de Grotius, a été Johannes
à Felden , docteur en droit et profes-
seur en mathématiques a Helmstadt.
Il a suivi comme pied à pied les trois
livres de Grotius , et s'est arrêté sur
les matières de droit et de morale
il le contredit partout. Son ouvrage
a été mis au jour en l653 , et fut
les fondemens solides de tout gouver- réfuté l'année suivante par Tbéodore
nement. Je l'ai relu avec un merveil-
leux plaisir. On n'en fit pas le môme
jugement a Rome , où il fut mis
au rang des livres défendus , le 4
février 1627
Le mémoire que M. Chauvin a em-
ployé (78J sur la destinée et sur l'im-
portance de cet ouvrage if), est si
beau et si curieux que je ne puis
m'empêcher d'en copier plusieurs
choses. On y apprend que Grotius
entreprit ce livre à la sollicitation du
fameux Peiresc. C'est lui-même qui
l'a déclaré dans la lettre qui accom-
pagnait le présent qu'il lui faisait
d'un exemplaire. « Le sujet qu'il
» traite a été jugé si important et
)> d'une si grande utilité , que l'on en
» a pris l'occasion d'en faire une
» science particulière , pour l'expli-
» cation de laquelle on a trouvé à
» propos d'établir exprès des profes-
» seurs dans les universités. » L'élec-
teur palatin , Charles-Louis , faisait
Graswinckel. On a vu , en i663 , les
« Commentaires de Boeder sur le
» premier livre de Grotius. Il les a
» depuis continués sur les sept pre-
» miers chapitres du 2e. livre , et a
» encore donné au public cinq di-
» verses matières importantes du
» même livre.... Il ne s'est pas arrêté
» partout aux sentimens de cet au-
)> teur ; il en a embrassé de tout con-
» traires sur divers sujets — En 1664,
u Jean -Philippe Muller , juriscon-
» suite , réduisit en tables les trois
» livres de Grotius.... En i665, Janus
» Klenckius (79) donna au public ses
» Institutions du Droit de Nature et
>< des Gens , tirées du livre de Gro-
» tius. En 1666, Gaspar Ziégler,
» professeur en droit à Wittemberg,
» donna au public ses Notes sur les
» trois livres de Grotius Il ne pa-
» raît point qu'il ait été animé d'un
» esprit de contradiction ; mais il n'a
» pas laissé de s'écarter , en une in-
une si grande estime de ce livre qii'il » îinité d'endroits , des sentimens de
trouva a propos de le faire servir de » Grotius. » Le frère puîné de celui-
texte h la jurisprudence du droit de ci (80) publia , en 1667, un Manuel
nature et du droit des gens , et que des Principes du Droit de Nature. Ce
pour l'enseigner, il en donna la char- livre-là est proprement une introduc-
ge de professeur dans son université tion à celui du Droit de la Guerre et
de Heidelherg a M, de Pufendorff , de lu Paix , et il a été orné de notes ,
qui a été le premier qui en a fait les en 1675, par Jean-George Simon,
fonctions ; et , a l' imitation de ce prin- professeur en droit à Iéna (81). En-
ce, on a depuis fait de semblables viron l'an 1668, David Mévius , vice-
élablissemens dans plusieurs autres président île la chambre souveraine
universités Il ne paraît point que de Wismar , entreprit de faire un
du vivant de Grbtius, personne ait en- juste Système de la Jurisprudence du
trepris de critiquer son livre, ni d'é- droit de nature et des gens , et pu-
blia i Introduction à cette jurispru-
(•;8) Dans son Journal des Savans dressé à
Ferlin , yag. 220 et suiv. de l'an i(kf>. (70) Voyez le Journal des Savans , du 25 janv.
' Barbcyrae a donné de grandi détails sur ce i(i(i(S, pag. ni. 80.
sujet dans la préface de la traduction qu'il a fait (80) C'est Guillaume Grotius.
imprimer do. Traité de Grotius, 15241 deux vol. (81) Il l'est à la nouvelle université de Sali,
Ju-40. ei, ,<;,,';.
GROTIUS.
285
dence en neuf considérations . 11 donne
dans sa préface beaucoup de louan-
ges à Grotius , et lui attribue la gloire
d'avoir le premier servi de guide a
l'élude de cette jurisprudence com-
mune des gens, et de l'avoir expli-
quée avec plus de solidité et d érudi-
tion qu'aucun autre n'avait fait
auparavant. Des trois parties dont
son grand ouvrage devait être com-
pose', les deux premières e'taient ache-
vées et prêtes a être mises sons la
presse ; mais il ne savait pas si son
grand a"ge et ses all'aires lui laisse-
raient le loisir d'achever l'autre. Jean-
Adam Osiander, professeur en théo-
logie dans l'université de Tubinge ,
publia des Observations sur l'ouvrage
de Grotius, l'an 1671 , et affecta de
le critiquer presque partout. L'année
suivante M. de Pufendoril' publia son
livre du Droit de Nature et des Gens.
Il y traite à fond ce qui en avait e'te'
omis ou touché légèrement par Gro-
tius , et il y en a qui considèrent son
ouvrage comme un ample supplément
de Grotius , et d'autres comme des
commentaires perpétuels sur Grotius.
On a vu , en \6j'5 , les Observations
de Henri Héniges sur Grotius. Il
s'attache aux sentimens de cet auteur,
et les soutient contre ceux qui les ont
combattus. Presqu'en même temps
Jean-Georges Simon fit réimprimer
le livre de Grotius , avec des notes
3ui concernent particulièrement le
roit civil et le droit public. Il prend
quelquefois, contre lui, le parti de
Jean à Felden. En 1676 , Samuel Ra-
chélius donna au public son Traité
de Jure JValurœ et Gentium, et Va-
lentin Velthem publia son Introduc-
tion a l'ouvrage de Grotius , en trois
tomes. Jean-Georges Knipis publia
aussi un Collège sur le même Grotius,
en 1682. Gronovius enrichit de sa-
vantes notes le même livre de Gro-
tius, l'an 1680. M. de Courtin le tra-
duisit en français , l'an 1687 * .
M. Becman le publia, en 1G91 , avec
des notes variorum, c'est-à-dire,
qu'il les prit des plus fameux auteurs
qui avaient travaille sur celui-là ;
comme sont Boeder, Ziéglérus, Osian-
der , Pufendorn", Simon, Gronovius
et quelques autres. Le Mémoire de
* Leclerc dit que Courtin , élant mort en l685,
s» traduction ejt un ouvrage posthume.
M. Chauvin ajoute qu'on a donné ,
en 1696 , une nouvelle édition de ce
livre de Grotius , in-folio , avec des
commentaires de M. Vandemeulen
(82). Notez que ce Mémoire sert d'in-
troduction à L'Extrait que M. Chauvin
a publié d'un commentaire de Joli.
Tesmarius in Mugonis Grotii de Ju-
re Belli ac Paris libros 1 1 1 , publié
à Francfort, in-folio, l'an 1G96. On
y a joint les Notes d'Ulric Obrecht
sur le même ouvrage de Grotius,
M Tesraar, décédé l'an i6g3, avait
travaillé à ce commentaire durant
vingt ans (83;. On réimprima à Franc-
fort - sur-l'Oder , en 1G99, m-4". ,
l'ouvrage de M. Becman dont j'ai
parlé. En voici le titre : ffugonis
Grotii de Jure Belli et Pacis libri
très, in quibus Jus naturœ et gen-
tium, item Juris publici prœcipua ex-
plicantur , cum annotatis autoris ex
postremâ ejus ante obitum cura. Ac
cesserunt excerpta annotationum va-
riorum virorum insignium in totunt
opus. Edente Joli. Christoph. Bec-
mano. Ainsi Grotius, cinquante ans
après sa mort, a obtenu un honneur
que l'on n'a fait aux anciens qu'après
une longue suite de siècles : je veux
dire qu'il a paru cum commentariis
variorum*. Je viens de lire, dans un
ouvrage de M. Créuius (84), que
Théodore Graswinckel écrivit l'origi-
nal de ce livre de Grotius , car il
écrivait et l'auteur dictait , ex ore
dictanlis Grotii , se excepisse , eosque
in onlinemdemum redegisse. Christo-
phle Arnoldus apprit de Graswinckel
même cette particularité , et l'inséra
dans une lettre qui a été imprimée
avec celles de Richtérus.
(P) Je parlerai de l'ouvrage que
Grotius a composé sur l'histoire du
Pays-Bas. \ Il comprend les choses
qui s'y sont passées depuis le départ
de Philippe II, jusqu'en 1608. Il est
divisé en annales et en histoire : les
. (82) Il fallait dire Vander M. ulen. Voyez
l'extrait de son livre , dans "Histoire des Ou-
vrages des Savans , nov. ifx)5 , pag. 11'i et JittV.
(83) Chauvin, Journal des Savans de Berlin,
pn%. 3iG, 317.
* La même chose a été faite pour un autre ou-
vrage de Grotius. M. J. C. Kœuherus a donné
à Magdebourg, en 1^34, '7^9 «' 'T'i". une édi-
tion en trois volumes in-8°. , du livre.De la Vé-
rité de la Religion chrétienne.
(84) Thomas Crenius , knimadv ., part. V ,
pag. 204.
286
GROTIUS.
annales contiennent V livres ; l'his-
toire en contient XVIII , et com-
mence à l'année i588. Casaubon , qui
en avait lu quelque chose dès l'an
i6i3 , en parle avantageusement , écri-
» cre sa passion et de parler bien de
» ses ennemis , comme s'imaginent
» beaucoup de gens qui jugent des
» autres par eux-mêmes (91)- " Si
l'auteur cjui parle ainsi s'est plu à
faut de Londres a M. de Thou (85). marquer ce bel endroit de l'ouvrage
Il observe qu'il y avait XXI livres de Grotius , ce n'est point par flatte-
dans cet ouvrage. Il n'avait pas bien rie ; car il le blâme peu après dans
compte ; mais peut-être que les deux une chose qui devait être blâmée : il
vu le jour qu'après la mort de son nés ni à Rome aussi obscurément que
auteur; M. Grotius ayant eu ses rai- Thucydide et Tacite ont écrit. C'est
sons pour la tenir prisonnière pen- sans doute en voulant s élever au-
dant sa vie (86) Madame Grotius dessus de l'usage commun qu'ils sont
refusa d' accorder a M. Sarrau le tombés dans l obscurité que l'on re-
manuscrit de cette histoire pour la prend avec raison dans leur style,
somme de deux mille livrées (87). Elle On ne saurait nier que ce style ne
fut imprimée à Amsterdam, chez soit affecté , et que ces auteurs n'aient
Jean Blaeu, l'an 1657, in-folio, et l'an cru rendre leurs histoires recomman-
i658, /rc-12 (88). Elle a été traduite dables par une éloquence mâle, s'il
en français par M '. V Héritier (89). On Jaut ainsi dire , où il semble que l'on
fît à Paris une nouvelle édition de la exprime beaucoup de choses en peu
traduction française, l'an 1672 , in- de mots, et qui est au-dessus de la
folio. Voyez l'extrait cpie M. Denys portée du vulgaire. Je ne comprends
en donna dans son septième me- pas quel goût ont pu avoir en ceci
moire concernant les arts et les scien- d'habiles hommes qui ont entrepris
ces (90). Mettons ici le jugement de de les imiter, comme Hugues Grotius,
l'auteur du Parrhasiana. « On peut et Denys Vossius dans sa Version de
» joindre à Polybe un fameux histo- l'histoire de de Rheide. Car enfin les
» rien moderne, qui, après avoir bonnes pensées n ont que faire a" être
» souffert beaucoup par l'injustice obscures pour paraître bonnes aux
» d'un grand prince, n'a pas laissé connaisseurs; et le lecteur , quis'ar-
» de raconter ses belles actions avec vêle a tous momens pour chercher le
» autant de soin qu'aucun autre his- sens , ne se sent nullement obligé a
» torien , et de parler partout de lui l'historien qui lui donne cette peine.
» comme ses grandes qualités le me- Par-là, ils ont fait que d'excellentes
» ritaient, sans laisser rien échapper histoires , a l'égard de la matière, ne
» qui pût marquer qu'il avait juste sont lues que de peu de gens ; au lieu
» sujet de s'en plaindre. J'entends que , se proposant d'instruire ceux
» l'incomparable Hugues Grotius , qui entendent assez la langue latine
» qui a parlé , dans son Histoire des pour lire un historien avec plaisir, ils
» Pays-Bas , du prince Maurice de devaient tacher de se faire entendre
» Nassau comme s'il n'avait jamais eu sans peine à tous ceux qui ont poussé
n aucun démêlé avec lui. C'est là un jusque- lit l'étude de cette langue, et
» exemple remarquable de désinté- -se rendre utiles au plus grand nom-
» ressèment, et qui fait voir qu'il bre de personnes qu'il fût possible.
» n'est nullement impossible de vain- Plus une histoire est digne d'être lue
a cause des événemens qu'elle l'en-
(85) Colomiés, Bibliothèque choisie, pag. 24, ferme , plus elle mérite d'être répan-
e'dit. <le 161)9.^ due. L'autorité des anciens , qui ont
(SG) La même. négligé la clarté du style , ne saurait
,j). f,'""ne,vas' ... „ . mettre a couvert les modernes qui les
(88) lira aussi une fditiun m-S°. L édition - .. •_ •. . , / „ •
inWesi pleine de fautes d'impretsion. ont mutes , contre les raisons que je
(Sçj) Colomiés , Bibliothèque choisie, pag. î5.
(<,o) Pag. 85 des Mémoire» de M. Denys,
e'dit. île Paris, 1C72.
(ç|i) Parrhasiana , pag. 160
(ys) L'a même , pag. 1 79.
GRUTERUS.
viens île dire-, ou plutôt contre le bon
sens. Il n'y a rien en quoi Tacite mé-
rite moins d'être imite' que dans son
langage trop concis, et par-là néces-
sairement obscur. C'est néanmoins en
cela que l'on trouve plus de singes de
ce grand historien. Je suis bien fâché
que Grotius n'ait pas voulu éviter ce
piège. Le grand Bignon, qui désap-
prouvait ce style , avait persuadé à
l'auteur de le réformer. Amavil (Gro-
tius ) ubique orationem pressant , et
quddam dignilale gravent. .7 ijud uec
inhistorid sibi temperavit. Satis con-
stat , viruni nostri sœculi summum ,
omnisque doctrines . et auctorem et
censorem gravissimum , Hieronymum
Bignonium , ciun ineditas adhuc (îr<>-
lii Uislorias et Annales legisset , non
probdsse brevitatent oralionis , obscu-
ritati obno.iiam, in illo génère scrip-
turœ quod a perspicud venustate po-
tissimàm commendationem caperet ;
penèque Grolio persunsisse , ut rescri-
beret (§5). M. de la Neufville , dans
la préface de l'Histoire de Hollande ,
assure que Grotius avait commencé
de refaire son ouvrage *.
(0,3) Boeder. . prcefat. Commentai-, in Gro-
lium :1e Jure Bclli et Pacis , pag. m. 3o.
* Le père Niceron , dans son article de Thon ,
lom. IX , dit qu'on avait promis à Francfjrt, en
iri3, une édition , en trois volumes in-folio, de
l'Histoire de ce président; mais que cette édition
n'a pas paru. Joly observe que cependant les
Mémoires de Trévoux, février 1714, nous ap-
prennent que cette édition , accompagnée d'ad-
ditions , tirées d'un manuscrit de Grotius, a été
publiée a Francfort Malgré le journal de Tré-
voux et Joly , il est à croire que l'édition n'existe
pas. Les éditeur» de la Bibliothèque historique
delà France, tom. II, pag. 3^5, disent formel-
lement qu'elle n'a pas été exécutée. Il n'est d'ail-
leurs question de celte édition ni dans la Vie de
Grotius , par Burignr , ni dans le Manuel du
libraire , etc. , de M. Brunet.
GRUTÉRUS (Pierre) naquit
au Palatinat. Son père Thomas
Grutérus , qui s'y était réfugié
(a) à cause de la religion pro-
testante persécutée dans les Pays-
Bas , fut professeur à Duisbourg
(A) , et eut trois ou quatre fils
qui furent hommes de lettres
(B). Pierre Grutérus , dont il est
ici question , pratiqua la méde-
f<iï Yaler. Andréas , Biblioth. belg. , pag-.
287
cine dans diverses villes de Flan-
dre, à Dixmude, à Oslende, etc.;
et ne se loua pas beaucoup des
Flamands {b). Il fit imprimera
Leyde, l'an 1609, une centaine
de lettres latines , qui furent fort
maltraitées par l'imprimeur et
par les critiques (C). Il y affecta
un style tout plein de vieux mots
et de phrases surannées. Il quitta
Ostende, l'an 1620, et se retira
à Middelbourg. Je ne sais pas
s'il s'y arrêta long-temps, mais
je crois qu'il busqua fortune en
divers lieux , avant que de se
fixera Amsterdam, où les magis-
trats lui firent du bien (c). Il y
publia une nouvelle centaine de
lettres , l'an 162g (D) ; et y trou-
va la fin de sa vie, l'an 1634 [d).
Swertius (e) le fait natif de Zi-
riczée dans la Zélande , et sé-
journer en Italie quelques an-
nées *.
{b) Voyez la IIe. centurie de ses Lettres.
(c) Voyez l'épître dédicaloire de la IIQ.
centurie de ses Lettres.
(d) Valer. Andréas , Biblioth. belg. , pag.
74! .
(c) Athen. Belg. , pag. 618.
* P. Grutérus eut pour fils Isaac, <jue pa-
raît ne pas avoir connu Bayle, et qui cepen-
dant a publie quelque chose , ainsi que le dit
M. Barbier , dans son Examen critique et
complément des Dictionnaires historicités.
(A) Son père , Tliomas Grutérus
fut professeur it Duisbourg (1). | On
apprend cela par quelques lettres
qui ont été imprimées à la fin de la
deuxième centurie de Pierre Gruté-
rus, son fils , et dont quelques-unes
sont de ce Thomas Grutérus. Il avait
composé divers ouvrages (2I , et entre
autres l'Histoire de David George , et
la Réfutation de ses hérésies.
(B) Et eut trois ou quatre Jtls
Ci) Il l'était l'an i!6o et i56l. ("entur. H,
epist. Pétri Gruteri , pag. 197, 198.
(7) Ils n'ont jamais été imprimés : on en voit
la liste dans la cent. II, epist. Pétri Gruteri,
pag. 200.
288
GRUTÉRUS.
qui furenthommes de lettres.} Jacques
Grutérus , fils de Thomas, était pro-
fesseur en histoire dans l'école illus-
tre de Middelbourg , l'an 1604. On a
imprimé quelques-unes de ses lettres
à la fin de la deuxième centurie de
Pierre Grutérus , son frère , avec la
liste de quelques livres qu'il avait
composés , mais qui n'ont jamais été
imprimés. Reinier Grutérus, fils du
même Thomas , était principal du
collège de Casimir à Heidelberg.
Quelques lettres qu'il avait écrites à
son frère Pierre se trouvent à la fin
de la deuxième centurie dont je viens
de parler. On n'y a pas oublié la liste
de ses productions manuscrites. Jean
Grutérus, autre fils de Thomas,
quitta les études , et fit un voyage en
Italie, qui ne lui fut pas heureux ; car
ayant eu l'imprudence de disputer
sur l'eucharistie , il fut obligé de
prendre la fuite pour ne pas tomber
entre les mains de l'inquisition. Il se
sauva de nuit à Naples , et peu après
il se remit en chemin pour regagner
son pays; mais il mourut de maladie
avant que d'achever son voyage (3).
On a publié quelques-unes de ses let-
tres avec celles de ses frères.
(C) Ses Lettres latines furent fort
maltraitées par l'imprimeur et par
les critiques. ] Voici la plainte qu'il
fait au commencement de sa deuxiè-
me centurie (4) : Externa quoque
fata sœpè eas involvunt ; tjpographo
alibi sterlente, et correctoris ignavut
vacillante ; quœ sors meas cerle olr.iit,
nusquant prœlo magis famœ auloris
incidente , quibus si desidiam illius
associa , cujus fidei typorum curam
adscripseram , omnem excusationis
cumulum confeci. Cette plainte paraît
en cent autres lieux de l'ouvrage. Les
murmures contre les censeurs de la
première centurie ne sont ni moins
forts , ni moins fréquens. Son fils es-
père que la deuxième centurie sera
reçue plus favorablement. Varia J'ato
prima centuria flu.ctua.vit , iniqui su-
bindè censoris aciem experta , praut
rudi manu libram hnne vitio creati
judices versdrunt. Sed quifelices ado-
lescentiœ tua? primitias non bénigne
ventildrunt , fœcundœ virilitatis mes-
sem admirari distant (5). La vérité
■ (3) Pétri Gruteri Epis!., ceuturia II, pag. a3/}.
(4) Pag- 4-
(5) P. Gruteri Epist., ceotur. II , pag. 164.
est qu'on avait raison de siffler ces
Lettres ; et néanmoins un grand nom-
bre de personnes écrivirent à l'auteur
cent beaux complimens sur cet ou-
vrage , lesquels il ne manqua pas de
publier à la tête de sa deuxième cen-
turie. Ce qui doit apprendre à bien
peser ses paroles , quand on écrit à
un auteur vain , et dont les livres ne
sont pas bons. 11 faut toujours crain-
dre qu'un tel homme ne publie les
éloges qu'on lui donne , s'il en a l'o-
riginal. Pierre Grutérus avait pres-
senti qu'on ne goûterait pas l'aflécta-
tation de son vieux langage ; c'est
pourquoi il en fit une apologie par
avance , et l'imprima avec les pre-
mières Lettres (6).
(D) Il publia une nouvelle centaine
de Lettres.} Valère André se trompe,
quand il dit qu'Isaac Grutérus , fils
de l'auteur , la publia. Il paraît ma-
nifestement , et par l'épître dédica-
toire , et par la préface , et par une
lettre de Gilles^nouck, qui est en tête
des autres, que ce fut Pierre Gruté-
rus qui fit imprimer la deuxième cen-
turie. Cela même paraît par une
lettre de son fils Isaac , imprimée à
la fin du livre , avec un canuen gra-
tulatorium qu'il avait fait sur cette
e'ditiou , et avec quelques autres let-
tres q u'il avait écrites à diverses per-
sonnes.
(6) Centuria epislolarum et apologia , pro
eâdem qud instituti sui et slj'li ub usu et latinis-
mi puritate abhorrentis rationetn reddit. Yaler.
Andr. , Biblioih. bclg. , pag. <]^i.
GRUTÉRUS (Janus), savant
humaniste , et l'un des plus la-*
borieux écrivains de son siècle ,
naquit à Anvers , le 3 de décem-
bre i56o. Il était encore enfant
lorsque son père (à) et sa mère ,
proscrits pour la religion protes-
tante, par la duchesse de Parme,
gouvernante des Pays-Bas , le
transportèrent en Angleterre.
Sa mère , qui était savante (A) ,
fut son principal précepteur. Il
passa quelques années dans l'a-
cadémie de Cambridge , après
(aï Je parle de lui dans la remarque (B) ,
vers In fin.
GRUTÉRUS. 28c)
quoi il vint à celle de Leyde (B) , veloppée clans le saccagement
pour v étudier en jurisprudence, général de la ville d'Heidelberg ,
Il y reçut ledoctorat; maisdans l'an 1622. Avant que cette ville
la suite il ne s'attacha qu'aux fût prise il s'était retiré à Bret-
belles-lettres , et il publia bien- ten chez son gendre, d'où il
tôt des ouvrages de critique (C). passa a Tubinge. Il retourna à
Quoiqu'on sache en général qu'il Bretten lorsque les affaires du
voyagea, on ne saurait néau- Palalinat furent un pou moins en
moins marquer les circonstances désordre ; mais , parce qu'il s'y
et l'ordre de ses voyages. Il était trouva inquiété par les eatholi-
en Prusse lorsque Christien , duc ques romains (G), il se retira
de Saxe, lui fit offrir la chaire dans une maison de campagne
de professeur en histoire dans qu'il acheta proche d'Heidelberg.
l'académie de Wittemberg. Il II allait de temps en temps dans
l'accepta et ne la garda que peu cette ville, et il en était parti le
de mois, parce que Christien jour qu'il tomba malade de la
mourut bientôt , et que ceux qui maladie dont il mourut. Il en
gouvernèrent après lui oblige- partit le 1 o de septembre 1627,
rent tous les professeurs à signer pour s'en aller à Berhelden (d) ,
un formulaire , ou à renoncer à où il trouva la fin de sa vie au
leur charge. Grutérusaimamieux bout de dix jours. Il fut enterré
quitter la sienne , que de sous- à Heidelberg , dans l'église de
crire à des confessions de foi Saint-Pierre. Justement lorsqu'il
contre sa conscience (D). Je mourut, la nouvelle vint que
trouve qu'il a fait des leçons pu- l'académie de Groningue l'ap-
bliques dans l'académie de Ros- pelait à la profession en histoi-
tock(cV); mais je ne sais point re et en langue grecque (e). Il
ni quand ni comment il en sor- avait reçu plusieurs vocations de
tit Le lieu où il a professé avec divers endrois(H). Comme je l'ai
plus d'éclat est l'académie d'Hei- dit au commencement, c'était
delberg, où il eut aussi la di- l'homme du monde le plus labo-
rection de cette fameuse biblio- rieux (I). Il avait une qualité
théque (c), qui fut transportée à fort rare, c'était de n'être pas
Rome quelque temps après. Cet attaché au gain. Il ne se souciait
emploi lui convenait admirable- pas d'augmenter son revenu, il
ment, et l'aida beaucoup à pu- donnait largement l'aumône, et
blier un grand nombre de com- il prêtait de l'argent sans s'in-
iiieiitaires. L'un des plus utiles former trop si le débiteur serait
ouvrages qu'il ait donnés au pu- solvable (K). Il supportait con-
blic est un gros recueil d'inscrip- stamment les adversités ; et si on
tions (E). Rien ne pouvait être ne le vit point insensible à la
plus triste pour un homme de
son humeur, que la perte qu'il . (d)/Ia"°n de campagne d'Oswaidus
~. . 1 -H 1 1 11 Smendius , son gendre, a une lieue d Hei-
SOUttrit Par le pillage de Sa belle delberg. Moréri ne devait pas dire qu'il
bibliothèque (F). Elle fut en- mourut à Heidelberg.
■*■ (e) Tiré, ou de Balthasar Venator, au pa-
(b) y oyez la remarque (D) , citation (ro\ négyrique de Gmte'rus , ou de Fride'ric Her-
(c) Il commença de l'avoir l'an 1602. nian Flayder, de Vitâ et Morte Gruteri.
tome vu. • 19
290 GRUTÉRUS.
mort de ses quatre femmes , on que lui était si familière qu'elle pou -
remarqua pour le moins qu'il se vait lhu Gallien , en grec. Il y a très-
, . . t- -1 , « j ' peu de médecins qui en pussent
laissait consoler avec succès dans {-aire autant u sicut\bus du%s c<m.
cette a/ïliction domestique (L). stantiœ doctores utrumque parentem,
Sa plus violente querelle de lit— ita matrem prœcipuè studiorum ma-
térature fut avec Philippe Pa- g^ram , uotum simul Agasiclis con-
t, i -îi / Vv /-> i secutus est, ut eonim discivulus di-
reus. J en parle ailleurs (/) Cel- ceretur, quorum et fihus JseL Ma_
le qu'il eut avec Denis Godefroi ter enim prœter gallieam , italicam,
fut comme un torrent (M) : vio- brilannicam linguam, latinas litteras
lente, mais de peu de durée. Il ^"/nè' grcecasita callebat , ut et
„ ~ , * , , (raleiiiim , quod mdlesimus medicus
fit un fort bon usage des mal- Ulx soiet,-linguâ Galeni legerit. Je
heurs dont les dernières années crains que ceux qui ontpublié des ca-
de sa vie furent traversées. On talogues des femmes savantes n'aient
le peut connaître par les ré- ™™%t celle"ci un Peu troP sou"
flexions morales qu'il publia (g). (B) npassa quelques années dans
Sa curiosité, quelque grande C académie de Cambridge , après quoi
qu'elle fût, s'épuisait toute sur il vint h Lerle.] Il y étudia pendant
i •.•' i'^ J-*: '1 ~ sept ans , si l'on en croit Valere André
les matières cl érudition : il ne ,,* ' •. f A r . ,
, (3) , qui cite une préface de Cruterus
S amusait point a des nouvelles m£me f et qui ajoute que Grutérus
de ville , comme font tant d'au- avait demeuré en Angleterre depuis
très savans(N), qui ne se cou- l'âge de quatre ans *a , jusqu'à l'âge
! . • • a, j de dix-neuf, et qu avant voulu se
chent jamais sans être repus de fixer dans sa'pîrtri^ après avoir été
tous les contes qui courent. 11 ne reçu docteur en droit, il la quitta
s'amusait point non plus aux tout aussitôt , parce qu'on apprit
controverses (h) , et ce fut sans qu'elle allait être assiégée par le duc
t , ,, i .•£• ■ de Parme. Son père , qui était une
doule 1 un des motifs qui ericou- pcrsorme consi<lérable, et qui eut des
ragèrent l'un de ses antagoms- emplois dans cette ville pendant le
tes à l'accuser d'irréligion. Néan- siège , ne voulut pas que son fils y
moins il donna de telles preuves passât un si fâcheux temps : il l'en-
, ! - i»' r voya voyager en rrance. Ces calculs
de son attachement a I église n/soat ^^tes ; car ils supposent
protestante , qu il y a bien des que le duc de Parme assiégea Anvers
controversistes emportés et in- l'an 1 586, ce qui est très-faux ; il
iurieuxqui n'auraient pas assez l'assiégea l'an 1 584 : de sorte q»« si
\ - '. ' i i Grutérus avait quitte Leytlc , pour si;
de pieté pour en donner de pa- retirrr .. kme£ ayant £ sit.„(! n se.
reilles (0) rait faux qu'il eût étudié en Angle-
" . „ , _. terre jusqu'à l'âge de dix-neuf ans,
(f) Dans laremarçtwiC) de l articles- ^ - a L , mlant s t ans
REUs (Philippe , lom. XI. . 1 1 < 1 , r
(g) Sous te uire de B.Hiotheca Exul.im, Au reste le p.ere de notre Gruter
. sive Encliiridion divins lmmamcque pru- S appelait Gualtlierus : il lut bourg-
denii»'. mestre d'Anvers (4) : u signa cette
(h) Voyez les remarques ^D) et (G). fameuse requête *3 qui fut présen-
(A) Sa mère était sav aritè. ] *i Leclcrc dit que la inere de CmUr savait le
Elle était Anglaise (l) , et se nommait Rrec, le latin, l'anglais, le français et l'ilalien ,
Catherine Tishem (2). La langue grec- <-Rmm<\ "' cAl "'«»>' Pas dil <lans le lnte lat "
0 D transi rit par llayle.
(1) Frirlèricus Hcrmannus Flayderns , in Vità (s) 7" WbUoA. bclg. , pas;. 438.
et Morte Jani Gruteri. *' LecleiC dit que Valèrc André est ici dans
(a) Balthasar Venator, in Panewrico Gruter!, l'erreur.
apud Henninj. Witte, Memor. ul.ilosnul.nrum, (4) Flayderu? , m V,tà et Morte J. Gruteri.
«jratorum , etc. pt'g- a,7- *' Leclerc dit que cette requête est de i5CC.
GKUTÉRUS.
291
tée à la duchesse de Parme , et qui examinée (7). Il fut donc congédie'
donna l'origine au mot de- gueux.
Après sa proscription , il essuya bien
des traverses, avant que d'arriver à
Norwich , en Angleterre , où il s'ar-
rêta assez long-temps: ensuite il
s'en vint à Middelhourg , d'où il
passa à Anvers lorsque les Etats en
lurent les maîtres. 11 demanda au sé-
avec deux autres qui refusèrent île
souscrire ; mais il leur en coûta beau-
coup moins qu'à lui. Ils furent gra-
tifiés des gages de la moitié d'une
année , comme on le pratique en ce
pays-là , envers ceux que l'on licencie
avec honneur. Quant à lui, bien loin
de toucher cette gratification , il ne
nat exemption de toute charge, ce fut pas même remboursé des frais du
qui lui fut accorde' jusqu'au temps voyage. C'était le plus manvais cour-
qu'on se vit menacé d'un siège. Alors tisan du inonde : il ne songeait qu'à
non-seulement il fut capitaine de son ses livres, et ne s'amusait point à
quartier, mais aussi l'un des quatre gagner les bonnes grâces des favoris ,
intendans des vivres. Gualtherus vici
sui magister delectus est ; cui muneri
minus gravi successit deindè gravius ,
riun Parmensis obsidionem fecisset.
liei namque frumcntariœ quatuoTvir,
collegis Aldegondio , Lefdale et Rosre
adscitus , in partem gloriœ illms mil-
tendus est , quod annonœ conscien
par «les soumissions et par des visites
captieuses ; et il trouva qu'à tout
prendre , il lui serait plus avanta-
geux de renoncera cette somme d'ar-
gent , que de s'engager dans les em-
barras d'une sollicitation qui aufeit
tiré en longueur. Causa superiùs in-
dicatâ , quod purpuras aulicas ado-
ttam sic inter paucos septam lenuis- rare nescierat , pnncipi vero tormen-
sent ; ut dira deditionem • nec civi ,
nec hosti constare posset , tantiim
triduijrumentum superfuisse (5).
(C) II publia bientôt des ouvra-
ges. ] Les premiers fruits de ses veil-
les qu'il communiqua au public, fu
tum , aut supplicalionis continuée fi-
diculas adhibere sibi interdixerat.
Minus enim molestiœ inesse videba-
tur dispendio expedito , quant sti-
pendia aut prœmio intrieato (8). Voilà
le caractère naïf d'un véritable hom-
rent quelques vers latins. Il avait me d'étude. Mais je ne sais si l'on ne
environ vingt ans *. Famœ suce im- doit pas trouver étrange dans un
morlalis januam circa annum vige- homme qui avait tant lu , qu'il igno-
simum aperiebat venibus quos Ocel/os rât absolument ce que c'était que le
vocabat (6). Ensuite il publia à Wit- livre de la Concorde. Je ne crois pas
(6).
tenberg, l'an 1 5gi , Sugpicionum libri
IX -, in quibus varia scriptorum loca
emendata et explicata : et puis coup
sur coup il donna des notes sur
presque tous les auteurs de l'ancienne
Rome, sur les deux Sénèque , sur
Martial , sur Cicéron . sur Titc Live ,
sur Florus , sur Velleius Patercu-
lns , etc.
(D) // aima mieux quitter sa char-
ge, que de souscrire à des confessions
de foi contre sa conscience. } On
voulait qu'il signât le livre de la
pas
que l'esprit de notre Grutérus fût
d'une vaste étendue ; mais son appli-
cation extraordinaire , son avidité
immense de savoir une infinité de
choses , sa diligence prodigieuse à
entasser des recueils , lui firent ac-
quérir une espèce d'universalité que
la nature ne lui donnait pas. Pour-
quoi donc négligeait-il de s'instruire
d'une chose qui partageait les égli-
ses , et qui faisait tant de bruit par-
mi les théologiens ? Apparemment
son inclination le tenait fort éloigné
Concorde : il répondit qu'il ne savait ^es études de la controverse. Parlons
ce que c'était , qu'il n'avait jamais
lu ni vu ce livre; et que ce serait
une extrême témérité , que d'approu-
ver une chose que l'on n'avait pas
(5) Venator, in Panegyrico Gruteri , pag.
224.
* Il en avait vingt-sept, dit Leclerc. Ce pre-
mier fruit <le ses veilles était intitulé : Périclita
poetica. Le père ÏYiceron ne cite qu'une édition
d'Beidelbérg, i5S7 , in-8°.
(G) Flaydeius , in Vitâ et Morte Gruteri.
plus positivement : il désapprouvait
(-) Grutérus cum librum Concordiœ nec n-
distel ner legivxet unquam , nbsLinuil à subscrip.
tione , quod lemerarium essel et fatuum judicare
de re quant nen viderit , approbare librum
quem non legeris , Jtrmare sententiam quam
non contideraveris , subscribere divinis quai
cum divinis nondttm contuleris. Mitsionem igi-
tur prœlulil. Venator, in Panegyr. Gruteri,
pag. 244.
(8) Venator , in Panegjrico Gruteri , pag-
t>44-
292 GRUTÉRUS.
les disputes des théologiens (g) ; il ne donc sur nos gardes, quand nous lui
s'en voulut jamais mêler ; il ne se lit entendons dire (12) : Multas inau-
point de querelles de religion avec spicatas , inimicas et arcentes aves
ceux de l'église romaine; et de là moriales illi ubique ferè nanciscun-
vint qu'on le soupçonna de vouloir tur , nullas tamen infestiores hodiè ,
changer de religion. Venator, son pa- quant quœ de suggestu dira omnibus
négyriste , s'emporte un peu contre régnant , et populares animos odiis
ceux qui formaient de tels soupçons, asperant, quos vêtus augurum dis-
Voici comment il les traite (10) : Hue ciplina ignoravit , nisi, quia de sum-
accedit quœdam alia dementia , quœ mo vocem miltunt , Supervaganeas
frigere eos dicit in religione, quos in cum antiquis appelles , uut picarum
contentiones non vident ardescere. generi adscribas quodam coltegio na-
Pontificio non oblocutus es? Pontifï- turœ , quoniam utrisque par insolen-
cius haberis. Lutherano non relucta- tia, quam illis fabulœ tribunt , par
tus? Lutheranus audis. Calvinistae conviciandi et obtrectandi libido ,
non ilisultdsti? Calvinista es. IstlS Raucaque garrulitas, sliuliumque immane !••-
enim nominibus invicem discedimus. quendi.
Novi qui de GRUTERO proplei- Dicam clariiis. Sunt nonnulli ( absit
liane ipsam causant transilionem spar- enim ut omnes eâdem censura vexem )
si.'êuini Sicut et David Chytrœus , et in ipsd maire nostrd Germanid de
qubd /«academiâ Rostochianâ G RU- sacra online homines sacerrimi , qui
TERO , qui tune ibidem Suetonium velut divinarum et humanarum re-
legebat , conjunctior erat , et studium rum indices atque arbitri tantâ con-
rixandi aversabatur , Calviniani no- fidentid partent illam, quam nescio
minis invidiam sustinuit. Le panégy- 'nuis optunam et pessimam dixit ,
riste venait de parler fort sensément exercent, ut quidvis in quosvis nullâ
contre ceux qui aiment à disputer, cunî , verum anfalsunt intemperan-
et touchant le mauvais effet de l'es- ter effundant , auresque et Jidem
prit controversiste. On n'en devient vulgi ignobilissimd captivitate dam-
pas meilleur , dit-on , mais on en nent et servitute. Aliquis ipsis non
devient plus chagrin contre son pro- dédit ? avaritia : Non scrupulosè sn-
chain. Certamina talia semper ferè tis honoravit. ? arrogantia : JYon lau-
istis eventibus finiuntur , ut acerbius davit? ambilio : Non rudis est? in-
fîat odium inter partes , et nemo per vidia : Non assentilur ? inimicitia :
illa melior. Mira res est, qubd com- ntalum morem tangit : tum verb ca-
missionibus factionum , argumenlo- pitale odium eos jacit disertos En
rum versutiis , clamoribus , convitiis , voilà assez : il en dit beaucoup da-
mutuis execrationibus Deo nos gra-
tiores lîeri putamus , chm amor et
pax , et mansuetudo , et prœceden-
tium mater ftdes nobis rem conji-
ciant , quorum tamen po sir ema cura
Jiabelur, et inter disceptandum nul-
la. Hœreses odisti? Dicam quœ maxi
vantage ; que les lecteurs y aient re-
cours , si le cœur leur en dit.
(E) L'un des plus utiles ouvrages
qu'il ait donnés... est un gros recueil
d'inscriptions. ]V oici l'histoire de cet
ouvrage (i3). Martin Smétius , natif
de Bruges , employa six ans à par-
ma sit, hypocrisis. Hanc prias exua- courir toute l'Italie pour ramasser
mus. Quoties enim quisque de glorid des inscriptions , et les ayant jointes
Dei prius cogitât, quam de sud? à celles qui lui furent fournies par
Quolusquisque melius vivit , quant quelques personnes doctes , il les
disputât (1 1)? J'avertirai mon lecteur rangea dans un fort bon ordre. Marc
qu'il ne faut pas croy» légèrement Laurinus , seigneur de Watervliet,
ce que Venator avancWsur ces ma- grand amateur de l'antiquité, le pria
titres; car il paraît trop piqué au de lui en donner une copie , et lui
jeu, et trop plein de ressentiment promit de reconnaître dignement ce
contre les théologiens ; il en fait une pénible office. Pendant que Smétius y
description odieuse : tenons - nous travaillait , le feu prit à sa maison ,
et consuma tous ses meubles, et tou-
(9) Eral nouer alienut ah islis velilationibus,
ijuas nrc in aliis prubavit. Idem, pa%. 269. (>2) Ibid. , pag. 111.
(to) Ibid. (xî) Je la Lire de la Vie de Griller, composée
(11) Ibid. par Flayder.
GRUTÉRUS.
tes ses inscriptions , à la réserve d'u-
ne cinquantaine de feuilles , qu'il
avait mises à part dans un cabinet.
Laurinus, par prières et par promes-
ses l'encouragea à rétablir cet ou-
vrage dans sa première perfection :
cela fut fait ; et ainsi ce beau recueil
fut remis entre les mains de Lauri-
nus , qui , se pre'parant à se retirer en
France à cause des guerres civiles ,
prit avec lui ces inscriptions , et le
tre'sor d'anciennes médailles qu'Hu-
bert Goltzius avait rassemble' avec
mille peines, et avec mille dépenses.
Tout cela lui fut enlevé par la garni-
son anglaise d'Ostende. 11 ne fut plus
possible de recourir à Smétius ; car
comme il était ministre des réformés
à Bruxelles , il y avait été pendu par
les soldats. Goltzius épousa sa veu-
ve. Sur ces entrefaites Janus Douza,
étant allé en Angleterre par ordre des
Etats , acbeta d'un soldat anglais le
manuscrit des inscriptions , et le mit
entre les mains de Juste Lipse , qui
le fît imprimer avec quelques sup-
plémens. Grutérus preuant ces in-
scriptions , et les augmentant de
toutes celles qu'il lui fut possible de
ramasser , avec des peines inconceva-
bles , les mit en ordre et les publia
à Heidelberg , l'an 1601 , et il fut as-
sez beureux pour obtenir de Scaliger,
vingt-quatre indices que ce grand
homme prit la peine de dresser par
un travail de dix mois. Hoc Gruté-
rus tandem noster asinino prorsùs
labore ex laterilio marmorciun imo
aureum Jecit , nam et Mas pauciores
primo servavil , et omnes quotquot
unr/uàîn in toto orbe superf uerani
collegit inscriptiones , et easdem in
ordinem coëgit , et denique Cœsari
Rudolpho parenti publico perpetuo-
que slugusto dedicatum publicavit.
Cui ipsemet Josephus Scaliger in se-
nectd œtate , soto amore atque studio
quo Gruterum prosequcbalitr com-
pulsus, viginti quatuor Indices decem
mensibus continua Mis insudando
adjecit 04)- L'empereur loua beau-
coup cet ouvrage , et mit au choix
de Grutérus la récompense dont il
le voulait gratifier. L'auteur répon-
dit qu'il s'en remettait au choix de
sa majesté impériale , pourvu que la
récompense ne consistât pas en ar-
(i4) Flayder.,t'n Vitâ Grutcri.
293
gent : et lorsqu'il eut su qu'on son-
geait à lui donner des armoiries ,
pour relever dans l'empire la no-
blesse de son extraction , il témoigna
que bien loin de souhaiter de nou-
velles armoiries, il se [sentait trop
chargé de celles que ses ancêtres lui
avaient laissées. Là-dessus on con-
seilla à sa majesté impériale de lui
accorder un privilège pour tous les
livres qu'il publierait (i5j. Ce prince
y donna les mains, et voulut, de plus,
que Grutérus eût un caractère qui
lui donnât droit d'accorder des pri-
vilèges (16) : il lui destina la dignité
de comte du sacré palais : mais com-
me il mourut avant que d'avoir signé
les lettres patentes , cette affaire n'a-
boutit à rien. Grutérus se hâta trop
de témoigner sa reconnaissance. Dé-
créta res apud principem , approbata
in senatu Auguslo , relata ad prin-
cipem itérant , ut subscribendo ftrma-
ret, quod prœscripserat communi-
cando. Sed Cœsarem occupat'it mor-
bus , deindè fatum , quod bonus
acliones plerumque cuni autoribus
finit. Litterœ itaque quibus superiora
privilégia continebantur , sicut ejus
generis mille alia , more quodam dif-
ferendi , relicta sunt absque manu
imperatoris , absque signatione , nec
postea unquam productœ , quia nova
potestas faciliùs sua bénéficia ordi-
tur, quant aliéna absoluit , et nouis
curis occupala rarb succéda in obli-
gationem ueteris promissi. Itaque
Grutérus luculentissimum munus
nunquam accepit , et laudes Cœsatis
oplimi sic celebrauit , quasi integrum
accepisset (17).
(F) Il souffrit par le pillage de sa
belle bibliothèque. ] Elle lui avait
coûté douze mille écus (18). Oswald
Smendius, son gendre, travailla inuti-
lement à la conserver : il écrivit pour
cela à l'un des officiers généraux des
troupes du duc de Bavière : mais la
licence du soldat fut plus forte que
les bonnes intentions de cet officier.
Smendius ayant appris que la mai-
(i5) Venator, in Panegyr. Gruteri , pttg. a4l
et seq.
(16) Annuit igilur Ccesar de priiilegio , et in
ipso privilégia de privilégia ulttù cogilavil. Non
lanluin itlis quœ Grutero , sed et qutv concede-
ret Groterus. Cumilem eniin S. P alalii des igna-
vit. Idem , ibid. , pag. -ift.
(m) Ibid.
(18) Flayder. , in >it» Gruleri.
a94 GRUTÉRUS.
son de Grutérus était pillée, se trans- gione sibi molcstiam exhiberi. Tirai
porta à Heidelderg , et vit la dissi- enim noster alienus ab velilationibus ,
nation des livres. 11 tâcha de sauver quas nec in aliis probavit (21). Ce
du moins ceux que le copiste de n'était pas le fait d'un critique eom-
Grutérus avait transportée dans la bi- me lui d'ergotiser sur la controverse,
blothe'que électorale , et il fut sup- avec de jeunes jésuites nourris dans
plier le commissaire du pape de lui les subtilités de l'école ; et il ne vit
permettre de les retirer. On lui ré- point d'autre remède contre leurs
pondit qu'à l'égard des manuscrits , importunités , que d'aller demeurer
le pape avait donné ordre de les loin d'eux.
chercher tous avec soin , et de les (H) Il avait reçu plusieurs voca-
porter à Rome ; mais que , pour les lions de divers endroits. ] La plus
livres imprimés, on permettrait qu'ils mémorable de toutes fut celle de Pa-
fussent rendus à Grutérus, pourvu doue. On (22) lui offrit la chaire que
que Tilli l'approuvât par un billet la mort de Kiccobon venait de laisser
signé de sa main. Cette prétendue vacante : les gages étaient fort con-
courtoisie ne servit de rien , parce sidérables , et on lui promettait la
que Tilli fut inaccessible (19). liberté de conscience. 11 refusa tous
(G) // se trouva inquiété par les ces avantages , malgré les sollicita-
catholiques romains. ] J'ai déjà dit tions de Pinellus et de Velsérus. Il
(•20) qu'il n'avait jamais aimé les con- craignit de s'exposer à l'envie , par
troverses , ou les disputes de reli- un emploi si honorable et si lucratif ,
gion ; ainsi , se voyant importuné et il ne voulut pas se priver des exer-
par quelques jeunes jésuites qui n'ai- cices publics de sa religion. Erat ei
maient qu'à battre le fer , il leur religioni religio , sed et erat religioni
quitta bientôt la partie, en sortant ipsa pecuniœ sununa , quee cœteroqui
de Bretten. La première fois, il leur paucis nimia est, et multis oporiunu
répondit fort doucement, et les re- ad impielatem merces... Cultds enim
dressa sur quelque passage de saint divini libertatem publicam {quainvis
Augustin , qu'ils n'avaient pas bien prwatam recepturus) pro quibuscun-
rapporté 5 mais quand ils revinrent que divitiis sibi negabat esse venaient ;
à la charge , il se mit un peu en co- prœterea tant huihanum sciebat esse
1ère , et les traita de jeunes présomp- invidere aliénas félicitait , quant alie-
tueux , et leur allégua les honnête- rue virtuti r et hanc quidem propter
tés qu'avaient pour lui André Schot invidiam non esse deserendam , illuin
et Jacques Sirmond. Ipsum quoque verb feliciorem esse, qui non sit in-
juvenes quidam ex familid Jesuita- fetix , quant qui cum invidid felicis-
rum disputando sollicitabant , quibus simus (23). Cela est plus méritoire
ille primum placide respondit , et se- dans un critique, qu'il ne le serait
met etiam sententiam Augustini , dans beaucoup d'autres. Je trouve
quant non salis memoriter ipsi'memi- que Grutérus fut appelé en Dane-
nerant , ex libro prœsenti ostendit , marck , et que le connétable d'Esdi-
docuitque aliis verbis , et alio loco guiéres lui écrivit pour le prier de
extare , quod ab Mis et pro illisfue- venir à son service , et que Claude
rat allatum. Deindè citm nec dum d'Expilli et Charles Périnet , seigneur
désistèrent, quin ipsum talibus ob- de Maugarniac , l'exhortèrent à satis-
tenderenl , libertate resumtd , mirari faire en cola le désir de ce conné-
sedizit, ubi frontem reliquissent se- table (24). Les curateurs de l'acadé-
mibarbatuli juvenes, ut sperent do- mie de Franéker lui offrirent , l'an
cere senem sexagenarium, qui plurcs '624, la profession en histoire (a5).
patres in vitil legerit : quàm ipsi ( I ) C'était l'homme du monde le
.saltem vidissent. Jcsuitas sencs et plus laborieux. ] Combien y a-t-il de
primarios ( SCHOTTUM riomina-
bflt et SIRMOJYDUM) sibi mutllO («) Venator, in Panegyr. Gruteri, pag. 268,
honore litterarumcrue commercio co- 2'9' , ., ., . ,
1- n 1 • i- j i- (22) Idem ibul. , pair. 23q.
Il : nullam tamen ab istis de reh- , ..< ,.-j
Cir)) Tiré de Venator , in Poncgyr. Gruleii, (»4J Idem, ibid. , //ag. 275.
pag. 26S. (j5) Griller. , epist. al Hofinannum , inler
(20) Ci-dessus, remarque (D). luthu-naii,,* , pag. 5-jg.
G RU TÉ RUS.
?.95
tiès-savans hommes qu'on pourrait inier , en trois volumes in-8". , con-
appeler fainéans, si Ton comparait tient un grand amas de proverbes de
leur travail avec celui de Gruterus ? presque toutes les nations , avec des
Cum quo etiam doclissinti hujus œui, notes. Le second est une suite du
si laboris emensi respecta com/taren- PoLyanthca de Langius. Le 1er. volume
tur, desidiosissimi vocabuntur (26). de cette suite fut imprime à Stras-
Spizélius qui dit cela , l'avait em- bourg , Lan \6i\ , in-folio. Compo-
prunte de Flayder qui ajoute : Ciwi suit (3o) qttoque Polyanlheœ tomum
etiam Mi qui totci sud vitâ litteris as- tertium et quartum nondum tamen
sident, haie co/lati, quasi soniuo ac editos , qui si refera ni ur ad Langin-
inertice dediti erubescere cogantur, ni- num sunt Oceanùs ad guttulas. Il
si Gruteri labores callidihs dissimula- publia un Chronicon Chronicorum
re velint , qui/m rant/ii/iiis icstimare. ecclesiasticum et polilicum , en qu.i-
Le même Spizélius observe que Gru- tic gros tomes i'/j-8°. , à Francfort ,
ter publiait un livre presque chaque Tan 1614 , où au lieu de mettre son
mois : Nullusferè author sive grœ- nom, il mit celui de Johannes Gual-
cus sive lalinus e.rtabal ex antiquis , therus , en mémoire de son père (3i).
quein non notis ac comme ntariis suis II y avait un peu d'excès dans la
aut illustravit , aut illustrare potue- passion qu'il a eue de multiplier ses
rit , nciuo plura veterum recensuil livres, et de là vint que le choix et
monumenta et restituit, imô singulos le jugement ne re'gnaient pas clans
nuœ vilœ annos , ac propemodum ses ouvrages. JYon curât, disait Sca-
menses , libris singulis à se editis liger (3a) , utr'um charta sit cacata ,
distillait. Il étudiait tout le jour , et modo libros muftos excudat . . . quod
une bonne partie de la nuit, et ton- fecit Gruterus in Senecam, c'est la-
jours debout : Die toto maximdque beur d' écolier ou d'imprimeur. M. A-
sœpè noctium parte stans litteris melolde la Houssayc (33) a parle' avec
opérant navabat . . . stans scribebat , beaucoup de me'pris du travail de ce
stans legebat , stans studebat (27). critique sur Tacite, et il y avait long-
On croira facilement cette applica- temps que Baudius en avait fait
tion extraordinaire, quand ou con- un semblable jugement. Vidi quœ J .
sidérera le nombre de livres qui Gruterus ad eum auctorem annota-
sont sortis de sa plume, ou qu'il a vit. Diligentiam ejus in colligendis
réduits en un corps. Son Thésaurus varié sententiis improbare nejas sit.
Criticus (28) est de cette dernière Sed ( quod libère liceat ) commissio-
classe. Il y a ramasse en six gros vo- nés merœ sunt, et, ut flagitiosissimi
lûmes m-8°. une infinité de traités Caligulœ non absonum dictum in re
des plus excellens critiques , que l'on simili usurpent, arena sine calce.
aurait mille peines à trouver, s'il ne ** fidetur sibi proposuisse ad imi-
les avait rassemblés. 11 a rt-mlu le tandum rationem illam , quant secu-
méme service à plusieurs poè'tes mo- lus est Lipsius in admirabili et pra-
dernes , dont il a recueilli les œu- stantissimo opère de civili doctrine .
vres sous le titre de Deliciœ poêla- Sed Dii boni ! quant longo intcrval-
ram Gallorum , Jtalorum, Belga- lo , quant non passibus œquis vesligia
rufn , en neuf volumes (29). Il s'est seclatur (34).' On verra un autre pas-
donné à la tète de cette compilation sage du même auteur dans la remar-
ie nom de Manutius Gerus , qui est que (M).
l'anagramme du sien (*). Nous avons Cette application excessive aux li-
delui un double Florilegium. Le pre- vres fut cause apparemment de je ne
sais quelles boutades , qui faisaient
(26) Spizélius, in Felice litterato , pa
(27) Flayder. , in Vitâ Gruteri.
(28) Le titre est : Lampas , sive Fax arlium li-
beralium, hoc est Thésaurus Crilicus.
(29) Imprime' l'an 1608 , 1609, i6i4-
(*) M. Bayle devait dire Gherus , car il y a
ainsi au litre des livres dont il parle. Le père
Vavasseur a écrit avec un /:, mais niai, Gtu-
therus , pag. 20c) Je epiprammate liber et epi-
grammalum libri 1res, Parisiis , 1669, i'n-8°.
tvEM. CUIT.
I0-*2- dire à Commelin que Gruterus était
(3o) Ces paroles sont dans le Catalogue des
OEuvres de Gruterus , à la fin de sa Vie, par
Flayder.
(3i) Flayder, ubi supra.
(32) Scaligcraoa, pag. m 100 , 101.
(35) Préface de sa version de Tacite.
(34) Baudius, epist. Xlll,ce;i/ur. II, pag.
2Ô6 GRUTÉRUS.
fou etbien fou. En étudiant, quand il vait là-dessus, ne croyant pas que
n'entend pas quelque chose, il se de- l'insensibilité' fût une chose honora-
pite, et jette ses Hures par terre (35). ble. Il dit que l'une des quatre fum-
(K) Il prêtait de l'argent sans trop mes de Grute'rus pe'rit d'une mort
s'informer si le débiteur était solva- très-violente : elle tomba du haut en
ble. ] Quoiqu'il y eût été attrapé, il has de la maison , et se tua ; néan-
ne cessait point d'être d'une humeur moins son mari résista courageuse-
commode pour les emprunteurs , et ment à une douleur que les circon-
il s'estimait heureux de n'être pas stancesdecetaccidentdevaientrendre
une fille ; car , disait-il en plaisan- plus cuisante. 11 ne s'impatienta pas
tant, je n'aurais refusé personne : comme l'on fait ordinairement. Do luit
Et egenis bénigne dédit , et indigis Me quidem magnopere morte uxoris ,
prompte credidit ; ulrumque firtute àoluit ipsd specie mortis , doluit inopi
indolis , ckm tam crudele putaret non n<* viduitate ; sed post amissionem la-
dare esurienti , quam inhumanum nien uxoxis multkm abfuil ab amissio-
negare mutuanli. Et quamquam ip- ne sui,multkmab impatienliduulgari,
sius argentum non semel in mala quœ plerumqueckmcorrigere nonpos-
nomina inciderat, et obliuiosam fi- sitmalasua,corrigerei>ultDeum(38).
rlem , facientibus ex commodato do- (M) La querelle qu'il eut avec De-
num , quibus dignum erat ultra sor- ms Godefroi fut comme un torrent. ]
tem etiam usurœ loco reddere gratias ; Ce docte jurisconsulte avait autre-
non tamen desistebat Me , quoties ment corrigé que lui quelques en-
rogaretur, pecunias promere auxilia- droits de Sénèque , et tout aussitôt
res , ckm intérim subindè confitere- Grute'rus fit voler sur son critique
tur damnosam faciliîatem suant , di- un ouvrage qu'il intitula , Confir-
cere per jocum solitus : Bene secum matio suspiciotium extraordinariarum
actum , quôd puella non esset na- contra Dionysii Godofredi conjectu-
tus , haud dubiè enim nemini se ras et varias lectiones in Senecam
fuisse negaturum (36). L'ingratitu- philosophum. Il le publia à Francfort,
de ni la mauvaise foi de quelques- l'an )5gi : le feu de la jeunesse le fit
uns de ses débiteurs , ne firent pas passer au delà des bornes , et il en
qu'il se rendît plus diflicile envers fut bien fâché dans la suite , lorsque
les autres , en exigeant des cautions , Denis Godefroi fut son collègue (3g),
ou des promesses par-devant notaire, et qu'ils se furent réconciliés ensem-
II négligea même ces formalités Me. Le panégyriste prétend que cette
quand il paya le mariage de ses dispute est d'une telle nature , qu'à
filles. In se itaque potiks facetè lu- cause de l'érudition qu'on y trouve
sit, quam ingralos asperè perstrinxit, on serait fâché que ces deux criti-
aut propter hos inhumaniter alios ques ne se fussent pas querellés , et
rejecit , aut eosdem sponsoribus , tes- qu'à cause de l'emportement outré
tibus , aut scriptis publicis stipauit , qui y règne, on voudrait que leur
ut et ipsi in œre essent, et fides in querelle ne fût jamais arrivée. Le
custodiâ. Quem morem vu/gn recep- tour latin de Venator est plus heu-
tum noster ne tune quidem adhibuit. reux que ma traduction, comme on
ckm. majoris etiam momenti pacta va le voir. Quod. cerlamen inter ipsos
forent condenda , ckmjîliabus gène- cerlatum vix possis nolle quin uelis,
ros daret et dotent, nulld testium vix uelle quin nolis. j4deô multkm
conscientid , nulld formulariorum excidebat inter disceptandum huma-
curiositate , nulld <erd, quant soceri nioris doctrinœ, adeb multum rursùs
générique opus esse censebat (3^). i/diumanioris censura;. Gruterus ipse
(L) Il se laissait consoler avec suc- calorem illum juventutis sœpè poslea
ces dans cette affliction domestique. ] delestalus est Ckm enim optimus et
C'est ce qu'on peut recueillir des pa- doctissimus ille , quem GRTJil'.-
roles de son panégyriste, qui apiia- RUS paulo uehementiks antek teti-
remment n'a pas dit tout ce qu'il sa- gerat , Heulelbergam ipse quoque
docendi causa venisset, recoticiliatio
(35) Scnligérana, pag. ioi.
(36) Vrnalor, in Ponegyr. Gruteri, pag. 264. (38) Ibidem, pag. î56.
(37) Idem, ibidem. (3gJ II fut professeur en droit h Heidelberg.
GRUTERUS.
prim'um inler ipsosfacta est, deindè
secula propior notitia , et tandem apud
GRUTERUM pœnitentia scriptio-
nis , ut ila loquar , piperatœ. Nam si
mihi constitisset , inquiebat nostcr ,
Dionysium virum esse tant bonum ,
nunquhm quicqaam ntihi lantifuisset,
ut contra illum manum tam serià mi-
sissem (<jo).
Pour preuve qu'il s'e'tait réconcilié
sincèrement avec Denis Godcfroi ,
j'allègue une chose que je trouve
clans les Lettres de Baudius. Celui-ci
l'avait prie' de saluer de sa part ce
jurisconsulte; mais Grute'rus n'en lit
• ...
rien, parce qu il trouva trop maigres
les louanges que Baudius avait ciou-
ne'es à Godefroi , et il lui récrivit que
ce n'e'tait pas assez pour un tel hom-
me que de rappeler laborieux, et de
lui attribuer l'éloge de n'avoir pas
rendu de petits services à la juris-
prudence , mais qu'il le fallait louer
d'en avoir rendu de très-grands à
cette science , ou se servir même de
quelques termes plus forts. Baudius
s'offensa de cet avis , et parla tout-à-
fait de'sobligeamnient du bon Grute'-
rus , dans une lettre qu'il écrivit à un
savant de Hambourg. Quemadmo-
dum Grutero non fuit animas salu-
tandi meo nomine Dionysium Godo-
fredum , quia nimis pared manu
laudes et virtutes ejus eram persécu-
tas : quod et signifïcavit per lilteras
adjuncto nostro elogio , si forte me
ratio fugisset. Erat aulem taie, vir
lahoriosus , et non malè de jure me-
ritus. Dicere débiteras, inquit , opti-
mè , aut si qnid aliud ej)icacius.
Vide quid onens nobis injungatur ,
ut J'asces submittamus scilicel iis , qui-
bus oùx. èç-' voSî dpTiqpaiv. (Jnines ho-
minis dotes abundè complexus esse
videor, si dicam Sarcinatorem esse
probum suere centones optimè. Ego
malim in œternum ejerare omnem
scribendi copiam, quhm iali paclo me
posteritati œstimandum proponere ,
etsi hœc via et ad opes et ad œstima-
tionem ducit , oih\à. ^uctAMjv ctiV^vo/zai
x.a.1 ip.a.in<ji, xa;TÀçTœv io-oy.îvaiv <Tôç«ç.
Quamquam bonum illum Gruterum
( est enim vir minime malus , imb vix
capax malitiœ ) jirorshs habeo excu-
satum , si id œtatis liomo non potest
ablegare vanissimam illum gloriœ cu-
(4«) Venator, in Pancgyr. Gruteri , pag, 161.
'97
pidilalem , quœ nnnquàm senescil , et
(uti incomparabilis meus Tacitus ait)
sapientiam professis, novissima exui-
tur (4 1 ). Personne , ce me semble , ne
sera fiiche de savoir à quel propos
Baudius écrivit cela. Si quelqu'un
vous demande de mes nouvelles , ve-
nait-il de dire , ayez la bonté de le
saluer i/c mu part , quoique je ne vous
aie point parlé de lui ; car je ne pense
pas qu on se de fie de vous a un tel
point , ou que les gens soient si ridi-
cules en votre pays , qu'ils ne veuil-
lent croire que ce qu'on leur donne a
lire (4^). Là-dessus il raconte com-
ment Grute'rus s'était comporte' à
l'e'gard des complimens qu'il l'avait
prie de faire. La commission fut refu-
sée, parce qu'on ne s'en voulait ac-
quitter qu'en montrant les propres
paroles de Baudius. C'est une ser\ i-
tude qui n'a point de lieu dans le
commerce de lettres des honnêtes
gens.
(N) Il ne s'amusait point h des
nouvelles de ville, comme tant d'au-
tres savans. ] L'auteur que je cite
condamne les hommes doctes qui
donnent dans cette curiosité. Selon
lui , c'est se repaître de cent médi-
sances, c'est vouloir connaître les
mauvais desseins des marâtres et 1rs
tentations des veuves : que dis-je les
tentations ? le latin porte les gros-
sesses ( 43 ). Grute'rus était louable
de n'être point amateur de ces nou-
velles (44)- Quamquam in omni
artium ac scienliarum indasine cu-
(40 Baudius , epist. IX, cent. II , pag. m.
164 , i65.
(42) Quœso te quolies in quempiam incident
cui veniat in mentent nostri , ne graveris euin
verbis noslris impartiri sainte , tametsi nihil eu
de re nominalim caveam. Non enim arbilror aut
tilti tam par'um esse fidei , aut veslros homines
aaeb ineplire , ut nihil nisi inspectis signis et
tabellts ciedere smtineant. Idem , ibid. , pag.
164.
(43) Nec pri'us in dulcem déclinent lumina
nisi exacliasiuiè â sui similibus congerronibus
cognôrint,
Qnid loto fiai in orbe,
Quid Seres , quid Thraces , agant , sécréta
Etpueri, quis omet, quis decipiatur aduller;
Imô quis viduain prœgnantem fecerit et quo
Mense
Flayder. , in Vitâ Gruteri. Voyez Juvénai , sat.
VI , vs. 4oo.
(44) fores, tom l , pag. ^g , la remarque
(H ) de V article Alting ( Jacquesj.
•98
GUADAGNOLO.
riosissimum semper se exhibuerat ,
alienissimus tamen fuerit ab omni re-
liqud curiositate ,sive7roxw7rpa.y(Ao<rûvn,
quœ haud rarb doclissimis quibusdam
n'unis est familiaris ac domestica , ut
ubique tibi obvii , nil nisi novitates aut
rurnusculos aniles ad innocentium ac
simplicium , ut vocant, mortalium ci-
tant macula inurendam fabrefactos ,
aucupentur, et impetuosorum instar
ventorum atque turbinum , non modo
vestes hominum , sed œdtum quoque
parietes atque facta intima stipulent ,
nec pi'iùs in dulcem (45) : la suite est
à la note (43).
(0) On l'accusa d'irréligion. Néan-
moins il donna de telles preuves de
son attachement h V église protestante,
que peu de controversistes en donne-
raient de pareilles.] On dit que Plu-
lippe Pare'us l'accusa d'avoir plus
d'estime pour une sentence d'Apulée
ou de Pétrone , que pour tous les
préceptes de Jésus-Christ : son athéis-
me est connu , ajoute-t-il, et sa froi-
deur pour la religion. Vnum Appu-
leii aut Petronii effatum pliais facit
qiùnu infinita Setvatoris nostri Trttfcty-
'yixy.a.Ta.. IVotus quippe est ejus ÀB^nr-
fA-oç, et in sac'rd religione «\,uX(,o<r»ç
frigus (46). Je ne saurais vérifier au-
jourd'hui si le jésuite Jacques Gret-
sérus , que l'on cite sur cela , s'attache
scrupuleusement aux paroles de Phi-
lippe Paréus ; mais je puis bien dire
que l'index de l'un des ouvrages (47)
de ce dernier contient cet article :
Gruterus scurriliter illudit religiosis-
simis Salvatoris mysteriis; et cet au-
tre , Gruterus *9soç et theologiœ sa-
crœ ignarus. On est l'envoyé à la
page 334 , et Ton y trouve ces paro-
les : Abi Grutere ; et théologie a
mitte , quœ nihil ad crilicum tuuin
umbonem. Tuum est , confliclari cum
blattis ac tineis : non scrutari myste-
J'ia sacra , quœ nunquam didicisti ;
immo quœ adspernari solitus es,criti-
co plané et asinino supercilio. Ceux qui
saurontque la tendresse de conscience
obligea Gruterus à refuser une signa-
ture (48) dans un temps où ce refus
(45) Flayder. , in Vitâ Grutcri.
(46) Pliilipp. Pareus , leste Jacobo Gretsero.
Voyez la IV'. partie des Anlraadversiones de
M. Crénius , pag. \lii.
<^) I nlitule' Analccla Plaulina. Il fut impri-
mé à Francfort, l'an 162'}.
(48j Vojez la remarque (D).
le privait de son emploi , et à rejeter
une chaire de l'université de Padoue
(49) , parce qu'il n'y eût point trouvé
un exercice public de sa religion ,
que penseront-ils de l'audace de celui
qui l'accusa d'athéisme ? Qu'en pen-
seront-ils lorsqu'ils verront que ce
prétendu athée répondait à ceux qui
lui proposaient cette alternative, il
faut sortir du pays , ou changer de
religion ; J'aime mieux le premier
que le dernier; si je ne puis passer
mes jours dans une ville , je les pas-
serai aux champs ou dans les bois ;
Dieu m'y fournira quelques herbes
ou quelques racines qui entretien-
dront le peu de vie qui me reste *.
Ciim juberetur ad aliam religionem
trahsire , aut exire foras , hoc malo ,
inquil , quàm illud. Si non licebit
vivere in urbe , licebit in agris aut in
silvis. Aliquid semper Deus suppedi-
tabit radicis aut herbre , quod spiri-
tum hune alat , non diù moraturum
(5o). Sont-ce là des témoignages d'a-
théisme ou d'indifférence de religion?
Ne sont-cc pas plutôt des preuves
d'un véritable zèle , préférables à tout
le bruit et à toutes les tempêtes avec
quoi l'on soutient mille disputes et
l'on damne toutes les autres commu-
nions ?
(4çi) Voyez la remarque (H).
* M. Boi^sonade , dans la Biographie univer-
selle , XVIII , 56S , observe que ce n'est pas à
Gruter , mais à Scbed , son vieux et fidèle ser-
viteur, que Véuator, cité par Bayle, attribue celte
réponse.
(5o) Venator, in Panegyr. Gruteri,p.Tif. 272.
GUADAGNOLO * ( Philippe) ,
lecteur en arabe et en chaldéen ,
à Rome, dans le collège de la Sa-
pience, avi XVIIe. siècle, fut vin
des premiers que l'on employa à
la traduction arabe de l'Ecriture,
après que la congrégation de
propagandâ fide eut résolu de
satisfaire en cela aux désirs de
quelques prélats orientaux qui
avaient présenté une requête au
pape Urbain VIII, environ l'an
* L'article que Cliaufepic' a consacre' à
Guaâagnolo n'est qu'un «virait des Mémoires
<lc .\i< ''l'on,
GUAGNIN. 299
1624 **. L'archevêque de Da- Yindigénat (a), sous le règne de
mas, et le père Guadagnolo *a Sigisiuoud Auguste , mais pour-
furent chargés de composer la vu aussi du gouvernement de la
traduction; mais quelque temps forteresse de Witebsk. 11 y com-
après il n'y eut que ce dernier manda pendant quatorze ans. Il
qui soutint cette fatigue. 11 fut se tourna enfin du côté des let-
fort soulagé sous le pontificat très , et composa une histoire de
d'Innocent X; car il ne fut Pologne (A). Il mourut à Craco-
chargé que du soin de corriger vie, l'an 161 4 , à l'âge de soixante
la version. Il mourut à Rome le et seize ans. 11 ne fut jamais ma-
27 de mars i656 (a). On fait rie. Il portait les titres de Corne*
beaucoup de cas d'un livre qu'il
a publié contre un docteur ma-
hométan (A).
"' Cliaufepie' croit que la requête des e'vé-
<fues d'Orient est antérieure à 1622 , puisque,
d après INiceron , qui cite le Toppi et Corsi-
£nani , Guadagnolo aurait commence sa ver-
sion dès 1622.
*'2 II était, dit Leclcrc, de Tordre des clercs
mineurs , et après y avoir fait profession
en 1612 , il fut dans la suite procureur gé-
ne'ral.
(a) Tiré du Giornalc de' Letterali , du 29
de janv. 1672, ou V on fait ment ion de celle
version de la Bible, oui parut enfin à Rome ,
l'an 1671 , en trois volumes injolio.
(A) On fait cas d'un Hure qu'il
a publié contre un docteur vudtomé-
tan. ] C'est une apologie pour la reli-
gion chrétienne, contre les objections
d'Ahmed BenZin Alabeddin. 11 la pu-
blia en latin , à Home, Tan i63t , et
puis en arabe, l'an 1637. Le sieur Théo-
dore Hackspun (1) déclare qu'il n'a
rien vu de meilleur contre le maho-
métisme , que ce livre-là. Notez que
le père Guadagnolo publia Lingute
jtirabicœ Institutiones , in-folio l'an
1642.
(1) In Tractatu ad librum Nizaclion R. Lip-
manni adjecto, yag. 3^3 , apuil Creuium de
Philologiâ , pag. 321.
GUAGNIN (Alexandre), na-
tif de Vérone, et Polonais natu-
ralisé, se rendit illustre et par
son épée et par sa plume. Il eut
des charges considérables dans
les armées polonaises ; et y ayant
fait paraître sa valeur, tant aux
guerres de Livonie et cle Mol-
Palatii Laterancnsis , et eques
aura tus (b).
(a) C'est-à-dire, du privilège d'être censé
noble polonais.
{b) Tiré de Starovolscius , pag. 101 , 102,
'EjcaTGVTciif&ç Seriptorum pwkaÉcorum.
(A) // composa une histoire de
Pologne. ] En voici le titre , selon
l'eVUtion de Francfort , 1 584 , «'«-8°. ,
chez Jean Wechel. Rerum Polonica-
nuii tond très : quorum primus om-
nium Po/oniœ regiim, a Lecho primo
genlis duce , ad Slephanum Batho-
reurn , etiamnum régent : tum princi-
pum Lituaniœ chronologicam recen-
sionem , ac singiilorum res gestas
complectitur : adjeeld recens histo-
riarunt in nos tram œtalent inciden-
tium continua narratione. Secundus,
provinciarum , quœ uno Sarmatiœ
Kuropeœ nomine vulgo veniunl ,
choix) graphie tint descriptioncm conli-
nel. Terlius res singularitcr a Polo-
nis in Valachià gestas , orationes
item et epis/.olas sceptri Polonici ne-
golia concernentes habet- jilexandvo
Ouagnino t équité aurato peditumque
prœfecto authore. Le libraire Sigis-
mond Feye'rabe'nius , qui Fit la dé-
pense de l'impression , de'dia l'ou-
vrage à Marc Fugger , seigneur de
Kirchberg et de Weissenhorn , et lui
parla des grands services qu'Antoine
Fugger , son père , et Jean-Jacques et
George Fugger , ses oncles, avaient
rendus à ia ville impériale d'Angs-
botirg , lorsque Charles-Quint se pré-
parait à châtier la sédition des habi-
tans. Starovolscius observe que (Jua-
gnin composa cette Chronique de Po-
logne l'an \5,]&,puro et nitido sermone
lalino , et la fit traduire en polonais
clavie , qu'à celles de Moscovie , par Martin Pascowski, L'an 1611 (1)
il fut honoré non-seulement de (i)Siarr)vois.'Ex«.T.Script.i,oion.,A<,i;?.iu;
GUALDRADE.
GUALDRADE , dame floren-
tine , illustre par sa chasteté :
elle en donna une preuve si à
propos, devant l'empereur Othon
IV Ça) , qu'elle obtint sur-le-
champ, pour récompense , la sa-
tisfaction d'être mariée fort
avantageusement (A) , comme on
le verra ci-dessous. Dante a fait
mention d'elle, et cela d'une fa-
çon bien glorieuse ; car , en par-
lant d'un fameux guerrier (B) ,
il le désigne par le caractère de
nepotede Gualdrade.
(a) II régnait vers le commencement du
XIIIe. sièij1
(A) Elle obtint sur-le champ, pour
récompense, la satisfaction d'être ma-
riée avantageusement. ] Pour com-
menter ceci je me servirai du vieux
gaulois d'un commentateur de Dante.
Ceste dame , dit-il (\), en ses jeunes
ans jut pucelle très belle et de bonne
grâce , fille de messire Belnicion
liant des Ravtgnans , ancienne fa-
mille de Florence , et une des bran-
dies de celle des Ademares. Un jour
il advint, comme l'empereur Olton IV
estoil a Florence en une assemblée de
dames , qui se faisoit a cause de la
jeste de saint Jehan Baptiste , qu'il
Jut esmeu merveilleusement de la
beauté de ceste fille, et demandant a
qui elle appartenait , Belincion , son
père, se trouvant prés dudict empe-
reur, en présence de tous respond :
(Ju elle estoit fille de celuy qui se
faisoit fort de la luy faire baiser. La
fille , oyant les parolles du père , et
picquée d'une honeste vergoigne , en
se levant gaillardement dict : Mon
père , je vous prye ne soyez si libéral
d une chose qui me touche si fort.
Car vous me permettrez , s'il vous
//laist , que je vous asseure que ja-
mais aucun ne me baisera , s'il n'est
mon espoux légitime. L'empereur fut
estonné d'une si chaste et prudente
responce en si bas aage , et soudaine-
ment fit^ venir l'un de ses barons ap-
pelle Guido , voulant que sur le
(i) Oranger, Commentaire sur le chant XVI
lin l Knfei de Dante , pag. 182.
champ elle l'espouse , et en dot luy
donna le Cassentin et partye de la
Romagne , et honora son mary du
tiltre de comte , duquel tire son ori-
gine la famille des comtes Guidons.
Dudict Guidon et de Gualdrade
nacquirent deux fils , Guillaume et
Ruggier.
(B) Dante en parlant d'un fa-
meux guerrier. le désigne par....
nepote de Gualdrade.} C'est dans le
XVIe. chant de son Enfer : nous y
trouvons ces paroles :
Çuesto, l'orme di cui pestar mi vedi,
Tullo che nudo , e dipelalo vada
Fu di grado maggior, che tu non credi :
Nepote fu delta ituona Gualdrada :
Guidoguerra hebbe nome ; ed in sua vila
h'ece col senno assai , e con la spada.
C'est-à-dire , selon la vieille version
de Grangier :
Ceste ombre méprisée
Dont tu me voys piler les pas, quoy qu'altéré
Son corps soit du tout nud et pelé, d'une
gloire
Et rang plus grand il fut, que tu ne sçaurois
croire.
I celuy fut nepveu de la bonne Gualdrade ,
Qui eusl nom Guidomguerre , et en ses jours
assez
Par le glaive et conseil se maintint en pa-
rade.
Ce traducteur vous dira de plus , dans
son Commentaire (2) , que Ruggier
Guidoguerra , neveu de la belle Gual-
drade ,fut un valeureux chevalier et
homme d'une grande prudence et
conseil, si bien qu'en la bataille de
Benevento , entre Châties premier et
Manfredc , il fut réputé le principal
motif de la victoire qu emporta ledict
Charles , pource qu'il se trouva là
colonel de CCCC. chevaliers floren-
tins guelfes exilez, lesquelz , quelque
temps aprez , retournèrent a Floren-
ce , et , avec l'aydede Charles, chas-
sèrent les Ghibelins de ladicte ville.
Observons que Grangier se coupe lui-
même , quand il explique, dans la
page suivante, ce degré de parente'.
Dudict Guidon et de Gualdrade nac-
quirent deux fils, Guillaume et Rug-
gier ; et de Ruggier , Guidoguerre
qui pour ceste cause est neveu de
Gualdrade (3). Comment peut-on se
tromper si grossièrement ? N'est-il
pas visible que le fils du fils de Gual-
(r>) T. a même, p(tg. 181.
Ci) Là même, pag- 18a.
GUARIN. Soi
drade est le petit-fils , et non le ne- lie, au XI'e. siècle. ] C'est l'éloge que
veu * de cette dame. Je crois que le lui donne Le'andre Albert(i) : et voici
mot nepote , dont Dante se sert , se un passage de Paul Jove qui servira
doit prendre ici comme nepos dans la de second te'moin : Ab hoc insigni
bonne latinité ; le père Paul (4) et le vivo , grœcœ lalinœque li'.terœ obscu-
cardinal Pallavicin (5) s'en servent ris illis tetnporïbus antiqui seculi nor-
pourde'signerlespetits-filsdePaulIII. niarn, quadrutœque structurée ordi-
On peut donc dire que nepote ou ni- nem et aiùquœsitum decus receperunt
pote signifie quelquefois en italien un (2). Pogge reconnaît que les Italiens
petit fils ; c'est de quoi Francesco avaient de grandes obligations à no-
Alunno aurait dû nous avertir dans tre Guarin : Vir doctissimus , dit -il
son Dictionnaire des termes employés (3) parlant de lui, atque humanissi-
par Dante , par Pétrarque, par Boc- mus, cujus sludia et prœstans doc-
cace, etc. (6). trinâ plurimàm Italis profuerunt.
* L'auteur des remarques insérées Jans la Laurent Valla (4) appelle Grliai'ill et
Bibliothèque française , XXIX, pag. igq, pour Léonard Arétin les plus doctes liom-
excuser Graver, prétend que,,,,™ est cmdeyi mes Je ]elir si,\c|e. p|,i]clphe ( 5 )
par lui dans la seconde si,;i»li< ation , qu il n a j , ,-> i,/i i . .1
pa.cn français, du nepos du Laiins. Joly a donne a Guarin 1 éloge de tres-elo-
répclé celle observation qui ne détruit pas la quent.
justesse de la cr.tique de Bayle Gabriel Naudé me fournit une très-
(4J llistoria dcl concilio 1 ndentinc , lib. I. u ij',- ti j-. ,n. n
pas]. m. -5. bonne addition. Il dit (6) que Boc-
(5)Istoria del concilio di Trento , lib. III, cace , travaillant au rétablissement
cap,'^y,U ' "<"",? • P""- '" . 346-, „ des bonnes lettres , avança tellement
(6) Il eu intitule Délia Fabrica del Mondo. Il /„ . .,„ „' J> • n * \
y es, (parlé de nepote au n*m. xWt. le P™gres dicelles, que venant a
/^rTADTTvr -c i \- ' mourir en i3^5, il eut pour succes-
LrUAKJJN , natit de Vérone, seur à celte entreprise un Jean de Ra-
et disciple d'Emanuel Cltrysolo— venue, qui commença le premier h
ras, a été l'un des premiers qui out,riret rétablir les écoles h Denise,
' t „'. iri i n i ,, i desquelles sortirent Gasparinus , Qui
ont retab h es belles-lettres dans a, i /• - iw-i . t^ ■
.,_ .. ., pt le même a Milan, et Guannus
1 Italie, au A Y . siècle (A). Il en- Veronensis,
tendait bien la langue latine et Qui nisi prostrntasrelevâsset Uindilusartes,
la langue grecque , et il les en- PrisC0rum vanus st"el Ubor C*1)»
seigna avec beaucoup de succès, car ce flU lui> '" proprement parler,
»>An,;^ ^.,* - \r • • qui commença de faire valoir l'élo-
premierement a Venise, et puis J,„„„„ , i' i r ?■ , „
\ „ ' ,1 quence et la plulosoplite , tant par
a ferrare {a). Le pape JNicolas ses voyages h Constantinople , où il
V lui donna ordre de traduire apprit la langue grecque, que par
Strabon (b) (B). Cette traduction sesPr^eplesdeiiiétorique , versions,
', -. i i ,. et autres livres ; mais encore plus par
était bonne pour le temps : di- le grand nombre de ses disciples , qui
sons le même des autres versions s'épandirent de Ferrare , ou il en-
de Guarin , qui sont celles de ceignait , par toute l'Italie, pour dé-
quelques vies et de quelques opus- cJarer la 8uerre au* "}eilles rêveries
i j ni x ti L . 'lu temps passe , et faire comprendre
cules de Plutarque. Il mourut à a ia jeunesse , P
Ferrare, le I 4 de décembre l46o Sensa lot auclorum mille indeprensa per an-
Ce) *. Tous ses écrits ne sont pas nos ("^-
des traductions (C). Ce qu'il dit ensuite n'est pas moins
(a) Vossius, de Histor. lat , pag. 58$. (i) In Descript. Italie, pag. m 722.
(ù) Gcsner. , in Bildiotli. , folio 285. (a) Jovius , in Elo^iis , cap. CX.
(c) Vossius . de Hist. lat. , pag 584 <3> PoSrt'»si l( in Piiilelplmm invectiva.
* Agéde qualre-vingl-dix-aiis, dit Leclerc, . ^ ^P"d Pogginm, secunda ,.. Vallam invec-
qui renvoie à la page h du tome I". du Mé- bv^ ^°-r" V°":us- ^J?'"; Iat' • pa=- 5,8/-
, L ° 0*' , , (n) tpist. ad Flavium Blnnlum, anno ii5o ,
nagianade. 171:., ou sont rapportées quel- „,,„,< Voss.u m, ibidem.
ques particularités sur Guarin. (6) Naudé, Additions à l'Histoire de Louis
(A) Il a été l'un des premiers qui ^.^am.Vpannonius, in élu* PaneS.
ont rétabli U's belles lettres dans l' ha- (**) Idem , ibid.
302
digne de remarque (7) : Quiconque
avait été h Constantinople , pour ap-
prendre la langue grecque , en reve-
nait comme en triomphe , et passait
pour quelque nouveau prodige , té-
moin ce que dit Joannes Unghérétus
ou Pannonius , évéque de cinq égli-
ses , du retour en Europe de ce Gua-
rinus feronensis ,
Vagns omnia rnmor
Gymna-ia Italix centeno murmure complet,
AffuUisse virum grrainâ qui Pallade solus
.Polleat, etduplicem pnestet silientibus haus-
tum(*).
(B) Le pape Nicolas V lui donna
ordre de traduire Strabon.} D'autres
disent que Guarin se porta à cette
entreprise par un esprit d'émula-
tion ; il ne voulut point céder à Gré-
goire Tiphernas , qui avait traduit
l'Asie de Strabon ; c'est pourquoi il
traduisit l'Europe de ce même géo-
graphe (8).
(C) Tous ses écrits ne sont pas
des traductions.'] Il puhlia quelques
GUARINI.
traite' de Sectd Epicuri; un autre , de
Ordine docendi (1) ; un autre, de
Ilegno adminislrando ; des notes sur
les fastes d'Ovide , et sur Catulle ;
dos harangues , des lettres, des vers ,
et la traduction de quelcpjes haran-
gues de Demosthène et de saint
Grégoire de Nazianze , etc. (2).
(B) L'endroit oh Gesner nous
apprend cela n' a pas été Lien entendu
par Henri Iïtienne.] Comparons ses
paroles avec celles de Gesner. Memini
me in Bibliothecographid Gesneri lé-
gère , Guarinum palrem {nam fuit et
naptista Guarinus ejus ûlius , quem
Gesnerus , etiamnum se de illo scri-
bente , claiiiisse Eervariœ ait , ubi
patris successor jam per annos très et
triginta linguam ulramque florentis-
simè docerel) scripsisse canonismata
in lingud gra?cd (3). Voilà ce que dit
Henri Etienne, et voici ce que l'on
trouve dans la Bibliothe'que de Ges-
ner. Claret usque hodiè Ferrariœ , ubi
"eV ««'«««""•J ". *" V TV:: pain suceedens , jam per annos très
traites de erammaire , cfuekmes let- t . . J ,' si
uaues uc gi,.uii i.« , i • -, et triginta utramque linguam floren-
tres, Quelques harangues, et quel- -...»,, ^ , 7 . " ■•/., ...
tissime docet et varia conscribit (4).
Peut-on trouver des passages plus
conformes que ces deux -là , me
direz-vous ? Oui, vous répondrai- je ;
car les paroles que Gesner rapporte ,
sont de Trithème : ce n'est point
Gesner qui dit claret usque hodiè ; et
c'est pourtant ce qu'a prétendu Henri
Etienne , et en cela il s'est lour-
dement trompe. Il aurait du rap-
ques vers (9)
(■}) Naudé, Additions à l'Histoire de Louis
XI, pag. 181.
(*) In Panegyrico citalo.
(S) Vojreu Vossius , de Hia. lat. , pag. 585.
(9) Gesner, in Bibliolh. , folio 285.
GUARINI (Baptiste), fils du
précédent, marcha sur les traces
de son père, et se rendit très-
illustre par l'intelligence des lan- porter le mot hodiè à l'an i4f)4 > que
gués savantes. Il les enseigna c
long- temps à Ferrareavec beau-
coup de réputation, et publia
quelques livres qui soutinrent
assez bien sa gloire (A).
Il était encore en vie , l'an
izjoj , et il y avait alors trente-
trois ans qu'il remplissait les
fonctions de la charge de profes-
seur aux belles-lettres, dans la-
quelle il avait succédé à son père
(a). L'endroit ou Gesner nous ap-
prend cela n'a pas été bien en-
tendu par Henri Etienne (B).
(«) Voyez la remarque (B).
(A) 77 publia quelques livres qui
soutinrent assez bien sa gloire.] Un
en cet endroit-là. Il est très-faux que
notre Guarin fût en vie, l'an 1 545 ,
qui est la date de cette Bibliothèque
de Gesner.
( i) Les Mémoires de Trévoux , septer„jre
170^, pag. 1O4G , apprennent que M. Struvins
a fml' réimprimer ce Traité, corrigé sur un MS.,
avec une préface sur les écrivains de semblables
méthodes.
(2) Gesner. , in Bibliotli., folio i3o.
(3) Henriciis Stephnnus, in Dialogo de benc
inttituendis Gra-ca- lingun" Stiuliis, pag. 116.
(4) Gesner., Bibliolh. , folio i3o.
GUARINI ou GUARIN (Bap-
tiste ) naquit à Ferrare , l'an
i53tf *. 11 s'est fait plus con-
naître par sa tragi-comédie du
Pastor Fido , que par tous ses
"En 1537, dit Glnguene, dans son His-
toire littéraire d'Italie , VI , 38o.
GUARINI. ?o3
autres ouvrages , et que par les II était arrière- petit-fils de
emplois honorables (A) que le Guarin le Véronais , et il ensei—
duc son maître lui donna *'. gna la philosophie morale dans
Cette pièce était son ouvrage fa- l'académie de Ferrare. Quelque
vori, et il le témoigna clairement grande réputation qu'il eût ac-
par la colère où il se mit contre quise par le poëme dont j'ai par-
un critique (B) , qui ne l'avait lé, il ne pouvait souffrir le nom
attaqué que d'une manière indi- et la qualité de poète , car il s'i-
recte. Il y a exprimési vivement maginait qu'un tel titre ne fait
les mystères de l'amour, qu'on point d'honneur à ceux qui le
prétend qu'il a été cause que portent , et les expose au mépris,
l'honneur de plusieurs person- On s'imagine, en lisant ses vers,
nés de l'autresexea fait un vilain qu'il les composait avec la der-
naufrage. Cela semble combattre nière facilité : c'est un abus; ils
fort puissamment une maxime de lui coûtaient beaucoup de tra-
M. de la Fontaine (C). Je ne vail (G), bien des cliangemens ,
sais si le Guarini aurait voulu se et bien des ratures. 11 ne fut
défendre par une telle maxime , point frappé de la maladie d'a-
et s'il n'aurait pas trouvé plus masser du bien; et comme il ai-
court de recourir à une pensée mait un peu le faste , il ne
beaucoup plus commune (D). Je trouva point , lorsque la fortune
ne crois pas qu'il y ait rien d'aus- lui eut tourné le dos , les res-
si fort dans son ouvrage que la sources qu'une bonne économie
scène qui a été si bien traduite lui eût fournies, s'il eût ménagé
en français par la comtesse de la plus sagement les libéralités
Suze. Il y touche l'un des plus d'Alfonse II , son maître. Ce
incompréhensibles mystères de prince cessa de l'aimer ; et alors
la nature (F). Le nombre (a) Guarini s'attacha successivement
des éditions et des traductions à Vincent de Gonzague , à Fer-
du PastorFido *2 est incroyable dinand de Médicis , grand-duc
(b). Le cavalier Guarini mourut de Florence, et à François Ma-
à Venise dans une auberge , l'an rie de Feltri , duc d'Urbin , sans
i6r3 (F). Sa pompe funèbre, que tous ces changemens de maî-
par l'académie des humoristes , très lui apportassent autre chose
marque qu'il était fort considé- que la grande estime que l'on
ré(c). eut pour sou esprit et pour ses
"' ciiaufcpii:, qui annonce suppléer et cor- muses Use retira enfin dans sa
riger Baylç reconnaît lui-même qu'il est trje Qu Qn ]e consu[ta{t CQm_
■ assez dilncile de marquer au juste , par ordre, * '
les diffërens emplois dont il a été' revêtu. me un oracle touchant les moyens
f")Nic.ErytkHeus, Pinacoth. r, par. 96. de pacifier l'Italie (d) ¥.
Cliaufcpie remarque la plaisante bévue l
d'Aubcrt Lemire, qui a donné place au Gua- (d) Tiré de Jean Tmperialis, in Musœo
rini dans sa Bibliotheca ecclestastica, a cause Histor. , pag. t2<). i3o.
à\i PastorFido, qu'il a supposé être un livre " Alexandre Guarini, petit-fils de Baptiste,
de piété , où les devoirs des pasteurs étaient a donné la Vie de son grand-père, dans le sc-
représentés cond volume du Supplément du Journal de
{b, Louis Zuccolo loue beaucoup le Pastor Venise. \\ y a des additions dans le 35" vo-
Fido, dans son Traité délia Pastorale, pag-. lu me du Journal de Venise. Ginguerié* en
2J- corrige quelques Fautes dans son Histoire lil-
(c;, Nie. Erythr. , Pinacotb. I , pag. 97. Urain- d'Italie, tnm VII . pages 3t>2 et 3go.
3o4 GUAllINI.
(A) Par les emplois honorables.] (C) Cela semble combattre une
Voyez le Dictionnaire de Moréri , et maxime de M. de la Fontaine.] Ni-
joignez-y que Guarini , envoyé' par cius Érythréus ayaut dit que le Pas-
Alfonse II , duc de Ferrare , à Ve- tor Fido se réimprime presque tous
nise , harangua en italien devant le les ans , et que toutes les nations ,
sénat , et fut admire' ; et qu'après la quelque barbares qu'elles soient ,
mort d'Alfonse il fut envoyé par les l'ont fait traduire en leur langue,
Ferrarais à Paul V, pour le féliciter ajoute que peut-être ce n'est pas un
du pontificat (i). livre qui serve à la pureté des mœurs
(B) La colère où il se mit contre un (5) ; et voici la raison qu'il en allègue :
critique.] Jason Dénores (2) , natif de Etenim in ejus dulceiline suavilateque
l'île de Chypre , et originaire d'un tamquam in infesto Sirenis mari in
gentilhomme de Normandie , et pro- quo etiam Ulysses erravit , uirgines
fesseur en morale à Ferrare *, fit un nuptœque complures pudiciliœnau-
traité de poétique , où il maltraita fragiujn fecisse dicuntur Voyons la
une espèce de poésie dramatique qui maxime de M. de la Fontaine (6).
était devenue fort à la mode. Je parle
des tragi-comédies pastorales (3). Il
soutint que c'étaient des monstres
produits par des gens qui n'avaient
nulle connaissance de l'antiquité, et
contre les règles de l'ancienne poésie.
Guarini se persuada que cette cri- ,r 1 < „„„,, f „. „„f,„„ „„ t;„„
, 1 , .. ,n. . ., Voua comment cet auteur se tire
tique le regardait : c est pourquoi il 1, . 1 i j;/t„.,i»„' n~ *a
Irait-il après tout s'alarmer sans raison
Pour un peu de plaisanterie?
Je craindrais bien plutôt que la cajolerie
Ne mît le feu dans la maison.
Chassez les* soupirans , belles, prenez i<
livre,
Je réponds de vous corps pour corps.
tique le regardait : c'est pourq
composa une apologie contre Dé-
nores. Celui-ci répliqua , et mourut
pendant que Guarini travaillait à une
réplique si sanglante , qu'on croit
qu'elle aurait pu faire mourir le cen-
seur des Pastorales. Voici ce qu'en
dit M. de Thou. Baptista Guarinus
d'une très-grande difficulté. On se
plaignait que ses contes n'étaient
propres qu'à exciter mille désirs im-
pudiques dans Pâme de ses lecteurs :
il répond que si les femmes qui lisent
son livre ne laissent approcher d'elles
aucun galant, elles ne forferont point
. à leur honneur. Cette réponse sent le
lectissunus eques Ferrartensis , qui histe car clle dcmande une con-
sub id PastoremFidum magnoplau- (UJion ,e liyre même dont on se
su ubtque m Itaha exception edulerat, j-^ £n<j tres.malais(i a pratiquer.
eum sermonem ad injuriant sitam ^ yQulez nous lisions votre
pertinere existimans dejensionem liyre gt nQus chassions les sou.
sub nomme Verali pubhcavit quam -> . ^ éteg --^ d>exi
apologiâ contraria statim Denores ^ ■ yQs ^ noug ôt|nt
refutavit. 'o eu aum altérant aefensio- 1 <• 11 * _*~.
J ,. /o - J la force de chasser nos soupirans.
nem meditalur (jriiarinus , morte nu- r-i, ■%• . j? 11
. . ,■ ,■ r. ' • Elles nous remplissent d amour, elles
nime fatali Denores concessit , quœ , u a- \ „ii»„ „„„„ „Jv^,..>
. . ,■/, . . . r... , 1.1 nous échauffent , elles nous embra-
nist dticctissiim lilu caUumtate uisset 1t e t l- •» » •
,' Tlr ■ ,J ■ sent , elles nous font souhaiter vio-
prœcimtata , altérais I erati lectione . .1 > i „ „„„
1 ,' ' .... „ rr, . . lemment la présence de ces mes-
acce/crari potiusse crédita est. lanta J • „„.■!„„ ^„>i,
. , K , ■ ■ 1 * sieurs : vous avez bonne grâce après
siquu em vi etoquentiœ simul et aspe- . j j* _ „' _„ .„„.. „..,.
.' , * . ,. r. cela de nous dire que pourvu que
ritate ac verborum amaritudine in
Jasonem invectus est Guarinus , ut
Archilochum ipsum in Lycambeh
ïambos stringentem eo scripto supe-
rdsse passim jactaretur (4).
(1) Nicius Erytlirwus , Pinacotti. I, pag.çfi.
nous les chassions , il ne nous arri-
vera rien de fâcheux. On peut faire
une autre difficulté à M. de la Fon-
taine , c'est que lors même que l'on
chasserait les soupirans, on se trou-
verait exposé à plusieurs passions
™ 7vT,V T — •./"•e-a- verait expose a plusieurs passions
(2) Tlinan., /. XCIX.p. ira, ad ann. i5qo. . * . , x i 1 i 1
* C'est à Pa.loi.fi et non a Ferrare que J. De- impures excitées par la lecture de
nores professait , dit le père Niceron.
ses contes. Et n'est-ce pas un assez
(3) Inler alia quœ scripsil cum de poètied pran(J mal? Pour faire Une bonne
disserens tragicomœdias pastorales quœ hodie "
inler Italos usuroantur , lanquam monstra quœ- ... „ . . ,. «r-
dam et nullo velerum exemple , contraque poë- (5) Momm fartasse mtegrttaU non utUts. Ni-
ticte priscœ levés ab imperiùs rci anliquariœ m- ™las Erythrœns , Pinacotb. I , pag. .,(..
troducta exagiltîtsel, etc. M. , ibid. (6) Elle est dans l'un de ses Contes. [Les Oies
f 4) Idem , ibid.
le frère Philippe. ]
GUARINI. 3o5
apologie de cet auteur, il faudrait l'ingegno sagace vi s'abbandona so-
pouvoir supposer que son livre n'est pra. E quindi è (cred'io) che in Eu-
point capable de préjudiciel- à la ripide, e Giuvenale (10) leggiamo
chasteté, et qu'il n'y a que la vue notate d'impudiziu le donne ai lel-
des objets aimables et la cajolerie levé antiche , le quati kggendo libri
de vive voix qui nuisent à cette di cose lascive , e convenandç sotto
vertu. Mais c'est ce qu'on ne saurait quel prêtes to di lettere più libera-
supposer, s'il est vrai , comme on le mente ton g/i huomini , che si conve-
prétend , que la lecture du Pastor niva alla aèbotezza c/el sesso si fe-
Fido ait perdu beaucoup de femmes cero ardite , e la libidine loro s intér-
êt beaucoup de filles. Voilà donc vorô nell'ozio , e la sagacith de' fin-
ition texte suffisamment commenté. gegno s'ojferse di ricoprire gli eccessi.
Quand ce que l'on conte des mau- (D) // aurait peut-être trouve plus
vais effets de ce poème serait faux , court de recourir à une pensée beau-
il ne laisserait pas d'être vrai que la coup plus commune-] Il aurait pu
lecture de certains livres est très- dire que sa pastorale n'apprenait
pernicieuse aux jeunes gens de l'un rien de nouveau à ses lecteurs ou
et de l'autre sexe. 11 y a des méde- que si les jeunes gens y rencontraient
cins qui ont ordonné la lecture des quelque chose qu'ils ne savaient pas
priapées à ceux qui ont de la peine ils l'auraient apprise ailleurs • de
à s'exciter aux combats d'amour (7) ; sorte qu'd n'aurait servi de rien de
et j'ai observé que l'empereur Mi us ne pas donner au public le Pastor
Vérus , prince qui s'abandonnait aux Fido. Un ami de M. de la Fontaine a
voluptés impudiques , avait toujours touché délicatement cette sorte de
dans son lit les poésies amoureuses justification. Il est de la prudence
d'Ovide , et qu'il faisait un grand cas des personnes commises à l'éduca-
des vers de Martial. Idem Ovidii li- tion de la jeunesse , dit-U (11) , non-
bros Amorum in lecto seniper ha- seulement de leur (12) en interdire la
buisse : idem Marlialem epigrnmma- lecture, mais encore a' empêcher au' ils
dicité , entre autres raisons, parce prennent ce qu'on ne doit pas savoir.
qu'elle fait connaître mille saletés C'est insinuer fort clairement que, de
qui sont dans les livres Par-là il la manière que l'on se comporte dans
explique d'où vient que plusieurs le inonde, ceux qui n'apprendraient
femmes savantes , dont l'antiquité point par le livre de M. de la Fon-
fait mention, ont été fort impu- taine, ce qu'il serait bon qu'ils igno-
diques. Voici ses paroles (9) : Che rassent , l'apprendraient par cent
simdmente le lettere sieno cagioni autres voies. On s'est servi d'une
d'eccitar la libidine, e di parturire semblable pensée (i3), pour réf u ter
molli atti osceni, non c du dubilarne ; les injustes plaintes de ceux qui ne
posciache col leggere accidenti , e voudraient pas que l'on retranchât
stratagend amorosi , e libri lascivi , e de Juvénal et de Martial les endroits
parlicularmenle nelle solitudini , e ne sales. Cette manière d'apologie est
gli ozi , che richieggono le lettere , plus supportable que la maxime de
s'appresentano fantasmi osceni , e M. de la Fontaine , et néanmoins elle
pensieri , e voglie di cose illecite sotto n'est pas bonne ; car enfin quelque
apparenza di gusto , e di dilelto ; e inévitables que puissent être les dés-
(7) Medici , in hit PaulusjEgineta disertis (>°) H n'est pat vrai qu'Euripide et Juvénal
verbis ad exciiandam longuement Venerem vel les accusent de ce de' faut. Juvénal ne cent point
prœcipuutn remedium prœscribunt Priapeorum '/ne l'un épouse une savante; mais il n'en donne
et similis poeseos infamis nssiduam leclionem. point de raison. Euripide en donne pour raison
Casauhonus , in htec verba Persil, sat. I, vs. ici: t/ue Vénus le* rend plus rusées, l'oyez Muret ,
Cumcarmina lumbum ' Variar. lect. lib. VIII , cap. XXI.
1 titrant, et tremulo scatpunlur ubi intima (n) Préface des Contes de l'édition d'Atn-
versu. slerdam, i685.
(8) Spartian., in M.Y10 Vero, cap. V. (12) C'est-à-dire, des Contes de la Fontaine.
^ (9} Pensieri diversi di Alessaudro Tassoui , (i3) Voyez les Nouvelles delà Républiquedes
lib. HI, cap. XI , pag. 227. Lettres , o'etob. îfjSJ , art, V, png. 792 , 793.
TOME VII. 20
3o6
GUARINI.
ordres, lors même qu'on n'y con-
tribuera pas , chacun doit mieux
aimer qu'ils viennent d'ailleurs que
de son intervention. Et notez que
ceci concerne ceux qui inventent des
histoires sales , ou qui les traduisent
avec de nouveaux ernbellissemens, et
non pas ceux qui citent un passage
de Martial , etc. comme la preuve
de quelque fait dont la nature de
leur livre , ou leur caractère "d'histo-
rien , de commentateur , etc. , les
oblige à faire mention. Quant au
reste , il faut convenir que tout ce
qu'on peut apprendre d'impuretés
dans certains livres se communique
sans l'aide des livres , par le moyen
des conversations. Il n'est pas croyable
combien de choses savent là-dessus
des personnes qui sont encore dans
la plus tendre jeunesse , et qui n'ont
jamais su lire. Les piogrès de cette
science sont surprenans, et ne de-
mandent pas bon nombre d'années.
Écoutons Montaigne (i4). Qu'elles se
dispensent un peu de la cérémonie ,
qu'elles entrent en liberté de dis-
cours , nous ne sommes qu'enfans au
prix d'elles en cette science. Oyez-
leur représenter nos poursuites et nos
entretiens , elles vous font bien con-
naître que nous ne leur apportons
rien qu'elles n'aient su et digéré
sans nous. Serait-ce ce que dit Pla-
ton , qu'elles aient été garçons dé-
bauchés autrefois ? Mon oreille se
rencontra un jour en lieu , où elle
pouvait dérober aucuns des discours
faits entre elles sans soupçon : que ne
puis-je le dire ? Notre-Dame , dis-je ,
allons à celte heure étudier des
phrases d' Amadis , et des registres de
Boccace et de V Arétin , pour faire
les habiles : nous employons vrai-
ment bien notre temps : il n'est ni
parole , ni exemple , ni démarches
qu'elles ne sachent mieux que nos
livres : c'est une discipline qui naît
dans leurs veines, et mentem Venus
ipsa dédit, que ces bons maîtres d'é-
cole, nature, jeunesse et santé, /<•/,;•
soufflent continuellement dans l'âme:
elles n'ont nue faire de V apprendre ,
elles l'engendrent.
Nec lanlum niveo gavisa est uUa coltirnbo
Compar , vil si quid tlicitur improbius ,
(i4) Essais , lit
iî5 , «îG.
/// , chap V ,
Oscula mordemi seuiper decerpere ruaiio
Quantum prœcipué itiulli vola est mulitr (*).
Elles s'apprennent ces choses les unes
aux autres : les vieilles instruisent
les jeunes ; et si les ignorantes dé-
sirent passionne'ment la science , les
savantes n'ont pas moins d'avidité' de
communiquer leurs lumières : on di-
rait qu'elles regardent comme cano-
nique l'axiome qu'il ne sert de rien
de savoir, si l'on ne fait connaître à
autrui ce que l'on sait (i5). Ainsi
l'éducation italienne, ce grand soin
d'ôter aux filles la conversation des
garçons , n'ôte point le mal ; outre
que dans les pays de captivité on
leur permet de se trouver à des
noces pêle-mêle avec les hommes.
Or peut-on voir une école d'impu-
reté plus scandaleuse que les assem-
blées, les divertissemens , les repas
de noces ? Combien de sottises , et
combien d'obscénités n'y dit-on pas
(16)? Saint Cyprien avait raison de
ne vouloir point que les vierges y as-
sistassent : il leur déclare qu'elles
n'en remporteront qu'une virginité
estropiée (17). Quasdam non pudet
nubentibus interesse , et in illd lasci-
vientium libertate sermonum collo-
quia incesta miscere; audire quod
non licet dicere : observare et esse,
prœsentes inter verba turpia et temu-
lenta convivia , quibus libidinum
f ornes accenditur, sponsa ad patien-
liam stupri , ad audaciam sponsus-
animatur. Quid illic discitur? quid
videtur? Quantum à proposito svo
virgo déficit, quando , pudica quai
venerat , impudica discedil ? Corpon-
licet virgo ac mente permaneat , ocu-
lis , auribus , lingud , minuit Ma quœ
habebat (i8j. Voyez ce qui sera dit
(*) Nulle colombelle , ou s'il est rien dt
plus saffiemrnt lascif , pillanl sans fin les bai-
sers a sua pair d'un bec tnordtllant , n'est point
si âpre et si gloutonne en ses appétits qu'une
femme. Cat. 109.
(i5) Vsque adebne
Scire tuum nilul est , nisi le scire hoc scia,
aller?
Pers. , sat. I , vs . î5.
(16) Voyez le passage de saint Cyprien qu'or,
va citer.
(17) Cyprianus , de disciplina et babitu Vii-
ginum, cap. XI V.
(18) Bartbius , in Claudian. , pag. 776 ,fail
ici une note qui n'est pas mauvaise. Ita etiam .
dit-il, ultimo édita suiit sancti viri vciba ; scrip-
sisse tamen arbitror, corpore licet virgo perma-
nent : al mente, oculi< , auribus, Imguâ , mi-
nuit illa quœ habebat. Sanè nisi mens tangere-
tur per sensus , minime minucrentur possessa.
GUARINI.
dans l'article de Lycurgue, remarque
(G), et souvenez-vous de la maxime
de Xe'nophon : il voulait qu'une
fiance'e entrât au logis de son mari
avant que d'avoir vu ni entendu que
très-peu de choses. 'O Eivoqav oiWai
, X"'cL J* dMOVTOLT'JLV ilÇ StVcTpOÇ /SotJlÇfîJV.
Xenophon censet sponsam ila debere
in mariti domum venin ut quant mi-
nimum t'iderit , qiùnn minimum audi~
vcrit (19).
(E) // touche un des plus in-
compréhensibles mystères de la na-
ture.] Il introduit une fille , qui se
sentant livrée à la discrétion de deux
tyrans ennemis (20) , porte envie au
bonheur des bêtes , qui dans leurs
amours n'ont point d'autre régie que
ramour même. Elle ne peut com-
prendre l'opposition qu'elle trouve
entre la nature et la loi. L'une atta-
che un plaisir extrême à certaines
choses, et l'autre y attache la ri-
gueur du châtiment. Sa conclusion
est celle-ci :
Sans doute , ou la nature est imparfaite en
soi ,
Qui nout donne un penchant que condamne
la loi :
Ou la loi doit passer pour une loi trop dure,
Qui condamne un penchant que donne la na-
ture.
Sans la révélation de Moïse, il n'est
pas possible de rien comprendre là-
dedans , et je me suis cent fois étonne'
({lie les anciens philosophes aient
fait si peu d'attention à cela. Je ne
parle que des philosophes qui ont
connu l'unité de Dieu ; car ceux *[ui ,
selon la religion de leur pays, admet-
taient la pluralité de dieux , n'ont
dû trouver là aucune difficulté : ils
n'avaient qu'à supposer qu'un dieu
était cause du penchant de la nature ,
et que d'autres divinités nous im-
primaient les instincts de la con-
science , et les idées de l'honneur. La
diliiculté ne regardait que ceux qui
étaient persuades que l'univers est
l'ouvrage d'un Dieu infiniment saint.
Comment se peut-il faire que sous un
principe de cette nature , le genre
humain soit attiré vers le mal par
une amorce presque insurmontable ,
je veux, dire par le sentiment du
(19) Plut. , de Pylliise Orac. , pag. 4o5 , C.
(10) L'Amour et l'Honneur. Voyei le sonnet
de l'Avorton.
307
plaisir, et qu'il en soit détourné par-
la crainte des remords , ou par celle
de l'infamie , et de plusieurs autres
peines ; et qu'il passe toute sa vie
dans ce contraste dépassions ; tiraillé
tantôt d'un cùté, tantôt de l'autre,
tantôt vaincu par le plaisir, tantôt
par la crainte des suites? Le mani-
chéisme est apparemment sorti d'une
forte méditation sur ce déplorable
état de l'homme.
(F) // mourut ii Kenise , dans une
auberge:] Il était allé à Venise pour
un procès, et il mourut de chagrin
et de vieillesse. Il avait été malheu-
reux toute sa ^ ie, parles traverses de
ses ennemis , si nous en croyons
l'auteur que je cite. Semper eu m
adversâ forfunâ iniquorum odio con-
flic ta tus (non enim malevoli tanto
viro déesse poteran£) demum clan Ke-
netias liliuin quarundam causa ve-
nisset, et ad cauponem divertisset ,
ibi senio curisque confeclus , excessif
è l'itd (ai). J'en cite un autre qui
s'est fort trompé quant à l'année de
la, mort de notre Guarini: il la met
à l'an 1690 (22).
(G) Ses vers lui coûtaient beau-
coup de travail] Voyons d'abord ce
que dit l'Impérialis. Insuper miran-
dum etiam , quod licet expedita Ma
carminumpangendorum ubertas, illa-
borata peniiùs , et sponlè fusa videa-
tur ; tamen ab ipso anxiè affectatam
ac diutino quœsitam studio ipsimet
( familiales ) asserunt , prœmonstran-
les extralias quasdam carminum suo-
rum. schedulas , freqtientissimis ex-
punctas ac immulatas locis , ex qui-
bus hercule peracris quidam , ac im-
plex: s scribendi arguitur labos(i'i).
C'est nous apprendre deux choses ,
l'une que les vers du Guarini ont été
faits avec une peine extrême, l'autre
qu'il semble qu'ils aient été compo-
sés avec la dernière facilité. Ceux qui
prétendraient que ces deux choses
sont incompatibles ne connaîtraient
guère les variétés de l'esprit humain,
et se persuaderaient qu'il n'y a point
d'autres compositions qui coûtent
beaucoup , que celles dont un lec-
teur fait le même jugement que l'on
faisait des harangues de Demosthène,
(21) Nie. Erytbr. , Pinacotb. I ,pag. 97.
(22) Aub. llirœus , in Scrlplor. sœc. XVI,
pag. 177.
■ 's<\ Imperialis, in Mu;;vo bister., pag- iro.
3o8
GUARINI.
Oient lucernatn , cela sent l'huile
(24). Mais il faut savoir que le ca-
ractère des esprits embrasse bien
d'autres diversités. Tel auteur fait
sentir à ceux qui le lisent toute la
peine qu'il a eue; et s'il corrige trois
ou quatre fois un certain endroit
avec des me'ditations qui le font pres-
que suer , on s'aperçoit que cet en-
droit-là sent beaucoup plus le tra-
vail, qu'un autre endroit qui n'a e'të
corrigé que deux ou trois fois. Mais
il y a des auteurs dont le travail et
la peine ne servent qu'à faire dispa-
raître tout ce qui ne sent pas une
extrême facilite' , et un air aisé et na-
turel, de sorte que plus ils retouchent
leur ouvrage , moins il semble à leurs
lecteurs qu'il ait été refondu , raturé,
et travaillé. Voilà quel était le ca-
ractère du Guarini(25). Son goût le
portait à juger que la perfection
d'une pièce de poésie consistait dans
les beautés naturelles , et d'un tour
aisé et coulant. C'est par -là qu'il
cherchait à mériter l'approbation du
public , et il s'apercevait avec beau-
coup de pénétration s'il restait dans
son ouvrage quelque chose de forcé,
et là-dessus ses révisions et ses cor-
rections ne tendaient qu'à effacer ces
petits restes d'embarras et de con-
trainte. Ainsi , il ne parvenait à faire
paraître coulante sa poésie , qu'à
force de la retoucher et de la polir.
D'autres écrivains sont d'un goût
tout différent; ils mettent la perfec-
tion à penser et à s'exprimer d'une
manière affectée , guindée , et qui
sente la fatigue d'une profonde mé-
ditation. Ils ne croiraient point s'ex-
primer heureusement et ingénieuse-
ment , si on pouvait les entendre sans
avoir besoin de beaucoup d'esprit et
de beaucoup d'attention (26) ; et ils
ne sont jamais contens , jusqu'à ce
qu'ils aient bien écarté de leur écrit
tout ce qui pourrait paraître simple,
naturel et ordinaire. C'est pourquoi
plus ils corrigent leur ouvrage , plus
font-ils connaître au lecteur la peine
qu'ils y ont prise. Elle est sans doute
(2/,) Plut. , in Demost. , png. 8^9.
(a5) C'est-a-dtre , si on en juge suivant les
paroles de 1 Impérial» , rapportées ci-dessus.
(sti) Quid , quod nihil juin proprium placet ,
dum parum creditur diserlum quod et aliut
dixisset ? ... tum demuin ingenioti scilicet si ad
intelltgendos nos opus s il ingénia. Quint. , lib.
VIII , in Proœm, , pag. m. 554-
bien grande , mais elle n égale point
quelquefois celle que prennent ceux
qui veulent que leurs ouvrages con-
servent partout un grand air de fa-
cilité. Quelques personnes , qui di-
saient le tenir de bonne part , m'ont
assuré , et je l'ai lu depuis quelques
jours dans un ouvrage public (27) ,
que Voiture n'a mis ses vers et ses
lettres en l'état où nous les avons ,
qu'après avoir bien sué à les corri-
ger. Son apologiste ne dit point Cela;
mais il insinue pourtant que l'adresse
avec laquelle ce bel esprit répandait
sur ses ouvrages un grand air de fa-
cilité lui coûtait beaucoup. J'espère
qu'on ne sera pas fâché de voir ici
un morceau de cette apologie. La
matière est assez curieuse pour mé-
riter qu'on la montre ici avec les
suffrages de quelques bons connais-
seurs. Sur toutes choses M. de Voi-
ture a recherché celte sorte de né-
gligence qui sied si bien aux belles
personnes , qui fait tant valoir les
avantages (te leur naissance , et
qui après avoir charmé les yeux ,
laisse encore à l'imagination le plai-
sir de se figurer ce que les grâces de
l'art auraient ajouté à celles de la
nature. Dans tout ce qu'il fait, il
paraît je ne sais quoi de si facile, de
si aisé, de si naturel, que chacun
d'abord se croit capable de travail-
ler avec un pareil succès ; et ce
n'est qu'après de longs et d'inutiles
efforts que l'on s'écrie , Questo facile,
quanto è difficile ! Je me souviens
qu'il ne désapprouva pas autrefois
que je me servisse pour lui , d'une
louange , que le Tasse donne à une
de ses héroïnes
Non sa ben dire , s'adoi na , o se ncgletta .
Se caso od arte , il bel vollo compose;
Di natura, oVamor, del cielo , aruici
Le negligenze suc sono artelici.
I
En effet, ce qui paraît négligence en
lui est un artifice caché, qui se déguise
sous la forme de son contraire , pour
agir avec plus d'adresse et avec plus
de sûreté. Et certes , comme la nu
titre n'est jamais plus admirable que
lorsqu'il semble qu'elle ait voulu ru
jiier les ouvrages de l'art , et, qu'élir-
ait eu envie de se faire la disciple de
(27) Dans les Mélanges d'Histoire et de Lit
térature de M. deYignewl Manille , pag. i?.''„
édit de Rouen.
son écolier , et l'imitatrice de son
imitateur ordinaire ; aussi l'art de
son coté n'est point en sa perfection ,
s' il ne contrefait le naturel, et s'il
ne couvre d'une apparence de facilité
ses soins, ses méditations et la vio-
lence de ses efforts. Les peintres de
Grèce représentaient les Grâces sans
habillement et sans coiffure , et s'ils
leur donnaient quelquefois des robes ,
c'étaient des robes sans ceinture, pour
marquer , sans douten que les agré-
mens qui charment le plus ne vien-
nent pas des artifices déclarés , ni des
ajustemens qui se laissent voir; et
surtout , que quiconque prétend de
plaire doit éviter V image et l'ombre
même de la contrainte. L'amour d'in-
clination que nous avons tous pour
fa liberté s'étend jusqu'aux produc-
tions de l'esprit, et nous naissons si
ennemis de sujétion et de servitude ,
que rien ne peut être si beau qu'il ne
perde tous ses attraits du moment
qu'il paraît forcé. Jamais personne
ne comprit mieux cette vérité que
M '. de Voilure, et n'employa plus d'in-
dustrie h cacher les machines dont
il se servait , pour tirer du fond de
son imagination les belles choses qu'il
nous a laissées. On dirait que les
/leurs naissent sous ses pas , ou
qu'il les trouve sous sa main par ha-
sard et sans y songer; que ce qui
vaut le mieux dans ses écrits ne lui
coûte rien, que tout cela lui tombe
fortuitement sur le papier , et lui
vient sans peine au bout de la plu-
me ; que tout cela, dis je , sort gaie-
ment sans aucun travail, que tout
cela coule de source, et d'une source
vive , féconde et inépuisable (28).
M. Pelisson, qui se connaissait si
bien en toutes sortes d'ouvrages d'es-
prit, e'taitfort persuade' qu'assez sou-
vent il n'y a rien qui coûte plus à
un auteur que de faire paraître que
son ouvrage ne lui a guère coûte' (29).
Deux choses, dit-il (3o), « rendent
)> surtout, la poe'sie admirable, l'in-
» vention d'où elle a aussi pris son
(28) Coitar , Défense des Ouvrages de M. de
Voiture , pag. 16, 17.
(29) Vincta qutedam quasi so'.vencla de in-
duslrtd sunl, ilta quidem maximi laboris , ne
Liborala videaiuur. Quintil. , lib. IX, cap. IV ,
P."g- ">• l&'r
(30) Pelisson, préface des OEuvres de Sarra-
sin, pag. 3o.
GUARINI. 309
« nom , et la facilité qui lui est très-
» nécessaire. Je n'entends pas la fa-
» cilité de composer; elle peut quel-
» quefois être heureuse , mais elle
» doit être toujours suspecte : j'en-
» tends la facilité que les lecteurs
» trouventdans les compositions déjà
» faites , qui a été souvent pour l'au-
» tcur une des plus difficiles choses
» du monde ; de sorte qu'on la pour-
» rait comparer à ces jardins en
» terrasse , dont la dépense est ca-
» chée, et qui, après avoir coûté des
» millions , semblent n'être que le
» pur ouvrage du hasard et de la
« nature.» Ce qu'il avait déjà dit
touchant la facilité qui paraît dans
les ouvrages des bons poètes, est ad-
mirable. On croirait qu'ils ne pou-
vaient pas dire autrement ce qu'ils
ont dit, quand même ils l'auraient
voulu , tant les expressions en sont
faciles. Ces paroles leur sont tom-
bées de la plume sans dessein; elles
ont pris naturellement chacune leur
place. Jm lyre d! \Amuliion ne faisait
pas , ce semble , de plus grands mira-
cles , quand les pierres attirées par
son harmonie se venaient ranger
d'elles-mêmes lune sur V autre, pour
bâtir les fameuses murailles de Thè-
bes (3i).
C'est ainsi que les lecteurs en ju-
gent ; mais l'auteur sait bien le con-
traire , et se souvient que les vers qui
semblent les plus aisés et les plus
coulans sont ceux qui l'ont le plus
obligé à se bien gratter la tête , et
à se bien mordre les ongles (32).
Il se souvient que c'est là qu'il se
servait du conseil d'Horace ( 33 )
avec le plus d'exactitude , et qu'il
ressemblait le mieux à ces anciens
philosophes qu'une profonde mé-
ditation aliénait de leurs sens.
Obsiipo capite, et figentes lutnine terrain
Murmura cutn secuin , et rabiosa siïentia ro-
dunl,
Âlque exporrcclo trutinantnr verba labcllo ,
(3i) La même , pag. î8.
(3ï) Et in ver su Jaciendo
Sœpe capul scaberet, vivos et roderet un-
gues.
Jlorat. , sat. X, lib. I , vs. 70. Conjer quee
Persius, sal. I , vs. 106.
Nec phileum cœdil nec demorsos sapil un-
gues.
(33) Ludenlis speciem dabit et torquebitur.
Horat., epist. II, vs. n4> Ub. II.
OIO
GUARINI.
/Egroli veterts méditantes somnia, Gigni
De nihilo nihil , '■> nibilum nil posse rever-
li (34)-
Il y a des exceptions dans tout ceci ;
car quelques poètes , comme Ovide
entre les anciens , et Molière parmi
les modernes , ont eu une extrême
facilite à faire des vers , où les lec-
teurs remarquaient sans peine celte
grande facilité.
Notez que M. Pélisson remarque
que cette sorte de facilité peut quel-
quefois être heureuse, mais quelle doit
être toujours suspecte (35). Cela me
fait souvenir d'une pensée de M. Go-
deau. La facilité de composer , dit-il
(36) , semble être un avantage; . mais
c'est une espèce de défaut , à cause
qu'il empêche que l'esprit, qui natu-
rellement hait la peine , ne porte les
choses au point de la perfection où
il serait capable de les mettre. En
effet la correction qui purifie les pre-
mières productions est plus fâcheuse
à ceux qui ont cette facilité qu'aux
autres qui en produisant les choses
les achèvent, èT en qui l'art travaille
plus que la nature. Cela ne s'accorde
pas mal avec les idées de Quintilien.
Ce grand maître veut que l'on com-
mence par composer lentement. On
parviendra par ce moyen à bien
écrire , d'où l'on passera à écrire
promptement; mais en se hâtant d'é-
crire , ou , ce qui est la même chose ,
en écrivant avec beaucoup de faci-
lité , on ne parviendra jamais à bien
écrire. Hanc moram et solicitudi-
nem initiis impero cita scribe n-
do non fit ut benè scribatur : benè
scribendo , fit uteitd^']). Que cette
facilité soit un défaut tant qu'il vous
plaira , il vaut mieux sans doute y
être sujet , que de ne pouvoir enfan-
ter ses conceptions qu'avec des tran-
chées insupportables ; et l'on est
bien plus malheureux quaud on ne
trouve jamais la fin de ses correc-
tions, que quand on la trouve un
peu trop tôt. M. de Balzac a été mis
dans le catalogue des auteurs qui se
(34) Pcrsius, sat. III, Cf. 80.
(35) Redeamus cul judicium et retrrtctemits
rwpeclam facilitaient. Quint. , lib. X, cap.
II I . pag.'txVi.
(3G) Godeau , -préface tle la traduction des
Psaume*. Conferquœ Quint. , lib. X, cap. III,
pag. m. 485!
Ci-) Quint-, lib. X, cnp. III, pas. 484.
l'avez, lom. XI , la citation (1) de l'article
OniCELLARICS.
rendent malheureux par un goût trop
difficile. Lisez ces paroles de Costar
(38) : « Dans les écrits de M. de Balzac
» rien ne coule sans peine, rien ne
» vient naturellement. Le travail y
» paraît si à découvert que les de-
» licats qui les lisent en sont fati-
» gués, comme ce fameux Sybarite
» qui suait à grosses gouttes des ef-
» forts qu'il voyait faire à un misé-
» rable manœuvre. Et certes il con-
» fessait quelquefois lui-même , que
» lorsqu'il mettait la main à la plu
)> me , il ne souffrait pas moins qu'un
» galérien qu'on avait mis à la rame.
» Ce n'est pas qu'il n'eût une gran-
» deur et une beauté d'esprit admi-
» râbles; mais c'est qu'il avait autant
» de peine à se contenter , que ce
)> rare personnage dont feu M. de
» Lizieux disait : Les belles choses
■» qu'il donne au public lui coûtent
» si cher que, si j'étais en sa place,
» je choisirais quelque autre em-
» ploi pour le seivice du prochain ,
» et ne croirais pas que Dieu désirai
» celui-là de moi. » On a quelque
raison de dire que les lecteurs s'a-
perçoivent aisément que les produc-
tions de ce fameux écrivain lui coû-
taient beaucoup. Ils n'ont garde de
s'imaginer qu'il leur serait très-fa-
cile d'écrire comme lui. Ce n esl
qu'en lisant un auteur dont les pen-
sées et les paroles ont un air aisé
que l'on se figure que l'on en ferait
bien autant. Mais on se trouve bien
loin de son compte quand on en vient
à l'essai ; on apprend alors par l'ex-
périence qu'il n'est rien de plus dif-
ficile que d'imiter ce qui paraît si
facile.
Ex notojiclum carmen setjuar , ut sibi qui:it
Sperel idem, sudet mullum , frustraque la-
borel
Ausns idem (39)
Ce jugement d'Horace est conforme à
celui qu'a fait Cicéron , en parlant
d'une espèce d'orateurs. Summissus
estet humilis , consuetudinem imitans,
ah indisertis re plus quant opinions
differens. Itaque eum qui audiunt,
(38) Costar, Apolog. , pas;. "i-r l'oyez aussi
les Pièce, pour In défense de la reine mère ,
tom. I , paç. m. fol , l\~i , oii l'on assure que
tout ce que Balzac pouvait faire , était «le polir
une période dans un jour , elqu'd perdait un four
pour logor une conjonction ou préposition,
(3g) Horat. , de Arte r""-'t- 1 M- --'."<
GUARINI.
ouanwis ipsi infantes sint . lumen il/o
modo conftdunt se posse dicere. JVam
orationis subtilitas imitabilis quidem
Ma i'idetur esse existimanti , sed >n-
hil est sexperienti minus (fa). Notez
qu'il y eut des gens qui dirent que
les orateurs de cette espèce étaient
les seuls qu'on pût appeler attaqués
(40- J'ajouterai ici qu'Ovide est un
de ces poètes inimitables dont l'imita-
tion paraît d'abord la plus aisée du
monde (4a).
(4<>) Cicer. , in Oratore, folio »ao, C. Voyez
aussi Isocrate, in Panalheiiaico.
(40 Quem solum quidam vocani Atùcum. Ci-
cero , ibidem.
(4a) Dictionern Ovidii qua non neinini tan-
q-.tatn m triviis invenienda vilescerel, esse ni-
mir'um ex eo génère rerum quas omnes inventant
inventas. Fam. Slrada , prolus. VI, lib. II, png.
m. 38o.
GUARINI ou GUARINIO
(Guaeiv), moine théatin , et
mathématicien du duc de Savoie,
était de Modène, et a fleuri au
XVIIe. siècle. On imprima à Pa-
ris ses Placita philosophica ,
l'an 1 666 , et à Milan , son Cœ~
lestîs mathematica ( A ) , l'an
1 683. Il ne vivait plus quand ce
dernier livre sortit de dessous la
presse *.
* Une lettre de Philelplie . dont Joly cite
un fragment , apprend que Guarin avait en-
seigné à Venise
(A) On imprima ses Placita
pbilosopbica et son Cœlestis
GUÉBRIANT. 3*1
(A) , et sœur de René du Bec ,
qui épousa la comtesse de Moret.
maîtresse de Henri-le-Grand.
Elle avait eu un frère aîué , qui
fut tué en Italie par des bandits
(B). Elle fut chargée de mener
au roi de Pologne la princesse
Marie de Gonzague , qu'il avait
épousée à Paris par procureur, et
ou la revêtit d'un caractère nou-
veau (a), ce fut celui d'ambas-
sadrice extraordinaire. M. le La-
boureur , dans la relation de ce
voyage, ne paraît pas avoir rap-
porté sincèrement l'issue du dé-
mêlé de l'ambassadeur de France
(C) ; mais d'ailleurs M. Wicque-
fort n'en a point parlé exactement
(D), et y a mêlé sans raison notre
maréchale. Elle soutint digne-
ment son caractère. C'était une
femme d'intrigue , et douée de
fort grandes qualités (E). Sa né-
gociation de Brisac n'a pas été
bien narrée par M. Priolo (F).
Ce n'est pas la seule faute qu'il
ait commise par rapport à cette
dame. Cela peut servir à la pré-
server de quelques mauvaissoup-
çons (G). Il ne faut pas croire
légèrement tout ce que Guy Pa-
tin a dit d'elle (H). Cela nous
fournit une remarque, où l'on
mathematica.] Chacun de ces deux verra eQ quei temps elle mourut.
ouvrages est in-folio. Le premier est n j i » „ ..„.„„..
& i i -, i- s 1,1 Un verra dans une autre reinar-
un cours de philosophie , dans lequel .....
l'auteur s'étend principalement sur que 1 erreur d un e* main alle-
la physique, et s'écarte beaucoup mand (I; , qui a fait des notes
des sentimens ordinaires de l'école.
Vovez le Journal des Savans du 29 de
novembre 1666. Quant à l'autre ou-
vràge , \t renvoie aux A.cta Erudi-
torum Lipsiensium (1) ceux qui ne
Tout pas.
(1) .1/oii de juin 1GS4, pag. a5().
GUÉBRIANT (Renée du Bec ,
maréchale de) , était fille de Re-
né du Bec, marquis de Yardes
sur Priolo. Il ne faut pas oublier
que cette dame se croyant mésal-
liée par le mariage qu'on lui avait
fait contracter avec un homme
qui avaitbeaucoupdebien , tî t dé-
clarer nul son engagement (K) ,
et se maria (b) avec le comte de
Guébriant , cadet d'une ancienne
(a) Voyez In remarque (E; , citation tb'
(b) L'an lt>32.
3i2 GUÉBRIANT.
famille de Bretagne. Elle lui fut Un gentilhomme (c'était apparem-
fort utile pour parvenir au bâ- ment,le consultant.) était aile seul
i ' 1 1 1 /t \ dans la maison d un paysan pour le
ton de maréchal (L). rhâtier . le paysan ^ c^ ^ (,t
mis sous lui, et avait juré de lui ôtef
(A) René du Bec, marquis de T ar- la uie a moins qu>u lld promït et ju-
des.] Ajoutez qu il était chevalier des rAt de nes'en ressentir jamais ni
ordres du roi, et gouverneur de la par soi-même ni par autrui Cela fut
Capelle et du pays de Thierache , et jnre' par ]e gentilhomme, et il vou-
que son fils , qui épousa la comtesse lait savoir s^i devait tenir sa paroie
deMoret,eneutle marquis de Vardes, ail paysan. L'auteur des observations
qui a ete si long-temps disgracié pour ajoute , qu'ils allèrent tout d'une
quelques intrigues qu'on a touchées „'0,x ; dix ou douze qu'ils étaient , h
dans les Amours du Palais-Royal, f affirmative -, avec avertissement pris
Cette disgrâce n'a pas duré jusqu'à la et donné pour tous , de n'attaquer ja-
mort du marquis de Vardes: mais mais par un gentilhomme telles gens
il ne s'en fallut qu'up petit nombre qUe sûrement; et fut allégué, pour-
d'années. Le mari de la comtesse de suit-il, un exemple pareil et pire
Moret fut gouverneur de la Capelle , tout frais et tout nouveau en ce
et même condamné à mort par con- temps-là d'un certain marquis, etc. .
tumace, comme ayant rendu trop c'est l'aventure que je viens de rap-
tot cette place aux Espagnols,, l'an porter concernant le frère aîné du
i636(i). Mais il fut déclaré innocent marquis de Vardes., et de la maré-
par un arrêt du parlement de Paris, CBale de Guébriant.
après la mort du cardinal de Riche- Les circonstances de ce narré sont
lleu- fort précises , et fort propres à le
(B) Elle avait eu un frère aîné, faire passer pour véritable : cepen-
quifut tué en Italie par des bandits.] dant il y a lieu de douter du fait ,
On l'assure communément dans les et même de le croire faux , quand
livres qui contiennent quelque suite on pèse d'autres circonstances. Nous
généalogique des ancêtres du marquis voyons dans le Voyage de la reine de
de Vardes (2). Mais dans le recueil Pologne , composé par M. le Labou-
des pièces qui sont à la suite du jour- reur (4) , que la maréchale de Gué-
ral de Henri III, il y a des observa- briant passant par Gênes, fit faire un
lions sur les amours de Henri IV, où tombeau à son frère , qui avait été
l'on assure que ce frère aîné fut tué tué parles bandits en ce pays-là. Mais
par un paysan , qu'il avait voulu il vaut mieux rapporter tout le pas-
battre , et que son père , vénéra- sage de M. le Laboureur; il contient
hle vieillard riche de 5o ou 6n mille un amas de circonstances , qui ôte
livres de rente, pour cacher cette au narré de l'assemblée de Saucour
mort fâcheuse , fit partir le train de toute sa probabilité. Cet écrivain dit
son fils, après sa mort, pour prendre donc, après avoir observé que les
le chemin de Lyon et d'Italie , puis princes de Monaco et les seigneurs
a quelques jours de la se fit écrire du Bec-Crespin, en Normandie, des-
leltres comme quoi il était mort en cendent de mêmes ancêtres , que
chemin de mort subite. Celui qui c'est ce qui invita feu messire Jean
rapporte cela le fait à cette occa- du Bec marquis de la Bosse (5), fils
Mon. 11 dit qu'un gentilhomme de aîné de René du Bec marquis de yar-
Giiycmie, nommé Villeneuve , marié des chevalier des ordres du roi, pas-
dans le Vexin , assembla plusieurs saut en Italie , l'an 1616 , d'aller à
gentilshommes à Saucour (3) près de Gènes visiter les seigneurs Grimaldi
Gisors,en l'année 1622, pour avoir leur ses parens , et ayant été tué en chemin.
avis surle cas de conscience que voici.
(4) Troisième partie , pag. 353.
(5) Moréri , article de Rce-Orcpin , a mis une
Ci) Le Mercure Français r/e l'an iCSG , ne iap- fol, /„ /?,(,«<?, au lieu de ta Bos.e. Il avait tu
f elle que le baron du nec. ou 0((j ,Jire quelque chose de l'autre manière
(?) Voyez le père Anselme, font. Il, pag- dont on conte celte mort, comme il paraît par
• '-><;. Le Laboureur, Additions aux Mémoires de ces paroles : D'autres disent <jue des paysans de
Castclnau , lorn. //, pag. 5oo. Normaudie l'assommèrent à Bu bvid ; ce quifa^l
(3) Je crois qu'il eûtfaUu dire Sanconr, nnr nouvelle di<-<
■site.
GUÉBRIANT.
3i3
par les bandits , ils eurent soin Je revêtir d'un caractère auquel tous
venger sa mort par une justice les ambassadeurs des couronnes cè-
exemplaire , et firent mettre son corps dent le haut bout. Mais dans Ver-
en dépôt dans l'église de Saint-Frqn- rata , le lecteur est averti qu'il
cois , sépulture cle plusieurs de leur faut ôter de la page 194 , oui repré-
maison, oh il a demeuré jusques en sentait la personne de l'empereur. Il
l' année 1646 , que madame lu ma
réchale de Guébriant sa soeur, et
MM. Grimaldi l'ont fait transpor-
ter a Notre-Dame de la Consola-
tion, hors de Gènes, où l'on lui dressa
un tombeau dont je fis l'épilaphe.
Se pourra-t-on bien persuader que
la comédie ait été poussée jusque
est étrange qu'en faisant Y errata ,
on ait été assez négligent pour
ne pas marquer la faute dans les
mêmes termes qu'elle était couchée.
C'est peu de chose : L'artifice qu'on
ne peut s'empêcher de voir là-de-
dans , quand on songe que presque
personne ne s'informe de ce qu'il y
là , pour cacher 1 avantage qu'un a dans un errata (7) , est beaucoup
paysan aurait remporte sur un jeune
marquis? La famille aurait-elle été
déshonorée parce malheur? et n'y
avait-il point d'autre moyen de voi-
ler la chose , que de recourir aux
bandits de delà les monts ? N'ac-
coutumons point les gens à ajouter
plus de foi à des contes de conversa-
moins excusable. On fait rayer de la
même page 194, ce qfu'on y avait dit,
que le nonce ne voulut point d'autre
place au festin nuptial, qu'au-des-
sous de madame ta maréchale. En
tout cas , ces deux corrections ne pa-
raîtront pas bien répondre à l'atten-
te où l'on avait mis le lecteur (8),
tion qu'à des monumens historiques par la censure qu'on avait faite des
de la nature de ceux que M. le La-
boureur rapporte ; cela serait de mau-
vais exemple et de dangereuse con-
séquence.
(C) M. le Laboureur ne pa-
rait pas avoir rapporté sincèrement
l'issue du démêlé de l'ambassadeur
de France. ] Quelque envie qu'on
gazettes de M. Renaudot , et d'une
autre relation de ce festin , et par
ces paroles : l'on s'en croira peut-
être mieux à moi , que la reine de
Pologne fit appeler pour y être pré-
sent , pour les rangs et pour les per-
sonnes qui mangèrent a la table de
leurs majestés. Si l'on débita tant de
ait d'épargner un homme d'autant faussetés parla ville de Paris , sur des
de mérite que lui, on ne peut s'em- choses qui concernaient le cérémo-
pécher de dire qu'il n'a point parlé niai, quel fond pouvait-on faire sur
rondement de la dispute de l'ambas- des nouvelles qui concernaient des
sadeur de France, et qu'il a tâché de choses plus difliciles à connaître?
répandre des ténèbres sur le mauvais La multitude de ceux qui se mêlent
succès de ses prétentions. Après avoir d'envoyer des relations produit un
rapporté , dans les pages 1 37 et i38, chaos épouvantable. M. le Laboureur
les raisons les plus solides des Polo- dit qu'ils avaient plusieurs valets ,
nais, il plante là son lecteur, sans qui se mêlaient d'en écrire chacun
lui apprendre ni ce qu'on 3' répliqua, selon leur portée , et que le boulan-
ni ce qui fut enfin résolu. Dans la ger en faisait une , ou il était sot-
page i5i,ilplaceà table M. de Brégi
au-dessous du prince Charles (6) ,
sans dire comment ni pourquoi cet
gneux de remarquer particulièrement
le prix et la bonté des farines (9).
(D) . . . M. de JVicquefort n'en a
ambassadeur avait abandonné ses point parlé exactement. \ L'ambas
prétentions. Dans la page 194 , il le sadeur, dit-il (10) , qui fit difficulté
place encore au-dessous , mais en de céder au prince héréditaire de
ajoutant que ce prince représentait Suède , frère du roi de Pologne , et
V ambassadeur extraordinaire de i em-
pereur. C'est insinuer adroitement ,
que M. de Brégi eut. tout l'avantage
qu'il pouvait espérer de sa dispute ,
puisqu'on recourut , en faveur du
prince Charles, à l'expédient de le
(6) Il était fi ère du roi de Pologne.
la maréchale de Guébriant, qui pre-
(-) Voyez quelque chose de cette nature dans
les Nouvelles île la République des Lettres, mois
de juin. i68(î, article III.
(fi) Pag. ici.
(q) Là même,
(10) Tr.iiic Je l'Ambassadeur , liv. II , pag>
nu ?oo.
GUÉBRIANT.
oi4
tendait se Jane rendre les mêmes
honneurs qu'on avait autrefois faits a
V archiduchesse de Tyrol , donnaient
dans une impertinence qui n'est pas
pardonnable , et faisaient recevoir
un affront a leur maître. L'ambassa-
deur dont il veut parler est celui
qu'il appelle vicomte de Bre'gi, dans
la page 5<p du Ier. livre , où , après
avoir traite' sa prétention d'assez ex-
travagante , il ajoute, que celle de la
maréchale de Guébriant n'était pas
moins ridicule , puis qu'eZ/e voulait
qu'on lui donnât le même 7\ing , et
qu'on lui fit les mêmes honneurs
que l'on avait faits à l'archiduchesse,
lorsqu'elle amena la reine sa fille de
Pologne. Dans la table on a mis , en
renvoyant à la même page 5g3 , que
la mare'chale de Guébriant a préten-
du précéder l'archiduchesse ; mais
«:'est ce qu'on ne trouve point dans que le roi voulut lui dire rendu , pour
l'endroit cité. témoigner davantage l'estime qu'il
Je ne veux point contredire M. de faisait de cette illustre dame.
Wicquefort , sur la qualité qu'il (E) C était une femme douée
donne à ces prétentions; ce n'est pas de fort grandes qualités. ] Je crois
une matière de fait. Je dis seulement que pour bien juger du mérite de la
qu'il avance sans raison , que Brégi maréchale de Gue'briant , il faut
un autre endroit (12) l'auteur nous
apprend que le roi avait déclaré a
tous les grands du royaume , que
son intention était qu'elle reçût tous
les honneurs qu'une dame de sa con-
dition , et de la qualité présente
qu'elle portait, pouvait mériter, et
tout pareils a ceux qui avaient été
rendus a l'archiduchesse d'Inspruck ,
sœur du grand- duc de Toscane , qui
avait conduit la reine défunte. Il
n'est pas besoin après cela , pour ré-
futer M. de Wicquefort , de rappor-
ter ce passage de la relation (i3) :
Madame la maréchale descendant
l'escalier du palais pour aller monter
en carrosse ( 1 4-) » l'êvéque de Posna-
nie, revêtu pontificalement , lui donna
sa bénédiction. C'est un honneur qui
ne se pratique point que pour les
rois , les reines et les souverains ,
et la maréchale de Guébriant firent
recevoir un affront a leur maître , par
les prétentions qu'ils formèrent. Ce-
la u'est vrai tout au plus que par
rapport à Brégi ; car on ne voit point
dans la relation de M. le Laboureur ,
quelque ample qu'elle soit , que la
maréchale ait rien disputé. On y
trouve bien (11) que la contestation
fut très-longue , et a deux reprises ,
a l'égard des prétentions de l'am-
bassadeur de France; mais bien loin
qu'on y trouve cette dame obligée à
disputer, on y voit au contraire,
que le jour même que le différent
du sieur de Brégi commença , la rei-
ne de Pologne pria la maréchale de
Guébriant de n'y point prendre part ,
et que le comte cl' Honoff, les am-
bassadeurs et les grands de Pologne,
lui témoignèrent encore que l'on lui
garderait les honneurs dus a sa
charge , non-seulement d'ambassa-
drice extraordinaire, mais de sur-
intendante de la conduite de sa ma-
lesté , selon les exemples qu'ils en
avaient, et particulièrement celui
de l'archiduchesse d'Inspruck, lors-
qu'elle amena la reine défunte En
[\t) Pag, 1 3-; de la ITC. pari.
prendre le milieu entre les éloges
que M. le Laboureur lui donne , et
le mal que d'autres en disent ; et en
tout cas , lorsqu'on songe à ses em-
plois , il est impossible de nier qu'elle
n'eût beaucoup d'esprit , et beau-
coup de ces grands talens qui font
qu'une dame se maintient et se dis-
tingue avec avantage dans les postes
les plus érninens de la cour. Qu'on
médise tant qu'on voudra de ceux
qui donnent les charges, qu'on les
accuse tant qu'on voudra de consul-
ter peu le mérite , on ne persuadera
jamais aux gens de bon sens , que la
reine - mère et le cardinal Mazarin
eussent choisi cette maréchale , pour
surintendante de la conduite de la
reine de Pologne (1 5) , et pour ambas-
sadrice extraordinaire , si on ne l'a-
vait jugée propre à faire honneur à
la France dans la cour de Pologne ,
et à soutenir la nouveauté de ce ca-
(12) Pag. 2o3 de la /te. part.
(i3) Pag. 3 île la IIIe. part.
(i4) Celait le jour quelle pardi de Pologne.
(i5) Louise Marie de Gonzague, fille d'un
duc de Nevers qui le devint de Mantoue, ma-
rir'e avec Uladisla* IV , roi de Pologne, en
1645. Vàyet les mémoires de Marollcs , pag.
GUEBRIANT.
3i5
ractère (16) , avec tout l'esprit , toute par tant de services et de glorieux
la prudence, et toute la grandeur travaux , que le roi n'a pas seulement
qu'il demandait. Les lettres qui lui satisfait aux suffrages de tous ses su-
ffirent e'erites par le roi, par la reine- jets , mais encore aux vœux et a l'es-
mère et par le cardinal, lorsqu'elle lime de tons les pays, ou son méri-
fut nomme'e à cette charge , et celles le u éclaté pendant son ambassade
que le roi de Pologne e'erivit au roi extraordinaire , pour la conduite de
et à la reine-mère, lorsqu'elle s'en la reine de Pologne en ses étals , pal
retourna à Paris, s'accordent à lui
donner de grands éloges , et il est
sur qu'elle s'acquitta de cet emploi
en habile femme. Vous trouverez
ces lettres dans la relation de M. le
Laboureur.
Je l'ai déjà dit , il faut rabattre
quelque chose des louanges qu'il lui
a donne'es : il lui semble que leurs
majestés très - chrétiennes suivirent
dedans ce choix les mouvemens et les
inspirations de tous les Français , et
particulièrement encore des princi-
paux de la cour. Il dit que la chose
était publique avant qu'elle fit réso-
lue , et que personne ne le savait
moins que ceux qui le devaient sa-
voir ; que cette illustre veuve menait
une vie retirée ; que tous les jours son
mari ressuscitait en sa mémoire ,
pour mourir en son cœur qui en fai-
sait un nouveau deuil ; que tous les
lu récompense de la charge de dame
d'honneur de la reine future. 11 y a
là, sans doute , un peu trop de rhéto-
rique , et de pensées poétiques, et
surtout pour un homme qui , en
tant d'endroits de ses Additions à
Castelnau , a parlé bien hardiment
contre les abus du siècle, et dont les
coups sont fort semblables à ceux du
comte de Lude , dont il dit que ,
quoiqu'il tirât de loin sur le gouver-
nement , tons ses coups n'étaient pas
perdus, qu'il y en mail qui portaient
quelquefois , et qui blessaient a ou-
trance. C'est dans la page 767 de ses
Additions qu'il a parlé de la sorte.
Nous entendrons ci-dessous M. Pa-
tin, qui ne témoigne pas que les
vœux de tous les Français destinas-
sent cette héroïne a de grands hon-
neurs ; et je viens de lire dans un
historien moderne , qu'elle avait une
jours elle lui immolait quelqu'une ambition déréglée , et que ce fut
de ses passions ; que celle des em-
plois de la cour, et la cour menu;
était morte en elle; enfin qu'elle n'ac-
cepta la charge , que parce qu'elle ne
pouvait pas ne pas obéir aux ordres
du souverain , après les obligations
qu'elle lui avait pour tant de bien-
faits , et singulièrement pour les hon-
neurs funèbres qu'il avait fait ren-
cette passion qui procura des funé-
railles magnifiques au maréchal de
Guébriant. Guebriantii exsequiœ non
vulgari pompa celebratœ . Corpus il-
latum Fano Deiparœ f^irginis , qui
honos infrequens non tam concessus
viri meritis , quàm uxoris Renatœ
Behiœ flagitatione extorlus ; fœminu
impotens , gloriœ potiiis quàm lucttîs
dre au maréchal son mari. C'est ain- immodica justa marito persoluta in
si qu'il parle dans la première partie sut ostentationem trahere (17V Fran-
desa relation, à la page 9. 11 dit dans chement , je ne crois pas qu'elle ait
le IIe. tome de ses Additions aux accepté l'ambassade extraordinaire
Mémoires de Castelnau , page 499 -,
c\u elle a continué la réputation et la
mémoire du maréchal de Guébriant ,
(16) Bex nique regina mater renalam Duhe-
eam Vardiam midierem viduam génère aiqur
probitaie insignem , unit cum sponxî in Polo-
niarn ire jussére , quœ hanc vice sud Vlad'ulao
régi Iraderel , Dubecam. eii causé novo , ut
opinor, exempta alque apud omîtes Renies inau-
ililo legati, se'u si fut ni ilicerc legalie tilnlo
ornavére Labardaeu's (M. de la Bardé 1 Hist de
Reb. gatlic , Ub. III, pag. l'fi. 1. a maréchale
de. Guébriant a été. la première dame , e: la-
seule , si je ne me trompe , qui ait eu la qualité
d'ambassadrice de son chef, et elle pourrait
bien cire la demie,-. Wicquel'ort , liv. I de
i'Amb. , pag. j5.
jpte
de Pologne en vertu de sainte obé-
dience, et que cet emploi ait prévenu
ses désirs et ses sollicitations. Il faut
se défier de l'art oratoire d'un hom-
me qui loue.
(F) Sa négociation de Brisac n'a
pas été bien narrée par M. Priolo. ]
Cet historien (18) raconte une cln>-:
qui n'est pas trop honorable à cet le
dame. Il dit. que durant les derniers
troubles , Charlevois , qui avait com-
mandé dans Brisac, se brouilla avec
(1-) Benjamin. Priolus , (/.• Rebug goU. Hist.
Ub. II, cap. VI . pag. m. ,'ji. |
!i8) De Reb. gall- , Uh. FUI
3i6
GUEBRIANT.
le gouverneur que la cour y mit
( c'était M. de Tilladet ) , et qu'il
poussa si bien sa pointe, que le gou-
verneur fut obligé de lui quitter la
partie ; qu'alors la maréchale de Gué-
briant, soit par avarice, soit par
ambition , se fit de fête, et voulant
se faire à la cour un grand mérite de
la conservation de cette importante
place , noua une intrigue pour per-
dre Charlcvois ; qu'elle se rendit à
Brisac , accompagnée d'une fille qu'il
aimait , et que comme il eut l'impru-
dence de sortir de la forteresse pour
voir cette fille (19) , il fut pris et
amené prisonnier à Philipsbourg. Que
ce manège attira sur la maréchale
une grêle d'injures, qui l'obligea à
se retirer à Bâle le plus vite qu'elle
put , et que Charlevois s'entendit
avec le comte d'Harcourt , mécon-
tent du gouvernement , et fit sa paix
à des conditions avantageuses : de
sorte que la dame se vit haïe des
deux côtés, et en mourut de cha-
grin (io):
On voit là un exemple de ce qui
arrive presque toujours à ceux qui
donnent des abréeés ; ils omettent
1 • ° 1
plusieurs circonstances , sans les-
quelles un fait n'est qu'une petite
niasse brute et informe , comme l'é-
prouvent ceux qui , après l'avoir lu
dans une histoire étendue , compa-
rent l'idée qu'ils en ont avec celle
qu'un abrégé leur en donnait. Ceux
qui liront, dans l'histoire de M. de la
Barde, cette intrigue de la mai'échale
de Guébriant, feront une épreuve de
ce que je dis. Mais laissant à part les
omissions de Priolo , il est certain
qu'il y a deux faussetés dans sa nar-
ration.
La première consiste à dire que
Charlevois sortit de Brisac , pour voir
la maîtresse que la maréchale lui
amenait. Rien de plus faux : il n'a-
vait que faire d'en sortir pour la
voir, puisqu'elle y était à la suite de
.madame de Guébriant. C'est d'ail-
leurs un embarras pour le lecteur,
que de voir que cette dame soit à
Brisac , et que la maîtresse de Char-
r\Ç)) Imponit hamo escam quam sciebat appe-
tilurum Charlovoium : puella amata illiciuin
fuit, cui invisendœ miser arce. exil. Idem, lib.
FUI, cap. VI II.
(20) Guehrianlia utrimque exosa , tced'.o et
marore vilain inquiétant finivil.
levois , par le moyen de laquelle on
veut le prendre comme à la glu , ne
soit pas auprès de la dame qui con-
duit l'intrigue , et qui se sert si bien
des ruses de Catherine de Médicis
(21). Il est certain qu'elle y était , et
que l'artifice qu'on employa pour
attirer Charlevois dans l'embuscade ,
fut de l'accoutumer à s'aller prome-
ner en carrosse loin de la ville avec
madame de Guébriant , accompagnée
de la maîtresse en question. Mais le
jour de la capture , la maréchale , qui
voulait être dans Brisac lorsque la
première nouvelle y arriverait , sup-
posa je ne sais quelle affaire , qui
l'empêchait d'être de la promenade ,
et voulut néanmoins que toute la
troupe qui la devait suivre s'allât
promener. La seconde fausseté re-
garde la mort de cette dame. M. Prio-
lo la fait mouTir de chagrin , dans
un temps où la guerre civile n'était
pas encore terminée ; mais il est sûr
(22) qu'elle ne se déconcerta point
pour le mauvais succès de son entre-
prise de Brissac et qu'elle continua
ses intrigues à Bâle même , et se
remplit la tête de vastes desseins ,
pour se faire valoir auprès de la
reine - mère et auprès du cardinal
Mazarin : en un mot , qu'elle n'est
morte qu'en 1659, après avoir fait
une si grande figure à la cour , qu'elle
devait être première dame d'honneur
de la reine Marie- Thérèse. Com-
ment est- ce qu'un historien comme
M. Priolo, qui avait eu assez d'habi-
tudes avec le grand monde pour en
bien savoir la carte , et qui n'a pu-
blié son livre que peu d'années après
la mort de cette dame , a pu si mal
placer sa mort , qu'il lui a ôté cinq
ou six années d'une éclatante prospé-
rité ? C'est peut-être lui avoir rendu
un bon office.
M. de la Barde observe que cette
dame , non contente de l'emploi d'am-
bassadrice qu'elle avait eu, souhaita
comme quelque chose d'un plus
grand relief, de s'engager dans une
(21) L'histoire remarque qu'elle se servait de
la beauté de ses filles d'honneur, pour faire
donner les grands dans le panneau selon ses
besoins. Sa fille l'imitait en cela. VvjezMéie-
rai , sous Van 1579, a l'occasion de la Guerre
des Amoureux.
(22) Labardreus, Hillor. de Reb. gall., lib
X , pag. 7^7 , ad ann. iG52.
GUEBRIANT. 3i7
intrigue de guerre (23). On disait sud magnitudine peccandi licentiam
même qu'elle aspira au gouverne- metiuntur, Gallium oninem in sum-
ment de Brisac, et à posséder les ter- muni discrimen vocavêre , etc. ( 26 )
l'es que le roi a en Alsace. Elle se Pour mieux comprendre combien
serait payée des sommes que le roi cette maréchale est obligée à l'histo-
lui devait , et aurait formé dans rien qui la tire de la bande de ces
cette frontière un petit état. Eâ tetit- quatre dûmes , il faut se souvenir
pestate vulgatum. Dubecam non mo- qu'il les représente comme stériles
do Biisiacum expeterc sibi , cui pree- ('27), et mesurant à leur grandeur la
fecta esset , sed et prœdia quœ rex in licence de pécber ; se repaissant
Alsatid possitht omiiia, quibus bute toujours de grandes idées 5 s'attachant
permissis œre se alieno liberaret , en secret au cardinal par l'entremise
quo satis grandi Dubecce obstrtetus de leurs galans , et se trahissant les
erat : ita mulier nihil niai ingens unes les autres; de sorte que cette
animo l'uh'crc so/ita , sibi speciem émiiicnce n'était point le juge de
principalûs aliquam in hdc <tb auld trois , mais de quatre déesses co-
remotd regione fingebat (2^). quettes. Sic Mazarinus nontrium,
(G) Cela peut., lu priser ver de quel- sed quatuor dearum libidinanlium
que s mauvais soupçons.'} Je viens de judex fuit. Pendant que celles-là
dire que peut-être on lui a rendu un étaient dans ses intérêts, d'autres
bon office. Le bon office , au cas qu'il lui étaient fort contraires , et ne
fut réduit là, consisterait en ce que trouvaient rien qui leur coûtât
si l'auteur n'avait point représenté la trop, pourvu qu'elles se poussassent
maréchale de Guébriantcomme morte dans le secret des intrigues. Elles y
avant la fin des troubles, il aurait fait payaient de leur personne (28) , et
soupçonnera plusieurs de ses lecteurs, cela est presque inévitable à celles
qu'elle était l'une des quatre femmes qui se veulent mêler de guerres ci-
dont il parle très - désavantageuse- viles. Elles ont besoin de la confi-
ment. Il dit que ce furent quatre fem- dence des chefs de parti , il leur im-
mes qui allumèrent le guerre civile porte que ces messieurs leur prêtent
par toute la France ; qu'elles avaient le secours de leur épée et de leur
plus d'esprit que de vertu . et que , politique; mais ils ne font rien pour
n'ayant pas réussi dans leurs pro- rien , et leur galanterie sait bien pro-
jets , elles firent les dévotes et se fiter de l'occasion. Les engagemens
mirent en religion ; ce qui est ordi- qu'elles contractent deviennent tôt
naire , dit-il, quand le miroir fait ou tard des obligations au corps,
connaître qu'on n'est plus en état de dont l'on ne s'acquitte que sur ce
bien tenir sa partie dans le monde, pied-là. On ne donne point le chan-
Tunc quatuor , non quidein absurdœ ge aux créanciers; ils exécutent sur
ingenio , sed quœ plus moribus nu- l'hypothèque. Telle est la condition
cebant qu'uni ingenio pivderant , om- d'une dame qui vent être directrice
nem Galliain commiserunt Ipsœ des révolutions d'état. M. de Tu-
posteh improsperis , ut fit , rébus se renne , avec toute sa sagesse , ne put
prœdamnantes Numini fidem obli- surmonter, dit-on , l'impétuosité du
garant per religionis mendaeem si- torrent ; il voulut lui aussi qu'on
mnlationem et fucosd superstitione ; reconnût par le service personnel ce
effœtis vitiis januâ clausd, ciim, spe- qu'il faisait pour la fronde. J'avais
culo damnante , se putris senectus cru que c'était peut-être la première
preecisâ ejus sententid leformidat et la dernière fois que l'on eût causé
(25). Ad arbitrium quatuor fœmina- de ses galanteries; mais j'ai appris
rum nostra diù recta, lllœ neque d'une personne qui le pouvait bien
regno neque sibi felicis uteri dam savoir, qu'il se mêlait assez souvent
,„„ j „ ,■ , , , de ce métier-là. L'àsre de la maré-
(23) Legali... personam susttnueiat , quod • . 2 n ,, . ° , A .
tametsi ainplum ipsi , magnifi^umque visum , la- cnale de luicbriant n empêcherait
men magis supra fœminam esse videbatur ,
quidpiam quod a<ï mililiam pertiuer t . altin- (jC>) Idem, lib. /'///, num. 10.
gère , cujus sibi facultalem dan in Charlevosii (27) rnrCz laf.n de cette remarque,
negolio est arbitrata. Laba. J. , f../;r '' 1 (»8J Par, <iu copiant facere ut auto; arca-
(24) Idem , ibidem. num quodlibet rimareniur. Prioto , lib. II .
f?5)fno\ ,Ub If num j3 num. \ .
3i8
GUÉBRIANT.
pas tous les lecteurs de la prendre
pour l'une des quatre , si l'on n'y
avait beaucoup mieux remédie de la
façon que j'ai dit , que par les ca-
ractères qu'on leur donne , dont il
n'y a que quelques-uns qui ne lui
conviennent pas : l'âge , dis-je , n'y
ferait rien ; car , pour ne pas remon-
ter à Aspasie et à Lamie , ni même
à la duchesse de Valentinois , ne
voyons-nous pas dans le même temps
à peu près dont M. Priolo parle, une
duchesse assez avance'e en âge (29)
qui ne laissait pas de faire de gran-
des conquêtes en amour? M. de la
Barde que je cite s'accorde avec
M. Priolo sur ce point , savoir , que
les femmes se mêlèrent extrêmement
du gouvernail pendant les orages de
la dernière minorité'. L'auteur des
Pensées sur les Comètes auraitpu ajou-
ter cette citation à celles de son arti-
cle CCXXXVI , et non-seulement cel-
le-là , mais une infinité d'autres sem-
blables que l'on trouve dans les livres.
Notez , je vous prie , que quand
j'ai dit que l'historien a représenté
comme stériles les quatre dames dont
le crédit était si grand , je n'ai en-
tendu cela que par rapport à la plu-
part des lecteurs ; car ceux qui sa-
vent que ces paroles de M. Priolo ,
neque regno , neque sibi felicis uteri,
sont une allusion à une chose que
Paterculus a dite de Julie , fille d'Au-
guste (3o) , ne les prendront pas pour
une marque de stérilité.
(H) // ne faut pas croire légère-
ment tout ce que Guy Patin a dit
d'elle. \ Voici deux passages de ses
Lettres. Madame la maréchale de
Guébriant , dit-il dans un lettre du 9
septembre i65g, est morte (3i)à Péri-
(29) Iluic irai noverca Maria Avaucuria
(d'Avaugour) quam Hercules Kohanus Momba-
sonus paler dudum uxorem duxeral exitnid pèi'
adoleicciuiam pulchritudine ; tanlaque vis boni
in ipsd eral forma ut ne liane quidem œtas
exlingueiel , i/uo fiebal uti midti domum ejus
freijurnlarent inttlieris amore capli , atque inter
hos I/enricus Guisius vire Lolkaringtcà* génie
princeps. frais ffenricus Aurelius Longavdla
apud Ftanc mullus j'uerat frequensaue. L;ibar-
dams, ïtb. II, pag. 72, ad ami »t»44
(30) Voici ce que dit Paterculus-, lib. II ,
cap. XCIII, Filiam Caésariis luliain — IVuii-
nam nrque sibi neque reip. feticis uleri,
(3i) £e père Anselme Bistoire des grands Of-
ficiers, lom. II, pag.626, et aprèi lui, If Dii
liminaire de Moreri, à l'article du maréchal de
Guébriant , mettent la mort au 2 septembre
'''•")■
gueux : elle n'a été malade que treize
heures , et est morte sans confession.
Elle était le partisan de ce pays-la ;
elle y est fort maudite. Dix jours
après il en parla en cette manière :
Il est venu des nouvelles que la ma-
réchale de Guébriant est morte h la
suite de la cour. Elle était tante du
marquis de tardes, et n'a jamais eu
d'enfans. Je pense que la succession
en est bonne. Elle est morte en quatre
jours , el sans confession. On peut
dire d'elle ce que dit Erasme , en
raillant , d'un cordelier qui mourut
subitement , obiitsiue crux, sine lux,
sine Deus (*). On dit qu'elle devait
beaucoup ; mais en récompense la
reine lui doit ^0,000 pis tôle s , quelle
lui prêta durant le siège de Paris.
Comme il y a dans les Lettres de
M. Patin beaucoup de nouvelles qu'il
ramassait en faisant la ronde de ses
malades (32) , je ne voudrais pas faire
fond sur tout ce que je viens d'em-
prunter de lui. Je croirais volontiers
que cette dame se mêlait dans les
partis , et que la dépense excessive
qu'elle se plaisait de faire, et son gé-
nie qui aimait l'occupation , la tour-
naient vers cette source de gain , et
qu'ainsi elle se faisait maudire dans
les lieux où elle exerçait son savoir-
faire ; mais je ne pense pas que ce
fût dans le Périgord (33). Son heure
l'y surprit sans doute , lorsqu'elle ne
faisait qu'y passer, pendant le voyage
de la cour en Guyenne, dans le temps
qu'elle espérait de prendre bientôt
possession de la dignité de première
dame d'honneur de la reine ; car on
ne doutait plus alors du mariage du
roi avec l'infante d'Espagne.
Si l'on réimprime les Lettres de ce
docteur, on fera bien d'y ajouter des
notes rectifiantes , et un bon indice
(*) Ce mot se trouve dans les Facéties de Bé-
bélius , au feuillet 56 de l'édition de i542. Et
Luther Ta aussi employé dans ses Propos de Ta-
ble , toui. 1 , au feuillet 86. Omnes , dit-il d'un
bon nombre de ses adversaires , mortui sunt sine
crux, et sine lux. Rem. ciut. [ Leduchat re-
marque que ce mot est originairement du Jour'
nul de Bttrchard , année i^q'i ; mais sans le so-
lécisme qui en fait la plaisanterie]
(32) Voyelle Ménagiana , pag. 279 de la pre-
miire édition de Hollande.
(33) Notez que depuis que ceci a été imprimé
dans le Projet , j'ai vu le procès verbal des
obsèques du maréchal de Guébriant , ( cité par
le I abourïur, dans /'Histoire de ce maréchal,)
où il est nommé comte de Guébriant et de Péri-
gueux,
GUÈBRIAM. 3i9
alphabétique. Mais ne quittons pas du roi de Pologne les mêmes lion-
son ouvrage sans tirer de l'une des neurs que l'archiduchesse d'Autrii lu-
lettres déjà citées quelque chose qui y avait reçus, quand elle y avait
concerne la famille de Guebriant. 11 amené sa fille , fiancée «n roi. il cite
dit que la comtesse de Moret, maî- M. de Wicqnefort , au IIe. livre de
tresse de Henri IV, est célèbre dans V Ambassadeur , sect. VIII, page 1 34 -
V Euphormion de Bardai, sous le Mais outre qu'il fallait citer la page
nom de Casina ; que c'est a l'endroit aoo, et non pas la 1 34 , il fallait citer
oh elle fut mariée au comte de Cési aussi la page 5g4 du Ier. livre , où
Sancy , qui depuis fut envoyé ambas- celte archiduchesse est qualifiée mère
sadeur a Conslantinople , et que là de la reine de Pologne qu'elle ame-
5e voit la description d'un contrai de nait. Ils se (rompent tous doux muant
mariage d'un homme qui veut bien à cette qualité de l'archiduchesse :
être cocu , et qui promet et s'oblige car elle n'était point la rnèrfl de la
à le souffrir ; qu'environ l'an 1618 , fiancée qu'elle amenait au roi de Po-
elle se remaria au marquis de /tir- logne. Cette fiance'e était fille t\<-
des, fils du bon homme gouverneur l'empereur Ferdinand II, et sœur de
de la Chapelle, etc. Il fallait dire la l'empereur Ferdinand III : c'aurait
Capclle (34) ; ce gouvernement a été' donc été l'impératrice , et non Par-
aussi possédé par celui qui épousa la chiduchesse d'Autriche , qui aurait
comtesse de Moret. On pouvait ajou- conduit la reine de Pologne , s'il était
ter que Henri IV stipula du comte vrai que cette reine eût été conduite
de Cési , qu'il quitterait cette com- par sa mère. D'ailleurs , pour être
tesse dès le soir des noces , et que tout-à-fait exact , il fallait dire Far-
cela fut exécuté (35). U JEuphormion chiduchesse d'Inspruck , et non pas
ne fait point promettre cela ; mais il l'archiduchesse d'Autriche. Enfin iq
fait promettre, par contrat, qu'on remarque que M. le Laboureur n'in-
ne toucherait point l'épouse. Cette sinue point que la maréchale ait.
particularité ne devait point être ou- exigé cette égalité d'honneurs : il dit
bliée par M. Patin. Au reste , celui simplement que le roi de Pologne
qui a donné la clef de VEuphormion voulut qu'elle l'obtînt; mais ceci est
(36) se trompe , de prendre pour le plus l'affaire de M. de Wicquefort
comte de Moret , VOty.mpion qui se que celle du professeur de Leipsic.
soumit à ces conditions de mariage. Voyez ce que j'en ai dit dans la re-
(I) On verra — l' erreur d' un écri- marque (D).
vain allemand.} L'Histoire de M. Prio- (K) Elle fit déclarer nul son en-
lo fut réimprimée à Leipsic , pour la gagement. ] Rien n'est plus propre
seconde fois, l'an 1C86. On y joignit que cela à faire connaître son ambi-
des notes d'un professeur nommé tion. Le comte de Guebriant promet-
Franckenstein , qui à la vérité ne tait beaucoup, on l'estimait beau-
sont pas exemptes de fautes , mais qui coup à la cour , et son talent pour la
néanmoins sentent un homme assez guerre lui répondait des plus grandes
bien instruit pour un étranger. Ce charges. Notre Renée du Bec trouva
professeur , ayant dit que Priolo ac- U son homme : elle prévit qu'il s'a-
cuse souvent de trop d'ambition la vancerait (38) , et qu'elle aurait lieu-
maréchale de Guebriant (37), ajoute de s'intriguer pendant qu'il cominan-
qu'elle en donna une preuve sigua- derait les armées ; ainsi, sans avoir
lée, lorsqu'elle demanda à la cour égard qu'il n'était point riche, elle
,,,,_. .... ., _ „ . „ . le voulut épouser, et pour cela elle
(341 IHoreri lia ainsi la Chapelle, dans larli- s» (if r onvu-iop AI Ao 1-, P. -J
de de Du liée uemauei . in. de la carde nous
(35) Histoire des Amours d'Alcandre , num. rac',T,tei'a «-C fait en bon latin, ffœi
70. Les noies disent afie ce comte Rappelait muiier animo supra sexum valida
Philippe.' de Harlai , et qti'd mourut au mois
de mai 1632 , dçr de soixante-onze ans. roo\ r> j j
(36) Voye, Pétition de Lerde, „pud Hackium, ,„ Ve.uïTjZaufaZit ''d"'"0"'', *?*"*'
i(W. m-so , ,?"' c **«""»" rlus de contentement
lb™ ; 7 , ' . . . . <l»M<- connaissait sa noblesse , et qd'dU pre-
ty) Je n ai remarque celle accusation qu en voyait que ses grandes qualité'* l'étèveraienl
deux endroits, dont l Indice des matières , fait bientôt aux premières charges de l'A il Le I a-
par le sieur sTraaclenmem, quoi-jue fort ample, boureur , Histoire ,l„ maréchal de Guebriant
ne marque que l ur li*. t , ckap VU,paS .-
320
GUESCLIN.
est
„,cui uidelicelnec prima, nec mag-
na 'usquè fuit , sicuti vulgo inulie-
rum solet , rei familiaris cura :
pn-
sicuti
Guesclin était Breton, et il ren-
dit des services très-iinportans à
la France durant la prison du
roi Jean , et sous le règne de
Charles V. Étant passé en Espa-
gne au secours de Henri , roi de
,...,.«. , 7i~...... .„.■.„. „ —
amplioris rei, cnjus ralionem , ut
ferè fit , filiam collocando parentes traordinaires. Il repassa en bran-
ce lorsque la couronne eut été
assurée à Henri , par la mort de
don Pédro-le-Cruel , son compé-
titeur , et il s'employa avec un
succès admirable à reprendre
if
mas , quia imparem
rebatur, tdrum nacta erat , nuptias
dedignata est , atque infirmas esse
contenait , maluitque se I. Budœ
Guebriani uirtutis , quhm^alterii^ ^^ .^ fifc ^ ^^ ^
'habûerant , sociam esse. Ex Ma
cum, atque ex glorid viri postillii
multis rébus prœclarè gestis celeber-
rimi cammunicatd ita çrevêre mulieri
animi, uti magna , atque insolita
moliretur (3g).
(L) Elle fut fort utile a son mari sur ies Anglais plusieurs pays. Il
pour parvenir au bâton de mare- t pan l3H à l'âge de
chal.\ Nous venons de voir que , se- . . . ° ...
Ion M. de la Barde , ce n'était pas soixante-six ans ou environ (b).
une femme qui, à l'imitation des C'était un petit homme fort laid
personnes de son sexe , prît grand ^). Consultez sa vie publiée par
soin de son ménage : elle aimait a Châtelel (B).
négocier a la cour. M. le Laboureur \ ' ..
observe (40), qu'il peut parler coin- Elle est meilleure que celle
me témoin des soins non- pareils qui avait été imprimée l'an 161 8,
qu'elle a pris pour solliciter les né- en très-vieux gaulois , et de la-
cessités de l'armée de son mari au- . .-apporterai un endroit
près des ministres; et je puis assurer , T. . J rx . . ,
ajoute-t-il, que la dignité de mare- fort singulier , qui a servi a quel-
chale de France lui appartient a ques controversistes (C) pour
double titre , par participation de son prouver que les laïques ont eu
^aH',e\P^^P^Âu^±^éntée le droit d'administrer les sa-
cremens flans certains cas de né-
dans le bon succès de ses armes.
(3y) Labardœus , de Reb. gall., lib. IX,pag.
619 , ad ann. i65i.
(4«) Histoire du maréchal de Cuébriant ,
pag. 12.
GUESCL1N(«) (Bertranddu),
connétable de France , a été un
des plus grands capitaines de son
siècle. Il ne faut pas néanmoins
croire tout ce que les vieilles chro-
niques disent de lui ; car les au-
teurs de cette espèce d'ouvrages
n'étaient pas encore guéris de la
maladie qui a produit les his-
toires de Roland , d'Ogier-le-Da-
nois , et semblables. Notre du
(a) On trouve dam les livres français ce
nom écrit en quatorze façons. Guide» Iiudo-
♦icus Longolius, in GeneatogiâLongoliorum,
apud Menagium, in Vitâ Pctri £rodii ,
pag. 6,
cessite.
(b) Le père Anselme, Histoire des grands
Officiers , pag. 3j.
(A) C'était un petit homme fort
laid. ] « La petite taille , jointe à la
» laideur de Bertrand du Guesclin ,
» ne l'empêchèrent pas d'être conné-
» table de France , et ne le firent ja-
j) mais moins estimer. L'on a dit, au
u contraire , en sa faveur , que la
» nature semblait l'avoir rendu tel ,
» de crainte qu'il eût quelque chose
» de commun avec les femmes. Et,
» s'il eût consumé toutes ses matinées
i> à se coiffer d'une perruque , lui
» qui n'était pas né coiffé, il n'eût
» jamais mérité la lampe inextingui-
» ble , ni la sépulture que le roi , son
» maître , lui fit donner à ses pieds
» dans Saint-Denis (1). »
(0 La Motlie U-Vaycr , lcltre CXIY , tom.
XII, pag. i5.
GUÉVARA.
321
(B) Consultez sa Vie , pub/ire par » dirent mainte oroison en depriant
Itf. du Chdtelet.] Me'nard publia une » à Dieu qu'il les gardast de mort ,
ancienne histoire de ce héros, l'an » de mahaing et de prison. » Gro^us
1618, laquelle avait e'te' compose'e se servit du même passage, dans une
dès l'an 1^875 mais ce n'est point à dissertation qui fut imprimée l'an
celle-là qu'il faut renvoyer le lecteur, i638 , de Cœnœ Administratione ubi
c'est à celle dont le Journal des Sa- Pastores non sunt. Voyez la Biblio-
vans, du ai juin 1666 , a donné l'ex- théque Universelle, à la page 1 1 5 et
trait. Elle avait été publiée depuis 116 du 4e- tome.
peu à Paris , in-folio , par mes- ■ . ■_■ . j . • u • j n- uu
J. „ !.»..' . J 1 />i * 1 miche loi-nieme de trou brins rie ble en herbe,
Sire Paul Ha» , seigneur du Ulâtclet au nom des trois personnes rie la très-sainte Tri-
(2) : elle est rédigée en un meilleur "\té. A Meti , ou ce vieux mot s'est conservé,
Ordre que l'attire; le discours en est q^'l un enfant s'est laissé escroquer sa beurrée,
' ,, , , on dit qu il s est laisse eneommtchrr sa marande.
incomparablement plus pur et plus rem. c,iT.
