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Full text of "Discours sur les songes divins"

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DISCOVRS 

Sf^R    LES 

SONGES  DIVINS, 

DONT  IL   EST   PARLE' 

DANS     l'EsCRI  T  VRE. 

<^    MOTSiSlEVR 

GACHES 

P^r  MOYSE  JMTRJVT. 

A    S  AV  MVR, 

Chés    ISAAC     DESBORDES, 
Imprimeur  8c  Libraire. 

M.  DC.     Ll£ 


DISCOVRS 


SVR    LES 


SONGES  DIVINS 

GACHES 


ONSIEVR    ET    TRES- 
honore'  Fkere. 

E  ne  doute  pas  que  vous 
ne  vous  fduveniez  des 
propos  que  nous  tenions 
lors  que  nous  allafmes 
cnfemble  au  logis  de 
Monficur  le  Confeiller 
Âmpronx.    L'vn  de  nos  entretiens  fut 

A 


4  T)if COUTS  fur  les 

couchant  la  nature  desïonges  que  Dieu  a 
autrefois  cnuoy es  à  Tes  feruiteurs,  &  par^ 
ticulierement  couchant  les  marques  par 
lelqueliesils  pouvoyentrcconnoiftrcque 
ces  fongeselcoient  véritablement  diuins. 
Parce  que  vous  trouualles  beaucoup  de 
diiEcghé  en  cette  matière  ,  i'eufle  cfté 
bien  aife  que  norsy  fuflîons  entrés  vn 
peu  plus  auant  :  mais  la  nuit  nous  fepara» 
&c  vous  obligea  de  vous  retirer  en 
voftre  logis; &:  MademoifelledclaSuze, 
qui  m'attendoit  en  vn  autre  Jieu,&  moy 
nous  nous  en  allafmes  aux  noftres.  Nous 
en  difmes  quelque  chofe  cette  excellente 
Demoifelle  &  moy  en  retournant,  &:  elle 
iT^ç  pria  d*efclaircir  autant  que  je  pourrois 
ce  qu'il  y  a  d'obfcur  &  de  difficile  en  ce 
fujet  5 qu'elle  cftiraoit  digne  d'vnemedi- 
tation  vn  peu  attentiue.  Ty  ay  penfé 
pendant  mon  voyage  ,  &  fans  quelques 
autres  affaires  que  i'y  ay  eues,  i'cn  eufle 
defîa  mis  mes  penfées  fur  le  papier.  Si  les 
occupations  qui  m'attendoyent  icy  cil 
foule  me  le  permettent^ie  leferay,  &:  ic 
commence  dans  leur  embarras  ce  petic 
trauail  cxprcfliément  afin  de  m'engagcr 
dans  la  neceffité  de  Tacheuer ,  pour  le 
vous  enuoy  er  comme  vn  témoignage  du 


Songes  âiuinsl  j 

rcfpea:  que  ie  vous  porte  ,  &  de  reftlmc 
fîngulierc  que  ie  fais  de  vos  rares  qualités. 
Se  de  l'honneur  de  voftre  amitié. 

II  y  a  dans  Tbome  trois  fortes  de  facul- 
tés qui  feruent  à  luy  acquérir  &  à  luy  con- 
feruerlacônoiflancedeschofes-.àfçauoir 
les  fcns  extérieurs ,  qui  font ,  s'il  faut  ainfi 
dire, à  vne  extrémité  :  l'entendeméc ,  qui 
cft  à  l'autre  :  Se  lesfensinteneu-rsquifonc 
entre  deux.  L'impreffion  des  chofes  fen- 
fiblesquife  fait  dans  les  fens  du  corps ,  ne 
s'appelle  point  du  nom  de  fonges,  parce 
qu'elle  fe  fait  en  veillant.    Les  raifonnc- 
mens  de  Tintelled  ne  s'appellent  non 
plus  de  ce  nom  ,  parce  que  les  fonges  fe 
forment  dans  quelcune  de  ces  facultés 
que  nous  auons  communes  auecqucsles 
beftesj  à  qui,  comme  aux  chiens  &  aux 
cheuaux,il  arriue  de  fonger.    De  forte 
qu'il  faut  neceffairement  que  cette  im- 
preflion  fe  face  dans  les  fens  inteneurs. 
On  en  conte  ordinairement  trois  :  le 
fcnscommurk,  lafantaife,&  la  mémoire; 
que  quelques- vns  eftiment  n'eftre  quWne 
feule  ôc  mefme  puiffance  ,  mais  que  l'on 
confidere  diucrfement ,  félon  qu'elle  agit 
auflîdiuerfement  fur  fes  objets;  les  autres, 
les diftingucnt  comme  des  facultés  difFc» 

A  iij 


é  'Discours  fur  les 

rentes  en  elles  mefmes,  5^  non  en  leurs 
opérations  feulement.  lefuiuraiicy  cette 
dernière  opinion  ,  parce  qu'elle  cft  plus 
vniuerfcllemcni  receuè  ,  &  plus  com- 
mode pour  l'explication  de  ce  que  i'en- 
treprcns  ,  &  diray  que  ce  n'cft  point 
dans  le  fcns  conrmun  que  les  fonges  fc 
forment,  parce  qu'il  n'agit  que  lors  que 
les  particuliers^  extérieurs fontéueillés; 
ny,  à  proprement  parler,  dans  la  mémoi- 
re, parce  que  les  idées  des  chofes  qui  font 
dans  la  mémoire  n*y  font  qu'en  puiflance 
feulement,  &  que  quand  elles  reuiennent 
en  ade,  elles  paffent  dans  l'imagination. 
Or  les  images  dont  les  fonges  fe  forment, 
font  en  aâ:e ,  comme  on  parle ,  &:  partant 
il  faut  neceffaircment  qu'ils  fefacent  dans 
cette  partie  qu'on  appelle  la  fantaifie  ;  de 
quoy  tout  le  monde  demeure  d'accord. 
Cette  impreflîon  donques  ne  pouuant 
eftre  rapportée  qu'à  trois  caules,  la  Natu- 
re, les  Anges,  ô^  Dieu,  il  n'y  peut  auoir 
que  de  trois  fortes  de  fonges,  les  natu- 
rels, les  furnaturels,  en  ce  qu'ils  procèdent 
de  l'opération  des  Anges  ,  &  les  divins. 
Pour  le  regard  des  naturels,  ils  peuuent 
eftre  diftribués  en  quatre  claflTes.  Car  il 
y  en  a  quelques-  vns  qu'il  faut  fimplemen? 


Songes  dtuins]  7 

imputer  au  tempérament  du  corps ,  ou 
àlaconftitutionen  laquelle  il  fe  rencon- 
ircàrheurequcceluy  qui  dort  a  celles  ou 
telles  vidons.  Pour  exemple,  ceux  qui 
font  d'vn  tempérament  bilieux  &c  ardent, 
ou  qui  à  cette  heure  là  ,  ont  de  la  bile 
échauffée  au  fond  dereftomach,  Ibngenc 
ordinairement  qu'ils  voyent  desembra- 
femens.     Ceux  qui  font  naturellement 
phlcgmaciques  ,  ou  qui  ont  de  la  pituite 
au  fond  du  ventricule^voyent  des  eftangs, 
&c  des  riuieres  ,    8c  des  desbordemens 
d'eaux:  &:eneftdes  autres  à  peu  prés  de 
mefmes ,  félon  la  diuerficé  de  leur  confti- 
tution.  Et  bien  que  Texperience  monftre 
cela  ,  Se  que  les  Médecins  prennent  des 
fonges  quelques  indications  pour  con- 
noiftrele  tempérament  du  corps^fieft-ce 
que  la  raifon  pourquoy  cela  fe  fait  ainfi, 
cft  âfles  malaifée  à  rendre.  vS'il  m'efl:  per- 
mis de  dire  cela  en  paflant ,  car  mon  def- 
fein  ne  m'oblige  point  à  le  faire  ,  i'cftime 
premièrement  qu'il  faut  pofer  que   les 
opérations  des  fens  nous  mettent  dans  la 
mémoire  les  formes  de  toutes  les  chofes 
fenfibles  ,  qui  s'y  conferuentpour  toutes 
occafions ,  ôc  que  c'eft  de  là  que  fc  tire  la 
matière  des  fonges  de  cette  nature.  Car 

A  liij 


?  ^  'Difcours  fur  les 

filon  fepoLUJoit  figurer  vn  hommequî 
cuft  vefcu  iurqu'à  J'aage  de  vingts  cinq 
ans,  fans  auoir  iamaisvfé  d'aucun  de  ksi 
fens,  il  faudroic  pareillement  fe  figurer^ 
qu^ilauroicauflî  vefcu  lufques  à  cet  aagc- 
là  lansfonger,  parce  qu  il  nauroit  ridée 
d'aucune  chofe  fenfiblcdansla  mémoire. 
Puis  après,  il  eft  certain  que  pendant  le 
fommeil  la  chaleur  s'augmente  dans  les 
entrailles ,  ceft  à  dire,  au  foyc ,  autour  du 
coeur,  au  diaphragme,  ôc  dans  routes  les 
parties  qui  enuironnent  leftomach.  De 
là  vient  qu'il  monte  des  vapeurs  au  ccr- 
ueau  ,  qui  dVn  co&.é  font  chaudes  delà 
chaleur  qu'el les  tirée  de  la  caufe  qui  les  ex- 
cite &  qui  les  fait  monier,&:  qui  def  autre 
tiennent  de  l'humeur  qui  domine  vniuer- 
fellementdansle  tempérament  du  corps, 
ou  particulièrement  dans  l'eftomachjfoic 
bile,  ou  pituite,  ou  fang,  ou  melancholie, 
qui  font  les  quatre  que  1  on  a  accouflumé 
demettte  en  confideration. Entant don- 
ques  que  ces  vapeurs  s5t  chaudes,  elles  re- 
muent les  idées  qui  font  dans  la  mémoire, 
&  les  ramener  en  aûe  dans  Timaginadon: 
&:  entant  qu'elles  tiennent  d'vne  telle 
ou  d'vne  telle  humeur  ,  elles  afFe6tens: 
k  ^erue^u ,  &  nommément  l'organe  d^ 


Songes  iiuiml  ^ 

la  fanraiCe  ,  de  la  qualité  de  I  humeur 
dont  elles  font  procedéesj  ce  qui  produit 
cet  efFed.  C'eft  que  l'organe  ainfi  affjdè., 
reçoit  mieux  les  images  des  chofes  qui 
fyrabolilcnt  auec  cette  fienne  conftitu- 
tion  prefente ,  &  les  retient ,  au  lieu  que 
lesautres  quin'y  fymbolilcntpas,  fc  dif- 
fipent  &:  s  éuanouïffent.  Tellement  que 
Il  ce  font  des  vapeurs  excitées  de  la  pitui- 
te,la  fanraifie  embraffe  les  idées  des  eaux, 
&  void  ^^s  inondations  :  &  fi  elles  ont 
eftéexcitéesdela  bile,  la  fantaific  reçoit 
&  embraffe  les  idées  du  feu  ,  &  void  des 
embrafcmens  ;  &  les  autres  formes  des 
chofes  que  la  chaleur  auoit  emeucs ,  &c 
tirées  de  la  mémoire  en  Timaginaiion, 
s'écoulent  6^  nes'y  arreftent  pas.  Mais 
comment  que  l'on  décide  cette  queftion, 
les  fongcs  qui  procèdent  de  cette  caufe- 
là  ne  peuucnt  auoir  autre  vertu  de  ligni- 
fier ,  finon  celle  qu'a  vn  cSc£k  de  donner 
quelque  connoiffancc  de  fa  caufe.  La 
railon  de  cela  eft  que  ce  qui  les  produit 
citant abfolument  deftitué  d'intelligen- 
ce ,  (  car  ny  la  chaleur  qui  eft  dans  les  en- 
trarlles  n'en  a  point,  ny  la  mémoire,  ny 
Timagination  non  plus,  &:  i'intelle^l  n'a- 
git du  tout  point  en  cela  \  ces  chofes  ne 


7©  jDifcoursfur  les 

pcuucnt  cftre  deftinées  à  aucune  fin.  II  y 
en  a  d'autres  où  le  tempérament  du  corps 
&  la  difpofition  des  humeurs  n'a  point  de 
part,  &c  qui  ne  viennent d*ailleursfinoii 
de  ce  que  la  chaleur  qui  monte  des  parties 
inférieures,  au cerueau, remue,  comme 
i'ay  dit,  les  images  des  chofesdansla  mé- 
moire ,  &  les  ramené  dans  l'imagina- 
tion ,  mais  confufcs  &c  méfiées ,  à  pro- 
portion  de  ce  que  la  chaleur  eftgrande,6c 
que  les  vapeurs  qui  s*eileuent  de  Tefto- 
machfontgroflieres  ou  fubciles,  &  plus 
ou  moins  abondantes  Se  capables  de  rem- 
plir les  organes  du  cerueau.  Car  quand 
elles  font  fort  épaiffes  &c  fort  abondantes, 
les  images  des  chofes  qui  fe  rappellent  de 
la  mémoire,  y  font  tellement  englouties, 
qu'où  bien  il  ne  s'enprefente  aucune  àla 
fantaifîe  qu  elle  puifle  appcrceuoir  :  ce 
qui  fait  qu'on  ne  fongc  du  tout  point  3  ou 
bien  s'il  s'y  en  prefente  quelcunc  qu'elle 
apperçoiue,  celaeft  accompagnéde  tant 
de  foiblefle  &  d'obfcuricc  ,  que  quand 
on  eft  reueillé  on  ne  fe  fouuient  du 
tout  point  de  ce  que  l'on  a  fongé. 
Et  c'eft  pourquoy  il  y  en  a,  quoy  que  fore 
peu  ,  qui  ne  fongent  iamais  ,  parce 
gue  les  fumées  qui  leur  montent  en  U 


Songes  âiums.  îî 

tefte  en  dormant  ,font  toujours  cfpaif- 
fes  &  tenebreufes  :  &  c'eftpourquoy  en- 
core d  ordinaire  on  nercfue  point  incon- 
tinér  après  le  repas,  parce  que  Teftomach 
cftant  plein,  y  enuoye  au  cerueau  des  va- 
peurs en  trop  grande  abondance.  Si  ces 
vapeurs  là  font  plus  déliées ,  moins  abon- 
dances ,  &  plus  tranquilles  ,  les  images 
des  chofes  fe  prefencent  à  la  fantaifîe 
aucc  plus  dediftindion.  Et  neàhtmoins 
il  y  a  toûjo jrs  beaucoup  de  defordre.  Cac 
:;  pofé  le  cas  que  ces  images  foyent  d*elles- 
inefmesbljn  arrangées  dans  la  mémoire, 
il  furuienticy  deux  chofes  qui  y  mectenc 
de  la  confufion.  LVne  ,  que  la  chaleur 
qui  les  remue  ,  les  trouble ,  comme  Ton 
voit  que  les  fubftances  qui  font  dans  vn 
vaiffcau  plein  d'eau,  demeurent  chacune 
en  leur  rangtandis  que  l'ead  efttranquil- 
le  î  mais  fi  vous  venés  à  mettre  du  feu 
dcflTous, l'eau  en  bouillant  s'agite, &  c^s 
fubftancesfebrouillentparfon  agitation. 
L'autre  ,  que  tandis  que  les  fens  exté- 
rieurs font  cueilles  &  qoils  agiflent  ,ils 
reigitnt  &  fixent  la  fantaifie  par  leurs 
optrations.  Mais  quand  ils  font  affou pis 
parle  fommeil ,  alors n'eftant plus arre- 
ftée  par  ce  moyen-là  5  il  y  a  beaucoup  de 


Il  7)ifcom  fur  les 

déreîglement  en  fcs  mouuemens.  De  là 
vient  que  ces  images, donc  la  mémoire, 
excitée  par  la  chaleur  ,  l'a  remplie  ,  s'at- 
tachent les  vns  aux  autres  fortuitement 
&:  irrégulièrement ,  d'où  fe  forment  vne 
infinité  de  gtotefques&:d*extrauaganccs 
CQmpofitions.  On  fait  l'expérience  de 
cela  dans  la  fièvre  ,  quand  h  violence  de 
la  chaleur,  &  les  vapeurs  de  la  bile  trou- 
blent l'imagination  :  3^  on  la  voit  dans 
]es  fols  ,  qui  bien  qu'ils  ne  dorment  pas, 
&  qu'ils  n'ayent  pas  la  fieure,ontneanc- 
moins  l'imagination  en  trouble,  àcaufe 
deladifcrafie  de  leur  ccrueau.  Car  c'eft 
ce  qui  leur  fait  conceuoir  tant  de  chimè- 
res ,  de  prononcer  de  fi  eftrangcs  gali ma- 
rias ,  diuerfes  efpeces  de  chofes ,  qui  n'ont 
aucune  liaifon  naturelle  entr'elles  ,  leur 
partant  dans  k  fantaifie  ,  S>c  s'attachant 
les  vnes  aux  autres  auec  beaucoup  d'irré- 
gularité. Car  rimagination  eft  bien  vne 
faculté  qui  d'elle-mefme  peut  receuoir 
l'impreflion  de  ces  idées,  &  delescom- 
pofer  enfemble  :  mais  parce  qu'elle  eft 
corporelle  ,  &c  par  conséquent  deftituée 
d'intelligence,  elle  ne  peut  reconnoiftre 
ny  leur  conformité  ny  leur  diflemblance, 
£)y  les  difpofer  conuenablcment  par  la. 


Songea  àmns.  t) 

lumière  de  la  raifon.  De  forte  qiî*^JIefaic 
alors  comme  feroit  vn  aueuglc  qui  fc 
rrouueroic  au  milieu  de  quamicc  defta- 
lucs  cronquées  &  mutilées,  &  qui  en  vou- 
droit  rafiembler  les  parties  en  tafton- 
nant.  Car  il  luy  arriueroit  fans  doute  de 
mettre ,  pour  exemple,  la  tefte  de  Marius 
fur  le  corps  deCleopatre,  &  peut-eftre 
les  cuifles  dVn  cheual  de  bronze  fous  le 
bufte  d'Epammondas.  Cesfonges-làont 
encore  moinsde  vertu  de  fignifier  que  les 
precedens.  Parce  que  la  compofition  de 
CCS  images  cft  tout  à  fait  téméraire  &: 
fortuite,  &:  par  confequent  incapable,foic 
de  reprefentcr  quelque  chofe ,  comme 
dans  vn  emblème  allégorique,  foit  delà 
prédire  tout  nuëment  &  fans  vne  telle 
reprefeniation.  Car  toute  conflitution 
d'allégorie  &  de  reprefentation  fymboli- 
que  ,eftrcEuured'vneintelligence  j  &Ia 
preuifion  des  euenemens  futurs  requière 
encore  dauantage  de  lumière  de  raifon. 
Il  eft  vray  que  1  intelleâ;  fait  quelquesfois 
en  dormant  quelques  opérations  fur  les 
chofes  qui  luy  font  ainfîprefentées  par  la 
fantaifie.  Car  il  y  a  cette  différence  entre 
nos  fonges,  &  ceux  des  chiens  &  des  che- 
uaux,que  ceux- cy  dans  ces  animaux  ne 


r4  Di/coufs  fur  les 

couchent  aucune  faculté  fDperieurc  à  H- 
maginacion,  parce  qu'il  n'y  en  a  point | 
au  lieu  q  ie  les  noftres  afF^rdlcnt  quelques-^ 
fois  noltre  intelligence.  Tellement  que 
nous  fatfons  des  raisbnnemens  fur  ces 
fantofmes,&  mefmes  d'afles  longs  dif- 
cours ,  ce  qui  arriue  afles  fouuent  à  ceux 
qui  font  accouftumésà  parler  en  public. 
Mais  premièrement  ce  n'eft  pas  TintcU 
ka  qui  forme  ainfi  ces  idées  :  il  agit  feu- 
lement fur  elles  comme  elles  luy  font 
prefentécs  par  l'imagination.  De  forte 
qu'il  ne  leur  peut  donner  la  vertu  de  fi- 
gnifier  quoy  que  ce  foit.  Puis  apres,com- 
ment  eft^ce  que  luy  qui  ne  preuoit  pas  les 
chofes  à  venir  quand  il  eft  éueillé  ,  ks 
pourroit  deuiner  en  dormant,  &les  re- 
prefcnter  dans  la  compofition  de  ces  dif- 
férentes efpeces  de  chofes   qui  fe  ren- 
contrent alors  dans  la  fantaifie  ?  Tant 
s'en  faut  qu'il  y  face  lien  de  tel,  qu'il  ne 
peut  pas  mefmes  iuger  raifonnablemenc 
ny  du  pafTé  ny  du  prefent,  dont  il  doit 
auoir  beaucoup  plus  de  connoiflance.  En 
cfFjd  aucune  cxtrauagance  ne  choque 
alors  nos  entendemens.  Nous  reflufci- 
tons  nos  amis  que  nous  fçauons  bien  eftic 
mojrts  ,  Se  difcourons  auec  eux  comme 


Songes  dmns.  jj 

s'ils  neTeftoyent  pas:  nous  mettons  Paris 
en  Quercy,  &  Londres  en  Allemagne^ôc 
cela  ne  nous  eftonne  point  ;  nous  deue- 
nons  &  gueux  bc  rois  dVn  moment  à 
l'autre,  fans  que  noustrouuions  eftrangc 
vn  fi  prodigieux  changement  :  &  n'y  a 
rien  de  fi  bizarre ny  défi difproportion- 
né,qui  ne  nous  lemble  raifonnable.  La 
iroifiefme  forte  de  fonges  naturels  com- 
prend tous  ceux  qui  nous  viennent  des 
occupations  de  la  vie  aufquelles  nous  ap- 
portons quelque  extraordinaire  applica- 
tion d'efprit.  Car  les  hommes  ftudieux 
fongent  en  des  liures  ;  les  autres  en  de 
Vargent;  les  gens  de  guerre  s'imaginent 
voir  des  bataillons  de  gens  de  pied  &  des 
cfcadrons  de  gendarmes  :  &  générale- 
ment à  tous  ceux  qui  ont  quelques  tdles 
occupations  à  cœur,  il  arriue  dauoir  en 
dormant  des  vifions  qui  s  y  rapportent. 
Et  la  raifon  de  cela  neft  pas  malaifée  à 
rendre.  De  toutes  les  images  qui  s'impri- 
ment  en  la  mémoire  ,  celles-là  leur  font 
les  plus  familières,  &  celles  qui  retour- 
aenc  le  plus  fouuent.  Tellement  que  ce 
n  eft  pas  merueille  fi  quand  la  chaleur  in- 
térieure qui  fe  redouble  par  le  fommeii, 
vient  à  €mouuoir,&par  manière  de  dire. 


iS  T^ifcours  fur  les 

à  fecoUer  ce  magazin  ,  ces  chofcs-lVs*^ 
rencontrent  les  premières  &  les  plus  fré- 
quentes. Mais  c'eft  toufioursà  peu  prés 
auec  la  mefme  bizarrerie  que  ksprece- 
dentes,qu*cllesfeprefcntent  àrincelleft, 
de  forte  qu'il  en  faut  faire  mefqieiugè- 
mêt,&  croire  qu'elles  ne  peuuêt  auoir  au- 
cune vertu  fignificaiiue. Enfin  la  quatriè- 
me efpecc  eftdes  fongesqui  viennent  a 
l'occafion  de  quelque  pafliofl,ou  qui  nous 
pofledoit  defia  en  veillant ,  &  fur  laquelle 
nous  nous  fommes  endormis,ou  qui  s'ex- 
cite en  nous  en  dormant,  parl'émoiion 
de  rirafcibleou  de  laConcupifcible.  Ec 
alors  il  nous  arriue  des  chofesàpeu  près 
fcmblablesaceque  nousauons  cy  deffus 
dit  du  tempérament  du  corps  ,  &  délai 
conftitucion  de  fes  humeurs  :  c'eft  qu'il  fe 
prefente  à  noftre  imagination  des  objets; 
qui  fymbolifent  auec  nos  pciflîons.  Ceux 
qui  ont  faim  s'imaginent  qu*ils  voyent 
des  feftins,  &  ceux  qui  ont  foifcroyent 
qu'ils  boiuent  à  des  fontaines.  Les  amou- 
reux voyent  leurs  inclinations,  &ccuX 
qui  font  en  colère ,  les  objets  de  leur  irri- 
tation ,  &  vont  à  la  rencontre  de  leurs 
çnnemis  qui  fe  prefcntent  à  eux  en  armes* 
Mais  comme  il  n'y  a  point  de  doute  que 

ceU 


Song( 


\cs  âiuins.  17 

tclà  n*ait  vne  caufe  antécédente  dans  la 
jpaffion  ,  aufli  cft- il  certain  qu*il  n'cftpas 
ôrdinairemenc  moins  extrauaganc  que 
les  fonges  precedens ,  ny  plus  capable  de 
donner  aucune  vraye  connoilTance  des 
chofes  qui  font  à  venir,  ny  iTiefmes  de 
celles  qui  exiftenc  des-ja ,  mais  -qui  auanc 
le  fonge  Se  le  fommeil  nous  eîloyenc  en- 
tièrement inconnues.  Car  la  partie  fenfi- 
tiuc  de  nos  amcs  eft  à  la  vérité  bien  ca- 
pable de  fe  foumettreà  la  raifon;mais  en 
elle-mefme  elle  n'eft  point  participante 
de  raifon  ny  d'intelligence.  De  forte 
qu*eftant  naturellement  brute  comme 
elle  eft,  il  eft  impoffible  qu'il  en  forte  au- 
cune produdion  de  la  condition  de  celles 
que  nous  auons  des-ja  dit  ne  pouuoiu 
nuoir  pour  caufe  finon  vne  nature  intel- 
ligente, Vray  eft  qu'il  eft  quelquesfois 
arriué  que  de  tels  longes  ont  reùffi:  ce 
<jui  a  fait  penfer  quMy  auoit  du  rapport 
entre  le  fonge  &  Teuenement  ,  8i  par 
confeqnent  que  quelque  intelligence  s'en 
cftoitmcilée.  Mais ,  comme  Arifloîe  Ta 
lemarqué  ,  cela  eft  arriué  par  hazard  ;  &: 
comme  qui  tireroitvn  milion  de  flèches 
à  coup  perdu,  pourroit  enfin  fortuite- 
ment rencontrer  le  blanc  ,  il  nous  palFc 

B 


i8  Difcours  fur  les 

en  dormant  tant  de  forces  de  vifions  en 
rimagination,  que  non  feulemenc  il  n*eft 
pas  merueilkux  fi  Ton  en  voit  reuflîr 
quelcune,  mais  fi  vne  ou  deux  fois  en  la 
vie  il  n*cn  arnuoic  ainfi  ,  ce  feroic  vnc 
chofc  qui  pourroic  fembler  eftrangc- 
Qne  sAÏy  a  quelcun  de  nos  fonges  qui 
non  feulemenc  reùffiffe,  mais  entre  le- 
quel Se  fon  euenemenc  il  y  ait  quelque 
fore  notable  rapport,  Se  tel  qu'il  faille  ne- 
ceffairemenc  qu'il  y  foie  inceruenu  quel- 
que opération  dVne  caufe  incelligente, 
il  ne  le  faut  pas  conter  entre  les  fonges 
naturels ,  mais  le  lapporcer  ou  à  Dieu ,  ou 
a  quelque aftion des  Anges. 

