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Full text of "Electre; tragédie d'apres Sophocle en trois actes et en vers par Alfred Poizat"

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ELECTRE 

TRAGÉDIE    D'APRES    SOPHOCLE 
EN  TROIS  ACTES  ET  EN  VERS 


représentée   pour  la  première   fois   au   Théâtre-Français 
le  4  février  1907. 


DU  MÊME  AUTEUR,  A  LA  MÊME  LIBRAIRIE 

Le  Cyclope.  Drame  satyrique  imité  d'Euripide,   en  deux  actes  et 
en  vers,  i  volume i   ff •  50 

La  Dame  aux  lévriers,  i  volume 3  fr.  50 


CHEZ  ALPHONSE  LEMERRE 
Âvila  des  Saints,  i  volume 3  f"".  50 

(Couronné  par  l'Académie  française.) 

Le  Pervers  sentimental,  i  volume 3  f""-  5» 

(Couronné  par  l'Académie  française.) 

CHEZ  EMMANUEL   VITTE 
Poètes  chrétiens,  i  volume 4  fr, 

POUR  PARAITRE  PROCHAINEMENJ 

Figures  de  la  Renaissance. 

Histoire  des  papes  (traduite  de  l'allemand)  de  Pastor. 


ALFRED   POIZAT 


ELECTRE 

TRAGÉDIE    D'APRÈS    SOPHOCLE 
EN  TROIS  ACTES  ET   EN  VERS 


Deuxième  édition 


PARIS 

LIBRAIRIE     PLON 

PLON-NOURRIT   et  C",    IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

8,     RUE    GARANCIÈRE    6' 

1907 

Tous  droits  réservés 


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Tous  droits  de  reproduction,  de  Iraduclion  cl 
de  représentation  réservés  pour  tous  pays. 


MADAME   LOUISE   SILVAIN 

a   l' incomparable  Electre, 

aux   accents  de  laquelle    ont    tressailli 

les  mânes  de  Rachel  et  de  Clairon. 


Cette  pièce,  protégée  par  le  plus  grand  poète 
dramatique  de  ce  temps,  par  Edmond  Rostand, 
avait  été  d'abord  reçue  au  théâtre  Sarah- 
Bernhardt. 

L'auteur,  ne  pouvant  obtenir  qu'elle  fût  jouée 
dans  les  délais  qu'il  s'était  assignés,  la  présenta, 
sur  les  conseils  de  son  ami  Jean  de  Mitty,  à 
Mme  Silvain,  qui,  aidée  pour  la  mise  en  scène 
par  son  mari,  en  donna,  le  5  juin  1905,  une  repré- 
sentation privée  au  Nouveau-Théâtre,  de  la  rue 
Blanche. 

M.  Poizat  fit  appel  au  concours  de  ses  amis  et 
put  réunir  ainsi,  à  côté  des  maîtres  de  la  critique, 
des  personnalités  comme  les  duchesses  d'Uzès 
et  de  Brissac,  les  Rohan,  les  La  Rochefoucauld, 
les  Monteynard,  les  Primoli,  les  de  Baye,  les  de 
Pommairols,  de  Bouchaud,  Rey,  Méric,  Mme  de 
Maillefer,  MM.  de  Guigné,  de  Bellaigue,  Paul 
Harel,  Mme  et  Mlle  Mesureur,  Paul  Musurus- 
Bey,  Ch.  Castellani,  Guerre,  de  Mandat-Grancey, 


de  Blois,  de  Ségur,  etc.  Pierre  Biétry,  ramené 
en  civière  le  matin  du  terrible  guet-apens  de 
Nantes,  s'y  rencontrait  avec  le  grand  helléniste 
Desrousseaux  et  Mme  Séverine.  Mme  Gaston 
Japy  y  représentait  son  mari  grièvement  blessé, 
la  veille,  à  Nantes.  M.  Claretie  avait  délégué, 
pour  le  représenter,  M.  Prudhon,  qui  fit  un 
rapport  très  favorable. 

A  la  suite  du  succès  de  cette  représentation, 
il  en  fut  donné  une  seconde,  le  13  août  1905,  au 
théâtre  de  la  Nature,  à  Cauterets.  M.  Dujardin- 
Beaumetz,  le  très  noble  et  très  dévoué  sous- 
secrétaire  d'État  aux  Beaux-Arts,  y  assista,  et 
depuis  lors  il  prit  cette  tragédie  sous  son  haut 
patronage. 

Lui-même,  se  souvenant  qu'il  était  peintre,  en 
daigna  dessiner  le  projet  de  décor,  si  magistra- 
lement exécuté  par  M.  Jusseaume. 

M.  Léon,  chef  d'orchestre  du  Théâtre-Fran- 
çais, a  composé  pour  Electre  ces  admirables 
motifs  antiques,  que  le  public  a  si  fort  goûtés. 


DISTRIBUTION  DU  THEATRE-FRANÇAIS 

LE  GOUVERNEUR MM.  Silvain. 

ORESTE Albert  Lambert. 

ÉGISTHE Ravet. 

CLYTEMNESTRE Mmes  Dudlay. 

CHRYSOTHÉMIS Lara. 

ELECTRE Louise  Silvain. 

i  Madeleine  RocH. 

CHOREUTES 

'  Lherbay. 


DISTRIBUTION  AU  NOUVEAU-THEATRE 

LE  GOUVERNEUR MM.   Victor  M.\gnaï. 

ORESTE J.  Hervé. 

EGISTHE Chambreuil. 

ELECTRE Mme  Louise  Silvain 

CHRYSOTHÉMIS Mlle  Thési  Bogros. 

CLYTEMNESTRE Mme  L.  Marbeau. 

LE  CHŒUR Mlle  Dermoz. 


ELECTRE 


ACTE   PREMIER 


SCÈNE   PREMIÈRE 

LE  GOUVERNEUR,    ORESTE.    PYLADE 

LE    GOUVERNEUR 
Voici  donc  le  pays  que  tu  voulais  revoir, 
A  l'horizon  que  couvre  au  loin  son  casque  noir, 
D'Argos  surgit  là-bas  la  haute  citadelle 
Et  toute  la  campagne  est  dans  l'ombre  autour  d'elle. 
Voici  le  bois  d'Io  qu'enveloppe  la  nuit, 
La  place  Lycienne  oii  seul  le  vent  bruit 
Et  le  temple  d'Héré  qu'un  pâle  jour  éveille... 
M  y  cènes,  où  partout  le  regard  s'émerveille 
Du  lointain  Orient,  portique  fabuleux. 
Etale  devant  toi  son  palais  monstrueux. 
Ces  murs  ont  arrêté,  dans  leur  course  éclatante, 
Les  chevaux  du  soleil,  cabrés  par  l'épouvante. 
C'est  ici  qu'on  tuj  ton  père  et  que  roula 
Par  les  marches  son  cjrps  immense;  et  c'est  par  là 
Qu'aux  sanglantes  lueu  s  des  torches  de  résine, 

I 


Au  son  lugubre  et  mou  de  la  hache  assassine, 
Qui  rythmait  tous  vos  pas  dans  l'affreux  corridor, 
Surgit,  presque  enfantine  entre  ses  cheveux  d'or, 
Electre,  dont  les  yeux  s'emplissaient  de  mystère. 
Des  vengeances  des  dieux,  simple  dépositaire, 
J'ai  gardé  ton  enfance,  Oreste,  et  t'ai  sauvé 
Pour  l'ouvrage  de  mort  qu'ils  t'avaient  réservé. 
Et  maintenant,  il  faut  agir,  l'heure  est  venue. 
Avant  que  ta  présence  ici  ne  soit  connue, 
Pendant  que  chacun  dort  encor  dans  le  palais. 
Des  détails  du  complot,  convenons  sans  délais. 
Le  temps  presse;  la  nuit  va  replier  ses  voiles, 
Car,  dans  le  ciel  profond  où  meurent  les  étoiles. 
Commence  à  resplendir  la  face  du  Matin. 

ORESTE 
O  mon  cher  compagnon,  l'âge  n'a  donc  atteint 
Ni  ton  lucide  esprit  ni  ton  mâle  courage? 
Aussi  ferme  au  conseil  que  solide  à  l'ouvrage, 
Toujours  jeune  de  cœur,  toujours  vert,  jamais  las, 
Tu  ressembles  à  ces  vieux  chevaux  de  combats 
A  qui  le  moindre  bruit  fait  dresser  les  oreilles  ! 
Les  âmes  de  ta  trempe  ont  bien  peu  de  pareilles. 
Et  maintenant,  écoute  avec  attention  : 
Reprends-moi  si  je  t'en  donne  roccasion. 
Tu  connais  comme  moi  le  texte  de  l'oracle  : 
«   La  Ruse  et  le  Secret  conduiront  sans  obstacle 
Le  bras  de  la  Vengeance  au  cœur  des  assassins.  » 
Le  sens  est  clair,  conforme  à  mes  propres  desseins. 
Donc,  saisis  le  moment  d'entrer  dans  leur  demeure; 
Observe  de  ton  mieux  ce  qui  s'y  passe,  et  leurre 
Du  récit  de  ma  mort  ces  étranges  parents. 


Nul  ne  reconnaîtra,  sous  le  masque  des  ans, 

Le  visage  effacé  du  nourricier  d'Oreste. 

Ces  couronnes  de  fleurs  les  tromperont,  du  reste. 

Dis-leur  que  la  Phocide  est  ton  pays;  dis-leur 

Que  le  Destin  jaloux  m'a  brisé  dans  ma  fleur 

Et  qu'ils  ne  verront  plus  Oreste  qu'en  leurs  songes. 

Tous  deux,  avidement,  ils  boiront  tes  mensonges. 

Or,  pendant  ce  temps-là,  Pylade  et  moi,  pieux, 

A  mon  père  versant  du  vin  pur  et  des  vœux. 

Ensemble  ayant  coupé  nos  longues  chevelures, 

Ferons  à  son  tombeau  de  mouvantes  parures 

Avec  notre  jeunesse  éparse  en  leurs  toisons. 

De  ce  chêne  abattu,  nouvelles  frondaisons. 

Puis  nous  te  donnerons  cette  infernale  joie 

Ma  mère,  de  serrer,  enfin,  comme  une  proie. 

Les  restes  de  ton  fils  en  cette  urne  d'airain  ! 

Mais  toi  qui  si  longtemps  me  portas  sur  ton  sein, 

En  ne  retrouvant  plus  en  tes  bras  que  ma  cendre, 

Compareras-tu  pas,  ô  toi  qui  me  fus  tendre. 

Le  poids  de  ma  poussière  au  poids  du  souvenir? 

Un  autre  hésiterait,  peut-être,  à  se  servir 

De  ruses  en  mauvais  présages  si  fertiles  ; 

Moi,  sans  m'embarrasser  de  craintes  puériles, 

Par  les  ombres  des  morts  me  frayant  un  chemin. 

Du  fond  de  mon  tombeau  fictif,  j'espère  enfin 

Rebondir  pour  la  vie  éclatante  et  la  gloire 

Et  laisser  de  ma  trace  ici  quelque  mémoire  ! 

O  dieux  de  mon  palais,  gardiens  de  ce  seuil, 

Reconnaissez  Oreste  et  lui  faites  accueil. 

Car  je  suis  le  Vengeur  promis  par  l'Euménide 

Et  du  sang  paternel  l'odeur  ici  me  guide. 


A  l'œuvre,  maintenant.  Toi,  Pylade,  suis-moi, 
L'occasion  s'approche  et  rôde  sous  ce  toit  ! 
ELECTRE,  au  jond  du  palais 
Malheureuse  ! . . . 

LE    GOUVERNEUR 
Avez-vous  entendu  cette  plainte? 
C'est  une  voix  de  femme  et  qui  sort  de  l'enceinte 
Du  palais... 

ORESTE 
Dieu!  serait-ce  Electre?  Entendez-vous? 
Elle  marche,  elle  vient  ici...  L'attendrons-nous? 

LE   GOUVERNEUR 
Non!  Les  Heures  au  loin,  l'une  à  l'autre  enchaînées, 
Emportent  dans  leur  vol  divin  nos  destinées. 
Les  vivants  ont  le  temps  d'attendre  :  allez  aux  morts  ! 
Appelez  leur  sagesse  et  leur  force  en  nos  corps  ; 
Nous  en  aurons  besoin. 

(Ils  sortent.) 


SCÈNE   II 

ELECTRE.   —  Le  Choeur 

ELECTRE 
O  porteurs  de  lumière, 
Dieux  brillants  et  légers,  c'est  moi  qui  la  première. 
Apparue  avec  l'aube  et  debout  sur  ce  seuil, 
Effrayante  me  dresse  et  marche  dans  mon  deuil. 
Et  reprenant  ici  mon  poste  de  pleureuse, 


D'un  cœur  infatigable  et  que  la  haine  creuse, 

A  jamais  à  la  mort  vais  hurler  sans  repos. 

Car  la  hache  a  frappé  l'invincible  héros; 

Ils  ont  pris  au  filet  sa  tête  surhumaine, 

Et  sous  leur  fer  il  est  tombé,  comme  un  grand  chêne  ! 

Agamemnon,  ô  roi  des  rois,  ô  demi-dieu, 

A  te  pleurer  encor  je  suis  seule  en  ce  lieu, 

Ombre  superbe  et  lamentable  de  mon  père  ! 

Tes  meurtriers  voudraient  m'obligfer  à  me  taire  : 

Mais  moi,  jusqu'à  la  fin,  derrière  eux  j'aboierai, 

Chienne,  fille  du  meurtre  et  du  malheur  sacré. 

Ils  n'arracheront  pas  ton  grand  nom  de  ma  bouche. 

Dans  mon  flanc  virginal  je  te  porte  farouche; 

Un  jour,  j'accoucherai  de  ton  glaive  irrité, 

Moi  qu'ils  ont  condamnée  à  la  stérilité! 

Car,  je  le  vois,  hélas!  je  ne  serai  point  mère, 

Sinon  de  la  vengeance  et  de  la  mort  amère. 

Comme  le  rossignol  qui  pleure  ses  petits, 

Je  gémis  sur  mes  beaux  espoirs  anéantis. 

Au  nid  vous  revenez,  ô  ma  jeunesse  avide; 

Mais  j'ai  beau  regarder  dans  mon  cœur,  il  est  vide. 