élégant , et elle est encore enrichie
de quantité de preuves (3) . GUEVARA (ANTOINE DE),
(C) Je rapporterai un endroit fort prédicateur et historiographe de
singulier qui a servi aux fontrow Charles-Quint , était né dans la
sistes. Lisez ces paroles de M. Dre- . j>A1 , 1- ,,
lincourt (4) : « En nos histoires de province d Alaba, en Espagne. Il
)> France (*'), nous avons un exemple fut élevé à la cour ; mais , après
« bien notable de cette communion la mort de la reine Isabelle de
» laïque, et une preuve bien claire Castille,il se fit moine dans l'or-
» qu elle a ete longuement en usage. , , ' _ . .
„ Car Bertrand du Guesclin , eonné- dre des tranciscains , et y eut
« table de France, qui a vécu sous des emplois fort honorables. En-
» le règne de Jean et Charles V , rois suite , s'étant fait connaître à la
» de France , décrivant la bataille de cour y fut j^ p^dica-
« rontvahn, en laquelle il remporta j r>i 1 r\ • 1
» une célèbre victoire sur les Anglais, teur de Charles-Quint , et il se fi t
» nous apprend que ses soldats, avant extrêmement considérer par sa
» que de venir aux mains, se confes- politesse, par son éloquence et
» sèrent l'un l'autre, et s'entre-don- QQ {t ( }> jj d {
« nerent la communion. Mais il vaut l j 1 1 ■
>, mieux que je représente cette his- contenter de la gloire que sa
» toire par les paroles mêmes de l'au- langue lui acquérait ; car, s'étant
» teur, et au langage du siècle que voulu mêler d'écrire des livres,
„ cela est arrivé Et en ic elle place y ge ren(jit rldicule - des
» *e desjunerent de pain et de vin , . ci
» qu'ils avoyent apporté avec eux. bons connaisseurs, bon style ani-
» Et prenoyent les aucuns d'iceux poule , figuré, plein d'antithèses
» du pain , et le seignoyent au nom (A.) , n'est pas le plus grand dé-
,, du sainct sacrement. Et après ce f t de se$ ouvrageS- Un 1Dau_
» qu ils estoyent confessez l un a l au- . . ~ 0 ,,,
» tre de leurs péchiez, le usoyent en vais goût , une fausse idée d elo-
w lieu d'escommichement (*J). Apres quence l'entraînèrent dans ce
Us Uttres précipice ; et ce fut un petit
malheur en comparaison de l'ex-
travagance avec laquelle il osa
manier l'histoire (B). lien vio-
la les lois les plus sacréestet 1rs
plus fondamentales, avec une
audace qui mérite toute l'indi-
gnation des lecteurs ; et il fit
(7) C'est ainsi qu'il faut expliquer
P. H. et D. C. , qui sont au titre.
(3) Journal des Savans , du 21 de juin 1666.
(4) Drelincourt, Triomphe de l'Eglise , II'.
part. , pag. 3ao , 3ii.
("') Cette Histoire de messire Bertrand de
Guesclin , connét. de France , a été imprimée
à Paris , chez Sébastien Cramoisi , l'an 161 8.
(*a) Le vrai mot est accommichemenl , mot
qui, selon Borel , se trouve dans Froissard, et
qui vient à'adeommunicare. On trouve des traces
de ces communions beaucoup plus anciennes en-
core , dans nos vieux romans, entrr; autres , au
cli. 3G de Galien restauré, ou Rolland, blessé à
mort et couché dans un champ de blé , s'esevm-
TOME Vil.
(a) Nicol Antonius .
liispan , loi». I , pug- j
Bibliotli. scri
ptor.
21
322
voir que jamais homme ne fut
aussi indigne que lui du caractè-
re de chroniqueur de Charles-
Quiut,dont on l'avait revêtu
L'excuse qu'il allégua , quand i
GUEVARA.
sil vernaculo sermone , in quo affec-
tasse uimium schemata visus , pompa
<]wi<laiu lumens, et anlitlielis putidè
nimiàm iteratis lectorem enecat: quiti
et ut poëtœ uerbis utur,
Projicil ampullas et sesquipedalla verba (i),
se vit censuré (G) , est très-mau- Nous allons voir que le jugement de
vaise : il prétendit qu'hormis la Matamore, auteur espagnol, n'est pas
,, . x û •* t . i plus avantageux a Guevara que celui
Sainte-Ecriture , toutes les au- dl| jésuite flamand. Je le rapporte
très histoires sont trop incerlai- après Nicolas Antonio , qui parle ainsi
nes(D) pour mériter que l'on y (2) : « Quantunwis stylus hominis
ajoute foi. Il vit à la suite de
l'empereur, son maître, une bon-
ne partie de l'Europe (b) , et fut
fait évêque deGuadix, au royau-
me de Grenade , et puis évêque
deMondonédo, dans la Galice (c).
Il mourut le 10 d'avril 1 544 »
après avoir possédé quelques an-
nées cette dignité (d). C'est une
chimère que de dire qu'il a été
béatifié par la cour de fiome(E).
On ne saurait assez admirer l'em-
pressement que les étrangers ont
€u de traduire en diverses lan-
gues quelques-uns de ses ouvra-
ges (F). Je donnerai, dans une re-
marque, la liste de ses écrits (G).
J'ai des additions à faire à
ce que j'ai dit de son Horloge
des Princes (H) , et je montrerai
que si les Français sont blâma-
bles d'avoir fait beaucoup de cas
d'un pareil livre , les Espagnols,
qui l'ontencore plus estimé, sont
plus dignes de risée.
(fi) Kicol. Antonius , Bibliotk. scriptor
liispan , iom. I , pag. g8.
(c Vankelius . prœfat. vcrsionis Horolog.
Piincipuru , ne sachant pas que Guévara a
eu ces deux évêchés , n'a su comment accor-
der ceux qui le nomment évêque de Guadix,
et ceux qui le nomment évêque de Mondo-
nédoj
(il) Quà dignitate nfiqnat unnis "esta
oliiit. Nie. Anton., Bibliotli. hispan. , loin
1 1 PaS- 9&- Moréri a donc tort de dire que
Guévara en jouit peu de temps.
(A) Son style ampoule', figure ,
plein d'antithèses...] Voici le jugement
qu'en a fait un docte jésuiie : Scrip'
» non usquequaque pïaceal , neque
» in gymnasio rhetorum solidam re-
)> portaient eloquentiœ laudem. Cuni
» prœcipuè Alphonso Garsiœ, Mata-
» moro et Andréas Scoto ( qualis ju-
» dicii et doclrinœ vins ! ) affeclata
■» nimiàm ab eo anlithelorum sihi mu-
» tuo respondentium perpétua cura
» displiceat maxime. Horum etiim
» prior Matamorus in de academiis
» et doctis viris Hispanise Libella in-
)> genuè existimat virum fuisse mirai
» facuudiae et incredibilis ubertatis
» natune , sed omnium rerum mo-
« menta (ait) quod poè'tis objecit
)> Persius , raris librat in antitnetis
» doctas posuisse figuras laudari con-
» tentus. Fulgurat interdum et tonat,
» sed non totam ( ut olim Pericles
» Atbeniensis ) dicendo commovet
m civitatem , ut dum nibil vult, nisi
» culte et splendidè dicere , sa;pè in-
» cidit in ea quae derisum effugere
» non possunt. Qui si illam ( subjun-
» git ) extra ripas effluentem verbo-
» rum copiam artificio dicendi re-
» pressisset , et gravioruni artium
» instrumento locupleUlsset , dubito
» quidem an parem in eo eloquentia;
» génère in Hispaniâ" esset inventu-
» rus. » C'est en vain , et par un
aveugle entêtement , que Waddin-
gus (3) accuse d'envie le père Schot-
tus.
(B) U extravagance avec laquelle
il osa manier l'histoire. J La licence
qu'il se donna de falsifier tout ce
que bon lui semblait , et de débiter
comme des faits véritables , ce qui
n'était que les inventions de son cer-
veau creux , approche de celle des
(i) Audi-. Schottns, fiibliotb. liispan., p. a5o.
(a) Nie. Antonius , Bibliotli. scriptor. liisp.
Iom. I , pag. t)8.
(3) Cordelier irlandais , dans son livre de
Seriptoribus Ordiuis Mioorum, apud Nicol. An-
ton, ii/id.
GUÉVARA.
323
faiseurs de romans. Ceux-ci ne trom-
pent personne ; car ils ne demandent
pas qu'on prenne pour vrai tout ce
qu'ils débitent; ils n'aspirent qu'à la
gloire de faire approuver leurs fic-
tions , comme des choses ingénieuse-
ment forgées; mais pour Guévara,
il prétendait que l'on prît pour des
narrés historiques , et puisés dans de
bonnes sources , ce qu'il avançait.
C'était donc un empoisonneur public
et un séducteur; et, dans le tribu-
nal de la république des lettres, il
méritait le châtiment des profanes et
des sacrilèges, car il violait ce qu'il
y a de plus sacré dans l'art histori-
que. Nicolas Antonio est trop indul-
gent. Illud, dit-il (4), commisera-
tione potius quant excusalio/ie indiget,
talis famœ uirum putdsse lioere stbi
adinventiones proprii ingenit pro an-
tiquorum proponeve et commendare ,
fœtus suos aliis supponcre , ac deni-
que de uniuersd omnium teniporum his-
torid , tanquam de JEsopi fabulis ,
porlentosisve Luciani narralionibus
ludere. Voyez , dans l'article Rca ,
tom. XII, toute l'étendue de ses
fourberies : j'en touche aussi quelque
chose en d'autres endroits (5).
(C) // 5e vit censuré. ] Pierre Rua ,
professeur à Soria , ne laissa point
impunie l'audace de cet auteur. 11
écrivit très- fortement contre lui ,
comme on le verra dans son article.
Voici le jugement qu'a fait Vossius
de la prétendue Vie de Marc Aurèle
composée par Guévara : fila Ma
M. Aurelii Antonini , quœ ab An-
tonio Guet'ard , Mendonensi episco-
o , et Cœsari Carolo V à consiliis ,
hispanicè édita est , edque è lingud
in allias pcrmultas translata fuit ,
nihil Antonini habet ; sed tota est
supposititia , ac genuinus Guei'arœ
ipsius fœtus ; qui turpiter os oblevit
lectori , plané contra officium homi-
nis candidi, maxime episcopi. Habet
intérim plurima lectu nec inutilia
nec injucunda : imprimis viro prin-
cipi : undè et Horologium Piincipum
insefibitur (6) . Je cite en note Martin
(4) Biblintli. bispan. , loin. I , pag. 99.
(5) Dans les articles Lais , remarque (U) ; et
I.àMie, courtisane, remarque (\S) , t. IX.C'esttui
qui est l'auteur des fables que Brantôme de'bile
dans V article de la seconde Flora, remarque
(Y) , tom. VI, pag. 4g3.
{6) Vossius , de Hist. grœcis , pag. 226.
<;,
Schoockius (7) , qui a bien connu les
défauts de cet Espagnol ; mais comme
il se fonde sur l'autorité de Rupert ,
il ne sera pas inutile de citer ici un
peu plus au long les paroles de ce sa-
vant Allemand (8). Eandem quoque
imposturam notdram in eodem Gué-
vara , quem ob id tan ta imperatoris
sui, tanld nostrorum hominum bene-
volentid prorsus indignum studiosœ
juventitus manibus excussum ibam.
Hefert lib. I Horologii Principum ,
c. 1 , gentem apud Romanos fuisse
Clavillam mag/to in honore quœ se
originem ducere glorietur à Camillo
dueum liomanorum celeberrimo , fi-
ns ex ed Camillos , Feminas Clavil-
las dictas in memoriam filice Camillœ,
quœ abkorrens nuptias in virginum
veslalium numerum cooptari uolue-
rit. Mortuatn divinis honoribus cul-
tam , ejusque monumento inscriptos
fuisse hos versiculos :
Unica sub tumulo jacel boc Clavilla Cauiilli
Nala, quater denos et sex qua: maluit annos
V iveie vestales inler conctusa sorores,
Magno Trinacria? quam nubere libéra régi.
Quàm miserum ! extincla: nunc artus rodere
vermes ,
Artus qui vitam puri effulsere per omnem.
Hoc epitaphium addit è graeco trans-
latum esse , et paulo post , mulia
refertde Camillorum prœrogativis , de
persecutionibus eorundem sub Sy lia ,
quœ omnia putida , vana et fa/sa ,
nec cuiqitam historicorum veterum
tradita , quamvis ille Cinnam et Pol-
lionem laudet scriptores quos tôt anni
et profunda seculorum oblivio ferè
cogitationibus hominum et memoriœ ,
nedum oculis exemit. Je n'ai rien
voulu retrancher de ce long passage ,
parce qu'il fournit un échantillon par
lequel on pourra juger plus sûrement
de l'effronterie de Guévara , que par
tout ce que j'en ai dit en général. Le
docte Antonius Augustinus a fort bien
décrit les défauts du personnage. An-
tonius Guévara , dit-il (9) , qui scire
(?) Quod speciatira quoque de Guevarâ.... vo-
cato etiam ad suffragium Keioesio.... docet Cl.
Ruperlus ad Floium lib. 2, cap. 17, § 17. quo
loco, ubi spécimen imposlurarum ipsius propo-
suisset, hftrc subjicit : Taceo innumeras alias
fraudes, quibus mendacioruin auctori slrenuè
lilat, et id maxime agit , ne ab hispanied va-
nilate desciscere videalur. Martinus Schoockius,
de Fabula Hamelensi , pag. 87.
(8) Ruprrt. ad Floium, lib. II , cap. XVII,
§ 17-
(9) Anton. August. , diat. X, pag. m. i5a.
Voyez aussi pag. i5g.
S24 GUÉVARA.
a-ntiqua Romanasque Historias fin- les principes de Guévara. Cujus rei
git eaque comminiscitur quœ nec etiam nomine doctissimus die theolo-
visa nec audita tnorlalibus , nemo ut gicorum locorum scriptor libri se-
divinave queat in quos Me libros inci- candi sexto capite in Guépard hoc ,
derit. Nova itaqae nomina scripto- indignant eo , ac dignitate ejus , sive
rum excogitavit , somniaque l'enditat judiciam , sive , quod magis credere
obtruiliiquequce apudnullumreperias est, ingenii luxuriantis licentiam ,
acri , quod decuit , oratione invehitur.
P rœsertim ciim chronographi munus
regio benejicio apud Carolum exer-
auctorem.
(D) Il prétendit qae les his-
toires sont trop incertaines.] Il se ser-
vit de cette excuse , quand il se vit
poussé à bout par le docte Pierre
Rua . jideb in lubrico esse omnent ve-
terum faclorum ftdent causabalur ,
ceret , neutiquam debuit eam qua or-
nabalur historiarum professionem sic
deprimere , ut proprid confessions
sibi ipsi quoque et monumentis suis
ut non aliis diceret quant Savrorum fident apud posteros derogaret (12)
Bibliorum Histoiiis prœstamlam : Les Nouvelles de la République des
nempe hoc velamenti genus sibi a Lettres (i3) ont parle' d'un certain
tant parant cequo de prœstantissimâ triumvirat, auquel Guévara mérite-
arte judicio lune quœsivit, vum è So- rait d'être associé. Ce triumvirat est
riensis Scholœ cathedra vir eximiœ composé , i°. du père Morin , qui ,
eruditionis Petrus Rua eunt de fide trois ans après la prise de la Ro-
in historiis prœstandd non semel datis chelle , soutenait encore qu'elle n'a-
admonuit expostulatoriis litteris (10). fait pas été prise, et que tous les
C'était une pauvre excuse ; c'était se bruits qui en avaient été publies n'é-
couvrir de feuilles de figuier dans sa taienl qu'un roman; 2°. d'un fameux
■ ° - - -_ _. j__-.._i-i- •_•__.-__ • _.._ j:_ _
nudité : car quand même le pyrrho-
nisme historique serait aussi bien
fondé que quelques-uns le préten-
dent , il ne serait pas permis à un
auteur d'avancer que Cicéron ou Cé-
sar ont dit, ont fait une telle chose qu'il
et redoutable dialecticien , qui dit à
un gentilhomme qui venait de dire
qu'il avait vu le duc d'Epernon à
Plassac , cela ne saurait être par
quatre raisons indisputables , et je
in en vais vous prouver qu'il faut de
inventerait lui-même. Chacun serait nécessité que M . d! Epernon soit en-
obligé de ne leur attribuer que ce core à Londres il est plus h croire
qu'on lit d'eux dans les anciens mo- que les yeux se trompent , que la rai-
numens. Un auteur ne doit point se son ; la nouvelle dont il s'agit im-
faire des règles particulières ; c'est à plique contradiction morale , et peut-
lui à se conformer aux règles publi- être contradiction physique ; 3°. d'un
homme qui déclara à Isaac Vossius ,
ques : or , selon les lois publiques ,
en fait de lecture d'histoire , on re-
çoit pour bon ce qui se prouve par le
témoignage des auteurs graves , et
l'on rejette comme une fable tout ce
qu'un moderne débite concernant
l'antiquité , sans l'avoir lu dans de
qu'après de longues et de toiles médi-
tations, il avait composé un livre où il
montrait , par des preuves invinci-
bles , que tout ce qui est contenu
dans les Commentaires de César ,
touchant la guerre des Gaules , est
bons historiens. Ainsi, de quelque faux, et où il faisait voir d'aillein
façon que Guévara considérât l'an
cienne histoire ; qu'il la crût vraie ,
qu'il la crût fausse , qu'il la crût dou-
teuse , il devait citer ce qu'il y trou-
vait , et n'alléguer que cela , faute
de quoi il mérite d'être traité comme
un séducteur public. Rua ne le laissa
point jouir de ce subterfuge' ; il écri-
amplement que jamais Uesar n'a
été au deçà des yî/pes.
(E) C'est une chimère que de dire
qu'il a été béatifié par la cour de
Rome. ] Don Nicolas Antonio cite un
auteur qui a composé le Martyrologe
des franciscains , et qui a dit que le
saint siège , après les enquêtes néces-
vit contre lui pour la certitude de saires, a solennellement décidé que
l'histoire. Un autre auteur (1 1) se mit notre Guévara est au nombre des
aussi sur les rangs , pour foudroyer .,.,...
* (13) Nicol. Antonms, Bibliolh. liispan., tom.
(10) Nicol. Antonms , Bihliollt. hispan. , loin. I, pag. g<).
I. png. Ç19. (i3) lHois d'avril i6S5, art. VU, pag. t\io ,
(11) Cal Mclchior Canus. ij11-
GUÉVARA.
3*5
beats *, et qu'on le doit tenir pour 1611 est la troisième. Je la crois plu-
tel. IVescio undè Arcturus a M omis- tôt de Leipsic que de Torga : car le
terio Franciscani Martyrologii auctor traducteur l'oppose à celle de Torga,
rem aliis indiclam , inauditam acce- qui était la première (17), et qui pa-
perit. Antonium ut Guevaram octo- rut en l'année 1601 , la seconde parut
bris die xxiv in albo eorum colloca- l'an 1606. Les Épîtres du même Gué-
ret quos apostolica Pétri sedes bealos vara ont été traduites en italien et en
pire que celle de Guévara même. Si Nam Principum Horologittm , dit-il
ce fait avait la moindre apparence , dans la page a5i de sa bibliothèque
n'y aurait-il qu'un auteur qui en par- d'Espagne, seu de fila 1M . Aurclii
lât ? Le silence de tous les autres est Imperatoris et Faustinœ Cenju&U ,
démonstratif contre l'auteur du Mar- conficta sunt, non ex historien petit a
tyrologe.
(F) On ne saurait assez admirer
l'empressement que les étrangers ont
eu de traduire , en diverses langues ,
quelques-uns de ses ouvrages."] L'Hor-
loge des Princes fut traduit en italien
ne quis erret , ut in Gallid , ubi cu-
pide mnùs in sinu olim nobilium, ma-
nibusque gestatum fuisse , memini ;
ut et Epistolas ejus nauci plenas et
ineptiarum , Aurearum titulo tran-
scribere non iidem dubitdrunt (\8) :
par Mambrin Rosséus, l'an i548, et sed quas illi legant, per me licet ,
en français, par un autre homme , quibus meliora non suppetunt , aut
l'an i588 ('*). Fridéric Guillaume, capere non possunt. Et voici ce qu'il
duc de Saxe , en fit faire une édition dit dans la page 567. M. Aurelii An-
latine , accompagnée de notes et d'a^
phorismes , par Jean Vankélius , l'an
161 1 , in-folio. Cette édition a été
x'enouvelée à Leipsic , l'an i6i5 et l'an
1624, et à Francfort, l'an 1664 (1 5)
tonini uitd et Faustinœ cjusdem Gue-
uarœ % ridicula est et merœ nugœ ,
quant tamen Galli applausu ma g no
excepçrunt , sœpiks verierunt , edide-
rnntqiie et nobiles plerique manibus
Emericus Casaubonus in prologo sic gestant : sed quidmirum quibus Ama
féliciter Guevarœ suam contigisse fie- disius Gallicus , Orlandus ftiriosus ,
ceteraque œgrorum somma perp/a-
cent , quœ , qui sapiet , ne horas col-
locet malè , fugiet.
G) Je donnerai la liste de ses
écrits."] J'ai parlé du plus fameux. Il
a pour titre en espagnol Relox de
Principes : 6 Marco Aurelio. On
croit que la première édition est de
l'année i53p, ; elle fut suivie de quel-
ques autres, avant que l'auteur pu-
bliât lui-même son ouvrage. Il se
plaignit qu'on le lui avait arraché
des mains encore1mparfa.it , et qu'on
l'avait publié à son insu. Ses lettres
furent imprimées la première fois
l'an i53g, et l'ont été depuis en di-
vers lieux et en divers temps. Ses
autres ouvrages sont Prologo solenne,
en que el autor toca muchas hislo-
rias ; Una Decada de las vidas de
los X Cesares emperadorcs romanos
(1*) Cerld cum spn quanta hœc editio primai
illi Tohgen.si quoatl typos chartatque est simi-
lior , ianio etiam foie ad lecLioncm frequentto-
rem quiim secundo, fuit. Vankdius, epist. dedic.
(18) Voyez Montaigne , Essais , (oui. /, pag.
498.
tionem confirmât , omnium sil ut hic
liber ubique gentium célébrât i s simus^
F.uropœique omnes suo uniuscujusque
idiomate loquentem ihesauri ad instar
habeant , mirifiecque ejus possessione
fruantur (16). Voilà ce que j'em-
prunte de don Nicolas Antonio : se-
lon lui, l'édition de Vankélius fut
faite à Torga , l'an 161 r ; mais il de-
vait ajouter que cette édition de l'an
* Joly ci oit qu'il fallait dire bienheureux , ter-
nie qui a une signification bien différente de béat.
(i^) Nicol. Antonius , Bibliolh. bispan. , tom.
'• Pag- 99-
(*) Il y a eu deux traduction* françaises de ce
livre, publiées à près de soixante ans l'une de
l'autre. La première, de Bernard de la Grise,
in-4°- gothique, i53i , réimprimée in-16, en
très-beaux caractères, par Jean de Tournes,
Lyon, l55o ; la seconde, de Nicolas de Herbe-
ray, sieur des Essars, réimprimée plusieurs fois.
A ces deux différentes traductions, desquelles,
soit dit en passant, la deruière est cbâtrée de
plusieurs chapitres , vise le stppius verlerunlàu
jésuite Schottus, vers la Cn de la remarque (F).
Hem. crit.
(i5) Nicol. Antonius, Bibliotb. bispan., tom.
- , P<*g- D9-
(»6) Idem, ibidem.
3s6
GUEVARA.
desde Traiano a Alexandro ; Del de F empereur estant malade des fie-
menos Precio de la Corle , y alabanca vres quanes , me l'envoya demander,
de la Aldea ; Aviso de Privados , y pour passer le temps , et alléger son
Doctrina de Corlesanos (19)5 De los mal. Parquoy obéissant a son inlen-
Inventores del Marear y de muchos tion luy apportay moy mesme Marc
trabaxos que se passan en las ga- Aurele , sans loutesfois qu'il j'ust
leras (20) ; Monte Calvario , sive de reveu, corrigé, ny parfait , le sup-
Mrsteriis Dominicœ Passionis ac de pliant treshumbl entent pour toute la
verbis Domini in Cruce pendentis recompense de mon labeur, qu'il ne
(21); Oratorio de religiosos y Exer- permist d'estre nullement copie', ns
cicio de virtuosos. Il travaillait à une transporté de sa royalle chambre ,
autrement sa majesté seroit mal servie
en mon préjudice , pour ce qu'en pour-
suyvant et parachevant mon entre-
prise , il cognoistroit que mon inten-
tion n'estoit de publier seulement , et
mettre en évidence Marc Aurele
ainsi qu'il estait , ains y adjouster
histoire de Charles-Quint , et Ton dit
qu'il ordonna par son testament ,
qu'on rendît (22) à cet empereur la
pension d'historiographe , qu'il avait
touchée pendant une année où il
n'avait point travaille à cette his-
toire (a3) *.
(H) J'ai des additions a faire a ce maintes sentences dignes de recom-
mie l'ai dit de son Horloge des Prin- mandation • ce non obstant le mal-
-1 — «. _ « r~r.\ heur J ut tel, que le livre fut desrobé ,
puis escrit et doublé par diverses
mains , et de main h main mis entre
celles des pages , pour le copier ,
augmentant par ce moyen les incor-
rections et fautes de jour en jour : car
il n'y avoit qu'un seul original pour
les corriger : il est bien vray qu'au-
cuns m'en appoi'loyent quelques co-
pies , pour les revoir et amender :
mais si elles pouvoyent parler, se
ces.] 11 déclara que cet ouvrage (24)
e'tait une traduction de la vie de
Marc Aurele , et que l'original lui
avait été envoyé de Florence (a5). Il
avoua qu'il ne s'était point assujetti
à traduire mot pour mot , et qu'il y
avait ajouté beaucoup de choses. II
commença ceste œuvre l'an i5i8, et
l'acheva, Tan i524 : Et combien que
durant ces dix ans, dit-il (26), je
tinsse mon livre bien secret, néant-
moins il fut divulgué : car la majesté plaindroyent plus de ceux qui les ont
J ° copiées , que moy des larrons qui les
(19) lia été traduit en français, sous le titre Ont pillées ; et qui pis est environ la
de Réveille-matin des Courtisans, par Alexandre saison que mon labeur avoit en cecy
Hardi, Parisien, receveur des aydes et tailles du
Mans. Je me sers de la seconde édition , faite
à Paris , i6î3 , tn-8°.
"(20) Du Pinet l'a traduit en français.
(21) Waddingus a fait ici deux ouvrages d'un:
il a cru que le livre' De verbis Domini in Cruce
était différent du Monte Calvario. Nie. Anton. ,
Biblioth. bispan. , loin. I , pag. Q().
(22) ^Egid. Goniales Davila affirme ceci , en
parlant des évêques de Mondonédo , dans son
Tbeatrum ecclesiast., apud Nicol. Ântonium,
pag. 100.
(2Î) Ex Nie. Antonio, Bibliotli. bisp. , loin.
J , P*g- 99
prins fin , prest a le semer, pour en
dispenser lefruict , Marc Aurele fut
imprimé en Seville , et peu après en
Portugal et par les royaumes d'A-
ragon, tellement que si la première
impression fut vicieuse , les autres le
furent encordes plus. Jugez par-là si
les Espagnols méritent moins que les
Français, les railleries d'André Schot-
tus (27). Il ne savait pas peut-être
qu'il y avait des Français qui mépri-
* Leduchat observe que Bayle ne parle pas de sèrent les épîtres de Guévara , des-
quelles , disait Montaigne (28) , ceux
qui les ont appelées dorées , faisaient
Y Histoire pitoyable du prince Eraste , fils de
Pioclélien , empereur de Ruine, que Drandiii!
attribue à Guévara , et dont il existe une traduc
tion française, i568 , in-iG, i5;2 , in-16. On jugement bien autre que celui que
trouve des détails assf-7. étendus sur les ouvragrs j'en fais. A VOUOnS néanmoins qu'elles
d< .Guévara, et leurs traductions, dans UBiogra- dupèrent une infinité de Français, et
phie universelle , aux mots Glevàra, Maïerne- *
Torquet et MoliÈres.
(2.4) Guévara, dans le prologue de /'Horloge
des Princes.
que l'Horloge des Princes eut en
France un sort bien avantageux. Il
y fut imprimé plusieurs fois. Je me
(a5) \Il venait de dire qu'on lui avait envoyé 'scrs d'une édition de Lyon, par
de Cologne dix livres de l empereur Augutte, m- J r
Silulés : De la Guerre Ginlabriquc. El voilà
deux impostures qu'il avance.
(26) Préface de {'Horloge des rrinces.
(27) Rappariées danr la remarque (F).
(28) Montaigne, Essais, liv. I, chap.KLFIII,
pag. m 498.
Benoît fiigaud , t5q2 , in-\i; et je
vois au titre que l'ouvrage a e'te' tra-
duit de castillan en jra.ncois , par
R. B. de Grise ; depuis reveu et coi-
riffé par N. de Herberay, seigneur
GUICCIARDIN. 3<i7
autres ouvrages (a), naquit dans
cette ville, le 6 de mars i/jc»?.. Il
enseigna le droit à l'âge de
vingt- trois ans; mais il aima
des Êssars , outre les précédentes im^iuleux suivre le barreau, que
pressions.^ Lettre dédicatoiie aJPcont;nuer «j'être professeur en
cardinal de Givri n'est point signée.
J'y trouve que le seigneur des Essars
était mort pendant qu'il travaillait à
la traduction de cet ouvrage. Nous
n'avons donc/Jeu avoir, continue-t-on,
que le premier livre de sa translation,
oh encores se sont trouvez sur la Jin
quelques cayers en si pauvre estât ,
qu'il a esté impossible de les lire , au
moyen dequoy l'ouvrage a esté con-
tinu é sur l'ancienne traduction , apivs
toutesjbis y avoir corrigé infinies
fautes sur l' exemplaire espagnol , et
jurisprudence. Il se rendit un
avocat fort célèbre , de sorte
qu'on le jugea digne d'être em-
ployé dans les affaires d'état. On
l'envoya ambassadeur à la cour
de Ferdinand , roi d'Aragon , au
mois de janvier i5i2. Cette am-
bassade dura deux ans , et lui
fut fort glorieuse ; car à son re-
tour à Florence on lui témoigna
renversé plusieurs manières contrains hautement qu'on était bien satis-
fait de lui. Il se mit quelque
temps après au service de Léon
X , qui lui donna le gouverne-
ment de Modène et de Reggio.
Il défendit Parme avec beaucoup
de succès , après la mort de ce
pape. Il retint sous Hadrien YI
et sous Clément YII les gouver-
nemens qu'il avait eus sous Léon
X. Il fut même gouverneur de
la Romagne sous Clément VII,
et lieutenant de l'armée; et il fit
voir qu'il n'était pas moins bon
capitaine qu'habile négociateur.
Il était gouverneur de Eologne
lorsque ce pape mourut , et il
h nostre langue, lesquelles souvent
empeschoient de pouvoir entendre le
sens de l autheur, voire quelquefois
repugnoyent entièrement h son inten-
tion.
Les Italiens ont aussi traduit plus
d'une fois ce livre-là. J'ai parle de la
version qui en fut faite par Mambrin
Piose'us , et j'ajoute que Fausto da
Longiano en donna une autre , qui
fut imprimée l'an i546, in-8°. Il y
ajouta des choses qui n'e'taient point
dans l'original espagnol , et il remit
celles que l'autre version italienne
avait retranche'es de ce même ori-
ginal. Il fait sentir, dans sa préface, la
liardiesse que Gue'vara s'e'tait donnée
d'avancer des faits qui ne sont point
véritables. Sa critique est bonne et
docte. 11 promettait une vie de Marc
Aurèle , composée sur le témoignage donna bon ordre que les ennemis
des anciens historiens , afin qu on la
mît en parallèle avec celle que l'écri-
vain espagnol avait, forgée. Il se re-
présente comme un homme appliqué
à des études plus graves sur l'hébreu,
sur le grec, sur le latin, que ne
l'était de traduire en italien un livre
espagnol , et il fait espérer ses œuvres
latines.
GUICCIARDIN (François) ,
issu d'une des plus nobles et des
plus anciennes familles de Flo-
rence , et auteur d'une histoire
fort estimée (A) , et de quelques
qu'il s'était faits par l'exacte
observation de la justice , ne se
pi-évalussent contre lui de l'in-
terrègne. Le nouveau pape donna
ce gouvernement à un autre , ce
qui obligea Guicciardin à s'en
retourner à Florence , où il se
fixa jusques à sa mort. Il rendit
de grands services à la maison
de Médicis , et ne voulut point
écouter les offres de Paul III,
qui le voulut attirer à son servi-
(a) Voyez la remarque (H).
328 GU1CCIARDIN.
ce. Il avait une femme , mais supposent que les cinq premiers
non pas des fils ; ainsi il considé- furent corrigés par un habile
ra qu'il ne pourrait point parve- homme (c).
nir aux prélatures , ni en procu- Le père Possevin le blâme d'at-
rer à ses enfans ; et comme il Jxibuer au destin et à la fortune
craignait d'ailleurs de ne pou- les succès des guerres , et les ré-
voir pas servir le pape sans dés- volutions des états : il veut bien
obliger quelquefois le duc de FIo- lui faire la grâce de croire que
rence , il aima mieux vivre en re- ce style n'est point en lui un ef-
pos dans sa maison de campa- fet de quelque erreur de l'enten-
gne , et s'y occuper à l'histoire dément, mais un simple effet de
qu'il avait entreprise. Il l'avait la coutume; néanmoins il s'ima-
fort avancée , lorsqu'une fièvre gine que cela gâte l'esprit des
maligne le fit mourir au mois de lecteurs (ci). Il n'est pas aisé de
mai i54o , à l'âge de cinquante- connaître s'il a plus d'inclination
cinq ans. Il ordonna que ses à le censurer qu'à le louer (G).
funérailles se fissent sans beau- M. Varil las l'accuse de calomnier
coup de pompe , et sans épitaphe François Ier., au sujet des intel-
ni oraison funèbre (b). Son lus- ligences avec Soliman : j'exami—
toire d'Italie est fort bonne *. nerai tout ce qu'il observe là-
Plusieurs prétendent qu'il a mé- dessus (H). Je rapporterai aussi
rite l'éloge d'un historien désin- les plaintes un peu trop dévotes
téressé , qui ne flatte personne , de Bonifacio Vannozzi (I), et je
et qui ne blâme que ce qui est n'oublierai pas que les Vénitiens
blâmable : mais quelques-uns se plaignent d'une certaine ha-
trouvent qu'il a été trop partial rangue que Guicciardin attribue
contre la France (B), ou qu'il à l'ambassadeur qu'ils envoyè-
s'est trop arrêté à des minuties rent à la cour impériale (K). Ou-
(C), ou qu'il a inséré trop de ha- tre cela je dirai qu'il composa
langues diffuses (D) , ou qu'il a quelques autres livres (L) , et que
trop attribué les actions à des son neveu , Louis Guicciardin ,
motifs illégitimes. (E). Le cardi- s'est rendu illustre dans la répu-
nal Pa'avicin ne lui a pas été fa- blique des lettres (M).
VOrable. Je rapporterai Ce qu'il (c)Cuietiamilliquieidemsuntiniquissi-
e.ïl a dit (F). Quant au Style de "« «« primis quinque Ubris , quos eruditi
Gm'rri'ardin *p« nlus iniiistps ctlJUs1uam virt limâ perpolitos fuisse con-
tjuicciaram , ses plus injustes tendunt^ omnem Fiorentim set-monts en-
censeurs reconnaissent qu'il est gantiamconcinnitalemque concédant: in cie-
très-pur et très-exact ; mais ils fris Ubris non ilem, quosnulliuscensurœ,
1 !•«■' pnores quinque,, subjecerat. JNic. kry-
mettent une grande différence thrams , Pinac. III , pag. 220.
entre les premiers livres et les MPossevin Biblioth. sélect. , tom. il,
* , ,., lib. Xf- 1 , cap. XLI, pae.iin.
suivans ; et cela , parce qu ils
(b) Tiré de sa Vie , composée par le père (A) Il est auteur d'une histoire fort
Rc'rai de Florence. Elle est à la tête de son estimée. ] Elle comprend, en XX H-
Histoire d'Italie. vres , ce qui se passa dans l'ftalie , de-
* Croirait-on que Joly pi étend que Bayle pUis l'an \fo\ jusques à l'année i53a.
fait ici peu d'estime de Guicciardin; et trouve Rcnfermons-la dans CCS bornes (i),
étrange que , paraissant en faire si pi n d es-
time , il se soit souvent appuyé' sur son seul (,) Biillart , Acailémie des Sciences , tom. I ,
témoignage? P"à'' i5'? '«« donne pour bornes l'entrée des
GUICCIARDIN. 829
puisque l'auteur de sa Vie le veut ; ciardin avait eu dessein d'imiter Ce-
mais observons qu'elle remonte jus- sar, c'est-à-dire de composer des
ques à l'état où se trouvait l'Italie , mémoires sur les actions de sa vie ;
l'an 149°» e* qu'elle finit à la mort mais Jacques Nardi , qu'il consulta,
de Clément VII et à l'élection de lui mit en tête un travail plus re-
Paul III (2). Il est vrai qu'elle est levé, savoir l'histoire de son temps,
fort succincte sur les dernières années II le j ugea propre à cette entreprise ,
de Clément VII , à commencer prin- le connaissant incapable de falsifier
cipalement par l'an i53o. Elle a été les choses , ou par la crainte des
traduite de l'italien en diverses lan- eilèts de la censure , ou par l'cspé-
fues. Cselius Sécundus Curion la pu- rance des effets de la flatterie; outre
lia en latin, à Bâle, l'an i566. Un que c'eût été encourir l'envie des
certain Jérôme Chomedey, Parisien , Florentins , que de se borner à sa
la publia en français à Paris, l'an propre histoire. Fit du lui dissuaso ,
i568. Les Anglais l'ont en leur lan- ed esorlato a scriver 1,'historia île'
gue , comme il paraît par le Cata- suoi tempi, si perche lo conosceva
Jogue d'Oxford. Les Espagnols , les d'ingegno , atto a conduire un' im-
Allemands et les Flamands l'ont presacosifuttaa perfellione ; e percha
aussi traduite en la leur (3). La anche sapeva modo bene , ch'egli cra
meilleure édition italienne est celle per descriver la pura venta, sensa
qui est accompagnée des notes mai- rispetto di paura , o speranza di pre-
ginales de Thomas Porcacchi. La min, délie quali due corrutlete pur
première édition de cette nature est che sieno stati ne tempi passali , e
de Venise , i5^3 (\). Cet ouvrage de sieno a ne or hoggi corrotli quasi tutti
Guicciardin ne parut qu'après sa gli sèrittori ; si ancora perché fug-
mort , et ce fut Agnolo Guicciardin , gisse l'invidia de suoi cittadini , e 'l
son neveu , qui eut soin de le donner biasimo universelle de l'haver volulo
au public. Les protestans n'ont pas celebrure solamente se stesso (S).
laissé perdre les fragmens que l'on (B) Quelques-uns trouvent qu'il a
en avait détachés , et qui n'étaient été trop partial contre la France.}
pas au goût de la cour de Rome. Ils Rapportons un long passage de Claude
les ont publiés à part en divers temps du Verdier (9). Guicciardinus tain
(5). M. Heidegger, en dernier lieu , a frigide invilusque Gallorum victorias
joint à l' Hisioria Papatiis (6) , celui et g/oriani narrât, quant accuratè
du IVe livre. M. Va rillas assure que lubensque adversa quœque , quan~
les héritiers de Guicciardin singé- tumvis minima , a fortunée potentis-
rérent , contre son intention , de don- sinio belli numine ejaculata : quem-
ner au public les quatre derniers admodum sarcinarum in alicujus
livres dans ta troisième édition. J'exa- fluminis trajectione submersionem
minerai cela ci-dessous (7}. Notez persequitur, atque dilatât. Duni videt
que le Sansovino a publié un épi- Carolo V11I lotam Italiam ah Al-
tome de cette histoire , et que Guic- pibus ad JYeapolim nentine penitus
obsistente occupanti , victoriam abs-
Françaisen Italie l'an iliçio , et le pontificat que SUSpicionc falsi adimi non VOSSe ,
île Faut lit, en i5i5. Les français n entre- ' r- il i •?• •
renl en Italie qu'en iLui . ln ^Ulloruill quorundam TllUttlllIl m-
(1) Faite le i3 d'octobre i534. lernecione paucorumqite , qud sine
(3) Bullart, Académie des Sciences, tom. I , Victoria oblineri non potuit , tOtUS est,
VaS- ,5'- irtagnam eam appelions stragem :
(J) Possevjn B.bliott) sélect. , tom. II, liv. Carolo tameii ciirri dominium su-
JLVI, cap. ALI, pag. 56r. .... i-zr. • , t> ,
ik\ 11 1„ , /;•■ , 1 r r .■ -j me perslttisse dinilen non ausus est. Aed
(5) Ils en publièrent deux ( l unlire du IIIe. r , "". . „ . •>
livre , Vautre tire' du IVe. ), à liâle , en latin , a"œ "C VlCtOnbuS Stl'ageS fteri potlllt ?
en italien et en français , l'an ift6q , in-S°. , et Si de SUIS SerillOIlCin illslitllll , eis
avec quelques autre t pièces, Van i60a, sans lieu semper plus merilis al tri huit , et re-
d impression , in-S". , et a brancjorl , m-4°. • • j j
fan 1609. Voyez la remarque (Q) de l'article g}OniS laudes maglS , quant SUCV gen-
Jules II", à /'alinéa, tom. VIII. Us res gestas persequitur, iindé ma.ri-
(6) Imprimée à Amsterdam, l'an l684- Voyez ma lailS ducenda est. Si Cette Censure
les Nouvelles de la République des Lettres,
mois de mai 1G84 , pas- 3i(> 'le la seconde e'di- (S) L'auteur de la Vie de Guicciardin.
tion. (c)) Claud. Verderius, in Censiouc Au loi uni ,
(7) Dans la remarque (II). apud Pope Blount , pag. m. 3go.
33o
GUICCIARDIN.
est bien fondée , Guicciardin mérite
la berne ; il se rend coupable de la
faute des gazetiers. Ceux-ci donnent
tous les jours la comédie ; car, par
exemple , lorsque les Français cam-
pent au delà du Rhin , la Gazette
ennemie ne parle que des partis qu'on
leur bat , que des prisonniers que
Font fait sur eux , et que de leurs
déserteurs. La Gazette de France ne
dit rien de tout cela ; mais en ré-
compense elle s'e'tend sur les pertes
des allie's , et sur les contributions
qu'on les contraint de payer. Quand
les Allemands passent sur les terres
de France, comme ils firent pendant
l'automne de l'an 1694 , la Gazette de
France n'oublie point les partis qu'on
leur de'fait, ou qui sont contraints de
se venir rendre : elle ne parle que de
cela. Au contraire, celle des allie's,
oubliant toutes ces choses , tient un
registre fort exact de tous les villages
pilles parles Allemands; de tous les
magasins brûlés ; de tous les partis
français battus, etc. Mille fâcheuses
raisons veulent qu'on en use ainsi
dans ces écrits journaliers (10) ; mais
un historien qui ose tenir cette con-
duite est entièrement inexcusable. Il
doit rapporter avec la même exacti-
tude les pertes et les avantages de
son parti. En trouve-t-on qui le fas-
sent ?
La Popelinière est un de ceux qui
accusent Guicciardin d'avoir été trop
partial contre la France. Il est libre ,
dit-il (11), et véritable, franc de
passion s'il l'estoit de haine , qu'il
n'a su déguiser contre les François ,
le duc d'Urbin et autres Il ne
s'est même pu commander de pa-
tienter l injure que les Italiens disent
et escriment par-tout avoir reçue des
François , lors qu'ils Jurent troubler
le vieil et profond repos de l'Italie
sous le roi Charles J^III mal
propre sujet toutes fois a Guicciardin ,
et a presque tous les autres auteurs
italiens d'y faire voir V animosité de
leurs esprits. Kl ne puis juger en
quoi il se fonde , de dire que ce toy
estait de forme monstrueuse. La Po-
pelinière réfute cela avec un babil
(10) Conférez la Critique générale de l'His-
toire du Calvinisme, lettre II , pag. 27 de la
troisième édition.
(11) La Popelinière , Histoire des Histoires,
hv. Vil , pag. 406.
bien ennuyeux : il se devait contenter
de ces paroles. Je laisse a penser a
tous , si le roy Charles eust esté tel y
voire en eust seulement approché , si
d'autres Italiens aussi ennemis du
nom francois que Guicciardin (qui
n'en a descrit que les vertuz qu'il ne
pouvoit nier sans estre accuse de men-
songes et faulseté) n'en eussent pas
devant et après luy farcy leurs escrits.
Mais un seul de tous les peuples
chrestiens , ny estrangers du temps
de ce roy, ny après luy, n'a seu-
lement mordu de nom ce roy (12).
Pour n'en faire pas à deux fois, je
rapporterai ici les autres défauts dont
cet écrivain blâme Guicciardin. Il
sont les mêmes que d'autres ont ob-
servés , comme il paraîtra par les re-
marques suivantes. Je n'y trouve ,
dit-il (i3) , recommandation aucune ,
pour laquelle on le doive advancer
sur les autres , que pour ceste liberté
de parler des grands : et le soing de
rechercher les causes et motifs de plu-
sieurs accidens qu'il traicte. Au reste
si prolixe et sur-abondant en haran-
gues , et infinis petits discours qui ne
méritent l'escrire , que si quelque au-
tlieur l'eust devancé en la hardiesse
de descouvrir les fautes des plus
signalez, on n eust fait grand conte
de Guicciardin. Riais on scait com-
bien une notable nouveauté affec-
tionne les esprits des hommes. En
laquelle néanlmoins , il s'est préju-
dicié de ne s'y estre commandé , et
avoir préféré quelque devoir de pais ,
a celuy de l'historien , voire de chres-
tien et homme d'honneur, qui doit
avoir telles choses indifférentes.
(C) ou qu il s'est trop arrêté a
des minuties.] C'est le jugement de
Juste Lipse 04)- f^ilia duo propria
hujus œvi non effugit , quod etjusto
longior est , et quod minutissima quœ-
qne narret , parum ex lege aut digni-
tale historiée, quœ , ut jlmmianus
lib. XXVI , ait , discurrere per nego-
tiorum celsitudines assueta , non hu-
milium minutias indagare causa-
rum.
(D) ou qu'il a inséré trop de
harangues diffuses.] Outre ce que
vous verrez dans la remarque sui-
(1?) T-'a même, pag. 410*
(l3) J.'a même, f-ag. ^11.
(\ i' Liusius, in N ulis ad / l,b. Polilic. ,cap.
IX.
GUICCIARDIN.
33.
vante au passage de Montaigne, voici » qu'il y ayt estime' d'autruy selon
les paroles du même Lipse (i5) : Sed » soy (16). »
non orationes ejus satis vegetœ mihi (F) Je rapporterai ce que le cardi-
aut castigatœ , languent sce]>è aul nal Palavicin en a dit.] D'abord il lui
soluté vagantur. Deniij ne ,uno verbo, impute trois mensonges, et puis il
inter nostros summus est histoiïcus : juge de lui en général. Le 1er. de
inter veteres , mediocris. ces trois mensonges regarde Ha-
(E) ou qu'il a trop attribué les drien VI On prétend que Guieciardin
actions a des motifs illégitimes.} On n'a pas dû dire (*'), que le jour que
va voir Montaigne, qui se revêt là
dessus d'un esprit de charité' pour le
genre humain. Bien d'autres ne croi-
raient pas que Guieciardin méritai
de ce cùtë-là quelque censure : mais
laissons parler Montaigne , tant sur
ce qui est propre à mon texte , qu'en
Îje'ne'ral sur le caractère de ce fameux
listorien. « Il n'y a aucune appa-
» rence que par haine , faveur, ou
» vanité, il ayt déguisé les choses
ce pape fut élu aucun cardinal n'a-
v.u'l intention de l'élever au ponti-
ficat , et que ceux qui lui donnèrent
leur suffrage au scrutin n'avaient in-
tention que d'amuser le bureau celle
matinée (17). Je ne rapporte point,
les raisons du cardinal Palavicin
confie ce narré. Le 2e. mensonge
regarde l'électeur de Saxe. On sou-
tient qu'il n'est pas vrai que Léon X
ait expédié contre ce prince un mo-
» de quoy font foy les libres juge- nitoire rempli de menaces, qui l'ir-
)) mens qu'il donne des grands : et rita extrêmement. Due allie abbagli
y> notamment de ceux par lesquels piu rileuanti prende egli nclla prin-
» il avoit esté advancé, et employé cipal nostra malaria. Il primo è l'af-
» aux charges , comme du pape Cle- fermai' che Leone spediae contra l'e-
» ment VIL Quant à la partie de leltor di Sassonia un monilorio con
» quoy il semble se vouloir prévaloir
« le plus , qui sont ses digressions et
» ses discours, il y en a de bons et
» enrichis de beaux traits , mais il
minaccia di grai>ipene, e perd con
irritazion di quel principe. Il che è un
t>ano sogno contrario à quanlo si leg-
ge nelle memorie pienissime di que
» s'y est trop pieu : car pour ne vou- successi (18). Le 3e. mensonge re
>> loir rien laisser à dire , ayant un
» sujet si plein et ample, et à peu
» près infiny, il en devient lasche ,
» et sentant un peu le caquet scho-
)) lastique. J'ay aussi remarqué cecy,
garde Luther, qui , à ce que conte
Guieciardin , fut tellement cilrayé de
se voir au ban de l'empereur, qu'il
aurait facilement abandonné ses er-
reurs, si le cardinal Cajetan ne l'eût
que de tant d'ames et d'eflècts qu il jeté au désespoir par ses injures et
» juge, de tant de mouvemens et
» conseils , il n'en rapporte jamais
» un seul à la vertu , religion , et
» conscience , comme si ces parties-
» là estoient du tout esteintes au
» inonde : et de toutes les actions ,
>> pour belles par apparence qu'elles
>> soient d'elles-mêmes , il en rejette
» la cause à quelque occasion vi-
>' cicuse , ou à quelque profit. Il est
» impossible d'imaginer, que parmy
» cet infiny nombre d'actions , de
» quoy il n'y en ait eu quelqu'une
» produite parla voye de la raison.
» Nulle corruption ne peut avoir
» saisi les hommes si universelle-
» ment , que quelqu'un n'échappe
» de la contagion. Cela fait craindre
» qu'il y aye un peu du vice de
» son goust , et peut estre advenu ,
(»5j Itlenijibid.
par ses menaces , et s'il lui avait fait
des ofl'rA honnêtes. Palavicin sou-
tient cjue le cardinal Cajetan était
retourné à Rome vingt mois avant
que le ban contre Luther fût publié
(**) , et que le discours qu'il lui tint
avant cela fut plein de modération
(19). Palavicin dit, à ce propos, que
(16) Montaigne , Essais, liv. II , chap. X .
png. m. i53 , 1 54-
(*') Net libro XIV.
(17) Quasi le prime voci date nello squillinio
al cardinal Adnano fossero , non perche veru-
no have-r*e intentions d'elegget lo , ma per con-
sumare indarno quel'a malinn. Palavic. , Isior.
del Concilio, lib. II, cap. Il , nuin, 7, ail'
ann. i5ai.
(18) Palavicin. , ibid. , num. 8.
(*2J A 5 di sellembre i5iç) , corne negli Ail:
consisloriali. Idem, ibid.
(ici) E pur è cerlo che il cardinal di Gaela
non parla con Lulero ne allora , ne dipoi , ne
per gran tempo adielro ; essendo tornalo in Ra-
ina venu mesi prima del br.ndo : E ijuando gli
332
GUICCIARDIN.
Guicciardin , à l'égard des choses qui
ne concernaient, pas directement sa
matière , s'arrêtait à des connais-
sances confuses , et croyait plutôt le
mal que le bien , afin de satisfaire
son esprit de médisance. Il ajoute
quelque chose pour le rendre fort
suspect , à l'égard des médisances
qui concernent la cour de Rome.
Voici ses paroles (20) : Dal che m'av-
veggo , che quell' istorieo , di cio che
non apparteneva al suo principal ar-
gomento ,prese notizie molto confuse:
E fh anche sempre inclinato a cre-
dere le peggiori , corne appare nella
sua spessa maldicenza di ciasche-
duno ; la quale appresso alla bulgare
malignita gli ha guadagnata estima-
zion di veridico. Ma contro a pon-
te/ici fù anche pih specialmente
amaro , cosi per quell' usato rancore
che i ministri di lungo sei\>igio con-
cepiscono contra i padroni da cul non
ottennero le mercedi sperate ; corne
torse perch' egli riconosceva da loro
(a perdita delta liberta nella sua re-
publica.
(G) // n'est pas aisé de connaître
si Possevin a plus d'inclination a le
censurer qu'à le louer.] Il lui attri-
bue un grand jugement, et beaucoup
d'expérience dans les affaires publi-
ques (21) : il rapporte l'opinion
avantageuse de Thomas Porcacchi
touchant cette histoire (22) ; mais il
dit, aussi que Jean-Baptiste Leone pu-
blia (a3) cinq livres de Considéra-
tions r sur cet ouvrage, pour en mar-
quer les faussetés et la pirtialité.
Cette critique, ajoute-t il , eït entre
les mains de tout le monde ; il n'est
donc pas nécessaire que je ta rap-
porte. Au reste , il nous avertit que
Clément VIII venait de faire mettre
dans l'Index la version latine de Guic-
parlo , gli ojferse benignamenle il perdono , se-
cundo che Lulero stesso raconta : E la medesi-
ma esihizione gli fu pùi voile fatla in Vormazia
nella dieia, conte lesujic'o Cesare net suo ban-
do. Idem , il 'ni .
( 20J Idem , ibid.
(21) Possevin. , Kibliotli. sclect. , loin. Il,
lib. XVI , cap. XLl ,pag. 336.
(22) Idem, ibid. , pag. 33^.
(î3j A Venise, i583 : cet ouvrage est en ita-
lien.
Joly observe, i°. que ces Considérations
ont six livres, et parurent en i583; 20. que ce
n'est point une critique générale de l'ouvrage de
''uicciardio , mais la justilication des Vénitiens
»ur ce qu'il en avait dit.
ciardin , composée par l'hérétique
Cœlius Velcurion ( i\ ). Il prétend
que ce fut à cause que le traduc-
teur n'avait pas bien expliqué l'ori-
ginal (25) : mais nous verrons ci-des-
sous que le Vannozzine nous permet
pas de nous arrêter à cette raison. Si
Possevin avait eu en vue d'inspirer à
ses lecteurs une grande estime pour
l'ouvrage de Guicciardin, il n'aurait
pas eu moins de soin de nous parler
de Piémigius, que de Jean-Baptiste
Leone. Ce Rémigius, moine de Flo-
rence, est auteur d'un livre qui fut
imprimé à Venise, l'an 1 582 , et qui a
pour titre : ConsiderationiCivili sopra
l' Historié di M. Fr. Guicciardini , e
d'altri histoiici.
(H) J' examinerai tout ce que M. Va^
rillas observe là-dessus.} Il assure
(26) que François Ier. et Henri VIII
s'engagèrent, en 1 532, à défendre sans
exception et sans réserve , quelque
état de la chrétienté que les Turcs
attaqueraient L'original de cette
convention , ajoute-t-il (27) , se trou-
ve encore dans la chambre des comp
tes de Paris : il faut que Guichar-
din n'en eut eu aucune connaissance,
puisqu'il écrit positivement , et que
la plupart des historiens étrangers
ont depuis assuré sur son témoignage,
que le roi très-chrétien, dans le même
temps, sollicitait le sultan Soliman
d! achever la conquête de la Hon-
grie , et offrait de joindre ses forces
a celles des Turcs , pour attaquer la
maison d' Autriche. La calomnie est
si grossière , que Paul Jove, qui écri-
vait l'histoire en même temps que
Guichardin , et dans, V Italie aussi-
bien que lui, s'en est aperçu. Mais
on pardonnera plus aisément a Gui-
chardin de V avoir prise pour vérité ,
si l'on considère qu'il ne l'a écrite que
sur la fin de son ouvrage; et que les
quatre derniers livres de cet auteur
ne sont ni de la force ni de l'autori-
té des seize précédens ; qu'ils sont
imparfaits en plusieurs endroits ; que
celui qui les avait faits ne les avait
pas jugés dignes d'être imprimés , et
(24) Il fallait dire Curion.
(s5) Haud omninb rectè conversa est. Posse-
vin. , Bibliolh. sélect., tom. II, lib. XVI, cap.
XLI , pag. 337.
I2(i) Varillas , Histoire de François I". , liv*
Vil , pag. 220.
(27) Là même, pug- 221 .
GtlïCCIARDIN. 333
qu'ils ne le furent qu'après sa mort , seize livres. Agnolo Guicciardini si-
lorsque ses héritiers s'ingérèrent, con- gna pour tous l'épître dédicatoire,
tre son intention, île les donner au datée de Florence le 20 de juillet
public dans la troisième édition. Cela 1 564 ■ Le pape , le doge de Venise et
ne me paraît point exact : je ne le duc de Florence accordèrent des
trouve point que Guicciardin ait dit privilèges au libraire Giolito , qui
autre chose, si ce n'est qu'en i53i , furent mis au-devant de cet ouvrage.
François Ier. entretenait des intelli- Et ce fui sans doute ce qui empêcha
gences avec les princes d'Allemagne le libraire Btvilaqua d'insérer ces
mècontens de l'empereur , et avec le quatre derniers livres dans l'édition
pape , et avec Soliman (28) : et qu'en des seize premiers.
1 532, le même prince et Henri V1JI Ces mêmes quatre derniers livres
projetèrent d'attaquer le Milanez , furent imprimés a Parme , appresso
parce qu'ils crurent que Soliman Seth J totti , l'an i5t>7 , in-$0., con
passerait l'hiver en Hongrie (29). De l'aggiunta de Sommarii a ciascun
plus je ne trouve point que Paul Jove libro , e di moite Anjiotàlioni in mur-
ait réfuté ce que l'on prétend avoir été gine dette cose piii nolubili, d 1 M. Pi-
dit par Guicciardin. 11 rapporte seu- pibio Picedi *.
lement comme un bruit, qu'il ne veut (I) Je rapporterai les plaintes
pas garantir pour vrai , que Soliman un peu trop dévotes de Van-
vint en Hongrie , l'an i532 , à la sol- nozzi.] Son histoire , dit-il (32) , est
limitation du roi de France , et à plus agréable aux particuliers qu'à
celle du roi de Pologne (3o). M. Va- ceux qui commandent ; car il a par-
rillas s'exprime comme une personne lé des princes sans aucune retenue
persuadée que les seize premiers li- et il a traité si mal les papes , que
vrcs de l'histoire de Guicciardin fu- son livre , traduit en latin a élé lu
rent imprimés pendant la vie de l'au- avec une extrême avidité dans les
teur. Cela est faux. Ils furent donnés pays hérétiques. D'où l'on peut con-
au public l'an i56i , parles soins de naître, continue-t-il , qu'il est aisé
ses neveux. L'épître dédicatoire à aux écrivains italiens de faire un
Corne de Médicis, duc de Florence, est grand tort à la papauté. Vannozzi
signée Agnolo Guicciardini. On y prétend qu'ils ne doivent point dé-
promet les quatre derniers , quoi- couvrir la vergogne *le leur mère • et
qu'on en confesse l'imperfection (3i). que, s'ils publient une vérité flétris-
lis ne sont pas à l'édition de Venise , saute, ils pèchent contre la charité ■
i565 , »rt-4 '• appresso JYiccolà Be- et que s'ils publient des faussetés, ils
vilaqua. Elle fut corrigée de plusieurs pèchenteontre la justice. Je ne m'at-
fautes, et augmentée de sommaires tache qu'en gros à son sens; mais en
et de notes marginales par le père en faveur de ceux qui souhaiteront
Rémi Florentin. Ils ne sont point de savoir plus précisément ce qu'il a
non plus dans l'édition que le même dit, je rapporterai ses propres ter-
Bevilaqua fît l'an 1 568 , in-$". On mes. Si che vegga un pb chi scrive
nedoitdoncpasdire, avec M. Varillas, con quanta facilita egli possa pre-
qu'ils parurent dans la troisième édi- giudicare alla Chiesa liomana , alla
tion. Il faut plutôt assurer qu'on les sedia apostolica, ed al Sonuno Pon-
imprima à part à Venise, appresso tep.ee : et che te penne de gl' Italia-
Gabriele Giolito de' Ferrari , l'an ni, professanti il christiano, o sco-
i564> »n-4°. Jai cette édition. Les prano le nostre vergogne, se dicono
neveux de l'auteur la dédièrent au il vero , che è conlro alla carith do-
même Côme de Médicis, duc de Flo-
rence , à qui ils avaient dédié les * Joly détaille les avantages de l'édition don-
née à Venise en 1^38, deux volumes in-folio ,
, o\ /- • • j- 11 v-v ri- édition à laquelle on préfère aujourd'hui celle de
(28)Gu,cc.ard,n., Ub. XX , folio m. 10,. Fribourg (Florence) , ,„5-.-:G , quatre vola-
(29) Idem, ibid.,fol. 108. mes in-4°. , el la réimpression de Milan, i8oi,
(30) Paulus Jovius, Historix Ub. XXX, fui. dix volumes iu-8«. La traduction française, par
ni. 187 verso. Favre, revue par Georgeon , est de l'/iX , trois
(3i) Lasciando attesta opéra imperfella et volumes in-4°- Joly dit 1743; ce qui peut être
nuatlro allri UÏlimi libri d'essa piit presto ahbaz- pour quelques exemplaires.
irtti chejiniti, i quàli per taie cagione non si (3a) Vanuozii , de gli Avverbmenii politici ,
uiaiulanofuori al présente. loin. II, pag. 367.
334
GUICCIARDIN.
vuta al prossimo ; o calunniando per
odio, o per altra passione , chi méri-
ta esser onorato , facciono da niali-
gno, e da tristo (33). Il avoue que
l'histoire de Guicciardin ne cause
point tant de scandales depuis qu'el-
le a e'te' corrigée ; mais il soutient
que la traduction latine faite sur le
f>remier original (34) peut scanda-
iserle diable même. Ma lafatta La-
tina, cavata dal primo originale , e
piena di maledicenze contro a' papi ,
ed altri ecclesiastici , pub scandali-
zave il Diavolo stesso ; parla di quel
ch'io sb di propria scienza , e corne
si dice di veduta- Ed un moderno
scrittore , parlando di questa storia,
dice cosi per V appunto. Il Guicciar-
dini ha potuto per se stesso acquis-
tar tanto d'autorita ail' Istoiia sua,
die molle indegnita , molti errori , e
moite bugie , clï ella contiene , sono
state non solo sopportate dal mondo;
ma approhate da molti, per esempi ,
e per dogmi del vero , e perfetto vi-
ver civile. E lasciando il resto , si
legge pur in esso, un'aperta, e fas-
tidiosa irreverenza, dice il medesimo
moderno sciitloi-e , verso gli stessi
vicari di Christo , con grande inde-
gnita délia sedia apostolica, et non
potendosi accusarlo d'ignora/iza, bi-
sogna necessai^mente confessarlo ,
per troppo appassionato , e commise-
rarepiu tosto, chebiasimare una cosi
bella, ma cosi dijettosa,fatica (35). Ce
long passage n'est pas inutile ici, puis-
qu'il appartient à l'histoire des juge-
mens que l'on a faits de Guicciardin.
(K) Je n'oublierai pas la
harangue que Guicciardin attribue a
l' ambassadeur des Vénitiens.] Il n'y
a rien de plus rampant que cette ha-
rangue. Cet historien suppose qu'elle
fut faite par Antoine Justiniani à
l'empereur Maximilien , l'an i5og.
Per ottener da lui con qualunque
conditione la pace, gli mandarono
con somma celerita ambascialore An-
tonio Giustiniano : il quale ammesso
in publica audientia al cospetlo di
Cesare , parlb miserabihtwnle e con
grandissima sommissioneÇiG). 11 ne
(33) Vannozzi , de pli Avvcrt. pol., loin. II,
pag. 367.
(34) Remarquez bien cela contre Posscvm.
(35; Vannozzi , Avvei liment! poliliti , loin.
II. pag. 367.
(36; C.uicriardin. , hb. VIII, folio 222
verso.
se contente pas de cette idée générale
de l'humilité trop soumise des Vé-
nitiens; il ajoute qu'il est à propos
de rapporter toute la harangue ,
afin qu'on voie la consternation qui
les saisit. Il rapporte donc tout le dis-
cours de l'ambassadeur , sans y faire
d'autre changement, que de traduire
le latin en italien. Won mi pare alie-
no dal noslro proposito , accioche
meglio s'intenda in quanta conster-
natione d'animo Juste ridotta quella
Repub. la quale gih piii dugento
anni , non haveva sentito aversita
pari a questa, inserire la propria
oralione havuta da lui innanzi a Ce-
sare , transferendo solamente le pa-
role latine in voci volgari, le quali
furono in questo tenore (i^) . Les Vé-
nitiens soutiennent que cette ha-
rangue est chimérique : et pour le
prouver ils allèguent que François
Capello (38) , qu'ils avaient envoyé à
l'empereur après qu'ils eurent repris
Padoue, n'eut pas même la permis-
sion de mettre le pied sur les terres
de ce prince ; et que Louis Mocenigo
et Antoine Justiniani , qu'ils lui en-
voyèrent quelque temps après, ne
furent non plus admis ni ouïs que
François Capello. Ce qu'il y a de cer-
tain est que ces ambassadeurs étaient
chargés de faire des offres très-avan-
tageuses à sa majestéimpériale. L'his-
torien de Venise que j'ai cité n'en
disconvient pas. Pierre Bembo autre
historien de Venise l'avoue encore
plus fortement. Latum , dit-il (3g) ,
ut Antonius J ustininianus ad
Maximilianum recta contenderet ; et
cum illo , si posset , pacem quantum-
vis duris conditionibus foceret : Ter-
gesteque oppidum, et porlum JYao-
nis, reliquaque municipia , quœ resp.
ex ejus ditione superiore anno cepe-
rat, Senatum ei paratum esse 7'esti-
tuere : ac quœ oppida ex Iiomano-
rum imperatorum ditione in Garnis ,
et Gallid, et V^eneliâresp. possideret,
ea se Otnnia illi tanquam accepta re-
laturum nuntiaret. Notez qu'il assure
qu'Antoine Justiniani fut envoyé à
(37) Idem , ibid.
(38) Voyez {'Histoire de Venise , par Pierre
Justiniani , au livre X Porcacchi la elle dans sa
préface sur Guicciardin , et dans ses notes mar-
ginales sur le VIIIe. livre, folio 222 verso.
(3.)) lîembus, Histor. Venclœ lib. VIII ,
circa 'mit. ,foUo m. 108 verso.
GUICCI
l'empereur aussitôt que l'on eut ap-
pris la victoire que les Français
avaient remporte'e. Que sait-on si
Guicciardin n'avait point vu la copie
de la harangue que Justiniani avait
pre'pare'e ? Cela ne le disculperait
point 5 car s'il e'taitvrai que l'ambas-
sadeur n'eût point eu d'audience, on
ne pourrait point produire son ma-
nuscrit comme un discours actuelle-
ment récite' devant l'empereur*. 11
re'gnait beaucoup d'abus dans les ha-
rangues que les historiens rappor-
taient : ils les composaient eux-mê-
mes selon leur caprice , et voulaient
bien que l'on crût qu'elles avaient
e'te' prononce'es actuellement. Lisez
dans Paul Jove , la harangue qui fut
faite par l'ambassadeur du duc de
Milan , à Charles VIII, pour le porter
à l'expédition d'Italie : lisez-la aussi
dans Guicciardin 5 vous trouverez
que ce sont deux pièces qui ne se
ressemblent pas (4o). Le discours ,
que le doge Lore'dan fit au sénat pour
faire envoyer deux cents nobles Vé-
nitiens à la de'fense de Padoue, est
rapporte' par Guicciardin tout autre-
ment que par Mocénigo et par Jus-
tiniani , historiens de Venise (40-
(L) Guicciardin composa quelques
autres livres.] Je les réduis à deux ,
dont l'un a pour titre Consigli au-
rei; et l'autre , Avvertimenti poli-
tici. Le Ghilini ne parle que de ces
deux-là (4'2). Si l'on se fiait aux ca-
talogues des bibliothèques, on ne
s'arrêterait point à ce nombre : on
attribuerait à Guicciardin outre cela,
Pih Consigli e AvveHimenli in ma-
teria cli re publica ediprivata, im-
primés à Paris , l'an 1576 , in-4°.
/ Precetti e Sententie in materia di
Slato , imprimés à Anvers, l'an 1 585,
««-4°. Avvertimenti fiohtici, impri-
més à Venise, l'an 1 583 , in-^°. Hy-
pomneses poè'ticœ. Voilà les titres
* Leducbat remarque que Jean Lemaire , au
prologue de son Traite de la différence des
schismes et des conciles, composé en i5io , parle
de cette harangue comme ayant été prononcée
en présence de l'empereur Maximilien , et rap-
porte même en latin et en français la réponse
du prince.
(4o) Porcacchi , Notes sur Guicciardin . lib. I,
folio 8.
f/,i) Là même, liv. V III, folio 23o.
(4'') Si fedono anco del suo due componi*
menti cheper tilolo hanno , etc. Gbilini , Teatr. ,
tom. I, pag. 5çj.
ARDIN.
335
que Ton trouve dans le Catalogue
d'Oxford, sans que l'on soit averti
que ce ne sont que diverses éditions
des mêmes livres. Les libraires sont
cause de tels désordres , par la li-
cence qu'ils se donnent d'intituler le
même ouvrage tantôt d'une façon, et
tantôt d'une autre. Mais n'allez pas
croire que Guicciardin ait donné des
règles de poésie, sous prétexte que
le Catalogue d'Oxford lui attribue
ffypomneses poèïicœ. C'est une fau-
te d'impression : il fallait dire My-
pomneses politicœ : car c'est ainsi
que le traducteur latin des Awrr/i-
menti politiri de Guicciardin a inti-
tulé sa traduction. Remarquons que
ces ouvrages de Guicciardin , tra-
duits en français par Charles de
Chantecler (43) , furent imprimés à
Paris, l'an 1S77 , /«-8°. sous le titre
de, Plusieurs Avis et Conseils tant
pour les affaires d'état que privées. Il
y a une lourde faute dans le Catalo-
gue delà Bibliothèque de M. de Thou.
On y donne (44) à François Guicciar-
din deux livres qui ont été faits par
Louis Guicciardin son neveu , et qui
sont intitulés , l'un Raocolta deidetti
e fatti notabili cosi gravi corne pia-
cevoli, et l'autre , More di Ricrea-
tione. Cette méprise renferme une
absurdité ; car Guicciardin l'oncle
avait tant d'éloignement des plaisan-
teries, qu'il ne lui en échappa jamais
aucune. Il était grave et sévère au
souverain point. Fuit indignalioni
proclivior, orisque ductu licet suavi ,
tamen severo et gravi, genioque su-
pra modum falsce urbanitads dicte-
ras répugnante, quorum nullum in
totd vitd ipsi unquain excidisse per-
hibent quidam {fô). On lui attribue
dans l'Epitome de Gesner, une his-
toire italienne urbis Malice, impri-
mée à Venise, l'an i56g.
(M) Son neveu, Louis Guicciardin ,
s'est rendu illustre dans la républi-
que des lettres.] Outre les deux ou-
vrages dont on vient de voir le litre .
il publia Commentarii délie cose più
memorabili seguite in Europa , spe-
cialmente in questi Paesi-Bassi dalla
(43) Voyez la Bibliothèque française de du
Verdier, pag. i5i.
(44) A la pag. 4<>3 de la IIe. partie.
(45) Impérial!» , in Mnsa:o bistorico, pag. Ç)Ç).
Voyez aussi la Vie de Guicciardin, composée
par ftemislo Florentine
3.56 GUICCIARDIN.
di Cambrai del M. D. XXIX au même travail ; il se contente de
insino a UUlo l'an no M. D. L. J'en
ai l'édition de Venise , appresso Dô-
me nie o Farri, i566, z'/j-4°. L'auteur
dédia ce livre au grand-duc de Flo-
rence : son épître dédicatoiie est
datée d'Anvers, le icr. de janvier
i565. Cette histoire a été traduite en
latin (46) , et fut suivie bientôt après
par la Descrizione di tutti i Paesi-
Bassi, allrimenti delti Germania in-
Pays-
'auteur
dire qu'on le prima quant à l'impres-
sion (49)- Enfin , il n'est pas vrai que
la traduction française ait servi d'o-
riginal à Vitellius et à Brant. Celui-
là déclare dans le frontispice de sa
version (5o) , qu'il a travaillé sur l'i-
talien ; et Valère André assure la
même chose par rapport à Brant. J'ai
cité ses expressions. Le Ghilini est
tombé dans toutes ces fautes pour
avoir suivi aveuglément Swertius
(5i). Le Pocciantio (5a) assure que
Jeriore. Cette description des
Bas est un fort bon livre ; l'a
demeura long-temps en ce pays-là, Louis Guicciardin entendait la langue
et prit une peine extrême de s'infor- latine et la langue grecque , les ma-
rner de toutes choses, et se porta sur thématiques, et l'antiquariat. M. de
les lieux autant qu'il lui fut possible, Thou loue beaucoup la description
pour ne rien dire dont il ne fût bien des Pays-Bas , et nous apprend un
certain. Il donna trois éditions de fait remarquable, c'est que le duc
cet ouvrage ; la dernière est de l'an d'Albe fit mettre Louis Guicciardin
1 587 , et surpasse autant la seconde , en prison , pour avoir écrit un livre
que celle-ci la première. Ce livre fut sur les motifs qui devaient porter à
traduit en français par Belleforest, et abolir le carême. On peut connaître
en latin par Jean Brant , sénateur par-là l'humeur farouche , et l'or-
d' Anvers, et par Régnier Vitellius. La gueil énorme de ce duc ; car ce ne
traduction de Jean Brant n'a point fut que par son ordre que Guicciar-
été publiée ; l'auteur se voyant pré- din écrivit ce livre ; mais parce qu'il
venu par d'autres la supprima (47)- ne donna point lui-même le manu-
ige
ce qu'il dit : Reynero Vilellio , ed contre l'auteur , et le fit emprison-
avanti di lui Giovanni Branzio , se- ner honteusement. Guicciardin fut
natore di Anverza , che dal f^itellio trahi par une personne qui, se vou-
ait preuenulo , la tradussem dalfran- lant faire un mérite de sa diligence ,
cese nel latino (48). Ces paroles sont présenta le manuscrit qu'on lui avait
' confié. In carcerem isnominiosum
ob id conjectus , quod Albanus postea
excusawit , cùm diceret , non tant ob
consilium optimo viix> succensere ,
pleines de fautes ; en premier lieu
elles signifient que la traduction de
Brant a vu le jour ; car lorsqu'on
parle d'un livre sans marquer ex-
pressément qu'il n'a point été pu-
blié , on a dessein de faire entendre
qu'il est sorti de dessous la presse.
Cette première fausseté est suivie
d'un galimatias affreux. On nous as- ^
sure que la traduction de Brant fut pantis diligentid illud peivenisset
antérieure à celle de Vitellius et que (53). Il mourut à Anvers, le as
Brant fut prévenu par Vitellius. Cesont de mars 158g, à l'âge de soixante-six
des choses incompatibles , quand on ans.
oublie, comme le Ghilini, de distin-
guer la composition d'avec l'impres-
sion. Notezmême que Valère André ne
dit point que Jean Brant traduisit ce
livre avant que Vitellius s'appliquât
quani quod illud jussu suo , namj'a-
tebatur, cùm scriptis manddsset, non
per ipsum scriptorem , sed per alias
manus in suas prœposterâ per-
fidi hominis gratiam suam aucu-
(46) Par Pierre Paul Kercldiovii
lion fut imprimée à Anvers, i5C0, i
Andréas , Bibl. belg- , pag. 754.
(Y,- i ///.-..i , ibid. , pag. 4C7.
43J Ghilini , Tcalro , loin. I, pag
Sa tradm-
in-8». Val.
(4g) Ex ilalicd lalinam factam quia in eden-
do ab àliis prœvenlus premere maluit. Valer.
Andr. , Biblioth. belg., pag. 467.
(5o) Ex idiomale italico ad exemplar tertium
ac postremum ab ipso aulhore recognitum... m
lalinum sermonem conversd.
(5i) Voyez les Atbenœ belgica: de Swertius,
pag. 5qo.
(5î) Pocciantius , de Scriptor. Florent. , pag.
(53) Tliuan
3i5 , ad ann.
, lib. XCVI , subjin.,pag.
i58<j.
GUICH
GUICHENON *' (Samuel), avo-
cat à Bourg en Bresse, me'rite
une place illustre parmi les his-
toriographes qui ont fleuri au
XVIIe. siècle. Il était né à Ma-
çon. Il publia en i65o l'Histoire
de Bresse , après quoi il travailla
à l'Histoire généalogique de la
maison de Savoie , et la fit im-
primer à Lyon, en 1660 , en
deux gros volumes in-folio. 11
publia en la même année un li-
vre latin intitulé Bibliotheca Se-
busiana (A). Ces trois ouvrages
sont très-bons en leur espèce , et
l'ont rendu digne des récompen-
ses dont il fut gratifié (a). M. le
Laboureur en convient , mais
d'une manière qui semble accu-
ser d'ingratitude la cour de Fran-
ce (B) envers ses historiographes.
Il avait été de la religion (*) , et
il mourut dans la communion
romaine , le 8 de septembre
1664 *2. Nous verrons ci-des-
sous qu'on l'accuse de plagia-
risme (C).
On m'a accusé d'avoir cru mal
à propos qu'il avait été hugue-
not. La réfutation de cette cri-
tique a paru dans les Mémoires
de Trévoux , au mois de janvier
1703 (b) ; mais je m'en vais di-
re quelque chose de plus fort
que tout cela : je vais citer un
ministre qui a reproché publi-
** D'après le père Niceron , Chaufepie'
donne quelques corrections à cet article.
(a) Ses titres sont : Seigneur de Paines-
stijrt, conseiller et historiographe du roi, et
de son altesse royale, comte Palatin, che-
valier de l'empire , et de la sacrée religion
des saints Maurice et Lazare
(") Il y a eu des réfugie's de ce nom , et il
y en a encore dans le Brandebourg. Ils sont
du voisinage de Cbâtillon-les-Dombes. Rem.
CR1T.
*2 II avait cinquante-sept ans , étant ne' le
,18 août 1607.
(b) De l'édition d'Amsterdam . ]>a° . 5g,
Tome vu.
ENON. 337
quement à Guichenon d'avoir
abjuré la religion réformée. Il
se sert de phrases fort dures (D);
ce qui peut insinuer qu'il était
fort assuré de son fait.
(A) Il publia un livre intitu-
lé Bibliotheca Sebusiana. ] C'est un
in-ù)°. de 44$ pages , imprime' à Lyon.
Pour faire comprendre suffisamment
de quoi il traite, il ne faut qu'en
donner ici tout le titre : Bibliotheca
Sebusiana , sife varianan chartarum,
diplomatum , Jundationum , privile-
eiorum , dunationum etimmunitatum
à suinmis pontificibus , imperalori-
bus , regibus, aucibus , marchioni-
bus, comitibus , et proceribus , ec-
elesiis , monasteriis et aliis locis aut
personis concessarum , nusquàm an-
tea editarum, miscellœ Centuriœ II.
Ex archivis regiis , monastcriorum
tabufariis et codicibus manuscriptis
ad hisloriœ lucetn collegit, et ad lo-
corum explicationem et Jamiliarum
illustrium cognitionem notis illustra-
vit S . Guichenon , Dominus de Pai-
nessuyt , Régi a consiliis , Franciœ,
Sabaudiœ , et Dombarum Historio-
graphie*, Eques auratus et Cornes
Palatinus , sacrœ Religionis SS.
Mauritii et Lazari miles.
(B) M. le Laboureur . . . semble
accuser d' ingratitude la cour de
France envers ses historiographes. 1
Voici les paroles de M. le Laboureur:
« En même temps qu'elle (i) accroît
» leurs limites par ses victoires ,
» elle fait travailler à l'histoire ge'-
» ne'alogique des ducs de Savoie , et
» c'est tout dire pour bien louer son
» choix , et le me'rite de l'ouvrage
» qui est à présent (a) sous la presse,
* Il avait fait , dit Leclerc , une Histoire de la
principauté de Dombes , qui n'a jamais été im-
primée. Il y en a un manuscrit dans la Bibliothè-
que de Lyon ; ce D'est qu'une copie qui vient du
président Pianel^i de la Valette. Delandine, dans
les Manuscrits de la Bibliothèque de Lyon, tom.
II, pag. (>8 , dit que pour retirer et anéantir la
minute de cette histoire, Mademoiselle de Mont-
pensier lit compter à l'auteur la somme de trois mil-
le livres. Mais il paraît que la minute n'a pas été
anéantie; car on lit dans la Bibliothèque histori-
que de la Fiance, tom. III, num. 3t3o48 , que
« l'original est entre les mains de M. de riorsat ,
» gentilhomme de Bresse. »
(i) C'est-à-dire, la duchesse de Savoie, saur
de Louis XIII.
(i) Le Laboureur écrivait l'an 1659.
338
GUICHENON.
» d'en nommer l'auteur , le sieur
» Guichenon , qui a ci-devant illus-
» tré la Bresse, sa patrie , d'un si
» excellent recueil de ses Antiquités,
)> et de l'Histoire de ses anciens sei-
« gneurs et de toute la noblesse de
» cette province. Si cette princesse
» n'était fille du grand Henri IV,
» j'aurais honte , pour notre nation,
» de dire qu'elle lui a témoigné dans
» le cours de cette entreprise, par les
» honneurs qu'il en a reçus , que les
» cœurs des souverains ne se mesu-
» rent point selon l'étendue de leurs
» états , et que la condition d'histo-
» riographe de Savoie est aujour-
» d'hui la plus glorieuse et la plus
» heureuse du monde (3). »
(C) On l'accuse de plagiarisme. ]
L'accusation est contenue dans ces
paroles de Varillas. « Je parle dans le
» onzième livre des prétentions du
» duc de Savoie , et de l'évêque de
» Genève , sur la ville dont il porte le
» nom , et j'avoue d'avoir profité du
» travail de M. Guichenon. Ce n'est
» pas que je n'aie trouvé cet auteur
» trop attaché à la maison souveraine
» de Savoie, dont il était sujet : mais
» comme cette inclination ne l'a-
» vait pas empêché de lire tous les
» livres imprimés et manuscrits qui
» servaient à son ouvrage , j'y en ai
» lu des fragmens que je n'avais
» point encore vus. La sincérité ne
» me permet pas toutefois de dissi-
» muler une de ses fautes, qui me
» paraît si grossière , qu'il est éton-
» nant que personne ne se soit en-
» core avisé de la reprendre. Il re-
» proche, dans sa préface, à Guillau-
» me Paradin , d'avoir tiré presque
» toute son histoire de Savoie de l'an-
» cienne chronique de cette maison ,
)> et de l'histoire de Hiérôme Cham-
» pier , sans avoir jamais cité ni l'un
» ni l'autre de ces auteurs : cepen-
» dant j'ai découvert que Guichenon
» est tombé dans la même ingrati-
» tude dont il accuse Paradin. On
» connaît assez l'histoire italienne
» du provéditeur Nani , et l'on con-
» vient qu'il y en a peu de notre
)> siècle qui approchent de sa politesse
» et de son raffinement. Si l'on se
» donne la peine de la confronter
» avec ce que Guichenon rapporte
(3) Le Laboureur , Additions aux Mémoires
de Castcluau , loin. I, pag. ■"Si.
» des derniers ducs de Savoie , on
» verra qu'il l'a insérée mot à mot*'
« dans son dernier tome , sans s'être
» souvenu de rendre justice à l'his-
» torien qu'il copiait (4). »
(D) Un ministre . . . a reproché pu-
bliquement a Guichenon d' avoir ab-
juré la religion réformée. Il se sert
de phrases fort dures. ] Considérez
seulement la parenthèse du passage
que je m'en vais copier. « Guiche-
» non . . . vient de mettre en lumière
» une grande histoire en trois grands
» volumes in-folio , où il falsifie évi-
» demment , contre science et con-
» science , tout ce qui regarde le
» droit, l'innocence et la conduite
» de ces Vaudois , tant en général
« qu'en particulier ; et il ne se donne
» point de honte d'employer sa plu-
» me mercenaire à démentir , et la
» vérité des massacres de l'an i655 ,
» et de tout ce qu'il croit qui puisse
)> tendre à la justification de ces fi-
» dèles , et à faire passer la plus
» grande cruauté et perfidie de leurs
» ennemis pour des actes de grand
» support et douceur ( ce qde je ne
» TROUVE PAS ÉTRANGE A UN RENÉGAT
)> QUI A APOSTATE DE LA VÉRITÉ CON-
» NUE POUR SE RENDRE AUX INTÉRÊTS
» du mensonge (5) ). » Voilà ce que
Jean Léger , ministre et modérateur
des églises des Vallées a observé dans
sa préface **. Voyons ce qu'il dit
dans le corps du livre , lorsqu'il veut
justifier son oncle Antoine Léger ,
dont Guichenon parle comme d'un
esprit factieux et coupable de divers
crimes. « Il me suffirait , pour réfuter
» ce Guichenon , de dire qu'il est né
» lui-même , et a été nourri dans la
» religion réformée , et qu'il a fait
» partie de ses études avec le susdit
» Léger, dont il s'était montré grand
*' Leclerc fait observer que l'histoire de Nani
ne parut qu'en 1662, environ deux ans après l'ou-
vrage de Guichenon , qui ne peut être ici le pla-
giaire Mais il est à croire, .\joute Leclerc , que
les deux auteurs se sont ainsi rencontrés parce
qu'ils ont puisé aux mêmes sources.
(4) Varillas , préface du IIIe. loin, de {'His-
toire de l'Hérésie.
(5) Jean Léger, Histoire générale des Eglises
vaudoises , à la fin de la préface , e'dit. de
Leyde , 1699 , in-folio.
*2 Joly devait excuser et excuse en effet Gui-
chenon sur son changement de religion , et ren-
voie au volume XXXI des Mémoires de Niceron,
et à la Bibliothèque de Bourgogne , pour la liste
des ouvrages de Guichenon.
GUY
» camarade, comme le même sieur
» Léger me l'a dit de sa propre bou-
>> che ; mais que du depuis , pour par-
» venir aux honneurs où il est maio,-
■» tenant , il a tourne casaque , et re-
» nie' la vérité connue, pour embras-
» ser la messe ; prenant pour sa de-
» vise le proverbe italien Guelfo io
i> fui , e Gibbelin m'apello , à chi più
» mi dara volterb il manlello. Car
» nul ne doute que qui vend son unie
» pour du pain, et sa primogeniture
» pour un potage de lentilles , ne
» puisse bien louer sa langue et sa
» plume à dire et écrire tout ce que
» veulent ceux dont il est le merce-
» naire. Aussi sais -je de certaine
)) science qu'il n'a pas ose coucher
» une ligne dans son livre , qui n'ait
» e'te' crible'e et recriblée à Turin ,
» ni pu refuser d'y fourrer tout ce
» que répondaient les oracles du
» marquis de Pianesso , et du prési-
» dent Truquis (6) : et j'ai en main
» de quoi le prouver (7). »
Il le réfute ailleurs (8) sur deux
faits , et marque encore que c'est un
homme qui a fait faux bond a la reli-
gion , et renié la vérité connue pour
les avantages du monde.
(6) Il le nomme Truchis , a la page 164 de la
I". part.
(■j; Léger, Histoire des Églises vaucloises,
IIe. pari., pag. 68 , 6g.
(8) Là même, pag. 262. Voyez aussi pag.
III.
GUYET (François) était d'An-
gers , et d'une fort bonne fa-
mille (A), et l'un des meilleurs
critiques qui aient vécu dans le
XVIIe. siècle. Il naquit l'an
i5j5 (B), et il était encore en-
fant lorsqu'il perdit son père et
sa mère. Le peu de bien qu'ils
lui laissèrent fut presque réduit
à rien par la mauvaise conduite
de ses tuteurs. Cela, bien loin de
le rebuter de l'étude , le poussa
à s'y attacher avec plus d'appli-
cation : et comme il crut que le
séjour de Paris lui fournirait les
moyens de perfectionner son es-
prit et son jugement , par la con-
versation des gens doctes, il fit
ET. 339
ce voyage en i5gc). II ne tarda
guère à s'acquérir l'amitié de
Christophle et d'Augustin du
Puy , les deux fils aînés de Clau-
de du Puy (a) , qui avait été l'or-
nement et le soutien des belles-
lettres. Les liaisons qu'il eut en-
suite avec Pierre et Jacques du
Puy, fils du même Claude du
Puy , lui furent extrêmement
avantageuses pour faire de grands
progrès dans les sciences ; car
tout ce qu'il y avait de plus ha-
biles gens à Paris voyaient sou-
vent ces deux frères , et il s'en
assemblait tous les jours bon
nombre chez monsieur le prési-
dent de Thou , où MM. du Puy
faisaient , en quelque manière ,
les honneurs de la maison. Après
la mort de ce président , ce fu-
rent eux qui continuèrent de te-
nir ces conférences au même
lieu. Guyet se trouvait fort rè-
glement à ces assemblées. 11 fit
un voyage à Rome , en 1608 ; et
il s'appliqua si fortement à l'é-
tude de l'italien , qu'il se rendit
capable de faire des vers en cette
langue , que les meilleurs poètes
de la nation n'auraient pas jugés
indignes de leur veine. Il renou-
vela avec Régnier (b) , qui était
alors chez le cardinal de Joyeuse,
la connaissance qu'ils avaient dé-
jà faite à Paris ; et il se fit fort
estimer du cardinal du Perron et
de Gabriel de l'Aubespine , évê-
que d'Orléans * , auquel il donna
du secours plus d'une fois pour
l'explication de plusieurs passa-
(«) // était mort en l5o,^.
(A) Poêle français , célèbre par ses satires.
" Leclerc ne croit pas que Guyet ait pu
se trouver à Rome avec G. de 1 Aubespine
qui, sacre en 160^, tint un synode à Orléans eu
1606 , et y fit son entrée au moi» de septem-
bre 1608.'
34o GUYET.
gesdifficiles, tant des écrivains sa- à la Bibliothèque du roi , ou se
crés que des écrivains profanes, tinrent ensuite leurs conféren-
II revint à Paris par l'Allemagne , ces. Sa principale occupation fut
et entra chez le duc d'Épernon un ouvrage où il prétendait mon-
pour diriger les études de l'abbé trer que la langue latine était
de Granselve , qui fut ensuite si dérivée de la grecque , et que
connu sous le nom de cardinal tous les mots primitifs de celle-
de la Valette (c). Comme il en- ci n'étaient composés que d'une
tendait à fond les auteurs grecs syllabe. Il était le premier à qui
et latins, il y choisit ce qu'ils ce dessein fut monté dans la pen-
avaient de plus propre à son dis- sée : c'est ce qui faisait qu'il vou-
ciple, et le lui expliqua , non pas lait être le seul qui eût la gloire
en pédant , mais d'une manière de l'exécution ; ainsi il ne mon-
proportionnéeà l'usage qu'en de- trait à personne les essais de son
vait faire un homme destiné à de travail. Quelque longue et con-
grands emplois. Ce disciple pro- tinuelle qu'ait été son applica-
fita beaucoup des leçons d'un si tion à composer cet ouvrage ,
savant maître, et conçut pour elle a été entièrement inutile;
lui tant d'estime , qu'il lui con— car on n'a trouvé après sa mort
fia toujours ses affaires les plus qu'une vaste compilation de ter-
importantes. Il le mena avec lui mes grecs et latins (e) , sans or-
àRome, lorsqu'il y alla après son dre ni suite, et sans aucune pré-
cardinalat, et lui fit avoir un face qui expliquât son projet:
bon bénéfice , outre celui qu'il de sorte qu'il semble qu'il ait eu ,
lui avait déjà conféré (d). Guyet à l'égard même du papier , la
étant de retour à Paris aima défiance qui l'empêchait d'expli-
mieux vivre en particulier , que quer à ses amis son plan , sa mé-
chez le cardinal de la Valette , et thode et ses principes. 11 n'a
fit élection de domicile dans le pas laissé de travailler à d'autres
collège de Bourgogne. C'est là choses ; les marges de son Ho-
qu'il vécut jusques à sa mort , ne race, de son Virgile , de son Lu-
songeant qu'à ses études , et se cain *' , de son Plaute, de son
contentant de faire sa cour pen- Martial , de son Philoxène , de
dant que ce cardinal était à Pa- son Hésychius *2 , etc. ; étaient
ris ; car pour le suivre dans les toutes pleines de remarques de
armées et dans les provinces , critique (C) , où il se donnait
c'est à quoi il n'aurait su se ré- beaucoup de licence (D); car il
soudre. Il avait tous les jours la
Conversation de MM. du Puy , .(*) Elle contenait vingUcinç mains de pa-
J ' pier in-folio, dune écriture nette et fort u-
qui logeaient à 1 hôtel de Thou , sible.
assez près du Collège de Bour- T " Joly dit que les remarçuesde Guyet sur
1 . < i i » i Lucain sont imprimées dans 1 édition de la
gOgne; mais, après le départ de Pharsale, donnée par Oudendorp, Leyde,
M. Rigaut, ils se transportèrent i728-in-4°-
*2 Joly dit que Guyet avait aussi travailla
{c) Il fut fait cardinal en 1621. sur Cicéron. Bayle n'avait pas cru devoir
{d) L'un de ces deux bénéfices était le épuiser la liste des auteurs sur lesquels
prieure' de Saint- Andrade , auprès de But- Guyet s'était exercé. Les livres de Guyet
deaux. V oyez /'Histoije de 1 Académie Iran- étaient dans la bibliothèque de la maison
çaise , pag-, m. 269. professe des jésuites, à Paris.
GUYET. 34i
rejetait comme des vers supposés ne (h). J'en ai tiré ce qu'on vient
tous ceux qui ne lui paraissaient de lire.
pas sentir le génie de l'auteur.
Ce qu'on a trouvé de plus entier
a été ses notes sur Térence ;
aussi ont-elles été publiées dans
l'édition de Strasbourg, eu 1657,
ayant été envoyées au docte Boé-
cîérus par Jacques du Puy. Il
avait eu ce bonheur qu il s était jou . celui.d a com"posë des vers
acquis la réputation d'un très- français Ci). Voilà ce que M. Portner
(h) II s'est déguisé sous le nam de Anto-
nius Périander Rhretus. Voyez Place. , de
Scriptor. Anonymis et Pseudon. , pag. 236'.
(A) // était d'une fort bonne fa-
mille. ] Il avait deux oncles, Le'zin
Guyct , et Martial Guyet : celui-là ,
conseiller au prc'sidial d'Angers , a
fait une carte de la province d'An-
savant homme , encore qu'il
n'eût rien fait imprimer : et lui ,
sage de s'être épargné les dispu-
tes où il lui eût fallu descendre ,
s'il eût publié des livres (E). Il
démordait rarement de ce qu'il
avait, avancé. Il s'échauffait si on
lui contestait quelque chose , et
lançait alors des railleries fort
plaisamment. Il avait une mé-
moire très - heureuse : il était
franc , sincère , et homme de
bien. Il s'était fait tailler , l'an
i63(S , et avait supporté avec
une fermeté incroyable les dou-
leurs de l'opération. A cela près,
il n'avait senti presque aucune
incommodité dans une très-lon-
gue vie ; et il fut assez heureux
pour être emporté d'un catarrhe,
qui sans le faire souffrir qu'envi-
ron trois ou quatre jours , donna
lieu aux fonctions accoutumées
du curé de la paroisse. Il mou-
dëbite. J'y trouve quelque difficulté,
quand je le compare avec ce que
M. Ménage m'apprend (i), savoir : que
Lézin Guyet, conseiller au présidial
d'Angers , et auteur de la première
carte de la province d'Anjou , était
échevin d'Angers , en i4g3. Mais cette
difficulté s'évanouit dès que je consul-
te la Croix du Maine (3) , qui m'ap-
prend que Lézin Gnyet naquit l'an
i5i5, le i3 de février. Dès là je ne
doute plus que l'imprimeur de M. Mé-
nage n'ait mis un chiffre pour un
autre, ou que M Ménage n'ait pris
quelque Lézin Guyet antérieur au
frère aîné de Martial , pour celui qui
a fait la carte d'Anjou ; car je vois
qu'il donne à Lézin Guyet un fils
nommé André, et qu'il parle de deux
André, dont l'un était maire d'An-
gers, en iS.'in , et l'autre, échevin de
la même ville , en i5iç). Il n'est pas
possible que le dernier de ces deux
André, soit fils de celui qui a fait la
carte d'Anjou , puisque l'auteur de
cette carte est né en i5i5. Par cette
même raison , il n'y a nulle appa-
rence qu'il soit le père de l'autre
André; mais ils pouvaient être tous
deux iils d'un Lézin Guyet , échevin
rut entre les mains de Jacques du d'An&efrsJ>n ^?3" Q^A qu'ï, en
r» ^1 ht ht' soit , M. Ménage donne 1 éloge d «h-
Puy et de M. Ménage , son corn- cienne à cette famiue- et ayant nom-
patriote, le 12 d'avril l655 (f) , mé quelques autres personnes de ce
âgé de quatre-vingts ans. Sa vie nom , il vient à notre François Guyet ,
f>) a été écrite fort sensément et et !>PPeUe le plus savant des An-
P ' i- , . -, setnns qui soient venus a sa connais-
tort poliment en latin , par M. L
Portuer , sénateur de Ratisbon-
(f) Reinesius, epist. ad D.iumium , pag.
170, s'est trompé en mettant 1657.
(g) Elle est à la tête du Commentaire de
Guyet sur Térence , imprimé avec celui de
Boéclérus, à Strasbourg , en i65j.
sance.
(B) Il naquit l'an 15^5. ] On n'a
su cela que par le témoignage de ses
héritiers ; car, pour lui, if a tou-
(1) Voyez la Croix du Maine , pn?. 3n.
(2) Remarques sur la Vie de Guillaume Me-
nace , pfl.ï. 2U2.
(s) BiUiotuéiiue française , pttg. 289.
342
GUYET.
jours cache, même à ses amis, Tannée
de sa naissance ; il ne voulait point
passer pour aussi vieux qu'il l'était
(4) ; et comme il se flattait de l'espé-
rance de vivre beaucoup plus qu'il
n'a vécu, il e'tait bien aise que l'on
ne sût pas son âge. En toute autre
chose, c'était assez sa coutume de n'a-
voir aucun confident ; mais peut-être
n'y en avait-il point qu'il cachât
mieux que celle-là ; et comme il n'a-
vait guère grisonne' dans sa vieil-
lesse (5) , et que ses forces n'e'taient
point diminuées à proportion du
temps qu'il avait vécu , il n'était pas
bien aise de détromper ceux qui ne
lui donnaient pas tout son âge. S'il
avait eu dessein de se marier , on
comprendrait mieux la raison de sa
mystérieuse taciturnité. Ses yeux si
bons qu'il pouvait lire sans lunettes
les caractères les plus menus (6) ,
eussent merveilleusement secondé sa
tricherie. On croit qu'à cause qu'il
espérait de vivre encore beaucoup
plus (7) , il ne donna aucun ordre à
ses affaires, ni touchant ses ouvrages ,
ni touchant son bien : il mourut sans
avoir fait son testament. Tous ceux
qui liront cette remarque , et qui
auront lu les lettres du chevalier
d'Her . . . , se souviendront des pa-
roles que j'en cite (8). Elles sont dans
la XXXVIe. lettre de la Pe. partie.
Conférez avec ceci la remarque (C)
de l'article Gombauld.
(C) Les marges de son Horace ,
fie son Virgile . . . , étaient toutes
pleines de remarques de critique. 1
M. Ménage acheta les livres dont les
marges contenaient ces notes. Elles
ne sont pas toutes demeurées dans la
poussière du cabinet. Celles qui re-
gardaient Hésiode ont été communi-
quées à M. Grœvius , qui les a insé-
f/j) Periander , in Vit» Guyeti.
(5) Idem, ibidem.
(6) Idem , ibid.
(7) Epist. Ismaël. Bullialrti, «pud Periamlrum,
ubi supra.
(8) Le secret de l'âge est un secret que le beau
sexe garde bien inviolablement , et je crois que
c'ett le seul. Plusieurs femmes m'ont confie' les
affaires de leur maison, leurs amours même,
aucune ne m'a confie' son âge. J'en ai vu d'as-
sez raisonnables pour prendre leur parti dans les
occasions avec beaucoup de fermeté' et de con-
stance ; je. n'en ai point vu qui pussent faire un
asseï grand effort de courage et de raison pour
dtre leur âge.
rées dans son édition (9). Celles qui
concernent Etienne de Byzance ont
été aussi publiées (10). Je dirai en
passant que M. Guyet n'était point
de ces lecteurs qui courent de livre
en livre ; il se fixait de telle sorte à
un seul , qu'il ne touchait point à
d'autres avant que de l'avoir lu tout
entier avec une attention extrême.
C'est ainsi, qu'en dernier lieu, il
travailla sur Térence, sur Hésiode ,
sur Horace et sur Plaute. La lecture
des anciens était son affaire princi-
pale. Quant au reste , il ne se plai-
sait qu'à lire les historiens moder-
nes et les voyageurs ( 1 1 ). Je remar-
que ces choses, non-seulement parce
qu'il y a des gens qui en sont cu-
rieux, mais aussi parce qu'elles peu-
vent faire préjuger en faveur des
notes de ce grand critique.
(D) oh il se donnait beau-
coup de licence. ] Il y %vait sans
doute de l'excès dans sa critique , et
quelque chose de si outré , qu'il était
impossible qu'elle ne donnât quel-
quefois dans le faux goût. M. Guyet
avait effacé je ne sais combien de
vers dans son Virgile : il prétendait
que l'on avait supposé beaucoup
d'enfans à ce grand poète , et que ses
poésies étaient semblables à des trou-
pes , où quantité de passevolans ont
été fourrés. Il se donnait donc la
charge d'un commissaire rigide, qui
ne passe à la montre que les vérita-
bles soldats. Il traitait d'enfans sup-
posés toute la première ode d'Horace
et toutes les anecdotes de Procope-
et quand son oreille ou son goût ne
trouvaient pas ce qu'il cherchait
dans la cadence ou dans le tour
d'une période , il concluait sans dé-
lai la supposition de part , enco-
re que les anciens grammairiens et
les meilleurs manuscrits fussent con-
tre lui. Mais afin de le convaincre
que , pour le moins en quelques ren-
contres , il avait le goût dépravé (1 a) ,
et qu'il passait les bornes du delicali
faslidti qu'on lui imputait, il ne faut
que voir les vers qu'il a composés
contre la bière , où il parle avec un si
grand mépris de tous les poètes de
(0) En 1667.
(10) Baillet, Jugemens des Savans, loin. III,
num. 5i8.
(11) Portncr. , in Vitâ Guyeli.
(12) Idem.
GUYET. GUIGNARD.
343
Hollande (i3). Grotius lui repondit
fort pertinemment 04) :
Dura: mentis iners, merumque rus est,
Si quem Baiia non movent Secundi,
El quos Dousrt canil parente major
Ccelu sydereos rotante cursus,
El quœ spicuta Baudio vibrante
Non unum sibi destinant Lycamben,
Et quos dat numéros nikil vetustis
Cedens vatibus Heinsii Thalia.
(E) Et lui , sage de s'être épargné
les disputes ou U lui eut fallu des-
cendre , s'il eût publié des livres. ]
La hardiesse de sa critique, et son
intrépidité à dire en conversation ce
qu'il pensait , ne l'empêchèrent pas
d'être timide envers le public. Il re-
doutait surtout M. de Saumaise (i5) ,
qui l'avait menacé d'un livre , chez
MM. du Puy , s'il lui arrivait de pu-
blier ses pensées concernant certains
passages des anciens auteurs. Il eût
eu affaire à une trop forte partie :
Saumaise avait fait sortir cent feuil-
la foi dans la république des lettres ;
je veux dire d'y avoir une réputation
d'habiles gens , fondée sur le témoi-
gnage d'autrui (18). Ce témoigage ne
lui manquait point. Balzac entre au-
tres lui avait servi de trompette.
Voyez son Ludus poëticus de Hyper-
critico Galeso ('9).
(18) Nulli' quoad vixit libris à se editis in-
ctaruit , notitid eorum quibus ntii ingentem sibi
pepererutit fumam ac eruditionis suœ quam in
dubium nerno ttnquàm vocare ausus est conscien-
lia contentw. Porlner. , in VUS Guyeti.
(19) Par Galesus il entend Guvet.
GUYET ( Charles ) , jésuite
français , né à Tours l'an 1601 ,
entra dans la société l'an 1621 ,
et y enseigna les belles - lettres
pendant cinq ans , et la théolo-
gie morale pendant deux ans. Il
s'attacha ensuite aux prédica-
feTde dessous la presse, plutôt que tions , ce quî fut de longue du-
Guyet n'en eût mis quatre en état rée. Tl devint consommé dans la
d'être données à l'imprimeur ; car
Guyet avait toutes les peines du
monde à se contenter soi-même (16) :
c'est pourquoi il continua à ne s'é-
riger point en auteur , lors même
que , par la mort de Saumaise , il se
vit délivré de sa principale crainte. 11
serait à souhaiter pour le public , que
bien des auteurs eussent eu un sem-
blable épouvantail : ceux mêmes que
cette considération eût empêchés de
faire imprimer des livres s'en félici-
teraient , s'ils entendaient bien leurs
intérêts ; car combien voit-on d'é-
crivains qui vérifient , ou en tout,
ou du moins quant à la dernière
partie , cette pensée d'Horace ?
Sed tacitus pasci si posset corvns , haberel
Plus dapis, et rixœ mullo minus invidiœ-
que (17;.
Heureux les savans qui, comme notre
Guyet , se contentent d'avoir planté
(i3) ffine Balavi fumis cerealibus ebria lurba
Carmina toi musis injicienda vomunt.
(•4) Voyez ces deux petits poèmes , dans les
Lettres choisies de Balzac , pag. 3iî, e'dil. de
Hollande.
(i5) Portner. , in Vilâ Guyeti.
(16) Vir enim aculissimi judicii non huma-
nius de suis quam de alienis curit statuebat ,
ac proindè ipse sibi nunquàm satisfactehat , in
exprimendis quar meditatus erat supra modum
tardur , in exigendis qnœ expresserat supra Ji-
dem severus. Idem , ibid.
(17) Horat., epist. XVII , lib. I, vs. 5o.
connaissance des cérémonies de
l'église : cela paraît par deux ou-
vrages qu'on a de lui (A). U
mourut à Tours le 3o de mars
166/, (a).
(a) Tiré de Nathan. Sotuel, Biblioth. scrip-
tor. societat. , pag. 129.
(A) Cela parait par deux ouvrages
?u'on a de lui. ] L'un a pour titre ,
)rdo generalis et perpetuus divini
(Vfficii recitandi *' ; et l'autre , Heor-
tologia , sive de Eestis propriis lo-
coritrn, à Paris , chez Sébastien Cra-
moisy , 1657, in-folio **. Il n'y a
fuère de dessein plus pénible , ni
'un aussi grand détail que celui
d'expliquer les fêtes de chaque lieu.
C'est ce qu'a fait cet auteur.
*' Paris, i632. in-8Q. , dit Joly.
*a Joly parle d'une réimpression , faite à Ur-
bin , 1728, in folio, et d'une autre, faite à Ve-
nise , 1759, in-folio.
GUIGNARD (Jean ) , jésuite ,
natif de Chartres (a) , et profes-
seur en théologie au collège de
Clermont (b) , fut puni du der-
(a) Thuan., lib. CXII , pag. m. 653.
\b) Appendix Apologiœ Francisa Montant
pro societate Jesu . pag. 35?..
344 GUIGNARD.
nier supplice, à Paris, le 7 de jan- peut-être qu'en éloignant du
vier i5q5, comme coupable de
lèse-majesté. Il fut convaincu
d'avoir composé un livre plein
de rébellion et de fureur contre
Henri III et contre Henri IV
(A) : et comme les circonstances
du temps demandaient que l'on
royaume ceux qui passaient pour
les principaux auteurs des doc-
trines dangereuses , on refréne-
rait la hardiesse des autres ec-
clésiastiques.
(A) Il fut convaincu d' avoir com-
, posé un livre plein de rébellion et de
châtiât avec la dernière sevente 'flireur cont/e Henr[ JH et Hen_
une doctrine qui depuis un jour
avait exposé la vie du roi à l'at-
tentat de Jean Chastel , on ne
trouva pas à propos d'user d'au-
cune indulgence envers ce jé-
suite. Il refusa opiniâtrement de
faire amende honorable ; et il fit
paraître jusques à la mort qu'il
ne reconnaissait point Henri IV
pour roi de France» (B). Il a été
loué comme un martyr, par l'a-
pologiste de Jean Chastel (C).
Nous verrons ce que les jésuites
répondirent quand on leur re-
procha qu'ils lui avaient donné
une place dans leur martyrologe
(D). Ils nièrent le fait ; et quant
à ce qui regarde son supplice, ils
employèrent plusieurs tours d'es-
prit, et tâchèrent d'exténuer l'a-
trocité de ses dogmes (E) , et de
l'excuser sur le grand nombre de
personnes qui tenaient alors les
mêmes maximes. Il est certain
qu'en ce temps-là tout le royau-
me était plein de prédicateurs
séditieux (F) , et depersonnes qui
dans leurs écrits , et dans leurs
discours particuliers, insinuaient
l'assassinat des princes sembla-
pies à Henri IV , qu'ils soupçon-
naient de favoriser les ennemis
de la papauté. Ce fut peut-être
l'une des raisons qui obligèrent
le parlement de Paris à enve-
lopper tous les jésuites de France
dans la cause de Jean Chastel et
de Jean Guignard (G). On espéra
n IJS. ] Voici comment on le sut.
« Comme messieurs de la cour tra-
» vailloyent au proce's de Jehan
» Chastel , aucuns d'iceux députez
» pour ce faire s'estans transportez
» au collège de Clermont se saisirent
)> de plusieurs papiers , entre lesquels
» fut trouve un livre escrit de la
» main dudict Guignard , je'suite ,
w contenant plusieurs propositions et
» moyens pour prouver qu'il avait
» esté loisible de tuer le roy , avec
» plusieurs inductions pour faire
» aussi tuer son successeur. En voicy
» quelques unes extraictes dudict li-
» vre qui se trouve encores au greffe
» de la cour (i). » L'auteur de l'Anti-
Coton rapporte ensuite quelques ex-
traits de ce livre-là ; mais comme
Victor Cayet en a donne' de plus am-
ples , j'aime mieux employer ici son
narre. « Quant à Guignard, il ne put
« nier qu'il n'eust escrit les neuf
» propositions suivantes, sçavoir :
» I. Que en l'an iS^i , au jour
» sainct Barthélémy , si on eust sai-
» gné la veine basilique , nous ne
» fussions tombez de fièvre en chaud
» mal comme nous expérimentions :
» sed quicquid délirant reges ; pour
■» avoir pardonné au saug , ils ont
» mis la France à feu et à sang , et
» in caput reciderunt ma/a.
» II. Que le Néron cruel a esté tué
» par un Clément , et le moine si-
» mule despesché par la main d'un
» vray moine.
» III. Appellerons-nous un Néron
» Sardanapale de France , un renard
» de Bearn , un lyon de Portugal ,
» une louve d'Angleterre , un grifon
» de Suéde , et un pourceau de
)) Saxe ?
» IV. Pensez qu'il faisoit beau
» veoir trois roys , si roys'se doivent
» nommer , le feu Tyran , le Bear-
(i) Anli-Coton , paS< >5.
GUIGNARD.
345
» nois , et ce prétendu monarque de
» Portugal D. Anthonio.
» V. Que le plus bel anagramme
» qu'on trouva jamais sur le nom
» du tyran deffunct , estoit celuy
» par lequel on disoit : 0 le vilain
y> Herodes !
» VI. Que l'acte héroïque faict par
3) Jacques Clément , comme don du
v» S. Esprit , appelé' de ce nom par
» nos théologiens , a este justement
» loue par le feu prieur des jacobins,
3) Bourgoing , confesseur et martyr ,
» par plusieurs raisons , tant à Paris
■» que j'ay ouy de mes propres au-
» reilles , lorsqu'il enseignoit la Ju-
» dith, que devant ce beau parlement
» de Tours. Ce que ledit Bourgoing
» qui plus est a signe' de son propre
5) sang , et sacre' de sa propre mort :
» et ne falloit croire ce que les cnne-
■» mis rapportoient , que par ses der-
» niers propos il avoit improuve ccst
» acte comme détestable.
» VII. Que la couronne de France
» pouvoit et devoit estre transférée
» en une autre famille que celle de
» Bourbon.
» VIII. Que le Beamois ores que
» converty à la foy catholique seroit
» traicté plus doucement qu'il ne
» meritoit , si on hiy donnoit la cou-
)> ronne monachale en quelque cou-
» vent bien reforme , pour illec faire
» pénitence de tant de maux qu'il
» a faits à la France , et remercier
» Dieu de ce qu'il luy avoit fait la
» grâce de se recognoistre avant la
» mort.
» IX. Que si on ne le peut depo-
» ser sans guerre , qu'on guerroyé :
)> si on ne peut faire la guerre , la
v cause, mort, qu'on le face mou-
» rir (2). »
(B) II refusa opiniâtrement de faire
amende honorable , et il fit paraître
jusqu'à la mort qu'il ne reconnaissait
point Henri I y pour roi de France.]
Donnons la suite de la narration de
Cayet. « La cour ayant veu ces es-
» cripts, Guignard , auteur , interro
î> ge' sur iceux à luy représentez ,
» recogneut les avoir composez et
- » escrits de sa main , et pour ce , il
» fut condamne' par la cour (*) de
(1) Cayet, Chronol. novénairc , h l'ann. îSo1},
folio 455 vprso.
(*) Arrêt contre Guignard.
faire amende honorable , nud en
chemise , la corde au col, devant
la principale porte de l'église de
Paris , et illec estant à genoux , te-
nant en ses mains une torche de
cire ardente du poids de deux li-
vres , dire et déclarer que mes-
chamment et malheureusement et
contre vérité il avoit escrit , le feu
roy avoir este' justement tue' par
Jacques Clément , et que si le roy
à présent régnant ne mouroit à la
guerre , il le falloit faire mourir ,
dont il se repentoit , et demandoit
pardon à Dieu , au roy et à justice.
Ce faict, estre mené et conduit en
la place de Grève , pendu et estran-
glé à une potence qui y seroit pour
cet eflect plante'e , et après le corps
mort réduit et consumé en cen-
dres en un feu qui seroit faict au
pied de ladite potence. Cest arrest
fut exécuté le 7 janvier , et fut le-
dit Guignard pendu et bruslé en la
place de Grève. Comme on l'eusl
auparavant mené devant l'église
Nostre-Dame pour y faire amende
honorable , estant nud en chemise,
et tenant desjà la torche , il de-
manda au sieur Fiapin , lieutenant
de robbe courte , ce qu'on vouloit
qu'il fist : il luy dit , qu'il falloit
qu'il demandast pardon à Dieu et
au roy , suivant ce que luy diroit
le greffier. Je demanderay bien
pardon à Dieu , luy dit-il , mais au
roy , pourquoy ? Je ne l'ay point
oflèncé. Vous l'avez offencé , luy
dit Rapin , en ce que vous avez
escrit contre luy. Guignard luy ré-
pliqua : ce que j'en ay escrit a esté
auparavant que Paris fust remis en
son obeyssance. Vous le dites , luy
dit Rapin , ce qui n'est point ; et
quand ainsi seroit , vous estes des-
cheu du pardon et abolition gêne-
rai que le roy a octroyé à ses sub-
jects de Paris depuis leur réduction,
puisque vous n'avez point ignoré
qu'il a esté très-estroictement en-
joint de brusler telles escritures ,
sur peine de la vie : les ayans gar-
dées contre ces edits , vous l'avez
donc offensé et le public. Apres
avoir contesté l'un contre l'autre
plus d'un quart d'heure , quelques
raisons et menaces que dist et (ist
ledit sieur Rapin , Guignard ne
voulut point faire amende honno-
346 GUIGNARD.
» rable, et sans la faire il fut mené (D) Nous verrons ce que les jésui-
» au supplice (3). » tes répondirent quand on leur repro-
II est visible qu'en disant qu'il cha qu'ils lui avaient donné une place
n'avait point offensé le roi , il suppo- dans leur martyinloge. J Citons d'a-
sait que Henri IV ne l'était pas. Nous bord un passage de l'Anti-Coton (6)
allons voir qu'on le loue d'avoir eu « Le lecteur s'enquerra , s'il luj
effectivement cette pensée, et de n'y
avoir jamais renoncé.
(C) lia été loué comme un martyr,
par V apologiste de Jean Chastel. ]
Le chapitre X de la Ve. partie de l'A-
pologie de ce scélérat est intitulé ,
Martyre du père Guynard justifié
de tout poinct. L'auteur le déclare
he.uivux pour être mort, comme un qui
» plaist , s'il se trouva jamais jésuite
» qui ait condamné ce Guignard de
» trahison et perfidie. Au contraire,
» Richeome , en son Apologie , l'ex-
« cuse tant qu'il peut ; disant que
» Guignard traictoit les susdites pro-
» positions , comme par forme de
» dispute en théologie. Et en cela
» nous sommes d'accord j car aussi
se lient ferme sur la base et solidité » je dy , que tuer le roy a tousjours
de la pierre evangelique : c'est a dire » esté une des resolutions de la theo-
de l' obéissance , et pour Pobeissance » logie des jésuites. Si quelque je-
de Veglise (4). Ta constance du per-
sonnage (*') , jusques au dernier sou-
pir', ajoute-t-il (5) , pour ne vouloir
reconnoistre pour roy , celujr que l'é-
glise a condamné , ny pour juges lé-
gitimes , ceux qui se sont séparez de
l'église, et jugent contre l'église : et
pour ne vouloir proférer les clauses
» suite , demy par force , demy par
» honte , le condamne , c'est pour
» n'avoir pas esté assez discret, ou
» pour avoir mal pris son temps , ou
» pour quelque semblable raison. Ce
» qu'on peut recognoistre , en ce que
» les jésuites ont mis ce Guignard au
» catalogue de leurs martyrs , qu'ils
et parolles portées par leur arrest » ont fait, imprimer à Rome , en deux
pour faire l'amende honorable : per- » formes, en l'une desquelles Gui-
sislant en la vérité de ce qu'il avoit » gnard y est , en l'autre il n'y est
presché et couclié en ses mémoires » point , afin qu'il y eust des copies
(pour raison, dequoy en fust l'execu- » qu'on peust vendre en France sans
tion précipitée , et sur le champ, et » danger. Aussi h? jésuite Bonar-
en chemise , sans remener aux pri- » scius , au VIIIe. chap. de son Am-
sons ) , et en qui par ce moyen de tout » phitheâtre , exalte jusques au ciel
poinct, a esté justifié le martyre , » ce Guignard, quoy que sans le
pour n'y avoir aultre subject , sinon » nommer, de peur d'offenser nostre
d'une pure venté catholique , souste- » roy, toirtesfois assez clairement
nue jusqu'à la mort inclusivement, » pour le discerner en ces mots : Te
dont le contraire est hérésie : est ce
qui servira de tesmoignage , pour leur
faire un jour leur procès , les tenir
aux fers pieds et mains , leur pro-
noncer leur arrest, et condamner dif-
finitivement, et de jugement irrévo-
cable , comme ceste gloire est à tous
les saincts (*"); lors que celuy qui
garde la vérité éternellement (*3) ,
» tairay , 6 estoile luisante au ciel
» et en terre , et dernière expiation
» de la maison , qui après cela ne
■» devoit plus rien souffrir ? Nul jour
)> ri effacera les traces de ta mort :
» puis adjouste : Toute la France se
» joindra a mes vœux (*) Cela ne
» peut convenir qu'à Guignard , qui
» estoit jésuite françois, et qui est le
qui tient riere soy les livrées du greffe » dernier jésuite qui a souffert sup-
éternel , oit tout est escrit , voire mes- » plice en France. » Le père Coton
me qui en est le livre , fera jugement répondit entre autres choses.(7) , qu'il
à ceux qui souffrent injure (*4). n'y avait point de jésuite qui eût re-
(3)Cayet, Chronol. novénaire, à l'ann. i5ç)4,
foUo 435 verso.
(4) Apologie pour Jehan Chastel , part. V ,
chftp. X , pag. 238.
[*') Constance du père Guynard.
(5) L'a même, pag. î3q.
'") Psal. i45.
{"*) Apoc. 20.
(*4) l'sal. i4i.
(6) Anti-Colon, pag. 18, 19.
(*) Tacebo ego le clarum cœlo terraque fi-
dus , et ultimum nil amphitt doliturœ domùs in-
nocuurn piamenlum. Nullus lui sanguinie vesti-
gia difs exterel, lolaque in heee vota mea ibit
Gallia
(7) Réponso apologétique à l'Anti - Colon,
pag. 42.
GUIGNARD. 347
prouvé le jugement de la cour , et » l'heresie que tu defens sousle man-
qu'un chacun avoit tache de se per- » teau d'estat ; en somme, pour avoir
suader quelle avoit condamne Gui- » endure' patiemment tous les lour-
gnard pour un juste suhject; que tout » mens de la mort et la confusion du
ce que l'on y adjouste n'est pas esga- » supplice , et avoir rendu Famé en
lement certain , et quilfaut rappor- » bon et ferme catholique (10). » Il
ter beaucoup de choses a la licence avait parle' ainsi, page 181 : Tu te
des langues et à l'injure du temps formalises dequoy nous avons mis au
(8) ; que si aucun jésuite n'a condam- catalogue des martyrs ledict père :
né Guignard de trahison et perfidie , qui te l'a dict , sinon l'esprit de men-
c'est parce que aucun d'eux n'a veu songe qui faicl courir ta plume? Car
ni sceu au vray le fonds du procez. il n'y a personne de tant de milliers de
.l'a y veu , continue-t-il , plusieurs ca- gens de bien, quiy ayent trouvé ce que
talogues des martyrs jésuites, et n'en tu controuves : situ n'a pas veu ce ca-
ay veu aucun ou Guignard J'ust, et si talogue , comme il est vray semblable,
en ay veu de la taille de Rome. /Unis paurquoy parles tu si asseurément
quand ainsi seroit qu'ailleurs on les d'une chose à toy incognuë ? As tu
eusl ejffîgiez de c este façon; qui ne si peu de soins de ton honneur de
scait quelle est la licence que se don- pi'endre tous faux rapports a bon
tient les poètes et les peintres ? Il nie conte, et les exposer comme veritez ,
que le passage de Bonarscius con- et te faire moquer pensant nuire aux
cerne Guignard ; mais c'est nier une jésuites ? Le jésuite Eudaemon Jolian-
chose presque indubitable. Un autre nés, répondant à FAnti-Coton , nia
apologiste ne fut pas si décisif, il se que Guignard eut été mis au marty-
contenta de biaiser. Voici ce qu'il ré- rologe des jésuites, et remarque que
pondit à Fauteur de FAnti-Coton : les tailles-douces de leurs martyrs
« Tu te fasches que Clarus Bonarscius avaient été faites et mises en vente
» loue en son Amphithéâtre ce père, par des gens qui ne cherchaient qu'à
» et qu'il l'appelle estoiJe luisante au gagner, et qui ne dépendaient point
» ciel : comment sçais tu qu'il parle des jésuites (il), f^erebaris nimirum ,
» de ce père, veu qu'il ne le nomme ne prolatis martyrum nostrorum ca-
» point? Prens tu conjecture dequoy talogis, impudentissimi mendacii con-
» il a esté exécuté le dernier en vincerere, quœ te causa impulit, ut
» France ? Il est aussi le premier, frigidam hanc catalogorum varieta-
» Mais quand ta conjecture seroit tem dignam plané slupore isto animi
» vraye, dequoy te fasches tu qu'il somniares. JVam neque mendacium
» loue ce père comme bien heureux tegis , et vecordiam luam prodis :
» (9) ? Or accuse et te plains de martyrum enim nostrorum effigies
» Clarus tant que tu voudras , tu ne non a nobis , sed ab exleris lucri sut
:> m'engarderas pas que je ne le loue causa typis excusœ, vénales per or-
» de ceste louange, et que je ne loue bem palhm exposilœ abiis sunt , ut in
» avec luy ce père , par ce qu'il estoit noslrd polestate nullo modo fuerit
» un grand théologien, etfaisoit bon- avis martyrum catalogus , aut a Gai"
» neur à la France, sa patrie, que tu lis emeretur, aut in Galliam ab emp-
» des-honores ; et croy , avec le mes- toribus importaretur. Neque verb ita
» me Clarus , qu'il est au ciel , si ce slolidos quisquam jesuitas existima-
» n'est au rang des martyrs, au moins turus est , utcùmremeam aggrede-
» au nombre des bien-heureux : non rentur, non vidèrent fieri non posse ,
» pour avoir esté condamné au sup- ne Gignardus quoque cum cœteris
» plice , mais pour avoir quitté la martyribus vel ab amicis , vel ab ini-
» vanité du monde pour servir Dieu micis in Galliam mitteretur. Mirum
» et le public en religion avec l'ap- vero est , si cum utiiusque generis
» pareil de toutes ses forces , pour catalogi venderentur , non nisi unus
» avoir vescu en bon religieux plu- in Galliam, isque ad tuas unius ma-
» sieurs années, pour avoir enseigné nus venerit , in quo Gignardus lege-
v la foy catholique , et combattu „ ,.,„..
•* (io) Richeome , Examen catégorique de 1 Anti-
(8) La même , pag. 43> Coton, chap. XXI, png. i83.
(qî Richeome , Examen catégorique dr l'Anti- (n) Eurliemon Jolianncs , Confut. Anti-Coto-
Colon , chap. XXF,png. 182, ni, cap II, pag. 5i.
348 GUIGNARD.
retur, quefn si apud te habes , profer » de calomnies et querelles : et- de
sodés , si non habes , indica apud i> l'empereur Constantin le Grand
quem inveniri possit. JYain nos guident » (*'), qui fit aussi mettre au feu les
llojnœ nunquam Gignardumadscrip- » libelles de dissension. Et certes s'il
tum socielalis marlyribus vidimus : » eust fallu rechercher tous ceux de
nunquam in martyres retulimus. » la ligue qui avoient escrit et parlé,
(E) Us tâchèrent d'exténuer r> on n'eust jamais trouvé la fin des
l'atrocité de ses dogmes , et de l'excu- » troubles et d'inimitiez : et y avoit
ser sur le grand nombre de personnes » en ce temps-là mille et mille Fran-
qui tenaient alors ces mêmes maxi- » cois qui avoient de pires escrits
mes. ] Voyez dans la remarque (A) la » chez eux , que celuy que cest hom-
doctrine de Guignard ; elle fait hor- » me feinct icy et produit, qui neant-
reur. On imprima, en 1602, un petit » moins vous sont demeurez très-
livre intitulé , le Franc et Véritable » fidèles serviteurs et subjects :
Discours au roi , sur le rétablisse- » pourquoy donc alleguc-il cest es-
menl qui lui est demandé pour les je- » crit contre la loy d'oubliance , et
suites. Nous y trouvons entre autres » contre un trespassé ? Que s'il y
choses, que si le pape peut mettre la » avoit en iceluy faute du tout pu-
main sur le sceptre des rois et sur » nissable , n'a-elle pas esté assez
leur temporel , ainsi gue disent les » expiée par le supplice de mort ?
jésuites, il reste sans difficulté gue » Faut-il huict ans après remettre
quand sa sainteté fulmine un roi ,
il demeure privé -, il demeure particu-
lier , il n'est plus roi ; et s'il continue
de vouloir régner , il est tyran. Qui-
conque demeurera d'accord de la pre-
» sus le procès , et condamner encor
» une fois celuy qui a esté exécuté
» tant d'années devant? Je dis davan-
» tage que cest escrit (*') u'estoit
» point de ce théologien , c'est une
mière proposition sera , par force , » feinte de l'adversaire. » Remarquez
traîné a la dernière, ylussi le livret bien qu'ils prétendirent qu'il n'était
écrit de la propre main de Jean Gui- point vrai que l'écrit de Jean Gui-
gnard, jésuite , et gu'il reconnut en gnard fût tel que leurs adversaires le
plein parlement , les deux chambres prétendaient. Les observations de
assemblées , portait ces deux mêmes Richeome ( i4) , pour prouver cela ,
propositions outrageusement écrites ; sont les plus faibles du monde ; mais
car, entre autres choses, il y avait : si Henri IV, sur cette inscription en
Que le Néron, etc Que si on ne faux, ne demanda pas qu'on lui mon-
peut DÉposERleBiarnois sans guerre , tr;lt l'original , et s'il ne donna point
qu'on guerroyé : si on ne peut faire ordre aux ennemis des jésuites de
ia guerre , qu'on le face mourir, justifier d'une manière incontestable
Votre majesté peut voir l'original : que les propositions qu'ils attribuaient
ceci le mérite bien (12). Voici ce que à Guignard étaient effectivement dans
répondirent les jésuites, par la plume son livre, il fut coupable d'une ex-
de Richeome (1 3). « Sire , je ne veux tréme négligence, ou d'un certain
» icy accuser personne , ny plaider ménagement qui pouvait passer pour
» pour ce defunct , il est meshuy timidité. Quoi qu'il en soit , l'auteur
» hors de cour et de procès , ny de- de l'Anti- Coton , qui savait sans
» mander vengeance , non plus que doute que les jésuites avaient nié
» luy, que je crois prier au ciel pour hautement ce qu'on débitait sur le
» ses ennemis : je dis seulement que manuscrit de leur confrère , ne laissa
» vostre majesté avoit pardonné tout pas de leur objecter les mêmes pro-
» ce qui s'estoit passé de semblable , positions que le franc et libre Dis-
» et ce prudemment et royalement, à cours, et de dire qu'elles étaient ex-
» l'imitation de l'empereur Octavien traites du manuscrit de Guignard ,
>> ( * ) , qui fit brûler fous les papiers gui se trouvoit encore* au greffe de la
■> de debtes , qui donnoient matière cour (i5). On lui répondit que ce
(iî) Franc el véritable Discours, pag. 3i.
( 1 3) Richeome , Plainte apologétique, pag.
i35, i36.
(*) César Octavien fil brûler les papiers qui
ne servaient t/uà matière tic calomnie. Siiet.
ia Octa. , c. Zi.
(*') Constantin. Sozom. , lib. i, c. 16.
(*2) Ecrit suppose'.
(i/|) Richeome, Plainte apologétique, p»g.
i30 , 137.
(i5) Anti-Coton , pag. |5.
GUIGNARD.
349
qu^il disait est une des choses qu'il
faut rapporter à la licence des lan-
gues et à l'injure du temps , et qu'on
lui nie que sur le greffe de la cour se
trouvent ces paroles, si on ne peut
faire la guerre, qu'on le face mourir,
esquel/es neantmoins gist la queue du
scorpion (16). Ces paroles, lui répon-
dit un autre (17) 'portent le suc du
venin de ta calomnie ; mais ce sont
paroles et mensonges , car il ne se
trouve rien de cela au registre du
greffe. Ces réponses font pitié ; car
l'auteur de l' Anti-Coton n'avait point
dit que ces paroles se trouvassent
dans les registres du parlement , mais
dans le manuscrit qu'on gardait au
greffe. Il fallait donc, pour repondre
quelque chose de solide , lui soute-
nir qu'elles n'étaient point dans ce
manuscrit. Or c'est ce que les jésui-
tes qui ont réfuté l' Anti-Coton n'ont
pas osé soutenir ; et ainsi il est très-
juste de croire que cette proposition
se trouvait dans l'écrit du père Gui-
gnard. Plusieurs raisons me le per-
suadent.
I. En premier lieu , l'arrêt du
parlement porte (18), que veu le pro-
cez criminel fait à V encontre de
Jean Guignard pour avoir esté
trouvé saisi de plusieurs livres , con-
tenans entr autres choses , approba-
tions de trescruel et tresinhumain par-
ricide du feu roy , que Dieu absolve ,
ET INDUCTIONS POUR FAIRE TUER LE ROY
A présent régnant.... Il sera dit que
la cour a déclaré et déclare ledit Gui-
gnard atteint et convaincu ducrime de
leze majesté et d'avoir composé et escrit
lesdits livres contenans plusieursfaux
et séditieux moyens , pour prouver
qu'il avoit esté loisible de commettre
ledit parricide , et estoit permis de
tuer le roy Henry quatrième a pré-
sent régnant. Il ne faut point douter
que les paroles de l'arrêt , qui sont
ici en grosses lettres , ne se fondassent
sur celles qui , selon l'auteur de l'Anti-
Coton , étaient contenues dans le livre
de Guignard.
II. Outre cela, qui pourrait dou-
ter que M. de Thou , président au
(16) Réponse apologétique a l'An ti • Colon ,
pag- m 42 ,43.
(17) Kicheorue , Examen catégorique Je l'An-
ti-Coton , pag. 181.
(18) Pasquier , Catéchisme, des Jésuites , lit:
ill, chap. XVIll, pag. m. 44; , ft'fi.
Sarlcment de Paris , n'eût lu le livre
e ce jésuite ? Or , tout comme une
infinité d'autres écrivains , il assure
que l'on y trouvait les paroles en
question (19V
III. En troisième lieu , les jésuites
n'ont jamais donné de preuve que les
propositions qui leur étaient repro-
chées, comme prises de ce manuscrit,
ne s'y trouvaient point. Ils ont seule-
ment nié que la dernière se trouv.1t
dans les registres du parlement , de
quoi il n'était pas question , et ils
n'ont allégué , touchant les autres ,
que de faibles apparences. Ils ne se
sont jamais vantés d'avoir vu le livre ;
et ainsi ils n'en ont parlé qu'en l'air 5
ils n'ont point ollért au roi , comme
faisaient leurs adversaires , de lui
montrer ceci ou cela dans le manu-
scrit, qu'on gardait au greffe du parle-
ment. S'ils eussent pu espérer de con-
vaincre de calomnie leurs ennemis ,
ils eussent demandé au roi ou au par-
lement que ce livre-là fût donné à
examiner en leur présence à tels com-
missaires qu'on aurait voulu choisir.
N'est-il pas bien sûr que n'ayant
point fait cette démarche , ils ont
donné à connaître qu'ils se défiaient;
du livre , et que s'ils traitaient de
prétendues les propositions que leurs;
ennemis en alléguaient , ce n'était
qu'en style d'avocat ? On sait bien
que les parties qui plaident traitent
toujours de prétendu , aussi long-
temps qu'elles peuvent , tout ce qui
les incommode. Je ne sais si les ad-
versaires des jésuites ont fait la dé-
marche dont j'ai parlé , qui est de
prier le parlement de nommer des
commissaires pour l'examen du ma-
nuscrit en présence des intéressés. Un
bon procès verbal sur cela eût fermé
la bouche, pour jamais , à la chicane
la plus opiniâtre. Mais , sans toutes
ces formalités , on a d'assez bonnes
raisons de croire que Guignard avait
mis dans son traité les propositions
qu'on lui attribue.
Cela étant , on doit être bien sur-
pris de la fausse idée que ses apolo-
gistes en donnent. Citons Richeome.
« Ce qui fut trouvé en la chambre de
(19) Si sine bello cteponi non possil, brlluiK
cum eo gefendwn. Si beltum geri non pos-
sit, de inedio qudvis ralwne tollenditm. Thua-
nus, l.b AT//, pag. 053, col. i.
35o
GUIGNARD.
» Jean Guignard , dit-il (20) , et sur- du contre ; mais qu'il avait pris l'af-
» quoy il fut condamné à la mort, hrmative , et approuvé nommément
v étoit une question qu'il avoit traitée l'assassinat de Henri III , et toute
» autrefois lisant la Théologie, qui autre action semblable qui serait
» estoit s'il est loisible de tuer un exécutée sur Henri IV.
» tyran ; question que tous les ca- Le père Gretser inséra dans l'un de
» nonistes et philosophes moraux ses livres (a4) , une relation du procès
» mettent en leurs discours , et que de Jean Chastel , dans laquelle le
j» Bodin entre les modernes a traitée '
» en sa République. » Richeome nous
apprend ailleurs (21) qu'Henri IV fut
satisfait de cette réponse. Il fallait
donc que ce prince fût bien facile à
se contenter : car elle était très-mau-
vaise , puisqu'elle représentait le plus
infidèlement du monde le caractère
du livre de Jean Guignard. Nous
avons vu ci-dessus (22) la réflexion
qui fut faite sur ce passage de Ri-
cheome par l'auteur de l'Anti-Coton.
Elle ne marque point le défaut qui
se rencontre dans les paroles de ce
jésuite , et ne s'attache qu'a ménager
une occasion d'invectiver toute la
société des jésuites. Tant il est vrai
qu'il y a des gens qui aiment mieux
avoir le plaisir de satiriser tout un
corps , que de réfuter en forme un
simple particulier.
Le jésuite Euda'mon Johannes a
renchéri sur Richeome 5 car il a dit
que Guignard n'avait fait que dis-
puter pour et contre , sur la question
théologique , s'il est permis d'oter la
vie aux tyrans, et il ajoute que cela
ne le rendait pas plus digne du der-
nier supplice que les autres théolo-
giens, qui s'exercent non-seulement
sur cette question , mais aussi sur
celle de l'existence de Dieu (23) :
Théologien quœstione in utramque
livre du père Guignard est décrit
comme une simple collection de di-
vers passages concernant la thèse ,
s'il est permis aux particuliers d'ôter
la vie aux tyrans. On ajoute que pat-
forme de narration il avait parlé du
jacobin qui assassina Henri III , et
qu'il protesta sur l'échafaud , que c'é-
tait le vrai caractère de son livre , et
qu'il n'y avait pas mis un seul mot
qui pût offenser le roi (a5) : In cubi-
culo P. Joannis Guignardi theologiœ
professons , perbretns traclalus re-
pentis est, quem ipse ante annos qua-
tuor vel quinque conscripserat , quo
Ma quœslio conlinebalur a doctoribus
in scholis passitn tractala et agitata :
Utrùm tyrannum qui se palàm hos-
tem gerit reipublicœ liceat privato oc-
cidere ? De qud quœstione argumen-
ta , quœ in utramque partent , ut
solel , ad discutiendam disquiren-
damque reritalem , a variis auctoribus
adferunlur, ibi quoque congé staerant.
Inter alia item narralione compre-
hensum fuit quid frater Clemens
dominicanus monachus in Henri-
cum III ausus fuisset (26). Cùm
jam palibulum a longé conspexisset
cui appropinquabat , sancti yindreœ
Apostoli exemplo et verbis illud piè
et alacriter consalutavit ; lœtd mente
aefronte scalas conscendil , è quibus
parlent scriptd suppliciant non mugis alloculus circumfusam spectantium
meritus est , quant sanclus Thomas
quant reliqui theologi , qui non modo
de lyrannorum nece , sed de ipsu
etiam Dei existenlid , in utramque
parlent disputare so/iti sunt. Dégui-
sement horrible de Fétat des choses ,
puisque Guignard ne s'était pas con-
tenté d'examiner un problème en
rapporteur des raisons du pour et
(20) Réponse de René de la Fon , pour les Re-
ligieux de la Compagnie de Jésus ,ckap. XIV,
pag. ',i , -ji.
(21) Examen catégorique de l'Anli-Colon ,
pag. i8',.
(22) Dans la remarque (Lt) , citation (6).
(2 s) I- inlxm. Joli , Confut. Anti Cotoni, cap,
fi, pag. 5t.
multitudineni : quod supplicii hoc gé-
nère enecaretur, aliam non subesse
causant , quant quia ante annos qua-
tuor uel quinque perbrevem tractatunt
conscripsisset , nullius injuria, nul-
lius incommodo , in quem collegisset
opinioncs et sententias sanctorum pa-
trum , i'ariorumque auctorum, quos
ipsi antè moitumentis commendave-
rant de hdc quœstione : Utrùm liceat
privato homini occidere manifestum
(a4) Version latine de la Réponse de Ricbeo-
me , déguisé sous le nom de François des Mon-
tagnes , au plaidoyer d'Antoine. Ainauld.
(a5) Appendix Apologia: Francisoi Montant pro
societate Jcsu in (.allia , pag. 352.
(26) Idem , iiid. , pag. 553.
GUIGNARD.
35i
tyrannum : Tractatum illum se ne-
que typis in lucem editum evulgâsse;
qu'ai in aliorum ma nus eum nunquam
pervenisse. Regem ibi neque uerbulo
lœsum aut ojffensum. Quœ patris
verba omnem circumstantem popu-
lum in magnam commiserationem in-
flexerunt.
Quels déguisemens , ou plutôt,
quelles impostures ! Mais notez qu'à
la faveur d'une équivoque , il pouvait
dire qu'il n'avait rien dit rjui put of-
fenser le roi ; car il ne prétendait pas
qu'Henri IV fût roi.
Citons un fort long passage d'un
livre qu'on ne trouve que rarement.
Cela peut servir d'excuse à la lon-
gueur de la citation , sans compter
que ce passage nous apprendra, i°.
que Guignard avait prêché la même
doctrine qu'il soutenait dans son
écrit j 2°. que l'on prétendait que
cette doctrine était conforme à celle
des anciens pères , et une décision de
l'église, et le sentiment de tout le
Sarti catholique. Voilà un mélange
e faussetés et de vérités. « Mais
» d'autant plus cruel a esté l'excès ,
» commis en la personne du père
« Guygnard, que moindre estoit aus-
» si, voire du tout nul le subject,
» sur lequel ils luy ont faict perdre
» la vie. Asçavoir pour des collec-
» tions et mémoires , tirez tant des
» pères, que des décrets , pour mon-
» trer qu'il est loisyhle de faire la
« guerre aux princes hérétiques et
>> excommuniez , qu'ils ont trouvé
» en son estude, sur Fad\is spécial,
» qu'un certain ministre, qui avoit
» quelques années auparavant ouy
» ledicl Guygnard, preschant à Bour-
» ges sur ce subject , leur donna de
« le fouiller, et les servit à ce be-
» soing. Car si pour des collections
» scholastiques , il fauli condamner
» à mourir, quel préjugé contre les
» saincts pères, dont elles ont esté
» tirées ? Si tels mémoires sont
» damnables, que ne le sont ceux
» dont ils sont, pris ? et comment
» sauver S. Hilaire , la lumière des
« Françoys, et Lucifer évesque de
» Sardaigne , qui de leur temps ont
» escrit si vivement, sur ce subject,
» contre l'empereur Coustantius , et
» luy ont envoyé leurs livres? Et
•> comment aussi S. Cyrille , et S.
Grégoire de Nazianzc , contre Ju-
lian l'apostat? Si ce sont choses
débattues , de temps immémorial ,
digérées par l'accord des anciens ,
ratifiés par le jugement de l'église,
à qui seulle appartient décider
telles veritez , et depuis reçeues
et publiées es escholles des théo-
logiens : depuis quand venus ces
censeurs, qui si haultement les re-
prouvent ? quoi condamnent le
Saint Esprit? et osent juger des cou-
leurs, où ils sont vrays aveugles,
et conducteurs des aultres aveu-
gles? Et si telles collections con-
damnées, et si sévèrement punies,
comment souffertes telles des here-
t iq m-s ? Comment leurs livres et
pestilens escrits, leurs propositions
et maximes, jugées et condamnées
qu'elles sont, tant par l'église, que
par les parlemens de France? Pour-
quoy leurs preschcs et blasphèmes
tolérez , contre Dieu et contre l'é-
glise, voire approuvez par edict ,
et vérifié par eux? Et s'il n'est loy-
sible de faire la guerre à un prince
hérétique , comment loysible à
l'heretique de la faire au prince
catholique ? Et quelle justification
pour celuy qui , comme chef des
hérétiques, a fait la guerre toute
sa vie aux roys de France catholi-
ques? Qui est tout ce dont il s'est fait
valoir, et pourquoy il a été con-
damné , et qu'ils reconnoissent
pour leur prince ? Pourquoy non
loysible contre luy , ce dont oultre
l'authorité des décrets, luy mes-
me a donné l'exemple? Joinct ,
que cela en tout n'estoit condam-
nable, pour estre une proposition
scholastique et générale, et pure-
ment «le la doctrine de l'église. Et
en tout cas, appartenant au géné-
ral du parti , et par conséquent
couvert, tant par l'edict de la tra-
hison de Paris , que par celuy
qui depuis a esté publie. Veu qu'à
en user ainsi , il n'y avait aucun ,
non seullement de ladicte société ,
mais n'y aussi ecclésiastique bien
zélé, voire ny de tout le parla ca-
tholique, qui ne deust subir mes-
me peine (27).
(E) Tout le royaume était plein de
prédicateurs séditieux. ~\ Le mal ne
(27) Apologie pour Jelian Ctiastel , pari. V ,
chap IX, yag' ?Hi et suW.
352
GUIGNARD.
cessa point par l'absolution que le pape
accorda au roi Henri IV, le 16 de sep-
tembre i595. Lisez ces paroles du
cardinal d'Ossat : elles sont dans une
lettre qu'il écrivit de Rome à M. de
Villeroi, le 14 de mai 1601. Je parlai
puis après au pape de ce que le roi
désirait , que S. S. ordonnât au nou-
veau nonce de pourvoir à ce que
les prêcheurs en France préchas-
sent avec la discrétion et modération
» les oreilles , n'adoroit plus d'au-
» tre croix, que celle de Lorraine,
» C'est pourquoi il etoit absolument
» ne'cessaire de reprimer cette licence
» farisienne , et de rétablir la bonne
» discipline dans un ministère sacre',
» que l'esprit de révolte avoit con-
» verti en ministère d'iniquité.»
Si le nonce du pape s'acquitta bien
de sa commision . il n'ôta pas néan-
moins ce grand désordre. On conti-
requises , sans s'ingérer aux affaires nua de prêcher et de parler séditieu-
d' état, dont ils ne savaient les motifs ; sèment, et de faire naître par-là des
ni tenir propos tendant à sédition
et lui en laissai aussi un mémoire
par écrit, duquel vous aurez copie
avec la présente. S. S. me dit qu'elle
l'ordonnerait ainsi au nonce nouveau
(28). M. Amelot delà Houssaie a com-
menté admirablement ce passage du
cardinal d'Ossat : « Il ne sied pas
n mieux aux prédicateurs , dit-il , de
» parler des affaires du gouverne-
» ment politique, où ils n'entendent
» rien , la pluspart ; qu'aux politi-
» ques, de décider en matière de
» foi et de religion. Les affaires d'état
» sont si délicates , et si chatouilleu-
3» ses , qu'il est toujours dangereux
)> d'en parler devant le peuple , qui
» n'est presque jamais content du
» gouvernement. Omni populo , dit
» Pluf arque, inest malignum quid-
'> dam et querulum in imperantes.
33 Tous les prédicateurs ont bon zèle ,
» je l'avoue ; mais comme ce zèle
33 n'est pas toujours accompagné de
» science et de prudence, il est de
j) l'interest public , que ceux qui sont
» habiles s'abstiennent, par modes-
3> tic , de faire entrer ces matières
conspirations contre la vie de Hen-
ri IV (29). Les véritables Français ,
fauteurs de l'indépendance royale ,
et attachés aux maximes monarchi-
ques de l'état, imputaient surtout
aux jésuites cet esprit républicain ,
et ultramontain. Ce n'est pas qu'on
les en considérât comme les premiers
auteurs (3o) : on ne les en regardait
que comme l'appui le plus ferme.
Cela me fait souvenir d'une remar-
que qui a paru dans un livre impri-
mé l'an 1701 , et qui a pour titre,
U état présent de la faculté de théo-
logie de Louvain , ou l'on traite de
la conduite de quelques-uns de ses
théologiens , et de leurs senlimens
cotitre la souveraineté et la sûreté
des rois , et contre les I J^ articles du
clergé de France. Ce sont trois let-
tres d'un chanoine de Tournai à un
docteur de Sorbonne. Elles sont pré-
cédées d'une lettre de ce docteur,
dans laquelle on voit ces paroles
(3i) : Mais d'où vient qu'en rappor-
tant dans vos lettres les sentimens de
ces théologiens qui enseignent que les
rois sont sujets de l'obéissance, les
» dans leurs sermons, pour imposer absoudre du serment de fidélité , vous
u aux autres la nécessité de se tenir n'y parlez que de quelques docteurs
33 dans les bornes de la doctrine particuliers de Louvain , de quelques
33 evangélique , qui recommande par- augustins , et de quelques récollets,
3) tout la paix et l'obéissance. Dans et presque point de jésuites? lgno-
3) les dernières années du régne rez-vous que c'est citez eux qu'est la
3) d'Henri III , et dans les premières source de toutes ces opinions détes-
» d'Henri IV , les docteurs Aubry , tables ? non qu'ils soient les premiers
3) Boucher , Pelletier, Linceste , hosc, qui les aient soutenues : plusieurs
31 Feu-Ardent , et plusieurs autres canonistes, quelques théologiens, sur*
» de celte camarine, avoient telle- tout des Italiens sujets du pape, les
3) ment profané le ministère de la avaient enseignées avant eux; mais
» parole, que la chaire de la vérité c était sipeu de chose que leurs écrits ,
» étoit devenue en France la tribune
3) de l'imposture et de la calomnie ; (59) V°y** le chantre III de /'Ami-Coton.
» et fine le peuple, empoisonné par , <3o) Conféretja remarque (S) de larlicle,
1 ' *■ ' l l Loïol» , loin. IX.
(îS) D'Ossat , lettre CCLXXIII , pag. 36g, (il) Lettre d'un docteur de Sorbonne à ua
3-0, du 11°. tome I, c'dit. de Paris, 1O98. chanoine de Tournai , folio a. 4.
GUILLEMETE.
353
qu'ils tombaient d'eux-mêmes et ser-
vaient plus ii décrier ces opinions
iju'ii leur donner de la vogue, (nais
les jésuites les ont relevées et ont en-
trepris île les mettre en honneur.
(G) Ce fut une des raisons
qui obligèrent a envelopper tous les
jésuites de France dans la cause de
Jean Chaste/, et de Jean Ouignai'd.]
Il y a des gens qui s'étonnèrent que,
n'y ayant eu tout au plus que des
présomptions que les jésuites eussent
conseille à Jean Cliastel l'attentat
qu'il exécuta, on ne laissa point de
les bannir du royaume par le même
arrêt qui condamna cet assassin.
Mais, pour justifier en cela la con-
duite du parlement de Paris, il faut
observer que l'action de ce jeune
homme ne fut point le fondement
de l'exil à quoi les jésuites furent
condamnes ; ce ne fut qu'une occa-
sion de décider une cause qui avait
e'té plaide'c quelques mois aupara-
vant. Cette cause était un procès in-
tente' aux jésuites par l'université de
Paris. Antoine Arnauld, qui plaida
pour cette université, avait conclu
h ce qu'il plcusl a la cour, en enté-
rinant la requesle de l' université ,
ordonner que tous les jésuites de
France vuideroient et sortiraient le
royaume, terres et pays de l'obéis-
sance de sa majesté , dans quinze
jours après la signification qui seroit
faicte en chacun de leurs collèges
ou maisons, en parlrtnl a l'un deux
pour tous les autres. Alias, et h faute
de ce faire , et où aucun d'eux servit
trouvé en I^rance après le dit temps ,
que sur-le-chamj) et sans forme ne
figure de procez il seroit condamné ,
comme criminel de leze - majesté au
premier chef, et ayant entrepris sur
la vie du ?*oj(32). Le jugement de la
cause fut renvoyé à un autre temps;
mais à l'occasion de l'affaire de Jean
Chastel , on fît droit sur la requête
de l'université , et sur les* moyens
dont s'était servi Antoine Arnauld.
Quelques autres parlcmens imitèrent
celui de Paris : mais le parlement de
Toulouse et le parlement de Bor-
deaux refusèrent de s'y conformer
(33): et ainsi les jésuites se maintin-
(32)Coyet, Chronol. novenaire , à Vann.
1 594 , folio 387 verso.
(33)' Mézerai, Abrégé clironol. , loin. VI,
}>ag. m. u4-
TOME Vit.
rent en Languedoc et en Guyenne
jusqu'il leur rappel. Ils ne l'obtinrent
qu'au commencement de l'année
1604.
GUILLEMÈTE de Bohème ,
chef d'une secte infâme qui pa-
rut en Italie dans le XIIIe. siè-
cle, avait si hien trompé le mon-
de par les apparences d'une sin-
gulière dévotion, et si bien joué
la comédie jusques au bout de sa
course, que non-seulement elle
mourut en odeur de sainteté ,
mais aussi qu'elle fut vénérée
comme une sainte pendant un
assez long temps après sa mort.
Enfin on découvrit son impostu-
re , et les prestiges dont elle s'é-
tait servi; on déterra son cada-
vre, et on le brûla , l'an i3oo.
Elle était morte l'an i?.Si , et on
l'avaitenterréedans Milan au ci-
mitière de Saint-Pierre-du-Jar-
din. Six mois après on la trans-
porta au couvent de Caravalla
(a) , où on lui dressa un tom-
beau dont les ruines paraissent
encore dans le cimetière des
moines. Deux savans hommes ,
Puricellus et Bossius ont écrit de
cette secte , et ne se sont pas ac-
cordés en tout. Bossius a été le
premier qui a diffamé celte secte
par rapport aux souillures de la
chair (A] ; mais Puricellus a sou-
tenu que le désordre n'avait point
passé de l'esprit au corps , et que
Guillemète et ses sectateurs n'é-
taient coupables que d'un fana-
tisme abominable , ce qu'il prou-
ve par le procès verbal de l'in-
quisition (ù) (B). La fête de Guil-
(«) // est de l'ordre de Cîteaux, à dena
lieues de Milan. C'est par abus qu 'on U
nomme Clafsevallis. Mabillon, MustBumilal ,
Ie. part. , pag. 19.
{b) Tire du Musaeuna italic. du père Ma-
billon , f'e. part. , paç . 10, , 20.
354
GUILLKMÈTE.
Jemète se célébrait (rois fois l'an
à son sépulcre , le jour de Saint-
Barthélemi , qui était celui de sa
mort , le jour de la translation
de son corps à Caravalla, et le
jour de la Pentecôte (c). Ses vi-
sions ne furent pas extirpées pour
jamais (C).
(c) Musienm Ital. Irc. part. pag. 19, 20.
(A) Bossius a le premier
diffame celle secte par rapport aux
souillures de la chair.] On imputait
à cette secte une conduite dont plu-
sieurs autres conventicules ont été
accusés en divers temps et en divers
lieux. On disait que les sectateurs de
Guillemète s'assemblaient de nuit
dans une caverne , et qu'après avoir
récité certaines prières, ils éteignaient
les chandelles , et s'accouplaient les
hommes avec les femmes au gré du
hasard. Quos ipsi in quddam syna-
gogâ subterraned conventibus ante-
lucanis congreganles , cùm ad mo-
dum presbyterorum induti certas ora-
liones ad altare fudissent , exlincto
aut sub modio abscondilo lumine ad
fortuitos cojicubit.us hortari consueve-
rant (1). On ajoute qu'un riche mar-
chand, marié avec une femme qui
allait, souvent à la dérobée dans cette
caverne , la suivit une fois secrète-
ment , et eut affaire avec elle , et l'en
convainquit par une bague qu'il lui
6ta du doigt. Il se rendit dénoncia-
teur contre cette secte (2). Nous avons
vu ci-dessus (3) qu'on débite le même
conte à l'égard des fratricelli. Je
crois qu'il y a eu quelquefois de la
calomnie dans cette espèce d'accusa-
tions. Mais sans doute il s'est commis
très-souvent beaucoup d'impudicités
dans ces sortes de conventicules: et
je ne m'étonne point que tant de
maris désapprouvent l'attachement
«le leurs femmes pour certaines as-
semblées de dévotion ; car tôt ou
tard l'amour s'en mêle , et l'on ne
saurait, assez admirer la docilité du
sexe , à l'égard des dogmes les plus
(1) Spondanus, ubi infrà.
(2) Ex Spondano , ad ann. i3oo, num. 10.
(S) Citation (17) de l'article FntTiucELLi ,
tom. VI, pag. 597.
opposés à la chasteté (4). Que dan-,
l'ancien paganisme on ait [>u lui per-
suader la prostitution , je ne m'en
étonne pas tant; c'était, disait-on,
une manière de culte divin : c'est
ainsi que l'on honorait la déesse Vé-
nus ; mais il est étonnant qu'au mi-
lieu du christianisme , après tous les
devans qui se prennent contre la na-
ture, et malgré les sages conseils des
mères , et les fortes exhortations des
prédicateurs , le premier cafard qui
se présente puisse persuader mille et
mille abominations. Qu'il dise com-
me saint Aldhelme (5) à l'une de ses
dévotes : Couchez-vous auprès de
moi , je i>eux voir si vous serez entre
les mains de Satan un instrument
assez puissant pour me faire suc-
comber a la tentation , elle le fait •
qu'il lui dise comme certains héréti-
ques, que l'inquisition de Toulouse
châtia, mettons-nous tout nus l'un
auprès de l'autre, l'un sur l'autre ,
baisons-nous , chatouillons-nous ; c'est
par-la que nous donnerons des preu-
ves de notre force spirituelle (6) , il
est obéi. Peut-on voir une plus grande
docilité? N'en ferait-on pas davan-
tage s'il le voulait ? N'a-t-on pas
acquiescé en plusieurs rencontres , à
l'ordre de se souiller avec le premier
venu , après l'extinction des chan-
delles , dans les conventicules de la
confrérie ?
Parlons d'une autre docilité moins
criminelle , mais assez étrange pour-
tant. Se trouve-t-il des hommes in-
firmes qui aient besoin de quelque
restauration de la chaleur naturelle,
il se trouvera aussi de jeunes filles
ou femmes , qui se coucheront au-
près de lui pour lui rendre ce bon
office. Un panégyriste du sexe me
fournira là-dessus un passage bien
notable. « Les médecins ne peuvent
(4) Vofez l'article Frati
(A), h "alinéa , loin. VI.
(5) Koypi l'article île Frs
marque (C), tom. ?'/, pag.
(6) Nonne en ben'e magr
sic stemus oscitlando, ampli
et lamen non consentiamu
carnalis peccati ? Pans les
tion de Toulouse , imprimes
i(x)2 , pag. 382. Erat opinu
non debebal reputari fiomo 1
vel virtuosu , nist se postent
nuda in uno tecto , et tamen
tnm carnalcm , Ibidem , pag
ucei.li, remarque
ncois d'Assise , re-
544.
titffi meritutn qu'od
•xatulo , tan^findo^
s tn pprpptialione
procès tic l'înqtiisi-
à Amsterdam , on
> aliquorutn , quod
>el mulier virluosus
ponere mulus cum
non pevjicvmit ac-
. 383.
GUI MÈNE. 355
» celer, dit-il (7), que la mignonne narret amplc.ru s. Posside sapienltam,
» chaleur de lu mamelle d'une jeune posside intelligentiam , etc. (8).
» femme, jointe a l'esto'mmac d'un (B) Par le procès verbal de Fin-
» personnage vieil, ne luy puisse quisition.] Cet acte, dresse Fan i3oo,
» viviflier le chaut naturel de la vie , porte qu 'André Saramita et Mayfrc-
» et qu'elle ne l'entretienne et aug- da Pirovana , principaux sectateurs
» mente. Chose aussi qui n'était pas de Guillemets , soutenaient qu'elle
» incognue au prophète royal David, était le Saint-Esprit incarne sous le
)> lequel élut (+) la helle dame Suna- sexe féminin , et née de Constance ,
» mite, pour en cette manière luy femme du roi de Bohème ; qu'elle
» èchauflçr la froideur de sa vieil- n'était morte que selon la chair ;
» lesse. Et à l'exemple de quoy, est qu'elle ressusciterait avanl la résur-
» vraysemblahle , le père grant, du rection générale , et monterait au ciel
» roy de Navarre dernier dècede' , à la vue de ses disciples ; qu'elle ai ail
» nomme monsieur d'Albret , avoir laisse , pour son vicaire sur la terre ,
3, en l'âge de six vingts ans entretenu Mayfreda Pirovana , religieuse de
» deux belles jeunes femmes à cet l'ordre des humilies; que celle reli-
„ effect : du laict desquelles il vécut gieuse dirait la messe au tombeau de
» longuement sans autre substance Guillemèle , et qu'enfin elle occupe
;> quelconque , luy couchant au mi- rait, à Rome, le saint siège apostoli-
>, lieu d'elles , qui pour cela étaient que ; qu'elle en chasserait les cardi-
» aussi honorées comme princesses à naux, et qu'elle aurait quatre docteurs
» sa maison. Vray est que sus cecy qui feraient quatre nouveaux é\angi-
» ne convient pas tous hommes facent les. Puricellus traite amplement, de
» fondement, parce qu'il en pour- toutes ces affreuses impiétés. Son livre
w roit souvent avenir, ce qu'il aveint n'a pas été imprimé encore , et l'on
» une fois d'un notaire au Chastellet ne sait, pas même s'il sera jamais pu-
» de Ptfis , qui s'appelloit maistre hlié. Il ne paraît pas que Guillemèle
» Martin Maupin, lequel faisant bien se soit vantée de cette prétendue in-
)> son proufit de telles histoires, fai- carnation : il semble même que, par
» sait de son vivant accroire à sa une fausse modestie, elle ait all'cclé de
» femme jalouze , qu'il se trouvait n'en point tomber d'accord (9).
» souvent empesché du mal de David, (C) Ses visions ne furent pas e.rtir-
» à ce qu'elle luy permeist l'approche pées pour jamais. ] Le Continuateur
» de sa chambrière , pour un peu de la Chronique de Nangis rapporte ,
» échauffer son estommac , en quoy sous l'année i3o6, qu'un certain Dul-
» la pauvre femme se laissoit par fois cinius de Vcrcel avança des dogmes
» circonvenir. » Je dirai en passant semblables touchant, le Saint-Esprit
que saint Jérôme n'approuve point (10). Postel et sa mère Jeanne n'as
qu'on prenne au pied de la lettre vaient point de moindres extravagau-
l'histoire de la Sunamite. Il recourt ces ; et il serait aisé de montrer que
à l'allégorie , et il veut que l'on en- cette sorte de fanatisme regerme de
lende par-là que David, dans ses vieux temps en temps. Il semble qu'il y ait
jours, fut uni plus intimement à la un complot fait parmi les démons de
sagesse. On ne saurait rejeter le sens faire tomber la religion en quenouille,
littéral avec plus d'indignation que et que, sans se rebuter du mauvais
ce grand docteur de l'église le rejette, succès d'un grand nombre de tenta-
IVonne tibi videlur, si necidentem se- tives , ils les recommencent de temps
ipiaris litleram, vel figmentum esse en temps , in différens lieux.
de mima , vel Attellanarumludicra?... .„.,,. „ .
n ' . ., . . f, .,. (S) Ilieronvm. , 1- pi st. ad \eiiotianum , pa£ ■.
(Juœ est tgitur tsta ounamilis , uxor m ' - r r
et virgo , tam fervens ut fvigidum (ni Mabill., in Musœo lialico , pan. I,
calefaceret , tam sancta ut calentem P°g* ?•>•
adlibidinem non provocant ? Expo- <» /,/"" • ''"'''''"■
nat sauientissimus Sa/omon palris sui /irTnimW'* / \
d.Ucias , et pacifions bellatons vin GUIMENL * ( LA PBINCESSE DE).
, .1,11 t- . • 1 1 i m i * Leclerc aioutc Qu'elle s'appelait Amu U
(7) Billon , Fort inexpugnable Je llionncnr du , u J «, „ . '' .
<exé féminin ,j\jlio. m. ' Rohan, princesse de Guimene, et epous»
{*) Keg IM, cap, I. louis Je Pointu, sou coiisui Elle mourut l(
SÙ6
GUINDANO. GUISCARD.
Colonnes l'a mise entre les per-
sonnes qui ont su la langue hé-
braïque (A)- M. Ménage conte
quelque chose d'assez plaisant qui
a du rapport à cela (B).
i^ mars i685, âgée de quatre-vingt-deux, ans
au moins.
(A) Colomiés l'a mise entre les
personnes qui ont su la langue hé-
braïque. ] Voici ses paroles : Lutetiœ
apudD. Hardy hujus principis horas
( ut vacant ) uidi hebraïce et gallicè
excusas , unde colligo ipsarn fuisse
hebraïci idiomatis haud ignaram. Cla-
ruit circa A. 1625 (1).
( B) M. Ménage conte quelque
chose qui a du rapport a cela. ]
« M. le prince de Guimene' , voyant
» un homme (c'était M. des Vallées)
» avec un haut-de-chausses tout dé-
» dure' entrer tous les matins dans
» la chambre de madame la princesse
» de Guimene, lui demanda un jour
■» ce qu'il y venait faire. Elle lui dit:
» Il me montre l'he'breu. Il lui dit :
» Madame , il vous montrera bientôt
» le derrière (2). »
(1) Colomes. , Gall. Orient., pag. 261.
(2J Ménagiana , pag. 189 de la première e'di-
tion tle Hollande.
GUINDANO( Sigismond ) , na-
tif de Crémone , ayant composé
un poëme sur les actions de
Charles-Quint, le présenta à ce
prince sous une influence si ma-
ligne de son étoile , qu'il n'en re-
çut pas la valeur d'un sou. Il ne
choisit pas un temps opportun(k);
car il fit son compliment le ma-
nuscrit à la main , lorsque
Charles- Quint soutenait en Al-
lemagne une grosse guerre. II
fut tellement indigné d'un ac-
cueil si peu profitable , qu'il jeta
son poëme au feu : ou croit que
s'il eût été assez riche pour payer
les frais de l'impression , il n'eût
point sévi de cette manière sur
la production de sou esprit ; mais
la pauvreté qui l'accablait ne lui
permit pas de publier son ou-
vrage , et se joignant au dépit,
ce fut une raison suffisante pour
l'obliger à le détruire («).
(a) Tiré de dom Lancelot de Pe'rouse , au
disinganno XXV II du /". tom. de /'Hoggidi,
pag. 273. licite An. Campo, lib. 3. A ug. Ju.
lib. 5.
(A) // ne choisit pas un temps op-
portun. ] Tous ceux qui ont. des ou-
vrages à présenter à un grand doi-
vent prendre garde au conseil que
Horace donne dans ces paroles :
Ut projiciscentem docui te sœpc dt'uque ,
Auguslo reddes signala volumina , Vinni ,
Si validas , si Itvlus erit , si denique poscel.
Ne studio nostrî pecces, odiumque libellis
Sedulus importes opéra1 véhémente minis-
ter (1).
C'est-à-dire qu'il faut éviter les con-
tre-temps ; car tous les princes sont
en cela de l'humeur d'Auguste : ils
ne veulent point être interrompus
mal à propos (2). Il suffit , pour
e'chouer , qu'un auteur n'observe pas
le moment propice, et ce que ]<■-, La-
tins nomment molles aditus , mollis-
simafandi tempora. Notre Guindano
eut ce malheur ; il prit mal, son
temps ; il voulut montrer un poëme
de XII livres à un empereur qui avait
sur les e'paules une guerre très-pe-
sante (3). O essendo presentati con
poco garbo , b non a tempo , trovan-
dosi egli occupatissimo nelle guerre
d? Allemagna , non hebbe mai nien-
te (4).
(1) Horat. , epist. XIII , vs. 1 , lib. I.
(1) Nisi dextro lempore , Flacci
Verha per attentant non ibunt Cœsaris auretn.
Horat. , sat. I , lib. II, vs. 18.
(3) Havea quesli composlo dodici libri de' falli
di Carlo V, imperadore , intitulait Austriados.
Lancelot de Pe'ruse , Hoggedi, part. I , cap.
XXVII, pag. 273.
(4) Idem , ibid.
GUISCARD. C'est le nom que
les seigneurs de la Coste , de la
Bourlie , de la Laurie , etc. , ont
donné à leur maison , qui est
l'une des plus nobles et des plus
anciennes de la province de Quer-
ci. Us le choisirent par la consi-
dération qu'ils eurent pour un
de leurs ancêtres , appelé de son
GUISCARU. 35;
nom propre Guiscardus. L'usage que ceux qui ont fait briller cette
de ces temps-là n'avait pas enco- maison avec plus d'éclat sont :
re établi que l'on conservât les George de Gujscard , seigneur de
preuves de l'origine des familles la Bourlie (B) , et Louis de Guis-
en faveur de leur postérité : mais card son fils aîné (C). Lisez les
ce défaut n'empêche pas que ces remarques suivantes. Cette mai-
seigneurs ne rapportent des ti- son porte pour armes , d'argent
très de près de cinq cents ans ; à une bande de gueule : pour
car ils justifient , non-seulement supports deux lions d'or, et pour
qu'ils possèdent des terres qui ne cimier un lion naissant de vaê-
sont pas sorties de leur maison me(i).
depuis tant de siècles , mais que „»-....,„,., . , ,
, l -, , j -i t Vi (") Iw«e ,a trenealogic de la maison de-
là noblesse recommandable qu ils Guiscard, dressée sur les unes, au mois de
se sont conservée s'est transmise décembre i6y6,parM.d'Uosier.
sans interruption dans la person- ,»,. D, ... ... „
, ,r , l j /-. (A) Plusieurs alliances illustres ,
ne de M. le comte de Guiscard , et plusieurs personnes d'un mérite da-
mai soutient (a) avec une gloire tingué.] J'en vais marquer quelques-
diçnede ses aïeux, tous les^flan- uns- Bertrand de Guiscard , damoi
seau (i) , troisième fils de Bernard (2)
de Guiscard , laissa un fils , nomme
Gattlard de Guiscard, « duquel le
» Trésor des Charles conserve un acte
» qui a peu de semblables. Comme, ù
» l'exemple de ses pères , il avait été
» fait chevalier, un particulier ap
» pcle' Pierre de la Tour, qui servail
» apparemment sous lui , et qui était
» prêt de mourir , l'ayant prié de
» l'honorer du même titre , il lui
» conféra ce grade d'bonneur , l'an
» i334- Jn infirniitale qud decessit ,
» fecit se militem jieri per Gaillar-
» dum Guiscardum militem , et per
» eundem Guiscardum insigma ntili-
» tarin sibi dari. Et le roi , Philippe
» de Valois , en approuvant cette ac-
» tion par ses lettres données à Pa-
» ris, au mois d'août l'an 1 33 7, confir-
ai ma cette chevalerie, et voulut que
» la postérité de celui qui l'avait ré-
» eue jouît en conséquence de tous
» les avantages de la noblesse. Le
» même Gaillard de Guiscard servail
)> encore dans les guerres de Gasco-
w gne , l'an i33g, avec quatre écuyers,
» sous le commandement de messire
» Pierre de Marmande , sénéchal de
» Périgord , suivant un compte de
» cette année , rendu par Barthéle-
» my de Drack , trésorier des guer-
(1) Ce titre était une distinction que Von don-
nait aux enfans de honne maison qui n'avaient
pas encore la chevalerie.
(2) Celui-ci était fils de ce Bernai d de Guis-
card , oit la généalvgir commence.
tages qu'il tire de la naJKe
qu'ils lui out donnée. Bernard
de Guiscard fait le premier de-
gré de la généalogie de cette
maison. Les témoignages qui
restent de ses actions font juger
que sa race avait une source qui
devait aller au delà du siècle ou
il vivait. Il prit la qualité de che-
valier dans tous les arrentemens
de ses terres , depuis l'an 1247
jusqu'en 1283. C'est une preuve
constante qu'il s'était déjà si-
gnalé dans la guerre, et que les
services qu'il avait rendus lui
avaient acquis ce titre , qui était
alors , et qui plusieurs siècles
après a été encore la récompense
la plus honorable que l'on pût
donner à la valeur militaire. Il y
a quatorze degrés en ligne di-
recte et masculine, depuis ce Ber-
nard jusqu'à M. le comte de Guis-
card , et l'on trouve dans cette
suite de successions plusieurs al-
liances illustres , et plusieurs per-
sonnes d'un mérite distingué (A).
Mais il faut pourtant reconnaître
(«) On écrit ceci au mois de mars 1 700.
;5R
GUISCARD.
» res. Mais on ne sait point s'il fut
» marie , et s'il laissa des enfans
(3). »
Bernard de Guiscard , IVe. du
nom , seigneur de la Coste et de la
Laurie , damoiseau , épousa , le 28
d'avril i3i5 , He'lis de Montaigu , fille
et héritière de Bernard de Montaigu,
seigneur de Montcuc. « Comme son
» château de la Coste était alors une
» forteresse importante , Galois de
)> la Baume , seigneur de Valfin ,
» qui avait la conduite de la guerre
» en Languedoc , et qui était alors à
» Cahors , lui en donna la capitaine-
» rie , et le retint aux gages du roi ,
» Charles V , par des lettres du 10 de
« mai de l'an i348 , avec six hommes
» d'armes et douze sergens de pied ,
» pour veiller à la sûreté de cette
» place. Il y a lieu de croire qu'ex-
» cité par son intérêt et par son zèle,
» il la conserva comme il s'y était
» engagé ; car il y fit son testament
» le 27 d'avril Tan i353 (4)- » *
Guillaume Bertrand de Guiscard,
IIe. du nom , épousa en premières
noces, le 5 d'octobre i^i3 , Margue-
rite de Veirac , iille de Guy de Vei-
rac , seigneur de Merle et de Cossac ,
au diocèse de Tulles ; et en secondes
noces , Hélis de Landore , sœur de
Bernard de Landore , vicomte de Ca-
dars en Rouer gue. Antoine de Guis-
card , seigneur de la Coste et de
Moncuc , fut marié , le 16 d'octobre
i4(P , avec Isabelle de Lomagne , fille
de Jean de Lomagne , seigneur de
Montagu , en Agénois.JEAN de Guis-
card , Ier. du nom, gentilhomme or-
dinaire de la chambre du roi , fut
marié , l'onzième d'août i528 , avec
Souveraine de Ricard de Genouillac ,
fille de Jean de Ricard , surnommé
•le Genouillac , chevalier , baron de
Gourdon , et seigneur de Genouillac,
et de Vaillac , et de Marguerite d'Au-
husson. Jean de Guiscard , son fils ,
l'un des cent gentilshommes de la
maison du roi (5) , épousa , le 1 2 de
novembre i55{, Françoise de la Bar-
the , fille de Matthieu de la Bail lie ,
baron de Montcornel et premier ba-
ron d'Astarac , et de Catherine de
(3) D'Hosier , Généalogie de la maison de
Guiscard. Voyez la citation (10).
(4) Idem , ibid.
(5) Celait alors une compagnie tonte remplie
■ I' personnes qualifiées.
Lomagne, dame de Monlarac. Jj m
de Guiscard , son second fils , sei-
gneur du Puy de Sirects , épousa
Agnès de Témincs , le 5 de janvier
1625.
(B) George de Guiscard , seigneur
de la Bourlie.] Il se forma deux nou-
velles branches , vers la fin du XVe.
siècle , celle des seigneurs du Puy de
Sirects (6) , et celle des seigneurs du
Cairou et de la Bourbe . Le chef de
la première était second fils de Jean
de Guiscard , IIe. du nom. Le chef
de l'autre était Gabriel de Guiscard,
seigneur de la Gardelle , du Cairou
et de la Bourlie , troisième fils de
Jean de Guiscard, IIe. du nom. Ce
Gabriel de Guiscard , eut huit fils ,
dont le sixième est M. le comte de la
Bourlie , dont le nom paraît au texte
de cette remarque. II naquit le 9
d'août 1606. « Il a été successivement
» capitaine d'infanterie et de cavale-
» riP dans le régiment de Vaillac et
» de Coalin. Il eut une jambe cassée
» d'un coup de mousquet à la des-
» cente des îles de Sainte-Marguerite
» et de Saint-Honorat, le bras percé
» d'un coup de pique à la bataille de
» Rocroy ; et s' étant signalé à celle
» de Lens (7) , au siège d'Arras , et
)> en plusieurs autres occasions , il
» mérita d'être créé l'un des pension-
» naires du roi, l'an i644- H fut fait
» sergent de bataille et gouverneur
» de Courtray , l'an 1647. L'année
» suivante, la feue reine-mère le ju-
)) gea digne du choix qu'elle fit de
» sa personne pour remplir la place
w de sous-gouverneur du roi. Il fut
» fait ensuite conseiller d'état , l'an
» 1649, maréchal de camp l'an i65i ;
» et la satisfaction que sa majesté eut
» de ses services , qu'il avait rendus
)) dans ses charges , l'obligea de lui
)> donner, l'an 1662, le commande-
» ment des villes et souverainetés de
» Sedan, Raucour et de Saint-Mange:
» et il tut pourvu du gouvernement
» de cette importante place , l'an
» 1G71 , de laquelle il avait été fait
» grand bailli. Elle crut qu'elle ne
» pouvait remettre dans des mains
» plus fidèles le commandement des
» villes et citadelles de Dunkerque ,
(G) Elle est éteinte.