Il  y  a  de  deux  forces  de  fonges  que 
Tô  peut  imputer  aux  intelligéces  créées. 
Les  vns  font  ceux  où  leschofes  qu'ils  fi- 
gnifient  font  contenues  en  des  rcprefen- 
tationsfymboliques  &  myfterieufes:  fie 
les  autres  les  propofenc  toutes  nues  &à 
découuert.  Et  quant  aux  premiers,  ceux 
qui  fe  (ont  autrefois  méfiés  de  donner 
les  reiglcs  de  leur  interprétation,  lont 
fait  en  deux  manières  oppofccs.  Car  ils 
ont  enfcigné  qu'il  faut  prendre  quelques- 
fois  tout  le  concrepicd  du  fonge  en  fon 
interprétation  :  comme  fi  on  ^^^S^  ea 


Soifi^es  diuins,  i^ 

âcs  nopces ,  ils  onc  dit  que  c'eft  figne  de 
tnorc  :  &:  fi  au  contraire  on  s'imagine  ca 
dormant  qu'on  voit  des  habits  dedueil 
ou  des  funérailles ,  il  faut  croire  que  Ton 
fera  bien  toft  des  nopces.  On  peut  bien 
fonger  en  de  telles  chofes  fans  que  les 
Anges  s'en  meflent  :  car  ce  font-là  des 
images  qui  peuuent  eftre  demeurées  dâs 
la  mémoire  ,  &,  par  les  forces  de  la  Na- 
ture toute  feule,  reuenir  danslafantaifie 
en  dormant.  Mais  quand  quelque  tel  fon- 
ge  auroit  reiifli,  &  qu'il  auroit  efté  impri- 
mé dans  l'imagination  par  l'opération 
d'vn  Ahge,afreurément  il  ne  Ceroit  pas 
des  bons.  Car  ils  font  miniftresde  Dieu, 
quin'aiamaisenuoyé  defonges  quiayêc 
eu  la  vertu  de  fignifier  ainfi  à  rebours  s 
beaucoup  moins  a-t-il  eftably  aucune 
telle  reigle  de  les  interpréter.  Il  n'y  en  a 
aucune  trace  ny  dans  fa  Parole ,  ny  dans 
la  Nature  des  chofes  mcfmcs,  5^  il  y  au- 
roit trop  d'incertitude  en  tellesinterpre- 
rations ,  pour  les  rapporter  à  la  rcuela- 
tion  de  Dieu.  Cela  me  fait  fouuenir  àc 
ce  que  Ton  dit  de  Bucanan  ,  qui  faifoic 
tous  les  ans  relier  dans  fon  Almanach 
autant  de  fueillets  de  papier  blanc  qu'il  y 
€n  auoit  d'imprimés ,  &:  là  où  l'imprimé 

B    ij 


zo  Difcours  fur  les 

àï(o\t  ii/fera  beau  temps  y  il  efcriuoit  vis  a 
vis,  ilferalaid:  &c  là  où  Timprimé  difoic, 
il  fer  a  de  U  j  II: y  t  &  vn  tenfs  nuhïUux  ^  il 
mettoit  iuUcraenc  à  i'oppofite, /'^/V/tr^ 
fort  beau  &  fort/erain '.■çuis  3 près  auoirob- 
ferué  ceia  cinquante  ou  foixante  ans  du* 
rant  ,  il  difoit  qu'il  aucictoufiours  mieux 
rencontré  que  fon  Almanach.  Ce  n*cft 
pas  que  ceux  qui  auoient  fait  les  Alma- 
nacs  euiTent  voulu  defigner  par  des  pre- 
diéTtions  contraires,  les  cuenemens  que 
Bucanan  prognoftiquoit  puis  après.  Mais 
c'efi:  que  cç,s  Aftroicgues  faifans  la  plus 
parc  du  temps  leurs  prognofticacions  à 
Tauanture,  &mefmesquelques-vnsd'en- 
lr'eux  fans  auoir  aucune  teinture  de  la 
fcience  des  aftres ,  il  pouuoit  bien  arriuer 
à  Bucanan,  fortuitement  auflî,de  dcuiner 
]e  beau  ou  lemauuais  temps,  en  prenant 
le  contre-pied  de  leurs  prophéties.  La 
plus  commune  reigle  de  i'inierpretation 
desfonges,efl:d'obferuer  les  rapports  Se 
les  refiemblances  qui  fe  trouuent  cn- 
ir'eux  &  les  euenemens.  Ainfi  Ton  croit 
que  celuy  qui  a  fongé  qu'il  luy  eftoit  tom- 
bé vne  dent,  perdra  vn  bon  amy  ;  &  que 
celuy  qui  a  fongé  qu'on  luy  arrachoit  vne 
cofte ,  doit  voir  mourir  la  femme  dan| 


Songes  àimm.  2^ 

peu  de  temps,  le  ne  m'amuferay  pas  à 
rapporter  des  exemples  de  fonges  de  cette 
nature,  qui  ont  efté  vérifiés  par  Teuene- 
ment.  Ciceronen  recite  vn  bien  gentil 
entre  les  autres.  Qiielcun  auoit  fongé 
qu*il  y  auoit  vn  œuf  caché  fous  fon  licîr. 
Le  deuin  à  qui  il  s'addrefla  pour  auoir 
Tinterpretation  defonfonge,luy  refpon- 
dit  qu  au  lieu  mefme  où  il  s'eftoit  imagine 
qu'il  y  auoit  vn  œuf,  il  y  auoit  vn  trefor 
caché.  Ce  fongeur  fit  donc  creufer  fous 
fon  li(5t,  &  il  s'y  trouua  de  Targent ,  Sç  au 
milieu  de  Targent ,  de  Tor.  Pour  donnée 
au  deuin  quelque  témoignage  de  recon- 
noiflfance,  il  luy  porta  quelques  pièces  de 
Targent  qu'il  auoit  irouuc  j  &  le  deuin, 
qui  auoit  auflî  efpeié  quelque  chofe  de 
Tor  ,  luy  dit:  Ne  me  donne  s- tu  rknditiau^ 
ncdel'œuf^Ei  cette  force  de  fonges,  quei'ô 
ne  peut  pas  certes  raifonnablement  impu- 
ter aux  caufes  delanatureny  auhazard, 
nepaflentpas  la  portée  des  bons  ny  des 
mauuais  Anges.Comevn  Ange,  foit  bon-, 
foit  mauuais,  (car  ie  n'examine  pas  à  cette 
heure  la  queftion  lequel  c'eft  des  deux) 
a  peu  fauoir  quil  y  auoit-  là  vn  trefor  ca- 
ché :  il  a  peu  auffi  imprimer  ce  fonge 
dans  riraagination  de  cet  homme  tandis 

B  iij 


tz  2)ifcûurs  fur  les 

qu'il  dormoit,  Se  reueler  au  deuirt  que  cet 
œuf  fignifioit  vn  trefor  où  il  y  auoit  de 
]  argenc ,  &  de  lor  enfermé  dedans ,  ou 
luy  fournir  les  occafions  de  le  deuiner  pat 
conjcdure.  Il  y  en  a  mefmes  de  cette  na- 
ture qui  regardent  raduenirjquipeuucrlc 
procéder  de  Toperation  des  Anges. 
Les  Poètes  difent  que  Hccube,  femme  de 
Priam  ,  eftant  groffe  de  Paris ,  fohgei 
qu'elle  accoushoit  dVne  torche  ardentes 
àToccafion  dequoy  les  deuins prédirent 
que  cet  enfant  feroit  caufe  de  la  ruine  de 
Troye  &  de  fon  embrafement.  Les  an- 
ciens hiftoricnsont  efcrit  que  la  mère  de 
Phalaris auoit  fongéque  d*entrc  les  fta- 
tuès  qu'elle  mefme  auoit  confacrées  dahs 
la  maifon  de  fon  fils ,  elle  auoit  veu  celle 
de  Mercure,  qui  dVne  tafle,  quelle  tenoit 
érfla  main,  verfoit  du  fang  fur  la  terre; 
lequel  fangs'enfloit  en  bouillonnant ,  de 
forte  que  toute  la  maifon  en  regorgeoito 
Ce  qui  fut  interprété  8c  confirmé  parles 
cruautés  de  Phalaris,  le  plus  fanguinaire 
de  tous  les  hommes.  Cy  rus,en  dormant, 
s'imagina  qu  il  voyoit  le  Soleil  à  fès  pieds, 
&  que  par  trois  fois  il  auoit  cffayé  de  le 
faifîr  de  la  main  5  mais  qu'il  luy  eftoît 
toufiours  cfchappéjen  roulant.    Ce  que 


Songes  àtuins.  1/ 

les  Mages  interprétèrent  ainfî  :  c'eftquc 
TcfForc  qu'il  auoit  fait  par  trois  fois  de 
prendre  le  foleil , fignifioit  qu'il  regneroic 
trenteans  :  ce  queleuenement  confirma 
encore.    l'ay  dit  que  tous  ces  fongcs  peu- 
uent  procéder  de  l'opération  des  Anges, 
parce  que  l'impreflion    de    ces  images 
dans  la  fanraifie  des  hommes  qui  dor- 
ment,  n'eft  pas  au  de  là  de  l'eftenduèdc 
leuradiuité-   L'idée  du  Soleil  cft  dans  la 
mémoire  de  tous  les  hommes  ,  Si  celle 
des  torches  ardentes ,  ôc  des  ftacuès  &  da 
fang.    Tellement  qu  il  n  a  fallu  en  ces 
occafions  finon  les  ramener  dans  la  fan- 
taifie,  &  leur  donner  certaine  fituation 
&  certain  mouuemcnt.  Et  quant  à  la  pre- 
uifîon  deTauenir  que  les  Anges  ont  vou- 
lu fignifier  par  là,  ils  Tont  peu  auoir  en 
partie  d'eux- mefmes  Si  de  leurs  propres 
conjeaurcs,  en  partie  de  quelque  forte 
dereuelation  de  Dieu.  Le  démon,  qui 
ne  cherche  qu'à  faire  du  mal  au  monde, 
auoit  refolu  de  porter  l'humeurbarbarc 
de  Phalaris  à  toutes  fortes  de  craautés:&: 
voyant  la  Maifon  de  Priam  flori(rante,&: 
fonEftat riche  &  puiflantjil  fe  prcpofa 
défaire  tout  ce  qu'il pourroit pour  le  rui- 
ner, &:  de  fe  preualoir  pour  cet  efFcct  de 

B    iiij 


Z4  Di/cours  fur  les 

toutes  les  occafions  qui  fe  prefenteroyec," 
ôc  des  enfans  de  Priam  mcfme.    Et  bien 
que  ce  ne   fuflent  que  des  defleins,  de 
l'euenement  defqueis  il  ne  pouuoit  pas 
auoir  vnepîeine  certitude  ,  parce  que  la 
volontédeOieu&faProuidenceeftoycnc 
audeiTus,  il  n'a  pas  laiffé  de  l'efperer  ,  ôc 
de  prédire  de    la  façon  vne.  chofe  qu'il 
vouloit  faire.  Ce  que  Dieu^pourles  rai- 
fons  qu'il  en  auoit  pardeuers  luy,  a  vou- 
lu queTeuenement  ait  ratifié.    Quant  à 
Cyrus,  il  eftoit  impoflîble  aux  Anges  de 
deuiner  combien  de  cemps  il  regneroir. 
Mais  Dieu  laiflequelquesfois  forcir  quel- 
ques chofes  du  fecret  de  fes  confeils.  Se 
permet  qu'elles  paroiffent  à  la  ycuë  des 
intelligences  créées.  Et  de  ces  éclairs  qai 
forcent  du  cabinet   de  Dieu  ,  ou  elles 
voyent  quelque  chofe  de  Taduenir  auec 
certitude  5  ou  au  moins  en  forment-elles 
des  raifonnemens  &:  des  conjeûures  qui 
approchent  bien  prés  de  la  vérité.  Les 
autres  fonges,qui  propofent  les  chofes 
toutes  nues  &à  defcouuerc ,  n*ont  point 
befom  d'incerpreces  pour  les  entendre; 
niais  quand  les  euenemens  les  confir- 
ment ,  ils  n'en  font  pas  moins  admira-. 
tles  pour  cela.Ten  pro Jijirai  deu^ç  ou  trois 


Songes  diutnf.  if 

exemples  qui  me  femblent  bien  fignalés. 
Deux  hommes  Ar^adiens,  amis  Tvn  de 
Tautre ,  faifoyenc  voyage  enfemble,  &  ar- 
riiierenc  en  la  ville  de  Megarc,  oii  I Va 
s  alla  loger  dans  vne  hoftelerie  publique, 
&  Tautrc  chés  vn  de  la  connoifTance, 
comme  cela  fcfaifôic  alors  affés ordinal- 
reraenc.  Apres  fouper,  celuy  qoi  eftoic 
dans  vne  maifon  particulière  s'eftanrallé 
coucher,  comme  il  dormoic ,  Tautre  luy 
apparut  en  fonge,  &c  le  pria  de  le  venir  fe- 
courir,  parce  q  jelemiilliede  Thoftele- 
rie  le  vouloir  airafliner.  L'effroi  de  ce 
fonge  l'ayant  cmeu,  il  Ce  leua  ;  mais  après 
cftrereucnnàluy-mv^fme,  il  le  prit  pour 
vne  vainc  vifion  ,  Se  fe  recoucha  pour 
dormir.  Dins  ce  fécond  fommeil  l'ima- 
g'i  de  fon  amy  luy  reuinc  encore  dans  la 
fancaifie,  Se  il  s'imagina  qu'il  le  prioir  que 
puisqu'il  ner.iuoic  pas  voulu  fecourir  vi- 
iiant,  au  moins  il  ne  l'aiiSaft  pas  famorc 
impunie.  Qjj5  Thoftelier  l'auoic  tué,  ôc 
rajoit  mis  dans  vne  charrette  qu'il  auoic 
remplie  de  fumier.  Et  qu'il  le  prioit  de 
fetrouuer  debon  matinà  la  porte  de  la 
yille  auant  que  la  charrette  fortift.  Cet 
homme excraorJinairement  émeu  parce 
ijonge,  fe  [eua^  &:s'cneftanc  allé  à  la  por- 


tb  DifcùUfs  fuf  Id 

te  de  la  virie,  arrefta  vne  charrette  pleine 
de  fumier  qui  s'y  prefi?hta  pour  pafler  :  de 
quoy  le  charretier  eftant  épouuancé  ,  il 
s'enfuit,  &:  le  corps  ayant  éftc  trouué de- 
dans, &  le  crime  par  ce  moyen  décou- 
uert ,  rfaoftelier  fut  fuppîicié ,  &  toute  k 
villerauieen  admiration  de  lameruéille 
decefonge.    C'eft  Cicèron  qui  le  rap- 
porte au  liurè  que  i'ay  dcfia  allégué.  En 
voicyvn autre  tiré  de  la  vie  de  Monfiéuc 
de  Peirefc,  Confeiller  au  Parlement  de 
Prouence.  Ce  célèbre  perfonnage  allant 
de  Montpellier  à  Nifmes ,  pafla  la  nuit 
dans  vne  hoftelerie  qui  eftàmy-chemin 
des  deux  lieux.   Ilauoiten  fa  compagnie 
lacques  Rainicr  ,  bourgeois  d'Aix  ,   qui 
qui  dans  ce  voyage- là  couchoit  dans  vne 
ittefme  chambre.      Comme    ce  grand 
homme  dormoit,  Rainier  entendit  qu'il 
refuoit  ,   Sa  qu'il  marmonnoit  quelque 
chofe  autrement  qu'il  n'auoit  accouftumé 
de  faire  eh  dormant  :  c'eftpourquoy  ille 
réueilla&luy  demanda  ce  qu'il  auoit/O 
que  vous  m'aués,refpondit-il,  fait  perdre 
vn  beau  &  agréable  fonge  •  Car  ie  fon* 
geoisquei'eftoisà  Nifmes  ,ôiqu'vn  Or- 
fèvre m'y  prcfentoit  vne  médaille  d'or  de 
Iules  Cefar  ,  qu'il  me  vouloir  vendre 


Songes  dmins.  tr 

^ùâtricércus.  Ec  comme  Teftoisprcft  de 
les  luy  bailler,  &  mon  Orfèvre  &  ma  mé- 
daille, parce  que  vous  m'aués  refucillé,  fe 
font  cuanouïs  cnfrmblc.  Arriué  qu'il  fut  \ 
Nifmes,  &  n'ayant  pas  oublié  fonfonge, 
il  s'alla  promener  par  la  ville  tandis  qu^on 
appreftoit  le  difncr;  &  en  allant  çà  &là 
il  s  addrefla  à  la  boutique  d'vn  Orfèvre, 
pour  luy  demander  s'il  n'auoit  point  quel- 
que rareté.  A  quoy  TOrfevre  refpondic 
qu'il  auolt  vn  Iules  Cefar  d'or.  Monfieur 
de  Peirefc  luy  ayant  demandé  combien  il 
le  vouloit  vendre,  l'autre  refpondit,^/;^4^r^ 
ejcus  ^  ce  qui  remplit  TeTprit  de  ce  per- 
fonnage&  dejoye&  d'admiration,  tant 
parce  qu'il  aiioic  trouué  vne  pièce  de  ca- 
binet qu'il  defiroit auec  paflîon, qu'à cau- 
(c  de  la  façon  furprenante  dont  elle  luy 
venoit  entre  les  mains.  Cetroifiemefera 
encore  de  Ciceron  dans  le  mefme  liurc. 
Annibal  ayant  pris  Sagonte  ,  s'imagina 
en  dormant  que  Jupiter  l'appelioit  au 
Confeil  des  Dieux  :  Sc  qu'y  eftantallé, 
lupitcrluy  auoit  commande  qu'il  portaft 
la  guerre  en  Italie,  &  qu' vn.de  cette  af- 
femblce  marcheroit  à  la  tefte  de  fes  gens. 
Qu^yant  commencé  à  marcher  fous  la 
conduite  de   celuy-là  qui  luy  auoit  eftc 


M  Difcoursjuf  les 

donné  pour  guide,  ce  guide  luy  défendit^ 
deregarder  derrière  luy.  Ce  que  n'ayan 
peu  obtenir  defoy-mefme  ,  parce  qu'i 
eftoic  tranfportédu  defir  defauoir  cequ 
venoic  après  luy  ,  il  vie  à  fa  fuite  vne 
grande  &  horrible  befle,  toute  enuiron- 
née  de  fcrpens  ,  qui  s*entortilloyenc  au% 
tour  d'elle,  &  qui  par  toutou  elle  pafToic 
renuerfoitfansdeirusdeflbus^  les  toi6ls 
des  maifons,  &:  les  arbres ,  &  les  aibuftes, 
&r  vniuerfelkment  tout  ce  qu*elle  ren- 
controir.  Eftonné  de  ce  fpedacle  il  de- 
manda au  Dieu  qui  le  conduifoit  ce  que 
cemonftrefignifîoit.  Aquoy  iircfpondic 
que  c*c(loit  le  dcgafl:  &  la  defolationde 
ritalic,mais  qu'au  refte  il  marchaftfans 
perdre  temps ,  &:  qu'il  ne  fe  mift  point  en 
peine  de  ce^qui  arriueroit  derrière  luy. 
Ce  dernier  fonge  procedoit  indubitable- 
ment de  roperation  dVn  mauuais  Ange; 
cariamaisvn  bon  n'euft  mis  dans  l'imagi- 
nation  d'Annibal  Tidée  dVn  Concile  des 
faux  Dieux.  Mais  vn  Démon  fe  feruic 
des  images  de  ces  fauffes  diuinitcz,  que 
leurs flatuès  auoyentlaiffées  dans  lame^ 
moire  de  ce  Payen,  àc  ioignit  les  autres 
chofesneceffairespour  la  conftitution  dç 
ce  fonge.  Quant  à  ce  qu'il  predifoit  dç 


I 


Songes  d'iuins.  19 

ladefolâtiondc  ricalie,c*eftoit  vnecho- 
fcfurlaquelleb  conjeflure  d'vn  demoa 
pouuoic  aifemcnc  aller ,  pour  deuiner  que 
fi  ce  Capitaine  Cartaginois  fuiuoic  le 
confeil  qu'il  luy  donnoir,&  qu'il enirafl: 
dans  ritalic^uccvnearméefloriflTance  dc 
viftoricufe  comme  la  fienne ,  il  y  feroic 
d'cfpouuantables  rauages.  Et  fi  l'euene- 
menty  a  reipondu  ,  ôc  pafle  mefines  au 
delà  de  ce  que  le  démon  en  pouuoic  con- 
jefturer ,  c'efl  que  Dieu  en  auoic  ainfi  or- 
donné dans  le  confeil  de  fa  Prouidence. 
Le  premier,  comme  ileft  recité  par  Ci- 
ceron,fepeuc  rapporter  Se  aux  bons  &c 
auxmauuais  Anges.  Aux  mauuais ,  parce 
qu'ils  auoycnt  vn  grand  empire  parmy 
lesPayens,  &:  qu'ayant  eu  bonne  parc  au 
dcffeindeccluy  quiauoit  commis  cet  af- 
faflînatjils  en  tiroyent,  en  le  dêfcouLîranc, 
deux  fignalés  auancages.  L'va, qu'après 
auoic  fciic  tuer  vn  homme  innocent,  ils 
en  faifoient  mourir  vn  coupable,  ce  qui 
eft  vn  grand  plaifir  pour  Tennemy  du 
génie  humain.  Car  il  en  aime  la  deftru- 
£tion  ,&:quile  laifleroit  fiire,  il  dcpcu- 
pleroic  toute  la  terre.  L'autre  ,  qu'ils 
donnoyent  par  ce  moyen  quelque  crédit 
&  quelque  autorité  aux  fonges  de  cette 


