DISCOVRS
Sf^R LES
SONGES DIVINS,
DONT IL EST PARLE'
DANS l'EsCRI T VRE.
<^ MOTSiSlEVR
GACHES
P^r MOYSE JMTRJVT.
A S AV MVR,
Chés ISAAC DESBORDES,
Imprimeur 8c Libraire.
M. DC. Ll£
DISCOVRS
SVR LES
SONGES DIVINS
GACHES
ONSIEVR ET TRES-
honore' Fkere.
E ne doute pas que vous
ne vous fduveniez des
propos que nous tenions
lors que nous allafmes
cnfemble au logis de
Monficur le Confeiller
Âmpronx. L'vn de nos entretiens fut
A
4 T)if COUTS fur les
couchant la nature desïonges que Dieu a
autrefois cnuoy es à Tes feruiteurs, & par^
ticulierement couchant les marques par
lelqueliesils pouvoyentrcconnoiftrcque
ces fongeselcoient véritablement diuins.
Parce que vous trouualles beaucoup de
diiEcghé en cette matière , i'eufle cfté
bien aife que norsy fuflîons entrés vn
peu plus auant : mais la nuit nous fepara»
&c vous obligea de vous retirer en
voftre logis; &: MademoifelledclaSuze,
qui m'attendoit en vn autre Jieu,& moy
nous nous en allafmes aux noftres. Nous
en difmes quelque chofe cette excellente
Demoifelle & moy en retournant, &: elle
iT^ç pria d*efclaircir autant que je pourrois
ce qu'il y a d'obfcur & de difficile en ce
fujet 5 qu'elle cftiraoit digne d'vnemedi-
tation vn peu attentiue. Ty ay penfé
pendant mon voyage , & fans quelques
autres affaires que i'y ay eues, i'cn eufle
defîa mis mes penfées fur le papier. Si les
occupations qui m'attendoyent icy cil
foule me le permettent^ie leferay, &: ic
commence dans leur embarras ce petic
trauail cxprcfliément afin de m'engagcr
dans la neceffité de Tacheuer , pour le
vous enuoy er comme vn témoignage du
Songes âiuinsl j
rcfpea: que ie vous porte , & de reftlmc
fîngulierc que ie fais de vos rares qualités.
Se de l'honneur de voftre amitié.
II y a dans Tbome trois fortes de facul-
tés qui feruent à luy acquérir & à luy con-
feruerlacônoiflancedeschofes-.àfçauoir
les fcns extérieurs , qui font , s'il faut ainfi
dire, à vne extrémité : l'entendeméc , qui
cft à l'autre : Se lesfensinteneu-rsquifonc
entre deux. L'impreffion des chofes fen-
fiblesquife fait dans les fens du corps , ne
s'appelle point du nom de fonges, parce
qu'elle fe fait en veillant. Les raifonnc-
mens de Tintelled ne s'appellent non
plus de ce nom , parce que les fonges fe
forment dans quelcune de ces facultés
que nous auons communes auecqucsles
beftesj à qui, comme aux chiens & aux
cheuaux,il arriue de fonger. De forte
qu'il faut neceffairement que cette im-
preflion fe face dans les fens inteneurs.
On en conte ordinairement trois : le
fcnscommurk, lafantaife,& la mémoire;
que quelques- vns eftiment n'eftre quWne
feule ôc mefme puiffance , mais que l'on
confidere diucrfement , félon qu'elle agit
auflîdiuerfement fur fes objets; les autres,
les diftingucnt comme des facultés difFc»
A iij
é 'Discours fur les
rentes en elles mefmes, 5^ non en leurs
opérations feulement. lefuiuraiicy cette
dernière opinion , parce qu'elle cft plus
vniuerfcllemcni receuè , & plus com-
mode pour l'explication de ce que i'en-
treprcns , & diray que ce n'cft point
dans le fcns conrmun que les fonges fc
forment, parce qu'il n'agit que lors que
les particuliers^ extérieurs fontéueillés;
ny, à proprement parler, dans la mémoi-
re, parce que les idées des chofes qui font
dans la mémoire n*y font qu'en puiflance
feulement, & que quand elles reuiennent
en ade, elles paffent dans l'imagination.
Or les images dont les fonges fe forment,
font en aâ:e , comme on parle , &: partant
il faut neceffaircment qu'ils fefacent dans
cette partie qu'on appelle la fantaifie ; de
quoy tout le monde demeure d'accord.
Cette impreflîon donques ne pouuant
eftre rapportée qu'à trois caules, la Natu-
re, les Anges, ô^ Dieu, il n'y peut auoir
que de trois fortes de fonges, les natu-
rels, les furnaturels, en ce qu'ils procèdent
de l'opération des Anges , & les divins.
Pour le regard des naturels, ils peuuent
eftre diftribués en quatre claflTes. Car il
y en a quelques- vns qu'il faut fimplemen?
Songes dtuins] 7
imputer au tempérament du corps , ou
àlaconftitutionen laquelle il fe rencon-
ircàrheurequcceluy qui dort a celles ou
telles vidons. Pour exemple, ceux qui
font d'vn tempérament bilieux &c ardent,
ou qui à cette heure là , ont de la bile
échauffée au fond dereftomach, Ibngenc
ordinairement qu'ils voyent desembra-
femens. Ceux qui font naturellement
phlcgmaciques , ou qui ont de la pituite
au fond du ventricule^voyent des eftangs,
&c des riuieres , 8c des desbordemens
d'eaux: &:eneftdes autres à peu prés de
mefmes , félon la diuerficé de leur confti-
tution. Et bien que Texperience monftre
cela , Se que les Médecins prennent des
fonges quelques indications pour con-
noiftrele tempérament du corps^fieft-ce
que la raifon pourquoy cela fe fait ainfi,
cft âfles malaifée à rendre. vS'il m'efl: per-
mis de dire cela en paflant , car mon def-
fein ne m'oblige point à le faire , i'cftime
premièrement qu'il faut pofer que les
opérations des fens nous mettent dans la
mémoire les formes de toutes les chofes
fenfibles , qui s'y conferuentpour toutes
occafions , ôc que c'eft de là que fc tire la
matière des fonges de cette nature. Car
A liij
? ^ 'Difcours fur les
filon fepoLUJoit figurer vn hommequî
cuft vefcu iurqu'à J'aage de vingts cinq
ans, fans auoir iamaisvfé d'aucun de ksi
fens, il faudroic pareillement fe figurer^
qu^ilauroicauflî vefcu lufques à cet aagc-
là lansfonger, parce qu il nauroit ridée
d'aucune chofe fenfiblcdansla mémoire.
Puis après, il eft certain que pendant le
fommeil la chaleur s'augmente dans les
entrailles , ceft à dire, au foyc , autour du
coeur, au diaphragme, ôc dans routes les
parties qui enuironnent leftomach. De
là vient qu'il monte des vapeurs au ccr-
ueau , qui dVn co&.é font chaudes delà
chaleur qu'el les tirée de la caufe qui les ex-
cite & qui les fait monier,&: qui def autre
tiennent de l'humeur qui domine vniuer-
fellementdansle tempérament du corps,
ou particulièrement dans l'eftomachjfoic
bile, ou pituite, ou fang, ou melancholie,
qui font les quatre que 1 on a accouflumé
demettte en confideration. Entant don-
ques que ces vapeurs s5t chaudes, elles re-
muent les idées qui font dans la mémoire,
& les ramener en aûe dans Timaginadon:
&: entant qu'elles tiennent d'vne telle
ou d'vne telle humeur , elles afFe6tens:
k ^erue^u , & nommément l'organe d^
Songes iiuiml ^
la fanraiCe , de la qualité de I humeur
dont elles font procedéesj ce qui produit
cet efFed. C'eft que l'organe ainfi affjdè.,
reçoit mieux les images des chofes qui
fyrabolilcnt auec cette fienne conftitu-
tion prefente , & les retient , au lieu que
lesautres quin'y fymbolilcntpas, fc dif-
fipent &: s éuanouïffent. Tellement que
Il ce font des vapeurs excitées de la pitui-
te,la fanraifie embraffe les idées des eaux,
& void ^^s inondations : & fi elles ont
eftéexcitéesdela bile, la fantaific reçoit
& embraffe les idées du feu , & void des
embrafcmens ; & les autres formes des
chofes que la chaleur auoit emeucs , &c
tirées de la mémoire en Timaginaiion,
s'écoulent 6^ nes'y arreftent pas. Mais
comment que l'on décide cette queftion,
les fongcs qui procèdent de cette caufe-
là ne peuucnt auoir autre vertu de ligni-
fier , finon celle qu'a vn cSc£k de donner
quelque connoiffancc de fa caufe. La
railon de cela eft que ce qui les produit
citant abfolument deftitué d'intelligen-
ce , ( car ny la chaleur qui eft dans les en-
trarlles n'en a point, ny la mémoire, ny
Timagination non plus, &: i'intelle^l n'a-
git du tout point en cela \ ces chofes ne
7© jDifcoursfur les
pcuucnt cftre deftinées à aucune fin. II y
en a d'autres où le tempérament du corps
& la difpofition des humeurs n'a point de
part, &c qui ne viennent d*ailleursfinoii
de ce que la chaleur qui monte des parties
inférieures, au cerueau, remue, comme
i'ay dit, les images des chofesdansla mé-
moire , & les ramené dans l'imagina-
tion , mais confufcs &c méfiées , à pro-
portion de ce que la chaleur eftgrande,6c
que les vapeurs qui s*eileuent de Tefto-
machfontgroflieres ou fubciles, & plus
ou moins abondantes Se capables de rem-
plir les organes du cerueau. Car quand
elles font fort épaiffes &c fort abondantes,
les images des chofes qui fe rappellent de
la mémoire, y font tellement englouties,
qu'où bien il ne s'enprefente aucune àla
fantaifîe qu elle puifle appcrceuoir : ce
qui fait qu'on ne fongc du tout point 3 ou
bien s'il s'y en prefente quelcunc qu'elle
apperçoiue, celaeft accompagnéde tant
de foiblefle & d'obfcuricc , que quand
on eft reueillé on ne fe fouuient du
tout point de ce que l'on a fongé.
Et c'eft pourquoy il y en a, quoy que fore
peu , qui ne fongent iamais , parce
gue les fumées qui leur montent en U
Songes âiums. îî
tefte en dormant ,font toujours cfpaif-
fes & tenebreufes : & c'eftpourquoy en-
core d ordinaire on nercfue point incon-
tinér après le repas, parce que Teftomach
cftant plein, y enuoye au cerueau des va-
peurs en trop grande abondance. Si ces
vapeurs là font plus déliées , moins abon-
dances , & plus tranquilles , les images
des chofes fe prefencent à la fantaifîe
aucc plus dediftindion. Et neàhtmoins
il y a toûjo jrs beaucoup de defordre. Cac
:; pofé le cas que ces images foyent d*elles-
inefmesbljn arrangées dans la mémoire,
il furuienticy deux chofes qui y mectenc
de la confufion. LVne , que la chaleur
qui les remue , les trouble , comme Ton
voit que les fubftances qui font dans vn
vaiffcau plein d'eau, demeurent chacune
en leur rangtandis que l'ead efttranquil-
le î mais fi vous venés à mettre du feu
dcflTous, l'eau en bouillant s'agite, & c^s
fubftancesfebrouillentparfon agitation.
L'autre , que tandis que les fens exté-
rieurs font cueilles & qoils agiflent ,ils
reigitnt & fixent la fantaifie par leurs
optrations. Mais quand ils font affou pis
parle fommeil , alors n'eftant plus arre-
ftée par ce moyen-là 5 il y a beaucoup de
Il 7)ifcom fur les
déreîglement en fcs mouuemens. De là
vient que ces images, donc la mémoire,
excitée par la chaleur , l'a remplie , s'at-
tachent les vns aux autres fortuitement
&: irrégulièrement , d'où fe forment vne
infinité de gtotefques&:d*extrauaganccs
CQmpofitions. On fait l'expérience de
cela dans la fièvre , quand h violence de
la chaleur, & les vapeurs de la bile trou-
blent l'imagination : 3^ on la voit dans
]es fols , qui bien qu'ils ne dorment pas,
& qu'ils n'ayent pas la fieure,ontneanc-
moins l'imagination en trouble, àcaufe
deladifcrafie de leur ccrueau. Car c'eft
ce qui leur fait conceuoir tant de chimè-
res , de prononcer de fi eftrangcs gali ma-
rias , diuerfes efpeces de chofes , qui n'ont
aucune liaifon naturelle entr'elles , leur
partant dans k fantaifie , S>c s'attachant
les vnes aux autres auec beaucoup d'irré-
gularité. Car rimagination eft bien vne
faculté qui d'elle-mefme peut receuoir
l'impreflion de ces idées, & delescom-
pofer enfemble : mais parce qu'elle eft
corporelle , &c par conséquent deftituée
d'intelligence, elle ne peut reconnoiftre
ny leur conformité ny leur diflemblance,
£)y les difpofer conuenablcment par la.
Songea àmns. t)
lumière de la raifon. De forte qiî*^JIefaic
alors comme feroit vn aueuglc qui fc
rrouueroic au milieu de quamicc defta-
lucs cronquées & mutilées, & qui en vou-
droit rafiembler les parties en tafton-
nant. Car il luy arriueroit fans doute de
mettre , pour exemple, la tefte de Marius
fur le corps deCleopatre, & peut-eftre
les cuifles dVn cheual de bronze fous le
bufte d'Epammondas. Cesfonges-làont
encore moinsde vertu de fignifier que les
precedens. Parce que la compofition de
CCS images cft tout à fait téméraire &:
fortuite, &: par confequent incapable,foic
de reprefentcr quelque chofe , comme
dans vn emblème allégorique, foit delà
prédire tout nuëment & fans vne telle
reprefeniation. Car toute conflitution
d'allégorie & de reprefentation fymboli-
que ,eftrcEuured'vneintelligence j &Ia
preuifion des euenemens futurs requière
encore dauantage de lumière de raifon.
Il eft vray que 1 intelleâ; fait quelquesfois
en dormant quelques opérations fur les
chofes qui luy font ainfîprefentées par la
fantaifie. Car il y a cette différence entre
nos fonges, & ceux des chiens & des che-
uaux,que ceux- cy dans ces animaux ne
r4 Di/coufs fur les
couchent aucune faculté fDperieurc à H-
maginacion, parce qu'il n'y en a point |
au lieu q ie les noftres afF^rdlcnt quelques-^
fois noltre intelligence. Tellement que
nous fatfons des raisbnnemens fur ces
fantofmes,& mefmes d'afles longs dif-
cours , ce qui arriue afles fouuent à ceux
qui font accouftumésà parler en public.
Mais premièrement ce n'eft pas TintcU
ka qui forme ainfi ces idées : il agit feu-
lement fur elles comme elles luy font
prefentécs par l'imagination. De forte
qu'il ne leur peut donner la vertu de fi-
gnifier quoy que ce foit. Puis apres,com-
ment eft^ce que luy qui ne preuoit pas les
chofes à venir quand il eft éueillé , ks
pourroit deuiner en dormant, &les re-
prefcnter dans la compofition de ces dif-
férentes efpeces de chofes qui fe ren-
contrent alors dans la fantaifie ? Tant
s'en faut qu'il y face lien de tel, qu'il ne
peut pas mefmes iuger raifonnablemenc
ny du pafTé ny du prefent, dont il doit
auoir beaucoup plus de connoiflance. En
cfFjd aucune cxtrauagance ne choque
alors nos entendemens. Nous reflufci-
tons nos amis que nous fçauons bien eftic
mojrts , Se difcourons auec eux comme
Songes dmns. jj
s'ils neTeftoyent pas: nous mettons Paris
en Quercy, & Londres en Allemagne^ôc
cela ne nous eftonne point ; nous deue-
nons & gueux bc rois dVn moment à
l'autre, fans que noustrouuions eftrangc
vn fi prodigieux changement : & n'y a
rien de fi bizarre ny défi difproportion-
né,qui ne nous lemble raifonnable. La
iroifiefme forte de fonges naturels com-
prend tous ceux qui nous viennent des
occupations de la vie aufquelles nous ap-
portons quelque extraordinaire applica-
tion d'efprit. Car les hommes ftudieux
fongent en des liures ; les autres en de
Vargent; les gens de guerre s'imaginent
voir des bataillons de gens de pied & des
cfcadrons de gendarmes : & générale-
ment à tous ceux qui ont quelques tdles
occupations à cœur, il arriue dauoir en
dormant des vifions qui s y rapportent.
Et la raifon de cela neft pas malaifée à
rendre. De toutes les images qui s'impri-
ment en la mémoire , celles-là leur font
les plus familières, & celles qui retour-
aenc le plus fouuent. Tellement que ce
n eft pas merueille fi quand la chaleur in-
térieure qui fe redouble par le fommeii,
vient à €mouuoir,&par manière de dire.
iS T^ifcours fur les
à fecoUer ce magazin , ces chofcs-lVs*^
rencontrent les premières & les plus fré-
quentes. Mais c'eft toufioursà peu prés
auec la mefme bizarrerie que ksprece-
dentes,qu*cllesfeprefcntent àrincelleft,
de forte qu'il en faut faire mefqieiugè-
mêt,& croire qu'elles ne peuuêt auoir au-
cune vertu fignificaiiue. Enfin la quatriè-
me efpecc eftdes fongesqui viennent a
l'occafion de quelque pafliofl,ou qui nous
pofledoit defia en veillant , & fur laquelle
nous nous fommes endormis,ou qui s'ex-
cite en nous en dormant, parl'émoiion
de rirafcibleou de laConcupifcible. Ec
alors il nous arriue des chofesàpeu près
fcmblablesaceque nousauons cy deffus
dit du tempérament du corps , & délai
conftitucion de fes humeurs : c'eft qu'il fe
prefente à noftre imagination des objets;
qui fymbolifent auec nos pciflîons. Ceux
qui ont faim s'imaginent qu*ils voyent
des feftins, & ceux qui ont foifcroyent
qu'ils boiuent à des fontaines. Les amou-
reux voyent leurs inclinations, &ccuX
qui font en colère , les objets de leur irri-
tation , & vont à la rencontre de leurs
çnnemis qui fe prefcntent à eux en armes*
Mais comme il n'y a point de doute que
ceU
Song(
\cs âiuins. 17
tclà n*ait vne caufe antécédente dans la
jpaffion , aufli cft- il certain qu*il n'cftpas
ôrdinairemenc moins extrauaganc que
les fonges precedens , ny plus capable de
donner aucune vraye connoilTance des
chofes qui font à venir, ny iTiefmes de
celles qui exiftenc des-ja , mais -qui auanc
le fonge Se le fommeil nous eîloyenc en-
tièrement inconnues. Car la partie fenfi-
tiuc de nos amcs eft à la vérité bien ca-
pable de fe foumettreà la raifon;mais en
elle-mefme elle n'eft point participante
de raifon ny d'intelligence. De forte
qu*eftant naturellement brute comme
elle eft, il eft impoffible qu'il en forte au-
cune produdion de la condition de celles
que nous auons des-ja dit ne pouuoiu
nuoir pour caufe finon vne nature intel-
ligente, Vray eft qu'il eft quelquesfois
arriué que de tels longes ont reùffi: ce
<jui a fait penfer quMy auoit du rapport
entre le fonge & Teuenement , 8i par
confeqnent que quelque intelligence s'en
cftoitmcilée. Mais , comme Arifloîe Ta
lemarqué , cela eft arriué par hazard ; &:
comme qui tireroitvn milion de flèches
à coup perdu, pourroit enfin fortuite-
ment rencontrer le blanc , il nous palFc
B
i8 Difcours fur les
en dormant tant de forces de vifions en
rimagination, que non feulemenc il n*eft
pas merueilkux fi Ton en voit reuflîr
quelcune, mais fi vne ou deux fois en la
vie il n*cn arnuoic ainfi , ce feroic vnc
chofc qui pourroic fembler eftrangc-
Qne sAÏy a quelcun de nos fonges qui
non feulemenc reùffiffe, mais entre le-
quel Se fon euenemenc il y ait quelque
fore notable rapport, Se tel qu'il faille ne-
ceffairemenc qu'il y foie inceruenu quel-
que opération dVne caufe incelligente,
il ne le faut pas conter entre les fonges
naturels , mais le lapporcer ou à Dieu , ou
a quelque aftion des Anges.