(7) Notez qne la bataille de Lens se donna
l'an 1648. il y a donc ici un nom pour un autre,
ou un petit anachronisme.
Bergues , Furncs et Gravelines , et
des troupes destine'es pour la dé-
fense de toute cette frontière , dont
elle le chargea, avec le pouvoir
de lieutenant général , l'an 167a.
Et l'année suivante , il battit , près
de Furnes , avec cinq cents maîtres ,
plus de huit cents hommes des en-
nemis , dont il resta une bonne par-
tie sur la place , et il ramena cent
quarante prisonniers à Dunkerque.
Enfin , comblé de la réputation que
sa sagesse et sa valeur lui avaient
justement acquise dans la durée
d'une très-longue vie , il mourut
le 19 de décembre de l'an 169I ,
ugé de quatre-vingt-sept ans et
quatre mois. Il avait été marié dans
le Palais-Royal, en présence du roi
et de la feue reine-mère, le 28 de
novembre de l'an 1648, avec Gene-
viève de Longueval , dame de Four-
drinoy, en Picardie, fille d'Antoine
de Longueval, seigneur de Tenelles
et de Lémout , et d'Elisabeth de
Margival : et il a laissé quatre en -
fans de cette dame. Louis de Guis-
card , comte de Neuvy , » dont je
arlerai dans la remarque suivante.
Jean-George de Guiscard , né le
27 de septembre de l'an 1657. Il a
donné de grandes preuves de sa va-
leur, étant enseigne colonelle du
régiment de Normandie , à la dé-
fense de Grave , où il fut blessé
d'un coup de mousquet à la tète ;
et , pendant qu'il a été capitaine
dans le régiment des gardes, en
plusieurs batailles et sièges , il se
fit distinguer par son courage. Il
reçut un coup de mousquet au tra-
vers du corps , à celui d'Ypres , et
et il a été depuis colonel du régi-
ment de Normandie , à la tète du-
quel M. le comte de Guiscard, son
frère , avait servi avec grande dis-
tinction. Antoine de Guiscard, né
le 27 de décembre de l'an i658 ,
abbé de Bonnecombe , en Roucrgue,
et prieur de Dieu , en Souvienne.
Geneviève-Catherine de Guiscard
a été mariée, le 3o d'octobre i683,
avec Camille Savari , comte de Brè-
ves (8). »
Notez que la branche aînée est au-
jourd'hui dans le quinzième degré ,
en la personne de François de Guis-
(8) Généalogie de la maison >lc GlltSCard.
GUISCARD. 359
card , seigneur de Saint-Jean et de
la Coste.
(C) .... Louis de Guiscard, son fils
<riné. ] Il est né le 27 de septembre
ro5i , et « n'a pas cessé , depuis qu'il
» a entré dans les troupes , d'être
» employé à des fonctions utiles et
» importantes au service du roi. Car ,
» poussé par les mêmes sentimens qui
» avaient procuré à M. le comte de
» la Bourlie , son père , toutes les ré-
» compenses glorieuses dont sa ma-
» jesté avait honoré son courage , il
» commença ses premières armes par
» l'emploi de capitaine dans le régi-
» ment des vaisseaux , dont il fut
« pourvu l'an 1671. En cette qualité,
» il servit l'année suivante aux sièges
» d'Orsoy , Rhimberg , Duisbourg et
>, Zulpben, et à ceux de Maastricht et
» d'Unna , dans le pays de la Marck,
» en l'année 1673. Le roi le fit colonel
» du régiment de Normandie , au
» mois de mars de l'an 1674, et in-
» continent après , il entra dans Gra-
» ve , qui était déjà investie , et où
» se trouvait ledit régiment. Il força
» une garde , dont il mena seize pri-
» sonniers dans la place , avec trente
» maîtres de la garnison de Mazeyck,
» qu'il avait pris pour son escorte.
» Il fut blessé dangereusement d'un
» coup de mousquet dans l'aisselle
» sur la fin du siège , où il comman-
» dait l'infanterie. L'année suivante ,
» il fut encore blessé d'un coup de
» mousquetàla tête, au siège de Bou-
» chain : et ayant été détaché , la
» même campagne, pour conduire
» six bataillons au corps que com-
■» mandait M. le maréchal de Créqui ,
» près de Thionville , il se trouva à
» la bataille de Consarbrick , et fut
m assez heureux pour conduire à Metz
m les débris de l'infanterie , avec les
» restes du régiment de Normandie
» et de Bourlemont. Il servit les an-
» nées suivantes en Allemagne , et se
» trouva au siège de Fribourg et. du
» fort de Kelh ; comme aussi , en l'an-
>i née i68^, au siège de Luxembourg.
» Il se signala toujours avec tant de
» bravoure , dans tous les endroits
» où il eut. occasion d'agir à la tête
» de ce corps , que sa majesté lui ac-
» corda , l'an 1609, un brevet de bri-
» gadier dans son infanterie , et lui
» donna un pouvoir pour comman-
» der dans Dînant, avec l'inspection
36o
GUISCAliD.
générale sur les troupes qui étaient
, en garnison dans cette place et
, dans celles de Charlemont , de Ro-
, croy, de Beaumontet de Philipp^-
„ ville. Les fonctions de cette charge ,
, qu'il a remplie avec toute la vi-
gilance et l'attention la plus ac-
tive (9) , obligèrent le roi de le
pourvoir l'année suivante de celle
de maréchal de camp , et du com-
mandement de Rocroy et de Char-
, lemont , avec l'ordre de se jeter
,. dans Philippeville , en cas qu'elle
, fût attaquée. Comme la sagesse de
, sa conduite et son application in-
, fatigable pour les devoirs des diffé-
, rcns postes auxquels sa valeur le
, destinait, lui préparaient toujours
, de nouvelles récompenses , M. le
, comte de la Bourlie , s'étant démis
du gouvernement de Sedan , le roi
crut qu'il était de sa justice de le
rendre à M. le comte de Guiscard,
son fils. Il en fut pourvu l'an iGg-î,
, et sa majesté , satisfaite du zèle et
, de l'intrépidité qu'il avait marqués
, partout où il avait exécuté ses or-
, dres , jugea qu'elle ne devait con-
, lier qu'à son courage la garde de la
, ville et du château de Namur , la
, plus importante place de l'Europe,
, qu'à la tête de son armée elle ve-
„ nait de réduire sous sa puissance.
, Il avait le pouvoir pour y com-
, mander comme gouverneur ; et ce
) choix , si glorieux pour lui , fut
) accompagné de la dignité de lieu-
tenant général , dont elle l'honora
le 3o de mars i6g3. Sa majesté lui
i donna le commandement d'un corps
considérable, pour former l'inves-
tissement de Huy , afin de faire une
> diversion capable de favoriser le
> siège de Fûmes , que faisait M. le
> maréchal de Bouflers ; ce qui réus-
> sit, en retenant de ce côté-là une
> parlie des troupes ennemies, com-
mandées par le comte d'Athlone.
Il soutint, à Bossu , l'attaque vigou-
reuse que les ennemis firent d'un
convoi qu'il conduisait de Mau-
beuge à l'armée de M. de Luxem-
bourg , avec une fermeté d'autant
plus extraordinaire , qu'il n'avait
(ci) J'ai suivi l'original que j'ai eu en main ;
mais tl est visible que c'est une copie fautive en
cet endroit-ci , et qu'il ne faut pas imputer à
)/. d'Hosier ce qu'on y trouve de contraire a la
construction grammaticale des mois.
que treize escadrons, el M. Dupuy,
lieutenant général désarmées d'Es-
pagne, en ayant dix-huit , et deux
mille quatre cents hommes de pied
de la garnison de Charlcroi , fut
entièrement défait et mis en fuite ,
avec un grand nombre des siens
tués sur la place et prisonniers.
Il fut assez heureux pour se trou-
ver à la victoire de Nerwinde ,
étant parti de Huy à la pointe du
jour. M. de Luxembourg le plaça
à l'aile gauche , où il servit utile
ment. La défense de Namur, atta-
quée par toutes les forces des alliés,
lui ayant augmenté cette gloire
qu'il a acquise , le roi l'a honoré
de l'ordre du Saint-Esprit , auquel
il le nomma le 17 de décembre
l'an i6g5 , et il fut reçu avec les
cérémonies ordinaires , le ier. de
janvier de cette année 1696. 11
épousa , le 24 de février de l'an
1677 , Angélique de Langlée , fille
de Claude de Langlée , chevalier ,
seigneur de l'Epichelière , maré-
chal général des logis des camps
et armées du roi , et de Catherine
Roze ; et il a de ce mariage, Louis-
Auguste de Guiscard , né le 20 de
mai de l'an 1680, et colonel du ré-
giment de Guiscard , etc. Cathe-
rine de Guiscard , née le 12 de
juin de l'an 1688 (10). »
C'est ainsi que parlait M. d'Hosier
u mois de décembre 1696. 11 ne pou-
vait point encore faire mention, ni
de l'ambassade de Suède à laquelle M.
le comte de Guiscard fut nommé l'an
1698 (m), ni de la mort prématurée
du fils unique de ce comte. Ce Jbune
seigneur avait été élevé avec tous les
soins imaginables , et y avait répondu
admirablement. Il avait les plus belles
inclinations du monde; il aimaitnon-
seulcment les exercices de la guerre ,
mais aussi les belles-lettres et la phi-
losophie , et y avait déjà fait de très-
grands progrès. Il avait vu la cour
«l'Angleterre à la suite de M. le comte
de Tallard , ambassadeur de France ,
l'an 1698, et il accompagna monsieur
son père à Stockholm, l'an 1699. lise
(10) D'Hosier, dans la Généalogie de la mai-
son de Guiscard, dressée sur les titres au mois
de décembre iGç)6.
(11) Il en exerce actuellement les fonctions
depuis sept ou huit mois. On e'erit ceci au mois
de mars i»oO.
GUISE.
36 1
préparait à faire le voyage de home ,
loi qu'étant arrive à Vienne , en Au-
triche , il y tomba malade de la petite
vérole, qui l'emporta en peu de jours,
vers la fin du mois de décembre 1699,
au grand regret de tous ceux qui
avaient l'honneur de le connaître , et
qui avaient pu admirer les grandes et
belles espérances qu'il donnait. Une
âme moins ferme que celle de M. le
comte de Guiscard , qui aimait ce fils
unique avec une tendresse toute par-
ticulière , n'eût jamais pu re'sister à
ce rude coup.
GUISE ( Jacques de ) , reli-
gieux de l'ordre de saint Fran-
çois , naquit à Mons dans le Hai-
naut. Il fut docteur en théologie ,
et il enseigna cette science , la
philosophie , et les mathémati-
ques pendant vingt-cinq années
plus ou moins dans les couvens
de son ordre. Il s'attacha avec
une extrême application à illus-
trer les antiquités et l'histoire
de son pays ; mais il adopta des
traditions fabuleuses ; car il as-
sura que sa patrie a été fondée
par les Troyens. Le public n'a vu
qu'un abrégé de sa Chronique du
Hainaut (a) (A) , et il n'y a point
d'apparence que tout l'ouvrage
soit jamais mis en lumière.
L'auteur mourut à\alenciennes,
le 6 de février 1899 ^)* -^* ^°~
réiï a fait quelques fautes (B).
(a) Tire de Valèrc André, Bibiiolh. belg. ,
pag. 411.
[b) Valèrc André , ibidem.
(A) Le public n'a vu qu'un abrégé
de sa Chronique du Hainaut. ] Cet
abrège n'est point en latin comme la
Chronique même , mais en français.
11 fut imprime à Paris l'an 1 53 1" , in
folio (*). En voici le titre : Les illus-
trations de la Gaule Belgique , anti-
(*) La Chronique de ffainault, Paris, i53i,
in-fol. gothique , n'est en effet qu'un abrégé^du
latin de Jacques de Guise. Voyez la fin de la la-
bié, et l'avertissement de cette chronique. Rem.
crit.
quitus du pays de Hainaut , et de la
grand cité de Belges , h présent dite
Bavay , dont procèdent les chaussées
de Brunehaut , et de plusieurs princes
qui ont régné et fondé plusieurs vil-
les et cités audit pays, et autres choses
singulières et dignes de mémoii'e , ad-
venues durant leurs règnes , jusques
au duc Philippe de Bourgogne der-
nier décédé. Par frère Jacques de
Guise , religieux de l'ordre de saint
François , œuvre divisée en six volu-
mes , desquels il n'y a que les tivis
premiers imprimés. C'est ainsi qu'An-
dré du Chesne rapporte le titre de cet
ouvrage (1). Du Verdier ne le rapporte
pas si amplement ; mais il n'a pas
oublie' une circonstance que du Ches-
ne n'a point marquée ; c'est que ce
livre a été translaté en français (a).
La Croix du Maine a cru faussement
que Jacques de Guise était l'auteur de
cette version (3). Il ajoute que la
chronique latine de ce moine se voit
< 1 rilejx la main, au couvent des frères
mineurs de Valenciennes , comme té-
moigne Jean le Maire en ses Illustra-
tions de Gaule , qu'elle fut composée
a la requête du comte Guillaume de
Hainaut, et qu'elle s'étend jusques à
l'année ia44- Ce dernier fait ne s'ac-
corde pas avec le titre de l'abrégé :
car il n'y a point de duc de Bourgo-
gne nommé Philippe , qui soit mort
en ce temps-là. Philippe de Rouvre ,
dernier duc de Bourgogne de la pre-
mière branche , mourut le 21 de no-
vembre i36i. Valère André observe
(4) que l'édition de Paris, 1 53 1, a pour
titre , Extrait des Chroniques de Jac-
ques de Guise , et qu'il y avait chez
M. Gévart, à Anvers, un autre abrégé
de ces Chroniques , fait par ordre du
duc de Bourgogne, Philippe-le-Bon. 11
dit aussi que les franciscains de Mons
avaient en trois tomes le manuscrit
de cette Chronique de Hainaut.
J'appris hier (5) de M. le baron le
Roi, homme très-curieux et très-ha-
bile , qu'un peu avant que sa majesté
très-chrétienne assiégeât la ville de
Mons, l'an 1691 , il écrivit une lettre
(1) Du Chesne, Bibiiolh. des Historiens de
France , pag. m. 198.
I2) Du Verdier , Bibliothèque française , pag.
608.
(3) La Croix du Maine, pag. 188.
(4) Valer. Andréas , Bibiiolh. belg. , pag. .',11
(5) On écrit ceti en novembre 1697.
362 GUISE.
au gardien du couvent où était ce (a). Elle éprouva les divers SUC-
manuscrit , pour le prier de lui en c<es fes armes pendant les guer-
faire copier quelques chapitres , et
que le gardien lui répondit qu'après
en avoir copié quelque chose , il y
avait renoncé , ne pouvant déchiffrer
les
res de François 1er. et de Char-
les-Quint. Elle fut prise d'assaut
l'an i536. Le château, qui pou-
les caractères et Tes abréviations de „flù lenir se rendiL lâchement , à
l'auteur , et que les plus capables de j • i •, • * „ A.
son couvent n'avaient pu non plus en cause de 1U0\ les capilainesju-
veniràbout. M. le baron le Roiajou- rent notés d infamie [b). Mais
ta que pendant le siège , un frère lai l'an l543 , Ferdinand de Gonza—
de ce couvent s'érigea en canonnier , „ue qm l'assiégeait , averti de
et fit paraître qu'il n avait pas mis en h J , h de
oubli 1 expérience qu il avait acquise "W11I,C . "
autrefois dans cet art-là ; qu'un dé- François Ie . , leva le siège , et
serteur ayant rapporté cela au camp fut chargé si brusquement dans
des Français , on fit tirer plusieurs ja retraite , qu'on lui tua deux
mille hommes de son arrière-
garde , et qu'on /?£ quantité de
prisonniers (c). L'an 1 636 , les
Espagnols, qui avaient fait quel-
ques conquêtes dans la Picardie ,
ne trouvèrent pas à propos d'as-
siéger Guise ; ils craignirent la
vigoureuse résistance du comte
de Guébriant qui y comman-
dait (d). Ils ne purent s'en ren-
dre maîtres l'an i65o , quoi-
que tout semblât les favoriser.
Voyez le livre intitulé le Triom-
phe de la ville de Guise. Il a été
composé par Jean -Baptiste de
Verdun , minime , et il fut im-
primé à Paris l'an 1687 : le Jour-
nal des Savans (e) en parle. Nous
dirons ailleurs (f) , que le mar-
quis de Bougi fut la principale
cause qui fit échouer cette en-
treprise des Espagnols.
bombes sur ce couvent , qui y mirent
tout en feu , de sorte que le manu-
scrit de Jacques de Guise y fut con-
sumé avec la bibliothèque des moi-
nes. *
(B) M. Moréii a fait quelques fau-
tes. J i°. Jacques de Guise n'était pas
natif de Valenciennes , mais de Mons.
Notez en passant que la Croix du Mai-
ne , qui a conjecturé qu'il était de
Guise ( G ) , s'est trompé ; il ignore
d'ailleurs que ce religieuxa vécu dans
le XIVe siècle. 2°. H ne fallait pas nous
dire qu'il mourut ou l'an i3o,8, ou
l'an 1 ;$99 ; car ce n'est pas de cette
façon que les écrivains ont varié sur
l'année mortuaire de Jacques de Gui-
se. Leurs variations consistent en ce
que les uns commencent l'année au
mois de janvier , et les autres après
pâques. Selon ceux-ci il mourut en
i3g8, et selon ceux-là en 1399 (7).
* PrOsper Marchand, qui a donné aussi un ar-
ticle à J. de Guise, dans son Dictionnaire kit-
torique, I, 38i , dit que ses Annales Hannoniœ
ne sont pas entièrement perdues. Elles existent ,
ajoute-t il, dans la Bibliothèque du roi , à Pa-
ris, dans celle des jésuites d'Anvers , dans diver-
ses bibliothèques des Pays-Bas. P. Marchand
parle même de traductions françaises qui en ont
été /aites.
(6) La Croix du Maine, pag. 1S8.
Il) rojei Valère André , Bibliolh. belg. ,
pag- 4"-
GUISE , ville de Picardie , sur
la rivière d'Oise au diocèse de
Laon , était l'ancien patrimoine
des puînés de la maison de Lor-
raine , et fut érigée en duché-
paîrïe au mois
le janvier 1 5?7
(a) Du Chesne , Anliq. (les villes de Fran-
ce , pag. m /|38.
(t)Mézerai, Abrégé chronol., tom. If,
pag. 595.
(c) Là même , Histoire de France , tom .
//, pag. 102 t.
((/) Le Laboureur, Histoire du maréchal
de Guébriant.
(e) Du 17 mai 1688. Corrigez-y, dans l'é-
dition de Hollande , les chiffres l55o, mis
pour l65o.
(/) Dans la remarque (G) de l'article RÉ-
vKr.END-DF.-BouGi, tom. XII.
GUISE.
363
GUISE ( Claude de Lorraine,
duc de ) , second fils de René duc
de Lorraine , alla s'établir en
France , après avoir tenté inuti-
lement , dit-on , d'exclure de la
succession paternelle Antoine ,
son frère aîné (A). Comme il
avait beaucoup de courage et un
grand mérite, il se fit extrême-
ment estimer. Il épousa une
princesse du sang (a), et il par-
vint à de grands emplois. Ce fut
pour l'amour de lui qu'on érigea
le comté de Guise en duché-pai-
rie. On n'avait fait encore de
semblables érections que pour les
princes du sang. On prétend que
François Ier. conçut du chagrin
contre lui en quelques rencon-
tres (B) , et qu'il ne lui permit
pas d'être reconnu pour prince
(C) , ni d'en prendre toutes les
marques. Quoi qu'il en soit ,
Claude de Lorraine devint si
puissant, qu'il fonda une maison
qui pensa détrôner les succes-
seurs légitimes. Il mourut l'an
i55o , laissant six fils et quatre
filles, desquelles l'aînée épousa
Jacques Stuart , Ve. du nom , roi
d'Ecosse. Il s'était signaléen plu-
sieurs grandes occasions , et no-
tamment à la bataille de Ma-
rignan (D). Jean son frère , que
l'on appelait le cardinal de Lor-
raine , lui servit d'un grand ap-
pui (6).
(a) Antoinette de Bourbon , sœur de Char-
les, duc de Vendôme, le 18 d'avril i5l3.
Anselme, Histoire généalogique , pag. 285.
(b) Voyez , remarque (B) , note (9).
(A) // tenta inutilement , dit-on ,
d'exclure de la succession paternelle
Antoine, sonjrcre aîné.~\ Voici ce que
M. de Thon nous apprend , lorsqu'il
rapporte la Harangue qu'on suppose
que la Renaudie fit 1 ses complices
(1). René duc de Lorraine, e'pousant
Marguerite d'Harcourt (2) héritière
de Tancarville, l'obligea, par le con-
trat de mariage, à lui faire une dona-
tion de ses biens. Ensuite , sous pré-
texte qu'elle e'tait laide , et puis sous
prétexte qu'elle était stérile , il la
répudia cruellement , et ne lui rendit
pas ses biens , et n'attendit pas qu'elle
lût morte , à se marier avec la sœur
du duc de Gueldres. Il eut de ce se-
cond mariage, entre autres enfans, An-
toine, qui lui succéda, et notre Claude.
Celui-ci , né depuis la mort de Mar-
guerite d'Harcourt , prétendit qu'An-
toine, étant né pendant la vie de cette
dame , devait être censé bAtard , et
inhabile à succéder ; de sorte qu'il ne
feignit point de déshonorer sa propre
mère , en la faisant passer pour con-
cubine , pourvu qu'il pût devenir
par-là duc de Lorraine au préjudice
de son frère aîné. Cette tentative ne
lui ayant pas réussi, il abandonna son
pays et se retira en France (3). Je ne
saurais bien dire si cela est vrai , et je
ne me fie guère à tout ce que peuvent
dire des harangueurs dans les circon-
stances où la Renaudie se trouvait 5
mais je suis sûr qu'un homme fort
ambitieux se met peu en peine du dés-
honneur de sa mère , lorsqu'il en tire
de grands avantages. Je rapporterai
quelques paroles de M. de Thou , qui
semblent avoir quelque obscurité.
Cum primo simulatis nuptiis Marga-
ritam Gulielmi Haricuriani Tancar-
l'illae comitis Jiliam et aruplissimorum
bonorum , quœ Lotaringi hodie in Ca-
lelensiagro possident , lieredem du.ris-
set , et tabulis dotalib. ad donalionem
illorum bonorum adegisset , poste'a
deforinitatem et ex dej'ormitate steri-
litatem caussalus miseram feminam
repudiavit , et tamen bona retinuit (4).
Il semble que M. de Thou veuille dire
que les deux prétextes du duc de Lor-
(1) Lors de la compilation d'Amboise , l'an
i56o.
(2) Pille de Guillaume d'Harcourt, comte
de Tancarrille.
(3) El Claudius quidem... Anloniumfratrem,
quod is vh'd Margaiilâ ex Plidippd nalus esset,
lanquam ex adullerio procrealum Lolaringim
successione dejicere voluil, ne communis quidem
matris pudori panent : quod cum frustra ten-
tâssel , et in palrid impius esse non possel , spes
iniqua.r secum in Gallium.. . altulit. Thuanus ,
lib. XXIV, pag. 4<)" . ad ann. i56o.
C4) Thuaii , lib. XXIV, pag. 48g , ad ann.
|VÎ...
364
GUISE.
raine furent fonde's l'un sur l'autre ,
c'est-à-dire qu'on alle'gua première-
ment que Marguerite e'tait laide , et
en second lieu que sa laideur la ren-
dait ste'rile. Ce serait être un très-
mauvais physicien que de raisonner
ainsi; car il n'y a point d'autre liaison
entre la laideur et la ste'rilite' d'une
femme , que celle que la malignité
d'un mari trop délicat y peut mettre ,
en ne rendant point à son épouse ce
qu'on nomme devoir conjugal. Peut-
être que le duc René donna bon ordre
que le prétexte de la stérilité ne lui
manquât pas au besoin ; mais je suis
persuadé que la phrase de M. de Thou
ne signifie sinon qu'après que le duc
se fût servi du prétexte de la laideur ,
il allégua une autre cause de son di-
vorce , c'est que sa femme ne lui don-
nait point d'enfans.
Je ne sais si M. Varillas a eu d'autre
fondement que la harangue de la Re-
naudie , mais quoi qu'il en soit , il est
bon de le citer (5).' « Lorsque Claude
» de Lorraine avait été capable de
» raisonner sur ses propres intérêts ,
» il avait prétendu que les duchés de
» Lorraine et de Bar lui devaient ap-
» partenir , et qu'Antoine , son frère
» aîné, n'était pas légitime, puisqu'il
» était né durant la vie de la première
» femme (6) de leur père. Le même
» Claude n'avait pu s'empêcher de le
^ direàdesgensquii'avaientrapporté
« au duc René ; et cette considération
» lui avait fait craindre que ses deux
» fils aînés n'attentassent sur la vie
» l'un de l'autre. Il n'avait point trou-
» vé de meilleur expédient que d'en-
» voyçr Claude en France , et de l'y
» marier avec Antoinette de Bourbon ,
? fille aînée du comte de Vendôme ;
» et de lui donner toutes les terres
M qu'il possédait dans ce royaume ,
» qui étaient en si grand nombre ,
» qu'elles contiennent deux pages
» dans le manuscrit du contrat (*) ,
« et si considérables que le revenu
» n'en était pas moins grand que celui
» des duchés de Lorraine et de Bar. »
Béloi dit tout le contraire ; car il as-
sure que le premier duc de Guise
n'avait que quatorze ou quinze mille
(5) Varillas , Histoire de Henri III , lit,. XII,
pag. m. 3n , 3i2.
(<>) Varillas la nomme Jeanne de Harccurt-
Tancarville.
(*) Entre ceux de Lomcnie.
livres de rente quand il épousa mada-
me Antoinette de Bourbon (7).
(B) François Ier conçut du chagrin
contre lui en quelques rencontres. . ] La
Renaudie l'assure dans sa harangue :
il dit que Claude de Lorraine , ayant
sans l'ordre du roi fait sortir des trou-
pes de la province dont il était gou-
verneur , irrita tellement sa majesté ,
qu'on ne put obtenir sa grâce qu'à
condition qu'il ne paraîtrait plus à la
cour. Le prétexte dont il se servit
pour tirer ces troupes de son gouver-
nement de Champagne fut celui-ci :
il voulait repousser les anabaptistes ,
qui faisaient des courses sur les terres
du duc de Lorraine (8) : Antonio ab
anabaptistis , uti aiebat , injestalo ,
injussu régis ex prœfecturd sud auxi-
liareis copias adduxit. Quod adeo
impatiente}' tulil francisais , qui his
prœludiis patientiam suant tentait in-
terprelabatur, ut nisi in Joannis fra-
tris (9) et Annre Momorantii , qui
factum excusavit , gratiam , nun-
quam eam injuriant condonaturus
fuisse credatur : quant tamen eâ lege
remisit, ut Claudiusin posterum aulà
abstineret , nequein suïtnt conspeclum
venirel. Comme je l'ai déjà dit , je ne
me fie pas trop à la harangue de la
Renaudie ; mais une partie de ce qu'il
avance se trouve dans un bon histo-
rien : tenons-nous-en-là. Le Jeu roy
François, dit-il (10), ne veut avoir en
bonne opinion le père (11), depuis qu'il
sceut que durant sa prison il avait
mené les forces de ce royaume a Sa-
verne , pour appaiser les troubles
d'Al/emaigne , et des faire ceux qui
alloyent troubler les Païs-Bas et au-
tres pats patrimoniaux de la maison
d'Austriche : qui fut si mal receu du-
dict sieur roy , qu'a son retour de pri-
son h sainct Scver , il ordonna qu'il
fust mis prisonnier -. et sans l'interces-
sion et remonstrance de monsieur le
conncstablc , illuyenfust mal prins.
(7) Béloi , Apologie catholique , folio 10
verso ■
(S) Thuan. , lib. XXir, pag. 490.
(g) M. de Tliou avait dit peu auparavant que
Claude avait ohtenu le gouvernement de Cham-
pagne et de Brie , par la recommandation de
Jean, son frire, cardinal , qui avait beaucoup
de cre'dit auprès du roi.
(10) Le président delà Place , Commentaires
de l'état de la Religion et République , liv. II ,
folio m. 54 Verso , a l'an i56o.
(11) C'est-à-dire , Claude, duc de Guise.
GUISE.
365
L' entreprise aussi faicle par luy sur
l' estât du gouvernement de la Bour-
gogne du vivant de Philip pes Chabot
admirai et gouverneur dudicl pais ,
luy vint a grand hlasme , non seule-
ment envers la noblesse , mais aussi
envers le roy mesme •' car ce sont deux
poincts fort remarquez en France ,
que de -faire un desservice h la cou-
ronne , et d'entreprendre sur l' estât
d'un gentilhomme vivant. Lesquels
rendirent tellement odieux le pere et
les enfans au bon jugement de ce
grand roy François, qu'ils furent hors
d'espoir de se pouvoir* avancer, sans
l'alliance etfaveurde madame de Va-
lentinois. Je m'étonne qu'il n'ajoute
pas que ce prince , un peu avant sa
mort , recommanda à son successeur
de ne donner point de charges aux
Guises. Quelques historiens parlent
de ce fait: la Renaudie ne l'oublie pas.
Voici ses paroles dans M. de Thou.
Ejus rei memoria cum tenacissimè in
Francisci prudentissimi principis ani-
mo ,quamdiii vixit ,hœsisset, moriens
Me inter salutaria prœcepta , quœ de
posteritate ac regno solicitus Henrico
F. dédit , imprimis eum inonuit , ut
sibi a Guisianorum ambitione caveret,
ac proindè eos publicœ rei gubernacu-
lis ne admoveret (12).
(C) .... et qu'il ne lui permit pas
d'être reconnu pour prince . 1 Le pre'-
sident de la Place, que j'ai de'jà cite' ,
rapporte un discours qui fut fait
à Catherine de Me'dicis, par Louis
Régnier , sieur de la Planche. Les
gentilshommes francois , c'est Louis
Régnier qui parle , honorent les prin-
ces estrangers quand ils se contien-
nent en leurs limites ; mais autrement
ils ne les peuvent supporter , et moins
les recognoistre ou advouer pour
princes, et. autres que seigneurs et
gentilshommes. Ce que fut confirmé
par le jugement du feu roy Fran-
çois , quand le duc d'ylumale se ma-
ria; car il ne voulut permettre que sa
femme fust habillée en princesse le
jour de ses nopecs , disant qu'il ne
vouloit communiquer les honneurs
qui /l'appartiennent qu'aux princes
du sang , à ceux de Loivaine. Et que
s'ils vouloyent faire des princes ,
qu'ils les allassent faire hors de ce
(12) Tlman. , lib. XXIV, p«.?. foo. Voyez
ci-dessous la citation (2) de l'article (tu duc de
Ciusf , pei.l-fils de celui-ci.
royaume , cl a leurs desfjcns. Et feu
M. de Guy se , qui avait fort dili-
gemment pourchassé d'avoir V estât
de grand preneur , lequel aupara-
vant n'estait exercé que par bien
simples gentilshommes , se contenta
que sa belle - fille n'eust point de
manteau 'a Fontainebleau le jour de
ses nopees (i3). Nous allons voir que
Henri II ne marcha pas sur les traces
de son père , et que François Ier.
même se rclilcha quelquefois. Ze feu
roy François , ce sont les paroles du
sieur de la Planche 04) , à l'entrée
de la roy ne Alienar,feil bien habiller
mademoiselle de Guise, qui depuis
a esté roy ne d'Escosse , en princesse ,
pour son seul plaisir ; mais aux nop-
ees de son frère , il monstra bien
qu'il ne vouloit que cela fust tiré en
conséquence. Et si le feu roy à la
persuasion de madame de Kalcnti-
nois, à laquelle sont tenus de toute
leur grandeur tous ceulx qui aujour-
d'hui vivent de la maison de Guise ,
a pour l'exaltation d'icelle corrompu,
l'ancien ordre, qui estait qu'en France
nulle fille es toit habillée en princesse
le jour de ses nopees , si elle n'estait
fille de prince du sang , ou en espou-
soit un : il est ceitain que , s'il eust
vescu , il avoit assez résolu de les
humilier en recompense. Il y a deux
autres faits dans le discours de Louis
Régnier , qui méritent d'être rap-
porte's./'efi monsieur de Sainct-Paul
n'ouït jamais le duc de Guise , Claude
de Lorraine s'appeler prince , qu'en
soubzriant il ne dist a quelcun des
siens , qu'il parlait vllemant en Fran-
çois : et que toutesfois et quantes
qu'il se vouldroitappeller prince, pour
parler proprement francois , il devait
adjouster , de LoiTaine (i5). Voilà le
premier fait : nous allons voir le
second (16). L' ancienne coustume des
parlemens , mesmement de celuy de
Paris , a tousjours esté d'empescher
que nul ne s'y attribuast le nom de
prince , s'il n'est du sang. Ce que
mesme a esté confermé es personnes
(i3) La président de la Place, Commentaires
de l'état de la Religion et République, folio 5g.
Voyez aussi /'Histoire Je l'état de Fiance , sous
François II, composée par Louis Régnier , sieur
de la Planche , p"g. 3gg.
(i4) Le président de la Place, là même, et
fol. Go.
(i5) Là même, fol. 5çj rerro.
(iG) Là même, folio Go.
366
GUISE.
de mesdicts sieurs de Guise plaidans
devant le feu président Lizet , lequel
dicl en pleine audience a leur advo-
cat, prenant la qualité de prince,
que ce tiltre n appartenait en Fran-
ce qu'aux princes du sang , et or-
donna sur le champ qu'elle seroit
rayée (17).
(D) // s'était signalé . . . notam-
ment a la bataille de Marignan. ]
François Ier. la gagna l'an i5i5 , sur
les Suisses. « Claude , duc de Guise ,
» qui commandait les lansquenets en
» l'absence de Charles , duc de Guel-
3) dres , son oncle maternel , y fut
» foule' aux pieds : un gentilhomme
3> allemand, son e'cuyer , lui sauva la
w vie aux de'pens de la sienne , en le
m couvrant de son corps , et rece-
» vant les coups qu'on lui portait
v ( 18 ). » Voyez le père Anselme
(19) qui décrit cela d'une manière
plus avantageuse pour le duc de Gui-
(i"j) Voici les propres paroles du sieur de la
Planche , pag. l\00 de /'Histoire sotis François
II. Mesines en plein parlement un advocat , en
plaidant pour le feu sieur de Guise , ayant
prias la qualité' de prince, il fut dit et ordonne'
sur le champ que ceste qualité seroit raye'e : ce
qu'on estime avoir este' cause en partie de démet-
tre de son estât le feu premier président Liset ,
à la poursuite du cardinal de Lorraine , sans
( il faudrait, je crois, sous) autre prétexte toutes-
jfbis.
(18I Mczerai, Abrégé cbronolog. , loin. IV ,
pag. 48o.
(19) Anselme , Palais de la Gloire, pag. 442-
GUISE (François de Lorhaine,
duc de ) , fils aîné du précédent,
fut un des plus grands capitaines
<3e son siècle. Il rendit des ser-
vices très-importans à l'état , par
la défense de Metz contre l'em-
pereur Charles-Quint , et par la
prise de Calais , et en plusieurs
autres rencontres ; mais on peut
dire que les maux dont il fu t cause
surpassent sans comparaison les
avantages que sa valeur et sa
conduite procurèrent à la Fran-
ce. Son ambition et celle du
cardinal Charles de Lorraine, son
frère , encore plus déréglée que
la sienne, plongèrent le royaume
dans une affreuse désolation ;
outre que l'esprit sanguinaire
dont ils furent animés contre
ceux qu'on appelait huguenots ,
donna lieu aux guerres civiles ,
qui réduisirent tant de fois la
France aux dernières extrémités.
Cette haine ne fut d'abord qu'une
grimace de politique ; car, s'ils
avaient espéré une plus haute
fortune dans le parti de la ré-
forme , ils l'auraient sans doute
embrassé (A) ; mais enfin ce fut
tout de bon une véritable haine.
Les plus grands panégyristes de
ce duc de Guise ne sauraient le
disculper d'une très-injuste et
très-violente usurpation ; car ce
n'est pas seulement l'autorité
souveraine que l'on usurpe , on
peut aussi mériter le nom odieux
d'usurpateur , lorsqu'on s'empare
de la puissance qui n'est due
qu'aux princes du sang , et qu'on
les éloigne de la part qu'ils doi-
vent avoir au gouvernement de
l'état sous un roi mineur. Or
c'est ce que firent les Guises, sous
le règne de François II , mari
de leur nièce (a) , en abusant de
la faiblesse de ce prince , sans
garder aucunes mesures de bien-
séance. On veut même qu'ils
aient eu dessein de faire mourir
les premiers princes du sang(B;.
Cette usurpation , accompagnée
d'une cruauté horrible contre
l'église protestante , fit naître la
fameuse conspiration d' Amboise ,
qui ne servit qu'à augmenter leur
autorité. Us en vinrent jusqu'à
faire condamner au dernier sup-
plice le second prince du sang ;
et sans doute l'arrêt eût élé exé-
cuté , avec le carnage général des
(a) Marie Stuiirt , fille de Jacques l , roi
J'Ecosse.
GUISE.
36-
protestans du royaume , si Fran- ans (e) (E). On dit qu'il protesta
cois II eût vécu un peu davan- au lit de ta mort qu'il n'avait
tage (b). Après sa mort , MM. de eu aucune part au massacre de
Guise n'eurent pas assez de crédit Vassi (f) ; mais je ne sais pas si
pour empêcher que l'on n'accor- une telle protestation serait ca-
dàt aux huguenots la liberté de pable de balancer les preuves
conscience, par l'édit qu'on ap- qu'on a du contraire (F). Les
pela de janvier (c). Mais n'ayant écrivains de son parti le louent
pu empêcher cette tolérance , extrêmement d'une maxime
comme ils avaient fait dans l'as-
semblée des notables (C) , sous
François II , ils trouvèrent le
moyen de rendre nul cet édit ,
par le massacre de Vassi *. On a
chrétienne , qu'ils disent qu'il
allégua contre un homme de la
religion qui cherchait à le tuer.
Cette maxime n'était pas trop
bien placée dans sa bouche (G).
beau dire que ce ne fut pas une II serait à souhaiter que ceux de
affaire préméditée , les historiens la religion n'eussent pas fait im-
les plus flatteurs avouent des primer tant de libelles et tant de
faits d'oii il faut conclure qu'elle satires contre ce duc , et contre
le fut (D). Ce massacre fut suivi le cardinal son frère (H). En ce-
bientôt après d'une guerre de
religion , comme la maison de
Guise l'avait espéré. Les succès
en furent funestes aux deux par-
tis, et par conséquent très-per-
nicieux à la France. Il n'y eut
que cette maison qui en profitât.
Notre duc de Guise eut l'adresse
de s'attirer toute la gloire de la
la ils n'agissaient ni selon les
règles de l'évangile, ni selon
celles de la prudence , vu que
ces sortes d'écrits irritaient de
plus en plus un ennemi très-
puissant (I), et lui donnaient
des prétextes de nourrir sa hai-
ne , et d'augmenter la persécu-
tion ( K ). Il y aurait de l'in-
journée de Dreux; et, selon tou- justice à imputer à tout le corps
tes les apparences , il allait se l'impatience de quelques parti-
mettre en l'état, par la prise culiers , et leur trop grande dé-
d'Orléans , d'exterminer la reli- mangeaison d'écrire (L). Ce duc
gion réformée, lorsqu'il fut assas- de Guise avait été fait duc d'Au-
sinépar Poltrot. Il mourut de sa maie, et gouverneur de Dauphi-
blessure (d) , le 24 de février né, l'an 1547 (§)• ^ fut cheva-
i563, âgé de quarante-quatre
(b) Voyez Maimbourg , Histoire du Calvi-
nisme , liv. II, pag. i5^ et suie, édil. de
Hollande.
| c II fut donné le 17 de janvier l5Ô2.
" Cette affaire de Vassi est le sujet do lon-
gues remarques de Leclerc , qui contredit
Bayle , et cherche à justifier le duc de Guise.
Il n'examine au reste que ce point de tout
1 article; mais en disant que presi/ue tout
l'article est tiré de mauvaises sources et rem-
pli de faussetés.
(</) Poltrot lui tira un coup de pistolet,
pendant le siège d'Ortrans , le 18 de fèvriei
i553.
lier de l'ordre, grand-maître,
grand-chambellan et grand-ve-
neur de France (h). Sa baronnie
de Joinville , qui ressorlissait de
la ville de Vassi (i) , fut érigée
(e) // était né au château de Bar, le 17
de février 1 519. Le père Anselme , Histoin
des grands Officiers, pag. ^2^.
(f) Maimbourg, Histoire du Calvinisme ,
liv. IV, pag. m. 25g.
(g) Le père Anselme , Histoire des grand
Officiers, pag. 424-
(//) Là même , pag. q25.
i) Bèzc, Mil. eci l.s. .pag 721 /"■■ II'.
368
GUISE.
en principauté, l'an \55i (h) ,
et l'on y joignit quelques villages
qui dépendaient de la même ville
(/). Il épousa Anne d'Est , fille
d'Hercule d'Est , deuxième du
nom , duc de Ferrare , le 4 de
décembre i54q (w), et en eut
plusieurs enfans.
Si ce qu'on lit dans l'Histoire
des églises réformées est vrai, il
fit connaître , un peu avant que
de mourir, qu'il ne croyait pas
que la vertu de son épouse se fût
conservée sans tache (M).
(A) Baudrand. , in Geograph.
(/) Bèze, Histoire ecclésiastique, lù>. IV ,
pag. 721.
(m) Le père Anselme, Histoire des grands
Officiers , pag. [p.5.
(A) Si les Guises avaient espéré
une plus haute fortune dans le parti
de la réforme, ils l'auraient sans
doute embrassé. ] L'auteur d'un pe-
tit roman (1) , qui parut en France
l'an 1675 , introduit le prince de
Condé parlant ainsi à l'amiral de
Châtillon. La religion dont vous êtes,
et dont je ne suis que parce que les
Guises n'en sont pas ( car je ne vous
cèle point , que s'ils s'avisaient de se
faire huguenots , le lendemain je me
ferais catholique ) : cette religion ,
dis-je , défend -elle h un honnête
homme d'aimer la plus belle per-
sonne que l'on puisse voir? On peut
faire tort à ce prince en lui prêtant
ce langage ; mais il est vrai , généra-
lement parlant , que les chefs des
grandes factions ne se déterminent à
une chose , que parce que leurs ri-
vaux sont engages à une chose oppo-
sée. Et il ne faut point douter que
les Guises ne se soient bien affermis
dans leur religion , parce qu'ils
voyaient dans l'autre parti leurs plus
redoutables ennemis. Si le prince de
Condé et les Ch;1tillons avaient af-
fecté un grand zèle pour l'extirpa-
tion des protestans, et si cela leur
eût mis en main de quoi opprimer
les Guises, ne doutons point que
ceux-ci n'eussent quitté 1 église ro-
(1) Intitulés Le prince de Condé
maine , afin de se faire craindre à la
tête des huguenots. On veut qu'ils
aient été en halanec pendant quel-
que temps sur cette affaire : M. Va-
rillas , qui le nie, prétend en avoir
de bonnes raisons. Voici ce qu'il dit
(2). « C'est ici le lieu de réfuter une
» erreur d'autant plus dangereuse ,
» que les historiens les plus habiles
» ne l'ont pas toujours évitée. On dit
» que la maison de Guise délibéra
» dans la conjoncture dont il s'agit
» (3) , s'il lui était plus avantageux
» de demeurer catholique , ou de se
» mettre à la tête des calvinistes ; et
» qu'après une exacte discussion de
» ses intérêts , elle préféra l'ancienne
:> religion à la nouvelle. Les deux
» frères, messieurs du Puy, si célè-
» bres pour leur suffisance , insi-
» nuaient ce fait à l'oreille de tous
» les doctes qui les allaient visiter à
» la Bibliothèque du roi, comme un
» secret des plus importans de l'his-
« toire de France. Ils soutenaient
» que ce secret était contenu dans le
» livre contre la ligue, de Gonzague,
» duc de Nevers. Ils avaient fait
» relier tout-à-fait bien ce livre , et.
w le gardaient fort précieusement.
» Cependant , après leur mort, on a
» examiné ce livre avec d'autant
» plus d'exactitude et de curiosité,
» que l'on se souvenait de ce qu'on
» leur en avait ouï dire plus d'une
» fois , et l'on ne l'y a pas trouvé.
» De plus, Marin le Roy , de Gom-
» berville, s'étant chargé de l'im-
» pression des mémoires du duc de
» Nevers , emprunta le livre ; il le
w transcrivit, et le mit dans le pre-
» mier volume de ses Mémoires (*).
» Cependant il ne s'y trouve rien de
» cette prétendue délibération de ht
w maison de Guise, quoique Gom-
» berville n'ignora"t pas ce qu'en
» avaient dit messieurs du Puy. En-
» fin toutes les circonstances d'a-
(2) Varillas, Hist. de l'Hérésie, liv. XXIII ,
pag. m. i3i , h l'ann. i5Go.
(3) C'est-à-dire, après la mort de Henri II.
(") Non pas dans le premier volume , mais dans
le second. Ou reste , l'original de ce Traité , qui
est de 583 pages in-80., ne contient effectivement
pas un mot de ce que Varillas débile que MM. du
Puy se félicitaient d'y avoir trouvé. Il est di l'an-
née îSg^, sans nom île lieu, ni d'imprimeur ,
mais vraisemblablement de Jainel Métayer, et
imprimé à Tours, oit cet babile imprimeur avait
suivi le roi Henri III. Kr.M. cmt.
» lors conspirent à persuader que ce
» fait est cnimérique ; car la maison
» de Guise d'un côté ne gagnait
» rien, et de l'autre côté perdait
» tout , en se faisant calviniste. Elle
» ne gagnait rien , puisque ce parti ,
» quand elle y eût entré, n'aurait
» eu garde de la mettre à sa tête à
» l'exclusion des deux premiers prin-
» ces du sang , et surtout du prince
GUISE. 369
les querelles particulières et les li-
belles n'avaient pas encore remué
l'intérieur de la machine ; car enfin
lorsque la haine de politique les eut
rendus l'exécration du [uirii qu'ils
persécutaient, ils le haïrent ton! de
bon , et néanmoins ils dissimulaient
finement , lorsque des raisons de po-
litique le demandaient. J'ai lu dans
l'un des écrits qui parurent en ce
temps-là (5) , que le cardinal Charles
» de Condé , trop ambitieux pour
» céder à des étrangers le comman- de Lorraine faisait entendre que par
» dément dans une faction qu'il avait son conseil , le sieur d'Aumal/e son
» formée en partie, et où il avait frère favorisoit en tout ce qu'ilpou-
» déjà ses mesures prises pour faire voit selon l'edict les églises de Éour-
» des catholiques. De plus, quand les
j> princes du sang auraient eu de la
)> déférence pour la maison de Gui-
» se sur un point si délicat , les
» trois Châtillons n'auraient pas été
3> de même humeur, et se fussent
» dès lors établis dans la direction
» générale du calvinisme, qui leur
w Fut depuis si solennellement défé-
» rée après la désertion du roi de
esté faictes contre ceux de la religion,
depuis la déclaration de la paix ; qu'il
scavoil que madame de Guy se sa
sœur estoit de la religion , et qu'elle
faisoit secrètement instruire le sieur
de Guyse son fils en la confession
d'Auguste ; et cela , disait-il , ne me
déplaît aucunement (6,\ On lui ré-
pond entre autres choses : Je scay
bien que vous entretenez quelques
» Navarre, et la mort du prince de princes d'Allemagne en ceste opinion
;> Condé. » que vous faites instruire vostre nep-
Je me rendrais sans beaucoup de veu en leur confession : mais c'est
peine à ces raisons de Varillas, quoi- seulement pour avoir moyen de l'in-
que je sache que ceux qui publient vestir des quatre baronnies de l'eves-
des mémoires en ôtent et y ajoutent ché de Mets , pour le faire prince de
ce que bon leur semble (4^- Je ne vois l'empire. Et a ceste occasion vous lui
point de temps où les Guises aient pu feistes faire a vos derniers hommages
s'imaginer que la désertion du catho- la harangue a la noblesse en alle-
licisme leur pourrait être avanta-
geuse, et jamais ils n'ont eu moins
de sujet de former cette pensée , que
sous le règne de François II. D'où
serait donc venue la délibération que
MM. du Puy apprenaient à leurs amis
comme un grand secret? Ce que je
trouve de fort vraisemblable, est que
si les Guises avaient vu les Châtil-
lons beaucoup plus accrédités qu'eux
dans le parti catholique , ils se se-
raient jetés dans le parti huguenot ;
car selon toutes les apparences ils ne
tenaient à la communion romaine
qu'à cause des biens temporels , et
ils ne faisaient paraître de l'aversion
pour l'autre parti , qu'afin de gagner
les cœurs de la populace et l'aflèc-
tion du clergé. Je parle du temps où
(4) C'est ce qu'ont remarque les Journaliste»
de Leipsic contre M. Varillas , dans leur mois de
janvier 1691 , pag. 2g.
TOME VII.
mont , pour peu à peu gaigner la fa-
veur du pais. Quelques pages aupara-
vant on lui avait reproché , d'avoir
donné d'une main des coupes d'ar-
gent doré aux ministres d' Allemagne,
a Saverne , et d'avoir de l'autre maire,
exécuté le massacre de J^assi. Au
massacre de la Saint-Barthélemi , le
duc de Guise retira dans son hôtel
plus d'une centaine de huguenots,
qu'il crut pouvoir gagner a son ser-
vice (7).
(5) Imprime' l'an i5G5. Il a pour titre , Ré-
ponse à l'épitre de Charles de Vaudemont, car-
dinal de Lorraine. Celte e'pîlre avait été publiée
sous le nom d'un gentihomme de Hamaul , tant
pour e.rcuser le port d'armes que le cardinal
avait fait au mois de janvier à Paris, contre
les ordonnances de sa majesté' , que pour accu-
ser le mare'chal de Montmorenci.
(6) Réponse à l'épître de Charles de Vaude-
mont , folio D i i i i.
(7) Aïéierai , Abrégé chrooolog. , loin. K ,
p<iS- i57.
24
370
GUISE.
L'auteur de la Réponse à l'épître roi de Navarre. Il s'agissait de ré-
du cardinal de Lorraine était un bon pondre aux vacarmes de la ligue tou-
protestant. Or voici ce qu'il avoue chant cette confédération du- roi et
touchant la haine que ceux de la re
li<ùon avaient conçue contre les Gui-
ses. Le consentement gênerai de toutes
nos églises , dit-il (8) , est et sera
tousjours de faire teste a toutes les
parties desquelles vous serez ou di-
rectement ou indirectement , et de
prendre partf a\>ec tous vos ennemis ,
de quelque qualité ou religion qu'ils
soyent. Et m'esbahis comme vous
des huguenots. M. du Plessis allègue
non-seulement les alliances que le roi
d'Espagne entretenait avec les princes
protestans , mais aussi ce qui avait
été fait par MM. de Guise. « N'allons
» point plus loin que nos ligueurs.
» Combien de fois le duc de Guise a
» il tasché de traiter avec le roi de
» Navarre et ceux de son parti? A
» combien de gentils-hommes hu-
ignorez encore nostre volonté , que » guenots a il escrit? Qu'ils recon-
le pape n'ignore pas , veu qu'il de- » noissent ici son stile. Je n'en veux ,
clara dernièrement hl'evesqae d! Au- » l'ami, a ta religion, ni a ton près
xerre , qu'il vouldroit qu'il luy eust
cousté cent mille escus , et que vous
fussiez huguenot >• s'asseurant , pour
l'inimitié irréconciliable que nous
vous portons , que nous abandonne-
rions nostre religion si vous en estiez.
Puis donc que ce consentement gê-
nerai qu'ont toutes nos églises de
vous résister, ne peult venir que de la
» che ; si tu n'es saoul d'un ministre,
» aies en deux. Et qui ne scait les
>> allées et venues du vis-seneschal de
» Montelimart à la Rochelle , de la
» part du duc de Maïenne ; les pro-
» pos qu'il lui faisoit tenir , qu'il
» vouloit estre son serviteur, qu'il
j> n'en vouloit point à sa religion ,
« que sa mère lui avoit donné ceste
spéciale bonté de Dieu , nous devons » première nourriture , qu'on trou
certainement espérer qu'il nous pre- » veroit un moïen d'accommoder les
servera de l'effect de vos desseins ,
par lesquels vous faites un appareil
de guerre mortelle contre nos biens ,
nos foyers , et nos vies.
Notez bien ces paroles de Bran-
tôme. Le cardinal de Lorraine « estoit
» fort religieux , et pour ce fort haï
» des huguenots : mais pourtant le
» tenoit-on pour fort caché et hypo-
» critc en sa religion, de laquelle il
>• s'aidoit pour sa grandeur ; car je
» l'a y veu souvent discourir de la
» confession d'Ausbourg , et l'aprou-
» ver à demy, voire la prescher, plus
» pour plaire à aucuns messieurs les
» Allemans, que pour autre chose ,
') ainsi qu'on disoit ; comme je vis
» une fois à Reims , pour une se-
» maine sainte, et devant madame
» sa mère publiquement, où il le
» faisoit beau ouïr (9). » Joignez à
Ceci la remarque (Q) de l'article Lor-
raine
» choses, que sur sa parole il le
» viendroit trouver avec" quatre che-
» vaux , qu'il lui bailleroit ostages
» de sa foi , ses enfans et sa femme ?
» Au temps toutes fois , qu'il retour-
11 noit de Castillon. Au temps qu'ils
» ne sonnoient que dévotions , que
» zèle de l'église. Aussi ne faisoit-il
» pas scrupule de se servir des luthe-
» riens reistres , qu'on voïoit publi-
» quement faire la cène en son ar-
» mée ; et les lettres qu'il escrit tout
» fraischement à ses agens se peuvent
d voir ; qu'il est armé pour exter-
» miner les huguenots sacramen-
w taires , mais non ceux de la con-
» fession d'Ausbourg , qu'il veut au
» contraire aimer et conserver ; non
» moins condamnés du pape que les
d autres , ceux qui premiers ont
« donné le branle à l'église 10-
» maine (10). »
(B) On veut qu'ils aient eu dessein
Le passage que je vais citer n'est de faire mourir les premiers princes
pas moins notable. Je le tire d'un du sang.] « On ne peut lire sans
écrit que M. du Plessis Mornai com-
posa au mois d'avril 1589 , pour jus-
tifier Henri III sur son union avec le
(8) Réponse à l'épître île Charles de Vaurle-
mont , folio C\ i i.
(9) Brant. , l'-loge (lu iliicile Guise , au III'
tome de ses Mémoires ,j>ag. m. i35.
» horreur ce qui fut dit en ce temps-
» là (11), et qui a été écrit depuis ;
(10) Mémoires de Duplessis Mornai , tom. I ,
pag. 922 , 92H.
(11) C est-à'dire , au temps que les e'ials du
royaume furent tenus à Orle'ans , sous François
//, l'an i50'o. Le prince de Coudé fut arrêté eu
GUISE.
3^1
que les Guises , craignant les res-
sentimens du roy de Navarre , et
jugeant d'ailleurs que leur auto-
rite' ne seroit jamais tranquille ni
assurée tant qu'il resteroit un
prince du sang pour la contester,
ils avoient entrepris de s'en dé-
faire ; mais par un moyen qui ,
estant suivi du succès , n'alloit pas
à moins qu'à faire périr toute la
maison royale par elle-mesme. Que
le roy, à qui ils avoient fait com-
prendre combien il estoit impor-
tant de ne point laisser vivre un
prince qui pust venger la mort du
prince de Condé, devoit faire venir
le roy de Navarre dans sa chambre :
Vil 1
qu il luy reprocheroit en termes
fort piquans les crimes de son
frère , et les justes sujets de plainte
qu'il avoit contre luy-mesme ; le
prince nieroit avec audace , ou du
moins se défendroit avec trop de
chaleur ; et là-dessus il seroit tue'
à coups de poignard par des gens
à qui le roi feroit signe , et qui se-
roient en embuscade. On ajouste
que ce prince fut averti du danger
qui le menaçoit , et qu'après avoir
long-tems hésite' sur ce qu'il devoit
faire , il se résolut de prendre le
hasard de ce qui pourroit arriver ;
et que s'en estant expliqué à un de
ses plus fidelles domestiques , sur
le point d'entrer dans la chambre
du roy, s'il arrive , luy dit-il , que
je succombe h la multitude et à la
trahison de mes enne?nis , prenez
ma chemise toute sanglante ; portez-
la a ma femme et a mon fils : ils
liront dans mon sang ce qu'ils doi-
vent faire pour me venger. Qu'en
suite il alla trouver le roy, qui
n'osa , ou qui ne voulut point don-
ner le signal dont on estoit con-
venu ; et que Guise, chagrin de voir
ainsi manquer cette entreprise ,
s'écria à ceux qui estoient avec
lui : O le pauvre prince que nous
avons (12) ! »
(C) Comme ils avaient fait dans
arrivant , et peu de jours après son procès lui
avant été fait par ries commissaires que le roi
avait nommés , il fut condamné à avoir la tête
tranchée. L'auteur de la Vie de François de
Lorraine , duc de Guise, imprimée a Paris , Van
1681 , qui dit ensuite ce que je rapporte dans
celte remarque.
(11) Vie du duc de Guise , imprimée à Paris,
an 1681 , pag. 78 , c'dition d» Hollande.
l'assemblée des notables .] Elle se tint
à Fontainebleau, au mois d'août i56o
(i3). L'amiral y présenta une requête
de la part de tous les protestans de
France , par'daquelle ils demandaient
la permission d'avoir des temples
pour y exercer publiquement leur
religion. L'évêque de Valence, Jean de
Montluc, opina d'une manière favo-
rable à l'amiral ; mais le duc de
Guise et le cardinal, son frère, s'op-
posèrent avec tant d'emportement à
cette requête, qu'on la rejeta. Peu s'en
fallut qu'ils n'établissent en France
le tribunal de l'inquisition (i4) : ils
y travaillèrent de toute leur force ,
et il fallut que , pour détourner ce
coup, le chancelier s'avisât de pro-
poser au roi l'édit de Romorantin ,
très-rigoureux contre ceux de la re-
ligion. C'est donc à ces deux frères
qu'on peut imputer tous les mal-
heurs des guerres civiles de ce temps-
là. Ils s'opposèrent à la liberté de
conscience des protestans, ils fomen-
tèrent la persécution , ils entretinrent
dans le royaume l'esprit sanguinaire,
contre le droit le plus essentiel et le
plus inaliénable dont l'homme puisse
jouir, et celui que les souverains doi-
vent regarder comme le plus invio-
lable.
(D) Les historiens les plus flat-
teurs avouent des faits d'où il faut
conclure que le massacre de Vassi
fut une chose préméditée. ] Varillas
avoue (i5), i°. que le duc de Guise
et le cardinal de Lorraine , ne dou-
tant pas que les guerres civiles ne
commençassent bientôt , et que le par-
ti catholique ne remportât la vic-
toire , pourvu que les protestans d'Al-
lemagne n'entrassent point dans la
querelle , furent s'aboucher secrète-
ment à Saverne avec le duc de Wur-
temberg; 20. qu'ils n'oublièrent rien
de ce qui servait h donner de la ja-
lousie aux luthériens sur le progrès
du calvinisme , et h leur persuader
qu'on ne l'allait attaquer en Fran-
ce ( remarquez bien ces paroles , car
elles font voir que la partie était
dressée pour commencer les actes
d'hostilité ) , qu' afin de travailler en-
(i3) Voyez Maimbourg, Histoire du Calvinis-
me, pag. 14? et tuiv
(i4) Là même, pag. i44i-
(i5) Varillas, Histoire de Charles l\,tom.
I , pag. jîi , e'dit. de Hollande-,
372
GUISE.
suite, par de douces voies , a réunir
avec le saint siège les luthériens
(16) : 3° qu'ayant tiré parole du
prince allemand qu'il emploierait ses
offices auprès de ceux de son parti ,
pour les disposera consentir que l'on
empêchai en toute manière le calvi-
nisme de prendre racine en France ,
ils s'en retournèrent à Joinville , où
ils avaient dessein de se divertir du-
rant quelques jours (17) ; 4°- clue ^a
douairière de Guise leur mère, qui
vivait dans une exacte solitude à
Join ville (18) , employa tout son cré-
dit auprès d'eux pour les disposer à
ne plus souffrir si près d'eux le tem-
ple de f^assi , dont la contagion pas-
serait bientôt a Joinville ; 5°. que le
duc de Guise , résolu d'accorder ce
qu'il pourrait aux sollicitations de sa
mère, sans violer les édits , passa par
f^assi avec le cardinal de Guise , son
plus jeune frère (19)5 6°. que 50/1 in-
tention était bien éloignée de la vio-
lence , puisqu'il supposait que sa seu-
le présence suffirait pour dissiper les
assemblées des calvinistes partout oh
il se trouverait ; 70. qu'il entra dans
la ville de Vassi le premier jour de
mars i562, et qu'ayant été contraint
d'interrompre ses prières pendant
la messe, à cause que les calvinistes ,
dont le temple était fort proche de là,
entonnèrent en même' temps leurs
psaumes . . . , il leur envoya deman-
der un quart d'heure de silence , et
les assura qu'ils pourraient ensuite
continuer leurs chants avec liberté,
'. parce que la messe qu'il entendait
serait pnie.
Deux réflexions sur ces faits me
suffiront. La première estqu'ils mar-
quent très-clairement que le duc de
Guise travaillait à faire casser l'édit ,
et qu'il prenait des mesures pour
attaquer les huguenots • et qu'outre
cette disposition générale , il ne pas-
sa par Vassi qu'après avoir promis a
sa mère qu'il aurait égard à l'envie
ardente qu'elle témoignait que les
hérétiques n'y prêchassent point. 11
n'y a donc nulle apparence qu'il soit
allé à Vassi sans un dessein prémé-
dité d'y user de violence contre ceux
(1G) Varillas, Histoire rie Charles IX, tom.
I , pag- 122 , édit. de Hollande.
(17) Là même ,pag. iai{.
(18) Là même, yag. 123.
(iç)) Là, même , pag. 126.
de la religion. Ma deuxième réflexion
est que M. Varillas n'a pu déguiser
les choses qu'en mêlant ensemble
des faits qui se contredisent. Car , eu
premier lieu , comment est-ce que le
duc de Guise eût tenu parole à sa
mère, s'il eût eu dessein de laisser
continuer leurs chants aux calvi-
nistes avec liberté , dès que la messe
qu'il entendait serait finie? Cela est
contradictoire : de sorte qu'il faut
que l'on nous avoue , ou qu'il n'a ja-
mais envoyé assurer les calvinistes
qu'il ne voulait pas troubler les exer-
cices de leur dévotion, ou qu'il n'é-
tait pas allé à Vassi pour tâcher de
contenter la douairière de Guise, ou
qu'il a fait faire un faux message. La
dernière de ces trois choses est trop
indigne d'un homme d'honneur pour
l'attribuer au duc de Guise , quand
on veut le justifier. Il faut donc que
l'on se range aux deux premières , qui
démentent toutes deux M. Varillas ;
et ainsi l'on ne peut justifier ce duc
sans démentir les historiens qui lui
sont les plus favorables. En second
lieu , il paraît très-faux que le duc
de Guise ait supposé que sa pré-
sence suffirait pour dissiper les as-
semblées de ceux de la religion. Il
savait trop bien que des gens aussi
allâmes de prêches qu'ils l'étaient
alors , et qui avaient obtenu au prix
de tant de persécutions et de suppli-
ces la permission de prêcher, n'é-
taient pas pour renoncer à leur pri-
vilège à cause de sa présence. En
troisième lieu , si ce due avait sup-
posé que sa présence dissiperait leurs
assemblées , il n'aurait pu s'y pré-
senter sans enfreindre les édits du
roi ^ d'où il s'ensuit manifestement
qu'il se contredit lui-même dans Va-
rillas, lorsqu'il suppose que sa seule
présence dissipera l'assemblée de
Vassi , et que néanmoins il ne veut
contenter sa mère qu'autant qu'il le
pourra sans violer les édits. Il est
impassible qu'il veuille contenter sa
mère sans vouloir dissiper cette as-
semblée, et l'on avoue qu'à tout le
moins il s'est préparé à la dissiper
par sa présence. Il est d'ailleurs im-
possible qu'il la dissipe sans contre-
venir au dernier édit. On lui fait
donc avoir des pensées contradic-
toires. C'est presque toujours l'extré-
mité où l'on peut réduire les histo-
GUISE.
373
riens qui s'efforcent d'obscurcir les
vérités éclatantes.
On pourrait marquer beaucoup de
faits ( 20 ) qui signifient manifeste-
ment que l'intention du duc de
Guise était d'abolir l'édit de janvier ;
mais il suffit de faire attention à son
propre aveu , tel que Davila le rap-
porte. Après que le tumulte de Vassi
fut apaisé, le duc de Guise manda
le juge du lieu , et le censura forte-
ment de permettre aux bugucnols
une licence si pernicieuse de s'assem-
bler. Le juge s'en excusa sur l'édit
du roi, qui leur permettait les as-
semblées publiques. Le duc, aussi
indigné de cette réponse que de la
chose même , mit la main sur son
épée et dit : le tranchant de celle-ci
coupera bientôt cet édil si étroite-
ment lié. C'est la nature qui parle
■en cette occasion , et ce n'est pas le
premier exemple d'une émotion de
colère qui ait trahi les plus grands
dissimulés. Ce mot ne tomba pas à
terre ; on s'en servit comme d'une
forte preuve des desseins violens du
duc de Guise. C'est Davila qui fait
cette observation. Voici ses paroles.
Finito il tumulto , il cluca di Guisa ,
chiamato a se Vufficiale del luogo ,
comincio con gravi parole a ripren-
derlo , che permettesse in danno de'
passaggieri questa perniciosa licen-
za : ed iscusando egli di non poterie
impedire perla permissione dell' edit-
to di Gennaio , che concédera le ra-
dunanze publiche a gli Ugonotli, il
duca sdegnato non ineno délia rispos-
ta , che delfatlo , messa la niano su la
spada , replicb pieno di colera, che l'e-
ditto cosi sti^ettamente legato , presto
si troncarebbe con iljilo di quella •• dal-
le quali parole dette ne II' ardore dell'
ira , e non trascurate da quelli ch'e-
rano presenti , molli poi l'arguirono
per autore , e per machinatore délie
guerre seguenti (ai). Les historiens
protestans fournissent plusieurs au-
(ao) Entre autres la Retraite Jes chefs du parti
romain. Percosse quesl' edillo i capi délia parle
callolica, ne volendo , che il mondo slimasse ,
che consenlissero aile cose, che si facevano , |7
duca di Guisa, U coneslabile , ed i cardinali ,
de* quali era maucato di vita il cardinale di
Tornone , i marescialli di Brissac , e di Sanl'
Andréa , si partirono dalla Carte , machinando
gia di dislurbare V edillo , e d'opporsi per ogni
modo alla fallione Ugonotla. Davila , lib. II ,
pag. m. -9.
(ai) Davi'.a , lib. III, pxg. 80.
très circonstances à la charge du duc
de Guise. Ceux qui diront que, ve-
nant d'où elles viennent , il est juste
de s'en défier , que diront-ils contre
Davila ?
(E) Il mourut le i\ de février
1 563, âgé de quarante-quatre ans .] Le
père du Londel , malgré son exacti-
tude , a ignoré la vraie date de cette
mort : il Ta mise au 26 de février (22).
L'erreur qui est demeurée jusquesici
dans toutes les éditions du Moréri,
est tout autrement considérable. On
fmet la mort de ce duc de Guise à
an 1 553 (23). Je m'étonne que M. de
Valincourt n'ait daigné marquer ni
l'année ni le jour de cette mort ,
non plus que l'année de la naissance,
dans la Vie qu'il publia de ce duc
de Guise, l'an 1681 (24); mais je m'é-
tonne encore plus de ce qu'il lui
donne cinquante ans.
(F) Je ne sais si une telle protes-
tation serait capable de balancer les
preuves qu'on a du contraire. ] On ne
sait plus à quel prix mettre les pro-
testations des mourans : les auteurs
qui ont écrit pour et contre la con-
spiration dénoncée en Angleterre
par Titus Oates , nous produisent des
accusés qui ont protesté de leur inno-
cence jusques au dernier soupir, et
des témoins qui ont fait la même
chose. Il faut nécessairement que les
accusés ou les témoins fassent de
fausses protestations au moment mê-
me de la mort; de sorte que nous
voilà chassés d'un retranchement que
nous opposions au pyrrhonisme , je
veux dire de la déposition des mou-
rans (25). La sentence de Lucrèce,
qu'enfin on se démasque à l'article
delà mort (26), n'est pas toujours
(aa) Du Londel, Fastes des rois de la maison
d'Orléans , pag. 71.
(a3) Sous le mol Guise : mais sous le mot
François, qui n'est pas le lieu naturel oit l'on
va chercher l'histoire des ducs de Guise , Mo-
réri a mis la vraie année i563-
(i!\) C'est celle que je cite dans la remarque
(B)-
(ï5) M. le Grand, Défense de Sanderns ,
pag. 164 ,fait valoir le témoignage de Smr'ton.
contre AnneBuulfn, cl fait souvenir que M. Bur-
nel s'est prévalu d'une semblable déposition'
Cela montre que les partis contraires s'objectent
le témoignage des mourant , et qu'on le rejette
ou qu'on l'adopte selon qu'il nuit ou qu'il favo-
rise.
(aG) Nam verœ voces tum demain pectore ab
imo
Ejiciunlur , et eripilur persona manel res.
Lucret. , lib. III, vs. 5j.
374 GUISE.
vraie. La mauvaise honte nous ac- de l'exécration publique. Il se trouva
compagne bien des fois jusqu'au tom- donc engage à continuer ses protes-
beau • et cet amour de la gloire dont tations jusques à la mort; non-seu-
les grands font leur idole, les oblige lement pour empêcher que sa me
très-souvent à tenir caché toute leur
vie ce qui serait capable de flétrir
leur réputation. L'empire d'une pas-
sion dominante va si loin, qu'il n'est
moire ne fût détestée par tous ceux
qui avaient horreur des guerres ci-
viles , mais aussi pour empêcher que
toute l'Europe ne connût qu'il avait
pas toujours arrêté par la vu» d'une été menteur dans toutes les protesta
mort prochaine. C'est ce qu'on vit tions qu'il avait faites de n'avoir
dans Tibère, à l'égard de la dissimu
îation , sa qualité favorite. Jam Ti-
berium corpus , jam vires , nondkm
dissimulatio deserebat. Idem animi
risor , sermone ac uultu intentus ,
quœsitd interdhm comitate , quamvis
point ordonné la tuerie de Vassi. II
y a peu d'ambitieux qui soient ca-
pables de se rétracter , lorsqu'il y a
tant de honte à se dédire.
Mais ce n'est pas la seule chose que
l'on puisse alléguer contre les dépo-
manifestam defectianem tegebat (27). sitions des mourans : on peut, encore
L'histoire du duc d'Epernon nous révoquer en doute la plupart de
celles qui se débitent , parce qu'elles
ne sont fondées que sur le témoigna-
ge de personnes fort suspectes (29).
Qui nous assurera qu'un tel a fait
en mourant une telle déclaration ,
et que ce ne sont pas ses parens ou
ses amis intéressés à sa gloire , qui
lui prêtent ces paroles, afin de per-
fournit une autre preuve. C'était un
seigneur extrêmement fier, etquis'é-
tait piqué toute sa vie d'imprimer
une marque de fierté sur tout ce qu'il
disait , et sur tout ce qu'il faisait.
Cet esprit ne le quitta point le jour
même de sa mort, quoiqu'une lon-
gue maladie et une extrême vieillesse
l'eussent prodigieusement abattu. Un suader au monde son innocence ? Il
ecclésiastique qui le préparait à bien n'y a rien de plus aisé que de débi-
mourir,lui ayant fait prononcer qu'il ter, un tel en mourant a déclaré telle
pardonnait à ses ennemis , et à tous chose, et ceux qui ont assisté h sa mort
ses domestiques qui lui avaient dé- le disent. Si c'est une affaire où le
plu , s'avisa de lui dire s'il ne de- public soit intéressé , une heure suf-
mandait point aussi pardon à ceux fît pour faire passer la nouvelle dans
de ses domestiques qu'il pouvait tous les quartiers d'une grande ville :
avoir offensés : la raison de cette de- chacun l'écrit à ses amis, personne
mande était que le duc, peu de jours n'en examine les fondemens; les ga-
auparavant, avait maltraité une per- zettes la publient tout aussitôt, et
sonne qui était à son service. Mais dès là vous pouvez être assuré que
la proposition ne laissa pas de l'irri- tant que le monde sera monde , les
ter: il répondit d'un ton animé, qu'il apologistes vous allégueront la dé-
sulfisait qu'il eût pardonné aux siens claration de ce mourant , avec autant
qui lui avaient déplu, et qu'il n'a- d'assurance, que si elle avait été avé-
rait pas ouï dire que , pour bien rée par les plus rigoureuses enquêtes
mourir , un maître jût tenu de faire
amende honorable h ses domestiques
(28). Celui qu'on accuse du massacre
de Vassi s'étant piqué toute sa vie de
sauver les apparences , et d'avoir
plus de probité et plus de candeur
que les autres courtisans , il avait
dit et protesté mille fois qu'il était
innocent de ce massacre , et il avait même temps. Le premier affirme, sur
dû le protester, parce qu'en l'a- la foi de Brantôme , que le duc après
vouant il se serait déclaréla première avoir protesté qu'il n'avait eu au-
cause des malheurs qui ont allligé la cune part à ce désordre, n'avait pas
France, et qu'il serait devenu l'objet
(29) Voyez >a remarque (N) de V article IJen-
des magistrats. Pour faire voir les
grands abus qui se glissent dans ces
sortes de dépositions , nous n'avons
qu'à considérer la manière dont
celle du duc de Guise est rapportée
par M. Maimbourg et par M. Va-
rillas , deux historiens célèbres qui
ont publié leurs ouvrags presque en
(27) Tacit. , Annal. , lib. VT, cap. L.
(28) Voyez la Vie du due d'Epernon , compo-
te par Girard.
ai 11, tom. VIII. On prétend qu'il ne parla
plus depuis sa blessure, et cependant les auteurs
lui ont fait dire mille choses.
GUISE.
375
laissé d'en demander pardon à Dieu
(3o) ; mais l'autre nous assure , qu'il
pria Dieu de lui pardonner toutes ses
fautes , excepté celle de P^assi (3i).
Accordez un peu ces deux choses, et
souvenez-vous que les catholiques
avaient un grand intérêt à persuader
que le duc de Guise avait protesté
cela dans le lit de la mort. Ils re-
poussaient par ce moyen un cruel
reproche dont les calvinistes les ac-
cablaient incessamment. Que ne fait-
on pas pour réfuter de tels repro-
ches , quand la haine de religion les
envenime ?
(G) Cette maxime n'était pas trop
bien placée dans sa bouche.] Voici la
réflexion d'un des auteurs protestans
qui ont écrit avec le plus de chaleur *
contre les dragonneries de France
(3a). « On conte qu'au siège de Rouen
» un gentilhomme huguenot lui (33 )
« ayant été amené, qui avait eu des-
» sein de le tuer, et qui lui avoua
» que ce n'était point par la haine
» qu'il eût contre sa personne, mais
» qu'il avait cru y être obligé pour
» servir sa religion , le duc, en le re-
» lâchant, lui dit : P^a-t'en; si ta
» religion te commande d' assassiner
» ceux qui ne t'ont jamais offensé,
5> la mienne m'oblige à te donner la
» vie que j'ai droit de te faire per-
» dre : juge par-la quelle est la meil-
» leure (34). Ce serait avoir parlé
» sagement et chrétiennement , si
» l'on n'avait pas été catholique et
» à la tête d'une armée persécutan-
» te : mais quand on songe que ce-
» lui qui parle ainsi est un persécu-
» teur de religion, on ne peut que
» se moquer de lui , comme d'un
» homme qui agit en comédien , et
» qui fait de la religion une raorae-
» rie ; qui pardonne par faste et par
» bravade à un simple particulier
» digne de mort, pendant qu'il exer-
(So) Maimbourg , Histoire du Calvinisme,
pag. 25q.
(3i) Varillas , Vie de Charles IX , loin. I ,
pag. 128.
* C'est de lui-même que B.iyle parle ainsi ; car
il est l'auteur du Commentaire philosophique,
cité à la note (ii). Il est assez singulier que ni
Leclerc, ni Joly n'en ait fait l'observation.
(3a) Commentaire philosophique sur Contrains ■
les d'entrer, à la préface , pag. LX1V et suif,
(33) C est-'a-dire , au duc de Guise.
(34) Voyez Maimbourg , Histoire du Calvinis-
me, tiv. IF, pag. m. 3x6.
» ce une cruauté sauvage et abomi-
» nable sur tout un corps de gens
» innocens. Ce duc de Guise n'élait-
» il pas de la même religion que
)> François Ier. et Henri II? N'avail-
» il pas approuvé et conseillé l'édit de
;, Châteauoriant et celui de Ronioran-
» lin, 1 1 11 ï soumettaient les protestans
» à la mort? N'avait-il pas travaillé
» de tout son pouvoir à l'établisse-
» ment de l'inquisition en Fiance ,
» ce qui eût été proprement établir
» une houcherie d'hommes , une
» chambre ardente toujours siégeant
» et environnée de bourreaux? N'a-
» vait-il pas été le principal promo-
,, teur du dessein que la mort preci-
>, pilé»; de François II rompit , qui
» était d'envoyer des troupes par
>, toutes les provinces , et de faire
» signer un formulaire à tous les
» Français, à peine, pour les refu-
» sans (et c'était la plus douce pu-
» nition), d'être chassés du royau-
« me, et d'être dépouillés de tous
» leurs biens; mais combien en au-
» rait-on fait mourir? N'était-ce pas
» encore ce même duc qui avait
» souffert que ses gens massacrassent
„ à Vassi plusieurs huguenots (fui
>, priaient Dieu dans une grange ? En
„ un mot , l'obstination qu'il témoi-
» gna pour que ces pauvres gens
» fussent toujours punissables du
» dernier supplice , ne fut-elle pas
» la cause des guerres civiles de
» religion, qu'on n'eût jamais vues
» en France si on les eût laissés prier
)) Dieu à leur manière ? Etnefaisait-
» il pas cela par zèle de religion?
» L'aurait-il fait s'il eût été païen ?
» N'aurait-il pas souffert les protes-
» tans aussi-bien que les papistes?
» Ce qu'il en faisait n'était-il pas
» approuvé par le pape et par le
m clergé ? Comment donc pouvait-il
)> dire que sa religion lui ordonnait
» de pardonner à ceux qui l'avaient
» offensé , puisqu'elle l'engageait à
» faire mourir et à tourmenter en
» mille manières une infinité de gens
» qui ne lui faisaient aucun mal , et
» qui ne demandaient qu'à servir
» Dieu selon les lumières de leur
» conscience? Voilà l'énorme turpi-
» tude, et qui tient d'une espèce de
» farce, des religions qui persécu-
» tent et qui contraignent d'entrer.
j> Un homroe d'une telle religion ne
376 GUISE.
3, fera pas difficulté de protester que,
» pour ce qui le concerne en sa
3) personne, il pardonne à un homme
5) de différente religion les offenses
„ qu'il en à reçues; mais il ne laisse
3, pas de l'envoyer au gibet ou aux
3) galères sous pre'texte qu'il n'a pas
3) la véritable foi , et fût-ce une per-
3) sonne de qui il aurait reçu du ser-
3) vice. En bonne foi, ce duc ne son-
3) geait guère à ce qu'il disait, puis-
3> qu'il osait comparer les deux reli-
3> gions , et donner l'avantage à la
3) sienne en ce qui regarde la chari-
3> té. Le gentilhomme qui avait con-r
b) spire contre lui , croyant que sa
s» mort serait, avantageuse à la reli-
3) gion protestante , ne suivait pas
3> la vraie doctrine de son parti ;
3) car il n'y a point de théologien
3) protestant qui ne dise, prêche et
3> soutienne qu'il n'est pas permis ,
3> afin de procurer l'avantange de sa
3) religion, d'assassiner ; mais le duc,
3» conformément à une doctrine ap-
3> prouvée , et mille fois commandée
3) dans sa religion , opinait dans le
» conseil du roi à faire des édits qui
» condamnassent à mort une infini-,
3) té de bonnes gens , et il n'avait
3> veine qui ne tendît à l'extirpation
3) de la secte par les voies les plus
j) violentes. Avec ces dispositions,
» u'est-ce pas se moquer du monde,
» que de se glorifier qu'on a une re-
» ligion qui ordonne de pardonner ?
w C'est à quoi je prie les convertis-
» seurs défaire attention. Ils se met-
v tentdansun état que toutes les plus
» belles maximes de la morale chré-
3» tienne deviennentdans leur bouche
3) des sornettes , et des ironies de far-
» ceur , ou un vain galimatias.»
(H) // serait h souhaiter que les
proteslans n'eussent point fait impri-
mer tant de libelles et de sail-
lies contre ce duc et son frère.]
Dans l'assemblée des notables , dont
j'ai parlé ci-dessus, le cardinal de
Lorraine dit fièrement, qu'il se fai-
sait honneur de la haine et des ein-
porlemens des huguenots ; qu'on
m'ait fait courir dans Paris, et de
Paris dans toutes les provinces , une
infinité de libelles remplis d'injures
tirs-atroces , et de furieuses menaces
contre lui et contre le duc de Guise,
son frère ; qu'il en avait, en son par-
ticulier, jusqu'à, vingt-deux qu'il con-
servait soigneusement ; et qu'il pre-
nait plaisir h les montrer comme au-
tant de marques très-cclatantes de
leur zèle pour la religion , et de leur
fidélité inviolable au service du roi ,
auquel il avait plu de les choisir pour
ses ministres (35). Je le dis encore un
coup , il serait à souhaiter qu'on n'eût
point, mis en lumière un si grand
nombre d'écrits satiriques ; ils nui-
sent, encore aujourd'hui par les ré-
flexions qu'ils fournissent aux mis-
sionnaires. Par exemple , le sieur
Maimbourg ne manqua pas de réflé-
chir d'une manière maligne et sati-
rique, sur ce que le cardinal avait dit
de ces libelles. « Et certes, il est tout
évident que ce fut le style ordi-
naire des huguenots de ce temps-
là , de déchirer impitoyablement. ,
par mille scandaleux libelles, et
par mille impudentes satires, tous
ceux qui ne leur étaient pas favo-
rables , sans respecter ni mérite ,
ni qualité , ni rois, ni princes, ni
prélats , ni tout ce qu'il y a de plus
inviolable et de plus sacré parmi
les hommes. Pour moi je puis as-
surer que j'ai vu un gros recueil en
dix volumes in-folio , tout remplis
de ces méchantes pièces que les
huguenots firent alors contre les
rois Henri II, et François II , con-
tre la reine Catherine , quand elle
n'était pas en humeur de les favo-
riser , contre le roi de Navarre ,
> depuis qu'il se fut joint aux catho-
> liques , et surtout contre le duc
de Guise et le cardinal de Lorraine,
archevêque de Pieims, où tout ce
que la médisance et la malignité
la plus noire a jamais inventé de
crimes supposés, d'injures atroces
et de calomnies (*) , est brutale-
ment répandu , sans jugement et
sans esprit. En sorte que pour peu
qu'on ait d'honneur et de bon
sens , on ne pourra jamais jeter
les yeux durant quelques momens
sur ces sots et insolens écrits ,
qu'on n'en ait le derniermépris, mê-
lé d'une juste indignation contre
leurs impudens auteurs (36).» Voilà
(35) Maimbourg , Histoire du Calvinisme, pag.
5i. Voyez ses citations : Dupleix, sous François
II, pag. 619. Spond. , ad ann. i56o, n. 16. Mc-
zerai , tom. 2, pag. «85, tiré de la Popelin. I. 6,
p. 104 ; et de Belcar. 1. 28, pag. i)^6.
(*) Mémoires de Castelnau.
(36) Maimbourg, Hisl. du Calv. , p. i5i , l5a.
GUISE. 377
les réflexions odieuses de M. Maim- prit un imprimeur qui avait imprimé
bourg. Ceux qui repondirent à son un petit Hure intitulé le Tigre , dont
Histoire du calvinisme , n'oublièrent l'auteur présumé, et'un marchand fu-
pas de les re'futer. Il ajoute (37) que rent pendus pour cette cause. Ce narré
le cardinal de Lorraine, « qui avait n'est point exact : il n'apprend point
» l'âme aussi grande que l'esprit, ne ce qui fut fait à l'imprimeur , et l'on
j) se voulut venger de ces faiseurs de y avance faussement que la personne
3) libelles que par un généreux mé- soupçonnée d'avoir fait ce livre fut
t> pris qu'il fit de leur impuissante pendue. Il fallait dire, comme a fait
3> fureur ; ce qui pourtant n'empè- le sieur de la Planche , que l'on pen-
3> cha pas que le magistrat, faisant dit l'imprimeur et un marchand : or
j) son devoir, n'en prît quelques- ni l'un ni l'autre n'était V auteur pré-
» uns que l'on fit passer par toute la sumé. Rapportons les propres paroles
j) rigueur des lois, qui ordonnent de cet historien ($o).La cour du par-
ti qu'ils soient traités comme des lement faisait de grandes perquisi-
s» empoisonneurs publics. En effet, il tions à V encontre de ceux qui impri-
3) se trouve qu'il y en eut deux de moyent ou erposorent en vente les
3> pendus (*) , qui furent l'auteur (38) escrits que l'on semoit contre ceux de
3) d'un de ces médians libelles, inti- Guise. En quoy quelques jours se
3) tulé le Tigre, et celui qui le débi- passèrent si accortement , qu'ils sceu-
3> tait sous main. » rent enfin qui avait imprimé un cer-
(I) Ces sortes d'écrits irri- tain livret fort aigre intitulé le Tygre.
taient de plus en plus un ennemi très- Un conseiller nommé du Lion en eut
puissant.] M. Maimbourg dit à tort la charge , qu'il accepta fort volon-
3ue la grandeur d'âme du cardinal tiers , pour la promesse d'un estât de
e Lorraine le porta à ne se venger président au parlement de Bour-
de ces faiseurs de libelles que par un deaux , duquel il pourroit tirer de-
généreux mépris; car peut-on voir niers , si bon luy sembloit. Ayant
une vengeance plus outrée et plus donc mis gens après , on trouvai 'im-
injuste que celle qu'il employait? primeur nommé Martin L'hommel
Il ne prenait pas la peine de re- qui en estoit saisi. Enquis qui le luy
chercher les auteurs particuliers de avait baillé, il respond que c'estoit
ces libelles, voilà tout ce que peut un homme inconnu, et finalement
prétendre le sieur Maimbourg ; mais en accuse plusieurs de l'avoir veu et
il exterminait, autant qu'il lui était leu, contre lesquels poursuites furent
possible, tout le corps des réformés ; faites: mais ils le guignèrent au pied.
il était le grand promoteur des lois Ainsi qu on menoit pendre cest impri-
pénales et des supplices contre eux ; meur , il se trouva un marchant de
il travaillait à les soumettre au cruel Rouen moyennement riche et de bon-
joug de l'inquisition. N'était-ce pas ne apparence, lequel voyant le pen-
se venger plus cruellement que s'il pie de Paris estre fort animé contre
eût borné son indignation à faire pu- ce patient, leur dit seulement, et
nir les auteurs de ces satires? Nous quoy , mes amis, ne sujfit-if pas qu'il
allons voir qu'il n'est pas vrai qu'il meure ? Laissez faire le bourreau.
modérât son ressentiment contre L^e voulez-vous davantage tourmen-
cette sorte d'écrivains. ter que sa sentence ne porte ? ( Or ne
Castelnau , cité par Maimbourg sa voit-il pourquoy on le faisoit mou-
(3c,) , fait cette remarque : Contre la r"*> et descendait encore de cheval a
maison de Guise a tous propos les "«« hostellerie prochaine. ) A cette
huguenots faisaient imprimer quel- parolle quelques prestre s s'attachent
ques libelles injurieux. Sur quoi l'on à lui, l'appelans huguenot et compa-
gnon de cest homme , et ne fut ceste
(3-) L'a même, pa°. i53. question plustost esmeue que le peu-
(•) Mémoires de Cast. , l. i , c. -,. Sur quoi P^e se jette sur sa malette et le bat
Von prit un imprimeur qui avait imprime un outrageusement . Sur ce bruit ceux
livre intitulé le Tigre, dont l'auteur présumé et nu'on nomme la justice approchent ,
te marchand furent vendus. ' *• . r i ■ i
/*a\ s* 1 . c t .et pour le rafreschtr le mènent prt-
(38; Cela est Jaux , voyez la remarque sui- 1 J *
f'iq) Il le cite I. i , c. 7. Il fallait citer l. 2.
(4o) La Planche , Histoire de France sous
François II, pn$. m. 385.
378 GUI
sonnieren la Conciergerie du Palais,
oh il ne fut pluslost arrivé que du
Lion l' interroge sommairement sur
le fait du Tygrs , et des propos par
luy tenus au peuple. Ce pauvre mar-
chant jure ne savoir que c'estoit, ne
l' avoir jamais veu , ny ouy parler de
Messieurs de Guise : dit qu'il est
marchant qui se mesle seulement de
ses affaires. Il proteste que l'homme
que l'on menait au supplice lui e'toit
entièrement inconnu ; qu'il avoit été
néanmoins meu de pitié, et qu'il
avoit exhorté le peuple a laisser
faire au bourreau son office. Il re-
quist qu'on informast de sa vie et
conversation , et qu'il se soumettoit
au jugement de tout le monde. Du
Lion sans autre forme et figure de
procès , fait son rapport a la cour et
aux juges déléguez par icelle , qui
le condamnent à estre pendu et es-
tranglé en la place Maubert , et au
lieu mesme oit avoit esté attaché cest
imprimeur. Quelques jours après du
Lion, se trouvant a souper en quel-
que grande compagnie , se mit à
plaisanter de ce pauvre marchant.
On luy remonstra l'iniquité du juge-
ment par ses propos mesmes. Que
voulez-vous ? dit-il , il fallait bien
contenter Monsieur le cardinal de
quelque chose , puis que nous n'a-
vons peu prendre V autheur : car au-
trement il ne nous eust jamais donné
relasche. Jugez par-là si MM. de Guise
e'taient insensibles à Pe'gard d'une
satire. Brantôme nous instruira tout
à l'heure de leur extrême sensibilité'.
« Il y eut force libelles diffamatoires
» contre ceux quigouvernoient alors
» (4i) le royaume; mais il n'y eut
» aucun qui piquât et offensât plus
» qu'une invective intitulée le Tigre ,
» (sur l'imitation de la première
» invective de Ciceron contre Catili-
» na,) d'autant qu'elle parloit des
» amours d'une très-grande et belle
» dame d'un grand, son proche : si le
» galant auteur eut esté appréhendé,
» quandil eùteu cent-mil vies , ii les
» eut toutes perdues : car et le grand
» et la grande en furent si estoma-
>• quez, qu'ils en cuiderentdesespérer
» ( l\i ).» J'ai dit ailleurs ( 43 ) que
(4>) C'est-à-dire , sons François II.
(4^Br»nlôm«, Dames galantes, t. II, p. m. 3?4-
(43) Dans lu remarque (N) de l'article Hot-
wan , tom. VIII.
SE.
François Hotman fut cru l'auteur de
cette satire.
(K) " et lui donnaient des pré-
textes de nourrir sa haine , et d'aug-
menter la persécution.} Quelque mé-
chans que vous fassiez MM. de Guise,
il sera toujours vrai qu'on leur im-
putait dans les libelles cent choses
qu'ils n'avaient point faites. C'est
une fatalité inévitable^ tous ceux
qui se mêlent d'écrire sans avoir eu
part aux affaires , ou sans avoir con-
sulté de bons papiers ; ce leur est ,
dis-jc , une fatalité inévitable que
d'avancer mille mensonges , s'il s'a-
git d'écrire contre gens dont on a
été maltraité. On veut se venger, et
l'on est bien aise de rendre infâmes
ceux qui persécutent : dans cette dis-
position , on croit tout ce que l'on
entend dire ; et quand même on ne
le croirait pas, on juge qu'on a droit
de le publier , puisqu'on l'a entendu
dire. Or quand ceuxqui sont diffamés
dans ces libelles considèrent qu'on
leur attribue des crimes dont ils se
sentent très-innocens, ils se repré-
sentent les auteurs et les approba-
teurs de ces libelles comme des gens
sans honneur et sans conscience ; ils
les croient dignes de toute leur haine ,
ils s'imaginent qu'on ne fait pas mal
d'exterminer de semblables calomnia-
teurs , ou fauteurs de la calomnie. Il
est donc certain que ceux qui pu-
blient de cette espèce de petits livres
diffamatoires dissipent leur mau-
vaise humeur, ou donnent carrière à
leur zèle, avec beaucoup d'impruden-
ce. Cela coûte trop à tout le parti.
(L) // y aurait de l'injustice h im-
puter h tout le corps V impatience de
quelques particuliers , et leur trop
grande démangeaison d'écrire. ] Ju-
geons du XVIe. siècle par le temps pré-
sent (44)- Nous savons que ceux qui
publient tous les jours une infinité de
libelles anonymes ne font aucune fi-
gure dans le monde. Ils sont dans une
telle obscurité , qu'ils échappent aux
plus fins chercheurs ; et quand on
peut déterrer le nom de quelqu'un
de ces écrivains, on trouve bien sou-
vent que ce n'est ni un boa chrétien,
ni un honnête homme. Je suis persua-
dé que la plupart de ceux qui firent
ce grand nombre de libelles , dont"
(44) On écrit ceci en «6<jï-
GUI
M. Maimbourg se vante d'avoir vu dix
gros volumes , étaient les parties les
moins nobles de l'église réformée de
France. C'étaient presque toutes per-
sonnes inconnues et sans aveu qui
se mêlaient de composer ces sortes
d'écrits ; et il n'étaitpas même néces-
saire que ces auteurs fussent en grand
nombre. Cinq ou six esprits naturel-
lement satiriques, et qui n'ont autre
chose à faire, et q>ii gagnent quelques
écus à cela , sont capables , en moins
de trente ans , d'inonder de leurs sa-
tires tout un grand royaume. Esl-il
l' liste d'imputer à tout un grand corps
a faute d'un petit nombre de telles
gens ? Pour se bien représenter leur
caractère , il ne suffit pas de dire
qu'ils sont crédules , il faut ajouter
qu'ils sont fourbes : ils publient des
choses qu'ils savent être trés-fausses ,
car ils inventent eux-mêmes. Voici
un passage de Mézerai touchant les
fraudes de cette nature (45). « Quel-
» ques-uns ont voulu croire que ces
» mémoires (46) étaient supposés ; et
» les plus équitables, que, s'ils étaient
» vrais , ils ne partaient que de la
» mélancolie noire de cet avocat , ou-
j> tré de quelque dommage qu'il avait
» reçu des huguenots. Il y a grande
» apparence que ce furent les mi-
)> gnons , ou les huguenots , ou la
» reine-mère , tous ennemis mortels
» des Guises , qui les fabriquèrent ,
» comme il est certain qu'ils suppo-
» sèrent beaucoup d'autres calomnies
» pour les rendre odieux. Et certes
» les Guises n'oublièrent pas de leur
» rendre bien la pareille ; c'est, pour-
» quoi il faut ajouter peu de foi aux
» écrits et aux relations de ce temps-
j> là , à moins que de les avoir bien
» examinés. »
(M) // ne croyait pas que la vertu
de son épouse se fût conservée sans
tache. J « Quant à la manière de sa
)> mort, l'évesquedePiiez'nomme'Car-
» les , en fit un discours fort imperti-
» nent , le faisant user de plusieurs
» mots de théologie et de manières de
» parler de la saincte Escriture , eu la
» quelle toutefois il n'avoit jamais
(45) Mézerai , Abrégé chronol. , loin. V, pag.
aoo , à Vann. 1577.
(46) C'est-à-dire , ceux de l'avocat DaviJ ,
louchant l'exclusion des descendans de Hugues
Capet , et la restitution de la couronne aux Gui-
ses descendu} de Charlcmagne .
SE. 379
» mis le nez : mais entre autres choses
» le cuidant louer , il fait un grand
» tort à madame la duchesse sa vefve,
» à laquelle il lui fait confesser qu'il
» n'a pas tousjours esté loyal mari : ce
m qu'il la prioit luy pardonner, com-
» me aussi il lui pardonne le sembla-
» ble (47)- » Voilà ce qu'on trouve
dans un ouvrage de Théodore de Bèze.
Il n'est pas trop vraisemblable qu'un
évêqueait ratigé ainsi les derniers dis-
cours de son héros , au grand déshon-
neur de la veuve et des enfans. C'est
pourquoi je me tins dans quelque es-
pèce de défiance , <l je tâchai de con-
sulter le livre même de Lancelot Car-
ies ; et n'ayant pu le trouver , je priai
M. de Larroque de m'éclaircir là-des-
sus. 11 a eu la bonté de me répondre
ce que l'on va lire : « Il y a trois édi-
» tions (48) de la lettre de Caries, cvê-
» que de Riez, à Charles IX, touchant
» les dernières heures du duc de
» Guise. Cela se prouve par l'avis au
» lecteur, imprimé à la tête de la Ie .
>< édition française, où l'on avertit
» que ce qui a été imprimé avant
)> celle-ci , n'estoit qu'un double mal
» correct que l'on avoit pris du pre-
» mierject, que le présent auteur qui
» a assisté auxdits propos , en avait
j) lors sommairement tracé pour luy
» servir de mémoire. Je n'ai pu déter-
w rer cette ire. édition : ainsi je ne
» saurais dire si ce que vous avez lu
» ailleurs y était contenu. La seconde
» n'a rien de tel ; car voilà ce que ce
» duc y dit , adressant la parole à sa
» femme : JYous avons longuement
>i esté conjoints ensemble parle sainct
« lien de foy et d! amitié , avec une
» entière communion de toutes choses .
» f^ous savez que je vous ay tousjours
» qymée et estimée autant que femme
» peut estre , sans que nostre muttiel-
» le amitié ait receu aucune diminu-
» tion en tout le tems de nostre ma-
» riage , comme je me suis tousjours
» mis en mon debvoir de le vous faire
» connoistre et vous h moy , «01/5 don-
» nanstous les contentemens que nous
» avons peu. Je ne veux pas nier que
j> les conseils et fragi/itez de la jeu-
» nesse ne m'ayent quelquefois con-
» duict aux choses dont vous avez peu
(47) Bèze , Histoire ecclésiastique des Eglises
réformées , li\>. V/, Pag- 270.
(48) Deux françaises et une latine ; toute;
trois furent faites l'an i563.
38o
» estre offensée , je vous prie m'en
» vouloir excuser et me les pardonner.
» Si veux je bien dire que je ne suis
» pas en cet endroicl des plus grands
» pescfieurs , ni aussi des moindres ,
» combien qu'envers Dieu je suis dés
3> plus coupables. Mais depuis quel-
ut ques années vous scavez bien avec
» quel respect j' ay conversé avecques
» vous , vous ostant toutes occasions
» de recevoir le moindre mescontente-
» ment du monde. Pag. 84 , 85 , 86 ,
» 87. Voici comme Jean le Vieux ,
« traducteur latin , a rendu cela :
» JVos enim arctissimo matrimonii
» vinculo conjugati et consociati su-
it mus , ut individuam non bonorunl
" duntaxat , sed etiam consiliorum et
» voluntatum , sine ulld exceptione ,
» communitateni , societatemque ser-
» varemus. Et certè ut nihil mihi op-
» tabilius , aut antiquius adhucfuit ,
» quatn ut nodum Muni amabilissi-
» muni sanctè constrictum tenerem :
a sic me vicissim invio/.abili observan-
te lia et officio coluisli. Pag. 3o.
M. de Larroque n'ayant pu trouver
un exemplaire de la première édition,
je ne saurais rien prononcer ni pour
ni contre Théodore de Bèze. Je puis
seulement conjecturer qu'il est pro-
bable qu'il n'a point calomnié l'é-
vêque de Riez : car l'avis qu'on voit
au-devant de la seconde e'dition fait
assez entendre que la première était
dans un granddésordre , et qu'il fallut
en retrancher divers endroits , ou les
arranger autrement . Or , puisque le
traducteur latin se crut obligé de re-
GUISE.
Eossédait un certain mélange de
onnes et de mauvaises qualités
( Â ) qui le rendait propre à
bouleverser un état. 11 était assez,
habile d'un côté pour en inven-
ter les moyens , et assez méchant
de l'autre pour les mettre en
exécution. Il se laissa tellement
entraîner par son humeur am-
bitieuse , qu'après avoir causé
mille malheurs à tout le royau-
me , il tomba lui-même dans le
précipice. Il porta les choses à de
si grandes extrémités , qu'on ne
trouva point d'autre moyen d'ar-
rêter ses attentats , que de le
faire mourir. La manière dont
Henri III se défit de lui et du
cardinalde Guise, dans le château
de Blois, pendant la tenue des
états (a) , est si connue de tout
le monde , que je n'en ferai au-
cune mention. Je dirai seule-
ment que plusieurs historiens
ont débité une fable, quand ils
ont dit qu'un peu après l'exécu-
tion du duc de Guise , le légat
(b) du pape parla au roi avec si
peu d'émotion , ou plutôt d'une
manière si enjouée (B) , qu'on
crut qu'il y avait eu du concert
trancher de la seconde ce qui y était entre ce prince et la cour de Ro-
resté touchant les galanteries du duc
de Guise , il est apparent que Lance-
lot Caries avait retranché de la pre-
mière ce qu'il y avait, fourré touchant
les galanteries de la duchesse. Appre-
nons par cet exemple combien il im-
porte de conserver les premières édi-
tions , et de se défier de ceux qui tra-
duisent. Voilà Jean le Vieux , ou Jean
e Vieil (4g), qui supprime hardiment
tout ce que l'original contenait par
rapportauxadultères du duc de Guise.
(49) La Croix du Maine , pag. 172 yfa.il men-
tion d'un Jean le Vieil qui pourrait bien être
celui-ci.
GUISE (Henri dé Lorraine,
duc de) , fils aîné du précédent,
me On peut dire que la violente
résolution , à quoi la cour de
France se porta en cette rencon-
tre, fut un de ces coups d'état qui
ne peuvent être excusés que par
la raison qu'ils sont absolument
nécessaires au bien public ; car
si l'on eût laissé vivre le duc de
Guise , les états du royaume au-
raient fait sans doute en sa fa-
veur ce qu'ils avaient fait en
d'autres temps pour Pépin et
pour Hugues Capet (C) : mais
(a) J11 mois de décembre i588.
(b) Il s'appelait Worusini.
GUISE. 38 1
la translation de la couronne au- (d). M. Varillas a rapporté quel-
rait eu des suites bien plus fu- que chose de fort singulier sur ce
nestes à tout le royaume (D) mariage (L). L'infidélité conjuga-
dans le XVIe. siècle , qu'elle n'en le y fut réciproque(M) : et si l'on
eut au temps de Pépin et de Ca- en croit cet historien, ce ne fut
pet. Le parti du duc de Guise point le mari qui se vengea du ga-
était si puissant, que l'exécution lantdeson épouse; il se contenta
de Blois , qui lui fit perdre son
chef, ne l'empêcha pas de se
soutenir de telle sorte qu'il fit
périr le roi même , et qu'il con-
traignit Henri IV à renoncer à
sa religion. La France ne saurait
se souvenir de ce temps-là sans
rougir de honte , vu que jamais
il n'y eut de démocratie où l'on
traitât aussi cavalièrement l'au-
torité et la majesté royale, que
l'on fit alors dans ce royaume.
Les prédicateurs se déchaînèrent
contre le roi avec fureur (E) , et
firent du duc de Guise un mar-
de la jeter dans une extrême
frayeur (N). Il laissa plusieurs
enfans(e).
On le surnomma le Balafré
(0) , à cause d'une blessure qu'il
reçut à la joue dans un combat ,
en i5^5. Le duc de Mayenne ,
son frère , se déclara chef de la
ligue , et sous cette qualité il
exerça un pouvoir qui différait
peu du royal. Il ne tint qu'à lui
de prendre le nom de roi (P) ;
mais il eut sans doute ses raisons
pour se contente» du titre de
lieutenant général de l'état et
tyr à canoniser (F). Les peuples couronne de France, accompa-
imitèrent la rage des prédicateurs gné réellement d'une autorité
(G) : et ce qu'il y eut de plus presque despotique. Lui et la
étrange , et dont les protestans ligue supposèrent que le trône
ne manquèrent pas de se préva- était vacant , et ainsi ils renver-
Joir,futque la Sorbonne , ap- sèrent les lois les plus solennelles
plaudissant à la sédition , fit des et les plus fondamentales du
décrets entièrement républicains royaume. Je rapporterai un acte
(H). Le parlement de Paris reçut que l'on a ôté des registres du
les plaintes de la veuve du duc parlement de Paris (Q) , et par
de Guise , qui demandait justice lequel nous verrons qu'en ce qui
de la mort de son mari contre concerne la création des prési-
Henri Iïl (I). Je rapporterai un dens de ce parlement, il exerça
éloge que l'on trouve dans les toutes les fonctions de roi. Il
Entretiens de Balzac (K). Ce duc convoqua les états du royau-
était né le 3i de décembre i55o me (f) , et les fit tenir à Paris,
(c). Il se maria en lôyo, avec Ca- l'an i5g3. Il y créa un amiral ,
therine de Clèves , seconde fille
de François de Clèves , duc de
ISevers , laquelle mourut à Pa-
ris , le 1 1 de mai i633 , à l'âge
de quatre - vingt - cinq ans
(c] Maimhourg, Histoire de la Ligue, pag.
284 . dit qu'il fut tue à l'âge de quarante-
deux ans : il se trompe de quatre ans.
et quatre maréchaux de Fran-
(d) Hilarion de Coste , Élog. des Dames il-
lustres, tom. I, pag. 301.
(e) Il en eut quatorze, non pas en quatorze
ans, comme l'assure Varillas, Histoire de
Henri III, lii>. XII, pag. 3^3 ; car son ma-
riage dura dix-huit ans , et il laissa Sajèm
me enceinte,
(f) Waimbourg. Histoire île la Liîue,
pag. /|56.
38s GUISE.
ce (g). H y déclara que l'on n était » était d'une haute stature, admira-
assemblé que pour procéder à » élément proportionnée toi. te sem-
,, , . i, ' . • r-* .7 " niable a celle crue 1 on attribue aux
I élection a un roi quijut catho-
lique (h). Mais quand il vit que
l'élection ne pouvait tomber sur
lui; car il était marié , et l'on
voulait choisir un prince qui pût
épouser l'infante d'Espagne , il
détourna adroitement cette en-
treprise , et avec d'autant plus
d'application , qu'il sut que le
duc de Guise , son neveu , était
celui que l'on voulait créer roi.
II eut un chagrin extrême de
cette nomination ( i ). La du-
chesse , sa femme , ne la pouvait
souffrir, et conseilla à son époux
de faire plutôt la paix avec le
roi, que cYétre si lâche de re-
connaître pour son maître et pour
son roi ce petit garçon : c'est
ainsi quelle appelait par mé-
pris son neveu. Ceux qui font
quelque attention à ces atten-
tats des Guises , ne peuvent
comprendre à quoi songeait le
philosophe cartésien Jacques Ro-
hault (R), quand il écrivit l'é-
pître dédicatoire de sa Physi-
que.
46o.
(g) Maimb., Hist. de la Ligue, pag
(h) Là même , png. 4^2.
(i) Là même , pag- 479-
( A) Il possédait un certain mélange
de bonnes et de mauvaises qualités. ]
Servons-nous des couleurs qu'un au-
teur moderne a employées pour le
peindre. « Rien ne fui manquait de
» tout ce qui pouvait, concourir , soit
» de bien , soit de mal , pour faire
» réussir ce qu'il avait fortement ré-
)> soin.... C'était un prince qui...
» avait toutes les belles qualités et
u toutes les perfections du corps etde
)> l'esprit les plus capables de char-
>, nier les cœurs, et d'acquérir sans
» peine a celui qui les possède un em-
» pire absolu sur l'esprit des peuples
» qui en furent comme enchantés ,
héros , ayant tous les traits du vi-
sage parfaitement beaux , les yeux
perçans , et pleins d'un certain feu
également doux , actif et péné-
trant ; le front large , uni et tou-
jours serein , accompagné d'un
. agréable sourire à la bouche , qui
, charmait encore plus que les paro-
les obligeantes qu'il disait à tous
ceux qui s'empressaient de l'appro-
cher , le teint vif , fort blanc et
vermeil — Sa démarche était grave
et hautaine , sans qu'il y parût ni
orgueil ni affectation; et dans toutes
ses manières il avait un certain air
inexprimable de grandeur héroï-
, que , où il entrait de la douceur ,
1( de l'audace et de la fierté , sans
, avoir rien de rebutant : ce qui in-
, spirait tout ensemble de l'amour ,
, de la crainte et du respect à tous
, ceux auxquels il parlait. Cet admi-
, rable extérieur était animé d'un
, intérieur encore plus merveilleux
, par les belles qualités qu'il possé-
, dait d'une âme véritablement gran-
i de , étant libéral , magnifique en
, tout, n'épargnantrien pour se faire
, des créatures et pour gagner des
, personnes de toutes sortes de con-
, ditions , surtout la noblesse et les
, gens de guerre ; civil , obligeant ,
, populaire , toujours prêt à faire du
, bien à tous ceux qui s'adressaient à
> lui ; généreux , magnanime , inca-
> pable de nuire , même à ses plus
> grands ennemis , autremen t que par
> les voies d'houneur ; extrêmement
> persuasif , dissimulé sous l'appa-
> rence d'une grande franchise ; sage
) et prudent dans les conseils , hardi,
> prompt et vaillant dans l'exécution;
) souffrant gaiement toutes les in-
> commodités de la guerre comme le
> moindre des soldats ; s'exposant à
> tout , et méprisant tous les plus
i grands périls pour venir à bout de
> ce qu'il avait une fois entrepris....
> Mais comme il n'y a point de mine
) d'or où ce précieux métal se trouve
> tout pur et sans mélange de beau-
» coup de terre , aussi ces grandes
vertus naturelles du duc de Guise
riaient corrompues par le mélange
de beaucoup de défauts et de vices,
et en devinrent idolâtres. Car il » dont le principal était ce désir in-
GUISE.
383
» satiablc de grandeur et de gloire ,
» et cette vaste ambition à laquelle il
» fit tout servir ; e'tant au reste témé-
» raire , présomptueux , ne suivant
» que son propre sens , et méprisant
» celui des autres , sans toutefois qu'il
)> y parût ; couvert , fin , peu sincère,
» et peu ve'ritable ami , ne songeant
» qu à lui-même , quoiqu'il fût le
» plus caressant et le plus officieux
» de tous les hommes : tout le bien
» qu'il faisait aux autres n'étant que
» pour aller par-là plus facilement à
» ses fins , et couvrant toujours ses
» vastes desseins du prétexte spécieux
» du bien public , et de la conserva-
» tion de la véritable religion ; se
» fiant trop à son bonheur , se per-
» dant et s'aveuglant lui-même dans
» la prospe'rite' qui lui faisait goûter
» avec tant de plaisir le bien présent ,
j> qu'il ne songeait pas à prendre ses
» précautions pour l'avenir ; enfin
» donnant trop à l'amour des dames ,
» desquelles néanmoins, sans qu'elles
» le détournassent du soin qu'il pre-
n nait de sa principale affaire , il se
» servait adroitement pour avancer
» par leurs intrigues son grand des-
» sein sans qu'elles s'en aperçussent
» (1). » L'esprit dangereux des Gui-
ses , que François Ier. pénétra si bien,
qu'il conseilla à son fils d'y prendre
garde (a), empirait à chaque généra-
tion. On en peut dire par excellence
ce qu'un ancien poète disait de tout
le peuple romain (3).
(B) On dit que le légat du pape
parla au roi d'une manière en-
jouée.]1\ y a peu de faits plus favora
blés que celui-ci au pvrrhonisme his-
torique *. Je le rapporte , selon ma
(0 Maimbonrg, Histoire de la Ligue , liv. I,
pag. m. 18 et suiv.
(2) Hoc adverterat rex Franciscus I , et levia
licet quee lune ab iis cœpla , cavenda nihilomi-
lùis tiberis suis rdixerat , ut parva ex queis
magnarum rerum moins orirentur : nunquàm
salis Jidam potentiam, ubi nimia est: rebut suis
prospicerent , nec majores domus eos crearent,
quilius mos erat vim princijns complecli , nomen
remittere Ulinam Henricus II palrit consilium
haud aspernando libeiis suit consuluissel , nec
Guiswnos rebut gerendis prœfecissel ! Vindic.
secunduni I.ibert. Kccles. gallic. , pag 6 et n.
(3) Mlas parentum pejor avis lulit
JVos nequiores mox daluros
Progeniem vitiosiorem
Horat., ùd. \T, lit. III.
* Bayle , dans le texte , a traité de fable le fait
dont il s'agit. C'est déjà avoir adopté en partie
l'opiuion de Maimbourg, dont il va rapporter un
coutume , dans les propres termes de
l'auteur qui le fournil.
X L'bistorien Davila dit qu'après
» cela (4) le roi, étant descendu dans
» la cour , se promena long-temps
» avec le légat, auquel il exposa tou-
» tes ses raisons , que cet écrivain
» prend la peine de déduire fort au
» long , comme s'il eût été présent à
» cette longue conférence, et qu'il
)j eût ouï, sans perdre un seul mot ,
» tout ce que le roi dit à ce cardinal ,
» dont il nous fait aussi savoir les ré-
» flexions politiques, et la réponse
» qu'il lit à tout ce grand discours du
» roi. Car il dit que , pour ne pas re-
» froidir l'affection de ce prince en-
» vers le saint siège , il l'assura que le
» pape Il ajoute , que le roi lui
» promit, avec serment qu'il ne
» permettrait point qu'il y eût dans
» son royaume d'autre religion que
» la catholique romaine • qu'après ce
» serment , le légat ne jugea pas qu'il
» fût à propos de passer plus avant
» dans cette conférence; et, sans lui
» parler , pour le présent , en faveur
» des prélats prisonniers , il se mit
» à traiter avec lui aussi confidem-
» ment qu'auparavant. Il y en a
» même qui disent (*) que de la ma-
)> nière libre et dégagée dont on le
» voyait agir avec le roi , en lui par-
» lant quelquefois à l'oreille , et riant
» avec lui , on crut que ce prince
» avait agi de concert avec Rome ; et
» ils ajoutent, avec Davila , que cela
» donna lieu au roi de passer outre, et
» de faire encore tuer le cardinal de
)> Guise, voyant qu'on se mettait peu
» en peine de l'emprisonnement des
» cardinaux. Voilà ce que ces auteurs
» ont écrit fort sérieusement , comme
» une vérité dont on ne peut nulîe-
» ment douter ; cette conférence , à
passage. Mais à l'occasion du pyrrbonisme bis-
torique que cette fable peut favoriser, l'auteur
des Observations critiques , insérées dans la Bi-
bliothèque française , tom. XXIX. pag. içjg,
croit fausse la remarque de Bayle. Un anonyme
prit sa défense dans le volume XXXIII, pag.
34°-34S , et une réplique à ente réponse est dans
le tome XXXVIII , pag. aofi. Or cette discus-
sion elle-même vient, ce me semble, à l'appui
de ce que dit Bayle.
(4) C'est-à-dire, après qu'il eut r'ié porter lui-
même à Catherine de Me'dicis la nouvelle île ta
mort du duc de Guise , et après avoir envoyé le
cardinal de Gondi au légal , pour l'informer de
ce qui s'était Jait , ei des raisons qui l'y avaient
engage', et avoir oui la messe.
(* j D'Aubigné.
84
GUISE.
ce qu'ils disent , s'elaut faite , à la
vue de tout le monde , dans la cour
du château de Blois. Cependant il
n'y a rien de plus faux , et tout ce
que nous dit là-dessus Davila est
une de ces fictions que les seuls
poètes ont droit de faire. La preuve
en est toute évidente et sans répli-
que. Nous avons les Mémoires im-
primés de la vie du cardinal Moro-
sini , écrite très - élégamment et
très-fortement en italien, par mon-
signor Stéphano Cosmi , archevêque
de Spalato , qui me fit l'honneur
de me les envoyer de Venise , il y
a plus de trois ans ; et l'on voit,
par les lettres (*') de ce cardinal
légat au cardinal Montalte , neveu
du pape Sixte V, auquel il rend un
compte exact de tout ce qui se fit
le 23 décembre et les jours suivans,
que quelque instance qu'il eût faite
à la prière de madame de Nemours,
pour obtenir audience du roi , le
matin de ce jour - là on lui refusa
même l'entrée du château , quelque
effort qu'il pût faire à la porte pour
y entrer ; et qu'il ne put jamais
avoir cette audience que le vingt-
sixième , trois jours après la mort
du cardinal. Que deviendront, après
cela, tous ces beaux discours, et
toutes ces particularités de la pré-
tendue conférence du vingt-troi-
sième , et cette manière si douce et
si tranquille , ou plutôt si enjouée
du cardinal , parlant au roi à l'o-
reille , et riant de tout son cœur ;
ce qui donna lieu aux gens de
croire que , selon les ordres de Ro-
me , il était d'intelligence avec le
roi , qui , le voyant agir de la sorte ,
résolut de passer outre et de se
défaire encore du cardinal de Guise?
Cela s'appelle faire une histoire de
son invention, c'est-à-dire, une
fable , comme l'ont fait en cet en-
droit deux écrivains protestans (*'),
d'Aubigné et l'auteur du Discours
de ce qui s'est passe h Blois jusqu'à
) la mort du duc de Guise ; et nos
) historiens catholiques qui les ont
» suivis , s'étant laissé tromper par
ces huguenots, ont aussi trompé
(*') Memor. délia vit. del Card. Moros. , lib.
111 , cap. XVI, XVII, XVIII.
(**) D'Aubigné, loin. II,liv. 11, chap. XV.
Mémoires de la Ligue , torn. III, pag il;i
» leur lecteur (5). » Si l'on s'est
trompé si grossièrement sur des faits
de cette nature , quel fond y a-t-i) à
faire sur mille choses plus malaisées
à découvrir , dont les historiens nous
parlent avec tant de confiance ? No-
tez que l'on continue à débiter le
mensonge que M. Maimbourg a ré-
futé : je viens de le lire dans une
histoire romanesque du duc de Gui-
se (6).
(C) Les états auraient fait
en sa faveur ce qui fut fait pour
Hugues Capet.} Le dessein de la li-
gue était sans doute de dégrader
Henri III et de l'enfermer dans un
monastère (7) , et de mettre sur le
trône le duc de Guise. La duchesse
de Montpensier , sœur de ce duc, ne
s'en cachait pas. Elle (8) dit un jour
a plusieurs personnes, en montrant
ses ciseaux d'or(*'), qu ils serviraient
bientôt a tondre le roi, afin qu'étant
relégué dans le fond d'un cloître il
laissât le trône , dont il était indigne,
en état de pouvoir être occupé par
un homme plus capable de régner,
et d' exterminer les huguenots. Cet
homme, c' était son frère . M. Maim-
bourg ne disconvient pas que ce duc
n'ait aspiré a la couronne , du moins
pour après la mort des Valois. Il en-
tra, dit-il C1), dans la ligue, pour se
faire chef d'un parti qui , après la
mort des Valois , le pourrait encore
élever plus haut. Entre autres prépa-
ratifs, on avait publié une généalogie
qui faisait descendre de Charlemagne
la maison de Lorraine (9). Le but
était d'insinuer qu'on ne ferait que
restituer la couronne aux descendans
de celui que Hugues, Capet en avait
(5) Maimbourg , Histoire de la Ligue , pag.
271) et suiv.
(G) Imprimée l'an 161/1.
(7) On l'en menaça par ce distique affiché
publiquement :
Qui dédit anlè duas, unam abstulit , altéra nu-
tat;
Tertia tonsoris mine facienda manu.
C'était pour répondre à l'inscription de l'hor~
loge du Palais :
Qui dédit anlè duas , triplicem dabit ille coro-
nam.
(8) Critique générale du Calvinisme de Maim-
bourg , lettre III , pag. 4°- Voyez aussi pag.
44, vît l'on cite Mézerai.
(*■) M. de Tliou, lib. XCV.
(*a) Histoire du Calvinisme , pag. 4fli-
(c») Voyez Varillas, Histoire de Heuri III, tiv.
VII, pag. 21 G.
GUISE.
385
frustré. Les décrets de la providence
se font jour partout , fata viam in-
venient; mais , humainement parlant,
on peut dire que Henri 111 leur abré-
gea et leur aplanit le chemin en
faisant tuer le duc de Guise ; car si
d'un côté la situation du roi de Na-
varre le mettait en état de s'opposer
fortement à l'usurpation , il est cer-
tain de l'autre , que jamais on ne vit
un concours plus favorable de dispo-
sitions que celui qui frayait au duc
de Guise le chemin du trône. Un au-
teur moderne a raison de dire , qu'il
n'y avait que la force du destin qui
pût arrêter ce duc. La suite des évé-
nemens a fait voir, dit-il (10) , que
cette providence , qui dispose souve-
rainement des empires , voulait ôter
celui de la France aux f^alois pour
le transpoiler aux Bourbons ; et il
fallait que tout ce qui s'y pouvait
opposer succombât enfin par son
malheur inévitable sous la force in-
vincible de ce décret (il), auquel il
ni avait ni conspiration , ni ligue , ni
fortune , ni aucune puissance sur
la terre qui pût résister*. La bonne
fortune du roi de Navarre voulut
que celui qui était si résolu n'eût
pas au besoin assez de résolution ,
et que celui qui était si faible ,
devînt hardi au besoin. Ces deux
choses lui sauvèrent la couronne.
Henri III revenant de sa léthargie fit
un grand coup ; mais le duc de Guise
n'avait pas été assez hardi pour s'a-
bandonner au torrent de sa fortune.
La ligue l'eût en effet couronné , s'il
eût osé consommer le crime dont il
fut justement puni, comme le sont
d'ordinaire les grands criminels qui
manquent de résolution. C'est ce qu'on
a dit dans l'histoire romanesque de
ce duc. Il est sûr, et l'expérience le
(10) Maimbourg , Histoire de la Ligue , p. 284.
(11) appliquez ici 'ce qu'Horace , od. XXXV,
lib. I , dit si bien de la Fortune :
Te semper anteit sœva nécessitas
Clavos trabales et cuneus manu
Gestans anenâ : uec severus
TJncus abest, liquidumque plumbum.
* L'apologiste de Bayle, dans le tome XXXIII
de la Bibliothèque française , pag. i'io , trouve
qu'il y a contradiction entre celle dernière phrase
de Maimbourg et ce qu'il avait dit un peu plus
liaut, mais que Bayle n'a pas cité : « C'est une
n ebose étrange que les bommes les plus éclairés,
•• qui pourraient éviter, s'ils voulaient prendre
<• les moyens qu'ils en ont , ce qu'on appelle
« leur destinée , quand le malheur est arrivé
•> s'y laissent entraîner comme par force , etc. »
TOME VII.
confirme , que le vrai moyen de réus-
sir dans de semblables desseins est de
ne se pas arrêter sous prétexte que
le crime serait trop grand (12).
(D) La translation aurait eu des
suites bien /dus funestes a tout le
royaume.] Car comme le prince qui
devait être le successeur légitime de
Henri III était d'un mérite extraordi-
naire, brave tout ce qui se pouvait,
et soutenu non-seulement de ceux
de la religion, mais aussi d'un nom-
bre considérable de catholiques : il
aurait fallu que l'usurpateur eût don-
né cent combats afin de se maintenir ,
et les deux partis se seraient presque
battus jusqu'au dernier homme. Ju-
gez ce que la France serait devenue
pendant ce furieux contraste : elle
eût été le théâtre des plus horribles
tragédies ; et, pour comble de scan-
dale , la religion aurait été non-seu-
lement le prétexte , mais aussi la
plus puissante machine de ces san-
glantes opérations ; et l'on aurait pu
dire plus que jamais ,
Tanlum religio potuil suadere malorum (i3W
Lorsque Pépin et Hugues Capet usur-
pèrent la couronne , les circonstances
étaient autrement disposées. Le parti
légitime était si faible , que personne
n'osa branler en sa faveur ; ainsi la
révolution ne fut point funeste aux
particuliers. D'où l'on peut conclure
qu'il y a des temps aussi-bien que
des pays , où les entreprises de cette
nature sont moins criminelles , parce
que les entrepreneurs peuvent être
moralement assurés qu'il n'y aura
guère de sang répandu , puisque le
possesseur légitime sera bientôt aban-
donné de tous ses amis , ou qu'il lui
en restera si peu , qu'il ne sera pas
capable de résister, chacun se ran-
geant sous les enseignes de celui qui
paraîtra le plus fort. Je l'ai dit plus
d'une fois (ii) , tout a ses usages
dans un état : l'ingratitude des grands
seigneurs , leur peu de fidélité , leur
mollesse , cent autres défauts sont
quelquefois plus utiles au public ,
que les vertus opposées.
(E) Les prédicateurs se déchaînèrent
(12) Voyez, loin. VI, pag. 89, la remarque (A)
de Valide Edouard IV, à /'alinéa.
(la) Lucretius, lib. I, vs. 102.
(t4) Voyez, loin. V. pag. 5fa, le texte de
t article Dolabelli (Publius), entre les citations
W <* W-
?5
386
GUISE.
contre le roi avec fureur.] « Ils (i5) de la foi. Joignez à cela que les (18)
» changèrent leurs sermons en in- ciwés et les confesseurs de la /action
» vectives contre la personne sacre'e des Seize , abusant sacrilégement du.
du roi, et décrivirent si pathéti- pouvoir que leur sacré ministère leur
quement la mort tragique des deux donne de lier et de délier, refusaient
frères, lesquels ils élevaient jus- l' absolution à ceux qui leur avouaient
qu'au ciel comme des martyrs , en confession qu'ils ne pouvaient
qu'ils faisaient fondre en larmes ,
et éclater en soupirs tout leur au-
ditoire, auquel (**) , au lieu de lui
proposer l'exemple de saint Etienne,
ils inspiraient un ardent désir de
vengeance. De sorte que ceux même
qui n'avaient pas envie de pleurer
ni de soupirer, et qui étaient scan-
dalises de ces manières tout-à-fait
indignes d'un aussi saint ministère
que celui de la parole de Dieu ,
étaient contraints de contrefaire
les pleureurs , de peur d'être as-
somme's Le cure' de Saint-Ni-
se résoudre h ne plus reconnaître
Henri III pour leur roi.
(F) et firent du duc de Cuise
un martyr.'] La duchesse de Nemours
était révérée dans Paris « (19) comme
» la mère de deux saints martyrs , et
» le Petit Feuillant prêchant un jour
» en sa présence , s'emporta jusqu'à
» faire , en se tournant vers elle ,
» une apostrophe au feu duc de
» Guise , en ces termes : O saint et
» glorieux martyr de Dieu , béni
» est le ventre qui t'a porté , et les
» mamelles qui t'ont allaité (*') ! »
colas-des-Champs , François Pige- M. de Thou rapporte que cette du
nat faisant l'oraison funèbre du
duc de Guise en (*2) vint jus-
qu'à cet excès de fureur, que de
demander à ses auditeurs s'il ne se
trouverait pas quelqu'un qui en-
treprît de venger le meurtre du
duc en donnant la mort au tyran.
Et pour émouvoir le peuple , il fit
parler en sa place la duchesse ,
veuve du défunt , qui était prête
d'accoucher, et lui lit dire ces ter-
» ribles paroles , imitées de Virgile :
» Exonère aliquis nottris ex ossibus ullor ,
» Qui face Valesios Jerroque sequare Ty-
rànnos. »
(16) Le furieux Guincestre montrant
en plein sermon certains petits chan-
deliers d'argent (17) , travaillés déli-
catement , il y avait plus de cent ans,
en forme de satyres , portant des
chesse (20) ayant fait prier Henri III
de lui rendre le corps de ses fils , on
représenta au roi qu'il s'en fallait
bien garder, parce que, dans la pré-
occupation où étaient les peuples ,
on ne manquerait pas de le leur faire
adorer comme des reliques des saints,
ce qui rendrait (*2) la personne du
roi plus odieuse ; de sorte que l'on fit
consumer ces cadavres dans de la
chaux , par une précaution presque
semblable h celle qui fut cause que
Dieu ne voulut pas permettre que les
Juifs sussent où était le corps de
Moïse. U événement fit voir que ceux
qui donnèrent cet avis au roi avaient
raison; car entre les autres extrava-
gances qui se firent dans Paris après
la mort de ces deux frères , M. de
Thou remarque que l'on portait tous
les jours au pied des autels leur ef-
flambeaux , accusait le roi d être sor- n„ie „ran(Je comme nature , et toute
cier, disant que c'étaient la les idoles
et les fgures des démons auxquels
Henri de P^alois avait coutume de
sacrifier dans ses retraites de P'in-
cennes , et qui lui avaient ordonné le
massacre du duc de Guise , défenseur
(i5) Maimbourg, Histoire de la Ligue, liv.
III , pag. '«• 2<j5 et suiv.
("') Cayèt, Cbion., riov. Lcttcre di Moros.
Mem. rlella vit. del cletto , lib. III, cap. XVI.
(*'') Journal , manuscrit d'Autoyne Loysel.
(16J Maimbourg, Histoire de la Ligue, pag.
3n, 3i2.
(17) On les avait trouvés dans les oratoires de
Henri III , au bois de Vinccnnci , quand la
populace les pilla,
sanglante , et niarquee des signes
affreux de ^assassinat (*3). Voyez
(18) M. de Nevers , Traité de la prise des
Arm. , pag. /J67 , cite par Maimbourg, Histoire
de la Ligue, pag. 3oi.
(19) Maimbourg , là même, pag. 3o5.
(*') Journal de Henri III.
(20} Criliquegt'néraledu Calviuismede Maim-
bourg , lettre III , pag. 3"j.
(*2J In régis invidiam etiam tanquam bealo-
rumjelices exuvias ad adorulionem vulgo expv-
situros .
(*3) His accedebant libelli ineptissimi de
martjrio Jratrtim cum imaginibus eorum tnscilè
pirlis ; nec contenu Ubris , eorundetn effigies
juslàhommis mensurâ ad pulvinaria lemplorum
quotidiè sislebant, sanguinolcnias , et pallore
violenta' morlis hvi ridas.
GUISE.
le premier passage que je cite dans
la remarque suivante.
(G) Les peuples imitèrent la rage
des prédicateurs.] <c Au même temps
» qu'en vertu de ce malheureux dé-
» cret (21) on lui ôta le nom de roi ,
» pour ne lui donner que celui de
» Henri de Valois , il n'y a sorte
» d'outrages qu'on ne lui fît en toutes
» les manières que la rage impuis-
j) santé d'un peuple furieux put in-
« venter, pour se répandre en sa-
» tires , en invectives , en libelles ,
» en calomnies , en toutes sortes d'in-
j) jures atroces, dont la moindre était
» celle de tyran et d'apostat ; et pour
» se décharger , par le plus brutal
» de tous les emportemens , sur ses
j> armes , sur ses statues , sur ses
» portraits , sur ses tableaux qui
j) furent rompus , déchirés , foulés
m aux pieds , traînés par les boues ,
» brûlés , jetés dans la rivière , en le
m chargeant de mille malédictions ,
» tandis qu'on révérait le duc de
)> Guise et son frère comme des
» martyrs, jusques à mettre leurs
» images sur les autels (22). » Prenez
bien garde à ce que M. Maimbourg
venait de dire ; aussitôt que le dé-
cret de la Sorbonne fut publié dans
Paris, dit-il, l'on passa tout h coup
a de si honibles extrémités , et à de
si exécrables excès de fureur contre
ce que des sujets doivent a leur prince
légitime, qu'encore que nos écrivains
les aient rendus publics ,je crois pour-
tant qu'il vaut mieux les supprimer,
que de profaner mon histoire par un
7-écit qui la rendrait désagréable et
odieuse- Un acte (23) du prétendu
parlement , envoyé a toutes les villes
qui tenaient pour la ligue, augmenta
la fureur des peuples , qui firent en-
core pis qu'auparavant : jusque -la
même qu'il y en eut qui , par un
abominable mélange du parricide , du
sacrilège et des enchantemens de la
magie , mettaient des images de cire
(21) C'est-à-dire, le décret de la Sorbonne.
(22) Maimbourg, Histoire de la Ligue , pag.
3oo.
(23) Par lequel tous les membres de ce parle-
ment, au nombre de six vingt-six, y compris les
princes et les prélats , jurèrent sur le crucifix
Qu'ils ne se de'pariiraient jamais de leur ligue ,
et qu'ils poursuivraient par toutes sortes de
voies la juste vengeance de la mort des deux
Guises , contre tous ceux qui en étaient ou les au-
teurs ou les complices. La même, pag. 3n.
387
à la ressemblance du roi sur les au-
tels , et les piquaient en divers en-
droits , en prononçant certaines pa-
roles diaboliques <t chacune des qua-
rante messes qu'ils faisaient dire en
plusieurs églises, pour donner plus
de force h leur charme , et a la qua-
rantième ils les perçaient à l'endroit
du cœur, comme pour lui donner le
coup de la mort {i\).
(H) La Sorbonne fit des dé-
crets entièrement républicains .] J'ai
dit ailleurs (25) pourquoi je me sers
des propres termes de M. iMaimbourg,
je n'en ferai plus d'excuses : citons-
le donc encore ici sans répugnance ,
et sans diminution , ni addition (26).
Ceux qui composaient le corps de
ville. s'avisèrent de proposer à
messieurs de Sorbonne , non-seu-
lement de vive voix , mais aussi
par un acte authentique , signé du
magistrat et scellé du sceau de la
ville , ces deux grands cas de con-
science (*') : l'un , si les Français
étaient effectivement déliés du ser-
ment de fidélité et d'obéissance que
l'on avait prêté au roi; l'autre,
s'ils se pouvaient armer et unir, et
s' ils pouvaient lever de l'argent, et
contribuer pour la défense et con-
servation de la religion catholique ,
apostolique et romaine en France ,
(**) pour s' opposer aux détestables
desseins, et aux efforts du roi et de
tous ses adhérais , depuis qu'il
avait violé la foi publique h Blois,
au préjudice de la religion catho-
lique , de l'édit de la sainte union ,
et de la libellé naturelle des états.
Sur quoi la faculté s'étant assem-
blée le sept de janvier, au nombre
de soixante-dix docteurs , après une
procession solennelle, et la messe
du Saint-Esprit , conclut pour l 'af-
firmative sur ces deux points , d'un
commun consentement, et sans que
persotme s'y opposât, ce sont les
propres termes du décret ; et qu'on
(24) Maimbourg, Histoire de la Ligue, pag.
3oo.
(25) Dans l'article de Grégoire Ier., entre tes
citations (fô)et(^'j'}. pag.iïi. fuyez aussi Gré-
goire VII, à lafin de la remarque (F), p. 240.
(26) Maimbouig , Histoire de la Ligue, pag.
297 , 298, à l'ai.n. 1589.
(") Mémoires de la Ligue, loin. III ; M. de
Nevers, Traité de la prise des armes.
(") Mem. délia vit. di Moros., lib. III , cap.
XXIII.
388 GUISE.
» enverrait au pape cette résolu- raie du Calvinisme de iVJ. Maimbourg1'
» tion,afin qu'il l'approuvât et con- a rapporté (28) , touchant le procès
» firmdt de son autorité, et qu'il eût que l'on intenta à ce monarque , est
)> la bonté de secourir l'église galli- assez curieux ; mais voici une chose
» cane qui souffrait beaucoup, et se qui l'est beaucoup davantage. Elle
j> trouvait fort opprimée- » Le 5 d'à- m'a été communiquée par un très-
vril de 'a même année 158g, la habile homme (29), qui a ramassé
Sorbonne fit un autre décret , par une infinité de raretés littéraires , et
lequel elle déclare , qu'on ne peut qui se connaît merveilleusement en
prier pour Henri de Valois , en au- toutes sortes de livres , quelque peu
cune oraison ecclésiastique , beaucoup connus et quelque malaisés à trouver
moins au canon de la messe, a cause qu'ils puissent être. Il a eu la bonté
de V excommunication qu'il a encou- de m'écrire qu'il a un livret , conte-
rue; et qu'on doit ôter du canon ces nant seize pages in-8°. dont voici le
paroles , pro rege nostro , de peur titre : Advertissement et premières
qu'on ne croie que l'on plie pour lui , escritures du procès pour messrs. les
quoique le prêtre , dirigeant ailleurs députez du royaume de France , aux
son intention , la fasse tomber sur prétendus estats qui se dévoient tenir
ceux qui gouvernent , ou sut* celui à en la ville de Blois , demandeurs
nui Dieu réserve le royaume. Elle d'une part; le peuple et les héritiers
veut qu'au lieu de cela on dise h la des défunts duc et cardinal de Guise ,
messe hors du canon , trois oraisons, aussi demandeurs et joints d'une part :
prochristianis principibus nostris(*), contre Henry de V~alois , troisième
qui furent imprimées , et qu'on voit de ce nom , jadis ix>y de France et de
encore aujourd'hui. Elle ajoute enfin Pologne , autrement dit Tnessalo-
que ceux qui ne voudront pas se con- nien , au nom et en la qualité qu'il
former a ce sentiment , seront privés procède , défendeur d autre part,
des prières et des droits de la faculté , Avec l'approbation des docteurs. Et
de laquelle ils seront chassés comme se vendent chez Denis Binet , avec
des excommuniés ;ce qui fut approuvé peivnission. i58g. Le livre commence
d'un commun accord de tous les doc- ainsi :
leurs. Ces principes républicains se
répandirent de telle sorte parmi les
théologiens français , que Génebrard,
l'un des principaux députés du clergé
horterpar la parole de Dieu , les dé
pûtes h n'avoir dans leurs délibéra-
tions devant les yeux que la conser-
Advertissement du Procès.
« Messieurs les députez du royaume
» de France , demandeurs selon l'ex-
» ploit et libelle de M. Pierre du
» Four l'Evesque en date du 12 jan-
» vier i58g , d'une part , et le peuple
» et consorts , aussi joints deman-
» deurs d'une part : contre Henry de
» Valois , au nom et en la qualité
nation de l'état et de la religion qui u qu'il procède , défendeur d'autre.
en est le plus ferme appui , il s'efforça „ part : disent par-devant vous mes-
de prouver, par de très-méchantes „ sieurs les officiers et conseillers de
raisons , que leur assemblée pouvait ,, la couronne de France , tenans la
changer et abolir la loi salique , qui „ Cour de parlement à Paris , que
est la loi fondamentale de l'état, » pour les causes, raisons , et moyens
qu'on a toujours inviolab/ement ob- » ci-après déduits ,
servée depuis l'établissement de la » Ledit Henry de Valois pour raison
monarchie française, jusqu'à main- » du meurtre et assassinat, commis
tenant (27).
(I) Le parlement de Paris reçut
les plaintes de la veuve du duc de
Guise, qui demandait justice de la
mort de son mari, contre Henri III.]
Ce que l'auteur de la Critique géné-
(") Mémoires de la Lij;»e , loin. III.
(vi) Maimbourg, Histoire (le I* Ligue , pag.
458.
* C'est Bayle qui est l'auteur de la Critique
générale de l'Histoire du Calvinisme du père
Maimbourg , ce que n'ont remarqué ni Leclerc ,
ni Joly.
(28,) Lettre XIII , pag. 228 de la troisième
e'dilion. Il cite un passage fort notable de M. de
Pérélixe , Histoire de Heriri-lc-Grand.
(2q) M. Bourdelot, médecin de M. Bouche-
rai ,' chancelier de France. Il l'est devenu de-
puis de madame la duchesie de Bourgogne.
es illustrissimes personnes de mes-
sieurs le duc et cardinal de Guise ,
sera condamne' pour réparation
dudit assassinat, à faire amende
honorable nud en chemise , la teste
nue et pieds nuds , la corde au
col , assiste de l'exécuteur de la
haute justice , tenant en sa main
une torche ardente de trente livres,
lequel dira et déclarera en rassem-
blée des estats , les deux genoux en
terre , qu'à tort et sans cause il a
commis ou fait commettre ledit
assassinat aux dessusdits duc et
cardinal de Guise , duquel il de-
mandera pardon à Dieu , à la jus-
tice , et aux estats : que des à pré-
sent comme criminel et tel dé-
claré , il sera demis et déclaré in-
digne de la couronne de France ,
renonçant à tout tel droit qu'il y
pourrait prétendre ; et ce pour les
cas plus à plein mentionez et dé-
clarez au procès , dont il se trou-
vera bien et deuè'ment atteint et
convaincu ; oultre qu'il sera banny
et confiné à perpétuité au couvent
et monastère des Hieronymites assis
prés du bois de Vincennes , pour là
y jeusner au pain et à l'eau le reste
de ses jours ; ensemble condamné
aux dépens, et à ces fins disent, etc.
Par ces moyens et autres que la
cour de grâce pourra trop mieux
suppléer , concluent les deman-
deurs avec despens. Pour l'ab-
sence de l'advocat signé Chicot.
Arrest de la cour souveraine des
» pairs de France , contre les meur-
» triers et assassinateurs de mes-
■» sieurs les cardinal et duc de
» Guise. A Paris chez Nicolas
» Nivelle î58g. 8. avec privilège.
» Veu par la cour, toutes les cham-
bres assemblées , la requeste à elle
Eresentée par dame Catherine de
levés duchesse douairière de Guise
etc. Ouï sur ce le procureur gê-
nerai qui l'auroit requis , et tout
considéré , ladite cour a ordonné
et ordonne commission d'icelle estre
délivrée à ladite suppliante addres-
sée à deux conseillers d'icelle ,
pour informer du contenu en ladite
requeste , circonstances et dépen-
dances , pour l'information faite ,
> rapportée par devers ladite cour,
» et communiquée audit procureur
GUISE. 389
» gênerai , ordonner ce que de raison .
» Fait en parlement le dernier jour
» de janvier 1589. signé.
Boucher.
» Sur la requeste ce jourd'huy
présentée par dame Catherine de
Cleves , etc. , la cour, toutes les
chambres assemblées, a commis et
commet messieurs Pierre Michon
et Jean Courtin conseillers en
icelle , pour informer du contenu
en ladite requeste , circonstances
et dépendances , et sera l'exécution
du présent arrest faite par vertu
de l'extrait d'iceluy. Fait en par-
lement le dernier de janvier i58g.
BoDCHER.
» Extrait des registres du parlement.
« Veu par la cour, toutes les cham-
bres assemblées , la requeste à elle
présentée par dame Catherine de
Cleves, etc . ; contenant que sur autre
requeste présentée parelle, etc.; ouï
sur ce le procureur gênerai , et tout
considéré , ladite cour a reçu et
reçoit ladite de Cleves appcllante
de l'octroy de ladite commission ,
exécution d'icelle , et de tout ce
qui s'en est ensuivi et pourroit
ensuivre : ordonne commission
d'icelle cour luy estre délivrée ,
pour faire intimer en icelle tous
ceux qu'il appartiendra sur ledit
appel , et cependant fait inhibi-
tions et défenses , particulièrement
aux commissaires et tous autres ,
de passer outre ny entreprendre
aucune cour , jurisdiction ou cog-
noissance du fait contenu en la-
dite requeste , circonstances et dé-
pendances , sur peine de nullité
des procédures. Ordonne en outre
ladite cour que tous exploits qui
seront faits en gênerai , et à cry
public aux prochains lieux de seur
accès , vaudront et seront de tel
effet , que s'ils estoient faits aux
personnes ou domiciles de ceux
contre lesquels il sera besoin d'ex-
ploiter; Wait en parlement le pre-
mier jour de février 1589, ainsi
signé DU Ï1LLEI.
(K) Je rapporterai un éloge que
l'on trouve dans les Entretiens de
Balzac.} Je ne doute point que Bal-
zac n'en soit l'auteur, et qu'il n'y ait
39o GUISE.
mis une bonne dose d'hyperbole , sa
ligure favorite. Quoi qu'il en soit ,
voici ses paroles :
•» La France estoit folle de cet
homme-là ; car c'est trop peu de
dire amoureuse. Il ne faut pas s'cs-
tonner si elle s'éloigna de son de-
voir, comme elle fit. Une telle pas-
sion alloit bien près de l'idolâtrie :
il y avoit des gens qui l'invoquoient
dans leurs prières ; d'autres met-
taient sa taille-douce dans leurs
heures. Pour son portrait , il estoit
par-tout : quelques-uns couroient
après luy dans les rues , pour faire
toucher leur chapellet à son man-
teau 5 et un jour qu'il revenoit
d'un voyage de Champagne, en-
trant à Paris par la porte Saint-
Antoine , non-seulement on luy
cria , vive Guise ; mais plusieurs
personnes luy chante'rent , Ho-
sanna filio David. On a veu des
assemblées , qui n'estoient pas pe-
tites , se rendre en un instant à sa
bonne mine. Il n'y avoit point de
cœur qui pust tenir contre ce vi-
sage ; il persuadoit avant que d'ou-
vrir la bouche : il estoit impossible
de luy vouloir mal en sa présence.
Le premier regard qu'il jettoit sur
ses ennemis, ostoit d'abord de leur
esprit toute l'aigreur qu'ils avoient
apportée contre luy, et faisoit une
telle esmotion en leur sang , et un
si estrange changement en leurs
humeurs , qu'apre's cela ils avoient
besoin de s'exciter long-temps eux-
mesmes , pour reprendre la haine
qu'ils n'avoient plus. De sorte que
ce que j'ay ouï dire à un courtisan
de ce regne-là , ne me semble pas
mal dit; que les huguenots estaient
de la ligue , quand ils regardaient
le duc de Guise. Je laisse à l'his-
toire à conter les choses qu'il a
faites , et à porter mesme sa curio-
sité' sur celles qu'il a pense'es. Je
ne me bazarde point de derhillYor
ces énigmes de la cour, et ne suis
pas spéculatif jusques-Jà. Il me
suffit de croire , sans dewner, qu'il
falloit bien que ce fust un homme
fort extraordinaire , puisque son
seul nom , après sa mort , a esté
capable de continuer la guerre à
deux puissans rois , et que le pre-
mier capitaine de l'Europe , le se-
cond fondateur de cet état , Henry
» le Grand, de glorieuse mémoire,
» n'a pris des villes , ni n'a gagné des
» batailles , que pour faire perdre le
» crédit à un homme qui n'estoit
» plus. Je ne veux pas oublier un
» mot , que vous ne serez pas fasché
» de sçavoir. Il est détaché de l'é-
» loge , et on l'attribue à madame la
» maréchalle de Rais. Ils avoient si
» bonne mine, disoit-elle, ces princes
» lorrains , qu'auprès d'eux les autres
» princes paroissoient peuple. Cette
» façon de parler est un peu hardie ,
» et un grammairien scrupuleux di-
» roit , paroissoient bourgeois. Mais
» la cour est au dessus de l'eschole ,
» et ne reconnoist point , non plus
» que l'église , la jurisdiction de la
« grammaire (3o). »
(L) M. f^arillas a rapporté quel-
que chose de fort singulier sur ce
mariage.'] Il dit (3i) que le duc de
Guise , ayant su que Charles IX le
voulait faire assassiner, consulta la
duchesse de Nemours sa mère , qui
lui rejiariit qu'il ne pouvait éviter le
malheur qui le menaçait qu'en se
mariant la même nuit (3s) ; et qu'elle
se chargea de lui trouver une femme.
Elle manda la princesse de Porcien ,
qui ne jugea pas a propos de refuser
le parti qui se présentait. Ainsi le
mariage fut proposé , négocié, con-
clu , consommé , et la duchesse se
trouva grosse d'un fils qui fut depuis
le quatrième duc de Guise ; et le tout
arriva dans l'espace de quatre heures.
Le roi l'ayant appris a son réveil ,
révoqua l'ordre qu'il avait donné à la
Tour-Gondy. Je m'étonnerais , si ce
fait était véritable , qu'il n'eût pas
été connu à M. le Laboureur. Il a su
des choses bien particulières con-
cernant cette duchesse de Guise. Il
nous conte ( 33 ) que le prince de
(3o) Balzac , entretien XXIV, pag. m. 260.
(3i) Varillas , Histoire de Henri III , liv.
XIII, pag. 342.
(3î) // faut savoir que Charles IX le foulait
faire mourir, à cause quil le croyait amoureux
de la princesse Marguerite. Voyez l'Histoire
romanesque du duc de Guise , imprimée à Pa-
ris , l'an 1694 , où cette princesse est représentée
si amoureuse du duc de Guise , que cela passe
toutes les bienséances du roman, mais non pas
la vraisemblance, si ce n'est en ce qu'on suppose
que dans les plus favorables occasions de la
jouissance , les amans se séparèrent toujours
sans , etc.
(33) Le Laboureur, AMItons aux Mémoires
de Castelnau , tout. I tpag. 3çjo.
GUISE.
*9«
Porcien , peu avant que de mourir, » ner un beau gentilhomme , nommé
pria sa femme, qu'il soupçonnait de » Saint-Mégrin , l'un des mignons du
quelque affection pour le duc de
Guise , de ne le point épouser1. Vous
êtes jeune , lui dit-il , vous êtes belle,
et vous êtes riche , toutes ces qua-
lités jointes ensemble avec celle d'une
illustre extraction, vous feront réciter-
cher de beaucoup de gens. J'ap-
prouve que vous soyez remariée, je
» roi , à cause de certains bruits qui
» couraient de lui et de madame de
» Guise (*'). N'en déplaise au roi de
» Navarre , qui avait ses raisons pour
» approuver le châtiment de Saint-
» Btégrtu (3^), cette action du duc
» de Guise était un très-grand pé-
» ché (35). » Nous entendrons bien-
vous laisse le choix des partis , et de tôt un auteur qui nous dira que le
tout le royaume je n'en excepte qu'un duc de Guise n'eut point de part à
seul homme, c'est le duc de Guise, l'assassinat de Saint-Mégrin. On l'en
c'est l'homme du monde que je hais le crut pourtant l'auteur a la cour de
plus ; et je vous demande en grâce France (36); et le roi en fut si per-
que mon plus grand ennemi ne soit suadé , qu'il ditj: Je sais bon gré au
pas héritier de ce que j'ai le plus aimé duc de Guise , mo?i cousin , de n'a-
de tous
fièvre chaude
six ans aprè
balancé la mémoire d'un mari mort trer tous les autres petits galans de
avec la présence d'un objet si consi- cour qui se mêlent d'approcher les
dérable , qu'était Henri de Lorraine , princesses pour bzurfaireC amour (3^).
duc de Guise, se laissa vaincre a Mais l'auteur que je vais citerne nie
son mérite , et l'épousa. Ce récit et point les amourettes de la duchesse
celui de Varillas ne sont guère corn- de Guise. Il est vrai aussi qu'il les
patibles ensemble.
(M) L'infidélité conjugale y
fut réciproque. ] Les galanteries du
duc de Guise sont assez connues: elles
entreut dans le portrait que M. Maim-
bourg a fait de lui , comme on l'a vu
ci-dessus. « Il avait passé la nuit qui
» précéda son assassinat avec une
» dame de la maison de la reine , ce
» qui fut cause qu'il se rendit plus
» tard que les autres au conseil , et
» l'on crut même que le saignement
» de nez qui lui prit dans la salle du
» conseil , et qui l'obligea à deman-
» der quelques confitures , vint de ce
» qu'il avait épuisé ses forces avec
» cette femme. Si vous ne voulez pas
» m'en croire , croyez-en , à tout le
» moins , M. de Thou , dont je vous
» rapporte les paroles ci-dessous (*) ,
» et admirez l'injustice de ce duc.
» Parmi toutes les infidélités qu'il
» faisait à son épouse, il ne voulait
» pas souffrir qu'elle lui en fît à son
» tour ; car il fit cruellement assassi-
(*) Vltimtu comparuit Guisiur , quem ed noc-
te seenrum Vcneri furtivœ cum quitdam Gynœ-
cei tnatrond , quatn perditè deperibat , indui-
sisse, coque tardais surrexisse constant rumor
fuit... DuUiaria quâdam cubiculariis ngiis ad
refocillandas vires peliil , quod lam°n ab altis
non tain pavori quam lassiludini ex contuber-
niofeminie illius cum quâ concubuerat, contrac-
ta assignatum est. Thuauus , Ub. XCIII.
F.
rapporte sans les garantir véritables.
( N ) Il se contenta de jeter son
épouse dans une extrême frayeur. ]
« Caussade Saint-Mégrin, gentilhom-
» me bordelais , était devenu favori
» du roi Henri III, par le seul avan-
» tage de sa beauté.... Il eut l'impu-
» dence de dire que la duchesse de
» Guise s'était prostituée à lui (*2).
» Comme le duc de Guise était l'hom-
» me le moins susceptible de jalousie
» à l'égard des femmes , on ne s'a-
» dressa pas d'abord à lui pour lui
» faire confidence de la sotte vanité
» de Saint-Mégrin. On en parla à ses
» plus proches parens et à ses meil-
» leurs amis ; et les uns ctles autres le
» sollicitèrent avec tant d'instance ,
» que, pour se' délivrer de leurs im-
» portunités , il leur promit de se
» venger, premièrement de sa femme,
)> et ensuite de son prétendu galant.
» Et de fait, il s'abstint, coutre sa
» coutume , de coucher avec elle la
(*') Journal <le Henri IN, îi juUlet 157».
(34) Voyez ci dessous la citation ($',)■
(35) Critique générale de l'Histoire du Calvi-
nisme, lettre III. pag. t\\.
(36) Voyez le Journal rie Henri 111, pag.
m. 3i.
(3>;) L'a même.
(*') Dans les Mémoires de M. rie Boissj. Ils
sont dans la. bibliothèque de M. de Mes mes.
392 GUISE.
7> nuit suivante; et le lendemain , il duc de Guise , dit-il (4o) , gouverneur
» entra dans sa chambre , dès les de Champagne , chargea les reîtres,
j> quatre heures du matin, avec un et les défit près de Château-Thierry.
■» poignard à la main droite , et une II y fut. blessé a la joue gauche d'un
a e'cuclle d'argent, remplie d'une li- coup d'arquebuse, dont la balafre (*)
» queur noirâtre, à la gauche. lire'- lui demeura toute sa vie, très-glo-
» veilla la duchesse qui dormait pro- lieuse envers les catholiques , et fort
}> fondement; il lui reprocha, en peu avantageuse a l'égard des dames ,
» de mots, son infidélité' , et il lui qui croient que ceux qui sont braves
» dit, avec un visage et d'un ton de le sont partout. Il a quelque raison
» voix où elle pouvait découvrir tous de dire que les marques de bravoure
» les symptômes de la fureur et du servent d'une puissante recommanda-
)> désespoir, qu'il lui donnait le choix tion auprès du sexe. Mademoiselle de
3> de mourir du poignard ou du poi- Scudéri dit quelque part (40 , que
)> son préparé dans l'écuelle qu'il te- bien que la valeur ne soit pas la ver-
» nait (38). » La duchesse , n'ayant tu des femmes , il est pourtant cons-
pu rien obtenir par ses prières, prit tamment vrai qu'elles l'aiment , et
le prétendu poison et l'avala , et se qu'elles font même quelquefois injus-
mit a genoux devant son oratoire, en tice a d'autres bonnes qualités a l'a-
attendant le moment qu'elle devait vantage de celle-là , en préférant
expirer : mais comme ce prétendu des gens qui ne sont simplement que
poison était le meilleur consomme braves, a d'autres qui ont plusieurs
que l'on eut pu préparer , elle ne sen- vertus au lieu d'une. Il est certain
fit aucun mal , et, dans une heure , qu'un cavalier suspect de poltronnerie
son mari lui vint apprendre la ma- devient le mépris des dames (4^) , et
nière dont on l'avait pressé de se dé- que plusieurs d'entre elles mettent à
du duc, qui n'espéraient plus de lui s'ils sont capables de s'en bien tirer.
tourner L'esprit contre sa femme, Quelles actions de témérité ne faisait-
après l'expérience qu'ils venaient d'en on pas dans les armées de France , au
faire, s' attachèrent uniquement a tuer XVIe. siècle, pour l'amour d'une
Saint-Mégrin. Ils l' attendirent , au maîtresse , et afin de mériter ses bon-
nombre de vingt cavaliers , au sortir nés grâces (43) ? On ne peut donc pas
du Louvre, a minuit, et ils lui don- critiquer, à tous égards, la remar-
nèrent trente-trois coups d'épée ou de que de M. de Mézerai ; mais on peut
pistolet , presque tous mortels. Le roi soutenir que la raison sur quoi il la
n'en témoigna rien , parce qu'on lui fonde n'est pas solide. Les dames ai-
rapporta que l'on croyait avoir re- ment les hommes vaillans , les cava-
marqué parmi les assassins un homme liers courageux , d'accord; mais ce
qui , a sa taille extraordinairement n'est pas à cause qu'elles s'imaginent
haute et a ses mains faites en épaule qu'ils sont braves partout , c'est plu-
de mouton , paraissait être le duc de tôt à cause du grand éclat qui accom-
Mayenne. pagne la réputation de bravoure, et
Notez que cette duchesse de Guise qui rejaillit sur les maîtresses de ceux
avait été delà religion , pendant la vie qui se sont acquis cette brillante ré-
de son premier mari ; mais, quand il putation. Il y a donc plus de faste
fut mort , elle se fit catholique dans la que d'impudicité dans la préférence
chapclledu châteaude Saint-Germain- que les femmes donnent aux gens de
en-Lare, a l'instance de lareine Calhe- guerre sur les bourgeois, et aux guer-
rine de Médicis , sa maiTaine (3çj). riers d'une valeur distinguée sur les
(0) On le surnomma le Balafré. ]
Un historien célèbre fait une remar- (W Mézerai , Abrégé chrou. , tom. V, pag.
que qui ne me paraît point iuste. Le *°,ll '' ''"""• ,575; ,„,/••
1 * * j.j ( ) •" couf de cela on le nomme le balafre.
(38) Varillas, Histoire de Henri II! , liv. (40 Dans l'un des volumes de la Clélie.
XII, pag. 343. (4î) Voyez loin. V, p. 11 , la remarque (Bj
(3q) Hilarion de Cosic, Vies des Dames illus- de Varlicle Ckrisantes.
très, lom. I, pag. ?g5. (4.3) Prantômc en parle en divers endroits.
GUISE.
393
guerriers du commun. Elles croient
qu'il y a bien plus de gloire à capti-
ver un grand courage , qu'a captiver
des cœurs pacifiques. L'avantage est
tout certain de ce côte-là : le reste
est fort casuel. Il y a des braves qui ,
dans les combats d'amour , n'égalent
pas l'homme casanier. Tel Romain
qui avait fait vingt campagnes glo-
rieuses, et fécondes pour lui en ré-
compenses militaires , n'avait jamais
été comparable sur l'autre chef de
vigueur, à un Ovide et à un Horace
(44), et à cent petits muguets très-mal
propres à se servir d'une épée. Je ne
pense pas que le plus brave homme
de France eût pu disputer sur ce
point-là avec Zacachrist, ni que le
maréchal de Rantzaw , qui portait
tant de glorieuses marques de sa va-
leur , et qui était bien plus balafré
que le duc de Guise, ait approché de
la force du tendre Voiture.
Si nous remontons plus haut , nous
trouverons que le ravisseur d'Hélène
n'est pas le vaillant Hector , mais le
lâche et efleminé Paris ; et nous ver-
rons que le grand Homère , qui pei-
gnait si heureusement et si naïvement
toutes les passions, se sert de l'exem-
ple de ce pagnote pour décrier l'im-
patience déréglée de ceux qui s'ap-
prochent de leurs femmes pendant le
jour. Il n'y a clans ses poèmes que le
seul Paris qui en use de la sorte. No-
tez qu'il est embrasé de cette impa-
tience au milieu même de la honte
qu'il devait avoir de s'être sauvé tout
fraîchement d'un combat. Le poète
n'a-t-il point voulu désigner par -là
les forces vénériennes des poltrons ?
Plutarquenele dit point; mais peut-
être l'eût-il pu dire avec autant de
raison qu'il en a eu dans les paroles
suivantes (45) : A quoi servira d'exem-
ple ce que fait Paris en Homère, qui
s'enfuyant de la bataille , s'en va
coucher dedans le lict avec la belle
Hélène : car n'ayant le poète nulle
part ailleurs introduit homme qui aille
de plein jour coucher avec s a femme ,
il monstre assez clairement qu'il juge
et repute telle incontinence reprocha-
(44177 avoue, od. VIT, lib. II, qu'il prit la
fuite dans un combat, et Suétone, in Vitâ tlo-
ratii, atsure que ce p.tële ad res venereas intem-
peranlior traditnr, nam et speculato, etc.
(45) Plut. , de audiendis Poetis, pag. 18, F ;
version d'Amyot.
hle et honteuse (46). Voyez dans le
III». livre de l'Iliade les reproches que
faisait Hector à ce fuyard , et voici
ce qu'Hélène lui représenta :
Quod bene le jaclat , et fortia facta recenses;
A verbis faciès dissidel ista suis.
Apla magis Veneri , quàtn suit tua corpora
Marti.
Bella gérant fortes : tu , Pari , semper ama.
Heclora , quem laudas , pro te pugnare ju-
beto ;
Mililia est operis altéra digna luis (4/)-
(P) Le duc de Mayenne... exerça
un pouvoir quidiffera peu du ■ oyal. Il
ne tint qu'à lui de prendre le nom de
ivi. ] Il apprit à Lyon la mort du
duc et du cardinal de Guise, ses frè-
res , et tout aussitôt il se retira en
Bourgogne , dont il était gouverneur
(48). Il y assembla des troupes , et
puis il marcha vers Paris. Il fut re-
çu à Troyes avec les mêmes honneurs
que l'on rend aux rois. Il y agit en
souverain , envoyant de Va des com-
missions aux créatures du duc de
Guise , et surtout h Rosne et a Sainl-
Pol , auxquels il fit expédier des
ordres pour commander en Champa-
gne et en Brie (4g). Il entra , le 12 de
février i58(), à Paris (*') , « où , com-
me si l'on eût vu le duc de Guise
ressuscité en sa personne , on fit
éclater la joie publique avec tant
de transports et d'excès , qu'on en
vint même jusqu'à exposer son ta-
bleau avec la couronne fermée , et
à lui dresser un trône royal (*') j
et s'il eût eu assez d'ambition et
> d'audace pour s'y placer , il eût
> trouvé peut-être assez de gens qui
l'eussent reconnu , pour tenir sous
lui des gouvernemens qu'il leur eût
donnés en titre de duchés et de
comtés avec hommage , comme fit
(46) OùS'évct yà.0 àihKiev dvBpâi7ra>v tip-î-
pcLt; 0-uyx.oijuâfjiivov yuvMKi TomVa.ç, » tov
£Ç-| KO.) ^,oy(f) TlQsftiVOÇ TJlV TOiaj/TMV à.Kfet-
0-13.V, JVam qutim neininein alititn interdih cttin
uxore rem habere commemoret , extra inteuipe-
ranlem hune et adullerum : satis evidenler do~
cet , se hoc de eo opprobrii cl reprehensionis
causd re ferre. Idem , ibid.
(47) Ovid., rpi?t. Helcn. ad Parid., VS. l5l,
pag. m. 74.
(48) Maimbourg, Histoire de la Ligue , pag.
294.
(4o* L'a même , pag, 3i5.
(*") Journal MS. de M. Loyse/.
(*2) Journal de Henri III.
394 GUISE.
s Hugues Capet (5o). » Mais il refusa l'église romaine. Il ne se soumit qu'a-
d'accepter cet honneur , et ne voulut près avoir e'té pre'venu par des offres
pas , dans la suite , qu'un autre le si avantageuses qui lui furent faites
possédât. Il se contenta d'établir d'à- de la part du roi , qu'il aurait eu de
bord son autorité , en se rendant le la peine à se promettre de tels biens
plus fort dans le conseil de la ligue d'un prince qui lui aurait eu les
(5i). Il y faisait passer , malgré les dernières obligations (5/{). L'e'dit qui
Seize, tout ce qu 'il voulait , et il s'y fut fait en sa faveur est daté de
fit donner , en effet, une autorité Folembrai , le 1 1 de janvier i5p,6
fort approchante du souverain pou- (55).
voir des rois. Car la première chose (Q) Je rapporterai un acte que Von
qui fut arrêtée dans ce nouveau con- a oté des registres du parlement de
seil fut que , pour marquer ce pou- Paris. ] J'en ai une copie qui a été
voir presque absolu et souverain qu on faite sur l'original, signé du Tillet.
lui laissa prendre, ou qu'on lui don- Voici la teneur de cet acte.
na, il aurait dé sonnais , jusqu'il la
tenue des états , la qualité tout ex-
traordinaire , et de laquelle il n'y a
nul exemple, de lieutenant général ,
non pas du roi , car la ligue n'en
connaissait point encore , înais de l'é-
tat et couronne de France (5i) //
prêta le serment de celte nouvelle et
bizarre dignité , le (*') i3 de mars , au
parlement , qui en vérifia les lettres ,
scellées des nouveaux sceaux Ou on
fit au lieu de ceux du roi, qui furent
rompus ; et , pour commencer V exer-
cice de sa charge par un acte de sou-
verain (*a) , il fit aussitôt publier de
nouvelles lois , contenues en vingt-
un articles , pour unir , sous une
même forme de gouvernement , toutes
les villes qui étaient entrées dans la
ligue , et celles qui y entreraient en-
core , dont le nombre , en fort peu de
temps, se trouva très-grand (53). Il
se mit en campagne, et attaqua plus
d'une fois l'armée du roi ; il amena
dans le royaume les troupes d'Espa-
gne ; et , s'il traversa le dessein qu'a-
vait la ligue de créer un roi qui se
mariât avec l'infante , ce ne fut. qu'à
cause que cette nomination ne pou-
vait le regarder , lui qui était marié,
et qu'elle n'était destinée qu'au duc
de Guise, son neveu. Il fut si obstiné
dans sa rébellion , qu'il continua de
faire la guerre à Henri IV , après
même que la ville de Paris se fut sou-
mise à ce prince , réuni au giron de
(5o) Maimbourg , Histoire de la Ligue , pag.
ii 5.
(5i) Ti'a même , pag. 3i6.
(5a) Là même , pag. 3i7-
(*') Journal MS. de M. Loysel.
(*') Cayet , loin. I.
CS3) Maimbourg , Histoire Je la Li^ue , pag.
3iS.
« Extrait des registres du parlement.
» Ce jour, le sieur duc de Mayenne,
lieutenant général de l'estat royal
et couronne de France , les cham-
bres assemblées , et les gens du roy
presens, aprez avoir remontré à la
cour les causes qui l'avoient fait
acheminer en cette ville , et laisser
une grosse armée , et que depuis le
quatorzième jour du mois passé
ladite cour n'estoit entrée (56) , et
que à présent n'y ayant aucun pré-
sident , luy avoit semblé nécessaire
d'en venir communiquer et aviser
avec elle pour y en remettre jus-
qu'à quatre, afin que cette grand'-
chambre et celle de la Tournelle
ne demeure sans chefs , et qu'à
ceux qui seront esleus il en fasse
expédier les provisions , n'ayant
voulu entreprendre d'en nommer
aucuns de sa part , ains le tout re-
mis à ladite cour : sur ce ayant
interpellé plusieurs fois la cour
de les nommer , et les gens du roy
ouïs , aprez qu'il luy a esté re-
moustré par Mc. Mathieu Chartier,
doyen et plus ancien conseiller ,
que advenant vacation desdits es-
tats la cour avoit accoutumé d'en
nommer aucuns aux rois dont il
choisissoit l'un ou deux qui en es-
toient pourveus : mais qu'à pre-
» sent n'y ayant aucun roy , et veu
Testât de la ville , icelle cour s'en
(5/j) Voyez Maimbourg , Histoire de la Ligue,
pag. 5i8 et suiv.
(55) L'a même, pag. 5 19.
(5G) Il faut ravoir qu'après que les Seize eu-
rent fait pendre le pre'sidenl Brisson , le parle-
ment ne voulut plus rentrer. C'est ce qui obligea
le duc de Mayenne a se transporter à Paru
pour l'affaire dont il est ici question.
iUI
SE.
)> remettoit â luy et le prioit d'en
» vouloir nommer; et enfin, aprez
» plusieurs excuses , a dit puisqu'il
» plaisoit à ladite cour , et suivant
» la prière qu'il avoit faite le matin
» à Dieu et à son Saint-Esprit , que
» cette affaire se conduisist en toute
» sincérité , il se resolvoitde nommer
» pour premier président le sieur
» Chartier , plus ancien conseiller
» déjà nomme' par la cour pour pre-
» sident en icelle ; les vertus , inte-
» gritez , et suffisances duquel estoient
» très-notoires à un chacun ; et pour
» second, le sieur Hacqueville , pre-
» sident au grand conseil ; le tiers ,
» le sieur de Nully , premier presi-
» dent en la cour des aydes , et de-
» vant pourveu de l'un desdits es-
» tats; et pour le quatrième, le sieur
» le Maistre , advocat du roy ; n'ayant
» jamais veu qu'il sache lesdits sieurs
» Chartier et le Maistre : ou hien tels
» autres que ladite cour avisera : la-
» quelle nomination approuve'e par
» ladite cour , la matière mise en de-
» libération ; et nonobstant les excu-
)> ses et remonstrances dudit sieur
» Chartier de son aage de soixante et
» dix-neuf ans , indisposition notoire
)> de sa personne, et qu'il estoit nou-
» vellement relevé et sorti d'une gros-
» se maladie, et que cet aage desiroit
» plustost un repos que le travail re-
» quis en un tel estât , a este' arreste'
» qu'il feroit le serment de premier
» président en ladite cour. A tant a
» passé au barreau , et , aprez avoir
» juré que pour y parvenir il n'a bail-
» léne promis de donner ou faire don-
» ner par luy ou par d'autres, or , ar-
» gent , ne chose equipollente , en
■» outre de bien et deuement exercer
» ledit estât et office de premier pre-
» sident , il y a esté receu et fait
» profession de sa foy ez mains de
» Me. Estienne Fleury, plus ancien
» conseiller. Fait en parlement , le
» second jour de décembre mil cinq
» cent quatre-vingt-onze. Collation
.» faite. Signé du Tillet.
)> Charles de Lorraine , duc de
» Mayenne , lieutenant gênerai de
» l'estatet couronne de France, à tous
» ceux qui ces présentes lettres ver-
» ront, salut. La principale marque de
/) l'aufhorité et sainte volonté de ceux
» qui ont gouverné les estats, et ce
395
» qui les a fait plus estimer par les
» peuples qui leur ont esté soumis ,
)» et admirer par les étrangers, a esté
« quand ils ont eu soin de relever et
» maintenir les deux colomnes sur
» lesquelles est fondée la conserva-
» tion de toutes les monarchies , la
m pieté et la justice. C'est pourquoy
m depuis qu'il a pieu à Dieu nous ap-
» peler à la direction des affaires de
» ce royaume, aprez avoir regardé le
» mieux qu'il nous a esté possible
» aux rcglemens et provisions neces-
» saires pour avancer la gloire de
» Dieu , nostre principale intention
» a esté de remplir les places des
» principaux officiers de la justice ,
)■ de personnes de probité et de vie
» et intégrité de mœurs convenables
m au rang que nous avons désiré leur
» faire tenir. Et sur ce qu'il nous a
» esté remontré et avons reconneu
» qu'il estoit très-nécessaire de pour-
i) voir aux estats et offices des presi-
» dens de la cour de parlement de
« Paris, afin que par faute d'iceux le
» cours de la justice ne soit intérims
» ou interrompu comme il a esté de-
)> puis quelque temps , ayant résolu
» d'y en mettre et establir jusqu'au
» nombre de quatre, afin que tant
» la grand' chambre du plaidoyé que
» la Tournelle ne demeurent sans
» chefs ; sçavoir faisons , qu'aprez
» avoir cejourd'huy communiqué à
» messieurs de ladite cour, les cham-
» bres assemblées , nos désirs et
» intentions , et nommé les quatre
» personnes que nous avons estimées
» propres, dignes et capables de ces
» charges , lesquels ils auroient eu
» très-agreables , comme il appert
» par l'acte et arrest de cedit jour
» cy attaché sous le contresecl; nous
» considérant les bons et agréables
» services que MM. etc. Car ainsi le
» desirons. En tesmoin de quoy nous
» avons à ces présentes fait mettre le
» scel du royaume de France. Donne
» à Paris, le 3 décembre i5jji. Signé
» Charles de Loii'aine , et sur le re-
» ply , par monseigneur , Pericard. »
M. Marais , avocat au parlement de
Paris , a eu la bonté de m'envoyer la
copie qu'il avait faite de cet acte. Il
m'a communiqué aussi des observa-
tions sur mon Dictionnaire , qui me
donnent une haute idée de son esprit
et de son érudition.
GUISE
396
(R) Ceux qui font attention aux
attentats des Guises ne peuvent com-
prendre h quoi songeait le philosophe,
cartésien, Jacques Rohault. ] Il pu-
blia sa Physique, l'an 1671, et la
dédia au duc de Guise , qu'il re'gala
de ce compliment. « Quand il m'au-
3) rait e'té libre de délibe'rer sur le
» choix , quelle autre protection au-
~» rais-je pu me'nager aux vérités na-
» turelles que je donne au public ,
» que celle d'un nom qui de tout
>> temps a été destiné à soutenir les
» plus grandes vérités du monde ?
» Vos ancêtres ont défendu , avec une
3> piété digne d'être à jamais propo-
" sée pour exemple , les vérités divi-
» nés de la foi , contre ceux qui s'en
» sont déclarés les ennemis : ces il-
» lustres héros ont maintenu , aux
» dépens de leur sang et de leur vie,
» les vérités politiques , je veux dire,
» les lois fondamentales de l'état , et
"» les droits immuables de nossouve-
» rains (*) , contre les attaques du de-
» hors , et contre les fureurs intesti-
» nés de la rébellion ; et il était
» réservé, pour surcroît de partage ,
» à VOTRE ALTESSE , d'être encore
» le protecteur des vérités de la na-
» ture , après avoir succédé dans le
» reste, à tous les nobles sentimens de
» ses aïeux. Nous verrions même , à
» leur exemple , éclater encore au-
» jourd'hui ce même zèle en la per-
» sonne de V. A. avec la même fer-
» veur , si le défaut d'occasion n'en
» suspendait l'exercice , sous le règne
» glorieux du plus grand et du plus
» sage monarque du monde (57). » Si
un poète débitait de telles choses ,
même en très-beaux vers , on aurait
(*) Baptiste le Grain ,1. 6 de sa Décade du
roi Itenri-le-Grand , pag 635 de L'édition de
Rouen, i633, parlant du duc de Mayenne, dit
en propres termes que tout chef de la Ligur qu'é-
tait ce duc, il ne souffrit jamais qu'il fui fait
brèche aux lois fondamentales de l'état; et
l'édit de Folembrai, du n janvier i5q6 ( Mena,
de la Ligue, loin. 6, pag. 376, e'dil. lie i.frjg)
loue le même duc de l'affection qu'il avait mon-
trée h conserver le royaume en son entier y du-
quel il n'a fait , ni souffert le démembrement ,
lorsque la prospérité' de ses affaires semblait
lui en donner quelque moyen; comme il n'a fait
encore depuis qu'e'tant affaibli... Apparem-
ment M. Rohault , meilleur philosophe que gé-
néalogiste , prenait pour l'un des descen.laos de
celui-ci, ce duc de (iuise, à qui il dédia sa Phy-
sique , en l'année 1671. Rem. crit.
(07) Rohault, e'pitre dc'dicaloire de sa Phy-
sique.
ISI
Heu de prétendre qu'il le ferait pour
ses péchés et pour expier quelque
grand crime. On lui pourrait appli-
quer cette pensée d'Horace :
Nec salis apparel car versus Jaclilel , ulruin
Minxerit in patrios cineres , an triste bidenlal
Moveril inceslus : cerlè fttril (58).
Que doit-on donc penser d'un célè-
bre philosophe , et d'un bon mathé-
maticien à qui des folies de cette
nature sont échappées ? N'avait - il
point commis quelque forfait abomi-
nable qui méritait qu'on l'abandon-
nât à un sens si réprouvé? Parlons
plus doucement : n'a-t-il point dés-
honoré son caractère par l'affirma-
tion d'un mensonge si palpable ? Dis-
culpons son cartésianisme autant que
nous le pourrons. Il faut supposer
pour cela , que M. Rohault ne com-
posa point son épître dédicatoire en
qualité de philosophe ; il s'était dé-
pouillé de ce personnage jusqu'à la
chemise , et il s'était revêtu de celui
de panégyriste par le malheureux
engagement que contractent les au-
teurs d'une épître dédicatoire. Relie
leçon pour détourner d'un tel des-
sein tout bon philosophe ! Passons
fdus avant, et disons que celui-ci,
ors même qu'il fut couvert de la li-
vrée d'un personnage étranger, ne
perdit pas toutes les idées de l'office
de philosophe , et que , s'il débita
un mensonge tout-à-fait grossier, ce
ne fut point par une lâche flatterie,
mais par un péché d'ignorance. Il
était apparemment de ces philoso-
phes , et de ces mathématiciens qui
n'ont du goût que pour la science na-
turelle , et pour Euclide , et qui , mé-
prisant tout le reste , ne daignent pas
même s'informer de l'histoire de leur
pays. Peut-être aussi que l'applica-
tion à faire des expériences contre le
vide , et sur les propriétés de l'ai-
mant , et sur les diverses réfractions
de la lumière, etc. ne lui laissait
point assez de loisir pour lire M. de
Thou , ou M. de Mézerai ; et qu'ainsi
il ne connaissait l'histoire de mes-
sieurs de Guise que sous cette idée
générale , qu'ils s'étaient fort oppo-
sés à la rébellion des huguenots. Il
était donc en quelque manière dans
la bonne foi. Mais gardons-nous bien
d'assurer que son ignorance le dis-
(58) Horat. , de Arte poët. , vs. 470.