Hadès,  roi  des  Enfers,  et  toi,  Perséphoné, 

Hermès,  conducteur  des  Ombres, 
Némésis,  qui  n'avez  jamais  rien  pardonné, 

Erinnye  aux  torches  sombres. 
J'attends  toujours  mon  frère;  il  devait  revenir, 
Qu'il  entende  par  vous  l'appel  du  souvenir  ! 
Hélas!  il  tarde  bien  et  vraiment  je  succombe, 
Et  j'ai  peur  de  descendre,  avant  le  jour  promis, 

Et  sans  avoir  frappé  mes  ennemis, 
Toute  seule  en  ma  tombe!... 


LE    CHŒUR 
Dans  le  bac  du  passeur  des  âmes 
Quiconque  une  fois  est  entré 
Ne  verra  plus  du  jour  doré 
Les  flammes. 

Mais,  triste  éternellement, 
Il  poursuit  dans  le  crépuscule, 
Un  rêve  qui,  pour  son  tourment, 
Recule. 

Que  crois-tu  reprendre  au  trépas. 
Pieuse  Electre,  par  tes  larmes? 
Contre  l'Hadès,  ce  ne  sont  pas 
Des  armes. 

Ne  vois-tu  pas,  triste  princesse, 
Que  tu  jettes  au  noir  Léthé 
Tous  tes  trésors,  bonheur,  beauté. 
Jeunesse? 

ELECTRE 

Non!  laissez-moi  pleurer,  jeunes  Mycéniennes. 
De  tous  mes  souvenirs  mon  cœur  reste  jaloux  ; 

S'ils  sont  cruels,  ils  furent  doux; 
A  travers  mes  chagrins  passent  des  joies  anciennes. 

A  vos  tristes  bonheurs  je  préfère  mon  mal  : 

Ils  sont  trop  bas  et  trop  ser viles. 
Esclave  en  mon  palais,  sur  mes  épaules  viles, 
Je  jette  ma  douleur  comme  un  manteau  royal! 


Niobé!  Niobé,  sombre  cœur  maternel, 
Puissé-je,  revêtant  une  robe  de  pierre, 
Comme  toi  n'être  plus  sous  la  ronce  et  le  lierre 
Qu'une  source  qui  pleure  et  qu'un  marbre  éternel  ! 

LE    CHŒUR 
Certains  chagrins  restent  au  fond 
De  notre  âme  qm  les  endure, 
La  source  en  coule  si  profond 
Qu'on  n'en  perçoit  plus  le  murmure. 

C'est  à  peine  si  les  yeux  froids 
Dénoncent  les  larmes  stagnantes 
Et  le  grand  lac  noir  qui,  parfois, 
Gît  au  cœur  des  plus  souriantes . 

Ta  sœur  Chrysothémis  a  les  mêmes  regrets  : 
Dans  son  sourire  on  les  devine; 
Ils  fîottent  en  ses  yeux  distraits 

Qui  gardent  cependant  une  douceur  divine. 

Ne  rêves-tu  jamais  de  lointaines  prairies 

Où.  bondissent  des  étalons? 
J'en  sais  une  cachée  au  cœur  de  frais  vallons 

Qu'arrosent  des  sources  fleuries. 

Au  galop  des  coursiers  plus  rapides  que  l'air 
Passent  de  jeunes  hommes; 
J'en  connais  un  très  beau,  très  fier 
Et  qu'en  silence  tu  nommes. 


—  8  — 

Il  viendra,  tel  qu'un  grand  cavalier  de  l'Érèbe, 
Dans  sa  grâce  terrible  et  ses  gestes  d'enfant, 
Et  déjà,  je  le  vois  parmi  nous,  triomphant, 
L'Éphèbe 

ELECTRE 
Oreste?  J'ai  passé  ma  jeunesse  à  l'attendre. 
Toujours  il  doit  venir,  jamais  il  ne  revient. 

LE    CHŒUR 
Repose-toi  sur  Zeus;  il  est  fort,  il  est  tendre. 
Son  bras  meut  l'univers  et  son  bras  le  retient. 

Ainsi  qu'un  grand  Pasteur,  formidable  et  serein. 
Il  conduit  le  troupeau  des  astres  et  des  hommes  ; 

Et  tous,  tant  que  nous  sommes. 
Il  nous  guide  du  bout  de  son  bâton  d'airain. 

Chacun,  au  dur  signal,  se  lève,  épouvanté; 

Le  Crime  passe  et  fuit,  comme  un  bétail  stupide; 

La  Vengeance  homicide 
Déploie  à  l'horizon  ses  ailes  de  clarté. 

ELECTRE 
Ah  !  qu'elle  arrive  donc  sans  tarder;  que  je  voie 
Luire  enfin  ce  grand  jour  si  longtemps  désiré, 

Et  qu'une  aube  de  joie 
Illumine  ce  cœur  noir  et  désespéré! 

Je  suis  jeune,  j'étais  belle  et  me  voilà  vieille 

Avant  le  temps.  J'ai  peur,  j'ai  faim,  j'ai  froid. 


On  se  détourne  quand  je  passe  et  je  n'éveille 
Rien  que  l'effroi  ! 

LE   CHŒUR 
Je  les  entends  encor,  les  grands  cris  lamentables 
Dont  s'emplit  brusquement  la  salle  du  festin. 

J'entends  les  pas  autour  des  tables; 

J'entends  encor,  lourd  et  lointain, 

Tomber  le  premier  coup  de  hache  ; 

Je  vois  des  lumières  courir. 
Et,  derrière  le  mur  épais  qui  me  le  cache, 
J'entends  battre  le  cœur  de  ton  père  et  mourir  ! 

ELECTRE 
Ils  l'ont  pris  comme  un  chien  qu'on  abat,  comme  un  porc 

Qu'on  entrave  et  qu'on  saigne, 
Lui,  le  Roi,  dont  les  dieux  suivaient  le  casque  d'or 
Par  les  batailles;  lui,  dont  le  nom  terrible  règne 
Sur  le  peuple  des  morts  près  d'Ilion  couché 
Je  l'ai  vu  livrer  au  boucher. 

Oui,  quand  on  le  tramait,  immense  dans  la  trame 
Du  filet,  je  le  vois  avec  ses  yeux  divins 

Dont  le  regard  emplit  mon  âme. 

Dédaigneux  et  sentant  que  les  pleurs  étaient  vains, 

Il  mourut  sans  ouvrir  la  bouche; 
Au  travers  de  la  nuit,  sa  grande  âme  farouche 
Descendit  lentement  chez  Hadès. 

Tous  les  ans, 


Ma  mère,  par  des  jeux,  des  danses  et  des  chants, 
De  cette  affreuse  nuit  fête  l'anniversaire; 
Et  moi  je  verse  à  boire  aux  meurtriers  d'un  père. 
On  veut  que  je  sois  là  pour  l'entendre  outrager, 
Et  que,  pleine  de  faim,  je  regarde  manger 
Mes  ennemis  riants,  couronnés  de  verveine. 
Répondez  maintenant,  ô  filles  de  Mycène, 
Si  la  main  rigoureuse  et  savante  des  dieux 
A  façonné  jamais  destin  plus  odieux  ! 

LE   CHŒUR 
Dis-moi,  pendant  que  tu  nous  parles  de  la  sorte, 
Si  tout  à  coup  Égisthe  allait  franchir  la  porte? 

.      ELECTRE 
Il  ne  trouve  jamais  assez  gros  les  verrous 
Pour  m'enfermer  quand  il  est  là.  Rassurez- vous. 
Il  est  absent  jusqu'à  ce  soir. 

LE    CHŒUR 

Cela  m'engage 
A  te  parler  avec  un  peu  plus  de  courage 

ELECTRE 
Explique-toi  sans  crainte. 

LE    CHŒUR 

Eh  bien  !  que  penses-tu 
D'Oreste?  Va-t-on  voir  éclater  sa  vertu? 
Arrive-t-il  ici  bientôt? 

ELECTRE 
Il  le  fait  dire. 
Mais  contre  ses  projets  sa  prudence  conspire. 

LE    CHŒUR 
L'entreprise  demande  un  cœur  bien  éprouvé  ! 


1 1 


ELECTRE 
Je  n'ai  pas  hésité,  moi,  quand  je  l'ai  sauvé. 

LE    CHŒUR 
Il  est  brave,  il  viendra  nous  tirer  de  misère; 
Il  attend  seulement  son  heure 

ELECTRE 

Je  l'espère; 
Autrement,  je  n'aurais  plus  aucune  raison 
De  vivre. 

LE   CHŒUR 
J'aperçois  sortir  de  la  maison 
Ta  sœur  Chrysothémis  qui  porte  des  offrandes 
Funéraires  :  du  lait  et  des  fleurs  en  guirlande. 
Puissent,  hélas!  les  morts  nous  apporter  secours! 


SCÈNE   III 
Les  mêmes.  —  CHRYSOTHÉMIS 

CHRYSOTHÉMIS 
Eh  quoi!  toujours  des  cris,  pauvre  Electre!  Toujours 
La  même  horrible  plainte  étrange  et  monotone 
Dont  l'oreille  frémit  et  dont  le  cœur  s'étonne? 
Qu'espères-tu,  ma  sœur,  de  tes  gémissements, 
Sinon  te  préparer  à  de  nouveaux  tourments? 
Les  pleurs  ne  sont,  hélas!  qu'un  aveu  d'impuissance. 
Il  faut  agir  ou  bien  se  plier  en  silence. 
J'enferme  ma  tristesse  au  profond  de  mon  cœur; 
Et  pour  ne  pas  froisser  un  orgueilleux  vainqueur, 
Pour  endormir  la  crainte  en  son  âme  morose, 
J'efface  de  mes  yeux  le  regret  qui  s'y  pose. 


12    

De  la  sorte,  j'obtiens,  jeune,  de  vivre  encor, 
Et  de  marcher  paisible  en  la  lumière  d'or  ! 

ELECTRE 
Ce  n'est  pas  toi  qui  viens  de  parler,  c'est  ta  mère. 
J'ai  cru  l'entendre  avec  son  ironie  amère. 
Vraiment,  on  ne  peut  mieux  redire  une  leçon! 
Mais  comment  oses-tu,  fille  d'Agamemnon, 
Prêter  ton  cœur,  ta  bouche  à  la  pensée  infâme 
Que  la  boue  et  le  sang  ont  mûrie  en  cette  âme? 
Si  la  crainte  a  glacé  tout  courage  en  ton  sein, 
Tais-toi  ;  ne  plaide  pas  du  moins  pour  l'assassin  ! 
Je  gagnerais,  dis-tu,  quelque  chose  à  me  taire; 
On  me  ferait  meilleur  visage  et  bonne  chère. 
Je  serais  mieux  nourrie  et  vêtue.  En  effet. 
Voilà  bien  du  bonheur  un  ensemble  parfait  ! 
Merci  du  conseil.  Loin  de  la  table  où  tu  manges, 
Déguenillée,  en  proie  à  des  peines  étranges. 
J'ai  mes  plaisirs  aussi  que  je  ne  change  pas 
Contre  tes  vêtements  et  contre  tes  repas. 
Un  pacte  avec  mon  père  obscurément  me  lie. 
Si  la  mémoire  en  lui  n'est  pas  toute  abolie, 
Peut-être  un  peu  de  joie  éclaire  son  ennui. 
Cependant  que,  marchant  dans  l'éternelle  nuit. 
Il  songe  que,  restée  à  nos  haines  fidèle, 
Ainsi  qu'un  grand  oiseau  prophétique,  j'appelle 
Sous  le  toit  meurtrier  l'orage  et  le  malheur! 

LE    CHŒUR 
Chère  Chrysothémis,  pardonne  à  sa  douleur. 
Vous  n'êtes  toutes  deux  que  trop  infortunées, 
Et  vos  peines  devraient,  par  l'amour  enchaînées. 
Rattacher  vos  deux  cœurs  et  non  les  désunir. 


—  13  — 

CHRYSOTHÉMIS 
Je  connais  ses  façons  de  parler  et  d'agir 
Et  n'aurais  point  ouvert  la  bouche  la  première, 
Si  je  n'étais,  hélas!  condamnée  à  le  faire 
Par  ma  triste  amitié  qu'elle  insulte  toujours. 
On  te  prépare  encor  des  fardeaux  bien  plus  lourds, 
Pauvre  Electre! 

ELECTRE 
Vraiment?  J'ai  hâte  de  connaître 
Le  détail  de  ces  maux  assez  lourds  pour  paraître 
A  tous  ceux  que  j'endure  ajouter  de  l'horreur! 

CHRYSOTHÉMIS 
Sache  donc,  imprudente  et  déplorable  sœur, 
Qu'en  des  lieux  où  jamais  la  lumière  n'arrive, 
Sous  terre  et  près  des  morts,  ils  t'enfouiront  vive. 

ELECTRE 
A  ce  crime  nouveau  sont-ils  bien  résolus? 

CHRYSOTHÉMIS 
Oui,  pour  l'exécuter  déjà  l'on  n'attend  plus 
Que  le  retour  d' Egisthe. 

ELECTRE 

Eh  !  grands  dieux,  qu'il  revienne  ! 
CHRYSOTHÉMIS 
Ah!  que  souhaites-tu? 

ELECTRE 

Que  rien  ne  le  retienne 
Et  qu'il  tarde  le  moins  possible  de  venir  ! 

CHRYSOTHÉMIS 
Je  ne  te  comprends  pas.  Que  prétends-tu? 
ELECTRE 

Vous  fuir! 


—  14  — 

CHRYSOTHÊMIS 
Aurais-tu  donc  perdu  tout  souci  de  ta  vie  ? 
ELECTRE 

Elle  est  belle,  en  effet,  et  bien  digne  d'envie! 

CHRYSOTHÊMIS 
Elle  pourrait  avoir  encor  quelque  douceur, 
Peut-être  quelque  prix,  si  tu  voulais,  ma  sœur! 

ELECTRE 
Les  dieux  ne  m'ont  pas  fait  une  âme  de  complice. 

CHRYSOTHÊMIS 
Si  c'est  l'ordre  du  sort  il  faut  qu'il  s'accomplisse. 

ELECTRE 
Courbe-toi,  si  tu  peux;  moi,  je  reste  debout. 

CHRYSOTHÊMIS 
Ta  fierté  te  fera  périr.  Ce  sera  tout. 