Il y a de deux forces de fonges que
Tô peut imputer aux intelligéces créées.
Les vns font ceux où leschofes qu'ils fi-
gnifient font contenues en des rcprefen-
tationsfymboliques & myfterieufes: fie
les autres les propofenc toutes nues &à
découuert. Et quant aux premiers, ceux
qui fe (ont autrefois méfiés de donner
les reiglcs de leur interprétation, lont
fait en deux manières oppofccs. Car ils
ont enfcigné qu'il faut prendre quelques-
fois tout le concrepicd du fonge en fon
interprétation : comme fi on ^^^S^ ea
Soifi^es diuins, i^
âcs nopces , ils onc dit que c'eft figne de
tnorc : &: fi au contraire on s'imagine ca
dormant qu'on voit des habits dedueil
ou des funérailles , il faut croire que Ton
fera bien toft des nopces. On peut bien
fonger en de telles chofes fans que les
Anges s'en meflent : car ce font-là des
images qui peuuent eftre demeurées dâs
la mémoire , &, par les forces de la Na-
ture toute feule, reuenir danslafantaifie
en dormant. Mais quand quelque tel fon-
ge auroit reiifli, & qu'il auroit efté impri-
mé dans l'imagination par l'opération
d'vn Ahge,afreurément il ne Ceroit pas
des bons. Car ils font miniftresde Dieu,
quin'aiamaisenuoyé defonges quiayêc
eu la vertu de fignifier ainfi à rebours s
beaucoup moins a-t-il eftably aucune
telle reigle de les interpréter. Il n'y en a
aucune trace ny dans fa Parole , ny dans
la Nature des chofes mcfmcs, 5^ il y au-
roit trop d'incertitude en tellesinterpre-
rations , pour les rapporter à la rcuela-
tion de Dieu. Cela me fait fouuenir àc
ce que Ton dit de Bucanan , qui faifoic
tous les ans relier dans fon Almanach
autant de fueillets de papier blanc qu'il y
€n auoit d'imprimés , &: là où l'imprimé
B ij
zo Difcours fur les
àï(o\t ii/fera beau temps y il efcriuoit vis a
vis, ilferalaid: &c là où Timprimé difoic,
il fer a de U j II: y t & vn tenfs nuhïUux ^ il
mettoit iuUcraenc à i'oppofite, /'^/V/tr^
fort beau & fort/erain '.■çuis 3 près auoirob-
ferué ceia cinquante ou foixante ans du*
rant , il difoit qu'il aucictoufiours mieux
rencontré que fon Almanach. Ce n*cft
pas que ceux qui auoient fait les Alma-
nacs euiTent voulu defigner par des pre-
diéTtions contraires, les cuenemens que
Bucanan prognoftiquoit puis après. Mais
c'efi: que cç,s Aftroicgues faifans la plus
parc du temps leurs prognofticacions à
Tauanture, &mefmesquelques-vnsd'en-
lr'eux fans auoir aucune teinture de la
fcience des aftres , il pouuoit bien arriuer
à Bucanan, fortuitement auflî,de dcuiner
]e beau ou lemauuais temps, en prenant
le contre-pied de leurs prophéties. La
plus commune reigle de i'inierpretation
desfonges,efl:d'obferuer les rapports Se
les refiemblances qui fe trouuent cn-
ir'eux & les euenemens. Ainfi Ton croit
que celuy qui a fongé qu'il luy eftoit tom-
bé vne dent, perdra vn bon amy ; & que
celuy qui a fongé qu'on luy arrachoit vne
cofte , doit voir mourir la femme dan|
Songes àimm. 2^
peu de temps, le ne m'amuferay pas à
rapporter des exemples de fonges de cette
nature, qui ont efté vérifiés par Teuene-
ment. Ciceronen recite vn bien gentil
entre les autres. Qiielcun auoit fongé
qu*il y auoit vn œuf caché fous fon licîr.
Le deuin à qui il s'addrefla pour auoir
Tinterpretation defonfonge,luy refpon-
dit qu au lieu mefme où il s'eftoit imagine
qu'il y auoit vn œuf, il y auoit vn trefor
caché. Ce fongeur fit donc creufer fous
fon li(5t, & il s'y trouua de Targent , Sç au
milieu de Targent , de Tor. Pour donnée
au deuin quelque témoignage de recon-
noiflfance, il luy porta quelques pièces de
Targent qu'il auoit irouuc j & le deuin,
qui auoit auflî efpeié quelque chofe de
Tor , luy dit: Ne me donne s- tu rknditiau^
ncdel'œuf^Ei cette force de fonges, quei'ô
ne peut pas certes raifonnablement impu-
ter aux caufes delanatureny auhazard,
nepaflentpas la portée des bons ny des
mauuais Anges.Comevn Ange, foit bon-,
foit mauuais, (car ie n'examine pas à cette
heure la queftion lequel c'eft des deux)
a peu fauoir quil y auoit- là vn trefor ca-
ché : il a peu auffi imprimer ce fonge
dans riraagination de cet homme tandis
B iij
tz 2)ifcûurs fur les
qu'il dormoit, Se reueler au deuirt que cet
œuf fignifioit vn trefor où il y auoit de
] argenc , & de lor enfermé dedans , ou
luy fournir les occafions de le deuiner pat
conjcdure. Il y en a mefmes de cette na-
ture qui regardent raduenirjquipeuucrlc
procéder de Toperation des Anges.
Les Poètes difent que Hccube, femme de
Priam , eftant groffe de Paris , fohgei
qu'elle accoushoit dVne torche ardentes
àToccafion dequoy les deuins prédirent
que cet enfant feroit caufe de la ruine de
Troye & de fon embrafement. Les an-
ciens hiftoricnsont efcrit que la mère de
Phalaris auoit fongéque d*entrc les fta-
tuès qu'elle mefme auoit confacrées dahs
la maifon de fon fils , elle auoit veu celle
de Mercure, qui dVne tafle, quelle tenoit
érfla main, verfoit du fang fur la terre;
lequel fangs'enfloit en bouillonnant , de
forte que toute la maifon en regorgeoito
Ce qui fut interprété 8c confirmé parles
cruautés de Phalaris, le plus fanguinaire
de tous les hommes. Cy rus,en dormant,
s'imagina qu il voyoit le Soleil à fès pieds,
& que par trois fois il auoit cffayé de le
faifîr de la main 5 mais qu'il luy eftoît
toufiours cfchappéjen roulant. Ce que
Songes àtuins. 1/
les Mages interprétèrent ainfî : c'eftquc
TcfForc qu'il auoit fait par trois fois de
prendre le foleil , fignifioit qu'il regneroic
trenteans : ce queleuenement confirma
encore. l'ay dit que tous ces fongcs peu-
uent procéder de l'opération des Anges,
parce que l'impreflion de ces images
dans la fanraifie des hommes qui dor-
ment, n'eft pas au de là de l'eftenduèdc
leuradiuité- L'idée du Soleil cft dans la
mémoire de tous les hommes , Si celle
des torches ardentes , ôc des ftacuès & da
fang. Tellement qu il n a fallu en ces
occafions finon les ramener dans la fan-
taifie, & leur donner certaine fituation
& certain mouuemcnt. Et quant à la pre-
uifîon deTauenir que les Anges ont vou-
lu fignifier par là, ils Tont peu auoir en
partie d'eux- mefmes Si de leurs propres
conjeaurcs, en partie de quelque forte
dereuelation de Dieu. Le démon, qui
ne cherche qu'à faire du mal au monde,
auoit refolu de porter l'humeurbarbarc
de Phalaris à toutes fortes de craautés:&:
voyant la Maifon de Priam flori(rante,&:
fonEftat riche & puiflantjil fe prcpofa
défaire tout ce qu'il pourroit pour le rui-
ner, &: de fe preualoir pour cet efFcct de
B iiij
Z4 Di/cours fur les
toutes les occafions qui fe prefenteroyec,"
ôc des enfans de Priam mcfme. Et bien
que ce ne fuflent que des defleins, de
l'euenement defqueis il ne pouuoit pas
auoir vnepîeine certitude , parce que la
volontédeOieu&faProuidenceeftoycnc
audeiTus, il n'a pas laiffé de l'efperer , ôc
de prédire de la façon vne. chofe qu'il
vouloit faire. Ce que Dieu^pourles rai-
fons qu'il en auoit pardeuers luy, a vou-
lu queTeuenement ait ratifié. Quant à
Cyrus, il eftoit impoflîble aux Anges de
deuiner combien de cemps il regneroir.
Mais Dieu laiflequelquesfois forcir quel-
ques chofes du fecret de fes confeils. Se
permet qu'elles paroiffent à la ycuë des
intelligences créées. Et de ces éclairs qai
forcent du cabinet de Dieu , ou elles
voyent quelque chofe de Taduenir auec
certitude 5 ou au moins en forment-elles
des raifonnemens &: des conjeûures qui
approchent bien prés de la vérité. Les
autres fonges,qui propofent les chofes
toutes nues &à defcouuerc , n*ont point
befom d'incerpreces pour les entendre;
niais quand les euenemens les confir-
ment , ils n'en font pas moins admira-.
tles pour cela.Ten pro Jijirai deu^ç ou trois
Songes diutnf. if
exemples qui me femblent bien fignalés.
Deux hommes Ar^adiens, amis Tvn de
Tautre , faifoyenc voyage enfemble, & ar-
riiierenc en la ville de Megarc, oii I Va
s alla loger dans vne hoftelerie publique,
& Tautrc chés vn de la connoifTance,
comme cela fcfaifôic alors affés ordinal-
reraenc. Apres fouper, celuy qoi eftoic
dans vne maifon particulière s'eftanrallé
coucher, comme il dormoic , Tautre luy
apparut en fonge, &c le pria de le venir fe-
courir, parce q jelemiilliede Thoftele-
rie le vouloir airafliner. L'effroi de ce
fonge l'ayant cmeu, il Ce leua ; mais après
cftrereucnnàluy-mv^fme, il le prit pour
vne vainc vifion , Se fe recoucha pour
dormir. Dins ce fécond fommeil l'ima-
g'i de fon amy luy reuinc encore dans la
fancaifie, Se il s'imagina qu'il le prioir que
puisqu'il ner.iuoic pas voulu fecourir vi-
iiant, au moins il ne l'aiiSaft pas famorc
impunie. Qjj5 Thoftelier l'auoic tué, ôc
rajoit mis dans vne charrette qu'il auoic
remplie de fumier. Et qu'il le prioit de
fetrouuer debon matinà la porte de la
yille auant que la charrette fortift. Cet
homme excraorJinairement émeu parce
ijonge, fe [eua^ &:s'cneftanc allé à la por-
tb DifcùUfs fuf Id
te de la virie, arrefta vne charrette pleine
de fumier qui s'y prefi?hta pour pafler : de
quoy le charretier eftant épouuancé , il
s'enfuit, &: le corps ayant éftc trouué de-
dans, & le crime par ce moyen décou-
uert , rfaoftelier fut fuppîicié , & toute k
villerauieen admiration de lameruéille
decefonge. C'eft Cicèron qui le rap-
porte au liurè que i'ay dcfia allégué. En
voicyvn autre tiré de la vie de Monfiéuc
de Peirefc, Confeiller au Parlement de
Prouence. Ce célèbre perfonnage allant
de Montpellier à Nifmes , pafla la nuit
dans vne hoftelerie qui eftàmy-chemin
des deux lieux. Ilauoiten fa compagnie
lacques Rainicr , bourgeois d'Aix , qui
qui dans ce voyage- là couchoit dans vne
ittefme chambre. Comme ce grand
homme dormoit, Rainier entendit qu'il
refuoit , Sa qu'il marmonnoit quelque
chofe autrement qu'il n'auoit accouftumé
de faire eh dormant : c'eftpourquoy ille
réueilla&luy demanda ce qu'il auoit/O
que vous m'aués,refpondit-il, fait perdre
vn beau & agréable fonge • Car ie fon*
geoisquei'eftoisà Nifmes ,ôiqu'vn Or-
fèvre m'y prcfentoit vne médaille d'or de
Iules Cefar , qu'il me vouloir vendre
Songes dmins. tr
^ùâtricércus. Ec comme Teftoisprcft de
les luy bailler, & mon Orfèvre & ma mé-
daille, parce que vous m'aués refucillé, fe
font cuanouïs cnfrmblc. Arriué qu'il fut \
Nifmes, & n'ayant pas oublié fonfonge,
il s'alla promener par la ville tandis qu^on
appreftoit le difncr; & en allant çà &là
il s addrefla à la boutique d'vn Orfèvre,
pour luy demander s'il n'auoit point quel-
que rareté. A quoy TOrfevre refpondic
qu'il auolt vn Iules Cefar d'or. Monfieur
de Peirefc luy ayant demandé combien il
le vouloit vendre, l'autre refpondit,^/;^4^r^
ejcus ^ ce qui remplit TeTprit de ce per-
fonnage& dejoye& d'admiration, tant
parce qu'il aiioic trouué vne pièce de ca-
binet qu'il defiroit auec paflîon, qu'à cau-
(c de la façon furprenante dont elle luy
venoit entre les mains. Cetroifiemefera
encore de Ciceron dans le mefme liurc.
Annibal ayant pris Sagonte , s'imagina
en dormant que Jupiter l'appelioit au
Confeil des Dieux : Sc qu'y eftantallé,
lupitcrluy auoit commande qu'il portaft
la guerre en Italie, & qu' vn.de cette af-
femblce marcheroit à la tefte de fes gens.
Qu^yant commencé à marcher fous la
conduite de celuy-là qui luy auoit eftc
M Difcoursjuf les
donné pour guide, ce guide luy défendit^
deregarder derrière luy. Ce que n'ayan
peu obtenir defoy-mefme , parce qu'i
eftoic tranfportédu defir defauoir cequ
venoic après luy , il vie à fa fuite vne
grande & horrible befle, toute enuiron-
née de fcrpens , qui s*entortilloyenc au%
tour d'elle, & qui par toutou elle pafToic
renuerfoitfansdeirusdeflbus^ les toi6ls
des maifons, &: les arbres , & les aibuftes,
&r vniuerfelkment tout ce qu*elle ren-
controir. Eftonné de ce fpedacle il de-
manda au Dieu qui le conduifoit ce que
cemonftrefignifîoit. Aquoy iircfpondic
que c*c(loit le dcgafl: & la defolationde
ritalic,mais qu'au refte il marchaftfans
perdre temps , &: qu'il ne fe mift point en
peine de ce^qui arriueroit derrière luy.
Ce dernier fonge procedoit indubitable-
ment de roperation dVn mauuais Ange;
cariamaisvn bon n'euft mis dans l'imagi-
nation d'Annibal Tidée dVn Concile des
faux Dieux. Mais vn Démon fe feruic
des images de ces fauffes diuinitcz, que
leurs flatuès auoyentlaiffées dans lame^
moire de ce Payen, àc ioignit les autres
chofesneceffairespour la conftitution dç
ce fonge. Quant à ce qu'il predifoit dç
I
Songes d'iuins. 19
ladefolâtiondc ricalie,c*eftoit vnecho-
fcfurlaquelleb conjeflure d'vn demoa
pouuoic aifemcnc aller , pour deuiner que
fi ce Capitaine Cartaginois fuiuoic le
confeil qu'il luy donnoir,& qu'il enirafl:
dans ritalic^uccvnearméefloriflTance dc
viftoricufe comme la fienne , il y feroic
d'cfpouuantables rauages. Et fi l'euene-
menty a reipondu , ôc pafle mefines au
delà de ce que le démon en pouuoic con-
jefturer , c'efl que Dieu en auoic ainfi or-
donné dans le confeil de fa Prouidence.