GUISE.
397
culpe, elle n'était point invincible • en ont parle' sur le même ton. Lisez
il pouvait au contraire s'en délivrer un écrit que l'on attribue à Louis
aisément. Il n'avait point d'écolier Servin , avocat au parlement de Pa-
qui ne lui pût faire le récit des ac- ris (59).
tions de messieurs de Guise contre ,R . , , , ,. v- j- .>• n. .
Henri 111 et contre Henri IV ; et il n y Eccùsia gallican* et KeSii siatùs Gallo-Franco-
avait si petit légiste, OU si petit pra- ""». Je me sers de l'édition de i5g3, in-8*.
ticien , qui ne lui pût dire que c'é- p.. c„
taient des attentats diamétralement CrUJàb (CHARLES DE LORRAINE ,
opposés aux lois du royaume, et un DUC DE), fils aîné du précédent,
renversement total des principes les naqUit le 20 d'août i57l. On
plus essentiels à la monarchie fran- ,» »., i ■ i
«„;..« of .,„„ ,„;f„ ,„ 1QiiQ i„„ 1 arrêta avec plusieurs autres le
caise, et une suite continuelle des . j i> » • j
plus grands crimes de félonie et de jour de 1 exécution de Blois , et
lèse-majesté qui puissent être corn- il demeura prisonnier jusques au
mis. S'il n'a donc pas été coupable mojs d'août i5qi. U se sauva
d'avoir parlé contre sa conscience ,il , j v. « * j t / \
mérite pour le moins que nous le arlor7S. du château de Tours (a).
blâmions d'avoir négligé de s'instrui- La ligue en fit des feux de joie
idit
Ce
re sur les faits dont il parlait. Je pense partout , et le pape en rendi
que c'est là toute sa faute: et je ne ice a Dleu publiquement Cf
saurais me persuader qu'il ait trahi
grai
ses lumières" pour s'ériger en flat- Jeune Prince ^ reÇu dans Paris
teurj car, s'il avait eu quelque tein- avec de grandes acclamations
ture de l'histoire du XVIe. siècle , et (b) , et vit accourir en foule vers
du système politique des Français ]ui n0n-seulement le peuple ,
eût-il ose se servir de 1 encens qu il • -, -, ■ j i i-
employa pour le héros de son ou- mais aussi la noblesse de la ligue,
vrage? Eût-il osé le louer d'être tout H se lia très-etroitement avec la
prêta imiter ses ancêtres si l'occa- faction des Seize; mais toutes ses
sion lui en était présentée? N'e'tait- „randes prospérités ne servirent
ce pas dire réellement, en cas ae be- ° ,, , l ■ 1 , ■ , .
soin, votre altesse sera toujours dis- <lu a la rmne du parti , par la ja-
posée à exciter une sédition dans lousie qu'elles donnèrent au duc
Paris, à y faire pousser les barri- de Mayenne. J'en ai parlé dans
cades jusques au Louvre , a contrain- yarl[c\e précédent. On dit que la
are le roi de prendre la fuite, a le -, -, ', ,, . 7 ■
faire déchirer par les invectives les duchesse de Montpçusier devint
plus violentes des prédicateurs , a amoureuse de ce jeune duc de
lui intenter un procès au parlement Guise, son neveu (A). Celui-ci
de Parus, à le déposer , à le faire «ta a ,a ,■ pun de seg
assassiner par un moine , a exclure °j r . . '
de la succession monsieur le dauphin en tuant de sa propre main le
et tous les princes du sang , à mener brave Saint-Pol (B). Il obtint le
dans le royaume l'armée espagnole gouvernement de Provence lors-
pour les empêcher de soutenir leur „ >-i „ •- . tj ■ \\t i»
i ,i ■. K d r î ht <4U !» se soumit a Henri IV, 1 an
bon droit, etc. f Concluons que M. t- . -rlTT¥
Rohault n'aurait pas tenu un langa- l5Cj4(c). Il eut , sous Louis A11I,
ge significatif de toutes ces proposi- quelques emplois par mer et par
tions, s'il avait connu que ses paro- terre (d); mais on l'empêcha de
les signifiaient effectivement cela. S'il
faut donc lui pardonner cette faute ,
c'est parce qu'il ne savait ce qu'il
disait.
Au reste , ce ne sont pas seulement
les écrivains protestans qui ont fait
une description désavantageuse des
actions et des desseins de M M . de Gui-
se : il y a eu de bons catholiques qui
(a) Mézerai, Abrégé clironol. , lom. VI,
pag. m. 5g. Voyez dans le XIVe. livre des
Lettres de Pasquier , pag. 173 et suivantes ,
la manière dont il se sauva.
(// Maimbourg, Histoire de la Ligue , pag.
435 , à l'ann. l5gi.
te) Anselme , Histoire des grands Officiers,
pag. 427»
(d) Là même.
398 GU
voler trop haut, et on l'obligea
même de sortir de France. Ce
fut l'effet d'une sage politique
du cardinal de Richelieu (C). Il
se retira à Florence (e) , et mou-
rut à Cuna , dans le Siennois, le
3o de septembre 1640. Il avait
épousé, en 161 1 , Henriette-Ca-
therine de Joyeuse, fille unique
de Henri de Joyeuse , maréchal
de France , et veuve de Henri de
Bourbon , duc de Montpensier
(f). Il en eut plusieurs enfans
(D). Le maréchal de Bassompierre
le loue beaucoup (g). Je ferai
une remarque concernant le duc
de Chevreuse , frère de ce duc
de Guise (E). J'en ferai une autre
sur le chevalier de Guise (F) , qui
était aussi son frère , et qui tua
en très-peu de temps les barons
de Lux , père et fils , sans se voir
exposé pour ce sujet au moindre
embarras (G). Il signala son
adresse dans le carrousel de l'an
1612 , et il s'en fallut bien peu
qu'il ne renrportât le prix de la
course de la bague (H).
(e) Anselme , Hist. des grands Officiers ,
pag. 427.
(_/") La fille qu'elle eut de ce Henri de
Bourbon fut mariée à Gaston de France,
frère de Louis XIII. Cette Henriette Catheri-
ne de Joyeuse mourut l'an l656.
(g) Dans la dernière page de son Journal.
(A) On dit que la duchesse de
Montpensier devint amoureuse de ce
jeune duc de Guise, son neveu.] Voi-
ci ce que disait M. Ménage ( 1 ).
<t Madame de Montpensier aimait
» fort son neveu le duc de Guise ,
« fils de Henri le Balafré. J'ai vu
» autrefois des lettres fort passion-
» nées qu'elle lui avait écrites. C'est
» pour cela que dans la satire
jk Ménippée , quand on place tout
» le monde , le héraut crie : Ma-
li dame de Montpensier , mettez-
» vous sous votre neveu. » M. Mé-
nage ne se souvenait pas bien de tout
(1) Ménagiana , IIe. part , pag. m. 57.
ISE.
ce que dit le héraut"; il en oubliait
une clause très-notable : il y a dans
le Catholicon , madame la douai-
rière de Montpensier , comme prin-
cesse de voire chef y mettez-vous sous
votre neveu. Voyez la réflexion que
fait , sur cela, l'auteur des nouvelles
remarques sur cette satire Ménip-
pée (2).
(B) Il ôta a la ligue l'un de ses
preux , en tuant de sa propre main
le brave Saint- Pol. ] « Saint-Pol ,
» soldat de fortune qui, par sa va-
» leur et par sa conduite au métier
» des armes, avait acquis son titre
» de noblesse (3), » fut l'un des qua-
tre maréchaux de France que le duc
de Mayenne créa en i5g3. Ce duc,
après la mort du duc de Guise ,
dont ce capitaine était la créature ,
l'avait commis au gouvernement de
Champagne , où après s'être rendu
maître de Reims , de Mezières et de
Vitri , il eut l'audace de s'emparer
par force du duché de Relhélois , et
d'en prendre possession en qualité
de duc , en vertu du don qu'il disait
en avoir eu du pape , comme le roi
l'écrivit du camp , devant Char-
tres, au duc de JVevers ; et enfin son
orgueil insupportable , joint à la ty-
rannie qu'il exerçait dans la provin-
ce , lui fit perdre la vie par la main
du jeune duc de Guise qui le fit
tomber à ses pieds d'un coup d'épée
qu'il lui donna droit dans le cœur,
parce que ce prince l'ayant prié fort
civilement de retirer de Reims les gens
de guerre qu'il y avait mis pour s'en
assurer, ce prétendu maréchal , qui
voulait , malgré qu'il en eut , y être
le maître absolu , lui avait dit fière-
ment , mettant la main sur la garde
de son épée , qu'il n'en ferait rien
(4)- C'est assez la coutume que , dans
une rébellion, les braves qui aban-
donnent le service de leur prince
légitime , aspirent un peu à l'indé-
pendance. Mais ils éprouvèrent très-
souvent que le chef de la révolte de-
mande plus de soumission que le vrai
maître. Je crois qu'Henri IV eût été
plus indulgent pour les brusqueries
de Saint-Pol, que ne le fut le duc
de Guise. Notez que M. de Mézerai
(2) A la page 3go , 3gi , de l'e'dil. de 169g.
(3) Maimbourg , Histoire de la Ligue, pag.
46o.
(4) Là même.
GUISE. 399
donne tout le tort au duc, qui vou- che d'Arras (8). Son fils, Louis-Joseph
laut, dit-il (5), avoir la dépouille de de Lorraine, duc de Guise, de Joyeu-
ce brave, pour en faire son accom- se et d'Angoulême, ne' le 7 août i65o,
motlement , lui fît un jour une que- épousa, en 1667 Elisabeth d'Orléans
relie sur le pavé de Reims , et lui
donna de l'cpée dans le ventre. Le
même historien observe que Saint-
Pol avait sauvé la vie, le jour de de-
vant les barricades , au duc de Guise
père de celui-ci. Admirez la recon
fille puînée de Gaston de France, duc
d'Orléans , et mourut de la petite vé-
role, à Paris, le 3o de juillet 1671 (9),
laissant un fils , François-Josei'h de
Lorraine, duc d'Alençon , de Guise,
de Joyeuse et d'Angoulême , qui
naissance que l'on eut de ce grand e'tait né le 28 d'août 1670 (10), et qui
service. mourut le 16 de mars 1675 (1 1). Alors
(C) On l'obligea de sortir de Fran- ^ ne resta plus de mâle de cette
ce. Ce fut V effet d'une sage politi- fameuse branche de la maison de Lor-
que du cardinal de Richelieu ] On raine. Il en reste plusieurs des autres
avait fait une triste expérience du branches cadettes de celle de Guise,
grand pouvoir du nom de Guise , Consultez la dernière remarque de
après même que la ligue ne subsis- l'article suivant , et notez que Roger
tait point. Cette maison était en quel- de Lorraine , cinquième fils de notre
que manière un état dans l'état , et Charles, duc de Guise, mourut cheva-
il était à craindre que la sottise et le
faux zèle des peuples n'en fit une
idole, toutes les fois qu'il s'élèverait
des guerres de religion. La prudence
lier de Malte , à Cambrai , le 6 de sep-
tembre i653, en sa trentième année
(12).
(E) Je ferai une remarque concer-
demandaitdonc quelque abaissement nantie duc de Chevreuse , frère de
de ce crédit : le premier ministre y ce duc de Guise.] 11 s'appelait Clau-
pourvut sous le régne de Louis-le- de de Lorraine , et il était le second
Juste. fils de Henri, duc de Guise. Il naquit
(D) // eut plusieurs enfans.] le 5 de Juin l578, et P°rta premiè-
fils. Vous rement 'e titre de prince de Join ville
Je ne veux parler ici que des fils
verrez ailleurs (6) ce qui concerne
les filles. Le prince de Joinville , son
fils aîné , mourut à Florence , le 7 de
novembre i63g , en sa vingt -hui-
tième année, sans avoir été marié
(7). Son second fils s'appelait Henri
Il se signala, en i5o,6, au siège de la
Fère , et en 1597, à celui d'Amiens.
Quelques intrigues de cour, qui le
brouillèrent avec le roi , l'obligèrent
d'aller chercher la guerre en Hon-
grie. Il fut créé duc de Chevreuse et
J'en parle dans l'article* suivant. Le Pair de France au mois de mars 1612,
troisième s'appelait Charles-Louis ,
et porta le nom de duc de Joyeuse ,
et mourut en Italie, sans alliance, le
i5 de mars 1637. Louis, leur frère, prit
alors la qualité de duc de Joyeuse :
il était né l'an 1622. Il fut grand
chambellan de France , et il épousa
à Toulon, au mois de novembre 1649,
Françoise-Marie de Valois, fille uni-
que et héritière de Louis Emmanuel
et fait chevalier du Saint-Esprit le
premier de janvier 1620. Il servit
en 1621, aux sièges de Saint-Jean-
d'Angeli , de Montauban , etc., et
lut honoré de la charge de grand
chambellan de France et de celle
de grand fauconnier. 11 fut successi-
vement gouverneur de la haute et
basse Marche , et d'Auvergne , et de
Bourbonnais, et de Picardie. Il épou-
sa comme procureur du roi de la
e Valois, duc d'Angoulême. Il mou-
rut à Paris , le 27 de septembre 1 654, (Trande-Bretagne, la princesse Hen-
d'une blessure qu'il avait reçue {en riette-Mane de France, l'an 1625, et
chargeant un parti des ennemis, pro- la conduisit en Angleterre avec un
(5) Mczerai , Abrégé cliron. , tom. VI , pag.
124. Voyez ci-dessous , dans la remarque (G),
ce que Marie de Médicis disait de celle action
du duc de Guise.
(6) Dans la remarque (H) de Varticle sui-
vant.
(7) Anselme , Histoire des grands Officiers ,
pag. 428.
train magnifique. Il se trouva au
(8) La même.
(9) Là même, pag. 45ç), 460.
(10) Là même , pag, 460.
(11) Etat de la France, 1680, loin. I , pag.
m. 544.
(121 Anselme, Histoire des grands Officiers ,
pag. 428.
4^
GUISE.
siège de la Rochelle, en 1628. Il mou-
rut d'apoplexie à Paris , le 24 de
janvier 1667, sans laisser de garçons.
II n'avait eu que des filles (i3). Il
avait épouse', en 1622, Marie de Rohan,
veuve du connétable de Luines , et
fille aînée d'Hercule de Rohan , duc
de Mombazon (1^). C'est cette du-
chesse de Chevreuse qui fit tant par-
ler d'elle pendant les brouilleries de
la cour de Louis-le-Juste , et pen-
dant la guerre civile de Paris, sous
Louis XIV. Le cardinal de Richelieu
la fit reléguer ; elle se sauva en Lor-
raine , d'où elle passa à Bruxelles.
Elle eut permission de rentrer en
France après la mort de Louis XIII ,
et tarda fort peu à s'intriguer , se-
condée de la duchesse de Mombazon
sa belle-mère. Nous en verrons ci-
dessous (i5) des preuves. Elle avait
stipulé pendant la prison des prin-
ces, que sa fille serait mariée avec le
prince de Conti (16). Il ne s'en fit
rien.
(F) et une autre sur le cheva-
lier de Guise. ] Il était fils de ce duc
de Guise que l'on massacra à Blois, en
i588 , et il naquit posthume , et fut
nommé François-Alexandre Paris
(17). Il tua dans les rues de Paris le
baron de Lux, le 5 de janvier i6i3 ,
et au bout d'un mois il tua le fils du
même baron , et n'en fut aucunement
inquiété ni par la cour , ni par les
juges : tant était grande l'autorité de
cette maison ! L'écrivain que je vais
citer nous le fera bien sentir (18).
« Le chevalier de Guise et le baron
j) de Lux se rencontrèrent un matin
» à la grande rue de Saint-Honoré ,
» le baron à pied (19), et le cheva-
» lier à cheval ; qui mit pied à terre,
j> et dit au baron qu'il mît la main
« à l'épée , en tirant la sienne. Le
» baron ne pensait à rien moins , et
» ne se pouvait imaginer que ce fût
(i3) Tiré dit père Anselme, Histoire des
grands Officiers , pag. 458, 4%-
04) Là même,
(i5) Dam la remarq. (D) de l'article suivant.
(16) Voyez Priolo, lib. V, cap. XL; et lib.
VI, cap. IV.
(17) Anselme, Histoire des grands Officiers,
pag. 427.
(18) D'Audiguier, vrai et ancien usage des
duels , pa«. 538.
f 19) I.e continuateur de M. de Thou , lib. VI,
init. pag. 317 , et le Mercure Français , loin.
III , pag. 48, disent qu'il était en carro>se.
il mit toutefois
bon escient
main à l'épée , mais avec peu
d'effet j il était déjà vieux, et hors
d'escrime depuis long-temps, pour
se battre contre un jeune prince
qui ne faisait que sortir des exer-
cices. Aussi ne lui donna le cheva-
lier qu'un seul coup au travers du
corps , dont il alla tomber dans
la boutique d'un cordonnier. Quant
à lui , il remonta froidement à
cheval , et se retira le pas en la
grande écuyerie du roi, comme s'il
n'eût rien vu. Ainsi mourut le ba-
ron de Lux , pour s'être vanté ,
disait-on , d'avoir été du conseil
de Blois contre la vie du duc de
Guise Il avait un fils de même
âge que le chevalier de Guise , qui
reçut la nouvelle de cet accident
avec la juste douleur qu'un fils
unique peut ressentir de la mort
d'un père Chacun parlait di-
versement de ce qu'il ferait , s'il
était en sa place , et chacun s'y
fut trouvé bien empêché. Il avait
affaire avec un prince qu'il fallait
qu'il tuât , ou qu'il en fût tué. De
le tuer , il n'y avait pied de terre
en la chrétienté qui lui pût être
assuré après sa mort ; et d'être
tué aussi par celui qui avait tué
son père , ce n'était pas satisfaire à
sa passion. D'en tirer plutôt raison
J»ar justice que par l'épée , il ne le
allait pas seulement penser. Le
chevalier était en l'hôtel de Guise,
dont il n'avait point découché , et
où personne n'eût osé seulement
l'aller demander. C'est le malheur
des gentilshommes d'avoir affaire
contre des princes ; ce sont des
vaisseaux d'airain contre un pot
de terre , qui ne les peut choquer
sans se rompre. Le roi doit pour-
tant la justice à tous ses sujets , et
n'y a prince qui en soit exempt
(20).» Le parti que prit le jeune
aron de Lux fut d'appeler en duel
le chevalier de Guise. Ce cartel fut
porté par son écuyer , qui s'acquitta
dignement de la charge que son maî-
tre lui avait commise. L'action était
périlleuse ; car s'il eût été reconnu ,
et, qu'on se fût tant soit peu douté du
dessein qui le menait , les plus hau-
tes fenêtres de L'hôtel de Guise, eus-
(20} D Audiguier , Usage des Duel? , pag. 5^o
GUISE.
401
sent été trop basses pour lui ; mais il toutes ses leçons d'escrime , et qui en
y fut si matin, que tout le monder un mot a les bras et les jambes fai-
dormait cncoiv. Il entra dans la blés , n'est-ce pas presque la même
chambre du chevalier plus tôt que le chose que si deux hommes en atta-
jour , et l'éveillant de la part du ba- quaient un , ou si un garçon de seize
ronde Lux, le supplia très-humble- ans se ruait sur un garçon de dix
ment, etc. (21). Le chevalier se ren- ans? L'autre réflexion serait que
dit au lieu de l'assignation, et tua MAI. de Guise étaient bien injustes
son ennemi , et retourna a l'hôtel de sous le règne de Henri IV et de Louis
Guise oh il fut visité des braves de XIII, de poursuivre si chaudement
la cour. Plusieurs vers furent faits la vengeance de l'exécution de Blois
sur ce combat, sous le nom de combat sur ceux qui y avaient eu quelque
part. Ces messieurs avaient obtenu
une amnistie générale de toutes leurs
rébellions ,et tout autant de bienfaits
que si elles eussent été de grands
services rendus à leur monarque. Ne
devaient-ils pas user du même sup-
port à l'égard de ceux qui n'avaient
fait qu'exécuter les ordres de Hen-
ri III, ou qui ne l'avaient pas dé-
tourné d'une entreprise qu'il jugeait
très-nécessaire à la conservation de
sa couronne? Ne devaient-ils pas en-
velopper tout cela sous l'amnîstî
de Paris et de Lucidor, pource que
le chevalier de Guise se nommait
Paris (22). Notez que les poètes se
déclarèrent pour celui qui avait vain-
cu. Us écrivirent que ce prince che-
valier,
Poussé d'un vif ressentiment
Avait fait passer vaillamment
Au jil d'une juste colère
Celui-là qui s'éloil vanté
D'avoir pu (chère vanité! )
Empocher la mort de son père (a3).
On n'oublia point de remarquer l'in-
égalité du succès dans des combats
ou la justice paraissait semblable. Si §enerflc T" leiu' «M* *? «tde? Il y
le chevalier devait vaincre dans aurait encore une reflexion a faire ,
le premier , parce qu'il cherchait
la vengeance du sang de son père ,
il devait être vaincu dans le se-
cond , parce qu'il s'y agissait de
faire raison au fils d'un homme qu'il
avait tué. Et néanmoins le sort lui
fut aussi favorable dans le second
que dans le premier. Ce fut une
chose qui surprit beaucoup de gens ,
et sur laquelle on fit beaucoup d'at-
tention. Alais , communément par-
lant, ces sortes d'affaires se décident
selon le plus ou le moins d'adresse
et de courage et de force des com-
baltans , ou par le concours de quel-
ques causes fortuites , et non pas se-
lon le plus ou le moins de droit. Je
ne sais si l'on s'avisa de faire deux
autres réflexions qui se présentaient
naturellement. L'une est qu'à pren-
dre les choses à la rigueur , le pre-
mier combat ne fut point conforme
aux lois de la bonne chevalerie : car,
qu'un jeune homme frais émoulu de
la salle d'armes, et préparé au duel ,
attaque un vieillard qui ne s'attend
point à cela , et qui n'a tiré l'épée
depuis long-temps , et qui a oublié
(21) Là même, pag. 5^2.
(22) Mercure Français , le
(i'i) Là même, pag. 4$.
TOME vi r.
III, png. 5o.
et qui regarderait ceux qui déplo-
rent si amèrement la perte qu'ils di-
sent que les princes, et les grands
seigneurs de France ont faite de leur
autorité. Le pouvoir, disent-ils, est
trop réuni, il faudrait qu'il fût par-
tagé comme autrefois. Mais pourquoi
oublient-ils donc les désordres épou-
vantables à quoi le royaume était
exposé lorsque la cour était faible
sous la minorité de Louis XIII ?
Souhaitent-ils donc le retour de ces
temps prétendus heureux où un che-
valier de Guise tuait impunément
dans les rues de Paris un homme de
qualité , et n'avait pas seulement be-
soin d'en faire excuse à son prince,
ou à la justice du royaume ?
Ce chevalier mourut à Baux , en
Provence {i\) , un an ou environ
après (25). Il mettait le feu lui-même
a un canon qui creva, et lui emporta
d'un éclat la moitié du corps
Etant porté dans la ville il Arles le
lendemain de sa mort , le peuple ,
crïant et gémissant d'une Jaçon.
étrange , arracha les clous de sa
(24) D'Audignier , Usage des Duels , pag.
552.
(26) Ijà même , pag- 55o« Le père Anselme ,
Histoire des grands Officiers , pag. 427 , met sa
mort au Ier. de juin i6i4-
26
4o2 GU
bière , décousit le drap où il était
enseveli , et ne trouvant aucun chan-
gement en son visage , en fit faire un
portrait qui fut mis en leur maison
de ville , comme un avertissement
aux vivans de le regretter , et une ex-
hortation h la postérité d'en garder
éternellement la mémoire. Mais ce
qui est encore plus admirable , les
deux premières villes delà province ,
Aix et Arles , étant entrées en jalou-
sie de ses cendres , et contestant h qui
les aurait pour avoir l'honneur de
leur donner sépulture , ne purent être
accordées que par l'expédient qu'on
prit , de donner le cœur h l'une , et
laisser le corps a l'autre. Il fut regret-
té pareillement à la cour, non-seule-
ment de ses parens , mais aussi du roi
et de la reine sa mère , qui furent
visiter monsieur de Guise, et le con-
soler jusqu'en son hôtel. Mais surtout
madame la princesse de Conli , sa
sœur , en fut tellement affligée , que
les plus belles plumes de ce temps
s'employèrent à la consoler (26). Vous
voyez là un grand reste de l'idolâtrie
où les catholiques de France étaient
tombés pour le nom île Guise. S'il n'y
avait eu que les personnes qui tra-
vaillaient avec une vigilance conti-
nuelle à vivre chrétiennement , qui
eussent aimé ce nom -là , ce grand
fléau des huguenots, la surprise d'un
philosophe serait moindre , mais les
plus grands idolâtres en ce genre-là
quelles gens étaient-ce ? Ceux qui
étaient les plus adonnés au train com-
mun de la vie , à l'impudicité , au
vin , au jeu , à l'avarice , au menson-
ge , à la méfiance , à l'envie. Voilà
les gens qui pour maintenir la pro-
spérité temporelle de leur religion ,
et pour extirper ce qu'ils appellent
hérésie , poussent le zèle au delà de
toutes bornes.
(G)... Sans se voir exposé pour ce
sujet au moindre embarras. ] Cela ré-
sulte manifestement de la narration
que j'ai tirée du livre du vrai et an-
cien Usage des Duels. Mais je ne veux
point abuser de ce témoignage sans
examiner ce que l'on trouve dans Bas-
sompierre (27). La reyne fut extrê-
mement courroucée de ce que le che-
valier de Guise avait tué le baron de
ISE.
Lux. J allay au niesme temps au Lou-
vre , ouje la trouvay pleurant, ayant
envoyé quérir les princes et les mi-
nistres , pour tenir conseil sur cette
affaire , qu'elle avoit infiniment a
cœur. Elle me dit lors : f^ous voyez ,
Bassompierre , en quelle façon on
s'adresse a moy , et le brave procédé
de tuer un vieil gentilhomme , sans
deffense ny sans dire gare. Mais ce
sont des tom^s de la maison. C'est une
copie de St.-Pol (28).... Le conseil
fut assemblé dans l'autre salle oàj'ai-
day à descendre la reyne , me rencon-
trant prez d'elle. On murmura fort
de cette action , et chacun fut scan-
dalisé de ce que l'on vint dire , qu'il
y avoit grand nombre de noblesse as-
semblée h l'hostel de Guise, et que M.
de Guise devait venir trouver la reyne
bien accompagné. Sur cela on conseil-
la a la reyne d'envoyer M. de Chas-
teau- Vieux trouver mondit sieur de
Guise , luy défendre de venir trouver
la reyne , jusques a ce qu'elle luy
mandast, et commander de la part de
sa majesté h toute la noblesse , qui
estait allée chez luy , de se retirer
(29) M. de Chaste au- Vieux fit ce qui
luy estait ordonné , et dit au retour ,
que quelques-uns avaient un peu fait
les difficiles de se retirer , que M. de
Guise leur avoit fait instance de soi'-
tir, puisque la reyne le commandoil.
Et comme on luy demanda , qui es-
taient ces difficiles , il en nomma trois
ou quatre , et entre autres M. de la
Rochefoucaut. Alors on anima la
reyne contre luy , qui moins que les
autres , estant maislre de la garderob-
be du roy , devoit avoir fait refus d'o-
béir; et sur cela il fut résolu de le
chasser de la cour. Il fut aussi résolu,
que le parlement scroit saisi de celte
affaire , et que l'on l'en informerait.
La reyne fut aucunement rappaisée
par la prompte obéissance de M. de
Guise , et de ce que le chevalier estant
venu , après avoit tué le baron , a
l'hostel de Guise , M. de Guise l'en
avait fait sortir, ette?iirla campagne.
Le maréchal de Bassompierre ajoute,
que M. de Guise parla h la reyne avec
tant de sousmissian et de respect ,
qu'il la remit un peu ; mais que ma-
dame de Guise sa mère parla si haut
(16) D'Audiguicr, Usage des Duels, pttg. Soi.
(27) i:.i-si)iii|i , (0/11, /, pag. m. 27/}, 275.
(28) Vuyez ci-dessus la citation (5).
lao) Bassoinp., Méra. , loin. I,pag. 27(1.
GUISE.
4o3
i la reine qu'elle lafaschade nouveau,
que M. de la Rochefoucaut eut com-
mandement de s'en aller (3o) ; que M .
de Guise se jeta clans la cabale du
prince de Condé , et dit en parlant de
la Rochefoucaut : « Ouy par Dieu il
» reviendra , et si je n'en aurai pas
)> obligation à la reyne (3i) ; m que
la reine fut si alarme'e de l'union «lu
duc de Guise avec le prince de Condé,
qu'elle chargea Bassompierre d'offrir
à ce duc la somme de cent mille es~
eus comptant , la Ueutenanee géné-
rale de Provence pour son frère le
chevalier , la réserve de l'abbaye île
Saint-Germain pour la princesse de
Conti, sa sœur, et le retour de la Ro-
cJiefoucaut (3a) ; que le duc de Guise
accepta ces offres , et promit de se
détacher de la cabale (33). Concluons
par ces paroles du maréchal de Bas-
sompierre (34) : « Peu de jours après
» le jeune baron de Luz fit appeller
» le chevalier de Guise, qui le tua.
» Je vis encore une chose bien estran-
» ge des changemens de la cour ;
» que M. le chevalier de Guise , qui
» pour avoir tue le père , la reyne
» commanda au parlement d'en con-
» noistre , d'en informer , et de luy
» faire et parfaire son procès, à moins
■» de huit jours de là , après avoir
» encore de surcroît tue le (ils du dit
» baron de Lux , la reyne l'envoya
v visiter , et sçavoir comme il se
» portoitde ses blessures, après qu'il
» fut de retour de ce dernier com-
>. bat (35) «.
Le récit de ce maréchal semble
contraire à ce que j'ai dit dans la re-
marque précédente , me fondant sur
la narration du sieur d'Audiguicr ,
dans laquelle on ne voit rien qui in-
sinue que la justice se soit remuée ,
ni que le chevalier de Guise ait eu
quelque sujet d'inquiétude ; mais au
fond, on peut accorder facilement ces
deux récits. Tout ce qu'on peut con-
clure de la narration de Bassompierre
est, i°. que le conseil delà reine or-
donna que le parlement se saisirait
de cette cause ; 20. que cet ordre sub-
sista jusqu'à ce que le duc de Guise
(3o) Là même , pag. 2*7.
(3i) L'a même, pag. 281 , 2S2.
(32) Là même , pag. 284.
(33) Là même , pag. 292.
(34) Là même , ya ■;
(35) Là même
se fût agrège a la cabale de M. le prin-
ce. Mais cet intervalle de temps fut si
Court , qu'il y a beaucoup d'apparen-
ce que les procédures du parlement ne
fui eut point commencées, ou qu'elles
avancèrent si peu que presque per-
sonne n'en ouït parler; de sorte que
d'Audiguier est fort excusable de n'en
avoir fait aucune mention. Il suppose
que le chevalier coucha toujours à
l hôtel de Guise; néanmoins iJassom-
pierre assure que le duc l'envoya à la
campagne. Je crois que le duc assura
la reine qu'il avait tenu cette condui-
te à l'égard du chevalier ; mais je
m'imagine pourtant que d'Audiguier
ne se trompe pas. Le duc savait bien
qu'on n'en venait pas des commissai-
res chez lui pour vérifier si le cheva-
lier y était encore. Et notez que tous
les auteurs conviennent que le cartel
du jeune baron de Lux fut porte à
l'hôtel de Guise au lit du chevalier
Celui-ci donc y couchait; et par con
séquentson absence eût été bien cour-
te , posé le cas qu'on l'eût effective
ment envoyé à la campagne , comme
le duc l'assura. Mais ce qu'il y a de
plus digne d'attention , est que les
récits de Bassompierre témoignent
encore plus clairement que ceux du
sieur d'Audiguier , les horribles con-
fusions, et les désordres épouvanta-
bles à quoi la France se voit réduite
lorsque la cour n'a pas la force de se
faire craindre. C'est le vrai moyen de
réfuter ces auteurs démocratiques ,
qui dogmatisent à tout propos que ces
heureux temps sont passés où la puis-
sance était partagée entre le monar-
que et les grands seigneurs. 0 le beau
siècle d'or que celui où le chevalier
de Guise tuait dans un mois le père et
le fils , et ne laissait pas d'obtenir
des lieutenances générales ; et où Ton
n'avait qu'à se joindre à la cabale
d'un prince , pour arrêter tout court
les procédures de la justice royale,
et se faire bien payer par-dessus cela !
Notez qu'encore que Bassompierre fût
à la source des événemens , ce n'est
pas à dire qu'il rapporte mieux les
petites circonstances des faits , que
ne les rapportent les historiens ordi
naires. Il s'y trompe quelquefois gros-
sièrement. En voici un exemple : il ai
met (36) ({ne huit jours entre la mort
(30) Là même
4o4
du baron do Lux le père , cl la mort
du baron de Lux le fils. Il est néan-
moins certain que l'intervalle fut d'un
mois.
(H) // signala son adjvsse dans le
carrousel.... , et il s'en fallut bien
peu qu'il ne remportât le prix de la
course de la bague. ] Je commente
ceci
GUISE.
Je
était celle tics chevaliers du so-
eil , et avait le prince de Conti pour
chef (38).
(38) Tiré du Mcrcuro Françnis , tum. II,
pag. m. 536 , h l'ann. i6ia.
GUISE (Henri de Lorraine,
non pas tant pour donner des DUC DE ) , fils du précédent , na-
preuvesdece que j'avance, que pour quit le 4 d'avril i6i4 (a) , et fut
avoir lieu de rapporter une loi qui ]>un des ]us Ra]ans et Vun des
s observe dans cette espèce cl exercices. , 1 ,.° . , „
» Quand il y a dans les courses de plus accomplis seigneurs de Fran-
3) bagues pareil nombre de dedans , ce , bien fait de sa personne ,
» et d'atteintes , entre quelques-uns adroit en toutes sortes d'exerci-
» des cavaliers, ils se disputent le ces, plein d'esprit et de courage.
» prix entre eux en recommençant TI 1 lc , . * . , o
,, les courses iuscfu'à ce qu'un seul Jl ne faudrait pas ajouter beau-
courses jusqu a ce qu un
» ait l'avantage ; et si dans le même
» jour l'égalité' de leur adresse les
» empêche de décider l'honneur des
i> courses , toute la troupe a droit de
» les recommencer une autre fois ,
») comme on fit au grand carrousel
jj du feu roi , auquel messieurs le
3> duc de Vendôme , les comtes de
j, Saint-Agnan et de Montrevel, et les
3> barons de la Chastaigneraye et de
» Fontaines Chalandray furent égaux,
3) ayant chacun de trois courses deux
» dedans : ce qui les obligea à recou-
3> rir trois fois , et se trouvant encore
j, égaux , comme par leur avantage
j) ils avaient fait perdre aux autres la
3) prétention du prix, par leur éga-
3) lité propre ils la perdirent eux-
3> mêmes , f^lon les lois de ces cour-
« ses , qui en pareil cas en remettent
3) tout le droit à la dame qui donne
3> le prix. Ainsi les courses ayant été
j) remises à une autre fois , la bague
3) demeura en dispute entre monsieur
3> le chevalier de Guise , le marquis
)> de la Valette , et le marquis de
» Rouillac, qui tous trois mirent de-
» dans en toutes leurs courses , telle-
3) ment qu'illeurfallut recommencer,
)> et le chevalier de Guise avec le
» marquis de la Valette n'ayant fait
» que deux dedans , lc prix demeura
j) au marquis de Rouillac, qui fit des
» dedans en toutes ses courses (87). »
Le chevalier de Guise fut de la pre-
mière troupe des assaillans dans ce
carrousel , et il se donna le nom
d' Olivanle de Loro. Cette trou-
(37) Ménestrier
carrousels et antre:
Traité ries tournois , jofites .
spectacles |>iiMics , /<«£. 3o/|.
coup d'inventions à son histoire
pour la faire ressembler à un
roman. Il fut destiné à l'église,
et pourvu d'un très-grand nom-
bre d'abbayes (A) , eu nommé mê-
me à V archevêché de Reims {b) :
« mais s'étant engagé par pro-
» messe de mariage avec la prin-
» cesse Anne de Mantoue (B),
» le cardinal de Richelieu
» trouva moyen de le priver de
» tous ses bénéfices : ce qui
» l'occasiona de se retirer à
» Bruxelles, où il épousa la com-
» lesse de Bossu (C) , qu'il laissa
» peu après , et revint en Fran-
» ce. Etant tombé en une se-
» conde disgrâce, il se retira
» à Rome, où il fit travailler à la
» dissolution de son mariage. Ce
» fut de là qu'il se transporta à
» Naples pour y commander les
» années du peuple , où peu
» après il fut fait prisonnier et
» mené en Espagne (c). » Voilà
ce qu'on dit de lui dans un livre
quifut imprimé à Paris, l'ani65^.
Celte narration a besoin de sup-
(a) Anselme , Histoire des grands Officiers,
pag. A6o.
(I> Idem , ibid , pag. !\(>o.
(<■) L Kini de la France , pag. -r>3 , e'dit de
Pans , i6ï)7.
GUISE. 4o5
plément : il y faut joindre que le vèrent et le demandèrent pour
duc de Guise eut part au traité chef. Il accepta leurs proposi-
que le comte de Soissons , le duc tions, et partit le 1 3 de novembre
de Bouillon , et quelques autres 1647 ('*)• Ijes obstacles qu'il lui
mécontens conclurent avec l'Es- fallut vaincre pour entrer dans
pagne (d) ; qu'il fit un voyage Naples (1) , furent de telle na-
public à Bruxelles pour plus ture, que la Calprenède ni Scu-
grande sûreté de ce traité; qu'il déri n'ont jamais peut-être rien
fut mis en justice comme crimi- inventé qui fût plus digne d'un
nel ; qu'il fut condamné par con- aventurier de roman. Ce duc fut
tumace, le 6 de septembre 164 1, reçu du peuple de Naples avec
et qu'il fit son accommodement au une joie extraordinaire ; et l'on
mois d'août i6/(3 (e) ; qu'au bout ordonna, le 17 de novembre,
de quelque mois il se battit en qu'il serait appelé généralissi-
duel avec le comte de Coligni(D); me des armes, et défenseur de
et que cette querelle vint d'un la liberté, avec les mêmes hon-
différent où madame de Longue- neurs dont jouissait le prince
ville, fille du prince deCondé, se d'Orange en Hollande, sous la
trouva mêlée. Il sortit victo- protection du roi très-chrétien(k).
rieux de ce combat , et n'en crai- Il trouva beaucoup de difficultés
gnit pas beaucoup les suites , dans l'exercice de celte nouvelle
quoique cette action fût un duel dignité , et il donna beaucoup
dans toutes les formes , et qu'elle de jireuves de son esprit et de
se fût passée au milieu de la pla- son courage ; mais la fortune lui
ce Royale , et qu'il eût contre lui fut contraire : la cour de France
une partie des princes du sang, ne pouvant , ou ne voulant l'as-
Ces circonstances et plusieurs sister, il ne put se maintenir; et
autres, et les informations que il se vit obligé à faire des tenta-
le parlement de Paris commen- tives périlleuses où il succomba,
ça de faire faire à la requête du et perdit sa liberté. Il tomba en-
procureur général du roi ( f) , tre les mains des ennemis qui le
n'empêchèrent point que le duc transportèrent en Espagne , où il
de Guise ne se montrât en public , fut détenu prisonnier assezlong-
et n'allât faire la campagne de temps. Il fut mis en liberté au
l'année suivante (g) au siège de mois d'août i652 (/), à la solli-
Gravelines , sous M. le duc d'Or- citation du prince de Condé (m),
léans. Il ne faut pas néanmoins et l'on croit que la cour d'Espa—
douter que cette aventure ne fût gne y consentit d'autant plus fa-
la principale cause du voyage cilement , qu'elle espéra que le
qu'il fit quelque temps après au ducde Guise, retournant en Fran-
delà des monts. Il était à Rome ce , y exciterait desbrouilleries et
lorsque les Napolitains se soûle- (/|) Galeazzo Gualdo Priorato> Histoire
des révolutions de Naples, liv. Il, pag. m. 72.
(il) Me'moires de Montresor , pag. 36f). (j) Là même , pag. 73 et suif.
(f) Le père Anselme , Histoire des grands (k) Là même, pag. 74.
Officiers, pag. 460. (/) Le père Anselme, Histoire des grands
{/) Sarravius , epist, T.V , pag, m 53. Officiers , pag. !\Qo.
(g) En 1644. [m) Voyez la remarque (E),
406 ^ GUISE.
des factions (n). Tout le monde femmes. On dit que celles qui
a cru que la cour de France né- l'aimaient pouvaient connaître à
gligea de l'assister, parce qu'elle l'émotion de leur cœur, et sans
ne souhaitait pas qu'il affermît le voir, s'il était présent (F). 11
son autorité dans le royaume de mourut de maladie à Paris, le 2
Naples, et qu'elle jugeait qu'il de juin 1664 (p) , et fut porté à
était plus de son intérêt que les Joinville , pour y être mis au
liabitans de ce pays-là fussent tombeau de ses ancêtres (G). Il
au pouvoir des Espagnols, que ne laissa point d'enfans : tous ses
s'ils devenaient sujets de la mai- frères étaient morts; ses deux
son de Lorraine. Le duc de Guise, sœurs sont mortes depuis sans
étant de retour en France, ne avoir été mariées (H). On publia
songea point à des cabales qui ses mémoires l'an 1668. M. l'ab-
pussent accommoder les affaires bé de Gallois en fit l'éloge (q).
du prince de Condé : il s'occupa Voyez , tome V, l'article de Cé-
beaucoup plus de galanteries; et risantes.
s'il entreprit Une expédition pour (p) Anselme> Histoire des grands Officiers ,
tâcher de se rétablir dans Naples pag. 460.
(E), ce fut plutôt Une affaire W f"** Journal des Sa vans, du 12.de
,, ' ' . l , 1 . ,. novembre iOOo.
d ostentation qu un dessein soli-
de. Cela n'aboutit à rien. On lui (A) Il fut... pourvu d'un très-grand
1 1 ,i.__„ j„ „„„„A M,„„, nombre d'abbayes. 1 De celles « de
donna la charge de grand cnani- c • ,. r» • ' -a J j c • f k„
. ,° . o )) àaint-Denis en franco, de saint-ne-
bellan, qui était vacante depuis „ my je Reims, de Saint -Nicaise ,
la mort du duc de Joyeuse , son •» de Saint-Pierre de Corbie , de Fé-
frère (o). Il fut choisi, en i656 , » camP> du Mor\t Saint-Michel de
11 j * J~ i„ -„-„~ >' Saint-Martin de Pontoise , dur-
pour aller au-devant de la reine ^ camp ? de Chambon? et d; Mon_
de buede, qui venait en France : „ tirandé ( 1 ). » Il possédait cinq
on ne pouvait pas faire un choix cent mille livres de rente en bénefî-
pïus judicieux ; car jamais hom- ces , si l'on en croit l'auteur de l'État
1 r . 1 „ „ 1 • de la France (2) , imprime' Fan 1607.
me ne lut plus propre que lui w . „ ,-, <,.■/ t *i„™„.,„
r r r t. . JNotez qu il était encore entant lorsque
pour de semblables commissions, cet immense revenu , la dépouille de
et pour toutes les choses où il deux riches cardinaux, commença de
fallait de la pompe et de la ma- ]ui appartenir II recueillit en ji6i5
a ti j. ' x. J* la succession du cardinal de Joyeuse ,
gmficence. Il parut extraordi- onde desamèrej eten l6ar> c^le du
nairement dans le fameux car- cardinal de Guise son oncle. C'est ce
rousel de l'an 1662. Il y fut chef que j'ai lu dans le président de Gra-
de la quadrille des Mores. Il mond (3) , qui observe que le cardi-
f. ... t j nal tle triusc jouissait de cent mille
était ne pour cette espèce de écus de rente , qui furent donnés par
journées et de spectacles, et il le roi, au jeune abbé de Fécamp.
méritai t plus qu'homme du mon- (B) Iljut engagé par promesse de
de d'avoir vécu au temps des mariage avec la princesse Anne de
... , x , Manloite. JNous allons citer un au-
tournois , et au siècle des pala- tem. qui j \iien loin de dirc que cet
dins. On conte une particularité engagement fut cause qu'on ôta au
bien singulière touchant le don , . . . ..... , , nat .
q . . (1) Anselme, Histoire des grands Olhciers ,
qu il avait de se faire aimer clés vnz- 4fi°-
(2) A la iiaçr 53.
n I oyez la même remarqueÇS). (3) Gramond., Hisior. Gall., lib. f III
e trrtvée Pan l65!j „,. /,,>- , ad ann, 1621
duc ses bénéfices , assure qu'il s'en
était défait avant que de s'engager à
ce mariage. « Ce prince , étant le ca-
» det de sa maison , fut destiné à l'é-
» glise et fait archevêque de Reims :
. r__i_ i <. j /•„.'. :i ur.i
GUISE. 407
riage : le duc lui jura qu'il ne sou-
haitait tien avec tant de passion , que
de passeï' le reste de sa vie avec une si
aimable personne , et qu'il ne tiertdrail
qu'a elle de le mettre a l'épreuve. La
» après la mort de son frère il se délit comtesse le prenant au mol lui repai
» de ses bénéfices, et voulut se marier lit qu'elle verrait bientôt si ses ]>>•<>-
» avec Anne de Gonzague , sœur de testations étaient sincères, puisqu'elle
» la princesse Marie, dont nous avons avait dans sa maison un notaire et un
» parlé. Le cardinal de Richelieu , prêtre pour les jnarier. Le duc foi
» voyant cette alliance contraire au surpris de ce discours ; mais il n'en
» bien de l'état , employa l'autorité fit pas semblant , et crut pouvoir pas-
» du roi pour l'empêcher , et fit met- ser carrière sans rien hasarder,el ren
dre la comtesse la dupe de son propre
artifice , puisqu'un mariage de cette
nature, dépourvu des formalités pres-
crites par les canons, et fait sans le
consentement du roi , ne pouvait sub-
sister. Lacomlesse, voyant le dite dis
-, et passa à Bruxelles, où posé a faire ce qu'elle désirait , fil
les autres exilés (4) »• entrer Mansèle , aumônier de l'ar-
mée , qui leur donna la bénédiction
nuptiale , et les dispensa de la publi-
cation des bans , comme s'il avait eu
la même autorité que V archevêque de
Malines. Le duc passa la nuit dans
cette superbe maison avec sa nouvelle
épouse, a qui il témoigna tant d'amour
qu'elle demeura contente de l'Jieureux
succès de ses desseins. Le lendemain il
s'en retourna chez lui après avoirprié
» tre cette princesse dans uucouvent.
» Le duc de Guise , au désespoir de
>> voir sa passion traversée , sortit du
» royaume et se retira à Cologne , où
» sa maîtresse levinttrouveren habit
» d'homme; mais il l'obligea à s'en
» retourner,
» il trouva
(C) Il épousa la comtesse de Bossu. ]
La duchesse de Chevreuse , qui était
alors à Bruxelles, fit connaître au duc
de Guise cette comtesse (5) , qui était
une jeune veuve , d'une humeur douce
et enjouée On la mit d'une partie
où le duc de Guise se trouva , et elle
lui fit tant d avances , qu'il ne put
s' empêcher d'y répondre. Il est vrai
que de peur quelle (6) ne jugeât mal
de sa conduite , elle luiparla d'abord la nouvelle duchesse de trouver bon
de mariage , et. le duc lui témoigna
ne désirer lien tant que d'unir sa des-
tinée a la sienne , jnais en des termes
qui marquaient assez qu'il ne songeait
qu'à se divertir pendant 'son exil.
Quoique la comtesse eût pénétré ses
intentions , elle ne fit pas semblant de
s'en être aperçue , espérant de l'en-
gager plus facilement par sa feinte
ingénuité. Un jour elle le mena à une
que leur mariage demeurât secret ,
jusqu'à ce qu'il eut obtenu l'agrément
de la cour et de sa famille. Quelque
soin qu'on eilt pris de déroberait pu-
blic la connaissance de cette aventure,
elle ne laissa pas de venir aux oreilles
du duc d! Elbeuf et de la duchesse de
Chevreuse , qui la reprochèrent au
duc de Guise comme la dernière lâ-
cheté. Le respect qu'il avait pour les
belle maison qu'elle avait a une lieue dames l'empêcha de s emporter contre
la duchesse ; mais il se brouilla sijor-
tement avec le duc d' Elbeuf , qu'ils
auraient tiré l'épée , si l'archiduc ne
les avait accommodés. Lorsque le duc
de Guise eut perdu l' espérance de se
venger par les armes , il chercha
d'autres moyens pour donner du cha-
grin aux deux personnes qui l'avaient
offensé , et crut n'en pouvoir tixiuver
de meilleur que de mener la comtesse
chez lui et la traiter publiquement
comme sa femme. Ce fut aussi le parti
qu'il prit , et il vécut toujours depuis
en bonne intelligence avec elle, tant
qu'il demeura à Bruxelles. L'auteur
qui raconte tout ceci suppose que 1<
de Bruxelles , et lui donna tous les
divertissemens qu'on pouvait prendre
dans cette saison , qui était la plus
agréable de l'année. Le duc ne put
s' empêcher de lui en témoigner sa re-
connaissance , et de lui parler d'amour
h son ordinaire. La comtesse lui dit
que s'il était aussi amoureux qu'il
voulait le lui persuader , il montrerait
plus d' empressement pour leur ma-
(4) Intrigues galantes de la Cour rie France ,
loin. II, pag. inçj , édil. de i6ç)5.
(5) La même, pag. 180.
(G) Il y a qu'elle comme ici, dans V édition dr
16Ô4 ; mai' je ne ilvate point qu'il rtr faille lii e
qu'il.
4o8
GUISE.
duc de Guise ne travailla à faire casser
son mariage qu'alin d'avoir la liberté'
d'épouser la demoiselle de Pons. Ser-
vons«ous encore de ses termes (7).
« Comme le duc de Guise ne pouvait
3) épouser mademoiselle de Pons qu'il
), n'eût fait casser son mariage avec
3) la comtesse de Bossu , il résolut
33 d'aller à Rome pour en poursuivre
» la dissolution devant le tribunal de
» la Rote. L'action étaitdéjà intentée,
» et la duchesse de Guise, sa mère, y
« avait envoyé un gentilhomme pour
3> cet eilet : mais lorsqu'elle eut appris
» l'amour de sou fils pour mademoi-
m selle de Pons , elle avait mandé à
m son agent de ne plus poursuivre.
3) Le duc partit enfin , et, après avoir
j) essuyé plusieurs périls sur mer ,
» arriva heureusement à Florence ,
3> et obligea le grand-duc à écrire en
» sa faveur à Innocent X , qui venait
» d'être élevé au pontificat : lorsque
3> ce prince fut arrivé à Rome , il fut
» fort bien reçu du pape , qui même,
» à sa prière , accorda le chapeau au
» frère du cardinal Mazarin. Le duc
3) de Guise avait espéré que ce service
3) c ngagerait ce premier ministre à
3> favoriser son dessein ; mais , bien
3) loin de cela , l'ambassadeur de
3) France eut ordre de le traverser. »
Notez qu'il n'y a pas fort long-
temps qu'on a remué tout de nouveau
la question de la validité de ce maria-
ge du duc de Guise et de la comtesse
de Bossu. Les nouvelles publiques
ont débité qu'à Fiome, la Rote l'a dé-
claré valable (8) ; mais que le parle-
ment de Paris a décidé le contraire.
C'est donc encore une matière de
procès, yidhuc sub judice lis est. Sou-
venons-nous que le maréchal de Bas-
sompierre rapporte que le duc de
Guise, qui mourut en 1640, avait fort
pdty dans sa famille par la perte
de ses deux enfans et par la
mauvaise conduite du troisième qui
ne vivait pas selon sa profession (g).
Celui que ce maréchal nomme le
troisième fils de ce duc de Guise,
était le second, et l'amant de la com-
(7) Intrigues galantes de la Cour de France ,
loin. //, pag. 234.
(8) Voyez le Mercure liistor., defe'vrier 1700,
pag. i83 ; mais surtout, voyez la remarque (C)
de V article suivant.
(f)) Basssompierje , Journal de sa Vie, page
dernière.
tessc de Bossu, et ce jeune galant
chargé de tant d'abbayes qui vivait
d'une manière si éloignée de celle que
doivent tenir ceux, que l'on destine
ù la prélature.
(D) Il se battit en duel avec le
comte de Coligni.] Cette affaire fit
beaucoup de bruit; et je suis per-
suadé que mes lecteurs seront bien
aises d'en trouver ici le détail. C'est
un des grands exemples du désordre
que les jalousies et les galanteries
du sexe ont accoutumé de produire.
On peut se fier au récit que je rap-
Ï)orte ; car , quoiqu'il soit pris d'un
ivre dont l'auteur ne se nomme
pas , et qui se trompe quelquefois ,
et qui brouille souvent les aventu-
res , sans se soucier guère d'éviter
les anachronismes , il a été bien in-
struit du fait dans cette occasion , et
il le donne presque tout tel que l'a
donné M. de la Barde, historien très-
exact (10). « (i 1) La duchesse de Che-
3) vreuse s'imaginant que M. le prince
3; était la principale cause de la
3) détention du duc de Beaufort et
3) de la disgrâce de Châteauneuf , ré-
3) solut de s'en venger. Quoique les
3) dames se flattent toujours en ma-
33 tière de beauté, son miroir lui
33 avait dit déjà plusieurs fois que
3) ses charmes à demi effacés avaient
3> besoin d'une personne plus jeune
33 qui fortifiât son parti, et elle ne fut
3> pas obligée d'en chercher hors de
» sa famille. La fille de la comtesse
3) de Vertus, que le duc de Mont-
3> bason , son père, avait épousée ,
3» était , comme nous avons déjà dit,
» la plus belle personne de France ;
3) d'ailleurs elle avait un secret dé-
3j pit contre la sœur de monsieur le
33 prince , qui ayant épousé le duc
3) de Longueville , lui avait enlevé
3> un amant ; et ainsi il ne lui fut pas
3> malaisé de la faire entrer dans
3) son sentiment. Le duc de Guise,
» qui depuis son retour s'était dé-
« claré pour cette belle duchesse ,
» engagea tous les princes lorrains à
» embrasser son parti ; outre qu'ils
» y semblaient déjàportés parla con-
» sidération du duc de Chevreuse ,
(10) Voyez le IIe. livre de Rébus gallicis His-
toriarum Joannis Labardaù , pag. 71 et sequent.
(11) Intrigues galantes de la Cour de France,
loin. If, pag. ?.zti et ruM'.
GUISE.
4°9
quittait de la même maison (12).
Ces deux dames, s 'étant étroite-
ment unies , résolurent de com-
) mencer leur vengeance en atta-
> quant la re'putation de madame de
> Longuevdle. Elles publièrent les
» lettres que cette princesse avait
> e'erites au duc de Beaufort, et qu'il
> avait sacrifiées à la duchesse de
> Montbason ; elles en supposèrent
9 même d'autres qu'elles disaient
avoir e'té e'erites par madame de
Longueville à Coligni. La princes-
se de Conde', ayant su que la du-
chesse de Montbason avait semé
ce bruit, en témoigna beaucoup de
ressentiment , et engagea tous ses
amis à lui aider à. en tirer raison.
Cette querelle partagea toute la
cour , et fit craindre à la reine
qu'elle ne renouvelât les anciennes
haines des maisons de Bourbon et
de Guise. Ces deux partis étaient
assez égaux , parce que le duc
d'Orléans , qui avait épousé une
femme de la maison de Lorraine ,
s'était déclaré pour madame de
Montbason , et ainsi ce différent
pouvait avoir des suites fâcheuses.
Quoique la reine eut intérêt d'em-
pêcher que le duc d'Orléans ne
demeurât trop uni avec le prince
de Condé, de peur que leur auto-
rité ne fît préjudice à la sienne ;
néanmoins, comme il y avait encore
plus de danger à leur laisser pousser
leur ressentiment jusques à la der-
nière extrémité , elle travailla à
les accommoder. Elle obligea la
Srincesse de Condé et la duchesse
e Longueville à recevoir la satis-
faction de madame de Montbason ,
et cette duchesse alla déclarer aux
deux princesses , en sa présence ,
qu'elle n'avait point eu de part à
ces bruits, et qu'elle les désavouait.
Les deux princesses témoignèrent
aussi, comme il avait été convenu,
qu'elles voulaient bien le croire ,
puisque madame de Montbason le
disait : il fut stipulé par le même
accommodement , que cette du-
chesse éviterait toutes les occasions
de se rencontrer avec les deux
princesses , ce qu'elle n'observa
pas dans la suite. La duchesse de
C11) Voyet la remarque (F) de l'article prt
'dent.
» Chevreuse ayant convié la reine à
» une collation qu'elle lui avait fait
» préparer dans la maison de Renard,
» auprès de la porte de la Conférence,
» mena sa belle-mère pour lui aider
» à en faire les honneurs. La reine
» s'était fait accompagner par la
» princesse de Condé, qui, voyant la
» duchesse de Montbason , voulut se
» retirer ; mais la reine la retint, et
» pria cette duchesse de s'aller pro-
» mener ailleurs pour l'amour d'elle,
» ce qu'elle fit de si mauvaise grâce
» qiielareineendcmeurafortirritée j
» même lorsqu'elle fut de refour au
» Palais-Royal, elle lui fit porter par
» Guénégaud , secrétaire d'état , un
J> ordre de se retirer incessamment à
» sa maison de Rochefort. Cette que-
» relie sembla être terminée par l'é-
» loignement de la duchesse ; mais
» Coligni, qui ne se croyait pas ven-
u gé de ce qu'on l'avait voulu com-
» mettre avec la maison de Bourbon,
» dont il avaitThonueiir d'être allié ,
■» fit appeler le duc de Guise par le
)> marquis d'Estrades. Le duc ac-
» cepta le défi , et prit pour son
» second le marquis de Bridieu. Ce
» combat fut à la place Royale , et
» l'avantage demeura tout entier au
» duc de Guise, qui désarma son
m ennemi après l'avoir blessé dan-
» gereusement , et alla ensuite sépa-
» rer les seconds, qui s'étaient battus
» avec beaucoup de courage , sans '
» avoir eu aucun avantage l'un sur
» l'autre. Ce combat donna beaucoup
j> de réputation au duc de Guise et
» aurait augmenté la considération
m que sa maîtresse avait déjà pour
» lui , s'il avait persisté dans cet en-
» gagement , mais son cœur prit
» d'autres impressions peu de temps
» après (i3).»
Notez que M. de la Barde met ce
duel à l'an 1644 > ct qu'il assure que
les deux seconds s'cutre-blessèrcnt
considérablement (i4). Mais M. Sar-
rau, dans une lettre qu'il écrivit peu
de jours après cette action , assure
que M. d'Estrades ne fut point bles-
(i3) 77 veut dire que. le duc de Guis» devint
amoureux de mademoiselle de Pons ,Jilte d'hon-
neur de la reine.
(i4) Estrada alque Brideus qui unà cum his
aller alteri social aecertabant , ambo vulnerali
graviter, eorum qui his intervenir» operâ quo-
min'us aller aliénait necaret, prohibiti snnt.
Labardxus, 'le Rcbus g» 11. ,pag< r^.
410 GUISE.
se (1 5), et que le combat se lit le 12 Coligni , le congédiât 5 et 411e ce
de décembre i643. Groti us s'accorde pauvre comte s'était retiré chez un
à cela quant au temps ;car, dans une ministre (17). Il mourut de chagrin
lettre (16) , qu'il écrivit de Paris le (18) cinq mois après le combat (19) *.
19 de décembre 1643 , il raconte On ne saurait faire de solides ré-
qu'il y avait huit jours que le duc de flexions sur ce duel, sans donner
Guise et le comte de Coligni s'étaient beaucoup d'éloges à la prudence avec
battus en duel. Il observe une cir- laquelle le grand cardinal de Riche-
constance que M. Sarrau a omise , lieu mit hors du royaume la duchesse
c'est que le comte fut désarmé. Il de Chevreuse. Les dames qui abusent
est surprenant que M. Sarrau ait de leur beauté et de leur esprit pour
omis cela : une nouvelle de cette na- se fourrer dans les intrigues d'état
ture et d'un tel éclat peut-elle être sont la peste d'une cour ; on ne sau-
eçrite sans qu'on l'accompagne d'une rait s'en délivrer avec trop de promp-
circonstance aussi essentielle que l'est titude : il faut le plus tôt qu'on peut
de marquer si l'un des combattans les faire servir d'ornement dans les
vainquit l'autre , ou s'ils furent se- pays étrangers. Si la duchesse dont je
parés sans qu'aucun d'eux eût eu du parle eût continué de demeurer à
pire? Il faut reconnaître ici l'effet Paris après la conjuration de Chalais,
des passions. M. Sarrau , en qualité de son amant favorisé (20) , elle eût fait
bon protestant , avait beaucoup de souvent des siennes. Nous voyons
chagrin de la victoire du duc de qu'elle fut à peine revenue en France ,
Guise. Le comte de Coligni, iils aîné qu'elle jeta les fondemens de ce mal-
du maréchal de ChiUillon , descen- heureux combat qui fit périr le comte
dait de l'amiral de Coligni en ligne de Coligni , jeune seigneur qui eut
directe : il était de la religion , et il pu rendre bien des services à la cou-
semblait que sa querelle fût comme ronne : combat encore où M. d'Es-
un renouvellement de l'ancienne ini- trades pouvait être tué , lui dont
mitié des Guises et des Chatillons. l'esprit et l'épée étaient capables de
Tout cela faisait que M. Sarrau eût s'employer très-utilement au bien pu-
souhaité de tout son cœur l'avantage blic du royaume , comme il a paru
de ce comte dans ce combat. Il ne dans la suite , et à l'armée , et au ca-
voyait son désavantage qu'avec cha- binet , par des actions militaires ,
grin : il aurait voulu se le cacher à par des ambassades importantes,
soi-même , et , ne le pouvant , il le Suivez à la trace le duel du duc de
cachait pour le moins aux autres. Guise et du comte de Coligni , vous
Voilà pourquoi il n'en parla point en trouverez la source dans l'ambi-
dans la lettre qu'il écrivit à Sau- tion de la duchesse de Chevreuse,
maise. C'est ainsi que le cœur de qui employa comme un instrument
1 homme se tourne dans les nouvelles la jalousie d'une autre duchesse. Ces
désagréables. On fait ce qu'on peut deux dames, parfaitement d'intelli-
pour ne les pas croire, et si l'on n'a gence quoique l'une fût la belle-
pas la force de se tromper, ni celle mère (21) de l'autre , concertèrent un
de soutenir qu'elles sont fausses , on récit qui flétrissait la réputation
s'épargne à tout le moins la violence d'une princesse du sang. Voilà l'ori-
qu'il faudrait se faire au cas qu'on
les avouât nettement, ou qu'on les (ll) Sarravius, epist. LVII, pag. 55.
apprît à ceux à qui elles ne sont pas (,8) C<>""'"'I mmroreti twdio vitamJinivU.
connues. M. Sarrau, que lcrues jours Pr;°'"V hh,' "' Ï"P' rv a . hw
, , . . x » 1 1 »j_«'o (j„\ burlafin de mai il>44- Anselme, Histoire
après, écrivit a son ami que le prince cies grands Officiers, VaS. 244.
de Condé avait VOlllu absolument que * Joly dit que la Barde et l'auteur de la Pe-
lé duc d'Enghien , qui avait donné ritable Vie d' Anne Geneviève de Bourbon , du-
retraite dans sa maison au comte de fi^ZXlA'fàÏÏ™^
dont il mourut trois jours après.
( i">) S.olus S /radius invulneratus recessit. Sar- (20) Voyez le Ministère du cardinal de Ri-
ravius, epist. LV, pag. 53, edit. Ukraj. Sa clielicu , tom. I, pag. 3io et $i<] , et l'Histoire
lettre est dalc'e de Paris, le 18 de décembre du même cardinal, imprimée h Amsterdam ,
ii>43- ''w)4> tum- '1 PaS- 3°3.
(16) Grotius , c|iist, MDCXXX, fan II, (ai) Novcrca , marâtre , titre d'inimitié en-
pag. 7'Ç). core plus grand que celui -
GUISE. /,n
gine de ce duel. Un complot qui eut la manière dont, la cour de France
une telle suite ferait horreur quand témoigna son ressentiment à la du-
meme on n'y considérerait que cela, chesse de Chevreuse, au temps del'af-
Mais si l'on vient à découvrir par faire de Chalais. Les uns disent qu'on
quels motifs de vengeance cette ma- relégua en Lorraine cette duchesse,
chine fut faite , on se trouve beau- C'est l'expression dont se sert l'au-
coup plus saisi de fre'missement. Fut- teur de l'Histoire du cardinal de Ri-
co par tendresse pour son mari , fut- ehclieu , imprimée à Amsterdam , l'an
ce pour le venger d'une injure qu'il i6g4 (23). Le président de Gramond
eût soufferte en son honneur, que dit simplement que cette dame pour-
l'on répandit un conte désavantageux vut à sa sûreté par la fuite , et que
à la duchesse de Longueville? Hélas! la considération de son sexe avait
non : ce fut par un tout autre désir empêché qu'on ne la mît en prison,
de vengeance; l'honneur du mari en II ajoute que, si on l'eût emprisonnée,
soutirait de plus en plus , bien loin l'on eût rendu un très-grand service
d'être réparé. Une dame mariée se au public , soit au dedans , soit au
voulait venger de ce que cette du- dehors du royaume , vu qu'elle de-
chesse , ayant épousé M. le duc de vint la perturbatrice de presque
Longueville , l'avait privée de son toutes les cours de l'Europe. Fugd
galant. Pour tirer raison de cette of- item consulit sibi ducissa Caprusii
fense, on tint des discours qui eurent muhis rea nominibus : sexiîs jragi-
entre autres suites un fameux duel litas , et veneratio ihhibuerant nuper
dont l'histoire s'est chargée : et voilà quominus et ipsa in carcerem trahe-
par quel endroit la belle-mère et la retur : certè magnum erat Galliœ ,
belle-fille ont acquis l'immortalité j magnum principibus externis ab eu
car on lira leur conduite autant que detenlione beneficium , auctrice pas-
dureront les écrits des historiens sim in res novas intra et extra Gal-
français du règne de Louis XIV. Il y liant cd fœmind , aularumque ferme
a des gens qui croient que le véri- totd Europd omnium perturbatrice ,
table mérite d'une femme est de cou- quod suo infr'a loco reddemus (24).
vrir si sagement sous le voile de la Le véritable détail est de dire que
modestie ses plus grandes qualités , d'abord on lui commanda de se re-
qu'elles ne puissent servir de ma- tirer de la cour, qu'ensuite on la fit
tière , ni aux auteurs , ni même aux garder, mais non pas si exactement
conversations (22). Cette morale est qu'elle ne trouvât le moyen de sortir
bien rigide , trop peut-être , et il n'y hors du royaume. Per dijficilia re-
a point d'inconvénient à la mitiger, ginœ tempora hanc diligentissimè co-
et à soutlrir qu'une dame ait l'ambi- luerat , atque obseiv avérât (Rohana
tion d'être placée dans le temple de Mombasona) atque ed causa et Ludo-
mémoire , et dans les écrits d'un his- vico XIII et hichelio incisa , auld
torien. Mais il faudrait qu'elle n'eût puisa , in custodiam conjecta . pos-
ai vue que les auteurs qui, comme tremb fugd sibi considère , atque in
Valère Maxime , font un catalogue des Hispanid, et Belgio exulare coacta
plus grands exemples de piété , de fuerat (25). M. de la Barde qui dit
chasteté , d'amour conjugal, de cha- cela a raison de remarquer qu'elle
rite, de constance, etc. C'est là qu'on devint odieuse à Louis XIII ; car on
pourrait légitimement briguer une lit dans les Mémoires de M. de la
place : mais de tenir une conduite Rochefoucaut (26) , que les raisons
qui ne peut que procurer éternelle- qui rendaient irrésolue la reine sur
ment un mauvais renom dans quel- le retour de madame de Chevreuse .
que coin de l'histoire , ou dans les était une clause particulière de la de -
plus longs chapitres de la chronique
scandaleuse, c'est en vérité un dés- (23) A la pa.e 3o3 da /e.-. tome t a /'„„„.
ordre qui mérite toute l'indignation »6a6. Voyez aussi le Ministère du cardinal de
que le cœur de l'homme puisse con- Richelieu, 10m. T,pas. 3xg.
cevoir. (54) Gramond , Hist. gall. , lib. XVI, pag.
Au reste, il y a des variations sur '"^ Lab" rd«us, ' Hisl de Rébus gall. , lib
(12) Voyez la remarque (0) de l'article Jo- '!< init.,pag. -1
riTH , tom. f'UT. (î6) /'«." "'• ' t
412 GU
claration , et une aversion étrange
que le roi avait témoignée contre elle
en mourant.
Cette dame mourut au mois d'août
1679, dans sa soixante et dix-neu-
vième année (27).
(E) II s'occupa beaucoup plus de
galanteries , et il entreprit une expé-
dition pour tâcher de se rétablir dans
IVaples.] Cette expe'dition fut faite
l'an i65^. Le duc se rendit maître de
Castel - à - Mare , et la perdit peu
après (28). Rapportons un passage de
Priolo, où nous apprendrons que la
liberté du duc de Guise ne servit de
rien aux Espagnols , ni au prince de
Conde. Gidsius ante paucos annos
dux eleclus reipublicœ IVeapolitanœ,
et inler sœvos tumultus captus ac de-
ductus in Hispaniam , nunc libertate
donatur, id maxime procurante Con-
dœo. Iberica fuit vafrities , Guisium
Galliœ redonare , et Condœo conce-
dere ; ut , qui avorum non immemor,
posset rursiis moliri nova , et ciere
turbas. At oblilus donatœ libertatis ,
et Condœi négligeas , choreas et has-
tiludia cogitavit. Rursiis ah eo tenta-
tum iler IVeapolilanum ostentuifuit ,
renovaturum in animo levi spes acci-
sas per vanum ludibrium. IVullus
mortalium tant vana concepit , éditas
atavis , qui tant grandia , tant solida
captabant (29). M. de la Barde rap-
porte i[ue la reine-mère avait con-
senti à l'e'change que les Espagnols
avaient propose : ils avaient offert de
relâcher le duc de Guise , pourvu
que la France leur rendît tous les
prisonniers de leur parti. Us se ravi-
sèrent peu après, et, dans l'espérance
que le duc de Guise serait un puis-
sant instrument entre les mains de
M. le prince de Conde , pour fo-
menter bien des troubles dans le
royaume , ils le relâchèrent à la
prière de ce prince. Mais , dès que
le duc se vit en Fiance , il déclara
qu'ayant reçu des Espagnols un si
rude traitement , il ne ferait rien en
leur faveur, ni pour te'moigner sa
reconnaissance au prince , pendant
qu'il le verrait dans leurs intérêts ;
(27) Mercure Gaiant , août 1G79 1 PaS- I21 »
édition de Hollande.
(28) Anselme , Histoire de» grands Officiers,
pag. 461.
(•.•()) l'riolus, lib. VIII, cap. V, pag. m,
3|2."
1SE.
que s'il l'en voyait séparé , il n'y
avait rien qu'il ne voulût faire pour
son service. Il trouva d'ailleurs qu'il
était fort redevable à la reine-mère
qui lui avait fait l'honneur de con-
sentir que , pour le ravoir, on ren-
voyât aux Espagnols quatre mille
Srisonniers dont quelques-uns étaient
es gens d'importance (3o). Quoiqu'il
en soit , il s'attacha plus à faire l'a-
mour qu'a faire la guerre. Il revint
a Paris , plus amoureux de made-
moiselle de Pons qu'il ne l'avait été
avant sa prison , et il résolut de l'é-
pouser (3i) ; mais , ayant su qu'elle
lui était infidèle , il la traita fort in-
dignement : il lui fil même un procès
et lui demanda en justice des pen-
dans d'oreilles estimés cinquante mil-
le écus , et une riche tapisserie qu'il
lui avait donnée ; mais il n'en eut
pas le succès qu'il s'en était pro-
mis •• la perte de son procès redoubla
sa colère , et il résolut de l'aller in-
sulter dans sa maison (32). Elle en fut
avertie, et se garantit de l'insulte.
Elle se retira quelque temps après
hors du royaume. Le duc de Guise
ayant appris son départ (33), s'em-
barqua sur la flotte du roi , pour
faire un second voyage a IVaples (34).
Etant revenu en France , il fut amou-
reux de mademoiselle de Gorce , qui
l'aima de meilleure foi , et qui après
sa mort se relira dans le couvent des
Carmélites', où elle prit l'habit (35).
Tout ceci nous montre , que s'il a été
un héros , ce n'a pas été selon les
idées de Corneille , mais selon celles
de Racine et de Quinaut. C'était, un
héros toujours amoureux (36) , et qui
ressembla quelquefois à celui de l'E-
néide : il jouit de tous les privilèges
de mari, il laissa croire à sa maîtresse
qu'elle était sa femme , et il ne pré-
(3o) Tire de M. de la Barde , lib. X , pag.
■;5G , ad. ami i652.
(3i) Intrigues galantes de ta Cour de France ,
pag. i5i.
(32) Im même , pag. ï53.
(33) Lii mente , pag. 254.
(34) Notez qu'il publia , pour se disculper ,
une relation de cette chétive expe'dition. Vous lu
trouverez dans un Recueil historique de diverses
pièces, imprime' en Hollande, in -12, l'an
1CG6.
(35) Intrigues galantes de la Cour de France ,
paç;. ?5S.
(36) Voyez la Vie de Henriette Sylvie de Mo-
lière , part, I, pa:;. m, 55, 56, et part II, p"J-
16a , iC3.
GUISE.
4i3
tendait pas néanmoins qu'elle le fût.
La voilà semblable à Diclon (37) ; le
voilà semblable à Enée (38). Ne disons
pas pour cela que ses aventures soient
héroïques : il n'y a rien là qui ne se
voie souvent parmi les bourgeois , et
parmi les gentilshommes ordinaires.
(F) On dit que les femmes qui l'ai-
maient pouvaient connaître sans
le voir s'il était présent.} Je ne don-
ne pas cela pour une chose cer-
taine , je me contente de rapporter
ce que j'ai lu. Ces deux amans,
c'est-à-dire le duc de Guise et la com-
tesse de Bossu , devaient bien s'aimer,
et je suis surprise que leur amour
ait fini plus tôt que leur vie- Ils
avaient un pressentiment secret ,
qui les avertissait de leur arrivée ,
long-temps avant qu'ils se vissent ;
et jugez, s'il vous plaît , madame , si
ce pressentiment était juste. Le duc
était devenu jaloux du comte de ***,
qui en effet était fort amoureux de la
comtesse, et qu on sait avoir été un
des hommes du monde le mieux faits .
Elle ne l'aimait point; et quoiqu'on
ait voulu en dire , Angélique m a
juré que madame de *** aimait uni-
quement le duc de ***. Mais il n'é-
tait pas aussi persuadé de son bon-
heur qu'il aurait dû l'être; et rece-
vant tous les jours des avis que son
rival était fort assidu et fort passion-
né , il résolut de l'examiner sans en
être aperçu, et vint pour cela incog-
nito à Bruxelles. ( hi > faisait alors
de grandes réjouissances pour la
naissance d'u:i prince qui était né
en Espagne , qui fut nommé Balla-
zarÇiC)) « Le duc e'tant arrive'
» sut que plusieurs jeunes seigneurs
(87) Nec jam furlivum Dido med.iUU.ur timo-
ré m :
Conjugùim vocat , hoc prtetexil notnine cul-
pam.
Virgil. , Mn. , lib. IV, vs. 17!.
(38) Nec conjugis unquiim
Prœlcndi tœdas , aul hœc in fœlera veni.
Id. , ib., m. 338.
Voyez ci-dessus , remarque (B) de l'article de
Gir.nACUE, un duc de Nemours et une demoi-
selle de Rohan , flans un cas pareil à celui du
duc de Guise et de la comtesse de Bossu.
(3rj) Cette chronologie est fausse ; cardon
Baltazar naquit en îfog : le duc de Guise n'a-
vail alors que quinze ans ; et mitez que le père
Anselme, à la page ^i de ton livre du Palais
de l'Honneur, dit qu'il épousa, au mois de dé-
cembre iGJi, Honorine .le Bcr^lics, fille du
comte de Giiinbcrglie , veuve d'Albert Maximi-
li.in île Hennin , comte (le Bossu.
du pays faisaient une mascarade
d'Indiens, et allaient déguises de
cette sorte chez madame de Cante-
croix , où il devait y avoir une
très-grande assemblée : il se fait
apporter un de ces habits , et n'eut
pas beaucoup de peine à les voir ;
car il n'y avait point d'ordre de
les cacher. Il en commande un
tout semblable ; et se mêlant par-
mi la troupe de ces gens masques,
il entre avec eux dans la salle où
on dansait. Il vit madame de ***
plus belle à ses yeux qu'il ne l'a-
vait jamais vue, et monsieur le
comte de *** auprès d'elle; car il
y était toujours dans les assemblées,
et elle ne pouvait l'en empêcher',
à cause du respect qu'on devait à
sa qualité Sitôt que le duc
entra , la comtesse sentit cette cer-
taine émotion que sa présence avait
accoutumé de lui donner. Elle ne
put la croire trompeuse ; et mal-
gré que son amant lui avait écrit
d'un voyage supposé , elle le cher-
cha curieusement parmi les mas-
ques , et fit si bien qu'elle le dé-
couvrit. Cela fit fort éclater leurs
affaires; car l'amante, dans la pre-
1 mière joie de le revoir, ne put dis-
, simuler ses sentimens ; et l'amant
1 fut aussi si transporté, qu'il 011-
! blia les raisons qu'il avait de ca-
1 cher encore son amour J'ai
, vu une lettre originale du duc ,
, sur cet effet de la sympathie, qui
. était à mon gré une des plus belles
> lettres qu'on puisse écrire. Il s'y
> plaignait de l'excès de son bonheur :
) car il avouait bien que c'en était
i un fort grand, que d'être ainsi
deviné par sa maîtresse. .Mais il
disait que cela lui ôtait le plaisir
de voir ce qui |e passait dans son
cœur, sans qu'elle eût cnvii de
le lui montrer. Ces sortes Se de'-
« couvertes étaient à son gré une
des plus parfaites joies qu'un
amant pût sentir; et rien ne lui
paraissait plus touchant pour
âme délicate, que ces épanchemens
de tendresse et de sincérité , où
l'art et la précaution ne peuvent
être soupçonnés d'avoir aucune
part (4o). )•
(4o) Vie de Henriette Sylvie de Molière,
VI*. pari , pag. i5i et tuiv. , e'dil. de Hol-
lande , rG-/f.
4.4
GUISE.
(G) Il fut pointé a Joinville pour y né. Ils sont encore en bon nombre,
être mis au tombeau de ses ancêtres. ] et dans un état florissant. Si l'on fait
J'ai dit ailleurs (4>) que la baronnie porter à quelqu'un le titre de duc de
de Joinville fut érigée en principauté Guise , ce sera une charge bien pe-
l'an i552. Elle entra dans la maison santé. Au reste , j'ignore à qui appar-
de Lorraine par le mariage de Ferri tient présentement ce duché-là : je
de Lorraine, Ier. du nom, avec Mar- n'ai pu recevoir assez tôt les mémoi-
guerite de Joinville , fille aînée de res que j'avais demandés touchant les
Henri, Ve. du nom, comte de Vaude- suites du testament de mademoi-
mont et seigneur de Joinville , lequel selle de Guise. Elle était duchesse de
Ferri fut tué à la bataille d'Azin- ce nom depuis un assez long temps ,
court, l'an 1 41 5 (42). René II, duc lorsqu'elle mourut au mois de mars
de Lorraine, laissa, par son testa- 1688. Elle laissa, par son testament,
ment, daté du 25 de mai i5o6, à la duché de Guise, qui vaut cent
Claude , son fils puîné , les terres de mille livres de rente , au fils puîné du
Guise, Elbeuf, Aumale , Mayenne, duc de Lorraine , avec la principauté
Joinville et autres qu'il avait en de Joinville , qui n'en vaut guère
France (43). C'est dans l'église de moins , et son bel hôtel de Paris, a
Saint-Laurent de Joinville , que se condition quil porterait ce nom in ,
voient les tombeaux des ducs de et viendrait demeurer en France sous
Guise. Voyez , dans Rémi Belleau
( 44 ) •> la description de celui de
Claude.
(H) Ses deux sœurs sont mortes
sans avoir été mariées. ] L'une s'ap-
pelait Marie, et était née le i5 d'août
iGi5 , et a vécu dans le monde , sous
le nom de mademoiselle de Guise
le bon plaisir du roi (48). Le nouvel-
liste qui publia ces choses ajoute
ceci : « Mais outre que cette dona-
» tion n'agrée pas au roi , le duc
» d'Elbeuf prétend que c'est lui faire
» tort, lui qui est le plus proche hé-
» ritier du côté des mâles. Ainsi, il
» a déjà intenté action pour la faire
(45). J'ai lu quelque part (46) , qu'elle » casser, surtout à l'égard de la du-
Îiensa épouser Uladislas , roi de Po- » ché de Guise , soutenant que la dé-
ogne. L'autre se nommait Françoise » funte n'en a pu disposer à son pré-
Reuée , et naquit le 10 de janvier » judice (4g) On soupçonne la
1621 , et fut mise en religion. Elle fut » défunte d'avoir eu un mariage de
abbesse de Saint- Pierre de Reims , et » conscience avec feu M. de Montré-
puis de Montmartre (47)- Après la » sor, gentilhomme de qualité et de
mort de ces deux filles-, il ne resta » mérite. On disait même qu'ils
plus de m;1le ni de femelle de la
branche de Guise , et il est à remar-
quer qu'encore que les quatre pre-
miers ducs de ce nom aient eu cha-
cun beaucoup de fils , toute leur
postérité est éteinte , hormis celle de
René de Lorraine , marquis d'Elbeuf,
huitième fils de Claude Ier. , duc de
Guise. Tous les princes de la mai-
son de Lorraine , qui sont aujour-
d'hui en France , sont issus de ce Re-
(4i) Ci-dessus , cUation(k), article de (Fran-
çois , duc de) Cuise.
(1\ï) Anselme, Histoire des grands Officiers,
pag. 455.
(43) Voyez le Ministère du cardinal dr Ri-
chelieu , foin. /, pag. in. 237.
(44) Au feuillet • 34 de la /'». part, dr- ses
Œuvres, r'dit. de Lyon, i5ç)2.
(45) Anselme, Histoire des grands Officiers,
pag. 428.
(4C) Dam un livre intitulé : l'Étal «le France.
(47) Anselme, Histoire des grands Officiers ,
p«e 4,s
» avaient eu plusieurs enfans ensem-
» ble , dont il restait deux filles. Ce
» bruit se répandit principalement il
» y a quatre ans , lorsque cette prin-
» cesse fit une donation en faveur du
» prince de Harcourt , laquelle n'a
» pourtant point eu d'effet. L'on
» voulait que l'argent qu'il lui de-
» vait donner était pour marier ces
» deux filles; mais soit qu'elles soient
» mortes depuis , ou que tout cela
» n'ait été inventé qu'à plaisir , il est
» constant qu'il n'en est fait nulle
» mention dans son testament (5o). »
(48) Mercure historique et politique, Mois île
mars 1688, pag. 27c)
(49) Là même , pag. 7S0.
(50) Là même, pag. 281.
GUISE (Louis de Lorraine,
cardinal de). Il y a eu trois car-
dinaux de ce nom. Le premier
GU
était frère de François de Lor-
raine , duc de Guise. Le second
était fils de ce même duc. M. Mo-
réri a parlé de l'un et de l'autre
(a), et n'a rien dit du troisième :
c'est ce qui fait que je ne. parle
que de celui-ci. Il était fils de
Henri de Lorraine , duc de Gui-
se , tué à Blois , et naquit l'an
i5y5. Il avait l'humeur si guer-
rière, qu'il ne respirait que les
combats , quoiqu'il fût homme
d'église , cardinal , et archevêque
de Reims. Il suivit le roi dans
l'expédition de Poitou, l'an 162 r ,
et se signala entre les plus braves
et les plus déterminés gentils-
hommes de l'armée à l'attaque
d'un faubourg au siège de Saint-
Jean d'Angéli (b). Etant tombé
malade quelque jours après, il se
fitporter à Saintes, et y mourut le
21 juin 162 1. Le procès qu'il eut
avec le duc de Nevers , au sujet
d'un prieuré , dégénéra en que-
relle de bravoure , et il s'y mon-
tra fort disposé à le vider l'épée à
la main. On verra ci-dessous
quelques circonstances de cette
affaire (A). Il témoigna au lit de
la mort qu'il se repentait de la
vie licencieuse qu'il avait menée
(c) , et de l'offense qu'il avait faite
au duc de Nevers (d). Le prési-
dent de Gramond le condamne à
l'égard de ces actions belliqueuses
ou il fallait mettre la main au
sang; mais il l'épargne par rap-
port au concubinage (B) , qui ,
pour être infiniment plus com-
(à) Sous le mot Louis.
(b) Voyez Malingre , Histoire de la Ke'-
iicllion , tom. I, pag. m. 297, 298, et h
VIIe. tome du Mercure Français, png. 5i5.
(c) Aulico luxu et militari licenliâ tra-
duxerat vitam. Gramond., Hist., lib. VIII .
pa™. ;n. 407.
d) Tdem , ibidem.
ISE. 4x5
mun parmi les ecclésiastiques
que les fonctions militaires, ne
laisse pas d'être une infraction
de la discipline canonique.
Au reste je crois qu'on a fait
des réflexions sur ce que les des-
cendans du même prince de
Condé , que le duc de Guise ,
François de Lorraine, tâcha de
faire périr, sont devenus héri-
tiers des descendans de ce duc
(C) , et qu'un intervalle d'envi-
ron cent trente années a suffi
pour cela.
(A) Le procès qiCileut.... dégénéra
en querelle de bravoure. On verra
ci-dessous quelques circonstances de
celle affaire. J « Durant le siège de
Sainct Jean d'Angely, le cardinal
de Guise deceda à Xaintes , d'une
fiebvre, laquelle luy vint du tra-
vail qu'il avoit prins. Il estoit car-
dinal , mais seulement diacre , et
n'avoit jamais chante messe : c'es-
toit un prince tout martial , et du-
quel l'esprit estoit plus porte' à
l'exercice des armes , qu'à celuy
des lettres : plusieurs ont escrit de
la querelle que M. le duc de Ne-
vers et luy eurent ensemble , poul-
ies provisions du prieure de la Cha-
rité' , et de ce qui se passa au logis
de leur rapporteur. Ceux qui par
leurs escritures produites au pro-
cez mirent ces deux princes en que-
relle , furent la cause qu'ils vinrent
jusques aux prises, et qu'ils sorti-
rent hors de Paris , chacun avec
leurs amis , pour se rencontrer et
terminer leur querelle au prix de
leurs vies. Mais sa majesté' ayant
envoyé sa cavalerie légère pour se
saisir de leurs personnes , celuy qui
les conduisoit , et qui avoit charge
expresse de faire l'arrest sur la per-
sonne dudit sieur cardinal , exe'-
cuta le commandement de sa ma-
jesté' , et l'amena à Paris , où depuis,
crainte d'une seconde sortie , à
cause ([ne M. de Nevers estoit tous-
jours aux champs, il fut conduicl
un soir à la Bastille , et de là au
(0 Mercure Français , (Ont. lit. /"*»• ^7°
4i6 GUISE.
5) bois de Vincennes (2). » Le prési- nis. Perinjuriam Joinvillius percus-
dent de Gramond rapporte quelques serat magistralum , et ait dolere se ex
autres faits curieux ; savoir, que le personâ Niverni , quod perçussent;
cardinal de Guise , rencontrant le quasi adeo injra posilus in quem col-
duc de Nevers chez le rapporteur du lata offensa , ut gratis cœdi posset.
procès , lui dit d'abord quelques pa- Erat hœc labes ejus œlalis , quâ a
rôles choquantes , qui furent verte- principibus rex parum dislingueba-
ment repousse'cs , et que là-dessus il tur : quo jure utimur hodiè , nempè
lui donna un coup de poing en pré- anno m. dc. xlii. quo hœc scribo ,
sence du rapporteur. Le prince de externi principes parum h regni pri-
Joinville , frère de ce cardinal, mit moribus , parum ni h nobilibus diff'e-
aussitôt l'e'pée à la main, et en donna runt, uno ferme ordine habemur om-
quelques coups de plat à Marescot , nés ; eoque ventum ut nemo publia- ,
maître des requêtes , qui , avec la nemo privatim peccare possit sine ul-
permission de sa majesté' , avait soin tore , quod ejus sapientiœ et œquitati
des affaires du duc de Nevers. Le roi, debitum , qui œtate nostrd summam
sachant que ce duc voulait se battre rerum tenet in Gallid (3).
en duel avec le prince de Joinville , M. l'abbé de Marolles nous four-
interposa son autorite' pour les accor- nira quelques autres circonstances,
der, et obligea le cardinal à deman- Sur le commencement de l'hiver 1G10,
der pardon au duc. Pour ce qui est dit-il (4) , M. de Nevers eut un
de l'injure que le maître des requêtes grand démêlé avec le cardinal de
avait soufferte , voici comment on la Guise , pour le prieuré de la Charité,
répara : le prince de Joinville fut dépendant de l'abbaye de Cluni ; car
obligé de se servir de ces paroles de- en ayant fait pourvoir en cour de
vant les arbitres : MonsieurMarescot, Rome le prince de Tymeraye , son
en considération de M. le duc de second fils , sur une lettre ou pro-
Nevers , je suis fâché de vous avoir messe du cardinal de Guise , abbé de
battu , je vous prie d^oublier cela , et Cluni: et ce cardinal, s'en étant vou-
de croire que je serai votre ami pour lu dédire en faveur de l'un des enfuis
Vautour de M. le duc de Nevers. Le qu'il avait eus de la dame des Essars,
président de Gramond fait une re- fut le sujet d'un grand procès, et de
marque très-solide sur le désordre dc partager dans la cour toutes les per-
ces temps-là, où un maître des re- sonnes de condition Ces troubles
quêtes pouvait être battu impuné- furent difficilement apaisés , parce
ment. Ce désordre ne venait que de qu'il y eut des coups donnés de part
la diminution de l'autorité royale, et et d'autre , sans que M. de Nevers ,
cessa dès que le cardinal de Richelieu qui fut offensé le premier, ne se
eut abaissé , aux pieds du trône de défaut de rien , eut eu loisir de
Louis- le -Juste , les princes et les mettre l'épée à la main, que Fou-
grauds seigneurs qui usurpaient une ques , son écuyer , tenait hors de la
très-considérable partie de la puis- chambre du rapporteur , ou il était
sance souveraine. N'est-ce pas une seul.
chose qui sent l'anarchie, que dans (B) Le président de Gramond le
un pays qui a le titre de royaume , condamne a l'égard des actions bel-
ceux qui ont battu un grand magis- liqueuses ; mais il l'épargne par
trat ne soient pas obligés de recon- rapport au concubinage. ] Voici l'an-
naître qu'ils en sont marris , à cause tithèse dont il se sert (5): Militiamaf-
de la qualité de ce magistrat, mais feclabat impatiens sut; non miles, quia
seulement pour l'amour du grand sei- cardinalis ; non item cardinalis , quia
gneur qu'il servait? Considérez bien miles erat Indebitum cerlè clia-
ces paroles du président de Gramond. racteri , quod in Engeriacd obsidione
Principum per ea lempora summa sœpè ferrum in hostem strinxit, int-
erné ratio, affectabantque distingui mentor ecclesiam nescire sanguinem,
abomni ordine, prœrogativd sangui-
,r ° (3) Gramomlus, Histor- , hh. 1111, in fuie
(9.) Notez qu'il n'y demeura guhrr ; car peu P*g ■ »• 4°8.
après, le roi voulant partir pour faire son voyage (4) Marolles , Memo.res, pag. ^ et /fi.
.le Poiclou, il le fil venir à Fontainebleau pour (5) Gramomlus , Ilistor. , hb FUI, pag.
l'accompagner. LU même , ptlg. S71. 4°7'
GUISE. 4i7
S'il ne parla point des amourettes de tenta des vestes d'un cardinal. Le pu-
ce cardinal , ce fut parce qu'il les blic ne manqua point de faire atten-
ignorait , me dira peut-être quel- tion à cette grande délicatesse :
qu'un. Mais je ne saurais m'imaginer l'occasion de citer de tels exemples
qu'il les ignorât ; elles étaient trop vient si souvent , que ces sortes d'a-
publiques , et avaient été accompa- rentures ne tombent guère dans Pou-
gne'es de géne'ration. La Chronique bli. Mais lorsque l'on commençait
des Favoris , imprimée l'an 16:22 , peut-être à n'en parler plus , il s'é-
suppose (6) qu'il survint une dispute leva des prétendans à la succession
entre le cardinal de Guise et le duc de mademoiselle de Guise, qui rani-
du Maine , à qui entrerait le pre- mèrent les idées de cet objet- là. Li-
mier dans la barque de Caron. Le
cardinal disait qu'il était mort le pre-
mier , et par conséquent qu'il devait
passer. Le duc ne débattait au con-
traire , mais remontrait qu'il était
préférable , attendu qu'il avait été
tué pour le service du roi, et que l'au-
tre était mort seulement de maladie.
Le cardinal répliquait que , pour la
querelle de Dieu , il avait quitté
femme et enfans , dont il ne voulait
que M. de Nevers a témoin , et que
lui n'avait rien laissé de tout cela.
Tout le monde savait , en ce temps-
là , que ce cardinal avait entretenu
l'une des maîtresses d'Henri IV , je
veux dire , Charlotte des Essars. La
mémoire s'en était conservée d'autant
plus facilement^ que cette femme
avait été assez heureuse pour épouser
un grand seigneur , nonobstant la flé-
trissure publique dont elle était char-
gée , après avoir donné des enfans à
un roi de France , et puis à un arche-
vêque de Reims (7). M. du Hallier ,
qui eut pris peut-être pour une més-
alliance d'épouser Charlotte des Es-
sars , parfaitement bien famée , ne se
fit aucun scrupule de l'épouser toute
perdue de réputation. Il était de qua-
lité, et frère d'un maréchal de France
(8). Il était chevalier de l'ordre du
Saint-Esprit et capitaine des gardes-
du-corps , et il avait donné des preu-
ves de cette vertu militaire qui l'éle-
va dans la suite à la dignité de
maréchal de France. Néanmoins ,
dans un mariage légitime , il se con-
(6) Chronique des Favoris , pag. i4-
(7) Le père Anselme , fila page 44 1 au Palais
de l'Honneur , dit que le cardinal de Guise
laissa ÙV Charlotte des Essars trois fils et deux
filles ; que l'aine' des fils fui e'iéque de Condom ,
que le second fut comte de Romorantin , et tue
en Candie au service des Ve'nitiens, et père de
la marquise d' Acy. Je laisse ce qu'il dit du troi-
sième , et des filles.
(8) De Nicolas de l'Hospital , marquis elpuis
duc de Vari.
TOME VII.
sez ce qui suit ; je le tire du Mercure
Historique et Politique du mois d'a-
vril 1688. « Madame la marquise d' A- *
» cv , femme du cadet du comte de
» Gamache , chevalier des ordres du
» roi , dispute aujourd'hui la succes-
» sion de la maison de Guise , et ce en
n vertu d'une certaine boîte qui lui
» a été apportée par une personne in-
» connue , dans laquelle elle a trou-
» vé un contrat de mariage du car-
» dinal de Guise , avec mademoiselle
» des Essars , mère du comte de Ro-
« morantin , son père, qui a toujours
» passé pour bâtard de ce cardinal.
» Ce contrat est assaisonné de la bé-
» nédiction nuptiale , faite en forme ;
» qui plus est, d'une dispense du
» pape , portant permission à ce car-
» dinal de posséder ses bénéfices ,
» nonobstant son mariage : enfin, rien
» n'y manque en apparence , qu'un
« support assez puissant pour pouvoir
» disputer une si grande succession
» contre ceux qui y ont intérêt. Ce-
» pendant , de quelque endroit que
» puisse sortir cette boîte , elle est
» pour faire du bruit au Palais, d'au-
» taut plus qu'elle est entre les mains
n d'une dame qui y a fait un long
» apprentissage de chicane , comme
» si elle eût su le besoin qu'elle en
» aurait un jour. Depuis cette heu-
n reuse découverte, elle a fait ùter la
)> barre qu'elle portait sur ses armes,
» pour marque de sa bâtardise. Mais
j> il est à craindre pour elle, qu'elle
» ne soit obligée de l'y remettre bien-
» tôt : elle a affaire au prince de
» Condé , qui prétend être le princi-
» pal héritier de cette maison , à
» cause de madame la princesse de
» Condé , sa femme ; et , comme il y
» a bien peu de proportion de l'un à
» l'autre , la boîte pourrait bien se
» trouver supposée avec le temps (9). «
(ç) Mercure Historique el Politique, avril
t688, pag. 373 , 376.
4i8
GUISE.
Notez que l'auteur du Mercure a sup-
pose (10) que ce cardinal de Guise
était celui qu'on tua à Blois. C'est
une erreur.
(C) Les descendons du même prince
de Condé , que François , duc de
Guise, coulait faire périr, sont deve-
nus héritiers des descendons de ce
duc de Guise.] C'est ici qu'il me faut
placer le mémoire que je n'ai reçu
qu'après l'impression de la page où il
eût pu être plus commodément (n).
C'est un mémoire qui nous apprendra
les procédures dontle mariage du duc
de Guise et de la comtesse de Bossu
ont été la cause , et quel est le fonde-
ment des prétentions de M. le prince
de Condé , qui a gagné le procès.
« («a) Le 16 de novembre 1641 , il
» se passa un mariage entre M. le duc
» de Guise et Honorée de Berghes, lors
« veuve en premières noces de M. le
» comte de Bossu.
» Le 9 juin 1666, il y eut sentence
» définitive , rendue contradictoire-
» ment à la Rote , qui déclare le ma-
» riage valable ad quoscunque ejfec-
» tus , et dictant comitissam veram et
» légitimant cohjugem. Nota : que le
» duc de Guise était mort ; mais il
j> avait produit à Rome pendant sa
» vie. Nota encore : que pendant ce
» temps-là mademoiselle de Guise
» obtenait des arrêts, au Palais, qui
» annulaient la procédure de la Rote ,
» faisaient défense d'y plaider, et à
» tous huissiers, en France, d'y dou-
» ner des assignations et d'en exécu-
» ter les jugemens. Madame la com-
» tesse de Bossu a agi tout le reste de
» sa vie comme duchesse de Guise.
» Elle a soutenu avec constance la
» validité de son mariage , et en a
)• toujours poursuivi l'exécution. Elle
» espérait le faire reconnaître en
i) France par la recommandation ou
» l'autorité de la ligue ou du roi d'Es-
» pagne, au traité de Nimègue, en
» 1678. Mais le parti français y était
» trop puissant , les ministres de
» France refusèrent absolument d'é-
» coûter aucune proposition sur les
» intérêts des particuliers. La com-
(10) Mercure Hist. et Polit, avril 1688, pae.
380, 387.
(11) A la fin de la remarque (H) de l'article
précédent.
(11) Mémoire qui m'a été communiqué par les
soins de M. DaLncé.
tesse de Bossu fit des efforts inuti-
les, et mourut en 1679, ayant in-
stitué héritier le comte de Berghes,
l'un de ses neveux. Le comte de
Berghes mit ordre aux affaires de
la succession , et rassembla tous les
titres du mariage, qui étaient dis-
persés à Rome, à Paris, à Madrid ,
à Vienne, aux Pays-Bas et ailleurs.
A la faveur de la trêve de Luxem-
bourg, il vint à Paris, et y forma
sa demande au châtelet , le 3 août
1687, contre mademoiselle de Guise,
comme héritière de feu M. son frè-
re , à ce que le contrat de mariage
du 16 novembre 164 1 fût déclaré
contre elle exécutoire : ce faisant ,
que les conventions et autres droits
en résultans lui fussent adjugés.
Mademoiselle de Guise, atissitot ,
obtint un arrêt du parlement , par
lequel défense fut faite de procéder
au châtelet, de qualifier la com-
tesse de Bossu duchesse de Guise ,
de faire aucune demande sur ce
prétendu mariage , et à tous huis-
siers de donner , à cet effet, aucune
assignation. Le 8 mars 1688, made-
moiselle de Guise mourut, après
avoir fait plusieurs testamens et
codicilles , dont le dernier est du 2
mars 1688. La guerre survint là-
dessus, qui servit à tenir les choses
en suspens. Enfin , la paix ayant été
faite à Ryswick , le comte de Ber-
ghes revint en France , honoré du
titre de prince et de chevalier de la
toison d'or. Il renouvela sa deman-
de, le 25 octobre 1698, non pas au
châtelet, mais droit au parlement.
Il demanda, en vertu d'une com-
mission du grand sceau , à être re-
çu opposant à l'exécution de l'arrêt
de 1687, e^ aux deux autres rendus
long-temps auparavant contre la
dame sa tante, faisant droit sur
son opposition , ensemble sur l'ap-
pel comme d'abus interjeté par
mademoiselle de Guise et messei-
gneurs ses héritiers, de la célébra-
tion de mariage, et de la sentence
de la Rote , évoquant sa première
demande faite au châtelet , qu'il
fût dit n'y avoir abus , et que les
conventions et autres droits du ma-
riage lui fussent totalement adju-
gés. Sur cette illustre contestation ,
intervint arrêt , le mardi matin 5
janvier 1 700 , en la grand' chambre.
HACKER. HACKET.
» suivant les conclusions de M. d'A-
» guesseau , avocat général , plaidant
» Me. Robert et Me. Nouet, avocats
» des parties, président M. deHarlay,
» après quinze audiences , dont sept
» furent consumées par Me. Robert ,
» six par Me. Nouet , et deux par
» M. d'Aguesseau , par lequel ayant
» égard à la requête du prince de
» Berghes, la cour ordonne que l'in-
» formation faite contre Honorée de
» Berghes , comtesse de Bossu , sera
» rejetée : sans s'arrêter aux opposi-
» tions du prince de Berghes à l'exé-
» cution des arrêts de 65, 66 et 87,
» faisant droit sur les appellations
» comme d'abus, tant de la célébra-
» tion , que de la procédure faite à la
» Rote , et sentences y intervenues ,
» dit qu'il a été mal , nullement et
4'9
» abusivement célébré, procédé et
» ordonné. En conséquence, déboute
» le prince de Berghes des demandes
» dépendantes de la question du ma-
» riage , le condamne aux dépens :
« et, sur les autres demandes , or-
» donne qu'il se pourvoira. »
La table généalogique , qui fut
imprimée pendant ce procès, fait
voir à l'œil qu'Anne, palatine de Ba-
vière , épouse de M. le prince de
Condé , a dû être l'héritière de made-
moiselle de Guise ; car elle descend
du duc de Mayenne, fils de François
de Lorraine , duc de Guise. Ce duc
do Mayenne eut une fille qui épousa
Charles de Gonzague, duc de Nevers;
et de ce mariage sortit Anne de Gon-
zague , mère de la princesse de
Coudé.
H.
H A C K E R (a) ( Jacques ) , pro-
fesseur en théologie à Fribourg
dans le Brisgaw, vers le commen-
cement du XVIIe. siècle. Je n'en
parle que pour avoir lieu de dé-
terrer un écrivain pseudonyme
(A) , qui n'a point encore paru ,
que je sache , dans les catalogues
de cette espèce d'auteurs.
(a) Et non pas Hacher , comme dans Ko-
nig.
(A) Je n'en parle que pour. . . dé-
terrer un écrivain pseudonyme. ]
Hacker ayant publié (1) une dispute
sur la prédestination * , fut réfuté
par un moine de Mantoue , sous le
faux nom de Daniel Neidinger. Il se
défendit, et voici le titre de sa ré-
plique : Disputationis de Prœdesti-
nationis causa falso et ementito au-
tore Dan. Neidingero , uerb autem
et germa no ejus fabro Fr. Andr.
Urciano Ord. min. Obs. reg. in urbe
Hlantiiand nuper editœ , et ibidem a
tredecim diversorum ord. fralribus et
patribus suspecta; , in quatuor ex
(1) Van 160g , selon If Catalogue d'Oxford.
* Lcclerc dit , d'après d'Argentré , que "acier
était pour la prédestination fondée sur la prévi-
sion des mérites.
quibus coaluit , elementa , menda-
cia , hœreses , antilogias , sordes ser-
monis , analysis. Autore J . Hac-
kero. Dorschéus , professeur en théo-
logie à Strasbourg (2) s'est servi de
cet exemple pour faire voir que les
catholiques romains s'entre-accusent
d'hérésie. Il dit que cette réplique
d'Hacker fut imprimée Tan 1618 ;
mais puisqu'on la marque dans le
Catalogue d'Oxford , comme impri-
mée à Fribourg , l'an 1614 , je ne
f>ense pas que la première édition lui
ût connue. On marque dans le même
Catalogue deux volumes de Jacques
Hacker , sur Thomas d'Aquin. Ils
furent imprimés à Fribourg , le pre-
mier l'an 161g , et le secondl'an 1621.
M. Konig ne distingue point cela , et
indique mal le titre.
(2) Dorschéus, in Hodegetico catholico, cap.
X, pag. 868 , 869.
HACKET * (Guillaume), fa-
natique anglais , au XVIe. siècle ,
fut d'abord valet d'un gentil-
homme nommé Hussei, et lui ter
moigna sa fidélité par une action
tout-à-fait brutale (A). Il épousa
* Un autre Guillaume Hacket a place
dans le Dictionnaire de Chaufepié. C est
un historien anglais, ne' en novembre l6o5.
mort en l654
42o HACKET.
ensuite une veuve qui étaitriche, traire, il ne pleuvrait point,
et la ruina en peu de temps par ses Edmond Coppinger et Henri
dépenses voluptueuses. Il n'avait Arthington , deux personnages
point étudié , mais il avait beau- assez doctes , s'associèrent avec
coup de mémoire, et en abusait lui, le premier sous le titre de
à répéter entre les verres et les prophète de miséricorde , et le
pots les prédications des minis- second sous le titre de prophète
très. Il ne faisait cela que pour de jugement. Arthington publia
s'en moquer , et il n'allait au qu'ils avaient une mission ex-
sermon qu'afin d'avoir lieu de traordinaire, et qu'après Jésus-
donner à sa mémoire cet exer- Christ personne au monde n'a-
cice ridicule. Il aimait prodigieu- vait un pouvoir plus grand que
sèment le vin et les femmes, et Guillaume Hacket. L'autre, je
il corrompit une fille qui était veux dire Coppinger , déclara
allée chez lui pour lui deman- qu'Hacket était le seul roi de tou-
der conseil (a). Il vola même te l'Europe. Ils allèrent ensuite
sur les grands chemins. Enfin il plus loin , il l'égalèrent en toutes
s'érigea en prophète , et annon- choses à Jésus -Christ , et cela
ça, i°. que l'Angleterre senti- sans qu'Hacket s'y opposât ; car
rait les fléaux de la faim et de il disait dans ses oraisons , Père,
la peste et de la guerre , si elle je sais que tu m'aimes autant que
n'établissait la discipline consis- tu t'aimes (b). Ils voulurent pro-
tox'iale ; 2°. qu'à l'avenir il n'y céder à la cérémonie de l'onction
aurait plus de papes. Il marquait ou du sacre ; mais il ne le permit
le temps de cette désolation de pas, et sa raison fut que le Saint-
l'Angîeterre. C'était , selon lui , Esprit l'avait déjà oint dans le
l'année même qu'il la menaçait, paradis. Ils lui demandèrent en-
Ce fut dans Yorck et dans Lin- fin ce qu'il avait à leur comman-
coln qu'il commença de prophé- der , et lui protestèrent qu'ils au-
tiser, et qu'en punition de son raient pour lui une obéissance
audace il fut fouetté publique- sans bornes. Il leur ordonna d'al-
ment et condamné à l'exil. Il 1er crier par toutes les rues de
avait une facilité merveilleuse à Londres , que Jésus-Christ était
prier Dieu sur-le-champ et avec venu pour juger le monde, et
des phrases choisies et fort pom- logeait dans une telle hôtellerie,
peuses , et cela fit croire au peu— et que personne ne le pourrait
pie que c'était un don extraor- faire mourir. Ils obéirent avec
dinaire du Saint-Esprit. Il avait tant de hâte , qu'Arthington ne
une extrême confiance en ses se donna pas le loisir de prendre
prières (B) ; car il disait que si ses gants. Ils ajoutèrent ceci au
toute l'Angleterre faisait des formulaire de leur maître , re-
vœux pour obtenir de la pluie, pens-loi, Angleterre, repens-toi.
et qu'il fit des vœux pour le con- Us attirèrent par leurs cris un si
(a) Potator scortatorçw fuit enormis , grand concours de peuple, qu'é-.
virginisquc quce ad eum consiiu causa ac- tant parvenus à la grande place x
cessil consluprator. FiU Simon, in Britan-
nomachià Ministrorum , etc. Voyez la cita- {b) Pater, scio te non minus teips» me da-
tion [e\. ligere. Idem, iliid.
HACKET. 4*i
ils ne purent aller plus loin , ni lui et le gentilhomme qui avait Hac-
se faire entendre : mais avant ketà.son service. Voyons de quelle
mais ayant
trouvé un chariot vide ils y
montèrent, et discoururent de
la commission importante de
Guillaume Hacket (G). Ils fu-
rent le retrouver, et , dès qu'ils
le virent , Arthington se mit
à crier devant tout le mon-
de : voici le roi de la terre. Ce-
manière ce valet vengea son maître.
Il aborda familièrement et en termes
d'amitié le fils (t) de cet artisan , et
en fut reçu de la même manière ,
f>uis tout d'un coup il le colleta , et
e renversa , et lui coupa le nez à
belles dents; et au lieu de le rendre
au chirurgien , qui se faisait fort
de le remettre , il le mangea : Eique
nasum dentibus evulsit , nec chirurgo
uolenti restituere iradidit , sed ( ut
ci se passa le 1 6 de juillet 1592 fertur) barbard immanitate dévora
(c). On les Cita devant les juges , vit (a). Camden ne rapporte point ce
et on leur fit leur procès. La sen* f?'lt avec le,s mêmef circonstances. II
. r> -ii tt dit «u'Hacket embrassant le maître
tence porta que Guillaume Hac- d,e^le en sign'e de récoriciUation , ie
ket serait pendu , et mis en mordit au nez jusqu'à emporter la
quartiers le 28 de juillet, et la pièce, et que ce fut le maître d'éco-
chose fut ainsi exécutée. Cop- le ?lli demanda la restitution , afin
i • • i r - au on put coudre la partie pendant
pinger se laissa mourir de faim ^ue la ^^ e-tait toJe fraî<5,e> Ad
dans la prison , mais Arthing- uindictarn adeb efferus (Hacquetus) ut
ton obtint grâce (d). Les blas— ingenuo ludimagistro , dum redinle-
phènies contenus dans la prière 8mti ^moris */>e«e amplectentur ,
A ,rT -, . 11 » 1 nasum mordicus abscideiit , et coram
qu Hacket prononça sur 1 echa- misem deformi SUpp/icante ut red-
faud sont si horribles, que je ne deret , quo vulnere adhuc récente
les rapporterai qu'en latin (e) assueretur, canine utferunt (3) de-
(D). On verra dans les remarques gravent (4). La variété de ces cir-
v , , . , , *■ constances n est pas telle que 1 on en
quelques particularités de son puisse conclure que ic fait est faux :
fanatisme compliqué de rébel— on peut seulement y rencontrer une
lion. C'était un homme rempli marque de la paresse, ou de la fai-
de haine pour la reine Elisabeth blesse de la mémoire de l'homme
_, _ * , . , Ceux a qui Ion conte une chose ont
(L). On ne doit pas révoquer en accolltumé d'être attentifs prineipa-
" lement au fond et à l'essence du fait.
C'est aussi ce qu'ils retiennent le
mieux. Mais comme ils n'ont pas eu
la même attention à toutes les cir-
constances , car cela eût été trop
pénible , ils en oublient plusieurs :
ils n'ont pas pris la peine d'en char-
ger leur mémoire , qui d'ailleurs
n'est pas assez forte pour soutenir
toutes les parties d'un fardeau ; et
ainsi , au bout de quelques heures ,
ou de quelques jours , s'ils veulent
faire le même récit , ils sont obligés
d'y suppléer les circonstances qu'ils
doute ceci , sous prétexte que je
le tire de l'ouvrage d'un jésuite;
car les Annales de Camden con-
tiennent la plupart de ces mêmes
faits avec encore plus de force.
(c) Camden raconte ceci sous l'an i5gi.
(d) Voyez la remarque (D) , à la fin.
[è) Tiré du chapitre VI du IIe. livre du
Britannomachia Ministrorum de Henri Fitz
Simon , qui cite la relation que Bancroft
(qui fut depuis archevêque de Caniorbéri)
publia de cette affaire , à Londres, en 1692 ,
sous le titre de Conspiratio pro praetensâ
Disciplina.
(A) // témoigna sa fidélité a son
maître par une action tout-à-fait bru-
tale. ] Un artisan d'Oundel, dans le
comté de Northampton , fit quelque
chose qui excita de l'inimitié entre
(t) Il était le maître d'école du lieu.
(2) Henrims Fitz Simon, Brilannom. minis-
Iror. , cap. VI, lib. II, pag. 202, 2o3.
(3) Notez que Fitz Simon emploie la même
re'serfe, on dit, ut fertur.
(4) Camrlenus, Annal , part. IV. ad annv
j.'gi , pn:j. G18.
422 HACKET.
n'ont point retenues. Chacun fait ce éternelle , et avec les imprécations
supplément selon le caractère parti- les plus exécrables , il séduisit Cop-
culier de son génie , et de là naissent pinger et Arthington , et leur fit ac-
une infinité de variations qui passent croire qu'il s'entretenait souvent avec
jusqu'aux écrits des historiens. Dieu , et que le diable l'avait stigma-
(B) Il avait une extrême confiance tisé. Les prières fréquentes et très-
en ses prières. ] Tu as la puissance, ferventes, les dehors d'une sainte vie ,
disait-il à Dieu, et moi j'ai la foi; et la coutume déjeuner tous les di-
donc la chose sera faite. Ii se servait manches , l'aidèrent à persuader ces
d'imprécations contre soi-même en mêmes choses (8). Pauvre esprit hu-
priant Dieu, et il prétendait que main, quels sont tes égaremens , et
l'efficace de ses imprécations était su- quelle est leur efficace !
re. Il se vantait qu'en disputant avec (C) Coppinger et Arthington dis-
un papiste , il lui avait proposé cette coururent de la commission importan-
condition : Je me soumets à la dam- te de Guillaume Hacftet. ] Ils dirent
nation éternelle , et à la subir tout a qu'il était participant de la nature
l'heure (5) : faites-en autant , et nous des corps glorifiés, et qu'il devait con-
changerons de religion, vous ou moi, vertir toute l'Europe à la discipline
selon le succès malheureux ou favo- consistoriale , et que la charge de
rable qui suivra notre imprécation, juger lui avait été donnée. Ceux qui
Cela était bien absurde: car l'effet de le voudront voir, ajoutaient-ils , le
l'imprécation devait être la mort trouveront dans un tel logis , et nous
subite de l'un ou de l'autre , et par vous prédisons que tous ceux qui
conséquent , aucun d'eux ne pouvait n'obéiront pas à ce roi de toute l'Eu-
changer de parti. Le mort ne le pou- rope , se tueront les uns les autres ,
vait faire , et le survivant n'aurait eu et que la reine sera détrônée (9).
garde d'abandonner la religion à Avant que de faire cette équipée ils
laquelle le mauvais succès de l'im- avaient été trouver un ministre puri-
précation de son adversaire aurait tain nommé Wiggington , et lui
rendu un témoignage si authentique, avaient protesté que , la nuit derniè-
Mais il ne faut point attendre que re, Jésus-Christ s'était apparu à eux ,
des visionnaires si extra vagans évitent non pas en corps , mais selon l'esprit
les contradictions. Hacket ayant ac- principal par lequel il habitait dans
cusé du crime de félonie deux grands Guillaume Hacket avec plus de plé-
seigneurs, leur proposa un sembla- nitude que dans aucun autre , et
ble formulaire de prier ( 6 ). C'est qn'Hacket était l'ange même qui de-
ainsi qu'il appelait son serment exé- vait venir avant la fin du monde , le
eratoire. Si après l'avoir fait, leur van et la houlette à la main, pour sé-
dit-il, vous ne mourez pas , je me parer les boucs d'avec les brebis; qu'il
soumettrai à la peine du talion. Mais foulerait Satan sous ses pieds, et qu'il
si vous refusez de le faire , et si je le renverserait de fond en comble le re-
fais sans qu'il m'en arrive du mal, gne de l'antechrist (10). Le jour qu'ils
vous serez condamnés à perdre la allèrent prêcher ce nouveau règne
tête. Les juges le renvoyèrent comme par les rues de Londres , Hacket leur
un fou. commanda de dire , que Jésus-Christ
Il imposa à beaucoup de gens par était venu le van à la main pour juger
cette sorte de prière , et il leur per- le monde , et que cela n'était pas
suada que pour les péchés des hom- moins véritable qu'il est véritable
mes , les diables et les sorcières lui que Dieu est au ciel. Ils s'acquittèrent
avaient fait souffrir pendant deux ponctuellement de la commission , et
mois les peines mêmes de l'enfer , ou lorsqu'ils furent sur le chariot ils
peu s'en était fallu (7). Camden rap- déclarèrent qu'Hacket, déjà glorifié
porte qu'en jurant sur sa damnation quant au corps , participait à Jésus-
Christ par son esprit principal , et
(5) JEternœ damnalioni è vpsligio mbeundœ.
Fitz Simon, lîritannom. ministror. , pag. aoï. (8) Canulen. , Annal, , part. IV, pag. m.
(fi) Ad similrm quoque ( ni âicebal ) orandi 6l9i atl ann- l59l-
modum dunr procerum quibus noxam perduel- (9) Fil?. Simon , Britannomacbia rainistior.,
lionis objecil provocavit. Idcui., ibitl., pag. 204. P"g' 2°5.
(7) Idem, ibidem. (10) Camden. , Annal., part. IV, pag. 6ïO.
HADRIEN.
qu'il était là arec le van pour e'tablir
l'Evangile dans l'Europe.
(D) Il prononça des blasphèmes
Îue je ne rapporterai qu'en latin. ]
ls surpassent ceux de Caligula (i i) ,
et néanmoins ils servaient de conclu-
sion à une prière très-dévote ; et de
là l'on peut infe'rer qu'il n'y a point
de folie dont l'esprit de l'homme ne
soit capable. « H<cc fuit, ultima ejus
i> oratio. Deus cœli , potentissime
» Jehovad, Alpha et Oméga, Domine
» Dominorum , Rex Regum , aeterne
» Deus. Tu me nôsti verum istum
» Jehovah quem misisli. Miraculum
» aliquod ex minibus ostende his in-
w fidelibus , et libéra me ab his ini-
» micis meis. Sin minus , cœlos suc-
« cendam , et te è throno detractum
» manibus meislacerabo (12). >■ Cam-
den , ayant rapporté les mêmes blas-
phèmes presque en mêmes mots ,
ajoute qu'Hacket en prononça d'au-
tres encore plus exécrables. Aliaque
inagis infanda. Conversus ad carni-
ficeni laqueum admoventem. Tune
spurie , inquit , Hackettum regem
tuum suspendes ? Laqueo innodatus
oculis in cœlum sublatis , Hoccine ,
inquit frendens , pro regno collato
rependis? venio ulturus (,i3). Cet his-
torien observe que ce fanatique et ses
deux adjoints n'ùtérent point leur
chapeau quand ils furent amenés
devant leurs juges , et qu'ils répondi-
rent impudemment qu'ils étaientau-
dessus des magistrats ; qu'ensuite
Hacket se reconnut, accusé (i4) 5 mais
qu'il répondit d'une manière si blas-
phématoire, que tous les auditeurs
en frémirent. Il y avait là-dedans
peut-être bien de la fraude ; car que
sait-on s'il ne voulait pas insinuer à
ses juges qu'il avait perdu l'esprit.
Quoi qu'il en soit, ses autres gestes ,
et sa gravité affectée ne marquaient
aucune folie (i5). C'est Camden qui
dit tout cela. Notez qu'Arthington se
repentit , et qu'il publia même un
livre qui témoigna sa repentance (16).
(E) // était rempli de haine pour la
(11) Voyez à-dessus , remarque (F) de l'art.
C.AL1011L1, tom. IV, pag. 317-
(12) Fitz Simon, Britannumachia roinUtror. ,
pag. 2o5 , 20G.
(i3) Camden. , Annal. , part. TV, pag. 6aî.
(i4) Se reum agnovd. Idem , ibid.
(i5) Idem, ibid.
(16) Idem, ibid., pag. 6s3.
423
reine Elisabeth. ] Il ne voulut jamais
prier Dieu pour elle , et son dessein
fut de lui ôter et la couronne et la
vie , et de changer toute la forme du
gouvernement. Il entendait tête nue
la prédication ; mais il mettait son
chapeau dés qu'il s'apercevait que
Ls prières de la compagnie faisaient
mention de la reine (17). Il avoua
devant les juges qui lui firent son
procès , qu'il avait percé au cœur
avec un stylet de fer l'effigie de cette
princesse , et qu'il ne l'avait jamais
reconnue pour reine. Julii 30 et a3
pal'am confessas est Hacketus résina*
imaginent se transfixisse ad cor stylo
ferreo , eamque pro regind non ha-
buisse (18). Un peu avant que d'être
étranglé il lui soubaita toutes sortes
de malédictions (19).
(17) Fitz Simon, Britannoniackia ministror.,
pag. 204.
(18) Idem , ibid. , pag. 2o5.
(19) Dirit omnibus reginam devovil. Idem ,
ibidem.
HADRIEN (Publius JEtws) ,
empereur romain , fournirait un
très-long article , si l'on ne vou-
lait rien oublier de ses principa-
les qualités et de ses principa-
les actions. Il se faudra conten-
ter de quelques-unes ; et l'on ré-
pétera le moins qu'on pourra ce
qui s'en voit dans le Dictionnaire
de Moréri , où cet article n'est
pas trop rempli de fautes (A).
Hadrien , né à Rome , le 24 de
janvier 76 (R), perdit son père
dix ans après (C) , et eut pour
tuteurs Trajan, son parent (D),
et Caelius Tatianus , chevalier ro-
main. L'étude du grec fut telle-
ment de son goût, qu'il fut ex-
posé par-là aux atteintes des rail-
leurs (a). Il servit de bonne heure
dans les armées , et il était tri-
bun d'une légion avant la mort
de Domitien. L'armée de labasse
(a) Imhutusque impensius grœcis Studiis,
ingenio ejus sic ad ea déclinante ut à non-
nullis Grœculusdkercliir. Sparlian., in ejus
Viti.
4?4 HADRIEN.
Mésie le choisit (b) pour com- sapourTrajan augmentèrent son
pliruenter Trajan , adopté par crédit (F). Après la levée du sié-
l'empereur Nerva ; et ce fut lui ge d'Atra en Arabie, Trajan ma-
qui apporta à Trajan la première lade et résolu de s'en retourner
nouvelle de la mort de Nerva. Il à Rome , lui laissa le commande-
regagna les bonnes grâces de cet ment de l'armée. Il lui avait dé-
empereur, qu'il avait presque jà donné le gouvernement de Sy-
perdues par les dépenses excessi- rie ; et se sentant proche de sa fin ,
ves qui l'avaient contraint des'en- il l'adopta (Z). Nous examinons
detter. Il épousa (c) une petite- dans l'article de Plotine (m) si
nièce (d) de ce prince (E) ; et il cette adoption fut supposée. Ce
euten la personne de l'impératri- qu'il y a de bien sûr, est qu'Ha-
ce(e) un patron d'une grande for- drien, ayant reçu à Antioche
ce. On le trouva si grossier dans presque en même temps la nou-
la harangue qu'il récita devant velle de son adoption et celle
le sénat, pendant qu'il était ques- de la mort de Trajan , se fit dé-
teur (f) , qu'on le siffla ; ce qui clarer empereur le 1 1 d'août 1 1 7.
fut cause que s'appliquant beau- Une des premières choses qu'il
coup au latin , il y devint très- fit fut d'abandonner presque tou-
habile et très-éloquent. Il ac- tes les conquêtes de Trajan , et
compagna Trajan dans l'expédi- de se contenter que l'Euphrate
tion contre les Daces(g-) ; et pour servît de bornes à l'empire (G).
lui faire bien sa cour il but d'im- Il ne fut de retour à Rome qu'en
portance , et en fut magnifique- l'année 1 18. Le sénat lui décer-
ment récompensé. Il avait exer- na le triomphe, et le titre de
ce la charge de tribun du peuple père de la patrie (n) ; mais il re-
(h) , lorsqu'il alla avec Trajan à fusa le tout , et voulut que l'on
la seconde guerre des Daces. Il y donnât le triomphe à l'image de
fit de belles actions , et y reçut Trajan. Les libéralités qu'il fit au
un présent qui lui donna quel- peuple sont des plus extraordi-
que espérance de succéder à l'em- naires (H). L'année suivante il
pire (i). Il fut fait préteur quel- alla dans la Mésie pour repousser
que temps après ; ensuite de quoi les Sarmates (o). On fit mourir à
il commanda dans la basse Pan- Rome, pendant son absence, plu-
non ie , avec une si bonne con- sieurs personnes du premier mé-
duite qu'elle lui valut le consulat rite (p); et il eut beau protester
(k). Les harangues qu'il compo- qu'il n'en avait point donné les
ordres , il ne laissa pas d'être
(!'\ £" ?7' chargé de toute la haine de ces
(<•) En l an ioo. . , ° T . .
(d) Sabine. Voyez son article. [ Cet ai- violences. Jamais prince ne voya-
licle n'existe pas, mais voyez la remarque gea autant que lui ; il nV eut
(F) de l'article Suétone, tom.XIII.] D 1 J
(e) Voyez l'art, de Plotine, tom. XII. (r) Ex spartiano , in Hadriano.
(/) En l'an loi . ( . Fe ue (G).
(s-) En loi ou 102. ; ■■', ' , . ... T, _..
(l\ En io*) (") accepta depuis ce litre. Voyez 1 il-
(i), Marnante eemmâ auam Traianus à le<"ont ' note F"*fcw *ur l'Histoire d'Ha-
drien.
Neivd acceperat donatus ad spem successio-
nis erectus est. SparUan. , in Hadriaao. (<0 sPart- • in Hadriano.
(/•) En 109. (p) Idem , ibid, Dion. , lib. LXIX.
HADRIEN. 4^5
presque point de province dans donna à la mollesse, et puis à la
l'empire qu'il n'honorât de sa cruauté ; car il fit mourir plu-
présence : et comme il était ma- sieurs personnes , ou par une
gnifique , et qu'il voulait tout violence ouverte , ou par des
connaître par lui-même, il lais- voies occultes ; et n'épargna pas
sait partout des marques de sa même son beau-frère Servien ,
libéralité , et de son exactitude qui était âgé de quatre-vingt-dix
à examiner la conduite des gou- ans. Lucius Vérus étant mort le
verneurs. On croit qu'il com- ier. de janvier 1 38 , Hadrien
mença ses voyages en l'année 120. adopta Titus Antonin , et le char-
II alla voir les Gaules , la Ger- gea d'adopter Marc Annius Vé-
manie et l'Angleterre , où il fit rus , et le fils de Lucius Vérus.
construire une* muraille pour L'hydropisie de cet empereur
empêcher que les insulaires sou- l'accabla et le chagrina tellement,
mis à son obéissance ne fussent qu'il en devint comme furieux
ravagés par ceux qui avaient se- (K). Ou employa tous les remè-
coué le joug romain. Il repassa des imagiuables pour le guérir,
dans les Gaules, l'an 121 , d'où Le soulagement que l'art magi—
il alla en Espagne. On croit que que lui procura ne fut point de
ce fut alors qu'il alla voir la Mau- longue durée (/■). On manda un
ritanie. Son premier voyage dans grand nombre de médecins , et
l'Orient fut assez long ; car il ne c'est à quoi quelques-uns disent
fut de retour en Grèce qu'en qu'il attribua sa mort (L). Pour
l'année 125. Il passa l'hiver à le tirer de son désespoir, on fei-
Athènes, et s'y fit initier aux gnit qu'il avait fait des guérisons
mystères de Cérès. Il était à miraculeuses (M) : mais malgré
Rome au commencement de l'an- tant d'artifices il se serait tué
née 1 29 (q) , et l'on croit qu'il lui-même , si on ne l'en avait em-
alla en Afrique la même année; péché (s). Il cherchait la mort
et qu'après être revenu à Rome , et ne la pouvait trouver (N). Elle
il commença son autre voyage vint enfin le 10 de juillet i38.
d'Orient , en l'année i3o. Après II mourut ce jour-là à Baies, cou-
avoir parcouru l'Asie, où plu- rant sa soixante-troisième année,
sieurs rois lui vinrent faire la ayant régné vingt et un ans à
révérence, il s'en alla en Egypte, trente jours près. Les vers latins
l'an i32. Il passa l'hiver à Athè- qu'il adressa à son âme (/) nous
nés , l'an 1 35 , et au printemps apprennent l'incertitude où il
suivant il fut de retour à Rome, était sur l'autre monde. C'était
Il adopta Lucius Aurélius Annius un prince qui avait et de grandes
Ceionius Commodus Vérus , qui vertus et de grands vices. Il était
quoique chargé d'assez de noms libéral , laborieux («) , civil ,
prit encore celui d'iElius. Après exact ; maintenait l'ordre et la
cette adoption , Hadrien se retira discipline ; soulageait les peuples,
à Tibur, où il fit faire de super- (r) xi^uin. , m Hadriano.
bes bâtimens (I) , et OÙ il s'abail- (s) Idem , ibid. Spartian. , in Hadria-
no.
(q) Digeslor. 5, Ht. 3, /. 20 , png. 17^. (t) Spartian. , ibid.
Apud TiilemoBt , Histoire d'Hadrien, {u) Voyez la remarque (P) , à la fin.
426 HADRIEN.
rendait justice avec une applica- nés intéressées à ces faits. La ta-
tion singulière , et punissait ri- ble alphabétique indiquera cha-
goureusement ceux qui ne s'ac- que chose. Le sénat ne donna
quittaient pas bien de leurs char- qu'aux larmes et aux prières
ges. Il avait infiniment de l'es- d'Antonin que les actes d'Hadrien
prit , beaucoup de mémoire (x), subsistassent {bb)\ car on avait
et en tendait parfaitement les arts résolu de les casser : mais quand
et les sciences, et composa plu- une fois la résolution fut éludée,
sieurs livres (0). Il a été d'ail- Antonin obtint tout ce qu'il vou-
leurs cruel, envieux, impudique, lut, savoir l'apothéose d'Hadrien,
superstitieux , et adonné à la II lui fit bâtir un temple à Pou-
magie. Quoi de plus abominable zoles , et y établit des jeux, avec
que sa passion pour Antinous (j-)? des communautés de prêtres, et
Je laisse là son excessive curiosité les autres assortimens de la déifi-
(P). Il ne publia point d'éditcon- cation (ce). Hadrien n'avait pas
tre les chrétiens, mais on ne attendu jusqu'à ce temps-là à
laisse pas de croire que sa super- goûter des honneurs divins , il
stition excessive fut cause qu'ils s'était emparé lui-même de la
furent persécutés. Il eut égard couronne céleste. Il se consacra
aux apologies que Quadrat et à lui-même un autel dans Athè-
Aristide lui présentèrent pour nés, au temple de Jupiler Olym-
eux. Les Juifs , s'étant soulevés pien ; et , à mesure qu'il passait
tout de nouveau sous son règne, par plusieurs ville d'Asie , il mul-
se défendirent pendant trois ans tipliait les temples qu'il se bâtis-
contre les troupes qu'il envoya sait (dd). Il n'y a nulle apparence
dans leur pays; après quoi ils qu'il les destinât à Jésus-Christ ;
succombèrent, et furent traités et l'on ne sait d'où Lampridius
avec la dernière sévérité (z). Ils avait tiré ce qu'il conte là-dessus
content une fable ridicule , con- (Q). Il ne paraît pas qu'autre
cernant une question qu'ils sup- que lui ait eu connaissance de
posent avoir été faite par cet em- cette source,
pereur à un rabbin, sur le chapi-
tre de la résurrection. J'en parle ESpi^.^779- SpMt" ■*■*
dans l'article BaRCOCHÉBAS {aa) , (CC) Spart., ibid. rirfee*ia7ttCapitolinum,
comme aussi des choses qui fu- »'« Antonino, pag. m. 249.
rent faites alors en Judée. Plu- W> «*»*■. *w- »• ««■
sieurs faits particuliers qui ser- (A) ])ansMorérL... cet article n'est
vent à faire connaître le caractère pas tvop rempli de fautes. ] C'est un
d'Hadrien , sa jalousie contre des meilleurs. J'ai remarqué pourtant,
ceux qui excellaient dans les sans eJ?fer dans un examen univer-
* j- sel , dix ou douze choses dont ]e ne
arts, etc., se trouveront en divers crois pas qu,Qn puigse donner des
endroits de ce Dictionnaire , se- preuves : i°. qu'il y avait en Italie une
Ion que l'on parlera des person- ville nommée Italica ; 20. qu'Hadrien
fit rétablir Adria ; 3°. qu'à son retour
(x) Voyez la remarque (A) , à lajin. d'Angleterre il apprit dans le Langue-
(.r) Voyez l'article Antinous , tom. 1T. doc la mort de Plotine ; 4'\ qu'il lui
(z) Voyez Tillemont , Histoire d'Hadrien, fit bâtir un temple à Nîmes; 5°. que
{aa) Remarque (K) , tom, III, pag 119. Quadrat et Aristide étaient assistés
«3e Sévérus , Tan des lieutenans de
l'empereur , lorsqu't'/s présentèrent
îles livres en faveur de la religion
chrétienne ; 6°. que la ville de Jéru-
salem et la ville d'iElia étaient deux
\illes différentes dans la Judée : n°.
que Plutarque fut précepteur d'Ha-
drien ; 8°. qu'Hadrien rappella à Ro-
me Epictète , Numénius , et d'autres
savans ; 90. qu'il en envoya d'autres
à Alexandrie pour y enseigner toutes
les sciences, avant qu'H allât lui-
même danscette ville ; io°. qu'il savait
les mathématiques , et qu'il en a fait
des traités ; u°. qu'il mourut le 12
juillet de l'an 1 38 , en ayant régné
vingt, 10 mois et 29 jours; ia°. que
Phavorin fut son secrétaire. On a vu
dans mon article qu'Hadrien mourut
le 10 de juillet. , et qu'il commen-
ça de régner le 1 1 d'août. S'il était
mort le 12 de juillet, il eût fallu dire
qu'il régna vingt ans , onze mois et
un jour. Prenez bien garde que je ne
veux pas nier qu'il n'ait reçu une let-
tre de Sérénius Granius, proconsul
d'Asie . qui l'exhortait à l'équité en-
vers les chrétiens, et qu'il n'ait étu-
dié la géométrie. Spartien le dit nom-
mément (1), et M. Moréri a bien fait
de le dire aussi 5 mais outre cela il fait
mention des mathématiques. Ceux
qui l'ont trompé n'ont pas su que
Mathesis , dans Spartien , ne signifie
que l'astrologie. Mathesin sic scire
sibi l'isus est , ut sern Calendis janua-
riis scripserit quid et toto anno pos-
set evenire. Je passe à M. Moréri ce
qu'il dit de la mémoire d'Hadrien ; il
outre la chose. Il avait, dit-il, une
mémoire si heureuse , qu'il savait le
nom des lieux , des places et des ri-
vières où il avait passé , et même de
tous les soldats de ses armées. Cette
idée va plus loin que celle qu'Auré-
lius Victor nous donne par ces paro-
les : Memor supra quant cuiquam cre-
dibi/e est , tocos , negotia , milites ab-
sentes quoque nominibus recensere.
Spartien particularise encore plus (2),
(1) Ceci ne se doit entendre que de l'étude de
la géométrie.
(1) Nomina plurimis xine nomenclalore red-
didït quœ semel et congesta simul aud'werat ;
nomenclatures scepius errantes emendaverit.
Dixit et veleranorum notnina nuos aliquatido
duniserat : libros statim lectos et ignotos qui-
detn plurimis memoriter redâidit : uno tempore
scripsit , dictavit , audit a , et eu m amicis fabu-
lants est. Spartian. , in HadriaDO.
HADRIEN. 427
et néanmoins il demeure fort au deçà
de Moréri.
(B) Hit'lrien ne a Rome le l\ de
janvier 7G...] Ce qui me fait croire
qu'Eutrope n'a pas dû dire qu'Ha-
drien naquit à Italica , est le détail
Sue Spartien nous donne de la famille
e cet empereur. Il remarque que les
ancêtres d'Hadrien , originaires d'A-
dria en Italie, s'établirent à Italica en
Espagne , au temps des Scipions , etc.
Il cite Hadrien même, qui l'avait ainsi
écrit dans l'histoire de sa vie. Sans
doute Spartien avait lu dans le même
ouvrage ce qu'il ajoute en même
temps, qu'Hadrien naquit à Rome ix
Ki/. feb. sous le septième consulat de
Vespasien et le cinquième de Titus.
(C). . . perdit .son père dix ans après.~\
Il s'appelait jElius Hadrianus Afer.
On conjecture que le gouvernement
d'Afrique lui lit porter le surnom
iïAfer , et qu'il ne faut pas le distin-
guer de ce président Hadrianus , qui
fit mourir ,à Tripoli, le saint martyr
Léontius, sous l'empire de Vespasien.
Les actes de ce martyre, insérés dans
la collection de Métaphraste , portent
que le président Hadrianus, qui jugea
lui-même Léontius , était sénateur.
Or Suidas remarque que le père de
l'empereur Hadrien était sénateur ,
et qu'il avait été préteur. Voilà les
fondemens assez raisonnables de la
conjecture du sieur Tristan (3). Je ne
sais pourquoi Casaubon (4) a censuré
ces paroles de Xiphilin , Av Si 'AJfiat.-
voç yîvoç /j.sv ' AtTpiatvot/ "Açpou t/ioc ; car
après avoir bien crié , il a fallu de-
meurer d'accord que ces paroles peu-
vent signifier qu'Hadrien était fds
d'Hadrien Afer. C'est sans doute leur
véritable et naturelle signification ,
comme Saumaise (5) le déclare. Ainsi
on aurait grand tort de censurer
Xiphilin , comme si , en abrégeant
Dion , il avait gâté ce qui concernait
la généalogie d'Hadrien , et fait d'une
famille espagnole une famille afri-
caine. Il est vrai que Cédrénus , n'en-
trant pas bien dans le sens de Xiphi-
lin , y a trouvé l'occasion d'un gros
mensonge ; car il a dit que l'empereur
Hadrien était Africain d'extraction.
N'oublions pas que Domitia Pauli-
(3) Commentaires historiques , loin. I , pag.
456.
(4) In Spartian., pag. m. •).
(5) In Spartian. , pag. 7.
428
HADRIEN.
ua, mère d'Hadrien, e'tait née à Ca- pro imperalore dictaverat. Casaubon
dix (6). applique ce dictaverat à Sura, ce qui
(D) Trajan son parent.~\ Le père paraît d'abord rendre pitoyable le,
d'Hadrien était cousin germain de raisonnement de l'historien : car est-
Trajan ; car il était fils d'Ulpia , sœur ce raisonner que de dire , après la
de Marc us Ulpius Trajan, père de mort de Sura, la familiarité d' Ha-
l'empereur Trajan. Voyez Casaubon, drien auprès de Trajan devint plus
dans son commentaire sur Spartien. grande , surtout a cause des haran-
La parente était moindre selon Eu- gués que Sura avait faites pour l ' em-
trope , qui dit que la mère d'Hadrien pereur ? Mais quand on y regarde de
était cousine de Trajan (7). près , on trouve que, selon le sens de
(E) Il épousa une petite-nièce Casaubon, il n'y a que défaut de
de ce princei~\ Nous dirons ailleurs netteté dans les termes de Spartien.
qui elle était , et comment elle se Celui-ci n'a pas voulu dire que les
trouva de son mariage. Il suffit de mêmes harangues , je dis les mêmes
dire ici que ceux qui assurent (8), en nombre que Sura avait compo-
qu'IIadrien fut marié à la fille de sées , augmentèrent la faveur d'Ha-
Trajan se trompent. Il ne paraît point drien 5 il n'a parlé que des harangues
que Trajan ait eu des enfans , ni semblables à celles de Sura. Ainsi
qu'Hadrien ait eu d'autre femme que l'interprétation de Casaubon ne dif-
Sabine , fille d'une nièce de Trajan. fère point réellement de celle de
L'auteur de la Chronique d'Alexan- M. de Saumaise , qui est très-bonne,
drie a débité une plaisante chi- En voici le sens. Hadrien s'insinua
mère ; c'est que l'empereur Hadrien davantage dans l'amitié de Trajan ,
épousa la fille de cet Aquila qui fit à cause qu'il lui rendit les mêmes
une version de la Bible. Saint Épi- services que Sura lui avait rendus
phane semble avoir dit la même dans la composition des harangues.
chose (9). Tristan (10) accuse ce" Je ne voudrais pas changer le text<
chroniqueur d'Alexandrie, d'avoir comme Saumaise le change, ni sup-
dit que, selon saint Epiphane, Hadrien poser avec lui que la faveur de Plo-
était Grec de nation, et originaire de tine fut nécessaire à Hadrien, afin
Sinope. Il est très-faux que saint Epi- d'obtenir que l'empereur lui donnât
phane le dise ; il ne le dit que d'A- à faire ses harangues. Ce n'était pas
quila. une dignité assez relevée par rapport
(F) Les harangues qu'il composa à Hadrien , pour qu'il n'y pût par-
pour Trajan augmentèrent son cré- venir qu'avec une telle intercession.
dit.] Je veux rapporter les paroles de H y a eu de simples maîtres de rhé-
Spartien. Defunclo guident Sura, torique que l'on a employés à cela ,
Trajani ei (Adriano) familiaritas cre- témoin ce passage de Spartien (11):
vit, causa prœcipuè oralionum quas JElius Orationem pulcherrimam quœ
hodièque legilur, sive per se , siveper
(6) Gadibul orla. Spartian., m VitâHa.lriani. scriniorum Mit DICENDI MagISTROS
(7) Eum Trajanus quamquam consobrinœ pardssel. Domitien faisait faire à
>/"/"/, pirr's'"' "d°Ptare- Eutr°P-' *»■ d'autres ses lettres, ses harangues
(8; Censtàntiniiskanasses, Glycas, J. Tzet- et ses e'd,lts ('?)• Néron n'avait point
les, cites par Trstari , Comment, histor. , tom. composé l'oraison funèbre de Clau-
*'F\S^54- ... . dius, qu'il récita: c'était Sénèque qui
(9) De Ponder.b. «« Mens. , cap. XIV, ou il V^fyfa (l3) '. H est vrai H„ue les
du ttu^^vB^fm sur g„oi le père Vètau vieillards ^ds faiseurs de coin-
fait celte remarque : Quœ vox cum alibi a me » I i m. i 1
, ».,_.«.< paraisons entre le présent et le passe ,
lecta non fuent , vel TîVaspov signifient, vel j < j. « 1 i j. i\t ■
»r«„fl<:«r~ m- * s'amusèrent a observer qu avant Ne-
7riVV(ftJU filmni, alhnem certè. Nos socerum • i •» u
..... . „ « »t*ww» ron aucun prince n avait eu besoin
redtlulimii.s, «nnsi TTiVOifiQV le^erctui" auomorîn n '1 ■. ' T* 'l
., , . , . r •ro'rl""'.qu<""""o dune éloquence empruntée. lacite
Alexancinni cliromci seriptorem hic lecissc siispi- j 1 i_ -i rir 1
„ ._ _. Kr0 îui i l- nous apprend cela au chapitre 111 du
cor: nam pag. 5fj8 ex hoc •* Jipliann loco histo- VITI. ,'.' , , , r A ,
riamAquikePonticirefercns : 'A*^*c, inoui,, }Ul ' llVre d° ^ ^nales : yldnota-
iyvupp™ , oç h rtritphç •AifwoîiToS hant semores > dlt-ll> 1Uibns obosum
fca.<rihîa>;. ( ,,) /„ Vitfi jElii Veri.
(io) Coannrr.rniTî historiques , tom, ! . pas. (12) SiiPton.', in ejus Vitû . cap XX.
455. (iî; Tarit , Annal , U, XII I, cap. III.
HADRIEN.
4'-*9
est vetera et prœsentia contendere ,
primum ex Us qui rerum potili essent
IVei'onem alienœ facundiœ eguisse.
M. Spanheim observe que les empe-
reurs romains donnaient quelquefois
à leurs questeurs la charge , non-
seulement de composer, mais de plus
de réciter pour eux leurs harangues ,
ainsi que Suétone, entre autres, le
remarque de IVéron et même d! Au-
guste ( i4). Au reste, si nous en
croyons l'empereur Julien ( i5) , ce
n'était point par ignorance , mais par
belle paresse que Trajan se servait
de Sura.
(G) // se contenta que V Euphrate
servît de \bornes a l'empire. J Saint
Augustin s'est servi de cette action
d'Hadrien pour railler les idolâtres ,
qui disaient que le dieu Terme n'a-
vait point voulu ce'der à Jupiter
même , lors de la construction du
Capitole, et que c'avait été un présage
que les bornes de l'empire romain
ne reculeraient jamais. Votre dieu
Terme , leur dit agréablement saint
Augustin (16) , a plus redouté Ha-
drien le roi des hommes , que Ju-
piter le roi des dieux. Postea in
orientations partibus Hadriani volun-
tate mutati sunt lermini imperii Ro-
mani. Ille namque très piwincias no-
biles Armeniam , Mesopotamiam ,
Assyriam , Persarum concessit im-
perio , ut Deus ille Terminus qui Ro-
manos terminos secundum illos tue-
batur, et per illud pulcherrimum aus-
picium loco non cesserat Joui , plus
Hadrianum regem hominum quant
regem deorum timuisse videatur. Il
n'y a nulle apparence que l'abandon
de ces conquêtes ait été l'etlét de
l'envie qu'Hadrien portait à Trajan
(17) ; car que pouvait-on faire de
plus glorieux à la mémoire du dé-
funt , que de montrer qu'on ne pou-
vait pas maintenir les choses au point
où il les avait portées ? Disons donc
que l'impossibilité de garder le pays
conquis porta Hadrien à ce sacriiîce.
Omnia trans Euphralem ac Tigrivi
(14) Spanb. , Noies sur les Césars de Julien,
pag. 232.
(i5) In Cœsarib. Voyet, tes Notes de M. Span-
heim .
dfi) Augustin., de Civit. Dei , lib. IV, cap.
XXIX.
(17) Eutrope , lib VIII, pag. go, l'a dit
pourtant .Trajaui gloriaîinvidens, statiin provin-
cias très rciinuit quas Trojmus addideiat.
reliquit exemplo , ut dicebat , Catonis,
qui Macedonas liberos pronunciapit
quia leneri non poterant (i8j. Il aima
mieux perdre dans la comparaison
qu'on ferait entre son prédécesseur
et lui , que d'exposer son empire aux
désordres qui le menaçaient de toutes
parts. Ammien Marcelliu a dit qu'a-
vant Jovien , aucun empereur, ni
aucun consul , n'avait cédé aux en-
nemis un pouce de terre. M. Valois
(19) prétend qu'il a pu le dire , et
que Casaubon n'a pas eu droit de l'en
critiquer (20).
(H) Ses libéralités sont des plus
extraordinaires.] « Il semble qu'il ait
remis généralement tout ce qui était
dû par les particuliers de Rome et
de l'Italie; et clans les provinces,
tout ce qui était dû depuis seize
ans ; au moins dans les provinces
impériales , car Spartien et une
inscription de cette année (118)
semblent se restreindre à celles-
ci Il brûla dans la place de
Trajan , les obligations et les mé-
moires de toutes les choses dont ii
accordait la remise , afin qu'on ne
craignît point d'en être recherche
à l'avenir Cette remise se mon-
tait à des sommes immenses , et de*
personnes habiles, qui ont réduit à
la valeur des monnaies de notre
temps ce qui en est marqué dans
les bistoriens , le fout aller à' vingt-
deux millions cinq cent mille écus
d'or. Cette libéralité n'avait point
eu d'exemples jusques à lui : h
mémoire ne s'en est pas seulement
conservée dans les historiens , mais
encore dans des inscriptions célè-
bres de cette année et de la sui-
vante , où elle peut avoir été ache-
vée , et dans des médailles qui
nous représentent Hadrien le flam-
beau à la main , pour mettre le
feu aux obligations qu'il avait re-
mises. » Je copie ceci de M. de Til-
lemont (21) : on peut voir dans ses
(18) Spariian. , in Hadriano.
(19) In Ammian. Marcellin. , lib. XXV, cap.
IX, pag. 43g.
(20) Voyez la remarque (D) de l'article Jo*
tiek , loin. FUI.
(21; Histoire des Empereurs , tom. //, pag.
4o8 , 4°9i de Bruxelles. Il cite Dion, lib.
LXIX, pag. 791 ; Spartien , in Vilâ Hadriani ;
les Analecta du père Wabillon , loin. IV, pag.
484, 48G; Onufre, in Fastis , pag. a»o ; Span-
heim , «le Numismat. , pag. 8n.
43o HADRIEN.
remarques l'examen de plusieurs dif- bulas piclas. Joignons à cela un pas-
fîculte's touchant cela. Je n'y entre sage de Spartien (a5) : Tiburtinam
point- i'aime mieux faire cette re'- vâlam miré exœdijicavil , ita ut in ed
flexion qu'il n'y a point de feu de et provinciarum et locnrum celeber-
ioie pour quelque ville conquise, ou rima nomina inscriberet : velut Ly-
pour quelque bataille gagnée , qui ceum, Academiam, Prytaneum, Ca-
puisse avoir, à l'égard des peuples, le nopum, Pœcilen, Tempe vocaret. Et
même agrément qu'ils trouveraient à ut nihil prœtermitteret , etiam inj'eros
un feu tel que celui d'Hadrien. J'ai Jinxit.
lu quelque part que l'ambassadeur (K) Son hydropisie le chagrina
de Venise ayantbrûlé devant Henri IV, tellement , qu'il en devint comme fu-
ies papiers où il se reconnaissait re- rieux.] C'est à ce temps-ci qu'il faut
devable de plusieurs sommes à cette rapporter ce que dit Lampridius ,
république , ce prince, qui aimait qu'Hadrien imposa son nom à une
les bons mots , se mit à dire , qu'il ville qui s'appelait Oresta , et que
n' avait jamais vu un plus beau feu. par ce moyen sa folie se passa un peu.
Agésilas , éphore de Lacédémone , |Jn oracle lui avait donné ce con-
s'était servi de cette pensée , dans seil. Et Orestam quidem urbem Ha-
une occasion semblable. K«u va. 7rctpa. drianus suo nomini vindicari jussit eo
cav ^pêcoç-œv ypct^/mctTiHa. c-uvtio-tviyx.ct.v- tempore quo furore cœperit laborare ,
Têc tk cLyopàv , a. KKctfia. Kctxcucri , x.a.1 ui ex responso quurn ei dictum esset
vivra. o-uvQivrtç tk h , ivi7rpr\ca.v. ut in furiosi alicujus domum vel no-
ipQûo-Mi o% <t>w>}èî, oï y-h ntoûo-vA khi men irreperet. Nam ex eo emollitam
J'ctvtiç'tKoi , ■7rtpi7ra.Touvrti «t7r»xâov, o insaniam ferunt , per quam multos
Si 'Aytic-ihctoç , a>o7rtp tquCpiÇm , eux- senatores occidi jusserat , quibus ser-
ê<fM Kctfji7rpQTipov îcepa.xiva.1 qâîs oùS~i Ttup Uatis Antoninus PU nomen menât ,
ixtivou Ka.BctpcéTtpov. Ita congestas in qubd eos pbst ad senatum adduxit ,
forum debitorum syngraphas , quas qU0S omnes jussu principis interfectos
claria appellant , omnes coacervatas credebant (26). Le sieur Tristan (27)
concremaverunt. Sublatâflammâ pe- a bronché deux fois sur ce passage
cuniosi et fœneralores , qui ibi deam- assez lourdement. Il attribue à Lam-
bulabant, digressi sunt. At Agesi- pridius d'avoir assuré qu'Hadrien
laus , quasi illudens Mis , negavit guérit de la frénésie après avoir
clarius se lumen vel ignem lucuhorem visité la ville d'Oresta ; et il veut
vidisse (2-2). que cela soit arrivé au commence-
(I) Après l'adoption de L. Vérus , ment de l'empire d'Hadrien. Il était
il se retira a Tibur ou il fil faire de facile de connaître que Lampridius
superbes bdtimens.] Aurélius Victor ne parle point d'un voyage de cet
(2.3) décrit assez vivement la vie empereur, et que ce qu'il dit se doit
molle que cet empereur menait dans rapporter au temps qu'Antonin était
cette retraite , pendant que Lucius déjà adopté. Or il ne le fut que peu
JElius César gouvernait à Rome ; mais de mois avant la mort de ce prince,
il fait une lourde faute de chrono- ,j^ Quelques-uns disent qu'il tit-
logie. Il fait entendre qu'Hadrien se trivua sa mort au grand nombre de
plongea alors dans les infamies de inL:(lecins.\ Xiphilin rapporte (28)
l'amour d'Antinous : c'est ignorer qu'Hadrien rendit l'âme en s' écriant,
que la mort d'Antinous ait précédé fa muitiUl(le des médecins a fait périr
l'adoption d'jElius Vérus. Quant aux ^ monarque , tto^Xo» î*Tpoj ^.mo-ihia.
bûtimens , voici ses paroles (24): à.7râ,hio-ctv . Cet historien ajoute que
Rus proprium Tibur secessit , per- ces parolRS étaient une espèce de pro-
missâ urbe Lucio JElio Cœsari , ipse verDe Pline assure qu'il y avait une
uti beatis locupletibus mos , palatia ^pitaphe qui contenait une pareille
extruere , curare epulas , signa , ta-
/ \ m . »i „„,«„, R K/,v«ri. (25)Spartian., in Hadriano , cap. XXVI,
(1.1) Plut., m Aguie , pag. Bol , D rojeza- v "' r »
%Z:t™P^PdeVarUCteCa^'' 7^1-5*.*™ He.i0gab., paS. m.
dî) Aurel. Victor, in Ciesanlus , pa$. m. 8o9-
Kio) nue. , fQ-,) Comment, historiques, pa#f, 453.
"?",.',. , ., (2i) /„ Epit Dion., Vit. Hadriani.
(p^) Idem, ibidem. '"''" r '
HADRIEN.
43i
proposition (ig) : Hinc Ma infelicis
monumenli inscriptio turba se medi-
çorum périsse. Je m'étonne que saint
Epiphane n'ait point touche' cette cir-
constance des dernières heures d'Ha-
drien , dans l'endroit où il a dit que
d'un temple, vit comme auparavant.
Autre miracle. Un homme ne' aveu-
gle vint du fond de la Pannonie , et
toucha Hadrien qui avait la fièvre :
cela fait, cet homme ne fut plus
aveugle, et Hadrien n'eut plus la
ce prince fit venir tous les médecins fièvre (32). Spartien a eu la prudence
de son empire , et se moqua d'eux d'ajouter que , selon le te'moignage
après avoir éprouve l'inutilité de de Marins Maxim us, il n'y avait eu
leurs remèdes , et composa même
une lettre satirique contre leur art et
contre leur profession (3oï. Si cet
ancien père n'a pas été mieux in-
struit sur le fait même , que sur la
circonstance du temps , nous ne te-
nons rien ; car il dit qu'après avoir
que feinte dans tout cela. Nous le
devinerions bien, quand même nous
ne saurions pas ce que Marins Maxi-
mus en a dit. Il est bien aisé de con-
naître qu'Antonin, tils adoptif d'Ha-
drien , se servit de cette ruse pour
lui donner quelque espérance , et
composé cette satire , l'empereur pour chasser la mélancolie qui l'op
partit de Rome pour s'en aller en primait. Combien de fois a-t-on re-
Egypte ; c'est un mensonge. Il est sur nouvelé ces artifices depuis ce temps-
que depuis que les médecins eurent là pour fomenter les superstitions ,
tenté inutilement tous les moyens
de guérir son hydropisie , il ne fit
que le voyage de Baies. On ne peut
pas douter qu'il n'eût conçu beau-
coup de mépris , ou beaucoup de
dépit contre eux , puisqu'enfin il ne
garda plus de régime , et qu'il mangea
de tout ce que sa fantaisie lui dic-
tait (3i).
(M) On feignit qu'il avait fait des
gue'risons mii-aculeuses.] Voici ce que
Spartien raconte. Une femme vint
dire à Hadrien qu'elle avait été aver-
tie en songe de lui représenter que ,
puisqu'il devait guérir, il se gardât
bien de s'ôter la vie: qu'elle avait,
perdu la vue pour n avoir pas fait
et même les cabales d'état? Les trom-
peries, dit-on , sont permises envers
les enfans et les malades. Cela tire à
conséquence sur les peuples : ils sont
toujours dans l'enfance , toujours
malades à certains égards. Mais , lais-
sant ces réflexions où trop de gens
redoutables se reconnaîtraient, di-
sons un mot de critique grammaticale
au grand Saumaise. Il ne veut point
que l'homme venu de Pannonie fût
aveugle de naissance, mais seulement
depuis long-temps : ainsi , au lieu de
lire , natus cœcus , il dit : vêtus cœ-
cus. Sa raison est qu'on ne saurait
croire que des aveugles nés aient
recouvré la vue , et qu'il est moins
ce que son songe lui avait prescrit ; incroyable que cela soit arrivé à des
qu'elle avait reçu un second ordre
de lui venir dire les mêmes choses ,
et qu'on lui promettait qu'elle recou-
vrerait la vue si elle lui baisait les
genoux. Cette femme ayant exécuté
cet ordre , et lavé ses yeux avec l'eau
(29) Plin.,fti. XXtX, cap. I, pag. m. 667.
Le pèr* Hardouin dit sur cela: Senarius est, ut
putant, Menandri Comici , TTOXhâv ISLT/iSv
fij-oJoç pî à.7rùùhltriV .
(30) O» ft Trohkx. x.ix.fjMx.Lriç, Ktti y.nàiv
à.vôc-a,VTiÇ ,i<rK(iq6>\c-(jt.v liir ott/Tct/. dç x.eti
T»V TS^.VHV CtÙTcèv a.lTiûi|(/5VitV , cèç jUiliit
ïiJWctV TMÇ 7riptX.ilfAtVU<; OLÙTO) vôo-ot/ tVtKO..
C'um omnem operani sine utlo fructu posuissenl,
ab imperalore risu ac Utdibrio habiti sunt , us-
que adeb ut mordaci in tllos epistotd professio-
nem ipsam artetnque damnant . ul qitœ nihil de
œgritudine sud extricare potuisset. Epiphan. ,
de Ponder. et Mens. ,cap. XIV, pag. 170.
(3i) Xipliilin. , in Fpit. DioQ. Vit. Adriani.
gens qui étaient aveugles depuis plu-
sieurs années. Remarquez bien que
dans la note suivante, il réfute Casau-
bon, qui avait entendu par le mot
simulationem un charme magique,
un sortilège. Ce sens est indigne de
Casaubon. Simulutio , en cet endroit-
là , ne signifie que feinte. Saumaise
L'explique de la sorte et rencontre
bien : mais dans cette hypothèse , que
veut-il dire avec la différence qu'il
trouve entre un aveugle né, et. un
aveugle depuis long-temps? Ne voit-
il pas bien qu'il a été aussi fa-
cile à Antonin d'aposter un prétendu
aveugle de naissance, qu'un préten-
du aveugle de trois jours, et. qu'il
n'est pas plus facile à un aveugle de
trois jours qu'à un aveugle de nais-
C$i) Gaspar à Reids , quœst XXIV , num. *f ,
allègue Tacite pour ce fait> Grande bévue.
432
HADRIEN.
sance de recouvrer la vue, en tou-
chant un prince qui a la fièvre, et
de le guérir de cette fièvre en même
temps? Mais que faire à cela? On
avait lu vettts cœcus dans le manu-
convenait pas de la justice de ses de'-
fiances , il dit que les princes étaient
bien à plaindre : on ne croit jamais
qu'il se fasse des attentats sur leur
vie, que lorsqu'ils ont été tués. Scia
scrit d'Heidelberg, on savait qu'il y a ipse quid avus tuirs Hadrianus dixe-
dans Juvénal veteres cceci, et dans
Marcellus antiqua cœcitas ; aurait-on
perdu ces découvertes de peur de
mal raisonner?
(N) // cherchait la mort et ne la
pouvait trouver. ] Ainsi fut exaucée
la prière que Sévérien fit en mou-
rant (33) : Dieux immortels , s'écria-
t-il , témoins de mon innocence , je
n'ai qu'une grâce à vous demander ,
c'est qu'Hadrien souhaite passionné-
ment de mourir, et ne puisse mourir
pourtant. Ce vœu sentait une âme
excessivement vindicative : jamais
imprécation ne fut plus dure que
celle-là ; témoin ces paroles du ver-
set 6 du chapitre IX de l'Apocalypse :
Et en ces jours- Va les hommes cher-
cheront la mort, et ne la trouveront
point ; et désireront de mourir, et la
mort s'enfuira d'eux. Si nous avions
la lettre où Hadrien représentait
combien était déplorable la condi-
tion d'un homme qui ne peut mou-
rir, quoiqu'il le souhaite (34) , nous
verrions quelque chose de bien tris-
te ; car, avec une plume éloquente
et savante comme la sienne , on
réussit fort bien à décrire les mal-
heurs que l'on ressent. Il promettait
l'impunité et même une récompense
à qui voudrait le tuer ; et ne trou-
vant personne qui pût lui rendre ce
bon oflice , il pleurait comme un en-
fant (35) de ce , que pouvant encore
faire mourir d'autres hommes , il ne
pouvait se tuer lui-même (36). Ses
chagrins et ses soupçons ie portèrent
à se défaire de plusieurs personnes ,
et c'est peut-être dans cette occasion
que s'apercevant que le public ne
(33)"Of»^csv oùSh àfmâ) , ssf>» , ùjui7ç à
6eCJ ïçri. Tifl Sï 'AjpiStVOt/ TûimS'TOV y.ôvov
tiïxtfjteu, «va. imBu/i/.na-a.; *3ro8*v»v, fJth
ovVMotl. Vos , inquit , DU immortales , quos
habeo innocentitE meœ testas , hoc unum rogo ,
ut Adrianus quanwis mortem obire percupial ,
tamen non possit. Xiptiil., in Hadriaiio , pag.
m. 265.
(34) Xiphilin., ibid.
(35 1 Conférez avec ceci les plaintes de Néron,
dans Suétone , chap. XLVII et suiv.
| 6 Xiphilin. , in Hadriaao.
rit , misera condilio imperatorum ,
quibus de affectatd tyrannide nisi
occisis non potest crecli. Ejus aulem
exemplum ponere quant Domiliani ,
qui hoc primus dixisse fertur {Z-j • .
malui ; tyrannorum enim eliam hona
dicta non habent tantum auctoritatis
quantum debent (38).
(0) // composa plusieurs livres. ]
Il a écrit en vers et en prose. Il nous
reste quelques fragmensde ses poésies
latines (3g) , et il y a de ses vers
grecs dans l'Anthologie. Vous trou-
verez dans Casaubon et dans Sau-
maise (4o) l'épitaphe de son cheval
de chasse (40 : e^e es*; en vers la-
tins. Cet empereur aimait si fort ce
cheval , qu'il lui fit bâtir un tom-
beau (4^). Etienne de Byzance cite
deux fois un poème intitulé Alexan-
dreis , dont l'auteur a nom Hadrien 5
tout le monde ne convient pas que ce
soit un ouvrage de notre empereur.
Il avait fait quantité de vers sur ses
amours (43). Il en avait fait aussi à la
louange de Plotine , sa bienfaitrice
(44)- On ne saurait bien dire s'il pa-
rut un recueil de ses bons mots ; car-
ies termes de Spartien (45) pourraient
n'avoir que ce sens , qu'on se souve-
nait de plusieurs de ses bons mots :
mais il est sûr qu'il publia quelques
discours et quelques harangues (46) :
on en trouve encore des citations.
On trouve dans Sosipater , qu'il avait
dit dans le premier livre de ses dis-
cours, qu'Auguste n'était pas très-
(3^) Condilionem principum miserrimam aje-
bat, quibus de conjuratione comperld. non cre*
deretur nisi occisis. Sueton. , in Doinit. , cap,
XXI.
(38) Marc. Aurelius arl Verum, apud Vulcat-
Gallicanum, in Vitâ Avidii Cassii.
(3q) Dans les Catalecta Virgilii et aliorum ,
et dans Spartien.
(4<>) Comment. , in Sparlian. Hadriao., pag .
,89.
(40 II s'appelait Borytthknes.
(42) Dio , in ejus VilS.
(43) De suis dilectis rnulta versibus compo-
stât. Spartian., pag. i45. Apuleius , Apolog.
(44) Xiphilin., in Hadrian.
(45) Joca ejus plurima exlant , nain fuit eiiam
dicaculus , Spart., pag. 187.
(4Cy Pliotius en parle, pag. aj6.
Il ADRIEN.
433
savant . Tametsi Auguslus non per-
eruditus homo fueril , ut id aaver-
bium ( obiter ) ex usu potiùs quant
ralione protulerit. Disons en passant
• que voilà une autorité pour ceux
qui, en fait de langues , ne voudront
pas que l'usage l'emporte sur la rai-
son. Voilà aussi un grand exemple
pour ceux dont les études les plus
sérieuses sont l'examen rigoureux de
leur langue naturelle 5 car il paraît,
parle passage de Sosipater, que no-
tre empereur avait été dans le latin
ce que Vaugelas a été dans le fran-
çais (47)- Aulu-Gclle (48) cite la ha-
rangue qu'Hadrien prononça devant
le sénat pour les habitans d'Italique,
la patrie de son père. Mais le princi-
palouvrage de cet empereur est sans
doute l'histoire de sa vie. Il aima
mieux qu'elle parut sous le nom
d'un autre , et apparemment il n'en
usa de la sorte qu'afîn d'avoir plus
de liberté de se louer. Phlégon , l'un
de ses affranchis , homme docte , mit
son nom à cet ouvrage de son maî-
tre (49). Hadrien composa des livres
à l'imitation d'Antimachus , poète
grec , dont il fut grand admirateur
(5o). Ces livres étaient fort obscurs.
Spartien en avait conservé le titre ;
mais on ne sait pas si les manuscrits
l'ont conservé comme il fallait ; de
sorte que le titre même de cet ou-
vrage est un chaos et une croix pour
les critiques. Saumaise s'est tourné de
cent cotés atin d'en tirer parti ; et
après avoir fixé la leçon qu'il juge la
bonne, il se trouve au bout de son
latin comme auparavant Solenn
eam esse ueram ( lectionem ) mihi
persuadée : quomodo tamen expli-
canda sit juxta cum ignarissimis scio
(5i). Si cet ouvrage d'Hadrien eût dû
parvenir jusques à nous , on aurait
bien eu raison de dire à l'auteur, lors-
qu'il y travaillait, Vous allez
Aux Saumaises futurs préparer des tortures;
Le seul titre les fera bouquer, les
fera rendre les armes. Ce n'est pas
une chose bien décidée , si Hadrien
(4?) Considérez sa dispute avec Favorin ,
dans Spartien , pag. i5o.
(48) Lib. XVI, cap. XIII.
(4g) Spart. , pag. i5o.
(5o) Catacrianos libros obscurissimos sfntima-
chum imitando scripsit. Spartian. , pag. i52.
(Si)Salmas. , in Spartian, Iladrian. , pag, m.
l5?.
TOMF VII.
a écrit de l'art militaire. On ne doute
pas qu'il n'ait fait de beaux; règle-
mens (5a) , et qu'il n'ait établi dans
ses troupes une merveilleuse disci-
pline. Végècc reconnaît qu'il s'est
servi des reglemcns d'Hadrien , mais
comme il avoue la même chose par
rapport à ceux de Trajan et à ceux
d'Auguste , sans que pour cela on
soil en droit de prétendre ijuc ces
deux empereurs ont fait des livres
sur cette matière, chacun voit que
Gcsner n'a pas eu raison de dire , en
vertu de ce passage «le Vegèce, qu'Ha-
drien a écrit de l'art militaire (53).
Quelques- uns (54) veulent qu'il ail
écrit sur la tactique, et que l'ou-
vrage d'Urbicius sur ce sujet soit d'Ha-
drien , hormis les additions d'Urbi-
cius. M. Pdgaut en a publié un frag-
ment.
(P) Je laisse son excessive
curiosité.] Je la pourrais qualifier
de la sorte, quand même il n'aurait
pas souhaité de pénétrer l'avenir au-
tant qu'il tâchait de faire , soit par
l'astrologie , soit par la magie. Il pou-
vait sans cela passer pour esprit trop
curieux. Il est appelé par Tertullien,
(55) curiosit aluni omnium explorator ;
et parAmmien Marcellin, futurorum
sciscitationi nimiœ deditus. Je n'exa-
minerai point s'il seyait bien à un
prince de vouloir connaître, comme
spectateur, les choses qu'il rencon-
trait dans les livres, concernant les
divers pays du monde. Peregrina-
tionis ila cupidus , ut omnia , quœ
legeral de locis orbis terrarum, pres-
sens wellet addisecre (56). Les voya-
ges qu'il entreprenait pour se con-
tenter là-dessus , n'étaient pas inuti
les aux provinces; ainsi ne le chi-
canons pas à ce sujet : souffrons qu'il
aille voir sur le mont Etna , si le so-
leil , quand il se lève , a les mêmes
couleurs que l'arc-en-cjpl (57) ; souf-
(5-ï) Dion dit qu'ils avaient encore force de
loi. Voyez la lettre de Valérien apud Vopiscnm,
in Probo. Casaub. Comment, in Spart., pag. 83.
(53) C'est Vossius, de liist. grsec, pag. >i3,
qui relève cette faute de Gesner.
(54) Salmasiiis , in Spartian., pag. 83.
(55) In Apologet. , cap. V.
(5G_) Spart., pag. m. iG3.
(57) /Etnam montem conscendit ut solis or-
tum videret areds specie, ut dicitur, variwn.
Idem, pag. 124. C'est-à-dire , selon M. Ae
Tillcmont, pag. m. 4>3 , pour y voir, dit-on .
lever le soleil en l'orme d'are. // fallait dit '
d'arc-cn-cicl.
28
m
HADRIEN.
fions qu'il monte sur la montagne
de Cassius, afin de voir lever ce
même astre (58) : mais qui pourrait
lui pardonner d'avoir entretenu une
infinité d'espions qui lui apprenaient
tous les secrets des familles • ce qu'une
femme écrivait à son mari ; ce qu'un
mari disait à sa femme? Erat curiosùs
non solhm domus suce , sed etiarn
amicorum , ita ut per frumentarios
occulta oiunia exploraret , nec ad-
verterent amici sciri ab imperatore
suani vitam priusquàm ipse hoc im-
perator ostenderet (5o). Il ne faut pas
douter que les lumières que les es-
pions lui fournissaient ne facilitassent
ses entreprises de galanterie j car il
ne faisait pas plus de quartier à ses
amis là-dessus , qu'à des gens indif-
férens. C'est ainsi que j'entendrais
volontiers les paroles de Spartien
(60) : Et hoc quidem uitiosissimum
putant (il parle de l'espionnage) at-
que huic adjungunl quœ de adulto-
rum amore ac nuptarum adulteriis ,
quibus Hadiianus labordsse dicitur ,
asserunt , jungentes qubd ne amicis
quidem sei'vaverit fidem. Les souve-
verains ont tant, d'autres voies de se
rendre redoutables , qu'ils devraient
laisser celle-là aux parasites :
Scire volunl tecrela domus, alque incle limer-
ri (61) ;
et ne'anmoins vous en voyez dans
tous les siècles qui n'épargnent rien
pour être exactement informes de
ce qui se dit dans les maisons. La
curiosité' d'Hadrien fut sans doute
cause que presque tous ses plus grands
amis, et ceux qu'il avait élevés aux
plus grandes dignite's, encoururent
son inimitié'. Il avalait avidement
tout ce qu'on lui venait rapporter de
ses amis, Facile de amicis quidquid
insusurrabatur audivit (61) . Au reste,
puisque je l'ai considère' dans cette re-
marque comme un voyageur curieux,
je la veux finir par dire qu'il marchait
à pied tout comme un soldat (63) ,
et qu'il ne se couvrait jamais la tète
qudque temps qu'il fît (6|). Il s'en
trouva mal enfin (65).
(58) filent Spartian. , pag i3s.
(5f)) Idem, pag. 102.
(60) Pag. loçj.
(61) Juvea. ,' sat. III, vs. n3.
(Gi) Spart. , pag. 146.
(63) Tdem,p 8/|.Aur. Victor. ,Kpit., Mb. V.
(fi'l) Spartian., pag- i(>3, 200.
(t>r>) Idrm, pag. soi .
(Q) Il n'y a nulle apparence qu'il
destinât à Jésus-Christ les temples
qu'il se bâtissait ; et l'on ne sait d'où
Lampridius avait tiré ce qu'il conte
là-dessus.] Quoi qu'il en soit, voici
les paroles de Lampridius (66) : Chris-
to templumfacere voluit (Alexander
Severus ) eumque inter Deos recipere,
quod et Hadiianus cogitasse fertur ,
qui templa in omnibus civitatibus sine
simulacris jusserat fieri , qui hodiè
ideirca quia non habent numina , di-
cuntur Hadriani , quœ Me ad hoc
parasse dicebatur , sed prohibitus est
ab iis qui consulentes sacra repere-
rant omnes Christianos futuros , si
id optato evenisset, et templa reli-
qua deserenda. Casaubon sans doute
n'a point de tort de rejeter cela
comme fabuleux. Ce que j'y trouve
de vraisemblable est cette crainte
des païens, que leur religion en fût
déserte'e, si l'on eûttole'ré publique-
ment le christianisme. Voilà qui fait
plus d'honneur à la foi chre'tienne
que les alarmes qui ont paru dans
les écrits d'un ministre réfugié (67) ,
qui, en combattant la tolérance des
religions , a dit entre autres choses :
Qu'on mette un prédicateur mahomé-
tan , un socinien, un papiste et un
réformé dans une ville , sans que le
magistrat y intervienne par son au-
torité , ni Dieu par son esprit et ses
miracles , et vous veiTez bientôt la
vérité succomber entièrement. Voilà
des gens qui craignent de n'avoir
à prêcher qu'aux murailles et aux
bancs , vox clamantis in deserlo ,
à moins qu'ils ne soient seuls dans
une ville. Je ne m'étonne donc pas
qu'ils soient si opposés à la toléran-
ce (68).
(6'ï) Lamprirl. , in Alexandro Severo , pag.
m. 993.
(67) Tableau du Socinian. , pag. 5i<j , imprime'
en îfigo.
(68 J Conférez ce qui e<l dit dans la remarque
(F.) de l'article Lubienietzki , loin. IX.
HADRIEN , cardinal prêtre
du titre de saint Chrysogone
(à), était natif de Cornetto dans
la Toscane (A). Il fut nonce d'In-
nocent VIII, en Ecosse (B), et
puis en France ; et , après avoir
(n) Pier. V.ilcrian. , Ae Litterat. Infelicit.
JlADKlEiN. 435
été clerc et trésorier de la cliani- pu , quand il travailla à cela , un
bre apostolique , il tut honoré
du chapeau de cardinal , par le
pape Alexandre VI (b) , dont il
avait été secrétaire (c). La vie de
ce cardinal fut un théâtre de
changemens bizarres, dont la fin
nefut rien moins qu'honorable. Il
l'échappa belle le jour qu'Alexan-
dre VI s'empoisonna par rnégar-
de (C). Ensuite il encourut de
telle sorte l'inimitié de Jules II,
qu'il fut contraint de s'aller
cacher dans les montagnes de
Trente , foudroyé par les arrêts
sévères de ce pontife (d). Ayant
été rappelé par Léon X , il fut si
peu reconnaissant de ce bienfait ,
qu'il s'engagea dans une conspi-
ration contre lui (D). Ce pape
lui pardonna cette faute , et lui
en fit expédier des lettres d'abo-
lition (e) ; mais le cardinal Ha-
drien ne s'y fia pas (E), ou n'eut
point la force de 'résister à des
remords que la présence des
objets pouvait rendre plus im-
portuns ; il se sauva de nuit , et
l'on n'a jamais pu savoir au vrai
ce qu'il était devenu (F). Il fut
un des premiers qui mirent de
la bonne manière la main à la
réformation du style latin. Il
étudia Cicéron avec un très-
grand succès , et fit quantité
d'excellentes découvertes con-
cernant
gue. Le traité qu'il composa ,
de Sermone latino , pendant
sa retraite des Alpes , en est
une preuve. Il avait interrom-
ouvrage très-considérable ; ce-
lait une traduction latine du
Vieux Testament (G). Quelques-
uns la mettent parmi les ouvra-
ges qu'il a composés {/). On pré-
tend aussi que son traité de Poè-
tis subsiste. Pour ce qui est du
traité de verâ Philcsophiâ, il
n'y a point de doute qu'il n'ait
été imprimé à Cologne , l'an
i548. Il se mêlait de faire des
vers (H).