ELECTRE 
La  mort  me  conduira  du  moins  près  de  mon  père  ! 

CHRYSOTHÊMIS 
Mourir,  c'est  renoncer  à  tout  ce  qu'on  espère. 

ELECTRE 
Qui  voudrait  t'écouter  ne  mérite  qu'un  nom  : 
Lâche. 

CHRYSOTHÊMIS 
Ainsi,  tu  ne  veux  plus  rien  entendre? 
ELECTRE 

Non! 
CHRYSOTHÊMIS 
Eh  bien!  je  me  rends  donc,  hélas!  oii  l'on  m'envoie. 

ELECTRE 
Où  vas-tu?  Que  tiens-tu?  Montre,  que  je  le  voie. 
Des  offrandes?  Pour  qui? 


—  15  — 

CHRYSOTHÉMIS 

Pour  lui  que  nous  pleurons. 
Ma  mère  à  son  tombeau  me  fait  porter  ces  dons. 

ELECTRE 
A  l'homme  qu'elle  hait? 

CHRYSOTHÉMIS 

Et  dont  la  peur  la  ronge. 
ELECTRE 
Est-ce  possible,  ô  ciel!  Et  qui  l'y  pousse? 
CHRYSOTHÉMIS 

Un  songe 
Qui  tiendrait  son  esprit  en  suspens  ce  matin. 

ELECTRE 
Entendrais-tu  ma  plainte  aujourd'hui,  sourd  Destin? 

CHRYSOTHÉMIS 
De  ton  subit  espoir  sa  peur  est-elle  cause? 

ELECTRE 
Que  sais-tu  de  précis?  Parle. 

CHRYSOTHÉMIS 

Bien  peu  de  chose. 
ELECTRE 
Dis  toujours.  Un  seul  mot  est  parfois  plein  de  sens. 

CHRYSOTHÉMIS 
On  conte  qu'elle  a  vu  de  ses  yeux  impuissants 
Remonter  du  sépulcre  et  marcher  par  les  chambres, 
D'un  pas  ferme  où.  pesaient  ses  gigantesques  membres, 
Agamemnon,  ton  père  et  le  mien,  cette  nuit. 
Il  allait  et  venait  comme  un  maître  chez  lui. 
D'Egisthe,  sans  efforts,  il  ouvrit  la  main  molle, 
Reprit  le  sceptre,  puis  sans  dire  une  parole, 
Redescendit  très  calme  au  milieu  du  jardin 


—   i6  — 

Il  enfonça  le  sceptre  en  la  terre  et  soudain 
Le  bâton  mort  s'emplit  de  brise  et  de  feuillage, 
Et  tout  Mycène  fut  couvert  de  son  ombrage. 
Voilà  ce  que  je  sais,  ce  que  m'ont  dit  du  moins 
En  avoir  entendu  quelques  rares  témoins 
Qui  la  virent  paraître  au  seuil  de  ces  portiques, 
Lorsque,  pour  conjurer  les  puissances  magiques 
Elle  disait  son  trouble  et  son  rêve  au  soleil. 
Je  n'ai  pas,  tu  le  vois,  un  cœur  au  tien  pareil; 
Compagnes  toutes  deux  de  la  même  infortune, 
Tu  m'insultes,  et  moi  je  réponds  sans  rancune. 

ELECTRE 
Prends  pitié  du  repos  de  ton  père  égorgé. 
Quoi  !  par  sa  fille  même  il  serait  outragé  ! 
Songe  qu'il  est  errant  là-bas,  dans  les  ténèbres. 
Que  les  offrandes  sont  de  vrais  pièges  funèbres, 
Oii  se  prennent,  hélas!  toujours  les  pauvres  morts 
Avides  d'échapper  un  instant  à  leurs  sorts. 
Ainsi  qu'on  voit,  du  fond  des  eaux,  monter  des  bulles, 
Ils  accourent  vers  nous,  rapides  et  crédules. 
Ah!  songe  au  désespoir  de  ton  père,  attiré 
Par  les  chers  souvenirs  et  le  matin  doré. 
Et  retrouvant,  au  lieu  de  ses  filles  chéries. 
Le  cauchemar  affreux  de  neuves  tromperies  ! 
Non!  ne  lui  porte. pas  ces  odieux  présents; 
Fais  un  trou  dans  le  sable,  enfouis-les  dedans. 
Nous  les  déterrerons  pour  elle  et  pour  Egisthe 
Lorsqu'ils  seront  enfin  des  morts  et  que  le  triste 
Hadès,  les  engouffrant  dans  le  noir  souterrain, 
Sur  eux  aura  fermé  ses  trois  portes  d'airain  ! 
Car  ne  crois  pas  qu'elle  ait  du  regret  de  son  crime  ; 


—   17  — 

Si  quelque  sentiment  à  cet  égard  l'anime, 

C'est  la  peur  et  non  pas  du  tout  le  repentir. 

Elle  a  cru,  cette  nuit,  entendre  retentir 

Le  pas  lugubre  et  lourd  du  châtiment  en  marche, 

Et  c'est  tout  le  secret  de  sa  folle  démarche. 

Elle  a  peur,  et  pourtant  elle  ruse,  elle  ourdit 

Contre  tous,  en  silence,  avec  un  art  maudit, 

Sa  toile  captieuse  et  souple  d'araignée. 

De  tout  scrupule  elle  est  à  jamais  éloignée; 

Elle  méprise  au  fond  la  justice  des  dieux, 

Qu'elle  croit  enlacer  de  rets  mytérieux. 

C'est  ainsi  qu'en  la  nuit  désastreuse  où  mon  père 

Sous  les  coups  répétés  de  l'arme  meurtrière 

S'abattit,  de  ses  doigts  que  venait  de  mouiller 

Le  sang  rouge,  elle  vint,  en  riant,  barbouiller 

La  pauvre  tète  pâle  ;  et  ce  suprême  outrage 

De  son  impunité  lui  parut  être  un  gage. 

Comme  si,  par  l'horreur,  elle  avait  attiré 

Quelque  chose  d'occulte  et  de  vraiment  sacré 

Qui  ferait  à  son  crime  un  masque  de  Méduse! 

Et  c'est  toujours  du  même  artifice  qu'elle  use. 

A  son  afïreux  calcul  ne  prêtons  pas  du  moins 

Notre  bras  filial  que  de  plus  tendres  soins 

Appellent  au  tombeau  du  plus  triste  des  pères. 

Coupe  dans  nos  cheveux  quelque  boucles  légères 

Et  prends  cette  ceinture,  emblème  simple  et  doux; 

De  notre  pauvreté  ce  sont  les  seuls  bijoux. 

En  entendant  le  vent  chanter  autour  des  grilles. 

Il  se  réjouira  du  cadeau  de  ses  filles; 

Il  sourira  de  voir,  ingénieux  trésor. 

Palpiter  au  soleil  une  quenouille  d'or 

2 


Faite  des  fins  cheveux  de  ses  filles  pieuses, 
Grandes  toutes  les  deux,  maintenant  sérieuses, 
Nous  qu'il  quitta  jadis  quand  nous  étions  enfants. 
Peins-lui  ses  ennemis,  superbes,  triomphants; 
Dis-lui  que  son  amour  est  tout  ce  qui  nous  reste  ; 
Conjure-le  qu'il  nous  envoie  enfin  Oreste, 
Et  que,  nous  arrachant  à  d'infâmes  liens. 
Il  nous  rende  par  lui  notre  rang  et  nos  biens, 

LE    CHŒUR 
Chère  Chrysothémis,  obéis  et  pardonne; 
C'est  en  somme  un  conseil  pieux  qu'elle  te  donne. 

CHRYSOTHÉMIS 
C'est  bien.  J'accomplirai  le  désir  de  ma  sœur. 
J'entends  toujours  les  mots  qui  s'adressent  au  cœur. 
Vous,  de  votre  côté,  gardez-moi  le  silence 
Et  songez  au  péril  où  la  moindre  imprudence 
Jetterait  à  jamais  l'humble  Chrysothémis, 
Si  le  bruit  en  venait  jusqu'à  nos  ennemis 

(Elle  sort.) 

LE    CHŒUR 

La  Justice  aux  yeux  clairs  s'avance 
Et  mille  signes  précurseurs 
M'avertissent  de  sa  présence. 
Je  sens  que  des  terribles  Sœurs 
La  troupe,  au  fond  du  noir  ravin, 

Hurle  et  sanglote. 
C'est  comme  un  long  cri  d'idiote, 
Puéril,  atroce  et  divin. 
Du  sang  glousse  au  creux  de  leur  gorge 
Que  secoue  une  horrible  toux. 


—    IQ    — 

Sous  les  cils  humides  et  mous, 
Leurs  yeux  luisent  d'un  feu  de  forge. 
Elles  parlent  tout  bas,  mêlant 
Aux  sanglots  des  éclats  de  rire, 
Et  dans  leur  rêve  et  leur  délire 
Elles  chassent  leur  bétail  blanc. 

Tu  la  verras  bientôt  aussi,  tu  la  verras 
Surgir,  l'Erynnis  effrayante; 
Avec  ses  cent  pieds,  avec  ses  cent  bras 
De  l'Hadès  lentement  elle  monte  la  pente. 

Ah!  course  de  Pelops,  en  discordes  fertile, 
Hymen  d'Hippodamie  et  trop  fatal  amour. 
Que  de  maux  ont  fondu  sur  nous,  depuis  le  jour 
Oi!i  de  son  char  doré  fut  renversé  Myrtile  ! 

\{  Rideau,) 


ACTE   DEUXIEME 


SCENE   PREMIERE 

CLYTEMNESTRE, ELECTRE,  Le  Chœur 

CLYTEMNESTRE 
Tu  sors  bien  librement  :  tu  te  hâtes  de  mettre 
A  profit  les  instants  de  l'absence  du  Maître, 
Pour  vomir  ton  venin  et  nous  mordre,  serpent! 
Va!  je  sais  tous  les  bruits  que  ta  bouche  répand. 
A  t'entendre,  je  suis  une  affreuse  marâtre. 
Injuste,  impérieuse,  au  cœur  opiniâtre. 
Qui  vous  maltraite  et  qui  vous  refuse  le  pain. 
A  travers  le  palais  errerait  votre  faim. 
Tu  m'imputes  aussi  d'avoir  tué  ton  père; 
C'est  vrai.  Je  dirai  plus  :  si  c'était  à  refaire, 
Je  frapperais  encore  aujourd'hui  sans  regret, 
Consciente  d'avoir  exécuté  l'arrêt 

Des  dieux,  d'avoir  été  le  bras  de  leur  Justice. 
Car,  pour  me  servir  d'aide  et  régler  son  supplice. 

Son  crime  l'attendait,  assis  dans  sa  maison. 

Ne  te  souvient-il  plus  qu'en  une  autre  saison. 

Avec  Iphigénie,  heureuses  nous  partîmes? 

Notre  cœur  était  libre  et  pur  encor  de  crimes  ; 

L'Innocence  en  riant  cheminait  devant  nous! 

Et  la  même  tendresse  alors  nous  serrait  tous. 

C'est  lui  qui,  de  son  poing  brutal,  brisant  mon  âme, 

Arracha,  piétina  mes  sentiments  de  femme. 


22    

Pour  les  sacrifier  à  qui  ?  —  grands  dieux  ! . . .  hélas  ! 
Au  plus  lâche,  au  plus  vil  des  Grecs,  à  Ménélas! 
Et  le  sang  de  ta  sœur  par  son  ordre  tuée 
A  payé  la  rançon  de  la  Prostituée  ! 
Ah!  s'il  fallait  verser  tant  de  sang  et  tant  d'or 
Pour  que  le  monde  entier  comprît  mieux  quel  trésor 
Sont  chez  nous  l'infamie  et  le  libertinage. 
N'était-il  donc,  à  Sparte  et  sur  tout  le  rivage. 
Point  de  cœur  assez  pur  pour  l'affreux  coutelas? 
Pourquoi  ma  fille  et  non  la  tienne,  Ménélas? 
Il  est  vrai  qu'emporté  par  son  vertige  étrange, 
Agamemnon  lui-même  eût  repoussé  l'échange. 
Ivre  de  ses  honneurs,  il  les  voulait  payés 
D'un  prix  dont  ses  rivaux  pussent  être  effrayés. 
Ils  le  furent  si  bien  que,  depuis  cette  date, 
Devant  son  front  marqué  des  colères  d'Hécate, 
Comprenant  que  cet  homme  appartenait  aux  dieux, 
Ils  le  virent  auguste  encor  plus  qu'odieux  ! 
Pour  moi,  si,  ramassant  la  hache  domestique, 
J'ai  brisé  cette  tête  un  jour,  je  revendique 
D'une  telle  action  l'honneur  et  le  loyer, 
Car  j'ai  vengé  ma  fille  et  lavé  mon  foyer! 

ELECTRE 
As-tu  dit  à  présent  ce  que  tu  voulais  dire? 
Veux-tu  que  je  réponde  ou  que  je  me  retire  ? 
CLYTEMNESTRE 

Tu  peux  répondre. 

ELECTRE 
Eh  bien!  je  commencerai  donc. 
Je  retiens  ton  aveu  du  meurtre.  La  raison 
N'en  fut  pas  tout  à  fait  celle  que  tu  m'exposes. 


—  23  — 

Bien  plus  bas  que  ton  cœur,  il  faut  chercher  les  causes, 

Car  ma  sœur  ne  fut  qu'un  prétexte  seulement 

Et  ta  main  immola  mon  père...  à  ton  amant! 

Cesse  donc  d'évoquer  une  sainte  victime  ; 

L'adultère  suffit  pour  expliquer  ton  crime. 

A  quoi  bon  ramasser  des  mensonges  si  vieux 

Dont  je  ne  suis  pas  dupe  et  qu'entendent  les  dieux? 

Ces  dieux  ont  exigé  la  mort  d'Iphigénie; 

Tu  ne  peux  l'ignorer,  mais  tu  veux  qu'on  le  nie. 

Lorsque  Artémis  aux  doigts  magiques  et  puissants 

Sur  la  mer  immobile  eut  endormi  les  vents, 

Mon  père  étant  sorti  par  hasard  de  sa  tente, 

D'une  exclamation  silencieuse  et  lente. 

Le  camp  le  salua  comme  l'Infortuné. 