Le premier, comme ileft recité par Ci-
ceron,fepeuc rapporter Se aux bons &c
auxmauuais Anges. Aux mauuais , parce
qu'ils auoycnt vn grand empire parmy
lesPayens, &: qu'ayant eu bonne parc au
dcffeindeccluy quiauoit commis cet af-
faflînatjils en tiroyent, en le dêfcouLîranc,
deux fignalés auancages. L'va, qu'après
auoic fciic tuer vn homme innocent, ils
en faifoient mourir vn coupable, ce qui
eft vn grand plaifir pour Tennemy du
génie humain. Car il en aime la deftru-
£tion ,&:quile laifleroit fiire, il dcpcu-
pleroic toute la terre. L'autre , qu'ils
donnoyent par ce moyen quelque crédit
& quelque autorité aux fonges de cette
çà Difcoun fur tes
nature, qui paffancpour extraordinairèà
&pourciiuins, aidoyent à confirmer les
hommes dans le rcfped qu'ils auoyent
pour Icsdiuinités à qui ils cftoyent attri-
bués. Aux bons aufli. Parce qu'encore
que Dieu laiflaft aller lesNations en leurs
voyes 5 il ne les auoic pourtant pas abfo-
lument abandonnées , eu égard aux foins
de fa Prouidence, de laquelle les Anges
font les inftrumcns, &les exécuteurs de
fes volontés. Et bien que pour de bon-
nes raifons 11 èuft permis le meurtre de ce
poure Arcadien , c'eftoit vn cffed de fa
Prouidence, que deproturer la punition
du meurtrier. Car c'eft en grande par-
tie par là que fe conferue la focieté des
hommes , laquelle Dieu aime, Se de l'cn-
tretcnement de laquelle il a vn foin mer-
ueilieux. Pour ce qui eft du fécond, ie ne
ferois pas grande dijfficulté de l'attribuer
à quelque bon Ange , qui voulut par ce
moyen témoigner , non pas feulemenc
qu'ils conuerfcnt icy bas , quoy qu'inuifi-
bles, entre les hommes , mais qu'ils fauo-
rifent les grands perfonnages , Se qui ai-
ment les lettres Se la vertu. Car d'impu-
ter, ce fonge au hazard 5 c'eft véritable-
ment ce que ie ne penfc pas que Ton puifiEe
Songes iïuins j^
raifonnablemenc faire, non plus qu'aux
caufcsde la Nature, donc nous auons par-
lé cy-deuant. L'auteur de la vie de Pei-
refc a raifon de dire qu'à confidercr tou-
tes les parties de cette hifloire feparé-
mcnt, il n'y en a pas vne qui doiue pa-
roiftre fort merucilleufe. La ville de Nif-
ines,dit-il,a peu venir dâs Timaginatiô de
ce grand homme en dormant, veu mef-
me qu'il auoitdeffein d'y aller , &: qu'il
cftoitpreftd'yarriuer. Uapeu fonger en
vne médaille de Iules Cefar, car ileftoic
fort curieux de ces antiquités-là. Bien que
les médailles de cette forte foyent afles
rares, ce n'eft pourtant pas chofe eftran-
gc qu'il s'en rcncontrafl: là vne telle, veu
queNifmescfl: vne ville où \zs Romains
ont fort fréquenté. Il eftoit plus vrai-
femblable qu'il s'en trouueroit chés vn
Oifcvre qu'ailleurs ; car ceux entre \cs
mains de qui ces antiquités là tombenc,
aiment fouuenc mieux de la monnoyc
quifoit demife, &trouuent mieux à s'en
défaire chés les Orfèvres qu'ailleurs, lia
peu aifémentfe faire , Se que Peirefcfon-
geaft qu'il l'achecoic pour vn prix afles
médiocre, &:quVnOrfeve fe contentafi:
de quatre efcus pour vne pièce que les
^% Difcoursfufles
curieux de ces chofes ne fcroyent poinc
de difficulté d'acheter vn beaucoup plus
grand prix. Maisquc tant decirconftan-
ccsfe rencontrent enfembledans vnmef-
niefonge, ^ qu'elles Ce rapportent tou-
tes exaftement aux circonftance$ de Tc-
uenement , c*eft ce qui furpafle & k
rencontre du hazard , &c les caufes de la
nature : de forte qu'il le faut neceflaire-
ment attribuer à quelque caufe intelli-
gçnte î & chacun void que cela ne pafTc
nullement la mefure de la pulffancc des
Anges. Sçachans donc bien qu'à Nif-
iîies, entre les mains d'vn Orfèvre , il y
auoic vn Iules Cefar, dont ils auoyent
veu & OUI déterminer le prix à quatre
cfcus, ils en allèrent mettre Timpreffion
dans l'imagination de ce perfonnagc. Au
moins certes ne voy-jc point de cara6lere
en ce longe-là qui nous oblige neceflai-
remenr. à le rapporter aux mauuais An-
ges. Non plus , pour dire cela en paf-
lant 3 que ccluy de Calpurnia , femme de
Cefar, qui la nuit qui précéda immédia-
tement la mort de fon mary , fongea
qu'elle voyoit qu'on le tuoit à coups
d'efpéedansle Senat.Carii eftbien vray
que le récit qu'elle en fit , 5d les prières
paf
Songes dmhSo 53
J5ar lefqucUcs elle tafcha de deftourncr
Cefar d'aller au Senac ce iour-là, nepro-
duifirent aucun cffect. Mais les bons An^
ges peuuent bien donner quelques bons
aduertiflemens encore qu'on ne les fui-
ue pas : & ce font des témoignages du
foin qu'ils ont de la conferuation de la vie
des Princes, comme le mefpris qu'on en
fait eft vne pVeuue de Timprudcnce de
ceux qui y ont intereft. Il ne nous eft pas
rapporté dans l'Euangile quel fut celuy
de la femme de Pilate , quand elle luy
cnuoya dire qu'elle le prioit de n'auoir
rien à demefl^rauec noftre Seigneur Ic-
fus Chrift. Quel qu'il fuft, il fcmble qu'il
eft mdubitable qu'il cftoit venu de l'im-
prefliondVnbon Ange, bien que Pilate
n'y défera pas. Maisc'eftoit aflesà l'An-
ge qui l'auoit formé dans l'imagination
de cette femme , d'auoir par ce moyen
fait rendre témoignage à l'innocence de
noftre Sauueur.Côment qu'il en foit, car
ie ne voudrois pas faire vn a^rticle defoy
decetce matière ^ & chacun y peutvfer
de la liberté de fon iugemcnC , peut-eftre
que ce feroit bien fait de diftinguer entré
les fonges que les Anges portent dans Vi-
magination deî hommes par l'cxprçs
C
34 TDïfcoUTs fur les
commandcmenc de Dieu , Se ceux qui
viennent de leur opération par fa per-
miflîon feulement. Ceux là doiuent
eftreplus efficaces, parce qu'ils font dc-
ftinés à rexecution de quelque deffein
que Dieu a formé; c'eftpourquoy il faut
qu'il difpofe les eni^sndemens de ceux
que ces vifions-là concernent, à y défé-
rer autant qu'il eft necefïaire pour faire
que le deffein n'ait pas cfté formé inutile-
mens. Ceux-cy ne venans finon des
bonnesinclinatfons des Anges, que Dieu
leur permet de fuiure &: de faire paroiftre
en telles & en telles occafions, il nUnipor-
tepasquilsne produifentpas TeffeCt au-
quel ils eftoyenc deftinés par leurs au-
teurs, & ils en remportent afles de fatis-
fadion d'auoir fait voir la bonne volonté
qu ils ont pour les hommes , &: principa-
lement pour ceux qui font emincns en
vertu ou en dignité.
Q^uant aux fonges diuins , il y en a
auffi de deux fortes. Car les vns con-
tiennent les chofcs futures fous des
reprefentations enigmatiques &: myfte-
rieufes, & les autres font beaucoup plus
lîuds & plus découucrts. Il y a des
exemples foie illuftres *de la première
Songea àiuinso 3j
force dans l'hiftoirc de lofcph , tant en
teux qui luy furent enuoyés à luy-mef-
mc, pour luy prédire fa grandeur, qu'en
ceux qui furent enuoyés àPharao,Dour
l'aduertir des fept années d'abondance ôc
des fept années de fterilicé. La ftatuë
que Nabucodonofor vit en vifion eft en-
core fort magnifique, comme k pierre
coupée fans mains , qui de pfctits com-
mencemens deuint vne grande monta-»
gne, 8r remplit tout l'Vniuers. Il y a des
exemples des autres dans Thiftoire de la
naiflancc de noftre Seigneur, tant aux
fongcs qui furent enuoyés aux SageS;^
pour les aduenir de s'en retourner par vn
autre chemin que par celuy oùHerode les
attendoit, qu'en ceux par lefquels il fut
commande à lofcph d'emporter noftre
Seigneur en Egypte , & de l'en rapporter
aufîi quand il fut temps. Qinnt à la vi-
fion de lacob , qui luy fut addreffée en
fonge lors qu'il alloit en Paddan-Aram,
elle eftoit n-jellce des deux fortes. Car
i'efchelle fur laquelle les Anges mon-
toy ent & defcendcyent, auoit fans doute
vne lignification myftcrieufe , qui fe rap-
porte à lefus Chiift. Mais les paroles
<ju'il oûiî cbntcnoyent des promcffes
C i]
z^ T>ifcûtirs fur les
fort intelligibles , & qui n'eftoyent cnue--'
loppécsdans le voile d'aucuns énigmes
ny d'aucunes telles reprefentations. Et
de ceux là, &: de tous les autres fongcs
diufnscn gênerai, on peut faire trois que-
ftions importantes. La première, pour-
quoy Dieu s*eft autrefois reuelé par fon-
gesà fes fcruiteurs. La féconde , com*
jnenc ils omtpeu reconnoiftrequ'cffcfti-
uemenc cVftoit Dieu qui les leur cn-
uoyoit, 6c que ce n'eftoyent pas de vaines
illufions. Latroifieme,fîl'vfage de cetce
révélation eft abfolument pafTé , Se fi
Dieu ne s'en fert plus fous l'Economie de
l'Euangile. Qu^ant à la première de ces
queftions, rApoftvedicque 'Dieu ayant ta»
dis à diuerfes fois & en diuerfes mankres
far lé aux Pires par les Prophètes ^a parlé à
mus en ces derniers temps par fin Fils, Et
]à il oppofc la Difpenfation du Fils à la
précédente, en trois chofes,La première,
queDieu^a autrefois parlé aux Pères par
les Prophètes , mais maintenant à nous
pal fon Fils. La féconde, qu'il J'a iadis
fait a diuerfes fois ^ c'cft à dire , qu'il a rc-
ueîé alors fa connoiflance par degrés Se
comme par parcelles , adjouftant vne lu-
mière à l'autre de temps en temps ; au
Songes àmins] 57
Heu que maintenant il nous areuelétout
dvn coup ce qu'il vouloit que nous fccùf-
fionsdc fa vérité, iufqu'à la confomma-
tion des fiecles. La troifieme, qu'au lieu
que maintenant il ne fe reuele qu en vne
façon , à fçauoir phr la Prédication de la,
Parole, il l'a fait alors en dhterfes manie-
re'5. Et CCS diuerfes manières la fe peu-
uent rapporter aux trois forces de facul-
tés defquellesi'ay dit cy-dcfTus que nous
nous feruons pour acquérir & pour con-
feruer la connoiffance des chofcs : à fça-
uoir les fens externes,les internes, & Ten-
tendemcnt. Etquantaux fensexternes,
Dieus'eften cela peu ferui de trois d*en-
tr'cux, à fçauoir du toucher , du flairer &S
dugoufter; mais il y a employé les deux
autres. Car il a prefcntè aux yeux de^
chofes vifibles , tantoft en apparence hu-
maine, comme à Abraham & à Manoé,
& à quelques autres } tantoft en antres
chofes, comme à NJloyfe dans le buiflbn
ardent. Et pour le regard de l'ouïe, il a
fouuent fait ouïr des voix des cieux,
comme à Abraham , & à Moyfe encore
dans le buiflbn , &: en plufieurs autres
rencontres. Pour ce qui eft des fens in-
ternes ^ il les y a employés en veillant ôç
C iij
^$ Difcom fur tes
en dôrmant/En veillant, par les cxftafes'
qu'il aquelquesfois enuoyées à fes ferui
teurs. Car alors il agifToïc tellement en
leur imagination par la vertu qu'il y def-
ployoic, se y faifoit vne fi grande &:fi
puiflantcabftradlion de leur crpricdauec
leurs fens extérieurs &c corporels, que les
fondions en cefToyent , bien qu ils ne
dormilîentpas. Et cependant il leur im-
primoit dans la fanraifie les images de
chofes extraordinaires 6^ admirables, &:
leur faifoit intérieurement entendre des
voix, qui leur donnoyent quelque in-
ftrudion ou quelque commandement.
On void vn bel exemple de cela en S»
Pierre, quand il vit le linceul defcendanc
du ciel , & qu'il ouït la voix Tm& man-
ge 5 car il eftoit en cxftafe alors , & les
chofes que S. leannous rapporte en TA-
pocalypfe, luy ont eflé ainfi reuelécs. En
dormant , par les fonges , tels que font
ceuxdefquelsi'iy des-)a parlé, & autres
femblables. Et il y auoit peu de difFc-
rcnce entre les reuelations addreflees par
lesexftafes & les fonges^ finon qu'encore
quedcccfté & d'autre il y cuft cefTation
de fondions des fens corporels, fi eft ce
que dans Texftafe dlcn eftoit pas peur
Songes diums, 59
eRrc du tout fi entière que dans le fom- .
meil, & quelle procedoit dVnc autre
caufe. Car dans le fommcil elle proce-
doit des caufes naturelles d où elle vient
ordinairement : dans l'exlliafe elle fefai-
foit exiraordinairement & miraculeufe-
inentpar la puifTance derEfpricdeDieu,
qui retiroit l'ame de fes feruiteurs des or-
ganes des fens extérieurs, U empefchoit
qu'elle n y defployafi: fon efficace Qnant
à l'entendement, rEfprit deDieuyagif-
foit en deux manières. La première eft
qu au lieu qu'ordinairement les connoif-
fances que nous auons dans Tinteled, y
entrent par le miniftere des fens , qui
nous apportent les images des chofes fen<!
fibles, SiparlesTenfibles les intelligibles,
&nousfourniirent l'occafion déraison-
ner, Dieu imprimoit alors dans l'efpric
des Prophètes immédiatement ks efpe-
ces intelligibles des chofes qu'il leur vou-
loir reueler,de forte qu*il lesrendoic fa-
uans fans Tentremife de leur ratiocina-
tion. Et il a reuelé vne infinité de cho-
fes de cette façon àMoyfe entre les autres .
La féconde eft, qu'au lieu que nous ne
nous portons naturellement & ordinai-
rement aux grandes avions qu'après vne
G iiij
40 'Difcours furUs
attenciuc confultation de noftre intel-
left fur la fin que nous nous y propofons,
& furies motifs qui nous y induifent , 6c
fur les moyens par lefquels nous y pou-
vions paruenir, Dieu infpiroit quelques-
fois à ks feruiteursdes mouuemens mi-
raculeux &: héroïques , par lefquels ils
eftoyent portés à des chofes extraordi-
naires fans cette délibération , &: feule»
mcnr parce qu'ils fencoyent que Dieu les
i ncitoic par ces mouuemens.Tel fut celuy
d*Ehud , quand il tua Eglon Roy de
Moab ; tel celuy de Phinées, quand il tua
rifraelice Ôc la Madianite dVn mefme
coup ; tel celuy de Dauid , quand il fe re-
folut à combattre Goliath auec vne
fronde. S'il y a eu quelques autres moyens
dont Dieu fe foit fcrui autrefois pour fe
reuelcr fous cette ancienne difpenfation,
comme la voix qui s cntendoit dans le
Tabernacle, & les lumières d' Vrim & de
Tummim^, ilsfe peuuent rapporter à ce
que iç viens de dire brieuement, &: mon
deflcin ne m'oblige pas a m'y eftendrc
dauantagc. le diray feulement en gêne-
rai, pourqqoy ils*eft ferui de tous ces di-
vers moyens, Bc en particulier, pourquoy
il y a employé les fbnges.Pour le premier^
'Songes dminsl - jÇi
il faut confiderer que 1 Eglife, comme die
S.Paul, cftoic alorsen Ion enfance. Or
il y a bien de la différence entre la maniè-
re donc on inftruit les enfans , & celle
quel'on employé à enicjgner les fciences
&les difciplines à ceuxqji font en aage
viril. Enucrs ceux cy on fe fercdc l*en-
trcmife de la voix feulement , o.i s'il cft
befoin défaire quelques demonftracions
àfocil, on les fait iimplement en des li-
gnes,& en des figures de Mathématique,
ou tout au plus on fe contente de faire
voirlesobjets& les expériences des cho-
fes fcnfiblcs, comme celles du vuide&dc
J'aymant. Et tout cela ne fait rien Cnon
fournir à l'entendement Toccafion de
former fes raifonnemcns. Mais quant
aux enfans, parce que la faculté de rai-
fonner eft encore foible & imparfaitecn
eux on fclert de médailles, d'emblèmes,
dereprcfentationSjde figures hiérogly-
phiques, & d'autres tels artifices, iufqucs-
là que depuis quelques années on a veu
des cartes peintes, &p!einesde figures em-
blématiques pour imprimer les reiglesdc
la Logique dans l*efpric des ieuncs enfans
en ioiianr. Et la raifon de cela eft, qu ou-
tre que les hommes faits n'ont pas bc-
42* Difcours fur les
foin de ces aides pour leur faire com-
prendre les difciplines , dont ils enrcn-
dentfort bien les axiomes 8c les theore-
mes par la feule propofuion qu'on leur
en fait , ils ont auffi peu befoin de ces at-
traits pour les allécher à apprendre,parcc
que la beauté des cliofes mefmes eft ca-
pable de les attraire alTés efficacemenc.
Au lieu que les enfans ont d'vn cofté be-
foin qu on leur face comprendre par la
iigure d'vn bœuf, cequcc*eft qu'vn e/h'^
retl, comme on le voit en quelques tabtes
philofophiqucs , Se de l'autre , il les fauE
amorcer par ces gentilleffcs , parce que la
difficulté des choies les rcbuteroit, fi on
les leur enfeignoit autrement. L'Eglife
ludaïque donques eftant en cet eftat là,
ces diuerfes manières dont Dieu s'eft fer-
uipour l'enieigner, ont contribué quel-
que chofe à luy faciliter l'intelligence de
cequeDieu vouloit qu'elle fçeuft, &c onz
eu plus d'efficace à retenir fon cfprit en le
furprenanc, & en luy donnant deTadrai-
ration, parce qu'elles eftoyent rares Se
mlraculeufes , que s'il luy euft fait dire les
ehofes a delcouuert 6c tout nuëment.
Tay dit cxpreflfément , ce que Dieu vou-
loit qu'elle fceuft , parce que quelques-
Songes diuins. 4j
fols ces chofes-làont eu vn vfage dif-
ferenr. Car l'inflitution des types ,
pour exemple , & les rcprelentations
îymboliques des chofes à venir , & les
vifions admirables qui ont efté en-
uoyées aux Prophètes pour en donner
les prédirions , ont afles fouuenc ferui
de voile pour obfcurcir l'intelligence des
chofes qui ne deuoyenc eftre interprétées
finon par leseuenemens. Pour le fecôd,
puis qu'il a pieu à Dieu employer tous
ces moyens pour fe rcueler& à fes Pro-
phètes, & par Tes Prophètes aux autres
hommes , autrefois, il n'y a point de rai-
fon pourq'joy il en euft exclus les fonges.