{/) Oldoïnus, Vtlicn. Roman, pag. ioi.
_ (A) Dans la Toscane. ] Je parie
ainsi eu égard à l'ancienne division
de l'Italie ; car présentement Coriiel
to est dans ce qu'on appelle le J'ai 11
moine de Saint-Pierre.
(B) Il fut nonce en Ecosse. \
Je ne trouve point qu'il ait e'té nonce
en Angleterre ; mais il est pourtant
vrai qu'il se fit très-particulièrement
aimer du roi Henri VII. De là vint
qu'il fut évêque d'Herford, de Butli
et de Wels(i).
(C) Ill'échappa belle le jour qu'A-
lexandre P^I s 'empoisonna parmégar-
cle.] Il y eut quelque chose de fort sin-
gulier dans cette aventure. Voici
comme un de nos historiens la rap-
porte (2). Le bâtard d'Alexandre VI ,
ayant envie d'avoir la dépouille du
cardinal Hadrien Cornet (3) , avait
fait partie avec le pape, d'aller sou-
per avec lui dans sa vigne , et. >
avait fait porter quelques bouteilles
d'excellent vin , mais qui étaient
mixtionnees pour empoisonner leur
hôte. Or il advint que le père et le
ureté de cette lan- Als étltnt ***** de, h°nne h,eure > el
Jort altères de la chaleur de la sai-
son , demandèrent a boire ; et que
tandis que le valet qui savait le secret
était allé quelque part , un autre
leur donna de ce vin. Le père, qui le
(b) Oldoïnus, Atlien. Roman. , pag. 3o3.
(c) Pier. Valer. , de Lilterat. Infelicit.
(d) Acerbissimis peraissus edictis annos
alit/uot in Germanicis Rhœlorum Alpibus
obscurâ et sordidà peregrinatione délitait .
Pier. Valerian., de Litterat. Infelicit.
(c) Idem . iliiil
(1) Episcopus Erfortliensis, Balboaiensis el
Vuellensis , du le père Oldoïni, peu correct
dans son orthographe , Atlien. Roman. , pag.
3o3.
(2) Mézerai, Abrégé chronolog. , loin. / P ',
pag. m. 434.
(3) C'est celui qui J\nt le mjri d, cet article.
On l'appelait ainsi, ou plutôt de O.orui'tto à
came de sa patrie-
436
HADRIEN.
but pur, en mourut le jour même, qui
était le 17 aoiît i5o3. Le fils qui était
plus vigoureux , et y avait mis de
l'eau, eut loisir de courir aux remèdes,
et, s' étant fait envelopper dans le ven-
tre d'une mule, en réchappa ; mais
il lui en demeura une langueur qui
ne lui permit pas d'agir dans son
plus grand besoin. Il n'y avait que
deux ou trois mois qu'Hadrien avait
été promu au cardinalat. Guicciar-
din (/j) mérite d'être lu touchant cette
mort du pape.
(D) Il s'engagea dans une con-
spiration contre Léon X.] Ce fut celle
dont le cardinal Alfonse Pétrucci se
rendit le chef. On en voulait à la
vie de Léon X. Quelques-uns (5) di-
sent ([ne notre Hadrien y entra par
l'espérance de devenir pape , et que
cette espérance était fondée sur je
ne sais quelle prédiction , qui pro-
mettait le papat à un certain Hadrien
de hasse naissance , mais illustre par
sa doctrine. Comme tout cela conve-
nait à Hadrien de Cornetto , il s'en
lit l'application , et en perdit tout
son honneur , et le repos de sa vie.
Disons hardiment qu'il n'y a point
de plus grandes pestes du genre hu-
main que ceux qui se mêlent de
prédire l'avenir ; car ils ne trou-
vent que trop d'esprits faihlcs ou re-
muans , qu'ils engagent à des entre-
prises funestes. Un état bien policé
ne devrait pas souffrir de telles gens ,
de quelque manière qu'ils se vantas-
sent d'avoir consulté le ciel , soit par
les étoiles, soit par l'Apocalypse. La
plupart sont des imposteurs, qui n'ont
pour but que de troubler le repos
public. Celui qui trompa le cardinal
de Cornetto était un magicien dans
les montagnes de l'Apennin , à ce
que dit M. Varillas, qui rapporte au
long celte aventure. Voyez la page
276 de ses Anecdotes de Florence.
Mais Paul Jovc dit que c'était une
sorcière : Certain speni adipiscendi
ponlifîcatds conceperat ex oraculo
f'atidicœ mulieris. C'est ainsi qn'il
parle vers le commencement du iVe.
livre de l'histoire de Léon X.
(E) Léon X lui fit expédier des
lettres d'abolition ; mais il ne s'y fin
pas.] M. Varillas a observé que deux
choses donnèrent de la défiance au
cardinal Hadrien : l'une , que le
cardinal Sodérin et lui furent con-
damnés à une amende de dix mille
écus chacun , quoiqu'ils se fussent
prosternés aux pieds du pape , et
que le pape eût déclaré en plein con-
sistoire, qu'il pardonnerait aux cardi-
naux complices de la conjuration, s'ils
avouaient leur crime sur - le - champ,
et lui demandaient pardon en pré-
sence de leurs confrères : l'autre fut
les marques d'indignation qui pa-
raissaient malgré qu'il en eût sur le
visage de Léon X. Voyez la page 283
et 284 des Anecdotes de Florence.
(F) On n'a jamais pu savoir ce
qu'il était devenu.] Il est bon d'ouïr
là-dessus Piérius Valérianus , qui met
notre cardinal presque en tête de son
catalogue des savans malheureux. Wo-
ctu clamfugam arripuit , neque qub
abierit, neque ubi sit , qualuordecim
jam annorum spatio quispiam poluit
explorare. Ilajoute qu'on crutqueson
valet le tua, pour profiter dcspistoles
que ce cardinal avait cousues dans sa
chemisette. Constans lamenopinio est
eum i?isuto in interiorem thoracem au-
ro oneratum cotnitis famuli perfidiâ
oppressum , aureoque surrepto cada-
ver in solitafium aliquem locum ab-
jectum occultari. Le père Oldoïni re-
marque qu'on le dégrada de la pour-
pre et de ses bénéfices ; qu'il s'en-
fuit en Turquie ; et qu'il mourut
clandestinement , sans qu'on sache
en quel jour ni en quelle année (6).
A cela s'accorde Léandre Alberti ,
dans sa Description de l'Italie. Wosird
insuper œtate, dit-il, magna illustrait-
dœ patries principia jecerat Hadria-
nus cardinalis exhdcurbe (Cornetto)
ciim lilterarum studio, tùm cœremo-
niarum , sed qui me lu Lconis X pon-
tif Max. clam Borna profeclus ,
exindè nunquam appariât. L'auteur
des Anecdotes de Florence dit (7) que
le cardinal Hadrien sortit de Rome
travesti en moissonneur ; qu'tZ ne
(4) Lib. Vl,pag. m. 161. (6) Sub Leone contumax spolia tus esl purpura
(5) Foyez Moréii, h l'article Gastellési : c'est rt sacerdotiis, quare necis metu perterritus in
ainsi qu'il nomme notre cardinal. Au mot Ha- Thraciam fugit , ibique obscurus et lalens diem
tliicn Je Cornetto il mail renvoyé à Casicllcs. clausil exlremum , incerlum quo mense vel an-
11 eût mieux fait de t'en Unir là. OIJoïni dit no. Oldoïn. , in Ailicn. Kom. , pag. 3o3-.
ITadrianos Casttlknsb. (7) Pag. 584.
II ADR I
marcha que la nuit jusqu'il ce qu'il
fit dans son pays , ouil passa le reste
de sa fie en changeant de cachette ,
tant il était encore persuade de la
prédiction du magicien. Il y a deux
choses empruntées de Paul Jove
(8). Le reste est peut-être de l'inven-
tion de l'auteur. Guicciardin parti-
cularisa encore moins que Paul Jove.
Adriano partilosi occultamente ; quel-
lo che s'avenisse di lui , non j u mai
pin , che si sapesse , ne trovalo ne
veduto in luogo alcuno (9) Il dit cela
sous Pan 1 5i 7 , d'où l'on peut con-
clure que les Dialogues de Pierius
Valerianus de Infelicitate Litterato-
rum , furent composes Pan 1 53 1 .
More'ri a mis la fuite de noire Ha-
drien à Pan 1 5 1 8. Que ne suivait-il
la chronologie de Guicciardin ? Il
envoie ce fugitif à Venise, et à Riva
dans le diocèse de Trente. J'ai bien
peur qu'il ne confonde l'exil sous
Jules II , avec l'exil sous Léon X.
(G) // avait entreplis une tra-
duction latine du J-^icux Testament.}
Erat in animo prosequi cœptum jam
pridem opus sacros veteris instru-
menti libros ex hebrœo ad verhum in
latinum sermonem verlendi : sed
cùm me procclla temporis in Tridcn-
tinas rupes , quô Judrei ob Simonis
credem ne aspirarc quidem audent ,
delruserit , atque animus inquies ni-
hil agerc non posset , hœc sum ad-
gressus (10).
(II) Il se mêlait de faire des vers.}
Nous avons son petit poème de Ke-
nalione , et celui qui a pour titre ,
/ter Julii II , pontifîcis romani , sans
compter les vers à la louange de la
sainte Vierge, et la description du pa-
lais qu'il fit bâtir assez près du Vati-
can , et qui est aujourd'hui posse'dè
par la maison Colonna. On le nomme
le palais Anglais, à cause que le car-
dinal Hadrien le légua au roi d'An-
gleterre (11).
(8) Hadrianus , trepido tuspicacique ingenio
vir, Leonis clemenlià dijpdens, ab urbe messo-
ris habilu profeelus , usque ad ville exilum nullo
persequenle l'atebrar mutant. Jovius , lib. IV
Vitœ Lcon. X.
(9) Guicc. , lib. XIII, folio m. 384 verso.
(10) Kadrian. , in prœf. ad Carolum princi-
pe™, ffispaniœ , de Serin, latino.
(m) Voyez Oldoïnus Alhen. Roman., pas.
3o3.
HADRIEN VI naquit à
EN VI. 437
Utrecht l'an i/\5y (a) (A). L'es-
prit que l'on reconnut eu lui dès
l'enfance , obligea son père (R)
à le destiner aux études , quoi-
qu'il n'eût pas le moyen de l'en-
tretenir dans les écoles. Mais
l'université de Louvain suppléa
à cette indigence domestique.
Le jeune homme y trouva place
dans un collège oii l'on nourrit
gratuitement un certain nombre
d'écoliers. On conte qu'il allait
lire la nuit à la lumière des
lampes (C) qui étaient allumées
dans les églises , ou aux coins des
rues *. C'était tout ensemble un
signe de son indigence et de
son esprit studieux. 11 lit de
très -bons progrès dans toutes
sortes de sciences ; et s'il ne de-
vint pas poète (D), ni bonne
plume, c'est qu'il ne s'en soucia
pas. Ses mœurs étaient exem-
plaires ; et l'on ne vit jamais
homme qui s'intriguât moins que
lui. La cure qu'on lui donna en
Hollande (E), l'alla chercher
sans qu'il s'y fût attendu. La
seule réputation de sa probité et
de sa science brigua pour lui au-
près de ceux qui l'élevèrent (ù).
Il reçut le bonnet de docteur eu
théologie à Louvain, le 21 de
juin 1491 • Un peu après il fut
chanoine de Saint -Pierre , et
professeur en théologie dans la
même ville; et puis doyen de
Saint-Pierre , et vice-chancelier
de l'université. On le lira de
cette vie collégiale pour le faut
venir à la cour, en 1507 ; et cela
afin qu'il fût précepteur de l'ar-
chiduc Charles , âgé alors du sept
a) Valer. Andr. , Bibliotli bclg , /< [Q.
* Leclcrc cl Jol) récusent le lémoi
de Naudé.
il>) Paulus Jovius , in Vilâ Hailiiaiu VI.
138
HADRIEN VI
ans (c). H ne lui lit pas faire «3e
grands prpgrès dans le latin (F) ;
<>l l'on a voulu dire que Chièvres,
gouverneur de ce jeune prince ,
en fut la cause (d). Il n'y a rien
pour l'ordinaire de plus désa-
gréable aux enfans que l'étude :
les exercices du corps sont tout
autrement leur fait. On a donc
dit que Chièvres , voulant s'ern-
parer de son pupille , et avoir
tonte la gloire de ses progrès , le
cultiva du côté de l'inclination
et de son fort, et ne se soucia
guère qu'il profitât des leçons du
professeur de Louvain. Quoiqu'il
en soit , le professeur eut des ré-
compenses si magnifiques , que
jamais homme de cet emploi n^n
a eu de plus considérables ; car
ce fut le crédit de Charles-Quint
qui l'éleva au papat (G). Avant
cela il fut envoyé ambassadeur
cn Espagne , auprès du roi Fer-
dinand ; et quelques-uns disent
qu'il ménagea les choses avec
beaucoup plus d'adresse (H) que
l'on n'en devait attendre d'un
homme qui avait humé si long-
temps l'air de l'université. Il ra-
mena ce monarque , qui était
fort mécontent de la manière
dont son gendre en avait usé en-
vers lui, et de l'attachement que
la noblesse avait témoigné poul-
ies princes autrichiens. Hadrien
effaça ces mauvaises impressions
dont les suites étaient à craindre,
et fut honoré peu après de l'é-
vêché de Tortose (I) , sans cesser
pour cela d'être ambassadeur. Il
(<■) Valer. Andr. , Biblioth. Jjel^. , pag.
19 ; et in Fast. acad. Lovan., pag-. 96.
iil) Feruiil Carolum Cevrium... ut intégra
ado/escentis possessione fruerelur , alurn-
num, militari-:; joins sœpiîis qfferendo, sen-
im avertisse à litleris, Jovius , iri Vitâ Ha
li Mm \ I
en exerça les fonctions jusques à
la mort de Ferdinand (e) , après
quoi il partagea la régence avec
le cardinal Ximénès (f) (K). Il
est vrai que sa part fut la plus
petite, pour ne rien dire de pis
(g) : mais il arriva un temps où
son autorité fut beaucoup plus
grande. Ximénès avait voulu
trop faire le maître : c'est pour-
quoi l'archiduc Charles le ren-
voya chez lui , lorsqu'il alla en
personne prendre possession de
ses royaumes d'Espagne ; et quel-
que temps après il en donna le
gouvernement à Hadrien d'une
manière fort honorable, je veux
dire lorsqu'il en partit pour aller
en Allemagne , où la couronne
impériale l'appelait (h). Hadrien
se trouva fort embarrassé du
gouvernement de tant de royau-
mes , parce qu'il s'y forma une
dangereuse sédition , qu'il n'au-
rait pas été capable de surmon-
ter, si l'on ne lui eût associé
deux collègues, savoir le con-
nétable et l'amirante de Castille.
L'invasion de la Navarre par les
Français fut un autre grand
embarras pendant son gouver-
nement. Il s'en tira avec hon-
neur; et il jouissait du plaisir
d'avoir recouvré la Navarre, lors-
qu'il reçut la nouvelle de son
élection à la papauté (/). Je n'ai
pas encore dit que Léon X lui
(e) Arrivée le 23 janvier l5l6.
(/") Jovius , in Vitâ Hadriani VI.
(g) y oyez Varillas, Pratique de l'éduca-
tion du Prince, pag. 186, édition de Hol-
lande.
[h) Hadrianus cttm itnperio toti Ifispaniœ
prteficitur tantâ cum dignilate , ut Cresar re
cusantem et prœoptantem seipii humanissi
mis precibus ut manere vellel exorare coge-
retur, quandb rege absente in Hispanite
prœside opus foret prœclarœ dignitatis et
famts, //ni , etc. Jovius, pag. 23l.
/) Idrm , pag • '• 1
HADRI
avait donné le chapeau de car-
dinal en l'année i5i^. Après
sa mort les diverses brigues du
conclave aboutirent à l'élection
d'Hadrien (&), ce qui déplut fort
au peuple de Rome (L). Le nou-
veau pape , s'étant embarqué en
Catalogne , arriva à Rome le 3o
d'août (M). Il ne voulut point
changer son nom; et il témoigna
en toutes choses un éloignement
du faste et des voluptés, contre
lequel la prescription était déjà
surannée. Son pontificat ne dura
que jusques au 14 de septembre
i523. Il eut une grande partia-
lité pour l'empereur Charles-
Quint, et très-peu de satisfaction
de sa tiare (N). C'est peut-être
son mécontentement qui donna
lieu à ces manières d'agir, qui
l'ont fait passer pour un misan-
thrope (0). Les Italiens ont pu-
blié des médisances atroces con-
tre lui (P) : et ceux même qui ,
au lieu de le diffamer du côlé
des mœurs, sont convenus de sa
probité et de son zèle , ne lais-
sent pas de dire qu'il n'était
point propre à être pape (Q). Il
n'est pas jusques à sa sobriété
dont on n'ait fait des railleries
(R). La joie qu'on fit paraître de
sa mort est au fond un grand
éloge pour lui (S). Je ne saurais
bien dire si ce sont les catholi-
ques ou les protestans, qui ont
débité les premiers qu'il permit
de sacrifier aux divinités du pa-
ganisme , afin de faire cesser la
peste (T). Guicciardin n'est pas
celui qui l'a le plus épargné; car
il prétend (/) que ceux qui con-
férèrent la papauté à ce barbare,
se portèrent à cela plutôt par une
/. ) Le 9 janvier i522.
/i Lib. XII'. folio m pi.
EN VI. /,39
impétuosité aveugle , que par
choix et par délibération (m); et
que ne sachant donner aucune
raison de leur extravagante con-
duite , ils s'en déchargeaient sur
le Saint-Esprit , qui avait de
coutume, à ce qu'ils disaient,
d'inspirer les cardinaux pendant
l'élection des papes (n). Le corps
d'Hadrien fut déposé dans l'église
du Vatican , entre celui de Pie 1 1
et celui de Pie III , et transporté
ensuite dans l'église de Sainte-
Marie delV anima. Guillaume
Enckevort , le seul cardinal qu'il
eût fait, prit tous ces soins-là,
et lui fit dresser un superbe mau-
solée (<?). N'oublions pas que ce
pape a été auteur (U). Il est un
peu étrange qu'un homme qui
devait aux lettres son avainc-
ment , ait si peu favorisé les
beaux esprits (X). Le recueil des
lettres des princes contient (p)
quelques particularités sur l'hu-
meur de ce pontife. Sa Vie a été
amplement décrite par Gérard
Moringus , théologien de Lou-
vain.
Il nedissimulapoint lesgraml^
abus qu'il remarquait dans l'é-
glise : il les avoua publiquement
et d'une manière très-forte dans
l'instruction qu'il donna au non-
ce qui devait parler de sa part à
la diète de Nuremberg (Y). Il y
déplora la mauvaise vie du cler-
(m) Le cardinal Pallavicin réfuie cela,
lib. Il, cap, II. Voyez l'article GuiCClkR-
din, remarque (F), pag. 33 1.
(n) Délia quale estravaganza non potendo
con ragione alcuna escusarsi , transferivano
la causa nello Spirito Santo , solito secundo
dicevano a inspirai e nella elellione de' pon-
lefici i cnori de cardinali.
(o)Jovius, in Vitâ Hadriani, pag. ZJ2I ,
Val. Andr. , Bibliotb. belg. Aub. Miraeus .
Elog. belg.
(/)) Dans deux lettres de Jérôme Niger i
Marc Vntoinc Micheli folio m, 8l , 85.
44 o
HADRIEN Vf.
ce, cl la corruption des mœurs
<rui avait paru dans la personne
de quelques papes. Il y avait
long-temps qu'il souhaitait d'in-
troduire parmi les ecclésiastiques
la réformation des mœurs. Il
avait travaillé à cela pendant
qu'il avait été doyen de Saint-
Pierre à Louvain ; mais l'inutili-
té de ses peines l'avait obligé à
renoncer à son entreprise (Z).
L'un des plus justes reproches
qu'on lui puisse faire est d'avoir
contrevenu aux belles leçons qvii
étaient sortiesde sa plume contre
la pluralité des bénéfices (AA).
Notez que quand il canonisa An-
tonin et Bennon , il ne souffrit
pas les dépenses qu'on a coutu-
me de faire dans ces sortes de
cérémonies : il les défendit com-
me une chose contraire à la sain-
teté de la canonisation (q). Un
savant jésuite s'est trouvé dans
l'embarras pour avoir cité ce fait
(BB). Les successeurs de ce pape
n'ont pas été de son goût ; ils ont
toléré dans les canonisations la
pompe mondaine jusqu'à des ex-
cès qui ont choqué le menu peu-
ple (CC).
(//) Talcs sumplus quasi aliénas à sancti-
moniâ el puritate canonisationisjleri vetuit.
151asius Ortisius, apud Papehrocliium , loin.
Vil maii , pag. 555.
(A) // naquit a Utrechl. ] Cette
ville s'appelle en latin Trajectum ad
Jihcnum , comme Maè'stricht s'ajjpelle
Trajectum ad Mosam. Quelques-uns
(i) s'étant contentes de dire qu'Ha-
drien était Trajectcnsis , ont été
cause que d'autres (2) l'ont fait nalif
de Maè'stricht : tant il est vrai que
pour peu qu'on s'éloigne de l'exacti-
tude, on fait broncher quelque au-
(1) Bcllarmin est. de ceux-là, dans le livre de
Scriptor. ecclesiast.
(••; /, jésuite Forcsti eslde ceux-là, dam le
nomlo istorico
tcur. Apparemment le père Labbi
s'était aperçu de la négligence de
Cellarmin • car dans son Commentaire
sur les Ecrivains ecclésiastiques de ce
jésuite , il ne s'est point servi du mot
Trajéctensis , mais de celui (YUltra-
jecteusis. Il est si vrai que Trajectum
tout seul se prend plutôt pour Maè's-
tricht que pour Utrecht , que M. de
Marolles n'est point excusable d'avoir
pris (3) , au IIe. livre de Grégoire
de Tours , Trajectensem urbem pour
Utrecht. Il s'agissait de la retraite de
saint Servais , évêque deTongres; et
c'était une nouvelle raison de ne mé-
connaître pas Maè'stricht. Je ne doute
point que le docte Onuphre Panvini
n'ait pris ici Trajéctensis pour un hom-
me né à Maè'stricht. Hadrianus VI,
dit-il (4) , Trajéctensis , Flander vcl
Brabantinus : erreur mille fois plus
supportable que celle d'un écrivain
allemand , qui a dit (5) , Adrianus VI
palriâ Derthusiensis Germanus. Quel-
ques-uns l'ont fait naître en Italie
(6) : Ut plané ridiculi sunt qui in suis
ad Alphonsi Cîacconii historiam ad-
dilionibus natales Hadriani majorcsve
Italiœ vindicant. Jérôme Niger , au-
teur italien , disait de ce pape : Il
parle toujours latin assez passable -
ment pour un Espagnol (7).
(B) Son père. ] Il s'appelait Florent
Doyens , et gagnait sa vie à faire des
barques , IVaupegus (8). D'autres le
font tisserand , et d'autres brasseur
de bière. Je crois qu'il s'en faut te-
nir à la première opinion , puisque
Valère André , qui a fait bien des re-
cherches touchant le pape Hadrien VI,
ne dit pas un mot des autres métiers
qu'on donne à son père. Quant au
fils , il ne s'appela qu' Hadrianus
Florentins , c'est-à-dire , Hadrien ,
fils de Florent : c'était la coutume du
pays ; elle y subsiste encore dans le
petit peuple.
(C) On conte qu'il allait lire la
nuit ii la lumière des lampes. ] C'est
Gabriel Naudé qui m'apprend cela.
(3) Voyez ses Notes sur Grégoire de Tours,
lom. I, pag. 75.
(4) In Chronico 10m. Pontif. , ail ami. i522.
(5) In Continualione Chronici Eusebiani, ex-
cusa' Basilets anno i53(i, ad ann. i522. Voyez
SchoocVius, de Fabula Hamelensi , pag. 83.
(6) Valer. Amlr. , Bibliotli. brlg., pag. iq.
(7) Voyez /.( Lettres des Priuces, recueillit*
pat Ruscelli, folio m- KG.
(S) Valer. Amlr. , Bibl !>clg. , pag. iQ
HADRIEN VI.
44'
JYon secus omnino , dit-il (9) , ac
olim fecére maximi illi viri , Euclides
dum noctu Megaris Alhenas proji-
cisccretur ad audiendum Socratem....
Hadrianusque prceterea ejus nominis
pontifex sextus , et Auguslinus Steu-
chus Eugubinus , quoi inler luctan-
dum cum studlis et angustiorïs vitœ
miseiiis , sœpè videre juil ad ellych-
nios noctu in templis aut compitis
collucenles légende desiderio acces-
sisse.
(D) S'il ne devint pas poëte. ] Une
des choses qui le firent décrier par
les Italiens fut qu'il ne faisait aucun
cas ni de la poésie , ni de la délica-
tesse du style , deux choses qui avaient
fait faire fortune à bien des gens , sous
Léon X , et dont on se piquait le plus
en ce pays-là depuis cinquante ou
soixante ans. Hadrien avait ses rai-
sons ; car les poètes avaient produit
les mêmes mauvais effets qu'ils pro-
duisirent depuis en France (10). Quod
union ei viri élégantes defuisse prœdi-
cant , eloquentiœ cultioris flores , et
poè'tarum amosnitates contemnere erat
solitus, swe quod putaret eas sibi ali-
quid de gravissimorum studiorum au-
loritate detrahere , sive quod castis et
piis ingeniis poè'tarum lusus prawos
mores itnportare et religionibus ojfi-
cere arbitraretur (11). Il était si peu
disj>osé à leur faire du bien , qu'une
des raisons pour lesquelles Paul Jove
se ressentit de ses faveurs , fut qu'il
n'avait pas joint la poésie à l'étude
des belles-lettres. Jovium omnino eo...
sacerdolio esse perornandum , quem
audivisset oplimis disciplinis libérali-
té!' eruditum , et scriptorem annalium
valdè elegantem , nec tainen esse poë-
tam , ut cœleri qui cultiores lilteras
seclarentur (12). Le paganisme, que
les poètes répandaient dans leurs ou-
vrages , ne contribua pas peu à la
froideur que ce pape leur témoigna ;
car il n'entendait point raillerie là-
dessus. Ce n'était point un homme
d'accommodement sur ces matières
(i3); il détourna ses yeux lorsqu'on
(9) Naudœus , in Pentadc, Qujest. iatropliilol .,
pag. m. pi.
(10) Thuanus, lib. XXII, ail ann. i55f).
Voyez ci-dessus , pag. 28 , la remarque (I) de
Varticle Gar.vsse, au premier alinéa.
(11) Jovius , in ejus VUS, pag. m. 2î3.
(12) Jovius, ùt ejus Vilâ, pag. 277.
(|3) Suspecta habebalpoclarum ingénia, ui-
.'■■'.c jui minus sinecru animo de christiiiwt rcli-
lui voulut faire voir la statue de Lao-
coon , et dit que c'étaient des simula-
cres de l'impiété : Ornamenta insig-
nispiclurtc et staluarum priscœ artis
nequaquam magnifecit , adeo ut Kia-
nesio jBononiensium legato commen-
dunte statuant Laocoontis , quam in
Belvederii viridariis Julius ingenti
pretio coëmptam ad loci dignitalem
collocârat , aversis statim oculis tan-
quam impiœ gentis simulacra vitupe-
raret. C'estPaul Jove (i4) i quinousap-
prend cette particularité. Jugez si les
amateurs des beaux-arts , si les Ita-
liens qui admiraient ce chef-d'œuvre
de sculpture , pouvaient concevoir de
l'estime pour un tel pape. Les poètes
lui firent voir qu'on n'avait pas dit
sans raison , genus irritabde valum.
Voici une épigramme dont Sannazar
le régala :
Classe, virisque potens , domiloque Oriente
superbus
Tlarbarus in Latias dux qualil arma domos :
In Valicano noster lalet ; hune lamcn alto ,
Christe , vides ccelo , (prok dolor) et palcris !
Nous rapporterons ci-dessous l'invec-
tive de Piérius Valérianus. La statue
de Pasquin était continuellement bi-
garrée de vers satiriques contre Ha-
drien : nous dirons ailleurs (i5) pour-
quoi il ne la fit pas détruire , comme
il l'avait résolu.
(E) La cure qu'on lui donna en
Hollande. ] Paul Jove dit que (16)
Marguerite , fille de l'empereur Maxi-
milien , gouvernante des Pays-Bas ,
lui fit avoir cette cure , et que peu
après on lui conféra le doyenné de
Louvain. Il a tort de donner , en ce
temps-là , le gouvernement des Pays-
Bas à cette princesse ; car elle ne le
posséda qu'après la mort du duc de
Savoie , son second mari effectif. Je
me sers de ce mot, parce que le pre-
mier prince (17) auquel on l'avait
fiancée , la renvoya avant la consom-
mation du mai^tgc , et parce que je
n'ajoute nulle#>i à ceux qui disent
que le duc de Savoie ne la connut
gione sentire et damnala falsissimorum dcorum
noinina ad veterum imitnlionem sludiosc cele-
brare dicerentur. Id. , Ibid.
(i4) In ejus Vitâ, pag. 283.
(iS) Au loin. XV , dans la Dissertation sur
les libelles dtflâmatoires , num. XII.
(16) Margarita Maximiliani Ciesaris filia ,
qua- tum Belgis imperabat , sacerdolio paro-
chiati m Uollandid libéralité,- honeslavtl.
(n) Charles VIII roi de France.
442
HADRIEN VI.
point (18). En tout cas, puisqu'il
mourut l'an î5o4 , il est clair que
Marguerite d'Autriche n'était point
gouvernante des Pays - Bas lorsque
Hadrien monta au doyenne de Lou-
vain; car il y monta en l'anne'e i^97
(19). Paul Jove aura confondu cette
Marguerite avec la veuve de Charles-
le-Hardi , dernier duc de Bourgogne,
sœur d'Edouard IV, roi d'Angleterre.
Elle se nommait aussi Marguerite, , et
lit les frais de la promotion d'Hadrien
au doctorat en the'ologie (20). Ceux
qui nous l'apprennent disent bien que
ce docteur eut le doyenne de Saint-
Pierre à Louvain , celui de Notre-
Dame à Anvers , un canonicat et la
charge de tre'sorier à Notrc-Dame-la-
Grande d'TJtrecht , et la prévôté de
Saint-Sauveur dans la même ville :
mais ils ne parlent point d'aucun bé-
néfice à charge d'âmes , ou d'aucune
e'glise paroissiale. C'est peut-être une
nouvelle confusion de Paul Jove, que
cette paroisse-là. Le cardinal Palla-
vicini (21) n'a rien corrigé sur ceci
dans la narration de cet écrivain.
(F) 77 ne fil point faire a Charles-
Quint de grands progrès dans le la-
lin. ] Tout le monde a ouï dire que
cet empereur, ayant été harangué en
latin , et n'ayantpu entendre ce qu'on
lui disait, s'écria en sotipirant • Ha-
drien nie l'avait bien dit. Paul Jove
en parle (22) comme d'une chose qui
arriva en sa présence. Audivi ego
Cœsarem quiim Genuœ lalinam ora-
tionem a quodam. recitalam , nequa-
quam prœclarc intelligent , suspi-
rantem hœc verba ore protulisse ;
agnosco , inquit, mine maxime et eum
dolore quidem magistri mei divina
monita , quùm hos flores et elegantias
latini sermonis percipere nequeam, et
nu niinerim eum sœpè prœdixisse , me
aliquanâo puerilis incuriœ pœnas da-
liirum. Cet historien venait de dire
qu'Hadrien , n'ayaaÉ pas été en état
de tenir bon contre xlhièvrcs , s'était
contenté d'avertir son jeune disciple
qu'il se repentirait un jour de sa né-
gligence. Hadrianum authoritate im-
(18) Fabert, Histoire des ducs de Bourgogne,
pag. 44^- Heiss, Histoire de l'Empire, loin.
I , pag. 372.
(içj) Val. Andr. , Fasl. Academ. , pag. 60.
(20) Idem, pag. C)5, et Bibl. bclg. , pag. 19.
(21) Istor. dcl Concil. , lil>. II, cap. II.
(■>") fn Vitâ Iladriani VI, /'fig. m. 227.
parcm, et natnrd lenissimum , ojficio
facile decessisse , ila tamen ut disci-
pulo perblandè diceret , fulurum ali-
quando ut eum prœscntis negligenliœ
pœnileret. Charles- Quint en sentit
l'épreuve à Gênes , et l'avoua de
bonne foi. Camérarius (23) voudrait
rendre responsable Hadrien , de ce
que cet empereur était obligé de se
servir de trucheman quand on le ha-
ranguait en latin; comme si Hadrien
avait été .plus soigneux de l'instruire
dans le catholicisme , que dans les
belles-lettres : mais il ne faut que se
souvenir de l'aveu de Charles -Quint
pour disculper son précepteur. M. Va-
rillas (2^) est entré dans une longue
dispute contre les historiens espa-
gnols , où il prétend qu'il n'est pas
vrai, ni que Chièvres soit coupable
de ce de quoi on l'accuse par rapport
au latin de son élève , ni que Charles-
Quint ait ignoré cette langue , ni qu'il
ait fait une expérience fâcheuse de
cette ignorance , un jour qu'on le ha-
rangua. A l'égard de ce dernier fait,
que les Espagnols , dit-il , supposent
être arrivé en Allemagne , il soutient
qu'il n'est rapporté dans aucun au-
teur des autres nations. Aurait-il
parlé de la sorte , s'il avait su l'aven-
ture de la harangue de Gênes, dont
Paul Jove a fait mention ?
(G) Ce fut le crédit de Charles-
Quint qui l' éleva aupapat.] Paul Jove
remarque qu'Hadrien eut part à la
nombreuse promotion de l'année i5i7
(25) , en vertu des lettres de l'empe-
reur Maximilien (26). Il y ajoute
quelques autres raisons. A l'égard de
la papauté , c'est une opinion fort
commune qu'Hadrien y arriva par les
fortes brigues de l'empereur Charles-
Ouint. Cœsare urgente Leoni demor-
tuo absens ( raro et inusitato sanè
exemplo ) pontifex Max. undequa-
draginta patrum purpuratorum suf-
fragîis creatur (27). On prétend qu'A-
myot fut redevable de la grande
aumônerie de France à une conver-
ti) Méditât, hist , IIIe- vol., liv. lV,chap.
VU , pag. m. 282.
(î4) Pratique de l'éducation des princes, pag.
?6 et suiv.
(25) On fit trente et un cardinaux loul a la
j'ois.
(26) Tuinprœserlim Maximiliani Cœsaris lil-
leris. Joviu», pag- a3o.
(27I Swerlius , Atbi-n. bclg , /">£■ ç>5.
HADRIEN VI.
443
salion qui tomba sur le sujet fit Char-
les-Quint, a ta table de Charles IX.
« On loua cet. empereur de plusieurs
» choses , mais surtout d'avoir fait
» son précepteur pape On exagéra
» si fortement le mérite de cette ac-
» tion , que cela fit impression sur
» l'esprit de Charles IX , jusque-là
)> même qu'il dit que, si l'occasion
» s'en présentait , il en ferait bien
» autant pour le sien (28). » C'est
donc une opinion assez générale ([iu-
le pape Hadrien VI était la créature
de Charles-Quint. Il semble néan-
moins que cet empereur ne lui pro-
cura le papat qu'indirectement , et
par accident. Paul Jove , qui est en-
tré assez bien dans les intrigues de ce
conclave , nous apprend que Julien
de Médicis , chef de la plus puissante
faction , ne travailla pour Hadrien
qu'après avoir vu qu'il ne pouvait
rien obtenir pour lui-même (29). Il
est vrai que l'attachement d'Hadrien
aux intérêts de Charles- Quint lui
rendit très-favorable , dans ce pis-
aller , la cabale de Julien de Médicis.
On parle d'une inscription où Hadrien
se reconnaissait obligé de toutes ses
grandeurs à sa majesté impériale (3o).
Cette inscription était composée , dit-
on , de ces paroles : Ultrajectum
plantavit , Lovanium rieavit , Cœsar
vero merementum dédit ; c est-a-dire ,
Utrecht a planté , Lointain a anvsé ,
et l'empereur a donné l'accroissement.
Sur quoi quelqu'un dit : Il n'y a eu
rien ici a faire pour Dieu , Deo isthic
nec seiilur , rtec metitur. Cela n'em-
pêche pas que la création de ce pape
n'ait été un coup de hasard et de dé-
pit. Lisez ces vers de Piérius Valéria-
nus , qui sont aussi beaux que satiri-
ques (3l) :
Cinnjlucluarel cymba , quœ magnos deos ,
ilomie pennies quie vehil,
Leone adempto : providum , vigilem , parem
(a8) L'abbé de Saint-Réal, .le l'Usage de
i'Ilistoire. Wojeu la remarque (E) de l'article
'i'Amyot. [Bayle y réfute ce conte, tom. I, pae.
5o3.]
(29) Itaque Medices desperalo vel neglecto
ponlijicatu Hadrianum nominal. Jovius , pag.
249.
(30) Wolfius , Lect. memorabil., tom. II,
pag. 192, dit que celle inscription parut sur
une tapisserie , à Louvain , lorsqu'on y fil des
réjouissances pour la création de ce pape.
\i\) L'auteurdes Notes sur les poésies de Son-
naxar , imprimées ii Amsterdam . l'un 1680. les
1 insérées à ta pa^e yjCy, 237.
Oplabal infelix duce.m.
Durn lolà is orâ quœrilur Ligusticd ,
Totoque Tyrrheno mari ,
Per Iladrialici omne liltus , per Padi
Ripa f , Lemani per juga ;
Per Celtiberos , Gaditanos , Gallici
Vaslos per Oceani sinus,
Quaque cestuosum Sarmalas lambit salum ,
Qua circuit Britannias ;
Repente nobis hune dédit vecors Juror
Fegioni Fheni ab ultimd ;
J\ril laie palribus facere se pulantibin ;
Pfihil minus volenlibus
Quant quem eligebanl, nil minus poscentibus
Quant quem vocabant : ô mare'.
O terra ! votis Hadrianus omnium
Fit ponlifex ; sed omnibus ,
Quis credàt ? invilis. Deùm vis hœc , DeCim ,
Deùm abditum hoc arbitrium est.
Ut qui natantis despuunt regnum trahis ,
Parère discant viperœ :
Ut invicem qui se oderanl patres , dticem
Invisum haberenl omnibus ,
Malarum ut essel sœvus ultor menlium ,
Acri ipse mente in singulos.
Naudé rapporte ( 3a ) que Pierre
Martyr , non l'hérétique de Florence,
mais le protonotaire apostolique , na-
tif d'une petite bourgade du duché de
Milan , a dit , en parlant de l'élec-
tion rf'Hadrien VI : Cardinalibus hoc
loco accidit quod in fabula de par do
ac leone super agno raptando scribi-
tur ; fortibus Mis strenuè sedilaceran-
libus , quodeumque quadrupes iners
aliud prœdœ se dominum fecit. C'est-
à-dire , selon la version de Louis de
Mai , auteur des Notes sur les Coups
d'état , il arriva en celte rencontre ,
aux cardinaux, ce que la fable raconte
du léopard et du lion , sur l'enlève-
ment d'un agneau ; que pendant que
ces deux généreux animaux se dé-
chiraient , en disputant vaillamment
a qui aurait la proie , une autre bête
a quatre pieds , des plus brutes et lâ-
ches , s'en rendit la maîtresse.
(H) Dans son ambassade il
ménagea les choses avec adresse. ]
M. Varillas n'est pas de ce sentiment
Selon lui (33) Hadrien n'était bon que
pour enseigner dans un collège ; il
n'entendait pas la politique ; il ne
savait pas la science du cabinet. On
en donne entre autres preuves celle-
ci : c'est que dans son ambassade
d'Aragon il ne répondit pas à l'espé-
rance de Chièvres. Mais qui a dit à
Varillas que ce soit, une marque d<
peu d'habileté ? Hadrien lins-, ni
Chièvres pour plusieurs raisons (34);
(3a) Naudé, Coups d'état, pas. m. a3.
(33) Voie: la préface <h la Pratique df I i
Vacation.
(340 Jovius pag
444
HADKIEJN VI.
et au lieu de négocier selon les vues
de Chièvres, il lui rendait sous main
de mauvais ollîces *. C'était sans dou-
te mal répondre aux espérances de
ce seigneur ; mais ce n'était pas être
mal habile.
(I) Il fut honoré de l'évéché de
Tortose. ] Plusieurs auteurs (35) que
j'ai consultés conviennent que Ferdi-
nand conféra cet évêché à Hadrien ;
mais M. Varillas dit (36) qu'on le lui
donna après la mort de ce prince ,
comme un dédommagement du pou-
voir qu'on lui ôtait/C'est qu'il faut
savoir que le cardinal Ximénès , nom-
mé régent du royaume par le testa-
ment de Ferdinand (37), voulut oc-
cuper ce poste malgré le brevetqu'Ha-
drien avait apporté de Flandres, pour
être régent de la Castille et de l' Ara-
gon , en cas que Ferdinand mourût.
Le cardinal fut plus ferme qu'Hadrien
dans ses prétentions • car on porta
celui-ci à se contenter d'avoir part
à la régence : et M. Varillas suppose
qu'on le fit évêque (38) afin de le dé-
dommager. Je viens de jeter les yeux
sur un ouvrage (3g) plus moderne
que celui de Varillas, et j'y ai vu que
l'auteur suppose que notre Hadrien
n'était point évêque lors de la dis-
pute sur la régence. En racontant les
circonstances de cette dispute , il ne
l'appelle que le doyen de Louvain,
et il dit (4o) que Ximénès supposa
que ce doyen ayant consenti de ne
l'avoir qu'en second, la dignité et le
rang qu'il avait dans la Castille ne
permettant pas a un simple Prêtre,
comme était le doyen , de prétendre
le pas sur un archevêque cardinal,
il ne lui en ferait part qu'autant qu'il
lui plairait. M. l'évêque de Nîmes dit
formellement (40 que le doyen ne
parvint à l'évêclié de Tortose , que
par la recommandation de Ximénès
* Réflexion hasardée et sans preuve, disent Le-
clerc et Joly.
(35) Jovius , ibid. , pag. 228. Swert, Athen.
beig. , pag. f)5. Val. Andr. , lîibl. belg. , p. 20.
(36) Préfaça de la Pratique. Voyez aussi
pag, irjo.
(37) Pratique de l'éducation , pag. i83.
(38) Notez que depuis la promotion d'Ha-
drien au cardinalat , on l'appelait le cardinal
de Tortose.
(3rj) L'Histoire du Ministère du cardinal Xi-
ménès, par M. Marsolier.
(4°) Pat;. 372 , édition de Hollande.
(40 Fléchier, Histoire du cardinal Ximénès ,
liv- IV, pag- 633, édition île Hollande.
après la mort de Ferdinand; et com-
me il cite Alvare Gomez (f\ ■>.) , et
Pierre Martyr (43) ; il est apparent
Sue Paul Jove et les bibliothécaires
u Pays-Bas se sont trompés. La ma-
nière dont Ferdinand avait reçu le
doyen, n'insinue pas qu'il l'ait fait
évêque. Il avait pénétré le véritable
sujet de son ambassade -, il l'avait re-
gardé comme un espion; et lorsque
Hadrien sollicitait une seconde au-
dience , il répondit avec chagrin :
Que veut-il? Vient-il savoir si je me
meurs? Dites lui qu'on ne me voit
point aujourd'hui. Il le vil pourtant
peu de jours après , par le conseil de
ses ministres , et lui dit qu'il ne se
portait pas assez bien pour traiter
d'affaires avec lui , qu'il se retirât a
Guadalupe dans le couvent des reli-
gieux de saint Jérôme // lui don-
na des officiers en apparence pour le
servir , mais en effet pour le garder,
et pour empêcher que des gens qui
lui étaient suspects n'eussent commer-
ce avec lui (44)-
(K) Il partagea la régence avec le
cardinal Ximénès. ] Il y a beaucoup
de probabilité dans l'une des circon-
stances que M. Varillas rapporte. Il
dit (45) qu'une des raisons qu'on al-
légua au doyen d'Utrecht (46) , pen-
dant sa dispute avec Ximénès, tou-
chant la régence , fut de lui repré-
senter « que , s'il s'ingérait de faire
» valoir les provisions qu'il avait
» apportées de Flandres, il exciterait
» dans l'Espagne une guerre civUc ,
■» et répondrait devant Dieu de tous
» les homicides et des autres crimes
» qui s'y commettraient, comme il
» en était lui-même demeuré d'ac-
)> cord par avance, dans son excellent
» Commentaire surle Maître dessen-
» tences , où il avait enseigné qu'un
» homme excitant du trouble dans
» un état , lorsqu'il s'en pouvait
» exempter sans hasarder sa con-
» science ni son honneur pétait res-
» ponsalile de tous les maux qui en
» arrivaient. On a vu ci-dessus que
» le doyen était homme de bien , et
(42) De RcbusgestisXimen. , lib. FI.
(43; Epist. DLXXVI, lib. XXIX.
(44) Fléchier, Histoire du cardinal Ximénès,
{(V. IIF, p&g- 4o2 1 a l'ann. i5i5.
(45) Pag. .85.
C4'0 ^-'(-ï^ ainsi que Von nommait en E*pa-
;>!• U <!vclair ITaifricn Florent.
HADRIEN VI.
» qu'il n'entendait pas assez le raé-
» lier dont il se mêlait. Il fut si
» charme de la déférence que l'on
» témoignait pour lui , en se rappor-
» tant à lui d'une affaire où il était
« partie , et de l'honneur qu'on lui
» faisait de citer des écrits qu'il
» avait autrefois dictes dans l'uni-
» versite' de Louvain , et depuis fait
» imprimer , qu'il promit de se sou-
» mettre à ce que le conseil d'Espa-
« gne déterminerait , pourvu que
» l'on trouvât un expédient qui mît
/j/f5
que le cardinal Ursin qui résista à
cette inspi ration de conclave. Julien
de Médicis nageait dans la joie ; mais
les autres tombèrent dans un morne
abattement ; et le peuple fut si fâché
de leur choix , qu'il vomit mille in-
jures contre eux , quand ils sortirent
du conclave (48). L'un d'eux en re-
mercia le peuple , parce qu'il trou-
vait qu'ils en étaient quittes à bon
marché, puisqu'on se contentait de
leur dire des injures , et qu'on ne les
lapidait pas selon leur mérite. Ada-
« à couvert sa réputation, et qui perto conclavi quiim globtts cardina-
» n'exposât pas les provisions de l'ar- lium Hadriani pontem esset prater-
vectus, et ojiijiccs puerique minacibus
oculis voeeque et manibus obslrcpe-
rent , nec a fœdissimis probris absti-
» chiduc à être tournées en ridicu
» le. » Voilà justement la fable du
corbeau et du renard , avec cette
différence que le corbeau perdit sa
proie pour des louanges à venir , au
lieu que le bon Hadrien perdit la quod adversus extrema supplicia me-
sienne pour des louanges que l'on ritos contumeliis essent contenli , nec
donnait à son chant du temps jadis.
(L) Son élection déplut fort au
nerent , Sigismundus Gonzaga car-
dinalis renidenli vu/lu his egit grattas,
peuple de Rome. \ Ce qu'on appelle
dans les conclaves , être élu par in-
spiration , eut beaucoup de part à la
fortune d'Hadrien. Le cardinal de
Médicis à la tête de tous les jeunes
cardinaux , faction encore plus puis-
sante que celle qu'on a quelquefois
nommée l'Escadron volant , n'eut
pas plus tôt résolu de faire élire le car-
dinal de Tortose , qu'il fit promettre
lapidibus publicam injuriant rindi< ti-
rent (4q). L'indignation du peuple
était fondée sur ce qu'on n'avait eu
aucun égard à la tache du péché ori-
ginel, et qu'il craignait que le nou-
veau pape ne siégeât ailleurs qu'à
Rome.
(M) Il arriva a Rome le 3o d'août )
François Swert (5o) dit que Didacus
Stunica a fait une relation de ce
voyage. J'en doute fort 5 car Nicolas
Antonio n'en parle point, quoiqu'il
à ses partisans de lui donner leur parle d'une autre relation de voyage-
suffrage tous à la fois. Cela fut exé- composée par cet auteur , et de
outé. L'ouverture des billets ayant moindre conséquence que ne le serait
donc fait connaître que l'on mettait celle-ci. Swert apparemment a con
papable , sur fondu l'une avec 1 autre. La relatioi
sur les rangs un sujet papab
lequel il ne semblait pas que per-
sonne eût encore jeté les yeux, causa
beaucoup de surprise. Le cardinal
Cajetan donna un nouveau branle ,
ation
mentionnée par Nicolas Antonio est
celle du voyage que Stunica fit à
Rome, l'an 1 5io , laquelle Schottus a
insérée à la fin de sa Bibliothèque
jtr 4— il j_t\-i o. * •
par l'exhortation qu'il fit à ceux qui d'Espagne. Au lieu de Didacus Stuni-
étaient plus près de lui de se ranger ca> ^ fallait nommer Biaise Ortiz ;
à ce parti-là , puisque c'était , disait- car c'est celui-ci qui composa une
il , celui de Dieu et celui des hom- relation du voyage d'Hadrien VI. Elle
mes (47). Tout aussitôt plusieurs s'y ^l,t imprimée à Tolède , Tan i548.
rangèrent de bonne grâce, par je ne L'auteur était passé d'Espagne à Ro-
sais quel sentiment de religion ; me avec ce pontife (5i).
d'autres , qui ne connaissaient pas
même de nom le cardinal de Tortose ,
hésitèrent et furent néanmoins de
l'avis qui prévalait 5 le torrent de
l'inspiration les entraîna, et leur fit
oublier tous leurs intérêts. Il n'y eut
(4?) Poslquhm Dits ac hominibus placel.
Jov. , pag. 25o.
(48) /(/ populus adeb indignanter tulil t ut
qu'um pale facto conclavi cardinales dvnium re-
dirent, passim matedictis incesserentur, quod
infamibus comitiis non modo urbein Romain suo
anlistite orbatam piodidtssent, sed quod insa-
nité proximum viderelur, Italiam etiatn ponli-
Jicatds honore spoliassent. Ibid.
(4<j) Jovius, pag. a5i. |
(5o) Atlien. Bclg., pag. g5.
(5i) Nie. Antonio, Bibliotb. bisp. , loin, /,
pag. i-,|
U6
(N) // eut très-peu de satisfac-
tion de sa tiare.] C'est ce que témoi-
gne l'inscription qu'il voulut que
l'on gravât sur son tombeau : tladria-
nus Kl hic situs est , qui nihil sibi
infelicius in vità duxil quant qubd im-
peraret. Le père Labbe (52) dit que
HADRIEN VI.
tu l'erù panier cunctando rem Roma
nain simnlqiie Europani perdure cun-
lendis. Ce début déconcerta tellenicn I
le pape , que comme les cardinaux,
ne l'aimaient pas , il pensèrent écla-
ter de rire (54).
(0) Ses manières d'agir l'ont
cette épitapbe fut mise sur son tom- fait passer pour un misanthrope.
beau dans l'église de Sainte-Marie Piérius Valérianus (55) en fait ui
deW anima ; mais il se trompe : le homme qui fuyait la société humai-
cardinal qui lui fit faire un mausolée ne , et qui dans les cavalcades s'éloi-
dans cette église , y fit. mettre une gnait le plus qu'il pouvait des cour-
inscription beaucoup plus longue et tisans ; il donnait de l'éperon à son
plus pompeuse que celle-là. On la cheval dès qu'il se voyait joint par
peut voir dans une infinité d'auteurs.
Pour l'antre , elle ne fut gravée que
sur le tombeau où il fut mis par pro-
vision et en dépôt dans l'église de
Saint-Pierre. Voyez Paul Jove, sur la
fin de la vie de ce pape. Il ne faut
pas s'étonner que la couronne papale
ait été trouvée pesante par Hadrien
VI ; car les affaires générales de la
chrétienté furent dans un grand dés-
ordre sous son règne , et il ne con-
naissait pas assez le génie des Ita-
liens , pour ne leur déplaire pas en
mille choses. Les nouvelles qu'il ap-
prenait tous les jours des progrès et
des menaces des Ottomans , et son
peu d'expérience dans les affaires d'I-
talie , lui brouillaient tellement la
tète , qu'il lui échappa de dire qu'il
avait eu plus de plaisir à gouverner
un collège de Louvain , qu'à gouver-
ner toute l'église chrétienne. IVecesse
erat pontiûcem rerum Italie arum pe-
ndus ignarum , et tum primùm ur-
Ihhiii suarum et provinciarum regu-
lor unique nomina perdiscentem , in
omnibus consiliis vehementissimè con-
turbari, adeb ut quùm his curarum
fluctibus jactaretur, aliquando dice-
ret , sibi fuisse jucundius Lovanii
gymnasium cum studiorum laude mo-
derari, quant Romœ pontificid in sede
christianam rempublicam administra-
ii: (53). S'il n'avait pas été capable de
connaître par lui-même que ses ir-
résolutions et sa lenteur causaient du
mal et des murmures , il l'aurait su
par les reproches que lui fit en face
l'ambassadeur de Ferdinand , qui
^commença ainsi sa harangue : Fa-
bius Maximus , sanctissime pater,
■■'■m. Romanam cunctando restitua ,
(5a) De Script, ccclcs.
(!ii) Joviiis , pag. i6a.
/, pet;;- 4«5.
d'autres. Pour voir la satire de cet
auteur dans toute son étendue, il faut
faire choix de certaines éditions ; car
il y en a qui ont passé un peu l'é-
ponge sur cet endroit. Celle de Baie
de i575 n'est pas de ce nombre, ainsi
que l'a remarqué le père Théophile
Raynaud (56) , qui a pris le parti de
ce pape contre les humanistes de ce
temps-là.
Je ne parle point du Capitolo du
Bernia, contre ce pape ; je dirai seu-
lement qu'il n'y faut point prendre
au pied de la lettre cet endroit :
Basta cli egH hanno Jalto un papa santé
Che dice ogni mallina la sua inessa ,
El non s'el tocca mai se non col guanto.
C'est une hyperbole burlesque, fami-
lière, et même proverbiale parmi les
Italiens. Gli hipocriti , dit l'Arétin ,
Giorn. I*. délia IIa. parte, che non sel
loccano niaise non col guanto. Je dois
cette observation à M. de la Mon-
noie.
(P) Les Italiens ont publié des mé-
disances atroces contre lui.] On ne se
contenta pas de l'accuser d'une ava-
rice prodigieuse , on divulgua (5y)
qu'on avait enfin découvert pourquoi
il se retirait tous les jours dans un
réduit du Vatican , où il ne laissait
entrer personne ; et que ce n'était
point comme Nuraa , afin d'appren-
dre d'en haut la manière de bien
gouverner , mais afin d'y caresser
une belle femme : c'était sa nymphe
Egérie. On ajoutait que la maladie
(54) Idem , pag. 256.
(55) Hierog!yph.,Ziè. XIX.
(5(i) Hoplotheca , pag. ïtfî.
(57) Poste'a comperlum esl illic mulierem for-
ma egreèid clam habuisse , cujus amoris causa
ru tant fréquenter ildsse credilur cjus amplexu
fruisolitum Battus, apud Wolfium , Lect, m<
moral). , loin. //, pat;- if)î.
HADRIEN VI. 447
dont il mourut procédait d'un trop gnation contre l'auteur de la lettiv
fre'quent usage du plaisir vénérien dont j'ai cite quelque chose , et qu<
(58), et qu'il ne se contentait pas de Wollius a insérée dans le second vo-
se divertir avec les femmes, qu'il lui lurne de ses Leçons. Battus quidam
fallait de beaux garçons (59). Ce ne Parmensis quandam de ejus defuncti
fut pas tout ; on publia qu'il avait relictd J'amd epistolam edidit , lati-
e'te' magicien , et que ses amis vou- nam quidem illam ac tersam , sed
lant éluder les preuves que l'on tirait adeo impatienter mendacem ut ipsa
de je ne sais combien d'instrumens mentiendi impudentia , dioam au in-
magiques , qui avaient été trouvés scitia , vel apud malevolos /idem sibi
dans sa chambre , après sa mort, di- abroget. Quid os impurum eo impu-
saient qu'il avait travaillé à la pierre lent, nihil esse aliud reor, qu'uni
philosophale. Comme on ne pouvait id quod comicus habct , mala mens,
nier qu'il n'eût l'extérieur d'un hom- malus animus (62).
me de bien , amateur de la réforme (Q) Ceux qui sont convenus
et de la justice, on se retranchait à de son zèle ne laissent pas de dire
dire que ce n'était qu'un tartuffe , et qu'il n'était point propre a être
que ce défaut est plus commun en pape.] Peu de gens liront cet endroit
Allemagne que l'on ne pense. Voyez sans s'apercevoir qu'il s'adresse au
sur tout ceci une lettre de Christo- cardijud Pallavicin , et sans songer à
phle Battus à Jérôme Saulius,dans le l'Eva^ple nouveau, où l'on a censuré
second volume de Wolfius. On a mis si cruellement plusieurs maximes de
dans le supplément de la Chronique son Histoire du concile de Trente,
de l'abbé d'Ursperg (60), qu'on trou- Hadrien VI était un très-bon ecclé-
va parmi les papiers secrets de ce siastique au jugement de ce cardinal,
pape quelques livres de magie, et mais un pape médiocre, Fu ecclesias-
qu'il y a des gens qui prétendent qu'il lico otlimo , pontefice in uerit'a me-
parvint au papat par ce mauvais art. diocre (63). Il descendit même plus bas
Notez que Gérard Moringus obser- dans l'esprit du peuple, qui ne juge
ve que ce bon pape ayant su que les des choses que par l'événement ; car
Italiens formaient de mauvais soup- en conséquence des mauvais succès
çons sur ce qu'il avait amené d'Espa- de son règne , il passa pour un pape
gne quelques jeunes gens , les ren- qui'était moins que médiocre (64).
voya tout aussitôt en leur pays. Si Ce bon Flamand , n'ayant pas trouvé
quando antea , tum maxime speciem en Italie la candeur et la sincérité où
omnem impudicitiœ amouit. Eoque il avait été nourri , entra dans une
ciim adolescentes aliquot honestœ défiance générale ; il croyait qu'on
tum indolis tum stirpis in gratiam lui tendait des pièges partout ; il
parentum in familiam ascilos , ex n'osa se fier qu'à des gens de son pays :
Hispaniis secum in urbem duxisset , et ceux-ci , avec leur franchise sans
inlellexissetque halos ex convictu il- expérience, lui firent plus de tort que-
forum , nescio quœ abominanda , nos- n'auraient fait les Italiens avec leur
tratibus inusitata suspicari , statim dissimulation. Le janséniste qui a
in Hispanias remisit, in academid fait l'Évangile nouveau , a profité
Salmanticensipleniuslitteris imbuen- fort malignement de tout ce que le
dos , quibus anlea domi ipsius a pio cardinal Pallavicin avoue sur les
simul et erudito viro TTieodorico He- bonnes qualités de ce pontife 5 mais
zio secretario ipsius ulcumque imbuti au fond ce cardinal n'a pas tout le
fuerant eo jubente (61). Le même tort que l'on dirait bien. Il est vrai
écrivain témoigne une extrême indi- que si l'église chrétienne était <■<
(58) Labowit permuhum antequam è vitd qu'elle devrait être , les mêmes vei
excederet et siranguriâ et lorminibus , in i/uas tus qui Suffiraient à un bon CCclésiaS-
legriludines ylerumque ineidere soient qui coïtu tique Suffiraient aux papCS • mais (65)
^^aZTi-kttuper^ini^dpue. *■ 1'** °« **&" romaine se-
rorum amonbus deleclaretur . quia inier cœteros
ministros nonnullos tencllœ œlalis et eximiœ (Ga) Idem, ibid. , in prtvfationr.
formée habebai. Ibidem. . (63) Pallavic. , lib. II, cap. IX.
(6o) Voyez Jean Crespin, Etal île l'Eglise , à (64) Idem, ibid.
Vann. i5î3. (65) Voyez Pallavicin , liv. //, chap. VII
(Gi)Ger. Moringus, in VUS Hndriani VI. pàg. m. ->o(î
448
HADRTEN VI.
trouve depuis long-temps , sous un
chef dont la puissance spirituelle
est tellement incorporée avec la puis-
sance temporelle, que la conservation
de l'une dépend de la conservation
de l'autre , c'est une folie que de
prétendre qu'un pape qui n'entend
point le manège de la cour , et les
souplesses de la politique , puisse
remplir ses devoirs. Voyez la remar-
que (U) de l'article Bellarmin, à la
fin. Il ne faudrait, pour accomplir
les prophéties des protestans , que
quatre ou cinq papes de suite tels
que quelques-uns ont été , qui d'ail-
leurs étaient des moralistes rigides.
Quoi qu'il en soit , il est bon de voir
la lettre de M. de Launoi (66) , où il
fait l'apologie de notre Hadrien, con-
tre le cardinal Pallavicin.
(B) Il n'est pas jusqu'à sa affriété
dont on n'ait fait des railleries.] Il
était si peu accoutumé aux friandi-
ses de Rome , qu'il n'y avait point
de poisson qu'il préférât au merlus ;
de sorte que le prix de ce poisson
haussa considérablement sous sa pa-
pauté , non sans faire rire toute la
poissonnerie. Au lieu de le louer de
cela , Paul .love a eu la hardiesse de
dire qu'il n'avait pas plus de goût à
l'égard des viandes, que de juge-
ment pour l'administration des affai-
res. J'affaiblis tellement le latin de
cet auteur , qu'il est nécessaire de le
rapporter mot à mot. Modo mer-
lucciœ plebeio admodùm pisci Ha-
drianus pontifex , siculi in adminis-
trandd republied hebelis ingenii vel
dépravait judicii , ita in esculentis
insulsissimi guslûs supra médiocre
pretium ridente tolo foro piscariojam
fecerat (67). La cour de Piome était
passée d'une extrémité à l'autre ;
car il n'y eut jamais de pape dont la
table fût aussi délicate que celle de
Léon X. On s'insinuait dans ses bon-
nes grâces par l'invention des ragoûts ;
et il y eut quatre grands maîtres en
bons morceaux qui devinrent ses mi-
gnons. Ils inventèrent une sorte de
saucisses qui jeta dans l'étonnement
Hadrien VI , lorsqu'il examina la
dépense de son prédécesseur ( 68 ) .
(66) Epist. IV, 7.
(67) Jovius, tic Piscibus romanis, cap. I.
(G8) Miré favil Pogio seni Pogii hislorici fi-
lio , itemtjuè Moro nobili h gulœ intemperan-
, 11/.. el Piiiiulino rquiii , Marianoque Sannioni
Pour lui, il n'entretenait point d'ofli
ciers aussi inutiles que ceux-là , et
il prit tellement le contre-pied de
Léon X , qu'il ne dépensait pas plus
de douze écus par jour. Les Romains
satirisèrent cette grande frugalité ,
et dirent que le Vatican était devenu
semblable aux maisons que le retour
des esprits fait déserter. Familiam
adeo sordidam et exiguam alebal , ut
sumptus quolidianus duodecim aureos
non e.rcederet. Quid plura ? fati-
cana domus nonjam domus illa pon-
tiûcia , et ocellus urbis, ut quondam ,
sed domus aliqua , ut poëtœ tradunl,
quœ propler lemurum formidinem.
vacua et déserta sit , pro solitudine
l'idebalur. C'est ainsi qu'en parle
Christophle Battus que j'ai cité ci-
dessus. Inférons des paroles de Paul
Jove , qu'il ne laissa pas d'y avoir des
gens à Rome qui , par complaisance
pour le pape , firent cas de son pois-
son. On verra dans l'article du chan-
celier du Prat , que ce ne fut pas la
première fois que les grands du mon-
de mirent à la mode certaines vian-
des qui étaient méprisées aupara-
vant. Je crois, au reste, qu'on ne se
moqua pas moins de la préférence
qu'Hadrien donnait à la bière sur le
vin , qu'à celle qu'il donnait au mer-
lus sur tous les autres poissons. Sa
boisson ordinaire était la bière , et
on attribua à cela sa dernière mala-
die. Il avait grand soin de sa santé ,
et il se mettait à table à une heure
si réglée , qu'il quittait brusque-
ment les affaires les plus importan-
tes dès qu'on l'avertissait que le re-
pas était prêt ; mais il mangeait peu.
Ferunt Hadrianum alioqui végéta-
viridisque senectœ contraxisse mor~
buni assiduo cervisiœ polu IVam
per se cibi parcissimus erat , et in
tuendd valetudine opprimé diligens
et morosus , lantâ horarum defini-
tione, ut denunciante Architriclino
paralas esse epulas, vel maximarum
cncullalo facelissimis helluonibus , et in omni
génère popinalium delUiarum erudilissimis.
Nain inter alia portenta insanienlis eorum gulœ
lucanicas concisis pavonum pulpis farclas
commenti fuerant , quod ohsonii genus mox
successor Hadrianus , vir Balaviv frugalitatis ,
mirabundus expai-it, qu'uni swnptuarias ratio-
nes Lconis inspiceret. Jovius, in Vitii Lconis X,
pag. igi. Varillas , Anecd. de Florence, pag.
?-()7 , dit que ces saucisses n'étaient farcies que
de ce qu'il y avait île plus délicat en la chair 1I1 :
faisans. Il prend un paon pour un faisan.
HADRIEN VI.
terum colloquia protinhs abrumpe-
îvt (69).
(S) La joie qu'on fit paraître de sa
mort est au fond un grand éloge
pour lui.] C'est que rien ne le rendait
plus odieux que l'envie qu'il avait de
faire cesser les péchés crians , et
d'employer pour cela des peines sé-
vères. Le bruit courait qu'il allait
publier de terribles bulles contre les
judaïsans , contre les moqueurs des
choses saintes , contre les simonia-
qucs, contre les usuriers et contre
les sodomites. Ce dernier point jeta
l'alarme à la cour et à la ville ; et il
y eut des jeunes gens qui , après sa
mort, mirent des festons sur la porte
de son médecin , avec cette inscrip-
tion en grosses lettres, ad Libéra-
teur de la Patrie (70). Pouvait-on
se réjouir de la mort d'un tel souve-
rain , sans que ce fût une preuve de
sa vertu ? Paul Jove raconte qu'on
s'en réjouit excessivement. Morte ejus
plerique et prcesertim ueteris aulœ
sectatores effusissimè sunt lœtati , et
secundhm eos nonnulli Romanorum
qui dettimenta rerum suarum sense-
rant.
(T) Je ne saurais dire qui sont
ceux qui ont débité les premiers qu'il
permit de sacrifier aux divinités du
paganisme, afin de faire cesser la
peste. ] Je n'ai pas eu encore le temps
d'aller bien loin , en remontant vers
la source de ce mensonge. J'en suis
encore à un livre imprimé à Amster-
dam, en l'année 1661 (71) , où j'ai lu
ces paroles : Is ( Hadrianus VI ) ad
avertendam pestem quœ grauissimè
in urbe sœviebat , Ma go Demetrio
Grœco concessit sylvestrem taurum
diis gentilium ad placandam eorum
iram mactare, cessafitque lues. L'au-
teur cite Paul Jove , au XXIe. livre
de son Histoire ; mais il faut croire
(69) Jovius , in Vitâ Hadriani , pag. î83.
(70) Vllimo inquirere punireque decreverat
juventulis comtptores, ejus enim criminis non
omnin'o falsd suspicione urbs ipsa connivenlibus
legibus infecta credebalur. Qud inopinald et
gravi severissimœ legis menlione, maculosos
quosdam cwn aula t'um civilatii veluli despera-
td publicd secnvilale terruernty adeb ut non de'
fnerinl petulanlissimi juvenes, qui Joanni An-
Iracino pontificis medico postes fesld 0 onde per
intempestam noclem protiniis exornarenl , cum
titulo uncialibus littetis inscnpto in hœc verba t
Liberatori Patria: S. P. Q. R. Jovius, pag. 281.
(71) Compend. Historiée, par Jean La:tus ,
professeur a Franeher.
TOME Vif.
449
pour son honneur et par cbarité, qu'il
n'avait point lu cet historien. Voyons
ce que dit Paul Jove • l'endroit méri-
te d'être rapporté. On n'y parle du
pape que pour dire qu'il ne faisait
point défendre sévèrement la com-
munication des maisons pestiférées ,
et que cette méthode, très-éloignée
des usages de l'Italie, avait causé la
mort d une iufînité de gens. On ne
le fait point accorder au magicien la
permission de faire ce sacrifice : on
dit en général que personne n'osa
s'opposer à la populace qui favorisait
ce Démétrius ; et de plus , on ne dit
pas que cet homme prétendît sacri-
fier le taureau aux divinités païen-
nes : et quant au succès , l'on se con-
tente de dire que la peste diminua. A
quoi songent donc ceux qui nous ci-
tent Paul Jove , lorsqu'ils débitent
tant de circonstances qu'il ne dit pas?
Exorta est in urbe pestilentice lues ,
quœ qu'uni severis legibus more nos-
tro pontifici minime coêrcenda vide-
retur, contaclu œgrorum ita exarsit ,
ut multa funera in compitis viseren-
tur appareretque vastari urbem, haud
multo dierum spatio , nisi Grœculus
quidam nomme uemetrius Spartanus
sedandœ pestilentice ,faventi ei turbd
hominum, negotium suscepisset, nemi-
ne superstitionem t/etare auso. JYutii
feruni taurum cui dimidium coiviu dis-
seedrat , magico carminé dextram in.
aurem prolato repente ita mansue-
faclum reddiderat , ut injecta tenue
flo ad integrum cornu , quo vellet
perducens pestilentice pi acando numi-
ni ad amphitheatrum immolaret. JVec
credulœ multitudinis spem ex totofe-
fellit , quùm ab eâ inanis sacrificii
prospéra litatione, mitescere morbus
cœpiscet (72).
(U) N'oublions pas que ce pape a
été auteur. ] Ses Qucestiones et expo-
siliones sur le quatrième livre du
Maître des Sentences, furent impri-
mées à Paris , in-folio, l'an i5ia , et
l'an i5i6 (73) j et ses Qucestiones
quodltbeticœ duodecim , à Louvain ,
z/z-8°. , l'an i5i5, et à Paris , in-folio,
l'année suivante. Pendant son séjour
en Espagne, il composa Computum
hominis agonizantis , et Sermonem
de Sacculo pertuso. Depuis son pon-
(72) Jovius, HisU , libi XXI , folio m. II.
(7Î) Hy a eu encore d'autres e'ditions.
29
45o
HADRIEN VI.
tificat , il publia Régulas cancellariœ
apostolicœ , et il écrivit plusieurs
lettres aux princes d'Allemagne, etc.
qui ont été imprimées avec les con-
ciles , ou ailleurs.
J'ai quelque chose à observer tou-
chant son ouvrage sur le Maître des
Sentences. Le sieur Konig(74), trom-
pé par l'équivoque de ceux qui ont
dit in Ilf sententiarum quœstiones et
expositiones (y5) , assure que notre
Hadrien a publié des Questions sur les
IV livres des Sentences. Voilà une
nouvelle preuve de ce que j'ai dit
dans la Ire. remarque de cet article ,
qu'on ne saurait s'écarter si peu de
l'exactitude , qu'on ne fasse mentir
quelque auteur. N'aurait-il pas mieux
valu dire in quartum Sententiarum ,
ou in lf^ librum Sententiarum , que
de se servir du nombre IV, qui signi-
fie aussitôt quatuor que quartus ? Le
père Oldoïni (76) a fait la même faute
que le sieur Konig. Il est bon d'en-
tendre M. Varillas sur cet ouvrage
d'Hadrien : On admirait , dit-il (77),
son Commentaire sur le Maître des
Sentences ; et certes si ce livre n était
pas le plus subtil des trois cents de
même nature qui se trouvaient alors
dans les bibliothèques, il était du moins
le plus clair et le plus méthodique. L'au-
teur avait soutenu (78) de la manière
du monde la plus décisive, qu'il est cer-
tain que le pape peut errer, même dans
les choses qui appartiennent a la foi,
et l'on prétend qu'il ne changea point
d'opinion quand il fut pape , comme
fît Pie II 5 car il ne changea rien à cet
endroit de son livre, dans l'édition qui
s'en fit à Rome durant son pontificat.
(X) Il est étrange.... qu'il ait si peu
favorisé les beaux esprits.] On a vu
dans la remarque (D) ses sentimens
pour les poètes. On lui pardonnerait
mieux cela que l'amortissement des
fonds qui avaient servi à l'entretien
des hommes doctes qui passèrent de
Grèce en Italie , et auxquels l'Occi-
dent est redevable de la résurrection
des belles-lettres. Le cardinal Bessa-
rion fit subsister a Rome une partie
de ces grands génies , et établit pour
eux une académie dans le Vatican.
Mais le plus grand nombre vivait
des libéralités du pape Nicolas V
( 79). De tous ses successeurs , il n'y
eut qu Hadrien VL qui supprima ces
gratifications , par une économie peu
glorieuse a sa mémoire (80). Voici ce
qu'un autre écrivain a remarqué (81) :
« Tous les savans de son temps se
» promirent de l'avancement à son
» avènement au pontificat , à cause
>» qu'il devait aux lettres son exalta-
» tion , et ce qu'il avait de bonne
» fortune. Cependant ils demeurè-
» rent fort étonnés , voyant qu'il
» était plein de mauvaise volonté
» contre tous ceux qui se plaisaient
» à la belle littérature , les appelant
» terentianos , et les traitant de telle
» sorte qu'on croit qu'il eût rendu
» les lettres tout-à-fait barbares , s'il
» ne fût mort dans la deuxième an-
» née de sa suprême dignité. Paul
» Jove dit gentiment (*) qu'il usait
» de ce mauvais traitement contre
» les plus beaux esprits de son siècle,
» avec le même sens et le même ju-
» gement dont il préférait la merlu-
)■ che de ses Pays-Bas à toute autre
» viande , et aux meilleurs poissons
» qui se mangeassent en Italie. » Il
n'est pas vrai que Paul Jove dise cela;
voyez son texte dans la remarque (R).
On sera bien aise de savoir d'où la
Mothe - le - Vayer avait pris ce qu'il
rapporte. C'est pourquoi je mets
ici un beau passage de Piérius Valé-
rianus. fuit et sub Hadria.no VI par
bonarum omnium litterarum injbrtu-
nium. Nain cùm is Leoni Decimo
sujfectus esset , ad quem utpote litte-
rarum principem magnus litterato-
rum numerus confluxerat , dum non
minora de Hadriano sibi quisque pol-
licetur, ecce adest musarum et elo-
quentiœ , totiusque nitoris hostis acer-
rimus , qui litleratis omnibus inimi-
cilias minitaretur , quoniam , ut ipse
dictitabat , Terentiani essent , quos
ciim odisse , atque etiam persequi
cœpisset , voluntarium alii exilium ,
(•;4) Bibliotlieca vet. et nova. (?g) Not!e in phranzam., pag. 273 , Platina,
(t5) Swertius, Atlienre belg. ; Valère André, cités par Guillet, Histoire de Mahomet II, tom.
Bibl. belg. /, pag. 255.
(76) Athen. roman. , pag. 3o6 (80) Théodor. Spandug. , cité par te même
(77) Vréfacede la Pratique de l'Education. Guillet, l'a même.
(78) Maimbourg , Traité de l'Église de Rome , (80 I'a Mothe-le- Vayer, tom. XI , pag. 436.
pag. l'id. (*) 7 île Pisc. Rom. Il fallait 1 , et non pas 7.
HADRIEN VI. 45i
ùlias atque alias alii latebrus quœ- tion des mœurs pendant qu'il avait
rentes tamdiu latuére, quoad Deibe- été doyen ; mais l'inutilité de ses
nejicio altero imperii anno decessit ; peines l'avait obligé à renoncer à son
qui si aliquanto diutiàs vixisset, Got- entreprise. ] Dès qu'il se vit élevé au
tica illa tempora adversus bonas lit- doyenne' de Saint-Pierre de Louvain
teras videbatur suscitaturus (82). qui est une dignité' fort conside'rable
(Y) Il avoua les abus d'une et annexée à de belles pre'rogatives ,
manière très-forte, dans l'instruction il s'attacha plus que jamais à prêcher
qu'il donna au nonce qui devait pai^ d'exemples ; car il savait bien que les
1er.... a la diète de Nuremberg.] Ce efforts qu'il voulait faire , pour ra-
nonce s'appelait François Chc're'gat. mener ses collègues au bon chemin ,
Voici un morceau de son instruc- seraient plus efficaces , s'il pratiquait
tion : Dices nos ingénue fateri , qubd lui-même les devoirs de la tempé-
Deus hanc perseculionem h Luthe- rance. Il continua de vivre frugale-
ranis illatam , ecclesiœ suœ inferri ment ; il y eut plus de propreté que
permittit , propler peccata hominum d'abondance à sa table ; et, quand il
sacerdotum maxime , et ecclesiœ prœ- donnait des repas, il ne pressait per-
latorum. Clamant scripturœ peccata sonne à boire, et ne portait jamais
populi derivari a peccatis sacerdo- cetle espèce de santé qui oblige tous
tum, propterehque , ut ait Chryso- les conviés à vider le même verre. Il
stomus , salvalor noster curaturus in- ne souffrait point non plus qu'on la
firmam civitatem Jérusalem , ingres- lui portât; il se mettait au-dessus
sus est prias templum , ut peccata de cette prétendue civilité germani-
sacerdolum primo casligaret , instar que. Ses festins ne duraient qu'une
boni medici qui morbum à radice eu- heure , et il faisait lire quelque en-
rat. Scimus in hdcsanctd sede aliquot droit de la parole de Dieu pendant
jam annis multa abominanda fuisse , une partie de ce temps-là. Il aurait
abusus in spiritualibus , excessus in fait lire pendant tout le repas, s'il
mandalis, et omnia denique in perver- n'avait craint de déplaire à quelqu'un
sum mutata : nec mirum , si œgritudo des conviés. IVeque temere ultra ho-
a capite in membra , h summis ponti- ram accumbebat , etiamsi convivas
ficibus in alios inferiores prœlatos magnos haberet , atque intérim ferè
descendit. Omnes nos prœlati , vide- adhibito lectore , qui aliquid è litteris
licet ecclésiastici declinavimus, unus- sacris recitaret , ut non minus mente
quisque in vias suas , nec fuit jam quam ventre convivœ delectarenlur ,
diù qui faceret bonum , non fuit us- sed id tantiim ad tempus , ne lectio
que ad unum. Un écrivain protestant longior cuiquam fortassis molestiœ
suppose que les cardinaux conçurent esset (8/j.)- H continua aussi de vivre
un si vif ressentiment de ce que le fort chastement : on ne remarquait
pape avait ainsi déshonoré la cour de rien de lascif, ni dans ses gestes , ni
Rome dans la diète de l'empire, et de dans ses discours ; et il ne souffrait
ce qu'il avait fait brûler un homme pas que l'on proférât des obscénités
pour le crime de bestialité , qu'ils en sa présence , quoique d'ailleurs il
abrégèrent la vie de ce pontife. JYec se plût à dire et. à entendre des plai-
tamen tam felicibus ad perfectuni santeries honnêtes. Il ne se contentait
papalum rudimentis projecit , quo- pas de s'éloigner actuellement de
minus dli purpuratœ parcœ offensas , l'impureté, il en évitait avec soin
qubd comitiis IVoribergensibus dede- les apparences et les soupçons. Il se
cordsset rem Romanam , et qubd fit un devoir tout particulier d'inspi-
quendam jumento suo pro suo aj'bi- rer à ses collègues la même morale
tratu usum , homo Batavus et ad pa- pratique. Il les y exhortait fortement
palem venerem frigidus cremdsset : dans les discours qu'il faisait aux as-
fîlum illud dià regnandi et vivendi , semblées capitulaires , et il censurait
abrumperent (83). âprement ceux qu'il connaissait adon
(Z) // avait travaillé à la réforma- nés au vin et au jeu , et surtout ceux
qui entretenaient une concubine (85).
(Si) Pier. Valerianns, de Litterat. Infelicitate,
lib. II, pag. m. 90. ;8'l) Gérai Jus Jloringus , in Vilâ Harlrian
(83) Novor. ep'iscop. belg. Divisio , pag. 79, VI.
édition 15^0. ('■') Arguebal graviter, si quoi ma\<sfcugit%
45a
HADRIEN VI.
Il n'oubliait rien pour les obliger à
rompre ce mauvais commerce. Mais
il trouva tant d'obstacles à cause que
quelques-uns des plus âgés et des plus
puissans s'opposaient à son dessein ,
qu'il y renonça. Peu s'en fallut que
son zèle ne lui coûtât la vie ; il serait
mort empoisonne' , si son médecin
n'eût trouvé un bon remède contre
l'arsenic. On crut que la concubine
d'un chanoine qui l'avait prié à dî-
ner avait fait le coup. Sedin t-e longé
honestissimd tantiim difficultatis ha-
buit , obnitentibus quibusdam è se-
nioribus ac polenlioribus , et presser-
tint non suppetente auxilio , sine quo
hujusmodi non temerè confici queunt,
ut negotium magna ex parte infec-
tum relinquere debuerit. Quinimo
parhm abfuit , quin per eam ipsam
causant , t>eneno perierit. Id concu-
bina unius è canonicis , à quo ad
prandium vocatus eral holusculoejus,
quod primum omnium mensœ inferri
solenne est, indidisse putabatur (86).
Quand il vit que l'amendement des
mœurs n'était point à espérer, et que
ses efforts lui attiraient beaucoup
d'ennemis , il désista tout-à-fait , et
déclara que les doyens des chapitres
étaient beaucoup moins responsables
de ces désordres que les évêques ;
car il fallait que les doyens reçussent
des gens dont la corruption était une
maladie invétérée ; mais rien n'obli-
geait les évêques , ou leurs vicaires, à
donner les ordres et à conférer des
bénéfices , comme ils faisaient, à des
infâmes débauchés. Dum spem nul-
lani fructds conspiceret , nihilque
aliud sibi quant odium et malevo-
lentiam quœri intelligent , in totum
conalu supersedit, salis habens , si-
gniûcdsse sibi displicere , postquàm
aliud prœlereh non posset ,prœdicans
tamen , culpam eam non tant deca-
nis collegiorum , qui jatn obstinatos
et in sordibus illis inveteratos excipe-
rent , quant episcopis , eorumque \>i-
cariis preestandant qui quoscunque
sine delectu, quantumvis probrosos et
infâmes , ad ordines et bénéficia ad-
mitterenl nulld , aut exiguâ in retro-
actant citant inquisitione j'acld (87).
bibaces , aleones scirel , et prtvsertim , qui arni-
cas domi propè uxorum loco haberent, quos
dirimere yiribus omnibus conlendebal. Idem,
ibidem.
C86) Idem, ibid.
(87; Idem , ibid.
Tout ceci est tiré d'un livre fait par
un prêtre. Qu'on ne vienne donc
point objecter que ce sont des mé-
disances des protestans.
Il est sûr que notre doyen mar-
quait la cause du mal : la négligence
des évêques ou de leurs vicaires
était la source du désordre. Ils ne
s'informaient point si ceux qui
étaient admis aux bénéfices avaient
bien vécu , avaient donné de bonnes
preuves d'un tempérament flexible
vers l'abstinence des plaisirs du
corps. Ce défaut d'examen était une
porte par où entraient dans l'église
une infinité de gens qui s'étaient
déjà plies du côté de la sensualité.
C'est un pli que l'on défait mal-
aisément , et qui se fortifie de jour
en jour : il se convertit en habitude,
maladie presque incurable. Voilà
pourquoi les exhortations de notre
Hadrien n'eurent aucune vertu sur
des chanoines engagés depuis long-
temps à la crapule et aux voluptés
du concubinage. Ils s'étaient telle-
ment accoquinés à ce train de vie .
qu'ils ne comprenaient pas comment
il serait possible qu'ils vécussent,
sans cela. On a infiniment plus de
peine à résoudre au mariage un gar-
çon de quarante -cinq ou de cin-
quante ans , qu'un veuf de soixante
qui vient de perdre sa femme. Tant
est grande la force de la coutume !
La concubine de son côté n'a pas
moins de peine à se séparer de son
chanoine , après avoir été plusieurs
années à pot et à feu chez lui. Où
irais-je ? dit-elle, que ferais-je? Où
trouverais -je un si bon lit , une si
bonne table , un si bon feu ? La voilà
donc, avec ses compagnes, très-dispo-
sée à s'opposer aux desseins d'un ré-
formateur. Un courage plus intrépide
eût été fort nécessaire au doyen de
Saint-Pierre de Louvain ; car le poi-
son de ces concubines-là n'était guère
moins redoutable que le poignard
des bandits. Ne se sentant point de
vocation au martyre , il aima mieux
laisser les choses où elles étaient que
de s'exposer à la haine et même à la
mort , en les voulant réformer. In
magnis voluisse sat est , dit-il sans
doute.
(A A) On peut lui reprocher d'at>oir
contrevenu aux belles leçons qui
étaient sorties de sa plume contre
HADRIEN VI.
453
la pluralité des bénéfices .] N'étant
encore que professeur de Louvain, il
soutenait que cette pluralité était
mauvaise , et qu'un nomme qui est
une fois parvenu à un bénéfice capa-
ble de l'entretenir honnêtement, s'en
doit contenter, et s'y borner. Mais
on vit qu'étant à la cour de Char-
les d'Autriche , il accepta plusieurs
dignités , et se souvint peu de son
dogme. Cette inconstance fut un scan-
dale pour quelques personnes. Ho-
nores et sacenlolia quœduiu mag-
nifiai accessere , non sine admira-
tione , et Jbrtassis offensione aliquo-
rum , qui eum diversum facere incu-
sabant , atque aliquando docuisset.
Docuisse quippe , non esse Jus cui-
quam multa habere bénéficia , sed
uno aliquo ad honeslam mundamque
sustentationem uitœ sufficiente , quie-
tum ac conlentum esse debere (88).
L'auteur dont j'emprunte ces pa-
roles déclare qu'il ne veut pas exa-
miner si l'on eut tort ou raison de
blâmer cette conduite (89) ; mais il
ne laisse pas d'en entreprendre la jus-
tification , et de se servir des moyens
les plus spécieux qu'on puisse met-
tre en avant sur une telle matière.
11 dit, entre autres choses, qu'il ne
faudrait pas trouver étrange qu'Ha-
drien eût cru légitime en sa per-
sonne , ce qui eût été illégitime à
des gens qui n'avaient pas , comme
lui, des qualités excellentes , ni des
emplois à la cour. Les grands dons
que Dieu a communiqués à un prêtre,
sont bien plus utiles à l'église quand
ils sont accompagnés d'un gros re-
venu ; et l'on ne saurait nier qu'un
ecclésiastique qui a des charges au-
près d'un roi , ne fasse nécessai-
rement plus de dépenses. L'auteur
ajoute à cela bien d'autres raisons de
même nature , et qui ont toutes le
défaut d'être fort propres à servir à
une apologie des casuistes, semblable
à celle du père Pirot ; je veux dire
qu'elles peuvent être toutes em-
ployées à la justification de ceux qui,
se trouvant situés dans les grands
postes , accumulent sur leur tête tou-
tes les charges vacantes. Ne peut-on
pas dire, pour leur justification ,
(88) Moriagus , in Vilâ Hadriani VI.
(8g) In quo merilb ne eum an immeril'o cul-
piîrint equiAem non habeo dicere, eum historici
personam hic poti'us quàm çensoris agam. IJ., il).
qu'ils en sauront faire un meilleur
usage que ne feraient d'autres gens ,
et qu'elles leur sont nécessaires afin
que leurs grandes qualités se fassent
valoir selon toute leur étendue, au
profit et à l'avantage de l'état ? L'au-
teur ajoute que c'est une fausseté
que de soutenir qu'Hadrien ait com-
battu, ou dans ses leçons , ou dans ses
ouvrages, la pluralité des bénéfices.
Il l'a plutôt favorisée, continue-t-il;
et cela paraît par son commentaire
sur Lombard. Neque vero ipse Ha-
drianus usâuàm diversum aut docuit,
aut scripsit , ut ei j'also inlcndunt ,
sed potiùs contra. Légat eum qui
velit , in quartum Pétri Lombardi
scribenlem , ubi de restitutione agens ,
quœstionem illani ex professo dis-
sent (go.) Tout ce que l'auteur rap-
porte ensuite , tiré de ce commen-
taire , ne sert pas beaucoup à son
but. Si l'on en pouvait inférer ce qu'il
prétend , ce ne serait que par une
conséquence bien oblique et bien in-
directe : et il ne dit rien de la ha-
rangue quodlibetale , que l'on assure
qu'Hadrien fit imprimer contre la
pluralité des bénéfices. Citons un
écrivain protestant qui rapporte une
réponse que fit ce pape à ceux qui
lui demandèrent pourquoi il n'ôtait
pas un abus qu'il avait si bien con-
damné. Imo cùm Lovanii olim edi-
disset Quodlibelicam orationem con-
tra pluralitateiu beneficiorum , mo-
nentibus cur ipse qui jam polestatem
tollendi haberet , quod antè repre-
hendere tantiim potuisset , omnia bé-
néficia , maxime ex Inferiore Ger-
manid supplicantibus interciperet ,
respondit : cùm paruuli essemus ,
loquebamur, sapiebamus ,J~aciebamus
ut parvuli ; nunc auteni postquam
viri facti sumus , reliquimus ea quœ
sunt parvuli. Sic homo Trajecti non
solùm ex vilissimis parentibus ortus ,
verum etiam usque adipsum magiste-
rium , mentheilate , et e/eemosinariis
sumptibits educalus , ad insuetœ for-
tunœ prurit uni e.xiliit , sic in Ma sede
promovit , liane rejbrntationem pro-
misit (91). Je m'imagine que le mi-
nistre Wallon que je vais citer avait
pris dans ce latin là cette remarque
(go) Idem, ibid.
(91) Novor. Episcop. Belg. Divisio , pag.
:8, 79.
454
HADRIEN VI.
(93) : « Le pape Adrian VI l'avoit
3> précédé. Il y en avoit qui s'esmer-
» veilloyent le voir faire contre cer-
» taine harangue qu'il avoit faite à
m Louvain y estant magister noster,
» improuvant la multiplication de
v plusieurs bénéfices , et l'entas-
j) sèment d'iceux sous un seul cha-
« peau : qu'alors , estantvpape , il le
jj faisoit et notamment des bénéfices
» e's Pais-Bas. Il leur respondit ce
3> que saint Paul avoit dit , quand
■» j'estoy enfant , je parloy comme
» enfant , etc. 1 Cor. i3. 3> On fit
mention de ceci dans les Nouvelles
de la République des Lettres , en
1684 (93).
(BB) II défendit les dépenses.... de
la canonisation. Un savant jésuite
s'est trouvé dans l'embarras pour
avoir cité ce fait. .] Il s'est vu accuser
publiquement de soutenir que les
frais de la canonisation sont con-
traires à la pureté et à la sainteté
de cet acte. Son accusateur se nomme
Sébastien de Saint-Paul : il a été
professeur en théologie à Louvain ,
et deux fois provincial des Carmes
dans le Pays-Bas. Voici de quelle ma-
nière le jésuite s'est défendu. Il a dit
(q4) : 1°. Qu'il n'a fait que rapporter
ce qu'il avait lu dans Biaise Ortizius,
chanoine de Tolède , et domestique
d'Hadrien VI ; 20. qu'ayant cité cela
en lettres italiques , et en nommant
son auteur, il a sujet de se plaindre
d'avoir été calomnié par son critique,
qui a supprimé ces circonstances ;
car non-seulement une accusation est
injuste quand on impose des faus-
setés , mais aussi quand on passe
sous silence les vérités. An ignoras
certam esse apud theologos senlen-
tiam , qubd accusatio esse possit gra~
i'iter injusta , non tantum ex falsi
impositione , sed etiam ex reticentid
veri (95) ? 3°. Que pour avoir allégué
que telle chose comme glorieuse au
pape Hadrien VI , il ne s'ensuit pas
qu'il taxe d'erreur les autres papes
qui approuvent , ou qui ordonnent
les grandes dépenses de la canonisa-
(gî) Jérémie de Pours, Mélodie du saint Psal-
miste , pag. 85p.
(<ji) Au mois de novembre , art. FI, pag.
(j3i.
(04) Daniel Papebrncbius, Respons. ad Kxlii-
bitioncm errorum , pag. 62.
(q5) Idem, ibidem.
tion; 4°- qu'il a loué Hadrien cornmr
un pontife mu d'un bon zèle , et qui
agissait selon les instincts de la con-
science , dont on peut louablement ,
et dont on doit même suivre en plu-
sieurs rencontres l'erreur innocente
(96) ; 5°. qu'il n'a point donné son
approbation à ce motif d'Hadrien ,
c'est que les dépenses sont éloignées
de la pureté et de la sainteté de la
canonisation ; 6°. qu'il ne doute point
qu'elles n'aient pour fondement plu-
sieurs raisons graves ; 70. qu'Ha-
drien VI a pu se tromper là-dessus
en qualité de docteur particulier,
sans préjudice de l'infaillibilité des
papes prononçant ex cathedra ; 8°.
que Baronius rapporte des erreurs
bien plus notables de quelques pa-
pes , sans qu'on puisse l'accuser
d'avoir fait injure au saint siège apos-
tolique.
Qui ne voit là les marques funestes
de l'engagement ? Un catholique ro-
main est un vrai esclave d'esprit. Il
y a mille rencontres où il ne saurait
louer les belles actions. N'est-il pas
de la dernière évidence qu'Hadrien
VI mérite d'être approuvé , et à Pé-
gard de ce qu'il fit , et à l'égard de la
raison pourquoi il le fit? Voilà néan-
moins un jésuite , qui n'ayant pu le
louer sans que ses éloges fussent la
censure indirecte des autres papes ,
se voit contraint de marcher sur des
épines en voulant se justifier ; et il
ne peut se tirer d'affaire qu'en sup-
posant que notre Hadrien se trompa ;
mais que ses erreurs accompagnées
de bonne intention le disculpent.
C'est toute la gloire que se peut pro-
mettre un pape réformateur des abus.
On l'excusera sur les erreurs de sa
conscience , et l'on dira qu'il n'erre
point comme pape , mais comme doc-
teur particulier. Grand merci.
(CC)... Ses successeurs les ont tolé-
rées , jusqu'à des excès qui ont choqué
le menu peuple. ] Tout le monde fut
scandalisé dans Paris , l'an 162a , de
voir la pompe avec laquelle les Car-
mes déchaussés y célébrèrent la ca-
nonisation de sainte Thérèse. Il parut
la même année un petit livre où l'on
ff)fi) Laudo Hadrianum VI , quia id fecit
zelo bono et secundiim conscienliam quam in-
culpabditer erranlem sei/ui cum laude possu-
mus, et sœpè debemus. Daniel Papebrocliius ,
pag. 63.
HADRIEN.
suppose que les bonnes femmes en
murmuraient tout de bon. L'une se
plaignait d'y avoir été brûlée. Com-
ment ! ma cousine, répondit une jeune
mariée , étiez-vous a ce. feu? Je ne vis
jamais un tel désordre , ni tant de
dégâts ; un de mes frères y a eu aussi
toute la face emportée , et il n'y a
encore aucune apparence de guérison.
Mais a quoi bon toutes ces super/lui-
tés ? dit alors une vieille édentée ; de
mon jeune tems je n'ouïs jamais parler
de canoniser les saints de la façon :
c'est plutôt les canonner que les ca-
noniser. Tout beau, ma tante, dit une
marchande de la rue Saint-Denis , on
en a bienfait davantage a Rome : ce
sont des réjouissances publiques. Il
n'y a point de danger de faire quelque-
fois ces superfluités quand on y est
porté d' une pure et sincère affection;
et puis, ce que les Carmes déchaussés
en ont fait , ce n'a été que par le com-
mandement de la reine, qui a fourni
cette dépense , h cause que sainte
Thérèse était d'Espagne. Il n'impor-
te, ony a plus offense Dieu mille fois
que de ne lui faire aucun honneur, dit
une bourgeoise d'auprès Saint-Leu ;
je vous promets, pour moi, que je n'ap-
prouve aucunement ces choses. Com-
bien pensez-vous qu'il y ait eu de
filles enlevées ? tous les blés des en-
virons sont renversés et brûlés , ils
ont trouvé le mois d'août plutôt que
celui de juillet. Pour moi , dit la fem-
me d'un avocat du grand conseil ,
j'eusse été d'avis de mettre toutes ces
superfluités a la décoration de leur
église ; à tout le moins cela leur fût
demeuré , et les eût-on estimés davan-
tage : sans faire évaporer tant de
richesses enfumée , cela eût allumé le
feu de dévotion dans le coeur de ceux
qui les eussent visités, oh au contraire
tout l'air voisin et les champs des en-
virons ont été embrasés de leurs fu-
sées. J' ai encore uncollet monté à cinq
étages qui est entièrement gdlé. En-
core si on eût allumé le feu h huit heu-
res, on n'y eut pas perdu tant de man-
teaux ; tous les écoliers y étaient en
armes (97 j. Après tout, il faut dire ici
comme en plusieurs autres rencon-
tres , il n'y a rien qui ne serve à quel-
que chose • les plus grands abus ont
un beau côté. Si les canonisations se
(9l) f^oyez le livre intitule : Le Caquet de
l'Accouchée , pag. 5 Je la IIe. journc'e.
455
pouvaient faire sans de très-grandes
dépenses , elles seraient plus ordinai-
res : il est bon que l'impossiblité de
fournir aux frais serve de barrière à
l'avidité des ordres. Les sujets de ca-
noniser ne manqueraient pas : chaque
communauté en voudraitavoir autant
que les autres j et, s'il n'en coûtait
guère , on préparerait aisément les
autres machines.
HADRIEN (Corneille d' ) , en
flamand Hadriansen (à) , fameux
prédicateur flamand , au XVIe.
siècle, était de Dordrecht. Il se
fit cordelier, et fut gardien d'un
couvent et lecteur en théologie
{b). Il entendait bien le latin,
le grec et l'hébreu , et il enseigna
publiquement ces trois langues
(c). Il prêcha trente ans à Bru-
ges , et ne s'étonna jamais des
médisances qu'on publia contre
lui. Il mourut à Bruges à l'âge
de soixante ans, le 14 de juillet
i58r. Il composa un traité des
sept sacremens. Jean Lernutius
avait vu en manuscrit plusieurs
très-doctes sermons de ce corde-
lier (d). Les ouvrages qui ont
paru sous son nom après sa mort
sont parsemés de bouffonneries
et de quolibets malhonnêtes.
Sandérus prétend que les héréti-
ques y ont fourré cela , pour dif-
famer la mémoire de ce bon et
innocent religieux(e). Il faudrait
en avoir des preuves , ou ne le
dire pas. Les protestans parlent
de ce cordelier comme d'un vio-
lent déclamateur (f); et il a pa-
(a) Cela veut direjih d'Hadrien.
(b) Swert. , Athen. belg.
(c) "Valer. Andr., Biblioth. belg.
{d) Swert. , Athen. belg.
(e) Apud Val. Andr. , Biblioth. belg.
(f) Tempore quo caninam suam eloquen-
tittm cetebratissimi nominis Franciscanus ,
Cornélius Adriani... exercebat. Schoockius,
Exercitat, sacr. , pag. 538.
456
HADRIEN.
ru des livres qui apprennent qu'il
avait introduit parmi les per-
sonnes de l'autre sexe une nou-
velle manière de dévotion ; c'est
qu'il leur marquait certains jours
où elles devaient se dépouiller
toutes nues* devant lui (A), afin
qu'il leur donnât doucement la
discipline pour l'expiation de
leurs fautes (g). Il n'y a rien
que ces gens-là ne soient capa-
bles de persuader aux femmes ,
sous le beau prétexte de dévotion
(B), lorsqu'ils ont le talent de
bien jaser, et que leurs prédica-
tions les rendent célèbres.
On est si porté à donner un mauvais
tour aux choses , que peu de gens sont
capables d'attribuer la conduite de ce
cordelier à un autre principe , qu'à
celui que quelqu'un appelle la curio-
sité' des plaisirs d'autrui (2). S'il e'tait
vrai , comme quelques savans l'ont
soutenu (3) , que dans la primitive
église les personnes que l'on bapti-
sait, de quelque âge et de quelque
sexe qu'elles fussent , e'taient aussi
nues qu'en sortant du ventre de leur
mère , on comprendrait mieux com-
ment cet homme, par son beaucaquet
et par de grands airs de pie'té , aurait
fait venir ses de'votes à son but. Le
sacrement de pe'nitence , leur disait-
il peut-être , doit s'administrer com-
me autrefois le baptême : la peine du
fouet, à laquelle je vous condamne ,
J'ai lu quelque part que Geor- fait partie de ce sacrement : il faut
fle Cassander , qui enseignait les donc, ' etc. Météren (4) raconte si
V ,, , . . t> 1 amplement et avec tant de circon-
belles-lettr.es a._?ruges pendant stances ce qui concerne les dévotes de
ce cordelier , qu'on peut croire que
cela est véritable.
Henri Etienne fait un conte qui a
du rapport à celui-là. On est venu ,
:lit— il (5) , jusques a requérir ( ainsi
que Corneille d'Hadrien y ensei
gnait la théologie, se vit obligé,
l'an i555 , à s'exiler volontaire-
ment (C) , pour céder aux calom-
nies de ce collègue.
* Leduchat (qui cite le Tableau de la dif-
férence entre la religion chrétienne et le pa-
pisme^ par Marnix de S ainle-dldegonde , t.
II, pag. 87 de l'édition de l6o5), dit que
" frère Corneille fut banni à cette occasion
>• par le magistrat de Bruges. Mais à quelque
» temps de là il fut rappelé , et rentra en
» crédit plus que jamais. Quelques cordeliers
» de Bruges, convaincus de sodomie, y fu-
y rent brûlés. Le même frère Corneille avait
• voulu les excuser , et avait pris leur parti
- devant les juges. »
(§■) Voyez Voëtius, Polit, eccles. , tom. I,
pag. 686.
(A) Ses dévotes devaient se dépouil-
ler toutes nues devant lui. ] Si la maxi-
me de Gygès était véritable , qu'en se
dépouillant de ses habits une femme
se dépouille de sa pudeur (t) , les
affaires de notre Hadrien n'auraient
pas été en trop médians termes , sup-
posé qu'il ne fut pas assez visionnaire
pour s'imaginer que , tout de bon ,
quelques coups de fouet de sa main
sur le corps nu de ses pénitentes ,
auraient une vertu singulière par
rapport à l'expiation de leurs péchés.
(1) ilcrodot., lib. I, çap, VI II.
que quelcun escrit ) qu'es conj'essions
auriculaires il leur fust permis de
manier les parties qui auiwyent esté
instrumens du mal duquel on se con-
fesseroit. Et estant re monstre par un
evesque , à l'un de ceux quifaisoient
ceste requeste , la grande ordure que
ce seroit s'ilfalloil qu'hommes et fem-
mes leur monstrassent leurs parties
honteuses : il fit response que si on ne
trouvoit point deshonnesle que ceux
qui oyoyent les confessions contem-
plassent quand et quand des yeux de
l'esprit ( qui sont trop plus précieux
que ceux de la chair ) non seulement
les membres qui ont commis les actes
vilains , mais aussi les vilanies par
iceux commises , qui leur sont decou-
(2) "Eomi yà\p » tî y-oifoia, 7roM7rpa.yfj1.o-
truvn t»ç dhXoTpla.; »<fbv«c ilv&i, net) £n'-
TH3-JÇ no.) ïptuva. Toëv Qu\-j.Tro/uîvu>v xxi
^ct-vQctvôvrcev T0l)ç 7T0\K0VÇ. Videlur adulle-
rium curiosa in alterius voluplalem esse inquisr-
t'o , eorumque indagalio quœ absconduntur et
pterosque latent. Plut. , de Cuvios. , pag. 5ig.
(3) Joseph. Vicecomcs, de Ritibus Baptisai».
Vossius , in Tliesib. de liaptismo.
(4) Météren, Hist. d.-.s Pays-Bas, liv. VIII ,
folio i53 , e'dit. de la Haye , 1G1S.
(5) Apologie pour Hérodote, fiV, /, cap. XXI,
ya%. m. '54 . a55,
HAY.
457
vertes en la confession : moins devroit-
on trouver deshoneste qu'ils regar-
dassent ces membres des yeux corpo-
rels. Et allégua en outre , que le
confesseur, en tant qu'il représente le
médecin spirituel , doit toucher son
malade , ainsi que le médecin du corps
touche et manie celuy qu'il visite. Et
entremeslant parmi sa gosserie du
blasphème et de la proplianation du
texte formel de i Evangile , amena
aussi ces mots de nostre seigneur Jesus-
Christ: va et te monstre au prestre ;
comme estant leur coustume de se
despouilleret monstrer nus au prestre .
M. Boileau le docteur a rapporté
ce qui concerne notre Hadrien : inter
exempta , dit-il (6) , tam infaustœ
notitiœ recensere non pertimescam ,
historiam hominis cucullati et cordi-
geri conventûs Brugensis anno circi-
citer mdlxvi cui nomen erat Cornelio
Adriasem (7) origine Dordracensis ,
adversus hœreticos Guezios stomacho-
sissimi concionatoris ; qui puellas seu
Jeminas quasdam sacramenlo ûdeli-
tatis et obedientiœ sibi adstriclas et
specie pietatis devotas non quidem as-
peratis el nodosisfunibus verberabat,
sed nudata earum femora et nates
inhonestis vibicibus rorantes virgis be-
tuleis aut vimineis iclibus molliterin-
fiietis perfricabat , uli referl Emma-
nuel Meteren Historiœ Belgicœ fol.
cliij et cliv. edit. Amstelodamensis
anni 1570 (8). C'est dans sa curieuse
histoire des Flagellans qu'il se sert
de ces paroles. L'interprète français
ne les a pas bien entendues : car voici
comment il les a traduites : « Parmi
}> tous ces tristes exemples d'une
j) piété rigide , je ne craindrai pas
» de rapporter ici, sur le témoignage
j) de Météren (*), l'histoire-d'un cer-
3) tain Corneille Adriasem , origi-
■» naire de Dordrecht , cordelier à
» Bruges , vers l'année i566 , et pré-
» dicateur fort violent contre les hé-
» rétiques nommé gueux ■■ ce moine
)) avait quelques filles ou femmes
i> qui , sous apparence de religion ,
» et sous le serment de fidélité et
(6) Historia Flngellantium, par;. 218, 21;).
(7) // fallait dire HaJriaDsea , comme a fait
le traducteur de Météren.
(8) Je ne crois pas qu'il y ait aucune telle édi-
tion de Météren.
(*) Historia: Belgicœ , folio clih et cliv,
edit. Amstelodamensis anni \5~,o.
)> d'obéissance , lui étaient si bien
» dévouées , qu'il ne se contentait
» pas de les battre avec des cordes ,
» où il y avait de gros nœuds ; mais
» outre cela il leur frappait douce-
» meut les cuisses et les fesses toutes
» nues avec des verges d'osier ou de
» bouleau ». Il est si peu vrai que le
latin signifie que ce moine se servait
de cordes à gros nœuds , qu'on y voit *
tout le contraire.
(B) // n'y a rien que ces gens-la ne
soient capables de persuader aux
femmes sous... prétexte de dévotion.^
J'ai parlé ailleurs de la grande doci-
lité du sexe. Voyez les remarques des
articles Fratricelli et Goilleméte.
(C) George Cassander se vit
obligé à s'exiler volontairement. ]
Le passage que je vais donner en
preuve contient une parenthèse qui
regarde la fouetterie dont j'ai parlé
ci-dessus : quum ante annos circiter
XL ( c'est Vulcanius qui parle , dans
une épître dédicatoire datée de Leyde
le Ier. de l'an i5g5 (9) ) , Georgius
Cassander vir doctissimus Brugis
Flandrorum communi ulriusque nos-
trdm patrid publicum bonarum lite-
rarum professorem agens, ut collegœ
cujusdam sui qui sacras ibidem litteras
docebat , ( illius inquamfuriosi theo-
logi , a quo postea cùm se in Sera-
phicarn familiam dedisset , famosa
Ma Gynopygica disciplina Corne-
lianœ nomen invenit ) calomniis ce-
deret , voluntarium sibi ipsi exilium
indixisset.
(9) Celle du Traité de Nilus, de Primalu
pape.
HAY, famille d'Ecosse. Elle
doit le commencement de sa no-
blesse à une action très-illustre.
On prétend que les Danois ayant
envahi l'Ecosse sous le règne de
Kenneth III , environ l'an 980 ,
il se donna une bataille entre eux
et les Écossais (a) , dans laquelle
ces derniers , ayant été d'abord
mis en fuite , se retirèrent du
côté de Perth. Ils furent obligés
de passer par un chemin très-
(rt) Le lieu où elle se do.ma se nomme Li-
curtic.
458 H AI.
étroit , entre les montagnes et la le plus haut grade de noblesse. Le roi
rivière de Tay. Un paysan qui \u'} don,na «««partie considérable des
,, J 1 j r\ dépouilles de 1 ennemi, et en bonnes
se trouva la avec ses deux hls, terres tout le vol d>un faucon. C'est-
trois personnes intrépides , se à-dire qu'on lâcha un faucon , et
rendit maître du défilé , exhorta qu'on prit garde où il se reposerait ,
les fuyards à tourner tête contre e.fc 1u'OH d°nnaàHay toutes les terres
„ J . , situées entre le lieu ou ce taucon
1 ennemi , et s opposa au passage avait commencé de voler, et. le lieu
de ceux qui voulurent continuer où il s'était reposé. Ce dernier lieu
leur fuite. Il fit plus, il s'arma s'appelle encore la Pierre du Faucon.
j„ .~„* „» ,„,; î • *„™i „„ „ i Parce moyen , Hay se trouva pourvu
de tout ce qui lui tomba sous la j i s .-, ' J j m*
t- , , du plus tertile terroir de 1 hcosse ,
main , et accompagne de ses deux sltué où la bataille s'était donnée , le
fils armés d'une pièce de leur long de la rivière du Tay. Le roi
charrue , il fondit avec tant Kenneth lui donna des armoiries qui
J':m„«K,„„'i^ „ i„„ n ■ i étaient d'argent à trois écussons de
a impétuosité sur les Danois, et i & , . _„_
.. K j ii gueules, pour marquer que le cou-
il anima de telle sorte par son rage de trois hommes avait sauvé le
exemple les fuyards, que la vie- royaume (i).
toire se déclara pour les Écossais. (B) Cette famille... a produit plu-
L'ennemi à son tour fut mis en Turs Rancîtes,] qui se sont répan-
r •* i i»T7 ■ 'il dues non-seulement en Lcosse et en
tuite, et 1 Ecosse préservée de la Angleterre , mais aussi en France, et
servitude sous laquelle les Da- principalement dans la Normandie
dois avaient eu dessein de la ré- (2). Je ne fais mention que de la bran-
duire. Ce paysan , connu depuis che de comtes deTweedale etde Kin-
, r i rt ' ' i h nouel, qui subsiste encore (3).
sous le nom de Hay, a ete le fon- (C) Et lusieurs personnes de
dateur de la famille dont je par- grand mérite. ] On ne peut rien dire
le. Lui et ses fils se signalèrent de l'état où se trouva cette maison
d'une façon extraordinaire dans depuis le règne de Kenneth III , jus-
1 t 0 . -i . ., .1 nues au règne de nobert Bruse : car
le combat; ils jetèrent la con- Edouard I«'., roi d'Angleterre, s'étant
sternation et firent un grand car- prévalu des divisions de l'Ecosse, au
nage partout ou ils combat— tems que Robert Bruse et Jean Balliol
tirent. Cette belle action, qui fut ?e disputaient la couronne , fît une
i~ „ 1 i j 1 * • . irruption dans le royaume, et enleva
le salut de la patrie , reçut une non4eulement les actes publics, mais
digne recompense (A) ; et depuis aussi les papiers et les documens des
ce temps-là cette famille a été maisons particulières. Ceux de la fa-
l'une des plus illustres du rovau- mille ^7 furent enlevés comme beau-
„,, l ï ■. 1 • coup d autres. Fendant cette guerre
me. Elle a produit plusieurs civile , Robert Hay s'attacha aux in-
branches (B) , et plusieurs per- térêts de Robert Bruse avec une en-
sonnes de grand mérite (C). Le tière fidélité , et lui rendit de si
comte d'Erroll en eit aujourd'hui grands services , qu'il en fut récom-
1 , p ti • ' pense de la charge de grand conne-
lechel. 11 est marie avec Anne table héréditaire d'Ecosse, l'an 1 3 10 ;
Drummond, sœur du comte de et afin qu'il put soutenir cette dignité
Perth {b). avec l'éclat convenable , il reçut de
(ù) Tiré d'un Mémoire communiqué au (1) Tiré du même Mémoire.
libraire. (a) M. Pélisson, pag. m. 246 de /'Histoire de
l'Académie française, dit ceci: Paul Hay , sieur
(A) Cette belle action , reçut une 'lu Châtelet , était de l'ancienne maison de Hay
disne récompense. \ Hay fut mené par ea V™lW™ - <\"< f vante d'êt" a°tl{',il7' si%
. ° . 1, F i-i • . -i cents ans de celle des comtes de Lailile , lune
toute 1 armée au palais du roi , et il des plus illustres d'Ecosse.
reçut dans l'assemblée du parlement (s) Tiré du même Mémoire.
HAY. 459
ce même prince plusieurs terres dans (a), et fit à Rome son noviciat,
la province «TAberdeen. Cette charge t { profession du quatrième
est toujours demeurée dans la fa- '. . "{.
mille ; elle est possédée présentement vœu. 11 enseigna en divers en-
par M. le comte d'Erroll , que Ton droits , en Pologne , en France ,
compte pour le dix-neuvième de sa dans le Pays-Bas. Son principal
qui en ajoui. Nicolas my- théâtre fut le collë de T(
lord Hay fut tue', l'an i332, avec 280
legf
gentilshommes de sa famille , à la ba- nou > ou l] enseigna la théologie,
taille de Duplin, soutenant le parti les mathématiques, et la langue
du roi David Bruse , contre Edouard sainte. Il mourut le 21 de mai
Balliol. David milord Hay, son suc-
cesseur , accompagna le roi David
1607, à Pont-à-Mousson , où il
était chancelier de l'université.
Il s'attacha fort aux controver-
ses , et composa divers livres
contre ceux de la religion (A). Il
eut aussi une dispute verbale
dans Strasbourg avec Pappus et
Guillaume milord Hay fut député avec Jean Sturmius (b). Le père
1 an liaS, avec quelques autres gen- » 1 1 „ '_:+„ „^ „,„„ Aa „an
»;i i,„„ ' j 11 ' & i Alegambe mente un peu de cen-
tilsnommes , pour délibérer des & 1
moyens de remettre en liberté le roi sure (c). Il ne laut point con-
Jacques Ier. qu'on gardait en Angleter- fondre Jean Hay avec le jésuite
re. Il fit réussir cette affaire , et peu <}e ce norn qiu fut banni par ar-
apres il fut créé comte d'Erroll. Guil- *. j 1 .. j r> •„ iv>\
laumeHay comte de Erroll, grand- *? du Paiement de Pans (B)
Bruse dans la guerre contre les An-
glais , et fut tué l'an i344, à la ba-
taille de Durham. Thomas milord
Hay fut marié avec la fille du roi
Robert II, laquelle lui apporta en dot
la baronnie de Inchtuthill , dans la
province de Perth, environ l'an 1376
connétable d'Ecosse et shériff de la
province d'Aberdeen , accompagna
Jacques IV à la bataille de Floudon,
l'an i5i3, et y fut tué avec son prince,
lui et quatre-vingt-sept gentilshom-
mes de son nom. François Hay ,
comte d'Erroll , ayant suivi constam-
ment la reine Marie et la religion
romaine , se vit exposé à des grands
malheurs : on démolit ses maisons ,
on pilla ses terres , on l'emprisonna ;
mais sous le roi Jacques VI , fils de la
reine Marie , il se trouva en faveur.
Il fut l'un des seigneurs d'Ecosse que
l'on envoya en Angleterre, l'an i6oij,
pour régler l'union des deux couron-
nes. Son fils assista au couronnement
de Charles Ier. , en Ecosse , l'an i633.
Gilbert Hay , comte d'Erroll , eut
beaucoup de part à l'amitié de Char-
Ils prétendaient être l'un et l'au-
tre de la famille Hay (d) dont
j'ai parlé dans l'article précé-
dent.
(a) Selon Sotuel, BiMiotheca Script, so-
ciet. 3esu , pag. 4^9 ; car le père Alegambe
met i562, et non i5b6.
(b) Tire f/'Alcgambe , Biblioth. Script, so-
ciet. Jesu , pag. 248.
(c) Voyez la remarque (D).
(d) Voyez la Défense des Demandes de
Jean Hay.
(A) Il composa divers livres con-
tre ceux de la religion.} Un Jîecueil
de Demandes aux Ministres. Il le
composa en écossais , selon le père
Alegambe , qui ajoute que la traduc-
tion française en fut faite par Michel
Coyssard. L' Apologie de ces démun-
ies Ier. , et parut beaucoup au parle-
.j'dj:™i i-_- j .._ des. Il la composa en français sefon
le père Alegambe : mais c'est une er-
reur ; car Jean Hay assure , dans sa
préface, qu'il l'avait écrite en latin, et
qu'elle fut traduite en français par
quelques-uns de leurs écoliers. Cette
Apologie fut faite contre le libelle de
ment d'Edimbourg, lors du rétablisse
ment de Charles II. Jean Hay , comte
d'Erroll , aujourd'hui grand-conné-
table d'Ecosse, est son fils (4).
(4) Tiré du susdit Mémoire.
n,v/i s-'-. ' • Jacques Pinelon de Chambrun, pre-
HAY (Jean), jésuite écossais, diJnt h mmes, ct imprimée à Lyon ,
entra dans la société, l'an t566 l'an i586. L'épître dédicatoire, da-
46o
HAILLAft.
tée du 2 de juillet 1 585, témoigne
que depuis cinq ans Fauteur lisait
publiquement la théologie à Tour-
non, jintimonium ad Responsa Be-
zœ. Ditputatio contra ministrum ano-
nymuni JYemausensem. Son Helle-
borum Joanni Serrano , trouve parmi
ses papiers, est garde à Rome dans
les archives de la société' (i). Voilà
tout ce que nous apprennent les deux
bibliothécaires des jésuites. Ils ont
ignore' que Jean Hay avait actuelle-
ment publie' un livre contre de Ser-
res, savoir une réponse au IIe. Anti-
jésuite de ce ministre (2). Les autres
ouvrages de Jean Hay sont : Scholia
brevia in JBiblioihecam Sanctam Sixti
Senensis, et une traduction latine de
quelques lettres jésuitiques écrites du
Japon et du Pérou. Elle fut imprimée
à Anvers , Fan i6o5, in-S°. Voyez le
père Alegambe.
(B) Lejesuite de ce nom qui fut banni
par arrêt du parlement de Paris*]
« Il s'appelait Alexandre Hay : il
» fut convaincu d'avoir tenu souvent
» des discours séditieux contre le roi,
» depuis la réduction de Paris, jus»
» qu'à dire que , s'il passait quelque
» jour devant leur collège, il se je-
3) terait volontairement sur lui de la
» fenêtre en bas la tête la première,
» pour lui rompre le cou par ce
» moyen. » C'est ce qu'on lit dans
la grande histoire de Mézerai (3).
L'auteur de FAnti - Coton nous va
dire la date de l'arrêt du parlement.
// y eut informations faites contre
Alexandre Hay us , jésuite ecossois ,
lequel auoit enseigné publiquement
qu'il fallait dissimuler et obéir au
roy pour un temps par feintise , di-
sant fort souvent ces mots : Jesuita
est omnis horao. Estoit davantage ce
jésuite chargé d'avoir dit souvent qu'il
désirerait', si le roy passoit devant
leur collège, tomber de la fenestre
sur luy pour luy rompre le col. Pour
laquelle cause par arrest de la cour
prononcé le 10 de janvier i5g5, fut
ledit Hayus banni à perpétuité , h
luy enjoint de garder son ban à pei-
ne d'estre pendu et eslranglé , sans
autre forme ne figure de procès (4).
(1) Sotuel, Biblioth. Script, societ. Jesu, pag.
459.
(1) Voyez la Défense des Demandes , h la fin
<le la réponse à la préface.
(3; Tom. II I, pag'. n35, u36,
('j) Ami-Coton, ;mg. m, 3S.
L'auteur du hemercîment des Beur-
rières, après avoir dit la même chose,
ajoute (5) que ce jésuite ayant de-
puis répété et confirmé ces mêmes
paroles , en la ville de Prague , sur ce
que les plus grands du royaume sol-
licitèrent de le faire amener en Fran-
ce, on répondit qu'il avait avaléun or-
ge mondé qui n était pas bien cuit, et
se trouva mort aussi soudain que le
prevot des maréchaux de Pluviers...
étranglé au chdtelet d'un lacet de
soncalecon, qui n'était assez fort pour
brider une mouche. Alexandre Hayus,
si nous en croyons Pasquier (6), ré-
gentait pendant les troubles la pre-
mière classe du collège des jésuites a
Paiis.
(5) Pag. 19. Ce Remercîment fui imprimé
Van 1610.
(6) Catéchisme des jésuites, liv. II , chap-
XX, pag. m. 472.
HAILLAN * (Bernard de Gi-
rard , seicneur du ) , historio-
graj>he de France , issu d'une
ancienne et noble famille (A) ,
naquit à Bordeaux environ l'an
i535. Il s'érigea d'assez bonne
heure en auteur, et , après avoir
paru dans la république des let-
tres sous la qualité de poète, et
sous celle de traducteur (B) , il
s'appliqua à faire des livres d'his-
toire , et y réussit de telle sorte
que, par ses premiers ouvrages
de cette nature, il obtint de
Charles IX le titre d'historio-
graphe de France, l'an 1571 (C).
Il publia, en i5^6, une histoire
qui s'étend depuis Pharamond
jusques à la mort de Charles VII
(a). On n'avait point vu encore
un corps d'histoire de France
composé en langue française.
* La Monnoye, dans ses notes sur la Crois
du Maine , I , j3 , fait un grand éloge de
cet article.
(a) Elle fut imprimée à Paris , chez Pierre
l'ffuillier, in-folio et in-8°. , l'an 1576:
l'année suivante elle fut imprimée par
Pierre de Saint-André ( à Genève , si je ne
me trompe) en deux volumes in-8".
HAIL
Henri III fut très-content de
celui-là, et fit paraître son con-
tentement par des gratifications
utiles et honorables qu'il fit à
l'auteur (D). Il l'avait eu à son
service avant que de monter sur
le trône (b) Les raisons qui
portèrent du Haillan à terminer
son ouvrage à la mort de Char-
les VII sont belles et bonnes, et
marquent qu'il entendait les de-
voirs d'un historien (Ej. Cepen-
dant il promit depuis à Henri IV
de continuer cette histoire jus-
ques à son temps (F). Il n'a point
exécuté cette promesse. Ce qui
l'avait engagé à continuer n'est
pas glorieux à Philippe deCoini-
nes (c). Il eut le courage de ré-
futer plusieurs traditions qu'un
zèle indiscret pour la gloire de la
France avait fomentées , et de
parler librement sur les matiè-
res délicates , comme par exem-
ple sur ce qui concerne la pucel le
d'Orléans (Gj. Cette liberté fut
désagréable aux petits esprits , et
à ceux qui veulent que tout soit
sacrifié à la politique. Je ne sais
s'il faisait bien de publier certai-
nes choses qu'il ne savait que par
ouï-dire(H). On le critiqua beau-
coup , et il en témoigna du cha-
grin par la fierté avec laquelle il
repoussa ses censeurs (I). On n'a
pas tort dans toutes les choses
qu'on lui critique : je le mon-
trerai par un passage du sieur
Sorel (K). La manière dont il
parle de soi-même est un témoi-
gnage qu'il n'était pas assez dés-
intéressé , ni par rapport à la
gloire , ni par rapport à la fortu-
ne. Il étale trop ses travaux et le
succès de ses livres , leurs diver-
(Jb) Voyez la remarque (C).
(c) Voyez la remarque F)
LAN. 461
ses éditions , traductions , etc ;
et il témoigne trop visiblement
qu'il voudrait être récompensé
(L). J'ignore si l'on doit croire
qu'il fit des menaces de sa plume
de fer à ceux qui méconnaîtraient
ses travaux [d), et qu'il la jugea
aussi propre à les flétrir , qu'il
prétendait que sa plume d'or
était capable d'éterniser le mérite
de ses bienfaiteurs. Il mourut à
Paris le 23 de novembre 1610,
dans soixante et seizième année ,
et fut enterré à Saint-Eustache
(e). Il ne faut pas oublier qu'il
avait suivi François de Noailles,
évêque d'Acqs , à l'ambassade
d'Angleterre et à celle de Ve-
nise (f) On verra dans les re-
marques plusieurs morceaux de
ses épîtres dédicatoires et de
ses préfaces. Ils déplairont à ceux
qui ne cherchent qu'une con-
noissance superficielle des hom-
mes illustres , mais non pas à
ceux qui souhaitent de les con-
naître exactement, intus et in
cule. C'est en faveur de ceux-ci
que je travaille , et je suis certain
qu'ils me sauront gré de la peine
que je prends de faire voir le
portrait du cœur selon les linéa-
mens que j'en trouve dans les
livres où les auteurs se sont
peints eux-mêmes. Ceci soit dit
une fois pour toutes. On pour-
rait faire sur ce portrait de du
Haillan un si grand nombre de
réflexions , que je m'imagine que
personne ne trouvera mauvais
que j'en fasse quelques-unes (M).
Ce me sera une occasion de louer
la modestie de M. Descartes.
(d) Voyez la remarque (L) à lajin,
{e. Mercure Français, tom. II. J'ag. m. 6l .
(y) Du Haillau , préface de l'Histoire de
France.
462 HAILLAN.
(A) // était issu d'une ancienne et née , à Paris (5) l'Histoire romaine
nob'e famille. ] Quand il parle des d'Eutropius , comprenant en dix li-
matériaux qu'il rassembla pour com- vres , tout ce qui. s'est fait tant en
Eoser l'Histoire de France , il n'ou- paix qu'en guerre depuis le commen-
lie point les secours de sa parenté, cernent de Rome jusque» a l'an
François de Girard , mon frère , sei- M. C. XIX. de ladite ville, tra-
gneur du Haillan, dit-il (1), m'a duitede latin. Huit ans après il fît im-
envoyé de Bordeaux plusieurs pa- primer (6) les Vies des plus grands,
piers concernans les affaires de la plus vertueux , et plus exceîlens ca-
Guyenne recueillis par jeu Loys de pitaines et personnages Grecs et bar-
Girard noslre père , et par Gilles , bares faictes par JÈmilius Probus ,
Marc, et Richard de Girard, nostre et traduites de latin (7).
grand-pere , afeul et bisayeul , les (C) 77 obtint de Charles IX le
deux derniers desquels vivaient en titre d'historiographe de France ,
Bourdelois en charges honorables, l'an i5^ 1 . ] Il nous l'apprend lui-
du temps que la ville de Bordeaux même dans une épître dédicatoire ,
et le pays de Guyenne furent ré- datée de Paris au mois de juillet
duits en l'obéissance des François en 1576. Car voici comme il parle à
l'an i45i . H nous apprend en un au- Henri III (8) : Il y a maintenant cinq
tre endroit (2) que son père avait été ans , qu'après que le feu roy vostre
homme cui'ieux de l'antiquité de sa frère , vous ( sire ) , et la roy ne vostre
patrie , par l'espace de plus de qua- mère eusles veu mon œuvre de i Estât
rante-cinq ans lieutenant en l admi- et succez des affaires de France im-
rauté de Guyenne ; et depuis, ajou- primé , et les deux premiers livres de
te-t-il , François de Girairl , seigneur l'Histoire de France non imprimez,
du Haillan , mon frère , a esté par ains seulement escrits a la main , il
l'espace de plus de dix ans en l'a- pleut audit feu roy, à la prière que
dicte admirauté , souz les feuz roy s vous, et la roy ne vostre mère, luy en
de Navarre , Henry , et Antoine. fistes , me commander , et vous aussi
(B) Après avoir paru sous la qua- ( sire) me le commandastes , d'escrire
lité de poète et sous celle de traduc- en langage francois l'histoire des rois
teur. ] Il publia à Paris , en 155c), de France vos prédécesseurs cy de-
un poème intitulé V Union des prin- vant assez mal escrite par nos Fran-
ces par les mariages de Philippes , cois , et assez négligemment ou en-
roi d'Espagne , et madame Eliza- vieusement traictée par les estran-
beth de France , et encores de Phi- gers. Et pour me donner moyen et
lebert Emmanuel duc de Savoie , et courage d'entreprendre cest œuvre ,
madame Margueritte de France (3). à la remonstrance et requeste de
Il publia dans la même ville , en la M. de Villequier qui a tousjours ai-
même année , un autre poème inti- mé mes escripts et moy , et qui est
tulé le Tombeau du roi très-chres- presque aujourd'huy le seul digne
tien Henri II de ce nom , et un ou- tesmoing des longs services qu'en plus
vrage latin qui a pour titre : Regum d'une sorte je vous ay faits dès vostre
Gallorum Icônes a Faramundo us- enfance, il pleut au feu roy vostre
que ad Franciscum II , item Ducum frère me donner l 'estât d'historio-
Lotharingorumà Carolo primo usque graphe de France , et me promettre
ad Carolum tertium , versibus lad- beaucoup de bien et d'advancement ,
nis expressœ (4)- Je puis prendre comme aussi (sire ) vous me don-
pour une version le Traité des De- nastes asseurance de m'en faire de
voir» des hommes , en trois livres, vostre coste , et de me faire cognoistre
qu'il fit imprimer à Blois, l'an i56o, que mes longs et Jidelles services et
in-8°; car il les tira des Offices de mes labeurs ordinaires recueilliroient
Cicéron. Il publia en la même an- leur semence. Comme ce passage peut
(1) Du Haillan , préface de ^'Histoire de , . '
P v ' 1 r j rçj) Chfz rrederic Morcl , m-8°.
(2) La même , de l'État et succès des affaires (6) A Paris, chez Pierre l'Huillier, in-ft°.
de France, liv. IV, folio m. 321 verso. (7) Du Verdier, Bibliothèque française , pag.
(3) La Croix du Maine, pag. il. IifJ.
(4) Du Verdier, Bibliothèque française, pag. (S) Du Haillan, e'ptlre de'dicaloire de l'IUs-
jjij, toire de France.
HAILLAN. 463
servir de preuve à une chose que j'ai vas, qui m'apprend cela , ne parle
avancée dans le corps de cet article point d'un ouvrage que du Haillan
(9), je n'en ai voulu rien retran- avait publié en 1570, et qui a pour
cher. Mais, pour n'en pas faire à deux titre : de la Fortune et Vertu, de
fois, mettons ici une preuve encore France, avec un sommaire discours
plus forte. Cet historien ayant dit sur le dessein de l'histoire de France
que Henri III avoil toujours aimé h (i5). Il publia en la même anne'e un
ouïr et diœ la vente , donné espe- livre (16), qui a été remis sous la
rance aux gens de lettres qu'il seroit presse une infinité de fois (17), et
leur support, et quelquefois voulu qu'il dédia au duc d'Anjou. Voici
lire et ouyr les histoires (10) , ajoute : ce qu'il en apprend à ses lecteurs
« Ce que" je puis dire véritablement, (18) : « Cest œuvre de l'Estat et Suc-
» pour l'avoir cognu dès vostre en- » cez des affaires de France que je
» fance, au temps auquel j'avois cest » vous présente vestu d'un accous-
» honneur d'approcher de vostre per- » #einent nouveau , et beaucoup
» sonne , de vous faire service , de ne » plus long et plus beau que ceux
» tenir pas le dernier rang en ma » qu'il a par cy devant portez , nas-
» qualité , et de vous avoir quelque- » quit il y a dix ans, et vous fut dès
» fois discouru plusieurs belles histoi- » sa naissance présenté et donné bien
» res tant des roys vos ancestres que » pelit. Deux ans après je le ti-
» des autres royaumes et estats. » » rai hors de l'enfance qu'il avoit ,
Le passage que je tire de l'epître dé- » et l'habillant plus long je le don-
dicatoire de son Etat et Succès des » nai par vostre commandement au
affaires de France, est encore plus » feu roy Charles vostre frère. «C'est
formel. J'ay appris , sire, dit-il, en ainsi qu'il parle dans l'epître dédi-
s'adressant à Henri III, en la nourri- catoire d'une édition qui fit paraître
ture que j'ay prise , et en la commu- cet ouvrage sous un habit tout nou-
nication des affaires que j'ay veues veau , plus grand , plus beau , et plus
près de vous par l'espace de douze riche qu'il n'estoit (19). L'auteur le
ans devant vostre advenement a la revit et l'augmenta encore l'an 1094,
couronne , et en plusieurs affaires que et le dédia à Henri IV. Zeiller assure
j'ay maniez et veus pour le service que cet ouvrage est souvent cité et
des roys vos prédécesseurs , et pour loué , et qu'il a dit dans sa lettre
le vostre , dehors et dedans vostre CXC ce que d'Aubigné en juge (20).
royaume , comment il faut parler et Je n'ai pas vu cette lettre : mais je
escrire des roys et de leurs affaires suis sûr qu'on y débite une bévue ;
(n). Voyez aussi ce qui sera rappor- car d'Aubigné, dans la préface que
té dans la remarque (L) (12). Zeiller cite (21), ne porte aucun ju-
Notez qu'il publia à Paris , en gemeut des écrits de du Haillan ; il
i§rj\ , Y Histoire sommaire des comtes se contente de le nommer. Sa cri-
ez ducs d'Anjou , depuis Geoffroy tique ne regarde que la Popelinière
Grisegonnelle jusques a monseigneur et M. de Thou. Voilà donc un grand
Henri , fils et frère de roys de péché de commission de Martin Zeil-
France , et duc d'Anjou , de Bour- 1er. Celui d'omission n'est pas petit ■
bonnois , et d'Auvergne (i3). Il y car cet auteur a ignoré que du Hail-
publia aussi, en la même année, Pro- lan ait écrit l'histoire de France.
messe et Dessein de l'histoire de Konig ne l'ignore pas moins.
France (i4)- Du Verdier Vau-Pri- (D) He mi III... fit paraître son con-
(i5) La Croix du Maine , pag. 3o.
(16) De l'Etat et Succès îles affaires de
France.
(17) Voye 1 ci-dessous , In citation (58).
(18) Du Haillan, épître dédicaloire de /'Etat
et succès des affaires de Fiance, à Henri III, à
l'édition de i58o.
(19) L'a même.
(20) Martinus Zeillrrus, de Hist. cliron., etc.,
part. II, pag. 71.
(21) Aubiguaeus prceÇalione in hitlvriantm
suai um partent prioiam , Idem , ibid.
(g) Savoir que Du Haillan fui au service du
duc d'Anjou.
(10) Du Haillan, e'pltre dédicaloire de /'His-
toire de France.
(11) Du Haillan, e'pitre de'dicaloire de l'État
et Succès des affaires de France, à Henri III, à
l'édition de i58o.
(12) C est-a-dire , le passage oit il se plaint
d'être le seul que Henri III n'ait pas avancé.
d 3) Du Verdier, Bibliothèque frjuçaise, pag,
116.
(i4) Là même.
464 HA1LLAN.
lentement par des gratifications utiles
et honorables qu'il fit h l'auteur ] La
Popelinière , sans parler du titre
d'historiographe de France, conféré
à du Haillan par Charles IX, touche
seulement les récompenses de Hen-
ri III. On peut excuser cette omis-
sion , vu la différence qui se trouve
entre un simple titre, et une charge
érigée en titre d'office avec une attri-
bution de gages. Or , ce fut d'une
telle charge que du Haillan fut ho-
noré par Henri III. Quoi qu'il en
soit, voici les paroles de la Pope-
linière (aa) : Henri III , prertéer
des princes , vieux , et nouveaux , ne
gratifia seulement le sieur du Hail-
lan Bourdelois , l'un des secrétaires
de ses finances, de divers moyens
qu'il luy donna pour le recognoistre
de la peine prise au premier corps de
son Histoire Françoise. Ains aussi
l'honora depuis du premier estât d'his-
toriographe de France , qu'il fit
ériger en tiltre d'office formé ; avec
appoinctement an'esté de douze cens
escus par an , et de conseiller en so?i
privé conseil et d'estat , aux persua-
sions de monsieur le chancelier Chi-
verny , pour y estre mieux instruict
en la cognoissance et narré des plus
importans affaires du royaume. Ain-
si Henry III esleva le premier la
qualité pure , simple , et franche de
l'historien , au grade et tiltre honora-
ble d'historiographe de France en la
personne de Bernard de Girard ,
sieur du Haillan , après qu'il luy eust
offert et dédié son Histoire de France
par luy recueillie des precedens au-
theurs, comme le premier corps d'his-
toire habillé a la francoise. Nous
lisons dans le Mercure Français (a3),
qu'Henri III , pour recognoistre du
Haillan de la peine qu'il avoit prise
au premier livre de son Histoire Fran-
çoise, le gratifia d'un estât de secré-
taire de ses finances. Je ne sais point
ce que c'est que ce premier livre de
l'Histoire Française qui fut récom-
pensé de la sorte ; car du Haillan
publia tout à la fois l'Histoire de
France ; et il ne dit point dans son
épître dédicatoire qu'il eût déjà ob-
tenu quelque gratification. Il se con-
(32I La Popelinière, ZiV. / de /'Histoire nou-
velle Jes Fiançais , pag. Z^S.
(ïi) Mercure Français, lom. II, pat;, "i. Ci.
tente de dire 04) que Charles IX lui
avait donné l'état d'historiographe
avec de belles promesses ; et que
Henri III , alors duc d'Anjou , lui
avait aussi promis quelques bienfaits.
Je m'imagine que le compilateur du
Mercure craignit le blâme d'avoir
volé mot à mot les paroles de la Po-
pelinière , et qu'ayant voulu s'en ga-
rantir , il les rapporta avec quel-
ques changemens ; mais il n'y fut
pas heureux. Il changea en premier
livre de son Histoire Françoise le pre-
mier corps de son Histoire Francoise.
Ces deux phrases sont très-différen-
tes : la dernière signifie que du Hail-
lan est le premier qui ait publié un
corps d'histoire française : l'autre
signifie que le premier livre de l'Hi-
stoire Française composée par du
Haillan, fut imprimé seul avant tous
les autres. L'auteur du Mercure sup-
pose d'ailleurs que ce premier livre
fit obtenir à du Haillan l'état de se-
crétaire des finances de Henri III ;
mais la Popelinière , l'original du
Mercure , ne dit point cela : il sup-
Sose que du Haillan était secrétaire
es finances avant que de publier
l'Histoire de France. Avouons néan-
moins que son narré est un peu con-
fus : il y a fourré un depuis qui est
une brouillerie ; c'est un terme qui
s'accorde mal avec les paroles qui le
suivent. Le Mercure ajoute, 1°. qu'a-
près la récompense du premier livre ,
cet historien en obtint une meilleure
lorsqu'il eut dédié son Histoire de
France à Henri III 5 car il fut honoré
de l'estat de conseiller et historio-
graphe de France ; a0. qu'tZ a fait
depuis V Estât et Succez des affaires
de France ; cela est faux : ce livre fut
imprimé avant la mort de Char-
les IX (a5) j 3°. qu'iZ fut pourvu de
l'estat des généalogistes des cheva-
liers de l'ordre du Saint-Esprit a la
création de cest ordre. On aurait pu
dire qu'il eut en commande une ab-
baye que le fameux Abélard avait
possédée (26). Notez que dans la pre-
mière édition de son histoire , il ne se
(24) Voyez ses paroles , ci-dessus , citation
(8).
(î5i Voyez ci-dessus, citation fi8), les paro-
les de V épître dédicatoire de Du Haillan.
(2G) Celle de Rujs en Bretagne. Forez Fran-
çois d'Amboise , dans la préface apologétique
des OEuvres cVAbélard.
HAILLAN.
ilonnc que le litre d'historiographe
Je France ; mais il est qualifié dans
les dernières , conseiller du roi, se-
cr> luire, de ses finances et île su
chambre , et historiographe de Fran-
ce. Notez aussi qu'en 1 584 '1 n'était
pas encore récompense'. On verra sa
plainte ci-dessous (2,).
(E) Les raisons qui le portèrent a
terminer ses ouvrages a Charles
V^ll , marquent qu'il entenrlait les
devoirs d'un historien. ] J'entends
principalement la réflexion qu'il a
Faite , qu'on s'expose à une fâcheuse
alternative quand on travaille à l'his-
toire des monarques qui sont morts
depuis peu de temps *. Il faut , ou
dissimuler la vérité , ou irriter des
personnes de qui l'on a tout à crain-
dre. Le premier de ces ineonvéniens
choque l'honneur et la conscience
de l'historien ; l'autre choque sa
prudence : il vaut donc mieux ne
rien dire. Voilà l'une des raisons de
du Haillan par rapport aux règnes
qui ont suivi Louis XII (28). Il ajoute
(29) une raison générale qui est de
grand poids ; c'est que l'on avait dé-
jà des histoires particulières de tous
les règnes postérieurs à Charles Vil :
et que , selon l'opinion commune , il
était presque impossible d'égaler les
écrivains qui avaient fait quelques-
uns de ces ouvrages. Cette considé-
ration doit toucher un honnête hom-
me et un historien célèbre : il doit
épargner aux lecteurs le déplaisir
d'acheter deux fois une même chose :
le respect qu'il doit au public exige
cela : la justice ne permet pas qu'il
copie les histoires que d'autres ont
faites; c'est voler le bien d'autrui.
Sa propre réputation et sa prudence
l'engagent à chercher un chemin de
gloire plus malaisé et plus sur. Co-
pier ou transformer ce que d'autres
ont écrit est un travail trop facile
pour être glorieux , et qui même
vous expose à l'infamie des plagiaires.
Vous passerez pour vain , si vous
prétendez égaler la gloire de ceux
(27) Dans lu remarque (L), citation (61).
Le père Lelong trouve la remarque bonne ,
mais déplacée, puisque de l'aveu de B.iyle , du
Haillan avait formé la résolution de continuel
son travail.
(28) Voyez la préface île son Histoire de
France.
465
(ag) Là même
TOBir VII
qu'on estime incomparables , et vou
risquez de passer toujours pour infé-
rieur quand même tous les attein-
driez, ou que vous les surmonteriez.
Un homme sage doit-il se commettre
avec les préventions du public? Plut
à Dieu que de tels objets lissent au-
tant d'impression sur tout le monde
qu'ils en firent sur du Haillan (3o) !
les bibliothèques ne seraient pas si
chargées de tant de livres qui con-
tiennent les mêmes choses. Donnons
ici la description qu'il H faite îles in-
eonvéniens à quoi les auteurs del'bis-
toira de leur siècle s'engagent. « Pour
» ce que toutes ces histoires qui par-
» lent dudit roy François Ier. onl
„ été faites de son temps ou de celuj
„ du roy Henry, son fils, ceux qiii
„ les ontescritessesonl plus «s tendus
„ en la louange dudit roy, qu'il ne
» convenoit possible à son mérite
„ (combien qu'il fust un grand cl
» excellent roy), ny au devoir de
„ l'histoire, ny à la vérité. Ce qui e 1
„ un vice de tous ceux quiescrivent
„ l'histoire de leur temps et des
» princes souhs lesquels ils vivent.
„ Car qui scroit celuy qui oseroit
» toucher aux vices de son prince,
„ ny à blasmer ses actions ny celles
„ de ses ministres, ny à racomptev
» les menées, tromperies et desloyau-
a tez qui se sont commises durant
» son régne, ny à dire que son prin-
» ce lit. une telle injustice, commit
» une telle paillardise, ny que ces
» tuy-ci fuit en une bataille, que ces
» tuy-là fit une telle trahison, que
,, tel commit un larcin, tel une per-
» ûdie,ettel un autre semblable mes
» chant acte? Il ne se trouvera aucun
» si hardi qui face cela. Voilà pourquoi
» ceux qui escriyent l'histoire de leur
» temps sont agités de diverses pa«
» sions , et sont contraints ou de
» mentir apcrtemenl s'ils louent en
« tout et. par tout leurs princes, ou
» s'ils favorisent leur nation, ou si
» en tout ils blasment leurs enne-
« mis; ou de dissimuler ou de pallier
» la vérité, ou de bigarrer les cho
» ses, ou de farder et dorer de bel
» les parolles leurs escrits el les ac
» tions de leurs dits prince: , ou
» (s'ils veullent dire la vérité) sont
(3o) Pour le moins quelques années Voyez la
remarque suivante
3o
466
HAILLAN.
» contraints de celler leur nom, et l'histoire, que de lire les auteurs qui
» faire imprimer leurs œuvres sans la composèrent au XVe. ou au XVIe.
» le mettre. Ceux qui escrivent l'his- siècle. Ainsi, quand même un histo-
» toire de leurs devanciers ne peu
» vent (s'ils ne veulent) tomber en
» ce vice, ains peuvent hardiment
» courir en la campaigne de la ve'rite'
» et de la hardiesse et liberté de leur
» langage (3i) ». Bien des gens se
rien n'aurait à dire que ce qui a été
imprime', il serait louable île publier
une histoire, pourvu que le tour et
le style attirassent les lecteurs, et
c[ue Ton trouvât le public absolu-
ment dégoûte des autres histoires.
souviendront ici de la pensée de l'em- D'où paraît que s'il y a tant de livres
pereur Pescennius Niger: Louez Ma* qui contiennent les mêmes choses, ce
rius , ou Annibal, ou quelque autre n'est pas toujours par la faute des
grand capitaine qui ne t'ii'e plus,
dit-il à un orateur qui se présentait
pour lui réciter un panégyrique ,
car c'est se moquer que de louer les
vivans , et surtout s'ils sont empe-
reurs : on attend d'eux des récom-
penses ; on les craint ; ils peuvent
tuer, ils peuvent bannir. Quum im-
peratori facto quidam panegyricum
recitare vellet, dixit ei, Scribe lau-
des 3/arii vel ylnnibalis , \>el alicu-
jus ducis optimi vitâ. juncli; et die
quidille fecerit , ut eum nos imilemur.
JVam viventes laudane irrisio est ,
maxime imperatores , a quibus spe-
ratur, qui timentur, qui prœslare pu-
bliée possunt , qui possunt necare ,
qui proscribere •' se autem vivum pla-
cere velle , mortuum etiam laudari
(32).
Disons en passant qu'il ne faut pas
faire une règle générale de la seconde
raison de du Haillau (33) : car il y a
bien des cas où il est très-juste de
faire l'histoire des mêmes règnes qui
ont déjà servi de sujet aux histo-
riens. Cela est très-juste , i°. lors-
qu'on a quantité da nouvelles choses
auteurs ; c'est assez souvent par la
faute des lecteurs, qui ne veulent
pas prendre la peine de chercher
séparément les faits historiques, ni de
feuilleter ce qui est écrit en vieux
gaulois. C'est donc pour leur com-
modité et pour leur utilité , que
l'on publie des histoires qui n'ap-
prennent rien de nouveau , et qui ne
font qu'ajuster ensemble, et en meil-
leur style, diverses pièces des autres
auteurs. Si vous avez découvert quel-
que nouveau fait, vous dira-t-on, ne
publiez que cela 5 pourquoi en pre-
nez-vous occasion de faire un gros
livre où vous fourrez tant de vieilles
choses ? Cette censure est légitime en
bien des rencontres , mais non pas
lorsque les nouvelles découvertes se
peuvent répaudre sur une très-lon-
gue suite d'événemens. Elles doivent
être incorporées alors avec les vieil-
les relations ; l'intérêt et la commo-
dité des lecteurs demande cela. Nous
verrons bientôt que sur ce principe
notre du Haillan changea de réso-
lution.
Ce qu'on vient de dire quant aux
à dire , ou quand on peut éclaircir et livres historiques , se peut appliquer
rectifier "en plusieurs endroits les his-
toires précédentes 5 i°. lorsqu'il s'a-
git de réunir en un corps tous les
faits qui appartiennent à une histoi-
re, et dont les uns se rencontrent
dans quelques livres, et les autres
à d'autres ouvrages. On en fait trop
il faut l'avouer, qui ne contiennent
que ce qui se trouve dans cent autres ■
mais ce serait d'ailleurs une con-
duite préjudiciable à la république
des lettres , que de n'oser mettre
dans quelques autres ; 3°. lorsque le dans aucun ouvrage ce que d'autres
goût des lecteurs demande un non- livres ont déjà rendu public (34).
veau langage et un nouveau tour. An- Un théologien de Leyde prétend
jourd'hui , par exemple, la plupart qu'il est très-utile de publier divers
des gens aimeraient mieux ignorer
(3i) Du Haillan, préface de /'Histoire Je
France , folio a i verso , édit. de i5']'].
(32) Alius Spartian. , in Pescennio Nigro,
cap. XI , pag. m. 672 , totn. !•
(33) Elle est la seconde, non pas dans son
livre , mais selon le pre'cis que j'ai donné ci-des-
sus de son narre.
ouvrages sur les mêmes matières
quand elles sont importantes ; il as-
sure même que c'est un très-bon
moyen de diminuer la multitude des
livres, qui accable et qui fait gémir
(34) f^oyez la préface de la première édition
des Pensées diverses sur les Comètes.
II AI LL AN. 467
tant de gens. La raison do ce para- faicte et finie a la mort de Charles sep-
doxe est qu'un nombre considérable tieme , sera bien tost suivie de celles
d'ouvrages sur certaines matières oc- des autres rois suivans , jusques a
cuperait le public, et alors une infi- vostre majesté; puis viendra la vostre,
nite' d'autres livres seraient, négligés, si vous voulez qu'elle soit veue. Voilà
feraient un saut de la boutique da ce que du Haillan disait au roi Hen-
libraire à celle de l'épicier. Voyons ri IV , dans une e'pître dedicatoire
les paroles de cet auteur; nous y trou- qui est date'c du mois d'octobre i5g{.
verons une excellente pensée de saint 11 y avait dix ans qu'il avait appris
Augustin. Id ( scribendi cacoètbes ) aux lecteurs son ebangement de re'so-
nuuc his temporibus iu immensum est lution ; car lorsqu'il de'dia à Henri III,
auctum, ut omnem medclam saperas- en iSS*} , la seconde édition de son
se videatur , nec alio modo possit Histoire de France , corrigée et aug -
coërceri, quant si plures divulges li- mentée, il lui parla de cette façon :
bros. Quant ralionem agendi forte « Bien qu'en mon épître liminaire et
paradoxam aliquis dixevit , optimum » dedicatoire à vostre majesté, et en
tamen nemo jure negaverit. De mal- » la préface de la première édition
titudine librorum ulilium immenso » j'eusse dict que je ne voulois passer
numéro non est quod jure conquera- » outre, ni escrire l'histoire du roy
mur, qui non facile nimis augentur. » Louys unziesme, pour ce que Plu-
Quamvis enim de rébus iisdem scri- ,> lippe de Comines , sieur d'Argen-
bunt plures , modo illce sint cognitu » ton, l'avoit escritc : si estee qu'ayant
dignœ , nullum id nocumentum veri- » depuis changé d'advis, je l'ay com-
tati videlur inferre , quœ sic ad plu- » mencée en espérance de l'achever
res sibiviam pandit, cùm lectorum alii >, cest hyver prochain , si je cognois
hispolihs quant Mis scriploribus de- » que ce mien labeur vous soitagréa-
leclenlur , quamvis de eodem argu- ,, ble. » Il est bon de voir la cause
mento commentatis. Quod rectè ob- de son changement; car , outre qu'on
servavil Augustinus, lib. I de Tri ni- y verrra ce qu'il jugeait de Philippe
taie, cap. 3. Neque enim omnia fjuae de Comines , on y trouvera qu'il a
ab omnibus conscribimtur in omnium été dans l'un des cas où il est permis
manus veniunt. Et fieri potest , ut de travailler à une histoire après que
nonnulli , qui ctiam haec nostra in- d'autres l'ont publiée. Ce qui m'a, dit-
telligere valent, illos planiores non i\ (3j),faict changer de délibération,
inveniant libros , et in istos salten» ci mettre la main audict roy Lors , a
incidant. Ideôque utile est , plures esté que ledict sieur d'sirgenton n'a
à pluribus iieri diverso stylo, non commencé son histoire, appellée M é-
diversà" fide , etiam de qu.cstionibus moires , qu'au cinquiesme an du régne
cisdem , ut ad plurimos res ipsa per- d'iceluy , et que toutes les causes des
veniat , ad illos sic , ad alios autem guerres , et des grands affaires que ce
sic. Qud ratione inutiles libri sensim roy eut, sont comprises depuis le
eliminantur, ut alii postai non sint commencement de son dict régne ,jus-
usui, quant ut piperi et lliuri invol- ques il l'endroict la où ledict seigneur
vendo inseiviant (35). d! Argentan a commencé d 'escrire : et
(F) Il promit a Henri IV^ de con- qu'au reste de sa dicte histoire , il a
tinuer celtehistoirejusqu "a sonlemps.] celé plu sieurs choses que j'ai descou-
Je le prouve par ces paroles (36): J'af vertes et tirées de plusieurs livres,
faict aussi un OEuvre de ta Monar- mémoires et depesches faites de ce
chie de France , qui se présentera temps-la , et de plusieurs discours se-
bien tost a vostre majesté, avec Ici crets escrits ou durant son régne, ou
description de tous les secrets et aj- peu après sa mort, exempts de la
faires de l'establissentenl , grandeur crainte, delà haine , de la flatterie ,
et force de vostre estai, et des roys vos et de la louange et passions ausqucl-
prédécesseurs. Lear histoire , quej'ay les souvent tombent ceux qui escrivent
de leurs temps , et aux deux dernières
(35) Cliristopliorus Wiitlcbjns , in prcefai. desquelles lediclde Commines se laisse
Consensus ««ritatis secunda edtU prœjixé '
('66) Du Haillan , epîire dedicatoire de i'Elal
et Succès des affaires de France , à l'edUioti de Ci-]) Là même, retire dedicatoire de son
i5g4. Histoire de France, al'e'dilion de i584-
4<i8
HAILLAN.
transporter, pousse ou d'une grande
affection envers son maistre , ou des
biens nu il avoit receus de luy , ou de
ta crainte de son successeur. Aussi
n'a il dicl ce que les autres pourroient
dire , et que d'autres histoires ont dict
des actions , des vices et des cautelles
(38) dudict roy , et le louant plus
qu'il ne devoit,fait en plusieurs en-
droits l'orateur et le panegyricq , non
l'historien , et en ses longues digres-
sions sur les affaires des potentats es-
trangers , passe les bornes de l'his-
toire et d'un historien. Au reste , toutes
les promesses que du Haillan fit de
continuer l'Histoire de France * , fu-
rent nulles. On ne trouva rien là-
dessus , après sa mort , parmi ses pa-
piers (3cy) : les libraires qui joignirent
à son ouvrage une Continuation jus-
qu'en Tannée i6i5 (4»), et puis jus-
qu'en l'année 1627 , la prirent de
Paul Emile , de Philippe de Commi-
ncs , d'Arnoul Ferron , du sieur du
Bellay , etc.
(G) // eut le courage de réfuter
plusieurs traditions, et de parler
librement sur la pucelle d'Or-
léans.] Qu'on ne s'étonne pas de la
longueur du passage que je vais citer;
elle est instructive , elle montre le
vrai caractère d'un historien , et le
scandale ridicule que les esprits mal
tournés prennent de la hardiesse qu'il
a de préférer la ve'rite' à toutes choses.
Ce mauvais tour d'esprit règne par-
tout , et dans tous les siècles. Il est
utile de marquer comment les auteurs
illustres l'ont méprise et combattu.
Voici les paroles de du Haillan (40-
« Je n'ay voulu faire le flatteur ny le
» courtisan , ains l'historien , et dire
(38) Il avait ajouté dans l'édition de i5^6 ,
et tics cruautés.
* La Bibliothèque historique de la France
mentionne une Viede Louis XI, par du Hail-
lan , manuscrit qui , de la bibliothèque de Sé-
guier, est passé dans celle de Saint-Germain-
des-Hrés.
(3g) Voyez l'avis îles libraires aux lecteurs ,
dans les éditions qui furent faites de son Histoi-
re de France . après sa mort. Je me sers de celle
de Par. s , 1627, en deux volumes in-folio.
(/,o) Du Chesne, Ribliolliéque des Historiens
de France, pag. 55 de l'édition de 1G18 , ne
parle que de cette édition , qui est en tleux vo-
lumes in-folio. Appliquez a cela la critique
qu'on a vue contre lui , en pareil cas , dans l'ar-
ticle Kmile, remarque (C) , citation (1 5) , loin.
VI ,pag. l/,3.
([{t) Du Haillan, épitre dédicatoire de son
Histoire de France , à l'édition de i5rM.
la ve'rite , et n'ay l'ait ce qu< I,
paintres flatteurs qui paignan;,
le visage d'un homme ou d'une
femme, si d'adventure il s'y trouve
quelque imperfection ou quelque
chose de laid, la laissent du tout,
ou la paignent flattcusemcnt. Mais
j'ay voulu paindre les traicts les plus
difformes aussi bien que les plus
beaux , et parler hardiment et li-
brement de tout avec hardiesse non
accoustume'e, et qui sera louable et
louée de tous bons lecteurs, comme
par cy devant j'ay fait en mon œu-
vre de l'Estat et Succcz des affaires
de France, auquel j'ay librement
dit plusieurs choses que devant moy
aucun n'avoit voulu ny osé dire ,
et que possible on n'avoit scènes.
Car tant au dit œuvre de l'Estat
qu'en cestuy-cy , j'ay impugné plu-
sieurs choses qui sont de la com-
mune opinion des hommes , comme
la venue de Pharamond en Gaule,
l'institution de la loy salique qu'on
luy attribue, la création des pairs
de France attribuée à Charlemai-
gne , et autres points particuliers ,
ayant esté si hardi et si véritable
néantmoins de dire que jamais Pha-
ramond ne passa le Pihin pour en-
trer en Gaule, et qu'il ne fit ja-
mais la loy salique pour exclure
les filles de la succession de ceste
couronne , vett qu'il ne passa ja-
mais en nostre France. Sur quoy
quelques-uns , qui se meslent de
parler de tout et ne sçavent rien ,
et qui pensent de leurs opinions
mal fondées renverser celles qui
sont assises sur le jugement de la
raison , ont voulu dire que je vou-
lois exterminer les principes de
nostre histoire quand je ne veux
attribuer l'institution de ladite loy
à Pharamond. Mais (sire) ce n'est
cela , ains je veux purger une an-
cienne erreur , me semblant que la
loy salique est assez ancienne et ap-
prouvée puis qu'elle a esté practi-
quée comme loy dès l'institution
de nos premiers rois (comme vous
pourrez plus amplement voir au
commencement du premier livre
de ceste histoire en la vie de Pha-
ramond ) ; et ne peut sur cela
mon opinion donner aucun advan-
tage aux estrangers ny scandaliser
les nostres , sinon ceux qui se seau-
H AILLA N. 469
(Misent de tout hormis de ce qu'ils clc de ceste fille , soit que ce fust un
pensent et font. Quelques-uns en miracle composé, aoosté ou véritable,
ce point , en celui des pairs de esleva les cœurs des seigneurs , du
France , et en d'autres, ont trouve peuple et du roy , qui les avaient
mauvaise ma liberté de langage, perdus : (elle est la force de la re li-
aisons que je fais contre le devoir gion , et bien souvent de la supersli-
d'un historien de vouloir oster lion. Car les uns disent que ceste
à la France et aux François l'an- Jeanne esloit la garse de Jean Bas-
cienne opinion qu'elle a eue de la tard d' Orléans , les autres du sieur de
venue de Pharamond en Gaule , Baudricourt , les autres de Pothon ■
de ladite loy salique faite par luy , lesquels estant fins et advisez , et
et de 1 institution des pairs de voyant le roy si estonné qu'il ne sca-
» France; et que c'est uu crime d'à- voit plus que faire ny que dire, elle
> broger les choses desquelles l'opi- peuple pour les continuelles guéries
nion est invétérée et escrite par des tant abbatlu , qu'il ne pauvoil relever
ignorans qui n'avoient feuilleté les son cœurny son espérance, s'advisè-
bons livres, et crue par d'au 1res rent de se servir d'un miracle com-
ignorans qui n'ont ny le sçavoir ny posé d'une fausse religion , qui est la
l'entendement de lire ny d'enten- chose du monde qui plus es/eve et
dre les bons et anciens aul heurs , anime les cœurs, et qui plus fait
ams s'amusent à de vieils fatras croire aux hommes , mesmement aux
aussi malpolis que leurs esprits, simples , ce qui n'est pas. lit le peu-
Les bons historiens (sire) ne «loi- pie estoit fort propre à recevoir telles
vent en leurs escrits ny en leurs superstitions. Ceux qui croyait que
parolles suivre les opinions du c'estoit une pucelle envoyée de Dieu
vulgayj^ mais seulement les vc'ri- ne sont pas damnez , ne sont pas ceux
tablc^^Rpelles qui sont approu- qui ne le croyent point. Plusieurs es
\ees par véritables autheurs , ou liment, cest article dernier estre une
par bonnes conjectures et preuves, hérésie, mais nous ne voulons pas
lesquelles en multitude bien discou- tresbucher en elle , ny trop en l'autre
rues servent de tesmoignage vt:ri- créance. Adonc ces seigneurs , par
table cl asseure' , quand par la ma- l'espace de quelques jours , l'instrui-
liee du temps la preuve de la vérité' sirent de tout ce qu'elle devoil respon-
nous défaut par escrits. Je n'ayvou- dre aux demandes qui par le roy et
lu doneques suivre (sire) en ces eux luy seraient faictes en la pré-
choses là ny en plusieurs autres , sence au roy ( car ils dévoient eux
l'opinion commune, ains seulement mesmes faire les interrogatoires) et
la vraye. En quoy je pense avoir afin qu'elle peustrecognaislre le roy,
fait un grand bien à l'histoire de lors qu'elle serait menée vers luy ( le-
de France , la desbrouillant de plu- quel elle n'avoit jamais veu) ils luy
sieurs meuteries et fables qui la faisaient tous les jours voir, par plu-
rendent mal plaisante et quelque- sieurs j'ois , son porlraict. Le jour de-
fois discordante, oslant les lecteurs signé auquel elle devait venir vers luy
du double de beaucoup de points en sa chambre, et eux ayans dressé
desquels ils ne tronvoient en elle la ceste partie, ils ne faillirent de s'y
vraye intelligence. En quoy je m'as- trouver. Estant entrée , les premiers
seure estre agréable aux hommes de qui luy demandèrent ce qu'elle vou-
bon jugement ; car c'est à eux à qui loit , furent le Baslard d'Orléans et
je veux plaire, non à ceux à qui Baudricourt, lesquels luy deman-
mes opinions et mes escrits desplai- dans ce qu'elle demandait , elle rei-
ront. » Si vous dc'sirez savoir ce
qu'il a dit de la pucelle d'Orle'ans , la France, il fut nécessaire, sons Charles VIT,
lisez cet autre passage (\i) : Le mira- d'av?ir recours ? 1"e'l'"; coup d'état pour Us
1 ° v" ' en chasser : ce fui donc a celui de Jeanne lu
pucelle , lequel est avoue' pour tel par Juste
(42) Du Haillan, au IIe livre de l'Elal et Lipse , en ses Politiques, et par quelques au-
.Succès <les affaires île France, pag. i38c( unV. très historiens étrangers , mais particulièrement
de l'édition de Paris , iGic). NoTti i|uc Gabriel par deux des nôtres , savoir du Bellay Langey,
Naudé est «lu même sentiment. Les 4nnlais, en son Arl militaire, et par du Haillan , en
dit-il dans le IIIe. chapitre des Coups d'étal, son Histoire , pour ne nier ici beaucoup d'au-
jiag, m. 32S , c'umt presque devenu* maîtres de très écrivains d<- moindre considération
47°
IIAILLAN.
pondit quelle vouloit parler au roy. toire de France ne peut plaire a tous,
Ils luy présentèrent un des autres comme je sçai bien qu'elle ne pourra
seigneurs qui estoient-la , luy disant plaire aux délicats , aux ignorans ,
que c estoit le roy; mais elle in- aux envieux (ausquels aussi je ne
struite de tout ce qui luy seroit faict veux plaire ) qui donneront leur sot ,
et dict , et de ce qu'elle devoil faire et leur ignorant , et leur envieux juge-
dire , dit que ce n'estoit pas le roy , ment sur elle , je m'asseure qu'elle
et qu'il estoit caché en la ruelle du plaira a ceux la d'entre vous qui tra-
lict ( la où de vray il estoit ) , et al- vaillez, qui scavez ce que vaut l'aune
tant l'y trouver, luy dit ce qui a esté du labeur, qui avez le jugement pur-
dict cy-dessus. Ceste invention de re- gé de toute passion, et qui excusez
ligion fainle et simulée profita tant honnestement les fautes et inadver-
a ce royaume , qu'elle releva les cou- lances qui se pourraient trouver en
rages perdus et abbatlus du desespoir, un si grand œuvre. La dernière par-
linjin elle fut prinse parles ylnglois tie de ce passage est considérable, et
devant Compiegne , et menée a Rouen, très-vraie à certains e'gards : il n'y a
là ou sonprocez luy estant faict , elle point de lecteurs qui soient plus ar-
fut bruslée. Quelques-uns ont trouvé dens à critiquer , ni plus téméraires
et trouveront mauvais que je die cela, et injustes dans leurs censures , que
et que j'oste a nos François une ceux qui n'écrivent rien. Un auteur
opinion qu'ils ont si longuement eue a plus de sujet de se promettre quel-
d'une chose saincte et d'un miracle , que support, et quelque équité par-
pour la vouloir maintenant convertir
en fable. Mais je l'ay voulu dire ,
pour ce qu'il a esté ainsi descouverl
par le temps oui descouvre toutes
choses; et puis ce n'est chose si impor-
tante , qu'on la doive croire comme
article de foy.
(H) Il publia certaines choses qu'il
ne savait que par ouï-dire.] C'est sur
un tel fondement qu'il publia que
Charles VIII avait été supposé. Voyez
les Nouvelles de la République des
Lettres (43). Varillas réfute ce con-
te (44)
mi les auteurs , que parmi les autres
gens qui ne savent pas par expérience
les difficultés du métier. Bien enten-
du que la jalousie ne s'enjaèle pas ;
et quelquefois elle ne s'et^^ftc point,
car on ne marche pas VBurs sur
la même route ; la réputation des
uns n'est pas toujours de la même es-
pèce que celle des autres. En ce cas-
là , il vaut mieux être jugé par un
auteur laborieux, que par des lec-
teurs fainéans. Dans l'autre cas, ceux-
ci sont encore plus équitables. Mais
revenons à du Haillan. Il parle ainsi
(I) // témoigna du chagrin de se vers la fin de sa préface. « Cependant
» je regarderay mes envieux et ca-
» lomniateurs qui portent envie et
)> haine à mon labeur , et qui contre
» luy et contre moy jecteront les
» dards de leur malice. Pouvant bien
» dire véritablement , lecteurs , qu'en
» ma fortune , en mes actions , et
m mes escrits , je n'ay esté envié ny
» hay que des ignorans, des mes-
» cbans , et de ceux qui ont leur
» nom, la santé de leur corps , et
» leur réputation souillée de quel-
» que vice. «Les tempêtes de critique
qu'il avait prévues arrivèrent effecti-
vement (45)- Voici ce qu'il marque
dons l'épître dédicatoire (46) de la
seconde édition (4^). Cest œuvre
(45) Partout ou, parlant de srs censeurs, il
s'était servi du futur dans la préface de la pre-
mière édition , il .se sert du prétérit dans la se-
conde.
(46) A Henri III.
(47) Celle de l'an 1 5R'(.
voir critiqué , par la fierté avec la
quelle il repoussa ses censeurs .] Com-
me les ouvrages qu'il avait donnés au
public avant l'Histoire de France
avaient été critiqués , il ne douta
point que cette Histoire n'eut le même
sort : c'est pourquoi il fit le lier par
avance ; il mit au revers du titre un
sonnet qui sent un peu le Gascon ; en
voici les six derniers vers :
Mille et mille ignorans , superbes envieux ,
Mesdisans, estourdis, vains et présomptueux,
Te voudront attaquer une indigne querelle.
Mais ne crains tout cela, nuis passe hardi-
ment,
Car leur presumption , ny leur sol jugement,
Ne pourront empêcher ta carrière immortelle.
Dès le commencement de sa préface
il fait cette observation : Si cette His-
(43) Mois de juillet iGSU, article IX , pas.
825.
(44) Varillas, Histoire de Louis XI, liv. V,
pag, 328, édition de Hollande.
HAILLAN. 47 1
ne fui si tost né , qu il fut abbaye et bon goût, ni autant de jugement
mordu par l'envie et par la mesdi- qu'un autre , généralement parlant ;
sance de toutes sortes et conditions de mais, puisqu'il a étudie de certains
gens, les uns ouvertement mes enne- sujets, et qu'il s'y est exercé avec
mis, et les autres dissimulés amis ; une longue application, l'on doit
mesmes il y en eut qui faisans bonne croire qu'il juge mieux de leur na-
mine , comme en toutes leurs actions tare et îles onicmcns qui leur con-
ils la faisoient , et qui cherchons par viennent , que ceux qui n'en ont pas
voyes obliques et indirectes vostre fa- fait une étude particulière. C'est
veur de laquelle ils s'estoient ajfir- pourquoi nous ne devons pas nous
mez, la voulurent acheter par l'un- imaginer que certains auteurs agis-
poslure et par la calomnie, aux des- sent imprudemment, lorsqu'en di-
pens de ma réputation , et de celle de verses rencontres ils préférèrent leurs
mon histoire , en lui donnant en vos- lumières à celles de leurs amis , ou à
tre présence (Sire) le blasme de ce celles de leurs ennemis, gens au reste
dont depuis elle a esté le plus esti- plus habiles qu'eux. In écrivain ,
niée, et qui luy donnera jilus de moins éclairé généralement parlant
grâce et de faveur envers la postérité, que ceux qui ie lisent, aura néan-
qui est la pure vérité, et la hardiesse moins plus de vues qu'eux sur les su-
au langage. Il témoigne encore plus jets dont il traite; et pendant qu'ils
de colère et plus de fierté , en finis- ignoreront, s'il a eu quelque raison
sant sa préface. Ceux-là, dit-il, usans de dire telles et telles choses , il sau-
de leur malice accoutumée , ont esté ra que plusieurs motifs raisonnables
du nombre de ceux qui se sont atta- et fondés sur le caractère de son ou-
quez a moi ; mais je me suis proposé vrage l'y auront porté. De là naissent
de regarder si attentivement leur une infinité de censures très -mal
ignorance que je n'en fais que rire, fondées 5 de la vient encore qu'il se-
et me couvrirai du voile de la vérité, et rait juste d'étudier bien les règles
de la bienreud/ance de ceux-là d'en- avant que de prononcer si un ouvra-
tre vous , lecteurs, qui avez leu et qui ge est bon ou mauvais. Par exemple,
lirez mon œuvre avec jugement, et pour bien juger de l'histoire com-
quil' avez pris et le prendrez en bonne mentée que je nomme Dictionnaire
part; car c'est pour vous pour qui historique et critique, il faudrait avoir
il est faict , non pour les envieux, étudié les droits et les privilèges d'un
ignorons et malicieux qui ne peuvent historien commentateur ; et là-dessus
rien voir de bon , et qui ne sçavent ni je pourrais dire comme du liai 11. m ,
juger, 7ii estimer ce qui est digne de Je sais mieux ce que j'écris qu'un tel
quelque louange. Parmi les choses ne sait juger de mes écrits. J'ai étu-
qn il a dites à ses censeurs , j'en ai die la nature et les attributs des com-
trouvé une qui rtiérite d'être pesée, pilations ; si elles plaisaient partout
« Si quelquefois je nomme des hom- aux mêmes gens, elles ne seraient
» mes, le nom desquels le lecteur pas bonnes 5 ceux qui n'en connais-
» trop chatouilleux dira n'estre pas sent pas le caractère n'y voudraient
3) une aflàire d'estat , je luy respon- trouver que ce qui est de leur goût.
)> drayqu'ilm'asembléainsi,quej'ay Encore deux passages de du Hail-
» aussi bien mon jugement que lui lan , qui nous apprendront qu'il fut
» le sien, et que ( tel pourra il estre) critiqué, et qu'il s'en fâcha. Mes
» je sçay mieux ce que j'eseris qu'il œuvres , sire , n'ont peu éviter les
j) ne sçait juger de mes escrits (48). » abois et les morsures de la calumnie,
Voilà ce que bien d'autres auteurs et de l'envie , et des mesdisans et ca-
peuvent et doivent représenter à lumniateurs , des aiguillons desquels
leurs critiques. Un homme qui s'est non-seulement mes ccrits ont esté pi-
occupé plusieurs années à une espèce quez , mais aussi le cours de ma jor-
d'ouvrage connaît mieux qu'un au- tune en a esté blessé , ulcéré et anvs-
tre quelles en sont les propriétés. Il té : semble que quelques l'ayons de
n'aura pas , si vous voulez, autant de vertu et et capacité , que mes enne-
r/o\ n ti 11 </• j ira- . • j "*** cognoissoient en moy , faisoient
(48) Du Haillan , préface de {Histoire de , " , ■ T * J
France, PaS. m. 18. Je me sers ici de ledit, de mal aux yeux de leur ignorance et
i577,i/!-80. malice, et que ma lumière leur es-
JIAILLAN.
toit insupportable. Maine, sire, en.
vostre présence )' ay este calumnié et
si mal aecoustré , qu'il n'a pas tenu a
tues ennemis que je n'aye esté arra-
ché de vostre faveur et bonne grâce ,
en laquelle seulle j'ay tous jours semé
l'espérance de tout mou bien , et les
graines de ma très-humble et très-
devote servitude; mais vostre bonté
et sage jugement , sire , les a fait
trouver imposteurs , et ma délivré de
la crainte du mal qu'ils me procu-
raient (4q)- C'est ce qu'il dit à Hen-
ri III , l'an i58o, en lui dédiant une
nouvelle édition de l'un de ses livres.
La préface du même livre est fou-
droyante contre les censeurs de du
Huillan ; j'en ai tiré ce qui suit. « 11
» y a bien eu quelques esprits bizar-
» res (le nombre desquels est efl're-
» né ) , accoustumez à mesdire de
» tout , et à blasmer tout , pour ce
■) l'Histoire de France el onl fat)
» seulement ce que fait le charbon
» mort, qui noircit sans pouvoir
» brasier : car maigre leurs envies ,
» chiquaneries , pédanteries , mes-
» dissons et presumptions , mes o'ii-
» vres courent par le monde , ont
» emporté une grande et bonne repu-
» tation , et sont traduits en diverses
» langues Quant aux courtisans
» mesmes qui ont mesdit de mes
» œuvres , et qui les ont voulu ren-
» dre odieuses , ce sont des hommes
» accoustumez à dcsrober l'honneur
» d'autruy , quand les moyens de
» desrober autre chose leur defail-
» lent (5o). »
(K) On n'a pas tort dans toutes les
choses qu'on lui critique : je le mon-
trerai par un passage du sieur Sorcl.}
Il contient une critique raisonnable
le quelques défauts de du Haillan
qu'ils sont morfondus du catarrhe et quelques petits éloges aussi. Il a
de l'ignorance et de la presump-
tion, qui ne l'ont voulu gouster.