Son  nom  avait  jailli,  subit  et  spontané, 

Tous  sachant  qu'il  avait  offensé  la  déesse. 

Et  lui,  le  cœur  rempli  d'une  immense  tristesse. 

Allait,  pleurant  et  suppliant  comme  tu  sais. 

Mais  aux  pensers  d'un  chef,  qui  peut  avoir  accès? 

Le  mortel,  que  les  dieux  ont  fait  roi  sur  la  terre, 

Marche  dorénavant  entouré  de  mystère; 

Dans  sa  poitrine  d'homme,  il  sent  confusément 

Des  peuples  anxieux  s'agiter  le  tourment, 

Et  le  Destin  écoute,  en  son  cœur  taciturne, 

Le  bruit  de  l'Avenir  qui  s'échappe  dans  l'Urne. 

Quand  même  il  eût  été  coupable,  était-ce  à  toi. 

Femme  au  cœur  si  peu  sûr,  qu'appartenait  le  droit 

De  juger  un  tel  homme?  Étais-tu  seule  en  cause? 

Les  droits  de  tes  enfants  sont-ils  si  peu  de  chose? 

En  admettant  qu'il  fût  un  criminel,  ton  fils 

Et  moi  méritions-nous  le  sort  que  tu  nous  fis  ? 


—    24   — 

Sous  le  toit  paternel,  aucun  bien  ne  nous  reste. 

Je  suis  esclave  ici  dans  ma  maison.  Oreste 

Guette,  le  glaive  au  poing,  l'heure  due  aux  bannis. 

Pour  quel  forfait,  dis-moi,  sommes-nous  donc  punis? 

Sans  doute,  c'est  pour  mieux  venger  notre  soeur  mort 

Et  par  respect  des  dieux  dont  le  zèle  t'emporte, 

Qu'Égisthe,  chaque  nuit,  vient  dormir  dans  ton  lit? 

Prends  garde  au  Talion  par  toi-même  établi  ; 

Il  pourrait  faire  encore  ici  quelques  victimes. 

Si  le  crime  toujours  appelle  d'autres  crimes, 

Tu  viens  de  prononcer  toi-même  ton  arrêt. 

Le  Vengeur  n'est  pas  loin;  il  arrive,  il  est  prêt, 

Et  si  mon  bras  pouvait  manier  une  hache. 

Comme  un  bon  bûcheron  qui  s'applique  à  sa  tâche. 

Seule,  j'accomplirais  le  funèbre  travail! 

CLYTEMNESTRE 
Avez-vous  entendu,  comme  au  moindre  détail, 
La  haine  dans  son  cœur  subtil  s'allume  et  brille?... 
Celle  qui  m'a  parlé  cependant  est  ma  fille. 
Malheureuse  !  Des  mots  affreux  que  tu  rugis 
N'as-tu  donc  point  de  honte? 

ELECTRE 

Oh!  que  si!  Je  rougis. 
Je  fais  plus  que  rougir  :  je  souffre,  et  toute  l'ombre 
Enveloppe  mon  cœur  qui  chavire  et  qui  sombre, 
Lorsque  au  lieu  de  la  mère  aimante  à  qui  j'ai  droit. 
Je  ne  vois  que  l'Enfer  effrayant  devant  moi  ! 

CLYTEMNESTRE 
Tu  recevras  avant  la  nuit  de  mes  nouvelles. 
Je  te  ferai  payer  de  larmes  éternelles 
Ce  qu'a  d'affreux  pour  moi  ce  dernier  entretien. 


—  ^5  — 

Attends  jusqu'à  ce  soir  seulement. 
ELECTRE 

Tu  vois  bien 

Que  tu  ne  peux  tenir  jusqu'au  bout  tes  promesses. 

Dès  qu'on  prononce  un  mot  un  peu  dur,  tu  te  blesses, 

Tu  m'avais  dit  pourtant  que  je  pouvais  parler 
CLYTEMNESTRE 

Parler,  oui!  T'expliquer  doucement,  non  hurler! 

Va,  je  lis  en  ton  cœur  bien  mieux  que  tu  ne  penses. 

Tes  cris  sont  des  appels  d'émeute  que  tu  lances. 

Ils  sont  plus  qu'outrageants,  ils  sont  séditieux. 

Ils  tendent  à  troubler  la  justice  des  dieux 

Et  l'invective  y  cache  un  secret  maléfice. 
ELECTRE 

Tu  venais  tout  à  l'heure  offrir  un  sacrifice. 

Offre-le.  Je  ne  fais  point  de  calculs  pervers. 

Sacrifie.  En  pensant  me  nuire,  tu  me  sers. 

Car  tout  ce  que  je  crains  des  dieux,  c'est  qu'ils  t'oublient. 

CLYTEMNESTRE 
Dans  leurs  treillis  d'osier  et  de  joncs  verts  qui  plient, 
Servante,  apporte-moi  ces  offrandes  de  fruits. 
Maintenant,  Lycien,  archer  vainqueur  des  nuits, 
Me  voici  devant  toi  comme  une  suppliante 
Avec  toute  mon  âme  indécise  et  tremblante; 
Car  les  mystérieux  songes  viennent  de  vous, 
Qui  leur  ouvrez  la  porte  ivoirine  et  vers  nous 
Dirigez  dans  son  vol  léger  leur  troupe  agile. 
Vous  pouvez  nous  briser  comme  un  vase  d'argile, 
Odieux.  Quand  l'un  de  vous  nous  parle,  au  fond  du  coeur, 
Toute  l'âme  s'emplit  d'une  vague  terreur  : 
Pourtant,  j'ai  confiance  en  toi,  fils  de  Latone; 


—    26    — 

Reçois  d'abord  ces  fruits,  prémices  de  l'automne, 

Et  souviens-toi  de  tes  amis  restés  mortels. 

Nous  fûmes  dévoués  toujours  à  tes  autels, 

Notre  fidélité  mérite  récompense. 

Entre  les  dieux  et  nous,  les  rois,  plus  qu'on  ne  pense, 

Un  commun  intérêt  met  des  liens  ténus. 

Tu  m'entends.  Je  n'ai  pas  besoin  d'en  dire  plus. 

De  toutes  parts  vers  moi  la  haine  tend  l'oreille, 

Un  cercle  de  regards  m'entoure  et  me  surveille  ; 

Je  n'ose  plus  parler,  j'ose  à  peine  penser. 

Et  la  froide  terreur  commence  à  me  glacer. 

Mais  toi  dont  l'œil  divin  jusqu'au  fond  des  cœurs  plonge. 

Au  sens  que  je  souhaite  interprète  mon  songe. 


SCENE    II 

Les  Mêmes,  LE  GOUVERNEUR. 

LE   GOUVERNEUR 
Etrangères,  c'est  bien  ici  que  votre  roi 
Habite? 

LE    CHŒUR 
Son  palais  est  en  face  de  toi 

LE   GOUVERNEUR 
Et  si  j'en  crois  cet  air  et  ce  port  de  déesse, 
Voici  la  reine,  son  épouse,  à  qui  m'adresse 
Mon  maître  ? 

LE   CHŒUR 
On  ne  saurait  mieux  dire  et  mieux  juger. 
C'est  la  reine,  en  effet,  que  tu  vois,  étranger. 


—   27    — 

LE   GOUVERNEUR 
Salut,  fille  des  dieux  et  sœur  des  Immortelles! 
Clytemnestre,  un  ami  te  mande  des  nouvelles 
Qu'il  pense  de  nature  à  vous  tous  réjouir. 

CLYTEMNESTRE 

J'accepte  le  présage  et  suis  prête  à  t'ouïr 
Mais  d'abord  qui  t'envoie  en  ce  lieu? 

LE   GOUVERNEUR 

Phanotide 
Que  retient  loin  de  vous  son  pays  de  Phocide, 
Mais  dont  le  dévouement  vous  est  assez  connu. 

CLYTEMNESTRE 
L'envoyé  d'un  ami  toujours  est  bienvenu. 
De  quoi  s'agit-il  ?  Parle . 

LE   GOUVERNEUR 

O  reine,  mon  message 
Est  court  :  Oreste  est  mort.  (D'en  dire  davantage 
Je  n'ai  pas  besoin). 

ELECTRE 

Mort!  11  est  mort!  Sombres  dieux  ! 
Je  suis  perdue!... 

CLYTEMNESTRE 
As-tu  fini,  monstre  odieux. 
Tes  horribles  clameurs?  Étranger,  je  t'en  prie. 
Ne  prends  pas  garde  à  tout  ce  que  sa  rage  crie. 
Ai-je  bien  entendu?  Répète. 

LE    GOUVERNEUR 

Oreste  est  mort. 

ELECTRE 

Malheur  à  nous  !  Malheur  à  nous  ! 


~    28    — 

CLYTEMNESTRE 

Pour  toi,  ton  sort 
Est  réglé.  Sois  tranquille.  Etranger,  continue, 
Et  conte-nous  comment  la  chose  est  survenue. 
Car  cette  mort  si  brusque  est  bien  pour  émouvoir 
Une  mère,  malgré  ses  griefs. 

LE  GOUVERNEUR 

Mon  devoir 
Est  de  te  raconter  en  détail  l'aventure. 
Fatigué  de  mener  une  existence  obscure, 
Cherchant  une  ombre  au  moins  de  la  guerre,  et  touché 
De  cet  ennui  superbe  et  de  ce  mal  caché, 
Premiers  avant-coureurs  de  la  mort  dans  les  âmes, 
Oreste,  se  sentant  jeune  et  tout  plein  de  flammes. 
Résolut  de  se  rendre  à  Delphes  pour  les  jeux. 
Et  de  s'y  faire  voir  digne  de  ses  aïeux, 
Sinon  par  le  bonheur,  du  moins  par  la  vaillance, 
Par  l'audace,  la  force  agile  et  la  prudence, 
Tout  ce  qui  fait  les  chefs  de  peuples,  en  un  mot. 
Aussi,  le  jour  venu,  sitôt  que  le  héraut, 
Par  l'appel  d'une  voix  claire  et  retentissante. 
Eut  déclaré  la  piste  ouverte,  il  se  présente, 
Il  descend  dans  l'arène,  il  salue.  On  dirait, 
A  le  voir  s'incliner,  élégant  et  distrait. 
Avec  sa  chevelure  et  ses  yeux  pleins  de  rêve, 
Un  grand  arbre  qui  ploie  au  vent  et  se  relève 
D'un  vol  souple  et  puissant,  en  balayant  le  ciel. 
Robuste  et  svelte,  il  court,  léger,  presque  immortel; 
Il  s'en  va  dans  sa  force  et  sa  propre  lumière 
Et  voici  qu'on  l'acclame  au  bout  de  la  carrière. 
Il  revient,  il  approche,  et  cette  fois  encor 


—  29  -- 

Semble  emplir  l'horizon  de  sa  crinière  d'or, 

Tant  la  foule  amoureuse  à  son  front  attachée 

Toute  le  suit  des  yeux  et  palpite,  penchée. 

Il  est  le  fils  du  Roi  des  Rois,  d'Agamemnon; 

Les  plus  grands  souvenirs  s'éveillent  à  ce  nom  : 

De  Pergame  et  de  Troie  on  revoit  les  images, 

Les  héros  et  les  dieux  mêlant  sur  les  rivages 

En  voisins  familiers  leurs  tentes  et  leurs  feux. 

Et  dans  ce  temps  si  proche  et  déjà  fabuleux, 

On  songe  que  le  ciel  vivait  avec  la  terre. 

Tout  l'orgueil  dont  s'enivre  un  peuple  militaire 

En  acclamations  vers  lui  monte  sans  fin. 

Une  course  de  chars  a  lieu  le  lendemain. 

Avec  ses  concurrents  il  paraît  dès  l'aurore, 

Ils  sont  dix,  lui  compris,  masse  multicolore  : 

Achéen,  Spartiate  enlacent  leurs  rubans; 

Deux  Lydiens  debout  suivent  sous  leurs  turbans, 

Puis  un  Étolien  qui  conduit  des  cavales, 

Puis  Oreste;  et,  menant  des  voitures  rivales. 

Viennent  avec  lourdeur,  sur  les  pavés  tremblants, 

Un  citoyen  d'Œnie  avec  des  chevaux  blancs. 

Un  Carien,  puis  un  coureur  de  Béotie; 

Et  d'Athènes  enfin,  que  les  dieux  ont  bâtie, 

Le  dernier  qui  fermait  la  marche  arrive  au  trot. 

On  tire  au  sort,  chacun  prend  sa  place,  et  bientôt, 

Dévorant  du  regard  cette  longue  carrière, 

Dans  un  grand  tourbillon  de  bruit  et  de  poussière. 

Tous  s'élancent  au  cri  des  trompettes  d'airain; 

Les  dix  lourds  chariots  ébranlent  le  terrain, 

Les  rênes  claquent,  les  yeux  brûlent,  le  poil  fume, 

Et  par  les  crins  épars  s'envole  de  l'écume  ; 


—  30  — 

Les  têtes  des  chevaux  se  mêlent  et  le  bois 
Grince,  tous  essayant  de  passer  à  la  fois. 
Vertigineux,  grisés  par  le  bruit  qui  s'élève, 
Les  conducteurs  s'en  vont,  emportés  dans  un  rêve. 
Rien  d'anormal  pourtant,  lorsqu'au  septième  tour, 
L'Œniote,  dont  les  chevaux  s'emportent,  court 
Se  jeter  sur  le  char  lydien  qu'il  fracassse. 
Une  tempête  affreuse  en  cet  endroit  s'amasse. 
Les  nouveaux  arrivants  s'y  viennent  écraser  : 
En  un  clin  d'œil  on  voit  six  chariots  se  briser 
Entassant  leurs  débris  qui  fument  immobiles. 
Plus  heureux  cependant,  peut-être  plus  habiles, 
L'Athénien,  Oreste  ont  compris  le  danger. 
Et  tous  deux,  à  propos,  ils  ont  pu  se  ranger. 
Le  champ  n'offre  plus  rien  dès  lors  qui  les  retienne; 
Ils  filent  et  leur  marche  est  presque  aérienne. 
Oreste  paraissait  l'emporter,  mais,  trop  prompt, 
Il  tourne  et  vient  heurter  la  borne,  l'essieu  rompt. 
Le  jeune  héros  tombe  et  pend  entre  les  rênes. 
Ses  chevaux  étonnés,  sans  frein,  vont  par  les  plaines. 
Tramant  au  sol  le  grand  cadavre  douloureux. 
Et  de  ce  corps  si  beau,  pur  chef-d'œuvre  des  dieux. 
Il  ne  reste  plus  rien  qu'os  meurtris  et  chairs  noires 
Dont  l'horreur  à  jamais  emplira  nos  mémoires. 
Nous  l'avons  au  bûcher  porté  pieusement, 
Nous  avons  fait  de  notre  mieux.  Dans  un  moment. 
Des  Phocéens  viendront  te  remettre  sa  cendre. 
C'est  tout  ce  que  j'avais  à  te  prier  d'entendre. 
LE    CHŒUR 

Le  Destin  a  détruit  la  race  de  nos  rois 
Jusque  dans  sa  racine  ! 