Mais il yacecy de particulier pour eux.
C'eft qu'encore qu'il y ait beaucoup de
vanité dans les fonges ordinaires , & que
dans ceux- là mefme qui procèdent de l'o-
pération des Anges, il y ait bien fouuenc
beaucoup d'incertitude & d*asnbiguité,&:
que quelques Philofophes, comme Ari-
flote entre les autres, n'eftiment pas qu'il
en faille tenir aucun conte pour ce quicfi:
deladiuination, fi eft-ce que c'a toujours
efté vn fentimenc prefque vniuerfel ds
toutes les nations, que la Diuiniié fe c6-
puniquoic aux hommes principalement
44 Difcoursfurles
par lesfongcs. Homère en attribue quel-
ques-vns à fon lupicer : Les Sioïques
ont tenu qu'il yen a qui font tout à fait
diuins : Platon en parle de mefme en
quelques endroits : 6>c fur tout dans les
pays orientaux cette opinion auoic vne
merueilleufe vogue. De forte que c'eft
principalementen ces régions là que Ton
a rçduic l'interprétation des fonges en
art,§d quon en afaitdesreigles. Parce
donquesque le peuple d'Ifraèleftoit im-
bu dVnc fcmblable opinion , Dieu a vou^
lu luy cnuoyer des fonges qui fuflenc cf-
fediuement diuins, afin de lattacher à
ceux-là , & de le diuertir de la vanité à
laquelle les autres nations fe laiflbycnt al-
ler à l'égard des autres. Ec de plus,ileft
bien vray que la plus naturelle manière
de donner iaconnoiffance de quoy que
ce foit, Se mcfmes de la Diuinité, aux
hommes , eft , ou de leur prefenter quel- j
queschofes vilîbles,qui leurfourniffent i
le moyen de raifonncr, 8^ démonter de j
la confiderationdes cffefts à Tintelligcn- ^
ce de la nature de la caufe , comme cela i
s'cft fait dans la difpenfation delaNatu- •
rc i ou de leur dire quelques chofes j & de 3
leur annoncer des verité« par rentrenûfe j
Songes diums. éf.^
de la parole, comme cela fe faic fous la
difpcnfation de TEuangile de Chrift.
C cfl: pourquoy S. Paul ioint ces deux
économies quand il dit , (\ut puis quen U
fapfence de Dieu le monde na point connu
Dieu par fapïence , le bonplaijir de Lieu a ejlc
de Jauuer les croy ans par la folie de la pre^
dication. Mais pour eftreinftruic de cetcc
façon-là , il faut de la clarté & de la force
d'entendement , plus que les homes n*en
ont d ordinaire en leur enfance. De forte
que rEglifeeftant alors encecaage-là, il
la faloit inftruire dVne autre façon. Or
de toutes ces manières qui y ont efté em-
ployées, il n y en a point vne qui y fuft
plus propre ny plus commode que les
ibnges. Car comme difoit Platon, quand
vn homme quial'eftomach plein devin
& de viandes, vient à s'endormir ,c'eil
vnechofe certaine qu'il eft fort mal pro-
pre pour receuoir la communication de
la Diuinité,&: que les vilîons qui fe for-
ment en fa fantaifie font extrêmement
obfcures, confufes& turbulentes. Mais
quand vn honnefte homme , & qui vie
auec beaucoup de tempérance, s'eft en-
dormi , & qu'après la concoâiion des ali-
mens qu'il a pris, il ne luy monte plus du
^g 2)ircours fur iâs
tout de fumées enlacefte , &qucfeshu-
meiu s font paifibles &: tranquilles , & fon
imagination comme vne eau calme ÔC
&: limpide , ou commevneglaccdemi-
roirjalors fequcftré qu'il eft tout à fait des
choies de la vie prefentc & du commer-
ce des fens, il eft extrêmement propre à
receuoir l'impreflion des chofes diuines.
Et c*eft pourquoy Dieu mefme déclarant
de quelle façon il (e reuelera aux Pro-
phètes qu'il fufcitera parmy fon peuple
d'Kraèljildic que cch [c itr3i J^ar vifio^s
oiip<^rfonges.
Pource qui eft de la féconde queftion^
auant que de la décider il faut que i'ad-»
uertifle dVne chofe. Quand i'ay diftin-
gué les fonges en trois claffes , & que i'ay
mis dans la (econde ceux qui procèdent
de 1 opération des Anges, & dans la troi-
fiéme les diuins , voicy comment i'ay
entendu faire ma diftinâion. Entre ceux
qui peuuent procéder de Toperation des
Anges, il y en peut auoirde diuins en ce
que c'eft Dieu qui non feulement a per-
mis, mais qui peut- cftrc mefmesa com-
mandé qu'ils en donnaffent Timpreffion»
Mais lelesattribuë Amplement aux An-
gtSjComme ceux dont i'ay propofé les
Songes diuins. 47
exemples , parce que ny la formation des
images efquelles ils confiftenc, ne paiTe
poinc leur venu , ny la connoiflance de
la choie que cts images reprcfentenr,
n'eu poiiK au delà de leur intelligence
naturelle , ny de la viuacir c de leurs con-
iedures & de leur diuination. Car il eft
certain que leur nature fpiricuelle , la
longue expérience qu'ils ont des chofts,
la connoiflance qu'ils ont des Iccretsde
la Nature & des inclinations de refpric
humain ,auec diuerfes autres aydes que
nous n'auons pas , les font pénétrer
beaucoup plus auant que nous dans la
fciencc des chofes futures. Entre ceux
que i'appelle diuins il y en a encore qui
Gonfiftcnt en certaines images dont la
formation n'cft pas non plus au deflus de
l'efficace des Anges. Maisie lesay nom-
més diuins , parce que foit que Dieu sic
employé les Anges pour les enuoyer , ou
qu'il lésait formés immediatemencluy-
mefme, tant y a que les chofes que ces
images figni fioyent , paffoycnt de fi loia
la portée naturelle de l'intelligence des
Anges, qu'il eftoit abfolument impofTi-
ble qu'ils y atteigniflent lans vne parti-
culière rcuelation. Car bien que Icuis
4S Difcours fur les
connoiflances, à les comparer aux no»
lires, font admirables, &: que leur veuc
va brcn loin , fi eft- ce qu'elle eft bornée,
& encore bornée de telle forte, qu*ils ne
voyent nybienauanc, nybien certainc-
mcntdans l'aduenir. Ceux-là donques
doiuenteftrc réputés venir de Dieu , qui
par quelque mclTager qu'ils ayent efté en-
uoyés, contiennent des chofes telles qu'il
n'y a que Dieu feul qui les puifTe au-oir cô-
nuës& reuelées. Pour donques retour-
ner a mon propos, on peut bien affiimer
hardiment , & que ces iongcs ont eu des
marques parlelquellcsona recônu qu'ils
eftoyenc diuins , & que mefmes il eftoic
neceffaire qu'ils en euflent , quand bien
on ne fauroitpas certainement en quoy
ces marques. là confiftoyent. QujJs en
ont eu premièrement. Car toutes ces au-
tres manières efquelles Dieu s'eft rcuelé
aux hommes, & dont nous auons parlé
cy-deflus, ont efté comme caraftcrifécs
chacune de fa marque particulière , par
laquelle elle a eflc difcernée dauec tou-
tes les antres chofes dont la comparaifon
oulareffcmblance qu'elles àuoyent auec
elles, pouuoit faire douter qu'elles fu fient
venues de Dieu. Les voix qu'Abraham,
pour
Songes dîUms. 4?
rtar exemple, a encenduës,ont eu quel,
qucchofe qui lésa diftingué^sdes autres
voix qai pouuoyenceftre formées parle
rtiiniftere des màuuais Anges ,3c princi-
palerpenc celle par laquelle Dieu luy
commanda de facrifier fon Fils. Ce
commandement eftantfi contraire à fes
afFcdions naturelles , & mefmes ayant
lapparence dVne barbarie inouïe , &c
dVne cruauté fans exemple, cortiment
eft-ce que ce faint homme euft peu eftté
induit à fe refoudre à TexecuEer, s'il ti'euft
eu quelque marque fi certaine que c'cftoit
Dieu qui le donnoit , qu'il ne peuft eftrc
imputé à aucune autre caufc ? La vifion
àddreflee à Moyfeaubuiflbn , pour l'in-
duire à entreprendre la deiiurance d'I-
fraèl hors de l'Egypte , & fon introdu»
aiondansla terre de Canaan, a deu eftrc
fignaléede mefme. Car comment eft-ce
qu'il cuft peu fe refoudre à vne fi haute
entieprife, &quiauoit defigraridcs dif-
ficultés , s'il n'euft efté bien perfuadé que
c'eftoit Dieu qui luy promettoit de les luy
faire furmonter >. La vifion addr effée a S.
Pierre , rie dcuoit pas eftre moins recori*
hoiflable, pour l'obliger à commencer la
firedication de TEuangile entre les Gen-
50 Difcours fur les
tilSjchofe cotre laquelle les luifs auoycnc
vne très-grande auerfion. L'impreffion
des efpeces intelligibles des chofes dans
l'entendement de Moyfe, & de Dauid,&
de Salomon, ôc de quelques autres enco-
re, oncdçu pareillement auoir quelques
lignes par kfquels elles fe perfuadafTent
pour des vérités diuines, autrement ces
grands perfonnages ne les cuffent pas
débitées comme telles auec vne fi grande
confiance , & n'en euflent pas en leur
particulier receu tant de fatisfaftion. En-
fin 5 les rrouuemens héroïques qui ont
porté Ehud & Phinées aux adions que
rhiftoirc Sainte nous recite d'eux , ont
deu eftre mcrueilleufement fenfibles Se
reconnoiffabless autrement ils ne fe fuf-
fent iamais laiffés aller à faire des chofes
qui euffcnt eflé puniffables , & mefmes
en quelque forte horribles deuant Dieu
& deuant les hommes, fi elles n'eufTent
efté précédées d'vn commandement di-
iiin. Les fonges donques , ont auffi fans
doute eu leurs marques, pour fe faire dif-
cerner d'auec les illufionsnoÊlurnes qui
viennent ou de Timpreflion des mauuais
Anges, ou dts caufcs de la Nature , com-
aae le Jcs ay touchées cy- deuant. Et ils
Songe.< àiuins 51
en ont denauoir par les mefmes rai/ons
que i'ay alléguées à loccafiondes autres
chofes précédentes. Car quand Dieu
commanda en fonge à lofeph de tranf-
porter Icfus en Egypte , ces penlees liiy
pouuôyent venir en rcfpric. Peuc-eftre
que c*eft vne vaine imagination , & vn
vain fantofme de ma fantaifie , qui n*a
point de fondement en la vérité. Peuc-i
eftre que la follicitude en laquelle ie fuis
continuellement pour la conferuationde
ce miraculeux petit enfant , m'a mis dans
Tame cette idée, qu'on le veut faire mou-
nr,encore qu'on n'y penfe pas.Peut-cftre
que c'eft quelque malin efprit , ou qui
prend plaifirà me donner de vaines ter-
reurs, ou qui me veut inciter :^ tirer cet
enfant d'icy , afin que fur le chemin il luy
dreflfe plus aifément des embufchcs. En
vnmot jdiuerfes chofes femblables luy
pouuôyent paiTer dans l'entendement, &
le mettre dans vne grande incertitude de
la refolution qu'il auoità prendre fur ce
commandement. Et neantmoms il pa-
roift par Thiftoire qu'il n'y a pomt du tout
hefité, ce qui monftrc qu'il y auoit vne
merueille-ufc efficace de perfuafion dans
te longe. Q^nddonques nous ne pour-»
D i)
5^ Difcours JïiT les
rions pas maintenant dcuiner d'où cette
efficace de perfuafion dependoiCail doit
pourtant pafTer pour indubitable qu elle
dependoit de quelque chofe bien forte &C
bien déterminée. Mais il faut rechercher
ce que c*eftoit , & c'eft proprement à cela
que cette méditation eft deftinée.
Puis qu'il n'y a que de trois fortes de
fonges : ceux que les caufes naturelles
produifent ; ceux qui procèdent de Tope-
ration des Anges j & ceux que l'appelle
diuins » le plus court chemin pour venir à
la connoiffance de cette vérité ,fera de
monftrer qu'ils n*ont peu eftre ny du pre-
mier ny du fécond rang ; car il s*enfuiura
neceflaircmcnt de là qu'ils doiuent eftrc
du troifiéme. Quant aux fonges naturels,
il me femble qu'il eft bien ailé de lesdi-
ftingucr d'auec ceux qui font de Timpref-
fion diuine. Car i'ay dit qu'il y en a de
quatre fortes, dont les premiers dépen-
dent du tempérament &c de la conftitu-
tion des humeurs: les autres n'ont autre
caufe que le remuement des images des
choies qui fe fait par la chaleur dufom-
mcil : les autres viennent de l'attentiue
application d'elprir que l'on apporte à
quelque chofe en veillant: êc les derniers^
songes dimns. ^j
de quelque paffion de Tame fcnfîciue, qui
fc réueille ou qui s'excite pendant le re-
pos des fens. Or, pour exemple, à la-
quelle de ces caufespourroit-on rappor-
ter les fonges de lofeph ou ceux de Pha-
rao? Quelle marque portent ils du tem-
pérament de leurs corps , ou de la confti-
tution de leurs humeurs ? Quelles idées
des chofes leur pouuoyent elhe demeu-
rées dans la mémoire , qui ayent peu fi
biensadiufterque de voirslVn, le nombre
des gerbes & des eftoiles qu ii vit , & le
Soleil &: la Lune,& leurs inclinations dc-
uant luy ; l'autre, le nombre des cfpics
vuides & des efpics grenus , des vaches
grafles &: des vaches maigres, & l'adion
de celles-cy qui engloutirent les autres?
Qjel fi grand attachement pouuoyent
auoir leurs efprits à quelques occupa-
tions & à quelques foins, que cela leur
peuft mettre dans l'ame de telles re-
prefentations en dormant ? Quelle paf-
fion fe pouuoitémouuoir dans la'Colere
ou dans la Conuoitife en eux , qui leur
peuft configurer des fantofmes de cette
nature? Il y a plus. Les fonges qui vien-
nent de quelcune de ces caufes font tou-
jours irrcguliers 5 & çompofés dcpiecesi
D iij
54 Difcoursjur Us
qui ne s'accordent pas bien les vnes aux
autres, de forte que d'ordinaire il n'y a
rien de plus bizarre ny de plus exrraua-
guaiK. Or ceux de lofeph 3c de Pharao,
&:laftatuè*de Nabueodonofor > & s'il y
en a quelques autres de mefmes en l'Ef-
criture, font fi admirablement bien com-
pofés, qu'il paroift qu'ils ont elle ainfi
adjuftés par quelque caufe tres-intelli-
gence. Les fonges qui procèdent de ces
çaufes naturelles font obfcurs , & ne fc
prefentent à n.os efprits en dormant fi-
non fort confufément , de forte que nous
n*y remarquons rien de diftinû , ou fi
Tvne de leurs parties a quelque netteté
ëc quelque diftinftionjles autres font per-
plexes Se embaraffées. Au lieu que ces
fonges qui nous font rapportés ènTEcrU
ture, font non feulement nets , mais lu-
mineux , Se à les confiderer en leur tout,
Se à les regarder en leurs patties. Les
fonges naturels font fi peu d'imprefliîon
fur nos efprits, que la plus part du temps,
lorsque nous fommes éueillés, nous ne
nous en fouuenons pas : au lieu que les di-
vins demeuroient fermement &conftam-
ment attachés dans la mémoire. Car
quant à ce qui eft rapporté de Nabucodo-^
Songes diuin}: jl
nofor, qu'il auoic oublié fon fongc, ôc
qu'il faluc que Danielle luy rcmiftdans
l'efpric^ cela eft arriué par vnc particuliè-
re difpenfacion de la prouidence & de
la puiflance de Dieu , qui luy ôfta les
idées de fes vifions hors de refpric, afin
de rendre la fapience de Daniel plus ad*
mirable. Durefte, ce Prince fe fouue-
noic fore bien qu il auoic fongé , Se Tin-
quiétude que îuy donnoicfon fonge , le
dcfir paffionné qu'il auoic de le rappeller,
la façon de laquelle il fegouuernaenucrs
fes deuins, & coût ce qu'il fie en cette oc-
currence, monftra bien que cette vifion
luy tenoit merueilleufement au cœ ir , 8c
que mefmes en dormant il y auoit remar-
qué quelque chofe de fingulier ôc de tout à
faic extraordinaire. Si au matin nous
nous fouuenons de ces fonges que
les caufes naturelles produifcntcn nous,
nous les mcfprifons , &c n'en tenons
point de conte non plus que de pures ba-r
gatelles. Au lieu que ceux à qui Dieu
enuoyoit de celles vifions, non feulement
s'en fouuenoyêt tres-di£tinâ:emêt, mais
ils les auoyent perpétuellement dcuanc
les yeux de refpric, quand ils eftoyenc re-
ucillés, &c lesconfideroyent fcommedes
D iiij
jff DifcouY s furies
aduertilTemcnsdiuins ,dont l'intcrprccâ^
i;ion ou reuenemenc les ccnoitd^nsvnc
nierueilleiifc attente. Q^and les fonges
qui procèdent des cd.u(cs de la naturc,ont
j&it quelque imprcffion fur nos cfprits, de
forte qu'ils nous tiennent en quelque fuf-
pens au matin, comme cela arriue quel-
quesfois, nous pratiquonsordinairement
deux chofes. L'vne cft , que nous faifon^
vne attentiuc reflexion defllis , &c les re-
taftons auecfoin, & les confiderons dans
tous leurs tenans &r dans tous leurs abou-
ûlTans 5 &: enfin nous trouuons que ce
n*eft quVne vanité, & qu'ils ont efté pro-
duits par quelcune de ces caufes que nous
appelions naturelles , ^ ainfi nous nous
deliurons de l'inquiétude qu'ils nous don-
îipyent. L'autre eft, que fi nous ne pou-
vons amfi nous en défaire tout à fait, nous *
çn faifonscomparaifon auccles réelles é|c
véritables opérations que nos fens pro-
duifenc alois en veillant , & dans cette
çQmparaifon , toutes les impreflîons que
ïjps fonges ont faites fur nos efprits, s'éua-
«iQujirenr. Car ilen eft à peu prés dece-
k comme de la comparaifon des chofes
quifc reptelentcnt fur le théâtre, autç
celles qui airiuent çffcâ:iuçmem. Tan4lï
Songes diumsl ^f
que Ion void iouè'r vne tragédie , on en
fenc quelque émotion , iufquesà efpan-
dre des larmes. Mais cela touche feule-
ment la fuper ficie de Tame , & cetre émo-
tion ne dure point. Ou fi elle demeure
quelque peu de temps , ce n'eft rien au
prix de celle que caufe la vei c réelle &
des paflîons , &: des aftions , &: des meur-
tres qui fe découurent &quife commet-
tent aduellement en noftre prefence.