çà  Difcoun  fur  tes 

nature, qui  paffancpour  extraordinairèà 
&pourciiuins,  aidoyent  à  confirmer  les 
hommes  dans  le  rcfped  qu'ils  auoyent 
pour  Icsdiuinités  à  qui  ils  cftoyent  attri- 
bués. Aux  bons  aufli.  Parce  qu'encore 
que  Dieu  laiflaft  aller  lesNations  en  leurs 
voyes  5  il  ne  les  auoic  pourtant  pas  abfo- 
lument  abandonnées ,  eu  égard  aux  foins 
de  fa  Prouidence,  de  laquelle  les  Anges 
font  les  inftrumcns,  &les  exécuteurs  de 
fes  volontés.  Et  bien  que  pour  de  bon- 
nes raifons  11  èuft  permis  le  meurtre  de  ce 
poure  Arcadien ,  c'eftoit  vn  cffed  de  fa 
Prouidence,  que  deproturer  la  punition 
du  meurtrier.  Car  c'eft  en  grande  par- 
tie par  là  que  fe  conferue  la  focieté  des 
hommes ,  laquelle  Dieu  aime,  Se  de  l'cn- 
tretcnement  de  laquelle  il  a  vn  foin  mer- 
ueilieux.  Pour  ce  qui  eft  du  fécond, ie  ne 
ferois  pas  grande  dijfficulté  de  l'attribuer 
à  quelque  bon  Ange  ,  qui  voulut  par  ce 
moyen  témoigner ,  non  pas  feulemenc 
qu'ils  conuerfcnt  icy  bas ,  quoy  qu'inuifi- 
bles,  entre  les  hommes ,  mais  qu'ils  fauo- 
rifent  les  grands  perfonnages ,  Se  qui  ai- 
ment les  lettres  Se  la  vertu.  Car  d'impu- 
ter, ce  fonge  au  hazard  5  c'eft  véritable- 
ment ce  que  ie  ne  penfc  pas  que  Ton  puifiEe 


Songes  iïuins  j^ 

raifonnablemenc  faire,  non  plus  qu'aux 
caufcsde  la  Nature,  donc  nous  auons  par- 
lé cy-deuant.  L'auteur  de  la  vie  de  Pei- 
refc  a  raifon  de  dire  qu'à  confidercr  tou- 
tes les  parties  de  cette  hifloire  feparé- 
mcnt,  il  n'y  en  a  pas  vne  qui  doiue  pa- 
roiftre  fort  merucilleufe.  La  ville  de  Nif- 
ines,dit-il,a  peu  venir  dâs  Timaginatiô  de 
ce  grand  homme  en  dormant,  veu  mef- 
me  qu'il auoitdeffein  d'y  aller ,  &:  qu'il 
cftoitpreftd'yarriuer.  Uapeu  fonger  en 
vne  médaille  de  Iules  Cefar,  car  ileftoic 
fort  curieux  de  ces  antiquités-là.  Bien  que 
les  médailles  de  cette  forte  foyent  afles 
rares,  ce  n'eft pourtant  pas  chofe  eftran- 
gc  qu'il  s'en  rcncontrafl:  là  vne  telle,  veu 
queNifmescfl:  vne  ville  où  \zs  Romains 
ont  fort  fréquenté.     Il  eftoit  plus  vrai- 
femblable  qu'il  s'en   trouueroit  chés  vn 
Oifcvre  qu'ailleurs  ;  car  ceux  entre  \cs 
mains  de  qui  ces  antiquités  là  tombenc, 
aiment  fouuenc  mieux  de   la  monnoyc 
quifoit  demife,  &trouuent  mieux  à  s'en 
défaire  chés  les  Orfèvres  qu'ailleurs,  lia 
peu  aifémentfe  faire  ,  Se  que  Peirefcfon- 
geaft  qu'il  l'achecoic  pour  vn  prix  afles 
médiocre, &:quVnOrfeve  fe  contentafi: 
de  quatre  efcus  pour  vne  pièce  que  les 


^%  Difcoursfufles 

curieux  de  ces  chofes  ne  fcroyent  poinc 
de  difficulté  d'acheter  vn  beaucoup  plus 
grand  prix.  Maisquc  tant  decirconftan- 
ccsfe  rencontrent  enfembledans  vnmef- 
niefonge,  ^  qu'elles  Ce  rapportent  tou- 
tes exaftement  aux  circonftance$  de  Tc- 
uenement  ,  c*eft  ce  qui  furpafle  &  k 
rencontre  du  hazard  ,  &c  les  caufes  de  la 
nature  :  de  forte  qu'il  le  faut  neceflaire- 
ment  attribuer  à  quelque  caufe  intelli- 
gçnte  î  &  chacun  void  que  cela  ne  pafTc 
nullement  la  mefure  de  la  pulffancc  des 
Anges.  Sçachans  donc  bien  qu'à  Nif- 
iîies,  entre  les  mains  d'vn  Orfèvre  ,  il  y 
auoic  vn  Iules  Cefar,  dont  ils  auoyent 
veu  &  OUI  déterminer  le  prix  à  quatre 
cfcus,  ils  en  allèrent  mettre  Timpreffion 
dans  l'imagination  de  ce  perfonnagc.  Au 
moins  certes  ne  voy-jc  point  de  cara6lere 
en  ce  longe-là  qui  nous  oblige  neceflai- 
remenr.  à  le  rapporter  aux  mauuais  An- 
ges. Non  plus ,  pour  dire  cela  en  paf- 
lant  3  que  ccluy  de  Calpurnia ,  femme  de 
Cefar,  qui  la  nuit  qui  précéda  immédia- 
tement la  mort  de  fon  mary  ,  fongea 
qu'elle  voyoit  qu'on  le  tuoit  à  coups 
d'efpéedansle  Senat.Carii  eftbien  vray 
que  le  récit  qu'elle  en  fit ,  5d  les  prières 

paf 


Songes  dmhSo  53 

J5ar  lefqucUcs  elle  tafcha  de  deftourncr 
Cefar  d'aller  au  Senac  ce  iour-là,  nepro- 
duifirent  aucun  cffect.  Mais  les  bons  An^ 
ges  peuuent  bien  donner  quelques  bons 
aduertiflemens  encore  qu'on  ne  les  fui- 
ue  pas  :  &  ce  font  des  témoignages  du 
foin  qu'ils  ont  de  la  conferuation  de  la  vie 
des  Princes,  comme  le  mefpris  qu'on  en 
fait  eft  vne  pVeuue  de  Timprudcnce  de 
ceux  qui  y  ont  intereft.  Il  ne  nous  eft  pas 
rapporté  dans  l'Euangile  quel  fut  celuy 
de  la  femme  de  Pilate  ,  quand  elle  luy 
cnuoya  dire  qu'elle  le  prioit  de  n'auoir 
rien  à  demefl^rauec  noftre  Seigneur  Ic- 
fus  Chrift.  Quel  qu'il  fuft,  il  fcmble  qu'il 
eft  mdubitable qu'il  cftoit  venu  de  l'im- 
prefliondVnbon  Ange,  bien  que  Pilate 
n'y  défera  pas.  Maisc'eftoit  aflesà  l'An- 
ge qui  l'auoit  formé  dans  l'imagination 
de  cette  femme  ,  d'auoir  par  ce  moyen 
fait  rendre  témoignage  à  l'innocence  de 
noftre  Sauueur.Côment  qu'il  en  foit,  car 
ie  ne  voudrois  pas  faire  vn  a^rticle  defoy 
decetce  matière  ^  &  chacun  y  peutvfer 
de  la  liberté  de  fon  iugemcnC ,  peut-eftre 
que  ce  feroit  bien  fait  de  diftinguer  entré 
les  fonges  que  les  Anges  portent  dans  Vi- 
magination  deî  hommes   par  l'cxprçs 

C 


34  TDïfcoUTs  fur  les 

commandcmenc  de  Dieu  ,  Se  ceux  qui 
viennent  de  leur  opération  par  fa  per- 
miflîon  feulement.      Ceux  là  doiuent 
eftreplus  efficaces,  parce  qu'ils  font  dc- 
ftinés  à  rexecution  de  quelque  deffein 
que  Dieu  a  formé;  c'eftpourquoy  il  faut 
qu'il  difpofe  les  eni^sndemens  de  ceux 
que  ces  vifions-là  concernent,  à  y  défé- 
rer autant  qu'il  eft  necefïaire  pour  faire 
que  le  deffein  n'ait  pas  cfté  formé  inutile- 
mens.     Ceux-cy  ne  venans  finon  des 
bonnesinclinatfons  des  Anges,  que  Dieu 
leur  permet  de  fuiure  &:  de  faire  paroiftre 
en  telles  &  en  telles  occafions,  il  nUnipor- 
tepasquilsne  produifentpas  TeffeCt  au- 
quel ils  eftoyenc  deftinés  par  leurs  au- 
teurs,  &  ils  en  remportent  afles  de  fatis- 
fadion  d'auoir  fait  voir  la  bonne  volonté 
qu  ils  ont  pour  les  hommes  ,  &:  principa- 
lement pour  ceux  qui  font  emincns  en 
vertu  ou  en  dignité. 

Q^uant  aux  fonges  diuins  ,  il  y  en  a 
auffi  de  deux  fortes.  Car  les  vns  con- 
tiennent les  chofcs  futures  fous  des 
reprefentations  enigmatiques  &:  myfte- 
rieufes,  &  les  autres  font  beaucoup  plus 
lîuds  &  plus  découucrts.  Il  y  a  des 
exemples  foie  illuftres  *de  la  première 


Songea  àiuinso  3j 

force  dans  l'hiftoirc  de  lofcph  ,  tant  en 
teux  qui  luy  furent  enuoyés  à  luy-mef- 
mc,  pour  luy  prédire  fa  grandeur,  qu'en 
ceux  qui  furent  enuoyés  àPharao,Dour 
l'aduertir  des  fept  années  d'abondance  ôc 
des  fept  années  de  fterilicé.    La  ftatuë 
que  Nabucodonofor  vit  en  vifion  eft  en- 
core fort  magnifique,  comme  k  pierre 
coupée  fans  mains  ,  qui  de  pfctits  com- 
mencemens  deuint  vne  grande  monta-» 
gne,  8r  remplit  tout  l'Vniuers.  Il  y  a  des 
exemples  des  autres  dans  Thiftoire  de  la 
naiflancc  de  noftre  Seigneur,  tant  aux 
fongcs  qui   furent  enuoyés  aux  SageS;^ 
pour  les  aduenir  de  s'en  retourner  par  vn 
autre  chemin  que  par  celuy  oùHerode  les 
attendoit,  qu'en  ceux  par  lefquels  il  fut 
commande  à  lofcph  d'emporter  noftre 
Seigneur  en  Egypte ,  &  de  l'en  rapporter 
aufîi  quand  il  fut  temps.    Qinnt  à  la  vi- 
fion de  lacob  ,  qui  luy  fut  addreffée  en 
fonge  lors  qu'il  alloit  en  Paddan-Aram, 
elle  eftoit  n-jellce  des  deux  fortes.    Car 
i'efchelle  fur  laquelle  les  Anges  mon- 
toy  ent  &  defcendcyent,  auoit  fans  doute 
vne  lignification  myftcrieufe  ,  qui  fe  rap- 
porte à  lefus  Chiift.    Mais  les  paroles 
<ju'il  oûiî  cbntcnoyent   des    promcffes 

C  i] 


z^  T>ifcûtirs  fur  les 

fort  intelligibles ,  &  qui  n'eftoyent  cnue--' 
loppécsdans  le  voile  d'aucuns  énigmes 
ny  d'aucunes  telles  reprefentations.  Et 
de  ceux  là,  &:  de  tous  les  autres  fongcs 
diufnscn  gênerai,  on  peut  faire  trois  que- 
ftions importantes.  La  première,  pour- 
quoy  Dieu  s*eft autrefois  reuelé  par  fon- 
gesà  fes  fcruiteurs.  La  féconde  ,  com* 
jnenc  ils  omtpeu  reconnoiftrequ'cffcfti- 
uemenc  cVftoit  Dieu  qui  les  leur  cn- 
uoyoit,  6c  que  ce  n'eftoyent  pas  de  vaines 
illufions.  Latroifieme,fîl'vfage  de  cetce 
révélation  eft  abfolument  pafTé  ,  Se  fi 
Dieu  ne  s'en  fert  plus  fous  l'Economie  de 
l'Euangile.  Qu^ant  à  la  première  de  ces 
queftions,  rApoftvedicque  'Dieu  ayant  ta» 
dis  à  diuerfes  fois  &  en  diuerfes  mankres 
far  lé  aux  Pires  par  les  Prophètes  ^a  parlé  à 
mus  en  ces  derniers  temps  par  fin  Fils,  Et 
]à  il  oppofc  la  Difpenfation  du  Fils  à  la 
précédente,  en  trois  chofes,La première, 
queDieu^a  autrefois  parlé  aux  Pères  par 
les  Prophètes  ,  mais  maintenant  à  nous 
pal  fon  Fils.  La  féconde,  qu'il  J'a  iadis 
fait  a  diuerfes  fois  ^  c'cft  à  dire ,  qu'il  a  rc- 
ueîé  alors  fa  connoiflance  par  degrés  Se 
comme  par  parcelles ,  adjouftant  vne  lu- 
mière à  l'autre  de  temps  en  temps  ;  au 


Songes  àmins]  57 

Heu  que  maintenant  il  nous  areuelétout 
dvn  coup  ce  qu'il  vouloit  que  nous  fccùf- 
fionsdc  fa  vérité,  iufqu'à  la  confomma- 
tion  des  fiecles.  La  troifieme, qu'au  lieu 
que  maintenant  il  ne  fe  reuele  qu  en  vne 
façon  ,  à  fçauoir  phr  la  Prédication  de  la, 
Parole,  il  l'a  fait  alors  en  dhterfes  manie- 
re'5.  Et  CCS  diuerfes  manières  la  fe  peu- 
uent  rapporter  aux  trois  forces  de  facul- 
tés defquellesi'ay  dit  cy-dcfTus  que  nous 
nous  feruons  pour  acquérir  &  pour  con- 
feruer  la  connoiffance  des  chofcs  :  à  fça- 
uoir les  fens  externes,les  internes,  &  Ten- 
tendemcnt.  Etquantaux  fensexternes, 
Dieus'eften  cela  peu  ferui  de  trois  d*en- 
tr'cux,  à  fçauoir  du  toucher ,  du  flairer  &S 
dugoufter;  mais  il  y  a  employé  les  deux 
autres.  Car  il  a  prefcntè  aux  yeux  de^ 
chofes  vifibles ,  tantoft  en  apparence  hu- 
maine, comme  à  Abraham  &  à  Manoé, 
&  à  quelques  autres  }  tantoft  en  antres 
chofes,  comme  à  NJloyfe  dans  le  buiflbn 
ardent.  Et  pour  le  regard  de  l'ouïe,  il  a 
fouuent  fait  ouïr  des  voix  des  cieux, 
comme  à  Abraham  ,  &  à  Moyfe  encore 
dans  le  buiflbn  ,  &:  en  plufieurs  autres 
rencontres.  Pour  ce  qui  eft  des  fens  in- 
ternes ^  il  les  y  a  employés  en  veillant  ôç 

C    iij 


^$  Difcom  fur  tes 

en  dôrmant/En  veillant,  par  les  cxftafes' 
qu'il  aquelquesfois  enuoyées  à  fes  ferui 
teurs.  Car  alors  il  agifToïc  tellement  en 
leur  imagination  par  la  vertu  qu'il  y  def- 
ployoic,  se  y  faifoit  vne  fi  grande  &:fi 
puiflantcabftradlion  de  leur  crpricdauec 
leurs  fens  extérieurs  &c  corporels,  que  les 
fondions  en  cefToyent  ,  bien  qu  ils  ne 
dormilîentpas.  Et  cependant  il  leur  im- 
primoit  dans  la  fanraifie  les  images  de 
chofes  extraordinaires  6^ admirables,  &: 
leur  faifoit  intérieurement  entendre  des 
voix,  qui  leur  donnoyent  quelque  in- 
ftrudion  ou  quelque  commandement. 
On  void  vn  bel  exemple  de  cela  en  S» 
Pierre,  quand  il  vit  le  linceul  defcendanc 
du  ciel ,  &  qu'il  ouït  la  voix  Tm&  man- 
ge  5  car  il  eftoit  en  cxftafe  alors  ,  &  les 
chofes  que  S.  leannous  rapporte  en  TA- 
pocalypfe,  luy  ont  eflé  ainfi  reuelécs.  En 
dormant ,  par  les  fonges  ,  tels  que  font 
ceuxdefquelsi'iy  des-)a  parlé,  &  autres 
femblables.  Et  il  y  auoit  peu  de  difFc- 
rcnce  entre  les  reuelations  addreflees  par 
lesexftafes  &  les  fonges^  finon  qu'encore 
quedcccfté  &  d'autre  il  y  cuft  cefTation 
de  fondions  des  fens  corporels,  fi  eft  ce 
que  dans  Texftafe  dlcn  eftoit  pas  peur 


Songes  diums,  59 

eRrc  du  tout  fi  entière  que  dans  le  fom-  . 
meil,  &  quelle  procedoit  dVnc  autre 
caufe.   Car  dans  le  fommcil  elle  proce- 
doit des  caufes  naturelles  d  où  elle  vient 
ordinairement  :  dans  l'exlliafe  elle  fefai- 
foit  exiraordinairement  &  miraculeufe- 
inentpar  la  puifTance  derEfpricdeDieu, 
qui  retiroit  l'ame  de  fes  feruiteurs  des  or- 
ganes des  fens  extérieurs,  U  empefchoit 
qu'elle  n  y  defployafi:  fon  efficace  Qnant 
à  l'entendement,  rEfprit  deDieuyagif- 
foit  en  deux  manières.  La  première  eft 
qu  au  lieu  qu'ordinairement  les  connoif- 
fances  que  nous  auons  dans  Tinteled,  y 
entrent  par  le  miniftere  des   fens  ,  qui 
nous  apportent  les  images  des  chofes  fen<! 
fibles,  SiparlesTenfibles  les  intelligibles, 
&nousfourniirent  l'occafion  déraison- 
ner, Dieu  imprimoit  alors  dans  l'efpric 
des  Prophètes  immédiatement  ks  efpe- 
ces  intelligibles  des  chofes  qu'il  leur  vou- 
loir reueler,de  forte  qu*il  lesrendoic  fa- 
uans  fans  Tentremife  de  leur  ratiocina- 
tion.  Et  il  a  reuelé  vne  infinité  de  cho- 
fes de  cette  façon  àMoyfe  entre  les  autres . 
La  féconde  eft,   qu'au  lieu  que  nous  ne 
nous  portons  naturellement  &  ordinai- 
rement aux  grandes  avions  qu'après  vne 

G    iiij 


40  'Difcours  furUs 

attenciuc  confultation  de  noftre  intel- 
left  fur  la  fin  que  nous  nous  y  propofons, 
&  furies  motifs  qui  nous  y  induifent ,  6c 
fur  les  moyens  par  lefquels  nous  y  pou- 
vions paruenir,  Dieu  infpiroit  quelques- 
fois  à  ks  feruiteursdes  mouuemens  mi- 
raculeux &:  héroïques ,  par  lefquels  ils 
eftoyent  portés  à  des  chofes  extraordi- 
naires fans  cette  délibération ,  &:  feule» 
mcnr  parce  qu'ils  fencoyent  que  Dieu  les 
i ncitoic  par  ces  mouuemens.Tel  fut  celuy 
d*Ehud  ,  quand  il  tua  Eglon  Roy  de 
Moab  ;  tel  celuy  de  Phinées,  quand  il  tua 
rifraelice  Ôc  la  Madianite  dVn  mefme 
coup  ;  tel  celuy  de  Dauid ,  quand  il  fe  re- 
folut  à  combattre  Goliath  auec  vne 
fronde. S'il  y  a  eu  quelques  autres  moyens 
dont  Dieu  fe  foit  fcrui  autrefois  pour  fe 
reuelcr  fous  cette  ancienne difpenfation, 
comme  la  voix  qui  s  cntendoit  dans  le 
Tabernacle,  &  les  lumières  d' Vrim  &  de 
Tummim^,  ilsfe  peuuent  rapporter  à  ce 
que  iç  viens  de  dire  brieuement,  &:  mon 
deflcin  ne  m'oblige  pas  a  m'y  eftendrc 
dauantagc.  le  diray  feulement  en  gêne- 
rai, pourqqoy  ils*eft  ferui  de  tous  ces  di- 
vers moyens,  Bc  en  particulier,  pourquoy 
il  y  a  employé  les  fbnges.Pour  le  premier^ 


'Songes  dminsl  -  jÇi 
il  faut confiderer  que  1  Eglife,  comme  die 
S.Paul,  cftoic  alorsen  Ion  enfance.  Or 
il  y  a  bien  de  la  différence  entre  la  maniè- 
re donc  on  inftruit  les  enfans  ,  &  celle 
quel'on  employé  à  enicjgner  les  fciences 
&les  difciplines  à  ceuxqji  font  en  aage 
viril.  Enucrs  ceux  cy  on  fe  fercdc  l*en- 
trcmife  de  la  voix  feulement ,  o.i  s'il  cft 
befoin  défaire  quelques  demonftracions 
àfocil,  on  les  fait  iimplement  en  des  li- 
gnes,&  en  des  figures  de  Mathématique, 
ou  tout  au  plus  on  fe  contente  de  faire 
voirlesobjets&  les  expériences  des  cho- 
fes  fcnfiblcs,  comme  celles  du  vuide&dc 
J'aymant.  Et  tout  cela  ne  fait  rien  Cnon 
fournir  à  l'entendement  Toccafion  de 
former  fes  raifonnemcns.  Mais  quant 
aux  enfans,  parce  que  la  faculté  de  rai- 
fonner  eft  encore  foible  &  imparfaitecn 
eux  on  fclert  de  médailles,  d'emblèmes, 
dereprcfentationSjde  figures  hiérogly- 
phiques, &  d'autres  tels  artifices,  iufqucs- 
là  que  depuis  quelques  années  on  a  veu 
des  cartes  peintes, &p!einesde  figures  em- 
blématiques pour  imprimer  les  reiglesdc 
la  Logique  dans  l*efpric  des  ieuncs  enfans 
en  ioiianr.  Et  la  raifon  de  cela  eft,  qu  ou- 
tre que  les  hommes  faits  n'ont  pas  bc- 


42*  Difcours  fur  les 

foin  de  ces  aides  pour  leur  faire  com- 
prendre les  difciplines ,  dont  ils  enrcn- 
dentfort  bien  les  axiomes  8c  les  theore- 
mes  par  la  feule  propofuion  qu'on  leur 
en  fait ,  ils  ont  auffi  peu  befoin  de  ces  at- 
traits pour  les  allécher  à  apprendre,parcc 
que  la  beauté  des  cliofes  mefmes  eft  ca- 
pable de  les  attraire  alTés  efficacemenc. 
Au  lieu  que  les  enfans  ont  d'vn  cofté  be- 
foin qu  on  leur  face  comprendre  par  la 
iigure  d'vn  bœuf,  cequcc*eft  qu'vn  e/h'^ 
retl,  comme  on  le  voit  en  quelques  tabtes 
philofophiqucs ,  Se  de  l'autre  ,  il  les  fauE 
amorcer  par  ces  gentilleffcs ,  parce  que  la 
difficulté  des  choies  les  rcbuteroit,  fi  on 
les  leur  enfeignoit  autrement.   L'Eglife 
ludaïque  donques  eftant  en  cet  eftat  là, 
ces  diuerfes  manières  dont  Dieu  s'eft  fer- 
uipour  l'enieigner,  ont  contribué  quel- 
que chofe  à  luy  faciliter  l'intelligence  de 
cequeDieu  vouloit  qu'elle  fçeuft,  &c  onz 
eu  plus  d'efficace  à  retenir  fon  cfprit  en  le 
furprenanc,  &  en  luy  donnant  deTadrai- 
ration,  parce  qu'elles  eftoyent   rares  Se 
mlraculeufes ,  que  s'il  luy  euft  fait  dire  les 
ehofes   a  delcouuert    6c  tout  nuëment. 
Tay  dit  cxpreflfément ,  ce  que  Dieu  vou- 
loit qu'elle  fceuft  ,  parce  que  quelques- 