—  31  — 

CLYTEMNESTRE 

Etranger,  tu  me  vois 
Entre  deux  sentiments  contraires  partagée. 
Dois-je  me  dire  heureuse  ou  me  dire  affligée? 
Je  ne  sais,  car,  malgré  ses  insolents  défis, 
Ses  menaces,  sa  haine  enfin,  il  fut  mon  fils. 
Il  m'est  dur  d'acheter  mon  salut  de  sa  perte. 

LE    GOUVERNEUR 
Ce  regret  me  surprend,  reine,  et  me  déconcerte. 

CLYTEMNESTRE 
Que  veux-tu?  Je  suis  mère.  Et  toujours  à  nos  flancs 
Un  fil  indestructible  attache  nos  enfants. 
Ce  fil  tenait  encore;  il  se  rompt  et  je  saigne. 
C'est  un  reste  de  chair  qui  veut  que  je  me  plaigne. 

LE    GOUVERNEUR 
Je  le  vois.  Mon  voyage  a  donc  manqué  son  but. 

CLYTEMNESTRE 
Pourquoi  dis-tu  cela?  Parce  qu'en  mon  début 
Il  a  pu  m'échapper  un  regret  un  peu  vague? 
Etranger,  en  de  tels  moments  le  cœur  divague. 
Écoute!  Me  voilà  ressaisie  et  je  veux, 
Puisque  je  ne  crains  plus,  te  faire  des  aveux. 
Oreste,  pas  à  pas,  escortait  ma  pensée; 
Au-dessus  de  mon  lit  sa  hache  était  dressée. 
Et  ma  bouche  sentait  son  souffle  court  frémir 
Et  sa  main  sur  mon  cœur  m'empêchait  de  dormir. 
L'ombre  vaste  des  nuits  recelait  sa  présence  ; 
Il  pouvait  en  surgir,  brusque,  sans  qu'on  y  pense. 
Le  jour,  le  moindre  bruit  m'emplissait  de  frisson. 
Des  mains,  pour  me  saisir,  s'élançaient  des  buissons. 
Quand  le  vent  dans  les  bois  agitait  les  ramures, 


—  32  — 

J'imaginais  entendre  un  frôlement  d'armures. 
L'éternel  cauchemar  vient  de  se  dissiper, 
La  chienne  que  voilà  peut  maintenant  japper; 
11  suffit  qu'elle  soit  impuissante  à  nous  mordre. 
Du  reste,  dès  ce  soir,  tout  va  rentrer  dans  l'ordre. 

ELECTRE 
Entends-la,  Némésis! 

CLYTEMNESTRE 

Elle  a  tout  entendu  ; 
Son  arrêt  contre  toi  maintenant  est  rendu. 

ELECTRE 
La  fortune  te  rit.  Insulte-nous! 

CLYTEMNESTRE 

Qu'importe 
Ta  haine?  Le  venin  n'est  plus.  La  bête  est  morte  ! 

ELECTRE 
Outragé  par  ta  mère  et  trahi  par  les  dieux, 
C'est  maintenant  qu'on  peut  t'appeler  malheureux, 
Pauvre  Oreste! 

CLYTEMNESTRE 
Etranger,  notre  reconnaissance 
Serait  grande,  si  tu  m'obtenais  le  silence 
De  cette  Furie  ! 

LE   GOUVERNEUR 
Ah!...  je  me  retire  donc. 
Et  si  je  t'ai  causé  quelque  peine,  pardon. 
Je  n'ai  plus  rien  à  faire  ici,  je  te  salue. 

CLYTEMNESTRE 
Cher  hôte,  pas  ainsi;  j'y  suis  bien  résolue. 


Un  voyage  si  long  mérite  plus  d'accueil, 
Et  c'est  comme  un  ami  qu'il  faut  franchir  ce  seuil. 
(Ils  rentrent  tous  deux.) 

SCÈNE    III 
ELECTRE,  Le  Chœur. 

ELECTRE 
Misérable,  ta  joie  achève  ta  figure  ! 
Il  y  manquait  encor  cet  infernal  reflet. 
Soyez  loués,  grands  dieux  !  Votre  ouvrage  est  complet  ! 
Du  trépas  de  son  fils,  j'ai  vu  rire  une  mère!... 
Et  maintenant,  où  vais-je  aller,  que  dois-je  faire? 
Le  coup  fatal  me  frappe  en  même  temps  que  lui. 
Toute  mon  espérance  est  bien  morte  aujourd'hui. 
Irai-je  mendier  mon  pain  sur  quelque  route. 
Vagabonde  qu'aux  chiens  on  livrera  sans  doute, 
Du  plus  loin  qu'on  verra  venir,  muet  et  noir. 
Figure  du  mystère  errante  dans  le  soir, 
Mon  long  corps  éclairé  de  mes  yeux  d'épouvante  ! 
Mais  non!  Je  ne  veux  pas  sortir  d'ici  vivante. 
Pendant  que  je  puis  nuire  encor,  il  ne  faut  pas 
Que  je  parte.  Mon  poste  est  là  jusqu'au  trépas. 
Louve  par  mes  clameurs,  par  mon  geste  statue. 
Pour  m'ôter  de  ces  lieux,  il  faudra  qu'on  me  tue  ! 

LE  CHŒUR 
Qu'as-tu  fait  de  ta  foudre,  ô  toi,  fils  de  Chronos, 
Et  toi,  divin  soleil,  à  quoi  sert  ta  lumière, 
Si  devant  tant  d'horreur  dont  frissonnent  mes  os, 
Vous  poursuivez,  indifférents,  votre  carrière? 

(Rideau.) 
3 


ACTE   TROISIEME 


SCÈNE   PREMIÈRE 

ELECTRE.   —  CHRYSOTHÉMIS,    Le  Chœur. 

CHRYSOTHÉMIS 
Chère  Electre,  j'accours  si  joyeuse  vers  toi, 
Que  j'ai  presque  oublié  la  divine  décence. 
Tu  n'éprouveras  plus  les  chagrins  de  l'absence, 
C'est  la  fin  de  tes  maux  que  je  viens  t'annoncer. 

ELECTRE 
Mes  maux  ne  peuvent  plus  ni  croître,  ni  baisser, 
Car  ils  sont  sans  remède,  hélas!  et  sans  mesure! 

CHRYSOTHÉMIS 
Oreste,  notre  frère,  est  ici;  j'en  suis  sûre 
Comme  si  je  l'avais  aperçu  de  mes  yeux. 

ELECTRE 
Tais-toi,  je  t'en  supplie.  Il  m'est  trop  odieux 
D'entendre,  en  ce  moment,  divaguer  de  la  sorte; 
Et  que  ce  soit  folie  ou  bravade,  n'importe, 
Je  ne  le  puis  souffrir. 

CHRYSOTHÉMIS 
Pourtant,  il  est  ici! 
ELECTRE 
Et  de  qui,  s'il  te  plaît,  tiens-tu  ce  beau  récit? 

CHRYSOTHÉMIS 
J'en  crois  mes  yeux  et  non  quelque  vaine  parole. 

ELECTRE 
Allons,  explique-toi.  Qu'as-tu  vu,  pauvre  folle? 


_  36  - 

CHRYSOTHÉMIS 
Daigneras-tu  m'entendre  au  moins  sans  me  troubler? 

ELECTRE 
Parle,  puisque  cela  t'amuse,  de  parler. 

CHRYSOTHÉMIS 
Tout  à  l'heure,  en  allant  au  tombeau  de  mon  père, 
J'ai  vu  que  des  ruisseaux  de  lait  couvraient  la  terre. 
Aussitôt,  j'ai  levé  les  yeux.  Le  monument 
Était  fleuri;  c'était  comme  un  écroulement 
Léger  et  gracieux  de  feuilles  et  de  roses  ; 
Des  fruits  mûrs  s'échappaient  des  corbeilles  mal  closes. 
Partout,  autour  de  moi,  j'ai  regardé.  Le  vent 
Seul,  dans  l'espace  vide,  au  loin  était  errant. 
Je  me  suis  approchée  en  silence.  O  surprise! 
Là,  fraîchement  coupée  et  souple  sous  la  brise. 
Toute  une  chevelure  aux  fluides  crins  d'or 
Frissonnait  doucement  et  semblait  vivre  encor. 
Je  me  suis  souvenue  alors  du  cher  visage 
De  l'absent.  Ces  cheveux  et  ces  fleurs  sont  un  gage 
De  filial  amour.  Il  est  ici.  Mon  cœur 
Fraternel  le  devine,  invisible  et  rôdeur. 
Prêt  à  surgir  pour  son  ouvrage  de  vengeance. 
Avec  quelle  tendresse  et  quelle  joie  immense 
J'ai  touché  de  mes  mains  ce  présent  de  l'ami. 
Tremblante  toutefois  que  ma  bouche,  parmi 
Tant  de  mots  de  bonheur  ne  laissât,  indiscrète, 
Tomber  quelque  mauvais  présage  sur  sa  tête. 
Il  est  ici.  De  qui,  s'ils  n'étaient  pas  de  lui. 
Seraient  donc  ces  cheveux  apportés  aujourd'hui? 
Ce  ne  sont  pas  les  tiens  ni  les  miens,  et  ma  mère 
A  de  semblables  dons  ne  peut  qu'être  étrangère. 


—  37  — 

Ainsi,  réjouis-toi,  chère  Electre;  ce  jour 
Du  bonheur  oublié  te  promet  le  retour. 

ELECTRE 
Et  c'est  là  ta  nouvelle  et  là  ton  espérance? 

CHRYSOTHÉMIS 
Oreste  de  retour,  dis-moi,  quelle  souffrance 
Peut  t'émouvoir  encore? 

ELECTRE 

Malheureuse,  il  est  mort! 
Mort  aussi  le  salut  qu'il  portait,  et  le  sort 
A  posé  pour  toujours  sur  nous  sa  main  funeste  ! 
N'attends  plus  désormais  aucun  secours  d'Oreste. 

CHRYSOTHÉMIS 
O  douleur  !  Et  de  qui  te  vient  ce  bruit  alïreux  ? 

ELECTRE 
D'un  homme  qui  l'a  vu  périr  devant  ses  yeux. 

CHRYSOTHÉMIS 
Cet  homme,  où  donc  est-il?  Quel  est-il?  Dieu!  que  d'ombre 
Emplit  mon  cœur  si  gai  tout  à  l'heure  et  si  sombre 
A  présent  ! 

ELECTRE 
Celui  dont  je  te  parle  est  ici. 
Ma  mère  se  repaît  de  son  triste  récit. 

CHRYSOTHÉMIS 
Hélas!  Et  de  qui  donc  proviennent  ces  offrandes? 
De  qui  sont  ces  cheveux?  Et  de  qui  ces  guirlandes? 

ELECTRE 
De  qui?  Je  ne  sais  pas.  Quelque  pieuse  main, 
Découvrant  ces  débris  perdus  sur  le  chemin 
Pour  qu'un  peu  du  mort  flotte  encor  sur  cette  terre. 
Aura,  dans  sa  pitié  pour  mon  malheureux  frère, 


-  38  - 

Suspendu  ses  cheveux  au  tombeau  paternel, 
Et,  pour  diminuer  ce  qu'il  a  de  cruel, 
A  ce  morne  trophée  aura  mêlé  des  roses. 

CHRYSOTHÊMIS 
Malheureuse!  Et  moi  qui,  sans  rien  voir  de  ces  choses, 
Accourais  si  joyeuse  au-devant  de  ma  sœur. 
Voilà  que  je  retrouve,  avec  l'ancien  malheur 
Qui  n'aura  pas  cessé  de  m'attendre  à  la  porte, 
Ma  maison  écroulée  et  ma  tendresse  morte. 

ELECTRE 
Il  est  vrai,  le  Destin  nous  écrase,  et  pourtant 
Rien  n'est  encor  perdu,  si  ton  cœur  n'y  consent. 

CHRYSOTHÊMIS 
Puis-je  donc  rappeler  les  morts  à  l'existence? 

ELECTRE 
Pourquoi  me  prêtes-tu  des  pensers  de  démence? 
Non!  mon  esprit  est  calme  et  voit  clair  devant  lui. 

CHRYSOTHÊMIS 
Eh  bien!  qu'ordonnes-tu  que  je  fasse  aujourd'hui, 
O  ma  sœur? 

ELECTRE 
Arme-toi  d'énergie  et  d'audace. 
Il  faut  te  montrer  digne,  une  fois,  de  ta  race! 

CHRYSOTHÊMIS 
Si  ton  conseil  est  juste  et  droit,  je  le  suivrai. 

ELECTRE 
Prends  garde.  Le  succès  s'achète. 

CHRYSOTHÊMIS 

Je  ferai 
Tout  ce  qui  me  sera  possible. 