Dans les fonges diuins il en eftoit tout au
contraire. Car fi ceux à qui ils auoy ent
cfté enuoyés venoycnt tant foit peu à he-
fîccr fur la créance de leur diuinité , &:
qu'ils fe miflent àlesexaminerattcntiuc-
ment ; plus ils les confidcroyent, & plus
ils les trouuoyent extraordinaires & mer-
ueilleux.Ec quandilsvenoyentàen faire
comparaifon auec les opérations de leurs
fens, ils trouuoyent, ce qui les rauiflbic
en admiration , que celles-cy eftoyenc
moins vrayes,&, s'il faut ainfi dire, moins
réelles, le veux dire que ces diuins fon-
ges faifoyent vne plus forte & plus con-
fiante imprefiion fur les efprits de ceux
qui les auoy ent receus , & qu'ils eftoyenc
plus perfuadés de leur diuinité , que nous
çielQ (oixi.mesde la réalité de loperatioa
jS Dif cours fur les
de nos fens , quand ils fc dcfploycnt en
veillant fur les objets qui fe prcfentent. Ec
laraifonde cela n'eft pasmalaifée à ren-
dre. Ce qui nous faicfentir &: croire que
iiosfcnsagifTentefFediuemenc, c*cftque
les efpeccs des chofcs fenfibles qui les
touchent, pafTenc dans le fens commun,
qui efl: vne faculté fupericure aux fens ex-
térieurs & corporels, de forte qu'elle peu:
îugcr de leurs avions , & des ehofes qui
s'y impriment. Elle peut mefme compa-
rer Taclion de Tvn des fens extérieurs
aucc lopcration dVn autre , & mettre
leurs objets en paralelle , &: f:n conférer
les propriétés & les qualités. Et le iugc-
ment qui refulte de cela dépend, tant de
rimpreiTion que lobjet fait dans l'organe
du fens extérieur & particulier, félon
qu'elle eft ou plus ou moins véhémente;
que delà nature du fens intérieur &: com-
mun , qui efl: vne faculté corporelle , U
vne puiffance de cette partie de Tame
qu'on appelle fenfitiue , de laquelle les
chiens & les cheuaux & les autres ani-
maux font particIpans.Q^ant aux fonges
diuins , rimprcffion s'en eft à la vérité;
faite dans la tantaifie , qui efl aufli vne fa-
culté corporelle , parce que c'eft vn àcs
Songes diuinsl jr5)>
fçns^interlcurs. Mais la reflexion queks
feruiceurs de Dieu onc faice dcffus en
veillant, a eftévne opération de leur in-
tclle£t;quieft vne faculté beaucoup plus
lumineui'e & plus iufte en fes opérations,
& qui encore, dans les Prophètes, & dans
les autres fidelles à qui ces fonges eftoyét
addreffés, eftoit illuminée de l'efprit de
Dieu , pour bien iuger de Tobjet qu'il
confideroitauec vne application attenti-
ue. L'impreflion donques de ces fonges
eftant beaucoup plus profonde en la fan-
taifie , parce qu'elle venoit dVne caufe
furnaturelle,que n*eft celle que font les
objets fenfiblcs en nos fens extérieurs, &:
la faculté qui en confideroic attentiue-
ment &: le tout &: les parties , & les cir^
confiances donc ils eftoyenc accompa-
gnés, eftant beaucoup plus excellente Se
plusexa6teen (es iugemens que ne peur
eftre le fens commun , ce qui en a refulté
a d eu eftre plus parfait à4>roportion,& la
perfuafion de la diuinité de ces vifions,
pluscertaine& plus profonde. Pour ce
quieft des fonges quiont peu procéder de
l'opération des Anges, ils font à la vérité
plus malaifés àdiftinguer d'auecles diuins.
barils ont peu eftre formés plus rcgulic*
'^d Dijcoursfur les
rcment que ceux que Icscaufes naturel-
les onc produits , ils ont peu eftre plus
forcement imprimés dans l'imagination,
ils ont peu y demeurer plus attachés , de
forte qu'on s*en rcffouuenoic mieux
quand on eftoic eueillc ; en vn mot , ils
ont efté beaucoup plus capables de perfua-
dcr qu'ils venoyëcdVn principe extraor-
dinaire.Car l'intelligence des Anges y pa-
roiffoit mariifeftem'enr^tanc en l'arrange-
ment des parties des fonges, où il y auoic
delafymmetrie&dcrart, qu'au lapporc
qu'ils auoyentauec les chofcs à la reprc*
fentation desquelles ils eftoycnt deftincs;
comme nous Tauons veu cy-deffus en
Tcxeraple du fonge de l'œuf & du trefor,
auquel on en pourroic adjoufter beau-
coup de fcmblables.NeantmoinSjil fe faut
içy fouuenir de ce que i'ay dit cy- defTus,
qu'il y a bien de la différence entre les
fonges dont les Anges peuuent auoir efté
les feuls auteurs,» parce que ce quïls con-
tenoyenr, 8c en quoy ils confiftoyenc , ne
paffoit pas; la portée de leur intelligent-
ce ny de leur aftiuité ; Se ceux dont ils
n*ont efté que les infirumens feulement,
pour en former les images dans lafantai^
iiedçsferuitçursde Dieu, fclpn le com-
Sor.ges diuins. 6i
mandement qinl leur en auok fait , & fé-
lon la reaelarionqirf! leur auoic donnée
defes voloniés.CarquantàcespreraierSj
lacomparaifon qu'on en faifoic , en pou-
uoic faire connoiftre la diffc:rence. Ec
cette comparaifon là fe pouuoic faire
principalement à l'égard de ces deux
chofes. La première, que les images que
les bons Anges imprimoient dans lafan-
taifie en dormant , ne tenoyent iamais
rien de l'idolâtrie ny de la fuperftition
des Payens , au lieu que celles donc les
mauuais Anges eftoyenc auteurs , en
efloyent remplies. Car il y auoit toujours
ou quelques reprefentations des faux
Dieux , ou quelque chofe qui conccrnoic
le culte qu'on leur rendoic , ou quelque
autre vifion de cette nature , qui mar-
quoic que l'auteur du fonge vouloit au-
torifer Tidolatrie & la fuperftition. Ce
qui eftoit infinuTient éloigné des inclina-
tions des bons Anges. La féconde , que
les fonges imprimés parles mauuais An-
ges, induifoyent toujours, ou au moins
certes ordinairement , à quelques mau-
uaifes allions, ce que les bons ne font ia-
mais, èc comme ils font exempts delà
tentation au mal, au/Ii n y tentenc-ils i^-
€t Difcourspirles
mais les autres. Cequ'ily pouuoic auoir
d ambigu Se de diiœile en ce difcernc-
jiient,c'cft que làjauflj bien qu'ailkurs,les
Anges de ténèbres fc pouuoyent tranf-
figurercn Anges de lumière, & tafcher
d'impoferà h crédulité des fidèles , en
leur donnant des Congés dont les images
&: la formation ne tinffenc rien de ce vi-
ce dont nous auons défia parlé, &c qui por-
taflfent à des aftions indifférentes en el-
les-mefmes, ou qui cufl'enc l'apparence
d'eftie bonnes , mais dont ils pcuffent
abufer à quelque mauuais deflein. Et le
longe enuoyé à lofeph pour luy com-
mander d'emporter lefus Chrift en Egy-
pte , peut icy feruir d'exemple : car, com-
me i*ay dit , il pouuoit venir en Tenteh-
dement de lofeph, que c'cftoic vneillu-
fion du Malin , qui leur vouloit drefler
des enibufches. Sur cela il y a diuerfes
confiderations à faire. La première eft,
que quelque rufé que foit le Diable, il ne
fecontretaitiamais fi bien , qu'il ne luy
cfchappe quelque chofepar laquelle il fe
fait connoiftre. On dit que lors qu'il ap-
paroift vifiblement en figure humaine,
quelque foin qu'il apporte à fe déguifer, il
y a toufiours quelque chofe dans le fan»
SoYïges àiuins. Cy
tofmcquilc defcoiiure , foit en l'horreur
de fcs griffes, foit en lapguanteur de fon
odeur, foit en quelque autre telle chofe,
qui 5*apperçoit incontinent , &: qui rend
l'apparition effroyable. Si cela eft, ie n'en
fçay rien , &: ne le voudrois pas affir-
mer , quoy qu'il n'efl pas fans apparence.
Mais quanta ce qui efi de fes aâ:ions , &:
des moyens qu'il employé pour tromper
leshommeSjfoitparfonges, foit par voix,
ou par quelques autres illufions , ny fa
propre malice , ny la Prouidence de Dieu
ne permettent pas qu'elles foyent fi abso-
lument femblables aux allions des bons
Anges, qu'il n'y ait aucune marque par
laquelle on les puifTe difcerner. Et ce que
i'ay dit cy-defTus à Toccafion du fonge de
rArcadien,cfl fondé fur la feule relation
que Ciceron nous en a faite. S'il nous
auoic elle rapporté tout entier , &: dans
toute Texactitude de k$ circonflances, i'y
aurois fans doute trouué quelque chofe
qui m'auroit aifemcnt fait iuger s'il doic
cftrc attribué à vn bon Ange , ou à vn
mattuais. C'eft pourquoy i*ofe dire har-
diment que fi ce fongc enuoyé àlofeph
fuft venu de refpric malin , il y eufl eu
quelque chofe de plus que ce qui nous en
G 4, jDifcotirsJurîes
eft rapporté, Se par où ce faini: homme
cuft aifément reconnu qu'il n'cftoic pas
venu d'vne bonneinfpiration. La fécon-
de confiderationefl: , que non feulement
les fongesdonc le-malin eft auteur , onc
necefTairemenc quelque cara6tere d'où
on peut conclurrc leur origine, mais auf-
fi ceux qui viennent de l'opération des
bons Anges en ont fans doute quelque
autre contraire , d'où on infère leur au-
teur. Car naturellement tout cfFeft à
quelqiîes marques de fa caufe. Le feu en
laifleoùil agit, & l'eau là où elle paflc.
Les beftes en impriment dans leurs opc-
rationsj &c les natures intelligentes, com-
me fort les hommes, dans les leurs , Se
généralement toutes fortes de produfkiôs
onc en elles quelques indications de là
nature des chofes d'où elles ont tire leur
origine. Et plus les caufes font excellen-
tes, plus font elles reconnoifTables dans
leurs efFe£l:s, fi ce n'cft que de proposdeli-
beré elles corrompent leur adion , Se
qu'elles fe vueillent déguifer , comme
quand Dauid contrefit le fol ; ce que ne
font iam.ais les Anges. D'où ic conclus
que puifquc c'a eftévnbon Ange qui par
h commajidemçnt de Dieu a apportç
celuy-là
Songea àiuins. iff
celuy-là à lofcph , ( car TElcriturc en
attcfte ouuercemenc , ) il eft fans doute
qu'il eftoic accompagné de quelques ar-
gumcns bien euidens de la nacure de fa
caufe. En efFcdil eft dit premièrement
qu vn Ange du Seigneur ^/y?jr/;/ à lofeph
en Jonge ; puis après qu'il parla à luy di-
fa n c , Leue-toyy é' f'ien le p eût enfant &fi
mère , & t^nfut en Egypte , d^ demeure U
iufquesatantque te parle à toy : Car Hero-
de cherchera le petit enfant pour le faire mou-
rir : où il y a l'apparition, & puis le com-
mandement , & enfin , la raifon qu'il en
allegudic. Quant à Tapparicion, elle n'a
peu fc faire linon en quelque image qui
paroifToit vifible , &: qui repiefentoit la
nature Angélique fymboliquement. Car
cftanc fpiriiuelle & immatérielle comme
elle eft, elle ne fe pouuoit autrement re-
prefenter \ ce faine homme. Or qui peut
douter que cette image-là auoit quelque
chofe de fi fpkndide & de fi radieux,
qu'en la voyant dans le fommeii , ^ en
s'en reflbuuenant après qu'il fut éueillé,
lofephfuttoufiours également raui en ad-
miration de famagnificence? Et quelque
effort que T Ange de tencbrespeuft faire
pour imiter l'éclat dVne telle vlfion,
E
"N
^g ^ifcours furies
pourroit-il approcher dé la gloire de Tâp*
pariiion d'vn ineflagcrde rEternel^ qui
apporcc fcscômandcmens aux humains,
& qu'il a pour cet efFed décoré de quel-
que rayon de fa majefté cèlcfte ? Pour ce
quiefl: du commandemeilc > ilnefe pou-
uoic donner que par Icntremife d'vnc
voix, que lofeph) en dormant , s'imagina
d*ouir , comme il simaginoitde voirvn
Ange enuironné de lumière. Ei ic ne
diray pas icy que les voix des hommes
ont de telles marques de différence les
vnes d'auec les autres , qu'il eft arriuéà
des aueugles , comme les hiftoriens en
témoignent, de reconnoiftrcvn homme
dans la confufion de beaucoup dautres^
aux feuls caraftercs de fa voix , bien qu'il
neTeuffcnt ouiequVne fois. Peut-cfltc
qu'on me repliqucroit à cela , que ces
aueugles auoient fouuent ouï parler d'au-
tres hommes 5 cequilesconduifolt à fai^
lecedifcernement : au lieu que poflîble
lofeph n'auoit-il iamais auparauant ouï la
voixny desbonsny des mauuais Anges,
6^. qu'ainfi il nelespouuoit pas comparer
cnfemblcé Aquoy l'on pourroit encore
adjoufter qu'autre eft la voix réelle ôc
natureik des hommes, &c autre celle que
* Songes dmnSi èy
les Anges forment feulement par reprc-
fcmation dans l'imagination d'vn hom-
jnc qui dore. le diray feulement que
comme l'image de TAngeauoit quelque
cfaofe de particulier en fa majefté & en
fes rayons , fa voix auoit auflfi dans fon
ton, Se dans la nature de fon articulation»
quelque choie de fingulieremem augufte.
Tellement que comme vii démon n'euft
iamais peu arriuer à faire de {oy-mefrac
vne idée qui approchaft de la magnifi-
cence de celle-là, ilnepouuoit noft plus
rcprefcnter de voix qui cgalaft la majefté
ôirautoritcde celle de ce bon Ange. En
fin, la raifon du commandement eftfou-
uerainement remarquable. Car defià
ç'cuft eftévnechofe eftrangeque le Ma-
lin fefuft misen foin de laconferuacioa
de la vie d*vn enfant , de la naiflance du-
quel , à voir les merueilles qui l'accoril-
pagnoyent , ilnepouuoit attendre finon
la ruine de fon empire. Il efl: meurtriei:
des le commancement, 8c s'il pouuoitil
cfl:eindroit dés le berceau tous les enfans
qui viennent au monde , fi ce n'eft qu'il
prcuill de quelques vns qu'ils y viennent
pour la ruine du genre homain, comme
lesNerons ôc lc« Caligules. Et puis, vcu
fi ij
^8 Dîfcours fur les
que fi le petit enfant lefusefloit en quel*
que péril , c*cfl:oit fans doute fous lado-
xnination d'Herodc , qui naturellement
eftoit cruel , qui auoit plus de fujet de
craindre quelque chofe de la naiffance de
cet enfant qu'aucun autre Potentat, &:
qui auoit vn pouuoir abfolu dans ces quar-
tiers-là , fi le Diable euft eu dcflein d'a-
bufcrlofeph de quelques illuCons, l'euft
il induit à fe tirer du lieu où il eftoit pour
s'en aller en vn autre ? En quel lieu
pouuoit-ilplusefpererde dreffer fes em-
bufches auec fuccés contre lefusCfarift,
qu en celuy où il eftoit , par manière de
dire , entre les ongles dVn lion , ou dans
lacauernedVne befte furicufe ? Latroi-
fieme confideration eft , qu'il paroift ma-
nifeftement que lofeph fut viuement
perfuadé de la diuiriité de cette vifion>
puis que fans aucune délibération, aufli-
lofc qu'il fut cueille, il fe leua , & prit l'en-
fant, & s'enfuie en Egypte, lamais les
fonges qui nous viennent des feules caufes
de la nature, ne nous portent à aucune
adion, &: nous craindrions qu'on nous
tint pour fols, fi nous entreprenions quel*
que chofe de tant foit peu important à la
iollicitâtion d*vn fonge.Les fonges mef-
Sentes êiuîns. €9
mes quî pcuiienc Auoir quelque chofe de
plus vifôc de plus efficace que les naturels,
êc qui à cetcc occafion peuuenc eftre attri-
bués à q<ielque efpric, donnent bien ds
l'inquiciude & de refperance ou deTap-
prehenfion , mais n'induifent iamais à
prendre aucune refolution en chofes de
confequence , fi ce ne foni des efprits mé-
lancoliques,&r des cerneaux mal timbrés.
II faut donc neceflairemenc , puis que lo-
feph, qui eftoit vn homme fage, s'eft porté
fiproncement à l'exécution de ce com-
mandement, qu'il ait eftécres-certaine-
ment perfuadé qu'il eftoic de reueiation
diuine. Car quand lefuseuft efté fon en-
fant, il n'euft pas voulu prendre vne telle
refolution légèrement. Beaucoup naoins
certes Teuft il fait eftant qucllion de ce-
luy duquel il auoic eu l'honneur d'eftre
choifi depoficaire. Or toute telle per-
fuafion vient neceiTairemcnt de l'vne de
CCS deux chofes. Ou bien l'entendement
trouue d'abord dans fon objet desargu-
mcns fi irréfragables de fa vérité , qu'il
n'y refte aucun lieu à la délibération , 8c
qu'il fe détermine abfolumenc de ce coftc
là i ou quand ces argumens ne fcroienc pas
cki tout fi clairs U fi puiffans que de forcée
E iij
70 Difcotifs-fur les
amfi rintellcQ: à embrafler ect ol>;eta
Dieu, parlapuiffance ineomprehenfiblq
de fon efprit,le détermine fi efficacement
de ce cofté- là, qu'il eft impoffible qu il y
rcfifte. Ce detniereft le moins ordinai-
re en la conduite de Dieu. Mais quandi
il arriue, c'eft vne preuue indubitable que
Tobjet dont il s'agit eft véritable & diuin.