Songes  diuins.  4j 

fols  ces  chofes-làont  eu  vn   vfage  dif- 
ferenr.      Car   l'inflitution    des  types , 
pour  exemple  ,    &  les  rcprelentations 
îymboliques  des  chofes  à  venir  ,  &  les 
vifions  admirables    qui    ont   efté   en- 
uoyées  aux  Prophètes  pour  en  donner 
les  prédirions ,  ont  afles  fouuenc  ferui 
de  voile  pour  obfcurcir  l'intelligence  des 
chofes  qui  ne  deuoyenc  eftre  interprétées 
finon  par  leseuenemens.  Pour  le  fecôd, 
puis  qu'il  a  pieu  à  Dieu  employer  tous 
ces  moyens  pour  fe  rcueler&  à  fes  Pro- 
phètes, &  par  Tes  Prophètes  aux  autres 
hommes ,  autrefois,  il  n'y  a  point  de  rai- 
fon  pourq'joy  il  en  euft  exclus  les  fonges. 
Mais  il  yacecy  de  particulier  pour  eux. 
C'eft  qu'encore  qu'il  y  ait  beaucoup  de 
vanité  dans  les  fonges  ordinaires ,  &  que 
dans  ceux-  là  mefme  qui  procèdent  de  l'o- 
pération des  Anges,  il  y  ait  bien  fouuenc 
beaucoup  d'incertitude  &  d*asnbiguité,&: 
que  quelques  Philofophes,  comme  Ari- 
flote  entre  les  autres,  n'eftiment  pas  qu'il 
en  faille  tenir  aucun  conte  pour  ce  quicfi: 
deladiuination,  fi  eft-ce  que  c'a  toujours 
efté  vn  fentimenc  prefque  vniuerfel  ds 
toutes  les  nations,  que  la  Diuiniié  fe  c6- 
puniquoic  aux  hommes  principalement 


44  Difcoursfurles 

par  lesfongcs.  Homère  en  attribue  quel- 
ques-vns  à  fon  lupicer  :  Les  Sioïques 
ont  tenu  qu'il  yen  a  qui  font  tout  à  fait 
diuins  :  Platon  en  parle  de  mefme  en 
quelques  endroits  :  6>c  fur  tout  dans  les 
pays  orientaux  cette  opinion  auoic  vne 
merueilleufe  vogue.    De  forte  que  c'eft 
principalementen  ces  régions  là  que  Ton 
a  rçduic  l'interprétation  des  fonges  en 
art,§d  quon  en  afaitdesreigles.  Parce 
donquesque  le  peuple  d'Ifraèleftoit  im- 
bu dVnc  fcmblable  opinion ,  Dieu  a  vou^ 
lu  luy  cnuoyer  des  fonges  qui  fuflenc  cf- 
fediuement  diuins,  afin  de  lattacher  à 
ceux-là  ,  &  de  le  diuertir  de  la  vanité  à 
laquelle  les  autres  nations  fe  laiflbycnt  al- 
ler à  l'égard  des  autres.  Ec  de  plus,ileft 
bien  vray  que  la  plus  naturelle  manière 
de  donner  iaconnoiffance  de  quoy  que 
ce  foit,  Se  mcfmes  de  la  Diuinité,  aux 
hommes ,  eft ,  ou  de  leur  prefenter  quel-  j 
queschofes  vilîbles,qui  leurfourniffent  i 
le  moyen  de  raifonncr, 8^  démonter  de  j 
la  confiderationdes  cffefts  à  Tintelligcn-  ^ 
ce  de  la  nature  de  la  caufe ,  comme  cela  i 
s'cft  fait  dans  la  difpenfation  delaNatu-  • 
rc  i  ou  de  leur  dire  quelques  chofes  j  &  de  3 
leur  annoncer  des  verité«  par  rentrenûfe  j 


Songes  diums.  éf.^ 

de  la  parole, comme  cela  fe  faic  fous  la 
difpcnfation  de  TEuangile  de  Chrift. 
C  cfl:  pourquoy  S.  Paul  ioint  ces  deux 
économies  quand  il  dit ,  (\ut  puis  quen  U 
fapfence  de  Dieu  le  monde  na  point  connu 
Dieu  par  fapïence ,  le  bonplaijir  de  Lieu  a  ejlc 
de  Jauuer  les  croy  ans  par  la  folie  de  la  pre^ 
dication.  Mais  pour  eftreinftruic  de  cetcc 
façon-là ,  il  faut  de  la  clarté  &  de  la  force 
d'entendement ,  plus  que  les  homes  n*en 
ont  d  ordinaire  en  leur  enfance.  De  forte 
que  rEglifeeftant  alors  encecaage-là,  il 
la  faloit  inftruire  dVne  autre  façon.  Or 
de  toutes  ces  manières  qui  y  ont  efté  em- 
ployées, il  n  y  en  a  point  vne  qui  y  fuft 
plus  propre  ny  plus  commode  que  les 
ibnges.  Car  comme  difoit  Platon,  quand 
vn  homme  quial'eftomach  plein  devin 
&  de  viandes,  vient  à  s'endormir  ,c'eil 
vnechofe  certaine  qu'il  eft  fort  mal  pro- 
pre  pour  receuoir  la  communication  de 
la  Diuinité,&:  que  les  vilîons  qui  fe  for- 
ment en  fa  fantaifie  font  extrêmement 
obfcures,  confufes&  turbulentes.  Mais 
quand  vn  honnefte  homme  ,  &  qui  vie 
auec beaucoup  de  tempérance,  s'eft  en- 
dormi ,  &  qu'après  la  concoâiion  des  ali- 
mens  qu'il  a  pris,  il  ne  luy  monte  plus  du 


^g  2)ircours  fur  iâs 

tout  de  fumées  enlacefte  ,  &qucfeshu- 
meiu s  font  paifibles  &:  tranquilles ,  &  fon 
imagination  comme  vne  eau  calme  ÔC 
&:  limpide  ,  ou  commevneglaccdemi- 
roirjalors  fequcftré  qu'il  eft  tout  à  fait  des 
choies  de  la  vie  prefentc  &  du  commer- 
ce des  fens,  il  eft  extrêmement  propre  à 
receuoir  l'impreflion  des  chofes  diuines. 
Et  c*eft  pourquoy  Dieu  mefme déclarant 
de  quelle  façon  il  (e  reuelera  aux  Pro- 
phètes qu'il  fufcitera  parmy  fon  peuple 
d'Kraèljildic  que  cch [c  itr3i J^ar vifio^s 
oiip<^rfonges. 

Pource  qui  eft  de  la  féconde  queftion^ 
auant  que  de  la  décider  il  faut  que  i'ad-» 
uertifle  dVne  chofe.  Quand  i'ay  diftin- 
gué  les  fonges  en  trois  claffes ,  &  que  i'ay 
mis  dans  la  (econde  ceux  qui  procèdent 
de  1  opération  des  Anges,  &  dans  la  troi- 
fiéme  les  diuins  ,  voicy  comment  i'ay 
entendu  faire  ma  diftinâion.  Entre  ceux 
qui  peuuent  procéder  de  Toperation  des 
Anges,  il  y  en  peut  auoirde  diuins  en  ce 
que  c'eft  Dieu  qui  non  feulement  a  per- 
mis, mais  qui  peut- cftrc  mefmesa  com- 
mandé qu'ils  en  donnaffent  Timpreffion» 
Mais  lelesattribuë  Amplement  aux  An- 
gtSjComme  ceux  dont  i'ay  propofé  les 


Songes  diuins.  47 

exemples ,  parce  que  ny  la  formation  des 
images  efquelles  ils  confiftenc,  ne  paiTe 
poinc  leur  venu  ,  ny  la  connoiflance  de 
la  choie  que  cts  images  reprcfentenr, 
n'eu  poiiK  au  delà  de  leur  intelligence 
naturelle ,  ny  de  la  viuacir c  de  leurs  con- 
iedures  &  de  leur  diuination.  Car  il  eft 
certain  que  leur  nature  fpiricuelle  ,  la 
longue  expérience  qu'ils  ont  des  chofts, 
la  connoiflance  qu'ils  ont  des  Iccretsde 
la  Nature  &  des  inclinations  de  refpric 
humain  ,auec  diuerfes  autres  aydes  que 
nous  n'auons  pas  ,  les  font  pénétrer 
beaucoup  plus  auant  que  nous  dans  la 
fciencc  des  chofes  futures.  Entre  ceux 
que  i'appelle  diuins  il  y  en  a  encore  qui 
Gonfiftcnt  en  certaines  images  dont  la 
formation  n'cft  pas  non  plus  au  deflus  de 
l'efficace  des  Anges.  Maisie  lesay  nom- 
més diuins ,  parce  que  foit  que  Dieu  sic 
employé  les  Anges  pour  les  enuoyer  ,  ou 
qu'il  lésait  formés  immediatemencluy- 
mefme,  tant  y  a  que  les  chofes  que  ces 
images  figni fioyent ,  paffoycnt  de  fi  loia 
la  portée  naturelle  de  l'intelligence  des 
Anges, qu'il  eftoit  abfolument  impofTi- 
ble  qu'ils  y  atteigniflent  lans  vne  parti- 
culière rcuelation.  Car  bien  que  Icuis 


4S  Difcours  fur  les 

connoiflances,  à  les  comparer  aux  no» 
lires,  font  admirables,  &:  que  leur  veuc 
va  brcn  loin ,  fi  eft-  ce  qu'elle  eft  bornée, 
&  encore  bornée  de  telle  forte,  qu*ils  ne 
voyent  nybienauanc,  nybien  certainc- 
mcntdans  l'aduenir.  Ceux-là  donques 
doiuenteftrc  réputés  venir  de  Dieu  ,  qui 
par  quelque  mclTager  qu'ils  ayent  efté  en- 
uoyés, contiennent  des  chofes  telles  qu'il 
n'y  a  que  Dieu  feul  qui  les  puifTe  au-oir  cô- 
nuës&  reuelées.  Pour  donques  retour- 
ner a  mon  propos,  on  peut  bien  affiimer 
hardiment ,  &  que  ces  iongcs  ont  eu  des 
marques  parlelquellcsona  recônu  qu'ils 
eftoyenc  diuins  ,  &  que  mefmes  il  eftoic 
neceffaire  qu'ils  en  euflent ,  quand  bien 
on  ne  fauroitpas  certainement  en  quoy 
ces  marques. là  confiftoyent.  QujJs  en 
ont  eu  premièrement.  Car  toutes  ces  au- 
tres manières  efquelles  Dieu  s'eft  rcuelé 
aux  hommes,  &  dont  nous  auons  parlé 
cy-deflus, ont  efté  comme  caraftcrifécs 
chacune  de  fa  marque  particulière  ,  par 
laquelle  elle  a  eflc  difcernée  dauec  tou- 
tes les  antres  chofes  dont  la  comparaifon 
oulareffcmblance  qu'elles  àuoyent  auec 
elles,  pouuoit  faire  douter  qu'elles  fu fient 
venues  de  Dieu.  Les  voix  qu'Abraham, 

pour 


Songes  dîUms.  4? 

rtar  exemple, a  encenduës,ont  eu  quel, 
qucchofe  qui  lésa  diftingué^sdes  autres 
voix  qai  pouuoyenceftre  formées  parle 
rtiiniftere  des  màuuais  Anges  ,3c  princi- 
palerpenc  celle  par  laquelle  Dieu  luy 
commanda  de  facrifier  fon  Fils.  Ce 
commandement  eftantfi  contraire  à  fes 
afFcdions  naturelles  ,  &  mefmes  ayant 
lapparence  dVne  barbarie  inouïe  ,  &c 
dVne  cruauté  fans  exemple,  cortiment 
eft-ce  que  ce  faint  homme  euft  peu  eftté 
induit  à  fe  refoudre  à  TexecuEer, s'il  ti'euft 
eu  quelque  marque  fi  certaine  que  c'cftoit 
Dieu  qui  le  donnoit ,  qu'il  ne  peuft  eftrc 
imputé  à  aucune  autre  caufc  ?  La  vifion 
àddreflee  à  Moyfeaubuiflbn  ,  pour  l'in- 
duire à  entreprendre  la  deiiurance  d'I- 
fraèl  hors  de  l'Egypte  ,  &  fon  introdu» 
aiondansla  terre  de  Canaan, a deu  eftrc 
fignaléede  mefme.  Car  comment  eft-ce 
qu'il  cuft  peu  fe  refoudre  à  vne  fi  haute 
entieprife,  &quiauoit  defigraridcs  dif- 
ficultés ,  s'il  n'euft  efté  bien  perfuadé  que 
c'eftoit  Dieu  qui  luy  promettoit  de  les  luy 
faire  furmonter  >.  La  vifion  addr effée  a  S. 
Pierre  ,  rie  dcuoit  pas  eftre  moins  recori* 
hoiflable,  pour  l'obliger  à  commencer  la 
firedication  de  TEuangile  entre  les  Gen- 


50  Difcours  fur  les 

tilSjchofe  cotre  laquelle  les  luifs  auoycnc 
vne  très-grande  auerfion.  L'impreffion 
des  efpeces  intelligibles  des  chofes  dans 
l'entendement  de  Moyfe,  &  de  Dauid,& 
de  Salomon,  ôc  de  quelques  autres  enco- 
re, oncdçu  pareillement  auoir  quelques 
lignes  par  kfquels  elles  fe  perfuadafTent 
pour  des  vérités  diuines,  autrement  ces 
grands  perfonnages  ne  les  cuffent  pas 
débitées  comme  telles  auec  vne  fi  grande 
confiance  ,  &  n'en  euflent  pas  en  leur 
particulier  receu  tant  de  fatisfaftion.  En- 
fin 5  les  rrouuemens  héroïques  qui  ont 
porté  Ehud  &  Phinées  aux  adions  que 
rhiftoirc  Sainte  nous  recite  d'eux ,  ont 
deu  eftre  mcrueilleufement  fenfibles  Se 
reconnoiffabless  autrement  ils  ne  fe  fuf- 
fent  iamais  laiffés  aller  à  faire  des  chofes 
qui  euffcnt  eflé  puniffables  ,  &  mefmes 
en  quelque  forte  horribles  deuant  Dieu 
&  deuant  les  hommes,  fi  elles  n'eufTent 
efté  précédées  d'vn  commandement  di- 
iiin.  Les  fonges  donques ,  ont  auffi  fans 
doute  eu  leurs  marques,  pour  fe  faire  dif- 
cerner  d'auec  les  illufionsnoÊlurnes  qui 
viennent  ou  de  Timpreflion  des  mauuais 
Anges,  ou  dts  caufcs  de  la  Nature ,  com- 
aae  le  Jcs  ay  touchées  cy- deuant.  Et  ils 


Songe.<  àiuins  51 

en  ont  denauoir  par  les  mefmes  rai/ons 
que  i'ay  alléguées  à  loccafiondes  autres 
chofes  précédentes.  Car  quand  Dieu 
commanda  en  fonge  à  lofeph  de  tranf- 
porter  Icfus  en  Egypte  ,  ces  penlees  liiy 
pouuôyent  venir  en  rcfpric.  Peuc-eftre 
que  c*eft  vne  vaine  imagination  ,  &  vn 
vain  fantofme  de  ma  fantaifie ,  qui  n*a 
point  de  fondement  en  la  vérité.  Peuc-i 
eftre  que  la  follicitude  en  laquelle  ie  fuis 
continuellement  pour  la  conferuationde 
ce  miraculeux  petit  enfant ,  m'a  mis  dans 
Tame  cette  idée,  qu'on  le  veut  faire  mou- 
nr,encore  qu'on  n'y  penfe  pas.Peut-cftre 
que  c'eft  quelque  malin  efprit  ,  ou  qui 
prend  plaifirà  me  donner  de  vaines  ter- 
reurs, ou  qui  me  veut  inciter  :^  tirer  cet 
enfant  d'icy ,  afin  que  fur  le  chemin  il  luy 
dreflfe  plus  aifément  des  embufchcs.  En 
vnmot  jdiuerfes  chofes  femblables  luy 
pouuôyent  paiTer  dans  l'entendement,  & 
le  mettre  dans  vne  grande  incertitude  de 
la  refolution  qu'il  auoità  prendre  fur  ce 
commandement.  Et  neantmoms  il  pa- 
roift  par  Thiftoire  qu'il  n'y  a  pomt  du  tout 
hefité,  ce  qui  monftrc  qu'il  y  auoit  vne 
merueille-ufc  efficace  de  perfuafion  dans 
te  longe.  Q^nddonques  nous  ne  pour-» 

D  i) 


5^  Difcours  JïiT  les 

rions  pas  maintenant  dcuiner  d'où  cette 
efficace  de  perfuafion  dependoiCail  doit 
pourtant  pafTer  pour  indubitable  qu  elle 
dependoit  de  quelque  chofe  bien  forte  &C 
bien  déterminée.  Mais  il  faut  rechercher 
ce  que  c*eftoit ,  &  c'eft  proprement  à  cela 
que  cette  méditation  eft  deftinée. 

Puis  qu'il  n'y  a  que  de  trois  fortes  de 
fonges  :  ceux  que  les  caufes  naturelles 
produifent  ;  ceux  qui  procèdent  de  Tope- 
ration  des  Anges  j  &  ceux  que  l'appelle 
diuins  »  le  plus  court  chemin  pour  venir  à 
la  connoiffance  de  cette  vérité  ,fera  de 
monftrer  qu'ils  n*ont  peu  eftre  ny  du  pre- 
mier ny  du  fécond  rang  ;  car  il  s*enfuiura 
neceflaircmcnt  de  là  qu'ils doiuent  eftrc 
du  troifiéme.  Quant  aux  fonges  naturels, 
il  me  femble  qu'il  eft  bien  ailé  de  lesdi- 
ftingucr  d'auec  ceux  qui  font  de  Timpref- 
fion  diuine.  Car  i'ay  dit  qu'il  y  en  a  de 
quatre  fortes, dont  les  premiers  dépen- 
dent du  tempérament  &c  de  la  conftitu- 
tion  des  humeurs:  les  autres  n'ont  autre 
caufe  que  le  remuement  des  images  des 
choies  qui  fe  fait  par  la  chaleur  dufom- 
mcil  :  les  autres  viennent  de  l'attentiue 
application  d'elprir  que  l'on  apporte  à 
quelque  chofe  en  veillant:  êc  les  derniers^ 


songes  dimns.  ^j 

de  quelque  paffion  de  Tame  fcnfîciue,  qui 
fc  réueille  ou  qui  s'excite  pendant  le  re- 
pos des  fens.  Or,  pour  exemple,  à  la- 
quelle de  ces  caufespourroit-on  rappor- 
ter les  fonges  de  lofeph  ou  ceux  de  Pha- 
rao?  Quelle  marque  portent  ils  du  tem- 
pérament de  leurs  corps ,  ou  de  la  confti- 
tution  de  leurs  humeurs  ?  Quelles  idées 
des  chofes  leur  pouuoyent  elhe  demeu- 
rées dans  la  mémoire  ,  qui  ayent  peu  fi 
biensadiufterque  de  voirslVn, le  nombre 
des  gerbes  &  des  eftoiles  qu  ii  vit  ,  &  le 
Soleil  &:  la  Lune,&  leurs  inclinations  dc- 
uant  luy  ;  l'autre,  le  nombre  des  cfpics 
vuides  &  des  efpics  grenus ,  des  vaches 
grafles  &:  des  vaches  maigres,  &  l'adion 
de  celles-cy  qui  engloutirent  les  autres? 
Qjel  fi  grand  attachement  pouuoyent 
auoir  leurs  efprits  à  quelques  occupa- 
tions &  à  quelques  foins,  que  cela  leur 
peuft  mettre  dans  l'ame  de  telles  re- 
prefentations  en  dormant  ?  Quelle  paf- 
fion fe  pouuoitémouuoir  dans  la'Colere 
ou  dans  la  Conuoitife  en  eux  ,  qui  leur 
peuft  configurer  des  fantofmes  de  cette 
nature?  Il  y  a  plus.  Les  fonges  qui  vien- 
nent de  quelcune  de  ces  caufes  font  tou- 
jours irrcguliers  5  &  çompofés  dcpiecesi 

D  iij 


54  Difcoursjur  Us 

qui  ne  s'accordent  pas  bien  les  vnes  aux 
autres,  de  forte  que  d'ordinaire  il  n'y  a 
rien  de  plus  bizarre  ny  de  plus  exrraua- 
guaiK.   Or  ceux  de  lofeph  3c  de  Pharao, 
&:laftatuè*de  Nabueodonofor  >  &  s'il  y 
en  a  quelques  autres  de  mefmes  en  l'Ef- 
criture,  font  fi  admirablement  bien  com- 
pofés,  qu'il  paroift  qu'ils  ont  elle  ainfi 
adjuftés  par  quelque  caufe   tres-intelli- 
gence.    Les  fonges  qui  procèdent  de  ces 
çaufes  naturelles  font  obfcurs  ,  &  ne  fc 
prefentent  à  n.os  efprits  en  dormant  fi- 
non  fort  confufément ,  de  forte  que  nous 
n*y  remarquons  rien  de  diftinû  ,  ou  fi 
Tvne  de  leurs  parties  a  quelque  netteté 
ëc  quelque  diftinftionjles  autres  font  per- 
plexes Se  embaraffées.     Au  lieu  que  ces 
fonges  qui  nous  font  rapportés  ènTEcrU 
ture,  font  non  feulement  nets ,  mais  lu- 
mineux ,  Se  à  les  confiderer  en  leur  tout, 
Se  à  les  regarder  en  leurs  patties.     Les 
fonges  naturels  font  fi  peu  d'imprefliîon 
fur  nos  efprits,  que  la  plus  part  du  temps, 
lorsque  nous  fommes  éueillés,  nous  ne 
nous  en  fouuenons  pas  :  au  lieu  que  les  di- 
vins demeuroient  fermement  &conftam- 
ment  attachés  dans  la  mémoire.    Car 
quant  à  ce  qui  eft  rapporté  de  Nabucodo-^ 


Songes  diuin}:  jl 

nofor,  qu'il  auoic  oublié  fon  fongc,  ôc 
qu'il  faluc  que  Danielle  luy  rcmiftdans 
l'efpric^  cela  eft  arriué  par  vnc  particuliè- 
re difpenfacion  de  la  prouidence  &  de 
la  puiflance  de  Dieu  ,  qui  luy  ôfta  les 
idées  de  fes  vifions  hors  de  refpric,  afin 
de  rendre  la  fapience  de  Daniel  plus  ad* 
mirable.    Durefte,  ce  Prince  fe  fouue- 
noic  fore  bien  qu  il  auoic  fongé  ,  Se  Tin- 
quiétude  que  îuy  donnoicfon  fonge ,  le 
dcfir  paffionné  qu'il  auoic  de  le  rappeller, 
la  façon  de  laquelle  il  fegouuernaenucrs 
fes  deuins,  &  coût  ce  qu'il  fie  en  cette  oc- 
currence,  monftra  bien  que  cette  vifion 
luy  tenoit  merueilleufement  au  cœ  ir ,  8c 
que  mefmes  en  dormant  il  y  auoit  remar- 
qué quelque  chofe  de  fingulier  ôc  de  tout  à 
faic  extraordinaire.     Si  au  matin  nous 
nous    fouuenons     de    ces    fonges  que 
les  caufes  naturelles  produifcntcn  nous, 
nous  les   mcfprifons  ,  &c  n'en   tenons 
point  de  conte  non  plus  que  de  pures  ba-r 
gatelles.    Au  lieu  que  ceux  à  qui  Dieu 
enuoyoit  de  celles  vifions,  non  feulement 
s'en  fouuenoyêt  tres-di£tinâ:emêt,  mais 
ils  les  auoyent  perpétuellement  dcuanc 
les  yeux  de  refpric,  quand  ils  eftoyenc  re- 
ucillés,  &c  lesconfideroyent  fcommedes 

D    iiij 


jff  DifcouY  s  furies 

aduertilTemcnsdiuins  ,dont  l'intcrprccâ^ 
i;ion  ou  reuenemenc  les  ccnoitd^nsvnc 
nierueilleiifc  attente.    Q^and  les  fonges 
qui  procèdent  des  cd.u(cs  de  la  naturc,ont 
j&it  quelque  imprcffion  fur  nos  cfprits,  de 
forte  qu'ils  nous  tiennent  en  quelque  fuf- 
pens  au  matin,  comme  cela  arriue  quel- 
quesfois,  nous  pratiquonsordinairement 
deux  chofes.  L'vne  cft ,  que  nous  faifon^ 
vne  attentiuc  reflexion  defllis  ,  &c  les  re- 
taftons  auecfoin,  &  les  confiderons  dans 
tous  leurs  tenans  &r  dans  tous  leurs  abou- 
ûlTans  5  &:  enfin  nous  trouuons  que  ce 
n*eft  quVne  vanité,  &  qu'ils  ont  efté  pro- 
duits par  quelcune  de  ces  caufes  que  nous 
appelions  naturelles  ,  ^  ainfi  nous  nous 
deliurons  de  l'inquiétude  qu'ils  nous  don- 
îipyent.  L'autre  eft,  que  fi  nous  ne  pou- 
vons amfi  nous  en  défaire  tout  à  fait,  nous  * 
çn  faifonscomparaifon  auccles  réelles  é|c 
véritables  opérations  que  nos  fens  pro- 
duifenc  alois  en  veillant ,  &  dans  cette 
çQmparaifon ,  toutes  les  impreflîons  que 
ïjps  fonges  ont  faites  fur  nos  efprits,  s'éua- 
«iQujirenr.    Car  ilen  eft  à  peu  prés  dece- 
k  comme  de  la  comparaifon  des  chofes 
quifc  reptelentcnt  fur  le  théâtre,  autç 
celles  qui  airiuent  çffcâ:iuçmem.  Tan4lï 