—  39  — 

ELECTRE 

Eh  bien  !  écoute  : 
Nos  défenseurs  sont  morts.  Ils  descendent  la  route 
Éternelle  et  sans  fin  qu'on  ne  remonte  plus. 
Ne  nous  attardons  point  en  regrets  superflus. 
Honte  à  qui  penserait  s'acquitter  par  des  larmes! 
Eux  tombés,  ramassons  leur  colère  et  leurs  armes. 
Non!  cher  Oreste,  non!  nous  ne  laisserons  pas 
Tes  ennemis  en  paix  rire  de  ton  trépas. 
Nous  veillerons  sur  ton  cadavre  et  ta  mémoire  ! 
Et  quant  à  nous,  ma  sœur,  si  tu  daignes  m'en  croire, 
Dépouillant  notre  sexe  et  nos  timidités, 
L'âme  pleine  des  morts  justement  irrités. 
Au  seuil  de  son  palais  nous  abattrons  Égisthe. 
Le  vouloir  du  Destin  à  qui  nul  ne  résiste 
Nous  désigne  aujourd'hui  pour  frapper  ce  grand  coup. 
Tu  le  sais,  tant  qu'Oreste  est  demeuré  debout, 
Je  supportais  patiemment  notre  misère, 
«  Il  viendra  relever  la  maison  de  son  père,  » 
Me  disais-je.  Puisqu'il  ne  doit  pas  revenir. 
Qu'attendons-nous,  filles  de  roi,  pour  en  finir 
Avec  l'avilissant  et  honteux  esclavage? 
Transporter  l'eau  pour  la  cuisine  et  le  lavage, 
Couper  le  bois,  remplir  et  tramer  les  paniers, 
Vivre  avec  des  valets  et  des  palefreniers, 
Épouser  à  la  fin  quelque  garçon  de  ferme. 
Voilà,  de  ton  destin  l'inévitable  terme, 
Si  tu  n'es  décidée  à  suivre  mon  conseil. 
Songe,  au  contraire,  songe  à  l'éclat  sans  pareil 
Dont  s'envelopperont  nos  gloires  juvéniles, 
Lorsque,  par  l'Ionie  étonnée  et  les  îles, 


—  40  — 

Courra,  de  rive  en  rive,  un  bruit  si  merveilleux, 
Et  que  nous  paraîtrons,  tenant  par  les  cheveux 
La  tête  du  tyran,  fléau  de  nos  familles  ! 
Chacun  dira  de  nous  :  «  Voyez  ces  jeunes  filles; 
Elles  ont,  sans  appui,  relevé  leur  maison. 
Et  seules,  se  dressant  contre  la  trahison,         • 
Sans  souci  de  la  mort  qui  guettait  leur  vaillance; 
Frappé  leur  ennemi  dans  toute  sa  puissance  ! 
Leur  renom  passera  jusqu'aux  âges  futurs!  » 

LE    CHŒUR 
Certes,  de  tels  projets  sont  hardis,  mais  peu  sûrs. 
Le  sort  peut  brusquement  trahir  votre  courage. 
Ne  rien  précipiter  me  semble  le  plus  sage. 

CHRYSOTHÉMÏS 
Je  le  vois.  Le  chagrin  trouble  son  jugement. 
Mon  cœur  plein  de  tendresse  et  plein  d'étonnement 
Devant  tant  de  fureur  ne  sait  plus  que  se  taire. 
Et  je  vois  s'élargir  la  route  solitaire 
Où  je  devrai  marcher  sans  appui  désormais. 
Electre,  pauvre  sœur  que  malgré  tout  j'aimais, 
Abandonne  au  plus  tôt  ces  mornes  rêveries, 
Illusions  d'un  cœur  malade  et  tromperies 
De  la  fièvre.  Tu  veux,  femmes  aux  faibles  bras. 
Qu'au  milieu  d'un  palais  entouré  de  soldats. 
Nous  qu'une  main  d'enfant  désarmerait  peut-être. 
Nous  frappions  un  tyran  devenu  notre  maître 
Par  la  complicité  des  dieux  et  leur  secours. 
Son  pouvoir  s'affermit  et  s'accroît  tous  les  jours. 
Tous  les  jours  un  peu  plus  fausse  et  plus  infidèle, 
L'espérance  s'en  va  de  notre  âme  à  grande  aile. 
Tous  les  jours,  nous  voyons  notre  destin  fléchir. 


—  41  — 

Et  ce  serait  l'instant  que  tu  voudrais  choisir 

Pour  cette  désastreuse  et  folle  tentative  ! 

Encor,  si  l'on  ^  avait  que  le  trépas  la  suive  ! 

Mais  ce  n'est  pas  la  mort,  ma  sœur,  qui  nous  attend. 

On  nous  enterrera  vives  auparavant 

Dans  quelque  trou  profond  et  noir,  sous  les  montagnes, 

Et  l'horreur  et  la  faim  resteront  nos  compagnes. 

LE    CHŒUR 
Avant  que  de  te  perdre  et  de  la  perdre  aussi. 
Réfléchis  bien,  ma  chère  Electre,  à  tout  ceci. 
Et  ménage  les  jours  que  la  Parque  vous  file 

ELECTRE 
Je  m'attendais  à  ta  réponse.  Sois  tranquille, 
J'ai  conçu  mon  projet.'  Immobile  et  masqué, 
Dans  le  fond  de  mon  cœur  il  se  tient  embusqué. 
Il  bondira,,  le  jour  venu,  sur  sa  victime. 

CHRYSOTHÉMIS 
Que  n'avais-tu  ces  sentiments  le  soir  du  crime  ! 

ELECTRE 
Je  les  avais  déjà^  mais  faibles  et  confus. 

CHRYSOTHÉMIS 
Tâche  de  t'y  tenir  maintenant. 

ELECTRE 

Ton  refus 
S'efforce  de  paraître  ironique;  il  est  lâche. 

CHRYSOTHÉMIS 
Je  dis  qu'assassiner  ne  peut  être  une  tâche 
Convenable. pour  nous. 

ELECTRE 

Et  moi,  je  dis  qu'un  tel 
Scrupule,  en  ce  moment,  est  presque  criminel. 


—  42  — 

Où  le  lâche,  crois-moi,  trouve  son  avantage, 
La  vertu  ne  saurait  s'attarder  sans  dommage. 

CHRYSOTHÊMIS 
Tu  te  rendras  à  mes  conseils,  plus  tard. 
ELECTRE 

Oh!  nonl 

CHRYSOTHÊMIS 
Si  !  Le  temps  usera  ta  résolution  ! 

ELECTRE 
Va-t'en.  On  ne  peut  rien  espérer  de  ton  aide. 

CHRYSOTHÊMIS 
Ton  obstination  de  trop  d'orgueil  procède. 

ELECTRE 
Va-t'en,  va  rapporter  à  ta  mère  cela, 

CHRYSOTHÊMIS 
Non!  Ma  haine  pour  toi  ne  va  pas  jusque-là. 

ELECTRE 
Ta  haine  va  plus  loin.  Elle  me  veut  infâme! 

CHRYSOTHÊMIS 
Je  veux  à  la  raison  reconduire  ton  âme. 

ELECTRE 
Sur  tes  conseils  mesquins  il  faudrait  se  régler? 

CHRYSOTHÊMIS 
J'aime  qu'on  réfléchisse  avant  que  de  parler; 
J'écoute  volontiers  un  conseil,  s'il  est  sage. 

ELECTRE 
Mais  ta  sagesse,  à  toi,  n'est  que  du  verbiage; 
Tu  parles  seulement  pour  t'épargner  d'agir. 

CHRYSOTHÊMIS 
Je  tâche  à  m'épargner  surtout  le  repentir. 
En  tout  cas,  je  crains  fort,  si  ton  âme  s'obstine, 


—  43  — 

Que  ce  ne  soit  pour  nous  l'éternelle  ruine. 

ELECTRE 
Je  m'obstine  et  n'ai  point  de  ces  lâches  terreurs. 

CHRYSOTHÉMIS 
Tu  vas  donc  au-devant  de  nouvelles  douleurs. 

ELECTRE 
Tout  vaut  mieux  que  l'affreux  déplaisir  de  t'entendre. 

CHRYSOTHÉMIS 
Ton  âme  à  mes  conseils  refuse  de  se  rendre? 

ELECTRE 
Ma  résolution  est  prise,  je  t'ai  dit. 

CHRYSOTHÉMIS 
Je  me  retire  donc,  puisqu'il  m'est  interdit 
Et  de  te  conseiller,  hélas!  et  de  te  suivre. 

ELECTRE 
Oui,  va-t'en,  et  prends  soin  par-dessus  tout  de  vivre. 
Moi,  je  vais  m'occuper  des  apprêts  de  ma  mort. 
Nous  avons  toutes  deux  choisi  nos  parts  du  sort. 
Plus  différentes  d'âme  encor  que  de  fortune. 
Rompons  dès  à  présent  nos  attaches  communes. 
Quoi  qu'il  puisse  advenir,  je  ne  te  connais  plus. 

CHRYSOTHÉMIS 
Moi,  je  ne  forme  point  de  ces  vœux  absolus. 
Je  te  suivrai  des  yeux,  tout  le  long  de  la  route. 
S'il  t'arrive  malheur,  comme  je  le  redoute, 
Souviens-toi  que  ta  sœur  t'a  déjà  pardonné. 

(Elle  sort.) 

LE  CHŒUR 
Les  grandes  cigognes  pendantes 
Qui  se  bercent  aux  aquilons. 


—  44  - 

Et  dont  les  pieds  minces  et  longs 
Fixent  à  des  tiges  tremblantes 
Leur  corps  immobile  et  sculpté, 
Toutes  pleines  de  piété, 
Les  grandes  cigognes  mystiques 
Rêveraient  à  leurs  vieux  parents, 
Tandis  que  nous,  bien  différents 
Des  beaux  oiseaux  mélancoliques, 
Au  fond  de  nos  cœurs  oublieux 
Nous  vous  creusons  des  sépultures 
Avec  les  pierres  les  plus  dures, 
O  pauvres  morts,  froids  et  sans  yeux. 


SCENE  II 
Les  Précédentes,  ORESTE. 

ORESTE 
Femmes,  nous  vous  prions  instamment  de  nous  dire 
Si  les  renseignements  que  l'on  nous  a  donnés 
Sont  exacts  et  ne  nous  ont  pas  trop  détournés. 
Nous  venons  de  fort  loin  pour  un  objet  bien  triste. 

LE    CHŒUR 
Où  VOUS  dirigez-vous? 

ORESTE 

Vers  le  palais  d'Egisthe. 
LE   CHŒUR 
On  ne  t'a  pas  trompé.  C'est  ici. 
ORESTE 

Qui  de  vous 
Se  charge  d'annoncer  notre  arrivée  à  tous? 


—  45  — 

Car  nous  sommes  porteurs  d'une  grande  nouvelle. 

LE  CHŒXJR,  dcsigJiant  Electre. 
S'il  faut  quelqu'un  de  la  maison...  je  ne  vois  qu'elle. 

ORESTE 
Eh  bien!  femme,  entre  donc.  Dis  que  des  Phocéens 
Sont  là  qui  voudraient  voir  Égisthe. 

ELECTRE 

Ah  !  dieux  !  je  crains 
Que  vous  ne  confirmiez  un  rapport  trop  funeste  ! 

ORESTE 
De  quel  fait  parles-tu?  Car,  s'il  s'agit  d'Oreste, 
Le  vieux  Strophios,  chez  qui  ce  jeune  homme  logeait. 
Nous  mande  justement  vers  vous  à  son  sujet. 

ELECTRE 
Eh  bien!  de  son  destin,  que  viens-tu  nous  apprendre? 

ORESTE 
Cette  urne  que  tu  vois  est  pleine  de  sa  cendre. 

ELECTRE 
Par  les  dieux  immortels,  étranger,  laisse-moi 
Tenir  entre  mes  mains  cette  urne,  objet  d'émoi. 
Pour  que  j'y  verse,  avec  mes  pleurs  et  ma  prière, 
Mon  cœur  comme  lui  mort  et  rempli  de  poussière. 

ORESTE 
Approchez.  Donnez-lui  ce  qu'elle  a  demandé. 
Car  son  cœur  ne  fut  pas  par  la  haine  guidé, 
Lorsqu'elle  nous  a  fait  sa  très  humble  requête, 
Et  la  Tristesse  au  vol  nocturne  est  sur  sa  tête  ! 

ELECTRE,  prenant  l'urne. 
O  mobile  tombeau,  transmis  de  mains  en  mains. 
Petite  urne  qui  vins  par  les  mêmes  chemins 
Où  j'attendis  longtemps  celui  que  tu  m'apportes. 


-  46  - 

Sois  bienvenue  au  nom  des  espérances  mortes, 

Puisque  au  cher  rendez-vous  tant  annoncé  par  lui 

Sa  cendre  au  moins  fidèle  est  exacte  aujourd'hui. 

Ah  !  ce  n'est  pas  ainsi  que  tu  devais  paraître  : 

J'espérais  te  revoir  surgir  comme  le  Maître, 

Formidable,  escorté  de  la  Foudre,  vengeur; 

Et  tu  fus  l'Exilé,  l'Hôte,  le  Voyageur 

Pour  qui  la  tombe  même  est  devenue  errante  ! 

Où  sont-ils,  tous  mes  beaux  rêves  d'adolescente, 

Quand  je  te  conduisais  avec  moi,  tout  petit. 

Te  menant  par  la  main  ou  sur  mon  sein  blotti? 

Par  la  ville  et  les  champs,  nous  allions  côte  à  côte; 

A  peine  si  ma  taille  était  un  peu  plus  haute, 

Et  véritablement  nulle  mère  jamais 

N'aurait  pu  te  chérir  autant  que  je  t'aimais. 

Et  c'est  moi  cependant  l'auteur  de  ta  misère. 

J'aurais  dû  te  laisser  mourir  avec  ton  père; 

Ensemble  chez  Hadès  vous  seriez  descendus. 

Il  t'aurait  emporté  dans  ses  bras  éperdus. 

Et  son  ombre  géante  avec  ta  petite  ombre 

Sur  le  rivage  noir  eût  cheminé  moins  sombre. 

Pour  que  tu  n'aies  pas  peur  et  que  tu  n'aies  pas  froid, 

Enroulant  un  manteau  de  ténèbres  sur  toi. 

Il  t'eût  laissé  dormir  pendant  tout  le  voyage. 

Mais  au  lieu  de  te  prendre  ainsi  dans  ton  jeune  âge, 

La  mort  t'enlève  adulte,  en  pays  étranger. 

Et  mes  regards  aux  tiens  n'ont  pas  pu  s'échanger. 

Ton  âme,  en  s'en  allant,  n'a  rien  pris  à  la  mienne, 

Et  je  n'ai  rien  gardé  de  toi  qui  me  soutienne. 

Mon  cœur  n'a  pas  reçu  tes  suprêmes  adieux. 

D'autres  doigts  que  les  miens  ont  refermé  tes  yeux. 