Cariln'ype'itauQir que Dieu qui domi-
ne ainfi dans Tentendemcnt d'vn homma
fage & vertueux , Se qui lencline ainfi
puiffamment &c fans rcfifter à vne crean-i
ce & à vne refpluiion , encore qu'il ne
voye pas dans fon objet des raifons tout
à fait proportionnées; à rçfFcÊt qu'il fent
cnfonamc. Tellement que (i lofephîat
cfté porté de cette façon là à l'exécution.
de ce commandement , il a eu dans fe&
propres mouuemens , Se dans la determi-^
nation extraordinaire de fon entende-»
ment, vne preuue très euidentedeladi-
uinitéde fon fonge. Le premier eft fans,
doute le plus ordinaire û le plus naturel.
Car ce qu eft Taymant au fer, cela mefmc
eft la vérité à Tintellea ; qui s'y porte
auec vne extrême rapidité ^ & s*yattachQ
infeparablement , s il la voidtres-claire*
ment , & par des demonfiratioiis eui-w
Songes diuim] yt
dentés se irréfutables. Si donc lofeph a
cfté perfuadc par ce moyen-là , il a des
yeux de fon entendement veu de telles
marques de la vericé 6c de la divinité de
fon objet, qu'il l'a creu plus certainement,
que les chofes corporelles qui fe prefen-
toyent à fcsfens, neluy eftoyent recon-
noifTables.
Quant aux fonges dont les Anges ont
peu élire les inftrumens , mais dont ils
n'ont abfolument peu eftre les auteurs, ils
onteftc merueilleufementaifés à diftin-
guer d'auec tous les autres. Car outre
que comme i^ay défia dit, tout efFed tient
de la nature defacaufe ,&^que lescaufes
lesplus excellentes s'imprimentadraira-
blement dans leurs efFeiSs , de forte que
foit mediatement , foit immédiatement
que Dieu enuoyaft ces fonges, tant y a
qu'ils deuoyent porter quelque indice
indubitable de la puKTince de Dieu, vne
feule chofs efloit capable de les tirer fans
difficulté hors du pair de tous les autres:
c*eft qu'ils contenoyent des choies qui
paflbyent la portée de Tinielligence
des hommes^ Dans l'entendement de a ^ ^
quipouuoit-il tomber qu^ lofeph par- A^^
uiçndroic à cette grandeur que fes fonges,
E iiij
71 DifcouYs fut les
luy ont promile > Quelle intelligence
créée pouuoic deuiner qu'il y auroïc en
Egypte fept années de fertilité &: d'a-
bondance , 6c en fuite fept autres années
dVne efpouuantable ftcrilité , comme
Pharao le vit dans les fiens ? Car ie veux
que les Anges ayent beaucoup de coh-
noifTancedes caufesdela nature, deux fi
notables euenemens , fi rciglésS^fi con-
ftans 5 chacun pour i'efpace de fept ans,
pouuoyent-ils eftre pénétrés, enuelop-
pés qu'ils eftoyent fi obfcurément &fî
auant dans les replis d'vne Prouidence
tout à fait particulière ? QilS' ^^^^cnde-
ment humain , ou quelle ciairuoyancc
Angélique pouuoitdefcouurir &:la fuite,
& la difîemblance , & la durée , ôc la fin
de tous ces empires qui font continués les
vnes dans \^s autres dans la fl:atuë de Na-
bucodonofor? Quelle conjedure pouuoic
arriuer à dcuiner ce que prefageoit la
pierre coupée fans mains, & ce qu'elle de-
uoitôd faire èc deuenir, comme la mef-
me vifion de Nabucodonofor le repre-
fente ? Et s'il faut icy dire quelque chofç
^ . - de la vifion de lacob, aucun , ie ne diray
-^^ pas des hommes , mais des Efprits mef-^
liiesquimontoyenc ô^qui defcendoyçaç
Songes àiuins. 7^
fur Tefclielle qu'il vie en dormant, eftoiç-
il capable de deuiner.fi Dieu ne le luy re-
ueloic excraordinairemenr, que cela re-
prefentoicquele Meflîe viendroic quel-
que iour, qui feroic la paix entr^lacerre
& le Ciel, $c qui reftabliroic la commu-
nication entre les hommes Se Dieu par
l'cntremifedes Anges? Et quant aux pro-
mefTes que Dieu , qui fe tçnoic fur le bout
de Tefclielle dans le Ciel, fit ouïr à ce Pa»*
triarche , elles eftoyent claires à la véri-
té , & fans aucun ombrage d'allégorie ny
de fy mbole myfterieux,mais elles eftoyéc
auflîde chofes fi eiloignées, qu'il n'y auoic
que Dieu fcul non plus qui en pcufl pre*
uoir & prédire l'eucnement. De forte
que cette vifîon eftoit tout à faitdiuine.
Voila qui eft bon , dira icy quelcun : ces
fonges ont paru diums quand ils ont efté
entendus, ou quand ils ont efté confir-
mée par les euenemens. Mais nous re-
cherchons icy comjnent ils l'ont peu eftre
par ceux à qui ils ORt efté enuoyés , auanc
l'interprétation, & par la confideration
des fonges mefmes. Diftinguons donc
encore les fonges , les interprétations qui
en ont efté quelques fois données par Izs
feruitcursde Dieu , cômelofeph Se Da-r
74 'Bifcours furies
niel ; & les euenemens. Erpour com-
mencer par la confideration des eucne-
mens.il eftcerrainque quand ils ont efté
vne fois arriuésjils ont mis la diuinitédes
vifîons (y.ii les reprefentoyent , dans vne
pleine euidence. Car pour ne parler
point de la ftatuè de Nabucodonofor,
qui a préfiguré des chofes fi éloignées
que tous les Anges enfemble ne les pou-
uoycntdeuiner, pour ne m'arrcfterqu'à
ceux de lofeph, & de Pharao, & des offi-
ciers de fa maifon , qui eftoyenc en prifon
auec lofeph, qui eft-cc qui après les auoir
veusfi ponduelleraent accompils, euft
peu tant foit peu douter qu'ils ne fuf-
fent de reuclation diuine ^ Maiscen'eft
pasde cela dont il s'agit maintenant. Pour
ce qui eft des interprétations, il eft certain
que ces admirables rapports qui fe font
rencontrés enrr'elies & les vifions mef-
meSjOntdeudônervn fingulier eftonne-
ment à ceux qui les ont ouïes, mefmes
auant les euenemens. Car c^s rapports-là
nepcuuenteftreariiuésparhazard, puis
qu'il y parolffoit* vne fi exafte intelligen-
ce. Auffi void-on que Nabucodonofor
en a eft:c raui en admiration , & que Pha-
rao en a cfté tellement pcrfuadé, que faas
Songes dium. 7j
autre confnltation, ilefleiia lofcphà vne
tres-hauie dignité) aiiec vnpouiioir fou-
uerain dedifpoferdes affaires , Se parti-
culièrement des reuenus de l'Egypte À fa
volonté y pour fe precautionner par la
prouifion de la fertilité des fept premiers
ans, contre ladefolation que dcuoit eau-
fer la ft::riliié des fcpt autres. Mais ileft
vray qu'il ne s'agir pas encore propre-
ment de cela non plus ; Se que la diuiniié
de ces vifions a deu paroiftre dans elles-
mefmes. Il faut donc remarquer de la
différence entre les fongesquiportoyent
des commandemens cxprés,comme ceux
qui ont efté addreffés à lofeph , Se aux
Sagesqui vinrent faluer noftre Seigneur;
Se ceux qui confiftoycnt fimplcsnent en
j?cprefcntaiion fymbolique Se allégori-
que des chofes futures. Ceux là ont deu
auoir des caraderes treseuidens ôf tres-
indubicablesde leur diuinité, autrement
ils n'euffent pas aflcs efficacement înduic
tes feiuiteurs de Dieu à obeïr : ceux-cy
ne requeroyent pas abfolumcnt vne fi
grande efficace. Et neantmoins il tft ccr-
uin qu'ils en ont eu afliés pour imprimer
dans Tefprit de ceux qui les ont veus,cet-
icpcrfuafion, qu'ils eftoyent venus d'rn^
y 6 Difcours fur Us
caufe extraordinaire & diuine. lofeph le
témoigne a (Tés par rempreflement qu'il
monftre à raconter les fiens -. c'eft à dire
qu'il y voyolt quelque chofe qui le tou-
clioic bienfcnfiblement. Les officiers de
la maifon de Pharao en font de mefme
des leurs, & témoignent qu'ils ne les pre-
noyentpas pour des illufions téméraires.
Et Pharao paroift encore plus viuemenc
ëi plus profondement émeu desfiens, eu
égard à la peine qu'il fc donne pour en
auoir l'intelligence. EnefFed, pour ne
repeter point ce que i'ay defia dit des
moyens par lefquels la diuinité des fonges
enuoyés d'enhauc, peut eftre difcernée
d'auec la vanité de ceux qui procèdent
des caufes de le nature , ( quoy qu'il faut
icy fe fouuenirde tous ces caraderes qui
les difcernentj ic dis qu'il n'y en a eu au-
cun de cette forte-là , qui n'ait deu don-
ner à ceux qui les ont veus , vn eftonne-
ment extrême. le commenceray par la
confideration des moins illuftres , pour
venir par degrés à ceux qui, le font plus.
Le fonge de l'Efcbanfon fut qu'il luy fem-
bloit qu'il voyoit vn fep deuanc luy.
Qî^'au fepilyauoit'troisfarmens, d'où il
iprioit des boutons qui vouloyent croi-
Sonies diums. yj
ftre &: fleurir. Qu'au mefme temps les
grappes fleurirent , & amenèrent leurs
grains à maturité. Que la coupe dePha-
rao eftoit en la main de l'Elchanfon , Se
quilprenoit lesraifins& les preflbic, dz
les efpreignoit dans la coupe, 8>c qu*il la
mettoît en la main de Pharao. le vous
prie, nos longes, qui viennent ou d||ki
conftitucion de nos corps de de nos mi-
meurs , ou de Tagitation de nos fcns in-
térieurs par la chaleur du fommcil , ou de
Tapplication de nos efprics aux foins ôc
aux occupations delà vie , ou de l'émo-
tion denospaflTionSjfontils ainfi,&:d'vn
cofté emblématiques, & de l'autre cofté
réguliers, pour prefencer en leurconfli-
tutiondesfymbolescompofés de tant de
parties, qui s'entretiennent les vnesaux
autres auec tant de proportion ? Qjc Cî
vous venés à ioindreà cela aue cet em-
blême ainfi diiiinft Se articulé, eftoit d'ail-
leurs vif, lumineux, profondément en^=.
praint dans l'imagination , Se touchant,
vous ne trouuerés nullement eflrange
qu'il ait paffé dans l'entendement de cet
Echanfon pour extraordinaire Se pour
celcftc.Maisileut bien plus de fujet d'en
auoir ceccc opinion, quand fon compa^
7 s Difcaursfurles
gnon le Paneticr, luy raconta aumatîit
qu'M âuoit auflî fongé la mcfnic nuit, qu'il
y auoic trois corbeilles blanches fur fa
tcfte; & que dans la plus haute corbeille
il y auoit de toutes viandes du meftier de
bouIanger,pour Pharao,& que Ics.oifeaux
lesmangeoyent de la corbeille qui eftoic
fi|||a tefte. Car cette rencontre dauoir
fohgé tous deux en mcfme temps , ôc veu
des vifions rares en leur conformarioni
proportionnées en leurs parties,fymboli-
quesj fans doute, en leur fignification,quî
fe rapportoy et chacune à Toffice de celuy
qui auoit fongé , qui conucnoyenc au
nombre deirois, quoy quelles differaf-
fent d*ailleursen de r>otablcs circonftan-
ceSi enfin, qui les auoyent tous deux exf
traordinairemcntcmeus,cetcercncontrfj
di-je , ne pouuoic auoireftéainfi difpen-
fce que par vne caufe intelligente &ce-
Icfte. Tellement qu'il ne faut pas s'cfton-
tier fi la perplexité que ces vifions leur
mirent dans Tefprit , parut au matin ega^-
lement dans le changement de leurs viN-
fages. Les fonges de Pharao auoyenc
encore quelque chofe de plus précis &de
plus iufte dans la fymmetrie de leurs par»-
ties. Sept ieunes vaches d*vn cofté ^ fepc
Songes diums. 79
ieuncs vaches de l'autre : Tembon-
poinc de celles-là , la maigreur de celles-
cy : la beauté des grafles, la laideur hi-
deufe des maigres : Taftion des vnesqui
dcuorenc les autres & les engloutiffcnc, Se
tout cela fans raeflange d'aucune autre
chofe bizarre ou excrauagante, comme il
arriue ordinairement en fohgeant, & fans
aucune circonftancc d'où Pharao peuft
inférer qu'il y euft en cela rien qui tint le
moins du monde ny de fes foins, ny de fes
partions , ny de la confticution de fes hu-
meurs, ny de fon tempérament, cftoic
vnc chofe fuffifantc pour ietter d'abord
de l'admiration 3c de la perplexité dans
fes penfées Et de fait , ce qu'il eft dit qu il
s'«ueiliafurcefonge^là,monftrequ'iira>^
ùoit viuement touché :car lesfonges qui
nous cmeiïuent beaucoup nous éueillent.
Neantmoins pour la première foisPharao
ne s'en clFrayc pas , & il reprend fon fom-
meil cômeauparauant.Maisquand vn au-
tre vifiô fcmblablc à la precedcnre,Iuy fait
voir d vn codé fcpt efpics, beaux & gre-
nus, Se deTautre , fept elpics minces Se
fleftris du vc,nt d'Orient, & que les min-
ces & fleftris engloutiflent les beaux U
pleins , alors il ne doute pas que ce n«
2o T)ïfcouts Jur les
foit Dieu qui parle à luy par ces rispreferi-
tations, de forte que fon ame s'en épou-
iiante. Et véritablement ces deuxvifions,
prefentées ainflcoup fur coup , eftoyenc
trop clairement myfterieufes pour ne
caufcr point de rauiflement. Ceux de
lofeph me paroiffent encore plus ad mi.
râbles. Il void premièrement les gerbes
de fes frères qui Tenuironnent , & qui fc
profternent deuant la ficnne; ce qui auoit .
Vnc fignification fi claire que fes frères
l'entendirent d'abord. 11 void puis après
en vn autre fonge le Soleil & la Lune, 3c
onzeeftoilles, quife profternent deuant
luy : ce qui contenoic encore la ttiefmc
chofe dans vn emblème fi illuftie &c fi
glorieux, que quand il vient aie reciter,
non feulement fon pereTentend , mais il
s*en choque, &c ilTen tanfe. Soit donc
que lacob àc. fes autres enfans creuffent
àu'efFeôiiuement lofeph euft ainfi fongé,
loic qu*ils loupçonnaflent qu'il auoit con*
trouuécela,!! paroiftbicn manifeftement
qu'ils reconnoiffbyent que cela nepou-^
uoit cftre procédé que de l'opération de
quelque intelligence. Car le hazardne
pbuuoit auoiradjufté les parties de IVne
ny de l'autre de ces vifions , beaucoup
moins
Songes diums, 8/
nioins les euft-il peu fi biê accorder toutes
deux cnfemble. Cela donques pouuoic
fuffire pour leur faire croire que ces fon-
ges eftoyencfurnacurels. ^Mais il y auoic
quelque autre chofe encore qui dcuoic
faire croire à lofeph qu'ils eftoyent diuins
3c celeftes. Sa confcience luy rendoit té-
moignage qu'il eftoit vuidc^d ambition:
ôr quand il en euft fenti quelque pointe
& quelque chaleur, ce n'euft pas efté pour
defirer la domination fur fes frères. Beau-
coup moins la defiroic-ilfur ceux qui Ta-
uoyent engendré : car c'efl: vn defîr mon-
ftrueux &C qui paiTe les bornes de la natu-
re. Mais quand il auroit eu de fî prodi^
gieufes eleuations d'efpric,que de fouliaitn
ter de deucnîr fi grand que fon père Se fa
merefeprofternairentdeuantluy,oii eft-
ce que (on imagination feroit allée en
dormant chercher le Soleil 8>c la Lune 8c
onze eftoiles précifément , pour luy pre-
fagercet empire > Ceft chofe extrême-
ment rare que dans les fonges qui n'ont
point d'autres caufes que celles de la Na-
ture , on s'imagine voir le Soleil. Car il y
à toufiours quelque chofe de fort téné-
breux dans CGs vifions hofturnesV Mais
quand cela arriueroit beaucoup plus fou-
$1 DifcoUYs fur les
uenr, le voir en cet eftatcrhumiliation,
& la Lune, & onze eftoiles , pour rcpre-
fenrerceque cefonge figuroic, c'efl: vne
chofefiloin au deffusdece quelescaufes
naturelles ont accouftumé de faire , que
ce feroic vne impertinence toute mani-
fefte que de le leur imputer. Enfin , les
fonges deNabucodonofor font encore à
mon aduis en quelque forte plus ma-
gnifiques. Caril futpr^fentéàrimagina-
tion de ce Prince vne grande ftatuè,donc
la fplendeur eftoit excellente, SiTappa-
renée terrible. La tcfte de cette ftatuë
eftoit d'or tres-fin ; fa poitrine ôc fes bras
eftoyent d'argent, fon ventre & fes han-
ches d'airin. Ses iambes eftoyent de fer,
&: fes pieds en partie de fer & en partie de
terre. Apres cela il luy parut vne pierre
qui fe dellacha elle-mefme dVne mon-
tagne, fans en eftrc coupée par la main
d'aucun, qui vint en roulant heurter la
ftatuè en les pieds en partie de fer &:en
partie de terre , & les brifa. Et alors
furent cnfemble brifés le fer , la terre,
Fairin, l'argent & l'or, & deuinrent com-
me de la paille cft en vne aire pendant
TEfté, quand il y furuient vn vent impé-
tueux qui l'enleue , & qui la diflîpe ça &:
Songes diuiris. sy
là : tellement que toutes ces matières
dontlaftatuccftoitcompoféejs'euanouï-
rent &c ne parurent plus. Mais quanrà la
pierre qui auoit frappé la ftatuë , elle de-
uint vne grande montagne , Se remplit
tout rVniucrs. Mettons à part inter-
prétation de cette vilion, &: ncconfide-
rons point les chofes qui y font defignées.