Songes  diumsl  ^f 

que  Ion  void  iouè'r  vne  tragédie ,  on  en 
fenc  quelque  émotion  ,  iufquesà  efpan- 
dre  des  larmes.    Mais  cela  touche  feule- 
ment la  fuper ficie  de  Tame ,  &  cetre  émo- 
tion ne  dure  point.   Ou  fi  elle  demeure 
quelque  peu  de  temps  ,  ce  n'eft  rien  au 
prix  de  celle  que  caufe  la  vei  c  réelle  & 
des  paflîons ,  &:  des aftions ,  &:  des  meur- 
tres qui  fe  découurent  &quife commet- 
tent aduellement  en  noftre  prefence. 
Dans  les  fonges  diuins  il  en  eftoit  tout  au 
contraire.     Car  fi  ceux  à  qui  ils  auoy  ent 
cfté  enuoyés  venoycnt  tant  foit  peu  à  he- 
fîccr  fur  la  créance  de  leur  diuinité  ,  &: 
qu'ils  fe  miflent  àlesexaminerattcntiuc- 
ment  ;  plus  ils  les  confidcroyent,  &  plus 
ils  les  trouuoyent  extraordinaires  &  mer- 
ueilleux.Ec  quandilsvenoyentàen  faire 
comparaifon  auec  les  opérations  de  leurs 
fens,  ils  trouuoyent,  ce  qui  les  rauiflbic 
en  admiration  ,  que  celles-cy  eftoyenc 
moins  vrayes,&,  s'il  faut  ainfi  dire,  moins 
réelles,     le  veux  dire  que  ces  diuins  fon- 
ges faifoyent  vne  plus  forte  &  plus  con- 
fiante imprefiion  fur  les  efprits  de  ceux 
qui  les  auoy  ent  receus ,  &  qu'ils  eftoyenc 
plus  perfuadés  de  leur  diuinité  ,  que  nous 
çielQ  (oixi.mesde  la  réalité  de  loperatioa 


jS  Dif cours  fur  les 

de  nos  fens ,  quand  ils  fc  dcfploycnt  en 
veillant  fur  les  objets  qui  fe  prcfentent.  Ec 
laraifonde  cela  n'eft  pasmalaifée  à  ren- 
dre. Ce  qui  nous  faicfentir  &:  croire  que 
iiosfcnsagifTentefFediuemenc,  c*cftque 
les  efpeccs  des  chofcs  fenfibles  qui  les 
touchent,  pafTenc  dans  le  fens  commun, 
qui  efl:  vne  faculté  fupericure  aux  fens  ex- 
térieurs &  corporels,  de  forte  qu'elle  peu: 
îugcr  de  leurs  avions ,  &  des  ehofes  qui 
s'y  impriment.  Elle  peut  mefme  compa- 
rer Taclion  de  Tvn  des  fens  extérieurs 
aucc  lopcration  dVn  autre  ,  &  mettre 
leurs  objets  en  paralelle  ,  &:  f:n  conférer 
les  propriétés  &  les  qualités.  Et  le  iugc- 
ment  qui  refulte  de  cela  dépend,  tant  de 
rimpreiTion  que  lobjet  fait  dans  l'organe 
du  fens  extérieur  &  particulier,  félon 
qu'elle  eft  ou  plus  ou  moins  véhémente; 
que  delà  nature  du  fens  intérieur  &:  com- 
mun ,  qui  efl:  vne  faculté  corporelle  ,  U 
vne  puiffance  de  cette  partie  de  Tame 
qu'on  appelle  fenfitiue  ,  de  laquelle  les 
chiens  &  les  cheuaux  &  les  autres  ani- 
maux font  particIpans.Q^ant  aux  fonges 
diuins  ,  rimprcffion  s'en  eft  à  la  vérité; 
faite  dans  la  tantaifie ,  qui  efl  aufli  vne  fa- 
culté corporelle ,  parce  que  c'eft  vn  àcs 


Songes  diuinsl  jr5)> 

fçns^interlcurs.  Mais  la  reflexion  queks 
feruiceurs  de  Dieu  onc  faice  dcffus  en 
veillant,  a  eftévne  opération  de  leur  in- 
tclle£t;quieft  vne  faculté  beaucoup  plus 
lumineui'e  &  plus  iufte  en  fes  opérations, 
&  qui  encore,  dans  les  Prophètes,  &  dans 
les  autres  fidelles  à  qui  ces  fonges  eftoyét 
addreffés,  eftoit  illuminée  de  l'efprit  de 
Dieu ,  pour  bien  iuger  de  Tobjet  qu'il 
confideroitauec  vne  application  attenti- 
ue.  L'impreflion  donques  de  ces  fonges 
eftant beaucoup  plus  profonde  en  la  fan- 
taifie ,  parce  qu'elle  venoit  dVne  caufe 
furnaturelle,que  n*eft  celle  que  font  les 
objets  fenfiblcs en  nos  fens  extérieurs,  &: 
la  faculté  qui  en  confideroic  attentiue- 
ment  &:  le  tout  &:  les  parties ,  &  les  cir^ 
confiances  donc  ils  eftoyenc  accompa- 
gnés, eftant  beaucoup  plus  excellente  Se 
plusexa6teen  (es  iugemens  que  ne  peur 
eftre  le  fens  commun ,  ce  qui  en  a  refulté 
a  d  eu  eftre  plus  parfait  à4>roportion,&  la 
perfuafion  de  la  diuinité  de  ces  vifions, 
pluscertaine&  plus  profonde.  Pour  ce 
quieft  des  fonges  quiont  peu  procéder  de 
l'opération  des  Anges,  ils  font  à  la  vérité 
plus  malaifés  àdiftinguer  d'auecles  diuins. 
barils  ont  peu  eftre  formés  plus  rcgulic* 


'^d  Dijcoursfur  les 

rcment  que  ceux  que  Icscaufes  naturel- 
les onc  produits  ,  ils  ont  peu  eftre  plus 
forcement  imprimés  dans  l'imagination, 
ils  ont  peu  y  demeurer  plus  attachés ,  de 
forte  qu'on  s*en  rcffouuenoic  mieux 
quand  on  eftoic  eueillc  ;  en  vn  mot ,  ils 
ont  efté  beaucoup  plus  capables  de  perfua- 
dcr  qu'ils  venoyëcdVn  principe  extraor- 
dinaire.Car  l'intelligence  des  Anges  y  pa- 
roiffoit  mariifeftem'enr^tanc  en  l'arrange- 
ment des  parties  des  fonges,  où  il  y  auoic 
delafymmetrie&dcrart,  qu'au  lapporc 
qu'ils  auoyentauec  les  chofcs  à  la  reprc* 
fentation  desquelles  ils  eftoycnt  deftincs; 
comme  nous  Tauons  veu  cy-deffus  en 
Tcxeraple  du  fonge  de  l'œuf  &  du  trefor, 
auquel  on  en  pourroic  adjoufter  beau- 
coup de  fcmblables.NeantmoinSjil  fe  faut 
içy  fouuenir  de  ce  que  i'ay  dit  cy-  defTus, 
qu'il  y  a  bien  de  la  différence  entre  les 
fonges  dont  les  Anges  peuuent  auoir  efté 
les  feuls  auteurs,»  parce  que  ce  quïls  con- 
tenoyenr,  8c  en  quoy  ils  confiftoyenc ,  ne 
paffoit  pas;  la  portée  de  leur  intelligent- 
ce  ny  de  leur  aftiuité  ;  Se  ceux  dont  ils 
n*ont  efté  que  les  infirumens  feulement, 
pour  en  former  les  images  dans  lafantai^ 
iiedçsferuitçursde  Dieu,  fclpn  le  com- 


Sor.ges  diuins.  6i 

mandement  qinl  leur  en  auok  fait ,  &  fé- 
lon la  reaelarionqirf!  leur  auoic  donnée 
defes  voloniés.CarquantàcespreraierSj 
lacomparaifon  qu'on  en  faifoic ,  en  pou- 
uoic  faire  connoiftre  la  diffc:rence.      Ec 
cette   comparaifon  là    fe  pouuoic  faire 
principalement   à  l'égard   de  ces  deux 
chofes.  La  première,  que  les  images  que 
les  bons  Anges  imprimoient  dans  lafan- 
taifie  en  dormant  ,  ne  tenoyent  iamais 
rien  de  l'idolâtrie  ny  de  la  fuperftition 
des  Payens ,  au  lieu  que  celles  donc  les 
mauuais  Anges  eftoyenc    auteurs  ,  en 
efloyent  remplies. Car  il  y  auoit  toujours 
ou   quelques  reprefentations   des  faux 
Dieux ,  ou  quelque  chofe  qui  conccrnoic 
le  culte  qu'on  leur  rendoic  ,  ou  quelque 
autre  vifion  de  cette  nature  ,  qui  mar- 
quoic  que  l'auteur  du  fonge  vouloit  au- 
torifer  Tidolatrie  &  la  fuperftition.  Ce 
qui  eftoit  infinuTient  éloigné  des  inclina- 
tions des  bons  Anges.   La  féconde  ,  que 
les fonges imprimés  parles  mauuais  An- 
ges, induifoyent  toujours,  ou  au  moins 
certes  ordinairement  ,  à  quelques  mau- 
uaifes  allions,  ce  que  les  bons  ne  font  ia- 
mais, èc  comme  ils  font  exempts  delà 
tentation  au  mal,  au/Ii  n  y  tentenc-ils  i^- 


€t  Difcourspirles 

mais  les  autres.  Cequ'ily  pouuoic  auoir 
d  ambigu  Se  de  diiœile  en  ce  difcernc- 
jiient,c'cft  que  làjauflj  bien  qu'ailkurs,les 
Anges  de  ténèbres  fc  pouuoyent  tranf- 
figurercn  Anges  de  lumière,  &  tafcher 
d'impoferà  h  crédulité  des  fidèles ,  en 
leur  donnant  des  Congés  dont  les  images 
&:  la  formation  ne  tinffenc  rien  de  ce  vi- 
ce dont  nous  auons  défia  parlé,  &c  qui  por- 
taflfent  à  des  aftions  indifférentes  en  el- 
les-mefmes,  ou  qui  cufl'enc  l'apparence 
d'eftie  bonnes  ,  mais  dont  ils  pcuffent 
abufer  à  quelque  mauuais  deflein.  Et  le 
longe  enuoyé  à  lofeph  pour  luy  com- 
mander d'emporter  lefus  Chrift  en  Egy- 
pte ,  peut  icy  feruir  d'exemple  :  car,  com- 
me i*ay  dit ,  il  pouuoit  venir  en  Tenteh- 
dement  de  lofeph,  que  c'cftoic  vneillu- 
fion  du  Malin ,  qui  leur  vouloit  drefler 
des  enibufches.  Sur  cela  il  y  a  diuerfes 
confiderations  à  faire.  La  première  eft, 
que  quelque  rufé  que  foit  le  Diable,  il  ne 
fecontretaitiamais  fi  bien  ,  qu'il  ne  luy 
cfchappe  quelque  chofepar  laquelle  il  fe 
fait  connoiftre.  On  dit  que  lors  qu'il  ap- 
paroift  vifiblement  en  figure  humaine, 
quelque  foin  qu'il  apporte  à  fe  déguifer,  il 
y  a  toufiours  quelque  chofe  dans  le  fan» 


SoYïges  àiuins.  Cy 

tofmcquilc  defcoiiure  ,  foit  en  l'horreur 
de fcs griffes,  foit  en  lapguanteur  de  fon 
odeur,  foit  en  quelque  autre  telle  chofe, 
qui  5*apperçoit  incontinent ,  &:  qui  rend 
l'apparition  effroyable.  Si  cela  eft,  ie  n'en 
fçay  rien  ,  &:  ne  le  voudrois  pas  affir- 
mer ,  quoy  qu'il  n'efl  pas  fans  apparence. 
Mais  quanta  ce  qui  efi  de  fes  aâ:ions ,  &: 
des  moyens  qu'il  employé  pour  tromper 
leshommeSjfoitparfonges,  foit  par  voix, 
ou  par  quelques  autres  illufions  ,  ny  fa 
propre  malice  ,  ny  la  Prouidence  de  Dieu 
ne  permettent  pas  qu'elles  foyent  fi  abso- 
lument femblables  aux  allions  des  bons 
Anges,  qu'il  n'y  ait  aucune  marque  par 
laquelle  on  les  puifTe  difcerner.  Et  ce  que 
i'ay  dit  cy-defTus  à  Toccafion  du  fonge  de 
rArcadien,cfl  fondé  fur  la  feule  relation 
que  Ciceron  nous  en  a  faite.    S'il  nous 
auoic  elle  rapporté  tout  entier  ,  &:  dans 
toute  Texactitude  de  k$  circonflances,  i'y 
aurois  fans  doute  trouué  quelque  chofe 
qui  m'auroit  aifemcnt  fait  iuger  s'il  doic 
cftrc  attribué   à  vn  bon  Ange  ,  ou  à  vn 
mattuais.    C'eft  pourquoy  i*ofe  dire  har- 
diment que  fi  ce  fongc  enuoyé  àlofeph 
fuft  venu  de  refpric  malin  ,  il  y  eufl  eu 
quelque  chofe  de  plus  que  ce  qui  nous  en 


G  4,  jDifcotirsJurîes 

eft  rapporté,  Se  par  où  ce  faini:  homme 
cuft  aifément  reconnu  qu'il  n'cftoic  pas 
venu  d'vne  bonneinfpiration.  La  fécon- 
de confiderationefl: ,  que  non  feulement 
les  fongesdonc  le-malin  eft  auteur  ,  onc 
necefTairemenc   quelque  cara6tere  d'où 
on  peut  conclurrc  leur  origine,  mais  auf- 
fi  ceux  qui  viennent  de  l'opération  des 
bons  Anges  en  ont  fans  doute  quelque 
autre  contraire  ,  d'où  on  infère  leur  au- 
teur.    Car  naturellement  tout  cfFeft  à 
quelqiîes  marques  de  fa  caufe.    Le  feu  en 
laifleoùil  agit,  &  l'eau  là  où  elle  paflc. 
Les  beftes  en  impriment  dans  leurs  opc- 
rationsj  &c  les  natures  intelligentes,  com- 
me fort  les  hommes,  dans  les  leurs  ,  Se 
généralement  toutes  fortes  de  produfkiôs 
onc  en  elles  quelques  indications  de  là 
nature  des  chofes  d'où  elles  ont  tire  leur 
origine.  Et  plus  les  caufes  font  excellen- 
tes, plus  font  elles  reconnoifTables  dans 
leurs  efFe£l:s,  fi  ce  n'cft  que  de  proposdeli- 
beré  elles  corrompent  leur  adion  ,  Se 
qu'elles   fe  vueillent  déguifer  ,  comme 
quand  Dauid  contrefit  le  fol  ;  ce  que  ne 
font  iam.ais  les  Anges.     D'où  ic  conclus 
que  puifquc  c'a  eftévnbon  Ange  qui  par 
h  commajidemçnt  de  Dieu  a  apportç 

celuy-là 


Songea  àiuins.  iff 

celuy-là  à  lofcph  ,  (  car  TElcriturc  en 
attcfte  ouuercemenc  ,  )  il  eft  fans  doute 
qu'il  eftoic  accompagné  de  quelques  ar- 
gumcns  bien  euidens  de  la  nacure  de  fa 
caufe.  En  efFcdil  eft  dit  premièrement 
qu  vn  Ange  du  Seigneur  ^/y?jr/;/ à  lofeph 
en  Jonge  ;  puis  après  qu'il  parla  à  luy  di- 
fa  n  c ,  Leue-toyy  é'  f'ien  le  p  eût  enfant  &fi 
mère ,  &  t^nfut  en  Egypte  ,  d^  demeure  U 
iufquesatantque  te  parle  à  toy  :  Car  Hero- 
de  cherchera  le  petit  enfant  pour  le  faire  mou- 
rir :  où  il  y  a  l'apparition,  &  puis  le  com- 
mandement ,  &  enfin  ,  la  raifon  qu'il  en 
allegudic.  Quant  à  Tapparicion,  elle  n'a 
peu  fc  faire  linon  en  quelque  image  qui 
paroifToit  vifible  ,  &:  qui  repiefentoit  la 
nature  Angélique  fymboliquement.  Car 
cftanc  fpiriiuelle  &  immatérielle  comme 
elle  eft,  elle  ne  fe  pouuoit  autrement  re- 
prefenter  \  ce  faine  homme.  Or  qui  peut 
douter  que  cette  image-là  auoit  quelque 
chofe  de  fi  fpkndide  &  de  fi  radieux, 
qu'en  la  voyant  dans  le  fommeii  ,  ^  en 
s'en  reflbuuenant  après  qu'il  fut  éueillé, 
lofephfuttoufiours  également  raui  en  ad- 
miration de  famagnificence?  Et  quelque 
effort  que  T  Ange  de  tencbrespeuft  faire 
pour  imiter  l'éclat  dVne  telle  vlfion, 

E 


"N 


^g  ^ifcours  furies 

pourroit-il  approcher  dé  la  gloire  de  Tâp* 
pariiion  d'vn  ineflagcrde  rEternel^  qui 
apporcc  fcscômandcmens  aux  humains, 
&  qu'il  a  pour  cet  efFed  décoré  de  quel- 
que rayon  de  fa  majefté  cèlcfte  ?  Pour  ce 
quiefl:  du  commandemeilc  >  ilnefe  pou- 
uoic  donner  que  par  Icntremife  d'vnc 
voix,  que  lofeph)  en  dormant ,  s'imagina 
d*ouir ,  comme  il  simaginoitde  voirvn 
Ange  enuironné  de  lumière.  Ei  ic  ne 
diray  pas  icy  que  les  voix  des  hommes 
ont  de  telles  marques  de  différence  les 
vnes  d'auec  les  autres ,  qu'il  eft  arriuéà 
des  aueugles  ,  comme  les  hiftoriens  en 
témoignent,  de  reconnoiftrcvn  homme 
dans  la  confufion  de  beaucoup  dautres^ 
aux  feuls  caraftercs  de  fa  voix ,  bien  qu'il 
neTeuffcnt  ouiequVne  fois.  Peut-cfltc 
qu'on  me  repliqucroit  à  cela  ,  que  ces 
aueugles  auoient  fouuent  ouï  parler  d'au- 
tres hommes  5  cequilesconduifolt  à  fai^ 
lecedifcernement  :  au  lieu  que  poflîble 
lofeph  n'auoit-il  iamais  auparauant  ouï  la 
voixny  desbonsny  des  mauuais  Anges, 
6^.  qu'ainfi  il  nelespouuoit  pas  comparer 
cnfemblcé  Aquoy  l'on  pourroit  encore 
adjoufter  qu'autre  eft  la  voix  réelle  ôc 
natureik  des  hommes,  &c  autre  celle  que 


*  Songes  dmnSi  èy 

les  Anges  forment  feulement  par  reprc- 
fcmation  dans  l'imagination  d'vn  hom- 
jnc  qui  dore.  le  diray  feulement  que 
comme  l'image  de  TAngeauoit  quelque 
cfaofe  de  particulier  en  fa  majefté  &  en 
fes  rayons ,  fa  voix  auoit  auflfi  dans  fon 
ton,  Se  dans  la  nature  de  fon  articulation» 
quelque  choie  de  fingulieremem  augufte. 
Tellement  que  comme  vii  démon  n'euft 
iamais  peu  arriuer  à  faire  de  {oy-mefrac 
vne  idée  qui  approchaft  de  la  magnifi- 
cence de  celle-là,  ilnepouuoit  noft  plus 
rcprefcnter  de  voix  qui  cgalaft  la  majefté 
ôirautoritcde  celle  de  ce  bon  Ange.  En 
fin,  la  raifon  du  commandement  eftfou- 
uerainement  remarquable.  Car  defià 
ç'cuft  eftévnechofe  eftrangeque  le  Ma- 
lin fefuft  misen  foin  de  laconferuacioa 
de  la  vie  d*vn  enfant ,  de  la  naiflance  du- 
quel ,  à  voir  les  merueilles  qui  l'accoril- 
pagnoyent ,  ilnepouuoit  attendre  finon 
la  ruine  de  fon  empire.  Il  efl:  meurtriei: 
des  le  commancement,  8c  s'il  pouuoitil 
cfl:eindroit  dés  le  berceau  tous  les  enfans 
qui  viennent  au  monde  ,  fi  ce  n'eft  qu'il 
prcuill  de  quelques  vns  qu'ils  y  viennent 
pour  la  ruine  du  genre  homain,  comme 
lesNerons  ôc  lc«  Caligules.  Et  puis,  vcu 

fi  ij 


^8  Dîfcours  fur  les 

que  fi  le  petit  enfant  lefusefloit  en  quel* 
que  péril ,  c*cfl:oit  fans  doute  fous  lado- 
xnination  d'Herodc  ,  qui  naturellement 
eftoit  cruel ,  qui  auoit  plus  de  fujet  de 
craindre  quelque  chofe  de  la  naiffance  de 
cet  enfant  qu'aucun  autre  Potentat,  &: 
qui  auoit  vn  pouuoir  abfolu  dans  ces  quar- 
tiers-là ,  fi  le  Diable  euft  eu  dcflein  d'a- 
bufcrlofeph  de  quelques  illuCons,  l'euft 
il  induit  à  fe  tirer  du  lieu  où  il  eftoit  pour 
s'en  aller  en  vn  autre  ?  En  quel  lieu 
pouuoit-ilplusefpererde  dreffer  fes  em- 
bufches  auec  fuccés  contre  lefusCfarift, 
qu  en  celuy  où  il  eftoit  ,  par  manière  de 
dire  ,  entre  les  ongles  dVn  lion ,  ou  dans 
lacauernedVne  befte  furicufe  ?  Latroi- 
fieme  confideration  eft ,  qu'il  paroift  ma- 
nifeftement  que  lofeph  fut  viuement 
perfuadé  de  la  diuiriité  de  cette  vifion> 
puis  que  fans  aucune  délibération,  aufli- 
lofc  qu'il  fut  cueille,  il  fe  leua ,  &  prit  l'en- 
fant,  &  s'enfuie  en  Egypte,  lamais  les 
fonges  qui  nous  viennent  des  feules  caufes 
de  la  nature,  ne  nous  portent  à  aucune 
adion,  &:  nous  craindrions  qu'on  nous 
tint  pour  fols,  fi  nous  entreprenions  quel* 
que  chofe  de  tant  foit  peu  important  à  la 
iollicitâtion  d*vn  fonge.Les  fonges  mef- 


Sentes  êiuîns.  €9 

mes  quî  pcuiienc  Auoir  quelque  chofe  de 
plus  vifôc  de  plus  efficace  que  les  naturels, 
êc  qui  à  cetcc  occafion  peuuenc  eftre  attri- 
bués à  q<ielque  efpric,  donnent  bien  ds 
l'inquiciude  &  de  refperance  ou  deTap- 
prehenfion  ,  mais  n'induifent  iamais  à 
prendre  aucune  refolution  en  chofes  de 
confequence  ,  fi  ce  ne  foni  des  efprits  mé- 
lancoliques,&r  des  cerneaux  mal  timbrés. 
II  faut  donc  neceflairemenc ,  puis  que  lo- 
feph,  qui  eftoit  vn  homme  fage,  s'eft  porté 
fiproncement  à  l'exécution  de  ce  com- 
mandement, qu'il  ait  eftécres-certaine- 
ment  perfuadé  qu'il  eftoic  de  reueiation 
diuine.  Car  quand  lefuseuft  efté  fon  en- 
fant, il  n'euft  pas  voulu  prendre  vne  telle 
refolution  légèrement.  Beaucoup  naoins 
certes  Teuft  il  fait  eftant  qucllion  de  ce- 
luy  duquel  il  auoic  eu  l'honneur  d'eftre 
choifi  depoficaire.  Or  toute  telle  per- 
fuafion  vient  neceiTairemcnt  de  l'vne  de 
CCS  deux  chofes.  Ou  bien  l'entendement 
trouue  d'abord  dans  fon  objet  desargu- 
mcns  fi  irréfragables  de  fa  vérité  ,  qu'il 
n'y  refte  aucun  lieu  à  la  délibération  ,  8c 
qu'il  fe  détermine  abfolumenc  de  ce  coftc 
là  i  ou  quand  ces  argumens  ne  fcroienc  pas 
cki  tout  fi  clairs  U  fi  puiffans  que  de  forcée 

E  iij 


70  Difcotifs-fur  les 

amfi  rintellcQ:  à  embrafler  ect  ol>;eta 
Dieu,  parlapuiffance  ineomprehenfiblq 
de  fon  efprit,le  détermine  fi  efficacement 
de  ce  cofté-  là,  qu'il  eft  impoffible  qu  il  y 
rcfifte.  Ce  detniereft  le  moins  ordinai- 
re en  la  conduite  de  Dieu.  Mais  quandi 
il  arriue,  c'eft  vne  preuue  indubitable  que 
Tobjet  dont  il  s'agit  eft  véritable  &  diuin. 
Cariln'ype'itauQir  que  Dieu  qui  domi- 
ne ainfi  dans  Tentendemcnt  d'vn  homma 
fage  &  vertueux  ,  Se  qui  lencline  ainfi 
puiffamment  &c  fans  rcfifter  à  vne  crean-i 
ce  &  à  vne  refpluiion  ,  encore  qu'il  ne 
voye  pas  dans  fon  objet  des  raifons  tout 
à  fait  proportionnées;  à  rçfFcÊt  qu'il  fent 
cnfonamc.  Tellement  que  (i  lofephîat 
cfté  porté  de  cette  façon  là  à  l'exécution. 
de  ce  commandement ,  il  a  eu  dans  fe& 
propres  mouuemens ,  Se  dans  la  determi-^ 
nation  extraordinaire  de  fon  entende-» 
ment,  vne  preuue  très  euidentedeladi- 
uinitéde  fon  fonge.  Le  premier  eft  fans, 
doute  le  plus  ordinaire  û  le  plus  naturel. 
Car  ce  qu  eft  Taymant  au  fer,  cela  mefmc 
eft  la  vérité  à  Tintellea  ;  qui  s'y  porte 
auec  vne  extrême  rapidité  ^  &  s*yattachQ 
infeparablement ,  s  il  la  voidtres-claire* 
ment ,  &  par  des  demonfiratioiis  eui-w 


Songes  diuim]  yt 

dentés  se  irréfutables.  Si  donc  lofeph  a 
cfté  perfuadc  par  ce  moyen-là  ,  il  a  des 
yeux  de  fon  entendement  veu  de  telles 
marques  de  la  vericé  6c  de  la  divinité  de 
fon  objet,  qu'il  l'a  creu  plus  certainement, 
que  les  chofes  corporelles  qui  fe  prefen- 
toyent  à  fcsfens,  neluy  eftoyent  recon- 
noifTables. 