De ceux-là , les uns sont courtisans
ordinaires , les autres sont du pa-
lais , les autres du collège , les au-
tres sont quelques mignons crestez
venans nouvellement des universi
tezavec trois bandes de 1
robe, et un eschantillon
voulu même imiter l'élégance des
meilleurs historiens ; mais pour y
avoir moins de peine , il a presque
traduit mot à mot toutes les haran-
gues de Paul Emile, el il l'a encore
suivi dans ses narrations. Il est vrai.
les universi- qu'ily a ajouté beaucoup de remar-
atin sur leur ques curieuses qu'il a tires d'ailleurs.
n d'honneur On lui peut reprocher d'avoir donné
» acheté, qui furctans tous les livres un commencement fabuleux a son
» font profession de les mespriser et histoire , qui est entièrement de son
» rejetter , s'ils y voyent quelque invention , ayant fait tenir un conseil
» lettre mal couchée , ou s'ils n'y entre Pharamond et ses plus fidèles
trouvent ce qu'ils n'y sçavent pas
chercher. Les autres sont quelques-
uns qui font profession d'escrire ,
lesquels , entiez et gros de livres,
conseillers , pour savoir si, ayant la
puissance en main, il devait réduire
les Français au gouvernement aristo-
cratique ou monarchique ; et faisant
» toutes les sepmaines en engendrent faire une harangue à chacun d'eux
» un, en remplissent les boutiques pour soutenir son opinion. On y voit
» des libraires, parlent hardiment les noms de Charamondet.de Qua-
» d'un chascun, mesprisent les œu- drek , personnages imaginaires : c'est
» vres d'autruy , et n'approuvent une chose fort surprenante. On est
» que les leurs. De ceste dernière es- fort peu assuré si Pharamond fut ja-
» pece d'hommes , il y en a qui sont mais au monde , et quoiqu'on sache
>} comme singes; car s'ils voyent qu il y ait été , c est une terrible har-
» qu'un autre fasse un œuvré, à diesse d'en raconter des choses qui
» trente pas delà ils en enfantent un
» autre tout avorton , auquel ils font
» porter un semblable nom. Toutes
)) ces sortes de gens m'ont attaqué ,
» pincé et abbaye , non toutefois
» mordu , et n'ont fait aucun mal à
» mon œuvre présent , ni à celuy de
(4n) Ou Haillan , éptlre dédioatoire du l'Étal
el Succès des olïai es de l;r.incc , a V édition de
i58o.
n'ont aucun appui. Du Haillan en
est repris par le sieur Dupleix , qui
lui reproche qu'il a tiré ses harangues
d' Amadis de Gaule; mais l'jfma-
dis ne contient point de ces sortes de
discours politiques. Il faut croire que
Dupleix ne l'a allégué en celle ren-
contre , qu'afin défaire entendre qui
(5o) I.c même , a la préface du même litre ,
ii la même édition.
HAILLAN. 473
du Haillan avait invente cela comme bienfaits de fy . .47., qu'à faire ou lire
pour composer une manière de roman, des livres , pour me donner tout et
Il est vrai que si cela ne se trouve du tout a i accomplissement de cet
dans l ' Amadis , cela se trouve en œuvre , duquel je sortis après quatre
beaucoup d'autres endroits ; ce sont années employées à son basliment ,
des lieux communs qu'on voit ordi- après plusieui's journées passées en
nairement dans les livres , qui parlent estude, en solitude , et en grand rom-
d' un sujet si trivial comme sont les peinent de teste , après plusieurs veil-
diverses formes de gouvernement. Du les, après plusieurs nuits à detny
Haillan est accusé, d'un autre coté , veillées , et après une grande lec-
d' avoir eu des discours un peu libres tui^e , feuillelement , remuement et
louchant quelques ecclésiastiques ; accord de plusieurs livres latins ,
mais ill ' a fait possible pour se montrer français et italiens, tant anciens que
bon serviteur de nos rois , et soutenir modernes, et de plusieurs monu-
leur autorité. Cela n'empêche pas que mens, papiers, filtres, paperasses
ses écrits ne soient plus judicieux et et panchartes feuilletées et tournées,
plus méthodiques que ceux qu'on J'y ay tant eu de peine ( sii'e ) que
avait vus auparavant. On s'instruit si lors que j'entrepiïns cest œuvre
dans son Histoire de beaucoup de j'eusse sceu ou pensé le travail qu'il
parliculai'ités du gouvernement fran- yfalloit prendre, et que j'y ay prins,
cuis , qu'il entendait assez bien , com- je me fusse excusé envers vos 3/ajes-
me il 'a fait connaître encore dans son tez , et n'y eust eu ni don , ni pro-
• livre de l'Etat et succès des affaires messe, ni désir ou espérance d'hon-
de France. Enfin il est louable d'à- neur , de gloire ou d'avantage , qui
voir entrepris le premier de mettre ni eust peu induire a l'entreprendre,
notre histoire en une belle et agréable H montre ensuite fort amplement les
forme , de quoi il s'est acquitté selon imperfections des historiens (54) qu'il
les connaissances qu'on avait de son lui a fallu consulter ; et puis il ajou-
temps (5i). te : De toutes ces confusions , diver-
(L) Il étale trop ses travaux et le sitez > prolixitez, et labyrinthes ( si-
succès de ses livres.... et il témoigne re) Je •$"« sorii , et ay fait l'His-
trop visiblement qu'il voulait être ré- toire de France et des roys vos an-
compensé.} Commençons par ces pa- eestres le mieux qu'il m'a esté possi-
roles de son Épître" dèdicatoire de Me- Je n ay pas peu la faire si bien
l'Histoire de France (52). Depuis qu'elle le mérite , je n ay peu luy
lors (53) jusques en l' an \5-~6 , qu'il donner sa perjection , et ne veux
fut premièrement imprimé , je tra- Masmer les morts ny leur ouvrage
vaillai, nuit et jour , a ceste his- pour donner louange et advantage au
loire , h la sueur et peine de mon mien. Mais seulement, sans presump-
corps , aux despens de mes années, au Ûon et vanlcrie , je dtray que j' ay
grand travail de mon esprit, et h fait chose qui n'a encore esté faite par
ta despence de ma bourse, au re- autre, ny veue de nos François , et
couvrement des livres , tiltres , me- af donné a l'Histoire de France une
moires, encharlemens , et autres mo- robbe dont elle n'avoit encores esté
mtmens qu'il m'a convenu avoir pour parée Il y en a qui Jeronl l /lis-
te basùnient d'un si grand ouvrage , toire de France aussi bien et mieux
etay abandonné mes affaires et les nue moi , et d'autre pis ; mais si je
moïens de les accommoder au temps '/e Xaig"e le pi-emier rang entre eux,
que. chacun h ma veue accommodoit je m'asseure de n'estre mis au det-
tes siens , et que plus qu'aux autres nier. J'ai trouvé moyen de tirer l,i
siècles chacun s esludioit plus 'a gai- Quinte essence de ces grosses masses
gner et profiler, et attirer des dons et d'histoires antiques , île réduire leur
superabondance , super/luité et lon-
(5t) Sorel, Biblioili. française , pag. m. >ti , gueur en choses nécessaires cl non
3:4- superflues , et outre cela , ne m'es-
(52) Dm Haillan , fpUre dèdicatoire de l'édi- fant voulu lier à nos histoires et chro-
tzi\ n> .- i- i - r i niques, i av tin des cslrangcrs et des
(5j) C esla-duc , dijmis <ju en 1S71 , le roi I ' J ./ a
lui donna ordre de composer /'Histoire de
France. (54* Il les montre aussi dans la préface.
474
IIAILLAN.
registres des courts de parlemens, des v par dedans mon histoire, l'ayant en
chambres des comptes , des charlres » quelques endroits enflée de deux et
des églises , et de quelques livres qui » trois feuilles , d'autres de moins ,
m'ont esté prestez par quelques miens » il attend ceste impression pour ad-
amrs ce que je cognoissois pouvoir » jouster à sa version latine ce que
servir a ma matière. Mon seul but a » j'ay adjousté à ma composition
esté la vérité, qui est l'œil de l'his- » françoise : de façon que bien tost
toire , etc. Il répète dans sa pre'face » vous ( sire ) , les vostres et les es-
une bonne partie de ces choses : J'y » trangers verront cest* histoire en
ai travaillé, dit-il, par l'espace de » langage latin. » Joignez à cela ce
cinq années ; j'y ai despendu plu- commencement de sa préface (5j).
sieurs journées et deminuictées • plu- Je desirois que mon Histoire de
tes , papiers et paperasses , y ont es-
té leues, J'euilleltées, tournées et ren-
versées. J'ay eu plusieurs livres la-
tins , français et italiens , traitans
les Histoues de. France , d' Angle-
terre , d'Allemaigne, d'Italie, d-JEs-
esté du tout vain ; car elle a telle-
ment pieu a ceux qui ont du juge-
ment , que depuis ce tems l'a elle a
esté imprimée souvent et en divers vo-
lumes , tant en ce royaume que de-
hors , et leue et relene par tous les
paigne , de Flandres , d'Escosse , de habiles hommes de la France, et par
Bourgogne , de Bretagne, d'Anjou, beaucoup d'estrangers Or, lec-
de Berry , d'Aquitaine , des guerres teurs , ayant veu mon labeur si bien
saintes en Asie et en Europe , des reuscir , et eslre si bien receu , tant
vies des papes et des empereurs , et Par ^es eslrangers que par les nos-
une infinité d'autres , avec infinité tres > e* tant de j'ois reimprimé et
de panchartes et anciens monumens. souhattté , je l'ai corrige et de beau-
De tout cda j'ay tire la quinte es- coup augmenté par le dedans , et en-
sence , je l ' ay distillée a l alambicq
de mon jugement, et de mon travail ,
je vous en fay voir la distillation par
ce mien œuvre.
Si vous voulez savoir ce qu'il ra-
conte du succès de son ouvrage, li-
sez ce qui suit (55) : « Mon bistoire ,
33 qui a vaincu leur envie , et celle
i> de tous ceux qui en ont mesdit ,
» vivra tant que le langage françois
» aura vie et cours en vostre France.
■» Depuis sa première e'dition , elle a
» esté plusieurs fois imprimée , tant
» en vostre dit royaume, que dehors
j) icelui , en divers volumes et ca-
3> racteres , et mise en langue latine
» par Pierre Boulanger (56), instruc-
)> teur de la jeunesse au collège de
» Loudun , homme de bonne vie et
» de grande érudition , et qui en ses
« escrits latins représente autant
)> qu'homme de l'Europe la pureté' et
3) la douceur de Ciceron. Mais d'au-
» tant ( sire ) que de nouveau j'ay
» de beaucoup augmente et engrossi
(55) Du Haillan, épîire dédicaloire de /l'His-
toire de France , a l'édition de i534.
(56) Voyez son éloge dans Sainte-Martlie ,
tiv. I, pat;, m. 44 : Hy est parlé de cette version.
Il fui pire de Jules tiœsar Bullengérus.
richy de plusieurs curieuses recher-
ches. En dédiant à Henri III son ou-
vrage de l'Etat et Succès des aflai-
res de France , l'an 1 58o , il s'expri-
me de cette façon (58) : « Je suis
3» ( sire ) le premier d'entre les Fran-
3) cois qui ay fait l'Histoire de Fran-
» ce , et qui ay , par beaux escrits ,
» monstre la grandeur et l'honneur
» de nos roys : car auparavant il n'y
» avoitque des vieux fatras de chro-
33 niques qui en parlassent. Mes œu-
» vres sont veues et leues par toute
» la ebrestienté , et mises en diver-
33 ses langues , et en vostre royaume
» y a un tressçavant homme qui a
» mis l'Histoire de France en latin ,
33 preste à sortir en lumière , et à se
3) présenter à vostre Majesté vestue
» d'une robe latine. Je ne suis de ces
') hardis et ignorans escrivains qui
» enfantent tous les jours des livres,
33 qui en font de grosses forests, et
(57) Du Haillan, a la préface de la même
édition.
(58) Le même, épîlre dédicaloire de {'Etat et
Succès des affaires de Fiance , il l'édition de
l58o : il avait déjà dit ; J'ai satifait à tous ces
poincts au grand corps de mon œuvre de l'Histoire
de France que je vous ay dédie, sire, et qui
court par toute la ehrestienté.
)> qui , en leurs estucks obscures ,
» esquelles ils ne voient pas la lu-
» miere des affaires du monde , par-
» lent et escrivent hardiment et à
» tort et à travers des affaires d'estat
» de ce temps , des plus secrets et
» importans de vos conseils, jugent
» de tout , se passionnent pour l'un
» et contre l'autre , louent ceux qui
» leur donnent de l'argent , font
» d'un grand capitaine et d'un chef
» d'armée un simple ergoulet , et ne
» vivent que de la vente de leurs
» presumptueux escrits. Aussi tels
» escrivains les verront mourir de-
» vant eux , et assisteront honteuse-
» ment à leurs funérailles. J'ay ap-
» pris , sire (09) » Voyons le
commencement de la préface de ce
même livre. Plusieurs d'entre vous
( lecteurs ) qui verrez ce présent œu-
vre , que j'ay de nouveau reueu , et
de beaucoup augmenté et enrichy ,
V auront cy devant veu imprimé en
plusieurs sortes de volumes et de ca-
ractères depuis sa pi'emiere édition
de l'an mil cinq cens soixante et dix.
Car despuis ce temps-là , il n'y a eu
année qu'il n'ait esté reimprimé (60) ,
ayant donné contentement a ceux qui
l'on veu, et qui trouvent bon ce qui
est bon. Quand il dédia ce même li-
vre à Henri IV, l'an i5g4, voici ce
qu'd en dit à ce prince : Il a couru et
veu le monde , il a esté bien receu
dedans et dehors vostre royaume, et
les eslrangers lui ont jaict parler leur
langue.
Pour ce qui concerne le désir des
récompenses , on l'a pu voir assez
clairement dans les passages que j'ai
déjà rapportés ; mais on le verra en-
core plus clairement dans celui-ci
(61): J'ay Jaict cet œuvre en quatre
hyvers , saisons propres pour esc.rire
et estudier , et y ay employé peu de
jours des estes , qui ne me semblent
pas pouvoir endurer le travail de
l'escriture et. de l'estude , comme sont
les jours courts et froids , que j'ai
employez h ce labeur. Aussi ay-je
(5ct) Vous trouverez la suite de ce passage ci-
dessus , remarque (C) , citation (n).
(Go) Plus bas il parle ainsi : Je vous dirai que
comme l'imprimeur qui depuis dix ans l'a
reimprimé tous les ans, l'a voulu faire réimpri-
mer de nouveau. Nota que cette préface Jut
écrite en i5So.
(61) Du Haillan , éptlre de'dicaloire de ï'His»
toire de France, à l'édition de i584-
HAILLAN. 475
peur de m'y estre morfondu , si le
soleil de vostre Majesté , par les
rayons deses liberalitez et bien-faicls,
ne lui donne quelque chaleur. Il n'y
a en vostre royaume aucun homme
de lettres qui excelle en quelque
science , ou qui ait fait quelque bel
œuvre , qui n'ait receu du bien de
vous , et tous vos anciens serviteurs
sont colloquez en honneurs et di^ni-
tez , et pleins et riches de vos bien'
faicls et dons Je suis le premier qui
ait escrit l'histoire tics /•<>>-/ vos an-
ceslres , cl ( possible ) le seul qui
l ayefaicte en bel ordre et beau lan-
gage, et entre vos serviteurs je suis
des premiers et des plus anciens , et
toutes-fois je suis le seul et dernier a
pourvoir , et non le dernier en mé-
rite. J'ay travaille et travaille ordi-
nairement pour le public , plus que
pour moi, et me suis seulement mes lé
défaire des livres , mais aussi j'ay
esté quelquefois employé en voïages
aux pays estrangers , et parmi les
affaires que j'ay veu depuis vingt-
neuf ans (62) que je suis courtisan ,
j'ay apprtns comment il faloil escrire
les histoires , parler des roys, et trai-
ter et escrire des affaires (Testât. Voi-
là le langage d'un auteur qui n'est
pas content , qui se plaint de ne s'ê-
tre pas enrichi ni avancé aux hon-
neurs par les productions de sa plu-
me , et qui demande qu'elle vienne
enfin cette récompense de ses tra-
vaux si souhaitée , si bien méritée.
On trouve la même plainte à la fin
d'une préface qu'il publia l'an i58o.
J'ay pris ceste peine, dit-il [63), pour
servirait public , auquel je pense pro-
filer et avoir profité par mes la-
beurs. Dequoy je recois un singulier
contentement , car j'ay travaille a
ceste intention, ylussi est-ce presque
toute la recompense que j'en ay , et
je me sentiray bien satisfait de ce der-
nier labeur, quand je sauray que vous
l'aurez eu agréable.
On croira ce qu'on voudra de ce
que je vais rapporter , je cite mon au-
teur (c<4) : (t Henri-le-Grand lit
» un jour un repart au sieur du Hail-
(Gi) Son épîlre de'dicaloire est datée du i'r.
d'août i584-
(63) Du Haillan , préface de l'Etal et Succès
des affaires de France , a l'édition de i58o.
(64) Garasse , Recherches des Rcchcrhcs ,
pag. g4l , r,',-.
476 HAILLAN.
» lan Car comme du Haillan , se plaindre de la petitesse des ré
» homme vain et sujet à sa compenses, à étaler leurs services , à
» bouche parloit un jour au feu murmurer si on les oublie pendant
» roy trop librement, se plaignant que l'on songe à d'autres, à menacer
» du peu de gages qu'il recevoit de de se retirer, à faire paraître leur
» sa libéralité, osa luy dire, sire mécontentement par des démarches
» vous savez que j'ay deux plumes brusques , audacieuses, etc. Ces mes-
» en qualité d'historien public , til- sieurs-là se croient d'autant plus per-
» tre dont il a pieu à votre majesté mis d'exiger des récompenses magni-
» m'honorcr , la première d'or, la fiques , qu'ils se persuadent, que leur
» seconde de fer ; avec ma plume maître, un roi, ou un souverain,
>' d'or je rends immortels ceux qui le public en un mot, ne tombera point.
» me font du bien et de l'honneur, dans l'indigence, quoiqu'on soit une
» et par ma plume de fer je ternis la sangsue bien affamée sur sa peau, et
» réputation de ceux qui ne con- qui suce fortement (65). Ne me citez
» gnoissent pas les mérites de mes point un tel et un tel qui se sont rui-
» travaux. A cestc harangue le roy , nés au service de leur prince; et tel
» qui cognoissoit le défaut de l'hom- grand seigneur dont 'toutes les terres
» me, lequel estoit au gorgerin, non et l'hôtel même sont en décret. Ce ne
» pas au gantelet ou à la cuirasse, sont point là des exemples de désin-
» luy ditavec une promptitude royal- téressement. Le zèle pour la patrie
» le et merveilleuse : Monsieur du n'est point la cause d'une telle pau-
J) Haillan , je ne pense pas que vous vreté : l'esprit mercenaire, ouïe luxe
» ayez une plume d'or ; car il y a long- et la débauche l'ont produite. On a
» temps que vous vous l'eussiez pas- cru qu'en paraissant à la cour ou à
>• sée par le bec ». l'armée avec de grands équipages ,
(M) On pourrait faire sur le por- inutiles au fond à l'égard du bien
trait de du Haillan un si grand nom- public, on parviendrait plus facile-
bre de réflexions , que personne ne ment aux récompenses : et enfin si
trouvera mauvais que j'en fasse quel- l'on s'est ruiné, ce n'est pas pour le
ques-unes.~\ Il n'est pas aisé délais- profit de l'état, c'est pour satisfaire
ser passer ceci sans y ajouter quelque son faste , et d'autres passions particu-
réflexion. Une personne qui deman- Hères. Les Aristides et les Fabrices,
derait si ceux qui exercent les charges qui , après avoir joui des plus grandes
publiq ucs sont, aussi mercenaires que charges et passé toute leur vie dans
les valets d'un petit particulier, pa- une frugalité merveilleuse, n'avaient
raîtrait d'abord faire une question presque rien à laisser à leurs enfans ,
absurde; mais après un bon examen sont de bons exemples de l'esprit non-
on trouverait là un juste sujet de mercenaire: mais où trouve -t-on
problème, et l'on se déclarerait même de telles gens?
pour l'affirmative. Considérez un peu Ce qu'il y a de plus fâcheux est de
les récits des nouvellistes, imprimés voir queles gens de lettres ne se puis-
ou non imprimés , et les conversations sent point guérir de la maladie com-
des personnes qui ont vu long-temps mime. La cour et l'armée étant des
le grand monde ; consultez les his- écoles d'ambition et de luxe , et par
forions qui entrent le plus dans le conséquent de faim et de soif des ri-
détail; lisez bien surtout ceux qui chesses , il ne faut pas trop s'étonner
donnent des mémoires; si vous faites que l'on y apprenne à ne rien faire
bien tout cela, je ne doute point que pour rien, mais à vouloir être large-
vous ne tombiez d'accord qu'un pan- ment récompensé de ses services. Et
vre laquais est à proportion moins comme c'est une passion qu'il n'est
mercenaire, et plus désintéressé, que pas aisé de contenter si l'on ne vante
la plupart des personnes qui possè- beaucoup ce que l'on a fait, et si l'on
dent les grandes charges, soit dans la ne pousse des plaintes de n'avoir pas
maison des princes, soit dans l'état, encore touché une juste récompense,
Ce sont des personnes qu'on ne con- il n'y a pas lieu de se tant formaliser
tente presque jamais , toujours prêtes „ ... . ,
■ 1 ' 1 1 1 (t!5) JVrc misstua < ulein nui ulrna f ruons ni-
1 demander de nouveaux honneurs, l rudo
'I de plus grands appointemens , à Horat. , de Arte poël. , versu uli.
HAILLAN. 477
de celte conduite. Mais il scia Ion- de dire que vous n'avez épargne ni
jours raisonnable de déplorer que soin ni peine pour rendre bon votre
l'étude et la profession des lettres ouvrage : votre devoir vous engageait
n'aient point produit dans le creur de à de très-grandes fatigues, et c'est
du Haillan une sagesse qui l'empè- une civilité envers le public, que
chat de faire tant de parade de ses d'exposer dans une préface, qu'on a
travaux, et de se plaindre de la me- fait tout ce qu'on a pu pour mériter
diocrité de sa fortune. S'il était le son approbation. Vous deviez vous
seul auteur qui en eût usé de la sor- arrêter-là, et ne point représenter la
te, il ne faudrait pas s'en soucier : le grandeur et le prix de vos travaux
mal est qu'il copiait en cela un très- comme un sujet légitime de deman-
grand nombre d'écrivains, et que der de plus grandes récompenses, et
cent autres l'ont copié , et. le copient de vous plaindre de n'avoir pas été
encore. C'est ce qui fait un grand tort assez bien payé. Avez-vnus peur que
aux muses, c'est ce qui les prive delà les siècles à venir ne sachent que vos
gloire dont elles devraient jouir d'in- veilles et vos recherches ont mis dans
pirer à leurs sectateurs un véritable un très-beau joui l'Histoire de Fran-
dé.sintéressement , et un généreux ce , mais qu'elles ne vous ont pas en-
mépris des richesses et des récom- richi? Quel tort cela peut-il faire à
penses publiques. Ils ressemblent aux votre mémoire? Si l'on dit que vous
autres hommes, dit-on, ils ne sont n'avez pas eu l'industrie d'amasser
pas moins sujets que les autres à l'am- du bien, on supposera que vous
bilion et à l'avarice, les deux mala- manquiez d'une qualité qui n'est
dies populaires du cœur humain. Il guère bonne. Votre gloire n'en souf-
est sur que le désir de vivre à son aise frira pas ; dormez en repos. Si l'on
par le moyen d'un bon revenu n'est dit que cette industrie ne surpassait
point l'unique raison des vanterics point vos forces, mais que vous ne
et des plaintes de du Haillan , et de vous êtes pas soucié de vous en ser-
ses semblables : l'orgueil y a bonne vir, content de vos livres et de vos
part. Ils s'imaginent que le public études, et de consacrer votre temps
aura une grande estime et pour leur à l'instruction du public, ne sera-ce
personne et pour leurs ouvrages, si point vous donner un très-bel élo-
l'on apprend qu'ils ont touché de ge? Ne sera-ce point un préjugé en
grosses pensions (66) : il y a bien du faveur de vos ouvrages ? Si le mépris
mécompte là-dedans : quelques par- des richesses, et si votre application
ticuliers, je l'avoue, se laissent sur- continuelle à composer de bons li-
prendre à cet extérieur, et font ce vres vous exposaient au péril de
raisonnement sophistique : un tel mourir pauvre , vous devriez souhai-
auleur a obtenu de beaux emplois , et ter que cela fût mis dans votre épi-
va en carrosse; donc il'a un grand taphe (67). Cela vous vaudrait un bon
mérite, et ses ouvrages sont bons; titre de noblesse dans la république
mais le public donne rarement dans des sciences : ce chemin de l'immor-
ce panneau , et en tout cas un tel talité (68) serait très-beau ; ne crai-
charme ne dure point. La postérité gnez point là-dessus le jugement de
juge des livres par les livres mêmes ; la postérité. Si l'on blâme l'ingratilu-
s'ils sont bons, elle ne les méprise de et l'injustice de ceux qui n'ont pas
point , quand même elle lirait au eu soin de récompenser vos peines
commencement de la préface que que vous importe? C'est un blâme
l'auteur est mort de faim : s'ils sont qui ne tombe point sur vous,
mauvais, elle les méprise, quand mê- Il faut dire ici à la gloire de Des-
me elle verrait aux premières pages cartes, qu'il se conserva pur et nel
que l'auteur a été fait comte ou de cette honteuse maladie, quoique
marquis , et qu'il a laissé un million, l'un de ses amis eût employé pour
Que craignez-vous? pourquoi vous l'en infecter les voies les plus dan-
tourmentez-vous? eût-on pu deman- gereuses. Voici «le quelle manière
<lir à du Haillan : il vous est permis cet ami zélé l'animait à se vanter , et
(66) Voyez ci dessus, la remarque (C) de (G-,) Tiliilo res cligna scpulchri,
l'article Ai.ciiT (André), tom. /, png. 38 J. (G8 Itac ilur ad astra.
4;8 H AIL
à demander hautement des récom-
penses (69). « Sachez que ce n'est pas
assez, pour obtenir quelque chose
du public, que d'en avoir touche
un mot en passant , en la pre'face
d'un livre , sans dire expresse'ment
que vous la de'sirez et l'attendez ,
ni expliquer les raisons qui peu-
vent prouver, non-seulement que
vous lame'ritez , mais aussi qu'on a
très-grand intérêt de vous l'accor-
der, et qu'on en doit attendre beau-
coup de profit. On est accoutume'
de voir que tous ceux qui s'ima-
ginent qu'ils valent quelque chose ,
en font tant de bruit, et deman-
dent avec tant d'importunité ce
qu'ils pre'tendcnt, et promettent
tant au-delà de ce qu'ils peuvent,
que lorsque quelqu'un ne parle de
soi qu'avec modestie, et qu'il ne
requiert rien de personne, ni ne
promet rien avec assurance, quel-
que preuve qu'il donne d'ailleurs
de ce qu'il peut, on n'y fait pas de
réflexion , et on ne pense aucune-
ment à lui. Vous direz peut-être
que votre humeur ne vous porte
pas à rien demander , ni à parler
avantageusement de vous-même ,
pource que l'un semble être une
marque de bassesse et l'autre d'or-
gueil. Mais je prétends que cette
humeur se doit corriger, et qu'elle
vient d'erreur et de faiblesse , plu-
tôt que d'une honnête pudeur et
modestie Vous pouvez dire
aussi que vos œuvres parlent assez,
sans qu'il soit besoin que vous y
ajoutiez les promesses et les van-
teries , lesquelles , étant ordinaires
aux charlatans qui veulent trom-
per, semblentne pouvoir être bien-
séantes à un homme d'honneur qui
cherche seulement la vérité. Mais
ce qui fait que les charlatans sont
blâmables , n'est pas que les choses
qu'ils disent d'eux-mêmes sont
grandes et bonnes ; c'est seulement
qu'elles sont fausses, et qu'ils ne
les peuvent prouver : au lieu que
celles que je prétends que vous
devez dire de vous sont si vraies,
et si évidemment prouvées par vos
écrits, que toutes les règles de la
bienséance vous permettent de les
(60) Lettre I, écrite à M. Descartes, Elle est
nu-devant de son Traite des Passons.
LAN.
assurer, et celles de la charité tous
y obligent, à cause qu'il importe
aux autres de les savoir. Car en-
core que vos écrits parlent assez
au regard de ceux qui les exami-
nent avec soin , et qui sont capa-
bles de les entendre : toutefois cela
ne suffit pas pour le dessein que je
veux que vous ayez , à cause qu'un
chacun ne les peut pas lire, et que
ceux qui manient les aflàires pu-
bliques n'en peuvent guères avoir
le loisir. Il arrive peut-être bien
que quelqu'un de ceux qui les ont
lus leur en parle; mais, quoi qu'on
leur en puisse dire, le peu de bruit
qu'ils savent que vous faites , et la
trop grande modestie que vous avez
toujours observée en parlant de
vous, ne permet pas qu'il y fassent
beaucoup de réflexion. Même à cause
qu'on use souvent auprès d'eux de
tous les termes les plus avantageux
qu'on puisse imaginer, pour louer
plus fort des personnes qui ne sont
que médiocres , ils n'ont pas sujet
de prendre les louanges immenses
qui vous sont données par ceux
qui vous connaissent, pour des
vérités bien exactes. Au lieu , que
lorsque quelqu'un parle de soi-
même, et qu'il en dit des choses
très-extraordinaires , on l'écoute
avec plus d'attention ; principale-
ment lorsque c'est un homme de
bonne naissance , et qu'on sait n'ê-
tre point d'humeur ni de condition
à vouloir faire le charlatan. Et
pource qu'il se rendrait ridicule s'il
usait d'hyperboles en telle occa-
sion , ses paroles sontjjrises en leur
<> vrai sens ; et ceux qui ne les
veulent pas croire , sont au moins
incités par leur curiosité ou par
leur jaloulie à examiner si elles
sont vraies Cela étant très-
certain , et pouvant assez être
prouvé par les écrits que vous avez
déjà fait imprimer, vous le de-
vriez dire si haut, le publier avec
tant <le soin , et le mettre si ex-
pressément dans tous les titres de
vos li\res , qu'il ne pût doréna-
vant y avoir personne qui l'igno-
rai )>. Pouvait-on attaquer par des
raisons plus spécieuses et plus fortes
la modestie de M. Descartes? On n'ou-
blia rien , on prévint toutes ses excu-
ses, et néanmoins ce fut inutilement
IIALI-BEIGH. 47tj
(70). Notez qu'on eut beaucoup de Bobovins ; mais la plupart des au-
raison de l'avertir que le public est teurs s'y sont trompes. Bf, Ricanl
accoutume de voir que ceux qui de- appelle ce Polonais Albert Bobo
mandent quelque chose le foui avec ri tus (1). Bespier, son traducteur, le
importunite', et en se vantant beau- corrige, et met (a) Bohonius , parce
coup. C'est qu'ils savent que sans ce- que Thomas Smith l'écrit ainsi pa-
la ils n'obtiendraient rien. Malheur ge .'ïo, de son Epist. de i\Ioril). Turc,
à ceux qui se rebutent du premier // est vrai '/n'en ce l'eu il y a Bo-
refus , et qui ignorent le haut ton zonius , mais /'errata marque qu'il
dans leurs requêtes. Du Baillas sa- faut lire Bohonius. Le premier tra-
vait sou monde quand il agissait de la ducteur (3) de M. Ricaut a mis Robo-
manière qu'on a vue ci-dessus. Il \in^.
faut se plaindre souvent , et supplier (h) Il acquit la connaissance d'un
souvent pour être exauce une fois très-grand nombre de langues.] Qu'il
dans une cour. Si le cardinal de Ri- me soit permis de citer ici un peu au
chelieu était tel qu'on le représente long l'auteur de Lacédémone ancien-
dans l'Histoire de l'académie Iran- ne et nouvelle : Voyez, dit-il (!f) ,
çaise (71) , c'était un Phc'nix. comment Fometti, Panagiotti, La
, ' , , „ _ . , , Fontaine , et tous les autres droç-
("o) Voyez au-devant au même Traile des j » j-j . ■ °
P.VsioDS, ta Réponse de M. Descartes aux lettres mont de la Porte sont circonspects,
de cet ami. quand ils trottent avec les ministres
(ni) Le cardinal de Richelieu ne fit jamais des prtllces ( bréticilS, Ou ai'ec les Sens
de bien à Kqjrnard.et ce fut enpartie... parce Jc, /eiir suite. Ic fameux renégat DO-
qu il auna.il au on ne lui demandai rien, et nu on , ■ II 1 i • ' i< '■
lui laissai la gloire de donner de son propre lon%als Haljr-bejr , qui , il I apostasie
mouvement. Pelliss. , Histoire de l'Académie près , et moralement parlant , est un
française , pag. m. 278. des plus honnêtes hommes du monde,
TTiTTT.n/-TT • 1 ne s'explique Pas mieux avec les
HALl-bhKjrli , premier drog- Francs, quoiqu'il soit leur grand ami;
mail à la Cour du grand -sei- et il le pourrait pourtant bien faire,
gneur au XVIIe siècle, était né lui <I!" P"r/e dix-huit langues diffé-
chrétien dans la Pologne; mais ^q!".- Et devint assez habile pour
ayant ete pris fort jeune par les faire des Hures.} A la prière de Tho-
Tarfares , il fut vendu aux Turcs , ™»s Smith , il composa un traité de
qui relevèrent dans leur religion Turcarum lilurgid , peregrinatione
1 -, T1 , » •. . n ,7> tneccand , circumciswne, œgrotorum
au sérail. Il s appelait Albert Bo- visitatione , etc. ( que M. Hy£e ( à qui
bowski (A) en son pays. Il ac- Thomas Smith le donna, a publié (5).
quit la connaissance d'un très- Hali-Beigh traduisit en langue tur-
erand nombre de langues (B) , 'j1'".; T -ron ï'VÎ^iî.* b ?rif,r.e
6t , . t i i -i b ). / ' de M. Basire , le Catéchisme de l'é-
et devint assez habile pour faire -lise anglicane. Il traduisit en la même
des livres (C). 11 eut beaucoup langue toute la Bible, à la prière de
de commerce avec des Anglais Levin Warnérus , qui envoya cette
qui lWaiïèrent à traduire en traduction â Levde afin qu'elle y fut
/ D ° , imprimée. On n a point exécute cela,
langue turque quelques ouvrages mais 1(. manascrit se garde dans là
(a). Il avait envie de retourner bibliothèque de Leyde. Je ne parle
au giron du christianisme; mais point d'une grammaire turque, et
il mourut avant que d'exécuter ?*n dictionnaire turc composés pai
, -, . ,,?,, , le même drngman. M. nicaut avoue
ce beau dessein (b). Voyez le sup- (|,ril tenail fe lm beaucoup de cho-
plément de Morén. (l) R^^at présent de l'Empire ottoman,
liv. Jf, pag m ijo5-
(a) Voyez la remarque (C). (V, Remarques curieuses , pag. C67.
(b) Journal de Leipsic, 1691 , pag. 226. (3) Il s'appelle Briot.
(4) P"g- 81 de l'édition de Hullande.
/ A\ Tl ' 1 •• 411 ., P„l,^.,,.cl.; "1 (5) Dans les Appendix de /'Itincra mundi
(A) Il s appelait Albert Bobowskl.J ,rAbraham Péritsolfi Oxford, «6qi. Forez le
Nom quon a latinise par CCllU de Journal de Leipsic, mots de mat : 1691 , p." 526.
48o
HAL1CARNASSE.
ses qu'il a rapportées dans son livre une: colonie des Argieiis (a) (\
de l'État présent de l'Empire otto- E|)e se rendit fameuse sous le
man. S'il l'avait consulte sur tout ce
<■ .
'Il dit, iln'a.iraitpas avancé que les deux Artémises , et sous Mausole,
femmes mahométanes n'espèrent pas le mari de la dernière. Le lom-
l'cntréc du paradis. Hali-Beigh sou- beau de ce prince y fut un très-
tient le contraire dans l'ouvrage que nd ornement, car il futeomp-
M. Hvde a mis au mur. lifcautum ?, , -ni
refellit , docuitque mulieres turcicas te entre les sePl merveilles du
ûhinino sperare se aliquando œquè ac monde. La fontaine £almacis
uiros in Paradisum veceptum iri , était une autre singularité d'Ha-
quodistepag.iTinegaveral^M.^i- l{carnasse. \\ „ eut peu de villes
caut entre autres choses rapporte (7) <>. j
qu'il apprit de ce drogman qu'il y sur cette cote de mer qui resis-
a des Turcs qui croient que les âmes tassent à Alexandre autant que
des hommes qui meurent entveiU dans n{ celle-là (b). C'est qu'on avait
les corps des bêles dont le tempéra- eu soin. de la bien fortifier. Vi-
ment approche le plus de celui au
même métier (8 ) , que leurs âmes ■ rde ses ts MeursiilS,
missent avoir l honneur , après leur / o ,.} , . ..
mort , d'entrer dans le corps de quel- tout habile qu il était , a appli-
ques chameaux, parce que ce sont des que aux deux ports de Rhodes
animaux sobres , laborieux, paliens , (jj ? ce „ue Vitruve n'a dit que
doux, et qui leur apportent leurs dro- ^ ceu% d'HaHcarnasse. Alexan-
gues des pays les plus éloignes de , 3 ». . ...
l'Orient. Qu'il ne doutait point qu'a- dre fut oblige de brûler la ville
près la révolution de trois mille trois pendant que la garnison se de-
cenl soixante-cinq ans , pendant la- fendait encor vigoureusement
quelle son ame aurait voyagé par d , forteresses. Hérodote cl
tout le monde, et aura t passe succès-
sivement de chameauen chameau, elle DenyS d HallCarnasse soutins
ne ddt retourner encore une fois dans dans cette ville.
un corps humain, beaucoup plus»™ {a) strab , lib. XIV, pag. q5.. Pomp.
et plus parfaite qu elle n était au ^ ^ - ^
commencement. Ce fut la le Credo du ^ Freinsbem. , Supplem. in Curtiim.
droguiste. On dit que la plupart des ub u cnf)m TX et x.
Chinois sont fort attachés a cette opi- (c) Lib. II, cap. VIII.
nion. On a parmi les œuvres posthu- ((/) In Rhodo , pag. 36.
mes de M. Barrow une relation an- (A) CàaU une colo)ûe Jes y,
glaise d une conspiration qui fut faite J , Le conducleur de la coionie
dansle sérail, contre Kiosen grand- 5 ^ Antheg ef ti(. de ,.,
mère de Mahomet IV. Albert bobo- ^{^ Thrëzène (l). Pausanias (a) |,.
vius , musicien du sérail , et temom nommc Antha et le faitfiis de Ncptu
oculaire de cet événement, a compose
cette relation (9).
1691,
(G) Journal de Leipsic, mois de mai
pag. î?G.
(7) Eut présent de l'Empire ottoman , pag.
4oG , 4°7-
(S) C'est que tout ceux que ce droguiste con-
naissait à Conslantinople , imbus de la métem-
psycose, étaient droguistes.
Ci)) Voyez la Bibliothèque universelle, tom.
X, pag. (12.
P .
ne , et ne lui attribue point d'avoir
mené lui-même la colonie ; il attri-
bue cela à ses descendans. Quoi qu'il
en soit , ceux d'Halicarnasse étaient
surnommés 'Av9«<itJki (3).
(1) Strnbo, M. XIV. Callimacbns , apud Sie-
pliannm.
(2) Lib. II, pag. »3.
(3) Stepli. , in 'A&ï)Vcti.
HALICARNASSE , ville capi- HALL ( Joseph ) , l'un de» pin-,
laie du royaume de Carie, était illustres prélats qui aient clé eu
HÀ
Angleterre au XVIIe. siècle *",
fut premièrement professeur en
rhétorique dans l'académie de
Cambridge , et puis successive-
ment ministreà Halstède , doyen
de Worcester , évêque d'Exceter ,
et enfin évêque de Norwich [a).
Jl fut député au synode de Dor-
drecht , et y assista pendant quel -
que temps ; mais , étant tombé
malade , il se vit contraint de
se retirer de cette fameuse as-
semblée (A). Il publia beaucoup
de livres, dont plusieurs ont été
traduits d'anglais en français ,
par Théodore Jacquemot. On y
trouve de belles pensées , une
très -bonne morale , et même
beaucoup d'onction. Il mourut
l'an i65o, à l'âge de quatre-vingt-
deux ans (b). Il aimait si fort l'é-
tude , qu'il eût souhaité passion-
nément que sa santé lui eût per-
mis de faire en cela des excès
(B). Ses écrits , quand l'occasion
s'en présente , témoignent qu'il
était bien chaud contre le papis-
me (C). Il ne désapprouvait guère
moins ceux qui se séparent du
gros de l'arbre *2 sans une extrê-
me nécessité. Ce qu'il disait d'Ar-
minius en est une preuve (D). Il
déplorait les divisions des protes-
tans, et il composa quelque cho-
se sur les moyens de les termi-
ner. Cela fit beaucoup de plaisir
au grand pacificateur Duraeus
(E). Il traita entre autres con-
troverses celle du vœu du céli-
*' Il naquit, dit Chaufepié, dansBristow
Park , le Ier. juillet l5y4-
(a) Witte , in Diario Biographe
(b) Idem , ibid
*a Lecleic trouve très-bonnes les preuves
donne'es par Bayle ; mais il ajoute : « L'église
• romaine était certainement le gros de l'ar-
>. bre quand Luther s'en détacha. •■ Ne peut-
on pas alors demander à Lecleic quel était le
gros de l'arbre du temps de saint Jean-Baptiste.
TOME YU.
LL. 481
bat (F) ; et lorsqu'il eut su que
Marc-Antoine de Dominis avait
dessein de s'en retourner d'An-
gleterre en Italie, il lui écrivit
une lettre pour lui représenter
la nécessité de se tenir séparé de
la communion de Rome. Cette
lettre a été insérée toute entière
dans la réponse de Marc Antoine
de Dominis (c). Ses Épitres mê-
lées sont un bon ouvrage : elles
sont sans date; mais puisqu'il les
dédia au prince Henri (d) , fils aî-
né de Jacques Ier., il faut con-
clure qu'elles furent écritesavant
l'année 161 3. Il remarque dans
son épître dédicatoire, que ce
n'était point encore la coutume
des Anglais de publier des dis-
cours en forme de lettres , com-
me on le faisait parmi les autres
nations. On lui attribue dans le
Catalogue de la bibliothèque d'Ox-
ford le livre intitulé Mundus al-
ter et idem (G), sive terra aus-
tralis antehac semper incognito,
longis itineribus peregrini taca~
demici nuperrimè lustrata , au-
thore Mercurio Britannico. II
n'approuvait point que les gen-
tilshommes d'Angleterre voya-
geassent dans les pays étrangers;
et il fit un livre là-dessus , qu'il
dédia à la noblesse (H). Son Sé-
nèque chrétien a été traduit en
diverses langues. C'est un traité
fort solide *.
(c) Voyez le Journal des Savans , du q
d'avril 1667.
(d) Qui mourut le 6 de novembre 1612.
* Beaucoup d ouvrages de Hall ont été tra-
duits eu français. Sénebier [Genève littéraire
Il , 222 ) , en cite quatorze qui l'on! été par
Théodore Jacomot. M. Barbier ( dans sou
Examen critique, etc.) reproche à Séne-
bier d avoir oublié six traductions. Joly ob-
serve que, dès 1610, un sieur de Tourval
avait donné un volume , petit in-12, de 109
pages, intitulé, Caractères de vertus et de
vices tirés de l'anglais de M. Joseph HalU
3i
482 HALL.
(A) lise vit contraintde se retirer du
synode de Dordrecht.] Un prêtre qui
écrivit contre lui ne manqua pas de
l'insulter sur cette de'putation ; mais
voici ce que Joseph Hall lui répon-
dit (i) : « Que luy mesme , ou autre
}> de ses téméraires et volages com-
» pagnons dient en quoy c'est
:> que j'ay fait honte à ceux qui m'ont
3) envoyé'. C'a esté à mon juste regret
3> que la nécessité de ma santé, voire
» de ma vie, m'en a appelle prematu-
» rément ; mais puis qu'il m'a fallu
j) céder à la nécessité de la mort , ou
j) de ce départ , les autres jugeront si
3> j'en partis avec plus d'infirmité que
3) d'approbation , quelque indigne
3> que j'en fusse (*). 33
(B) 11 aimait, si fort l'étude , qu'il
eût souhaité que sa santé lui eût
permis en cela des excès.] Cette
circonstance de sa vie se trouve
dans une de ses lettres. N'ayez point
peur , écrit-il à un ami (2) , que je
travaille par trop a estudier. J'ay un
corps qui me conlrerole assez en cela;
de sorte qu'il n'est pas de besoin que
mes amis s'en tourmentent. Il n'y a
rien en quoy je peusse plustost excé-
der si j ' osoye seulement négliger la
santé de mon corps pour assouvir le
désir de mon esprit. Mais cependant
que j' affecte et recherche les thresors
de science , ma joiblesse me tance en
.se «lisant : Il se vaut mieux contenter
d'un petit savoir , que de se priver
de santé. J' acquiesce et souffre pa-
tiemment d'estre frustré de la félicité
que j' avoye choisie. Que l'on est heu-
reux lorsqu'avec une âme si studieuse
l'on a un corps qui peut résister aux
suites d'une forte et continuelle ap-
plication de l'esprit ! Joseph Hall ,
n'ayant pas eu ce partage , se gou-
verna comme doivent faire en pareil
cas les hommes prudens : il refrénait
son inclination dès que son corps l'a-
vertissait que cela était nécessaire à
sa santé. Ceux qui veulent forcer la
riaturej et se clouer sur les livres lors
(1) Joseph Hall, Apologie pour l'honneur du
mariage des personnes ecclésiastiques, folio B. 3
verso. Je me sers de la version de Jaqueraot ,
imprimée a Genève. Van ii>65.
(*) Necessilole propellenle prodilio est ea la-
cère quee (juis sludiose peifeceril. Ghrysosl. , in
illii : Utinarn tolerasselis , etc.
(?) Hall, Epîlres mêlées, 11e. décade, pag.
K|5 de l'édition de Genève, 1G27 , suivant la
torsion de Juquemot.
même qu'ils sentent que l'étude leui
échauflè trop le sang , ou leur épuise
la tête , s'éloignent plus qu'ils ne
doivent de la maxime que la vie ne
consiste pas à vivre , mais à se bien
porter. ,
Al noslri henè computenlur anni;
Et quantum letricœ lulëre fehres ,
Aul languor gravis , aut'mali dolores ,
A vitcî meliore separenlur ;
Infantes sumus , et senes videmur.
/Etalent Priamique , JSestorisque
Longam qui putal esse , Marliane ,
Multum decipiturque, fallilurque.
Non est vivere , sed valere vitd(3).
Et si le zèle pour le service du public
les encourageait à négliger leur
santé , ce serait un zèle mal entendu;
car ils peuvent être plus utiles à la
république des lettres en ménageant
leurs forces , qu'en ne les ménageant,
pas : on va bien plus loin en travail-
lant un peu chaque jour, qu'en s'ap-
pliquant quelques semaines de suite
à un travail opiniâtre qui vous attire
de fort longues incommodités. Heu-
reux , je le dis encore un coup, celui
qui est si robuste qu'il peut étudier
quatorze ou quinze heures chaque
jour , sans être jamais malade. Une
infinité de gens de lettres sont privés
de cette félicité : quelques - uns en
petit nombre, pauci quos œquus ama-
vit Jupiter, la possèdent c
Unus et aller
Forsilan htec sperant juvenes, quitus arlç,
benignâ
El meliore lutofinxil prœcordia Titan (4)-
(C) 77 était bien chaud, contre le pa-
pisme. ] Ses Epîtres mêlées (5) peu-
vent suffire à donner des preuves de
ce fait-là. Je n'en tirerai qu'un pas-
sage ; et je le choisirai de telle sorte
qu'il fera voir que l'auteur haïssait
bien les jésuites ; et notez que je le ti-
re d'une lettre qui contient les obser-
vations que fit Joseph Hall , environ
l'an 1610 , dans son voyage du Pays-
Bas espagnol. Les relations des voya-
geurs nous font ordinairement con-
naître quel est leur goût dominant,
s'ils sont antiquaires , physiciens ,
géographes , ingénieurs , dévots , ou
bigots , etc. : celle de Joseph Hall ne
respire qi»!e la controverse. Aussi a-
t-il avoué qu'il ne voulait rapporter
(3) Marïial. , epigr. LXX , lib. FI.
(4) Juven. , sat. XIV, vs. 33.
(51 Forez surtout la Ire. de la lre. décade ,
et la IF', de la H'. , et la /". de la F'.
HALL.
483
que ce qu'il avait remarqué comme
théologien (6) : mais venons au fait ,
citons ce que nous avons promis.
Nous vismes en nostre chemin beau-
coup d'églises démolies , sans qu'il y
7'estast autre chose que des tristes
monumens, pour donner a cognoistre
au passant qu'il y a eu de la devo-
effet : la puissance des jésuites s'est
fort augmentée depuis ce temps-là en
dépit de tous les efforts de leurs ad-
versaires j mais ceux-ci sont encore
bien formidables , et leur donnent
beaucoup d'exercice. Ceux qui liront
le traité que Josepb Hall a intitulé ,
Nulle paix avec Rome , seront con-
tion et de l'hostilité en ces lieux. O vaincus de son zèle contre le papis
misérables traces de la guerre ! outre
le sang es pendu , la ruine et la déso-
lation ! La furie a fait en ces lieux
ce que l'avarice et l'ambition nous
voudroyent faire, mais ne feront pas :
car cependant que la vérité régnera
au dedans elle garentira les murail-
les au dehors. Et de fait ( quoi que
die le vulgaire ) , l'idolâtrie a abbatu
ces murailles (7), et non la rage. S'il
n'y eust point eu d' Hollandais pour
me. 11 fut imprimé à Genève , selon
la version française de Jaquemot ,
Fan 1629 , t'n-ia. Qu'on voie aussi
sa Sérieuse dissuasion d'adhérer à la
papauté , à W. D. Révolté , etc. (9).
(D).... // ne désapprouvait guère
moins ceux qui se séparent du gros
de l'arbre.... Ce qu'il disait d ' Arnu-
nius en est une preuve. ] La Irc. épî-
tre de la IIIe. décade fut écrite à
M. Smith et à M.Rob , chefs de la sé-
les raser, elles fussent tombées d'elles parution qui s'était faite depuis peu
mesmes pluslost que de receler tant à Amsterdam. Il leur représente vi
d! impietez sous leur loict. Ce sont
des spectacles , non tant de crua
comme de justice : cruauté de l'hom- l'église anglicane , que de s'enfi
me , justice de Dieu. Mais je m'esba- d'elle ; que si tant estoit qu'elle fust
er lani a simsieraam. m leur représente vi-
?e sont vement (10) qu'ils ne pouvaient faire
•uauté , un plus grand outrage à leur mire ,
l'hom- l'église anglicane , que de s'enfuir
his que les églises tombent , et que les
collèges des jésuites se dressent par
tout. H 11 y a point de villes où il ne
s'en bastisse , ou en laquelle il i{y en
ait de construits. D'où vient cela ?
est-ce que la dévotion ne soit pas tant
vilieuse , elle estoit néanmoins leur
mère , ce qui leur devrait servir de
cause suffisante , pour déplorer sa
condition , pour prier pour elle , pour
tascher de la redresser, et non pour
la fuir. Ceste procédure dénaturée
nécessaire en la police ? Ces gens-la est honteuse. Ils alléguaient le pré-
( de mesmes que l'on dit du renard) cepte sortez de Babylonne (11) • mais
font mieux leurs affaires lors qu'ils il leur répondit que l'église dont ils
sont plus maudits des hommes. Nulle
secte n'est tant détesté par ceux de
leur parti mesme , ni tant haye de
tous , ni tant contrequarrée par les
nostres , et neantmoins ces mauvaises
plantes ne laissent pas de croislre
abondamment : Quiconque vivra long-
temps les verra craints et redoutez des
leurs propres , qui maintenant les
haïssent ; verra dis-je , dévorer par
ces sept vaches maigres toutes les bes-
tes grasses qui paissent dans les pas-
turages autour du Tybre. Je prophé-
tise ce que Pharao a songé. L'esvene-
s'étaient séparés en était sortie. « Ba-
» bylonne , continue -t- il ( 12 ) , le
» sent elle mesme, et voit bien qu'elle
» est abandonnée et se plaint à tout
» le monde , que non seulement nous
» l'avons délaissée , mais aussi que
» nous l'avons despouillée : ....Et,
» sinon que vous vouliez estre aveu-
» gles de vostre gré , vous pouvez
» encor voir les monceaux de ses au-
» tels démolis , les cendres de ses
» idoles , les ruines de ses monu-
» ments , la condamnation de ses
» erreurs , et la vengeance de ses
ment justifiera ma croyance (8). Cette » abominations... Où sont les grands
prophétie n'a point eu encore son » bastimens de cette maudite cité?...
» Où sont ces tas pourris ( pourris
» non par la succession du temps ,
(6) Hall , Épîtres mêlées, décade I , p. 62.
(7) Fausse -pensée; car celle idolâtrie n'a été
la cause de la ruine d'aucune église dans les
pars ou les guerres de religion n'ont pas Jait
sentir leurs rnuages.
(8) Hall , Epîtres mêlées, décade I , pag. 63
et suiv. Notez que j'ai cité, dans la remarque
(N) de l'article Litse , loin. IX, un nuire pas-
sage tiré de la même lettre de Joseph Hall.
(9) La traduction française , qu'en fit Jaque-
mot, fut imprimée h Genève, l'an 1629.
(10) Hall, Epîtres mêlées, décade III lettre
I, pag. 15.
(11) Là même , pag. 16.
(12) Là même ,pag. i<].
HALL.
484
j) ains par la corruption ) de trans-
w substantiations de pain , d'adora-
» tions d'images , cette multitude
3) de sacremens, ce pouvoir des in-
» dulgences, cette ne'cessité des con-
w fessions , ce profit des pèlerinages,
j) cette ignorance contrainte et ap-
» prouvée , et ces dévotions incog-
» nues ? Où sont ces voultes , ou mi-
» nés profondes de peines et de pur-
3) gatoires , et tout ce qui a este'
3» inventé par ces papelards , soit
3) pour le proffit , soit pour la gloire ,
3) contre Dieu et son Christ ? Tout
3) cela n'est-il pas exstirpé du milieu
3) de nous, et enseveli dans la pous-
3) sière ? La majesté de ces dieux n'a
3) elle pas desja depuis un long temps
3) esté exposée à la risée publique du
3> commun , de mesme que l'on a fait
3> de Mithra , et de Serapis ( 1 3) ? »
Ils alléguaient que par le consente-
ment aux cérémonies l'église anglica-
ne demeurait toujours aux faubourgs
de Babylone (i4)- H leur répond
entre autres choses, qu'en raisonnant
de cette manière ils trouveraient par-
tout Babylone. Voudriez - vous fuir
de Genève , leur demande-t-il (i5) ,
h cause du pain sans levain qu'on y
reçoit au sacremetit de la cène (16)?...
« Faites un peu comparaison du lieu
» que vous avez quitté avec celuy
3> que vous avez choisi , et que la
j) crainte de sembler vous repentir
3) sterdam (17)... Qui gagne par cette
» séquestration sinon Rome et l'en-
» fer? Quelles bravades font-ils pour
» cest advantage qu'ils ont de voir
» que les propres enfans de notre
3> mère la condamnent d'impureté ,
)) que nous sommes tous les jours af-
3) foiblis par nos divisions , que la
» populace ignorante a un motif si
3) palpable pour se défiler de nous....
» Dieu vous vueille par sa grâce desil-
» 1er les yeux , afin que puissiez voir
» l'injustice de ce zèle qui vous a
» transporté,... autrement vostreame
3) trouvera trop tard qu'il eust mille
» fois mieux valu supporter une cere-
3) monie, que de démembrer une egli-
)> se : et mesme que les paillardises et
>3 lesmeurtres seronttraittezplusdou-
» cernent que telle séparation (18). 3)
On peut joindre à tout ceci les
raisons qu'il donne dans la Ve. lettre
de la VIe. décade (19) , et les éloges
qu'il répand sur la mémoire de Ju-
nius , dans une autre lettre (30). C'est
dans la lettre où il déplore les divi-
sions des théologiens de Leyde , et
où il décrit pathétiquement les maux
que l'église souffre par cette espèce
de guerres civiles. Voici l'exhorta-
tion qu'il adresse au professeur qui
donna lieu à ces divisions. « Si je
3> pouvais avoir quelque crédit en-
3) vers ce docte et subtil Arminius ,
» je le voudrais solliciter et conjurer
i> trop tostne vous rende point par- 3> en telle sorte. Hélas qu'un si sage
3) tial en cest affaire. Là où vous es-
33 tes y a un commun refuge de tou-
33 tes sectes , de toutes hérésies , si
3) plustost il n'y en a un meslange ;
)) au lieu qu'icy vous respiriez soubs
3> un air libre et serain de l'Evangile
3) sans estre troublé de cette odieuse
i> composition du judaïsme , arianis-
» me et anabaptisme , et là vous vi-
33 viez comme en la pépinière de tel-
3) les sectes, voire de davantage. Vous
3) estes indignes qu'on ait pitié de
33 vous , si vous voulez approuver
33 vostre misère. Vous ne scauriez di-
3) re que l'église anglicane ( si elle
» n'estoit pas vostre ) ne soit comme
33 un paradis en comparaison *S!Am-
(i3) Hall, Épîtres mêlées, clec. II I, lettre I,
pag. »8i H)- „
(i4) La. même , pag. 20.
(i5) La même, pag. 21.
(16) Celle coutume fut abolie, l'an 1G23.
Voyez M. Spoo, Hist.de Genève, p. m. $1"$.
3) personnage ne sache quelle est la
» valeur de la paix : qu'un si noble
» fils de l'église soit venu en lumière
33 en déchirant et lacérant le ventre
>3 de sa mère ! A quoi tendent ces
3) subtiles nouveautés ? Si elles le
3) rendent fameux, et rendent l'église
3) misérable , qui en aura du gain et
3> du profit? La singularité est-elle
3) si précieuse , qu'elle doive tant
33 coûter , que pour icelle il faille
3) perdre la sûreté et le repos de no-
3) tre commune mère ? Si ce que tu
(17) Hall, Epîtres mêlées, décade 1 II, lettre
I, pag. 22 et suiv.
(18) Là même, pag. it\ , a5.
(ig) Elle fut e'crUe à M. J. W. , pour le dis-
suader de là séparation.
(20) Votre fameux Junius n'avait rien déplus
admirable que V amour de la. paix : lorsque nos
séparatistes le provoquèrent, avec combien de
tranquillité' d'esprit les rejela-l-il? et avec com-
bien de grave importunité les invitait- il à modé-
ration? Que son dme sainte , etc. Hall , lettre
VU de la VIe. décade, pag. 499-
HALL.
affectes est vérité, pourquoi se-
rais-tu Tunique? Penses-tu qu'il
n'y ait point eu d'yeux piscines
aux tiens, qui aient pu être bien-
heureux par cet objet ? Où s'est si
long-temps tenue cache'e cette vé-
rité sacre'e des soigneux inquisi-
teurs d'icelle , que maintenant elle
se de'couvre premièrement à toi ,
non recherchée ? L'Évangile a-t-il si
long-temps resplendi et éclairé au
monde , et laissé quelques recoins
sans les visiter? Arrière toutes nou-
velles vérités ; elles peuvent bien
être belles et plausibles, mais non
saines et solides : aucuns te pour-
ront admirer pour icelles ; mais
nul ne te bénira. Toutesfois posons
le cas que quelques-uns de ces
points ne soient pas moins véri-
tables que curieux ; pourquoi est-
ce que les plains-chants de l'har-
monie de notre paix seraient trou-
blés et interrompus par ces fugues
et fredons inutiles ? Quelque er-
reur plausible peut être meilleure
que quelque vérité déréglée. Qui
nous oblige de dire tout ce que
nous pensons ? Pourvu que l'église
subsistât toujours , plût à Dieu que
tu fusses seul sage ! Nos adversai-
res ne querellaient-ils pas assez sur
nos querelles auparavant ? N'é-
taient-ils pas assez enrichis de nos
dépouilles? Par le cher nom de
nos communs pères, que penses-
tu faire , toi Arminius ? où butent
ces dissensions nouvellement sus-
citées ? qui en aura du profit sinon
ceux qui insultent contre nous , et
s'établissent par la chute de la vé-
rité ? qui sera perdu et ruiné sinon
tes frères ? Par cette précieuse et
sanglante rançon de notre Sauveur ,
et par cette épouvantable compa-
raissance que nous ferons un joui-
devant le tribunal glorieux du fils
de Dieu, je te conjure d'avoir souve-
venance de toi-même , et des pau-
vres membres de l'église distraits
et séparés : ne permets point que
ces qualités excellentes , desquel-
les Dieu t'a doué , soient en achop-
pement au faible pour le faire tré-
bucher ou choppcr , ou errer. Pour
l'amour de Dieu , ou bien ne dis
rien , ou bien dis le même. Com-
bien de grands esprits y a-t-il qui
n'ont point cherché de détours , et
485
» maintenant sont heureux avec leurs
» compagnons? Que ce ne soit point
» mépris d'aller au ciel avec plusieurs.
» Que pourrait-il répliquer à un com-
» mandement si exprés ( 21 ).» Il ne
faut pas oublier qu'il insinue que les
adversaires d' Arminius se donnaient
trop de mouvemens. Gomarus, ajou-
te-t-il (22) , ni les autres de la véné-
rable fraternité des révérends théolo-
giens , n'ont pas été muets en une
cause si importante. Je crains plutôt
qu'il ne se fasse trop de bruit en quel-
ques-uns de ces tumultes. Il y peut
bien avoir trop de gens pour débattre,
mais non pour prier. La multitude
des requérans est ordinairement puis-
sante ; et combien plus en des justes
mouvemens? La sagesse et la
charité nous pourraient apprendre a
éviter le préjudice des différends. Si
nous avions seulement ces deux ver-
tus , les querelles ne nous nuiraient
point, nia l'église par nous -.maishé-
las ! l'amour de nous-mêmes est trop
fort pour toutes deux : celui-ci seu-
lement ouvre les bondes et les digues
de dissension , et submerge la plaisante
mais basse vallée de l'églLe. Les hom-
mes estiment les opinions , pource
qu'elles sont leurs , et veulent que la
vérité soit la servante, non la gouver-
nante d'icel/es. Ils veulent que ce
qu'ils ont entrepris soit tenu pour
vrai : la victoire est recherchée , non
la satisfaction : la victoire de l'auteur,
non de la cause. Rare est celui qui
sait céder aussi bien que reprendre et
arguer (23). Voilà d'excellentes pen-
sées, et qui servent d'un beau sup-
plément à mes articles d'Arminius et
de Gomarus (24). Notez que le ser-
mon qui fut prononcé par Joseph
Hall en présence du synode de Dor-
drecht , roula sur cette maxime ,
qu'il ne faut point faire le subtil
dans les matières de la religion : il
soutint ([ne les remontrans , pour
avoir voulu tant subtiliser , avaient
été cause des désordres qui brouil-
laient alors l'église (25).
La lettre qu'il écrivit à un homme
(21) Là même, pag. 5oi etsuiv.
(22) Là même , pag. 5o5-
(23) T. a même , pag. 5o6 , "n-,
(a4) Voyez ta remarque (K) rte l'article Ar-
minius, tom. II, pag. 387, et la remarque (D}
de l'article Gomarus, pat;. 112.
(»5) Voyez EuUtol» ecclesiaslica; et tlieologi-
cse praesUoiium Yirorum, pag. 5i5, edil. i684-
486 HALL.
très-inconstant sur la religion , nous » férences, la leur vous doit déplaire
peut convaincre qu'il eût souhaité » beaucoup davatitage ; si non que
passionnément qu'une parfaite con- » vous vouliez être volontairement
» incrédule , ou volontairement par-
» tial 5 si non qu'un mal vous désa-
» grée le moins pour ce qu'il est
» secret (3o). Que voulez-vous donc
» faire ? voulez-vous être une église
» vous seul? Hélas, de combien de
» contradictions à vous-même êtes
passionneme
corde eût pu régner dans l'église.
Vous êtes , disait-il à ce personnage
(26) , tantôt du parti des romanistes ,
tantôt du notre , tantôt entre deux ,
contre l'un et l'autre. Nos adversaires
estiment que soyez du notre , et nous
vous jugeons être du leur Qu'est-
ce qui cous empêche ? Sont-ce nos dici- » vous plein ! de combien de déli-
sions ? Je cois que cous hochez la tête » bérations contraires ! combien de
h ceci, et montrez tacitement par cos » fois êtes vous en dispute et querelle
gestes que ceci est la cause de cotre » contre vous-même ! »
dégoutement. Plût a Dieu que je Observons par occasion que ce
puisse nier ce point en cérité , ou bien qu'il dit là de Bellarmin lui fut con-
/ effacer par des larmes ! mais je l'ac- teste : un prêtre anglais prétendit
corde acec non moins de regret que que c'était une assertion très-effrontée
vous d'offense. Une se coit rien h la (3i). Joseph Hall répondit (3a) entre
vérité de plus lamentable et déplora- autres choses , qu'il avait compté les
ble en cette terre , que les ciciles dis- 237 contrariétés selon V énumération
sensions d'une seule foi (27). Après qu'en a faite Pappus, etque sa Paix
cela il réfute le prétexte que l'on pou- de Rome en compte io3. Cette Paix de
vait prendre de ces discordes , pour Rome est un livre de Joseph Hall.
ne se ranger à aucun parti ; et il sou- On aurait pu le questionner de cette
tient que non-seulement les commu- manière : Si vous avez trouvé juste la
nautés ne sont point exemptes de di- supputation de Pappus , pourquoi
visions , mais aussi que chaque par- vous contentez-vous dans ce livre-là
ticulier y est exposé. Montrez - moi d'objecter io3 contrariétés? Et si
quelque église qui ne se soit plainte vous ne l'avez pas trouvée juste,
de quelque distraction ; ou que/que pourquoi dans votre lettre objectez-
famille , coire quelque fraternité, vous 237 disputes?
aincois quelque homme qui soit ton- (E) Cela fit beaucoup de plaisir au
jours d'accord acec soi-même, ployez grand pacificicateur Durœus. ] Il pu-
si l'épouse de Christ en ce céleste blia , en i634 , les avis de quelques
épithalame ou cantique nuptial , ne théologiens français , et ceux de trois
l'appelle pas un jeune faon de bi- évêques anglais , touchant la manière
che sur les montagnes de division, de réunir les protestans. Notre Joseph
Dites-moi donc : ou coulez-cous aller Hall était l'un de ces irois évêques.
pour troucer la cérité, si cous ne Davenant et Morton étaient les deux
coulez point acouer de cérité que l'a autres. L' [renicorum Traclatuum
où il n'y a point de division ? Peut- Prodromus , que Duraeus fit impri-
être a Rome , cille fameuse pour Vu- mer l'an 1662, contient deux écrits
nité qu'il y a , fameuse pour la paix ? de Joseph Hall. L'un a pour titre Co-
l^oyez donc maintenant comme cous lumba Noœ olicam adferens jactatis-
acez heureusement choisi , comme simœ Christi Arcœ, prœsertim ad-
vous acez bien profité ! Le cardinal cersùs machinationes Pontificiorum.
Bellarmin lui-même , témoin irrépro- C'est un sermon qu'il prêcha devant
chable et sans exception , reconnaît un synode de Londres. L'autre est
en ses propres écrits publiquement et intitulé Par terris , cotilinens caria
compte 237 contrariétés de doctrine ad Concordtam inler Christianos hoc
entre les théologiens romains (1"
<i Si notre église vous déplaît, con-
tinue-t-il (29) , à cause de ses dif-
(26) Joseph Hall , lettre V de la III', déca-
de , pag. 82.
(27) Là même, pag. 84.
(28) Là même, pag. 86, 87.
(2;)) Là même, pag. 89.
(3o) Il avait dit dans la page 88 que les papis-
tes n'ont pas moins de dissensions, mais ils en
étouffent et suppriment davantage. Ils se bat-
tent secrètement et sans bruit, an lieu que tous
nos combats se font en pleine campagne.
(3i) Voyez Joseph Hall , dans ^'Apologie pour
le Mariage des Ecclésiastiques , re'ponseà l'aver-
tit sèment.
(ii) Là même.
tempore suadendam Consilia et Ar-
gumenta.
(F) // traita entre antres contro-
verses celle du vœu de célibat. ] Sa
IIIe. lettre de la IIe. décade est mti-
tuléc, Discours apologétique touchant
le mariage des personnes ecclésiasti-
ques. Elle ne coûta que trois heures
à l'auteur , et que trois feuillets
(33). Elle est de 23 pages in- 11 dans
la traduction française de Jaquemot.
Douze ans après qu'elle eut paru ,
un prêtre anglais la réfuta par un
écrit de 38o pages (34). Joseph Hall
lui répliqua avec une extrême promp-
titude par un livre qu'il intitula :
Apologie pour l'honneur du mariage
des personnes ecclésiastiques , contre
les malicieuses calomnies de C. K.
prêtre pseudo-catholique- Il le publia
en anglais , l'an 1620. La traduction
française de Jaquemot fut imprimée
à Genève , l'an iG65 , et contient 36s
pages in-in. L'auteur fut bien aise de
prouver sa diligence , afin que son
outrecuidé adversaire , et ses parti-
sans séduits , pussent voir comment
un mariage bien ordonné n'est point
cause de la fétardise et stupidité de
nos esprits , ni de la lâcheté de nos
mains (35). Tout marié qu'il était , il
acheva cette réponse , et il écrivit
par <Ieux J'ois de sa propre main en
fort peu de temps , quoiqu'il travail-
lât à cela comme par récréation et
divertissement des plus importantes
affaires de sa vocation , lesquelles le
pressaient alors plus qu'à V ordinaire
(36). Ceci nous donne sujet de con-
jecturer que le prêtre anglais s'était
servi du lieu commun que le mariage
détourne trop de l'étude (3^) 11 était
échappé à M. Hall quelques expres-
sions qui semblent signifier que la
continence est impossible ; et on
l'embarrassa un peu par les consé-
quences que l'on tira de cette thèse.
Voici l'une des objections du prêtre
anglais (38). M. Hall a esté absent
en France ; la chair est fragile , les
(iî) Joseph Hall , préface de l'Apologie pour
lMionneur du mariage des ecclésiastiques.
(34) Là même.
(35) La même.
(36) L'a même.
(37) Voyez la remarque (B) de l'article Usst-
p.ids (Henri), ton. XIV.
(38) Voyez ('Apologie de M. Hall , pour le
mariage des ecclésiastiques , pag. 71 , 72. Con-
férez la XXfe. lettre de laSuhe de la Critique
générale de Maimljourg, pag. G88.
HALL. 487
tentations sont fréquentes , si est ce
qu'il auroit pris a grand desdain et
mespris d'estre soupçonné de quelque.
deshonnesteté tant alors que avant
son mariage : si M. Hall a bien pu
vivre si long temps chastement , pour-
quoy n'aurait pu vivre ainsi plus lon-
guement ? Il répond que cette con-
clusion ne vaut rien, et il la compare
à c(')lrs-ri"*< Un bon nageur peut
» retenir son souffle sous l'eau pour
» quelques minutes de temps, pour-
» quoy ne le pourroit il pas aussi
» retenir pour une heure? pourquoy
» non pour plus long temps ? Un pa-
» piste dévot peut bien jeusner après
» avoir desjeusné, jusques à son dis-
» ncr après midi , pourquoy donc,
)< ne pourroit-il pas jeusner une se-
» maine entière ? pourquoy non un
» mois ? pourquoy non autant de
» temps que Eve , la fille de Meurs
» (39) ? » Après cela il répond entre
autres choses, que saint Panl '*) ayant
permis aux mariés de se séparer pour
un temps par consentement mutuel
afin qu'ils vaquent ajeusne et a orai-
son , leur commande de retourner
ensemble , afin que Satan ne les tente
a cause de leur incontinence. Ce qui
suppose que de ce qu'on peut se con-
tenir quelques jours, il ne s'ensuit
pas qu'on le puisse faire toute sa vie.
L'a où il y a de l'impossibilité , ob-
jecte-t-on à M. Hall (4o) , ou de la
nécessité , il n'y a point de péché ,
point de conseil; comme nul homme
ne pèche en ce qu'il ne fait pas des
nouvelles estoiles , ou en ce qu'il ne
fait pas des miracles. Il répond (40
que c'est un « vieux argument qui à
» souvent été sonné aux oreilles
» d'Augustin et de Prosper de la part.
» des pelagiens ». On lui objecte
encore ceci (42) : Le père ne peut
blasmer son enfant d'incontinence; se
contenir implique de l'impossibilité :
se pourvoir d'un mari ou d'une jemme
(^3) n'est pas une oeuvre qui se face
seulement en une heure , et cependan t.
que feront-ils ? Certainement , ré-
(3çj) Hall, Apologie pour le Mariage des Ecclé-
siastiques, pag. 72.
(*) ICor., VU, 5.
(4o) Là même, pag. 76.
(4i) Là même , pag. 77.
(4^) Là même, pag. 78.
C43) Conférez la XXIe. lettre de la critique
générale du Calvinisme Je Mairubourg , pag.
707.
488 HALL.
pond-il (44) > " ce personnage entend jeune que lorsqu'il a pris une femme-
)> parler de ces chaudes régions de sa Car si, pour se justifier quant à ce
» religion, où ils sont si bouillans , temps-là , il alléguait qu'il avait vécu
» qu'il faut qu'on leur permette des sans amour , mais qu'enfin une cer-
» bordeaux au moins de l'un des taine femme l'ayant touche' par cer-
» sexes : autrement quelle étrange taines sympathies qui se trouvent dans
v violence est celle-cy qu'il conçoit ? la nature et par certaines proportions
» Comme notre Junius a répondu à machinales entre les objets et les
» son Bellarmïn , en cas semblable ,
j> hic homo sibi videtur qfi&re de equis
3> admissariis ruentibus in venerem ,
» et dehippomane , non de hominibus
» ratione prœditis. Il parle comme
w s'il avoit à faire avec des estalons ,
j) non avec des hommes , non avec
}> des chrestiens , entre lesquels l'on
» doit présupposer qu'il y ait un or~
j) dre décent et convenable, et undeu
)» esgard au temps et aux choses qui
« sont de saison et expe'dientes. » En-
fin on lui objecte les cas de divorce :
Le mari et la femme sont séparez
sur quelque discord , ou maladie :
Que feront-ils ? Il est impossible de
vivre en continence a cest homme l'a.
facultés (46 , il s'était senti privé de
la force de se contenir qu'il avait eue
apparavant ; si , dis-je , il se servait
d'une telle apologie , il s'exposerait
à des questions fort importunes et
embarrassantes. Comment avez-vous
fait , lui dirait -on , depuis cette
fatale rencontre qui vous a rendu
amoureux ? Vous avez été occupé
cinq ou six mois , un an peut-être ,
à la recherche de l'objet aimé, et
à régler avec les parens les condi-
tions. Votre amour vous ôtait la con-
tinence, il fallait donc que vous
tombassiez dans le désordre. Mais
qu'eussiez-vous fait si une femme
mariée vous eût frappé par ces sym-
Je respons que si c'est seulement leur pathies , ou par ces proportions dont
volonté qui les sépare , il faut qu'elle vous parlez ? Eussiez-vous pu vous
cède h la nécessité. La dissension ne
les doit pas dispenser ou distraire du
remeile nécessaire du péché ; Owe si
c'est la nécessité , elle trouve du sou-
lagement en leurs prières. S'ils invo-
quent et réclament celuy qui les ap-
pelle a continence par ceste sienne
main , il les exaucera , et leur- don-
contenir ? Si cela est, l'amour et la
continence ne sont point incompati-
bles , et vous tombez en contradic-
tion. Si vous n'eussiez pas pu vous
contenir , vous fussiez tombé dans
l'adultère ou réellement ou de vo-
lonté. Mais si après votre mariage
votre servante , qui sera peut-être et
nera moyen de persévérer. Et pour- plus jolie et plus jeune que votre
quoy non doriques en la nécessité de
nos vœux ? Ceste ci est une nécessité
qui procède de nostre invention, celle
là procède d& luy. Il s'est obligé a
tenir ses propres promesses , et. non
les nostres (45).
Quiconque examinera sans préven-
tion ces réponses de M. Hall , les trou-
vera un peu bien faibles. C'est envérité
un combat semblable à celui d'un eé-
neralu armée, qui, s étant trop avance
dans le pays ennemi ne s'en retire
qu'avec la perte de l'arrière- garde.
épouse , se trouve placée à votre
égard dans ces proportions machina-
les , vous voilà amoureux d'elle , et
par conséquent incapable de vous
contenir. La même chose arrivera si
une femme mariée se rencontre dans
les mêmes proportions ; et ainsi l'on
ne peut compter sur votre vertu :
on peut craindre tous les jours quel-
que scandale de votre conduite , ou
pour le moins vous considérer com-
me une personne dont la vertu est
appuyée sur un mauvais fondement.
Tout ecclésiastique qui avouera que II est sûr qu'un homme que sa pro-
la continence surpasse les forces hu-
maines , et qui donnera cette raison
pourquoi il s'est marié , rendra fort
suspect le temps qui a précédé ses
noces , temps où il était encore plus
(44) ï'a"i Apolnçie ponr le Mariage des Ec-
clésiastiques , pag. nij.
(45) Là même, pag. '■ft, 8o.
fession engage, non-seulement à bien
vivre, mais aussi à passer pour chas-
te , ne peut bonnement et honnête-
ment reconnaître qu'il s'est marié
parce qu'il lui était impossible de se
contenir. Il doit dire qu'il l'aurai!
(46) Voya la remarque (I) de l'article Farei,
mm. f^I, pag. 4"».
HALL.
pu , et qu'il.n'a pris une femme qu'a-
îin d'avoir des enfans , et une société
domestique et de confiance , etc.
Concluons que la controverse du cé-
libat ne peut être bien traitée , si on
ne prend garde à ne se pas trop expo-
ser au canon de l'ennemi. M. Hall
est beaucoup plus fort quand il allè-
gue les mauvais effets des vœux mo-
nastiques : les citations ne lui man-
quent point. En voici une (47)- IVos
Histoires ne nous disent-elles pas
qu'au règne d'Henri III , Robert
Grosse-Tête, le fameux evéque de
Lincoln, en sa visite, fut contraint
de rechercher la virginité de leurs
nonnains , en pressant leurs mamelles,
indignum scribi , comme écrit Mat-
thieu Paris (*) ?
Au reste , ce n'est pas seulement
dans les communions protestantes
qu'on a cru l'impossibilité' de se con-
tenir : il y a eu des catholiques ro-
mains qui ont eu même pensée; car
ils se moquaient des eccîe'siastiques
qui s'abstenaient de l'adultère et de
la fornication , et ils les prenaient
ou pour des eunuques , ou pour des
sodomites , et il y avait des paroisses
où l'on exigeait du^ure' qu'il eût une
concubine : on nPcroyait pas sans
cela que l'honneur des femmes fût
à couvert , et cela même ne les met-
tait pas hors du pe'ril. C'est Nicolas
de Cle'mangis qui nous raconte ces
choses. Taceo de fornicationibus et
adultéras ( Clericorum ) a quibus qui
alieni sunt , probro cœteris ac lurli-
brio esse soient , spadonesque aut so-
domitœ appellantur ; denique Laici
risque adeo persuasum hahent nullos
coslibes esse ut in plerisque paroehiis
non aliter velint presbrterum tolera-
re , nisi concubinam habeat quo vel
sic suis sit consultum uxoribus , quœ
nec sic quidem usque quaque sunt ex-
tra periculwn (fô)-
(G) On lui attribue le livre
intitulé Mundus alter et idem.] C'est
une fiction ingénieuse et savante où
il décrit les mauvaises mœurs de di-
(4p) Hall, Apologie pour le Mariage des Ecclé-
siastiques, pag. 94.
(*) Malt. Paris. , Hist. Anglic. Henri Ht, pas;.
ïo85. El quod indignum est scribi, ad domos
religiosarum vemens facit exprimi mammillas
earundem , ut sic physicè , etc.
(4S) Nicol. de Clemangis, de Prxstilibus Si-
mouheis, pag- m. i65 , col. 1.
489
vers peuples , l'ivrognerie des uns ,
l'impudicité des autres , etc ; la coiir
de Rome n'y est pas épargnée. L'au-
teur composa ce livre pendant qu'il
cultivait la littérature ; et s'étant de-
puis attaché à la théologie , il le né-
gligea et le traita de bagatelle; mais
Guillaume Knight , son ami , n'en ju-
gea pas de la sorte ; il le crut si di-
gne de voir le jour , qu'il le publia ,
quoiqu'il craignît de déplaire à ce-
lui qui l'avait composé, et qui lui
en avait confié le manuscrit. C'est
ce qu'il expose amplement dans sa
préface. Je ne saurais dire en quelle
année il le donna au public. Je n'en
ai que l'édition d'Utrecht , 164 î, in-
\-y. , à laquelle on joignit, à cause de
la conformité des matières, la Cité du
Soleil, de Campanella , et la nouvelle
Atlantide du chancelier Bacon. L'ou-
vrage de Joseph Hall est divisé en
quatre livres , et accompagné de car-
tes , et contient 2i3 pages dans cette,
édition d'Utrecht. On verra peut-
être avec plaisir le jugement de Nau-
dé. Voici donc comment il parle ,
après avoir fait mention de l'Utopie
de Thomas Morus , et de la Cité du
Soleil. Ultimum vero Angli, nescio
cujus, Mundus alter et idem, non
ita dudum prodiit ; aut veriùs salira
advershs depravatos prœsentis seculi
mores ; in quo dum sinsulas stationes
singuas vitus adstgnat , gentesque
illas incolentes ac loca ipsa , contor-
ticulatis ingeniosè , jrctisque ex cu-
jusque rei natura vocibus adpellat ,
non inepte meo judicio Poneropolim
institua, quœ ad hilarilatem. non mi-
nus homines excitare , quant ad vir-
tutem inflammare possit (4°<)-
(H) Il rî approuvait point que les gen-
tilshommes d! .Angleterre voyageas-
sent dans les pays étrangers , et il fit
un livre la - dessus qu'il dédia à la
nob'esse.l Ce livre , dans la traduction
de Jaqucmot, imprimée à Genève ,
l'an 1628, est intitulé ainsi : Quo
vadis ? ou Censure des. Voyages ,
ainsi qu'ordinairement ils sont entre-
pris par les seigneurs et gentils-
hommes. Il est dédié à Edouard Denny,
baron de Waltham , père de mylord
Hay +, qui avait été ambassadeur en
(fa) Naudreus, Bibliograpb. Pollue. , p. 5i7,
edil. Crenii , 1(192.
* Ctiaufeplé, d'après les traducteurs anglais
de Bayle, remarque que Denny était beau-père
49o HALL.
France, et qui avait eu à sa suite Gïovanus, de Schismate seu ecclesias-
dans cette ambassade , entre autres ticœ Unionis divisione, imprimée à
personnes , notre Joseph Hall. 11 y a Louvain , l'an i573 , in 8". ; de Tri-
An pour et du contre dans cette ma- bus primariis causis tumultuum Bel-
tière : Fauteur n'est pas le seul qui gicorum, et contra coalitionem mul-
se soit plaint du mal que produisent tarum reiigionum , quam liberam re~
les voyages. Thomas Lansius (5o) a ligionem vacant, à Douai, i58i ,
déclame quelquefois sur ce sujet. in-8°.; pro Defensione rcgiie et epis-
Juste Lipse , au contraire , approuve copalis auctoritatis contra rebelles 9
que l'on voyage (5i) ; et il a donne' à Douai , l'an i584 , m 8°. ;de Quin-
de fort bonnes instructions là-dessus, que partitd conscienûd ttbri très,
Voyez sa XXIIe. lettre delà Ire. cen- là même, i5q8, in-S°. ; de Proprié-
taire, tate et Vestiario Monachorunt , a/us
que ad hoc viiium extirpandum ne-
el non pj-re de Hay : . Le nom fils, employé cessari[s la même , ) 585 , ill-8".
» par Hall, signilie seulement gendre. » /T), r, ï. , , ,
te \ n i. j d ■ • . ■ . (tî) Il Ht paraître heaucoup de pas-
(5o) Dans ses harangues de Principatu inter . , ' ' 2; „' "
provinciasEurop». sion dans cet ouvrage. } ht surtout
(5i) Voyez ses Lettres , aux endroits marqués contre le prince d'Orange ; car il ht
dans la table des matières , sous le mot Père- des chapitres entiers pour le COn-
8nna 10' vaincre d'être tyran ; d'avoir affecté
tt » t t / t» \ ii ' i ■ la royauté' par des voies tyranniques,
HALL ( Richard ) , théologien comme Ab/aloil . d>avoir jes dit qua-
anglais de la communion de Ro- lités qui, selon Bartole, font le carac-
me, fut , je pense, l'un de ceux 1ère du tyran, etc. Il le compara à
qui sortirentd' Angleterre àcause Juliea postât et il n'y eut point
j , . ' i ° i • W d invectives qu il ne versât sur le
des lois pénales que la reine Eli- papier contre ce prince ? et contre
sabeth fit établir contre les pa- ses adhérons (i) , et pour animer les
pistes. Il se retira aux Pays-Bas catholiques à n'accorder point la li-
espagnols, et fut professeur en J>erté de conscient que les protes-
^1 ' i • - t\ • i • tans demandaient ç»;. Un homme qui
théologie a Douai , et chanoine avait tant de raisons personnelles
de Saint-Omer. II publia , entre d'être partial pour le roi d'Espagne ,
autres ouvrages (A) , un traité et chagrin contre la Hollande , ne
de l'origine des troubles de ce devait %oint™ mê,er d'écrire sur les
i- ti > ' -t • *. causes de cette guerre civile. Un his-
pays-la. Il n était point propre torien doit être' parfaitement désin-
à manier cette matière ; car d'un téressé ; et, dès qu'un homme a quel-
côté sa reconnaissance pour le <ïue ressentiment contre une nation ,
roi d'Espagne, qui lui fournissait \l doit s>b?tenir d'«m ^ire l'histoire ,
.. r ° , '.} . lors principalement qu il ne saurait
un asile , et de 1 autre le ressen- consulter tant soit peu sa mauvaise
timent de son exil, qui l'aigrissait humeur, sans plaire beaucoup à un
contre tous les protestans , l'em- autre peuple pour qui il doit avoir
-~,^L„"„ * J„ „ ,'JÂ de la complaisance et de la recon-
pecnaient de considérer avec • VT . , , j. ■
r, . . ,, î-i • naissance. Un tel homme, dis-ie , se
équité la conduite des provinces doit récuser lui-même , comme font
qui se soulevèrent contrePhilip- les juges honnêtes gens , lorsqu'ils
pe II. Aussi est-il certain qu'il sont intéressés dans quelque cause
r , ,,„ ». i „ j - (3). L'histoire ne doit être touchée
lit paraître beaucoup de passion x j • -i . c .
1 l t i « w * qUe par ^ mams pures . d Ja fai,t
dans cet ouvrage (t>). II mourut laisser écrire à ceux qui ne les ont
1 an 1604 [à). point ensanglantées du combat, ni au
(a) Witte, in Diar. Biograpli. (i) Consultez Schultingius , Bibl. catti. , lom.
IV, paç. 254.
(A) Il publia divers ouvrages. ] (3) r°Je* le"*ême, là même, pag. aS5.
Voici tout ce que je sais qu'il ait ,J*> \rf? ,cp RV'e ''ai du *™ Tla ™m*»l»"
. ..',•>.. ' (U) de i article RiîMond , loin. XII , et dans la
écrit : la prclacc du livre de Jean remarque (L) de l'article Timûe, tom. XIV.
HALLE.
49 »
figure , ni au propre ; il faut pour le en droit en présence du grand-
conseil , le 18 de mars 1640,
après avoir soutenu des thèses
dans cette illustre assemblée (b).
Il suivit à Paris M. Séguier , et
se fil connaître si avantageuse-
ment par quelques pièces qu'il
publia , qu'on lui offrit des ré-
gulées dans cinq différens collè-
ges , et qu'on l'agrégea extraor-
dinairement au corps de l'uni-
versité (c) , le i/\ d'août 164 1 •
moins attendre que le temps ait pu-
rifié les taches et consolide les bles-
sures. Elle mérite d'être respectée
comme les pénates des anciens :
Tu, genitor, cape sacra , patriosque pénales.
Me bello è tanlo digressmn , et ca-de recenti ,
Allreclare nef as ; donsc mejlumine vivo
Abluero (4)
(4) Virg. , iEn. , lib. II, vs. 717.
HALLE (Pierre), professeur
en droit canonique dans l'uni-
versité deParis , était né à Bayeux
en Normandie, le 8 de septembre U aima mieux enseigner dans
n. Il étudia en philosophie , ]e collège d'IIarcourt que dans
aucun autre ; et il eut là une
grande foule d'auditeurs. Il pu-
bliait de temps en temps quel-
ques poésies latines qui augmen-
tèrent sa réputation , et qui don-
nèrent lieu à son Mécène de le
faire installer poète du roi , et
lecteur en langue latine et en
langue grecque dans le collège
royal, le 18 de décembre i64^>.
La trop forte application à l'étu-
en droit et en théologie , dans
l'université de Caen , pendant
per
cinq ans. Il faut ajouter qu'il y
cultiva aussi avec un grand soin
la poésie ; sur quoi Antoine Hal-
le, son parent, et l'un des grands
poètes de son siècle , lui donna
de bonnes leçons. Il s'était insi-
nué dans ses bonnes grâces en
publiant quelques poèmes; et il
profita si bien des lumières de
cet illustre parent , qu'il rem- de ayant ruiné "a santé, il fut
porta le prix à Caen et à Rouen , contraint de se reposer pendant
dans les combats poétiques que deux ans pour la rétablir. Lors-
l'on y fait toutes les années (a), qu'il fut guéri , il se mit en tête
II s'acquit par-là une telle repu- de redonner quelque lustre à la
tation , qu'encore qu'il fût fort faculté de droit, qui était tom-
jeune, on lui donna la régence bée dans un état pitoyable, n'y
de la rhétorique dans l'université
de Caen. Quelque temps après ,
étant recteur de l'académie, il
harangua à la tête des quatre
facultés M. Séguier , chancelier
de France (A). Sa harangue fut
fort goûtée , et lui acquit l'esti-
me et la protection de ce chef
de la justice; jusque-là qu'il re-
çut de lui * le bonnet de docteur
(a) C'est à l'honneur de la conception im-
maculée de la Sainte Vierge.
* Leclerc , d'après le père Niceron , dit
que ce ne fut pas des mains de Se'guier , mais
en sa présence , que Halle reçut le bonnet de
docteur»
restant plus qu'un professeur
(B). Il obtint le grade de pro-
fesseur royal en droit canonique
l'an i655, et il donna tous se»
soins à relever les études de cette
science , dont il soutint les pri-
vilèges avec vigueur (C) , et sans
être rebuté par les obstacles.
(b) Propugnatis ulriusque /mis ihesibus
laureâ doctorali in amplissimo comitunt
consistorianorum consessu die 18 martii
1640, ab ipsomet canccllario deenrari me-
ruit. Vita Pétri Halbei de quâ infreï , citai.
M).
(c) Absens ab universitale extra ordinem...
evoptalur. Ibidem.
HALLE.
C'est à lui principalement que (C) Il soutint les privilèges de
49*
l'on doit attribuer l'avantage cette faculté avec vigue.tr. ]U. Pinsson
i ou uu" o ajoute tout aussitôt : Ouam quidem
dont les professeurs de Fans p0stek restitui , exornari , ac ampli-
jouissent depuis l'an 1679 (D). Jicari magis ac magis.... procuravit.
Il composa de fort bons livres L'auteur de l'éloge descend dans le
/t?\ v\ t i~ ,„+:„f„„+:~„ J'„ détail, et dit que Halle, par ses solh-
f L) ; et il eut la satisfaction d a- .. .. ' -,.-1 . D * i„r„i
V ' ' . citations, obtint que Pompone de Kel-
voir pour amis les savans les lièvre, premier président au parle-
plus illustres , qui étaient encore ment de Paris , restituât aux écoliers
ns charmés de sa vertu quede en tlroit canonique la faculté de
Pi
son érudition. Il mourut très-
bienpréparé(F) , le 27 de décem-
bre 1689 (rf) •
Depuis la première édition de
ce Dictionnaire , j'ai lu l'éloge
postuler (2). De là naquirent bien
des procès. Hinc obortœ lites : vicina
Juris Collegia in eos acriter insur-
rexerunt , et eos tum ad senatum ,
tum ad régis consistorium traduxe-
runt. Ut tôt malis succurreret Hal-
lœus, viginti quatuor viros pietate et
latin qu'un (e) des disciples de ce doctrine, commendatissimos, tanquam
professeur lui a consacré. C'est adjutores, in facilitaient, recum suis
collegis prias communicatd , adsci-
vit : facultate vix ab externo hoste
quietd , non iiulli ex doctoribus hono-
rariis , collegarum discordias in suum
commodum a/entes , plurima anle-
cessorum jura sibi arrogare lenta-
bant. In hdc temporum difficultate
qud Jacultas in partes scindi videba-
tur animumtantisper sustinuit , donec
Ma invidiœ tempestale féliciter pa-
catd , concordid facultati restitutd ,
animum a negotio omni alieno revo-
cans , sedulà summdque diligentid ad
restauranda juris studia tolus incu-
buit (3).
(D) On doit lui attribuer l'avan-
tage dont les professeurs de Paris
jouissent depuis l'an 1679.] Avant
cela ils n'enseignaient point le droit
civil. Ab eo prœcipuè docendi rec-
tam rationem inchoalam a rege pro-
balain et confirmatam fuisse ajffirma-
ver'tm. Studiis enim latiùs efflores-
centibus ab im'ictissimo rege Ludo-
vicoMagno, promovente illusirissimo
viro Michaële le Tellier , Franciœ
cancel'ario , publica civilis Juris-
prudentiœ professio Parisiensi scho-
lœ , qud superiori sœculo malè exci-
derat , restituta est , et asserta anle-
cessoribus juris civilis interpretandi
autoritas mense aprili 1679 (4)-
(E) Il composa de fort bons livres-]
Voici les paroles de son éloge : In
(2) Jurh canonici auditoribus poslulandi mu-
nus... Hallceo potitsimum procurante reslituium
est. [bid.
(3) Vila Hall*,.
(4) Ibidem.
une pièce bien écrite, et impri-
mée à Amsterdam , chez Henri
Boom, 169». : les lecteurs y
trouveront un détail qui leur
plaira.
{d) Tiré d'un Éloge composé en latin ,
par Jean Halle' , secrétaire du roi , duquel
Eloge M. Pinsson des Riolles m'a communi-
qué une copie manuscrite.
(e) Daniel Laét , Batavus.
(A) M. Séguier, chancelier de
France.] Il était allé en Normandie
pour apaiser les émotions popu-
laires , qui causaient de grands dés-
ordres dans plusieurs endroits de la
province.
(B) La faculté de droit était
tombée dans un état pitoyable , n'y
restant plus qu'un professeur. ] Qui
était M. Doujat. La faculté avait
perdu en peu de temps François Flo-
rent , et Jean Dards. In juridicam
deindè scholam geminato Francisa
Florentis , et Joannis Dartisiifunere
afjliclam ac propè désertant cum
Joanne Doujalio collège primario
extra ordinem accitus (1) anno i655.
C'est ainsi que parle M. Pinsson-des-
Riolles , dans une inscription qu'il a
publiée en l'honneur de notre Halle.
(1) Notez aussi qu'il obtint le professorat sons
l'avoir disputé, ce qui fut une dispense. Ab eo
(sno Miecenate) regii consistorii placilum , quo
regitB conslituiionis anlecessuras ad publici cer-
tttminis airain ordinantïs remisso rigore , ad
munw anlecessoriwn promovebalur , oblmuit.
Vila Halla-i.
HAMADRYADËS.
493
auditorum favorem prœter Institu-
tiones Canonicas quas in lucem anno
l635 uelul in famœ testament uni emi-
serat , varios ad jus canonicum et
civile tractatus de conciliis , de summi
pontifieis autoritnte , de regalià , de
simonid , de usuris , de censuris , de
regularibus , de beneficiis ecclesias-
ticis , de matrimonio , de testamen-
tis , et alia plura reconditœ doctrinœ
monimenta exarauit. Il publia un
recueil de poe'sies et de harangues
latines, l'an i655 , in-8n.
(F) Il mourut tris-bien préparé.]
Je rapporte à cela le legs qu'il fit ;'i
la faculté de droit. Il est destiné à
faire dire quatre fois l'an une messe,
où tous les professeurs et tous les
docteurs présens reçoivent une cer-
taine somme (5).
(5) Legata prius juris ulriusque Jhcultati ad
sacros ancturn missm sacrificiutn slatis diebus
qualer in anno celebrandum summâ, ab anle-
cessoribus et doctoribus uriusque ordinis prce-
sentibus percipienda. Vita Hallsei.
(A) Leur destin dépendait de cer-
tains arbres avec lesquels elles nais-
saient et elles mouraient.] Voyons
la note du grammairien Servius sur
le vers 62 de la Xe. Ëclogue de
Virgile. Hamadry ades , dit-il , Nym-
jihie quœ cum arboribus et nascun-
tur et pereunt , dm) toS âi/ux xxt t»;
«Tpt/àç , qualis fuit Ma , quant Kry-
sichlhon occidit : qui cum arborent
inciderel , et cox indc erupit , et
sanguis , sicut docet Ouidius. Ovide,
cité par ce grammairien, a décrit élé-
gamment les complaintes et l'infor-
tune de l'Hamachyade que l'impie
Érysichthon lit périr. Elle vivait dans
un vieux chêne d'une grandeur pro-
digieuse , et que tout le monde res-
pectait (1). Les valets d'Érysichthon
n'osaient obéir à l'ordre qu'il leur
donnait de couper cet arbre : il fal-
lut qu'il mît lui-même la main à
l'œuvre.
Dixit , et obtiquos dum telum librat in ictus,
Conlremuit, geinilumque dedu Dodonia quer-
cus :
HAMADRYADËS. C'est ainsi El pariterf, ondes .pariterpallescere glandes
nnp l'nn annplait lp« nvmr>hp« Cœpere , ac Ivngi palloiem ducere rami.
que t on appelait tes nympne» Cu-us ul ,„ lrunco fecit manus impia vu{nu^
dont le destin dépendait de Cer- Baud aliter JliixU discusso eortice sanguis-,
. . 1 x , 1 11 Quam solel, ante aras ingens ubi viclima
tains arbres avec lesquels elles taums
naissaient et elles mouraient (A). .C°"c,*î\fl.6??rt? .c™r. \ c""ice Profundi
C'était principalement avec les ,
1 a » 11 • Edilus è medio sonw est cum robore talcs:
chênes qu elles avaient cette gran- jyjm,,ha sub hoc ego sum , Ceren graiissima,
de union (a). On dit qu'elles té- ~ 'fl"'*, ,
\ ' "1. Vœ l'<" factorum pçenas inslare tuurum
mOlglierent quelquefois Une ex— Vaticinor'moriens, nostri solatia lethi (2;.
trême reconnaissance à ceux qui II y a des grammairiens qui divisent
les garantirent de la mort (B) , ce que Servius unit. Ils veulent que
et que ceux qui n'eurent aucun les, Hamadryades aient été ainsi ap-
, * , 111 •- > 1 pelées , ou parce qu elles naissaient ,
égard aux humbles prières qu el- lou parce J^vaieS mouraient avec
les leur firent d'épargnerles ar- des chênes. 'hyxSpviixc vûpqxç Mv«-
bres dont elles dépendaient, en riy.*-X°s <$»<rt, Six to xy.x r&ï; SpuTt
furent punis (C). 11 n'y avait rien >'v!*i*'' " *?" ^"^ T^l** ff0ei
, L . x ' ,*'.. -, qbitpis-titti , vuy.âxi xy.xàs.-jxSic Xs-yov-
entre les naturesmortelles qui ve- Tst( (3), 1} faut rejeter ce parta£e f
eût autant que cette sorte de nym- puisque le sentiment général est que
phes (D). Les poètes ont quelque- ]a vie de ces nymphes avait préci-
fois plis les HamadryadeS pour leS (») Stabat in his ingens annoso robore quer-
Naïades (E) : ils ne s'assujetis- Vna"nemtu
saient point si exactement aux dé- •„■ ;•••,••
..!■- . , Mensuraque robons ulnas
finitions de chaque espèce , qu ils Quinqw ter imputai
1 c J* m 11 Ovid., dletam. , lib. VI II. vs. '•^u.
ne les confondissent ensemble (*) idem, ibidem, vs. 163.
quand ils le iugeaient à propos. (3) Scholiast. Apollon ui.oaii, in va. 11,
1 ' ° l l W. 4T9. VS- '"• "!32- Vojez aussi Plularque,
A de Oràculor. defertu , pag . 4i5 , ou il rapporte
[a) Voyez la remarque \K). citation (O ,. ces parties de Piudare.
494
IIAMADRYADES.
sèment la même durée que la vie de
leurs arbres. De là vient que Pindare,
dans un poème qui s'est perdu , avait
dit IroSîvfpov Tt>i/j.u,p a.tâ>vbç X&X,ouo-a. ,
finem cevi œqualis arbori nacta. Cal-
limaque s'est servi de cette expres-
sion ,
"Hàiko; ds-ëfAOLivovc-a, Ttipt iïpuoç ,
coœtancam ingemiscens propterquer-
cum (4^, en parlant de l'Hamadryade
Me'lie. Apollonius l'a imite' , lors-
qu'il a introduit une Hamadryade
qui priait qu'on ne coupât point un
certain arbre.
"H fi/.IV Ôeft/fO^USV» à<flVû> [AU'hlTTiTCl (A\J-
M» Tet/J.SilV TTfê^MVOV eTptlOÇ MMXOÇ M i7tl
TTOVXÙV
Aiceva. TpiCicnii cTimvsksç.
Çuœ ipsiflens blandiebalur voce miserabili ,
Ne cowvam extirparel arborera, in qud mulla
Usque sœcula degissel (5).
Joignons à ces témoignages encore
une autorite ; c'est celle d'Homère.
Nous lisons dans l'une de ses Hymnes,
qu'il y a des arbres qui naissent en
même temps que les nymphes , et
que celles-ci meurent lorsque ces
arbres se sèchent.
Tmo-kT' cîju h ixireti m S'pvic {/■\\KU,pt\-
voi
Têivo^lviiiriv 6<|>v3"«.v ki X,Qovi (Ioùth/l-
•ttlpy.
'Axâ ot£ mv <Tà p'jTpet, 7ra.piçv\x.y 6a.-
VstTCllO,
'AÇotv4Ta,i y.iv wpœ-Tov in) ^,âov< éiv-
<fp£sl KO.KO, ,
4>xoioç <T' dfAqiTripiqQtvi/Bu, m7tTwo-\
«T' à.TT VCfil ,
Tœv cTà x! ôfjiw 4"^*1 ^i'7ri' <$*&£ Ht"
m'oio.
Simul aulem cum hit nymphis nul abieles , (lut
quercus altis capitibus prccdilœ
Ifascentibus nascuntur super terrain alen-
tem-viros ,
Sed quando jam parca asliterit mortis,
Siccanlur qziidem primum super terrain ar'
bores pulchrœ.
Cortex aulem circum-circa corrumpilur, ca-
dunt ver'o ab ipsis rami.
H arum aulem simul anima relinquil luccmso-
lis (C).
Stace fait mention d'un bois dont la
dure'e avait surpasse celle de» nym-
(4) Callimacb-, Hymn in Delum , w. 8i.
(5) Apollon. Rbod., lib. II, vs. 480, p. m. jg3.
(6) Homrr., IJymn. in Yeuer. , pag. m. 852.
v. 2C5. ssqq.
plies et des faunes; mais cela ne
choque point la tradition qui regar-
dait en particulier les Hamadryades.
Outre cela , qui ne sait que les saillies
de ce poète ne respectaient rien ? Il
ne serait donc pas raisonnable d'y
faire attention , comme à des choses
qui pussent être opposées à l'opinion
générale. Vous trouverez ses paroles
dans la remarque (D). Ausone , plus
éloigné que lui de la source , s'est
pourtant mieux conformé à la vieille
tradition. IVon sine Hamadryadis
Jato , dit-il (7) , cadit arborea trabs.
Notez que Pausanias s'exprime
d'une manière qui semble prouver
que les Hamadryades étaient plus
jeunes que leurs arbres. TiÔopsav Si ,
dit-il (8) en parlant d'une ville qui
s'appelait Tithoréa , o« «Tn^aipio» jcxh-
Ënvctt <fct<riv À7to TtOopta,'; vû/jt^»(t oiati
tÙ àpXa.'ta> 'Koyie tu! 7romrâ)v ê<pt»0VT0
À7T0 Tê d.XXceV <fêV<ff&)V, X.O.I ^tctÀIÇ"* d7T0
tuv Jpi/âv. Tithoream incolœ vocatam.
esse dicunt h Tithoreâ nymphâ , de
iis una quas priscipoëlarum sermones,
qu'uni ex cœteris arboribus , tum uerb
è quercubus maxime genitas prodi-
derunt. C'est nous représenter les
arbres comme les mères des Hama-
dryades : il n'est donc pas vrai
qu'elles naquissent en même temps
qu'eux. Mais je ne crois point qu'il
faille insister beaucoup sur les expres-
sions de Pausanias: ce n'était pas
son affaire que de décrire avec pré-
cision la nature de ces vieilles fables.
Tenons-nous-en donc à ceci ; c'est
que les poètes ont assuré que ces
nymphes et les arbres naissaient en
même temps. Prenez garde que Pau*
sanias remarque qu'elles naissaient
principalement du chêne. Je ne vois
point qu'on puisse combattre cela
par l'autorité de Phérénicus ; car il
me semble que ce qu'il raconte ne
concerne point les Hamadryades pro-
prement dites. Il rapporte (9) que le
figuier fut appelé a-ux.li du nom d'une
fille d'Oxylus , et que cet Oxylus
ayant couché avec Hamadryade , sa
sœur, engendra huit filles , qui furent
toutes nommées nymphes Hama-
(7) Auson., Edyll. XII, pag. m. 483. Con-
férez les vers de Halzac , rapportés dans la re-
marque (K) de Varlicte Thomas (Paul}, loin.
ki y.
(8) Pausan., lib. X, cap. XXXII, pag. 879.
(g) Apud Atlicnœum, lib. III, pag. 78.
HAMADRYADES.
dryades ; mais elles avaient chacune
un nom particulier, que l'on imposa
ensuite à des arbres. Celle d'entre
elles qui avait nom o-ux» , Syce, fut
l'étymologie du nom du figuier. 11
me semble qu'Hamadryade , sœur
49^
pelait Prospeléa (12). On ne trouve
dans Pausanias , sinon qu'Arcas fut
marie avec une nymphe Dryade qui
se Dommail Erato , et qui lui donna
trois garçons (i3). On pourrait con-
clure de ceci qu'encore «un- les Ha-
d'Oxylus , n'était point de la même madryades ne pussent survivre à leur
espèce que les nymphes dont il s'agit chêne, ou à leur sapin , elc. , elles
dans cet article. Cela soit dit avec la
permission d'un illustre auteur (10).
(B) On dit qu'elles témoignèrent
quelquefois une extrême reconnais-
sance a ceux qui les garantirent de
la mort.] Un certain homme nommé
Khœcus , s'étant aperçu qu'un chêne
pouvaient quelquefois s'en détacher ;
et si cette conséquence était dou-
teuse, il la faudrait fortifier par un
passage d'Homère , où Fou apprend
que les mêmes nymphes qui nais-
saient et qui mouraient avec des
arbres , goûtaient les plaisirs de
était topt prêt à tomber, commanda l'amour dans les cavernes avec les
à ses enfans de prévenir cette chute , Silènes,
en affermissant la terre autour de
l'arbre, ou en y mettant des appuis.
La nymphe , qui serait périe si ce
chêne fût tombé , se fit voir à Khœ-
cus , et le remercia de ce qu'il lui
avait sauvé la vie , et lui permit de
demander telle récompense qu'il sou-
haiterait. Il répondit qu'il souhaitait
de jouir d'elle. La nymphe lui pro-
mit là-dessus toute sorte de conten-
tement , et lui commanda de s'ab-
stenir de toute autre femme. Elle
ajouta qu'une abeille leur servirait
de messager. Mais l'abeille étant ve-
A,-
Tjis-i S- SlXMVO» té xai sirVxoîTOS
MjV^ovt sv 9iX'jtmt( y-uX<? ovrttœv
epoêVTœv.
Cum his aulem Silenique et bonus explorator
Argicida ,
Miscentur in amore in recessu speluncarum
amabilium (i4).
(C) Ceux qui ri eurent point d'égard
ii leurs.... prières... en furent punis. ]
Apollonius raconte que le père de
Péribée attira sur soi , et sur ses
enfans , une très-dure malédiction ,
parce qu'il avait coupé un arbr
fut mutilé (11). Voilà cequeCharon avons vu ci_dessus sa supplication.
de Lampsaque racontait , si nous en £a voici Ja suite :
croyons le scoliaste d'Apollonius.
Il faisait un autre récit, et d'une ;••••••"■ ; A</T-àp ô th'v je
meilleure conclusion. Le voici tel 'A<ty*<fêa>c trpngtv , iynvoflv vsÔth-
que je le trouve dans Katalis Cornes ,
qui ne cite point l'auteur qui lui a
fourni cela. Arcas , fils de Jupiter et
de Callisto , chassait dans un bois ,
lorsqu'il rencontra une Hamadryade
qui courait grand risque de périr ;
car l'arbre avec lequel elle était née ,
avait été fort endommagé dans ses
racines par les eaux d'un fleuve. Elle
supplia Arcas de le sauver : il lui ac-
corda cette grâce en détournant le
cours de cette rivière , et en le fai-
sant rechausser. La nymphe ne fut
point ingrate 5 elle lui accorda ce
que l'on nomme la dernière faveur,
et eut deux enfans de lui. Elle s'ap-
(10) Vide Sumliem, , in Callim. Ilynino in
Drlum, vs. 83fPb^. 3^8.
(n)"fîç-ê w»fû)6Jiv ai «t/fèv. Scbol. Apol-
lon. , in lib. //, vs. 479.
TOC
Tû) ef àfCL V»Kêf<f» tlûf/.q» 7T0fiV ClITOV
Al/Tf» X.0.1 TêXêSO-ÉTIV.
Eam tatnen ille
Incogitale fuccidilperjuvenilem petulantiam.
Quamobrem inutile deindè manupretium nym-
pha
Et ip.u persolvit et generi (i5)
(D) Il n'y avait rien qui vécût
autant que cette sorte de nymphes.']
Ausone nous apprend cela dans les
(12) Tiré de Natalis Cornes , Mytbol , lib. V,
cnp XI. pag. m. 4G5 , 4' 6- liait </w l liaron
<\e Lampsaque a e'cril cela; mais tous les écrits
de cet auteur étant péris, il fallait que Natalis
Cornes citât celui qui aie Charon île Lampsaque.
(13) Pansan., lib. VIII, cap. IV, pag. 604.
(i4)Homer. , Hynin. in Vener. , pag. m. 852,
v. a63.
(i5) Apollon. RI10J., lib. II , vs. 481, pag.
193.
HAMADRYADES.
496
vers que je m'en vais copier , et qui
sont une version du grec d'Hésiode ■
Ter binos deciesque notent super exit in an-
nos ,
Jusla senescenlum quos implet fila virorum.
ffos novies superal vivendo garrula cornix :
Et qualer egredilur cornicis secula cervus.
AUpedem cervum 1er vincil corvus •' et illum
Mulliphcal novies Phœnix , reparahilis aies.
Quatn vos perpétua decies prœverùtis œvo ,
Nymphœ Hamadryades : quorum longissima
vita est.
Hi cohibent fines vivacia fala animantûm.
Cœlera secreli novil deus arbiter œvi
Tempora (16)
Le poème d'He'siode où se trouvait
cette doctrine ne subsiste plus ; mais
on en peut voir un fragment dans un
traite' de Plutarque ; un fragment ,
dis-je, qui ne contient que cinq vers.
Rapportons cet endroit-là de Plutar-
que, selon la version d'Amyot ; nous
y apprendrons qu'il y avait des païens
qui soutenaient la mortalité' des di-
vinités du second rang. « He'siode a
3> le premier purement et distincte-
« ment mis quatre genres de natures
» raisonnables : les dieux , les dae-
» mons, plusieurs en nombre et bons,
» les demi-dieux et les hommes
» 11 estime que les dœmons mesmes ,
« après certaines révolutions de
» temps , viennent à mourir : car ,
» parlant en la personne d'une Nai-
» de , il désigne le tempe auquel ils
» viennent à définir,
» Neuf hommes vil la corneille criarde ;
» Le cerf autant quatre fois vif se garde ;
» Le corbeau noir si longuement vieillit ,
» Que de trois cerfs les vies il emplit ;
» Et le phénix de' neuf corbeaux égale
» Les jours : mais vous, prugenie royale
<• De Jupiter, nymphes aux chefs plaisans ,
» De dix phénix vous fournisse.!, les ans.
» Or, ceux qui ne prenent pas bien
» ce que le poè'te a voulu entendre
}> par ce mot Genean , c'est-à-dire
» l'âge de l'homme , font monter ces-
j) te somme de temps à un grand
3> nombre d'années, car ce n'est seu-
3> lement qu'un an , de manière que
v la somme totale ne vient à faire
» que neuf-mille-sept-cens et vingt
3) ans , qui est la durée de la vie des
3) dœmons. Et y a plusieurs des ma-
» tbematiciens qui la font plus cour-
» te que cela. Pindare mesme ne la
3) fait pas plus grande quand il dit
3> que les nymphes ont la destinée
3> de leur vie égale aux arbres , et
(16) Anson. , edyll. XVIII, pag- m. 533.
» que c'est pour cela qu'on les ap ■
» pelle Amadryades , pource qu'elles
j) naissent et meurent avec les ches-
» nés (17). » Plutarque mérite quel-
que censure pour n'avoir pas rap-
porté le vers où Hésiode marquait la
durée de la vie humaine , car c'était
la base de tous les calculs suivans.
Je puis supposer qu'Hésiode avait
marqué cette durée , puisque son
traducteur commence par dire que
l'âge de l'homme comprend quatre-
vingt-seize ans. Cette mesure étant
une fois posée , on peut supposer
combien vivent les cerfs , les cor-
beaux , etc. ; et l'on trouve que la
corneille vit huit cent soixante-qua-
tre ans ; le cerf trois mille quatre
cent cinquante-six , le corbeau dix
mille trois cent soixante-huit , le
phénix quatre-vingt treize mille trois
cent douze , et l'Hamadryade neuf
cent trente -trois mille cent vingt.
Tout cela est ridicule , et Pline a
raison de le rejeter comme fabuleux.
De spatio atque longinquitate uitœ
hominum , non locorum modo situs ,
verhm exempta , ac sua cuique sors
nascendi incertum Jiecére. Hesiodus ,
qui primus aliqua de hoc prodidit ,
fabulosè ( ut reor ) mu/la de homi-
num, œvo referens, cornici novem nos-
tras attribuit œtates , quadruplum
ejus cervis , id Irijilicatum corvis. Et
reliqua fabulosiùs in phœnice , ac
nymphis (18). Quand on réduirait la
chose à la plus petite supputation ,
qui est celle de ne donner qu'une
année à l'âge de l'homme (19) , on
trouverait fausse la doctrine d'Hé-
siode à l'égard des Hamadryades :
elles ne peuvent vivie qu'autant que
les arbres ; or il n'y a point d'arbre
qui puisse vivre neuf mille sept cent
vingt ans. Ce que Pline rapporte de la
longue vie de quelques arbres (20) ,
ce que d'autres disent du chêne de
Mamré (21), cent contes de même na-
ture , quand ils seraient aussi vérita-
(i-j) Plutarcli. , de Oraculor. defectu , pag.
4i5.
(t8)Plin. , lib. VII, cap. XLV1II ,pag.
m. 73.
(19) C'est-à-dire , de supposer, comme dans
le passage de Plutarque, qu'Hésiode , par le
mol genea , entendait un an.
(20) Plin. , lib. XVI, ca^LI.IV.
(21) Voyez la remarque^QJ) des articles
Abraham et Barcochébas , !»m. /, pag. gi , et
III , pag, 117.
H A M A DRYADES.
497
blés qu'ils sont douteux, ne prouve-
raient rien contre moi.
Notez que le poè'te Stace suppose
que les demi-dieux sujets à la mort
ne vivent pas aussi long-temps que
les arbres. 11 fait mention d'un bois
qui avait vu renouveler ses Dryades
et ses Faunes , et que Ton pourrait
comparer à ces vieux châteaux qui
ont servi de demeure aux pères , aux
fils , aux petits-fils. etc.
Stat sacra seneclœ
Numine, nec solos hominum transgressa ve-
terno
Ferlur avos, nymphas ctiam mutasse super-
stes,
Faunorumque reges (22)
11 parle ailleurs un peu autrement ;
car il suppose que l'arbre mourrait si
l'IIamadryade cessait de vivre.
Çuid te , quœ mediis servala penatibus , ar-
bor ,
Tecta per et postes liquidas emergis in auras?
Quo non sub domino sœvas passura bipennes?
El nunc ignaro Jorsan vel lubrica Nais ,
Vel non abruplos libi démet Hamadryas an-
nos (aâ,1 .
Au reste, il n'a pas été malaise' aux gen-
tils de s'imaginer qu'il y avait de cette
espèce de nymphes; car ils concevaient
des sentimens de vénération et de re-
ligion pour les arbres qu'ils croyaient
être fort vieux, et dont la grandeur
extraordinaire était un signe d'une
longue vie (24). Il n'était pas mal-
aisé de passer de là jusqu'à croire
qu'ils étaient la demeure d'une di-
vinité. On en fit une idole naturelle;
je veux dire que l'on se persuada que
sans le secours des consécrations, qui
faisaient descendre dans les statues
la divinité à laquelle on les dédiait ,
une nymphe ^ une divinité , s'était
concentrée dans ces arbres. Le chêne
qu'Érysichthon coupa était vénéré
pour sa grandeur et pour sa vieilles-
se : on l'ornait comme un lieu sacré ;
on y appendait les témoignages du
bon succès de sa dévotion , et les mo-
numens d'un vœu exaucé.
Stabal in his ingens annoso robore quercus
Una, nemus : villa; m-diam memoresque la-
bellœ ,
Sertaque cingebanl , voti argumenta polei;-
tis (25).
(25) Statius, Tbeb. , lib. VI, vs.cfi.
(23) Idem, Silva III , lib. I, vs. 5y, pag. m.
i'l , i5.
(24) Ennium sicut sacros velustale lucos ado-
remus in quibus grandia et antiqua robora jam
non tanlam ha/ient speciem , quanlam religio-
neni. Quîntîl. , lib. X , cap. I, jnt^ m 471
■>.?•) Ov'ul., Metam. , lib. FI 11 Vi -i'>
TOMF VII.
Se faut-il étonner qu'il ait été pris
pour la demeure d'une Ilainadryadc ?
(E) Les poêles ont quelquefois pris
les Hamadryades pour les Naïades. |
C'est ce qu'a fait Properce en par-
lant des nymphes qui enlevèrent le
mignon d'Hercule (26) : il les appelle
tantôt Hamadryades, tantôt Dryades :
c'étaient néanmoins les nymphes
d'une fontaine. Ovide , tout au re-
bours, appelle Naïades les nymphes
dont le destin dépendait d'un arbre
Naida vulneribiu succidil in arbore faclis ,
Illa périt : fatum naiados arbor eral (27)
Par occasion , je remarquerai qu'il
était encore plus ordinaire de con-
fondre réciproquement les Hama
dryades et les Dryades. Il y a dan;
Y Hercules Oeteus une scène où l'on
a décrit les efléts du chant d'Orphée
On y dit, entre autres choses, que les
Dryades quittant leurs arbres accou-
raient vers lui :
Et quercum fugiens suam
Ad valem properal Dry as (28).
Il y a quelque apparence qu'il s'agit
là de ces mêmes nymphes qui nais
saient et [qui mouraient avec un ar-
bre , et qu'à proprement parler on
nommait Hamadryades , et non pas
Dryades. La tradition ne portait pas
constamment que ces nymphes-là ne
se pussent détacher jamais de leurs
arbres, non pas même pour quelques
momens. Ainsi Sénéque a pu suppo-
ser qu'elles les quittèrent pour aller
entendre le chant d'Orphée. Notez
que Servius s'est trompé lorsqu'il a
cru que le poète Stace a parlé des Ha-
madryades dans ces vers du VIe. li-
vre de la Thébaïde :
Linqunnl fientes dilecta locomni
Olia cana Pales, Silvanusque arbiter umbrie,
Semideiimque pecus , inigranlibiis atlgenut
iWt
Silva, nec amplexœ dimillunl robora nym-
phœ (29).
Il est sûr que les nymphes dont il
s'agit là étaient, celles que l'on appe
lait proprement Dryades , et qu'ainsi
Servius a eu tort d'appliquer le nec
amplexœ dimitlunt robora nymphes
(26) Propert. , eleg. XX , lib. I
(27) Ovidius , Fast. , lib. IV, vs. î3i.
(28) Scneca , 1» Herc, OFtco , vs. io5i , pag.
m. 322.
(29) Statius, Tlirb lib. VI , n. no, pag.
m. 234.
32
498 H AN NON.
aux Hamadryades , dont il venait de
donner le caractère par ces paroles :
Hamadryades cum arboribus et nas-
cuntur et pereunt , undè plerumque ,
cœsâ arbore , sanguis émanât (3o).
Barthius n'a point aperçu l'erreur de
ce grammairien , quoiqu'il allègue
un passage qui était fort propre à la
lui faire connaître : Pulchra notatio
in Commentario antiquo , dit-il (3i) ,
Dimittunt. ] Non cum effectu intel-
lige , dimittunt enim omninô, quam-
vis serô dimittant. Sed diuturnitatem
manifestât amoris , non abscessisse
nymphas , nisi penitùs prostratis ar-
boribus. Sic solemus dicere : ille mo-
dum non facit plorandi , non facit
alius finem ridendi , cùm diutiùs ri-
deat aut flcat. Ces paroles ne mon-
trent-elles pas clairement que Stace
ne parle point de la même espèce de
nymphes que Servius a définie , et
qui mouraient nécessairement lors-
que leurs arbres e'taient coupe's ?
(3o) Servius , in .fëneid. , lib. III, 9S. 34-
(3i) Barth. , ia Stalii Theb., lib. VI, vs.
n3, pag. 38g, tom. III.
HANNON , général des Car-
thaginois , fut chargé de fai-
re le tour de l'Afrique (a). Il
entra dans l'Océan par le dé-
troit que nous appelons de Gi-
braltar, et découvrit plusieurs
pays (b)- Il eût continué sa navi-
gation si les vivres ne lui eus-
sent manqué. Quelques-uns as-
surent qu'il l'acheva (A) , je veux
dire qu'il parvint jusques à l'ex-
trémité de l'Arabie. Il composa
une relation de son voyage , qui
fut souvent alléguée : mais on n'y
ajoutait pas beaucoup de foi (B).
Il en reste quelque chose (C).
On n'est point d'accord sur le
temps oii il a vécu (D) , et l'on
n'a aucune preuve que les Car-
thaginois l'aient fait mourir. Il
appendit au temple de Junon la
peau de quelques femmes Sauva-
fa) Voyez la remarque (B).
(b) Pline et Pomponius Mêla , cités dans la
remarque (A).
ges qui avaient été écorchées
par son ordre. Voyez la dernière
remarque (c).
(c) Citation (21).
(A) // eût continué sa navigation
si les vivres ne lui eussent manqué.
Quelques-uns assurent qu'il l'ache-
va.] Deux passages , l'un de Pompo-
nius Mêla , l'autre de Pline , feront
ici notre commentaire. Hanno Car-
thaginensis explèratum missus a suis,
cum per Oceani oslium exlsset, mag-
nam partent ejus circumvectus , non
se mare sed commeatum dejecisse
moralu retulerat (1). Voyons les pa-
roles de Pline (a) : Et Hanno, Car-
thaginis potentid florente , circum-
vectus à Gadibus ad Jinem Arabiœ ,
navigationem eam prodidit scripto.
Saumaise suppose que Pline s'est abu-
se' , et qu'Hannon ne poussa pas ses
découvertes jusqu'à la mer Rouge ,
mais seulement jusqu'aux îles Gor-
gades (3). Isaac Vossius ne s'éloigne
pas de ce sentiment ; il croit que
l'île qu'on nomme aujourd'hui de
Sainte- Anne, borna la navigation de
ce général carthaginois (4).
(B) Il composa une relation ;
mais on n'y ajoutait pas beaucoup de
foi. ] Pline , assez indulgent d'ail-
leurs , comme tout le monde le sait,
n'a pu s'abstenir de dire que cet au-
teur avait débité beaucoup de fables.
Fuérc , dit-il (5) , et Hannonis Car-
thaginensium ducis Comme ntarii,Pu-
fiicis rébus florentissimis explorare
ambitum Africœ jussi± quem seculi
plerique è Grœcis noslrisque , et alia
quœdamfabulosa , et urbes multas ab
eo conditas ibi prodidére , quarum
nec memoria ulla nec vesligium ex-
stat. Voyez aussi Athénée (o).
(C) Il en reste quelque chose.]
Sigismond Gélénius le fit imprimer
en grec , à Bâle , chez Froben , l'an
1 533. On en fit une seconde édition
(i) Pomponius Mêla, lib. III, cap. IX, pag.
G3 , edit. Isaaci Vossii.
(2) Plinius, Ub. Il, cap. LXFII,pag. m.
220 , 221.
(3) Salmas., Exercit. Plin. , pag. J242 ,
1244.
(4) Isaac. Vossius, in Melam, lib. III, cap.
IX, png. 3o5.
(5) Plinius, lib. V, cap. I,pag. m. 523, 524.
(G) Athen. , lib. III, pag. 83, de cujus ver-
bis vide Yossium, de Histor. graxis, pag. 5i4<
HANNON.
dans la même ville, l'an i55g , avec
la version latine et quelques notes
de Conrad Gesner. Cependant M. de
Saumaise a dit qu'il semble que cet
ouvrage n'a jamais e'té connu aux
Grecs. Scriptum illud non videtur in-
notuisse. Etenim si venisset in no-
titiam ac marias Grœcovum , lotam
eam meridiani Oceani oram minime
reliquissent intactam (7). Il ignorait
donc les paroles de Pline que j'ai ci-
te'es dans la remarque précédente ,
et le passage du livre irtpi 6d.uf/.suria)v
cIkout/uÂtciùv , de auditionibus admi-
randis , où Hannon est allégué. On
en fait aussi mention dans l'Epitomc
d'Artémidore d'Éphèse. Voilà des
exemples qui nous montrent qu'il y
a des choses très-faciles à savoir, qui
sont inconnues à ceux qui ont le plus
de lecture , et la mémoire la plus
vaste. Isaac Vossius n'a point par-
donné à Saumaise cette méprise (8).
Le père Hardouin ne l'a point non
plus oubliée (9). Notez que l'on pu-
blia à Leyde , en 1674, ce que Ges-
ner avait publié à Bâle, en i55g : je
veux dire le -PenpZwid'Hannon, avec
sa version latine et ses notes, et avec
l'Afrique de Jean de Léon. Mais Ber-
kélius joignit à cela quelques remar-
ques extraites de la seconde partie du
Gêographia Saci'a de M. Bocbart *.
Le même opuscule (10) d'Hannon a
été publié à Oxford, en 1698 , par
les soins de M. Hudson , avec plu-
sieurs autres écrits de même nature ,
dans le Ier. tome du Gêographia; ve-
teris Scriplores Grœci minores. Les
Dissertations de M. Dodwel , qui ont
été mises à la tête de ce volume , et
qui traitent amplement de ces an-
ciens auteurs grecs , sont remplies
de savoir. Celle qui concerne Han-
non n'est pas la moins importante.
M. Dodwel ne croit pas que ce capi-
taine carthaginois ait fait le Periplus
que l'on avait sous son nom. Il l'at-
tribue à quelque Grec de Sicile ,
grand fauteur de la gloire de Car-
(7) Salmas. , ïïxercitat. Plinian.T , p. 1242.
(8) Isaac. Vossius, in Melam , pag. 3o2.
(q) Harduinus, in Ind. autor. Phnii , /). n3.
* On trouve une traduction du Périple tVHan-
non, dans les diverses éditions de VEssai histo-
tique, politique et moral sur les Révolutions ,
par M. de Chateaubriand.
(10) On le peut bien nommer ainsi , car il ne
remplit pas six demi-pages , liant l'édition
in-8°. d'Oxford, 1698.
499
thage. Il croit aussi que le Periplus
(fui porte aujourd'hui le nom d'Han-
non est fort différent de celui qu'a-
vaient les anciens. Voyez la note (i i).
(D) On n'est point d'accord sur le
temps où il a vécu. ] C'était , selon
Pline , lorsque les affaires des Car-
thaginois florissaient le plus. Cela est
vague ; néanmoins Vossius ( 12) y
trouve un juste sujet de conclure
que notre Hannon n'était ni celui
dont Justin parle dans le livre XX ,
ni celui dont Pline fait mention au
chapitre seize du VIIIe. livre , ni ce-
lui qui était chef de faction dans
Carthage, pendant la seconde guerre
punique (i3)j mais celui qui fut en-
voyé contre Agathoclès, comme nous
l'apprend Justin au livre XXII. Han-
non , au XXe. livre de Justin , fut en-
voyé en Sicile contre le tyran Denys.
Les Gaulois avaient déjà pris la ville
de Rome (i4) , et ils la prirent l'an
366 de sa fondation. Ce même Han-
non fut tué quelque temps après ,
avec toute sa famille , pour avoir tâ-
ché de se rendre maître de Cartha-
ge (i5). Je ne sais si cette ville n'était
tait pas alors aussi florissante qu'au
temps qu'un autre Hannon fut envoyé
contre Agathoclès (16). Il perdit la
vie dans un combat , l'an de Rome
443 Je ne vois donc point de certi-
tude dans la pensée de Vossius. No-
tez que le passage de Pline qu'il al-
lègue regarde un Hannon qui fut con-
damné pour avoir eu l'industrie d'ap-
privoiser un lion ; car on se persuada
que la liberté de la patrie n'était
point sûre entre les mains d'un gé-
néral qui était venu à bout de la
cruauté des bêtes féroces. Primus ho-
minum leanem manu tractare ausus ,
et ostendere mansuefactum, Hanno è
clarissimis Pcenorum traditur : dam-
natusque illo argumenlo , quoniam
nihil non persuasurus vir tam arii/i-
cis ingenii cidebatur : et maie credi
(11) Notez que dans la préface de V édition
d'Oxford on n'a point dit que Boéclérus publia
Hannon , avec des notes, l'an 1661.
(12) Vossius, de Hist. grsecis, pag. 5i3.
(i3) Neque istum factionis Barcliina; , de quo
Livius libro île bello punico secundo. Idem ,
ibid. Il y a bien du désordre dans ces paroles
de Vo>sius : après Barcliinte, il fallait mettre.
inimicum , et après libro il faut 21 dura de , ou
quelque chose de semblable.
(i4) Justinus, lib. XX, cap. ult.
(l'i) rie,,,, lib. xxi, <-,(,-.. rr.
(.6.) Idem, lib X$.I1 1 tp. /','
HANNON.
libellas ei , cui in tanlùm cessisset
etiam feritas (17)- Vossius observe
que Plutarque a parle du même
Hannon. En effet , il dit que les
Carthaginois le bannirent parce que,
le voyant faire porter son bagage à un
lion , ils le soupçonnèrent d'aspirer à
la royauté (18). Pline ni Plutarque
ne disent rien qui fasse connaître en
quel temps cela se fit, et il est malaisé
de comprendre par quelle raison
Vossius s'est imaginé qu'ils parlent
d'un Hannon différent du nôtre. Le
père Hardouin est d'un autre senti-
ment ; car il croit que le voyageur ne
diffère pas de celui que l'on condam-
na pour avoir apprivoisé un lion. Il
n'en saurait alléguer aucune preuve,
et l'on peut même conjecturer qu'il
s'est trompé 5 car il y a quelque ap-
parence que si le même Hannon
qui navigua autour de l'Afrique ,
était celui qui apprivoisa un lion ,
Pline eût touché cette circonstance.
Le plus sur est de ne prendre point
de parti : ne nions point ce que Vos-
sius a nié : n'affirmons point ce que
le père Hardouin affirme. Notez qu'il
suppose que Pline assure qu'on fît
mourir Hannon (ig) ; mais il vaut
mieux donner une explication plus
vague au mot damnatus , puisque
Plutarque spécifie la peine du ban-
nissement. On peut faire à Vossius
cette objection : Aristote, au livre de
Adndraiidis Audilionibus, a cité Han-
Lampsacenus Hannonem Puenoruiu
regem in eas permeavisse , repertas-
que ibi Jœminas alili pernicilate , Cli-
que ex omnibus quœ apparuerant ,
duas captas tam hirtà nique aspero
corpore , ut ad argumentum spectan-
dœ rei duarurn eûtes miraculi gratid
inter donaria Junonis suspendent :
quœ durat'i're usque in lempora exci-
dii Carlhaginensis. Il est visible que
ce passage est une copie de celui-ci :
Contra hoc quoque promontorium
Gorgades insulœ narranlur, Gorgo-
num quondam domus , bidui naviga-
tione distantes a Continente, ut tradit
Xenophon Lampsacenus. Penetravil
in eas HannoPœnorum imperator ,
prodiditque hirta fœminarum corpo-
ra , viros pernicilate evasisse : du-
rumque Govgonum eûtes argumenti
et miraculi gratid in Junonis templo
posuit, spectalas usque ad Carlhagi-
nem captant (22). La copie diffère de
l'original en ce que Pline n'attribue
point à Xenophon , comme fait So-
lin , d'avoir rapporté qu'Hannon pé-
nétra jusqu'aux îles Gorgades , etc.
M. de Saumaise suppose que Solin a
brouillé cela afin de prouver que Xe-
nophon de Lampsaque avait vécu
après Hannon. Hoc obtinere vult So-
linus uljinis Mi respondeal princi-
piis , et loto in cursu sibi constel .
Hanno vetustior Xenophonle Lamp-
saceno. Quomodà igilur hic de Mo
prodere potuit (23)? J'avoue que c'est
une énigme impénétrable pour moi 5
non : il faut donc que ce général car
ll.aginois ait vécu avant Agathoclès. car 3e ne puis comprendre que Solin
Mais Vossius répond ( 20 ) qu'Aris- ait eu aucun intérêt à faire voir
tote n'est point l'auteur de ce livre. qu'Hannon précéda ce Xenophon
Solin ne nous sert de rien quand il
avance que Xenophon de Lampsa-
que a cité Hannon ; car outre que
l'on ignore en quel temps ce Xéno-
phon a vécu , on a lieu de croire que
Solin nous trompe. Voici ses paroles
(21) : lias (Gorgades insulas) inc.o-
luerunt gorgones monstra , et sanè
usque adhuc monstrosa gens habitat.
Distant à Continente bidui navigatio-
ne. Prodidit denique Xenophon
(in) Pliniu- , lib. VIII, cap. XVI, pag. 161.
(18) Plutarchus, m Pracept. de gerend. Re-
publ. , cirai inil. , pag. >jgg.
(19) De eo m 11 lia passim Plinius : de ejus
phsserlim obUu, lib. 8, sert. ai. liai-Juin., in
Indice au torum Plinii, pag. ii3.
(îo) Vossius , de Ilit grtecis , pag- 5i4-
(21) Solinns , cap. nltimo.
Encore moins puis-je comprendre
que si Xenophon est postérieur au
Carthaginois , il lui ait été impossible
de le citer , comme le suppose l'in-
terrogation de Saumaise. Je trouve
assez apparent que Solin a réduit à
une les deux citations de Pline , par
l'esprit de brouilleriequilui est pro-
pre ; mais je n'oserais assurer que
Xenophon de Lampsaque n'a point
dit tout ce qu'il lui attribue : si cela
était, me direz-vous, Pline n'aurait
pas cité deux écrivains , il se serait
contenté du témoignage de Xéno-
)hon. Vous vous trompez , répon-
'ordre veut qu'à l'égard des
phon. vou
drai-je; l'o
(22) Plinius, lib. VI, cap. XXXI, p. 746.
(■>.'}) Snlmas. , Rxercit. Plinianse , pag. 1^97.
HARCHIUS.
5oi
choses que Ton sait qu'llannon a di-
tes lui-mêmes , on le cite préférablc-
ment à ceux qui témoignent qu'il les
rapporte.
Isaac Vossi us s'est bien éloigne «lu
sentiment de son père ; car au lieu
de dire que notre Hannon a vécu au
temps d'Agathoclès (a4) , il le fait an-
te'rieur à Homère et à Hésiode. Il ne
se contenta pas de le faire chef de
l'expédition que firent les Phéniciens
un peu après la ruine de Troie (25) ,
il trouva dans la suite que ce ne se-
rait pas lui donner assez d'antiquité.
Il supposa donc dans un autre ou-
vrage (26) , qu'llannon et Persée vé-
curent en même temps. M. Dodwel
a réfuté savamment et solidement
cette prétention , et toutes les preu-
ves sur quoi l'on avait tâché de l'éta-
blir. Il fait bien valoir le passage du
IIe. livre de Pline, où il est marqué
qu'Himilcon et Hannon entreprirent
de longs voyages. Et Hanno , Car-
thaginis potentiâ florente, circuntvec-
t:is a Gadibus ad fine m slrabiœ , ria-
vigationem eam prodidit scripto :
sicut ad extern Europœ noscenda
niissus eodeiu lempore Himilco (27).
On trouve que pendant la guerre
d'Agathoclès et des Carthaginois ,
ceux-ci avaient deux généraux, dont
l'un s'appelait Hannon , et l'autre Hi-
milcon (28). On peut d'ailleurs suppo-
ser avec beaucoup de vraisemblance
que cet état florissant des Carthagi-
nois , dont parle Pline , précéda la
première guerre qu'ils eurent avec los
Romains ; car pendant cette guerre ,
il n'y a pas d'apparence qu'ils aient
songé à découvrir de nouveaux pays,
et l'on sait assez qu'ils ne terminèrent
cette guerre-là qu'à leur grand dom-
mage. C'estpourquoices deux grands
caractères chronologiques de Pline
nous mènent à supposer qu'il parle
• l'un Hannon qui florissait au temps
d'Agathoclès. Vous trouverez dans
M. Dodwel (29) un beau détail d'ob-
servations qui pourra persuader que
(î4) Isaac. Vossius, tnMelaru, pag. 3o2, 3o3.
(î5) Slrabon en parle dans son let. livre.
(26) De Magnitudine Carlliaçinis , pag. 52.
(27) Plin. , M. II, cap. LXyiI.
(28) Voyez DioJoic de Sicile, ad olympiad.
118.
(29) Dodwell., Dissertai, de Pciipli Ilnmionis
getate, in [imine Geographiœ veteris Scriplorum
grecorum minorum , (om. /, edil. Oxon , ,;ms
l'on doit mettre notre Hannon entre
la 92e. olympiade et la 129e.
HARCHIUS (Jodocus (a)),
natif de Mons en Hainaut , a vécu
au XVIe. siècle. Il exerça la mé-
decine dans le lieu de sa nais-
sance , et publia quelques écrits
qui convenaient à sa profession
(ô) (A). Après quoi il sortit de
sa sphère , et se mêla de théolo-
gie , et n'y fit rien qui vaille. Il
voulut chercher un milieu dans
la doctrine de l'eucharistie entre
les catholiques romains et lespro-
lestans, pour pacifier leurs con-
troverses ; mais il se rendit ridi-
cule aux uns et aux autres. Le
livre qu'il publia sur ce sujel
fut réfuté par Théodore de Bèze ,
qui assure que c'est un ouvrage
si confus , si obscur et si desti-
tué de méthode, qu'on avait
bien de la peine à déterrer ce
que l'auteur avait voulu dire
(B). Nous donnerons une idée
générale de son sentiment (C).
(rt) Et non pas Lodocus , comme clans Ko-
nig.
(b) Valçr. Andréas , Bihlioth. belg. , pair.
5g3.
(A) II publia quelques écrits qui
convenaient a sa profession. ] Il fil
imprimer à Liège, en 1 563 , un livre
de Caussis contemptœ Mèdicince, in-8°.
Son Enchiridion Pharmacorum sim-
plicium quœ in usu surit est en vers,
et fut imprimé à Baie , l'an 15^3 , in-
8°. (1). On aurait donc pu mettre cet
auteur dans la Liste des Médecins
Poètes , publiée par Bartholin. Ce
n'est pas le seul qui y manque,
(B) Bèze assure que l'ou-
vrage J'Harchius estsi confus qu'on
a peine a deterrer ce qu'il a voulu
dire.] Ce qu'il composa contre cet au-
teur est intitulé de Cœnâ Domini ad-
venus Jodoci Marchii Montensis (2)
(1) Valer. Andréas , Bibliotli. belg. , pag. 5ip.
(2) On le nomme mal Modérais , dan' Il \i
Inmc de la Biblioth, de Gcsner, pâg. ru. 5i5.
502
HARCHIUS.
tlogmata, et se trouve au IIIe. tome
de ses Traetationes Theologicœ , de-
puis la page 148 jusqu'à la page 1 86
de l'édition de Genève , i582 , in-folio.
Hospinien (3) dit que cet ouvrage de
Théodore de Bèze fut imprime' l'an
i58o,etque celui de Jodocus Har-
chius avait été imprimé à Baie , l'an
i573 , sous ce titre-ci: de Eucharistiœ
myslerio ad sedandas Controversias
in Cœnd Domini libri très. Théodore
de Bèze assure que cet écrit de Jodo-
cus Harchius avait été imprimé à
Worms , depuis sept ans, lorsqu'il se
mit à le lire. Il ajoute qu'il ne sait
pas si le lieu de l'impression avait été
bien marqué, mais qu'il jugea qu'il
n'était point nécessaire de le réfuter,
parce que personne n'approuverait
des sentimens si étranges ; qu'ayant
vu pourtant le contraire de ce qu'il
avait espéré , il déféra au conseil de
ses amis qui voulaient qu'il écrivît
contre cet auteur. Licet urgentibus
nonnullis ut falsissimo sanè ipsius
dogmati , utpote quo novœ potihs con-
troversiœ excitarentur , quant veteres
tollerentur , refutationem opponerem ,
silentio potihs ejusmodi scripla esse
obruenda respondi. Wullum enintfore
arbitrabar , qui lam absurdis senten-
tiis assentivetur : quœ spes quhm me
fefellerit , cogor amicorum precibus ,
qiùim hœc vana sint demonstrare , id
est, penè ciim ratione insanire. Ad-
scribam autem primo loco ipsius Jo-
doci verba ex uariis ejus libri paginis
optimd fide descripta , ut quœ spar-
sim , et prorsiis perturbatè sciipsit ,
adeb denique àjuî%£a>ç et obscure , ut
de industriel texisse potihs quhm aper-
tè suum dogma spectandum propo-
suisse uideatur , melihs appareant :
et ne quant etiam , homini prœsertim,
ut audio , jam ntortuo , injuriant in
ipsius erratis annotandis , et refulan-
dis , fecisse me quisquam suspicetur
(4). Notez , en passant, qu'Harchius
n'était point en vie au temps que Bèze
le réfuta. Les extraits qu'on donne de
son ouvrage le rendent plus intelligi-
ble qu'il ne le serait par la lecture de
l'ouvrage même. Voici ce que Bèze
remarque, après avoir donné ces ex-
traits : Et. hœc quittent Harchius non
minus obscure quant perturbatè , ut
(3) Ho.spin., Ilistor. Sacrament., part, alteià.
(4) Theod. Bcm , Opcr., loin. TU, pag. i/,8.
qui ah und quœsûone ad altérant de-
siliat , et plurimis ambiguis vocibus ac
formulés utatur, adeb ut mihi sœpis-
sime hœc omnia relegenda , conside-
randa , perscrutanda fuerint , prius-
quam quid homo isle sibi vellet ,
inlelligere , et in suos locos distincte
singula referre potuerim (5). L'Epi-
tome de la Bibliothèque de Gesner
(6) fait mention de deux autres livres
théologiques de Harchius , de Causis
Hœresis , proque ejus exilio et concor-
did Conlroversiarum in Religione ,
Hœreticorum , Pontificiorum , et pee-
nitentium, oratio ad Deum patrent ,
à Bâle, i573, m-4°. Orthodoxorum
Patrum Irenœi , Cyrilli , Hilarii ,
Augustini , et reliquorum , de Eucha-
rislid et Sacrificio universalis Eccle-
siœ Fides , in-8°. Ce dernier livre fut
imprimé l'an 1577 > ^ ce cIue *^ H°s~
pinien (7).
(C) Nous donnerons une idée géné-
rale de son sentiment^] Je la tire d'une
lettre qu'André Rivet écrivit à la
Milletière , le 29 de juillet 1641. « Vos
» distinctions de matière et de mys-
» tere, de suVQmtov et vohtov sensible
» et intelligible , ruinent tout ce que
)> vous voulez bastir, sans monstrer
» comment on peut manger de la
» bouche du corps un mystère qui
» n'a point de matière ; et comment
» la matière d'un corps n'estant plus ,
» la substance demeure ; ce que je ne
)) trouve point expliqué dans vostre
» Thresor des Riches Conceptions. Il
» y a plus de trente ans que j'ay leu
» quelque chose de semblable en l'es-
» crit d'un certain médecin du pays
» de Julliers , nommé Tsarchius (8),
)> avec la vache duquel il semble que
» vous avez labouré. Il vouloit que le
» corps, que l'église donne dans le
» pain, fust le corps du verbe éter-
■» nel , lequel estant venu dedans le
» pain par une manière admirable ,
» le faisoit passer en la substance de
» ceste chair qui l'avoit eslevé au
(5) Idem, ibid. , pag. 161.
(6) À la page 5i5 de l'édition de Zurich, i583.
(7) Hospin. , Hist. Sacrament., part, altéra.
(8) C'est une faute d'impression pour Har-
cbiu*. Je ne sais, au reste, pourquoi on le fait ici
du pars de Juliers ; car il était de Rions en Hai-
naut : peut-être pratiqua-t-il la médecine dans
le pays de Juliers; peut-être aussi que Rivet s'i-
magina que Monterais signifiait du duché de
Berg , qu'il confondit avec celui de Juliers , à
cause de leur voisinage et de leur continu 1.
maître.
HARDENBERG. 5o3
»ciel, que c'estoit une chair de HARDENBERG ( Albert) ,
» mesme genre , de lacruelle estoit „• :„ t » .„ t • i> •
» nourrie la substance de nostre chair, ™™trï Votant a Brerne , au
» Il l'appelloit, comme vous, chair ÀV* • siècle , suivit la confession
3) spirituelle et intelligible. Il disoit d'Augsbourg pendant dix-huit
3, que la chair laquelle tous les jours ans, et se déclara ensuite pour
•» estoit créée du pain et du vin , et i„ 1 - • * j
» prise de l'autel par les fidelles , le «flvinisme , et avec tant de
33 estoit semblable quant à la nature, Succès qu'il l'introduisit dans la
« à la chair qu'a Christ au ciel vivi- ville , malgré les oppositions de
3) fiante à cause de la divinité , qui ses collègues , et celles des ma-
3) se mesloit au pain par nue manière -. * ti ''»•** n * • -
3, qui ne se pouvoit exprimer. Il vou- gist™ts- «s était tellement insi-
w loit que les calvinistes recogneus- nue dans l'esprit du peuple (A),
33 sent, par les enseignemensde saint qu'il le fît déclarer pour lui con-
3. Augustin, que les sacremens ont tre Je luthéranisme ; de sorte que
33 re'ellement en eux la ve'rite' de 1
33 chair de Christ , combien que spi-
33 rituelle , laquelle en sa manière cs-
3) toit mangée par la bouche avec le
33 pain , et , en quelque façon , estoit
33 digérée dans le cœur. Qu'elle est
3) appelle'e chair de Christ en mystère,
3) quoy qu'elle ne soit ny nerveuse ,
33 ny musculeusc , ny anime'e. Sur les
33 mesmes fondemens, il a voulu aussi
33 bastir avec vous un sacrifice réel et
33 propitiatoire du corps et du sang
33 de Christ , et l'adoration du sacre-
3» ment. Et quoy que par ce moyen il
)> pre'tendist pouvoir accorder toutes
33 les parties contendantes , il ne fut
les magistrats qui refusèrent de
renoncer à la confession d'Augs-
bourg furent déposés et exilés.
Ils moururent tous dans leur
exil (a). L'auteur qui m'apprend
ces choses renvoie ces lecteurs à
un ouvrage que Dithmar Ken-
chélius , bourgmestre de Brème,
composa depuis son bannisse-
ment, et qui est intitulé : Bre-
vis, dilucida , ac ver a narratio,
de initiis et progressu contro-
versiœ , Bremœ à doc tore Al-
■» escoute ny par les papistes , ny par
)3 les luthériens , ny par les nostres ; berlo Hardenbergio motœ , op-
» personne ne voulant recognoistre posita recenti scripto ejusdem
3, ses chimères pour choses solides, Hardenbergii de Ubiquitate et
33 et ses spéculations s esvanouirent , .-, ^ n • • tt ii
3, comme feront les vostres (9). » La yœ!la Domua. Hardenberg ne
Milletière ayant répondu qu'il ne jouit pas fort long-temps de son
connaissait point cet auteurdà, voici triomphe : il fut chassé de Brè-
me comme un séditieux sacra-
mentaire par le parti luthérien
qui redevint supérieur (b). Il a
fait une vie de Wessélus qui a été
imprimée.
(a) Tiré de George Braun, in Catliolicorum
Tremouensium Defensione , pag. ^6 , 4°-
(b) Ex eodem , ibid., }>ag. 164.
(A) Il s'était tellement insinué dans
l'espiït du peuple.~\ C'est le véritable
moyen de changer les choses : un pré-
dicateur, soutenu du peuple, est ca-
pable d'introduire toutes sortes de ré-
volutions. On prétend que celui-ci
s'était rendu si populaire, qu'il n'a-
vait pas même négligé de s'acquérir
quelle fut la réplique de Rivet. « Ce
3> Harchius duquel je luy ay parlé ,
j) et en l'escrit duquel je trouvois des
33 grotesques semblables aux siennes,
33 ne luy devoitestre non plus incog-
33 nu que le Diallavticon (10), re-
33 commandé par M. Grotius , et ac-
33 couplé avec les livres du sieur de la
3) Milletière. Ce sont deux pièces im-
>3 primées ensemble l'an 1576, sans
)> le nom du lieu ny de l'imprimeur,
33 combien que la première édition
3) du livre de Harchius porte le nom
•» de la ville de AVorms (11). 33
(q) Rivet, Responses à trois lettres du sieur de
la Milletière, pag. 62 et suiv.
(10) Touchant ce livre , voyez , loin. XII ,
article Poinet.
(11) Rivet, Responses à trois lettres de la Mil-
letière , pag. 143 , i44-
5o \
HARPALYCE.
souffertes de son père ; et pour
en tirer raison elle tua son jeune
(A) frère et le lui don na à manger;
après quoi ayant demandé aux
dieux d'être tirée de ce monde ,
elle fut convertie en oiseau (R).
Clyménus fut si accablé de ces
accidens qu'il se tua (a). On ver-
ra d'autres Harpalices dans l'ar-
ticle d'HARPALlCUS.
(a) TWY/'Eupliorion,, cite par Parthénius,
au ckap. XIII de ses Erotiques ou Histoires
amoureuses.
(A) Elle tua son jeune frère. ] Hy-
gin (i) rapporte qu'elle tua le propre
fils qu'elle avait eu de Clymënus, et
il ajoute qu'elle le fit manger à son
père , et que celui-ci l'ayant su la tua.
On doit corriger , au chapitre CCVI
de cet auteur, filiam, et mettre fi-
lium, conformément à ce qu'il dit dans
les chapitres CCXXXVIII, CCXXXIX ,
CCXLVI. Outre cette diversité, j'en
trouve une autre entre lui et Par-
thenius. Celui-ci dit que le père
dllarpalyce était fils de Télée , et
qu'il demeurait à Argos ; celui-là le
fait fils de Schœnéus, et roi d'Arca-
passion ne servaient qu a 1 aug- die ( a } Mais ^ comme au chapitre
menter, il ne songea plus qu'aux CCXXXVIII il le fait fds d'OEnéus ,
moyens de la satisfaire. Il prati- on doit être très-certain qu'au lieu
qua donc la nourrice de sa fille , ,de Schœnéus , il faut lire partout ail-
1 •!••.' leurs Ubneus : car nous apprenons
et par son moyen il jouit secre- d'APollodorc (3) et d'AntoninusLibé-
ralis (4) qu'OEnéus avait un fils ,
nommé Clyménus.
(B) Elle fut convertie en oiseau. ]
Il règne deux grands défauts dans les
inventions fabuleuses des anciens
Grecs : l'un est qu'ils n'ont pas assez
diversifié les incidens capitaux 5 l'au-
tre est qu'ils n'ont su garder aucune
sorte d'uniformité dans les circon-
stances. A peine trouvez-vous deux
auteurs qui , s'agissant d'un même
fait, s'accordent sur les qualités et
sur les noms des personnes , sur les
temps et sur les lieux. Si l'on a voulu
par ce moyen faire montre d'abon-
l'afiection des valets et des servantes;
après quoi il ne faisait nul scrupule
rie censurer les sénateurs et les bourg-
mestres , nommément dans ses ser-
mons , et d'affaiblir leur autorité au-
près du peuple. Calvini hœresim ,
senatu, et reliquis suis Lutheranis
collegis invitis , Bremam introduxit.
Quod ut commodiùs facerel ( ut scri-
bit Dithmarus Kenchelius , ejusdem
civitatis consul, libello contra Har-
deitbergium edito ) , in intimant po-
puli , hospitum , plebeioruni , mulier-
cularum , puellarum , famulorum
denique et ancillarum familiaritalem
se insinuans , aurarn popularem cap-
(ai'it , adebque ut ex publico suggestu
non modo prœdicantes colle gas jocu-
lariter irridere , sed ipsos etiam se-
natores et constdes nominatim laxa-
re , eorumque auctoritatem apud
plebcm unminuere non uererelur (1).
(1) Georg. Braunius, in Calholicor. Tremo-
nensium Defetisione, pug. 4(J, 4T-
HARPALYCE , la plus belle
fille d' Argos. Clyménus son père
en devint si amoureux , qu'après
avoir éprouvé que les efforts
qu'il faisait pour vaincre cette
tement de l'objet aimé. Quelque
temps après voici venir le gen-
dre , auquel il avait promis Har-
palyce. D'abord tout fut préparé
magnifiquement pour les noces ;
le mariage fut consommé; l'é-
poux partit avec son épouse pour
s'en retourner cbez lui. Ce fut
alors que Clyménus se repentit
d'avoir consenti à ce mariage.
Son amour le rendit tellement
furieux , qu'avant la fin du voya-
ge il se défit de son gendre, et dance, on s'y est mal pris ; la stéri
qu'il ramena sa fille à Argos où , , „ . „„,,»
i » ' (1) Hygin., cap. CCVI.
il se porta publiquement pour (*) id. , ibid. , ei caP. ccxlvi. iiy a a»
son mari. Elle fit enfin réflexion ehav- CXL*l Cœneus, etnonpcu Schœncus.
, . ,. . , , ,, . (3) Lib. I.
sur les indignités quelle avait a^cn,, 11
HARPALICUS
lité du principal se répare malaisé-
ment par des accessoires diversifies.
11 semble d'abord que l'Euphorion
de Parthe'nius nous donne ici quel-
que chose de nouveau; mais, prenez-y
garde , ce n'est que Térée transporté
sur une autre scène, avec quelques
changemens d'acteurs.
HARPALICUS, roi des Amym-
néens (a), dans la Thrace, eut
une fille nommée Harpalice ,
qui fut nourrie de lait de vache
et de jument (A) , et qu'il accou-
tuma de bonne heure au manie-
ment des armes. Il en fit par-là
une fort bonne guerrière , et
s'en trouva bien ; car si sa fille
ne fût venue à son secours lors-
que Néoptolènie, fils d'Achille,
l'attaqua (B) et le blessa , il eût
été perdu sans ressource; mais
Harpalice chargea si à propos
l'ennemi , qu'elle le mit en fuite.
Son père , qu'elle avait si heu-
reusement délivré de cette guerre
étrangère (b), périt quelque
temps après dans une guerre ci-
vile : ses sujets le chassèrent , et
enfin le tuèrent (c). Harpalice se
retira dans les bois , et se mit à
brigander. Elle allait comme la
foudre; et , quand on courait à
cheval après elle pour recouvrer
les bestiaux qu'elle venait d'enle-
ver, on ne pouvait point l'attein-
dre. Elle ne fut prise que dans
les filets qu'on lui tendit , com-
me pour prendre des cerfs. On la
tua ; mais il en coûta bon à ceux
qui le firent : car aussitôt il s'é-
leva une dispute dans le voisina-
ge , pour savoir à qui était le
bétail qu'elle avait volé. On se
(«) Hygin. , chap. CXCIII , Scrvius in
./En. , lib. I, us. 3l7, les nomme Amymo-
niens.
(Ii) Hygin. , ibidem
(c) Scrvius, ibidem.
HARPALUS. 5o5
battit, et il en demeura de part
et d'autre sur la place. Depuis ce
temps-là on établit pour coutu-
me qu'on s'assemblerait au tom-
beau de cette fille, et qu'on y
ferait des tournois en expiation
de sa mort. Il y eut une Harpa-
lice qui aima éperdument Iphi-
clus (d) , et qui mourut du cha-
grin de s'en trouver méprisée.
C'est d'elle qu'un certain canti-
que fut appelé Harpaljce.
(d) Turneb. , Adversar. , lib, X, cap. XI.
(A) Sa fille fut nourrie de lait
de vache et de jument.] Servais (1)
lui appliquant cesparoles du Ier. livre
de l'Enéide :
Qualis equos Threïssa faligat ,
Harpalyce , volucremque fugd pnevertitur
Hebrwn ,
dit qu'elle fut nourrie de la même
manière que Virgile fait nourrir Ca-
mille par son père Métabus (2).
(B) Lorsque Néoptolème l'atta-
qua.] Le père de cette fille était déjà
son prisonnier, selon Servius. D'au-
tres disent que ce fut des mains des
Gètcs qu'Harpalice le retira. Quidam
hujus palrem h Getis , ut alii volunl
a Myrmidonibus captant , collecta
multitudine asscrunt libérasse celeriàs
quant de fœminis credi potest (3). Je
ne sais point où Charles Etienne , suivi
par MM. Lloyd et Hofman , avait lu
que le père de notre Harpalice s'ap-
pelait Lycurgus , et qu'il était vieux
quand il devint prisonnier des Gètes.
(1) In jEneid. , lib. I , vs. 317.
(2) Hic nalam in dumis inUrque horrentia
lustra
Armenlalis equœ mammis , et lacle ferino
Nutribat , teneris immulgens ubera labris.
Virg. , TEneid. , lib. XI, vs. 5:o.
(3) Servius in Virgil. , iEneid. , lib. I, vs. ii^.
HARPALUS , astronome grec,
corrigea le cycle de Cléostrate ,
par un autre cycle qui eut besoin
d'être corrigé (A). Ce fut Méton
qui corrigea le nouveau cycle
d'Harpalus, l'an 4 de la 86e.
olympiade (a). Cléostrate dé-
a Diodor. Siculus, lib. XII, num.3&.
5o6
Il A R PAL US.
couvrit les signes du zodiaque , logie 5 mais il est sur qu'il place le
après qu'Anaximander eut dé- cyclf ^ P™"* ans .à ,la ierJ?ié.™
r 1 roc 1 ■ j année de la 00e. olympiade. 2 . 11 cite
couvert , en la 5b . olympiade, Pline? au livre n chapitre XII , tou-
l'obliquité de ce cercle {b). Ju- chant Cléostratus; il fallait citer le
gez par-là du temps d'Harpalus. chapitre VIII. 3°. Il dit que VOctaë-
II n'est pas vrai , comme l'assure ^Hde'M Cléostratus comprenait 2090
•ht i»r ' • t\- 1 i c- ans et 22. Un voit bien que limpn-
M. Moreri , que Diodore de Si- Ineur a brouillé les nombres ; mais le
cile fasse mention d'Harpalus. mot annorum est sans doute une mé-
II y a bien des brouilleries dans prise de l'auteur. Changez donc ces
Vossius sur tout ceci (B).
(b) Plinius , lib. II, cap. VIII , pag. m.
148.
(A) II con'igea le cycle de Cleo-
strate par un autre cycle qui eut
besoin d'être corrigé. ] Le cycle de
Cléostrate se nommait Octaëteris. Il
comprenait huit anne'es , au bout des-
quelles il prétendait que le soleil et la
lune revenaient au même point. Har-
palus , trouvant que cela n'arrivait
pas , inventa le cycle de neuf ans :
Nain quee solem hiberna novem pulal esthète
volvi
Vl lunes spcitium reclecU, velul Harpalus , ip'
sain
Oci'us in sedem tnomenlaque prisca reducit.j
lllius ad numéros proli.ra decennia rurswn
Adjecisse Melon Cecropiei elicilur arte.
Inseditque animis : tenuit rem Grescia solers
Protinus, et longos inventum misit in an-
nos (1).
Méton, ne trouvant pas que le cycle
de neuf ans eût mieux réussi que les
autres , inventa le cycle de dix-neuf
ans. On s'en est tenu là, comme Fes-
tus Aviénus le remarque dans les vers
que je viens de citer. Ce cycle est en-
core en vogue , et s'appelle le Nom-
bre d'or.
(B) Il y a bien des brouilleries dans
J^ossius sur tout ceci.} i°. Après avoir
dit (2) , dans sa Thèse , que Méton pendant les démêlés qui s'élève—
imUmYEnnéaddcatéride, la i'e. an- rent entre ce prince et le roi
paroles , introduxit octaëlerida quœ
erat annorum cio cio xc xxn , en
celles-ci, introduxit octaëlerida quœ
erat dierum cio cio cm xxii ; car ce cy-
cle comprenait 2922 jours. 4°- H cite
le XIIe. livre de Diodore de Sicile
touchantY Oc taëtéride : je n'yai point
trouvé ce mot. 5°. Cette phrase , in
hâc octaëteride deprehensum est vi-
tium ab Harpalo commissum , est
mauvaise 5 elle signifie tout le con-
traire de ce qu'elle devrait signifier.
Il n'y a point de lecteur qui ne croie
qu'Harpalus se trompa en faisant ce
cycle ; et néanmoins l'intention de
Vossius est de nous apprendre qu'Har-
palus découvrit la faute que l'auteur
du cycle avait faite. 6°. Il ne fallait
pas dire qu'au lieu de Y Octaëteride
de Cléostrate on employa Y Octaëte-
ride d'Harpalus ; car les vers d' Avié-
nus , que Vossius cite tout aussitôt,
marquent clairement que l'invention
d'Harpalus était un cycle de neuf
années.
HARPALUS , seigneur macé-
donien , et l'un des capitaines *
d'Alexandre , se perdit par ses
dépenses énormes (a). Il s'atta-
cha aux intérêts d'Alexandre ,
née de la 87e. olympiade, ou l'année
précédente , il dit , dans le Commen-
taire sur sa Thèse, que Diodore de Si-
cile parle de cela sous l'an 3 de la
86e. olympiade. N'est-ce point pro-
duire un témoin célèbre contre son
propre calcul? Cela est-il fort pru-
dent ? C'est être de honne foi, dira-
t-on : j'en conviendrai , pourvu que
Diodore se soit servi de cette chrono-
(0 Fcstus Avienus , in Arateis prognosticis ,
pag. m. 65.
(2) De Scient, mathem. , pag. i5o, i5i.
prince
* Chaufepié s'étonne que pour ce person-
nage Baylc n'ait pas consulte' Arricn. Il y au-
rait vu que la délicatesse du tempérament
d'Harpalus le rendant peu propre à la guerre,
Alexandre l'établit son trésorier. Harpalus
s'enfuit ( emportant probablement une par-
tie des trésors qu'il avait à sa garde), et se
retira à Mégare. Cela arriva avant la bataille
d'Issus. Alexandre eut si peu de ressentiment
de cette conduite que . l'ayant engagé sur pa-
role à revenir , il le rétablit dans sa charge de
trésorier.
{a) Athenseus , lib. XIII, pag. 5()!\. Pausa-
nias , lib, I , pag . 35.
HARPALUS. 5o7
Philippe, et il fui disgracié pour vait bien qu'il n'y a pas de plus
ce sujet (b) : mais , dès que Phi- puissant instrument que la lan-
gue de ces gens-là pour troubler
le repos public , et pour pousser
les peuples à prendre les armes.
Mais s'il savait d'un côté le grand
pouvoir qu'ils ont sur le peuple ,
il n'ignorait point de l'autre le
grand pouvoir qu'a sur eux une
bonne somme. Se voyant donc
muni de beaucoup d'argent, il
espéra de mettre la ville d'Athè-
nes dans ses intérêts. Il se trom-
pa , Phocion fut incorruptible
(C); et d'ailleurs les lettres d'An-
tipater , gouverneur de Macé-
doine, et celles d'Olympias , mè-
re d'Alexandre , continrent les
Athéniens dans le respect (y).
Ce fut à Harpalus à chercher
une autre retraite (D) ; il s'en
retourna à Ténare , où il avait
laissé ses soldats , et passa de là
en Crète ; mais il ne la fit pas
longue : un de ses amis le tua en
trahison (g) (E). Le Supplément
de Morén est fautif sur ce point-
là , comme je le ferai voir (h).
Alexandre croyait si fermement
qu'Harpalus était honnête hom-
me , qu'il fit mettre aux fers ,
comme de faux délateurs , ceux
qui lui portèrent la première
nouvelle de la fuite de ce per-
sonnage (/). La nouvelle qu'il
reçut que ce perfide chassé d'A-
thènes avait été tué , rompit le
(f) Diodorus Siculus , liù. XVII, cap.
cvm.
(g) Idem, ibid.
(h) Dans la remarque (D).
(i) Toùç Si 7rpciTouç t»v 'Ap7ra.krju quynv
y.tù a.Trifya.s-iv à.ira.yyiî\sLvra.ç sJWsi
'E<p i'siXthv X.O.) KiVs-ov a>ç KH.Ta.\iV$<j[J.ï\W,
toc/ àveTpoç. Illos i/ui Harpali fugatn ///-/-
mi nuntiaverunt m vincula conjei il. Ephial-
tem et Cissum , lanquam mendacia de
eu nuncianlcs. Plut, . in Alexamli , paj
689 , B.
lippe fut mort , Alexandre rap>
pela Harpalus , et lui témoigna
une amitié très-étroite. Je crois
qu'il lui donna le gouvernement
de Cilicie (A). Pour celui de Ba-
bylone , il est très-constant qu'il
le lui donna , avec la charge de
grand trésorier (c). Harpalus ,
s'étant imaginé que le roi son
maître ne reviendrait jamais de
l'expédition des Indes , commit
une infinité de malversations ,
afin de soutenir les dépenses ex-
cessives de son lit et de sa table.
Il se plongeait dans toutes sortes
de voluptés , et il ne refusait rien
à ses maîtresses (B). Plusieurs
autres gouverneurs , se figurant
comme lui qu'Alexandre ne se-
rait jamais en état de leur faire
rendre compte de leurs extor-
sions , avaient commis mille in-
justices. La première chose que
fit Alexandre en revenant des
Indes fut de faire châtier très-
sévèrement quelques-uns de ces
gouverneurs. Cela fit craindre
un semblable traitement à Har-
palus ; de sorte que pour le pré-
venir il s'enfuit en Grèce avec
des sommes immenses , qu'il prit
au trésor royal qu'on lui avait
confié. Il leva aussi six mille
hommes , qu'il débarqua à Té-
nare sur les terres des Lacédé-
moniens , et s'en alla à Athènes,
pour tâcher d'y faire entrepren-
dre la guerre contre Alexandre
(d). Il gagna à force d'argent
quelques orateurs (e) ; car il sa-
(b) Plularc. , in Alexatul. , pag. 669, E.
(c) Diodor. Siculus, lib. XFIly c. CVlll.
\d) Idem , ibid.
(<ï Plutarc , in Phocione , /?«,r ^5o; >n
1>ernnstliçnc , pag, 85j.
5o8 HARP
dessein où il était de revenir en
Europe , pour mettre les Athé-
niens à la raison (F). Il s'était
servi d'Harpalus pour faire venir
des livres (G) , lorsqu'il vit qu'on
n'en trouvait point dans les pro-
vinces éloignées du pays grec.
Le tombeau qu'Harpal us fit faire
à l'une de ses maîtresses fut fort
somptueux (H). Je ne pense pas
qu'un certain murmure contre
la providence, que Cicéron nous
a conservé , regarde notre Har-
palus (I). Si j'ai raison , les mo-
ralités du père Lescalopier ne
sont pas bien appliquées. Il y a
dans Eusèbe une faute que je
marquerai (K).
(A) Je crois ^«'Alexandre lui don-
na le gouvernement de Oilicie. ] Je
fonde ma conjecture sur ce que dit
Athénée (i) , qu'Harpalus , ayant per-
du sa maîtresse , en lit venir d'Athè-
nes une autre , et la logea au palais
royal de Tarsis. Elle y fut adorée
d'un chacun , et qualifie'e reine ; et
tous ceux qui couronnaient Harpalus
avaient ordre de la couronner aussi.
Cela suppose qu'Harpalus demeurait
à Tarsis avec toute sorte d'autorité.
Or Tarsis était la principale ville de
la Cilicie (2). Je ne m'arrête point au
passage d'Athénée ( 3 ) , où on lit
qu'Harpalus érigea une statue de
bronze à sa maîtresse Glycéra , dans
Tarsis, ville de Syrie ( h Ta.po-£> ) t*k
2vpia.ç. Je ne doute point que ce pas-
sage ne soit corrompu; car outre qu'il
n'y avait en Syrie aucune ville roya-
le ni considérable qui eût nom Tar-
sus , nous voyons à la page 586 d'A-
thénée , que cette statue de Glycéra
fut érigée dans Rosse , ïv'Puaréë. Nous
voyons à la marge de la page 5g5, vis-
à vis de l'endroit du texte où l'on a
imprimé (èv Taprâ) que d'autres por-
tent h 'Paxrtrâ}. Athénée cite dans l'un
et dans l'autre de ces deux passages
(1) Lib. XIII, pag. 586.
(-) Tàv t«ç //HTpoTrciAsaiç sfl-é^oi/trjt xô-
yr'V , metropolis rationcm obtinel. Stiabo , lib.
XIV, pag. 4fi<.
Ci) Lib. XI II, pag. 595,
ALUS.
le même auteur , savoir Théopompe
Il faut donc que les copistes aient
bouleversé le nom de la ville où étail
cette statue *.
(B) // ne refusait rien a ses mai-
tresses.] Si quelque chose pouvait
détruire la conjecture que j'ai avan-
cée dans la remarque précédente , ce
serait la description que Diodore de
Sicile nous a laissée du luxe où Har-
palus se plongea pendant qu'Alexan-
dre était aux Indes ; car elle porte
qu'Harpalus s'abandonna à la débau-
che des femmes , et à des impuretés
encore plus odieuses ; qu'il faisait ve-
nir de lamer Rouge une grande quan-
tité de poisson 5 que ses dépenses or-
dinaires étaient excessives ; et qu'ou-
tre cela il fit venir une célèbre cour-
tisane d'Athènes, qui s'appelait Py-
thionicej qu'il lui fit des présens
d'un prix immense ; que quand elle
fut morte il lui fit bâtir un tombeau
superbe , et manda du même pays
une autre fameuse courtisane , nom-
mée Glycéra , avec laquelle il vé-
cut dans une mollesse si prodigieu-
se , qu'on ne la saurait représenter.
Tout cela se fit, selon Diodore de Si-
cile , pendant qu'Harpalus était gou-
verneur de Babylone , et surinten-
dant des finances , et depuis qu'A-
lexandre se fut engagé à l'expédition
des Indes. J'ai donc eu tort de parler
du gouvernement de Cilicie, me di-
ra t-on. L'objection serait forte, s'il
n'y avait lieu de croire que Diodore
de Sicile , à l'imitation de ceux qui
composent une histoire générale , a
trop entassé les événemens particu-
liers , et trop négligé le détail du
temps. Les auteurs qu'Athénée cite
sont plus croyables que Diodore ; car
ils se sont fait une matière particuliè-
re des débauches d'Harpalus : la pré-
somption est donc qu'ils en ont
mieux développé les circonstances
que Diodore ne l'a pu faire, lui qui n'a
parlé d'Harpalus qu'en gros, et qui
ne passait sur les incidens particu-
liers que le plus vite qu'il pouvait.
C'est la méthode de l'histoire géné-
rale. Or que disent les auteurs d'A-
* La circonstance du gouvernement de Cilicie
est contestée par Chaufepié, qui regarde comme
douteuse la leçon d'Atliénée , et objecte en outre
le silence d'Arrien, dont l'ensemble du récit prou-
ve le contraire. Baylc au reste n'assure rien; il
dit simplement : Je crois, mots qui ici équiva-
lent presque à je doute.
HARPALUS. 509
thénée ? Le voici. Après la mort de cela que par ordre d'Alexandre. Si
Pythionice qu'Harpalus avait aimée Scaliger avait conclu de cela qu'Har
passionnément , il fit venir Glycera , palus avait l'intendance des jardins
et l'introduisit au palais royal qui et des vergers royaux à Babylone ,
était à Tarsis , et la fit adorer du il ne pourrait être censure que d'une
peuple, et traiter de reine. "Hv **< chose ; mais il dit que Plutarque
îxâoj/o-stv oÏkÛv h toÎc jia.a-ihtiaii toÎç «v attribue cet emploi à Harpalus (8) ;
Tctpo-â) x.sù frpoo-KuviTrfjxt ôro tou ttxm- il a donc bronche deux fois. i°. il
Bouc (èa.o-ixto-3-a.v 7rpotrai.yopiuo/u.îvr)v , jLc ne s'est point souvenu qu'Harpalus
Mo prqfectam in regid quœ Tarsis e'tait gouverneur de la province de
fuit collocâsse , ut adorarent omnes Babylone, et qu'ainsi l'intendance des
ac reginam salutaivnt jussisse (4)- jardins n'e'tait pas sa principale char-
S'il eût e'te' gouverneur de Babylone gc, mais une petite dépendance de
lorsqu'il fit venir Glycera, il l'eût son emploi, a0. Il est faux que Plu-
introduite dans le palais de Babylo- tarque dise ce qu'il lui impute.
ne : c'est à Babylone qu'il lui eut fait (C) Phocion fut incorruptible.'] Ce
.;* 1.,; „.,'H.,..„~i..„ *a„u„ :__:i.i_
rendre les honneurs de l'adoration ,
et donner le titre de reine. Il a fait
cela dans Tarsis , donc il était gou-
verneur de la Cilicie lorsque Pythio-
nice mourut et lorsque Glycera rem-
plit la place de Pythionice; donc Dio-
dore de Sicile s'est trompe aux cir-
constances du temps, puisqu'il sup-
tait lui qu'Harpalus tâcha principale-
ment de gagner : il voyait venir à
lui les autres dëclamateurs , et ne
leur donnait que des sommes très-
modiques ; mais il fit offrir a Phocion
700 talens , et le voulut rendre l'ar-
bitre absolu de ses affaires. Tœv ùa>-
Bûtû'v stTro tou fïHjua.'roç Xptifjtct.r!Çi<rÇ)a.t
pose que les amours d'Harpalus pour «fyô//oç »iv ko.) ctjuixxct ^Bupofjiivuv irpbç
Pythionice , et ensuite pour Glyce'- «.t/i-ôv, toutok /asv àtto ttoxkSv juiitp à. Si~
ra , ont suivi le temps auquel Harpa- \«o£àtv , 7rpoi\na.To x,cù hippi&t , tû Ss
lus fut pourvu du gouvernement de <pa>ju'a>v» irponTrif/^i «TuTot/ç IsrTctxôa-j*
Babylone , et auquel Alexandre s'en rcLha.vra.. Concionalium hirudinum
alla aux Indes. Qu'on ne m'objecte fuit certatim concursatio opéras suas
point le sépulcre qu'Harpalus fit M- ei vendilantium : modicam his Me ex
tir à Pythionice dans Babylone (5) ; mullis obtulit et objecil escam , Pho-
car cela ne prouve point que cette cioni vero per internuncios septin-
femme soit morte depuis qu'il fut genta talenta obtulit (g). Phocion le
pourvu du gouvernement de Babylo- rebuta, et lui fit signifier qu'il le fe-
ne. Je ne sais si l'on pourrait mettre rait repentir de ses complots , s'il le
voyait continuer à corromjire les ha-
bitons. Cela fut cause qu'Harpalus
agit avec plus de retenue : il éprou-
va que toutes ces langues vénales
qu'il avait gagnées le traversaient
ouvertement , afin de dissiper les
soupçons, et que Phocion, qui n'a-
vait rien pris, lui était le moins con-
traire. Cela lui fit faire de nouvelles
tentatives pour le gagner ; mais il le
trouva de toutes parts imprenable.
Chariclès, gendre de Phocion, n'imita
point cette intégrité , et se rendit si
suspect que son beau - père refusa
de Passister , quand il le vit accusé
juridiquement d'intelligence avec
Harpalus (to). Pour ce qui esl de
(8) Plularchus in Symposiacis , qui inter alla
scribit eum hortis regiis et viridariii Bafylv-
niacis prœpositum fuisse. Scalig. , Animadrcrs.
in Eusebium , num. 1691 , pet-: I "■
(y) Plut. , in Phocionr , pag 7J1 , B.
(10) Idem , ibid.
entre les marques du luxe de ce gou
verneur la peine qu'il prit de faire ve-
nir de Grèce toutes sortes de plantes
pour l'ornement des jardins et des
allées de Babylone (6) : car si l'on
en croit Théophraste (7) , il ne fit
(4) Tlieopompus et Cleitarchus, apud Athen,,
lib. XI II, pag. 586.
(5) Theopompus , apud Athen., lib. XIII,
pag. SçS.