—  47  — 

Mes  tendresses  pour  toi,  stérilement  fleuries, 
N'accompagneront  pas  tes  vaines  songeries. 
En  ta  mémoire  lourde  et  noyée  où  fuiront 
Les  vagues  souvenirs  dispersés  de  ton  front 
Ne  flottera  de  moi  qu'une  image  incertaine. 
Mais  voici  que,  rompant  leur  inutile  chaîne, 
Mon  corps  déjà  chancelle  et  mon  âme  s'enfuit. 
Et  j'aperçois  grandir,  dans  le  fond  de  la  nuit. 
De  la  barque  des  Morts  l'ombre  surnaturelle. 
Sois  patient.  J'accours,  chère  âme  fraternelle. 
Bientôt  nous  partirons,  l'un  sur  l'autre  appuyés 
Vers  l'Ile  ténébreuse  et  les  noirs  peupliers. 
Dans  la  chute  du  soir  éternel  où  tu  plonges, 
Devisant  tous  les  deux,  nous  referons  en  songes 
Nos  jours  interrompus  par  l'injuste  Destin. 

LE    CHŒUR 
Electre,  il  ne  faut  pas  te  livrer  au  chagrin. 
L'existence  pour  tous  est  illusoire  et  brève 
Et  ton  frère  en  mourant  n'a  changé  que  de  rêve. 

ORESTE 
Dieux  !  contenez  mon  cœur  qui  m'échappe  et  se  rompt, 

ELECTRE 
Quel  nuage  subit  vient  d'obscurcir  ton  front? 

ORESTE 
Eh  quoi  !  serais-tu  donc  la  glorieuse  Electre  ? 

ELECTRE 
On  me  nomme  toujours  ainsi,  moi,  pâle  spectre, 
Moins  semblable  aux  vivants  qu'aux  hôtes  du  tombeau. 
ORESTE 

Voilà  ce  qu'ils  ont  fait  d'un  corps  jadis  si  beau! 


-  48  - 

ELECTRE 
Est-ce  mon  triste  sort  qui  fait  couler  tes  larmes? 

ORESTE 
Je  songe  à  ce  visage  autrefois  plein  de  charmes  ! 

ELECTRE 
Alors,  c'est  bien  à  moi  que  s'adressent  tes  pleurs? 

ORESTE 
Ils  ont  abattu  l'arbre  et  dispersé  les  fleurs 

ELECTRE 
Pourquoi  me  regarder  avec  tant  de  tristesse? 

ORESTE 
Des  coups  de  mon  malheur  j'ignorais  la  rudesse. 

ELECTRE 
Comment  ce  que  j'ai  dit  te  l'a-t-il  révélé? 

ORESTE 
Je  t'ai  vue  et  tes  maux  ne  m'ont  que  trop  parlé. 

ELECTRE 
Cette  part  que  tu  vois  en  est  pourtant  la  moindre. 

ORESTE 
A  tant  de  maux  encor  quel  mal  pourrait-on  joindre? 

ELECTRE 
On  me  contraint  à  vivre  avec  des  assassins. 

ORESTE 
Comment  cela?  Qui  peut  avoir  de  tels  desseins? 

ELECTRE 
Je  suis  esclave  des  meurtriers  de  mon  père. 

ORESTE 
A  cette  extrémité  qui  te  réduit? 
ELECTRE 

Ma  mère, 
Si  toutefois  on  peut  l'appeler  de  ce  nom. 


—  49  — 

ORESTE 
Pour  te  soumettre  ainsi,  dis,  quels  moyens  prend-on? 
Les  menaces,  la  faim? 

ELECTRE 

La  faim,  la  violence. 
Toutes  les  cruautés  ! 

ORESTE 
Nui  ne  prend  ta  défense. 
Dis-moi? 

ELECTRE 

Non  !  Je  suis  seule  et  seule  pour  jamais, 
Voici  mort  le  dernier  défenseur  que  j'avais. 

ORESTE 
Pauvre  Electre  !  J'ai  grand'pitié  de  ta  misère! 

ELECTRE 

C'est  la  première  fois  que  mon  oreille  entend 
Ce  beau  mot  de  pitié,  si  doux  au  cœur  pourtant! 

ORESTE 
C'est  que  mon  infortune  est  faite  de  la  tienne. 

ELECTRE 
Est-il  donc  entre  nous  un  lien  par  où.  tienne 
A  mon  âme  ton  âme?  Es-tu  donc  mon  parent? 

ORESTE 
Puis-je  parler  devant  ces  femmes,  librement? 

ELECTRE 
Me  préserve  le  Ciel  à  leur  égard  d'un  doute  ! 

ORESTE 
Eh  bien!  dépose  donc  cette  urne,  puis  écoute. 

ELECTRE 
O  toi  qui  tout  à  l'heure  as  parlé  de  pitié, 
Ne  sois  pas  sourd  aux  vœux  de  la  triste  amitié. 

4 


ORESTE 
Fais  ce  que  je  te  dis.  Tu  comprendras  ensuite. 

ELECTRE 
Considère  l'état  où  le  Ciel  m'a  réduite. 
J'ai  bien  gagné,  par  ma  tristesse  et  mon  amour, 
Ce  petit  héritage  unique  et  si  peu  lourd 
Auquel  nul  ici-bas  ne  prétend  et  ne  songe  ! 

ORESTE 
Non!  Voilà  trop  longtemps  que  dure  ce  mensonge! 

ELECTRE 
Cher  Oreste,  de  toi  je  n'aurai  rien  gardé! 

ORESTE 
Crois-moi,  ton  désespoir  n'est  nullement  fondé. 

ELECTRE 
Tu  trouves  que  j'ai  tort  de  pleurer  sur  mon  frère? 

ORESTE 
Oui. 

ELECTRE 
M'estimes-tu  donc  trop  indigne? 
ORESTE 

Au  contraire. 
Mais  l'urne  que  tu  tiens  n'est  qu'un  vain  monument. 
ELECTRE 

Ces  cendres  ne  sont  pas  d' Oreste? 

ORESTE 

Nullement. 

ELECTRE 

Où  donc  est  le  tombeau  de  mon  malheureux  frère? 

ORESTE 
II  n'est  point  de  tombeau  pour  qui  voit  la  lumière. 


—  51  — 

ELECTRE 
Que  dis-tu,  cher  enfant? 

ORESTE 

Mais  rien  qui  ne  soit  vrai, 
ELECTRE 
Ai-je  bien  entendu?  Dieux  puissants,  il  vivrait! 

ORESTE 
Oui,  puisque  me  voilà. 

ELECTRE 
C'est  donc  toi? 
ORESTE 

Vois  la  marque 
Imprimée  à  mon  bras  par  le  fer  de  la  Parque. 

ELECTRE 
Jour  de  bonheur! 

ORESTE 
Instants  célestes! 

ELECTRE 

Douce  voix, 
Je  t'entends  donc  enfin  ! 

ORESTE 

Ma  sœur,  je  te  revois! 
ELECTRE 

Je  te  presse  en  mes  bras... 

ORESTE 

Nos  peines,  où  sont-elles? 

ELECTRE 

Femmes  de  ce  pays,  mes  compagnes  fidèles. 
Voyez  donc  cet  Oreste  au  tombeau  descendu, 
Que  la  Mort  avait  pris  et  qui  nous  est  rendu. 


—  52  — 

LE    CHŒUR 
J'ai  tout  vu,  chère  Electre,  et  j'en  pleure  de  joie! 

ELECTRE 
Te  voilà  revenu,  fils  du  vainqueur  de  Troie, 
Dans  ta  famille,  près  de  tes  anciens  amis! 

ORESTE 
Oui,  c'est  plus  de  bonheur  qu'il  ne  m'en  fut  promis; 
Pourtant  il  faut  savoir  le  porter  en  silence. 

ELECTRE 
Qu'appréhendes-tu  donc? 

ORESTE 

Observons  la  prudence. 
On  pourrait  nous  entendre  au  fond  de  ce  palais. 

ELECTRE 
Par  la  chaste  Artémis,  je  ne  craindrai  jamais, 
Non,  tant  que  je  vivrai,  ce  vil  troupeau  de  femmes. 

ORESTE 
Elles  cachent  parfois  de  bien  terribles  âmes, 
Tes  pareilles.  Tu  dois  t'en  souvenir,  pourtant. 

ELECTRE 
Pourquoi  me  rappeler  ces  choses,  maintenant? 

ORESTE 
C'est  qu'il  peut  être  bon  que  l'on  se  ressouvienne; 
J'aurai  besoin  de  ta  mémoire  et  de  la  mienne. 
Tout  à  l'heure,  pendant  qu'il.me  faudra  frapper, 

ELECTRE 
Ne  crains  pas  que  mon  cœur  laisse  rien  échapper. 
Ma  mémoire  est  tenace  et  pleine  de  leur  crime  ; 
La  meute  que  j'y  garde  au  moindre  appel  s'anime. 
Permets  qu'elle  sommeille  au  doux  bruit  de  ta  voix  ; 
Ma  bouche  est  libre,  hélas!  pour  la  première  fois. 


—  53  — 

ORESTE 
Conserve-la  donc  libre. 

ELECTRE 
Eh  bien  !  que  dois-je  faire 
Pour  cela? 

ORESTE 
Ne  parler  qu'à  propos  ou  te  taire. 
ELECTRE 

Tu  veux  donc  qu'après  tant  et  de  si  tristes  jours 
Consumés  à  porter  des  souvenirs  trop  lourds, 
Après  une  si  longue  et  si  mortelle  absence, 
A  l'heure  où  je  te  vois  contre  toute  espérance, 
Silencieusement,  se  referme  mon  cœur 
Encor  tout  ébloui  de  son  premier  bonheur! 

ORESTE 
Je  suis  venu  sitôt  qu'un  dieu  m'en  donna  l'ordre. 

ELECTRE 
Je  cherche  où  le  malheur  pourrait  encor  nous  mordre. 
Ainsi,  cher  messager,  ton  voyage  est  divin? 

ORESTE 
Il  dépendra  de  toi  qu'il  ne  reste  pas  vain. 
Ne  me  parle  donc  plus  du  passé  qui  t'attriste, 
Des  crimes  de  ta  mère  et  de  l'orgueil  d'Egisthe; 
L'occasion  fuirait  au  cours  de  tels  propos. 
Mais,  de  tes  souvenirs  rentrant  les  noirs  troupeaux, 
Pour  la  mâle  Action  abandonne  le  rêve. 
Il  faut  qu'avant  ce  soir  notre  ouvrage  s'achève. 
Nos  yeux,  dans  ce  palais  dont  tu  sais  les  détours. 
Auront  plus  d'une  fois  besoin  de  ton  secours. 
En  attendant  que  l'heure  inexorable  arrive, 
Sois  prudente,  ma  sœur,  et  sois  très  attentive 


—  54  — 

A  déguiser  la  joie  éparse  sur  ton  front. 
Tâche  de  faire  croire  à  ceux  qui  te  verront 
Que  le  sombre  malheur  enveloppe  ton  âme. 

ELECTRE 
A  défaut  de  chagrin,  la  haine,  qui  m'enflamme, 
Dans  mes  yeux  agrandis  jetant  son  morne  éclat, 
A  l'heure  du  péril  exacte  sera  là. 
Du  reste,  de  ces  yeux  tristes,  que  peux-tu  craindre? 
Va,  je  n'ai  pas  besoin  avec  eux  de  rien  feindre; 
Ils  pleurent  pour  la  joie  ainsi  qu'ils  ont  pleuré 
Pour  la  douleur.  Comment,  ô  cher  inespéré, 
Voudrais-tu  que  mon  cœur,  après  tant  de  secousses, 
Si  cruelles  d'abord  et  puis  bientôt  si  douces. 
Soit  calme?  On  me  dirait  que  mon  père  est  vivant. 
Qu'il  va  venir,  qu'il  vient,  que  ses  pas  dans  le  vent 
Résonnent,  j'y  croirais.  Non!  plus  rien  ne  m'étonne, 
Et  je  cède  au  bonheur  divin  qui  m'environne! 

ORESTE 
Silence!  car  j'entends  marcher  dans  le  palais. 

ELECTRE 
As-tu  dit,  étranger,  tout  ce  que  tu  voulais? 


SCENE    IV 
Les   mêmes.  —  LE  GOUVERNEUR 

LE   GOUVERNEUR 
Vous  êtes  insensés  d'agir  comme  vous  faites. 
Ne  voyez-vous  donc  pas  le  péril  où  vous  êtes? 
Par  bonheur,  je  veillais;  sans  quoi,  soyez-en  sûrs. 
Vos  projets,  avant  vous,  eussent  franchi  ces  murs; 


—  55  — 

Allons  !  Assez  de  pleurs  et  de  cris  et  d'extases  ! 
Laissez  les  sentiments  avec  les  longues  phrases. 
Nous  en  sommes  au  point  où  les  moindres  délais 
Peuvent  tout  perdre.  Vite.  Entrez  dans  le  palais. 
C'est  le  moment! 

ORESTE 
En  quel  état  y  sont  les  choses? 

LE   GOUVERNEUR 
Tout  va  bien,  et  cela  pour  de  nombreuses  causes, 
Dont  la  première  est  qu'on  ne  nous  reconnaît  pas. 

ORESTE 
Tu  leur  as  raconté?... 

LE   GOUVERNEUR 
Longuement  ton  trépas. 
ORESTE 
A-t-elle,  en  t'écoutant,  fait  voir  quelque  tristesse? 

LE    GOUVERNEUR 
Nous  en  reparlerons  à  loisir.  Le  temps  presse; 
L'important,  c'est  que  tout  semble  aller  à  souhaits  : 
Même  le  mal  qu'ils  font  servira  nos  projets. 

ELECTRE 
Frère,  quel  est  cet  homme? 

ORESTE 

Eh  quoi  !  ce  fier  visage 
Ne  te  rappelle  rien? 

ELECTRE 

Non,  pas  la  moindre  image  ! 

ORESTE 
C'est  ainsi  que  ton  cœur,  oubliant  les  amis, 
Ne  reconnaît  pas  l'homme  à  qui  tu  m'as  remis? 


-  56  - 

ELECTRE 
Qui  veux-tu  dire? 

ORESTE 
Mais,  la  nuit  du  régicide, 
Celui  qui  m'emporta,  par  tes  soins,  en  Phocide. 