Quant  aux  fonges  dont  les  Anges  ont 
peu  élire  les  inftrumens  ,  mais  dont  ils 
n'ont  abfolument  peu  eftre  les  auteurs, ils 
onteftc  merueilleufementaifés  à  diftin- 
guer  d'auec  tous  les  autres.     Car  outre 
que  comme  i^ay  défia  dit,  tout  efFed  tient 
de  la  nature  defacaufe  ,&^que  lescaufes 
lesplus  excellentes  s'imprimentadraira- 
blement  dans  leurs  efFeiSs ,  de  forte  que 
foit  mediatement  ,  foit  immédiatement 
que  Dieu  enuoyaft  ces  fonges,  tant  y  a 
qu'ils  deuoyent  porter  quelque    indice 
indubitable  de  la  puKTince  de  Dieu,  vne 
feule  chofs  efloit  capable  de  les  tirer  fans 
difficulté  hors  du  pair  de  tous  les  autres: 
c*eft  qu'ils  contenoyent  des  choies  qui 
paflbyent    la  portée    de    Tinielligence 
des  hommes^     Dans  l'entendement  de  a  ^  ^ 
quipouuoit-il  tomber    qu^   lofeph  par-    A^^ 

uiçndroic  à  cette  grandeur  que  fes  fonges, 

E     iiij 


71  DifcouYs  fut  les 

luy  ont  promile    >  Quelle  intelligence 
créée  pouuoic  deuiner  qu'il  y  auroïc  en 
Egypte  fept  années  de  fertilité  &:  d'a- 
bondance ,  6c  en  fuite  fept  autres  années 
dVne  efpouuantable  ftcrilité  ,    comme 
Pharao  le  vit  dans  les  fiens  ?  Car  ie  veux 
que  les  Anges  ayent  beaucoup  de  coh- 
noifTancedes  caufesdela  nature, deux  fi 
notables  euenemens  ,  fi  rciglésS^fi  con- 
ftans  5  chacun  pour  i'efpace  de  fept  ans, 
pouuoyent-ils  eftre  pénétrés,  enuelop- 
pés  qu'ils  eftoyent  fi  obfcurément  &fî 
auant  dans  les  replis  d'vne  Prouidence 
tout  à  fait  particulière  ?  QilS'  ^^^^cnde- 
ment  humain  ,  ou  quelle  ciairuoyancc 
Angélique  pouuoitdefcouurir  &:la  fuite, 
&  la  difîemblance ,  &  la  durée ,  ôc  la  fin 
de  tous  ces  empires  qui  font  continués  les 
vnes  dans  \^s  autres  dans  la  fl:atuë  de  Na- 
bucodonofor?  Quelle  conjedure pouuoic 
arriuer  à  dcuiner  ce  que  prefageoit  la 
pierre  coupée  fans  mains,  &  ce  qu'elle  de- 
uoitôd  faire  èc  deuenir,  comme  la  mef- 
me  vifion  de  Nabucodonofor  le  repre- 
fente  ?  Et  s'il  faut  icy  dire  quelque  chofç 
^ .  -  de  la  vifion  de  lacob,  aucun ,  ie  ne  diray 
-^^     pas  des  hommes  ,  mais  des  Efprits  mef-^ 
liiesquimontoyenc  ô^qui  defcendoyçaç 


Songes  àiuins.  7^ 

fur  Tefclielle  qu'il  vie  en  dormant,  eftoiç- 
il  capable  de  deuiner.fi  Dieu  ne  le  luy  re- 
ueloic  excraordinairemenr,  que  cela  re- 
prefentoicquele  Meflîe  viendroic  quel- 
que iour,  qui  feroic  la  paix  entr^lacerre 
&  le  Ciel,  $c  qui  reftabliroic  la  commu- 
nication entre  les  hommes  Se  Dieu  par 
l'cntremifedes  Anges?  Et  quant  aux  pro- 
mefTes  que  Dieu ,  qui  fe  tçnoic  fur  le  bout 
de  Tefclielle  dans  le  Ciel,  fit  ouïr  à  ce  Pa»* 
triarche ,  elles  eftoyent  claires  à  la  véri- 
té ,  &  fans  aucun  ombrage  d'allégorie  ny 
de  fy  mbole  myfterieux,mais  elles  eftoyéc 
auflîde  chofes  fi  eiloignées, qu'il  n'y  auoic 
que  Dieu  fcul  non  plus  qui  en  pcufl  pre* 
uoir  &  prédire  l'eucnement.    De  forte 
que  cette  vifîon  eftoit  tout  à  faitdiuine. 
Voila  qui  eft  bon  ,  dira  icy  quelcun  :  ces 
fonges  ont  paru  diums  quand  ils  ont  efté 
entendus,  ou  quand  ils  ont  efté  confir- 
mée par  les  euenemens.     Mais  nous  re- 
cherchons icy  comjnent  ils  l'ont  peu  eftre 
par  ceux  à  qui  ils  ORt  efté  enuoyés ,  auanc 
l'interprétation,  &  par  la  confideration 
des  fonges  mefmes.    Diftinguons  donc 
encore  les  fonges ,  les  interprétations  qui 
en  ont  efté  quelques  fois  données  par  Izs 
feruitcursde  Dieu  ,  cômelofeph  Se  Da-r 


74  'Bifcours  furies 

niel  ;  &  les  euenemens.    Erpour  com- 
mencer par  la  confideration  des  eucne- 
mens.il  eftcerrainque  quand  ils  ont  efté 
vne  fois  arriuésjils  ont  mis  la  diuinitédes 
vifîons  (y.ii  les  reprefentoyent ,  dans  vne 
pleine  euidence.      Car  pour  ne  parler 
point  de  la  ftatuè    de  Nabucodonofor, 
qui  a  préfiguré  des  chofes  fi  éloignées 
que  tous  les  Anges  enfemble  ne  les  pou- 
uoycntdeuiner,  pour  ne  m'arrcfterqu'à 
ceux  de  lofeph,  &  de  Pharao,  &  des  offi- 
ciers de  fa  maifon ,  qui  eftoyenc  en  prifon 
auec  lofeph,  qui  eft-cc  qui  après  les  auoir 
veusfi  ponduelleraent  accompils,  euft 
peu  tant  foit  peu  douter  qu'ils  ne  fuf- 
fent  de  reuclation  diuine  ^  Maiscen'eft 
pasde  cela  dont  il  s'agit  maintenant. Pour 
ce  qui  eft  des  interprétations,  il  eft  certain 
que  ces  admirables  rapports  qui  fe  font 
rencontrés  enrr'elies  &  les  vifions  mef- 
meSjOntdeudônervn  fingulier  eftonne- 
ment  à  ceux  qui  les  ont  ouïes,  mefmes 
auant  les  euenemens.  Car  c^s  rapports-là 
nepcuuenteftreariiuésparhazard,  puis 
qu'il  y  parolffoit*  vne  fi  exafte  intelligen- 
ce.   Auffi  void-on  que  Nabucodonofor 
en  a  eft:c  raui  en  admiration  ,  &  que  Pha- 
rao  en  a  cfté  tellement  pcrfuadé,  que  faas 


Songes  dium.  7j 

autre  confnltation,  ilefleiia  lofcphà  vne 
tres-hauie dignité)  aiiec  vnpouiioir  fou- 
uerain  dedifpoferdes  affaires ,  Se  parti- 
culièrement des  reuenus  de  l'Egypte  À  fa 
volonté  y  pour  fe  precautionner  par  la 
prouifion  de  la  fertilité  des  fept  premiers 
ans,  contre  ladefolation  que  dcuoit  eau- 
fer  la  ft::riliié  des  fcpt  autres.  Mais  ileft 
vray  qu'il  ne  s'agir  pas  encore  propre- 
ment de  cela  non  plus  ;  Se  que  la  diuiniié 
de  ces  vifions  a  deu  paroiftre  dans  elles- 
mefmes.  Il  faut  donc  remarquer  de  la 
différence  entre  les  fongesquiportoyent 
des  commandemens  cxprés,comme  ceux 
qui  ont  efté  addreffés  à  lofeph  ,  Se  aux 
Sagesqui  vinrent  faluer  noftre  Seigneur; 
Se  ceux  qui  confiftoycnt  fimplcsnent  en 
j?cprefcntaiion  fymbolique  Se  allégori- 
que des  chofes  futures.  Ceux  là  ont  deu 
auoir  des  caraderes  treseuidens  ôf  tres- 
indubicablesde  leur  diuinité,  autrement 
ils  n'euffent  pas  aflcs  efficacement  înduic 
tes  feiuiteurs  de  Dieu  à  obeïr  :  ceux-cy 
ne  requeroyent  pas  abfolumcnt  vne  fi 
grande  efficace.  Et  neantmoins  il  tft  ccr- 
uin  qu'ils  en  ont  eu  afliés  pour  imprimer 
dans  Tefprit  de  ceux  qui  les  ont  veus,cet- 
icpcrfuafion,  qu'ils eftoyent  venus  d'rn^ 


y  6  Difcours  fur  Us 

caufe  extraordinaire  &  diuine.  lofeph  le 
témoigne  a  (Tés  par  rempreflement  qu'il 
monftre  à  raconter  les  fiens  -.  c'eft  à  dire 
qu'il  y  voyolt  quelque  chofe  qui  le  tou- 
clioic  bienfcnfiblement.  Les  officiers  de 
la  maifon  de  Pharao  en  font  de  mefme 
des  leurs,  &  témoignent  qu'ils  ne  les  pre- 
noyentpas  pour  des  illufions  téméraires. 
Et  Pharao paroift  encore  plus  viuemenc 
ëi  plus  profondement  émeu  desfiens,  eu 
égard  à  la  peine  qu'il  fc  donne  pour  en 
auoir  l'intelligence.  EnefFed,  pour  ne 
repeter  point  ce  que  i'ay  defia  dit  des 
moyens  par  lefquels  la  diuinité  des  fonges 
enuoyés  d'enhauc,  peut  eftre  difcernée 
d'auec  la  vanité  de  ceux  qui  procèdent 
des  caufes  de  le  nature ,  (  quoy  qu'il  faut 
icy  fe  fouuenirde  tous  ces  caraderes  qui 
les  difcernentj  ic  dis  qu'il  n'y  en  a  eu  au- 
cun de  cette  forte-là  ,  qui  n'ait  deu  don- 
ner à  ceux  qui  les  ont  veus ,  vn  eftonne- 
ment  extrême.  le  commenceray  par  la 
confideration  des  moins  illuftres  ,  pour 
venir  par  degrés  à  ceux  qui,  le  font  plus. 
Le  fonge  de  l'Efcbanfon  fut  qu'il  luy  fem- 
bloit  qu'il  voyoit  vn  fep  deuanc  luy. 
Qî^'au  fepilyauoit'troisfarmens,  d'où  il 
iprioit  des  boutons  qui  vouloyent  croi- 


Sonies  diums.  yj 

ftre  &:  fleurir.  Qu'au  mefme  temps  les 
grappes  fleurirent ,  &  amenèrent  leurs 
grains  à  maturité.  Que  la  coupe  dePha- 
rao  eftoit  en  la  main  de  l'Elchanfon ,  Se 
quilprenoit  lesraifins&  les  preflbic,  dz 
les  efpreignoit  dans  la  coupe,  8>c  qu*il  la 
mettoît  en  la  main  de  Pharao.  le  vous 
prie,  nos  longes,  qui  viennent  ou  d||ki 
conftitucion  de  nos  corps  de  de  nos  mi- 
meurs ,  ou  de  Tagitation  de  nos  fcns  in- 
térieurs par  la  chaleur  du  fommcil ,  ou  de 
Tapplication  de  nos  efprics  aux  foins  ôc 
aux  occupations  delà  vie  ,  ou  de  l'émo- 
tion denospaflTionSjfontils  ainfi,&:d'vn 
cofté  emblématiques,  &  de  l'autre  cofté 
réguliers,  pour prefencer  en  leurconfli- 
tutiondesfymbolescompofés  de  tant  de 
parties,  qui  s'entretiennent  les  vnesaux 
autres  auec  tant  de  proportion  ?  Qjc  Cî 
vous  venés  à  ioindreà  cela  aue  cet  em- 
blême  ainfi  diiiinft  Se  articulé, eftoit  d'ail- 
leurs vif,  lumineux, profondément  en^=. 
praint  dans  l'imagination  ,  Se  touchant, 
vous  ne  trouuerés  nullement  eflrange 
qu'il  ait  paffé  dans  l'entendement  de  cet 
Echanfon  pour  extraordinaire  Se  pour 
celcftc.Maisileut  bien  plus  de  fujet  d'en 
auoir  ceccc  opinion,  quand  fon  compa^ 


7  s  Difcaursfurles 

gnon  le  Paneticr,  luy  raconta  aumatîit 
qu'M  âuoit  auflî  fongé  la  mcfnic  nuit,  qu'il 
y  auoic  trois  corbeilles  blanches  fur  fa 
tcfte;  &  que  dans  la  plus  haute  corbeille 
il  y  auoit  de  toutes  viandes  du  meftier  de 
bouIanger,pour  Pharao,&  que  Ics.oifeaux 
lesmangeoyent  de  la  corbeille  qui  eftoic 
fi|||a  tefte.  Car  cette  rencontre  dauoir 
fohgé  tous  deux  en  mcfme  temps ,  ôc  veu 
des  vifions  rares  en  leur  conformarioni 
proportionnées  en  leurs  parties,fymboli- 
quesj  fans  doute,  en  leur  fignification,quî 
fe  rapportoy  et  chacune  à  Toffice  de  celuy 
qui  auoit  fongé  ,  qui  conucnoyenc  au 
nombre  deirois,  quoy  quelles  differaf- 
fent  d*ailleursen  de  r>otablcs  circonftan- 
ceSi  enfin,  qui  les  auoyent  tous  deux  exf 
traordinairemcntcmeus,cetcercncontrfj 
di-je ,  ne  pouuoic  auoireftéainfi  difpen- 
fce  que  par  vne  caufe  intelligente  &ce- 
Icfte.  Tellement  qu'il  ne  faut  pas  s'cfton- 
tier  fi  la  perplexité  que  ces  vifions  leur 
mirent  dans  Tefprit ,  parut  au  matin  ega^- 
lement  dans  le  changement  de  leurs  viN- 
fages.  Les  fonges  de  Pharao  auoyenc 
encore  quelque  chofe  de  plus  précis  &de 
plus  iufte  dans  la  fymmetrie  de  leurs  par»- 
ties.  Sept  ieunes  vaches  d*vn  cofté  ^  fepc 


Songes  diums.  79 

ieuncs  vaches  de  l'autre  :  Tembon- 
poinc  de  celles-là ,  la  maigreur  de  celles- 
cy  :  la  beauté  des  grafles,  la  laideur  hi- 
deufe  des  maigres  :  Taftion  des  vnesqui 
dcuorenc  les  autres  &  les  engloutiffcnc,  Se 
tout  cela  fans  raeflange  d'aucune  autre 
chofe  bizarre  ou  excrauagante,  comme  il 
arriue ordinairement  en  fohgeant,  &  fans 
aucune  circonftancc  d'où  Pharao  peuft 
inférer  qu'il  y  euft  en  cela  rien  qui  tint  le 
moins  du  monde  ny  de  fes  foins,  ny  de  fes 
partions  ,  ny  de  la  confticution  de  fes  hu- 
meurs, ny  de  fon  tempérament,  cftoic 
vnc  chofe  fuffifantc  pour  ietter  d'abord 
de  l'admiration  3c  de  la  perplexité  dans 
fes  penfées  Et  de  fait ,  ce  qu'il  eft  dit  qu  il 
s'«ueiliafurcefonge^là,monftrequ'iira>^ 
ùoit  viuement  touché  :car  lesfonges  qui 
nous  cmeiïuent  beaucoup  nous  éueillent. 
Neantmoins  pour  la  première  foisPharao 
ne  s'en  clFrayc  pas  ,  &  il  reprend  fon  fom- 
meil  cômeauparauant.Maisquand  vn  au- 
tre vifiô  fcmblablc  à  la  precedcnre,Iuy  fait 
voir  d  vn  codé  fcpt  efpics,  beaux  &  gre- 
nus, Se  deTautre  ,  fept  elpics  minces  Se 
fleftris  du  vc,nt  d'Orient,  &  que  les  min- 
ces &  fleftris  engloutiflent  les  beaux  U 
pleins  ,  alors  il  ne  doute  pas  que  ce  n« 


2o  T)ïfcouts  Jur  les 

foit  Dieu  qui  parle  à  luy  par  ces  rispreferi- 
tations,  de  forte  que  fon  ame  s'en  épou- 
iiante. Et  véritablement  ces  deuxvifions, 
prefentées  ainflcoup  fur  coup  ,  eftoyenc 
trop  clairement  myfterieufes   pour   ne 
caufcr  point  de  rauiflement.     Ceux  de 
lofeph  me  paroiffent  encore  plus  ad  mi. 
râbles.  Il  void  premièrement  les  gerbes 
de  fes  frères  qui  Tenuironnent ,  &  qui  fc 
profternent deuant  la  ficnne;  ce  qui  auoit  . 
Vnc  fignification  fi  claire  que  fes  frères 
l'entendirent  d'abord.  11  void  puis  après 
en  vn autre  fonge le  Soleil  &  la  Lune,  3c 
onzeeftoilles,  quife  profternent  deuant 
luy  :  ce  qui  contenoic  encore  la  ttiefmc 
chofe  dans  vn  emblème  fi  illuftie  &c  fi 
glorieux,  que  quand  il  vient  aie  reciter, 
non  feulement  fon  pereTentend ,  mais  il 
s*en choque,  &c  ilTen  tanfe.    Soit  donc 
que  lacob  àc.  fes  autres  enfans  creuffent 
àu'efFeôiiuement  lofeph  euft  ainfi  fongé, 
loic  qu*ils  loupçonnaflent  qu'il  auoit  con* 
trouuécela,!!  paroiftbicn  manifeftement 
qu'ils  reconnoiffbyent  que  cela  nepou-^ 
uoit  cftre  procédé  que  de  l'opération  de 
quelque  intelligence.    Car  le  hazardne 
pbuuoit  auoiradjufté  les  parties  de  IVne 
ny  de  l'autre  de  ces  vifions  ,  beaucoup 

moins 


Songes  diums,  8/ 

nioins  les  euft-il  peu  fi  biê  accorder  toutes 
deux  cnfemble.  Cela  donques  pouuoic 
fuffire  pour  leur  faire  croire  que  ces  fon- 
ges  eftoyencfurnacurels.  ^Mais  il  y  auoic 
quelque  autre  chofe  encore  qui  dcuoic 
faire  croire  à  lofeph  qu'ils  eftoyent  diuins 
3c  celeftes.  Sa  confcience  luy  rendoit  té- 
moignage qu'il  eftoit  vuidc^d ambition: 
ôr  quand  il  en  euft  fenti  quelque  pointe 
&  quelque  chaleur,  ce  n'euft  pas  efté  pour 
defirer  la  domination  fur  fes  frères. Beau- 
coup moins  la  defiroic-ilfur  ceux  qui  Ta- 
uoyent  engendré  :  car  c'efl:  vn  defîr  mon- 
ftrueux  &C  qui  paiTe  les  bornes  de  la  natu- 
re. Mais  quand  il  auroit  eu  de  fî  prodi^ 
gieufes  eleuations  d'efpric,que  de  fouliaitn 
ter  de  deucnîr  fi  grand  que  fon  père  Se  fa 
merefeprofternairentdeuantluy,oii  eft- 
ce  que  (on  imagination  feroit  allée  en 
dormant  chercher  le  Soleil  8>c  la  Lune  8c 
onze  eftoiles  précifément ,  pour  luy  pre- 
fagercet  empire  >  Ceft  chofe  extrême- 
ment rare  que  dans  les  fonges  qui  n'ont 
point  d'autres  caufes  que  celles  de  la  Na- 
ture ,  on  s'imagine  voir  le  Soleil.  Car  il  y 
à  toufiours  quelque  chofe  de  fort  téné- 
breux dans  CGs  vifions  hofturnesV  Mais 
quand  cela  arriueroit  beaucoup  plus  fou- 


$1  DifcoUYs  fur  les 

uenr,  le  voir  en  cet  eftatcrhumiliation, 
&  la  Lune,  &  onze  eftoiles ,  pour  rcpre- 
fenrerceque  cefonge  figuroic,  c'efl:  vne 
chofefiloin  au  deffusdece  quelescaufes 
naturelles  ont  accouftumé  de  faire ,  que 
ce  feroic  vne  impertinence  toute  mani- 
fefte  que  de  le  leur  imputer.  Enfin  ,  les 
fonges  deNabucodonofor  font  encore  à 
mon  aduis  en  quelque  forte  plus  ma- 
gnifiques. Caril  futpr^fentéàrimagina- 
tion  de  ce  Prince  vne  grande  ftatuè,donc 
la  fplendeur  eftoit  excellente, SiTappa- 
renée  terrible.  La  tcfte  de  cette  ftatuë 
eftoit  d'or  tres-fin  ;  fa  poitrine  ôc  fes  bras 
eftoyent  d'argent,  fon  ventre  &  fes  han- 
ches d'airin.  Ses  iambes  eftoyent  de  fer, 
&:  fes  pieds  en  partie  de  fer  &  en  partie  de 
terre.  Apres  cela  il  luy  parut  vne  pierre 
qui  fe  dellacha  elle-mefme  dVne  mon- 
tagne, fans  en  eftrc  coupée  par  la  main 
d'aucun,  qui  vint  en  roulant  heurter  la 
ftatuè  en  les  pieds  en  partie  de  fer  &:en 
partie  de  terre  ,  &  les  brifa.  Et  alors 
furent  cnfemble  brifés  le  fer  ,  la  terre, 
Fairin,  l'argent  &  l'or,  &  deuinrent  com- 
me de  la  paille  cft  en  vne  aire  pendant 
TEfté, quand  il  y  furuient  vn  vent  impé- 
tueux qui  l'enleue ,  &  qui  la  diflîpe  ça  &: 