Regardons feulement la vilion en cllc-
melme , & voyons Vil cfl: iamais riea
tombé de femblable dans l'entendemenc
humain. Certes l'idée d'vne telle ftatuc
eft fi belle ; la variété des métaux Se des
matières quilescompofent, fi remarqua-
ble i la continuation desvns de ces mé-
taux aux autres fi admirablement fuiuie;
la pierre qui la vient heurter omettre en
pièces , & la façon dont elle y vient, fi
extraordinaire Se fi furprenantc -, ion
accfoiffement fi miraculeux j & en gêne-
rai tout l'air de cette reprefentation cfl fi
majeftucux Se fi grand , que cela ne pou*
uoit venir en l'imagination des hommes
s*iln'y eftoit enuoyé d'enhaut. Afleuré-
mcnt Tentendemcn^de Thomme eft trop
petit, pour feruir de moule où vn fi grand
&fimagnifiqueôuuragefeforme.Et Tcf-
ïtù. que cela produifoit en Tefprit de Nà-
F ij
S4 TDifcom s furies
bucodonofor cfl: merueilleufemenc con-
fiderable. C eftoic vn Prince, Se ceux de
cette naiffance & de cette dignicé-là font
moins aifés à cmouuoir par les chofes
extraordinaires. C'eftoit vn grand Mo-
narque &vn Conquérant : & cette forte
de Princes a lespenfées plus vaftes & plus
cfleuées que les autres. C'eftoit entre les
Monarques & les Conqueransvn hom-
me plein de l'opinion de fa grandeur , ce
qui luydeuoif faire trouuer & en veillant
& en dormant toutes chofes ou petites ou
vulgaif es.Quand il fut cueille de fon fom-
meilil ne fe fouuenoic pas de la vifion ;
& quand lios fonges fefont éuanouïs de
nos efprits, l'émotion qu'ils nous auoyent
caufée à Theure que nous les voyions , a
accouflumé des'appaifer & des*éuanouïr
demefme.Etneantmoins, quoy qu'il ne
Juy fufl: demeuré dans la mémoire aucu-
ne trace de fon fonge, finon qu'il auoit
fongG, quand il le déclare à fesdeuins, à
fes Aftrologues , ôc à fes Mages, il dit que
fon efprit en eft i^mzuxi pafmé y & lapaf-
fîon qu'il a der'attrapcrce qui luy eftoic
échappé, pour tafchcr d'en auoir l'inter-
prétation ,luy fait faire à tous ces gens là
des menaces U des dénonciations ex-
^ Songes dîHtns. gy
traordinairesôc terribles. Ds forte qu'il
faut neceflairemcnc que fon ame cuft
Tenti en cette vifion quelque chofe de
diuin , qui produifoic en luy vn defir û
paflîonné d'en auoir l'intelligence. le ne
di rien de la vi/Ion de lacob , parce qu'el-
le parle afles d'elle- itiefme.Gertesles pa*
rôles qu'il y ou'ic luy promcttoyenc des
chofes fi magnifiquesjôi fi haut eleuées au
deflus de la puilfance de Thomme ^ &:
mefmes de la preuoyance de fon enten-
dement :"4e ton de la voix deceluy qui
parloic àluyeftoit fi majeflueux &:fiau-
gufte dans fon imaginationirimage d'vnc
cfchcUe qui touchoit de la terre aux
cieuX, fur qui roontoyêt &: defcendoyenc
les faints Anges , & fur le haut bout de
laquelle cftoit la reprefentation de Dieu
mefme en figure vifible & humaine,com-
me vn prefage de la future incarnation
dcChrift j tout cela, di.je , auoit vn air
fi racrueillcufemêc grand & fi glorieux, &:
lacob en fut tellement touché de reue-
rence, d'admiration , &: de frayeur, qu'il
s'efcria que ce lieu-là auoit quelque chofe
de terrible, & qu'en voyant cette vifion,
ilauoic efl:é mis comme furie fuei! de )kl
Maifon de l'Eternel, & dans le veftibule
F ii;
^^ . 2) ifcours furies
âcs cieux. Ce qui nionftre bien que ce
fongc auoit fait en luy vne toute autrç
impreffion,que ne font ceux qui viennent
descaufesde la Nature. le croy donc
auoir déformais fuffifatnment examiné
cette queftion , de force qu'il ne me refte
plus à refoudre que la troi'fieme.
loël auoit prononcé cet oracle tou-
chant le temps de Taduenement du Mef-
lîe. // aduiendra es derniers iours , dit Dieu ^
ijHe ie re/pandray de mon Ef prît fur toute
chair 5 é" vos fils prophetijeront , Ç^ vos filles
aufiyd^vos ieunes gens ^verront des 'vijïens^
Ô' 'VOS anciens fongc ront desfonges . Et pour
'vr^iy en ces iours- là ie re/pandray de mon EÇ-
prit fur mes feruiteurs & fur mesfèruantes^
doht ils prophetifcront. Etieferay des cho-
fès merui ilkufes ai{ ciel en haut, &fgnesen
terre en bas , fang & "vapeur de fumée. Le
Soleilferacbarjgé en ténèbres ,^ la Lune en
fang , deuant que ce grand & notable ïour du
Seigneur vienne. De ces paroles du Pro-
phète , fans qu'il foit befbin d'en piodtii-
re d autres, il eft clair qu'à l'aduenement
du Me/îie , Dieu deuoit enuoyer vne
grande abondance de fon Efpric fur fon
Eglifc,qui rendroic prefquc communs
vniuerfellemenc à tous les fidelles ces
Songes diumsl 87
dons extraordinaires & miraculeux de
Prophétie , de Vifions, & de Songes, que
Dieucômuniquoic autrefois a quelques-
vns feulemenc. De fait , les Apoftres
onc appliqué ce pafTage à l'enuoy du S.
Efprit qui fut fait le iour de la Pentecofte,
& l'expérience des chofes vérifia en ce
temps-là cres-aucenciquemenc la vérité
dececoraclede loèl. Car c'eftvnechofe
mcrueilleufe de l'abondance & de la va-
riété des dons que Dieu verfa fur les
Ghreftiens au premier eftabliflemencdu
Chriftianifme , de forte qu'il en remplie
non feulement les Apoftres , Se les Pro-
phètes, & les Euangeliftes,&: lesPafteurs,
& Do6teurs , & les Diacres encore , 6c
généralement tous ceux qui auoyenc
quelque charge publique en l'Eglife,
mais encore quantité de perfonnes parti-
culières, fans aucune difFercfi^e d'aage,
de fcxe, ny de condition. Et Thiftoire des
Aftes des Apoftres auec ce qui nous
rcfte de celle du fiecle qui les fuiuit , en
rendent vn autentique témoignage. Mais
il y a icy outre cela deux chofes confide-
rabieS' La première , qu'il femble que
cetCepromeire,à regarder Temphafe des
termes cfquels elle eft conceuè , ne boc-
F iiij
Si Di/cours fur les
ne pas fon éxecution au temps de la naît
fance de TEglife, Se à cet ou fîx vingtsans
après, mais qu'elle l'eftend à tous les fie-
cles du Chriftianifme , iufques à leur
confommation. Car il fe fait icy oppofi-
tion des temps de l'Euangile aux temps
delà Loy, &:parconfequent, cefemblc,
de toute la durée dVne difpenfation , à
toute la durée de fautre. La féconde,
que nonobftant cela , on void par cxpe-
liencequeces dons miraculeux de TÈf-
piicdeDieuont ce (Té il y a long- temps:
tellement que depuis plufieurs fieclesen
ci on n'en void aucune trace en l'Eglife
Chieftienne. Car tout ce qu'on en a dit
ôc efcrit depuis douze cens ans , eft ou
merueillcufement furpe£t,ou tout à fait
faux ou fuppofé , & plein de vanité Se
d'impoflure. Comment donc accorde-
rons nous cette expérience auec cet ora-
cle > Pour le faire , Se pour nous frayer
^nfi le chemin à la folution de la que-
^ ftion que ie traitte maintenant , il faut à
monaduis faire icy quelques confidera-
lions. Premièrement il eft certain que ce
que Dieu a promis par fes Prophètes, de
donner vnegande abondance de fon Ef-
prit au temps de la reuclation du Meflîçi
Songes àmins] 85>
doit auoir fon accompliflement depuis le
premier aduenemenc de Chrift iufqiies
au fécond : mais commenc cela fe doit
exécuter, ceft vne chofe qui mérite vne
confideration vn peu actcntiue. Bien que
ces paroles de loël fcmblenc ne defigner
finon les dons de l'ETprit qui ont quelque
chofe d'extraordinaire &: de miraculeux,
fi eft-cc que fous cela eft aufli compvife la
promefle des dons ordinaires qui con-
fident en l'illumination de l'entende-
ment des fidelles ; en la connoiflance de
la vérité celefte ; en la confolation, en la
fané^ification , en Tefperance, en la pa-
tience dans les tentations ôc dans tes af-
flictions , & en toutes les vertus Chre-
fl:iennes. Car ceferoit peu de chofe que
Dieu euft promis abondance de dons qui
font miraculeux à la vérité , mais qui
d'eux mefmes ne produifent pas neceflai-
rementlc falut,&:quil euft laifle en ar#
riere ceux qui font feulsfalutaires. De fait,
c'eft de la mefme façon qu'il faut entendre
cet autre oracle d'Efaïc. V oïcl vofire J^ieti'
'viendra l:!j/-mcfme,& vous deliurera. Adonc
les yeux des aueugles ferera ouuerts , & les
oreillisdcsfourdsjeiom détouffées, Adonc
famtera le boiteux comme le urf'.é' l^ Ungue
;o Dif.ouf s furies
du muet chantera en triomphe : car les eaux
fourdront au defert , ^ Us torrens au lie»
folitaire, Cai'il eft bien vray que ces pa-
roles ont vnfens propre & literal , quia
eu fon accompliffement à la venue de no-
flrc Seigneur. Mais il en a aufli vn allégo-
rique & figuré , qui regarde les donsfalu-
taires,&: qui concernent refpcit , donc
raccôplifTemcnc à traie pendant tous les
temps de TEglife. Puis après, il eft enco-
re certain que laraifon pour laquelle ces
dons miraculeux font difertement fpe-
cifiés en cet oracle. Se les ordinaires &
falutaircs non , c'efl: que ces promefTes
fontconceucs en termes qui font accom-
modés à Tair de la Difpenfation légale.
Car fous cette Economie-là les fidclles
connoifToyent bien à la vérité que tout le
bien qui eftoit en eux venoit de Dieu , &:
ilsluy en donnoyent la louange. Moyfe
niefine Tauoit ainfi enfeigné, & les Pfeau-
nies de Dauid font pleins de cette recon-
noiffance. Mais neantriioins ils ne fa-
uoyentpas bien diftindement que cela
vint de quelque opération particulière de
latroifiecneperfonne delà Diuinité, &
rEfpricdeFoy, TEfprit de Confolation,
FEfprit d'Adoption, l'Efprit deSanûifi-
Songes' dimns. 5>i
cation, cftoyent des termes inconnus aux
fidelles de l'Eglife ancienne. Tcllemenc
que iufquesàDauid, qui a commencé à
dire quelque chofe de l'Efprit de Dieu,
en ce qui touche la fanftification , aucun
n'auoit encore ainfi parlé, & après luy ces
cxpreffions ont efté rares. Au lieu qu'il
n'ya rien d% plus ordinaire dans lesliures
du Vieux Teflamenc que d'attribuer à
l'Efprit de Dieu les vilîons , les reuela-
tions des Prophètes , les dons extraordi-
naires & miraculeux qui efclattoyent &
qui donnoyenc de l'eftonnement : iuf-
ques-là que l'itiduftrie particulière qui
fut donnée à Betfaleel & à Aholiab, pour
trauailleren toute forte de broderie pour
la conftrudion du Tabernacle d'Aflîgna-
tion , eft nommément attribuée à Teiîî-
cace de TETpric de Dieu, dans les liures de
Moyfe. De fait, les dons ordinaires de
l'Efprit de Dieu , font beaucoup moins
eclattans , &: donnent beaucoup moins
d'admiration que les extraordrnaires.Car
ceux-là font tellement intérieurs qu'ils
nefe manifeftent que dans les aftionsde
pieté, de charité & de fandificaiionjqui
font ordinairemet fort tempérées &forc
régulières , &: qui à ne les regarder pas de
p^' DifcouTsJuf le}
prés,ne femblêc procéder d'autre principe
que de ccluy dVne bonne &c droite rai-
fon. Au lieu qucceux-cy ont vn efclac
quidonne tellement dans les yeux, qu*à
en voir les effets il n'y a perfonne qui ne
iuge qu'ils procèdent d'vnecaufe furna-
turelle & celefte. Et cette diiFerence
eftoic d'autant plus grande fops TEcono^
mie de la Loy , que les dons ordinaires y
eftoyenc moins libéralement diftribués.
Se que les vertus qu'ils produilbycnt
eftoyent plus obfcures& moins fréquen-
tes qu'elles ne font maintenant : & au
contraire, les dons extraordinaires & mi-
raculeux y eftoyent beaucoup plus com-
muns , &:conuenoyent mieux au génie
de cette difpenfation-là , parce qu'elle re-
tenoit les efprits , non tant par la con-
noiffance de la vérité , comme fait celle
de maintenant, que par l'admiration de
lapuifTance de Dieu , & par Teftonne-
ment que donnoyentles chofes furpre-
nantes&: prodigieufes. Delà, pour troi-
liemeconfideration, refulte la connoif-
fance de la manière en laquelle cette
promeffe de loèl Se fes femblables ont
deu eftre exécutées. Car il a bien fallu à
la vérité qu'au commencement du Chri-
Songes dinins j?5
flianlfmc , noftrc Seigneur ait rempli fon
Eglifcdcces dons miraculeux qui y font
fpecialcment defignés i 8c deux raifons
entre les autres le conuioyent à le faire.
LVneque cestermesdont les Prophètes
s'eftoyentferuis, auoyent rempli les ef-
prits des homes de l'attente de ces dons
là,5cquefi leurattente euft efté fruftréc
en cet egardjils en euffent receu du fean-
dale. Afin donc qu'on ne trouuaftrien à
redire en raccompliffementde ces illu-
ftres predidions , Dieu a voulu rendre
lescommencemens de la prédication de
{on Euangile fignalée &c admirable pat
ces chofes merueillcufes. L autre , qui
cft la principale, eftquele premier cfta-
blifTementde fon Euangile auoit necef-
fairement befoin de la maniTcftation de
TEfprit en chofes tout à fait émerueilla-
bles : parce qu'autrement il n'euft pas
ruiné Tempire deSatancommcilafait,&:
n'eufl: pasvaincu la refiftance qu il auoic
à trouuer dans TempireRomainaSc parmy
toutes les autres nations de U terre. Car
la prédication de la Parole,&: Toperation
des miracles , & la diftribution de ces
dons exttaordinaircs de TEfprit ; ont efté
le* ailes fur lefquelles TEglife ^ efté por-
^4 Difcours fur les
tée en toutes les contrées du monde.C'cft
pourquoy T Apoftre ioint ces deux chofes
enfemble en l'Epiftre aux Hebrieux,
quand il die que Wfaiuî ayant fremierement
commencé d'cfie annoncé parle Seigneur,
nous a efté conJiYmé par ceux qui lauoyent
eut : T>i€u en outre leur rendant témoignage
farjignes, ^ miracles , c^ dmtrfes vertus^ é*
difi ri butions du S. Efpit félon Ja volonté.
Mais comme après que l'Euangile a efté
vne fois planté en la terre , de forte qu'il a |
peu s'y conferuer par la feule prédication, \
laneceflité des miracles ayant cefféjrvfa- \
ge en a ceffé de mefme ; ces dons extra- -
ordinaires du S. Efprit ont ceffé pareille- *
ment , parce que rvfage n'en a plus efté \
neceifaire. Parce moyen, l'exécution de !
cette promefle de locl, entant qu'elle a i
dcu s'eftendreàtous les temps deTEglis \
fe Chreftienneiufquesàleur confomma*» \
tion,a efté reftreinte aux dons ordinaires \
de i'Efprit de Foy , de Confolation, &de ?
Sandification, qui|en efFeû fe diftribucnt 1
incomparablement plus libéralement )
fous cette difpcnfationjqu'ils ne faifoyent î
fous l'Economie légale. le croy donques,, ^
pour venir enfin à la rcfolution precife !
de la queftion, qiul faut encore icy dit
Songes dimns. 9^
ftingucr entre Icsfonges diuins, Angéli-
ques, & naturels. Car quant à ces lon-
ges diuins qui font deftinés à prédire les
chofesàvenir , fous Tembleme de quel-
ques reprefcntations allégoriques , ou à
donner quelques commandemens aux
hommes pour les porter à des chofes
extraordinaires , & où il faut vne au^
îorité diuine pour les entreprendre Se
pour les exécuter , i'eftime que le
temps en cft abfolument pafTé , Se
que ceux qui s'en vantent font ou des
fourbes, qui veulent abufer le monde par
des vifionsfuppofées, pour feruir à leurs
propres interefts , ou des fols , qui ont le
cerueau trouble par les vapeurs de leurs
hypocondres. Car nous ne femmes plus
fous la Difpenfation légale, fous laquelle
ces chofes- lâont eu proprement leur lieu:
ny dans les commencemensde l'Eglifc,
où elles ont efté neceffaires pour fon
cftabliffement. Et s'il m*efl: permis de
dire icy mon fentiment de certaines gens
de IVn ôc de l'autre fexe , qui en Pologne
ôc en Allemagne fe font vantés de quel-
ques viiions celeftes en ces derniers
temps, à la vérité le ne les accuferay pas
Ci',impofture , parce qu*on leur a rend»
$ë Difcours fur tes
d'aflcs beaux témoignages de pieté , mais
ioferay bien dire qu*en leur fait il y a eu
quelque tranfport d'entendement , qui
vcnoic d'ailleurs que dVne caufcdiuine.