ELECTRE 
Quoi!  le  seul  qui  me  fut  fidèle  en  ce  temps-là? 

ORESTE 
Est  debout  devant  toi. 

ELECTRE 

Cher  mortel  !  te  voilà  ! 
Sauveur  de  ma  maison,  comment  te  saluerai-je? 
Oh!  laisse-moi  baiser  tes  mains,  toucher  la  neige 
Sainte  de  tes  cheveux.  Pourquoi,  Maître,  pourquoi, 
Ainsi  que  tu  l'as  fait,  t'être  caché  de  moi? 
Tantôt,  lorsque  tu  nous  contais  la  mort  d'Oreste, 
Pourquoi  ne  m'avoir  pas,  d'un  mot,  d'un  simple  geste, 
Rassurée,  avertie,  au  lieu  de  me  laisser 
Dans  la  désespérance  et  le  deuil  m'enfoncer? 
Ah!  tu  fus  bien  cruel,  ce  matin,  ô  mon  Maître! 
Et  je  t'ai  grandement  maudit,  sans  te  connaître, 
O  toi,  le  plus  chéri  des  hommes  désormais 
Et  par  qui  je  revois  au  seuil  de  ce  palais 
L'image  glorieuse  et  grave  de  mon  père. 

LE  GOUVERNEUR 
C'est  assez.  Pour  de  tels  entretiens,  je  l'espère. 
Nous  aurons  bien  des  nuits  de  calme  et  bien  des  jours; 
Tandis  que,  pour  agir,  les  instants  se  font  courts. 
La  reine  Clytemnestre  est  toute  seule  encore. 
Les  gardes  sont  partis  dans  un  but  que  j'ignore. 
Profitons  du  loisir  que  nous  laissent  les  dieux  ! 


—  57  — 

O RESTE 
Entrons  donc,  cher  Pylade,  et  d'un  salut  pieux 
Honorons  dès  le  seuil  les  très  saintes  Puissances 
Du  foyer. 

ELECTRE 
Apollon,  sois  le  dieu  des  vengeances; 
Souviens-toi  des  héros  pour  qui  tu  descendis 
De  ton  char  de  lumière  aux  champs  troyens  jadis, 
Guerrier  casqué  de  foudre  et  revêtu  d'orage. 


SCÈNE   V 

ELECTRE.  —  Le  Chœur. 

ELECTRE 
Ils  sont  entrés,  ils  vont  accomplir  leur  ouvrage. 
Attendons  en  silence. 

LE  CHŒUR 

O  lugubre  moment  ! 
Dis,  que  font-ils? 

ELECTRE 
Tandis  qu'elles  va  préparant 
Le  festin  funéraire,  ils  se  tiennent  près  d'elle. 

LE   CHŒUR 
Oui,  mais  toi,  quel  motif  hors  du  palais  t'appelle? 

ELECTRE 
Je  suis  là  pour  guetter  Égisthe  à  son  retour. 

CLYTEMNESTRE,  du  fond  du  palais. 
Tout  le  palais  est  plein  d'assassins.  On  me  court 
Dessus,  poignards  levés.  Vite,  je  vous  en  prie, 
A  mon  aide  ! 


_  58  - 

ELECTRE 
Entendez  là  dedans  comme  on  crie  ! 
LE   CHŒUR 
Oui,  j'entends,  je  comprends  que  se  passent  ici 
Des  choses  dont  l'horreur  excède  tout  récit  ! 

CLYTEMNESTRE 
Égisthe,  où  donc  es-tu?  Je  péris. 
ELECTRE 

Quel  tapage 
Elle  fait! 

CLYTEMNESTRE 
O  pitié,  mon  cher  enfant  ! 
ELECTRE 

Carnage  ! 
Tu  n'as  pas  eu  pitié,  toi  ! 

LE  CHŒUR 

Peuple  malheureux, 
Déplorable  maison  ! 

CLYTEMNESTRE 
Il  m'a  frappée,  ô  dieux  ! 
ELECTRE 

Bon!  redouble  tes  coups. 

CLYTEMMESTRE 

Il  faut  donc  que  je  meure! 
ELECTRE 

A  l'abattoir,  Égisthe!  on  t'attend,  c'est  ton  heure. 

LE    CHŒUR 
Les  morts  montent  de  toutes  parts 
Et  renaissent  de  leur  poussière  ; 
Dans  le  palais,  ils  sont  épars, 
Ils  courent,  ivres  de  lumière. 


—  59  — 

Entendez-vous,  entendez- vous 
Les  grands  pas  lourds  du  fils  d'Atrée? 
D'Agamemnon  c'est  la  rentrée  ! 
Ares  les  presse  et  les  rend  fous. 
Qui  donc  disait  que  l'Achéron 
Ne  rendait  plus  jamais  sa  proie? 
Les  voici  pourtant,  ceux  de  Troie, 
Ceux  d'Alcide  et  ceux  de  Jason. 
Sur  quelle  escadre  fabuleuse, 
A  travers  la  pluie  et  les  vents. 
Jusqu'à  la  terre  des  vivants 
Ont-ils  fui  l'Ile  ténébreuse? 

Déjà  l'on  n'entend  plus  leurs  voix  ; 
Leurs  besognes  sont  terminées. 
Ils  égouttent  aux  cheminées 
Le  sang  qui  coule  de  leurs  doigts. 

(Oreste  paraît.) 

ELECTRE 
Eh  bien!  est-ce  fini? 

ORESTE 

Tout  va  bien  là  dedans, 
Si  nous  ne  fûmes  pas  toutefois  imprudents 
D'écouter  Apollon...  La  malheureuse  est  morte. 
Tu  n'en  recevras  plus  d'afïront  d'aucune  sorte. 

LE    CHŒUR 
Silence!  J'aperçois  Egisthe  qui  revient. 

ELECTRE 
O  mes  amis,  rentrez.  Qu'il  ne  soupçonne  rien! 

ORESTE 
Quel  visage  fait-il? 


—  6o  — 

LE    CHŒUR 
Il  paraît  plein  de  joie. 
ORESTE 
Approche,  Némésis;  voici  venir  ta  proie! 

LE   CHŒUR 
Cachez-vous  promptement,  vous  autres.  Tenez-vous 
Là,  sous  le  vestibule.  Il  vient  s'offrir  aux  coups. 
Que  dans  le  piège  il  tombe  enfin  tête  baissée. 
Ne  compromettons  pas  la  tâche  commencée. 

ORESTE 
Soyez  tranquilles.  Tout  ira  bien 
ELECTRE 

Hâte-toi  ! 
ORESTE 
Je  me  retire. 

ELECTRE 
Et  moi,  je  veille  ! 

LE   CHŒUR 

Ecoute-moi, 
Tu  devrais  l'accueillir  avec  d'humbles  manières. 
Prendre  des  airs  craintifs  et  baisser  les  paupières, 
Pour  le  persuader  de  ton  deuil  mieux  encor 
Et  l'amener  d'un  pas  léger  jusqu'à  la  mort. 

ÉGISTHE 
Qui  de  vous  peut  me  dire  où  se  trouvent  ces  hommes 
De  Phocide,  qui  sont  arrivés  ce  matin, 
Pour  m'annoncer  qu'Oreste  aurait  clos  son  destin? 
Electre,  c'est  à  toi  surtout  que  je  m'adresse. 
Tu  dois  être  au  courant;  cette  mort  t'intéresse, 
Toi  qui  nous  menaçais  toujours  de  son  retour. 


—  6i   — 

ELECTRE 
Oui,  je  suis  au  courant.  Tu  dis  vrai.  Mon  amour 
Veut  que  je  m'intéresse  à  ces  graves  nouvelles. 

ÊGISTHE 
Eh  bien!  exactement,  en  quoi  consistent-elles? 
Dis-moi  vite  où  je  puis  trouver  le  messager. 

ELECTRE 
Dans  le  palais,  en  tr^in  de  boire  et  de  manger. 
Ils  ont  reçu  l'accueil  qu'ils  y  pouvaient  attendre. 

ÉGISTHE 
C'est  très  bien,  tout  cela;  mais  ont-ils  fait  entendre 
Qu'il  était  vraiment  mort? 

ELECTRE 

Hélas!  ils  l'ont  prouvé. 

ÉGISTHE 
Et  tu  n'espères  plus  que  ce  soit  controuvé? 

ELECTRE 
Son  cadavre  est  ici,  voilà  ma  certitude. 

ÉGISTHE 
Tu  me  rends  bien  heureux,  contre  ton  habitude. 

ELECTRE 
Va  goûter  ce  plaisir,  s'il  te  paraît  si  doux; 
Va,  ne  retarde  plus  ta  joie  et  laisse-nous  î 

ÉGISTHE 
Qu'on  tasse  le  silence  et  qu'on  ouvre  les  portes. 
Pour  que  voie  à  la  fin  ses  espérances  mortes 
Ce  peuple  au  cœur  rebelle  et  toujours  agité. 
Que  tout  Mycène  avec  Argos  soit  invité 
A  défiler  devant  le  cadavre  d'Oreste; 
Que  chacun  désormais  sache  qu'il  ne  lui  reste 
Qu'à  se  ployer  au  joug  inévitable,  sans 


—    62    — 

Murmure,  qu'il  faudrait  payer  avec  du  sang, 
Car  nous  saurons  briser  les  plus  mauvaises  têtes, 

ELECTRE 
Egisthe,  quant  à  moi,  mes  réflexions  faites, 
Je  cède  à  mon  Destin. 
(Or este  sort.  Le  cadavre  de  Clytemnestre  est  amené 
sur  la  scène ^  recouvert  du  manteau  d' Oreste.) 

ÊGISTHE 

Je  vais  donc  le  voir  mort  ! 
J'ai  peine  à  contenir  en  moi  l'heureux  transport 
Où  me  jette  une  aussi  stupéfiante  pensée. 
Mais  la  Divinité  peut  en  être  ofïensée  ; 
Oreste  est  malgré  tout  mon  parent.  Ses  malheurs 
Méritent  que  sur  lui  je  verse  quelques  pleurs. 
C'est  mon  devoir,  Otez  ce  voile  qui  le  cache. 

ORESTE 
Cet  office,  en  raison  du  nœud  qui  vous  rattache, 
Te  regarde.  C'est  toi  son  plus  proche  parent; 
Fais-en  la  fonction, 

ÊGISTHE 
Il  est  vrai,  mais  avant, 
Si  Clytemnestre  est  dans  le  palais,  qu'on  l'appelle. 

ORESTE,  rejetant  le  voile. 
Va!  ne  la  cherche  pas  ailleurs  qu'ici...  c'est  elle. 

ÊGISTHE 
Que  vois-je? 

ORESTE 
Te  voilà  sombre  et  tout  soucieux  ! 
ÊGISTHE 
Dans  quel  piège  m'avez-vous  fait  tomber,  grands  dieux? 


_  63  - 

ORESTE 
Tu  ne  t'attendais  pas  à  pareille  surprise; 
De  retrouver  les  morts  si  vivants  te  dégrise  ! 

ÉGISTHE 
Je  comprends.  C'est  Oreste  à  qui  je  parlais? 

ORESTE 

Oui, 
Docte  devin,  c'est  moi.  Tu  t'es  trop  réjoui 
A  l'avance.  Il  convient  de  pleurer  à  cette  heure! 

ÉGISTHE 
Je  suis  perdu.  Pourtant,  avant  que  je  ne  meure, 
Ecoute,  je  n'ai  plus  qu'un  mot  à  dire. 

ELECTRE 

Non! 
Fais-le  taire  au  plus  tôt,  cher  Oreste.  A  quoi  bon, 
Pour  mourir,  tant  de  bruit,  tant  de  cérémonie? 
Vouloir  toujours  parler,  l'odieuse  manie  ! 
Rachète  au  moins  ta  honte  et  ton  indignité 
D'un  quart  d'heure  de  force  et  de  virilité. 
Misérable!  Et  toi,  frère,  achève-le  bien  vite, 
Pour  son  honneur,  pour  Zeus  que  sa  présence  irrite. 
Et  donne  à  son  cadavre,  en  guise  de  tombeau. 
Le  ventre  du  vautour  et  celui  du  corbeau. 
Et  cela  me  payera  de  ma  longue  misère  ! 

ÉGISTHE 

Un  seul  mot  ! 

ORESTE 
Il  s'agit   maintenant  de  te  taire 
Et  de  mourir.  Allons,  rentre! 

ÉGISTHE 

Pourquoi  rentrer, 


—  64  - 

Si  ton  intention  est  de  me  massacrer? 

Pourquoi  pas  en  plein  jour,  au  milieu  de  la  place? 

Rougirais-tu  de  ton  action? 

ORESTE 

Quelle  audace  ! 
Le  scélérat  voudrait  nous  commander  encor  ! 
Il  parle  comme  un  maître  obéi,  toujours  fort. 
Silence,  meurtrier,  parricide,  adultère  : 
Tu  mourras  à  la  place  oii  tu  frappas  mon  père. 


VARIANTE 

Il  parle  comme  un  maître  obéi,  toujours  fort. 
Tu  mourras  à  la  place  où  tu  frappas  mon  père. 
C'est  à  lui  que  je  vais  t'immoler;  que  j'espère, 
Doux  breuvage  à  la  fois  chaud  et  rafraîchissant, 
Tout  à  l'heure  donner  à  boire  tout  ton  sang. 

ÉGISTHE 
Votre  mauvais  destin  n'est  pas  clos,  Pélopides! 

ORESTE 
Allons,  oui,  c'est  assez  de  discours  insipides. 
Marche,  bavard! 

ÉGISTHE 
As-tu  peur  que  j'échappe? 
ORESTE 

Non! 
Mais  nous  allons  avoir  encor  beaucoup  à  faire. 
Ton  supplice  n'est  pas  un  ouvrage  ordinaire. 
Il  nous  faut  inventer  quelque  chose  de  neuf; 
Quelque  horrible  abattoir  où  tombe  comme  un  bœuf, 
A  travers  l'épouvante  et  le  pâle  mystère, 
Ton  front  de  parricide  et  ton  corps  d'adultère, 
Pour  qu'à  ton  souvenir  sans  cesse  propagé, 
Le  crime  au  fond  des  cœurs  rentre  découragé, 
Et  qu'on  ne  trouve  plus  personne  qui  t'imite  ! 


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