Songes  diuiris.  sy 

là  :  tellement  que  toutes  ces  matières 
dontlaftatuccftoitcompoféejs'euanouï- 
rent  &c  ne  parurent  plus.  Mais  quanrà  la 
pierre  qui  auoit  frappé  la  ftatuë ,  elle  de- 
uint  vne  grande  montagne  ,  Se  remplit 
tout  rVniucrs.  Mettons  à  part  inter- 
prétation de  cette  vilion,  &:  ncconfide- 
rons  point  les  chofes  qui  y  font  defignées. 
Regardons  feulement  la  vilion  en  cllc- 
melme  ,  &  voyons  Vil  cfl:  iamais  riea 
tombé  de  femblable  dans  l'entendemenc 
humain.  Certes  l'idée  d'vne  telle  ftatuc 
eft  fi  belle  ;  la  variété  des  métaux  Se  des 
matières  quilescompofent,  fi  remarqua- 
ble i  la  continuation  desvns  de  ces  mé- 
taux aux  autres  fi  admirablement  fuiuie; 
la  pierre  qui  la  vient  heurter  omettre  en 
pièces  ,  &  la  façon  dont  elle  y  vient,  fi 
extraordinaire  Se  fi  furprenantc  -,  ion 
accfoiffement  fi  miraculeux  j  &  en  gêne- 
rai tout  l'air  de  cette  reprefentation  cfl  fi 
majeftucux  Se  fi  grand  ,  que  cela  ne  pou* 
uoit  venir  en  l'imagination  des  hommes 
s*iln'y  eftoit  enuoyé  d'enhaut.  Afleuré- 
mcnt  Tentendemcn^de  Thomme  eft  trop 
petit,  pour  feruir  de  moule  où  vn  fi  grand 
&fimagnifiqueôuuragefeforme.Et  Tcf- 
ïtù.  que  cela  produifoit  en  Tefprit  de  Nà- 

F   ij 


S4  TDifcom  s  furies 

bucodonofor  cfl:  merueilleufemenc  con- 
fiderable.  C  eftoic  vn  Prince,  Se  ceux  de 
cette  naiffance  &  de  cette  dignicé-là  font 
moins  aifés  à  cmouuoir  par  les  chofes 
extraordinaires.  C'eftoit  vn  grand  Mo- 
narque &vn  Conquérant  :  &  cette  forte 
de  Princes  a  lespenfées  plus  vaftes  &  plus 
cfleuées  que  les  autres.  C'eftoit  entre  les 
Monarques  &  les  Conqueransvn  hom- 
me plein  de  l'opinion  de  fa  grandeur ,  ce 
qui  luydeuoif  faire  trouuer  &  en  veillant 
&  en  dormant  toutes  chofes  ou  petites  ou 
vulgaif  es.Quand  il  fut  cueille  de  fon  fom- 
meilil  ne  fe  fouuenoic  pas  de  la  vifion  ; 
&  quand  lios  fonges  fefont  éuanouïs  de 
nos  efprits,  l'émotion  qu'ils  nous  auoyent 
caufée  à  Theure  que  nous  les  voyions  ,  a 
accouflumé  des'appaifer  &  des*éuanouïr 
demefme.Etneantmoins,  quoy  qu'il  ne 
Juy  fufl:  demeuré  dans  la  mémoire  aucu- 
ne trace  de  fon  fonge,  finon  qu'il  auoit 
fongG,  quand  il  le  déclare  à  fesdeuins,  à 
fes  Aftrologues ,  ôc  à  fes  Mages,  il  dit  que 
fon  efprit  en  eft  i^mzuxi pafmé y  &  lapaf- 
fîon  qu'il  a  der'attrapcrce  qui  luy  eftoic 
échappé,  pour  tafchcr  d'en  auoir  l'inter- 
prétation ,luy  fait  faire  à  tous  ces  gens  là 
des  menaces  U  des  dénonciations  ex- 


^  Songes  dîHtns.  gy 

traordinairesôc  terribles.  Ds  forte  qu'il 
faut  neceflairemcnc  que  fon  ame  cuft 
Tenti  en  cette  vifion  quelque  chofe  de 
diuin  ,  qui  produifoic  en  luy  vn  defir  û 
paflîonné  d'en  auoir  l'intelligence.  le  ne 
di  rien  de  la  vi/Ion  de  lacob ,  parce  qu'el- 
le parle  afles  d'elle-  itiefme.Gertesles  pa* 
rôles  qu'il  y  ou'ic  luy  promcttoyenc  des 
chofes  fi  magnifiquesjôi  fi  haut  eleuées  au 
deflus  de  la  puilfance  de  Thomme  ^  &: 
mefmes  de  la  preuoyance  de  fon  enten- 
dement :"4e  ton  de  la  voix  deceluy  qui 
parloic  àluyeftoit  fi  majeflueux  &:fiau- 
gufte  dans  fon  imaginationirimage  d'vnc 
cfchcUe  qui  touchoit  de  la  terre  aux 
cieuX,  fur  qui  roontoyêt  &:  defcendoyenc 
les  faints  Anges  ,  &  fur  le  haut  bout  de 
laquelle  cftoit  la  reprefentation  de  Dieu 
mefme  en  figure  vifible  &  humaine,com- 
me  vn  prefage  de  la  future  incarnation 
dcChrift  j  tout  cela,  di.je  ,  auoit  vn  air 
fi  racrueillcufemêc  grand  &  fi  glorieux, &: 
lacob  en  fut  tellement  touché  de  reue- 
rence, d'admiration  , &:  de  frayeur,  qu'il 
s'efcria  que  ce  lieu-là  auoit  quelque  chofe 
de  terrible,  &  qu'en  voyant  cette  vifion, 
ilauoic  efl:é  mis  comme  furie  fuei!  de  )kl 
Maifon  de  l'Eternel,  &  dans  le  veftibule 

F    ii; 


^^  .  2)  ifcours  furies 
âcs  cieux.  Ce  qui  nionftre  bien  que  ce 
fongc  auoit  fait  en  luy  vne  toute  autrç 
impreffion,que  ne  font  ceux  qui  viennent 
descaufesde  la  Nature.  le  croy  donc 
auoir  déformais  fuffifatnment  examiné 
cette  queftion ,  de  force  qu'il  ne  me  refte 
plus  à  refoudre  que  la  troi'fieme. 

loël  auoit  prononcé  cet  oracle  tou- 
chant le  temps  de  Taduenement  du  Mef- 
lîe.  //  aduiendra  es  derniers  iours ,  dit  Dieu ^ 
ijHe  ie  re/pandray  de  mon  Ef prît  fur  toute 
chair  5  é"  vos  fils prophetijeront ,  Ç^  vos  filles 
aufiyd^vos  ieunes gens  ^verront  des  'vijïens^ 
Ô'  'VOS  anciens  fongc  ront  desfonges .  Et  pour 
'vr^iy  en  ces  iours-  là  ie  re/pandray  de  mon  EÇ- 
prit  fur  mes  feruiteurs  &  fur  mesfèruantes^ 
doht  ils prophetifcront.  Etieferay  des  cho- 
fès  merui  ilkufes  ai{  ciel  en  haut,  &fgnesen 
terre  en  bas  ,  fang  &  "vapeur  de  fumée.  Le 
Soleilferacbarjgé en  ténèbres  ,^  la  Lune  en 
fang ,  deuant  que  ce  grand  &  notable  ïour  du 
Seigneur  vienne.  De  ces  paroles  du  Pro- 
phète ,  fans  qu'il  foit  befbin  d'en  piodtii- 
re  d  autres,  il  eft  clair  qu'à  l'aduenement 
du  Me/îie  ,  Dieu  deuoit  enuoyer  vne 
grande  abondance  de  fon  Efpric  fur  fon 
Eglifc,qui  rendroic  prefquc  communs 
vniuerfellemenc  à  tous  les   fidelles  ces 


Songes  diumsl  87 

dons  extraordinaires  &  miraculeux  de 
Prophétie ,  de  Vifions,  &  de  Songes, que 
Dieucômuniquoic  autrefois  a  quelques- 
vns  feulemenc.     De  fait  ,  les  Apoftres 
onc  appliqué  ce  pafTage  à  l'enuoy  du  S. 
Efprit  qui  fut  fait  le  iour  de  la  Pentecofte, 
&  l'expérience  des  chofes  vérifia  en  ce 
temps-là  cres-aucenciquemenc  la  vérité 
dececoraclede  loèl.  Car  c'eftvnechofe 
mcrueilleufe  de  l'abondance  &  de  la  va- 
riété des  dons  que  Dieu  verfa  fur  les 
Ghreftiens  au  premier  eftabliflemencdu 
Chriftianifme ,  de  forte  qu'il  en  remplie 
non  feulement  les  Apoftres ,  Se  les  Pro- 
phètes, &  les  Euangeliftes,&:  lesPafteurs, 
&  Do6teurs ,  &  les  Diacres  encore ,  6c 
généralement  tous  ceux    qui  auoyenc 
quelque    charge  publique    en   l'Eglife, 
mais  encore  quantité  de  perfonnes  parti- 
culières, fans  aucune  difFercfi^e  d'aage, 
de  fcxe,  ny  de  condition.  Et  Thiftoire  des 
Aftes  des  Apoftres   auec  ce  qui  nous 
rcfte  de  celle  du  fiecle  qui  les  fuiuit  ,  en 
rendent  vn  autentique  témoignage.  Mais 
il  y  a  icy  outre  cela  deux  chofes  confide- 
rabieS'    La  première  ,  qu'il  femble  que 
cetCepromeire,à  regarder  Temphafe  des 
termes  cfquels  elle  eft  conceuè ,  ne  boc- 

F  iiij 


Si  Di/cours  fur  les 

ne  pas  fon  éxecution  au  temps  de  la  naît 
fance  de  TEglife,  Se  à  cet  ou  fîx  vingtsans 
après,  mais  qu'elle  l'eftend  à  tous  les  fie- 
cles  du  Chriftianifme  ,  iufques  à  leur 
confommation.  Car  il  fe  fait  icy  oppofi- 
tion  des  temps  de  l'Euangile  aux  temps 
delà  Loy,  &:parconfequent,  cefemblc, 
de  toute  la  durée  dVne  difpenfation ,  à 
toute  la  durée  de  fautre.  La  féconde, 
que  nonobftant  cela  ,  on  void  par  cxpe- 
liencequeces  dons  miraculeux  de  TÈf- 
piicdeDieuont  ce  (Té  il  y  a  long- temps: 
tellement  que  depuis  plufieurs  fieclesen 
ci  on  n'en  void  aucune  trace  en  l'Eglife 
Chieftienne.  Car  tout  ce  qu'on  en  a  dit 
ôc  efcrit  depuis  douze  cens  ans  ,  eft  ou 
merueillcufement  furpe£t,ou  tout  à  fait 
faux  ou  fuppofé  ,  &  plein  de  vanité  Se 
d'impoflure.  Comment  donc  accorde- 
rons nous  cette  expérience  auec  cet  ora- 
cle >  Pour  le  faire  ,  Se  pour  nous  frayer 
^nfi  le  chemin  à  la  folution  de  la  que- 
^  ftion  que  ie  traitte  maintenant , il  faut  à 
monaduis  faire  icy  quelques  confidera- 
lions.  Premièrement  il  eft  certain  que  ce 
que  Dieu  a  promis  par  fes  Prophètes,  de 
donner  vnegande  abondance  de  fon  Ef- 
prit  au  temps  de  la  reuclation  du  Meflîçi 


Songes  àmins]  85> 

doit  auoir  fon  accompliflement  depuis  le 
premier  aduenemenc  de  Chrift  iufqiies 
au  fécond  :  mais  commenc  cela  fe  doit 
exécuter,  ceft  vne  chofe qui  mérite  vne 
confideration  vn  peu  actcntiue.  Bien  que 
ces  paroles  de  loël  fcmblenc  ne  defigner 
finon  les  dons  de  l'ETprit  qui  ont  quelque 
chofe  d'extraordinaire  &:  de  miraculeux, 
fi  eft-cc  que  fous  cela  eft  aufli  compvife  la 
promefle  des  dons  ordinaires  qui  con- 
fident en  l'illumination  de  l'entende- 
ment des  fidelles  ;  en  la  connoiflance  de 
la  vérité  celefte  ;  en  la  confolation,  en  la 
fané^ification ,  en  Tefperance,  en  la  pa- 
tience dans  les  tentations  ôc  dans  tes  af- 
flictions ,  &  en  toutes  les  vertus  Chre- 
fl:iennes.  Car  ceferoit  peu  de  chofe  que 
Dieu  euft  promis  abondance  de  dons  qui 
font  miraculeux  à  la  vérité  ,  mais  qui 
d'eux  mefmes  ne  produifent pas  neceflai- 
rementlc  falut,&:quil  euft  laifle  en  ar# 
riere  ceux  qui  font  feulsfalutaires. De  fait, 
c'eft  de  la  mefme  façon  qu'il  faut  entendre 
cet  autre  oracle  d'Efaïc.  V oïcl  vofire  J^ieti' 
'viendra  l:!j/-mcfme,&  vous  deliurera.  Adonc 
les  yeux  des  aueugles  ferera  ouuerts  ,  &  les 
oreillisdcsfourdsjeiom  détouffées,  Adonc 
famtera  le  boiteux  comme  le  urf'.é'  l^  Ungue 


;o  Dif.ouf s  furies 

du  muet  chantera  en  triomphe  :  car  les  eaux 
fourdront  au  defert ,  ^  Us  torrens  au  lie» 
folitaire,  Cai'il  eft  bien  vray  que  ces  pa- 
roles ont  vnfens  propre  &  literal ,  quia 
eu  fon  accompliffement  à  la  venue  de  no- 
flrc  Seigneur.  Mais  il  en  a  aufli  vn  allégo- 
rique &  figuré ,  qui  regarde  les  donsfalu- 
taires,&:  qui  concernent  refpcit ,  donc 
raccôplifTemcnc  à  traie  pendant  tous  les 
temps  de  TEglife.  Puis  après,  il  eft  enco- 
re certain  que  laraifon  pour  laquelle  ces 
dons  miraculeux  font  difertement  fpe- 
cifiés  en  cet  oracle.  Se  les  ordinaires  & 
falutaircs  non  ,  c'efl:  que  ces  promefTes 
fontconceucs  en  termes  qui  font  accom- 
modés à  Tair  de  la  Difpenfation  légale. 
Car  fous  cette  Economie-là  les  fidclles 
connoifToyent  bien  à  la  vérité  que  tout  le 
bien  qui  eftoit  en  eux  venoit  de  Dieu ,  &: 
ilsluy  en  donnoyent  la  louange.  Moyfe 
niefine  Tauoit  ainfi  enfeigné,  &  les  Pfeau- 
nies  de  Dauid  font  pleins  de  cette  recon- 
noiffance.  Mais  neantriioins  ils  ne  fa- 
uoyentpas  bien  diftindement  que  cela 
vint  de  quelque  opération  particulière  de 
latroifiecneperfonne  delà  Diuinité,  & 
rEfpricdeFoy,  TEfprit  de  Confolation, 
FEfprit d'Adoption,  l'Efprit  deSanûifi- 


Songes'  dimns.  5>i 

cation,  cftoyent  des  termes  inconnus  aux 
fidelles  de l'Eglife ancienne.  Tcllemenc 
que  iufquesàDauid,  qui  a  commencé  à 
dire  quelque  chofe  de  l'Efprit  de  Dieu, 
en  ce  qui  touche  la  fanftification  ,  aucun 
n'auoit  encore  ainfi  parlé,  &  après  luy  ces 
cxpreffions  ont  efté  rares.  Au  lieu  qu'il 
n'ya  rien  d%  plus  ordinaire  dans  lesliures 
du  Vieux  Teflamenc  que  d'attribuer  à 
l'Efprit  de  Dieu  les  vilîons  ,  les  reuela- 
tions  des  Prophètes ,  les  dons  extraordi- 
naires &  miraculeux  qui  efclattoyent  & 
qui  donnoyenc  de  l'eftonnement  :  iuf- 
ques-là  que  l'itiduftrie  particulière  qui 
fut  donnée  à  Betfaleel  &  à  Aholiab,  pour 
trauailleren  toute  forte  de  broderie  pour 
la  conftrudion  du  Tabernacle  d'Aflîgna- 
tion  ,  eft  nommément  attribuée  à  Teiîî- 
cace  de  TETpric  de  Dieu,  dans  les  liures  de 
Moyfe.  De  fait,  les  dons  ordinaires  de 
l'Efprit  de  Dieu  ,  font  beaucoup  moins 
eclattans  ,  &:  donnent  beaucoup  moins 
d'admiration  que  les  extraordrnaires.Car 
ceux-là  font  tellement  intérieurs  qu'ils 
nefe  manifeftent  que  dans  les  aftionsde 
pieté,  de  charité  &  de  fandificaiionjqui 
font  ordinairemet  fort  tempérées  &forc 
régulières ,  &:  qui  à  ne  les  regarder  pas  de 


p^'  DifcouTsJuf  le} 

prés,ne  femblêc  procéder  d'autre  principe 
que  de  ccluy  dVne  bonne  &c  droite  rai- 
fon.  Au  lieu  qucceux-cy  ont  vn  efclac 
quidonne  tellement  dans  les  yeux,  qu*à 
en  voir  les  effets  il  n'y  a  perfonne  qui  ne 
iuge  qu'ils  procèdent  d'vnecaufe  furna- 
turelle  &  celefte.  Et  cette  diiFerence 
eftoic  d'autant  plus  grande  fops  TEcono^ 
mie  de  la  Loy ,  que  les  dons  ordinaires  y 
eftoyenc  moins  libéralement  diftribués. 
Se  que  les  vertus  qu'ils  produilbycnt 
eftoyent  plus  obfcures&  moins  fréquen- 
tes qu'elles  ne  font  maintenant  :  &  au 
contraire,  les  dons  extraordinaires  &  mi- 
raculeux y  eftoyent  beaucoup  plus  com- 
muns ,  &:conuenoyent  mieux  au  génie 
de  cette  difpenfation-là ,  parce  qu'elle  re- 
tenoit  les  efprits ,  non  tant  par  la  con- 
noiffance  de  la  vérité ,  comme  fait  celle 
de  maintenant,  que  par  l'admiration  de 
lapuifTance  de  Dieu  ,  &  par  Teftonne- 
ment  que  donnoyentles  chofes  furpre- 
nantes&:  prodigieufes.  Delà,  pour  troi- 
liemeconfideration,  refulte  la  connoif- 
fance  de  la  manière  en  laquelle  cette 
promeffe  de  loèl  Se  fes  femblables  ont 
deu  eftre  exécutées.  Car  il  a  bien  fallu  à 
la  vérité  qu'au  commencement  du  Chri- 


Songes  dinins  j?5 

flianlfmc ,  noftrc  Seigneur  ait  rempli  fon 
Eglifcdcces  dons  miraculeux  qui  y  font 
fpecialcment  defignés  i  8c  deux  raifons 
entre  les  autres  le  conuioyent  à  le  faire. 
LVneque  cestermesdont  les  Prophètes 
s'eftoyentferuis,  auoyent  rempli  les  ef- 
prits  des  homes  de  l'attente  de  ces  dons 
là,5cquefi  leurattente  euft  efté  fruftréc 
en  cet  egardjils  en  euffent  receu  du  fean- 
dale.  Afin  donc  qu'on  ne  trouuaftrien  à 
redire  en  raccompliffementde  ces  illu- 
ftres  predidions  ,  Dieu  a  voulu  rendre 
lescommencemens  de  la  prédication  de 
{on  Euangile  fignalée  &c  admirable  pat 
ces  chofes  merueillcufes.  L  autre  ,  qui 
cft  la  principale,  eftquele  premier  cfta- 
blifTementde  fon  Euangile  auoit  necef- 
fairement  befoin  de  la  maniTcftation  de 
TEfprit  en  chofes  tout  à  fait  émerueilla- 
bles  :  parce  qu'autrement  il  n'euft  pas 
ruiné  Tempire  deSatancommcilafait,&: 
n'eufl:  pasvaincu  la  refiftance  qu  il  auoic 
à  trouuer  dans  TempireRomainaSc  parmy 
toutes  les  autres  nations  de  U  terre.  Car 
la  prédication  de  la  Parole,&:  Toperation 
des  miracles  ,  &  la  diftribution  de  ces 
dons  exttaordinaircs  de TEfprit  ;  ont  efté 
le*  ailes  fur  lefquelles  TEglife  ^  efté  por- 


^4  Difcours  fur  les 

tée  en  toutes  les  contrées  du  monde.C'cft 
pourquoy  T  Apoftre  ioint  ces  deux  chofes 
enfemble  en    l'Epiftre    aux  Hebrieux, 
quand  il  die  que  Wfaiuî ayant fremierement 
commencé  d'cfie  annoncé  parle  Seigneur, 
nous  a  efté  conJiYmé  par  ceux  qui  lauoyent 
eut  :  T>i€u  en  outre  leur  rendant  témoignage 
farjignes,  ^  miracles ,  c^  dmtrfes  vertus^  é* 
difi  ri  butions  du  S.  Efpit  félon  Ja  volonté. 
Mais  comme  après  que  l'Euangile  a  efté 
vne  fois  planté  en  la  terre ,  de  forte  qu'il  a  | 
peu  s'y  conferuer  par  la  feule  prédication,   \ 
laneceflité  des  miracles  ayant  cefféjrvfa-  \ 
ge  en  a  ceffé  de  mefme  ;  ces  dons  extra-  - 
ordinaires  du  S.  Efprit  ont  ceffé  pareille-  * 
ment ,  parce  que  rvfage  n'en  a  plus  efté  \ 
neceifaire.  Parce  moyen,  l'exécution  de  ! 
cette  promefle  de  locl,  entant  qu'elle  a  i 
dcu  s'eftendreàtous  les  temps  deTEglis  \ 
fe  Chreftienneiufquesàleur  confomma*»  \ 
tion,a  efté  reftreinte  aux  dons  ordinaires  \ 
de  i'Efprit  de  Foy ,  de  Confolation,  &de   ? 
Sandification,  qui|en  efFeû  fe  diftribucnt  1 
incomparablement    plus     libéralement  ) 
fous  cette  difpcnfationjqu'ils  ne  faifoyent  î 
fous  l'Economie  légale.  le  croy  donques,,  ^ 
pour  venir  enfin  à  la  rcfolution  precife  ! 
de  la  queftion,  qiul  faut  encore  icy  dit 


Songes  dimns.  9^ 

ftingucr  entre  Icsfonges  diuins,  Angéli- 
ques, &  naturels.    Car  quant  à  ces  lon- 
ges diuins  qui  font  deftinés  à  prédire  les 
chofesàvenir ,  fous  Tembleme  de  quel- 
ques reprefcntations  allégoriques  ,  ou  à 
donner  quelques   commandemens  aux 
hommes  pour  les  porter  à   des  chofes 
extraordinaires  ,  &  où  il  faut  vne  au^ 
îorité  diuine  pour  les  entreprendre  Se 
pour   les    exécuter    ,  i'eftime    que    le 
temps   en    cft  abfolument    pafTé   ,    Se 
que  ceux  qui  s'en  vantent   font  ou  des 
fourbes,  qui  veulent  abufer  le  monde  par 
des  vifionsfuppofées,  pour  feruir  à  leurs 
propres  interefts ,  ou  des  fols ,  qui  ont  le 
cerueau  trouble  par  les  vapeurs  de  leurs 
hypocondres.  Car  nous  ne  femmes  plus 
fous  la  Difpenfation  légale,  fous  laquelle 
ces  chofes- lâont  eu  proprement  leur  lieu: 
ny  dans  les  commencemensde  l'Eglifc, 
où  elles  ont  efté  neceffaires  pour  fon 
cftabliffement.     Et  s'il  m*efl:   permis  de 
dire  icy  mon  fentiment  de  certaines  gens 
de  IVn  ôc  de  l'autre  fexe ,  qui  en  Pologne 
ôc  en  Allemagne  fe  font  vantés  de  quel- 
ques  viiions  celeftes   en    ces   derniers 
temps,  à  la  vérité  le  ne  les  accuferay  pas 
Ci',impofture  ,  parce  qu*on  leur  a  rend» 