C*onc cfté des gens qui en partie par de-
iiotion ) en partie par quelque trop gran-
de curiofité, fe fontextraordinairemenc
attachés à la lefturcdc rApocalypfe éc
des autres Prophéties. L'affiduité ôc Taf-
fcélion qu'ils y ont apportée, leur ayanc
imprime dans la mémoire les idées des
chofes qu'ils y ont vcuès j Se les copies de
ces admirablement beaux tableaux , où
les cuenemens à venir font reprefentés,
leur cftant demeurées peintes dans l'éf-
priE, deux ou trois chofes font furuenucs
qui ont contribué à leur perfuader que
leurs fongcs , & les chofes qu'ils ont creu
voir en quelques efpeccs d'exftafesoùils
font tombés, eftoyent de réelles & ce-
leftes vifions. Premièrement ils fe font
laiffés emporter aux cfperanccs de ceu5^
qui attendent dans quelque temps vne
grande profperité pour l'Eglife de Dieu
en la terre, & vn terrible renucrfemenc
de tous les Eftats & de toutes les puiflan-
ces qui s'oppofent maintenant à Tcfla-
bliffement du règne de Chrifl; & ce qu'ils
defiroyent
Songes dluins. 97
dcfiroyent aucc beaucoup de zefe & de
padion, ils fclc font aifcmcnc imaginé
comme indubitable. Card'vn coftcdi-
uers textes de l'Ecriture ont extérieure-
ment l'apparence défaire de telles pro-
meffesà TEglife de noftre Seigneur :& de
Tautrec'eftune des foibleffes del Efpric
iiumain,que de fe perfuadcr volontiers les
chofesdontona enuie. Aptes cela l'hu-
jneur meIancholique,quidominoit en eux
naturellement , les aiBi£fions & les cha-
grins qui leur font veflus tant des afFaires
publiques qui n'alloyent pas bien à leur
contentement , que des particulières qui
ne leur rioyent pas non plus , les ont ren-
dus fufceptibles de toutes les imaginai-
lions qui leur monftroyent Tefperance
de leur deliurance ou de quelque foulage-
inent. Enfin, leurs corps mcfmesfefont
trouués tellement affcâés des pailîons
de leurs efprits, &de la qualité des hu-
meurs qui predominoyent en eux, qu'ils
en font tombés en quelques indifpofi-
tions atrabiliaires,que tout le monde fçaic
eftre capables de fort efti anges accidens.
Soit donc qu'ils s'endormiiTcnt fimple-
ment, ou qu*en veillant ils fuflent furpris
de quelque cranfport de leur fanwifie,'
G
^8 DifcouTs fiiT les
dans lequel il fe fift abftraôion de leur
amedauec le commerce de leurs fcns,
( car cela arriue quelques fois dans les ma-
ladies que caulenc les hypocondres) ces
images Apocalyptiques fc font puiflam-
ment remuées en eux, &: ont fornaé dans
leur imagination ces prétendues vi-
fîons qu'ils nous ont depuis débitées. A
quoy fe peut eftre mellée quelque opéra-
tion desmauuais Anges , quichcrchenc
toutes les occafîons imaginables de trom-
per Sclesiains & les malades, & qui ont
aidé à lier enfemble &: à peindre ces rc-
prefentations dans le ccrueau de ces pau-^
ures gens. Auffi a t- on veu de la plufparc
par expérience , ou que ces images qu'ils
ont veucs das leurs prétendus enthoufiaf^
mes, ne fignifioyent rien du tout , ou que
fi elles fignifioyent quelque chofe , la va»
nité & la faufleté en a efté refutée par les
euenemcns. Quant à cts gens d'Outre-
rher qui fe vantent maintenant de reue-
lations, dcvifionsjd'mfpirationscelcftes,
de vertus extraordinaiies du S. Efprir,
d*exftafes Se de rauiflemcns , & qui par
leurs tremblemens veulent reprefenter
les mouuemens des enthoufiaftcs & des
Prophètes, iem'cftonnerois merueilleu-
Son^tis dmfis. ^f
fçmentfid'honncftcsgens & bien fenfés
fupporcoyenc leurs frenefies. L'efprit
du Seigneur Icfus Chrift cft vn Efpric
d'intelligence, & de prudence , & de fens
raflis,& non vne fumée qui rempiiffe les
cerueaux creux d'imaginations tene-
breufes & bizarres. La Grâce de l'Euan-
gile mec les puifTances de Tcfprit de
l'homme dans vne conftitution fagc , &
& qui donne de la ioyc au dedans, ^
de l'édification au dehors, & h'expofe
point la vraye religion à la rifée de fes
cnnemis;&aufcandale des gens bien fen-
fés, par des geftes indeçens & des mouue-
mens hétéroclites. Pour ce qui eft des
fongesqui peuuent venir fimpîementdc
rimpreflîon des Anges, ie ne voudrois
pas nier qu*il ne s en vift encore mainte-
nant quelques exemples. Car quant aux
mauuâis , ils fe peuuent mefler dans les
illufions qui arriuent aux hornmes en
dormant , foit pour tafcher dé leur im-
primer quelques fauffes opinions en ma-
tière de religion, & les incliner à la fuper-
ftition , foit pour enflammer dauantage
leurs partions ^ & y mettre plus de defor-
dre. Et pour le regard de* bons, encore
que la dilpenfation de la Loy, fous laqueît
G ij
joo TDîfcours fur ks
le ils eftoycnt employés, mefnies dansles
chofcsqui concernoyent la religion , foie
paffée, fieft-ce qu'ils font toufiours de-
meurés les miniftres &lcs inftrumensde
laProuidcncedeDieu, en ce qui regarde
la vie ciuilc, & la focieté humaine,& prin-
cipalement la protcftion des fidèles, Se la
dcfenfc de l'Eglife de noftre Seigneur.
Cômc donc il peut arriuer qu'ils apparoifc
fent quelquesfois aux homes en veillant,
auffi n'eft-il pas incroyable que Dieu ne
les employé de temps en temps pour
donner quelque aduertiflemenc par les
fbnges. Il y a quantité d'exemples de
Tvn &c de l'autre dans les liuresdc ceux
qui ont fait des recueils des chofes ex-
traordinaires Se mémorables , que l'on-
peut aller chercher là. l'ay ouï dire à
feu Monfieur Cameron , pcrfonnage
dont la mémoire fera en éternelle benc-
di6tion dans nos EglifeSjqu'ilauoit appris
<fe la bouche de Monfieur de Calignon,
Chancelier de Nauarrc, homme de fin-
guliere vertu , vne choie fort notable qui
Itiy cftoit arriuce en Bearn. Il eftoit allé
en quelque bourg de la campagne , foie
pour fon diuertill'ementjOu pour quelque
raifon qui regaidoit fa fanté 5 car il
Songes dîuinsl loi
fie me fouuicnc ny du lieu Hydeloccai
fion de fon voyage. Vne nuit, comme
ildormoiCjilentendic vne voixq'-iiTap-
pelloitpar fon nom, Calignon. S'eftanc
eueillé làdeffus , iSc n ayant rien ouï da^
uancage, il s'imagina qu'il auoic fongc , 5c
fe rendormie. Peu après il ouïe encore
la mefme voix qui repctoic , Calignon:
ce qui fie vne plus grande imprcflîon fur
fon efpnc qu*il n'auoic faic auparauant.
Car s*eftanc eueillé , il eueilla aufli fa
femme, qui eftoic auprès de luy, & luy die
cequiluyeftoic arriué : tellement quMs
furent tous deux afTés long temps eueil-
lés, attendant fi cette voix recommence-
roicàfe faire ouïr , & fi elle diroic quel-
que chofedauantage. Enfin la voix leré-
ueilla pour la troifiemefois , en TappeU
lant parfonnonijô^l'aduertit de plus de
fe retirer bien proncement de ce bourg,
&c d*en emmener fa famille , parce que
dans peu de iours la pefteferoit d'horri-
bles rauages dans ce lieu là. A quoy il ad-
jouftoit qu'il s'cftoit parfaitement bien
trouué d'auoir obeï , parce qu*cfFc£tiue'
ment , peu de iours après , la contagion
fc mit dans le bourg, &y tua beaucoup
deperfonnes. Ce fut , lans douce, vn
G iij
ïot DifcouY s furies
Ange qui parla à luy , & qui par Tinr
duàion de la bonne Prouldence de
Dieu, le tira hors du pcril qui autrement
luy cftoic ineuitable. Car foit que la
pefte vint de la* corruption de Tair , ou
qu'elle priftence lieu-là par la commu-
nication de quelques peftifercs, ou que
lés forciers filles empoifonncurs, comme
on dit qu'ils le font quel qucsfois,euflent
refolu dépandre-là quelques venins ,
c'eftoit chofe qui ne paflbit pas la mefuré
delaconnoiflTancede Tintelligence d'vn
Ange. Or fi ces bien- heureux efprits, qui
font deftinés à la garde desgens de bien,
leur donnent de viue voix de tels aduer-
tilTemens par le commandement deDieu,
ils leur en peuucoc bien donner, félonie
nieime commandement , par l'entrcmife
des fônges.L*hiftoire du temps de nos pcl*'
rçs attefte fi hautement de la venté de cçM
luideLouys de Bourbon, Prince de Con*»
dé, qu ô ne le peut pas reuoqucr en doute.
Peu auaht la iournée de Dreux , il fongea
qu'il auoit donc trois batailles Tyne après
l'autre, où il auoit gagné la vi£l:oiré&
où fes trois grands ennemis eftoyent pé-
ris. Mais qu'enfin il auoit eftéaufliblefTc
à mort > & qu'après les auoir mis lesvns
Songet âtuinC \o}
far les autres , il auoic efté luy-mefmc
cntafle fur leurs corps morts. Ce qui fuiuic
cft remarquable. Car leMarcfchal deS.
André fut tue À Dreux: le Duc deGuife»
François de Lorraine , à Orléans : le
Conneftable de Montmorency", à S.
Denis : &: c'eftoit la leTriumuirat qu*on
difoit qui auoic iuré la ruine de ceux de la
Religion, Ô^ la perce du Prince. Enfin
luy mcfme fut tucàBaffaCj corne fi c*eu(l
efté vne fuite de morts & de funérailles.
Bien qu il y ait quelques circonftances
dans le fonge qui ne s*accordent pas en-
tièrement auec fon accompliflement *
comme ce qu'il s'imagina que fes enne-
mis m3urroyent en trois bacailless car le
Duc de Gaifc mourut autrement , & fuc
aflaffiné par Poltrocj Se ce qu'il creut qu'il
y eftoit toufiours demeuré viftorieux^
car il fut luy mefme pris à Dreux, & on
luy concerta la gloire delà viftoire de S»
Denis, ôi on creut qu'à BafTac ,outrela
vie , il auoit encore perdu la bataille ; en
gros pourtant cette vifion ne laiffa pas
d'eftce admirable , 6c elle a efté recon-
nue pour telle àcaufedeces grands eue-
nemens. Il y pouuoic donc auoir quelque
chofe de naturel à Tegard de h formation
G iiij
JOJ^, Difcours fur Us^
de CCS images dans la fantaific de ce Prin^
ce. Car ayant, comme il auoitj vn tem-
pérament ds lion , & eftanc nourri à la
gLierre, 8>c commandant vne armée , il
poiJiioit bien fonger des batailles à la veil-
le d'vn fi furieux combat. Et luy-mefme
fembloit afleslereêonnoiftre, quand eu
racontant fa vifion il vfa de cette préface:
lefçay bien q^ il ne faut point s^ arrefler aux
fonges , mais jî faut il que te vous die ce que
taj ioy/gê cette nuit. En efFcâ:, vn homme
qui parle ainfi témoigne affes^dVn coftc
quecefonge luy paroifToic extraordinai-
re , & qu*il auoit fait imprcflion fur fon
efprit, &:de Tautre, qu'il nelercconnoif-
fou pas pour abfolument furnaturel , puis
quM doutoic en quelque façô s'il en deuoic
faire quelque conte. Mais neantmoins,
vn Ange, à qui Dieu auoit laiffë entre-
voir quelque chofedufuccés de ces guer-
res ciuiles , & de la nn de ces Capitaines,
auoit bien peu s'y meller par fapermif'
fîon, à deflcin de donner quelque aduer-
ciffementà cePrincè. Cc^r il en pouuoic
recirer cette vtilité,ou de nes'opimaftrer
pas 1 la guerre, s'il vouloit euiter la mort,
ou de s'y préparer ferieufement àmefu-
^e qu'il voyoic i^% ennemis fortir de la
Songes âtuinsl xof
vie. Ec IVne & l'autre 4c ces cbofcs eftoic
digne d'vn bon Ange , qui auoit foin de
la vie de ce grand Prince , & mefme de
fon falut. Oa raconte pareillement diuer-
fes chofcs mémorables de gens qui furenc
fauués du maflTacrc , par les aduertifle-
mens de quelques fongcs, qui, s'ils fonc
vrais, comme le nevoy point de raifon^ii
iiable fuiet d'en douter , ne pouuoyenc
venir que des Anges , tant ils font pleins
d'intelligence , & arriués à point nom-
me. Mais mon intenrton n'eft pas tant de
rapporter icy des hiftoires , que de faire
fur cecte matière des côfîderations Theo-
logiques ,oij qui dépendent du raifonnc-
ment. Et la conciofion que i'en tire cft
que Dieu ne s*eft pas lié les mains , pour
ne donner iamais de tels aduerciflemens
aux hommes , quoy qu'il le face affés ra-
rement. Ily a pourtant icy vne obferua-
tionàfaire C'eftquccommequandil cft
queftion de miracles qui peuuent eftre
faits par le miniftere des Anges ( car cha-
cun fçait qu'il y en a quelques- vns qui ne
peuuent cftre faits que par la feule poif-
fance de Dieu) on examine foigneufc-
ment s'ils ont eflé faits par les bons ou
parlesmauuais , afin de nefc laiflcrpas
,*""'
tfig Difcoufs furleÈ
abufcrpar lafcduftion de Terreur, il cft
auffi befoin d'apporter beaucoup decir-
confpedion à luger de ces viiions noâur-
nes. Toutes lesadkionsdes hommes font
ou bonnes en ellcs-mefmes, ou mauuai-
fes de leur nature , ou indifférentes &
entremoyennes entre le bien & le mal.
Si donques quelque tel fonge nous in-
duifoic à vne bonne aftion ,& dont il ne
peuftrcuflîr aucun mauuais euenemenr,
il ne nous deuroit pas eftre fufpefl:: mais
ilferoic abfolumentà condamner & à re-
jetter, comme vneillufion du Malin, s'il
nous pôrtoit à vne mauuaife. Et pour
ce qui eft des indifférentes , les circon-
ftances qui les accompagnent ayant ac-
couftuméde les déterminer, l'en croirois
pluftoll la prudence & la charité , qui
doiuent eflre reigles vniuerfelles de nb-
ftre conuerfation, quiiene ferois l'indu-
ftion & la perfuafion dVn forge. Et
neantmoinsoùla prudence & la charité
s'accorderoyent auec vne extraordinaire
vifion, i'aduouèquefindudion m'enfc-
roitfort confiderable. Enfin , pour ce
qui eft des longes qui procèdent des cau-
fes de la Natuae , il me femble qu'en ex-
pliquant d'où ilsprocedent, i'ay affés défi
SoYlgi
jes imini. loy
crié leur vanicé. C'eft fans doute vnc
gianie foiblefle d'efptic , ou vne fuperfti-
tion fort in Jignc des Chreftiens, que de
s'yarreftcr tanc foie peu, pour en conjc-
£tarer l'aduenir , ou pour y fonder des
refoFudons de la moindre importance du
monde, l'ay feulement à donner icy deux
adtjeriiflTemens , donc 1 vn regarde la
fancé du corps , &: l'autre celle de la-
me. le di donc pour le premier, que bous
pouuons bien regarder à nos fonges,
quand ils nous peuuent fournir quelques
indications de la conftitution de nos
corps : afin que s'ils marqaent quelque
vice dans noftre tempérament, ou quel-
que defordre dans nos humeurs , 8d s'ils
nous menacent ainfî de quelque indifpo-
ficion,nousy pouruoyions par le régime
de la Médecine. Et pour le regard du
fécond , fi de la frequen ce de certains fon-
ges, &: de leur mauuaife qualité, nous
pouuons reconnoiftre que nous foyons
enclins à quelques paffions vicieufes,
(quoy que cela fe connoift beaucoup
mieux par les aftions que nous faifons en
veillant , que par les vifions qui nous ar-
riuent pendant le fommeil) nous caf-
chions de les corriger par la Morale
lof 7)ifcoursfurlef
Chreftienne. Enfin , puis que comme
les Philofophcs lonc remarqué, la qua-
lité des fonges eft vn indice , non de
laconftitutionducorps feulement, mais
auffi de celle dercfptit, & que les plus
vertueux ont les fonges les plus fages &:
\ts plus tempérés , chacundoit s adonner
foigneufement à la vertu, à la tempéran-
ce, & à la fobrieié, pour n'eftre pas im-
portuné d'imaginations turbulentes.
Voila , Monfieur & très- honoré frerc>
leschofcsqui me font venues en l'efprit,
^quand aux heures que i'ay peu dans mon
voyage , ie mejuis mis à méditer fut ce
fujet. Si d'autres affaires ne m'enauoyêc
cfté le loifir , &: fi ie ne m*€n allois à d'au-
tres trauaux que i'ay promis & que l'on
defire de moy depuis long temps, i'aurois
apporté plus'de foin & plus d cftudeàce
petit ouurage. Ce que i'ay peu faire ça
efté deTacheuerjàquoyie doutois aucu-
nement depouuoirparuenir quand i'ay
mis la main à la plume. O uel qu'il foit ie
le vous donne de bon cœur, &reflime-
ray bien-heureux s'il reçoit voftre ap-
probation : parce que celle que vous re«
ceués du Public, doit rendre voftre té-
moignage fans reproche. le vous de-
Songes diuins. \o^
mande, Monfieur , Taffiftancc de vos
bonnes prières cnuers Dieu , non pas feu-
lemenrà ccqu'il me hce la grâce de met-
tre à cfFeftdiuers dcfleinsqu*il m'a don-
né de former pour refclarciflcment de
fa reriié : mais principalement que no-
nobftant les trauerfes que Ton me donne,
il me fortifie de fon bon Efprit en ma
courfe, pour la paracheuer à fa gloire, & à
l'édification des gens de bien. De ma
part ie le prie de tout mon cœur qu'il
vous comble de fes meilleures benedi*
âions , & fuis inuiolablemenr,
MONSIEVR ET TRES-
Ho norb'Frbre
Voftre très- humble , & tres<i
obeïfTant feruiteur.
AMYRAVT^
DeSaumur,
ce 1. de Tan
1659.
ERRATA.
Pag. j.lig. i7.//Wj-auecque.p.ii.I. 4.///C
les vnes. p. ly. 1. 14. ///T les aùares. p. 40.
1. II. ijf.y incicoit. p. 71. 1. ip./i/Tvns dans-
p. 74 L 14. ///T accomplis, p. 76.!. 3. /
car c'eft à dire. p. 88. 1. 18. li/. faux
fappofé.
l
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