(6) "Ap vclxoç Si thç ,£û>ptf.ç à.7ro\iiq ôeic
£TI//.SX»TJ)Ç , KO.I <$lXOKCl\S)v'lLkXï)VUia.lÇ <$u-
Tiia.it £ittx.oa-f/.îi?a.t ts /2«.3-/xsia. kcli tous
7ripi7ra.Touç, Tcèv juïv a.hha>v iKpa.TitTîvy
TOV tfs KITTOV OÙx. iÇi'Çvi M "J, îï /XOVOV , «AA
dil flîqBtiptl) , OU (pépOVTCL TMV KpSiTIV.
Harpalo , qui regionis hujus relictus prœfectus
fuit , studenti Grœcis plantis regiam et ambula-
tiunes excolere . cœteva rrsjioitdrnmt, unaiu
respuit tellus hederam , quant tremper corrupit
impatientent ejus temperiei. Plut. , in Alexan-
dre , pag. G86, E.
(7) Apud Plut., Syinposi»»-. , lib, III , cap.
II, pag fi (S
5io
HARPALUS.
Démosthène , il en usa le plus mal-
honnêtement du monde : il toucha de
grosses sommes , afin de parler pour
Harpalus ; mais , quand il fut question
de haranguer, il parut dans l'assem-
hlée le cou tout couvert de linges ,
et se plaignit d'un mal de gorge qui
lui était l'usage de la parole (i i). Ce
fut alors qu'on débita le bon mot
où l'on faisait allusion à l'esquinan-
cie. OÏ «Tê itiifui7ç ^X4t/Ç<ivTêc oôx Ù7ro
cuvaiyKnç l'^pct^ov , ÀK\ clv eLpyvpctyX>iç
iiK»^>èa.t vCx.Twp tov S'Yif/.a.ya>yov. Ibi ho-
mmes faceti cavillantes non angind
dixerunt, sed argenlangind oralorem
nocte correptum(ii). Il n'en fut pas
quitte pour être raillé ; car ses en
qu'il eut été' résolu dans Athènes
qu'on ferait sortir Harpalus , on in-
forma contre ceux qui s'étaient lais-
sés corrompre par ses présens. S'il
n'eût point trouvé de gens à cor-
rompre , il aurait été livré à Alexan-
dre (20). Un des amis (21) de ce
prince sollicita puissamment les
Athéniens de lui livrer Harpalus 5 et,
ne l'ayant pu obtenir, il leur mar-
qua quelque temps après à qui cet
homme avait donné de l'argent , et
combien. Il trouva cela dans les pa-
piers de l'intendant d'Harpalus (22).
Mettons ici la critique du Philoxè-
ne de Moréri. Celui qui a donné cet
article (23) assure que Philoxène, ca-
agemens avec Harpalus furent cause pitaine macédonien , prit en Candie
de son exil (i3). Notez que Pausa-
nias le croit innocent (i/f)- Harpalus
et sa concubine Glycéra firent dis-
tribuer dans Anthènes une grande
quantité de blé. Ce fut une des cho-
ses pour lesquelles on le berna dans
Harpalus, qui avait enlevé les riches-
ses d'Alexandre ; qu'il dé-
couvrit tous ceux a qui Harpalus
avait confié ce trésor dans Athènes ;
qu'il en envoya la liste aux magis-
trats, pour retirer cet argent , et les
une pièce comique qui fut jouée sur faire punir, mais qu'il ne voulut
les bords de l'Hydaspe , et dont quel- point nommer Démosthène , quoi-
ques-uns ont dit qu'Alexandre même qu'il eût quelque différent avec ce
était l'auteur (i5). Il est remarquable fameux orateur, préférant en cette
qu'après la mort d'Harpalus , une occasion l'estime qu'il faisait de son
fille qu'il avait eue de Pytliionice éloquence a son propre ressentiment.
fut reçue chez Phocion , et élevée On cite Pausanias. Je trouve là six
avec toute sorte de soin , tant par lui fautes. i°. Il est faux que Philoxène
que par son gendre Chariclès (16). ait pris Harpalus ni en Crète , ni en
(D) Ce fut à Haipalus a chercher aucun autre lieu. 20. Il ne prit que son
une autre retraite.} 11 reçut ordre intendant qui s'était sauvé à l'île de
de sortir d'Athènes, comme nous Rhodes (24). L'auteur que je criti-
l'apprenons de Plutarque (17) et de que n'en parle point ; cette omission
Quinte-Curce (18). Je crois que la sera sa 2e. faute. 3°. Harpalus ne con-
cause fut plaidée avec apparat ; car fia point ce trésor dans Athènes ;
Pollux cite une harangue d'Hypéri-
des v7rip 'Ap7râ.Kou. Je ne parle point
de la harangue de Dinarchus , qui a
pour titre îiTrïp <rot/ [m 'tufauvcu Kpira.-
xov 'Axs£*vJp&>- elle passe pour sup-
posée. Il ne laisse pas d'être vrai que
cet orateur plaida effectivement dans
cette cause 5 on avait cinq de ses ha-
rangnes 7npi 'Ap?ra.Aê/&>v (19). Ce pi*o
il y donna des sommes pour gagner
des gens qui lui fussent favorables.
4°. La liste que Philoxène envoya
aux magistrats ne contenait point
les noms des prétendus dépositaires
de ce trésor , mais le nom de ceux à
qui Harpalus donna de l'argent poul-
ies corrompre. 5°. Pausanias (25) ne
dit point que Philoxène ait eu envie
ces eut de grandes suites ; car après de retirer cet argent. 6°. Et bien loin
de dire que ce Macédonien sup-
(11) Plut. , in Démosthène , pag. 857.
(12) Idem , ibid.
(i3) Justin., lib. XII , cap. V.
(i4) Voyez la remarque (D), à la fin.
(i5) Atben. , lib. XIII, pag. 586 et 595.
(iC) Plut., in Phocione, pag. 751.
(17) Plutarclius , in Demoslli. , pag. Sn5, F..
(18) Lib. X,cap. II.
(19) Voyez Scaliger , Animadvers. in Euse-
liiuru , num. 1691 ,pat;. m. 127.
prima son ressentiment par l'estime
(20) Pausanias , lib. I, pag. 35.
(11) Philoxène, Macédonien. Pausanias , lib.
II, pag. 76.
(22) Idem, ibidem.
(23) Il est dans te Supplément du Dictionnaire
de Moréri.
(i!\) Pausanias, lib. Il, pag. 76.
(■•ï) Idem , ibidem.
HARPALUS.
5n
de l'éloquence de Demosthène , il C'est Quinte-Curce qui nous l'apprend,
suppose manifestement que cet ora- His cognais , dit-il , rex Haipalo
teur aurait paru dans le catalogue Atheniensibusquejuxlainfestus, clas-
de Philoxène, si l'on eût trouvé son sein pararijubet; Athcnas protinùs
nom dans les papiers de l'intendant petiturus. Quod consilitim dum aisi-
d'Harpalus. Voici le raisonnement de tai , clam litlerœ ei redduntur , Har-
Pausanias. Si Harpalus avait donne palumintrâsse qui'lem Athcnas, pecu-
de l'argent à Demosthène , on l'eût nid conciliasse sihi principum animos,
découvert par les papiers de son in- mox concilio plebis luibito , jussum
tendant : et si on l'eût découvert, urbe excedere , ad Grœcos milites
Philoxène l'eût marque dans le ca- pervertisse , a quitus interceptum, et
talogue qu'il envoya aux Athéniens ; trucidatum <i quodam viatore per
car il avait eu des querelles particu- insidias. /lis lœtus in Europam
Hères avec Demosthène , et il savait trajiciendi consilium omisil (3o ). 11
qu'Alexandre était furieusement ir- faudrait être stupide pour ne pas
rite' contre ce fameux orateur. Or il apercevoir qu'il y a une assez grosse
ne fit aucune mention de Dèmosthé- lacune entre le Ier. et le 2e. chapi-
ne en faisant savoir aux Athéniens tre du Xe. livre de Quinte-Curce :
le nom de ceux à qui Harpalus avait car où est l'historien si vide de sens
donne' de l'argent, et comhien cha- commun, qu'il soit capable de par-
cun d'eux avait touche'. Il faut donc Ici' d'un Harpalus de la manière que
penser que Demosthène n'en toucha Quinte-Curcc en a parle dans le pas-
pas. Fiez-vous après cela à de tels sage qu'on vient de lire; qu'il soit,
dis-je , capable de parler de cette
manière , sans avoir préalablement
explique' qui était ce personnage, et
quelle entreprise il avait formée? Il
n'estpas besoin quej'insiste là-dessus :
si quelqu'un ne sent point cela, il
n'est pas capable de comprendre les
raisons que j'alléguerais.
(G) Alexandre s'était servi d'îtar-
faiseurs de dictionnaire. Déplorez
plutôt le sort d'une infinité de lec-
teurs qui ont cru fort bonnement
que Pausanias nous donne là un
exemple d'une insigne générosité ,
un homme si rempli d'admiration
pour Demosthène son ennemi , qu'il
étouffe en sa faveur son ressentiment
lorsqu'il a une occasion très-favora-
le de se venger : Tant est grand le palus pour jaire venir des livres.]
ouvoir de l'éloquence ! s'écrieront Plutarque nous apprend ce fait : lisez
bk
pouvoir de l'éloquence ! s'écrieront Plutarque nous apprent
les jeunes déclamateurs qui auront ce qul suit, vous y trouverez qu'on
cherché des matériaux dans ce nou- ue croyait pas déplaire à ce prin-
veau Polyanthea (26).
(E) Un de ses amis le tua en tra-
hison.] Il s'appelait Thimbron , à ce
que dit Diodore de Sicile, et il était de
Lacédémone , à ce que dit Arrien. Il
s'empara de tous les effets d'Harpalus.
D'autres disent qu'un voyageur fit ce
meurtre ( 27 ) ; d'autres l'attribuent
aux domestiques d'Harpalus (28); et
d'autres à un Macédonien qui se
nommait Pausanias (29). Ces varia-
tions font perdre patience , et désho-
norent les historiens.
(F) La nouvelle, qu'il avait été
chassé ci Athènes , rompit le dessein
ce en lui envoyant des poésies. Tcèv
<fî AkXeev fïi@}jaiv OtJK iÙ7roùSiv lv TOIÇ
a.va> twoiç, "Af,7r&\ov èxÉXst/a-e 7ré/u«\,a.i.
KoîttêJVOÇ 'Î7ri/u^iv ÙutZ TO.Ç Ti <E>fX<Vof
0i£\ouç, ko.) tot EvptTrlS'iu xzi 2o<po-
xhiavç kai Air^ôxon Tpu.yaJ'téèv o-t/^vàc,
kcli Tihiçuv xa.t QimÇîvou fSvpâ.y.Çwç.
AliorUm lïbrorum quùm in superio-
ribus provinciis non esset ei facultas,
mandavil Harpalo ut mitteret. Ille
misit ei Philisti libros , Kuripidisquc
et Sophoclis , et JEscnyli tragœaia-
rum magnant vim , Teleslis quoque
Philoxenique dithyrambos (3i).
(H) Le tombeau qu Harpalus fit
oh Alexandre était de revenir fairea l'une de ses maîtresses fut fort
mettre les Athéniens a la raison.]
(26) C'est-à-dire, dans le Dictionnaire de
Moi-éri.
(27) Quint. Curlius, lib. X, cnp. II.
(28) Pausanias, lib. Il, pag. 76.
(2f|) Idem , ibidem ,
somptueux.] Il avait fait des dépenses
incroyables pour Pythionicc pendant,
qu'elle vécut ; il n'en fit pas moins
pour l'enterrer. Les funérailles se fi-
(3o) Quint. Curlius , lib. X, cap. II.
(3t) Plut. , in Alexandre) ,pag. G68 , D.
5l2
HARPALUS.
rent avec la plus magnifique sympho-
nie du monde : tout ce que la musi-
que pouvait donner de plus beau et
en voix et en instrumens fut assemble
(32). H lui fit élever deux superbes
monumens, l'un à Babylone, et l'au-
tre proche d'Athènes. Il y dépensa
plus de deux cents talens : il consacra
un temple et un bois à cette femme ,
sous le nom de Vénus Pythionice (33).
Le tombeau qu'il fit faire dans l'Atti-
que, sur le chemin d'Eleusis, surpas-
sait tous ceux qui étaient proche de là.
On l'aurait pris pour celui d'un des
plus grands hommes qui fussent sor-
tis d'Athènes. Quelle devait donc être
la surprise des étrangers , lorsqu'ils
apprenaient que c'était celui d'une
garce? Quel jugement devaient-ils
faire des Athéniens ? Cette réflexion
est de Dicéarchus (34). Un auteur ,
qui se connaissait parfaitement en ces
matières , assure que le tombeau de
Pythionice , sur le chemin d'Eleusis ,
était le plus beau de tous les anciens
monumens que l'on pût voir dans la
Grèce, 'fîç x.0.) pvïipia, à.7roB*,voùcrviç
7toîy\cra,i, 7râ.vra>v, OTrocra.' Exxvirlv sç*iv dp-
Xtiia, bîctç p.â\xKa. «£iov. Ut mortuce
moiùmentumposueritomnium in Gros-
ciâ velerum operum quod spectetur
dignissimum (35). Il est même vrai
qu'on ne suivit pas fidèlement les in-
tentions d'Harpalus ; on ne dépensa
pas toutes les sommes qu'il destina à
ce monument. Chariclès , gendre de
Phocion , se chargea de l'intendance
de cet ouvrage , à la prière d'Harpa-
lus , et n'y dépensa pas les trente ta-
lens qu'on lui mit en main. Il se dif-
fama en deux manières : i°. en se
chargeant de la direction d'un monu-
ment destiné à une garce ; 2°. en
s'appropriant une partie des sommes
qu'on lui avait confiées. Mvn//sîov àiro
Xpvjuâ.Ta>v çroxxSv \7mixicra,\ 9«àmV«ç
(32) Posidonius, lib. XXII Historiar. , apud
Alhen. , lib. XIII, pag. 5g/J.
(33J Tmt»{ WoXpwiv o qixoç iïva.i croîs
qsicrxaiv lîpov «.ai fl/«voç 't$pvcra.<T%a.\ , xai
'rpocra.'^opivcrat nov vaov nai tûv fiuip.lv ITf-
ÙiovIkvi; 'A^pocTiTMC. Ausus hic esl qui de ami-
* ititt tua gloiïarelur , illi et lucum cl templum
consecrare, œdemque illatn et aram PjrikioTiices
I eneris nuncupare, Theopompus , in Epist, nJ
Alexandrum, apud Atlicn. , iliid. , pag. 5q5.
(34) In librit de Descens» in nntriim Tioplm-
nium , apud Atlicnsrum , pag. .r><i4'
(35) Patisanias , lib. I, pur 6
Trpocr'i'Tct.^i tço Xapix-XÙ tmv Î7rip.i).iiav ■
oùcr&v Si t»v ÙTroupyiav tuCtyiv , âymîi
7rpoTH.ct,<ri)!r%u\/iv ô Tct^oç crvvrihto-QtU'
JtcifAzvu yatp 6TI vt/v iv 'Epjuiiq>, » (ia,-
iïïÇopïv \'Ç, dç-io; çîç 'Exivcntva, , pnSiv
lX,a>V Ttèv TflCiKOVTa. TaxâvlClùV tt^l&V ,
ocra. Tm 'Ap7ra,xu> xoytcrônvai tycicnv aç to
ïpyov Ù7ro <roû Xa.piKXiovç. Qi/ùm Har-
palus moniwienlum sumptuosum lo-
care vellet faciendum , ejus rei de-
mandavit Charicli curam. Hoc mi-
nisterium per se turpefœdavit insuper
sepulcrum absolulum. lixtat enim et
hdc œtale in Hermio , qua Alhenis
Eleusina itur , neque in eo triginta
talenta , quantum summam expensum
tulisse in id opus Harpalo uutumanl
Chariclem , comparent (36). Pausa-
nias avoue qu'il ne sait rien, ni de la
patrie, ni de la famille de Pytbionice,
mais seulement qu'elle avait exercé le
métier de fille de joie dans Athènes
et à Corinthe. Athénée en savait un
peu davantage. Il dit qu'elle avait été
servante de Bacchis la flûteuse , et
qu'ensuite elle s'enrôla sous une ma-
querelle de Thrace qui demeurait
à Egine, et qu'elle la suivit à Athènes ,
où elle transporta son bordel ; de
sorte que Pythionice était une triple
esclave , et une triple prostituée :
Sç't yivicrba.ip.tip.ovov TpiJ'ovXov dxxa x.at
rp'nropvov at/Tiïv , ut non solùm ter
mancipium, sed etiam ter scortum
fuerit (3^).
(I) Je ne pense pas qu'un certain
murmure contre la providence re-
garde notre Harpalus.~\ Voici les pa-
roles de Cicéron (38) : Diogenes qui-
dem Oynicus dicere solebat , Harpa-
lum , quitemporibus Mis prœdo j'elix
habebatur, contra deos teslimonium
dicere , quod in illd fortund tamdiù
viveret. Je suis de l'opinion de M. Mé-
nage : l'Harpalus de Cicéron , le Scir-
palus de Diogène Laè'rcc (3ç)), et h'
Scirtalus de Suidas (4o) , me semblent
être un seul et. même homme. Or le
Scirpalus de Diogène Laè'rce , et le
Scirtalus de Suidas , était un fameux
pirate qui prit Diogène le Cynicfue ,
et le vendit : je crois donc que l'Har-
(3fi) Plut. , in Phocionc , pag. 'jSi , I).
(37) Alhen. , lib. XII I, pag. 595 , ex 1 lieo
pompo , in epist. ad Alexaudriim.
(38) De Naturâ Deorum , lib. III cap
XXXI V.
(3g) Lib. VI, in Diogcn. , num. 74.
(40) In Aio-jjvhç.
HÀRRAVAD.
palus de Cicëron était un pirate , et
non pas un capitaine d'Alexandre-le-
Grand. Le caractère que Cice'ron a
donne' à Harpalus ne convient nulle-
mentau capitaine d'Alexandre. L'Har-
palus de Cice'ron e'tait un fameux
brigand , aussi connu par le bon-
heur qui l'accompagnait dans ses bri-
gandages , que par ses brigandages
mêmes : sa longue prospérité' était
connue, comme il paraît par la con-
séquence que Diogène en tira ; vu
qu'on se rendrait très-ridicule à cré-
dit , si l'on raisonnait de la sorte
5 les ; c'est un scandale pour eux que
e voir que l'ou répond à un pro-
fane , en bouleversant tout l'état de
la question. Et puis cette conclusion
du père jésuite n'est -elle pas édi-
fiante ? Omitte Harpalum, sume Dio-
genem , ne querere quod regiœ pe-
cunice prceao unum annum vivat in
sud Jortund : querere quod prœdo
divinœ piwidentiœ in sud impietate
longam citant vivat : sed neque id
cerlè conquerendum est , nam longa
vila misetTimi canis omnibus infesti ,
omnibus exosi , longum suppîicium
dans une ville où les bonnes prises fuit, longioris tamen suppliai brève
d'un corsaire ne feraient du bruit preeludium (43).
que depuis quatre ou cinq ans.
Joignez à cela qu'il n'y a rien qui
applique davantage à faire des ré-
flexions de murmure sur la prospérité
des médians , que de se voir mal-
heureux à cause de cette prospérité
(4i). S'il y a donc quelque voleur
dont la longue impunité ait pu ar-
racher de la bouche de Diogène la
plainte qu£ Cice'ron a rapportée, c'est
sans doute celui dont Diogène devint
esclave ; or, comme il devint l'es-
clave d'un pirate , et non pas du gou-
verneur de Babylone , il faut con-
clure que le témoin qu'il croyait
qu'on pouvait produire contre l'exis-
tence des dieux , était le pirate qui
l'avait pris.
C'est donc en vain que le père Les-
calopier (4 2) représente à ses lec-
teurs, qu'Harpalus, gouverneur de
Babylone , ne demeura point long-
temps impuni , après avoir enlevé
les trésors du roi son maître. C'est
en vain qu'il montre que ce voleur
ne lit que passer d'infortune en infor-
tune , et qu'il fut misérablement tué
au bout d'un an : il ne fait que rai-
sonner contre lui-même ; plus il
avance vers son but , plus il s'écarte
de son sujet ; car il s'agit d'un voleur
qui avait été long-temps heureux :
voilà l'objection ; et vous nous allé-
guez un voleur qui fut puni presque
sur-le-champ : ce n'est pas répon-
dre ; c'est plutôt travailler, sans y
prendre garde , à faire d'une diffi-
culté qui n'est presque rien , une
pierre d'achoppement pour les sim-
(40 Voyez tom. V, pag 49^ , la remarque
(C) de l'article Diagoras l'atliee.
(4^) Lescalop , Commentai-, in Ciceron., de
ftaturâ Deorum, /iA. ///, pag. 683.
TOME VU.
(K) // y a dans Eusèbe une faute
que je marquerai.} Il dit, sous la troi-
sième année de la i i3e. olympiade ,
qu'Harpalus s'enfuit en Asie, Har-
palus fugit in Asiam. Scaliger ap-
prouve cette cbronologie ; mais il
corrige Asiam, par Atticam ; el il
est certain que si Eusèbe n'a pas dit
Atticam, il l'a dû dire. Bongars (44)
avait corrigé fugit ex Asid.
(43) Là même , pag. 682.
(44) In Justin. , lib. XII, cap. V.
HARRAVAD (Isaac-Ben), rab-
bin célèbre vers la fin du XIIe.
siècle. Il a écrit quelque chose ,
mais on ne sait pas au vrai ce
que c'est. On lui attribue deux
propriétés admirables ; car on
dit qu'il pouvait connaître au
visage des gens s'ils avaient une
âme qui fût venue d'un autre
corps , ou qui eût commencé
d'exister au moment qu'elle avait
été unie au leur ; et encore qu'il
fût aveugle, il discernait sûre-
ment par l'odorat si quelqu'un
était en vie ou non (a). La cri-
tique du père Bartolocci est un
peu grossière en cette rencon-
tre (A).
(a) Tiré de la Bibliotheca Rahbinica de
Bartolocci , loin. III, pag. 888, 88j.
(A) La critique du père Bartolocci
est un peu grossière en cette ren-
contre.] Ayant cité ces paroles du
rabbin Rékanati , et licetfuisset cœcus,
33
5i4
HARTUNGUS.
sensibiltler percipiebat ex aère an
iste fuisset vivus an uerb morluus ,
il ajoute (i) , cognoscere cadaver ex
olfàctu. mira res apud Judœos : quia
cum Jiulœi malè olentes inler se con-
tinua versentur , itlorum olfaciendi
sensus videtur deprawalus , ut inter
cadaveris et latrinarum malum odo-
rem dislinguere nesciant, nisi prodi-
sium fiât. C'est une mauvaise rail-
lerie, et si l'on veut se défaire de
tout esprit de chicane , Ton recon-
naîtra que l'odorat de ce rabbin avait
quelque chose de fort particulier, en
cas qu'il fît le discernement dont il
est question. Car il ne faut pas pré-
tendre qu'on ait voulu dire qu'il
discernait si un homme mort depuis
quelques jours ne vivait plus ; tous
les aveugles feraient sans peine cela.
On a voulu dire que le changement
qu'il sentait dans l'air, aussitôt qu'un
homme était expire , lui faisait con-
naître certainement la mort de cet
homme. Ne m'avouera-t-on pas que
ce changement est imperceptible ? Le
père Baxtolocci a censure' une autre
chose. Il demande comment ce rabbin
aveugle pouvait connaître l'âge de
l'âme en regardant au visage. Afin
que cette censure fût juste , il fau-
drait que les mêmes gens qui ont
parle de cette vertu de notre rabbin ,
eussent nettement de'claré qu'il était
alors aveugle , et qu'il se servait de
l'inspection du visage. Or il ne paraît
point qu'ils aient fait une pareille
déclaration. Pius iste Ben Harravad
cognoscebat ex vultu , utrùm anima
creata in ipso actu infusionis infor-
marelnr hoino ; an verb aliunde ex
traits mi gratio ne animant haberet ad-
uenticiam (2). Ces paroles du rabbin
Rëkanati ( 3 ) te'moignent bien que
l'autre rabbin connaissait par le vi-
sage , si l'âme des gens était toute
neuve ou non ; mais non pas s'il le
connaissait en regardant le visage,
ou en le touchant. Or ces deux
moyens ne sont pas moins merveil-
leux l'un que l'autre , et il semble
même que le dernier soit plus difli-
cile que le premier. On m'objectera,
(1) Bartoloccius , Bibliotlieca Rabbinica , loin.
III, pag. 889.
(i) R. Rëkanati , apud Barlolocc. Biblioll).
Rabbinica, Iwi, III, pag- 888.
(3) Elles ont été insérées, par Griitéius, au
II'. tome du Tlitiaui'ui Criticus.
en faveur de P.artolocci , que Rëka-
nati faisant mention de l'autre pro-
priété , observe que le rabbin Har-
ravad était aveugle ; mais je deman-
derai toujours ,1e fait-il être , quant
à ce temps-là , ce merveilleux physio-
nomiste qui discernait si les âmes
étaient dans le lieu de leur nais-
sance ? Car s'il a seulement voulu
direqu'Harravad discernait cela avant
que de devenir aveugle , que devien-
dront les railleries de Éartolocci ,
ses exclamations , ses invectives ? Il
avait sujet de se moquer de tous ces
contes ; mais il fallait se servir d'au-
tres raisons. La justesse est néces-
saire, qui que ce soit que l'on veuille
réfuter.
HARTUNGUS (Jean), né à
Miltemberg (a), l'an i5o5, fit
ses études dans sa patrie , et puis
dans l'université d'Heidelberg.
Il prit ensuite les armes, et les
porta en Hongrie contre les
Turcs ; mais il se remit quelque
temps après au doux service des
muses , et fut professeur en
langue grecque dans l'académie
d'Heidelberg. Il s'acquitta glo-
rieusement de cette charge pen-
dant quinze ans ; et il ne l'aurait
point quittée si l'on n'avait éta-
bli la religion protestante au Pa-
latinat, l'an 1546. Ce change-
ment l'obligea à chercher un au-
tre poste ; il en trouva un à
Fribourg, dans le Brisgaw, et il
en fut si content qu'il ne le quit-
ta qu'avec la vie. Il tint un rang
honorable parmi les professeurs
de Fribourg, et il eut beaucoup
de disciples. Il fit des leçons sur
Homère , et sur quelques autres
poètes , et il composa d'assez
bons livres (A). Il mourut dans
la îiiême ville, le 16 de juillet
1 579 , après y avoir professé les
belles -lettres trente -trois ans.
(a) Pille d'Allemagne sur le Mein.
(b) Tiré de Melchior Adam , in Vitis Phi
losoph. Germanoruni, pag. 3oo, 3oi.
HÉBEDJÉSU. 5i5
L'épitaphe qu'il se fit témoigne Italien me fait souvenir que M. Bail-
qu'en instruisant la jeunesse il }et n'a, point mis Hartungus parmi
•4. ce *- 1, ,- -les critiques,
avait sounert beaucoup et appris l
beaucoup (b) (B). HÉBEDJÉSU , patriarche des
nestoriens , réunis à l'église ro-
maine sous Pie IV, en 1662. J'ai
déjà parlé de lui sous un autre
(K)Ilcomposa d'assez bons livres.] nom (a) qui Jui a éU d é
Des Prolégomènes et des notes sur j- ■ ■ K
les trois premiers livres de l'Odyssée. dlVerS auteurs > mj»S Ce qui m'en
ri>ti:~j-. 1 „. u : reste à dire m'a semblé digne
d'être rapporté en cet endroit.
Depuis l'impression de l'article
d'ABDissi , j'ai remarqué dans un
ouvrage bien curieux (6), qu'a-
près la mort de Simon Julacha
(A) , moine de l'ordre de Saint-
Pacôme , qui avait été créé pa-
triarche des nestoriens par Ju-
les III , « Abdjésu ou Hébedjésu,
pour prononcer à la manière
des Chaldéens , fut mis pa-
triarche en sa place. Abra-
ham Ecchellensis, qui a fait
imprimer un petit traité sy-
riaque d'Abdjésu (B) , lui don-
ne la qualité de métropolitain
de Soba , dans la préface qu'il
a mise à la tète de cet ouvrage.
Il remarque que cet Hébedjé-
su a composé plusieurs livres
en faveur de la religion des
nestoriens; mais qu'étant ve-
nu à Rome sous Jules III, il
fit abjuration du nestorianis-
me. C'est de lui dont il est
parlé dans Vie de Pie IV, sous
lequel il fit un second voyage
à Rome (C) , pour obtenir la
confirmation de son patriar-
cat; et il assista au concile
Chiliades locorum Homericorum ,
Decuriœ locorum quorundam memo-
rabilium (1). Il traduisit en latin le
poème d'Apollonius, sur les Argo-
nautes. Cette version n'est point esti-
me'e. Voici le jugement qu'en a fait
un bon critique (2). 31iratus sum
hominem et eruditum , et in greeed
prœserlim lingud cum laude rersatuni
ita transtulisse [Apollonium] ut non
paulo facilius sit Apollonium sud ,
hoc est greeed , lingud assequi , quant
ed qud eum Hartungus loquentem
fecit, latind. Il marque tout aussitôt
quelques erreurs de cette version ,
et il fait entendre qu'il en pourrait
indiquer quantité' d'autres (3).
(B) L'épitaphe qu'il se fit témoigne
Çu il avait souffert.... et appris
beaucoup.] Elle est digne d'être rap-
portée.
HoXKa. v&Qùv, Ksù TrtthKÀ /uctQaiv èv
EvQcL S\ yî/V KilfJ.HH B-l/V QiCû M9U-
La version latine , que l'on en trouve
dans Melchior Adam (4) , est très-
mauvaise : elle ne répond nullement
à l'intention de l'auteur, qui était de
faire savoir que sa charge de profes-
seur avait été fort pesante. Je ne
rapporte point l'autre épitaphe qu'Har-
tungus se fit en grec : cherchez-la
dans Melchior Adam. Je suis sûr que
Lorenzo Crasso l'eût mis dans sa liste
des poètes grecs , s'il eût su ce qu'on
vient de rapporter. L'oubli de cet
(1) Melch. Adam. , in Vitis Philosoph. , pag.
3oi.
(2) Janus Rutgersius , Variarum Lection.,
lib. VI, cap. VI, pag. 56i.
(3) Infinilum errer ea persequi in qttibus lorr-
gissimè à sententici Apollonii aberrant. Idem ,
ibid. , pag. 566.
(4) La voici :
Multa tuli, didici, docui Juin fata sinebant ,
Mortuus in summo nunc rfpiiesco Oeo.
(a) C'est celui c/'Abdissi. Voyez cet arti-
cle , tom. I, pag. (p.,
(b) En voici le titre .• Histoire critique de
la créance et des coutumes des nations du
Levant , publiée par le sieur de Moni , à
Francfort, chez Frédéric Arnaud, (ou plu-
tôt, à Rotterdam , chez Beinier Leers,) 1684*
On croit que le père Simon est l'auteur de,
cette Histoire.
5,6 HÉBEDJÉSU
» de Trente (D). Comme il était
» habile homme , aussi eut-il
» l'adresse d'attirer à l'église ro-
» maine vin grand nombre de
»» nestoriens. Mais ceux qui lui
» succédèrent ne purent pas les
» conserver, n'ayant ni son adres-
» se ni sa capacité. Ahathalla ,
de Moiii nomme Carcmit la ville
de Mésopotamie qu'Aubert le Mire
nomme Charémet. Celui-ci nomme
Donha Simon , celui que l'autre
nomme Denha Simon. L'un se sert
du mot de Zeinalbach , l'autre aime
mieux Zeinalbech. Ils ont tous deux
puisé à la même source , savoir au
livre de Pierre Strozza de Chaldœo-
rum Dogmatibus ; pourquoi donc ne
qui était aussi moine de Saint- sont-ils pas uniformes? Est-il plus
ParnmP snrréda à Héhedié- alsé d'ecrire Sulacha que Julacha ,
Facome , succéda a HeDeoje Donha que Denha ? M Arnauid pin_
su , et, ayant vécu tort peu de sant a ia même source dit (2) que
Simon Sulacha établit son siège à Ca-
ramit. M. Claude (3) se sert du nom
de Sulak. Le père Paul, au commen-
cement du Ve livre (4) , dit, un cer-
tain Simon Sullaham. M. Amelot ne
corrige rien à cela. Ce sont des vé-
tilles , je l'avoue ; mais c'est de sem-
blables vétilles que sont nées bien
souvent des disputes très - réelles et
Perse , ayant ete oblige de ce- très-considérables : Hœ nugœ séria
der à la puissance du patriar- ducunt in mala. La république des
che de Babylone. Son succès- lett,res n'en "ait que mieux, si l'on
. J ... -se taisait un devoir de iuir îusqu aux
seur , qui se nommait aussi plus petites fauteg
Simon, résida au même heu, ce {h) Abraham Ecchellensis a fait im-
am diminua beaucoup l'auto- primer un petit traité syriaque d'Abd
rite de ce second patriarche. » Jés»' 3 Je croi! 9Pe Vest
temps , il eut pour successeur
Denha Simon , qui était au-
paravant archevêque de Gélu.
Mais celui-ci fut contraint
d'abandonner Carémit (E) , et
de se retirer en la province de
Zeinalbech à l'extrémité de la
crois que c est le même
traité dont parle M. Arnauld, quand
il cite (5) les notes d'Abraham Ec-
chellensis , maronite, sur un cata-
logue de Hures chaldéens , fait par
Abdjésu ou Hébedjésu , évoque nes-
torien qui se réunit à l'église romaine-
Quelques pages après ( 6 ) , il en
touche des circonstances qui méri-
Voilà ce que j'ai trouvé dans ce
livre (c). J'avais cru , en faisant
l'article d'Abdissi , qu'on pou-
vait s'en rapporter au narré du
père Paul ; mais je ne dois point
passer sous silence ce que j'ai
observé depuis dans le père Pal- tent d'être ici ; car elles font mieux
kvicin: c'eft qu'il n'est pas vrai connaître quel homme c'était que
.•*■■.-, ^ > l ■. j notre Hebediesu. // avait ete autre-
que ce patriarche ait écrit des fois des plus emportés nestoriens , dit
lettres au concile. Les notes qui M. Arnauld , et avait fait plusieurs
livres pendant qu'il était lui-même
dans l'erreur, dont il fait le dénom-
brement a la un du catalogue des
livres chaldéens qu'il a faits , et qui a
été traduit par Ecchellensis. Il paraît
par ce catalogue que le livre intitulé
Margaritarum , a été composé par lui
lorsqu'il était encore nestorien. Le
(2) Perpétuité défendue, liv. V, chap. X.
(3i) Réponse à la Perpétuité défendue, liv.
IV, chap r.
(4) De ^'Histoire du concile de Trente.
(5) Perpétuité de la Foi défendue, liv. V ,
chap. V.
(6) Au. chap. X.
suivent rendront compte de ce
qui a été critiqué dans la narra-
tion du père Paul (F).
(c) Pag . 85.
(A) Simon Julacha.] Il fallait dire
Sulacha, comme a fait Aubert le
Mire (i). Il ne faut pas s'étonner si
les critiques peuvent recueillir dans
les manuscrits une infinité de variœ
lectiones , puisque les livres im-
primés n'en sont pas exempts. Le sieur
(ij Polit, ecclesiast. , pag. 216.
HÉGÉSILOCHUS.
517
Supplément de Moréri remarque (7) l'État des Chre'tiens orientaux, dont
que le catalogue des écrivains syriens Aubert le Mire , de qui je copie toute
(c'est sans doute celui dont Hébed- cette remarque , avoue qu'il a tiré
jésu est l'auteur) ae'té publié à Rome beaucoup de choses qui se lisent dans
en syriaque , Pan i653 , avec la ver- sa.yIVotitia Episcopâtâum. Il ajoute
sion latine et les notes d'Abraham que cet ouvrage de Léonard Abel est
Ecchellensis ; que ce catalogue fait en manuscrit dans la bibliothèque du
mention de plusieurs ouvrages com- feu cardinal Ascagne Colomne , pro-
posés en syriaque , par Hébedjésu ;
qu*on garde dans la bibliothèque du
Vatican deux poèmes composés en
syriaque , et écrits de sa main , où il
rend raison de sa réunion , etc. Au-
bert le Mire (8) rapporte que le por-
trait de ce patriarche a été mis , au
palais du Vatican , parmi les cardi-
naux et les prélats qui accompa-
gnèrent Alexandre III, lorsqu'il reçut,
à Venise, les soumissions de l'em-
pereur Frideric
tecteur des églises du Levant, et que
cette bibliothèque avait été merveil-
leusement augmentée , par l'adjonc-
tion des livres du cardinal Guillaume
Sirlet.
(F) Les notes qui suivent rendront
compte de ce qui a été critiqué dans
la narration du père Paul. | Cet au-
teur raconte qu'on lut les lettres du
cardinal Amulius, qui, en qualité de
protecteur des chrétiens orientaux ,
mandait au concile la nouvelle de
(C) 77 fil un second voyage a Rome. ,] l'arrivée d'Abdissi 77 racontait
Je suis surpris que ni Fra - Paolo , que les peuples sujets a ce prélat
avaient été instruits dans fa foi par
les apôtres saint Thomas et saint
Tadée , etc. (11). L'historien ajoute
qu'on lut ensuite la confession de foi
de ce patriarche , et enfin les lettres
qu'il adressait au concile , pour s'ex-
cuser de ce qu'il n'y pouvait pas
aller, etc. (12). Le cardinal Paila-
vicin (i3) raconte cela plus ample-
ment et avec plus d'exactitude , ne
confondant point ce qu' Amulius di-
sait par ordre du pape , avec les
conséquences qu'il tirait lui-même
des narrations du prélat nestorien.
Il ne paraît pas que le père Paul ait
ni son censeur , le cardinal Palla
vicin , ni aucun de plusieurs autres
auteurs que j'ai consultés touchant
Hébedjésu , n'aient parlé du voyage
qu'il lit à Rome , sous Jules III. Ce
n'eût pas été une circonstance super-
flue ou inutile , et je suis persuadé
qu'ils ne l'auraient pas omise s'ils
l'avaient sue.
(D) Il assista au concile de Trente.}
J'ai réfuté ailleurs ce mensonge. Il
suffit d'ajouter ici qu'il n'y a si petit
écrivain , qui ne fasse quelquefois
broncher les plus grands auteurs.
Pierre Strozza , secrétaire de Paul V,
fut trompé apparemment par quel- fait cette distinction. Mais sa princi
que mauvais chroniqueur ; et c'est
sans doute sur la foi de ce secrétaire
que le sieur de Moni , et avant lui
M. Arnauld (q\ ont débité qu'Hébed-
jesu assista a ce concile.
(E) Denha Simon fut contraint
d'abandonner Carémit.~\ Ceci arriva
dans le temps que Léonard Abel , évê-
que de Sidon, alla au Levant, avec le
caractère de nonce apostolique (10).
Il était natif de Malte, et entendait
parfaitement la langue arabe , qui
est comme naturelle dans cette île. Il
mourut à Rome, l'an i6o5 , ou l'an
1606. Il a composé un ouvrage de
(l) A V article EbeJ-Jésu.
(8) Polit, eccleiast. , pag. ?i-.
("9) Pr-rpétuité déOndue, liv. V , chap. X.
(10) Voyez Aubert le Mire, pag. 218 et suiv.
de son Status Politia; ecclesiatticœ , imprimé a
Lyon , l'an 1620.
pale faute consiste en ce qu'il assure
qu'on lut la lettre qu'Abdissi avait
écrite au concile. Pallavicin soutient
que cette lettre n'exista jamais que
dans l'imagination du père Paul (i4)-
(11) Fra-Paolo , Hist. du concile de Trente,
liv. VI , pag. 55^ de la version li'Ainelot.
(12) Voyez l'article iVAbdissi , tom. I ,
pag. l\i.
(i3) Histor. concil. Trident. , lib. XVIII,
cap. IX, num. 5.
(1^) Sed hcec epi^lola non in aUd pagina,
nisi in Suaviand imagination» fuit exarala.
Idem , ibidem , num, 8.
HÉGÉSILOCHUS fut un de
ceux qui exercèrent mille vio-
lences dans l'île de Rhodes , lors-
que l'état démocratique y eut
été changé en aristocratique ,
5l8 HÈGÉSILOCHUS.
par le crédit de Mausole , roi de Celui-ci vivait au temps de Per-
Carie (a). Athénée nous a con- sée , roi de Macédoine, et l'au-
servé un échantillon du débor- tre au temps de Philippe, père
dément de ces nouveaux mai- d'Alexandre-le-Grand.
(A) Il fut un de ces Jihodiens
qui portèrent la licence jusqu'il jouer
h trois des l'honneur des femmes.}
L'abbe Lancelot de Pêrouse avait ici
un beau moyen de pousser les Hog-
tres {b). Ils commirent adultère
avec les femmes des plus nota-
bles bourgeois , et violèrent plu-
sieurs garçons. Enfin ils portè-
rent leur licence jusques à jouer d{ani . cai; -e ne pensc p
à trois des l'honneur des fem- aucun pays de l'Europe , notre siècle
jmblable à
dire
îinistre
bien
qui aurait gagné , et qu'il em- des anne'es , jouaient aux des ou aux
ploierait toutes sortes de ma— cartes les commissions de capitaine ;
chines pour la lui mettre entre mais> outr_e 1ue cela est fort incer-
, , r --. rc •. ■ . tain , on le peut réduire a peu de
les bras. On ne sourirait point chose . c'est que chacun de ces laquais
de tricheries : les persuasions et obtenait pour ses etrennes, au com-
les violences devaient se succé- mencement de l'an , la promesse
qu'on donnerait à sa recommandation
un certain nombre de compagnies ,
après quoi ils jouaient entre eux ce
fonds; et quand quelqu'un perdait
une compagnie , ce n'était plus lui ,
mais le gagnant qui la faisait con-
fe'rer. Parmi tout ce desordre il e'tait
facile d'empêcher que les commis-
sions ne fussent expe'die'es qu'à des
gens propres à servir. Ainsi cela n'est
der les unes aux autres , se pré-
céder ou se suivre selon l'exi-
gence des cas , jusques au paie-
ment actuel de ce qui avait été
mis en jeu. Celui qui mit en
pratique le plus souvent et le
plus effrontément cette nouvelle
manière de jeu de hasard fut „
Hégésilochus Ce). Son ivrognerie nullement comparable a la débauche
o ,V , -, P de ces petits tyrans de Khodes , qui
et ses autres deregiemens le ren-
dirent si incapable des affaires ,
qu'il perdit sa dignité , et que
ses amis mêmes le regardèrent
comme un infâme. Il ne le faut
point confondre avec cet Hégé—
silochus qui fut ambassadeur à
Rome de la part des Rhodiens
(B) , après avoir eu parmi eux
jouaient des pucelages et des co-
cuages d'élite , et qui ne donnaient
aucun repos au perdant, jusqu'à ce
qu'il eût livre' la proie. Us ne se con-
tentaient pas de risquer l'honneur
des plus belles femmes , inséparable,
puis qu'on l'a ainsi voulu , de celui
de leurs maris : ils risquaient aussi
le leur propre ; car il fallait que le
perdant fît l'office de maquereau.
C'était bien de quoi s'écrier, 6 tem-
la principale dignité de l'état (C). pora ! 6 mores !
(B) Un autre Hégésilochus fut
(a) Voyez Libanius , in Argum. Oral. De-
mosth. pro Rhod. libertate.
(b) A.tlien., lib. X, cap. Xir, pag. m. 444'
ex Thenpompo.
(c) TclÙthv tmv xuCticLV vffcuÇw x&i toù'i
i'KKUlV 'PùcT/ftlV TlVêC £7ri<t>*V8Ç'*T(* (fi KO.)
TrKuç&Kiç clÛt'oç Ô'H'j.hti'xo^oç. Tesserissic
hiserwit Ithodiorum quidam, se.cl aperlissi-
mc et sœpissimè i il y a dans l'édition de Lyon,
1657 , sœvissimè) Hégésilochus ipse. Aihen.,
lib, X, c/ip. XII , ex Tlieopompo , pag. 44-*'
ambassadeur h Rome de la part des
Rhodiens. ] C'est Polybe qui nous
l'apprend (1). Il y avait Ge'silochus
dans les manuscrits 5 mais Fulvius
Ursinus (1) ayant remarque' dantTitc
Live (3), que ce même Rhodien avait
nom Hegesilus , a corrige' ces deux
(1) Excerpt. ex Légat. , cap. LXTV.
(2) ^otis in en F.xcerpta.
(3) Titus Livius , lib. XLII.
auteurs l'un par l'autre ; il leur a re-
donne' HégésilocJtus à tous deux.
(C) // eut la principale dignité de
l'état. ] Elle s'appelait x-purcnuia. (4) ,
et on en exprimait la fonction par le
verbe 7rpuTa,viôav. Les Latins ont nom-
mé Prytanes ceux qui l'exerçaient
HEIDANUS. 5r9
rustre d'Amsterdam laissa son
fils auprès de Colonius, son an-
cien ami, dont il connaissait l'or-
thodoxie ; il l'y laissa , dis-je ,
afin de donner à cet ami un té-
moigage authentique de la con-
formité de leurs sentimens. Le
Quadmgiiiia navibus autore Hege-
silocho comparatis , dit Tite Live (5) ,
qui cùm in summo magistratu esset disciple profita beaucoup auprès
( Prytaniii ipsi vocant ).
(4) Voyez Meursius , de Rbodo, pag. 65.
(5) Lib. XL1I.
de Colonius , et ne fit pas comme
la plupart des autres , qui ne se
remplissaient la tête que de la
dispute sur les cinq articles des
remontrans (a). Il apprit cela
et le reste. Il fut reçu proposant
au synode des églises wallonnes
HEIDANUS* (Abraham),
professeur en théologie à Leyde ,
était né à Franckenthal au Pa-
latinat, le 10 d'août 1597. Il fit
ses premières études à Amster- l'an 1618, et il prêcha dans plu-
dam , où Gaspar Heidanus , son sieurs églises françaises avec l'ap-
père , fut appelé pour la charge plaudissement des auditeurs. Il
de ministre, l'an 1608. Un An- prêcha aussi dans quelques égli-
glais nommé Matthieu Sladus , ses flamandes avec le même suc-
qui était alors recteur du collé- ces. Il voyagea pendant deux ans
ge d'Amsterdam , prit un soin et vit une partie de l'Allemagne,
particulier d'Abraham Heida- la Suisse, la France, l' Angle-
nus^ qu'il voyait promettre beau- terre. Un peu apjès son retour,
coup. Daniel Colonius ne s'atta- il fut promu au ministère de l'é-
cha pas avec moins de zèle aux vangile , et l'exerça à Naerden ,
progrès de ce disciple , lorsqu'on jusques en l'année 1627 , qu'il
accepta la vocation du consistoi-
re de Leyde. Il était fiancé avec
progrès de ce discif
l'eut mis sous sa direction à
Leyde , dans le collège wallon.
Colonius n'étant pas de ces es-
prits chauds qui voulaient qu'on
portât les choses aux dernières
extrémités, lorsque les disputes
arminiennes commencèrent à s'é-
lever, se fit soupçonner de quel-
la fille d'un des principaux mar-
chands d'Amsterdam , lorsqu'il
prit possession de cette nouvelle
église , et un peu après il passa
à la célébration des noces. Il
prêchait bien , et cela joint avec
que penchant vers ce côté-là^ A); plusieurs autres bonnes qualités
de sorte qu'il y eut plusieurs
personnes qui trouvèrent fort
mauvais que Gaspar Heidanus
laissât étudier son fils sous un
tel maître. Mais la témérité de
ces sortes de médisances produi-
sit un effet contraire à celui que
les zélateurs attendaient : le mi-
* Article tiré purement d'iiue source plus
que suspecte , c'est-à-dire , d'une oraison fu-
nèbre , dit Leclerc.
de cœur et d'esprit lui procura
une belle réputation. Il était
âgé de cinquante ans , lorsque
(a) Sludiosi juvcnes in partes distracti ,
et quœstionibus il/is quotidianis agitati, sœ-
pè qub se (>erterent nescirent, et neglectopie-
latis studio Me doctissimus habei-etur, qui
de çui.tque istis articulis argutè disserere
et adversàrium argumenlis irrelire posset ,
securi de reliquisfidei articulis coçnoscen-
dis, quasi in hoc solo omnis eruditionis cul-
rnen position esset. Willicliius , in Oiat. fan
Heidani.
5ao HEIDANUS.
la province de Gueldre, ayant ré- qu'il avait commencée sous Ja-
solu d'ériger une académie à chaeus , professeur en philosophie
Harderwick, lui fit offrir une à Leyde , l'un des plus subtils
profession de théologie à des péripatéticiens qui fussent alors,
conditions très - avantageuses. Ce Jachaeus rendit célèbre , dans
L'église de Leyde, pour le rete- l'académie, la question des for-
nir, l«i accorda ou desemblables mes substantielles (E). Le jeune
avantages , ou en général de Heidanus , attiré par le bruit
quoi être bien dédommagé de ce qu'elle faisait , examina profon-
qu'il refuserait. Les curateurs de dément les objections , et les
l'académie trouvèrent encore un compara avec les réponses de Ja-
meilleur expédient pour l'em- chaeus. Il trouva que pendant
pêcher d'aller en Gueldre ; ils qu'on philosopherait selon ces
lui conférèrent la profession de principes , on ne ferait que per-
théologie , qui se trouvait va- dre son temps ; et il espéra qu'il
cante par la mort de Constantin se présenterait un jour une route
l'Empereur. Il se trouva si bien plus assurée (b). Il prétendit la
à Leyde , qu'il n'écouta point trouver dans les écrits et dans la
les offres que l'électeur palatin conversation de M. Descartes,
lui fit faire avec le dernier em- Mais si elle fut plus propre à le
pressement. Ce refus n'empêcha conduire à la vérité , elle ne
point qu'il ne reçût mille ca- fut pas plus commode par rap-
resses honorables de ce prince port à sa fortune, car elle l'ex-
(B) , lorsqu'il passa par Heidel- posa à mille traverses , et à mille
berg , l'an f656 , pendant le persécutions (F) , sur lesquelles
voyage qu'il fit à Strasbourg son panégyriste Wittichius , dont
avec sa famille. Le professeur j'emprunte cet article , crut de-
Smidius, qui l'invita à une dis- voir fermer le rideau. Heidanus
pute publique , et qui le pria était de bonne famille (G). Je
d'argumenter, ne se tira pas ho- parlerai ci-dessous de ses écrits
norablement de l'objection (C) : (H).
mais la victoire d'Heidanus en {b) Tiré de POTAison funèbre aneidanus,
Cette rencontre ne fut pas aussi prononcée à Leyde, le 20 d'octobre 1678,
sensible que dans le collège des P«rle professeur Wttichius.
jésuites, à Cologne (D). Ce savant (A) Colonius n'étant pas de ces es-
homme mourut à Leyde fort prits chauds.... se fit soupçonner dç
„„ ,. iA1f;JV^^.fi-Q penchant vers l'arminianisme.l Voilà
pieusement, le 1 Dd octobre 1070, ç, j 1 £A , J, •
1 ,' / ' l'un des plus fâcheux inconveniens
ayant passe sa quatre-vingt et qUj accompagnent les disputes de
unième année, qui de toutes les religion. Ceux qui, par tempe'rament
années climatériques passe pour ou par une connaissance exacte des
la plus dangereuse, et avec rai- verital.les intérêts de l'église , cher-
1 ° ' c , client a réunir les esprits , et ne par-
son. Il laissa quatre enlans, deux lent pas de couper \es memhres mal-
fils et deux filles; treize petits- sains, deviennent suspects d'héte'ro-
acheva par ce moyen l'œuvre le mal dans le berceau , de'crient le
HEIDANUS. 52i
gens modères , et les rendent odieux ce que firent en France plusieurs ca-
auxpeuples; etcelafaitque plusieurs, tholiques qui avaient desapprouvé
ne pouvant pas se mettre en colère , la rigueur que l'on exerçait sur les
abandonnent ne'anmoins l'extérieur, protestans sous François Ier. et Hen-
de la modération : ils aiment mieux ri II.
faire un peu de violence à leur natu- (B) // reçut mille caresses honora-
re et à leur conscience , que de pas- blés de l'électeur palatin. ] Ceux qui
ser pour de lâches prévaricateurs. Les trouveront étrange que j'en donne le
esprits chauds savent que leurs médi- détail feront tomber leur censure
sances produiront cet effet-là , et sur M. Wittichius plutôt que sur
ainsi ils les sèment à tour de bras , moi ; car il doit être plus permis de
et parles maisons, et en chaire , sans rapporter de telles choses dans un
nul scrupule. C'est ce qui arriva au Dictionnaire de deux volumes in folio,
commencement des disputes armi- quand on le* rencontre dans une
niennes , si nous en croyons Witti- oraison funèbre , que de les étaler
chius. Vigcbat Mo tempore ob dis- dans une oraison funèbre , quand on
crêpantes de prœdestinalione senlen- ne les tire que d'un manuscrit. Quoi
lias non tantkm inler dissentientes qu'il en soit , M. Wittichius nous
magna contentio , quœ animos a se apprend qu'Abraham Hcidanus était
iiwicem a'ienabat etdisjungebat , sed invité à dîner chaque jour par un
ctiam inter ô,cco,£»'<î>C(t/ç et idem de con- nouveau messager, et il n'oublie pas
traversin il I à sentientes obscura quœ- les présens que l'on reçut. Dum Hei-
dam diffidentia , quâ locus dabatur delbergam appulit , nihil omisit se-
suspicionibus quibus alii alios tan- renissimus elector quod non ferven-
quam bonœ causœ minus addictos tissimum erga ipsum spiraret affec~
dijferebant. Qui enim ferventioris tum. Ad mensam quotidiè , novis sem-
erant ingenii , et omnia summa ten- per missis nunciis , invitabat, in col-
ianda in initiis putabant , ut inherbd loquiis bénévole complectebatur, do-
opprimeretur malum , quoscunqne nabatmediocervoet aliquot leporibus,
ridebant moderatiùs et lenliiis agere , nunciato hanc omnem esse prœdam
ne de reconciliatione animorum potiiis quant Mo die cepisset ; quœcunque
laborare si vu) 'nus forte posset conso- in diversorio cum familid consumpse
lidari , ac schisma , quod ad opéra rat liberalissirnè solvit , et cùm Ba-
carnis pertinet , evitari , eos tanquam cheracumrediisset , adsuos Leidenses
prœvaricatoresbonœ causœapud pie- reversurus , magno dolio optimi et
bem criminabantur (i). Ce portrait generosissimi fini Bacheracensis uo-
semble très-fidèle : ces sortes de dis- luit donatum.
putes causent au dehors une guerre (C) Le professeur Smidius , ... qui
violente , et jettent au dedans un le pria d' argumenter , ne se tira pas
mauvais germe de soupçons , qui est honorablement de l'objection. ~\ Après
d'une merveilleuse fécondité. Il pro- s'être défendu plusieurs fois d'entrer
duisit entre autres choses , comme je en lice , on céda enfin à ses honnête-
le disais tout à l'heure , un grand tés redoublées , et on l'attaqua sur
changement parmi ceux à qui la rai- l'universalité de la grâce que les lu-
son inspire l'esprit de modération. On thériens enseignent. L'attention des
les décrie comme des traîtres cachés auditeurs fut très-grande, et le succès
(2) ; et il s'en trouve qui ne veulent fort glorieux â l'opposant Smidius
pas être raisonnables à ce prix-là , ipsum palam non semel , sed quia
et qui croient que la justice leur coû- declinabat noster , iteratis vicibus ad
terait trop chère , si elle leur faisait opponendum invitavit , quod , cùm
perdre leur bonne réputation ; ils non videretur sibi salvo honore suo
s'érigent donc en persécuteurs , afin posse detrectare , eâ soliditate , eâ
de réfuter la médisance : Tanth major efficaciâ gratiam quam lutherani ur-
fimœ sitis est, quant virtutis Ç.i). C'est gent , universalem ita oppugnavit ,
ut omnium oculos in se converlerit ,
(1) Wittich., in Oratione funebri FTeidani.
^2) Voyez l'article Fermer (Jércmie), loin.
ri, pai.-. 4*5n , remarque (D) , a la fin , et
pag. 4t>-l> remarque (h).
Ç3) Juvénal , sat. X, ys. i/jo.
et apud omnes prœsentes magnam
admirationem suœ consummatœ eru-
ditionis excitaverit , disputationis verb
prœses mullorum judicio parùm hono-
522 HEIDANUS.
rifîcè ex Ma disputalione discesserit nomine gratins solennes Mi egerit ,
(A). qund sic suos hostes ( ila vocabat je-
(D) La victoire d' Heidanus ne suilas ) ad incitas ex improuiso rede-
fut pas aussi sensible que dans le col- gisset. J'avoue que jusqu'ici j'ai cher-
lége des jésuites , h Cologne.] Si cette ché inutilement le mot pour rire dans
dernière victoire fut plus aisée à re- la conséquence d'Heidanus : je ne
marquer que la précédente , elle fut saurais deviner à quoi il faisait allu-
d'ailleurs moins glorieuse ; car elle sion , ou de quelles règles de logique
consista à faire une raillerie , à la- il se servait.
quelle le jésuite qui avait montré tout (E) Jachœus rendit célèbre... la
ce qu'il y avait à voir dans le collège question des formes substantielles. ]
de Cologne , et qui était peut-être un 11 n'y a point de question dans la
frère lai , ne sut répondre un seul physique qui fasse voir plus claire-
mot. Heidanus demanda à ce jésuite , ment que celle-là le pouvoir des pré-
si Jésus-Christ avait fait et avait souf- jugés. Il faut qu'ils offusquent l'esprit
fert tout ce qu'il fallait pour notre par rapport aux notions les plus évi-
salut? Oui , répondit-on : vous n'êtes dentés , puisqu'il y a tant de gens
donc pas ses compagnons (*) , reprit- qui ne voient pas que l'on ne peut
il. Le jésuite couvert de honte et point tirer une substance du sein de
d'étonnementne répliqua rien. Malin- la matière, à moins qu'elle n'y fût
orot, doyen de Munster , qui enten-
dit ce discours , et qui avait fait con-
naissance avec Heidanus (5) , le féli-
cita de cette victoire , remportée ,
disait-il , sur mes ennemis. Witti-
chius, qui entendit aussi la conversa-
tion , la raconte de cette manière :
auparavant , ou a moins qu on ne la
produise par une véritable création.
Les péripatéticiens vous disent fort
froidement , ou plutôt ils vous sou-
tiennent en colère , que les formes
n'existent point dans leur sujet, et
que néanmoins on les en tire par une
Accidit ut postqttam collegium lus- action qu'il ne faut point nommer
traveramus jesuilarum, etjaminared création, mais éduction (6). Ce dog-
eramus constitua ut patribus valere me serait le plus grand de tous les
diceremus , conversus Heidanus ad monstres , si ce n'était un prodige
jesuitam qui nos ducebat , ex ipso ro- encore plus étonnant , de voir une
gaverit annon Jésus omnia Ma quœ infinité des personnes doctes et très-
ad salutem essent necessaria egisset habiles soutenir encore aujourd'hui
et passas fuisset ? Ac jesuita nihil
sinistri meluens , respondisset , Om-
ninô : Heidanus regesserit ; Ergo
i'os non estis socii Jesu • atque sic Mo
in ruborem dato et attonito ut ne ve.r-
bum quidem respondere posset , dis-
cessit noster et nos cuni ipso , atque
patribus va/ere dixit. Quod Malin-
crotium lanto ajfecit gaudio , ut hoc
(4) Witticliins, in Oratione funebri Heidani.
(") A la rigueur, se dire le compagnon de
quelqu'un, c'est vouloir l'être à tous égards. Or
le jésuite avouait que ceux de sa société n'étaient
pas les compagnons de Jésus, dans l'ouvrage de
la Rédemption. Donc, mal-à-propos les jésuites
se disaient-ils les compagnons de Jésus. Voilà le
raisonnement d'Heidanus , à quoi le jésuite
n'ayant pas répliqué , Malincrot regarde cela
comme une victoire pour Heidanus , son ami.
Kem. crit.
(5l Dum Colonits initio ilineris aliquot (lies
subsistent , in diversario inciderit in familiari-
talein Malincroùi... viri eleganlissimi ingettii
qui inter lilteratos primalum jure merebalur ,
hominis pontificiœ quidem religioni addicli,
seti moderati , qui etictm nunquam cum Herda-
no de religiorte sermontm vuluil ccedere. Idem,
ibidem.
la doctrine des formes substantielles.
Wittichius ne pouvait pas mieux
préparer ses auditeurs à voir dans
Heidanus un disciple de Descartes ,
qu'en leur disant ce qu'Hcidanus ,
n'étant encore qu'écolier , jugea des
principes de l'école , par les embar-
ras inexplicables où Jachœus se je-
tait. Fervebat in academid quœstio
de formis substantialïbus , earumque
ex potentiel materiœ produrtione ,
quœ miri/icè non tanthm auditores ,
sed et ipsum defensorem earum acer-
rimum Jachœum uexabatettorquebat.
Quant càm universâ distinctionum
suarum panoplid expedire non posset,
et ad liquidum ostendere qûœnam
illœ formœ substantiales essent , a
(G) Un jésuite nomme' Jean Guilleminot,
docteur en théologie, dans l'université" du Pont
à Moiksoii ,Jil imprimera Paris, l'an 1679,
deux dissertations de principes intrinsecis re-
runi coiporearum , ou il se donne mille fois la
grue pour montrer, contre le père Maignan , que
la production des formes n'est pas une vraie
création. Efforts inutiles.
HEID
materiâ realiter distinctes et tamen
matérielles , quœnam i/la potentia
materiœ , an pars ejus quœdam con-
versa informant, an vero ejus cùm
proditeitur tantuni sustentaculum ,
an autem ut ex assere figura scamni
e(fi,citur, ita eoclem modo prœexis-
teret in materiâ forma ; cùmque aliœ
pluri'nœ superessent difficultates ,
nec ulfum suppeditaretur filum ex
hoc labyrintho emergendi , factum
est ut auditores et perspicaciores dis-
cipuli, i'tter quos Heidanus primas
obtinebat , de iota hdc philosopha ndi
ratione quam intelligendo assequi se
non posse videbant , plané despera-
rent (7).
(F) La méthode de Descartes l'ex-
posa a mille traverses et a nulle per-
sécutions.,] Je n'en sais pas le détail ;
mais je me souviens d'un passage de
ses Considérations , où il rapporte
qu'il s'e'taitfait beaucoup d'ennemis,
et qu'il avait e'te' exposé à d'horri-
bles me'disances, pour s'être toujours
e'loigné des maximes trop rigides. Il
n'avait point déclare' la guerre aux
chanoines protestans ; il n'avait pas
tonné en chaire contre les perru-
ques ; il n'avait pas été d'avis qu'on
examinât à la rigueur les remon-
trans qui revenaient au giron de
l'ancienne mère. Là dessus on le fit
passer pour ennemi de la nouvelle
réforme qu'on voulait introduire ;
on éplucha tous ses autres sentimens ;
on l'accusa d'être attaché aux opi-
nions de Descartes , et de mépriser
le jour du dimanche. Il vaut mieux
l'entendre lui-même. JElatem illam
meam ancipitem du ri , modo tempes-
tates , hinc exportas halcyonia, in-
tra et extra nos passas adversarios ,
lune hostes , inde fratres , nec nun-
quam mordacis linguœ exceptas fla-
gellis. Fuit , cùm scissam in partes
eharissimam hanc nostram Ecclesiam
metuprœi'idimns : tant nobis sed eam
sapientiam simul largitus est Deus ,
ut quidvis pati potiùs, quam idipsum
permittere , maluerimus ■ Hinc jam
Maderatores , per contemptum ( ac
si probrosum hoc nomen foret ) audi-
t'tirms ; jam ut Carlesii , plus satis
addicti philosophiœ ; hinc sabbathi
contemptores ; indè novœ quam ur-
(<}) Voyez l'article Gorl.ïts (David) , tom.
Vil, pag. ooo, remarque (h).
ANUS.
523
gehant quidam reformationis hostes
traducti suntus : quod fœneratoribus
trapezilicis plusculum illis concedere
visi , nec canonicis bellum indicere ,
neque de suggestis in comas detonare,
neque ecclesiœ disciplinum strictiits
exercere , nec remonstrantes ad nos
tra/iseuntes riguUUs examinare , et
quœ sunt id genus alia f8). Les cho-
ses furent poussées si loin , qu'on le
déposa de la charge de professeur
en théologie. Voici pourquoi. Les cu-
rateurs de l'académie de Leyde fi-
rent.un décret, le 16 de janvier 1676,
par lequel ils défendirent aux pro-
fesseurs de traiter , de quelque ma-
nière que ce pût être , de certaines
propositions (9) que l'on agitait de-
puis quelque temps , et de la méta-
physique de Descartes. Heidanus fit
à peu prés contre ce décret ce que
firent les jansénistes contre le man-
dement de l'archevêque de Paris qui
défendait la lecture du Nouveau Tes-
tament de Mons. Il le critiqua ; il
prétendit y trouver des nullités ou
des irrégularités ; il soutint que les
vingt propositions qui avaient été
proscrites , n'avaient pas été agitées
dans l'académie de Leyde, comme les
curateurs l'assuraient ; il se plaignit
que ces messieurs se fussent laissé
imposer par des extraits infidèles, et
il fit des comparaisons odieuses entre
les jésuites et ceux qui avaient donné
ces extraits ; les jésuites, dis-je, qui
avaient fait condamner à Rome ,
comme des propositions de Jansé-
nius, ce qui ne se trouvait point dans
les écrits de Jansénius. Il se servit
d'une autre comparaison ; car il al-
légua le luthérien Gilles Hunnius ,
qui, par des extraits artificieux des
ouvrages de Jean Calvin , a prétendu
le convaincre de judaïsme. Enfin, il
éclaircit les propositions condam-
nées , et tâcha de faire voir que , se-
lon le sens des auteurs d'où on les
tirait , elles étaient orthodoxes. Cet
ouvrage de M. Heidanus fut imprimé
on flamand, et puis en latin (10).
Les curateurs en furent si offensés ,
qu'ils déposèrent ce professeur. Les
(8) Heidanus, Considerationr* ad res qua.sdam
nuper geslas in Acadeiuin Hatavn, pag. 4<>.
(ç)'i Ils en marquèrent vingt: les unei riaient
théologùsues , elle* attirer philosophiques.
(10) Je me sers de la traduction lutine ,
imprimée à Hambourg, 1C7S , (/i-8°.
5s4 HÉLÈNE.
amis d'Heidanus prétendent que rien
ne pouvait lui arriver de plus à pro-
pos , puisque son grand âge ne lui
pouvait pas permettre de lui acqué-
rir une nouvelle réputation par ses
leçons , ni même de soutenir celle
qu'il avait acquise ; et que d'ailleurs
sa déposition le rendait plus cher et
plus vénérable à son parti (u) , et
qu'elle pouvait rendre odieuse la par-
tie adverse.
(G) Heidanus était de bonne fa-
mille.} Son bisaïeul Gerhard van der
Heyden était de Malines (12) , son
troupeau , à Anvers. Lorsque cette
ville eut été prise par les Espagnols ,
il s'en retourna au Palatinat , et fut
fait surintendant des églises qui é-
taient autour de Bacharac. Il était
prêt de se défaire de cet emploi, pour
satisfaire aux désirs de l'église de
Franckenthal , qui redemandait son
ministre , lorsqu'il mourut , laissant
un fds unique , nommé comme lui
Gaspar , qui était né l'an i566. Ce-
lui-ci fut premièrement ministre à
Wolmersheim , puis à Franckenthal,
et puis à Amsterdam , où il mourut
aïeul Gaspar van der Heyden en était l'an 1626. 11 avait épousé Claire van
aussi , et fut chassé delà maison de
son père parce qu'il s'était fait de la
religion. 11 fut ministre à Anvers ,
d'où il se retira à Francfort à cause
de la persécution. Il trouva plusieurs
réfugiés à Francfort , que les luthé
den Borne , fille du bailli de Fran-
kenthal , et il en eut six fils et huit
filles. Notre Abraham Heidanus fut
l'un de ses fils (i3).
(H) Je parlerai ci-dessous de ses
écrits. ] Il publia des harangues sur
riens rigides ne voulaient point souf- divers sujets ; l'Examen du catéchis-
frir , ce qui les obligea à demander me des remontrans; un in-quarto de
à l'électeur palatin, Fridéric II, un Origine errons, et un livre fia-
lieu de retraite. Pierre Dathénus était mand , où il soutint la cause de Dieu
à leur tête. L'électeur leur accorda le contre les pélagiens et les semi-pé-
monastère de Franckenthal , d'où les lagiens avec une telle force que per-
moines reçurent ordre de déloger, sonne n'a pu lui répondre. Evolue
Ces réfugiés firent là leurs exercices solidissimum et nunquam satis lau-
de religion en langue flamande , et dandum Commentarium de causa Dei
convertirent peu à peu ce monas- Belgicè ante plures annos conscrip-
tère en une ville. Dathénus ayant été tum ( qui dignissimus videtur ut in
appelé à Heidelberg , notre Gaspar latinam linguam transferatur , ut ab
van der Heyden remplit sa place de exteris legi possit ) ira quo adeb ner-
pasteur de cette église. Il fut prié vosè , adeb eloquenter partes Dei de-
de se trouver au synode national fendit contra hominum , ut pelagiani
d'Embden , l'an 1571 , et il fut me- nihil in hune usque diem potuerint
repaire quo vires suas plane allritas
et fractas queant restaurare ( i4 )•
Quant au Corpus theologiœ christia-
nœ in quindecim locos digestum , il
fut publié après sa mort, en deux vo-
lumes in-quarto , par les soins de
M. Crucius, son petit- fils, l'an 1686.
Voyez les Nouvelles de la République
des Lettres (i5).
(i3) Tiré de son Oraison funèbre , pronon-
cée par Wiltichius.
(i4) Wilticliius, ibid.
(i5) Mois de juin 1686, au Catalogue des li-
vres nouveaux, num. Vîll^ pag. 72g.
HÉLÈNE, fille de Tyndare ,
roi de Lacédémone, était la plus
belle femme de son siècle (A) ;
mais d'ailleurs sans honneur et
sans vertu , et d'une vie toute
me choisi pour le président de l'as-
semblée. On y dressa les canons de
la discipline. Peu après, étant de re-
tour au Palatinat , l'électeur le mit
auprès de son fils , qu'il envoyait
avec des troupes au secours de ceux
de la religion dans les Pays-Bas. Ces
troupes furent battues Van der Hey-
den se retira en Hollande , et présida
au synode national qui fut assemblé
à Dordrecht l'an 1 574- M servit quel-
que temps l'église de Middelbourg ;
puis se croyant en sûreté sous le bé-
néfice de la pacification de Gand , il
retourna au service de son premier
(it) Florus , lib. IV, cap. IV, exprime cela
par injuria favor.ibilis ; et Tacit. , Annal , lib.
III, cap. LXXV, par Comraen latio ex injuria,
(il) Proavus illi fuit Gerhardu* van der
Heyden , anliquà et honestd familiif nains
Mechliniœ. Wiltichius, ui Oratione funebri
Heidanii
HÉLÈNE. 5i5
pleine de mauvaises aventures, voue , soit qu'elle le désavoue :
Il y a eu des auteurs qui ont plus elle est belle , plus est-il
donné un si grand détail des croyable qu'elle subit cette loi;
perfections de son corps (B) , nos faiseurs de roman n'ont pas
que l'on ne pourrait pas même pris garde à cela (E) , ou bien
les excuser quand ils diraient en ils ont mieux aimé le fracas des
propres termes qu'ils n'ont fait aventures, que le vraisemblable,
cela qu'en badinant. Elle fut re- Tout le monde sait qu'Hélène
cherchée en mariage par un fut enlevée par Paris , fils de
grand nombre de princes , et Priam , et que tous les Grecs
comme son père ne savait quel s'intéressèrent à l'injure que
parti prendre, parce qu'il crai- Ménélas avait reçue. De là sor-
gnait d'irriter ceux à qui il ne tit la guerre de Troie dont les
la donnerait pas , il apprit d'U- poètes ont tant parlé. Paris
lysse un fort bon expédient (tf). ayant perdu la vie la deruiè-
Ce fut de faire jurer à tous ces re année de cette guerre, son
rivaux qu'ils approuveraient le frère Déiphobus remplit sa pla-
choix qu'il ferait d'un gendre, ce auprès d'Hélène. Les Grecs
et qu'ils seraient toujours prêts à le massacrèrent vilainement la
l'assister contre tous ceux qui nuit que Troie fut prise : ils
voudraient troubler le mariage furent en cela favorisés par Hé-
d'Hélène. Alors Tyndare la ma- lène autant qu'ils eussent pu le
ria avec Ménélas (C). Elle avait souhaiter (F). Ménélas se com-
déjà été enlevée par Thésée ; porta en bon homme : il se ré-
mais on crut bonnement , sur sa concilia sans beaucoup de peine
parole , qu'elle était sortie de avec sa femme , et la ramena
cette affaire sans y laisser son chez lui fort 'îumainement (G).
pucelage (D). Cependant, il n'en Après qu'il fut mort elle fut
était rien : Thésée ne l'avait contrainte de prendre la fuite,
rendue qu'après s'en être si bien et de se retirer dans l'île de
servi , qu'il lui avait fait un en- Rhodes , où elle périt malheu-
fant, dont elle accoucha chez sa reusement (H); car on la pendit
sœur (b). La chose demeura ca- à un arbre. Les déréglemens
chée, parce que cette sœur fit ignominieux de sa vie(I) n'era-
passer l'enfant (c) pour le sien péchèrent pas qu'on ne lui ren-
(d). Le sort ordinaire des enlève- dit les honneurs divins après sa
rnens est qu'une fille y change mort, et qu'on ne lui attribuât
de condition , soit qu'elle l'a- des miracles (K). Il n'est point
vraisemblable que Paris ait at-
(a) Apollodorus m. m Voyez aussi tendu à jouir d'elle qu'ils fus-
Pausamas , Ub. III, pag. io3, qui remarque 1 j ' 1 »i , r
qu'ils jurèrent sur les entrailles ( selon la sent abordes dans une lie (L).
version d' Amasœus sur les testicules) d'un On dit néanmoins qu'il fit bâtir
cheval que l'on venait d'immoler, et qui fut j ai . t
ensuite enseveli, là même. Voyez aussi ho- dailS Cet^ l\e UU monument de
crate , in Eocomio Heienae. sa première jouissance. On ajoute
(b) Clytemneslre , femme d'Agamemnon. queMéllélaS ne détruisit point
(c) L'enfant dont Hélène accoucha fut la . /n»,T. . ,'.,
fameuse iplugenie. ce monument (M), et qu'il se
{d) Voyez la remarque (D). contenta d'y marquer qu'il avait
5^6
HÉLÈNE.
tiré raison de l'injure. Un auteur rir. Le père voulait qu'on la
moderne ne paraît pas avoir bien nommât Alexandra; et , sur l'op-
compris la pensée de Ménélas position de la mère(i), il fallut
(e). Quelques auteurs disent que jouer à qui donnerait le nom :
Paris ne garda guère sa proie (N). Hélène gagna, et fit porter son
On a débile bien des fables sur
la naissance d'Hélène (0) , je
veux dire sur l'œuf dont on pré-
tend qu'elle fut éclose. Les in-
ventions que l'on attribue à sa
plus fidèle servante sont un titre
d'infamie (P). Si les auteurs qui
ont parlé d'elle avaient été bons
cbronologues , la durée de sa
beauté serait prodigieuse (Q) ,
et il faudrait dire que les Grecs
et les Troyens se seraient battus
dix ans pour la possession d'une
vieille. Cela les rendrait bien ri-
dicules ; mais ils ne laissent pas
de l'être , quoiqu'on suppose
qu'elle avait la beauté que les
poètes lui ont donnée *. Voyez
dans Hérodote le cas qu'il faut
faire d'une femme qui se laisse
enlever (R). Les opinions sont
assez diverses touchant les en-
fans d'Hélène : les uns disent
qu'elle n'eut que des filles (f) ;
nom à sa fille (k). On a fort par-
lé du collier d'Hélène (S) , et de
son Crater , et du Nepenthes
qu'elle fit boire à Télémaque ,
fils d'Ulysse (T). Ou a dit aussi
qu'étant sur le point d'être im-
molée , un miracle la sauva (U) :
et l'on a tâché d'excuser ses adul-
tères , en disant que les dieux l'y
avaient poussée (X). Les païens
ont employé de semblables sup-
positions en tant de rencontres,
qu'il ne sera pas hors de propos
de rechercher ce qui leur a pu
servir de motif pour raisonner
de la sorte. C'est à quoi je destine
une remarque (Y).
Quelques - uns ont dit que
quand elle se coupa les cheveux
dans une occasion de deuil (Z),
cela ne fit point que ses charmes
diminuassent. Un auteur fran-
çais prétend qu'elle avait beau-
coup d'esprit et d'éloquence, et
d'autres assurent que Ménélas qu'elle se fit aimer par-là autant
eut d'elle quatre garçons (g), que par sa beauté (!) (AA)
On parlait aussi d'un fils qu'elle
eut d'Achille (h). Elle eut de
Ménélas la belle Hermione ; et
de Paris une fille , qui eut nom
Hélène , et qu'Hécube fit mou-
Ce) Voyez la remarque (M) , citât. (71).
* Joly pense que , bien que tant d'auteurs
aient dit que ce fut la beauté d Hélène qui
arma les Grecs et les Troyens , il ne faut pas
tellement interpréter leurs paroles qu'on ne
puisse croire que le point d'honneur et le dé-
sir d éviter l'infamie n'aient mis les armes
à la main à Ménélas et aux autres Grecs pour
arracher Hélène des bras de son ravisseur.
(/) Stephanus, Voce Aiyuç.
(1;) Scholiast. Homeri , et Eustalliius , in
Iliad. , lib. III.
(h) Voyez l'article AcHILLÉA , citation
(e) , tom, I, pag. 167.
(j) Ptolem. He]>hiest.,apudF\>.oth\m,pag.
48o.
(k) Idem , ibidem.
(I) Voyez la citation (l5o).
(A) Elle était la plus belle femme
de son siècle. ] Il y a des auteurs (1)
3ui ont de'crit en de'tail la beauté
'Hélène : celui qui s'y est le plus
étendu est Constantin Manassès : il a
renfermé dans onze vers grecs un
bon nombre d'épithètes qui repré-
sentent les perfections naturelles de
cette femme. On n'oublie pas de dire
que sa beauté ne devait rien à l'arti-
fice , et que son teint, sans avoir be-
soin d'être lavé , avait un très-grand
(1) Darcs Plnygius, Cedrenus.
HÉLÈNE.
éclat (2). On lui a donne des jambes
bien faites , une petite bouche (3) ,
le cou fort long et fort blanc (4), de
grands yeux, et de beaux tétons (5).
Brantôme me fournit un passage sur
cette dernière partie. Hélène , dit-
il (6), voulant un jour présenter au
temple de Diane une coupe gentille
par certain vœu , employant l'orfe-
527
Revenant à Hélène , je dis que les
descriptions qui ont été faites de sa
beauté , n'en donnent pas une idée
qui égale celle qu'on s'en forme en
lisant un endroit de l'Iliade qui ne
tient rien du portrait. Homère se con-
tente de faire dire aux conseillers de
Priam , qui virent venir Hélène pen-
dant qu'ils délibéraient sur les aflai-
vre pour la luy faire, luy en fit pr en- res d'état avec leur prince, qu'il ne
tire le modèle sur un de ses beaux te-
tins , et en fit la coupe d'or blanc ,
qu'on ne scauroit qu'admirer le plus,
ou la coupe ou lu ressemblance du
telin, surquoy il avait pris le patron,
qui se montrait si gentil et si poupin,
que l'art en pouvait faire désirer le
naturel. Pline dit cecy par grande
admiration et speciauté , ou il traite
qu'il y a de l'or blanc , ce qui est
fort estrange , et que cette coupe fut
faite d'or blanc Qui voudr oit faire
des coupes d'or sur les grandes té-
tasses de certaines femmes qu'il y a ,
il faudrait bien fournir de l'or a mon-
sieur l' orfèvre, et ne seroit après sans
fallait pas bliîmer ni les Grecs ni
les Troyens de ce qu'ils enduraient
tant de peines pour une beauté si di-
vine.
OJ viftiTiç, Tpâ&ç M.aÀ fùx.vJluiSa.ç
'A%ctioùç
ToiàtT ip.qi yiD/onKi ttoXÔv Ravoir àih-
yta. 7ris-Xl,v'
Aivcèç àSavirois-i 9ê»ç tlç àvx soixsf.
Ifon est iridigtA ferendum , Trojanos et béni
ocrealos Achivos
Tali de muliere tongum lempus dolores pati:
Omninb immorlalibus deabus vullu similis
esl(i .
(B) Des auteurs ont donne un
grand détail des perfections île son
coup a grande risée, quand on dirait corps.'] Un religieux espagnol remar-
voila des coupes faites sur les tetins ^e. ^ue lil beauté de cette femme
,;. , j/„ „» Ln„rJ„m„c r-~e^.no* etait un prodige de la nature, et
pr(
que , depuis un fort grand nombre
de siècles , on a coutume de dire ,
quand on veut louer extrêmement
une beauté, c'est une Hélène. Il ajou-
te que Jean Névizan a dit que de
trente choses qui sont nécessaires
pour rendre une femme parfaitement
belle {*) , il n'y en avait aucune qui
manquât à celle-ci. JVacio esta tan
avenlajada , y enrequecida de her-
mosura , que fue un portento , un
prodigio , y mi/agro de naturaleza ,
quedando desde aquel tiempo a este,
y aun para muchos siglos , en pro-
verbio , su be/leza , y gallardia : de
tal suerte, que quando queremos jion-
derar , y encarecer la hermosura de
, „ v ',, ' ' r »/»' una muser, dezimos que es uiia He-
-,viv iena •" Y en tai lugarta pone , el JVt-
vertueuse (o) , IVatal < anute , Bar-
tolome Casaneo, Juan JYemizano (9) ;
el qna pane las treynla cosas , que se
requieren pava que una muser sea
perfectissima en su hermosura : >
de telles et telles dames. Ces coupes
7-essembleroient non pas coupes, mais
de vrayes auges qu'on voit de bois
toutes rondes dont on donne a man-
ger aux pourceaux , et d'autres y a-
t-il que le bout de leur telin ressem-
ble h une vraye guigne pourrie. Bran-
tôme se trompe en deux choses ; car
Hélène ne consacra point cette tasse
au temple de Diane , et il n'est pas
vrai que Pline assure qu'elle fût faite
d'or blanc. JMinervœ templum habet
Litidos insulœ RhoJiorum in quo He-
lena sacravit calicem ex electro. Ad-
jicit historia mammœ suœ mensurâ.
Voilà ce que Pline dit dans le chapi-
tre IV du livre XXXIII.
o.utqXF0'jv ■
Constantin Manassès, cite' par Méziriac, sur
Ovide , pag. gin.
(3) Cruribus oplimis , ore pusillo. Dares
Phrygius.
(4) Asipà pcutpà. X.<LTÔ.XSVKOÇ. Constantin
Manassès. Il ajoute qu'à cause de cela Ifs poêles
feignirent qu'elle élan née d'un cygne. Méziriac
a ignoré que cette pensée vient de Lucien. Voyez
la remarque (Q).
(5) 'Oq>QcL\/uoùç É^ot/c-d. {AiycLkouç , tiï-
p.U.<?aç. Cedrenus.
(6) Mémoires des Dames galantes, loin I,
pag. m. 373.
(7) Horaer., Jliad., lib. III , vs. i56. Voye*
AtViénée , lib. V, pag. 188; et Quiutil. , 'lib.
VIII, cap. IV, pag. m. 378.
(*) Voyez Brantôme, tom. II, pag. 33o de ses
Dames galantes. Kem. crit.
(8) C'est-à-dire, Ravisius Textor.
(y) Il fallait dire Nevizano,
528 HÉLÈNE.
dize que las ténia todas sin faltar salis , et ultra quant dtcens sit , po-
que sur la foi de Chassaneuve *', qui exacts , puisqu'il est lui-même le co
non-seulement le cite, mais qui rap- piste de quelques autres écrivains ,
porte même les vers latins où sont et qu'il les cite par leur nom. La
enfermées les trentes choses qui com- source jusqu'à laquelle il remonte
posent, dit-on, la perfection de la est un e'crivain français , dont le li-
beauté , et qui se rencontraient tou- vre s'intitule de la Louange et Beauté
tes dans le corps d'Hélène. Difficile des dames. Les dix-huit vers latins
est custodire quant plurimi amant , qu'il rapporte , et que Chassaneuve
c'est Chassaneuve qui parle (n) , ut a rapportés après lui , étaient une
salis colligitur ex dictis Jo. IVevizani traduction du français, faite par Fran-
Astensis in suâ Sylva nuptiali , in cois Corniger. Il dit qu'elle n'était
ampliatione 7, in verb. quserojuxta pas encore imprimée, mais qu'il y
en avait une version italienne dans
un ouvrage public de Vincent Cal-
méta. Et triginta requisita, dit-il (i3),
enumerantur per Gallicum in libr.
de la louange et beauté des dames
circa fin. quas latinas fecit Francise.
Corniger , quem nunc refero , quia
non est impressus : sed benè T^incen-
tius Calmeta idem ponens in carm.
vulgari. incip. dolce Flaminia, et e-
cloga proxima seq. incip. per d are
risposta.Lege ergb versus Cornigeri :
Triginta hœc habet , etc.
Si vous consultez le livre intitulé :
Les neuf Matinées du seigneur de
Cholières, vous y trouverez (14) un
sonnet qui commence par
Celle qui veut paroir des belles la plus belle.
Ces dix J'ois trois beautés, trois longs, trois
courts , trois blancs ,
Trois rouges et trois noirs , trois petits et
trois grands ,
Trois eslroils et trois gros , trois menus soient
en elle.
et qui finit par lèvres , doigts et che-
veux menus , telle fut Hélène. La
conclusion n'est pas moins imperti-
nente que tous les vers précédens ;
car pour savoir qu'Hélène était ainsi
faite , il n'eût point suffi de l'avoir
vue pendant qu'elle faisait ses exer-
cices à Lacédémone (i5) j il eût fallu
être ou Paris, ou Ménélas, ou quel-
qu'un des autres hommes qui avaient
été ses maris ou ses adultères .
(i3) Joaun. Ncvizanus, in Sylva nuptiali , art.
XCIII , pag. 182, edit. Lugd. , 1X72 , in-8».
(i4) Pag. 169 de l'e'dilion de Paris, chez
Jean Ri.her, ;585, in-8".
(i5) Inler quos Hélène nudis capere arma pa-
piltis
fertur, nec fratres erubuisse deos.
Propérl. , eleg. XIII, lib. III.
VoyezV article Lïcbrgvi, remarque (B), t. IX.
pra'dicta si sint duo, ubi ponit , quid
operetur pulchritudo mulieris. Ltibi
dicit , quod débet habere triginta qua-
tuor, ad hoc , ut sit pulcnra , quœ
his versibus ibi positis continenlur-
Triginta h;ec habeat , qnse vnlt formosa vocari
Fœmina , sic Helenam fama fuisse refert.
Alba tria, et totidem nigra, et tria rubra
puella :
Très habeat longas res , totiilemque brèves.
Très crassas , totidem graciles : tria stricta, tôt
ampla
Sint itidem huic forma: : sint quoque parva
tria.
Alba cutis, nivei dentés, albique capilli ,
Nigri oculi *2, [cunnus, nigra supercilia ;
Labra, gêna:, atque ungues rubri. Sit corpore
Ionga ,
Et longi crines , sit quoque longa marins.
Sintque brèves dentés, au, es, pes ; pectora
lata
Et dunes ; distent ipsa superciila.
Cunnus et os strictum , stringunt ubi cingula
stricta ;
Sit coxa et cullus vulvaque turgidula.
Subtiles digiti , crines et labra puellis;
Parvus sit nasus, parva mamilla, caput.
Ciim nuili aut rara: sint haec , formosa vocari
iNulla puella potest, rara puella potest. ]
Je supprime le reste de ce petit
poème latin (12) , quoique Chassa-
neuve , qui était premier président
au parlement d'Aix , n'ait pas fait
scrupule de l'insérer tout entier dans
son ouvrage. Il y joint cette queue,
IVon aliter hic insisto circa talia, ciim
(10) Baltasar de Victoria , predicador de san
Francesco de Salamanca, Tlieatro de los Dioses
de la Gentilidad, lib. II, cap. XIX, pag. 181,
edil. de Salamanca , 1620.
"' Ou plutôtCbasseneuz. Bayle l'appelle ailleurs
Cbassanée. Voyez les articles Quellenïc, tom.
XII , et Tiraqueao , tom. XIV.
(11 ) Bartholomsus Qiassansus , in Catalogo
gloria: Mundi , part. II, considérât. XXII,
pag. m. i(J8.
*2 Bayle avait supprimé , et j'ai cru devoir ré-
tablir ce qui est entre deux crochets.
(u) Il comprend dix-huit vers.
HÉLÈNE. 529
(C) Tyndare la maria avec Mené- Hellanicus donne cinquante ans â
las. ] Il y en a cf ni disent (16) tjiTil Thésée (a5) , et sept à Hélène (26) ,
ne le choisit pas lui-même pour gen- au temps de l'enlèvement, et ne laisse
dre , mais qu'il permit à Hélène de pas de dire que Thésée la dépucela
choisir parmi ses amans celui qu'elle Duris Samicn (27) assure qu'Hélène
voudrait épouser , et qu'elle préféra était enceinte d'Iphigcnîe quand on
Ménélas à tous les autres. Apollodo- la tira des mains de son ravisseur,
re (17) prétend que Tyndare céda Pausanias dit la même chose , et a-
son royaume à son gendre ; mais joute qu'elle accoucha à Argos , chez
d'autres disent (18) qu'il se contenta sa soin- Clytemnestre , femme d'A-
de le désigner pour son successeur, gamemnon, el quelle lui commitFé-
C'était donc un grand parti qu'Hélè- ducal ion de sa (illc (28). 11 dit qu'Eu-
nc , puisqu'avec une beauté si accom- phorion , Alexandre Pleuronius et
plie clic apportait une couronne à ce
lui qu'elle épousait.
(D) Thésée l'avait enlevée on
crut qu'elle était sortie île cette
affaire sans y laisser son pucelage. ]
Selon Plutarque , elle n'avait pas en-
core atteint l'âge nubile quand Thé-
sée l'enleva du temple de Diane , où
elle dansait ( 19 ). Il la mit sous la
Stésichore avaient témoigné dans
leurs poésies qu'Iphigénie était fille
de Thésée et d'Hélène. Les Argiens en
étaient si persuadés qu'ils croyaient
qu'Hélène fit bâtir , après ses cou-
ches, le temple de Lucine que l'on
voyait dans leur ville (29). 11 y eut
bien des gens trompés dans cette ren-
contre. Agamemnon crut qu'Iphigé
conduite de sa mère (20) , et les don- nie était sa fille , car sa femme le lui
na toutes deux en garde à l'un de assurait. Castor et Pollux se persuadé-
ses bons amis dans Aphidnes , et s'en rent que leur sœur revenait pucelle,
alla travailler à un autre enlève-
ment (21) avec son ami Pirithoiis. Les
frères d'Hélène , Castor et Pollux. ,
ne perdirent point de temps : ils en-
trèrent dans l'Attique à main armée
pour redemander leur sœur. Les
car lorsqu'ils l'interrogèrent sur ce
point si délicat, elle répondit qu'on
ne l'avait pas touchée (3o). Que di-
rons-nous de Ménélas , qui l'épousa
quelque temps après? 11 crut bon-
nement être le premier qui fit la
Athéniens leur protestèrent qu'ils ne brèche , et cependant il épousait une
savaient où elle était. On ne se paya mère.
pas de cette réponse, on se prépara Quand j'ai dit qu'Hélène fut inter-
à faire des hostilités ; mais un cer- rogée par ses frères, j'ai suivi le doc-
tain Académus ayant fait savoir aux te M. Méziriac (3i) , qui a entendu
frères d'Hélène qu'elle était à Aphid- de cette façon le grec que je cite :
nés (22) , ils allèrent attaquer cette mais d'autres , avec plus de raison
ville , et l'emportèrent d'assaut. Les
portes d'Athènes leur furent ouver-
tes : ils entrèrent dans la ville sans
y faire aucun désordre ; ils ne de-
mandèrent qu'à être initiés aux mys-
tères. Ils ramenèrent Hélène à Lacé-
démone : on dit aussi qu'ils y ame-
nèrent la mère de Thésée, et que cette
bonne femme suivit Hélène (23) jus-
que dans Troie (24'.
(16) Hygiaus, cap. LXXVIIl.
(1-) Bjbliotb. , Ub. III.
f!8; Tlyginus, cap. LXXVIIl.
(lÇ|) Plularcli., in Thcseo , pag. là.
(20) Elle te nommait JEihra.
(21) A celui de Proserpine , /ille d' Aidone'us ,
roi des Molosses.
(22) Hérodole, liv. IX, chap. LXXII, attri-
bue cela aux Décéliéns, tribu d' Athènes , ou
même au seul De'ce'le'us.
(2Î) Voyez l'article Acimas , remarque (A) ,
tom. I, pag. io5.
(24) Plutarrli., in Theseo, pag. i5.
TOME vir.
peut-être , disent que Castor et l'"l
lux conseillèrent à leur sœur de se
(i5) Apud Plularcli. , ibid , pag. t.}.
(2G) Apud Tzelzen , in l.ycnphroncm.
(27) Cité par Méziriac, sur les Epines d'Ovi-
de , pag. 482.
(28) Pausanias , lib. II, pag. 65.
(29) Idem, ibidem.
(3o; ©hs-jûjç k-ù 'Ehivnç fne Aiôç \yi-
VêTO fjUyaTHp 'l$»}SVêl*, XcLI CLÙT»\I V^'i-
T0ê<|)5V M THÇ 'EXSVHÇ àtTsX^M KM/T£ll//V>i-
■Tpa." TTtoç $\ tov 'AyA/néfAVOvct tiint cLuth
TSJCSÎV 'EASVH yi? 7TVvùcLV0fAhi\ râv ÙSlX-
^»V, 14/n JtOfM 7T*fCt 0i!7Sa>Ç ctTTi'/SîlV.
Thesei et Helenœ Jovc nalœ filiafuit Iphige-
nia , eamque soror llelena Chlemneslia rduca-
vil , Agamemnoni dicens se eam peperisse : nam
Helenœ fralribus atucultans virginem te <i Thc-
seo discessisse aiebal. Nicander, lib. IV Alie-
ratorum , apud Anton. Liberalcm , narrai.
XXV II.
(3i) Sur les Épîtrei d'Ovide, pag. 483.
34
53o
HÉLÈNE
vanter d'avoir encore sa virginité.
C'était un conseil fort sage , et dont
Hélène, toute jeune qu'elle était, au-
rait bien pu se passer : elle se fût
bien vantée de cet avantage sans la
suggestion de personne. Elle assure ,
dans Ovide, que Thésée ne remporta
que quelques baisers pris par force ,
et qu'elle en fut quitte pour la peur :
Non tamen è facto fructum lulil ille petitum,
Excepto redii passa timoré nihil :
Oscula luctanti tanlummodb pauca protervus
Abslulil : ulterius nil habet ille meî (3î).
Elle avoue cependant que Thésée é-
tait fort jeune (33). Ovide a observé
le décorum en la faisant parler de
cette manière ; mais il ne l'observe
pas moins quand il introduit une
autre femme qui croit qu'Hélène men-
tait :
Illam de patrià Theseus (nisi nomine fallor) ,
Nescio quis Theseus , abslulil anlè sud.
À juvene et cupido credalur reddila virgo ?
Undè hoc cotnpereritn tam benè , quœris ?
anio.
Vim licel appelles, et culpani nomine vêles,
Quœ loties rapta est, prœbuil ipsa rapi (34).
La remarque suivante servira de
supplément à celle-ci.
(E) IVos faiseurs de romans n'ont
pas pris garde a cela.] Il est certain
que monsieur ou mademoiselle de
Scudéri, et les autres faiseurs de ro-
mans,leurs contemporains, ont choqué
fortement la vraisemblance , quand ils
ont fait enlever leurs héroïnes , sans
vouloir qu'on crût qu'elles accor-
dassent de gré ou de force aucune
faveur à leurs amans. Je sais bien
qu'ils seraient infiniment plus inexcu-
sables , s'ils ne supposaient pas ,
comme ils font , qu'elles étaient en-
levées sans y consentir en aucune
sorte. Il y a certains pays où l'on ne
châtie- point ceux qui enlèvent des
filles qui le veulent bien : cette im-
S unité est cause que les enlévemens
e cette nature sont très-fréquens ;
et il n'y a personne qui croie que les
ravisseurs usent de délai par rapport
à la jouissance. Jusqu'au premier
gîte , tout au plus : et même la plu-
part des gens soupçonnent que la
jouissance a précédé l'évasion. Quoi
(3s) Ovidius, epist. Helenœ ad Parid. , vs.
25 et seqq.
(33) Et juvenem Jacti pœnituisse patel.
Ibidem, vs. 32.
(34) Ovid., in epist. OEnoncs ad Parid. , cf.
127 et seqq.
qu'il en soit , cette espèce d'enlève-
ment est presque toujours suivie du
mariage , parce que si les parens ne
consentaient pas aux noces , ils se
verraient chargés d'une fille désho-
norée selon l'opinion de tout le
monde , et qui ne trouverait de mari
qu'au cas que quelqu'un se voulût
bien contenter des restes d'un autre.
Avouons donc que les faiseurs de ro-
mans se garantissent du plus gros du
ridicule , par le soin qu'ils prennent
de supposer que l'héroïne s'oppose
autant qu'elle peut à l'enlèvement ;
mais néanmoins ils ne sauraient se
tirer d'affaire : ils renversent les no-
tions communes , et ils se font un
système diamétralement opposé au
jugement du public, et au bon sens.
Quel motif ont leurs héros quand ils
enlèvent une maîtresse ? Lui veulent-
ils déclarer qu'ils meurent d'amour
pour elle , et que ses rigueurs les
mettent au désespoir? Ils lui ont déjà
déclaré cela , je ne sais combien de
fois , et ils ne recourent à l'enlève-
ment que lorsqu'ils la savent déter-
minée à rendre heureux un autre
homme , et à n'avoir de sa vie que
de la froideur pour eux. Espèrent-ils
que leurs soupirs si inutiles , avant
qu'ils l'eussent irritée , la toucheront
dans le vif ressentiment où elle est
contre un ravisseur? La vraisem-
blance répugne à cela. Il faut donc
qu'ils se proposent de seprévaloir de
l'état qui la réduit à leur discrétion,
et de la mettre dans les termes
qu'elle soit intéressée toute la pre-
mière à parler de mariage. C'est, dans
le vrai , l'une des vues de ceux qui
enlèvent quelque fille contre son gré :
ils se persuadent qu'après avoir été
quelques mois en leur puissance , sa
réputation pour le moins ira fort
mal , et ne pourra être rétablie que
par la bénédiction nuptiale. Aussi
voit-on que si d'autres se marient à
de telles filles , ils deviennent fort
suspects d'avoir recueilli les restes
du ravisseur \ ils en sont railles , et
ne passent point pour délicats. Nou-
veau trait contre messieurs les roma-
nistes , dont les héros aspirent de
toute leur âme à épouser des maî-
tresses que leurs rivaux avaient en-
levées plus d'une fois. Vous trou-
verez la critique de tout ceci dans le
Parnasse reforme. Cyrus y murmure
HÉLÈNE. 53i
de ce qu'on ne Lui avait point donné De ''«"'» la fève trouver.
une héroïne a qui ion ne pût faire %"!%"? eslf°l ''."' ne s',.avi,ie
j' ry • i ■ Vu " " e't rien tel que d enlever.
aucuns reproches, fous jugez bien v Je sais hien que \es premiers jours
Sans (toute par ce discours, dit-il Que Bécasse est bridée et prise,
(35), que je ne Suis pas COIllent de F-lle invoque Dieu au secours
Mandane ; et certes que voulez-vous m '£%%?! à lharhe.Srise • .
' j, ,. ■* , mais si l amant qui la conquise
que je pense d elle après tous les en- Sçait bien la rose cultiver ,
lèvemens qui lui aiTivent ? Dois-je ^le chante en face iT église
penser quelle sort bien pure des mains Qu'il "'"' rien let que d'enlever (38)-
de quatre ravisseurs ? et les moins (F) Les Grecs massacrèrent .
clairvoyans dans ces mystères peu- Déiphobus . . . favorisés par Hélène
vent-ds douter que vous ne me don- autant qu'ils l'eussent pu souhaiter.]
niez le reste des autres ? f ous deviez, Voyez , dans Virgile , l'état pitoyable
ce me semble , mettre sa pudeur à ou pon mit lc corps <]e Déiphobus ,
d autres épreuves ? Celles-là sont un ct la manière dont sa femme le tra-
peu trop fortes pour une chose si jjjj. .
frêle , et Mandane n'était pas une
place qui pût résister a tant d'as- Alque hic Priamiden laniatum corpore toto
sauts : peut-être se fût-elle bien tirée ^"P1'01""" •** . '"cerum crudeliter ora :
j, r . ,y . Ura manusque ambas populataque lempora
a un premier enlèvement ; je veux rapiis
croire qu'elle aurait eu assez de vertu Âurihus , et truncas inhonesto vulnere na-
pour ne se pas rendre tout d'un coup, res (39'"
et SOU honneur Se pouvait sauver [Cl me'fal'a mea'.èt'scelui exit'iale' La'cœ-
sans miracle de ce mauvais pas. Mais na>,
les rechutes sont mortelles dans ces His mersérema!is : Ma kœc monumenla reli-
matières : un second enlèvement ra- '"" ^°'-
cage tout, et une héroïne qui n'a Flammam média ipsatenebat
plus que les restes d'une fermeté Ingénient , et sunund Danaos ex arce voca-
ébranlée, ou peut-être moins encore , -r- r ,
j. . ' f yr. . ., ' Turn me confectum curis , somnoque grava-
lie fait que îles ejjorts inutiles pour tum,
sa défense. Apollon eut e'gard à cette Tnfelix habuit thalamus , pressitque jacentem
plainte , et prononça cet arrêt : « De- Dulcis el ?lta luies' vl^^œque simillima
1 , l . morli.
» Clarons que nous ne reconnaissons Egregia intereà conjux arma omnia tectis
» point pour lie'rOS tous ceux qui Fmovet; elfidum capiti subduxerat ensem ;
» Seront COCUS, ni pour héroïnes Intralecla vocal Menelaum, et liminapan-
» toutes les femmes qui auront été Sciliceï id magnum sperans fore munus
)> enlevées plus d'une fois (36). » La amanti,
ballade de Sarrasin , sur l enlèvement Eifamam exstingui veterum sic posse mala-
de mademoiselle de Bouteville , par rtan'Qi).
monsieur de Coligni Çi-j) , est un Elle crut que ce barbare sacrifice
autre arrêt de condamnation; car ctait nécessaire pour apaiser le cour-
voici le dogme de ce bel esprit : roux de Menelas : elle eût mieux ju-
Ce gentil joli jeu d'amours gé des eboses , si elle avait fait moins
Chacun le pratique à sa guise : d'allenliou sur l'e'normite de sa fau-
Qui par rondeaux et beaux discours, te j debomiairete du prit!-
Chapeau de Jleurs, génie comtise, 7 » l
Tournoy , bal , festin, ou devise Ce gl'CC.
Pense les belles captiver; (G) Ménélas... se réconcilia sans
Mais je pense , quoy qu'on, en dise , beaucoup de peine avec sa femme , et
Uu il n est rien tel que d enlever. 7 J J, i • _r i ■
C'est bien des plus merveilleux tours [n "in/Clia chez lui fort flumaine-
Lapasseroule et la mnistrise .• nient. ] Ce pauvre COCU fut si sim-
Au mal d'aimer, c'est bien tous jours pjc qU'jj s'imagina que sa femme
Une prompte el souëfve crise : 'U'tlJlJl ■ J
C'est au gasteau de friandise séchaii de douleur dans la maison de
Priam ; et c était le principal motif
(35) Parnasse réformé , pag. i65 , e'dition de qui le poussait à la Conquête de
Hollande. l
(36) La même, pag. iS". ,_„, „ , . _ _
m \ A7 i ■ ■ i ..-. ; j (38) sarrasin. Poésies, pas. 5q , oo.
(37) Non pas celui qui se haltit avec le duc y \ _.. ' , , ,-, , ,
de Guise , comme le veut l'auteur des Galante- '39) ^ ,rK-, -^ne.d. , /,/,. r I , vs. t^.
ries des rois de France, loin, II, pag 2?3, trais (4°) Ibidem, vs. 5n.
son frère puîné'. (4'J Ibidem, vs. 5i8.
53a HÉLÈNE.
Troie (4»). On a eu fort bonne grâce contre l'infidélité d'Hélène* Dan
de lui reprocher que sa flamme con- les Troades d'Euripide , il la me-
jugale prescfue e'teinte se ralluma dès nace de la tuer ; et c'est à elle à se
qu'Hélène l'eut quitté pour s'atta- servir de toutes sortes d'excuses pour
cher à un autre homme
Acrius Hermionen ideb dilexit Orestes ,
Esse qubd allerius cœperat Ma viri.
Çuid , Menelaé , doles ? ibas sine conjuge
Creten ,
Et paieras nupld Icetus abesse tua ;
Ut Paris hanc rapuit , tum démuni uxore ca-
rere
Non potes , allerius créait amore tuus.
Il fallait que l'antiquité fût forte-
ment persuadée de la débonnaireté
des maris cocus , puisqu'elle nous a
représenté le dieu Vulcain si facile
envers sa femme. « Le dieu de nostre
» poète , quand il surprint avec sa
« femme l'un de ses compaignons,
» se contenta de leur en faire honte...
» et ne laisse pourtant de s'échauffer
» des molles caresses qu'elle luy of-
» fre , se plaignant qu'elle soit pour
w ce entrée en défiance de son affec-
» tion :
" (*') Qui't causas pelis ex alto? fiducia
cessii
» Quo tibi , diva , mei ?
)> Voire elle lui fait requeste pour
« un sien bastard (*a). Arma rogo
» genitrix nato , qui luy est libera-
» ïcment accordée . et parle Vulcan
» d'vEueas avec honneur (*3) : Arma
■» acri faciencla viro ; d'une huma-
)> nité , à la vérité plus qu'humaine.
» Et cet excez de bonté , je consens
» qu'on le quitte aux dieux : (*4)
<• Nec divis homines componier a/juum,
» est ({[$)• »
Ces paroles de Montaigne sont trop
ingénieuses , pour déplaire ici aux.
connaisseurs. Mais , pour ne rien
dissimuler, il faut que je dise qu'il
s'est trouvé des personnes assez offi-
cieuses pour faire l'honneur à Mé-
nélas de l'armer de ressentiment
(4-)
Mâ.hiç-0. Si isto èujut)
obtenir son pardon. Elle dit entre
autres choses qu'après la mort de
Paris , elle tâcha plusieurs fois de
sortir de Troie pour se retirer au
camp des Grecs, et que les sentinel-
les la surprirent , lorsqu'elle voulut
descendre des murailles par une cor-
de. Elle ajoute que Déiphobus l'é-
pousa par force. Pausanias fait men-
tion d'une statue de Ménélas pour-
suivant Hélène l'épée à la main ,
pour la tuer , quand Troie fut prise
(44)- Mais d'autres supposent qu'il
jeta son épée dès qu'il eut vu la gor-
ge d'Hélène, et qu'il se laissa baiser
par cette chienne traîtresse , et la ca-
ressa :
'Exa>v il Tpc.(a.v , ii^v ydip xa.vxa.Ztyi.
(T'A ,
Ol/JC ÏKTCÏtiÇ yw 0.7x4., ^êl^ISlV kO.€âv'
' Ahh coç uTité'tç y.a.ç'iv , ix.Ca.han/ |ï<|>oc
<biKr\/jC iSé^a>, Kpoiorn a.ixa,Ahaov xùva..
Capta aulem Trou ( nain et hitc tua causa.
veniain )
Non inlerfecisli uxorein redaclam in luam po-
lestalem :
Sed poslquam vidisti ubera , abjecto gladio
Osculuin accepisti adulans canem proditri-
cent (/)5 j.
(H) Elle périt malheureusement. 1
Nicostrate et Mégapenthe, bâtards de
Ménélas , l'avaient chassée de Lacé-
démone. Elle se retira chez Polyxo , sa
parente , veuve de Tlépolème , roi de
Rhodes , et régente du royaume pen-
dant la minorité de son fils. Polyxo
se souvenant que son mari était mort
au siège de Troie , et qu'ainsi elle ne
pouvait regarder Hélène que comme
la cause de son veuvage , résolut de
se venger, et pour cet eflèt , pendant
qu'Hélène était au bain , elle y en-
voya des femmes habillées en furies ,
qui la pendirent à un arbre. Les
Rhodiens , voulant immortaliser cet
Tttra.crBa.i E\sv»sop/*»/u*'r*T«<r<>v*;t*s accident, bâtirent un temple qu'ils
appelèrent le temple à' Hélène Den-
dritis. C'est Pausanias qui m'apprend
cela (4^)- L'auteur d'Athènes an-
cienne et nouvelle , a raison de dire
(47) que mille gens parlent de la
.... Maxime verb eupiebal animo
Ulcisci Helcnœ raptumque gemitusque.
floraer. , lliad. , tib. Il, vs. 58f). Descript.
Voyez les Pensées sur les Comètes , num. 2in,
pat;. 717.
(*') Virgil. , JEne\n., lib. VII t , „,. 3<>5.
(*2) Ibidem, vs. 383.
(*3) Ibidem, vs. 44t.
(*4) Cat. ad Mal.
(43) Montaigne , Essais , liv. III, cliap. V ,
pag. m. i38.
(44) Pausan. , lib. V, pag. 166.
(45) Eurip. , in Androm., vs. 627 , p. m. 520.
(46) Pausan., lib. lit, pag. 102.
(47) Pag. m. 63.
HÉLÈNE.
533
belle Hélène , qui ne savent pas
mi' elle fut pendue. On a tort de dire
dans le Dictionnaire de Moréri , que
l'une des compagnes d'Hélène la fit
mourir. Vous trouverez dans Photius
qu'elle s'étrangla elle - même , et
qu'auprès du chêne , auquel elle se
pendit , il croissait, une herbe qu'on
nomme Hélé/u'ion , qui rendait que-
relleux ceux qui en mangeaient (^8).
Pline attribue de toutes autres quali-
tés à cette herbe : elle embellissait les
femmes , et rendait gais ceux qui en
mettaient dans leur vin (49). Il re-
marque (5o) qu'on disait qu'elle était
née des larmes d'Hélène. Vous trou-
verez dans le même Photius (5i), que
Thétis fit mourir Hélène pendant
le retour des Grecs; et selon d'au-
tres , qu'elle alla avec Ménélas dans
la Chersonnèse Taurique pour cher-
cher Oreste , et qu'ils y lurent im-
molés tous deux par Iphigénic. J'ai
lu dans Vigénère (5a) , qu'Hérodote
raconte que Nicostrate et Mégapen-
thus chassèrent Hélène , et qu'elle se
retira à Pdiodes , chez Polypo , veuve
du roiTlépolèmus, et que les demoi-
selles de Polypo , haïssant Hélène , de
ce qu'elle avait esté cause de la mort
de leur feu seigneur , un jour qu'elle
s'estait allée esbatre en un verger
sa/is leur J7iaislressc , la pendirent et
estranglèrent à un des arbres. Je
n'ai rien trouvé de cela dans Héro-
dote.
Le moine espagnol que j'ai cité
ci - dessus s'est abusé lourdement
sur les causes de la mort d'Hélène.
Il dit (53) ques'étant retirée à Pdiodes
chez Polyxène , femme de Ptétolémo,
roi de cette île , elle se gouverna
mal, comme elle avait toujours fait
depuis sa tendre jeunesse ; elle de-
vint amoureuse de son hôte, et s'a-
handonna à lui. Polyxène en enragea
de jalousie , et la fit pendre à un
arbre. Pausanias , poursuit-il, assure
qu'à cause qu'elle avait commis adul-
tère avec Ptétolémo pendant la guer-
(48) Photius, pag. 4^0 1 ex P'o'em. Hephxs-
tione.
(4o) Plin. , lib. XXI, cap. XXI.
(Soi Ibidem , cap. X.
(5i) Photius , pag. 4"Q.
(52) Sur le Prot'ésilas ,1e Philostrate , folio
s'5 i'f"o , e'dil. i'n-4".
(53) Baltazar de Victoria, Théâtre de los Dio-
ses de la Genlîlîdad , lib. II , cap XIX , pag.
189.
re de Troie , Polyxène la fit mourir.
Jugez par-là si cet auteur espagnol
est fidèle ou habile dans ses citations.
( I ) Les déréglemens de sa vie. ]
Plusieurs auteurs (5^) l'ont blâmée
de lubricité ; mais surtout Lyco-
phron, en sa Cassandre, ait il l'appelle
?rivrit/.tx.Tpov , c'est-à-dtre , femme de
cinq maris (55) . .. Euripide, en la
tragédie <l .d ndromaque , fait ainsi
reprocher à Hermione, fille d'Hélè-
ne, le vice de sa mère.
M» thv Ttx.oûs-eLV tÏÏ QiXclvJ'pla., yùvat.1,
Z»ITêl 7rcLptX§lïV
Amlrom., l>. 228.
JVe tache point de surpasser la mère
En cri amour par trop désordonné' ,
Qu' la J~aisait courir après tes hommes.
.... Ptoléméus Hepha'stion , dans
Photius , rapporte une histoire fort
particulière , qui fait foi de l'impu-
dicité d'Hélène. Le fait est qu'un
certain Arcadien , nommé Perita-
nus, rencontrant Hélène avec Paris
Alexandre , au pays d'Arcadie, eut
affaire avec elle. Mais Paris , poul-
ie châtier de cet adultère, lui coupa
les parties destinées pour la généra-
tion. De l'a vient qu'en Arcadie , ceux
qui sont ainsi châtrés , s'appellent
perita?ies. Lycophron a fait bien pis
que de la nommer la femme à cinq
maris ; on prétend qu'il l'a nommée
colombe, à cause de sa lasciveté , et
chienne, à cause de son impudence ,
ou à cause qu'indifféremment elle se
donnait à plusieurs (56). Je ne vois
point que ceux qui tilchent d'excuser
Hélène allèguent d'autre raison que
celle-ci 5 c'est (5^) que les dieux la
poussèrent à suivre Paris (58). Il n'y
a point de crime qu'une telle apolo-
gie ne fut capable de justifier ; mais
j'avoue qu'en prenant le tour du sco-
liaste d'Homère , on pourrait faire
une bonne apologie. Voici ce qu'il
dit (59). « Alexandre , fils de Priant,
» partant d' Asie alfa en Lacedemone ,
» où il fît dessein de ravir Hélène qui
(54) MéYiriac, sur les Epilres d'Ovide, pag.
485 et suiv.
(55) Alexand. , v. 148. S avoir :' Thésée , Mé-
nélas, Pdris , Deïphobus et Achille.
(56) Voyez Canlérus et Meursius, sur le vers
87 de Lycophron.
(57) Voyez Homère, au XXIIT'. de l'Odys-
sée , et Enripide, dans les Troadcs , et dans
l'Andromaque , cités par Mé/iriae , sur les Epî-
tres d'Ovide, pag. 486, 487.
(58) Voyez la remarque (X).
(5ç)) In XMII lib. Odyss., cité par McYirinc ,
sur les Epitres d'Ovide, pag. 487.
534
HÉLÈNE.
j> l'avoit logé dans son palais. Mais
j, elle qui estoit bien nourrie , et qui
3) airnoit fort son mary , n'y voulut
3) jamais consentir , disant qu elle pre-
j) feroit un mariage légitime a un hon-
3) teux adultère , et qu'elle aimoit
3) mieux demeurer avec Menelaiis.
3) Ainsi, Paris ne pouvant rien avan-
» cer, on dit que Venus s'avisa d'une
» ruze , qui fut de changer la figure
3) d' Alexandre en la semblance de
3) Menelaiis , et trompa Hélène par
3> ce moyen ; car, croyant que cej'ust
>» le vray Menelaiis , elle ne fit point
■)■> de difficulté de le suivre , et d'aller
3> jusques vers ses navires , où Paris
33 l'ayant fait entrer , mit incontinent
3) les voiles au vent. Eustathius aussi,
j) sur le même livre d'Homère , tou-
j) checeste histoire, et remarque que
3> Pénélope se gouverna bien plus pru-
3) demment; car encor qu'il luy sem-
3> blast qu'elle reconnoissoit Ulysse ,
3> si est-ce néantmoins qu'elle ne luy
3> fit aucune caresse, et ne voulut
3) point coucher avec luy , jusques à
3> ce qu'il luy eust dit beaucoup de
3) particularitez , qu'il lui eust donne'
3) plusieurs marques pour l'asseurer
3) qu'il estoit vrayement son mary ,
» et qu'elle ne pouvoit estre trom-
» pée (6o). »
(K) IV' empêchèrent pas qu'on
ne lui rendit les honneurs divins,
et qu'on ne lui attribuât des miracles .]
J'ai déjà parlé du temple que les Rho-
diens lui consacrèrent. Pausanias fait
mention de celui qu'on lui fit bâtir
au pays de Lacédémone (6i). Quant à
ses miracles, il suffit de remarquer
qu'elle aveugla Stésichore, qui avait
osé médire d'elle dans ses poèmes (62),
et qu'elle lui rendit la vue dès qu'il
eut chanté la palinodie (63). Elle
donna une beauté extraordinaire à
une fille très-laide , que l'on portait
dans son temple chaque jour (6\).
Voyez l'article Achilléa, où nous
avons dit qu'elle était femme d'A-
chille dans l'autre monde , et qu'elle
(Go) Voyez les réflexion* du Critique de
Wlaimbourg , sur l'aventure d'Alcmène. Nouvel-
les Lettres, pag. 284. Voyez aussi pag. 277,
378.
(fii) Pausan. , lib. III, pas. 96.
(62) Idem , ibid. , pag. 102.
(63) Suidas , in 2T»iri'^opoc, et anle ipsum
Isocrates , in Helena: Encomio.
(f,4) Hcrodot. , lib. FI, cap. LXI.
s'y savait faire valoir. Voyez aussi Iso-
crate au panégyrique d'Hélène ; vous
y trouverez qu'elle acquit non-seule-
ment l'immortalité , mais aussi une
puissance divine , dont elle se servit
pour mettre ses frères et son mari au
nombre des dieux : de sorte que si
Castor et Pollux étaient capables de
secourir ceux qui pendant les tempê-
tes leur adressaient des prières, c'était
parce que leur sœur les orna de cette
puissance , afin de prouver à toute la
terre la métamorphose qu'elle avait
faite sur eux. Ils étaient dans le sé-
pulcre , et elle leur conféra la divini-
té. Ce qu'il y a de louable , c'est
qu'ayant conféré la même grâce à Mé-
nélas , elle voulut demeurer avec lui
éternellement. Tot/ç â.i'txqaùi m'Jh hol-
Tê^OjC-lévOUÇ Ô7T0 T«Ç 7ti7C$U>[Ai1M , i>Ç èlOUÇ
âvnyctyi' fiouMp.hr) Si wiçnv 7roitiTa.i t»v
/UiTO.CoXHV , o'utcoç ctùioi; to,ç Tiy.stç
tVApyUÇ 'iS'OùX.iV , oItS' Opo»p.'iVOVÇ V7T0 TCDV
h t» Buxâ.T'rn jiiv<fi/V£fovTa>v a-céÇtiv , OJ
TlViÇ 2tV tÙo-iCÔùi CLUTOllÇ e7njCtf.?iSî"û>VT*l.
MêTX Si TOLtlTO. MiViKO.Ce T02rtf.!/T»V X<*-flv
âsrriSoùKiv éiçi où p.ôvoii âhXcf.
KCt) 6iOV Ô.VTI 6v<lTÛ!/ /TOIW0-AO"* Ct/VOiXGV
aùrî} ko.) 7râ.piSpov ik a.7ra.MT(t tov a.iâvtt
nctTiç-Yia-cLTo. Fratres , quifatojam con-
cesserant, inter Deos retulit. Cui niu-
talioni chm autoritatem et fidem af-
ferre vellet , honores ita manifestos
eis dédit , ut in mari conspecti , péri-
clitantes servent , auicumque ipsospiè
invocdrint. Deindè Menelao tantam
gratiam retulit, ut non tanlum —
sed mortalem ejus sortent divinitate
mutârit , eumque conlubernalem sibi
et assessorem in omne œvum constitue-
nt (65). Isocrate allègue en preuve la
pratique des Lacédémoniens , qui of-
fraient des sacrifices à Ménélas et à
Hélène , non pas comme à des héros ,
mais comme à des dieux. C'était à
Thérapne qu'ils leur rendaient les
honneurs divins , comme l'observe le
même auteur. Mais Pausanias ne dit
point qu'il y eût un temple d'Hélène
dans cette ville : il dit seulement que
celui de Ménélas y était , et qu'on
croyait que Ménélas et Hélène y étaient
ensevelis {66).
Je voudrais que Théodoret se fût
fondé sur Isocrate , et non pas sur
(65) Isocrates , in Helena: Encomio , pag. m.
3 20.
(66) Pausan. , lib. III, pag. 102.
HÉLÈNE.
535
Euripide, pour insulter les païens
sur ce qu'Hélène , si fameuse par ses
adultères , e'tait au nombre des dieux ,
car encore qu'Euripide ait feint que
cette femme ne mourut pas , mais
qu'elle fut e'ieve'e au ciel par une fa-
veur des dieux , et gratifiée de l'im-
mortalité , il ne s'ensuit pas que c'ait
été le sentiment des païens. Les épiso-
des d'une tragédie étaient tellement
en la main du poète , qu'à moins d'en
savoir d'ailleurs la vérité , on ne les
Iirenait que pour la fiction particu-
ière de l'auteur de la tragédie. Je
rapporte les paroles de Tnéodorct.
K*/ T»V 'EXêVHV <Tê, /J-tTOl THV ÎT0Xt/âf!/X-
MTOV KCti Tst/«rixXHV jMOI^eïstV , TOt/ Me-
VêXsa) ^a)piV*VTsç , tiç tov oôpetvlv, H <pn-
triv Ei/piTr/tTuc, à.v»ya.yov (67).
(L) II n'est point vraisemblable que
Paris ait attendu a jouir d'elle qu'ils
fussent dans une Ue.~\ Homère qui
lui donne cette patience ne lui faisait
guère d'honneur , selon les principes
des gens galans (68). Or voici à quel
Î>ropos il conte cette circonstance de
ieu. Paris, vaincu par Ménélas, es-
suyait mille durs reproches de la part
d'Hélène. 11 la pria de ne le pas insul-
ter , et de venir au lit avec lui , sous
prétexte que jamais il n'avait senti un
tel feu d'amour , non pas même lors-
qu'il jouit d'elle, la première fois,
dans l'île de Cranaè'. Là-dessus , il se
leva de son siège pour s'aller coucher,
et fut suivi de la belle Hélène sans au-
cune répugnance.
Où yup Trou tots y. icTe hpuç <£psv*ç
elju.Qtx.x}.u*\.tv y
Ot/cT' ots <n TrpoTepov Aci.x.iS'ztp.ovoç sf
ê/Jtf/TêlVJK.
"Ettasov âpirâ.£&ç il 7rovro-7ri>ponrf vitrtn,
NitVœ <P' èv Kpctva» ipiynv <fi\0T»Ti x«J
iùvîj ,
"iîç aio vt/v 'épAy.xt , x.m.1 y.t y\vx.ùç
'IjUipOÇ UipiT.
'H pat, , Kaù otpXi Xê^o? Js xiàv, a.p.0,
<f' ÉlVêT' ixOlTIÇ.
Non enim unquhm me sic amor mentent com-
plexus est ,
Ne tune quidem quando te pridem Lacedœ-
mone ex amabili
Navigabam rapliî in Iranseuntibus pontum
navibus ,
Insuld verb in Cranae mistus sum amore et
concubilu ,
(C7) TVieodor. , Tlierapeut. , serin. III.
(68) Voyei les Nouvelles de la République
des Lettre? , ]anv. 1GS7 , pag. 68.
Sicul te nunc amo , et me dulec detiderium
capit.
Dixil, elprœibat in lectwn ascendens , simu
autem sequebatur uxor (6g).
On a donné à Jason une patience ent
core plus admirable que ne le serait
celle de Paris ; et cela fait qu'on ne
saurait voir à quoi les romanistes em-
ploient leur jugement. Ne devaient-
ils pas , sur toutes choses , s'attacher
à la vraisemblance? Et ne la violent-
ils pas, lorsqu'ils supposent, d'un
côté , que Médée est si amoureuse de
Jason , qu'elle se porte pour l'amour
de lui aux plus grands crimes ■ et de
l'autre , qu'elle passe plusieurs mois
auprès de lui sans consommer le ma-
riage ? Remarquez même qu'il n'au-
rait pas été consommé sitôt sans l'avis
qu'on donna à Jason. Quem cum in-
teiTogaret Arête , quidnam esset ju-
dicaturus , respondit sllcinoiïs , si
virgo jueril Medea , parenti reddilu-
rum : sin autem mulier , conjugi.
Hoc cum audiuit Arête a conjuge^,
mittit nuntium ad Jasonem ; et is
Medeam noctu in anlro devirgina-
vit (70).
( M ) Ménélas ne détruisit pas ce
monument.~\ Voici une chose qui dis-
culperait Homère, si elle était vérita-
ble. On prétend que sur le rivage de
la terre ferme qui est ris-à-vis de l'île
de Cranaè' , il y avait un temple de
Vénus que Paris avait fait bâtir après
cette agréable conquête.... pour mar-
quer les transports de sa joie et de sa
reconnaissance . Il donna a cette V^é-
nus l'attribut de Migonitis , et nomma
ce territoire Migonion , d'un mot qui
signifiait l' amoureux mystère qui s'y
était passé. Ménélas , le malheweux
époux de cette princesse , dix-huit ans
après qu'on la lui eut enlevée, vint
visiter ce temple, dont le terrain avait
été le témoin de son malheur , et de
l'infidélité de sa femme. Il ne le ruina
point , il y fit mettre seulement , aux
deux cotés de la statue de Vénus , les
images de deux autivs déesses , celle
de Thélis , et celle de la déesse Praxi-
dice , comme qui dirait la déesse des
chiîtimens , pour montrer qu'il ne lais-
serait pas L'affront impuni. Mais il
n'eut pas le bien de se voir vengé
(69) Homer., Iliad. , lib. III, vs. /fil. VoyeS
pag. 3ç)3 , la citation (45) de l'article du troisiè-
me duc de Guise.
(70) Hjgin., cap. XXIII, pag. m. 60.
ï3ô
HÉLÈNE.
d'Hélène : elle lui survécut (71).
L'auteur des Nouvelles de la Républi-
que des Lettres, ayant cite ce passage,
y joignit la réflexion que voici (72) :
Ces dernières paroles Jour/tiraient une
occasion de critique h qui la voudrait
chercher ; car il est indubitable que
dix-huit ans après qu Hélène eut été
enlevée , Ménélas s' était vengé aussi
Il n'était point timide auprès des da-
mes : Hélène avoue qu'il n'eût pas <;i<.
retenu comme Thése'e, qui n'avait
fait autre chose que la baiser :
Quœ^ tua nequilia est, non lus contenta fuisset.
Di melius ! similis non fuit Me lui,
Reddidit inlactam (?5j.
Paris la pressa un jour si vivement
venge aussi ?elle ifc ,a Mte - ^ ,. a|()),s
amplement qu il avait voulu parla Yyxn de ses souliers': le geu QU fl]lc
ruine du royaume de F nain , le père
duravisseur. Il est donc fort apparent
que cette image de la déesse Pra.ri-
dice ne se rapportait pas a une ven-
geance a venir , mais a une vengeance
déjà prise, et il n 'est point apparent
qu'elle eût relation a quelque dessein
de punir Hélène; cal' si Ménélas ne
le perdit était à Sparte , et fut nom*
me Sandalion , à cause de ce sou-
lier (76).
(N) Quelques auteurs disent que
Paris ne garda guère sa proie. ] On
prétend qu'il fit voile vers l'Egypte ,
et qu'il aborda à l'embouchure du
se fût point réconcilié de bonne foi
Nil , nommée Canopc , où il y avait
un temple d'Hercule qui servait d'à-
avec sa femme, il naîtrait pas allen- gile aux esclaves f îtifg Quelques
du st long-temps a la châtier. L lus- esclayes de p^ , b.^ V H s
toire de ce siecle-la porte que cette ar- firenf savoir aux pJrêlres pactiofen c^
Ufîcieuse femme fit sa paix avec son leur ma{tre ? dVj \{ ^^ ^ ^ ro[
Prote'e le fit arrêter , et lui dit bien
, la nuit même que les Gre<,„
s'emparèrent de la ville , et cela est
fort vraisemblable , après le caractère
que l'on a donné au bon Ménélas
dans l'Iliade. Quoiqu'il en soit, je
ne veux ni soutenir d'un côte' qu'il
n'y avait point, proche de l'île de Cra-
naë, un temple de Vénus Migonitis ,
ni avouer de l'autre que Paris l'ait
fait bâtir pour la raison qu'on en
donne. Je m'en tiens à la vraisem-
blance : elle porte violemment à s'i-
maginer que Paris jouit d'Hélène
avant qu'il sortît de Lacèdèmone. Qui
l'en aurait empêche'? Me'ne'Ias e'tait
dans l'île de Crète (73) : sa pre'sence
n'eut pas empêché Hélène de favoriser
le bel hôte qui lui en contait; son ab-
sence était encore plus incapable de
l'en empêcher. Voyez un peu com-
ment Paris se servait et se moquait
de cette absence :
Sed libi et hoc suadel rébus , non voce , ma-
rilus :
Neve sut furtis hospilis obslet , abesl.
Non habuil lempus , «7110 Cressia régna vide-
rel ,
/Iplius, o mira calliditate viruin ! etc. (74)*
(71) Guillet , Athènes ancienne et nouvelle ,
png. G3. Notez qu'on se sert de ses paroles , tant
parce qu'il e'crit bien , que parce qu'elles four-
nissent une occasion de critique Les faits qu'il
rapporte sont lires de Pausauias, lib. III, pag .
in!t.
(7a) Nouvelles de la République des Lettres ,
jrtnv. îfîR'; , pag. O7.
(73) Ovid., Epist. llelena-.nl Paridem. Coln-
iluis , de Raplu Hclcnae.
<-\ I Ovidius, Epist. Parid. ad Ilelcn., vs. 397.
des injures , et puis lui commanda
de se retirer incessamment ; mais il
garda Hélène avec toutes les autres
choses qui avaient été volées à Méné-
las (77). On ajoute que Paris n'avait
joui de cette femme que depuis son
arrivée en Egypte (78). C'est un conte
déjà réfuté. Je ne sais pas bien com-
ment Protée en usa , et si en atten-
dant qu'il restituât Hélène à qui elle
appartenait, il en tira les faveurs les
plus exquises (79) : je sais seulement
qu'Hérodote trouve fort probable
qu'elle ne fut point amenée à Troie ■
car il ne saurait se persuader que
Priam eût été assez aveugle pour
aimer mieux garder cette femme ,
qu'éviter les funestes suites d'un refus
(80). Il croit donc que les Troyens
répondirent sincèrement aux ambas-
sadeurs des Grecs , qu'Hélène n'était
point à Troie , et qu'il la fallait cher-
cher en Egypte où le roi Protée la
gardait (81). Les Grecs, ayant pris
(7?!) Idem, in Epist. llelena; ad Paridem, vs. 2Ç).
(■76) Ploleui Hephœst., apud Pliotium , p. 480.
17-) Tores Natalis Cornes, Mylliol. , lib. VI,
cap XXIII, pag. m. 658. Il eût dû citer Héro-
dote , et remarquer que la tempête contraignit
Paris à relâcher en Egypte.
(78) Quam ilcporlavit in JEgrptum, atqnc ihi
primum cum illa congretiut sil. Idem, ibid.
('".)) Hélène le nie dans le prologue de la tra-
gédie li'Euripide , intitulée Hélène; mais son
témoignage là-dessus est nul.
(80) Ilérod'H., lib. II, cap. CXX.
(8iJ Idem, ibid. , cap, CXVllï.
HÉLÈNE.
537
cette réponse pour une piquante mo-
querie , s'attachèrent à la guerre
contre les Troyens : mais quand ils
eurent pris la ville sans trouver Hé-
lène nulle part , ils crurent qu'elle
était chez le roi Prote'e ; (Je sorte que
Ménélas fît voile de ce côte-là , et y
recouvra sa femme (82). 11 y a une si
énorme bigarrure de variations dans
les auteurs mythologiques , que je
ne m'étonne pas que Servi 11 s ait rap-
porté (83) i°. , que Thésée ayant en-
levé Hélène la remit à Protéus , roi
d'Egypte , et que Ménélas la retira
d'entre les mains de Protéus après la
guerre de Troie , de sorte que cette
guerre ne vint point de l'enlèvement
d'Hélène par Pilris ; mais de l'injure
que les Troyens firent à Hercule , en
ne le voulant pas recevoir lorsqu'il
cherchait Hylas ; 2°. qu'Hélène fut
retirée d'entre les mains de Protéus ,
à qui Thésée l'avait remise , et qu'elle
passa au pouvoir de Ménélas , à qui
P;lris l'enleva.
J'ai oublié d'observer que Protée
ne renvoya point Paris sans lui
laisser quelque sorte de consolation;
car il lui rendit le portrait d'Hélène
(84). L'un des commentateurs de Ly-
cophron applique très-mal à cela ce
que dit Hélène dans Euripide , que
Junon , pour punir Paris qui ne lui
avait point donné le triomphe de la
beauté , fît qu'au lieu d'Hélène il
n'eut qu'une image vivante de cette
belle, laquelle image fut formée dans
les airs.
HpsL £î [/.tfJt^t.'tT , tiiïviK CÙ VIKcL Ôê«,
AiJW< ef' oÔk t/À, cthK 0/WJtâs-u.T îy.'j)
'ElJ'aShûV êjUCTVGt/V , oJs*vo«7 çuvQht' U7T0,
TlpietUiU Tl/CCtWOll TtAtii' X.&I tS'OK.il fX
KêVflV JWits-iv , OÙll. S^ftJV.
Sed Juno molette ferens , qubd non vicisset
Beat-,
Irritum fecil meum conjttgium AUxandro :
Dédit enim non me , sed assimilalam miki
Imaginent vivant, sub cœlo compaclam ,
Ftlio régit Priami : pulavil aulern se habere
nie ,
Falsd Ofiinione deceptus , cum non habe-
rel'SS).
(82) Idem, ibid.;el cap. CXIX.
(83) Servius in hœc verba Virgilii /Eneid.
Itb. XI , ts. 26a.
Atrides Proici Menelaiis adusque columnas.
(8/j) foyez Canténis et Meinsiiu sur Lyco-
phron, vers n3.
(85,) Eurip. , in prologo Helcna: , fs. 3i
r«s- 3o8.
Chacun voit que la différence entre
ces deux choses ne consiste pas ,
comme veut Cantérus , en ce que
Protée est l'acteur dans l'une , et Ju-
non dans l'autre. On peut voir aussi
que Junon oublia l'esprit de vengean-
ce dans cette rencontre : Paris était
aussi heureux avec une image vivante
d'Hélène , qu'il l'aurait été avec Hé-
lène. Je me souviens d'avoir lu que
le poè'te Stésichorc disait , que les
Troyens ne connaissant point la vraie
Hélène disputaient entre eux touchant
son portrait. "CL?7rip'roT>iç'Exî'vnçiioto:>.ov
Ctto w év Tfoiot. 2<ro?i,£opo{ <$yi?i ytvîv-
Quemadmodum Stesichonis Troja-
nos , inquït , verœ ignaros Helcnœ
de imagine ipsius invicem decertdsse
(86). C'est selon la pensée de quelques
libertins une image des disputes de
religion.
(0) On a débité bien des fables sur
la naissance d'Hélène."] On ne se con-
tenta pas de dire qu'elle était née
d'un œuf; on ajouta que cet œuf était
tombé du ciel , de la lune , et que
les femmes de ce pays-là font des
œufs d'où il naît des hommes quinze
fois plus grands que ceux qui habi-
tent la terre. Nous savons cela par
Athénée (87) qui dit, sur la foi d'Hé-
rodore d'Héraclée , que Néoclès de
Crotone l'avait publié dans quelqu'un
de ses ouvrages. Voici quelques faus-
ses citations touchant cette chimère.
Cœlius Rhodiginus (88) , au lieu d'//< -
rodore , a dit Hérodote. Cette faute
a été copiée par Salmuth (8g). Qui ne
rirait en considérant ces paroles d'un
médecin espagnol ? IVonne admira-
//Unis adhuc in totâ naturœ majestate
rarissimum , quod mulieres quasdam
produxerit, qttœ non more aliarum
J'cetus , sed ova edant ac incubent ,
ex quibus homines nascantur, qui ad
giganleam proceritatem e.rcrescant ?
J:t lumen hoc in Selenitidis mulieri-
bus accidere référant ex LycostJwne
Ravisais Tcxtor , el ex Herodoto Hc-
racleotes , ut quoque testatur Rhodi-
ginus lih. 27, cap. 17, licei pro merâ
fabula hoc habeat yldrianus Junius ,
(Sfi) Plato , de Republicà , lib. IX , pag.
m. 738.
(87) Atticn. , hb. II , cap. XVI, pag. 5j.
(8 8jAntiq. Le;., Itb. XXVII, cap. XVII,
injine.
(8i|) Salmulli. , Comment. , in Pancirolnm de
novis repertis , pag. çj3.
►38
HÉLÈNE.
]ib. 1 animad.,cap. i5, citatus apud sorte sur la base de la statue de Né-
Pancirolum part. 2 memorab. titido mésis, qu'elle semblait amener Hé-
2 histor. tamen cum icône exhibet lène à cette de'esse. Il y en a qui di-
(90). N'est-ce pas bien commencer sent (93) que Némésis engrossée par
sescitations, que de produire d'abord Jupiter pondit un œuf, et que Le'da
Lycosthène , qui vivait au XVI siècle ? ayant trouvé cet œuf le couva , et en
N'est-ce pas une étrange bévue , que fit éclore Castor et Pollux et Hélène,
de mettre Ravisius Textor après Ly- D'autres disent (94) que Jupiter , ne
costhène ; celui ci plus jeune que pouvant venir à bout de Némésis ,
l'autre , et l'abréviateur de l'autre ? fit prendre à Vénus la forme d'un
Quel saut de remonter tout d'un coup aigle , et se métamorphosa en un
à Hérodote? Quelle confusion de pren- cygne qui fuyait devant cet aigle. Il
dre Hérodore pour Hérodote ? Quelle s alla poser sur le giron de Némésis ,
fiction de nous donner un Héracléo- et y fut très-bien reçu : la belle l'em-
tès qui ait cité Hérodote ? N'est-ce brassa , et s'endormit. Le prétendu
pas trouver deux auteurs où celui cygne profitant de ce sommeil jouit
qu'on cite n'en donne qu'un ? car d'elle; et, parce qu'il le fit sous la
Cœlius Rhodiginus a dit nettement, forme d'un oiseau, l'ordre voulut
Hevodotus Hevacleoles. Quelle ma- que Némésis pondît un œuf. Mercu-
nière de raisonner est celle-ci : encore re prit cet œuf, et le porta à Lacédé-
qu'Hadrien Junius traite cela de pure mone , où il le jeta au sein de Léda.
fable , Lycosthène , Ravisius Textor , Ainsi fut produite la belle Hélène :
Hérodote , Héracléotès , Rhodiginus , ce fut la raison pourquoi Léda la
n'ont pas laissé de le rapporter? Com- prit pour sa fille. JYemesis autem ut
ment est-ce que l'autorité de ce Ju- quœ avium generi esset juncla men-
nius aurait arrêté les autres , lui qui sibus actis ovum procreavit , quod
a vécu après tous les autres , si l'on Mercurius auferens detulit Spartam,
en excepte Lycosthène? Mais rêve- et Ledœ sedenti in gremium projecit ,
nons à Hélène. ex quo nascitur Helena , cœleras
Quelques anciens poètes ont dit coiporis specie prœstans , quam Leda
qu'elle était fille de Jupiter et de suam fi liant nominavit ($5) Auso-
Némésis , et que Némésis , pour sega- ne (96) a suivi la distinction que l'on
rantir des recherches importunes de mettait entre Némésis et Léda.
Jupiter, s'enfuit par mer etpar terre , Jstos te -n0 {Q1) nasci quOS cernis ah ovo,
et se déguisa en toutes sortes de for-
mes 5 mais enfin par une force ma-
jeure Jupiter la rendit enceinte , pre-
mièrement de Castor et de Pollux ,
et puis d'Hélène.
Palribus ambiguis et malribus assere nalos.
Hos genuit Nemesis : sed Leda puerpera
fovit :
Tyndareus pater his , et Jupiter. Hic pulat ,
hic scil.
Voilà bien des auteurs pour ce sen-
Tm'v 7ron kakkIko/^o! tiif/.zriç <î>iAotmti tinrent : mais il n'y en pas moins
fjtiyuTct.
Zîïvi Ôtwv y2*a-ixî)i, TêJcsv x.pa.'rtpn; V7T
etva.yx.iic.
Auricoma. hanc Nemesis peperit compressa
tonante
Ab Jove vi (91)
qui disent que Léda fut la vraie mère
d'Hélène. Le même Hygin que j'ai
cité, ayant dit qu'il y avait aussi une
tradition , que Jupiter converti en
cygne eut affaire avec Léda , ajoute
qu'il n'a rien à répondre là-dessus ,
Nous lisons dans Pausanias (92) que , de qu0 in me(jio reHnquimus (98).
selon l'opinion commune , Hélène c'est cru'il voyait autant de raisons
était fille de Jupiter et de Némésis ;
et quant à Léda , elle n'était que sa
nourrice. Phidias , se conformant à
la tradition , représenta Léda de telle
(go) Caspar à Reies , in Elysio jucuiularum,
Quajst. Carapo , Quœst. XLVII , nitm. i4 ,
paç. m. 58 1.
ju il voyait
d'un côté que d'autre. Théon d'A-
(q3) Interpres Callimaclii, apud Hadrian. Ju-
niura , Animadv. , lib. I , cap. XV.
(f)/|) Hygin. Astronom. , lib. II, cap. VIII.
(gf>) Hygin. , ibidem.
(<)6) Auson. , epigram. LVI.
(97) Ce mut fait noir qii'Aasone parle aussi
d'Hélène , et qu'il ne fallait pas dire, comme a
(91) Tarasinus rive Stasinns in Carminé de fait Hadrien Junius, Ànimadv., hb. I, cap. XV,
Rcbus Cypiiacis , apud Hadrianuin Juniuin , Consentit et Ausouius poëta de Castore el Pol-
Animadv; , /,/,. 1 , cap. XV. liiee loquens.
(9-) Pausanias, lib. I , pas- 32. fi|s) Hygin. Astronom. , lib. II , cap. VIII ■
HÉLÈNE.
53g
lexandrie remarque que Jupiter con-
verti en cygne coucha avec Némésis ,
selon quelques-uns , et avec Léda ,
selon quelques autres; et qu'Hélène,
Castor et Pollux naquirent de l'œuf
vait citer Lucien (io5), et le scoliaste
d'Homère (106). Ce scoliaste dit une
chose que hien d'autres ne disent
pas ; c'est que l'œuf que Léda pon-
dit, et qu'elle mit dans un coffre,
que Léda pondit (99). Pausanias, qui , y produisit Castor , Pollux et Hélène
comme on l'a vu , rapporte la tradi- sans être couvé
tionqui concerne Némésis , rapporte
en un autre endroit (100) la tradition
qui concerne Léda , et il remarque
même qu'on en voyait un monu-
ment dans un temple de Lacédémo-
Pour conedier ces deux opinions ,
Junius suppose que Némésis et Léda
sont une même personne , et il cite
sur ce sujet Lactance (107) , et le
scoliaste d'Euripide et Germanieus.
[s pi
is de
ne (101); car on y voyait à la voûte Les paroles du dernier sont très-clai-
u n œuf suspendu et attaché à des ru- res. Cygnttm dicuni inter astra con-
bans , lequel passaitpour celui de Lé- stitutum eo quod Jupiter in Cygnttm
da.Isocrateparlepluspositivement.il transfiguratus evolaverit in /{hum-
reconnaît deux métamorphoses de Ju- nuntem Atiicœ regionis , ibique com-
Siter en cygne , l'une par rapport a prvsserit Nemesin quœ et Leda dici-
émésis, l'autre par rapport à Léda. tur, ut refert Crûtes tragœdiarum
Kt/xvoç ^êvi^ïvoçêiçTowçNÉjWSîrsûiçxôxîrot/ç scriplor, quœ enira est ovum , undc
x.a.r'iqv'ii' Tot/TûxTs 7râ\tv ô/zoïaiSêiç, An'- natn est Helenn (108).
<T*v ht/fAQtu<rtv. O loris figura in si- Je ne finirai point cette remarque ,
num JYemeseos confugit, atque ite- sans dire que Jupiter , qui avouait
rum ejusdem avis speciem chm liabe- pour ses fils plusieurs garçons qui
ret Ledam sibi despondit (102). Cela
étant , il n'y a nul doute qu'il n'ait
prétendu qu'Hélène naquit de la se-
conde métamorphose. Euripide, dans
la tragédie d'Oreste, assure très-net-
tement que Léda était la mère d'Hé-
lène ; et il donne à celle-ci les épi-
thètes d'ôpviâô^ovoc et de x.uKvu7rrtpoç ,
qui marquent la métamorphose de
Jupiter en cygne. Je ne me sers pas
de l'autorité de Plutarque ; car par
l'œuf de Tyndare il peut avoir en-
tendu celui que Mercure fut jeter au
sein de Léda. En effet il remarque
que cet œuf tomba du ciel (io3) :
ainsi Hadrien Junius ne devait pas
alléguer Plutarque en faveur de la
seconde opinion. Ovide a été hien
allégué , puisqu'il introduit Léda
couchée sous les ailes d'un cygne.
Ovidius quoque Ledam recubantem
facit sub olorinis alis (10^). On pou-
(99) Tlieon Alexandrinus , in Aratcis Com-
mentai-lis , apud Hadr. Junium , Animadv. ,
lib. I,cap. XV.
(100) Lib. III, pag. 97-
(101) Hadr. Junius croit sans raison que
Pausanias met ce temple dans la ville d'Amj-
clès.
(101) Isocrat. , in Helenae Encomio.
(lo3) XÔ TwS'ct.pitOV 01 TTOMTCti XS^OUCTIV
oJpstvo7r«Têç stv«.<|>t/v«.i. Plutarch. , Sympos. ,
lib. II, cap. III, pag. 637.
(io4) Hadr. Junius, Auimadv. , lib. I, cap.
XV. Voici les paroles «/'Ovide :
Fecil olorinis Ledam recubare sub alit.
Mctam. , lib. VI, M. 10g.
étaient sortis de son commerce avec
les femmes , ne reconnut pour sa fille
que la seule Hélène. Je parle des fil-
les issues de ses amours pour des
femmes. C'est Isocrate qui ledit (109).
Je laisse là ceux qui prétendent
qu'Hélène était fille de Vénus , ou du
Soleil et de Léda (110).
(P) Les inventions que l'on attri-
bue a sa plus Jîdèle servante sont
un litre d infamie .] On prétend qu'elle
inventa je ne sais quelles postures,
et qu'elle écrivit même sur cette ma-
tière. Je m'expliquerai plus claire-
ment en latin par les termes de Léo-
nicus Thomacus. Astyanassa quœ-
damnomine, dit-il (m), inter He-
lenœ ministras et famulas fiasse
commemoratur , quœ dominant a The-
seo pnmùm, posteit a Paride raptam
semper prosequuta est : hanc in Ve-
nereâ pal œstrd primant complures re-
périsse figurarum modos omnis per-
hibet antiquitas. J^oluminibus (juin-
eliam quibusdam editis de vanis con-
(io5) In Dearum Judicio , pag. 170, tom.I.
(io6) luOdyss., lib. VII,
(107) Instit. , lib. I , cap XXI.
(108) Germanieus Cœsar , m Arat.-cis Phwno-
menis, pag. m. 116.
(109) In Encomio Hclena;.
(110) Plol. Hepbœsl. , apud Pliolium , pag.
48o.
(m) Nicolaiis Leonicus Tliomrrus, de variî
Historié , lib. III, ca,,. XXXI II devait citer
Suidas.
54 <
HELENE.
cubitds generibus perscripstsse nnr- santés nations s'entre-désoleiU pen-
ratur, quam postmodkm Philenis et dant dix ans pour l'amour d'elle. Cela
Elephantis pervidgalissimœ mulieres n'est-il pas bien merveilleux? Paris
surit insequutœ, qucehujusmodide re- ayant été tué quelque temps après
bus non minus accuratc , quam tur- il s'éleva une dispute très-chaude en-
piter conscripta commentaria relique- tre ses deuxfrères , à qui se^marierait
re. Si cela est vrai, il en rejaillit avec sa veuve. Priam leur ordonna
une extrême ignominie sur la mé- le combat, et la promit à celui qui
moire d'Hélène : car il est probable remporterait la victoire. Déiphobe
que si la servante donnait des leçons se battit le mieux de tous , et eut
.1 sa maîtresse, celle-ci lui faisait Hélène (n4). L'un de ses frères (i i5)
confidence de leur eflet, et que par- fut si outré de l'exclusion, qu'il sor-
là Hélène et Astyanasse avaient tra- tit de Troie , et qu'il contribua de
vaille de concert à perfectionner ces toutes ses forces à la ruine de sa pa-
maudites inventions. J'ai lu dans trie. Cela ne prouve-t-il point qu'Hé-
Photius (na) qu'Astyanasse déroba lène,âgée de soixante ans, était encore
une ceinture brodée queJunon avait .un prodige de beauté? Lucien prou-
obtenue de Vénus , pour la donner à ve qu'au temps du siège de Troie,
Hélène ; mais que Vénus l'ôta à cette c'était une vieille femme, et pres-
servante. que aussi vieille qu'Hécube. EÏSov
(Q) Si les auteurs avaient yà.p àsi/hmv juzv tiv* naù sTri/Anx» tgv
été bons chronologues , la durée de Tpcî^HX&v , âç ùx.â.Çtiv rÔmov Bi/ya.-
sa beauté serait prodigieuse. ] On Ttpa. i7va.r t«!m* Si ttÔmv irpi^ÙTtv,
prétend qu'Hélène et Castor furent mmkicÙtiv o-XtSov r'tiç 'EkÔlC»;. Siquidem
éclos d'un même œuf. On peut donc vidi quandam candidd et procerd
supposer raisonnablement qu'Hélène ceivice , ut crg/io prognalam illam
était une fille faite quand les Argo- hinc conjicerent. Cœlerum anum Ile-
nautes allèrent à Colchos* ■ car ses cubœ propemodiim œquœvam (116).
deux frères se signalèrent dans cette Elle aurait été beaucoup plus vieille
lameuse expédition. Donnons lui qu'Hécube , s'il était vrai , comme on
vingt ans pour le moins, ce n'est pas
trop. N'abusons point de l'erreur
d'Eusèbe : j'en parlerai ci-dessous.
Prenons la chronologie la plus exacte.
On compte environ trente ans entre
cette expédition , et celle de Troie
le disait (117), qu'Hercule était le
dernier enfant de Jupiter. Notre éton-
nement sur une beauté si âgée cesse-
rait , si nous pouvions croire ce qu'on
conte , qu'Hélène par une insigne
prérogative était exempte de la dure
Hélène avait donc cinquante ans plus nécessité de vieillir (1 18) ; mais tout,
ou moins lorsque Paris l'enleva. Le
siège de Troie dura dix ans , et ce
fut l'année dernière de ce siège qu'A-
gamemnon et Acbillese querellèrent.
Or il faut rapporter au temps qui
suivit cette querelle l'admiration des
conseillers de Priam (u3) pour la
divine beauté de cette femme. Voilà
donc Hélène qui , à l'âge de soixante
ans , oblige par l'éclat extraordinaire
de sa beauté tout un sénat à confes-
ser qu'elle est digne que deux puis-
(112) Pliotius , ex Ptolem. Heplizest., p. 480.
* Joly , d'après une leltre insérée pag. 172 et
suivantes du tome XI des Jugemens sur quel-
ques ouvrages nouveaux , remarque qu'il n'y
a jamais eu ni ville ni province qui s'appelât
Colclios. La capitale de la Colcliidc se nommait
3Ea O'i Fa. Joly ajoute, au reste, que celte faute
est 'commune'à un grand nombre d'écrivains du
Suemier ordre. Klle se trouve entre autres dans
lacbel de Méziriac.
1 1 1 3) J'ai rapporté ci-dessus ce qu'il* dirent,
remarques (\) , citation (7).
le monde n'en demeure pas d'accord.
« L'on dit d'Hélène que , sur la fin de
» sa vie , toutes les fois qu'elle se
» voyait dans son miroir, elle cber-
') chait avec étonnement ce qu'elle
» était devenue , et se plaignait du
("4) 'A\i£&.vSpOV TO^êt/SêVTOÇ V7T0 <Sfl-
XoKrnTOv , Tlpla-jucç tgv cE\êvwç •j.ctywov
IVatOxov 'îQYix.i rcè à.ptçtvirtt.v'n xat/rà, f»v
/J.Ô.XVIV. Ahi^oCoç Si yivvsùoç àyUVIVol/ULi-
voç 'îytifA.iv at/TMv.'H içopiai vetpat Auxo-
typovi Scholiastes Homeri , in Iliados lib. ulli-
tnum, vs. 25i.
(n5) II se nommait Hele'nus. Voyez la Tii—
blioth. de Pliotius , aux Extraits de Conon ,
pag. 44i.
(11G) Lucian., in Gallo, Operum loin. II,
VaS- m 25«-
(117) Diodor. Siculus , lib. IV, cap. XIV.
(,i8) • • • Tnv ph 4>a.rK ipy-iv à,yipw.
Nam et teneclœ haud obnoxiam esse faina
perhibe.lur.
Quintus Calaber, lib. X, vs. 3i2.
HÉLÈNE.
54,
)> temps qui avait été son troisième pressa non sit, opininô ridicula sen-
» ravisseur, et avait enlève Hélène tentia efficitur. A uni quo remotior
>; à Hélène même.» J'ai lu cela dans fuerit raptus Helertœ , eb credïbilior
le livre d'un jésuite dont le style est erit. Contra quo propior liis tempo-
fort guindé (1 19). Un autre moderne ribus , eb remotior a Trojee excidio ,
nous va raconter ce fait presque de idebque minus credibile Helenœ tem-
la même manière (120) : Celle dont pus in hujus sœculi tfactum inilicissc.
vous parlez mérite d'être regardée Cette critique me paraît très-fausse ,
d'un œil tel qui; le vôtre, f^ous y et plus je l'examine , plus j'en suis
veiTez bientôt un autre changement surpris. Je ne nie point que la parti-
fort opposé h celui (in) qui vous a cule négative, dont la suppression
donné tant d'étonnement. C'est celui est une faute de saint Jérôme , selon
qu'un peu d'années vous feront ne- Scaliger, ne puisse faire un bon sens ,
marquer; celui qui faisait pleurer niais je ne saurais comprendre que le
Hélène a son miroir ; et le même qui sens soit ridicule quand on supprime
l'obligeait a nommer le temps son la négation ; et au contraire l'objec-
troisième ou quatrième ravisseur, car tion d'Eusébe me semble plus intel-
ie nombre n'en est pas bien constant, ligible à toutes sortes de lecteurs sans
Etrange sorte de rapt, ou l'on voit la particule négative, qu'avec cette
Hélène enlevée à Hélène même ; et particule. Le but d'Eusébe est de
celle que les trois parties du mon/le , prouver que ceux (fui ont tlit que
<///< faisaient son tout alors, recon- Castor et Pollux , frères d'Hélène,
nurent pour la plus belle de son siè- avaientété du voyage des Argonautes,
cle , chercher son visage dans une et que Thésée enleva Hélène jeune
glace de miroir qui ne lai représente fdle encore , ont mal accorde les
plus rien que daffreux. Cette pen- temps. 'Si Castor et Pollux, dit-il , ont
sée est assez conforme à deux vers été du nombre des Argonautes , com-
d'Ovide (122). ment se peut-on persuader qu'ils
Je dois avertir que si nous suivions soient les frères d'Hélène, qui fut
la chronologie d'Eusébe, nous trou- enlevée fille par Thésée plusieurs
verions qu'Hélène avait vécu plus années après ? Les lecteurs les plus
d'un siècle lorsque Paris l'enleva ; stupides sentent la force de i'obiec-
car , selon Eusèhe , l'expédition des tion sans avoir besoin de raisonner
Argonautes précéda de quatre-vingt- sans recourir ailleurs qu'aux seules
neuf ans la prise de Troie. Il a bien paroles d'Eusébe • mais si l'on sup-
vu le mécompte des auteurs grecs , pose avec Scaliger qu'Eusèbe s'est
c'est pourquoi il leur fait celte ob- exprimé de cette façon : Si Castor et
jeetion : Siinler ylrgonautasfuerunt Pollux ont été du nombre des .-4rgo-
Castor et Pollux , quomodo potest nautes , comment se peut-on persua-
eorum soror Helena credi quœ post der qu'ils soient les frères d'Hélène
mullos annos virgo rapilur a Theseo qui fut enlevée fille par Thésée, peu
(i23) ? Considérez bien la remarque d'années après? chacun voit que
de Scaliger sur ce latin : In Grœcis , pour sentir que ce soit une objection,
dit-il (124), » //«Tu) /utTciL 7ro\\x. stm il faut ôter de devant ses yeux les
■7raf9êvoç â.pn ■âZ,îrx su , qure non mullis paroles qui la contiennent , et recou-
post annis virgo capitur. Sive culpâ rir à des raisons et à des calculs que
lihrariorum , sive , quod. verosimilius, l'on trouve dans les pages suivantes ■
Hieronymi properantiâ accidit , ut "
negatio in latiiui interpretatione ex-
(119) Dans les Peintures morales du père le
Moine.
(120) La Mothe-le-Voyer , Lellre CXIV ,
pag. 14 du tome XII.
(121) Il parle d'une laide devenue belle.
(122) Fiel quoque ut in spécula rugas con-
spexil aniles
Tyndaris, et secum cur sit bis rapla , réouvrit.
Ovicl., Melamorpb. , lib. XV, ij.33î.
("i23)Euseb. in Chrome. , num. -5ti.
(124) Animadv. in Eiisebinm, num. nS6, pag.
m. 4-.
car si l'on ne considérait que les ex-
pressions d'Eusébe , on s'imaginer, il
qu'il raisonne mal , et que ce qu'il
donne pour preuve porte le contraire
de sa prétention.
Voici d'autres paroles de Scaliger
qui ne me paraissent pas justes. Il,
hoc tempore (ia5) , dit-il (126), ad
[ '5) C'est-à-dire, depuis le nombre -5<ï
(i'Eusebe : mais je m'e'tonne que Scaliger nail
/mua pnt garde fu'Eusèbe avait déjà parlé de
l'expédition ,/pi argonautes, sous te nom/ ,
(126) Aninia.l /;, I usebium , pag, ]ti.
54^
TiÉLÈNE.
excidium I/ii , anni su/it LXXIX ,
ut Helenam admodian anum fuisse
oportuerit, si Argonautica hoc tem-
pore contigerunt. Nam adidtis Cas-
toribus , Helenam quoque maturam
viro fuisse necesse est. Quod si Ar-
sonaulica hic collocentur , tempore
e-rcidii Iliaci Helena fuerit major
annorum CXX. Hoc est quod objicit
Eusebius et merilô. C'est-à-dire , s'il
y a soixante et dix-neuf ans entre le
voyage des Argonautes et la prise
de Troie , il faut qu'Hélène ait eu
plus de cent vingt ans lors de la prise
de Troie. Quelle conséquence ! Est-
elle digne du grand Scaliger? Est-il
nécessaire qu'une fille ait plus de
quarante ans, afin que l'on puisse dire
qu'elle est prête à marier , matura
viro ? C'est l'expression de l'auteur
que je réfute.
Il a beaucoup mieux réussi dans la
critique des calculs d'Eusébe ; car il
n'est pas vrai que l'expédition des
Argonautes et celle de Troie soient
éloignées l'une de l'autre autant
qu'Eusèbe se l'imagine. Mais il est
sûr qu'Eusèbe a suivi de très-fameux
écrivains ; et par conséquent je puis
soutenir que si les anciens auteurs
qui parlent d'Hélène avaient été de
bons cbronologues , la durée de sa
beauté serait prodigieuse , car elle
passerait un siècle. Voyons un peu
les calculs que Clément d'Alexandrie
a empruntés d'Apollodôre, et de quel-
ques autres célèbres historiens. Dans
un endroit (127) il nous dit qu'il se
passa trente-huit, ans depuis qu'Her-
cule eut commencé de régner dans
Argos , après l'expédition des Argo-
nautes , jusqu'à sa déification , et
que Castor et Pollux furent déifiés
cinquante-trois ans après Hercule ,
environ le temps que Troie fut prise.
C'est mettre quatre-vingt-onze ans
entre le voyage des Argonautes et la
prise de Troie , et donner à Hélène
cent ans plus ou moins, au temps que
Paris l'enleva sur le pied d'une beauté
accomplie. Dans un autre lieu (128)
ce même père fait une supputation
qui met soixante-huit ans entre l'en-
lèvement d'Hélène par Paris, et l'ex-
pédition des Argonautes.
(R) Voyez dans Hérodote le cas
(127) Clemrns Alexandr. , lib, T , Stromat. ,
pag. 3aa, ex Apollodoio.
(i28) Ibidem, pag.336.
qu'il fiiut faire d'une femme qui sr
laisse enlever.] Hérodote , remontant
jusqu'à la première origine des guer-
res qui ont tant duré entre l'Europe
et l'Asie , reconnaît les Asiatiques
pour les agresseurs , en tant qu'ils
enlevèrent lo , fille d'Inachus , roi
d'Argos (129). Les Européens (i3o) ,
qui enlevèrent la fille du roi de Tyr ,
ne le firent que par droit de repré-
sailles. Ils n'en demeurèrent point là,
ils entreprirent un second enlève-
ment, savoir celui de Médée, fille du
roi de Colchos. Ce prince leur fit
demander satisfaction de cette injure :
on lui répondit qu'ils n'en feraient
point, puisqu'ils n'en avaient jamais
reçu au sujet d'Io. L'enlèvement d'Hé-
lène fut entrepris en représailles ; et
quand les Grecs la redemandèrent, on
leur répondit qu'on userait envers
eux , comme ils en avaient usé envers
les Asiatiques qui redemandaient
Médée. Us ne s'arrêtèrent pas à cette
réponse 5 ils levèrent une grande ar-
mée , et allèrent ruiner le royaume
de Priam. Voilà ce que les Perses
faisaient valoir pour justifier leurs
guerres : ils prétendaient que l'expé-
dition de Troie leur donnait droit de
tenir les Européens pour ennemis ,
et de les traiter sur ce pied-là. Ils
désapprouvaient la violence de ceux
qui enlèvent une femme , mais ils
prenaient pour des sots ceux qui s'a-
musent à la recouvrer , et pour des
gens sages ceux qui la méprisent ,
attendu qu'on n'enlève que celles qui
le veulent bien. Quant à nous , di-
saient-ils , nous n'avons jamais eu
d'égard aux femmes que l'on enlevait
d'Asie ; ce sont les Grecs qui ont
commencé de faire la guerre pour les
intérêts d'une femme de Lacédémone.
Ta y.év vt/v dLp7ra.Çuv yuvctÏKctç, etvJ'pûv
cLS'lKUi)) loVOV VOyWlÇêlV ÙVttl,TQ <fê tt/>W*!T»
ôeio-saiv (T7rové'iiv 7Tbiï\o-a.p$a.i <rif/.aiptitv ,
àvoiÎTffiv , to cfs /nit^i/mlnv cïipnv ê^êlV Ùp-
vrttcrQtiïîcev , craxÇpovaiV JîiXa. yetp S» ot»
il fjiïi ctùrcti èCovxéttTO, oÙk aîv àpTrêiÇov-
Tu' erqiitç f/.ev <fw toc/ç ik t»ç 'Aa-înç xs-
yovtn Wipo-cLi â.p7ra.Ço/uivîa>v Tœv yuvstutSv
xôyov oùé'ivet 7r0wa-at.ro cLt. Se quidem
sentire injuriorum virorumfactum esse
raperefeminas : ametitium fiera , rap-
tis ulciscendis opérant dare : pruden-
tium autem , pro nullâ habere rap-
(tai)) Herodot. , lib. I , init.
(i'iô) C'étaient les Créléens.
HÉLÈNE.
543
tarum pulehritudinem ■. quippe quœ ,
nisi voilassent , haud diîbiè raptœ
non fuissent. Eoque suarum.fem.ina~
rumex Asidraptarum Persœ negant
ullam se habuisse rationem (1 3 1) . Il
faut placer ici cette observation d'I-
socrate : la guerre de Troie , dit-il ,
fut très-utile à la Grèce ; on y inven-
ta bien des choses, on commença de
rendre l'Europe supérieure à l'Asie.
Avant cette guerre les barbares fai-
saient des conquêtes sur les Grecs.
Hélène fut cause que les choses pri-
rent un tout autre tour , car depuis
cette guerre les Grecs enlevèrent des
villes et des provinces aux barbares
(i3a).
Il ne faut pas "oublier le passage
d'Euripide , où Péléus dit si bien
ses vérités à Ménélas. Il lui repro
che principalement deux grosses tan-
tes : la première d'avoir agi avec sa
femme comme si elle eût été hon-
nête ; la seconde, d'avoir levé beau-
coup de troupes pour la recouvrer.
Vous la laissâtes sur sa bonne foi ,
lui dit-il : et sans donner ordre que
votre maison demeurât fermée , et
qu'il y restât des valets , vous en sor-
tîtes tout comme si Hélène , la plus
méchante de toutes les femmes , eût
été bien chaste.
"AkXÙç ct<foi/X* fli/Axt? îç-icLÇ ÀlVàv,
'flç cTii y uv aux*. o-céqpov' èv <fc/-coiç ïXm>
Tla.Tœv kclk'içw.
Linquent itomum non clausam , et sine
servis ,
Quasi haberes ca<tam inulieremin œlibus,
Quœ omnium est pessima (lis)
Elle prit la fuite avec nn jeune
étranger, et vous , pour l'amour
d'elle , vous avez fait prendre les
armes à toute la Grèce : vous eussiez
du au contraire , après avoir éprouvé
l'infidélité de cette épouse, la laisser
où elle était , et payer même un
tribut pour éviter qu'elle ne remît
jamais le pied dans votre maison.
"Hï ^f«v a- à.TroTTUTa.vTsL , y.h mvttv
Sôpu,
Kajtwv iqtvùôvT', d\\ taLv clÙtov y.î-
VêlV,
(i3i) Heroiîot. , lib. I , cap. IV.
(i32) Isociat. , in Eucoraio Helen» , sub
Jinem.
(i33) Eurip. , in Anjroraacliâ , rs. 5><>3 , pag.
m. 5i8.
MirSôv Tl éivrtt, fjtn irvr' t<( Wit'.ue >.x-
Quam oporlebal le conspuenlem non movere
hastain ,
C'um invertisses malam, sed sinere ibi mc-
nere ,
Mercedemque dare praetereà , ne unqueun in
œdes eam reciperes (i34?.
Ménélas répondit fort mollement que
les aventures de sa femme avaient
été involontaires , et un coup du
ciel (1 35) , et que de là était sorti un
grand avantage pour les Grecs (i36) ,
qui avaient commencé d'apprendre
l'art militaire au siège de Troie. Cela
confirme l'observation d'Isocrate.
(S) On a fort parle du collier d' Hé-
lène.] Ménélas se préparant à l'expé-
dition de Troie , fut à Delphes avec
Ulysse pour y consulter l'Oracle , et
y consacra le collier d'Hélène. Tôté
(fi) MivsXcLoç {Jtrtv t« zraovoitf ( 1 3^) 'A5n-
VoT TOV T>iç 'EaÉvhç op/utov «tvs9«xêv «V
Aixqcïç. l'une sanè A/enclaiis Pro-
duire Irlinervce morale Ilelenœ Del-
phis dedlcavit (i38). L'oracle lui or-
donna de le faire, et lui promit par
ce moyen la punition du ravisseur.
Athénée (i3g) nous a conservé la ré-
ponse de l'oracle : elle ne contient
que trois vers , et nous apprend que
ce collier était d'or massif, et que
Vénus l'avait donné à Hélène. Lorsque
les Phocéens pillèrent le temple de
Delphes, en la 106e. olympiade, ce
collier fut une partie de leur butin ;
mais il produisit un étrange effet : la
dame qui s'en para devint une infâme
prostituée (i4o). Elle quitta sa maison
pour courir le monde avec uu jeune
Épirote qu'elle aimait ( t 4 1 )- Ce fut
(i34) Idem , ibid. , vs. G07.
(i3S) Voyez la remarque \Y) au commence-
ment.
(i36) Eurip. , m Andromaclià , vs. GSi , pag.
522.
(137) Meursius veut qu'au lieu de 7Tp OVOict ,
onlise 7TpOVX.nl , protemplari. Voyez ton Trai-
té de Regno Laconico , pag. 22 , oit il renvoie à
ses Leçons altiques , liv. II , chttp XVIF ,
louchant les deux r'pithèles de Minerve, 7rp CV01*
et rc.V'JJX.
(i38) Eustathius, al OJyss., lib. III.
(1^91 Atlien, lib. VI , pag. a3s.
(1401 Quin et principum tn Pkocide urores
quœ aurea ex Delphis monilia s ibi circumdede-
ranl , méritas impietatis panât incurrerunt.
Nain quœ Ifelenes torquem geslabat in turpitu-
dinem meretriciam prolapsa , forma elegan-
tiam prolervœ scorlaloriim libidini prostituil.
Diodor.Sicul.,ft*. XVI, cap. tXV.
(141) ithen , lib. VI, pag ?'ii.
544 HÉLÈNE.
ou une contagion bien active , ou lVpître dédicatoirc de la Vie di
une manière de punition fort peu phistes. Té<T« «ppivris/za. i-ot/To', ifiifi
digne de la ile'esse à qui Ménélas ùnktur} , x.où va. *^9h o-ct hovQiu m
l'avait consacré. Il eût fallu punir yvd/mnç, memp a npa-rlp t»s 'ETiévhs to«
par un mal physique , et non par un Aiyu^-TÎoiç qa.ppa.xaic. 11 ne me semble
mal moral, la hardiesse qu'eut cette pas que ni lui, ni Apulée parlent
femme de s'approprier les de'pouilles d'un vase particulier qui ait appai-
d'un lieu si saint. Voyez la remarque tenu à Hélène comme quelque ou-
(C) de l'article d'ÉûiALÉE. • vrage exquis. Il est visible qu'ils font
Notez qu'il y a des gens qui con- allusion à ce qu'Homère raconte dans
tent que la dame qui eut ce collier, le IVe. livre de l'Odyssée , touchant
était déjà impudique. On dit que les le népenthès; c'est qu'Hélène, pour
femmes de ceux qui pillèrent le tem- réjouir Télémaque, fds d'Ulysse, et
pic disputèrent à qui aurait le çol- les autres conviés , et pour les em-
lier d'Hélène et le collier d'Eri- pécher de faire attention à leurs mal-
phyle , et qu'il fallut en venir à la heurs , mêla dans leur vin un peu de
décision du sort. Celui d'Ériphyle népenthès, qui était un je ne sais
échut à une femme sévère, farouche, quoi d'une excellente vertu.
"Ev8' aZnr £xk Ww? 'Exlvit Aiàç \xyi~
•X'JLVlcL.
Aùrix! èip lU cTvov fiâ.Ki qâpy.ax'jV, vt-
9îv êjrivcv ,
N«7rêvS6ç <r a^oxôv ts , xazcëv étixh-
9cv â,7ra.VTUiv.
*OÇ TO HiLTCtCpO^itiV, S7THV X-ptlTtipt ,ui-
y lin.
Ibi luin alia excogilavit Helena h Jove nata.
Proiiiùts sane in vinum misil pkarmacum
undè bibeba.nl ,
Absque dolore et ira , inalorum oplivionem
inducens omnium
Qui illud deglulierit poslquhm crateri m x-
: erit (147).
qui depuis tua son mari : l'autre
échut à une femme fort belle , mais
fort lascive (i42)-
(T) et de son Crater, et du né-
penthès qu'elle fit boire a Télémaque,
fils d'Ulysse.] Le Crater était un
ouvrage de Vulcain : c'était un pré-
sent de noces ; car lorsque Pélops se
maria , Vulcain lui fit ce présent. Mé-
nélas , issu de Pélops , recueillit cette
partie de la succession , et la perdit
lorsque Paris enleva Hélène, avec
les bijoux et les meubles de son hôte.
Mais on prétend qu'Hélène jeta dans
la mer ce beau présent, auprès de jjtci^nc avait apporté d'Egypte ce
l'île de Cosj et que s'étant trouve remc(ie merveilleux : Polydamna ,
dans le filet de quelques pécheurs, femme de Théon, le lui avait en-
il s'éleva une dispute dont le dernier sc;gnt: Homère ne dit quoi que ce soit
dénoûment fut qu'on le consacra a touchant le vase qui contenait le vin
Apollon. Selon l'auteur qui m'ap- m;xti0nné , et ainsi Apulée et Pin-
te n'y considèrent que la vertu
„„pcnthès ; et par conséquent ils
ne parlent point de ce beau vase dont
Diogène Laè'rce a fait mention , je
veux dire du présent de noces que
Pélops reçut de Vulcain 1, etc. Sou-
, et voici les paroles d Apulée venez_Vous ici de ce que j'ai dit dans
(i46) : Nunquam apud eum (Home- .
prend ceci , c'était un trépied (14.J) ; iostl.ate n'y
néanmoins les interprètes (i/f4) pre'- ^n népenthè
tendent que Lycophron , Diogène
Laè'rce , Apulée , et Philostrate ont
entendu la même chose. Or Lyco-
phron l'a nommé 045) t^aotov x-p*
rum) maHno aliquo et pisculenlo me-
dicavit nec Proleus faciem , nec
Ulysses scrobem , nec Molus follem ,
nec Helena Craterem , nec Circe
poculum, nec Venus cingulum. Quant
à Philostrate , voici ce qu'il dit dans
lib. I,
(i/|2) Allien. , lib. Vl,pag. 233.
(i43) Diog. Laërlius , 1» Tlialele,
num. 32.
(i44) Mcnag. , in Laërt. , ibid. Meursius
1» Lycopbr. , pag. 272.
I i/|5) In Cassandrâ, vs. 854-
(i.'|(i; Apolog. , pag. m. 294.
la première remarque, en faisant
mention d'une coupe qu'Hélène offrit
à Minerve : et si vous voulez savoir
pourquoi je me suis servi du terme
barbare de Crater, je vous dirai que
c'est à cause que les mots verre ,
coupe , tasse , gobelet , n'expriment
point ce qu'on entendait par Crater,
au temps d'Homère. Crater estoil nu
grand vaisseau dont ou ne se servoit
point pour boire dedans , mais seu-
lement pour y mesler l'eau avec le
(147) Homcr. , OJyss. , lib. IV, 01. 2iq.
HELENE.
pin et de ce (-■aisseau on puisoit
le vin ainsi meslé avec des coupes ,
ou premièrement ils en versoient
dans des pots , et dans des chopines ,
et de là dans les tasses (i^8). Notez
que le vase dont parle Diogéne Laérce
fut jeté' dans la mer, avanl la guerre
de Troie, et que celui dont les autres
parlent e'tait chez Me'nélas depuis
cette guerre.
Je ne dois pas oublier qu'il y a eu
des savans qui ont choisi le népen-
thès de l'Odyssée pour le sujet de
leurs veilles et de leurs me'dita-
tions. Ils ont fait bien des conjec-
tures ; ils ont bâti beaucoup d'hj po-
thèses. Voyez la dissertation de Pierre
Petit, intitulée Homeri ]\epentltes ,
et imprimée à Utrecht , Pan 1689,
^/^-8°. On y trouve du ge'nie et de
la science. L'auteur parle d'un juris-
consulte napolitain , qui a traite la
même matière , et qui s'est aban-
donne' à tous les excès de l'esprit de
digression. Je rapporte cette peinture
parce qu'elle représente fort naïve-
ment le caractère de l'affectation d'é-
taler tout ce qu'on a lu , et parce
aussi que l'on y peut voir plusieurs
imaginations creuses touchant le né-
penthès. lYon morabor hic studiosos
variis quœstionibus , ut Pelrus la
Sena , an nepenthes ex eorum nu-
méro esset medicamentorum quœ chi-
mied arte parant ur, an simple* quid
et solins naturœ proprietate ejjicax.