$ë  Difcours  fur  tes 

d'aflcs  beaux  témoignages  de  pieté ,  mais 
ioferay  bien  dire  qu*en  leur  fait  il  y  a  eu 
quelque  tranfport  d'entendement ,  qui 
vcnoic  d'ailleurs  que  dVne  caufcdiuine. 
C*onc  cfté  des  gens  qui  en  partie  par  de- 
iiotion  )  en  partie  par  quelque  trop  gran- 
de curiofité,  fe  fontextraordinairemenc 
attachés  à  la  lefturcdc  rApocalypfe  éc 
des  autres  Prophéties.  L'affiduité  ôc  Taf- 
fcélion  qu'ils  y  ont  apportée,  leur  ayanc 
imprime  dans  la  mémoire  les  idées  des 
chofes  qu'ils  y  ont  vcuès  j  Se  les  copies  de 
ces  admirablement  beaux  tableaux  ,  où 
les  cuenemens  à  venir  font  reprefentés, 
leur  cftant  demeurées  peintes  dans  l'éf- 
priE,  deux  ou  trois  chofes  font  furuenucs 
qui  ont  contribué  à  leur  perfuader  que 
leurs  fongcs ,  &  les  chofes  qu'ils  ont  creu 
voir  en  quelques  efpeccs  d'exftafesoùils 
font  tombés,  eftoyent  de  réelles  &  ce- 
leftes  vifions.  Premièrement  ils  fe  font 
laiffés  emporter  aux  cfperanccs  de  ceu5^ 
qui  attendent  dans  quelque  temps  vne 
grande  profperité  pour  l'Eglife  de  Dieu 
en  la  terre,  &  vn  terrible  renucrfemenc 
de  tous  les  Eftats  &  de  toutes  les  puiflan- 
ces  qui  s'oppofent  maintenant  à  Tcfla- 
bliffement  du  règne  de  Chrifl;  &  ce  qu'ils 

defiroyent 


Songes  dluins.  97 

dcfiroyent  aucc  beaucoup  de  zefe  &  de 
padion,  ils  fclc  font  aifcmcnc  imaginé 
comme  indubitable.    Card'vn  coftcdi- 
uers  textes  de  l'Ecriture  ont  extérieure- 
ment l'apparence  défaire  de  telles  pro- 
meffesà  TEglife  de noftre  Seigneur  :&  de 
Tautrec'eftune  des  foibleffes  del  Efpric 
iiumain,que  de  fe  perfuadcr  volontiers  les 
chofesdontona  enuie.    Aptes  cela  l'hu- 
jneur  meIancholique,quidominoit  en  eux 
naturellement ,  les  aiBi£fions  &  les  cha- 
grins qui  leur  font  veflus  tant  des  afFaires 
publiques  qui  n'alloyent  pas  bien  à  leur 
contentement ,  que  des  particulières  qui 
ne  leur  rioyent  pas  non  plus ,  les  ont  ren- 
dus fufceptibles  de  toutes  les  imaginai- 
lions  qui  leur  monftroyent  Tefperance 
de  leur  deliurance  ou  de  quelque  foulage- 
inent.  Enfin,  leurs  corps  mcfmesfefont 
trouués  tellement  affcâés  des  pailîons 
de  leurs  efprits,  &de  la  qualité  des  hu- 
meurs qui  predominoyent  en  eux,  qu'ils 
en  font  tombés  en  quelques  indifpofi- 
tions  atrabiliaires,que  tout  le  monde  fçaic 
eftre  capables  de  fort  efti anges  accidens. 
Soit  donc  qu'ils  s'endormiiTcnt  fimple- 
ment,  ou  qu*en  veillant  ils  fuflent  furpris 
de  quelque  cranfport  de  leur  fanwifie,' 

G 


^8  DifcouTs  fiiT  les 

dans  lequel  il  fe  fift  abftraôion  de  leur 
amedauec  le  commerce  de  leurs  fcns, 
(  car  cela  arriue  quelques  fois  dans  les  ma- 
ladies que  caulenc  les  hypocondres)  ces 
images  Apocalyptiques  fc  font  puiflam- 
ment  remuées  en  eux,  &:  ont  fornaé  dans 
leur  imagination  ces    prétendues     vi- 
fîons  qu'ils  nous  ont  depuis  débitées.  A 
quoy  fe  peut  eftre  mellée  quelque  opéra- 
tion desmauuais  Anges  ,  quichcrchenc 
toutes  les  occafîons  imaginables  de  trom- 
per Sclesiains  &  les  malades,  &  qui  ont 
aidé  à  lier  enfemble  &:  à  peindre  ces  rc- 
prefentations  dans  le  ccrueau  de  ces  pau-^ 
ures  gens.  Auffi  a  t-  on  veu  de  la  plufparc 
par  expérience  ,  ou  que  ces  images  qu'ils 
ont  veucs  das  leurs  prétendus  enthoufiaf^ 
mes,  ne  fignifioyent  rien  du  tout ,  ou  que 
fi  elles  fignifioyent  quelque  chofe ,  la  va» 
nité  &  la  faufleté  en  a  efté  refutée  par  les 
euenemcns.  Quant  à  cts  gens  d'Outre- 
rher  qui  fe  vantent  maintenant  de  reue- 
lations,  dcvifionsjd'mfpirationscelcftes, 
de  vertus  extraordinaiies  du  S.  Efprir, 
d*exftafes  Se  de  rauiflemcns  ,  &  qui  par 
leurs  tremblemens  veulent  reprefenter 
les  mouuemens  des  enthoufiaftcs  &  des 
Prophètes,  iem'cftonnerois  merueilleu- 


Son^tis  dmfis.  ^f 

fçmentfid'honncftcsgens  &  bien  fenfés 
fupporcoyenc  leurs  frenefies.  L'efprit 
du  Seigneur  Icfus  Chrift  cft  vn  Efpric 
d'intelligence,  &  de  prudence ,  &  de  fens 
raflis,&  non  vne  fumée  qui  rempiiffe  les 
cerueaux  creux  d'imaginations  tene- 
breufes  &  bizarres.  La  Grâce  de  l'Euan- 
gile  mec  les  puifTances  de  Tcfprit  de 
l'homme  dans  vne  conftitution  fagc ,  & 
&  qui  donne  de  la ioyc  au  dedans,  ^ 
de  l'édification  au  dehors,  &  h'expofe 
point  la  vraye  religion  à  la  rifée  de  fes 
cnnemis;&aufcandale  des  gens  bien  fen- 
fés, par  des  geftes  indeçens  &  des  mouue- 
mens hétéroclites.  Pour  ce  qui  eft  des 
fongesqui  peuuent  venir  fimpîementdc 
rimpreflîon  des  Anges,  ie  ne  voudrois 
pas  nier  qu*il  ne  s  en  vift  encore  mainte- 
nant quelques  exemples.  Car  quant  aux 
mauuâis  ,  ils  fe  peuuent  mefler  dans  les 
illufions  qui  arriuent  aux  hornmes  en 
dormant ,  foit  pour  tafcher  dé  leur  im- 
primer quelques  fauffes  opinions  en  ma- 
tière de  religion,  &  les  incliner  à  la  fuper- 
ftition ,  foit  pour  enflammer  dauantage 
leurs  partions  ^  &  y  mettre  plus  de  defor- 
dre.  Et  pour  le  regard  de* bons,  encore 
que  la  dilpenfation  de  la  Loy,  fous  laqueît 

G  ij 


joo  TDîfcours  fur  ks 

le  ils  eftoycnt  employés,  mefnies  dansles 
chofcsqui  concernoyent  la  religion ,  foie 
paffée,  fieft-ce  qu'ils  font toufiours de- 
meurés les  miniftres  &lcs  inftrumensde 
laProuidcncedeDieu,  en  ce  qui  regarde 
la  vie  ciuilc,  &  la  focieté  humaine,&  prin- 
cipalement la  protcftion  des  fidèles,  Se  la 
dcfenfc  de  l'Eglife  de  noftre  Seigneur. 
Cômc  donc  il  peut  arriuer  qu'ils apparoifc 
fent  quelquesfois  aux  homes  en  veillant, 
auffi  n'eft-il  pas  incroyable  que  Dieu  ne 
les  employé  de  temps  en  temps  pour 
donner  quelque  aduertiflemenc  par  les 
fbnges.  Il  y  a  quantité  d'exemples  de 
Tvn  &c  de  l'autre  dans  les  liuresdc  ceux 
qui  ont  fait  des  recueils  des  chofes  ex- 
traordinaires Se  mémorables ,  que  l'on- 
peut  aller  chercher  là.  l'ay  ouï  dire  à 
feu  Monfieur  Cameron  ,  pcrfonnage 
dont  la  mémoire  fera  en  éternelle  benc- 
di6tion  dans  nos  EglifeSjqu'ilauoit  appris 
<fe  la  bouche  de  Monfieur  de  Calignon, 
Chancelier  de  Nauarrc,  homme  de  fin- 
guliere  vertu  ,  vne  choie  fort  notable  qui 
Itiy  cftoit  arriuce  en  Bearn.  Il  eftoit  allé 
en  quelque  bourg  de  la  campagne  ,  foie 
pour  fon  diuertill'ementjOu  pour  quelque 
raifon  qui   regaidoit  fa  fanté  5  car   il 


Songes  dîuinsl  loi 

fie  me  fouuicnc  ny  du  lieu  Hydeloccai 
fion  de  fon  voyage.  Vne  nuit,  comme 
ildormoiCjilentendic  vne  voixq'-iiTap- 
pelloitpar  fon  nom,  Calignon.  S'eftanc 
eueillé  làdeffus ,  iSc  n  ayant  rien  ouï  da^ 
uancage,  il  s'imagina  qu'il  auoic  fongc ,  5c 
fe  rendormie.  Peu  après  il  ouïe  encore 
la  mefme  voix  qui  repctoic ,  Calignon: 
ce  qui  fie  vne  plus  grande  imprcflîon  fur 
fon  efpnc  qu*il  n'auoic  faic  auparauant. 
Car  s*eftanc  eueillé  ,  il  eueilla  aufli  fa 
femme,  qui  eftoic  auprès  de  luy,  &  luy  die 
cequiluyeftoic  arriué  :  tellement  quMs 
furent  tous  deux  afTés  long  temps  eueil- 
lés,  attendant  fi  cette  voix  recommence- 
roicàfe  faire  ouïr  ,  &  fi  elle  diroic quel- 
que chofedauantage.  Enfin  la  voix  leré- 
ueilla  pour  la  troifiemefois  ,  en  TappeU 
lant  parfonnonijô^l'aduertit  de  plus  de 
fe  retirer  bien  proncement  de  ce  bourg, 
&c  d*en  emmener  fa  famille  ,  parce  que 
dans  peu  de  iours  la  pefteferoit  d'horri- 
bles rauages  dans  ce  lieu  là.  A  quoy  il  ad- 
jouftoit  qu'il  s'cftoit  parfaitement  bien 
trouué  d'auoir  obeï ,  parce  qu*cfFc£tiue' 
ment ,  peu  de  iours  après  ,  la  contagion 
fc mit  dans  le  bourg,  &y  tua  beaucoup 
deperfonnes.    Ce  fut  ,  lans  douce,  vn 

G    iij 


ïot  DifcouY  s  furies 

Ange  qui  parla  à  luy  ,  &  qui  par  Tinr 
duàion  de  la  bonne  Prouldence  de 
Dieu,  le  tira  hors  du  pcril  qui  autrement 
luy  cftoic  ineuitable.  Car  foit  que  la 
pefte  vint  de  la*  corruption  de  Tair  ,  ou 
qu'elle  priftence  lieu-là  par  la  commu- 
nication de  quelques  peftifercs,  ou  que 
lés  forciers  filles empoifonncurs, comme 
on  dit  qu'ils  le  font  quel  qucsfois,euflent 
refolu  dépandre-là  quelques  venins  , 
c'eftoit  chofe  qui  ne  paflbit  pas  la  mefuré 
delaconnoiflTancede  Tintelligence  d'vn 
Ange.  Or  fi  ces  bien-  heureux  efprits,  qui 
font  deftinés  à  la  garde  desgens  de  bien, 
leur  donnent  de  viue  voix  de  tels  aduer- 
tilTemens  par  le  commandement  deDieu, 
ils  leur  en  peuucoc  bien  donner,  félonie 
nieime  commandement , par  l'entrcmife 
des  fônges.L*hiftoire  du  temps  de  nos  pcl*' 
rçs  attefte  fi  hautement  de  la  venté  de  cçM 
luideLouys  de  Bourbon,  Prince  de  Con*» 
dé,  qu  ô  ne  le  peut  pas  reuoqucr  en  doute. 
Peu auaht  la  iournée  de  Dreux  ,  il  fongea 
qu'il  auoit  donc  trois  batailles  Tyne  après 
l'autre,  où  il  auoit  gagné  la  vi£l:oiré& 
où  fes  trois  grands  ennemis  eftoyent  pé- 
ris. Mais  qu'enfin  il  auoit  eftéaufliblefTc 
à  mort  >  &  qu'après  les  auoir  mis  lesvns 


Songet  âtuinC  \o} 

far  les  autres  ,  il  auoic  efté  luy-mefmc 
cntafle  fur  leurs  corps  morts. Ce  qui  fuiuic 
cft  remarquable.  Car  leMarcfchal  deS. 
André  fut  tue  À  Dreux:  le  Duc  deGuife» 
François  de  Lorraine  ,  à  Orléans  :  le 
Conneftable  de  Montmorency",  à  S. 
Denis  :  &:  c'eftoit  la  leTriumuirat  qu*on 
difoit  qui  auoic  iuré  la  ruine  de  ceux  de  la 
Religion,  Ô^  la  perce  du  Prince.  Enfin 
luy  mcfme  fut  tucàBaffaCj  corne  fi  c*eu(l 
efté  vne  fuite  de  morts  &  de  funérailles. 
Bien  qu  il  y  ait  quelques  circonftances 
dans  le  fonge  qui  ne  s*accordent  pas  en- 
tièrement auec  fon  accompliflement  * 
comme  ce  qu'il  s'imagina  que  fes  enne- 
mis m3urroyent  en  trois  bacailless  car  le 
Duc  de  Gaifc  mourut  autrement ,  &  fuc 
aflaffiné  par  Poltrocj  Se  ce  qu'il  creut  qu'il 
y  eftoit  toufiours  demeuré  viftorieux^ 
car  il  fut  luy  mefme  pris  à  Dreux,  &  on 
luy  concerta  la  gloire  delà  viftoire  de  S» 
Denis,  ôi  on  creut  qu'à  BafTac  ,outrela 
vie ,  il  auoit  encore  perdu  la  bataille  ;  en 
gros  pourtant  cette  vifion  ne  laiffa  pas 
d'eftce  admirable  ,  6c  elle  a  efté  recon- 
nue pour  telle  àcaufedeces  grands  eue- 
nemens.  Il  y  pouuoic  donc  auoir  quelque 
chofe  de  naturel  à  Tegard  de  h  formation 

G  iiij 


JOJ^,  Difcours  fur  Us^ 

de  CCS  images  dans  la  fantaific  de  ce  Prin^ 
ce.  Car  ayant,  comme  il  auoitj  vn  tem- 
pérament ds  lion  ,  &  eftanc  nourri  à  la 
gLierre,  8>c  commandant  vne  armée  ,  il 
poiJiioit  bien  fonger  des  batailles  à  la  veil- 
le d'vn  fi  furieux  combat.  Et  luy-mefme 
fembloit  afleslereêonnoiftre,  quand  eu 
racontant  fa  vifion  il  vfa  de  cette  préface: 
lefçay  bien  q^  il  ne  faut  point  s^  arrefler  aux 
fonges ,  mais  jî  faut  il  que  te  vous  die  ce  que 
taj  ioy/gê cette  nuit.  En  efFcâ:,  vn  homme 
qui  parle  ainfi  témoigne  affes^dVn  coftc 
quecefonge  luy  paroifToic  extraordinai- 
re ,  &  qu*il  auoit  fait  imprcflion  fur  fon 
efprit,  &:de  Tautre,  qu'il  nelercconnoif- 
fou  pas  pour  abfolument  furnaturel ,  puis 
quM  doutoic  en  quelque  façô  s'il  en  deuoic 
faire  quelque  conte.  Mais  neantmoins, 
vn  Ange,  à  qui  Dieu  auoit  laiffë  entre- 
voir quelque  chofedufuccés  de  ces  guer- 
res ciuiles ,  &  de  la  nn  de  ces  Capitaines, 
auoit  bien  peu  s'y  meller  par  fapermif' 
fîon,  à  deflcin  de  donner  quelque  aduer- 
ciffementà  cePrincè.  Cc^r  il  en  pouuoic 
recirer  cette  vtilité,ou  de  nes'opimaftrer 
pas  1  la  guerre,  s'il  vouloit  euiter  la  mort, 
ou  de  s'y  préparer  ferieufement  àmefu- 
^e  qu'il  voyoic  i^%  ennemis  fortir  de  la 


Songes  âtuinsl  xof 

vie.  Ec  IVne  &  l'autre  4c ces  cbofcs  eftoic 
digne  d'vn  bon  Ange ,  qui  auoit  foin  de 
la  vie  de  ce  grand  Prince ,  &  mefme  de 
fon  falut.  Oa  raconte  pareillement  diuer- 
fes  chofcs  mémorables  de  gens  qui  furenc 
fauués  du  maflTacrc  ,  par  les  aduertifle- 
mens  de  quelques  fongcs,  qui, s'ils  fonc 
vrais,  comme  le  nevoy  point  de raifon^ii 
iiable  fuiet  d'en  douter ,  ne  pouuoyenc 
venir  que  des  Anges  ,  tant  ils  font  pleins 
d'intelligence  ,  &  arriués  à  point  nom- 
me. Mais  mon  intenrton  n'eft  pas  tant  de 
rapporter  icy  des  hiftoires  ,  que  de  faire 
fur  cecte  matière  des  côfîderations  Theo- 
logiques  ,oij  qui  dépendent  du  raifonnc- 
ment.  Et  la  conciofion  que  i'en  tire  cft 
que  Dieu  ne  s*eft  pas  lié  les  mains ,  pour 
ne  donner  iamais  de  tels  aduerciflemens 
aux  hommes ,  quoy  qu'il  le  face  affés  ra- 
rement. Ily  a  pourtant  icy  vne  obferua- 
tionàfaire  C'eftquccommequandil  cft 
queftion  de  miracles  qui  peuuent  eftre 
faits  par  le  miniftere  des  Anges  (  car  cha- 
cun fçait  qu'il  y  en  a  quelques- vns  qui  ne 
peuuent  cftre  faits  que  par  la  feule  poif- 
fance  de  Dieu)  on  examine  foigneufc- 
ment  s'ils  ont  eflé  faits  par  les  bons  ou 
parlesmauuais ,  afin  de  nefc  laiflcrpas 


,*""' 


tfig  Difcoufs  furleÈ 

abufcrpar  lafcduftion  de  Terreur,  il  cft 
auffi  befoin  d'apporter  beaucoup  decir- 
confpedion  à  luger  de  ces  viiions  noâur- 
nes.  Toutes  lesadkionsdes  hommes  font 
ou  bonnes  en  ellcs-mefmes,  ou  mauuai- 
fes  de  leur  nature  ,  ou  indifférentes  & 
entremoyennes  entre  le  bien  &  le  mal. 
Si  donques  quelque  tel  fonge  nous  in- 
duifoic  à  vne  bonne  aftion  ,&  dont  il  ne 
peuftrcuflîr  aucun  mauuais  euenemenr, 
il  ne  nous  deuroit  pas  eftre  fufpefl::  mais 
ilferoic  abfolumentà  condamner  &  à  re- 
jetter,  comme  vneillufion  du  Malin, s'il 
nous  pôrtoit  à  vne  mauuaife.  Et  pour 
ce  qui  eft  des  indifférentes  ,  les  circon- 
ftances  qui  les  accompagnent  ayant  ac- 
couftuméde les  déterminer, l'en  croirois 
pluftoll  la  prudence  &  la  charité ,  qui 
doiuent  eflre  reigles  vniuerfelles  de  nb- 
ftre  conuerfation,  quiiene  ferois  l'indu- 
ftion  &  la  perfuafion  dVn  forge.  Et 
neantmoinsoùla  prudence  &  la  charité 
s'accorderoyent  auec  vne  extraordinaire 
vifion,  i'aduouèquefindudion  m'enfc- 
roitfort  confiderable.  Enfin  ,  pour  ce 
qui  eft  des  longes  qui  procèdent  des  cau- 
fes  de  la  Natuae ,  il  me  femble  qu'en  ex- 
pliquant d'où  ilsprocedent,  i'ay  affés  défi 


SoYlgi 


jes  imini.  loy 

crié  leur  vanicé.     C'eft  fans  doute  vnc 
gianie  foiblefle  d'efptic ,  ou  vne  fuperfti- 
tion  fort  in  Jignc  des  Chreftiens,  que  de 
s'yarreftcr  tanc  foie  peu,  pour  en  conjc- 
£tarer  l'aduenir ,  ou  pour  y  fonder  des 
refoFudons  de  la  moindre  importance  du 
monde,  l'ay  feulement  à  donner  icy  deux 
adtjeriiflTemens  ,  donc    1  vn   regarde  la 
fancé  du  corps  ,    &:  l'autre  celle  de  la- 
me.  le  di  donc  pour  le  premier,  que  bous 
pouuons  bien  regarder   à    nos  fonges, 
quand  ils  nous  peuuent  fournir  quelques 
indications  de  la   conftitution    de  nos 
corps  :  afin  que  s'ils  marqaent  quelque 
vice  dans  noftre  tempérament,  ou  quel- 
que defordre  dans  nos  humeurs  ,  8d  s'ils 
nous  menacent  ainfî  de  quelque  indifpo- 
ficion,nousy  pouruoyions  par  le  régime 
de  la  Médecine.     Et  pour  le  regard  du 
fécond ,  fi  de  la  frequen ce  de  certains  fon- 
ges, &:  de  leur  mauuaife  qualité,  nous 
pouuons  reconnoiftre  que  nous  foyons 
enclins  à  quelques    paffions  vicieufes, 
(quoy  que  cela  fe  connoift  beaucoup 
mieux  par  les  aftions  que  nous  faifons  en 
veillant ,  que  par  les  vifions  qui  nous  ar- 
riuent  pendant   le  fommeil)  nous  caf- 
chions  de  les  corriger  par   la    Morale 


lof  7)ifcoursfurlef 

Chreftienne.  Enfin ,  puis  que  comme 
les  Philofophcs  lonc  remarqué,  la  qua- 
lité des  fonges  eft  vn  indice  ,  non  de 
laconftitutionducorps  feulement,  mais 
auffi  de  celle  dercfptit,  &  que  les  plus 
vertueux  ont  les  fonges  les  plus  fages  &: 
\ts  plus  tempérés ,  chacundoit  s  adonner 
foigneufement  à  la  vertu,  à  la  tempéran- 
ce, &  à  la  fobrieié,  pour  n'eftre  pas  im- 
portuné d'imaginations  turbulentes. 

Voila ,  Monfieur  &  très-  honoré  frerc> 
leschofcsqui  me  font  venues  en  l'efprit, 
^quand  aux  heures  que  i'ay  peu  dans  mon 
voyage ,  ie  mejuis  mis  à  méditer  fut  ce 
fujet.  Si  d'autres  affaires  ne  m'enauoyêc 
cfté  le  loifir ,  &:  fi  ie  ne  m*€n  allois  à  d'au- 
tres trauaux  que  i'ay  promis  &  que  l'on 
defire  de  moy  depuis  long  temps,  i'aurois 
apporté  plus'de  foin  &  plus  d  cftudeàce 
petit  ouurage.  Ce  que  i'ay  peu  faire  ça 
efté  deTacheuerjàquoyie  doutois  aucu- 
nement depouuoirparuenir  quand  i'ay 
mis  la  main  à  la  plume.  O  uel  qu'il  foit  ie 
le  vous  donne  de  bon  cœur,  &reflime- 
ray  bien-heureux  s'il  reçoit  voftre  ap- 
probation :  parce  que  celle  que  vous  re« 
ceués  du  Public,  doit  rendre  voftre  té- 
moignage fans  reproche.    le  vous  de- 


Songes  diuins.  \o^ 

mande,  Monfieur  ,  Taffiftancc  de  vos 
bonnes  prières  cnuers  Dieu ,  non  pas  feu- 
lemenrà  ccqu'il  me  hce  la  grâce  de  met- 
tre à  cfFeftdiuers  dcfleinsqu*il  m'a  don- 
né de  former  pour  refclarciflcment  de 
fa  reriié  :  mais  principalement  que  no- 
nobftant  les  trauerfes  que  Ton  me  donne, 
il  me  fortifie  de  fon  bon  Efprit  en  ma 
courfe,  pour  la  paracheuer  à  fa  gloire,  &  à 
l'édification  des  gens  de  bien.  De  ma 
part  ie  le  prie  de  tout  mon  cœur  qu'il 
vous  comble  de  fes  meilleures  benedi* 
âions ,  &  fuis  inuiolablemenr, 


MONSIEVR    ET     TRES- 
Ho  norb'Frbre 


Voftre  très- humble  ,  &  tres<i 
obeïfTant  feruiteur. 

AMYRAVT^ 
DeSaumur, 
ce  1.  de  Tan 
1659. 


ERRATA. 

Pag.  j.lig.  i7.//Wj-auecque.p.ii.I.  4.///C 
les  vnes.  p.  ly.  1. 14.  ///T  les  aùares.  p.  40. 
1.  II.  ijf.y  incicoit.  p.  71. 1.  ip./i/Tvns dans- 
p.  74  L  14. ///T  accomplis,  p. 76.!.  3.  / 
car  c'eft  à  dire.  p.  88.  1.  18.  li/.  faux 
fappofé. 


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