Ut scilicet habeat occasionem , quœ
de arlis ejus origine et antiquilate
legeret , effundendi : qud in dispu-
tatione plures oneiat paginas , abuti-
turque patientid leclorum. IVec mi-
nus inanis et superjluœ operœ ar-
guendus , chm tant sollicité de gem-
marum viribus disserit , ceu non satis
ex Homeri descriptione constaret ne-
penthes plantis esse annumerandum ,
quod ipse posle'a fatetur. Citni etiam
professas non esse hominis frugi ,
tempus terere iiwestigando , an forte
hœc Helenœ potio (verba ejus refero)
pa.yix.Zc , hujusmodi curationis effi-
caciam retinuerit , multa nikilo serins
subjungit tic Magiâ JEgjrptiorum ,
veterumque medicorum incantatio-
nibus , locaque Homeri proferl et
Odyssed , quœ ad magiam perlinere
(i48) Méziriac, sur Ovide, pag, 28f>, oit il
prouve cela . el censure Amyol et Vigénère, qui
ont traduit Crater par tasse ou coupe.
TOME Vit.
545
f.ilimantur, eorum scilicet teslimo-
1110 , qui , ut Plinius lib. 3o , cap. 5o
refert, Prolea et Sireraim cantus
apud Homerum non aliter intelligi
voluerunt. Tum milita inlerponit de
cratère Helenœ , captatâ occasi, ne
sermonis <-.< guodam Cœlii Bhodigini
loco. Et quid magis iirpvrilMvm ,
'/"'"» de Clemat tiddicere,
■/no scommate Zenonem Cittiœum
solitum peti , quod procero graci-
lique etj'usco corpore esset , iradit
Laërtius ? JJis igitur (inquam) quœ
nihil ad rem altinent , prœtermissis ,
au) Nepenthes fuisse unum ,'■ terni
nascentibus ; quoddam scilicet !
aut idrgulti genus (îfo) M. le che-
valier de Meré s'imagine que le ne-
penthes n'est autre chose que les
charmes de la conversation d'Hélène.
Voici comment il s'exprime dans un
traité où il adresse la parole à une
dame. « Quoique Homère ne sVtende
w pas sur l'éloquence d'Hélène , lui
» uni parle tant de celle d'Ulysse et
» de Nestor; il ne laisse pis de faire
» sentir par un mystère de poésie
» qu'on avait du plaisir à l'entendre \
» et voici en peu de mots ce qui me
y, le donne à penser. Ulysse fut long-
» temps, après la prise de Troie , sans
» pouvoir revenir en son île d'Ilha-
» que : son fils Tèlèmaque en était
» en peine , et , pour savoir s'il était
» mort ou vivant , il alla voir Nestor
» qui ne lui put apprendre ce qu'il
» était devenu. De là ce jeune homme,
» continuant son voyage, se rendit
» chez Me'nélas , où il vil Hélène et
» soupa avec elle. Il était fut triste,
» et parce que cette princesse en eut.
» pitié , elle usa d'un charme pour
» lui faire oublier tous ses déplaisirs.
» Ce charme, dit Homère, était une
» liqueur qu'elle versa dans le vin
» a\ant que de se mettre à table,
» et ce breuvage était si puissant
» qu'après en avoir goûté, il était
x impossible de répandre une larme
» de tout ce jour-là. Elle avait en-
» core un beau secret qu'elle tenait
h de la déesse dés grâces. Vous savez
» qu'il n'y a point de dame qui puisse
» imiter le son de vos paroles : mais
» si elle vous eût observée , elle eût
» si parfaitement pris vos tons et vos
(i4fl) Pelrm Pelitiis, in Homeri Nepentlie ,
cap, III, init. , pag. 6.
35
546
HÉLÈNE.
» manières , qu'on l'eût prise pour
j) vous (i5o). »
(U) Un miracle la sauva.] Voici ce
que c'est. Une grande peste ravageait
la ville de Lacedémone ; les dieux fi-
rent savoir que la santé reviendrait,
pourvu qu'on sacrifiât tous les ans
une fille de qualité'. Le sort tomba
une fois sur la belle Hélène ; mais
comme on la menait à l'aute} , un
aigle survint qui enleva le couteau ,
et l'alla mettre sur une génisse. Cela
fut cause qu'on épargna la vie d'Hé-
lène (i5i).
(X) On a tâché d' excuser ses adul-
tères, en disant que les dieux l'y
avaient pousse e.] J'ai déjà touché ce
point (i5a) , mais il y manque quel-
que chose. Si les uns disent que Vé-
nus ménagea l'enlèvement de cette
femme , pour témoigner sa reconnais-
sance au juge qui lui avait fait ga-
gner sa cause dans une dispute de
beauté, d'autres assurent qu'elle le
fit pour se venger d'une offense. Mé-
nélas lui avait promis une hécatom-
be en cas qu'il obtînt Hélène ; mais
ayant obtenu ce qu'il souhaitait , il
n'accomplit point son vœu. Vénus
en fut indignée ; et , pour le punir ,
elle fit en sorte qu'on lui enlevât sa
femme (i53). D'autres prennent la
chose d'un peu plus haut : ils préten-
dent (i 54) que Tyndare oublia Vénus
dans un sacrifice qu'il offrit à tous
les dieux , et qu'en punition de ce
mépris , Vénus fit en sorte que les
filles de ce prince fussent bigames ,
trigames , et désertrices de leurs ma-
ris. Ce qu'il y eut de plaisant , c'est
que la même déesse , qui avait préci-
pité dans le désordre les filles de
Tyndare , lui reprocha leurs adultè-
res. On prétend que ces reproches le
touchèrent si vivement que , pour
s'en venger , il lui mit les fers aux
pieds. Pausanias ne saurait croire
que Tyndare ait été assez ridicule ,
pour s'imaginer qu'il se vengerait de
Vénus en faisant une statue qu'il
nommerait Vénus , et qu'il attache-
rait par les pieds. Mais en cela cet
(i5o) Chevalier de Méré , Discours des Agrc-
mens , pag. ii\o , éâit. de Hollande.
(i5i) Plutarch. , in Parallelis , pag. 3i4-
(i5î) Pans la remarque (I).
(i53 l'tol. HepViœst., npudPhotinm,p. 480.
(iht\) Voyei l'article liciALtE, citation (10),
loin. ) I, fiag. lui.
(i55) Voyez les Pensées sur les Comètes ,
num. i3a.
(i56) À la page 34i , 34a; à l'anne'e 387,
c'dit. de Hollande.
(iS^) Ces paroles équivoques , mais qui si-
gnifient plus nettement des reproches faits par
Venus , que des reproches faits a Vénus , ont
trompé quelques auteurs.
(i58) Voici de quelle manière il fallait tra-
duire ceci , selon Sylburgius : Nain profeclù
stolidum omnino foret , facto è cedro simulacro,
etVeneris nomiue ei indito, putare se liâc ralione
ulcisci. Pausau. lit/. III t cap XVI, ad fin.
historien ignore sa religion. 11 ne
sait pas qu'en plusieurs rencontres lis
païens ont déchargé leur colère sur
les temples et sur les statues des
dieux qu'ils croyaient être les au-
teurs d'un mauvais succès ( 1 55). Et
au fond , n'est-ce pas affronter un
prince , que de maltraiter ses por-
traits et ses statues? Songez à l'indi-
gnation de Théodose contre la ville
d'Antioclie. Rien ne lui fut plus sen-
sible que les outrages qui furent faits
à la statue de l'impératrice pendant
la sédition. Voyez son Histoire écrite
par M. Fléchier (i56). Au reste, je
vous avertis que , quand j'ai parlé des
reproches faits à Tyndare par Vé-
nus, je n'ai fait que rapporter le
sentiment de quelques modernes qui
ont été achoppes à la traduction de
Pausanias : il est sûr que le texte grec
ne porte point que cette déesse ait
fait à Tyndare de tels reproches.
Ceux qui entendent la langue grecque
vont voir que je ne me trompe pas.
Tov yap Su %<ripuv Xciyov , a>ç thv &tov Tri-
Scliç iTi(Au>piï<T<j 0 Tt/vcTapaaiç , yivio-8a.t <ra.it
6uya.Tpa.iriv iç 'AcfpoJiT»? Hytiô/u-ivoç ni.
OVuSyi , Tût/TGV <fê OJ/tTê TWV àp^JW TTfuCm-
y.a,f » yap J« 7ra.vra.7ra.0-1v tutibiç, KtSpou
7roi>i<raïi«vov 'Cûs&w x.a.1 ovc/ao, 'A^podVriiv
èt/U.iVCV, êXTTl'ÇsiV à/utuvîo-Ùat TfcV 060V.
C'est-à-dire , selon la traduction d'A-
masaeus : Nam deam ulcisci voluisse
compedibus ( sunt enim qui hoc etutm
memoriœ prodiderint ) e.y^robran-
tem (i5y) illi Jiliarum adulleria , ut
credam adduci non possum. Qul/m
enim ridiculum, siputdssel ab effigie,
quant è cedro Jecisset feneris /tonti-
ne , injectis compedibus pœnas expeli
posse (1 58) !
(Y) C'est à quoi je destine une re-
marque. ] Ménélas , répondant aux
durs reproches de Péléus , déclara
que la volonté d'Hélène n'avait point
été la cause des aventures qui avaient
HÉLÈNE.
547
traversé sa vie , mais qu'il fallait s'en si leur volonté' se porte au mal , c'est
leur faute , c'est par un choix dont
ils sont les maîtres. Ceux qui font un
autre jugement sont des personnes qui
ont étudié avec soin les ressorts el les
circonstance de Leurs actions , et qui
ont bien réfléchi sur le, prog
prendre à la volonté des dieux.
©sa>v.
Helence verb venit in œrwnnas non volens,
sed diviniùts (i5<)).
iours prête ; on y recourait d'abord.
Plutarque nous apprend cela en rap-
portant quelque.-. \ ers qui contiennent
une chose qu'un père disait à son fils,
et la réponse du fils :
Souvent, mon fils , les halnlans des cieujc
Font trébucher les hommes soucieux.
La réponse fut,
Il n'y a rien pour sa faute excuser
Si h la main que les dieux accuser.
Je me sers de la version d' A myot , et
j'observerai en passant que l'épithète
soucieux-, qu'il a mise au second vers,
est une cheville que la nécessité de
rimer lui a extorquée , et qui n'a nul
fondement dans l'original. Compa-
rez un peu le grec avec la version
peuvent résister à la force qui les
entraîne où ils ne voudraient pas al-
ler. Or c'était principalement cette
sorte de personnes qui attribuaient
aux dieux la cause de leurs mauvai-
ses actions. Files se souvenaient d'a-
voir bien considéré qu'elles tenaient
un chemin pernicieux à leur fortune.
et honteux à leur renommée, > I
voir fait bien des efforts pour effacer
la passion qui le leur faisait tenir -
mais elles sentaient encore mieux
que tous ces efforts avaient été inu-
tiles , et que la raison iu\ oquée mille
fois , que les vœux et que les pi i
avaient été un secours très-impuis-
sant. Elles concluaient donc qu'une
cause occulte , et qu'une force ma-
française , vous trouverez que i'ai Je«"'e les poussait, et les entraînait ■
raison- que s dleux j en un m°t, étaient la
„,', g , .,.. . « / cause, et des passions qu'elles sen-
„ / r raient , et des suites pernicieuses et
~v®l01' <? _, , criminelles de ces passions. Voilà le
To p^s-ov .,«■«, *.t.*t^ô«, 0«o«f. dénoûment de l'intrigue : il y a ici
MulUs homines in rébus decipiunl DU ,
Mea proies, atque dura conciliant mata.
FIL. Dixli id, nihil quo facilius dictu est,
Deos
Incusant (160)
Vous vous imaginerez peut-être que
la grande facilite que l'on trouvait à
former des plaintes contre les dieux
porta les hommes à se servir de ce
subterfuge sans examen et sans ré-
flexion , et que c'était un de ces pre- dieux. C'est à Jupiter que le poè'te
miers mouvemens qui s'élèvent dans Perse s'adresse pour lui demander la
notre âme avant que nous ayons eu grâce de faire en sorte que les tyrans
le temps de nous préparer à juger des reconnaissent la vertu , et sentent un
choses ; mais il est certain qu'en plu- noir chagrin de ne l'avoir pas su h ie
sieurs rencontres on parlait ainsi
après y avoir mûrement pensé. Ceux
qui n'examinent pas à fond ce qui se
Î>asse en eux-mêmes se persuadent
acilement qu'ils sont libres , et que Plutarquerapporte une sentence poé
(i59)Euripid.,in Androm., m. 63 > , pag. tique qui témoigne que l'on raison-
522. naît de cette manière : ceux qui cou-
(160) Plutarcli. , de audieodis Poëtis , pag.
ao , D. (161) Persins , sat. III , vs 35.
jj"c . 11 y a ICI
quelque chose de divin , disait-on ,
tout comme dans certaines maladies
du corps, qui mettaient;! bout la scien-
ce et l'expérience des médecins les
plus éclairés. Nous connaissons ce
qu'il faut faire , ce qui nous serait le
plus utile , le plus commode, le plus
honorable ; et néanmoins non, pre-
nons l'autre parti. Cela vient des
Magne paler divum , sœvos punire trrannot
Haud alid raiionr velii , c'um dira libido
Moveril ingenium fervenli tincta vmenos
Virtulem videant, inlabescantque reliclâ (161).
548
HÉLËNK.
naissent le bien ne le font pas , clone
les dieux en sont la cause. Je mets
son grec en note ( 162 ) , et voici
la traduction d'Amyot
Las ! c'est un mal envoyé des hauts dieux,
Quand l'homme sait tet void devant ses jeux
Le bien, et fait néanlmoins le contraire.
Une infinité de personnes de l'un et
de l'autre sexe , dont l'histoire n'a
rien dit, se sont trouvées dans le
même cas. L'amour leur a fait com-
mettre mille fautes dont elles voyaient
si clairement et la honte etle domma-
ge , qu'elles ont tâche' de les prévenir
Méde'e raisonna de cette façon quand en appelant la raison à leur secours ,
elle eut compris qu'elle ne pouvait et en faisant bien des souhaits de ne
ment les suites honteuses et crimi- tant qu'elles avaient un entendement
uelles de sa conduite, et que sa rai- raisonnable , et une âme libre et
son les condamnât. maîtresse de ses volonte's. Cette pre-
Concipil inlerea validas JEelias ignés, mière Conclusion les Conduisità Celle-
Et luctata dïu,postquam ratione furorem Cl qu'une causeexterne et supe'rieure
FmCernasT >'oterat,f'wira Medea repus- à toutes leurs forces les poussait : la
Nescio qùis deus obstat, ait (if>3). seconde conclusion leur en faisait
faire une troisième , qu'un dieu e'tait
V ' '. ' '■ ' .'■■■,' ' a' ' ' ' cette cause externe et ne'cessitante.
Excule virgweo conceptas peclore flammas , .. , ., . . , . .. ,. .
Si potes, infelix. Sipossem, sanior essem; Voila 1 origine de la prétendue divi-
Sed trahit invitam nova vis : aiiudque Cupido, nité de Ve'nus et de Cupidon \ et parce
Mensaliud suadet. Video meliora , proboque, pQn eprOUVe que la jalousie ,
Détériora sequor (ioi) î, • ii • iv • 1 j •
-,, t,. , „ a • 1 envie, 1 avarice , 1 ivrognerie, le de-
Me se dit a elle-même tout ce qui sirde v' nce et pleurs autres
pouvait la guérir de cette passion : ions j?ont comm*ttre mille cho-
elle se représenta 1 enornute de la * e la raison condamne , et qui
faute qu elle ferait , et il y eut des son{mème contraires aux véritables
momens ou ces images du devoir j^êts de ramour propre et que
étaient prêtes a remporter la victoire; Pon voudrait ne paS%o„1iaiter, on a
mais la vue de Jason défit aisément cru les dieux étaient les instiga.
tout ce qu elles avaient fait. teurs de ces choses. On ne les en a
Conjugiumne pulas ? Speciosamque nomma donc point accusés , parce que l'on
Imponis', Medea, tuœ ? Quin aspice quantum ne faisait nulle réflexion , mais plutôt
Aggrediare nefas; et, dum licet, effuge cri- à cause que l'on réfléchissait beau-
„. . "ien- , coup sur ce qui se passe dans notre
Dixil , et anle oculos rectum pielasnue pu- a c- i •■ • i t\-
dorque ame. bi les païens avaient eu de Dieu
Conslilerant, et vicia dabaljamterga Cupido. la juste idée que nous en avons , qui
ibat ad amiquas Hecates Perseïdos aras , 110us \e représente comme un être
Ç"aSg7bat: "mbrosum ' "crete?»e **■ te- parfaitement saint , ils se fussent ga-
ge jamfractus erat, pulsusque resederat ar- rantis de ce jugement téméraire ; mais
dori attribuant aux dieux les mêmes dé-
C"m lf^lfi^iJen'exlincia'JueJlamma re- fauts à quoi les hommes sont sujets ,
rien n'empêchait qu'ils ne crussent
que les dieux poussaient les hommes
S'C 'a,mUnis am0' ' que"1 '"'" lanS»'repu- au mai f et rendaient inefficaces tou-
Vt vide" juvenem , specie prœsenlis inar- tes *es lumières de la raison , tantôt
<it(i66). par une délectation prévenante qui
(ifo) Aï, ct'UW SA â£?ov àtScmtoic ^«ssita.it la volonté , tantôt par un
Xstx(v chagrin importun qui avait la même
'Orav tichVS T*>*9i» , rf™ suite. P,îris plaisait à Hélène: Jason
ft >m plaisait a JVledee. Elles ne pensaient
Eheu, malum morialibus divinitus point à leur union avec ces objets ,
Venit ut bonum videant , non utantur tamen. sans pressentir un contentement in-
/ rh"?T-'J' d< Lîudiend' f^iP"^ yi> E croyable : elles ne pouvaient se consi-
(\bi) Ovid. , Metain. , lib. I II, vs. o. -, , J ,v , ,,
(164) Id-m, ibid., vs. 17. aérer comme séparées deux, sans
fi65) Idem, ibid.', vs. 69. pressentir un cruel tourment. Ces
(iG6; Idem , ibid. , vs 82. impressions ne dépendaient pas de
HÉLÈNE.
549
leur liberté , et ne lui étaient pas
plus soumises que le sentiment agréa-
ble ou désagréable que Ton a en goû-
tant du miel ou du fiel. Ce que pou-
vaient faire ces deux femmes était
d'opposer à ces deux pressentimens
la raison et le devoir, faibles armes
si Paris et Jason continuent d'exciter
les mêmes idées et les mêmes impres-
sions, puisqu'en ce cas-là ils captive-
ront tôt ou tard la volonté, et lui
extorqueront son consentement, quel-
que désir qu'elle puisse avoir de n êl re
pas subjuguée , et de passer de l'a-
mour à l'indifférence. Vœux inutiles,
velléités frivoles , en présence des
pressentimens dont j'ai parlé , et dont
la cause ne vient point de nous. D'où
vient-elle donc ? Les païens avaient
beau la chercher à droite et à gau-
che, ils ne la trouvaient point sur la
terre, et c'est pourquoi ils la donnè-
rent aux dieux. Ils le pouvaient faire
en deux manières , ou en supposant
un Cupidon qui blessait le cœur , ou
en supposant que l'auteur des corps
humains en avait monté les pièces
avec un tel artifice que , par exemple,
celui de Jason pouvait exciter dans
le cœur et dans la tête de Médéc les
mouvemens des esprits , d'où dépend
l'amour machinalement et inévitable-
ment. Selon ce dernier principe, si
Hélène, si Médéc devient, amoureuse,
il s'en faut prendre à celui qui a for-
mé et arrangé les parties de leur
corps ; tout de même que s'il fume
dans une chambre quand le vent
souffle , il faut imputer cela , non pas
au vent, mais au maçon qui a fait la
cheminée.
C'était un abîme dont les païens ne
pouvaient sortir, et il fallait qu'ils y
tombassent toutes les fois qu'ils vou-
laient donner la raison de la contra-
riété qui se rencontre entre ce que
nous faisons , et ce que nous connais-
sons, et par conséquent ils y torn»
baient très-souvent 5 car la vie hu-
maine n'est presque autre chose qu'un
combat continuel des passions avec la
conscience , dans lequel celle-ci est
presque toujours vaincue. Ce qu'il y a
de plus étrange etde plus bizarre dans
ce combat, est que la victoire se dé-
clare très-souvent pour le parti qui
choque tout à la fois les idées qu'on a
de l'honnête , et la connaissance que
l'on a de son intérêt temporel. Je
veux croire qu'il y a des gens d'une
si brutale stupidité, qu'ils ne voient
point que leur vie sciait plus heu-
reuse s'ils ne nourrissaient pas dans
leur sein les passions qu'ils y nourris-
sent ; mais je ne saurais comprendre
que la plupart des jaloux et des en-
vieux ne soient bien persuadés que
l'exemption de la jalousie et de l'en-
vie serait pour eux un avantage tem-
porel incomparable, et digne d'être
acheté au poids de l'or. Une femme
jalouse de son mari ou de son galant,
un mari jaloux de sa femme ou de sa
maîtresse, sont des personnes qui
seutent très-\ ivement leur malheur ,
et qui souhaitent passionnément d'ê-
tre délivrées de ce bourreau. Elles
font tout ce qu'elles peuvent pour
chasser cette furie qui les persécute;
elles emploient pour se détromper ou
pour se tromper toutes les raisons
qu'elles sont capables de tirer de leur
esprit ; mais malgré tous ces efforts
la jalousie subsiste : elles se trouvent,
à leur grand regret, plus ingénieuses
à inventer ce qui la fomente, qu'à
inventer ce qui la peut affaiblir. Di-
sons à peu près la même chose des
envieux. Ils savent fort bien que l'a-
mour-propre trouverait incompara-
blement mieux son compte à se con-
tenter de leur condition , et à voir
avec plaisir la prospérité d'autrui ,
qu'il ne le trouve à s'affliger de ce
qu'un voisin s'avance et s'enrichit
beaucoup plus qu'eux; et néanmoins,
en dépit de ces lumières , ils se cha-
grinent, ils sèchent sur pied, quand
ils voient la bonne fortune des autres
(167); et, au lieu de s'en'réjouir comme
ils devraient faire pour leur propre
commodité, ils sont réduits à cher-
cher quelque remède dans des lâche-
tés perfides. Ils traversent, par des
médisances et par des coups de trahi-
son , les affaires de leur prochain ;
c'est par-là qu'ils tachent de diminuer
la fièvre maligne qui les ronge. Que
pouvait dire là-dessus un philosophe
païen ? Ne devait-il pas reconnaître
là-dedans une cause supérieure , et
ranger tous ces gens-là au nombre des
fanatiques , des énergumènes , des
rii>) Vides ingraloi , intabescitque viâenda
Successus hominum ; carpùi/ue et carpilur
unit ;
Suppliciumqut? stium est
Ovid.us, Metam. , lib. II, vs. 78a. Il parle ds
i Envie.
55o
HÉLÈNE.
enthousiastes , et de tous ceux en gé-
ne'ral que l'on croyait agites d'une di-
vine fureur (ifi8)? Notez qu'Ovide
suppose que la jalousie qu'Aglaure ,
fille de Cécrops , roi d'Athènes, con-
çut contre sa sœur, lui fut inspirée
par une divinité (169). Le vraisystème
des chrétiens est le seul qui puisse ré-
soudre ces difficultés. 11 nous apprend
que depuis que le premier homme
fut déchu de son état d'innocence ,
tous ses descendans ont été assujettis
à une telle corruption , qu'à moins
d'une grâce surnaturelle ils sont né-
cessairement esclaves de l'iniquité ,
enclins a mal faire , inutiles h tout
bien (170). La raison , la philosophie,
les idées de l'honnête , la connais-
sance du vrai intérêt de l'amour-
propre , tout cela est incapable de ré-
sister aux passions. L'empire qui
avait été donné à la partie supérieure
de l'âme sur l'inférieure , a été ôté à
l'homme depuis le péché d'Adam.
C'est ainsi que les théologiens expli-
quent le changement que ce péché a
produit : mais comme la plupart des
métaphores ne doivent être pressées
que jusqu'à un certain point, il ne
faut pas abuser de celle-ci ; car il ne
serait point raisonnable de dire que
dans l'état d'innocence la partie infé-
rieure était conditionnée comme elle
l'est présentement, mais qu'il n'en
pouvait arriver aucun désordre , parce
que la partie supérieure la pouvait
toujours réprimer bien à propos. Ce
serait supposer que la machine de
l'homme , en sortant des mains de
son créateur, aurait été actuellement
tournée vers les sensualités et vers
les passions condamnables; et ce se-
rait faire tort aux perfections du sou-
verain Etre.
(Z) Elle se coupa les cheveux dans
une occasion de deuil. ] Ce que j'ai à
dire sur ce texte m'a été communiqué
par un professeur de Genève (171).
Je me servirai de ses paroles. « Le
(168) Est Deus in nobis ; agilanle calescimus
Mo.
Tmpetus lue sacra" fetnina mentis habel.
n vi.lius , Faslor. lib. V I , circa init. Il parle
des poètes.
(jfig) Ovi,l. , M.t.im., lib. II, fab. XII.
(170) Voyez les Prières de la liturgie de Ge-
nève.
(171) M. Minutoli, dont on a déjà parle' dans
les remarques (I.) et CM) de l'article ^'Épicure,
om VI,pag. .,l84 tt suiv.
» sujet de la première lettre du Re-
» cueil de Jean-Michel Brutus est di-
» vertissant. Victorius , qui écrit à
» Jean délia Casa , prétend qu'Hélène
» pour témoigner son deuil sur la
» mort de Clytemnestre , sa sœur ,
» se coupa les cheveux jusqu'à la ra-
» cine , sans que cela l'empêchât d'ê-
» tre encore belle ; et monsignor délia
» Casa est d'opinion qu'elle n'en cou-
» pa que les bouts , comme l'on fait
» quelquefois pour les empêcher de
» fourcher; et on produit là -dessus
» un bout de poème fort ingénieux
» de cet archevêque , adressé au
» comte Galéace de Florimont , où le
» prélat fait une confession ingénue
» de n'avoir encore quitté le monde
» qu'à fleur de peau , et ainsi d'avoir
» imité Hélène, qui ne sacrifia au
» deuil pour sa sœur que les extré-
» mités de sa chevelure. La poésie en
» est noble.
» V t capta rediens Ilelena cum confuge Trojtî
» Lento homine , alque aniaii lenis , nimium-
que remissi ,
» Incidd in ccedem ipsum et funus prope so-
roris ,
»> Quain prœceps miseri virtus jugularal
Orestis ,
» Succisam de more comam mis sur a sepullo
» Germants cine ri , ferlur dempsisse capillo
» Vix tandem è summo paulum, ne forte pla~
ceret
*> Tonsa minus metuens Spartanis improba
mœchis.
» Haud aliter Galatcœ malis erroribus ac-
lus
•> Nuper ego, et Phrygios naulas Paridem-
que secutus
» Aufugi longé, atque idem: rediil tamen
ut mens
» Ad sese , peregrè nimiîtm remorata proten'te
« Ornamenta fugts sensim lenlèque repo-
no , etc.
Les modes des coiffures peuvent être
tellement diversifiées , qu'il s'en peut,
trouver où les agrémens du visage ne
souffrent aucune diminution par la
perte des cheveux ; mais en général
il est certain que cette perte passe
pour un accident formidable à la
beauté. Voyez la remarque (G) de l'ar*
ticle d'ANACBÉoi* , tome II, page iG.
(A A) Un auteur français prétend
quelle avait beaucoup d'esprit et d'é-
loquence , et quelle se fit aimer par-
la autant que par sa beauté.\ Cet au-
teur français est le chevalier de More.
Il prouve par deux grands exemples
qu'il ne faut pus que les femmes pren-
nent trop de confiance en leur beau-
té, ni les hommes en leur bonne mine ;
HÉLÈNE. 55i
et que c'est l'adresse et le tour de l'es- maxime est véritable (176). La beauté',
prit qui font presque /ont , pourvu sans les agrémens de l'esprit et de la
que la personne n'ait rien de cho- langue, n'est pas d'une grande force ;
quant (172). Cléopâtre lui fournit le el 51 eue fail des conquêtes, elle les
premier exemple. Elle avait peu d'é- fait à la manière de ces braves géné-
c/at, dit-il (173), « et de la sorte que raux qui subjuguent promptement
» le monde en parlait, elle n'était une province, et qui ne savent pas la
» pas si belle que d'abord on en fût garder. L'empire des belles se con-
» surpris: mais quand on venait à la serve pour le moins autant par les
» conside'rer', c'était un charme ; et charmes de l'esprit que par les char-
» ce fut par ses manières délicates mes du visage. Cesonl deux sortes de
» qu'elle tint César trois ou quatre grâces qui ont besoin l'une de l'autre ,
» ans enchanté Pour une preuve et qui se rendent mutuellement de
» bien sûre que c'était l'esprit qui
» faisait tant souhaiter cette prin-
» cesse, c'est qu'Antoine, qui pou-
» vait choisir aussi-bien que César ,
» ne la vit que dans un âge où peu
» de femmes sont encore belles , et
» qu'il en devint siéperdumentamou-
» reux , qu'il aima mieux renoncer à
» l'empire du monde que de la per-
» dre de vue. » Voici son second
exemple :
Hélène par même voie
Aux rares beautés de son corps
ajoutant de l'esprit les aimables trésors ,
Causa l'embrasement de Troie,
Si son esprit n'eût eu des charmes ,
Ce peuple n'eiit jamais voulu ,
Contre le droit des gens, d'un pouvoir abso-
lu ,
Pour la garder prendre les armes.
La Grèce ainsi l'eût oubliée
Entre les bras de son amant ;
Mais elle se souvint de son esprit charmant,
Et la guerre fut publiée.
bons offices. Certains discours fades
el ridicules dégoûteraient extrême-
ment , si la beauté de la personne ne
leur prêtait un je ne sais quoi qui les
farde. Certaines beautés du corps ne
feraient aucune impression , si les
agrémens de l'esprit ne se répandaient
sur elles. Voilà des secours récipro-
quement donnés. Mais comme l'esprit
est presque toujours le principal in-
strumentpour conserver la conquête,
et assez souvent pour la faire , on peut
prétendre que c'est lui qui contribue
le plus à établir la domination de la
beauté. Le poète qui assure qu'il ne
faut pas moins de forces pour conser-
ver que pour acquérir ,
Non minor est virtus, quant quœrere , parla
tueri :
Casus inesl Mis; hic erit arlis opus (177),
est un des plus grands législateurs de
l'empire de l'Amour, et il applique
cette sentence à l'affaire dont il s'agit
en cet endroit-ci. Il passe même plus
avant : il fait entendre que l'acqui-
sition est moins difficile que la con-
servation :
» Il y a beaucoup d'apparence, ma-
» dame , que sa beauté n'était pas
» seule, puisque i<>:is les dieux se
» partagèrent pour la donner à ceux
)> qu'ils favorisaient , et si elle n'eût
» eu que son visage et sa taille, c'eût
» été leur faire un médiocre présent.
» Je m'imagine que ce qu'ils esti-
» maient en elle de plus haut prix ,
» était l'adresse qu'elle avait de plai-
» re et de se faire aimer par ses en-
» (retiens ('74)- " Joignez à ceci les C'est aussi la pensée de plusieurs his-
parolcsdu même auteur, quej'airap- toriens, touchant les progrès des ar-
portées en faisant mention du népen- mes (179).
thés (175}.
Je n'examine point s'il a raison dans
le fait particulier de la belle Hélène ;
mais il me semble qu'en général sa
(172) Chevalier de Meré , Oi^cours des Agré-
mens , pag. 1 38 , édition de Hollande.
(173) L'a mé>ne. Voyez, ci-dessus , la remar-
que (\.) de l'article Dellius , tom. V, p. 45o.
(174) Chevalier de Meré , Disours des Agré-
mens , pag. i3g.
(175) Vans la remarque (T) , a la fin.
Nunc mihi, si quando , puer el Cylheréa ,
favete:
Nunc Eralo , nam tu nomen amoris habes.
Magna paro ; qiias possil Amor retnanere per
artes
Dicere; tant vaslopervagus orbe puer (178).
(17G) Voyez, tom. V,pag. 4"><>, '" remarque
(A) de l'article Deilids , et les nouvelle! Let-
tres contre l'Histoire du Calvinisme de Maira-
bo:irs , pag. Soi el 77.4-
(,--) Ovin*., de Aitearaandi, lib. II, vs. i3.
(1-8) Idem , ibid., vs. i5.
(1-0) Plu' est provincial» re'inere . quhm fa-
cere "Flor. , lib. H. cap. XVII. FaciWus est
qitœdam vîneere qu'am tueri. Quint. Curlillt, lih,
IV, cap Kl. Voyei les ' ommenUirej de
Freinsliémius sur ces deux passages.
552 HÉLIODORE.
HÉLIODORE , nalif d'Émèse réfuter ceux qui le diraient. Si
dans la Phénicie (a), est plus la déposition d'Héliodore était
connu par le roman qu'il corn- véritable, nous aurions là un
posa pendant sa jeunesse (A; , grand exemple de la tendresse
que par l'évêché de Trica (b) où d'auteur. Un écrivain moderne
il fut ensuite élevé. Il n'y a guè- connaissait desgeus qui auraient
re de gens qui croient qu'il ait fait ce qu'on attribue au prélat
été déposé par un synode , pour de Trica (F).
n'avoir pas voulu consentir à la
suppression de ce roman (B). Ni- (A,} Par le roman qu'il composa
f1,1 . ■ , . ' . pendant sa jeunesse. 11 a pour titre
cephore est le seul auteur qui aIW,** , et contient les Amours de
dise cela. Socrate (c) raconte Théagène et de Chariclée. On en
qu'Héliodore introduisit la cou- trouve un extrait dans Photius (i).
tume de déposer les ecclésiasti- ?; H",è' Ju§e qu'H^odore a été à
1 , , 1 égard des romanciers, ce cm Homère
ques qui coucheraient avec leurs à regard des poètes, c'est-à-dire
femmes depuis leur ordination, que l'ouvrage d'Héliodore a servi de
C'est un préjugé favorable pour source et de modèle à une infinité de
la chasteté de ce prélat. Il paraît ron™ns- f '"» sibi sequendum tempo-
A l f., . rum fabulatoves romanenses tanguant
même par son roman qu il ai- exemplum proposuerunt ad imitan-
mait cette vertu; car le héros dum, et tant verh omne.s dici possunt
de la pièce est d'une sagesse qui ex hoc fonte, quant poëtœ ex Home-
a donné lieu à des railleries as- nc0 sua?>sic ut dicam aquashau-
_, T , sisse (2). La première édition de ce-
sez piquantes (C). Le traducteur ]ui_ci est, ce me semble, celle de
de Photius n'exprime pas bien Baie, 1 534 *'• Opsopœus, qui la dé-
l'éloge qui est donné aux chastes dia, au sénat de Nuremberg , assure
„ j„ rrii ' • . j /-ii qu un soldat en sauva le manuscrit
amours de Iheasrene et de Lha- ■' , , .,,. ... i d j r <
, o , . lorsque la bibliothèque de Bude tut
riclee; car, selon la traduction , saccagée (3). Stanislaus Warszéwiczki,
il faudrait croire qu'Héliodore a chevalier polonais , est l'auteur de la
fait un roman sur les amours traduction latine qui fut imprimée à
d'un mari et d'une femme (D) , Bâle ' avec le £ec '. Pa" ,55' ■ .Amyot
v '' commença ses Versions rrancaises par-
ce qui serait tres-absurcle. Quel- cellede cet ouvrage *\ Mélin de Saint-
qu'un a prétendu qu'Héliodore Gelais, évêque d'Angoulême (*) , en
n'était point chrétien ; mais il se fl) Num ?3 f w l5, et teq,
iondesur des raisons assez faibles (2) Huet.. de Ongin. Fabui. Roman. , p. 38.
(E). M. Huet (d) ne doute point ne*| gj",1^'' ™ ^t*1"^"1"0 et J°,y fepren"
que l'auteur de ce roman ne soit f3) Voyez u Ribiiotiiéq. de Ge.»er ,fol. 3oi.
l'évêque de Trica , sous l'empire ." Lecl"c °};"ve i"e ce ne fut Pa,s le rre"
n l. , - ; 1 mier ouvrage d Amyot. Voyez son article, loin.
de lheodose; mais il ne croit i,pag. 498.
point qu'on puisse prouver que H «i Sorel a dit ce que IVrRayk semble lui
i f 1 f V I Tl taire dire, savoir que le poète Melm de àaint-Oe-
l'evêque Heliodore , à qui Saint lais a été éyêque d'Angoulême , il n'avait con-
-r » » -. 1 1 , . .. suite ni les éloees de Samte-Marihe, ni la Gallia
.ferOltie a écrit des lettres, SOlt christiana. C'est Octavien de Saiot-Gelais , père
l'évêque de Trica. Il Croit aussi »<"»rrfde Mélin, qui ., tété évêque de cette ville.
, i . Il vivait sous les rois Charles VIII et Louis XII.
qil On ne pourrait paS Solidement El plusieurs poésie de ce prélat sont entrées dans
le Kecueil , i/t-40. , golbique , imprimé suus le
(a) Heliod., JEthiop. , lib. X.subjnem. ia™ ,le, VerSer d'H™n"tr; . , .
(/.•■ Dans la Tkessalie. ll «•' *«f»«»tq«« M. Bayle a, t laisse échapper
.. , ... , une telle faute : ce ne peut être que pur une ne
(C HlSt. eccles. , lib V, cap. XXII. ces attractions auxquelles les plus habiles gens
(dj Me Origine Fr.bulartim Romanensium, SOnt sujets. En copiant Sorel (Remarques sur le
}"g. 00. Berger extravagant, liv. XI II, pag. 477) , d'où
HELIODORE.
553
a mis une bonne partie en vers fran-
çais (4). Les notes de Jean Bourdelot,
sur ce roman , sont très-doctes ; elles
furent imprimées à Paris, l'an 1619,
avec le grec d'Heliodore et la traduc-
tion du chevalier polonais.
(B) II n'y a guère de gens qui
croient qu'il ail été déposé par un sy-
node pour n'avoir pus voulu consentir
a la suppression de ce roman.] Nicé-
phore conte qu'un synode ayant don-
ne' à opter à Heliodore , ou de brûler
son roman, ou de renoncera son évê-
che' , l'auteur aima mieux cesser d'être
e'vêque que de jeter au feu son ou-
vrage (5). Cela paraît fabuleux : une
chose aussi singulière que celle-là au-
rait e'të rapportée par plusieurs his-
toriens , et ce ne serait pas Nice'phore
seul , homme crédule et de peu de ju-
gement, qui nous l'aurait conservée.
Quœ omnia eo me facile reducnnt , ut
dijffidam iis maxime quœ addit Nice-
phorus , scriptor credulus , sapientiœ
et fi lei non satis spectatœ , synodum
scilicet provincialem cognito periculo,
in quod lectio fabulœ hujus , cui au-
toris sui dignitas tantkm ponderis et
autoritatis dabat ,juvenes, suapte na-
turâ ad id propensos et quasi mitan-
tes impelleret , eam ipsi conditionem
obtulisse , ut aut opus suum flammis
abolerel, aut sud dignitate cederet ;
rumque , quod ultimum erat , prœtu-
lisse (6). Socrate aurait-il pu s'en taire
il a tiré cela , il n'a point pris garde que cet
auteur s'était trompé; car autrement il en aurait
averti, selon sa coutume- Sorel ne l'a peut-être
lait non plus que par inadvertance; mais c'est
toujours un grand défaut, puis ue, outre M. Bay-
le , cela a fait tomber dans la mêm<> erreur ,
nor.-seuleraent l'auteur des Essais de Littérature
(tom. If, pag. 3o4, 3o5, édition de HAlande),
mais même le célèbre M. Fabricins (Biblioth.
Grsecjs tom. VI, pag. 787). Au lieu de Mélin
de Saint-Gelais , il fallait dire Octavien de Snint-
Gelais , son père , qui a été en effet évêque d'An-
goulême( Sammarth. , Elo^ior. pag. 3gl, et qui
est celui dont on a voulu parler. Au reste, ni
Du Verdier (Bibliothèque française, pag 928),
ni la Croix du Maine ( Bibliothèque française ,
pag- 364 ) , ni aucun autre auteur , que je sache,
ne fait aucune mention de CPtte traduction en
vers d'une partie des amours de Théagène et de
Chariclée, et Sorel e»t peut-être le ;-eul qui en
ait parlé.
Par occasion, je remarquerai que, dans les In-
cunabula typographie de heughem. pag. i~fi ,
on a métamorphosé cet Octavien de Saint-Gelais
en Oclavuus de Saint - Gervait. C'est étrange-
ment défigurer les noms. Rem. cb 1 r.
(41 Sorel , Remarques s ir le XIIIe. livre du
Berger extravagant, pag. <>S5
(5) Nicepbor. , llist . ,' l.b. XI l, c. XXXIV.
tfi) Huetius, de Orig. Fabul. Roman. , p. 30.
dans l'endroit où il remarque qu'Hé-
liodore avait compose' des livres d'a-
mour pendant sa jeunesse ? Ou >.!■) îtsli
t'jVïi/j.o.'tx ipmTHUL jéiGxiài , a. véoc»v =tï>'s
x.a.1 AiSiotix* Tf'iTnyhpturt : Cujus no-
mine circumferuntur amalorii libri
(/nos Me dum juvenis esset composuit:
et Ethiopicos inscripsit (7). M. Valois,
tmn content de rejeter comme une
fable ce que Nicéphore débite , ne
croit pas même que ce roman ait été
fait par Heliodore lYvèque. Voyez
ses notes sur cet endroit de Socrate.
Voyons ce qu'a dit l< sieur Sorel. Je
ne saurais croire au? Heliodore fût
évêque , et qu'il au été si sut que d'ai-
mer mieux perdre son évéche que de
brûler son livre, selon le choix q ne
l'on lui donnait. Ce sont de petits
contes faits a plaisir ; car si son livre
était si scandaleux que l'on ne lui
voulût pas donner la licence de le
mettre au jour, l on n'eût pas laissé
de le d< fendre , quand il eût quitté sa
charge , tellement qu'il eût été frus-
tré de son attente (8). Cet auteur au-
rait mieux fait d ■ donner son juge-
ment non raisonné ; car la raison qu'il
avance ne vaut rien : la condamna-
tion d'un livre par un synode n'em-
pêche pas qu'il ne soit lu , qu'il ne
soit connu , et qu'il ne reçoive les
éloges qu'il mérite ; et par conséquent
Heliodore n'aurait pas été frustré de
son attente , quand même les évoques
qui lui proposèrent l'alternative au-
raient condamné son roman. Le père
Vavasscur a raisonné d'une fanon plus
solide , quand il a dit qu'il n'était
plus au pouvoir d'Heliodore de sup-
primer son ouvrage; d'où il faut con-
clure que les évèques ne lui proposè-
rent point le choix dont on parle.
Qu'en pouvait-il résulter «à l'avantage
des bonnes mœurs? Neutrum , quan-
tum opinio mea est , verè dicitur.
JYeque lata episcopo conditio tant
pvœpostera , tamque gravis : neque
ab illo accepta , aut repudiata quoquo
modo: quod ipse , qui narrai , abundè
narratione sud refellit. An verù fuit
in polestate Heliodori , ut abolerel
igni , ne perderet opus suum , aut
omninb suppressum teneret , quod
juin exîsset in vulgus , et manibus
omnium evolveretur, quodque juven-
(7) Socrat., llist. eccl. , Ub. V, cap. XXII.
(S) Sorel , Remarques sur le Berger extrava-
gant, Ub. XII f . y:< .
55[ HÉLIODORE.
tus periculo aliquo , damnoque mo- baiser son amant , et qui rcçoif un
rum , ut vult JVicephorus , legendo soufllet de lui pour récompense de
contrivisset (9) ? Il ajoute que le père cette faveur, n'csl-elle pas un person-
Pétau ne trouvait point digne de foi nage ridicule en ce pays-là ?
cette narration de Nicéphore. Voilà comment je finis cette remar-
(C) Le héros de la pièce est d'une que dans la première e'dition de ce
sagesse quia donné lieu a des raille- Dictionnaire. Je supposai que M. Gué-
ries assez piquantes.] Lisez un peu ret, ayant fait paraître beaucoup d'es-
cet endroit du Parnasse Réformé 5 prit et de bon goût dans son Parnasse
c'est Théagène qui parle: « Si l'on Réformé,n'avait point pris pour le fon-
» avait rapporté fidèlement les ebo- dément de ses railleries un mensonge
» ses comme elles ont été faites , je de son invention ; car rien n'eût été
» n'aurais pas sujet de m'en plain- plus contraire que cela aux lois de la
» dre , je laisserais mon romaniste critique et de la satire (1 1). Le croyant
» en repos ; mais on me dépeint com- donc incapable de cette faute , je ne
» me un insensible; on m'attribue doutai point que le fait ne fût tout
■» cette sotte pudeur qui s'offense des tel qu'il le rapportait ; et de là vint
» moindres libertés , et l'on aime que je ne pris pas la peine d'exami-
» mieux que je donne un soufflet à ner l'original. Mais M. du Rondel n'eut
» ma maîtresse, que de permettre pas plus tôt lu la remarque (C) de cet
» quelle me baise. C'est à moi , in- article , qu'il m'écrivit que la chose
» terrompit Chariclée , à me plain- ne s'était point passée comme le dé-
» dre du soufflet dont vous parlez : bite M. Guéret ; il me marqua les
» s'il y a de la honte à l'avoir donné, circonstance de l'action , et me fit
» il y en a plus encore à l'avoir rc- voir que Tbéagène ne méritait aucun
» eu ; etla réparation que vous pour ■ blâme. Je viens de lire l'endroit où
» riez prétendre contre Hc'liodore Héiiodore récite cette aventure , et je
» me regarde toute seule. » Voici la me suis convaincu par mes propres
réponse d'Héliodore : Le soufflet qui yeux, que M. du Rondel a raison , et
vous est sensible est la preuve de vo- que l'auteur du Parnasse Réformé
tre pudeur, dit-il en, regardant Théa- trompa le public, et s'émancipa à
gène , c'est l'effet d'une sagesse qui des railleries qui méritent beaucoup
vous est avantageuse ; et par-là j'ai mieux d'être appelées des impostures.
conservé celte bienséance ou m'enga- Théagène et Chariclée , séparés l'un
geait la dignité de mon caractère. Il de l'autre par ces coups bizarres de
est vrai , reprit Théagène, que pour la fortune qui sont si fréquens dans
un évéque (ïo) vous avez bienfait vo- les livres romanesques , s'étaient ap-
tre personnage en cet endroit ; mais proches de Memphis en même temps.
vous l'auriez encore mieux représen- Ils n'avaient rien concerté ensem-
té , si vous aviez brillé votre roman , ble , ils n'avaient point tenu une mê-
ou si vous n'aviez jamais eu la peu- me route : le hasard fit que Chariclée
sée de le composer. Les amans n'ont arriva proche de la ville lorsque
que faire des vertus épiscopales , et Théagène marchait autour des mu-
les évéques ne s'accordent pas bien railles , pour une occasion qui four-
avec les libertés des amans Une chas- nissait un grand spectacle aux habi-
telé vesta'e sied mal aux héros , et tans. Elle le reconnut de fort loin ;
leur amour doit être détaché de lou- car , comme l'observe Héiiodore , les
tes ces formalités scrupuleuses qui en yeux des amans sont fort subtils (12).
arrêtent les nobles transports et les Elle sentit tant d'émotion à la vue de
emporlemens agréables. Il est remar- , , „ c ■ rr\ 1 n
'., ,0 ., (il) Confer quœ supra, remarque (L) de l ar-
quable qu on suppose que rauteur ticle Coiosués, tom. V, pag. 242.
n'eut rien à répondre à la plainte de (I3)'0|«5 yâ-p ti npo; imyvtDriv tpurt-
Chariclée. Et en effet , que peut-on K$v £i,,{j Ktt-, w'VV(ti ^kkIkh x.ù «re-
dire contre un reproche si bien ('on- ^A pivor x-h Trôppœâêv » x.h Ix. vàraiv
dé ? Une héroïne de roman qui veut Tj? S^oiothtoç tjiv Qttvr*<r!a.v ?ra.piçY\a-M.
Acrïs est enim in cognoteendo amiinlium as-
(ty) Vavassor, rie Indicrâ Dictione, pag. i5o. peeltis , sœpihsque moins tanlum et lialntus,
(10) Il n'est pas vrai çu'Héliotlore fût évéque quamvis e longinquo, aul eliam a tergo , suni-
lorsqu'il composa ce roman. Il le composa dans liludinis oplnionem prtebuil. Il cliojor. , lib.
ta jeunesse, comme Socr.ite l'assure. Vil , paç. 3 1 1 , edit, Paris. , iGmj.
HÉL10D0RE. 555
cet objet, que, comme si elle eut été roman sur les amours d'un mari et
piquée du taon , elle courut avec lu- d'une femme. ] Voici les paroles du
reur vers Theagène , et se jeta à traducteur : Uramatis hujus argu-
son cou sans dire mot. Elle était mentum auctori prœbuére Tluagenes
fort mal habille'e , et avait le visage et Chariclea caste inter se ac pudicè
tout barbouillé, de sorte qu'il la prit amantes , citm ullro citroque jactati
pour une coureuse , et la repoussa , errârunt, et capti etiam iilemtidem ,
et ne pouvant néanmoins s'en débar- fidem tamen conjdgalem constanter
rasscr, il lui donna enfin un soufflet, servârunt. 11 y a là un tamen qui ne
XcLplicKtia..... wôffcoôsv àvxyvufirsLTu. rov vaut rieu , et qui est une addition
©ïci^êviiv aia-Tê/) o»Vf»94Îî-£i ùtto tÏç du traducteur. Pbotius n'a pas assez
o4«û>c, £//jU*vi)c \ir olÙtov Ura.r xai m- mal raisonne pour dire qu'encore
fi^t/s-A toû «.v^êvoç ÀTrfi'^ fixera ko.) que la mauvaise fortune ait fait errer
iÇriprMTù, xst/ j/oeooK Tis-i xstT«T5ra.^6To Theagène et Chariclée en divers
ôp'vsi;' c S%, oiov ukïç, o^iv Te pv-rÛTsiv lieux , et qu'elle les ait rendus cap-
xcl'i Trfoç ro a.irXp't>Ttpw ïvnir»S'tv/AiY»v tifs , ils n"onl pas laissé de s'abstenir
[iVa'v] acti ia-'inra. rt'Tf.iiX.u/utvriv , nati d'un nou\<i engagement d'amour.
Mtrfppa)-) .Zislv , ôcTTrtp Ttvct w à.yîifju- Chacun coin prend que cette vie agi-
a-ôùv Kcti ÀA»6âf àxMTiv, <fiœô«ÎTo xa* Ta.- tee , et quelquefois prisonnière , que
pnyKaiviÇi'ro' Ktti t'imç l^raS» où jutSiii, ces deux amans ont menée, est plu-
cèç hoXxoûs-itv Keù th hitL t»v ay.<f>î Ka- tôt une raison pourquoi le héros n'a
xiripiv ij.'.Tr^S'mi lça./w.év»v , nxi Snppin-i- pas changé de maîtresse , ni L'héroïne
o-êv. Chartclia citm è longinquo de galant, qu'une raison pourquoi
cognoinsset Theagenem lanquam ils aient conçu de l'amour pour un
icta illius aspectu , furibttnda ad ip- autre objet. L'infidélité est moins sur-
sum fertur, et hœrens in amplexu, è prenante dans la mollesse d'une vie
collo nulld voce édita pendebat, lugu- tout-à-fait tranquille et comblée de
bribusque quibusdam lamentis eum prospérités. Mais la principale faute
salutabat- ïlle autem , ut est verisi- du traducteur est de dire qu'ils gar-
mile , fiiltum squalidum , et ex in- dèrent exactement la foi conjugale.
dustriâ contaminatum et pollution ui- Comment, cela, puisqu'ils n'étaient
dens , et western l'i/em ac lacérant , pas mariés? Ils ne se marient selon
veluti aliquam ex circulatricibus , et la coutume qu'à la fin du livre. C'est
refera vagabundam rejiellebat , ac la queue du roman d'Héliodore. Voyez
rejiciebat : et ad extremum, cùm non en note la vraie version des paro-
desisteret , tanquam sibi moleslœ et les de Photius (i5). Il y avait long-
spectaculum illud Calasiris impe- temps qu'Opsopœus avait fait la faute
dienti , etiam alapam infli.rit (i3). que je censure. Conjdgalis amoris ac
Mais dès qu'il eut reconnu que c'était fidei et constantiœ pulcherrimum
sa chère Chariclée , il l'embrassa ten- exemplarin Theagène et Chariclea
drement (i4)- H est aisé de conclure adumbravit (16).
de ce récit que le réformateur du (E) Quelqu'un a prétendu qu'Hé-
Parnasse a changé toute l'espèce du liodore net, ut point chrétien; mais
fait , et que toutes ses railleries de- il se fonde sur des raisons assez fai-
viennent par là insipides et absurdes, blés. ] La première est qu'Amyot a
Chariclée , je l'avoue, reçut un souf- dit que Phi/os/rate fait mention d'un
flet ; mais on ne peut pas prétendre sophiste appelle Heliodore , et que
en bonne justice que Theagène don- l'on a cru que c estait de cettuy-cy
na un soufflet à Chariclée ; il croyait qu'il parloit. La seconde que cet au-
frapper une de ces femmes que nous .,. , ~ . - . . , ,„
nommons Bohémiennes. Appliquez à v (lV hr'v uu™ * ™ tf*/*?™ "™9^
tout ceci ce que les jurisconsultes et X*/,?M'* **' ©«>?w > ™*f»*t ***»-
les casuistes observent touchant IV r , r » ' „ /s
gnorance qui disculpe. ' T
(D) Selon la traduction , il fan- T££genes eL CharJea pud.ee inter sr aman-
ffrait croire qil Heliodore a fait un tes , et eorum errores , ac caplh-ilas omnimoda,
et custodia castttatis. Pholius, ninti. "3, pnc.
(i3) Heliodor., lib. Vit, paS. 3n, ed.t. Pa- i5j.
ris. , 1619. (16) Obsopsus , episl. dedicat. , apud Ges»
(■4J Idem, ibid., pag. 3ia. ner. , Bibliolh. , folio 3oi.
556
HÉLOÏSE.
theur mettant a la fin de son livre de leurs ouvrages , qu'ils aimeraient
qu'il est Phœmcien, natif de la ville miens perdre les meilleurs bénéfices
d'Emessa , et de la race du Soleil , du royaume , que de renoncer à la
nous oste l'opinion qu'il soit dires- louange qu'ils croient avoir méritée
tien; car il n'y a point de doute par leurs romans. Cujus tamen fac-
qu'un chrestien , et un evesque de tum ne magnoperè viluperetur , aut
surplus , seroit insensé s'il alloit dire ne reprehendatur ex toto , nonnulli
qu'il seroit des descendans de l'astre obstanl , quos ego scio , si islo loco
qui nous donne le jour (17). Il n'est essent , fieretque potestas eligendi ,
pas besoin que je dise que la pre- hoc idem et ampliùs facturos ; tales-
mière raison ne prouve rien : la se- que parlas ingenii , qualia Heltodon
conde a plus de force ; mais elle n'en jEthiopica sunt , non Thraciœ modo,
a pas assez pour établir une bonne sed opimis Galliœ sacerdotiis omni-
preuve. Il est sur que plusieurs chre- bus anteposituros , et loco graduque,
tiens du IVe. siècle faisaient men- et qudvis dignitate cessuros potiks ,
tion de l'antiquité de leur noblesse quàm laboris , et industriœ , et bonas
(18) Pourquoi donc ne croirions- existimationis fructum hune qualem-
nous pas qu'He'liodore a fait mention cumque amitterenl (20).
de la sieune? Il n'a point cru qu'elle . . ,, ,,■,-»„■•
dût son origine au soleil , mais il a (2o) Vavassor> de ludic'a D,c,lone> W >5°.
pu croire qu'il la devait caractériser HÉLOÏSE , concubine et puis
par la : c était un titre qui la distin- r j rr al'i J i-
guait depuis long-temps, et qui lui femmede Pierre Abelard , reh-
faisait honneur; et quoique le prin- gieuse et puis prieure d Argen-
cipe fût faux , on en pouvait tirer teuil , et enfin abbesse du Para-
des conséquences avantageuses à- sa c]et a trop faJ;t parIer d'elle
famille , par rapport à 1 ancienneté'. . • 1
Cela pouvait faire qu'un cLrétien dé- pour ne mériter pas un article
siguât ainsi la noblesse de son extrac- un peu étendu dans cet ouvrage,
tion. Joignez à cela qu'Héliodore n'é- Elle avait un oncle maternel
tait point e'vêque quand il composa nomnié Fulbert (A) , qui était
son roman. 11 était dans les premiers 1 • j n • * ■ 1» •
fu„„ j„ o„ • .- ™™ 1 chanoine de Fans , et qui 1 ai-
teux de sa ]eunessc ; et comme il ne . . li-
se nomma point, il pouvait plus li- mait tendrement. Il prit un soin
hrement désigner sa race suivant la extrême de la faire bien élever;
vieille tradition de sa famille. et comme eHe avait beaucoup
(r) Un écrivain moderne connais- u -. 11 1 • . j
sait des gens qui auraient fait ce d esprit elle devint en peu de
qu'on attribue au prélat de Trica. ] temps Si habile , que sa réputation
L'écrivain moderne dont je parle est vola par tout le royaume (B).
le père Vavasseur. Il ne croit point Elle était d'ailleurs assez belle
ce que JNicephore raconte : cela lui ,n\ n i« <
paraît badin , soit qu'on le rapporte (C)' J1 ï avait en C? temps-la a
à ceux qui proposent une telle alter- Paris un fameux docteur , qui
native , soit qu'on le rapporte au faisait des leçons publiques avec
parti choisi (19). Néanmoins il assure une réputation surprenante ; c'é-
tait Pierre Abélard , le plus sub-
til dialecticien de son siècle , et
celui qui a commencé à mettre
en vogue la philosophie et la
théologie scolastiques. Il jouis-
sait de tout l'éclat qu'un homme
de sa profession pouvait souhai-
ter : il avait un nombre infini
de disciples ; il passait pour un
très-grand maître ; il gagnait
qu'il connaît des gens si amoureux
(il) Sorel , Remarque sur le livre XIII du
Berger extravagant, pag. C85.
(iH) Voyez une Dissertation de Balzac, a la
.suite du Sociale chrétien. Vous y trouverez entre
autres choses que saint Jérôme fait descendre
tf Agamemnon sainte Punie, et que Synésius se
glorifie d'être descendu d'Hercule.
(19) Lepida ver'o oplio data prœsuli , utr'um
salvum vellety jocularemne librum ,quetn scrip-
sissel o/au, an amplissitnuin sacertlolium. cui
tum preeesset. Lepidius eltam judiciutn et elec-
10 episcopi , sacra dignilaiis facturé commune
elpervagatum tcriploris nomenredimentis. Va-
vassor, do ludicrû Dictiouc , pag. i$g.
i
HÉLOÏSE. 557
beaucoup d'argent ; mais il ne l'oncle(G), et le trouva d'abord in-
faisait point l'amour : il crut crédule, tant il avait compté sur
cjue cela faisait une brèche con- la sagesse d'Abélard et sur celle
sidérable à sa fortune. Afin donc d'Héloïse ; niais à force de revenir
que rien ne manquât à son bon- àla charge on dissipa l'incrédulité,
heur, il conclut qu'il deviendrait Le prétendu précepteur sortit de
amoureux, et il choisit Héloïse chez le chanoine. Il en fit aussi
pour sa maîtresse. Nous avons sortirHéloïse quand il sut qu'elle
dit ailleurs (a) les raisons qui le était grosse; et , la déguisant en
portèrent à faire ce choix , et nonne (ù) , il l'envoya en Breta-
cominent il se fourra chez le gne chez unedeses sœurs, où elle
chanoine , sur le pied de précep- accoucha d'un garçon Fulbert
teur domestique. Le bon homme conçut une furieuse colère con-
Fulbert avait espéré que, sous tre Abélard , qui se tint sur ses
un tel maître, Héloïse s'avance- gardes, non sans espérer qu'on
rait dans les sciences avec une n'oserait ni le tuer , ni lui cou-
merveilleuse rapidité, mais il se per quelque membre, pendant
trouva qu'elle n'apprit qu'à faire qu'on craindrait les représailles
l'amour. Sa docilité sur ce cha- sur Héloïse. Pour se tirer de
pitre fut incomparable; on lui tout embarras, il promit à i'on-
fit faire tant de chemin en peu cle d'épouser celle qu'il avait dé-
de temps, que son maître passa bauchée , pourvu que le mariage
bientôt de la première faveur à demeurât secret. Il eut toutes
la dernière; et cela sans qu'on les peines du monde à y faire
s'avisât de lui demander aucune consentir Héloïse, qui lui allé-
promesse de mariage. Abélard gua mille raisons pour le dégoû-
s'en donna de telle sorte au cœur ter du lien conjugal (H). Elle
joie (D) , qu'il se négligea dans avait conçu un amour si chaud
ses leçons. Il avoue lui-même et si effréné , qu'il étouffa dans
qu'il ne gardait aucune mesure son âme tous les sentimens de
et qu'il se plongeait dans ces l'honneur(I) ; etil jeta de si pro-
plaisirs sans distinction de temps fondes racines, et démonta de
et de lieux (E) , sans distinction telle sorte son esprit , qu'elle
de jours de fête et de jours ou- n'en guérit jamais (K). On eut
vriers , de lieux saints et de lieux beau mutiler le pauvre Abélard
profanes; qu'il n'inventait plus (L) , elle eut beau prendre le
rien en philosophie , et que lou- voile , il lui resta toujours un
tes les productions de son esprit grain de cette folie (M) : et ce
se réduisaientà des vers d'amour n'est point par les Lettres Portu-
(F). Ses écoliers allèrent bientôt gaises qu'on a commencé de
au fait, en cherchant la cause connaître qu'il n'appartient qu'à
du relâchement de ses leçons, des religieuses de parler d'amour
La médisance courut prompte-
menl nar tnntP In villp pI enfin {b) N6sti etia'" '/"a'"l° te gra»idam in
mem pai toute la wue, et ennn meam transmisi patriam, sacro te habiiu
elle parvint jusqu'aux oreilles de intlutam montalem tefnxisse , et tali simu-
latione tuce quam mine habes religioni ir-
(a) Dans l'article AnÉLARD lom, ■' pag, reverenter Ulusisse. .-Vbwl. , epist. ad Hel.
49- Pa3- 10.
558 HELOÏSE.
ïl y avait long-temps que les encore plus de lamentations que
lettres d'Héloïse étaient une les autres. Les femmes se distin-
preuve de cette vérité. Quoi guèrent par leurs plaintes très-
qu'il en soit, cette amoureuse amères (0). On lui écrivit des
créature employa vainement tout lettres de consolation très-cu-
son esprit , et toute son éloquen- rieuses (P). La justice punit sé-
ce , à déconseiller le mariage à vèrement cette action ( Q ) ;
Abélard. On les épousa en secret; mais tout cela n'empêcha point
mais elle nia toujours avec ser- qu'Abélard, accablé de honte et
ment qu'elle fût sa femme (c), inconsolable , ne s'allât confiner
Cette conduite la fit maltraiter dans le monastère de Saint-Denis,
par son oncle, qui, pour couvrir après avoir donné ordre qu'Hé-
le déshonneur de sa famille , pu- loïse se fît religieuse à Argen-
bliait en tous lieux le mariage, teuil. Nous avons dit ailleurs ce
encore qu'il eût promis à Abé- qu'il devint depuis qu'il se fut
lard de n'en rien dire. Les mau- fait moine , et comment il fut
vais traitemens , à quoi Héloïse condamné à jeter lui-même au
était exposée chez le chanoine feu un livre qu'il avait écrit, etc.
Fulbert, firent prendre la réso- La perte de cet ouvrage l'affligea
lution à son mari de la tirer de encore plus que n'avait fait la
ce logis , et de l'envoyer chez les perte de sa virilité (R); et néan-
religieuses d'Argenteuil où elle moins quand on perd un livre
avait été élevée. A ce second en- on en peut recouvrer un au-
lèvement toute patience échappa tre , ce qui n'a point lieu dans
aux parens de cette femme : ils l'autre cas (S). Pour ce qui est
conçurent une manière de ven- d'Héloïse, elle devint prieure
geance fort exquise , et l'exécu- des religieuses d'Argenteuil :
tèrent en gagnant le valet de mais comme on se gouvernait
Pierre Abélard. Ce scélérat fit très-mal dans ce monastère (T) ,
entrer de nuit , dans la chambre l'abbé de Saint-Denis, qui préten-
de son maître, ceux qui devaient dait en être le maître, chassa les
faire le coup. Ils le surprirent religieuses , et alors Héloïse eut
endormi , et lui coupèrent les bon besoin de son mari. Il avait
parties qu'on ne nomme pas (d). bâti un oratoire auprès deTroyes,
Cette action fit un grand bruit auquel il avait donné le nom de
(N) : on alla le lendemain matin Paraclet (e), et puis il avait ac-
comme en procession à la cham- cepté une abbaye en Bretagne,
bre d'Abélard. Les écoliers firent Ayant appris que son Héloïse n'a-
vait ni feu ni lieu depuis qu'on
l'avait chassée d'Argenteuil ,
il lui donna cet oratoire avec
toutes ses dépendances; dona-
tion qui fut confirmée par le pa-
pe Innocent II. La voilà donc
première abbesse du Paraclet.
Elle trouva tellement grâce de-
{e) Voyez l'article Paraclet , tom. XI.
(c) Avunculus ipsius ati/uv domestici ejus
ignominice suœ solatium quœr entes , inititm
matrimonium divulgare etjîdem mihi super
hoc dalum violare cœperunt. ILln autem è
contra anatltematizare et jurare i/uia falsis-
simum esset. Akelard. , Histor. Caiamita-
tum , pag. 17.
{d) Crudelissimâ et pudentissimâ ultione
punierunt , et quant summâ admiratione
mundus excepit , eis videllcel cor/ions mai
partibus amputatis , quibus idquod p lange-
bant commiseram. Ibidem.
HÉLOÏSE.
vant tout le monde , qu'on la
combla de biens en peu de temps.
Les évêques l'aimèrent comme
leur fille, les abbés connue leur
sœur , et les gens du monde
comme leur mère (f)* Cepen-
dant elle était très-mal satisfaite
559
ren avance n est pas vrai ; savoir,
qu'André Duchêne a fait des re-
marques sur ces lettres , et sur
les réponses d'Abélard. Il n'en a
fait que sur la lettre oii Abélard
fait l'histoire de ses malheurs à
un ami. Jean de Meun avait tra-
de la providence de Dieu (g) , et duit en français les lettres qu'A—
murmurait beaucoup plus que
Job. Elle entretint commerce
de lettres avec Abélard (U) , et
lui demanda des règles pour ses
religieuses , et la solution de di-
vers problèmes. 11 satisfit à tout
bélard et Héloïse s'étaient écrites
(i). 11 paraît depuis quelque
temps un petit livre (k) intitu-
lé : Histoire d'Héloïse et d'A-
bélard, avec la lettre passionnée
quelle lui écrivit , traduite du
cela. Je ne trouvepoint que l'es- latin. Cette prétendue traduction
perance de le voir élevé à la
prélature ait été la cause de l'en-
vie qu'elle avait de ne le pas
épouser (X). Lorsqu'il fut mort
moine de Clugni , elle demanda
son corps à l'abbé , et l'ayant ob-
n'est autre chose qu'un petit
nombre d'endroits choisis com-
me on a voulu dans les lettres
de cette femme , auxquels on a
donné telle forme qu'on a jugé
à propos , en supprimant ce qui
tenu, elle le fit enterrer au Para- n'accommodait pas , et en ajou- ,
clet , et voulut être enterrée
dans le même tombeau (h). On
conte un miracle des plus sur-
prenans arrivé , dit-on , lorsque
l'on ouvrit le sépulcre pour y
mettre le corps d'Héloïse; c'est
qu'Abélard lui tendit les bras
pour la recevoir , et qu'il l'em-
brassa étroitement (Y). Il y avait
néanmoins plus de vingt bonnes
années qu'il était mort; mais ce
n'est pas une affaire : on prétend
avoir des exemples de pareilles
choses (Z). Elle mourut le 17 de
tant ce que l'on trouvait de plus
commode.
Le comte de Bussi Rabutiu
avait traduit en français quel-
ques lettres d'Abélard et d'Hé-
loïse. On a inséré cette traduc-
tion au IIe. volume de ses let-
tres , publié après sa mort. Je
n'ai jamais vu un plus beau
latin , dit-il (/), surtout celui de
la religieuse , ni plus d'amour
et d'esprit quelle en a. S'il se
fût aussi bien connu en style la-
tin qu'en style français , il n'eût
mai ii63. Les lettres qu'elle pas donné cet éloge à la latinité
avait écrites à son mari se trou- d'Héloïse.
vent dans l'édition des ouvrages
d'Abélard. Mais ce que M. Mo-
(/*) Tout ceci est tiré de la lettre d'Abé-
lard , intitulée Historia Calamitatum , ù lu
réserve d'un petit nombre de choses, dont je
cite les preuves à part.
(g) Voyez l'article FoULQVES, uni. (K) ,
loin. VI, pag. 535.
(h) Voyez la rem. (,Y) de l'article ABÉ-
LARD, tom. I. pag. 63
(i) Voyez le nrésident Faucliet , au chap,
CXXVIaes anciens poêles français.
/, Imprimé à lu Haye, chez Jean Alberls,
1693.
(7) Bussi , lettre XV du 11', tom., pag.
49, édit. de Hollunde , 1697.
(A) Elle avait mi oncle maternel
nommé Fulbert. ] Je n'ai trouvé que
cela de bien certain touchant la
généalogie d'Héloïse ; ainsi je n'ai
point ilit qu'elle appartenait légiti-
56o
HÉLOÏSE.
mement à l'ancienne maison de Mont-
morenci. Je l'ai bien lu dans la pré-
face apologétique de François d'Am-
boise (1) ; mais comme il ne cite rien,
et qu'André' du Chêne (2) n'en fait
aucune mention , je tiens cela pour
suspect de fausseté ; et d'autant plus
qu'Heloïse reconnaît dans ses lettres
que sa famille avait reçu un grand
honneur par son mariage avec Abé-
lard , et que celui-ci s'était fort més-
allie' (3). Papyre Masson (4) avance
qu'Heloïse était fille naturelle d'un
certain Jean , chanoine de Paris *.
André du Chêne a raison de ne s'ar-
rêter pas à cela , puisqu'on ne dit
pas d'où l'on puise cette circonstance
curieuse ; mais il n'a pas raison d'op-
poser à cet annaliste le Calendrier
du Paraclet , où l'on trouve ces pa-
roles : vu Cal. Januar. obiit Huber-
tus ( 5 ) canonicus Dominœ Ileloïsœ
avunculus ; car qu'y a-t-il de plus
facile que de mettre d'accord ensem-
ble Papyre Masson et ce Calendrier ?
Une même fille ne peut-elle pas être
bâtarde d'un chanoine , et nièce d'un
autre chanoine? Mais, encore un coup,
pendant qu'on ne citera personne ,
on ne méritera point d'être écouté
si l'on dit qu'Heloïse était fille natu-
relle d'un chanoine nommé Jean. Si
l'on avait à soupçonner quelque cha-
noine là-dessus , ce devrait être plu-
tôt Fulbert qu'aucun autre ; car la
tendresse qu' Abélard lui donne pour
Héloïse est si peu commune parmi
les oncles (6) , et ressemble si naïve-
ment à l'affection des meilleurs pè-
res , qu'il y aurait lieu de s'imaginer
que Fulbert fit comme une infinité
d'autres qui ne peuvent pas être pères
selon les canons : ils cachent cette
qualité sous celle d'oncle , ils élèvent
(1) Ad Oper. Abœlardi.
(î> Nolis ad Histor. Calamitat. Abnelardi.
(3; Quanta ampldts le pro nie humdiando sa.
tisfeceras , et me pariler et iotutn genus inenin
sublimaveras , lantb te munis iam apud Dewn ,
quàm apud illos prodilores obnoxiuni pœnee red~
dideras. Pag. 57.
(4; Annal. , lib. III.
* Joly , dans sa noie sur la remarque (BB) de
l'article Abelakd, tom. !, pag. (!') , tâche de
prouver qu'il est impossiblequ'Héloïse fût la fille
d'un chanoine, et qu'elle n'en était réellement
que la nièce.
(5i II faut Fubertus.
(6) y oyez les témoignage* cile'i par Lambin ,
sur ces paroles de Toile Xll du III". livre
d'Horace,
Metueates patruœ verbera linsjua:.
leurs enfans sous le titre de neveux.
Voilà ce qu'on pourrait soupçonner j
mais cela ne doit point régler le sty-
le , ni empêcher qu'on ne donne aux
gens les qualités sous lesquelles le
public les a connus. Fulbert, dans un
livre , ne doit jamais être qu'oncle.
Notez que , selon Papyre Masson , le
chanoine qui fit élever Héioïse , et
châtrer Pierre Abélard , s'appelait
Jean. Cet historien ne prétend donc
pas que cette fille ait été nièce d'un
chanoine , et fille naturelle d'un au-
tre chanoine. Il prétend que le cha-
noine que tous les auteurs nom-
ment Fulbert , et qu'ils considèrent
comme l'oncle d'Héloise , était père
d'Héloïse, et se nommait Jean (7).
(B) Elle devint si habile,
que sa réputation vola par tout le
royaume.] Ecoutons maître Abélard.
Qui ( Fulbert us ) eam quanta ampliùs
diligebal , tanlo dihgenlius in omneni
quampoteral scie ntiam litterarum pw
moveri stwluerat. Quœ camper Ja-
ciem non esset injiina , per abun-
dantiam litterarum erat suprema.
IVam quo bonum hoc , litteratoi'iœ
scilicet scientiœ , in mulieribus est ra-
rius , eb ampliùs puellam commenda-
bat, et in toto regno nominatissimam
fecerat (8). Dans ce siècle-là une
jeune fille pouvait passer pour un
miracle avec une très-médiocre éru-
dition. C'est à quoi il faut prendre
garde , si l'on ne veut pas outrer les
idées qu'on se fait de notre Héloïse :
et néanmoins il faut tenir pour cer-
tain qu'elle mérite une place glo-
rieuse parmi les femmes bien savan-
tes. Elle savait non-seulement la
langue latine, mais aussi le grec et
l'hébreu ; c'est encore Abélard qui
le témoigne dans la lettre qu'il écrivit
aux religieuses du Paraclet. Magis-
terium habetis in maire, quod ad om-
nia vobis sttjfficere lam ad exemplum
scilicet virtutum , quàm ad doctiinam
litterarum potest, quœ non solùm la-
tince , verum etiam tant hebraïcœ
quàm grœcœ non expers litteraturœ,
sola hoc tempore illam trium lingua-
rum adepta periliam videtur , quœ
ab omnibus in beato Hieronymo tan'
(7) Joannes Canonicus Parisinus Heloissam
naluralem filiam habebal prœstanli ingenio
formdque. Papyi. Masso, Annal. , lib. III, pag.
m . 25(>.
'8) Abœl. Oper., pag. 10.
HÉLOÏSE. 56i
quamsingularis gratta prœdicatur(o). et première abbesse de céans , de doc-
La sieur François d'Amboise raconte trine et religion tris-resplendissante
(10) qu'Héloïsc contenta subtilement (i3).
saintBernard, quilui demandait pour- (C) Elle était assez belle.] Je vois
quoionnedisaitpasdanslemonastère quantité d'auteurs qui lui donnent
du Paraclet , en recitant l'oraison une beauté ravissante , mais sont-ils
dominicale ,panem nostrum quolidia- plus dignes de foi qu'Abelard, qui
num, mais panent nostrum supersub- ayant plus d'intérêt à grossir les cho-
stnntialem. Elleliii en donna une rai- ses qu'à les diminuer, se contente de
son tirée des originaux, et lui dit dire qu'elle n'était pas la dernière de
qu'il fallait suivre la version grecque son sexe en beauté, mais qu'elle était
de l'évangile que saint Matthieu avait la première en e'rudition , camper
écrit en hébreu. Je ne sais pas si une faciem non esset injima , per abun-
telle réponse aurait plu à saint Ber- dantiam litterarum crut suprema ?
nard, mais je ne doute point qu'elle Est-ce ainsi que l'on parle d'une fille
n'eût pu le dépayser, et lui faire parfaitement belle? Un amant, inté-
quitterla partie ; et je voudrais de ressé à justifier son choix et la for-
bon cœur que ce conte fût véritable : ce de sa passion , se sert-il d'une
il nous apprendrait qu'une femme semblable figure de rhétorique ?
aurait bien embarrassé un grand au- Quelques - uns (i4) marquent qu'Hé-
teur sur un point de controverse , en loïse était Agée de dix-huit ans lors-
faisant apporter le texte grec. J'ai qu'Abelard la débaucha : je n'ai point
été donc bien fâché , je l'avoue , lors- trouvé cette circonstance dans aucun
qu'ayant consulté la lettre (n) citée ancien auteur. Il est vrai que le ter-
par François d'Amboise , j'ai trouvé me ado/escentula , dont Abélard
qu'Héloïse n'y a rien à voir, et que s'est servi (i 5), est fort compatible
toute la remarque est d'Abélard, qui avec l'âge de dix-huit ans. Celui de
écrivit là-dessus à saint Bernard , jucencula dont elle se sert(i6) s'ac-
après qu'il eut su d'Héloïse ce que corde aussi avec le même à"ge ; mais
l'on avait trouvé à reprendre au pa- une telle preuve ne conclut rien.
gurcr qu'elle ne devint savante qu'a- nom de Beaulé{\']). Ce roman n'est
près sa clôture, je le renverrais à venu au monde qu'après leur mort,
une lettre de Pierre le vénérable , (D)yibélard s' endonna de telle sorte
abbé de Clugni , laquelle témoigne au cœur joie, ] Il faut l'entendre lui-
qu'avant ce temps-là elle avait, ac- même , pour ne rien perdre de la
quis de grandes lumières. Wecdiim , force de ses expressions : JVullus a
lui dit-il (12), mêlas adolescentice cupidis intermissusest ' gradus amoris,
excesseram , necduni in juvéniles an- et si quia insolitum amor excogilare
nos evaseram, quando nomen non potuit , est additum. Et quà minus
quidem adhuc religionis tuœ, sed ho- Ma fueramus experli gandin , urden-
nestorum tamen et laudabilium stu- tiiis Mis insistebamus , et minus in
diorummihi fuma innotuit. Audiebam fastidium certebantur (18). Il se com-
lunc temporis mulierem,licet necdiim parc à ceux qui ont souffert une lon-
sœculi nexibus expeditam , lilterato- gue faim , et qui trouvent ensuite de
riœ scientice et studio sœcularis sa- quoi repaître largement. Un homme
pientiœ summum operam dure, quo qui a été sage se jette plutôt dans
efferendo studio tuo et mulieres om- l'excès avec son épouse , qu'un dé-
nes evicisli, et penè viros universos bauché.
superasti. Le moine d'Auxerre as su- fl3j Voyet les Nctes tVAo,irè du Chesne, sur
re qu'elle savait bien le latin et l'hé»
breu , et voici ce que dit d'elle le Ca-
lendrier du Paraclet , Héloïse, mère
(V)) Abœl. Oper. , pag. 260.
(iol Prœfal. apologet.
(11) C'est U Ve. du. IIe. livre.
(12) Vide Oper. Abœlardi , pag.Ji'b-.
TOME Vit.
la lettre d'Abélard, de Histor. Calamitat., pag.
11S7.
(14) Histoire abrégée d'Héloïse cl d'Abélard,
a la Haye, i6g3.
(i5) Opcrura pag. 10.
(16) Ibidem , pag. 47-
(17) On le du dans /'Histoire abrégée qu'on
vient de citer.
(•S) Pas. ,,.
36
56.
HÉLOÏSE.
(E) Sans distinction de temps
et de lieux. 1 II faut encore l'entendre
lui-même , dans une lettre qu'il écri-
vit à Héloïse, long-temps après leur
profession monastique. Il la fait un
peu ressouvenir de leur conduite
passe'e, et comment il la caressa dans
un coin du re'fectoire des religieuses
d'Argenteuil, ne trouvant point d'au-
tre endroit commode , et n'ayant au-
cun respect pour la Sainte Vierge à
qui ce lieu était consacré, jyàsli
post nostri confœderationem conjugii
cum jlrgenteoli cum sanctimoniali-
bus in claustro conversabaris , me die
quâdam privalim ad te visitandum
i'enisse , et quid ibi tecum rneœ libi-
dinis egerit inlemperantia in quâdam
etiam parte ipsius refeclorii , cum quo
allas diverleremus non haberemus.
JYosli , inquam , id impude/itissimè
tune actum esse , in tam reverendo
loco et summœ V^irgini consecrato....
Quid pristinas fornicationes et impu-
dentissimas referam polluliones quee
conjugium pvœcesserunt (19)? Un peu
après il lui dit qu'elle sait bien que
les fêtes les plus solennelles, ni le
jour même de la Passion ne le dé-
tournaient pas de se plonger dans ce
bourbier , et que si elle en voulait
faire quelque scrupule, il employait
les menaces et le fouet pour la por-
tera y consentir (20). Voilà un homme
bien dégagé des superstitions de ceux
qui observaient les jours et les fêtes,
les nouvelles lunes et les sabbats (21).
( F ) Les productions de l'esprit
d' Abélurd se réduisaient h des vers
d'amour. ] C'est lui -même qui nous
l'apprend ■ Ita negligentem et tepi-
dam leclio tune habebat ut jam nihil
ex ingenio , sed ex usu cuncta pro-
ferrem , nec jam nisi recitator pristi-
norum essem inventorum , et si qua
invenire liceret , carnùna essent ama-
toria , non philosophiœ sécréta (22).
Il ajoute que ces vers étaient encore
(19) Pag. 69.
(20) Nôsli quantis turpiludinibus immode-
rata tnea libido corpora noslra addixeral , ut
imita honestatis vel Dei reverenlia in ipsis
etiam diebus Dominicœ passionis , vel quanta-
ruincunque solcmnilatiun , ab hujus luit volu-
tabro me revocarel. Sed et te nolenlem et proul
paieras reluctantem et dissuadenlem quœ na-
ture infirmior eras , sa'pius minU ac Jlagellis
ad cunsensum trahebam.
(21) Voyci Z'Ëpitre de saint Paul aux Coloss, ,
rhap. Il, vs. 16
(12) Pag la.
chantés eu plusieurs provinces, et
principalement parmi les personnel
qui faisaient l'amour : Quorum etiam
carminum pleraque adhuc in multis ,
sicut et ipsa nôsti , frequentaniuv et
decanlanlur regionibus , ab his maxi-
me quos vila similis oblectat. Héloïse
nous en apprend davantage. Elle dit
que son Abélard avait deux choses
que les autre philosophes n'avaient
pas, par où il pouvait gagner promp-
tement le cœur de toutes les femmes,
c'est qu'il écrivait bien et qu'il chan-
tait bien ; il faisait des vers d'amour
si jolis, et des chansons si agréables,
tant pour les paroles que pour les
airs , que tout le monde en était
charmé , et ne parlait que de leur
auteur. Les femmes ne se conten-
tèrent pas d'être charmées des vers
et des chansons d'Abclard , elles le
furent aussi de sa personne , et l'ai-
mèrent passionnément : et comme la
plupart de ses vers ne parlaient que
de ses amours pour Héloïse , le nom
de cette maîtresse vola bientôt dans
les provinces , et rendit jalouses de
son bonheur une infinité de femmes.
J'affaiblis beaucoup les expressions
d'Héloïse, et je ne crois pas qu'il faille
les prendre à la lettre. Comme elle
aimait Abélard jusqu'à la fureur ,
elle s'imaginait qu'aucune femme ne
le pouvait voir sans en devenir pas-
sionnée ; et c'est ce qui lui faisait dire
qu'il n'y avait ni femme ni fille , qui
en l'absence d'Abélard ne format
des désirs pour lui , et qui en sa pré-
sence ne fût tout embrasée d'amour ;
et que les reines mêmes ou les gran-
des dames portaient envie aux plai-
sirs qu'elle goûtait auprès d'un tel
homme. Voici le latin qui en dit plus
que mon français. Quœ conjugata ,
quœ l'irgo nonconcupiscebat absenlem
et non e.rardcbat inprœsentém ? Quœ
regina vel prœpotens fentina gaudiis
meis non invidebat vel thalamis ?
Duo aulem , fateor , libi specialiler
inerant quibus jeminarum quarum-
libet animas slatim allicere poteras ,
dictandi videlicet et cantandi gralid,
quœ cœteivs minime philosop/ios as-
secutos esse novimus. Quibus quittent
quasi ludo quodam labovem exercilu
j'ecreans philosophici pleraque ama-
torio métro vel rilhmo eomposita reli-
quisti carmina , queepree nimiâ sua-
(■>.'$) Oper. Auttlartli , jiag. ffi.
HELOÏSE. 563
vitate tara dietaminis quant canttls sions Les plus intéresses à une non
tœpiùs frequentata tuum in ore <>m- velle sont les derniers à rapprendre.
riium nomen incessanler tenebant , ut Abélard cite là-dessus un bon pas-
etiam illiteratos mçlodiœ dulcedo lui page d'une lettre de saint Jérôme à
non sineret imntemores esse, //>/uc Sabinien (î8). Solemus mala dormis
bine maxime in amorem tut feminœ nostrœ scire novissimi, ac liberorum
suspirabant. El ciim horum pars ac conjugum vitia vieillis canentibus
maxima carminum nostros décanta- ignorare. Qa chante dans le voisinage
ret amores , multis me regionibus Les désordres de nos femmes et de nos
brevi lempore nunciavit (24) , et mul- enfans lorsque nous ne savons rien
tarum in me feminarum accendit in- encore de ces déréglemens; niais nous
vidiam. Si le roman de la Rose eût les apprenons enfin, et il n'esl pas
été l'ouvrage d' Abélard , et s'il y possible; qu'un seul ignore ce que tous
eût fait le portrait de son Heloïsc tes autres savent : Sedquodnôv issimè
sous le nom de Beauté, elle n'eût eu scitur, inique sciri (29) quandoque
garde de s'en taire , et c'était ici le contingit , et quod omnes deprehen-
lieu de le dire : ainsi, quand nous dunt non est facile unumlatere. Sain!
ne saurions pas que ce roman fut Jérôme, dans un autre lien, a confirmé
composé cent ans après Abélard , nous sa maxime par deux grands exemples :
Î tournons apprendre du silence d'Ile- le premier est celui de Sylla , et Je
oïse, que l'on n'a point eu raison d'at- second celui de Pompée. On chaulait
tribuer ce roman à Abélard dans le dans Athènes les galanteries de Me
petit livre que j'ai cite plusieurs fois tella , femme de Sylla, avant que li
(25). Encore moins a-t-on eu raison mari eût rien su de ces désordres. Les
de faire débiter cela par Héloïse, dans injures des Athéniens à qui il faisait
la traduction de sa lettre. Mais repre- la guerre lui en apprirent le premiei
nons notre sujet. On ne croirait pas , bruit. Les galanteries de Mucia , fem
sil'on en jugeait sans l'expérience, que me de Pompée , étaient si publiques ,
des vers , des lettres , des chansons , que chacun s'imaginait qu'il ne les
(lissent la vertu de tant avancer les ignorait pas. Il n'en savait rien néan-
aftaires d'un amant (26) ; mais voici moins, lorsqu'un homme qui servait
un témoin là-dessus qui en vaut mille, dans son armée lui en parla. L. Syllœ
Aujourd'hui les beaux esprits se piai- (felicis si non habuisset uxorem j
gnent que leurs drogues ne font plus Metella conjux pal'am erat impudica
le même effet que du temps de nos et ( quia novissimi mala nostra disci-
ancêtres. Les temps sont changés , je mus ) id Athenis cantabaturet Sylla
l'avoue, mais non pas entièrement, ignorabât , secretaque dormis suai pri-
Voyez les nouvelles lettres contre le muni hostium convicio didicil. Cn.
Calvinisme de Mai m bourg (27). Au Pomjieio Mucip.ni uxorem. impudi-
restc , ce qu'Héloïse témoigne tou- corn quant Pontiçi spadones et Mi-
chant la faiblesse des personnes de thridaticœ ambiebant catervœ, cùm
son sexe envers Abélard , est confir- eum putarent cœteri scientem pati ,
mé par un certain prieur , nommé indicavit in expeditione commilito , et
Foulques , dont il faut voir l'article, victorem totius orbis tristi nuncio
(G)La médisance... enfin... parvint consternauit (3o). On pouvait ajoute]
jusqu'aux oreilles de l'oncle. ] Cet pour troisième exemple l'empereur
enfin paraît d'abord un peu étrange; Claude , qui ne savait rien des infir-
mais ceux qui savent le monde n'i- mies de Messalinc (3i), lorsque tout
gnorent pas qu'en ces sortes d'occa- le monde savait qu'elle s'était prosti-
tuée dans les lieux publics, et qu'elle
(24) Voici ce qu'elle dit dans la page 48. y avait mené plusieurs dames, et que,
Ciim me ad temporales olini voluplates expete-
res crebris me epistolis visilabas , frequenti car- (28) Ex loin. I, epist. XLVI1I.
liane luam in ore omnium Helois<am ponebas .- (2g) Ces paro(es wnl cUe-es ,inns Védidon d'A-
me plateœ omnes, me domus stngulcv resonar bélard y comme la suite de ce que j'ai ,i, j,
vint. de la lettre de saint Jérôme à Sabinien; mais
(v5) Histoire d'IIéloïsc et d'Abélard , imprimée elles ne se trouvent pu. m dam cette lettre.
à la Haye, en ifii|3. (3o) D. Hierouym. , advers, Jovidhd
(2G) Voyez Ovide, de Arte amandi, lib. III, (3t) Dio Cassius , lib. LX. Ju vénal il \
pag. 2o5. Mi 342 1 a Hit là- des sus,
(27) Pag 5ij'i el tuiv . et pag. 74O el tuiv. Dcdecus illc Jonius scit-t ultinias
564
HÉ LOI SE.
pour comble d'impudence elle avait
épousé un autre homme. Notre siè-
cle a fourni un (le ces exemples en la
personne du maréchal de la... On
assure ( j'ai encore quelque peine
à le croire ) , qu'il ne savait point le
commerce de sa femme avec le comte
de... lorsque le fils qui en était pro-
venu avait déjà été naturalisé en plein
parlement. Les conditions médiocres
ne sont pas exemptes de cette irrégu-
larité : combien voyons-nous de gens
qui savent toujours toutes les nou-
velles de la ville , excepté celles qui
blessent leur domestique ? Ils ressem-
blent à celui dont Martial se moque
si plaisamment (32) , et ils profitent
peu de l'ancien proverbe ,
jEdibus in noslris quœ prava aut recta ge-
rantur (33).
Les gens d'étude, je parle de ceux
qui se renferment trop dans leur ca-
binet , la tête toujours remplie de
quelque composition , se trouvent
quelquefois dans le cas dont il s'agit
présentement. Instruits autant qu'on
le peut être du malheur domestique
de Sylla et de Pompée , qui sont morts
depuis tant de siècles, ils ne savent pas
qu'on leur joue le même tour assez près
de leur cabinet. Ainsi va le monde.
Un écrivain du XVIe. siècle se sert
d'un fameux exemple pour confirmer
la maxime qu'il avait posée , que ceux
qui ont le plus d'intérêt à être avertis
d'une infortune domestique sont les
derniers qui la savent, au lieu qu'ils
sont les premiers qui apprennent les
nouvelles de ce qui leur doit être le
plus indifférent. Solet uswenire ,
dit-il (34) , ut domeslica mala ullimi
si/it qui nôrint , quorum maxime in-
terest en non ignorare , iidem prin-
cipes nôrint aliéna , et quorum rad-
ius ad eos pertineat sensus. Après
avoir allégué quelques raisons de
cette bizarrerie , il rapporte qu'il n'y
avait pas long-temps qu'un fort grand
roi avait puni du dernier supplice
ceux qui avaient déshonoré sa couche
nuptiale , et que la promptitude de
la punition ayant été telle , qu'il ne
se passa point une heure entre l'accu-
(32) Epigr. IX, lib.VII.
(33) "Otti toi h MiyipoHTt xcikcHv
t* â.yetùwv TS T£TI/jct«,i. Homcr. . Odvss..
lit. IF.
(34) Jo. Micliacl Uni lus, in Prjeccplis conju-
galibus , pag. 798, edil. 1698.
sation des coupables et leur mort >
c'est une preuve que le prince n'a-
vait point oui parler un peu plus tôt
de ce désordre , dont néanmoins la
nouvelle avait couru au long et au
large dans les pays étrangers. Accidit
hoc quidem , me puero , in magna
atque illustri Europœ regid , quomi-
nùs diù obscura res esse posset , ut
in regind , lœsi pudoris fama prius
apud exteras gentes longé latèque
ewagata emanaret , quant is , cujus in
eo eratlœsa majestas , maculam regio
nomini impositam , eorum sanguine
quorum erat scelere uiolata , elueret.
Satis quidem potuil indicio esse, pos-
tremum omnium rescisse , ita sump-
tum de reis suppliciu/n, ut inter ici ,
et delatum sontium nomen , ne horœ
quidem momentum intercedere sit
passus (35).
(H) lUlle allégua mille raisons à
Abélard pour le dégoûter du lien
conjugal.] Ces raisons se réduisaient
à deux chefs , au péril et au déshon-
neur à quoi le mariage exposerait
Abélard. Je connais mon oncle , lui
disait-elle ; rien n'apaisera son res-
sentiment ; et puis , quelle gloire
tirerai-je d'être votre femme , puis-
que je vous ruinerai de réputation ?
Quelles malédictions n'ai-je pas à
craindre , si je dérobe au monde une
aussi grande lumière que vous êtes ?
Quel tort ne ferai-je point à l'église?
Quels regrets ne causerai-je point aux
philosophes ? Quelle honte et quel
dommage ne sera-ce point , si vous ,
que la nature a créé pour le bien
public , vous consacrez tout entier à
une femme ? Songez à ces paroles de
saint Paul , Es-tu délivré de femme ,
n'en cherche point ; et si le conseil de
ce grand apôtre , ni les exhortations
des saints pères , ne peuvent pas
vous dégoûter de ce grand fardeau ,
considérez au moins ce qu'en ont dit
les philosophes 5 un Théophraste ,
qui a prouvé par tant de raisons que
le sage ne doit point se marier ; un
Cicéron , qui ayant répudie Térentia
répondit à Hircius qui lui offrait en
mariage sa sœur , qu'il ne pouvait
pas accepter cette offre , parce qu'il
ne pouvait pas partager ses soins entre
la philosophie et une femme. D'ail-
leurs, quelle convenance y a-t-il
(35) Jo. Micliaël Brutns , in Pisccptis conju-
galibns, pag. 798, edU. 1698.
HÉLOÏSE.
565
entre des servantes et des e'coliers , de sentences persuasives pour parve-
entre des écritoires et des berceaux , nir à son intention , que celles qu'elle
entre des livres et des quenouilles , y apporta. J'avertis mon lecteur que
entre des plumes et des fuseaux ? Cora- j'ai extrêmement abrc'ge' la remon-
ment supporter au milieu des medi- trance de cette fille , et que j'ai été
tations théologiques et philosophi- surpris qu'elle n'ait pas emprunté
ques les pleurs des enfans , les chan- quelque raison de ce que son amant
sons des nourrices , et le tracas d'un était dans les ordres (38). €ela ne
ménage ? Je ne dis rien des ordures semble-t-il pas prouver qu'on ne
et des puanteurs continuelles des croyait point encore que la loi du
petits enfans (36). Les gens riebes se célibat rat d'obligation pour les per-
peuvent mettre à couvert de ces in- sonnes ecclésiastiques * ?
commodités dans leurs maisons à di- (I) Son amour... étouffa dans son
vers appartemens ; la dépense et les dîne tous les sentitnens de l'honneur. ~\
soucis de chaque jour ne sauraient les II arrive très-souvent qu'une passion
inquiéter ; mais il n'en est pas de amoureuse étouffe ou surmonte les
même des philosophes ; et quiconque sentimens de la conscience ; mais il
veut amasser du bien, et s'embarras- arrive très-rarement qu'elle suppri-
ser des occupations mondaines , se me la sensibilité pour l'honneur : et
rend incapable des fonctions de théo- à la réserve d'un petit nombre de
logien et de philosophe. Prenez garde personnes de basse naissance , qui
à la conduite des anciens sages , tant la plupart du temps n'ont pas eu
sous le paganisme , que parmi les même l'éducation ordinaire , toutes
juifs ; et si des païens et des laïques les filles qui succombent mettent
ont préféré le célibat au mariage, l'une ou l'autre de ces quatre cordes à
quelle honte ne serait-ce pas à un leur arc. Elles espèrent , ou de ne pas
clerc et à un chanoine comme vous, concevoir , ou de faire sauter leur
de préférer les voluptés sensuelles fruit par quelque drogue , ou d'ac-
aux divins offices ? Que si vous vous coucher à l'insu de tout le monde ,
mettez peu en peine de la prérogative ou de se faire épouser par le galant j
de votre cléricature , soutenez du et cela montre que si l'amour est
moins le caractère et la dignité de quelquefois le plus fort tyran qui les
philosophe. La conclusion de son domine , c'est un tyran qui laisse
sermon fut qu'il y aurait plus d'hon- l'honneur en possession de ses droits,
neur pour lui , et plus de charmes Voyez le fameux sonnet de VAvor-
pour elle , dans la qualité de galant ton , où l'on a si bien représenté la
que dans celle de mari : qu'elle vou- force de l'honneur , et la force de
lait lui demeurer attachée, non par l'amour alternativement vaincues et
la nécessité du lien conjugal , mais victorieuses. Notre Héloïse aimait si
par la seule tendresse de son cœur ; furieusement , qu'elle ne se souciait
et que leurs plaisirs seraient infini- plus ni d'honneur, ni de réputation ;
ment plus sensibles , s'ils ne se car en premier lieu elle fut ravie de
voyaient que de temps en temps. Nous se sentir grosse (3g), et en second
parlerons de cette dernière raison lieu elle fit tout ce qu'elle put pour
dans la remarque (U). En attendant, n'être pas mariée avec celui qui lui
voici la pensée de Pasquier sur le avait fait l'enfant , deux choses qui
discours d'Héloïse : Je ne vous repré- non-seulement sont plus rares que
senterai point , dit-il (37) , toutes les les monstres les plus affreux , quand
raisons dont elle le voulut gagner , elles sont jointes ensemble , mais
bien vous dirai-je que je ne lus jamais aussi dont la première toute seule ne
en orateur tant de belles paroles et
(36) Quis sacris vel philosophicis medilalioni-
bus intenlus puériles vagitus , nulricum qua> hos
miligant nœnias , tumultuosam familice tam in
t'iris quàm in feminis turbarn sustinere poterit?
Quis etiam inhonestas ill i < parvulorum sordes
assiduas tolerare valebil ? Oper. Abadardi ,
pag. 14.
v'3*7) Recherches de la France , bV. V I, chap.
xvir.
(38) Je veux dire qu'elle n'ait pas alle'g ne' que
le mariage est interdit à ceux qui ont pris les
ordres.
* Leclerc trouve la conclusion mal tirée , parce
que Abclard n'était pas dans les ordres , et n'é-
tait que clerc.
(3g) Num mullo autem pbsl puella se conce-
pisse comperit , et cum summa exultatione mihi
super hoc illico scripsit , consutens quid de hoc
ipse faciendum dcliberarcm. AbadarJ., pag, l3i
HÉLOiSE.
se voit jamais que dans des cas où
l'amour a peu de part , et où Ton ne
cherche qu'à attraper un grand parti,
«rue l'on désespérerait d avoir si le
fracas d'une grossesse ne s'en mêlait.
Combien y a-t-il de filles qui aiment
mieux se faire donner un mari contre
son gré par arrêt du parlement , que
de demeurer flétries ? Elles sont trés-
persuadées qu'il se vengera avec
usure , et que l'arrêt leur coûtera
lion ; mais n'importe , pourvu que
le titre d'épouse répare la brèche faite
à l'honneur. Notre Héloïse n'avait pas
de cette sorte de délicatesse. Voyez
la remarque suivante et surtout la
remarque (U).
(K) Elle n'en guérit jamais. ]
Est-ce être guérie , que de dire plu-
sieurs années après qu'on a renoncé
au monde par la profession de la vie
monastique , qu'on aimerait mieux
être la putain de PieiTe Abélard ,
que la femme légitime de V empereur
de toute la terre ? Or c'est ce qu'a
dit notre Héloïse étant abbesse du
Paraclet -c'est de quoi elle a bien
voulu pre idre Dieu à témoin. De uni
testent invoco , si me Augustus uni-
verso prœsidens mundo matrimonii
honore dignarelur , totumque mihi
orbem conûrmaret in perpetuo prœ-
sidendum , carius mihi et dignius mihi
videretur tua dici meretrix , quant
illius imperatrix (4o). Comment pour-
rait-on dire que sa passion l'avait
quittée dans l'abbaye du Paraclet ,
puisqu'elle y écrit une confession in-
génue du mauvais état de son âme ,
qui fait voir que le feu d'amour la
rongeait jusques aux os ? Je n'oserais
dire en français tont ce de quoi elle
s'accuse. Elle confesse que les plaisirs
qu'elle avait goûtés entre les bras
d'Abélard lui avaient paru si doux
qu'elle y songeait nuit et jour, éveil-
lée et endormie, et durant même la
célébration de la messe. Elle les re-
grettait éternellement, et en faisait
répétition en idée, faute de mieux.
Ceux qui entendent le latin vont voir
avec quelle force d'éloquence elle sa-
vait exprimer ce qu'elle sentait. In
l.nntum vero illœ quas parilcr exer-
cuimus amaritium foluptates , dulces
mihijïierunt, ut nec displicere mihi,
nec vix a memoriâ labi possîht. Quo-
1 V'1 -Abtelarcliis , put
cunque loco me vcrUim , semper se
ocidis mets cum suis ingérant deside-
riis. Bfec etiam dormienti suis illusio-
nibus parcunt. Inter ipsa missarum
solemnia ubi purior esse débet oralio,
obsecena earum voluplalum fantas-
mata ila sibi penitùs miserrimam cap-
tivant animam , ut turpitudinibus illis
magis quam orationi vacem. Quœ
cum ingemiscere debeam de commis-
sis , suspiro potihs de amissis. JVec
soliim quœ egimus , sed loca pariter
et tempora in quibus hœc egimus ita
tecum nostro infixa sunt animo, ut in
ipsis omnia tecum agam , nec dor-
miens etiam ab his quiescam. IVon-
nunquam et ipso motu corporis animi
mei cogitationes deprehendunlur, nec
à verbis tempérant improvisis (41)-
Cela l'obligea à s'écrier avec saint
Paul (4'î) : Ah misérable que je suis,
qui me délivrera de ce corps de mort?
Plût à Dieu , poursuit-elle , que je
pusse véritablement ajouter, Ingrate
de Dieu, par Jésus-Christ notre sei-
gneur! Cette grâce , dit-elle à son
Abélard , vous a prévenu , mon cher ,
en vous délivrant de tous les aiguil-
lons de la sensualité, par ce seul coup
de couteau qui vous fit eunuque
Mais ma jeunesse et l'expérience du
plaisir passé allument extrêmement
ces feux dans mon âme , et plus ma
nature est infirme , plus je succombe
à ces violentes attaques. Hœctegratia,
carissime, prœvenit,el ab his libistiniu-
lis una corporis plaga medendo mu/tas
in anima sanavit hos autem in me
stimulos carnis , hœc incentiva libidi-
nis , ipse juvenilis fervor œtatis etju-
cundissimarum experienlia volupta-
tum pluriminn accendunt , et tantb
ampliiis sud me impugnalione oppri-
mant , quantb infirmior est riâtura
quam oppugnant (43). Enfin elle se
recommande à ses prières avec d'au-
tant plus de soin , que c'est le seul
remède que son incontinence peut
trouver en lui. Time, obsecro, semper
de me potihs quant confidas , ut tua
semper sollicitudine adjuver. Dfunc
verb prœcipuè timendum est, ubi nu l-
lum inconlincnliœ meœ superestin te
remedium (44)- Ceux qui médirent
des fréquens voyages d'Abélard au
(4>) r«s- ^o.
f ^2) Aux Romains. i7irt/>. I II.
{fc)Fag d,..
(44} Png 6..
HÉLOÏSE.
Paraclet (45) , furcul sans cloute té-
méraires , puisqu'ils ignoraient les
dispositions intérieures d'Héloïsc :
niais, s'ils les avaient sues, ils au-
raient dû solliciter l'interdiction de
ces visites; car ils auraient dû crain-
dre qu'il ne fût inévitable , humaine-
ment parlant , que celle femme ne se
portât à des actes d'impureté' avec
cet homme. Les saints pères ne se
fiaient point aux mutilations : ils
comparaient un eunuque à un bœuf
auquel on coupe les cornes, qui ne
laisse pas de donner des coups de
tête. Voyez là-dessus un beau passa-
ge de saint Basile , dans nos remar-
ques sur l'article Combabus (4^). Mais
comme les apparences sont quelque-
fois trompeuses , je n'approuverais
pas que ceux qui savent ce qu'He'loïsc
avait dans le cœur, s'imaginassent
qu'elle sortait hors des règles, quand
elle se retrouvait avec son mari , et.
qu'elle ait eu quelquefois sujet de lui
écrire. Si libiilinosa essem , quererer
accepta , niinc etiam languoii tuo
gratias ago : in timbra voluptatis
(liutiùs lusi (47)-
(L) On eut beau mutiler le pauvre
Abélard. ] C'était un remède d'a-
mour très-capable d'opérer, s'il en
faut croire certains vers de Cyrano
Bergerac (48). Ils s'adressent à un
homme qu'il avait apostrophe' en
cette manière :
J'entends que le diminutif
Qu'on fil de vrai trop excessif,
Sur votreJla<que génitif
Vous prohibe le conjonclif.
Puis il ajoute ,
O visage '. S portrait naïf'.
O souverain expéditif
Pour guérir tout sexe lascif
D'amour naissant , ou effectif \
Genre neutre , genre metif,
Qui n'êtes homme qu'ttbs'traclif ' ,
Grâce « votre copulalif,
Qu'a rendu fort imperfeclif
Le cruel tranchant d'un canif.
Mais comme il n'y a point de règle
si générale qui ne souffre quelque ex-
ception , l'amour .d'Héloïsc fut à l'é-
preuve de ce violent remède. Elle eut
cela de commun avec la reine Strato-
nicc , dont j'ai parlé ci-dessus (4çj)-
(45) Foyes, l'article Abélard, remarque (T),
(orn. /, pag. G2.
(46) CUation (fi), loin. V, pag. 2*'<î.
(fa) Circe PolyanoÇapud Petionium.
(48) Voyez la comédie du Pé.lant joué.
(4ol Dans l'article Combabus , loin t\ r"'-'
253.
56-j
(M) // lui resta toujours un grain
de celte folie. ] Cela paraît par les
passages que j'ai cités dans la remar-
que (K). Ils prouvent, non-seulement
que l'amour de concupiscence domi-
nait la pauvre Héloïse , mais aussi
qu'elle était un peu démontée ; car
nue personne bien sage n'aurait ja-
mais parlé de la sorte. Il est appa-
rent que l'étude avait commencé de
l.i détraquer, et que l'amour fut un
grand surcroît de désordre. On voit
dans aes écrits beaucoup de marques
d'une imagination déréglée , quel-
que chose de si outré , et tant de dis-
Ï tarâtes , qu'elle est une preuve de
a maxime de Sénèque : Nullum
magnum ingenium sine mixturâ de-
mentice (5o).
(N) Cette action fit un grand bruit.}
Voyons ce qu'Àbélard en raconte
(5i) : Mane autem facto Iota ad me
civitas congregata quanta stuperet
admiralione , quanta se qffligeret la-
mentalione, quanlo me clamore vexa-
rent , quanto jdanciu perturbarent ,
difficile imo impossibi/e est exprimi.
Maxime vero clerici , ac prœcipuè
scholarcs nostri , intolerabilibus me
lamcnlis et ejulalibus cruciabant.
Voyez l'article auquel je renvoie dans
la remarque suivante.
(Q) Les femmes se distinguèrent par
leurs plaintes très-amères .] C'est de
quoi Abélard ne parle pas ; mais
nous l'apprenons d'un de ses amis ,
qui lui écrivit une lettre de consola-
tion. Voyez l'article Foulques (5a).
(P) On écrivit a Abclai d des let-
tres de consolation très-curieuses.']
Foulques, prieur de Deuil , lui en
écrivit une qui a'été insérée dans l'é-
dition d'Abélard. Nous en parlons
dans l'article de ce prieur , et nous
renvoyons là plusieurs choses qui
appartiennent à Héloïse et à son ma-
ri, et qui rendraient trop longs leurs
articles , si elles n'en étaient pas dé-
tachées pour être mises ailleurs. Ceux
qui disent qu'ils aimeraient mieux
trouver tout au même lieu ne se
sont pas bien consultés.
(Q) La justice punit sévèrement
cette action.] Voyez l'article de Foul-
(5o) Voyez, tom. IV, pag. !\tfi , la citation
(•jR) de l'article Cardan.
(5i) Opernmpag. 17.
(S?) I la remarque (I), tom, VI, pag S
568
HELOÏSE.
ques (53), auquel je renvoie pour eonne pas de grossir les choses pour
les deux remarques précédentes. divertir les lecteurs. Deus quijudicas
(R) La perte 'Je cet ouvrage l'af- eequilatem , quanlo tune animi felle ,
fligea encore plus que la perte de sa quanta mentis amaritudine leipsum
virilité.] On a bien raillé les auteurs infamis arguebam , te furibundus ac-
sur la tendresse excessive qu'ils con- cusabam , sœpiùs repetens illam beau
çoivent pour leurs ouvrages , et l'on Antonii (56) conquestionem , Jesu
a cité entre autres exemples celui de bone , ubi eras ? Quanto autem do-
l'évêque Héliodore , qui aima mieux l°re œstuarem , quanta erubescentid
renoncer à son évêché, que de con- confunderer, quanta desperatione per-
damner son roman de Théagène (54); turbarer sentire tune potui , proferre
On a cité ce que Sarasin fait dire à nonpossum. Conferebamcumhis quœ
Voiture (55); mais je ne sache pas in corporepassusolimfueram, quanta
qu'on ait cité Abélard sur une telle mine suslinerem, et omnium me œsti-
matière : cependant il y a dans son niabam miserrimum. Parvam illam
exemple quelque chose de plus fort ; ducebam proditionem in compara-
car enfin Job recouvra son bon état, tione hujus injuria? , et longé ani-
et engendra fils et filles ; et il est sûr pliùs famœ quant corjtoris delrimen-
que Voiture aurait mieux aimé être tum plangebam (5^).
comme Job pour quelque temps , que
comme Abélard jusqu'au tombeau ,
et qu'il eût jeté tous ses livres et
toutes ses muses à la voirie , s'il
l'avait fallu , afin de conserver son
fonds d'amourettes. Où sont les prélats
à qui l'on ne fît signer la résignation
de leur évêché , si on les menaçait le
rasoir en main de en cas qu'ils
ne la signassent. On aurait sans doute
obtenu d'Héliodore la condamnation
du roman , si on l'eût mis dans cette
fAcheuse alternative. Mais voici un
homme qui déclare qu'il compte
(S) Ce qui n'a point lieu dans
l'autre cas.'] Voyez encore l'article
Foulques, à la remarque (F).
(T) On se gouvernait très-mal dans
ce monastère.] Suger, abbé de Saint-
Denis , se prévalut de la vie déréglée
des religieuses d'Argenteuil , pour
rentrer en la possession de ce mo-
nastère. Il envoya ses pancartes à
Rome , et_ en reçut une réponse fa-
vorable. Ecoutons ce qu'il en dit
dans l'histoire de sa vie , sous l'an
1127. Dfuntios nostros et chartas an-
tiquas fundationis et donationis , et
pour peu de chose la perte de ses confirmationum privilégia bonœ me
parties naturelles , en comparaison
de la perte d'un écrit qu'on l'obligea
de jeter au feu. Afin d'être parfai-
tement équitable , il ne faut pas at-
tribuer toute la douleur d'Abélard
aux sentimens paternels que son
caractère d'auteur lui inspirait pour
son livre. Il y avait là une autre
chose qui le chagrinait encore plus ;
c'est qu'en l'obligeant de jeter son
livre au feu , on lui imprimait une
note d'hérésie , peine qui répond à
la marque du fer chaud. Ses mur-
mures contre la providence de Dieu
sont une autre marque de sa ten-
dresse. Voici ses paroles; je dois les
rapporter, afin qu'on ne me soup-
(53) Remarque (M) , loin. VI, pag. 53-J.
(54) Voyez, dans ce vol. , remarque (B) de
l'article Héliodore , ce qu'il en faut croire.
(55) Un auteur, qui dans son écrit ,
Comme moi reçoit une offense,
Soujfre plus que Job ne souffrit.
Bien qiCil eût d'extrêmes souffrances.
Sarasin, Poésies, pag. m. 37.
moriœ papas Honorio Romani dele-
gavimus , postulantes ut justitiam
noslram canonico investigaret et res-
titueret scrutinio. Qui, ut erat vir
consilii et justitiœ tulor, tam pro nos-
trd justitiâ , quant pro enormitate
monacharum ibidem malè viventium ,
eundem nobis locum cum appendiciis
suis, ut reformaretur ibi religionis
ordo , restitua. Il dit la même chose
dans la vie de Louis-le-Gros (58).
Ceux qui sont enclins à mal juger de
leur prochain , ne liront pas cet en-
droit sans entrer dans de violens
soupçons sur la vie d'Héloïse. Elle
avoue qu'elle sentait vivement les
brûlures de l'incontinence (5g) ; et il
est assez ordinaire que la supérieure
(5G) Apud sanctura Ilieronym. , in ejus Vitâ.
(57) Abâtardi Oper. , pag. 25.
(53) Papa Honorius , vir gravis et severus ,
justitiam noslram de monaslerio Argenloilen-
si puellarum miserrimd conversalione injama-
lo , etc.
(5c)) Voyez ci-dessus la remarque (K) , cita-
lions (4i) cl (43).
HÉLOÏSE.
5G9
d'un couvent ne se gouverne pas
bien , lorsque la débauche fait du
ravage dans la communauté (60). De
ces deux principes on tire aisément
cette conséquence , lorsqu'on se plaît
à médire , que la prieure d'Argcn-
teuil ne valait pas mieux que ses re-
ligieuses. Mais pour moi , qui n'ai
point lu qu'elle ait été nommément
comprise dans le scandale que son
monastère donna , je me garderai
bien de lui porter la moindre atteinte.
Il faut imiter Notre-Seigneur, et se
servir de sa maxime (Gt), personne
ne vous a-t-il condamnée ou accusée?
Je ne vous condamne point , ni ne
vous accuse point aussi. Et il est
bien vrai que les inférieurs imitent
la mauvaise vie de leurs supérieurs ,
mais non pas la bonne vie. La cour
de France sous Louis XIII n'était pas
plus chaste que sous Henri IV.
( U ) Elle entretint commerce de
lettres avec Abélard.~\ Ce commerce
ne commença que sur le tard , et ce
fut une rencontre fortuite qui en
fournit l'ouverture. Abélard avait
écrit à un ami une longue relation
de ses malheurs , qui tomba entre
les mains d'Héloïse , déjà abbesse du
Paraclet. L'ayant lue , elle écrivit
tout aussitôt à Abélard les réflexions
qu'elle y avait faites ; et le supplia
très-ardemment de lui écrire, afin
qu'elle ne fût plus privée de la conso-
lation que ses lettres lui pouvaient
donner en son absence. Elle lui re-
présenta le désintéressement de son
amour, et comment elle n'avait cher-
ché ni l'honneur du mariage , ni les
avantages du douaire , ni son plaisir ,
mais la seule satisfaction de lui, Abé-
lard. Elle lui dit qu'encore que le
nom de femme semble plus saint et
de plus grand poids , elle avait tou-
jours trouvé plus doux celui de sa
maîtresse , ou de sa concubine , ou
de sa garce : Etsi uxoris nomen sanc-
tius ac validius videtur, dulcius mihi
semper extitit arnica? vocabulum, aut
si non indigneris , concubinœ vel
scorti (62). Elle ajoute qu'il n'avail
rapporté qu'une partie des raisons
(60) On aime a citer sur cela le
Régis ad exemplum totus coroponitur orbis ;
et le
. . . Sequitur leviter filia matris iter.
(61) Evang. de saint Jean , chap. VIII ,
vs. 10.
(62) Abâtardi Opcra, pag. 45,
qu'elle lui avait représentées pour le
détourner du mariage ; mais qu'il
avait supprimé presque toutes celles
qui étaient prises de la préférence
qu'elle donnait, et à l'amour par-
dessus le lien conjugal , et à la liberté
par-dessus la nécessité (63). Je ne
Bais comment cette fille l'entendait 5
mais il y alà un des plus mystérieux
ralfinemcns de l'amour. On croit
depuis plusieurs siècles que le ma-
riage fait perdre à cette sorte de sel
sa principale saveur, et que depuis
qu'on fait une chose par engagement ,
par devoir, par nécessité, comme
une tâche et une corvée, on n'y
trouve plus les agrémens naturels 5
de sorte qu'au dire des fins connais-
seurs, on prend une femme ad ho-
nores , et non pas ad delicias. « Le
» mariage a pour sa part l'utilité , la
» justice , l'honneur, et la constance,
» un plaisir plat , mais plus uni-
» versel. L'amour se fonde au seul
» plaisir, et l'a de vrai plus cha-
» touilleux , plus vif et plus aigu :
» un plaisir attisé par la difficulté ,
» il y faut de la piqûre et de la
» cuisson : ce n'est plus amour, s'il
» est sans flèches et sans feu. La li-
» béralité des dames est trop profuse
« au mariage , et émousse la pointe
)) de l'affection et du désir (64). »
Patere me , disait un empereur ro-
main (65) à sa femme , per alias
exercere cupiditates meas , nam uxor
nomen est dignitatis , non voluplatis
(66). On pourrait donc donner un
fort mauvais tour au dessein qu'avait
Héloïse de n'être jamais la femme de
Pierre Abélard , mais toujours sa
chère maîtresse ; on pourrait la soup-
çonner d'avoir eu peur que le ma-
riage ne fût le tombeau de l'amour,
et ne l'empêchât de goûter aussi dé-
licieusement que de coutume les ca-
resses de son ami. L'auteur qui a
paraphrasé quelques morceaux des
(63) Rnliones nonnullas quibus te a conjugio
nostro infauslis lhalamis revocare conabar ex-
ponerc non es dedignalus , ted plerisque tacitis
quibus amorem conjugio , Itbertatem vinculo
praferebam.
(t>4) Montaigne, Essais , liv. III, chap. V ,
pag. m. no.
(65) JElius Vents, apud Spartian. , in ejus
Vitâ . pag. m. 235.
(66) forez plusieurs remarques de celle na-
ture , dans la IXe. lettre de la Critique du
Calvinisme de Maimbourg, cl dans /«lettres
XXI cl XXII de la suite de cette Critique.
570
IIÉLOÏSE.
d'un plaisir aussi délicieux que les
embrassemens illégitimes ( 73 ) 5 20.
qu'il faut croire, non pas qu'Héloïse
ait profère la licence du concubinage
à la condition d'épouse , mais que
son amour et son respect pour son
galant la portaient à aimer mieux se
faire nonnain , que d'empêcher pat
son mariage qu'Abélard ne reçût les
récompenses qui étaient dues à son
esprit et à son érudition, comme vous
diriez le chapeau de cardinal (73). Je
n'ai aperçu aucune trace de cela dans
les lettres d'Héloïse 5 c'est pourquoi
j'en ai fait la 6e. faute de M. Moréri
ni qu'on sente ces émotions secrètes dans l'article d'ABÉLARD. Ce qui donne
et charmantes de deux cœurs qui se lieu à ces sortes de mensonges est
sont long-temps cherchés pour s' unir; qu'un auteur se donne la liberté de
et qu'elle (70) est persuadée que s'il prêter aux gens les pensées qui lui
y a quelque apparence de félicité ici- paraissent conformes à leurs intérêts.
lettres de notre Héloise (67) , lui at-
tribue dans le fond cet esprit et cette
vue, quoique les termes soient déli-
catement ménagés. On lui fait dire
(68) qu'elle ne trouvait rien que d'in-
sipide dans tous ces engagemens pu-
blics , qui forment des nœuds que la
mort seule peut rompre , et qui font
une triste nécessité de la vie et de
V amour ; que ce (69) n'est pas aimer
que de vouloir trouver du bien et des
dignités , dans les tièdes emhrasse-
mens d'un mari indolent ; quelle ne
croira jamais que l'on goûte ainsi les
plaisirs sensibles d'une douce union,
bas , on ne la trouve que dans l'as
semblage de deux personnes qui s'ai
ment avec liberté, qu'un secret pen-
chant a jointes , et qu'un mérite réci-
proque a rendues satisfaites. Nous
11 y a souvent plus de profit pour
une femme à laisser courir son jeune
galant aux dignités de l'église, qu'à
lui en boucher le chemin en l'épou-
sant. Mais est-il permis pour cela de
allons voir qu'on a supposé une supposer qu'Héloïse a eu de sembla-
autre cause au dessein qu'avait Hé
loïse de n'épouser par Abélard
(X) Je ne trouve point que l'espé-
rance de le voir élevé a la prclalure
ait été la cause de l'envie qu'elle
avait de ne le pas épouser.] Le sieur
d'Amboise (71) fait mention d'un an-
cien poè'te français , qui après avoir
exhorté les hommes à ne se point as-
sujettir à la servitude du mariage ,
confirme son sentiment par celui de
notre Héloïse , laquelle , dit-il , em-
ploya les prières les plus ardentes
auprès de son amant , afin d'empê-
cher qu'il ne l'épousât ; elle trouvait
mieux son compte à être aimc'e d'un
homme à qui elle verrait un jour un
bon évêché entre les mains : Satis
esse dictitans si Ma intimo pectoris
amorem niutuum servans , illum vi-
deret mitrd et infulis pontifcalibus
quibus dignus erat ornatum. Le sieur
d'Amboise remarque , i°. que ce
poète donne un autre tour à cela ,
savoir qu'Héloïse faisait connaître
({ue les embrassemens des personnes
mariées ne sont pas accompagnés
(67) Voyez le livre intitulé : Histoire d'Héloïse
rt d'Abélard , imprime' à la Haye, en i6n3.
(f.S) Pag. 5i.
(Cç>) Pag. &.
I70) Pag. 54.
■ Pra>fal. apologel. , ad Oper, Abâtardi
bles vues ? Voici un conte assez con-
nu : un homme qui avait une pré-
bende la quitta pour se marier ; le
lendemain des noces il dit à sa fem-
me : Vois , m' amie , comme je t'aime,
d'avoir laissé ma prébende pour l'a-
voir. T^ous avez fait une grande folie,
lui répondit-elle, vous deviez garder
votre prébende , vous n'eussiez pas
laissé de m avoir (74)-
(Y) On conte qu'Abélard lui
lendit les bras et l'embrassa étroite-
ment.] Une chronique manuscrite de
Tours (7 5) rapporte ce joli miracle.
Hœc ( Heloissa ) sicut dicitur in agi i-
tudine ultimd posita prœcepitut mor-
tua intra mariti tumulum poneretur,
et sic eddem defunctd ad tumulum
aperlum deportald , marilus ejus qui
(72) Sedpoëtain alium sensum hoc detorquet,
quasi illa innurre voluerit suaviores esse aman-
tium , quant legibus connubiaUbus nexorum am-
plexus. Ibid.
(■;3) Potiiis qu'am obice et interventu suarum
nuptiarurn} impediinento esse ne Abœlardus fac-
lus uxorius frus traretur prœmio excellente in-
genii admirabilisque doctrines , putà purpura et
galero. Ibidem.
(?4) Voyez le livre intitulé : le Moyen de
parvenir , fait par un chanoine de Tours , à ce
que dit le Ménagiana , pag. 366 de la seconde
édition de Hollande.
(■j5) Apud Andreain Qiicrcctanum , Notis ad
Histor. Oalaniitat. Abœl., et npud Franc. Am-
bosium ! Prœfat. apologet,
HELVICUS. 5V
multii diebus an le eam defunctus ché au sépulcre depuis un an , leva
fuerat , elevatis brachiis illam rece- la main afin d'embrasser sa femme
pit , et ita eam amplexatus brachia au cou , lorsqu'on la mettait au même
sua strinxit. Mais d'où vient donc tombeau,
qu'ils ne sont pas dans le même mo-
nument? François d'Amboisc , qui HELVICUS (ChIUSTOPHLE),
nous conte qu'il a vu au Paraclet le professeur en théologie, en grec
tombeau du fondateur et celui de la t , orientales , dans
fondatrice 1 un auprès de 1 autre , ..
conligua jundatoris et fundatricis se-
pulcra, devait soudre cette petite
difficulté.
(Z) On a des exemples de pa-
reilles choses. .] Voyez ce que Gré-
goire de Tours rapporte (76) de deux
l'académie de Giessen , était né
le 26 de décembre 1 58 1 à Sprend-
lingen (a), oit son père était
ministre (A). Ce ne fut pas un
de ces esprits tardifs qui ne se
personnes mariées qui demeurèrent produisent que sur l'arrière-sai-
toujours vierges , et que les habitons son : il fut capable avant l'âge
du pays (77) nommèrent les deux
amans. La femme mourut la premiè-
re; le mari en l'enterrant se sen it de
cette oraison : Je vous remercie , 6
mon Seigneur et mon Dieu , de ce
//ne je vous rends ce trésor dans la
même pureté au il vous avait j> tu de
me le confier. La femme se mit à sou-
rire , et pourquoi , lui dit-elle , par-
lez-vous d'une chose Qu'on ne vous
demande pas ? Le mari mourut peu
après , et on l'enterra vis-à-vis de son
épouse ; mais le lendemain on trou-
va les deux corps ensemble au même
tombeau. Cette brusque interroga-
de vingt ans d'enseigner le grec
et l'hébreu , et même la philo-
sophie j et il avait fait une infi-
nité devers grecs à l'âge de quin-
ze ou seize ans. Ce fut à Mar-
pourg qu'il fit ses études. Il y
reçut le degré de maître es arts
l'an 1599. Il aurait pu l'obtenir
plus tôt , s'il avait voulu ; car il
fut reçu bachelier à l'âge de qua-
torze ans {b). Il se rendit si fa-
milière la langue hébraïque, qu'il
tion pourrait taire croire a quelque , , - ° 1 * *
profane, que l'épouse vierge n'aimait Ia parlait comme sa langue nia-
pas que le monde sût que son mari ternelle. Il lut à fond une infini-
eûi ète' si froid. Elle se borna au mè- té d'auteurs grecs ; il étudia mé-
rite de sa continence , sans vouloir me queique temps en médecine ,
être exposée aux opinions qu on .L ,.? ru. • ■
pourrait former au préjudice de ses quoupi il se fut consacre au mi-
agrémens. Ce n'est pas ainsi qu'on
doit garder ce dépôt : ce n'est pas bien
le restituer , que de le rendre tout
tel qu'on l'a reçu ; ce n'est pas pour
cela que Dieu a institué le mariage ,
non hos queesilu
munus m unis.
nistère. Enfin il donna tant de
témoignages de sa capacité , qu'il
fut choisi, l'an i6o5 , pour en-
seigner le grec et l'hébreu dans
le collège que le landgrave ve—
On peut donc n'être pas bien aise nait d'ériger à Giessen (c). L'an-
q ue le public puisse penser qu'on née suivante l'empereur conféra
n'a pas assez plu au dépositaire.
Mais l'historien remédiera à cet in-
convénient, si vous consultez le cha-
pitre XXXiï de la Gloire des Con-
fesseurs, où le discours de la défunte
est un peu mieux tourné. Dix chapi-
tres après il raconte qu'un sénateur
de Dijon , nommé Hilaire (78) , cou-
(-G) Histoire des Français, liv. I, ck. XLII.
(77) Clermont en Auvergne.
(78) Voyei le. Notes de it. Vabbé àc Marol-
<'ir Grégoire de Tours , ton. IF, pag. 283.
à ce collège le titre d'université,
avec les privilèges qui en dépen-
(a) C'est un bourg, à une demi • lieue dt
Francfort.
(b) Quarto decimo œlatis anno , perraro
exemple baccalaureatdsg radian consecutu s
Christoph. Scheiblerus, in Programmait d(
funeic Helvici. Il faut que le baccalauréat, en
Allemagne , ne soit point a qu'il est ailleurs,
(c) Konig se trompt -Il fait professeur
à Varpourg
572 HELVICUS.
dent. Helvicus , ayant rempli nologiques (D) , quoiqu'elles ne
pendant cinq ans toutes les fonc- soient point exemptes de tout
tions de sa charge avec beaucoup défaut (E). On peut connaître par
de réputation , fut avancé à la les livres qu'on a de lui (F), que
profession en théologie , l'année s'il eût vécu soixante ans , ses
1610. Il se maria la même an- œuvres pourraient faire plusieurs
née : je ne sais point s'il attendit tomes in-folio. Au reste , c'était
à le faire, qu'il se vît élevé dans un homme dontlesmœursétaient
un poste qui lui pût faire trou- irrépréhensibles ; il aimait la
ver un meilleur parti , ou si paix avec tout le monde , et il
d'autres raisons l'engagèrent à ne fut jamais brouillé, ni avec
demeurer garçon jusqu'à ce aucun de ses collègues , ni avec
temps-là, car l'auteur que je ci- d'autres gens (f) : Rara avis in
terai n'en dit rien ; mais il ob- terris. Il fut fort considéré de
serve que le mariage ne rendit plusieurs princes d'Allemagne ,
point Helvicus moins assidu à et il en reçut des lettres rem-
ses devoirs (d). On lui offrit une plies d'honnêtetés. Anne Doro-
église dans la Moravie, l'an thée, duchesse de Saxe, lui fit
161 1 , et une profession à Ham- l'honneur de lui écrire assez sou-
bourg, avec des gages considé— vent. Il fut regretté d'une façon
râbles. Il ne laissa point de re- particulière : tous les poètes
fuser ces deux vocations. Il prit d'Allemagne, de la confession
le degré de docteur en théolo- d'A.ugsbourg , se mirent en frais
gie, l'an 161 3 : le landgrave vou- de chants lugubres, pour plain-
lut cela, et qu'il allât voir, à dre la prématurité de sa mort.
Francfort, les bibliothèques des On fit un recueil de ces poésies
juifs, qui avaient été chassés de- qui fut imprimé avec l'oraison
puis peu par des émotions po- funèbre, et avec quelques au—
pulaires. Helvicus , qui aimait très pièces , sous le titre de Cip-
beaucoup la lecture des rabbins , pus memorialis , par les soins de
acheta làplusieurs de leurs livres. Wynckelman , collègue du dé-
II mourut à la fleur de son âge funt. Le fils de ce Wynckelnian
le 10 de septembre 1617, ayant fit réimprimer le Cippus , l'an
plusieurs desseins de livres en i65o.
tête (B) , et passant pour l'un
{f) Concordiam colebat cum omnibus :
nullo enùn iinquàm tempore cum ullo sive
Collée â , sive extraneo in discordiâ vixit.
Wyuckclm. , in Orat. fun. Helvici.
(A) Son père était ministre.] Il s'ap-
pelait Christophle comme son fils :
il avait été dans sa jeunesse, pendant
deux ans, le directeur du collège de
Géraw , après quoi il étudia en théo-
logie à Tubinge , et fut donné pour
ministre à l'église de Grisheim : mais
pu fw fuit, et in officia remissior. Jo. Wync k ince G landgrave de Hesse,
kelmannus, ulu infra. -, l .. ° . \ o ji-
le mit peu après a aprendlingen.
Helvicus servit cette église jusqu'à
des hommes du monde qui avait
le plus d'adresse et de métho-
de à enseigner une langue (e)
(C). Il était non-seulement bon
grammairien , mais aussi bon
chronologue. L'on a fait beau-
coup de cas de ses Tables Chro-
(</) Ner/ue verb inilo malrimonio TO. ùtix.
(e) Tiré de son Oraison funèbre , pronon-
cée par Jean Wynckelmannus, professeur en
théologie . à Giessen,
sa mort , et souffrit bien des traver-
ses. Multa propter sinceram confes-
sionem perpessus , tandem ibidem
vitam liane terrestrem cum cœlesti
commutavit. Il était fils de Quirinus
Helvicus , qui se signala à la défense
de Darmstadt , durant la guerre de
Smalkald. On peut voir dans Slci-
dan et dans de Thou le jugement que
le comte de Buren fît de lui. Ne
voyant aucune apparence de secours,
il se mit sur les remparts pour capi-
tuler, mais il reçut un coup qui lui
perça le bras droit, après quoi la
place fut prise d'assaut. On le voulut
faire pendre, et on l'aurait fait peut-
être, si la rançon qui fut promise
pour lui ne l'eût empêché. Il avait ac-
compagné le landgrave Philippe dans
presque toutes ses expéditions (i).
(B) Il mourut ayant plusieurs
desseins de livres en léte.] Il avait
publié plusieurs grammaires , une
latine, une grecque , une hébraïque,
une chaldaïque , une syriaque (2) ;
mais ce n'étaient que des abrégés.
Son lexicon hébreu, et son lexicon
latin n'étaient qu'une manière d'essai
en faveur de la jeunesse. Il souhaitait
de perfectionner toutes ces grammai-
res, et de faire des lexicons à l'usage
des savans ; et il demandait à Dieu
assez de vie pour achever ces ouvra-
ges. De plus il en demandait assez
pour réduire en ordre les histoires
ecclésiastiques , et pour critiquer la
traduction du Vieux et du Nouveau
Testament , faite par Piscator , et les
Commentaires du même auteur sur
l'Ecriture. Il croyait aussi qu'il im-
portait de faire une nouvelle édition
de la Bible de Luther, avec une bonne
apologie, et avec les explications né-
cessaires. L'édition de cette Bible que
Paul Tossan avait procurée depuis
peu , avec des notes marginales qui
contenaient les opinions de Calvin ,
fit naître cette pensée à Helvicus , et
en même temps un ardent désir d'exé-
cuter ce projet (3). Cum ante bien-
nium Paulus Tossanus Heidelber-
gensis doctor, versionem Bihlicam B.
Lutheri germanicam in lucem edi-
(i) Ex Oratione funebri Clirisloph. Helvici,
habita a Joanoe Wynckelmanno.
(1) Il publia premièrement une grammaire
Çe'ne'rale : Grammatica universalis, conlinens ea
quœ omnibus linguis sunt communia. Ceux qui
l'auront feront bien de la comparer avec celle
de M. Arnauld.
(3) Wynckclm. , in Oral. fun. Helvici.
HELVICUS. 573
disset , non solum variis notalionibus
marginalibus (quœ quales hinc indè
sint viri cordati j udicabunt ) consper-
sam , sed etiam erroribus Calviniano-
rum contra ipsius lutheri mcnlein et
voluntatem pr-otervd temeritate et im-
pudenliâ contaminatam , judicabat
operœ pretium esse , si opus illud Bi-
blicum Jjiitheri cum solidd ubi opus
e^set apologid , necessariis erplica-
tionibus , et macularum quas Ponti-
jîcii et Calviniani tlli asperserunt ,
abstersione in lucem prodiret. Ubi
animadverti in ipso singulare hoc ip-
sum prœstandi desiderium, si Domino
ila visum esset (4).
(C).... et passant pour un des hom-
mes... qui avait le plus d'adresse et de
uirt/iode h enseigner une langue.) Il
chercha une route plus facile que
celle dont on se servait dans les éco-
les, pour mener la jeunesse à l'érudi-
tion. Il ne se rebuta point par les
obstacles qu'on forma contre sa nou-
velle méthode, persuadé qu'il était
qu'elle épargnerait bien du temps et
beaucoup de peine aux écoliers; et,
poussé par la tendresse que l'on a
pour ses inventions , il se donna plu-
sieurs mouvemens afin d'introduire
sa méthode dans les collèges. Il mit
l'allaire en bon train : on tâcha de le
tourner en ridicule , on le chicana ,
on le calomnia ; il fallut se défendre,
il fallut réfuter ces rudes attaques
(5). Je crois que sa mort, étant venue
avant que ses inventions eussent pré-
valu , donna moyen aux partisans de
la vieille gamine de se maintenir , ou
de se remettre sur pied. Quoi qu'il en
soit, on fit mettre dans son épitaphe
qu'il avait été l'inventeur d'un nou-
vel art d'enseigner, novœ didaclicœ
auclor et injormator felicissimus. La
chose en valait la peine , titulo res
digna sepu/chri , et méritait d'être
copiée plus exactement qu'elle ne le
fut par le sieur Fréher , qui au lieu
de didaclicœ a mis dialecticœ. On
croirait qu'Helvicus avait quelque
idée d'un projet auquel on dit qu'un
fort savant homme travaille, qui est
de réduire les langues à des principes
communs qui puissent servir à les
apprendre toutes ensemble fort aisé-
ment j on croirait , dis-je, cela, si
(4) WyncWlm., in Oratione funebri Helvici.
(5) Voyez Spuélius, in Templo Honoris rese-
rato , p«à>. 5o.
574 HELVICUS.
l'on se fiait à ce litre de l'un de ses
livres : Ltbri didactici Grammaticœ
universalis latinœ, greeece , hebraï-
cœ, chaldaïcœ (G) ■ mais il est visible,
par son oraison funèbre, qu'il faut là
une virgule après universalis . Voyez
ci-dessus la citation (2).
(D) On a fait beaucoup de cas de
ses Tables Chronologiques .~] Je parle
de l'ouvrage qu'il intitula Theatrum
Historicum, sii'e Chronologia? Syste-
ma novum. Il le publia l'an 1609. Sé-
thus Calvisius , qui était si consomme
dans l'histoire et dans la chronolo-
gie , approuva beaucoup cet ouvrage,
et le trouva d'une invention et d'une
commodité toute nouvelle , puis-
qu'on y voyait les choses tout à la
fois et d'un coup d'œil : Utpote in
quibus exemplo arilehac non viso
omnia uno intuitu lectorum oculis
subjiciantur. Wynckelman obsei-ve
que cette approbation se trouve dans
la lettre que Se'thus Calvisius e'erivit
à Helvicus, le 7 de septembre 160g. Il
ajoute: L'ouvrage se réimprime pré-
sentement , corrigé et augmenté par'
l'auteur. Jam secundum emendatius
et ex ipsius a.ùrrjypâ.tya> auctius editur.
Il fout donc dire que la première
édition de cet Ouvrage est de l'an 1609,
et que la seconde est de l'an 161 8.
Jean Steuber , professeur à Giesscn ,
eut soin de celle-ci , et la dédia à un
seigneur danois (7) , protecteur des
gens de lettres , et qui avait honoré
Helvicus de son affection. Vingt ans
après on fit une nouvelle édition de
cet ouvrage, par les soins de Jean Bal-
thasarSchuppius, gendre de l'auteur,
et professeur en éloquence à Mar-
pourg.il avertit, dans sa préface qu'il
ne veut rien dire de l'édition d'An-
gleterre. Depuis ce temps-là ce Théâ-
tre Chronologique a été réimprimé
plusieurs fois. Vossius n'a pas bien
marqué la date de la première édi-
tion, et a donné pour la seconde
celle qui ne l'était pas. Anno cio 10
ex n, dit-il (8), Christophorus Hel-
vicus edidit Syslema Chronologicum,
œqualibus denariorum , quinquage- ,
nariorum, et centenariorum, inteival-
lis. ld postea continuant et recen-
(G) Spizélius, ibid., pag. 52 , rapporte ainsi
cr- litre.
-) Oliger lioseciantz. Vépîlre dédicaloire dr
Steuber est datée du îS de mars 1G18.
(8) Df scient, matlicm. , pag. 4°4-
suit Joannes Balthasar Scoppius
Emisit anno cio id cxxxviii. On ne
peut pas m'objecter, en faveur de
Vossius , qu'il'est très-vrai qu'Helvi-
cus fit un livre de chronologie , l'an
1612 , qui fut augmenté par Schup-
pius , l'an i638 ; car ce livre n'est
point celui dont Vossius parle : il a
pour titre : Chronologia Universalis
ah origine mundi per quatuor summa
imperia, quas monarchias appellant,
ad annum usque mdcxii , deducta ,
cum pirœcipuis synchronismis viro-
rum illustrium, eventorum et politia-
rum cœterarum (9). Tout y est ac-
commodé à la prophétie du IIe. et du
VIIe. chapitre de Daniel. Voilà un
caractère qui ne convient pas au
TJieatrum Historicum. D'autre côté ,
le titre et le caractère par lesquels
Vossius désigne le livre dont il a par-
lé, conviennentparfaitement au Thea-
trum Historicum, sive Chronologia?
Systema tiointm , où l'on ne voit que
compartimens de dizaines , de cin-
quantaines et de centaines , dont
l'une ne passe pas l'autre. Enfin Jean
Justus Wynckclmannus , fils de celui
qui prononça l'oraison funèbre , re-
marque très-expressément (10) , que
Schuppius a publié, avec les conti-
nuations jusqu'à l'année i63g, deux
ouvrages de son beau-père Helvicus ;
l'un est le Theatrum Historicum in-
folio ; l'autre la Chronologia univer-
salis -in-quarto. Jclaisse à dire qu'Hel-
vicus ne publia point lui-même la
Chronologie qu'il avait continuée
jusqu'à l'an 1G11 : ce fut Steuber, son
collègue, qui la publia, l'an 1618.
(E) quoiqu'elles ne soient point
exemptes de tout défaut.] M. le Fè-
vre de Saumur ne les trouve point
exactes à l'égard du temps que les
poètes , les philosophes , et autres
personnes savantes ont fleuri. Pri-
mum hocmihi credas velim, Hel-
uicum non salis locupletis esse fulei
in hdc Chronologia? parte quœ viro-
rum scriptis illustrium œtalem signal:
dein hoc quoquehabet Helvicus, quod
ferè plemmque recentiores script ores
sequalur , ut eclogarios , bibliothe-
carios , etc. ; qualc aliquid qttoqite in
(9) Vide M. Eusebium Bohemum, in epitome
Historiœ ecclesiasticœ Novi Teslameuti , pag.
'12 etseq. , apud Joli. Jiislum Winckelmannum,
in Ciupo memoriali Christopbofo Helvico rc»-
taurato, pag. 10.
(10J Wynckelm. , ibid.
HEMELAR.
Calvisio improbdrat Scaliger, quem-
admodum ex epistolis ejus apparet s
quamvis Calvisii opus , ex quo lotus
est Helvicus , mirijicè laudaret. Sert
quod dico , allalis infiù ci emplis
planiiis constahit (il). Les exemples
qu'il promet là , et qu'il donne en-
suite , regardent les fautes qu'Helvi-
cus a faites sur Athénée, sur Lucien,
sur Justin et sur Hermogène.
(F) Les livres qu'on a de lui.] J'en
ai déjà marqué quelques-uns , en
voici d'autres. Il publia des Disser-
tations Chronologiques sur les IV Mo
575
Théâtre de Paul Fréhérus (i5) . et h-
Templum Honoi'is de Spizélius ; vous
y verrez un long catalogue , qui me
semble assez exact , des ouvrages
dllclvicus. La plupart sont en latin,
les autres en allemand. Corrigez dans
Fréhérus à i'épitaphe XXXVI (16) et
IX ; et mettez XXXV et IIX. Il est
bien étrange que ceux qui ont corri-
ge1 ce gros livre n'aientpasvu qu'un
homme né le 26 de décembre i58i
(17), et mort le 10 de septembre
1G17 (18) , n'a pas vécu trent-six ans
neuf mois et demi. Il y a XXXV ans
narchies, sur les LXX Semaines de Da- et IIX mois dans I'épitaphe rappor-
nicl, sur Cyrus , sur les autres rois de tée par Wynckelmau (in) , qui d'ail-
Perse, etc. Il réfuta si solidement les leurs a fait la faute de dire dans l'o-
opinions d'Angélocrator , qu'on n'eut raison funèbre, qu'Helvicus étaitmort
rien à lui répliquer (la). Cependant dans la trente-septième année de sa
Angélocrator se piquait d'inspiration:
il déclare à la tête de son livre qu'il
l'a composé Deo illuminante (i3).
Cela diminue de beaucoup la gloire
de ceux qui l'ont réfuté ; car il ne
peut point être diflicile de trouver
mille chimères dans les écrits de ces
prétendus inspirés. Quand même ils
ne seraient pas actuellement fanati-
ques , et qu'ils n'auraient en vue que
d'exciter les passions, ils témoigne-
ront en se vantant d'une telle chose
contre leur conscience un égarement
d'esprit , qui ne leur permettrait pas
d'échapper au moindre critique. Hel-
vicus fit des traité» de Dialeclis grœ-
cis ; de Ratio ne carmina grœca con-
sevibendi ; de Paraphrasi liibliorum
chaldaïcd ; une Poétique latine ;
Desiderium Evœ , cum aliorum dic-
torum Biblicorum h deprawationibus
Judœorum, Cah'inianovum , et Pho-
tinianorum erroribus annexa vindi-
vic , anno œtatis suce trigesimo septi-
mo: il écrit cela tout du long, et non
pas en chiffres. Il écrit de la même
manière le jour de la naissance et le
jour de la mort ; celui-là est , selon
lui , le 26 de décembre i58i ; l'autre
est le 10 de septembre 161 7 : d'où
lui viennent donc les trente-sept
ans ? Plus il est facile d'éviter ces
fautes, plus faudrait-il les éviter.
(iS) Pag. 394.
(iol Magirus, in Eponyra., met aussi XXXVI.
(17) C'est ce que Paul Fréher assure, p. 3i)'i.
(18) C'est ce que porte /'épitapbe , apud
Freherum, pag. eâdem et 3g4-
(19) In Cippo mémorial), pag. m. 16.
HÉMELAR (Jean), chanoine
d'Anvers , natif de la Haye (a) ,
a été un fort savant homme *.
Il s'appliqua beaucoup plus à
l'étude des belles-lettres , et à la
science des médailles (A) , qu'aux
disputes des théologiens. Il était
catione ; Synopsis Histoviœ iiniver-
salis. Il avait mis 6ous la presse la
Poétique hébraïque, et en avait dé- P°ete e} orateur 11 fit a Rome
jà fait, l'épître dédicatoire ; mais il un panégyrique de Clément VI II,
la supprima et pour cause (i 4). Voyez avec un si grand succès, qu'on
le sieur Witte dans son DiariumÉio- iu[ donna a choisir ou la garde
de la Bibliothèque du Vatican,
ou un très-bon bénéfice (b). Il
se contenta d'être chanoine à la
(a) Valère André , Biblioth. belg., p. 5i4-
* Leclercdit que liémolar vivait cucuiecn
i63<). 11 ne mourui que le 6 novembre io"55,
suivant Paquot, qui lui a consacré un articli
dans ses Mémoires.
{b) Joli. Fridcricus Gronovius in Oral.
fun. Jacobi Golii , pag. 7.
graphicum ; mais surtout voyez le
(11) T. Faber, Epiatolar. Ub. /, pag. an.
(13) Contra absurdas Danielis Angelocralo-
ris opinaliones , ut ras insignis chronologus Se-
lhu< Calvisius in liiteris ad Helvicum datis in-
digilat , quem ita errorum con vieil , ul ne contra
quidem kiscere potueril. WyncUlm. , in Orat.
funebri.
(i3) Apud Vossium , de scient, malberaat. ,
pag. 402.
(14) Quam iamen puit certis de cau.ù' prttlo
\uxil. Wynclielm. , in Orat. fumbri.
576 HÉMELAR.
cathédrale d'Anvers (c). Il avait dailles.] Il composa un livre sur celte
eu beaucoup de part à l'estime science et le donna à publier .mais
eu ucdutuui7 , j1 T T - a condition qu'on n'y mettrait pas
et à lamitie de Juste Lipse son nom Auctor est Expositionis Nu-
son professeur : cela paraît par mismatum imperatorum romanorum
les lettres que Lipse lui a écrites à Jul. Cœsare Heraclium , quant operi
(d) , et par le témoignage qu'il lui su° Jac- *"M adJecit >Jaf° > ut '*'
\"-J 5 v 1 /n tt' i puLatus erat, nomme, Anluerp. iipud
donna, 1 an iboo (e). Hemelar se Verdus.\6\\. 4 (i). Voilà ce qu'on
préparait alors au voyage d'Ita— trouve dans Valère André. On va
lie. Il passa six ans à Rome chez voir quelque chose de plus précis,
i j- i r ' • t r\ Ti f.,+ „™,' In IVumismata regum et imvu. rô-
le cardinal Lesi (/ ). 11 lut ami , n T s. n *r
c ^ v-/ ',.. j manorum a C Julio Cœsare usque
de Grotius, et il publia des vers ad FI. Jusûnianum ex Caroli Ars-
où il le félicita de la sortie de chotani reguli et IVic. Rocoxd con-
nrison (g~) Il était frère de la SUI<^S viri armariis deprompta com-
" , 1 ? /-> i • 4. menlarios edidit honœ f rugis plenos ,
mère de Jacques Golius, ce savant inquibus quicquidiniurZ, argento,
professeur de Leyde qui s est ac- œre, flato percusso in urbe œternâ ,
quis une si belle réputation par exquisitum, elegans, historiée tempo-
la connaissance profonde des rum et 8enion principumconveniens ,
. . , 1Ti .. per notas , figuras, ambages brèves
langues orientales. Il aurait vou- ^ sirpos Jrb°orum \ignij£atu.Tt acu.
lu sans doute gagner ce neveu à tissimè paucis et planissimè explicat,
la communion romaine, comme penu quoddam nummariœ antiquita-
il y gagna Pierre Golius, frère de tis : et 7M0 °Pere. alicluis arrogantior
T J ° ° . ., , : , , supens se misceri posset arbilrari , in
Jacques ; mais il n aurait pas ete e0 nomen suum dissimidai,it (2). Les
capable d'y réussir. Jacques Go- paroles qui précèdent celles-ci dans
lius était un bon protestant , qui *a harangue de Gronovius sont trop
„„_„„ i„„*^ <.» .,;^ K«o„^«„T^ belles pour n'être pas rapportées.
conserva toute sa vie beaucoup , , f„ ... . * . j11,
. \ Mater ( (joln) omm sexds laude prœ-
de rancune contre son oncle, a dita t>elunicaJohannis Hemelarii
cause du changement de religion fratris imagine sat nobilis est, viri et
de son frère (h). Moréri , qui dans in eeterum Utterarum tractatione cam
l'article de Golius avertit qu'il PHrnis exercitati,etpoëtœ diserUtet
.... -, t tt ' probitate ac tranqmltitate uttce fugd-
parle ailleurs de notre Jean He- que nonorum et negotiorum T. ali-
melar, ne donne qu'un faux avis, quem Pomponium Atticum référen-
ce ne l'imiterai point à l'égard tis. Panegfricum dixit votis tertiorum
de la promesse que j'ai faite dans f^nquennalium Clementù VIII ,
J- • i j v i tam illustri gratta exceptum , ut y a-
le même article de dire quelque ticanœ biblioihecœ prœfecturam , aut
chose touchant PlERKE GOLIUS (B). optimum sacerdotium( canonicatum
vocant) optare jussus sit : sacerdolio
(0 Job. Frideriçus Gronovius, in Orat. Antuerpiœ contentus fuit. M. Colo-
funehri Jacobi Goln , pag. 7. ^^ (Sf assure leqivre dlIe<me_
(cl) Idem, pag. o. i t ji ^^^
(e) Il est plein d'éloges. Vous le trouverez lar sur les médailles ne se trouve pas
d«ns Swcriius , Athen. he\ç>.,pag. l\66. aisément. Il s en est fait néanmoins
(/) Idem , Swert. , ibid. trois éditions (4). Les autres ouvra-
(g) Grotio arcam et nngelum custodem ges de ce chanoine d'Anvers sont ,
luculento carminé gralulalus est. Gronov. , Gratulatio in inaugurationem D.
in Orat. funebri Jac. Golii.
(//) Unum in eo non sine gemitu solebat (i) Valer. Andr. , Bibliolh. belg., pag. 5i4-
accusare noster , r/uôdfratrem Petrum revo- (2) Gronovius , m Orat. funebri Jac. Golii,
câsset ad religiones parenîibus ejuratas. paf\ '/,, '
Idem, ibid. W Mélanges lnstoriques, pag. 78.
(4J La seconde est de l an 1027 , in-^°. , et
l A\ Tl ^...r.'«,. 3. r 't..,l~ J .„ 1 .1 'a troisième, de l'an i654, in-folio, toutes deux
(A) Il s appliqua a l clittle <lrs bel- ■ . i)-„ . 1 - 1 1 1. nVr .1
. v ' • 1 j - a envers, royez le père Labbe , Bibuotli. num-
les-leUres , et a la science des trie- mar. , pag. 2O2.
HEMMINGIUS.
Cltristïani Michaëlii , D. Michaëlis
apuil Antuerpienses Prœmonstraten-
sis ccenobii abbatis ; Poëruata limita
sparsim édita ; Oratio infunere Joan-
nis Malderi f^, Antveipiensis episco-
pi , habita-
(B) Je dirai quelque chose touchant
Pierre Golius. ] Il eut la même in-
clination que son frère pour les voya-
ges du Levant, et pour les langues
orientales. Il se fit carme déchaussé,
et prit le nom de célestin de Sainte-
Liduïne. Il séjourna plusieurs années
sur le mont Liban , et il fut profes-
seur à Rome, aux langues orientales,
ïl traduisit en arabe Thfcmas à Kem-
pis , et il entreprit à l'âge de soixante
et quatorze ans le voyage des côtes
de Malabar, pour y travailler à la
conversion des infidèles. La diversité
de religion et de profession n'empêcha
pas les deux frères de s'aimer bien
tendrement. Pierre écrivit à Jacques
qu'il lui était redevable du bon trai-
tement qu'il recevait en Asie. Frater
ascètes è familid discalceatorum cùm
per vestigia jratris in Oriente decur-
reret , scripsit ad nostrum diit jam
reducem omnia sibi evenire prœter
expectationent ; parasse se ad vincu-
la, carceres , verbera , emees ; inve-
nire amplexus, gratulationes, studia,
gratias polentium ob nomen Golium :
eam memoriam id desiderium sut re-
liquerat : ita gratiam absenti refere-
bant (5). Cela veut dire que le nom
de Golius y était si estimé depuis les
voyages de Jacques , qu'on lui faisait
beaucoup d'honneur en la personne
de Pierre. Au reste , il ne faut pas
s'imaginer qu'Hémelar ait eu besoin
de beaucoup d'esprit et d'industrie ,
pour attirer son neveu à la commu-
nion romaine ; car il le gagna dans
l'enfance ; Pierre Golius était élevé
chez lui dès l'a"ge de huit ans. Je rap-
porterai les paroles de Gronovius, sur
lesquelles je me fonde. On y verra
que cet enfant eut l'esprit fort avan-
cé. Unum in eo ( Hemelario) non si-
ne gemitu solebat accusare noster ,
quhd fratrem Petrum revoccisset ad
religiones parentibus ejuratas , lirum
alioquin egregium , etfraterno secum
animo , nec minus gnarum rerum et
linguarum Orientis , diùque in parti-
bus iisdem versatum et arabicœ lin-
(5) Gronovius , in Orat. funebri Golii , p. 19.
TOME VU.
>77
guœ Jîomœ projessorem -. qui quant
prœcocifuerit indole , testis est ora-
tio , quant Christiano Michaelio ab-
bali Prœmonstratensi ab Hemelario
scriptam gratulandi causa , puer oclo
annorum constanter , et quasi Jecisset
memoriter pronuntiaiil.
HEMMINGIUS ( Nicolas ) ,
professeur en théologie à Co-
penhague , naquit l'an i5i3 ,
dans l'île de Laland (a). Sa pre-
mière éducation ne put pas lui
être fort avantageuse , puisqu'elle
fut dirigée par un forgeron ,
frère de son père. Jl fit néan-
moins quelques progrès dans les
bonnes lettres, etpuis il al la à Wît-
temberg où , pendant cinq ans ,
il fut l'un des auditeurs les plus
assidus de Mélancthon. Comme
il fallait qu'il gagnât sa vie, soit à
instruire des écoliers, soit à écrire
pour eux , il faut admirer davan-
tage l'érudition qu'il acquit. II
s'en retourna en Danemarck ;
et , par la recommandation de
Mélanchthon , il entra chez un
gentilhomme dont il instruisit
les filles. Ensuite il fut fait mi-
nistre de l'église du Saint-Esprit,
à Copenhague , et puis profes-
seur en langue hébraïque. Il prit
le degré de docteur en théologie,
l'an i55y , et tout aussitôt il ob-
tint une profession en la même
faculté à Copenhague. Il en fit
très-bien les fonctions jusques
eu l'année i5"ji), qu'il fut dé-
claré emeritus , et pourvu d'un
canonicat dans l'église de Ro-
schild. Il jouit tranquillement de
ce bénéfice jusques à sa mort,
c'est-à-dire jusques au ?.3de mai
1600. Il fut aveugle les derniè-
res années de sa vie {b) , et cela
(à) Elle appartient au roi de Danemarck.
{b) Tiré de Paul Ficher, ïheatr. Viror.
illustr. . pag. 3i2 , il'5.
37
5-78
HEMMINGIUS.
doit moins surprendre quand on
songe qu'il fut toujours fort stu-
dieux , et qu'il vécut quatre-
vingt-sept ans. Remarquons que
non-seulement il ne fut pas un
luthérien fort rigide (A), mais
qu'il y a quelque apparence que,
si l'on n'y eût mis ordre , il au-
rait paru bon calviniste. On s'a-
perçut de son penchant pour les
opinions de Genève , et on l'o-
bligea à s'expliquer , et même à
se rétracter (B). Il donna une
confession de foi luthérienne , et
néanmoins il s'est trouvé depuis
peu un théologien qui a tâché
de montrer qu'elle s'accorde avec
celle des réformés (C). Hemmin-
gius publia beavicoup de livres.
Ses opuscules de théologie paru-
rent si bons à Simon Goulart
qu'il les fit réimprimer à Genève ,
l'an i586(D).
Ajoutez qu'à l'âge de soixante
et dix ans, il fit un livre intitulé
Immanuel , qui semble destiné
principalement à combattre Jac-
ques André, le grand promoteur
de l'ubiquitisme (c). Cet ouvra-
ge , qu'on loue beaucoup (d), n'a
été imprimé qu'après la mort de
l'auteur. On le publia à Franc-
fort, l'an if)i5 (e), avec une pré-
face qui nous fournira un supplé-
ment sur ce que nous avons dit de
la vigueur avec laquelle le livre
de la Concorde fut rejeté par le
roi de Danemarck(E).
(c) Lud. Gérard.; à Renesse , Wot. in
Apolog. belg. eccl. , pag. Il/p
(d) Idem , ibidem.
(e) Idem , ibid. , pag. III.
(A) Il ne fut pas un luthérien fort
rigide. ] Il me suffira d'en alléguer
cette preuve. La formule de concor-
de , que les théologiens de Saxe et
leurs adhérons tâchèrent de faire ré-
gner par tout le monde luthérien ,
fut rejetée avec beaucoup d'indigna-
tion dans le Danemarck. Le roiFridé-
ric II défendit à tous ses sujets de
la signer, et menaça du bannissement
tous ceux qui contreviendraient à
cette défense , ou qui apporteraient
des exemplaires de ce livre dans ses
états (i). Voyez la remarque (E). Or
Hemmingius fut le principal promo-
teur de cette aii'aire (2) , comme le
remarque Hospinien , qui sur ce fait-
là n'a point été contredit par Hutter.
(B) On l'obligea.... a se rétracter.}
Hospinien (3) rapporte qu'Hemmin-
gius , dans son Syntagma institutio-
nu?n christianarum, publié l'an \5n/\ ,
s'expliqua sur la présence réelle com-
me aurait fait un calviniste. M. Ma-
sius n'en disconvient point ; mais
il ajoute qu'Hemmingius , averti de
son erreur , la rétracta solennelle-
ment (/j). « Non dissimulandum esse
» ait ( Masius ) Calvini sententiœ de
» sanctâ Ccenâ" aliquandiù indulsis-
» se ( Hemmingium ) sed monitum à
» caeteris theologis ad meliorem men-
» tem reversum deposito errore pa-
» linodiam cecinisse. Quant in rem
■» ejus confessionem , ipsius manu
» scriptam (5) sibique a viro illus-
» tri D. Engberg consiliario régis et
» judice provinciali Seelandiœ dono
» datant subjungit. » L'auteur dont
j'emprunte ces paroles fait voir par
quelques passages du Syntagma
qu'Hemmingius combattit l'ubiqui-
té , et donna des louanges à Calvin
pour l'accusation de Servet , et aux
magistrats de Genève pour le sup-
plice de l'accusé. Cum lus hœresi-
archis damnamus etiani impium ne-
bulonent Michaëlem Servetum , qui
rabiosè contemtis sanctorum patrum
conciliis, Arii et aliorum fanaticorum
hominum damnatas hœreses reuoeare
conatus est, quem justo accusatum ît
D. Johanne Caluino , mérita Géné-
râtes ajfecêre supplicio (6).
(C) Un théologien.... a taché de
(1) Tiré ^/'Hospinien , de Origine et Progressa
libri Concordise, cap. XXXK , pag. 307.
(2) Piomoventibus cautatn hanc D. Hemmin.
gio , et aulico concionatore , etc. Idem , ibid.
(3) 1(1. , ÏJist. Sacraroent. , parte II , p. 5g5.
(4) Samuel Andréas, in epislolà ad Anloniuin
Horneck quâ Danix orthodoxa; fîdelis et pacifie»
Autori respondetur, p O2, edit. Hlarpurg., îGqo.
(5i Le 6 d'avril 1576.
(6) Hemmingius, in Syntagm. Institutionum
Cbrislianarum, Loto de Deo, num. 38, apud
SainueleiB Audr. , uiii supià, pnç. 63.
HEMMI
montrer que la confession... d'Hem-
mingius s accorde avec celle des ré-
formés.} M. Masins , professeur en
the'ologie à Copenhague , a communi-
que' au public la confession que l'on
exigea d'Hemmingius. Elle porte qu'il
croit fermement que Jésus-Christ tout
entier Dieu et homme , est substan-
tiellement pre'scnl à la cène, partout
où on la célèbre selon son institution:
et que Je'sus-Christ apporte et livre à
tous les communians, dignes et indi-
gnes , son corps véritable , et le vrai
sang qu'il a répandu pour nous en
re'mission des péchés ; et que ce corps
et ce sang sont pris véritablement et
réellement avec le pain et le vin par
les communians ; en sorte que c'est
une vraie viande et un vrai breuvage
dont l'homme est nourri , recrée , el
vivifié à la vie éternelle. Se slaluere
et firmiter credere totum Christum
Deum ethominem substantialiter ad-
esse prœsenlem in cœnd siui ubicun-
que celebratur jn.rta ipsius ordinatio-
nem , ip s unique adferre et exhibere
omnibus communicantibus dignis et
indignis suum vefum corpus et veruni
sanguinentquetn effudiipro nobis in re-
missionem peccatorum , et hoc corpus
et hune sanguinem verè et realiter
cum pane et vino a communicantibus
sumi , ita ut verus sit cibus et potus
quo homo pascitur , reficitur et vivifir
catur ad vilam œternam (7). Au reste,
Hemmingius reconnaît que sa confes-
sion s'accorde avec celle d'Augsbourg
avec le petit Catéchisme de Luther ,
et avec le système de la doctrine des
églises saxonnes ; et. il déclare qu'il
révoque tout ce qu'il a dit dans son
Syntagma qui a offensé les églises ,
et qui est conforme au sentiment de
Calvin sur la sainte cène , ou qui ne
s'accorde pas avec la présente con-
fession. Cunijam aliter in Syntag-
mate suo scripserit juxta sententiam
Caluini de re sacramentariâ quo ec-
clesiœ offensœ sint , et quod cum ha'c
sud prœsenti confessione pugnet , id
quicquid sit in universum reuoeare ,
et hoc suo scripto revocatnm velle (8).
Il demande pardon au roi et à tous
ceux à qui son Synlagma avait donné
du scandale (9). Il est visible que sa
confession contient le luthéranisme,
(7) Voyez Samuel André , pag. 65 , 66.
(8) Âptul Samuelem Andream, ibid., pas,. 6".
(9) Ibidem.
NGIUS. 579
et l'on doit être persuadé que les
dur leurs qui l'obligèrent à se rétrac-
ter , lui prescrivirent les expressions
qu'ils crurent les plus capables de
lever les équivoques , et de marquer
précisément et formellement son or-
thodoxie et l'abjuration de son er-
reur. Néanmoins , vous ne sauriez
croire avec quels efforts le théologien
que je cite prétend montrer cru Hem
mingius ne chanta point la palinodie.
Les parenthèses et les nota behe donl
il entrecoupe les paroles de la con-
fession , afin d'éluder les conséquen-
ces et les prétentions de M. Masius ,
lui paraissent si solides , qu'il ne
craint point d'assurer qu'llcmmingius
ne rétracta que fort peu de chose ,
et que les bons calvinistes pourrait ni
en conscience signer cette confession
expliquée et entendue selon son vrai
sens. Kidet itaque rurs'um vir claris-
sirnus , quanti/hnn id sit quod hue
confessione sud Hemmingius rei'oca-
vit , cui et nos, dummodo dextre in-
telliganturet rectè explicentur possu-
mus adstipulari ; et quitmprocul ille
adhuc abfuerit tum cum collegis a
fide ^v»3-('a)ç lutheranâ ( io ). Con-
cluons de là qu'il est malaisé de
dresser un formulaire qui coupe che-
min à toute dispute. On croit avoir
prévenu toute sorte d'équivoques ;
mais dans la suite on s'aperçoit qu'un
adversaire invente mille détours , et
nous veut, persuader que nous avons
eu d'autres pensées que celles que
nous savons bien que nous avons
eues. En certains cas c'est entrepren-
dre ce que Périclès entreprenait, et
dont, il venait à bout. Jeté par terre
en luttant , il persuadait aux specta-
teurs qu'il n'était pas vrai qu'il fut
tombé (n). On se souviendra peut-
être ici d'une observation maligne
que l'on aura lue dans l'Histoire des
Variations (ia). « Les luthériens nous
» assurent, dans leur livre de la Con-
» corde, que Luther fut porté à cette
» expression (i3) par les subtilités
» des sacramentaires, qui trouvaient.
» moyen d'accommoder à leur pré-
(io) Samuel Andréas , epist. ad Anton. ITor-
neck , pag. 67.
(n; Voyez, lom. XT, V article PÉmeiks, h
ta remarque (D) , avant le premier alinéa.
(isO M. deMeaux, Histoire des Variations ,
liv. IV, num. 37 , pas. m. 1S1.
(i3) Savoir que le pain était le vrai corps.
58o
HEMMI
-» sence morale , ce que Luther disait
>, de plus fort et de plus précis pour
)> la pre'sence réelle et substantielle 5
» par où , en passant, on voit enco-
» re une fois qu'il ne faut pas s'éton-
)> ner si les défenseurs du sens figuré
» trouvent moyen de tirer à eux les
» saints pères, puisque Luther même
3) vivant et parlant, lui qui connais-
■» sait leurs subtilités , et qui entre-
» prenait de les combattre , avait
3) peine à trouver des termes qu'ils
w ne fissent venir à leur sens avec
3> leurs interprétations : fatigué de
» leurs subtilités , il voulut chercher
3) quelque expression qu'ils ne pus-
3> sent plus détourner , et il dressa
33 l'article de Smalcalde en la forme
)) que nous avons vue. 33 M. de Meaux
aurait pu trouver dans son église un
grand exemple de tout cela. La bulle
d'Innocent X contre les dogmes de
Jansénius n'ôta point aux jansénistes
les moyens de disputer. Ils se retran-
chèrent dans plusieurs subtilités , et
dans mille distinctions. Pour les for-
cer là-dedans on fit parler Alexan-
dre VII d'une façon plus précise ; on
fit entrer dans sa bulle tout ce qui
paraissait propre à renverser les dis-
tinctions et les subterfuges de Port-
Pioyal. Cela ne servit de rien. Les
jansénistes continuèrent à soutenir
que la doctrine de Jansénius n'avait
pas été condamnée. M. Arnauld étala
cent observations empruntées de la
plus fine logique (i/j)- La lecture
d'un tel écrit "eut bien étonné le pape :
il eut vu la vanité de ses précau-
tions ; il eût aperçu qu'on lui prou-
vait , qu'il n'avait pas voulu dire
ce qu'il savait bien qu'il avait eu
dans l'esprit. Ace que je vois, aurait-
il pu dire , vous savez mieux que
moi-même ce que je pense. La belle
chose que c'est que le connotatum du
cardinal Lauréa (i5) ! Et quand on
songe aux distinctions infinies qu'il
faut faire pour bien démêler ce que
les bulles ordonnent, et ce qu'elles
n'ordonnent pas (16), on sent bien
que l'infaillibilité de la chaire de
(i4) Voyez les écrit' qui ont e' le publiés , pag .
ifo et suivantes du IVe. tome tle la Tradition
de l'Eglise romaine sur la Grâce, h Liép;e, ifigfj.
(iSJ Voyez le IVe. tome de la Tradition de
I'Kglise romaine sur la Grâce , png. i38 et suiv,
(16) Voyez ce nu on cite de Melcliior Canus,
dans ce même IVe. tome de la Tradition , paç.
120 et suiv.
IsGIUS.
Saint-Pierre n'est d'aucun usage , si
l'on ne suppose , ou que chaque par-
ticulier connaît à fond toutes les plus
fines règles de la dialectique, ou que
chaque curé est infaillible.
(D) Ses opuscules..., parurent si
bons h Simon Goularl , qu'il les fit
réimprimer l'an t586. ] Voyez
l'épître dédicatoire de l'édition qu'il
en procura. Au reste , il avertit les
lecteurs qu'il a éclairci certaines cho-
ses qu'Hemmingius n'avait pas dé-
veloppées suffisamment , et qui cho-
quaient plusieurs personnes.
(E) V^oici un supplément sur ce que
nous avons dit {\ 7) de la vigueur avec
laquelle le livre de la Concorde fut
rejeté par le roi de Danemarck. ]
Un Anglais (18) qui fit la préface de
cet ouvrage posthume d'Hemmingius
nous apprend (19) , que la reine Eli-
sabeth travailla de toutes ses forces
à faire que le roi de Danemarck en
usât ainsi. Il raconte bien des parti-
cularités de l'indignation de ce prin-
ce , et entre autres celle-ci , que le
livre de la Concorde qu'on lui avait
envoyé couvert de soie et orné de pier-
reries, fut néanmoins jeté au feu, itnô
quod memorabde imprimis est a pien-
tissimo Danorum rege Frederico II ,
ab auld efectorali Saxoniâ , ut ut
mis sus, holoserico obductus auro gem-
misque preliosis affabrè ornatus mag-
no et pio zelo p^ulcano tradilus
est , annexa gravissimd peenâ et in-
spectione ejus rei universi regni epi-
scopis demandatd sub conjiscatione ,
m regnum ne importaretur , ibidemve
distraheretur neve sub exitio certissi-
mo ab ullo possideretur , eo quod in
illo nova , et in istis regionibus antè
inaudita , ac {prout habet ipsum di-
ploma regium in librum Concordiœ
vibralum , a doctis viris mini non
semel in Darda explicatum) inusitata
comprehenderenturdogmata : recepta
eero ibi ex adverso sunt cum Lutheri,
Philippi quor/ue scnpta , inter hœc
cum primis Corpus doctrine , tribu-
niticvque illœ , ac declamaloriœ con-
(17) Dans la remarque (A).
(if?) On le nomme d'abord Robertus Alenso-
nios , dans les notes que je citerai ci-dessous ,
mais ensuite on le nomme toujours Robiosonius.
(ig) Prarfatio libri Hemmingii , cui tituhis
Immantiel , apud Ludovicum Gerardum à Re-
nesse , Not. in apologeticam reformatarum in
Btlgio ecrlesiarum epistolam, ad , et contra Auc-
toies libri Bergcnsis, dicti , Concordiïï , p. m.
HEMMINGIUS.
58.
clones S. Caihedris puhœ (20). Il re-
marque qu'Huttérus a fort condamne'
cette conduite de sa majesté danoise.
Heroïcum istud régis 'Frederici fac-
tum vocat ( Hutterus in libro quem
appellat Concordia concors ) durum
nimis et Rhadamantheum plané , re-
gemque et quidem Christianum haud
decens , sed cum enormi , tantoque
rege indigna prorsùs animi impoten-
tid , et nimiâ affectuum vehementiâ
conjunetum , quod tanti régis digni-
talem , prudentiam et existimationes
haud let'iter, omnibus , qui sallem ali-
quid judicare possunt , suspectas red-
dit. Mais qu'elle a été amplement
loue'e par Ohristophle Knobius , dans
l'oraison funèbre de ce monarque.
Citons l'endroit ; il nous fera voir le
zèle ardent de ce prince , qui disait
souvent que cette dispute des luthé-
riens avait cause' plus de maux que
les Turcs n'en eussent cause' par le
saccagement des provinces où elle
avait pris naissance. Christophorus
Knobius aulicus illius ( régis ) con-
cionator in concione funebri in exe-
quiis regiis habita anno i588 , 5 junii
sic de illo loquilur : Sollicitus erat ne
sui quoque doctores in abyssum hu-
jus periculosœ et nocentissima dis-
putationis abriperentur, ideôque no-
luit isti negocio immisccri : etiam
querebatur damnum quod christia-
11a ecclesia ex hâc disputatione sen-
tiebat , non posse tali concordiœ Ber-
gensis formula sanari : et sciunt com-
plures bonestissimi viri , quanto cum
aflectu in factum doleret , quin imô
illum sœpiùs dixisse , si Turca illas
regiones , in quibus haec certamina
nata sunt et adoleverunt, depopul 1-
tus fuisset , non tantùm damni po-
tuisse inferri , quantum hœc dispu-
ta t io intulit , nec finem posse videri
hujus certaminis (21). La reine Elisa-
beth se servit de la même comparai-
son dans sa lettre à l'électeur de Saxe.
Votre pays, lui écrivit-elle {0.1) , a
souffert jdus de dommages par cette
(io)Prœf. eadem ex L. G. , à Renesse, p. 1 ti.
(ai) Lurl. Gerardus , â Renesse , Not. in epist.
apolog. eccles. reform. in lîelgio, pag. n3.
(22) Scribens ad Aucîu'lum eleetnrem sic inter
alia , si Turca totam tuam ditionem ferro ilam-
màque vastâsset, tan ta non dedisset damna quanta
ex concordia; discordis ne^otio accepit. Idem,
i.tùd, , pag. 114 , ex Joli. LampaJii episl. dedic.
Censura: Ubiquilatis.
prétendue concorde, que si les Turcs
y avaient tout mis à feu et à sang.
L'auteur (23) qui rapporte cette par-
ticularité observe que les ministres
de Hollande obtinrent de cette reine
qu'elle engageât Fride'ric II, roi de
Danemarck, à rejeter le livre de la
Concorde. On voit dans la préface du
livre d'Hemmingius , que le succes-
seur de ce roi de Danemarck conti-
nua de rejeter le même livre, de quoi
l'auteur de la préface le loue beau-
coup. Robinsonus pag. loejusdem ad
lectorem prœfationis sic concluait
Deus qui nunqu'am deest ecclesia'
suœ , iiTequtt storum talium hominum
conatus ut olini per pios magistratus
in Daniâ prœsertun , miré impedivit :
iia etiam nunc per optimi patris opti-
mumûliiini , re et nontine veré chris-
tianum, paternis vesti^iis severè in-
sislenteni , pictate et justitid régna
sua firmantem pontiûciorum , ubiqui-
tariorum , et aliorum schismaticorum
ac turbulentorum hominum stuaia
mature et prudenter in ipsâ herbâ
reprimenteni, bénigne retardauit (s/}).
J'avoue de bonne foi qu'ici je ne
puise point à la source , et que je
n'ai point d'autre original que les
notes de Louis Gérard de Renesse sur
une lettre qu'il fit réimprimer à Bré-
da, l'an iG5i (25), et qui avait été
publiée la première fois l'an 1 5^9 ,
en latin , en flamand et en allemand.
Elle est intitulée : Apologetica rejor-
matarum in Belgio ecclesiarum epi-
stola , ad , et contra auctores libri
Bergensis, dicti, Concordiœ. Le sieur
de Renesse n'en connaît point l'au-
teur ; mais je sais qu'on l'a donnée
à Pierre de Villiers (26) , ministre
français et prédicateur du prince
d'Orange. Anno » 5^9 , Peints Vil-
lerius gallus concionalor aulicn s prin-
cipis Auriaci, polypragmonicus, sub
ministrorum Belgicormii nomine epi-
stolnni criminatoriam contra autores
libri Concordiœ publicavil (27).
(2^) Jo'i. Lampad. , ibidem.
(24) Lui). Gérard., à Renesse, ibidem.
(l5) Ily eïaitminislre et professeur enthe'ologie.
(iG) Voyez dans la remarque (S) du l'article
C11 iri.fs-Quiî.t , tom. y, pag- 74 . '« passage
drr Annales de Crotius , ou ion attribue « ce
Pierre de Villiers l'Apologie du prince d*Orange.
(27) Sclivsselburg. , lib. II Tlieol. Calvimanrr,
cap. VII, apud Schulting BiLliolVi. Catliol. ,
tom. I, pag. 23.
FIN DU SEPTIEME VOLl^IF.
University of California
SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY
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^-^v
A 4
fà..^r